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Full text of "Grammaire historique de la langue française"

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GRAMMAIRE  HISTORIQUE 


DE    LA 


LANGUE  FRANÇAISE 


DU   MÊME   AUTEUR 


Manuel  phonétique  du  français  parlé.  Deuxième  édition  traduite  et  re. 
maniée  par  E.   Philipot,  1  vol.  in  8"  carré     4  fr. 

Grammaire  historique  de  la  langue  française,  4  vol.  in  8°. 

Tome  I.  Histoire  générale  de  la  langue  française.  Phonétique,  1  vol.  10  fr. 

Tome  II.  Morphologie,  1  vol 10  fr. 

Tome  III.  Formation  des  mots.  Sémantique,  1  vol.  (En  préparation.) 
Tome  IV.  Syntaxe,  1  vol.   (En  préparation.) 

Nouveau  recueil  de  farces  françaises  des  XV^  et  XVIe  siècles.  Publié 
d'après  un  volume  unique  appartenant  à  la  bibliothèque  royale  de  Co- 
penhague. En  collaboration  avec  M.  É.  Picot.  Paris,  1880. 

Storia  dell'  epopea  francese  nel  medio  evo.  Prima  traduzione  dall'  origi- 
nale danese  di  E.  Gorra.  Con  aggiunte  e  correzioni  fornite  dall'  autore, 
con  note  del  traduttore  e  una  copiosa  bibliografia.  Opéra  premiata  con 
medaglia  d'oro  dall'  université  di  Copenaghen.  Firenze,  1886. 

Ordenes  Liv.  Copenhague,  1902. 

Das  Leben  der  Worter.  Autorisierte  Obersetzung  ans  dem  Dânischen  von 
Robert  Vogt.  Leipzig.  1903. 


Dk  I .  u  r. 


GRAMMAIRE  HISTORIQUE 


DE  LA 


LANGUE  FRANÇAISE 


PAR 


KR.  NYROP 

PROFESSEUR  A  l'uNIVERSITÉ  DE  COPENHAGUE 


TOME  DEUXIEME 


COPENHAGUE 
DET  NORDISKE  FORLAG 

ERNST  BOJESEN 

LEIPZIG  NEW-YORK  PARIS 

OTTO    HARRASSOWITZ  G.  E.   STECHERT  ALPHONSE  PICARD  &  FILS 

1903 
Tous  droits  réservés 


?c 

2101 

m 


IMPRIMERIE    NIELSEN    &    LYDICHE 


AVANT-PROPOS 


LJans  ce  nouveau  volume  de  ma  Grammaire  historique  j'ai 
introduit  deux  changements  pratiques  que  je  crois  utile  de 
signaler  tout  de  suite  à  l'attention  du  lecteur. 

Dans  les  transcriptions  phonétiques  j'ai  abandonné  mon 
propre  système  pour  adopter  celui  de  l'Association  internatio- 
nale phonétique.  Je  l'ai  fait  pour  contribuer  de  mon  côté  à  la 
victoire  de  «l'unité  phonétiste«.  Un  très  grand  nombre  de  sys- 
tèmes de  transcription  sont  en  usage  maintenant;  les  roma- 
nistes à  eux  seuls  doivent  connaître  ceux  de  MM.  Ascoli, 
Boehmer,  Gilliéron,  Meyer-Lûbke,  Weigand,  Wulff,  et  plusieurs 
autres.  Il  est  superflu  de  relever  ce  que  cet  état  de  choses 
comporte  d'inconvénients  de  toutes  sortes,  et  peut  faire  naître 
de  malentendus,  sans  parler  de  la  perte  de  temps  qu'il  occa- 
sionne: si  l'on  veut  étudier  des  textes  dialectaux  romans,  il 
faut  pour  chaque  pays,  apprendre  un  nouveau  système  de 
transcription,  parfois  même  deux  ou  trois,  et  des  systèmes 
basés  sur  des  principes  typographiques  absolument  différents. 
Combien  tout  serait  plus  simple  si  l'on  pouvait  convenir  d'un 
seul!  L'unité  phonétiste  est  loin  encore  de  sa  réalisation,  mais 
ce  n'est  plus  une  utopie.  Beaucoup  de  savants  y  travaillent 
énergiquement,  et  ils  lui  ont  déjà  fait  faire  un  grand  pas  en 
avant.  Grâce  à  la  propagande  multiple  et  active  dont  le  Maître 
phonétique  est  le  centre,  l'alphabet  de  l'Association  internatio- 
nale est  maintenant  plus  répandu,  à  lui  tout  seul,  que  tous  les 


VI 

autres  systèmes  de  transcription  réunis.  Sans  parler  des  nom- 
breux livres  classiques  allemands,  anglais  et  français,  où  il  a 
été  mis  à  profit,  on  s'en  est  aussi  servi  avec  avantage  dans 
des  études  scientifiques  sur  les  langues  les  plus  diverses;  il 
vient  même  d'être  employé  dans  une  dissertation  sur  le  japo- 
nais! C'est  donc  ce  système  qui  doit  réunir  toutes  les  voix,  et 
qui,  selon  toute  probabilité,  nous  permettra  quelque  jour  d'at- 
teindre l'unité  phonétiste  si  désirable  et  si  désirée. 

Le  deuxième  changement  introduit  dans  ce  volume  est  de 
moindre  importance;  il  concerne  la  Bibliographie,  où  j'ai  re- 
noncé à  mes  abréviations  au  profit  de  celles  dont  se  sert 
M.  K.  VollmôUer  dans  son  Kritischer  Jahresbericht. 

Je  tiens  enfin  à  rappeler  au  souvenir  du  lecteur  ce  que  j'ai 
dit  dans  le  premier  volume:  que  le  but  de  mon  livre  est  sur- 
tout pédagogique  et  qu'il  s'adresse  de  préférence  aux  débutants. 
C'est  en  effet  ce  point  de  vue  qui  a  dominé  le  choix  et  l'or- 
donnance des  matières,  et  qui  expliquera  pourquoi  par  exemple 
j'ai  présenté  à  propos  de  la  déclinaison  quelques  remarques 
qui  regardent  plutôt  la  syntaxe. 

MM.  ScHULTZ-GoRA,  E.  Philipot,  Joh.  VisiNG,  Anker  Jensen 
et  Sv.  SvEiNBJÔRNSSON  out  bien  voulu  me  donner  leur  concours 
précieux  dans  la  correction  des  épreuves;  en  les  priant  tous 
d'agréer  mes  remerciements  sincères  de  leur  amabilité,  je  dois 
ajouter  que  je  suis  particulièrement  reconnaissant  à  M.  E.  Phi- 
lipot qui  a  bien  voulu  soumettre  plusieurs  paragraphes  à  une 
discussion  instructive;  on  trouvera  dans  les  Additions  quelques- 
unes  de  ses  observations  qui  n'ont  pas  trouvé  place  dans  le 
texte. 

Jœgersborg,  près  Copenhague,  29  juillet  1903. 

Kr.  N. 


VII 


ABRÉVIATIONS   ET   SIGNES. 


ail. 

allemand 

germ. 

germanique 

angl. 

anglais 

it. 

italien 

blat. 

bas  latin 

lat. 

latin 

cf. 

confer 

port. 

portugais 

comp. 

comparez 

prov. 

provençal 

dan. 

danois 

roum. 

roumain 

dér. 

dérivé 

vfr. 

vieux  français 

dim. 

diminutif 

vha. 

vieux  haut  allemand 

esp. 

espagnol 

vnorr. 

vieux  norrois. 

>  aboutit  à 

^  parallèlement  à 

<(  provient  de 

:  rime  avec 

Un  astérisque  (*)  placé    devant  une   forme   indique   qu'elle   ne  se  trouve 
dans  aucun  texte  et  qu'on  ne  la  restitue  que  par  conjecture. 


Pour  les  abréviations  des  titres  de  revues,  voir  la  Bibliographie. 


EDITIONS   CITEES. 


Les  plus  anciens  monuments  de  la  langue  française  sont 
cités  d'après  l'édition  de  E.  Koschwitz;  la  Vie  de  St.  Alexis, 
d'après  l'éd.  de  G.  Paris;  la  chanson  de  Roland,  d'après  les 
éd.  de  L.  Gautier  et  Th.  Muller;  les  autres  vieux  textes,  d'a- 
près les  publications  de  la  Société  des  Anciens  Textes  et  de  la 
Bibliothèque  Elzévirienne. 

Les  exemples  de  Malherbe,  Corneille,  Molière,  La  Fontaine 
et  Racine  sont  donnés  d'après  les  Grands  Écrivains  de  la  France* 


VIII 


TRANSCRIPTION  PHONÉTIQUE. 

(Chaque  lettre  doit  se  prononcer  comme  la  lettre  italique  du  mot  mis  en  regard.) 


1. 

,  CONSONNES. 

[b]  bout 

[n]  angl.  kin^ 

[d]  doux 

[p]  pouls 

[f]  fou 

[r]  roux 

[g]  ^oût 

[s]  sou 

[j]  yeux 

[J]  c/iou 

[k]  coup 

[t]  tout 

[1]  /oup 

[v]  yous 

[Ji]  it.  %/io 

[w]  oui 

[m]  mou 

[^]  lui 

[n]  nous 

[z]  zouave 

[ji]  agneau 

[3]  joue 

II.  VOYELLES  ORALES. 

[a]  patte  [o]  pot 

[a]  pdte  [0]  port 

[e]  pédant  [0]  peu 

[g]  père  [œ]  peur 

[9]  peler  [u]  pour 


[1]  pzre 


[y]  pur 


III.  VOYELLES   NASALES. 

[à]  banc  [5]  bon 

[i]  bain  [œ]  brun 

après  une  voyelle  indique  qu'elle  est  longue. 


TROISIÈME  PARTIE 

MORPHOLOGIE 


LIVRE   PREMIER. 

LES   VERBES. 

CHAPITRE  I. 

REMARQUES  PRÉLIMINAIRES. 


I.  Nous  commencerons  par  examiner  les  changements  géné- 
raux qu'a  subis  le  système  verbal  latin: 

P  Le  latin  classique  possédait  deux  »  formes  «  ou  voix  dif- 
férentes, forma  activa  et  forma  passiua;  on  n'en  retrouve  ((ue 
la  première  dans  les  langues  romanes  et  le  passif  a  disparu  par- 
tout. 

2*^  Les  verbes  latins  avaient  quatre  modes:  modus  indicati- 
ons, modus  conjimctiviis,  modus  imperatiinis,  modus  infmitivus; 
ils  ont  tous  été  conservés. 

3**  Ces  modes  avaient  différentes  formes  pour  exprimer  les 
temps:  tempus  prœsens,  tempus  prœteritum,  tempus  futurum; 
nous  verrons  dans  la  suite  que  quelques-unes  de  ces  formes 
ont  été  conservées,  tandis  que  d'autres  sont  mortes  et  ont 
donné  place  à  de  nouvelles  formations. 

4"  On  distinguait  enlin,  dans  les  modes  personnels,  entre  le 
singulier  et  le  pluriel,  et  dans  chaque  nombre  on  avait  trois 
formes  différentes  pour  les  trois  personnes.  Ces  distinctions 
se  retrouvent  dans  les  langues  romanes,  mais  elles  tendent  à 
s'effacer  en  français,  où  les  six  formes  se  sont  souvent  ré- 
duites à  cinq  ou  à  quatre,  parfois  même  à  trois,  de  sorte 
qu'une  seule  forme  peut  servir  pour  tout  le  singulier  et  la  3? 
pers.  du  pluriel  (cf.  §  129). 

1* 


/.   Voix  passive. 

2.  De  tout  le  passif  classique  on  n'a  conservé  que  le  parti- 
cipe passé,  et  c'est  à  l'aide  de  cette  forme  qu'on  a  créé  un 
nouveau  passif  roman.  Le  latin  présentait  des  formes  syn- 
thétiques: amor,  amabar,  etc.,  à  côté  de  formes  analytiques: 
a  mat  us  su  m,  amatus  eram,  etc.  Sur  le  modèle  de  ces 
dernières  on  a  refait  tout  le  passif  en  formant  avec  le  verbe 
esse  et  le  participe  passé,  une  série  de  nouvelles  formes  com- 
posées. Ainsi  amor  est  remplacé  par  amatus  su  m,  ama- 
bar par  amatus  eram,  amatus  sum  par  amatus  fui, 
etc.  Ce  nouveau  passif  analytique  date  probablement  du  VP 
ou  du  VIP  siècle;  remarquons  qu'on  n'en  découvre  aucune  trace 
dans  le  latin  de  Grégoire  de  Tours. 

Remarque.  Outre  le  participe  passé  le  français  présente,  dans  quelques 
s'ubstantifs,  un  faible  reste  d'une  autre  forme  du  passif,  le  participe  futur 
ou  le  gerundivum.  Exemples:  bibenda  >  buvande,  offerenda  >  of- 
frande, priebenda  )  provende,  vivenda  )  viande.  Rappelons  aussi  les 
termes  ecclésiastiques  ordinand  «  ordinandus),  clerc  qui  va  être  ordonné, 
et  conflrmand  ((  confirmandus),  enfant  qui  va  recevoir  la  confirmation, 
et  quelques  mots  purement  savants  :  prébende,  légende,  propagande  (de  pro- 
paganda  fide),  multiplicande,  dividende,  etc.  On  a  voulu  voir  dans  une 
expression  telle  que  argent  comptant  une  autre  trace  du  participe  futur;  argent 
comptant  serait,  selon  N.  de  Wailly,  argentum  computandum.  Cette  ex- 
plication est  erronée:  nous  n'avons  dans  l'expression  citée  qu'un  participe 
pi'ésent,  détourné  de  son  sens  ordinaire. 

3.  Par  suite  de  la  disparition  du  passif  tous  les  verbes  dépo- 
nents ont  dû  prendre  la  forme  active:  nascor,  jocor,  precor, 
s  e  q  u  o  r,  m  o  r  i  o  r  sont  devenus  *n  a  s  c  o  >  nais,  *j  o  c  o  >  jue,  jeu, 
joue,  *preco  >  pri,  prie,  '^sequo  >  sui,  suis,  *morio  >  muir^ 
meurs.  Ce  changement  remonte  probablement  assez  haut;  on  sait 
que  déjà  dans  le  vieux  latin  vulgaire  la  plupart  des  verbes  dé- 
ponents hésitaient  entre  la  forme  passive  et  la  forme  active.  Pour 
le  moyen  âge  citons  quelques  exemples  qu'on  trouve  dans  les 
inscriptions  latines  de  la  Gaule:  Fatum  suum  funxit  (C.  I.  L., 
XII,  1381).  Basilicam  studuit  hanc  fabricare  Deo  (Le  Blant, 
209,  c),  etc.  Grégoire  de  Tours  écrit  admirabam,  calumnia- 
bant,  contemplabamus,  deosculat,  frustravi,  etc.  La 
»Lex  Romana  Utinensis«  donne  causare,  furare,  mentir  e, 
morire,    sequere,    etc.  (corap.  ZRPh,,  V,   49)    et   la  Vie  de 


Ste    Euphrosyne     amplexare,    dignare,     mirare,     oscu- 
lare,  etc. 

Remarque.  Rappelons  les  mots  savants  pâtir  et  compatir  tirés  directement 
de  pati  et  de  compati  (la  forme  compatiser,  employée  par  dAubigné.  est 
due  à  rinfluence  de  si/mpathiser). 


IL   Voix  active. 

4.  L'actif  a  subi  de  nombreux  changements,  et  beaucoup 
des  formes  classiques  ont  tout  à  fait  disparu. 

P  Formes  conservées.  On  a  conservé  le  présent  de  l'in- 
dicatif (canto  y  je  chante),  du  subjonctif  (cantem  }  je  chante), 
de  l'infinitif  (cantare  >  chanter),  et  du  participe  (cantan- 
tem  >  chantant);  l'imparfait  de  l'indicatif  (cantabam  }  je 
chantais);  le  parfait  de  l'indicatif  (cantavi  }  je  chantai);  le 
plus-que-parfail  du  subjonctif  (cantavissem  >  je  chantasse); 
le  gérondif  (in  cantando  >  en  chantant). 

2"  Formes  disparues.  Toutes  les  autres  formes  sont  éteintes, 
à  savoir:  l'imparfait  et  le  parfait  du  subjonctif  (cantare m, 
cantaverim),  le  plus-que-parfait  de  l'indicatif  (cantave- 
ram),  le  futur  simple  (cantabo),  le  futur  antérieur  (canta- 
vero),  le  futur  de  l'impératif  (cantato),  le  parfait  et  le  futur 
de  l'infinitif  (cantavisse,  cantaturus  esse),  le  futur  du 
participe  (cantaturus),  et  les  deux  supins  (cantatum,  can- 
tatu).  La  disparition  du  futur,  de  l'imparfait  du  subjonctif  et 
du  parfait  du  même  mode  s'explique,  en  partie,  par  leur  res- 
semblance plus  ou  moins  grande  avec  d'autres  temps;  ainsi 
cantarem  se  confondait  avec  cantarim  (cantaverim), 
cantabit  avec  cantavit,  scribam  (futur)  avec  scribam 
(prés,  du  subj.),  scribes,  scribet  avec  scribis,  scribit,  etc. 

Remarque.  Les  plus  anciens  textes  présentent  quelques  traces  isolées  du 
plus-que-parfait  de  l'indicatif:  Debuerat  >  dueret  (Germent  et  Isembart, 
V.  633).  Fecerat  >  firet  (St.  Alexis,  v.  125);  comp. /isZrfra  (St.  Léger,  v.  121). 
Fuerat  >  furet  (Ste  Eulalie,  v.  18).  Habuerat  >  auret  (ib.,  v.  2,  20).  Potu- 
erat  >  pouret  {ib.,  v.  9).  Rogaverat  >  roveret  {ib.,v.  22).  Viderat  >  vidra 
(La  Passion,  v.  133,  331).  Voluerat  >  voldret  (Ste  Eulalie,  v.  21).  Rappelons 
aussi  le  futur  simple  ier  ou  er  (ero)  qui  s'employait  encore  au  XII  siècle 
(cf.  §  204,  Rem.). 

5.  Les  pertes  que  nous  venons  de  signaler  ont  été  réparées 
de    différentes    manières.    On   a  tantôt    attribué    une   nouvelle 


6 

fonction  aux  formes  conservées  (ainsi  le  latin  difficile  die  tu 
se  rend  en  français  par  'difficile  à  dire'),  et  tantôt  créé  de 
nouvelles  formes  périphrastiques  surtout  à  l'aide  de  habere 
joint  à  l'infinitif  ou  au  participe  passé  du  verbe  donné.  Par 
ce"  moyen  on  a  gagné  quelques  temps  que  ne  connaissait  pas 
la  grammaire  latine  (le  parfait  antérieur,  le  conditionnel  passé, 
l'impératif  passé). 

6.  Pour  exprimer  le  futur  on  a  eu  recours  à  une  périplirase  : 
à  côté  du  classique  cantabo,  on  se  servait  de  cantandum 
mihi  est,  remplacé  par  cantandum  liabeo,  d'oii  enfin 
cantare  habeo.  Cette  formule  se  retrouve  dans  presque  tous 
les  parlers  romans  (excepté  le  roumain  et  le  roumanche):  it. 
cantero  (=  cantare  ho),  esp.  cantaré  (=  cantar  hé),  port,  can- 
tarei  (=  cantar  hei),  prov.  cantarai  (==  cantar  ai),  fr.  chanterai 
(=^  chanter  ai).  On  a  dit  aussi,  mais  plus  rarement,  habeo 
cantare  d'où  appu  cantai  dans  le  sarde  de  Cagliari,  et  habeo 
ad  cantare,  d'où  appo  a  cantare  dans  le  sarde  logodourien  et 
am  a  cînta  en  vieux  roumain  (dans  la  langue  actuelle  am  sa 
cânt).  Pour  exprimer  l'imparfait  du  futur,  on  a  également  eu 
recours  à  l'infinitif  composé  avec  habebam  ou  habui.  Can- 
tare habebam  se  trouve  dans  les  langues  suivantes:  it.  can- 
taria  (=^  cantare  avea),  esp.  cantaria  (==  cantar  habîa),  port. 
cantaria  (=  cantar  havia),  prov.  cantaria  (=  cantar  avia),  fr. 
chanterais  (=  chanter  avais).  Cantare  habui  n'est  représenté 
que  par  lit.  canterei  (pour  canterebbi  =  cantare  ehhi). 

Remarque.  A  côté  des  deux  périphrases  citées  du  futur,  on  a  aussi  eu 
recours  aux  verbes  velle  et  venire.  Ainsi  cantabo  se  rend  en  roumain 
par  voiu  cântd  (on  dit  aussi  voiii  sa  cânt  ou  am  sa  cânt)  et  dans  le  rou- 
manche de  rObwald  par  veng  kuntar  ou  veng  a  kuntar.  Rappelons  qu'en 
France  dans  les  provinces  de  l'Est  et  du  Sud,  );vouloir«  est  souvent  em- 
ploj^é  vicieusement  pour  remplacer  le  futur:  Le  médecin  déclare  que  le 
malade  veut  mourir  demain.  11  en  est  de  même  dans  la  Suisse  française, 
où  l'on  dit:  //  veut  pleuvoir.  On  vent  avoir  de  la  neige.  Ce  rosier  ne  veut 
pas  fleurir,  etc.  (W.  Phulhun,  Parlons  français.  1890.  P.  9).  Au  moj'en  âge 
le  futur  de  valoir  s'employait  parfois  de  la  même  manière:  Au  pont  de 
Rocheflor  me  vodrai  adrecier  (\'engeance  Alixandre,  v.  942).  Pour  l'italien, 
rappelons  des  phrases  comme:   Vuol  fare  temporale.   Vuol  piovere,  è  vero?  etc. 

7.  On  emploie  déjà  en  latin  classique  habere  suivi  de  l'in- 
iinitif  d'un  »verbum  dicendi«  (habeo  dicere  =  habeo  quod 
dicam).    Cicéron   écrit:  Hœc  fera  dicere  habui  de  natnra  deo- 


mm.  De  re  publica  niliil  habeo  ad  te  scribere  (Ad  Atticum,  2, 
22,  6).  De  Alexandrina  re  tantum  habeo  polliceri  (Ad  Familiares, 
1,  5,  3).  Selon  Suétone  (chap.  58),  Auguste  disait:  »Quid  habeo 
aliud  deos  immortales  precaril<  Bientôt  le  domaine  de  cette  cons- 
truction s'élargit,  elle  s'applique  chez  Tertullien  (f  230)  à 
toutes  sortes  de  verbes,  et  nous  observons  en  même  temps  une 
modification  du  sens:  habeo  die  ère,  qui  marque  d'abord 
une  possibilité,  une  faculté  (je  peux  dire),  arrive  aussi  à  mar- 
quer une  nécessité  (je  dois  dire,  je  suis  obligé  de  dire)  et  adopte 
enfin  le  sens  du  futur  (j'ai  à  diye.  je  dirai),  qu'il  finit  par  rem- 
placer. (Un  développement  semblable  s'observe  par  ex.  en  alle- 
mand: Ich  habe  zii  sagen,  et  en  danois:  Du  har  at  tie  stille, 
Du  har  at  gère  det.)  Voici  quelques  exemples  du  nouveau 
futur  vulgaire:  Ipsos  erubescere  convenit,  (jiios  habet  œterna 
pœna  torqiiere  ==  torquebit  (Cassiodor).  Prœsta  inopi  qiiidquid 
reddere  Christiis  haliet  (Venantius).  ^4/»,  inqiiit,  te  haïrent  laudare, 
alii  reprchendere  (Scholiastes  Gronovianus  à  Cicéron).  Hic  vero 
qui  vomire  habet  (Oribasius).  Ego  tibi  facere  habeo  bonitatem 
qiiam  voliieris  (Liutprandi  Leges  §  138).  Ego  te  ferire  habeo 
(ib.).  Ego  quid  tibi  habeo  dicere  super  hoc  quod  precepit  Domi- 
nus  (Vie  de  Ste  Euphrosyne,  §  8).  Non  sis  tristis,  domni  pater, 
quia  Deus  satisfacere  tibi  habet  quid  devinit  fûia  tua  (ib.,  §  16). 
Quando  jusserit  Dominus  sic  cognuscere  habis  quid  devinit  fûia 
tua  {ib.,  §  13),  etc.  La  plupart  de  ces  exemples  sont  empruntés 
à  l'étude  pénétrante  de  M.  Thielmann,  qui  cite  aussi  le  plus 
ancien  exemple  du  conditionnel  roman  :  Sanare  te  habebat  Deus, 
si  confiteris  (Migne,  vol.  39,  col.  2214). 

8.  Pour  exprimer  plusieurs  temps  du  passé  on  a  employé 
une  périphrase  formée  de  ha b ère  uni  au  participe  passé: 
habeo  cantatum  > /a/ c/ja/?/é,  habebam  cantatum  )/«- 
vais  chanté,  habui  cantatum  )  feus  chanté,  etc.  Le  point 
de  départ  de  cette  construction  se  trouve  dans  des  phrases 
telles  (|ue:  Xullos  habeo  scriptos  (Plautus,  Miles  gl.,  II,  1,  48), 
Multa  bona  bene  porta  habenius  (Trin.,  II,  2,  66).  Edictum,  ut 
ante  kalendas  sextiles  omnes  decunias  ad  aquam  deportatas  haberent 
(Cicero).  Verres  deorum  templis  belluni  semper  habuit  indictum 
(id.).  Dans  ces  phrases  ha  b  ère  conserve  sa  pleine  valeur  de 
transitif,  et  il  y  a  une  différence  assez  nette  entre  habeo  rem 
auditam   et  audivi  rem,   entre  habeo  scriptam  episto- 


8 

la  m  et  s  cri  psi  epistolam,  etc.  Cependant  cette  différence 
ne  se  maintient  pas;  dans  les  combinaisons  signalées,  h  a  b  ère 
perd  peu  à  peu  sa  signification  primitive  et  devient  un  simple 
auxiliaire.  Ce  nouvel  état  de  choses  se  rencontre  pour  la  pre- 
mière fois  dans  Grégoire  de  Tours  (f  ô94),  d'oi^i  nous  tirons 
les  exemples  suivants:  Deliheratum  habiii  ut  pallas  altaris  tene- 
rem.  Promissum  Imbemiis  niliil  sine  eiiis  consilio  agere.  Promis- 
sionem  quam  statiitam  habeo  non  obmitto.  Episcopum  inuitatuni 
hahes.  Gallum  diaconem  alibi  habeo  destinatuni.  On  voit  facile- 
ment que  dans  ces  phrases,  où  habere  a  abandonné  sa  signi- 
fication propre,  nous  avons  affaire  à  une  construction  toute 
nouvelle,  à  une  création  romane.  Ajoutons  que  l'ancienne  cons- 
truction classique  se  trouve  aussi  dans  Grégoire:  Ecclesia  pa- 
rietes  exornatos  habet.  Habemus  scriptum  in  canonibns.  Dotis 
quam  promissam  ab  sponso  habeo,  etc.  (voir  M.  Bonnet,  Le 
latin  de  Grégoire  de  Tours.  Paris,  1890.  P.  689). 

9.  On  reconnaît  en  latin  quatre  conjugaisons  différentes  qui 
forment  des  systèmes  plus  ou  moins  complets  et  réguliers: 
cantare,  debëre,  scribere,  servira.  Ces  quatre  types  se  retrouvent 
en  français;  mais,  grâce  à  l'évolution  phonétique  et  à  l'action 
analogique,  ils  ont  subi  des  changements  nombreux  et  très 
profonds,  de  sorte  que  beaucoup  des  traits  les  plus  caractéris- 
tiques de  la  flexion  primitive  ont  été  effacés;  il  suffit  de  com- 
parer debes,  scribis  avec  tu  dois,  tu  écris,  cantamus,  de- 
bemus,  scribimus,  servimus  avec  chantons,  devons,  écri- 
vons, servons,  et  veni  venisti  venit  avec  vins  vins  vint.  Il 
est  par  là  devenu  excessivement  difficile  d'établir  en  français 
une  division  rationnelle  des  conjugaisons.  Dans  beaucoup  de 
grammaires  pratiques  on  s'en  tient  encore  à  la  division  latine 
en  admettant  quatre  conjugaisons  selon  que  l'infinitif  se  ter- 
mine en  -er,  -oir,  -re,  -ir  {chanter,  devoir,  écrire,  servir).  Cepen- 
dant on  voit  aisément  que  ce  groupement,  en  tant  qu'il  s'ap- 
plique à  la  langue  moderne,  est  dénué  de  toute  valeur;  il  est 
purement  historique  et  ne  répond  plus  à  rien  de  réel:  nous 
avons  bien  en  français  quatre  infinitifs  différents,  mais  non 
pas  quatre  systèmes  de  flexion  différents.  Seuls  les  verbes  en 
-er  et  -ir  constituent  des  groupes  relativement  bien  distincts; 
pour  les  autres,  il  vaut  mieux  renoncer  à  tout  classement 
général  ;  ni  les  verbes  en  -re,  ni  ceux  en  -oir  ne  présentent  un 


9 

système  régulier  de  formes  et  de  terminaisons;  comp.  vendre 
vendant  vendu,  prendre  prenant  pris,  peindre  peignant  peint,  etc., 
et  voir  voyant  vu  vois  vis,  avoir  ayant  eu  ai  eus,  etc.  —  Si  dans 
l'exposé  suivant,  nous  recourons  parfois  à  la  division  latine 
des  verbes  en  quatre  groupes  (désignés  par  I,  II,  III,  IV),  c'est, 
pour  des  raisons  toutes  pratiques. 

Remarque.  On  a  essayé,  à  plusieurs  reprises,  d'établir  un  nouveau  groupe- 
ment des  verbes  français.  Quelques-uns  ont  pris  pour  base  l'apophonie  (I, 
§  297 — 302)  et  ont  admis  des  verbes  forts  avec  renforcement  de  la  voyelle 
radicale  (devoir  —  je  dois;  tenir  —  je  tiens)  et  des  verbes  faibles  sans 
changement  de  la  voyelle  (porter  —  je  porte):  d'autres  ont  considéré  comme 
verbes  forts  ceux  qui  avaient,  dans  certains  temps,  des  formes  à  radicale 
accentuée  (fâcere  >  faire,  féci  )  fis,  fâctum  )  fait),  et  comme  verbes 
faibles  ceux  qui  avaient  dans  les  mêmes  temps  des  formes  à  finale  ac- 
centuée (cantâre  >  chanter;  cantâvi  >  cfiantai;  cantâtum  >  ctianté). 
Quelques-uns  ont  surtout  tenu  compte  de  l'accentuation  du  parfait,  en  cons- 
tatant qu'en  vieux  français  l'accent  y  est  tantôt  mobile  (vi,  veïs,  vit;  §  179) 
tantôt  fixe  (cliantai,  cl\antas,  clianta);  d'autres  enfin  ont  établi  des  conjugai- 
sons »vivantes«  (chanter,  finir)  k  côté  de  conjugaisons  »mortes«  ou  «ar- 
chaïques» (faire,  devoir).  Tous  ces  systèmes  pèchent  plus  ou  moins  à  diffé- 
rents égards  et  n'ont  qu'une  valeur  assez  problématique. 


CHAPITRE  II. 

ACCENTUATION. 


10.  L'ictus  latiii  s'est  maintenu  dans  les  verbes,  comme  par 
tout  ailleurs  (I,  §  136):  cantare  )  chanter,  habere  )  avoir, 
perd  ère  )  perdre,  canto  )  chant(ej,  cantamus  >  chantons, 
dormivi  )  dormi(s),  feci  )  fis,  etc.  On  observe  pourtant  un 
déplacement  de  l'accent  dans  quelques  cas  particuliers  (fu'il 
faut  examiner  à  part. 

11.  Pour  le  développement  des  formes  proparoxytones,  au 
])résent  de  l'indicatif  et  du  subjonctif,  il  faut  relever  les  points 
suivants  : 

1°  Dans  les  verbes  composés,  dont  on  ne  sent  plus  la  com- 
position primitive,  elles  gardent  l'accentuation  classique:  col- 
locat  )  couche,  colligo  >  cueil,  cueille. 

2**  Dans  les  autres  verbes  composés,  elles  deviennent  oxy- 
tones  par  une  sorte  de  recomposition:  convenit  )  con- 
venit  )  convient,  allocat  )  aUocat  )  alloue,  etc.  (voir  I, 
§  139,3). 

8*^  Dans  les  verbes  non  composés,  elles  disparaissent,  rem- 
placées par  des  formes  analogiques  refaites  sur  l'infinitif. 
Ainsi,  à  côté  de  estudiier,  graciier,  saciier,  justifder,  on  trouve 
estudie(t),  gracîe(t),  sacie(t),  justifie(t)  ;  aucune  trace  de  estûdiet, 
gràciet,  sâciet,  justifiet  (comp.  en  italien:  stiidia,  grâzia,  sâzia, 
giustîfica). 

12.  Au  pluriel  du  présent  de  l'indicatif  de  III,  la  1'^  et  la 
2'"  personne  présentent  en  latin  classique  des  formes  fortes  avec 


I 


11 

accentuation  de  la  voyelle  du  thème:  scribimus  scribïtis, 
credïmus  credïtis,  etc.  Dans  le  parler  vulgaire,  l'analogie 
des  autres  conjugaisons  a  fini  par  faire  disparaître  ces  formes, 
qui  se  sont  conformées  au  type  de  debëmus,  debëtis,  d'où 
*scribëmus,  *scribëtis,  *credêmus,  *credêtis  (cf.§55,4). 
Ce  déplacement  de  l'accent  n'a  eu  lieu  que  relativement  tard, 
et  dans  la  vieille  langue  subsistent  encore  quelques  restes  de 
l'ancienne  accentuation:  dicimus  )  dîmes,  dicïtis  )  dites, 
facïmus  )  faunes,  facïtis  )  faites.  De  ces  formes  la  langue 
moderne  a  conservé  dites  et  faites. 

m 

13.  Pour  le  parfait  il  faut  noter  les  points  suivants: 

P  Da^îs  I,  l'accent  est  reculé  à  la  2<^  pers.  du  sing.  et  du  plur., 
de  sorte  que  dans  toutes  les  formes  l'ictus  frappe  la  voyelle 
a.  Ainsi  cantavisti  et  cantavistis  ont  été  remplacés  par 
cantasti  et  cantastis,  d'où  chantas  et  chantastes. 

2"  Dans  II,  les  formes  fortes  en  -ui  deviennent  faibles  par  un 
changement  d'accent  curieux:  valui  )  valui,  etc.  (comp. 
§  174,2). 

3*^  Dans  III,  la  1'"  pers.  du  plur.  s'est  réglée  sur  la  2^,  et 
l'ictus  quitte  l'antépénultième  pour  la  pénultième.  Ainsi,  sous 
l'influence  de  vidistis,  le  classique  vidimus  devient  vidi- 
m  u  s,  d'où  veïmeSi  nimes  et,  par  une  nouvelle  analogie  de  la 
2e  pers.,  vîmes;  comp.  conduxïmus  >  conduximus,  d'où 
conduisîmes,  etc. 

4®  Dans  IV,  la  différence  d'accentuation  a  été  effacée  par  l'a- 
muïssement  du  u:  dormivi  >  dormii,  dormi;  dormivi- 
sti  )  dormiisti,  dormisti,  etc. 

ô^  A  la  3*'  pers.  du  plur.  de  toutes  les  conjugaisons  -érunt 
a  été  abrégé  en  -ërunt,  forme  qu'on  trouve  déjà  dans  les 
poètes  classiques,  et  l'ictus  a  ainsi  été  reporté  sur  l'anté- 
.pénultième:  cantaverunt  >  cantaverunt  >  cantarunt, 
d'où  chantèrent  ;  v  a  1  u  e  r  u  n  t  )  v  a  1  u  (e)  r  u  n  t,  d'où  valurent; 
fecerunt  )  fecerunt,  d'où  firent. 

Remarque.  Ce  développement  e.st  propre  à  toutes  les  langues  romanes. 
Ivhispano-roman    seul   paraît   faire   exception,    mais   les  quelques  formes  qui 


12 

semblent  prouver  la  conservation  de  l'accentuation  classique,  telles  que  hicie- 
ron,  dijeron,  pusieron,  etc.,  sont  refaites;  on  a  dit  d'abord  hizon,  dijon,  pu- 
zon,  etc.  (comp.  §  179,2). 

14.  Pour  l'infinitif,  il  faut  citer  battuere  et  consuere, 
qui,  sous  l'influence  du  présent  battuo  et  consuo,  sont 
devenus  battuere  (fr,  battre;  prov.  Imtre;  port,  bâter;  it.  bat- 
tere;  roum.  bateré)  et  consuere  (fr.  coudre:  roum.  cosere); 
comp.  I,  §  187,  Rem. 


CHAPITRE  III. 

LE  RADICAL. 

A.  LES  VOYELLES. 

15.  Dans  les  différentes  formes  verbales,  l'ictus  latin  ne  re- 
pose pas  toujours  sur  la  même  syllabe;  on  dit  cantat,  can- 
tant,  mais  cantamus,  cantatis,  etc.;  on  dit  dixi,  dixit, 
mais  dixisti,  dixistis,  etc.  Ce  déplacement  de  l'accent  in- 
flue très  souvent  sur  le  sort  des  voyelles  (voir  I,  §  297).  Si 
nous  prenons  comme  exemples  le  présent  de  parabolare 
(par  au  lare)  et  celui  de  pi  or  are,  nous  voyons  que  la  voyelle 
tonique  de: 

parabolo       (paraulo)  ploro 

para  bol  a  s      (par  au  la  s)  ploras 

parabolat     (paraulat)  plorat 

parabolant  (paraulant)  plorant, 

devient  atone  dans: 

parabolamus   (paraulamus)  ploramus 

parabolatis       (paraulatis)  ploratis, 

d'où  il  résulte  que  ces  voyelles  subiront  un  développement  dif- 
férent. En  vieux  français  on  avait  d'un  côté: 


paroi 

pleur 

paroles 

pleures 

• 

parole(t) 

pleur  e(t) 

parolent 

pleurent, 

et  de  l'autre: 

parlons 

plorons 

parlez 

plorez 

14 

Donc,  le  radical  d'un  verbe  peut,  dans  certaines  formes,  tantôt 
se  prolonger  d'une  voyelle  {pari-  et  paroi-),  tantôt  changer  de 
voyelle  ou  de  diphthongue  (plor-  et  pleur-). 


I.  ADDITION  DE  VOYELLE. 

16.  Commençons  par  donner  quelques  exemples  de  la  flexion 
à  addition  de  voyelle  dans  la  vieille  langue.  Nous  citerons  le 
présent  de  parler  (para  bol  are),  mangier  (manducare),  ar- 
raisnier  (*  ad  ration  are),  disner  (*dis[je]junare)  : 


paroi 

manjii 

paroles 

manjues 

parole 

manjiie 

parlons 

manjons 

parlez 

mangiez 

arraisone 

(lesjune 

arraisones 

desjunes 

arraisone 

desjiine 

arraisnons 

disnons 

ar  rais  niez 

disniez 

arraisonent 

desiunen 

paroleni  manjuent 

Des  formes  à  radical  prolongé  s'emploient  jusque  dans  le 
XV^  siècle:  Adonc  boivent  et  menguent  à  la  table  (Mystère  de 
St.  Laurent,  p,  p.  W.  Sôderhjelm,  p.  144). 

Une  pareille  flexion  a  dû  s'employer  primitivement  dans  tous 
les  verbes  d'origine  latine  dont  le  radical  comportait  au  moins 
deux  syllabes.  Outre  les  formes  citées,  nous  trouvons  en  effet 
pour  a/f//>r  (adj  utare):  ajn  —  aidons;  pour  empaistrier  (*im- 
pastoriare):  empastnre  —  empaistrons  (Vu  de  la  première 
forme  est  dû  à  une  influence  de  pasture).  Mais  l'analogie  a  de 
très  bonne  heure  effacé  la  diversité  du  radical  de  empeirier 
(*i  mpej  orare)  et  de  beaucoup  d'autres  verbes;  au  présent 
on  ne  trouve  que  empeire  et  nulle  trace  de  '-^empeiore.  Il  en  est 
de  même  des  dérivés  verbaux  français,  tels  que  aventurer,  me- 
surer, etc. 

17.  L'analogie  continue  au  moyen  âge  son  œuvre  d'aplanisse- 
ment,  et  les  derniers  restes  de  notre  flexion  disparaissent  vers 
la  fin  du  XV''  siècle.  Comme  la  forme  pleine  du  singuHer  et 
de  la  3«  pers.  du  pluriel  fait  disparate  avec  toutes  les  autres 
formes  du  verbe,  elle  succombe  volontiers,  à  cause  de  son  in- 
fériorité numérique,  devant  la  forme  brève,  mais  il  y  a  aussi 


I 


15 

des  exemples  d'un  développement  en  sens  inverse.  Voici  quelques 
détails  : 

1"  Une  généralisation  de  la  forme  brève  du  radical  a  eu 
lieu  dans  -  az(//er  (aider),  empaistrier  (empêtrer),  mangier  (man- 
ger), parler,  dont  les  formes  prolongées  ajii,  empastiire,  manjii, 
paroi  ont  été  remplacées  par  les  nouvelles  formations  aide,  em- 
pêtre, mange,  parle. 

Remarque.  Un  développement  invense  a  sporadiquement  eu  lieu  dans 
parler;  on  trouve  au  XV^  siècle  des  exemples  d'un  infinitif  paroler,  etc. 
Rappelons  aussi  que  le  patois  normand  a  généralisé  les  formes  prolongées 
de  empaistrier  et  quil  dit.  à  rencontre  de  la  langue  littéraire,  empaturer,  etc. 

2"  Une  généralisation  de  la  forme  prolongée  a  eu  lieu  dans 
arraisnier,  devenu  arraisonner  sans  doute  sous  l'influence  du 
substantif  raison;  rappelons  aussi  que  raisnable  a  disparu  de- 
vant raisonnable. 

Remarque.  La  vieille  langue  offre  sporadiquement  des  exemples  d'une 
généralisation  de  la  forme  brève  :  arraisne,  arraisnes,  etc.  ;  elle  n'a  pas  eu  de 
succès  dans  la  langue  littéraire,  mais  elle  se  retrouve  dans  plusieurs  patois 
modernes. 

3^  Notons  enlin  que  dans  disner  l'analogie  a  agi  dans  les 
deux  sens  et  créé  deux  verbes  nouveaux,  grâce  à  la  générali- 
sation simultanée  du  radical  court  et  du  radical  allongé  :  ainsi, 
à  côté  de  disner,  dont  on  a  refait  le  présent  sur  le  radical 
disn-,  on  a  formé  desjnner,  déjeuner  en  tirant  tout  un  nouveau 
verbe  du  radical  desjnn-. 

18.  Comme  les  causes  qui  ont  amené  en  vieux  français  la 
flexion  à  addition  de  voyelle  subsistent  toujours  —  mutatis 
mntandis  — ,  nous  retrouvons  sporadiquement  le  même  système 
de  conjugaison  dans  les  périodes  postérieures  de  la  langue. 
Vers  la  fin  du  moyen  âge,  la  pénultième  de  courroucer  et  ar- 
rêter s'est  amuie  (cf.  I,  §  295),  d'où  les  formes  courcer,  cour- 
çons,  courcez,  arter,  etc.  Exemples:  Vous  vous  courchies  (Adam 
de  la  Halle,  Robin  et  Marion,  v.  545).  Car  ce  monseigneur  se 
coursait  (Greban,  Passion,  v.  23774).  Je  suis  courcée  (Myst.  du 
V.  Testament,  v.  5582).  Vrays  amouituLv  qui  en  sont  tant  cour- 
cez (Paris,  Chansons  du  XV*'  siècle,  p.  46).  Plus  je  nartoij  et 
m'en  fouy  (ib.  p.  114).  A  cela  ne  vous  fault  arter  (Ane.  th.  fr., 
I,  214).  Allez,  mon  filz,  et  n'artez  guière  (Gringoire,  II,  293). 


16 


On  a  donc  dû  conjuguer  au  présent; 


je  courrouce 
tu  courrouces 
il  courrouce 
nous  courçons 
vous  courcez 
ils  courroucent 


j'arrête 
tu  arrêtes 
il  arrête 
nous  artons 
vous  artez 
ils  arrêtent 


Mais  l'analogie  ne  tarde  pas  à  se  faire  sentir  et  produit  de 
nouvelles  formes  tendant  à  effacer  la  différence  entre  le  singu- 
lier et  le  pluriel.  Exemples  :  Et  le  vilain  se  cource  (Paris,  Chan- 
sons du  XV*^  siècle,  p.  117).  Qui  se  course  si  se  déchausse  (Ane. 
th.  fr.,  II,  319).  Les  formes  abrégées  n'ont  pas  survécu  à  la  Re- 
naissance. 

19.  Pour  les  périodes  modernes,  c'est  Ye  féminin  qui  est  en 
jeu  et  qui  produit,  dans  les  verbes  dont  le  radical  contient  au 
moins  deux  syllabes,  une  flexion  à  addition  de  voyelle.  Bien 
que  conservée  par  l'orthographe,  la  pénultième  ne  se  prononce 
pas  dans  acheter,  cacheter,  becqueter,  fureter,  décolleter,  appeler, 
niveler,  soulever  et  tous  les  verbes  du  même  type.  On  dit  ach'- 
ter,  ach'tant,  ach'té,  ach'tons,  ach'tais,  etc.  ;  mais  devant  une 
syllabe  contenant  un  e  féminin  final  ou  intérieur,  Ve  féminin 
du  radical  se  change  en  un  è  ouvert:  achète,  achètes,  achètent, 
achèterai,  etc.  Voici  les  formes  du  présent  et  du  futur  des 
verbes  appeler,  modeler,  cacheter,  acheter,  soulever: 


appelle 

modèle 

cachette 

achète 

soulève 

appelles 

modèles 

cachettes 

achètes 

soulèves 

appelle 

modèle 

cachette 

achète 

soulève 

ap'lons 

mod'lons 

cach'tons 

ach'tons 

soul'vons 

ap'lez 

mod'lez 

cach'tez 

ach'tez 

souVvez 

appellent 

modèlent 

cachètent 

achètent 

soulèvent 

appellerai 

modèlerai 

cachetterai 

achèterai 

soulèverai 

Donc,  le  radical  de  ces  verbes  présente  deux  formes  dif- 
férentes, une  forme  brève:  [api],  [modlj,  [kajt],  [ajt],  [sulv],  et 
une  forme  allongée  d'un  è  ouvert:  [apel],  [model],  [kaj6t],  [a Jet], 
isulev],  Comp.  §  116,5. 


17 

20.  Dans  le  parler  populaire  l'analogie  s'est  constamment 
efforcée  de  faire  disparaître  ces  variations  du  radical,  en  géné- 
ralisant la  forme  brève.  Cette  généralisation  a  été  signalée  au 
XVIir'  siècle  par  Mauvillon  (1754),  comme  »une  mauvaise 
prononciation  de  beaucoup  de  Français  et  ordinaire  aux 
étrangers*  ;  il  ajoute:  »Ils  disent  f  acheté,  fépoussete,  f  empaqueta, 
il  empaqueté,  ils  dépaquetent,  en  prononçant  l'e  de  la  pénultième 
muet,  comme  s'il  y  avoit  fachte,  j'épousste,  fempacte  ...  au  lieu 
qu'il  faut  4?crire  et  prononcer  j'achète,  fépoussete,  il  empaqueté 
.  .  .  parce  que  deux  e  muets  ne  se  peuvent  jamais  rencontrer 
de  suite*.  Domergue  (Thurot,  I,  157)  est  indigné  d'entendre: 
Je  cachte  ma  lettre,  //  furte  partout,  »  comme  bien  des  gens 
disent  à  Paris*.  Littré  aussi  proteste  énergiquement  contre 
cacte  (pour  caquette),  carie  (pour  carrelle),  cachte  (pour  ca- 
chette), décachte  (pour  décachette),  décolte  (pour  décollette),  épouste 
(pour  époussette),  empacte  (pour  empaquette),  furte  (pour  furète), 
etc.,  qu'il  qualifie  de  »  mauvaises  formes  «. 

Remarque.  Des  formations  analogiques  en  sens  inverse  existent  aussi,  mais 
elles  paraissent  très  rares.  Dans  la  «Lanterne  de  Boquillon«  nous  avons 
trouvé  la  forme  burlesque  je  respequette  (pour  je  respecte),  tiré  de  respecter 
comme  je  becquette  de  becqueter,  j'empaquète  d'empaqueter.  C'est  probablement 
une  création  purement  artificielle. 

21.  Malgré  les  vives  protestations  de  Littré  et  de  beaucoup 
d'autres  grammairiens,  plusieurs  des  formes  étymologiques  et 
correctes  paraissent  maintenant  bien  mortes.  Tout  le  monde 
dira:  une  femme  qui  se  décolte;  décolleté  serait  pédant.  Citons 
à  ce  propos  une  petite  observation  de  M.  E.  Deschanel:  »Les 
femmes,  sans  s'occuper  de  l'orthographe,  ont  établi  certaines 
prononciations  à  elles,  qu'elles  ont  imposées  à  tout  le  monde, 
dans  les  choses  de  leur  domaine;  elles  disent:  ....  Comme 
madame  X.  se  décolte!  pour  se  décolleté.  Elle  jarte  au-dessous, 
pour  elle  jarrette.  Elle  épouste  pour  elle  époussette<.<  (Les  déforma- 
tions de  la  langue  française,  p.  79).  La  dernière  forme  se  trouve 
aussi  dans  les  auteurs:  Il  épouste  parfois  aussi  mon  justau- 
corps (Legrand,  La  famille  extravagante,  se.  11).  Comp.:  Oui-dà, 
très  volontiers,  je  l'épousterai  bien  (Molière,  L'Étourdi,  IV,  5). 
Je  les  epousteray  et  etrilleray  (Ane.  th.  fr.,  IX,  44).  Dans  l'ar- 
got de  Paris  on  dit:  Tu  me  détectes  (du  verbe  débecqueter) 
pour:  Tu  me  dégoûtes  (Rossignol,  Dictionnaire  d'argot,  p.  34). 

2 


18 


lî.  CHANGEMENT  DE  VOYELLE. 

22.  Le  changement  de  voyelle  dit  apophonie  (I,  §  297  ss.) 
jouait  un  rôle  important  dans  la  vieille  langue  à  laquelle  son 
balancement  harmonieux  des  syllabes  accentuées  et  inaccen- 
tuées prêtait  une  beauté  phonétique  toute  particulière.  La 
langue  moderne  n'a  conservé  que  des  traces  isolées  de  ce 
phénomène,  disparu  dans  la  plupart  des  cas  devant  l'action 
destructive  de  l'analogie.  Voici  quelques  détails  sur  l'aplanisse- 
ment  des  formes. 

P  Le  plus  souvent  c'est  la  voyelle  atone  qui  a  été  géné- 
ralisée, aux  dépens  de  la  tonique;  ainsi  treuve  a  disparu  sous 
l'influence  de  trouvons,  trouvez,  trouver,  trouvant,  trouvais,  etc., 
et  a  été  remplacé  par  la  nouvelle  formation  trouve.  Le  même 
développement  a  eu  lieu  dans  jouer,  nouer,  prouver,  courir, 
nourrir,  ouvrir,  coudre,  moudre,  etc.,  etc. 

2*^  Dans  quelques  cas  on  constate  un  développement  en 
sens  inverse,  de  sorte  que  la  voyelle  (ou  diphtongue)  accen- 
tuée l'emporte.  C'est  ainsi  que  l'ai  des  formes  aim(e)  aimes 
aime  aiment  a  été  généralisé  aux  dépens  de  l'a  inaccentué, 
d'où  aimer,  aimant,  aimé,  etc.,  pour  amer,  amant,  amé,  etc.  Le 
même  développement  a  eu  lieu  dans  un  petit  nombre  d'autres 
verbes  tels  que  demorer,  plorer,  plovoir,  noyer,  proijer,  appoyer, 
etc.,  devenus  demeurer,  pleurer,  pleuvoir,  nier,  prier,  appuyer,  etc. 

3"  Parfois  le  développement  analogique  amène  la  formation 
de  doublets.  Il  se  peut  qu'on  conserve  l'ancienne  forme  éty- 
mologique à  côté  de  la  nouvelle,  et  en  ce  cas,  on  attribue  or- 
dinairement un  emploi  différent  aux  deux  formes.  La  première 
édition  du  Dictionnaire  de  l'Académie  donne  épleuré  et  éploré 
et  explique:  »Le  premier  se  dit  plus  ordinairement  dans  le 
style  familier,  et  l'autre  est  plus  en  usage  dans  le  style  sou- 
tenu*. Comp.  encore  aman/ conservé,  comme  substantif,  à  côté 
de  aimant,  et  amé  conservé  sous  l'ancien  régime  dans  la  for- 
mule »Nos  amés  et  féaux  sujets «.  Sur  l'origine  de  jo/ier,  doublet 
de  ployer,  voir  §  28. 

23.  Il  ne  faut  pas  oublier  qu'on  n'est  arrivé  à  fixer  les 
formes  modernes  qu'après  beaucoup  d'hésitations,  et  qu'on 
trouve  dans  les  auteurs  d'autrefois  des  exemples  d'analogies 
absolument    contraires   à   celles   qui   l'ont  emporté.    Aussi   les 


19 

patois  modernes  montrent  souvent  un  développement  tout  dif- 
férent  de   celui   qui    a  eu  lieu  dans  la  langue  littéraire.    Voie 
quelques  exemples: 

1*^  Dans  trouer  et  joer  on  a  parfois  généralisé  la  voyelle 
tonique,  d'où  treuver  et  jeiier.  On  trouve  par  ex.  dans  Froissart 
jeiier  (Méliador,  v.  276),  jeiwit  (ib.,  v.  27931),  jeiue  (ib.,  v.  10619), 
et  dans  Mairet  treiwer  (Sophonisbe,  v.  34),  treiwoil  (ib.,  v.  281), 
etc.  Le  patois  actuel  du  Berry  dit  treiwer. 

2^  Dans  d'autres  verbes  c'est  la  voyelle  atone  qui  a  été 
généralisée  à  rencontre  du  développement  ordinaire,  d'où  des 
formes  de  présent  telles  que  ame,  demoure,  voulent,  poiwent, 
etc.  qu'on  trouve  p.  ex.  dans  les  «Quinze  joies  du  mariage«. 

3"  Ajoutons  que  les  quelques  verbes  qui  ont  conservé  l'apo- 
phonie  dans  la  langue  littéraire  n'ont  pas  échappé  aux  ten- 
dances vers  l'uniformité.  Si  l'on  dit  maintenant  comme  au 
moyen  âge  acquérir,  acquiers,  acquérons,  acquière,  etc.,  et  mourir, 
meurt,  mourons,  meure,  etc.,  on  trouve  d'un  côté  acquere,  conquere, 
mourent,  et  d'un  autre  acquierons,  acquierez,  quierrai,  meurrai, 
meurrons,  etc.  Dans  plusieurs  patois  on  dit  nous  boivons,  je 
hoivais,  etc.  en  finissant  ainsi  l'aplanissement  à  moitié  accom- 
pli dans  la  langue  littéraire  (je  boirai;  §  210,  i);  à  Blois  on  dit 
je  voux  —  nous  voulons,  etc. 

4**  L'action  troublante  de  l'analogie  est  encore  vivante  dans 
le  langage  enfantin  où  on  peut  entendre  nous  boivons  à  cause 
de  je  bois  et  je  vont  à  cause  de  nous  voulons. 

24.  A — AL  Cette  apophonie  se  trouvait  dans  amer,  clamer, 
tramer,  planer,  saner,  manoir.  On  conjuguait  au  moyen  âge: 
aim  aimes  aime  amons  amez  aiment,  etc.  L'analogie  a  agi  au 
profit  de  la  voyelle  tonique  dans  amer,  devenu  aimer  (comp. 
aimable,  autrefois  amable),  et  au  profit  de  l'atone  dans  ceux 
des  autres  verbes  qui  se  sont  conservés,  d'où  réclame,  trame, 
plane,  pour  réclaime,  traime,  plaine. 

25.  A — E.  Cette  apophonie  se  trouvait  dans  arer,  baer,  em- 
braser, entraver,  laver,  navrer,  parer  (comparer);  —  paroir,  savoir  ; 
—  rere;  —  guarir,  haïr.  On  disait  ainsi  au  moyen  âge:  lef  levés 
levé  lavons  lavez  lèvent,  re  rez  ret  raons  raez  reent,  etc.,  etc. 
Cette  apophonie  a  disparu,  et  c'est  la  voyelle  atone  qui  a  été 
généralisée,    d'où   les   formes  nouvelles  embrase,   entrave,    lave, 

2* 


20 

pare,  savent,  etc.  ;  pourtant,  la  voyelle  tonique  l'a  emporté  dans 
héer  (comp.  le  doublet  bayer).  Une  dernière  trace  de  l'ancien 
changement  de  voyelle  a  été  conservée  dans  appert  —  apparoir. 
Rappelons  aussi  je  sais  —  nous  savons,  je  hais  —  nons  haïssons 
qui  seront  expliqués  plus  loin  (§  124  et  §  126,i). 

Remarque  1.  Le  changement  d'à  en  e  aurait  dû  se  trouver  aussi  dans 
valoir,  dont  la  flexion  étymologique  au  prés,  de  l'ind.  serait  vail  vels  velt 
valons  valez  vêlent.  On  ne  trouve  que  vail  vais  valt  valons  valez  valent,  ce 
qui  nous  montre  que  l'a  a  été  généralisé  à  une  époque  préliltérairc. 

Remarque  2.  Un  changement  particulier  d'à  en  ie  se  trouve  dans  chaleir, 
chalons  —  chielt  (cal et);  ici  l'a  se  généralise,  et  chielt  est  remplacé  par 
chalt  (chant),  surtout,  probablement,  sous  l'influence  de  chaille  (cale  a  m) 
et  de  l'adjectif  chalt  (calidum);  ce  sont  peut-être  ces  mêmes  mots  qui  ont 
amené  chaleir,  chalons  pour  ^cheleir,  "chelons  (comp.  I,  §  194). 

26.  E— El,   01.  Cette  apophonie  se  trouve  dans: 

P  Des  verbes  appartenant  à  I:  abevrer,  adeser,  alener,  areer, 
celer,  correer,  edrer,  ejfreer,  enfrener,  espérer,  moneer,  mener,  pe- 
ner,  peser,  pevrer,  preer,  sevrer,  teser,  etc.  On  disait  au  moyen 
âge:  ceîl,  çoil  —  celons;  espeir,  espoir  —  espérons;  seivre,  soivre 
—  sevrons;  mein  (moin)  —  menons,  etc.,  etc.  Cette  apophonie, 
dont  on  trouve  une  trace  encore  à  la  fin  du  XVIe  siècle  dans 
les  tragédies  de  Garnier:  Je  ne  les  poise  point  (Juïves,  v.  1169), 
a  disparu,  de  telle  sorte  que  oi  a  été  remplacé  par  un  è  ou- 
vert: cèle  celons,  espère  espérons,  mène  menons,  sèvre  sevrons,  etc. 
E  a  disparu  de  abevrer,  devenu  abrever  (I,  §  517,  i),  encore  dans 
Oudin  (1655),  puis  abreuver;  de  poivrer  et  toiser,  où  oi  a  été 
généralisé  sous  l'influence  de  poivre  et  toise,  et  enfin  des  verbes 
en  -eer  qui  finissent  maintenant  en  -oyer  ou  -ayer  (cf.  I,  §  159): 
correer  )  corroyer,  effreer  )  effrayer,  moneer  )  monnayer  sous 
l'influence  des  formes  étymologiques  correi,  effrei,  monei. 

2"  Des  verbes  appartenant  à  II:  devoir,  veoir  et  tous  ceux 
en  -cevoir  (concevoir,  recevoir,  etc.).  L'apophonie  a  été  con- 
servée dans  ce  groupe  de  verbes  (excepté  voir)  jusqu'à  nos 
jours:  je  dois  nous  devons,  je  reçois  nous  recevons.  Dans  voir  la 
diphtongue  a  été  généralisée:  je  vois  nous  voyons,  pour  veons, 
etc.;  sur  verrai  et  voirai,  voir  §  208,5. 

3°  Des  verbes  appartenant  à  III  :  boire,  croire.  On  disait  au 
moyen  âge  :  beis,  bois — bevons,  creis,  crois — créons.  Dans  le  pre- 
mier de  ces   verbes,  l'e   inaccentué  a  été  remplacé  par  u:   bu- 


21 

vons,  buvant,  buvais;  dans  le  deuxième,  oi  a  été  généralisé: 
croyons,  croyez,  croirai,  etc.  ;  l'ancien  part,  présent  créant  se 
retrouve  dans  mécréant  (comp.  aussi  créance,  à  côté  de  croyance, 
et  vfr.  creable,  remplacé  par  croyable). 

27.  E — lE.  Cette  apophonie  se  trouvait  dans: 

1°  Des  verbes  appartenant  à  I:  abregier,  assegier,  crever,  de- 
pecier,  engregier,  geler,  grever,  jeter,  lever,  veer  (vetare),  etc. 
On  disait  au  moyen  âge  lief  —  levons,  grief  —  grevons,  etc. 
Cette  apophonie  a  disparu,  et  la  diphtongue  a  été  remplacée 
par  un  e  ouvert:  lève  levons,  grève 'grevons,  etc.  (la  diphtongue 
se  retrouve  dans  les  substantifs  verbaux  liève  et  relief).  Assié- 
ger, dépiécer,  rapiécer  ont  subi  l'influence  des  substantifs  cor- 
respondants. 

2^  Des  verbes  appartenant  à  II:  cheoir,  seoir.  On  disait  au 
moyen  âge  chiet  —  cheons,  siet  —  seons.  Chiet,  plus  tard  chet, 
a  été  remplacé  par  choit  (§  119,  i);  sur  siet,  voir  §  119,4. 

3^  Des  verbes  appartenant  à  IV  :  ferir,  frémir,  gémir,  merir, 
périr,  quérir,  tenir,  venir.  Cette  apophonie  a  été  conservée  dans 
les  trois  derniers  verbes:  acquiers  —  acquérons,  tiens  —  tenons, 
viens  —  venons. 

Remarque.  Dans  quelques-uns  des  verbes  cités  il  y  avait  un  troisième 
changement  de  voyelle  au  présent  du  subjonctif,  qui  présentait  régulièrement 
un  /;  feriam  >  fire,  meream  >  mire,  peream  >  pire  (comp.  I,  §  197); 
comp.  la  formule  consacrée:  Diex  vos  le  mire.  L'z  étymologique  cède  la  place 
à  un  ie  analogique. 

28.  El,  01 — I.  Cette  apophonie,  qui  se  distingue  des  autres 
par  la  présence  de  la  diphtongue  à  la  syllabe  atone  et  de  la 
voyelle  simple  à  la  syllabe  accentuée  (comp.  I,  §  197 — 198), 
se  trouvait  dans  : 

P  Des  verbes  appartenant  à  I:  empeirier,  neiier  (nëcare), 
neiier  (n égare),  preiier  (*prëcare),  preisier  (prëtiare),  seiier 
(sëcare).  On  disait  au  moyen  âge:  pri  —  prêtons,  proions; 
ni  —  neions,  notons;  si  —  seions,  soions,  etc.;  pourtant,  l'ana- 
logie est  venue  de  bonne  heure  troubler  cet  état  de  choses,  de 
sorte  qu'on  a  dit  indistinctement  pri  —  prions  (pour  prêtons) 
et  prêt  (pour  pri)  —  prêtons.  La  diphtongue  atone  a  été  géné- 
ralisée dans  noyer  (nëcare);  dans  les  autres  verbes  c'est  la 
voyelle  tonique  qui  l'a  emporté:  nier,  prier,  priser,  scier.    Pour 


22 

ce  dernier  verbe,  Richelet  (1680)  remarque:  »Quelques  labou 
reurs  d'autour  de  Paris  disent  soier,  mais  les  honnêtes  gens 
qui  parlent  bien  disent  et  écrivent  sier  <.  Rappelons  aussi  qu'on 
trouve  encore  dans  les  patois  nier  pour  noyer:  »Je  lui  ai  dit: 
Ma  mie  prenez  garde  de  vous  nier,  Car  si  vous  vous  niez, 
nous  n'irons  plus  jouer«  (Rolland,  Recueil  de  chansons  popu- 
laires, I,  210). 

Remarque.    Notons   pour   la   vieille   langue  à  côté  de   la  flexion  de  preiier 
(*prècare),  celle  de  pleiier  (plïcare)  et  de  chastiier  (castîgare): 
pri  plei  chasti 

prêtons  ■   pleions  chastions 

prêtiez  pleitcz  chastttez 

Entre  ces  trois  tj'pes  il  y  a  eu  des  croisements  continuels:  pri  —  prions, 
prêt  —  prions,  prêt  —  prêtons,  plei  —  plions,  etc.  Dans  certains  cas  la 
flexion  analogique  a  supplanté  la  flexion  étymologique;  on  dit  maintenant 
lier  pour  loyer  (lïgare),  et  à  côté  de  la  forme  correcte  ployer  (plïcare) 
on  a  le  doul)let  analogique  plier  (comp.  reployer  —  replier,  reploiement  — 
repliement).  Rappelons  aussi  manier  pour  manoyer,  et  charrier,  doublet  de 
charroyer. 

2^  Des  verbes  appartenant  à  III  et  à  IV:  eissir  (ex ire), 
iistre  (tëxere).  On  conjuguait  is  is  ist  eissons  eissiez  issent,  et 
de  même  fis,  etc. 

29.  O  (OU) — EU.  Cette  apophonie  se  trouvait  dans: 
1"  Quelques  verbes  appartenant  à  I:  avoer,  coler,  demorer, 
dévorer,  esposer,  honorer,  laborer,  noer,  plorer,  sauorer,  voer.  On 
conjuguait  au  moyen  âge  aveu  —  avoons,  demeur  —  demorons, 
neu  —  noons,  pleur  —  plorons,  etc.  Ce  changement  de  voyelle 
a  été  abandonné  après  le  moyen  âge.  Ordinairement  la  voyelle 
inaccentuée  a  été  généralisée:  j'avoue,  j'épouse,  je  noue,  etc.  Le 
contraire  a  eu  lieu  dans  demeurer  et  pleurer  (influence  de 
demeure'et  pleurs).  Citons  comme  les  dernières  traces  de  notre 
apophonie  le  substantif  verbal  aveu  et  le  proverbe  :  En  peu 
d'heures  Dieu  labeiire. 

2^  Courir  et  nourrir;  dans  ces  deux  verbes,  ou  l'a  égale- 
ment emporté  sur  eu,  et  keur  et  neur  ont  disparu  devant 
cours  et  nourris.  On  trouve  queure  et  sequeure  (surtout  dans  la 
formule  :  Dieu  nous  sequeure)  encore  au  XV*^  siècle  (Mystère  de 
St.  Laurent,  v.  1385,  2012,  3879;  Greban,  Myst.  de  la  Passion, 
V.  2002;  Villon,  Gr.  T.,  n»  49). 


23 

30.  O  (OU) — UE.  Cette  apophonie  se  trouvait  dans: 

1"  Des  verbes  appartenant  à  I  :  bogler,  joer,  loer,  ovrer  (man- 
ovrer),  prover,  rover  (rôgare),  trouer.  On  disait  au  moyen  âge  : 
buegle  —  boglons,  pruef  —  provons,  etc.  La  voyelle  inaccentuée 
l'a  emporté  presque  partout,  et  jue,  lue,  navre,  pruef,  truef  ont 
été  remplacés  par  joue,  loue,  ouvre,  prouve  (cf.  le  subst.  preuve), 
trouve.  Un  développement  en  sens  inverse  a  eu  lieu  dans 
beugler  grâce  à  des  raisons  d'onomatopée. 

2"  Des  verbes  appartenant  à  II:  doloir,  estovoir,  movoir,  plo- 
voir,  povoir,  soloir,  voloir.  L'apophonie  à  été  conservée  dans  je 
meus  —  nous  mouvons,  je  peux  —  nous  pouvons,  je  veux  — 
nous  voulons.  La  diphtongue  tonique  a  été  généralisée  dans 
pleuvoir  grâce  à  l'emploi  presque  exclusif  de  la  forme  du 
singulier  du  présent  (//  pleut).  Quant  aux  autres  verbes,  esto- 
voir disparaît  déjà  au  moyen  âge,  tandis  que  douloir  et  sou- 
loir  vivent  jusque  dans  le  XVIP  siècle;  on  conjuguait  ye  deuls 
(ou  deuil)  —  nous  douions,  je  seuls  —  nous  soûlons. 

3®  Le  verbe  moudre  (m ô  1ère),  dont  le  présent  se  conjuguait 
muel  muels  muelt  molons  molez  muelent.  La  langue  littéraire  a 
généralisé  ou  (je  mouds,  etc.),  quelques  patois  au  contraire  ont 
généralisé  eu;  on  dit  en  picard  meus  meus  meut  menions  men- 
iez meultent.  La  tendance  à  faire  triompher  eu  se  manifeste 
déjà  au  moyen  âge  (où  l'on  trouve  aussi  meulin  pour  moulin 
et  meunier  qui  finit  par  remplacer  mouniçr),  et  elle  a  failli 
s'imposer  à  la  langue  littéraire  pour  le  composé  émoudre.  Ri- 
chelet  remarque:  «Plusieurs  couteliers  de  Paris  disent  émeudre 
pour  émoudre,  quoiqu'ils  disent  un  raisoir  émoulu  :  mais  d'autres 
se  servent  d'émoudre  et  condamnent  émeudre.  On  croit  que 
ceux-ci  ont  raison  et  qu'il  faut  dire  émoudre  avec  tous  les 
honnêtes  gens  et  non  pas  émeudre.« 

4"  Quelques  verbes  appartenant  à  IV:  courir,  morir,  ovrir, 
sofrir.  L'apophonie  n'a  été  conservée  que  dans  je  meurs  — 
nous  mourons;  dans  les  autres  verbes,  ou  a  été  généralisé,  et 
je  couvre,  j'ouvre,  je  souffre  ont  remplacé  cuevre,  uevre,  suefre. 
Dans  le  Mystère  de  la  Passion  de  Greban  on  trouve  indistincte- 
ment je  seuffre  (v.  14L3)  et  je  souffre  (v.  3799). 

31.  01 — UI.  Cette  apophonie  se  trouvait  dans  quelques  verbes 
qui  présentaient  un  6  suivi  d'une  palatale.  On  conjuguait  au 
moyen   âge   apui  —  apoyons,   enui  —  enoyons.    C'est   ni  qui  a 

/ 


24 

été  généralisé  :  appuie  —  appuyons,  ennuie  —  ennuyons,  grâce 
à  l'influence  des  substantifs  appui  et  ennui.  Citons  aussi  cuire 
et  nuire,  où  ui  n'appartient  de  droit  qu'aux  syllabes  accen- 
tuées: coquere  )  cuire,  no  cet  )  nuit,  etc.;  c'est  par  une 
analogie  prélittéraire  que  ui  a  été  introduit  dans  les  syllabes 
atones:  nocentem  aurait  dû  donner  noisant,  on  ne  trouve 
que  nuisant. 

Remarque.  Ajoutons  ici  une  observation  sur  le  verbe  suivre,  qui  présente 
également  la  généralisation  de  la  diphtongue  ui.  On  avait  primitivement  au 
prés,  de  l'ind.  :  siu  sius  siut  sevons  sevez  siuent;  puis,  par  une  métathèse  ré- 
gulière, iu  devient  ui  (I,  §  518,  4),  d'oîi  sui  suis  suit  sui(v)ent,  et  peu  à  peu 
le  UI  de  ces  formes  se  généralise:  *sequere  )  sivre  >  suivre;  *sequam  > 
sive  )  suive;  sequentem  >  sevant  (ou  sivant,  sur  sivre)  >  suivant;  *se- 
quebam  >  seveie  (ou  siveie)  >  suivoie;  sevons  (ou  sivons)  )  suivons,  etc. 


B.  LES  CONSONNES. 

32.  La  consonne  finale  du  radical  ne  se  trouvant  pas  tou- 
jours dans  les  mêmes  conditions  phonétiques,  peut,  selon  le 
cas,  changer  de  forme  ou  disparaître.  Voyez  par  exemple  ce 
que  deviennent  /,  b,  c  dans  les  formes  suivantes:  val  ère  > 
valoir,  valentem  >  valant,  valeo  >  vail,  valeam  >  vaille; 
scribentem  )  escrivant,  scribo  >  escrif,  scribit  >  escrit; 
dicentem  >  disant,  dicunt  >  dient,  dicam  )  die;  ainsi  /se 
maintient  ou  se  mouille,  h  devient  v,  f  ou  s'amuït,  c  devient 
s  [z]  ou  s'amuït.  Donc,  le  thème  est  exposé  à  des  variations 
constantes  de  la  consonne  finale;  pour  les  verbes  cités  il  y  a 
hésitation  entre  val-  et  vail-,  escriv,  escrif-  et  escri-,  dis-  et  di-. 
D'autres  verbes  ont  présenté  primitivement  des  divergences 
encore  plus  grandes,  mais,  le  plus  souvent,  elles  ont  été 
écartées,  plus  ou  moins  complètement  par  l'analogie,  dont 
nous  pouvons  suivre  l'œuvre  d'aplanissement  depuis  les  temps 
prélittéraires  jusqu'à  nos  jours:  manju  pour  ■  mandu  <  man- 
duco  (§  40, 1)  est  dû  au  même  besoin  d'uniformité  qui  fait 
dire  moude  (§  38,2)  pour  moule  <  molam. 

Remarque.  La  question  du  [j]  qui  se  développe  dans  des  formes  telles 
que  dormi  en  tem,  dormi  o,  dormiunt,  dormiam,  etc.,  valeo,  valeam, 
etc.  (comp.  scribentem,  scribo,  scribunt,  scribam)  est  très  compli- 
quée et  sera  traitée  en  détail  quand  nous  examinerons  les  différentes  formes 


25 

où  il  se  trouve:    participe  présent  (§  82,3),  présent  de  l'indicatif  (§  120  ss.), 
présent  du  subjonctif  (§  142  ss.).  Sur  -iebam,  voir  §  156. 

33.  B.  —  Cette  consonne  s'est  développée  entre  m  et  r  (I, 
§  497,2)  dans  tremere  )  criembre  et  redimere  )  raembre; 
elle  se  trouve  aussi  au  futur  et  au  conditionnel,  et,  de  ces 
formes,  elle  a  pénétré  abusivement  dans  d'autres,  où  elle  n'a 
aucune  raison  étymologique;  on  trouve  ainsi  dans  Joinville: 
Raimbez-noiis  (§  643).  Pourtant  ces  formes  sont  rares.  Le  b 
analogique  s'est  aussi  introduit  dans  le  substantif  criembor, 
doublet  de  cremor. 

34.  C  [k].  —  Cette  consonne  a  été  généralisée  dans  vaincre, 
sous  l'influence  de  l'infinitif,  du  futur  et  du  participe  passé, 
(^ette  analogie  est  prélittéraire:  on  ne  trouve  que  vainquant, 
vainquais,  vainque;  il  n'y  a  aucune  trace  de  vençant  «  vin- 
centem),  vençoit  «  vincebat),  venche  (<  vincam). 

Remarque.  C  [k]  a  disparu  au  profit  de  ch  dans  les  verbes  en  -care; 
voir  §  35. 

35.  CH.  —  Dans  les  verbes  en  -cher  (vfr.  -chier),  ch  a  été 
introduit  par  voie  d'analogie  au  présent  de  l'ind.  (lie  pers.)  et 
au  prés,  du  subj.  Ainsi,  tandis  que  nous  constatons  un  dé- 
veloppement régulier  de  c(a)  dans  collocare  )  coucher,  col- 
locantem  )  couchant,  collocabam  >  couchais,  collocat  > 
couche,  la  présence  du  phonème  ch  est  due  à  l'analogie  dans 
couche  (colloco,  collocem),  couches  (colloces),  couche 
(coUocet),  etc.  La  même  remarque  s'applique  à  chercher, 
chevaucher,  joncher,  etc.  ;  dans  charger,  venger,  etc.  la  chuin- 
tante sourde  est  remplacée  par  une  sonore.  On  trouve  dans 
la  vieille  langue  quelques  rares  traces  de  formes  non  assimi- 
lées; citons  culzt  et  chevalzt  (Roland,  v.  2682,  2109)  qui  re- 
montent directement  à  coUo  cet  et  caballicet.  Comp.  curruzt 
(Psautier  de  Cambridge)  de  corruptiet. 

36.  D.  —  Les  questions  qui  se  rattachent  à  cette  consonne 
sont  assez  compliquées  et  parfois  difficiles  à  expliquer;  nous 
nous  contenterons  d'en  indiquer  les  principales  et  nous  abor- 
derons d'abord  les  divers  cas  où  un  d  s'est  propagé  par  voie 
d'analogie  hors  de  son  domaine  étymologique.  D  se  développe 


26 

régulièrement  dans  les  groupes  rgr,  ngr  (l,  §  431),  nr,  Ir,  zr 
(I,  §  498);  il  doit  donc  se  trouver  à  l'infinitif  et  au  futur  des 
verbes  qui  présentent  ces  combinaisons  de  consonnes,  comme 
par  ex.:  espardre  (spargere),  sourdre  (surgere),  terdre  (ter- 
gere),  ceindre  (c  in  gère),  joindre  (j  un  gère),  pondre  (ponere), 
moudre  (molere),  soudre  (sol  v  ère),  coudre  (c  on  su  ère),  etc. 
Dans  quelques-uns  de  ces  verbes,  le  c?  a  été  généralisé;  dans 
d'autres  il  a  subi  un  développement  différent. 

Remarque.  Une  généralisation  orthographique  du  rf  a  eu  lieu  au  pré- 
sent de  l'indicatif  d'un  certain  nombre  de  verbes  (comp.  §  38).  Ainsi  les 
vieilles  formes  respont  responz  respont  ont  été  remplacées  par  je  répons  (en- 
core dans  Racine,  Androniaquc,  v.  592),  plus  tard  réponds,  tu  réponds,  il  ré- 
pond. Pour  plus  de  détails,  voir  i?  53,  Rem. 

37.  Le  d  a  été  généralisé  dans  les  verbes  pondre,  sourdre, 
tordre. 

P  Pondre.  Les  formes  étymologiques  ponant,  ponons,  ponais, 
pone,  ponu,  ponis,  ponisse  ont  été  remplacées,  au  XVI®  siècle, 
par  pondant,  pondais,  pondu,  etc.  Palsgrave  (1530)  ne  connaît 
pas  encore  les  formes  analogiques.  Meigret  (1542)  remarque: 
»Les  uns  dizet  ponons,  -es,  -et,  les  aotres  dizet  pondons,  -es, 
-et.«  La  même  hésitation  se  trouve  encore  au  XVII*'  siècle.  On 
lit  dans  Oudin  (1633):  »Nostre  vulgaire  dit  ponnons,  ponnez  et 
ponnent  au  plurier.  Dise  qui  voudra  pondons.  Indef.  pondu  et 
ponnu,  imp.  ponde  et  ponne«. 

2^  Sourdre.  A  côté  de  sourdre  et  de  sourdra,  on  avait  sour- 
jant  (surgentem),  sourjoit  (surgebat),  sourgent  (surgunt), 
etc.  Les  formes  analogiques  sourdant,  sourdoit,  sourdent,  etc.  se 
montrent  de   très   bonne    heure   et  supplantent  vite  les  autres. 

Remauque.  La  même  alternance  entre  d  et  j  se  trouvait  dans  d'autres 
verbes  dont  l'infinitif  se  terminait  en  latin  par  -rgere,  tels  que  spargere  > 
espardre,  t  erg  ère  >  terdre,  et  elle  a  été  introduite  par  voie  d'analogie  dans 
quelques  verbes  dont  le  d  est  étymologique,  tels  que  ardre,  mordre,  tordre. 
Ex.:  Tergant  ses  iols  (Escoufle,  v.  6333).  Si  li  argoit  sa  tere  (Auc.  et  Nie.  2, 
1.  6).  Selon  M.  A.  Tobler,  l'interjection  moderne  nargue  (d'où  narguer)  est 
pour  n'argue  et  doit  s'expliquer  comme  un  composé  figé  de  ne  et  argue, 
prés,  du  subj.  analogique  de  ardre. 

3^  Tordre.  Dans  ce  verbe  le  d  de  l'infinitif  est  analogique; 
la  forme  primitive  est  tortre  (comp.  I,  §  412,  s).  La  dentale 
s'est  généralisée  dans  une   période  prélittéraire;   un   imparfait 


27 

comme   torcoit  (torquoii),  qui   serait  le  résultat  direct  de  tor- 
que bat,  n'existe  nulle  part. 

38.  Dans  quelques  verbes  les  formes  étymologiques  sans  d 
se  retrouvent  intactes  dans  la  langue  littéraire  actuelle.  Ainsi, 
à  côté  de  coudre,  moudre,  résoudre,  on  emploie  cousant,  cousu, 
cousais,  cousis,  etc.,  moulant,  moulu,  moulais,  moule,  etc.,  ré- 
solvant, résolu,  résolvais,  etc.  On  peut  tout  au  plus  signaler  une 
influence  orthographique  au  singulier  du  prés,  de  l'ind.:  le  d 
de  je  couds  tu  couds  il  coud,  je  mouds  tu  mouds  il  moud  n'est 
pas  étymologique.  Si,  au  contraire,  on  examine  les  périodes 
antérieures  ou  les  patois,  on  constate  une  forte  tendance  à 
généraliser  le  d. 

1°  Coudre.  Au  centre,  le  Cte  de  Jaubert  a  noté  les  formes 
coudant,  coudons,  coudu  (Glossaire,  I,  286).  Comp.  :  Ageace, 
ageace  Ton  cul  coudu  (L.  Pineau,  Folklore  du  Poitou,  p.  475). 

2^^  Moudre.  Au  centre,  le  Cte  de  Jaubert  signale  moudu  pour 
moulu  (et  moudure  pour  mouture).  Selon  Agnel  on  conjugue 
dans  le  langage  rustique  des  environs  de  Paris:  j'mou,  f  mou- 
don,  vous  moudez,  ils  mondent.  Les  mêmes  formes  se  retrouvent 
en  Belgique,  où  les  puristes  mettent  en  garde  contre  une  phrase 
comme  :  //  faut  que  vous  mondiez  le  poivre.  Ajoutons  qu'un 
grammairien  français,  M.  Aubertin,  indique  par  inadvertance 
que  je  monde  pour  que  je  moule. 

3*^  Soudre  (et  les  composés  absoudre,  dissoudre,  résoudre). 
Le  d  accessoire  qui  ne  s'emploie  qu'à  l'infinitif  et  au  futur, 
avait  autrefois  pénétré  dans  d'autres  formes  ;  ainsi  Calvin  écrit  : 
ils  absoudent,  ils  dissoudent,  et  Pierre  Ramus  demande  qu'on 
conjugue:  je  soulds,  nous  souldons  (Livet,  p.  227);  Robert 
Estienne  au  contraire  admet  nous  solvons  à  côté  de  nous  soul- 
dons. On  trouve  encore  dans  les  poésies  de  Régnier:  je  me  ré- 
soudois  (Sat.  XV).  A  propos  du  verbe  résoudre  Vaugelas  a  fait 
l'observation  suivante:  »Ce  verbe  ne  garde  le  d  qu'au  futur 
de  l'indicatif,  où  l'on  dit  aux  trois  personnes,  et  aux  deux 
nombres  resoudray,  résoudras,  résoudra,  résoudrons,  etc.  Mais 
au  présent,  à  l'imparfait,  et  aux  prétérits,  il  prend  1'/,  et  l'on 
dit  nous  resoluons,  vous  resoluez,  ils  resoluent,  et  non  pas  re- 
soudons, resoudez,  resoudent,  comme  disent  quelques-uns  «  (Re- 
marques, I,  135).  Pourtant  Patru  ajoute:  »,rai  remarqué  que 
le    peuple    ne   dit   jamais  resoluons,    resoluez,    resoluent,   ni   re- 


28 

saluant.  Il  dit  Resoudons,  resoudez,  resoudent,  et  resoudant.  Pour 
moi,  j'ay  toujours  été  de  cet  avis,  et  dissoudre  se  conjugue 
ainsi,  dissoudez,  dissoudent.  Il  n'y  a  que  ce  mot,  le  dissoluant, 
qui  est  un  terme  de  Chimye,  où  on  l'a  gardé  du  Latin;  parce 
que  c'est  un  mot  de  doctrine,  dont  le  Peuple  ne  s'est  point 
meslé.  Car  il  est  certain  que  resoluons  et  resoluant  ont  été  faits 
par  ceux  qui  veulent  montrer  qu'ils  sçavent  du  Latin,  et  qui 
aiment  mieux  parler  Latin  que  François;  neantmoins  comme 
plusieurs  le  disent,  je  ne  condamne  pas,  mais  l'autre  me 
semble  plus  François.* 

39.  D  alterne  avec  gn  [ji]  dans  les  verbes  en  -aindre,  -eindre, 
-oindre.  On  a  d'un  côté  plaindre,  ceindre,  joindre,  et  de  l'autre 
plaignant,  plaignons,  plaignais,  plaignis,  plaigne,  etc.  Une  géné- 
ralisation du  d  se  constate  déjà  au  moyen  âge.  On  trouve 
dans  les  Dialogues  de  Grégoire  et  la  Moralité  sur  Job  des 
formes  comme  ateindoit,  destraindoit ,  complaindons ,  complain- 
dant,  astreindans,  conjoindent,  etc.  Ces  formes  appartiennent 
surtout  au  wallon,  mais  on  en  trouve  aussi  des  exemples 
dans  les  autres  dialectes.  Froissart  se  servait  beaucoup  des 
formes  avec  un  d  analogique:  ateindent  (Méliador,  v.  7380), 
enfrainde  (ib.,  v.  1902),  joindent  {ib.,  v.  5941),  joindi(ib.,  v.  11144), 
plaindés  (ib.,  v.  11830),  poindi  (ib.,  v.  27212),  etc.  Au  XVP  siècle, 
ces  formes  se  font  de  plus  en  plus  rares  sans  pourtant  dis- 
paraître. Palsgrave  conjugue  je  ceins,  nous  ceindons,  et  de  même 
nous  estaindons,  nous  attaindons,  mais  il  a  aussi  les  formes  je 
ceigne,  je  ceignis.  Ajoutons  qu'on  trouve  findit  dans  Marguerite 
de  Navarre  (Heptaméron,  n°  6),  feindant  dans  Palissy,  et  vers 
la  fin  du  siècle  dans  R.  Garnier,  ceindoit  (Cornélie,  v.  596), 
teindoit  (La  Troade,  v.  1932).  Vaugelas  connaît  encore  les 
formes  analogiques;  il  observe:  »0n  dit  peignons  en  parlant  de 
peindre,  et  non  pas  peindons,  comme  disent  quelques-uns,  non- 
obstant l'équivoque  de  peignons,  qui  vient  de  peigner:  et  il  en 
est  de  mesme  de  peindre,  feindre,  ceindre,  atteindre,  etc.«  (Re- 
marques, II,  378).  Pourtant,  les  formes  analogiques  avec  d  ne 
disparaissent  pas  tout  à  fait;  elles  réapparaissent  isolément  çà 
et  là,  non  seulement  dans  la  langue  populaire,  mais  aussi  dans 
la  langue  littéraire  ;  ainsi  H.  de  Balzac  s'est  servi,  à  plusieurs 
reprises,  de  la  forme  poindit  (Louis  Lambert,  p.  304;  Hono- 
rine, p.  205). 


29 

Remauque.  Rappelons  qu'à  côté  d'éteignoir,  Richelet  (1680)  cite  aussi  la 
forme  éteindoir. 

40.  D  a  disparu,  par  voie  d'analogie,  de  plusieurs  formes 
des  verbes  manger,  prendre,  répondre. 

1^  Manger.  Ici  la  disparition  du  d  est  prélittéraire;  les 
formes  qui,  en  latin,  portaient  l'accent  sur  Vu,  auraient  dû 
présenter  en  français  la  dentale  sonore:  manducat  >  '■' man- 
due,  manducant  )  '■■  manduent,  etc.  Cependant  ces  formes 
n'existent  pas;  elles  ont  disparu  avant  le  X^  siècle,  trans- 
formées sur  le  modèle  des  formes  qui  conservaient  le  c  comme 
une  chuintante  sonore  :  '•'  mandue  )  manjne,  '■'■  manduent  )  man- 
juent  (§  16). 

2^  Prendre.  Les  formes  étymologiques  prendant,  prendons, 
prendais,  prendent,  etc.  étaient  encore  en  usage  au  XV*'  et  au 
XVI^  siècle:  Souffit  que  naissance  prends  —  D'aucun  qui  de 
David  descende  (Greban,  Myst.  de  la  Passion,  v.  8709).  Prendez 
en  deux,  prendez  en  trois,  —  Prendez  vostre  phantasie  (Chan- 
son populaire;  voir  ZRPh.,  V,  529).  Elles  ont  cédé  la  place 
aux  formes  analogiques  prenant,  prenons,  prenais,  prennent,  qui 
sont  de  vieille  date;  la  Chanson  de  Roland  offre  déjà  prenent 
(v.  2562). 

3^  Répondre.  Ce  verbe  perdait  souvent  son  d  étymologique 
au  moyen  âge;  ainsi,  à  côté  de  respondant ,  respondu,  respon- 
doit,  responde,  on  trouve  responant,  responu,  responoit,  respone. 
Il  y  faut  probablement  voir  une  influence  des  formes  corres- 
pondantes du  verbe  repondre  (reponere).  Encore  Palsgrave 
conjugue:  nous  responnons,  ils  responnent,  que  je  responne,  fay 
responnu;  il  conserve  pourtant  je  respondis. 

41.  F.  Un  f  étymologique  a  disparu  de  la  1'*^  pers.  du  sing. 
du  prés,  de  l'ind.  et  de  l'impératif  d'un  certain  nombre  de 
verbes.  Ainsi,  les  vieilles  formes  vif  (vivo),  escrif  (scribo, 
scribe),  boif  (bibo,  bibe),  serf  (*servo,  servi),  muef 
(••'movo,  move),  reçoif  (*recipo,  recipe),  etc.,  ont  cédé  la 
place  à  vis,  écris,  bois,  sers,  meus,  reçois. 

42.  L  mouillé  [/i].  Sur  le  sort  de  cette  consonne  il  faut  re- 
marquer : 

1°    Dans    valere    et    *  vol  ère,    le    [K]    étymologique   a  été 

/ 


30 

écarté  de  la  1'^  pers.  sing.  du  prés,  de  l'ind.:  valeo  >  vail 
y  vaux,  *voleo  )  vueil  )  veux  (§  121);  il  est  resté  au  prés,  du 
subj.  va  le  a  m  )  vaille  (mais  prévale),  *voleam  >  veuille.  Un 
[K]  analogique  a  été  introduit  dans  vaillant,  doublet  de  valant 
(§  83,  lo),  vfr.  vueillant,  doublet  de  volant  (§  83,  u),  vfr.  chail- 
lant  (fait  sur  chaille  <  c  aléa  m),  doublet  de  chalant  (on  trouve 
aussi  nonchaillant,  nonchaillance). 

2^  Un  développement  pareil  a  eu  lieu  dans  buUire  et 
*fallire  (§  66,3):  BuUio  >  bail  >  bous;  *fallio  >  fait  > 
faux.  Mais  le  [K\  de  ces  formes  et  du  prés,  du  subj.:  bulliam 
)  bouille,  *falliam  )  faille,  a  été  introduit  dans  toutes  les 
autres  formes  des  verbes,  excepté  le  sing.  du  prés,  de  l'ind. 
(§  121)  et  en  partie  le  futur  (§  215),  d'où  bouillir,  etc.,  et 
faillir,  etc.  pour  boulir  et  falir. 

'S^  Enfin  colligere  >  cueillir  et  salire  >  saillir  noua  montrent 
la  généralisation  du  [X]  dans  toutes  leurs  formes  sans  excep- 
tion (comp.  §§  121,  215). 

43.  N  et  N  mouillé  (ji). 

1^  Un  [n]  analogique  a  été  introduit  au  participe  passé  et 
au  passé  défini  de  quelques  verbes  en  -angere,  -ingère. 
Ainsi  p  i  c  t  u  m  est  remplacé  par  *  p  i  n  c  t  u  m  (p^  p  i  n  g  o,  p  i  n  - 
gère;  cingo,  cinctum),  tactum  par  *tanctum  (^^  tango, 
tangere),  etc.  (voir §  102),  et  fregi  par  *franxi  (^  frango, 
frangere;  plango  —  planxi),  etc.  (voir  §  165).  Rappelons 
aussi  les  participes  refaits  de  quelques  verbes  en  -ndere,  tels 
que  de fe ndere  —  defensum,  pour  defe(n)sum,  respon- 
dere  —  responsum,   pour  respo(n)sum,  etc.  (voir  §  100). 

2®  Un  [ji]  analogique  a  été  introduit  au  prés,  du  subj.,  au 
passé  défini  et  à  l'imp.  du  subj.  des  verbes  en  -aindre,  -eindre, 
-oindre.  Plangam  aurait  dû  donner  '*plange;  on  ne  trouve 
que  plaigne,  modelé  sur  les  formes  qui  présentent  un  [ji]  éty- 
mologique: plaignant  (plangentem),  plaignais  (plange- 
bam),  etc.  Planxi,  planxissem  ont  donné  plains  (§  185), 
plainsisse,  remplacés  déjà  au  moyen  âge  par  plaignis,  plaignisse. 

Remarque.    Une  généralisation  curieuse   de  [Jî]  a  eu   lieu   dans  le  verbe 
poindre  à  côté  duquel  s'est  formé  le  doublet  moderne  poigner  (voir  §  64,  e). 

3*^  Un  [ji]  étymologique  a  disparu  au  prés,  du  subj.  des  verbes 
tenir  et  venir.   Teneam    etveniam  deviennent  régulièrement 


31 

tiegne  (ligne)  et  viegne  (vigne);  les  formes  tienne  et  vienne  sont 
modernes  et  analogiques  (voir  §  144). 

44.  S  sonore  [z].  Un  [z]  analogique  s'est  introduit  dans  un 
certain  nombre  de  verbes;  il  est  dû  soit  à  une  analogie  in- 
térieure, soit  à  une  analogie  extérieure. 

1  "  Analogie  intérieure.  Ce  phénomène  s'observe  surtout 
dans  quelques  verbes  qui  présentaient  en  latin  un  c  intervoca- 
lique  lequel,  selon  les  conditions  phonétiques,  tantôt  devient 
[z],  tantôt  subit  un  autre  développement.  Prenons  comme  ex- 
emples dicere  et  ducere.  On  a  d'un  côté  dicentem  )  di- 
sant, dicebat  }  disait,  ducentem  )  duisant,  ducebat)  duisoit, 
etc.,  et  d'un  autre  côté  dicam  )  die  (§  139,4),  ducam  >  duie, 
dicunt  )  dient,  ducunt  duient.  L'analogie  a  fait  disparaître 
ces  dernières  formes  et  les  a  remplacées  par  dise,  diiise,  disent, 
dnisent.  Dans  les  autres  verbes  de  cette  catégorie,  l'aplanisse- 
ment  a  eu  lieu  à  une  époque  prélittéraire;  on  ne  trouve  que 
cuise,  nuise,  plaise,  taise,  despise,  suffise,  et  aucune  trace  des 
formes  qu'aurait  produites  un  développement  régulier  de  co- 
quam,  noceam,  placeam,  taceam,  despiciam,  suffi- 
ciam.  Un  autre  cas  se  présente  dans  le  verbe  clore,  dont  les 
formes  étymologiques  cloe  (cl  au  dam),  cloons,  chez,  cloent, 
chois  ont  été  remplacées  par  close,  closons,  closez,  closent,  clo- 
soit.  Robert  Estienne  connaît  encore  les  vieilles  formes.  Le  [z] 
provient  peut-être  d'vine  influence  du  parfait  sigmatique  clos 
—  closis  (clausisti;  comp.  §  182)  et  du  fém.  du  part,  passé  close 
(clausa). 

2"  Analogie  extérieure.  Ce  phénomène  s'observe  dans 
quelques  verbes  dont  aucune  forme  n'a  droit,  au  point  de  vue 
étymologique,  à  un  [z].  En  voici  quelques  exemples: 

Lire.  On  ne  trouve  aucune  trace  de  formes  dérivées  directe- 
ment de  legentem,  legebam,  legam,  etc.;  elles  ont  été 
remplacées  par  lisant,  lisais,  lise,  etc.  On  a  cru  trouver  dans 
ces  formes  une  influence  du  verbe  germanique  lesen,  ce  qui 
paraît  peu  probable  ;  le  [z]  est  plutôt  dû  à  une  analogie  de 
dire:  sur  dire  —  disoie  on  a  créé  lire  —  lisoie,  etc.  Un  [z]  non 
étymologique  se  trouve  aussi  dans  circoncisant,  occisant. 

Distraire.  On  trouve  sporadiquement  des  formations  ana- 
logiques avec  [z].  Littré  remarque  dans  son  Dictionnaire:  »J.  J. 
Rousseau  a  dit  (Confess.  I)  :  Trop  d'autres  goûts  me  distraisent ; 


32 

et  (Confess.  VI)  :  L'exercice  me  distraisant  sur  mon  état.  Ce 
sont  de  grosses  fautes;  il  faut:  distraient  et  distrayant. «  Rous- 
seau a  modelé  la  flexion  de  distraire  sur  celle  de  plaire  et 
taire. 

45.  S  sourd.  Un  [s]  analogique  a  été  introduit  au  présent 
du  subjonctif  de  connaître,  croître,  naître,  paître,  paraître  et  de 
tous  les  inchoatifs.  Examinons  par  exemple  le  verbe  croître: 
crescam  aurait  dû  donner  cr esche  (ou  croische),  on  ne  trouve 
que  croisse,  dont  le  ss  est  dû  à  l'influence  de  croissant  (<  cre- 
scentem),  croissait  «  crescebat),  etc.  La  même  observation 
s'applique  aux  autres  verbes  cités. 

46.  V. 

P  Un  u  analogique  s'est  introduit  dans  le  subjonctif  doine 
pour  doie  (§  145,  i)  et  dans  le  passé  défini  de  écrire,  dont  les 
formes  primitives  escris  (s  cri  psi),  etc.  ont  été  remplacées  par 
escrivis,  écrivis,  etc.  (voir  §  188)  sous  l'influence  de  escrivant 
(scribentem),  escriuons,  escrivoit,  escrive  (scribam). 

Remarque.  On  ti-ouve  aussi  des  traces  d'un  développement  contraire,  c.-à-d. 
dune  extension  des  formes  avec  [s]  liors  du  passé  défini:  Escrisez  lettres  au 
tribun  (Mist.  de  St.  Adrien,  v.  3529).  Froissart  hésite  entre  escrise  et  escrive. 

2°  Un  V  étymologique  a  disparu  des  deux  infinitifs  boire  et 
écrire,  dont  les  formes  primitives  sont  boivre  (<  b ibère)  et 
escrivre  (scribere). 


C.  CHANGEMENTS  THÉMATIQUES. 

47.    Nous    venons    de    voir   comment    l'analogie  a   fait   dis- 
paraître les  doubles  formes  primitives  des  thèmes  verbaux  par 

le  changement  ou  l'amuïssement  soit  d'une  voyelle  {-am aim; 

paroi jua//-), .soit  d'une  consonne  {di-  —  diz-).  Parfois  une 

analogie  extérieure  fait  changer  et  la  voyelle  et  la  consonne 
finale  du  radical.  Comme  exemple  d'un  tel  changement  théma- 
tique nous  citerons  les  verbes  en  -emere  dont  le  développe- 
ment a  été  troublé  sous  l'influence  de  ceux  en  -an gère, 
-ingère.  On  disait  primitivement  criem  criens  crient  cremons 
cremez  criement,  cremoie,  cremant,  cremu,  cremui.  Ces  formes 
ont  été  changées  en  crain(s)  crains'  craint  craignons  craignez 
craignent,  craignais,  craignant,  craint,  crains  {craignis;  cf.  §  185), 


33 

sur  le  modèle  de  plain(s),  plaignons,  etc.  Voici  quelques  ex- 
emples des  formes  non  assimilées:  Molt  criem  que  ne  t'en 
perde  (St.  Alexis,  v.  60).  Nous  cremons  le  peuple  plus  que  Dieu 
(Miracles  de  N.  D.  no  5,  v.  774).  Tant  le  criement  (Guill.  de 
Palerne,  v.  6903).  De  moi  ne  vous  cremés  onkes  (Villehardouin, 
§  602).  Autrement  cremoient  il  ke  .  .  .  (ib.,  §  629).  Mains  en 
seriesmes  cremu  (ib.,  §  513).  Un  développement  pareil  a  eu 
lieu  dans  gemere  >  giembre  )  geindre,  gemo  >  giem  >  gein(s), 
etc.,  dans  les  composés  de  premere:  apriembre  >  apreindre, 
compriembre  >  compreindre,  depriembre  )  depreindre,  empriembre 
)  empreindre,  et  dans  redimere  )  membre  (raiembre,  raeinbre, 
raimbre)  )  reeindre,  reindre.  Fremere  a  changé  de  conjugai- 
son (voir  §  66, 3),  mais  on  trouve  le  subst.  frembor,  ce  qui 
semble  prouver  l'existence  d'un  infinitif  '^friembre. 


3 

/ 


CHAPITRE  IV. 

LES  TERMINAISONS. 


48.  Par  suite  du  développement  phonétique  des  finales,  la  flexion 
verbale  française  a  profondément  changé  d'aspect,  et  elle  pré- 
sente dans  les  terminaisons  une  grande  simplicité  à  côté  de 
l'abondante  variété  du  latin  classique;  ainsi,  les  neuf  formes: 
canto,  cantas,  cantat,  cantant,  cantem,  cantes,  can- 
tet,  cantent,  canta  sont  confondues,  en  français  moderne, 
dans  la  seule  forme  [Jà:t],  qui  s'écrit,  selon  le  cas,  chante, 
chantes,  chantent.  A  cause  de  quelques  développements  parti- 
culiers il  y  a  avantage  à  examiner  à  part  le  sort  des  finales 
verbales,  quoique,  bien  entendu,  ces  sons  soient  soumis  aux 
mêmes  lois  qu'on  observe  dans  les  autres  groupes  de  mots. 

49.  Sort  des  voyelles  finales: 

P  A  reste  comme  e  féminin  (I,  §  252):  cantas} chantes, 
caniat  y  chante,  caniant}  chantent,  scr ibam  >écni;e,  scri- 
has  y  écrives,  scr'ihanty  écrivent.  L'e  féminin  est  tombé  dans 
le  singulier  de  l'imparfait  de  l'indicatif  (cf.  §  161):  vendebani 
yvendeie,  vendais,  vendais;  vend  ebas)yenfieze.s,  vendais,  vendais; 
vendebat  )  vendeiet,  vendait,  vendait;  dans  le  singulier  du  pré- 
sent du  subjonctif  de  »être«:  *siam  )  seie,  sois,  *sias  )  seies, 
sois,  '^sïaty  seiet,  soit  (cf.  §  139,  lo),  et  dans  habeat  >aze/>  ait 
(Cf.  §145,2). 

2^  E  s'amuït  régulièrement  (I,  §  248):  audire>o«i>,  débet 
y  doit,  cante  m  >c/ia/jf  (plus  tard,  par  analogie,  chante),  canta- 
(vi)s  s  et  >c/i a/7 /ô^.  Il  est  resté  comme  voyelle  d'appui  (I,  §  251) 
dans  vendere  >  ye/jc/re,  scribere  )ecn>e,  cambiemy  change, 


35 

am en ty aiment,  dehe ni} doivent,  etc.,  et  il  a  été  conservé  par 
analogie  dans  quœrere  )  querre,  curr ère} courre,  trahere) 
*tragere>/razre,  légère} lire.  Sur  son  maintien  à  l'imparfait 
du  subjonctif:  canta(vi)ssem  )  chantasse,  canta(vi)sses  > 
chantasses,  voir  §  203. 

3*^  I  disparaît  régulièrement  (I,  §  248):  cantatis  }  chantez, 
cantasti  y  chantas,  habetis)ai;ez,  mi  si)  mis,  vidi)i;zs,  feci) 
fis,  etc.  Il  est  resté  après  une  voyelle:  canta(v)i)  chantai  (l, 
§249),  dans  la  2^  pers.  plur.  du  passé  défini:  canta(vi)stis 
y  chantâtes,  fi  ni  (vi)  s  ti  s  < /mf/es,  et  dans  estis>efes,  facitis) 
faites,  dicitis  y  dites. 

4**  O  disparaît  (I,  §  248) :  cognosco) connais,  credo) croi(s), 
canto  )  vfr.  chant.  Il  reste  parfois  comme  voyelle  d'appui: 
tremulo  )  tremble;  carrico  )  charge  (I,  §  250). 

5*^  U  disparaît  (I,  §  248):  can  tatum  )  c/ja/j/é,  cantamus) 
)  chantons,  sumus  )  vfr.  sons.  Il  est  resté  dans  la  !•''  personne 
du  pluriel  du  passé  défini:  ca n ta (vi)mu s  )  c/ia/? /fîmes,  duxi- 
mus  )  {con)dmsîmes ,  et  dans  d ici  mus  )  vfr.  dimes  (voir 
§  55,  4),  etc.  La  conservation  de  la  voyelle  atone  est  peut-être 
due  à  l'influence  de  la  2^  personne:  fu(i)mus  est  devenu 
fumes,  fûmes  à  cause  de  fustes,  fûtes. 

50.  Sort  des  consonnes  finales: 

1"  M  disparaît  partout  (I,  §  318):  vendam  )  vende;  can- 
tem  )  vfr.  chant;  cantabam  )  vfr.  chanteie;  cantavissem 
)  chantasse;  sum  )  suis,  etc. 

2"  S  reste  régulièrement  (I,  §  464) :  cantas  )  chantes;  scri- 
b  i  s  )  écris  ;  cantamus  )  chantons  ;  v  e  n  d  e  b  a  s  )  vendais  ; 
cantavistis  )  chantâtes;  canta visses  )  chantasses,  etc.; 
comp.  cognosco  )  connais.  S  a  été  ajouté  par  analogie  à 
beaucoup  de  V'^^  personnes  (voir  §  51). 

3"  T  reste  partout  dans  la  plus  vieille  langue:  cantat  ) 
chantet;  cantabat  )  chantevet  (§  157, 1);  cantavit  )  chantât; 
amet  )  aint;  débet  )  deit;  vivit  )  vit;  facit  )  fait;  vadit 
)  val;  ferivit  )  ferit;  fuit  )  fut,  etc.;  sur  le  sort  ultérieur 
de  ce  t,  voir  §  53.  T,  devenu  final  à  la  2^  pers.,  est  tombé  dès 
les  plus  anciens  temps  (cf.  §  165,2):  cantasti  )  chantas; 
conduxisti  )  conduisis,  etc. 

3* 


36 

DÉVELOPPEMENT 
DES  DÉSINENCES  PERSONNELLES. 

I.   SINGULIER. 

51.  Première  personne.  Après  l'amuïssement  du  m,  la  pre- 
mière personne  de  tous  les  temps  et  de  toutes  les  conjugaisons 
(exe.  su  m)  se  terminait,  dans  le  parler  vulgaire,  par  une 
voyelle  inaccentuée  :  cant^,  cantaba^  cante^^  canta  visse, 
etc.  Cet  état  de  choses  est  profondément  changé  en  français, 
grâce  au  développement  phonétique  (credo  >  crei,  croi;  lavo 

>  lef;  senti vi  >  senti;  cantaba  >  chanteie),  auquel  est  venu 
s'ajouter  un  développement  analogique  très  curieux  (croi  >  crois, 
senti  >  sentis,  chantoie  )  chantois,  chanteroie  )  chanterais),  qui 
finit  par  attribuer  à  s  le  rôle  de  signe  caractéristique  de  la 
première  personne.   Voici  quelques  détails  sur  ce  phénomène: 

P  Présent  de  l'indicatif.  Le  s  analogique  a  été  ajouté  à 
toutes  les  formes  qui  ne  se  terminent  pas  par  un  e  féminin 
ou  un  s:  vendo  )  vent  )  vends;  perdo  >  pert}  perds;  mitto 

>  met  )  mets;  credo  )  croi  >  crois;  recipio  >  reçoi  )  reçois, 
etc.;  comp.  §  118,  i.  On  a  conservé  sans  changement  tremble, 
charge,  chante,  parle,  ouvre,  souffre,  couvre,  etc.  ;  finis,  fleuris, 
connais,  crois  (cresco),  etc.,  et  la  forme  isolée  ai  (habeo), 
tandis  que  sai  (sapio)  est  devenu  sais.  Au  lieu  de  s  on  écrit 
.r  dans  vaux,  peux,  veux  (mais  on  doit  écrire  meus). 

2^  Imparfait  de  l'indicatif.  Le  s  analogique  a  été  introduit 
dans  toutes  les  conjugaisons;  les  vieilles  formes  chantoie,  de- 
voie,  sentoie,  etc.  ont  été  remplacées  par  chantois,  devois,  sen- 
tais. Comp.  §  161, 1. 

3^  Conditionnel.  Même  développement  qu'à  l'imparfait: 
chanteroie  y  chantewis,  devroie  )  devrais,  etc. 

4*^  Passé  défini.  Le  s  analogique  a  été  ajouté  à  toutes  les 
formes,  excepté  celles  de  la  1''^  conjugaison  (chantai,  parlai) 
et  celles  qui  étaient  déjà  munies  d'un  s  (mis,  quis):  veni  ) 
vin  y  vins;  vidi  )  vi  )  vis;  *sentivi  y  senti  y  sentis  ;  valui  ) 
valui  y  valus,  etc.;  comp.  §  169,  i. 

52.  Deuxième  personne.  La  consonne  caractéristique  de  la 
deuxième  personne,  s,  reste  partout:  canta  s  >  chantes,  scri- 
bis  )  écris,  debes  >  dois,  cantabas  y  chantais.  Quand  s  suit 


37 

une  dentale,  les  deux  sons  se  combinent  en  z  (I,  §384,  392): 
partis  >  parz,  perdis  >  perz,  audis  >  oz;  ce  z  se  réduit,  au 
XIII^  siècle,  à  s:  parz  >  pars,  perz  >  pers,  oz  >  os.  Au  passé 
défini,  l'analogie  a  fait  tomber  le  t  final  à  une  époque  pré- 
littéraire: canta(Yi)sti  >  chantas,  *senti(vi)sti  >  sentis,  con- 
duxisti  >  conduisis,  etc.  (le  t  a  été  conservé  en  provençal: 
cantest,  vendest,  partist).  A  l'impératif,  l'analogie  a  fait  ajouter 
un  s  dans  beaucoup  de  formes:  crede  >  croi  >  crois  (pour 
les  détails,  voir  §  153).  De  cette  manière,  toutes  les  deuxièmes 
personnes  (à  l'exception  de  quelques  impératifs)  ont  s  comme 
signe  caractéristique.  Dans  la  langue  moderne  ce  s  est  muet; 
on  ne  fait  aucune  différence  entre  {je)  chante  et  {tu)  chantes, 
entre  {je)  perde  et  {tu)  perdes;  voilà  pourquoi  le  s  ne  joue  au- 
cun rôle  dans  les  poésies  en  argot: 

Plonplon,  si  tu  réclam'  encor  .  .  . 

(Mac  Nab,  L'expulsion.) 
Pourquoi  que  tu  treml)l'  ainsi? 

(id.,  Complainte  du  bon  saint  Labre.) 

Cet  amuïssement  remonte  très  haut;  on  en  a  des  exemples 
du  Xllle  siècle  (voir  I,  §  283). 

53.  Troisième  personne.  Le  /  final  des  formes  latines  s'est 
conservé  partout  dans  le  plus  ancien  français  (§  50,  s).  Vers  la 
fin  du  XP  siècle,  il  tombe  régulièrement  après  l'e  féminin  : 
chantet  >  chante,  perdet  >  perde;  après  a:  vat  >  ua,  at  >  a, 
chanterat  y  chantera;  un  peu  plus  tard  aussi  après  i  et  u:  ferit 

>  feri,  guerpit  >  guerpi,  saillit  >  sailli,  courut  )  couru,  mourut  > 
mouru,  valut  >  valu,  etc.  Restent  intacts  les  imparfaits  et  les 
conditionnels:  chantoit,  chanterait,  et  toutes  les  formes  où  t 
était  entravé:  croist,  sert,  vent,  prent,  chantast,  fist;  il  en  était 
de  même  des  formes  où  /  était  entravé  dans  une  période  anté- 
rieure: ot  (audit),  set  (sapit),  dit  (dicit),  fait  (facit),  moût 
(moluit),  ont  (habuit),   dut  (debuit),   etc.;   comp.  tectum 

>  toit,  mais  sitim  >  soi  >  soif.  L'analogie  de  ces  formes  a  ré- 
introduit, au  XIV^  siècle,  le  t  partout  après  i  et  u:  senti  >  sen- 
tit, couru  >  courut,  etc.  Comp.  §  169,  s. 

Remarque.  Dans  la  langue  moderne  Le'  t  étymologique  du  présent  est  rem- 
placé par  un  d  analogique  dans  tous  les  verbes  dont  l'infinitif  se  termine 
par  -dre  (excepté  ceux  en  -aindre,  -eindre,  -oindre  et  les  composés  de  sondre). 


38 

On  écrit  ainsi  :  attend,  défend,  descend,  entend,  fend,  pend,  prend,  rend,  tend, 
vend;  épand,  répand;  fond,  pond,  répond,  tond;  mord,  tord,  perd,  sourd; 
coud,  moud,  etc.  (mais:  craint,  feint,  peint,  résout,  etc.).  L'orthograplie  avec 
d  se  montre  déjà  au  XV^  siècle  et  comprend  d'abord  tous  les  verbes  en  -dre, 
de  sorte  qu'on  trouve  aussi  feind,  craind,  joind,  mais  ces  formes  ont  été  ra- 
menées à  feint,  craint,  joint.  Rappelons  enfin  la  forme  isolée  vainc,  au  moyen 
âge  veint  (Roland,  v.  2567). 


II.  PLURIEL. 

54.  Première  personne.  Le  latin  classicjue  connaissait  six 
terminaisons,  quatre  régulières:  -amus  (-eamus,  -iamus), 
-ëmus,  -îmus,  -imus;  et  deux  qui  ne  s'employaient  que  dans 
quelques  verbes  isolés:  -ûmus,  -umus.  Le  français  moderne 
ne  connaît  que  deux  terminaisons  :  -ons,  qui  porte  l'accent 
{nous  chantons,  devons,  servons),  et  -mes  qui  est  inaccentué  et 
ne  s'emploie  régulièrement  qu'au  passé  défini  (nous  chantâmes, 
dûmes,  servîmes);  la  vieille  langue  possédait  encore  quelques 
autres  terminaisons  dont  nous  parlerons  ci-dessous.  L'explica- 
tion de  -ons  offre  un  problème  très  difticile.  Il  est  hors  de 
doute  que  chantons,  devons,  servons  ne  dérivent  pas  des  formes 
latines  correspondantes  cantamus,  debëmus,  servi  m  us, 
qui  auraient  donné  chantains,  deveins,  servins;  ce  sont  donc 
très  vraisemblablement  des  formes  analogiques.  Les  vieux 
textes  nous  montrent  que  -ons  remonte  à  -oms,  et  que  l'o  de 
ces  formes  était  fermé;  il  faut  ainsi  admettre  comme  point  de 
départ  -ù  m  us,  et  la  forme  primitive  de  chantons  à  dû  être 
*cantumus.  Maintenant,  quelle  peut  être  l'origine  de  cette 
nouvelle  formation?  Une  terminaison  accentuée  -ùmus  ne  se 
trouve  que  dans  la  seule  forme  sûmus,  devenu  sons  dans  le 
plus  vieux  français  (§  119,6),  et  on  a  supposé  que  c'est  là 
qu'il  fallait,  selon  toute  probabilité,  chercher  le  point  de  dé- 
part de  -ons.  D'autres  (MM.  Settegast  et  Mohl)  ont  voulu  y 
voir  une  terminaison  celtique,  ou  plutôt  une  contamination 
d'une  terminaison  celtique  avec  une  terminaison  latine;  cette 
opinion,  très  acceptable  en  théorie  (comp.  I,  §  525),  se  heurte 
à  de  grandes  difficultés,  restées  insurmontables  jusqu'à  pré- 
sent. 

Remarque  l.  Au  moyen  âge  on  trouve,  concurremment  avec  -ons  et  -oms, 
une  troisième  forme  -omes   qui    se  rencontre  un  peu  partout,    mais   qui  ne 


89 

s'emploie  d  une  niaiiièrc  régulière  que  dans  la  région  du  Nord.  Exemples: 
Posciomes  (Jouas),  avrumes  (Roland,  v.  391),  demandomes  (Couronnement  de 
Louis,  V.  1918),  etc.  On  trouve  souvent  -ons  et  -ornes  dans  le  même  texte 
employés  selon  les  exigences  de  la  mesure: 

Cou  remandrons  or  esgarees 
Qui  perdomes  si  buene  amie. 

(Chev.  au  lion,  v.  4362— «3). 

De  -ornes,  dont  on  se  sert  encore  au  XIV^  siècle  (Baudouin  de  Condé),  la 
langue  moderne  conserve  un  dernier  reste  dans  sommes.  Sur  l'origine  de  la 
terminaison  -iens,  voir  ci-dgssous  §  55,  i.  Rem. 

Remarque  2.  Dans  certains  textes  on  trouve  -Oiti  (-um)  ou  -on  (-un) 
pour  -oms  et  -ons.  Ce  phénomène  est  surtout  propre  aux  dialectes  de  l'Ouest. 
On  le  retrouve  encore  au  XIV«  siècle:  la  Chirurgie  de  Henri  de  Mondeville 
donne  nous  avon,  nous  devon,  nous  prenon,  etc.  ;  mais  la  graphie  avec  s  est 
la  plus  fréquente.  (Comment  expliquer  cette  chute  du  s?  Il  y  a  là  probable- 
ment un  phénomène  d'analogie;  comme  s  au  singulier  était  réservé  à  la 
2»^  pers.,  on  a  voulu  faire  de  même  au  pluriel.  Un  reste  curieux  de  l'an- 
cienne forme  -om  se  cache  probablement  dans  la  formule  alons  m'ent  dont 
voici  deux  exemples:  C'est  escript:  tenez.  Alons  mant  —  Car  nous  avons 
ailleurs  à  faire  (Mir.  de  N.  D.,  I,  v.  570—1).  Alons  m'en  sans  faire  estry  — 
Lucifer  nous  envoyé  querre  (P^ournier,  Théâtre  av.  la  Renaissance,  p.  80).  Il 
semble  qu'on  ait  dit  d'abord  alom  ent,  dont  la  prononciation  avec  un  o 
nasalisé  {alonment)  a  provoqué  l'orthographe  alons  ment. 

55.  Sort  des  terminaisons  latines. 

P  Amus,  conservé  en  gallo-roman  (prov.  amam)  comme 
dans  les  autres  langues  romanes  (roum.  cântâm,  \.  ital.  can- 
tamo,  esp.,  port,  cantamos),  a  été  supplanté  au  Nord  de  la 
France  par  *-umus:  cantamus  >  ==cantumus  y  chantoms  } 
chantons.  Cette  substitution  est  antérieure  au  X*^  siècle,  on 
trouve  p.  ex.  cantumps  (c.  à  d.  chantons)  dans  St.  Léger;  elle 
est  probablement  postérieure  à  l'altération  des  palatales  comme 
le  montrent  couchons,  péchons,  nageons,  mangeons,  etc.,  s'il  n'y 
a  pas  ici  des  faits  d'analogie.  Au  parfait  de  la  1'**  conjugaison 
s'est  développé  un  -amus  secondaire  conservé  en  français 
sous  la  forme  de  -âmes,  plus  tard  -âmes:  cantavimus  y 
*cantamus  )  chantâmes  )  chantâmes  (cf.  §  49,  .5). 

Remarque.  Au  présent  du  subjonctif  de  II  et  de  IV  (parfois  aussi  de  III), 
on  avait  [jamus]  (-eamus,  -iamus);  cette  terminaison  s'est  conservée  en 
vieux  français  sous  la  forme  de -iems,  -iens:  habeamus  >  aiiems,  aiiens; 
valeamus  >  valiens ;  faciamus  >  faciens;  dormiamus  >  dormiens;  sa- 
p iamus  )  sachiens,  etc.  La  même  désinence  se  retrouve  à  l'imparfait  de 
l'indicatif  de  II,  III,  IV,  où  -ebamus,   -i(e)bamus  sont  devenus  -eamus. 


40 

-iamus,  d'où  fjamus]:  habe(b)amus  >  aviens,  vale(b)amus  >  valiens, 
face(b)amus  >  faciens,  d  ormi(b)  a  m  us  >  dormiens,  et,  par  conséquent,  au 
conditionnel.  Par  analogie  -iens  a  été  introduit  au  présent  du  subjonctif  de 
I  et  III:  cantemus  >  chantiens,  perdamus  >  perdiens,  à  l'imparfait  de 
l'indicatif  de  I:  cantabamus  >  chantiens,  et  à  l'imparfait  du  subjonctif  de 
toutes  les  conjugaisons:  cantavissemus  >  chantissiens ,  valuissemus  > 
valussiens,  scripsissemus  >  écrivissiens,  dormivissemus  >  dormissiens. 
De  cette  manière  -iens  est  devenu  la  désinence  caractéristique  de  tout  le 
subjonctif,  de  l'imparfait  de  l'indicatif  et  du  conditionnel;  elle  s'employait 
surtout  dans  les  dialectes  de  l'Est  et  du  Nord,  moins  souvent  dans  ceux  du 
Centre,  jamais  dans  ceux  de  l'Ouest;  plusieurs  régions  (Orléanais,  Berry, 
Perche)  en  conservent  encore  des  traces  intéressantes,  mais  dans  la  langue 
littéraire  elle  a  disparu  devant  -ions  (provenant  d'une  fusion  de  -ons  et  -iens): 
faciens  >  fassions,  valiens  >  valions,  chantiens  >  chantions,  etc. 

2^  La  terminaison  -émus  conservée  en  gallo-roman  (prov. 
devem,  podem,  valem)  comme  dans  les  autres  langues  romanes 
(roum.  vindem,  Y.  ital.  dovemo,  esp.,  port,  debemos),  a  disparu 
au  Nord  de  la  France  devant  la  désinence  victorieuse  *-umus: 
debemus  )  *debumus  )  devoms  )  devons. 

Remarque.  On  trouve  dans  les  plus  anciens  monuments  quelques  rares 
traces  de  -émus;  ainsi  devemps  dans  St.  Léger  (v.  1),  avem  et  poem  dans 
Sponsus  (v.  35,  72),  mais  aucun  de  ces  textes  n'appartient  au  francien  propre- 
ment dit. 

3°  Imus,  conservé  presque  partout  (roum.  dormim,  lad.  dur- 
min,  V.  ital.  dormimo,  esp.,  port,  dormimos),  a  été  remplacé  en 
gallo-roman  par  -émus  (prov.  donnem,  servem;  mais  en  gas- 
con dormim)  qui,  à  son  tour,  a  été  supplanté  au  Nord  de  la 
France  par  -umus:  dormim  us  >  *dorniëmus  >  ^'dormu- 
mus  )  dormoms  >  dormons.  Au  parfait  de  IV  s'est  développé 
un  -imus  secondaire,  conservé  en  français  sous  la  forme  de 
-imes,  écrit  maintenant  -îmes:  vidïmus  )  *vidimus  >  veïmes, 
vîmes,  vîmes. 

4"  La  terminaison  inaccentuée  -ïmus  a  été  remplacée  en 
gallo-roman,  comme  dans  toutes  les  autres  langues  romanes, 
par  -émus:  perdïmus,  vendïmus  sont  devenus,  dans  le 
parler  vulgaire,  *perdëmus,  *v  end  ému  s  (roum.  perdem, 
V.  ital.  perdemo,  esp.,  port,  perdemos,  prov.  perdem);  au  Nord 
de  la  France  -ëmus  a  disparu,  à  son  tour,  devant  -umus: 
perdïmus  >  *perdemus  )  *perdumus  >  perdoms  )  per- 
dons. Le  vieux  français  a  conservé  la  terminaison  étymolo- 
gique dans  f  a  c  ï  m  u  s  >  faîmes,  d  i  ci  m  u  s  >  dîmes,  e  r  ï  m  u  s  > 


41 

ermes  {esmes  a  été  fait  sur  estes).  Rappelons  enfin  que  la  substi- 
tution de  -émus  à  -imus  n'a  pas  eu  lieu  au  passé  défini: 
fui  mu  s  >  fumes,  fûmes,   val  uï  mu  s  >  valûmes,    valûmes,  etc. 

5"  La  terminaison  inaccentuée  -umus  qui  figurait  dans 
possûmus,  volùmus  (nolûmus,  mal  ù  mu  s)  a  disparu  de 
bonne  heure;  le  roman  nous  atteste  que,  déjà  dans  un  très 
ancien  latin  vulgaire,  on  a  dit  *  p  o  t  ë  m  u  s,  *  v  o  1  ë  m  u  s  (à 
côté  de  *potëtis,  ^^volëtis);  cf.  roum. /}o/em,  yom ;  v.  ital. /)o- 
temo,  volemo  ;  esp.  podemos  ;  prov.  podem,  volem.  En  français 
les    deux   formes  ont  régulièrement  abouti  à  pouvons,  voulons. 

6"  La  terminaison  -umus  ne  s'employait  que  dans  la  seule 
forme  s  umus.  Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  c'est  probable- 
ment sur  cette  forme  que  toutes  les  autres  premières  per- 
sonnes se  sont  modelées;  on  peut  admettre  que  su  mu  s  a 
commencé  par  changer  stanius,  à  peu  près  son  synonyme,, 
en  *stumus  (vfr.  estons),  et  que  ces  deux  formes  d'un  emploi 
si  fréquent  ont  entraîné  à  leur  suite  tous  les  autres  verbes. 

Remarque.  Une  telle  suprématie  dune  forme  tout  à  fait  isolée  peut  sur- 
prendre, ainsi  que  l'énorme  travail  d'analogie  qui  a  dû  s'effectuer;  mais  les 
faits  sont  là,  et  il  paraît  difficile  de  les  expliquer  d'aucune  autre  manière. 
On  trouve  du  reste  dans  une  autre  langue  romane  des  formations  ana- 
logiques parallèles;  on  a  constaté  qu'en  Tj^rol,  en  Frioul  et  dans  l'Italie 
centrale  et  septentrionale,  où  a  été  conservée  la  forme  collatérale  simus 
(comp.  Suétone,  Auguste,  chap.  87)  à  côté  de  su  mus,  la  1^  personne  du  plur. 
est  régulièrement  terminée  soit  en  -imus  {-emo,  -eim,  etc.),  soit  en  -umus 
{-omo,  etc.),  suivant  que  celle  du  verbe  «être*  est  simus  ou  su  m  us. 

56.  Deuxième  personne.  Le  latin  classique  avait  cinq  ter- 
minaisons différentes:  -atis  (-eatis,  -iatis),  -ëtis,  -itis,  -itis, 
-stis  ;  le  français  moderne  n'en  a  que  deux  :  -ez,  qui  porte 
l'accent  (vous  chantez),  et  -tes,  qui  est  atone  et  ne  s'emploie 
régulièrement  qu'au  passé  défini  (vous  chantâtes);  la  vieille 
langue  possédait  encore  quelques  autres  formes  dont  nous 
parlerons  plus  tard.  L'origine  de  -ez  est  assez  claire;  il  re-, 
monte  à  -atis,  et  a  remplacé,  par  analogie,  les  autres  termi- 
naisons; quant  à  -tes,  la  conservation  de  la  voyelle  atone  est 
irrégulière  (cantastis  )  chantastes,  mais  hostis  >  oz). 

Remarque.  En  cas  d'enclise,  la  consonne  finale  du  verbe  est  souvent  élidée 
dans  les  vieux  textes  picards  et  bourguignons;  on  trouve  ainsi  moustrele 
(Richars  11  biaus,  v.  763)  et  secoureme  (ib.,  v  1410)  pour  moiistrez  le  et 
secourez  me. 


•  42 

57.  Sort  des  terminaisons  latines. 

P  La  terminaison  -atis,  conservée  dans  toutes  les  langues 
romanes,  et  à  l'indicatif  (roum.  cîntaiï,  ital.  cantate,  esp.  port. 
cantades,  contais,  prov.  cantatz)  et  au  subjonctif  (v.  ital.  ven- 
date,  esp.  vendades,  vendais,  prov.  vendatz),  devient  en  français 
régulièrement  -ez:  cantatis  >  chantez,  clam  atis  >  clamez, 
vendatis  >  vendez,  scribatis  >  escrivez. 

Remarque  1.  Quand  une  palatale  précède  -atis,  on  a  -iez  (I,  §192):  col- 
locatis  >  couchiez,  nuntlatis  )  nonciez,  sapiatis  )  sachiez,  faciatis  > 
faciez.  Au  XVe  siècle,  -iez  se  réduit  à  -ez  (I,  §  193),  mais  seulement  à  l'in- 
dicatif: couchiez  >  couchez,  vengiez  >  vengez,  nonciez  >  (an)noncez  ;  au  sub- 
jonctif on  conserve  -iez:  sachiez,  fassiez,  plaigniez,  puissiez,  et  cette  termi- 
naison finit  même  par  sj'  généraliser  et  remplacer  -ez:  perdez  >  perdiez, 
escrivez  )  écriviez,  etc.  A  l'imparfait  de  l'indicatif  et  au  conditionnel  on  avait 
également  -iez:  scril)e[b]atis  >  csc/-z  y  nez,  escriviez;  senti[b]atis  }  sentiiez, 
sentiez;  sentiri(i)ez ;  écriri(i)ez.  Cette  terminaison  était  d'abord  dissyllabe: 
on  comptait  sen-ti-(i)ez,  sen-ti-ri-(i)ez,  de-vri-(i)ez;  mais  elle  devient  mono- 
syllabe déjà  au  moyen  âge:  sen-tiez,  senti-riez,  de-vriez  (encore  Régnier,  Ma- 
cette,  V.  143).  Au  XVI !«  siècle,  elle  redevient  dissyllabe  après  »muta  cum  li- 
quida*  (I,  §  296). 

Remarque  2.  On  trouve  parfois  au  XVIle  siècle  -es  pour  -ez:  vous  parlés, 
vous  donnés,  etc.  ;  cette  innovation  n'a  pas  réussi. 

2**  La  terminaison  -ëtis,  conservée  dans  toutes  les  langues 
romanes,  à  l'indicatif  (roum.  auefi,  it.  avete,  esp.  haheis,  prov. 
avetz)  et,  moins  régulièrement,  au  subjonctif  (esp.  cantedes, 
canteis,  prov.  cantetz),  devient  en  français  -eiz:  habetis  ) 
aveiz,  d'ehei'is  y  deveiz,  *cantaretis>  chantereiz,  ametis  > 
ameiz,  habuissetis  >  eiisseiz.  Ces  formes,  dont  le  plus  an- 
cien exemple  se  trouve  dans  Jonas  (aveist,  pour  aueits),  dis- 
paraissent de  bonne  heure  du  francien;  elles  sont  remplacées 
au  prés,  de  l'ind.  et  au  futur  par  -ez:  aveiz  >  avez,  chantereiz 
>  chanterez;  au  subj.  par  -iez:  ameiz  )  aimez,  aimiez,  eiisseiz  > 
eussiez;  c'est  le  futur  qui  garde  le  plus  longtemps  la  terminai- 
son étymologique  (comp.  §  218,  s).  On  trouve  dans  le  Roland 
portereiz  (v.  80),  avreiz  (v.  88),  verreiz  (v.  564),  enveiereiz  (v. 
572),  etc.,  à  côté  de  irez  (v.  70),  porterez  (v.  72),  vuldrez  (v.  76), 
ferez  (v.  131);  au  présent  au  contraire,  toujours  -ez:  menez  (v. 
357),  saluez  (v.  361),  savez  (v.  363),  vulez  (v.  433),  tenez  (v.  695), 
etc.,  à  l'exception  de  ameneiz  (v,  508).  Rappelons  qu'on  trouve 
déjà  dans  la  Vie  de  St.  Alexis  atendez  (v.  548),  querez  (v.  314), 
assurés  par  l'assonance  (le  copiste  du  ms.  L.  a  -eiz).  En  dehors 


43 

du  francien,  la  terminaison  étymologique  -eiz,  -oiz  s'emploie, 
surtout  au  futur,  dans  des  textes  normands  (Wace)  et  picards  / 
(Aiol,  V.  7517),  bourguignons,  lorrains  et  wallons;  on  la  re- 
trouve dans  plusieurs  patois  modernes.  Ainsi  à  Namur  et  dans 
sa  banlieue  on  dit  sai>o  (sape tis),  avo  (habetis),  etc.  et,  par 
analogie,  cimnto,  allô,  inario,  etc. 

3°  La  terminaison  -itis  s'est  conservée  dans  toutes  les  langues 
romanes  (roum.  dormiti,  ital.  dormite,  esp.  port,  dormis),  ex- 
cepté en  gallo-roman,  où  elle  a  été  remplacée,  à  une  époque 
prélittéraire,  par  -ëtis,  resté  en  provençal  (dormetz)  mais  rem- 
placé, à  son  tour,  au  Nord  par  la  désinence  de  la  première 
conjugaison:  dormitis  >    -^dormêtis  >  dormeiz  )  dormez. 

Remarque.  Quelques  faibles  restes  de  -itis  se  trouvent  au  niojen  âge 
dans  les  dialectes  de  l'Est,  surtout  le  lorrain.  La  forme  -iz  est  seule  admise 
dans  Ezéchiel:  departiz,  vestiz,  veniz  (et  par  analogie  teniz);  dans  les  Ser- 
mons de  St.  Bernard,  on  trouve  sentiz,  couriz,  deveniz,  etc.,  à  côté  de  formes 
en  -ez;  l'Yzopet  de  Lyon  offre  sofj'riz  (v.  1192),  offriz  (v.  1191).  Des  formes 
analogues  s'emploient  encore  dans  les  dialectes  de  l'Est. 

4**  La  terminaison  -itis  n'a  été  conservée  que  dans  dicïtis 
>  dites,  et  facïtis  )  faites  (comp.  estis  )  êtes).  Partout  ail- 
leurs elle  a  été  remplacée  par  -ëtis  (comme  -ïmus  par  -ëmus, 
§  55, 4):  scribïtis  )  '-'escribëtis  >  escriveiz  )  écrivez,  v e n - 
dïtis  >  -^vendëtis  >  vendeiz  >  vendez,  etc. 

Remarque.  La  vieille  forme  traites  ne  remonte  pas  à  trahïtis;  elle  l'em- 
place  un  plus  ancien  traez  et  paraît  modelée  sur  faites  ;  de  la  même  manière 
doivent  probablement  s'expliquer  les  formes  analogues  employées  actuelle- 
ment dans  les  dialectes  de  l'Est,  des  Alpes  aux  Vosges  (région  de  la  Saône 
et  du  Rhône),  et  dans  les  parlers  de  la  Suisse  française.  Dans  le  patois  de 
Besançon,  par  ex.,  on  dit  prentes  (prenez),  mettes  (mettez),  voites  (voyez), 
ventes  (voyez),  craintes  (craignez),  etc. 

5*^  La  terminaison  -stis,  précédée  d'une  voyelle,  s'est  main- 
tenue: canta(vi)stis  )  chantastes,  chantâtes;  ■•=senti(vi)stis 
)  sentistes  )  sentîtes;  habuistis  )  enstes,  eûtes,  etc. 

58.  Troisième  personne.  Le  latin  classique  avait  les  termi- 
naisons suivantes  :  -ant  (-eant,  -iant),  -ent  (-ient),  -unt  (-iunt). 

Le  nombre  de  ces  formes  se  réduit  considérablement  en  latin 
vulgaire  : 

P  La  terminaison  -ient  disparaît  avec  le  futur. 


44 

2^  Les  terminaisons  -iant,  -eant,  -iunt  se  réduisent  à  -ant, 
-unt  (comp.  §120):  serviant  >  ■•=  servant,  debeant  >  '^de- 
bant,  serviunt  >  *servunt,  sentiunt  >  *sentunt,  fa- 
ci  unt  )  facunt,  etc.  Cette  dernière  forme  se  trouve  réelle- 
ment dans  une  inscription  de  Hongrie  (C.  I.  L.,  III,  3551: 
numéro  très  facunt),  et  les  formes  françaises  nous  at- 
testent très  clairement  la  chute  du  [j];  on  ne  trouve  aucune 
trace  de  sapiunt,  dormiunt,  partiunt,  vestiunt,  mo- 
riunt,  etc.  qui  auraient  donné  sachent,  dorgent,  panent, 
vessent,  mnirent;  les  vieilles  formes  sevent,  dorment,  partent, 
vestent,  m uerent  renvoient  à  •=  s  a  p  u  n  t,  *  d  o  r  m  u  n  t,  *  p  a  r t  u  n  t, 
*vestunt,  *morunt  (comp.  Romania,  XXII,  571;  XXIII,  322). 

3^  La  terminaison  -ent  est  souvent  supplantée  par  -unt;  on 
trouve  dans  la  »Lex  Romana  Utinensis«  debunt,  habunt, 
valunt,  etc.  (pour  d'autres  exemples  voir  Neue-Wagener, 
Formenlehre,  III,  264  ss.)  ;  pourtant  beaucoup  de  verbes  con- 
servent -ent,  comme  le  montrent  lu  cent  )  Inisent,  placent  > 
plaisent;   *lucunt  et  *placunt  auraient  donné   tuent,  plont. 

59.  Le  français  ne  connaît  que  deux  terminaisons  :  -ent,  qui 
est  atone  (chantent,  chantaient,  chantèrent,  chantassent),  et  -ont 
qui  porte  l'accent  et  ne  s'emploie  régulièrement  qu'au  futur 
(chanteront,  écriront).  On  remarque  ici  surtout  la  conservation 
du  /  final,  trait  archaïque  qui  ne  se  retrouve  dans  aucune  des 
autres  langues  romanes  (roum.  cîntd,  ital.  cantano,  prov.,  esp. 
cantan,  port,  cantào),  excepté  le  sarde  (cantant). 

60.  Observations  sur  les  terminaisons  françaises. 

P  La  terminaison  -ent,  qui  se  trouve  dans  toutes  les  troi- 
sièmes personnes,  sauf  le  futur  et  le  présent  de  l'indicatif  de 
quatre  verbes,  dérive  régulièrement  de  -ant,  -unt  (et  -ent): 
cantant  >  chantent,  scribunt  >  écrivent,  debe(b)ant  >  dé- 
voient, canta(ve)runt  >  chantèrent,  placent  >  plaisent.  Au 
commencement  elle  a  dû  se  prononcer  à  peu  près  comme  elle 
s'écrivait;  mais,  au  XVP  siècle,  les  grammairiens  attestent  que 
la  consonne  nasale  était  muette.  Déjà  Palsgrave  (1530),  qui 
représente  la  prononciation  du  temps  de  Louis  XII,  remarque, 
en  citant  les  formes  ayment,  aynioyent,  aymerent,  disent,  disoyent, 
dirent,  etc.  que  »in  redynge  or  spekynge  they  sounde  ail  such 
thus  aymet,  aymoyet,  aymeret,  diset,  disoyet,  diret(<.    L'amuisse- 


45 

ment  de  la  nasale  remonte  peut-être  au  XIII*'  siècle;  on 
trouve  dans  l'Élégie  hébraïque  poet,  furet,  oret,  etc.,  ^onr  poent, 
furent,  orent,  etc.  (Romania,  III,  461),  et  dans  le  Psautier  lor- 
rain: cesse  (9,9),  ordene  (49,5),  monte  {75,  e),  parle  (108, 19),  etc. 
pour  cessent,  ordenent,  montent,  parlent.  La  dentale,  qui  se  pro- 
nonçait encore  au  XVI^  siècle,  a  fini  à  son  tour  par  disparaître 
presque  complètement  ;  elle  ne  vit  plus  guère  que  dans  quelques 
rares  cas  de  liaiso'n  :  ils  aim(ent),  ils  donn(ent)  avec  libéralité, 
mais  aim(en)t-ils.  Dans  la  langue  moderne  la  terminaison  -eut 
est  donc  à  regarder  comme  une  syllabe  muette;  elle  compte 
encore  dans  la  mesure  des  vers,  mais  la  poésie  populaire  et 
argotique  la  néglige  constamment  :  Les  garçons  d'à  présent  qui 
cherch'  à  me  tromper  !  (Romania,  VII,  55).  Sont  les  gas  de 
Guérande  qui  viv'  en  bons  garçons  (Decombe,  319).  Si  mes 
parents  ne  le  veut'  pas  (Rolland,  Chansons  populaires,  I,  227). 
Sur  le  mur  ils  coW  tranquillement  Chacun  un  boniment  (Mac 
Nab,  L'électeur  embarrassé).  Pourquoi  qu'ils  ont  des  trains 
royaux  qu'ils  éclabouss'  avec  leur  lusque  (id.,  L'expulsion). 
Voici  un  exemple  du  XVI'^  siècle  :  Quand  ils  fur'  sur  la  brèche 
par  ou  fallait  passer  (Revue  d'hist.  litt.,  VII,  425).  Sur  les  cas 
où  -ent  suit  une  voyelle  et  ne  compte  pas  dans  la  versification 
officielle,  voir  I,  §  273. 

2"  La  terminaison  -ont  s'emploie  aujourd'hui  au  présent  de 
l'indicatif  de  quatre  verbes  :  sont,  ont,  font,  vont,  et  à  tous  les 
futurs:  chanteront,  écriront,  vendront,  recevront;  dans  la  vieille 
langue  on  avait  encore  estont  de  ester.  L'origine  de  sont  n'est 
pas  douteuse:  c'est  le  latin  s  un  t.  Les  quatre  autres  formes 
sont  plus  difficiles  à  expliquer,  et  chacune  d'elles  demande 
son  explication  particulière.  Estont  est  probablement  modelé 
sur  sont;  ont  et  vont  remontent  aux  formes  vulgaires  ='aunt 
(§  123,2)  et  -^vaunt  (§  116,  1);  font  paraît  de  même  supposer 
une  forme  vulgaire  *faunt  (§  127).  Sur  une  extension  dia- 
lectale de  -ont  au  passé  défini,  voir  §  165,  Rem. 

61.  La  terminaison  atone  -ent  (-aient)  est  remplacée  par  -ant 
(-iant),  -aint  (-ient),  -ont  (rarement  -iont)  dans  beaucoup  de 
patois  modernes,  surtout  ceux  du  Sud  et  de  l'Est  (jamais  en 
Normandie  et  Ile  de  France).  Exemples:  Mon  père  aussi  ma 
mère  n'aviant  que  moi  d'enfant  (Pineau;  Folklore  du  Poitou, 
p.  263).  Les  amants  y  venant  (ib.,  p.  264).  C'est  la  servante  et  le 


46 

valet  qui  mentant  la  treue  au  goret  (ib.,  p.  269).  D'autres  qn'étîant 
pus  rich'  que  toué  (ib.,  p.  337),  etc.,  etc.  Le  transport  de  l'ac- 
cent sur  la  finale  est  un  phénomène  assez  répandu;  il  affecte 
tous  les  temps,  surtout  l'imparfait  du  subjonctif  et  de  l'indica- 
tif, et  il  apparaît  de  très  bonne  heure,  mais  est  surtout  fré- 
quent à  partir  du  XIII*'  siècle;  il  appartient  proprement  au 
parler  populaire  et  ne  se  montre  que  rarement  dans  la  litté- 
rature: Cum  il  Jesum  o/c/sesa/?/ (Passion,  v.  174).  Mais  dex  ne 
volt  que  il  le  preïssant  (Jourdains  de  Blaivies,  v.  1241).  Puis 
lor  preia  Que  sa  mère  li  vendissont  (Roman  de  "Troie,  v.  26342). 
Onques  n'outrage  n'i  pensant  (Jean  de  Condé  II,  186).  Dans 
l'ancien  Psautier  lorrain  on  trouve:  chantient,  honorient,  disient, 
puissient,  sachient,  etc.;  dans  les  Chartes  lorraines  publiées  par 
Bonnardot  (Romania,  I,  337):  tuont,  trovont,  decopont,  laixont, 
etc.;  dans  les  Chartes  wallones  publiées  par  M.  Wilmotte  (Ro- 
mania, XVII,  567,  XIX,  84;  cf.  ib.  XV,  132,  XVI,  122):  ame- 
nant, qnittont,  portant,  etc.  Au  XVI^  siècle,  Dubois  admet  dans 
sa  Grammaire  (1531)  esteont  ou  esteent  pour  estaient;  ce  sont 
sans  doute  des  formes  dialectales.  Dauron  remarque  expressé- 
ment que  »les  bonnes  gens  du  Maine  et  du  Poitou  prononcent 
aujourd'hui  iz  alant,  iz  venant  (Livet,  Grammairiens  du  XVb' 
siècle,  p.  172),  et  Bèze  confirme  ce  témoignage:  »Pictones  ad- 
huc  hodie  tertias  personas  plurales  aiment,  disent  sic  efferunt 
vt  participia  aimant,  disant.  <  Comp.  aussi  les  vers  suivants 
d'une  comédie  du  temps,  où  l'on  a  voulu  ridiculiser  le  patois 
des  paysans: 

Ils  disian  qu'ils  disian,  ces  gros  bourgeois  de  la  ville, 
Ils  disian  qu'ils  disian  bian  mieux  que  les  autres  gens. 

{Ane.  th.  fr.,  IX,  229). 

Pour  le  XVII''  siècle  on  peut  citer  les  nombreuses  formes  du 
patois  de  Pierrot  et  de  Charlotte  (Dan  Juan,  II,  se.  1)  :  sayant 
(soient),  nageant,  appelant,  équiant  (étaient),  servant,  boutant, 
avant,  tenant,  etc. 


CHAPITRE  V. 

TYPES   DE   CONJUGAISON. 


62.  Nous  avons  dit  ci-dessus  (§  9)  que  seuls  les  verbes  en 
-cr  et  ceux  en  -ir  présentent  un  système  de  flexion  relative- 
ment complet.  Dans  les  paragraphes  suivants  nous  allons  ex- 
aminer quelques  questions  générales  concernant  ces  deux 
groupes:  de  quels  verbes  ils  se  composent,  leurs  relations 
entre  eux,  ainsi  que  leurs  influences  mutuelles,  et  enfin  les  deux 
flexions  différentes  que  présentent  les  verbes  en  -ir. 

63.  Verbes  en  -er.  Ce  groupe  comprend  primitivement  tous 
les  verbes  d'origine  populaire  remontant  à  la  l'*'  conjugaison 
latine:  chanter  (cantare),  /oHer  (laudare),  porter  (portare), 
etc.,  et  chauffer,  qui  remonte  à  *calefare,  altération  vulgaire 
du  classique  calefacere.  Il  faut  ajouter  les  verbes  empruntés 
au  grec  directement  ou  indirectement:  baptiser,  blâmer,  pâmer, 
parler,  etc.  Ce  groupe  s'est  enrichi  incessamment: 

P  Aux  temps  prélittéraires  les  verbes  germaniques  en  -an 
(ou  -on)  se  sont  assimilés  aux  verbes  romans  en  -are,  d'où 
danser  (vha.  dan  s  on),  épier  (vha.  spehon),  gagner  (^vha. 
weidinon),  gratter  (vha.  *kratton),  etc.  Ajoutons  cingler 
(vnorr.  si  g  la). 

2^  Dès  le  moyen  âge  et  jusqu'à  nos  jours,  tous  les  verbes 
d'origine  savante  remontant  aux  conjugaisons  I,  II,  III  se  mo- 
dèlent sur  les  verbes  en  -er.  Exemples:  ausculter  (au  s  cul- 
tare);  absorber  (absorbëre),  exercer  (exercer e),  persuader 
(persuadëre),  posséder  (possidëre);  affliger  (affligëre), 
céder    (cedëre),    consumer   (consumere),    ériger    (erigëre). 


48 

gérer  (gerëre),  zmjon/îje/"  (imprimer e),  7?é^%e/' (negligëre), 
rédiger  (re digère),  etc.  Ajoutons  les  dérivés  des  verbes  en 
-uere:  arguer  (arguëre),  contribuer  (contribuëre),  destituer 
(destituëre),  vfr.  minuer  (minuëre),  prostituer  (prosti- 
tue re),  etc.  De  la  même  manière  se  comportent: 

3°  Les  verbes  d'origine  étrangère:  trinquer  (ail.  trinken), 
tricoter  (a\\.  strick.en'>),  schlitter,  schloffer,  hâbler  (e^p.  hablar), 
flirter  (angl.  flirt),  stopper  (angl.  stop),  etc. 

4^  La  plupart  des  verbes  dérivés  de  substantifs:  assassiner, 
barrer,  boiser,  crayonner,  draper,  poudrer,  téléphoner,  pédaler, 
bronzer,  nickeler,  adosser,  encombrer,  etc. 

5"  Quelques  verbes  dérivés  d'adjectifs:  fausser,  griser,  mater, 
sécher,  assoler,  aveugler,  engrosser,  etc. 

64.  Rappelons  enfin  quelques  verbes  qui  ont  changé  de 
conjugaison: 

1*^  Épeler,  en  vfr.  espeldre  ou  espelir  (go th.  s  p  il  Ion);  le 
changement  paraît  dû  à  l'influence  de  appeler  grâce  à  une 
analogie  proportionelle  {appelons:  espelons  ^  appeler:  '^espeler). 

2^  Qarer,  doublet  de  guérir,  autrefois  garir,  paraît  tiré  de 
l'ancien  futur  garrai  (comp.  §  212). 

3"  Grogner  a  remplacé  l'ancien  gronir  (grunnire),  peut- 
être  sous  l'influence  de  grigner. 

4^  Gronder  a  remplacé  l'ancien  ^ronrf/r  (grundire,  variante 
de  grunnire). 

5*^  Mouver,  doublet  de  mouvoir,  probablement  emprunté  au 
normand  mouvé,  dont  Vé  final  «  lat.  ë;  I,  §  156)  a  été  assi- 
milé fautivement  au  français  -er  «  -are). 

go  Poigner  a  remplacé  poindre,  au  sens  de  >piquer«.  Le 
point  de  départ  du  changement  de  la  conjugaison  sont  les 
formes  poignant,  poignais,  poignons,  etc.  (;^  soignant,  etc.  — 
soigner).  Littré  cite  comme  un  barbarisme  poigne,  employé  par 
Fréd.  Soulié.  Des  formes  parallèles  se  trouvent  souvent  dans 
les  auteurs  modernes  :  L'anxiété  de  ses  enfants  commence  à  le 
poigner  à  son  tour  (Daudet,  Petite  paroisse,  p.  381).  Le  regret 
de  lui  qui  le  poignerait  là-bas  (Rod,  Trois  cœurs,  p.  232). 
M.  Tobler  cite  ces  exemples  et  plusieurs  autres  dans  les  Ver- 
mischte  Beitràge,  III,  148—149. 

7^  Puer  a  remplacé  l'ancien  joziir  «  ^-^putire,  pour  putêre). 
Comp.  :    Il   put  étrangement   son  ancienneté  {Femmes  savantes, 


49 

II,  se.  7).  On  lit  encore  dans  le  Dictionnaire  de  Trévoux: 
»On  ne  conjugue  point  je  pue  ni  je  puis  comme  il  semble 
qu'on  devroit  conjuguer  mais  je  pus,  tu  pus,  il  put«.  L'assimi- 
lation à  la  1'*^  conjugaison  est  probablement  due  au  verbe 
tuer. 

8®  Sangloter  a  remplacé  l'ancien  sangloutir  (de  *singlut- 
tire  pour  singultire;  cf.  I,  §  518,  i),  encore  employé  par 
Rabelais  (III,  chap.  2);  c'est  probablement  un  dérivé  de 
sanglot. 

9^  Secouer,  en  vfr.  secourre  (suc  eut  ère).  Cette  forme  dis- 
paraît au  XVP  siècle.  Oudin  (1655)  remarque:  »Secourre  n'est 
plus  en  usage,  on  se  sert  de  secouer,  qui  est  régulier  de  la 
conjugaison  :  il  faut  bannir  secouis,  et  secoux«.  Ce  sont  pro- 
bablement secouant,  secouons,  secouais,  etc.  qui  ont  amené 
secouer  (^   louant^  louons,  louais  —  louer). 

10*^  Tisser  a  remplacé  tistre  (texere)  et  tissir.  Le  point  de 
départ  du  changement  est  probablement  à  chercher  dans  tis- 
sant, tissais,  tissage,  etc. 

11°  Tousser  a  remplacé  l'ancien  toussir  (tussire),  encore 
employé  par  Régnier  (Sat.  4)  et  R.  Garnier.  A.  Paré  se  sert 
le  premier  de  tousser,  probablement  dérivé  de  toux. 

65.  Le  groupe  des  verbes  en  -er  a  de  tout  temps  été  le 
plus  nombreux,  il  s'est  enrichi  sans  cesse  et  il  est,  de  nos 
jours,  le  seul  productif.  Aussi  voyons-nous  que  sa  flexion,  qui 
reproduit  celle  de  la  V^  conjugaison  latine,  a  joué  un  rôle  im- 
portant dans  le  développement  du  système  verbal  français,  et 
plusieurs  formes  des  autres  groupes  ont  été  transformées  sur 
le  modèle  des  verbes  en  -are. 

P  Au  participe  présent,  -ans  a  été  généralisé  aux  dépens  de 
-en  s,  -iens;  comp.  cantans,  debens,  se  r  viens  et  chan- 
tant, devant,  servant.  Pour  les  détails,  voir  §  82. 

2°  Au  présent  de  l'indicatif,  -atis  a  été  généralisé  aux  dé- 
pens de  -ëtis,  -ïtis,  -itis;  comp.  cantatis,  debëtis,  scri- 
bitis,  servïtis  et  chantez,  devez,  écrivez,  servez.  Pour  les  dé- 
tails, voir  §  57. 

'd^  Au  passé  défini,  on  constate  au  moyen  âge  une  générali- 
sation sporadique  des  formes  en  -ai.  En  voici  quelques  ex- 
emples:   Bâtèrent    (Epître    de   St.  Etienne,  VIII,    c),    rendarent 

4 


50 

(Nouv.  franc,  du  XIII«'  siècle,  p.  70),  rendast  (ib.,  p.  74),  secou- 
rast  (Ph.  de  Mousket,  v.  31224),  flécha  (Brut  de  Munich,  v.  1462), 
conduisa  (Jean  d'Arras,  Mélusine,  p.  78),  uesta  (ib.,  p.  78),  etc. 
Surtout  cueillir  présente  souvent  un  passé  déf.  en  -ai,  dû  pro- 
bablement à  l'influence  du  présent  analogique  cueille  (§  121). 
Les  passés  définis  en  -ai  appartiennent  de  préférence  au  Nord 
et  au  Nord-Est.  On  les  retrouve  encore  aux  XV^  et  XVF  siècles: 
Trois  fleurs  d'amours  je  cueillay  (ZRPh.,  V,  528).  Et  mon 
père  m'en  batta  tant  (ib.,  525).  Henri  Estienne  blâme  ceux  qui 
disent  j'escriuay,  je  renday,  pour  fescrivi,  je  rendi  (Deux  dia- 
logues, p.  p.  Ristelhuber,  I,  206).  Après  la  Renaissance,  on  ne 
trouve  ces  formes  que  dans  quelques  rares  chansons  popu- 
laires: Tendit  sa  belle  main  blanche,  un  beau  lils  receva  (Ro- 
mania,  X,  378). 

Remarque.  Au  moyen  âge  -er  se  substitue  parfois  à  -eir,  surtout  en 
anglo-noi'mand,  qui  présente  aver  (Chardri,  Josaphat,  v.  88,  246),  saver 
(ib.,  V.  1072),  etc.  Ce  phénomène  devient  très  fréquent  aux  XIII<=  et  XIV^ 
siècles  et  finit  par  s'étendre  aussi  aux  verbes  en  -re  et  -ir;  on  trouve  dans 
les  Contes  de  Bozon  (voir  l'éd.  de  P.  Meyer,  p.  LXII):  acqueller  (accueillir), 
assailer,  cheer,  choiser,  empler.  plagser,  soffrer,  etc.  La  même  tendance  à 
l'unification  au  profit  de  la  f^  conjugaison  s'observe  aussi,  quoique  sur 
une  échelle  moins  grande,  dans  divers  patois  du  Nord  et  du  Midi. 

66*  Verbes  en  -ir.  —  Ce  groupe  comprend  primitivement 
les  verbes  d'origine  populaire  remontant  à  la  quatrième  con- 
jugaison latine:  bouillir  (bu  11  ire),  dormir  (dormire),  mentir 
(*  m  en  tire),  ouïr  (au  dire),  sentir  (sent  ire),  vêtir  (vestire), 
etc.  Il  s'est  enrichi  par  l'apport  des  groupes  suivants: 

1"  Les  verbes  germaniques  en  -jan:  Choisir  (goth.  kausjan), 
fourbir  (vha.  furbjan),  fournir  (vha.  frumjan),  garnir  (vha. 
warnjan),  guérir  (vha.  warjan),  haïr  (goth.  hatjan),  rôtir 
(vha.  rostjan),  etc. 

2"  Quelques  verbes  (inchoatifs)  en  -ëre  qui  ont  changé  de 
conjugaison:  fleurir  (florëre),  languir  (la  n  guère),  moisir 
(mucëre),  poumr  (putrëre),  etc.,  et  em/>//r  (impl ëre),  yoMzr 
(gaudêre),  merir  (merëre),  puïr  (pu ter e),  repentir  (poeni- 
tëre),  resplendir  (splendëre).  Ce  changement  de  conjugaison 
est  prélittéraire. 

3"  Quelques  verbes  en  -ëre  qui  ont  changé  de  conjugaison: 
(en)couvir    (cupëre),    cueillir    (colligëre),    faillir    (fallëre), 


51 

fouir  (fodëre),  frémir  (fremëre),  fair  (fugëre),  gémir  (ge- 
mëre),  ravir  (rapëre),  trahir  (tradëre),  /o////- (to  llëre),  en- 
fa/ii'r  (vadëre),  t;er/z>  (verte re),  yom/>  (v  o  mëre).  Rappelons 
aussi  offrir,  souffrir  (§  72)  et  bénir  (benedicëre),  vfr.  maleïr 
(maledicëre).  Pour  plusieurs  des  verbes  cités,  le  changement 
remonte  assez  haut.  Sur  fugire,  voir  Keil,  Grammatici  laiini, 
IV,  185);  on  trouve  gemire  dans  les  inscriptions  (C.  I.  L.  XII, 
2094). 

4"  Quelques  verbes  savants  introduits  surtout  au  XV*'  et  au 
XVI^  siècle;  plusieurs  de  ces  verbes  sont  morts  maintenant: 
on  ne  dit  plus  affligir,  contribuir,  discutir,  distribuir,  exercir, 
exigir,  prétendir,  procédir,  restituir,  mais  on  a  conservé  abolir 
(abolëre),  agir  (agëre),  applaudir  (applaudëre),  divertir 
(divertëre),  régir  (regëre),  etc. 

5"  La  plupart  des  verbes  tirés  d'adjectifs:  aigrir,  chérir,  bru- 
nir, blêmir,  blondir,  jaunir,  mûrir,  affaiblir,  abrutir,  amincir,  as- 
sainir, assourdir,  enrichir,  enhardir,  refroidir,  etc.  Au  moyen  âge 
le  nombre  de  ces  dérivés  était  encore  plus  grand,  on  disait 
absentir,  asseurir,  aveuglir,  devancir,  engrossir,  séchir,  tardir,  etc. 

6*^  Quelques  verbes  dérivés  de  substantifs:  brandir,  croupir, 
garantir,  meurtrir,  etc.,  etc.;  au  moyen  âge  on  avait  aussi 
baillir,  chevir  (de  chef),  etc.  Ajoutons  les  parasynthétiques 
aboutir,  aguerrir,  anéantir,  atterrir,  avachir,  racornir,  etc.  Quant 
à  fanir,  ce  verbe  n'est  pas  dérivé  directement  de  foin;  c'est 
probablement  une  altération  de  faner  (l,  §  162),  due  à  l'in- 
fluence de  fleurir,  flétrir.  Vaugelas  remarque:  »  Faner,  fanir, 
fenir  sont  également  bons  et  signifient  une  mesme  chose.  Mais 
faner  est  encore  plus  usité  que  les  deux  autres  «  (Remarques, 
II,  385).  On  ne  forme  plus  des  dérivés  en  -ir  avec  des  sub- 
stantifs ;  la  création  moderne  tripolir  dérive,  il  est  vrai,  de  tri- 
poli,  mais  il  y  a  là  une  sorte  de  contamination  de  polir  (le 
dérivé  régulier  serait  tripoliser;  comp.  charivariser). 

7"  Étrécir,  qui  a  remplacé  le  primitif  estrecier,  sous  l'in- 
fluence des  verbes  en  -cir. 

67.  Les  verbes  en  -ir  se  divisent  en  deux  classes,  dont  l'une 

reproduit    la    conjugaison    simple  des  verbes   latins   en    -ire, 

tandis  que    l'autre   présente  à  certains  temps  un  allongement 

du  radical   par  l'insertion  d'une   syllabe   dite  inchoative  -iss- 

(-is).  Comp.  les  formes  suivantes: 

4* 


52 

servant  sers  servons  servais  serve 

finissant  finis  finissons         finissais        finisse 

Cette  syllabe  tire  son  origine  du  latin  -esc-  dans  floresco, 
devenu  *florisco  sous  l'influence  de  l'infinitif  vulgaire  *flo- 
rire  pour  florere,  et  du  passé  déf.  vulgaire  *florivi  pour 
florui  (on  a  conservé  paresco  devenu  pareis,  parais,  parce 
qu'il  n'y  avait  pas  d'infinitif  par  ire;  comp.  *nasco  )  nais, 
pasco  )  pais,  cognosco  )  connais).  Par  des  raisons  pra- 
tiques on  a  conservé  à  cette  syllabe  le  nom  d'inchoative,  mais 
c'est  là  une  dénomination  toute  historique  et  qui  ne  répond 
plus  à  rien  de  réel  :  -iss-  a  tout  à  fait  perdu  sa  signification 
et  n'indique  pas  comme  en  latin  le  commencement  d'une  ac- 
tion; ce  n'est  maintenant  qu'une  syllabe  de  flexion  qui  ne 
change  rien  à  la  signification  du  verbe. 

Remarque.  On  emploie  -iss-,  comme  nous  l'avons  vu,  au  participe  pré- 
sent, au  présent  de  l'ind.,  au  présent  du  subj.,  à  l'imparfait  de  l'ind.,  et  à 
l'impératif.  Si  l'on  sort  de  la  langue  littéraire,  on  voit  que  le  domaine  de 
-iss-  est  encore  plus  grand  et  qu'il  embrasse  aussi  le  passé  défini  et  le  part, 
passé.  Jaubert  cite  ainsi,  pour  les  patois  du  Centre,  je  mentissis.,  sentissis, 
recouvrissis,  souffrissis;  finissii,  gémissu,  haïssu,  etc.  Pour  d'autres  détails, 
voir  A.  Risop,  Geschichie  der  franz.  Konjugation  auf  -ir,  p.  118  ss. 

68.  La  conjugaison  simple  était  primitivement  la  plus  em- 
ployée, l'autre  ne  comprenant  que  les  dérivés  des  verbes  in- 
choatifs  latins.  Cependant,  la  conjugaison  inchoative  gagne  vite 
du  terrain  ;  elle  conquiert  d'abord  les  verbes  d'origine  germa- 
nique (excepté  guerpir  et  haïr,  qui  ne  présentent  pas  à  l'origine 
des  formes  inchoatives),  puis  peu  à  peu  la  plus  grande  partie 
des  autres  verbes,  de  sorte  que  le  groupe  simple  n'est  représenté 
de  nos  jours  que  par  une  dizaine  de  verbes:  dormir,  mentir, 
partir,  se  repentir,  sentir,  servir,  sortir;  assaillir,  bouillir,  cueillir 
(nous  n'avons  pas  ici  à  tenir  compte  de  couvrir,  offrir,  ouvrir, 
souffrir,  vêtir,  dont  le  part,  passé  n'est  pas  en  -/,  ni  de  courir, 
quérir,  tenir,  venir,  mourir).  Voici  maintenant  quelques  obser- 
vations sur  le  passage  de  la  conjugaison  simple  à  la  conjugai- 
son inchoative;  on  verra  que  même  les  verbes  restés  simples 
dans  la  langue  littéraire,  offrent,  dans  les  anciens  dialectes 
comme  dans  les  patois  modernes,  des  exemples  de  l'immixtion 
de  -iss-. 


53 

69.  Verbes  simples  devenus  inchoatifs: 

P  Bénir.  La  flexion  inchoative  était  générale  au  moyen  âge; 
on  trouve  déjà  dans  le  Roland:  E  si  evesque  les  ewes  he- 
neîssent  (v.  3667).  Au  présent  du  subj.  l'usage  hésite  longtemps 
entre  beneïe  et  beneïsse.  Encore  Amyot  se  sert  de  la  formule 
»que  Dieu  benie«  ;  c'était  un  pur  archaïsme  au  XVI*^  siècle. 
L'analogie  de  bénir  a  influé  sur  maudire  et  provoqué  les 
formes  maudissant,  maudissons,  maudissais,  maudisse. 

2'^  Croupir.  E.  Deschamps  se  sert  encore  des  formes  simples: 
L'autre  en  vain  se  crout  {Œuvres  complètes,  II,  97).  Eau  crou- 
pissante était  au  moyen  âge  yaue  croupant.  Dérivé  :  accroupisse- 
ment. 

3^  Emplir.  Les  formes  simples  s'employaient  encore  au 
XVP  siècle:  Car  ilz  emplent  bien  leur  godet  {Ane.  théâtre  franc., 
III,  379).  Les  formes  inchoatives  apparaissent  déjà  dans  le 
Psautier  de  Cambridge.  Dérivés  :  emplage,  remplace,  et  d'après 
la  conjugaison  analogique:  remplissage,  remplisseur. 

4"  Faillir.  Au  sens  de  'faire  faillite'  ce  verbe  se  conjugue 
maintenant  régulièrement  sur  le  modèle  de  finir. 

5"  Fouir,  enfouir.  Les  formes  simples  s'emploient  jusqu'à  la 
Renaissance  :  Ung  champ  de  terre  Auquel  on  enfoue  et  enterre 
Les  povres  pèlerins  (Greban,  La  Passion,  v.  21710).  Dérivés: 
enfouissement,  enfouisseur ;  fouisseur  est  déjà  dans  Oresme  (en- 
viron 1380). 

6"  Qloutir,  engloutir.  La  conjugaison  inchoative  l'a  emporté 
déjà  au  moyen  âge.  Dérivés  :  engloutissement,  engloutisseur  (qui 
a  remplacé  englouteur). 

7"  Guerpir,  déguerpir.  Les  formes  simples  ne  se  trouvent 
que  dans  quelques  textes  isolés  (notamment  Benoît  de  S*^  More, 
Chronique  des  Ducs  de  Normandie);  partout  ailleurs  on  em- 
ploie les  formes  inchoatives.  Dérivé:  déguerpissement. 

S*'  Haïr.  Ce  verbe  est  resté  simple  jusqu'à  la  Renaissance 
et  Noël  du  Fail  dit  encore  hayoit  {Œuvres  facétieuses,  I,  115). 
Les  formes  inchoatives,  dont  on  ne  trouve  que  de  rares  traces 
au  moyen  âge,  deviennent  générales  vers  la  fin  du  XVI*'  siècle. 
De  l'ancienne  conjugaison  simple  la  langue  moderne  a  retenu 
une  seule  forme,  je  hais  (§  126, 2). 

9"  Jouir.  Au  moyen  âge,  les  formes  simples  s'employaient  à 
côté  des  formes  inchoatives.  On  avait  également  jouiance,  joui- 
ahle,  à  côté  de  jouissance,  jouissable. 


54 

10®  Nourrir.  La  conjugaison  inchoative  l'emporte  de  très 
bonne  heure  sur  la  simple.  On  trouve  encore  dans  un  des 
contes  de  Baudouin  de  Condé  (éd.  A.  Scheler,  I,  p.  108,  v.  35) 
le  présent  primitif:  Envie  envenimée,  u  neiire  Tous  maus; 
mais  les  copistes,  qui  disent  norist,  ne  comprennent  plus  u 
neure  et  l'ont  remplacé  par  enneure. 

11®  Resplendir.  Une  dernière  trace  des  formes  simples  se 
trouve  dans  Palsgrave  qui  mentionne  je  resplens  à  côté  de  je 
resplendis;  mais  il  ajoute  »all  other  tenses  be  ever  usedofthe 
sec.  conj.« 

12®  Vertir  et  les  composés  avertir,  convertir,  pervertir,  re- 
veriir  abandonnent  de  bonne  heure  la  conjugaison  simple.  On 
trouve  dans  la  Vie  de  St.  Alexis  reverl  (v.  70)  ;  mais  le  Roland 
offre  déjà  cunvertisset  (v.  3674). 

70.  Verbes  simples  montrant  sporadiquement  des  formes  in- 
choatives  : 

1®  Bouillir.  On  trouve  au  moyen  âge  bouillissant,  esbouillisse, 
parbouillisse,  etc.,  mais  la  conjugaison  siinple  l'emporte.  Dé- 
rivés :  débouillage  et  débouillissage. 

2®  Couvrir.  Des  formes  inchoatives  s'emploient  dans  les 
patois  :  Quand  la  belle  n'a  vu  cela,  la  belle  n'a  tombé  morte. 
Couvrissez-\a  de  mon  manteau  et  mettez-la  dans  mon  tombeau 
(Romania,  VII,  p.  76). 

3®  Cueillir.  Des  formes  inchoatives  s'emploient  dans  les 
patois:  Que  sert  d'être  auprès  du  rosier,  sans  en  pouvoir 
cueillir  la  rose?  Cueillissez,  amant,  cueillissez,  car  c'est  pour  vous 
qu'elles  sont  écloses  (Romania,  VII,  61).  Littré  blâme  cueillis- 
sage,  au  lieu  de  cueillage,  comme  »une  forme  barbare*. 

4®  Mentir.  Des  formes  inchoatives  s'emploient  dans  les  pa- 
tois. Au  Centre  on  dit  au  présent  je  mentis  et  au  passé  déf. 
je  mentissis  (voir  le  Glossaire  du  C*^  de  Jaubert). 

5®  Partir.  La  conjugaison  simple  a  prévalu  après  beaucoup 
d'hésitations.  Les  formes  inchoatives  remontent  très  haut;  on 
lit  déjà  dans  le  Roland:  El  plus  espes  sis  rumpent  e  partis- 
sent (v.  3529).  Répartir,  impartir,  mipartir  se  conjuguent  sur 
finir. 

6®  Saillir.  Ce  verbe  se  conjugue  de  deux  manières  différentes 
selon  la  signification  qu'on  y  attache.  Au  sens  de  'être  en 
saillie'   il  a  conservé   l'ancienne   conjugaison   simple:   //  saille, 


55 

saillant,  il  saillait,  il  saillera;  du  reste  ces  formes  ne  sont  pas 
très  usitées;  la  conjugaison  simple  s'emploie  aussi  dans  les 
composés  assaillir  et  tressaillir.  Au  sens  de  'jaillir',  au  contraire, 
il  se  conjugue  comme  les  inchoatifs:  saillissant,  saillis,  saillis- 
sais, saillirai.  Cette  flexion  a  même  envahi  le  composé  tres- 
saillir, auquel  plusieurs  écrivains  du  XVIIP  siècle  ont  prêté 
un  nouveau  présent  je  tressaillis  au  lieu  de  je  tressaille  (pour 
les  exemples,  voir  Littré). 

7^  Sortir.  La  conjugaison  simple  a  prévalu  après  beaucoup 
d'hésitations;  on  trouve  encore  dans  Palsgrave  nous  sortissons. 
Ajoutons  que  notre  verbe  en  terme  de  jurisprudence  ('obtenir') 
a  gardé  les  anciennes  formes  inchoatives.  Quant  aux  com- 
posés, ressortir  (sortir  de  nouveau)  se  conjugue  comme  sentir, 
tandis  que  ressortir  (être  du  ressort  de)  se  conjugue  comme 
finir. 

8^  Vêtir.  Ce  verbe  a  gardé  la  conjugaison  simple  jusqu'à 
nos  jours,  au  moins  officiellement,  car  dès  le  moyen  âge  des 
formes  inchoatives  se  montrent  assez  souvent.  Malherbe  blâme 
chez  Desportes  vestit  pour  vest,  Vaugelas  défend  revestant,  re- 
vestois  contre  revestissant,  revestissois  (Remarques,  I,  369),  et  plu- 
sieurs auteurs  classiques,  depuis  Bossuet  et  Voltaire  jusqu'à 
Lamartine,  s'obstinent  à  dire  je  vêtis,  je  vêtissais,  pour  je  vêts, 
je  vêtais.  Investir,  qui  se  conjugue  comme  finir,  est  un  mot 
savant.  Dérivés:   Vêtement,  revêtement,  investissement. 

Remarque  l.  Il  est  curieux  de  constater  qu'un  verbe  en  -re,  bruire,  pré- 
sente des  formes  inchoatives  dues  à  une  assimilation  fautive.  Ainsi,  à  côté 
de  bruyant,  bruyais  l'usage  introduit  bruissant,  bruissais  employés  par  Ber- 
nardin de  St.  Pierre,  Chateaubriand.  Lamartine  et  d'autres.  Ces  formes,  aux- 
quelles s'ajoute  un  nouveau  subj.  que  je  bruisse,  ont  été  faites  sur  le  modèle 
de  bruissement  (dérivé  fautif  de  bruire,  et  qui  a  remplacé  l'ancien  bruie- 
ment);  les  puristes  les  ont  condamnées.  Rappelons  que  Boissonade  corrige 
dans  Chateaubriand  bruissaient  en  bruyaient  (Revue  d'hist.  littéraire,  V,  282). 

Remarque  2.  Les  verbes  de  forme  inchoative  ne  passent  jamais  à  la  forme 
simple.  Les  fautes  de  ce  genre  font  sourire.  Une  des  plaisanteries  favorites 
du  célèbre  clown  Auriol  (1808—1881)  était  de  s'écrier:  S'il  faut  périr,  pé- 
rons!  en  parodiant  ainsi  certains  vers  tragiques  de  Corneille  (voir  Alexandre, 
Les  mots  qui  restent,  p.  143). 

71.  Les  verbes  en  -ir,  beaucoup  plus  nombreux  que  ceux  en 
-re  ou  -oir,  sont  pourtant  très  inférieurs  en  nombre  à  ceux  en 
-er.  Leur  influence  sur  les  autres  groupes  n'est  pas  très  grande; 


56 

elle  se  réduit  à  peu  près  à  la  généralisation  au  passé  défini 
de  -is,  qui  remplace  -ai,  moins  souvent  -us.  Les  formes  ana- 
logiques en  -is  se  rencontrent  dès  le  moyen  âge  jusqu'à  nos 
jours;  elles  appartiennent  surtout  à  l'Est.  Dans  un  manuscrit 
bourguignon  du  XI V*^  siècle,  M.  P.  Meyer  a  signalé  arestist, 
morit  (Romania,  VI,  46).  Comp.  devancist  (ib.,  VII,  191),  tro- 
vit  (Floovent,  v.  6),  aportireut  (v.  1228),  etc.  Les  parfaits  en  -/ 
étaient  très  employés  au  temps  de  la  Renaissance:  Avecques 
elle  me  couchy  (Paris,  Chansons  pop.  du  XV^  siècle),  fengagis 
(Ane.  th.  fr.,  II,  267),  frappit  (ib.,  I,  276);  on  trouve  aussi 
dans  Rabelais  tombit,  arrachit,  franchit,  etc.,  etc.;  mais  grâce 
aux  efforts  réunis  des  poètes  et  des  grammairiens,  qui  les 
condamnent  à  qui  mieux  mieux,  ils  ne  tardent  pas  à  dis- 
paraître de  la  langue  littéraire.  Citons  à  titre  de  curiosité  une 
épigramme  (n°  276)  de  Clément  Marot  sur  »  quelques  mauvaises 
manières  de  parler  «  : 

Collin  s'en  allit  au  Lendit 
Où  n'achetit  ni  ne  vendit, 
Mais  seulement,  i\  ce  qu'on  dit, 
Dérobit  une  jument  noire. 
La  raison  qu'on  ne  le  penda 
Fust  que  soubdain  il  responda, 
Que  jamais  autre  il  n'entenda, 
Sinon  que  de  la  mener  boire. 

(Cl.  Marot,  Œuvres.  La  Haye,  1731.  Vol.  III,  197.) 

Henri  Estienne  observe  dans  sa  Grammaire:  »Au  parfait,  plu- 
sieurs disent:  falli,  tu  allis,  il  allit,  je  bailli,  je  mandi  pour 
j'allay,  tu  allas,  il  alla,  je  baillay,  je  manday,  et  au  contraire, 
je  cueillay,  j'escrivay,  je  renday,  je  venday  pour  je  cueilli,  jescrivi, 
je  rendi,  je  vendi:  c'est  surtout  à  la  première  personne  que 
cette  faute  se  commet,  et  tel  qui  dit  je  venday  ne  dira  pas  il 
venda<<  (comp.  Livet,  La  Grammaire  française,  p.  436,  341). 
Après  le  XVP  siècle,  les  formes  en  -is  ne  se  rencontrent  que 
dans  les  patois  et  le  langage  populaire.  Le  paysan  Gareau 
dans  le  Pédant  joué  les  emploie  à  tout  moment:  je  ramenis, 
il  demeurit,  il  épousit,  nous  allimes,  etc.  Citons  encore  une  chan- 
son du  XVIF  siècle:  »I1  m'enfermit  dans  notre  cave  —  Et  me 
traitit  comme  un  esclave  —  J'y  demeuris  toute  la  nuit«,  etc. 
(Paris  burlesque,  p.  111),  et  un  fragment  d'une  lettre  de  1739 
(publiée  dans  M.  F,  Talbert,    De  la  prononciation    en  France. 


57 

Paris  1887.  P.  39),  où  il  s'agit  d'un  voyageur  qui  raconte  la 
rencontre  qu'il  a  faite  sur  la  Loire  de  deux  femmes  de  la  pro- 
vince: »Ces  deux  Comeres  étaient  assez  gentilles,  et  leur  ma- 
nière de  changer  la  terminaison  des  Aoristes,  me  divertit  bau- 
coup.  —  Quand  je  passis  par  ici,  disoit  l'une,  je  couchis  à 
Coiron  (c'est  un  bourg  situé  sur  le  bord  de  la  Loire).  —  Et 
moi,  reprenoit  l'autre,  je  n'y  couchas  pas  ;  je  sai  par  expérience 
qu'il  y  fait  cher  vivre;  f allas  jusqu'au  Pèlerin  (c'est  encore 
une  paroisse  de  l'autre  côté  de  la  Loire).  —  Voilà  comme 
toute  leur  conversation  raisonoit  en  is  et  en  as«.  On  en  trouve 
aussi  beaucoup  d'exemples  dans  les  chansons  populaires,  non 
seulement  dans  les  rimes,  mais  aussi  hors  des  rimes:  retournit: 
liit  (Romania,  X,  367),  veni:  presentit  {ib.,  376),  amt:  fini  (Rol- 
land, I,  78),  elle  regardit  (Romania,  X,  378),  il  Venvoyit  {ib.,  XI, 
587),  etc.  Rappelons  enfin  les  fameux  vers  sur  Carabi,  qui 

Monta  sur  un  arbre 
Pour  voir  ses  chiens  couri. 
Mais  la  branche  cassit. 
Et  Carabi  tombit. 


CHAPITRE  VI. 

L'INFINITIF. 


72.  Le  latin  connaissait  quatre  terminaisons  difïérentes  (-are, 
-ère,  -ëre,   -ireX  Q^^    toutes    ont   été  reproduites   en   français: 

^  cantare  >  chanteiy^eb  ër e  )  devoir,  perdëre  }  perdre,  sen- 
ti re  >  sentir.  Les  quelques  infinitifs  qui  présentaient  une  ter- 
minaison spéciale  ont  été  refaits:  ^^E  s  se"  est  devenu  *essëre, 
d'où  estre,  ê/reJ(comp.  it.  essere;  prov.  esser;  esp.,  port.  ser). 
P  os  se  a  été  remplacé  par  *potëre  (voir  ALLG,  II,  46),  d'oîi 
£oeir,  pooir,  pouvoir  (comp,  roum.  putea,  it.  potere,  esp.  poder). 
Velle  a  été  remplacé  par  *  vol  ëre  (les  inscriptions  donnent 
voles,  volet;  C.  I.  L.  IV,  1863,  1950,  1751;  X,  4972),  d'où 
vouloir  (comp.  roum.  vrea,  it.  volere,  prov.  voler).  Offerre  et 
sufferre  sont  devenus  *offerire  et  *sufferire,  d'où  offrir, 
souffrir  (comp.  it.  offerire,  sofferire;  prov.  ufrir,  suffrir);  sur  une 
continuation  hypothétique  des  infinitifs  classiques,  voir  §  214,  3. 

Remarque.  Dans  la  langue  moderne  le  mot  /ic/ie,  qui  est  originairement 
une  substitution  euphémistique  (I,  §  120),  peut  prendre  les  fonctions  de  l'in- 
finitif sans  en  avoir  la  forme:  Je  ne  saurais  plus  fiche  une  machine  comme 
ça  (Concourt,  Manette  Salomon,  p.  412).  Tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  commode 
pour  se  fiche  par  la  fenêtre  (Daudet,  Sapho,  p.  227).  J'avais  envie  de  les 
fiche  à  bas.  Tu  vas  te  faire  fiche  à  la  porte,  toi. 

73.  ARE.  Cette  terminaison  se  développe  de  deux  manières 
différentes  selon  la  nature  de  la  consonne  précédente: 

1"  Non  précédé  d'une  palatale,  -are  devient  -er:  cantare 
)  chanter,  porta  re  >  porter,  donare  >  donner,  etc.  Sur  la 
prononciation  de  cet  -er,  voir  I,  §  172. 


59 

2°  Précédé  d'une  palatale,  -are  devient  -ier  (I,  §  192):  ju- 
dicare  y  jugier,  laxare  )  laissier,  tractare  )  traitier,  vigi- 
lare  )  veillier,  etc.  A  la  fin  du  moyen  âge  cet  -ier  devient -er 
au  Centre,  grâce  à  un  développement  en  même  temps  ana- 
logique et  phonétique  (I,  §  193):  jugier  }  juger,  laissier  >  lais- 
ser, etc. 

Remarque,  Un  pareil  développement  de  l'a  se  retrouve  au  participe  passé 
(judicatus  >  jugiez),  à  la  2^  pers.  plur.  du  prés,  de  l'ind.  (judicatis  > 
jugiez)  et  à  la  3^  pers.  plur.  du  passé  déf.  (judicaverunt  >  jugierent). 

74.  ERE  (avec  ë  long)  se  développe  de  deux  manières  dif- 
férentes, selon  la  nature  de  la  consonne  précédente. 

P  Non  précédé  d'une  palatale,  -ère  devient  régulièrement 
-eir,  plus  tard  -oir  (I,  §  155):  ha b ère  >  aveir,  avoir;  debere 
)  deveir,  devoir;  videre  )  veeir,  veoir,  voir;  manere  )  ma- 
noir; do  1ère  )  douloir  ;  cal  ère  )  chaloir;  movere  >  mou- 
voir, etc.;  ajoutons  encore  *  pot  ère  (§  72)  >  pooir,  pouvoir; 
"'volere  (§  72)  >  vouloir.  Dans  cadëre,  fallëre,  pluëre, 
sapëre,  la  terminaison  -ëre  a  été  remplacée  par  -ëre,  d'oii 
choir,  falloir,  pleuvoir,  savoir. 

Remarque.  On  emploie  sporadiquement  au  moyen  âge  -oir  au  lieu  de 
-er.  Le  Dictionnaire  de  Godefroy  donne  des  exemples  de  esprouvoir,  resprou- 
voir,  sauvoir,  trouvoir.  Dans  les  dialectes  du  Nord  on  trouve  osoir. 

2"  Précédé  d'une  palatale,  -ëre  devient  -ir  (I,  §  191):  ja- 
cere  )  gésir,  licere  )  loisir,  lucere  )  luisir,  nocere  )  nui- 
sir,  placere  )  plaisir,  tacere  )  taisir.  De  ces  formes,  la 
langue  moderne  n'a  guère  conservé,  en  fonction  d'infinitif,  que 
gésir.  Dès  le  XIP  siècle,  luisir  et  nuisir  sont  remplacés  par  luire 
et  nuire  (^  cuire),  plaisir  et  taisir  par  plaire  et  taire  {jà.  faire). 
Loisir  est  mort  depuis  longtemps  comme  infinitif;  il  a  été 
conservé  comme  substantif  ainsi  que  plaisir. 

75.  Doublets.  Plusieurs  verbes  en  -oir  avaient  des  formes 
collatérales  en  -re  ou  -ir. 

1*^  A  côté  de  -oir,  on  trouve  -re  dans:  ardoir  —  ardre,  dou- 
loir —  doudre,  manoir  —  moindre,  semonoir  —  semondre,  con- 
cevoir —  conçoivre,  percevoir  —  perçoivre,  recevoir  —  reçoivre, 
mouvoir  —  muevre,  etc.  Ces  formes  en  -re  remontent  à  des 
infinitifs  vulgaires  en  -ëre,  ou  sont  tirées  du  futur:  le  point  de 

/ 


60 

départ  de  doudre  est  probablement  doudrai  (*doleraio;  cf. 
§  216);  ardre  peut  s'expliquer  par  ardrai  ou  dériver  de  *ar- 
dëre     (comp.    it.    ârdere;    lad.    ârder ;    roum.    ardea).    Comp. 

§  79, 2. 

2°  A  côté  de  -oir  on  trouve  -ir  dans  les  trois  verbes  cheoir, 
seoir,  veoir.  Les  doublets  cheïr,  seïr,  veîr  sont  assez  répandus; 
on  les  trouve  surtout  dans  le  Vermandois,  la  Flandre,  le  Hai- 
naut,  le  Liégeois,  mais  ils  apparaissent  aussi  dans  la  Franche- 
Comté  et  même  dans  l'Ile-de-France  (voir  Pèlerinage  de  Charle- 
magne,  v.  31,  442;  Aiol,  v.  3996;  Richart  le  Beau,  v.  2335; 
Chev.  as  deus  espées,  v.  7678;  Aucass.  et  Nicol.,  etc.,  etc.).  Plu- 
sieurs textes  emploient  à  la  fois  les  deux  formes;  on  trouve 
ainsi  dans  le  Bastart  de  Bouillon  veoir  (v.  361),  veïr  (v.  1286) 
et  même  vir  (v.  290,  522).  Elles  sont  probablement  l'effet  d'une 
analogie  dont  le  point  de  départ  est  le  passé  défini  en  -it  (les 
autres  verbes  en  -oir  ont  -ut).  —  Les  fameuses  formes  savir  et 
podir  des  Serments  de  Strasbourg  ne  sont  probablement  que 
des  notations  gauches  pour  saveir  et  podeir  (comp.  dans  les 
mêmes  textes  sit  pour  seit). 

3"  Tenëre,  qui  a  donné  en  français  tenoir  et  tenir,  demande 
un  examen  à  part.  On  trouve  tenir  déjà  dans  la  Vie  de  St. 
Alexis,  où  cette  forme  est  assurée  par  l'assonance  (v.  151,596), 
mais  dans  St.  Léger  il  y  a  tener,  qui  assonne  avec  aver  (v.  99), 
et  plusieurs  textes  postérieurs  présentent  alternativement  les 
deux  formes;  ainsi  Raoul  de  Cambrai  emploie  tenir:  gehir 
(v.  335)  et  tenoir:  ardoir  (v.  3834).  L'infinitif  tenir  ne  remonte 
pas  à  l'époque  du  latin  vulgaire  (cf.  roum.  tinea;  ital.  tenere; 
esp.  tener;  port,  ter),  c'est  une  forme  analogique  postérieure 
due  à  l'influence  de  venir. 

76.  ERE  (avec  è  bref)  devient  -re:  credere  )  croire,  per- 
dere  )  perdre,  légère  )  lire,  ducere  >  duire,  molere  > 
moudre,  plangere  >  plaindre,  cognoscere  >  connaître,  etc. 
Notez  scribere  )  escrivre  )  escrire,  et  bibere  )  beivre,  boivre 
)  boire.  Sur  currere  et  qu aérer e,  qui  donnent  courre  et 
guerre,  au  lieu  de  cour  et  quer  (comp.  ferrum  }  fer),  voir  ci- 
dessus  §  49,2.'  Dans  mordëre,  respondêre,  ridëre,  ton- 
dëre,  torquêre,  la  terminaison  -ëre  a  été  remplacée  par 
-ëre,  d'où  mordre,  répondre,  rire,  tondre,  tordre. 


61 

Remarque.  Sous  l'influence  des  formes  en  -ir  (§  78)  on  trouve  parfois  au 
moyen  âge  confir,  desconfir,  suffir,  occir,  circoncir,  etc.  Déjà  le  fragment 
d'Alexandre  offre  dir  (v.  39). 

77.  Doublets.  Plusieurs  verbes  en  -re  avaient  une  forme 
collatérale  en  -ir: 

P  Courre  <(  currëre;  le  doublet  courir,  qui  l'emporte,  ap- 
paraît seulement  à  la  fin  du  moyen  âge.  Vaugelas  soutient 
qu'il  faut  dire  faire  courir  le  bruit,  mais  il  admet  courre  for- 
tune et  courre  la  poste  (Remarques,  I,  400).  Aujourd'hui,  courre 
ne  s'emploie  que  comme  terme  technique;  on  dit  courre  le  cerf, 
laisser  courre  les  chiens,  une  chasse  à  courre,  courre  un  cheval; 
partout  ailleurs   l'ancienne   forme  a  été  supplantée  par  courir. 

2^  Naistre  <(  *nascëre;  le  doublet  nasquir,  dû  au  passé 
défini  nasquis  (§  180,  i.  Rem.)  s'employait  encore  au  XVP  siècle 
(Livet,  La  grammaire,  etc.,  p.  228). 

3°  Querre  (  quserëre;  le  doublet  gumV,  qui  l'emporte  dans 
acquérir,  conquérir,  n'est  pas  ancien.  On  dit  acquerre  et  con- 
querre  encore  à  la  fin  du  XVI^  siècle  (Garnier,  Antigone,  v.  814; 
Cornélie,  v.  1641). 

4°  Rompre  <  rumpëre;  le  doublet  rompir  (Mort  de  Garin, 
p.  247),  peu  employé,  a  été  tiré  du  passé  déf.  rompis. 

5®  Suivre  <(  *  s  e  q  u  ë  r  e  ;  le  doublet  suivir  est  tiré  de  suivis. 
Encore  R.  Garnier  se  sert  de  poursuyvir  (Porcie,  v.  833). 

6°  Vaincre  <(  vincëre;  le  doublet  yainguzr  (Greban,  La  Pas- 
sion, V.  20682)  est  tiré  de  vainquis. 

70  Vivre  <  vivëre;  le  doublet  peu  fréquent  vesquir  est  tiré 
de  vesquis  (§  176, 2).  ~~ 

Remarque.  Le  même  verbe  présente  parfois  jusqu'à  cinq  ou  six  formes 
à  l'infinitif.  Examinons  comme  exemple  t  rem  ère,  représenté  dans  la  vieille 
langue  par  criembre,  criendre,  craindre,  cremer,  cremir,  cremoir.  La  forme 
étymologique  est  criembre,  dont  criendre  et  craindre  sont  des  modifications 
analogiques  dues  à  l'influence  de  plaindre  et  du  présent  étymologique  criem 
(§  47).  Cremer  est  tiré  des  formes  cremons,  cremoie,  cremant  (comp.  semer, 
semons,  semoie,  semant,  et  §  64,9);  cremir  peut  être  dû  à  une  autre  analogie 
des  mêmes  formes  (servir  —  servons,  servoie,  servant);  cremoir,  enfin,  est 
tiré  de  crema,  cremui  (comp.  §  93). 

78.  IRE  devient  -ir:  audire  )  ouïr,  se  r  vire  )  servir,  ve- 
nire  >  venir,  etc.  Sur  les  verbes  en  -ëre  et  -ëre  qui  ont 
changé  de  conjugaison,  voir  §  66.  Notez  le  développement  de 
•■•'fugire  >  fuir  >   fuir  [fyir]  (comp.  I,  §455).  Au  XVIP  siècle, 


62 

-ir  se  prononçait  -/  (voir  I,  §  364);  la  consonne  finale  a  re- 
paru dans  la  langue  cultivée,  mais  elle  est  ordinairement 
muette  dans  les  patois:  Mon  fi,  quand  la  feras -tu  mouri 
(Bujeaud,  Chants  et  chansons  populaires,  II,  231).  Ne  tarde  pas 
à  s'endormi  (ib.).  Reveni  {ib.,  II,  244).  J'irions  vous  le  quéri 
(Decombe,  Chansons  populaires,  p.  214).  Qui  m'empêche  de 
dormi  (Roinania,  X,  196),  etc. 

Remarque.  Sous  l'influence  des  formes  en  -(u)ire  (§  76)  on  trouve  parfois 
au  moyen  âge  faire,  paire,  etc.  Il  y  a  hésitation  entre  bénir  et  benire;  cette 
dernière  forme  est  encore  employée  par  Garnier  {Cornélie,  v.  906). 

79.  Doublets.  Plusieurs  verbes  en  -ir  ont  une  forme  col- 
latérale en  -oir  ou  -re. 

P  A  côté  de  faillir  (de  *f  al  lire  pour  faUëre;  cf.  it.  fal- 
lire,  prov.  falhir)  on  trouve  falloir,  création  plus  récente.  On  a 
gardé  les  deux  infinitifs,  et  le  verbe  primitif  s'est  scindé  en 
deux:  faillir  a  conservé  sa  signification  primitive  telle  quelle, 
tout  en  l'élargissant  un  peu,  tandis  que  falloir,  de  l'idée  de 
manque,  est  arrivé  à  l'idée  de  besoin:  'l'argent  lui  faut',  c'est- 
à-dire:  l'argent  lui  manque,  devient:  l'argent  lui  fait  besoin, 
l'argent  lui  est  nécessaire. 

2^  A  côté  de  -ir  on  trouve  -re  dans:  assaillir  —  assaudre, 
bouillir  —  boudre,  grondir  —  grondre,  issir  —  istre,  tollir  —  toldre; 
découvrir  —  découvre,  couvrir  —  couverre,  souffrir  —  souferre, 
ferir  —  ferre,  etc.  L'origine  de  beaucoup  de  ces  formes  en  -re 
est  probablement  à  chercher  dans  le  futur  (comp.  §  75,  i). 

80.  Rapport  de  l'infinitif  avec  les  autres  temps.  L'infinitif 
est  surtout  lié  au  futur  qu'il  influence  et  dont  il  est  influencé; 
on  constate  aussi  l'existence  d'un  rapport  moins  étroit  entre 
l'infinitif  et  le  présent  et  le  passé  défini. 

1"  Un  nouvel  infinitif  est  parfois  tiré  du  futur:  ainsi  istre 
pour  eissir  provient  de  istrai  (^^  naistrai  —  naistre),  autre  forme 
de  eissirai.  Nous  avons  cité  ci-dessus  plusieurs  infinitifs  formés 
de  la  même  manière;  ajoutons  tindre  et  vindre  employés  dans 
beaucoup  de  patois  modernes  pour  tenir  et  venir  (voir  Nisard, 
Langage  populaire,  p.  234,  et  le  Glossaire  du  C**"  de  Jaubert). 
Comp.  ci-dessous  §  216, 2. 

2°  Un  nouvel  infinitif  est  parfois  tiré  des  passés  définis 
en  -is;    nous   avons   déjà  cité   nasquir,    rompir,   suivir,    vesquir 


63 

(§  77);  ajoutons  évanouir  de  évanouit,  tiré  directement  de  eva- 
nuit  (comp.  §  174,  Rem.). 

3"  La  voyelle  tonique  propre  à  l'infinitif  peut  s'introduire  au 
présent  et  au  futur:  c'est  ainsi  à  l'influence  de  asseoir,  choir, 
voir  que  sont  dues  les  formes  refaites  assoit,  assoirai,  choit, 
choirai,  voirai,  pour  assiet,  asserrai,  chiet  (§  119,  i),  cherrai,  ver- 
rai (§  208, 5). 

4°  La  voyelle  atone  de  l'infinitif  peut  se  généraliser  (trouver, 
trueve  >  trouver,  trouve)  ou  se  changer  sous  l'influence  de  la 
voyelle  des  formes  fortes  du  présent  (amer,  aime}  aimer,  aime); 
comp.  §  22. 


CHAPITRE  VII. 

LE  PARTICIPE    PRÉSENT 
ET  LE  GÉRONDIF. 


81.  Le  latin  classique  possédait  pour  le  participe  présent 
trois  terminaisons  différentes,  -ans,  -ens,  -iens:  cantans, 
debens,  scribens,  partiens,  servions.  En  français,  on 
na  que  la  seule  terminaison  -ant:  chantant,  devant,  écrivant, 
partant,  servant;  c'est  celle  de  la  première  conjugaison  qui  l'a 
emporté  (cf  §  65,  i):  chantant  remonte  à  cantantem,  les 
autres  formes  citées  sont  analogiques. 

Remarque.  Le  participe  présent  se  confond  en  français  avec  le  gérondif: 
(in)  cantando  aboutit  comme  cantantem  à  chantant;  les  deux  autres 
terminaisons  du  gérondif,  -endum,  -iendum  (scribendum,  partien- 
dum)  disparaissent  et  sont  remplacées,  comme  au  participe  présent,  par 
-ant.  Cette  généralisation  est  propre  au  français.  Le  portugais  a  conservé  les 
trois  terminaisons:  cantando,  escrevendo,  partindo,  et  il  en  est  de  même  en 
Obwald.  Dans  les  autres  langues  romanes,  elles  ont  été  réduites  à  deux, 
-ando  et  -iendo  (qui  a  supplanté  -endo)  en  espagnol:  cantando,  escribiendo, 
partiendo;  -ando  et  -endo  (qui  a  supplanté  -iendo)  en  italien:  cantando, 
scrivendo,  partendo,  et  en  provençal  :  cliantan,  escriven,  parten. 

82.  Développement  des  terminaisons. 

P  Antem  devient  régulièrement  -ant:  cantantem  >  chan- 
tant, portantem  >  portant,  etc.  Cette  terminaison  s'est  étendue 
aux  autres  conjugaisons  avant  le  dixième  siècle,  comme  le 
montre  la  chanson  de  St.  Alexis,  oii  les  représentants  français 
des  participes  manens,  vivens,  sedens,  tenens,  figurent 
dans  des  assonances  en  -an  sous  les  formes  remanant  (v.  10), 
vivant  (v.  39),  sedant  (v.  114),  apartenant  (v.  272). 


65 

2^  Entem,  nous  venons  de  le  voir,  a  disparu  dans  une 
époque  prélittéraire  devant  -antem:  debentem  >  de  vente 
)  ^devante  )  devant.  Cette  substitution  n'a  eu  lieu  qu'après 
l'assibilation  du  c,  comme  le  montre  disant,  qui  .remonte  né- 
cessairement à  dicentem  (comp.  vicinum  >  voisin,  I,  §  416), 
et  non  pas  à  *dicantem,  qui  aurait  donné  diant  (comp. 
dicam  >  die).  Rappelons  que  le  dialecte  lorrain  du  moyen 
âge  conservait  la  terminaison  originaire  ;  à  côté  de  aidant,  con- 
fortant, on  avait  servent,  pendent,  tenent,  etc. 

Remauque.  On  trouve  -ent  dans  un  certain  nombre  de  mots  savants  (ad- 
jectifs et  substantifs):  absent,  adhérent,  présent,  affluent,  concurrent,  différent, 
équivalent,    excellent,    influent,    négligent,  précédent,   président,   etc.    Comp. 


3*^  lentem  a  été  absorbé  par  -entem  qui,  à  son  tour,  a  été 
remplacé  par  -ant:  dormientem  )  *dormente  )  dormant; 
facientem  )  *facente  >  faisant;  morientem  )  *morente 
>  mourant;  partientem  )  *partente  >  partant;  recipien- 
tem  )  *recipente  )  recevant;  sapientem  >  *sapente  >  sa- 
vant, etc.  La  disparition  de  -i  en  te  m  remonte  assez  haut;  dans 
une  inscription  de  l'an  31  après  J.-C.  on  lit  facendo  (Schu- 
chardt,  II,  445),  et  dans  les  manuscrits  mérovingiens  on  trouve 
sapenti,  recipendi,  convenendi,  etc.  Ajoutons  que -ien s 
s'est  propagé,  dans  un  seul  cas,  à  un  verbe  de  II;  on  trouve 
doliens  (C.I.L.,  XII,  2863)  pour  dolens,  et  le  Jonas  offre 
doliants. 


Remarque.  La  terminaison  -lentem  Vest  conservée  dans  une  forme  qui 
de_lmrme  heure^esT'devermê  substantif:  servientem  >  sergent  (la  forme 
verbale  servant  remipate^à~*sëTviirfëm}r~On  trouvé"^ zen f  dans  quelques 
mots  savants  (adjectifs  et  substlmtî^)T"e/"/icie/if,  émoUient,  expédient,  orient, 
patient,  récipient,  etc.  Ajoutons  pour  la  vieille  langue  escient,  souvent  employé 
dans  la  combinaison  mien  escient(re)  «  lat.  vulg.  meo  sciente  pour  me 
scie n te);  le  français  moderne  a  gardé  le  mot  d'ans  les  locutions  à  mien 
escient,  à  bon  escient. 

83.  Formes  particulières. 

P  Bibentem  >  vfr.  bevant,  d'oti  buvant  (1,  233,  i);  une 
troisième  forme  boivant,  modelée  sur  boire,  boit,  etc.,  apparaît 
sporadiquement.  Ménage  remarque:  »Les  Provinciaux  disent, 
en  boivant.  Il  faut  dire,  en  buvant«  (Observations,  p.  221). 

5 


66 

2^  Cadentem  >  vfr.  cheant  (ou  chaant),  d'où  chéani  (dans 
déchéant,  échéant)  ou  cheijant  (employé  encore  par  Rostand, 
Cyrano  de  Bergerac,  p.  142).  Cheant  aurait  dû  donner  chant, 
mais  une  telle  forme  monosyllabe  aurait  fait  disparate  avec 
tous  les  autres  participes  présents,  et  comme  on  a  voulu  dis- 
tinguer la  terminaison  d'avec  le  radical,  la  synérèse  ordinaire 
(I,  §  265)  n'a  pas  eu  lieu;  on  la  trouve  au  contraire  dans 
l'adjectif  mescheant  >  meschant  >  méchant.  Comp.  ci-dessous  le 
développement  de  credentem'et  de  sedentem. 

3*^  Credentem  devient  créant,  remplacé  par  croyant  (sous 
l'influence  de  croire,  crois,  croie)  ;  comp.  mécréant,  oh  l'ancienne 
forme  s'est  conservée. 

4"  Habentem  devient  avant,  qui  se  rencontre  rarement 
(voir  les  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cambridge);  la  forme  ordi- 
naire est  ayant,  modelé  sur  le  présent  (ai,  aie). 

5"  Legentem  aurait  dû  donner  leant;  cette  forme  n'existe 
pas,  on  n'a  que  lisant,  dont  l'explication  reste  à  trouver  (cf. 
§  44, 2). 

6*^  Po  tente  m  devient  poant,  pouant,  pouvant  (I,  §  279,2). 
Le  doublet  puissant,  qui  est  devenu  un  pur  adjectif,  a  été 
modelé  sur  le  présent  (puis,  puisse). 

7"  Prendentem  devient  prendant,  remplacé  par  prenant 
qui  probablement  a  été  modelé  sur  venant  (cf.  §  40, 2).  Les 
deux  formes  s'employaient  simultanément  au  moyen  âge. 

8°  *Sapentem  (pour  sapientem,  voir  §  82,3)  donne  sa- 
vant qui  s'emploie  comme  participe  présent  encore  au  XVP 
siècle:  Phaeton  ...  ne  sçavant  ensuyvre  la  ligne  ecliptique 
(Rabelais,  II,  2).  Depuis  ce  temps-là,  savant  est  exclusivement 
adjectif  ou  substantif;  comme  part.  prés,  on  se  sert  de  sachant, 
dont  on  trouve  des  exemples  déjà  au  XIP  siècle;  c'est  une 
forme  refaite  sur  sache. 

9"  Sedentem  devient  séant,  conservé  sous  les  deux  formes 
séant  (bienséant,  malséant)  et  seyant  (asseyant,  rasseyant;  on 
trouve  aussi  assoyant;  comp.  §  119,4). 

10^  Valentem  devient  valant;  le  doublet  vaillant,  qui  est 
aujourd'hui  un  pur  adjectif,  a  été  modelé  sur  le  présent  (vail, 
vaille)  :  un  reste  de  son  ancien  sens  verbal  se  trouve  dans 
n'avoir  pas  un  sou  vaillant,  avoir  dix  mille  écus  vaillant.  Vau- 
gelas  remarque  sur  ces  locutions:  »I1  est  vray  que  selon  la 
raison  il  faudroit  dire,  cent  mille  escus  valant,  et  non  pas,  cent 


67 

mille  esciis  vaillant,  parce  qu'outre  l'équiuoque  de  vaillant,  et 
la  reigle  qui  veut  qu'on  ne  face  point  d'équiuoque  sans  néces- 
sité, valoir  fait  valant,  comme  vouloir  fait  voulant,  et  non  pas 
vaillant.  Aussi  l'on  dit  équivalant,  et  non  pas  équiuaillant.  Mais 
rVsage  plus  fort  que  la  raison  dans  les  langues,  fait  dire  à  la 
Cour  et  escrire  à  tous  les  bons  Autheurs,  cent  mille  escus  vail- 
lant et  non  pas  valant.  C'est  en  Poictou  principalement,  où 
l'on  dit  valant  (Remarques,  I,  99). 

11°  Vol  ente  m  >  volant,  voulant.  Au  moyen  âge  on  avait 
aussi  vueillant  fait  sur  vueil  (§  121)  et  vueille  (§  143).  Cette 
forme  est  restée  sous  une  forme  altérée  dans  bienveillant  (bien- 
veillance) et  malveillant  (malveillance). 

84.  Doublets.  La  langue  actuelle  possède  en  plusieurs  cas 
deux  (parfois  trois)  formes  du  participe  présent  du  même 
verbe.  En  règle  générale,  l'une  de  ces  formes  fonctionne  comme 
verbe,  l'autre  comme  nom. 

1  "  Doublets  d'origine  française.  Nous  avons  vu  que  parfois 
le  développement  analogique  amène  la  création  d'une  nouvelle 
forme;  cette  forme  remplace  l'ancienne  (comp.  avant  et  ayant) 
ou  reste  à  côté  d'elle.  Voici  quelques  exemples  de  ce  dernier 
phénomène;  nous  citons  d'abord  la  forme  étymologique  sans 
égard  à  la  fonction  que  lui  attribue  l'usage  actuel  :  amant  — 
aimant,  chéant  (dans  déchéant,  échéant)  —  cheyant,  créant  (dans 
mécréant)  —  croyant,  ponant  —  pondant,  pouvant  —  puissant, 
savant  —  sachant,  séant  (bienséant,  malséant)  —  seyant  —  as- 
soyant, sergent  —  servant,  valant  —  vaillant. 

2"  A  côté  des  participes  présents  on  a  parfois  des  doublets 
savants,  qui  présentent  une  orthographe  étymologique  et  qui 
fonctionnent  exclusivement  comme  noms.  Exemples:  différant 
—  différent,  équivalant  —  équivalent,  excellant  —  excellent,  in- 
fluant —  influent,  négligeant  —  négligent,  précédant  —  précédent, 
présidant  —  président,  etc.  ;  convainquant  —  convaincant,  extra- 
vaguant  —  extravagant,  fabriquant  —  fabricant,  fatiguant  — 
fatigant,  intriguant  —  intrigant,  provoquant  —  provocant,  etc. 
On  voit  que  ces  doublets  sont  ordinairement  des  homonymes  ; 
des  cas  comme  concourant  —  concurrent  sont  rares.  Rappelons 
aussi  arrogeant  et  arrogant,  dérivé  de  l'ancien  verbe  arroguer 
(comp.  I,  §  434,  i)  ou  directement  du  latin  arrogans. 

5* 


68 

85.  Rapport  du  participe  présent  avec  les  autres  temps.  — 
Le  participe  présent  est  surtout  lié  au  présent  de  l'ind.  et 
du  subj.,  dont  il  subit  une  certaine  influence;  il  est  rare  qvie 
le  part.  prés,  influe  sur  les  autres  temps. 

1°  Les  formes  analogiques  déjà  citées  ayant,  puissant,  sa- 
chant, vaillant  sont  modelées  siir  ai  (aie),  puis  (puisse),  sache, 
vail  (vaille);  ajoutons  les  anciennes  formes  veignant  (dans 
hienveignant),  vueillant,  diant,  doublets  de  venant,  voulant,  di- 
sant, et  modelées  sur  veigne  (§  144),  vueille  (§  143, 2),  die 
(§  139,4). 

2^  Une  influence  sporadique  de  l'infinitif  et  du  futur  se 
manifeste  dans  le  d  de  pondant,  sourdant,  tordant  (§  37),  et  le 
c  de  vaincant  (§  34). 

3°  Le  participe  présent  et  les  formes  qui  s'en  rapprochent 
influencent  parfois  les  autres  temps;  rappelons  dise  et  écrivis 
qui  remplacent  die  (dicam)  et  escrisis  (scripsisti),  grâce  à 
l'influence  de  disant  (disoie)  et  escrivant  (escrivoie). 

4°  La  voyelle  atone  du  part.  prés,  peut  se  généraliser 
(§  22, 1)  ou  se  changer  sous  l'influence  des  formes  fortes  du 
présent  (plovant  pleut  —  pleuvant  pleut)  ou  du  présent  et  de 
l'infinitif  (veant  voit  veoir  )  voyant  voit  voir,  créant  croit  croire 
y  croyant  croit  croire). 

86.  DÉCLINAISON.  Le  participe  présent  se  déclinait  au  moyen 
âge  comme  un  adjectif  (cf.  §  249): 

(Masculin)  (Féminin) 

Cas  sujet  chantanz  chantant,  chantante 

Cas  régime         chantant  chantant,  chantante 

Cas  sujet  chantant  chantanz,  chantantes 

Cas  régime         chantanz  chantanz,  chantantes 

L'addition  de  Ve  au  féminin  remonte  au  moins  au  XII^  siècle; 
on  trouve  par  ex.  dans  le  Comput  de  Philippe  de  Thaun  ar- 
dante  (v.  401),  trenchantes  (v.  669),  etc.  Les  formes  étymo- 
logiques sans  e  restent  en  usage,  surtout  au  pluriel,  jusqu'au 
XVP  siècle.  Antoine  de  La  Salle  écrit  tantôt  causes  suffisons, 
tantôt  causes  suffisantes  (Quinze  Joies  de  mariage.  La  lO^^joye). 
La  même  hésitation  se  trouve  dans  les  auteurs  de  la  Renais- 
sance. Desportes  écrit:  »Non,  pour  mille  vertus  honorans  ta 
jeunesse*,  mais  Malherbe  observe:    »C'est  mal  parlé,   il  fallait 


69 

ici,  un  participe  féminin.  Or  le  participe  féminin  ne  vaudroit 
rien,  il  devoit  donc  user  d'une  autre  façon  de  parler. «  De  nos 
jours,  le  participe  présent  est  toujours^nyariable  quandJLLjdé^ 
signe  uneaction;  empjoye  comme^adjectif  il  s'accorde,  comme 
tous  les  adj^eçtifs,  en  genre  et  en  nombre  avec  le  substantif 
augiiel  il  se  rapporté.  Ces  règles,  dont  nous  parlerons  plus  en 
détail  dans  la  Syntaxe,  datent  du  XVII^  siècle:  le  samedi  3  juin 
1679,  l'Académie  décida  qu'on  ne  déclinerait  plus  les  parti- 
cipes actifs. 


CHAPITRE  VIII. 

LE   PARTICIPE   PASSÉ. 


87.  On  avait  en  latin  des  formes  faibles  et  des  formes  fortes; 
les  premières  avaient  l'accent  sur  la  terminaison,  les  secondes 
sur  le  radical. 

1"  Les  formes  faibles  se  terminaient  en  -atum,  -etum,  -utum, 
-itum:  cantatum,  deletum,  consutum,  dormitum.  De 
ces  terminaisons,  -etum  a  tout  à  fait  disparu,  les  autres  se 
sont  maintenues:  chanté,  cousu,  dormi. 

2"  Les  formes  fortes  se  terminaient  en  -sum  ou  -tum:  mis- 
sum,  cursum,  factum,  victum,  debïtum,  etc.  Plusieurs 
de  ces  formes  se  sont  maintenues:    missum  >  mis,   factum 

>  fait;  plusieurs  ont  disparu  devant  des  formes  faibles  ana- 
logiques, ainsi  victum  a  été  remplacé  par  vaincu,  cursum 
par  couru,  debitum  par  dëu,  dû,  etc. 

A.  FORMES  FAIRLES. 

88.  Atum,  propre  à  la  l""^  conjugaison,  s'est  maintenu  en 
français  sous  la  double  forme  d'é  ou  d'/é  selon  la  nature  de 
la  consonne  précédente  (§  73):  cantatum  )  chanté,  amatum 

>  amé,  aimé,  j  u  die  atum  )y«^zé,  coUocatum  )  couchié,  etc. 
Les  formes  en  -ié  s'assimilent  au  XV  siècle  à  celles  en  -é: 
jugié  >  jugé,  couchié  >  couché. 

Remarque.  Notons  l'existence  dans  I  de  quelques  formes  non  étymologiques 
en  -u.  On  trouve  au  moyen  âge  à  côté  de  esté,  arresté  les  formations  ana- 
logiques estu  (estëu),  arrestu  (arrestëu).  Dans  la  langue  moderne  on  emploie 
comme  euphémisme  (comp.  §  72,  Rem.)  fichu  à  côté  de  fiché.  On  dit  in- 
distinctement: Je  lui  ai  fichu  ou  fiché  une  claque. 


71 

89.  Itum  donne  régulièrement  -i:  dormitum  )  rform/,  ser- 
vitum  >  servi,  auditum  >  ouï,  etc.  Cette  teiminaisoiL_a_jété 
appliquée  à  presque_tous  j£s — verbes  de_lV.  On  lit  dans  le 
glossaire  de  Reichenau  (I,  §  12):  Sepulta  i.  e.  sepelita; 
cette  forme  vulgaire  se  retrouve  dans  le  français  enseveli; 
comp.  encore  senti  (lat.  sensum),  repenti,  etc. 

Remarque.  Il  y  a  eu  confusion  entre  les  terminaisons  -/',  -is,  -it.  C'est  -i 
qui  l'a  emporté  dans  ri  <  vfr.  ris  <  risum,  et  suffi  <  vfr.  soufit  (  lat.  suf- 
fectum.  C'est  -it  qui  a  eu  le  dessus  dans  les  formes  féminines  patoises 
finite  (Jaubert,  I,  437),  assite.  Rappelons  encore  pour  la  langue  littéraire  les 
doublets  béni,  tiré  régulièrement  de  bénir,  et  bénit,  probablement  une  con- 
tamination de  benoît  (§  102, 7)  et  de  béni. 

90.  Quelques  verbes  en  -ir  ne  présentent  pas  de  part,  passé 
en  -i.  Un  tel  désaccord  entre  l'infinitif  et  le  participe  se  trouve 
dans  courir  —  couru,  férir  —  féru,  issir  —  issu,  tenir  —  tenu, 
venir  —  venu,  vêtir  —  vêtu,  couvrir  —  couvert,  ouvrir  —  ouvert, 
offrir  —  offert,  souffrir  —  souffert,  mourir  —  mort,  acquérir  — 
acquis.  Voici  comment  s'expliquent  ces  formes: 

P  Couru  et  tenu  ont  remplacé  cursum  et  tentum  (§  104) 
et  sont  conformes  aux  infinitifs  courre  (§  77, 1)  et  tenoir  (§  75,3). 
Venu  est  probablement  dû  à  l'influence  de  tenu. 

2"  Pour  expliquer  féru  et  vêtu,  il  faut  se  rappeler  qu'au 
moyen  âge  beaucoup  de  participes  hésitent  entre  -i  et  -u.  On 
trouve  ainsi  féri  —  féru,  oï  —  ou,  parti  —  partu,  senti  —  sentu, 
repenti  —  repentu,  vesti  —  vestu,  cueilli  —  cueilla,  bouilli  — 
bouillu,  failli  —  faillu,  sailli  —  saillu,  rempli  —  remplu,  verti 
—  vertu.  Nous  trouvons  encore  aux  XV^  et  XVI®  siècles  plusieurs 
traces  de  ces  doublets  en  -u:  Et  ung  enfer  où  damnez  sont 
boulluz  (Villon).  Je  m'en  suis  sentu  (Charles  d'Orléans,  Bail. 
106).  M'en  a  faillu  fouyr  au  mieulx  que  j'ai  peu  (Jehan  de 
Paris,  p.  5).  Les  grammairiens  du  XVI*'  siècle  blâment  l'emploi 
de  sentu  pour  senti;  Vaugelas  consacre  un  article  à  démontrer 
qu'il  faut  dire  peu  s'en  est  failli  et  non  pas  peu  s'en  est  fallu 
(Remarques,  I,  421),  et  à  cette  occasion  Th.  Corneille  rappelle 
que  le  peuple  dit  boulu  pour  bouilli. 

3°  Issu  est  dû  à  l'ancien  infinitif  istre  (§  79, 2)  pour  issir. 

4^  Ouvert  et  couvert  remontent  directement  à  apertum  et 
coopertum;  offert  et  souffert  sont  des  formations  analogiques. 
De  très  bonne  heure  on  trouve   aussi  ouvri  (Psautier   lorrain. 


72 

21,13),  coiwri,  offri,  souffri,  refaits  sur  les  infinitifs  ouw/r,  cou- 
vrir, offrir,  souffrir.  Jean  Garnier  accepte  même  ces  formes 
(Livet,  p.  320),  mais  Henri  Estienne  les  condamne;  elles  vivent 
de  nos  jours  dans  les  patois  (Jaubert,  I,  297  ;  Nisard,  p.  234). 
Nous  avons  aussi  trouvé  ouvru,  employé  à  la  rime  dans  une 
chanson  populaire  :  Le  bon  Dieu  l'a  voulu,  la  terre  elle  a  ouvru 
(Decombe,  p.  386). 

5°  Mort  dérive  directement  de  mortuum;  on  trouve  aussi 
au  moyen  âge  mouru:  Il  est  mouruz  (Jubinal,  Mistères,  1, 163); 
cette  forme  est  encore  en  usage  dans  les  patois  (Jaubert,  II, 
86).  Malgré  l'infinitif  en  -//•  on  ne  trouve  jamais  mouri. 

6"  Quis  paraît  remontera  un  *qu3esum  (cf.  §  100,6),  dont 
la  voyelle  a  été  modifiée  sur  celle  du  passé  défini  (comp. 
pris,  §  99, 14).  On  ne  trouve  jamais  quéri,  mais  sporadique- 
ment queru:  Et  eulz  en  uain  et  pour  mal  ont  quairut  mon 
arme  (Psautier  lorrain,  62, 9).  Il  m'a  requerru  d'ung  baiser 
(Chanson  populaire,  ZRPh,  V,  529). 

91.  Utum  devient  u:  consutum  >  cousu.  Cette  terminai- 
son s'employait  en  latin  classique  dans  peu  de  formes:  im- 
butum,  solutum,  tributum,  argutum,  minutum,  etc.; 
on  en  a  gardé  les  suivantes  en  français: 

P  Consutum  )  cousu,  conservé  jusqu'à  nos  jours;  sur  la 
forme  collatérale  patoise  coudu,  voir  §  38, 1. 

2^  Sec  utum  >  vfr.  sëu  (sou),  su;  notez  aussi  la  forme 
(provençale?)  segu:  Je  l'ay  de  près  segue  (Paris,  Chansons  du 
XV*'  siècle,  p.  106).  De  bonne  heure  se  montrent  les  forma- 
tions analogiques  sui,  sivi,  suivi,  dont  la  dernière  l'emporte. 

3**  Solutum  >  vfr.  solu,  conservé  dans  résolu,  dissolu  (cf.it. 
soluto).  A  côté  de  cette  forme,  il  faut  admettre  l'existence  de 
*solsum  (§  100,8)  et  de  *soltum  (§  103,2). 

4*^  Volutum  >  vfr.  volu;  cette  forme  a  disparu  ainsi  que 
les  formations  analogiques  volt  (§  103,  4),  vols  (§  100,  n),  volsu. 

Remarque.  Acutum  et  minutum  se  sont  conservés  comme  adjectifs: 
aigu,  menu;  tributum  comme  substantif:  vfr.  trëut  (remplacé  par  la  forme 
savante  tribut).  Comp.  encore  les  mots  savants  a&soZu  ((  absolu  tu  m),  imbu 
(<   imbutum),  statut  «  statutum),  révolu. 

92.  La  terminaison  -utum  a  été  introduite  par  analogie 
dans  un  très  grand  nombre  de  participes  passés;  elle  s'applique 


73 


d'abord  et  principalement  aux  verbes  qui  ont  - uj^aujiarfait, 
mais  son  domaine  s'est  élargi  continuellement.  Ces  nouvelles 
formes  ont  été  emplo5^ées  dans  toutes  les  langues  romanes; 
elles  se  retrouvent  aujourd'hui  en  roumain,  en  italien,  en 
rhéto-roman,  en  provençal,  en  français,  Ji^ndis  que  l'espagnol 
et  le  po^ugais  ont  remplacé  l'ancien  4ida~>jp9Lr^c^perdudoy 
perdido,  tenudo  )  tenido,  etc.  Voici  quelques  exemples  de  créa- 
tions analogiques  en  -utum  et  leur  sort  dans  les  langues 
romanes  : 


(Lat.  classique) 
bibïtum 
creditum 
debïtum 
h  a  b  ï  t  u  m 
perdïtum 
p  1  a  c  ï  t  u  m 
r  e  c  e  p  t  u  m 
t  e  n  t  u  m 
V  i  s  u  m 


(Lat.  vulgaire) 

bebutum 
credutum 
de  bu  tu  m 
h  a  b  u  t  u  m 
p  e  r  d  u  t  u  m 
placutum 
receputum 
tenutum 
vedutum 


(Roumain) 
beut 
crezut 

avut 
pie  r  dut 
pldcut 

tinut 
vezut 


(Italien) 
bevuto 
creduto 
dovuto 
aviito 
perduto 
piaciuto 
riceviito 
tenuto 
veduto 


(Français) 
bëu,  bu 
crëu,  cru 
dëu,  dû 
eu,  eu 
perdu 
pîëu,  plu 
recëu,  reçu 
tenu 
vëu,  vu 


93.  Laterminaison  -u  est  devenue,  à  côté  d'é  et  d'i,  une 
des  formes  principales  du  part,  passé.  Comme  nous  venons 
deTi^oir  (§  ^1),  elle  n'est  étymologique  que  dans  quelques 
cas  isolés  ;  mais  lës_forirnations  analogiques  sont  très  nom-" 
Ki'euses,  et  -u  s'applique  maintenant  à  presque  tous  les  verbes 
en"^r;  recevoir  —  reçu,  devoir  —  dû,  pouvoir  —  pu  (exe.  as- 
seoir  —  assis);  à  la  plupart  des  verbes  en  -re:  perdre  —  perdu, 
rendre  —  rendu,  mordre  —  mordu,  et  à  quelques  verbes  en  -ir 
(voir  §  90). 

Remarque.  Il  y  a  eu  confusion  entre  -u,  -us  et  -ut.  Les  vieilles  formes 
conclus  —  concluse,  exclus  —  excluse  sont  devenues  conclu  —  conclue,  ex- 
clu —  exclue.  (Le  substantif  écluse  a  naturellement  gardé  l's).  Encore  Racine 
écrit:  Pourquoi  de  ce  conseil  moi  seule  suis-je  excluse  (Bajazet,  III,  se.  3). 
De  nos  jours  on  trouve,  à  côté  de  perclus  —  percluse,  les  formes  populaires 
perdu  —  perdue  (voir  p.  ex.  Zola,  Le  docteur  Pascal,  p.  48).  R.  Garnier  s'est 
servi  à  la  rime  de  la  forme  condute:  Or  pour  vostre  César  vous  poursuiuistes 
Brute,  Et  toutefois  sa  mort  fut  deuant  moy  condute  (Porcie,  v.  1743). 

94.    LaMibstitu[tim^^  faible&-eiL  -i/  ^au^^ormes 

fortes  a  eii_lieu  successJTement_jet-4èslies-4emp&,,,£^ 


74 


couru,  fondu,  venu,  tenu;  arsum  et  ru ptu m  vivent  encore  au 
moyen  âge  sous  les  formes  ars,  rout,  qui  cèdent  la  place  à 
ardu,  rompu;  morsum  >  mors  disparaît  à  la  fin  du  XVI*^ 
siècle,  *torsum  )  tors  est  encore  vivant  au  XVII^  siècle.  Mé- 
nage remarque:  »On  disoit  autrefois  Je  vous  ay  mords,  pour 
dire  Je  vous  ay  mordu  ....  On  ne  le  dit  plus  présentement. 
Mais  on  dit  encore  tors:  Je  lui  ay  tors  le  cou.  On  commance 
pourtant  à  dire  tordu;  &  apparemment  il  gagnera  bien-tost  le 
dessus.  Pour  du  fil  retors,  on  ne  le  dit  que  de  cette  façon  ;  & 
ce  seroit  très  mal  parler,  que  de  dire  du  fû  retordu.  Nous  di- 
sons en  Anjou  La  poulie  a  ponds  ....  On  dit  à  Paris,  La 
poulie  a  pondu,  Vn  œuf  pondu.  Et  c'est  comme  il  faut  parler. 
Pondre  se  doit  conjuguer  comme  fondre,  tondre:  &  on  dit  fondu, 
tondu«  (Observations,  p.  79).  On  peut  encore  observer  la  même 
tendance  au  nivellement  surtout  dans  le  langage  des  enfants 
où,  par  exemple,  mort  est  souvent  remplacé  par  mouru,  et 
dans  les  patois,  comme  le  montre  le  vers  suivant:  Vous  avez 
la  main  teindue  en  couleur  de  violette  (Rolland,  Chansons  popu- 
laires, I,  315).  La  suprématie  de  la  terminaison  -u  est  très 
sensible  dans  les  patois.  On  y  trouve  des  formes  comme  sentu, 
sortu,  haïssu,  naissu,  gémissu,  plaisu,  plaignu,  etc. 

95.  Observations  sur  le  développement  des  formes  en  -«; 

P  La  consonne  labiale  qui  précède  -utum  disparaît  (comp. 
I,  §  371,  378):  -^debutum  (it.  dovuto)  }  dëu,  dû;  *habutum 
(it.  avuto)  )  eu,  eu;  *movutum  }  mëu,  mû;  *saputum  (it. 
saputo)  )  sëu,  su. 

2"  L'e  féminin  qui  précède  ïu  en  vieux  français  s'amuït  ré- 
gulièrement et  disparaît  de  la  graphie  sans  laisser  de  trace: 
bëu  )  bu,  peu  y  pu,  crëu  )  cru,  recëu  )  reçu,  etc.  (on  a  pour- 
tant conservé  eu  [y]).  La  suppression  de  l'e  est  marquée  par 
un  accent  circonflexe  (I,  §  104)  dans  les  seules  formes  crëu 
(de  croître)  )  crû  (accru,  décru),  dëu  >  dû  (redû,  mais  indu), 
mëu  y  mû  (mais  ému,  promu),  et  elles  ne  conservent  le  circon- 
flexe qu'au  singulier  masculin.  Autrefois  cet  accent  était  d'un 
emploi  bien  plus  général  :  Racine  écrit  p.  ex.  vu  (Andromaque, 
V.  115),  pu,  plû,  déchu. 


75 

96.  Formes  particulières. 

P  Crû,  vfr.  crëu,  remplace  cretum.  Une  forme  correspon- 
dante au  roum.  crescut  et  à  l'it.  cresciuto  est  croissu,  qui  se 
trouve  dans  les  patois. 

2^  Eu  a  conservé  dans  la  graphie  l'e  féminin  amuï.  Quant 
à  la  synérèse  (I,  §  269),  il  faut  remarquer  que  la  prononcia- 
tion dissyllabique  existait  au  XVII''  siècle.  Dans  une  de  ses 
Lettres  (II,  n**  21),  Balzac  demande  à  Chapelain:  »Dites-moi 
s'il  vous  plaist  ....  si  vous  approuvez  la  prononciation  de 
Paris  qui  coupe  en  deux  le  monosyllabe:  J'ay  eu,  il  a  eu*.  A 
propos  de  cette  question,  Ménage  remarque:  »M.  Chapelain 
luy  répondit;  je  l'ay  su  de  lui-mesme;  que  cette  prononciation 
estoit  très-vicieuse,  nonobstant  la  Chanson,  qui  dit, 

Comtesse  de  Cursol, 

La,  II,  ré,  mi,  fa,  sol, 

Je  veux  mettre  en  musique. 

Que  vous  avez  eu 

La,  sol,  fa,  mi,  ré,  u. 

Plus  d'Amans  qu'Angélique. 

Il  n'y  a  que  les  Badaux  de  Paris  qui  prononcent  de  la 
sorte.  Tous  les  honnestes  gens,  &  à  la  Cour  &  à  Paris,  disent 
u  en  une  syllabe.  Et  c'est  comme  parlent  tous  nos  bons  Poètes 
modernes«  (Observations,  p.  77).  Dans  les  patois  modernes  on 
trouve  les  formes  collatérales  évu  et  ayu  (fait  sur  ayant). 


B.  FORMES  FORTES. 

97.  Le  nombre  des  participes  forts  est  allé  diminuant  jusqu'à 
nos  jours  commenoîTs  l'avons  montré^ommairement  ci-dessus 


(§  94;  comp.  plus  loin  §  101).  Dès  les  premiers  temps,  on  a 
créé  de  nouvelles  formes  faibles,  jamais  des  formes  fortes;  les 
quelques  reformations  en  -s  et  -t  dont  on  constate  l'existence 
(voir  §§  100,  103,  106)  remontent  toutes  à  une  époque  pré- 
littéraire. 

I.  FORMES   EN   -SUM. 

98.  SUM.  De  cette  terminaison,  il  ne  reste  en  français  qu'un 
s:  sparsum  )  vfr.  espars,  morsum  )  vfr.  mors,  clausum  ) 

/ 


76 

clos,  etc.  La  langue  moderne  a  conservé  les  participes  suivants 
en  -s:  acquis,  conquis,  circoncis,  mis,  occis,  pris,  sis  (assis,  sur- 
sis); clos,  absous,  dissous,  résous.  Ajoutons  ^^  j:onclus,  exclus, 
ris  ont  perdu  Jeur^  et  sont  devenus  conclu,  exclu  (§  93,  Rem.),  ri. 
La  langue  médiévale  connaissait  plusieurs  autres  formes  en 
-s  dont  les  unes,  telles  que  mors,  tors,  etc.  ont  été  supplantées 
par  des  formes  faibles  (mordu,  tordu),  tandis  que  les  autres, 
telles  que  ars,  espars,  ters ,  sont  mortes  sans  être  rem- 
placées. 

Remarque.  Un  certain  nombre  de  participes  en  -su m  ont  disparu  avant 
le  X«  siècle,  remplacés  par  des  formes  analogiques:  casum  )  *cadutum  ) 
chëu,  chu  (it.  caduto);  visum  >  *vedutum  >  uëu,  vu  (it.  veduto);  sensu  m 
>  *sentitum  >  senti  (it.  senlito). 

99^  Voici  quelques  remarques  sur  le  sort  des  participes  en 
-  s  u  m  : 

P  Arsum  >  vfr.  ars,  encore  en  usage  au  XVI^  siècle:  Je 
octroyé  que  soye  arse  et  cuytte.  Si  je  ne  fais  bien  vostre  paix 
{Ane.  th.  fr.,  III,  p.  403).  Il  paraît  que  c'est  ce  participe  qui 
se  retrouve  dans  le  nom  de  la  rue  S.-André  des  Arts. 

2"  Au  s  uni,  conservé  dans  l'adjectif  vieilli  os. 

3^  Cisum,  conservé  dans  les  mots  savants  occis um  )  oc- 
cis, circumcisum  >  circoncis. 

4^  Clausum  >  clos  (éclos,  enclos,  forclos).  Comp.  les  com- 
posés conclusum  >  conclus,  plus  tard  conclu  (§  93,  Rem,); 
exclus  y  exclu;  inclus,  perclus. 

5*^  Cursum,  conservé  dans  les  substantifs  cours,  course,  a 
été  remplacé  par  couru. 

6°  Cusi^um  (-=  quassum),  conservé  dans  succussum  > 
vfr.  secous,  encore  employé  au  XVI*^  siècle  :  Le  gland  des  chesnes 
secoux  (Ronsard).  J'eusse  secoux  vostre  pelisse  {Ane.  th.  fr.,  II, 
337).  Secous,  conservé  dans  le  substantif  secousse,  a  été  rem- 
placé par  secoué  (comp.  §  64, 9).  L'ancienne  langue  employait 
aussi  escous  et  rescous. 

7"  Falsum,  disparu  comme  forme  verbale  (cf.  §  103,  1), 
est  remplacé  par  failli  (inf.  faillir)  ou  fallu  (inf.  falloir). 

8^  Fissum  (it.  fesso),  remplacé  par  fendu  (it.  fenduto). 

90  Pu  su  m  (it.  fuso),  remplacé  par  fondu  (it.  funduto). 

10°  M  ans  u  m  >  vfr.  mes  (it.  maso);  on  disait  aussi  manu, 
masu,  mansu. 


77 

IP  M  issu  m  )  mis;  cette  forme  paraît  influencée  par  le  parf. 
mis  «  mîsi;  §  180,  i);  on  aurait  attendu  *mes;  cf.  les  substan- 
tifs mets  (pour  mes;  I,  §  98),  messe,  et  le  part,  italien  messo. 
12"  Morsum  >  vfr.  mors  (it.  morso),  remplacé  par  mordu; 
la  forme  forte  est  encore  employée  par  Marot  et  Rabelais. 
Meigret  remarque:  »Combien  q'on  estime  mors  melleur,  mordu 
toutefoes  et  suyuant  la  regle«  {Tretté,  p.  119,  15);  au  XVIP  siècle 
mordu  est  la  seule  forme  employée  (§  94).  Mors  est  resté 
comme  substantif;  il  a  changé  d'orthographe  dans  le  composé 
remords. 

Occisum,  voir  cisum. 

13°  Pensum  remplacé  par  *pendutum  >  pendu  (it.  pen- 
duto). 

14"  Prensuin  >  pris;  cette  forme  paraît  influencée  par  le  parf. 
pris  (CjPXilii— Çf-  §  180,2);  on  aurait  attendu  preis  (le  fragm. 
d'Alexandre  d'Albéric  donne  preijs),  prois.  A  côté  de  pris,  on 
trouve  dès  le  moyen  âge  prins  (Amis  et  Amiles,  v.  287,  3075)  ; 
cette  forme  est  encore  citée  par  les  grammairiens  du  XVII^ 
siècle,  mais  ils  la  réprouvent.  Th.  Corneille  observe:  »On  di- 
soit  autrefois,  //  a  prins,  et  quelques-uns  l'escriuent  en  Prouince. 
C'est  une  grande  faute:  il  faut  toujours  dire,  il  a  pris«  (Vau- 
gelas.  Remarques,  I,  183).  La  forme  réprouvée  s'emploie  en- 
core dans  plusieurs  patois:  J'a  prin  éne  rôte  novèlle  (Le  Lor- 
rain, 1853,  p.  23). 

15"  Rasum  )  vfr.  res  (it.  raso),  encore  employé  aux  XV  et 
XVP  siècles  :  Nos  robbes  sont  plus  qu'estamine  —  Reses  (Pate- 
lin, V.  31).  Il  fut  rez  ....  comme  un  navet  (Villon,  Rondeau). 
De  nos  jours  le  mot  s'est  maintenu  dans  quelques  termes  tout 
faits:  rez-^e^chmisséej^rezr-mur,  rez-pied,  rez-terre,  les  rez  et  les 
tondus^ 

16"  Risum  )  vfr.  ris  (it.  riso),  remplacé  par  ri.  La  forme 
étymologique  s'emploie  encore  au  XV^  siècle:  La  belle  s'est 
soubzrise  (Paris,  Chansons,  p.  3). 

17"  Sparsum  )  vfr.  espars  (it.  sparso). 

18"  Sessum  >  sis;  la  voyelle  s'est  modifiée  sur  celle  du 
passé  défini  (comp.  ci-dessus  pris,  et  quis,  §  108, 3).  Une  nou- 
velle formation  barbare  est  seyé,  créée  par  Saint-Simon  (voir 
Littré)  sur  seyait  et  seyant  (§  83,  9). 

19"  Tensum  (it.  teso),  remplacé  par  tendu. 

20"  Tersum  )  vfr.  ters  (it.  terso). 


78 

21^  Versum,  conservé  dans  conversum  >  \h\  convers  (it. 
converso),  remplacé  par  converti  (it.  coiwertiio). 

22"  Visu  m  (comp.it.  visto),  remplacé  par  *vedutum  >  vëu, 
vu  (it.  veduto). 

100.  Reformations  en  -sum: 

1°  *Absconsum  (pom*  absconditum)  )  vfr.  ascons,  abs- 
cons, repris  par  les  décadents. 

20  *Defensum  (avec  n),  refait  à  defendere;  cette  forme, 
conservée  comme  substantif  (§  111),  a  été  remplacée  comme 
participe  par  défendu;  sur  le  sort  du  classique  defe(n)sum, 
voir  §  111. 

30  *Dispensum  (avec  n),  refait  à  dispendere,  a  été  con- 
servé comme  substantif  (§  111). 

4"  *  M  on  su  m,  remplaçant  de  monitum,  est  attesté  par, le 
vfr.  semons  (prov.  somons)  :  Et  en  fut  semons  li  rois  (Ménestrel 
de  Reims,  §  456).  On  en  a  gardé  le  subst.  semonce. 

50  *Persum,  forme  collatérale  de  *perdutum  (§  107,6), 
conservé  dans  le  vfr.  pers  (comp.  l'italien  qui  emploie  les  deux 
formes  perso  et  perduto). 

6°  *Quaisum  remplace  qusesitum;  voir  §  90,6. 

7"  *Responsum  (avec  n),  refait  à  respondere;  conservé 
comme  substantif  (répons,  réponse),  remplacé  comme  participe 
par  répondu. 

8"  *Solsum,  remplaçant  de  solutum  (§  91,3)  est  attesté 
par  le  vfr.  sols,  asols,  etc.,  conservé  dans  absous,  dissous,  ré- 
sous. 

90  *Sursum,  remplaçant  de  sur  rectum  (Festus  donne 
sort u m),  est  attesté  par  le  vfr.  sors,  conservé  dans  les  sub- 
stantifs source,*  ressource. 

jQo  =^=Torsum,  remplaçant  de  tortum,  est  attesté  par  le  vfr. 
tors  (estors),  qui  a  maintenant  cédé  la  place  à  tordu.  L'ancien 
participe  fort  vit  encore  dans  quelques  expressions  toutes  faites 
(du  fû  tors,  de  la  soie  torse,  etc.)  et  dans  retors. 

11»  *Volsum,  doublet  de  volutum  (§  91,4),  attesté  par 
le  vfr.  vols,  vous;  comp.  les  dérivés  voussoir,  voussure. 

II.   FORMES    EN    -TUM. 

iOI.  Nous  examinerons  les  participes  en  -tum  par  groupes 
selon  le  phonème  qui  précède.    Dans  quelques  cas  isolés  c'est 


79 

A- 

disparaît  :   natum  > 


une  voyelle  anc^ntuée^  et  en   ce  cas  l^t 


né;    mais    le  plussouveivt   c'est    une   consonne    ou    un    i  in- 


accentué, et  alors  le  /  se  conserve:  s  cri  p tu  m  )  écrit,  mor- 
tuum  )  mort,  tremitum  >  crient,  craint.  La  langue  moderne 
possède  les  participes  suivants  en  -/;  confit,  dit,  écrit,  frit,  fait, 
trait,  mort,  couvert,  ouvert,  souffert,  offert;  ensuite  les  participes 
de  tous  les  verbes  en  -aindre,  -eindre,  -oindre,  -uire:  craint,  at- 
teint, joint,  construit  (excepté  fui,  lui,  nui);  l'ancien  soufd  a 
perdu  son  t,  et  est  devenu  suffi.  Au  moyen  âge  le  nombre  des 
participes  forts  en  t  était  plus  grand  :  on  disait  ainsi  coilloit, 
lit,  rout,  tort,  formes  qui  ont  été  supplantées  par  cueilli,  lu, 
rompu,  tordu. 

102.  CTUM.  Cette  terminaison  devient  régulièrement  -it;  elle 
se  trouve  dans  les  mots  suivants: 

P  Afflictum  >  vfr,  afflit  (it.  afflitto);  remplacé  par  af- 
fligé. 

2°  Ci  net  uni  >  ceint  (it.  cinto). 

3°  Coctum  )  cuit  (it.  cotto). 

4"  Collectum  >  vfr.  coilleit,  coilloit,  remplacé  par  la  forme 
analogique  coilli,  cueilli;  l'ancien  participe  se  retrouve  dans 
cueillette,  où  un  changement  de  suffixe  a  eu  lieu  (comp.  em- 
plette pour  emploite),  et  dans  le  doublet  savant  collecte.  Sur 
collectum  a  été  modelé  *tollectum  (voir  §  103,3). 

5*^  Confectum  )  confit. 

6°  Despectum  )  despit  (méprisé),  encore  employé  par  La 
Fontaine:  Nérie,  honteuse  et  dépite  (La  coupe  enchantée). 

1^  Dictum  >  dit;  on  aurait  attendu  deit  (it.  detto,  v.  esp. 
decho):  Yi  paraît  dû  à  l'influence  de  l'infinitif.  Le  développe- 
ment correct  de  Vi  latin  s'observe  dans  les  composés  bene- 
dictum  )  beneeit  )  beneoit  )  benoît,  et  maledictum  >  vfr. 
maleeit  )  maleoit  >  maloit.  Ces  deux  participes  ont  disparu  ; 
pourtant  benoît  s'est  conservé  comme  adjectif:  Le  benoît  para- 
dis (Voltaire),  un  benoît  personnage,  et  comme  substantif: 
Saint  Benoît,  la  benoîte  (nom  de  plante)  ;  c'est  encore  le  même . 
mot  que  nous  trouvons  dans  benêt  (cf.  1,  §  160,  Rem.).  Sous 
l'influence  des  infinitifs  bénir  et  maudire,  on  a  créé:  béni  et 
maudit.  A  côté  de  béni,  on  a  bénit  (cf.  §  89,  Rem.);  sur  l'em- 
ploi de  ces  deux  participes  Vaugelas  remarque:  »Tous  deux 
sont  bons,  mais  non  pas  dans  le  mesme  vsage.  Bénit,  semble 


80 

estre  consacré  aux  choses  saintes,  on  dit  à  la  Vierge,  Tu  es 
bénite  entre  toutes  les  femmes,  on  dit,  de  l'eau  bénite,  une  Cha- 
pelle bénite,  du  pain  bénit,  vn  cierge  bénit,  vn  grain  bénit,  et  ce 
t  là,  a  esté  pris  vrayseniblablement  du  Latin  benedictus. 
Mais  hors  des  choses  saintes  et  sacrées,  on  dit  toujours  béni 
et  bénie,  comme  vne  œuvre  bénie  de  Dieu,  une  famille  bénie  de 
Dieu,  Dieu  vous  a  béni  d'vne  heureuse  lignée,  a  béni  vos  armes, 
a  béni  vostre  travail  ëtc.«  {Remarques,  I,  p.  387).  L'Académie, 
qui  approuve  l'observation  de  Vaugelas,  ajoute:  »On  peut 
toutefois  dire  en  parlant  à  la  Vierge,  vous  estes  bénie  entre  toutes 
les  femmes,  aussi  bien  que  vous  estes  bénite  entre  toutes  les 
femmes«.  On  disait  au  moyen  âge  eau  benoiste,  d'où  benoistier, 
benoitier,  remplacé  au  XVII®  siècle  par  bénitier  sous  l'influence 
de  eau  bénite. 

8°  Ductum  )  duit  (it.  dotto),  conservé  dans  conduit,  enduit, 
déduit,  produit,  séduit,  etc. 

90  Factuni  >  fait  (it.  fatto). 

10''  Fictum,  transformé  en  *finctum  (d'après  fingere), 
d'où  feint  (it.  fmto). 

11"  Fractum  >  vfr.  frait,  remplacé  par  fraint,  fait  sur  l'in- 
finitif fraindre.  Les  deux  formes  alternent  au  moyen  âge:  De- 
sous  la  boucle  li  a  fraite  e  troée  (Ogier  le  Danois,  v.  5081). 
La  targe  dorée  —  Qu'en  deus  li  a  e  frainte  et  tronçonnée  (ib., 
V,  5087).  Fraint  existe  encore  dans  enfreint,  dont  on  a  faussé 
l'orthographe. 

12»  Frictum  >  frit  (it.  fritto). 

13"  Junctum  >  joint  (it.  giunto). 

14"  Le  et  uni  )  vfr.  lit  (it.  letto),  remplacé  par  la  forme  ana- 
logique lëu  y  lu.  La  forme  étymologique  s'emploie,  au  moins 
dans  les  composés,  jusqu'à  la  Renaissance:  Ta  mort  et  pas- 
sion eslite  (Bartsch,  481, 21).  La  chose  si  est  bien  eslite  {Ane. 
th.  fr.,  III,  132).  Le  féminin  élite  s'est  conservé  comme  subs- 
tantif. 

15"  Pictum  transformé  en  *pinctum  (d'après  pin  g  ère), 
d'où  peint  (it.  pinto);  cf.  peintre  de  pictor  (it.  pittore). 

16"  Planctum  )  plaint  (it.  pianto). 

17"  Punctum  >  point  (it.  punto). 

18"Strictum  >  vfr.  estreit,  estroit  (it.  stretto) ,  de  bonne 
heure  remplacé  par  la   forme   analogique   estraint  (it.  strinto); 


81 

on  avait  de  même  destreit  et  destraint.  Les  formes  analogiques 
ont  seules  survécu  :  astreint,  étreint,  restreint. 

19"  Structum,  conservé  dans  les  composés  construit,  instruit, 
détruit. 

20"  Suffectum  )  vfr.  soufit,  deyenu  su ffd,  par  réaction  éty- 
mologique, et  écrit  abusivement  suffi  (cf.  §  89,  Rem.). 

21"  Tactum,  dans  attactum,  transformé  en  *attanctum, 
d'où  vfr.  ataint,  plus  tard  ateint,  atteint  (comp.  l'inf.  ataindre 
devenu  atteindre  d'après  attingere). 

22"  Tinctum  >  teint  (it.  tinto). 

23"  Tractum  >  trait  (it.  tratto). 

24"  Unctum  >  oint  (it.  unto). 

25"  Victum,  conservé  en  italien  (vitto),  a  été  remplacé  en 
français  par  vaincu,  tiré  de  vaincre. 

26"  Victum  (de  vivere),  remplacé  par  vescu,  vécu;  l'ancien 
doublet  vesqui  n'a  pas  survécu;  comp.  it.  vissuto. 

Remarque.  La  terminaison  -ctum  n'a  pas  été  productive;  comme  nou- 
velle formation  on  ne  saurait  guère  citer  que  *tollectum  (voir  §  103,3). 

103.  LTUM.  Cette  terminaison  devient  -It,  -ut  ;  elle  se  trouve 
par  ex.  dans  altum,  cultum,  consultum,  occultum,  se- 
pultum,  qui  pourtant  n'ont  pas  survécu  en  français.  I^epul- 
tum  a  été  remplacé  par  se_p^Jitujii,  qui  se  trouve  dans  les 
textes  vulgaires  (voir  Georges,  Wôrterbuch;  C.I.L.,  XIII,  1968) 
et  dans  le  glossaire  de  Reichenau  (n*'  165;  voir  I,  §  12);  il  se 
continue  en  français  dans  le  composé  enseveli.  Les  autres 
formes  eii_Jju m  sont  mortes  sans^  avoiiLété^ remplacées;  mais 
on  constate  en  latin  vulgaire  la  création  d'un  petit  nombre  de 
nouvelles  formations,  dont  nous  citons  les  suivantes: 

1"  *Faltum,  doublet  de  falsum  (voir  §  99,7),  conservé 
dans  les  substantifs  défaut  et  faute  (comp.  it.,  esp.,  port.,  prov. 
falta)  ;  la  forme  a  disparu  comme  participe  à  cause  du  change- 
ment de  fallere  en  fallire  (cf.  §  66,3). 

2"  *SoItum,  remplaçant  de  solutum  (§  91,3)  attesté  par 
les  vieilles  formes  assout,  résout  (cf.  it.  sciolto;  esp.  suelto; 
prov.  et  port,  solto).  Hardy  encore  emploie  résout  =  résolu. 
La  langue  actuelle  a  gardé  les  féminins  absoute,  dissoute,  dont 
les  masculins  sont  absous,  dissous  (cf.  §  100,  s).  Ce  mélange  de 
formes  en  -t  et  en  -s  remonte    assez   haut;    dans  la  Chirurgie 

6 


82 

de  H.  de  Mondeville  on  trouve  resolz  (§  755)  à  côté  de  resoute 
(§  117)  et  resolute  (§  1850). 

30  *Toltum,  remplaçant  de  latum,  est  attesté  directement 
par  les  formes  vulgaires  tulta  (Esp.  sagr.,  XI,  223),  abstul- 
tum  (Marc.  Form.,  I,  32)  et  par  le  prov.  toit,  tout:  Ma  onor 
m'a  toute  (Meyer,  Recueil,  p.  56,  v.  326);  on  en  trouve  encore 
une  trace  dans  maitôte.  Rappelons  que  tout  est  assez  rare,  on 
trouve  plus  souvent  tolu  (inf.  toldre),  toli  (inf.  tolir)  ou  toleit, 
toloit;  cette  dernière  forme  remonte  probablement  à  un  *  toi- 
le et  u  m  (comp.  port,  tolheito),  modelé  sur  collectum. 

40  *  Vol  tu  m,  doublet  de  volutum  (§  91,4),  attesté  par  le 
vfr.  volt,  vout;  comp.  le  subst.  volte,  voûte. 

104.  NTUM.  Cette  terminaison  se  trouve  dans: 

1°  Tentum,  remplacé  par  *tenutum  (§92),  d'où  tenu  {\i. 
tenuto,  roum.  tinut).  A  partir  du  XV*^  siècle,  se  rencontre  une 
nouvelle  création  analogique  tins,  probablement  faite  sur  prins 
(§  99, 14)  :  J'ay  toujours  tins  des  bons  sieurs  les  partis  (Mont- 
aiglon,  Ane.  poésies  fr.,  VIII,  206).  Quitton  l'oiseuse  paresse 
qui  nous  a  tins  langoureux  (J.  Tahureau,  Baisers).  Th.  Cor- 
neille ajoute  à  une  remarque  de  Vaugelas;  »I1  en  est  aussi 
qui  disent  tins  pour  tenu,  au  participe  du  verbe  tenir:  après 
qail  lui  eut  tins  ce  discours.  C'est  une  faute  aussi  lourde  que 
de  dire,  il  print,  il  a  print«  (Vaugelas,  Remarques,  I,  183).  Dans 
son  livre  sur  le  langage  populaire  de  Paris,  Nisard  cite  (p.  234) 
tint,  obtint,  retint,  pour  tenu,  obtenu,  retenu. 

2^  Ventum,  remplacé  par  *venutum  (§  92),  d'où  venu 
(it.  venuto). 

105.  PTUM.  Cette  terminaison  se  réduit  h.  t;  elle  n'a  été 
conservée  que  dans  les  trois  mots  suivants: 

P  Emptum,  dans  le  composé  redemptum,  qui  se  re- 
trouve en  vfr.  sous  beaucoup  de  formes:  reient,  raient,  reent, 
reant,  raint,  roint,  rant  (on  a  aussi  reiens,  etc.). 

2^  Ruptum  )  vfr.  rout,  remplacé  par  rompu.  Les  deux 
formes  s'employaient  simultanément:  Rout  sont  et  despané, 
mal  atiré  (Aiol,  v.  1237).  Li  las  en  sont  rompu  et  alasquié  (ib., 
Y.  1951).  On  disait  rout  encore  au  XVP  siècle  (voir  Godefroy). 
On  trouve  de  même  desrout  et  desrompu.  L'ancien  participe 
fort  est  conservé  dans  route  et  déroute. 

3^  Scriptum  )  escrit,  écrit. 


83 

106.  RTUM  se  trouve  dans: 

1°  Apertum  >  ouvert  (it.  aperto);  comp.  §  90,4. 

2^  Coopertum  )  couvert  (it.  coperto)  ;  comp.  §  90,4. 

3*^  Mortuum  >  mort  (it.  morto);  comp.  §  90,5. 

40  *Offertum  >  offert  (it.  offerto);  comp.  §  90,4. 

5°  Suffertum  )  souffert  (it.  sofferto);  comp.  §  90,4. 

6*^  Tortum  )  vfr.  tort;  cette  forme  était  encore  employée  par 
Malherbe  :  Jusques  à  ce  que  la  roue  ....  lui  eut  tord  et  rompu 
le  col  (II,  544);  elle  a  été  remplacée  par  tordu  (cf.  §  94). 

107.  ITUM  (avec  i  bref).  Cette  terminaison  s'employait  géné- 
ralement dans  II  (debïtum,  habïtum,  monïtum,  etc.), 
parfois  dans  I  (crepïtum,  cubïtum,  sonïtum,  etc.)  et  dans 
III  (alitum,  fugïtum,  gemïtum,  strepïtum,  etc.).  Elle  ne 
se  conserve  qu'exceptionnellement;  le  plus  souvent  elle  est  rem- 
placée par  -utum  (voir  §  92).  Voici  quelques  observations  de 
détail  : 

1"  Bibitum,  conservé  dans  le  subst.  boite  (<(  bibita),  rem- 
placé comme  participe   par  *bebutum  )  bëu,  bu   (it.  bevuto). 

2^  Cognïtum,  resté  dans  le  vieil  adjectif  coint,  remplacé 
comme  participe  par  *cognutum  )  conu,  connu  (cf.  it.  co- 
nosciuto). 

3^  Debïtum,  conservé  dans  le  subst.  dette  «  débita),  rem- 
placé comme  participe  par  *debutum  )  dëu,  dû  (it.  dovuto). 

4°  Habïtum,  remplacé  par  *habutum  )  eu,  eu  (ii.  avuto) ; 
comp.  §  96, 2.  Conservé  dans  le  comp.  malehabïtum  }  malade. 

5^  Nocïtum,  remplacé  par  *  no c  utum  )  vfr.  nëu  (prov. 
nogut;  comp.  it.  nociuto).  On  trouve  aussi  nui  (pour  nuit), 
qui  survit,  et  nuisi  (inf.  nuisir). 

6°  Perdïtum,  conservé  dans  le  subst.  perte  «  perd ï ta), 
remplacé  comme  part,  par  *persum  (§  100,5)  et  *perdu- 
tum  >  perdu  (it.  perduto). 

1^  Placïtum,  conservé  dans  le  substantif  jo/a/rf  (vfr.  plait), 
remplacé  comme  participe  par  ^-'placutum  }  plëu,  plu  (comp. 
it.  piaciuto). 

8°  Posïtum  (it. posto,  esp.  puesto),  conservé  en  français  dans 
repositum  )  vfr.  repost  (au  fém.  reposte  et  repose),  et  dans  le 
subst.  praepositum  )  prévôt.  On  avait  créé  au  moyen  âge 
une    nouvelle  forme    forte,   pons   (respons),    qui  correspondait 

mieux  à  l'infinitif  pon^/re  «  p  on  ère),  et  qui  s'emploie  jusqu'à 

g  t. 


84 

la  Renaissance:  Un  œuf  pont  et  esclouz  par  Léda  (Rabelais, 
I).  Ces  mos  sont  bien  espons  (Greban,  Passion,  v.  9635).  C'est 
la  forme  analogique  ponnu,  plus  tard  pondu  (§  37,  i),  qui  l'em- 
porte. 

9*^  Tacïtum,  remplacé  par  *tacutum  >  tëu,  tu  (roum. 
tàcut,  it.  taciuto). 

10"  Tremïtum,  conservé  dans  vfr.  crient,  remplacé  par 
craint  (§  47);  la  forme  analogique  cremu  n'a  pas  survécu. 

108.  La  terminaison  -ïtum  a  été  utilisée  en  latin  vulgaire 
dans  plusieurs  nouvelles  créations.  En  voici  quelques  exemples, 
qui  montrent  qu'elle  a  été  employée  surtout  quand  la  forme 
du  participe  fort  s'éloignait  trop  du  thème  verbal: 

jo  *Môvitum  (pour  môtum,  de  môvere),  resté  comme 
nom  {meute,  Muette,  I,  §  178,  Rem.),  remplacé  comme  parti- 
cipe par  *movutum  (§  92)  )  mëu,  mû. 

20  *Pendïtum  (pour  pensum),  conservé  dans  les  deux 
substantifs  pente  «  *  pendit  a)  et  appentis  (<(  vfr.  apentiz  < 
*appendititium,  formé  sur  le  part.  *appenditus  pour  ap- 
pensus).  Comme  participe  il  a  été  remplacé  par  *pendutum 
)  pendu. 

3°  *Qu3esïtum,  dû  à  quaesi  (§  180,2),  remplace  le  clas- 
sique qusesitum  (conservé  dans  le  roumain  cersit).  Il  a  gardé 
sa  fonction  verbale  en  italien  (chiesto);  en  français  on  ne  le 
trouve  que  dans  quelques  substantifs  (acquêt,  conquit,  quête, 
conquête);  comme  participe  il  a  cédé  la  place  à  *quaesum, 
d'où  quis  sous  l'influence  du  passé  défini  (comp.  §  112,2). 

109.  TUM  précédé  d'une  voyelle   accentuée  se  trouve  dans: 
1"  Cretum,  remplacé  par  des  formations  analogiques  (voir 

§  96,  i). 

2"  Latum,  remplacé  par  le  roman  toltum  (§  103,3);  le 
glossaire  de  Reichenau  (n^  92)  explique  sublatum  par  sub- 
portatum. 

3*^  Môtum,  remplacé  par  *movutum  )  mëu,  mu;  sur  la 
forme  hypothétique  *movïtum  voir  §  108,  i.  L'italien  a 
mosso. 

4"  Natum  )  né;  au  moyen  âge  on  trouve  comme  formes 
concurrentes  nascu  et  nasqui. 

5"  Statum  >  esté,  été. 


85 

Remarque.  Tous  les  participes  passés  se  déclinaient  dans  la  vieille  langue; 
été  seul  fait  exception:  il  est  indéclinable  depuis  les  plus  vieux  textes.  Pour- 
tant dans  quelques  rares  textes,  on  lui  donne  sporadiquement  la  marque  du 
pluriel:  Hz  avoient  estez  choisis  a  l'eslite  {Jehan  de  Paris,  p.  83;  comp.  ib., 
p.  113  et  117). 

110.  Nous  avons  vu  aux  paragraphes  précédents  que  beau- 
coup de  participes  forts,  disparus  comme  tels  en  français,  ont 
été  conservés  comme  noms.  Il  est  intéressant  de  constater 
comment  ces  noms  nous  permettent  souvent  de  reconstruire 
dans  les  détails  l'évolution  des  participes  forts  et  la  série  des 
formes  analogiques  consécutives.  Exemples: 

P  Fissum  (it.  fesso)  a  été  conservé  dans  le  subst.  fesse; 
comme  participe  il  a  été  remplacé  successivement  par  *findi- 
tum,  d'où  fente  «  *findïta),  et  *fendutum  )  fendu. 

2^  Pensum,  conservé  dans  le  subst.  poids  (cf.  le  doublet 
savant  pensum),  remplacé  comme  participe  par  *pendïtum, 
d'où  pente  «  *pendïta),  et  *pendutum  )  pendu  (it.  pen- 
duto). 

3"  Positum,  conservé  dans  prévôt  «  prsepositum),  rem- 
placé comme  participe  par  pons  ou  pont,  d'où  ponte,  et  ponnu, 
pondu. 

4*^  T  en  su  m,  conservé  comme  participe  en  italien  (teso),  ne 
se  retrouve  en  français  que  comme  nom  {toise  <  t  e  s  a)  ;  comme 
part,  il  a  été  remplacé  par  *tendïtum,  d'où  tente,  qui,  à  son 
tour,  a  cédé  la  place  à  *tendutum  (§  92),  d'où  tendu. 

Ili.  Voici  une  liste  de  participes  passés,  étymologiques  et 
analogiques,  conservés  en  français  comme  substantifs,  adjec- 
tifs ou  prépositions: 

Bibita  )  boite.  Ces  su  m  )  vfr.  ces  (comp.  abcès,  accès,  dé- 
cès, excès,  procès).  Cognitum  >  vfr.  coint.  Collecta  )  vfr. 
cueilloite,  d'où  cueillette  (cf.  collecte).  Cursa  >  course.  Cursum 
)  cours  (concours,  recours,  secours).  Débita  )  dette.  Defensa 
(§  100,  i)  )  défense.  Defensum  )  défens  ou  défends.  Defe(n)sa 

>  vfr.  defeise,  defoise.  Defe(n)sum  )  vfr.  defeis,  defois;  resté 
en  normand  sous  la  forme  défais.  Dispensa  (class.  expensa) 
)  dépense.  Dispensum  (class.  expensum)  )  dépens.  Electa 

>  élite.  *Fallita  >  faite,  faute.  *Fendita  >  fente.  Fissa  ) 
fesse.  Frac  ta  )  vfr.  fraite,  ouverture,  passage  difficile;  con- 
servé dans  beaucoup  de  patois  et  dans  le  nom  de  lieu  La  Fraite 


86 

(Seine-et-Oise).  Fugita  >  fuite.  Implicita  )  vfr.  empleite, 
emploite  }  emplette.  Mi  s  sa  (se:  est  ecclesia)  >  messe.  Missum 
)  vfr.  mes,  plus  tard  77?e/s.  M  ors  u  m  )  mors  (et  remords). 
*Movita  (pour  mot  a)  >  vfr.  muette  (cf.  I,  §  178,  Rem.),  meute 
(cf.  émeute,  tiré  d'émouvoir  d'après  meute).  Offensa  >  offense. 
Perdita  )  perte.  Pensum  >  vfr.  peis,  pois,  plus  tard  poids. 
Placitum  )  vfr.  plait,  plus  tard  plaid,  sous  l'influence  de 
plaider.  Pressum  }  près.  *Q  use  si  ta  )  queste,  quête  (conquête, 
enquête);  la  forme  masculine  est  conservée  dans  acquêt,  con- 
quêt,  requêt.  Recepta  >  recette.  *Rendita  (class.  reddita)  > 
rente.  Responsa  )  response,  réponse.  Rupta  (se.  via)  )  route 
(déroute;  banqueroute  <  it.  bancarotta).  *Sequita  >  siute,  suite. 
*Submonsa  >  semonce.  Succussa  )  secousse.  Sursa  }  sourse, 
source  (ressource).  *Tendita  (ou  tenta)  )  tente  (attente,  détente, 
entente).  Tensa  )  teise,  toise.  *Tolta  conservé  dans  maltôte, 
autrefois  maletolte.  Tortum  )  tort.  Tundita  )  tonte.  Ton  sa 
>  vfr.  touse;  cf.  touselle  emprunté  au  prov.  tosela.  Vendita  > 
vente.  *Volta  )  volte,  voûte;  la  forme  moderne  volte  vient  de 
Fit.  volta. 

112.  Rapport  du  participe  passé  avec  les  autres  temps. 

P  La  voyelle  du  participe  passé  subit  parfois  une  influence 
analogique  de  celle  de  l'infinitif.  Ainsi  sur  le  modèle  de  dî- 
cere,  légère,  ûngere,  pùngere,  les  formes  dïctum,  léc- 
tum,  ûnctum,  pQnctum  se  changent  en  dïctum  )  d/Y,  lëc- 
tum  y  lit,  ûnctum  y  oint,  pùnctum  )jDoznf.  Il  est  intéressant 
de  comparer  têctum,  dirëctum  qui  se  sont  conservés  in- 
tacts (toit,  droit),  sans  doute  parce  que  tëgere  et  rëgere 
avaient  disparu. 

2°  L'influence  du  parfait  se  fait  sentir  dans  mis,  pris,  quis, 
sis,  dérivés  de  missum,  pre'nsum,  *qu8esum,  *sesum  et 
dont  la  voyelle  irrégulière  paraît  due  aux  parfaits  mis,  pris, 
quis,  sis;  comp.  §  180. 


CHAPITRE  IX. 

LE  PRÉSENT  DE  L'INDICATIF. 


113.  On  peut  diviser  les  types  latins  en  deux  groupes  prin- 
cipaux, selon  que  la  première  personne  se  termine  par  -o  ou 
par  -io,  -eo  (en  latin  vulgaire  [jo]).  Le  premier  groupe  est  le 
plus  nombreux;  il  embrasse  tous  les  verbes  de  I:  canto, 
amo,  clamo,  lavo,  etc.,  et  la  plus  grande  partie  de  ceux  de 
III:  scribo,  vendo,  perdo,  vivo,  etc.  Le  deuxième  groupe 
embrasse  originairement  tous  les  verbes  de  II  et  de  IV:  te- 
neo,  sedeo,  video,  audio,  dormio,  servi  o,  senti  o,  etc., 
et  quelques-uns  de  III:  facio,  capio,  jacio,  etc.  En  latin 
vulgaire,  la  terminaison  -o  se  généralise  aux  dépens  de  -jo,  et 
on  dit  p.  ex.  '''sento,  *servo,  *dormo,  *vesto,  pour  sen- 
ti o,  servio,  dormio,  vestio.  Le  [j]  disparaît  de  la  1®  pers. 
du  sing.  et  de  la  3^  pers.  du  plur.  ;  la  chute  du  phonème  est 
attestée  par  les  formes  françaises  :  dor(s),  dorment  remontent  à 
*dormo,  *dormunt,  tandis  que  dormio,  dormiunt  au- 
raient donné  dorge,  dorgent.  Le  [j]  tombe  également  au  prés, 
du  subj.  (§  138)  et  au  part,  présent  (§  82  3):  dormiam  )  *dor- 
mam  )  dorme,  dormientem  )  *dormentem  )  dormant. 

A.  PREMIER  GROUPE. 

114.  Première  conjugaison. 

(Latin)  (Vieux  français)  (Français  moderne) 

canto  chant  chante 

cantas  chantes  chantes 

c  a  n  t  a  t  chante(t)  chante 

cantamus  chantons  chantons 

cantatis  chantez  chantez 

cantant  chantent  chantent 


115.  Observations  particulières. 

1°  La  1'"*^  personne  se  terminait  régulièrement  au  moyen  âge 
par  une  consonne:  chant,  port,  mant,  paroi,  jur,  aim,  conseil, 
lef,  etc.,  ou  par  une  voyelle  (diphtongue)  accentuée:  pri,  nei, 
plei,  chasii,  gré,  etc.  ;  dans  quelques  cas  isolés,  la  voyelle  latine 
finale  est  restée  comme  voyelle  d'appui  sous  la  forme  d'un  e 
féminin:  entre,  livre,  ramembre,  comble,  semble,  tremble,  mesle, 
brusle,  etc.  Dès  le  XIP  siècle,  l'e  féminin,  qui  se  trouvait  aussi 
dans  toutes  les  2^  et  3^  personnes  du  sing.,  a  été  introduit  dans 
les  1^*  personnes  qui  n'en  avaient  pas:  aim  )  aime,  chant  ) 
chante,  pri  )  prie,  plei  >  pleie,  etc.  Les  vieilles  formes  sans  e 
s'emploient  encore  au  XV*'  siècle,  surtout  en  poésie:  Je  conseil 
que  ....  (Quinze  joyes  de  mariage,  p.  45).  Je  me  vant  (Pate- 
lin, V.  331  ;  Paris,  Chansons  du  XV*^  siècle,  p.  60,  68).  A  Dieu 
vous  command  (Jacob,  Farces,  p.  243  ;  Paris,  /.  c,  p.  36  ;  Mys- 
tère de  St.  Laurent,  v.  3831).  Je  vous  asseur  (Paris,  /.  c,  p.  64, 
111).  Je  vous  aim  loyaulment  (ib.,  p.  105),  etc.  Les  formes 
telles  que  pri,  suppli  se  trouvent  encore  dans  Hardy. 

2^  Sur  l'amuïssement  du  s  final  de  la  2^  pers.,  voir  §  52. 

3®  Le  t  final  de  la  3^  pers.  est  conservé  encore  dans  la  Vie 
de  Saint  Alexis:  Ço  peiset  els,  mais  altre  ne  puet  estre  (v.  580). 
Pour  le  Roland,  la  mesure  nous  montre  que  l'amuïssement  de 
la  dentale  finale  avait  déjà  commencé,  mais  le  copiste  du  ms. 
O  la  garde  fidèlement,  même  là  où  elle  avait  réellement  disparu; 
il  écrit  ainsi:  Li  empereres  chevalchet  iréement  (v.  1834),  et: 
Muntet  el  palais,  est  venut  en  la  sale  (v.  3707),  quoiqu'il  faille 
prononcer  chevalch'  iréement,  mnnt'  el  palais. 

4°  A  la  l''  pers.  du  plur.  -ons  s'est  substitué  à  la  terminai- 
son latine  -a  mu  s;  voir  §  54. 

5®  A  la  2®  pers.  du  plur.,  l'a  latin  devient  ie  après  une  pala- 
tale: laxatis  >  laissiez,  collocatis  >  colchiez,  etc.  Comme  à 
l'infinitif  (§  73,  2)  et  au  part,  passé  (§  88)  cet  ie  a  été  rem- 
placé par  e:  laissiez  )  laissez,  couchiez  )  couchez. 

116.  Formes  particulières. 
P  Aller  fait  au  présent: 

(Latin  classique)  (Latin  vulgaire)  (Vieux  français)  (Français  moderne) 

va  do  vao  vois  vais  (vas) 

vadis  vas  vas  vas 

vadit  vait  vait,  vat,  va  va 


89 


(Latin  classique) 

(Latin  vulgaiie) 

(Vieux  français) 

(Fr 

ançais  moderne) 

(a  m  b  u  1  a  m  u  s) 

a  1 1  a  m  U  S 

alons 

allons 

(ambulatis) 

allatis 

alez 

allez 

vadunl 

vaunt 

vont 

vont 

Observations  particulières,  a)  La  forme  *vao  est  attestée 
par  la  plupart  des  langues  romanes;  en  français  elle  a  été 
élargie  par  l'addition  de  -is,  dont  l'origine  est  douteuse.  Au 
XVI*"  siècle,  vois  a  été  remplacé  par  vais  (analogie  de  /azs?); 
rappelons  cependant  que  Malherbe  continue  à  se  servir  de 
l'ancienne  forme  et  corrige  Desportes  toutes  les  fois  qu'il  em- 
ploie vais.  La  forme  analogique  vas  est  déjà  en  usage  au  temps 
de  la  Renaissance  (Thurot,  I,  325),  et  Théodore  de  Bèze  ob- 
serve (p.  40)  que  les  Bourguignons  disent  je  va.  Au  XVII^ 
siècle  elle  est  admise  par  Vaugelas:  »Tous  ceux  qui  sçavent 
escrire,  et  qui  ont  estudié,  disent,  ie  vais,  et  disent  fort  bien 
selon  la  Grammaire  ....  Mais  toute  la  Cour  dit,  ie  va,  et  ne 
peut  souffrir,  ie  vais,  qui  passe  pour  vn  mot  Prouincial,  ou 
du  peuple  de  Paris  «  {Remarques,  I,  85).  Ménage  et  plusieurs 
autres  grammairiens  protestent  contre  cette  décision.  Dans  les 
Remarques  de  l'Académie  sur  Vaugelas  on  lit:  »Je  vais  .... 
est  le  seul  qui  soit  aujourd'huy  authorisé  par  l'usage*.  La 
Fontaine  n'a  pourtant  pas  hésité  à  écrire:  Je  me  vas  désalté- 
rant (Fableà,  I,  n^  10).  En  1835,  l'Académie  remarque:  «L'ex- 
pression je  vas  ne  s'emploie  que  rarement  et  dans  le  style 
familier«.  Dans  la  langue  actuelle,  je  vas  appartient  au  parler 
vulgaire  et  dialectal:  Où  vas-tu  mon  ami?  J'y  vas  dans  ce 
vallon  (Puymaigre,  Chants  populaires,  I,  214).  Une  autre  forme 
analogique  est  j'ai,  qui  se  trouve  dans  quelques  patois  nor- 
mands, où  on  a  régularisé  tout  le  présent  et  où  on  conjugue  fal 
t'ai  il  al  j'alon  voz  aie  il  al  (Romdahl,  Glossaire  du  patois  du  val 
de  Saire.  Linkôping,  1882,  p.  73).  —  b)  A  côté  de  la  forme 
étymologique  de  la  2^  personne  vas,  on  trouve  aussi,  dans  la 
vieille  langue,  la  forme  analogique  vais,  qui  n'a  pas  survécu. 
—  c)  La  plus  ancienne  forme  de  la  3*^  personne  est  vait,  vet: 
Tôt  s'en  vait  déclinant  (Alexis,  v.  9).  Mult  malement  nus  vait 
(Roland,  v.  2106).  La  forme  vat  (va)  est  peut-être  due  à  l'ana- 
logie (^  at,  a).  Les  trois  formes  vait,  vat,  va  s'employaient 
simultanément  au  moyen  âge  ;  on  trouve  ainsi  dans  Orson  de 
Beauvais:  Trois  mos  en  vait  parler  (v.  160).  Ja  s'an  val  Guine- 


90 

mans  (v.  665).   Li  traïtes  le   va  reconforter  (v.  234).   —   d)  A 
la  l*"^  pers.  du  plur.  on  trouve  yons  dans  les  patois:  Nous  fons 
sercher  nout'  mée  (Rolland,  Chansons  populaires,  III,  7). 
2"  L'ancien  verbe  ester  (<^  s  tare)  faisait  au  présent: 


(Latin  classique) 

(Latin  vulgaire) 

(Vieux  français) 

sto 

estao 

estais 

stas 

estas 

.     estas 

stat 

estât 

esta(t) 

stamus 

è  s  t  a  m  u  s 

estons 

statis 

estatis 

estez 

stant 

estant 

estant 

Observations  PARTICULIÈRES,  a)  La  forme  *stao  est  attestée 
par  presque  toutes  les  langues  romanes;  elle  a  été  élargie  en 
français  par  l'addition  de  -is,  dont  l'origine  est  inexpliquée.  — 
b)  A  la  3^  pers.  on  avait  à  côté  de  estât  la  forme  analogique 
estait  (comp.  vat  et  voit). 

3°  Donner  faisait  à  la  1^  pers.  dains,  qui  paraît  provenir 
d'une  confusion  entre  les  deux  formes  hypothétiques  '^dan  « 
dono)  et  *dois  (<  do).  Doins  (doing,  doin),  qui  a  été  remplacé 
par  la  forme  analogique  donne,  s'employait  encore  au  XI V 
siècle:  Congié  te  doins  (Miracles  de  N.  D,,  n»  17,  1945). 

4°  Prover,  trouer,  raver  (<(  rogare)  faisaient  à  la  V^  pers. 
pruis,  trais,  ruis.  Ces  formes  curieuses  sont  peut-être  dues  à 
l'influence  de  puis;  elles  s'employaient  encore  au  XIV^  siècle: 
Se   la  voie  truis  (Mir.  de  N.  D.,  n"  3,  116). 

5^  Sur  le  changement  de  voyelle  dans  les  verbes  qui  ont 
un  e  féminin  à  la  pénultième  (soulever  —  soulève,  etc.),  voir 
§  19.  Ajoutons  ici  que  la  voyelle  ouverte  du  radical  est  mar- 
quée de  deux  manières  différentes,  tantôt  par  le  redoublement 
de  la  consonne  suivante,  tantôt  par  l'emploi  d'un  accent  grave. 
Le  premier  système,  qui  est  le  plus  ancien,  se  trouve  dans 
amonceler,  appeler,  atteler,  dételer,  carreler,  chanceler,  ciseler,  en- 
ficeler,  ensorceler,  épeler,  étinceler,  ficeler,  morceler,  niveler,  re- 
nouveler, et  cacheter,  caqueter,  crocheter,  décolleter,  dépaqueter, 
empaqueter,  épausseter,  fureter,  feuilleter,  haleter,  jeter,  moucheter, 
souffleter,  tacheter,  etc.  Le  deuxième,  qui  est  plus  récent,  s'em- 
ploie dans  bourreler,  écarteler,  geler,  harceler,  marteler,  modeler, 
peler,  acheter,  becqueter,  colleter,  et  tous  les  verbes  dont  le  radi- 


91 


cal  se  termine  par  une  consonne  autre  que  /  et  t:  lever,  ache- 
ver, halener,  empeser,  etc. 

6°  Dans  les  verbes  en  -oyer  et  -uyer,  l'y  est  remplacé  par 
i  devant  un  e  féminin:  employer  —  f emploie,  tu  emploies,  etc.; 
essuyer,  essuyons  —  il  essuie,  ils  essuient,  etc.;  pour  les  verbes 
en  -ayer  il  y  a  hésitation,  on  écrit  je  paye  ou  je  paie  (l'y  se 
conserve  toujours  dans  les  verbes  en  -eyer).  Le  changement 
orthographique  d'y  en  i  n'est  pas  restreint  au  présent  de  la 
l*"*^  conjugaison:  employer  — j'emploierai,  fuyant  —  ils  fuient, 
nous  croyons  —  ils  croient,  etc. 


117.  Comme  types  des  autres  conjugaisons  nous  citerons  de- 
beo,  perdo,  dormio,  floresco. 


(Latin  classique) 

(Latin  vulgaire) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

dois            1^ 

debeo 

debo 

dei,  doi 

debes 

debes 

deis,  dois 

dois 

débet 

débet 

deit,  doit 

doit 

debemus 

debemus 

devons 

devons 

debetis 

debetis 

deveiz,  devoiz 

devez 

debent 

debent 

deivent,  doivent 

doivent 

perdo 

perdo 

pert 

perds 

perdis 

perdis 

perz    5 

perds 

perdit 

perdit 

pert 

perd 

perdïmus 

perdëmus 

perdons 

perdons 

perdïtis 

perdëtis 

perdeiz,  perdoiz 

perdez 

perdunt 

perdunt 

perdent 

perdent 

dormio 

d  0  r  m  o 

dor 

dors 

dormis 

dormis 

dors 

dors 

dormit 

dormit 

dort 

dort 

dormïmus 

dormëmus 

dormons 

dormons 

dormltis 

d  0  r  m  ê  t  i  s 

dormeiz,  dormoiz 

dormez 

d  o  r  m  i  u  n  t 

dormunt 

dorment 

dorment 

floresco 

florisco 

floris 

fleuris 

florescis 

floriscis 

ftoris 

fleuris 

florescit 

floriscit 

florit 

fleurit 

florescimus 

floriscemus 

ftorissons 

fleurissons 

flo  rescitis 

floriscetis 

florissez 

fleurissez 

florescunt 

floriscunt 

florissent 

fleurissent 

92 

118.  Observations  particulières. 

P  La  1^  pers.  du  sing.  se  terminait  régulièrement  au  moyen 


âge  soit  par  une  consonne  :  pert,  prent,  dor,  finis,  soit  par  une 
voyelle  (diphtongue)  accentuée:  di,  doi,  voi;  dans  quelques 
verbes  isolés  on  avait  un  e  féminin:  ouvre,  offre,  emple.  La 
langue  moderne  a  conservé  intactes  les  formes  en  e  (emple  a 
été  remplacé  par  emplis),  toutes  les  autres  se  terminent  main- 
tenant par  s:  perds,  prends,  dors,  dis,  dois,  vois.  Cette  lettre 
paragogique  est  probablement  due  à  l'analogie  des  quelques 
jres  personnes  qui  avaient  un  s  final  étymologique:  puis,  crois 
(cresco),  conois  (cognosco),  finis,  languis,  etc.  Le  s  parago- 
gique se  montre  de  bonne  heure  (cf.  desdis  pour  desdi,  Raoul 
de  Cambray,  v.  2807  ;  la  forme  se  trouve  à  la  rime),  mais  il 
met  du  temps  à  se  généraliser,  et  les  formes  étymologiques 
sont  encore  prépondérantes  au  XV®  siècle.  Même  Sibilet  (1548) 
se  prononce  énergiquement  contre  le  s:  »Tu  te  dois  garder  de 
mettre  s  aux  premières  personnes  singulières  des  verbes  de 
quelque  mœuf  ou  temps  qu'ils  soient:  comme  ie  voy,  tu  voys, 
il  voit:  ie  aimoye  ....  ie  rendi  ....  ie  boiray  ....  si  ie  faisoie 
....  quand  ie  diroie  ....  :  ce  que  tu  verras  auiourd'huy  ob- 
serué  des  sauans  en  leurs  escritures:  et  la  raison  t'enseigne 
que  tu  les  dois  obseruer  ainsi,  à  cause  que  s  est  note  de 
seconde  personne  aux  Grecs  et  aux  Latins  :  et  doit  estre  à 
nous,  qui  tenons  d'eux  la  pluspart  du  bien  que  nous  auons. 
Que  si  tu  rencontres  en  Marot  ou  autres  cecy  non  obserué, 
lisant  ie  veys,  ie  dis,  ie  feis,  ie  mets,  ie  promets,  et  autres  avec 
s  en  première  personne  singulière  :  si  c'est  en  fin  de  vers,  ap- 
pelle cela  licence  poétique  s'estendant  jusques  à  impropriété  à 
fin  de  seruir  à  la  ryme.  Si  ailleurs,  dy  que  c'est  faute  d'im- 
pression :  ou  l'attribue  à  l'iniure  du  temps,  qui  n'auoit  encore 
mis  ceste  vérité  en  lumière.  Le  mesme  dois  tu  obseruer  au 
singulier  de  l'impératif,  disant  fay,  dy,  ly,  voy,  ry,  repond,  pren, 
vien,  tien,  mor,  va,  cou  etc«  (Thurot,  II,  40).  Vaugelas  autorise 
l'emploi  de  s:  »  Quelques  vus  ont  creu  qu'il  falloit  oster  Vs 
finale  de  la  première  personne,  et  escrire,  ie  croy,  ie  fay,  ie  dy, 
ie  crain,  etc.  changeant  1'/  en  y,  selon  le  génie  de  nostre  langue, 
qui  aime  fort  l'vsage  des  y  grecs  à  la  fin  de  la  pluspart  des 
mots  terminez  en  i;  et  qu'il  falloit  escrire  ainsi  la  première 
personne,  pour  la  distinguer  d'auec  la  seconde:  tu  crois,  tu 
fais,  tu  dis,  tu  crains,  etc.    Il  est  certain  que  la  raison  le  vou- 


93 

droit,  pour  oster  toute  equiuoque,  et  pour  la  richesse  et  la 
beauté  de  la  langue  ;  mais  on  pratique  le  contraire,  et  l'on  ne 
met  point  de  différence  ordinairement  entre  ces  deux  per- 
sonnes«  (Remarques,  l,  226).  Ménage  n'est  pas  content  de  cette 
Remarque,  et  tout  en  admettant  je  fais,  je  crains,  je  tiens,  je 
prens,  j'entends,  il  veut  qu'on  écrive  je  say,  je  dy,  je  croi,  j'escrî 
(Observations,  p.  318)  ;  c'est  une  pure  bizarrerie  qui  n'entrave 
en  rien  la  victoire  définitive  du  s  final  à  la  1^  pers.  Ce  sont 
les  poètes  qui  offïent  le  plus  grand  nombre  d'exemples  de 
formes  sans  s;  on  les  trouve  principalement  à  la  rime.  Ex- 
emples: Je  voi:  toi  (Corneille,  Le  Cid,  v.  771;  cf  v.  851). 
Étourdi:  je  di  (Molière,  L'Étourdi,  I,  se.  4).  Moi:  je  voi  (Amphi- 
tryon, II,  se.  4).  Je  ne  sai:  blessé  (École  des  maris,  I,  se.  2); 
bouchon:  répond  (ib.,  II,  se.  9).  Je  vous  tien:  bien  (Racine,  Plai- 
deurs, I,  se.  3).  Moy:  je  le  doy  (Andromaque,  v.  628:  comp. 
v.  1095);  je  la  voy:  moy  (ib.,  v.  803)  ;  je  voi  bien  (ib.,  v.  1275). 
Je  Vapperçoy:  le  roy  (Boileau,  Sat.  VIII),  etc.  Ces  »licences«  se 
trouvent  encore  au  XIX®  siècle:  Je  croi:  beffroi  (A.  de  Vigny, 
Madame  de  Soubise);  roi:  je  croi  (A.  de  Musset,  A  quoi  rêvent 
les  jeunes  filles);  je  te  voi:  moi  (V.  Hugo,  Les  Contemplations)^ 
je  sai:  passé  (V.  Hugo,  Légende  des  Siècles),  etc.  —  Rappelons 
enfin  que,  par  une  fausse  analogie,  les  poètes  ont  parfois  sup- 
primé le  s  final  là  où  il  était  étymologique:  comme  on  écrivait 
indifféremment  je  di  et  je  dis,  on  a  créé  je  fini  à  côté  de  je 
finis.  Exemples:  Je  frémi:  ami  (Corneille,  Menteur,  II,  se.  5); 
je  frémi:  endormi  (Molière,  L'Étourdi,  II,  se.  4);  je  vous  en 
averti:  parti  (Racine,  Bajazet,  II,  se.  3),  etc. 

Remarque  1.  La  terminaison  e,  dernier  reste  de  l'o  final  latin,  se  trouve 
dans  ouvre,  couvre,  offre,  souffre.  Il  a  été  introduit  postérieurement  dans 
cueille  et  saille  (§  121).  Plusieurs  vieux  textes  montrent  un  emploi  plus  géné- 
ral de  l'e  final.  Dans  le  Myst.  de  S.  Bernard  de  Menthon  on  trouve  je  con- 
sente (v.  514),  je  me  sente  bien  aggrave  (2360,  4123),  je  rende  (v.  3892),  etc. 
La  même  généralisation  de  Ve  se  retrouve  dans  quelques  patois  modernes, 
surtout  le  wallon. 

Remarque  2.  Les  vieilles  formes  vif,  escrif,  heif,  receif,  muef,  serf  perdent 
leur  consonne  finale  (§  41):  vif  >  vi  )  vis,  beif  )  bei  )  boi  )  bois,  etc.;  cette 
chute   est   probablement   due  à  l'analogie  des  autres  personnes  du  singulier. 

2"  A  la  2'''  pers.  du  sing.,  \e  z  étymologique  a  été  remplacé 
par  s:  perz  )  pers  (perds),  renz  >  rens  (rends),  etc^ 

3"  A  là  3*^  pers.,  on  écrit  dans  la  langue  moderne  tantôt  t,. 
tantôt  d  (il  plaint,  il  perd);  voir  §  53,  Rem.  " — 


94 

4®  A  la  Impers,  du  plur.,  -ons  a  fini  par  remplacer  -ëmus, 
-ïmus,  -i  m  us,  voir  §  54. 

5°  A  la  2^  pers.  du  plur.,  -ez  a  remplacé  -êtis,  -ïtis,  -îtis, 
voir  §  56. 

119.  Formes  particulières. 

1°  Cado.  On  conjuguait  d'abord  chie  chies  chiet  cheons  cheez 
chient,  puis  ches  ches  chet  cheons  (cheyonsj  cheez  (cheyez)  cheent; 
et  enfin,  sous  l'influence  de  l'infinitif,  chois  chois  choit  choyons 
choyez  choient;  on  trouve  rechoit  déjà  dans  le  poème  de  Jou- 
froi  (v.  1150).  Quant  aux  composés,  la  langue  moderne  hésite 
entre  échoit  échoient  et  échet  échéent;  Littré  admet  déchet,  à  côté 
de  déchoit,  et  déchéent  se  trouve  encore  dans  Bossuet. 

2^  Dico.  L'ancienne  flexion  était  di  dis  dit  dimes  dites  dient. 
Elle  a  été  remplacée  par  dis  dis  dit  disons  dites  disent. 

Observations  particulières.  —  a)  La  forme  étymologique 
dimes  (Alexis,  v.  625;  Ph.  de  Thaun,  Bestiaire,  v.  314)  dis- 
paraît de  bonne  heure;  elle  est  supplantée  par  disons,  modelé 
sur  disant,  diseie.  La  forme  collatérale  dioms  (Quatre  Livres 
des  Bois),  modelée  sur  dient,  était  peu  employée.  —  b)  A  côté 
de  la  forme  étymologique  dites,  conservée  jusqu'à  nos  jours,  il 
s'est  produit  deux  formes  analogiques:  diez,  disparu  depuis 
longtemps,  et  disez  qui  s'emploie  dans  les  patois;  A!  disez-moi, 
maman,  ma  mie  (Bolland,  Chansons  populaires,  III,  38).  Quant 
aux  composés,  la  langue  littéraire  moderne  admet  la  forme 
étymologique  dans  redites  et  là  forme  analogique  dans  contre- 
disez, dédisez,  médisez,  interdisez,  prédisez.  On  trouve  dans  Mo- 
lière: Ne  m'en  dédites  pas  (Tartuffe,  III,  se.  4).  Vaugelas  re- 
marque que  beaucoup  disent  uous  mesdites  pour  vous  mesdisez 
{Remarques,  II,  356).  —  c)  La  forme  étymologique  dient  est 
encore  citée  par  Du  Val  (1604):  disent  remonte  à  la  fin  du 
XIIP  siècle. 

3°  Duco.  L'ancienne  conjugaison  était:  dui  duis  duit  duisons 
duisiez  duient:  elle  a  été  remplacée  par  duis  duis  duit  duisons 
duisez  duisent  (sur  la  généralisation  du  s,  voir  §  44).  —  On 
trouve  au  moyen  âge  des  exemples  de  duions,  reformation  sur 
le  modèle  de  dui,  duie  (§  139,5),  duient;  comp.  disohs  et  dions. 

4°  *Sedo,  pour  sedeo  (§  113).  L'ancienne  flexion  était:  sie 
siez  (sies)  siet  seons  seez  siéent  (seent) ;  elle  a  été  remplacée  par 
sieds  sieds  sied  seyons  seyez  seyent.  Ces  formes  ne  sont  plus  très 


95 

employées.  Quant  aux  composés,  asseoir  fait  ou  /assieds  nous 
asseyons  ou  j'assois  nous  assoyons;  surseoir  n'a  que  la  seule 
forme  je  sursois. 

Remarque.  A  propos  de  quelques  remarques  de  Vaugelas  sur  je  m'assieds, 
Thomas  Corneille  fait  une  observation  dont  je  reproduis  le  commencement 
à  titre  de  curiosité:  »Je  m'assieds,  etc.  On  dit  aussi,  je  m'assis,  tu  t'assis, 
il  s'assit,  et  ce  dernier  me  semble  plus  usité.  Nous  nous  asseions,  vous  vous 
asseiez;  on  dit  aussi,  nous  nous  assisons,  vous  vous  assisez,  ils  s'assisent. 
Il  me  souvient  qu'il  n'y  avoit  pas  longtemps  que  j'estois  de  l'Académie, 
lorsqu'on  y  proposa  la  conjugaison  de  ce  verbe:  M.  de  Serisay,  qu'on  appel- 
loit  Serisay  la  Rochefoucault,  M.  l'Abbé  de  Geris}%  M.  Vaugelas,  Ablancourt, 
Gombaut,  Chapelain,  Faret,  Malleville  et  autres  y  estoient.  Je  ne  parle  que 
des  morts:  nous  n'avons  point  eu  de  meilleurs  Grammairiens,  sur-tout  Vau- 
gelas, Cerisy  et  Serisay.  Il  passa  enfin  que  je  m'assieds  et  je  m'assis,  tu  t'as- 
sieds et  tu  t'assis  se  disoient  également;  que  il  s'assied  et  //  s'assit  estoient 
tous  deux  bons,  mais  qu'zZ  s'assied  estoit  le  meilleur:  nous  nous  assuions, 
nous  nous  assisons,  vous  vous  asseiez,  vous  vous  assisez  étoient  tous  deux 
bons,  mais  qu'asseions,  asseiez,  étoient  meilleurs.  Pour  la  troisième  personne 
plurielle,  je  ne  me  souviens  point  de  ce  qui  en  fut  décidé;  mais  je  confesse 
que  qu'iZs  s'assient  me  choque,  et  je  dirai  tousjours,  ils  s'asseient  si  ce  n'est 
qu'une  rime  ou  une  consonnance  m'oblige  de  dire,  assisent;  mais  comme 
notre  Auteur  est  pour  s'assient,  je  ne  le  puis  condamner*  (Vaugelas,  Re- 
marques, I,  273).  On  est  encore  peu  d'accord  sur  la  3<=  pers.  du  plur.  :  Mas- 
sillon  écrit  siéent,  et  Sainte-Beuve  emploie  la  contamination  sieijent 

5®  *Sequo,  pour  sequor  (§  3).  On  conjuguait  d'abord  siu 
sius  siut  seuons  (seivons)  sevez  (seivez)  sivent;  puis  iu  est  devenu 
ui  (§  31,  Rem.),  d'où  sui(s)  suis  suit,  et  l'analogie  de  ces  formes 
amène  d'abord  suivent,  ensuite  suivons  suivez. 

6^  Sum.  L'ancienne  conjugaison  était  sui  (suis)  ies  (es)  est 
soms  (somes,  esmesj  estes  (iestes)  sont.  Elle  a  été  remplacée  par 
suis  es  est  sommes  êtes  sont. 

Observations.  —  a)  Pour  sum  on  aurait  attendu  '^son  (comp. 
m(e)um  )  mon;  I,  §  318):  la  forme  sui  reste  inexpliquée  (peut- 
on  y  voir  une  influence  du  passé  déf.  fuil);  le  s  final  est  pro- 
bablement dû  à  l'analogie  de  puis.  —  b)  A  la  V'^  pers.  du  plur. 
on  trouve  quatre  formes  différentes:  soms  ou  sons,  sommes, 
esmes,  suymes.  Voici  quelques  mots  sur  leur  développement. 
Soms  (.sons)  remonte  à  su  m  us,  dont  il  est  le  produit  régulier; 
il  n'était  pas  d'un  emploi  très  étendu  au  moyen  âge;  on  en 
trouve  des  exemples  dans  Philippe  de  Mousket,  dans  Richard 
li  Biaus  (v.  2731,  2753,  3347),  le  Brut  de  Munich  (v.  826), 
Rustebuef  (I,  p.  90,  131,  175,  etc.),  les  Miracles  de  Notre  Dame 


96 

(n»  8,  V,  938),  les  Chroniques  de  Froissart,  et  il  se  retrouve 
dans  les  parlers  populaires  et  vulgaires  de  nos  jours:  Ne  sons 
prou  loin  (L.  Pineau,  Folklore  du  Poitou,  p.  269).  Car  nous 
sons  soûls  (Richepin,  Chansons  des  gueux,  10).  Eh  ben,  est-ce 
que  nous  sons  pas  des  électeurs  (Gyp,  Dans  l'train,  p.  208). 
Quand  nous  aut'  nous  sons  dans  la  dèche  (Mac  Nab,  L'expul- 
sion). Sommes,  qui  remonte  également  à  sumus,  doit  son  eà 
quelque  influence  analogique;  il  se  trouve  dès  les  plus  anciens 
textes  (Alexis,  v.  364,  617,  618)  et  était  la  forme  la  plus  em- 
ployée. Esmes,  probablement  modelé  sur  estes,  s'employait  al- 
ternativement avec  sommes:  Las!  malfadut!  com  es/7jes  encom- 
bret!  Quer  ça  vedons  que  tôt  somes  desvet  (Alexis,  v.  616 — 
617);  il  disparaît  avec  le  XIII^  siècle.  Rappelons  enfin  suymes 
en  usage  au  XV^  siècle:  Nous  suymes  gentilzhommes  (Paris, 
Chansons  du  XVP  siècle,  p.  145;  cf.  ib.,  p.  23,  113).  Nous  ne 
suymes  pas  si  sottes  (Quinze  joies  de  mariage,  p.  124);  cette 
forme  curieuse  paraît  être  une  transformation  de  sommes  sous 
l'influence  de  suis. 

7^  Tremo.  La  flexion  ancienne  est  criem  criens  crient  cre- 
mons  cremez  criement;  elle  a  été  changée  en  crains  crains  craint 
craignons  craignez  craignent.  Ce  changement  est  dû  à  l'influence 
de  plains  (cf.  §  47). 


B.  DEUXIÈME  GROUPE. 

120.  Ce  groupe,  nous  l'avons  déjà  dit,  était  bien  moins  nom- 
breux en  latin  vulgaire  qu'en  latin  classique  (comp.  §  113),  et 
il  faut  remarquer  que  le  [j],  même  s'il  se  maintient  à  la  V^ 
pers,  du  sing.,  disparaît  toujours  de  la  3*^  pers.  du  plur.  On 
disait  en  latin  vulgaire: 

audio  facio  *morio 

*audunt  facunt  .       *morunt 

d'où  en  vieux  français: 

oi  faz  muir 

oent  font  muèrent 

A  cause  du  développement  particulier  que  subit  une  con- 
sonne suivie  de  [j]  (voir  I,  §  471 — 477),  tous  les  verbes  de  ce 


97 

groupe  présentent  à  la  V^  pers.  du  sing.  une  forme  qui  diffère 
notablement  des  cinq  autres;  mais  cette  forme  particulière 
n'existe  de  nos  jours  que  dans  le  seul  verbe  pouvoir,  où  l'ana- 
logie n'a  pas  encore  réussi  à  remplacer  je  puis  par  la  forme 
refaite  je  peux.  —  En  examinant  maintenant  les  formes  en 
[jo]  et  leur  sort  en  français,  nous  les  rangeons  dans  des  groupes 
selon  la  nature  de  la  consonne  précédente. 

I.  LIQUIDE  (L,  R)  +  JO. 

121.  L  -f-  J-  Cette  combinaison  se  trouve  dans  valeo,  do- 
leo,  soleo,  salio,  b u  11  io  et,  par  analogie,  dans  *voleo  (pour 
volo),  *fallio  (pour  fallo),  *collio  (pour  colligo).  Tous 
ces  verbes  présentaient  originairement  en  français  un  [K]  à  la 
V^  pers.  du  sing.;  on  conjuguait  au  moyen  âge  vail  vais  vali, 
dueil  duels  duelt,  etc.  Cette  flexion  ne  s'est  pas  maintenue:  les 
formes  avec  [K]  ont  été  ou  écartées  sous  l'influence  des  formes 
sans  [À],  ou  généralisées.  Ainsi  boil,  dueil,  fail,  vail,  voil  ont 
été  remplacés  par  bous,  deux  (encore  dans  Régnier,  Sat.  V), 
faux,  vaux,  veux.  Dans  cueillir,  le  [X]  qui  se  trouvait  dans  la 
plupart  des  autres  formes  a  été  généralisé;  ainsi  cueil  cuelz 
cuelt  est  devenu  cueil  cueilles  cueille  et  enfin  cueille  cueilles  cueille 
(comp.  §  214,  i).  On  constate  le  même  développement  dans 
saillir,  dont  les  vieilles  formes  sail  sais  sait  ont  été  remplacées 
par  saille  sailles  saille  (comp.  assaille,  tressaille).  La  fixation  de 
ces  formes  n'a  eu  lieu  qu'après  beaucoup  d'hésitations;  vers  la 
fin  du  moyen  âge  on  trouve  dans  les  mêmes  textes  je  vueil, 
je  me  dueil,  je  fail,  je  vail,  je  sail,  à  côté  de  je  veuls,  je  me 
deuls,  je  fauls,  je  vauls,  je  sauls.  On  trouve  encore  dans  Régnier 
assaut,  tressaut,  et  Malherbe  lui-même  emploie  assaut,  tout  en 
protestant  contre  tressaut,  dont  se  sert  Desportes.  A  partir  du 
grand  siècle,  assaille  et  tressaille  sont  les  seules  formes  ad- 
mises. Des  observations  pareilles  s'appliquent  au  présent  de 
défaillir;  rappelons  que  Littré  défend  encore  défaus  »donné  par 
de  bons  auteurs«,  mais  la  langue  actuelle  ne  reconnaît  que 
défaille.  Ex.  :  La  femme  est  peu  hardie  et,  rien  qu'au  bruit  du 
fer.  Défaille  (C.  Mendès,  Médée,  p.  33,  169).  La  généralisation 
du  [Ji]  a  été  poussée  plus  loin  dans  les  patois  que  dans  la 
langue  littéraire;  dans  le  parler  du  Centre  On  dit  p.  ex.  il 
bouille  pour  il  bout. 

'  7 


98 

122.  R  -|-  J.  Cette  combinaison  se  présente  dans  *morio, 
dont  voici  la  flexion  primitive:  muir  muers  muert  morons  mo- 
rez  muèrent.  De  très  bonne  heure  on  s'est  servi,  à  la  l^'^pers,, 
de  la  forme  analogique  muer  qui  a  seule  survécu.  Exemples: 
Se  je  i  muir,  s'arez  ma  signorie  (Raoul  de  Cambrai,  v.  4305). 
Et  s'ensi  meur,  trop  cruel  me  sereis  (Bartsch-Horning,  p.  111,8). 

II.  LABIALE  (B,  P)  +  J  O. 

123.  B  -f  J.  Cette  combinaison  se  trouve  dans  debeo  et  habeo. 
P  Debeo  se  réduit  en    latin  vulgaire   à  *deio.    L'ancienne 

flexion  était  dei  deis  deit  devons  deveiz  (-ez)  deivent;  elle  a  été 
remplacée  par  doi(s)  dois  doit  devons  devez  doivent.  On  trouve 
parfois  au  pluriel  des  formes  sans  v:  Ne  doyon  estre  Ses  sub- 
getz  (Mystère  de  St.  Laurent,  v.  2805);  elles  ont  dû  être  mode- 
lées sur  crois  —  croyons. 

2°  Habeo  perd  également  son  b  en  latin  vulgaire  et  se  ré- 
duit à  *ajo  as  at  abemus  abêtis  aunt.  L'ancienne  con- 
jugaison était:  ai  (ei,  oi,  e)  as  a,  at  avons  aveiz  ont.  Elle  a  été 
remplacée  par  ai  as  a  avons  avez  ont. 

Observations.  —  a)  Ai,  prononcé  d'abord  ai  (I,  §  200), 
rime  depuis  le  XIII*^  siècle  avec  Ve  venant  du  latin  a  (I,  §  171): 
ai:  volé  (Renard,  v.  25263);  comp. /é  (Guingamor,  v.  192).  Cette 
prononciation  s'est  maintenue  jusqu'à  nos  jours:  J'ai:  congé 
(Femmes  savantes,  v.  421);  comp.  les  remarques  sur  sais  (§  124) 
et  le  futur  (§  218,  i).  Notons  encore  que  ai  n'a  pas  été  muni  du 
s  analogique  (§  51,7):  sai  devient  sais,  mais  ai  reste  tel  quel; 
ais  se  trouve  sporadiquement  dans  les  vieux  textes  (voir  par  ex. 
Myst.  de  St.  Adrien,  v.  4886).  —  b)  Sur  la  conservation  de  l'a 
dans  as,  at,  voir  I,  §  173,  Sur  le  sort  du  t  final  de  at,  voir 
§  53.  —  c)  A  côté  de  avons,  on  emploie  dans  les  parlers  popu- 
laires ons,  fait  sur  ont.  Exemples:  N'ons  pas  mangé  d'puis 
hier  au  soir,  N'ayons  le  cœur  bien  attaqué  (L.  Pineau,  Folk- 
lore du  Poitou,  p.  282).  Nous  ons  la  gorge  Plus  rouge  qu'un 
brûlant  de  forge  (Richepin,  Chansons  des  gueux,  p.  10).  — 
d)  A  côté  de  ont,  les  parlers  populaires  offrent  avont,  fait  sur 
avons.  Exemple:  Dans  les  prisons  de  Pontoise  Tous  les  trois 
ils  les  avont  mis  (Decombe,  Chansons  populaires,  p.  267). 

124.  P  -[-  J*  Cette  combinaison  se  trouve  originairement  dans 
sapio,  mais  l'influence  de  habeo  >  *ajo   (§  123)  amène  sa- 


99 

pio  >  *sajo.  L'ancienne  conjugaison  était  sai  ses  set  savons 
savez  sevent;  elle  a  été  remplacée  par  sais  sais  sait  savons  sa- 
vez savent. 

Observations. —  a) Lai''*'  pers.sing. l'emporte  donc  graphique- 
ment sur  la  2^  et  la  3^  pers.  ;  phonétiquement  c'est  l'inverse 
qui  a  lieu:  sais  [se]  doit  son  é  fermé  à  l'analogie  des  anciennes 
formes  ses  et  set;  on  trouve  au  XIV*'  siècle  la  notation  je  sce 
ou  je  scey.  —  b)  Sevent  qui  remonte  à  *sapunt  s'emploie  en- 
core au  XV^  siècle  :  Hz  ne  se  scevent  ou  estendre  (Greban,  Pas- 
sion, V.  4476).  Les  autres  scevent  bien  que  telles  choses  vallent 
{Quinze  joies  de  mariage,  p.  187).  Villon  se  sert  de  scavent. 

IIL  DENTALE  (D,  T)  -\-  JO. 

125.  D  -|-  J«  Cette  combinaison  se  présente  dans  audio 
dont  voici  les  formes  primitives:  oi  oz  ot  oons  oez  oent;  la 
généralisation  de  l'f  de  la  l""^  pers.  produit  la  flexion  analogique 
suivante:  ois  ois  oit  oyons  oyez  oient. 

126.  T  -j-  J*  Cette  combinaison  se  trouve  dans  deux  formes 
hypothétiques  *poteo  (cf.  §  72)  et  *hatio. 

l**  Voici  la  flexion  de  *poteo  au  moyen  âge:  puis  puez 
(pues)  puet  poons  poeiz  pueent.  On  conjugue  maintenant:  puis 
(peux)  peux  peut  pouvons  pouvez  peuvent. 

Observations.  —  a)  A  la  l""^  pers.,  la  forme  analogique  je 
peux  n'a  été  acceptée  que  très  tard;  elle  est  encore  blâmée  par 
Vaugelas:  »  Plusieurs  disent  et  escrivent  ie  peux.  le  ne  pense 
pas  qu'il  le  faille  condamner,  mais  ie  sçay  bien  que  ie  puis, 
est  beaucoup  mieux  dit,  et  plus  en  vsage«  (Remarques,  I,  143). 
—  b)  Au  pluriel,  le  v  des  formes  modernes  est  peut-être  dû  à 
l'analogie  de  mouvons,  prouvons,  etc.  —  c)  A  la  3®  personne 
l'influence  de  veulent  a  produit  peulent  (Dolopathos,  v.  4159; 
Orson  de  Beauvais,  v.  2461  ;  E.  Deschamps,  IX,  704).  Au  XVI« 
siècle,  J.  Pelletier  remarque:  »Les  uns  à.\sQni peuvent,  les  autres 
pevent  et  encore  les  autres  peulent«  (Livet,  p.  157).  La  forme 
avec  /  était  dialectale  (comp.  Romania,  XXVIII,  253);  elle  s'em- 
ploie encore  en  wallon  (rappelons  aussi  le  vénitien  pol,  et  le 
piémontais  pôl). 

2"  Voici  la  flexion  de  *hatio  au  moyen  âge:  hai  hez  het 
haons   haez    heent.    A  la  1'"®  pers.  on   trouve   aussi   he   (encore 


100 

dans  Charles  d'Orléans),  refait  sur  hez,  het,  et  haz  modelé  sur 
faz.  Quand  faz  disparaît  devant  fais  (§  127),  haz  devient  hais, 
et  on  conjugue  vers  la  fin  du  moyen  âge  hais  hais  hait  hayons 
haijez  haient.  Au  XV*"  siècle,  l'influence  des  verbes  inchoatifs 
commence  à  se  faire  sentir;  Meigret  est  le  premier  grammai- 
rien qui  donne  haïssons,  et  une  lutte  s'établit  entre  l'ancienne 
conjugaison  simple  et  la  conjugaison  inchoative.  Joachim  du 
Bellay  ayant  employé  la  forme  je  hay  dans  une  de  ses  odes, 
en  a  été  blâmé  par  Charles  Fontaine  dans  son  »Quintil  Cen- 
seur* en  ces  termes:  »La  première  du  verbe  haïr,  qui  est  je 
hay,  que  tu  fais  monosyllabe,  est  de  deux  syllabes  divisées, 
sans  diphtongue  ;  comme  il  appert  par  le  participe  haï,  et  l'in- 
fmitif  haïr,  qui  sont  divisez  ainsi  par  tous  ses  temps  et  per- 
sonnes «  (comp.  Ménage,  Observations,  p.  407).  Les  deux  sys- 
tèmes finissent  par  se  confondre  dans  le  compromis  curieux 
adopté  dans  la  langue  moderne.  C'est  encore  ici  Vaugelas  qui 
a  tranché  la  question;  il  s'exprime  ainsi  en  parlant  de  haïr: 
»Ce  verbe  se  conjugue  ainsi  au  présent  de  l'indicatif  ie  hais, 
tu  hais,  il  hait,  nous  haïssons,  vous  haïssez,  ils  haïssent,  en  fai- 
sant toutes  les  trois  personnes  du  singulier  d'vne  syllabe,  et 
les  trois  du  pluriel,  de  trois  syllabes.  Ce  que  ie  dis,  parce  que 
plusieurs  conjuguent,  ie  haïs,  tu  haïs,  il  haït:  faisant  haïs  et 
haït,  de  deux  syllabes,  et  qu'il  y  en  a  d'autres,  qui  font  bien 
pis  en  conjuguant  et  prononçant  j'haïs,  comme  si  l'h,  en  ce 
verbe  n'estoit  pas  aspirée,  et  que,  Ve,  qui  est  deuant,  se  peust 
manger  [comp.  I,  §  486]  ;  Au  pluriel  il  faut  conjuguer  comme 
nous  auons  dit,  et  non  pas,  nous  hayons,  vous  hayez,  ils  hayent, 
comme  font  plusieurs,  mesme  à  la  Cour,  et  tres-mal«  {Re- 
marques, I,  75).  Dans  la  langue  populaire  actuelle  on  entend 
je  haïs  (cf.  §  225)  pour  je  hais. 

IV.  PALATALE  +  JO. 

127.  K  -j-  J.  Cette  combinaison  se  trouve  dans  facio,  pla- 
ce o,  taceo,  jacio,  noceo,  luceo.  Les  représentants  étymo- 
logiques des  cinq  dernières  formes  n'existent  pas;  au  lieu  de 
plaz,  taz,  jaz,  noz,  luz  qu'on  aurait  attendus,  on  trouve  les 
formes  analogiques  plais,  tais,  gis,  nuis,  luis,  refaites  sur  les 
autres  personnes  du  sing.  Le  seul  verbe  qui  ait  conservé  une 
1''^  personne  étymologique  est  facio  dont  voici  la  flexion: 


101 


(Latin  classiiiue) 

(Latin  vulgaire) 

(Vieux  français) 

(Fr.  moderne) 

facio 

fakjo 

faz,  fas 

fais 

facis 

fais 

fais 

fais 

facit 

fait 

fait 

fait 

facimus 

faimus 

faimes 

faisons 

facitis 

faitis 

faites 

faites 

faciunt 

faunt 

font 

font 

Observations.  —  a)  La  forme  étymologique  de  la  1'"*'  per- 
sonne s'emploie  encore  au  XIV^  siècle:  Non  fas  je  moi  (Mir. 
de  N.  D.,  2,  1057);  la  forme  analogique  fais  apparaît  déjà  dans 
le  Rom.  de  la  Rose.  On  a  aussi  fois,  encore  en  usage  au  temps 
de  la  Renaissance  (Rabelais,  Montaigne).  —  b)  A  la  1'"*'  pers. 
du  plur.,  faimes  était  encore  en  usage  au  XIV^  siècle  (H.  de 
Mondeville).  La  forme  victorieuse  faisons,  modelée  sur  faisant, 
faisoie,  se  trouve  déjà  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois.  On 
trouve  aussi  faions  (Ezéchiel,  IX,  26),  modelé  sur  traions,  fomes 
(Rom.  de  la  Rose),  modelé  sur  somes,  et  fons  (comp.  nous  vons, 
§  116,  1, d):  Contre  luy  ne  fons  que  murmurer  (Montaiglon, 
Recueil  de  poésies  françaises,  XI,  130).  Les  deux  dernières 
formes  sont  encore  en  usage  dans  la  langue  populaire  (Nisard, 
Le  langage  populaire  de  Paris,  p.  239).  —  c)  A  la  2®  pers.  du 
plur.,  la  langue  populaire  se  sert  de  la  forme  analogique  vous 
faisez  (R.  de  Gourmont,  Esthétique  de  la  langue  française,  p.  159). 
—  d)  A  côté  de  font,  on  trouve  feent  (Jonas),  resté  inexpli- 
cable;   la   forme  fazent  de  la  Passion  (v.  484)  est  provençale. 


G.  FLEXION  ACTUELLE. 

128.  Finissons  par  examiner,  sans  tenir  compte  de  l'ortho- 
graphe usuelle,  la  flexion  du  présent  telle  qu'elle  existe  dans 
la  langue  actuelle  parlée.  Voici  d'abord  les  formes  de  porto 
en  latin,  en  vieux  français,  en  français  moderne  écrit  et  parlé  : 


porto 

port 

porte 

[port] 

portas 

portes 

portes 

[port] 

portât 

porte(t) 

porte 

[port] 

portamus 

portons 

portons 

[portô^ 

portatis 

portez 

portez 

[porte] 

portant 

portent 

portent 

[port] 

102 

En  comparant  ces  quatre  séries,  on  voit  tout  de  suite  que 
la  flexion  française  actuelle  est  bien  plus  éloignée  de  la  flexion 
latine  que  ne  fait  supposer  la  langue  écrite:  plusieurs  traits 
étymologiques  conservés  par  l'orthographe  usuelle  n'existent 
plus  dans  la  langue  vivante.  En  latin,  le  présent  avait  tou- 
jours six  formes  différentes,  trois'  pour  le  singulier  trois  pour 
le  pluriel,  et  les  désinences  étaient  variables  pour  les  diffé- 
rentes conjugaisons.  En  français,  où  les  différences  de  con- 
jugaisons ont  presque  toutes  disparu,  on  a  d'abord  six  formes 
pour  les  six  personnes;  mais  après  le  changement  de  la  l*"^ 
personne,  le  nombre  de  ces  formes  se  réduit  à  cinq:  je  port 
—  il  porte  y  je,  il  porte;  je  voi —  tu  vois  y  je,  tu  vois.  Ce  n'est 
que  par  exception  qu'on  garde  six  formes:  je  suis  tu  es  il  est, 
etc.  ;  je  puis  tu  peux  il  peut,  etc.  ;  j'ai  tu  as  il  a,  etc.  On  arrive 
cependant  à  un  tout  autre  résultat,  quand  on  passe  de  la 
langue  écrite  à  la  langue  parlée,  où  ordinairement  le  présent 
n'a  que  trois  formes  différentes,  moins  souvent  quatre,  très 
rarement  cinq  et  jamais  six.  Selon  le  nombre  des  formes  nous 
diviserons  les  présents  français  en  trois  groupes  principaux 
(dans  l'exposé  suivant  les  personnes  du  sing.  seront  désignées 
par  1  2  3,  et  celles  du  plur.  par  4  5  6). 

Remarque.  Aucun  verbe  français  moderne  ne  présente  dans  le  parler  or- 
dinaire six  formes  pour  les  six  personnes.  Signalons  pourtant  comme  un  fait 
de  curiosité  les  conjugaisons  burlesques:  je  dors,  tu  pionces,  il  roupille,  nous 
cassons  notre  canne,  vous  piquez  votre  chien,  ils  tapent  de  l'œil.  Je  m'en  vais, 
tu  te  cavales,  il  se  la  brise,  nous  prenons  la  poudre  d'escampette,  vous 
prenez  de  l'air,  ils  s'esbignent. 

129.  Le  premier  groupe  n'a  que  trois  formes  pour  les  deux 
nombres  (12  3  6  —  4^5).  Les  terminaisons  de  4:  [5]  et 
de  5:  [e],  s'ajoutent  directement  à  la  forme  fondamentale  qui 
sert  pour  les  autres  personnes.  En  voici  quelques  exemples: 


12  3  6    [pa:r] 

[s£:r] 

[do:r] 

[ku:r] 

[ubli] 

[kœ:j] 

4    [parô] 

[s£ro] 

[dorô] 

[kurô] 

[ubliô] 

[kœjô] 

5    [pare] 

[s£re] 

[dore] 

[kure] 

[ublie] 

[kœje] 

Dans  quelques  verbes   le   changement  d'accentuation  à  4  et 
à  5  amène  un  changement  de  la  voyelle  (comp.  §  22  ss.)  : 
12  3  6       [kr£:v]  [akj£:r]  [mœ:r] 

4  [kravô]  [akerô]  [murô] 

5  [krave]  [akere]  [mure] 


103 


Dans  d'autres,  le  changement  d'accentuation  amène  la  chute 
de  la  voyelle  accentuée  de  la  forme  fondamentale  (voir  l'ex- 
plication historique,  §  16 — 19): 


2  3  6      [apel] 

[aJ^t] 

[sizEl] 

[sul£:v 

4      [aplô] 

[aJtô] 

[sizlô] 

[sulvô] 

5      [aple] 

[ajte] 

[sizle] 

[suive] 

Ce  groupe  comprend  presque  tous  les  verbes  de  la  première 
conjugaison  latine:  porte  portons,  pare  parons,  serre  serrons, 
dore  dorons,  oublie  oublions,  crève  crevons,  appelle  appelons, 
achète  achetons,  cisèle  ciselons,  soulève  soulevons,  et  quelques 
verbes  appartenant  aux  autres  conjugaisons:  cours  courons, 
cueille  cueillons,  offre  offrons,  meurs  mourons,  acquiers  acqué- 
rons, conclus  concluons,  etc. 


130.  Le  deuxième  groupe  a  quatre  formes  différentes  pour 
les  deux  nombres  (12  3  —  4  —  5  —  6).  Les  terminaisons  de 
4  et  de  5  s'ajoutent  au  singulier  à  l'aide  d'une  consonne  qui 
forme  à  elle  seule  la  terminaison  de  6  (cf.  §  132).  Exemples: 


2  3 

[pa:r] 

[s£:r] 

[do:r] 

[pare] 

[sali] 

[vi] 

4 

[parts] 

[servS] 

[dormS] 

[par£s5] 

[salisS] 

[vivo 

5 

[parte] 

[serve] 

[dorme] 

[par£se] 

[salise] 

[vive 

6 

[part] 

[s£rv] 

[dorm] 

[par£s] 

[salis] 

[viv] 

Dans  plusieurs  verbes,  le  changement  d'accentuation  propre 
à  4  et  à  5  et  l'addition  d'une  consonne  à  6  sont  accom- 
pagnés d'un  changement  de  la  voyelle  du  thème,  de  sorte 
qu'on  a  dans  les  quatre  formes  soit  deux  voyelles  différentes 


(12  3  6  —  45, 

ou  1  2  3  — 

4 

5  6): 

1  2  3     [bwa] 

[dwa] 

[vo] 

[se] 

4     [byvS] 

[d9v5] 

[vais] 

[savS] 

5     ]byve] 

[d9ve] 

[vale] 

[save] 

6     [bwav] 

[dwav] 

[val] 

[sav] 

soit  trois  voyelh 

5S 

différentes 

(1 

2  3  —  45 

-6): 

1  2  3     [v0] 

[p0] 

M~^] 

[prQ] 

4     [vulS] 

[puvô] 

[v9n5] 

[pranô] 

5     [vule] 

[puve] 

[vane] 

[prane] 

6     [vœl] 

[pœ:v] 

[vjen] 

[pren] 

104 

Ce  groupe  comprend  la  plupart  des  verbes  appartenant  aux 
2^,  3^,  4^  conjugaisons:  pars  partons,  sers  servons,  dors  dor- 
mons, parais  paraissons,  salis  salissons,  vis  vivons,  bois  buvons^ 
dois  devons,  vaux  valons,  sais  savons,  veux  voulons,  peux  pou- 
vons, viens  venons,  prends  prenons,  et  quelques  verbes  isolés  de 
la  première:  envoie  envoyons. 

131.  Le  troisième  groupe,  qui  ne  se  compose  que  de  quatre 
verbes,  a  cinq  formes  pour  les  deux  nombres  (1  —  2  3  —  4 
—  5  —  6): 


1 

[e] 

[V£] 

[pyi] 

[syi] 

2  3 

[a] 

[va] 

[po] 

[e] 

4 

[av5j 

[al5] 

[puvô] 

[som 

5 

[ave] 

[aie] 

[puve^ 

[et]    ■ 

6 

[ô] 

[v5] 

[pœ:v] 

[sô] 

Ajoutons  que  [ve]  et  [pyi]  sont  souvent  remplacés  par  [va] 
(§  116,  i)  et  [p0]  (§  126,  i),  de  sorte  que  ces  deux  verbes  ap- 
partiennent aussi  au  groupe  précédent. 

132.  Voici  par  ordre  alphabétique  les  consonnes  caractéris- 
tiques du  pluriel: 

1"  [d]  dans  tous  les  verbes  en  -erdre,  -ordre,  -andre,  -endre 
(exe.  prendre),  -ondre:  [p£:r]  —  [perdô]  (perds  —  perdons),  [mo:r] 
—  [mordo]  (mords  —  mordons),  [vd]  —  [vQdo]  (vends  —  ven- 
dons), etc. 

2°  [j]  dans:  [fyi]  —  [fyiJS]  (fuis  — fuyons),  [krwa]  —  [krwajo] 
(crois  —  croyons),  [nwa]  —  [nwajo]  (noie  —  noyons),  [vwa]  — 
[vwajô]  (vois  —  voyons),  [dvwa]  —  [àvwajo]  (envoie  —  en- 
voyons), etc. 

3^  [k]  dans:  [vè]  —  [vèkô]  (vaincs  —  vainquons). 

4°  [1]  dans:  [mu]  —  [mulô]  (mouds  —  moulons),  [vo]  —  [va- 
15]  (vaux  —  valons),  [v0]  —  [vulo]  (veux  —  voulons),  etc. 

5^  [Iv]  dans  les  composés  de  soudre:  [apsu]  —  [apsolvô]  (ab- 
sous —  absolvons),  [rezu]  —  [rezolvô]  (résous  —  résolvons). 

6°  [m]  dans:  [do:r]  —  [dormô]  (dors  —  dormons)  et  les  com- 
posés. 

7®  [n]  dans:  [prà]  —  [prgnô]  (prends  —  prenons),  [tjè]  —  [tanô] 
(tiens  —  tenons),  [vjè]  —  [v9nô]  (viens  —  venons)  et  les  com- 
posés. 


105 

8"  [ji]  dans  les  verbes  en  -aindre,  -eindre,  -oindre:  [plè]  — 
[plejiô]  (plains  —  plaignons),  etc. 

9^  [p]  dans:  [rô]  —  [ropô]  (romps  —  rompons)  et  les  com- 
posés. 

10"  [s]  dans  les  inchoatifs:  [fini]  —  [finiso]  (finis  —  finissons), 
etc.,  et  dans  [béni]  —  [benisô]  (bénis  —  bénissons),  [krwa]  — 
[krwaso]  (crois  —  croissons),  [modi]  —  [modiso]  (maudis  — 
maudissons),  [ne]  —  [neso]  (nais  —  naissons),  [pare]  —  [paresô] 
(parais  —  paraissons). 

11°  [t]  dans:  [ba]  —  [bato]  (bats  —  battons),  [ma]  —  [màto] 
(mens  —  mentons),  [me]  —  [metô]  (mets  —  mettons),  [pa:r]  — 
[parlô]  (pars  —  partons),  [rgpà]  —  [rapâtô]  (repens  —  repen- 
tons), [sa]  —  [sôtô]  (sens  —  sentons),  [so:r]  —  [sortô]  (sors  — 
sortons),  [\e]  —  [veto]  (vêts  —  vêtons). 

12''  [v]  dans:  [mo]  —  [muvo]  (meus  —  mouvons),  [po]  —  [puvô] 
(peux  —  pouvons),  [e]  —  [av5]  (ai  —  avons),  [se]  —  [savô]  (sais 
—  savons),  [ekri]  —  [ekrivô]  (écris  —  écrivons),  [syi]  —  [syivô] 
(suis  —  suivons),  [vi]  —  [vivo]  (vis  —  vivons),  [s£:r]  —  [servô] 
(sers  —  servons),  [bwa]  —  [byvo]  (bois  —  buvons),  [dwa]  — 
d9vô]  (dois  —  devons),  [r9swa]  —  [rasvo]  (reçois  —  recevons)  et 
tous  les  verbes  en  -cevoir. 

13*^  [z]  dans:  [di]  —  [dizô]  (dis  —  disons),  [kôfi]  —  [kôfizô] 
(confis  —  confisons),  [li]  —  [lizo]  (lis  —  lisons),  [syfi]  —  [syfizo] 
(suffis  —  suffisons),  [gi]  —  [sizo]  (gis  —  gisons),  [kyi]  —  [kyi- 
z5]  (cuis  —  cuisons),  [lyi]  —  [lyizô]  (luis  —  luisons),  [nyi]  — 
[nyizô]  (nuis  —  nuisons),  etc.,  [h]  —  [fazô]  (fais  —  faisons), 
[pk]  —  [plezo]  (plais  —  plaisons),  [te]  —  [Uzo]  (tais  —  taisons), 
[ku]  —  [kuzô]  (couds  —  cousons). 

133.  Rapport  du  présent  avec  les  autres  temps.  —  Le  pré- 
sent offre  deux  sortes  de  formes:  les  unes  accentuent  le  radi- 
cal, les  autres  la  terminaison.  Nous  avons  vu  (§  15  ss.)  com- 
ment le  radical  de  ces  formes  peut  différer  et  pour  la  consonne 
et  pour  la  voyelle,  et  comment  l'analogie  vient  le  plus  souvent 
aplanir  ces  différences  en  généralisant  tantôt  le  radical  des 
formes  fortes,  tantôt  celui  des  formes  faibles.  Sur  les  rapports 
du  présent  avec  l'infinitif,  voir  §  80,3;  sur  les  rapports  avec 
le  participe  présent,  voir  §  85. 


CHAPITRE  X. 

LE  PRÉSENT  DU  SUBJONCTIF. 


134.  Les  types  latins  se  divisent  en  trois  groupes  selon  que 
la  V^  personne  se  termine  en  -em,  -am  ou  -eam,  -iam  (c.  àd. 
[jam]).  Les  trois  types  se  retrouvent  en  vieux  français:  can- 
tem  >  chant,  scribam  )  escrive,  valeam  )  vaille.  Ils  ont  été 
uniformisés  après  le  moyen  âge. 

Remarque.  Au  moyen  âge,  le  prés,  du  subj.  des  verbes  dont  le  radical  se 
terminait  en  n,  l  ou  r,  se  formait  souvent  d'une  manière  particulière  par 
l'addition  de  la  terminaison  -ge.  On  disait  ainsi  alge  (de  aler),  bauge  (de 
baillier),  demeurge,  donge,  garge  (de  garder),  meinge,  parolge,  porge  (de 
porter),  tourge  (de  tourner);  arge,  confonge  (Aiol,  v.  765),  crienge,  deffenge 
(Aiol,  V.  325),  penge  (Bastart  de  Bouillon,  v.  6117),  perge,  prenge,  renge,  tolge; 
courge,  fierge,  meurge,  quierge,  tienge,  vienge,  etc.  Ces  formes  se  montrent 
dès  le  Xle  siècle:  on  trouve  quiergent  dans  Alexis  (v.  297),  corget  dans  le 
Comput  (v.  86),  meinge  dans  Brandan  (v.  119),  alge,  demuerge  dans  le  Psau- 
tier de  Cambridge,  etc.,  et  elles  étaient  en  usage  encore  au  XIV'^  siècle 
(Chirurgie  de  Henri  de  Mondeville);  elles  sont  surtout  propres  à  l'Ouest,  mais 
on  les  trouve  aussi  en  Picardie;  elles  vivent  encore  dans  le  vendéen  et  quelques 
autres  patois.  L'origine  de  ce  -ge  est  peu  claire;  le  point  de  départ  est  pro- 
bablement à  chercher  ou  dans  des  formes  latines  en  -g  a  m  telles  que  sur- 
gam,  spargam,  plangam,  ou  dans  des  formes  hypothétiques  telles  que 
*prendiam  >  prenge. 


A.  PREMIER  GROUPE. 

135.  Les  formes  en   -em   sont  propres   à  la   K^  conjugaison. 
Voici  la  flexion  de  cantem: 


107 


(Latin  classique) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

c  a  n  t  e  m 

chant 

chante 

cantes 

chanz,  chans 

chantes 

cantet 

chant 

chante 

cantemus 

chantons  (-iens) 

chantions 

cantetis 

chanteiz,  -oiz  (-e 

-^) 

chantiez 

cantent 

chantent 

chantent 

Nous  ajoutons  encore  quelques  exemples  destinés  à  faire 
A^oir  les  modifications  phonétiques  propres  à  notre  temps: 
ament  (de  amender),  aparent  (de  apareillier),  apclt,  apeaut  (de 
apeler),  haut  (de  baillier),  chevalzt  (de  chevalchier),  colzt  (de  col- 
chier),  enseint  (de  enseignier),  griet  (de  grever),  liet  (de  lever), 
parout  (de  parler),  penst  (de  penser),  sejort  (de  sejorner),  sont 
(de  soner),  tort  (de  torner),  travaut  (de  travailier),  etc.  (comp. 
Romania,  XXV,  322). 

136.  Observations  particulières. 

P  Dans  quelques  verbes  la  voyelle  finale  latine  du  singulier 
était  restée  comme  voyelle  d'appui  (comp.  §  115,  i):  entre, 
semble,  livre,  etc.  Ces  formes,  ainsi  que  celles  du  subj.  des 
autres  conjugaisons,  où  il  y  avait  toujours  un  e  féminin  (perde, 
vende,  sente),  expliquent  la  généralisation  de  cette  voyelle  au 
prés,  du  subj.  de  I:  Les  formes  étymologiques  chant  chanz 
chant  sont  remplacées  peu  à  peu  par  les  formes  analogiques 
chante  chantes  chante;  ces  dernières  remontent  très  haut:  on 
trouve  déjà  dans  le  Psautier  d'Oxford  cante,  giiarde,  munte, 
habite  à  la  V^  pers.  et  rebutes,  oblies,  otreies  à  la  2'^;  mais  l'e 
fait  presque  toujours  défaut  à  la  3-  pers.:  guart,  habit,  parolt, 
etc.  En  regard  de  ces  dernières  formes  il  est  difficile  d'expli- 
quer saneiet  et  degnet  de  Ste  Eulalie.  Les  formes  étymologiques 
sans  e  s'employaient  encore  aux  XV^  et  XVI''  siècles,  surtout 
dans  des  locutions  toutes  faites:  Et  Dieu  vous  doint  joie  (Pate- 
lin, V.  101).  Dieu  vous  gard  (ib.,  v.  509).  M'aist  Dieu  (ib.,  v.  56). 
Le  diable  emport  le  chapellain  (Nouv.  Pat.,  v.  766,  792).  Dieu  vous 
gard  {ib.,  v.409).  Honneur  vous  doint  le  roy  des  roys  (Myst.  de  Saint 
Laurent,  v.  3577).  Le  diable  m'emport  (Cl.  Marot).  L'ancienne 
forme  de  »garder«  est  même  restée  en  usage  dans  le  XVIII® 
siècle:  Dieu  te  gard',  Cléanthis  (Amphitryon,  II,  se.  3).  Dieu 
vous  gard  mon  frère  (F'emmes  savantes,  II,  se.  1).  Dieu  gard' 
de  mal  femme  qui  jeune  (La  Fontaine,  Diable).   Que  Dieu  vous 


108 

gard'  dun  pareil  logement  (Voltaire).  Signalons  encore  le  pro- 
verbe: >>Dieu  gard  la  lune  des  loups«,  le  nom  de  famille  Dieu- 
tegard,  et  la  Rue  Quincampoix  «  vfr.  qui  qu'en  poist)  de  Paris. 
Après  le  XVIP  siècle,  on  a  abusivement  affublé  gard  d'une 
apostrophe  (comp.  grand  route,  §  386).  Si  la  forme  étymo- 
logique s'est  maintenue  plus  longtemps  à  la  3^  pers.  qu'aux 
deux  autres,  c'est  qu'elle  était  appuyée  par  soit,  ait,  puist  (en 
regard  de  soie,  aie,  puisse)  et  par  l'imp.  du  subj.,  où  l'on  avait 
-ast  (en  regard  de  -asse). 

2°  La  terminaison  régulière  de  la  1'"^  pers.  du  plur.  était 
-ons:  Qui  ço  vus  lodet  que  cest  plait  degetuns  (Roland,  v.  226). 
Je  m'acort  que  nous  nous  tessons  touz  tuer  (Joinville,  §  319). 
Le  commandement  Mahommet,  qui  nous  commande  que  nous 
gardons  le  nostre  signour  (ib.,  §  372).  Il  faut  que  nous  luy  re- 
boutons (Patelin,  v.  1290;  cf.  v.  1117);  ces  formes  se  retrouvent 
encore  sporadiquement  dans  Marot.  A  côté  de  -onSj^  on  em- 
ploie aussi  au  moyen  âge  -iens  (voir  ci-dessus  §  ^,  i.  Rem.); 
Joinville  écrit  ainsi  mangiens  (§  441),  ostiens  (§  637),  doutiens 
(§  756),  etc.;  de  cette  manière  on  arrivait  à  distinguer  l'in- 
dicatif du  subjonctif.  La  forme  moderne  -ions  représente  un 
compromis  entre  -ons  et  -iens. 

3"  A  la  2^  pers.  du  plur.,  la  terminaison  étymologique  se 
retrouve  encore  dans  Villehardouin:  Et  sor  se  mandent  à  vos 
comme  à  lor  bon  père,  que  vos  à  lor  commandoiz  vostre  com- 
mandement (§  106).  Elle  fut  remplacée  de  bonne  heure  par 
-ez:  Ja  Deu  ne  placet  qu'el  chiei  portez  corune  (Roland,  v.  3538). 
Cette  terminaison  s'employait  encore  au  XVI^  siècle:  Posez  le 
cas  que  ....  vous  trouvez  (Rabelais,  Prologue).  Ne  faites  que 
....  vous  laissez  courir  (Hardy,  Didon,  IV,  se.  3).  On  ne  s'est 
servi  régulièrement  de  -iez  qu'à  partir  de  1500. 

Remarque.  Précédé  d'une  palatale  -etis  devrait  donner  -iz  (cf.  I,  §  191), 
mais  cette  forme  ne  se  trouve  pas;  on  a  ordinairement  -iez:  laissiez,  vengiez, 
aidiez,  jugiez,  etc. 

137.  Formes  particulières. 

1"  Aller  présente  les  formes  suivantes: 

(Vieux  Français)  (Français  moderne) 

voise  alge  (auge)  aille  aille 

voises  alges  (auges)  ailles  ailles 

voist,  voise  alge  (auge),  ait,  aut  aille  aille 


109 

(Vieux  Français)  (Français  moderne) 


voisons  alg(i)ons  aillons  allions 

voisiez  alg(i)ez  ailliez  alliez 

voisent  algent,  angent  aillent  aillent 

Observations.  Voise  est  modelé  sur  vois  (§  116,]);  alge  est 
formé  à  l'aide  de  la  terminaison  -ge  (§  134,  Rem.);  aille  re- 
produit un  *aliam  hypothétique.  Alge  disparaît  déjà  au  moyen 
âge;  voise  s'emploie  régulièrement  encore  au  XVI*'  siècle: 
Souffrez  qu'au  lieu  de  vous  Elle  voise  la-bas  chercher  un  autre' 
espoux  (Garnier,  Antigone,  v.  1983).  Vaugelas  remarque  que 
voise  pour  aille  est  »un  mauvais  mot  que  le  peuple  de  Paris 
dit,  mais  que  l'on  ne  dit  point  à  la  Cour,  et  que  lés  bons 
Autheurs  n'escrivent  jamais«  (Remarques,  II,  417). 

2°  Donner  avait  au  moyen  âge  quatre  formes  différentes: 
doinse  fait  sur  doins  (§116,  3);  donge,  formé  à  l'aide  de  la  ter- 
minaison -ge  (§  134,  Rem.);  doigne  tiré  d'un  *doniam  hypo- 
thétique, et  done,  donne.  Cette  dernière  forme  a  seule  survécu. 

30  Ester  faisait  au  présent  estace  ou  esloise.  La  première 
forme  paraît  faite  sur  face,  place,  etc.,  la  seconde  sur  voise. 
Stem  n'a  laissé  de  traces  qu'en  espagnol  (esté),  en  v.  port. 
(esté)  et  en  provençal. 

4^  Prover,  trover,  rover  faisaient  au  présent  pruisse,  truisse, 
misse  (cf.  §  116,  4). 


B.  DEUXIÈME  GROUPE. 

138.  La  terminaison  -am  s'emploie  dans  la  plupart  des  verbes 
appartenant  à  II,  III,  IV.  Voici  la  flexion  de  scribam: 

(Latin  classique)  (Vieux  Français)  (Français  moderne). 

scribam  escrive  écrive 

s  c  r  i  b  a  s  escrives  écrives 

s  c  r  i  b  a  t  escrive(t)  écrive 

scribam  us  escrivons,  iens  écrivions 

scribatis  escrivez  écriviez 

scribant  escrivent  écrivent 

Les  terminaisons    des   différentes  personnes  ne  donnent  pas 
lieu  à  des  observations  spéciales;  les  remarques  sur  le  pluriel 


110 

du  premier  groupe  (§  136,2,3)  s'appliquent  aussi  à  celui  du 
deuxième.  Nous  ajouterons  seulement  quelques  autres  ex- 
emples de  formes  en  -am  et  de  leur  développement:  bibam 
)  beive,  boive,  vivam  >  vive,  rumpam  )  rompe,  credam  > 
creie,  croie,  perd  a  m  )  perde,  vendam  )  vende,  mittam  > 
mette,  quseram  )  quière,  curram  )  courre,  etc. 

Formations  analogiques.  La  terminaison  -a  m  a  supplanté 
-iam  (-eam)  dans:  dormiam,  feriam,  mentiam,  mor- 
deam,  *moriam,  moveam,  partiam,  respondeam,  sen- 
tiam,  serviam,  sortiam,  tondeam,  vestiam,  et  les 
formes  en  -cipiam.  Dormiam  aurait  donné  dorge,  on  ne 
trouve  que  dorme,  etc. 

139.  Formes  particulières. 

P  Cadam  devient  chiee,  remplacé  par  choie  (cf.  §  119,  i). 

2^  Claudam  devient  cloe,  remplacé  par  close  (cf.  §  44,  i). 

3^  Coquam  est  remplacé  par  la  forme  analogique  cuise  (comp. 
§  31). 

4"  Dicam.  Les  formes  du  moyen  âge  sont:  die  dies  die(t) 
diions  diiez  dient;  elles  ont  été  remplacées  par  dise  dises  dise 
disions  disiez  disent  qui  apparaissent  au  XVI*^  siècle  et  sup- 
plantent vite  les  autres  (§  44,  i).  Vaugelas  remarque:  »Au  sin- 
gulier quoy  que  Von  die,  est  fort  en  vsage,  et  en  parlant,  et 
en  escriuant,  bien  que  quoy  que  Von  dise,  ne  soit  pas  mal  dit; 
Mais  quoy  qu'ils  dient,  au  pluriel  ne  semble  pas  si  bon  à  plu- 
sieurs que  quoy  qu'ils  disent;  je  voudrois  vser  indifféremment 
de  l'vn  et  de  l'autre.  Il  y  en  a  qui  disent  quoy  que  vous  diiez, 
pour  dire,  quoy  que  vous  disiez,  mais  il  est  insupportable  «  (Re- 
marques, II,  38).  Die  se  trouve  souvent  dans  Corneille  (Cinna, 
V.  61;  Horace,  v.  831),  Molière  (Dép.  am.,  I,  se.  1;  V,  se.  9; 
Impr.  de  Versailles,  se.  3)  et  même  dans  Racine;  après  le 
grand  siècle,  die  n'est  plus  qu'un  archaïsme  auquel  les  poètes 
seuls  ont  parfois  recours.  On  connaît  la  jolie  chanson  de  Mus- 
set: Mais  j'aime  trop  pour  que  je  die  Qui  j'ose  aimer  (Le 
Chandelier,  II,  se.  3).  Rappelons  enfin  la  forme  analogique 
disse  qui  se  trouve  par  exemple  dans  Froissarl;  elle  a  disparu 
du  verbe  simple,  mais  survit  dans  le  composé  maudire.  Pals- 
grave  hésite  entre  mauldie  et  maudisse;  la  victoire  de  cette 
dernière   forme  est   due  à  l'influence   du  verbe  bénir  (§  69,  i). 

b^  Ducam.   On  conjuguait  au  moyen  âge:    duie  duies  duie(t) 


111 

duiiens  duiiez  duient.  Par  la  généralisation  du  [z]  ces  formes 
sont  remplacées  par  diiise  duises  duîse  duisions  duisiez  duisenl. 
Déjà  dans  Aiol  duise  s'emploie  à  côté  de  duie.   Comp.  §  44,  i. 

go  *  Hatam  (pour  *hatiam)  devient  hée,  remplacé  par  la 
forme  inchoative  haïsse  (cf.  §  126, 2).  Au  moyen  âge  on  disait 
aussi  hace  modelé  sur  face  (§  140). 

1^  Legam  est  remplacé  par  lise  (cf.  §  44,  i). 

8^  Ponam  devient  pone,  remplacé  par  ponde  (cf.  §  37, 1). 

9"  Prendam  devient  prende,  remplacé  déjà  au  moyen  âge 
par  prenne  (cf.  §  40, 2).  On  a  aussi  dit  prenge  (§  134,  Rem.) 
et  preigne.  Cette  dernière  forme  était  en  usage  encore  au  XVII® 
siècle.  Vaugelas  remarque:  »  C'est  une  faute  familière  aux  Cour- 
tisans, hommes  et  femmes,  de  dire  preigne  pour  prenne  et  veigne 
pour  viennes;  et  Th.  Corneille  ajoute:  »I1  n'y  a  plus  que  le 
bas  peuple  qui  dise  vieigne  pour  vienne,  mais  beaucoup  de 
femmes  disent  encore  preigne  pour  prenne.  M.  Chapelain  ap- 
pelle cette  faute  barbare.  On  doit  prendre  soin  de  l'éviter* 
(Vaugelas,  Remarques,  I,  143). 

10®  Sim.  Cette  forme  a  été  remplacée  dans  le  parler  vul- 
gaire par  *siam  (cf.  it.  prov.  sia,  esp.  sea,  port,  seja): 


(Latin  classique) 

sim 
sis 

(Lalin  vulgaire) 

siam 

sias 

siat 

siamus 

siatis 

siant 

(Vieux  Français) 

seie,  soie 
seies,  soies 

(Français  moderne) 

sois 
sois 

sit 

seie(t),  soie 

soit 

simus 

seiens,  soions 

soyons 

sitis 
sint 

seiez,  soiez 
scient,  soient 

soyez 
soient 

Observations.  —  L'e  féminin  des  P  et  2^  pers.  est  conservé 
encore  à  la  fin  du  XIV®  siècle  :  Tant  que  g'y  soie  (Miracles  de 
N.  D.,  no  31,  1696).  Or  soies  appert  d'y  aler  (ib.,  n^  40,  354). 
PourMa  3®  pers.  il  faut  remarquer  que  la  forme  étymologique 
est  assez  rare;  on  n'en  trouve  que  quelques  exemples  isolés: 
sia  (Passion,  v.  240),  sie  (Fragment  d'Alexandre,  v.  8),  soie 
(Bartsch,  65,  41),  et  enfin  soiet  (seiet)  dans  quelques  chartes 
du  XIII®  siècle.  On  se  sert  ordinairement  dès  les  plus  anciens 
textes  de  la  forme  contractée  seit  (Alexis,  v.-25),  plus  tard  soit. 
Dans  la  langue  vulgaire  moderne  on  trouve  soye,  probable- 
ment fait  sur  soyons,  soyez:  Comment  voulez- vous  qu'on  soyek 


112 

l'aise  (Gyp,  Oh  Province,  p.  64).  Que  ce  soye  pour  une  idée  ou 
pour  autre  chose   (A.  France,   L'affaire  Crainqiiebille,  p.  62). 

11°  Surgam  devient  sorge,  remplacé  par  sorde,  sourde  (cf. 
§37,2). 

12°  Vincam  aurait  dû  devenir  veinche;  on  ne  trouve  que 
veinque,  vainque,  dont  l'explosive  est  due  à  l'influence  de  l'in- 
finitif vaincre  (cf.  §  34). 

Remarque.  Les  formes  en  -scam  n'aboutissent  pas  à  -che,  mais  à  -sse: 
crescam  )  creisse,  croisse,  cognoscam  >  conoisse,  connaisse,  floriscam  > 
florisse,  fleurisse  (comp.  §  45,  a). 


C.  TROISIÈME  GROUPE. 

140.  La  terminaison  -iam  (-eam)  est  propre  à  quelques 
verbes  de  II,  III,  IV.  A  rencontre  de  l'indicatif,  où  le  [j]  ne 
se  trouve  qu'à  la  1'*^  pers.  du  sing.,  il  s'emploie  au  subjonctif 
dans  tout  le  singulier  et  tout  le  pluriel.  Voici  la  flexion  de 
faciam: 


(Latin  classique) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

faciam 

face 

fasse 

fa  ci  a  s 

faces 

fasses 

faciat 

face(t) 

fasse 

faciam  us 

faciens 

fassions 

faciatis 

faciez 

fassiez 

faciant 

facent 

fassent 

141.  Observations  particulières. 

1°  A  la  P  pers.  du  plur.,  la  terminaison  -eam us  (-iamus) 
donne  régulièrement  -iens.  On  trouve  ainsi  jusqu'au  XIV*'  siècle: 
voliens,  veniens,  sachiens,  aiens,  veiiens,  etc.  Pourtant,  de  bonne 
heure  -iens  est  parfois  remplacé  par  -ons;  on  trouve  déjà  dans 
le  Roland  (v.  60)  aium;  Villehardouin  emploie  faisons  (§  588) 
et  faciens  (§  372),  Joinville  façons  (§  348),  veuillons  (§  580), 
aiens  (§  43),  voiens  (§  637),  etc.  La  terminaison  victorieuse 
-ions  est  un  compromis  entre  -iens  et  -ons. 

2°  A  la  2<^  pers.  du  plur.,  la  terminaison  -eatis  (-iatis) 
donne  régulièrement  -iez:  sachiez,  voliez,  veniez,  aiez,  veiiez,  etc. 
Cette  terminaison  est  restée,  et  elle  a  même  supplanté  -ez  des 
autres  verbes:   chantez  )  chantiez,   etc.  (cf.  §  57,  i,   Rem.).    Au 


113 

moyen  âge,  par  une  analogie  contraire,  -iez  était  parfois  rem- 
placé par  -oiz  ou  -ez;  on  trouve  ainsi,  d'un  côté  sachoiz,  façois, 
viegnoiz,  soioiz  (Gaydon,  Aye  d'Avignon,  Villehardouin),  et  de 
l'autre  facez,  tenez  (Joinville)  ;  encore  Rabelais  emploie  sachez 
(cf.  §  136, 3). 

3"  Les  terminaisons  -iens,  -ions  et  -iez  sont  étymologiquement 
monosyllabiques  à  la  différence  des  terminaisons  correspon- 
dantes de  l'imparfait  (cf  §  161,5);  on  avait  ainsi  fa-ciens  fa- 
ciez,  a-iens  a-iez,  ve-niens  ve-niez,  à  côté  de  fai-si-iens  fai-si-iez, 
a-vi-iens  a-vi-iez,  ve-ni-iens  ve-ni-iez. 

142.  Le  nombre  des  formes  en  -  j  a  m  a  été  plus  restreint  en 
latin  vulgaire  qu'en  latin  classique;  nous  avons  déjà  cité  plu- 
sieurs exemples  montrant  la  substitution  de  -jam  à  -am 
(§  138).  Cependant,  la  création  de  nouvelles  formes  en  -jam 
a  aussi  eu  lieu,  mais  c'est  un  phénomène  rare:  on  ne  saurait 
guère  citer  que  *  col  lia  m  (pour  colligam),  *falliam  (pour 
fallam),  *voleam  (pour  velim),  et  peut-être  *alliam  () 
aille),  *doneam  ()  doigne).  Ajoutons  que  quelques-unes  des 
formes  en  -ge  (§  134,  Rem.)  doivent  peut-être  leur  origine  à 
une  extension  analogique  de  -jam,  mais  c'est  très  douteux. 

L  LIQUIDE  (L,  N)  +  JAM. 

143.  L  -|-  J.  Cette  combinaison  se  trouve  dans  bulliam  ) 
bouille,  caleam  )  chaille,  doleam  )  diieille,  saliam  >  saille, 
soleam  >  sueille,  valeam  >  vaille,  et  dans  les  formes  vul- 
gaires *colliam  (pour  colligam)  )  cueille,  *falliam  (pour 
fallam)  )  faille,  *voleam  (pour  velim)  )  vueilte.  De  ces 
formes,  chaille,  deuille,  seuille  sont  mortes;  on  n'a  conservé  que 
bouille,  cueille,  faille,  saille  (dans  assaille,  tressaille;  la  forme 
inchoative  saillisse  a  remplacé  le  simple  saille),  vaille,  veuille. 
Il  faut  examiner  à  part  le  développement  de  valeam  et  de 
*voleam. 

1"  Valeam.  L'ancienne  flexion  était:  vaille  vailles  vaille(t) 
vailliens  vailliez  vaillent;  elle  a  été  remplacée  par  vaille  vailles 
vaille  valions  valiez  vaillent.  Remarquez  que  le  [K]  a  disparu  de 
la  l'^'  et  de  la  2®  pers.  du  plur.  (un  développement  parallèle 
a  eu  lieu  dans  aillons  )  allions,  veuillons  )  voulions).  Dans  lé 
composé  prévaloir,   toutes  les  formes   avec  [Ji]  ont  disparu,  et 

8 


114 

on  a  créé  le  nouveau  présent  analogique  prévale.  L'ancienne 
forme  prévaille  était  en  usage  encore  au  XVIP  siècle.  Th.  Cor- 
neille remarque:  »  Quoique  ceux  qui  s'attachent  à  l'exactitude 
de  la  grammaire  soutiennent  que  c'est  ainsi  qu'il  faut  parler, 
on  dit  à  la  cour  prévale,  et  non  pas  prévaille,  et  c'est  la  cour 
qui  nous  doit  servir  de  règle «.  La  cour  —  et  l'analogie  ont  eu 
raison  des  pédants. 

20  *Voleam.  L'ancienne  flexion  était  viieille  vueilles  vueille(t) 
voilliens  voilliez  vueillent.  Elle  a  été  remplacée  par  veuille  veuilles 
veuille  voulions  vouliez  veuillent.  Ajoutons  qu'au  pluriel,  les 
formes  étymologiques  voilliens  voilliez  ont  d'abord  été  rempla- 
cées par  veuill(i)ons  veuill(i)ez  qui  s'employaient  encore  au  XVP 
siècle.  Malherbe  remarque:  »I1  faut  dire  veuillions  pour  dire 
velimus;  voulions  signifie  volebamus«  (Œuvres  complètes, 
IV,  286).  Vaugelas  (Remarques,  I,  101)  et  l'Académie  au  con-. 
traire  protestent  contre  veuillons  et  veuillez;  mais  malgré  cela, 
plusieurs  auteurs  ont  continué  à  s'en  servir,  à  la  grande  satis- 
faction de  Jullien  et  de  Littré. 

144.  N  -|-  J.  Cette  combinaison  se  trouve  dans  teneam  > 
vfr.  tiegne,  veniam  >  vfr.  viegne.  On  avait  aussi  des  formes 
en  -ge  (§  134,  Rem.):  tienge,  vienge.  Au  XVI^  siècle  les  formes 
modernes  tienne,  vienne  commencent  à  s'introduire;  pourtant 
Palsgrave  ne  donne  que  tiengne,  viengne.  Rappelons  que  cette 
dernière  forme  est  en  usage  encore  au  XVIP  siècle.  Vaugelas  re- 
marque (I,  144):  »C'est  une  faute  familière  aux  courtisans, 
hommes  et  femmes  de  dire  vieigne  pour  viennes,  et  Th.  Cor- 
neille ajoute:   »I1  n'y  a  plus  que  le  bas  peuple  qui  dise  vieigne^. 

IL   LABIALE  (B,  P)  +  JAM. 

145.  B  -[-  J«  Cette  combinaison  se  trouve  dans  debeam  et 
habeam. 

1°  Debeam  se  réduit  en  latin  vulgaire  à  *deja  (comp. 
§  123,  i)  qui  se  conjuguait  en  vfr.  :  deie  deies  deie(t)  deiiens 
deiiez  deient.  Cette  série  de  formes  a  été  remplacée  par:  doive 
doives  doive  devions  deviez  doivent.  Les  formes  étymologiques 
vivent  encore  au  XV^  siècle  :  doions  (Miracles  de  N.  D.,  n**  27, 
299),  doiez  (ib.,  n«  19,  994),  doye  (Patelin,  v.  779;  Mystère  de 
St.  Laurent,   v.  2856);   elles    ont  succombé,    comme  la  forme 


115 

secondaire  doige  (encore  Rom.  des  S.  Sages,  p.  p.  G.  Paris,  p.  70, 
168),  devant  deive,  doive,  etc.,  dont  le  [v]  est  analogique. 

2°  Habeam  se  réduit  en  latin  vulgaire  à  *aia  (comp.  §  123,2), 
d'où  en  vieux  français:  aie  aies  aiet  aiens  aiez  aient.  Cette  série 
de  formes  a  été  remplacée  par:  aie  aies  ait  ayons  ayez  aient. 
La  forme  primitive  de  la  3^  pers.  aiet  ne  se  trouve  que  dans 
les  plus  anciens  monuments  (Jonas;  Alexis,  v.  508);  déjà  le 
Roland  donne  ait  (v.  82,  1047);  comp.  le  développement  par- 
allèle de  seiet  >  seit  (§  139,  lo).  Il  est  curieux  de  constater  que 
l'analogie  des  autres  prés,  du  subj.  crée  de  nouveau  une  forme 
aie  très  employée  au  XVP  et  au  commencement  du  XVII'' 
siècle;  Corneille  encore  s'en  sert  (voir  p.  ex.  Cinna,  v.  1260, 
1283),  mais  Vaugelas  (Remarques,  I,  171),  et  les  autres  gram- 
mairiens défendent  vivement  ait  contre  aye.  Au  pluriel,  il  faut 
noter  le  changement  de  aiens,  aiez  en  aiiens  ayons,  aiiez  ayez, 
sous  l'influence  des  autres  personnes. 

146.  P  -[-  J.  Cette  combinaison  se  trouve  dans  s  a  pi  a  m  > 
sache,  qui  s'est  maintenu  jusqu'à  nos  jours.  Ajoutons  que  dans 
la  langue  vulgaire  et  le  parler  enfantin  on  entend  save:  Suffit 
que  je  1'  saue,  pas  vrai?  (Monnier,  Paris  et  la  Province,  p.  350). 

III.  DENTALE  (D,  T)  +  JAM. 

147.  D  -|-  J.  Cette  combinaison  se  trouve  dans  audiam  > 
oie,  gaudeam  )  vfr.  joie  (remplacé  par  la  forme  inchoative 
jouisse)  et  peut-être  dans  rideam  )  rie  et  videam  )  veie,  voie. 

148.  T  -}-  J.  Celte  combinaison  a  probablement  existé  dans 
la  forme  latine  vulgaire,  d'où  puisse  est  sorti  (comp.  §  126,  i). 
Quant  à  la  conjugaison,  il  faut  noter  qu'à  la  3*^  pers.  du  sing. 
on  trouve,  à  côté  de  puisse(t),  la  forme  contractée  puist  (comp. 
ait,  §  145,  2,  soit,  §  139,  lo).  A  la  V^  pers.  du  plur.,  Jonas 
donne  posciomes,  et  Alexis  poissons  (v.  371,  550).  La  forme 
analogique  peuve,  citée  par  Oudin,  n'a  guère  été  employée. 

IV.  PALATALE  (K)  +  JAM. 

149.  K  -j-  J.  Cette  combinaison  se  trouve  dans  fa  ci  a  m  ) 
vfr.  face  (§  140),  placeam  )  vfr.  place,  taceam  )  vfr.  tace.  Les 

8* 


116 

deux  dernières  formes  ont  été  remplacées  ^slt  plaise,  fa/se  (comp. 
§  127);  face  au  contraire  s'est  maintenu  jusqu'à  nos  jours  sous 
la  graphie  changée  fasse,  mais  on  trouve  des  traces  d'une 
forme  analogique  faise:  J'ordonne  que  faisez  debvoir  (Ane.  th. 
fr.,  I,  378).  Vaugelas  remarque:  «Combien  y  en  a-t-il  qui  disent 
...  faisions  pour  facions«  {Remarques,  II,  356).  Quant  à  ja- 
ceam,  luceam,  noceam,  on  n'a  que  des  formes  analogiques: 
gise  (d'après  gisent),  luise  (d'après  luisoie),  nuise  (d'après  nuisoie). 

150.  Rapport  du  présent  du  suhjonctif  avec  les  autres 
TEMPS.  —  Le  présent  du  subjonctif  se  comporte  en  tout  à  peu 
près  comme  le  présent  de  l'indicatif;  voir  §  133. 


CHAPITRE  XL 

L'IMPÉRATIF. 


151.  De  l'impératif  latin,  le  français  n'a  gardé  que  la  2^  pers. 
du  sing. :  canta  )  chante.  La  forme  du  pluriel  cantate,  con- 
servée en  italien  (cantate),  en  espagnol  (cantad)  et  en  engadi- 
nois,  ne  se  retrouve  pas  en  français,  où  elle  aurait  donné 
chantet;  les  formes  seet  et  escotet  de  l'Épître  de  St.  Etienne 
sont  trop  isolées  pour  rien  prouver.  Pour  exprimer  le  pluriel 
on  s'est  servi  des  formes  correspondantes  de  l'indicatif,  can- 
tatis  )  chantez  et  cantamus  )  chantons. 

152.  Formes  primitives  de  l'impératif.  En  latin,  l'impératif 
se  terminait  en  a,  e,  i  ou  c;  voici  comment  ces  terminaisons 
se  sont  développées  en  français: 

1"  Formes  en  A.  L'a  final  devient  régulièrement  e  (I,  §  252): 
canta  )  chante,  ama  )  aime,  porta  )  porte,  etc.  L'a  s'est 
conservé  intact  (I,  §173)  dans  sta  )  vfr.  esta;  cf.  vade  >  va. 

2^  Formes  en  E,  I.  L'e  et  Vi  s'amuïssent  à  la  finale  (I,  §  248)  : 
vide  >  vei,  voi;  senti  )  sent,  etc.;  notons  la  disparition  de 
quelques  consonnes  devenues  finales  après  la  chute  de  la 
voyelle:  dormi  )  dorm,  dor,  bibe  )  beif,  boif,  boi,  scribe  ) 
escrif,  escri,  servi  )  serf,  ser,  etc. 

3®  Formes  en  C.  Le  c  final  devient  i  (I,  §  417,2):  fac  >  fai. 

153.  Développement  ultérieur  de  l'impératif.  Les  formes 
étymologiques  médiévales  subissent,  comme  la  V^  pers.  du 
sing.  du  présent  de  l'ind.  (^  118,  i),  l'addition  d'un  s  parago- 
gique.  Voici  quelques  détails  sur  ce  phénomène: 


118 

P  Le  s  s'ajoute  régulièrement  à  toutes  les  formes  qui  ne  se 
terminent  pas  par  e,  a  ou  s:  vide  )  vei,  voi,  vois;  mitte  > 
met,  mets;  vende  )  vent,  vends:  te  ne  )  tien,  tiens;  veni  ) 
vien,  viens;  dormi  )  dorm,  dor,  dors;  scribe  )  escrif,  escri, 
écris.  Ce  s,  probablement  dû  à  une  assimilation  de  l'impératif 
à  la  2®  pers.  sing.  du  présent,  s'employait  déjà,  mais  d'une 
manière  très  irrégulière,  vers  la  fin  du  XIV*^  siècle.  Dans  les 
Miracles  de  Notre  Dame  on  trouve  voiz,  dix,  fais,  faiz,  mes, 
sers,  escriz,  à  côté  de  voi,  di,  fai,  met,  tien,  ren,  etc.  L'incerti- 
tude dure  encore  aux  XVP  et  XVIP  siècles.  Ramus  écrit  tous 
les  impératifs  sans  s,  et  la  plupart  des  auteurs  en  font  de 
même;  mais  au  siècle  suivant,  Vaugelas  (Remarques,  l,  319 — 
322)  n'admet  que  voy,  connoy,  tien,  vien,  fmj,  et  il  condamne 
toutes  les  autres  formes  sans  s.  Les  vieilles  formes  s'em- 
ployaient surtout  à  la  rime:  Voi:  moi  (L'Étourdi,  III,  se.  2),  re- 
vien:  rien  (Amphitryon,  II,  se.  7),  revien:  entretien  (Phèdre,  II, 
se.  4),  etc. 

Dans  les  mots  composés  voici,  voilà,  fainéant,  la  langue  mo- 
derne  conserve  encore  quelques  restes  des  anciens  impératifs. 

2®  Les  formes  en  e  et  en  a  sont  restées  sans  changement 
orthographique  jusqu'à  nos  jours:  aime,  chante,  cueille,  ouvre, 
couvre,  souffre,  va.  Pourtant  ces  formes  étaient  aussi  munies 
du  s  paragogique  au  moyen  âge  :  Robin,  vas,  si  lies  la  mère 
(Miracles  de  N.  D.,  n^  26,  v.  631);  mais  le  s  s'ajoutait  sans  au- 
cune règle  fixe.  Il  en  est  autrement  dans  la  langue  moderne, 
où  son  emploi  est  restreint  aux  cas  où  l'impératif  est  suivi 
des  adverbes  en  et  y,  non  suivis  d'un  infinitif:  Parles-en  à  ton 
frère.  Donnes-y  tes  soins.  Voici  des  fleurs,  cueilles -en  beaucoup. 
Vas-y  toi-même.  (Mais  :  Cueille  en  ce  jardin  beaucoup  de  fleurs. 
Va  en  parler  à  ton  frère.  Va  y  mettre  ordre.)  Pour  éviter  les 
hiatus  les  poètes  se  servent  quelquefois  de  ce  s  d'une  manière 
plus  libre: 

Retranches,  ô  mon  Dieu,  des  jours  de  ce  grand  roi 
Ces  jours  infortunés  qui  l'éloignent  de  toi. 

(Voltaire.) 
Vas  au  diable. 

(A.  Daudet,  Les  Amoureuses,  p.  17.) 

3"  Les  formes  en  s  restent  telles  quelles  jusqu'à  nos  jours: 
cresce  )  creis  >  crois,  finisce  )  finis. 


119 


154.  Doublets. 

P  Quelques  impératifs,  qui  s'employaient  comme  des  inter- 
jections, s'abrégeaient  dans  l'ancienne  langue: 

agare  >  agar  (H.  Capet,  v.  6010,  etc.,  voir  Godefroy)  ou  aga 
(Greban,  La  Passion)  ;  cette  dernière  forme  est  encore  en  usage 
dans  les  patois  (comp.  Molière,  Don  Juan,  II,  se.  1). 

agardez  )  ardez;  cette  forme  se  retrouve  dans  Molière:  Ar- 
dez,  le  beau  museau  {Dépit  amoureux,  IV,  se.  4);  elle  est  en- 
core employable:  Hé!  ardé!  C'est-y  un  nez  (Rostand,  Cyrano 
de  Bergerac,  I,  se.  4). 

esgarde  >  esgar  (Robin  et  Marion,  v.  547). 

garde  )  gar,  gars. 

laisse  )  lais,  leis  (Ver  del  juise,  v.  446;  Mir.  de  N.  Dame,  n''  4, 
V.  1291). 

2°  Sous  l'influence  des  doubles  formes  du  présent  de  l'in- 
dicatif du  verbe  asseoir  (§  119,4)  on  trouve  à  l'impératif  as- 
sieds asseyons  asseyez  et,  moins  bien,  assois  (Lavedan,  Le  nou- 
veau jeu,  p.  153,  266)  assoyons  assoyez. 


155.  Dans  les  verbes  avoir,  savoir,  vouloir,  être,  on  a  attribué 
au  subjonctif  la  fonction  de  l'impératif.  On  disait  au  moyen 
âge: 


aies                saches 

veuilles 

soies 

aiens              sachiens 

veuilliens 

soiens 

aiez                sachiez 

veuilliez 

soiiez 

rmes  modernes  sont: 

aie                 sache 

veuille 

sois 

ayons            sachons 

veuillons 

soyons 

ayez               sachez 

veuillez 

soyez 

La  chute  du  s  des  trois  premières  formes  est  due  à  l'in- 
fluence de  la  première  conjugaison.  Pour  vouloir,  il  faut  re- 
marquer que  quelques  auteurs  modernes  ont  employé  les 
formes  de  l'indicatif  au  sens  de  l'impératif:  Veux -le  bien  (V. 
Cousin).  Ne  m'en  veux  pas  (V.  Hugo).  Oh!  n'en  voulez  pas  à 
Napoléon  (Balzac,  La  paix  du  ménage).  Ces  formes  sont  blâ- 
mées par  Jullien  et  Littré. 


CHAPITRE  XII. 

L'IMPARFAIT. 


156.  En  latin  classique  on  avait  trois  terminaisons  diffé- 
rentes, -abam,  -ebam,  -iebam:  cantabam,  debebam,  scri- 
bebam,  audiebam.  La  dernière  terminaison  ne  se  maintient 
pas  en  latin  vulgaire;  presque  partout  -iebam  devient  -ibam, 
sous  l'influence  analogique  des  autres  formes  de  IV,  d'oii  ré- 
sulte une  harmonie  vocalique  plus  complète  dans  les  trois 
conjugaisons  principales:  à  côté  de  cantare  cantatis  can- 
tabam, debere  debetis  debebam,  on  obtient  audire 
auditis,  *audibam.  Les  trois  types  de  l'imparfait  se  sont 
maintenus  en 


italien  : 

cantava 

vendeva 

sentiva 

.  roumain: 

cântâm 

vîndeam 

sintiam 

frioulan  : 

cantavi 

vendèvi 

sintiui 

et  dans  quelques  dialectes  rhéto-romans.   Ils  ont  été  réduits  à 
deux,  par  la  disparition  de   -ebam  devant  -ibam,  en 


espagnol: 

cantaba 

vendia 

sentia 

portugais  : 

cantava 

vendia 

sentia 

provençal  : 

cantava 

vendia 

sentia 

En  français  on  trouve  également  deux  formes,  mais  seule- 
ment dans  les  plus  vieux  textes  (cf.  §  157);  c'est  ici  -ebajn 
qui  l'a  emporté  sur  -ibam: 

chanteve  vendeie  senteie 

et  il  pénètre  vite  aussi  dans  I: 


121 

chanteie 

vendeie 

senteie 

chantoie 

vendoie 

sentaie 

chantais 

vendais 

sentais 

chantais 

vendais 

sentais 

Ainsi,  le  français,  seul  parmi  les  langues  romanes,  ne  présente 
qu'une  seule  forme  à  l'imparfait. 

157.  La  terminaison  -abam  s'est  reproduite  en  français  de 
deux  manières   différentes:  -eve  et  -aue;  examinons-les  à  part. 

1°  Le  développement  de  -abam  en  -eve  est  conforme  aux 
règles  de  la  phonétique  (cf.  fabam  >  fève,  lavât  >  lève,  etc., 
voir  I,  §  170).  Voici  les  différentes  formes  de  ces  imparfaits 
(nous  écartons  la  1^*^  et  la  2e  pers.  du  plur.,  dont  nous  parle- 
rons au  §  161,  4): 

cantabam  •  chanteve 

cantabas  chanteves 

cantabat  chantevet 

cantabant  chantevent 

Ces  formes  appartiennent  exclusivement  à  la  région  de  l'Est. 
On  en  trouve  des  exemples  dans  le  Jonas  (avardevet),  St.  Lé- 
ger (regnevet),  les  Dialogues  de  St.  Grégoire  (alevet,  lassevet, 
etc.),  la  Moralité  sur  Job,  le  Poème  moral,  Aiol  (s'apresteve, 
V.  731),  les  Chartes  de  Liège  et  de  Namur  publiées  dans  la 
Romania,  vol.  XVII,  567,  XVIII,  218,  XIX  (clamevet,  ostevet, 
etc.).  La  terminaison  -eve  vit  encore  en  wallon,  oii  elle  est 
devenue  -ef,  -œf  et  a  supplanté  les  autres;  on  dit  ainsi  tschantœf 
(cantabam),  pairtœf  (portabam)  et  pierdœf  (perdebam), 
mintœf  (mentiebam),  dairmœf  (dormiebam),  etc. 

2^  Le  développement  de  -abam  en  -oue  est  difficile  à  com- 
prendre (on  pourrait  peut-être  supposer  que  -abam,  déjà  à 
l'époque  mérovingienne  et  avant  le  passage  de  a  à  e,  s'était 
changé  en  -auva:  cantabam  >  cantauva  >  cantova). 
Voici  maintenant  les  formes  de  ces  imparfaits: 

cantabam  chantoue 

cantabas  chantaues 

cantabat  chantouet,  chantant 

cantabant  chantauent 


122 

Notons  qu'à  côté  de  chantoue  on  trouve  aussi  les  graphies 
chantoe  et  chantonne,  qui  compliquent  encore  plus  la  question 
d'origine.  Ces  formes  appartiennent  surtout  aux  dialectes  de 
l'Ouest  (le  normand,  l'anglo-normand,  le  breton,  le  touran- 
geau, le  nivernais)  ;  on  les  trouve  dans  la  Passion  (adnnonent, 
V.  171;  annouent,  v.  172;  esuardonet,  v.  190),  oii  elles  sont 
dues  au  copiste,  dans  l'Appendix  de  l'Alexis,  l'Homélie  de 
St.  Grégoire,  les  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cambridge,  Roland 
{portant,  v.  203  ;  depeçont,  v.  837),  le  Roman  de  Troie,  la  Chro- 
nique des  ducs  de  Normandie,  Marie  de  France  (1180),  An- 
dré de  Coutances  (1210),  etc.  Elles  succombent  devant  la 
concurrence  des  formes  en  -eie;  déjà  dans  Garnier  de  Pont- 
Sainte-Maxence  on  trouve  la  rime  demandait:  combateit,  et  à 
partir  du  commencement  du  XIIP  siècle,  l'imparfait  de  la 
1'*^  conjugaison  a  disparu  partout. 

158.  La  terminaison  -ebam  devient  régulièrement  -eie,  en 
passant  par  la  forme  réduite  -ea  (cf.  I,  §  378): 


vendebam 

V  e  n  d  e  a 

vendeie 

vendebas 

vendeas 

vendeies 

vendebat 

V  e  n  d  e  a  t 

vendeie 

vendebant 

vendeant 

vendeie  nt 

C'est  cette  terminaison  qui  parvient  à  supplanter  les  deux 
autres. 

159.  La  terminaison  -iebam  ne  s'est  pas  continuée  au  Nord 
de  la  Gaule;  elle  a  été  supplantée  par  -ebam,  d'où  -ea  >  -eie 
comme  ci-dessus.  Serv iebam  aurait  donné  sergeie;  on  ne 
trouve  que  serveie,  qui  suppose  *servebam.  Il  est  difficile  de 
dire  si  ce  développement  est  phonétique  (cf.  quietus  >  *que- 
tus  )  qnei,  quoi,  coi)  ou  purement  analogique  (cf.  le  sort  de 
-ientem,  §  82,  .3;  celui  de  -io,  -iunt,  §  126^;  et  celui  de 
-iam,  §  142);  il  esl  en  tout  cas  prélittéraire,  comme  le 
montrent  les  plus  anciens  textes,  où  l'on  trouve  saveiet,  do- 
ceiet,  penteiet  (Jonas)  et  serveit  (St.  Léger). 

Remarque.  Le  dialecte  lorrain  présente  au  XII<^  siècle  des  imparfaits  en 
-ive;  on  trouve  dans  les  Sermons  de  St.  Bernard  sentivet,  servioet,  offrivet, 
departivet,  etc.  Il  se  peut  que  ces  imparfaits  remontent  à  la  terminaison  vul- 
gaire -ibam;  il  se  peut  aussi  que  ce  soient  des  formes  refaites. 


123 


160.  Flexion.    Voici    un    tableau    qui   montre  la   succession 
historique  des  terminaisons  de  l'imparfait: 


vendeie 

vendoie,  -oi 

vendoi(s) 

vendais 

vendeies 

vendoies 

vendais 

vendais 

uendei(e)t 

vendait 

vendait 

vendait 

vendiiems 

vendiiens 

vendians 

vendians 

vendiiez 

vendiiez 

vendiez 

vendiez 

vendeient 

vendaient 

vendaient 

vendaient 

Comme  les  terminaisons  de  l'imparfait  se  retrouvent  au  con- 
ditionnel, les  deux  temps  seront  traités  ensemble  dans  les  re- 
marques suivantes. 


161.  Observations  sur  les  terminaisons. 

1"  L'e  final  de  la  1'"^  personne  était  primitivement  syllabique: 
Ma  grant  onor  aveie  retenude  (Alexis,  v.  407).  Il  s'amuït  cepen- 
dant de  bonne  heure:  Mieus  me  varaie  combatre  a  lui  qu'a 
cez  meschans  (H.  Capet,  v.  1403);  et  dans  plusieurs  textes  on 
ne  l'écrit  même  pas,  surtout  au  conditionnel:  Dont  ne  paroi 
dire  la  disme  (B.  de  Condé,  I,  v.  196).  Les  poètes  hésitent 
longtemps  entre  les  deux  formes  et  les  emploient  selon  les 
exigences  du  vers:  S'araie  bien  a  brief  parler  (Miracles  de 
N.  D.,  n°  11,  v.  158).  Couinent  m'en  paurray  je  tenir  (ib.,  12, 
853).  Au  XVI^  siècle,  on  trouve  à  côté  de  -oie  et  -ai  la  nou- 
velle forme  analogique  -ois.  Sur  l'emploi  de  ces  formes  Ron- 
sard remarque  dans  son  Art  poétique:  »Tu  pourras,  avecques 
licence,  user  de  la  seconde  personne  pour  la  première,  pour- 
veu  que  le  mot  se  finisse  par  une  voyelle  ou  diphthongue  et 
que  le  mot  suivant  s'y  commence,  afin  d'éviter  un  mauvais 
son  qui  te  pourroit  offenser,  comme  j'allais  à  Tours  pour  dire 
fallag  à  Tours;  je  parlais  à  ma  dame  pour  je  parloy  à  ma 
dame,  et  mille  autres  semblables  qui  te  viendront  à  la  plume 
en  composant.  .  .  .  Tu  ne  rejetteras  point  les  vieux  verbes  pi- 
cards, comme  voudraye  pour  voudray,  aimeroye,  diraye,  fe- 
roye  .  .  .  .« 

2"  A  la  2«  personne,  l'e  posttonique  tombe  comme  à  la  pre- 
mière :  tu  chantais  pour  tu  chantaies  devient  général  au  XV^ 
siècle. 

3"  La  terminaison  étymologique  de  la  3*^  personne  -eiet  ne 
se  rencontre  que  dans  les  plus  anciens  textes:  saueiet  (Jonas), 


124 

doceiet  (ib.),  sostendreiet  (Eulalie);  déjà  dans  Alexis  on  trouve 
aveit  (v.  334,  567),  serveit  (v.  169,  336),  deveit  (v.  77),  esteit 
(v.  240,  346).  La  chute  de  l'e  est  peut-être  due  à  une  influence 
du  présent  du  subjonctif  du  verbe  »être«  :  seie  )  seit  amène  esteie 
)  esteit,  deveie  )  deveit,  etc. 

4"  Dès  les  plus  anciens  temps,  la  V^  et  la  2^  personnes  du 
pluriel  sont  pareilles  dans  toutes  les  conjugaisons: 

chantiiens  vendiiens  dormiiens 

chantiiez  vendiiez  dormiiez 

Il  y  a  ici  un  fait  d'assimilation;  chantiiens  chantiiez,  ven- 
diiens vendiiez  ne  remontent  pas  directement  aux  formes  latines, 
elles  sont  dues  à  l'analogie  de  dormiiens  «  *dormiamus)  et 
dormiiez  (<(  *dormiatis).  La  désinence  -iens  a  été  remplacée 
par  -ions  à  une  époque  différente  dans  les  différents  dialectes. 
Tandis  que  Joinville  ne  connaît  que  amiens,  aviens,  chaciens, 
connoissiens,  donriens,  feriens,  envoieriens,  on  trouve  déjà  dans 
Roland  avium  (v.  1504),  durrium  (v.  1805).  Disparu  définitive- 
ment de  la  langue  littéraire  au  courant  du  XI V*^  siècle,  -iens 
est  resté  dans  les  patois,  oii  il  a  parfois  été  appliqué  à  toutes 
les  1^^^  personnes  du  pluriel. 

5®  Les  terminaisons  -iens,  -ions,  -iez  étaient  dissyllabiques  au 
moyen  âge.  Ci  porrïen  seoir  trusqu'al  jor  du  juïs  (Vengeance 
Alixandre,  v.  1371).  De  si  fait  rei  n'avions  nos  mestiers  (Cour. 
Louis,  V.  199).  Mais  elles  deviennent  monosyllabiques  de  bonne 
heure:  Jou  et  mes  frères  cevauciens  tout  soé  (Huon  de  Bor- 
deaux, V.  2521).  N'i  vorriés  estre  pour  Loon  la  chité  {ib.,  v.  1898). 
Si  seriez  vous  sans  différence  (Patelin,  v.  157).  C'est  très  bien 
dit;  vous  vous  tordriez  (ib.,  v.  289)).  Mais  vous  devriez,  ma 
fille,  en  l'âge  ou  je  vous  voy  (Régnier,  Mazette,  v.  143).  De 
nos  jours,  -ions  et  -iez  sont  redevenus  dissyllabiques,  quand  ils 
sont  précédés  de  »muta  cum  liquida*:  voudri-ons,  mettri-ons, 
oubli-ons,  voudri-ez,  tiendri-ez,  etc.  Cette  règle  est  relativement 
moderne  (comp.  I,  §  296);  Molière  ne  l'a  pas  appliquée  dans 
ses  premières  pièces:  Elle  n'est  pas  fort  bonne  et  \ous  devriez 
tâcher  (L'Étourdi,  I,  v.  49).  Sauter  à  notre  cou  plus  que  nous  ne 
voudrions  (Dépit  amoureux,  IV,  v.  1236). 

6°  La  terminaison  -eient  (-oient)  était  originairement  dissylla- 
bique: Si  vunt  ferir,  que  feraient  il  el?  (Roland,  v.  1185).  Lor 
estaient  et   net  et   monde   Et  s'amoient  Divinité   (Rustebuef,  I, 


125 

179).  Elle  devient  monosyllabique  déjà  au  moyen  âge:  Tous 
chis  qui  le  veoient,  en  estaient  esbahis  (H.  Capet,  v.  902).  Que 
vo  François  avaient  en  l'estor  pris  (Aiol,  3805).  Au  XVP  siècle, 
-oient  ne  compte  régulièrement  que  pour  une  syllabe  (voir 
Thurot,  I,  180),  et  plusieurs  auteurs  (Monluc,  Nicolas  de 
Troyes)  emploient  la  graphie  dialectale  -oint  (chantoint,  disoint, 
venoint,  etc.). 

162.  Formes  particulières.  Être  avait  dans  la  vieille  langue 
deux  formes  à  l'imparfait:  iere  et  esteie.  La  première,  qui  re- 
monte à  eram,  ne  s'emploie  guère  après  1300;  elle  se  con- 
juguait: iere  ieres  iere(t)  eriens  eriez  ierent.  La  deuxième  est 
probablement  une  création  analogique  (mètre  meteie  ^  estre 
esteie)  ;  voici  sa  flexion  ancienne  et  actuelle  : 


esteie 

étais 

esteies 

étais 

estei(e)t 

était 

estiiens 

étions 

estiiez 

étiez 

esteient 

étaient 

CHAPITRE  XIII. 

PASSÉ  DÉFINI. 


163.  Les  types  du  prétérit  peuvent  se  diviser  en  deux  groupes 
principaux,  dont  le  premier  se  compose  de  polysyllabes  à  ter- 
minaison accentuée:  chantai,  dormis,  vaTûs,  écrivis,  conduisis, 
etc.,  et  le  deuxième  de"  monosyllabes  :  mis,  fis,  vis,  vins,  tins, 
fus,  crus,  dus,  etc.  Les  formes  qui  appartiennent  au  premier 
groupe  remontent  généralement  à  des  parfaits  latins  faibles  : 
chantai  <(  cantavi,  dormis  (  dormivi,  valus  <(  *  va  lui  (voir 
§  174),  comme  les  formes  du  deuxième  groupe  remontent  à 
des  parfaits  latins  forts:  mis  <  misi,  fis  <  feci,  vins  <  veni, 
fus  <(  fui,  etc.  Cependant  dans  quelques  cas  isolés  des  formes 
à  terminaison  accentuée  remontent  à  des  parfaits^forts  :  écrivis 
<  yfr.  escris  X  lat7{s cTI p sj:;  conduisis  <  vfr.  conduis  <  lat.^on- 
duxWcomp.  §  179,4). 


A.  PARFAITS  FAIBLES. 


I.    PARFAITS   EN   -ai. 


164.    Les   parfaits 
jugaison  (chanter  — 

(Latin  classique) 

cantavi 

cantavisti 

cantavit 

cantavimus 

cantavistis 

cantaverunt 


en   -ai   sont  propres   à   la   première   con- 
chantai)  : 


(Latin  vulgaire) 

cantal 

cantasti 

cantât 

cantamus 

cantastis 

cantarunt 


(Vieux  français) 

chantai 

chantas 

chantât 

chantâmes 

chantastes 

chantèrent 


(I?rançais  moderne) 

chantai 

chantas 

chanta 

chantâmes 

chantâtes 

chantèrent 


127 

Les  formes  contractées,  dont  le  latin  classique  connaissait 
cantasti,  cantastis,  cantarunt,  appartiennent  surtout  au 
langage  populaire.  Probus  les  cite  deux  fois  et  les  désapprouve: 
»Probavi,  non  p  r  o  b  ai  r^)Tob  a  s  rîT^nôn^pTôKarrstrTpro  - 
bavit,  non  probait;  —  probavimus,  non  probaimus« 
(Schuchardt,  Vokalismus  II,  476.  Keil,  Gramm.  latini,  IV,  160). 
Quaeritur  qua  de  causa  calcavi  et  non  calcai  dicatur  .... 
et  ideo  calcai  barbarismus  esse  pronuntiatur«  (ib.,  IV,  182, 
11).  Rappelons  que  Lucrèce  (I,  70)  s'est  servi  de  inritâtpour 
in  ri  ta  vit.  Enfin  les  inscriptions  nous  offrent  plusieurs  ex- 
emples de  ces  formes:  edificai,  speclarait  (Schuchardt, 
Vokalismus,  II,  476);  dans  un  contrat  d'achat  de  l'an  160 
après  J.-C.  on  lit  aeyvai,  c.  à  d.  signai  (Brun,  Fontes  juris 
Romani  antiqui^,  p.  261),  laborait  (C.  I.  L.,  X,  216),  dedi- 
cait  {ib.,  VIII,  5667),  pugnat  {ib.,  X,  7297),  educaut  {ib., 
XI,  1074),  etc. 

165.  Observations  sur  les  terminaisons. 

1°  Chanta vi,  qui  aurait  donné  chantef,  a  été  remplacé  par 
cantai  (voir^ci^dessus).  La  terminaison  française  -ai,  d^mt-i^â 
prononciation  primitive  a  dû  être  [aj],  puis  [e],  se  prononce  de 
bonne  heure  comme  [e].  Dès  le  XIIP  siècle,  on  trouve  même 
dans  les  textes  la  graphie  -e:  fapelé,  je  me  couchié,  etc.;  on 
écrit  également  fé  (h  a  b  e  o),  je  seré,  je  partiré,  etc.  Cette  ortho- 
graphe, abandonnée  depuis  le  moyen  âge,  se  retrouve  encore 
dans  Racine  {Andromaque,  I,  se.  4): 

Vaincu,  chargé  de  fers,  de  regrets  consumé, 
Brûlé  de  plus  de  feux  que  je  n'en  allumé. 

2^  Canta(vi)sti  aurait  dû  donner  chantast  (comp.  it.  can- 
tasti, esp.  cantaste,  eng.  cantast,  prov.  cantest);  cependant  les 
plus  vieux  textes  ne  présentent  que  chantas.  La  chute  dji  t 
finaj_^^xpjiqug^soi^^parJj__ph^étique  syntaxique^  c  a  n  t  a,sj± 
\ny_çantas(t)hi,  soit  par  l'analogie:  ai  — ~~âs  —  at  ^  chante- 
ral  —  chanteras  —  chanterat  ^  chahTâr~-^~cEantas  —  chantât. 

30  Ganta  vit  dèvienTcantaut  (cf.  G.  I.  L.,  IV,  1391,  2048)  ou 
est  remplacé  par  cantat  (voir  §  164).  Le  premier  développe- 
ment est  propre  à  l'italien  (canto)  et  à  l'hispano-roman  (esp. 
canto,  port,  canton),  le  deuxième  au  rhéto-roman  et  au  fran- 
çais. 


128 

4"  Cantam(m)us  aurait  dû  donner  chantans  ou  chan- 
tains;  la  forme  chantâmes _ô^  provenir  de  quelque  analogie 
^xterne.  ^u  XIIP  siècle,  chantâmes  change  d'orthographe,  sous 
l'influence  jie  chantastes,  et  devient  chantasmes,  d'où  chan- 
tâmes. 


5^  A  la  3^  pers.  du  plur.  on  trouve  -arent  à  côté  de  -erent. 
C'est  une  forme  dialectale  qui  apparaît  au  Nord,  en  wallon 
(Romania,  XVII,  567),  à  l'Est  et  au  Midi.  Au  XVI«  siècle  elle 
faillit  pénétrer  dans  la  langue  littéraire;  nous  la  trouvons  dans 
plusieurs  auteurs,  entre  autres  Rabelais  et  Monluc,  et  elle  est 
admise  par  Dubois  (1531)  et  Sibilet  (Art  poétique,  1555);  et 
Louis  Meigret,  qui  était  Lyonnais,  place  même  aimarent  avant 
aimèrent.  Pourtant,  la  plupart  des  grammairiens  désapprouvent 
cette  forme.  En  1575,  Gauchie  dit  que  »ceux  qui  préfèrent  ai- 
marent à  aimèrent  trahissent  leur  ineptie«  (Thurot,  I,  16),  et 
on  lit  dans  Maupas  (1625):  »Gardez  vous  de  dire  aimarent, 
parlarent,  criarent  à  la  mode  de  Gascogne «.  Rappelons  encore 
que  Tallemant  des  Réaux  remarque,  en  parlant  du  Maréchal 
de  la  Force  et  de  sa  femme,  dont  il  blâme  les  manières  vul- 
gaires: »lls  n'ont  jamais  pu  se  défaire  de  dire:  ils  allarent,  ils 
mangearent,  ils  frapparent,  etc.*  {Historiettes,  p.  p.  Monmerqué 
et  P.  Paris,  I,  254). 

Remarque.  Dans  quelques  dialectes  de  l'Est  (le  lorrain,  le  wallon),  -erent 
est  remplacé  par  -ont:  Ex.:  Ans  n'i  trovont  palefroit  ne  somier  (Prise  de 
Cordres,  v.  1847).  Des  formes  comme  allant,  portant,  trovont,  menant,  etc.  se 
trouvent  dans  les  vieilles  chartes  de  Metz  et  de  Liège  (Romania,  XVII,  p.  567), 
dans  Philippe  de  Vigneulles,  Jacomin  de  Husson  (Chronique  de  Metz),  etc. 
Nous  avons  ici  probablement  affaire  à  une  influence  du  futur  (et  de  ai) 
dont  le  singulier  offre  les  mêmes  terminaisons  que  celui  du  passé  défini. 

166.  Formes  particulières.  Tous  les_verbes_de_la_gremière 
conjugaison  ontdes  parfaits  enJ^Tj)  Un  seul  verbe,  ester  de 
sTare,  présente  des  irrégularitésTrcjDarfait  classique  steti  a 
été  reinplacéen_2atm,_iLiilgai^^  §  174yijui'sè~ 

retrouve  en  roum.  statut,  esp.  estuve  et  en  vieux  français  sous 
les  deux  formes  suivantes: 

estai  estai 

estëus  estons 

estut  estant 


129 


estëumes 
estëustes 
esturent 


estoûmes 
estoiistes 
estourent 


Quant  aux  composés  de  stare,  ceux  qui  gardent  le  sens 
propre  du  verbe,  présentent  et  les  formes  irrégulières  et  les 
formes  régulières  :  rester  —  restât,  resta,  arrester  —  arrestut,  ar- 
resta;  les  autres  sont  réguliers:  couster  (constare)  —  cousta, 
prester  (prœstare)  —  presta. 


IL  PARFAITS  EN  -is. 

167.  Lej^garfaits  en  -;{syon^^ro£res_a^x_jverbesen_^i^ 
mir  —  dormis,  sentir  —  sentis,  finir  —  finis,  et  à  la  plus  grande 
partie  de  ceux  en  (re))  perdre  —  perdis,  vendre  -^  vendis.  Quant 
à  l'origine  de  la  terminaison,  elle  est  différente  pour  les  deux 
groupes:  dormis  remonte  directement  à  dormivi,  tandis  que 
perdis  s'explique  par  le  parfait  vulgaire  perdëdi  (§  171). 

Remarque.  Autrefois  la  terminaison  -is  s'appliquait  souvent  aux  verbes 
de  la  première  conjugaison  (voir  §  71);  elle  est  encore  d'un  emploi  très 
étendu  dans  plusieurs  patois  où  elle  est  même  parvenue  à  se  généraliser. 
Nlsard  (Lang.  pop.  de  Paris,  p.  222)  cite  je  courts,  je  véquis,  je  voulis,  je 
mettis,  je  prenis,  je  recevis,  j'apercevis,  je  croyis,  etc. 


1)  Premier  groupe. 
168.  Voici   la  flexion  des  parfaits   en  -is,   provenant  de  -ivi: 


(Latin  classique) 

dormivi 

dormivisti 

dormivit 

dormivimus 

dormivistis 

dormiverunt 


(Latin  vulgaire) 

dormii 

dormisti 

dormi  (v)  t 

dormimus' 

dormistis 

dormirunt 


(Vieux  français) 

dormi 

dormis 

dormi(t) 

dor  mimes 

dormistes 

dormirent 


(Français  moderne) 

dormis 

dormis 

dormit 

dormîmes 

dormîtes 

dormirent 


Toutes    les    formes    contractées    (excepté    dormirunt)    se 
trouvent  dans  le  latin  classique. 

169.  Observations  sur  les  terminaisons.  -^^ 

1°  Le  changement   purement__giuphiqu^de (C[on^^ 
ne  s'accomplit  qu'après  la  Renaissance.  Au  commencement  (îïr 


130 

XVP  siècle  on  écrit  :  je  senti,  je  dormi,  je  parti,  tout  comme  je 
fu,  je  deu,  etc.;  on  trouve  même  je  mi  et  je  prorni,  qui  par  une 
réaction  en  sens  inverseront  perdu  leur  s  étymologique.  Mal- 
herbe écrit  encore  à  la  rime  couvri:  Ivri  (Stances  pour  Ali- 
candre),  mais  Vaugelas  (Remarques,  I,  226)  défend  absolument 
de  supprimer  s  au  parfait. 

2°  A  la  2^  pers.  du  sing.,  comme  à  la  1®  et  à  la  2^  pers.  du 
pluriel,  on  observe  parfois  l'insertion  d'une  syllabe  -is-  ou  -es- 
entre  le  thème  et  la  terminaison:  Guaresis  (Roland,  2386,  3101), 
guerpesis  (Raoul  de  Cambrai,  1876),  nouresis  (ib.,  3640),  nore- 
simes  (ib.,  1894),  partesist  (Chev.  as  deus  espées,  v.  5736), 
vainquesis  (Bast.  de  Bouillon,  v.  412),  etc.  Ces  formes,  qui  dis- 
paraissent avec_le^XIV^  siècle,  sont  dues  à  l'influencF^îë^^er- 
tains  parfaits  forts  dont  ndus^  parlerons  ]3Tïïs  tard  (§  182); 
c'est  dis  —  desis  qui  a  amené  nourris  —  nourresis.  (Il  en  est 
de  même  à  l'imp.  du  subj.  où  desisse  amène  nouresisse;  comp. 
combatèsist,  H.  Capet,  v.  3941). 

3°  La  dentale  finale  de  la  3*^  personne  s'est  conservée  dans 
les  plus  anciens  textes:  dormit  (dormid);  elle  ne  tarde  pas  à 
s'amuïr  et  à  disparaître  de  l'orthographe.  On  écrit  dormi,  senti, 
servi,  etc.  jusqu'au  XVP  siècle.  La  réintroduction  du  t  est  un 
fait  d'analogie:  il  vit,  il  dit,  il  mit  amènent  il  dormit,  il  servit, 
il  sentit,  et  ce  t  adventice  a  fini  par  s'introduire  aussi  dans  la 
prononciation  (on  peut  le  faire  sonner  en  liaison). 

4"  A  la  1'''  pers.  du  plur.  on  trouve  au  moyen  âge  -ins  pour 
-imes;  cette  forme  est  particulière  à  l'Est  et  au  Nord.  Les  dia- 
logues de  Grégoire  donnent  atendîns,  desins,  departins,  poïns 
pour  atiendimes,  desimes,  départîmes,  poïmes,  et  Baudouin  de 
Condé  emploie  sentins,  venins,  ahatins,  pour  sentîmes,  venimes, 
ahatimes,  etc.;  comp.  fesins  (Flore  et  Blancheflore,  v.  1069). 
Pour  le  wallon,  voir  Romania,  XVII,  567. 

170.  La  terminaison  -ivi  a_été  appliquée,  en  latin  vulgaire, 
à  tous  lès  verbes  app^rte^y^^it  f^  yy-  sensi,  salui,  aperui 
ont  été  remplacés  par  *sentivi  )  senti,  *salivi  >  sailli^^ 
*aprivi  )  ouvri.  En  français  moderne^ tQus  les  verbes  en  -z> 
ont  des  parfaits  er^^s.  >,  Notez  pourtant  les  exceptions  sui- 
vantes : 

1^  Courus  (inf.  courir)  remonte  à  *currùi  (§  174,  2);  on 
trouve  aussi  la  forme  analogique  couris  (et  secouris)  ;  par  ex. 


131 

dans  la  Vie  de  St.  Grégoire  (Romania,  VIII,  543).  Palsgrave 
connaît  encore  seconds,  et  Mathieu  (1559)  observe:  »La  com- 
mune par  corruption  dict  nous  courismes,  il  courit,  mettant  z 
consequemment  partout«  (Livet,  p.  311).  Ces  formes  se  re- 
trouvent encore  dans  les  patois  modernes  (Jaubert,  I,  45,  292). 

2°  Mourus  (inf.  mourir)  remonte  à  une  formation  en  -ui. 
La  forme  analogique  en  -is  se  trouve  rarement:  Sa  mère  mari 
(Mort  de  Garin,  v.  4808).  Dedenz  petit  terme  morit  (Meyer, 
Recueil,  p.  349,  v.  99;  cf.  Romania,  VI,  46). 

3^  Quis  (inf.  quérir),  conservé  dans  acquis,  conquis,  enquis, 
requis  (pour  l'origine  de  quis,  voir  §  180, 2).  La  forme  ana- 
logique queris  se  rencontre  rarement;  on  la  trouve  dans  Aimé, 
(Ystoire  de  li  Normant)  et  quelques  autres  textes  (Risop,  Kon- 
jugation  auf  -ir,  p.  121). 

4°  Tins  (inf.  tenir)  remonte  à  *tëni  (pour  tenui)  modelé 
sur  veni;  la  forme  faible  tenis  sera  expliquée  §  191. 

5®  Vins  (inf.  venir)  remonte  à  veni;  sur  la  formation  ana- 
logique venis,  voir  §  191. 

2)  Deuxième  groupe. 

171.  Ce  groupe  comprend  la  plupart  des  verbes  de  III.  Il 
faut  excepter  les  quelques  parfaits  forts  conservés  :  dis,  fis,  mis, 
pris,  ris,  les  parfaits  faibles,  tels  que  écrivis,  conduisis,  feignis, 
etc.,  qui  ont  remplacé  des  formes  fortes  (§  181, 2),  et  une 
dizaine  de  formes  en  -us:  bus,  crus,  etc.  (§  174, 1).  Lejreste 
des^parfaits  en(-is)se  sont  développés  conformément  au  tableau 
suivant: 


(Latia  classique) 

(Latin  vulgaire) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

vendidi 

vendëdi 

vendis 

vendidisti 

vendëdisti 

^  vendis 

vendis 

vendidit 

vendëdit 

vendiet 

vendit 

vendidimus 

vendëdimus 

-  vendim.es 

vendîmes 

vendidistis 

vendëdistis 

^  vendistes 

vendîtes 

vendiderunt 

ve  n  d  ë  d  e  r  u  n  t 

vendierent 

vendirent 

On  voit  que  les  formes  avec  -/-  (vendis,  vendîmes,  vendistes) 
l'ont  emporté  sur  celles  avec  -ie-  (vendiet,  vendierent);  il  y  a 
des  traces  isolées  d'une  analogie  contraire  tendant  à  générali- 
ser -ie-. 


132 


172.  Le  gaïlâiLxiilgairejeix/d^ëdi^  qui  se  continue  en  italien 
(vendetti  <(  vendedi)  et  en  vieux  français,  est  dû  à  une  sorte 
de  recomposition.  La  nouvelle  terminaison  -dëdi  n^t  autre 
chose  que  le  parfai^redoublé  ded^rg,;  perdu  comme  forme 
simple,  il  a  été  réintroduit  dans  les  composés:  ainsi  véndidi, 
pérdidi,  réddidi  ont  été  remplacés  par  vendedi,  perdëdi, 
reddëdi,  et  petit_à_43fititcette^termiiiaison  a  été  introduite 
dans  d'autnes~v£rbes^_-doi^tJ^_thèm^_se^eri^^ 
ceptionellement  t):  credidi,  respondi,  descendi,  battui 
ont  été  remplacés  par  credëdi,  respondëdi,  descendëdi, 
battëdi.  Ces  formes  ne  sont  pashypothétiques;  on  les  trouve. 


et  assez  souvent,  dans  les  textes  bas-latins.  En~ voici  ~qpiBlques 
exemples:  d e s c eird^ë3i~-(6ellTus7Tx7  5,  23),  respondëdi 
(Caper,  VII,  103,  7),  adtendedit  (Formulse  Andegavenses, 
L,  11),  ostendedi  (Fredegarius),  reddedi,  tradedi,  cre- 
dëdi, perdedi,  vendedi,  battedi,  etc.  (voir  Schuchardt, 
Vokalismus,  I,  35,  II,  9,  III,  10,  166).  Cette  nouvelle  formation 
a  été  très  fertile  surtout  en  italien;  en  vieux  français  son  do- 
maine est  plus  restreint,  on  la  retrouve  dans  descendre,  fendre, 
fondre,  pendre,  pondre,  respondre,  rendre,  attendre,  entendre, 
estendre,  vendre,  perdre,  battre,  et,  par  une  analogie  postérieure, 
dans  rompre,  vivre,  beneistre,  pursev9,  resplendir,  revestir.  En 
voici  quelques  exemples:  Abatiet  (Roland,  v.  98),  respundiet 
(ib.,  V.  2411),  perdiet  (ib.,  v.  2795),  respundiet  (Peler.  Charle- 
magne,  v.  12),  beneisquiet  {ib.,  v.  177),  etc.,  ces  formes  appa- 
raissent encore  dans  Gormunt  et  Isembart,  le  Psautier  d'Ox- 
ford, les  œuvres  de  Benoît  de  Sainte-More,  Raoul  de  Cambrai, 
Aiol,  Li  coronemenz  Looys,  Gaydon,  et  quelques  autres  textes. 
Elle  se  rencontrent  jusque  dans  le  XIII®  siècle. 


III.   PARFAITS   EN   -us. 

173.  Dans  la  langue  moderne  des  parfaits  en  -us  se  trouvent 
dans: 

1®  Tous  les  verbes  en  {-oir^  valoir  —  valus,  vouloir  —  vou- 
lus, avoir  —  eus,  devoir  —  dus,  mouvoir  -^  mus,  pleuvoir  — 
plut,  pouvoir  —  pus,  savoir  —  sus,  recevoir  —  reçus,  etc.  (mais 
asseoir  —  assis,  voir  —  vis;  sur  pourvus,  voir  §  176,  .3). 

2"  Une  dizaine  de  verbes  en  (^ev  boire  —  bus,  croire  —  crus, 


133 

plaire  —  plus,  taire  —  tus,  lire  —  lus,  conclure  —  conclus,  con- 
naître —  connus,  paraître  —  parus,  paître  —  pus,  être  —  fus, 
croître  —  crûs,  moudre  —  moulus,  résoudre  —  résolus,  vivre  — 
vécus. 

3^  Deux  verbes  en  -ir:  courir  —  courus,  mourir  —  mourus 
(cf.  §  170). 

174.  Pour  l'origine,  ces  formes  se  divisent  en  deux  groupes 
principaux,  un  groupe  fort  et  un  groupe  faible. 

1°  Le  groupe  fort  se  compose  de  bus,  conclus,,  connus,  crus, 
crûs,  dus,  eus,  fus,  lus,  mus,  plus,  plut,  pus,  pus,  reçus  (conçus, 
déçus,  eTcT)'  sus,  tus;  ces  formes  seront  traitées  plus  loin 
(§  193  ss.). 

2°  Le  groupe  faible  comprend  maiçitenant  courus,  fallus, 
moulus,  mourus,  parus,  résolus,  valus,  vécus,  voulus;  il  était  plus 
nombreux  dans  la  vieille  langue.  L'origine  de  ces  formes  est 
encore  douteusej^Ues^pourraient  peut-être  s'expliquer  de  la 
manière  suivante  :_ilQ^avait  en  latin  vulgaire  trois  participes 
faibleSj:  -aJLunij^  -rtunij  - u t u m  (§  87).  Or,  à  côté  de  can- 
tVtiïiti  on  avait  le  prétérit  cantai  (§  164);  à  côté  de  fini- 
tum  on  avait  finii  (§  168);  rien  de  plus  naturel^alors  qu'à 
côté  de  valutum  on  ait  eu  valûi  pour  vâluij^outons  que 
fui  peut  avoir  contribué  au  changement  d'accwit. 

Remarque.  Au  moj'en  âge,  les  deux  formes  evanuit  et  g e nuit  ont  été 
transportées  tout  d'une  pièce  de  la  langue  latine  biblique  en  français:  Quant 
li  angles  li  ot  ce  dit,  De  devant  le  s'esvanuit  (Vie  de  Ste  Marguerite,  p.  112). 
Fil  le  roy  Baudouin  car  il  engenui  [ingenuit]  (Bast.  de  Bouillon,  v.  1899). 
Du  passé  défini  esvanuit  on  a  tiré  tout  un  nouveau  verbe  esoanouir  (comp. 
le  lat.  evanescere). 


175.  Flexion  des 

parfaits  faibles 

en  -us: 

(Latin  classique) 

(Latin  vulgaire) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

valut 

V  a  1  ù  1 

valui 

valus 

valuisti 

valusti 

valus 

valus 

valuit 

valût 

valut 

valut 

V  a  1  u  i  m  u  s 

valumus 

valûmes 

valûmes 

valuistis 

valustis 

valustes 

valûtes 

valuerunt 

valurunt 

valurent 

valurent 

Ce  groupe  comprend  caluit  )  vfr.  chalut;  do  lui  >  vfr.  do- 
lui;   molui  )  molui,  moulus;   parui  )  parui,  parus;  solui  y 


134 

solui,  (ré)solus;  submonui  )  vfr.  semoniii,  et  un  certain 
nombre  de  formes  analogiques  créées  à  leur  modèle,  telles  que 
*currui  (pour  cucurri)  )  corui,  courus;  *falluit  (pour  fe- 
fellit)  >  fallut;  *manui  (pour  mansi)  )  vfr.  manui;  *mo- 
ruit  (pour  mortuus  est)  )  mourut;  *tului  (pour  tuli)  ) 
vfr.  tolui,  etc. 


176.  Dans  la  vieille  langue,  u  s'introduit  sporadiquement  au 
lieu  de  i;  il  faut  peut-être  y  voir,  au  moins  dans  quelques  cas, 
une  influence  de?  participes  passés  en  -«.  Ex.:  Vesturent  (Cla- 
ris, V.  2006);  issurent  (ib.,  v.  18780);  ferut  (Rabelais;  R.  Gar- 
nier,  Hippolyte,  v.  1592);  boulut  (Amyot),  etc.  Cette  hésitation 
entre  u  et  i  se  continue  après  la  Renaissance  dans  les  quatre 
verbes  suivants: 

1°  Coudre.  Vaugelas  remarque:  »I1  faut  dire  décousit  avec 
M.  de  Malherbe  et  non  decousut«  (Remarques,  II,  391). 

20  Vivre.  L'ancienne  forme  est  vesquis  (§  180,  i.  Rem.); 
vescus  ne  devient  commun  qu'au  XV*'  siècle.  Vaugelas  admet- 
tait les  deux  formes  tout  en  ajoutant:  «Seulement  on  peut  ad- 
uertir  ceux  qui  ecriuent  exactement,  et  aspirent  à  la  perfec- 
tion, de  prendre  garde  à  employer,  vesquit,  ou  vescut,  selon 
qu'il  sonnera  mieux  à  l'endroit  ou  il  sera  mis.  Par  exemple, 
j'aimerois  mieux  dire,  il  vesquit  et  mourut  chrestiennement,  que 
non  pas,  il  vescut  et  mourut  à  cause  de  la  rudesse  de  ces  deux 
mesmes  terminaisons,  comme  au  contraire,  je  voudrois  dire, 
il  vescut  et  sortit  de  ce  monde,  plustost  qu'il  vesquit  et  sortit. 
Mais  ces  petites  obseruations  ne  sont  que  pour  les  délicats* 
(Remarques,  1,  196).  Thomas  Corneille  ajoute  en  1687  :  »Je 
n'entends  plus  dire  vesquit  ni  survesquit«. 

3^  Voir.  A  côté  de  la  forme  étymologique  vis  (§  192),  on 
trouve  vus  (Jaubert,  Glossaire  du  Centre,  II,  436).  Pour  les 
composés,  on  peut  citer  prévus  et  pourvus,  à  côté  de  prévis  et 
pourvis.  Prévus  disparaît,  chassé  par  Vaugelas:  »11  faut  dire, 
preuit,  quoy  qu'il  y  en  ayt  quelques-vns  qui  disent  preueut«  (Re- 
marques, II,  74).  Pourvus  est  resté  en  usage  jusqu'à  nos  jours. 

4°  Vouloir.  Palsgrave  (1530)  donne  voulusse,  tout  en  ajou- 
tant »but  voulsisse  is  more  to  be  used«  (comp,  plus  loin 
§  197,2). 


135 


B.  PARFAITS  FORTS. 

177.  Le  latin  offrait  quatre  types  différents  de  parfaits  forts. 
1°  Formes   redoublées:    cecidi,   peperi,    pepigi,   tetigi, 

momordi,  totondi,  etc. 

2^  Formes  sigmatiques  en  -si:  arsi,  clausi,  scripsi,  cessi, 
dixi,  cinxi,^etc. 

3°  Formes  simples  en  -i:  ^'idi,  veni,  feci,  etc. 

4°  Formes  en  -ui:  gemui,  tremui,  colui,  genui,  po- 
sui,  etc. 

178.  De  ces  quatre  types,  le  premier  a  disparu  en  français 
comme  dans  les  autres  langues  romanes.  Bien  qu'on  ait  con- 
servé les  verbes  cadëre,  fallëre,  credëre,  currëre,  pun- 
gëre,  pendëre,  tendëre,  tondere,  mordere,  on  ne  trouve 
nulle  trace  de  cecidi,  fefelli,  credidi,  cucurri,  pupugi, 
momordi,  pependi,  tetendi,  totondi,  qui_tous  ont  éjg^ 
reninlacés  par  des  formes  analogiques  soiten_AutJ  ^ô^_ên^it: 
chut,  fallut,  crut,  courut  (§  173  ss.),  poignit  (§  185),  mordit,  pen- 
dit, tendit,  tondit  (§  171). 

Remarque.  Seuls  dedi  et  steti  ont  laissé  des  traces  en  roman:  dedi  > 
iy.  diedi,  v.  roum.  dedï;  stetï  >  v.  roum.  sietï.  Sur  le  rôle  de  dedi  dans  la 
formation  du  parfait  français,  voir  §  172. 

179.  Les  trois  autres  types  ont  été  conservés  tout  en  subis- 
sant des  changements  considérables.  Pour  leur  développement 
il  faut  remarquer: 

1^  Dans  la  langue  latine  vulgaire,  elles  avaient  le  radical 
accentué  aux  V^  et  3^  pers.  du  sing.  et  à  la  3*^  pers.  du  plur,, 
tandis  que  l'ictus  était  sur  la  terminaison  à  la  2^  pers.  du  sing. 
et  à  la  1^  et  à  la  2^  pers.  du  plur.  (cf.  §  13).  Donnons  comme 
exemples  la  flexion  de  dixi,  de  coxi  et  de  scripsi. 

dixi  coxi  scripsi 

dixisti  coxisti  scripsisti    ' 

dixit  coxit  scripsit 

diximus  coximus  scrigsimus 

dixistis  coxistis  scripsistis 

dixerunt  coxerunt  ,    scripserunt 


136 


2^  Cette  variation  de  l'accent  se  retrouve  plus  ou  moins  bien 
conservée  dans  presque  toutes  les  langues  romanes.  Voici  les 
formes  de  dixi  en  italien,  en  espagnol  (cf.  §  13,  Rem.)  et  en 
vieux  français: 


1/ 


S*'  Pour  le  français,  il  faut  remarquer  que  la  variation  d'ac- 
cent disparaît  après  le  moyen  âge;  ordinairement  les  formes 
fortes  l'emportent,  de  sorte  que  les  parfaits  forts  de  la  langue 
moderne  accentuent  le  radical  à  toutes  les  personnes: 


d/'sst 

d/je 

dis 

dicesti 

dijiste 

desis 

disse 

dijo 

dist 

dicemmo 

dijimos 

(fesimes 

diceste 

dijisteis 

désistes 

dissero 

dijeron 

distrent 

\J 


(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

dis 

dis 

desis 

dis 

dist 

dit 

desimes 

dîmes 

désistes 

dîtes 

distrent 

dirent 

4"  Dans  quelques  cas  isolés,  le  développement  contraire  a 
lieu,  et  les  trois  formes  fortes  disparaissent,  de  sorte  que  toutes 
les  personnes  finissent  par  présenter  des  terminaisons  accen- 
tuées : 


(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

cuis 

cuisis 

cuisis 

cuisis 

cuist 

cuisît 

cuisîmes 

cuisîmes 

cuisistes 

cuisîtes 

cuisirent 

cuisirent 

I.   PARFAITS   EN  -SI. 

180.    On   trouve   en   français   un  grand   nombre  de  parfaits 
en  -si: 


137 

1"  Formes  étymologiques  conservées  en  vieux  français:  arsi 

>  ars,  cinxi  >  cins,  clausi  >  clos,  clusi  >  (con)clus,  coxi  > 
cuis,  cussi  )  (esjcos,  despexi  >  despis,  dixi  )  dis,  duxi  > 
duis,  empsi  >  (rad)ens,  ex  tin  xi  >  esteins,  finxi  )  feins, 
junxi  >  joins,  mansi  >  mes,  misi  >  mis,  pinxi  >  peins, 
planxi  )  plains,  presi  >  pris,  rasi  >  res,  risi  >  ris,  scripsi 
)  escris,  sparsi  )  espars,  strinxi  )  estreins,  destruxi  )  dés- 
irais, tersi  )  ters,  tinxi  )  teins,  torsi  )  tors,  traxi  )  trais, 
un  xi  )  oins. 

Remarque.  Comme  terme  religieux  on  emploie  au  moyen  âge  la  forme 
savante  surrexi.  Ex.:  Je  fu  la  al  sépulcre  u  surexi  (Aiol,  v.  1549;  comp. 
Gui  de  Bourgogne,  v.  2566;  Huon  de  Bordeaux,  v.  1542).  Al  tierc  jor  sur- 
rexit  (Vers  del  juise,  v.  411).  Saint  Lazaron  de  mort  resiirrexis  (Roland, 
V.  2385).  Une  autre  forme  savante,  qui  a  eu  la  vie  plus  durable,  est  vesquit 
altération  de  vixit,  prononcé  à  la  française  vixft  puis  visquit  (cf.  I,  §  518,3), 
vesquit.  Sur  cette  forme,  qui  succombe  devant  vescut  (§  176,2),  on  a  modelé 
benesquit  et  nasquit  >  naquit. 

2®  Formes  de  création  postérieure.  Exemples:  *Absconsi 
(pour  abscondi,  fait  sur  *absconsus;  cf.  §  100,  i)  )  escos 
(roum.  ascunseï,  it.  nascosi);  *attinxi  (pour  attïgi;  fait  sur 
pinxi,  etc.)  )  atteins;  *franxi  (pour  frëgi;  fait  sur  planxi) 

>  frains;  *im pinxi  (pour  impegi)  )  empeins;  *lexi  (pour 
legi)  >  lis  (cf.  it.  lessi);  *morsi  (pour  momordi;  fait  sur 
morsus)  >  mors;  *presi  (pour  prehendi)  )  pris;  *punxi 
pour  pupugi;  fait  sur  junxi)  >  poins;  *qu3esi  (pour  quse- 
sivi;  tiré  de  *qusesisti  <  qusesi(vi)sti)  >  quis;  *sessi 
(pour  sedi;  tiré  de  sessum)  )  sis;  *solsi  (pour  solui)  > 
sols;  *sursi  (pour  surrexi;  cf.  sparsi)  }  sors;  *tolsi  (pour 
tuli,  sustuli)  )  tous;  *volsi  (pour  volvi)  >  vous.  Ajoutons 
que  la  flexion  sigmatique  apparaît  dans  la  vieille  langue  spo- 
radiquement à  côté  d'autres  flexions;  on  a  ainsi  failli  et  fais, 
respondi  et  respons,  valui  et  vais,  etc. 

181.  Examinons  maintenant  le  sort  des  parfaits  sigmatiques 
que  nous  venons  de  citer. 

1°  Un  tout  petit  nombre  s'est  conservé  jusqu'à  nos  jours: 
dis,  mis,  pris,  quis  (acquis,  conquis),  ris,  sis. 

2^  D'autres  ont  été  remplacés  par  des  formes  faibles  en  -sis: 
duis  y  duisis  (conduisis,  réduisis,  etc.),   en  -dis:   mors  )  mordis, 


138 


tors  >  tordis,  en  -gnis:  feins  )  feignis,  joins  y  joignis,  ou  en  -vis: 
escris  ■)  escrivis. 

Remarque.  On  trouve  aussi  par  exception  des  remplaçants  faibles  en  -is. 
A  côté  du  vfr.  trais  (traxi),  on  a  non  seulement  traisis,  mais  aussi  traïs. 
Littré  regrette  la  disparition  de  je  distrayis  et  j'extrayis. 

3^  Un  grand  nombre  est  mort:  ars,  ers,  res,  ters,  tols,  trais,  etc. 


182.  Le  type  des  parfaits  forts   conservés  est  dixi.    En 
la  flexion: 


voici 


(Latin) 

(Vieux  français) 

(l'rançais  moderne) 

dixi 

dis 

dis 

dixisti 

desis  (deïs) 

dis 

dixit 

dist 

dit 

d  i  X  i  m  u  s 

desimes  (deïmes) 

dîmes 

dixistis 

désistes  (déistes) 

dîtes 

dixerunt 

distrent 

dirent 

La  même  flexion  et  le  même  développement  se  retrouvent 
dans  fis,  mis,  pris,  quis,  ris,  sis,  clos  et  leurs  composés. 

Observations.  P  La  substitution  de  (tu)  dis,  dîmes,  dîtes  à 
desis,  desimes,  désistes  peut  être  due  à  l'influence  des  formes 
fortes  (je)_dis,  dist^^distrent  (comp.  le  développement  mverse 
dans  cuis,  cuisis  )  cuisis,  cuisis,  etc.);  mais  on  peut  aussi  ex- 
pliquer les  formes  modernes  comme  provenant  de  deïs,  deïmes, 
deïstes,  formes  médiévales  collatérales  de  desis,  desimes,  désistes 
et  probablement  modelées  sur  veïs,  veïmes,  veïstes  (§  192).  Les 
formes  sans  s  remontent  haut;  on  les  tFouve  dans  le  Roland 
qui  offre  feïstes  (v.  1708,  1723)  à  côté  de  presistes  (v.  205). 
Rappelons  l'énigmatique  feïssent  de  la  Vie  de  St.-Léger  (v.  54), 
qui  est  difficile  à  expliquer,  parce  qu'il  n'existait  pas  de  veïs- 
sent  à  l'époque  où  ce  poème  fut  composé.  Au  XIII^  siècle  on 
n'emploie  plus,  en  francien,  que  deïs,  feïs,  meïs,  preïs,  queïs 
(Rustebuef);  mais  en  dehors  de  l'Ile  de  France  l'hésitation 
entre  les  deux  séries  de  formes  continue  dans  plusieurs  textes, 
tandis  que  d'autres  ne  connaissent  que  desis,  etc.  Après  le 
moyen  âge,  les  formes  faibles  apparaissent  dans  plusieurs 
patois.  Le  paysan  Gareau  du  »  Pédant  joué«  (I,  §  68,  Rem.) 
dit  je  fesi,  et  le  wallon  moderne  présente  je  fisis,  je  disis;  cette 
dernière  forme  a  aussi  eu  cours  dans  le  français  normal.  Mé- 


139 

nage  observe:  »L'Usage  veut  aussi  qu'on  dise  //  V interdisit ;  & 
non  pas  II  Vinterdist,  comme  voudroit  la  reigle:  car  nous  di- 
sons //  lui  dist  cela,  &  non  pas  //  lui  disii  cela«  {Observations, 
p.  296). 

Remarque.  Sur  l'influence  du  type  dis,  desis,  etc.,  fis,  fesis,  etc.  sur  les 
parfaits  faibles  en  -is,  voir  §  169,2. 

2"  A  la  S'^  pers.  du  plur.,  la  terminaison  varie  selon  les  con- 
ditions phonétiques:  dixërunt  devient  régulièrement  distrent, 
comme  duxërunt  >  duistrent  et  cinx eru nt  )  cemsfren^  mais 
on  a  d'un  autre  côté  misërunt  >  misdrent  (I,  §  498,4),  pre- 
serunt  )  prisdrent,  voluerunt  >  voldrent,  fecerunt  >  firent 
et  viderunt  )  virent.  Rappelons  enfin  misent,  prisent  pour 
misrent,  prisrent,  formes  propres  au  picard,  au  wallon,  au  lor- 
rain. Ces  différents  types  se  confondent  de  bonne  heure,  et  la 
confusion  dure  jusque  dans  le  XV®  siècle.  Rustebuef  emploie 
distrent,  pristrent,  quistrent  à  côté  de  dirent,  prirent,  firent;  Join- 
ville  donne  distrent,  mistrent,  occistrent,  à  côté  de  firent,  dirent, 
occirent,  prirent;  encore  dans  Commines  on  trouve  des  formes 
variées:  misdrent,  misrent,  mirent,  fisdrent,  disrent,  dirent,  etc. 
C'est  -irent  qui  l'emporte  sur  les  autres. 

183.  Formes  particulières. 

1^  Dis.  Pour  les  formes  du  verbe  simple,  voir  le  §  précé- 
dent. Le  composé  benedicere  présente  deux  formes  beneïs, 
d'où  le  moderne  bénis,  et  benesqui,  probablement  modelé  sur 
vesqui  (§  180,  Rem.). 

2^  Pris.  Au  cours  des  XIV®  et  XV®  siècles  vm  n  parasite 
s'introduit  dans  pris,  prist,  pristrent,  et  on  obtient  les  formes 
prins,  print,  prindrent,  qu'on  trouve  déjà  dans  Joinville.  Ce  n 
existe  aussi  au  part.  pass.  (§  99,  ii)  ;  à  l'origine  il  est  peut-être 
purement  graphique,  mais  il  finit  par  se  prononcer,  comme 
nous  l'attestent  beaucoup  de  rimes  (prins:  Sarrazins,  E.  Des- 
champs; prins:  Jacobins,  Gringoire,' II,  255).  Les  formes  men- 
tionnées disparaissent  au  XVII®  siècle:  »Print,  prindrent,  prin- 
rent.  Tous  trois  ne  valent  rien,  ils  ont  esté  bons  autrefois,  et 
M.  de  Malherbe  en  vse  tousjours,  Et  d'elle  prindrent  le  flam- 
beau, dont  ils  désolèrent  leur  terre,  etc.  Mais  aujourd'huy  l'on 
dit  seulement,  prit,  et  prirent,  qui  sont  bien  plus  doux«  (Vau- 
gelas,  Observations,  l,  183). 


140 


184.   Comme  type   des  parfaits  forts  remplacés  par  des  par- 
faits faibles  en  -sis  nous  donnons: 


(Latin) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

coxi 

cuis 

cuisis 

coxisti 

cuisis 

cuisis 

coxit 

cuist 

cuisit 

coximus 

cuisimes 

cuisîmes 

coxistis 

cuisistes 

cuisîtes 

coxerunt 

cuisirent 

cuisirent 

On  voit  que  dans  ce  groupe,  les  formes  fortes  (cuis  cuist 
cuisirent)  ont  été  refaites  (cuisis  cuisit  cuisirent)  sous  l'influence 
des  formes  faibles.  Le  même  développement  a  eu  lieu  dans 
tous  les  verbes  en  -uire  et  dans  clore:  je  conduisis,  déduisis,  sé- 
duisis, construisis,  luisis,  nuisis,  closis  (inusité  maintenant)  ont 
remplacé  conduis,  desduis,  soduis,  construis,  luis,  nuis,  clos. , 

Les  formes  faibles  analogiques  se  montrent  de  bonne  heure. 
Exemples:  luisit  (Dial.  Grégoire,  105,8),  conduisi  (Bast.  Bouil- 
lon, v.  4815),  enclosist  (E.  Deschamps,  194,  4),  etc. 

185.  Comme  type  des  parfaits  forts  remplacés  par  des  par- 
faits faibles  en  -gnis  (§  181,2)  nous  donnons: 

(Latin)  (Vieux  français)  (Français  moderne) 

c  i  n  X  i  ceins  ceignis 

c  i  n  X  i  s  t  i  ceinsis  ceign  is 

c  i  n  X  i  t  ceinst  ceignit 

cinximus  ceinsimes  ceignîmes 

cinxistis  ceinsistes  ceignîtes 

cinxerunt  ceinstrent  ceignirent 

Le  même  développement  a  eu  lieu  dans  tous  les  verbes  en 
-angere,  -ingère,  -ungere:  finxi  )  feins  y  feignis;  junxi 
>  joins  )  joignis;  pinxi  >  peins  )  peignis;  plan  xi  )  plains  > 
plaignis;  strinxi  )  estreins  >  étreignis;  tinxi  )  teins  >  teignis; 
un  xi  )  oins  )  oignis;  extinxi  )  esteins  )  éteignis.  Ajoutons 
quelques  formes  refaites:  fregi  )  *franxi  )  frains,  conservé 
dans  enfreignis;  pupugi  )  *punxi  )  poins  )  poignis;  attigi 
)  *attinxi  >  attains  >  atteignis. 


141 

186.  Observations  particulières. 

P  Les  formes  étymologiques  s'employaient  encore  au  XIIP 
siècle:  Je  joinz  les  pies  (J.  de  Blaivies,  v.  1319).  Les  mors 
plainsent  et  regreterent  (G.  de  Palerne,  v.  9221). 

2°  Les  formes  analogiques  avec  [ji]  sont  dues  à  l'influence 
des  autres  formes  où  [ji]  est  étymologique  (comp.  §  39)  : 
ceignant  «  cingentem),  ceignait  «  ci ng ébat).  Elles  appa- 
raissent au  XIII®  siècle  et  s'emploient  pendant  quelque  temps 
simultanément  avec  les  autres.  On  trouve  dans  Joinville  au 
prétérit  je  me  plainz  (§  413),  et  à  l'imp.  du  subj.  plainsist 
(§  105)  et  poinsist  (§  185),  à  côté  de  je  me  ceigny  (§  323). 

3°  Notons  aussi  les  formes  analogiques  en  -dis,  faites  sur 
l'infinitif  et  le  futur  (comp.  §  39). 

187.  Comme  type  des  parfaits  sigmatiques  forts  remplacés 
par  des  parfaits  faibles  en  -dis  (§  181,2)  nous  donnons: 


(Latin) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

torsi 

tors 

tordis 

torsisti 

torsis 

tordis 

1 0  r  s  i  t 

torst 

tordit 

torsimus 

torsimes 

tordîmes 

torsistis 

torsistes 

tordîtes 

torserunt 

torstrent 

tordirent 

Le  même  développement  a  eu  lieu  dans  *morsi  )  vfr.  mors 
)  mordis.  Le  d  est  dû  à  l'influence  des  autres  temps  où  il 
était  étymologique. 

188.  Dans  un  seul  verbe  le  parfait  sigmatique  fort  a  été 
remplacé  par  un  parfait  faible  en  -vis: 

(Latin)  (Vieux  français)  (Français  moderne) 

S  c  r  i  p  s  i  escris  écrivis 

scripsisti  escrisis  écrivis 

scripsit  escrist  écrivit 

scripsimus  escrisimes  écrivîmes 

scripsistis  escrisistes  écrivîtes 

scripserunt  escristrent  écrivirent 

Les  formes  sigmatiques  primitives  s'employaient  encore  au 
XIV*^  siècle:  Lesquiex  enseignemens  li  roys  escrist  de  sa  sainte 


142 

main  (Join ville,  §  739).  Nous  vous  escripsimes  (Mir.  de  Notre 
Dame,  n»  29,  v.  2001).  Ainsi  con  le  nous  escripsistes  (ib., 
V.  1976).  Froissait  se  sert  de  escrisi,  Ph.  de  Commines  de 
escrivis.  Les  formes  avec  [v]  sont  dues  à  l'influence  de  écrivant, 
écrivons,  etc.  (cf.  §  46,  i). 

II.   PARFAITS   EN   -I. 

189.  De  ce  groupe,  on  n'a  conservé  en  français  que  vidi, 
veni  et  feci;  toutes  les  autres  formes  ont  disparu: 

1°  Quelques-unes  ont  été  assimilées  au  groupe  en  -si  et  ont 
adopté  la  flexion  sigmatique;  ainsi  px£hendi  et  sedi  sont 
remplacésjg^ar  pris  et  sis  (voir  §  180, 2). 

2^  D'autres  ont  été  assimilées  au  groupe  en  -ui;  ainsi  bibi, 
legi,  movi  sont  supplantés  par  bus,  lus,  mus  (§  193). 

3°  D'autres  enfin  ont  pris  la  flexion  faible  en  -is;  ainsi  de- 
fendi,  fudi,  ru  pi,  vici,  ont  cédé  la  place  à  défendis,  fondis, 
rompis,  vainquis. 


190.  Flexion  de  feci: 

(Latin) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

feci 

fis 

fis 

fecisti 

fesis 

fis 

fecit 

fist 

fit 

fecimus 

fesimes 

fîmes 

fecistis 

fesistes 

fîtes 

fecerunt 

firent 

firent 

A  côté  de  firent,  on  trouve  différentes  formes  analogiques  : 
fisdren  (St.  Léger,  v.  62),  fait  sur  misdrent;  fistrent,  fait  sur  dis- 
trent;  fisent,  fait  sur  misent. 


191. 

Flexion  de  veni: 

(Latin) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

veni 

vin 

vins 

venisti 

venis 

vins 

venit 

vint 

vint 

V  e  n  i  m  u  s 

venimes 

vînmes 

venistis 

venistes 

vîntes 

venerunt 

vindrent 

vinrent 

143 


De  la  même  manière  se  conjugue  =-=teni  )  tin,  tins. 
Observations.    P  Le  J:ableau   montre^omment  les   fornies 


faibles  ont  été  remplacées_piT_des^rmes^)rtës.  Pourtant  on 
peut  aussi  constàîëFTéxistence  d'une  analogie  inverse  tendant 
à  généraliser  les  formes  faibles;  on  trouve  déjà  dans  Floovant 
venit  (v.  1942),  et  plusieurs  patois  modernes  offrent  'je  venis, 
je  tenis  (Jaubert,  Glossaire  II). 

2®  A  la  3*^  pers.  du  plur.  les  formes  étymologiques  étaient 
en  usage  encore  au  XVI I^  siècle.  En  parlant  de  vinrent  et  vin- 
drent,  Vaugelas  remarque:  »Tous  deux  sont  bons,  mais  vin- 
rent, est  beaucoup  meilleur  et  plus  vsité.  M.  Coëffeteau  dit 
tousjours  vinrent,  et  M.  de  Malherbe  vindrent.  Toute  la  Cour 
et  tous  les  Autheurs  modernes  disent,  vinrent,  comme  plus 
doux.  De  mesme  en  ses  composez,  et  autres  verbes  de  cette 
nature,  reuinrent,  deuinrent,  souuinrent,  et  leurs  semblables, 
plus  élégamment,  que  reuindrent,  deuindrent,  souuindrent,  etc., 
l'on  dit  aussi,  tinrent,  plustost  que  tindrent,  qui  neantmoins  est 
bon;  soustinrent,  maintinrent,  plustost  que,  soustindrent,  et  main- 
tindrent«  (Remarques,  I,  182).  Thomas  Corneille  ajoute  dans 
son  édition  de  1687:  »I1  n'y  a  plus  aujourd'huy  que  vinrent 
qui  soit  en  usage«. 


192. 

Flexion  de  vidi: 

(Latin) 

(\Meux  français) 

(Français  moderne) 

vidi 

vi 

vis 

vidisti 

veïs 

vis 

vTdit 

vit 

vit 

vidimus 

veïmes 

vîmes 

vidistis 

veïsies 

vîtes 

viderunt 

virent 

virent 

Sur  le  rapport  entre  veïs  et  desis,   voir  §  182.    Sur  la  forme 
collatérale  vus,  voir  §  176, 3. 


III.   PARFAITS   EN   -UI. 

193.  Nous  avons  déjà  vu  qu'un  grand  nombre  des  parfaits 
en  -ui  sont  devenus  faibles  en  français:  vâlui  >  valùi  )  vfr. 
valui  (§  174).  Nous  nous  occuperons  ici  seulement  de  ceux 
qui  ont  gardé   à  la   1'*^  pers.  l'accentuation  radicale:    hàbui. 


144 

sâpui,  débui,  nocui,  et  des  quelques  nouvelles  formations 
analogiques  créées  à  leur  modèle:  *bibui,  *credui,  etc.  Le 
développement  qu'ils  ont  subi  en  français  est,  dans  beaucoup 
de  cas,  difficile  à  expliquer,  et,  sans  entrer  en  trop  de  détails 
explicatifs,  nous  nous  contenterons  de  citer  les  formes;  elles 
se  divisent  en  deux  groupes  principaux  selon  la  terminaison 
de  la  1'^  personne. 

194.  Premier  groupe.  Nous' donnons  comme  type  sapui: 


(Latin) 

(Vieux  français) 

(F, 

rançais  moderne) 

sapui 

soi 

sus 

sapuisti 

soûs 

sus 

sapuit 

sout 

sut 

sapuimus 

soûmes 

sûmes 

sapuis  tis 

soûstes 

sûtes 

sapuerunt 

sourent 

surent 

Ce  groupe  comprend:  habui  >  oi  >  eus;  placui  >  ploi 
y  plus;  potui  >  poi  >  pus;  sapui  >  soi  )  sus;  tacui  > 
toi  )  tus;  et  la  forme  analogique  *pavui  (pour  pavi)  )  poi 
>  pus. 

195.  Observations  particulières. 

1°  Les  formes  faibles  deviennent  fortes  par  l'amuïssement 
de  la  voyelle  protonique  (I,  §  269)  :  soûs  )  sus,  etc. 

2°  Par  analogie,  la  voyelle  u  [y],  propre  à  la  2^  pers.  du  sing., 
à  la  f^  et  à  la  2^  pers.  du  plur.,  a  été  introduite  dans  les 
autres  personnes,  de  sorte  que  soi,  sout,  sourent  ont  cédé  la 
place  aux  nouvelles  formations  sus,  sut,  surent. 

3"  On  trouve  dans  quelques  verbes  des  traces  d'une  ana- 
logie inverse  qui  écarte  la  voyelle  u  [y]  :  Tu  oz  (Mir.  de  N.  D., 
no  18,  V.  1321). 

196.  Deuxième  groupe.  Nous  donnons  comme  type  debui. 


(Latin) 

(Vieux  français) 

(Français  moderne) 

debui 

dui 

dus 

debuisti 

dëus 

.     dus 

debuit 

dut 

dut 

debuimus 

dëumes 

dûmes 

debuistis 

dëustes 

dûtes 

debuerunt 

durent 

durent 

145 


Ce  groupe  comprend:  debui  >  dui  >  dus;  jacui  }  jui  }  jus; 
licuit  >  vfr.  lut;  nocui  >  nui  >  nuis  >  nuisis  (§  184);  plu- 
(v)it  >  plut;  en  outre  quelques  formations  analogiques:  *bi- 
bui  (pour  bibi)  >  bui  >  bus;  *cadui  (pour  cecidi)  }  chui} 
chus;  *cognovui  (pour  côgnôvi)  >  conui  >  connus;  *cre- 
dui  (pour  credidi)  >  crui  >  crus;  *crevui  (pour  crëvi)  > 
crui  >  crûs;  *legui  (pour  légi)  >  lui  >  lus;  *movui  (pour 
môvi)  >  mui  )  mus;  recipui  (pour  recepi)  >  reçui  >  reçus 
(de  la  même  manière  s'expliquent  conçus,  déçus,  perçus,  aper- 
çus); *stetui  (pour  steti)  >  estui  (§  166). 

197.  Examinons  à  part  deux  prétérits  en  -ui  (fui  et  volui) 
qui  ne  rentrent  pas  dans  les  groupes  mentionnés. 

1"  Flexion  de  fui. 


fui 

fui 

fus 

fuisti 

fus 

fus 

fuit 

fut 

fut 

fuimus 

fumes 

fûmes 

fuisti  s 

fustes 

fûtes 

fuerunt 

furent 

furent 

C'est  le  seul  prétérit  qui  soit  fort  à  toutes  les  personnes. 
Quant  au  développement  historique,  on  peut  constater  que, 
probablement  sous  l'influence  de  la  l""^  pers.,  l'ictus  a  été  re- 
porté partout  sur  Vu,  et  que  Vi  devenu  posttonique  a  disparu. 
Au  moyen  âge,  l'analogie  de  eus  amène  feus,  etc. 

2°  Flexion  de  volui:  Les  nombreuses  formes  qu'on  trouve 
au  moyen  âge  se  ramènent  à  deux  types  de  flexion  principaux; 
on  a  d'un  côté  la  flexion  étymologique  {voit,  etc.),  dont  les 
formes  fortes  sont  refaites  sous  l'influence  des  formes  faibles. 
(uolis;  etc.),  et  d'un  autre  cote  une  flexion  sigmatique,  création 
purement  française: 


(Latin) 

(Vieux  fi 

-ançais) 

volui 

voit 

volis 

vols  (vous) 

volsis 

voluisti 

volis 

volis 

volsis 

volsis 

V  0 1  u  i  t 

.  volt 

volit 

volst 

volsit 

voluimus 

volimes 

volimes 

volsimes 

volsimes 

voluistis 

volistes 

volistes 

volsistes 

volsistes 

voluerunt 

voldrent 

volirent 

volstrent 

volsirent 

10 


146 

L'hésitation  entre  ces  formes  dure  jusqu'à  la  fin  du  moyen 
âge.  On  trouve  dans  Villon  voult  (voulut)  et  les  formes  sigma- 
tiques  voulsisse,  voulsist.  Pourtant,  ces  dernières  sont  les  plus 
employées  ;  au  XVP  siècle  elles  alternent  encore  avec  les  nou- 
velles formes  en  -us  qui  finissent  par  l'emporter. 

198.  Rapport  du  passé  défini  avec  les  autres  temps.  —  Le 
développement  du  passé  défini  est  surtout  lié  à  celui  du  par- 
ticipe passé  ;  on  observe  une  certaine  tendance  à  conserver  (ou 
à  créer)  une  forme  pareille  dans  les  deux  temps.  Aux  passés 
définis  en  -si  correspondent  ainsi  très  souvent  des  participes 
passés  en  -su  m  et  vice  versa;  m  or  sus  amène  *  m  or  si,  etc. 
(comp.  §§  98  ss.,  180  ss.),  comme  (je)  mis  amène  (j'ai)  mis 
(voir  §  112,2).  Dans  les  verbes  vouloir  et  vivre  les  formes  éty- 
mologiques vous  (volsis),  vesquis  disparaissent  devant  voulus  et 
vécus,  grâce  à  l'influence  du  participe  passé. 


CHAPITRE  XIV. 

L'IMPARFAIT   DU   SUBJONCTIF. 


199.  L'imparfait  du  subjonctif  latin  n'a  été  conservé  qu'en 
logodourien;  presque  partout  ailleurs  cantarem  a  disparu 
devant  cantavissem,  tout  en  lui  laissant  ses  fonctions.  Le 
plus-que-parfait  du  subjonctif  latin  s'emploie  de  bonne  heure 
(déjà  dans  le  Bellum  Africanum)  à  la  place  de  l'imparfait  du 
même  mode,  et  cet  emploi  particulier  se  retrouve  dans  les 
langues  romanes  occidentales,  tandis  que  le  roumain  attribue 
à  ce  temps  la  fonction  du  plus-que-parfait  de  l'indicatif. 

Remarque.  Dans  la  langue  parlée  actuelle  l'emploi  de  limparfait  du  sub- 
jonctif est  très  restreint.  M.  Remy  de  Gourmont  écrit  à  ce  sujet:  »0n  ne 
peut  le  nier:  l'imparfait  du  subjonctif  est  en  train  de  mourir.  Des  formes 
comme  aimassiez  ont  peut-être  été  rendues  ridicules  par  la  floraison  assez 
nouvelle  des  verbes  péjoratifs  en  -asser:  rimasser,  traînasser,  —  et  par  la 
confusion  avec  l'imparfait  du  présent  des  verbes  comme  ramasser,  embras- 
ser, autrefois  d'un  usage  restreint.  Le  discrédit  s'est  jeté  par  assimilation 
logique  sur  les  formes  correspondantes  des  autres  conjugaisons:  vinssiez, 
dormissions;  sur  les  formes  irrégulières  et  fort  embarrassantes  bouillions, 
fuissions  (fuir),  pourvoyions,  cousissions  (coudre),  moulussions  (moudre)  et 
l'extraordinaire  nuisissions!  Quant  à  »I1  faudrait  que  nous  sussions  (savoir), 
reçussions  (recevoir) i-,  nliésitons  pas  à  les  proférer  lorsque  nous  voulons  ex- 
citer ou  le  rire  ou  la  stupeur.  On  embaumera  ces  flexions,  on  les  roulera 
dans  les  suaires  de  la  grammaire  historique,  et  cela  sera  très  bien«  (Le  pro- 
blème du  style,  p.  253—254). 


200.  Première  conjugaison. 

(Latin  classique)  (Latin  vulgaire)  (Vieux  français) 

cantavissem        cantassem  chantasse 

cantavisses  can  tasses  chantasses 

cantavisset  cantasset  chantast 


(Français  moderne) 

chantasse 
chantasses 
chantât 
10* 


148 

(Latin  classique)  (Latin  vulgaire)  (Vieux  français)  (Français  moderne) 

cantavissemus  chantissons  chantassions 

cantavissetis  chantisseiz,  -ez      chantassiez 

cantavissent       Gantassent     chantassent  chantassent 

Les  formes  contractées  citées  s'employaient  déjà  dans  la 
langue  classique.  Sur  la  1''^  et  IsT^  pers.^u  pluriel,  voir  le 
pâfâgî^âpKe  suivant,  où  nous  examinerons  la  forme  du  radical. 
Les  terminaisons  seront  étudiées  au  §  203. 

201.  Observations  sur  le  radical. 

P  A  la  1'"®  et  à  la  2^  pers.  du  plur.,  les  formes  avec  -iss-  sont 
les  seules  connues  au  moyen  âge.  Ex.:  Meslissiez  (Roland, 
V.  257)  ;  recordisson  (Psaut.  de  Cambridge)  ;  travaillissez  (Quatre 
Livres  des  Rois);  donissez  (Besant  de  Dieu,  v.  3481;  Aiol, 
V.  6246);  irovissiez  (Marie  de  France,  Aucassin  et  Nicolete), 
etc.,  etc.  Pilot  (1550)  recommande  encore  de  dire  aymissions, 
ay missiez;  »In  prima  coniugatione  secunda  et  tertia  plurales 
mutant  a  in  i.  Cave  dicas  nous  aymassions,  vous  aymassiés, 
sed  aymissions,  aymissiés,  louissions,  louissiés,  hlamissions,  bla- 
missiés.  Legi  tamen  estimassiés,  aymassiés  et  similia.  Magna  pars 
Pictonum,  inter  cœteros,  ita  et  scribunt  et  pronuntiant«.  Ro- 
bert Estienne  conjugue  dans  sa  grammaire  comme  Pilot,  mais 
son  fils  Henri  Estienne  remarque:  »Non  ignoro  patrem  etiam 
meum  aimissions  et  aimissiez  scripsisse;  sed  vicissim,  eum  in 
loquendo  aimassions  et  aimassiez  usurpasse  scio:  et  quum 
utramque  poni  scripturam  iussisset,  prsetermissam  alterani 
fuisse«.  On  peut  dire  qu'à  partir  de  la  fin  du  XVP  siècle,  les 
formes  en  -issions,  -issiez  sont  tombées  en  désuétude;  pour- 
tant Jean  Godard  les  défend  encore  en  1620:  »Quant  à  ces 
autres  voix,  nous  aimissions,  vous  aimissiez,  qui  sont  du  même 
verbe,  c'êt  ainsi  qu'il  faut  dire,  à  mon  auis,  plutôt  que,  ai- 
massions, aimassiés,  qui  au  hasard  pourroient  être  tolerables. 
Toutefois  ne  les  condannât  pas,  ie  ne  veux  pas  aussi  les  ab- 
soudre*. A  cette  occasion  A.  F.  Didot  remarque:  »  Cette  ob- 
servation ne  manque  pas  de  justesse.  Quoi  de  plus  fâcheux 
que  l'existence  de  ces  imparfaits  du  subjonctif  en  -assions, 
-assiez,  que  nos  grammairiens  nous  enjoignent  d'employer,  et 
dont  personne  n'ose  se  servir,  ni  dans  le  discours,  ni  dans  les 
livres  afin  de  ne  pas  blesser  les  oreilles  délicates  «  (L'ortho- 
graphe française,  p.  216).  Comment  expliquer  les  vieilles  formes 


149 

avec  z?  Dauron,  le  très  judicieux  et  tant  soit  peu  mondain 
interlocuteur  du  Dialogue  de  l'Orthographe  et  Prononciation 
françoese  par  Jacques  Pelletier  (1555),  les  attribue  à  l'influence 
omniprésente  des  femmes.  Voici  ce  qu'il  dit:  »Mais  depuis  que 
les  François  ont  esté  en  paix,  ils  ont  commencé  à  parler  plus 
doucement,  et,  si  j'osois  dire,  plus  mollement.  Ne  les  avons- 
nous  pas  vus  si  sujets  à  leurs  dames,  qu'ils  eussent  cuidé  estre 
péché  mortel  de  prononcer  autrement  qu'elles?  ...  Et  de  là 
est  venu  aimissions,  partissions,  donnissions?«  (Livet,  p.  160).  La 
science  moderne  n'a  pas  encore  trouvé  le  mot  de  l'énigme. 

2^  L'i  de  la  V'^  et  de  la  2^  pers.  du  plur.  s'est  parfois  intro- 
duit par  analogie  dans  toutes  les  autres  personnes,  et  de  cette 
manière,  l'imp.  du  subj.  des  verbes  en  -er  se  confond  avec  celui 
des  verbes  en  -ir.  On  en  trouve  des  exemples  isolés  au  moyen 
âge  ;  ainsi  les  Sermons  de  Maurice  de  Sully  présentent  alissent 
(comp.  demandisse,  Cent  nouv.  nouv.,  n"  41),  mais  c'est  surtout 
au  XVI®  siècle  que  ces  formes  se  répandent.  Meigret  les  cite 
et  les  condamne;  il  dit  que  je  venisse,  je  donisse,  je  frapisse 
sont  »faotes  qi  n'ont  james  été  reçues  par  les  homes  bien  apriz 
en  la  lange  Francoeze«.  Comp.  §  71. 

202.  Pour  les  autres  conjugaisons  nous  donnons  les  quatre 
types  suivants: 

1**  Flexion  de  valuissem: 

V  a  1  u  i  s  s  e  m  valusse  valusse 

val  ui  s  ses  valusses  valusses 

valuisset  valust  valût 

valuissemus  valussons    ,  valussions 

valuissetis  valusseiz  valussiez 

valuissent  valussent  valussent 

La  voyelle  accentuée  du  sing.  et  de  la  3<^  pers.  du  plur.  est 
toujours  u;  on  trouve  ui  dans  Ste  Eulalie:  auuisset  (v.  27). 
2*^  Flexion  ds  perdidissem  : 

(Latin  class'que)  (Latin  vulgaire)  (Vieux  français)       (Franc,  moderne) 

perdidissem  perdedissem  perdisse  perdisse 

perdidisses  perdedisses  perdisses  perdisses 

perdidisset  perdedisset  perdist  perdît 

perdidissemus  perdedissem  us  per  dissons  perdissions 

perdidissetis  perdedissetis  perdisseiz  perdissiez 

perdidissent  perdedissent  perdissent  perdissent 


150 

La  forme  du  latin  vulgaire  est  due  à  une  substitution  oc- 
casionnée par  le  passé  défini,  où  perdidi  avait  cédé  la  place 
à  perdëdi  (§  172). 

3°  Flexion  de  dormivissem  : 

(Latin  classique) 

dormivissem 

dormivisses 

dormivisset 

dormivissemus 

dormivissetis 

d  o  r  m  i  V  i  s  s  e  n  t 

4*^  Flexion  de  dixissem: 

(Latin) 

dixissem 

dixisses 

dixisset 

dixissem  us 

dixissetis 

dixissent 

Pour  les  verbes  qui  ont  un  passé  défini  fort,  le  développe- 
ment de  ce  temps  détermine  celui  de  l'imparfait  du  subj.  La 
substitution  de  dis  à  desis  (dixisti;  §  182)  entraîne  celle  de 
disse  à  desisse  (dixissem);  comp.  fesisse,  presisse,  tenisse,  ve- 
nisse,  etc.  remplacés  par  fisse,  prisse,  vinsse,  tinsse. 


(Vieux  Français^ 

(Français  moderne) 

dormisse 

dormisse 

dormisses 

dormisses 

dormist 

dormît 

dormissons 

dormissions 

dormisseiz 

dormissiez 

dormissent 

dormissent 

(Vieux  Français) 

(Français  moderne) 

desisse 

disse 

desisses 

disses 

desist 

dît 

desissons 

dissions 

desisseiz 

dissiez 

desissent 

dissent 

203.  Observations  sur  les  terminaisons. 

1"  Première  personne.  Ganta  s  se  m,  dormis  sem  auraient 
dû  donner  chantas,  dormis  (comp.  passum  )  pas,  etc.).  La  con- 
servation de  l'e  posttonique  s'explique  difficilement;  elle  est 
peut-être  due  à  l'influence  analogique  du  présent  du  subj.  de 
II,  III,  IV,  et  à  un  vague  désir  de  distinguer  notre  forme  de 
chantas  (cantavisti),  etc. 

2^  Deuxième  personne.  La  conservation  de  l'e  posttonique 
est  probablement  due  à  une  tendance  d'éviter  la  confusion  des 
deux  s,  celui  du  thème  et  celui  qui  marque  la  personne  (cf. 
esp.  dios  —  dioses;  prov.  os  —  osses;  angl.  kiss  —  kisses;  dan. 
H  ans  —  Hanses). 


151 

3"  Troisième  personne.  L'e  posttonique  a  régulièrement  dis- 
paru: cantasset  >  chantast,  etc.  On  trouve  pourtant  dans 
sainte  Eulalie  les  deux  formes  curieuses  perdesse  (v.  17)  et 
auuisset  (v.  27),  à  côté  de  amast  (v.  10). 

4**  Première  personne  du  pluriel.  La  terminaison  primitive 
est  -ons:  doussons  (Alexis,  v.  620),  fuissons,  eussons,  mesissons 
(Manekine,  v.  3790),  alissons  (Mir.  de  Notre  Dame,  n«  9,  v.  1095), 
etc.  De  bonne  heure  on  trouve  aussi  la  terminaison  analogique 
-iens  (§  55,1,  Rem.):  fiissiens  (Cliges,  v.  5865);  deussiens,  eus- 
siens,  perdissiens  (Villehardouin),  ostissiens,  etc.  Comme  au  prés, 
du  subj.  et  à  l'imp.  de  l'ind.  c'est  -ions  qui  finit  par  l'empor- 
ter: alissions  (Mir.  de  Notre  Dame,  n»  17,  v.  1134). 

5^  Deuxième  personne  du  pluriel.  La  terminaison  régulière 
est -ezz,  -oiz:  veïsseiz  (Bartsch-Horning,  171,  s),  eiisseiz  (ib.,  171, 13), 
repentisseiz  {ib.,  174,9),  alissoiz  {ib.,  625,3?),  poiiseiz  (Joufrois, 
V.  1053),  feissoiz  {ib.,  v.  4209),  veissoiz  {ib.,  v.  4482).  De  bonne 
heure  -eiz  a  été  remplacé  par  -ez  et  surtout  par  -iez;  cette  der- 
nière terminaison  finit  par  supplanter  les  deux  autres:  doiis- 
sez  (Roland,  v.  455),  veissez  {ib.,  1622),  fussiez  (Gormont  et  Isem- 
bart),  veissiez  (Cliges,  v.  5869).  Villon  emploie  encore  eussez  à 
côté  de  eussiez. 


CHAPITRE  XV. 

LE   FUTUR   ET  LE   CONDITIONNEL. 


204.  Le  futur  français  (celui  du  présent  comme  celui  du 
passé)  est  un  composé  de  l'infinitif  avec  le  présent  et  l'impar- 
fait de  habere.  On  a  dit  dans  le  latin  vulgaire  cantare  habeo 
(cf.  §  6),  qui  s'est  contracté  en  *cantaraio  (I,  §  472, 2),  d'où 
chanterai  (cf.  prov.  cantarai,  esp.  cantaré,  port,  cantarei,  it.  can- 
tero),  et  cantare  habebam,  d'où  *cantaravea  (I,  §  378)  ) 
*cantarea  )  chantereie,  chanteroie,  chanteroîs,  chanterais  (cf. 
prov.  esp.  port,  cantaria).  Les  deux  éléments  du  futur  étaient 
séparables  au  moyen  âge  en  espagnol:  Si  yo  prendo  o  mato  al 
Cid  Mis  cartes  rebolver  se  ane  (C.  Michaelis,  Romancero  del 
Cid,  p.  22);  en  portugais:  Vingar  nos  hemos  ambos;  en  pro- 
vençal :  Dar  laus  ai  (Jaufre)  ;  en  catalan  :  Si  s'esdevenia  que  no 
pogues  vencre  per  força  d'armes  la  bestia  ....  aydar  m'en  hia 
per  ma  art  (R.  Lull,  Ein  katal.  Thierepos,  p.  p.  K.  Hofmann, 
§  20),  et  dans  quelques  dialectes  du  Nord  de  l'Italie.  En  fran- 
çais, au  contraire,  la  fusion  des  deux  mots  est  complète  dès 
les  plus  anciens  textes;  déjà  les  Serments  de  Strasbourg  offrent 


Remarque.  Le  vieux  français  a  conservé  un  seul  futur  latin:  ero  (en  ita- 
lien on  a  fia  de  fiam).  Il  se  conjuguait:  ier  iers  iert  termes  ierent  ou  er  ers 
ert  ermes  erent  (le  différent  traitement  du  lat.  ë  est  probablement  dû  à  la 
phonétique  syntaxique;  cf.  I,  §  112);  on  trouve  aussi  au  sing.  iere  ieres  iere 
dont  l'e  atone  est  peut-être  dû  à  une  confusion  avec  l'imparfait.  Ce  futur 
ne  s'emploie  guère  après  le  XI V^  siècle;  E.  Deschamps  s'en  sert  encore. 


153 


I.   SORT   DU   RADICAL. 

205.  Première  conjugaison.  L'a  accentué  de  l'infinitif  (c an- 
tare)  devenu  atone  au  futur,  se  change  régulièrement  en  un 
e  féminin:  cantarâio  )  chanterai;  les  quelques  formes  qui 
présentent  l'a  latin  conservé  sont  ou  des  orthographes  savantes 
ou  des  formes  provençales.  Sur  le  sort  de  la  désinence  -erai 
il  faut  remarquer: 

1°  A£rèsw;^^suiioutj^récéd^_(^ 
venljnétathèse  (comp.  I,  §  518,2):  entrerai  y^^nterrai,  livrerai  ) 
liverrai,  navrerai  )  naverrai,  ouvrerai  )  oiiverrai,  etc.  ;  cf.  encore 
durerai  )  duerrai,  jurerai  )  juerrai,  etc.  Ces  formes  disparaissent 
avec  le  moyen  âge.  ^  -, 

2"  AprèS(V\(surtout  précédé  d^une^  voyelle)j(J^^ouvait  dis- 
paraîtrej^^crasé  entre  les  deux  sons  homophones  (comp.  I, 
§  514):  durerai  )  durrai,  jurerai  }  jurrai,  demorerai  }  démarrai, 
honorerai  )  honorrai,  tirerai  )  tir  rai,  désirerai  )  désir  rai,  sou- 
pirerai )  soupirrai,  etc.  On  trouve  encore  dans  A.  Hardy  res- . 
pirrai  et  demourrai.  ^ 

3°  L'aniuJLSSÊnimit__ayait_au^si_JI^^ 
s'assimilait^ au  /•  suivant:  douerai  )  donrai  )  dorrai,  mènerai 
y  menrai  )  merrai,  tournerai  )  tourrai,  séjournerai  )  séjourrai, 
parlerai  )  parrai,  etc.  Très  peu  de  ces  formes  survivent  au 
moyen  âge;  les  auteurs  du  XVP  siècle  emploient  encore  don- 
rai (R.  Garnier,  Cornélie,  ,v.  335),  dorrai,  merrai;  mais  les 
grammairiens  observent  que  ces  formes  sont  »  antiques  et  hors 
d'usage«  (Thurot,  Prononciation,  II,  290);  Vaugelas  les  regarde 
même  comme  »des  monstres  dans  la  langue  «  (Remarques,  I, 
210). 

4^  L'e  féminin  pouvait  aussi  tomber  sporadiquement  après 
d,  t,  V.  Exemples:  demandra  (Chev.  as  deus  espees,  v.  9731; 
H  non  de  Bord.,  v.  5985),  gardroie  (Huon  de  Bordeaux,  v.  6927), 
aidrai  {ib.,  v.  6650),  doutrait  (ib.,  v.  4869),  portront  (ib.,  v.  5137), 
acatrons  (Auc.  et  Nie,  21,  12),  trouvrait  (Guill.  de  Palerne, 
V,  3943),  etc.  Ces  formes  étaient  surtout  fréquentes  dans  les 
textes  anglo-normands  et  picards.  On  trouve  imputront  et  pré- 
cipitrait  encore  dans  A.  Hardy. 

5"  jL'e  féminin  s'amuït,  déjà  au  moyen  âge,  après  une  voyelle  : 
prierai  >  prîrai,  etc.  ;  voir  pouFTés^etâîls  I,  §  272.  Si  la  forme 


154 

preirets   du  Jonas   est   sûre,    nous   avons  là  le  plus  ancien  ex- 
emple de  notre  phénomène. 

6°  Dans  le  parler  vulgaire  moderne,  -erai  devient  -érai  sous 
l'influence  de  l'infinitif;  on  entend  souvent  dans  le  peuple 
trouverai,  chanterai  (Romania,  V,  159). 

206.  Formes  particulières. 

1^  Aller  fait  au  futur  irai,  qui  dérive  régulièrement  de  ire 
habeo.  Le  langage  des  enfants  emploie  aussi  altérai  (Jaubert, 
Glossaire,  I,  64);  cette  forme  se  retrouve  très  rarement  dans  la 
littérature;  Godefroy  cite  dans  son  Dictionnaire  préalleroit  (VI, 
366)  et  suralleront  (VII,  520). 

2°  Donner  fait  au  futur  régulièrement  donnerai  (sur  donrai, 
dorrai,  voir  §  205, 3).  Au  moyen  âge  on  trouve  quelques  rares 
traces  d'une  forme  derai  qui  remonte  probablement  à  dare 
habeo;  elle  s'employait  surtout  dans  le  dialecte  poitevin  :  Et  dist 
lor  a  totes  qu'il  les  marieret  e  deret  lor  les  meliores  chivaliers 
de  l'ost  (ZRPh.,  I,  289).  Un  curieux  exemple  latinisé  de  ce  futur 
se  trouve  au  X*^  siècle  dans  l'historien  Aimoin:  »Cui  ille:  Non 
inquam,  dabo.  Ad  haec  Justinianus  respondit:  Daras«. 

3^  Envoyer  faisait  autrefois  envoyerai  ou  envoirai,  formes 
dérivées  de  inviare  habeo  sous  l'influence  du  substantif 
voie;  elles  ont  été  remplacées  par  enverrai.  Molière  écrit  en- 
core :  Je  V envoirai  d'ici  des  messagers  fâcheux  (Amphitryon, 
V.  1519),  et  au  XVIII^  siècle  le  grammairien  Villecomte  (1751) 
remarque:  »I1  est  faux  de  vouloir  écrire  et  prononcer /enver- 
rai, fenverrois;  l'opinion  la  plus  commune  parmi  les  savants 
est  d'écrire  et  prononcer  f  envoyerai,  j'envoyerois^  (Thurot,  Pro- 
nonciation, I,  387).  La  forme  victorieuse  enverrai  est  due  à  l'in- 
fluence du  verbe  voir,  dont  le  futur  est  verrai  (§  208, 5). 

4**  Laisser  fait  régulièrement  laisserai.  On  trouve  aussi  dans 
les  patois  lairrai:  Helas!  Quels  gages  vous  lairai-je  (Romania, 
X,  376).  Pleurez  pas  tant,  la  belle,  je  vous  lairrai  aller  (Bu- 
geaud,  I,  245).  La  belle  que  voilà,  La  lairrons  nous  entrer? 
(Ronde  enfantine).  Dans  la  langue  littéraire  lairrai  s'employait 
encore  au  commencement  du  XVIP  siècle;  on  le  trouve  dans 
Descartes  et  dans  Corneille:  Et  le  Ciel,  ennuyé  d'un  supplice 
si  doux.  Vous  lairra,  par  sa  mort,  Don  Sanche  pour  époux 
(Le  Cid,  V,  se.  5).  Mais  Vaugelas  observe  que  cette  forme  ne 
vaut  rien,  »quoy  q'vne.  infinité  de  gens  le  disent  et  l'escriuent» 


155 

{Remarques,  I,  210).  Aussi  Corneille  l'a-t-il  fait  disparaître  dans 
sa  révision  de  1660,  où  il  a  corrigé  ainsi  les  vers  cités:  Et 
nous  verrons  du  ciel  l'équitable  courroux  Vous  laisser,  par  sa 
mort,  don  Sanche  pour  époux.  Ajoutons  qu'originairement 
lairral  n'a  rien  à  faire  avec  laisser;  il  dérive  probablement 
d'un  infinitif  laiier  ou  laire,  dont  l'explication  reste  à  trouver. 
5"  Trouver  fait  régulièrement  trouverai.  Au  moyen  âge  on 
rencontre  sporadiquement  troverrai  (trovairai),  qui  paraît  dû 
à  l'influence  de  verrai;  cette  forme  était  employée  encore  au 
XVIP  siècle,  mais  les  grammairiens  la  blâmaient:  »  C'est  un 
badaudisme«  observe  Ménage  (Thurot,  Prononciation,  I,  129). 
Rappelons  aussi  la  forme  vulgaire  moderne  trouviendrai: 
Suivez,  suivez  le  long  de  la  rivière,  Y  trouviendrez  la  belle 
batelière  (Puymaigre,  Chants  pop.  messins,  I,  188).  Est-ce  que 
cette  forme  est  propre  aux  patois  qui  ont  remplacé  verrai 
(§  215, 9)  par  viendrai? 

207.  Deuxième  conjugaison.  L'e  accentué  de  l'infinitif  (de- 
bére)  devenu  atone  au  futur  s'amuït:  *deberâio  )  devrai. 
Comp.  encore  les  exemples  suivants:  *moveraio  )  mouvrai, 
*videraio  )  verrai,  *cumpareraio  >  vfr.  comparrai,  *pote- 
raio  >  pourrai,  *  placera  io  >  plairai,  *taceraio  >  tairai. 
Un  d  se  développe  (selon  I,  §  498)  dans  *valeraio  )  vau- 
drai, *voleraio  >  voudrai,  *doleraio  >  vfr.  doudrai,  *ma- 
neraio  )  vfr.  mandrai,  maindrai,  *teneraio  )  tendrai,  tien- 
drai, etc. 

Remarque.  Dans  les  verbes  dont  le  radical  se, termine  par  v,  on  trouve 
parfois  au  moyen  âge  -erai.  Ex.:  avérai,  lèverai,  mnuverai,  plovera,  etc.;  ces 
formes,  propres  au  Nord-Est,  doivent  leur  e  à  une  sorte  de  îsvarabhakti» 
(I,  §  494,  2).  Notons  que  Hardy  s'est  servi  de  s'esmouveroit.  Il  ne  faut  pas 
confondre  ces  formes,  où  l'e  est  syllabique,  avec  celles  oii  il  est  purement 
graphique  et  destiné  à  indiquer  que  u  est  une  consonne  (on  ne  distinguait 
pas  autrefois  u  de  y  dans  l'orthographe;  comp.  I,  §  61);  ainsi  auerai  doit 
souvent  être  lu  avrai  (comp.  liuere  pour  livre,  etc.). 

208.  Formes  particulières. 

1"  Avoir  et  savoir.  Les  futurs  réguliers  sont  avrai,  savrai; 
dans  les  vieux  dialectes  du  Nord-Est  on  trouve  aussi  arai, 
sarai.  Sylvius  (1531)  remarque  encore  que  «quelques-uns  pro- 
noncent par  u  consonne  jhavrai,   tu  havras,   d'autres  sans  u, 


156 

j'harai,  tu  haras«.  Ces  formes  ont  disparu  devant  aurai,  sau- 
rai, dont  l'origine  est  douteuse;  elles  existaient  déjà  au  XVI'' 
siècle,  comme  le  montre  la  graphie  de  Gauchie  (1570)  orey. 

2^  Choir.  Le  futur  vulgaire  *caderaio  donne  régulièrement 
cherrai,  encore  employé  par  R.  Garnier:  Gar  plus  il  nous 
eleue  et  plus  cherrons  de  haut  (Les  Juives,  v.  942).  On  le 
trouve  aussi  au  XVIP  siècle,  par  ex.  dans  les  Gontes  de  Per- 
rault: Tire  la  chevillette,  et  la  bobinette  cherra  (Le  petit  chape- 
ron rouge),  mais  Ménage  le  condamne.  La  forme  étymologique 
a  été  remplacée  par  choirai,  refait  sur  l'infinitif.  Les  composés 
hésitent  entre  les  deux  formes;  on  dit  décherrai,  écherra  ou 
déchoirai  et  échoirai. 

3^  Savoir,  voir  ci-dessus  avoir. 

4"  Seoir.  Le  futur  vulgaire  *sederaio  a  donné  régulière- 
ment serrai,  qui  s'employait  au  moyen  âge.  A  côté  de  la  forme 
étymologique  on  trouve  trois  formes  analogiques:  siérai  fait 
sur  sied  (§  119,4),  seyerai  fait  sur  seyons,  et  soirai  fait  sur 
l'infmitif.  Les  trois  types  se  retrouvent  dans  la  langue  aiîtuelle 
qui  admet  il  siéra,  j'assiérai,  fasseyerai,  je  rasseyerai  et  j'assoi- 
rai, je  rassoirai,  je  surseoirai.  Ajoutons  que  le  futur  seyerai  ad- 
mis par  Vaugelas  (Remarques,  II,  321)  fut  refusé  par  Ménage 
et  Th.  Gorneille. 

5°  Voir.  Le  futur  vulgaire  *videraio  devient  régulièrement 
verrai,  conservé  jusqu'à  nos  jours  malgré  la  forte  concur- 
rence de  voirai,  refait  sur  l'infinitif,  et  dont  on  trouve  des 
exemples  déjà  au  moyen  âge.  Pendant  un  certain  temps  les 
deux  formes  étaient  également  admises;  Robert  Estienne  écrit: 
»/e  voyroye  ...  aut  ut  alii  scribunt  ie  verroye«  (Gramm.  Gall., 
p.  50).  Voirai  est  encore  employé  dans  les  patois:  Nous  voi- 
rons pas  c'  qui  l'a  tué  (Rugeaud,  Ghansons  populaires,  II,  244). 
Dans  la  langue  littéraire,  il  a  triomphé  dans  les  composés 
pourvoirai,  dont  le  plus  ancien  exemple  est  du  XIIP  siècle,  et 
prévoirai;  on  peut  aussi  constater  l'existence  de  pourverrai 
(Les  quinze  joies  de  mariage,  p.  p.  Toulon,  p.  128)  et  de  pré- 
verrai (Richelet),  mais  ces  formes  sont  très  rares. 

Remarque.  A  côté  de  verrai,  on  trouve  dans  le  parler  vulgaire  verrerai: 
Et  vous  verreriez  c'que  vous  verreriez  (Gyp,  Les  femmes  du  colonel,  p.  76). 
C'que  je  marcherais,  vous  verreriez  ça  (ib.,  p.  153).  Pour  lexplication  de 
cette  forme,  voir  §  214, 2;  comp.  aussi  Manuel  phonétique,  §  132,  Rem. 


157 

6^  Vouloir.  A  côté  de  voudrai,  on  trouve  la  forme  assi- 
milée vourrai:  Tant  petit  que  tu  vourras  (B.  Despériers,  Nouv. 
récréations,  n°  77). 

209.  Troisième  conjugaison.  L'e  inaccentué  de  l'infinitif 
(pérdëre)  disparaît  au  futur:  *perderaio  >  perdrai,  *ven- 
deraio  >  vendrai,  *viveraio  >  vivrai,  *battueraio  >  bat- 
trai, *curreraio  >  courrai,  *quereraio  >  querrai.  Un  d  se 
développe  (selon  I,  §  498)  dans  *consueraio  >  coudrai, 
•falleraio  )  faudrai,  =^moleraio  >  moudrai,  *solveraio  > 
soudrai,  etc.  Un  /  se  développe  (selon  I,  §  499)  dans  *co- 
gnosceraio  >  connaîtrai,  =^=nasceraio  >  naîtrai,  *texeraio 
>  vfr.  tistrai,  *esseraio  >  vfr.  eslrai. 

Remarque.  Dans  les  verbes  dont  le  radical  se  termine  par  d,  t,  s,  on 
trouve  parfois  au  moj^en  âge  -erai.  Exemples:  arderai,  perderai,  tarderai, 
attenderai,  renderai,  responderai,  batterai,  metterai,  naisserai,  etc.  Ce  sont 
probablement  des  formes  analogiques:  tarderai  amène  tarderai^  laisserai 
amène  naisserai  (cf.  laissons  et  naissons),  etc.  Plusieurs  d'entre  elles  s'em- 
ployaient encore  comme  des  licences  poétiques  au  temps  de  la  Renaissance, 
mais  Ronsard  les  blâme:  .Lesquels  au  contraire  [il  s'agit  des  verbes  termi- 
nés à  l'infinitif  par  e],  tu  n'allongeras  pas,  et  ne  diras  prendera  pour  pren- 
dra, mordera  pour  mordra*  (Art  poétique,  Vil,  328).  De  nos  jours,  elles  se 
retrouvent  sporadiquement  dans  les  poésies  populaires:  Not'  chien  n'a  pas 
encore  pondu  —  Revenez  demain,  il  pondéra  (Bull,  des  parlers  normands, 
1901,  Dec,  p.  463). 

t      V 

210.  Formes  particulières. 

P  Boire.  Le  futur  vulgaire  ^biberaio  a  donné  régulière- 
ment bevrai,  remplacé  depuis  longtemps  par  boirai,  refait  sur 
l'infinitif.  Une  autre  forme  analogique  burai  (Patelin,  v.  293) 
modelée  sur  buvant,  buvais  (comp.  I,  §  233,  i)  n'a  pas  survécu 
au  moyen  âge.  Ménage  remarque:  »Les  Badaux  de  Paris 
disent  ie  buray,  tu  buras,  il  bura  &c.  Il  faut  dire  le  boiray,  tu 
boiras,  il  boira,  &c.«  {Observations,  p.  221).  Richelet  (1680)  pro- 
teste contre  buvrai. 

2^  Croire.  Le  futur  étymologique  est  crerai  «  *crederaio). 
La  forme  concurrente  victorieuse  croirai  se  montre  déjà  au 
XII^  siècle. 

3*^  Être.  Le  futur  vulgaire  *esseraio  a  donné  régulièrement 
estrai:  »  Chambre,  «  dist  ele,  »ja  mais  nestras  parede«  (Alexis, 
V.  141).    On    avait   aussi   deux   formes   collatérales,    esterai  et 


158 

esserai:  Se  vous  murez,  esterez  seint  martir  (Roland,  v.  1134). 
Et  en  ces  porches  esseront  mi  sonmier  (Raoul  de  Cambrai, 
V.  1235).  Aucune  de  ces  formes  n'était  d'un  emploi  très  fré- 
quent, et  la  langue  littéraire  les  a  abandonnées  de  bonne 
heure;  estrai  vit  encore  dans  le  tourquennois:  Les  voitures  y 
sont  à  la  commune  y  estront  bientôt  à  l'église  (Watteeuw, 
Chansons  tourqiiennoises,  I,  93).  T'  n'étras  pus  si  arse  d'  vin 
{ib.,  p.  96).  La  forme  victorieuse  est  serai:  Que  suens  sui  et 
serai  (Bartsch-Horning,  p.  355, 4).  Si  l'on  compare  serai  aux 
autres  formes  romanes  correspondantes  (prov.  serai;  v.  ital. 
sera,  plus  tard  sard;  rhéto-rom.  sarô;  esp.  seré;  port,  serei),  on 
sera  tenté  d'admettre  qu'il  a  existé  en  latin  vulgaire  une  forme 
apocopée  *seraio,  à  côté  de  la  forme  pleine  *esseraio. 
L'apocope  pourrait  s'expliquer  comme  l'effet  d'une  analogie: 
les  formes  du  verbe  être  commencent  les  unes  par  e  les  autres 
par  s,  et  on  a  ramené  à  e  les  formes  commençant  par  s  (comp. 
dans  la  vieille  langue  esines  à  côté  de  soms  <(  sumus),  ou  in- 
versement. 

Remarque.  Rappelons,  à  titre  de  curiosité,  une  cinquième  forme  observée 
par  V.  Henry  (Antinomies  linguistiques.  Paris  1896.  P.  71)  dans  le  langage 
dune  petite  fille,  qui  lui  disait:  »Quand  je  suirai  grande».  C'est  une  créa- 
tion analogique  (fuis:  fuirai  =  suis:  suirai)    absolument  individuelle. 

4°  Faire.  Un  développement  régulier  de  *faceraio  aurait 
donné  fairai  (cf.  tairai,  plairai),  mais  cette  forme  ne  se  trouve 
nulle  part;  on  a  ferai  (parfois  abrégé  en  frai),  rarement  farai 
(en  bourguignon).  Ces  deux  formes  remontent  à  •••far ai o  (cf. 
prov.  farai,  esp.  haré,  it.  fard)  tiré  de  l'infinitif  vulgaire  fare; 
la  forme  primitive  doit  être  farai,  d'où  ferai,  grâce  à  la  pho- 
nétique syntaxique  (cf.  I,  §  175). 

211.  Quatrième  conjugaison.  On  trouve  dans  la  langue  mo- 
derne trois  types  de  futur,  dont  un  seul  est  régulier  au  point 
de  vue  phonétique  :  mourir  —  mourrai;  les  deux  autres  sont 
analogiguesi  partir  —  partirai;  cueillir  —  cueillerai.  Nous  allons 
examiner  l'origine  et  le  développement  de  ces  trois  tj'pes. 

212.  Futurs  sans  voyelle  de  liaison.  —  Ui  accentué  de  l'in- 
finitif (audîre)  devient  atone  au  futur  (*audiràio)  et  doit 
régulièrejnent  disparaître  (I,  §  254).  Ce  développement  se  trouve 


159 

dans:  *audiraio  >  orrai,  *feriraio  >  vfr.  ferrai,  *gaudi- 
raio  >  \h\  jorrai,  *moriraio  >  vfr.  morrai;  *hatiraio  > 
vfr.  harrai  (ou  herrai),  *wariraio  >  vfr.  giiarrai,  etc.  Un  d 
s'est  développé  dans  *bulliraio  }  \fr.  boudrai,  *colligiraio 
>  coildrai,  ciieiidrai,  *falliraio  >  faudrai,  *  s  al  irai o  >  vfr. 
saudrai,  *veniraio  >  vendrai,  viendrai.  Un  t  s'est  développé 
dans  *exiraio  >  vfr.  eistrai.  De  ces  formes,  la  langue  moderne 
a  retenu  mourrai,  faudra,  viendrai  (ajoutons  tiendrai,  courrai, 
querrai;  voir  §  215);  les  autres  ont  été  remplacées  par  des 
formes  en  -irai  (§  213)  ou  en  -erai  (§  214):  ferrai  >  ferirai, 
jorrai  >  jouirai,  harrai  >  haïrai,  boudrai  >  bouillirai,  cueudrai  > 
cueillerai,  etc. 

213.  Futurs  en  -irai.  —  L'i  a  été  maintenu  dans  les  inclioa- 
tifs  dès  les  plus  anciens  textes  :  bâtirai,  choisirai,  faiblirai,  gar- 
nirai, finirai,  remplirai,  etc.  Un  développement  régulier  de 
*f  inirai  o  aurait  abouti  à  fîndrai  qui  aurait  fait  disparate 
avec  toutes  les  autres  formes  du  verbe,  qui  contiennent  le 
groupe  ni.  Quant  aux  verbes  non  inchoatifs,  les  uns  présentent, 
comme  nous  l'avons  vu,  des  formes  régulières  au  point  de  vue 
phonétique,  les  autres  ne  connaissent  que  la  terminaison  ana- 
logique -irai:  dormirai,  mentirai,  partirai,  seryiVai  (Alexis,  v.  494), 
vestirai. 

214.  Futurs  en  -erai.  —  La  terminaison  -erai  se  trouve  dans 
les  cas  suivants  : 

P  Le  radical  se  termine  par  [K].  La  langue  moderne  con- 
naît cueillerai  et  saillera;  mais  bouillerai  et  f aillerai  ont  aussi 
existé.  Ces  formes  sont  dues  au  désir  de  conserver  intacte, 
aussi  au  futur,  la  finale  du  thème  :  cueudrai  s'éloignait  trop  de 
cueillir  cueillons  cueillais,  et  il  a  été  refait.  L'e  est  dû  à  l'im- 
possibilité de  conserver  [/i]  devant  une  consonne  (cf.  I,  §  354). 

2^  Le  radical  se  termine  par  /•.  On  trouve  sporadiquement 
courerai,  mourerai,  çiiererai  (voir  §  215).  Ces  formes,  auxquelles 
il  faut  ajouter  verrerai  (§  208, 5,  Rem.),  sont  probablement 
dues  au  désir  de  distinguer  bien  clairement  la  finale  d'avec  le 
thème  (comp.  la  forme  populaire  mairerie,  pour  mairie). 

3^*  On  trouve  enfin,  surtout  dans  les  textes  lorrains,  mente- 
rai,  parlerai,  senterai,  serverai,  etc.  (à  côté  de  formes  en  -irai 
des  verbes  inchoatifs).  Rappelons  encore  ovrerai,  ofrerai,  sofre- 


160 

rai,  ou  avec  métathèse  overrai,  oferrai,  soferrai  (on  pourrait 
aussi  regarder  les  deux  dernières  formes  comme  des  continua- 
tions de  offerre  -j-  habeo  et  de  su f ferre  -|-  habeo). 

215.  Formes  particulières. 

1°  Bouillir.  La  forme  étymologique  boudrai  a  disparu  devant 
bouillirai.  Maupas  (1625)  admet  encore  les  deux  formes,  mais 
Oudin  (1633)  proteste  contre  boudray,  conservé,  du  reste,  dans 
la  langue  familière  comme  bourrai.  De  Wailly  (1763)  cite 
touillerai,  forme  peu  connue. 

2°  Courir  fait  courrai.  On  a  dit  aussi  courerai.  Thomas  Cor- 
neille remarque:  »J'entens  souvent  demander  si  au  futur  de 
courir  il  faut  dire  je  courerai  ou  je  courrai.  Il  n'y  a  aucun 
sujet  de  douter;  il  faut  dire,  je  courrai  avec  une  double  r,  et 
tous  ceux  qui  ont  quelque  connoissance  de  la  Langue,  en 
tombent  d'accord.  J'en  vois  quelques-uns  qui  font  difficulté 
sur  le  futur  de  secourir  et  de  discourir,  et  qui  veulent  qu'on 
escrive,  je  secourerai,  il  discourera,  quoiqu'en  parlant  on  ne 
fasse  ces  futurs  que  de  trois  syllabes«  (Vaugelas,  Remarques, 
I,  401).  Au  moyen  âge  on  trouve  aussi  courirai;  mais  cette 
forme  est  très  rare. 

3^  Cueillir  fait  primitivement  au  futur  coildrai,  puis  cueu- 
drai;  ces  formes  succombent  devant  cueillirai  et  cueillerai  qui 
s'emploient  longtemps  simultanément.  Vaugelas  observe  qu'à 
la  cour  tout  le  monde  dit  cueillira;  il  en  conclut  que  cueillira 
est  »comme  il  faut  parler«  (Remarques,  II,  259).  Ménage  dit  au 
contraire:  »Je  soutiens  positivement  qu'il  faut  dire  cueillera  et 
recueillera«  (Observations,  p.  153).  L'usage  a  donné  raison  à 
Ménage. 

4^  Faillir  fait  faudrai.  Littré  remarque  dans  son  Diction- 
naire: «Les  trois  personnes  du  présent  au  singulier,  le  futur 
et  le  conditionnel  vieillissent,  et  c'est  dommage;  les  personnes 
qui  ont  besoin  du  futur  ou  du  conditionnel  et  qui  en  ignorent 
la  véritable  forme,  les  composent  suivant  la  règle  des  verbes 
en  -ir,  et  disent:  je  faillirai,  je  faillirais;  c'est  un  barbarisme, 
mais  qui  a  chance  de  s'introduire  et  de  devenir  correct;  déjà 
quelques  grammairiens  disent  que  ce  verbe,  dans  le  sens  de 
faire  faillite,  se  conjugue  régulièrement  sur  finir:  Quand  un 
négociant  faillit,  les  créanciers,  etc.;  s'il  faillissait,  vous  seriez 
ruiné;  si  la  baisse  continue,  il  faillira;  c'est  un  usage  tout  mo- 


161 

derne  qui  cherche  à  s'introduire».  Défaillir  fait  défaudrqi; 
V,  Cousin  a  employé  défaillerai  dans  les  Fragments  philo- 
sophiques. 

5*^  Mourir  fait  mourrai.  La  forme  collatérale  mourerai  a 
disparu  il  y  a  longtemps  ;  on  peut  encore  en  citer  un  exemple 
isolé  du  milieu  du  XVIIP  siècle,  lequel  se  trouve  dans  une 
épître  bouffonne  adressée  au  curé  de  Montchauvet:  Ils  moure- 
ront  tués,  occis  et  trépassés  (A.  Gasté,  Diderot  et  le  curé  de 
Montchauvet,  p.  30);  et  Xanrof  l'a  employée  dans  la  «Fumis- 
terie sentimentale«  :  Je  mourerai  froid  comme  pierre  .  . .  Où  je 
m'attach'  je  mourerai  (Chansons  ironiques,  p.  90).  Dans  les 
patois  on  trouve  la  forme  refaite  mourirai:  —  Héla!  ma  très 
chée  niée,  De  faim  je  mourirons  (Rolland,  Chansons  populaires, 
III,  7). 

6"  Ouïr  fait  orrai,  encore  employé  par  Corneille  (Le  Cid, 
V.  832).  L'Académie  admet  oirai;  est-ce  que  cette  forme 
existe  ? 

7°  Quérir  fait  querrai,  et  de  même  aux  composés,  acquerrai, 
conquerrai.  On  a  dit  aussi  quererai,  qui  se  retrouve  dans  ac- 
quererai,  employé  par  Corneille.  Littré  blâme  cette  forme  qui 
vit  encore  (voir  p.  ex.  H.  Malot,  Mondaine,  p.  220). 

8°  Saillir  fait  régulièrement  saldrai,  saudrai,  remplacé  par 
saillirai;  dans  le  sens  de  's'avancer  en  dehors'  on  dit  il  sail- 
lera. Quant  aux  composés,  notons  que  R.  Estienne  remarque: 
»Nous  somrhes  en  controverse  s'il  faut  dire  fassaudray  ou 
j'assailliray«  (Précellence,  p.  319).  Au  siècle  suivant.  Ménage 
avertit  de  dire  assaillirai  et  non  assaudrai  (Observations,  p.  439). 
A  côté  de  tressaillirai,  on  trouve  sporadiquement  tressaillerai 
(Armand  Dubarry,  Une  Allemande,  p.  87). 

9"  Tenir,  venir.  Le  futur  étymologique  est  tendrai  (tenrai), 
vendrai  (venrai);  on  trouve  aussi  les  formes  assimilées  terrai, 
verrai.  Cette  dernière  forme  est  restée  en  usage  jusqu'au 
XVF  siècle;  comp. :  I  ne  luy  souveroit  plus  des  faultes  (Mont- 
aiglon  et  Rothschild,  Recueil  de  poésies,  X,  327).  La  langue 
actuelle  ne  connaît  que  tiendrai,  viendrai,  refaits  sur  le  pré- 
sent. 

216.  Rapport  du  futur  avec  les  autres  temps. 
1"  Le   futur  est  modifié    analogiquement   surtout  sous   l'in- 
fluence de  l'infinitif  et  du  présent;  c'est  ce  que  montrent 

11 


162 

boirai,  choirai,  croirai,  oirai,  (pour)voirai,  tiendrai,  viendrai,  as- 
seoirai, asseyerai,  assiérai,  qui  ont  remplacé  bevrai,  cherrai,  crer- 
rai,  orrai,  (pour)verrai,  tendrai,  vendrai,  asserrai,  et  les  formes 
en  -érai  (§  205,  e).  Rappelons  aussi  les  vieilles  formes  doinrai, 
remaindrai,  acquiererai  (Sat.  Ménippée),  où  se  retrouve  la  diph- 
tongue de  doin,  remain,  acqnier. 

2°  Le  futur  est  parfois  le  point  de  départ  d'un  nouvel  in- 
finitif; ainsi  garer  est  tiré  de  garrai  (fut.  de  garir).  Rappelons 
aussi  les  vieilles  formes  boudre,  cueudre,  faudre,  toldre  (pour 
bouillir,  cueillir,  faillir,  tolir),  tirées  de  boudrai,  cueudrai,  fon- 
drai, toldrai.  Comp.  §  80,  i. 


II.   LES  TERMINAISONS. 

217.  Flexion  du  futur.  Comme  les  terminaisons  du  futur 
sont  communes  à  toutes  les  conjugaisons,  nous  pouvons  nous 
contenter  de  donner  comme  seul  exemple  *cantaraio  >  chan- 
terai: 

(Latin  vulgaire)  (Vieux  français)  (Français  moderne) 

cantaraio  chanterai  chanterai 

cantaras  chanteras  chanteras 

cantarat  chantera(t)  chantera 

c  a  n  t  a  r  e  m  u  s  chanterons  chanterons 

cantaretis  chantereiz,  -oiz  chanterez 

cantaraunt  chanteront  chanteront 

218.  Observations  sur  les  terminaisons. 

1*^  Première  personne.  La  terminaison  -ai  se  prononce  comme 
é  fermé  et  depuis  très  longtemps;  au  moyen  âge  on  écrivait 
souvent  un  simple  e:  donre  (Les  Narbonnais,  v.  167),  ire  (ib., 
V.  1460),  etc.,  et  on  avait  des  rimes  commet,  beauté:  marieré 
(Gaufrey,  p.  141),  esconté:  conseillère  (ib.,  p.  243),  etc.  Le  dia- 
lecte lorrain  présente  des  formes  analogiques  en  a:  Je  m' an 
ira  (Floovant,  v.  88);  Patelin  les  emploie  dans  la  scène  du 
délire:  je  mangera  (v.  952),  je  beura  (v.  953). 

2°  Troisième  personne.  Sur  la  chute  du  t,  voir  §  53. 

3°  Deuxième  personne  du  pluriel.  La  substitution  de  -ez  à 
-eiz  a  eu  lieu  dans  les  différents  dialectes,  à  différentes  époques 
(cf.   §  57,  2).    On    trouve  déjà   dans  Jonas   preirets,    et  Alexis 


163 

offre  trouerez  dans  une  laisse  en  -é  fermé  «  a  lat.).  La  Chan- 
son de  Roland  offre  ordinairement  -eiz  (portereiz:  ireiz:  rei: 
mei;  tir.  6),  qui  s'emploie  aussi  chez  Wace.  Nous  retrouvons 
de  même  la  désinence  étymologique  sous  la  forme  de  -oiz 
dans  Chrestien  de  Troies,  Villehardouin  {porroiz,  feroiz,  etc.), 
et  le  Roman  de  la  Rose  (venrois:  drois),  Rustebuef  (sauroiz: 
froiz),  etc.  Au  XVI''  siècle,  les  grammairiens  observent  que  les 
Parisiens  prononçaient  la  2^  personne  d'une  manière  spéciale: 
on  disait  vous  chanterez,  etc.  Restant  (1730)  est  encore  obHgé 
de  condamner  cette  prononciation:  «Quelques  personnes  font 
très  mal  de  prononcer  vous  ferais,  vous  dormirais,  etc.,  au  lieu 
de  vous  ferez,  vous  dormirez*.  Cette  prononciation  paraît  prou- 
ver la  persistance  de  la  terminaison  étymologique  dans  la 
langue  parlée:  ferais  remonte  probablement  à  feroiz,  comme 
avais  remonte  à  avois  (voir  I,  §  159);  la  généralisation  de  -ez 
qui  remplace  -oiz  au  XIIP  siècle  n'a  donc  atteint  d'abord  que 
la  langue  écrite. 

Remarque.  Les  textes  en  patois  parisien  qu'a  publiés  M.  Nisard  donnent 
-ais  ou  -iais  partout  à  la  2«  pers.  du  pluriel:  vous  aimais,  aimiais,  aimerais, 
aimeriais,  aimassiais,  aimissiais.  Avons-nous  là  une  généralisation  de  la  ter- 
minaison -ais  <  -oiz  <  lat.  -ëtis? 

219.  Flexion  du  conditionnel.  —  Prenons  comme  exemple 
*cantarea  )  chantereie : 

(Latin  vulgaire)  (Vieux  français)  (Français  moderne) 

cantarea  chantereie,  -oie  chanterais 

cantareas  chantereies,  -oies  chanterais 

cantareat  chanter ei(e)t,  -oit  chanterait 

cantarea  mus  chanteriiens  chanterions 

cantareatis  chanteriiez  chanteriez 

cantarçant  chantereient,  -oient  chanteraient 

Pour  le  développement  historique  des  terminaisons,  nous 
renvoyons  à  l'imparfait  (§  161). 


11' 


CHAPITRE  XVI. 

LES   FORMES   INTERROGATIVES. 


220.  Nous  examinerons  dans  ce  chapitre  les  changements 
que  subissent  les  formes  verbales  employées  dans  les  tour- 
nures interrogatives.  Rappelons  d'abord  que  l'ancienne  langue 
distinguait  la  proposition  interrogative  de  la  proposition  ordi- 
naire en  plaçant  dans  celle-là  le  pronom  personnel  après  le 
verbe  :  aim  jou,  aimes  tu,  aime  il,  etc.  ;  dor  jou,  dors  tu,  dort  il, 
etc.  La  langue  moderne  a  conservé  ce  procédé  pour  les  2<'^ 
personnes:  aimes-tu,  aimez-vous;  dors-tu,  dormez-vous,  et  pour 
les  3^^:  aime-t-il,  aiment-ils;  dort-il,  dorment-ils.  Pour  la  P*' per- 
sonne du  singulier,  l'inversion  n'est  plus  employée  que  dans 
quelques  verbes  très  usités:  ai-je,  suis-je,  etc.  (§  222);  on  ne 
dit  pas  cours-je,  perds-je,  etc.,  et  aimé-je  appartient  au  stjle 
littéraire;  au  pluriel  on  dit  encore  chantons-nous,  mais  on  se 
sert  plus  volontiers  de  la  périphrase  est-ce  que  nous  chantons. 
Outre  cette  périphrase,  la  langue  moderne  fait  un  large  em- 
ploi d'une  particule  interrogative  (et  exclamative)  ti,  dont  l'ori- 
gine sera  expliquée  plus  loin  (§  225). 

221.  Quand  la  l'*^  personne  du  singulier  se  termine  par  un 
e  féminin,  cet  e  est  remplacé  dans  les  tournures  interrogatives 
par  un  é:  aimé-je,  parlé-je  bien,  puissé-je  vous  revoir,  eussé-je 
aimé.  Bien  qu'on  écrive  é,  on  prononce  [e]  dans  ces  formules, 
l'é  fermé  ne  s'employant  guère  dans  les  syllabes  fermées  (voir 
notre  Manuel  phonétique,  §  83);  comp.  préférer  —  je  préfère, 
j'ai  [3e]  —  ai-je  [e:^].  Autrefois  on  érivait  ei  ou  ai:  Et  fussei-ge 
à  Tours  (Paris,  Chansons  du  XV  siècle,  p.  100).  Ce  cuidaij-je 


165 

(Franc  archer  de  Baignolet,  v.  340).  Cette  orthographe  sub- 
siste encore  au  XVIP  siècle  et  est  blâmée  de  Vaugelas:  »Car 
qui  ne  voit  qn'aimay-je  fait  vne  equiuoque  auec  la  première 
personne  du  prétérit  simple  ou  défini,  et  qu'en  escriuant  aimé- 
je,  il  fait  le  mesme  effet  pour  la  prononciation  «  (Remarques,  I, 
348).  Pourtant,  on  ne  renonce  pas  tout  de  suite  à  l'ancienne 
orthographe,  qui  se  retrouve  chez  les  classiques.  Comp,  :  Revay- 
je  (Amphitryon,  I,  se.  2);  deussay-je  (Andromaque,  I,  se.  4? 
V.  286),  et  dans  l'édition  de  1734  de  Molière  on  trouve  encore: 
Ne  ïaimai-je  pas   aussi   comme   il    faut  (Don  Juan,  II,  se.  1) 

Remarque.  On  a  dit  d'abord  aim  jou,  tremble  jou.  Cette  tournure  ne 
pouvait  se  conserver  intacte  après  l'affaiblissement  de  jou  en  je  et  après 
le  changement  de  aim  en  aime  (§  115,  i);  comme  la  langue  n'admettait  plus 
de  proparoxytons,  on  a  dû  accentuer  le  premier  des  deux  e  féminins,  d'où. 
aimc-je,  tremblé-je.  11  paraît  du  reste  qu'on  n'a  pas  partout  eu  recours  à  ce 
procédé.  Ménage  observe:  »I1  est  à  remarquer  que  dans  plusieurs  lieux  de 
France,  &  dans  toute  la  Lorraine,  on  prononce  aime-je,  chante-je,  mange-je, 
avec  les  deux  e  féminins  desuite;  qui  est  une  façon  de  prononcer  tres- 
vicieuse,  et  tres-incommode«  {Observations,  p.  103). 

222.  Les  l*'^"  personnes  du  singulier  du  présent  de  l'indica- 
tif qui  ne  se  terminent  pas  par  un  e  féminin  ne  peuvent  pas 
ordinairement  être  suivies  d'un  je  atone;  cette  règle  con- 
cerne surtout  les  monosyllabes.  Ainsi  au  lieu  de  dire  cours-je, 
perds-je,  vends-je,  mens-je,  réponds-je,  etc.,  on  a  recours  à  la 
périphrase  est-ce  que  je  cours,  etc.  Il  faut  pourtant  remarquer 
qu'on  admet  aî-je,  dis-je,  dois-je,  fais-je,  puis-je,  sais-je,  suis-je, 
vais-je,  vois-je.  Autrefois  on  était  moins  sévère;  Malherbe  écrit: 
»Sens-je  me  dévorer«  !  Et  on  trouve  dans  Corneille:  »Ne  perds- 
je  pas  assez  sans  doubler  rinfortune«  (Agésilas,  II,  se.  7). 
Cependant  l'emploi  de  ces  formules  interrogatives  était  rare, 
et  dans  la  langue  parlée  on  les  remplaçait  volontiers  par  des 
formations  analogiques  assez  curieuses:  sous  l'influence  de 
chanté -je,  aimé -je,  on  disait  perde -je,  mente -je,  etc.  Vaugelas 
blâme  ces  formes  sévèrement:  »I1  y  a  encore  vne  remarque  à 
faire  mesme  pour  ceux  qui  sont  de  Paris,  et  de  la  Cour,  dont 
plusieurs  disent,  menté-je,  pour  dire,  ments-je:  perdé-je,  pour 
dire,  perds-je:  rompé-je,  pour  romps-je.  Nous  n'auons  pas  vn 
seul  Autheur  ny  en  prose,  ny  en  vers,  ie  dis  des  plus  mé- 
diocres, qui  ayt  jamais  escrit,  menté-je,  ny  perdé-je,  ny  rien  de 
semblable«    (Remarques,    I,   343).    Cette   dernière  assertion   est 


166 

erronée;  on  trouve  par  exemple  dans  Robert  Garnier:  Qu'a/- 
tendé-je  (Hippolyte,  v.  664).  Quel  tumulte  enteudé-ie  (ib.,  v.  1639). 
Aussi  ne  me  senté-ie  auoir  que  bien  petite  part  en  leurs  grâces 
(Bradamante,  Dédicace).  Les  autres  grammairiens  du  temps 
s'expriment  d'une  manière  plus  exacte  et  avec  plus  d'indul- 
gence. Thomas  Corneille  dit:  »I1  n'y  a  rien  de  plus  commun 
dans  nos  Romans  les  plus  estimez,  que  cette  manière  de  par- 
ler, Aussi  ne  prétendai-je  pas;  il  faut  assurément  dire,  aussi  ne 
prétens-je  pas,  ce  mot  n'ayant  rien  de  rude:  mais  pour  menis- 
je,  perds-je,  romps-je,  fents-je,  dors-je,  ceux  qui  parlent  bien  ne 
les  peuvent  soufTrir,  non  plus  que  menlé-je,  perdé-je,  ronipé-je, 
senté-je,  dormé-je,  qui  sont  tous  formez  contre  les  règles  de  la 
Grammaire;  ils  veulent  que  l'on  prenne  un  autre  tour,  et 
qu'on  dise,  est-ce  que  je  ments?  croyez-vous  que  je  menie"}  ou 
quelque  chose  semblable.  «  Ménage  va  jusqu'à  recommander 
les  formes  incriminées:  »  Comme  tous  les  Parisiens  disent 
senté-je?  menté-je?  rompé-je?  dormé-je?  &  que  le  langage  des 
Provinces  doit  estre  reiglé  selon  l'usage  de  celui  de  Paris,  la 
Capitale  du  Royaume  &  la  demeure  du  Souverain,  j'ay  changé 
depuis  peu  d'opinion  à  l'égard  de  quelques-uns  de  ces  mots, 
qui  sont  si  rudes  de  la  façon  que  les  disent  les  Provinciaux, 
qu'on  a  peine  à  les  prononcer:  comme,  romps-je,  menis-je,  sers- 
je,  dors-je:  &  qui  d'ailleurs  sont  equiuoques:  car  romps-je,  ments- 
je,  sers-je,  dors-je,  se  prononcent  comme  ronge,  mange,  serge, 
d'orge.  Mon  avis  est  donc  présentement  qu'il  faut  dire,  à  la 
Parisienne,  rompéje,  menté-je,  servé-je,  dormé-je.  Les  reigles  de 
la  Grammaire  doivent  céder  en  ces  occasions  à  la  douceur  de 
la  prononciation.  Impetratum  à  consuetudine,  ut  peccare  sua- 
vitatis  caussâ  liceret,  dit  le  Maistre  de  l'Eloquence  Romaine. 
Mais  pour  ces  mots,  sens-je,  perds-je,  entends-je,  qui  ne  sont 
pas  difficiles  à  prononcer,  &  qui  ne  font  point  d'équivoque,  je 
continue  à  les  dire  de  cette  sorte  avec  les  Provinciaux»  (Ob- 
servations, p.  102).  Finissons  par  rappeler  que  la  formule  senté- 
je  a  eu  la  vie  dure;  elle  se  trouve  encore  dans  le  théâtre 
d'A.  Dumas  père  (voir  Parigot,  Alexandre  Dumas  père.  Paris, 
1902.  P.  172). 

223.  Pour  la  troisième  personne,  il  faut  remarquer  qu'on 
intercale  un  t  entre  le  verbe  et  le  pronom  (il,  elle,  on),  si 
celui-là  se  termine  par  un  e  féminin  ou  un  a:  aime-t-il,  aima- 


167 

/-//,  aimera-t-il,  a-t-il,  etc.  Ce  t  n'est  pas  étymologique,  on  di- 
sait au  moyen  âge  aime  il,  aima  il,  aimera  il,  a  il;  il  n'est  pas 
non  plus  euphonique,  comme  on  Ta  souvent  prétendu  (comp. 
I,  §  109,  Rem.);  il  est  dû  tout  simplement  à  l'analogie.  Comme 
on  disait  il  est  —  est-il,  il  dort  —  dort-il,  il  aimait  —  aimait-il, 
etc.,  on  a  fini  par  dire  il  a  —  a-t-il,  il  aime  —  aime-t-il  au 
lieu  de  a-il,  aime-il,  qui  faisaient  disparate  avec  les  autres 
formes  interrogatives.  Le  /  intercalé  apparaît  d'abord  dans  le 
parler  vulgaire  ;  les  grammairiens  le  traitent  longtemps  comme 
une  faute  grossière,  et  il  n'obtient  droit  de  cité  qu'au  XVII® 
siècle.  Dans  son  Dialogue  de  V orthographe  et  prononciation  fran- 
çoese  (1555)  Jaques  Pelletier  remarque:  »Souvent  aussi  nous 
prononçons  des  lettres  qui  ne  s'escrivent  point,  comme  quand 
nous  disons  :  dine  ti,  ira  ii,  et  escrivons  dine  il,  ira  il,  et  seroit 
chose  ridicule  si  nous  les  escrivions  selon  qu'ils  se  prononcent». 
Il  revient  plus  tard  sur  la  même  question  à  propos  des  formes 
ira-il,  semble-il,  et  il  ajoute:  »Je  confesse,  qu'il  seroit  dur  de 
les  escrire  ainsi  qu'ils  se  prononcent  vulgairement.  Mais  vous 
savez  qu'il  n'est  pas  défendu  de  prononcer  ira  il,  et  que  ceux 
qui  le  diront,  on  ne  les  sauroit  justement  reprendre,  comme 
vous  trouvez  es  poètes  assez  souvent  vous  sembV  il,  et  non 
point  semble  til«.  Théodore  de  Bèze  (1584)  dit  en  parlant  de 
la  lettre  t:  Sed  huic  literae  mirum  quiddam  accidit,  nempe  ut, 
ubi  nusquam  apparet,  tamen  euphoniae  causa  pronuntietur, 
ut  si  scribas  parle  il  (loquiturne?),  pronuntiandum  erit  inter- 
posito  t,  etiam  servato  e  foemineo,  parlet-il.  Sic  in  tertiis  per- 
sonis  singularibus  futuri  indicativi  ira-il,  parlera-il  et  praesen- 
tis  etiam  indicandi  in  quibusdam  verbis,  ut  va-il  scribitur  qui- 
dem,  sed  pronuntiatur  irat-il,  parlerat-il,  quam  pronuntiationem 
recentiores  quidam  ad  normam  scripturae  exigunt;  sed  hoc 
certe  facere  saltem  non  possunt  in  tertia  persona  singulari 
praesentis  temporis  indicativi  primae  coniugationis,  ut  aime  il'?« 
Au  grand  siècle  le  t  analogique  s'emploie  régulièrement  dans 
l'orthographe,  et  Vaugelas  condamne  les  anciennes  formes: 
»Si  le  verbe  finit  par  vne  voyelle  deuant  on,  comme  prie-on, 
alla-on,  il  faut  prononcer  et  escrire  vn  /,  entre  deux,  prie-t-on, 
alla-t-on  pour  oster  la  cacophonie,  et  quand  il  ne  seroit  pas 
marqué,  il  ne  faut  pas  laisser  de  le  prononcer,  ny  lire  comme 
lisent  vne  infinité  de  gens,  alla-on,  alla-il,  pour  alla-t-on,  alla-t- 
iU<   {Remarques,  I,  64). 


168 

224.  A  la  2"  personne  du  pluriel  on  rencontre  pour  savez- 
vous  et  avez-vous  les  formes  abrégées  savons  et  avons,  d'où 
s'est  détaché  ous  comme  forme  interrogative  de  vous;  pour  les 
détails,  voir  les  Pronoms  personnels. 

225.  Dans  les  phrases  interrogatives  la  langue  populaire  mo- 
derne fait  un  large  usage  de  ti.  L'origine  de  cette  particule, 
que  renie  encore  la  langue  cultivée,  est  assez  curieuse:  elle 
provient  des  formules  interrogatives  telles  que  a-t-il,  dort-il, 
aime-t-il,  viendra-t-il,  etc.  Par  l'amuïssement  vulgaire  du  /  final 
ks  formes  citées  sont  devenues  ati,  dorti,  aimeti,  viendrati,  et 
en  les  comparant  aux  formes  ordinaires  il  a,  il  dort,  il  aime, 
il  viendra,  on  a  vu  dans  la  terminaison  ti  le  signe  de  l'inter- 
rogation. La  faveur  de  cette  nouvelle  particule  a  été  très  grande; 
restreinte  originairement  à  la  3^  personne  et  au  masculin,  on 
l'a  peu  à  peu  étendue  à  toutes  les  personnes  et  au  féminin. 
On  l'ajoute  à  l'ancienne  forme  interrogative:  suis-je-ti,  sommes- 
nous-ti,  etc.;  plus  souvent  à  la  forme  ordinaire:  faime-ti,  je 
sais-ti  moi,  elle  aime-ti,  elle  est-ti,  fas-ti  bu,  fsommes-ti,  vous 
passerez-ti  par  là,  etc.  Ti  fonctionne  surtout  dans  les  phrases 
exclamatives :  Mon  Dieu!  J'suis-ti  embêté!  Nous  avons-ti  bu,  nous 
avons-ti  ri!  Oh!  les  maîtres;  je  les  aï-ti! 

L'emploi  de  cette  particule  remonte  au  XVII*'  siècle;  elle  se 
trouve  dans  les  écrits  en  langage  populaire  depuis  la  Fronde, 
et,  sortant  de  l'argot  de  Paris,  ti  a  peu  à  peu  pénétré  dans 
différents  patois,  notamment  le  normand,  le  lorrain  et  le  pro- 
vençal. Les  auteurs  modernes  qui  se  servent  de  //  pour  imiter 
le  parler  vulgaire  et  patois,  l'écrivent  sous  des  formes  variées 
et  étranges.  En  voici  quelques  exemples:  C'est-ty  vous  (Daudet, 
L'immortel,  p.  308).  Vous  avez-t-il  déjà  vu  le  diable  (Maupas- 
sant,  Horla,  p.  197).  Je  pouvais-t-il  choisir  (Maupassant,  Petite 
Roque,  p.  186).  Dis-mé,  ta  femme  est-i  aisée  (id.,  Bel' ami, 
p.  223).  C'est-y  nous  qui  gagne  (Gyp,  Du  haut  en  bas,  p.  205). 
Je  voudrais  t'y  l'voir  (ib.,  p.  209).  J'ai  t'y  soif  (Concourt,  Sœur 
Philomène,  p.  235).  T'en  as  ti  un  nez  (Maupassant,  Petite 
Roque,  p.  301).  J'en  ai  t'  i'  connu  des  lanciers  (Bruant,  Dans 
la  rue,  p.  145).  ./'  pensons-t-y  à  nous  séparer,  tandis  qu'  not' 
pauv'  petit  ange  souffre  toutes  les  douleurs  .  .  .'?  ./'  pouvons-t-y 
(H.  Bérenger,  Le  génie,  II,  se.  5).  C'est-i  ça  la  médecine  (ib.). 
Finissons  par  citer  un  exemple  très  curieux  tiré  d'une  conver- 


169 

sation  entre  Cocotte  et  Labosse:  Cest-i-vrai?  ou  ti-pas  vrai?  — 
Ti  vrai  (H.  Lavedan,  Le  vieux  marcheur,  p.  32). 

Remarque.  Par  une  extension  analogique  très  intéressante,  ti,  réservé  d'ordi- 
naire aux  verbes,  s'ajoute  aussi  à  l'adverbe  voilà;  on  trouve  déjà  aux 
XVII*^  et  XVIIIe  siècles  voilà-t-il,  voilà-t-il  pas  (Molière,  Tartuffe,  I,  se.  1), 
ne  voilù-t-il  pas;  grâce  à  sa  terminaison  et  à  sa  valeur  exclamative  voilà  a 
été  traité  comme  un  verbe.  Citons' en  même  temps  un  autre  cas  d'une  for- 
mation analogique  bien  plus  extraordinaire.  Lassagne,  acteur  des  Variétés, 
mort  en  1863,  disait  à  la  grande  joie  du  public:  'Afo/i  Dieu-je,  Seigneur-je, 
Désespoir-je.  L'origine  de  ce  tic  est  sans  doute  à  chercher  dans  des  exclama- 
tions comme  où  suis-je,  que  vois-je,  que  dis-je,  etc.  (voir  Alexandre,  Les  mots 
qui  restent,  p.  51). 


LIVRE   DEUXIÈME. 

LES  SUBSTANTIFS  ET  LES  ADJECTIFS. 


CHAPITRE  I. 

REMARQUES  PRÉLIMINAIRES. 


226.  Les  noms  latins  étaient  soumis  à  des  modifications  de 
cas,  de  genre  et  de  nombre.  Daus  les  langues  romanes,  les 
modifications  de  cas  ont  disparu  presque  partout;  les  pronoms 
seuls  gardent  un  reste  de  déclinaison.  Les  modifications  de 
genre  existent  encore,  mais  avec  de  profonds  changements,  et 
le  neutre  a  disparu.  Les  modifications  de  nombre  se  sont 
maintenues  relativement  bien,  elles  tendent  pourtant  à  s'efîacer 
en  français.  " 

L  CAS. 

227.  De  la  riche  flexion  casuelle  latine  les  langues  romanes 
n'ont  presque  rien  conservé  dans  leur  état  actuel.  Les  six  cas 
du  latin  (le  nominatif,  le  vocatif,  l'accusatif,  le  génitif,  le  datif, 
l'ablatif)  ont  été  remplacés  partout  par  une  seule  et  même 
forme  qui  sert  indistinctement  de  sujet,  de  régime  direct  et  de 
régime  prépositionnel.  Cette  unification  est  un  des  phénomènes 
les  plus  curieux  de  la  morphologie  (ou  de  la  syntaxe)  romane. 

228.  Commençons  par  examiner  la  question  de  l'origine  de 
la  forme  nominale  romane.  Si  l'on  compare  les  formes  sui- 
vantes : 


roum. 

bou 

jloar 

ital. 

boue 

flore 

fr. 

bœuf 

fleur 

prov. 

buou 

flor 

esp. 

buey 

flor 

port. 

boi 

flor 

ciità 

lèpre 

cité 

lièvre 

ciutat 

lebre 

ciudad 

liebre 

cidade 

lebre 

171 

cetate  iepure  parete 

parete 
paroi 
paret 
pared 
parede, 

on  voit  facilement  que  leur  base  ne  peut  pas  être  dans  les  no- 
minatifs bos,  flos,  civitas,  lepus,  paries;  les  terminai- 
sons et  l'accentuation  ainsi  que  le  développement  phonétique 
le  montrent  clairement.  Ils  remontent  tous  en  effet  à  un  cas 
oblique,  et,  comme  nous  le  verrons  tout  de  suite,  ce  cas 
oblique  ne  peut  être  autre  que  l'accusatif:  les  mots  cités  con- 
tinuent bovem,  florem,  civitatem,  leporem,  par(i)etem. 

Remarque.  Sur  ce  point,  l'opinion  ne  s'est  fixée  qu'après  beaucoup  d'iiési- 
tations.  Ascoli  a  voulu  voir  dans  l'unique  forme  nominale  romane  surtout 
une  continuation  de  l'ablatif,  tandis  que  Fr.  d'Ovidio  y  a  vu  le  résultat 
d'une  fusion  du  nominatif  avec  les  cas  obliques.  Selon  l'un,  rosa,  miiro,  pane 
viendraient  de  rosa,  muro,  pane;  selon  l'autre,  ils  ne  remonteraient  à  au- 
cun cas  déterminé  et  proviendraient  de  rosa,  -am,  -a,  de  murus,  -um, 
-o,  de  panis,  -em,  -e,  -i.  Ces  deux  théories  sont  maintenant  abandonnées 
ou  à  peu  près;  la  phonétique  et  la  S3'ntaxe  renvoient  toutes  les  deux  à  l'ac- 
cusatif et  excluent  nettement  les  autres  cas. 

229.  Citons  maintenant  quelques-unes  des  raisons  qui  parlent 
en  faveur  de  l'accusatif: 

1°  Des  accusatifs  indiscutables  se  retrouvent  dans  plusieurs 
monosyllabes  qui  ont  gardé  le  m  final;  citons  pour  le  français 
rien  «  rem),  mon  «  meum),  ton  «  tuum),  son  «  su  uni); 
comp.  l'espagnol  quien  «  quem)  et  le  vieil  italien  speme 
«  spem). 

2*^  Le  sarde  central  (le  logodourien)  a  maintenu  la  distinc- 
tion entre  o  et  u  final:  octo  '/  olto,  amo  )  amo ,  mais  cen- 
tum  )  chentu,  cantamus  )  cantamus.  Or,  tous  les  noms  de 
la  deuxième  déclinaison  latine  se  terminent  dans  ce  dialecte 
par  u:  oru,  sarmentu,  chelu,  crau,  duru,  plenu,  etc.,  ce  qui 
prouve  leur  provenance  de  l'accusatif  en  -um,  et  exclut  le  da- 
tif et  l'ablatif;  les  mots  cités  dérivent  de  aurum,  sacra- 
m  e  n  t  u  m ,  c  a  e  1  u  m ,  c  1  a  v  u  m  ,  d  u  r  u  m  ,  plénum,  non  de 
auro,  etc. 


172 


3"  Les  neutres  imparisyllabiques  renvoient  également  à  l'ac- 
cusatif. Si  l'on  compare  les  formes  suivantes  : 


ital. 

tempo 

corpo 

lato 

petto 

nome 

esp. 

tiempo 

cuerpo 

lado 

pecho 

nombre 

port. 

tempo 

corpo 

lado 

peito 

nome 

fr. 

temps 

corps 

lez 

pis 

nom 

roum. 

timp 

(lature) 

piept 

nume, 

on  voit  que  leur  point  de  départ  ne  peut  être  autre  que  la 
forme  du  nom.  et  de  l'ace:  tempus,  corpus,  latus,  pec- 
tus,  nomen.  Il  est  impossible  de  regarder  les  formes  romanes 
comme  des  continuations  de  tempore,  corpore,  latere, 
pectore,  nomine.  Des  mots  cités,  un  seul  semble  faire  ex- 
ception, le  roum.  lature;  mais  cette  forme  est  en  effet  un  sin- 
gulier refait  (comp.  §  362),  tiré  du  pluriel  laturï  <  latera. 
L'esp.  nombre  remonte  à  nomne  qui,  à  la  rigueur,  pourrait 
provenir  aussi  bien  de  nomine  que  de  nomen;  l'analogie 
parle  pour  la  dernière  forme. 

4°  Les  théories  d'Ascoli  et  de  d'Ovidio  rencontrent  enfin  les 
plus  grandes  difficultés  pour  le  pluriel.  Gomment  se  refuser 
par  ex.  à  voir  dans  les  formes  espagnoles  muros  et  casas  la 
continuation  directe  de  muros  et  casas? 


230.  L'écroulement  du  système  de  la  déclinaison  latine  est 
dû  à  des  causes  à  la  fois  phonétiques  et  syntaxiques.  Déjà 
en  latin  classique,  les  prépositions  s'employaient  à  côté  des 
simples  cas;  on  disait  indifféremment  aptus  alicui  rei  et 
aptus  ad  aliquam  rem,  scribere  alicui  et  scribere  ad 
al  i  que  m,  aliquis  eorum  et  aliquis  de  eis.  Dans  le  par- 
ler vulgaire,  l'emploi  des  prépositions  va  toujours  en  augmen- 
tant, et  ce  développement  analytique  est  secondé  d'une  ma- 
nière très  efficace  par  les  changements  phonétiques  qui  effacent 
souvent  les  traits  caractéristiques  des  cas.  Par  l'amuïssement 
du  m  final  (I,  §  318,  i)  et  par  la  confusion  des  voyelles  atones 
finales,  terra  m,  terra  et  terra  se  réduisent  à  la  seule  forme 
terra;  de  la  même  manière  mu  ru  m  et  muro  se  confondent 
en  muro;  pane  m,  pane,  pani,  en  pane,  etc.  Ainsi  la  forme 
casuelle  ne  suffit  souvent  plus  à  indiquer  les  fonctions  syn- 
taxiques, et  l'emploi  d'une  préposition  devient  de  toute  néces- 


173 

site.  Des  cas  latins,  le  génitif  a  probablement  succombé  le  i 
premier;  le  datif  l'a  suivi  un  peu  plus  tard.  La  fonction  de  y 
ces  cas  a  été  reprise  par  les  prépositions  de  et  ad.  L'ablatif, 
qui  s'employait  surtout  après  certaines  prépositions,  est  rem- 
placé dans  cette  fonction  par  l'accusatif;  on  disait  dans  la 
langue  vulgaire  cum  filios  suos,  de  fratres,  de  latus,  in 
cap  ut,  etc.;  déjà  les  inscriptions  de  Pompéi  offrent:  Satur- 
ninus  cum  discentes  (C.  L  L.,  IV,  275). 

231.  La  déclinaison  classique  se  réduit  ainsi  dans  le  latin 
populaire  à  deux  cas  :  le  nominatif,  qui  sert  de  sujet  et  qui  a 
aussi  repris  les  fonctions  du  vocatif,  et  l'accusatif,  qui  sert  de 
régime  direct  des  verbes  transitifs  et  de  régime  prépositionnel 
(très  rarement,  et  surtout  quand  il  s'agit  de  noms  de  personne, 
de  génitif  ou  de  datif).  Mais  le  développement  ne  s'arrête  pas 
là.  Grâce  à  la  force  nivelante  de  l'analogie,  l'accusatif  parvient 
même  à  absorber  ou  à  supplanter  le  nominatif.  Cette  réduc- 
tion à  un  cas  unique  s'est  effectuée  à  des  époques  différentes 
dans  les  différents  domaines.  En  daco-roman,  en  italo-roman 
et  en  hispano-roman  elle  a  eu  lieu  à  une  époque  prélittéraire 
et  se  soustrait  à  notre  observation  directe.  En  gallo-roman,  au 
contraire,  on  a  conservé  le  nominatif  bien  longtemps  après 
l'apparition  des  premiers  textes  (1,  §  18).  La  déclinaison  à 
deux  cas  se  continue  en  vieux  français  comme  en  vieux  pro- 
vençal. Elle  ne  s'altère  qu'au  XIV^  siècle,  et  l'accusatif  finit 
par  remplacer  le  nominatif,  de  sorte  que,  au  sortir  du  moyen 
âge,  on  n'a  en  France  qu'une  seule  forme  nominale,  comme 
dans  les  autres  pays  romans. 

Remarque.  Il  est  probable  que  le  nominatif  s'est  aussi  conservé  très  long- 
temps en  rhéto-roman.  Malheureusement  les  plus  vieux  textes  de  ce  parler 
ne  remontent  pas  au  delà  du  XVIe  siècle,  mais  ils  nous  présentent  beaucoup 
de  faits  qui  rendent  extrêmement  possible  l'existence  en  Suisse,  au  moyen 
âge,  d'une  déclinaison  à  deux  cas. 

232.  Les  seuls  cas  conservés  en  français  sont  donc  le  no- 
minatif et  l'accusatif.  Des  autres  cas  on  ne  trouve  que  des 
traces  isolées  dans  quelques  mots  composés  et  quelques  ex- 
pressions figées. 

1"  Le  génitif  singulier  se  trouve  dans  les  noms  des  jours  de  la 
semaine,  et  quelques  noms  de  plante  :  J  o  v  i  s  d  i  es  yjuesdi,  jeudi. 


174 

Lunse  die  s  )  lundi  (vfr.  aussi  lunsdi  par  analogie).  Marti  s 
die  s  )  marsdi,  mardi  (vfr.  aussi  di  mars).  Mercurii  dies  > 
mercredi  (vfr.  aussi  mercresdi  par  analogie).  Sabbati  dies  ) 
samedi  (cf.  I,  §  496,  Rem.).  Veneris  dies  >  vendresdi,  ven- 
dredi. Jovis  barba  }  joubarbe.  Pull i p edem  >  joou/pie,  altéré 
en  pourpier  (I,  §  529).  Rappelons  aussi  quelques  formules  sa- 
vantes calquées  sur  le  latin,  comme  par  ex.  Le  temple  dôme 
(Aiol,  V.  1678),  c.  à  d.  Templum  Domini. 

2^  Le  génitif  pluriel  s'est  conservé  dans  plusieurs  noms  de 
lieux:  (Villa)  Britannorum  )  Bretenoux.  Curtis  Fabrorum 
Confavreux.  Curtis  Franco  ru  m  )  Confracourt,  Conf rançon. 
Francorum  villa  )  Fra/Jconi;z7/e,  Francourville.  Francorum 
campus  )  Francorchamps.  Wandalorum  (castra)  )  Gan- 
dalor,  Gandalou.  (Villa)  Magnalorum  >  Mignaloux.  Mor- 
tem  Goth or um  )  Mo/'^oc/oM.  Villa  fabrorum  )  F/Z/e/ai^reux". 
Villa  pirorum  >  Villepreux.  Rappelons  aussi  quelques  ex- 
pressions figées:  Vassus  vassorum  )  vfr.  vavassor;  (ca- 
ballus)  mille  solidorum  )  vfr.  (cheval)  milsoldor;  (festa) 
*candelorum  (pour  candelarum)  )  vfr.  chandelor.  On 
trouve  enfin  -or  dans  un  certain  nombre  de  formules  pro- 
bablement d'origine  plus  ou  moins  savante:  Geste  Francor, 
geste  Sarasiiior,  geste  paienor,  gent  crestienor,  uevre  diablor,  tens 
ancienor,  tens  pascor  (*paschoruni  pour  pascharum);  on 
dit  par  analogie  geste  Macedonor.  Dans  ces  locutions  on  n'a 
pas  conscience  de  la  valeur  étymologique  de  la  terminaison 
-or.  Paienor  est  ainsi  pris  pour  un  adjectif;  on  trouve  livres 
paienors,  terres  paienors  (Enfances  Ogier,  v.  5704).  Ancienor,  qui 
ne  se  trouve  d'abord  que  dans  la  combinaison  tens  ancienor 
(Alexis,  V.  1),  est  regardé  comme  le  comparatif  d'ancien.  De 
tous  les  mots  cités,  la  langue  actuelle  n'a  conservé  que  chan- 
delor, devenu  Chandeleur. 

3"  L'ablatif  se  trouve  surtout  dans  plusieurs  noms  de  lieux  : 
Andecavo  >  Anjou.  Pictavo  >  Poitou.  (In)  Pictavis  ) 
Poitiers.  (In)  An  deçà  vis  )  Angers.  (In)  A  qui  s  )  Aix.  Re- 
mis )  Reims.  Rappelons  aussi  quelques  adverbes  tels  que 
quomodo  )  *quomo  )  com(me),  te  m  pore  >  vfr.  tempre, 
iilo  loco  )  vfr.  illuec. 

233.  Mots  d'emprunt.  Les  mots  d'emprunt  paraissent  aussi 
renvoyer  à  l'accusatif;  en  tout  cas  aruspice,  calice,  impératrice, 


175 

satellite,  viscère,  impubère  ne  reproduisent  pas  les  nominatifs 
aruspex,  calix,  imperatrix,  satelles,  viscu^,  impuber, 
mais  bien  un  cas  régime.  En  dehors  de  l'accusatif  on  trouve 
des  formes  casuelles  déterminées  dans  quelques  cas  isolés: 

P  Nominatif.  La  terminaison  -us  se  trouve  dans  agnus, 
angélus,  argus,  chorus,  fœtus,  hiatus,  motus,  et  quelques  autres 
substantifs.  Citons  aussi  les  noms  propres  tels  que  Brutus, 
Cassius,  Crassus,  Crispus,  Decius,  Manlius,  Marias,  Pyrrhus,  Re- 
mus,  Romulus,  Spartacus,  etc.;  les  anciens  tragiques  francisaient 
généralement  ces  noms  en  leur  donnant  un  e  féminin  ;  dans 
Garnier  on  trouve  Brute,  Camille,  Maire  (Marins),  Vare,  etc.,  et 
dans  Corneille,  Brute,  Crasse,  Cassie,  Décie,  Manlie,  Romule,  Ru- 
tile, Sext,  Tulle,  etc.  De  la  même  manière  on  disait  Agrippe, 
Caligule,  Jugurthe,  Murène,  Scévole,  pour  Agrippa,  Caligula,  Ju- 
gurtha,  Murena,  Scéoola.  —  A  la  troisième  déclinaison  ap- 
partiennent: codex,  index,  castor,  major,  etc.;  c'est  aussi  le 
nominatif  qui  se  cache  dans  code  (codex),  pontife  (ponti- 
fex),  prince  (princeps),  dédicace  (dedicatio),  préface  (prse- 
fatio),  vfr.  decolace  (decollatio),  vfr.  generace  (genera- 
tio).  Ajoutons  que  les  mots  tels  que  multitude,  image  ne 
remontent  pas  à  multitudo,  imago,  comme  on  pourrait  le 
croire;  les  vieilles  formes  sont  multitiidine,  imâgene  (I,  §  259), 
qui  renvoient  à  multitudinem,  imaginem. 

2^  Génitif.  Mots  simples:  Aloès  <  (lignum)  aloes.  Boni  < 
(aliquid)  boni.  Pubis  <  (os)  pubis.  Quorum,  emprunté  de 
l'anglais  quorum  <(  quorum  (maxima  pars).  Mots  com- 
posés: Jurisconsulte  <  jurisconsultus.  Jurisprudence  (^  juris- 
prudentia.  Juridiction  <  vfr.  jurisdiction  <(  jurisdictio. 
Mappemonde  <  mappamundi.  Orpiment  <  auripigmen- 
tum.  Revendication  <  reivindication  (R.  Estienne,  1539)  <  rei- 
vendicatio.  Rossolis  <(  ros  solis.  Salpêtre  {  sal  petrae. 

3^  Ablatif.  Omnibus  <  omnibus.  Quibus  <  qui  bus.  Rébus 
<  rébus.  La  désinence  de  certains  ablatifs  pluriels -a  été  em- 
ployée en  français  comme  suffixe;  citons  par  exemple  rasibus, 
transformation  plaisante  de  ras. 

Remarque.  Ajoutons  quelques  formules  transportées  telles  quelles  en  fran- 
çais: Ad  hominem ;  ad  libitum;  ad  patres;  in  extenso;  in  extremis,  etc. 


176 


II.  DECLINAISONS. 

234.  Des  cinq  déclinaisons  classiques  on  n'a  gardé  dans  le 
latin  vulgaire  que  les  trois  premières.  La  4^  s'est  confondue 
avec  la  2^  (le  type  murus  a  absorbé  fructus),  et  la  5*  s'est, 
pour  une  grande  partie,  assimilée  à  la  l''^  Le  latin  classique 
admettait  déjà  barbaria,  luxuria,  materia,  mollitia,  à 
côté  de  barbaries,  luxuries,  materies,  mollities.  Dans 
la  langue  vulgaire,  c'est  -a  qui  l'emporte:  Faciès  )  facia 
(roum.  fatà,  it.  faccia,  prov.  fassa,  fr.  face).  Glacies  )  gla- 
cia  (roum.  ghiatâ,  \i.  ghiaccia,  fr.  glace).  Rabies  >  rabia  (it. 
rabbia,  pTo\.  rabia,  fr.  rage).  Sanies  >  sania  (esp.  sana,  port. 
sanha).  On  a  conservé  die  s  (roum.  zi,  it.  di,  vfr.  di)  à  côté  de 
dia  (roum.  zioâ,  it.  dia,  esp,  dîa,  vfr.  die). 

235.  Première  déclinaison.  Dans  le  latin  populaire  cette 
déclinaison  est  réduite  à  n'avoir  qu'une  forme  au  singulier  et 
une  au  pluriel.  Causa  et  causam  se  confondent  par  la  chute 
du  m  final  (I,  §  318),  et  au  pluriel  le  nominatif  causse  dis- 
paraît devant  causas.  On  avait  ainsi: 

SINGULIER. 

causa  filia  terra 

PLURIEL. 

causas  filias  terras 

Remarque.  La  substitution  de  causas  à  causae  s'explique  soit  par  une 
réaction  du  singulier,  qui  n'avait  qu'une  forme,  soit  par  une  influence  du 
pluriel  des  féminins  de  la  3^  déclinaison  (flores  servant  de  sujet  et  de  ré- 
gime amène  causas);  on  peut  aussi  faire  remarquer  que  causœ  ne  con- 
tenait pas  la  voyelle  finale  caractéristique  des  mots  de  la  l^e  déclinaison. 
L'installation  de  causas  comme  forme  unique  remonte  assez  haut.  En  voici 
quelques  exemples  :  Bene  quiescant  reliqiiias  (C.  I.  L.,  V,  5078).  Hic  quescunt  diias 
maires,  duas  filias  (numéro  Ires  facunl),  el  advenas  II  parvolas  (ib.,  111, 
3551).  Filias  in  pace  fecerunt  (Le  Blant,  II,  280).  Aquas  coquendœ  sunt  (Ori- 
basius,  5,  9).  Quod  sunt  oras  uiginti  et  quattuor  (Edictus  Rothari,  chap.  148; 
comp.  ib.,  chap.  314).  Illas  filias  tollant  uncias  sex  (ib.,  chap.  159).  Si  duas 
plaças  fuerint  (ib.,  chap.  46),  etc. 

236.  Cette  déclinaison,  à  laquelle  appartiennent  presque  ex- 
clusivement des  féminins,  comprend  les  groupes  suivants: 


177 

1*^  Tous  les  noms  de  la  P  déclinaison  classique:  causa, 
coron  a,  femina,  fi  lia,  terra,  etc. 

2*^  Des  noms  appartenant  à  la  5^  déclinaison  classique  (voir 
§  234). 

3^  Des  neutres  pluriels  de  la  2^  déclinaison  devenus  singu- 
liers: arma,  folia,  labra,  vêla,  etc.  (voir  §  247), 

4"  Quelques  noms  de  la  3«  déclinaison  qui  ont  changé  de 
forme  dans  la  langue  populaire:  paupertas  •)  pauperta, 
potestas  >  potesta,  tempestas  )  tempesta,  juventas 
)  juventa. 

5^  Quelques  noms  de  la  4^  déclinaison  qui  ont  changé  de 
forme:  nu  ru  s  >  nura  (it.  miora ;  esp.  nuera;  port.,  prov., 
cat.  nora;  vfr.  nore),  soc  rus  )  soc(e)ra  (it.  suocera;  esp. 
suegra;  port,  sogra). 

237.  Deuxième  déclinaison.    Grâce  à  la   conservation   du  s 

final,    la   2^  déclinaison   classique-présente    deux   formes   dis-  V^ 

tinctes  au  singulier  et  au  pluriel: 

SINGULIER. 
Cas  sujet        mu  ru  s  filius  se  r  vu  s 

Cas  régime    muro  filio  servo 

PLURIEL. 

Cas  sujet       mûri  fili  servi 

Cas  régime    muro  s  fili  os  servo  s 

238.  Cette  déclinaison,  à  laquelle  appartiennent  presque  ex- 
clusivement des  masculins,  comprend  les  groupes  suivants: 

P  Les  noms  masculins  de  la  2*^  déclinaison  classique:  filius, 
m  u  r  u  s,  s  e  r  V  u  s,  etc. 

2"  Les  noms  neutres  de  la  2*^  déclinaison  :  aurum  >  aurus, 
castellum  >  castellus,  ferrum  >  ferrus,  pratum  >  pra- 
tus,  vinum  >  vinus,  etc.;  voir  §  246. 

3"  Les  noms  masculins  de  la  4*^  déclinaison  :  f  r  u  c  t  u  s,  p  o  r  t  u  s. 

4^  Les  noms  neutres  de  la  4<^  déclinaison:  cornu  >  cornus. 

239.  Troisième  déclinaison.  Quant  au  développement  de 
cette  déclinaison  il  faut  noter  les  deux  points  suivants: 

l*'  Le  nominatif  singulier  des  imparisyllabiques  a  ordinaire- 
ment été  refait  sur  la  forme  plus  longue  des  autres  cas.  Ainsi 

12 


178 

bos  —  bovem,  pes  —  pedem,  leo  —  leonem,  cantans 
—  cantantem,  prsesens  —  prsesentem,  carbo  —  car- 
bone m,  etc.,  etc.,  ont  été  remplacés  par  bovis  —  bovem, 
pedis  —  pedem,  leonis  —  leonem,  cantantis  —  can- 
tantem, prsesentis  —  praesentem,  carbonis  —  car- 
bone m.  Pour  les  exemples,  voir  Schucbardt,  I,  35,  III,  9,  et 
mon  Adjektivernes  Konsbojning,  p.  77.  La  généralisation  de  la 
forme  brève  a  aussi  eu  lieu,  mais  moins  souvent:  hères  —  he- 
redem,  sanguis  —  sanguine  m,  etc.,  sont  devenus  hères  — 
herem,  sanguis  —  sanguem.  On  constate  parfois  les  deux 
développements  pour  le  même  mot;  ainsi  au  lieu  de  ser- 
pens  —  serpentem,  on  a  soit  serpentis  —  serpentem, 
soit  serpe(n)s  —  serpe  m  (cf.  en  prov.  serps  —  serp).  La 
reformation  n'a  ordinairement  pas  eu  lieu  dans  les  impari- 
syllabiques désignant  des  personnes:  homo  —  hominem, 
comes  —  comitem,  soror  —  sororem,  infans  —  in- 
fante m,  etc.  sont  conservés  intacts  (comp.  §§  255 — 260). 

2^  Le  nominatif  pluriel  des  noms  masculins  a  été  refait  sur 
le  modèle  de  la  2^  déclinaison:  patres  )  patri,  homines  ) 
homini,  etc.  On  trouve  dans  les  textes  vulgaires  omni,  pedi, 
etc.  (ALL.  II,  567);  rappelons  aussi  dans  le  glossaire  de  Rei- 
chenau  folli  (n°  632),  et  dans  le  glossaire  de  Cassel  pirpici 
(n«74),  sapienti  (n«227,  230). 

240.  Ces  développements  amènent  pour  un  grand  nombre 
des  masculins  une  déclinaison  qui  ressemble  à  la  2%  et  re- 
pose comme  celle-ci  sur  la  présence  ou  l'absence  d'un  s: 

Singulier. 


Cas 

sujet 

pedis 

leonis 

cantantis 

Cas 

régime 

pede 

leone 

Pluriel. 

cantante 

Cas 

sujet 

pedi 

leoni 

cantanti 

Cas 

régime 

pedes 

leones 

cantantes 

241.  A  côté  de  ces  trois  déclinaisons  qui  remontent  au  latin 
classique,  il  faut  encore  citer  deux  autres  propres  au  latin 
populaire.  Ce  sont  les  flexions  hybrides  en  -a  -ane  et  -us 
-one  dont  l'existence  est  prouvée  en  France,  en  Espagne,  en 


179 

Suisse  et  dans  l'Italie  septentrionale;  elles  sont  presque  ex- 
clusivement onomastiques. 

242.  La  flexion  en  -a  -ane  est  propre  aux  noms  de  femmes; 
Alba  —  Albane;  Alexandra  —  Alexandrane;  Anna  — 
Annane;  Elena  —  Elenane;  Maria  —  Mariane,  etc.,  etc. 
Elle  s'applique  aussi  à  des  noms  étrangers:  Berta  —  Ber- 
tane;  Eva  —  Evane;  et  à  quelques  noms  de  fleuves:  Diva 

—  Divane.  Comp.  §  250. 

243.  La  flexion  en  -us  -one  est  propre  aux  noms  d'hommes: 
Albus  —  Albone;  Carus  —  Carone;  Gallus  —  Gal- 
lone;   Lucius  —  Lucione;   Lupus  —  Lupone;    Marcus 

—  Marcone;  Petrus  —  Pétrone;  Ursus  —  Ursone.  Elle 
s'applique  aussi  aux  noms  étrangers:  Drogus  —  Drogone; 
Hugus  —  Hugone;  Milus  —  Milone.  Comp.  §  257. 


IIL  GENRE. 

244.  On  avait  en  latin  trois  genres  :  genus  mascuHnum,  ge- 
nus  femininum,  genus  neutrum;  les  langues  romanes  ont 
gardé  les  deux  premiers,  tandis  que  le  neutre  a  presque  com- 
plètement disparu,  assimilé  partout  au  masculin. 

Remarque.  On  trouve  dans  les  inscriptions  hune  corpus  (C.  I.  L.,  III,  9508), 
hune  moniimentum  (ib.,  X,  3717,  3750),  hune  sepulchrum  {ib.,  III,  8762,  9450), 
eum  templum  {ib.,  VIII,  9796),  votum  quem  promisit  (ib.,  VIII,  6667),  hune 
signum,  etc.  Comp.:  »  Romani  multa  neutra  masc.  gen.  potins  enuntiant,  ut 
hune  theatrum,  hune  prodigiuma^  (Curius  Fortunatus,  Ars  Rhet.,  3,4). 

245.  Les  mots  masculins  et  les  féminins  ont  généralement 
conservé  leur  genre:  liber  )  le  Hure,  libra  >  la  livre.  Il  faut 
pourtant  remarquer  les  points  suivants: 

1^  Tous  les  mots  abstraits  en  -or  sont  devenus  féminins: 
calorem  )  la  chaleur,  dolorem  )  la  douleur,  etc.  Comp.: 
Labor  clausa  est  (Lex  Salica).  Ipsa  erit  laboris  meœ  repausacio 
(Vita  Stae  Euphrosinae),  etc.  La  raison  de  ce  changement  de 
genre  se  trouve  probablement  dans  l'influence  exercée  par  les 
autres  terminaisons  désignant  des  idées  abstraites  et  qui  sont 
toutes  du  féminin. 

12* 


180 

2°  Tous  les  noms  d'arbres  sont  devenus  masculins:  fraxi- 
nus  >  le  frêne,  pin  us  >  le  pin,  etc.  La  langue  vulgaire  a  ici 
réagi  contre  la  discordance  apparente  entre  la  terminaison  et 
le  genre,  -us  désignant  ordinairement  des  masculins.  A  la 
suite  des  mots  cités  a  été  entraîné  arbor,  devenu  masculin 
dans  toutes  les  langues  romanes  (en  portugais  arvor  est  re- 
devenu féminin). 

246.  Passage  du  neutre  au  masculin.  Sont  devenus  mas- 
culins : 

1°  Les  neutres  singuliers  de  la  2^  et  de  la  4^  déclinaison. 
Pour  cornu,  vinum,  aurum,  argentum,  on  trouve  en  vfr. 
//  corz,  li  vins,  li  ors,  H  argenz,  ce  qui  suppose  dans  la  langue 
vulgaire  l'existence  de  cornus  (se  trouve  déjà  dans  Cicéron 
et  Pline),  vinus  (dans  Pétrone,  Oribase,  etc.),  aurus,  argen- 
tus.  La  confusion  des  deux  genres  a  été  facilitée  par  l'exis- 
tence en  latin  classique  d'un  certain  nombre  de  mots  qui 
étaient  des  deux  genres  :  caseus  et  caseum,  dorsus  et  dor- 
sum,  nasus  et  nasum,  etc. 

Remarque.  Jumentum,  en  s'appliquant  à  la  femelle  du  cheval,  est  de- 
venu la  jument,  c'est  le  sexe  de  l'être  désigné  qui  a  modifié  le  genre  gram- 
matical. 

2°  Les  neutres  singuliers  de  la  3^  déclinaison:  corpus  )  vfr. 
li  cors,  latus  >  vfr.  //  lez,  pectus  )  vfr.  li  piz,  tempus  y 
vfr.  //  tens,  etc.  ;  ces  mots  étaient  indéclinables  dans  la  vieille 
langue  (comp.  §  264).  Le  s  flexion nel  (§  252)  a  été  ajouté  aux 
mots  qui  n'en  avaient  pas  en  latin:  Animal  >  vfr.  li  animaus, 
altar  >  vfr.  li  auteiis,  cor  >  vfr.  li  cuers,  nom  en  >  vfr.  li 
nons,  f lumen  )  vfr.  //  fluns,  etc.  Remarquons  que  tous  les 
neutres  de  la  3^  déclinaison  ont  dû  être  indéclinables  en  latin 
vulgaire;  on  ne  trouve  aucune  trace  d'accusatifs  comme  cor- 
de m,  no  mi  ne  m,  etc.  qu'aurait  demandés  une  déclinaison 
masculine.  G  a  put  a  été  remplacé  par  capum  (attesté  dans 
une  inscription  du  VII*'  siècle),  d'où  capus  >  vfr.  chies. 

Remarque.  Mare  est  devenu  Za  mer.  Dans  les  autres  langues  romanes  le 
mot  est  du  masculin. 

247.  Passage  du  neutre  au  féminin.  Sont  devenus  féminins: 
1°  Un  certain  nombre  de  neutres  pluriels  en  -a:  Exemples: 

Arma  )  une  arme,   corn (u) a  >  la  corne,    festa  >  la  fête,  fo- 


181 

lia  >  la  feuille,  gaudia  >  la  joie,  grana  >  la  graine,  horde  a 
y  l'orge,  inguina  )  une  aine,  insignia  >  une  enseigne,  labra 
>  la  lèvre,  opéra  >  une  œuvre,  saga  )  la  saie,  tempora  >  la 
tempe  (I,  §  361,2),  vascella  >  la  vaisselle,  vêla  }  la  voile,  vi- 
burna  >  la  viorne,  etc.  Les  textes  vulgaires  du  moyen  âge 
présentent  beaucoup  d'exemples  qui  nous  montrent  le  passage 
des  neutres  pluriels  au  féminin.  Ainsi  :  Cujus  arma  est,  armas 
non  portare,  omnem  festam,  ires  [estas,  hanc  gestam,  per  plures 
placitas,  per  signas  certas,  etc.  Le  glossaire  de  Cassel  donne  le 
nominatif  memhras  (n°  37),  le  glossaire  de  Florence  écrit  pi- 
sas,  etc. 

Remarque.  Dans  quelques  cas  on  a  tiré  deux  mots  français  du  même 
neutre  latin,  un  mot  masculin,  dérivant  du  singulier,  et  un  mot  féminin, 
dérivant  du  pluriel.  Exemples:  Bracchium  >  braz,  bras  —  bracchia  > 
brace,  brasse.  Cornu  >  cor  —  cornua  >  corne.  Folium  >  feuil  (dans  cer- 
feuil; sur  chèvre  feuil,  voir  1,  §  125)  —  folia  >  feuille.  Granum  >  grain  — 
grana  }  graine.  Pratum  >  pré  —  prata  >  vfr.  prée.  Tormentum  >  tour- 
ment —  tormenta  —  tourmente. 

2^  Quelques  neutres  grecs  en  -ma:  sagnia  >  sauma  > 
soma  (I,  §  12,348)  >  la  somme;  comp.  aussi  enigma  )  une 
énigme,  et  de  même  une  anagramme,  une  épigramme,  mais  la 
plupart  des  mots  d'emprunt  remontant  à  des  mots  grecs  en 
-ma  sont  devenus  masculins:  un  anathème,  arôme,  asthme, 
calme,  cataplasme,  diadème,  dogme,  emblème,  idiome,  flegme, 
rhume,  etc. 


CHAPITRE  II. 

DÉCLINAISON. 


248.  La  plupart  des  noms  se  déclinaient  au  moyen  âge 
(pour  les  exceptions,  voir  §  264).  Les  noms  masculins  présen- 
taient généralement  deux  formes  différentes  aux  deux  nombres; 
les  féminins  n'avaient  ordinairement  qu'une  forme  au  singu- 
lier et  une  autre  au  pluriel.  La  différence  des  formes  est  due, 
le  plus  souvent,  à  la  présence  ou  à  l'absence  d'un  s  flexionnel 
final.  Dans  quelques  cas  isolés  le  cas  sujet  du  singulier  est 
plus  bref  d'une  syllabe  que  les  autres  formes,  d'où  une  décli- 
naison particulière  à  accent  mobile,  à  côté  de  la  déclinaison 
régulière  à  accent  fixe.  La  déclinaison  à  accent  mobile  est 
propre   aux   substantifs   et  à  quelques  adjectifs  au  comparatif. 

I.   SUBSTANTIFS   FÉMININS. 

249.  Mots  a  accent  fixe.  Il  faut  ici  distinguer  deux  groupes  : 
P  Les   mots   à  finale   vocalique    n'avaient,    comme   aujour- 
d'hui,  qu'une   forme  pour  le   singulier  et  une  pour  le  pluriel. 
Conformément  à    la   déclinaison   étudiée    au   §   235,    on   a   en 

français  : 

SINGULIER. 

chose         fille         terre         mère 

PLURIEL. 
choses       filles       terres       mères 

2^  Les  mots  à  finale  consonnantique  avaient  au  temps  de 
Chrestien  de  Troyes  un  nominatif  singulier  en  -s  (z)  : 


183 

SINGULIER. 
Cas  sujet        fiors        genz        maisons        vertez 
Cas  régime     flor  gent         maison  vertet 

PLURIEL. 

Cas  sujet  et  régime  fîors        genz        maisons        vertez 

Il  est  difficile  de  dire  si  ce  s  est  étymologique  ou  non.  Il 
faut  remarquer  que  les  textes  normands  antérieurs  présentent 
au  nominatif  flor,  gent,  etc.  Avons-nous  là  l'état  primitif,  et 
est-ce  que  les  nominatifs  flors,  genz  sont  refaits  à  l'imitation 
des  noms  masculins?  Ou  les  nominatifs  fîors,  genz  présentent- 
ils  la  reformation  vulgaire  (§  239)  du  cas  sujet? 

250.  Mots  a  accent  mobile.  La  déclrnaison  en  -a,  -ane 
(§  242)  a  laissé  beaucoup  de  traces  en  français,  où  elle  s'ap- 
plique généralement  à  des  noms  propres  (noms  de  personnes, 
noms  de  fleuves),  rarement  à  des  noms  communs.  Remarquons 
que  -ane  devient  -ain  ou,  au  cas  qu'une  palatale  précède, 
-ien  (I,  §  221). 

P  Noms  de  femmes:  Aie  —  Aiien;  Ade  —  Adain;  Aide  — 
Aldain;  Aie  —  Alain;  Antigone  —  Antigonain;  Aie  —  Atain; 
Berte  —  Bertain;  Boule  —  Boulain  ;  Brande  —  Brandain;  Dode 
—  Dodain;  Eve  —  Evain;  Flerse  —  Flersain;  Gisle  —  Gislain; 
Gonse  —  Gonsain ;  Hamle  —  Hamlain;  Ide  —  Main;  Jubé  — 
Jubain;  Marie  —  Mariien  et  Mariain;  Marote  —  Marotain,  etc. 
Ajoutons  Corte  —  Cortain  (épée  d'Ogier  le  Danois);  Guile  — 
Guilain  (personnification  de  la  tromperie)  et  quelques  noms 
d'animaux:  Blere  —  Blerain  (nom  de  vache);  Fauve  —  Fau- 
vain  (nom  de  jument  ou  d'ânesse);  Pinte  —  Pintain  (nom  de 
poule),  etc. 

Remarque.  Plusieurs  des  formes  en  -ain  (-ien)  se  retrouvent  encore  dans 
des  noms  de  lieux:  Adaincourt;  Adainville;  Alaincourt;  Attainville;  Boulain- 
mont  (Bodilane  monte  m);  Boiilainrieux,  autrefois  Boulainriu;  Bullain- 
ville;  Comblanchien  (Curtis  Blancane);  Doudainvilîe  (Doddane  villa); 
Flexainville  (Flarsane  villa);  Goussainville  (Gonzane  villa);  Hamlin- 
court,  autrefois  Hamlaincourt;  Jubainville;  Joinville  (Gaudiane  villa). 

2"  Noms  de  fleuves.  Comme  ces  noms  se  rencontrent  rare- 
ment dans  les  anciens  textes  français,  nous  ne  pouvons  pas 
constater  directement  leur  déclinaison   primitive;    mais,  grâce 


184 

aux  indications  que  nous  fournissent  les  textes  médiévaux  la- 
tins et  les  dénominations  modernes,  on  peut  mettre  en  fait 
qu'on  déclinait  autrefois:  Dive  —  Divain,  Loue  —  Loiiain, 
Mevre  —  Mevrain,  Meure  —  Morain,  Orne  —  Ornain,  Senne  — 
Senain,  Tere  —  Terain,  etc.  De  ces  formes,  la  langue  actuelle 
conserve  rarement  le  cas  sujet:  Dive.  Le  plus  souvent  c'est  le 
cas  régime  qui  s'est  généralisé:  Ornain,  en  subissant  parfois 
des  changements  orthographiques  et  autres:  Louain  )  Loing, 
Mevrain  >  Mesvrin,  Morain  )  Morin,  Senain  )  Serain,  Terain  > 
Thérain. 

3^  Noms  communs:  Ante  (a mita)  —  antain.  Baiasse  (blat. 
bacassa)  —  baiassain.  Nièce  (*neptia)  —  niecien,  et  par  ana- 
logie nieçain.  None  (nonna)  —  nonnain.  Pute  (putida)  — 
putain.  Taie  (?)  —  taiien.  De  ces  mots,  la  langue  moderne  a 
conservé  tantôt  le  cas  sujet:  (tjante,  nièce;  tantôt  le  cas  ré- 
gime: putain;  tantôt  les  deux  cas:  nonne,  nonnain. 

251.  Forme  particulière.  Tous  les  imparisyllabiques  fémi- 
nins de  la  'S^  déclinaison  classique  présentent  un  nominatif 
refait  (§  239).  Un  seul  mot  fait  exception:  soror,  dont  voici 
la  déclinaison: 

SINGULIER, 
soror  suer 

sororem  .soror  (seror) 

PLURIEL. 

sorores  sorors  (serors) 

Remarque.  On  trouve  dans  la  vieille  langue  les  doublets  cit  —  cité,  poésie 
—  poesté,  poverle  —  poverté,  tempeste  —  tempesté.  Ces  formes  fonctionnent 
indistinctement  comme  sujet  et  régime  et  ne  constituent  pas,  comme  on  la 
cru,  une  déclinaison  à  accent  mobile.  Cit  remonte  à  civitem  (forme  méro- 
vingienne), cité  à  civitatem,  poeste  à  *potesta,  poesté  à  potestatem,  etc. 


II.   SUBSTANTIFS   MASCULINS. 

252.  Mots  a  accent  fixe.  Pour  ces  mots,  il  n'y  a  qu'une 
seule  déclinaison  régulière  ;  elle  repose  sur  la  présence  ou  l'ab- 
sence d'un  s  final.  Conformément  à  la  déclinaison  étudiée  au 
§  237,  on  avait  en  vieux  français: 


185 

SINGULIER. 
Cas   sujet       murs        vins        ors 
Cas  régime    mur  vin  or 

PLURIEL. 

Cas  sujet       mur  vin  or 

Cas  régime   murs         vins        ors 

Ainsi,  une  forme  avec  s  pour  le  cas  sujet  singulier  et  le  cas 
régime  pluriel,  et  une  autre  forme  sans  s  pour  le  cas  régime 
singulier  et  le  cas  sujet  pluriel. 

253.  La  déclinaison  en  s  comprend  : 

P  Tous  les  noms  de  la  2^  déclinaison  vulgaire  (§  238). 

2^  Les  noms  masculins  de  la  3^  déclinaison  vulgaire  (§  240) 
qui  ont  un  s  au  nominatif:  panis  )  pains,  canis  )  chiens, 
rex  >  reis,  montis  >  monz,  bovis  )  hues,  etc. 

3*^  Les  neutres  qui  n'ont  pas  de  s  à  l'accusatif:  cuers  (cor). 

4"  Les  infinitifs  substantivés:  //  haisiers,  H  repentirs,  li  nian- 
giers,  U  hoivres,  H  avoirs. 

254.  Une  variété  de  la  déclinaison  en  s  est  formée  par 
quelques  mots  en  -e  qui,  n'ayant  pas  en  latin  de  s  au  nomina- 
tif singulier,  n'en  ont  pas  non  plus  en  français: 

SINGULIER. 
Cas  sujet       magister  maistre 

Cas  régime    magistrum        maistre 

PLURIEL. 
Cas  sujet       m  agi  s  tri  maistre 

Cas  régime    magistros  maistres 

Cette  flexion  comprend  des  noms  de  la  2®  déclinaison: 
liber  >  livre,  al  ter  >  altre,  autre,  gêner  )  gendre,  etc.,  et 
de  la  3*^  déclinaison  :  arbor  >  arhre,  f  rater  >  fredre,  pater  ) 
pedre,  etc. 

Rémarque.  Sous  l'influence  du  type  murs,  les  mots  masculins  en  -e 
prennent  de  bonne  heure  un  s  analogique.  Les  premiers  exemples  de  cette 
unification  se  trouvent  dans  les  textes  anglo-normands:  pères  (St.  Brandan, 
V.  146;  Vers  del  juïse,  v.  328);  lères  de  latro  (St.  Brandan,  v.  334);  hermites 
de  ère  mita  (ib.,  v.  1537).    En  francien,   la  distinction   qui  sépare   le  type 


186 


maistre   du   type   murs   est  complètement  effacée  à  la  fin  du  XIII«^  siècle,    et 
on  dit  couramment  au  nominatif  maistres,  livres,  pères,  arbres,  etc. 

255.  Formes  particulières.  Citons  à  part  la  flexion  de  co- 
rnes et  de  homo,  qui  présentent  des  particularités  à  cause  de 
leurs  formes  imparisyllabiques: 

SINGULIER. 
Cas  sujet         cornes  ciiens  homo  on 

Cas  régime     comitem     comte  ho  mi  ne  m    orne 

PLURIEL. 
Cas  sujet        comiti  comte  ho  mini        orne 

Cas  régime     comités       comtes         ho  mi  ne  s     omes 

256.  Mots  a  accent  mobile.  Cette  particularité  peu  com- 
mune dans  les  mots  féminins  (§  251)  est  bien  mieux  repré- 
sentée dans  les  mots  masculins,  où  elle  s'observe  non  seule- 
ment dans  les  débris  de  la  déclinaison  hybride  en  -us  -one, 
mais  aussi  dans  un  certain  nombre  d'imparisyllabiques  clas- 
siques dont  le  nominatif  n'a  pas  été  refait  (voir  §  239,  i). 


257.  Mots  en  -us,  -one  (§  243).  Cette  déclinaison  hybride 
a  laissé  plusieurs  traces  en  vieux  français.  Exemples:  Clair  — 
Clairon,  Estev(e)nes  —  Estevenon,  Pierres  —  Perron.  Noms  ger- 
maniques: Biieves  —  Bovon,  Charles — Charlon,  Giienele  (Guene, 
plus  tard  Gane)  —  Ganelon,  Guis  —  Guion,  Hues  —  Huon,  etc. 
Rappelons  aussi  Lazares  —  Lazaron,  Samse  —  Samson,  etc. 
Des  formes  citées,  la  langue  moderne  garde  tantôt  le  cas  ré- 
gime (ainsi  surtout  pour  les  noms  germaniques),  tantôt  le  cas 
sujet. 

Remarque.  Il  existe  pour  un  grand  nombre  de  noms  de  personnes  (surtout 
de  noms  de  famille)  d'origine  latine  des  doublets  en  -on;  ainsi  à  côté  de 
Clémens,  on  a  Clémençon.  On  a  voulu  voir  dans  les  formes  en  -on  des  di- 
minutifs; il  vaut  mieux  les  regarder  avec  M.  E.  Philipon  comme  d'ancieiTs 
cas  régimes.  Voici  quelques  exemples  de  ces  doublets  qui  paraissent  supposer 
comme  point  de  départ  la  flexion  hybride  •  en  -us,  -one,  et  qui  nous 
montrent  ainsi  probablement  la  conservation  des  deux  cas:  Andrieux  —  An- 
drevon.  Bel  —  Belon,  Benoît  —  Benoîton,  Cher  —  Chèron,  Claude  —  Clau- 
don,  Denis  —  Denison,  Estève  —  Thévenon,  Jacques  —  Jaquemond,  Laurens 
—  Laurençon,  Mathieu  —  Matheoon,  Philippe  —  Philippon,  Toine  —  Toi- 
non,  etc. 


187 


258.  Mots  en  -o  -one.  Le  français  a  conservé  quelques 
imparisyllabiques  tels  que  baro  (>  ber)  baronem  (>  baron), 
latro  0  lerre)  latronem  (>  larron),  auxquels  s'ajoutent  plu- 
sieurs mots  d'origine  germanique.  Voici  leur  déclinaison: 


SINGULIER. 

PLURIEL. 

Cas  sujet. 

Cas  régime. 

Cas  sujet. 

Cas  régime. 

ber 

baron 

baron 

barons 

bric 

bricon 

bricon 

bricons 

compain 

compagnon 

compagnon         compagnons 

falc 

falcon 

falcon 

falcons 

fel 

félon 

félon 

félons 

gars 

garçon 

garçon 

garçons 

glot 

gloton 

gloton 

glotons 

grip 

grifon 

grifon 

grifons 

lerre 

larron 

larron 

larrons 

259.  Mots  en  -or.  Il  faut  les  diviser  en  deux  groupes. 

1°  Le  premier  comprend  les  mots  suivants:  antecessor, 
cantor,  debitor,  grandior,  junior,  major,  melior,  mi- 
nor,  pastor,  pejor,  pictor,  senior,  traditor.  Voici  leur 
déclinaison  : 


SINGULIER. 

PLURIEL. 

Cas  sujet. 

Cas  régime. 

Cas  sujet. 

Cas  régime 

ancestre 

ancessor 

ancessor 

ancessor  S 

chantre 

chantor 

chantor 

chantors 

dettre 

dettor 

dettor 

dettors 

faitre 

fait  or 

faitor 

faitors 

gr  oindre 

graignor 

graignor 

graignors 

joindre 

joignor 

joignor  - 

joignors 

maire 

maior 

maior 

maior  s 

mieldre 

meillor 

meillor 

meillor  s 

mendre 

menor 

menor 

menors 

pastre 

pastor 

pastor 

pastors 

pire 

pior 

pior 

piors 

peintre 

peintor 

peintor 

peintor  s 

sire 

seignor 

seignor 

seignors 

traître 

traïtor 

traïtor 

traïtor  s 

2"  Le  deuxième  groupe  comprend  les  mots  en  -ator  tels  que 
imperator  ()  emperere)  —  imperatorem  {}  emperëor),  sal- 


188 

vator  (>  salvere)  —  salvatorem  (>  saluëor),  etc.  Sur  ce  type 
ont  été  formés  beaucoup  de  noms  d'agents.  Voici  quelques 
exemples  qui  montrent  leur  déclinaison: 


SINGULIER. 

PLURIEL. 

Cas  sujet. 

Cas  régime. 

Cas  sujet. 

Cas  régime. 

buvere 

buveor 

buveor 

buveor  s 

emperere 

empereor 

empereor 

empereors 

faisiere 

faiseor 

faiseor 

faiseor  s 

gaigniere 

gaigneor 

gaigneor 

gaigneors 

mentere 

menteor 

menteor 

menteor  s 

salvere 

salveor 

salveor 

salveors 

trovere 

troveor 

troveor 

troveor  s 

260.  Quelques  mots  isolés:  abbas  —  abbatem,  infans  — 
infantem,  nepos—  nepotem,  et  un  mot  de  la  2*' déclinai- 
son: presbyter  —  presbyterum.  Voici  leur  déclinaison: 


SINGULIER. 

PLURIEL. 

l&s  sujet. 

Cas  régime. 

Cas  sujet. 

Cas  régime. 

abes 

abé 

abé 

abez 

enfes 

enfant 

enfant 

enfanz 

nies 

nevo 

nevo 

nevoz 

prestre 

proveire 

proveire 

proveires 

III.  ADJECTIFS. 

261.  La  déclinaison  des  adjectifs  ne  diffère  presque  de  celle 
des  substantifs  que  par  la  conservation  d'une  forme  neutre 
singulier  (comp.  §  262).  Voici  un  relevé  sommaire  des  diffé- 
rents types  que  présente  la  vieille  langue. 

P  Premier  groupe.  Exemple:  sëurs  <  securus. 


SINGULIER. 
Masculin  Féminin 

Cas  sujet        sëurs  sëure 

Cas  régime     sëur  sëure 

PLURIEL. 
Cas  sujet        sëur  sëures 

Cas  régime     sëurs  sëures 


Neutre 
sëur 


189 


2^  Deuxième  groupe.  Exemple:  sades  <  sapidus. 

SINGULIER. 

Masculin  Féminin  Neutre 

Cas  sujet        sades  sade  sade 

Cas  régime     sade  sade 

PLURIEL. 
Cas  sujet        sade  sades 

Cas  régime     sades  sades 

3^  Troisième  groupe.  Exemple:  aspre  <  asper. 

SINGULIER, 

Masculin  Féminin  Neutre 

Cas  sujet        aspre  aspre  aspre 

Cas  régime     aspre  aspre 

PLURIEL. 
Cas  sujet        aspre  aspres 

Cas  régime     aspres  aspres 

4^  Quatrième  groupe.  Exemple:  forz  <  fortis. 


SINGULIER. 
Masculin  Féminin 

Cas  sujet         forz  fort 

Cas  régime      fort  fort 

PLURIEL. 
Cas  sujet         fort  forz 

Cas  régime      forz  forz 


Neutre 
fort 


IV.  FORMES   NEUTRES. 

262.  Neutre  singulier.  Le  neutre  singulier  a  été  conservé 
dans  les  adjectifs  et  les  participes  passés  employés  d'une  ma- 
nière prédicative.  On  disait  au  moyen  âge  li  père  est  bons 
(bonus),  la  mère  est  bone  (bon a),  mais  ço  est  bon  (bonum). 
Exemples:  Cest  bon  al  noturner  (Philipe  de  Thaun,  Li  cum- 
poz,  V.  303).  Si  cum  est  esproiwet  (ib.,  v.  630).  E  iço  est  escrit 
(ib.,  V.  415).  Malt  lor  ert  bel  (Villehardouin,  §  214).  On  lit  en- 


190 

core   dans   les   chartes  de  Joinville  :    Ce  fii   escrit  de  ma  main, 
ce  fu  fait  par  moy,  etc. 

263.  Neutre  pluriel.  Nous  avons  vu  qu'ordinairement  les 
neutres  pluriel  sont  devenus  des  féminins  singuliers  (§  247): 
folia  >  la  feuille  (d'où  le  nouveau  pluriel  les  feuilles).  Dans 
quelques  cas  isolés,  la  langue  du  moyen  âge  a  cependant  con- 
servé aux  mots  neutres  leur  pluriel  en  -a  devenu  -e;  ainsi  à 
côté  de  car  ru  m  )  (le)  char,  on  avait  carra  )  (les)  charre. 
Voici  quelques  exemples  de  ces  formes: 

arma  >  arme:  S'oste  ses   arme   (Richars  li  biaus,  v.  2255). 

brachia  )  brace:  Entre  sa  brace  (=  entre  ses  bras)  était 
autrefois  une  locution  très  employée. 

carra  )  carre:  Cinquante  carre  (Roland,  v.  33,  131,  186). 

calceamenta  )  c/jaucemen/e;  Gardez  es  pies  ait  caucemente 
(voir  Godefroy). 

digita  >  deie,  doie:  Deus  doie  (Aiol,  v.  6855;  Chevaliers  as 
deus  espées,  v.  9314). 

dupla  )  double:  Set  duble  (Psautier  d'Oxford). 

m  il  lia  >  mile:  Vint  mille  humes  (Roland,  v.  13).  Cinquante 
mille  (ib.,  v.  1919). 

paria  >  paire:  Cent  paire  (Mâtzner,  Altfr.  Lieder,  n°  3,  v.  25). 

sextaria  >  sestïère:  voir  N.  de  Wailly,  Langue  de  Joinville, 
p.  41,  et  Godefroy. 

Les  formes  en  -e,  qui  faisaient  disparate  avec  tous  les  autres 
pluriels,  ont  vite  disparu;  les  unes  sont  mortes,  les  autres  ont 
été  munies  d'un  s:  les  arme  )  les  armes;  on  hésitait  déjà  au 
moyen  âge  entre  carre  et  carres,  sestiere  et  sestieres.  Mille  seul 
a  été  conservé  intact  jusqu'à  nos  jours. 

Remarque.  Des  traces  plus  nombreuses  du  neutre  pluriel  en  -a  se  trouvent 
en  italien  qui  en  a  conservé  un  certain  nombre  jusqu'à  nos  jours:  il  braccio 
—  le  hraccia,  il  corno  —  le  corna,  il  dilo  —  le  dita,  il  membro  —  le  mem- 
bra,  etc.,  etc.  Les  nouvelles  formations  analogiques  ne  manquent  pas:  à  côté 
de  il  legno  —  le  legna,  on  a  il  legno  —  i  legni  et  la  legna  —  le  legne. 

V.  INDÉCLINABLES. 

264.  Tous  les  mots  dont  le  radical  se  termine  par  s  ou  z, 
sont  indéclinables.  Exemples:  Cors  (cursum),  nés  (nasum), 
ors  (u  r  s  u  m) ,  pas  (p  a  s  s  u  m),  uers  (v  e  r  s  u  m),  meis  (m  e  n  s  u  m), 


191 

cors  (corpus),  fiens  (fi  m  us),  oes  (opus),  tens  (te  m  pu  s). 
Braz  (bracchium),  laz  (*laceum,  pour  laqueum),  croiz 
(crucem),  voiz  (vocem),  feiz  (vice m),  souriz  (soricem), 
fonz  (fondus,  -eris),  lez  (latus),  piz  (pectus),  etc.  Bas 
(bassus),  fais  (falsus),  gras  (crassus),  gros  (grossus),  et 
tous  les  adjectifs  en  -eis  (-ois)  et  en  -os:  curteis,  angleis,  daneis, 
franceis,  amoros,  joios,  etc.;  tierz  (tertius),  dolz,  etc. 

Remarque.  Par  la  force  de  l'analogie  nous  voyons  parfois  ces  mots  se 
régler  sur  le  type  murs  (§  252)  et  en  adopter  la  déclinaison  :  le  s  du  thème 
est  pris  pour  le  s  de  la  flexion,  et  on  l'éloigné  du  cas  régime  singulier  et  du 
cas  sujet  pluriel.  On  trouve  ainsi  ver,  refu,  abi,  etc.  pour  vers  (ver  s  uni), 
refus  (tiré  de  refuser),  abis  (abyssum).  Exemples:  Seignors,  oez  chançon 
dont  li  ver  sunt  bien  fait  (Orson  de  Beauvais,  v.  1)  Onques  ne  me  fist  refu 
(Auberee,  v.  158).  Devers  l'abi  (Vers  del  juïse,  v.  240). 


VI.    SORT   DE   LA   FINALE. 

265.  L'addition  du  s  amène  en  certains  cas  des  changements 
phonétiques  qu'il  faut  examiner  à  part.  Si  le  mot  se  termine 
par  une  consonne,  celle-ci  peut  s'amuïr  (§  266)  ou  se  changer 
en  voyelle  (§  267);  elle  peut  aussi  modifier  le  s  ou  se  com- 
biner avec  lui. 

266.  Amuïssement  de  la  consonne.  Si  la  consonne  finale  est 
une  labiale,  une  palatale,  une  nasale  appuyée  ou  une  latérale, 
elle  s'amuït  devant  le  s  de  flexion  (comp.  I,  §  314,  i): 

l^'  Labiale  (p,  f)  -\-  s.  Voici  la  déclinaison  de  drap  (blat. 
drappum),  gap  (subst.  verbal  tiré  de  gaber  <  vnorr.  gab- 
ban),  buef  {\at  bovem),  cer/"  (lat.  cervum): 

SINGULIER. 

Cas  sujet        dras        gas         bues        cers 
Cas  régime    drap        gap        biief        cerf 

PLURIEL. 

Cas  sujet        drap        gap        buef        cerf 
Cas  régime     dras        gas        bues        cers 

On  trouve  de  même:  baillis  —  baillif  (dér.  de  baillir),  bries 
—  brief  (brevem),  chies  —  chief  (capum),  des  —  clef  (cla- 
vem),  nés  —  nef  (navem),  nés  —  nef  (napum),  neis  —  neif 


sas 

ses 

sac 

sec 

sac- 

sec 

sas 

ses 

192 

(nivem),  nues  —  niief  (novum),  sans  —  sauf  (salvum),  sers 
—  ser/"  (servum),  ues — uef  (ovum),  vis  —  vif  {\\vum),  etc. 

2"  Palatale  (c)  +  s.    Voici    comment    se    déclinaient   blanc 

(vha.    blanch),   clerc   (clericum),  sac   (sac eu  m),  sec  (sic- 

c  u  m)  : 

SINGULIER. 

Cas  sujet         Mans        clers 
Cas  régime     blanc        clerc 

PLURIEL. 
Cas  sujet        blanc        clerc 
Cas  régime     blans         clers 

De  la  même  manière  se  déclinaient:  ars  —  arc  (arcum), 
hors  —  bore  (burgum),  cos  —  coc,  dus  —  duc  (tiré  de  ducs 
<  dux),  eschas  —  eschac  (germ.  scac),  frans  —  franc  (fran- 
cum),  grès  —  grec  (graecum),  pis  —  pic,  sans  —  sanc 
(*sanguem),  turs  —  turc,  etc.  L'amuïssement  du  c  est  d'an- 
cienne date;  nous  en  trouvons  le  premier  exemple  dans  le 
glossaire  de  Cassel  (I,  §  12),  qui  donne  au  n"  106  la  forme 
toute  française  pis. 

3"  Nasale  appuyée  (m  n)  +  s.  Il  faut  remarquer  que  m  dis- 
paraît sans  laisser  de  trace,  tandis  que  n  ne  s'amuït  pas  com- 
plètement; il  perd  sa  nasalité,  mais  l'articulation  dentale  reste 
et  se  combine  avec  s,  d'où  résulte  un  z.  Voici  la  déclinaison 
de  ferm  (firmum),    verm   (verm e m),    charn   (carnem),  jorn 

(diurnum): 

SINGULIER. 


Cas 

sujet 

fers         vers 

charz 

jorz 

Cas 

régime 

ferm       verni 
PLURIEL. 

charn 

jorn 

Cas 

sujet 

ferm       verm 

charn 

jorn 

Cas 

régime 

fers         vers 

charz 

jorz 

De  la  même  manière  se  déclinaient  enferm  (infirmum), 
corn  (cornu),  forn  (furnum),  hivern  (hibernum),  torn  (dér. 
de  torner),  etc.  ;  à  la  finale  on  hésite  entre  s  et  z. 

Remarque.  Notez  que  le  m  non  appuyé  devient  n  sous  l'influence  régres- 
sive du  s.  Ainsi  campus,  campos  >  chans,  flumen  ( -j- s)  >  fluns,  etc. 


193 


4*^  Latérale  (l  et  /  mouillé)  -\-  s.  Il  faut  remarquer  que  [1] 
ne  disparaît  qu'après  i  et  u,  et  que  le  s  final  se  change  en  z 
[ts]  après  [À].  Nous  citerons  comme  exemples  fil  (filum),  nul 
(nullum),  fil  (filium),  gril  <  greïl  (*graticulum),  lil  (li- 
1  i  u  m)  : 


Cas  sujet        fis 
Cas  régime     /// 


Cas  sujet        fil 
Cas  régime     fis 


singulip:r. 

nus       fiz 

greïz 

Hz 

nul         fil 

greïl 

lil 

PLURIEL. 

nul    .      fil 

greïl 

lil 

nus         fiz 

greïz 

Hz 

267.  Vocalisation  de  la  consonne.  Si  la  consonne  finale  du 
thème  est  l  ou  l  mouillé,  elle  se  change  en  u  (pour  les  excep- 
tions, voir  §  266,  4). 

1^  L  devient  u  après  a,  è,  é  et  ô  (I,  §  342,  343).  Voici  la 
déclinaison  de  cheval  (ca  bal  lu  m),  bel  (bellum),  ciel  (cae- 
lum),  chevel  (capillum),  col  (col  lu  m): 

SINGULIER. 

Cas  sujet        chevaus 
Cas  régime     cheval 


beaiis 

cieus 

cheveus 

cous 

bel 

ciel 

chevel 

col 

PLURIEL. 

bel 

ciel 

chevel 

col 

beaiis 

cieus 

cheveus 

cous 

Cas  sujet        cheval 
Cas  régime     chevaus 

2"  L  mouillé  devient  u  après  a,  è,  é,  ue,  6.  La  réduction  de 
[À]  à  [u]  est  accompagnée  d'un  changement  du  s  final  en  z. 
Voici  la  déclinaison  de  travail  (trepalium),  vieil  (vetulum), 
soleil  (*soliculum),  dueil,  genoil  (*genuculum): 


SINGULIER. 

Cas 

sujet 

travauz 

vieuz         soleuz 

duez 

genoz 

Cas 

régime 

travail 

vieil          soleil 
PLURIEL. 

dueil 

genoil 

Cas 

sujet 

travail 

vieil          soleil 

dueil 

genoil 

Cas 

régime 

travauz 

vieuz        soleuz 

duez 

genoz 

268.  Modification  du  s  flexionnel.  On  trouve  z  [ts]  au  lieu 
de  s,  quand  la  consonne  finale  du  thème  est  /,  d,  n,  l  mouillé, 

13 


194 

n  mouillé.   Voici  la  déclinaison   de  fruit  (fructum),   nu   (nu 
du  m),  jorn  (diurnum),  travail  (trepalium),  coin  (eu ne  uni) 


singulip:r. 

Cas 

sujet 

fruiz 

nuz        jorz 

travaux 

coin 

Cas 

régime 

fruit 

nu         jorn 
PLURIEL. 

travail 

coin 

Cas 

sujet 

fruit 

nu          jorn 

travail 

coin 

Cas 

régime 

fruiz 

nuz        jorz 

travauz 

coin 

Remarque.  Au  XIII^  siècle,  l'affriquée  z  [ts]  se  réduit  à  une  simple  sif- 
flante s  [s],  de  façon  que  forz,  fruiz,  venz,  granz,  anz,  corz,  bainz,  coinz,  fiz, 
travauz  deviennent  fors,  fruis.  vens,  grans,  ans,  cors,  bains,  coins,  fis.  tra- 
vaus. 


VII.    DÉVELOPPEMENT   ANALOGIQUE. 

269.  Nous  avons  déjà  vu  comment  s  par  la  force  de  l'ana- 
logie est  devenu  peu  à  peu  le  trait  caractéristique  de  la  flexion 
de  tous  les  noms  masculins  et  de  ceux  des  substantifs  fémi- 
nins qui  ne  se  terminent  pas  par  un  e  atone.  Cette  extension 
de  la  déclinaison  en  -s  se  manifeste  des  deux  manières  sui- 
vantes : 

1°  5  a  été  ajouté  à  des  nominatifs  qui  n'en  avaient  pas  en 
latin.  Le  type  murs  —  mur  a  entraîné  pères  —  père  (§  254), 
leres  —  1ère,  ons  —  ome,  bers  —  baron,  ber  (voir  §  272),  etc., 
et  flors  —  flor,  maisons  —  maison  (§  249, 2),  etc. 

2^,  S  a  été  enlevé  à  l'accusatif  singulier  et  au  nominatif  plu- 
riel des  indéclinables  (voir  §  264,  Rem.).  Le  type  murs  —  mur 
a  entraîné  vers  —  ver. 


270.  L'analogie  rapproche  aussi  constamment  les  formes 
flexionnelles  du  même  mot  différenciées  par  le  développement 
phonétique.  Tantôt  c'est  la  forme  du  cas  sujet  qui  est  refor- 
mée sur  celle  du  cas  régime,  tantôt  c'est  l'inverse  qui  a  lieu. 
En  voici  quelques  exemples: 

1°  La  voyelle  du  cas  sujet  singulier  est  changée  sur  le  mo- 
dèle de  celle  du  cas  régime.  Ainsi,  à  côté  de  la  forme  étymo- 
logique Gueiie,  on  crée  Gane(s)  sur  Ganelon,  altération  de  Guene- 
lon  (germ.  Wenilon). 


195 

2"  La  consonne  finale  du  cas  régime  singulier  et  du  cas 
sujet  pluriel  disparaît  dans  un  certain  nombre  de  mots  sous 
l'influence  des  formes  munies  du  s  de  flexion  devant  lequel 
elle  s'était  amuïe.  Ainsi  les  formes  primitives  verm,  charn, 
corn,  enfern,  forn,  hivern,  jorn,  torn,  genoil,  verroil,  etc.,  sont 
remplacées  par  les  formes  analogiques  ver,  char,  cor,  enfer,  for, 
hiver,  jor,  tor,  genou,  verrou,  etc.,  créées  sous  l'influence  de 
vers,  charz,  corz,  enferz,  forz,  hiverz,  jorz,  torz,  genoz,  verroz. 

3^  La  consonne  finale  du  cas  régime  singulier  (et  du  cas 
sujet  pluriel)  est  réintroduite  devant  le  s  flexionnel  où  elle  s'é- 
tait d'abord  amuïe  (§  266).  C'est  ainsi  qu'on  remplace  dras, 
bues,  ars,  sas,  nus,  fis,  par  draps,  bucfs,  arcs,  sacs,  nuls,  fds, 
reformés  sur  drap,  buef  arc,  sac,  nul,  fû. 

271.  C'est  aussi  grâce  à  la  force  toute -puissante  de  l'ana- 
logie que  disparaissent  différentes  particularités  qui  distinguent 
certains  groupes  de  mots.  Examinons  comme  exemples  les 
mots  dont  le  cas  sujet  singulier  se  terminait  dans  la  vieille 
langue  en  -anz  (-ans);  ils  avaient  au  cas  régime  singulier  soit 
-ant  soit  -an;  à  côté  de  granz  grant  grant  granz,  on  avait  nor- 
manz  norman  norman  normanz.  La  concordance  des  deux 
formes  amène  l'aplanissement  des  différences  qui  distinguent 
les  deux  autres,  et  l'analogie  ajoute  un  t  au  deuxième  groupe, 
ou  fait  disparaître  le  t  du  premier  groupe. 

1"  Addition  d'un  t.  A  côté  des  formes  étymologiques  dan 
(dominum),  faisan  (phasianum),  tiran  (tyran num),  on 
trouve  dant,  faisant,  tirant  (encore  conservé  dans  l'angl.  ty- 
rant);  on  avait  également  alenian  (A  le  m  an  nu  m)  et  alemant 
(Rou,  II,  V.  3255),  esturman  (néerl.  estuurman)  et  esturmant, 
norman  et  normant,  persan  et  persant,  soudan  et  soudant,  même 
Jehan  et  Jehant  (Ste  Juliane,  v.  628),  Priam  et  Priant  (R.  de 
Troye,  v.  184),  etc. 

2"  Disparition  du  t.  Ce  phénomène  est  bien  moins  fréquent; 
il  se  montre  dans  paisanz  —  paisant  (pour  païsenc),  devenu 
paisanz — paisan.  Rappelons  aussi  élan  et  roman(t),  pour  eslanz 
(subst.  verb.  tiré  de  es/a/jc/er)  et  romanz  (*romanice).  Comp. 
§§  400,  413, 2,  416, 1. 

272.  L'analogie  joue  aussi  un  rôle  important  dans  le  dé- 
veloppement des  imparisyllabiques.  Tantôt  le  cas  sujet  singu- 

13* 


196 

lier  est  reformé  sur  les  autres  formes  plus  longues,  tantôt  il 
sert  de  base  lui-même  à  de  nouvelles  formes.  Citons  comme 
exemple  ber  (baro)  dont  nous  donnerons 


déclinaison  primitive: 

et  la  déclini 

:iison 

analogique 

ber 

barons 

OU 

bers 

baron 

baron 

ber 

baron 

baron 

ber 

barons 

barons 

bers 

273.  GÉNÉRALISATION  DE  LA  FORME  COURTE.  Exemples: 

Abe  pour  abbé:  Par  un  saint  abe  qi  la  pais  i  a  mise  (Raoul 
de  Cambrai,  v.  5560). 

Ancestre  pour  ancessor:  Bien  conneustes  mon  ancesire  (Re- 
cueil général  des  fabliaux,  I,  p.  33,  v.  278). 

Ber  pour  baron:  La  troueres  Rainier  et  Aimer  Et  Gilemer 
l'Escot,  qui  moût  sont  ber  (Aiol,  v.  1400).  Sa  femme  fu  estraite, 
sans  mençonge  parler,  De  Gerbert,  de  Gerin,  de  Malvoisin  le 
ber  (Berte  aus  grans  pies,  v.  89).  De  par  le  conte  dant  Aymeri 
le  ber  (Les  Narbonnais,  v.  333). 

Bri  pour  bricon:  Que  por  musart  te  tieng  je  et  por  bri  (Les 
Narbonnais,  v.  1705). 

Compain  pour  compaignon:  Nus  feimes  mal  Endreit  nostre 
cnmpain  Lanval  (Marie  de  France,  Lanval,  v.  232). 

Emperere  pour  emperëor:  Or  en  ires  en  France,  fiex,  dist  li 
mère,  Seruir  roi  Loeys,  nostre  enperere  (Aiol,  v.  493).  Si  ua 
por  armes  querre  a  l'emperere  (ib.,  v.  1497).  Mes  pur  la  venue 
Vemperere  .  .  .  (Chardry,  Set  Dormant,  v.  90). 

Glout  pour  glouton:  Le  glou  enverse  qui  estoit  estordi  (Ogier 
le  Danois,  v.  587). 

Laire  pour  larron  :  Tant  en  ferai  essorber  et  desfaire.  Et 
pendre  en  haut  as  forches  comme  laire  (Raoul  de  Cambrai, 
V.  1026). 

Mieudre  pour  meillior:  Car  j'ai  ochis  le  mieudre  qui  soit 
jusques  ou  Fart  (Bastart  de  Bouillon,  v.  777).  Et  lor  escuz 
fisent  si  depecier  Q'en  tout  le  mieudre  nen  avoit  tant  d'entier 
(Raoul  de  Cambrai,  v.  4496). 

Ors  pour  Orson:  Ja  fu  elle  famé  Ors  (Orson  de  Beauvais, 
V.  2095). 


197 

Prestre  pour  proveire:  En  l'ostel  au  prestre  (Recueil  des 
Fabliaux,  IV,  p.  90).  Ja  n'avrez  en  la  fin  prestre  (R.  du  Re- 
nart). 

Savere  pour  savëor:  Aiols  reclaime  dieu,  le  vrai  savere  (Aiol, 
V.  773). 

Sire  pour  seignor:  J'irai  a  vos  amis  parler  Et  a  vo  dame 
et  a  vo  sire  (Recueil  des  Fabliaux,  II,  p.  158).  A  tant  es  vous 
a  cez  paroles  Sire  Lanfroi  le  forestier  (R.  du  Renart). 

Suer  pour  seror:  Ensurquetot  si  ai  jo  vostre  soer  (Roland, 
V.  294).  Et  il  n'auoit  ne  suer  ne  frère  (Tyolet,  v.  72).  A  sa  suer 
prent  congie  Berte  qui  ot  cuer  gent  (Berte  aus  grans  pies, 
V.  228).  Quant  il  virent  lor  suer  qui  de  biauté  resplent  (Bas- 
tart  de  Bouillon,  v.  2346).  Un  jor  ot  mandée  s'amie  Chies  sa 
suer  (Bartsch  et  Horning,  p.  619, 7). 

Traître  pour  traïtor.  Et  li  traître  se  vont  agenoillier  (Ogier 
le  Danois,  v.  8229).  Voit  les  traîtres  tôt  entor  arrengier  (ib., 
V.  8295). 

274.  GÉNÉRALISATION  DE  LA  FORME  LONGUE.  Exemples: 

Abé  pour  ahes:  Puis  fu  eslit  sa  bunté  A  Saint  Oein  à  estre 
abbé  (Roman  de  Rou,  II,  v.  2292).  En  sa  cambre  est  un  jor 
l'abbé  (Bartsch  et  Horning,  p.  440,  39). 

Barun  pour  ber:  Deus!  quel  bar  un,  s'oust  chrestientel  (Chan- 
son de  Roland,  v.  3164). 

Bertain  pour  Berte:  De  la  chambre  l'enboute,  Bertain  vint 
moult  en  gré,  K'encore  cuidoit  ele  que  ce  fust  amisté  (Berte 
aus  grans  pies,  v.  437). 

Borguignon  pour  Borgoin:  Li  Borguignon  ot  molt  le  coer 
dolent  (Bartsch  et  Horning,  p.  138, 20). 

Empereor  pour  emperere:  Charles  de  France,  le  mainne  em- 
pereor,  Tint  cort  moût  riche  a  Paris  par  vigor  (Les  Narbon- 
nais,  V.  11). 

Félon  pour  fel:  Que  ne  m'ocie  cist  Sarrazins  félon  (Couronne- 
ment de  Louis,  v.  .1024). 

Quions  pour  Gui:  Bauduins  li  Flamans,  li  Bolonnois  Guions 
(Orson  de  Beauvais,  v.  3241). 

Meillor  pour  mieudre:  Mes  nule  part  n'en  remest  nul  mellor 
Que  a  Nerbone  Aymeri  le  contor  (Les  Narbonnais,  v.  19). 

Mener  pour  moindre:  Guibert  l'avra,  car  il  est  le  menor  (Les 
Narbonnais,  v.  57). 


198 

Neveuz  pour  nies:  Et  auec  elz  i  vint  ses  neveux  Jocerans 
(Orson  de  Beauvais,  v.  2090). 

Oton  pour  Otes:  Et  Jocerans,  et  de  Police  Oton  (Aimeri  de 
Narbonne,  v.  1547). 

Poîgnëor  pour  poignière:  C'est  Aymeris,  le  noble  pongnëor 
(Aimeri  de  Narbonne,  v.  2436). 

Seignor  pour  sire:  Qant  Aymeris,  mon  seignor  droiturier, 
S'en  revendra  (Aimeri  de  Narbonne,  v.  3672). 


VIII.  DISPARITION    DE    LA   DÉCLINAISON. 

275.  Grâce  aux  assimilations  que  nous  venons  de  mention- 
ner, la  différence  phonétique  des  formes  flexionnelles  se  réduit 
peu  à  peu.  Ordinairement  c'est  l'accusatif,  le  cas  le  plus  em- 
ployé, qui  impose  sa  forme  au  nominatif,  et  il  finit  par  le 
remplacer  tout  à  fait.  Nous  avons  déjà  cité  plusieurs  exemples 
montrant  l'emploi  du  cas  régime  pour  le  cas  sujet;  en  voici 
quelques  autres  :  Tu  ies  tôt  fol  (Recueil  de  fabliaux,  IV,  90). 
A  vos  le  di,  Bernart;  q'estes  Vainné  (Les  Narbonnais,  v.  85). 
Aymeris  fu  do  mengier  levé  (ib.,  v.  3846),  etc.,  etc.  Vers  la  fin 
du  moyen  âge  les  quatre  formes  murs  mur  —  mur  murs  sont 
réduites  à  mur  —  murs:  on  n'a  plus  qu'une  forme  pour  chaque 
nombre,  et  avec  la  disparition  des  anciennes  formes  du  nomi- 
natif, le  s,  qui  était  déjà  le  trait  caractéristique  du  pluriel  des 
noms  féminins,  le  devient  aussi  pour  les  masculins. 

276.  A  partir  du  commencement  du  XIW^  siècle,  on  peut 
dire  que  la  déclinaison  à  deux  cas  n'existe  plus  dans  la  langue 
parlée.  Pourtant,  la  langue  écrite  conserve  encore  longtemps  le 
s  flexionnel,  mais  on  l'ajoute  ou  on  l'omet  à  tout  hasard.  Dans 
son  introduction  grammaticale  à  la  vieille  traduction  de  la 
Chirurgie  de  maître  Henri  de  Mondeville  (datée  de  1314), 
M.  Bos  remarque:  »La  déclinaison  à  deux  cas,  sujet  et  régime, 
telle  qu'elle  existait  encore  au  XIII*'  siècle,  est  déjà  presque 
éteinte.  Les  exemples  dans  notre  traduction  en  sont  si  rares, 
si  douteux  qu'on  pourrait  les  considérer,  pour  ainsi  dire, 
comme  des  fautes  à  côté  de  l'immense  majorité  des  passages 
où  il  n'existe  pas  trace  de  déclinaison.  On  dirait  que  notre 
traducteur   a   un   vague    souvenir    qu'il  y  avait   des  cas  où  il 


199 

fallait  un  s  et  d'autres  où  il  n'en  fallait  pas.  Mais  quels  étaient 
ces  cas,  il  semble  rignorer«  (I,  p.  XXIX).  Cette  hésitation 
continue  longtemps.  Dans  les  «Quinze  joies  de  mariage  «  on 
écrit  indifféremment  le  jeunes  homs  (p.  12,  33),  nulz  sages  homs 
(p.  31),  le  jeune  homs  (p.  99),  le  pauvre  homs  (p.  35),  le  bon 
homs  (p.  116),  le  bon  homme  (p.  163),  jolis  et  gaillart  maintien 
(p.  30),  etc.,  etc.  Tout  ouvrage  du  XV*=  et  du  commencement 
du  XVP  siècle  offre  des  exemples  pareils  en  masse.  La  bal- 
lade que  Villon  essaie  d'écrire  »en  vieil  françois«  nous  montre 
aussi  à  quel  point  on  méconnaît  l'ancienne  déclinaison.  En 
voici  la  deuxième  strophe: 

Voire,  où  sont  de  Constantinohles 
L'emperier  aux  poings  dorez, 
Ou  de  France  ly  roys  très  nobles. 
Sur  tous  autres  roys  décorez, 
Qui,  pour  ly  grand  Dieux  adorez, 
Bastist  églises  et  convens? 
S'en  son  temps  il  fut  honorez, 
Autant  en  emporte  ly  vens. 

Remarque.  Rappelons  que  l'ancien  nominatif  Dieus  ou  Dieux  (de us)  est 
conservé  jusqu'au  commencement  du  XVI I«  siècle  dans  la  locution  toute  faite 
ainsi  m'ayde  Dieux,  altérée  en  medieus,  midieus.  Au  XVI<=  siècle  on  a  quelque- 
fois pris  Dieux  pour  un  pluriel. 

277.  On  conserve  aussi  un  petit  nombre  des  nominatifs  des 
imparisyllabiques,  mais  eux  aussi  s'emploient  indifïéremment 
comme  sujet  et  comme  régime:  Lte/re  (Patelin,  v.  1502),  trom- 
perre  (ib.,  v.  760),  fouterre  (Villon,  Gr.  Test.,  n«  LXXXI),  Ganes 
(Nouveau  Patelin,  v.  754;  Ane.  théâtre  français,  II,  44,  48), 
tricherre  (J.  du  Bellay),  etc.  Comp.  la  combinaison  mon  sire  et 
seigneur  (Mystère  d'Adrien,  éd.  Picot,  v.  1934). 


IX.  DES   NOMINATIFS   CONSERVÉS. 

278.  La  langue  moderne  a  conservé  la  forme  du  nominatif 
dans  un  petit  nombre  de  mots.  Ce  sont  surtout  des  substan- 
tifs désignant  des  êtres  vivants  et  dont  le  nominatif,  qui  ser- 
vait aussi  de  vocatif,  par  cette  raison  a  été  plus  employé  que 
l'accusatif;  ensuite  une  exclamation  à  demi  savante  (los)  et 
quelques   adjectifs.    Mais  il   ne   faut  pas  oublier  que  dans  ces 


200 

mots,  on  n'a  conservé  que  la  forme  du  nominatif,  non  la 
fonction:  chantre,  par  exemple,  remonte  à  cantor,  mais  s'em- 
ploie indifféremment  comme  sujet  et  comme  régime  verbal  ou 
prépositionnel.  Deux  mots  seuls  font  exception:  on,  qui  a  con- 
servé sa  fonction  de  nominatif,  et  sire,  qui  sert  seulement  de 
vocatif. 

279.  Le  s  flexionnel  du  cas  sujet  a  été  conservé  dans: 
1®  Quelques  noms  de  personnes  :  Charles  (Carolus),  Georges 
(Georgius),  Gilles  (vEgidius),  Jacques  (Jacobus),  Jules  (Ju- 
lius),  Louis;  au  XVII*'  siècle  on  trouve  aussi  Philippes  (Phi- 
lippus).  La  forme  de  ces  mots  a  été  flottante.  Ménage  re- 
marque (Observations,  p.  319):  «Monsieur  de  Vaugelas  permet 
de  dire  Philippe  &  Philippes  indifféremment.  Mais  il  veut  qu'on 
dise  toujours  Charles,  Jaques,  Jules,  &  jamais  Charle,  Jaque, 
Jule.  Je  ne  suis  pas  de  son  avis.  Je  croy  qu'on  peut  aussi 
bien  dire  Charle,  Jaque,  Jule,  que  Philippe;  et  particulièrement 
en  vers.  Baïf  livre  4.  de  ses  Passe-temps  a  dit  Charle: 

Charle  est  puissant,  adroit,  courageux,  valeureux. 

Et  M.  Maynard  dans  un  de  ses  Sonnets  au  Cardinal  Mazarin, 
a  dit  Jule: 

Jule,  à  qui  l'avenir  se  montre  de  si  loin.« 

Ces    formes,    qui    s'expliquent  selon  I,  §  283,    se  retrouvent 
dans  les  poètes  modernes  : 

(rest  celui  qui  n'est  plus.  —  Charle  était  mon  ami. 
(Musset,  Premières  poésies,  p.  248.) 

—  —  Qui  jamais  mieux  que  Charle 

Prouva  son  éloquence  à  l'heure  où  le  bras  parle? 

(ib.,  p.  249.) 

—  Vraiment?  répondit  Jacque;  eh  bien,  ma  chère  amie  . .  . 

(Musset,  Rolla.) 

Le  bon  roi  Charle  est  plein  de  douleur  et  d'ennui. 

(V.  Hugo,  Aymerillot.) 

Le  pauvre  du  chemin  creux  chante  et  parle, 
11  dit:  Mon  nom  est  Pierre  et  non  pas  Charle. 

(P.  Verlaine.) 


201 

Far  saint  Gille, 

Viens-nous-en, 

Mon  agile 

Alezan.  (V.   Hugo,  Ballades,  n»  12.) 

En  prose,  on  hésite  entre  Georges  et  George. 

2°  Les  noms  communs  suivants: 

Fils;  en  vfr.  fi(IJz  <  filius,  et  ///  [fiÀ]  <  filium;  l'ancien 
accusatif  s'est  conservé  dans  plusieurs  patois  et  se  trouve  sou- 
vent dans  les  chansons  populaires  sous  la  forme  de  //;  »Mon 
//,  quand  la  f'ras  tu  mouri?«   (Bujeaud,  Recueil,  II,  231). 

Los,  acclamation  poussée  à  l'arrivée  des  rois  ou  autres 
grands  personnages:  Los  aux  dames!  Au  roi  los!  (V.  Hugo, 
Ballades,  n"  12).  Le  mot,  qui  est  vieilli  maintenant,  vient  de 
laus,  et  non  de  laudes  (Dict.  gén.),  qui  aurait  donné  loz. 

Preux  (pour  preus);  en  vfr.  preuz,  et  au  cas  régime  preu  < 
lat.  pop.  *prodem. 

Queux  (pour  queus);  en  vfr.  qiieiis,  et  au  cas  régime  queii  < 
*cocum,  altération  de  coquum  (cf.  I,  §  411,»). 

Vieux  (pour  uieus);  en  vfr.  vieuz,  et  au  cas  régime  vieil  <( 
veclum,  altération  de  vetulum  (cf.  I,  §  383,  Rem.). 

280.  On  a  cru  trouver  des  traces  du  s  flexionnel  dans  plu- 
sieurs noms  de  choses;  c'est  une  erreur.  Tous  les  exemples 
cités,  dont  nous  allons  examiner  les  principaux,  sont  à  expli- 
quer autrement: 

Appas  est  une  ancienne  orthographe  pour  appâts,  pluriel  de 
appât;  c'est  par  une  erreur  que  appas  a  été  pris  pour  un  sin- 
gulier (cf.  §  365). 

Fonds  remonte  au  neutre  latin  f  un  dus  -eris;  le  doublet 
fond  remonte  à  fundum. 

Lacs  pour  l'ancien  las,  laz  (de  "^4 a  ce  uni  pour  laqueum) 
est  une  mauvaise  orthographe  due  à  l'influence  du  verbe  lacer; 
au  moyen  âge,  laz  était  indéclinable  (cf.  §  264). 

Legs  est  un  substantif  verbal  de  laisser;  on  écrivait  autre- 
fois lais  ou  leis.  L'orthographe  vicieuse  moderne  est  due  à  une 
étymologie  populaire  (I,  §  528  ss.)  qui  a  rapporté  le  mot  au 
verbe  léguer. 

Lez  remonte  au  neutre  la  tu  s  -eris. 

Lis,  pour  Hz  est  un  pluriel  qui  s'est  dégagé  de  la  locution 
fleur  de  lis,  le  blason  des  rois  de  France;  le   vrai   singulier  lil 


202 

(I,  §  354)  a  été  remplacé  de  bonne  heure,  comme  le  montrent 
les  vers  suivants:  Del  nés  bien  fait  et  del  cler  vis,  Ou  la  rose 
cuevre  le  lis  {Cligès,  v.  818). 

Puits  est  une  orthographe  savante  qui  a  remplacé  l'ancien 
puis,  puiz,  de  put  eu  m  (comp.  I,  §  474). 

Rets,  pour  rais  (comp.  I,  §  159),  est  originairement  un  plu- 
riel remontant  à  retes;  le  singulier  rei,  roi  (retem)  a  dis- 
paru. 

281.  Des  imparisyllabiques  on  a  conservé  les  nominatifs  sui- 
vants: 

Ancêtre  (antecessor);  le  régime  ancesseur  a  disparu. 

Chantre  (cantor);  le  doublet  chanteur  est  ou  l'ancien  ac- 
cusatif chantor  (cantorem)  ou  l'ancien  accusatif  chanteor 
(cantatorem)  ou  un  dérivé  du  verbe  chanter. 

Copain  (*cumpanio),  altération  familière  de  comjoam,  dont 
se  sert  encore  Garnier:  La  femme  vous  serez  d'un  puissant 
empereur,  De  Charles  le  compaing  (Bradamante,  v.  532).  A 
côté  du  nominatif  s'est  aussi  conservé  l'accusatif  compagnon; 
il  y  a  eu  différenciation  du  sens. 

Cuistre  est  peut-être  une  altération  du  vfr.  coustre  du  lat. 
*custor  (comp.  ail.  Kiister)  pour  custos;  custode  (custo- 
de m)  est  un  mot  d'emprimt. 

Gars  (d'origine  inconnue);  on  a  aussi  conservé  le  cas  ré- 
gime garçon. 

Gerfaut,  mauvaise  orthographe  pour  gerfauc,  plus  ancienne- 
ment gerfalc,  composé  avec  l'anc.  haut  ail.  gîr,  vautour,  et 
falc,  ancien  nominatif  de  falcon  (§  258). 

Gindre,  altération  du  vfr.  joindre  ou  juindre,  jeune  garçon, 
du  lat.  pop.  *jrinior,  pour  junior.  Ménage  remarque:  »Ce 
mot  semble  avoir  été  fait  de  gêner:  les  garçons  des  boulan- 
gers, &  de  tels  autres  gens  de  métier,  devenant  souvent  leurs 
gendres  «. 

Glout  (glutto),  dont  se  sert  encore  La  Fontaine,  est  l'an- 
cien cas  sujet  de  glouton. 

Maire  vient  de  major  (comp.  le  composé  vimaire,  de  vis 
major).  On  trouve  aussi  une  forme  provençale  maje  dans 
l'ancien  terme  juge  maje  (ou  mage),  doublet  de  juge  maire. 
L'ancien  accusatif  maieur  se  trouve  encore  dans  Cotgrave 
(1611);  les  doublets  majeur  et  major  sont  des  mots  empruntés. 


203 

Moindre,  pour  mendre  (I,  §214,  498,2),  de  minor;  l'ancien 
accusatif  menor  de  minorem  a  disparu;  on  n'a  plus  que  le 
mot  d'emprunt  mineur  (I,  §  162). 

On  <  homo;  le  cas  régime  correspondant  homme  (ho mi- 
ne m)  s'est  conservé,  mais  il  y  a  eu  différenciation  de  l'em- 
ploi des  deux  mots:  on  ne  sert  plus  que  de  pronom  indéfini. 
Il  faut  d'ailleurs  remarquer  que  on,  ayant  conservé  sa  valeur 
de  nominatif,  est  toujours  employé  comme  sujet  de  la  pro- 
position. Comp.  le  nom  propre  Prud'hon,  autrefois  preud'hom 
(Myst.  de  St.  Laurent,  v.  4354). 

Pâtre  <  vfr.  pastre  <  pastor;  l'ancien  accusatif  pastor 
«  pas  tore  m),  qui  serait  maintenant  pâleur,  a  disparu. 

Peintre  <(  lat.  pop.  *  pin  et  or  pour  pictor;  le  cas  régime 
peinteur  a  disparu. 

Pire  <  pejor;  le  cas  régime  pieur  a  disparu. 

Prêtre  <  vfr.  prestre  <  presbyte  r;  le  cas  régime  provoire 
(presbyterum)  ne  s'est  conservé  que  dans  le  nom  de  la 
Rue  des  Prouvaires  à  Paris. 

Sire  <  senior  (I,  §  520);  les  formes  de  l'accusatif  seigneur 
et  sieur  se  sont  aussi  maintenues.  Il  y  a  eu  différenciation 
d'emploi. 

Sœur  <(  vfr.  suer  {  soror;  l'accusatif  seror  a  disparu. 

Traître  <  vfr.  traître  <  traditor  (I,  §  137,2,  275);  le  cas  ré- 
gime traïtor  a  disparu. 

Remarque.  Rappelons  que  rancien  nominatif  des  mots  en  -ère  —  -eor 
(§  259)  s'est  conservé  dans  les  formes  féminines  en  -eresse;  ainsi  enchanteresse 
est  un  composé  de  enchantere  et  le  suffixe  -esse  (§  423);  en  outre  dans 
quelques  noms  de  personne,  p.  ex.  Gagnières.  Citons  enfin  trouvère  qui  est 
un  mot  d'emprunt  tout  récent  (cf.  I,  §  83). 


CHAPITRE  III. 

LE   SINGULIER  ET   LE   PLURIEL. 


I.   SIGNES   DU   PLURIEL. 

282.  Par  la  disparition  du  cas  sujet  (§  275),  s  devint  la 
lettre  caractéristique  du  pluriel  des  noms  masculins,  comme  il 
l'était  déjà  des  noms  féminins  (§  249).  A  côté  de  chose  — 
choses,  mère  —  mères,  bonne" —  bonnes,  pure  —  pures,  on  a 
dès  le  XIV  siècle  mur  —  murs,  baron  —  barons,  bon  —  bons, 
pur  —  purs,  fort  —  forts,  etc. 

283.  A  côté  de  s,  on  emploie  aussi  x  comme  signe  du  plu- 
riel. Au  moyen  âge,  le  groupe  latin  ou  français  hs  s'écrivait 
par  un  signe  abréviatif  spécial,  qui  finit  par  se  confondre 
avec  la  lettre  x;  de  là  les  graphies  diex,  chevax,  etc.,  pour 
dieus,  chevaus.  Peu  à  peu  on  oubliait  la  fonction  primitive  de 
X  ;  comme  on  entendait  un  u,  on  le  rétablissait  dans  l'écriture, 
tout  en  gardant  le  x,  d'où  les  graphies  curieuses  dieux,  chevaux, 
etc.;  de  cette  manière  x  a  fini  par  être  considéré  comme  une 
marque  particulière  du  pluriel  remplaçant  s  après  u.  Aux  XV^ 
et  XVI'^  siècles  on  écrit  chevaulx,  où  le  /  vocalisé  est  représenté 
trois  fois. 

Remarque.  Au  moyen  âge,  comme  plus  tard,  on  a  parfois  substitué  x  à 
s,  comme  signe  du  pluriel,  après  d'autres  voj'elles  que  u,  et  l'incertitude  dure 
jusqu'à  l'époque  classique.  Racine  écrit  encore  loix  (Andromaque,  v.  116). 

284.  La  langue  moderne  emploie  .r  comme  signe  du  pluriel 
dans  les  terminaisons  -aux,  -eaux,  -eux,  -oux. 

P  Aux,  pluriel  des  mots  en  -al,  -au,  -ail.  Exemples:  cheval 
— .  chevaux;  tuyau  —  tuyaux;  travail  —  travaux,  etc.  Un  seul 


205 

mot  fait  exception,  le  mot  d'emprunt  moderne  /anc/aw.  (ail. 
Landau,  le  nom  de  la  ville  où  ces  voitures  ont  d'abord  été 
fabriquées),  dont  le  pluriel  est  landaus. 

2°  Eaux,  pluriel  des  mots  en  -eau.  Exemples:  Chapeau  — 
chapeaux,  manteau  —  manteaux,  beau  —  beaux,  etc.  Cette 
règle  ne  souffre  pas  d'exception. 

3*^  Eux,  pluriel  des  mots  en  -eu.  Exemples:  Cheveu  —  che- 
veux, feu  (focum)  —  feux,  lieu  —  lieux,  neveu  —  neveux, 
pieu  —  pieux,  vœu  —  vœux,  etc.  Font  exception  alleu  —  al- 
leus,  bleu  —  bleus,  feu  (de  *fatutum;  I,  §  276)  —  feus,  et  le 
mot  tout  moderne  pneu  —  pneus. 

4^  Oux,  pluriel  des  mots  suivants  en  ou:  Bijou  —  bijoux, 
caillou  —  cailloux,  chou  —  choux,  genou  —  genoux,  hibou  — 
hiboux,  joufou  —  joujoux,  pou  —  poux.  Les  autres  noms  en 
-ou  prennent  s:  sou  —  sous,  trou  —  trous,  chou — chous,  clou  — 
clous,  fou  —  fous,  etc.;  les  zoologistes  commencent  aussi  à 
écrire  hibous  pour  hiboux. 

285.  Autrefois  z  s'employait,  en  certains  cas,  au  lieu  de  s. 
Au  moyen  âge,  .z,  qui  était  une  affriquée  sourde  (I,  §  307, 3), 
se  trouvait  souvent  à  la  fin  des  mots,  comme  nous  avons  vu 
au  §  268;  on  disait,  bontez,  citez,  amez,  sentiz,  forz,  deuz,  filz, 
anz,  jorz,  etc.  Au  XI IF  siècle,  l'affriquée  se  réduisit  à  un  s 
simple  (comp.  I,  §  384),  et  forz  [forts]  devint  [fors],  mais  on 
continuait  à  écrire  forz.  Z  se  maintint  dans  l'orthographe 
après  la  disparition  de  la  déclinaison  et  parvint  ainsi  à  de- 
venir, comme  s,  un  signe  du  pluriel.  On  écrivait  au  XVI*^  siècle 
dentz,  fûz,  anz,  poingz,  escriz,  etc.,  mais  il  n'y  avait  pas  de 
règle  fixe,  et  on  hésitait  beaucoup  entre  s  et  z.  L'emploi  de 
z  n'était  constant  que  dans  les  mots  qui  se  terminaient  par 
un  é  fermé:  bonté  —  bontez,  cité  —  citez,  dignité _ —  dignitez, 
etc.  Robert  Estienne  dit  expressément  dans  son  Traité  de  la 
Grammaire  françoyse  (1557):  »A  tous  ceulx  [à  tous  les  noms] 
desquels  l'e  final  se  prononce  à  bouche  ouverte  au  singulier, 
de  tout  temps  on  adjouste  un  z  au  lieu  de  s  pour  faire  le  plu- 
rier,  comme:  lettré  lettrez ;  aimé  aimez^.  Bonaventure  Des  Pé- 
riers  a  donné  la  même  règle  en  vers: 

Vous  avez  toujours  s  à  mettre 
A  la  fin  de  chaque  plurier  .  .  . 
Et  quant  e  y  ha  son  entier 


206 

Bonté  vous  guide  à  ses  bontez; 
Si  vous  suivez  autre  sentier 
Vos  bonnes  notes  mal  notez. 

E.  Dolet  (1542)  avait  protesté  contre  cet  emploi  de  z;  il 
proposait  d'écrire  dignités,  voluptés,  etc.,  en  réservant  la  lettre 
z  pour  la  terminaison  de  la  seconde  personne  du  pluriel  des 
verbes.  Mais  z  se  maintient  jusque  dans  le  XVIIP  siècle. 


II.  FORMES   PARTICULIERES. 

286.  Nous  avons  indiqué  ci-dessus  (§  265  ss.)  les  altérations 
phonétiques  provoquées  par  l'addition  du  s  flexronnel:  selon 
les  cas,  la  consonne  précédente  pouvait  s'amuïr  ou  se  vocali- 
ser, et  le  s  final  pouvait  se  changer  en  z;  grâce  à  ces  phéno- 
mènes, l'ancienne  déclinaison  présentait  une  grande  variété  de 
formes.  Il  s'agit  maintenant  d'examiner  jusqu'à  quel  point  les 
changements  causés  en  ancien  français  par  le  s  de  la  flexion 
se  sont  conservés. 

287.  Amuïssement  de  la  consonne.  Au  moyen  âge,  p,  f,  c, 
et  en  certains  cas  /  (voir  §  266)  disparaissaient  devant  le  s 
flexionnel.  Ce  phénomène  n'existe  presque  plus.  On  ne  saurait 
guère  citer  d'exemples  que  bœuf  —  bœufs,  œuf  —  œufs,  nerf  — 
nerfs.  Il  est  vrai  que  l'orthographe  a  refait  le  pluriel  de  ces 
mots  sur  le  singulier,  mais  leur  prononciation  [bo],  [o],  [n£:r] 
remonte  directement  aux  formes  médiévales  bues,  ues,  ners. 
Rappelons  pourtant  que  l'influence  du  singulier  commence 
aussi  à  se  faire  sentir  dans  la  prononciation;  il  y  en  a  de  nos 
jours  qui  disent  [bôf],  [ôf],  [nerf]  au  pluriel. 

288.  L'analogie  a  généralement  détruit  l'ancien  système  de 
formes  doubles.  On  n'a  pas  conservé  duc  —  dus,  baillif  — 
baillis,  etc.;  il  y  a  eu  aplanissement.  Ou  la  consonne  finale  du 
singulier  a  été  introduite  au  pluriel:  ducs  pour  dus,  à  cause 
de  duc;  ou  la  consonne  finale  du  singulier  a  disparu  sous  l'in- 
fluence du  pluriel:  bailli  pour  baillif,  à  cause  de  baillis.  Voici 
maintenant  quelques  détails: 


(Singulier) 

chef 

vif 

grec 

sec 

nul 

(Pluriel) 

ches 

vis 

grès 

ses 

nus 

(Singulier) 

chef 

vif 

grec 

sec 

nul 

(Pluriel) 

chefs 

vifs 

grecs 

secs 

nuls 

207 

P  Le   plus   souvent,    la  consonne   finale   du   singulier  a  été 
généralisée.  Ainsi  au  lieu  de: 


on  dit: 


Autres  exemples  de  ces  pluriels  analogiques:  chétifs,  nefs, 
brefs,  neufs,  arcs,  ducs,  neufs,  sacs,  etc. 

2^  Dans  d'autres  cas,  la  consonne  finale  du  singulier  s'a- 
muït  sous  l'action  du  pluriel.  Ainsi  au  lieu  de: 

(Singulier)      apprentif        baillif        jolif        tref 
(Pluriel)  apprentis         baillis        jolis         très 

on  dit   (comp.  §  408,  Cas  isolés)  : 

(Singulier)      apprenti  bailli         joli  tré 

(Pluriel)  apprentis        baillis       jolis         très 

Ordinairement  la  consonne  amuïe  est  maintenue  dans  l'ortho- 
graphe: clef,  drap,  coup,  blanc,  clerc,  petit,  etc.  Pour  d'autres 
détails,  voir  I,  §  314,  i,  Rem. 

Remarque  1.  Une  trace  purement  graphique  de  l'ancien  usage  s'est  main- 
tenue dans  tout  et  gent,  dont  le  pluriel  tous  et  gens  remonte  directement  au 
moyen  âge.  Pourquoi  ces  formes  n'ont- elles  pas  été  refaites  comme  tant 
d'autres  (comp.  bout  —  bouts,  dent  —  dents,  etc.)?  La  conservation  de  l'ortho- 
graphe tous  s'explique  peut-être  par  la  prononciation  qui  laissait  souvent 
sensible  la  consonne  finale  (remarquez  qu'on  écrit  touts  [tu]  quand  il  s'agit 
d'entités).  Pour  gens,  il  faut  remarquer  que  le  singulier,  étant  à  peu  près 
hors  d'usage,  n'a  pas  pu  influencer  le  pluriel. 

Remarque  2.  Plusieurs  grammairiens  ont  admis  que  les  noms  terminés  par 
-ant  ou  -ent  pouvaient  perdre  le  t  au  pluriel.  Dès  1705,  Régnier  Desmarais 
blâmait  cette  suppression  du  t  comme  «effaçant  peu  à  peu  les  traces  de  l'ori- 
gine des  noms«.  et  l'Académie  ne  l'a  jamais  reconnue.  Elle  existe  pourtant 
encore  de  nos  jours;  par  un  caprice  curieux  d'archaïsme  la  Revue  des  Deux 
Mondes  continue  à  écrire  enfans,  diamans,  présens,  prudens, 'etc. 

289.  Vocalisation  de  la  consonne.  Au  moyen  âge,  la  laté- 
rale se  vocalisait  devant  le  s  de  flexion  comme  devant  toute 
autre  consonne.  Pour  les  mots  dont  le  radical  se  terminait  en 


208 


[1]    ou    [jCj,    on    devrait    donc    avoir    en    français    moderne    les 
formes  suivantes: 

(Singulier)     -al,  -ail       -el,  -eil       -el       -eiil,  -euil       -ol,  -oiiil 
(Pluriel)  -aux  -eux      -eaux        -eux  -oux. 

Cependant,  ce  système  de  formes  doubles  n'existe  plus  dans 
son  entier;  on  n'en  a  conservé  que  des  traces  isolées.  Dans  la 
plupart  des  cas,  l'analogie  a  reformé  le  pluriel  sur  le  singulier 
ou  le  singulier  sur  le  pluriel  ;  de  cette  manière,  l'ancienne  ri- 
chesse des  formes  a  été  notablement  restreinte. 


290.  Avant  d'aborder  l'étude  détaillée  des  différentes  termi- 
naisons, nous  allons  tracer  les  grandes  lignes  du  développe- 
ment qu'elles  ont  subi  depuis  le  XIV*^  siècle  jusqu'à  nos  jours: 

P  L'état  primitif  se  retrouve  dans  la  plupart  des  mots  en 
-al:  cheval  —  chevaux,  royal  —  royaux,  etc.;  dans  quelques 
mots  en  -ail:  travail  —  travaux,  bail  —  baux,  etc.;  dans  ciel 
—  deux,  aïeul  —  aïeux,  œil  —  yeux.  Comp.  aussi  bel  —  beaux, 
nouvel  —  nouveaux,  fol  —  fous,  mol  —  mous. 

2°  Le  singulier  l'a  régulièrement  emporté  dans  les  mots  en 
-el  (lat.  -a  le  m),  -eil,  -eul,  euil,  et  sporadiquement  dans  quelques 
mots  (surtout  d'adoption  postérieure)  en  -al  et  en  -ail.  Au 
lieu  de: 


(Singulier)     tel      conseil 
(Pluriel)         teus    consens 

on  dit: 


filleul      seuil       bal      gouvernail 
filleus      sens        baus    gouvernaux 


(Singulier)     tel       conseil       filleul      seuil       bal      gouvernail 
(Pluriel)         tels     conseils     filleuls     seuils     bals     gouvernails. 

3°  Le  pluriel  l'a  emporté  dans  les  mots  qui  originairement 
se  terminaient  en  -él  (-illum),  -èl  (-ellum),  -ol,  -ouil.  Ainsi, 
au  lieu  de: 


on  dit: 


(Singulier) 
(Pluriel) 


(Singulier) 
(Pluriel) 


chevel 
cheveiis 


cheveu 
cheveux 


drapel        sol 
drapeaus    sous 


drapeau     sou 
drapeaux  sous 


genouil 
gênons 


genou 
genoux. 


209 

4^  Parfois  la  forme  primitive  se  conserve  à  côté  de  la  forme 
analogique;  dans  ce  cas,  chacune  des  formes  reçoit  sa  fonc- 
tion spéciale.  Citons  comme  exemples  de  ces  doublets,  pour  le 
singulier:  col —  cou,  fol  —  fou,  bel  —  beau,  et  pour  le  pluriel: 
deux  —  ciels,  aïeux  —  aïeuls,  aulx  —  ails. 

5"  Parfois  une  double  action  analogique  crée  une  nouvelle 
forme  et  pour  le  singulier  et  pour  le  pluriel  du  même  mot. 
De  cette  manière,  au  lieu  d'un  mot  à  deux  formes  différentes, 
on  a  deux  mots  nouveaux  dont  le  pluriel  correspond  exacte- 
ment au  singulier.  Ainsi,  au  lieu  de  col  —  cous  et  appel  —  ap- 
peaux, on  a  col  —  cols,  cou  —  cous  et  appel  —  appels,  appeau 
—  appeaux. 


î)  Mots  en  -al. 

291.  Les  mots  en  -al  font  généralement  au  pluriel  -aux: 
cheval  —  chevaux,  brutal  —  brutaux.  Pourtant,  les  formations 
analogiques  ne  font  pas  défaut: 

P  Le  pluriel  a  été  refait  sur  le  singulier,  d'où  une  nouvelle 
forme  en  -aïs,  qui  s'emploie  surtout  dans  les  mots  d'emprunt: 
narval  —  narvals. 

2^  Le  singulier  a  été  refait  sur  le  pluriel,  d'où  une  nouvelle 
forme  en  -au:  animau  —  animaux  (§  299);  cette  forme  n'existe 
de  nos  jours  que  dans  les  patois. 

292.  AL  —  AUX.  Le  pluriel  en  -aux  s'emploie: 

1°  Dans  presque  tous  les  anciens  mots  populaires  ou  savants 
qui  remontent  au  moyen  âge:  cheval  —  chevaux,  égal  —  égaux, 
journal  —  journaux,  loyal  —  loyaux,  mal  —  maux,  royal  — 
royaux,  val  —  vaux.  Sur  les  exceptions,  voir  §  293,  i. 

2^  Dans  la  plupart  des  mots  d'emprunt  adoptés  après  le 
moyen  âge:  arsenal —  arsenaux,  brutal — brutaux,  clérical  —  clé- 
ricaux, épiscopal  —  épiscopaux,  génital  —  génitaux,  idéal —  idéaux, 
madrigal  —  madrigaux,  minéral  —  minéraux,  santal  —  santaux, 
virginal  —  virginaux,  etc.  Sur  les  exceptions,  voir  §  293, 2, 3. 

Remarque.  Les  mots  bestiaux,  champeaux,  matériaux  et  universaux  sont 
inusités  au  singulier.  Bestiaux  est  le  pluriel  de  bestial,  disparu  de  la  langue 
littéraire,  mais  conservé  dans  les  patois;  en  Normandie  on  dit  le  bestial  pour 
l'ensemble  des  bestiaux.  Champeaux  est  le  pluriel  de  l'ancien  adj.  champal; 
on  disait  autrefois  prés   champaux,    puis    par    abréviation    champaux,    écrit 

14 


210 

champeaux  sous  l'influence  de  champeau  (petit  champ).  Matériaux  et  iini- 
versaiix  remontent  aux  anciennes  formes  matérial  et  iiniversal,  disiiarues 
devant  les  doublets  matériel  et  universel.  Comp.  I,  §  173,  3 

293.  AL  —  ALS.  Le  pluriel  en  -als  s'emploie: 

P  Dans  quelques  mots  isolés  qui  remontent  au  delà  du 
XV«  siècle: 

Bal— bals.  La  forme  régulière  serait  baux;  on  la  trouve  au 
moyen  âge:  Danses,  baus  et  caroles  veïssiez  comencier  {Berte 
ans  grans  pies,  \.  302).  Le  pluriel  refait  bals  se  trouve  dès  le 
XVI*' siècle;  mais  l'ancienne  forme  ne  disparaît  pas.  En  1672, 
Ménage  remarque:  »I1  faut  dire  il  y  a  eu  cette  nuit  cinq  ft«/s«, 
et  il  ajoute  en  1675:  »non  pas  ....  cinq  baux  comme  disent 
les  Normands  «   {Observations,  p.  350). 

Banal  (dér.  de  ban)  —  banals.  Employé  au  figuré,  cet  ad- 
jectif est  selon  le  Dictionnaire  général  inusité  au  pluriel.  Cette 
assertion  est  inexacte.  Banals  se  trouve  souvent  dans  les  au- 
teurs modernes:  Beaucoup  de  jeunes  filles  nous  arrivent  .... 
ayant  reflété  d'horribles  et  surtout  de  banals  inconnus  (J.  Bois, 
Une  nouvelle  douleur.  Paris,  1900.  P.  71).  On  dit  de  même  des 
visiteurs  banals,  des  renseignements  banals.  Comme  terme  de 
féodalité,  banal  a  conservé  l'ancien  pluriel  banaux  dans  les 
deux  expressions:  des  fours  banaux,  des  moulins  banaux.  ' 

Cal  (callus)  —  cals.  Le  plus  ancien  exemple  que  citent 
Littré  et  le  Dictionnaire  général  est  de  Paré  (XVI*'  siècle);  j'ai 
trouvé  le  mot  dans  la  traduction  française  de  la  Chirurgie  de 
Maître  Henri  de  Mondeville,  qui  remonte  à  1314:  Les  leivres 
de  la  pointure  sont  endurcies  si  comme  cal  (§  1718);  on  trouve 
la  forme  chai  au  §  1242. 

Pal  (emprunté  du  lat.  palus)  —  pals.  Au  XV*'  siècle  on 
trouve  paux.  Nicot,  dans  son  Dictionnaire  de  1584,  donne 
pauls  ou  pals.  Cette  dernière  forme  est  restée  comme  terme  de 
blason. 

Val  —  vais.  Ce  pluriel  nouveau  n'est  en  usage  que  chez  les 
ingénieurs  qui  parlent  des  vais  supérieurs  des  fleuves,  des  vais 
de  la  Loire,  etc.  (voir  Littré).  Dans  tous  les  autres  emplois  du 
mot,  on  se  sert  de  l'ancien  pluriel  vaux. 

2"  Dans  un  petit  nombre  de  mots  étrangers: 

Caracal  (esp.  caracal)  —  caracals;   date   du  XVIII*'  siècle. 

Carnaval  (ital.  carne v aie)  —  carnavals;  date  du  XVF 
siècle. 


211 

Chacal  (turc  tchakâl)  —  chacals;  date  du  XVIII*' siècle. 

Narval  (ail.  Narwall)  —  narvals;  date  du  XVII'' siècle. 

Nopal  (esp.  nopal)  —  nopals;  date  du  XVP  siècle. 

Régal  (ital.  régal o)  —  régals;  date  du  XV^  siècle. 

Serval  (port,  ce r val)   —  servals;  date  du  XVIII^  siècle. 

30  Dans  quelques  mots  de  formation  récente: 

Aval  (peut-être  abréviation  de  à  valoir)  —  avals. 

Bancal  (dérivé  récent  de  banc)  —  bancals.  Le  Dictionnaire 
(le  l'Académie  de  1762  ne  donne  que  le  féminin  bancale.  Littré 
remarque:  »  Depuis,  cet  adjectif  est  devenu  des  deux  genres; 
mais,  comme  bancal  n'avait  été  usité  qu'au  féminin,  le  mascu- 
lin pluriel  bancaux  ne  s'était  pas  présenté:  aujourd'hui  l'usage 
a  admis  de  dire  des  bancals«. 

Cantal  (fromage  du  département  du  Cantal)  —  cantals. 

Choral  (dérivé  de  chorus)  —  chorals. 

Tribal  (dérivé  de  tribu)  —  tribals. 

4"  Dans  tous  les  noms  propres  :  des  Hannibals,  des  Juvénals, 
des  Martials,  les  monts  Ourals,  les  Gais. 

294.  Pour  les  mots  d'emprunt,  adoptés  après  le  moyen  âge, 
il  faut  remarquer  que  dans  beaucoup  de  cas  on  a  commencé 
par  leur  attribuer  un  pluriel  régulier  en  -als.  On  trouve  ainsi, 
surtout  ai^^VP  siècle  :  bocals,  fanais,  madrigals,  piédestals,  réals. 
Mais,  petit  à  petit,  l'influence  des  mots  en  -al,  -aux  se  fait 
sentir,  et  l'on  commence  à  dire  bocal  —  bocaux  sur  le  modèle 
de  cheval  —  chevaux.  L'hésitation  qu'il  y  a  eu  un  certain  temps 
entre  -als  et  -aux,  a  aussi  gagné  plusieurs  mots  remontant  au 
moyen  âge;  c'est  ainsi  qu'on  trouve  bals,  canals,  cristals,  pals, 
locals,  pour  baux,  canaux,  cristaux,  paux,  locaux.  De  ces  formes 
refaites,  la  langue  moderne  a  conservé  bals  et  pals. 

295.  Voici  quelques  remarques  de  détail  sur  un  certain 
nombre  de  mots  d'emprunt  qui  ont  hésité  entre  -als  et  -aux, 
et  dans  lesquels  -aux  a  fini  par  l'emporter: 

Arsenal  (emprunté  de  l'ital.  arsenale).  Duez  (1639)  donne 
arsenals  et  arsenaux,  mais  son  opinion  n'a  pas  beaucoup  d'au- 
torité; les  autres  grammairiens  ne  connaissent  que  arsenaux, 
et  on  trouve  déjà  dans  Amyot  arceneaux  (voir  Littré). 

Bocal  (emprunté  de  l'ital.  boccale).  Les  grammairiens  du 
XVII<'  siècle  donnent  bocals,  remplacé  plus  tard  par  bocaux. 

14* 


212 

Canal  (emprunté  du  lat.  canalis).  Au  moyen  âge  on  trouve 
canaux  {Dial.  de  Grégoire,  p.  p.  W.  Fôrster,  p.  11).  Au  XVI^  siècle 
Rabelais  écrit:  Le  coulement  et  laps  de  la  fontaine  estoyt  par 
troys  tubules  et  canalz  (V,  chap.  42).  La  même  forme  est  in- 
diquée par  Pillot  (1550)  et  Gauchie  (1570),  mais  Lanoue  (1596) 
observe  que  »le  pluriel  se  termine  plus  coustumièrement  en 
-aus«.  Après  1600,  on  ne  trouve  que  canaux. 

Cristal.  Le  pluriel  régulier  cristaux  se  trouve  dès  le  XI^  siècle  ; 
au  temps  de  la  Renaissance,  B.  Palissy  a  créé  cristals  (voir 
Littré),  mais  il  n'a  pas  trouvé  d'imitateurs.  Ménage  observe 
expressément:  »On  dit  des  cristaux,  et  non  pas  des  cristals« 
(p.  351). 

Fanal  (emprunté  de  l'ital.  fan  aie).  Duez  est  seul  à  donner 
fanais;  l'Académie  (1694)  ne  connaît  que  fanaux. 

Général  (emprunté  du  lat.  gênera  lis).  Le  pluriel  ordinaire 
est  généraux;  on  trouve  quelquefois  au  XIV''  siècle  générais: 
Toutevoies  la  cure  raisonable  ....  de  la  quele  sont  données, 
outre  les  choses  generalz  devant  dites  4  ruilles  generaulz  (La 
Chirurgie  de  maître  Henri  de  Mondeville,  §  1800). 

Local  (emprunté  du  lat.  localis).  Au  moyen  âge  on  hésite 
entre  locaus  et  locals.  Dans  la  traduction  de  la  Chirurgie  de 
Henri  de  Mondeville  (1314)  on  trouve  les  choses  locaux  (§  1324) 
et  Moût  sont  de  locaux,  c.  à  d.  médicaments  topiques  (§  1955), 
mais  le  traducteur  de  La  pratique  de  Maistre  Bernard  de  Gor- 
don écrit:  Venons  aux  remèdes  locals  (II,  5).  En  1783,  de 
Wailly  indique  le  pluriel  locals;  aujourd'hui  on  ne  connaît  que 
locaux. 

Madrigal  (emprunté  de  l'italien  madrigale).  Le  pluriel  pri- 
mitif madrigals  (on  avait  aussi  un  doublet  féminin  madrigales) 
a  été  remplacé  au  XVIP  siècle  par  madrigaux.  Ménage  re- 
marque: »  Ronsard  a  dit  madrigals  (Sonnets  et  madrigals  pour 
Astrée)  .  .  .  En  quoi  il  a  été  suivi  par  M.  de  Balzac:  qui  est 
une  chose  étonnante;  car  il  est  indubitable  qu'il  faut  dire 
madrigaux. i<  Bouhours  (Doutes  sur  la  langue  française,  p.  126) 
est  du  même  avis  :  »  Je  croy  qu'il  faut  dire  madrigaux  et  non 
pas  madrigals  comme  a  dit  M.  Balzac«. 

Piédestal  (emprunté  de  l'ital.  pied  est  allô).  On  trouve  au 
XV®  siècle  piez-d' estrailz  [sic],  et,  au  XVI*',  piedestalz  ou  piede- 
stals.  Au  grand  siècle  les  opinions  sont  partagées  entre  piede- 
stals  et  piédestaux,   mais  Ménage  observe  que  piédestaux  est  le 


213 

plus  usité.  Th.  Corneille  ajoute:  «Il  me  semble  qu'on  ne  dit 
plus  présentement  que  piédestaux^. 

Poitral  (voir  §  305).  Ménage  remarque  qu'on  dit  des  paîtrais, 
et  non  pas  des  poitraux.  Cette  observation  étonne  ;  la  forme  poi- 
irals  ne  se  trouve  dans  aucun  autre  auteur. 

Real  (emprunté  de  l'esp.  real).  Cauchie  donne  au  pluriel 
réaus  et  réals.  Th.  Corneille  ne  connaît  que  réaux,  et  c'est 
cette  forme  qui  l'a  emporté. 

Signal  (du  lat.  pop.  signale).  Duez  est  seul  à  donner  si- 
gnais; c'est  probablement  une  faute. 

Val  (lat.  va  lie  m).  Duez  est  seul  à  donner  vais;  c'est  pro- 
bablement une  faute. 

Vassal.  Lanoue  (1596)  donne  vassals,  mais  il  ajoute  que  le 
pluriel  termine  »plus  coustumièrement  en  aus».  Deimier  (1610) 
proteste.     On  ne  dict  point  vassals«. 

296.  Selon  l'Académie,  un  certain  nombre  d'adjectifs  en  -al 
sont  inusités  au  pluriel  masculin.  Exemples  :  bramai,  diagonal, 
fatal,  final,  frugal,  glacial,  matinal,  natal,  naval,  partial,  pascal, 
pénal,  théâtral,  etc.,  etc.  Cette  prescription  est,  pour  beaucoup 
de  ces  mots,  plutôt  théorique;  Littré  recommande  de  dire  fru- 
gaux, glaciaux,  matinaux,  nataux,  pénaux. 

297.  Voici  quelques  remarques  de  détail  sur  le  pluriel  de 
certains  adjectifs  en  -al: 

Fatal.  On  disait  au  XVF  siècle  fataux  (voir  les  exemples  de 
Littré).  Au  XYII^  siècle,  Chifflet  (1659)  et  De  la  Touche  (1696) 
donnent  fatals;  cette  forme,  employée  par  Ducis  et  Lemercier, 
a  été  adoptée  par  l'Académie,  qui  l'inscrit,  tout  en  ajoutant 
qu'elle  est  peu  usitée.  Dans  le  Mercure  galant,  Boursault  s'est 
moqué  de  l'incertitude  des  grammairiens  sur  le  pluriel  de  fa- 
tal, en  faisant  dire  au  soldat  La  Rissole:  »Ces  bras  te  devien- 
dront ou  fatals  ou  fataux«.  Et  Voltaire  écrit  à  sa  suite:  »  S'ils 
n'insèrent  pas  dans  l'ouvrage  les  cartons  nécessaires,  je  deman- 
derai net  la  saisie  des  exemplaires  fataux  ou  fatals«  (Lettre 
à  d'Argental,  9  avril  1763). 

Final.  Selon  Littré  et  Marty-Laveaux,  ce  mot  fait  finals  au 
pluriel  masculin:  des  sons  finals.  Le  Dictionnaire  général  admet 
des  accords  finals  ou  finaux,  tout  en  ajoutant  que  cette  der- 
nière forme  est  rare. 


214 

Glacial.  Bailly,  l'astronome,  écrit  des  vents  glacials;  Littré 
observe  que  le  pluriel  glaciaux  n'a  rien  autre  de  choquant  que 
de  n'être  pas  employé.  On  préfère  ne  pas  se  servir  du  pluriel 
masculin. 

Nasal.  Littré  remarque:  »Des  grammairiens  veulent  qu'on 
dise  des  sons  nasals;  mais  l'usage  admet  le  pluriel  en  -aux«. 
Marty-Laveaux  et  l'Académie  donnent  le  pluriel  os  nasaux. 
M.  Johan  Storm,  demandant  une  fois  à  un  Français  s'il  disait 
sons  nasaux  ou  sons  nasals,  eut  pour  réponse:  »Je  ne  le  dis 
pas«.  A  cette  occasion,  M.  Paul  Passy  lui  a  adressé  l'observa- 
tion suivante:  »  Votre  anecdote  sur  les  sons  nasals  ou  nasaux 
est  très  amusante  et  tout  à  fait  to  the  point:  je  n'ai  jamais  en- 
tendu dire  ni  l'un  ni  l'autre;  je  ne  sais  pas  si  le  pluriel  existe; 
s'il  fallait  l'employer,  je  dirais  nasals,  à  cause  des  naseaux 
d'un  cheval,  aussi  parce  que  la  tendance  est  de  régulariser  les 
pluriels;  mais  je  ne  sais  pas  si  j'aurais  raison«.  C'était  en 
1888;  de  nos  jours,  on  dit  couramment  sons  nasaux. 

Natal.  L'Académie  dit  qu'il  n'a  point  de  pluriel  masculin. 
Cependant  Littré  observe  que  Trévoux  parle  de  jeux  nataux 
que  l'on  célébrait  au  jour  natal  de  certains  personnages,  et  il 
demande:  »  Pourquoi  ne  le  reprendrait-on  pas  ?«  Marty-Laveaux 
est  d'une  autre  opinion  ;  sans  renvoyer  à  Trévoux,  il  remarque 
que  les  jeux  en  question  s'appellent  jeux  natals. 

Naval.  Les  grammairiens  du  XVI I^  siècle  ne  reconnaissent 
ni  navals  ni  navaux.  Ménage  remarque:  »0n  ne  dit  ny  navals 
ny  navaux.  Que  si  on  estoit  obligé  de  se  servir  nécessairement 
de  l'un  ou  l'autre  de  ces  mots,  il  faudroit  plustost  dire  navals 
.  .  .  Car  qui  a  jamais  dit  des  combats  navaiix?  Combats  navals 
n'est  guère  meilleur.  Il  faudroit  donc  éviter  ces  mots,  en  di- 
sant combats  de  mêr,  combats  maritimes. «  Th.  Corneille  est  du 
même  avis.  Cependant  M'"^  de  Sévigné  n'a  pas  hésité  à  écrire 
combats  navaux  (Lettre  du  7  sept.  1689).  De  nos  jours,  naval 
n'a  point  de  pluriel  masculin,  selon  l'Académie;  mais  plusieurs 
grammairiens  pensent  qu'on  pourrait  bien  dire  des  combats 
navals,  et  on  dit  bien  certainement  des  attachés  navals. 

Pascal.  Les  grammairiens  recommandent  de  dire  des  cierges 
pascals,  et  l'Académie  observe  que  pascaux  est  inusité.  C'est 
pourtant  la  forme  du  XVI^  siècle,  et  Littré  la  préfère  à 
pascals. 


215 

298.  Les  exemples  cités  Uux  §§  293  et  297  montrent  que  la 
force  assimilatrice  des  terminaisons  -al,  -aux  était  plus  grande 
au  XVP  siècle  qu'elle  n'est  maintenant.  Presque  tous  les  mots 
d'emprunt  datant  de  la  Renaissance  ont  subi  l'analogie  des 
pluriels  en  -aux:  arsenaux,  madrigaux,  etc.,  tandis  que  ceux 
qui  ne  remontent  qu'au  XVI I^  ou  au  XVIIP  siècle  font  au  pluriel 
-als:  chacals,  narvals,  etc.  Nous  avons  également  vu  que  -als 
s'emploie  dans  les  mots  de  formation  récente  (avals),  et  qu'il 
s'introduit  même  dans  les  anciens  mots  populaires  (vais,  ba- 
nals, à  côté  de  vaux,  banaux).  11  est  donc  indubitable  qu'il 
existe  dans  la  langue  moderne  littéraire  une  tendance  à  géné- 
raliser la  forme  du  singulier  des  mots  en  -al.  Cette  tendance 
est  encore  plus  prononcée  dans  la  langue  vulgaire  de  Paris, 
comme  le  montre  le  texte  suivant: 

Tous  les  matins  j'en  jette  un  coup 
Dans  les' journal. 

(A.  Bruant,  Dans  la  rue,  p.  188). 

299.  AU — AUX.  Les  formes  en  -au  pour  -al  (§  291, 2)  remontent 
au  moyen  âge:  Et  en  chascune  chartre  avoit  le  sceau  et  le 
seigneau  [sic]  dou  rei  (Assises  de  Jérusalem,  I,  26).  Rappelons 
aussi  l'ancien  proverbe:  A  mau  chat,  mau  rat.  Pourtant,  elles 
sont  d'un  emploi  assez  rare.  Elles  apparaissent  aussi  au  XVl^ 
siècle.  En  voici  quelques  exemples.  Bonaventure  Despériers 
emploie  animau:  Prenez  bien  tant  de  loysir  de  vouloir  escou- 
ter  la  cause  d'ung  povre  animau  que  je  suis  (Cymbalum  mundi, 
chap.  III).  Dans  le  grand  prosateur  Amyot  on  trouve  pau:  Il 
feit  commandement  aux  Syracusains  que  chacun  eust  à  coupper 
un  pau  (Dion,  60).  Encore  dans  le  Moyen  de  parvenir  (1612), 
Beroald  de  Verville  fait  dire  à  Badius  (chap.  30)  :  Votre  chevau 
baille.  Il  convient  d'ajouter  que  son  interlocuteur,  Budée,  re- 
Jève  cette  forme  en  riant.  Les  formes  en  -au  étaient  sans  doute 
regardées  comme  des  barbarismes  ou,  au  moins,  comme  des 
formes  vulgaires  qu'il  ne  fallait  pas  employer.  Telle  était  en 
tout  cas  l'opinion  de  Henri  Estienne.  Dans  ses  Deux  dialogues 
du  langage  français  italianizé  (1578),  Celtophile  demande  à  Phi- 
losaune  si  les  courtisans  commettent  »ces  fautes  lourdes  et 
grossières  que  commettent  les  plus  rustaux,  comme  de  dire 
une  flabe,  un  chevau,  un  vieux  hommes  (éd.  Ristelhuber,  I,  208). 
Philosaune  lui  répond:   »Quand  est  de  ce  mot  chevau,  je  n'ay 


21(5 

pas  souvenance  de  leur  avoir  ouy  dire«.  Au  grand  siècle,  les 
lexicographes  ne  citent  que  deux  mots  en  -au:  journau  et 
guindeau  [sic],  pour  guindau,  doublet  de  giiindal  Ce  sont  tous 
les  deux  des  termes  techniques  empruntés  aux  patois.  En 
1606,  Nicot  remarque  dans  son  Thrésor  delà  langue  françoyse: 
»Le  Languedoc  dit  iournal  ou  iournau  pour  une  iournée  d'homme 
des  champs*.  L'Académie  enregistre  dans  son  DzWzon/?rti>e (1694) 
les  deux  mêmes  formes,  en  ajoutant:  »Ce  mot  n'est  en  usage 
qu'en  quelques  provinces*.  Gui/îc/ea/z  s'est  conservé  jusqu'à  nos 
jours  (à  côté  de  guindal  et  guindas).  La  langue  moderne  con- 
naît aussi  un  autre  singulier  refait:  bois  marmentau  (pour 
marmental),  écrit  abusivement  marmenteau,  et  tiré  du  pluriel 
bois  marmentaux,  terme  technique  dialectal. 

Remarque.  Étau  n'est  pas,  comme  on  l'a  cru,  un  doublet  de  étal.  Étau 
devrait  s'écrire  étoc;  la  mauvaise  orthographe  est  due  à  une  confusion  entre 
étocs,  dont  le  c  ne  se  prononçait  pas,  et  étaux,  pluriel  de  étal  (vfr.  estai 
<  aha.  stal).  Étau  devient  ainsi  un  doublet  de  estoc  (emprunté  du  germ. 
stock). 

300.  Les  formes  en  -au,  bannies  de  la  langue  littéraire  dès 
le  XVIP  siècle,  ont  trouvé  un  refuge  dans  les  patois  où  elles 
sont  très  répandues.  Dans  la  vie  usuelle  les  paysans  disent 
fréquemment:  »  Voici  \otre  journau«  pour  »  voici  votre  journal«. 
Rappelons  aussi  une  remarque  de  Mignard:  »Nos  pa3'sans  ne 
disent  jamais  autrement  qu'un  chevau  au  lieu  de  dire  un  cheval. 
C'est  un  des  exemples  les  plus  singuliers  de  l'emploi  ou  con- 
fusion du  pluriel  pour  le  singulier*  (Histoire  de  l'idiome  bour- 
guignon). Il  en  est  de  même  en  Beny,  en  Saintonge,  en  Pi- 
cardie, et  en  plusieurs  autres  provinces.  Les  formes  en  -au 
reviennent  souvent  dans  les  chants  populaires  ;  en  voici  quelques 
exemples: 

C'est  bien  le  cœur  de  ma  mie. 

C'est  pas  le  cœur  d'un  animau.  * 

(Romania,  X.  196.) 

J'engagerai  mon  blanc  manteau 

Et  la  bride  de  mon  chevau.  (ib.) 

Plus  froid  que  la  glace,  doux  comme  un  agneau. 
Jamais  de  la  vie  n'a}'  vu  son  égau.  (ib.) 

L'plus  beau  clievau  vient  de  mourir. 

(Rolland,  Recueil,  III,  38.) 


217 


2)  Mots  en  -ail. 

301.  Le  pluriel  primitif  des  mois  en  -a/7  est  -aux:  Bail  — 
baux,  corail  —  coraux,  émail  —  émaux,  fermail  —  fermaux,  sou- 
pirail —  soupiraux,  travail  —  travaux,  vantail  —  vantaux,  ventail 
—  ventaux,  vitrail  ^  vitraux.  A  côté  de  ces  mots,  qui  repré- 
sentent l'état  primitif,  on  trouve  aussi  des  formes  analogiques: 

1°  La  reformation  du  pluriel  sur  le  singulier  amène  un  nou- 
veau pluriel  en -ails:  épouvantait — épouvantails,  autrefois  epozi- 
vantaux  (voir  §  302). 

2°  La  reformation  du  singulier  sur  le  pluriel,  qui  arnènerait 
un  nouveau  singulier  en  -au,  paraît  se  produire  rarement. 
Peut-être  en  avons-nous  un  exemple  dans  plumeau,  qui  pour- 
rait être  une  mauvaise  graphie  pour  plumau,  tiré  de  plumaux, 
ancien  pluriel  de  plumait;  pourtant  c'est  très  douteux. 

302.  AIL — AUX.  Le  pluriel  en  -aux  s'emploie  ou  s'employait 
dans  les  mots  suivants: 

Ail  (allium)  —  aulx  (sur  l'orthographe,  voir  I,  §  97):  ce 
pluriel  est  peu  usité,  on  dit  plus  souvent  des  gousses  d'ail  ou 
des  têtes  d'ail  que  des  aulx.  Les  naturalistes  ont  formé  le  plu- 
riel analogique  ails,  dont  l'emploi  est  maintenant  général. 

Bail  (subst.  verbal  de  bailler)  —  baux.  On  dit  de  même 
sous-bail  —  sous-baux. 

Corail  (voir  §  305,  i)  —  coraux.  Ambroise  Paré  dit  alterna- 
tivement coraux  et  corails  (voir  les  exemples  de  Littré).  Au 
XVP  siècle,  les  grammairiens  recommandent  de  ne  pas  se 
servir  de  coraux.  En  1718,  l'Académie  décrète:  »  Corail  fait  au 
pluriel  coraux «. 

Email  (germ.  s  malt)  —  émaux.  Dans  ce  mot,  -ail  n'est  pas 
primitif,  il  est  le  résultat  d'une  analogie  proportionelle  :  comme 
travail  existait  à  côté  de  travauz,  on  a  formé  esmail  à  côté  de 
esmauz;  la  forme  régulière  à  l'ace,  sing.  et  au  nom.  plur.  au- 
rait été  esmalt,  esmaut,  émaut;  on  trouve  esmal  (Narbonnais, 
V.  3378). 

Epouvantait  (dér.  de  épouvante)  —  épouvantaux.  Voici  un 
exemple  de  ce  vieux  pluriel  :  Ils  dévoient  avoir  pour  filtre 
espouvantaux  des  hostes  et  jouets  de  nos  ennemis  (D'Aubigné, 
Histoire  universelle).  Après  le  XVP  siècle,  Je  pluriel  primitif  a 
été  remplacé  par  épouvantails. 


218 

Eventail  (dér.  de  éventer)  —  éventaux.  Ce  pluriel  s'employait 
au  XVP  siècle  :  De  beauls  petits  enfans  avec  des  esventaux  en 
leurs  mains  (Amyot).  Au  siècle  suivant,  Ménage  observe  qu'on 
dit  des  éventails,  et  non  pas  des  éventaux. 

Fermait  (dér.  de  fermer)  —  fermaux. 

Frontail  (altération  de  frontal)  —  frontaux.  On  n'a  pas  formé 
de  pluriel  en  -ails;  on  se  sert  de  -aux  par  confusion  avec  le 
pluriel  régulier  de  frontal,  et  surtout  par  déférence  pour  fron- 
teau,  bien  plus  usité. 

Gouvernail  (gubernaculum).  L'ancien  pluriel  était  gouver- 
naux,  mais  Lanoue  (1596)  remarque  que  le  mot  »est  toutefois 
plus  vzité  avec  le  régulier  az7s«.  Au  siècle  suivant,  Th.  Corneille 
observe:  »I1  y  en  a  qui  disent  gouvernaux.  Le  plus  grand 
nombre  est  pour  gouvernails^.  Les  grammairiens  suivants  ne 
donnent  que  cette  dernière  forme. 

Plumail  (dér.  de  plume)  —  plumaux,  remplacé,  probablement 
au  XVIP  siècle,  par  plumails.  Quoique  le  mot  ne  soit  guère 
employé  dans  la  langue  actuelle,  où  il  a  été-  remplacé  par 
plumeau  (voir  sur  ce  mot  ci-dessus),  presque  toutes  les  gram- 
maires pratiques  faites  à  l'étranger  le  citent  et  lui  attribuent, 
par-dessus  le  marché,  l'ancien  pluriel  plumaux. 

Poitrail.  On  disait  avant  le  XVI I«  siècle  régulièrement  poitral 
(voir  §  305)  et  au  pluriel  poitraux  (cf.  §  295).  Le  nouveau  sin- 
gulier poitrail  a  provoqué  le  pluriel  poitrails. 

Portail.  On  disait  avant  le  XVIP  siècle  régulièrement  portai 
et  au  pluriel  portaux.  Pour  le  nouveau  singulier  portail  on  a 
créé  le  pluriel  portails  (§  303),  mais  du  temps  de  Ménage 
portaux  était  plus  employé.  La  Fontaine  s'en  est  servi: 

Par  ce  point-là  je  n'entends,  qnant  à  moy, 
Tours  ny  portaux,  mais  gentilles  galoises. 

{Les  Rémois,  v.  6). 

En  1740,  l'Académie  cite  porteaux  (sic!),  tout  en  ajoutant 
que  cette  forme  n'est  plus  en  usage. 

Soupirail  —  soupiraux. 

Travail  (blat.  trepalium)  —  travaux.  L'Académie  et  Littré 
signalent  deux  emplois  du  pluriel  travails:  machine  à  ferrer 
les  chevaux  et  rapport  d'un  ministre  au  roi,  mais  A.  Darmes- 
teter  observe  que  l'usage  actuel  contredit  cette  règle. 


219 

Trémail  ou  tramail  (tri  m  a  eu  lu  m)  —  trémaux  (tramaux), 
remplacé  maintenant  par  trémails  (tramails). 

Vantail  (même  mot  que  ventait)  —  vantaux. 

Ventait  (dér.  de  vent)  —  veniaux. 

Ventrail  (dér.  de  ventre)  —  ventraux.  Exemples:  Le  cuer  a 
2  ventraux  (Chirurgie  de  Mondeville,  §  315),  Au  milieu  de  la 
partie  desous  est  une  concavité  qui  est  apelee  le  3,  ventrail 
(ib.,  §  316).  Le  mot  est  inusité  depuis  longtemps. 

Vitrail  (dér.  de  vitre)  —  vitraux. 

Remarque.  Apparaux  remonte  à  une  ancienne  forme  dialectale  apparail, 
pour  appareil  (comp.  I,  §  207,  3,  Rem.). 

303.  AIL — AILS.  Le  pluriel  en  -ails  s'emploie  actuellement: 

1*^  Dans  un  petit  nombre  de  mots  anciens:  ails,  épouvantails, 
éventails,  gouvernails,  plumails,  poitrails,  portails  (voir  §  302). 

2^  Dans  les  mots  d'emprunt: 

Aiguail  (emprunté  de  quelque  dialecte)  —  aiguails. 

Burail  (ital.  buratto)  —  burails. 

Camail  (prov.  capmalh)  —  camails. 

Bail  (d'origine  incertaine)  —  dails;  on  avait  aussi  autrefois 
daille  —  dailles. 

Rail  (angl.  rail)  —  rails. 

Sérail  (turc  serai)  —  sérails. 

3**  Dans  les  mots  de  formation  récente  : 

Attirail  (dérivé  de  attirer)  —  attirails. 

Détail  (subst.  verbal  de  détailler)  n'avait  pas  de  pluriel  dans 
la  vieille  langue;  au  XVII^  siècle  on  a  créé  la  forme  ana- 
logique détails. 

Encornait  (composé  avec  en  et  corne)  —  encornails. 

Remarque.  Bercail  (forme  normanno-picarde  qui  remplace  la  vraie  forme 
française  bergeail)  n'a  pas  de  pluriel;  il  en  est  de  même  de  bétail,  mais  pour 
ce  mot  on  se  sert  de  bestiaux,  pluriel  de  bestial  (§  292,  Rem.). 

304.  Les  exemples  cités  aux  §§  302  et  303  montrent  que  la 
force  assimilatrice  des  mots  en  -ail,  -aux  a  été  nulle.  La  ter- 
minaison -aux  a  disparu  de  plusieurs  mots  remontant  au 
moyen  âge,  et  elle  n'a  jamais  été  appliquée  aux  mots  d'em- 
prunt. Elle  perd  aussi  du  terrain  dans  la  langue  vulgaire  ac- 
tuelle; dans  l'argot  de  Paris  on  dit  travails  pour  travaux: 


220 

Moi  CCS  travails-\a,  ça  m'épate 

(A.   Bruant,  Dans  la  rue,  p.  189). 

Moi  j'dis  qu'on  f  rait  mieux  d'inventer 
Des  travails  dont  qu'personne  n'crève. 

(Id.,  ib.) 

3)  Échange  entre  -al  et  -ail. 

305.  A  cause  de  la  concordance  du  pluriel  des  mots  en  -ail 
avec  celui  des  mots  en  -al,  il  y  a  eu  parfois  confusion  au 
singulier,  ainsi  que  -al  a  été  remplacé  par  -ail,  et  vice-versa. 
En  voici  quelques  exemples: 

P  AL  remplacé  par  AIL.  Cette  substitution  se  rencontre  sou- 
vent; cependant,  elle  n'est  devenue  définitive  que  dans  trois 
mots:  corail,  poitrail,  portail. 

Canal  (emprunté  du  lat.  canalis).  On  trouve  canail  dans 
une  chanson  du  XVP  siècle:  Mais  le  canail  leur  est  osté  (p.p. 
É.  Picot,  dans  la  Revue  d'histoire  littéraire,  VI  [1899],  p.  236). 
C'est  le  seul  exemple  qui  me  soit  connu. 

Coral  (emprunté  du  lat.  corallium)  est  la  forme  ordinaire 
au  moyen  âge;  cependant,  corail  existe  déjà  au  XI V*'  siècle. 
Au  XVII''  siècle,  les  deux  formes  se  contre-balancent.  Ménage 
(1672)  remarque:  »11  faut  prononcer  coral  et  non  pas  coraih<. 
Th.  Corneille  (1687)  est  de  l'avis  opposé:  »Je  crois  que  corail 
...  est  plus  usité  que  corah.  Coral  se  trouve  encore  dans  la 
première  édition  du  Dictionnaire  de  l'Académie  (1694);  mais 
dans  celle  de  1718,  corail  seul  est  cité. 

Corporal  (emprunté  du  latin  ecclés.  cor p orale);  la  forme 
corporail,  citée  par  R.  Estienne  et  Oudin,  a  vite  disparu. 

Cristal  (emprunté  du  lat.  cristallus);  au  XVIP  siècle  on  a 
eu  la  forme  collatérale  cristail;  mais  les  grammairiens  recom- 
mandent de  l'éviter.  Th.  Corneille  (1687)  remarque:  »Je  ne 
voudrois  jamais  dire  cristail^. 

Etal  (aha.  stal);  Tabourot  dit  restait  d'une  boutique «,  et 
Monet  (1635)  hésite  entre  était  et  étal.  Les  grammairiens  sui- 
vants ne  connaissent  que  la  dernière  forme. 

Fil  d'archal  (oricalchum);  Tabourot  donne  aussi  fddarchail, 
mais  ses  indications  ne  sont  pas  toujours  très  exactes. 

Frontal  (dérivé  de  front);  la  forme  frontail  apparaît  au  XVF 
siècle  et  se  maintient  jusqu'à  nos  jours;  on  dit  aussi  fronteau, 
qui  dérive  de  frontel  (§  311),  ancien  doublet  de  frontal. 


221 

Giiindal  (altération  de  giiindas);  au  XVP  siècle,  on  disait 
aussi  giiindail ;  sur  guindeaii,  voir  §  299. 

Hôpital  (emprunté  de  hospitalem);  dans  le  Saint  Voyage 
du  Seigneur  d'Anglure  (p.  p.  F.  Bonnardot  et  A.  Longnon)  on 
trouve  ospitail  (§  51). 

Métal  (emprunté  du  lat.  m  étal  lu  m):  le  doublet  métail  se 
trouve  dès  le  moyen  âge.  En  1718,  l'Académie  remarque:  »on 
prononce  plus  ordinairement  métail«,  et  en  1740,  elle  donne 
indistinctement  métal  et  métail;  dans  les  éditions  suivantes, 
métail  est  supprimé.  Pourtant,  la  forme  persiste  toujours,  et 
on  arrive  même  à  lui  attribuer  une  signification  particulière. 
Dans  un  erratum  du  tome  II  de  la  Légende  du  beau  Pécopin, 
Victor  Hugo  remarque:  »Le  métal  est  la  substance  métallique 
pure;  l'argent  est  un  métal.  Le  métail  est  une  substance  mé- 
tallique composée;  le  bronze  est  un  métail. « 

Piédestal  (emprunté  de  l'ital.  piedestallo);  le  doublet  p/ec/es- 
tail  se  rencontre  surtout  au  XVII*' siècle;  il  est  encore  cité  par 
de  La  Touche  (1710),  mais  il  ajoute  que  piédestal  est  plus  usité. 

Poitral,  plus  anciennement  joezïra/  (lat.  pectorale).  La  forme 
poitrail  apparaît  sporadiquement  dès  le  XII^  siècle:  Des  cous 
dont  li  poitrail  sont  rot  (Méraugis,  v.  3009).  Le  poitrail  d'un 
superbe  bastiment  (Des  Accords,  Bigai rares,  p.  55).  Elle  ne 
gagne  du  terrain  qu'au  XVI I*^  siècle,  oîi  l'on  hésite  entre  poitral 
et  poitrail;  mais  Ménage  et  les  autres  grammairiens  regardent 
toujours  poitral  comme  la  forme  la  meilleure.  Le  Dictionnaire 
de  l'Académie  de  1718  donne  poitral;  dans  l'édition  de  1740 
on  ne  trouve  que  poitrail. 

Portai  (dér.  de  porte).  La  forme  portail  remonte  au  XV'- 
siècle  (voir  Littré);  elle  n'est  reconnue  qu'au  XVII*^  siècle. 
Ménage  observe  expressément  qu'il  faut  dire  le  portail  d'une 
église,  et  non  pas  le  portai. 

Quintal  (emprunté  du  blat.  quintale).  Ménage  donne  qain- 
tail  et  remarque  qu'il  fait  quintaux  au  pluriel. 

2®  AIL  remplacé  par  AL.  Cette  substitution  est  rare;  on  n'en 
connaît  que  quelques  exemples  isolés: 

Bétail  (en  anc.  franc,  bestail).  Joubert  (1579)  est  seul  à  don- 
ner bétal;  ce  n'est  peut-être  qu'une  faute  d'impression. 

Gouvernail  (gube  rnaculum);  au  XVI*^  siècle  on  trouve 
aussi  gouvernai.  Desportes  s'est  servi  de  cette  forme,  mais 
Malherbe  (IV,  344)  observe  qu'il  préfère  gouvernail. 


222 

Soupirail;  la  forme  collatérale  soupirai  indiquée  au  XV!*' 
siècle  par  Tabourot  (1587)  se  trouve  encore  dans  Richelet 
(1680).  En  1710,  De  la  Touche  observe:  »Soupirail  est  le  véri- 
table mot.  Soupirai  se  dit  quelquefois  en  poésie  pour  la  com- 
modité de  la  rime«.  Dans  l'édition  suivante  de  Uart  de  bien 
parler  françois,  il  a  ajouté:  »Je  crois  qu'on  ne  le  diroit  pas 
aujourd'hui*. 

Travail.  Joubert  (1579)  est  seul  à  donner  la  forme  iraiml. 

h-)  Mots  en  -el. 

306.  La  terminaison  -el  a  trois  sources  différentes;  elle  re- 
monte à  -a  le  m,  à  -ellum,  à  -illum.  Selon  leur  origine,  les 
mots  en  -el  avaient  donc  primitivement  des  formes  différentes 
au  pluriel:  tel  (ta  le  m)  —  teus,  agnel  (a  gn  ellum)  —  agneaux 
(I,  §  239),  chevel  (capillum)  —  cheveux  (ib.,  §  237).  Pour  le 
premier  cas,  l'analogie  a  refait  le  pluriel  et  créé  la  forme  ana- 
logique tels;  pour  les  deux  derniers  cas,  c'est  le  singulier  qui 
a  été  refait  sur  le  pluriel,  et  agneau  et  cheveu  ont  remplacé 
agnel  et  chevel. 

307.  Mots  en  -el,  de  -alem,  et  ciel  (cselum).  Le  pluriel  pri- 
mitif en  -eux  ne  s'est  conservé  que  dans  ciel  —  deux.  Pour 
tous  les  autres  mots  on  a  refait  le  pluriel  sur  le  singulier,  d'où 
les  formes  modernes  en -els:  cruel  —  cruels.  La  reformation  du 
singulier  sur  le  pluriel  est  rare. 

308.  EL — EUX.  Les  pluriels  en  -eux  sont  employés  au  XV 
siècle.  En  voici  quelques  exemples:  Vouz  voirrez  par  vos  yeux 
Le  feu  bien  près  de  \os'hosteux  (Monstrelet,  I,  274).  Nos  puis- 
sanz  dieux  Qui  sont  si  grans  et  immortueux  (Mystère  de  saint 
Laurent,  v.  6321).  Par  divers  tourmens  et  crueulx  (ib.,  6324). 
Comm'en  doit  les  crimineux  mettre  (Mystère  de  saint  Adrien, 
V.  4521).  Mes  habitz  tieulx  Que  .  .  .  (Villon,  Grand  Testament, 
V.  31).  Des  pluriels  en  -eux,  qui  n'existent  plus  au  XVI®  siècle, 
la  langue  moderne  n'a  conservé  que  deux. 

Les  formes  en  -eulx  s'employaient  aussi  au  singulier,  sans 
doute  sous  l'influence  analogique  de  la  terminaison  -eux 
(-osus);  Tout  homme  armé  doit  estre  par  effort  Crueulx 
devant,  piteux  après  victoire  (E.  Deschamps,  (Euvres  complètes, 


223 

III,  p.  37).  Le  connestable  estait  declairé  ennemy  et  cnmineu/a' 
vers  tous  les  deux  princes  (Froissart).  Une  trace  de  ce  phéno- 
mène s'est  conservée  jusqu'à  nos  jours  dans  matineiix,  qui  a 
remplacé  matinel;  la  forme  féminine  matineiise  se  rencontre 
dès  le  XV*^  siècle. 

309.  EL — ELS.  Le  pluriel  en  -els  est  maintenant  le  seul  em- 
ployé. On  le  trouve 

P  Dans  tous  les  mots  qui  remontent  au  moyen  âge:  char- 
nels, cruels,  hôtels,  sels,  tels,  etc.  Ce  sont  des  pluriels  refaits, 
dont  on  trouve  des  exemples  dès  le  commencement  du  KIY*" 
siècle;  le  traducteur  de  Henri  de  Mondeville  hésite  entre  7ï7o/-- 
tieux  et  mortelz  {Chirurgie,  §  1188),  et  on  trouve  dans  Nicole 
Oresme  charnels  à  côté  de  charneux.  Rappelons  encore  que, 
tout  en  maintenant  deux,  on  a  aussi  formé  le  doublet  ana- 
logique ciels,  qui  s'emploie  surtout  au  figuré,  en  terme  de 
peinture  et  dans  le  sens  de  climat.  Le  plus  ancien  exemple 
que  j'en  connaisse  remonte  au  XVP  siècle:  Et  firent  oster  de 
dessus  son  berceau  les  ciels,  poisles  et  daix  qui  y  estoient  (Car- 
loix,  III,  17;  voir  Littré). 

2*^  Dans  tous  les  mots  adoptés  après  le  XV^  siècle  :  carrou- 
sels, cartels,  pastels,  scalpels,  etc.  Ces  mots  n'ont  jamais  eu  de 
pluriel  en  -eux. 

310.  Mots  en  -el  de  -ellum.  L'échange  primitif  entre  -el  et 
-eaux:  chastel  —  chasteaux,  n'a  été  conservé  que  dans  deux  ad- 
jectifs :  bel  —  beaux,  nouvel  —  nouveaux.  Dans  tous  les  autres 
mots  le  singulier  a  été  refait  sur  le  pluriel,  d'où  une  nouvelle 
forme  en  -eau:  chasteau  —  chasteaux.  La  reformation  du  plu- 
riel sur  le  singulier,  d'où  une  nouvelle  forme  en  -els,  est  re- 
lativement rare  :  appel  —  appels. 

311.  EL — EAUX.    On  disait  autrefois:  agnel  —  agneaux,  annel 

—  anneaux,  chapel  —  chapeaux,  chastel  —  chasteaux,  coutel  — 
couteaux,  drapel  —  drapeaux,  oisel  —  oiseaux,  pel  —  peaux,  rastel 

—  rasteaux,  taurel  —  taureaux,  vaissel  —  vaisseaux,  etc.  Ces 
formes  doubles  n'existent  plus  dans  la  langue  littéraire  (sur 
quelques  restes  isolés,  voir  §  313),  mais  elles  ont  été  con- 
servées dans  le  patois  du  Dessin,  où  l'on  dit  agnè  (agneau)  — 
agniâ,  kapè  (chapeau)  —  kapiâ,  koutè  (couteau)  —  koukiâ,    raté 


224 

(râteau)  —  rakya,  tore  (taureau)  ■ —  toriâ,  tonè  (tonneau)  —  toniâ, 
etc.  ;  comp.  encore  bio  (beau)  —  biâ,  pio  (peau)  —  pia  (Bulletin 
des  parlers  normands,  1899,  p.  152). 

312.  EAU — EAUX.  Sous  l'influence  du  pluriel,  le  singulier  a 
été  refait  et  se  termine  maintenant  en  -ean:  agneau,  anneau, 
chapeau,  château,  couteau,  drapeau,  oiseau,  peau,  râteau,  taureau, 
vaisseau.  On  a  longtemps  hésité  entre  -el  et  -eau;  au  XVF  siècle, 
l'usage  est  encore  flottant  pour  beaucoup  de  mots;  il  ne  se  fixe 
qu'au  commencement  du  XVIP  siècle. 

313.  Dans  quelques  mots  isolés  l'ancienne  forme  en  -el  a  été 
conservée  à  côté  de  la  forme  analogique  en  -eau. 

Agnel  (agnellum),  terme  historique  désignant  une  pièce 
d'or  ancienne,  dont  l'effigie  était  un  agneau.  L'agnel  d'or  a 
duré  en  France  jusqu'à  Charles  VII.  Le  pluriel  moderne  est 
sans  doute  agnels. 

Appel  (substantif  verbal  tiré  de  appeler).  Rabelais  se  sert  en- 
core de  l'ancien  pluriel  appeaux:  Les  appeaulx  renversés  et  à 
néant  mis  (III,  chap.  36).  De  ce  pluriel  on  a  de  bonne  heure 
tiré  le  singulier  appeau:  Leurs  maryz  .  .  .  qui  s'attendoyent  à 
l'appeau  de  leurs  femmes  (Cent  nouv.  nouv.,  n^SO);  mais  d'un 
autre  côté,  l'ancien  singulier  appel  a  provoqué  le  nouveau  plu- 
riel appels.  De  cette  manière,  on  a  eu  des  formes  doubles  et 
pour  le  singulier  (appel  —  appeau)  et  pour  le  pluriel  (appeaux 
—  appels)  ;  on  en  a  tiré  deux  mots  en  unissant  les  formes 
homonymes  (appel  —  appels,  appeau  —  appeaux),  et  chaque  mot 
a  eu  sa  fonction  spéciale. 

Bel  (b  e  1 1  u  m)  s'emploie  dans  quelques  surnoms  historiques  : 
Charles  le  Bel,  Philippe  le  Bel;  dans  quelques  locutions  toutes 
faites:  bel  et  bon,  bel  et  bien,  et  devant  un  substantif  masculin 
commençant  par  une  voyelle:  un  bel  enfant  (comp.  un  beau 
garçon).  En  dehors  de  ces  cas,  les  auteurs  modernes  se  servent 
parfois  de  bel  pour  donner  un  cachet  archaïque  à  la  phrase: 
Bien  que  le  paradis  soit  joyeux  et  brillant.  Cocagne  est  bien 
plus  bel  à  voir  (J.  J.  Jusserand,  Histoire  littéraire  du  peuple  an- 
glais, I,  227). 

Bordel  (diminutif  de  borde)  est  ou  la  forme  médiévale  con- 
servée intacte  ou  un  mot  d'emprunt  (italien?  gascon?);  Régnier 
employait  bordeau  (Satire  X),   forme  refaite  régulièrement  sur 


225 

le  pluriel  bordeaux  qui  se  trouve  dans  le  même  auteur  (Satire 
IV).  Le  singulier  bordel  a  provoqué  le  pluriel  analogique 
bordels. 

Lambel  (d'origine  inconnue)  s'emploie  pour  lambeau  comme 
terme  de  blason. 

Martel  (blat.  martellum)  s'emploie  pour  marteau  dans  le 
nom  historique  de  Charles  Martel.  C'est  le  même  mot  (ou  le 
substantif  verbal  de  marteler-?)  qu'on  a  dans  la  locution  se 
mettre  martel  en  tête. 

Nouvel  (novellum)  s'emploie  pour  nouveau  devant  un 
substantif  masculin  commençant  par  une  voyelle:  un  nouvel 
habit  (mais  un  nouveau  livre).  Comp.:  Un  nouveau  Antoine 
(Annales  pol.  et  litt.,  1897,  I,  186  a). 

Scel  (sigillum)  s'est  longtemps  employé  pour  sceau  dans 
quelques  formules  de  chancellerie:  Scel  et  contrescel,  le  scel  du 
Châtelet. 

314.  El  de  -ïllum  (cf.  I,  §  237)  ne  s'est  trouvé  que  dans  un 
seul  mot  chevel  (capillum)  ou  cheveul  (Chirurgie  de  Henri 
de  Mondeville,  §  126),  devenu  cheveu  sous  l'influence  du  plu- 
riel cheveus  qui  était  bien  plus  souvent  employé  que  le  singu- 
lier. Ronsard  se  sert  de  cheveul;  cette  forme  est  aussi  donnée 
par  Oudin,  mais  au  XVII^  siècle,  /  ne  se  prononçait  pas. 

5)  Mots  en  -eil. 

315.  Les  mots  en  -eil  devraient  régulièrement  se  terminer  au 
pluriel  en  -eux  :  conseil  —  conseux.  Mais  le  pluriel  a  de  bonne 
heure  été  reformé  sur  le  singulier,  et  se  termine  depuis  long- 
temps en  -eils  :  conseils,  orteils,  pareils,  vermeils,  etc.  Les  an- 
ciennes formes  en  -eux  s'employaient  encore,  bien  que  rare- 
ment, au  commencement  du  .XV^  siècle.  Un  seul  mot  a  con- 
servé le  pluriel  primitif:  vieil  —  vieux;  c'est  ici  la  forme  sans  / 
qui  l'emporte  :  nulle  trace  d'un  pluriel  analogique  vieils,  mais 
au  singulier  on  emploie  vieux  à  côté  de  vieil.  Lanoue  (1596) 
remarque:  > Viens  fait  vieil  au  singulier.  Toutefois  l'vzage  a 
gagné  qu'on  s'y  peut  seruir  aussy  de  ce  plurier,  spécialement 
quand  il  suit  vne  consonante,  tellement  qu'on  tient  mieux  dit 
vn  viens  chenal  qu'vn  vieil  chenal.  Deuant  vne  voyelle  on  vze 
de  l'autre,  et  dit  on  vn  vieil  arbre,  non  vn  vieux  arbre. «  Mais 
cette   règle  n'était  pas   strictement  observée.    Nous   avons    vu 

15 


226 

plus  haut  (§  299)  que  le  peuple  disait  un  vieux  homme,  et 
H.  Estienne  revient  à  cette  prononciation  dans  sa  Grammaire 
où  il  ajoute  expressément:  »Sed  qui  e  vulgo  non  sunt,  et 
emendatius  loqui  existimantur,  dicunt  vieih^.  D'un  autre  côté, 
A.  d'Aubigné  écrit:  Le  cœur  d'un  vieil  crapaud  (Misères,  v.  929), 
et  c'est  la  forme  qu'emploie  de  préférence  Malherbe:  Vieil 
comme  je  suis.  Un  vieil  sénateur.  Un  mot  vieil,  etc.  Dans  ses 
Remarques  (II,  85 — 86),  Vaugelas  cherche  à  établir  des  règles 
précises,  mais  l'usage  n'est  pas  encore  fixé,  et  on  hésite  tou- 
jours entre  un  vieux  homme  et  un  vieil  homme.  Les  règles  mo- 
dernes, qui  sont  celles  de  Vaugelas,  ne  sont  généralement  re- 
connues qu'au  XVIIP  siècle. 

6)  Mots  en  -eul. 

316.  Le  pluriel  primitif  des  mots  en  -eul  est  -eux:  tilleul  — 
mieux.  Les  deux  formes  n'existent  plus  que  dans  aïeul  —  aïeux; 
pour  tous  les  autres  mots,  il  y  a  eu  assimilation,  et  on  a 
généralement  refait  le  pluriel,  d'oiî  une  nouvelle  forme  en 
-euls:  tilleul  —  tilleuls.  On  trouve  aussi  plusieurs  traces  du  dé- 
veloppement contraire,  la  reformation  du  singulier  sur  le  plu- 
riel, d'oii  une  nouvelle  forme  en  -eu.  Les  grammairiens  du 
XVIP  siècle  attestent  la  prononciation  chevreu,  écurieu,  épagneu, 
filleu;  elle  n'a  pas  persisté,  excepté  dans  un  seul  mot,  moyeu 
(modiolum),   qui   est  pour  moyeul  (encore  dans  Palsgrave). 

317.  EUL— EUX,  EULS.  On  disait  jusqu'au  milieu  du  XVIP 
siècle  chevreul  —  chevreux,épagneal — épagneux,  glaïeul — glaïeux, 
linceul —  linceux.  En  1685,  le  grammairien  Mourgues  remarque: 
»Les  noms  qui  ont  eul  au  singulier  peuvent  retenir  ou  laisser 
leur  /  au  plurier  pour  la  commodité  de  la  rime,  car  on  peut 
prononcer  linceuls,  agents,  glayeuls  ou  linceux,  ayeux,  glayeux. 
...  Il  faut  pourtant  excepter  seul  et  filleul,  qui  retiennent  leur 
/  au  plurier«  (Thurot,  La  prononciation  française,  II,  82).  Après 
le  XVIP  siècle,  on  n'emploie  que  les  formes  en  -euls:  épagneuls, 
filleuls,  glaïeuls,  ligneuls,  linceuls,  seuls,  tilleuls.  L'analogie  a  aussi 
créé  aïeuls  à  côté  de  aïeux. 

318.  Voici  quelques  observations  sur  les  principaux  mots 
en  -eul: 


227 

Aïeul  (*aviolum)  —  aïeux.  La  forme  analogique  aïeuls  re- 
monte probablement  au  XVF  siècle;  le  plus  ancien  exemple 
que  j'en  connaisse  se  trouve  dans  Malherbe:  Comme  ils  se 
trouvent  au  bout  de  leurs  aïeuls  ...  ils  mettent  un  dieu  de 
leur  partie  {Œuvres  complètes,  p.  p.  Lalanne,  II,  21).  Actuelle- 
ment on  se  sert  des  deux  formes,  et  aïeux  est  synonyme  de 
'ancêtres',  tandis  que  aïeuls  signifie  le  grand-père  et  la  grand- 
mère.  Cette  distinction  n'existait  pas  autrefois,  comme  le 
montrent  l'exemple  de  Malherbe  et  ceux  qu'a  cités  Littré. 

Chevreul  (capreolum)  —  chevreux.  Ces  formes  s'employaient 
jusque  dans  le  XVII*'  siècle.  L'ancien  pluriel  se  trouve  encore 
dans  Chifflet  (1659);  Martin  (1632),  qui  écrit  chevreul,  remarque 
qu'on  prononce  chevreu.  Sur  le  remplacement  de  chevreul  par 
chevreuil,  voir  ci-dessous  au  §  321. 

Écurieul  (*scuriolum,  de  *scurium  pour  sciurum)  — 
écurieux;  on  disait  aussi  écureul  —  écureux:  Il  leur  faut  robes 
descureux  (Deschamps,  Œuvres  complètes,  IX,  v.  2092).  Les 
escurieux  ne  dansèrent  point  au  Louvre  (Malherbe,  Œuvres 
complètes,  III,  379).  Pour  le  singulier,  les  grammairiens  du 
XVI*'  siècle  indiquent  aussi  des  formes  sans  /;  écurieu,  écureu; 
Rabelais  écrit  écurieux:  Saultoit  de  l'une  en  l'autre  comme  un 
escurieux  (I,  chap.  13).  Au  XVII''  siècle,  les  anciennes  formes 
disparaissent  devant  écureuzV  —  écureuils  (comp.  §  321).  Ménage, 
qui  examine  »s'il  faut  dire  écureuil,  ou  écurieu«,  conclut:  »  L'u- 
sage est  pour  écureuih. 

Épagneul  (*hispaniolum) —  épagneux.  La  Fontaine  écrit: 
Qu'elle  vienne  admirer  le  roi  des  épagneux  (Le  petit  chien).  On 
dit  maintenant  épagneuls. 

Filleul  (filiolum)  —  filleuls.  Je  ne  saurais  indiquer  quand 
l'ancien  pluriel  filleux  a  disparu. 

Glaïeul  (gladiolum) — glaïeux.  L'ancien  pluriel  est  encore 
employé  par  Perrault:  Un  sauvage  oiseau  de  rivière.  Parmi  les 
joncs  et  les  glaïeux,  Frappe  inopinément  les  yeux  (Chasse). 
On  dit  maintenant  glaïeuls. 

Ligneul  (dér,  de  ligne).  Le  pluriel  ligneux  m'est  inconnu. 

Linceul  (linteolum)  —  linceux.  L'ancien  pluriel  s'employait 
couramment  au  XVI®  siècle.  On  le  trouve  encore  dans  Agrippa 
d'Aubigné:  Quand  le  malade  amasse  et  couverte  et  linceux  Et 
tire  tout  à  soi,  c'est  un  signe  piteux  (Misères,  v.  651).  Le  même 

15* 


228 

auteur  se  sert  aussi  de  la  nouvelle  forme  linceuls:  Aprestez  les 
linceuls  du  lict  (Poésies  diverses,  III,  252). 

Seul  (solum)  —  seuls.  Je  n'ai  pas  trouvé  la  forme  primitive 
sens  après  le  XIV^  siècle. 

Tilleul  (*tiliolum)  —  iilleux.  L'ancien  pluriel  est  encore  em- 
ployé par  Ménage;  il  écrit  dans  la  première  de  ses  Eglogues: 
Ainsi  sous  les  tilleux,  pressant  sa  cornemuse,  Chantoit  le  beau 
Daphnis.  Selon  le  même  auteur  il  faut  prononcer  tilleu  au 
singulier. 

7)  Mots  en  -euil. 

319.  Tous  les  anciens  mots  en  -euil  devaient  faire  au  plu- 
riel -eux,  mais  cette  forme  était  tombée  en  désuétude  déjà  au 
XVI^  siècle,  et  on  avait  commencé  à  se  servir  de  la  terminai- 
son analogique  -euils,  refaite  sur  le  singulier.  Malherbe  n'ai- 
mait pas  ces  nouvelles  formes;  il  remarque:  »Fuis  tant  que 
tu  pourras,  les  pluriers  des  mots  en  -euil:  écueuil^  recueuil,  ac- 
cueuil,  cercueuil,  orgueuil.  Œuil  est  excepté;  aussi  son  plurier 
yeux  est  anomal.  Quant  à  moi,  je  ne  donnerais  jamais  de  plu- 
rier aux  mots  que  j'ai  allégués  ci-dessus«  {Œuvres  complètes, 
IV,  463).  L'opinion  de  Malherbe  n'a  pas  prévalu;  tous  les 
mots  en  -euil,  anciens  et  récents,  ont  reçu  un  pluriel  ana- 
logique en  -euils,  et  on  dit  accueils,  bouvreuils,  cercueils,  cerfeuils, 
chèvrefeuils  (I,  §  125),  chevreuils,  deuils,  écureuils,  fauteuils,  or- 
gueils, recueils,  seuils.  On  trouve  aussi  des  traces  d'une  refor- 
mation du  singulier  sur  le  pluriel.  A  côté  de  bouvreuil,  plu- 
sieurs lexicographes  citent  une  forme  vulgaire  bouvreu  (bou- 
vreux)  qui  paraît  tiré  d'un  pluriel  bouvreux,  dont,  du  reste,  je 
ne  connais  pas  d'exemples. 

320.  Voici  quelques  remarques  de  détail  sur  plusieurs  mots 
en  -euil: 

Cercueil  (sarcophagum).  Dans  ce  mot  la  terminaison  -ueil 
est  de  formation  analogique:  les  anciennes  formes  sont  sarcou, 
sarqueu  et  sarcous,  sarqueus.  C'est  de  sarqueus  qu'on  a  tiré 
sarcueil  (comp.  ci-dessous,  §  321).  Froissart  dit  alternativement 
un  sarqueux  et  un  sarcueil,  sans  aucune  distinction.  Les  deux 
formes  sont  donc  à  regarder  comme  un  reste  incompris  de 
l'ancienne  déclinaison;  l'usage,  longtemps  flottant,  a  fini  par 
accepter  sarcueil,   cercueil   et  lui  a  créé  un  pluriel  analogique. 


229 

Chevreuil  (câpre olum)  est  une  forme  analogique  pour 
chevreul  (voir  §  318);  l'ancien  pluriel  chevreux  a  disparu  de- 
vant chevreuils. 

Œil  —  yeux.  A  côté  de  yeux,  forme  très  difficile  à  expliquer, 
on  a  créé  le  pluriel  analogique  œils  qui  s'emploie  dans  quelques 
mots  composés  où  il  est  pris  au  sens  figuré  et  ordinairement 
suivi  d'un  nom  d'être  animé:  des  œils-de-bœuf  (sorte  de  lu- 
carnes), des  œils-de-bouc  (sorte  de  coquillage),  des  œils-de-chat 
(corindon  nacré),  des  œils-d'or  (poisson),  des  œils  du  jour  (pa- 
pillon), des  œils-de-verre  (espèce  de  fauvette),  des  œils-blancs 
(espèce  de  fauvette),  des  œils-peints  (oiseau  du  Mexique).  Par- 
tout ailleurs  on  se  sert  de  yeux:  Les  yeux  de  la  tête,  les  yeux 
du  fromage,  les  yeux  de  la  soupe,  les  yeux  du  pain,  les  yeux  de 
la  pomme  de  terre,  tailler  à  deux  yeux,  etc.,  etc. 

Dans  les  patois  on  a  souvent  généralisé  l'une  des  deux 
formes;  dans  le  patois  de  Bourberain,  èj  sert  et  pour  le  sin- 
gulier et  pour  le  pluriel  (Revue  des  patois  gallo-romans,  111,89); 
au  centre  de  la  France,  on  dit  au  contraire  «20/7  yeu  (Jaubert, 
Glossaire  du  Centre,  II,  413). 

8)  Echange  entre  -eut  et  -euil. 

321.  A  cause  de  la  concordance  du  pluriel  des  mots  en  -eul 
avec  celui  des  mots  en  -euil,  il  y  a  eu  parfois  confusion  au  sin- 
gulier, de  sorte  que  -eul  a  été  remplacé  par  -euil.  On  a  dit  par 
exemple  fûleuil  (Tabourot),  ligneuil  (Lanoue),  tilleuil  (Furetière), 
mais  ces  formes  n'ont  pas  persisté.  Dans  deux  mots,  -euil  a 
définitivement  remplacé  -eul. 

Chevreul.  Le  doublet  victorieux  chevreuil  est  déjà  dans  Rabe- 
lais (IV,  chap.  59),  et  Lanoue  fadmet  à  rimer  avec  les  mots 
en  -euil.  Pourtant  Cotgrave  (1611)  et  Oudin  (1633)  ne  con- 
naissent que  chevreul;  à  la  fin  du  siècle,  chevreuil  Va  emporté: 
c'est  la  seule  forme  que  connaisse  Richelet  (1680). 

Écur(i)eul  (voir  §  318).  La  forme  moderne  écureuil  n'appa- 
raît qu'au  XVII*^  siècle^;  elle  est  reconnue  par  Ménage  (1672). 
Richelet  cite  et  écureuil  et  écurieu,  tout  en  donnant  la  pré- 
férence à  la  première  forme,   la   seule   qu'admette   l'Académie. 

Linceul.  Le  doublet  linceuil  se  montre  déjà  au  XVI*^  siècle; 
Tabourot  et  Lanoue  donnent  les  deux  formes  et  elles  per- 
sistent jusqu'à  nos  jours  où  la  prononciation  mouillée  tend  à 


230 


prévaloir;  cependant  l'orthographe  officielle  n'admet  que  lin- 
ceul A.  de  Musset  {Premières  poésies,  p.  233)  fait  rimer  seuil  et 
linceul;  comp.  glaïeul:  linceul  (V.  Hugo,  Ballades,  n°  4). 


9)  Mots  en  -ol. 

322.  Les  mots  en  -ol  faisaient  autrefois  au  pluriel  -oux 
(-ous)  :  sol  —  sous.  Cet  état  de  choses  a  été  troublé  par  l'ana- 
logie : 

1°  On  a  refait  le  singulier  sur  le  pluriel,  d'où  une  nouvelle 
forme  en  -ou:  sou  pour  sol. 

2*'  On  a,  plus  rarement,  refait  le  pluriel  sur  le  singulier,  d'où 
une  nouvelle  forme  en  -ois:  rossignols  pour  rossignoux. 

3^  Dans  quelques  mots  on  a  conservé  jusqu'à  nos  jours 
l'ancienne  forme  en  -ol  à  côté  de  la  forme  analogique  en  -ou: 
fol  —  fou,  col  —  cou.  Chacun  des  doublets  a  reçu  sa  fonction 
spéciale. 

323.  OL — OUX.  Voici  quelques  remarques  de  détail  sur  les 
différents  mots  appartenant  à  ce  groupe: 

Chol  (caulem)  —  choux.  Le  singulier  a  été  refait  de  très 
bonne  heure;  chol  est  supplanté  par  chou  dès  le  XV*  siècle. 
Le  dernier  exemple  de  l'ancien  singulier  que  donne  Littré  est 
tiré  du  Livre  du  roy  Modus. 

Col  (collum)  —  cous.  Le  singulier  refait  cou  se  trouve  déjà 
dans  Froissart.  Au  XVP  siècle,  on  hésite  entre  col  et  cou,  mais 
cette  dernière  forme  finit  par  l'emporter,  et  col  ne  s'emploie 
plus  qu'en  poésie,  et  surtout  quand  le  mot  suivant  commence 
par  une  voyelle:  Son  col  était  penché  (La  Fontaine,  Psyché). 
De  nos  jours,  col  se  dit  encore  au  sens  propre,  mais  seule- 
ment en  poésie:  Le  col  toujours  courbé  (Musset,  Premières 
poésies,  p.  267),  et  par  euphonie,  pour  éviter  un  hiatus  ou  une 
consonance  désagréable.  Littré  et  le  Dictionnaire  général  citent 
comme  exemples:  un  col  apoplectique,  un  col  court;  Littré  ajoute 
pourtant  que  l'usage  s'en  perd  de  plus  en  plus.  Dans  un  ro- 
man tout  récent  j'ai  trouvé  col  employé  devant  un  mot  com- 
mençant par  une  consonne:  Elle  admire  encore  les  bêtes  har- 
dies, dont  le  col  frémit  sous  la  main  des  cavaliers  (J.  Bois, 
Une  nouvelle  douleur,  Paris,  1900,  p.  45). 


231 

A  cause  de  sa  forte  ressemblance  avec  le  primitif  latin,  l'an- 
cien singulier  est  aussi  retenu  comme  terme  savant  et  tech- 
nique. Ménage  remarque:  »I1  y  a  pourtant  certaines  façons  de 
parler  où  l'on  prononce  col:  comme  en  celles-cy:  Le  col  de  la 
vessie;  Le  col  de  la  matrice.  On  dit  encore  Le  col -de  perlas; 
qui  est  un  passage  du  Roussillon  dans  la  Catalogne.  Mais  col 
en  cet  endroit  ne  vient  pas  de  collum,  mais  de  collis.'i<  Cet 
emploi  de  col  s'est  maintenu  jusqu'à  nos  jours,  où  l'on  dit: 
le  col  de  la  vessie,  le  col  du  fémur,  le  col  du  Simplon,  un  col 
de  bouteille,  un  col  de  chemise.  Pour  col  on  a  créé  le  nouveau 
pluriel  cols,  et  de  cette  manière  l'anden  col  —  cous  a  donné 
naissance  à  deux  mots  nouveaux:  col  —  cols,  et  cou  —  cous. 
Ajoutons  que  col  s'est  aussi  conservé  dans  les  composés  hausse- 
col  (I,  §  529),  au  pluriel  hausse-cols,  et  licol  (doublet  de  licou), 
au  pluriel  licous. 

Fol  (folle m)  —  fous.  On  trouve  au  XI V«  siècle  la  forme 
foui,  avant-coureur  de  fou;  au  XVI^  siècle,  l'emploi  de  fol  est 
restreint  au  seul  cas  où  le  mot  suivant  commençait  par  une 
voyelle.  Pelletier  remarque:  »Nous  disons  quelquefois  fol  ... 
quand  il  s'ansuit  une  voyèle«.  Henri  Estienne  regrette  cette 
prépondérance  de  la  nouvelle  forme;  on  trouve  dans  ses  Hypo- 
mneses  l'observation  suivante:  »Nam  hsec  pronuntiatio  fou, 
cou,  mou,  plané  est  ex  abusu,  pro  fol,  col,  mol:  quamvis  non 
solùm  vulgus,  sed  multi  etiam  qui  è  vulgo  non  sunt,  altéra 
illa  pronuntiatione  utantur,  vel  potiùs  abutantur«.  De  nos 
jours,  fol  ne  s'emploie  que  devant  un  substantif  commen- 
çant par  une  voyelle;  aux  XVI''  et  XVIP  siècles  fol  s'employait 
devant  un  mot  quelconque  commençant  par  une  voyelle.  Té- 
moin le  dicton,  attribué  à  François  I^"":  Souvent  femme  varie. 
Bien  fol  est  qui  s'y  fie;  on  remplacerait  maintenant  fol  par 
fou.  En  voici  quelques  autres  exemples  :  Je  dois  bien  moins 
en  prendre  [des  lois]  et  d'un  fol  et  d'un  fils  (Rotrou,  Vences- 
las,  I,  se.  5).  Un  fol  allait  criant  (La  Fontaine,  Fables,  IX,  8). 
Bossuet  a  créé  le  pluriel  fols:  O,  le  saint  inutile!  diront  les 
fols  amateurs  du  siècle  (Deuxième  Panégyrique  de  St.  François 
de  PauleJ.  Littré  observe:  »I1  est  certain  que  les  fous  amateurs 
ne  serait  pas  aussi  bien  dit«. 

Mol  (molle m)  —  mous.  L'ancien  singulier  mol  s'emploie 
encore  au  XVI'^  siècle,  mais  les  grammairiens  observent  qu'on 
prononce   généralement  mou.    En  parlant  des  mots  en  -ol  qui 


232 

se  prononcent  autrement  qu'ils  ne  s'écrivent,  Pelletier  ajoute  : 
»Nous  n'oserions  lés  écrire  autremant,  tant  pour  garder  l'éti- 
mologie  que  par  ce  que  les  féminins  de  téz  nons  sont  an  o/e«. 
Tabourot  (1587)  et  Lanoue  (1596)  admettent  à  la  rime  et  les 
formes  en  -ol,  et  les  formes  en  -ou.  Corneille  se  sert  encore 
de  mol,  même  devant  une  consonne:  Ce  mol  consentement 
(Horace,  v.  970).  Un  prince  faible,  envieux,  mol,  stupide  (At- 
tila, V.  217).  Dès  le  XVIF  siècle,  l'emploi  de  mol  s'est  restreint 
de  plus  en  plus;  de  nos  jours,  il  ne  se  trouve,  selon  les  gram- 
mairiens, que  devant  un  substantif  qui  commence  par  une 
voyelle:  Un  mol  abandon^  un  mol  édredon  (mais,  un  homme 
mou  au  travail).  Les  deux  exemples  sont  à  rayer,  ils  appar- 
tiennent exclusivement  au  style  soutenu  ;  ce  sont  des  fossiles 
que  les  grammairiens  se  transmettent  pieusement  sans  examen. 
Dans  une  lettre  à  M.  J.  Storm,  M.  Paul  Passy  écrit:  »Je  crois 
qu'on  dit  toujours  un  édredon  mou.  Quant  à  mol  abandon,  cela 
ne  se  dit  pas,  ni  abandon  mou  non  plus;  c'est  la  phrase  même 
qui  est  littéraire  «.  On  peut  en  tirer  la  conclusion  que  la  forme 
mol  ne  vit  plus  dans  la  langue  parlée  de  nos  jours,  bien  qu'elle 
s'emploie,  mais  rarement,  dans  la  langue  écrite:  Le  mol  af- 
faissement des  roses  épanouies  (J.  Normand,  Contes  à  Madame, 
p.  20).  Finissons  en  citant  un  exemple  d'un  pluriel  refait  mois: 
Adieu  molz  liz,  adieu  piteux  regards  (E.  Deschamps,  Œuvres- 
complètes,  IV,  309);  peut-être  n'avons-nous  là  qu'une  ortho- 
graphe analogique.  Pourtant  la  même  forme  a  été  employée 
par  H.  Lavedan  dans  un  roman  récent:  La  tête  lâchée  dans 
les  mois  oreillers  (Sire,  p.  102). 

Sol  (solidum)  —  sous.  L'ancien  singulier  est  encore  admis 
dans  la  Grammaire  de  Cauchie  (1586)  où  on  lit:  »Licet  fol 
et  fou  efferre,  ut  sol  et  sou«.  La  graphie  sol  persiste  jusque 
dans  le  XVII*^  siècle,  mais  les  grammairiens  remarquent  que 
»/  se  prononce  u«.  C'est  probablement  pour  donner  à  son  par- 
ler une  teinte  d'archaïsme  que  Roulette  répond  à  son  inter- 
locuteur: Pas  un  sol  (H.  Lavedan,  Sire,  p.  89).  La  forme  ana- 
logique sou  se  rencontre  dès  la  fin  du  XV*^  siècle. 

324.  OL — OLS.  Le  pluriel  en  -ois  s'emploie: 

1°    Dans    un    petit    nombre   de   mots   anciens;    à   ceux   que 

nous  avons  cités  au  paragraphe  précédent  (cols,  fols,  mois),  il 

faut  ajouter: 


233 

Rossignol  (*lusciniolum)  —  rossignols.  La  forme  rossig nous 
ne  se  trouve  pas  après  le  XIV*^  siècle. 

Vol  (subst.  verbal  tiré  de  voler)  —  vols.  La  forme  avec  /  a 
été  généralisée  de  bonne  heure  à  cause  de  l'influence  du  verbe 
voler.  Dès  le  XVI*'  siècle,  on  trouve,  à  côté  de  vol,  la  forme 
vou,  due  à  l'analogie  de  fol  —  fou,  mol  —  mou.  Le  Gaygnard 
(1585)  remarque  que  vol  se  prononce  vou  »parmi  les  gens«  ; 
la  règle  ainsi  formulée  est  sans  doute  trop  générale.  Régnier 
(1705)  fait  des  restrictions:  »Vol,  dans  quelque  signification 
que  ce  soit,  retient  la  prononciation  et  l'orthographe  de  1'/ 
finale  si  ce  n'est  qu'en  termes  de  fauconnerie  on  dit  qu'un 
oiseau  a  fait  un  beau  vou,  et  qu'on  dit  pareillement  le  vou  pour 
la  pie«.  La  même  observation  se  trouve  encore  dans  Antonini 
(1758). 

2"  Dans  les  mots  d'emprunt:  bols,  espagnols,  mogols,  parasols, 
sols,  viols,  vitriols,  etc. 

10)  Mots  en  -ouil. 

325.  Les  mots  en  -ouil  se  terminaient  autrefois  au  pluriel 
en  -oux:  genouil  —  genoux.  Cependant  l'analogie  a  de  bonne 
heure  troublé  cet  état  de  choses,  en  créant  une  nouvelle  forme 
ou  pour  le  singulier  ou  pour  le  pluriel: 

P  Le  pluriel  a  été  refait  sur  le  singulier,  d'oii  une  nouvelle 
forme  en  -ouils:  fenouil  —  fenouils. 

2^  Le  singulier  a  été  refait  sur  le  pluriel,  d'où  une  nouvelle 
forme  en  -ou  :  genou  —  genoux. 

326.  Voici  quelques  remarques  de  détail  sur  les  mots  qui 
appartiennent  à  ce  groupe: 

Fenouil  (fenuculum).  Le  pluriel  de  ce  mot  est  d'un  em- 
ploi assez  rare;  il  est  donc  naturel  qu'on  ait  généralisé  la 
forme  du  singulier  en  créant  fenouils.  Je  n'ai  jamais  rencontré 
fenoux,  et  il  n'a  probablement  jamais  existé;  en  parlant  de 
garbouil,  fenouil,  gazouil,  Lanoue  (1596)  remarque:  »A  peine 
reçoivent-ilz  seulement  le  plurier;  quand  il  adviendra,  ilz  au- 
ront le  régulier«.  Quant  au  singulier,  on  trouve  au  XVII'^  siècle, 
à  côté  de  fenouil,  la  forme  fenou,  due  à  l'analogie  de  genouil 
—  genou,  verrouil  —  verrou.  Encore  De  la  Touche  (1710)  donne 
fenouil  —  fenou,  mais  il  ajoute  que  la  dernière  forme  n'était 
pas  »du  bel  usage  «. 


234 

Genoiiîl  (*genuculum) — genou.  Dans  ce  mot,  le  singulier 
a  été  refait  sur  le  pluriel,  à  cause  de  l'emploi  très  fréquent 
de  cette  forme,  et  genouil  a  fini  par  disparaître  devant  genou. 
On  hésite  au  XVIP  siècle  entre  ces  deux  formes;  la  plupart 
des  grammairiens  s'accordent  à  dire  qu'il  faut  écrire  genouil 
et  prononcer  genou.  L'ancien  singulier  se  trouve  encore  dans 
la  deuxième  édition  du  Dictionnaire  de  l'Académie  (1718),  mais 
avec  cette  observation:  »0n  escrit  ordinairement  genou,  et  il 
se  prononce  toujours  genou«.  De  nos  jours,  genouil  ne  se 
rencontre  que  dans  les  patois;  l'abbé  Delacorde  signale  cette 
forme  dans  son  Dictionnaire  du  patois  du  pays  de  Bray  (Paris, 
1852). 

Pouil  (*peduculum) — poux.  L'ancien  singulier  se  main- 
tient orthographiquement  jusqu'au  milieu  du  XVII^  siècle,  il 
se  trouve  encore  dans  Chifflet  (1659),  mais  depuis  le  Thrésor 
de  Nicot  (1606)  tout  le  monde  est  d'accord  qu'il  faut  pronon- 
cer pou.  L'ancien  singulier  se  retrouve  dans  plusieurs  patois 
modernes;  ainsi,  en  lorrain  on  dit  peuil  (Romania,  VI,  244). 
Au  XVP  siècle,  on  trouve  le  pluriel  refait  pouils  dans  Montaigne  : 
Les  pouils  sont  suffisants  pour  faire  vacquer  la  dictature  (éd. 
Didot,  de  1802,  vol.  II,  p.  171).  Dans  la  grande  édition  par 
Pierre  Coste  (Paris,  1725),  pouils  est  remplacé  par  poux  (vol. 
II,  p.  152). 

Verrouil  (verruculum)  —  verroux.  L'ancien  singulier  dis- 
paraît au  XVIP  siècle.  Oudin  et  Chifflet  attestent  que,  tout  en 
écrivant  verrouil,  on  prononce  verrou.  Richelet  (1680)  ne  donne 
que  cette  dernière  forme. 


MOTS   COMPOSÉS. 

327.  Les  noms  composés  qui  s'écrivent  en  un  seul  mot, 
sans  trait  d'union,  sont  regardés  comme  des  mots  simples  et 
suivent  la  règle  commune  :  Des  aubépines,  des  béjaunes,  des 
bonbons,  des  bonheurs,  des  bonjours,  des  bonsoirs,  des  betteraves, 
des  malemorfs,  des  malerages,  des  malheurs,  des  piverts,  des  pla- 
fonds, des  raiforts,  des  vinaigres,  des  sauvegardes,  etc.  Des  entre- 
sols, des  passeports,  des  pourboires,  des  pourparlers,  etc.,  etc. 

Remarque.  Nous  trouvons  des  parallèles  curieux  dans  les  autres  langues 
romanes;  comp.  en  ital.  :  i  biancospini,  i  francoboUi,  i  camposanti,  i  mezzo- 


235 

giorni,  etc.,  et  en  esp.  los  montepios,   los  padrenuestros,   los  sordomudos,  los 
aguardientes,  etc. 

328.  Font  exception  à  cette  règle  les  mots  suivants: 

Bonhomme  —  bonshommes.  M.  R.  de  Gourmont  remarque: 
»La  tendance  populaire  va  vers  le  pluriel  régulier;  les  enfants 
disent  des  bonhommes«   (Le  problème  du  style,  p.  229). 

Gentilhomme  —  gentilshommes.  Pour  le  féminin  correspon- 
dant gentil  femme,  qui  s'employait  jusqu'à  la  fin  du  XVI^'  siècle, 
on  trouve  au  pluriel  g entilz- femmes  (gentilles  femmes)  et  genti- 
femmes  (Bon.  Des  Périers,  Nouvelles,  n^  128);  comp.  g entil-dones 
(H.  Estienne,  Deux  dialogues,  I,  243). 

Madame  —  mesdames.  On  trouve  aussi  madames:  Je  crains 
qu'il  ne  vienne  des  madames  (Sévigné,  17  mai  1680).  Si  dans 
le  monde  on  s'était  avisé  de  ne  donner  les  titres  de  Madame 
et  de  Mademoiselle  qu'au  mérite  de  l'esprit  et  du  cœur,  ah! 
qu'il  y  aurait  des  Madames  et  des  Mademoiselles  qui  ne  seraient 
que  des  Manons  et  des  Cathos  (Marivaux,  Marianne,  7^  partie). 
Aussi  toutes  les  madames  de  Corcieux  et  tous  les  Crucé  (Bour- 
get,  Complications  sentimentales,  p.  7—6).  Donnay  a  écrit  un 
roman  intitulé  Chères  madames.  Ainsi,  le  pluriel  madames  ne 
peut  s'employer  que  par  ironie  et  comme  citation  de  la  for- 
mule dont  on  se  sert  pour  interpeller  une  dame. 

Mademoiselle  —  mesdemoiselles.  Un  exemple  du  pluriel  ma- 
demoiselles est  cité  plus  haut  à  l'article  Madame. 

Monseigneur  —  messeigneurs;  on  trouve  aussi  nosseigneurs, 
dont  on  se  servait  principalement  dans  les  requêtes  présentées 
au  conseil  du  roi,  aux  cours  du  parlement,  et  autres  cours 
souveraines:  Au  roi  et  à  nosseigneurs  de  son  conseil.  On  dit 
aussi  monseigneurs  au  pluriel  quand  on  n'adresse  pas  la  pa- 
role aux  grands  personnages  et  qu'on  veut  seulement  mar- 
quer leur  dignité  :  Les  simples  monseigneurs  (La  Fontaine,  Cour- 
tisane amoureuse). 

Monsieur  —  messieurs.  On  trouve  aussi,  familièrement,  des 
monsieurs  :  Lorsque  leurs  femmes  sont  avec  les  Maux  Monsieux 
(Éc.  d.  femmes,  II,  se.  3).  Ceux  qui  le  servont  sont  des  Monsieux 
eux-mesmes  (Dom  Juan,  II,  se.  1).  Tous  les  plus  gros  monsieurs 
me  parlaient  chapeau  bas  (Racine,  Les  Plaideurs,  I,  se.  1). 

Remarque.  Dans  plusieurs  cas  la  fusion  des  deux  mots  juxtaposés  remonte 
au  moyen  âge;  dans  d'autres,  elle  est  plus  récente.  On  trouve  au  XI V«  siècle 


236 

4 

malefaçons  (voir  Godefroy),  à  côté  de  maies  semaines;  le  traducteur  de  Henri 
de  Mondeville  hésite  entre  toutes  voies  et  toutevoies;  dans  »  L'amant  rendu 
cordelier*  (v.  1818)  on  lit  bel'antes  pour  belles  antes,  etc.  L'imprécation  mal- 
dehe(t)  a  de  bonne  heure  été  prise  comme  un  mot  unique,  et  on  ne  donne 
d'ordinaire  le  signe  du  pluriel  qu'à  la  terminaison:  maldehes  pour  mais  dehes 
(Romania,  XVIll,  470).  Pour  les  formes  modernes  bonheurs,  bonjours,  on 
trouve  au  XVl^  siècle  encore  bons  heurs  (Brantôme,  Recueil  des  dames,  dis- 
cours IV)  et  bons  jours  (Rabelais,  III,  chap.  3).  Rappelons  aussi  le  pluriel 
curieux  biens-faiz  dans  les  Miracles  de  Notre  Dame  (n°  XVI,  v.  945). 

329.  Dans  les  noms  composés  dont  les  différentes  parties 
sont  jointes  par  un  trait  d'union,  le  signe  du  pluriel  ne  s'a- 
joute qu'aux  substantifs  et  aux  adjectifs;  tout  autre  mot  (ad- 
verbe, préposition  et  verbe)  reste  invariable.  On  mettra  donc 
au  pluriel  les  deux  parties  du  mot,  si  ce  sont  deux  substan- 
tifs appositionnels  ou  un  substantif  accompagné  d'un  adjectif. 

Remarque.  Dans  les  dérivés  de  mots  composés,  la  première  partie  est  in- 
variable: Des  courte-pointiers,  des  franc-maçonneries,  des  haute-lissiers,  des 
terre-neuviers,  des  saint-simoniens ,  des  arc-boutés,  etc.  Comp.  §  334,  Cas 
isolés. 

330.  Substantif -|- SUBSTANTIF.  Exemples:  Les  câbles-chaînes, 
les  cafés-concerts,  les  chats-tigres,  les  chefs-lieux,  les  choux-fleurs, 
les  choux-raves,  les  compères-loriots,  les  épines-vinettes,  les  filles- 
mères,  les  fourmis-lions,  les  huissiers-priseurs ,  les  jardiniers-fleu- 
ristes, les  lauriers-roses,  les  lieutenants-colonels,  les  loups-garous, 
les  martins-pêcheurs,  des  poêlier s- fumistes,  les  sabres-baïonnettes, 
des  voitures-lits,  etc.,  etc.  Rappelons  aussi  quartier-maître  (c.  à  d. 
maître  de  quartier,  formé  à  l'imitation  de  l'ail.  Quartier- 
meister),  au  pluriel  quartiers-maîtres,  quoique  quartier-maîtres 
fût  plus  correct. 

Cas  isolés.  Quelques  mots  font  difficullé.  Porc-épic  (cf.  I, 
§  529):  l'Académie  ne  se  prononce  pas  sur  le  pluriel  de  ce 
mot.  A.  Paré  écrivait  porcs-espics.  Littré  propose  porc-épics,  en 
ajoutant  qu'il  vaut  mieux  considérer  ce  mot  comme  un  tout, 
et  mettre  l'accord  à  la  dernière  partie.  Reine-claude:  l'Aca- 
démie donne  comme  pluriel  reines-claude ;  Littré  propose  soit 
le  pluriel  de  Génin:  des  reine-claude,  soit  celui  de  Pautex:  des 
reines-claudes. 

331.  Il  se  peut  que  les  deux  substantifs  ne  soient  pas  co- 
ordonnés; l'un  d'eux  peut  dépendre  de  l'autre;  en  ce  cas,  on  ne 
met  au  pluriel  que  le  substantif  régissant. 


237 

1"  Le  rapport  de  dépendance  entre  les  deux  noms  n'est  pas 
exprimé.  Ce  reste  de  la  syntaxe  du'  moyen  âge  se  trouve  dans 
les  mots  suivants  :  Fête-Dieu,  Hôtel-Dieu,  bain-marie,  blanc-madame, 
trou-madame.  On  écrit  au  pluriel  :  Fêtes-Dieu,  Hôtels-Dieu,  bains- 
marie,  blancs-madame,  trous-madame.  Le  mot  dépendant  peut 
aussi  précéder  comme  dans  terre-noix  (c.  à  d.  noix  de  terre), 
et  chèvre-pied  (imité  de  capripes);  au  pluriel,  des  terre-noix, 
des  chèvre-pieds.  Rappelons  aussi  un  certain  nombre  de-  com- 
posés modernes  qui  peuvent  s'expliquer  par  l'ellipse  d'une 
préposition  :  des  abris-vent,  des  cartes-correspondance  (employé 
dans  la  Suisse  romande),  des  cravates-dentelle,  des  livrets-police, 
des  portraits-carte,  des  timbres-poste,  des  timbres-quittance,  des 
trains-poste.  Sur  quartier-maître,  voir  §  330. 

2^  Le  rapport  de  dépendance  entre  les  deux  noms  est  ex- 
primé par  une  préposition.  Exemples:  les  aides -de -camp,  les 
arcs-en-ciel,  les  becs-de-cane,  les  chefs-d'œuvre,  les  dents-de-cheval, 
les  eaux-de-vie,  les  mains-d'œuvre,  les  monts-de-piété,  les  œils- 
de-perdrix,  les  œils-de-vache,  les  oreilles-de-chat,  les  pieds-d'alouette, 
les  pieds-de-mouche,  les  poux-de-soie,  etc.,  etc. 

Cas  isolés.  Ce  n'est  qu'exceptionnellement  que  le  substantif 
dépendant  est  mis  au  pluriel.  Dans  »  Dupont  et  Durand«,  A.  de 
Musset  écrit  culs-de-lampes  pour  le  faire  rimer  avec  marchand 
d'estampes  (Poésies  nouvelles.  Paris  1867.  P.  141).  Le  sévère 
Malherbe  écrit  :  Tous  ces  chefs  d' œuvres  antiques  {Œuvres  com- 
plètes, I,  p.  94),  sans  doute  à  cause  des  exigences  de  la  pros- 
odie (comp.  I,  §  125).  Du  reste,  Vaugelas  remarque  qu'on  écri- 
vait des  chef s-d œuvres  aussi  de  son  temps.  Rappelons  que  dans 
quelques  mots  le  substantif  dépendant  est  toujours  au  pluriel: 
un  char-à-bancs  —  des  chars-à-bancs. 

Remarque.  Quelques  mots  sont  laissés  invariables:  des  coq-à-l'âne,  des 
pied-à-terre,  des  tête-à-tête,  des  vol-au-vent.  Rappelons  que  Regnard  écrit 
coq-à-l'ânes  (Le  Distrait,  IV,  se.  7)  pour  le  faire  rimer  avec  profanes.  Lanoue 
écrit  fidarchals;  l'orthographe  actuelle  est  fils  d'archal. 

332.  Substantif  +  adjectif.  Exemples:  Les  aigues-marines, 
les  amours-propres,  les  arcs-boutants,  les  becs-fms,  les  bouts-rimés, 
les  carêmes-prenants,  les  cerfs-volants,  les  châteaux-forts,  les  chats- 
huants,  les  coffres- forts,  les  cous-rouges,  les  culs-blancs,  les  courtes- 
pointes,  les  eaux-fortes,  les  épuises-votantes,  les  esprits- forts,  les 
états-majors,  les  fers-blancs,  les  gorges-blanches,  les  loups-cerviers, 


238 

les  loups-marins,  les  œils-blancs,  les  oreilles-blanches,  les  orties- 
grièches,  les  pies-gr lèches,  les  pieds-plats,  les  revenants-bons,  les 
têtes-plates,  etc.,  etc. 

Cas  isolés.  On  laisse  invariable  le  substantif  dans  patte-pelus 
(La  Fontaine,  Fables,  IX,  14)  et  patte-pelues ;  Rabelais  écrivait 
pâtes  peines  (livre  IV,  prol.).  Rappelons  aussi  que  Victor  Hugo 
(Légende  des  Siècles)  et  Paul  de  Musset  (Biographie  d'A.  de 
Musset)  écrivent  des  guet-apens ;  l'orthographe  ordinaire  est  des 
guets-apens.  Sur  chevau-léger  —  chevau-légers,  voir  §  363,  Rem. 

333,  Adjectif  +  substantif.  Exemples:  Les  basses-cours,  les 
basses-tailles,  les  beaux-arts,  les  beaux-pères,  les  beaux-esprits,  les 
belles-lettres,  les  belles-mères,  les  belles-sœurs,  les  blancs-becs,  les 
blancs-seings ,  les  bons-chrétiens,  les  chauves-souris,  les  doubles- 
aubiers,  les  doubles  -  bécassines ,  les  dures-peaux,  les  extrêmes- 
onctions,  les  francs-alleux,  les  francs-archers,  les  francs-maçons, 
les  grands-pères,  les  libres-penseurs,  les  longues-vues,  les  mortes- 
saisons,  les  petits-fours,  les  petits-maîtres,  les  petits-neveux,  les 
petites- nièces,  les  plats-bords,  les  plates-bandes,  les  rouges-gorges, 
les  sages- femmes,  etc.,  etc. 

Cas  isolés.  On  laisse  invariable  l'adjectif  dans  les  grand- 
mères,  les  grand' tantes  (comp.  d'un  côté  les  prud'hommes,  de 
l'autre  les  grands-pères).  Pour  blanc-seing,  on  hésite  entre  des 
blancs-seings  et  des  blanc-seings,  orthographe  préférée  par  Lit- 
tré.  Sauf-conduit  fait  au  pluriel  sauf-conduits.  Sur  demi-dieu, 
nu-pieds,  etc.,  voir  la  Syntaxe. 

Remarque.  A.  Darmesteter  observe:  t> Rouge-gorge,  rouge-aile,  rouge-queue, 
étant  devenus  de  véritables  mots  simples,  comme  le  prouve  le  changement 
de  genre,  le  pluriel  correct  devrait  être:  les  rougegorges,  les  rougeailes,  les 
rougequeues<i^. 

334.  Adjectif  +  adjectif.  Les  mots  composés  de  deux  ad- 
jectifs suivent  la  règle  générale:  Un  sourd-muet  —  des  sourds- 
muets.  Les  derniers-nés,  les  premiers-nés,  les  clairs-obscurs,  les 
touts-puissants,  des  hommes  ivres-morts,  des  fruits  aigres-doux, 
des  douces-amères,  des  toutes-bonnes,  des  toutes-saines,  etc. 

Cas  isolés.  Le  premier  adjectif  est  laissé  sans  changement 
dans  les  dérivés:  grand-ducal,  tiré  de  grand-duc,  fait  au  pluriel 
grand-ducaux  (grand-ducales).  Il  en  est  de  même  s'il  fait  fonc- 
tion d'adverbe:   des  blanc-poudrés  (des  gens  poudrés  à  blanc), 


239 

des  chênes  clairsemés,  des  pages  court-vêtus,  des  chevaux  courl- 
jointés,  long -jointes,  court-montés  ;  des  nouveau-nés,  etc.  La  règle 
n'est  pas  toujours  strictement  observée,  et  on  constate  parfois 
des  hésitations.  Ainsi  franc-comtois,  tiré  de  Franche-Comté,  fait 
au  pluriel  francs-comtois,  et  Musset  a  écrit  les  nouveaux-nés 
(Confessions,  p.  294). 

335.  Verbe  -f  régime.  Les  mots  composés  avec  un  verbe  et 
son  régime  sont  variables  (un  couvre-lit  —  des  couvre-lits)  ou 
invariables  (un  abat-jour  —  des  abat-jour);  dans  beaucoup  de 
cas,  l'emploi  du  signe  du  pluriel  est  facultatif  (un  casse-noisette 
—  des  casse-noisette  ou  des  casse-noisettes);  il  est  donc  difficile 
de  donner  des  règles  précises. 

336.  Mots  invariables. 

1"  Le  substantif  dépendant  est  toujours  au  singulier.  Ex- 
emples :  Des  abat-faim,  des  abat-jour,  des  abat-vent,  des  accroche- 
cœur,  des  branle-queue,  des  brèche-dent,  des  brise-cou,  des  brûle- 
gueule,  des  brûle-tout,  des  cache-nuque,  des  chasse-bondieu ,  des 
chasse-ennui,  des  chasse-marée,  des  chasse-rage,  des  coupe- faim, 
des  coupe-gorge,  des  coupe-paille,  des  coupe-pâte,  des  couvre-feu, 
des  crève-cœur,  des  emporte-pièce,  des  ferme-bourse,  des  gagne- 
pain,  des  gagne-petit,  des  garde-crotte,  des  garde-manger,  des 
garde-vue,  des  mange-tout,  des  passe-appareil,  des  passe-rosée,  des 
passe-soie,  des  perce-neige,  des  perce-terre,  des  pèse-lait,  des  porte- 
crosse,  des  porte-feu,  des  porte-malheur,  des  porte-monnaie,  des 
porte-respect,  des  porte-vent,  des  prie-Dieu,  des  serre-tête,  des 
trompe-l'œil,  des  tire-bourre,  des  tire-feu,  des  tire-fou,  des  tire- 
moelle,  etc. 

2®  Le  substantif  dépendant  est  toujours  au  pluriel.  Exemples: 
un  coupe-cors,  un  croque-abeilles,  un  gobe-mouches,  un  porte- 
allumettes,  un  porte-clefs,  un  porte-étriers,  un  porte-haillons,  un 
porte-lettres,  etc. 

Remarque.  Dans  quelques  cas,  l'addition  du  s  amène  une  nouvelle  signi- 
fication :  un  porte-montre,  coussinet  sur  lequel  on  suspend  une  montre,  un 
porte-montres,  armoire  vitrée  où  l'horloger  expose  ses  montres;  un  porte- 
cigare,  un  fume-cigare,  un  porte- cigares,  étui  à  cigares. 

337.  Mots  variables.  Le  substantif  dépendant  varie  au  plu- 
riel.  Exemples:    Un  bouche-trou  —  des  bouche-trous;  un  boute- 


240 

selle  —  des  honte-selles;  un  chasse-diable  —  des  chasse-diahles ; 
mi  coupe-hourgeon  —  des  coupe-bourgeons;  un  coupe-bourse  — 
des  coupe-bourses  ;  un  coupe-jarret  —  des  coupe-jarrets;  un  coupe- 
queue  —  des  coupe-queues;  un  couvre-chef  —  des  couvre-chefs, 
etc»  Pour  les  exemples  suivants  la  forme  du  pluriel  sera  seule 
citée:  des  couvre-faces,  des  couvre-gibernes,  des  couvre-lits,  des 
couvre-lumières,  des  couvre-plats,  des  couvre-shakos,  des  crève- 
chiens,  des  crève- vessies,  des  croque- lardons,  des  croque- notes, 
des  croque-morts,  des  croque-noisettes,  des  cure-dents,  des  cure- 
oreilles,  des  cure-môles,  des  cure-pieds,  des  gagne-deniers,  des 
garde-fous,  des  garde-robes,  des  lave-mains,  des  passe-balles,  des 
passe-canaux,  des  passe-chevaux,  des  passe-cordes,  des  passe- 
cordons,  des  passe-droits,  des  passe-pieds,  des  passe-volants,  des 
perce-bourdons,  des  perce-chaussées,  des  perce-crânes,  des  perce- 
feuilles,  des  perce-langues,  des  perce-lettres,  des  perce-meules,  des 
perce-murailles,  des  perce-oreilles,  des  perce-pierres,  des  perce- 
roches,  des  perce-rondes,  des  porte-becs,  des  porte-originaux,  des 
prête-noms,  des  rince-bouches,  des  tire-balles,  des  tire-bottes,  des 
tire-bouchons,  des  tire-boutons,  des  tire-clous,  des  tire-dents,  des 
tire-lignes,  des  tire-sous,  etc. 

338.  Variation  facultative  au  pluriel.  Littré  donne  comme 
pluriel  de  arrache -sonde,  des  arrache -sonde  et  des  arrache- 
sondes,  parce  que  l'on  peut  expliquer  le  pluriel  par:  outils 
pour  arracher  la  sonde,  ou  pour  arracher  les  sondes.  Darmes- 
teter  observe  justement:  »  Comme  cette  explication  est  aussi 
bonne  pour  le  singulier  que  pour  le  pluriel,  la  logique  dans 
la  théorie  de  Littré  exige  quatre  formes:  un  arrache-sonde  ou 
arrache-sondes,  des  arrache-sondes  ou  arrache-sondes .  Voici  main- 
tenant quelques  autres  exemples  de  mots  composés,  où  le  sub- 
stantif dépendant  peut  varier  ou  non:  Des  brise -glace(s),  des 
brûle -queue(s),  des  cache- cou(s),  des  casse -cou(s),  des  casse- 
motte(s),  des  casse-noisette(s) ,  des  casse-pierre(s) ,  des  casse-pot(s), 
des  casse-tête(s),  des  chasse-bosse(s),  des  chasse-coquin(s) ,  des 
chasse -mouche(s),  des  chasse-punaise(s) ,  des  essuie-main(s),  des 
garde-bonnet(s),  des  garde-boutique(s),  des  garde-cendre(s),  des 
garde-chaîne(s),  des  garde-chasse(s),  des  garde-fdet(s),  des  garde- 
main(s),  des  garde-malade(s),  des  garde-manche(s),  des  garde- 
meuble(s),  des  garde- nappe(s),  des  garde- port(s),  des  grippe- 
fromage(s),  des  grippe-sou(s),  des  passe-perle(s),  des  passe-pierre(s), 


241 

des  passe -poil(s),  des  pèse-acide(s),  des  pèse-esprit(s) ,  des  pèse- 
selfs),  des  pèse-vin(s),  des  pince-halle(s),  des  pince-Iisière(s),  des 
pince-maille(s),  des  porte-affiche(s) ,  des  porte-aigle(s),  des  porte- 
aiguilîe(s),  des  porte-amarre(s),  des  porte-arquebuse(s),  des  porte- 
assiette(s),  des  porte-baïonnette(s) ,  des  porte -balle(s),  des  porte- 
bougie(s),  des  porte -chandelier(s),  des  porte- drapeau(x),  des 
porte-enseigne(s),  des  porte-épée(s) ,  des  porte- fer  (s),  des  porte- 
flambeau(x) ,  des  porte-maillot(s),  des  porte-pierre(s),  des  porte- 
pluine(s),  etc. 

Remarque.  Dans  les  noms  composés  avec  le  mot  garde,  on  a  essayé  de 
distinguer  deux  groupes  différents:  ceux  où  garde  désigne  une  personne,  et 
ceux  où  il  désigne  une  chose.  Dans  les  premiers,  garde  est  pris  dans  le  sens 
de  gardien  et  considéré  comme  un  substantif  susceptible  de  prendre  la  marque 
du  pluriel:  des  gardes-chasse,  des  gardes-marine,  des  gardes-côte.  Dans  les 
seconds,  garde  est  un  verbe  et  signifie  'qui  garde',  'qui  garantit',  et  en  sa 
qualité  de  verbe  il  ne  prend  pas  la  marque  du  pluriel:  des  garde-feu,  des 
garde-manger,  des  garde-fous,  des  garde-robes.  Cette  distinction  n'est  guère 
fondée  en  raison:  dans  les  deux  cas,  garde  est  un  verbe  et  doit  toujours 
rester  invariable.  L'Académie  demande  pourtant  un  garde-côte  —  des  gardes- 
côtes,  et  un  garde-note  —  des  gardes-notes.  Quant  au  régime  de  garde,  on 
peut  dans  la  plupart  des  cas  mettre  le  singulier  ou  le  pluriel. 

339.  Adverbe  (ou  préposition)  +  substantif.  Dans  ces  mots, 
le  substantif  seul  se  met  au  pluriel.  Exemples:  Une  arrière- 
boutique —  des  arrière-boutiques;  des  arrière-gardes,  des  arrière- 
saisons,  des  avant-coureurs,  des  avant-gardes,  des  contre-coups, 
des  contre-ordres,  des  contre-poisons,  des  contre-ruses,  des  entr'actes, 
des  entre-colonnes,  des  sans-culottes,  des  sous-baux,  des  sous- 
lieutenants,  des  sous-poutres,  des  sous-préfets,  des  sous-sols.  Des 
ex-généraux,  des  vice-rois,  des  vice-amiraux,  des  quasi-délits,  des 
non-valeurs,  etc.  Dans  quelques  mots,  l'adverbe  suit  le  sub- 
stantif: des  basses-contre,  des  hautes-contre. 

Cas  isolés.  Il  y  a  hésitation  sur  le  pluriel  de  après-dîner, 
après-souper,  après-midi. 

340.  Restent  toujours  invariables: 

P  Les  mots  composés,  soit  avec  deux  verbes,  soit  avec  un 
verbe  et  son  complément,  adverbial  ou  autre.  Exemples:  des 
chante-pleur e,  des  passe-passe,  des  laissez-passer,  des  réveille-matin, 
des  passe -partout;  des  pince -sans- rire,  des  meurt -de -faim,  des 
chasse-avant,  des  gagne-petit,  etc.  Rappelons  aussi  les  ouï-dire, 
les  on-dit,  les  bien-être  éphémères  (Bourget,  L'Étape,  p.  67),  etc. 

16 


242 

2°  Les  mots  composés  étrangers:  Les  auto-da-fé,  les  ex-voto, 
les  fac-similé,  les  in-quarto,  les  in-octavo,  les  in-folio,  etc.;  il  y  a 
pourtant  des  auteurs  qui  écrivent  des  in-folios,  des  post-scriptums, 
etc.  On  écrit  toujours  des  pique-niques. 

Cas  isolés.  Littré  remarque  :  »Buïïon  écrit  des  orang-outangs ; 
suivant  l'étymologie,  il  faudrait  écrire:  des  orangs-outang,  puis- 
que cela  signifie  les  hommes  de  la  forêt;  mais  le  mieux  est 
de  le  traiter  comme  un  mot  français,  et  d'écrire  des  orang- 
outans.«  Comp.  §  357. 

IV.    NOMS   DE   PERSONNES. 

341.  Il  y  a  beaucoup  d'hésitations  sur  le  pluriel  des  noms 
propres  de  personnes.  Les  règles  des  grammairiens  modernes 
sont  souvent  contradictoires,  et  l'usage  des  auteurs  est  très 
flottant.  On  trouve  par  exemple  des  Don  Quichotte,  des  Don 
Quichottes  (l'Académie),  des  Dons  Quichoties  (Littré).  Il  serait 
pourtant  si  simple  d'adopter  les  deux  règles  proposées  par  Ayer: 
»Les  noms  de  personnes,  tant  qu'ils  restent  noms  propres,  sont 
invariables  au  pluriel  et  s'écrivent  avec  une  majuscule  initiale: 
Les  Corneille  sont  rares.  Quand  les  noms  propres  sont  devenus 
de  vrais  noms  communs,  ils  sont  traités  comme  les  autres 
noms  communs  et  s'écrivent  avec  une  minuscule  initiale:  Des 
harpagons,  des  tartufes «.  Cependant,  le  développement  paraît 
vouloir  suivre  un  tout  autre  chemin. 

342.  Les  noms  propres  de  personnes  désignant  des  familles 
entières  peuvent  prendre  la  marque  du  pluriel  ou  rester  in- 
variables. 

l*'  Un  petit  nombre  de  noms  de  familles  historiques  et  il- 
lustres (royales  ou  princières,  surtout  de  l'antiquité)  prennent 
la  marque  du  pluriel:  Les  Pharaons,  les  Ptolémées,  les  Gracques, 
les  Horaces,  les  Césars,  les  Sévères,  les  Constantins,  les  Antonins, 
les  Tarquins,  les  Capets,  les  Bourbons,  les  Guises,  les  Coudés,  les 
Stuarts;  le  s  s'ajoute  même  à  des  pluriels  primitifs:  les  Strozzis, 
les  Médicis.  Comp.  §  354,  Rem. 

2°  En  dehors  de  ces  cas  consacrés  par  la  tradition,  on  écrit: 
Les  Buonaparte,  les  Mirabeau,  les  Marillac,  les  Châiillon,  les 
Grammont,  les  Clairmont,  etc.  Surtout  les  noms  d'une  allure 
trop  étrangère  ne  prennent  pas  de  s;  on  écrit  les  Hohenzollern, 


243 

les  Habsbourg,  les  Borgia,  les  Sforza,  les  Lara,  les  Wasa,  les 
Leczinsky,  les  Visconti,  les  Pozzi,  les  Pallavicini,  etc.  C'est  sans 
doute  pour  se  conformer  aux  exigences  de  la  rime  que 
V.Hugo  écrit: 

C'est  un  enfant  des  Scandinaves, 
C'est  Gustave,  fils  des  Gustaves. 

(Odes,  III,  no  5.) 

3"  Dans  beaucoup  de  cas  il  y  a  hésitation:  Les  Guise(s),  les 
Montfort(^),  les  Montmorency  (s),  les  Tudor(s),  les  Plantagenet(s), 
les  Romanof(s),  etc. 

4**  Les  noms  de  famille  vulgaires  ou  bourgeois  restent  tou- 
jours invariables:  Les  Baudy,  les  Rallier,  les  Barbeau,  les  Du- 
pont, etc. 

Remarque.  Autrefois  l'addition  de  s  était  générale  dans  tous  les  cas.  Ra- 
cine écrit  ainsi:  Les  portraits  des  Dandins  (Plaideurs,  I,  se.  5).  Cette  règle 
était  simple  et  claire  et  excluait  tout  doute;  avec  la  règle  moderne  on  ne 
sait  jamais  à  quel  degré  d'illustration  elle  doit  commencer.  On  n'a  pas  en- 
core, que  je  sache,  répondu  à  la  question  de  Darmesteter,  s'il  faut  écrire  les 
deux  Carnots  ou  les  deux  Carnot. 

343.  Les  noms  propres  de  personnes  désignant  non  pas  des 
familles  toutes  entières,  mais  seulement  des  individus  qui  ont 
porté  le  même  nom,  ne  prennent  pas  de  s  au  pluriel:  Les  deux 
Corneille  étaient  frères.  Les  deux  Orloff.  Les  deux  Scipion.  Pour- 
tant les  exceptions  ne  sont  pas  rares.  H.  Martin  écrit  les  trois 
Maries,  et  Laveau  remarque:  »Je  dirais  les  deux  Pierres  dans 
une  famille  oii  il  y  aurait  deux  hommes  de  ce  nom«  (Diffi- 
cultés de  la  langue  française,  p.  27).  En  effet,  la  règle  est  ab- 
surde. Pourquoi  d'un  côté:  Les  Corneilles  étaient  de  race  bour- 
geoise, et  d'un  autre  :  Les  deux  Corneille  étaient  frères"?  A.  Dar- 
mesteter a  bien  raison  de  demander:  »A  partir  de  quel  nombre 
d'individus  doit-on  mettre  le  pluriel?» 

Remarque.  Pour  faire  une  rime  à  l'œil,  Piron  écrit,  dans  son  épigramme 
à  Voltaire,  Corneilles  pour  Corneille: 

Vous  l'insultez.  En  trois  ou  quatre  veilles, 
Sujets  ratés  par  l'aîné  des  Corneilles, 
Sujets  remplis  par  le  fier  Crébillon, 
Il  refond  tout  .... 

16* 


244 

344.  Les  noms  propres  de  personnes  employés  par  antono- 
mase pour  désigner  l'espèce,  le  type,  prennent  la  marque  du 
pluriel  ou  sont  invariables. 

1"  Un  petit  nombre  de  noms  traditionnels  prennent  la  marque 
du  pluriel.  Exemples:  Les  Platons,  c.  à  d.  les  grands  philo- 
sophes. Les  Césars,  c.  à  d.  les  grands  capitaines.  Les  Cicérons, 
c.  à  d.  les  grands  orateurs.  Ces  avocats  sont  les  Cicérons  de  leur 
pays.  Les  Corneilles  sont  rares  sur  notre  Parnasse.  Vous,  Caïns 
fugitifs,  où  trouverez-vous  lieu  (A.  d'Aubigné,  Jugement).  On  en 
veut  aux  Trilbys  (V.  Hugo,  Ballades,  n°  4).  Les  Eues  nouvelles. 
Il  n'était  pas  possible  qu'il  y  eût  beaucoup  d'Hélènes  sur  la  terre 
(J.  Bois,  Une  nouvelle  douleur,  p.  288).  //  n'y  a  plus  de  Ro- 
lands,  parce  qu'il  n'y  a  plus  de  Charlemagnes  (Jusserand,  His- 
toire litt.  du  peuple  anglais,  I,  458).  On  écrit  de  même:  les 
Céladons,  les  Mécènes,  les  Virgiles,  les  Rolands  furieux,  des  Tar- 
tufes, etc. 

2"  En  dehors  de  ces  cas,  on  les  laisse  ordinairement  in- 
variables. Exemples:  Des  Nemrod,  des  Artaban,  des  Lovelace, 
des  Werther,  des  Rosine,  etc.,  etc.  La  vieille  colère  des  Samson 
contre  les  Dalila  (J.  Bois,  Une  nouvelle  douleur,  p.  324). 
Pourtant  on  trouve  aussi  des  Mozarts,  des  Raphaëls,  des  Mo- 
lières,  etc.  , 

3^  Pour  les  noms  propres  composés  l'usage  est  très  flottant. 
Th.  Gautier  écrit:  Les  avoués  ne  sont  pas  des  lord  Byron 
(Histoire  de  l'art  dramatique,  H,  327),  et  autre  part,  dans  le 
même  ouvrage  :  Il  y  a  de  par  le  monde  une  foule  de  petits  lords 
Byrons  (HI,  131).  On  hésite  également  entre  les  don  Juan  et 
les  dons  Juans. 

345.  Les  noms  propres  de  personnes  employés  par  emphase 
et  précédés  de  l'article  au  pluriel  quoiqu'on  n'ait  en  vue 
qu'un  seul  individu,  sont  ordinairement  invariables:  Les  Cor- 
neille, les  Racine,  les  Molière,  les  Rousseau  sont  la  gloire  des 
lettres  françaises.  Les  Turenne,  les  Condé  ont  illustré  les  armes 
de  leur  pays.  On  mettait  le  pluriel  au  XVH*^  siècle  (cf.  ci- 
dessus  §  342,  Rem.);  Racine  écrit:  Comparables  aux  Eschyles,  aux 
Sophocles,  aux  Euripides,  dont  la  fameuse  Athènes  ne  s'honore 
pas  moins  que  des  Thémistocles,  des  Périclès,  des  Alcibiades  qui 
vivaient  en  même  temps. 


245 

346.  Les  noms  propres  de  personnes  employés  par  métony- 
mie pour  désigner  des  ouvrages  produits  par  les  personnes  en 
question  sont  ordinairement  laissés  invariables:  Ses  murs  sont 
couverts  de  Raphaël,  de  Titien,  de  Poussin,  de  Corot.  Deux  Rem- 
brandt de  la  plus  grande  beauté.  Les  pâles  Boucher  (Baudelaire). 
Les  Courbet  du  Louvre.  J'ai  acheté  deux  La  Fontaine.  Il  plaçait 
tout,  journaux,  revues,  livres  de  science,  romans,  et  les  Buffon  il- 
lustrés et  les  Crimes  célèbres  (Fr.  Sarcey). 

Remarque.  La  forme  variable  du  pluriel  se  trouve  aussi,  mais  rarement: 
J'ai  vu  deux  Raphaëls  et  deux  Titiens  au  musée.  Il  a  acheté  deux  Cicérons 
in-folio.  On  hésite  entre  les  Elzévir  et  les  Elzévirs. 

347.  Les  noms  propres  de  personnes  désignant  des  œuvres 
d'art  dénommés  d'après  les  personnes  représentées  prennent 
ordinairement  la  marque  du  pluriel  :  On  admire  là  des  Her- 
cules, des  Jupiters,  des  Minerves  (c.  à  d.  des  statues  d'Hercule, 
de  Jupiter,  de  Minerve).  Vous  trouverez  des  Eves  et  des  Adams, 
des  Saint-Sébastiens,  des  Massacres  d'Innocents,  des  Horatius  Co- 
des, qui  ressemblent  à  des  écorchés  vivants  et  grotesques  (Taine). 
Il  en  est  de  même  des  noms  de  monnaies:  Des  Philippes  d'or. 


V.   NOMS   GÉOGRAPHIQUES. 

348.  Les  noms  propres  de  pays  et  de  villes  ne  prennent  or- 
dinairement pas  de  s  au  pluriel:  Les  deux  Fribourg.  Aux  États- 
Unis  il  y  a  5  Baltimore,  12  Boston,  16  Buffalo,  etc.  A  tout  le 
moins,  il  y  aura  deux  Universités,  celle  de  VÉtat  et  celle  de  VÉ- 
glise,  et  conséquemmeni  deux  France  (Jules  Simon).  Deux  Rome 
sont  mises  en  présence  par  Fauteur  de  l'Enéide,  celle  d'Auguste  et 
celle  de  ses  fabuleux  ancêtres  (Patin).  Les  îles  Sandwich,  les  îles 
Chatam,  etc.  Pourtant,  la  marque  du  pluriel  est  parfois  ajoutée: 
Nos  pauvres  colonies,  nos  Frances  d'outre-mer,  sont  administrées 
comme  des  pays  conquis.  Il  y  a  deux  Algéries,  l'une  civile, 
l'autre  arabe  et  militaire.  On  trouve  également:  les  deux  Per- 
games. 

349.  Le  pluriel  de  certains  noms  de  pays  s'explique  par  le 
fait  de  l'ancienne  division  politique  ou  administrative  de  ces 
pays   en  provinces,    en   districts   ou  en  états  gardant  sous  un 


246 

chef  commun  leur  indépendance  respective,  de  sorte  qu'on  dit 
à  peu  près  les  Espagnes,  comme  on  dit  les  Pays-Bas  (C.  M. 
Robert).  En  voici  quelques  exemples:  Les  Abruzzes,  les  Al- 
garves,  les  Amériques,  les  Barbades,  les  Calabres,  les  deux  Caro- 
lines,  les  deux  Castilles,  les  Espagnes,  les  Flandres,  les  Florides, 
les  Gaules,  les  Géorgies,  les  Guyanes,  les  Indes,  les  Marches,  les 
Romagnes,  les  Russies,  les  deux  Siciles;  on  trouve  aussi  dans  le 
parler  vulgaire  les  Afriques.  La  plupart  de  ces  pluriels  ont  un 
peu  vieilli,  et  on  se  sert  ordinairement  de  la  forme  du  singu- 
lier. Les  Asturies  et  les  Grisons  n'ont  pas  de  singulier. 

Remarque.  Flandres  s'emploie  abusivement  au  singulier.  Vaugclas  (Re- 
marques, I,  p.  19)  et  Ménage  (Observations,  p.  317)  ont  depuis  longtemps  rejeté 
la  Flandres  (au  lieu  de  la  Flandre)  comme  un  barbarisme,  mais  on  lit  en- 
core dans  Michaud:  La  conquête  de  la  Flandres  hollandaise. 


VI.    MOTS   ÉTRANGERS. 

350.  On  forme  ordinairement  le  pluriel  des  mots  d'emprunt 
en  ajoutant  un  s  à  la  forme  du  singulier;  on  écrit  ainsi:  Ac- 
cessits, adagios,  albums,  alibis,  alinéas,  allégros,  alléluias,  altos, 
andantes,  avisos,  autodafés,  bénédicités,  bravos,  concertos,  déficits, 
duos,  dioramas,  Eddas,  folios,  géraniums,  imprésarios,  impromp- 
tus, jurys,  mazurkas,  maximums,  minimums,  mémentos,  mu- 
séums, opéras,  oratorios,  panoramas,  pensums,  pianos,  polkas, 
quidams,  quiproquos,  quolibets,  rajahs,  razzias,  récépissés,  rectos, 
sagas,  solos,  spécimens,  ténors,  trios,  villas,  viragos,  visas,  vi- 
vats, etc. 

351.  Beaucoup  des  mots  cités  étaient  autrefois  invariables, 
et  ce  n'est  que  peu  à  peu  que  le  pluriel  régulier  en  s  l'a  em- 
porté. Ménage  remarque  :  »Nous  avons  dans  nostre  Langue  plu- 
sieurs noms  qui  sont  indéclinables:  je  veux  dire,  qui  ont  le 
plurier  semblable  au  singulier.  Nous  disons,  par  exemple,  un 
opéra,  &  deux  opéra;  &  non  pas  deux  operas«  (Observations, 
p.  286).  Au  XVIII*'  siècle,  Rousseau  écrit  des  opéra,  mais  d'A- 
lembert  préfère  des  opéras.  Cette  dernière  forme  est  reconnue 
par  l'Académie  en  1835.  Prenons  un  autre  exemple.  Ménage 
proteste  contre  impromptus.  Après  avoir  remarqué  que  cette 
forme  se  trouve  dans  Sarrazin  et  le  père  Bouhours,  il  ajoute: 


247 

»Après  l'autorité  de  ces  deux  célèbres  Ecrivains,  je  ne  doute 
point  qu'on  ne  puisse  dire  des  Impromptus.  Je  dis  pourtant 
toujours  des  Impromptu;  &  je  voy  que  plusieurs  personnes  qui 
parlent  bien  parlent  de  la  sorte «.  L'Académie  n'admet  im- 
promptus qu'en  1878.  On  a  également  hésité  sur  le  pluriel  de 
album,  adagio,  alléluia,  bénédicité,  exéat,  mémento,  villa,  etc. 

352.  Un  petit  nombre  de  mots  sont  encore  laissés  sans  change- 
ment au  pluriel.  On  écrit  généralement:  Des  amen,  des  ave,  des 
comma,  des  confiteor,  des  contralto,  des  credo,  des  crescendo,  des 
critérium,  des  errata,  des  ex-voto,  des  fac-similé,  des  forum,  des 
intérim,  des  pater,  des  post-scriptum,  des  quatuor,  des  rasta,  des 
requiem,  des  stabat,  des  Te  Deum,  des  veto,  des  osteria  (J.  Bois, 
Une  nouvelle  douleur,  p.  349),  etc. 

Désormais  beaucoup  de  ces  noms  pourront  suivre  la  règle 
générale;  selon  l'Arrêté  ministériel  du  26  février  1901,  il  faut 
donner  le  signe  du  pluriel  aux  noms  empruntés  aux  autres 
langues  »lorsqu'ils  sont  tout  à  fait  entrés  dans  la  langue  fran- 
çaise: des  exéats,  comme  des  déficits^. 

353.  Il  est  curieux  d'observer  que  pour  quelques  mots 
étrangers,  on  n'a  pas  eu  recours  à  un  pluriel  de  formation 
française:  on  a  adopté  le  pluriel  étranger.  Ce  phénomène  s'ob- 
serve surtout  dans  des  mots  empruntés  à  l'italien,  à  l'anglais 
et  au  latin. 

354.  Mots  italiens.  Quelques  mots  masculins  ont  conservé 
leur  pluriel  primitif  en  -/;  la  terminaison  féminine  en  -e  est 
très  rare  : 

Bravo  (assassin)  —  bravi.  Pour  l'interjection  bravo,  le  Dic- 
tionnaire général  remarque:  »  Quelques-uns  disent,  selon  la 
syntaxe  italienne,  brava  quand  il  s'agit  d'une  femme;  bravi, 
de  plusieurs  hommes;  brave,  de  plusieurs  femmes,  et  au  super- 
latif bravissimo,  bravissima,  bravissimi,  bravissime«. 

Carbonaro  —  carbonari. 

Cicérone  —  ciceroni.  Ce  pluriel  est  plutôt  rare  :  Et  des  cice- 
roni  pour  tes  entremetteurs  (Musset,  Premières  poésies,  p.  217). 
Je  t'épargnerai  les  guides,  les  ciceroni  et  toute  la  vermine  fami- 
lière du  touriste  (O.  Feuillet,   Scènes  et  comédies.    Paris,  1870. 


248 

P.  22).  L'Académie  écrit  des  cicérone;  la  forme  usuelle  est  des 
cicérones. 

Condottiere  —  condottieri. 

Contralto  —  contralti.  Ce  pluriel  a  été  employé  par  Th.  Gau- 
tier (Histoire  de  l'art  dramatique  en  France,  VI,  56).  Selon 
Littré,    il   faut   dire   au   pluriel   des  contralto   ou   des   contraltes. 

Dilettante  —  dilettanti.  Th.  Gautier  hésite  entre  le  pluriel  ita- 
lien (loc.  cit.,  VI,  148)  et  dilettantes  (ib.,  V,  207). 

Lazarone  —  lazaroni.  Pour  éviter  un  hiatus,  A.  de  Musset  a 
écrit  lazaronis:  Sur  les  lazaronis  étendus  au  soleil  (Premières 
poésies,  p.  194).  On  trouve  ailleurs  chez  le  même  poète  la 
forme  ordinaire:  Oreiller  des  lazaroni  Oà  sont  nés  le  macaroni 
Et  la  musique  (Poésies  nouvelles,  p.  256). 

Libretto  —  libretti.  Littré  cite  aussi  le  pluriel  librettos. 

Quintetto  —  quintetti.  Ce  mot  est  maintenant  remplacé  par 
quintette. 

Prima  donna  —  prime  donne.  Ce  pluriel  est  indiqué  par 
Littré,  et  A.  Darmesteter  l'emploie:  Les  prime  donne,  trouvant 
ce  féminin  trop  simple  (Cours  de  grammaire  historique,  II,  66). 

Solo  —  soli.  Le  pluriel  ordinaire  est  solos;  l'Académie  écri- 
vait avant  1878  des  solo. 

Soprano  —  soprani.  Castil-Blaze  écrit  soprane  — sopranes. 

Remarque.  Dans  plusieurs  cas,  on  a  laissé  de  côté  la  forme  du  singulier, 
en  adoptant  seulement  celle  du  pluriel.  lîxemples:  Concetti  (it.  concetto 
—  concetti),  Zazzf  (ital.  lazzo  —  lazzi),  macaroni  (ital.  macherone  — 
macheroni).  Conformément  à  l'étymologie,  ils  ne  s'employaient  à  l'origine 
qu'au  pluriel:  des  concetti,  des  lazzi,  des  macaroni,  mais  à  mesure  que  le 
besoin  d'un  singulier  s'est  fait  sentir,  on  a  commencé  à  dire  un  concetti,  un 
lazzi,  un  macaroni,  et  ce  passage  au  singulier  a  provoqué  un  nouveau  plu- 
riel en  -s.  On  continue  à  écrire  des  concetti;  mais  des  macaronis  a  été  sanc- 
tionné par  l'Académie,  qui  pourtant  repousse  des  lazzis.  C'est  également  un 
pluriel  italien  qui  se  cache  dans  coZis,  écrit  autrefois  co/i  «  colli  decollo); 
voir  §  365. 

355.  Mots  latins.  Quelques  neutres  ont  conservé  leur  plu- 
riel latin:  maximum  —  maxima,  minimum  —  minima ;  encore 
faut-il  remarquer  que  les  formes  en  -a  appartiennent  au  lan- 
gage scientifique,  tandis  que  dans  le  langage  ordinaire  on  dit 
des  maximums,  des  minimums.  Pour  le  mot  d'adoption  récente 
sanatorium,  nous  avons  trouvé  alternativement  des  sanatoria  et 
des  sanatoriums. 


249 

Remarque.  On  a  adopté  les  deux  pluriels  neutres  agenda,  errata  qui 
ont  passé  au  singulier:  un  agenda,  un  errata.  A  propos  de  ce  dernier  mot 
Littré  a  fait  l'observation  suivante:  »  L'Académie  remarque  que  quelques  per- 
sonnes disent  erratum  quand  il  n'y  a  qu'une  seule  faute:  Cette  faute  don- 
nera lieu  à  un  erratum.  Mais  la  plupart  des  grammairiens  s'accordent  pour 
dire  que  vouloir  ici  suivre  le  latin  est  pédantesque,  et  que,  errata  ayant  pris 
en  français  le  sens  de  liste  de  fautes,  peu  importait  qu'il  y  eût  plusieurs 
fautes  ou  une  seule.  «  Au  pluriel  on  écrit  généralement  des  agendas,  mais  des 
errata. 

356.  Mots  anglais.  On  a  gardé  le  pluriel  anglais  dans: 

1°  Plusieurs  mots  en  -man;  nous  avons  trouvé  dans  la  lit- 
térature moderne  les  pluriels  suivants:  Aldermen,  cabmen,  clergy- 
men,  clubmen  (J.  Bois,  Une  nouvelle  douleur,  p.  115,  116), 
gentlemen,  policemen  (Jusserand,  Histoire  littéraire  du  peuple 
anglais,  I,  539),  sportsmen. 

2^  Plusieurs  mots  en  -y:  Baby  —  babies,  dandy  —  dandies, 
gipsy  —  gipsies,  lady  —  ladies. 

'  3"  Quelques  mots  isolés  tels  que  miss  —  misses  (voir  Littré, 
Supplément,  sous  flirter). 

357.  Il  arrive  parfois  qu'on  n'emprunte  que  le  pluriel  des 
mots  étrangers.  Aux  exemples  déjà  cités  (§§  354,  Rem.,  355, 
Rem.)  ajoutons  uléma  qui  vient  de  l'arabe  ulemâ,  pluriel  de 
alim  (docte).  A  propos  de  ce  mot,  Littré  observe  qu'il  ne  faut 
pas  dire  un  uléma,  et  critique  l'Académie  qui  écrit  des  ulémas. 
Mais  les  grammairiens  ont  beau  critiquer,  le  mécanisme  gram- 
matical va  toujours  son  chemin,  et  le  pluriel  étranger,  une 
fois  adopté  en  français,  passe  ordinairement  au  singulier.  En 
effet,  pourquoi  protester  contre  un  uléma,  quand  on  accepte 
un  agenda,  un  errata"^  Et  pourquoi  se  refuser  à  des  ulémas, 
quand  on  reconnaît  des  agendas'!  Il  est  curieux  d'observer 
comment  ces  pluriels  doubles  réussissent  toujours  à  irriter  les 
grammairiens;  ils  sont  pourtant  tout  à  fait  inoffensifs  (surtout 
quand  il  s'agit  de  mots  arabes  dont  très  peu  connaissent  la 
forme  correcte).  A  propos  d'un  autre  pluriel,  également  incri- 
miné, des  Touaregs,  M.  Remy  de  Gourmont  remarque:  »On  sait 
que  des  savants  innocents  nous  voudraient  imposer,  sous  pré- 
texte de  linguistique  africaine  :  un  Targui,  des  Touareg.  Ce  sont 
les  frères  de  ceux  qui  crient  brava  à  une  femme  et  bravo  à 
un  homme,  au  théâtre.  Pédantisme  de  cabinet,  pédantisme  de 
salon«   (Le  problème  du  style,  p.  227). 


250 


VU.   MOTS   INVARIABLES. 

358.  Par  suite  de  l'emploi  de  s,  x,  z  comme  signes  de  plu- 
riel (§  282  ss.),  les  mots  qui  se  terminent  par  ces  consonnes 
au  singulier,  sont  invariables  au  pluriel:  Le  fils  —  les  fils;  le 
bras  —  les  bras;  le  temps  —  les  temps;  la  noix  —  les  noix;  le 
nez  —  les  nez. 

359.  Sont  également  invariables: 

1^  Les  mots  et  locutions  qui  ne  sont  employés  qu'acciden- 
tellement comme  substantifs.  Exemples:  Plusieurs  peu  font  un 
beaucoup.  Les  qu'en  dira-t-on  inquiètent  peu  le  sage.  Les  on- 
dit.  Les  oui.  Les  non.  Plusieurs  un.  Des  solo.  Des  mi,  etc.  Les  si, 
les  car,  les  pourquoi  sont  la  porte  Par  où  la  noise  entre  dans 
l'univers  (La  Fontaine).   Trois  un  de  suite. 

2"  Les  titres  des  revues,  des  journaux  et  des  livres.  Ex- 
emples: Voici  plusieurs  Revue  britannique  qui  vous  intéresse- 
ront. Je  vous  rends  les  Journal  des  Débats  que  vous  m'avez 
prêtés.  Envoyez-moi  deux  Télémaqiie.  On  écrira  toujours  des 
Vie  de  Jésus,  dit  M.  Renan,  et  on  les  lira  toujours  avec  em- 
pressement. 


VIII.    RAPPORT   ENTRE   LE    SINGULIER   ET 
LE    PLURIEL. 

360.  Beaucoup  de  grammaires  enseignent  qu'on  forme  géné- 
ralement le  pluriel  en  ajoutant  un  s  au  singulier.  Cette  règle, 
dont  la  valeur  pratique  est  incontestable,  est  inexacte  au  point 
de  vue  historique;  il  faut  dire  qu'ordinairement  les  nombres 
français  viennent  des  nombres  latins  correspondants  :  le  plu- 
riel français  murs  remonte  directement  au  pluriel  latin  mu- 
ros,  comme  le  singulier  mur  remonte  à  murum;  par  con- 
séquent, murs  n'est  pas  formé  du  singulier  mur  par  l'addition 
de  s.  Pourtant,  dans  beaucoup  de  cas  la  langue  présente  et 
des  pluriels  tirés  directement  des  singuliers  correspondants 
(§  361)  et  des  singuliers  refaits  sur  le  pluriel  (§  362). 

361,  Pluriel  tiré  du  singulier.  Ce  phénomène  s'observe 
dans: 


251 

1"  Tous  les  pluriels  dont  le  s  n'est  pas  étymologique.  Ainsi, 
tandis  que  murs  remonte  à  mur  os,  landaus  représente  histo- 
riquement le  singulier  landau  (emprunté  de  l'ail.  Landau) 
-j-  s.  Ce  groupe  comprend  surtout  les  mots  d'emprunt  et  les 
mots  de  formation  française.  Exemples:  Pédants,  patriotes,  ca- 
lifes, casques,  cravaches,  landaus,  antivivisectionnistes,  antivacci- 
nistes,  etc.,  etc.  Un  tout  petit  nombre  de  mots  étrangers  ont 
conservé  leur  pluriel  primitif:  un  libretto  —  des  libretti;  voir 
§  353  ss.  Sur  les  neutres  pluriels  latins,  voir  §  263. 

2"  Les  pluriels  reformés.  Bals,  cruels,  conseils,  tilleuls,  chefs, 
grecs,  qui  ont  remplacé  baus,  crueux,  conseux,  tilleux,  ches,  grès, 
représentent  historiquement  bal  -j-  s,  cruel  -\-  s,  conseil  -j-  s,  til- 
leul -\-  s,  chef  -\-  s,  grec  -(-  s. 

362.  Singulier  tiré  du  pluriel  par  la  soustraction  de  la 
marque  du  pluriel.  Ce  phénomène  s'observe  dans  les  singu- 
liers refaits  tels  que  beau,  cou,  genou,  animau  (§  299),  bailli, 
clé,  qui  ont  remplacé  bel,  col,  fenouil,  animal,  bailli f  clef,  et 
représentent  beaux  -=-  x,  cous  -=-  s,  genoux  -^-  x,  animaux  -h  x, 
baillis  H-  s,  des  -=-  s. 

363.  Il  faut  encore  rappeler  tous  les  mots  qui,  de  par  leur 
signification,  sont  originairement  du  pluriel,  et  auxquels  le 
mécanisme  grammatical  a  fini  par  créer  un  singulier.  En  voici 
quelques  exemples: 

Les  cent-suisses  —  un  cent-suisse. 

Des  faits  divers  —  un  fait  divers. 

Les  gens  d'armes  —  un  gendarme;  de  ce  singulier  on  a  tiré 
un  nouveau  pluriel  :  gendarmes. 

Les  gens  de  lettres  —  un  gendelettres  (voir  p.  ex.  Mélusine, 
VI,  244). 

Les  sept  pseaumes  —  un  sesseaume.  H.  Estienne  remarque: 
»Je  sçay  bien  qu'il  y  avoit  des  hommes  si  ignorans  que  non 
seulement  ils  ne  sçavoient  s'il  faloit  dire  C'est  une  terre  de 
permission,  ou  Cest  une  terre  de  promission,  mais  au  lieu  de 
dire  Un  pseaume  de  David  disoyent  Un  sesseaume  de  David: 
pource  qu'ils  oyoyent  ordinairement  parler  des  Sept  pseaumes, 
au  lieu  dequoy  (comme  l'oreille  de  chacun  se  sçait  bien  ac- 
commoder à  son  ignorance)  ils  entendoyent  Sesseaumes  (Deux 


252 

dialogues  du  nouveau  langage  françois  italianizé,  p.  p.  Ristel- 
huber,  II,  135). 

Les  quinze-vingts  —  un  quinze-vingt  (un  aveugle).  Comp. 
§  490. 

Les  Seize  (de  Paris;  les  chefs  des  seize  quartiers  de  la  ville 
au  temps  de  la  Ligue)  —  un  seize. 

La  (fête  de)  Toussaints  —  la  Toussaint. 

Remarque.  Les  mots  composés  qui  renferment  une  synecdoque  ou  une 
métonymie  gardent  ordinairement  le  signe  du  pluriel:  un  huit-ressorts,  un 
trois-mâts,  un  trois-pieds,  un  trois-ponts,  un  trois- quarts,  un  quatre-coins,  un 
six-doigts,  un  mille-pieds,  un  1500  francs  (soldat  de  1500  francs).  On  écrit 
pourtant:  une  mille-feuille,  un  mille-graine,  un  mille-point.  L'explication  de 
chevau-légér  est  douteuse;  probablement  ce  singulier  curieux  est  tiré  di- 
rectement du  pluriel  chevaux-légers  (l'orthographe  actuelle  chevau-légers  est 
fautive).  [On  trouve  au  XVI«  siècle  le  singulier  étymologiquement  plus  cor- 
rect cheval-léger;  mais  il  change  de  forme  au  XVII^.  Ménage  observe:  «Quoi- 
qu'on dise  un  cheval,  &  non  pas  un  chevau,  il  faut  dire,  11  est  chevau-leger, 
&  non  pas,  Il  est  cheval-léger.  L'Usage  le  veut  ainsi.  L'Ordonnance  de  Blois 
a  usé  pourtant  du  mot  de  cheval-leger.  Ne  pourra  aucun  estre  Gendarme, 
qu'il  n'ait  esté  Archer  ou  Cheval-leger  un  an  continuel.  C'est  en  l'article 
289«  (Observations,  p.  220). 

364.  La  fonction  du  s  comme  marque  du  pluriel  a  eu  pour 
conséquence  que  cette  lettre  a  été  regardée  comme  élément  for- 
mel ou  flexionnel  dans  quelques  mots,  où  elle  faisait  partie  du 
radical,  et  qu'on  l'a  écartée  du  singulier.  Voici  quelques  ex- 
emples de  ce  curieux  mécanisme  grammatical: 
^  esp.  andaluz  )  andalou;  on  trouve  andalous  au  XVI 11^  siècle. 

ail.  Bars  )  bar;  le  Dict.  gén.  donne  aussi  bars. 

vfr.  berz  >  ber;  le  Dict.  gén.  donne  aussi  bers. 

vfr.  bruz  >  bru;  ce  singulier  existe  dès  le  XVI^  siècle. 

débris  >  débri;  ce  singulier  a  été  employé  à  la  rime  par 
Lamartine  : 

Et  les  peuples  poussant  un  cri 
Comme  un  avide  essaim  d'esclaves 
Dont  on  a  brisé  les  entraves, 
Se  sauvent  avec  un  débri. 

(Harmonies,  IV,  14). 

gars  >  gar;  ce  singulier  a  été  employé  par  J.  Le  Roux  dans 
son  Dictionnaire  comique, 
ail.  Mastochs  >  mastoc. 
ail.  Urochs  )  uroch.  Cette  forme  tronquée  a  été  employée  par 


253 

Chateaubriand   (Martyrs,   chap.  VII)   et   H,  Taine   (Hist.  de  la 
litt.  angl.,  I,  17).  La  forme  ordinaire  est  aurochs. 

Remarque.  Cette  formation  d'un  nouveau  singulier  par  la  soustraction 
d'une  prétendue  terminaison  de  pluriel  est  un  phénomène  curieux  d'ana- 
logie qui  se  retrouve  dans  d'autres  langues.  Rappelons  pour  l'anglais  cherry 
(fr.  cerise),  marquée  (fr.  marquise),  pea  (lat.  pi  su  m),  au  lieu  de  cherris, 
marquées  et  pease  (conservé  dans  peasblossom,  pease-porridge),  et  la  forme 
vulgaire  shay  au  lieu  de  chaise  (fr.  chaise);  on  trouve  aussi  a  Chinée,  a 
Portuguee,  a  Maltee,  pour  a  Chinese,  a  Portuguese,  a  Maltese. 

365.  Quelques  mots,  qui  présentent  indûment  au  singulier 
un  s  final,  sont  des  pluriels  primitifs  passés  au  singulier.  Ce 
sont  ou  des  mots  français  ou  des  mots  d'emprunt.  Exemples: 

Un  alcarazas  <  esp.  alcarrazas,  pluriel  de  alcarraza. 

Un  appas  tiré  de  des  appas,  ancien  pluriel  normal  de  ap- 
past  (voir  p.  ex.  Régnier,  Macette,  v.  82).  On  avait  aussi  un 
pluriel  refait  appasts,  d'où  appâts. 

Un  colis,  tiré  de  des  colis.  L'Académie  donne  en  1735  coU 
au  singulier,  mais  supprime  cette  forme  en  1878.  Colis  est  un 
double  pluriel  venant  de  l'it.  colli;  comp.  §  354,  Rem. 

Un  escampativos  <  gasc.  escampati  vos,  pluriel  de  escam- 
pativo,  escapade. 

Un  lilas  (pour  lila  ou  lilac),  tiré  de  des  lilas,  qui  est  pour 
lilacs;  le  mot  est  emprunté  de  l'esp.  lilac. 

Un  lis  (pour  /i7),  tiré  de  des  fleurs  de  lis  (voir  §  280). 

Un  mérinos  <  esp.  mérinos,  pluriel  de  merino. 

Un  palmarès  <  lat.  palmarès,  pluriel  de  pal  mari  s,  qui  a 
mérité  les  palmes,  les  prix. 

Un  recors,  tiré  de  des  recors,  ancien  pluriel  de  record. 

Un  relais,  tiré  de  des  relais  (subst.  verbal  de  relayer;  comp. 
délayer  —  délai). 

Un  rets,  tiré  de  des  rets  (voir  §  280). 

Un  ségrais,  tiré  de  des  ségrais  (pluriel  de  segrai  )  secre- 
tum). 

Remarque.  Quelques  mots  isolés  présentent  au  singulier  un  s  parasite: 
Remous  (emprunté  du  prov.  moderne  rem  ou),  salmis  (pour  salmi,  abrévia- 
tion de  salmigondis).  Dans  tous  les  autres  mots  qui  se  terminent  au  singu- 
lier par  un  s,  cette  consonne  appartient  au  radical:  vers  (versum),  tiers 
(tertium),  ours  (ursum),  ou  bien  est  l'ancienne  marque  flexionnelle  du 
nominatif  (§  279). 


254 


IX.  LA  LANGUE  PARLEE  ET  LES  PATOIS. 

366.  Toutes  les  règles  précédentes  ont  uniquement  trait 
à  la  langue  écrite,  et  ne  sont  pas  valables  pour  la  langue  par- 
lée. Dans  la  plupart  des  cas,  la  langue  écrite  possède  une 
forme  particulière  pour  le  pluriel:  Le  petit  chat  —  les  petits 
chats,  ta  belle  maison  —  les  belles  maisons,  le  nouveau  journal 
—  les  nouveaux  journaux,  etc.,  et  ce  n'est  qu'un  petit  ijombre 
de  mots  qui  restent  invariables  (§§  358 — 359).  La  langue  par- 
lée, au  contraire,  ne  connaît  ordinairement  qu'une  seule  forme 
pour  les  deux  nombres;  il  n'y  a  aucune  différence  entre  (un) 
petit  chat  et  (deux)  petits  chats,  (une)  belle  maison  et  (deux) 
belles  maisons  (comp.  §  368),  le  s  du  pluriel  s'étant  amuï. 
Rappelons  pourtant  que  cette  consonne  se  prononce  encore 
devant  une  voyelle:  les  beaux  arts  [leboza:r],  les  langues  étran- 
gères [lelâgzetrâ5£:r],  etc.;  pour  les  détails,  voir  Manuel  phonétique, 
§  164. 

367.  L'amuïssement  du  s  était  autrefois  suivi  d'un  allonge- 
ment de  la  voyelle  précédente  (I,  §  130,  i,  Rem.);  on  disait 
un  lac  [lak],  des  lacs  [la:k].  Meigret  pose  en  règle  générale  que 
»toutes  terminezons  plurieres  tant  dès  noms  substantifs,  q'ad- 
iectifs,  qe  participes,  qe  pronoms,  fèttes  en  voyelle,  excepté  l'e 
bref,  ont  la  voyelle  de  la  dernière  syllabe  longe:  comme  lac, 
lacs:  hanap,  hanâps:  bonèt,  bonês:  sqif,  sqîfs:  coq,  côcs:  but, 
bûs«.  Lanoue  attribue  »raccent  long«  aux  pluriels  des  mots 
terminés  au  singulier  par  une  consonne  qui  peut  être  syn- 
copée devant  Vs,  ac;  ap  (dras)  ;  ec;  ep;  ef  (chés,  de  chef  et  dé- 
rivés, clés,  fiés);  ic  (bazilis,  aspis) ;  if  (baillis,  apprentis,  substan- 
tis,  craintis,  restis,  mestis)  ;  il  mouillé  (conis,  fenis,  chenis,  péris, 
baris,  outis,  gentis),  »  excepté  sourds,  qui  rime  à  is  bref;  »euf« 
excepté  veuf,  qui  ne  se  peut  proférer  sans  1'/,  pourtant  quand 
on  s'en  seruira  il  faudra  accommoder  ses  compagnons  à  sa 
pronontiation«.  Cette  différence  quantitative  entre  le  singulier 
et  le  pluriel  existe  jusqu'à  la  fin  du  XVIIP  siècle.  L'Anonyme 
de  1654  dit  que  »dans  tous  les  mots  en  c,  l,  f  r,  Vs  au  plu- 
rier  sert  comme  de  marque  et  d'accent,  pour  faire  alonger  la 
voyelle  de  leurs  dernières  syllabes  plurieres,  comme  en  ces 
mots  bacs,  becs,  pîcs,  sucs,  chefs,  vifs,  chars,  cors,  dûrs<.<.  Rap- 
pelons enfin  que  Durand  (1748)  remarque:  »Tous  les  pluriers 


255 

sont  longs  universellement,  dans  les  noms,  dans  les  verbes, 
dans  les  articles,  en  un  mot,  dans  toute  expression  qui  en  est 
susceptible  ....  Vous  savez  aussi  bien  que  moi  qu'il  y  a  de 
la  différence  entre  le  Roi  et  lés  Roïs,  le  duc  et  lés  ducs,  le  roc 
et  lés  rocs;  on  ne  prononce  pas  Y  s,  il  est  vrai,  mais  on  la  fait 
sentir  par  un  petit  allongement  sans  affectation«.  De  nos  jours, 
les  patois  seuls  ont  conservé  une  différence  quantitative  entre 
le  singulier  et  le  pluriel. 

368.  La  langue  parlée  ne  possède  une  forme  spéciale  pour 
le  pluriel  que  dans  les  cas  peu  nombreux,  où  l'on  conserve 
des  traces  des  changements  phonétiques  occasionnés  autrefois 
par  l'addition  du  s.  L'amuïssement  de  la  consonne  finale  ne 
joue  plus  aucun  rôle  (voir  §  287);  restent  donc  seulement 
ceux  des  mots  en  /,  dont  on  n'a  pas  reformé  le  pluriel.  Ce 
sont 

1°  Un  certain  nombre  de  mots  en  -al:  [Javal]  —  [J^vo],  [gur- 
nal]  —  [gurno],  [arsanal]  —  [arsano],  etc.  ;  voir  pour  les  détails, 
§  292. 

2°  Quelques  mots  en  -ail:  [travaj]  —  [travo],  [koraj]  —  [ko- 
ro],  [baj]  —  [bo],  etc.;  voir  pour  les  détails,  §  302. 

3"  Les  trois  substantifs  [ajœl]  —  [ajo],  [sjeI]  —  [sjo],  [œj]  —  [J0], 
qui  sont  aussi  invariables  (voir  §§  308,  318). 

369.  L'effacement  de  la  distinction  entre  le  singulier  et  le 
pluriel  a  eu  lieu  aussi  en  plusieurs  patois.  L'abbé  Rabiet  re- 
marque dans  son  Étude  sur  le  patois  de  Bourberain:  »La 
marque  du  pluriel  [des  substantifs]  a  à  peu  près  complètement 
disparu.  Les  alternances  françaises  al  —  aux,  ail  —  aux,  etc., 
comme  caractéristiques  du  nombre  n'existent  pas  dans  notre 
patois  .  .  .  Les  formes  èy,  vèj  servent  à  la  fois  pour  le  singu- 
lier et  le  pluriel:  œil  —  yeux;  vieil,  vieux  —  vieille,  vieilles. 
Quant  à  Vs,  qui  paraît  en  français  dans  l'orthographe  et  qui 
sonne  encore  comme  liaison  devant  un  mot  commençant  par 
une  voyelle,  il  n'y  en  a  plus  trace,  au  moins  après  les  subs- 
tantifs, les  adjectifs  et  les  pronoms  personnels  sujets.  C'est 
donc  uniquement  par  la  forme  de  l'article  ou  par  le  nombre 
du  verbe  qu'on  peut  être  renseigné  sur  le  nombre  du  substan- 
tif*. Il  ajoute  plus  loin:  »I^a  distinction  du  nombre  a  disparu 
complètement  dans    les   adjectifs  comme   dans  les  substantifs. 


256 

On  n'entend  jamais  sonner  d's  à  la  finale  de  l'adjectif  devant 
un  substantif  commençant  par  une  voyelle.  Seulement  devant 
un  mot  commençant  par  une  voyelle  on  se  sert  de  la  forme 
la  plus  pleine,  laquelle  est  identique  à  la  forme  du  féminin: 
[vif.  de  pœt  uzja:]  (voilà  de  laids  oiseaux);  —  [le  bel  efa:r]  (les 
belles  affaires);  —  [de  ptitj  Qfâ]  (des  petits  enfants);  —  [le  zâtitj 
âfâ]  (les  gentils  enfants);  —  [de  vej  5m]  (des  vieux  hommes, 
des  hommes  âgés)  (Revue  des  patois  gallo-romans,  III,  88,  90). 
Le  même  état  de  choses  se  rencontre  dans  les  patois  lorrains. 
M.  Lucien  Adam  écrit:  »  C'est  une  règle  absolue,  dans  nos 
patois,  que  le  nom  ne  subit  aucune  modification  en  passant 
du  nombre  singulier  au  nombre  pluriel.  Ainsi,  l'on  dit  sa  chwâ 
(son  cheval),  ses  chwâs  (ses  chevaux);  lo  général,  les  générais, 
le  merchau  (le  maréchal),  les  merchaus  (les  maréchaux).  M''"*^ 
Houberdon  indique  expressément  que,  dans  le  dialecte  du 
Tholy,  Vs  finale  ne  sonne  point  sur  la  voyelle  initiale  du  mot 
qui  suit«  (Les  patois  lorrains,  Nancy  et  Paris.  1881.  P.  103). 
Mais,  si  le  mot  ne  subit  aucune  modification  au  pluriel,  pour- 
quoi alors  écrire  un  s  final?  On  voit  quelle  est  la  puissance 
de  la  langue  littéraire,  et  la  difficulté  qu'éprouve  même  un 
philologue  à  admettre  le  fait  qu'il  a  constaté  lui-même,  à  savoir 
que  les  noms  n'ont  pas  de  pluriel. 

370.  D'un  autre  côté,  il  y  a  plusieurs  patois  qui  distinguent 
encore  le  pluriel  du  singulier.  Nous  avons  déjà  parlé  de  l'é- 
change des  finales  -el  et  -eaux,  abandonné  dans  la  langue 
littéraire  actuelle  et  conservé  en  Calvados  (§  311).  C'est 
aussi  dans  les  patois  de  ce  pays  que  r  est  devenu  le  repré- 
sentatif du  pluriel  d'un  certain  nombre  de  mots;  cette  forma- 
tion s'explique  par  l'amuïssement  du  r  final,  et  la  réduction 
de  rs  final  à  r;  au  lieu  de  voleur  —  voleurs,  on  dit  voleu  — 
voleur;  puis,  ce  r  s'adjoint  par  analogie  à  tels  autres  mots  où 
il  n'a  rien  d'étymologique.  A  Fontenay-le-Marmion  on  dit  non 
seulement  bateu  —  bateur,  raboureu  (laboureur)  —  raboureur, 
voleu  —  voleur,  ne  (noir)  —  ner,  se  (soir)  —  ser,  mais  aussi 
kota  (côté)  —  kotèr,  fosa  (fossé)  —  fosèr,  pava  (pavé)  —  pa- 
ver. A  La  Hague  on  dit  glayeu  —  glayeur,  ye  (œil)  —  yer,  à 
la  Trinité  (Ile  de  Jersey),  jnou  (genou)  —  jnour,  ye  (œil)  — 
yer,  plesi  —  plesir,  etc. 


CHAPITRE  IV. 

LE   MASCULIN   ET  LE  FÉMININ. 


A.  DISTINCTION  DES  GENRES. 

371.  La  distinction  des  deux  genres  a  ordinairement  lieu 
dans  les  noms  propres,  en  tant  qu'ils  sont  personnels:  Henri 
—  Henriette,  etc.;  dans  les  noms  communs  désignant  des  êtres 
vivants:  neveu  —  nièce,  loup  —  louve,  etc.;  dans  les  adjectifs: 
bon  —  bonne,  doux  —  douce,  fort  —  forte,  etc.  La  distinction 
se  fait  de  plusieurs  manières  différentes: 

1°  On  emploie  pour  le  féminin  un  tout  autre  mot  que  pour 
le  masculin:  homme  —  femme.  Voir  §  39L 

2°  On  emploie  le  même  mot  en  différenciant  seulement  la 
finale  ou  en  ajoutant  (parfois  en  ôtant)  un  suffixe:  cousin  — 
cousine,  renard  —  renarde,  jumeau  —  jumelle,  hôte  —  hôtesse, 
Josèphe  —  Joséphine,  canard  —  cane,  etc.  Dans  quelques  mots 
la  différence  entre  les  deux  formes  est  plus  marquée:  neveu  — 
nièce,  roi  —  reine.  Voir  §§  392 — 432. 

3"  On  emploie  le  même  mot  sans  changement  de  forme,  et 
le  genre  s'exprime  par  le  déterminant:  un  e'/èye  —  une  élève, 
son  concierge  —  sa  concierge,  un  éléphant  mâle  —  un  éléphant 
femelle,  etc.  Voir  §§  433—440. 

372.  Noms  propres.  Beaucoup  de  noms  de  baptême  ont  une 

forme  spéciale  au  féminin:  Adolphe  —  Adolphine,  André  — 
Andrée,  Antoine  —  Antoinette,  Chariot  —  Charlotte,  Emile  — 
Emilie,  Eugène  —  Eugénie,  Gabriel  —  Gabrielle,  Henri  —  Hen- 
riette,   Jean  —  Jeanne,    Jules  —  Julie,    Louis  —  Louise,    Mar- 

17 


258 

tin  —  Martine,   Napoléon  —  Napoléone,   Paulin  —  Pauline,    Si- 
mon —  Simonne,  etc. 

Remarque.  Dans  quelques  cas,  la  même  forme  est  commune  aux  deux 
genres:  Camille,  Marie.  Mais  le  plus  souvent,  le  nom  de  baptême  est  ex- 
clusivement masculin:  Alexis,  Alfred,  Arthur,  Gaston,  ou  exclusivement  fé- 
minin: Anne,  Élise,  Emma,  Marguerite. 

373.  Les  noms  de  famille  ne  changent  pas  de  genre;  on  dit 
Monsieur  Jean  Legrand  et  Madame  Jeanne  Legrand,  Monsieur 
Adolphe  Bernadotte  et  Madame  Adolphine  Bernadotte.  Ainsi  les 
noms  propres  s'immobilisent,  soit  sous  une  forme  masculine, 
soit  sous  une  forme  féminine,  dès  qu'ils  deviennent  communs 
à  tous  les  membres  d'une  famille.  Autrefois  le  nom  familial 
pouvait  varier  de  genre,  et  il  le  fait  encore  dans  plusieurs 
patois.  Citons  à  ce  sujet  quelques  observations  intéressantes 
de  M.  Robert  Mowat:  »I1  est  aussi  dans  les  usages  populaires 
d'une  foule  de  localités  de  désigner  une  femme,  mariée  ou 
veuve,  par  le  nom  familial  de  son  mari  avec  la  désinence 
féminine,  en  le  faisant  précéder  de  l'article  la.  Le  cas  se  pré- 
sente souvent  dans  les  livres  de  la  Taille  de  Paris,  pour  1292 
et  pour  1313.  Le  procès  récent  d'Aix  nous  apprend  que  l'une 
des  accusées,  la  veuve  Fanny  Lambert,  était  dite  la  Lamberte. 
On  comprend  d'après  cela  comment  tant  de  noms  de  famille 
ont  la  désinence  féminine,  et  reproduisent  soit  un  nom  per- 
sonnel (prénom)  de  femme,  soit  un  nom  familial  féminisé;  ce 
sont  en  général  des  »métronymiques«,  qui  indiquent  que  leur 
premier  auteur  connu  était  un  enfant  illégitime,  n'aj^ant  d'autre 
nom  à  transmettre  à  sa  race  que  celui  de  sa  mère;  exemples: 
Barbe,  Nicole,  Luce,  Blanche,  Jeanne,  Susane,  Bernadotte,  Lassi- 
monne  (=  la  Simonne),  Lamartine  (=  la  Martine).,  Lablanche, 
Ladoucette,  Larousse,  etc.,  etc.«.  (MSLP.,  I,  178).  Ajoutons  un 
exemple  tiré  des  »  Scènes  populaires  «  de  Henri  Monnier:  J'vous 
ons-t'y  dit  qu'la  femme  à  défunt  père  Thibaud,  la  Thibaude, 
aile  s'aviont  remariée  (II,  60).  Dans  »rEsprit  des  Campagnes», 
Madame  Germain  s'appelle  la  Germaine  (ib.,  II,  153). 

Remarque.  Henri  Lavedan  a  plaisamment  créé  une  forme  féminine  du 
nom  de  Bourget.  Dans  «Le  nouveau  jeu«  (p.  288),  la  Comtesse  de  Soperani, 
ci-devant  madame  Costard,  écrit:  J'aurais  débuté  par  ....  des  impressions 
de  voyages,  où  j'aurais  fait  ma  petite  Bourgette,  tout  en  restant  moi». 


259 

374.  Noms  communs.  Les  noms  communs  désignant  des  êtres 
humains  ou  des  animaux  d'une  classe  supérieure,  ont  géné- 
ralement une  forme  spéciale  pour  chaque  genre:  Homme  — 
femme,  oncle  —  tante,  neveu  —  nièce,  cousin  —  cousine,  duc 
—  duchesse,  comte  —  comtesse,  ami  —  amie,  ouvrier  —  ouvrière. 
Taureau  —  vache,  loup  —  louve,  renard  —  renarde,  etc. 

375.  Dans  tous  les  mots  cités  la  distinction  des  genres  sert 
à  marquer  le  sexe  naturel.  Il  est  rare  que  l'accord  entre  le 
genre  logique  et  le  genre  grammatical  fasse  défaut;  rappelons 
pourtant  les  faits  suivants,  qui  seront  traités  plus  en  détail 
dans  la  Syntaxe: 

l*'  Certains  noms  sont  du  masculin  et  ne  s'appliquent  qu'à 
des  femmes:   laideron,  souillon,  tendron. 

2®  D'autres  noms  sont  du  féminin  et  ne  s'appliquent  qu'à 
des  hommes  :  estafette,  recrue,  sentinelle,  vigie.  r 

3°  Certains  noms  masculins  désignant  des  états  ou  des  pro- 
fessions, autrefois  propres  aux  hommes,  s'appliquent  indiffé- 
remment aux  deux  sexes:  écrivain,  médecin,  professeur,  etc.; 
pour  les  détails,  voir  §  435  ss. 

4"  Certains  noms  féminins,  qui  originairement  ne  désignaient 
pas  des  personnes,  s'appliquent  indifféremment  aux  deux  sexes: 
caution,  connaissance,  dupe,  pratique,  victime,  etc. 

Remarque.  Certains  noms  féminins  désignant  des  états  propres  aux  femmes, 
n'ont  pas  de  masculin  :  modiste.,  lavandière,  nourrice. 

376.  La  distinction  des  genres  servant  à  marquer  le  sexe 
naturel,  est  par  cette  raison  inapplicable  quand  il  s'agit  d'ob- 
jets inanimés.  La  langue  vulgaire  en  présente  bien  quelques 
exemples,  mais  ils  sont  tout  à  fait  isolés  et  s'expliquent  le 
plus  naturellement  comme  des  créations  artificielles  et  bur- 
lesques. Nisard  a  tiré  des  »Poissardiana«  (1756)  la  forme  por- 
traisse  employé  dans  une  vieille  chanson  pour  portrait  (7^  épais 
épaisse)  en  parlant  d'une  femme  :  L'amour  dont  vous  êtes  la 
vraie  portraisse  (De  quelques  parisianismes  populaires,  p.  180). 
Rappelons  aussi  que  La  Chaussée  a  dit  amadoue  pour  ama- 
dou: Enfin  je  te  revois,  beau  briquet  de  ma  flamme.  Douce  et 
chère  amadoue,  étoupe  de  mon  âme  (Rapatr.,  se.  7). 

Doublets.  Quelques  substantifs  désignant  des  objets  pré- 
sentent deux  formes  d'un  genre  différent.  On  trouve  au  moyen 

17* 


260 

âge  par  ex.:  un  ail  —  une  aille,  un  fust  —  une  fuste,  un  ëur 
—  une  ëure,  un  seuil  —  une  seuile;  une  espine  —  un  espin,  une 
fourche  —  un  fourc,  une  olive  —  un  olif,  etc.  Citons  pour  la 
langue  moderne  grain  —  graine,  ravin  —  ravine,  cerveau  — 
cervelle,  javeau  —  javelle,  tonneau  —  tonnelle,  etc.  Ajoutons  que 
sonnette  a  parfois  été  employé,  plaisamment,  comme  une  forme 
féminine  de  sonnet:  »Et  vous  qui  êtes  cause  de  leur  folie, 
sottes  billevesées,  pernicieux  amusements  des  esprits  oisifs,  ro- 
mans, vers,  chansons,  sonnets  et  sonnettes,  puissiez-vous  être  à 
tous  les  diables !«  (Molière,  Précieuses  ridicules,  se.  17).  La  même 
plaisanterie  est  attribuée  par  Tallemant  des  Réaux  (Historiettes, 
I,  294)  à  Malherbe,  et  nous  la  retrouvons  aussi  dans  le  Berger 
extravagant  de  Sorel. 


B.  RAPPORT  HISTORIQUE  ENTRE  LA  FORME 
MASCULINE  ET  LA  FORME  FÉMININE. 

377.  Très  souvent  les  deux  formes  remontent  au  latin  :  homme 
(hominem)  —  femme  (femina),   empereur  (imperatorem) 

—  vfr.  empererriz  (impératrice m),  abbé  (abbatem)  —  ab- 
besse  (abbatissa),  jumeau  (gemellum) — jumelle  (gemella), 
époux  (sponsum)  —  épouse  (sponsa),  ami  (ami  eu  m)  — 
amie  (amica),  bon  (bonum)  —  bonne  (bona),  sec  (siccum) 

—  sèche  (sicca),  etc.  Mais,  dans  beaucoup  de  cas,  le  rapport 
historique  entre  les  deux  formes  est  tout  autre,  et  l'une  des 
formes  est  une  création  purement  française. 

Remarque.  Parfois  les  deux  formes  s'influencent  phonétiquement.  Le  fé- 
minin nièce  doit  sa  diphtongue  (I,  §  164)  à  l'influence  du  nominatif  masculin 
nies  (§  260).  De  l'autre  côté,  l'ancien  masculin  leu  (I,  §  182)  a  été  remplacé 
par  loup,  sous  l'influence  de  louve.  Rappelons  aussi  frais  —  fraîche  (ortho- 
graphe moderne  pour  fres  —  fresche),  où  le  féminin  seul  est  étymologique; 
on  avait  dans  le  plus  vieux  français  freis  —  fresche,  mais  le  féminin  a  réagi 
sur  le  masculin;  la  forme  moderne  correcte  serait  frois. 

I.   SUBSTANTIFS. 

378.  Dans  les  substantifs  biformes,  le  masculin  aussi  bien 
que  le  féminin  peut  être  analogique.  A  côté  de  leo,  le  latin 
classique    avait   le   féminin   le  a   (ou   lesena);    de  ces  formes, 


261 

le  français  ne  possède  que  le  masculin:  le  o  ne  m  >  lion;  pour 
le  féminin,  on  a  créé  deux  formes  non  étymologiques,  lionne 
(§  402)  et  lionnesse  (§  403).  De  l'autre  côté,  des  deux  formes 
viduus  et  vidua,  la  dernière  seule  s'est  continuée  en  fran- 
çais: vidua  )  veuve;  le  masculin  veuf  est  une  création  ana- 
logique postérieure  (§  380).  Parfois  les  rapports  entre  les  deux 
formes  sont  très  compliqués;  ainsi  le  féminin  daine  ne  re- 
monte pas  au  classique  dama,  qui  aurait  donné  daime;  il  a 
été  tiré  du  masculin  daim  (autrefois  écrit  dain)  sur  le  modèle 
de  vain  —  vaine,  et  ce  masculin  vient  de  la  forme  vulgaire 
*  dam  us,  tiré  de  dama. 

379.  Un  féminin  analogique  se  trouve  dans  un  grand  nombre 
de  mots  qui  primitivement  n'existaient  qu'au  masculin;  ce  sont 
surtout  : 

1°  Des  mots  appartenant  à  la  3^  déclinaison  latine.  Exemples: 
Baronne,  tiré  de  baron  (baronem).  Chienne  (cf.  §  401),  tiré 
de  chien  (cane m).  Géante  (cf.  §  412),  tiré  de  géant  (gigan- 
tem).  Lionne  (cf.  §  402),  tiré  de  lion  (leonem).  Marchande 
(cf.  §  416,  i),  tiré  de  marc/îanof  (* mer ca tant em).  Parente,  tiré 
de  parent  (parentem).  Prieure  (cf.  §  406,  i.  Rem,),  tiré  de 
prieur  (priorem). 

2"  Des  mots  d'emprunt.  Exemples  :  Sultane  de  sultan  (mot 
d'origine  arabe).  Co/one/Ze  de  coZo/7e/ (it.  col  on  ello).  Clownesse 
de  clown  (mot  anglais).  Pick-pockette  de  pick-pocket  (mot  an- 
glais). Ce  n'est  que  très  rarement  qu'on  emprunte  aussi  la 
forme  féminine  étrangère  ;  rappelons  pairesse  (§  425),  authoresse 
(§  436),  sportswoman  et  skatingwoman. 

3"  Des  mots  composés,  dont  la  dernière  partie  est  primitive- 
ment invariable;  ainsi  vaurienne  a  été  tiré  de  vaurien  (qui  est 
pour  vaut  rien).  Pour  d'autres  exemples,  voir  §  432. 

380.  Un  masculin  analogique  se  trouve  dans  un  certain 
nombre  de  mots  qui  primitivement  n'existaient  qu'au  féminin. 
En  voici  quelques  exemples: 

Concubin,  tiré  de  concubine,  sur  le  modèle  de  voisin  —  voi- 
sine. Le  mot  appartient  à  la  langue  vulgaire  (voir  Rigaud).  Il 
s'emploie  maintenant  aussi  dans  la  langue  de  droit,  qui  l'a 
probablement  emprunté  du  lat.  concubinus. 


262 

Fé,  tiré  de  fée  (*fata);  la  forme  masculine  a  été  employée 
par  E.  Rolland  comme  traduction  du  dan.  alf,  elf  (voir  Re- 
cueil de  chansons  populaires,  III,  54). 

Machin,  masculin  vulgaire  et  de  formation  récente,  tiré  de 
machine  (macchina);  comp.  en  italien  moderne  coso,  tiré  de 
cosa. 

M'ami,  masculin  tiré  de  m'amie,  a  été  employé  par  A.  Dau- 
det (Sapho,  p.  23,  34,  320,  337). 

Puceau.  Ce  masculin,  qui  remonte  au  XVII^  siècle  (La  Fon- 
taine), a  été  tiré  de  piicelle,  sur  le  modèle  de  jumeau  —  ju- 
melle. 

Rosier,  masculin  tiré  de  rosière  et  dû  à  Guy  de  Maupassant, 
qui  a  raconté  plaisamment  comment  on  fut  obligé,  dans  une 
petite  ville  de  Normandie,  de  substituer  un  rosier  à  la  rosière 
introuvable  (voir  Le  Rosier  de  Mme  Husson). 

Veuf.  On  n'avait  autrefois  que  la  forme  féminine  veuve  (vi- 
dua);  à  ce  propos  M.  G.  Paris  remarque:  »Le  fait  d'avoir 
perdu  sa  femme  ne  constituait  pas  pour  un  homme  une  con- 
dition sociale  particulière  comme  pour  une  femme  le  fait  d'a- 
voir perdu  son  mari;  quand  on  a  voulu  exprimer  l'idée  de 
veuvage  par  un  adjectif  masculin,  on  a  dit  un  homme  veuve; 
c'est  la  seule  forme  usitée  jusqu'au  XVII'^  siècle,  et  je  ne  l'ai 
pas  rencontrée  avant  le  XI V*';  plus  tard  on  a  fait  le  mascuHn 
veuf  sur  le  modèle  de  neuf  en  regard  de  neuvei-  (Romania,  XV, 
p.  440). 

Cas  isolés.  Dans  quelques  cas  on  a  tiré  des  adjectifs  bi- 
formes  de  substantifs  féminins;  ainsi  violette,  employé  comme 
adjectif,  a  donné  naissance  à  violet  —  violette,  et  de  châtaigne 
provient  châtain  —  châtaine  (comp.  §  442).  Ajoutons  enfin 
médecin,  tiré  de  médecine  (medicina);  on  disait  au  moyen 
âge  mire,  et  au  féminin  miresse,  mireresse,  mirgesse.  Sur  un 
nouveau  féminin  médecine,  pour  désigner  la  femme  du  méde- 
cin, voir  §  438. 

381.  Un  masculin  analogique  refait  tiré  du  féminin  remplace 
dans  quelques  mots  le  masculin  primitif: 

Emperier.  L'origine  de  cette  vieille  forme  est  très  curieuse; 
elle  a  sans  doute  été  tirée  de  emper(i)ere,  qui  est  un  nomina- 
tif remontant  à  imperator  et  dont  Joinville  se  sert  encore: 
Li  emperieres    Ferris    l'avoit    fait    chevalier    (Histoire  de  Saint 


263 

Louis,  §  196).  La  forme  resta  en  usage  après  la  disparition  de 
la  déclinaison  (§  276);  mais,  à  cause  de  sa  terminaison  on  la  re- 
garda comme  un  féminin  et  on  l'employa  au  sens  d'impératrice  : 
Dame  du  ciel,  régente  terrienne,  Emperière  des  infernaulx  pa- 
lux  (Villon,  Ballade).  Cette  emperière  du  monde  (Ane.  théâtre 
franc.,  IX,  238).  Vaudroit  mieux  cent  fois  Mener  paistre,  ber- 
gère, vn  troupeau  par  les  bois  Contente  en  son  amour,  qu' Em- 
perière du  monde  Régir  sans  son  amy  (Garnier,  Bradamante, 
V.  919).  Garnier  l'emploie  aussi  comme  adjectif:  Aspirer  aux 
grandeurs  emperières  (Porcie,  v.  784).  Cette  ame  emperière  (Bra- 
damante, V.  723).  De  emperière,  regardé  comme  un  féminin, 
Villon  a  tiré  le  masculin  emperier  qui  figure  au  sens  d'empe- 
reur dans  sa  Ballade  en  vieux  français.  On  trouve  le  même 
mot  ailleurs  au  sens  de  chef,  souverain. 

Juif.  Le  masculin  primitif  est  jui(e)u  (Judaeum);  de  cette 
forme  on  a  tiré  le  féminin  analogique  juiue,  juive,  qui  a  été 
le  point  de  départ  de  juif  (comp.  vif  —  vive). 

382.  Plusieurs  noms  d'animaux  présentent  un  masculin  de 
formation  postérieure  tirée  du  féminin.  Exemples  :  Canard  est 
dérivé  de  cane,  cochon  dé  coche  (voir  §  431).  Rappelons  aussi 
daim  (§  378)  et  loup  (§  377,  Rem.). 

II.  ADJECTIFS. 

383.  On  avait  dans  la  vieille  langue  : 

1"  Des  adjectifs  biformes,  tels  que  bon,  mal,  pur,  froit, 
chalt,  etc. 

2"  Des  adjectifs  uniformes,  tels  que  brief,  fort,  grant,  leial, 
présent,  etc.  Exemples:  Manatce  regiel  (Sie  Eulalie,  v.  8).  Grand 
honestet  (ib.,  v.  18).  Grant  nobilitet  (St.  Alexis,  v.  14).  Fort  aven- 
ture {ib.,  V.  441).  La  leial  compaignie  (Roland,  v.  1735),  etc.,  etc. 

384.  Sur  le  sort  des  deux  groupes  d'adje<îtifs  il  faut  remar- 
quer : 

1^  Les  adjectifs  biformes  se  sont  généralement  maintenus 
tels  quels:  bon  —  bonne,  pur  —  pure,  froid  —  froide. 

2"  Quelques  adjectifs  biformes  ont  éliminé  le  masculin  au 
profit  du  féminin.  Au  lieu  de  chauf — chauve,  on  ne  dit  plus 
que  chauve  aux  deux  genres;  voir  §  389. 


264 

3°  Les  adjectifs  uniformes,  qui  ne  se  terminaient  pas  en  -e, 
sont  devenus  biformes  par  la  création  d'un  féminin  analogique 
en  -e;  de  fort  (fortem)  a  été  tiré  forte,  sur  le  modèle  de 
mort  —  morte  (m  or  tu  a). 

Remarque.  La  tendance  à  donner  un  féminin  spécial  aux  adjectifs  bi- 
formes remonte  très  liant.  Déjà  en  latin  on  trouve  pauperus  paupera 
pour  pauper.  L'Appendix  Probi  remarque  qu'il  faut  dire  ipauper  mulier, 
non  paupera  mulier«;  la  forme  vulgaire  en  -us  -a  se  retrouve  dans  l'ital. 
povero  —  povera,  et  dans  le  prov.  paubre  —  paubra.  De  même  en  gallo- 
roman  communis,  dolens,  follis  et  mollis  ont  été  remplacés  par  com- 
munus,  dolentus,  *follus,  *mollus;  ces  adjectifs  présentent  dès  les  plus 
anciens  textes  provençaux  et  français  une  forme  spéciale  en  -a  ou  -e  au  fé- 
minin. Il  en  est  de  même  de  diilz  —  douce  (prov.  dous  —  dousà),  qui  re- 
monte peut-être  à  un  *dulcius  —  *dulcia  pour  dulcis,  et  de  tous  les 
adjectifs  en  -eis  (-en si  s):  courteis  —  courteise  (prov.  cortes  —  cortesà),  fran- 
ceis  —  franceise,  etc. 

4^  Quelques  adjectifs  uniformes  en  -e  sont  devenus  biformes 
par  la  création  d'un  masculin  analogique  sans  e:  de  bénigne 
(emprunté  de  benignus),  on  a  tiré  bénin,  sur  le  modèle  de 
voisin  —  voisine  (vicina).  Comp.  §  388. 

385.  FÉMININ  ANALOGIQUE.  Comme  la  plupart  des  adjectifs 
avaient  une  forme  féminine  en  -e,  cette  terminaison  a  été 
ajoutée,  par  voie  d'analogie,  aux  adjectifs  primitivement  uni- 
formes. Déjà  dans  la  Vie  de  Saint  Alexis,  grande  est  employé 
comme  prédicat:  Ne  vus  sai  dire  com  lor  ledice  est  grande 
(v.  610)  ;  dans  le  Roland  (XI^  siècle)  on  trouve  grande  (v.  302, 
3656)  et  verte  (v.  1569).  Au  courant  des  XII^  et  XIII^  siècles, 
les  formes  analogiques  en  -e  deviennent  plus  fréquentes,  et 
brieve,  forte,  cruele,  tele,  quele,  ardante,  gentille,  luisante,  plorante, 
etc.  commencent  à  s'employer  à  côté  des  uniformes  brief,  fort, 
cruel,  tel,  quel,  gentil,  ardant,  luisant,  plorant.  Après  le  XIIP 
siècle,  l'emploi  de  ces  dernières  formes  se  restreint  de  plus  en 
plus.  Dans  la  traduction  de  la  Chirurgie  de  Henri  de  Monde- 
ville  (de  1314),  l'indécision  entre  le  féminin  étymologique  et 
le  féminin  analogique  en  -e  est  très  grande.  On  trouve  indiffé- 
remment fort  vertu  (§  1203)  et  forte  vertu  (ib.J,  grief  chose 
(§  1932)  et  grieves  doulours  (§  2078),  tel  manière  (§  1849)  et 
tele  manière  (§  1502),  autel  manière  (§  1086)  et  autele  (§  1954), 
autretel  matière  (§  2031)  et  autretele  manière  (§  1153),  la  quel 
chose  (§  11)  et  /a  quele  fumée  (§  1885),  plaies  mortelles  (§  1188) 


265 

€t  plaies  mortieux,  mortelz  (ib.),  complexion  naturel  (§  1727)  et 
complexion  natiirele  (§  1704),  évacuations  universels  (§  755)  et 
purgations  .  .  .  universeles  (§  1587),  choses  extrinsèques  nuisons 
(§  2148)  et  choses  .  .  .  nuisantes  (§  2155),  umeur  péchant  (§2030) 
et  humeurs  péchantes  (§  1507),  médecine  compétent  (§  549)  et 
médecine  compétente  (§  2039).  Grand  est  variable  quand  il  suit 
le  substantif:  .  . .  qui  ont  grant  plaie  a  incision,  ou  petite  ou 
contusion  grande  (§  754).  Cette  hésitation  se  maintient  jusqu'à 
la  fin  du  XV''  siècle.  Au  XVI^  siècle,  les  vieilles  formes  fémi- 
nines sans  e  sont  assez  rares,  et  il  n'y  a  guère  que  les  poètes 
qui  s'en  servent,  mais  pas  pour  longtemps.  Régnier  dans  sa 
XIII^  satire  (Macette)  écrit  encore:  S'enrichir  de  bonne  heure 
est  une  grand'  sagesse  (v.  153). 

386.  Voici  un  relevé  sommaire  des  quelques  restes  isolés 
des  adjectifs  uniformes  qui  se  sont  conservés  après  le  XVI*' 
siècle  : 

P  Fort  a  maintenu  son  uniformité  dans  les  noms  propres 
Pierrefort,  Rochefort,  Villefort,  dans  le  composé  raifort  (comp. 
barrefort)  et  dans  l'expression  se  faire  fort.  L'Académie  a  dé- 
cidé qu'il  faut  dire  non  seulement  :  elle  se  fait  fort,  mais  aussi  : 
ils  (elles)  se  font  fort;  cette  dernière  orthographe  est  fautive, 
fort  est  un  adjectif  et  non  pas  un  adverbe  comme  prétendait 
déjà  Vaugelas  {Remarques,  I,  22,  444).  Au  singulier  on  s'est 
parfois  servi  du  féminin  analogique  forte:  Ainsi  est  il,  je  m'en 
fais  forte  (Patelin,  v.  454).  L'arrêté  ministériel  du  26  février 
1901  s'est  occupé  de  notre  locution  et  permet  l'accord  de  l'ad- 
jectif: se  faire  fort,  forte,  forts,  fortes  de  .  .  .  Cette  innovation 
toute  logique  ne  peut  manquer  d'être  bien  reçue.  M.  Léon  Clé- 
dat  a  fait  l'observation  suivante:  »Si  elle  se  fait  forte  nous 
choque  un  peu,  c'est  simplement  parce  que  la  locution  n'est 
guère  employée  par  les  femmes,  le  sentiment  qu'elle  exprime 
étant  peu  féminin  «. 

2^  Grand.  De  tous  les  adjectifs  primitivement  uniformes, 
c'est  grand  qui  a  gardé  le  plus  longtemps  son  uniformité. 
Bèze  remarque:  »Observandum  est  autem  peculiariter  foemini- 
num  adiectivum  grande,  in  quô  e  consuevit  etiam  ante  con- 
sonantes  elidi,  ut  une  grand'  besongne,  une  grand'  chose,  une 
grand'  femme,  une  grand'  meschancete«  (De  recta  pronuntia- 
tione,  p.  93).    Pourtant,  les  vieilles  formes  commencent  à  être 


266 

moins  employées.  Desportes  ayant  écrit  dans  un  vers  »  Durant 
les  grand'  chaleurs^  fut  blâmé  par  Malherbe  (Œuvres  com- 
plètes, IV,  252).  Pour  le  XVIP  siècle,  voici  une  observation  de 
Ménage:  »  Monsieur  de  Vaugelas  a  fort  bien  remarqué  qu'il  y 
a  certains  endroits  où  l'on  dit  grand  avec  l'apostrophe,  aulieu 
de  grande.  Et  voicy  apeuprês  ces  endroits  :  à  grand'  peine;  en 
grand  peine;  La  plus  grand  part;  J'ay  eu  grand'  peur;  C'est 
grand'  pitié;  Ce  n'est  pas  grand'  chose;  Nous  avons  fait  grand' 
chère;  ma  grand'  mère;  la  grand'  Chambre;  la  grand  Sale;  la 
grand'  Messe.  Il  ajoute  qu'on  dit  néant-moins,  une  grande  mé- 
chanceté, une  grande  calomnie,  une  grande  sagesse,  une  grande 
marque.  Il  faloit  dire,  qu'on  dit  neantmoins  la  grande  Con- 
frairie,  &c.  M.  de  Vaugelas  ne  s'est  pas  aperceu  que  ces  der- 
niers exemples,  estant  accompagnez  du  mot  à'une,  n'estoient 
pas  opposez  aux  premiers,  qui  n'ont  point  ce  mot.  Car  comme 
nous  disons,  une  grande  méchanceté,  une  grande  calomnie,  &c. 
nous  disons  demesme,  une  grande  peine,  une  grande  pitié,  une 
grande  chose,  une  grande  chère,  une  grande  chambre,  une  grande 
Sale,  une  grande  Messe,  &c.  Et  je  ne  sache  que  grand  mère,  qui 
se  dise  aujourdhuy  avec  une.  le  la  croiois  fûle,  et  c'est  une  grand - 
mere«  (Observations,  p.  378).  Dans  la  langue  actuelle,  grand  a 
conservé  son  uniformité  dans  quelques  noms  propres:  Grand- 
Couronne,  Grand-Fontaine,  Grandlande,  Grandmaison,  Grandrive, 
Gran(d)ville,  et  dans  un  certain  nombre  de  locutions  toutes  faites 
où  il  précède  immédiatement  le  substantif:  Grand  bande,  grand - 
cérémonie,  grand'  chambre,  grand  chère,  grandchose,  grand' coiffe, 
grand  croix,  grand  faim,  grand  garde,  grandhâte,  grand' honte, 
grand' mère,  grand' messe,  grand' peine,  grand  peur,  grand  pitié, 
grand  pompe,  grand  rue,  grand  salle,  grand  sœur,  grand  soif, 
grandtante.  Après  le  substantif  on  dit  toujours  grande. 

Nous  avons  déjà  fait  remarquer  (§  385)  que,  dès  les  plus 
anciens  temps,  la  flexion  de  grand  est  intimement  liée  à  sa 
place  dans  la  phrase.  Dans  la  34*^  nouvelle  de  son  Heptaméron 
Marguerite  de  Valois  écrit:  »Ilz  estimoient  grand  vertu  se 
vaincre  eulz-mesmes«,  et  un  peu  plus  loin:  »Les  anciens  esti- 
moient ceste  vertu  grande«.  Agnel  remarque  dans  son  Étude 
sur  les  langages  rustiques  des  environs  de  Paris  (p.  41):  Les 
paysans  disent  la  grandrue,  la  grand  montagne,  une  grandtable, 
mais  ta  fiyeu  est  ben  grande«. 


267 

3*^  Les  adjectifs  en  -ant  et  -ent  ont  conservé  leur  uniformité 
dans  les  dérivés  adverbiaux:  constamment,  élégamment,  éloquem- 
ment,  prudemment,  vaillamment,  etc.  Dans  ces  mots  se  cache 
l'ancien  féminin  invariable  :  vaillamment  est,  comme  bonnement, 
un  composé  de  la  forme  féminine  de  l'adjectif  avec  -ment;  dès 
qu'on  a  commencé  à  dire  vaillante  au  féminin,  on  a  aussi 
créé  vaillantement,  mais  cette  forme  n'a  pas  persisté.  On  a  dit 
de  même  aux  XV*'  et  XVP  siècles  ardentement ,  diligentement, 
excellentement,  galantement,  innocentement,  méchantement,  négli- 
gentement,  patientement,  pesantement,  prudentement,  violentement, 
etc.  L'emploi  de  ces  formes  n'est  jamais  devenu  général,  et 
Malherbe  blâme  Desportes  d'avoir  dit  ardentement,  au  lieu  de 
arden\m.ent. 

4^  Vert  et  réal  (royal)  ont  conservé  leur  uniformité  dans  les 
noms  propres  Vauvert  (pour  Valvert;  val  était  du  féminin  au 
moyen  âge)  et  Villeréal. 

5^  Rappelons  enfin  les  termes  archaïques  lettres  royaux,  or- 
donnances royaux,  fonts  baptismaux. 

387.  Masculin  analogique.  Par  la  création  d'un  nouveau 
masculin  la  langue  est  enrichie  ou  appauvrie  d'une  forme  selon 
la  flexion  de  l'adjectif  qui  a  servi  de  modèle. 

l*'  La  création  d'un  masculin  analogique  a  lieu  dans  quelques 
adjectifs  uniformes,  qui  originairement  se  terminaient  en  -e 
aux  deux  genres  :  comme  Ve  muet  final  est  propre  au  féminin, 
on  l'élimine  au  masculin  (nous  avons  signalé  des  procédés 
pareils  aux  §§  264,  Rem.,  et  364).  Ainsi  sur  le  modèle  de 
lourd  —  lourde,  l'uniforme  balourde  se  transforme  en  balourd 
—  balourde.  Un  pareil  procédé  est  surtout  fréquent  dans  les 
adjectifs  savants:  publique,  emprunté  du  lat.  publicus,  s'est 
scindé  en  public  —  publique.  On  a  a'ussi  créé  des  masculins 
tels  que  brusc,  brut,  circonfîex,  contract,  fidel,  intrinsec,  néfast, 
perplex,  tricolor,  mais  ils  ne  sont  pas  parvenus  à  remplacer 
brusque,  brute,  circonflexe,  contracte,  fidèle,  intrinsèque,  néfaste, 
perplexe,  tricolore!.  Pour  d'autres  détails,  voir  §  388. 

2^  La  création  d'un  masculin  analogique  a  lieu  dans  quelques 
adjectifs  biformes.  Ainsi,  sur  le  modèle  de  l'uniforme  sage, 
l'ancien  lare  —  large  est  devenu  large  aux  deux  genres:  le 
masculin  étymologique  un  peu  isolé  lare  a  disparu  devant  le 
masculin  analogique  large,  égal  au  féminin,  et  créé  sur  l'ana- 


268 

logie  des  adjectifs  invariables  en  -e.  La  disparition  de  lare  est 
aussi  due  à  la  tendance  assimilatrice  que  nous  avons  rencon- 
trée tant  de  fois  et  qui  cherche  à  rendre  égales  les  différentes 
formes  du  même  mot  (comp.  bal  —  hais,  au  lieu  de  bal  — 
baux)  ;  la  forme  féminine  offrait  l'avantage  d'être  plus  en  har- 
monie avec  les  autres  dérivés  du  même  radical  largeur,  lar- 
gesse, largeté,  largir,  largitif.  Pour  d'autres  exemples,  voir 
§  389. 

Remarque.  Tandis  que  tous  les  adjectifs  uniformes  sont  devenus  biformes 
(excepté  ceux  qui  se  terminaient  par  un  e),  le  passage  des  adjectifs  biformes 
à  la  classe  des  uniformes  ne  se  montre  que  sporadiquement,  et  il  est  diffi- 
cile de  voir  pourquoi  tel  mot  perd  une  forme  et  tel  autre  reste  intact.  Ainsi 
roit  a  été  remplacé  par  roide  tandis  que  froit  (froid)  s'est  conservé  malgré 
des  hésitations  (voir  §  389).  La  langue  littéraire  a  conservé  sauf  —  sauve, 
sec  —  sèche;  la  langue  populaire  de  Paris  emploie  sèche  et  sauve  au  mascu- 
lin. La  généralisation  se  rencontre  aussi  dans  beaucoup  de  patois;  en  lor- 
rain on  dit  basse  (baihhe),  fraîche  (frohhe),  sèche  (chosse),  verte  (voche), 
pour  bas,  frais,  sec,  vert. 

388.  Exemples  de  masculins  analogiques,  créés  par  la  sup- 
pression d'un  e  féminin: 

Balourd,  masculin  tiré  au  XVII°  siècle  de  l'uniforme  balourde, 
emprunté  de  l'ital.  balordo.  Cotgrave  (1611)  donne  balourde 
(balorde)  des  deux  genres;  Furetière  ne  connaît  que  balourde, 
subst.  fém.  On  a  un  exemple  de  balourd  remontant  à  1604. 

Bénin  et  malin.  Ces  masculins  sont  de  création  postérieure; 
au  moyen  âge  on  employait  bénigne  (emprunté  de  benignus) 
et  maligne  (emprunté  de  malignus)  aux  deux  genres.  Ex- 
emples :  Li  très  bénignes  paistres  (Sermon  de  saint  Bernart,  p.  p. 
Fôrster,  p.  9,  e).  0,  tu  malignes  serpenz  (ib.,  p.  10,  lo).  Cestui 
chancre  est  débonnaire  et  bénigne  (Chirurgie  de  H.  de  Monde- 
ville,  §  2013).  Entre  toutes  les  dames  estoit  plus  doux  et  bénigne 
que  une  pucelle  (Boucicaut,  I,  chap.  8).  On  trouve  aussi  dans 
ce  dernier  auteur  le  nouveau  masculin  bénin  (IV,  chap.  10); 
malin  doit  dater  du  même  temps.  Ces  formes  s'expliquent 
facilement:  comme  on  prononçait  bénine,  maline  (I,  §  335),  on 
a  créé  bénin,  malin  sur  le  modèle  de  voisin  en  regard  de  voi- 
sine. Rappelons  enfin  que  l'ancien  masculin  bénigne  s'est  con- 
servé comme  nom  propre  :  Jaques-Bénigne  Bossuet.  On  lit  dans 
les  Noei  Bourguignon  de  Gui  Barôzai  (5*^  éd.,  1738):  »Béreigne, 
Bénigne,   nom  du  Saint  que   la  ville   de  Dijon  reconnoit  pour 


269 

son  Apôtre,  en  Latin  Benignus,  que  Colomiés  dans  ses  Mé- 
langes historiques  a  traduit  Bénin,  ne  sçachant  pas  qu'il  falloit, 
quand  c'est  un  nom  propre,  dire  Bénigne.  D'autres  en  ont  fait 
une  Sainte  trompez  par  la  terminaison  féminine«. 

Caduc,  masculin  tiré  au  XVIP  siècle  de  l'uniforme  caduque 
(caduc us).  En  1635,  Monet  renvoie  de  caduc  à  caduque,  et 
Furetière  (1690)  remarque  encore:  »I1  y  en  a  qui  écrivent 
caduque,  aussi  bien  pour  le  masculin  que  pour  le  féminin*. 

Compact,  masculin  tiré  de  l'uniforme  compacte  (compac- 
tus),  n'a  été  admis  par  l'Académie  qu'en  1878.  Pourtant,  Mar- 
tin l'a  signalé  en  1632,  et  le  Dictionnaire  de  Trévoux  en  1771; 
ajoutons  que  déjà  Christine  de  Pisan  se  sert  du  masculin  com- 
pac:  Tous  corps  compacs  et  palpables  (Chemin  de  longue 
estude,  v.  2121). 

Exact,  masculin  tiré  au  XVIP  siècle  de  exacte  (exactus). 
Vaugelas  remarque:  «Plusieurs  disent  exacte,  au  masculin  pour 
exact,  et  très  mal.  Exacte  ne  se  dit  qu'au  féminin»  (Remarques, 
l,  377). 

Public,  masculin  tiré  au  XVI*'  siècle  de  l'uniforme  publique: 
Le  bien  publique  (Villon,  Gr.  Test.,  v.  16).  En  publique  lieu  (ib., 
V.  108).  Les  publiques  et  acostoumez  esbatemens  (Cent  nouv. 
nouv.).  Troije  est  un  dueil  publique  (R.  Garnier,  La  Troade, 
V.  71).  On  continue  à  se  servir  de  puW/gue  au  masculin  jusque 
dans  le  XVII^  siècle.  Vaugelas  remarque:  »Public  et  publique 
sont  tous  deux  bons  pour  adjectifs  masculins;  car  on  dit 
fort  bien  un  deuil  public  et  un  deuil  publique  (Remarques,  II, 
p.  384). 

Remarque.  Les  grammairiens  du  XVI^  siècle  aiment  les  masculins  en  -ic. 
Palsgrave  enseigne  que  les  adjectifs  dérivés  des  latins  en  -icus  font  -icq  au 
masculin,  -ique  ou  -icque  au  féminin,  et  que  cette  formation  est  préférable 
à  -icque  pour  les  deux  genres.  On  trouve  ainsi  arabic,  astmatic,  coleric, 
mélancolie,  magie,  pratic,  pudic,  rustic,  etc.  Beaucoup  de  ces  formes  sont 
encore  admises  par  Maupas  (1625),  Oudin  (1633)  et  Duez(1639).  A  partir  de 
Richelet  (1680)  on  écrit  par  -ique  tous  ces  adjectifs,  excepté  public.  Comp. 
humo(u)ristique  de  l'angl.  humoristic. 

Puéril,  emprunté  du  lat.  puer  i  lis.  Ménage  remarque:  »  Mes- 
sieurs de  l'Académie  ont  décidé  qu'il  faloit  dire  puérile  du 
masculin,  ayant  esté  consultez  là  dessus,  à  ma  prière,  par 
M.  Huet«.  Néanmoins,  on  trouve  puéril  dans  la  première  édi- 
tion  du  Dictionnaire    (1694);   dans   les  deux  suivantes,  puérile 


270 

est  uniforme,  mais  on  retrouve  puéril  dans  la  quatrième  (1762), 
et  cette  forme  a  persisté  jusqu'à  nos  jours. 

Remarque.  Rappelons  que  les  grammairiens  du  XVI^  siècle  aiment  à  don- 
ner aux  mots  dérivés  d'adjectifs  latins  en  -ilis,  un  masculin  en  -il.  Pals- 
grave  écrit  agil,  difficil,  facil,  habijl,  subtil,  et  plusieurs  grammairiens  et 
poètes  le  suivent.  R.  Garnier  dans  ses  tragédies  emploie  inutil  (Lés  Juives, 
V.  1694),  rimant  avec  auroit-il,  mais  écrit  inutil'  à  l'intérieur  du  vers  (Por- 
cie,  V.  1006);  il  hésite  entre  fertil  (Porcie,  v.  308),  et  fertile  (ib.,  v.  808).  Les 
masculins  en  -il  sont  loin  d'être  généralement  reconnus.  Malherbe  (Œuvres 
complètes,  IV,  370,  377)  proscrit  fertil  et  inutil,  qu'il  trouve  dans  Desportes, 
et,  en  1610,  Deimier  défend  expressément  de  se  servir  des  formes  en  -il. 
On  trouve  inutil  encore  dans  Armand  de  Bourbon  (Traité  de  la  comédie, 
p.  43,  3i);  mais  c'est  un  fait  isolé.  La  terminaison  uniforme  l'emporte:  agile, 
débile,  docile,  facile,  fertile,  fragile,  habile,  servile,  utile,  imbécile,  tranquille, 
etc.,  et  on  ne  trouve  plus  -il  que  dans  bissextil,  civil,  puéril,  sextil,  subtil, 
vil,  viril,  volatil. 

Sublin,  masculin  tiré  au  XVI®  siècle  de  sublime  (emprunté 
du  lat.  sublimis).  Exemples:  Estre  ne  devait  si  sublin  (Four- 
nier,  Théâtre  français  av.  la  Renaissance,  p.  286).  Faut  qu'ils 
aient  l'esprit  sublin  (Estienne,  Deux  dialogues,  I,  p.  122).  La 
même  forme  se  trouve  dans  Montaigne,  Brantôme  et  Cholières  ; 
elle  est  indiquée  encore  par  Godard  (1620)  et  Oudin  (1633), 
mais  elle  ne  parvient  pas  à  remplacer  sublime. 

Remarque.  Ajoutons  aussi  que  Sylvius  (1531)  donne  maritim  pour  mari- 
time. 

389.  Exemples  de  masculins  analogiques  coïncidant  avec  le 
féminin  : 

Chauve,  au  masculin,  ne  se  trouve  qu'au  XVP  siècle;  au 
moyen  âge  on  disait  un  homme  chauf  (cal  vu  m)  et  une  femme 
chauve  (cal va);  comp.  sauf  —  sauve. 

Courbe,  au  masculin,  remonte  très  haut;  on  ne  trouve  au- 
cune trace  de  courp  qui  serait  la  continuation  directe  de 
*curbum,  forme  vulgaire  de  curvum. 

Ferme  remplace  dès  le  XII I*^  siècle  les  formes  du  masculin: 
fers  (firmus)  et  fer,  plus  anciennement  ferm  (firmum). 

Plache  remplace  au  XIV  siècle  les  formes  primitives  du 
masculin,  fias  (flacciis)  et  flac  (flaccum). 

Fraîche  pour  frais  se  dit  dans  plusieurs  patois:  Cha  nous  a 
tenu  le  corps  bien  fraîche  (G.  de  Maupassant,  Mont  Oriol, 
p.  74).  On  dit  en  tourquennois  :    Ch'est  tout  fraîche;   y  n'a  po 


271 

deux  menâtes  que  cha  vent  d'arriver  (Watteeuw,  Chansons 
tourquennoises,  p.  195). 

Froide,  pour  froit  (frigidum),  se  trouve  au  moyen  âge: 
Li  dui  fer  trenchant  et  froides  (Claris  et  Laris,  v.  5849).  Cette 
forme  n'est  pas  parvenue  à  remplacer  le  masculin  étymo- 
logique; frigidus  est  resté  biforme:  froid  froide,  à  rencontre 
de  rigidus,  devenu  raide  aux  deux  genres. 

Juste  s'emploie  déjà  dans  Brandan  (v.  42)  comme  mascu- 
lin. La  forme  étymologique  ju^  (justus,  justum)  est  rare; 
on  en  a  un  exemple  dans  Beneeit  (Chronique,  v.  24750). 

Large  a  de  très  bonne  heure  été  employé  comme  masculin 
(voir  Brandan,  v.  1439).  Dans  le  Renart  (éd.  Martin,  XXIII, 
V.  1766)  on  trouve  lare  (largum),  mais  la  forme  est  extrême- 
ment rare. 

Louche  remplace  dès  le  XI IP  siècle  lois  (luscum). 

Moite  a  parcouru  trois  étapes  différentes:  on  a  dû  dire  d'a- 
bord moist  (comp.  angl.  moist)  —  moisde  (de  *muscida,  al- 
tération de  mucida),  puis  moist  —  moiste  et  enfin  moiste, 
moite  aux  deux  genres. 

Raide;  le  masculin  primitif  reiz,  reit  (rigidum)  se  trouve 
par  ex.  dans  Villehardouin  :  Li  ftumaire  estoient  si  roit  .  .  . 
(§  563).  Il  est  remplacé  de  bonne  heure  par  la  forme  fémi- 
nine :  Roides  fu  et  chanins  et  si  fu  planteïs  (Orson  de  Beau  vais, 
v.  1113). 

Sauve  au  masculin  pour  sauf  (salvum)  se  trouve  au  XVI*' 
siècle:  Je  voudrais  .  .  .  que  je  vous  tinsse  mon  prisonnier  sain 
et  sauve  (Brantôme).  Saulve  meilleur  jugement  de  la  court 
(Rabelais,  II,  chap.  12).  On  dit  encore  dans  le  parler  vulgaire 
de  Paris  sain  et  sauve. 

Sèche  remplace  sec  (sic  eu  m)  dans  le  parler  populaire  de 
Paris,  où  l'on  dit  par  exemple:  Ceci  est  sèche.  Le  même  dé- 
veloppement se  retrouve  dans  plusieurs  patois. 

Verde  remplace  parfois  vert  (viridem)  dans  le  parler  vul- 
gaire :  Nous  trouverons  le  serpent  verde,  Nous  le  tuerons  (Rol- 
land, Chansons  populaires,  III,  10). 

Vide,  autrefois  vuide,  vient  de  *vocita  (Romania,  IV,  256 
— 262;  IX,  624);  ne  s'emploie  au  masculin  qu'au  XV^  siècle: 
//  fut  vuide  (Cent  nouv.  nouv.,  I,  217).  Dans  E.  Deschamps 
on  trouve  encore  le  masculin  étymologique  vuit:  Mon  sac  est 
vuit  (Œuvres  complètes,  IV,  287). 


272 

390.  Nous  avons  constaté  dans  le  développement  des  ad- 
jectifs deux  phénomènes  qui  semblent  contraster  singulière- 
ment l'un  avec  l'autre.  On  a  d'un  côté  l'évolution  des  adjec- 
tifs uniformes,  par  laquelle  est  créée  une  nouvelle  forme  soit 
au  féminin,  soit  au  masculin: 


fort 

balourde 

bénigne 

/\ 

/\       , 

/\ 

fort  forte 

balourd  balourde 

bénin  bénigne, 

et  de   l'autre  côté,   l'évolution   des   adjectifs   biformes,   par  la- 
quelle la  langue  est  appauvrie  d'une  forme  : 


chauf  chauve 

lare  large 

vuit  vuide 

\/ 

\y 

\/ 

chauve 

large 

vide 

Ces  deux  tendances  ne  sont  contradictoires  qu'en  apparence; 
elles  ont  pour  but,  comme  l'a  très  bien  dit  M.  Morf  (Romania,^ 
XVI,  283),  de  réunir  à  un  groupe  de  flexion  considérable  des 
flexions  plus  ou  moins  isolées. 


G.  PARTICULARITÉS  DE  LA  FORME  MASCULINE 
ET  DE  LA  FORME  FÉMININE. 

I.   LES   DEUX  GENRES   S'EXPRIMENT  PAR  DEUX 
MOTS   DIFFÉRENTS. 

391.  Pour  désigner  les  deux  genres,  on  emploie  des  mots  de 
radical  différent  dans  quelques  noms  de  personnes  et  quelques 
noms  d'animaux. 

1°  Noms  de  personnes.  Frère  —  sœur.  Garçon  —  (jeune)  fille. 
Gendre  —  bru.  Homme,  mari  —  femme.  Oncle  —  tante.  Papa 
—  maman.  Parâtre  —  marâtre.  Parrain  —  marraine.  Père  — 
mère,  etc. 

Remarque.  Pour,  quelques-uns  des  mots  cités  on  trouve  aussi  des  fémi- 
nins analogiques  tirés  du  masculin  :  garçon  —  garçonne  (§  403),  oncle  — 
onclesse  (§  425,  Rem.).  Ajoutons  que  dans  les  Hautes-Pyrénées  on  a  tiré  de 
frag  (frater)  le  féminin  analogique  fraga. 


273 

2®  Noms  d'animaux.  Bélier  —  brebis.  Bouc  —  chèvre.  Cerf  — 
biche.  Étalon  —  jument  (§  246,  i,  Rem.);  au  moyen  âge  on  di- 
sait ive  (equa);  le  féminin  caya/e  (it.  cavalla)  s'emploie  sur- 
tout en  poésie.  Chien  —  lice;  on  a  dit  autrefois  cagne  (it. 
cagna),  vieilli  maintenant  en  ce  sens;  de  nos  jours  on  se 
sert  communément  de  chienne  (§  401).  Coq  —  poule.  Jars  — 
oie.  Lièvre  —  hase  (ail.  Hase);  dans  le  bas  gâtinais,  la  femelle 
du  lièvre  s'appelle  levrèche.  Matou  —  chatte.  Sanglier  —  laie. 
Singe  —  guenon.  Taureau  —  vache.   Verrat  ou  porc  —  truie. 


II.  LES  DEUX  GENRES  S'EXPRIMENT 
PAR  DIFFÉRENTES  FORMES  DU  MÊME  MOT. 

392.  On  avait  en  latin  trois  terminaisons  féminines:  -a, 
-trix  et,  dans  la  langue  postérieure,  -issa.  Exemples:  amicus 
—  arnica,  actor  —  actrix,  abbas  —  abbatissa.  Nous 
allons  examiner  leur  sort  en  français. 

1.  LA  TERMINAISON  -A. 

393.  A  côté  du  masculin  en  -us,  on  avait  souvent  en  latin 
un  féminin  en -a:  Do  minus  —  domina,  amicus  —  amie  a, 
servus  —  serva,  lupus  —  lupa;  un  tel  féminin  était  de 
règle  dans  les  adjectifs:  purus  —  pura,  rotundus  —  ro- 
tunda.  Des  deux  terminaisons,  le  français  ne  conserve  géné- 
ralement que  celle  du  féminin  sous  la  forme  affaiblie  d'un  e 
féminin:  au  lieu  de  amicus  —  amica,  purus  —  pura,  on 
n'a  plus  que  ami  —  amie,  pur  —  pure.  De  cette  manière,  l'e 
devient  la  marque  caractéristique  du  féminin,  et  il  est  intro- 
duit par  voie  d'analogie  dans  beaucoup  de  mots. 

394.  A  cause  du  rôle  dévolu  à  l'e  final,  cette  voyelle  a  été 
retranchée  de  plusieurs  mots  masculins  qui  y  avaient  étymo- 
logiquement  droit.  En  voici  quelques  exemples: 

Canari  a  remplacé  canarie  (esp.  canario),  dès  le  com- 
mencement du  XVIII*'  siècle. 

Patriot  se  trouve  au  XVIP  siècle  (Talbert,  De  la  prononcia- 
tion en  France.  Paris,  1887.  P.  32)  pour  patriote;  c'est  la  der- 
nière forme  qui  est  restée. 

18 


274     . 

Patte-pelu  a  été  tiré  de  patte  peine.  Rabelais  écrit:  Cafars, 
cagots,  pâtes  pelues  (IV,  l*''"  prol.)  ;  mais  on  trouve  dans  La 
Fontaine:  Deux  francs  patte-pelus  (Fables,  IX,  14). 

Pédant  a  remplacé  pédante  (it.  pédante);  cette  forme  était 
la  plus  usitée  au  XVP  siècle.  Nous  la  trouvons  par  exemple 
dans  Du  Bellay: 

Mais  j'ay  bien  quelque  chose  encore  plus  mordante: 
C'est,  pour  le  faire  court,  que  tu  es  un  pédante. 

(Regrets.) 

Remarque.  Cyrano  de  Bergerac  se  sert  de  la  forme  curieuse  poiraisain  : 
Les  flambeaux  poiraisins  des  Furies  (Le  pédant  joué,  V,  se.  10),  qui  sans 
doute  a  été  tiré  de  poix  résine. 

395.  L'e  féminin  n'est  pas  la  seule  marque  distinctive  entre 
les  formes  des  deux  genres;  dans  un  grand  nombre  de  mots, 
des  particularités  phonétiques  ou  orthographiques  se  sont  dé- 
veloppées tantôt  au  masculin,  tantôt  au  féminin. 

P  Les  particularités  phonétiques  proviennent  surtout  de  la 
►  consonne  finale  du  radical  qui,  très  souvent,  se  développe  dif- 
féremment dans  les  deux  formes.  Ainsi  tandis  que  la  vibrante 
persiste  sans  changement  dans  purum  }  pur  et  pura  y  pure, 
la  clusile  vélaire  c  [k]  ne  se  conserve  intacte  qu'au  masculin: 
sic  eu  m  )  sec,  mais  si  ce  a  )  sèche,  et  la  clusile  dentale  d  ne 
se  conserve  intacte  qu'au  féminin:  tarda  )  tarde,  mais  tar- 
dum  )  vfr.  tart.  Pour  les  observations  suivantes  sur  les  traits 
distinctifs  des  deux  genres  il  faut  se  rappeler  que:  D,  G,  V 
deviennent  sourds  à  l'état  final:  grandem  )  grant,  longum 
)  lonc,  novum  )  neuf;  C,  G  deviennent  chuintants  devant  a: 
franca  >  franche,  larga  >  large;  S  libre  devient  sonore  de- 
vant a:  *zelosa  }  jalouse;  L,  R,  SS,  T"  appuyé  se  maintiennent 
tels  quels  et  à  l'état  final  et  devant  a. 

2^  Les  particularités  orthographiques  sont  dues  à  l'addition 
de  l'e  féminin,  qui  nécessite  parfois  ou  le  redoublement  de  la 
consonne:  sujet  —  sujette,  ou  l'emploi  d'un  accent  grave:  com- 
plet —  complète;  comp.  bref  —  brève,  dernier  —  dernière.  Rap- 
pelons   aussi    l'intercalation  d'un   u    après    les    vélaires  :    long 

—  longue,  le  changement  de  c  en  q  (cq):  turc  —  turque,  grec 

—  grecque,  et  l'emploi  du  tréma:  aigu  —  aiguë  (comp.  figue). 
Enfin,  au  masculin  s  a  été  remplacé  par  .r  après  un  u:  vfr. 
fais  —  false  est  devenu  faux  —  fausse. 


275 


a)  Mots  terminés  par  L. 

396.  L  persiste  sans  changement  à  la  fin  des  mots:  ma- 
lum  >  mal,  et  devant  a:  mala  >  maie.  La  consonne  reste 
donc  la  même  aux  deux  genres.  Pour  l'orthographe,  il  faut 
remarquer  que  dans  la  langue  moderne,  L  se  double  dans  la 
forme  féminine  des  terminaisons  -eil,  -el,  -ol,  -ul.  Exemples: 
Pareil  —  pareille,  vieil  (vieux)  —  vieille.  Cruel  —  cruelle,  Ga- 
briel —  Gabrielle,  colonel  —  colonelle.  Fol  (fou)  —  folle,  mol 
(mou)  —  molle.  Nul  —  nulle.  Mais  L  ne  se  double  jamais 
dans  les  terminaisons  -al  et  -il:  Banal  —  banale,  royal  — 
royale.  Civil  —  civile,  viril  —  virile.  Pourtant  ce  sont  là  des 
règles  récentes.  Jusque  dans  le  XVIIP  siècle  on  a  hésité  entre 
royale  et  royalle,  générale  et  généralle,  naturele  et  naturelle,  tele 
et  telle,  subtile  et  subtille,  foie  et  folle,  etc.  L'orthographe  défini- 
tive du  XIX*'  siècle  provient  de  considérations  étymologiques;  on 
écrit  générale  et  subtile  à  cause  de  generalis  et  subtilis,  et 
belle,  nulle,  folle,  molle  h  cause  de  bel  la,  nulla,  follis,  mol- 
lis. Ajoutons  que  belle  a  entraîné  tous  les  mots  en  -el:  natu- 
relle, telle,  etc.  Le  redoublement  de  L  dans  pareille,  vermeille 
est  nécessaire  pour  rendre  le  son  mouillé. 

397.  EAU — ELLE.  Après  le  moyen  âge,  la  terminaison  -el 
(-ellum)  a  été  remplacé  par  -eau  (§  312),  d'où  est  résultée  une 
alternance  entre  -eau  et  -elle,  inconnue  à  la  vieille  langue.  Ex- 
emples :  Agneau  —  agnelle,  beau  —  belle,  chameau  —  chamelle, 
damoiseau  —  damoiselle,  Isabeau  —  Isabelle,  jouvenceau  —  jou- 
vencelle, jumeau  —  jumelle,  maquereau  —  maquerelle,  nouveau 
—  nouvelle,  pastoureau  —  pastourelle,  taureau  —  taurelle,  tour- 
tereau —  tourterelle. 

Cas  isolés.  De  bedeau  on  a  tiré  bedeaude  (§  416,  s).  Che- 
vreau fait  au  féminin  chevrette  (comp.  §  431).  Fabago  (em- 
prunté du  latin  des  naturalistes  fabago)  a  été  assimilé  aux 
mots  en  -eau,  et  on  lui  a  créé  le  féminin  fabagelle,  admis  par 
l'Académie  en  1835.  Sur  puceau  —  pucelle,  voir  §  380. 

Remarque.  Un  assez  grand  nombre  de  mots  en  -eau  n'ont  pas  de  féminin: 
baleineau.,  blaireau,  corbeau,  dindonneau,  étourneau,  faisandeau,  lionceau, 
moineau,  oiseau,  renardeau,  etc.  Dans  les  auteurs  modernes,  on  trouve  pour- 
tant sporadiquement    oiseau  —  oiselle:  Vos   latines   frivoles  ...  je   les   com- 

18* 


276 

pare  à  des  oiselles    de   serre  (.1.  Bois,    Une    nouvelle    douleur,    p.  154).    Des 
oiselles  désolées  (L.  Bloy,  La  femme  pauvre.  Paris,  1897.  P.  16). 


b)  Mots  terminés  par  une  nasale. 

398.  Les  nasales  disparaissent  à  la  fin  des  mots,  en  nasali- 
sant la  voyelle  précédente:  bonum  >  bon  [bô];  elles  se  con- 
servent devant  a:  bona  )  bone.  La  voyelle  de  cette  dernière 
forme  était  autrefois  nasalisée  [bona],  et  c'est  pour  désigner 
orthographiquement  cette  prononciation  qu'on  redouble  le  n: 
bonne.  Peu  à  peu  la  voyelle  se  dénasalise  (I,  §  211),  mais  on 
garde  l'ancienne  orthographe,  qui  n'a  plus  de  raison  d'être. 
La  langue  moderne  redouble  la  nasale  des  terminaisons  -on, 
-ien  et  parfois  de  -an;  au  contraire  -ain,  -ein  et  -in  sont  lais- 
sés sans  redoublement  au  féminin.  On  peut  établir  comme 
règle  générale  que  le  redoublement  n'a  lieu  que  dans  les  mots 
anciens,  jamais  dans  les  mots  modernes. 

399.  AIN,  EIN,  IN.  L'orthographe  moderne  ne  double  ja- 
mais la  consonne  de  ces  terminaisons  :  certain  —  certaine,  plein 

—  pleine,  voisin  —  voisine,  etc. 

Cas  isolés.  La  confusion  de  -ain  (-ein)  et  -in  dans  un 
même  son  [g]  a  amené  quelques  féminins  irréguliers.  A  côté 
de  daim  —  daine  (§  378)  on  trouve  dans  la  langue  des  chas- 
seurs daim  —  dine  (^  voisin  —  voisine).  On  a  longtemps  hé- 
sité entre  sacristaine  et  sacristine.  Ménage  observe:  »Les  Reli- 
gieuses disent  Sacristine.  Je  dirois  Sacristaine,  conformément  à 
ranalogie«  (Observations,  p.  388).  C'est  la  forme  irrégulière  qui 
l'a  emporté.  Dans  les  «Locutions  et  prononciations  vicieuses 
usitées  en  Belgique»  on  trouve   cité  nain  —  nine,  pour  naine. 

400.  AN.  Les  mots  en  -an  ont  au  féminin  -anne:  Jean  — 
Jeanne,   paysan  —  paysanne,  ou,  plus  souvent,  -ane:    castillan 

—  castillane,  catalan  —  catalane,  charlatan  —  charlatane,  cour- 
tisan —  courtisane,  gallican  —  gallicane,  mahométan  —  maho- 
métane,  sultan  —  sultane,  vétéran  —  vétérane,  etc.  ;  tous  ces  der- 
niers mots  sont  empruntés. 

Formation  analogique.  Sur  le  modèle  des  mots  cités  on  a 
formé  géant  —  géane.  Ce  féminin,  qu'on  trouve  dans  Buffon, 
n'est  plus  employé;  il  n'aurait  jamais  dû  l'être,  observe  Littré. 


277 

401.  lEN.    Les   mots  en  -ien   ont  au  féminin  -ienne:   Ancien 

—  ancienne,  chrétien  —  chrétienne  (cliristiana),  doyen  — 
doyenne  (decana),  moyen  —  moyenne  (mediana).  Aérien  — 
aérienne,  algérien  —  algérienne,  parisien  —  parisienne,  etc.  Chien 

—  chienne  (comp.  §  391,2).  Proprarien  —  proprarienne,  vau- 
rien —  vaurienne.  Sur  les  féminins  de  mien,  tien,  sien,  voir  les 
Pronoms  possessifs  (§  541). 

402.  ON.  Les  mots  en  -on  ont  au  féminin  -onne:  Bon  — 
bonne  (bon a),  et,  par  analogie,  baron  —  baronne,  besson  — 
bessonne,  fanfaron  —  fanfaronne,  félon  —  félonne,  folichon  — 
folichonne,  glouton  —  gloutonne,  lion  —  lionne,  mignon  —  mi- 
gnonne, paon  —  paonne,  polisson  —  polissonne,  poltron  —  pol- 
tronne, quarteron  —  quarteronne,  saxon  —  saxonne,  vibrion  — 
vibrionne  (Dumas,  L'Étrangère),  etc.  Un  seul  mot  fait  excep- 
tion: Lapon  —  lapone. 

Remarque.  Beaucoup  des  mots  en  -on  ne  s'emploient  guère  qu'au  mas- 
culin: avorton,  barbichon,  caneton,  champion,  hérisson,  liron,  maçon,  nour- 
risson, pigeon,  pion,  etc.  Il  faut  pourtant  noter  qu'on  dit,  par  plaisanterie, 
pigeonne  d'une  jeune  femme,  et  que,  dans  largot  des  écoles,  on  appelle 
pionne  la  sous-maîtresse  d'un  pensionnat  de  demoiselles:  Sa  seule  concep- 
tion, c'est  de  m'établir  pionne  quelque  part  (Bourget,  L'Étape,  p.  287).  Rap- 
pelons aussi  l'expression  sportive  toute  moderne  championne  (Le  Chasseur, 
1900,  l^""  avril,  p.  16).  On  hésite  entre  une  tatillon  et  une  tatillonne. 

403.  Il  faut  examiner  à  part  quelques  mots  en  -on  qui  pré- 
sentent un  féminin  particulier. 

Cochon  —  coche  (voir  §  431)  ;  au  figuré  on  se  sert  du  fémi- 
nin analogique  cochonne  (une  femme  sale). 

Compagnon  —  compagne  (§  431);  Voltaire,  V.  Hugo  (Ruy 
Blas)  et  Th.  Gautier  ont  employé  compagnonne. 

Félon  —  vfr.  felle  (tiré  de  l'ancien  nominatif  fel),  remplacé 
par  félonne.  E.  Deschamps  emploie  les  deux  formes:  Felle  et 
orgueilleuse  (Œuvres  complètes,  IX,  v.  2487,  2493).  Dyanire  la 
félonne  (ib.,  v.  2659).  On  avait  aussi  félonnesse  (§  426).  De  ces 
trois  formes  la  langue  moderne  n'a  conservé  que  félonne. 

Garçon  (§  431);  dans  l'argot  de  Paris  on  dit  garçonne  (de 
brasserie);  comp.  aussi  Huysmans,  Là-bas,  p.  64,  109. 

Larron  —  larronnesse  (§  425). 

Lion  —  lionne  (Ph.  de  Thaun,  Bestiaire,  v.  363)  ou  lion- 
nesse;  ce  dernier  féminin,  disparu  maintenant,  est  employé 
encore  par  Pascal. 


278 

Paon  —  paonne;  autrefois  on  trouve  aussi  paonnesse. 
Patron  —  patronne  ou  patronnesse ;    ce   féminin   n'est  guère 
employé  que  dans  les  (dames)  patronnesses  d'une  fête. 

c)  Mots  terminés  par  R. 

404.  R  persiste  sans  changement  à  la  fin  des  mots:  cla- 
rum  )  cler  )  clair,  et  devant  a:  clara  )  clere  >  claire.  La 
consonne  reste  donc  la  même  aux  deux  genres,  et  elle  ne  se 
double  jamais:  noir  —  noire,  obscur  —  obscure,  pur  —  pure, 
dur  —  dure,  pair  —  paire,  martyr  —  martyre,  etc.  Une  diffé- 
rence phonétique  n'existe  que  pour  les  mots  en  -ier  (§  405) 
et  ceux  en  -eur  (§  406). 

Cas  isolé.  Butor,  d'origine  inconnue,  fait  au  féminin  butorde 
(comp.  §  416,  4). 

405.  1ER.  Pour  les  mots  en  -ier,  ou  -er  (après  une  pala- 
tale), il  faut  remarquer  qu'au  masculin  le  r  final  s'est  amuï, 
et  que  l'e  se  prononce  fermé  {ier  =  [e]),  tandis  qu'au  féminin 
il  est  ouvert  devant  la  consonne  prononcée  (ière  =  [fc:r]):  al- 
lier —  altière,  premier  —  première,  léger  —  légère,  meurtrier  — 
meurtrière,  etc.  Plusieurs  mots  en  -ier  n'ont  pas  de  féminin, 
au  moins  dans  le  langage  ordinaire:  bachelier,  barbier,  cheva- 
lier, courrier,  templier,  etc.  Les  poètes  leur  créent  parfois  des 
féminins.  Villon  emploie  bachelière  (Gr.  Test.,  CXXXIV),  Boileau 
appelle  la  Renommée  une  »prompte  courrière«  (Le  Lutrin,  II, 
V.  5).  Sur  barbière  et  chevalière,  voir  §  426. 

406.  EUR.  Les  mots  en  -eur  font  au  féminin  -eure  ou  -euse 
(sur  -(t)eur  et  -(t)rice,  voir  §  420). 

P  EURE  se  trouve  actuellement  dans  majeur  —  majeure, 
mineure,  meilleure,  prieure  et  antérieure,  extérieure,  citérieure,  in- 
férieure, intérieure,  postérieure,  ultérieure.  Ce  sont  tous,  comme 
on  le  voit,  des  comparatifs  et  des  mots  empruntés.  Si  l'on  re- 
monte au  moyen  âge  on  trouve  encore  d'autres  féminins  en 
-eure.  Le  Mystère  du  Vieil  Testament  emploie  par  exemple, 
intercesseur  e,  inventeure,  promoteure.  Rappelons  aussi  la  forme 
pastoure,  féminin  de  pastour  pour  pasteur,  employée  dans  les 
Cent  nouv,  nouv.,  n°  2L 

Remarque.  Prieure  n'est  pas  le  féminin  primitif  de  prieur.  On  trouve  au 
moyen   âge  prioresse,  prieuresse  (voir  Godefroy),   et  prieuse:   Autre   ore  sui 


.       279 

religieuse,  Or  sui  rendue,  or  sui  prieuse  (R.  de  la  Rose,  v.  11250).  D'abbez, 
moynes,  prieurs,  prieuses  (E.  Deschamps,  Œuvres  complètes,  IX,  v.  5100). 
Ce  n'est  qu'au  XV^  siècle  qu'apparaît  prieure  (Cent  nouv.  nouv.,  n°  21).  L'i- 
talien présente  une  formation  pareille  dans  priora  (comp.  siiperiora,  lavora- 
tora,  etc.). 

2"  EUSE  s'emploie  au  féminin  des  noms  en  -eiir,  en  tant 
qu'ils  sont  des  noms  d'agents  et  de  formation  française  à  base 
verbale.  Exemples:  danseur  —  danseuse,  flatteur  —  flatteuse, 
trompeur  —  trompeuse.  Coureur  —  coureuse,  dormeur  —  dor- 
meuse, menteur  —  menteuse.  Blanchisseur  —  blanchisseuse,  four- 
bisseur  —  fourbisseuse,  ravisseur  —  ravisseuse.  Buveur  —  bu- 
veuse. Entremetteur  —  entremetteuse,  faiseur  —  faiseuse,  confiseur 
—  confiseuse,  receveur  —  receveuse.  Le  même  féminin  se  trouve 
aussi  dans  quelques  mots  anglais  dont  on  a  assimilé  la  termi- 
naison -er  à  -eur:  bookmake(u)r  —  bookmakeuse. 

Remarque.  Dans  les  mots  en  -eur  qui  remontent  au  moyen  âge,  le  fémi- 
nin -euse  n'est  pas  primitif:  il  a  remplacé  -eresse  (voir  §428):  avant  de  dire 
danseuse,  flatteuse,  menteuse,  trompeuse,  etc..  on  a  dit  danseresse,  flatteresse, 
menteresse,  tromperesse ;  au  XVI^  siècle  il  y  a  encore  hésitation  entre  les 
deux  formes.  Les  mots  en  -eur  d'origine  plus  récente  ne  connaissent  que 
le  féminin  en  -euse:  blanchisseuse.^  confiseuse,  coureuse. 

407.  L'origine  de  la  terminaison  -euse  est  douteuse.  Selon 
l'explication  la  plus  probable,  elle  provient  d'une  confusion 
entre  -eur  et  -eux,  devenus  homophones  par  l'amuïssement  de 
la  consonne  finale:  heureu(x)  —  heureuse  aurait  amené  dan- 
seu(r)  —  danseuse.  On  emploie  en  effet  dès  le  XV^  siècle  -eux 
pour  -eur:  En  l'hostel  du  trompeu.v  Banquet  (Jacob,  Recueil 
de  farces,  p.  453).  Cette  graphie  se  trouve  aussi  dans  les  gram- 
mairiens du  XVI^  siècle,  qui  admettent  chastreux,  rageux,  quere- 
leus.  Au  XVII*"  elle  n'est  plus  admise,  quoiqu'on  garde  toujours 
l'ancienne  prononciation.  L'Anonyme  de  1654  dit  que  »les  noms 
verbaux  ...  en  eur  ont  vue  double  prononciation,  à  sçauoir 
eur  et  eux,  courreur,  courreux,  mangeur,  mangeux,  sauteur,  sau- 
teux.  Mais  l'on  escrit  touiours  coureur,  mangeur,  sauteur «. 
L'hésitation  entre  -eux  et  -eur  continue  longtemps,  mais  peu  à 
peu  -eur  l'emporte,  et  -eux  finit  par  être  regardé  comme  une 
prononciation  négligée.  En  1751,  Villecomte  blâme  la  pronon- 
ciation des  femmes  »qui  poussent  quelquefois  leur  négligence 
jusqu'à  dire  c'est  un  menteu,    c'est  un  causeu,   c'est  un  craqueu. 


280 

etc.  Je  n'approuve  point  du  tout  ces  sortes  de  molesse  qui 
sentent  l'enfant  gâté«,  Mauvillon  fait  une  distinction:  »Les 
noms  en  -eur  qui  ont  un  féminin  en  -euse  doivent  se  pronon- 
cer comme  les  adjectifs  en  -eux  .  .  .  rieux,  voleux,  mangeux, 
trompeux,  brodeux  .  .  .  mais  si  l'on  parle  avec  emphase,  on 
fait  sentir  Vr  fortement  ;  c'est  un  insigne  honneur,  un  vrai  trom- 
peur, un  grand  mangeur,  etc.*  Au  XIX^  siècle,  -eu  pour  -eur  ne 
s'entend  que  dans  le  parler  vulgaire  et  les  patois.  Nisard  cite 
comme  p^ropres  au  langage  de  la  banlieue  de  Paris  avaleu, 
casseu,  chanteu,  danseu,  etc.,  et  le  comte  de  Jaubert  (Glossaire 
du  Centre,  I,  416)  relève  les  formes  patoises  flatteux,  laboureux, 
violoneux,  etc.  Ajoutons  enfin  quelques  exemples  pris  dans 
les  chansons  populaires:  Fossoyeux  (Bujeaud,  II,  213),  tailleux 
(Beaurepaire,  p.  50),  cueilleu  (Champfleury,  p.  90),  chasseu  (ib.J, 
pêcheu  (ib.),  etc.  La  langue  littéraire  moderne  a  adopté  fau- 
cheux, gâteux,  partageux,  piqueux,  violoneux  (comp.  I,  §  364), 
et  les  noms  propres  Batteux,  Chasseux,  Lefaucheux;  en  dehors 
de  ces  mots,  on  prononce  partout  -eur,  et  malgré  la  réappari- 
tion de  /■  au  masculin,  on  garde  toujours  -euse  au  féminin. 

d)  Mots  terminés  par  une  labiale. 

408.  V.  Le  V  latin  devient  sourd  à  la  fin  des  mots  (I, 
§  449):  novum  )  neuf,  et  se  maintient  devant  a:  nova  ) 
neuve,  d'où  un  échange  entre  F  au  masculin  et  V  au  féminin, 
qui  a  persisté  jusqu'à  nos  jours.  Exemples:  sau/"  (sa Ivum)  — 
sauve  (salva),   vif  (vivum)  —  vive  (viva),   naïf  (nativum) 

—  naïve  (nativa),  chétif  (captivum)  —  chétive  (captiva) 
et  tous  les   autres  dérivés,   anciens  ou  modernes,  en  -if:   actif 

—  active,  craintif  —  craintive,  hâtif  —  hâtive,  etc.  Les  fémi- 
nins brève  et  grève  sont  d'origine  analogique;  au  moyen  âge 
brief  (brevem)  et  grief  (grevem)  étaient  uniformes.  D'autre 
part  chauve  était  biforme,  et  on  disait  chauf  (cal  vu  m)  — 
chauve  (cal va);  comp.  §  389. 

Cas  isolés.  A  côté  de  cerf  (ce  r  vu  m),  dont  le  féminin  est 
maintenant  biche  (§  391,2),  on  avait  autrefois  cerve  (cerva) 
ou  cere  (Guillaume  de  Palerne,  v.  4958).  La  dernière  forme  est 
une  nouvelle  création  tirée  du  masculin  ce/'s  (cer  vu  s,  §266), 
sur  le  modèle  de  amers  —  amere,  chiers  —  chiere,  etc.  Un 
amuïssement  de   la  labiale  se   rencontre   dans  d'autres  mots; 


281 

pour  apprentif,  baillif  (ces  deux  formes  s'employaient  encore 
au  XVII<^  siècle)  etjolif,  on  dit  maintenant  apprenti  (déjà  dans 
R,  Estienne,  1539),  bailli  et  joli  (ces  deux  formes  remontent 
au  moyen  âge)  ;  comp.  §  288, 2.  Le  changement  de  la  forme 
masculine  a  provoqué,  pour  deux  de  ces  mots,  un  changement 
correspondant  du  féminin  primitif:  Apprentive  (encore  dans 
Boileau,  Sat.  X)  et  jolive  ont  disparu  devant  apprentie  et 
jolie  (se  trouve  déjà  au  XIP  siècle).  Baillive,  au  contraire,  a 
été  conservé;  La  Fontaine  a  bien  dit:  La  baillie  au  père  Fabry 
(Les  Frères  de  Catalogne),  mais  cette  forme  n'a  pas  fait  for- 
tune. Dans  le  bas  gâtinais  on  a  la  forme  analogique  hardive 
(pour  hardie). 

e)  Mots  terminés  par  S  (X). 

409.  S.  Le  s  latin  simple  [s]  reste  à  la  fin  des  mots:  clau- 
s u m  )  clos,  et  le  groupe  ss  se  réduit  à  s:  bassum  )  bas. 
Devant  une  voyelle  s  devient  sonore  [z]:  clausa  >  close,  tan- 
dis que  ss  ou  s  appuyé  reste  sourd:  bassa  >  basse,  falsa  > 
false,  fausse.  Au  point  de  vue  orthographique  il  faut  remar- 
quer qu'on  écrit  x  au  lieu  de  s  après  un  u:  falsum  >  fais, 
faus,  faux;  russum  )  rous,  roux;  -osum  )  -eus,  -eux  (dou- 
loureux, heureux)  ou  -ous,  -oux  (jaloux).  Il  y  aura  donc  dans 
ces  mots  une  alternance  orthographique  entre  x  et  s(s). 

410.  La  fricative  sonore  [z]  se  trouve  dans  le  féminin  de  la 
plupart  des  adjectifs  terminés  par  -ais,  -ois,  -eux,  -oux,  -is,  -us. 
Exemples:   Français  —  française,    mauvais    —    mauvaise,    niais 

—  niaise,  courtois  —  courtoise,  grivois  —  grivoise,  suédois  — 
suédoise,  heureux  —  heureuse,  douteux  —  douteuse,  laineux  — 
laineuse,  jaloux  —  jalouse,   gris  —  grise,    mis    —   mise,   confus 

—  confuse,  diffus  —  diffuse,  intrus  —  intruse;  ajoutons  ras  — 
rase,  clos  —  close. 

Cas  isolés.  Andalous  (esp.  andaluz)  a  maintenant  perdu 
son  s  au  masculin  (§  364),  mais  il  l'a  gardé  au  féminin,  qui 
est  resté  andalouse.  Hébreu  a  ordinairement  au  féminin  hébra- 
ïque; dans  un  roman  de  Gyp,  le  petit  Zouzou  forge  le  fémi- 
nin Hébreuse  (Jacquette  et  Zouzou,  p.  160)  pour  éviter  youpine. 
Sous  l'influence  des  adjectifs  en  -u  -ue  (superflu  —  superflue), 
perclus  fait,  dans  la  langue  vulgaire,  perdue  au  féminin.  Sur 
exclu  et  conclu,  pour  exclus  et  conclus,  voir  §  93,  Rem. 


282 

411.  La  fricative  sourde  [s]  se  trouve  dans: 

1°  Bas  —  basse  (bassa);  épais  —  épaisse  (spi  s  s  a);  faux  — 
fausse  (fa  1  s  a)  ;  gras  —  grasse  (c  r  a  s  s  a)  ;  gros  —  grosse  (g  r  o  s  s  a)  ; 
las  —  lasse  (lassa);  roux  —  rousse  (rus  s  a).  Ajoutons  aussi 
les  mots  d'emprunt  exprès  (expressum)  —  expresse  et profès 
(professum)  —  professe. 

Cas  isolés.  Sur  absous  —  absoute,  dissous  —  dissoute,  voir 
§  103,  2.  Crasse  n'a  pas  de  masculin.  Dispos  n'a  pas  de  fé- 
minin. Briseux  a  employé  dispose  à  la  rime  (voir  Littré),  mais 
c'est  un  exemple  unique. 

2^  Coulis  —  coulisse,  doux  —  douce,  métis  —  métisse,  tiers  — 
tierce.  Ces  mots  présentaient  primitivement  et  au  masculin  et 
au  féminin  une  affriquée  sourde;  on  disait  ainsi  coleïz  —  co- 
leïce  (colaticia);  dolz  —  dolce  (§  383,3,  Rem.);  mestiz  — 
mestice  (mixticia);  tiers  —  tierce  (tertia).  Au  XIIP  siècle 
l'affriquée  a  été  remplacée  par  une  sifflante  (I,  §  384). 

f)  Mots  terminés  par  une  plosive  dentale  (T,  D). 

412.  T.  Le  /  latin  appuyé  reste  sans  changement  à  la  fin 
des  mots:  di rectum  )  droit,  et  devant  a:  di recta  )  droite. 
La  consonne  reste  donc  la  même  aux  deux  genres:  Mort  — 
morte  (mortuà),  ouvert  —  ouverte  (aperta),  court  —  courte 
(curta),  dolent  —  dolente  (do  lent  a),  etc.  Ajoutons  fort  (for- 
te m)  —  forte,  amant  (a  m  an  te  m)  —  amante,  présent  (prae- 
sentem)  — présente,  etc.,  dont  le  féminin  est  analogique  (voir 
§  385). 

Cas  isolés.  Comme  féminin  de  muscat  (prov.  muscat),  on 
emploie  muscade  (prov.  muscada):  Du  raisin  muscat,  du  vin 
muscat,  mais  rose  muscade,  noix  muscade;  au  moyen  âge  on 
trouve  aussi  noix  muscate.  Sur  géant  —  géane,  pour  géant  — 
géante,  voir  §  400. 

413.  Quelques  féminins   présentent  un  T  non  étymologique. 
P  AIN(T).    Sur  le   modèle   de   saint  —  sainte,    on  a  formé 

vilain  —  vilainte;  ce  féminin  ne  se  trouve  qu'en  patois:  Tes 
une  vilainte,  toi  (Dom  Juan,  II,  se.  3).  On  dit  de  même  en 
wallon  moderne  plein  —  pleinte. 

2°  AN(T).  Sur  le  modèle  de  amant  —  amante,  Ninon  de 
Lenclos  a  formé  partisan  —  partisante  (voir  Littré);  elle  n'a 
pas  trouvé   d'imitateurs.    Au    moyen   âge  on  avait  à  côté  de 


283 

grant  —  grande  (§  385),  grant  —  grante  (on  trouve  également 
agrandir  et  agrantir)  ;  le  féminin  grante  est  de  nos  jours  propre 
aux  patois  de  l'Est. 

3"  E(T).  Sur  le  modèle  de  coquet  —  coquette,  on  a  formé 
dans  l'argot  actuel  de  Paris  jockey  —  jockey  le,  poney  —  po- 
neyte  ou  ponneite  (J.  Normand,  Contes  à  Madame,  p.  21). 

4*^  0(T).  Sur  le  modèle  de  sot  —  sotte,  on  a  formé  dans 
l'argot  actuel  de  Paris  rigolo  —  rigolote  (O.  Mirbeau,  Journal 
d'une  femme  de  chambre,  p.  346)  et  typo  —  typote. 

b'^  OI(T).  Sur  le  modèle  de  droit  —  droite,  étroit  —  étroite, 
on  a  formé  coi  —  coite;  jusqu'au  XYIII*^  siècle  on  disait  ré- 
gulièrement coi  —  coie  (qui e ta).  Le  féminin  analogique,  qui 
n'est  guère  usité  que  dans  la  locution  vieillie  chambre  coite, 
ne  figure  dans  le  Dictionnaire  de  l'Académie  qu'à  partir  de 
1798.  Rappelons  que  quelques  auteurs  modernes  regardent  »se 
tenir  coi<s.  comme  une  locution  figée  et  laissent  coi  invariable: 
Celle-ci  se  sentait  fort  mal  à  l'aise  et  se  tenait  coi  (J.  de  Gas- 
tyne,  L'Aff'aire  du  général  X,  p.   175). 

6"  OU(T).  Sur  le  modèle  de  tout  —  toute,  on  a  formé  voyou 
—  voyoute,  Loulou  —  Louloute. 

7^  Examinons  en  dernier  lieu  l'adjectif  vert.  A  côté  du  fé- 
minin invariable  vert,  on  trouve  aussi  verte  (Roland,  v.  1569); 
cette  forme  ne  remonte  pas  au  bas-latin  virida,  qui  aurait 
donné  verde,  c'est  une  formation  française,  tirée  du  masculin 
et  modelée  sur  ouvert  —  ouverte.  A  la  fin  du  moyen  âge  on 
crée  un  nouveau  féminin  verde,  dû  probablement  à  l'influence 
de  verdure,  verdoyer  et  du  radical  latin:  Recoips  celle  coullée 
verde  (Ane.  th.  fr.,  III,  317).  L'herbe  verde  (A.  d'Aubigné,  Les 
Misères,  v.  25).  Ailleurs  le  même  poète  emploie  vertes  qu'il  fait 
rimer  avec  découvertes  (Les  Vengeances).  Monet  (1635)  donne 
encore  verde,  Oudin  (1633)  ne  connaît  que  verte.  Pour  d'autres 
détails,  voir  §  386,  4.  L'hésitation  entre  d  et  t  se  montre  aussi 
dans  les  dérivés;  dans  H.  de  Mondeville  on  trouve  verdeur  et 
verteur. 

Remarque.  On  pourrait  encore  citer  béni  —  bénite  et  favori  —  favorite; 
cependant  bénite  est  le  féminin  de  bénit  (voir  §  89,  Rem.),  et  favorite  est 
emprunté  de  l'it.  favorita;  Thierry  donne  dans  son  Dictionnaire  (1564): 
mon  favorit,  ma  favorite. 


284 

414.  Au  point  de  vue  orthographique  il  faut  remarquer 
qu'on  redouble  parfois  le  T  dans  la  forme  féminine  des  ter- 
minaisons -at,  -et,  -ot: 

P  AT.  Le  T  est  redoublé  dans  chat  —  chatte  (blat.  catta). 
Les  autres  mots  en  -at,  qui  sont  presque  tous  des  mots  d'em- 
prunt, ne  redoublent  pas  la  consonne:  Avocat  -e,  candidat  -e, 
délicat  -e,  immédiat  -e,  scélérat  -e.  Fat,  goujat,  soldat,  rosat  et 
violât  n'ont  pas  de  féminin;  on  trouve  pourtant  une  voix 
goujate  dans  L.  Bloy,  La  femme  pauvre,  p.  186.  Sur  muscat, 
voir  §  412;  sur  rat,  §  440. 

2^  ET.  Le  T  est  redoublé  dans  la  plupart  des  mots  en  -et: 
Net  —  nette,  blet  —  blette.  Aigret  —  aigrette,  aigrelet  —  aigre- 
lette, bleuet  —  bleuette,  brunet  —  brunette,  clairet  —  clairette,  co- 
quet —  coquette,  fluet  —  fluette,  duret  —  durette,  follet  —  fol- 
lette, maigrelet — maigrelette,  muet — muette,  propret  —  proprette, 
seulet  —  seulette,  suret  —  surette,  violet  —  violette,  etc.  On  trouve 
aussi  pick-pocket  —  pick-pockette.  Comme  on  le  voit,  ce  groupe 
comprend  surtout  des  diminutifs  dont  la  terminaison  remonte 
au  suffixe  bas-latin  -ittum,  -itta.  Les  mots  savants  en  -et 
font  au  féminin  -ète:  Complet  —  complète,  concret  —  concrète, 
discret  —  discrète,  incomplet  —  incomplète,  indiscret  —  indiscrète, 
inquiet  —  inquiète,  replet  —  replète,  secret  —  secrète;  on  trouve 
aussi  préfet  —  préfète.  Cette  graphie  capricieuse  se  fonde  sur 
le  désir  de  rapprocher  l'orthographe  française  de  la  latine 
(compléta,  discreta,  sécréta,  etc.).  Du  reste,  les  règles 
modernes  n'ont  été  fixées  qu'au  XIX"  siècle;  jusqu'à  la  lin  du 
XVIIP  siècle  on  écrivait  aussi  bien  cadète  que  cadette,  discrette 
que  discrète.  Ce  n'est  que  dans  la  dernière  édition  de  son  Dic- 
tionnaire que  l'Académie  a  remplacé  surète  par  surette.  Baudet, 
furet,  gourmet,  marmouset,  sansonnet,  valet  n'ont  pas  de  fémi- 
nin. Mulet  fait  mule  (mu la)  au  féminin. 

3°  OT.  On  trouve  -otte  dans  sot  —  sotte,  marmot  —  mar- 
motte et  tous  les  diminutifs  tels  que  bellot  —  bellotte,  pâlot  — 
pâlotte,  vieillot  —  vieillotte,  linot  —  linotte;  un  seul  mot  fait 
exception  manchot  —  manchote.  Les  autres  mots,  qui  sont 
presque  tous  d'adoption  relativement  récente,  font  au  féminin 
-ote:  Bigot  -e,  cagot  -e,  camelot  -e,  capot  -e,  dévot  -e,  falot  -e, 
huguenot  -e,  idiot  -e,  nabot  -e.  Cachalot,  mulot,  pilot,  turbot  n'ont 
pas  de  féminin.  Gelinotte  et  marotte  n'ont  pas  de  masculin. 


285 

415.  D.  Le  d  latin  appuyé  devient  sourd  à  la  fin  des  mots 
(I,  §  395,2):  tardum  )  vfr.  tart,  et  se  maintient  devant  a: 
tarda  >  tarde,  d'où  une  alternance  entre  T  au  masculin  et  D  au 
féminin  propre  à  la  vieille  langue:  chaut  (calidum)  >  chaude 
(calida),  froit  —  froide  (frigida),  parfont  —  porfonde  (pro- 
funda),  roit  —  roide  (rigida),  reont  —  reonde  (rotunda), 
sourt  —  sourde  (surda),  tart  —  tarde  (tarda).  Ajoutons  un 
adjectif  de  la  deuxième  classe  (§  383,2):  grant  —  grande  (cf. 
grandeur)  et  tous  les  noms  qui  contiennent  le  suffixe  germa- 
nique -h art:  couart  —  couarde,  gaillart  —  gaillarde,  criart  — 
criarde,  etc.  Après  l'amuïssement  de  la  dentale,  l'orthographe 
a  rapproché  le  masculin  du  féminin  en  substituant  un  d  au 
t:  chaud,  froid,  grand,  profond^  rond,  sourd,  tard,  couard,  cri- 
ard, gaillard,  etc.  ;  sur  le  sort  de  roit,  voir  §  389.  Il  faut  enfin 
rappeler  vuit  —  vuide  (voir  §  389),  dont  le  d  remonte  à  un  f 
latin. 

416.  Plusieurs   féminins  présentent  un  D  non  étymologique. 
P  AN(D).  L'analogie  de  grand  —  grande,  truand  —  truande, 

etc.  a  amené  le  féminin  irrégulier  faisande  de  faisan  (phasia- 
num);  on  dit  aussi  pou/e /a/sane.  L'analogie  des  mots  en -and 
influe  aussi  sur  ceux  en  -ant  d'où  quelques  féminins  irrégu- 
liers :  Galande,  de  galant,  s'emploie  à  côté  de  galante  aux  XVP 
et  XVIP  siècles.  Lieutenande,  de  lieutenant,  se  trouve  à  côté  de 
lieutenante  au  XVP  siècle  (Heptaméron,  n°  28).  Paysande,  de 
paysan(t),  a  été  employé  par  d'Aubigné  (Hist.  univers.).  Ro- 
mande, dans  l'expression  la  Suisse  romande,  a  été  modelé  sur 
la  Suisse  allemande.  Un  changement  de  terminaison  complet  a 
eu  lieu  dans  allemand,  chaland,  friand,  marchand,  pour  alle- 
man,  chalant,  friant,  marchant. 

2^  AR(D).  L'analogie  de  tard  —  tarde,  bavard  —  bavarde  a 
amené  plusieurs  formations  irrégulières  telles  que  avare  — 
avarde,  bizarre  —  bizarde  (Labiche,  Théâtre,  IX,  175),  ignare 
—  ignarde;  elles  appartiennent  exclusivement  à  la  langue  vul- 
gaire. 

3*^  AU(D).  L'analogie  de  chaud  —  chaude  amène  bedeau  — 
bedeaude;  ce  féminin  s'emploie  au  sens  de  'mi-parti  de  deux 
couleurs':  chenille  bedeaude,  corneille  bedeaude  (par  allusion  à 
la  robe  de  deux  couleurs  que  portaient  les  bedeaux  dans  les 
églises  de  campagne). 


286 

4®  OR(D).  C'est  probablement  le  rapport  entre  bord  et  bor- 
der, bordage,  bordereau,  bordure,  etc.,  entre  accord  et  accorder, 
etc.  qui  amène  butor  —  butorde. 

g)  Mots  terminés  par  une  vélaire  (C,  G). 

417.  C  [k].  Le  c  latin  appuyé  reste  intact  à  la  fin  des  mots, 
tandis  qu'il  passe  à  un  son  chuintant  sourd  devant  a  (I, 
§401,2):  vfr.  manc  (mancum)  —  manche  (manca),  sec  (sic- 
cum)  —  sèche  (sicca)  et  quelques  mots  d'origine  germanique: 
blanc  —  blanche  (blanc a),  franc  —  franche  (franca).  Cet 
échange  entre  c  et  ch  se  retrouve  dans  la  langue  moderne 
dans  blanc,  franc,  sec.  Les  féminins  tels  que  franque,  grecque, 
turque,  qui  gardent  inaltérée  la  clusile  du  masculin  (écrite  qu 
ou  cqu  devant  l'e  féminin),  sont  de  formation  postérieure  et 
analogique.  Franque,  qui  ne  s'emploie  qu'en  parlant  des  Francs 
(la  monarchie  franque,  une  femme  franque),  est  tout  récent  et 
tiré  du  masculin;  de  la  même  manière  s'expliquent  turque  et 
grecque;  à  côté  de  ce  dernier  féminin  on  a  le  doublet  grièche 
(employé  dans  ortie-grièche,  pie-grièche),  qui  correspond  au  vfr. 
grieis,  dér.  de  griu  <(  g  r  se  eu  m.  Ajoutons  enfin  qu'à  côté  de 
sèche  on  trouve  dans  la  langue  vulgaire  sèque:  T'allumeras  le 
four  avec  la  bourrée  qu'est  sous  l'hangar  au  pressoir.  Elle  est 
sèque  (G.  de  Maupassant,  Contes  du  jour  et  de  la  nuit,  p.  120). 
—  Les  mots  en  -ac,  -ic,  -uc  sont  savants:  ammoniac  —  ammo- 
niaque, public  —  publique  (cf.  §  388),  Frédéric  —  Frédérique, 
Ulric(h)  —  Ulrique,  caduc  —  caduque  (§  388),  etc.;  sur  duc, 
voir  §  425.  , 

Cas  isolés.  Un  féminin  en  -che  s'employait  au  moyen  âge 
dans  quelques  toponymiques  en  -eis,  remontant  à  -iscus: 
angleis  —  anglesche,  daneis  —  danesche,  franceis  —  francesche, 
galleis  —  gallesche,  grieis  —  griesche,  tieis  —  tiesche,  etc.  Ces 
féminins  disparaissent  sous  l'influence  analogique  des  mots  en 
-eis,  remontant  à  -en  si  s:  cartels  —  corteise  (§  384,3,  Rem.) 
amène  franceis  —  franceise  (déjà  dans  le  Roland,  v.  396),  da- 
neis —  daneise,  etc.  Villon  emploie  encore  Anglesche  (Ballade 
des  dames  de  Paris). 

418.  Q  [g].  Le  g  latin  appuyé  devient  sourd  à  la  fin  des 
mots  et  passe  à  un    son   chuintant   devant  a  (I,  §  423),   d'où 


287 

une  alternance  entre  c  [k]  au  masculin  et  g  [dg]  au  féminin, 
dans  la  vieille  langue:  lare  (largum)  —  large  (larga),  lonc 
(longum)  — longe  (longa).  Cet  échange  n'existe  plus  depuis 
longtemps  :  lare,  dont  l'emploi  était  rare,  a  été  remplacé  par 
le  féminin  large  (voir  §  389),  et  longe  a  succombé  devant  la 
forme  refaite  longue  (l'ancien  longe  s'est  conservé  dans  le  bas 
gâtinais). 

2.  LA  TERMINAISON  -TRIX. 

419.  En  latin  un  certain  nombre  de  mots  en  -tor  avaient 
au  féminin  -trix:  adjutor  —  adjutrix,  fautor  —  fau- 
trix,  ultor  —  ultrix,  victor  —  victrix,  imperator  — 
imperatrix.  Cette  terminaison  paraît  avoir  été  très  peu  em- 
ployée dans  la  langue  vulgaire,  et  les  langues  romanes  n'en 
conservent  que  des  restes  isolés.  Pour  la  langue  d'oïl,  on  ne 
peut  guère  citer  que  imper atricem  )  empererriz  et  pecca- 
tricem  )  pécher  riz.  Voici  quelques  détails  sur  ces  formes  et 
leur  sort: 

1"  Empererriz  (empererris),  parfois  altéré  en  empeerris,  em- 
perreïs,  emper(r)is,  reste  en  usage  jusque  dans  le  XV®  siècle: 
Chancellier,  faictes  nous  venir,  L'empererix  a  nous  parler 
(Mystère  de  St.  Adrien,  v.  1901).  Comme  formes  collatérales 
on  avait  empereresse  ou  emperesse:  Au  temps  de  Glande  l'em- 
peresse  (Montaiglon,  Recueil  de  poésies,  VII,  p.  237),  empe- 
reuse  et  emperice;  pour  les  exemples,  voir  Godefroy.  Rappelons 
enfin  emperiere,  expliqué  au  §  381.  Tous  ces  féminins  ne  sont 
guère  en  usage  après  1500;  ils  disparaissent  devant  la  forme 
savante  impératrice. 

2^  Pecher(r)iz  ou  pecher(r)is  s'employait  jusqu'au  XV®  siècle: 
Ensi  puet  on  bel  apaier  Et  pecheors  et  pecherriz  (Bartsch  et 
Horning,  p.  310, 39).  Entendez  tous,  pécheurs  et  pecheris  (Mon- 
taiglon, Recueil  de  poésies,  II,  118).  Le  féminin  en  -eresse  qui 
finit  par  prendre  la  place  de  la  forme  étymologique  s'emploie 
dès  le  XII®  siècle:  Icele  pécheresse  (Bartsch  et  Horning,  p.  94,27), 

Remarque.  Les  deux  féminins  cités  en  -is  faisant  disparate  avec  les  autres 
féminins  de  la  langue,  disparaissent.  Malgré  leur  rareté  ils  ont  cependant 
provoqué  une  formation  analogique  isolée:  C'est  la  bona  conforteris  (Bartsch 
et  Horning,  p.  482,7).  Rappelons  aussi  quelques  mots  savants:  gene/rzs(genitrix) 
qui  s'employait  en  parlant  de  la  Sainte  Vierge  {Marie  Deu  genetris;  Marie  reine 


288 

genetris,  ^etc),  mereiris  (meretrix)  et  cocatris  (calcatrix),  dont  on  dé- 
signait au  moyen  âge  l'ichneumon  et  plusieurs  animaux  fantastiques;  il  s'est 
conservé  dans  le  poitevin  (au  sens  de:  œuf  avorté)  et  dans  le  bas  gâtinais 
(où  le  cocatri  est  supposé  être  le  produit  de  l'accouplement  d'une  volaille  et 
d'un  reptile). 

420.  Après  le  moyen  âge  on  emprunte  au  latin  la  termi- 
naison -trix  sous  la  forme  savante  -trice:  imperatrix  )  im- 
pératrice, persecutrix  )  persécutrice,  et  peu  à  peu  -trice  de- 
vient la  marque  du  féminin  de  tous  les  noms  d'agents  en 
-teur,  en  tant  qu'ils  sont  de  formation. savante.  Exemples:  Ac- 
cusateur -trice,  acteur  -trice,  admirateur  -trice,  adulateur  -trice, 
bienfaiteur  -trice,  calomniateur  -trice,  conducteur  -trice,  conserva- 
teur -trice,  consolateur  -trice,  coopérateur  -trice,  corrupteur  -trice, 
créateur  -trice,  curateur  -trice,  délateur  -trice,  destructeur  -trice, 
détenteur  -trice,  directeur  -trice,  dispensateur  -trice,  distributeur 
-trice,  dominateur  -trice,  électeur  -trice,  émancipateur  -trice,  exé- 
cuteur -trice,  fascinateur  -trice,  fondateur  -trice,  imitateur  -trice, 
inspecteur  -trice,  inventeur  -trice,  lecteur  -trice,  législateur  -trice, 
libérateur  -trice,  méditateur  -trice,  moteur  -trice,  observateur  -trice, 
persécuteur  -trice,  protecteur  -trice,  provocateur  -trice,  spoliateur 
-trice,  tentateur  -trice,  tuteur  -trice,  etc. 

421.  Il  faut  examiner  à  part  un  petit  nombre  de  féminins 
en  -trice  (-drice): 

Ambassadrice,  féminin  d'ambassadeur,  vient  directement  de 
l'it.  ambasciadrice  ou  a  été  tiré  du  masculin,  sur  le  mo- 
dèle des  mots  en  -teur  -trice. 

Cantatrice  (emprunté  de  l'ital.  cantatrice)  sert  de  fémi- 
nin à  chanteur  et  se  dit  surtout  des  prime  donne.  En  de- 
hors de  ce  cas  on  dit  chanteuse:  une  chanteuse  à  l'Opéra,  une 
chanteuse  de  rue. 

Débitrice  (lat.  debitrix)  sert  de  féminin  à  débiteur  (debi- 
tor),  'celui  qui  doit'.  Au  sens  de  'celui  qui  débite',  débiteur  est 
un  dérivé  de  débiter  et  fait  régulièrement  au  féminin  débiteuse. 

Expultrice  (expultrix),   féminin  de  expulseur  (expulser). 

Impératrice  (lat.  imperatrix),  féminin  de  empereur  (cf. 
§  419,  i). 

Procuratrice  (procura trix),  qui  appartient  étymologique- 
ment  à  procurateur,  sert  de  féminin  à  procureur  (dér.  de  pro- 
curer), celui  qui  a  pouvoir  d'agir  pour  un  autre.   Au  sens  de 


289 


'officier  ministériel',  procureur  fait  au  féminin  procureuse  (qui 
a  aussi  la  signification  de  entremetteuse). 


3.  LA  TERMINAISON  -ISSA. 

422.  La  terminaison  -issa  a  été  empruntée  au  grec  à  l'é- 
poque chrétienne;  elle  était  très  employée  dans  le  latin  de  la 
décadence  où  l'on  disait  abbatissa,  diaconissa,  prophe- 
tissa,  sacerdotissa,  poetissa,  ^thiopissa,  Arabissa, 
Germanissa  (C.I.L.,  XIII,  3183),  etc.;  elle  pénétra  aussi  dans 
la  langue  vulgaire,  où  son  emploi  s'étendit  de  plus  en  plus. 
On  la  retrouve  dans  tout  le  domaine  roman  :  roum.  jupàneasa, 
ital.  (ajbadessa,  esp.  abadesa,  port.  prov.  abbadessa,  fr.  ab- 
besse. 

423.  En  français,  -issa  est  devenu  -esse,  prononcé  d'abord 
-ésse,  puis  -èsse  (I,  §  154);  en  vieux  français  on  écrivait  par- 
fois -esce  ou  -ece.  Il  faut  aussi  signaler  le  doublet  savant  -isse 
employé  maintenant  dans  le  seul  mot  pythonisse;  on  a  dit 
autrefois  diaconisse,  remplacé  par  diaconesse,  sénéscalisse,  etc. 

Remarque.  A  côté  du  simple  -esse,  on  trouve  les  formes  élargies  -eresse 
(voir  §  428)  et  -gesse.  Le  point  de  départ  de  cette  dernière  forme  est  pro- 
bablement à  chercher  dans  clergesse;  c'est  sur  ce  modèle  qu'on  a  créé  mir- 
gesse  (de  mire  <  medicum),  etc.  Rabelais  s'en  sei't  encore:  Ne  sçay  toutes- 
fois  beaux  amis,  que  peut  estre  ne  d'où  vient  que  les  femelles,  soient  Cler- 
gesses,  Monagesses  ou  Abbegesses,  ne  chantent  motets  plaisans  et  charisteres 
(Liv.  V,  chap.  4). 

424.  Le  suffixe  -esse  est  parvenu  à  jouer  un  rôle  assez  im- 
portant en  français;  quant  à  son  emploi  et  à  son  extension  il 
faut  remarquer  les  points  suivants: 

P  Sur  le  modèle  de  abbé  —  abbesse,  on  a  adopté  -esse  dans 
plusieurs  des  mots  qui  n'avaient  pas  de  féminin  étymologique  ; 
tandis  que  le  latin  ne  donne  que  comes,  p rince ps,  on  dit 
en  français  comte  —  comtesse,  prince  —  princesse.  On  a  aussi 
employé  -esse  dans  les  cas  où  la  distinction  de  genre  étymo- 
logique s'est  effacée  grâce  au  développement  phonétique;  ainsi 
asinum  et  asina,  qui  donnent  en  italien  asino  et  asina, 
n'auraient  donné  en  français  qu'une  même  forme  asne;  comme 
il  n'y  avait  pas  moyen  de  créer  un  nouveau  masculin  par  l'é- 

19 


290 

limination  de  l'e  (comp.  §  394),  on  a  refait  le  féminin  à  l'aide 
d'un  suffixe.  Rappelons  enfin  les  quelques  cas  où  -esse  rem- 
place une  autre  terminaison  féminine  étymologique;  en  face 
de  de  us  —  de  a,  on  a  en  français  dieu  —  déesse,  et  nous 
avons  déjà  vu  qu'on  crée  empereresse  et  pécheresse,  à  côté  de 
empereris  et  pecheris  (§  419).  L'emploi  de  -esse  s'est  peu  à  peu 
étendu  aux  mots  d'emprunt:  nègre  —  négresse,  et  de  nos  jours 
c'est  le  seul  suffixe  vivant  (§  425,  Rem.),  abstraction  faite  de 
-trice  dans  les  mots  savants  (§  420). 

2"  Le  suffixe  -esse  s'employait  d'abord  pour  désigner  le  fé- 
minin de  mots  exprimant  des  titres:  comte  —  comtesse,  cha- 
noine —  chanoinesse;  peu  à  peu  il  s'est  étendu  à  d'autres 
noms  de  personnes:  hôte — hôtesse,  et  à  des  noms  d'animaux: 
lion  —  lionnesse,  tigre  —  tigresse,  aigle  —  aiglesse. 

3"  Le  suffixe  -esse  s'adaptait  d'abord  à  des  substantifs, 
comme  le  montrent  tous  les  exemples  cités  précédemment; 
par  une  extension  analogique  il  s'adapte  aussi,  et  dès  la  fin  du 
moyen  âge,  à  des  adjectifs  (§  427). 

425.  Voici  une  liste  alphabétique  des  mots  dont  le  féminin 
se  forme  actuellement  par  l'addition  du  suffixe  -esse: 

Abbé  —  abbesse  <(  vfr.  abeesse  (I,  §  266). 

Ane  —  ânesse. 

Centaure  —  centauresse  (A.  France,  L'Orme  du  Mail,  p.  47). 

Chanoine  —  chanoinesse  <  vfr.  chanonesse. 

Comte  —  comtesse. 

Diable  —  diablesse  <  vfr.  deablesse.  On  dit  une  diable  dans 
des  combinaisons  comme  une  diable  de  vie,  cette  diable  de 
femme,  etc.;  comp.:  Cette  diablesse  de  Mme  de  Pahaiien  (Soi- 
rées de  Médan,  p.  161). 

Diacre  —  diaconesse;  le  féminin  diaconisse  a  vieilli. 

Dieu  —  déesse;  ce  féminin  remonte  au  XII*'  siècle;  les  autres 
vieilles  formes  dieuesse,  deuesse  ont  disparu. 

Docteur  —  doctoresse;  cette  forme  remonte  au  XV  siècle. 

Doge  —  dogaresse  (it.  dogaressa);  St.  Évremond  s'est  servi 
de  dogesse,  maintenant  inusité. 

Drôle  —  drôlessé;  comp.  une  expression  telle  que  une  drôle 
d'idée. 

Druide  —  druidesse  (admis  dans  Acad.  1835);  on  a  dit  autre- 
fois une  druide. 


291 

Duc  —  duchesse;  sur  le  ch  du  féminin,  voir  §  417. 

Faune  —  faunesse.  Félibre  (I,  §  80,  Rem.)  —  félibresse.  Hôte 

—  hôtesse.  Ladre  —  {adresse.  Larron  —  larronnesse.  Maire  — 
mairesse  (comp.  §  438). 

Maître  —  maîtresse;  ce  féminin  s'emploie  maintenant  et 
comme  substantif  et  comme  adjectif:  «ne  maîtresse  chèvre 
(A.  Daudet),  trente  maîtresses  tours  (V.  Hugo),  la  qualité  maî- 
tresse d'une  personne,  la  maîtresse  ancre,  etc.  Au  moyen  âge  on 
trouve  aussi  maistre  au  féminin:  Ele  estoit  sa  mestre  et  sa 
garde  (Chevalier  au  lyon,  v.  1593).  La  maistre  pierre  en  fist  jus 
trebuchier  (Raoul  de  Cambrai,  v.  3151).  A  Saint  Denis  en  la 
maistre  abaïe  (Aimeri  de  Narbonne,  v.  137).  La  forme  féminine 
maître  s'emploie  encore  dans  les  parlers  provinciaux:  La 
maître  que  gouverne,  comment  l'appellent-ils  (Romania,  VII,  65). 

Moine  —  moinesse. 

Mulâtre  —  mulâtresse;  on  dit  aussi  une  mulâtre. 

Nègre  —  négresse. 

Notaire  —  notaresse  ou  notairesse  (A.  Theuriet). 

Ogre  —  Ogresse. 

Pair  —  pairesse  (d'après  l'angl.  peeress);  ce  féminin  dé- 
signe la  femme  d'un  membre  de  la  chambre  des  pairs  d'Angle- 
terre. 

Pape  —  papesse.    Patron  —  patronnesse  (comp.  §  403).  Poète 

—  poétesse.  Prêtre  —  prêtresse.  Prince  —  princesse.  Prophète  — 
prophétesse.  Quaker  (quacre)  —  quakeresse  (quacresse).  Tigre  — 
tigresse. 

Traître  —  traîtresse.  Au  moyen  âge  la  forme  masculine  s'em- 
ployait aussi  au  féminin.  Dans  le  Chevalier  au  Lion,  Lunette 
dit  à  Ivain  :  Oil,  sire,  a  la  moie  foi,  Troi  sont  qui  traître  me 
claimment  (v.  3619). 

Remarque.  Dans  la  langue  parlée  moderne  (surtout  dans  l'argot  de  Paris),  le 
suffixe  -esse  a  pris  une  assez  grande  extension.  Voici  quelques  exemples  de 
formation  récente  et  toute  populaire:  Bougre  —  bougresse;  chef  —  chef  esse 
(de  rayon);  clown  —  clownesse  (Huj'smans*,  Là-bas,  p.  104);  dab,  dabe  — • 
dabesse;  faraud  —  faraudesse;  gonce  —  gonzesse;  grêle  —  grelesse;  juif  — 
juivresse;  oncle  —  onclesse  (concierge  femelle  d'une  prison);  singe  —  sin- 
gesse;  snob  —  snobesse;  type  —  typesse^  etc. 

426.  Si  l'on  remonte  au  moyen  âge  et  à  la  Renaissance,  on 
trouve  beaucoup  de  féminins  en  -esse,  qui  ne  s'emploient  plus. 
En  voici  quelques  exemples: 

19* 


292 

Aigle  —  aiglesse;  on  dit  maintenant  une  aigle  quand  il  s'agit 
de  la  femelle. 

Barbier  —  barhieresse,  maintenant  barbière  (J.  Richepin,  Contes 
espagnols,  p.  201). 

Chevalier  —  chevaleresse,  maintenant  chevalière  (Hugo,  Odes, 
V,  n«25). 

Clerc  —  clergesse;  ce  féminin  est  encore  employé  par  Régnier: 
Clergesse,  elle  fait  jà  la  leçon  aux  prescheurs  (Macette, 
V.  19). 

Compain  (§  258)  —  compagnesse;  on  dit  maintenant  com- 
pagne (§  403). 

Fel,  félon  —  felonesse;  ce  féminin  servait  exclusivement  d'ad- 
jectif. 

Hermite  —  hermitesse:  Là  sont  belles  et  joyeuses  hypocri- 
tesses,  chattemitesses ,  hermitesses ,  femmes  de  grande  religion 
(Rabelais,  IV,  chap.  64).  Madame  de  Sévigné  se  sert  encore  de 
ce  féminin.  Godefroy  donne  la  forme  hermitresse. 

Hypocrite  —  hypocritesse. 

Juge  —  Jugesse  ;  pour  des  exemples  de  cette  forme,  voir 
Heptaméron,  n°  46.  Au  moyen  âge  on  trouve  aussi  jugieresse, 
de  jiigiere. 

Léon  (lion)  —  leonesse  (lionesse)  ;  on  dit  maintenant  lionne 
(voir  §  403). 

Libraire — librairesse.  Exemple:  »Ça,  monseu,  qu'acliepterez- 
vous?«  Dit  une  belle  librairesse  (Paris  ridicule  et  burlesque, 
p.  p.  Jacob,  p.  98). 

Menteur  —  menteresse  (E.  Deschamps,  IX,  v.  4398);  on  dit 
maintenant  menteuse. 

Merle  —  merlesse.  Hors  des  patois  où  ce  féminin  s'est  con- 
servé, on  dit  maintenant  merlette. 

Mire  —  miresse;  on  disait  aussi  mirgesse  ou  mireresse. 

Paon  —  paonesse;  ce  féminin  s'employait  encore  au  XVIP 
siècle;  on  dit  maintenant  paonne  ou  femelle  du  paon. 

Serviteur  —  serviteresse  (E.  Deschamps,  IX,  v.  103);  on  dit 
maintenant  servante  (voir  §  431). 

Sire  —  stresse.  Exemple:  Qui?  dit  il,  la  femme  du  sire  Pierre? 
Oui,  dit  la  preude-femme,  c'est  la  Stresse  elle  mesme  (Noël  du 
Fail,  Œuvres  facétieuses,  1,  73). 

Vidame  —  vidamesse. 


293 

427.  Le  suffixe  -esse  s'ajoute  aussi  à  quelques  adjectifs, 
quand  ils  sont  employés  substantivement.  On  trouve  ainsi 
ivresse  pour  femme  ivre:  Tu  n'es  qu'une  ijvresse  (Picot  et  Ny- 
rop,  Recueil  de  farces,  n"  I,  230).  La  même  forme  vit  encore 
dans  les  chansons  populaires:  Tout  en  colère  le  maître  arrive,  et 
la  prend  pour  ivresse  (Rolland,  Recueil,  V,  70).  Ronsard  s'est 
servi  de  petitesse.  La  langue  moderne  connaît:  un  borgne  —  une 
borynesse  (plus  souvent  une  femme  borgne),  un  ivrogne  —  une 
ivrognesse,  un  pauvre  —  une  pauvresse,  un  sauvage  —  une  sau- 
vagesse,  un  Suisse  —  une  Suissesse. 

428.  ERESSE.  Ce  suffixe  secondaire  est  dû  à  une  fausse 
analyse  de  mots  tels  que  enchanteresse,  pécheresse,  etc.  Enchan- 
teresse est  en  effet  un  composé  de  enchanter e  (incantator) 
avec  -esse.  Mais  on  l'a  décomposé  en  enchant-  et  -eresse;  comp. 
enchantement  (^=  enchant-  -{-  -ement),  enchantoison  (^=  enchant- 
-\-  -oison).  Au  moyen  âge  -eresse  était  très  employé  dans  les 
noms  d'agent.  En  voici  quelques  exemples:  Accuseresse,  aide- 
resse,  barateresse,  chanteresse,  couveresse,  danseresse,  empereresse, 
entreteneresse,  flatteresse,  fondateresse,  gouverneresse,  inventeresse, 
joueresse,  lecheresse,  menteresse,  plaideresse,  rapporter  esse,  servi- 
ieresse,  sousteneresse,  tanceresse,  trouveresse,  etc.  Eresse  s'adaptait 
aussi,  bien  que  plus  rarement,  à  des  mots  qui  ne  se  termi- 
naient pas  par  -ère  au  masculin;  on  trouve  ainsi  clerc  —  cler- 
geresse  (G.  Coquillart,  I,  34),  mire  —  mireresse,  orfèvre  —  or- 
fevreresse,  vieil  —  vieilleresse,  etc. 

429.  Au  XVI<^  siècle  l'emploi  de  -eresse  était  encore  assez  ré- 
pandu malgré  la  concurrence  toujours  croissante  de  -euse 
(§  406,  2).  Rabelais  écrit  espouilleresse ,  racleresse,  revenderesse 
(II,  chap.  30).  On  trouve  dans  les  poètes  de  la  Pléiade  par- 
leresse,  menteresse,  flatteresse.  Montaigne  dit  art  piperesse  et  men- 
songère, à  côté  de  une  pipeuse  espérance.  Robert  Garnier  em- 
ploie domteresse,  flateresse,  menteuresse,  vainqueresse,  etc.  Après 
la  Renaissance,  l'emploi  de  notre  suffixe  se  perd  peu  à  peu, 
et  la  langue  actuelle  n'en  possède  que  des  traces  isolées. 

Remarque.  La  terminaison  -eresse  est  encore  très  répandue  dans  plusieurs 
patois.  En  baguais  on  dit  par  exemple  aigucheresse,  beugueresse,  charmeresse, 
enjoleresse,  fileresse  (à  côté  de  fileuse),  gaspilleresse,  songeresse,  touerniresse, 
tracberesse  (MSLP,  V,  316). 


294 

430.  La  langue  moderne  n'a  conservé  la  terminaison  -eresse 
que  dans  quelques  mots  juridiques  (bailleresse,  défenderesse,  de- 
manderesse, venderesse),  poétiques  (charmer esse,  chasseresse,  de- 
vineresse, enchanteresse,  vengeresse),  bibliques  (pécheresse)  et  tech- 
niques (champar  ter  esse,  écumeresse,  pécheresse,  tailleresse).  Voici 
quelques  remarques  de  détail  sur  ces  formes: 

Bailleresse,  de  bailleur. 

Champarteresse  (emploj^é  dans  grange  champar  ter  esse),  de 
champarteur,  dérivé  de  champart. 

Charmeresse,  de  charmeur,  féminin  un  peu  vieilli:  La  char- 
meresse  Esméralda  (V.  Hugo).  Dès  le  XVII^  siècle  on  a  formé 
charmeuse:  Aux  yeux  de  ma  charmeuse  (Corneille,  Illusion  co- 
mique, III,  se.  4). 

Chasseresse,  de  chasseur.  Ce  féminin  ne  s'emploie  guère  plus 
que  dans  des  expressions  poétiques  :  Une  chasseresse,  les  nymphes 
chasseresses,  Diane  chasseresse.  En  prose  on  dit  ordinairement 
chasseuse. 

Défenderesse,  de  défendeur. 

Demanderesse,  de  demandeur.  En  dehors  de  l'emploi  juridique, 
on  dit  demandeuse. 

Devineresse,  de  devineur,  sert  maintenant  de  féminin  à  devin, 
comme  devineur  n'a  plus  que  la  signification  toute  générale  de 
'celui  qui  devine';  on  dit  ainsi  un  devineur  de  rébus,  et  au  fé- 
minin une  devineuse  de  rébus.  Ajoutons  que  la  Fontaine  a  em- 
ployé devineuse  au  sens  de  'devineresse'  (Fables,  VII,  15). 

Écumeresse  (écumoire  de  raffineur  de  sucre),  de  écumeur.  Au 
sens  ordinaire,  écumeur  fait  au  féminin  écumeuse. 

Enchanteresse,  de  enchanteur  ;  le  féminin  enchanteuse  est  tout 
récent.  M.  Remy  de  Gourmont  remarque:  »  Enchanteuse,  qui 
était  inévitable  n'est  pas  déplaisant*  (Esthétique  de  la  langue 
française,  p.  148). 

Jongleresse,  féminin  vieilli  de  jongleur. 

Pécheresse  (§  419, 2),  de  pécheur. 

Pécheresse,  de  pêcheur-;  ce  féminin  ne  s'emploie  plus  que 
dans  quelques  expressions  isolées:  raie  pécheresse,  trêve  péche- 
resse; partout  ailleurs  il  a  été  remplacé  par  pêcheuse. 

Sîngeresse,  d'un  masculin  inusité  singeurl 

Tailleresse,  de  tailleur;  ce  féminin  ne  s'emploie  que  de  l'ou- 
vrière chargée  de  tailler  les  flans  des  monnaies;  quand  il  s'agit 
d'une  couturière,  on  dit  tailleuse. 


295 

Venderesse,  de  vendeur.  Ce  féminin,  maintenant  inconnu  à  la 
majorité  des  Français,  est  confiné  dans  la  langue  du  droit.  La 
seule  forme  en  usage  est  vendeuse. 

Vengeresse,  de  vengeur. 

Remarque.  V.  Hugo  a  écrit  des  accompagneresses  d'honneur  (N.-Dame  de 
Paris,  II,  5);  c'est  un  pur  pastiche. 


4.  CAS  ISOLÉS. 

431.  Un  certain  nombre  de  mots  présentent  des  particulari- 
tés, soit  dans  le  masculin,  soit  dans  le  féminin,  qui  ne  ren- 
trent pas  dans  les  règles  précédentes;  nous  allons  les  examiner 
à  part  : 

Basque,  au  féminin  une  Basque  ou  une  Basquaise. 

Canard  —  cane.  Le  masculin  est  un  dérivé  de  cane  (comp. 
§  382)  ou  plutôt  une  contamination  de  cane  et  du  vfr.  malart 
(encore  conservé  dans  le  baguais).  Le  rapport  entre  cane  et  la 
forme  primitive  ane  n'est  pas  clair. 

Chevreuil;  la  femelle  s'appelle  chevrette  (le  masculin  che- 
vret  est  inusité). 

Cochon;  le  féminin  étymologique  est  coche  (comp.  §  403). 
Au  point  de  vue  bistorique,  le  masculin  cochon  est  un  dérivé 
de  coche  et  ne  désigne  d'abord  que  le  cocbon  de  lait. 

Compagnon  —  compagne;  ce  féminin  correspond  propre- 
ment à  l'ancien  nominatif  conipain,  copain  (§  281);  comp.  en 
ital.  compagno  —  compagna.  On  trouve  aussi  compagnesse 
(§  426)  et  compagnonne  (§  403). 

Crevé  —  crevette,  termes  d'argot. 

Dindon  —  dinde.  Le  masculin  dindon  est  proprement  un 
dérivé  de  dinde;  O.  de  Serres  (1600)  l'emploie  au  sens  de 
'dindonneau'.  On  a  aussi  dit  au  masculin  un  dinde,  c.  à  d.  un 
coq  d'Inde,  comme  une  dinde  est  pour  une  poule  d'Inde  (I, 
§  491);  comp.  en  italien  un  gallo  d'India,  una  gallina  d'India. 

Fils  (voir  §  279,2)  —  fille  (fi lia). 

Garçon  —  garce;  comp.  l'ancien  nominatif  masculin  gars 
(§  281).  Sur  le  développement  sémasiologique  de  garce',  voir 
la  Sémantique.    Un   féminin   tout   récent   est  garçonne  (§  403). 

Gigolo  —  gigolette,  termes  d'argot. 

Gouverneur  —  gouvernante.  Ce  dernier  mot  est  proprement 


296 

le  féminin  de  gouvernant,  part.  prés,  de  gouverner.  On  disait 
au  moyen  âge  gouverneresse  (E.  Deschamps,  IX,  v.  3307  ;  Frois- 
sart).  Malherbe  a  employé  gouverneuse  :  Nous  avons  la  Reine 
gouverneuse  (Œuvres  complètes,  III,  261).  Plus  tard,  cette  forme 
n'a  été  employée  que  par  plaisanterie. 

Hébreu  —  hébraïque;  sur  un  autre  féminin,  voir  §  410. 

Héros  (emprunté  du  lat.  héros)  —  héroïne  (emprunté  du 
lat.  heroina). 

Lévrier  (dér.  de  lièvre)  —  levrette.  Pour  désigner  la  femelle, 
Nicot  (1606)  donne  levrière  ou  levrette;  la  dernière  forme  a 
seule  survécu. 

Loup  (autrefois  leu;  I,  §  182)  —  louve. 

Merle  —  merlette  (comp.  §  426). 

Mulet  —  mule  (mu  la).  L'ancien  masculin  mul  (mu  lu  m) 
a  disparu. 

Neveu  (nepotem)  —  nièce  (*neptia);  l'ancien  nominatif 
est  nies  (nepos).  Comp.  §  260. 

Perroquet  (it.  parrochetto)  ~  perruche. 

Pierrot  —  Pierrette. 

Poney  (angl.  poney)  ^ —  poneytte  (Gyp,  Plume  et  poil,  p.  230), 
sur  le  modèle  de  coquet  —  coquette  (§  413,  s).  On  trouve  aussi 
ponet  —  ponette,  et  pong  (angl.  pony)  —  pongette. 

Poulain  (*  p  u  1 1  a  n  u  m)  —  pouliche  (forme  normanno-picarde 
pour  poulisse,  dérivé  de  poulain,  par  changement  de  suffixe). 
Les  féminins  poulaine  et  pouline  ne  sont  pas  usités. 

Roi  (regem)  —  reine  (regina). 

Serviteur  —  servante.  Ce  mot  est  proprement  le  féminin  de 
servant,  part.  prés,  de  servir.  Il  a  remplacé  l'ancien  féminin 
serviteresse. 

Sylphe  (mot  d'origine  gauloise)  —  sylphide. 

Taureau.  La  femelle  s'appelle  vache  (§391,2)  ou,  si  elle  est 
toute  jeune  et  n'a  pas  eu  de  veau,  taure  (taura);  l'ancien 
masculin  tor  (tau  ru  m)  a  disparu. 

Tsar  (czar)  —  tsarine  (czarine).  La  vraie  forme  féminine 
serait  tsaritsa;  le  suffixe  -ine  en  russe  n'indique  nullement  des 
féminins. 

5.  MOTS  COMPOSÉS. 

432.  Un  tout  petit  nombre  de  mots  composés  présentent 
une  forme  féminine  spéciale. 


297 

P  Mots  composés  issus  d'une  juxtaposition:  Beau-fils 
helle-fille;  beau-frère  —  belle-sœur;  beau-père  —  belle-mère.  Petit- 
fils  —  petite- fille;  petit-maître  —  petite-maîtresse  ;  petit-neveu  — 
petite-nièce.  Prud'homme  —  prude  femme  (vieilli).  Sur  grand- 
mère,  féminin  de  grand-père,  voir  §  386, 2.  A  côté  de  gentil 
homme,  on  avait  au  XVP  siècle  gentille  femme  ou  gentil  femme; 
on  trouve  même  dans  Bonaventure  Despériers  (éd.  Jacob, 
p.  291)  gentifemme.  Pour  les  mots  composés  de  deux  adjectifs 
rappelons  sourd-muet  qui  fait  au  féminin  sourde-muette  et,  dans 
la  langue  vulgaire,  sourd-muette.  Sur  la  flexion  de  mots  tels  que 
mort-né,  premier-né,  nouveau-marié,  tout-puissant,  etc.,  voir  la 
Syntaxe. 

Remarque.  Rappelons  à  titre  de  curiosité  des  féminins  espagnols  tels  que 
petitmetra  (souvent  dans  Ramon  de  la  Cruz),  mayordoma. 

2^  Mots  composés  issus  d'une  subordination  et  dont  la  der- 
nière partie  est  primitivement  invariable  :  Fainéant  —  fainéante. 
Gridelin  «  gris  de  lin)  —  grideline.  Proprarien  (<  propre  à  rien) 

—  proprarienne.   Trousse-pet  —  trousse-pète.   Vaurien  «  vaut  rien) 

—  vaurienne. 

Remarque.  Rappelons  le  masculin  curieux  poiraisin,  de  poix  résine  (§  394, 
Rem.). 


D.  MOTS  INVARIABLES. 
I.   SUBSTANTIFS. 

433.  Un  grand  nombre  de  substantifs  désignant  des  êtres 
vivants  n'ont  pas  de  forme  féminine  spéciale.  On  peut  les  di- 
viser en  deux  groupes,  selon  que  le  mot  varie  de  genre  ou  non. 
On  a  d'un  côté:  Cette  femme  est  une  artiste  excellente,  et  de 
l'autre:  Cette  femme  est  un  auteur  excellent. 

434.  Un  certain  nombre  de  noms  de  personnes  varient  de 
genre  sans  varier  de  forme:  Exemples:  Aide,  adversaire,  artiste, 
camarade,  complice,  concierge,  convive,  copiste,  cycliste,  élève, 
émule,  enfant,  esclave,  garde,  hypocrite,  locataire,  nihiliste,  ' no- 
vice, patriote,  pensionnaire,  péri,  philosophe,  propriétaire,  pupille, 
soprano,  touriste,  Belge,  Russe,  etc.  On  dit  ainsi  :  //  est  mon 
meilleur  élève,  et:  Elle  est  ma  meilleure  élève. 


298 

Remarque.  Dans  quelques  mots  il  y  a  hésitation  entre  un  féminin  in- 
variable et  un  féminin  en  -esse.  Les  vieux  féminins  une  druide,  une  maître, 
ont  été  supplantés  par  une  druidesse,  une  maîtresse  (§  425);  d'autre  part, 
une  hgpocritesse  a  disparu  devant  une  tiypocrite.  A  côté  d'une  pliilosoptie 
(Molière,  Femmes  savantes,  v.  625),  on  trouve  aussi  dans  le  langage  plaisant 
une  philo sophesse  (Gherardi,  Théâtre  italien,  IV,  7).  La  langue  actuelle  hésite 
entre  une  mulâtre  et  une  mulâtresse. 

435.  Un  certain  nombre  de  noms  de  personnes  désignant 
surtout  des  états  ou  professions  ordinairement  propres  aux 
hommes,  n'ont  pas  de  forme  féminine  et  sont  toujours  du 
masculin.  Exemples  :  Amateur,  assassin,  auteur,  avocat,  bour- 
reau, censeur,  charlatan,  compositeur,  confrère,  destructeur,  doc- 
teur, écrivain,  fidéjusseur,  graveur,  guide,  imprimeur,  juge,  litté- 
rateur, médecin,  modèle,  oppresseur,  orateur,  peintre,  poète,  pro- 
fesseur, romancier,  sculpteur,  secrétaire,  souscripteur,  successeur, 
témoin,  tyran,  ultra,  vainqueur,  vérificateur,  etc.  Ces  mots  restent 
invariables;  on  dit:  Son  frère  est  un  peintre  de  talent,  et:  Sa 
sœur  est  un  peintre  de  talent.  On  leur  crée  une  sorte  de  fémi- 
nin à  l'aide  du  mot  femme:  un  peintre  —  une  femme  peintre, 
un  médecin —  une  femme  médecin  (comp.  medica,  C.I.L.,  XII, 
3343),  un  poète  —  une  femme  poète,  etc.  Sur  les  nouveaux  fé- 
minins employés  dans  la  langue  actuelle,  voir  §  436  et  sur- 
tout §  437. 

Cas  isolés.  Il  faut  ajouter  ange  et  archange  qui,  selon  l'u- 
sage ordinaire,  sont  toujours  du  masculin:  Cette  femme  est  un 
ange.  Cependant,  les  auteurs  les  font  parfois  varier  de  genre. 
Exemple  :  Oh  !  le  premier  signe  de  la  préférence  de  cette  ange 
de  la  pensée,  le  premier  regard  expressif  que  la  petite  amie 
adresse  à  son  ami  (Nodier,  La  neuvaine  de  la  Chandeleur,  p.  14). 
De  l'autre  côté,  bête  et  canaille  sont  toujours  du  féminin:  Cet 
homme  est  une  bête,  une  canaille,  et  on  ne  leur  a  pas  créé  de 
masculin  comme  en  espagnol  où  l'on  peut  dire  :  Ese  ombre  es 
un  bestia,  un  canalla. 

436.  Pour  plusieurs  des  mots  cités  l'usage  a  hésité  ou  hésite 
encore  : 

Amateur.  Le  féminin  amatrice  se  trouve  au  XVP  siècle: 
Une  ville  amatrice  et  inventrice  de  nouvelleté  (Amyot);  il  a  aussi 
été  employé  par  J.  J.  Rousseau  (Emile,  III)  et  Linguet,  mais 
il  n'a  pas  été  reçu  généralement.  Littré  remarque:  »Mot  qui, 
bien  que  bon  et  utile,  a  beaucoup  de  peine  à  s'introduire*. 


299 

Auteur.  Le  féminin  autrice  se  trouve  dans  une  pièce  du 
Mercure  de  Juin  1726  (une  dame  autrice);  il  est  aussi  cité 
dans  le  Dictionnaire  néologique  par  l'abbé  Desfontaines  (1725). 
Cependant,  il  n'a  pas  fait  fortune.  Saura-t-on  jamais  pourquoi 
on  recule  devant  autrice,  et  adopte  actrice,  bienfaitrice,  même 
oratrice'?  11  est  également  défendu  de  dire  une  auteur:  c'est 
ironiquement  que  Boileau  a  écrit:  Vai-je  épouser  icy  quelque  ap- 
prentie auteur  (Satire  X,  v.  464).  Le  Dictionnaire  néologique 
donne  un  exemple  de  la  première  auteur  et  le  qualifie  de 
»digne  de  remarque «,  mais  le  néologisme  n'a  pas  été  imité. 
La  langue  actuelle  n'admet  auteur  que  comme  masculin:  Cette 
dame  est  un  charmant  auteur.  Elle  est  le  premier  auteur  de  mes 
maux.  Comme  féminin  d'auteur  on  dit  une  femme  auteur.  On 
a  récemment  essayé  d'introduire  l'anglicisme  authoresse,  mais 
sans  succès.  Remy  de  Gourmont  s'est  spirituellement  moqué 
de  ce  mot  étranger,  »orné,  comme  d'un  anneau  dans  le  nez, 
d'un  grotesque  ^/j«. 

Avocat.  Le  féminin  avocate  s'emploie  surtout  dans  le  lan- 
gage religieux:  La  sainte  Vierge  est  V  avocate  des  pécheurs.  On 
le  dit  aussi,  dans  la  langue  toute  moderne,  des  femmes  avo- 
cats: Ces  doctoresses  soignent  et  guérissent  des  malades;  ces 
avocates  plaident  devant  le  tribunal  (M.  Prévost,  Frédérique, 
p.  439;  cf.  ib.,  p.  454). 

Bourreau.  Le  féminin  tourelle  s'employait  au  XVI®  siècle  et 
encore  au  commencement  duXVII*":  La  faim  de  l'autre  bout, 
bourelle  impitoyable  (A.  d'Aubigné,  Misères,  v.  518).  Furies, 
laissez-moi!  Las!  laissez -moi,  bourrelles  (Rivaudeau,  Aman, 
acte  4).  On  le  trouve  aussi  comme  adjectif:  Leurs  bourrelles 
mains  (Satire  Ménippée).  —  Dans  le  Cid  de  Corneille,  Chimène 
dit:  Va,  je  suis  ta  partie  et  non  pas  ton  bourreau  (v.  940),  et 
Ménage  approuve  l'emploi  de  bourreau  en  parlant  d'une  femme. 

Compositeur.  On  dit  au  féminin  compositrice  en  parlant  de 
l'ouvrière  qui  assemble  les  caractères. 

Orateur.  Le  féminin  oratrice  ne  se  rencontre  que  dans  les 
auteurs  tout  modernes:  Les  lèvres  frémissantes  de  l'oratrice 
(J.  Bois,  Une  nouvelle  douleur.  Paris,  1900.  P.  102;  ib.,  p.  96). 

Partisan.  Les  grammairiens  ont  soiivent  protesté  contre 
l'emploi  du  féminin  partisane.  On  lit  dans  Les  omnibus  du 
langage  (Paris,  1829)  »  Dites:  Madame  est  partisan  de  Rossini, 
et  non  partisanes.  Pourtant,  ce  féminin  criminel  se  trouve  déjà 


300 

dans  Commines:  Grande  partisane  des  François  (VIII,  chap.  9). 
A.  d'Aubigné  s'en  est  aussi  servi  :  Telle  estait  lors  l'affection 
partisane  (Hist.  univers.).  Il  se  trouve  également  dans  une 
lettre  de  Voltaire.  De  nos  jours,  partisane  est  accepté,  quoique 
peu  employé.  Sur  le  féminin  partisante,  voir  §  413, 2. 

Peintre.  Le  féminin  peintresse  a  été  employé  par  Calvin:  // 
prendra  uos  fuies  pour  les  faire  peiniresses,  cuisinières,  boulan- 
gères. On  le  retrouve  dans  J.  J.  Rousseau:  La  peintresse  ne 
vous  a  pas  flattée  (Lettre  à  Mme  Latour,  2  oct.  1763).  De  nos 
jours,  il  s'emploie  dans  les  écoles  professionnelles  en  parlant 
de  celles  qui  font  la  peinture  sur  porcelaine;  en  dehors  de  ce 
cas,  on  dit  une  femme  peintre.  Il  y  a  eu  des  grammairiens  qui 
ont  voulu  qu'on  dît  une  peintre,  mais  on  ne  les  a  pas  suivis. 
La  Fontaine  emploie  la  peintre  en  parlant  de  la  femme  d'un 
peintre  (Les  Rémois). 

Professeur  Le  féminin  professeuse  a  été  employé  par  Vol- 
taire et  d'autres,  mais  il  ne  paraît  pas  devoir  réussir;  on  con- 
tinue à  employer  professeur  au  féminin:  Cette  femme  est  un  bon 
professeur. 

Témoin.  Le  féminin  insolite  témoine  a  été  employé  par 
M.  Léo  Rouanet  dans  une  traduction  de  l'espagnol:  Senora 
Torbellina,  soyez  témoin  —  ou  témoine,  si  vous  préférez  (Inter- 
mèdes espagnols.  Paris,  1897.  P.  294). 

Tyran.  Quelques  poètes  ont  hasardé  le  féminin  tyranne;  on 
trouve  cette  forme  dans  Desportes,  Boisrobert  et  De  la  Mé- 
nardière,  mais  les  grammairiens  ne  l'ont  pas  approuvée.  Mé- 
nage remarque:  «Nonobstant  toutes  ces  autoritez,  je  dirois 
toujours  tyran,  en  parlant  d'une  femme,  et  jamais  tyranne«. 
Tel  est  encore  l'usage;  on  dit:  cette  femme  est  un  tyran  do- 
mestique. Toutefois  Fr.  Soulié  a  employé  tyranne  dans  le  style 
familier. 

Vainqueur.  On  employait  autrefois  le  féminin  vainqueresse: 
Nos  vainquerresses  bandes  (R.  Garnier,  Bradamante,  v.  1696). 
Racine  a  dit  vainqueur  en  parlant  d'une  femme:  Aurois-je  pour 
vainqueur  dû  choisir  Aride  (Phèdre,  I,  se.  1),  et  cet  usage  s'est 
maintenu. 

• 
437,    Comme   nous   venons   de   le   voir,   la   langue   moderne 
présente  un  assez  grand   nombre  de   formes  féminines  incon- 
nues aux  époques  antérieures;  c'est  le  contre-coup  philologique 


301 

des  progrès  du  féminisme,  de  l'accès  des  femmes  à  des  postes, 
des  emplois  et  des  fonctions  dont  elles  étaient  autrefois  ex- 
clues. Le  développement  social  demande  impérieusement  tous 
les  jours  la  création  de  nouveaux  féminins,  mais  on  est  en- 
core loin  d'avoir  satisfait  à  toutes  les  demandes,  et  l'hésitation 
des  auteurs  et  des  grammairiens  est  toujours  grande.  Il  y  en 
a  qui  gardent  le  masculin,  il  y  en  a  d'autres  qui  lancent  har- 
diment de  nouveaux  féminins.  Nous  trouvons  d'un  côté:  Ca- 
roline Tessier,  docteur  en  droit,  licencié  es  lettres  (Revue  bleue, 
I,  p.  666,1),  et  de  l'autre:  La  nouvelle  avocate  n'arriva  que 
seconde,  quinze  jours  après  son  ou  sa  confrère,  Madame  P.  (L'Il- 
lustration, 1900,  12  déc,  p.  404).  Voici  quelques  remarques  de 
M.  Remy  de  Gourmont  montrant  l'importance  qu'il  attache  à 
une  rapide  solution  de  notre  problème  en  faveur  des  femmes: 
»La  féminisation  des  mots  de  notre  langue  importe  plus  au 
féminisme  que  la  réforme  de  l'orthographe.  Actuellement,  pour 
exprimer  les  qualités  que  quelques  droits  conquis  donnent  à 
la  femme,  il  n'y  a  pas  de  mots.  On  ne  sait  si  l'on  doit  dire: 
une  témoin,  une  électeure  ou  une  électrice  consulaire,  une  avocat 
ou  une  avocate.  L'absence  du  féminin  dans  le  dictionnaire  a 
pour  résultat  l'absence,  dans  le  Code,  des  droits  féminins«  {Le 
problème  du  style,  p.  240 — 41).  Le  développement  actuel  de  la 
langue  semble  vouloir  remplir  le  vœu  de  M.  Remy  de  Gour- 
mont. On  rencontre  en  effet  à  tout  m'oment  de  nouveaux  fé- 
minins, dont  les  uns  ne  manqueront  pas  de  s'imposer,  tandis 
que  les  autres  ne  jouiront  probablement  que  d'une  vie  éphé- 
mère. M.  Lebierre  cite  beaucoup  d'exemples  des  deux  sortes 
d'innovation  et  les  accompagne  des  considérations  suivantes: 
»Les  grammairiens  portent  que  les  substantifs  désignant  cer- 
taines professions  le  plus  souvent  exercées  par  des  hommes 
gardent  la  forme  masculine  lorsqu'ils  sont  appliqués  à  des 
femmes.  On  a  maintenant  un  féminin  pour  la  plupart  de  ces 
substantifs.  Ne  lit-on  pas  peintresse  et  peintrice,  oratrice,  autrice 
(qui  est  plutôt  un  archaïsme  qu'un  néologisme),  doctoresse,  ré- 
dactrice (cette  forme  se  trouve  dans  Littré),  la  secrétaire,  la  so- 
ciétaire (non  pas  seulement  dans  le  sens  de  sociétaire  de  la 
Comédie- Française),  la  candidate;  électrice,  avocate  (ces  deux 
mots  dans  une  autre  acception  que  celle  qui  est  donnée  par 
l'Académie  et  Littré).  Avocate,  dit  un  critique  galant,  existe 
depuis    longtemps,    parce   que   les  femmes   sont  naturellement 


302 

éloquentes.  On  a  encore  éledeuse;  on  voudrait  docteuse  et  doc- 
teure,  auteure,  etc.  Du  reste,  et  ceci  ne  se  rattache  pas  à  ce 
qui  précède,  on  propose,  outre  le  féminin  en  »ice«,  débiteure, 
chanteure,  tout  en  conservant,  dans  une  signification,  déhiteuse 
et  chanteuse;  on  a  créé  des  acteases,  des  théâtreuses,  des  ser- 
veusesa  (Le  mouvement  réformiste  des  35  dernières  années  et 
l'état  actuel  de  la  langue  française.  Mulhouse,  1902.  P.  28 — 29). 
Finissons  par  citer  quelques  exemples  curieux  trouvés  dans 
des  livres  tout  récents:  Cette  tournée  .  .  .  que  des  milliers  de 
leurs  courageuses  collègues  en  célibat  forcé  ou  volontaire  entre- 
prennent chaque  année  (P.  Bourget,  Un  saint.  Paris,  1894.  P.  6). 
Cette  vagabonde  fut  pour  moi  la  messie  poudreuse  qui  .  .  . 
(J.  Bois,  Une  nouvelle  douleur,  p.  160).  Sa  précieuse  acolyte 
(M.  Prévost,  Frédérique,  p.  232).  Un  sentiment  d'invocation 
vers  l'apôtre  absente  (ib.,  p.  262). 

438.  Les  noms  de  quelques  fonctionnaires  (militaires  et 
juridiques)  s'emploient  parfois  au  féminin  pour  désigner  la 
femme  du  fonctionnaire  en  question.  On  dit  ainsi  madame  l'a- 
mirale,  la  maréchale,  la  générale,  la  commandante,  la  colonelle, 
la  lieutenante,  et  madame  la  préfète,  la  sous-préfète,  la  mairesse, 
la  pairesse,  la  baillive,  la  procureuse,  la  nota(i)resse;  on  disait 
autrefois  la  vidamesse,  la  sénéchale,  la  prévote  (Orson  de  Beau- 
vais,  V.  1017).  Cet  emploi  du  féminin  est  restreint  à  un  tout 
petit  nombre  de  titres;  on  n'a  pas  de  mot  spécial  pour  dé- 
signer la  femme  d'un  conseiller  d'État,  d'un  ministre,  d'un 
sénateur,  d'un  avocat,  d'un  juge,  d'un  médecin,  d'un  profes- 
seur, etc.  Nous  avons  entendu  dire  en  plaisantant  Madame  la 
sénatoresse,  la  ministresse,  la  secrétairesse ,  mais  ordinairement 
la  femme  d'un  ministre,  etc.  n'est  pas  désignée  par  le  titre  de 
son  mari  (on  dit  par  ex.  :  Le  ministre  de  France  et  Mme  Jusse- 
rand).  Dans  »Frédérique«  de  Marcel  Prévost,  Tinka,  la  Fin- 
landaise, raconte:  On  me  fit  tant  rire  quand  on  me  dit  qu'il 
voulait  m'épouser  et  que  je  serais  la  »Madame  Professeur* 
(p.  196).  Il  y  a  ici  une  imitation  du  procédé  Scandinave  et 
germanique. 

Cas  isolés.  On  trouve  au  XVI*^  siècle  médecine  employé  au 
sens  de  'femme  d'un  médecin'  :  Maintenant  que  mon  Hippolite 
•est  logé,  et  que  peut-estre  il  baille  une  médecine  à  la  médecine 


303 

(Ane.  th.  franc.,  VI,  140).  La  Fontaine  a  dit  la  peintre  en  par- 
lant de  la  femme  d'un  peintre  (Les  Rémois). 

439.  Pour  beaucoup  de  noms  d'animaux,  le  sexe  naturel 
n'est  pas  indiqué  par  le  genre  grammatical  ;  on  n'exprime  que 
l'espèce,  et  le  genre  dépend  de  l'étymologie.  Ainsi  éléphant, 
rhinocéros,  serpent,  héron,  moineau  sont  tous  du  masculin  et 
n'ont  pas  de  forme  féminine,  et  souris,  panthère,  hyène,  truite, 
grue  sont  du  féminin  et  n'ont  pas  de  forme  masculine.  On 
disait  autrefois  louve-cerviere  (Ph.  de  Thaun,  Bestiaire,  v.  1179), 
on  dit  maintenant  loup-cervier .  Si  l'on  veut  désigner  l'individu 
et  le  sexe,  il  faut  ajouter  des  déterminants:  un  éléphant  mâle 
—  un  éléphant  femelle;  une  panthère  mâle  —  une  panthère  fe- 
melle; un  serin  mâle  —  un  serin  femelle  (des  combinaisons 
pareilles  se  trouvent  dans  les  langues  Scandinaves:  en  hunulu, 
et  en  anglais:  a  she-wolf).  Un  hareng  laite —  un  hareng  œuvé. 
Un  coq  faisan  —  une  poule  faisande;  le  coq  de  la  perdrix  — 
une  poule  perdrix;  le  mâle  du  renne — la  femelle  du  renne,  etc. 

440.  11  arrive  parfois  qu'on  donne,  surtout  par  plaisanterie, 
une  forme  féminine  aux  noms  d'animaux  qui  ordinairement 
désignent  les  deux  sexes;  cette  nouvelle  forme  est  tirée  directe- 
ment du  masculin  selon  les  règles  ordinaires.  Exemples: 

Pigeon  —  pigeonne.  Pellisson  dit  en  parlant  d'une  jeune 
fille:  Pleurez,  amour,  avec  nous.  Pleurez  l'aimable  pigeonne. 

Rat  —  ratte  (le  Dict.  gén.  écrit  rate).  On  a  attribué  la  créa- 
tion de  ce  féminin  à  La  Fontaine,  mais  à  tort;  la  forme  se 
trouve  déjà  au  moyen  âge  (Ysopet  de  Lyon,  v.  1297),  et  plus 
tard  Marot  s'en  est  servi.  Ajoutons  qu'on  disait  autrefois  ratte 
pénade  (c.  à  d.  ratte  pennée)  pour  chauve-souris. 

Rossignol  —  rossignolle.  Voltaire  écrit:  Le  miracle  est  qu'un 
rossignol  fasse  un  rossignolet  à  sa  rossignole  et  non  pas  à  une 
fauvette  (Oreilles  2). 

Remarque.  On  trouve  aussi  animal  —  animale:  Quelques  provinciales, 
Aux  personnes  de  cour  fâcheuses  animales  (Molière,  Les  fâcheux,  v.  372). 
Sur  oiseau  —  oiselle,  voir  §  397,  Rem. 


11.  ADJECTIFS. 

441.   Tous  les  adjectifs  qui  se  terminent  en  -e  n'ont  pas  de 
féminin  :  aigre,  libre,  louche,  sauvage,  secondaire,  timide,  etc.,  etc. 


304 

Ajoutons  chic,  qui  est  primitivement  une  abréviation  de  chi- 
cane (I,  §  522, 2)  :  un  homme  chic,  une  femme  chic,  une  chic 
idée.  Sur  les  formes  en  -esse,  voir  §  427. 

442.  Un  certain  nombre  d'adjectifs  ne  s'ajoutant  qu'à  des 
noms  masculins,  n'ont  ordinairement  pas  de  féminin  :  aquilin, 
bot,  châtain,  dispos,  fat,  hébreu,  résous,  rosat,  rubican,  violât. 

Remarque.  Rappelons  que  Bescherelle  et  Littré  admettent  châtaine  et 
dispose,  et  que  le  féminin  hébreue  s'emploie  comme  substantif:  Une  jeune 
Hébreue  (mais:  une  traduction  hébraïque). 

443.  D'autres  adjectifs  n'ont  pas  de  masculin:  enceinte,  fe- 
melle, scarlatine. 

Remarque.  Le  masculin  de  enceinte  se  trouve  parfois  dans  le  stjie  plai- 
sant. Dans  un  feuilleton  du  »Gil-Blas«  Pierre  Veber  a  écrit:  Un  front  in- 
quiétant et  comme  enceint.  Femelle  étant  originairement  un  substantif  fémi- 
nin, employé  comme  adjectif,  s'ajoute  sans  changement  à  un  nom  masculin: 
un  éléphant  femelle;  Cyrano  de  Bergerac  (éd.  Jacob,  p.  234)  a  écrit  le  sexe 
femel. 


E.  LA  LANGUE  PARLÉE. 

444.  Les  règles  précédentes  concernent  surtout  le  développe- 
ment historique  des  formes  écrites;  un  examen  rapide  de  la 
langue  parlée  montrera  qu'elles  reproduisent  fort  imparfaite- 
ment l'état  réel  des  choses.  En  effet,  l'amuïssement  de  l'e  fé- 
minin final  (I,  §  253)  et  de  la  consonne  finale  (I,  §  315)  a  eu 
pour  résultat  une  modification  profonde  de  la  morphologie 
que  la  langue  écrite  ne  nous  laisse  pas  soupçonner.  La  diffé- 
rence phonétique  entre  écrit  (scriptum)  et  écrite  (scripta) 
était  autrefois  un  e,  comme  l'indiquait  l'écriture:  on  pronon- 
çait [ekrit]  et  [ekrita];  la  différence  actuelle  est  un  t:  on  pro- 
nonce [ekri]  et  [ekrit].  Donc,  les  deux  formes  écrit  et  écrite  sont 
devenues  écri(t)  et  écrit(e),  sans  que  ces  changements  impor- 
tants aient  été  notés  par  l'orthographe  officielle,  qui  donne 
ainsi  une  idée  tout  à  fait  fausse  du  rapport  actuel  entre  le 
masculin  et  le  féminin.  Rappelons  encore  que  la  différence 
établie  dans  la  langue  écrite  entre  les  uniformes  antique,  aus- 
tère, rebelle,  utile,  et  les  biformes  public  —  publique,  fier  — 
fière,  temporel  —  temporelle,  subtil  —  subtile,   n'existe  pas  dans 


305 

la  langue  parlée,  où  tous  ces  adjectifs  sont  uniformes.  Nous 
allons  examiner  maintenant  les  formes  du  masculin  et  du  fé- 
minin telles  qu'elles  existent  dans  la  langue  vivante. 

I.  FORMES   DU   MASCULIN. 

445.  Dans  la  langue  écrite  quelques  adjectifs  isolés  ont  deux 
formes  au  piasculin:  beau  —  bel,  nouveau  —  nouvel,  fou  — 
fol,  mou  —  mol,  vieux  —  vieil.  Tous  les  autres  sont  uniformes 
au  masculin:  grand,  petit,  long,  heureux,  premier,  etc.  Dans  la 
langue  parlée  au  contraire,  un  très  grand  nombre  de  ces  der- 
niers sont  en  fait  biformes:  [grà]  —  [gi'a:t],  [pati]  —  [p8tit],  [15] 

—  [lo:k],  [oro]  —  [oroiz],  [pramje]  —  [pr9mJ8:r],  etc.,  etc.  Ex- 
emples: Un  gran(d)  jardin  et  ce  jardin  est  gran(d),  mais  un 
grand  homme.  Un  peti(t)  garçon  et  ce  garçon  est  peti(t),  mais 
un  petit  homme.  Un  lon(g)  voyage,  ce  voyage  est  lon(g),  mais 
un  long  hiver,  etc.  Donc,  la  forme  à  terminaison  vocalique 
s'emploie  devant  une  consonne  et  devant  une  pause,  la  forme 
à  terminaison  consonnantique  devant  une  voyelle;  comp.  un 
beau  jardin,  ce  jardin  est  beau,  mais  un  bel  enfant. 

il'  formes  du  Féminin. 

446.  Mots  terminés  par  une  voyelle  orale  ou  une  consonne. 
Pour  ces  mots,  la  formation  du  féminin  se  fait  de  quatre  ma- 
nières principales:  par  l'addition  d'une  consonne  ou  d'une 
terminaison,  par  le  changement  de  la  consonne  finale,  par  la 
substitution  d'une  terminaison  à  une  autre.  Ces  changements 
extérieurs  sont  parfois  accompagnés  de  changements  intérieurs. 
Pour  la  quantité  des  voyelles,  il  faut  remarquer  que  la  voyelle 
longue  du  masculin  s'abrège  au  féminin,  et  que  la  voyelle 
brève  du  masculin  s'allonge  parfois  au  féminin  (devant  [z]): 
[fo:r]  —  [fort]  (fort  —  forte),  [v8:r]  —  [vert]  (vert  —  verte),  [o:t] 

—  [otes]  (hôte  —  hôtesse),  [qtq]  —  [0r0:z]  (heureux  —  heureuse). 
Pour  la  qualité  des  voyelles,  il  faut  remarquer  que  [e]  devient 
[e]  devant  r  et  que  [o]  peut  devenir  [o]  devant  t:  [pr9mje]  — 
[pr9mJ£:r]  (premier  —  première),  [so]  —  [sot]  (sot  —  sotte). 

447.  Voici  quelques  détails  sur  les  particularités  de  la  forme 
féminine. 

20 


306 

P  Addition  d'une  consonne.  On  ajoute  D,  T,  R,  S  [s],  S  [z], 
CH  [J].  Exemples:  D:  [Jo]  —  [Jod]  (chaud  —  chaude),  [ha\si:r]  — 
[bavard]  (bavard  —  bavarde).  T:  [o]  —  [ot]  (haut  —  haute),  [pati]  — 
[p9tit]  (petit  —  petite),  [so]  —  [sot]  (sot  —  sotte),  [ègra]  —  [Ègrat] 
(ingrat  —  ingrate),    [kokg]   —   [koket]  (coquet  —  coquette),  [fo:r] 

—  [fort]  (fort  —  forte).  S  [s]:  [du]  —  [dus]  (doux  —  douce), 
[fo]  —   [fos]    (faux  —  fausse).    S  [z]:    [oro]  —  [0r0:z]    (heureux 

—  heureuse),  [kurtwa]  —  [kurtwa:z]  (courtois  —  courtoise).  R: 
[dernje]  —  [dErnJ8:r]  (dernier  —  dernière).  CH:  [J]  :  [fre]  — 
[frÊ:J]  (frais  —  fraîche). 

Remarque.  On  voit  que,  dans  beaucoup  de  cas,  la  consonne  ajoutée  au 
féminin  est  la  même  que  celle  qui  se  trouve  dans  la  forme  pleine  du  mas- 
culin: dans  une  petite  femme  et  un  petit  ftonime,  l'adjectif  se  prononce  de 
la  même  manière. 

2"  Addition  d'une  terminaison.  On  ajoute  souvent  [es],  rare- 
ment [in]  ou  [et].  Exemples:  [o:t]  —  [otes]  (hôte  —  hôtesse), 
[pr£:s]  —  [prèSEs]  (prince  —  princesse),  [ero]  —  [eroin]  (héros  — 
héroïne),  [ôtwan]  —  [àtwauEt]  (Antoine  ' —  Antoinette). 

3°  Changement  d'une  consonne.  Trois  changements  sont  à 
noter:  [k]  >  [J],  [f]  >  [v],  [r]  >  [z].   Exemples:   [sEk]  -  [seJ]  (sec 

—  sèche),  [vif]  —  [viv]  (vif  —  vive),  [tropœ:r]  —  [tr5p0:z]  (trom- 
peur —  trompeuse). 

4^  Changement  de  terminaison.  On  change  [tœ:r]  en  [tris]  et 
[o]  en  [e1].  Exemples:  [aktœ:r]  —  [aktris]  (acteur  —  actrice), 
[lÊktœ:r]  —  [Uktris]  (lecteur  —  lectrice),  [bo]  —  [b£l]  (beau  — 
belle),    [Jamo]  —  [JamEl]   (chameau   —  chamelle).   Ajoutons  [fu] 

—  [fol]  (fou  —  folle),  [vj0]  —  [vj£:j]  (vieux  —  vieille). 

448.  Mots  terminés  par  une  voyelle  nasale.  Il  faut  distin- 
guer entre  deux  cas  principaux,  selon  que  la  voyelle  nasale 
reste  au  féminin  ou  redevient  orale: 

P  La  voyelle  nasale  reste  au  féminin.  En  ce  cas  la  forma- 
tion du  féminin  se  fait  par  addition  d'une  consonne,  ordinaire- 
ment D  ou  T,  plus  rarement  G  [g],  QU  [k]  ou  CH  [J].  Exemples: 
D:  [grô]  —  [grâ:d]  (grand  —  grande);  [almà]  —  [alma:d]  (alle- 
mand —  allemande),   [ro]    —   [r5:d]    (rond  —   ronde).   T:  [kôtâ] 

—  [k5tâ:t]  (content  —  contente),  [pî]  —  [pÈ:t]  (peint  —  peinte), 
[se]  —  [s£:t]  (saint  —  sainte),  [prô]  —  [pr5:t]  (prompt  —  prompte), 
[deFœ]  —  defôé:t]  (défunt  —  défunte).  G:  [15]  —  [I5:g]  (long  — 
longue),  [oblô]  —  [oblô:g]  (oblong  —  oblongue).  CH  :  [frô]  — 
[frà:J]  (franc  —  franche).  QU:  [frà]  —  [frà:k]  (franc  — franque). 


307 

2^  La  voyelle  nasale  ne  reste  pas  au  féminin.  En  ce  cas,  la 
formation  du  féminin  se  fait  par  le  changement  de  la  voyelle 
nasale  en  une  orale:  [â]  >  [a],  [è]  >  [e]  ou  [i],  [œ]  >  [y],  [o]  >  [o], 
et  par  l'addition  de  N,  rarement  GN  [ji].   Exemples.  N:  [syltà] 

—  [syltan]  (sultan  —  sultane),   [se]  —   [sen]  (sain  —  saine),  [fè] 

—  [fm]  (fin  —  fine),  [brôé]  —  [bryn]  (brun  —  brune),  [bô]  — 
[bon]  (bon  —  bonne).  QN  [ji]:  [malè]  —  [maliji]  (malin  — ma- 
ligne). 

449.  Les  règles  précédentes  ne  sont  que  sommaires,  elles 
n'embrassent  pas  tous  les  cas;  mais  elles  suffisent  à  montrer 
que  le  rapport  réel  entre  le  masculin  et  le  féminin  est  radi- 
calement différent  de  celui  qu'on  peut  déduire  de  la  langue 
écrite  et  qu'il  est  extrêmement  compliqué.  Nous  citerons  en 
transcription  phonétique  quelques  séries  d'exemples  montrant 
de  quelle  manière  se  forme  le  féminin  des  adjectifs  en  [o],  [u], 

[£],  H  [5],  [£]• 
1°  Mots   en   [o].    On  ajoute  [t],    [d],   [s],  [z]  ou  [1];    la  voyelle 

peut   s'allonger  (devant  [z])  ou   se   changer   en  [o]  (devant  [t]) 

ou  en  [e]  (devant  [1]).    Exemples:    haut,  sot,   chaud,  faux,  clos, 

beau; 

[o]  [so]  [Jo]  [fo]  [klo]  [bo] 

[ot]  [sot]  [Jod]         [fos]  [klo:z]  [bel] 

2®  Mots  en  [u].  On  ajoute  [t],  [s]  ou  [1];  la  voyelle  peut  se 
changer  en  [o]  (devant  [1]).  Exemples:  tout,  doux,  soûl,  fou; 

[tu]  [du]  [su]  [fu] 

[tut]  [dus]         [sul]  [fol] 

3°  Mots  en  [e].  On  ajoute  [t],  [d],  [s],  [z]  ou  [J],  ou  on  les 
laisse  invariables;  la  voyelle  se  prolonge  devant  [z].  Exemples: 
muet,  laid,  épais,  niais,  frais,  vrai; 

[mye]        [le]  [epe]  [nje]  [îre]  [vre] 

[myet]      [led]  [epes]         [nJE:z]        [fr£:J]         [vre] 

4®  Mots  en  [à].  On  ajoute  [t],  [d],  [k]  ou  [J],  et  la  voyelle 
restant  nasale,  s'allonge;  on  ajoute  [n],  et  la  voyelle  reste 
brève,  mais  devient  orale.  Exemples:  ardent,  grand,  franc, 
toscan  ; 

[arda]       [grd]         [frâ]  [frO]  [toskâ] 

[ardâ:t]     [grd:d]      [frà:k]       [frà:J]       [toskan] 

20* 


308 

5°  Mots  en  [5],  On  ajoute  [t],  [d]  ou  [g],  et  la  voyelle  reste 
nasale  et  s'allonge;  on  ajoute  [n],  et  la  voyelle  devenant  orale, 
reste  brève.  Exemples:  joro/np/,  rond,  long,  bon; 

[prô]         [rô]  [15]  [bo] 

[pr5:t]       [r3:d]        [lo:g]         [bon] 

6®  Mots  en  [l].  On  ajoute  [t],  et  la  voyelle  reste  nasale  et 
s'allonge;  on  ajoute  [n],  et  la  voyelle  devenant  orale,  [e]  ou  [i], 
reste  brève.  Exemples:  saint,  feint,  sain,  fin; 

[se]  [fè]  [S6]  [fë] 

[sg:t]         [f£:t]  [s£n]         [fin] 

450.  On  voit  quelle  est  la  variété  des  formes  féminines,  et 
on  comprend  facilement  que  les  formes  analogiques  se  pré- 
sentent à  tout  moment.  Comment  s'expliquer  les  uniformes 
[goli],  [ny],  [ra:r],  à  côté  des  biformes  [pati]  —  [p9tit],  [dify]  — 
[dify:z],  [bava:r]  —  [bavard],  le  biforme  [le]  —  [led],  à  côté  de  l'uni- 
forme [vrg],  ou  [fê]  —  [f£:t],  à  côté  de  [fè]  —  [fin],  etc.  Ces  dis- 
parates amènent  facilement  des  incertitudes  et  des  hésitations, 
d'où  résultent  de  nouvelles  formes  faites  sur  des  modèles  qui 
se  sont  imposés  à  l'esprit  populaire  comme  les  plus  réguliers; 
nous  avons  déjà  relevé  avarde,  ignarde,  bedeaude,  friande,  fai- 
sande, coite,  favorite,  partisante,  vilainte,  jockeyte,  poneyte,  har- 
dive,  géane,  dine,  sacristine  et  quelques  autres.  De  tels  féminins 
analogiques  sont  assez  fréquents  dans  les  patois;  rappelons 
par  exemple  ch'ti  —  ch'tite  (pour  chétif  —  chétive),  et  genti  — 
gentite  (pour  gentil  —  gentille),  qui  paraissent  très  répandus. 
En  tourquennois  j'ai  relevé  bleu  —  bleusse,  jaloux  —  jalousse, 
goulu  —  goulusse,  vi  (vieu)  —  visse,  nu  —  nute,  etc.  (Watteeuw, 
Chansons,   fables  et  pasquilles  tourquennoises.  Tourcoing,    1896). 


CHAPITRE  V. 

COMPARAISON. 


451.  On  avait  en  latin  des  flexions  spéciales  pour  marquer 
les  degrés  de  comparaison.  Le  comparatif  se  formait  à  l'aide 
de  la  terminaison  -ior  (-ius  au  neutre):  fortis  —  fortior, 
fortius;  le  superlatif,  à  l'aide  de  la  terminaison  -issimus: 
fortis  —  fortissimus.  Ce  système  n'existe  plus  dans  les 
langues  romanes.  Le  superlatif  latin  disparaît  presque  entière- 
ment, et  on  ne  garde  que  des  traces  isolées  du  comparatif 
(major,  melior,  minor  etpejor  se  retrouvent  dans  presque 
tout  le  domaine  roman,  la  Roumanie  exceptée). 

Remarque.  Au  XVI^  siècle,  quelques  ï>escumeurs  de  latins  (I,  §  37)  ré- 
clament le  droit  de  faire  revivre  en  français  les  comparatifs  et  les  super- 
latifs latins:  docte,  doctieiir,  doctime;  hardi,  hardieur,  hardime,  etc.  C'est 
pour  se  moquer  de  cette  tentative  que  Du  Bellay  adressa  le  sonnet  suivant 
à  Baïf: 

Bravime  esprit,  sur  tous  excellentime. 

Qui  mesprisant  ces  vanimes  abois. 

As  entonné  d'une  hautime  voix 

Des  sçavantimes  la  trompe  bruyantime; 
De  tes  doux  vers  le  style  coulantime, 

Tant  estimé  par  les  doctieurs  françois 

Justimement  ordonne  que  tu  sois 

Par  ton  sçavoir  à  tous  reverandime. 
Nul  mieux  de  toy,  gentillime  poëte, 

Los  que  chascun  grandimement  souhaite, 

Façonne  un  vers  doulcimement  naïf; 
Et  nul  de  toy  hardieurement  en  France 

Va  déchassant  l'indoctime  ignorance 

Docte,  doctieur  et  doctime  Baïf.         / 


310 

Baïf  répondit  par  une  Gosserie  contre  le  sonei  de  Joachim  du  Bellay,  des 
comparatifs: 

Beau  bélier  bien  beslant,  bellieur,  voir  bellime 
Des  béliers  les  belieurs  qui  beslent  en  la  France 
Qui  d'un  haut  beslement  effroies  l'ignorance, 
Fortieur  d'elle  qui  fût  des  fortieurs  la  fortime, 
Bélier  qui  vas  broutant  de  l'Olive  la  cime, 
Qui  a  ton  doux  besler  de  doucime  accordance 
Des  neuf  doctimes  sœurs  l'excellentime  dance 
Attirois  du  troupeau  d'Hélicon  le  hautime 
Beau  bélier,  vaillantime  à  hurter  de  la  teste 
Qui  est  hardieur  de  toy,  o  gentilime  beste? 
Quand  à  hurte  bélier  tu  éguises  ta  corne 
Tout  le  troupeau  frizé  de  tes  femmes  s'arrête, 
Ton  berger  ententif  ta  couronne  t'appreste 
Et  d'un  chaperon  vert  pour  récompense  t'orne. 

Ce  badinage  fut  fatal  pour  la  mémoire  de  Baïf:  c'est  à  lui  surtout  que 
la  postérité  a  attribué  l'essai  ridicule  de  faire  revivre  en  français  les  degrés 
de  comparaison  latins. 


A.  COMPARATIF. 

452.  Le  gallo-roman  a  conservé  un  certain  nombre  de  com- 
paratifs organiques  et  en  a  même  créé  de  nouveaux  par  ana- 
logie.   Quelques-uns   de  ces  comparatifs  présentaient  en  vieux 
français  et  le  cas  sujet  et  le  cas  régime:  graindre  —  graignor, 
joindre  —  jougnor,  joinvre  —  juveignor,  maire  —  maior,  mendre 
(moindre)  —  menor,  mieldre  —  meillor,  nualdre  —  noaillor  (et  sire 
—  seignor);   d'autres  au  contraire  ne  nous  sont  parvenus  que 
sous   la  forme   du  cas   régime:   alzor,   hellezor,   forçor,    gençor, 
sordeior.   La  plupart  de  ces   comparatifs   ne  survivent  pas  au 
.  moyen  âge  ;   on  ne   trouve  après  la  Renaissance  que  les  deux 
I  nominatifs  moindre  et  pire,   l'accusatif  meilleur,   et  les  formes 
^neutres,    mieux,    moins,   pis.    Ajoutons    encore    les    substantifs 
gindre,  maire,  sire,  seigneur,  sieur  (voir  sur  ces  mots  §  281)  et 
le  pronom  indéfini  plusieurs. 

Remarque.  Antérieur,  citérieur,  extérieur,  inférieur,  postérieur,  supérieur, 
ultérieur,  et  majeur,  mineur,  prieur  sont  des  mots  savants  qui  remontent  à 
des  comparatifs.  Il  faut  noter  qu'ils  n'ont  pas  conservé  en  français  le  sens 
du   comparatif,   et  qu'ordinairement   ils   n'admettent  pas  de  degrés  de  com- 


311 

paraison;    ce   n'est  que  dans  la  langue  populaire  qu'on  dit  plus  supérieur  et 
le  plus  supérieur. 

453.  Voici  quelques  remarques  détaillées  sur  les  comparatifs 
organiques  employés  en  français: 

P  Acutior,  conservé  dans  le  nom  de  lieu  Curtis  acutior 
)  Courtisor,  altéré  en  Coiirtisols. 

2^  Altiorem  )  vfr.  halçor,  hauçor;  on  trouve  aussi  haltor, 
hautor,  dû  à  l'influence  de  halt^  haut.  Exemples:  Un  pui  hal- 
çur  (Roland,  v.  1017).  En  sun  palais  halçur  (ib.,  v.  3698).  Une 
[este  hautor  (Les  Narbonnais,  v.  1).  Al  mestre  dois  autor  (ib., 
V.  25).  Ces  exemples  montrent  que  le  mot,  dès  les  plus  an- 
ciens textes,  avait  perdu  son  sens  de  comparatif;  il  ne  signifie 
pas  'plus  haut',  mais  'très  haut'.    Sur  plus  halçor,  voir  §  459. 

30  *BeIlatiorem  (de  *bellatus,  dér.  de  bellus)  >  bellezour, 
Exemples:  Bel  auret  corps,  bellezour  anima  (Ste  Eulalie,  v.  2). 
Eslire  i  doit  la  biellissor  Et  la  plus  fine  et  la  mellour  (Eracle, 
V.  2679).  Ne  fu  dame  de  sa  valor,  Onkes  nus  ne  vit  belissor 
(Durmart  le  Galois,  v.  40).  On  trouve  aussi  la  forme  neutre 
bêlais  «  *  bel  latins):  Et  de  paraige  del  miex  et  del  balais 
(Raoul  de  Cambrai,  v.  2446).  Del  miauz  et  del  bêlais  (Orson 
de  Beauvais,  v.  2). 

4*^  Fortiorem  )  forçor  :  Es  altres  unt  forsur  fiance  (Bartsch  et 
Horning,  193, 12).  Se  ele  fu  en  paine  de  l'entrer,  encor  fu  ele 
en  farceur  de  l'iscir  (Aucassin  et  Nicolete,  16, 23). 

5"  Qrandior  )  graindre;  grandiorem  )  vfr.  graignor,  grei- 
gnor:  Mais  adonc  fust  la  perte  graindre  (Chev.  au  lion,  v.  3101). 
Ainz  de  rien  nule  duel  greignor  N'oïstes  conter  ne  retraire  (ib., 
V.  3508).  Il  s'employait  aussi  au  sens  d'un  superlatif  absolu: 
Mais  il  l'aront  [l'estour]  par  tamps  et  orible  et  greignor  (Bas- 
tart  de  Bouillon,  v.  189).  La  forme  du  cas  régime  reste  en 
usage  jusqu'au  XVP  siècle:  Vous  estes  tout  le  greigneur  (Mys- 
tère de  St.  Laurent,  v.  3565).  Prince  amoureux,  des  amans  le 
greigneur  (Villon,  Ballade  à  s'amye).  C'est  le  greigneur  Trom- 
peur (Patelin,  v.  1361).  Rabelais  s'en  sert  encore:  Au  plus  fort 
ou  au  greigneur  (II,  chap.  27);  mais  c'est  exceptionnellement: 
au  XVP  siècle,  le  mot  était  tombé  en  désuétude.  Pasquier  re- 
marque: »Nos  prédécesseurs  dirent  grigneour  puis  grigneur, 
dont  encores  est  faite  fréquente  mention  dans  quelques  an- 
ciennes coustumes  :  nous  disons  plus  grande,  et  meilleure  part, 


312 

rendans  en  deux  mots  ce  qu'ils  comprenoient  sous  un  seul« 
(Recherches  de  la  France,  VIII,  chap.  3). 

6°  Junior  )yoz/jffre,  j  uni  ore m  >youg'no/';  on  trouve  aussi  au 
nom.  joenure  ou  genvre  «  *juvenior?)  et  à  Y  ace.  juueignor 
({  *juveniorem).  Pour  les  exemples,  voir  Godefroy,  qui  cite 
aussi  la  combinaison  plus  genvre  (comp.  §  459).  Joindre  se  re- 
trouve dans  la  langue  moderne  sous  la  forme  de  gindre  (§  281). 

1^  Major  )  maire;  majorem  )  maior.  Exemples:  Que  je  fui 
plus  petiz  de  lui  Et  ses  chevaus  meire  del  mien  (Ivain,  v.  525). 
Anguice  est  en  sun  curage  .  .  .  Unques  uncore  n'ot  maiir  (Tris- 
tan, V.  1488).  La  forme  de  l'accusatif  s'employait  aussi  au  sens 
de  'très  grand'.  Rappelons  surtout  l'ancienne  expression  la  tere 
maïor  pour  la  France  (voir  la  Chanson  de  Roland,  passim). 
La  langue  moderne  a  conservé  maire  comme  substantif  (voir 
plus  bas,  sous  senior),  et  dans  les  expressions  vimaire,  juge 
maire  (La  Fontaine,  Fables,  IV,  7),  bateau  maire;  le  doublet 
maje  {mage),  employé  dans  p/ace  mage  (Rabelais,  II,  chap.  29), 
juge  mage,  etc.,  est  emprunté  au  provençal.  L'ancien  accusatif 
maïor,  maïeur  (encore  dans  Gotgrave)  a  disparu;  majeur  est 
un  mot  savant. 

8°  Melior  )  vfr.  mieldre,  mieudre;  meliorem  )  meillor, 
meilleur;  melius  )  mieux.  Exemples:  Ne  fud  nuls  om  del  son 
iuvent  Qui  mieldre  fust  (Saint  Léger,  v.  32).  De  meillor  ome  ne 
cuit  que  nus  vous  chant  (Couronnement  de  Louis,  v.  9). 

9"  Minor  )  vfr.  mendre,  moindre;  minorem  )  menor,  me- 
neur; minus  )  meins,  moins.  Exemple:  RoUans  est  un  peu 
meures  de  li  en  son  estant  (Fierabras,  v.  545). 

10°  Pejor  )  pire;  pejorem  >  peior ;  pejus  )  pis.  De  ces 
trois  formes,  pire  et  pis  sont  restés  en  usage  jusqu'à  nos  jours; 
peior,  devenu  pior,  pieur  (sous  l'influence  du  cas  sujet)  a  dis- 
paru vers  1400. 

11°  Senior  )  sendre  (Serments  de  Strasbourg)  ou  sire  (voir 
I,  §  197);  seniorem  )  seignor,  seigneur,  ou  sieur.  Le  mot 
n'existe  pas  en  français  comme  adjectif;  de  très  bonne  heure 
il  a  été  employé  comme  titre  d'honneur.  Isidore  écrit:  »Pres- 
byter  graece  latine  senior  interpretatur,  non  pro  aetate  vel 
decrepita  senectute,  sed  propter  honorem  et  dignitatem«.  Comp. 
en  ail.  herr,  comparatif  de  hehr,  vénérable,  et  en  angl.  the  el- 
ders  et  the  alder'man. 


313 

12"  Sordidiorem  >  sordeior:  Mais  li  Breton  furent  millor  Et 
li  Norois  li  sordeor  (Brut,  v.  2598).  Le  neutre  sordeis,  sordois 
(sordidius)  s'emploie  au  sens  du  positif:  Drois  emperere, 
or  me  va  molt  sordois  (Raoul  de  Cambrai,  v.  713). 

454.  Rappelons  encore  quelques  formes  dont  l'origine  est 
douteuse  : 

l''  Ampleis  (ampleiz)  figure  au  sens  de  ampli  us  dans  les 
traductions  des  Psaumes:  Et  ampleiz  ne  serai  (et  amplius  non 
ero).  E  nus  ne  cumiistra  ampleis  (et  nos  non  cognoscet  am- 
plius). 

2°  Anceis,  ançois  (plus  tôt):  Vus  recrerez  anceis  (Pèlerinage 
Charlemagne,  v.  490).  Le  mot  s'emploie  le  plus  souvent  suivi 
de  »que«  :  Doel  i  aurai  enceis  qu'ele  departel  (Roland,  v.  3480). 

3°  Qenzor  signifie  'plus  beau'.  Exemple:  A^e  veïstes  genzorz 
pulcelles  (Brut  de  Munich,  v.  2569).  Comparatif  de  gent,  pro- 
bablement formé  sur  le  modèle  de  fort  —  forzor. 

4"  Noelor  signifie  'pire'  ou  'moindre'  et  le  neutre  noalz 
(noaus)  'pis':  Marchegai  ne  fu  mie  des  /joe//o/-.s  (Aiol,  v.  4178). 
Mult  devriom  noalz  sufrir.  Pur  nos  péchiez  espeneïr  (R.  de 
Rou,  II,  V.  3039).  Nous  avons  peut-être  dans  ces  mots  des  dé- 
rivés de  nugalis. 

5*^  Piuisor,  pluiseur,  plusieurs:  Alquant  i  chantent,  li  pluisor 
getent  lairmes  (St.  Alexis,  v.  584).  Quant  Charles  veit  que  tuit 
sunt  mort  paien  Alquant  ocis  e  li  plusur  neiet  (Roland,  v.  2477). 
Franceis  furent  plusur  que  cil  de  Normendie  (Rou,  I,  v.  3927). 
Le  mot  dérive  peut-être  de  *plusiores,  comparatif  pléonas- 
tique de  plus. 

455.  En  dehors  des  cas  cités  aux  §§  453 — 454,  le  compara- 
tif organique  latin  est  remplacé  par  une  construction  ana- 
lytique. Le  rapport  exprimé  en  latin  classique  par  largior 
s'exprime  en  roman  par  magis  largus,  melius  largus  ou 
plus  largus  selon  la  région  et  le  temps: 

P  Magis  s'emploie  en  daco-roman,  en  hispano-roman,  en 
catalan  et  sporadiquement  en  gallo-roman  :  roum.  mai  larg, 
esp.  mas  largo,  port,  mais  largo,  cat.  mes  llarch,  prov.  mai 
larg   (ou  pu    larg)  ;    dans   le  Morvan  on  dit  al  o  ma  mailaide. 

Remarque.  Le  latin  classique  se  servait  déjà  de  magis  pour  former  le 
comparatif  de  certains  adjectifs,  surtout  ceux  en  -eus,  -ius;  on  trouve  ainsi 


314 

magis    idoneus,    magis    pius,    magis    strenuus,    etc.,    mais  on  trouve 
aussi   par  ex.  magis  mirabilis  (Cicero,  Orator,  12,39). 

2^  Melius  s'emploie  sporadiquement  en  italien  et  en  gallo- 
roman:  it.  meglio  capace  (Orlando  furioso,  III,  48);  prov.  lo 
miel  presaii  el  plus  plasen  (Choix,  V,  12).  En  français,  mieux 
est  d'un  emploi  rare:  Donc  prist  muillier  vaillant  et  honorede, 
Des  mielz  gentils  de  lote  la  contrede  (Alexis,  v.  20);  li  mielz 
guarit  en  ont  bout  itant  (Roland,  v.  2473).  Il  se  trouve  sur- 
tout devant  un  participe  présent:  Les  plus  forz  veïssiez  e  les 
mielz  cumbatanz  (Rou,  I,  v.  3365).  Hui  verrum  le  plus  pruz  e 
le  mielz  cumbatant  (ib.,  v.  3803).  Dame,  je  ai  Yvain  trové,  Le 
chevalier  miauz  esprové  Del  monde  et  le  miauz  antechié  (Chev. 
au  lion,  v.  2921 — 23).  Il  n'a  milor  sous  ciel,  Ne  mielz  corant 
ne  plus  fort  (Ogier,  v.  4629).  Rappelons  aussi  l'emploi  de 
mieux  dans  les  exemples  suivants:  Bien  at  set  anz  et  mielz 
(Pèlerinage  de  Charlemagne,  v.  310).  Nus  miauz  de  moi  ne  se 
doit  plaindre  (Chev.  au  lion,  v.  3860).  Une  dame  .  .  .  qui  avoyt 
mieulx  de  quatre  mil  ducatz  de  rente  (Heptaméron,  n°  30). 
Montaigne  souligne  la  différence  entre  mieux  et  plus:  Il  falloit 
s'enquérir  qui  est  mieux  sçavant,  non  qui  est  plus  sçavant  (Es- 
sais). Dans  la  langue  moderne  on  ne  trouve  mieux  que  devant 
un  participe  passé  :  Cette  cavalerie  était  la  plus  belle  et  la  mieux 
disciplinée  de  l'Europe.  On  distingue  soigneusement  entre  mieux 
aimé  et  plus  aimé.  Les  frères  Concourt  ont  étendu  l'emploi  de 
mieux:  Immortelle  et  fixée  en  une  épreuve  mieux  vivante  que 
le  sein  de  la  femme  de  Diomède  (L'art  au  XVIII^  siècle,  I,  5), 
et  les  symbolistes  les  ont  suivis:  Les  eaux  mieux  voisines  (Ro- 
denbach,  Bruges). 

Remarque.  L'exemple  souvent  cité  du  »Mercator«  (II,  4,29)  de  Plaute: 
melius  sanus  si  sis  est  très  douteux  (il  faut  probablement  lire  :  meliust, 
s  an  us  si  sis).  Mais  on  trouve  melius  comme  adverbe  de  comparaison 
dans  la  basse  latinité:  Faba  vero  intégra  cocta  bene  ...  melius  congrua  est 
quam  illa  faba  fresa  (Anthimus,  §  65). 

3"  Plus  s'emploie  en  italien,  en  rhéto-roman,  en  gallo-roman 
et  sporadiquement  en  vieux  portugais:  it.  più  largo,  lad.  plû 
larg,  prov.  plus  larg,  prov.  mod.  pu  larg,  fr.  plus  large,  vieux 
port,  chus  largo. 

Remarque.  La  périphrase  avec  plus  n'était  pas  inconnue  au  latin  clas- 
sique; on  trouve  déjà  dans  Ennius  plus  miser  (Fabulae,  v.  371).  A  l'époque 
chrétienne  ce  comparatif  devient  de  plus  en  plus  général. 


315 

456.  Au  Nord  de  la  France,  l'emploi  de  plus  est  de  vieille  V 
date;  il  se  montre  déjà  dans  le  glossaire  de  Reichenau  (I, 
§  12),  où  saniore  est  expliqué  par  plus  sano  (n°  1116),  et 
dès  les  plus  anciens  textes  français  le  comparatif  péripliras- 
tique  est  à  peu  près  le  seul  employé:  Bries  est  cist  siècles, 
plus  durable  atendez  (St.  Alexis,  v.  548).  Plus  sunt  neir  que 
nen  est  arrement  (Roland,  \.  1933),  etc.,  etc.  Les  quelques 
comparatifs  organiques  qu'avait  conservés  la  langue  du  moyen 
âge,  sont  peu  à  peu  remplacés  par  des  périphrases:  bellezor, 
forzor,  graignor,  maior,  etc.,  cèdent  la  place  à  plus  beau,  plus 
fort,  plus  grand,  etc.  Pendant  un  certain  temps,  les  formes 
s'employaient  indifféremment  l'une  pour  l'autre.  Villehardouin 
les  emploie  même  dans  la  même  phrase;  il  écrit:  Or  oïez  une 
des  plus  granz  merveilles  et  des  greignors  aventures  que  vous 
onques  oïssiez  (§  70).  A  partir  du  XVF  siècle,  presque  tous 
les  comparatifs  organiques  disparaissent  et  la  périphrase 
triomphe. 

Remarque.  Le  comparatif  est  parfois  accompagné  de  l'article  défini,  ce  qui 
amène  une  confusion  apparente  avec  le  superlatif:  A  la  plus  grande  gloire 
de  Dieu  (ad  majorem  Dei  gloriam).  Le  mieux  est  l'ennemi  du  bien.  Les 
plus  savants  triomphent  des  ignorants.  Un  traité  entre  les  souverains  n'est 
souvent  qu'une  soumission  à  la  nécessité  jusqu'à  ce  que  le  plus  fort  puisse 
accabler  le  plus  faible  (Voltaire,  Charles  XII,  livre  1). 

457.  La  langue  moderne  a  conservé  trois  comparatifs  or- 
ganiques: meilleur,  moindre,  pire  (mieux,  moins,  pis),  mais  ils 
ne  régnent  pas  seuls,  on  dit  aussi  plus  bon,  plus  petit  et  plus 
mauvais: 

l^  Plus  bon  (comp.  prov.  mai  bon)  tend  à  remplacer  meilleur 
dans  la  langue  populaire  :  N'y  aviont  rien  ed'  pus  bon  à  prendre 
(H.  Monnier,  Scènes  populaires,  II,  317).  Tiens,  j'oubliais  le  plus 
bon  et  le  meilleur  {ib.,  I,  514).  Déjà  Figaro  a  dit:  »Une  rivale 
acharnée  te  poursuivait;  j'étais  tourmenté  par  une  furie;  tout 
cela  s'est  changé,  pour  nous,  dans  la  plus  bonne  des  mères« 
(Le  mariage  de  Figaro,  IV,  se.  1).  Dans  la  langue  cultivée  on 
dit  plus  bon,  quand  bon  a  le  sens  de  simple,  crédule,  singu- 
lier: »Vous  êtes  bien  bon  pour  vous  fâcher  pour  un  rien«  ! 
...  »Et  vous,  monsieur,  vous  êtes  bien  plus  bon  de  croire  que 
je  supporterai  patiemment  vos  railleries*. 

Remarque.  L'emploi  de  plus  bon  dans  les  phrases  suivantes  n'a  pas  be- 
soin d'explication:    Peu  m'importe   que   ce  dictionnaire  soit  plus  ou  moins 


316 

bon.  Ce  remède  est  plus  que  tout  autre  bon  contre  la  fièvre.  Plus  on  est 
bon,  plus  on  est  aimé.  Plus  le  vin  est  vieux,  plus  il  est  bon  (ou  meilleur  il 
est).  Comp.:  Plus  l'argile  est  pure,  plus  elle  est  plastique  et  meilleure  elle  est. 
Chez  eux,  moins  un  homme  a  d'honneur  plus  il  est  bon  soldat  (E.-Chatrian). 
Ce  n'est  ni  plus  bon,  ni  plus  mauvais.  Ajoutons  encore  un  exemple  curieux 
de  V.  Hugo:  Il  est  mort,  ce  brave  homme,  le  plus  bon  homme  qu'il  y  eût 
dans  les  bonnes  gens  du  bon  Dieu  (V.  Hugo,  Les  misérables,  II,  p.  369). 
Citons  pour  le  moyen  âge  l'exemple  suivant:  Et  plus  est  buens  à  essaiier 
Uns  petiz  biens  que  l'an  délaie  Qu'unz  granz  que  l'an  ades  essaie  (Chev.  au 
lion,  V.  2516—18). 

2°  Plus  mauvais  tend  à  remplacer  pire,  qui  dans  la  langue 
parlée  ne  s'emploie  guère,  au  sens  de  comparatif,  que  dans 
des  locutions  toutes  faites  :  //  n'est  pire  eau  que  Veau  qui  dort. 
Le  remède  est  pire  que  le  mal.  Les  maladies  de  ïâme  sont  en- 
core pires  que  celles  du  corps,  etc.  Dans  plusieurs  cas  on  peut 
employer  les  deux  formes  :  Votre  excuse  est  pire  (ou  plus  mau- 
vaise) que  votre  faute,  mais  on  dira:  //  a  les  yeux  plus  mau- 
vais que  son  frère.  La  plus  mauvaise  chose  du  monde,  etc.  Sur 
plus  pire,  qui  dans  la  langue  vulgaire  remplace  pire,  voir 
§459. 

3°  Plus  petit  (comp.  prov.  pu  pichot)  remplace  moindre  sur- 
tout au  sens  concret:  Ton  jardin  est  plus  petit  que  le  mien; 
mais:  Sa  douleur  est  moindre  que  la  mienne. 

458.  Renforcement  du  comparatif.  On  peut  renforcer  le 
comparatif  à  l'aide  des  adverbes  beaucoup  et  bien.  Exemples: 
Cest  beaucoup  plus  avantageux  ;  c'est  bien  plus  raisonnable.  Dans 
la  vieille  langue  on  employait  aussi  assez,  moult  et  trop.  Ex- 
emples: Asez  mielz  (Roland,  v.  1743).  Asez  greigneur  (St.  Nico- 
las, V.  849).  Mult  mielz  (R.  de  Rou,  I,  2168),  etc.  Trop  mieux, 
trop  plus  se  disait  couramment  encore  au  XVP  siècle. 

459.  Parfois  plus  est  combiné  avec  un  comparatif  organique; 
ce  phénomène,  qui  se  rencontre  surtout  dans  le  parler  popu- 
laire, remonte  au  moyen  âge.  On  trouve  sporadiquement  dans 
les  vieux  textes  plus  forçor,  plus  graindre,  plus  halçor,  plus 
joinvre,  plus  maire,  etc.  Au  XVF  siècle,  Henri  Estienne  re- 
marque: »Sur  quoy  est  à  noter  que,  combien  que  ce  com- 
paratif meilleur  emporte  autant  que  plus  bon,  toutesfois  il 
eschappe  souvent  au  commun  peuple  de  dire  plus  meilleur,  au 
lieu    de    meilleur    simplement:    qui    est   un   vice   d'autant  plus 


317 

pardonnable  qu'il  est  pris  du  grec,  qui  dit  ainsi  xqsÎttov  /iiâl- 
lov,  ^èItlov  f-iàllov^  àf.iBLVOv  i.iâllovi<  (Conformité,' etc.,  p.  p.  L. 
Feugère,  p.  78).  En  parlant  du  XVII^  siècle,  Ch.  Nisard  re- 
marque: »On  n'y  dit  guère  meilleur,  mieux,  moins,  pire,  mais 
très-volontiers  le  plus  meilleur  ou  meyeur,  plus  mieux,  plus 
moins,  plus  pire,  sans  compter  les  adjectifs  qui  expriment  par 
eux-mêmes  une  qualité  superlative,  comme  le  plus  principal,  le 
plus  supérieur.  Les  Sarcelles,  les  Conférences,  Vadé  et  tous  les 
écrits  poissards  du  XVIIP  siècle  en  sont  infectés.  On  trouve 
même  tant  plus  moins  pour  moins  dans  les  Sarcelles:  Tant 
plus  moins  on  y  songera,  Tant  plus  drait  au  ciel  on  ira«  (Le 
langage  populaire  de  Paris,  p.  279^280).  Rappelons  aussi  plus 
mieux  dans  le  patois  de  Charlotte:  Il  y  en  a  un  qu'est  bien 
pu  mieux  fait  que  les  autres  (Dom  Juan,  II,  se.  1).  Pour  la 
langue  moderne,  Littré  remarque:  »On  entend  souvent  dire 
plus  pire;  c'est  une  grosse  faute «.  On  dit  de  même  plus  meil- 
leur et  plus  mieux.  Exemples:  Ça  n'va  pas  mieux,  ça  n'va  pas 
plus  pire  (H,  Monnier,  Scènes  populaires,  I,  203).  A  n' va  pas 
pu  mieux  non  pu  (ib.,  II,  302). 

Remarque.  Les  comparatifs  redoublés  se  retrouvent  dans  beaucoup  de 
langues  et  sont  surtout  propres  au  parler  familier  et  vulgaire.  On  trouve 
màs  mejor  en  vieil  espagnol,  plus  melhor  en  vieux  provençal,  pin  meglio  en 
italien.  Rappelons  que  Plaute  s'est  déjà  servi  de  magis  stultius  (Stichus, 
V.  699).  De  telles  formations  sont  très  nombreuses  dans  l'anglais  vulgaire  qui 
offre  ivorser,  nicerer,  hetterer,  miser ablerer,  et  même  more  worser,  more  ten- 
derer,  more  better,  more  unlikier,  etc.  (cf.  Storm,  Englische  Philologie,  I,  685, 
778,  949). 

460.  Au  lieu  du  comparatif  on  se  servait  parfois  en  latin 
de  différentes  circonlocutions  telles  que  super  (ou  prseter) 
ceteros  c  la  ru  s,  etc.;  des  formules  correspondantes  se  trouvent 
en  français:  Sur  iuz  les  altres  est  Caries  anguissus  (Roland,  v.  823). 
Sur  tute  gent  est  la  tue  hardie  (ib.,  v.  1617).  Comp.  les  vers  sui- 
vants de  La  Fontaine:  Mes  petits  sont  mignons,  Beaux,  bien 
faits  et  jolis  sur  tous  leurs  compagnons. 


B.  SUPERLATIF. 

461.  La  langue  populaire  n'a  pas  conservé  le  superlatif  clas- 
sique en   -issimus;  il  a  été   remplacé  par  des  circonlocutions. 


318 

(§  463).  Des  autres  superlatifs  organiques  la  langue  d'oïl  a 
gardé:  minimum  )  merme,  pessimum  )  pesme,  proximum 
proisme,  qui  fonctionnent  comme  superlatifs  absolus  ou  comme 
positifs.  Exemples:  Jo  alendeie  de  tei  bones  noveles,  Mais  or 
les  vei  si  dures  et  si  pesmes  (St.  Alexis,  v.  480).  Mult  par  est 
pesmes  et  orgoillos  (Roland,  v.  2550).  Li  rois  estoit  enfes  et 
merme  d'aage,  c.  à  d.  mineur  (voir  Godefroy).  Es  plus  proismes 
aiguës  noioient  (Brut  de  Munich,  v.  888).  Rappelons  aussi  l'ad- 
verbe maismement  (comp.  it.  massimamente),  qui  est  un  dérivé 
de  maximum,  et  la  forme  analogique  me//esme,  probablement 
modelé  sur  pesme:  Trai  tei  en  sus,  si  li  dirai  Del  mellesme 
que  je  saurai  (Chastoiement,  XX,  v.  116). 

Remarque.  Minimum  a  été  repris,  après  le  moj^en  âge,  sous  la  forme 
savante  minime;  comp.  encore  infime,  extrême,  suprême.  Au  moyen  âge  on 
trouve  aussi  proxime. 

462.  Les  superlatifs  en  -issimus  réapparaissent  à  plusieurs 
reprises  en  français  sous  une  forme  savante: 

P  Au  moyen  âge  on  trouve  plusieurs  adjectifs  en  -isme,  dont 
la  terminaison  a  été  modelée  sur  -issimus,  et  qui  s'emploient 
au  sens  du  superlatif  absolu.  Exemples:  altisme,  bonisme,  che- 
risme,  fortisme^  grandisme,  malisme,  saintisme,  etc.  Pois,  sunt 
muntet  sus  el  palais  altisme  (Roland,  v.  2708).  Cil  saintismes 
hom  (St.  Alexis,  v.  268).  Un  grandisme  nés  plat  (Aucassin  et 
Nicolete,  24,  is),  etc. 

Remarque.  Un  développement  populaire  de  -issimus  aurait  donné -esme. 
Godefroy  donne  un  exemple  de  sainteme;  la  forme  est  trop  isolée  pour  rien 
prouver. 

2^  Au  XVP  siècle  apparaissent,  sous  la  double  influence  du 
latin  et  surtout  de  l'italien,  un  grand  nombre  de  superlatifs 
en  -issime.  Les  grammairiens,  cependant,  les  condamnent. 
Meigret  observe:  »Au  regard  de  la  nouvelle  invention  des  super- 
latifs latins  en  -issime,  comme  illustrissime,  reverendissime,  que 
nous  pouvons  appeler  superlatifs  titulaires,  l'usage  de  la  langue 
françoise  ne  les  peut  goûter  et  encore  moins  digérer  «  (Tretté, 
p.  38).  Pierre  Ramus  (1562)  est  du  même  avis:  y  Illustrissime, 
invictissime,  doctissime,  reverendissime  sentent  un  latinisme  que 
le  françoi?  ne  peut  goûter  et  encore  moins  digérer*.  Jean  Pil- 
lot   (1550),    au    contraire,    est    plus  indulgent.    »  Quelques-uns, 


319 

dit-il,  voulant  enrichir  notre  langue,  lui  donnent  un  superlatif 
à  l'imitation  des  Latins;  ils  disent  pour  très  sçavant,  sçavantis- 
sime;  pour  très  bon,  bonissime;  pour  très  révérend,  reuerendis- 
sime.  Ces  formes  sont  dues  à  la  cour,  dont  l'autorité  est  telle 
qu'il  vaut  mieux  se  tromper  avec  elle  que  de  bien  parler  avec 
les  autres,  et  que  l'on  a  toujours  raison  avec  ce  mot:  »elle  l'a 
dit«  (voir  Livet,  p.  221,  291).  Dans  les  Deux  dialogues  de 
Henri  Estienne  (1,  §  42),  Philosaune  observe:  »A  propos  de 
ce  Grandissime  dont  je  vien  d'user,  notez  que  ces  superlatifs 
sont  maintenant  fort  plaisants  aux  courtisans,  comme  sonnans 
fort  bien,  et  ayans  quelque  garbe:  tellement  qu'il  vous  faudra 
prendre  garde  de  dire  pi ustost  Doc/m/me,  que  Tresdocte:  plus- 
tost  Bellissime,  que  Tresbeau:  plustost  Bonissime,  que  Tresbon« 
(voir  l'éd.  de  Ristelhuber,  I,  p.  285).  Pourtant,  l'emploi  de  ces 
formes  artificielles  reste  toujours  assez  restreint;  au  XVIP 
siècle,  Chapelain  essaie  de  les  remettre  à  la  mode,  on  trouve 
dans  ses  poésies  clarissime,  confideniissime,  purissime,  ardentis- 
sime,  importantissime,  occupantissime,  hassissime,  mais  le  pauvre 
auteur  de  »La  Pucelle«  ne  trouva  pas  d'imitateurs,  et  les 
quelques  formes  en  -issime  encore  vivantes  de  nos  jours  sont 
surtout  des  termes  d'étiquette  :  amplissime,  éminentissime,  excel- 
lentissime,  généralissime,  illustrissime,  nobilissime,  révérendissime , 
sérénissime  ;  les  autres  appartiennent  ou  à  la  langue  un  peu 
familière:  rarissime,  richissime,  ou  à  la  langue  plaisante:  igno- 
rantissime,  savantissime.  Voltaire,  en  parlant  de  Genève,  l'ap- 
pelle avec  dédain  la  petitissime  république;  de  ces  superlatifs 
forgés  à  plaisir,  on  en  trouve  déjà  dans  Henri  Estienne  qui 
écrit:  »Ce  meschant,  voire  trimeschantissime,  si  dire  se  pouvait* 
(Apologie  d'Hérodote,  I,  335). 

463.  Le  superlatif  relatif.  Pour  exprimer  le  superlatif  re- 
latif, le  latin  se  servait  non  seulement  du  superlatif:  homo 
sapientissimus,  res  una  omnium  difficillima,  etc., 
mais  aussi,  quand  il  s'agissait  de  deux  personnes  ou  de  deux 
objets,  du  comparatif:  validior  manuum  (la  plus  forte 
des  mains),  major  fratrum  melius  pugnavit  (l'aîné  des 
frères  a  combattu  le  mieux).  Cette  dernière  conception  du 
superlatif  relatif  a  été  généralisée  en  gallo-roman  ;  on  en  trouve 
un  exemple  dans  le  glossaire  de  Reichenau  (I,  §  12),  où  op- 
timos  est  expliqué  par  meliores  (n°  574). 


320 

464.  Le  superlatif  relatif  s'exprimait  en  vieux  français  à 
l'aide  du  comparatif  tout  seul.  En  voici  un  exemple:  Dame 
qui  aime  a  plus  fresche  color  El  mielz  se  vesl  el  de  plus  bel 
ator  (Les  Narbonnais,  v.  7 — 8).  Le  terme  de  comparaison  est 
sous-entendu,  et  on  voit  facilement  que,  par  cette  omission,  le 
comparatif  acquiert  la  valeur  d'un  superlatif  relatif:  La  femme 
qui  aime  a  plus  fraîche  couleur  et  s'habille  mieux  [que  celles 
qui  n'aiment  pas],  donc  :  la  femme  qui  aime  a  la  plus  fraîche 
couleur  et  s'habille  le  mieux.  Au  moyen  âge  l'article  défini  ne 
s'ajoutait  au  comparatif,  pour  le  déterminer,  que  dans  quelques 
cas  isolés  (§  469);  dans  la  langue  moderne  son  emploi  est  de 
rigueur  partout,  excepté  après  un  de  partitif,  ovi  Fusage  mé- 
diéval s'est  conservé  intact.  Exemples:  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
intéressant  dans  ce  livre.  Voilà  ce  que  j'y  vois  de  plus  beau. 
Il  y  eut  encore  une  scène  de  révolte  et  d'emportement  qui  fut 
tout  ce  qu'il  est  possible  d'imaginer  en  ce  genre  de  plus  puéril 
et  de  plus  charmant  (Sandeau,  Mlle  de  la  Seiglière).  Tout  ce 
qu'il  y  a  de  meilleur,  etc.  Nous  montrerons  dans  les  chapitres 
suivants  comment  l'emploi  de  l'article  s'est  étendu  peu  à  peu 
à  tous  les  autres  cas. 

Remarque.  Comme  déterminatif  on  trouve,  outre  l'article  défini  :  le  plus 
grand  plaisir,  les  pronoms  possessifs:  mon  plus  grand  plaisir;  ses  meilleurs 
amis;  votre  plus  cher  souvenir,  etc.  D'autres  déterminatifs  sont  rares:  Car  il 
y  a  toujours  une  plus  belle  personne  de  Paris  (L.  Halévy,  Karikari,  p.  155). 
Le  plus  difficile  reste  à  faire,  et  je  vais  rêver  à  ce  plus  difficile  (Dumas,  Le 
vicomte  de  Bragelonne,  I,  153). 

465.  Le  comparatif  suit  un  substantif  comme  attribut.  Ex- 
emples: Si  recevrai  la  nostre  lei  plus  salve  (Roland,  v.  189). 
Talent  lur  veies  et  les  chemins  plus  granz  (ib.,  v.  2464).  Passent 
cez  puis  et  ces  roches  plus  haltes  (ib.,  v.  3125).  Li  chevalier  plus 
poissant  (Tyolet,  v.  13),  etc.,  etc.  Cette  construction  est  géné- 
rale encore  au  XVP  siècle  :  Le  vers  plus  coulant  est  le  vers  plus 
parfait  (Du  Bellay).  Cest  la  beste  du  monde  plus  philosophique 
(Rabelais,  I,  prol.).  Les  choses  plus  visibles,  plus  approchantes 
de  la  perfection  (Heptaméron,  n°  11).  Etant  là  je  furète  aux  re- 
coins plus  cachés  (Régnier,  Satires,  IV).  Que  la  beauté  plus  grande 
est  laide  auprès  de  vous  (Régnier,  Macette,  v.  64),  etc.  Elle  se 
rencontre  aussi  sporadiquement  au  XVIP  siècle:  Je  cherchay 
longtemps  parmy  les  personnes  plus  galantes  qui  en  serait  Vau- 


321 

theur  (Voiture,  I,  73).  Souvenez-vous  que  nous  parlons  dans  notre 
confidence  plus  étroite  (Balzac).  J'en  garde  en  mon  esprit  les 
forces  plus  pressantes  (Corneille,  Horace,  V,  se.  3;  v.  1731).  Je 
vais  employer  mes  efforts  plus  puissants  (Molière,  L'Étourdi,  V, 
se.  7;  V.  1889).  Vous  leur  dérobez  leurs  conquêtes  plus  belles  (ib., 
V.  1895).  Le  remède  plus  prompt  où  fai  su  recourir  (Dep.  am., 
III,  se.  1;  V.  780).  C'est  bien  le  cuir  plus  doux,  le  corps  mieux 
fait,  la  taille  plus  gentille  (La  Fontaine,  Le  berceau).  Chargeant 
de  mon  débris  les  reliques  plus  chères  (Racine,  Bajazet,  III,  se.  2). 
On  lit  encore  dans  G.  Sand:  Si  Janille  crie,  je  crierai  aussi,  et 
on  verra  qui  a  la  voix  plus  haute  et  la  langue  mieux  pendue, 
d'elle  ou  de  moi  (Le  péché  de  M.  Antoine). 

Remarque.  La  vieille  construction  française  se  retrouve  en  espagnol:  la 
mujer  mas  hermosa,  en  italien:  la  rosa  più  bella,  en  engadinois:  l'asziun 
plû  bclla  e  plû  genenisa. 

466.  La  langue  moderne  demande  la  répétition  de  l'article: 
c'est  l'homme  le  plus  heureux  que  je  connaisse  (comp.  encore 
un  ouvrier  le  plus  habile  du  monde,  son  ami  le  plus  fidèle). 
Cette  construction  se  rencontre  déjà  au  moyen  âge,  mais  elle 
est  extrêmement  rare  ;  en  voici  deux  exemples  :  Tuit  H  juef  li 
plus  save  d'Asie  (St.  Estienne,  IV,  4).  Li  cuens  li  plus  cortois 
(Méraugis,  v.  3454).  Ce  n'est  qu'au  XVI^  siècle  que  l'emploi 
de  l'article  commence  à  devenir  général.  Desportes  ayant  écrit 
dans  une  de  ses  poésies  le  cœur  plus  dévot,  est  corrigé  par 
Malherbe:  »I1  faut  dire  le  cœur  le  plus  dévot.  Règle  infaillible  « 
(Œuvres  complètes,  IV,  286;  cf.  ib.,  p.  296,  346,  393,  467,  471). 
Vaugelas  est  de  la  même  opinion:  »Tout  adiectif  mis  après 
le  substantif  auec  ce  mot  plus,  entre  deux,  veut  tousjours  auoir 
son  article  et  cet  article  se  met  immédiatement  deuant  plus; 
et  tousjours  au  nominatif,  quoy  que  l'article  du  substantif  qui 
va  deuant,  soit  en  vn  autre  cas,  quelque  cas  que  ce  soit. 
Voicy  vn  exemple  de  cette  Reigle.  C'est  la  coustume  des  peuples 
les  plus  barbares.  le  dis  que  c'est  ainsi  qu'il  faut  dire,  et  non 
pas  des  peuples  plus  barbares^  (Remarques,  I,  154).  Thomas  Cor- 
neille ajoute:  »Cette  remarque  est  très-digne  de  M.  de  Vau- 
gelas, et  il  est  d'une  indispensable  nécessité  de  s'assujettir  à 
la  règle  qu'il  nous  donne.  Une  infinité  de  gens  ne  laissent  pas 
d'y  manquer,  et  croyent  surtout  que  quand  l'article  les  a  pré- 
cédé le   substantif,  il  est  inutile  de  le  répéter   avec   l'adjectif. 

21 


322 

Ainsi  ils  disent,  il  s'est  renfermé  dans  les  bornes  plus  étroites 
quil  a  pu.  C'est  fort  mal  parler.  La  répétition  de  l'article  les 
est  nécessaire;  il  faut  dire,  »dans  les  bornes  les  plus  étroites 
qu'il  a  pu«. 

467.  Le  comparatif  est  le  prédicat  ou  le  régime  d'un  verbe 
ou  se  trouve  sous  la  dépendance  d'une  préposition.  Exemples: 
Lores  munte  el  palmier  La  u  la  grape  veit  ki  plus  meure  seit 
(Ph.  de  Thaun,  Bestiaire,  v.  1748).  Si  ferrai  sur  les  helmes  u 
il  ierent  plus  cler  (Pèlerinage  Charlemagne,  v.  459).  Par  celé  lei 
que  vus  tenez  plus  salue  (Roland,  v.  649).  L'orne  del  mont  que 
plus  dois  avoir  chier  (Ogier,  v.  4082).  Les  trefs  qui  plus  hait 
estaient  (Livre  des  Rois,  p.  248).  Par  de  quel  part  est  plus  foible 
Ventrée  (Les  Narbonnais,  v.  3543).  Et  cornant  il  H  vint  aidier 
Quant  ele  en  ont  plus  grant  mestier  (Chev.  au  lion,  v.  4986). 
Quoi  que  H  fesie  estait  plus  plaine,  et  Aucassins  fut  apoyez  a  une 
paie  (Auc.  et  Nie,  20, 12).  Quel  couleur  vous  semble  plus  belle 
(Patelin,  v.  75).  L'exploit  sera  faict  à  moindre  effusion  de  sang 
qu'il  sera  possible  (Rabelais,  I,  chap.  XXIX).  C'est  à  mon  gré, 
entre  toutes,  la  matière  à  laquelle  nos  esprits  s'appliquent  de  plus 
diverse  mesure  (Montaigne,  Essais,  I,  chap.  27).  Malherbe  blâme 
chez  Desportes  les  vers  suivants:  Si  ce  qui  m'est  plus  cher  se 
sépare  de  moi  (Œuvres  complètes,  IV,  393).  Et  les  derniers  en- 
fants sont  toujours  mieux  aimés  (ib.,  IV,  467).  Cependant,  le 
sévère  critique  ne  suit  pas  toujours  sa  propre  théorie,  comme 
le  montreront  les  exemples  suivants  :  Je  ne  prends  pas  tout  ce 
que  l'on  m'apporte,  pource  qu'il  y  a  force  sottises;  je  choisis 
seulement  ce  que  je  crois  être  moins  mauvais  (ib.,  III,  484).  Le 
soleil  qui  tout  surmonte  Quand  même  il  est  plus  flamboyant  (ib., 
I,  148).  Des  exemples  correspondants  se  trouvent  encore  chez 
les  classiques  :  L'on  ne  choisit  pas  pour  gouverner  un  bateau 
celui  des  voyageurs  qui  est  de  meilleure  maison  (Pascal,  Pen- 
sées, I,  94).  Des  malheurs  qui  sont  sortis  De  la  boîte  de  Pandore 
Celui  qu'à  meilleur  droit  tout  l'univers  abhorre  C'est  la  fourbe 
(La  Fontaine,  Fables,  III,  6).  A  meilleur  marché  qu'il  est  pos- 
sible (Montesquieu,  Lettres  persanes).  Les  vieillards  sont  ceux 
dont   le  sommeil  a  été  plus  long   (La  Bruyère,  Caractères,   XI). 

468.  Ajoutons  que  les  adverbes  plus,  moins,  mieux  s'em- 
ployaient également  sans  article  au  sens  de  superlatif:  Ja  par 


323 

celui  qui  mieux  se  prise  (Chev.  au  lion,  v.  1631).  Vous  m'avez 
tolu  la  riens  en  cest  mont  que  je  plus  amoie  (Auc.  et  Nie,  6, 13). 
Les  gens  du  monde  à  qui  je  suy  plus  tenu  (Les  15  joyes  du 
mariage,  p.  92).  Et  s'ordonnent  mieux  qu'elle  puent  (E.  Des- 
champs, IX,  V.  4077).  En  examinant  le  vers:  Celle  pèche  le 
moins  qui  a  plus  de  licence  (IV,  378),  Malherbe  remarque: 
»J'eusse  dit  le  plus,  pource  qu'il  y  a  le  moins.  Toutefois  il  peut 
passer*.  L'omission  de  l'article  est  encore  pratiquée  au  XVIP 
siècle.  Exemples:  Ce  n'est  pas  en  effet  ce  qui  plus  m'embarrasse 
(Corneille,  Sertorius,  IV,  se.  2).  Ce  que  plus  il  souhaite  est  ce 
qu'il  croit  le  moins  (Molière,  Les  Fâcheux,  I,  se.  1  ;  v.  130).  Son 
cœur  sait,  quand  moins  on  y  pense,  D'une  bonne  action  verser 
la  récompense  (Tartuffe,  V,  se.  6;  v.  1941).  Aux  vœux  de  son 
rival  portera  plus  d'obstacle  (L'Etourdi,  v.  4).  Nous  verrons  qui 
sur  elle  aura  plus  de  pouvoir  (Les  femmes  savantes,    v.  1445). 

469.  L'article  défini  s'employait  déjà  dans  la  vieille  langue, 
quand  le  comparatif  était  le  sujet  de  la  phrase  et,  parfois, 
quand  il  fonctionnait  comme  prédicat.  Exemples:  Einz  vus 
qvrunt  H  meillur  cumperée  (Roland,  v.  449).  Onbre  H  fet  li  plus 
biaus  arbres  (Chev.  au  Tion,  v.  382).  Ocist  li  maires  le  menour 
(R.  de  Brut,  p.  72).  Li  mieudres  est  li  pires  (Rustebuef,  I,  p.  22). 
Puis  fu  mandez  li  meures  Loeys,  Ce  fu  li  mendres  des  IIII  Her- 
bert fix  (Raoul  de  Cambray,  v.  2076 — 77).  Quand  cil  fu  morz, 
qui  fu  li  mialdres  d'aus  toz  (Villehardouin,  §  393).  Et  la  menor 
sera  moult  bien  doee  (Les  Narbonnais,  v.  652).  On  le  trouve 
aussi  sporadiquement  dans  d'autres  cas,  surtout  si  le  com- 
paratif est  sous  la  dépendance  d'une  préposition  :  Mais  as 
plus  pauvres  le  donet  a  mangier  (St.  Alexis,  v.  254).  Vint  une 
des  plus  bêles  dames  (Chev.  au  lion,  v.  1146).  La  ot  grant  des- 
corde de  la  graindre  partie  des  barons  et  de  Vautre  gent  (Ville- 
hardouin, §  60).  Une  des  graignors  dolors  et  des  graignors  do- 
mages  avint  a  cel  jor,  et  des  graignors  piliez  qui  onques  avenist 
{id.,  §  409).  Un  des  meillors  barons  et  des  plus  larges  et  des 
meillors  chevaliers  qui  fust  et  remanant  dou  monde  {id.,  §  500). 
Comp.  encore  les  exemples  suivants:  En  cel  altre,  la  plus  du- 
rable joie  (St.  Alexis,  v.  624).  Car  Dix  me  veut  par  vous  oster 
Le  grignour  duel,  la  grignour  paine  Qui  onques  fust  (La  Mane- 
kine,  v.  6363),  etc.,  etc. 

21* 


324 

470.  Renforcement  du  superlatif.  On  pouvait  autrefois  ren- 
forcer le  superlatif  par  l'adverbe  très  qui  pouvait  précéder  plus 
(la  très  plus  belle  dame)  ou  s'intercaler  entre  plus  et  l'adjectif 
(la  plus  très  belle  dame).  En  voici  quelques  exemples:  La  très 
plus  orrible  gent  Qui  fust  desuz  le  firmament  (Benoist,  I,  77). 
La  très  plus  merveilleuse  estoire  (Cleomades).  Les  très  plus  cruels 
choses  dou  monde  (Brunetto  Latini,  p.  194).  La  très  milleur  mère 
(H.  Capet,  p.  195).  Et  prist  famé  a  leur  los  la  plus  très  bêle  née 
Que  on  pëust  trouer  en  nesune  contrée  (Doon  de  Mayence,  v.  38). 
Tant  le  porta  qu'ele  enfanta,  Et  le  plus  très  bel  enfant  a,  Fil, 
que  onques  feïst  nature  (La  Manekine,  v.  2972).  Le  plus  très 
haut  arbre  (Bastart  de  Bouillon,  v.  5993).  Car  cest  la  plus  très 
forte  place  (Chanson  du  XVP  siècle;  Revue  d'histoire  littéraire, 
VII,  428). 

IL   LE   SUPERLATIF  ABSOLU. 

471.  Le  latin  employait  ordinairement  la  même  forme  pour 
le  superlatif  absolu  que  pour  le  superlatif  relatif  (§  463); 
homo  sapientissimus  voulait  ainsi  dire  en  même  temps 
'l'homme  le  plus  savant'  et  'un  homme  très  savant'.  Mais  on 
avait  aussi  recours  à  des  mots  renforçants  et  on  disait  mul- 
tum  loquax,  recte  sanus,  valde  magnus,  satisfacun- 
dus,  etc.  Le  même  procédé  se  retrouve  dans  les  langues  ro- 
manes qui  ont  aussi  eu  recours  à  d'autres  moyens. 

472.  Le  superlatif  absolu  s'exprime  en  français: 

1^  Par  des  adverbes  simples  tels  que  assez,  bien,  fort;  dans 
la  vieille  langue  on  avait  aussi  moult,  outre,  par,  prou,  trop. 
Sur  l'emploi  des  adverbes  en  -ment,  voir  §  473. 

2°  Par  des  préfixes  tels  que  extra-,  super-,  sur-,  ultra-.  Ex- 
emples :  Extrafm,  extrasolide,  super fm,  surabondant,  ultranerveux, 
ultraroyaliste,  etc.  On  trouve  même  dans  la  langue  du  com- 
merce extra-super  fm.  Le  parler  courant  de  nos  jours  se  sert 
surtout  de  archi-,  qui  renforce  non  seulement  les  adjectifs, 
mais  aussi  les  substantifs  et  les  participes  passés.  Exemples: 
Je  suis  jaloux,  archijaloux  (H.  Lavedan,  Le  vieux  marcheur, 
p.  63).  C'est  fait,  je  vous  dis,  archi-fait  (ib.,  p.  147),  A  l'excep- 
tion de  Richelieu  tous  les  favoris  (des  champs  de  courses)  ont 
été    battus,    archi-battus    (L'Illustration,    ^"/g    1884).    Rappelons 


325 

aussi  archifou,  archifripon,  archibête,  archipatelin,  archimillion- 
naire,  archiriche,  archisot,  etc.,  etc.  Nous  sommes  prêts,  archi- 
prêts  (Le  Bœuf). 

3°  Par  difTérentes  tournures  telles  que  :  Ils  sont  arrivés  les 
tout  premiers.  Il  est  on  ne  peut  plus  aimable.  Des  détails  on  ne 
saurait  plus  amusants.  Il  est  (fune  famille  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  honnête.  Une  tribu  belliqueuse  au  possible.  Une  scène  des 
plus  touchantes.  Le  repas  fut  des  plus  gais,  etc.,  etc.  Rappelons 
encore  l'expression  figée  tout  plein,  dont  voici  quelques  ex- 
emples :  Un  beau  petit  parapluie-aiguille  dont  je  suis  tout  plein 
fier  (H.  Lavedan,  Le  vieux  marcheur,  p.  92).  Tu  es  gentil  tout 
plein  (ib.,  p.  200).  Vous  êtes  gentille,  mignonne  tout  plein  (O.  Mir- 
beau). 

4°  Par  le  redoublement  de  l'adjectif.  Ce  procédé,  si  employé 
dans  les  autres  langues  romanes  (surtout  l'italien,  le  roumain, 
le  portugais,  le  provençal  moderne),  ne  joue  qu'un  rôle  bien 
modeste  en  français.  Citons  comme  exemples:  Ils  ont  donné 
cet  hiver  des  soirées  jolies,  jolies,  jolies  (H.  Monnier,  Scènes 
populaires,  II,  201).  C'est  joli,  joli,  joli  (ib.,  p.  237).  Une  lueur 
pâle,  pâle  (P.  Loti,  Pêcheur  d'Islande,  p.  10).  Finissons  par 
rappeler  un  vers  de  Malherbe:  Grand  et  grand  prince  de  l'E- 
glise, Richelieu  (Œuvres  complètes,  I,  313). 

473.  Pour  renforcer  le  sens  des  adjectifs  on  se  sert  très 
généralement  d'adverbes  en  -ment  tels  que:  adorablement,  di- 
vinement, excessivement,  extrêmement,  fameusement,  fortement, 
grandement,  infiniment,  joliment,  magnifiquement,  rudement,  ter- 
riblement, etc.  Remarquons  que  ces  adverbes  perdent  assez 
souvent  leur  signification  étymologique  précise  pour  n'exprimer 
qu'un  renforcement  général.  Ainsi,  selon  l'usage  moderne  on 
peut  dire  d'une  femme  qu'elle  est  rudement  jolie,  comme  on 
dit  d'un  travail  qu'il  est  rudement  difficile.  Un  tel  effacement 
du  sens  primitif  des  adverbes  en  -ment  s'observe  déjà  au 
moyen  âge.  Marie  de  France  écrit:  La  dame  est  bêle  durement 
(Equitan,  v.  31),  et  on  trouve  de  même  dans  l'ancienne  tra-. 
duction  du  Livre  des  Rois  (IV,  154):  Si  fud  durement  bêle  (= 
erat  autem  mulier  pulchra  valde).  A.  d'Aubigné  s'est  moqué 
des  tournures  catachrétiques  employées  de  son  temps,  telles 
que:    //  est  grandement  petit.   Il  est  doux  furieusement.   Je  vous 


326 

aime  horriblement  (Aventures  du  Baron  de  Fœneste,  III,  chap. 
22),  etc. 

Remarque.  Très  souvent,  les  femmes  et  les  précieux  ont  fait  un  emploi 
exagéré  des  adverbes  en  -ment,  et  on  n'a  pas  manqué  de  le  leur  reprocher 
sévèrement.  Selon  Henri  Estienne,  les  courtisans  de  Henri  III  raffolaient  de 
extrêmement,  infiniment:  »11  vous  faudra  avoir  ordinairement  en  la  bouche 
ce  mot  Infiniment  ou  ce  mot  Extrêmement.  Et  dire,  Je  vous  suis  infiniment 
obligé,  Je  vous  suis  infiniment  serviteur.  Pareillement,  Je  suis  infiniment 
joyeux:  ou,  infiniment  marri.  Ou  bien  extrêmement*  (Deux  dialogues,  etc., 
p.  p.  Ristelhuber,  II,  p.  129).  C'est  surtout  l'abus  qu'on  faisait  de  divine- 
ment qui  excite  son  ressentiment:  »Si  vous  estes  si  scrupuleux,  vous  orrez 
beaucoup  d'autres  façons  de  parler  qui  vous  offenseront,  car  maintenant 
on  use  de  ce  mot  Divinement  à  tous  propos,  jusques  à  dii-e,  non  pas  seule- 
ment, Il  parle  divinement  bien.  Il  lit  divinement  bien,  Il  escrit  divinement 
bien,  (au  lieu  que  on  soulet  dire,  11  escrit  comme  un  ange),  Il  chante  divine- 
ment bien:  mais  aussi.  Il  joue  du  lut  divinement  bien.  Il  baie  divinement 
bien.  Et  quelques  uns  se  contentent  de  dire  Divinement,  sans  ajouster  Bien. 
On  dira  aussi,  Vêla  une  viande  divinement  bonne,  Vêla  du  vin  divinement 
bon.  Voire  me  souvient-il  d'avoir  ouy  dire.  C'est  un  divinement  bon  cheval. 
Que  dites  vous  de  ceux  qui  parlent  ainsi?  Celtophile:  Qu'ils  profanent  ce 
mot  Divinement,  et  par  conséquent  sont  culpables  du  crime  de  lèse  majesté: 
j'enten  (comme  vous  pouvez  bien  penser)  majesté  divine  (Deux  dialogues,  11. 
129).  Au  XVlle  siècle,  les  Précieuses  abusent  de  furieusement,  éponvantable- 
ment,  horriblement,  terriblement,  etc.,  et  Madelon  et  Cathos  s'empressent  de 
les  imiter. 


474.  Certains  adjectifs  exprimant  des  idées  absolues  con- 
crètes, comme  carré,  circulaire,  double,  rond,  triple,  ou  abstraites 
comme  éternel,  divin,  parfait,  premier,  dernier  ne  sont  pas  sus- 
ceptibles des  degrés  de  comparaison.  On  les  rencontre  pour- 
tant avec  la  marque  du  comparatif  et  du  superlatif  lorsqu'ils 
sont  employés  dans  un  sens  relatif  ou  figuré.  Exemples:  Mon 
plus  unique  bien  (Corneille,  Horace,  I,  v.  141).  L'auteur  le  plus 
divin  (Boileau,  Art  poétique,  I,  v.  161).  Le  péché  est  le  plus 
grand  et  le  plus  extrême  de  tous  les  maux  (Bossuet).  On  trouve 
de  même  plus  parfait,  plus  impossible,  etc.,  etc.  Parfois  les  au- 
teurs demandent  pardon  de  ces  comparatifs:  L'expérience  des 
choses  de  Varmée  est  devenue,  si  Von  peut  employer  ce  compara- 
tif, plus  universelle  encore  (Revue  bleue,  1901.  II,  407).  Rappe- 
lons à  cette  occasion  que  Malherbe  a  blâmé  ce  vers  de  Des- 
portes: Je  sors  des  Dieux  la  plus  aisnée,  et  pourtant  il  n'hésite 
pas  à  écrire  lui-même:  Plus  morts  que  s'ils  estaient  morts 
(Œuvres,  I,  27). 


327 


C.  COMPARAISON  DES  SUBSTANTIFS. 

475.  Ordinairement  les  adjectifs  seuls  sont  susceptibles  des 
degrés  de  comparaison.  Cependant,  on  trouve  sporadiquement 
des  substantifs  avec  la  marque  du  comparatif  et  du  superlatif 
(relatif  et  absolu).  Ce  phénomène,  qui  se  rencontre  dès  les 
plus  anciens  temps  jusqu'à  nos  jours,  n'a  rien  d'étonnant,  vu 
qu'au  fond  il  n'y  a  pas  de  limite  entre  les  substantifs  et  les 
adjectifs.  Du  moment  qu'on  dit  par  exemple  un  air  enfant,  il 
est  très  naturel  de  dire  aussi  il  est  plus  enfant  que  son  frère. 
Il  s'agit  ici  surtout  de  substantifs  qui  désignent  des  êtres  vi- 
vants (homme,  femme,  enfant,  maître,  tyran,  roi,  reine,  etc.), 
et  dont  on  peut  faire  un  emploi  attributif  ou  prédicatif  pour 
désigner  une  qualité  quelconque.  Notre  phénomène  a  été  ob- 
servé déjà  par  Vaugelas  qui  remarque:  y>Plus  comparatif  peut 
estre  mis  avec  des  Substantifs.  Ainsi  on  dit  Le  plus  homme  de 
bien,  Les  plus  gens  de  bien,  parce  que  bien  tient  icy  lieu  d'Ad- 
jectif: car  de  soy  le  Substantif,  c'est-à-dire  la  substance,  non 
recipit  nec  majus  nec  minus,  comme  disent  les  Philosophes» 
{Remarques,  II,  p.  473). 

476.  Comparatif.  L'union  de  plus  avec  un  substantif  se 
trouve  dès  le  moyen  âge  dans  quelques  cas  isolés.  Exemples: 
Car  Ogiers  estait  ber  Com  ne  pooit  plus  prodome  trouer  (Ogier, 
V.  1445).  A  plus  prodome  ne  les  puis-jo  baillier  (ib.,  v.  3420). 
Nat  plus  prodome  sos  ciel  {ib.,  v.  4031).  Et  mes  sire  Yvains  est 
plus  sire  Qu'on  ne  porroit  conter  (Chev.  au  lion,  v.  2051).  De 
pareils  exemples  se  trouvent  aussi  aux  XVP  et  XVIP  siècles: 
Ce  garçon  est  plus  homme  de  bien  que  vous  et  que  moy  (A.  d'Au- 
bigné,  Mémoires,  p.  p.  Lalanne,  p.  72).  Je  suis  plus  rocher  que 
vous  n'estes  (Malherbe,  Œuvres  complètes,  I,  153).  Et  quelque 
monstre  en  fin  que  Thétis  agi  chez  soy,  Elle  n'en  aura  point  de 
plus  monstre  que  toy  (Mairet,  La  Silvanire,  v.  1997).  Depeschons 
avant  qu'il  soit  plus  jour  (ib.,  v.  2115).  Et  je  ne  vis  de  ma  vie 
Un  Dieu  plus  diable  que  toi  (Amphitryon,  v.  1889).  Mais  c'est 
indubitablement  la  langue  moderne  qui  fait  l'eniploi  le  plus 
large  de  cette  tournure  en  l'étendant  parfois  à  des  cas  très 
curieux,  comme  le  montreront  les  exemples  suivants:  C'est 
lady  Churchill  .  .  .  plus  reine  .  .  .  que  sa  souveraine  (Scribe).  Le 
roi  vous   a-t-il  fait  plus  roi  quil  n'est  lui  même  (C.  Delavigne). 


328 

Ce  Simon  Renard  est  plus  roi  que  je  ne  suis  reine  (V.  Hugo). 
Les  faux  patriotes  plus  tyrans  mille  fois  que  les  pères  despotes 
(Ponsard).  Tu  es  plus  enfant  qu'elle  (H.  Monnier,  Scènes  po- 
pulaires, I,  224).  Jamais  elle  ne  fut  plus  femme  (J.  Bois,  Une 
nouvelle  douleur,  p.  252).  La  femme  qui  ni  allaita  fut  honnête, 
plus  honnête,  plus  femme,  plus  grande,  plus  mère  que  ma  mère 
(G.  de  Maupassant,  Un  parricide).  La  veuve  resta,  quoique  ma- 
riée, plus  veuve  de  grand  homme  que  jamais  (Daudet,  Femmes 
d'artistes,  133).  Tu  deviens  plus  déesse  encore,  d'être  femme 
(G.  Mendès,  Médée,  p.  118).  Pour  sûr  que  c'est  une  morue.  Et 
même  y  a  pas  plus  morue  que  cette  femme-là  (A.  France,  L'Af- 
faire Grainquebille,  p.  53).  Henriette  avait  eu  trop  raison,  plus 
raison  qu'elle  ne  le  savait  elle-même  (Bourget,  La  terre  promise, 
p.  113).  Le  Turc  .  .  .  avec  son  ours  dont  Lydie,  enfant,  avait  si 
grand' peur  ;  moins  peur  cependant  que  du  père  Georges  (Daudet, 
La  petite  paroisse,  p.  30).  Le  bonheur  de  vous  voir  est  plus 
bonheur  avec  du  soleil  (Mérimée,  Lettres  à  une  inconnue,  I, 
154).  Et  les  parcs,  sans  doute  d'une  moins  belle  ordonnance  que 
ces  Tuileries,  mais  combien  plus  vastes,  plus  campagne,  plus  na- 
ture (M.  Prévost,  Frédérique,  p.  328).  Y  a-t-il  rien  de  plus  folk- 
lore .  .  .  que  la  vie  d'un   village   (H.  Gaidoz,  Mélusine,  X,  240). 

Remarque.  Même  les  noms  propres  sont  capables  d'être  comparés.  Citons 
le  passage  suivant  de  Brantôme:  Aussy  le  roy  Pierre  d'Arragon,  le  repro- 
chant audict  roy  Charles  par  une  lettre,  pour  ce  qu'il  n'avoit  pas  gardé 
telle  raison  envers  Conrradin  que  les  Sarrazins  envers  luj%  entre  autres  pa- 
roles luy  dict  ainsin:  Tu  Nerone  Neronior,  et  Sarracenis  crudelior:  »Tu  es 
plus  Néron  que  Néron,  et  plus  cruel  que  les  Sarrazins«  (Recueil  des  dames, 
3e  dise).  Malherbe  se  sert  des  tournures  suivantes  :  Plus  Mars  que  Mars  de 
la  Thrace,  Mon  père  victorieux,  etc.  (Épitaphe  du  Duc  d'Orléans).  Qui  ne 
confesse  Qu'Hercule  Fut  moins  Hercule  que  toy  (Au  Roy  Henri  le  Grand). 

477.  Superlatif  relatif.  En  voici  quelques  exemples  à 
l'ordre  chronologique:  Tut  le  plus  maistre  en  apelet  Besgun 
(Roland,  v.  1818).  De  la  face  le  plus  maistre  braon  (Ogier, 
V.  1908).  Le  plus  prodome  qui  soit  en  tôt  le  mont  (ib.,  v.  666). 
Mai^  le  plus  traytour  (H.  Gapet,  v.  4567).  Les'  plus  rois  fach 
amolier  (Jean  de  Gondé,  n°  37,  v.  1045).  Le  plus  preudomme 
c'onkes  Dieus  estora  (Bastart  de  Bouillon,  v.  3679).  Le  plus  roy 
qui  fut  onc  couronné  (Marot).  Sa  sœur  l'une  des  plus  femmes  de 
bien  (Marguerite  de  Navarre,  Heptaméron,  n°  12).  Les  plus  gens 
de  bien  (Malherbe,  Œuvres,  II,  487).  Le  plus  âne  des  trois  n'est 


329 

pas  celui  qu'on  pense  (La  Fontaine,  Fables,  III,  1).  Cestoit  un 
des  plus  hommes  d'honneur  (Revue  d'hist.  litt.,  VII,  p.  442).  // 
n'y  a  que  le  roi  de  Prusse  que  je  mets  de  niveau  avec  vous, 
parce  que  c'est  de  tous  les  rois  le  moins  roi  et  le  plus  homme 
(Voltaire).  Parmi  toutes  les  bourdes  de  nos  traités  de  versifica- 
tion, la  plus  bourde  est  sans  doute  l'obligation  de  rimer  pour  les 
yeux  (C.  Tisseur,  Modestes  observations  sur  l'art  de  versifier, 
p.  187).  Mon  ami  André,  le  doyen  et  le  plus  homme  de  nous 
tous  (P.  Loti,  Figures  et  choses  qui  passaient,  p.  33).  La  rose- 
thé  est  la  moins  rose  de  toutes  les  roses.  La  postérité  est  le  plus 
tribunal  de  tous  les  tribunaux.  Le  ton  le  plus  faubourg  Saini- 
Germain  (Barbey  d'Aurevilly).  Les  plus  gamins  (Concourt,  Ma- 
nette Salomon,  p.  39). 

Remarque.  Ajoutons  pour  les  noms  propres  l'exemple  suivant:  Les  Met- 
ternich  les  plus  Metternich  sont  des  nains  (E.   Rostand,    L'Aiglon,  IV,    se.  2). 

478.  Superlatif  absolu.  Les  substantifs  sont  susceptibles 
d'être  renforcés  de  différentes  manières  comme  les  adjectifs 
(§472): 

P  Dans  la  vieille  langue  on  se  servait  d'adverbes  comme 
moult  par,  très,  trop,  si,  etc.  Exemples  :  Mult  par  ies  ber  et  sages 
(Roland,  v.  648).  Ogier,  mult  es  prodon  (Ogier,  v.  1927).  Trop 
est  prodon  cist  Danois  (ib.,  v.  4703).  Mis  pères  et  le  tuen  furent 
mult  ami  (Livre  des  Rois).  N'a  si  prodom  desi  que  an  Ponti 
(Les  Narbonnais,  v.  3052).  Dui  si  preudome  (Chev.  au  lion, 
V.  5970).  //  est  si  très  homme  de  bien  (Jodelle,  Eugène,  II,  se.  3). 
Un  très  homme  de  bien  (Racine,  Œuvres,  VII,  36).  Vous  êtes 
sergent,  monsieur,  et  très  sergent  (Racine,  Plaideurs,  II,  se.  4). 
—  Dans  la  langue  moderne  on  se  sert  surtout  de  très.  Ex- 
emples: //  a  raison,  très  raison  (Maupassant,  Mont-Oriol, 
p.  344).  Et  vous  êtes  amis? —  Très  amis  (Daudet,  Sapho,  p.  258). 
Ils  ont  l'air  très  amis  (Bourget,  Complications,  p.  144).  //  lui 
avait  fait  très  peur  (Daudet,  Fromont  jeune,  p.  221).  Ils  ont 
très  hâte  de  vous  voir  (Loti,  Mon  frère  Yves,  p.  304).  C'est  déjà 
très  alliance  russe  cet  attelage  à  trois  (Bourget,  Complications, 
p.  256).  A  côté  de  pauvres  diables  très  prix  de  Rome,  très  cha- 
marrés, très  surchargés  de  commandes  gouvernementales  .  .  .  (Re- 
vue bleue,  1900,  I,  p.  485).  Délicate,  nerveuse,  très  femme,  douée 
d'une  finesse  remarquable,  elle  avait  pris  sa  tâche  à  cœur 
(G.  Weill,  L'école  saint-simonienne,  p.  100). 


330 

2"  Par  le  préfixe  archi-,  voir  §  472, 2. 

3<^  Par  différents  adjectifs  dont  il  faut  surtout  signaler  fm, 
qui  s'employait  très  souvent  au  moyen  âge  devant  des  sub- 
stantifs (parfois  aussi  adverbialement  devant  des  adjectifs,  des 
participes  passés  et  des  adverbes)  pour  exprimer  une  idée  de 
superlatif.  On  trouve  dans  la  vieille  langue  les  combinaisons 
dest  fine  vérités,  a  fine  force,  par  fine  paour,  de  fine  ire,  au  fin 
commencement,  sur  la  fine  pointe  du  jour,  etc.,  etc.;  voir  Gode- 
froy.  Dans  cet  emploi,  fin  qui  est  un  adjectif  verbal  tiré  de 
finir,  conserve  sa  signification  primitive:  qui  atteint  la  limite, 
extrême.  On  trouve  dans  la  farce  de  Patelin  fine  famine  (v.  29), 
fin  droit  maistre  (v.  45),  fin  fol  (v.  1428).  Comparez  encore 
les  exemples  suivants:  Quant  fay  fm  froit  (R.  de  Collerye, 
Rondeaux).  Au  fin  feu  de  l'enfer  (Montaiglon,  Recueil  de  poé- 
sies, Vil,  54).  Tout  fin  nu  en  belle  chemise  (Coquillart,  II,  258). 
Je  me  couchis  tout  fin  nu  (Cyrano  de  Bergerac,  Pédant  joué, 
V,  se.  10).  En  fin  fond  de  forêts  (Molière,  Les  Fâcheux,  v.  490). 
//  parle  tout  fin  droit  comme  s'il  lisoit  dans  un  livre  (Médecin 
malgré  lui,  II,  se.  1).  Laquelle  maladie  .  .  .  pourrait  bien  dé- 
générer ...  en  fine  frénésie  et  fureur  (M.  de  Pourceaugnac,  I, 
se.  7).  Cet  emploi  de  fin  a  été  conservé  dans  quelques  locu- 
tions: Le  fm  fond  de  la  mer.  Le  fin  mot  de  l'affaire.  Le  fm 
premier.  Tout  fin  seul,  etc.  Les  patois  en  font  encore  un  usage 
très  étendu.  Godefroy  remarque:  »0n  dit  encore  en  Lorraine, 
fin  plein,  pour  tout  à  fait  plein;  en  Picardie:  //  est  fin  bête, 
—  Toute  fine  seule.  —  J'ai  fin  froid;  dans  la  Beauce  le  fm 
mitan,  pour  le  beau  milieu;  dans  le  district  de  Valenciennes, 
il  est  fm  sot;  dans  le  pays  wallon  et  la  Suisse  romande,  il 
est  fin  saoul;  dans  le  Jura:  Elle  est  fine  belle,  pour  dire 
qu'une  jeune  fille  est  très  belle.  On  trouve  dans  le  Glossaire 
du  Centre  de  la  France  par  le  comte  Jaubert:  Le  fm  bout  de 
mon  bâton.  La  fine  pointe  d'une  aiguille.  Le  fm  bord  d'un  fossé. 
Le  fin  fait  du  clocher.  Fine  pointe  du  jour.« 

4"  Par  la  terminaison  -issime.  Malherbe  crée  chevillissime, 
pour  dire  'tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  cheville'  ;  en  citant  un  vers 
de  Desportes,  il  ajoute  ces  seuls  mots:  Cheville,  chevillissime 
(Œuvres  complètes,  IV,  417).  Rappelons  aussi  le  vers  de  Mo- 
lière: Mascarille  est  un  fourbe,  et  fourbe  fourbissime  (L'Etourdi, 
II,  se.  5). 


LIVRE   TROISIÈME. 

LES  NOMS  DE  NOMBRES. 


479.  Le  système  latin  de  numération  a  été  conservé  tel  quel 
dans  toutes  les  langues  romanes;  deux  seuls  changements  sont 
à  noter.  En  Roumanie,  une  forte  influence  slave  a  produit  les 
formes  un  spre  zece  (mot  à  mot  :  un  ajouté  à  dix),  doi  spre  zece, 
etc.,  qui  remplacent  un  de  ci  m,  du  ode  ci  m,  etc.,  et  doue  zeci 
(mot  à  mot:  deux  dix),  trei  zeci  (trois  dix),  etc.  qui  remplacent 
viginti,  triginta,  etc.  Au  nord  de  la  France,  comme  en  Si- 
cile, le  système  vicésimal  s'est  introduit  à  côté  du  système 
décimal  (§  489). 


CHAPITRE  I.       - 

NOMBRES   CARDINAUX. 


480.  La  plupart  des  nombres  cardinaux  français  dérivent 
directement  des  noms  latins  correspondants;  on  a  seulement 
abandonné  les  formes  synthétiques  de  17  à  19  (septemdecim, 
etc.)  et  les  composés  de  centum  (ducenti,  etc.),  qui  ont  été 
remplacés  par  des  combinaisons  nouvelles  (§  482).  Il  faut  du 
reste  remarquer: 

P  Dans  la  vieille  langue,  les  nombres  1,  2,  3,  20,  100  étaient 
déclinables  et  changeaient  de  forme  suivant  le  cas,  le  genre 
et  le  nombre.  Après  le  moyen  âge,  cet  état  de  choses  a  été 
notablement  changé  :  la  variation  de  cas  a  tout  à  fait  disparu 


unus 

uns 

unum 

un 

uni 

un 

unos 

uns 

332 

(§  275);  1  varie  encore  de  genre,  20  et  100  de  nombre,  tandis 
que  2  et  3  sont  devenus  invariables. 

20  Pour  les  noms  de  nombre  1—10,  20,  80,  90,  100,  la 
langue  moderne  présente  des  formes  doubles,  mêmes  triples, 
dues  à  la  phonétique  syntaxique;  comp.  un  ami  [œnami]  (il  y 
en  a  même  qui  disent  [ynami]),  et  un  sou  [œsu];  deux  amis 
[dozami]  et  deux  sous  [desu];  dix  hommes  [dizom],  dix  francs 
[difrà]  et  fen  veux  cfza:  [gàvodis],  etc.;  voir  notre  Manue/ p/ione- 
iique,  §  160. 

481.  Les  nombres  1 — 10. 
1"  Unus.  Voici   les   formes   conservées   de  ce   mot  en  vieux 
français  : 

una  une 

un  a  m  une 

unas  (§  235)      unes 
u  n  a  s  unes 

Des  formes  citées,  la  langue  moderne  n'a  conservé  que  un  et 
une.  Sur  l'absence  d'élision  qu'on  rencontre  parfois  devant  un, 
voir  I,  §  282  et  plus  loin  sous  huit  et  onze. 

Remarque.  Dans  la  vieille  langue,  un  était  souvent  remplacé  par  en  preu 
(ou  empreu).  En  voici  quelques  exemples  :  An  preu  et  deus  et  trois  et  quatre 
(Chev.  au  lion,  v.  3167;  ainsi  le  ms.  H.).  En  preu  cucu,  Et  deus  cucu  et  trois 
cucu  (Couronn.  Renart,  v.  217).  Je  commencherai  volontiers.  Empreu!  Et  deus! 
Et  trois!  Et  quatre  (Jeu  de  Robin  et  Marion,  v.  497).  Nous  les  aulneron;  Si 
sont-elles  cy,  sans  rabattre:  Empreu,  et  deux,  et  trois,  et  quatre,  Et  cinq,  et 
six  (Patelin,  v.  268 — 271).  Sous  la  forme  empreut,  notre  mot  est  cité  par 
presque  tous  les  grammairiens  du  XVI^  siècle.  Henri  Estienne  nous  donne 
l'explication  du  t  paragogique;  il  remarque:  y>Empreut  pour  en  preut,  quand 
on  commance  à  conter,  h  nqwtov  (Traicté  de  la  conformité  du  language 
Français  avec  le  Grec.  Paris,  1565.  P.  146).  Après  le  XVI^  siècle,  empreu  dis- 
paraît de  la  langue  littéraire.  Il  s'est  conservé  en  Suisse  sous  la  forme  em- 
prô,  qui  est  à  la  fois  le  début  et  le  nom  d'une  formulette  de  jeu  usitée  à 
Genève.  Quant  à  l'origine,  preu  est  probablement  le  substantif  ordinaire  pro, 
preu  (de  prode),  profit;  empreu  est  donc  une  sorte  de  souhait  de  bonheur, 
une  parole  de  bon  augure  prononcée  au  moment  où  l'on  commence  à  comp- 
ter: on  sait  que  selon  des  croyances  superstitieuses  très  répandues,  compter 
porte  malheur  (comp.  Samuel,  II,  chap.  24). 

2°  Duo.  Le  latin  classique  offre  au  nom.  et  à  l'ace,  les 
formes  suivantes:  duo,  duos  (duo)  — duœ,  duas.  En  latin 


333 

vulgaire  duo  est  remplacé  par  *dui  (cf.  roum.  doï,  v.  it.  dui), 
du 86  cède  la  place  à  duas  (§  235),  et  pour  le  neutre,  on  se 
sert  de  du  a.  Voici  le  développement  de  ces  formes  en  fran- 
çais: 

*dui         dui,  doi  duas         does 

duos       dous,  deus  duas         does 

Observations.  —  a)  Les  deux  formes  du  cas  sujet  mascu- 
lin s'employaient  indistinctement;  dans  un  même  fableau  (Re- 
cueil Montaiglon,  n°  LXII)  on  trouve  doi  (debui):  andoi 
(v.  26),  et  au  jour  d'ui:  andui  (v.  272).  Le  nominatif  disparaît 
avec  la  déclinaison  (§  275)  ;  il  se  retrouve  encore  dans  E.  Des- 
champs :  cil  doy  {n°  CCCLX,  26)  et  Froissart  :  Tout  doi  se  sont 
mis  ou  chemin  (Méliador,  v.  3501).  La  tendance  à  remplacer 
doi  par  dous  se  montre  déjà  dans  le  ms.  O  de  la  Chanson  de 
Roland  :  De  cent  millers  n'en  poent  guarir  dous  (v.  1440),  où 
dous  est  une  altération  due  au  scribe  anglo-normand.  Notez  la 
locution  dui  a  dui  ou  deus  a  deus.  —  b)  La  forme  féminine 
doues  se  trouve  seulement  dans  l'Est:  Doues  pièces  (Yzopet  de 
Lyon,  V.  252).  Des  doues  pars  (ib.,  v.  1774).  An  douefsj  par- 
ties (Floovant,  v.  250).  Doues  moût  belles  figures  (Romania,  VII, 
193).  Les  autres  dialectes  n'offrent  aucune  trace  de  cette  forme; 
ils  la  remplacent  par  le  masculin  dous,  deus,  qui  sert  pour  les 
deux  cas:  Juste  des  sunt  les  dous  testes  (Brandan,  v.  933). 
Entre  les  deus  furceles  (Roland,  v.  1294).  On  trouve  très  rare- 
ment doi  au  nom.  fém.  :  Etes  estoient  doi  serors  (Floire  et 
Blancheflor,  p.  3).  —  c)  Le  cas  régime  masculin  deus  est  la 
seule  des  anciennes  formes  conservée  jusqu'à  nos  jours.  On 
écrit  arbitrairement  deux  (comp.  §  283),  et  on  le  prononce  [do] 
ou,  devant  une  voyelle,  [doz];  le  parler  vulgaire  connaît  aussi 
[dos],  qu'on  écrit  deusse,  et  qui  est  probablement  la  dernière 
trace  de  la  prononciation  primitive. 

3*^  Très  )  treis,  trois.  Par  la  soustraction  du  s  final  (comp. 
§  264,  Rem.)  on  avait  créé  dans  la  vieille  langue  une  forme 
spéciale  pour  le  nominatif  masculin,  d'où  la  déclinaison  trei 
(troi)  —  treis  (trois).  Exemples:  //  en  seront  honi  tout  troi 
(Chev,  au  lyon,  v.  3754).  De  ses  barons  apela  treis  (Rou,  II, 
V.  4411).  Au  féminin  on  n'emploie  que  trois:  Et  les  trois  par- 
ties (Villehardouin,  §  123).  Le  neutre  tria  (trea)  se  retrouve 
dans  le  vfr.  treie  troie,   qui  signifie  le  nombre  trois  au  jeu  de 


334 

dés:  S'il  ne  gete  troie  et  as  z7 /'a  perc/u  (Bartsch,  ChrestomathieS 
p.  366, 15).  La  langue  écrite  moderne  ne  connaît  que  la  seule 
forme  trois;  la  langue  parlée  distingue  entre  [trwa]  (donne  m'en 
trois,  trois  personnes),  [trwaz]  (trois  heures),  et,  vulgairement, 
[trwas]  (troisse).  Comp.  les  remarques  sur  deux. 

4^  Quattuor  devient  en  latin  vulgaire  quattor  (I,  §  452,3) 
d'où  quatre  (écrit  aussi  au  moyen  âge  katre,  catre,  qatre). 
Dans  la  langue  moderne  on  prononce  [katra],  [katr]  ou  parfois 
[kat];  cette  dernière  forme  s'emploie  devant  une  consonne.  On 
dit  ainsi  quatre  enfants  [katrQfà],  quatre-vingts  [katrgvè],  quatre 
sous  [katsu]  ou  [katr9su],  j'en  veux  quatre  [zàvekatr];  comp. 
notre  Manuel  phonétique,  §  56.  La  langue  vulgaire  emploie 
aussi  quatres,  prononcé  [katraz]  ou  plus  souvent  [katz].  Dobert 
(1650)  remarque:  »Pluzieurs  prononset  des  s  ancore  k'èles  ne 
soêt  en  l'écriture,  pour  randre  plus  gracieuse  la  prononse, 
comme  quand  on  dit  katres  amours,  ...  se  ki  et  plus  agréable 
que  de  dire  katr'  amours,  par  élizion«.  Hindret  (1687)  reproche 
à  des  gens  de  la  cour  et  de  Paris  de  dire  les  quatres  éléments. 
Ce  »  velours  «  (I,  §  289)  est  autorisé  par  l'Académie  dans  la 
locution  entre  quatre  yeux  qui  se  prononce  [Qtrakatrazjo]  ou 
plutôt  [Qtrakatzjo].  Partout  ailleurs  cette  prononciation  est  re- 
gardée comme  un  vulgarisme:  • 

J'I'ai  vu  porter  en  terre 
Par  quatre-z-officiers. 

(Chanson  de  Marlbroiigh.) 

Il  dit:  Viv'  la  République 
J'ai  sauvé  quatr'z'  électeurs. 

(Mac  Nab,  Marche  des  scolaires.) 

L'origine  de  cette  liaison  s'explique  facilement;  elle  est  due 
sans  doute  à  l'analogie:  on  a  dit  quatres  officiers  sur  le  modèle 
de  deux  officiers,  trois  officiers.  Il  est  curieux  de  remarquer  que 
la  forme  quatres  se  trouve  déjà  au  moyen  âge:  Cilz  quatres  con 
loiaus  amis  (Yzopet  de  Lyon,  v.  285;  comp.  v.  289). 

5°  Quinque.  Par  une  dissimilation  régressive  (I,  §  513), 
quinque  devient  en  latin  vulgaire  *cinque,  d'oii  se  dé- 
veloppe régulièrement  cinc,  remplacé  par  la  graphie  étymo- 
logique cinq.  Rappelons  aussi  les  vieilles  formes  dialectales 
chuinc,  cuinc  (Bastart  de  Bouillon,  p.  319).  De  cinq  se  dé- 
veloppe   devant    un    mot   commençant   par    une    consonne   le 


335 

doublet  cin(q) ;  on  dit  ainsi  j'en  ai  cinq  [gQeseik],  cinq  hommes 
[sèkom],  mais  cinq  francs  [sèfrà].  Cette  prononciation  est  déjà 
indiquée  par  Chifflet  (1659).  Dans  le  parler  familier  de  nos 
jours  la  forme,  longue  est  en  train  de  se  généraliser,  et  on  re- 
vient ainsi  à  la  prononciation  uniforme  du  moyen  âge.  Il  n'y 
a,  cro3^ons-nous,  aucune  raison  de  regretter  ce  développement 
très  naturel  comme  le  fait  M.  Remy  de  Gourmont:  »On  en- 
tend à  Paris  des  gens  ornés  de  gants  et  peut-être  de  rubans 
violets  dire:  sette  sous,  cinque  francs:  le  malheureux  sait  l'ortho- 
graphe, hélas!  et  il  le  prouve»  (Esthétique  de  la  langue  fran- 
çaise, p.  124). 

6"  Sex  devient  régulièrement  sis  (I,  §  197),  remplacé  par  la 
graphie  étymologique  six.  L'ancienne  prononciation  [sis]  ne 
s'est  maintenue  que  devant  une  pause  :  il  y  en  a  six  [iliànasis]  ; 
devant  une  voyelle,  la  sifflante  finale  sourde  est  devenue  so- 
nore: six  ours  [sizurs],  et  devant  une  consonne,  elle  s'est  amuïe 
(I,  §  465):  six  fois  sept  [sifwaset].  Le  latin  sex  est  ainsi  repré- 
senté dans  la  langue  moderne  par  trois  formes  différentes: 
[sis],  [siz],  [si]. 

7^  Septem,  en  latin  vulgaire  *  sette,  devient  régulièrement 
set,  remplacé  par  la  graphie  étymologique  sept.  Dans  la  langue 
parlée  moderne  on  a  les  deux  formes  [s£t]  (j'en  ai  sept,  sept 
enfants)  et  [se]  (sept  jours)  ;  sur  la  généralisation  de  cette  der- 
nière forme,  voir  ci-dessus  les  remarques  sur  cinq. 

8"  Octo  devient  en  vfr.  oit  ou  uit,  selon  les  dialectes;  on 
trouve  dès  le  XII*'  siècle  huit.  Ce  h,  étant  purement  ortho- 
graphique et  dû  au  seul  désir  d'éviter  la  confusion  de  u  ini- 
tial avec  V  (comp.  I,  §  479,  Rem.),  ne  se  prononçait  pas.  De- 
puis le  commencement  du  XVIP  siècle,  huit  est  regardé  comme 
commençant  par  un  h  aspiré,  et  on  dit  le  huit  sans  élision 
et  les  huit  sans  liaison.  Cette  particularité,  déjà  observée  par 
Vaugelas  (Remarques,  I,  152),  est  probablement  due  à  l'ana- 
logie des  autres  noms  de  nombres  qui  commencent  tous  (ex- 
cepté un  et  onze)  par  une  consonne:  le  six,  le  sept  amènent  le 
huit.  Dans  la  vieille  langue  l'élision  était  permise  :  Près  duit 
ans  (Berte,  v.  1694).  Plus  d'uit  jors  (Fergus,  p.  145,24).  Si 
j'eusse  failly  d'huit  jours  (Marg.  de  Navarre,  Lettre  XCIX). 
L'ancienne  prononciation  est  encore  conservée  dans  les  com- 
posés dix-huit  [dizyit]  et  vingt-huit  [vètyit].  Ces  deux  exemples 
nous    montrent    aussi   la   conservation   de  la   consonne   finale 


336 

devant  une  pause;  elle  s'entend  également  devant  une  voyelle: 
huit  heures  [yitœrr],  mais  elle  est  nulle  devant  une  consonne: 
huit  sous  [yisu]. 

9"  Novem  >  nuef,  neuf.  Ce  mot  se  prononce,  selon  le  cas, 
[nœf]  ou  [no],  rarement  [nœv].  Exemples:  Charles  neu/"  [Jarbnœf], 
neuf  mois  [nomwa],  neuf  heures  [nœvœ:r]  ;  comp.  Manuel  pho- 
nétique, §§  160,  161, 3.  Constatons  aussi  l'existence  d'une  pro- 
nonciation qui  admet  le  s  paragogique  dont  nous  avons  parlé 
ci-dessus  (voir  quatre);  dans  »Eugénie  Grandet«,  H.  de  Balzac 
fait  dire  au  notaire:  //  est  neuffe-s-heures  (p.  46). 

10"  Decem  >  diz,  dis,  écrit  fautivement  dix  sur  le  modèle  de 
six.  Pour  la  prononciation  de  la  consonne  finale,  dix  se  com- 
porte comme  six. 

482.  Les  noms  de  nombres  11 — 19. 

1°  Undecim  >  onze.  Il  faut  remarquer  que,  depuis  longtemps, 
onze  est  regardé  comme  commençant  par  un  h  aspiré,  et  qu'on 
prononce  en  parler  soigné  le  onze  [l95:z],  les  onze  [le5:z],  /7s 
étaient  onze  [ilzet80:z].  Cette  particularité  s'explique  par  l'ana- 
logie avec  les  autres  noms  de  nombre  (voir  sous  huit).  Au 
moyen  âge  l'usage  était  hésitant:  D'onze  m.  homes  qe  il  orent 
avant  (Raoul  de  Cambrai,  v.  3500).  Richars  li  Restorés  la  on- 
sime  mena  (Bastars  de  Bouillon,  v.  3002).  Le  onziesme  jour  du 
moix  de  Mars  (document  messain  de  1390).  Au  XVII^  siècle  le 
onzième  est  condamné  par  Vaugelas:  »Plusieurs  parlent  et 
écriuent  ainsi,  mais  tres-mal.  Il  faut  dire  V onziesme;  car  sur 
quoy  fondé,  que  deux  voyelles  de  cette  nature,  et  en  celte  si- 
tuation, ne  fassent  pas  ce  qu'elles  font  par  tout,  qui  est  que 
la  première  se  mange  ?«  {Remarques,  I,  156).  Les  grammairiens 
suivants  ne  lui  ont  pas  donné  raison;  ils  demandent  presque 
tous  la  non-élision  de  la  voyelle  précédente.  Pourtant  l'usage 
reste  flottant;  le  Dictionnaire  de  l'Académie  n'ose  rien  décider; 
il  admet  le  onze  du  mois  et  Vonze  du  mois  (éd.  de  1718),  l'on- 
zième page  et  la  onzième  page  (éd.  de  1762).  Dans  le  langage 
familier  de  nos  jours  on  dit  couramment  Vonze  du  mois,  nous 
n'étions  qu'onze,  l'onzième,  etc.,  et  plusieurs  auteurs  imitent  cet 
usage:  //  est  tout  près  d'onze  heures  (Bourget,  Cosmopolis, 
p.  56).  Il  n'est  pas  loin  d'onze  heures  (Pierre  Maël,  Dernière 
pensée,  p.  56).  Rappelons  aussi  le  nom  de  plante  belle  d'onze 
heures. 


337 

2^  Duodecim  devient  en  latin  vulgaire  *dodece,  d'où  douze. 

30  Tredecim  )  "''tredece  >  ireze,  treize  (I,  §  156). 

4"  Quattuordecim  )  •■'quatto  rdece  )  quatorze. 

5*^  Quindecim  )  '-'quindece  )  quinze. 

6^  Sedecim  )  '-'sedece  >  seze,  seize  (I,  §  156).  Comp.  l'ita- 
lien sedici,  et  l'espagnol  diez  ij  seis. 

7°  Septemdecim,  remplacé  par  decem  et  septem  )  dis  et 
set  y  dix-sept. 

8^  Octodecim,  remplacé  par  decem  et  octo  )  dis  et  uit  ) 
dix- huit. 

9°  Novemdecim,  remplacé  par  decem  et  novem  )  dis  et 
nuef  )  dix-neuf. 

483.  Les  noms  de  nombre  20—90. 

P  Viginti.  La  forme  vulgaire  de  ce  mot  a  été  venti  ou  vinti 
(comp.  C.LL.,  VIII,  8573),  d'où  en  français  vint  (sur  l'influence 
de  1'/  posttonique,  voir  I,  §  155,  Cas  isolés),  remplacé  par  la 
graphie  étymologique  vingt.  Quoique  invariable  en  latin,  ce 
nom  de  nombre  fléchit  en  français,  et  cela  depuis  les  plus  an- 
ciens temps,  dans  les  multiples:  Set  vinz  tors  (Chardry,  Josaphaz, 
V.  1742).  Mil  et  cent  et  quatre-vinz  et  dix  sept  anz  (Villehar- 
douin,  §  1).  Treis  vinz  et  dis  (Livre  des  Rois,  p.  23).  Douze 
vins  livres  de  tournois  (Joinville,  §  136),  Quatorze  vins  homes 
armés  (ib.,  §  219).  Quatre  vins  et  quatorze  (Chanson  d'Antioche, 

I,  p.  267).   Quatre  cens  quatre  vingtz  quarante  et  quatre  (Rabelais, 

II,  chap.  2).  On  trouve  aussi  quelques  exemples  de  vingt  in- 
variable: Huit  vin  en  ot  a  sa  baniere  (Bel  Inconnu,  v.  5464). 
Onze  vint  i  poissiez  choisir  (Garin  le  Loherain,  II,  p.  143).  Set 
vin  mil  armes  ont  promis  (Wace,  Brut,  II,  p.  136).  On  lit  en- 
core dans  Racine  six-vingt  (Plaideurs,  v.  228).  Dans  la  langue 
moderne,  vingt  ne  varie  pas  dans  les  multiples,  quand  il  est 
suivi  lui-même  d'un  autre  nom  de  nombre:  quatre-vingts,  mais 
quatre-vingt-dix;  c'est  une  subtilité  arbitraire  et  récente;  on 
trouve  p.  ex.  dans  Voltaire  quatre  vingts  et  un  ans,  quatre 
vingts  mille  francs,  mais  quatre-vingt  deux  ans,  etc.  (voir  Rev. 
de  phil.  franc.,  VIII,  154).  Selon  l'Arrêté  ministériel  du  26  fé- 
vrier 1901,  on  tolérera  le  pluriel  de  vingt  et  de  cent,  même 
lorsque  ces  mo.ts  seront  suivis  d'un  autre  adjectif  numéral.  Ex.: 
quatre  vingt  ou  quatre  vingts  dix  hommes;  —  quatre  cent  ou 
quatre  cents  trente  hommes.    Pour   la  prononciation,   il  faut  re- 

22 


338 

marquer  qu'on  prononce  [vè],  mais  [vètdo],  [vëttrwa],  [vètkatr], 
etc.  (comp.  [katravedo],  [katravètrwa],  etc.).  Cette  particularité 
a  été  observée  déjà  par  Ménage  qui  dit:  »Pour  représenter  la 
prononciation  Parisienne,  j'écrirois  vinte-deax,  vinte-trois,  comme 
on  écrit  trente-deux,  trente-trois  «  {Observations,  p.  363).  Elle  re- 
monte du  reste  bien  plus  haut:  on  peut  la  constater  déjà  au 
moyen  âge,  oii  se  rencontre  parfois  la  forme  vinte  (pour  les 
exemples,  voir  ASNS,  vol.  95,  p.  319),  due  probablement  à 
l'influence  de  trente,  quarante,  etc. 

2°  Triginta.  Dans  la  langue  vulgaire,  le  g  est  tombé,  d'où  tri- 
ent a  (comp.  C.I.L.,  XII,  5399;  Le  Blant,  n«  679;  id..  Nouveau 
recueil,  n^  295),  trenta,  et  en  français  trente. 

3"  Quadraginta.  Le  g  tombe  dans  la  langue  vulgaire,  d'où 
quadrainta  ()  esp.  cuarenta,  port,  quarenta)  et,  avec  change- 
ment d'accent  (cf.  I,  §  137,  2),  quadranta  >  quarranta  (Le 
Blant,  Nouv.  rec,  n°  66)  )  fr.  quarante  (comp.  cat.  et  it.  qua- 
ranta). 

4°  Quinquaginta,  en  gallo-roman  *cinquanta,  d'où  cin- 
quante (comp.  it.  cinquanta). 

5''  Sexaginta,  en  gallo- roman  *sexanta,  d'où  seissante, 
soissante,  remplacé  par  soixante  (comp.  it.  sessanta). 

6°  Septuaginta,  en  gallo-roman  *settanta,  d'où  en  vfr. 
setante,  plus  tard  septante  (comp.  it.  settanta).  On  le  trouve  en- 
core dans  Molière:  Quatre  mille  trois  cent  septante-neuf  livres 
douze  sols  huit  deniers  à  votre  marchand  (Bourgeois  gentilhomme, 
III,  se.  4),  dans  Bossuet,  dans  Voltaire,  et  même  dans  Rostand: 
Septante  fois  sept  fois  pardonnez  !  C est  mon  culte  (La  Samaritaine, 
p.  79).  Pourtant  ce  n'est  qu'un  usage  exceptionnel,  dû  surtout 
à  un  certain  désir  d'archaïsme,  car  après  le  XV*'  siècle  septante 
ne  s'emploie  guère  dans  la  langue  littéraire.  Il  a  été  remplacé 
par  soixante- dix  qu'on  trouve  déjà  dans  Ogier  le  Danois 
(v.  7317),  combinaison  curieuse  des  systèmes  décimal  et  vicé- 
simal  et  probablement  modelée  sur  trois  vins  dis  (§  490).  Mé- 
nage remarque:  »I1  faut  dire,  dans  le  discours  familier,  soixante- 
dix,  quatrevint,  quatrevint  dix,  &  non  pas  septante,  octante,  no- 
uante. Mais  en  termes  d'Aritmetique  &  d'Astronomie,  on  dit 
fort  bien  septante,  octante,  nouante.  On  dit  aussi  Septante,  en 
parlant  des  Interprètes  de  la  Bible.  Et  ce  seroit  mal  parler 
que  de  les  appeller  Les  Soixante  dix:  si  ce  n'est  qu'on  ajou- 
tast  Interprètes  de  la  Bible«   {Observations,  p.  361). 


339 

7^  Octoginta,  en  gallo-roman  ==octanta  (provenant  de  *oc- 
tuaginta,  fait  sur  septuaginta?),  d'où  en  vieux  français 
oitante  ou  uitante,  et  le  doublet  savant  octante  (comp.  it.  ot- 
tanta).  A  côté  de  ce  mot,  depuis  longtemps  vieilli  et  relégué 
aux  patois,  on  trouve  dès  les  plus  anciens  textes  quatre  vinz, 
maintenant  quatre-vingts  (comp.  §  489). 

8*^  Nonaginta,  en  gallo-roman  *nonanta,  d'où  en  vfr.  no- 
uante (comp.  it.  novanta).  Voltaire  s'est  encore  servi  de  ce 
mot  :  //  porta  le  sceptre  des  rois,  Et  le  garda  jusqu'à  nouante 
(Épigrammes).  Littré  remarque:  »Nonante  a  vieilli  et  c'est 
dommage;  il  est  resté  très  usité  en  Suisse,  en  Savoie  et  dans 
le  midi  de  la  France*. 

484.  Centum  >  cent.  Ce  mot,  invariable  en  latin,  fléchit  en 
français  dans  les  multiples  :  Treis  cenz  anz  (Chardry,  Set  Dor- 
marts,  V.  1383).  Mil  dous  cenz  quarante  et  huit  (Joinville,  §  110), 
etc.  En  1762,  l'Académie  écrivit  encore  neuf  cents  mille.  La 
règle  qui  demande  l'invariabilité  de  cent,  quand  il  est  suivi 
d'un  autre  nom  de  nombre  (deux  cents,  mais  deux  cent  trois), 
est  arbitraire  et  récente;  l'Arrêté  ministériel  du  26  février  1901 
y  a  porté  remède,  et  on  tolérera  désormais  quatre  cents  trente, 
etc.  Ajoutons  que  cent  reste  invariable,  quand  il  est  précédé 
de  l'article  partitif:  J'ai  vu  des  cent  et  des  mille  conscrits  dé- 
périr (Erckmann-Chatrian,  Homme  du  peuple). 

Remarque.  Les  noms  de  nombres  composés  de  centum,  ducenti,  tre- 
centi,  quadringenti,  etc.  ont  tous  disparu;  on  les  a  remplacés  par  les 
combinaisons  nouvelles  deux  cents,  trois  cents,  quatre  cents,  etc. 

485.  Mille  )  mil.  Cette  forme  ne  devrait  servir,  d'après  son 
origine,  qu'au  singulier  :  Mil  colps  i  fiert  (Roland,  v.  2090). 
Auec  lui  vinrent  mil  nobile  baron  (Raoul  de  Cambrai,  v.  2893). 
Cependant  dès  les  plus  anciens  textes  on  l'emploie  aussi  au 
pluriel:  Cel  jorn  i  out  cent  mil  lairmes  ploredes  (St.  Alexis, 
V.  595).  Vint  mil  chevaliers  (Roland,  v.  548).  Trente  mil  (Aiol, 
V.  9394),  etc.  Au  pluriel  on  trouve  aussi  mille,  mile  (mire)  ou 
mille,  emprunté  du  lat.  mi  lia:  Vint  mille  humes  (Roland,  v.  13). 
Set  mille  chevaliers  i  troverent  (Voyage  de  Charlemagne,  v.  336). 
Mil  mars?  Voire  par  foi,  trois  mile  (Chev.  au  lion,  v.  1279),  etc. 
Mais  dès  le  XII*'  siècle,  mille  s'emploie  également  au  singulier 
et  se  confond  tout  à  fait  avec   mil:  De  dis  mil  homes  j'ai  en 

22* 


340 

ma  coinpaignie,  —  N'en  remaint  pas,  mien  escient,  un  mile 
(Chevalerie  Ogier,  v.  5453).  Au  XVP  siècle  on  emploie  encore 
indistinctement  mil  et  mille;  témoin  les  vers  de  J.  du  Bellay: 

Mille  doux  mots  doucement  exprimés, 
Mil  doux  baisers  doucement  imprimés. 

Mais  bientôt  mille  triomphe,  et  mil  n'est  employé  que  dans  la 
numération  des  années  du  premier  millésime  (on  écrit  pour- 
tant l'an  mille).  En  citant  un  vcîrs  de  Crétin  :  Un  jour  vaut 
cent,  et  une  heure  dix  mil,  Ménage  remarque:  »I1  n'y  a  plus  que 
les  Notaires  &  les  Praticiens  qui  écrivent  ce  mot  de  la  sorte. 
Il  faut  prononcer  &  écrire  mille.  Trois  cent  mille  piétons;  une 
heure,  en  vaut  dix  mille.  Si  ce  n'est  en  datant  les  années  du 
jour  de  la  Nativité  de  Nostre  Seigneur:  car  en  ce  cas,  il  faut 
dire  mil,  &  non  pas  mille.  L'an  mil  cinq  cens  quatre-vint-dix. 
L'an  mil  quatre  cents  cinquante.  Mil  six  cents  treize,  &c.«  (Ob- 
servations, p.  358).  Les  règles  de  Ménage  sont  restées  en 
usage  jusqu'à  nos  jours.  Béranger  a  probablement  obéi  aux 
exigences  de  la  rime  quand  il  écrivait:  Celles-ci  sont  pour 
l'an  trois  mil,  —  Ainsi  soit-il  (Ainsi  soit-il).  —  Ajoutons  que, 
selon  l'Arrêté  ministériel  du  26  février  1901,  on  tolérera  dans 
la  désignation  du  millésime,  mille  au  lieu  de  mil,  comme  dans 
l'expression  d'un  nombre.  Ex.:  l'an  mil  huit  cent  quatre  vingt 
dix  ou  Van  mille  huit  cents  quatre  vingts  dix. 

Remarque  1.  On  trouve  sporadiquement  en  vieux  français  mils  et  surtout 
miles  au  pluriel:  S'ot  bien  XIII  miles  mengans  (Cheval,  as  deus  espees, 
V.  12291).  La  ou  d'abbes  avoii  miles  (Coincy,  Miracles,  123,  eig).  Plus  de 
trente  mils  (G.  le  Loherain,  I,  3).  Cet  essai  de  déclinaison,  dû  en  partie  aux 
besoins  de  la  rime,  disparaît  vite,  et  n'a  jamais  été  repris  après  le  moyen 
âge.  Vaugelas  remarque  expressément  qu'on  dit  deux  mille,  et  non  pas  deux 
milles  (Remarques,  II,  111).  Ménage  est  du  même  avis,  et  il  ajoute:  »Je  lui 
ay  mille  obligations,  et  non  pas  mille  sobligations,  comme  disent  la  pluspart 
des  Dames:  qui  est  une  faute  épouvantable*  {Observations,  p.  358).  Elles 
disaient  également,  selon  le  témoignage  d'autres  grammairiens,  mille-s-amitiés, 
mille-s-honnêtetés,  etc.;  sur  l'origine  de  ce  velours,  voir  1,  §  289. 

Remarque  2.  Dans  les  millésimes  composés  on  pouvait  autrefois  élider 
mil.  Voici  ce  qu'en  dit  Ménage:  >I1  est  à  remarquer,  que  quand  nous  par- 
lons d'une  chose  qu'on  sait  qui  s'est  passée  depuis  quelques  années,  nous 
omettons  le  mot  de  mil.  Cela  arriva  Van  600,  au  lieu  de  Van  1600.  Et  nous 
omettons  mesme  le  mot  de  cents,  quand  nous  parlons  d'une  chose  qui  s'est 
passée  depuis  peu.  Cela  arriva  en  trente-six:  pour  dire,  en  mil  six  cents 
trente-six^  {Observations,  p.  360).  Comp.  en  italien:  Dante  fiorl  nel  trecento. 
La  rivoluzione  del  89,  etc. 


341 

486.  Le  nombre  1,000,000  s'exprimait  au  moyen  âge  par 
mil  milie,  dis  feis  cent  mile,  milante  mil.  Au  XIV^  siècle  on 
crée,  probablement  à  l'imitation  de  l'italien,  le  dérivé  million, 
resté  dans  la  langue  jusqu'à  nos  jours.  De  million  on  tire, 
par  changement  de  suffixe,  milliard,  pour  dire  mille  mil- 
lions, et  militasse,  pour  dire  mille  milliards.  Un  million  de 
millions  s'exprimait  au  XVI^  siècle  par  billion,  composé  irré- 
gulier de  bis,  qui  indique  le  redoublement,  et  million;  il  s'em- 
ploie maintenant  comme  synonyme  de  milliard.  Un  autre  com- 
posé irrégulier  est  trillion  pour  tri-million;  il  signifie  main- 
tenant mille  billions;  au  XV!**  siècle  il  s'employait  pour  un 
million  de  billions. 

487.  On  unissait  autrefois  les  nombres  à  additionner,  dans 
une  expression  numérique  complexe,  par  la  conjonction  et:  Dis 
et  set  (Saint  Alexis,  v.  161).  Dis  et  iiit  (Couronnement  de  Louis, 
V.  39).  Dis  et  nuef  (Coincy,  Miracles,  p.  125).  Vint  et  quatre 
(Couronnement  de  Louis,  v.  2429).  Vint  et  sis  (ib.,  v.  45).  No- 
nante  et  nuef  (ib.,  v.  12).  M/7  et  cent  (ib,,  v.  74).  Soissante  et 
dis  (Miracles  de  N,  D.,  n"  8,  v.  286).  M/7  et  cent  et  quatre-vinz 
et  dix  sept  anz  (Villehardouin,  §  1),  etc.  Sur  cet  et  A.  D'armes- 
teter  a  fait  l'observation  suivante:  »Cette  conjonction  ne  s'é- 
crivait pas,  quand  on  mettait  les  nombres  en  chiffres,  et,  dans 
des  textes  en  vers  du  moyen  âge,  il  est  souvent  nécessaire  de 
la  rétablir  à  la  lecture  pour  conserver  au  vers  sa  mesure. 
L'usage  de  lire  les  nombres  tels  qu'on  les  écrivait  et  un  besoin 
de  rapidité  amenèrent  graduellement  la  suppression  de  et« 
(Cours  de  grammaire,  §  136).  On  trouve  encore  dans  Molière 
quarante  et  deux  (École  des  femmes,  I,  se.  1),  soixante  et  trois 
(Malade  imaginaire,  I,  1).  Dans  la  langue  actuelle,  et  ne  s'em- 
ploie ordinairement  que  devant  »un«:  vingt  et  un,  trente  et  un, 
quarante  et  un,  cinquante  et  un,  soixante  et  un,  les  mille  et  un 
jours,  les  mille  et  une  nuits,  et  dans  soixante  et  onze.  Il  faut 
remarquer  qu'on  dit  quatre-vingt-un,  cent  un,  quatre-vingt-onze. 

488.  Finissons  par  examiner  le  sort  de  ambo,  qui  s'était 
conservé  dans  la  vieille  langue  sous  les  formes  suivantes: 

ambo  am  ambas  (§  235)  ambes 

ambos  ans  ambas  ambes 


342 

Il  accompagnait  surtout  des  noms  désignant  des  choses  qui 
se  comptaient  par  deux:  Ambes  lavres  (St.  Léger,  v.  157), 
ambes  mains  (Alexis,  v.  387;  Roland,  v.  2931),  ambes  les  mains 
(St.  Brandan,  v.  204),  ambes  les  eles  (Girart  de  Viane,  p.  124); 
très  fréquentes  sont  les  combinaisons  ambes  pars  et  ambes  as, 
dont  la  dernière  s'est  conservée  jusqu'à  nos  jours  dans  le  sub- 
stantif ambesas.  La  forme  masculine,  qu'on  trouve  dans  la 
Passion  (Am  se  paierent  a  cel  jorn,  v.  208),  ne  paraît  conser- 
vée dans  la  langue  d'oïl  qu'unie  à  duo.  Voici  les  formes  de 
cette  combinaison: 

ambo  *dui  andui  ambas  duas         ambesdous 

ambo(s)  duos     an(s)dous      ambas  duas         ambesdous 

Exemples  :  Deu  en  apelent  andoi  parfitement  (Alexis,  v.  23). 
El  palais  montent  andui  li  chevalier  (Raoul  de  Cambrai,  v.  61). 
Fors  de  la  teste  li  met  les  oilz  ambsdous  (Roland,  v.  1355).  Au 
col  li  met  ses  bras  andous  (G.  de  Palerne,  v.  9477).  Cuntre  lo 
ciel  ambesdous  ses  mains  jointes  (Roland,  v.  2015).  Pourtant 
l'emploi  de  ces  formes  est  assez  flottant,  et  dès  les  plus  an- 
ciens textes,  le  féminin  se  prend  pour  le  masculin,  et  vice 
versa.  Au  XIV*^  siècle,  E.  Deschamps  emploie  endeux:  Les 
femmes  Jacob  sont  louées  Et  endeux  assez  esprouvées  (Œuvres 
complètes,  IX,  v.  6866),  et  ambedoy  (ib.,  v.  9706). 

489.  Le  système  vicésimal  s'emploie  dans  quelques  dialectes 
de  l'Italie  du  Sud,  surtout  le  sicilien,  où  l'on  compte  par  ven- 
tine,  notamment  quand  il  s'agit  d'ans:  Quant'  anni  avili?  — 
Tri  vintini  e  deci  (^=  sellant'  anni) ;  ensuite  sporadiquement  au 
midi  de  la  France,  où  on  se  sert  de  multiples  de  vint:  très 
vint  (60),  quatre  vint  (80),  sieis  vint  (120),  trege  vint  (260),  des 
e  nou  vint  (380),  etc.;  enfin  au  Nord  de  la  France,  où  ce  sys- 
tème était  d'un  usage  étendu  déjà  au  moyen  âge.  On  comp- 
tait dans  la  langue  d'oïl  par  vingtaines  jusqu'à  dix-huit  vingts; 
la  langue  moderne  n'en  a  gardé  que  les  traces  isolées  quatre- 
vingts  et  quatre-vingt-dix  (sur  soixante-dix,  voir  §  483,  e).  En 
dehors  des  langues  romanes  on  trouve  le  système  vicésimal 
par  ex.  en  danois:  très  (60),  abréviation  de  tresinstyve  (c.  à  d. 
trois  fois  vingt),  halvtres  (50)  pour  halvtresinstyve  (deux  et 
demi  fois  vingt),  firs  (80)   pour  firsinstyve   (quatre  fois  vingt). 


343 

halvfjers  (70)  pour  halvfjersinstyve  (trois  et  demi  fois  vingt), 
halvfems  (90)  pour  halofemsinstyve  (quatre  et  demi  fois  vingt). 
En  Danemark,  cette  manière  de  compter  est  indubitablement 
d'origine  assez  récente  ;  il  en  est  probablement  de  même 
en  Sicile  et  en  Provence;  pour  la  langue  d'oïl  au  contraire, 
on  a  supposé  que  le  système  vicésimal  était  un  héritage  des 
Gaulois.  Pourtant,  les  pauvres  restes  que  nous  possédons  de 
leur  langue  ne  nous  permettent  pas  de  constater  qu'ils  ont 
connu  ce  système  ;  nous  savons  seulement  que  d'autres  peuples 
celtiques  s'en  servent.  Nous  le  retrouvons  notamment  en  cam- 
brique  et  dès  les  plus  anciens  textes,  mais  rien  n'indique  qu'il 
soit  primitif  chez  les  Celtes  et  qu'il  remonte  assez  haut  pour 
avoir  pu  servir  de  modèle  aux  Gallo-Romans. 

490.  Voici  les  formes  médiévales  du  système  vicésimal: 
30,  Vint  et  dis  (Le  Roux  de  Lincy:  Chants  historiques,  I, 
p.  157).  —  40,  deus  vins.  —  60,  trois  vins.  —  70,  trois  vins  et 
dis.  —  80,  quatre  vins.  —  90,  quatre  vins  et  dis.  —  120,  sis 
vins.  —  140,  set  vins.  —  160,  huit  vins.  —  180,  neuf  vins.  — 
220,  onze  vins.  —  240,  douze  vins.  —  280,  quatorze  vins.  —  300, 
quinze  vins.  —  320,  seize  vins.  —  340,  dis  set  vins.  —  360,  dis 
huit  vins. 

De  ces  noms  de  nombres  la  langue  moderne  n'a  gardé  que 
quatre  vins  et  quatre  vins  et  dis,  devenus  quatre-vingts  et  quatre- 
vingt-dix.  On  a  remplacé  trois  vins  et  dis  par  soixante-dix,  qui 
représente  ainsi  un  compromis  entre  les  deux  systèmes.  Six- 
vingts  s'employait  encore  au  XVII*'  siècle:  Vous  passerez  les  six- 
vingts  (Molière,  Avare,  II,  se.  5).  Une  autre  fois,  six-vingts 
(Bourg,  gentilhomme,  III,  se.  4).  Six-vingt  [sic]  productions 
(Racine,  Plaideurs,  v.  228).  Cinq-vingts  et  sept  vingts  s'em- 
ployaient encore  au  XVP  siècle:  Que  ne  suys-je  roy  pour  cinq 
ou  six  vingts  ans  (Régnier,  Sat.  III).  Environ  sept  vingts  faisans 
(Rabelais,  I,  chap.  27).  Les  autres  disparaissent  déjà  au  moyen 
âge. 

Remarque.  On  a  gardé  quinze-vingts  dans  le  nom  de  l'asile  d'aveugles 
onde  par  Saint  Louis:  Les  aveugles  que  fonda  saint  Loys  Qui  quinze  vins 
sont  en  une  maison  (liustache  Deschamps,  V,  388).  Ménage  remarque  dans 
ses  Observations  (p.  360):  »Quand  on  parle  du  lieu  que  S.  Louis  a  fondé  à 
Paris  pour  les  Aveugles,    ou   bien   de   ces  Aveugles,   il  faut  dire  les  Quinze- 


344 

vints,    &   non   pas   les  Trois  cents:    si   ce  n'est  en  vers;    comme  a  dit  M.  de 
Malleville,  page  341. 

De  Testât  où  je  suis,  je  n'ay  qu'un  pas  à  faire, 
Afin  de  m'enrôler  au  nombre  des  Trois  cents. 

Villon  a  dit  demesme. 

Item,  je  donne  aux  Quinze-vints, 
(Qu'autant  vaudroit  nommer  Trois-cents) 
De  Paris;  non  pas  de  Provins; 
Car  à  eux  tenu  ne  me  sens». 


CHAPITRE  II. 

NOMBRES  ORDINAUX. 


491.  Les  adjectifs  numéraux  ordinaux  remontent  au  latin  ou 
sont  de  nouvelles  formations  françaises. 

1*^  Des  ordinaux  latins  les  douze  premiers  sont  conservés 
dans  la  vieille  langue,  où  ils  sont  représentés  par  premier, 
second,  tierz,  quart,  quint,  sixte,  setme,  uitme,  nuefme,  disme,  on- 
zime  (onzième),  dozime  (dozieme).  De  ces  mots  la  langue  mo- 
derne n'a  gardé  comme  adjectifs  numéraux  que  premier,  second, 
onzième,  douzième. 

2"  Pour  remplacer  les  formes  disparues  et  pour  suppléer  aux 
adjectifs  ordinaux  latins  non  transmis  en  français,  on  a  créé 
de  nouveaux  dérivés,  le  plus  souvent  tirés  des  nombres  car- 
dinaux correspondants  à  l'aide  des  suffixes  -ième  (§  493)  ou 
-ain  (§  496). 

Remarque.  Le  suffixe  latin  -esimus,  qui  se  trouve  dans  vicesimus, 
centesimus,  millesimus,  etc.  se  rencontre  parfois  au  moyen  âge  sous  les 
formes  -esme  et  -oisme  (région  orientale);  la  langue  moderne  conserve  ca- 
rême qui  remonte  à  *quaresima,  de  quadragesima. 

492.  NOxMBRES  ORDINAUX  D'ORIGINE  LATINE. 

P  Primum  >  prim,  prin;  prima  }  prime.  Ce  mot,  conservé 
dans  la  vieille  langue  comme  substantif  au  sens  de  commence- 


345 

• 
ment  et  comme  adjectif  au  sens  de  fin,  délicat,  ne  s'employait 
que  très  rarement  comme  nombre  ordinal  et  seulement  dans 
quelques  combinaisons  toutes  faites:  prin  saut,  prin  soir,  prin 
some,  prin  tens  (ou  tens  prin),  et  prime  face,  prime  rose.  Il  faut 
remarquer  qu'on  a  employé  de  très  bonne  heure  la  forme  fé- 
minine aux  deux  genres  (comp.  §  389),  d'où  des  combinaisons 
telles  que  prime  saut,  prime  soir.  La  langue  moderne  n'a  con- 
servé l'ancien  masculin  que  dans  printemps,  tandis  que  prin- 
saut  a  été  remplacé  par  prime  saut,  et  le  dérivé  prinsautier 
(encore  dans  Cotgrave)  par  prime-sautier .  Au  XVI*'  siècle,  prime 
s'employait  couramment  comme  nombre  ordinal;  c'était  une 
mode  savante  qui  n'a  pas  survécu  à  la  Renaissance. 

En  effet,  p ri  m  us,  dans  sa  fonction  de  nombre  ordinal,  a 
été  remplacé,  en  Gaule,  par  *primarius,  d'oii  premiers,  pre- 
mier, et  au  féminin  première.  Dans  la  vieille  langue  ce  mot 
s'employait  aussi  dans  les  nombres  composés;  on  trouve 
par  ex.  vyntysme  premier  (voir  Burguy)  ;  pourtant  cet  usage 
était  rare,  et  on  disait  ordinairement  vint  et  unime  (voir  §  494). 
Pour  la  prononciation,  il  faut  remarquer  qu'on  hésitaît  au 
XVII^  siècle  entre  premier  et  premier;  Ménage  remarque:  »Je 
suis  de  l'avis  de  ceux  qui  disent  premier «.  Celte  prononcia- 
tion s'entend  encore,  quoique  l'usage  officiel  se  soit  décidé 
pour  [pramje]. 

Remarque.  Dans  les  jeux  d'enfant  premier  s'abrège  souvent  en  prem, 
comme  dernier  devient  dcr  ;  dans  l'argot  de  Paris  on  dit  preii  pour  premier 
étage  ou  pour  le  meilleur  ouvrier  de  l'atelier. 

2^  Secundum  n'a  pas  survécu  comme  nom  de  nombre  (on 
le  retrouve  peut-être  dans  l'ancienne  préposition  son  <(  ''^seont); 
il  fut  remplacé  dans  la  langue  populaire  par  alterum,  d'où 
altre,  autre:  La  première  est  de  Canelius,  les  laiz,  Valtre  est  de 
Turcs  et  la  tierce  de  Pers  (Roland,  v.  3240).  Autre  conserve  sa 
fonction  d'adjectif  numéral  jusqu'au  XVI^  siècle,  mais  non 
d'une  manière  incontestée.  Déjà  au  XIF  siècle,  la  langue  sa- 
vante avait  repris  secundum  sous  la  forme  second,  tandis 
que  la  langue  populaire  avait,  un  peu  plus  tard,  tiré  deusième 
de  deus,  et  ces  deux  formes  supplantent  peu  à  peu  autre. 

3"  Tertium  >  tierz,  tiers;  tertia  )  tierce.  Cet  adjectif  ordinal 
est  resté  en  usage  jusqu'au  commencement  du  XVII®  siècle; 
on  le  trouve  encore  dans  La  Fontaine  :  Le  premier  passe  ainsi 


346 

fait  le  deuxième;  Au  tiers  il  dit:  que  le  diable  y  ait  part  (Contes, 
I,  no  11).  Dans  la  langue  actuelle,  il  ne  s'emploie  que  dans 
quelques  expressions  toutes  faites  :  Le  tiers  état,  la  tierce  épreuve, 
la  fièvre  tierce,  le  tiers  et  le  quart,  etc. 

4*^  Quartum  )  quart,  cart;  quarta  >  quarte,  carte;  cet  adjec- 
tif est  resté  en  usage  jusque  dans  le  XVP  siècle:  Le  premier 
lui  apprenait  la  religion;  le  second  a  estre  tousjours  véritable;  le 
tiers  a  se  rendre  maistre  des  cupidités;  le  quart  à  ne  rien  craindre 
(Montaigne,  Essais,  I,  chap.  24).  Nous  le  retrouvons  dans  La 
Fontaine,  comme  archaïsme:  Un  quart  voleur  survint  (Fables, 
I,  n°  13).  La  langue  moderne  conserve  notre  mot  dans  quelques 
locutions  toutes  faites  :  le  quart  an  ou  le  quartan,  la  fièvre  quarte, 
la  seime  quarte,  consulter  le  tiers  et  le  quart,  parler  du  tiers  et 
du  quart,  être  en  quart,  etc.;  rappelons  aussi  les  substantifs 
quart  (la  quatrième  partie  d'un  tout)  et  quarte. 

5°  Quintum  )  quint;  quint  a  )  quinte.  Exemple:  Le  secont 
et  le  tiers  ochist  et  afola  Et  le  quart  et  le  quint  a  la  tere  versa 
(Gaufrey,  v.  3095).  On  avait  aussi  une  forme  analogique  dia- 
lectale cieme,  faite  probablement  sur  le  modèle  de  setme:  Li 
ciemes  péchiez  (St.  Grégoire,  éd.  Fôrster,  p.  295).  On  trouve 
dans  la  langue  actuelle  Charles-Quint,  Sixte-Quint,  fièvre  quinte, 
le  quint  d'un  revenu,  le  droit  de  quint;  comp.  quintessence,  pour 
quinte  essence,  et  le  terme  de  musique  quinte. 

6°  Sextum)  siste;  on  n'a  aucune  trace  d'une  forme  sist,  qui 
serait  le  développement  régulier  du  primitif  latin,  elle  a  été 
remplacée  dès  les  plus  anciens  textes  par  siste.  Exemples:  Le 
siste  signe  e  mistrent  (Comput,  v.  1848).  Le  siste  fil  q'Aymeri 
angendra  (Les  Narbonnais,  v.  3238).  Qu'au  sixte  jour  dudit 
mois  fu  conduit  (E.  Deschamps,  Œuvres,  I,  n°  LV,  v.  13). 
Rappelons  enfin  les  trois  substantifs  suivants:  sexte,  emprunté 
du  latin  ecclés.  sexta  (h  or  a);  sixte,  altération  savante  de 
siste;  sieste,  emprunté  de  l'esp.  siesta  (repos  de  la  sixième 
heure). 

7°  Septimum  et  septima  sont  devenus,  selon  les  dialectes, 
setme  (sietme),  sedme,  sepme,  semé  (sieme)  ;  on  trouve  aussi 
sesme  (siesme),  dont  le  s  est  dû  à  l'influence  de  disme.  Ces 
formes  disparaissent  au  XIV^  siècle,  supplantées  par  setième, 
septième. 

8^  Octavum  n'a  pas  survécu  en  français  sous  une  forme 
populaire:    on    ne    trouve    nulle    trace    d'un    masculin    '-oitou 


347 

(comp.  c  la  vu  m  )  clou),  et  le  féminin  oiteve  (o  et  a  va)  existe 
seulement  comme  substantif.  La  forme  savante  octave  s'em- 
ployait surtout  dans  la  combinaison  Voctave  jour,  et  comme 
substantif.  Comme  adjectif  numéral  on  s'est  servi  dès  les  plus 
anciens  textes  de  la  forme  analogique  oime,  oidme,  oitme  (uime, 
uidme,  uitme),  remontant  probablement  à  *o*ctimus,  fait  sur 
le  modèle  de  septimus.  Elle  cède  de  bonne  heure  la  place 
à  huitième. 

9^  Nonum,  dont  le  féminin  se  retrouve  dans  le  terme  litur- 
gique none  (cf.  angl.  noon)  <  non  a  (hora),  a  été  remplacé 
dès  les  plus  anciens  textes  par  une  forme  analogique  neume, 
nuefme  remplacé  de  bonne  heure  par  neuvième.  En  Bretagne, 
neume  a  été  conservé  jusqu'au  XVIIP  siècle,  comme  substan- 
tif pour  désigner  le  droit  qu'avaient  les  curés  de  prendre  la 
neuvième  partie  des  meubles  de  leurs  paroissiens  décédés. 

lO*'  Decimum  )  dime  ;  on  trouve  aussi  disme,  dû  probable- 
ment à  l'influence  de  dis.  On  a  conservé  ce  mot  comme 
substantif,  dîme  (comp.  la  forme  savante  décime);  mais  comme 
adjectif  numéral  il  a  été  supplanté,  déjà  au  moyen  âge,  par 
disième,  dixième. 

11"  Undecimus  >  onzime  (Ph.  de  Thaun,  Comput,  v.  1439), 
onzième.  Ces  formes  sont  nées  sous  l'influence  de  onze;  un 
développement  régulier  aurait  probablement  donné  ondime. 

12"  Duodecimus  >  dozime,  dozieme  (formes  refaites  sur  doze); 
maintenant  douzième. 

493.  Nombres  ordinaux  de  création  française.  Les  nou- 
veaux nombres  ordinaux  français  sont  tirés  des  nombres  car- 
dinaux correspondants  à  l'aide  de  la  terminaison  -ième,  dont 
l'origine  est  assez  obscure.  Au  moyen  âge  elle  se  présente  sous 
les  deux  formes  -ime  (ou  -isme)  et -ieme  (ou  -iesme);  on  trouve 
troisime  (Guill.  d'Angleterre)  et  troisième  (Roman  de  la  Rose), 
quatrime  (Bastart  de  Bouillon,  v.  1950)  et  quatrième,  cinquisme 
(Erec,  V.  1165)  et  cinquiesme  (Villehardouin,  §  163),  etc.,  etc. 
Selon  toute  probabilité,  -ime  est  la  forme  la  plus  ancienne,  et 
elle  paraît  remonter  à  la  terminaison  -e  ci  m  us  qui  se  trouve 
dans  undecimus,  duodecimus,  etc.  Un  développement  ré- 
gulier de  ces  mots  aurait  donné  ondime,  douime,  etc.;  mais 
l'influence  des  cardinaux  correspondants  a  dû  les  changer  en 
onzime  et  dozime  (la  forme  collatérale  -isme  est  probablement 


348 

due  à  l'influence  de  disme).  En-core  plus  obscure  est  l'origine 
de  -ieme  (-iesme)  ;  c'est  peut-être  une  variante  dialectale  (occi- 
dentale) de  -ime,  introduite  par  on  ne  sait  quel  hasard  dans 
la  langue  littéraire. 

494.  Nombres  ordinaux  simples. 

P  Unième.  Ce  mot  ne  se  dit  point  seul;  il  ne  s'emploie  que 
dans  les  nombres  composés  :  Vingt  et  unième,  deux  cent  trente 
et  unième,  mille  et  unième,  etc.  Il  se  trouve  déjà  au  moyen  âge 
(voir  §  492,  i),  mais  l'Académie  ne  l'a  admis  qu'en  1740  (il  se 
trouve  dans  Furetière). 

Remarque.  Citons  comme  un  fait  de  curiosité  que  dans  l'argot  actuel  des 
soldats,  unième  peut  s'employer  isolé:  Bibi  de  deuxième  à  la  unième  du  trois 
(Villatte). 

2"  Les  autres  ordinaux  simples  s'expliquent  tout  seuls:  deu- 
xième, en  vfr.  deusime,  deusieme;  troisième,  en  vfr.  treisime,  trei- 
sieme,  etc.,  etc.  ;  il  faut  ■  seulement  noter,  pour  l'orthographe, 
cinquième  (de  cinq),  et  pour  la  phonétique,  neuvième  (de  neuf). 

495.  Nombres  ordinaux  composés.  Dans  les  nombres  com- 
posés -ième  ne  s'ajoute  qu'au  dernier  nombre:  le  vingt-troisième, 
le  deux  cent  quatre-vingt-dix-neuvième,  etc.,  ce  qui  veut  dire 
que  le  nombre  cardinal  qui  sert  de  point  de  départ,  est  re- 
gardé comme  un  nombre  simple;  ce  procédé  se  trouve  aussi 
en  latin  dans  undecimus,  duodecimus,  unusetvicesi- 
mus  et  quelques  autres  formes,  mais  il  n'était  pas  très  em- 
ployé. Le  système  le  plus  généralement  suivi  par  le  latin  se 
manifeste  dans  tertius  decimus,  quartus  decimus,  vi- 
cesimus  tertius,  primus  et  tricesimus,  et  il  se  continue 
en  italo-roman  et  en  hispano-roman.  Pour  vicesimus  tertius 
on  trouve  en  it.  ventesimo  terzo,  en  esp.  vigésimo  tercero  et  en 
port,  vigésimo  terceiro,  en  face  du  fr.  vingt-troisième  (l'italien  a 
même  créé  decimoprimo,  decimosecondo,  etc.  à  côté  de  undice- 
simo,  dodicesimo,  etc.).  Abstraction  faite  de  ce  point,  les  formes 
françaises  ne  donnent  pas  lieu  à  beaucoup  d'observations: 
Dix-septième,  en  vfr.  dis  et  setme  ou  dis  et  setime  (setieme).  Dix- 
huitième,  en  vfr.  dis  et  uitme,  dis  et  uitisme,  dis  et  uitain.  Dix- 
neuvième,  en  vfr.  dis  et  nuefme,  dis  et  nuevime,  etc. 

Remarque.  Si  plusieurs  ordinaux  se  suivent,  reliés  entre  eux  par  et  ou  ou, 
-ième  ne  s'ajoute  quelquefois  qu'au  dernier:  La  langue  des  douze  et  treizième 


349 

siècles  (Liltré,  Hist.  de  la  langue  française,  I,  16).  //  est  dans  sa  trente-deux  ou 
trente-troisième  année.  La  quatre  ou  la  cinquième  page.  Pasquier  a  déjà  écrit 
les  quatre  et  dixiesme  (Recherches,  VII,  6),  et  les  grammairiens  du  XVIIe 
siècle  sanctionnent  des  phrases  telles  que:  C'est  la  cinq  ou  sixième  fois  que 
vous  me  faites  cela.  C'est  la  neuf  ou  dixiesme  de  ses  emblèmes  (Vaugelas, 
Remarques,  I,  217;  Ménage,  Observations,  p.  361).  C'est  par  une  brachylogie 
analogue  qu'on  dit  vingt-troisième  pour  vingtième-troisième  ;  comp.  en  esp. 
interior  y  exteriormente,  severa  pero  justamente,  etc. 

496.  Pour  former  des  nombres  ordinaux  on  s'est  aussi 
servi  de  la  terminaison  -ain;  elle  se  trouve  dans:  Premerain 
(Roland,  v.  122),  tierçain,  quartain,  quintain,  sisain  (R.  de 
Troie,  v.  8165),  setain,  uitain  ou  oitain  (ib.,  v.  305),  dizain,  un- 
zain,  douzain,  trezain,  quatorzain,  quinzain,  sezain,  dis  et  oitain, 
vintain.  Aucune  de  ces  formes  n'a  survécu  au  moyen  âge 
comme  adjectif  numéral. 


LIVRE  QUATRIÈME. 

LES  ARTICLES. 


CHAPITRE  I. 

L'ARTICLE   DÉFINI. 


497.  L'article  défini  inconnu  au  latin  classique  est  une  créa- 
tion propre  au  latin  vulgaire;  il  se  trouve  dans  toutes  les 
langues  romanes  et  dès  les  plus  anciens  textes.  C'est  partout 
un  pronom  démonstratif  (ille  ou  ipse)  qui  par  un  affaiblisse- 
ment graduel  de  sa  signification  primitive  a  reçu  la  fonc- 
tion plus  générale  réservée  à  l'article  défini  d'individualiser  le 
nom  qui  l'accompagne. 

1^  Ille  est  le  mot  le  plus  généralement  employé.  En  certains 
cas  syntaxiques  le  simple  homo  du  latin  classique  a  été  rem- 
placé dans  la  glus  grande  partie  du  domaine  roman,  par  ille 
homo:  fr.  V homme,  prov.  lo  om,  esp.  el  hombre,  port,  o  ho- 
mem,  ital.  Vuomo.  Dans  le  domaine  daco-roman  l'ordre  a  été 
inverti,  et  on  a  dit  homo  ille,  d'où  le  roum.  omul. 

Remarque.  On  trouve  des  traces  de  l'emploi  d'il  le  comme  article  dans 
la  »Vulgata«  et  r»Itala«.  Les  exemples  deviennent  plus  nombreux  dans  la 
»  Régula  Monachorum«  de  Saint  Benoît  (comp.  ALLG.,  IX,  493)  et  sont  fré- 
quents dans  les  chartes  latines  à  partir  du  \\^  siècle. 

2®  On  s'est  aussi  servi  sporadiquement  de  ipse;  la  formule 
ipse  homo  se  retrouve  actuellement  dans  la  Sardaigne  et 
les  îles  Baléares,  surtout  en  logodourien  et  en  majorquin 
{s' home).  L'emploi  de  ip  se  est  constaté  aussi  à  Ampurdan  (pro- 
vince de  Gerona),    mais    autrefois  il  a  dû  s'étendre  à  presque 


351 

tout  le  domaine  catalan  comme  au  gascon.  Une  trace  curieuse 
de  cet  article  se  retrouve  probablement  dans  Sebre,  nom  donné 
dans  la  chanson  de  Roland  au  fleuve  d'Ebre;  il  faut  admettre 
que  cette  forme  reproduit  le  S'Ebrii  f==  su  Ebru)  des  anciens 
Catalans. 

Remarque.  On  trouve_ipse  avec  la  valeur  de  l'article  défini  déjà  dans  la 
traduction  du  livre  de  Sirach  (ALLG.,  IX,  253);  il  alterne  avec  ille  dans  la 
»  Régula  monachorum«  (VI^  siècle),  et  il  est  assez  fréquent  dans  les  textes  mé- 
rovingiens; on  trouve  dans  la  Vie  de  Sainte  Euphrosjme  in  ipso  monas- 
terio,  ipsi  abbas,  ipse  vir,  in  ipsa  ecclesia,  etc. 

498.  Voici  un  tableau  des  vieilles  formes  françaises  de  l'ar- 
ticle défini;  elles  procèdent  du  démonstratif  ille  employé 
comme  proclitique  (cf.  I,  §  139,  i): 

.     SINGULIER. 

Masculin  Féminin 

Cas  sujet  li  la 

Cas  régime         lo,  le  la 

PLURIEL. 
Masculin  Féminin 

Cas  sujet  li  les 

Cas  régime         les  les 

De  ces  formes,  le  français  moderne  n'a  gardé  que  celles  du 
cas  régime:  le,  la,  les;  celles  du  cas  sujet  disparaissaient  au 
XIV^  siècle  avec  la  déclinaison  du  nom  (§  275).  Nous  ex- 
pliquerons dans  les  paragraphes  suivants  le  développement 
des  formes  françaises,  et  nous  verrons  comment  elles  s'abrègent 
en  certains  cas  selon  leur  emploi  proclitique  ou  enclitique. 

Remarque  1.  Des  traces  de  la  valeur  démonstrative  de  l'article  se  trouvent 
encore,  dans  plusieurs  expressions,  telles  que:  Les  choses  ne  se  passeront  pas 
de  la  sorte.  Pour  le  coup.  Faites-le  à  l'instant.  Il  partira  dans  la  huitaine. 
Signalons  aussi  un  nom  propre  comme  Villeneuve-la- G uyard  (c.  à  d.  Ville- 
neuve, celle  de  Guyard).  Dans  la  vieille  langue  ces  traces  sont  bien  plus 
nombreuses;  rappelons  p.  ex.  la  construction  les  d'Henry,  pour  dii^  les  fils 
d'Henry,  qui  éveillait  la  curiosité  de  Henri  Estienne  {Conformité,  p.  52). 

Remarque  2.  En  vieux  français  l'adjectif  démonstratif  peut  fonctionner 
comme  article  défini.  Exemple:  Voit  sor  ces  haubres  ces  oisellons  chanter, 
Et  parmi  Saine  ces  poissonsiaus  noer.  Et  par  ces  prés  ces  flors  renoveler 
(Raoul  de  Cambrai,  v.  6217 — 20).  Le  même  phénomène  se  retrouve  dans 
plusieurs  patois  modernes;  ainsi  en  picard  on  dit  ch'curé,  ch'marichau  pour 


352 

le  curé,    le   maréchal.    Nous   retrouvons   ici   le  même  affaiblissement  du  sens 
démonstratif  qui  a  eu  lieu  dans  il  le. 

499.  Observations  sur  les  formes  de  l'article. 

1°  Li    (au   singulier)    ne    remonte    pas  à  la  forme  classique 

ille  mais  à  illi,  forme  vulgaire  dont  l'existence  est  constatée 

à   partir   du  VI''  siècle    (voir  G.  Rydberg,    Zur    Geschichte    des 

franzôsischen  a,  p.  246  ss.),  et  qui  s'explique  peut-être  par  l'in- 

\  fluence  de    qui.    La    voyelle   finale   de   li  s'élidait  facultative- 

i  ment;  on  disait  au  moyen  âge  //  amis  ou  Vamis. 

2"  Lo    (lu   dans   un    ms.  de  St.  Alexis)  remonte  à  illum  et 
s'emploie  encore    dans   le  Roland;   après  le  XP  siècle,   il  s'af- 
faiblit  en    le  (comp.  jo  )  je,  §  525,  i)   au  Centre,    à  l'Ouest  et 
au  Nord;  la  vieille  forme  pleine  persiste  dans  les  dialectes  de 
l'Est,  de  l'Aunis  et  du  Poitou. 
/      3"  La  remonte  à  illa  (I,  §  173,  i).   La  voyelle  finale  s'élide 
J  dès  les  plus  vieux  textes  devant  un  nom  commençant  par  une 
/  voyelle:  Vamie,  Verbe,  etc. 

Remarque.  En  picard  on  disait  le  à  l'accusatif  (comme  me,  te,  se  pour 
ma,  ta,  sa),  et  cette  forme  affaiblie  se  retrouve  dans  les  noms  propres  De- 
lepierre,  Delerue,  Delegorgue,  etc.  L'effacement  de  la  distinction  des  genres  à 
l'accusatif  a  eu  pour  résultat  l'emploi  de  li  pour  la  au  nominatif  dans  les 
mêmes  dialectes. 


Q' 


4*^  Li  (au  pluriel)  provient  régulièrement  de  illi.  La  voyelle 
ne  s'élidait  jamais:  li  ami. 

5^  Les  remonte  à  illos  et  à  il  las;  les  formes  originaires 
qui  ont  dû  être  los  (Sponsus,  v.  16)  et  las,  se  sont  perdues 
en  français,  mais  le  vieux  provençal  les  a  conservées  (comp. 
cat.  et  esp.  los  las,  port,  os  as). 

500.  A  suivi  de  l'article  défini: 

1*^  A  -j-  lo  devient  al,  qui  se  change  en  au  devant  une 
consonne  (I,  §  342):  Al  conte  >  au  conte.  On  trouve  dans 
quelques  vieux  textes  la  graphie  o  pour  au. 

2^  A  -[-  les  devient  als  qui  se  réduit  de  bonne  heure  à  as 
(peut-être  sur  le  modèle  de  les).  On  trouve  als  altres  dans 
St.  Léger  (v.  206),  mais  la  Vie  de  Saint  Alexis  ne  connaît  que 
as.  Vers  la  fin  du  XIIF  siècle,  on  commence  aussi  à  se  servir 
de  aus  (aux),  qui  est  une  formation  analogique  faite  sur  le 
singulier  au.  Dans  la  Chirurgie  de  Henri  de  Mondeville  (1314) 


353 

on   trouve  indifféremment  as  et  aus.    La  vieille  forme  as  s'est 
conservée  en  lorrain. 

_    501,  De  suivi  de  l'article. 
;        1°  De  -]-  lo    devient   del:  Fors   del  sacrarie   (Alexis,  v.  293). 
j  Cette  forme  se  développe  de  trois  manières  différentes.  Le  plus 
^/  souvent   on  a  del  )  deu  )   du    (quant    au    développement    deu 
conte  y  du  conte,  on  peut  comparer  preud'  homme  )  prud  homme  ; 
voir  I,  §  302).    Mais  on  trouve  aussi  del  >  deu  )  dou,   et  bien 
I     plus   rarement  del  >  der  (Auberi,  p.  p.  Tobler,   p.  30,  i9,  36, 3) 
>  dor  (voir  Godefroy). 
^    2^  De  -|-  les   devient   dels,   qui   se   réduit  de  bonne  heure  à 
des  (^  les).   St.  Léger   offre   encore   dels  sanz  (v.  3),   mais  les 
textes  postérieurs  ne  connaissent  que  des,  forme  conservée  jus- 
qu'à nos  jours. 

502.  En  suivi  de  l'article. 

1°  En  -\-  lo  devient  enl,    qui   se  réduit   à  el,    d'où   eu.    Ex- 
emples:   Enz  enl  fou    (Eulalie,   v.  19);    el  paradis    (St.  Alexis, 
V.  544);  eu  prael  (Joinville,  §  97).  A  partir  du  XIII*^  siècle,  eu 
cède  la  place  à  ou   (on   écrit  aussi  o,  u),  peut-être  à  cause  de 
'    l'emploi   proclitique.    Dans   la  Chirurgie  de   Henri  de   Monde- 
ville  on  trouve  indifféremment  eu,  ou,  u.   La  forme    ou    s'em- 
i   ploie  jusque  dans  le  XV®  siècle  :  Ou  temps  de  ma  jeunesse  folle 
j    (Gr.  Test.,  str.  26).  On  trouve  aussi  dès  le  XIP  siècle  la  forme 
j    collatérale   on,    dont   l'explication  est  douteuse;    Rabelais   s'en 
V  sert  encore:  On  mois  d'Octobre  (Pantagruel,  chap.  1). 

f  Remarque,  Ou  a  disparu  devant  au,  qui  en  a  pris  les  fonctions.  Pour  ou 
J  moins,  ou  temps  de,  jeter  ou  feu,  etc.,  on  dit  maintenant  au  moins,  au  temps 
\  de,  jeter  au  feu;  comp.  la  locution  en  mon  nom  et  au  vôtre. 

2°  En  -f  les  devient  enls,  qui  se  simplifie  de  deux  manières 
/  différentes.  Par  la  chute  de  la  consonne  médiale  (I,  §  313, 2) 
\  on  a  ens  (plus  tard  ans,  ons),  qui  se  trouve  par  exemple  dans 
1  les  Sermons  de  St.  Bernard  et  sporadiquement  ailleurs;  mais 
!  cette  forme  était  peu  employée.  Par  la  chute  de  la  première 
consonne  (I,  §  313, 1)  on  a  els  qui  se  réduit  à  es.  Exemples: 
l    Els  porz  de  mar  (Fragment  d'Alexandre);   es-  bans  (St.  Alexis, 

I\^    V.  327);  es  cartres   (Roland,    v.  1684).    Es,    qui   est   peu  à  peu 
remplacé   par  dans   les  ou  aux,   est  d'un  emploi   fréquent  en- 
23 


354 

core  au  temps  de  la  Renaissance.  Mais  au  siècle  suivant  c'est 
un  mot  archaïque.  En  parlant  .des  expressions  juridiques  es 
mains  et  es  prisons,  Ménage  (1672)  dit:  »Cette  façon  de  parler 
qui  estoit  si  élégante  autrefois,  est  devenue  barbare  :  &  il  faut 
bien  prendre  garde  de  s'en  servir,  mesme  dans  le  Palais* 
(Observations,  p.  442).  Les  quelques  exemples  qu'on  en  trouve 
encore  dans  les  auteurs  classiques,  sont  plutôt  des  archaïsmes. 
Exemples  :  Quand  son  propre  mal-heur,  aussi  bien  que  le  vostre 
Sur  la  pointe  du  jour  le  fit  tomber  es  mains  D'un  esquadron 
(Mairet,  Sophonisbe,  v.  249).  Es  choses  temporelles  (Pascal, 
Provinciales,  n"  9).  Es  choses  spirituelles  (ib.,  n^  18).  Es  assigna- 
tions, dont  je  tiens  les  copies  (Regnard,  Le  joueur,  III,  4).  S'il 
advient  que  ces  petits  vers-ci  Tombent  es  mains  de  quelque  ga- 
lant homme  (Voltaire,  Mule  du  pape).  Le  vilain  que  ledit  pro- 
cureur ...  a  fait  constituer  es  prisons  (P.-L.  Courier).  Es  n'existe 
plus  que  dans  quelques  locutions  toutes  faites:  Verser  une  somme 
es  mains  de  qn.  Bachelier,  licencié,  docteur  es  lettres,  es  sciences. 
Maître  es  arts.  Ajoutons  aussi  quelques  noms  de  lieu  :  Saint-Pierre- 
ès-Liens,  Saint-Pierre-ès-Champs. 

Remarque.  Par  une  extension  analogique  curieuse,  es  s'emploie  dans  plu- 
sieurs néologismes  devant  un  substantif  au  singulier.  Exemples:  Les  éman- 
cipées es  littérature  (Annales  politiques  et  littéraires,  1899,  29  janv.).  Thèse 
de  doctorat  es  féminisme  (Revue  Bleue,  1899,  I,  p.  766).  Trois  docteurs  es 
théologie  (E.  Dujardin,  Les  lauriers  sont  coupés,  p.  15).  Un  maître  es  langue 
latine  doublé  d'un  professeur  d'histoire  (Maxime  du  Camp,  Théophile  Gau- 
tier, p.  15).  Cet  emploi  nous  montre  qu'on  n'a  plus  aucune  idée  de  l'ori- 
gine et  de  la  vraie  signification  de  es,  et  qu'on  le  regarde  comme  une  sorte 
de  préposition. 

503.  L'enclise  était  obligatoire  au  moyen  âge  comme  elle  l'est 
maintenant;  les  formes  contractées  s'emploient  dès  les  plus 
anciens  textes  à  l'exclusion  absolue  des  formes  pleines.  Si- 
gnalons pourtant  quelques  cas  particuliers: 

P  On  trouve  dans  la  vieille  langue  des  exemples  isolés  où 
la  contraction  ne  s'est  pas  produite:  Lors  carrent  a  les  armes  tuit 
(Jouffroi,  V.  2968;  comp.  v.  2420).  Si  s'entresfifejrent  li  dui 
conte  De  les  lances  par  les  blazons  (ib.,  v.  4507).  L'espee  li  sou- 
dans  hauca,  A  les  François  granz  cops  dona  (Octavian,  v.  4534). 
Enz  en  le  cuer  (Roman  de  la  Poire,  v.  558).  Gardés-m' Ogier 
dessi  qu'à  le  matin  (Ogier,  v.  2089;  comp.  v.  2096)  ;  la  locution 
a  le  matin  se  trouve  dans  plusieurs  autres  textes;  voir  Perce- 


355 

val,  V.  18296;  Richart  le  biel,  v.  3525;  Élie  de  St.  Gille,  v.  1045. 
La  raison  de  ces  irrégularités  nous  échappe. 

2°  Pour  la  langue  moderne,  je  ne  saurai  citer  que  le  vers 
suivant  pris  dans  une  chanson  populaire: 

Jusqu'à  le  noble  fils  du  roi  l'entend-il  de  sa  chambre. 

(Romania,  VII,  60.) 

3"  Faisons  enfin  remarquer  que  devant  les  noms  de  personnes 
qui  commencent  par  Le,  la  contraction  n'a  jamais  lieu:  les 
romans  de  Lesage.  Autrefois  il  y  a  eu  hésitation.  Saint-Simon 
écrit  alternativement   les  hommages  de  Le  Blanc  et  du  Blanc. 

504.  Après  la  mort  de  el  (en  le)  et  de  es  (en  les),  les  gram- 
mairiens interdisent  absolument  l'emploi  des  combinaisons  en 
le,  en  les.  On  les  trouve  pourtant  dans  plusieurs  auteurs  mo- 
dernes. Exemples  :  Je  vivais  en  le  souverain  détachement  de  l'hu- 
manité (Dujardin,  Les  lauriers  sont  coupés.  Paris,  1897.  P.  99). 
En  le  plus  grand  nombre  (Richepin,  Contes  espagnols,  p.  271). 
Nous  avons  rencontré  également  en  le  ciel,  en  le  livre,  en  le 
bon  droit,  en  les  moments,  en  les  races,  en  les  ténèbres,  etc. 

505.  Au  moyen  âge,  l'enclise  avait  lieu  dans  un  cas  parti- 
culier auquel  la  langue  moderne  n'offre  plus  rien  de  cor- 
respondant à  cause  des  changements  qui  se  sont  produits 
dans  l'ordre  des  mots.  On  pouvait  autrefois  intercaler  le  ré- 
gime entre  la  préposition  et  l'infinitif;  on  disait  par  la  pais 
faire,  au  lieu  de  par  faire  la  pais.  Dans  ces  constructions,  il 
n'y  a  aucun  rapport  syntaxique  entre  la  préposition  et  l'ar- 
ticle, mais  bien  un  rapport  phonétique  et  qui  exige  la  con- 
traction; on  disait  avons  envie  del  bourc  prendre,  comme  vo- 
lons del  conte  parler.  Exemples:  Grant  sunt  H  colp  as  helmes 
detrenchier,  c.  à  d.  à  trancher  les  heaumes  (Roland,  v.  3889). 
Quant  ce  vint  as  lances  baissier  (Villehardouin,  §  157).  Or  pen- 
sons del  remanant  garir  (ib.,  §  364).  Si  pristrent  conseil  del  Di- 
mot  secoure  (ib.,  §  426).  Et  si  est  maus  des  dous  enfans  tuer 
(Amis  et  Amiles,  v.  2930). 

Remarque.  II  en  était  de  même,  si  le  régime  du  verbe  était  le  pronom 
le:  Si  s'acorderent  al  faire  (Villehardouin,  §  24).  Li  roys  n'ont  pas  consoil 
dou  faire  (Joinville,  §  169). 


23* 


356 
CHAPITRE  II. 

L'ARTICLE  INDÉFINL 


506.  L'article  indéfini,  qui  se  retrouve  dans  toutes  les  langues 
romanes,  s'est  développé  en  latin  vulgaire,  où  dédit  nobis 
villa  m  a  été  remplacé,  en  certains  cas  syntaxiques,  par  de- 
dit  nobis   unam  vil  la  m.   Le  numéral  unus,   qui  signifiait 

I  d'abord  'un  seul',  passe  au  sens  de  'un  certain'  (quidam)  et 
1  finit  par  fonctionner  de  la  manière  très  vague  qui  est  le 
\propre  de  l'article  indéfini  des  langues  modernes. 

507.  L'article  indéfini  se  déclinait  au  moyen  âge  de  la  ma- 
nière suivante: 

SINGULIER. 

Masculin  Féminin 

Cas  sujet       unus       uns  una  une 

Cas  régime    unum     un  una  une 

PLURIEL. 
Masculin  Féminin 

Cas  sujet       uni  un  unas  (§235)  unes 

Cas  régime    un  os       uns  unas  unes 

De  ces  formes  on  n'emploie  après  le  XIV*'  siècle  que  celles 
du  régime:  (comp.  §  275)  un,  une,  uns,  unes.  Au  XVP  siècle, 
uns  et  unes  disparaissent  à  leur  tour,  de  sorte  qu'on  n'a  plus 
que  les  deux  formes  du  singulier.  Un  dernier  reste  du  pluriel 
se  trouve  dans  les  uns  (les  autres),  quelques-uns  et  quelques- 
unes. 

508.  Les  formes  du  pluriel  s'employaient  au  moyen  âge  au 
sens  de  'quelques',  surtout  avec  des  substantifs  désignant  des 
objets  qui  ne  se  présentent  généralement  pas  isolés:  Unes  bones 
genz  (Villehardouin,  §  54).  Et  avoit  unes  granz  joes,  et  un 
grandisme  nés  plat,  et  unes  granz  narines  lees,  et  unes  grosses 
lèvres  plus  roges  d'une  escharbocle,  et  uns  granz  denz  jaunes  et 
laiz,  et  estait  chauciez  d'uns  hoseaus  et  d'uns  solers  de  buef  (Au- 
cassin  et  Nicolete,   24, 17).    Unes    lettres  (Joinville,  §  66).    Unes 


357 

fourches  (ib.,  §  536).  Unes  belles  joustes  (Roman  des  sept  Sages, 
p.  76).  Uns  soûlas,  c.  à  d.  une  paire  de  souliers  (Paris,  Chan- 
sons du  XV*'  siècle,  p.  14).  Unes  botes  (Quinze  joies  de  mariage, 
chap.  4).  Unes  nouvelles  (Myst.  de  St.  Laurent,  v.  7221).  On 
trouve  encore  dans  Rabelais  unes  lettres,  unes  belles  décrétâtes, 
etc.  Comp.  en  espagnol  unas  casas,  unas  botas,  unos  anteojos, 
unas  tijeras,  etc. 

Remarque.  Au  singulier  un  correspond  dans  la  langue  actuelle  le  pluriel 
partitif  des  (§  509)  :  un  livre  —  des  livres^  une  maison  —  des  maisons,  un 
poulet  —  des  poulets,  etc. 


CHAPITRE  III. 

LARTICLE  PARTITIF. 


509.  La  langue  française  possède  un  troisième  article,  in- 
connu aux  autres  langues  romanes  (sauf  l'italien),   dont  voici 

les  formes: 

SINGULIER.  PLURIEL. 

du  (de  V)  de  la  (de  V)  des 

D'ordinaire  ces  formes  ne  s'emploient  qu'immédiatement 
devant  un  substantif:  du  pain,  de  la  viande,  des  pommes;  si  au 
contraire  le  substantif  est  précédé  d'un  adjectif,  l'article  se  ré- 
duit à  la  pure  préposition  de:  de  bon  pain,  de  mauvaise  viande, 
de  grandes  pommes. 

Remarque.  Il  faut  remarquer  qu'au  point  de  vue  de  la  signification  des 
ne  peut  pas,  dans  la  plupart  des  cas,  être  regardé  comme  le  pluriel  de  du 
(de  la).  Le  vrai  singulier  de  des  fruits  est  un  fruit,  et  non  pas  du  fruit. 
Comparer  les  trois  phrases:  J'ai  mangé  un  fruit.  J'ai  mangé  des  fruits. 
Comme  dessert  je  ne  mange  que  du  fruit. 

510.  Originairement  le  soi-disant  article  partitif  n'est  pas  un 
article.  Des  phrases  telles  que  il  mange  du  pain,  elle  cueille 
des  fleurs,  avaient  au  moyen  âge  une  signification  notablement 


y 


358 

différente  de  celle  qu'elles  ont  maintenant.  Dans  la  langue  ac- 
tuelle manger  du  pain  veut  dire  en  toute  généralité  se  nourrir 
de  la  substance  qu'on  appelle  pain;  du  pain  est  dit  sans  rap- 
port à  aucun  pain  déterminé.  Au  moyen  âge  il  en  était  autre- 
ment; mangier  del  pain  signifiait:  manger  une  certaine  quantité 
d'un  pain  déterminé,  du  pain,  de  ce  pain-ci,  de  ce  pain-là. 
De  même  ele  prist  des  flours  veut  proprement  dire  'elle  prit 
quelques-unes  des  fleurs'.  On  voit  facilement  que  dans  ces  phrases 
l'emploi  de  l'article  défini  était  en  effet  indifférent;  mangier 
del  pain  égalait  à  peu  près  mangier  de  pain:  Plus  hisdos  om 
ne  puet  de  pain  mangier  (Couronnement  Louis,  v.  510).  L'es- 
sentiel de  ces  constructions  c'est  la  préposition  de,  qui  avait, 
à  elle  seule,  la  valeur  partitive.  Donc,  ce  qu'on  appelle  main- 
itenant  article  partitif  est  graduellement  sorti  d'un  emploi 
Iparticulier  de  de. 

Remarque  1.  Un  régime  partitif  se  trouve  déjà  dans  le  latin  vulgaire,  qui, 
selon  Darmesteter,  avait  créé  la  tournure  edere  de  pane,  au  lieu  de  edere 
panem.  Ce  de  partitif  se  retrouve  au  moyen  âge  en  italien,  en  provençal, 
en  français,  et  assez  rarement  en  espagnol. 

Remarque  2.  Pour  mieux  faire  comprendre  la  nature  primitive  de  l'ar- 
ticle partitif,  nous  donnerons  un  choix  d'exemples  de  constructions  très  di 
verses,  mais  contenant  tous  un  de  partitif  suivi  de  l'article  défini  ou  d'un 
pronom:  Dont  prent  li  pedre  de  ses  meillors  serjanz  (Alexis,  v.  111).  Li  mar- 
chis  leur  offri  de  ses  chevax  et  de  ses  joiaus  (Rob.  de  Clari,  p.  4).  Si  vinrent 
demander  de  leur  nouveles  (ib.,  p.  43).  Si  s'entra  en  une  galie  et  de  ses  gens 
avec  lui  (ib.,  p.  19).  Si  leur  fu  bien  avis  que  ch'estoit  de  le  gent  l'empereur 
(ib.,  p.  20).  Envoierent  de  lor  nés  chargies  de  dras  (Villehardouin,  §  48). 
Perdu  avons  de  nos  amis  (Mystère  Saint  Laurent,  2065).  Voilà  de  mes  don- 
neurs de  conseils  à  la  mode  (Molière,  L'amour  Médecin,  I,  se.  1).  Je  garde 
dans  ma  cassette  de  leurs  billets  (Comtesse  d'Escarbagnas,  se.  2).  Je  trouvois 
de  mes  portraits  partout  (Montesquieu,  Lettres  persanes,  n°  XXX).  A  mer- 
veilles, Mademoiselle:  à  peine  fiancée  vous  faites  de  ces  apprêts  (Beaumarchais, 
Mariage  de  Figaro,  1,  se.  9).  Je  suis  curieuse  de  lire  de  son  style  à  ce  monsieur 
(Musset,  Il  ne  faut  jurer  de  rien,  II,  2).  J'ai  certainement  vu  de  cette  écri- 
ture-là quelque  part  (Musset,  Un  caprice,  se.  8).  //  jeta  à  la  vallée  de  ces 
regards  qu'on  a  pour  un  ami  retrouvé  (Tlieuriet,  Lucile  Desenclos).  —  A  ces 
tournures  françaises  on  peut  comparer,  pour  le  vieux  danois,  une  phrase 
telle  que:  /  lader  mig  af  eders  mœnd  (Grundtvig,  DgF,  III,  223). 

511.  L'emploi  de  l'article  partitif  était  assez  restreint  dans  la 
période  du  vieux  français;  on  disait  plus  souvent  mangier 
pain  que  mangier  del  (ou  de)  pain.  Il  est  resté  facultatif  jus- 
qu'à la  fin  du  XVI^  siècle;  et  on  trouve  sporadiquement  dans 


359 

les  auteurs  classiques  des  tournures  montrant  qu'on  pouvait 
se  passer  encore  au  XVIP  siècle  de  l'article  partitif  dans  plu- 
sieurs cas  où  son  emploi  maintenant  est  de  rigueur.  Nous  re- 
viendrons à  ces  questions  dans  la  Syntaxe,  et  nous  nous  con- 
tenterons de  donner  ici  une  série  d'exemples  de  l'article  par- 
titif dans  la  vieille  langue  : 

Si  'n  deit  hum  perdre  e  de  Vquir  e  de  l'peil  (Roland,  v.  1012). 
Si  'n  deit  hum  perdre  de  l'sanc  e  de  la  carn  (ib.,  v.  1119).  En 
l'orie  punt  asez  i  ad  reliques:  Un  dent  seint  Pierre  e  de  Vsanc 
seint  Basilic,  E  des  chevels  mun  seignur  seint  Denise  ;  De  Vveste- 
ment  i  ad  seinte  Marie  (ib.,  v.  2345 — 48).  Donrai  vos  tels  re- 
liques qui  feront  granz  vertuz,  Del  lait  sainte  Marie  don  alai- 
tat  Jesu,  ...  :  De  la  sainte  chemise  que  ele  out  revestut  (Pèle- 
rinage de  Charlemagne,  v.  187 — 89).  Tant  com  il  a  des  la 
chevece  Jusqu'au  fermail  d'antr'  overture,  Vi  del  piz  nu  sanz 
coverture  Plus  blanc  que  n'est  la  nois  negiee  (Cligès,  v.  844). 
On  pourroit  bien  canter  et  lire  De  le  sequenche  dou  haut  jour 
(Vrai  aniel,  v.  403).  Et  par  vive  force  montèrent  des  chevaliers 
sor  les  eschieles  (Villehardouin,  §  171).  Si  li  donra  un  de  ces 
jors  un  baceler  qui  du  pain  li  gaaignera  par  honor  (Aucassin 
et  Nicolete,  2, 32).  Elle  prist  des  flors  de  lis  et  de  Verbe  du 
garris  (ib.,  19, 12).  Del  ewe,  bêle,  me  baillez  (Tristan,  v.  979). 
De  l'aige  but,  ses  blances  mains  lavoit  (Huon,  v.  5561).  Chil 
ki  servoient  du  vin  et  du  claré  (ib.,  v.  5582). 

512.  Nous  citerons  à  part  quelques  exemples  où  le  substan- 
tif est  précédé  d'un  adjectif,  et  nous  verrons  que,  conformé- 
ment à  l'origine  de  l'article  partitif,  l'emploi  ou  l'omission  de 
l'article  défini  après  le  de  partitif  est  un  fait  absolument  in- 
différent. 

P  Exemples  de  la  forme  pleine  devant  un  adjectif:  //  eurent 
akaté  des  nouveles  viandes  a  mètre  en  leur  nés  (R.  de  Clari, 
p.  10).  Du  bon  pain  (Manière  de  langage).  Des  petis  oisealx 
(ib.).  Du  menu  vair  (Nouv.  Patelin,  331).  Du  bon  temps  (Quinze 
joies,  chap.  13).  Des  bonnes  nouvelles  (Fournier,  Théâtre  avant 
la  Renaissance,  p.  458).  Des  bonnes  maisons  (ib.,  p.  459). 
Dressent  encor  es  forests  des  doux  rets  (Darmesteter  et  Hatzfeld, 
Le  seizième  siècle,  p.  235).  Forment  tant  qu'ils  voudront  des 
piteuses  complaintes  (ib.,  p.  357).  Des  bons  propos  (ib.,  p.  17)^ 
Des  petites  pierres   (ib.,  p.  117).    Des  célestes  roses  (ib.,  p.  353). 


360 

Donnant   des    sainctes    loix   à  son    affection    (Régnier,    Macette, 
V.  15). 

2^  L'emploi  de  la  préposition  seule  paraît  un  peu  plus  rare  : 
De  ruistes  cos  merveilleus  i  feri  (Garin,  v.  4746).  De  bons  motz 
(Villon,  Grand  Test.,  v.  96).  De  grosses  soupes  (ib.,  v.  106).  De 
belles  choses  (Fr.  de  Sales,  Lettres,  n"  97).  De  riches  dons  (Mys- 
tère de  St.  Adrien,  v.  4818).  De  vieilles  poulailles  (Jehan  de 
Paris,  p.  43).  De  bonnes  choses  (Quinze  joyes,  chap.  3).  De 
belles  filles  (ib.,  chap.  9).  De  beaux  faicts  (ib.,  chap.  12).  De 
bonne  avoijne  (Gautier  Garguille,  Chansons,  p.  47).  J'ai  couru 
mille  fois  après  de  jeunes  veaux  (Darmesteter  et  Hatzfeld,  Le 
seizième  siècle,  p.  239, 19).  De  très  haultz  sacrements  (ib.,  p.  97,25). 
De  belles  devises  (ib.,  p.  61, 13).  De  grandes  amendes  (ib.,  p.  149,2). 
De  beaux  et  grands  services  (ib.,  p.  72, 24). 

V  513.  Au  XVI I^  siècle  la  règle  s'établit  qu'il  faut  employer  la 
préposition  pure  sans  article,  si  un  adjectif  précède  le  sub- 
stantif. C'est  Vaugelas  qui  observe  le  premier  qu'il  faut  dire 
il  y  a  d'excellens  hommes,  et  il  y  a  des  hommes  excellens.  Il 
ajoute  même  que  »  c'est  une  reigle  essentielle  dans  la  langue  « 
(Remarques,  II,  7),  et  tous  les  grammairiens  lui  apportent  leur 
consentement. 

514.  D'après  ce  qui  précède  il  est  superflu  de  faire  observer 
que  la  règle  de  Vaugelas,  tout  essentielle  qu'il  l'estime,  est 
I  arbitraire  et  artificielle.  Il  avoue  lui-même  qu'elle  est  contraire 
|à  l'usage  en  ajoutant:  »....  ayant  considéré  que  dans  la  plus- 
part  des  Prouinces,  on  y  manque,  et  que  parmy  ce  nombre 
infini  d'Escriuains  qui  sont  en  France,  il  y  en  a  vne  bonne 
partie,  qui  n'y  prennent  pas  garde,  j'ay  jugé  cette  Remarque 
nécessaire*.  Il  est  facile  de  constater  qu'elle  reste  sans  in- 
fluence sur  la  langue  populaire.  Malgré  les  grammairiens  le^ 
peuple  continue  à  fumer  du  bon  tabac  et  à  manger  du  bon 
pain.  Les  proverbes  et  les  chansons  populaires  sont  là  pour 
nous  l'attester;  rappelons  le  dicton:  A  la  Saint-Martin  on  boit 
du  bon  vin,  et  le  vieux  refrain:  J'ai  du  bon  tabac  dans  ma 
tabatière;  J'ai  du  bon  tabac;  tu  n'en  auras  pas.  Même  les 
grands  auteurs  classiques  ne  se  conformant  pas  toujours  à  la 
règle  de  Vaugelas.  En  voici  quelques  exemples  :  Du  haut  style 
(Molière,  Précieuses  ridicules,  se.  4).  Du  bon  goût  (Le  Misan- 


361 

thrope,  V.  791).  Du  beau  monde  (Comtesse  d'Escarbagnas,  se.  3). 
Des  indignes  fus  (Racine,  Mithridate,  v.  306).  Des  grosses  larmes 
(Mme  de  Sévigné).  Des  grandes  grâces  (Bossuet).  Des  mauvaises 
industries  (Fénelon),  etc. 

515.  La  règle  de  Vaugelas,  si  arbitraire  qu'elle  soit,  finit 
pourtant  par  prendre  pied  dans  les  grammaires  comme  dans 
la  langue  littéraire.  Elle  supporte  cependant  certaines  restric- 
tions générales;  elle  ne  frappe  pas: 

P  Les  mots  composés:  Des  bas-reliefs.  Des  belles-mères.  Des 
petits-neveux.  Des  chauves-souris,  etc. 

2^  Les  groupes  de  mots  où  l'adjectif  pour  ainsi  dire  fait  ^ 
corps  avec  le  substantif,  de  sorte  que  les  deux  mots  forment 
une  seule  expression.  Exemples  :  Du  petit  lait.  Du  vif  argent. 
Du  menu  bois.  Du  bon  sens.  Des  beaux  esprits.  Des  gros  mots. 
Des  bons  mots.  Des  grands  seigneurs.  Des  jeunes  gens.  Des  petits 
noms  (c.  à  d.  prénoms).  Des  petits  pois,  etc. 

Remarque.  Au  XYII^  siècle  l'usage  était  hésitant.  On  trouve  dun  côté  de 
bons  mots  (Molière,  Misanthrope,  v.  636),  de  petits  maîtres  (La  Bruyère),  de 
jeunes  gens  (Fénelon),  et  de  l'autre  côté,  des  petits  enfants,  des  faux  pro- 
phètes. A  propos  des  derniers  exemples.  Thomas  Corneille  fait  les  observa- 
tions suivantes:  »11  est  hors  de  doute,  que  le  véritable  usage  est  de  dire, 
devenons  comme  de  petits  enfans;  et  que  c'est  ainsi  qu'il  faut  parler;  mais 
comme  le  même  Auteur  a  dit,  des  petits  enfans,  en  trois  différents  endroits 
il  est  aisé  de  connoistre  que  c'est  exprès  qu'il  l'a  dit.  C'est  peut-estre  parce 
qu'on  ne  sçauroit  estre  enfant  sans  estre  petit;  et  qu'il  a  creu  pouvoir  l'e- 
garder  petits  enfans,  comme  un  seul  mot,  qui  estant  substantif,  demande 
l'article  des.  ...  Je  sais  bien  que  par  rapport  au  Latin  Pseudopropheta, 
tiré  du  mot  Grec,  faux  Prophète  ne  devroit  estre  considéré  que  comme  un 
seul  mot;  mais  par  le  seul  mot  Prophète,  on  ne  peut  entendre  faux  Pro- 
phète, comme  par  le  seul  mot  d'enfant,  on  pourroit  en  quelque  sorte  en- 
tendre petit  enfant;  et  puisqu'il  3^  a  de  vrais  et  de  faux  prophètes,  fau.v  en 
cet  endroit  doit  estre  regardé  comme  un  adjectif  séparé  de  Prophète,  et  je 
crois  par  conséquent  qu'il  faut  dire,  comme  de  faux  Propliètes,  et  non  pas, 
comme  des  faux  Prophètes^  (voir  Vaugelas,  Remarques,  II,  8).  Ajoutons 
quelques  réflexions  sur  l'usage  actuel  dues  à  M.  Léon  Clédat:  »Pour  qu'on 
puisse,  devant  l'adjectif,  employer  du,  de  la,  des,  au  lieu  de  de,  il  faut  .  . . 
que  l'adjectif  puisse  former  avec  le  substantif  un  nom  d'espèce,  c'est-à-dire: 
1*^  que  l'adjectif  exprime  une  qualité  conçue  par  notre  esprit  comme  cons- 
titutive d'espèce,  et  2°  que  le  substantif  exprime  un  objet  conçu  par  notre 
esprit  comme  susceptible  d'espèces.  Par  exemple,  on  dit  bien  plutôt:  elle  a 
de  charmantes  toilettes,  que  des  charmantes'  toilettes,  parce  que  la  qualité 
exprimée  par  l'adjectif  charmant  est  trop  particulière  pour  être  constitutive 
d'espèce;    nous    pouvons    concevoir   les   belles   toilettes   comme  formant  une 


362 

espèce  du  genre  »toilettes«,  mais  beaucoup  moins  les  charmantes  toilettes. 
On  ne  dirait  guère  non  plus:  il  a  eu  des  grandes  déceptions,  au  lieu  de  il  a 
eu  de  grandes  déceptions,  parce  que  si  la  grandeur  est  une  qualité  constitu- 
tive  d'espèce,   les    déceptions    se  prêtent  peu  à  une  subdivision  en  espèces.» 

3°  Les  expressions  abstraites.  Exemples:  Avec  de  la  bonne 
volonté  on  vient  à  bout  de  tout  (proverbe).  De  la  bonne  foi.  De 
la  mauvaise  humeur.  De  la  vraie  reconnaissance.  De  la  pure  fo- 
lie. De  la  simple  amitié,  etc. 

516.  Le  développement  actuel  de  la  langue  ne  semble  pas 
favoriser  une  observation  très  sévère  de  la  règle  de  Vaugelas, 
au  contraire.  Il  y  a  dans  le  parler  familier  une  tendance  mar- 
quée à  conserver  la  forme  pleine  de  l'article  partitif  devant 
un  adjectif  (comp.  §  514)  ;  en  voici  quelques  exemples  tirés 
des  »  Scènes  populaires*  de  Henri  Mounier:  Je  m'attends  à  des 
grands  changements  (I,  360).  Un  tout  petit  homme  .  .  .  qu'a  des 
tout  petits  yeux  (I,  505).  Vous  restez  des  pleines  soirées  dans  la 
loge  (I,  324).  Tu  a  toujours  des  bonnes  grosses  joues,  ma  com- 
mère (11^  608).  Ajoutons  des  phrases  populaires  comme  de  la 
belle  ouvrage,  vous  avez  fait  de  la  belle  besogne,  etc.  Cette  ten- 
dance du  langage  parlé  est  en  train  d'envahir  la  langue  écrite; 
elle  s'observe  souvent  avec  bon,  grand,  jeune,  mauvais,  vrai,  et 
surtout  avec  petit: 

Beau.  —  Ils  voyaient  du  monde,  du  très  beau  monde  (Dau- 
det, Fromont  jeune,  p.  287).  —  De  la  très  belle  peinture  (Gyp,  La 
fée  Surprise,  p.  220).  —  Des  belles  robes.  Des  belles  lignes  (Con- 
court, Renée  Mauperin,  p.  109). 

Blanc.  —  De  la  blanche  toile  (Dozon,  Épopée  serbe,  p.  169). 

Bon.  —  Du  bon  vin  et  de  bons  morceaux  (Zola,  Lourdes, 
p.  236).  Cher  maître,  bon  comme  du  bon  pain  (Flaubert,  Lettres 
à  Ceorge  Sand,  p.  9).  Du  bon  temps  (Mérimée,  Chroniques, 
p.  19).  Du  bon  petit  drap  (id.,  Les  deux  héritages,  p.  220).  Du 
bon  blé  (Daudet,  Lettres  de  mon  moulin,  p.  40).  Du  bon  ma- 
dère (Littré).  Du  bon  bœuf  (E.-Chatrian).  Du  bon  nanan  (Cop- 
pée).  Du  bien  bon  monde  (G.  Droz).  Du  bon  bouillon  (Lavedan^ 
Le  nouveau  jeu,  p.  262).  Du  bon  or!  de  l'or  (Balzac,  Eugénie 
Grandet,  p.  232).  —  De  la  bonne  volonté.  De  la  très  bonne  mu- 
sique (G.  de  Maupassant,  Bel  Ami,  p.  12).  De  la  bonne  pein- 
ture (Barrière,  Les  faux  bonshommes,  p.  10).  De  la  bonne  eau 
(Maupassant,  Mont-Oriol,  p.  146).   De  la  bonne  bière  (E.-Cha- 


363 

trian).  De  la  bonne  soupe  (Ohnet).  —  Des  bons  points  (Zola, 
L'Œuvre,  p.  451).  —  Des  bonnes  fortunes  (Romania,  XVII,  605). 
Des  bons  vieux  et  des  bonnes  vieilles  (Loti). 

Brave.  —  Des  gueux  et  des  braves  gens  (E.-Chatrian). 

Faux.  —  De  la  fausse  hermine,  De  la  fausse  martre  (Zola,  Au 
bonheur  des  dames,  p.  3).  —  Des  faux  bonshommes  (Barrière,  Les 
faux  bonshommes,  p.  5).  Des  faux  bonheurs  (Pailleron,  Le 
monde  où  l'on  s'ennuie,  p.  30).  —  Des  fausses  dents  (Pailleron, 
ib.,  p.  30). 

Grand.  —  Apaiser  par  du  grand  air  et  du  mouvement  ses 
nerfs  déséquilibrés  (Bourget,  La  terre  promise,  p.  121).  Ce  n'est 
pas  du  grand  bonheur  (Lavedan,  Le  nouveau  jeu,  p.  134).  — 
Des  grands  pieds  (Gyp,  La  fée  Surprise,  p.  89).  —  Des  grandes 
mains  (ib.,  p.  89). 

Gros.  —  Du  gros  plomb  (Concourt,  Renée  Mauperin,  p.  250). 
—  De  la  grosse  monnaie  (ib.,  p.  230).  —  Ramasser  des  gros  sous 
(Concourt,  Manette  Salomon,  p.  87).  En  roulant  des  gros  yeux 
blancs  (Malot).  Il  y  en  a  qui  ont  des  gros  bras  avec  une  taille 
mince  (Le  nouveau  Décaméron,  III,  61).  Des  gros  sabots. 

Jeune.  —  Des  jeunes  femmes,  des  jeunes  fûtes  (M.  Prévost, 
Frédérique,  p.  41). 

Mauvais.  —  Se  faire  du  mauvais  sang.  —  On  voyait  sur  leur 
visage  de  la  mauvaise  humeur  et  de  la  fatigue  (G.  de  Maupas- 
sant,  Contes  du  jour  et  de  la  nuit,  p.  332).  Entendre  de  la 
mauvaise  musique  (Flammarion,  Lumen).  —  Exercer  des  mau- 
vais traitements  (Rev.  des  D.  M.,  1882).  —  Des  mauvaises  ma- 
ladies (Loti,  Pêcheur  d'Islande,  p.  274). 

Petit.  —  Des  petits  enfants.  Des  petits  garçons.  Des  petits  faits. 
Des  petits  jeux.  Des  petits  coins.  Des  petits  mots.  Des  petits  crois- 
sants. Des  petits  verres.  Des  petits  morceaux.  Des  petits  poissons 
rouges.  Des  petits  rentiers.  Des  petits  princes  (Daudet,  Souvenirs, 
p.  117).  Des  petits  jeunes  gens  (id.,  Fromont  jeune,  p.  12).  Des 
petits  drapeaux  (id..  Contes  du  lundi,  p.  10).  Des  petits  mor- 
ceaux (Mélusine,  111,558).  —  Des  petites  choses  (Zola,  L'Œuvre, 
p.  106).  Des  petites  saletés  (ib.,  p.  232).  Des  petites  rues.  Des 
petites  larmes.  Des  petites  amies. 

Rude.  —  De  la  rude  misère  (Concourt,  Manette  Salomon, 
p.  285). 

Sacré.  —  Des  sacrés  billets  de  mille  francs  (Mirbeau,  Jour- 
nal d'une  femme  de  chambre,  p.  98). 


364 

Sale.  —  Du  sale  argent  (Mirbeau,  Journal  d'une  femme  de 
chambre,  p.  43). 

Triste.  —  De  la  triste  chair  (Zola,  Lourdes,  p.  9). 

Vert.  —  Voilà  de  la  verte  sincérité  (Revue  bleue,  1900,  II,  303). 

Vieux.  —  Du  vieux  vin  (Gyp).  Du  vieil  acajou  (Mirbeau, 
Journal  d'une  femme  de  chambre,  p.  23).  —  Des  torchons,  des 
vieux  journaux  (Remy  de  Gourmont,  D'un  pays  lointain,  p.  263). 
Des  vieux  vêtements.  —  Des  vieilles  femmes  (Gyp,  La  fée  Sur- 
prise, p.  205).  Des  vieilles  filles  (ib.,  p.  236). 

Vilain.  —  Des  vilaines  femmes  (Loti,  Pêcheur  d'Islande, 
p.  257). 

Vrai.  —  Un  peintre  qui  peindra  dans  du  vrai  soleil  (Goncourt, 
Manette  Salomon,  p.  212).  Du  vrai  fruit  (Goncourt,  Sœur  Philo- 
mène,  p.  261).  —  De  la  vraie  misère  de  Paris  (ib-,  p.  188).  Ils 
ouvrirent  la  fenêtre  donnant  sur  de  la  vraie  campagne  (Le  nou- 
veau Décaméron,  III,  100).  De  la  vraie  reconnaissance  (Bour- 
get.  Mensonges,  p.  329).  On  mangeait  de  la  vraie  viande  (Zola, 
L'Œuvre,  p.  94).  De  la  vraie  chair  (Goncourt,  Manette  Salo- 
mon, p.  210). 


LIVRE  CINQUIÈME. 

LES  PRONOMS. 


517.  La  plupart  des  pronoms  latins  ont  été  conservés  en 
français;  on  a  abandonné  is,  idem,  quidam,  nihil,  om- 
nis,  nemo,  ullus  et  quelques  autres  (§  575);  les  représen- 
tants de  ipse,  alius,  aliquid  ne  subsistaient  qu'en  vieux 
français.  Pour  former  des  pronoms  nouveaux  on  a  eu  re- 
cours soit  à  des  substantifs  ou  à  des  adjectifs,  tels  que 
homo,  res,  causa,  totus,  soit  à  des  compositions;  ainsi 
hoc  a  été  remplacé  par  ecce  hoc,  d'où  iço,  ço,  ce,  et  cette 
dernière  forme  a  de  nouveau  été  renforcée  par  l'addition  d'un 
adverbe:  ceci,  cela. 

518.  Cas  et  genres. 

P  Les  pronoms  ont  conservé  la  déclinaison  mieux  que  les 
noms  (voir  §  227  ss.).  On  a  gardé  non  seulement  le  nominatif 
et  l'accusatif,  mais  aussi,  dans  plusieurs  mots,  le  datif:  illi  y 
vfr.  //,  cui  )  vfr.  cui,  etc.  Il  faut  noter  qu'on  a  même  créé  de 
nouveaux  datifs  (comp.  §  521,  Rem.). 

2^  A  côté  du  masculin  et  du  féminin  on  a  conservé  des 
traces  importantes  du  neutre:  illum  >  el  (§  533),  m  eu  m  y 
mien  (§  536,2),  hoc  >  o  (§  552,  i),  aliquid  >  a/g«e  (§  576, 2), 
etc.  La  langue  littéraire  a  abandonné  plusieurs  des  formes 
neutres  après  le  moyen  âge. 

519.  Doublets.  Beaucoup  de  pronoms  français  présentent 
deux  formes  distinctes  correspondant  à  une  forme  unique  en 
latin  ;    ces   doublets    s'expliquent   par   l'emploi  tour  à  tour  to- 


366 

nique  (emphatique)  ou  atone  des  pronoms  en  question.  Pre- 
nons comme  exemple  le  développement  du  cas  régime  de  la 
deuxième  personne  des  pronoms  personnels,  te;  selon  qu'il 
est  accentué  (contra  te)  ou  inaccentué  (Carolus  te  lau- 
dat),  il  se  développe  régulièrement  en  toi  [twa]  ou  en  te  [ta], 
tout  comme  dêbêre  devient  devoir  [davwair].  Rappelons  aussi 
le  changement  de  mea  en  meie,  moie  (§  542)  ou,  s'il  est  pro- 
clitique, en  ma.  Nous  trouverons  plus  loin  beaucoup  d'autres 
exemples  de  tels  doublets. 


CHAPITRE  I. 

PRONOMS   PERSONNELS. 


520.  Les  pronoms  personnels  du  latin  classique  ont  tous 
été  conservés.  Pour  la  troisième  personne,  on  a  adopté  le  dé- 

s/monstratif  ille  qui  a  en  même  temps  fourni  l'article  défini 
(§  499).  Rappelons  aussi  que  les  deux  adverbes  de  lieu  inde 
et  ibi,  par  un  changement  de  fonction  assez  ancien,  sont  ar- 
rivés à  faire  l'office  de  pronoms  personnels  (pour  les  détails, 
voir  la  Syntaxe). 

Remarque.  Les  composés  latins  mecum,  tecum,  se  eu  m,  nobiseum, 
vobiscum  ont  été  conservés  en  italo-roman  et  en  hispano-roman;  notez 
que  nobiseum  et  vobiscum  ont  été  remplacés  par  noscum  (App.  Probi, 
no  220)  et  voscum  (ib.,  n"  221).  Les  formes  italiennes  sont  meco,  teco,  seco, 
nosco,  vosco;  dans  la  langue  parlée  on. trouve  des  formes  renforcées  con 
meco,  con  teco,  con  seco,  tout  comme  en  espagnol:  conmigo,  contigo,  consigo, 
conusco,  convusco,  et  en  portugais  commigo  (comigo),  comtigo,  comsigo,  com- 
nosco,  comvosco. 

521.  Cas.  Des  cas  latins  on  a  conservé  le  nominatif  et  l'ac- 
cusatif des  deux  nombres  et,  en  partie,  le  datif  du  singulier. 
Les  formes  du  génitif  ont  disparu,  excepté  illorum,  qui  a 
pris  les  fonctions  de  il  lis.  Les  pronoms  personnels  offrent 
ainsi  une  déclinaison  à  trois  cas;  elle  s'est  maintenue  jusqu'à 
nos  jours  à  la  troisième  personne. 


367 

Remarque.  A  côté  du  datif  illi,  on  constate  dans  le  latin  vulgaire  la  créa- 
tion de  deux  nouvelles  formes:  illui  (lai)  pour  le  masculin  et  illaei  pour  le 
féminin.  En  voici  quelques  exemples:  Constat  antedicta  villa  illa  ciim  omni 
sua  integritate  ab  ipso  principe  illo  mcmorato  lui  fuisse  concessa  (Marculfi 
Formnlœ,  éd.  K.  Zeumer,  54,  34).  Ipsius  lui  solvere  deberet,  c.-à-d.  ipsi  illi  huic 
(Rozicres,  Recueil  général  des  Formules  usitées  dans  l'empire  des  Francs, 
n°  CCCCLXVI).  On  trouvera  d'autres  exemples  dans  Schuchardt,  Vokalismus, 
II,  383,  d'Arbois  de  Jubainville,  Déclinaison  latine  à  l'époque  mérovingienne, 
p.  151,  G,  Rydberg,  Zur  Geschichte  des  franzôsischen  d,  p.  279  ss.  Pour  il- 
Isei  (lœi),  voir  Rozières,  loc.  cit.,  n»  CCXXIII,  note,  et  Romania,  XI,  163, 
note.  La  forme  illui  s'explique  le  plus  naturellement  par  l'action  analogique 
du  pronom  relatif  ou  interrogatif  cui.  La  forme  illaei  est  probablement  une 
transformation  du  datif  vulgaire  illse,  faite  sur  le  modèle  de  illui.  Ajou- 
tons que  la  terminaison  -ui,  qui  s'employait  aussi  dans  ipsui,  s'étendait  au 
moj^en  âge  à  plusieurs  autres  pronoms;  on  trouve  ainsi  en  vieux  français 
icelui,  icettui,  autrui,  aucunui,  nului,  telui.  Des  formes  en  -///  la  langue  mo- 
derne a  conservé  lui,  celui,  autrui. 

522.  Genre.  Pour  la  troisième  personne,  il  faut  remarquer 
la  généralisation  des  formes  du  masculin  au  dépens  de  celles 
du  féminin.  Ce  phénomène,  dû  tantôt  à  un  développement 
phonétique,  tantôt  à  une  pure  substitution,  s'observe  surtout 
au  pluriel.  Les  formes  classiques: 


illi               illos 

i  1 1 0  r  u  m 

illse             illas 

i  1 1  a  r  u  m 

is  la  langue  vulgaire: 

illi               illos 

i  1 1 0  r  u  m 

illas           illas 

illorum, 

donc,  la  différence  de  genre  n'existe  plus  au  datif.  A  l'accusa- 
tif, la  différence  disparaît  au  X^  siècle: 

U  les  loi' 

elles  les  lor, 

et  au  XV^  siècle  elles  est  souvent  remplacé  par  ils  (§  529, 1, 
Rem.),  de  sorte  que  la  série 

ils  les  leur 

devient  commune  aux  deux  genres  pendant  un  certain  temps. 
On  revient  cependant  au  nominatif  spécial  du  féminin.  Pour  le 
singulier,  il  n'y  a  confusion  des  deux  genres  qu'au  datif;  lui,  qui 


368 

était  à  l'origine  une  forme  exclusivement  masculine  et  tonique, 
a  fini  par  remplacer  le  //  atone,  et  il  est  par  là  devenu  com- 
mun aux  deux  genres,  comme  //'  l'était  au  moyen  âge. 


523.  Doublets.  La  langue  moderne  présente  un  grand  nombre 
de  formes  doubles  dues  à  la  phonétique  syntaxique  : 

P  Le  développement  de  la  voyelle  de  me,  te,  se  est  diffé- 
rent selon  qu'elle  est  accentuée  ou  non,   de  là  moi  —  me,   toi 

—  te,  soi  —  se.  Pour  nos  et  vos,  on  aurait  dû  avoir  neus  — 
nous,  veiis  —  vous,  mais  la  forme  faible  a  été  généralisée. 

2^  Dans  les  formes  de  ille,  on  accentue  ordinairement  la 
première  syllabe,  si  le  mot  est  frappé  de  l'ictus  :  illi  cantant 

>  vfr.  il  chantent;  sinon,  la  première  syllabe  est  atone  et  la 
dernière  porte  un  accent  secondaire  :  Carolus  illos  amabat 

>  Charles  les  aimait.  Au  nominatif  on  n'a  que  des  formes 
fortes:  illi  >  il,  il  la  >  elle;  illi  >  il(s),  *illas  >  elles.  A  l'ac- 
cusatif on  trouve  des  doublets:  îllam  >  elle  et  illâm  }  la, 
illos  >  els,  eux  et  illos  >  les,  îllas  >  elles  et  il  las  >  les; 
pour  illum,  on  aurait  dû  avoir  el  —  le,  mais  la  forme  forte 
ne  s'est  pas  développée.  Au  datif,  illi  a  servi  de  forme  faible, 
et  il  lui  et  illsei  de  formes   fortes,   de  là  en  vieux  français  // 

—  lui,  lei  (lie,  li). 

3^  La  voyelle  finale  de  je,  me,  te,  le,  se,  la  et  tu  (prononcia- 
tion vulgaire)  s'amuït  devant  une  voyelle:  je  crains,  mais 
j'aime,  etc. 

4"  La  consonne  finale  de  nous,  vous,  ils,  elles,  les  s'amuït 
devant  une  consonne  et  se  prononce  comme  sonore  devant 
une  voyelle:  nou(s)  parlons  —  nous  avons,  je  le(s)  connais  — 
je  les  aime,  etc.  Dans  la  prononciation  vulgaire  on  a  de  même 
deux  formes  de  il  et  de  elle  :  il  aime,  elle  aime,  mais  i(lj  vient, 
e(lle)  croit,  etc. 


524.  Tableau  des  pronoms  personnels.  Nous  donnerons 
dans  le  schème  suivant  les  formes  toniques  et  les  formes 
atones  sur  la  même  ligne,  séparées  par  un  trait  suspensif. 


369 


1°  Formes  du  vieux  français: 

SINGULIER. 


ire 

personne. 

2^  personne. 

3^  personne. 

Masculin. 

Féminin. 

Neutre. 

gié; 

jo,  je 

tu  —  tu,  te 

il  —  il 

ele  —  ele 

el 

—  el 

mei, 

moi  — 

■  me 

tei,  toi  —  te 

lui  —  lo,  le 

li  —  la 

ol 

—  lo,  le 

mei, 

moi  — 

me 

tei,  toi  —  te 

lui  —  li 
PLURIEL. 

li  (lie,  lei)  —  li 

nos, 

nous 

vos,  vous 

il  —  il 

eles 

nos, 

nous 

vos,  vous 

els  —  les 

eles  —  les 

nos, 

nous 

vos,  vous 

lor,  lour,  leur 

lor,  lour,  leur 

2°  Formes  du  français  moderne; 


V^  personne. 
moi  — je 
moi  —  me 
me 


nous  — nous 

nous  —  nous 

nous 


SINGULIER. 
2^  personne. 

toi  —  tu  lui 

toi  —  te  lui 

te 


3^  personne. 
il  elle  —  elle 

le  elle  —  la 

lui  lui 


PLURIEL. 
vous  —  vous 
vous  —  vous 
vous 


eux  —  ils 
eux  —  les 
leur 


elles  —  elles 
elles  —  les 
leur 


I.   PREMIÈRE   PERSONNE. 

525.    DÉVELOPPEMENT    DES    FORMES. 

P  Ego  était  devenu  eo  (voir  Schuchardt,  I,  129,  et  Ryd- 
berg,  toc.  cit.,  p.  242—243)  en  latin  vulgaire.  On  prononçait 
soit  èo  (comp.  it.  io),  soit  eo  (comp.  esp.  yo),  et  le  gallo- 
roman  paraît  avoir  connu  les  deux  prononciations;  mais  il  est 
excessivement  difficile  de  fixer  le  point  de  départ  exact  et  le 
développement  détaillé  des  formes  françaises.  Voici  celles  qu'on 
trouve  au  moyen  âge  :  eo  et  io  (Serments  de  Strasbourg),  jo  et 
les  variantes  graphiques  jou,  ju,  jeo  (Marie  de  France,  Wace, 
Benoît,  etc.);  enfin  gié  qui  apparaît  surtout  à  la  rime  (p.  ex. 
Vengeance  Alixandre,  v.  498;  Chev.  au  lion,  v.  262),  et  le  dis- 
syllabique joe  (rime   avec  roe   dans  le  »Donnei  des  Amants «, 

24 


370 

V.  277 — 8;  Romania,  XXV,  532,6).  De  ces  formes,  la  langue 
littéraire  ne  garde  que  jo  qui  s'affaiblit,  au  commencement  du 
XII^  siècle,  en  je.  Cette  forme  est  restée  jusqu'à  nos  jours. 
L'élision  de  la  voyelle  finale  était  d'abord  facultative:  Dist 
Oliviers:  Jo  ai  paiens  veduz  (Roland,  v.  1039).  Se  j'ai  parenz, 
nen  i  at  nul  si  prot  (ib.,  v.  2905).  Mais  elle  devient  bientôt 
obligatoire,  excepté  dans  les  cas  oiî  le  pronom  était  accentué: 
Je  irai,  ce  Dé  plait,  ne  sai  que  voz  ferez  (Orson  de  Beauvais, 
V.  148).  Dans  la  langue  parlée  actuelle  la  forme  abrégée  / 
s'emploie  aussi  devant  une  consonne  et,  par  une  assimilation 
régressive  régulière,  elle  devient  [J]  devant  une  sourde;  on  dit 
ainsi  [3vuzasy:r]  (je  vous  assure),  mais  [Jkrwabjè]  (je  crois  bien). 
—  On  trouve  enfin  dans  l'argot  de  Paris,  comme  dans  beau- 
coup de  patois,  la  forme  ej  (comp.  ed  pour  de,  etc.):  D'abord 
ef  comprends  pas  qu'on  s'gêne,  Ej'  suis  ami  d'ia  liberté  (Bruant, 
Dans  la  rue,  p.  13).  Euj  peux  ben  li  dire  la  vérité  (Watteeuw, 
Chansons  tourquennoises,  1, 191). 

Remarque.  Dans  la  vieille  langue,  jou  et  je  qui  s'écrivaient  iou  et  ie,  fai- 
saient souvent  corps  avec  le  verbe  précédent  s'il  se  terminait  par  i;  on  écri- 
vait ainsi  suie  (Aiol,  v.  1454),  aie  (ib.,  v.  1523),  aiou  (ib.,  v.  1525),  uie  (ib., 
V.   1828),  etc.,  pour  sui  ie,  ai  ie,  ai  ion,  iii  ie. 

2^  Me  se  développe  de  deux  manières  différentes:  comme 
forme  tonique  il  devient  mei,  moi  (I,  §  155),  comme  forme 
atone,  me  (I,  §  162),  qui  s'abrège  en  m  devant  une  voyelle 
(I,  §  281, 1).  Au  moyen  âge  la  forme  abrégée  s'employait  aussi 
enclitiquement ;  on  trouve  des  combinaisons  comme:  jem,  tum, 
nem,  quim,  sim,  semprem,  pourqueim,  etc.;  comp.  I,  §  293,2. 
Exemple  :  Por  teim  vedeies  desidrer  a  morir  (St.  Alexis,  v.  439). 

3®  Mihi  s'est  maintenu  dans  les  vieux  dialectes  du  Nord  et 
de  l'Est  (le  picard,  le  w^allon,  le  lorrain)  sous  la  forme  mi. 

4"  Nos.  La  forme  tonique  régulière  serait  neus  (I,  §  182), 
mais  elle  ne  s'est  pas  produite;  c'est  la  forme  atone  nous  qui 
l'a  emporté;  elle  fait  fonction  et  de  sujet  et  de  régime  direct 
et  indirect.  La  langue  parlée  actuelle  connaît  deux  formes  de 
nous;  on  dit  [nu]  devant  une  consonne  et  [nuz]  devant  une 
voyelle:  nous  marchons,  il  nous  pardonne,  mais:  nous  aimons, 
il  nous  aime.  On  a  constaté  une  vague  tendance  à  généraliser 
la  forme  courte;  voir  Manuel  phonétique,  §  164,3,  Rem. 


371 


II.   DEUXIEME   PERSONNE. 

526.  DÉVELOPPEMENT    DES    FORMES. 

P  Tu  devient  régulièrement  tu  [ty];  sur  l'élision  de  la  voyelle, 
voir  I,  §  285, 3.  Comme  forme  atone  on  trouve  dans  la  vieille 
langue  te,  fait  probablement  sur  le  modèle  de  je.  Exemples: 
Ha!  vielle,  dist  li  rois,  di,  pourquoi  traïsis  te?  (Berte  aus  grans 
pies,  V.  2222).  Te  nous  as  bien  cy  refardés  (Mist.  de  St.  Adrien, 
V.  1234). 

2*^  Te  se  développe  de  deux  manières  différentes:  comme 
forme  tonique  il  devient  tei,  toi  (I,  §  155),  comme  forme  atone 
te  (I,  §  162),  qui  s'abrège  en  t  devant  une  voyelle  (I,  §  281,  i). 
Au  moyen  âge  la  forme  abrégée  s'employait  aussi  enclitique- 
ment,  d'où  des  combinaisons  comme  jot,  net,  queit,  sit,jat,  etc. 
(comp.  ci-dessus,  §  525,2).  Exemple:  Por  queim  fuïs 9  jat  por- 
tai en  mon  ventre  (St.  Alexis,  v.  453). 

3^  Tibi  s'est  maintenu  dans  les  vieux  dialectes  du  Nord  et 
de  l'Est  (le  picard,  le  wallon,  le  lorrain)  sous  la  forme  //. 

4^  Vos.  La  forme  tonique  régulière  serait  veus  (I,  §  182),  mais 
elle  ne  s'est  pas  produite.  C'est  la  forme  atone  vous  qui  l'a 
emporté;  elle  fait  fonction  de  sujet,  de  régime  direct  et  de  ré- 
gime indirect.  Pour  les  deux  formes  actuelles  de  vous,  [vu]  et 
[vuz],  voir  ce  que  nous  avons  dit  ci-dessus  sur  nous.  Dans  l'an- 
cienne langue  et  dans  les  patois  actuels  on  trouve  quelques 
formes  collatérales  réduites  qu'il  faut  examiner  à  part. 

527.  Formes  collatérales  de  vous. 

1"  Ous  remplaçait  autrefois  vous  après  que,  se  (si),  de,  je. 
Exemples  :  Vostre  fei  me  pleuistes,  ne  sai  s'ous  la  tendreiz  (Rom. 
de  Rou,  I,  2747).  Kar  li  reis  a  grant  gent  a  ceo  qu'us  en  auez 
(ib.,  V.  3821).  S'ous  me  volés  riens  comander  (Rom.  de  la  Rose, 
V.  15731).  S'os  me  poez  partir  d'ici  (Guillaume  de  Maréchal, 
.V.  9002).  D'os  dous  (Benoît,  Chronique,  v.  4271).  Volés  le  vos? 
Oïl,  s'ou  plest  (Vengeance  Raguidel,  v.  4670).  En  essil  ert,  si 
com  jos  [=  je  vos]  dis  (Rom.  de  Troie,  v.  40853).  Je  sui  tout 
prest,  sire,  s'ous  plaist  (Mir.  de  N.  Dame,  n^  V,  627).  Hau,  hau, 
c'ous  plest  (Ane.  th.  fr.,  I,  p.  352).  S'ou  m'en  croyez  (ib.,  VII, 
365,  437).  Simonne  qu'ous  avez  de  biaux  ciseaux  (ib.,  IX,  171). 
J'ai  en  moy  ce  qu'où  dicte  (Gautier  Garguille,  p.  75).  Après  le 
XVP  siècle,    notre   phénomène  ne   se   rencontre  que  dans  les 

24* 


372 

patois.  On  en  trouve  quelques  exemples  dans  le  parler  de 
Pierrot:  Je  vous  dis  qu'où  vous  tegniez  et  qu'où  ne  caressiais 
point  nos  accordées  (Dom  Juan,  II,  se.  2).  Parce  quous  estes 
monsieu,  ous  viendrez  caresser  nos  femmes  (ib.).  Dans  le  patois 
de  Greville  (Fleury,  p.  62),  on  dit:  Où  qu'os  en  êtes?  Qu'est 
qu'est  qu'os  faites  là  ?  L'explication  de  cet  ous  est  difficile  ;  peut- 
être  le  V  a-t-il  disparu  grâce  à  une  sorte  de  fusion  avec  la 
voyelle  labiale  suivante.  Rappelons  que  dans  la  langue  mo- 
derne s'il  vous  plaît  devient  dans  le  parler  négligé  [siuple]. 

2°  Ous  remplaçait  autrefois  vous  dans  les  phrases  interroga- 
tives.  Exemples:  Sire  herault,  a-vous  tels  reliques  en  Angleterre 
comme  il  y  a  en  France  (Débat  des  heraulx  d'armes,  §  107). 
Av'ous  point  vu  la  Perronnelle  (G.  Paris,  Chansons  du  XV^ 
siècle,  p.  41).  N'a'vous  pas  honte  (Patelin,  v.  622).  A'vous  mal 
aux  dents  (ib.,  v.  1256).  G.  Paris  remarque  (loc.  cit.)  qu'on 
trouve  aussi  croy'ous,  ven'ous.  Je  suppose  qu'une  forme  pa- 
reille se  cache  dans  le  latin  de  Panurge:  Et  ubiprenus  [=  pren'- 
ous]?  (II,  chap.  15);  comp.:  Et  ubi prenu  qui  ne  l'emble  (Ane.  th. 
fr.,  I,  p.  230).  Le  ous  interrogatif  était  très  répandu  au  XVI*' 
siècle,  et  tous  les  grammairiens  le  reconnaissent.  En  1606  en- 
core, Masset  remarque:  »En  la  seconde  personne  pluriere  du 
présent  indicatif  de  .  .  .  auoir  et  scavoir,  nous  retrai;ichons  vez, 
et  ce  par  interrogation  seulement:  auous  fait  celai  scauous  bien 
cela?«  L'Académie  au  contraire,  relègue  ces  formes  à  »la  con-r 
versation  fort  négligée,  où  l'on  ne  prend  aucun  soin  de  bien 
prononcer  les  mots«  (Vaugelas,  Remarques,  I,  177).  Ous  est 
encore  très  répandu  dans  les  patois;  on  dit  ainsi  en  Calvados: 
En  voulons,  mais  L'quel  qu'vo  voulé,  et  Vos  en  allons  (Bulletin 
des  patois  normands,  III,  209 — 210).  Déjà  en  1521  Fabri  avait 
observé:  »En  bas  normant  Ion  dit  ou  estons  pour  ou  estes  vous, 
que  distous,  vous  coffous,  pour  que  dictes  vous,  vous  coffez  vous, 
et  en  picart  Ion  a  acoustumé  de  dire  .  .  .  ou  allieus  ...  en  lieu 
de  dire  ou  allez  vous«  (comp.  Thurot,  II,  255).  En  voici  pour 
finir  quelques  exemples  pris  dans  les  chansons  populaires: 
C'est  voir'  fdV  aînée,  Voul'ous  nous  la  bailler  (Rolland,  Recueil, 
I,  p.  314)?  Fourr'ous  dans  ma  paillasse  (ib.,  V,  p.  36)?  Tho- 
mine,  ma  Thomine,  Voul'ous  vous  marier  (Decombe,  n°  21)? 
Thomine,  ma  Thomine,  M' apport' r' ous  à  manger  (ib.)?  Pour 
expliquer  l'origine  de  cet  ous,  il  faut  probablement  partir  de 
savez-vous  et  avez-vous;  dans  ces  groupes,  l'e,  devenu  atone,  a 


■ 


373 

disparu  entre  les  deux  consonnes  homophones  (comp.  I,  §514): 
sav'vous,  avvous.  Cette  prononciation  s'observe  encore  de  nos 
jours;  en  voici  un  exemple  tout  récent:  Et  la  robe  de  Reichem- 
berg^  au' vous  vu,  monsieur  Paul?  ...  ce  tablier  de  jais  rose?  .  .  . 
cette  quille  en  rubans?  .  .  .  avvous  vu?  ...  (Daudet,  l'Immortel, 
p.  212).  On  a  ensuite  simplifié  la  consonne  double  :  avons,  sa- 
vons (écrit  fautivement  a' vous,  sa' vous);  par  une  fausse  ana- 
lyse de  ces  formes,  on  les  a  regardées  comme  des  composés 
du  radical  d'avoir  et  de  savoir  avec  un  ous  interrogatif,  et  à 
leur  modèle  on  a  formé  voulons,  croyons,  prenons,  etc. 

3^  Par  une  extension  analogique,  ous  s'emploie  parfois  comme 
sujet  hors  des  phrases  interrogatives  et  sans  être  précédé  de 
que,  etc.  Nous  en  avons  cité  un  exemple  de  Dom  Juan,  et  les 
patois  modernes  en  offrent  d'autres. 

4^  Vs,  qui  est  la  forme  réduite  d'un  vous  atone,  est  assez 
général  dans  les  patois:  Allez  vs  en  (Molière,  Dom  Juan,  II, 
se.  2).  La  récompense  de  vs  avoir  sauvé  (ib.).  A^e  vs  en  déplaise 
(Le  médecin  malgré  lui,  II,  se.  1).  Voici  encore  quelques  ex- 
emples tirés  de  chansons  populaires  :  Pour  cinq  sous  v'z'  en 
aurez  trente  (Rolland,  Recueil,  V,  p.  10).  Ne  v  sauvez  donc  pas 
(Puymaigre,  I,  205).  Il  s'agit  ici  d'une  sorte  d'enclise  (I,  §293; 
comp.  §  295,  4). 


III.   TROISIÈME   PERSONNE. 

528.  Masculin  singulier. 

P  nie,  conservé  par  ex.  en  hispano-roman  (v.  esp.  elle, 
port,  elle),  a  été  remplacé  au  Nord  de  la  France  par  une 
forme  vulgaire  illi  (comp.  lital.  elli,  egli),  faite  probablement 
sur  le  modèle  de  qui  (voir  §  499,  i);  cet  illi  devient  régu- 
lièrement //,  en  français  (il le  aurait  donné  e/ qui  n'existe  pas; 
la  leçon  el  de  Ste  Eulalie,  v.  13,  est  peu  sûre).  Devant  une 
consonne  il  se  réduisait  parfois  au  moj^en  âge  à  i.  Exemples  : 
Tant  qu'i  H  comanda  (Robert  de  Clari,  §  21).  Qu'i  desfande  son 
cors  (Floovant,  v.  175).  Qu'i  le  retiengne  {Les  Narbonnais, 
V.  1185).  S'i  vos  vient  a  talent  (ib.,  v.  1323).  Par  extension 
analogique,  /  s'emploie  même  devant  une  pause:  Sire  gnerri, 
fait  i,  vos  avez  tort  (Raoul  de  Cambrai,  v.  3422).  Cette  forme 
abrégée    se    rencontre    aussi    après  le  moyen   âge;    mais  plus 


374 

sporadiquement  et  comme  en  dépit  des  auteurs;  il  arrive  à 
Malherbe  lui-même  d'écrire  qui  faut  pour  qu'il  faut  (comp. 
Œuvres  complètes,  V,  p.  LXXXIV).  Dans  la  langue  moderne, 
z  pour  il  s'entend  souvent  dans  le  parler  familier;  voir  Manuel 
phonétique,  §  47,  Rem.,  §  79,  Rem.  1.  —  Dans  les  chansons 
populaires  on  trouve  parfois  ille  (ile).  Exemples  :  Ille  n'appelle 
son  valet  (Romania,  VII,  60).  Et  puis  ille  s'en  va  (ib.,  70).  Ile 
donne  à  sa  mie  Trois  petits  coups  badins  (Ulrich,  n°  52,  s).  Cette 
forme  allongée  est  peut-être  due  au  besoin  de  remplir  le  vers 
(comp.  I,  §  495).  Une  forme  réduite  /  existe  aussi:  Du  jour 
de  sa  naissance  'L  est  déjà  malheureux  (Le  pauvre  laboureur). 

2^  Illum  n'a  pas  donné  naissance  à  des  doublets.  La  forme 
tonique  illum  serait  devenu  el;  on  n'en  trouve  aucune  trace. 
La  forme  atone  illum  s'est  régulièrement  changé  en  lo  (lou), 
qui  s'affaiblit  en  le.  La  voyelle  finale  s'élide  devant  un  mot 
commençant  par  une  voyelle:  nous  l'aimons  (sur  la  pronon- 
ciation, voir  Manuel  phonétique,  §  132,  Rem.;  comp.  pour 
d'autres  détails,  I,  §  281).  Au  moyen  âge,  la  forme  abrégée 
s'employait  aussi  enclitiquement  après  une  voyelle  (I,  §  293, 2); 
on  disait  jol  pour  jo  lo,  jel  pour  je  le,  tul  pour  tu  le,  quil,  quel, 
nel  (neu,  nou,  nu),  sil,  sel  (su),  oui,  etc.  Exemples:  Ab  o  ma- 
gistre  semprel  mist  (St.  Léger,  v.  22).  En  terrel  metent  (St.  Ale- 
xis, 588).  Dont  vint  au  roi,  su  salua  (Romania,  VIII,  p.  48, 
V.  581).  —  [Dans  la  langue  vulgaire  moderne,  on  trouve  el 
pour  le  (comp.  ej  pour  je,  §  525, 1)  :  Les  turbineurs  i's  s'cass'  el 
cou  (Bruant,  Dans  la  rue,  p.  188).  Moi,  je  n'gob'  pas  El  son  du 
glas  (ib.,  p.  157).  Ces  exemples  appartiennent  au  §  499, 2.] 

3"  lllui  (voir  §  521,  Rem.)  devient  lui,  forme  tonique  qui 
s'employait  régulièrement  comme  régime  indirect  et  après  les 
prépositions.  Exemples:  Lui  la  consent  qui  de  Rome  esteit  pape 
(St.  Alexis,  V.  373).  Ensemble  ot  lui  grant  masse  de  ses  ornes 
(ib.,  V.  214).  Lui  s'employait  aussi  comme  régime  direct  to- 
nique: Qui  lui  a  grant  torment  occist  (St.  Léger,  v.  12).  Cil  ama 
H  et  ele  lui  (Lai  de  l'espervier,  v.  92).  Ne  ne  me  conoist,  ne  je 
lui  (Chev.  au  lion,  v.  5990).  Si  la  salue,  et  ele  lui  (ib.,  v.  6677). 
A  partir  du  XIV<^  siècle,  lui  remplace  //  comme  forme  atone 
(voir  ci-dessous)  et  devient  par  là  commun  aux  deux  genres 
comme  régime  indirect. 

Remarque.  La  langue  du  moyen  âge  nous  montre  aussi  des  traces  d'une 
tendance  à  généraliser  lui  comme  forme  tonique  aux  deux  genres.  Exemples: 


1 


375 

Fut  la  pucele  de  rnolt  hait  parentet,  Filie  ad  un  conte  .  .  .  N'at  plus  enfant, 
lui  vuelt  molt  onorer  (St,  Alexis,  v.  43).  Puis  est  demoures  par  deviers  lui 
[l'emperreïs]  en  prison  (Villehardouin,  §  610).  [La  roïne]  Vers  lui  le  trait,  si 
Va  baisié  (Guingamor,  v.  106).  //  s'abaisse  sus  lui,  si  la  baise  et  acole  et  ele 
lui  (Godefroj'^,  Dictionnaire,  IV,  746).  Cet  usage  qui  aurait  fini  par  effacer 
toute  différence  entre  les  deux  genres  n'était  pas  très  répandu  et  a  com- 
plètement disparu. 

4°  Illi  devient  //,  forme  atone  qui  servait  de  régime  indirect 
aux  deux  genres.  Exemples  :  Deus  cel  edre  li  donat  (Jonas).  Ad 
une  spede  H  roveret  tolir  h  chieef  (Ste  Eulalie).  Et  li  distrent 
(Villehardouin,  §  37).  Lor  ata  Ciienes  de  Biethune  a  l'emper- 
reïs, et  li  demandât  s'ele  le  looit  (ib.,  §  602).  A  lui  li  ont  tolu  sa 
fûle  (L'Escoufle,  v.  4123).  La  royne  fist  acheter  toutes  les  viandes 
de  la  ville  qui  li  cousterent  trois  cents  et  soixante  mille  livres 
(Joinville,  §  400).  Devant  en,  li  peut  perdre  sa  voyelle  finale 
(I,  §  284,5):  Puis  l'en  font  croiz  sor  son  helme  d'acier  (Cou- 
ronnement de  Louis,  v.  597).  A  partir  du  XIV<^  siècle,  le  datif 
atone  li  s'emploie  rarement;  il  est  le  plus  souvent  remplacé 
par  lui;  comp.  :  Escrive  li,  baille  ou  lui  die  Le  libelle  de  répudie 
(E.  Deschamps,  IX,  7075).  —  Li  s'est  maintenu  dans  beau- 
coup de  patois  et  se  trouve  souvent  dans  les  chansons  popu- 
laires: Li  ont  mangé  la  tête  (E.  Rolland,  Recueil,  V,  35).  Ter- 
jou  le  nez  li  dégouttait  (ib.,  p.  49).  J'ii  aurais  donné  de  l'iau. 
bénite  (ib.,  p.  50),  etc. 

Remarque.  Au  XIII^  et  surtout  au  XIV^  siècle,  li  se  confond  avec  lui  et 
s'emploie  comme  forme  tonique.  Exemples:  L'ame  de  li  (Joinville,  §  34). 
Entre  moy  et  li  (ib.,  §  387).  Leur  miroir  est  trouble  et  pâli  Tant  que  nul  ne 
se  mire  en  li  (E.  Deschamps,  Œuvres,  IX,  5204).  Le  dgable  en  lieu  de  li 
(Patelin,  v.  989). 

529.  Masculin  pluriel. 

!•*  nu  est  devenu  régulièrement  il,  remplacé  dès  le  com- 
mencement du  XI V^  siècle  par  Hz,  ils;  dans  les  Miracles  de 
Notre  Dame,  où  il  est  la  forme  ordinaire,  on  trouve  un  seul 
exemple  de  Hz:  Et  donnez  tant  qu'ilz  s'en  noisent  (n*^  XX,  329). 
Les  grammairiens  du  XV^  siècle  constatent  trois  différentes 
prononciations  de  ils:  on  disait  i  devaint  une  consonne,  et  il, 
iz  ou  i  devant  une  voyelle.  Suivant  Rarcley  (1521)  dans  Hz  »/ 
and  z  hath  no  sounde  somtyme,  as  Hz  vont  ensemble,  and 
somtyme,  /  hath  his  sounde  and  z  leseth  the  sounde,  whan 
Hz  cometh   before  a  worde   begynnynge  with  a  vowell,   as  Hz 


376 

ont  fait«.  L'usage  continue  à  être  partagé  au  XVIP  siècle;  on 
hésite  entre  il  ont  et  iz  ont,  tandis  que  la  prononciation  en- 
tière Us  ont  est  réservée  au  style  soutenu;  devant  une  con- 
sonne on  dit  i  dans  le  parler  négligé:  i  racontent.  La  pro- 
nonciation sans  /  est  encore  très  courante  :  [izô]  (ils  ont),  [in9- 
vœlpa]  (ils  ne  veulent  pas);  comp.  ci-dessus  les  remarques  sur 
i7.  —  Dans  les  chansons  populaires  on  trouve  parfois  une 
forme  allongée  illes,  faite  probablement  pour  remplir  le  vers: 
Moi  fais  chanter  les  hommes,  quand  illes  sont  à  la  table  (Ro- 
mania,  VI,  598).  Comp.  ci-;dessus,  ille  pour  il  (§  528,  i). 

Remarque.  Au  moyen  âge  la  forme  masculine  ils  se  substituait  parfois  à 
la  féminine  elles.  Ce  phénomène,  qui  se  montre  d'abord  en  anglo-normand, 
se  répand  peu  à  peu  et  devient  assez  général  au  X1V«  et  surtout  au  XV^ 
siècle.  Exemples:  Femmes  a  la  pye  Portent  compagnye  ...  Escotez  que  vus 
dge  E  quele  assocye  Yl  tienent  en  amours  (Reimpredigt,  p.  XLIII).  S'il  [les 
femmes]  en  fussent  creues  Les  maisons  u  il  est,  fussent  tost  abatues  (Rom. 
de  Rou,  I,  V.  2095).  Sire,  Hz  ne  sont  mie  trop  belles  (Mir.  de  N.  Dame, 
n»  VII,  734).  Ilz  sont  toutes  très  sages  dames  (ib  ,  n"  XXXIII,  v.  1746).  Hz 
sont  si  gentilles  que  de  leur  amour  suis  rang  (Mis.  du  Vieil  Test.,  I,  v.  5320). 
Hz  en  seront  toutes  joyeuses  (ib.,  I,  v.  5330).  Car  a  bien  pou  ilz  sont  toutes 
ainsi  (G.  Paris,  Chansons,  p.  40).  Ou  sont  ilz  [les  dames  du  temps  jadis]? 
(Villon).  Ajoutons  que  ils  pour  elles  se  trouve  fréquemment  dans  la  Chirurgie 
de  H.  de  Mondeville  (I,  p.  XXXVI)  et  dans  Froissart  (voir  ZRPh.,  V,  324). 

2^  Illos  se  développe  de  deux  manières  différentes  ;  la  forme 
tonique  lUos  devient  els,  eus,  eux;  la  forme  atone  illos  de- 
vient los  qui  s'affaiblit  en  les.  Exemples:  Ço  peiset  els  (St.  Ale- 
xis, V.  580).  //  los  absols  (St.  Léger,  v.  226).  A  Rome  les  portet 
li  orez  (St.  Alexis,  v.  195).  Employée  enclitiquement,  la  forme 
faible  se  réduisait  au  moyen  âge  à  s;  on  disait  ainsi:  jos  ou 
jes,  pour  je  les,  tus,  mes,  luis,  quis,  ques,  nés,  sis,  ses.  Exemple  : 
Se  jos  en  creit,  il  me  trairont  a  perte  (St.  Alexis,  v,  205). 

Remarque.  Au  moyen  âge  la  forme  masculine  els  (eus)  s'employait  par- 
fois pour  la  forme  féminine  elles.  Exemples  :  Li  chevaliers  contre  els  [les 
dames]  leva  (Marie  de  France,  Guigemar,  v.  769)  Tûtes  les  bestes  i  alerent. 
Entre  els  distrent  et  esguarderent  (ead.,  Fabeln,  p.  219,  v.  4).  Les  dames  et 
demoiselles  gssirent  hors  pour  euls  raffreschir  (Froissart,  XI,  333). 

3°  Illorum  devient  lor,  lour,  plus  tard  leur  (I,  §  183);  il  sert 
aux  deux  genres.  —  Dans  la  langue  vulgaire  moderne,  on 
trouve  la  forme  curieuse  leursy  ou  leuzy,  qui  doit  s'expliquer 
comme  un  composé  de  leur  (muni  de  la  marque  du  pluriel) 
avec  l'adverbe  y.  Exemples  :  Ça  leux  zy  est  ben  égal  (Monnier, 
Scènes  populaires,  I,  S).  Je  leur  z'y  ai  parlé,  s'entend,  sans  leux 


377 

z'y  parler  (id.,  I,  10).  l's  sont  frusques  avec  des  p'iures  Qu'on 
leur-z-y  fait  exprès  pour  eux  (Bruant,  Dans  la  rue,  p.  117). 
Mine  !  Que  f  leur-z-y  cass'rais  la  gueule  (ib,  p.  119,  193). 

Remarque.  L'emploi  de  leur  ne  coïncide  pas  avec  celui  de  lui:  on  n'a  de 
illum  qu'une  forme  faible  (§  528,2)  et  les  fonctions  de  la  forme  forte  ont 
été  attribuées  à  lui.  Pour  leur,  rien  de  pareil,  comme  illos  a  été  conservé 
sous  une  double  forme.  Dans  quelques  patois,  leur  est  cependant  annvé  à 
supplanter  eux. 

530.    FÉMININ    SINGULIER. 

P  nia  devient  régulièrement  elle  (Ste  Eulalie),  qui  se  réduit 
à  ele  (St.  Alexis,  Roland,  etc.),  remplacé  après  le  moyen  âge 
par  la  graphie  étymologique  elle.  Dans  la  prononciation  mo- 
derne vulgaire,  elle  [û]  se  réduit  Volontiers  à  [e],  surtout  devant 
une  consonne  double;  on  dit  ainsi  [enkrwapa],  pour  elle  ne 
croit  pas;  comp.  ci-dessus  les  remarques  sur  i  pour  il  (§528,  i). 
Sur  d'autres  formes  collatérales,  voir  §  531. 

2"  niam  n'a  pas  donné  naissance  à  des  doublets;  on  ne 
trouve  que  la  forme  atone  illâm,  d'oii  la  qui  s'abrège  en  / 
devant  une  voyelle:  nous  l'aimons  (comp.  I,  §  285,  i).  Au 
moyen  âge  cette  même  forme  abrégée  pouvait  aussi  s'em- 
ployer enclitiquement  en  Picardie:  A  le  royne  keurt,  sel  prist 
par  le  giron  (Bastart  de  Bouillon,  v.  5914).  La  pais  fut  bonne 
quil  peust  pourchacier  (Ogier,  v.  8873).  Ne  me  dist  ele  voirement 
Que  jet  receusse  en  ma  brace  (G.  de  Palerne,  v.  1195). 

3^  Illsei  (voir  §  521,  Rem.)  devient  en  francien  H,  et  dans  les 
autres  dialectes  lei  (région  du  Nord  et  de  l'Est)  et  lie  (région 
d'Ouest):  Dont  lei  nonque  chielt  (Ste  Eulalie).  Li  vuelt  molt  ono- 
rer  (St.  Alexis,  v.  43).  Aveid  un'  amie;  Lei  ad  laisiet  (P.  Meyer, 
Recueil,  p.  208,  l.  53).  Un  jour  venait  de  lie  prier  (Chastoie- 
ment  d'un  père,  n»  XI,  142).  Od  lie  seras  penduz  (Wace,  Rou, 
II,  V.  1280).  Les  parties  adjacens  qui  sont  environ  lie  [la  plaie] 
(H.  de  Mondeville,  §  709).  Le  fons  de  l'ulcère  soit  eslevé  et  la 
bouche  de  lie  soit  déprimée  (ib.,  §  1637).  Quant  la  roïne  vou- 
sistes  espouser,  Jamais  en  li  ne  vous  devez  fier  (Bartsch  et  Hor- 
ning,  134, 19).  L'empereris  s'en  ala  en  France  et  emmena  avec  li 
monseignor  Jehan  d'Acre  (Joinville,  §  140).  Li  s'employait  aussi 
quelquefois  comme  régime  direct  tonique:  Et  la  roine  malvais 
samblant  m'en  fist,  Laidengea  moi,  et  je  li  autresi  (Les  Lohe- 
rains,  voir  Godefroy).    Cil  ama  li  et  ele  lui  (Lai  de  l'espervier, 


378 

V.  92).   Ce  pronom,    inconnu   depuis  la  fin  du  XV^  siècle  à  la 
langue   littéraire,    ^dt   encore   dans   les  patois  qui  ne  réduisent 
pas  ei  à  z;  on  a  ainsi  lei  en  wallon  et  en  lorrain. 
4^  lUi  >  H,  voir  «û-dessus  §  528,  4. 

531.  Formes  collatérales  de  elle. 

P  El  est  une  forme  abrégée,  dont  les  plus  anciens  exemples 
remontent  au  XIF  siècle:  Ne  peut  remaindre  quel  ne  seit  (Rom. 
de  Rou,  II,  V.  5632).  Se  plus  durast  qu'el  ne  faillist  (ib.,  v.  10002). 
De  toi  volons  oïr  com  et  sera  damnée  (Bartsch-Horning,  p.  102,9). 
La  forme  abrégée  se  trouve  aussi  dans  Rustebuef,  Les  Nar- 
bonnais  (v.  437,  3783),  Henri  de  Mondeville,  E.  Deschamps 
(IX,  3118,  4083),  etc.,  etc.;  elle  est  surtout  fréquente  au  XV^ 
et  au  commencement  du  XVI^  siècle  :  Car  el  parlait  et  ne  savait 
comment  (G.  Paris,  Chansons  du  XV^  siècle,  p.  31;  comp.  p.  40). 
Hélas!  s'el  ne  fust  langoureuse,  El  nous  fist  des  biens  a  planté, 
Mais  el  n'a  journée  de  santé  (Myst.  de  St.  Laurent,  v.  4186  ss.). 
Certainement  el  me  batroit  (Ane.  théâtre  franc.,  I,  21),  etc.,  etc. 
Les  derniers  exemples  que  je  connaisse  se  trouvent  dans 
R.  Garnier:  Si  tost  qu'elV  les  tient  asservis  (Hippolyte,  v.  939). 
De  corrompre  vos  loix  elV  nauoit  entrepris  (Antigone,  v.  2031). 

2"  Aie  (aile)  est  une  variante  dialectale  dont  le  plus  ancien 
exemple  se  trouve  dans  Wace:  Dame,  dit  aie,  je  vo  commant 
(voir  Godefroy,  IV,  747,  i).  Elle  vit  encore  dans  les  patois 
modernes.  Exemples:  La  cane,  alV  sort  du  bois  pleurant  (L.  Pi- 
neau, Le  folk-lore  du  Poitou,  p.  225).  Que  ieue  mée  [leur  mère] 
aile  est  morte  (Rolland,  Recueil,  III,  p.  6).  Devant  une  con- 
sonne elle  peut  se  réduire  à  a.  Exemple:  Allons  sercher  nouf 
mée  Qu'a  venue  nous  nourrer  (ib.).  Les  mêmes  deux  formes  se 
retrouvent  dans  l'argot  de  Paris:  A  poussa  comme  un  cham- 
pignon. Malgré  qu'aile  ait  r'çu  plus  d'un  gnon  (A.  Bruant,  Dans 
la  rue,  p.   18). 

3°  Ole  est  une  autre  variante  dialectale;  elle  peut  s'abréger 
en  o.  On  dit  ainsi  en  normand  oie  ème,  mais  o  viindra. 

4^  nie  est  une  nouvelle  formation,  tiré  du  masculin  //  (§  528). 
Nous  la  trouvons  trois  fois  dans  l'Escoufle,  en  rime  avec  fdle: 
De  quel  aconte  Est  Guilliaumes,  li  fix  le  conte,  Adès  es  chambres 
vostre  fdle?  Nos  cremons  moût  que  vos  ne  ille  N'en  aies  blasme 
(v.  2704).  La  forme  existe  encore  en  tourquennois  et  d'autres 
patois:  La  lune  ille  est  trop  haute  (Romania,  VII,  55).  La  ber- 


379 

gère  gardant  ses  moutons,  ille  s'est  endormie  (ib.,  68).  Ce  qu'ille 
n'a  dit  n'a  pas  manqué  (ib.,  72).  Ille  était  la  servante  de  Jésus- 
Christ  (Romania,  IV,  111). 

532.    FÉMININ    PLURIEL. 

P  Illae  a  été  remplacé  par  illas  (§  235),  d'où  elles  qui  se 
réduit  à  eles,  écrit  plus  tard  elles,  par  réaction  étymologique. 
On  trouve  au  moyen  âge  la  forme  abrégée  els,  mais  bien  plus 
rarement  que  el,  pour  elle,  au  singulier  (voir  §  531,  i).  Quant 
els  sunt  sautées  (Ph.  de  Thaun,  Bestiaire,  v.  1085).  Els  parolent 
et  volent  (ib.,  v.  1391).  Et  mistrent  desouz  leurs  aisselles.  Char 
de  poules  qu'elz  ont  plumées  (E.  Deschamps,  Œuvres  complètes, 
I,  V.  10443).  Dans  les  patois  modernes  on  rencontre  illes 
(comp.  ille  pour  elle,  §  531,4):  Que  les  étoiles  sont  grandes, 
quand  illes  sont  au  firmament  (Romania,  VII,  57). 

2^  nias  se  développe  de  deux  manières  différentes:  tonique, 
il  devient  elles,  et  atone  (illâs),  il  devient  les  (dans  la  Passion 
on  trouve  las,  v.  414).  A  côté  de  les,  on  a  la  forme  enclitique 
s;  voir  §  529,  2. 

3^^  Illarum    a  été   remplacé   par  illorum    (comp.  §   232,2),. 
d'où  lor,  tour,  leur  (voir  §  529, 3). 

533.  Forme  neutre.  Illud  fut  remplacé  dans  la  langue  vul- 
gaire par  il  lu  m,  dont  l'existence  est  attestée  déjà  par  Com- 
modien  (Instructiones,  II,  22,4);  il  se  retrouve  dans  la  plupart 
des  langues  romanes. 

P  Comme  sujet  neutre,  lUum  apparaît  en  vieux  français 
sous  les  formes  el  (eu),  al  (au),  ol  (ou,  o).  Ces  formes  sont 
propres  à  la  région  occidentale  (Saintonge,  Poitou,  Touraine, 
Bretagne);  elles  sont  assez  fréquentes  dans  les  deux  poètes 
tourangeaux  Benoît  de  Sainte -More  et  Péan  Gastinel.  Ex- 
emples: Quant  el  veneit  al  desevrer  (Benoît  de  Sainte-More, 
Chronique,  I,  571).  Si  cum  el  est  leis  et  dreiture  (ib.,  I,  1316). 
Peser  m'en  deit,  et  si  fait  el  (Rom.  de  Troie,  v.  20253).  Dist 
qu'o  coitout  Que  au  pauvre  fust  einz  rendue  (Péan  Gastinel, 
Vie  de  St.  Martin,  v.  1048).  Ou  semblait  meselerie  (ib.,  v.  6419). 
La  forme  neutre  s'emploie  aussi  dans  l'affirmation  oel  de  hoc 
illum  (comp.  o/Y  <  hoc  ille;  voir  I,  §  14,  Rem.)  dont  on 
trouve  les  variantes  oal,  oual  et  aol,  aoul  (avec  dissimilation 
de  la  première  voyelle)  et  dans  la  négation  nenal  de  non  il- 


380 

lu  m  (comp.  nenni  <  nenil  <  non  il  le).  Exemples:  Puet  estre 
voirs?  Par  Diu,  aoul  (Escoufle,  v.  5956).  Vielz  auoir  mon  gré? 
—  Dame,  aol  (Recueil  de  fabliaux,  VI,  p.  106).  Belz  nez,  fait 
ele,  est  il  en  vie?  —  Madame,  oal,  mes  febîement  (Godefroy, 
Dictionnaire).  Est  sains?  —  Dame,  nenal  (Guillaume  de  Pa- 
leine,  v.  2515). 

Remarque.  Le  nominatif  neutre  existe  encore  aujourd'hui  dans  le  Poitou 
et  les  pays  limitrophes,  où  l'on  dit:  01  était  une  foué,  ol  é  ben  vrai,  o  m'en- 
neu  ben,  ol  é  li  (c'est  lui),  ol  est  v'nii  un  gros  chin,  etc. 

2"  A  l'accusatif,  illum  s'est  développé  de  deux  manières 
différentes.  Comme  forme  tonique  (illum),  nous  avons  ol,  ou 
qui  est  d'un  emploi  assez  rare:  Car  l'emperere  ou  commanda 
(Vie  de  St.  Martin,  v.  8479).  Comme  forme  atone  (illum) 
nous  avons  lo,  le,  absolument  identique  à  l'ace,  masc.  sing. 
(§  528, 2),  avec  lequel  il  s'est  confondu. 

534.  Forme  réfléchie.  Se  se  développe  comme  me  (§  525, 2) 
et  te  (§  526,2)  de  deux  manières  différentes:  comme  forme 
tonique,  il  devient  sei,  soi  (I,  §  155),  comme  forme  atone  se 
(I,  §  162),  qui  s'abrège  en  s  devant  une  voyelle  (I,  §  281, 1). 
Au  moyen  âge,  la  forme  abrégée  s'emploj^ait  aussi  enclitique- 
ment;  on  trouve  ainsi  sis,  quis,  nés  (St.  Alexis,  v.  140),  ques 
(ib.,  V.  614),  poros  (Eulalie,  v.   18),  etc. 


CHAPITRE  II. 

LES   PRONOMS   POSSESSIFS. 


535.  Les  possessifs  latins  sont  meus,  tuus,  suus,  noster, 
vester,  auxquels  est  venu  se  joindre  illorum,  qui,  dans 
certaines  régions,  remplace  suus  dans  sa  fonction  de  posses- 
sif de  la  pluralité.  Tandis  qu'on  disait  en  latin:  Patres 
amant  suos  liber  os,  on  dit  en  italien:  /  genitori  amano 
loro  figli,  et  en  français:  Les  pères  aiment  leurs  enfants. 

Remarque.  L'emploi  latin  de  suus  comme  possessif  de  la  pluralité  s'est 
conservé  intact  en  hispano-roman  ;  on  dit  en  espagnol  :  Los  padres  quieren 
à  sus  Iiijos,  et  en  portugais:  Os  pais  amào  seus  filhos.  On  le  retrouve  aussi 
sporadiquement  en  italien,  en  rhétique,  en  provençal  et  en  vieux  français: 
Li  soleil  et  la  lune  perdirent  ses  clartez  (Alexandre  le  Grand).  Les  deus  en 
jura  et  les  soes  vertuz  (ib.).  Ces  exemples  avec  beaucoup  d'autres  se  trouvent 
dans  A.  Tobler,  Beitrâge,  II,  80—82. 

536.  Cas  et  genres. 

P  Les  pronoms  possessifs  n'ont  conservé  que  le  nominatif 
et  l'accusatif  (comp.  §  539  ss.)  ;  cette  déclinaison  à  deux  cas 
disparaît  eh  même  temps '■que  celle  des  substantifs  (§  275). 
Notons  que  le  cas  régime  prend  de  très  bonne  heure  les  fonc- 
tions du  cas  sujet.  Ce  sont  les  textes  écrits  en  Angleterre  qui 
en  montrent  les  premiers  exemples:  Mors  est  Saul  et  Jonathas 
siin  fiz  (Quatre  Livres  des  rois).  Ta  maison  iert  leale  et  tun 
règne  permanablement  devant  mei  (ib.).  Dans  les  textes  posté- 
rieurs, l'emploi  de  mon,  ton,  son  au  cas  sujet  devient  de  plus 
en  plus  général.  Les  manuscrits  de  la  Chronique  de  Joinville 
ne  connaissent  presque   pas  les  formes   mes,   tes,  ses.   Pour  le 


382 

pluriel,  c'est  aussi  l'accusatif  qui  l'emporte;  les  anciens  nomi- 
natifs se  trouvent  encore,  bien  que  rarement,  à  la  fin  du  XIV'' 
siècle:  Mi  bon  ami,  venez  lever  le  siège  (E.  Deschamps,  IV, 
105). 

2^  Outre  le  masculin  et  le  féminin,  le  vieux  français  avait 
aussi  conservé  le  neutre  singulier  meum  )  mien,  etc. 

537.  Doublets.  La  langue  moderne  présente  pour  tous  les 
pronoms  possessifs  (excepté  leur)  des  formes  doubles  :  mien  — 
mon,  mienne  —  ma,  tien  —  ton,  tienne  —  ta,  sien  —  son,  sienne 
—  sa,  nôtre  —  notre,  vôtre  —  votre.  L'origine  des  doublets  re- 
monte assez  haut;  nous  pouvons  constater,  déjà  dans  la  basse 
latinité,  l'existence  d'une  double  série  de  formes.  Voici  celles 
qui  ont  dû  exister  au  VP  siècle: 

Première  personne. 


meus 

mos 

mea 

ma 

meum 

mom 

mea 

ma 

mei 

mi 

meas 

mas 

meos 

mos          » 

mea  s 

mas 

Deuxième 

per 

sonne. 

tos 

toa 

ta 

tom 

toa 

ta 

tui 

ti 

toas 

tas 

tos 

toas 

tas 

Troisième 

per 

sonne. 

sos 

soa 

sa 

som 

soa 

sa 

sui 

si 

soas 

sas 

SOS 

soas 

sas 

Le  grammairien  gaulois  Virgilius  remarque:  »Sunt  pro- 
nomina,  quae  non  omnia  in  usu  habentur  ut  mus,  genitivo 
mi,  dativo  mo,  accusativo  mum,  vocativo  mi,  ablativo  mo  et 
plurali  mi,  morum,  mis,  mos,  a  mis  et  feminino  ma,  mae,  mae, 
mam,  o  ma,  a  ma,  mae.,  marum,  mis,  a  mis  et  neutro  mum  et 
tus,  et  sas«   (comp.  ALLG,  II,  24).  Pour  d'autres  témoignages. 


383 


voir  G.  Rydberg,    Zur    Geschichte    des   franzôsischen   a,    p.  244 
—245. 

538.  Formes  analogiques.  On  constate  dans  le  développe- 
ment des  pronoms  possessifs  la  création  de  nombreuses  formes 
analogiques  qui  tendent  à  effacer  l'opposition  phonétique  entre 
les  primitifs.  Déjà  en  latin  vulgaire  vester  a  cédé  la  place  à 
voster  (roum.  vostru,  it.  vostro,  esp.  vuestro,  port,  vosso,  prov. 
vostre),  fait  sur  le  modèle  de  no  s  ter.  La  même  prédominance 
de  la  première  personne  s'observe  en  vieux  français,  où  la 
série  mien  —  tuen  —  saen  est  remplacée  par  mien  —  tien  —  sien; 
la  série  mi  —  tui  —  sui,  par  mi  —  ti  — si  (rarement  mui  —  tui  — 
sui),  la  série  moie  —  toue  —  soue,  par  moie  —  toie  —  soie,  etc. 


A.  FORMES  FORTES. 

I.   POSSESSIFS   DE   L'UNITÉ. 

539.  Formes  fortes  du  masculin.  Le  pluriel  latin  a  presque 
entièrement  disparu,  et  quant  au  singulier  on  ne  trouve  que 
de  faibles  traces  du  nominatif.  Le  seul  cas  conservé  est  en 
effet  l'accusatif,  et  il  est  devenu  le  point  de  départ  de  toutes 
les  nouvelles  formations  françaises,  créées  pour  suppléer  aux 
formes  latines  perdues:  des  accusatifs  mien,  tuen,  suen  on  tire 
un  nouveau  nominatif  miens,  tuens,  suens  et  tout  le  pluriel.  A 
partir  du  XIIP  siècle,  la  langue  ne  conserve  des  formes  éty- 
mologiques que  celle  de  la  première  personne  (mien),  sur  la- 
quelle toutes  les  autres  se  modèlent.  Voici  un  tableau  som- 
maire des  possessifs  toniques  : 


ire  personne.  2^  personne. 

meos  (meus)  —  miens      tuens  —  tiens 
mien  tuen  —  tien 


mi  —  mien 
miens 


tui  —  tuen  —  tien 
tuens  —  tiens 


3e  personne. 
suens  —  siens 
suen  —  sien 

sui  —  suen  —  sien 
suens  —  siens 


540.    Observations    sur  l'origine  et  le   développement    des 
formes  : 


I 


384 

P  Première  personne.  —  Meus  est  conservé  dans  les  Ser- 
ments de  Strasbourg:  Karlos  meos  sendra  (Charles  mon  sei- 
gneur). Cette  forme  meos,  dont  la  graphie  correcte  serait  pro- 
bablement mieus,  est  unique  ;  dans  les  autres  textes  on  trouve 
miens,  qui  est  une  nouvelle  formation  tirée  du  cas  oblique. 
Le  plus  ancien  exemple  se  trouve  dans  le  Cantique  des  Can- 
tiques: Li  miens  amis  me  fist  molt  grant  ennor  (v.  65).  — 
Meum,  qui  se  trouve  dans  les  Serments  sous  la  forme  de 
meon,  est  devenu  mien  (en  anglo-normand  men),  point  de  dé- 
part de  toutes  les  formes  actuelles  des  pronoms  possessifs 
forts.  —  Mei  devient  mi  (mei  dans  les  Dialogues  de  Grégoire), 
se  confond  ainsi  avec  la  forme  atone  et  est  remplacé  par 
mien,  tiré  du  singulier;  de  la  même  manière  meos  est  rem- 
placé par  miens. 

2^  Deuxième  personne.  —  Tuus  (tos)  est  remplacé  dès  les 
plus  anciens  textes  par  tuens,  qui  cède  la  place  à  tiens.  — 
Tuum,  en  passant  par  tôm,  d'où  probablement  tôm,  est  de- 
venu toen  (Alexis,  v.  418),  tuen,  qui  cède  la  place  à  tien,  fait 
sur  mien.  —  Tui  devient  toi  (Alexis,  v.  412),  tui  qui  s'emploie 
comme  forme  atone;  comme  forme  tonique  on  crée  tuen,  tien. 
—  Tuos  est  remplacé  par  tuens,  tiens. 

3^  Troisième  personne.  —  Su  us  est  encore  conservé  dans 
la  Vie  de  St.  Léger:  //  suos  corps  (v.  10);  partout  ailleurs  rem- 
placé par  suens  et  siens.  —  Suum  est  devenu  suon  (Ste  Eu- 
lalie,  V.  15),  plus  tard  suen  (soen),  qui,  au  XIII^  siècle,  cède 
la  place  à  sien,  fait  sur  mien.  —  Sui  devient  soi  (St.  Léger, 
V.  14;  Brut  de  Munich,  v.  2090)  ou  sui,  mais  ces  formes  ont 
changé  de  fonction,  elles  sont  devenues  atones,  et  à  leur  dé- 
faut on  a  créé  suen,  sien  sur  le  modèle  du  singulier.  —  Suos 
est  remplacé  par  suens,  siens. 

541.  Formes  fortes  du  féminin.  Toutes  les  formes  latines 
étaient  conservées  au  moyen  âge:  mea  )  meie,  tua  >  toue, 
sua  )  soue;  elles  ont  toutes  disparu  dans  la  langue  moderne 
qui  ne  connaît  que  des  formes  analogiques  faites  sur  le  mas- 
culin de  la  première  personne  :  mienne,  de  mien,  tienne,  sienne. 
Voici  un  tableau  montrant  la  succession  des  formes: 

mea  >  meie,  moie  —  mienne 

tua  )  toue,  teue  —  teie,  toie  —  tienne 

sua  >  soue,  seue  —  seie,  soie  —  sienne. 


385 

542.  Observations  sur  l'origine  et  le  développement  des 
formes  : 

1"  Première  personne.  —  Mea  devient  régulièrement  meie, 
moie.  On  trouve  cette  forme  encore  au  XV*'  siècle:  Et  telle  est 
la  voiilenté  moye  (G.  Raynaud,  Rondeaux,  p.  36).  Sont  vos  dou- 
leurs telles  comme  les  moyes  (Montaiglon,  Recueil,  II,  p.  121). 
Jamais  bouche  de  homme  ne  toucheroit  a  la  moye  (Quinze  joies 
de  mariage,  p.  19).  Elle  est  inconnue  au  XVI*^  siècle;  E.  Pas- 
quier  remarque  expressément  que  les  anciens  disaient  moye  et 
toye  pour  mienne  et  tienne  {Recherches,  IIII,  chap.  46).  A  côté 
de  meie,  moie  on  avait,  dans  le  dialecte  picard  mieue  (miuej, 
probablement  modelé  sur  un  masculin  mieus  (§  540,  i).  La 
forme  victorieuse  mienne,  tirée  du  masculin  mien,  remonte  au 
XIII*'  siècle;  on  s'est  aussi  servi  de  moyenne  qui  représente  une 
sorte  de  compromis  entre  moye  et  mienne. 

2"  Deuxième  et  troisième  personnes.  —  Tua  et  sua  de- 
viennent toe  (toue,  tue),  soe  (soue,  sue),  et  vers  1200  (I, 
§  183)  teue,  seue.  On  avait  aussi  des  formes  analogiques  re- 
faites sur  la  première  personne:  teie,  toie  et  seie,  soie,  à  côté 
desquelles  tienne  et  sienne  ne  tardent  pas  à  apparaître.  Ruste- 
buef  se  sert  ordinairement  de  toie  et  soie,  mais  on  trouve  aussi 
dans  ses  poésies  les  formes  toe,  soe,  seue  et  sienne.  En  Picar- 
die, on  disait  tieue  (tiue),  sieue  (siue).  L'hésitation  entre  les 
différentes  formes  dure  longtemps;  on  relève  dans  les  poésies 
de  Froissart  toie,  soie,  sienne,  sieue. 


II.  POSSESSIFS  DE  LA  PLURALITÉ. 

543.  Il  faut  examiner  à  part  noster,   voster   et  illorum. 
1^  Voici  les  formes  de  noster  dans  la  vieille  langue: 

noster  nostre(s)         nostra  nostre 

nostrum       nostre  nostra  nostre 

n o s t r i  nostre  nostras(§ 235)  nostres 

nostros         nostres  no  stras  nostres 

De   ces  formes   on   ne  conserve  que  les  accusatifs  nostre  — 
nostres  qui   deviennent   nôtre  —  nôtres.    Le   développement  de 

25 


X 


386 

voster  est  identique  à  celui  de  noster;  les  formes  modernes 
sont  vôtre  —  vôtres. 

Remarque.  Sur  les  formes  fortes  noe  et  voe,  voir  §  550,  Rem. 

2"  Illorum  devient  régulièrement  lor  (lour),  puis  leur.  Con- 
formément à  son  origine,  il  était  invariable  dans  la  vieille 
langue  (comp.  §  551). 


B.  FORMES  FAIBLES. 

I.    POSSESSIFS   DE   L'UNITÉ. 

544.    Voici    d'abord    un    tableau   des   formes   françaises  du 
moyen  âge: 


SINGULIER. 

ire  personne. 

2^  personne. 

3«  personne. 

mes  (mis) 

ma 

tes  (tis)        ta 

ses  (sis)       sa 

mon  (men) 

ma 

ton  (ten)      ta 
PLURIEL. 

son  (sen)     sa 

mi  (mai) 

mes 

ti  (tui)         tes 

si  (sui)        ses 

mes 

mes 

tes                 tes 

ses                ses 

De  ces  formes,  la  langue  moderne  n'a  conservé  que  les  ac- 
cusatifs mon,  ton,  son  —  mes,  tes,  ses,  et  ma,  ta,  sa  —  mes, 
tes,  ses. 

545.  Formes  faibles  du  masculin. 

l*'  Première  personne.  —  Meus  >  mos  devient  régulière- 
ment mes;  on  trouve  aussi  la  forme  collatérale  mis.  La  langue 
moderne  conserve  une  dernière  trace  de  l'ancien  nominatif 
dans  le  titre  d'honneur  messire.  —  M  eu  m  >  muin  )  mon  (en 
anglo-normand,  mun)  ;  en  picard  et  wallon  on  disait  men.  — 
Mei  >  mi  )  mi;  on  trouve  aussi  mui  (voir  Godefroy),  fait  sur 
le  modèle  de  tui,  sui. 

2^  Deuxième  personne.  —  Tuus  >  tos  >  tos  (St.  Léger, 
V.  92)  >  tes  (et  tis).  —  Tuum  >  tum  >  ton  (en  anglo-normand 
tun,  en  picard  et  wallon  ten).  —  Tui  )  ti  }  ti;  on  trouve 
aussi  comme  formes  atones  tui  (§  540, 2)  et  tel,  mei  (§  540, 1). 
—  Tuos  )  tos  )  tes. 


I 
I 


I 


387 

3'^  Troisième  personne.  —  Suus  >  sos  }  ses  (et  sis).  — 
Suum  >  sum  >  son  (en  anglo-normand  sun,  en  picard  et 
wallon  sen).  —  Sui  >  si  >  si;  on  trouve  aussi  comme  formes 
atones  sui  (§  540,  s)  et  sei,  fait  sur  mei  (§  540,  i).  —  S  u  o  s  } 
sos  >  SOS  (St.  Léger,  v.  2,  59,  86,  etc.)  >  ses. 

Remarque.  Les  observations  suivantes  de  Henri  Estienne  sur  les  pronoms 
possessifs  montreront  le  peu  d'intelligence  qu'on  avait  au  XVI^  siècle  de  la 
langue  du  moyen  âge.  Dans  les  Deux  Dialogues  (voir  I,  §  42)  Philausone 
demande  l'explication  de  Messire,  et  Celtophile  répond:  »Peut  estre  qu'on 
disait  premièrement  Men  sire,  pour  Mon  sire:  et  depuis  pour  addoucir  on 
aima  mieux  dire  Messire:  comme  en  la  langue  Latine  et  en  la  Grecque  se 
void  souvent  tel  changement  de  consonante.  Toutesfois  il  ne  seroit  pas  moins 
vraysemblable  qu'au  commancement  on  eust  dit  Me  sire,  au  lieu  de  Mon  : 
et  qu'après  on  eust  dict  Messire  en  un  mot.  Car  ce  Mon  n'a  pas  esté  si 
commun  à  nos  ancestres  qu'à  nous:  et  mesmes  il  semble  qu'ils  l'ayent  évité 
tant  qu'ils  ont  peu  devant  un  mot  de  genre  féminin.  Qu'ainsi  soit,  vous  li- 
sez en  'Villon,  qui  a  esté  du  temps  de  nos  ayeuls,  M'ame  pour  Mon  ame:  et 
M'escoliere  pour  Mon  escoliere.  Laquelle  façon  se  retient  encores  aujourdhuy 
en  quelques  lieux:  et  ne  la  devons  trouver  estrange,  veu  que  nous  mesmes 
disons  M'amie,  plustost  que  Mon  amie':  (éd.  Ristelhuber,  I,  157). 

546.  Formes  faibles  du  féminin.  On  a  conservé  en  français 
toutes  les  formes  latines: 

1^  Mea  >  ma  >  ma  (comp.  illa  )  la;  I,  §  173,  i),  et  meas 
>  mas  )  mes  (comp.  illas  )  les). 

2"  Tua  >  ta  >  ta,  et  tuas  >  tas  >  tes. 
3^  Sua  >  sa  >  sa,  et  suas  >  sas  )  ses. 

Remarque.  Au  lieu  de  ma,  ta,  sa  on  trouve,  dès  le  XIII*  siècle,  en  picard, 
me,  te,  se  (comp.  le  pour  la,  §  499,  s.  Rem.). 

547.  Dans  l'ancienne  langue,  l'a  final  de  ma,  ta,  sa  s'élidait 
devant  les  noms  commençant  par  une  voyelle  ;  on  disait  ainsi 
m'anme,  t'espee,  s'enfance  (cf.  I,  §  285,  i).  La  langue  moderne 
emploie  dans  ce  cas  la  forme  masculine  du  pronom:  mon 
âme,  ton  épée,  son  enfance.  Cet  usage  remonte  assez  haut;  on 
le  constate  dès  la  fin  du  XIP  siècle  dans  les  dialectes  ex- 
trêmes du  Nord-Est  et  du  Nord  (le  lorrain  et  le  v^^allon).  Il 
se  trouve  ainsi,  à  l'état  de  règle,  dans  les  Sermons  de  St.  Ber- 
nard (éd.  W.  Fôrster,  Erlangen,  1885):  mon  ainrme  (7,6),  mon 
aasmance  (33, 28),  ton  ainrme  (4, 29),  ton  oroille  (45, 17),  ton  yma- 
gine  (59, 5),  son  oroille  (47, 30).  Comp.  son  aïe  et  mon  aïe  dans 
Orson  de  Beauvais  (v.  1694,  1983),  dont  le  manuscrit  est  exé- 

26* 


388 

cuté  en  Lorraine.  L'emploi  des  formes  masculines  devant  un 
substantif  féminin  se  montre  plus  tard  dans  les  autres  dia- 
lectes (il  y  a  son  amor  dans  Rustebuef)  et  ne  devient  général 
dans  le  francien  qu'au  XIV^  siècle.  Dans  les  Miracles  de  Notre 
Dame  on  trouve  m'ame  (n°  2,  v.  199),  m'antin  (ib.,  v.  454), 
s'entencion  (ib.,  v.  296),  à  côté  de  mon  église  (n^  8,  ttg),  mon 
avision  (n°  8,  éis),  ton  ame  (n"  6,  eeo),  son  eveschié  (n°  6, 1443).  La 
même  hésitation  s'observe  dans  la  Chirurgie  de  Henri  de  Monde- 
ville  (traduction  de  1314):  sumidité  (§  116),  mais  son  humidité 
(§  192),  son  extrémité  (§  270),  etc.  Au  XV*'  siècle  on  ne  trouve 
l'ancien  usage  que  dans  quelques  expressions  consacrées:  par 
m'ame  (Villon;  Patelin,  v.  574;  Quinze  joies,  p.  74),  m' amie, 
s' amie,  m' amour,  s' amour,  etc.  La  langue  moderne  a  con- 
servé m'amie^  écrit  fautivement  ma  mie  (I,  §  490),  et  m'a- 
mour,  employé  dans  l'expression  'faire  des  mamours  à  qn.'; 
on  trouve  rarement  le  singulier  comme  dans  l'exemple  sui- 
vant: Fais  un  beau  m' amour  à  ta  petite  femme  (G.  de  Maupas- 
sant,  Bel  ami,  p.  297).  La  substitution  de  mon  amie  à  m' amie 
est  probablement  due  à  une  analogie  tirée  des  adjectifs  mo- 
biles qui  présentaient  la  même  forme  au  masculin  qu'au  fé- 
minin, si  le  nom  commençait  par  une  voyelle.  Tandis  que  la 
différence  entre  les  deux  formes  est  notable  devant  une  con-* 
sonne:  beau  père  —  belle  mère,  bon  père  —  bonne  mère,  elle 
devient  presque  nulle  devant  une  voyelle:  bel  ami  —  belle 
amie,  bon  ami  —  bonne  amie,  et  c'est  sur  le  dernier  modèle 
qu'on  a  créé  mon  ami  —  mon  amie. 

IL   POSSESSIFS   DE   LA  PLURALITÉ. 

548.  Les  changements  que  subissent  noster  et  voster  sont 
les  mêmes  en  position  faible  qu'en  position  forte  pour  toutes 
les  formes  à  l'exception  du  cas  oblique  du  pluriel,  où  nos- 
tros  et  vostros  se  réduisent  à  noz  et  voz,  plus  tard  nos  et 
vos;  oii  a  donc  les  séries: 

SINGULIER. 
nostre(s)  vostre(s) 

nostre  vostre 

PLURIEL. 
nostre  vostre 

noz,  nos  voz,  vos 


389 


Voici  quelques  exemples  des  formes  réduites:  De  noz  aveirs 
(Alexis,  V.  523).  De  noz  péchiez  (ib.,  v.  618).  A  voz  Françeis 
(Roland,  v.  205),  etc.  On  peut  aussi  citer  la  forme  vost  du 
Jonas:  Faites  vost  almosnes  (1,  30).  La  langue  moderne  a 
adopté  notre,  votre,  dont  Vo  ouvert  est  dû  à  la  position  pro- 
tonique, et  au  pluriel  nos,  vos. 


549.  Les  formes  monosyllabiques  du  cas  régime  pluriel  ju- 
raient avec  les  autres,  et  on  constate  au  moyen  âge  une  cer- 
taine tendance  à  faire  disparaître  la  discordance,  soit  par  la 
création  des  formes  analogiques  nostres  et  vostres,  ce  qui  est 
un  phénomène  plutôt  rare,  soit  par  la  généralisation  des 
formes  courtes;  ce  dernier  procédé  est  très  employé,  et  il  a 
provoqué  les  séries: 


ire 

personne. 

2e 

personne. 

Masculin. 

Féminin. 

Masculin 

Féminin 

nos 

770 

VOS 

VO 

no 

no 

vo 

VO 

no 

nos 

VO 

VOS 

nos 

nos 

VOS 

vos 

Ces  formes  s'employaient  surtout  en  Picardie.  Exemples:  Li 
empereres  nos  sires  vos  salue  (Villehardouin,  §  576).  Vo  vair 
oiel  et  vos  gens  cors  (Aucassin  et  Nicolete,  23, 13).  A  vo  lit  (ib., 
6, 21).  No  cantefable  prent  fin  (ib.,  41, 24).  Nicolete  vo  douce  amie 
(ib.,  40,  44).  Et  no  compagnon  sont  detrenchiet  (Aiol,  v.  6075). 
On  les  trouve  encore  aux  XIV<^  et  XV*^  siècles.  Exemples:  Car 
vostre  sui  et  comme  vos  sers  viz  (E.  Deschamps,  IV,  103).  Adieu 
noz  dame.  —  Adieu  noz  maistre  (Ane.  théâtre  français,  I,  215). 
A  voz  menton  (ib.,  II,  106).  Voilà  pour  no  pasté  (ib.,  II,  77). 
Pour  vo  salut  (Greban,  Mistere  de  la  Passion,  v.  226).  En  no 
demaine  (ib.,  v.  968). 

550.  On  constate  au  moyen  âge  une  certaine  tendance  à 
généraliser  les  formes  faibles  aux  dépens  des  formes  fortes: 
L'avoir  soit  voz  et  li  loz  nostre  (Richars  li  biaus,  v.  5056).  Li 
vo  amie  (Chev.  au  lion,  v.  1296.  Ms.  F.).  Les  noz  del  ost  s'en 
sunt  fuiz  (Quatre  livres  des  Rois,  16, 10).  Tu  nies  mie  des  nos 
(Roland,  v.  2286).    Nos  proeces  devant  les  voz  (Cligès,  v.  5013). 


I 


390 

Si  soloient  estre  les  noz  moût  renomées  (ib.,  v.  5014),  etc.  On 
trouve  encore  au  XV^  siècle  des  exemples  de  cette  confusion: 
//  se  viendra  renger  des  noz  (Ane.  th.  fr.,  I,  112). 

Remarque.  Au  féminin  on  trouve  aussi,  quoique  rarement,  noe  et  voe, 
qui  n'apparaissent  qu'à  la  rime.  Exemples:  Tout  sut  voe  (Berte,  v.  863).  Par 
li  fuisse  murdris,  se  forche  ne  fiiist  noe,  Se  che  fuist  aussi  bien  ma  soer, 
corne  c'est  la  voe  (Beaud.  de  Sebourc,  VI,  647). 

551.  lUorum  devient  lor,  lour  qui  aboutit  à  leur,  sous  l'in- 
fluence de  la  forme  accentuée.  Il  est  primitivement  invariable 
selon  son  origine:  N'unt  cure  de  lur  vies  (Roland,  v.  2604).  Au 
XIV^  siècle,  leur  ayant  perdu  sa  valeur  démonstrative  est  re- 
gardé comme  un  pur  adjectif,  et  on  commence  à  le  faire  va- 
rier en  nombre.  La  traduction  de  la  Chirurgie  de  Henri  de 
Mondeville  (1314)  en  a  deux  exemples:  à  touz  leurz  navrez 
(§  766),  à  leurs  chienz  (§  1760);  partout  ailleurs  dans  ce  texte, 
leur  est  invariable,  mais  peu  à  peu  l'addition  de  s  au  pluriel 
devient  générale.  Cependant,  des  exemples  isolés  de  leur  pour 
leurs  se  trouvent  encore  au  XVP,  même  au  XVII^  siècle  ;  on 
en  rencontre  ainsi  dans  les  Mémoires  autographes  du  cardinal 
de  Retz  et  dans  les  écrits  de  la  jeunesse  de  Racine  (voir  ses 
Œuvres  complètes,  V,  538,  note  2).  —  Au  XVII'^  siècle,  Hindret 
constate  l'amuissement  du  r  en  recommandant  de  prononcer 
leu(rs)  pays,  leu(r)  oncle,  leu(r)s  enfants. 

Remarque.  Tout  en  assimilant  leur  aux  adjectifs,  on  n'est  pas  allé  jusqu'à 
lui  donner  une  forme  féminine;  au  moins  n'avons  nous  jamais  trouvé  leure. 
Le  vieux  bolonais  se  sert  de  lora. 


CHAPITRE  m. 

PRONOMS   DÉMONSTRATIFS. 


552.  On  avait  en  latin  les  démonstratifs  suivants:  hic,  il  le, 
iste,  is,  idem,  ipse.  De  ces  pronoms,  is  et  idem  ont  to- 
talement disparu;  voici  quelques  remarques  sur  le  sort  des 
autres. 

1^  Hic.  De  ce  pronom  on  n'a  conservé  que  le  neutre  hoc, 
qui  est  devenu  o.  Exemples  :  In  o  quid  il  mi  altresi  fazet  (Serm. 
de  Strasbourg).  Et  pour  o  fut  presentede  (Eulalie,  v.  11).  Sem- 
pre  fist  bien  o  que  el  pod  (St.  Léger,  v.  40).  Faites  o  tost  (Spon- 
sus,  V.  77).  Ce  pronom  s'employait  principalement  comme  ad- 
verbe d'affirmation  :  Aine  ne  m'en  sot  dire  ne  o  ne  non  (Huon 
de  Bordeaux,  v.  9479)  ;  surtout  accompagné  d'un  pronom  per- 
sonnel: o  je,  o  tu,  o  il,  o  el  (comp.  §  533,  i),  o  nos,  etc.;  de 
ces  combinaisons  on  ne  garde  que  o  il,  oïl,  plus  tard  oui  (I, 
§  14,  Rem.).  Comme  pronom,  o  ne  s'emploie  guère  en  position 
isolée  après  le  X«  siècle,  mais  nous  le  retrouvons  dans  le  com- 
posé iço  ou  ço  (plus  tard  ce)  qui  dérive  de  ecce  hoc  (§  567). 
Rappelons  aussi  les  combinaisons  suivantes:  Apud  hoc) 
avuec,  avec.  Pro  hoc  )  vfr.  prouec,  pruec,  pruekes  (sur  la 
signification,  voir  Romania,  VI,  588),  et  la  forme  négative  ne- 
poruec.  Sine  hoc  >  vfr.  senuec  (sans  cela).  Hoc  anno  )  vfr. 
ouan. 

2"  nie  a  reçu  les  fonctions  d'article  défini  (§  497)  et  de  pro- 
nom personnel  (§  520)  ;  comme  démonstratif  il  a  été  remplacé 
par  le  composé  ecce  ille  (§  554). 

3^  Ipse  s'est  conservé  dans  les  plus  anciens  monuments  sous 
la  forme  es  (comp.  it.  esso,  port,  èiso,  esp.  ese).  Exemples:  Cil 


392 

eps  nun  auret  Evrui  (St.  Léger,  v.  56).  Paschas  furent  en  eps 
cel  di  (ib,,  v.  80).  Le  féminin  esse  se  trouve  rarement:  Par  esse 
la  chariere  (Ph.  de  Thaun,  Comput,  v.  1433,  2469;  Bestiaire, 
V.  1087).  Es  se  conserve  jusqu'au  XI V*'  siècle  dans  les  locu- 
tions toutes  faites  en  es  le  pas  (aussitôt),  en  es  Veure  (aussitôt) 
et  en  es  ça  (jusqu'à  présent)  ;  comme  pronom  il  cède  la  place, 
dès  le  X®  siècle,  à  medesme,  plus  tard  meesme,  mesme,  même 
(voir  §  577,4). 

4°  Iste  s'est  conservé  jusqu'au  XII^  siècle  sous  la  forme  ist 
ou  est  (comp.  roum.  ist,  v.  it.  esto,  esp.,  port,  este,  prov.  est). 
Exemples:  D'ist  di  in  avant  (Serm.  de  Strasbourg).  Mi  parent 
d'esté  terre  (Alexis,  v.  203).  Un  des  plus  haus  diste  contrée  (Ro- 
man de  Troie,  v.  12470).  —  Dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  le 
Grand,  on  trouve  parfois  is  pour  il;  M.  P.  Meyer  demande  s'il 
fau#  y  voir  une  survivance  de  iste  ou  de  ipse  (voir  Roma- 
nia,  XII,  199). 

553.  Si  l'on  n'a  que  des  restes  assez  pauvres  des  démon- 
stratifs simples,  c'est  que,  dans  le  parler  vulgaire,  on  les  rem- 
plaçait très  souvent  par  des  formes  renforcées  à  l'aide  d'un 
adverbe  ou  d'un  autre  pronom.  Ainsi  à  côté  de  iste,  on  a  dit 
atque  iste,  ecce  iste,  en  iste,  et  ces  combinaisons  ont 
laissé  des  traces  plus  ou  moins  profondes  dans  les  langues 
romanes.  En  gallo-roman  c'est  ecce  qui  l'a  emporté.  Les  au- 
teurs de  l'ère  chrétienne  font  un  large  emploi  de  cet  adverbe 
comme  intensif;  on  trouve  ainsi  ecce  ipse,  ecce  iste,  ecce 
ille,  ecce  hic,  ecce  qui,  ecce  qualis,  et  ecce  ubi,  ecce 
jam,  ecce  nunc,  ecce  modo,  etc.  Pour  les  exemples,  nous 
renvoyons  à  l'excellent  travail  de  M.  G.  Rydberg,  Zur  Ge- 
schichte  des  franzôsischen  d  (Upsala,  1898),  p.  283  ss. 

554.  Des  combinaisons  citées  on  garde  en  français  ecce 
ille,  ecce  iste,  ecce  hoc,  qui  deviennent  icil,  icist,  iço.  Les 
deux  premiers  de  ces  pronoms  se  déclinaient  de  la  manière 
suivante: 

SINGULIER. 

Masculin.       Féminin.        Neutre.  Masculin.  Féminin.        Neutre. 

icil  icele  icel  •  icist  iceste  icest 

icel  icele  icest  iceste 

icelui,  icelei,  icestui,  icestei, 

iceli  iceli  icesti  icesti 


393 


PLURIEL. 

Masculin. 

Féminin. 

Masculin. 

Féminin 

icil 

iceles 

icist 

icestes 

icels 

îceles 

icez 

icestes 

Remarque.  Les  formes  pleines  icil,  icist,  iço  s'abrègent  de  bonne  heure  en 
cil,  cist,  ço;  les  Serments,  la  prose  de  Ste  Eulalie,  le  Jonas  ne  connaissent 
que  ces  dernières  formes,  mais  les  autres  anciens  monuments  hésitent  entre 
icil  et  cil,  etc.  Ce  sont  les  formes  brèves  qui  l'emportent,  mais  on  trouve 
icelui,  icelle,  iceux  généralement  emploj'^és  encore  au  XVI^  siècle,  et  on  les 
garde  jusqu'à  nos  jours  dans  la  langue  juridique  toujours  plus  ou  moins  ar- 
chaïque. En  parlant  du  style  des  notaires,  Vaugelas  remarque:  »Les  termes 
de  l'art  sont  tousiours  fort  bons  et  fort  bien  receus  dans  l'estenduë  de  leur 
iurisdiction,  où  les  autres  ne  vaudroient  rien,  et  le  plus  habile  Notaire  de 
Paris  se  rendroit  ridicule,  et  perdroit  toute  sa  pratique,  s'il  se  mettoit  dans 
l'esprit  de  changer  son  stile,  et  ses  phrases,  pour  prendi'e  celles  de  nos 
meilleurs  Escriuains;  Mais  aussi  que  diroit-on  d'eux  s'ils  escriuoient,  Iceluu, 
jaçoit  que,  ores  que,  pour  et  à  icelle  fin,  et  cent  autres  semblables  que  le^ 
Notaires  employent*  {Remarques,  1,  35 — 36).  C'est  cette  langue  que  Racine 
fait  parlera  L'Intimé,  le  secrétaire  des  »  Plaideurs*:  Témoin  trois  procureurs 
dont  icelui  Citron  A  déchiré  la  robe  (y.  786).  L'idée  universelle  De  ma 
cause,  et  des  faits,  enfermés  en  icelle  (v.  796).  Les  formes  avec  i  s'em- 
ploient encore  dans  différents  documents.  Voici  un  fragment  d'un  connaisse- 
ment récent  de  Bordeaux:  Pour  cet  effet,  je  m'engage  corps  et  biens  avec 
mon  dit  navire,  fret  et  apparaux  d'icelui;  en  foi  de  quoi  j'ai  signé  quatre 
connaissements,  etc. 


I.   ECCE   ILLE. 

555.  Masculin  singulier. 

P  Ecce  ille  >  eccille  >  eccilli  (§  499,  i)  >  icil}  cil;  on 
trouve  aussi,  surtout  dans  les  dialectes  d'Est,  une  forme  élar- 
gie par  l'addition  du  s  flexionnel  des  noms  (cf.  §  269)  cils  ou 
cilz  (dus,  ciuz;  cis,  ciz).  Le  fragment  de  Valenciennes  offre  cilg, 
qui  est  probablement  =  [siJi].  Cil  s'emploie  encore  au  XV^, 
même  au  XVI*'  siècle:  Vous  estes  cil  que  je  désire  (Mystère  de 
St.  Laurent,  v.  1522).  Cil  vint  à  moi  (Jehan  de  Paris,  p.  62). 
Bien  en  doibt  estre  reprouvé  Cil  qui  le  despend  en  ordure  (Ane. 
th.  franc.,  III,  81).  Cil  qui  vaincra  d'eux  .  .  .  Ait  sans  aucun 
débat  Vamour  de  Bradamante  (Garnier,  Bradamante,  v.  1406). 
Desportes  écrit:  Cil  qui  vous  a  veue,  mais  Malherbe  le  blâme; 
pour  lui,  cil  est  un  »  mauvais  mot,  hors  d'usage,  qui  ne  vaut 
rien  du  tout«.  Aussi  les  classiques  ne  s'en  servent-ils  pas,  ce 
que   regrette   La  Bruyère:    »Cil  a   été   dans  ses  beaux  jours  le 


394 

plus  joli  mot  de  la  langue  française;  il  est  douloureux  poul- 
ies poètes  qu'il  ait  vieilli»  (Les  Caractères:  De  quelques  usages). 
Diderot  le  reprend  :  Cil  qui  était  assis  .  .  .  prit  la  parole  (Jacques 
le  Fataliste),  mais  c'est  un  pur  archaïsme,  le  mot  était  bien 
mort  depuis  des  siècles. 

Remarque.  Les  quelques  auteurs  de  la  Renaissance  qui  se  servent  encore 
de  cil,  n'ont  aucune  notion  de  sa  valeur  primitive  et  l'emploient  aussi  comme 
régime.  Exemples:  A  cil  qui  rend  la  santé  aux  malades  (Marot).  Renvoya  cil 
qui  au  boys  la  laissa  (ib.).  Comme  a  cil  qui  pardonne  .aux  imperfections 
(Régnier,  Sat.  VI),  etc.  On  peut  du  reste  signaler  des  exemples  remontant  au 
moyen  âge  où  cil  est  mis  abusivement  à  la  place  de  celui  (comp.  §  272): 
Si  jure  [Renarz]  cil  qui  l'engendra  Que  Roonel  ilec  prendra  (Renart,  v.  24717). 
Cil  qui  succe  se  il  est  gëun,  succe  plus  fort  ...  et  le  succement  du  gëun  est 
meilleur  au  patient  et  pire  à  cil  qui  succe  (H.  de  Mondeville,  Chirurgie, 
§  1872). 

2"  Ecce  illum  >  eccillum  >  icel  >  cel,  et  devant  une  con- 
sonne, surtout  en  picard,  ceu,  çu,  chu,  etc.  Exemples:  En  eps 
cel  di  (St.  Léger,  v.  80).  Puis  cel  jour  (Alexis,  v.  140).  En  chu 
temps  (Gaufrey,  v.  2770),  etc.  Ce  pronom  ne  survit  guère  dans 
la  langue  littéraire  au  XIV'^  siècle;  on  en  trouve  des  exemples 
encore  dans  le  Livre  du  chevalier  de  la  Tour  Landry:  Elle 
auoit  veu  nagaires  cel  qu'elle  vouldroit  bien  qu'il  feust  son  pri- 
sonnier. Les  patois  et  les  parlers  vulgaires  ont  retenu  la  forme 
ç«  ;  on  la  trouve  par  exemple  en  normand  :  Mais  si  a  mourait, 
à  qui  qu'il  irait,  çu  bien?  (G.  de  Maupassant,  Contes  du  jour 
et  de  la  nuit,  p.  305).  Dans  la  littérature  argotique  et  poissarde 
du  XVIIP  siècle  on  trouve:  A  su  qu'on  di;  v'ia  su  qui  chante, 
etc.  (Nisard,  Étude  sur  le  langage  populaire  de  Paris,  p.  274). 

3"  Ecce  illui  >  eccillui  )  icelui  >  celui.  Cette  forme  fonc- 
tionne dès  les  plus  anciens  textes  comme  régime.  Exemples: 
Celui  tien  ad  espous  Qui  nos  redenst  (St.  Alexis,  v.  66).  A  celui 
mot  ot  il  Dieu  renoié  (Raoul  de  Cambray,  v.  3023).  Ensi  ont 
celui  jor  passé  (Cligès,  v.  1433).  N'i  at  celui  ne  plurt  e  se  dé- 
ment (Roland,  v.  1836).  S'il  pooient  auoir  celuy  en  leur  aide 
(Villeliardouin,  §  505).  On  l'emploie  aussi  comme  sujet  sur- 
tout à  partir  du  XIIP  siècle,  mais  les  plus  anciens  exemples 
remontent  au  XF:  Celui  levât  le  rei  Marsiliun  (Roland,  v.  1520). 
Celuy  qui  prend  la  feme  veuve  (Assises  de  Jérusalem,  n"  133). 
Celug  home  deit  estre  mis  en  la  prison  dou  vesque  (ib.,  n<^  134). 
Comme  nous  avons  vu,  celui  s'employait  et  comme  substantif 


395 

et  comme  adjectif;  cet  usage  continue  jusqu'au  XVIP  siècle. 
Exemples  :  Celuy  Dieu  doit  on  aorer  (Myst.  de  St.  Laurent, 
V.  5401).  Celuy  meurdre  vil  et  infait  (Myst.  du  V.  T.,  I,  v.  2829). 
En  celuy  temps  (Jehan  de  Paris,  p.  25).  En  celuy  cas  (Quinze 
joyes  de  mariage,  p.  82,  101).  Celuy  Dieu  (Marot).  Celuy  temps 
(Rabelais).  Celuy  sieur  de  La  Roche  (Nouv.  récréations,  n°  14). 
Icelluy  Gentilhomme  (Heptaméron,  n*^  23).  Pour  d'autres  détails, 
voir  la  Syntaxe;  ajoutons  seulement  que  la  langue  moderne, 
à  côté  de  celuy  [salyi] ,  présente  la  forme  abrégée  et  vulgaire 
çui  [syi].  Comp.  Manuel  phonétique,  §  47,  Rem. 

4"  Ecce  +  illi  >  eccilli  >  iceli  >  celi.  Cette  forme  est 
rare  (voir  les  exemples  de  Godefroy)  ;  quant  à  l'emploi,  elle 
ne  se  distingue  guère  de  (i)celui. 

556.  Masculin  pluriel. 

1"  Ecce  -)-  illi  >  eccilli  >  icil  >  cil.  Exemples:  Com  felix 
cil  qui  par  feit  Vonorerent  (Alexis,  v.  500).  Le  saint  cors  con- 
rederent  Toit  cil  seignor  (ib.,  v.  499).  La  forme  disparaît  au 
XIV«  siècle. 

2"  Ecce  -\-  illos  >  eccillos  )  icels,  iceus,  ou  cels,  ceus, 
ceux;  on  trouve  au  moyen  âge  aussi  ceals,  cials,  ceauls,  ciauls, 
ceaus,  ciaus.  Exemples:  A  ciels  temps  (St.  Léger,  v.  13,  32). 
Por  ciels  signes  (ib.,  v.  209),  A  cels  dis  (Eulalie,  v.  12).  Dans 
les  textes  postérieurs  cels  ne  fonctionne  que  comme  substantif. 

3°  Ecce  illorum  )  eccillorum  )  celour.  Nous  citons  cette 
forme  dont  Godefroy  ne  donne  que  deux  exemples  du  XV^ 
siècle,  sous  toute  réserve.  Comme  elle  paraît  totalement  in- 
connue aux  anciens  textes,  il  faut  peut-être  y  voir  une  nou- 
velle création. 

557.  FÉMININ. 

1°  Ecce  illa  >  eccilla  )  icelle  }  celle.  Au  moyen  âge,  cette 
forme  servait  et  d'adjectif  et  de  substantif:  Celé  imagene 
(St.  Alexis,  V.  183).  Si  veit  venir  celé  gent  paienur  (Roland, 
v.  1019),  etc.  On  trouve  encore  aux  XV^  et  XVI^  siècles:  A  celle 
fin  quilz  en  mangeussent  (Mystère  de  St.  Laurent,  v.  5460).  // 
faut  parfaire  celle  tasche  (ib.,  v.  5516).  Sans  celle  confession 
(Calvin).  Celle' précieuse  dame  (Marot).  Celle  beauté  qui  te  faisoit 
mourir  (Ronsard).  A  partir  du  commencement  du  XVII^  siècle, 
celle  sert  seulement   de   substantif;    on   ne   garde,    de   l'ancien 


396 

emploi,  que  la  locution  à  celle  fin  de,  que  condamnent  les 
grammairiens.  Vaugelas  remarque:  »A  celle  fin  que  est  un  fort 
mauvais  mot,  qui  néantmoins  est  à  la  bouche  de  force  hon- 
nêtes gens.  A  icelle  fin,  que  quelques  autres  disent,  est  bien 
encore  pis.  Pour  et  à  icelle  fin  que,  que  plusieurs  disent  aussi, 
est  tout-à-fait  barbare  et  insupportable.  Il  faut  dire  afin  que< 
(Remarques,  II,  427;  comp.  ib.,  I,  418).  Dans  la  langue  mo- 
derne à  celle  fin  de  s'est  altéré  en  à  seule  fin  de. 

2°  Ecce  -j-  illœi  >  eccillœi  devient,  selon  les  dialectes 
(cf.  §  530,  .s),  celei,  celle,  celi.  Exemples  :  Uns  serpenz  est  entreiz 
en  celei  (Dialogues  Grégoire,  135, 19).  Que  por  celle  est  si  sou- 
pris  (Chastoiement,  II,  67).  Si  dirai  de  celi  Que  il  laissa  plaine 
d'aniii  (Beaumanoir,  Manekine,  v.  2932). 

3"  Ecce  illas,  qui  fonctionne  et  comme  sujet  et  comme 
régime,  devient  eccillas  >  icelles  }  celles.  Exemples:  Celés  met 
jus,  pois  H  afublent  altres  (Roland,  v.  3941).  Celés  eschieles  ne 
poet  il  acunter  (ib.,  v.  1034).  Pour  l'emploi,  celles  se  comporte 
comme  celle. 

Remarque.  A  côté  de  celés,  on  avait  au  mo3'en  âge  la  rare  forme  collaté- 
rale cels  (comp.  els  pour  eles,  §  532, 1).  Exemples:  Cels  elemosynas  (Jonas). 
Cels  présentes  lettres  (Doc.  de  1262.  Godefroy).  Toutes  cels  choses  (ib.). 

558.  Il  résulte  des  observations  précédentes  que  de  toutes 
les  formes  d'icil  et  d'icele  la  langue  moderne  n'a  gardé  que 
celui,  ceux  pour  le  masculin,  et  celle,  celles  pour  le  féminin. 
Contrairement  à  l'ancien  usage,  elles  ne  s'emploient  que  comme 
substantifs. 

Remarque.  Dans  la  langue  populaire  moderne  on  ajoute  volontiers  l'ar- 
ticle défini  à  ceux,  celle,  celles.  Exemples:  L' commissaire  de  police  dit  un 
jour  à  sa  mère  qui  fallait  qu'a  m.ette  à  son  garçon  une  auV  culotte,  que  la 
celle  qu'il  avait  était  pas  décente  (M.  Monnier,  Paris  et  la  province,  p.  284). 
Conservez-la!  les  celles  qui  sont  bonnes  sont  rares  (ib.,  p.  362).  C'est  lui  qu'a 
la  manie  des  petits  oiseaux,  c'est  lui  qu'a  donné  les  ceux  qu'a  madame  (id  , 
Scènes  populaires,  I,  505).  Déjà  Henri  Estienne  parle  de  cette  particularité: 
»Et  mesmes,  tout  ainsi  qu'on  adjouste  ci  après  ceux  quand  il  sert  de  pro- 
nom aussi  le  populaire  (lequel  je  n'avoue  pas  toutesfois)  adjouste  souvent 
ceste  particule  les  au  devant  de  ceux  tenant  le  lieu  d'article;  et  use  de  les 
ceux  au  lieu  de  ceux.  Comme,  Les  ceux  de  la  maison,  ou,  Tous  les  ceux  de 
la  maison  l'ont  veut  (De  la  conformité,  etc.,  p.  129). 

559.  Neutre.  Ecce  -f-  illum  (pour  illud,  voir  §  533)  > 
eccillum  >  icel  >  cel.    On   le  trouve  surtout  dans  la  formule 


397 

consacrée  piiet  cet  estre  (Cumpoz,  v.  1 1 1  ;  Quatre  livres  des 
rois;  Marie  de  France,  Lais;  Chev.  au  lion,  v.  1404,  1515; 
Cligès,  V.  2325).  Hors  de  ce  cas,  l'emploi  de  cel  est  assez  rare  : 
Cel  sai  je  bien  et  proué  Vai  (Ben.  de  Ste  More;  v.  Godefroy). 
De  plusurs  le  veit  hum  sovent:  Cel  dunt  il  pensent  durement  Est 
par  lur  huche  coneu  (Marie  de  France,  Fables,  81,  le). 


II.   ECCE   ISTE. 

560.  Masculin  singulier. 

1°  Ecce  iste  >  ecciste  >  eccisti  )  icist  )  cist;  on  trouve 
aussi,  surtout  en  picard  et  wallon,  ciz  (cis)  qui  représente  cist 
-(-  s  (comp.  §  269).  Ce  nominatif,  qui  disparaît  au  XIV*^  siècle, 
était  employé  à  la  fois  comme  adjectif  et  comme  substantif: 
CÂst  cunseilz  sereit  trop  hastis  (Marie  de  France,  Lais,  p.  25, 
V.  510).  Pur  sa  largece  fu  cis  li  bons  Richars  clamez  (Roman 
de  Rou,  II,  V.  779). 

2^  Ecce  istum  >  eccistum  )  icest  >  cest.  Cette  dernière 
forme  se  réduit  quelquefois  à  ces,  mais  ordinairement  à  cet, 
qui  se  maintient  jusqu'à  nos  jours  devant  une  voyelle;  devant 
une  consonne  il  devient  ce.  Exemples:  En  icest  siècle  (Alexis, 
V.  623).  Par  cest  saint  orne  (ib.,  v.  620).  Por  tout  l'or  de  ces 
mont  (Aiol,  v.  8405).  En  cet  païs  (Raoul  de  Cambray,  v.  6958). 
La  forme  courte  ce  se  trouve  déjà  dans  l'Épitre  de  St.  Estienne: 
a  ce  jor  (v.  5),  mais  elle  ne  devient  générale  que  vers  la  fin 
du  XIV*'  siècle. 

3®  Ecce  istui  (comp.  §  521,  Rem.)  )  eccistui  )  icestui  ) 
cestui  )  cettui.  S'emploie  et  comme  adjectif  et  comme  substan- 
tif. Exemples:  Quer  par  cestui  aurons  bone  adjutorie  (Alexis, 
V.  504;  cf.  ib.,  v.  535).  Se  vos  cestuy  occis  (Chev.  au  lion, 
V.  5710).  En  faisant  cestuy  sacrifice  (Myst.  du  V.  Test.,  I, 
V.  2556).  En  cestuy  repaire  (Myst.  de  St.  Laurent,  v.  7932). 
Cestuy  cy  premier  s'est  rendu  (Rabelais,  III,  chap.  41).  Cestuy 
nostre  souhait  (ib.,  IV,  prol.).  Cestuy  nostre  larcin  (Cymb.  mundi, 
I).  Malherbe  fait  encore  un  emploi  régulier  de  cettuy,  mais 
après  lui  ce  pronom  n'est  guère  usité  qu'en  style  marotique. 
Exemples:  Cettui  me  semble,  à  le  voir,  papimane  (hsi  Fontaine, 
Le  diable  de  Papefiguière).  Cettuy  Richard  était  juge  dans  Pise 
(id..  Calendrier  des  Vieillards).    De  cettui  preux  maints  grands 


398 

clercs  ont  escrit  (La  Bruyère).  Cetlui  pays  n'est  pays  de  cocagne 
(Voltaire,  Conte  du  Bourbier). 

.4"  Ecce  4"  isti  )  eccisti  )  icesti  )  cesti.  Ce  pronom  fonc- 
tionnait comme  (i)cestm.  Il  se  retrouve  encore  dans  les  patois: 
Donnez-moi,  va,  mon  Guillaume,  c'est  çtila  que  je  veux  (Rol- 
land, Chansons  populaires,  IV,  45)  ;  dans  la  langue  littéraire 
il  fut  de  bonne  heure  supplanté  par  cestuy,  comme  li  par  lui 
(§  528,  4). 

561.  Masculin  pluriel. 

1°  Ecce  isti  >  eccist  )  icist  >  cist.  Exemples:  La  u  cist 
furent  (Roland,  v.  108).  Cist  paien  vunt  grant  martirie  querafit 
(ib.,  V,  1166).  A  partir  du  XIII®  siècle,  on  trouve  aussi  la 
forme  réduite  cis,  propre  surtout  aux  dialectes  du  Centre,  du 
Nord  et  de  l'Est:  Cis  borgois  m'escarnissent  (Aiol,  v.  3081).  Ce 
pronom  ne  s'emploie  pas  après  le  XVII*^  siècle. 

2°  Ecce  istos  >  eccistos  >  icez,  ices  >  cez,  ces.  Exemples: 
D'icez  suens  sers  (Alexis,  v.  123).  Lez  cez  buissons  (Marie  de 
France,  Fables,  61,22).  L'emploi  comme  substantif  est  rare. 

3*^  Ecce  istorum  )  eccistorum  )  cestor.  Cette  forme  est 
extrêmement  rare;  Godefroy  n'en  cite  qu'un  seul  exemple. 

562.  FÉMININ. 

1®  Ecce  ista  >  eccista  )  iceste  )  ceste  )  cette.  Au  moyen 
âge  cette  forme  sert  et  de  substantif  et  d'adjectif.  Exemples: 
Après  iceste,  altre  avisiun  sunjat  (Roland,  v.  725).  Iceste  semence 
se  dresce  (Besant  de  Dieu,  v.  2004).  On  trouve  encore  au 
XVI®  siècle:  Et  en  autres  choses  et  en  ceste  (Rabelais,  III, 
chap.  32).  Vous  me  debvez  ceste  là  (id.,  VI,  chap.  53).  Cette 
autre  curiosité  contraire  me  semble  germaine  à  cette  cy  (Mon- 
taigne, I,  chap.  26).  Ceste  est  ta  seule  cause  (Sat.  Ménippée). 
En  cette-ci  [occasion]  je  ne  trouve  pas  qu'il  y  ait  moyen  de  le 
défendre  (Malherbe,  Œuvres  complètes,  II,  p.  34). 

2**  Ecce  istsei  >  eccistsei  devient  selon  les  dialectes 
(comp.  §  530,  3)  cestei,  cestie,  cesti.  Exemples  :  A  cestei  .  .  .  ap- 
paruit  Felis  (Dialogues  Grégoire,  p.  216,  u).  Cesti  vos  doing  a 
feme  (Aiol,  v.  10149). 

3^  Ecce  istse  disparaît  devant  ecce  istas  qui  sert  ainsi 
et  de  sujet  et  de  régime;  il  devient  régulièrement  eccistas  > 
icestes  }  cestes.  Exemples:    Cestes  viles  (Livres  des  Rois).  Cestes 


399 

genz  (ib.).  En  cestes  terres  (Benoît,  Chronique,  v.  20667).  Je 
gart  si  cestes  (Chev.  au  lion,  v.  341).  Autant  com  celé  .  .  .  Het 
bien,  heent  cestes  V outrage  (Meraugis,  v.  1971).  Cestes  pieres 
(Ph.  de  Thaun,  Bestiaire,  v.  3058).  Et  cestes  trouent  gent  (ib., 
2851).  Cestes  at,  ço  saceiz  (id.,  Comput,  v.  3048).  D'autres  ex- 
emples ont  été  réunis  par  M.  E.  Walberg,  Bestiaire  de  Philippe 
de  Thaun,  p.  LXXV.  La  forme  cestes  (cettes)  n'était  pas  très 
employée;  dès  les  plus  anciens  textes  le  masculin  cez,  ces  lui 
fait  concurrence  surtout  dans  les  fonctions  d'adjectif:  Dreites 
cez  hanstes  (Roland,  v.  1043).  Cez  enseignes  fermées  (ib.,  v.  3308). 
Cez  paroles  (Quatre  livres  des  Rois).  Cez  trois  choses  (St.  Ber- 
nard). Ces  testes  (Ph.  de  Thaun,  Bestiaire,  v.  1466).  Par  cez 
eles  (ib.,  v.  2315),  etc.,  etc.  Pourtant  cestes  apparaît  encore  à 
la  fin  du  moyen  âge  et  au  XVI*'  siècle.  Exemples  :  A  cestes  nos 
lettres  ouvertes  (Froissart).  Regardez  cestes  fillettes  (Montaiglon, 
Recueil,  V,  108).  Voyant  cestes  armoiries  (Rabelais,  IV,  chap.  67). 
Peut-être  s'agit-il  ici  d'une  nouvelle  formation,  d'un  nouveau 
pluriel  tiré  du  singulier  (cestes  =  ceste  -\-  s),  et  non  pas  d'une 
continuation  directe  de  l'ancien  icestes  {ecceistas. 

563.  Neutre.  Ecce  istum  )  eccistum  >  icest  >  cest.  Ex- 
emples: Mult  avez  pechied  vers  nostre  Seigneur  en  cest  (Quatre 
Livres  des  Rois).  Par  icest  la  tendrunt  (Ph.  de  Thaun,  Comput, 
V.  3365).  Icest  deit  bien  saveir  (ib.,  v.  3374).  Ces  meïsmes  me  fist 
lis  père  (Marie  de  France,  Fables,  2, 21).  Ce  pronom  s'employait 
rarement. 

564.  Quant  à  la  prononciation  de  cest  (cet,  ce),  cestuy  (cet- 
tuy),  ceste  (cette),  cestes  (cettes),  on  a  dû  avoir  primitivement, 
dans  toutes  les  formes,  un  è  ouvert.  Dans  la  langue  actuelle, 
cet  et  cette  se  prononcent  [set],  mais  ce  est  devenu  [sa].  Le  pa- 
risien vulgaire  et  la  plupart  des  patois  ont  introduit  cet  af- 
faiblissement aussi  dans  les  autres  formes,  d'où  c't,  c'te,  c'tui. 
Voici  quelques  remarques  sur  l'historique  de  ces  formes.  On 
trouve  déjà  dans  la  correspondance  de  Philippe  de  Comines 
ste  lettre,  ste  dissimulacion ,  etc.  (Nisard,  Étude  sur  le  langage 
populaire  de  Paris,  p.  276).  Au  XVP  siècle,  Jacques  Pelletier  (I^ 
§49,  Rem.)  blâme  ceux  qui  »se  sont  avisez  d'écrire  s/e /emme, 
ste  cause,  au  lieu  de  cette  femme,  cette  cause,  et  Dieu  sait  com- 
ment ils  ne  s'y  montrent  pas  bestes!«   Au  siècle  suivant  cette 


400 

prononciation  paraît  plus  répandue.  Th.  Corneille  remarque: 
»Dans  le  discours  familier  on  prononce  st' homme,  ste  femme, 
et  ce  seroit  une  affectation  vicieuse  de  dire  cet  homme,  cette 
femme,  quoique  dans  la  Chaire  on  doive  prononcer  ainsi  ces 
mots.  Il  y  a  pourtant  d'excellens  Prédicateurs  qui  prononcent 
sf action,  sf habitude,  mais  la  plupart  prononcent  entièrement 
cet  et  cette  «  (Vaugelas,  Remarques,  II,  164).  La  littérature  argo- 
tique des  XVII^  et  XVIII''  siècles  présente  de  nombreux  ex- 
emples de  ste,  sti,  stici,  stilà,  stuici,  stuilà;  on  trouve  même  les 
deux  féminins  curieux  stelle  (tiré  de  sti,  sur  le  modèle  de  il — 
elle,  et  sous  l'influence  de  celle)  et  stellà.  Voici  enfin  quelques 
témoignages  de  la  prononciation  vulgaire  moderne:  Savez-vous 
c' qu'elle  a  fait  c'te  bête?  (G.  de  Maupassant,  Contes  du  jour  et 
de  la  nuit,  p.  299).  Cf enfant-là,  voyez-vous,  ce  n'était  pas  n'im- 
porte qui  (ib.,  p.  300).  Çtila  que  faim'  le  mieux  (Rolland,  Re- 
cueil de  chansons  populaires,  IV,  45).  Pour  d'autres  détails, 
voir  Manuel  phonétique,  §  97,  Rem. 

565.  Dans  la  langue  moderne  on  a  formé  par  l'addition  des 
particules  ci  et  là  de  nouveaux  pronoms  démonstratifs: 

celui-ci         celle-ci         ceci         celui-là         celle-là         cela 
ceux-ci        celles-ci  ceux-là         celles-là 

Les  pronoms  auxquels  on  adjoint  ci  indiquent  des  personnes 
ou  des  choses  rapprochées;  ceux  auxquels  on  adjoint  là,  in- 
diquent des  personnes  ou  des  choses  éloignées. 

Remarque.  Pour  la  prononciation,  faisons  observer  que  cela  se  réduit  en 
règle  générale  à  [sa],  qu'on  écrit  souvent  ça.  Sur  la  réduction  de  celui,,  voir 
ci-dessus  §  555,  3. 

566.  Voici  quelques  observations  sur  les  adverbes  démon- 
stratifs: 

,  P  Commençons  par  rappeler  qu'au  moyen  âge  icist  dé- 
signait les  objets  plus  proches,  icil,  les  objets  plus  éloignés. 
Exemples:  Par  ceste  meie  destre  (Roland,  v.  47).  Par  ceste  barbe 
et  par  cest  mien  gernun  (ib.,  v.  249).  Que  fait  que  ne  se  tue  Cist 
las  qui  joie  s'est  tolue?  Que  faz  je,  las,  qui  ne  m'oci?  Coment 
puis  je  demorer  ci?  (Chevalier  au  lion,  v.  3531 — 34).  Puis  si 
m'en  irai  la  fors  en  cet  plain  (Pèlerinage  de  Charlemagne, 
V.  472).    Car  sa  volonté  est  tuz  jourz  unie,  et  od  meismes  la  vo- 


401 


lonté  qu'il  salved  cestui,  si  damne  celui  (Liv.  des  Rois).  Cist  vont 

zi::VsZr%  Tr'i''  ''''^-  "'  ""  -'  «■'  "-•  ->  «^ 

rX;    n     T^'  '  """'""'  "'  "■'  '  "■*'  (Chev.  au  lion, 

^.  1197).   On  trouYe  auss,  la  locution  ne  cil  ne  cis,  ni  celui-là 
m  celui-ci,  personne. 

2»  Comme   la   signification  étymologique  des  deux  pronoms 

•H  .  n  '  .'""""'"■■'  ""  '■^"f"'-^^  '-'^  dérivés  de  isle  à 
Uide  de  l'adverbe  (ijci.  Exemples:  Après  cest  ici  fu  roys  Bal 
riojns  (voir  Godefroy,  II,  p.  141,  i).  Dont  feres  vou's  chetuychi 

(JoinMlle,  §  61).   Un  peu   plus  tard   on   trouve   des  exemples 
montrant  les  dérivés  de  ille  renforcés  à  l'aide  de  l'adverbe  to 

3»  Par  leffacement  progressif  de  la  fonction  primitive  des 
deux  pronoms,  on  arrive  à  dire  cil  ci  et  cist  la  aussi  bien  que 
cl  la  Hast  .c:   les  adverbes  seuls   suffisent  pour  situer  Tes 

seurdiffé.'^'   "'   ';'*''  ''  "'"""'  "''"'  '^  '-«-  -'-"Va 
est  un  adjectif,  la  seconde  un  substantif. 

<abZTr^   ''"T''"  '''  "'"'    '"  <"=   ""   h'''   Propreme,,,  .voici  ici.) 
ab,  cgc  de  bonne  heure  en  d,  qui  .e  trouve  déjà  dans  le  Roland.  C'est  ce  te 
fo  me  ,u.  se  jo,n.  de  préférence  aux  pronoms  démonstratifs,   sans  poùrt  ",t 
.rt"em7"'d     ™'""'"""  '"  """"^  <""""■  """"  t-lques  exemp^mÔ 

core  au  XVII.  siècle.   Vaugcla,  renfarcue-    .Tout  Pa,      dl^  pa,  etempT:  Te", 
hom„e.cy.  ce  temps-cy,   cette  annee-cy.    m..is  la    plus  grand'pa  l  de  la  C„" 
dit    ce,  ,on,n,c  ,cy.  ce  ,e„,ps  iey,  cette  année  icy.\t  .lue  I  au  re   n  uppor 

ours  di,t    ',  ,r  ''  '"■  ■""■"•    "'""  ""'  P""--  "«'■>'■  J"  ^"O"-  '»"s- 

Zales  ,  erV"';-  ,"°"  "-""•<"""-»!'.  et  ainsi  des  antres. 
^I^emarques  1,-68).  Le  développement  postérieur  a  donné  tort  à  Vauselas- 
cef  ft„™„e  ,c.  n'est  plus  reçu  dans  le  bon  usage;  mais  il  en  est  .ut,"  me,  t 
du  pa,ler  vulga„-c.  Liltré  ,.ema,qne:  .On  fait  souvent  la  faute  de  dire  c" 
^om™  ,„,  ce  momen,  ,c,-.,  et  i.  proteste  vivement  contre  cet  usage.  Dans 
s  .Scènes  popula„-cs.  de  H.  Meunier  „„  m  à  tout  moment:  C'(e  ,o„,e  M 
cte   Aeure   ,o,,   Ce  au„erçe  ici.  etc.,   et   ceu.   Uà,   Ce   dernière   rénotut^n 


26 


402 


III.   ECCE   HOC. 

567.  Dans  cette  combinaison,  la  voyelle  finale  de  ecce  ne 
s'élide  pas,  elle  se  change  en  consonne  (cf.  I,  §  262, 3)  et  se 
combine  avec  la  palatale  précédente  en  une  atîriquée  fricative 
(cf.  I,  §  476):  ecce  hoc  >  ecceoc  )  eccioc  >  eccyoc  >  iço 
[itso]  )  ço,  çou  y  ce.  En  voici  les  plus  anciens  exemples  :  Par 
iço  ciiident  (St.  Alexis,  v.  528).  Iço  vus  di  (Ph.  de  Thaun,  Cum- 
poz,  V.  12).  Cio  fud  lonx  tiemps  (St.  Léger,  v.  28).  A  czo  nos 
voldret  concreidre  (Ste  Eulalie,  v.  21).  Ço  dixit  (Jonas),  etc.  La 
forme  affaiblie  ce  se  trouve  pour  la  première  fois  dans  l'Épitre 
de  St.  Estienne:  Quant  ce  oïrent  (VIII,  1).  Sur  les  composés 
ceci  et  cela,  voir  §  565. 


CHAPITRE  IV. 

PRONOMS  RELATIFS  ET  INTERROGATIFS. 


568.  Les  quatorze  formes  flexionnelles  des  pronoms  relatifs 
ont  subi  une  très  forte  réduction;  on  n'en  a  conservé  que  le 
nominatif,  l'accusatif  et  le  datif  du  masculin  singulier  (qui 
que  m  cui)  et  le  nominatif  du  masculin  pluriel  (qui),  tout  le 
reste  a  disparu.  En  vieux  français  les  trois  formes  qui,  que, 
cui  servaient  indifféremment  des  deux  genres  et  des  deux 
nombres;  après  le  moyen  âge  elles  se  réduisent  à  deux  par  la 
disparition  de  cui  (§  569, 3),  et  dans  le  parler  vulgaire  les 
deux  formes  de  la  langue  littéraire  se  réduisent  à  une  seule, 
que  (voir  §  573).  A  côté  de  qui  il  faut  signaler  //  quels  dès  le 
XF  siècle  comme  pronom  relatif;  nous  en  parlerons  dans  la 
Syntaxe  ainsi  que  des  adverbes  oii  et  dont. 

Remarque.  Dans  les  textes  de  la  basse  latinité  on  trouve  souvent  qui 
pour  qua",  que  m  pour  quam,  etc.  Le  plus  ancien  exemple  de  qui  fém. 
se  trouve  peut-être  dans  une  inscription  chrétienne  de  Rome  de  342  (Rossi, 
Inscriptions  chrétiennes,  1,  n"  72).  En  Gaule,  on  lit  dans  une  inscription  de 
Lyon  datée  de  431  :  Leucadia  deo  sacrata  puella  qui  vitam  .  .  .  gessit,  qui 
vixit  annos  XVI  (Le  Blant,  Inscr.,  n°  44);  une  autre  non  datée,  également  de 
Lyon,  est  peut-être  plus  ancienne  encore,  à  en  juger  d'après  son  aspect  exté- 
rieur: Hic  iacet  Agricia  qui  fuit  in  obseroasione  (Le  Blant,  Inscr.,  n°  18).  Nous 
empruntons  ces  détails  à  la  savante  dissertation  de  M.  Jeanjaquet  (Recherches 
sur  l'origine  de  la  conjonction  yyque^,  Neuchâtel,  1894.  P.  44);  d'autres  ex- 
emples ont  été  réunis  par  H.  Rjônsch  (Ilala  und  Vulgata,  p.  276;  et  RF,  II, 
p.  293)  et  par  M.  Rydberg  {Zur  Geschichte  des  franzôsischen  a,  p.  342  ss.). 
Voici  en  dernier  lieu  quelques  exemples  tirés  de  la  Vie  de  Sainte  Euphrosyne: 
Eufrosine  qui  interpretatur  (§  1).  Vade  in  ecclesiam  quem  construcxit  (§  7). 
Filia  mea  qui  (§  15).  Ego  sum  paupera  quem  queris  (§  17).  Magna  mirabi- 
lia  sunt  Dei  quem  vidi  hodie  (§  15). 

26* 


404 

569.  Masculin. 

.  P  Qui  devient  qui,  souvent  écrit  ki  ou  chi  dans  la  vieille 
langue.  Exemples:  Nul  plaid  .  .  .  qui  meon  vol  cist  meon  fradre 
karle  in  damno  sit  (Serments  de  Strasbourg).  Quelle  deo  raneiet 
chi  maent  sus  en  ciel  (Ste  Eulalie,  v.  6).  Chi  sil  feent  (Jonas). 
Enfant  nus  done  ki  seit  a  sun  talent  (St.  Alexis,  v.  25),  etc. 
Cette  forme  fonctionne  aussi  au  féminin:  El  nom  la  uirgene 
qui  portât  saluetet.  Sainte  Marie,  qui  portât  Damnedeu  (St.  Alexis, 
V.  89 — 90),  et  au  pluriel  des  deux  genres. 

2"  Quem  devient  que:  devant  une  voyelle  on  trouve  dans 
les  plus  anciens  monuments  la  forme  élargie  qued  (cf.  I, 
§  289,3)  ou  la  forme  abrégée  qu.  Exemples:  Si  lodhuuigs  sa- 
grament,  que  son  fradre  karlo  iurat  conseruat  (Serment  de  Stras- 
bourg). Sainz  Boneface,  qued  om  martir  apelet  (Saint  Alexis, 
V.  566).  Tôt  son  aveir  quo  sei  en  at  portet  (ib.,  v.  91).  Les 
formes  citées  fonctionnent  aussi  au  féminin  et  au  pluriel  des 
deux  genres.  Exemples:  Avuec  ma  spouse  que  jo  tour  ai  guer- 
pide  (St.  Alexis,  v.  209).  E  la  pulcele  qued  il  out  esposede  (ib., 
V.  237).  Apres  ditrai  uos  dels  âânz,  que  H  suos  corps  susting  si 
granz  (Saint  Léger,  v.  10).  Les  choses  que  tu  attendeies  (Saint 
Alexis,  App.,  10). 

Remarque.  La  consonne  finale  de  quem  a  été  conservée  en  hispano-roman: 
esp.  qiiien,  port.  quem.  On  en  trouve  aussi  des  traces  dans  le  Sud-Est  de  la 
France.  L'origine  de  la  forme  queien  qu'on  rencontre  dans  Estienne  de  Fou- 
gières  (Livres  des  Manières,  v.  234,  968)  est  obscure;  comp.  quelques  re- 
marques de  P.  Meyer  dans  la  Romania,  XX,  321. 

30  Cui  devient  cui.  Cette  forme,  propre  à  la  vieille  langue, 
fonctionne  comme  datif  et  génitif.  Exemples:  Non  ot  oh  se  cui 
en  calsist  (Saint  Léger,  v.  164).  Guenes  oth  num  cuil  comandat 
(ib.,  V.  175).  0  fdz,  cui  ierent  mes  granz  ereditez  (St.  Alexis, 
V.  401).  De  ço  cui  calt  (Roland,  v.  1405,  1840).  Cil  cui  vos 
obéissiez  (Villehardouin,  §  146).  Cui  seror  il  avait  a  famé  (ib., 
§  264).  Ne  sai  par  cui  conseil  Vempereres  respondi  (ib.,  §  277). 
Cui  cousins  il  estait  (Joinville,  §  277).  Et  Hues  Dodekins,  cui 
ame  soit  sauvée  (Bastart  de  Bouillon,  v.  4178).  Dès  les  plus 
anciens  textes,  cui  s'emploie  aussi  comme  régime  préposition- 
nel et  comme  régime  direct  emphatique.  Exemples:  Por  cui 
sustinc  tels  passions  (Saint  Léger,  v.  240).  Li  sires  par  cui  li 
nostre  se  metent  en  abandon  (Villehardouin,  §  532).  Diex  a  cui 
il  satendoit  (Joinville,  §  16).  Ceux  à  cui  joustice  apartient  (ib., 


I 


405 

§  824).  Ne  io  ne  neuls  cui  eo  returnar  int  pois  (Serments  de 
Strasbourg).  Celui  cui  nos  eslirons  (Villehardouin,  §  260).  La 
forme  cui  se  confond  dès  le  XI*'  siècle  phonétiquement  avec 
qui,  d'où  résulte  aussi  une  confusion  graphique:  Et  Oliviers  en 
qui  tant  il  se  fiet  (Roland,  v.  586).  Et  cil  les  maine  qui  Dex 
doinst  encombrier  (Raoul  de  Cambray,  v.  6060).  Après  le  XIV*' 
siècle  cui  disparaît  entièrement  de  la  langue  écrite,  remplacé 
dans  les  fonctions  qui  lui  restaient  par  qui.  Dans  des  phrases 
comme:  celui  de  qui  je  parle,  à  qui  de  droit,  prenez  qui  vous 
voudrez,  c'est  l'ancien  cui  qui  se  cache  sous  une  graphie 
fautive. 

570.  FÉMININ.  Nous  avons  déjà  dit  que  les  formes  du  fémi- 
nin ont  été  supplantées  par  celles  du  masculin  erî  latin  vul- 
gaire, et  que,  dès  les  plus  anciens  textes  français,  qui,  que,  cui 
se  réfèrent  indifféremment  aux  deux  genres.  Il  faut  pourtant 
noter  que  dans  l'Est  on  trouve  parfois  une  forme  féminine 
que  au  nominatif.  En  voici  quelques  exemples  tirés  des  Ser- 
mons de  Saint  Bernard:  Mais  uos  chier  freire  a  cuy  deus  reue- 
let  si  cum  a  ceos  ki  petit  sunt  celés  choses  ke  receleies  sunt  as 
saiges  et  as  senneiz,  uos  soiez  entenduit  cusencenousement  entor 
celés  choses  ke  urayement  apertiennent  a  uostre  salueteit  (éd. 
W.  Fôrster,  p.  1, 21).  Le  même  féminin  se  rencontre  aussi 
sporadiquement  dans  des  textes  normands:  La  guerre  Que  uint 
par  mer  (Roman  de  Rou,  II,  v.  1274).  E  la  grant  gent  que  o 
lui  nient  (ib.,  v.  4102).  La  muete  que  trop  demura  (Estoire  de 
la  Guerre  Sainte,  v.  161).  L'ost  pensive  E  plus  mate  que  rien 
que  vive  (ib.,  v.  7870),  etc. 

571.  Neutre.  Le  neutre  latin  quod  n'a  pas  survécu  en  ro- 
man. Pour  le  français,  nous  constatons  l'existence  de  deux 
formes  neutres  quoi  et  que;  il  est  difficile  de  dire  si  elles  re- 
montent au  quid  interrogatif  détourné  de  son  emploi  primi- 
tif, ou  bien  au  masculin  que  m  sous  l'influence  des  doublets 
moi  —  me,  toi  —  te,  soi  —  se.  Nous  en  reparlerons  dans  la 
Syntaxe. 

P  Forme  tonique:  quei,  plus  tard  quoi.  Exemples:  Filz 
Alexis,  por  queit  portât  ta  medre?  (Saint  Alexis,  v.  131).  Jou  ne 
sai,   fait  H  empereres,   ke  il  avenra   ne   coi  non    (Villehardouin, 


406 

§  682).  Mult  se  merveille  por  quoi  ne  a  quoi  vos  lestes  venu  en 
sa  terre  (ib.,  §  143). 

2^  Forme  atone  :  que  (on  trouve  aussi  qued  devant  une 
voyelle,  dans  les  plus  anciens  textes;  comp.  §  569,2);  elle 
s'employait  comme  cas  sujet  et  comme  cas  régime.  Exemples 
de  que  comme  cas  sujet:  ...  escut  u  chivalz  u  huefs  u  vache: 
u  porcs  u  berbiz,  que  est  forfeng  en  Engleis  apeled  (Lois  de 
Guillaume).  Ço  qu'estre  en  deit  ne  Valez  demurant  (Roland, 
V.  3519).  Or  dites  ce  que  vos  plaira  (Villehardouin,  §  142).  Vos 
donroie  ce  que  mestiers  vos  seroit  (ib.,  §  195).  Exemples  de  que 
comme  cas  régime:  Tôt  te  donrai,  bons  om,  quant  que  m'as 
quis  (Saint  Alexis,  v.  224).  Eufemiiens  vuelt  saveir  qued  espelt 
(ib.,  V.  350).  Respunt  Rollanz  :  »Io  fereie  que  fols <i  (Roland,  v.  1053). 

572.  Sous  l'influence  du  masculin  le  neutre  que  est  peu  à 
peu  remplacé  au  nominatif  par  qui.  Nous  venons  de  voir 
qu'on  disait  primitivement:  ferons  tôt  (ço)  que  te  plaira;  la 
forme  moderne  de  cette  phrase  est:  nous  ferons  tout  ce  qui  te 
plaira.  Qui  employé  comme  nominatif  du  neutre  apparaît  de 
bonne  heure.  Villehardouin,  qui  ordinairement  écrit  que  (§571,2), 
se  sert  aussi  de  qui:  Je  vos  daim  cuite  ce  qui  remaint  en  la 
nef  (§  122).  Qui  l'emporte,  mais  la  victoire  définitive  ne  vient  que 
tard.  Au  XVI^  siècle  encore,  que  n'est  pas  rare  au  nominatif; 
on  lit  par  exemple  dans  Rabelais:  Tout  ce  que  leur  estait  servi/ 
à  table.  Soigneusement  peser  ce  que  y  est  deduict.  Délibérer  sur 
ce  que  seroit  de  faire.  Au  siècle  suivant  La  Fontaine  écrit  en 
archaïsant:  Satan  en  fera  tout  ce  que  bon  Jui  semblera.  Dans 
la  langue  moderne,  qui  n'admet  plus  cet  usage,  on  peut  toute- 
fois signaler  quelques  restes  isolés  de  que  employé  comme  cas 
sujet:  * 

1"  Dans  quelques  proverbes  et  locutions  toutes  faites:  Coide 
que  coûte.  Vaille  que  vaille.  Fais  ce  que  dois,  advienne  que  pourra. 
Faites  ce  que  bon  vous  semblera. 

2°  Devant  les  verbes  impersonnels  précédés  de  il:  Je  ferai 
ce  quil  vous'  plaira.  Je  vais  vous  dire  ce  qu'il  m'en  semble. 

3®  Comme  prédicat  :  Je  suis  ce  que  je  suis.  Malheureux  que  je  suis. 

4^  Dans  des  phrases  telles  que:  C'est  une  belle  fleur  que  la 
rose.  Qu'est-ce  que  (c'est  que)  la  vie"?  Erreur  que  tout  cela  (comp. 
A.  Tobler,  Vermischte  Beitrâge,  I,  12  ss.).  Nous  en  reparlerons 
dans  la  Syntaxe. 


407 

573.  Dès  les  plus  anciens  textes  que  représente  le  cas  ré- 
gime du  masculin  et  du  féminin  des  deux  nombres,  le  cas 
sujet  et  le  cas  régime  du  neutre.  Au  neutre  il  est  remplacé  au 
nominatif  par  qui  (voir  §  572),  mais  à  part  ce  seul  cas,  le 
domaine  de  que  s'est  constamment  élargi,  de  sorte  que,  dans 
la  langue  vulgaire  moderne,  que  fonctionne  non  seulement 
comme  régime,  mais  aussi  comme  nominatif  masculin  et 
féminin  des  deux  nombres  :  Ce  sont  des  jolis  bouquets  que  vont 
bien  aux  demoiselles  (Romania,  VII,  58);  il  remplace  encore 
qui  (cui)  régi  par  une  préposition;  dans  5>Le  vieux  marcheur  « 
Lavedan  fait  dire  à  Cocotte:  Ce  neveu  que  tu  m'as  parlé'?  Ce 
neveu  que  tu  m'as  dit  qu'il  te  ferait  crever  de  chagrin?  (p.  40). 
Ce  développement  curieux,  qui  se  retrouve  en  espagnol  et  sur- 
tout en  italien,  et  qui,  pour  le  français,  remonte  au  moyen 
âge,  sera  étudié  dans  la  Syntaxe. 

574.  Pronoms  interrogatifs.  Le  classique  qui  s  ayant  dis- 
paru devant  qui,  les  formes  du  pronom  interrogatif  sont  les 
mêmes  que  celles  du  pronom  relatif  (pour  le  neutre,  voir 
§  571),  et  elles  se  développent  de  la  même  manière.  Il  faut 
pourtant  remarquer  qu'au  cas  régime  direct  des  deux  genres 
on  ne  se  sert  pas  de  que,  qui  était  une  forme  atone:  que  m 
a  été  remplacé  par  cui,  d'où  cui,  plus  tard  qui  (comp.  §569,  s). 
—  On  a  chargé  du  simple  rôle  de  pronom  interrogatif  l'adjectif 
qualis,  devenu  quels  en  vieux  français;  il  se  déclinait  régu- 
lièrement, et  le  féminin  étymologique  a  été  remplacé  par  la 
forme  analogique  quele,  quelle  (comp.  §  385).  Ce  pronom  s'em- 
ployait souvent  avec  l'article,  //  quels,  d'où  lequel. 


CHAPITRE  V. 

PRONOMS  INDÉFINIS. 


575.  Sur  le  développement  général  des  pronoms  indéfinis  il 
faut  remarquer  les  points  suivants: 

1®  Un  grand  nombre  de  pronoms  indéfinis  latins  sont  morts 
sans  laisser  de  traces:  alteruter,  nemo,  neuter,  nihil, 
nonnullus,  omnis,  quidam,  quispiam,  quisque,  ullus, 
unusquisque,  uterque,  et  tous  les  composés  de  -vis  et 
-libet. 

•Remarque.  On  a  repris  par  voie  savante  qualiscunque  et  quicunque 
(voir  §  578).  La  langue  savante  a  également  emprunté  quidam.  Sur  ullus, 
voir  §  576. 

2°  De  aliquantus,  aliquis,  alius  on  n'a  que  des  traces 
isolées  ;  voir  §  576. 

3"  On  a  réparé  ces  pertes  soit  par  des  formations  nou- 
velles, des  dérivés  (*certanus  de  certus)  ou  des  composés 
(aliquis  -j-  un  us  )  *  a  lie  un  us),  soit  par  l'adoption  d'autres 
mots;  ainsi  en  latin  vulgaire  totus  remplace  omnis,  et  en 
français  on  a  attribué  des  fonctions  pronominales  aux  sub- 
stantifs chose,  rien,  on,  personne. 

576.  Observations  sur  le  sort  de  quelques-uns  des  pronoms 
et  adjectifs  indéfinis  latins: 

P  Aliquantus.  De  ce  mot  on  n'a  guère  conservé  que  les 
formes  du  pluriel  d'où  en  vieux  français  alquant,  alquanz,  al- 
quantes.  Ex.:  Alquant  i  vont,  alquant  se  font  porter  (Alexis,. 
V.  558).  On  trouve  aussi  la  combinaison  li  alquant. 


409 

2^  Aliquis.  De  ce  mot  subsiste  seulement  le  neutre  aliquid  ) 
vfr.  alqiie,  auque.  Ex.  :  Qui  auques  a,  si  est  amez  (voir  Gode- 
froy).  Il  fonctionne  ordinairement  comme  adverbe:  Neirs  les 
chevels  e  alques  brun  le  vis  (Roland,  v.  3821).  Le  mot,  rem- 
placé comme  pronom  dans  la  langue  littéraire  par  'quelque- 
chose',  se  retrouve  dans  plusieurs  patois  modernes;  à  Pont-à- 
Mousson  (Ardennes)  on  dit  par  exemple:  je  H  donrai  iauque. 
Sur  le  composé  aliquis  -j-  unus,  voir  §  577,  i. 

3"  Alius.  De  ce  mot  on  n'a  guère  conservé  que  le  neutre 
devenu  el  (al)  en  vieux  français:  Si  vunt  ferir ;  que  fereient  il 
el?  (Roland,  v.  1185).  Godefroy  cite  deux  exemples  d'un  emploi 
adjectif  de  notre  mot  :  Vau  jour.  Notez  les  combinaisons  un  et 
el  (une  chose  et  une  autre),  ne  un  ne  el,  et  les  composés  altel, 
autel,  et  allant,  autant.  Abstraction  faite  de  ces  restes,  alius 
est  remplacé  par  aller. 

4°  Alter  devient  altre,  autre.  Au  moyen  âge  il  se  déclinait 
régulièrement  (comp.  §  261,3);  on  avait  aussi  la  forme  ana- 
logique autrui,  qui  s'employait  comme  régime  direct  et  in- 
direct, comme  régime  prépositionnel  et  comme  génitif  (conip. 
ce  que  nous  avons  dit  de  cui,  §  569, 3).  Pour  les  détails,  voir 
la  Syntaxe. 

5"  Multus  ne  se  trouve  comme  adjectif  que  dans  les  plus 
anciens  textes  de  la  Normandie  qui  donnent  mulz  jurs,  par 
mulz  ans,  niult  altre,  etc.  Ordinairement  il  était  adverbe,  et  il 
s'est  maintenu  comme  tel  dans  les  patois.  La  langue  littéraire 
l'a  totalement  abandonné.  Comp.  plus  loin,  p.  415. 

6°  Nemo  a  été  conservé  en  roumain  (nime)  et  dans  quelques 
dialectes  italiens.  Partout  ailleurs  il  a  disparu,  remplacé  de  dif- 
férentes manières  :  en  français  par  negun,  nëun ,  nessun  (voir 
§  577),  nul,  et  par  (ne)  personne,  qui  rappelle  d'une  manière 
intéressante  l'origine  de  nemo  «  ne  homo). 

7"  Nihil  a  disparu  partout;  il  est  remplacé  en  français  par 
les  deux  substantifs  néant  et  rien. 

8^  NuIIus  est  devenu  nul,  et  nul  la,  nule,  nulle.  Le  mot  se 
déclinait  régulièrement  en  vieux  français  :  nus,  nul  —  nul,  nus. 
(comp.  §  266, 4).  On  trouve  aussi  les  formes  analogiques  nului 
(nelui)  et  nuli,  qui  s'employaient  comme  cas  régime.  Nullui 
«tait  en  usage  encore  au  XVP  siècle  :  Sans  parler  a  nulluy  ni 
nul  a  elle  (Heptaméron,  n°  32).  L'emploi  de  nul  s'est  restreint 
de  siècle  en  siècle  ;  dans  la  langue  moderne,  où  il  est  en  train 


410 

de  disparaître  comme  pronom,  il  ne  fonctionne  ordinairement 
que  comme  sujet  du  masculin  singulier. 

9°  Omnis  a  été  conservé  en  italien  (ogni)  ;  il  a  disparu  par- 
tout ailleurs,  remplacé  par  totus  (voir  plus  bas).  Les  mots 
omnicolore,  omnipotence,  omniprésence,  omniscience,  omnivore, 
etc.  sont  savants. 

10^  Paucus  se  comporte  en  vieux  français  comme  multus; 
on  ne  trouve  que  quelques  rares  traces  de  son  emploi  adjec- 
tif. Ordinairement  il  fonctionne  comme  substantif  ou  adverbe: 
pauci  homines  se  rend  par  peu  d hommes. 

IP  Quantus  >  vfr.  quanz;  quanta  >  quanie.  Ce  mot  a  rem- 
placé quot  dans  le  latin  populaire;  il  se  déclinait  régulière- 
ment et  s'employait  comme  adjectif  jusque  dans  le  XVI^  siècle: 
Quans  ans  peult  elle  bien  avoir  (Ane.  th.  fr.,  I,  p.  2).  Après  la 
Renaissance  on  ne  le  trouve  qu'avec  le  mot  fois  dans  les  locu- 
tions vieillies  quantes  fois,  tantes  et  quantes  fois.  Pour  la  vieille 
langue  il  faut  citer  les  formes  combinées  quan(t)que  et  quan- 
conque. 

12°  Talis  devient  en  vieux  français  tels  ou  tes;  le  féminin 
étymologique  tel  est  remplacé  par  telle  (comp.  §  385).  Le  mot, 
qui  se  déclinait  régulièrement,  présente  aussi  la  forme  telui; 
elle  est  assez  rare.  Signalons  dans  la  vieille  langue  le  doublet 
itel  (comp.  I,  §  502, 3)  et  les  deux  composés  altel,  autel  (comp. 
§  576, 3),  conservés  dans  les  patois   actuels,  et  altretel,  autretel. 

13°  Tantus  >  vfr.  tanz;  tante  >  tante.  Ce  mot  qui  se  dé- 
clinait régulièrement,  s'employait  comme  adjectif  jusqu'à  la 
Renaissance;  on  disait  au  moyen  âge  tant  bon  chevalier,  tantes 
guerres,  on  dit  maintenant  tant  de  bons  chevaliers,  tant  de 
guerres.  Signalons  la  forme  collatérale  itant  (I,  §  502, 3),  et  les 
composés  allant,  autant  et  altretant,  autretant,  dont  le  dernier 
ne  survit  pas  au  moyen  âge. 

14°  Totus  remplace  omnis  dans  la  basse  latinité:  Ubi  et 
toti  fuerant  patres  sepulti  (Vie  de  Ste  Euphrosyne,  §20).  Pour 
la  forme,  il  paraît  s'être  changé  en  *tottus,  d'où  en  vieux 
français  toz,  touz,  et  au  féminin  tote,  toute.  Le  mot  se  décli- 
nait régulièrement,  excepté  au  pluriel  masculin,  dont  la  forme 
primitive  est  luit;  elle  fut  remplacée  au  XIIF  siècle  par  tout. 
Rappelons  le  composé  trestouz,  qui  se  retrouve  sous  différentes 
formes  dans  les  patois  actuels:  C'est  vous  qui  les  avez  tués 
tous?  —  Tretous,  oui,  c'est  me  (G.  de  Maupassant,  Le  père  Mi- 


411 

Ion,  p.  10).    Sauvons-nous   tourtous  (Puymaigre,   Chants   popu- 
laires messins,  I,  p.  205). 

15*^  Ullus  a  disparu  partout  (sur  la  survivance  dans  un 
composé,  voir  §  577,  e).  On  trouve  au  XVI*'  siècle  ulle  dans 
Rabelais  et  d'autres  auteurs  (voir  Godefroy);  c'est  une  forme 
purement  savante. 

577,  Observations  sur  quelques  nouvelles  formations: 
1°  Aliquis  -\-  unus  se  combinent  de  bonne  heure  en  *alic- 
unus,  qui  se  retrouve  dans  presque  toutes  les  langues  ro- 
manes: it.  alcuno,  esp.  alguno ,  port,  algum,  prov.  alcus,  fr. 
alcun,  aucun.  Dans  la  vieille  langue,  le  mot  se  déclinait  ré- 
gulièrement: alcuns,  alcun,  etc.;  on  trouve  aussi,  mais  rare- 
ment, la  forme  analogique  alcunui.  (A  côté  de  alcuns,  quelques 
vieux  textes  présentent  alcuens,  qui  paraît  dû  à  une  influence 
de  uen(s),  de  homo.) 

2^  Cata  4-  unus  se  combinent  en  *catunus,  d'où  en  vieux 
français  chedun,  chëun.  Ce  mot  était  rare;  il  figure  dans  les 
Serments  de  Strasbourg  (en  cadhuna  cosa),  dans  le  Livre  des 
Rois  (chaun,  chëun)  et  dans  un  texte  lorrain  du  XIP  siècle 
(chaum)  ;  cf.  Romania,  V,  326. 

Remarque.  Lorigine  de  cata  est,  comme  l'a  établi  M.  P.  Meyer  (Romania, 
II,  80—85),  la  préposition  grecque  yatâ,  qui  s'employait  en  latin  vulgairie 
avec  son  sens  original.  On  lit  dans  la  Vulgate:  Et  faciet  sacrificium  super 
eo  cata  mane  ...  Faciet  agnum  et  sacrificium  et  oleum  cata  mane  mane 
(Ezéchiel,  XLVI,  14,  15).  D'autres  exemples  ont  été  réunis  par  M.  J.  Cornu 
(Romania,  IV,  453 — 454;  comp.  ib.,  XXII,  482).  Cata,  qui  se  retrouve  en 
espagnol,  en  portugais  et  en  provençal,  se  combinait  volontiers  avec  unus, 
d'où  l'italien  catuno,  caduno,  le  provençal  cadiin  et  le  vieux  français  chëun. 

30  *Certanus,  dérivé  de  certus,  remplace  quidam;  il  est 
devenu  certain  en  français. 

40  * Metipsimus,  superlatif  de  metipse  (tiré  de  ego  met- 
ipse,  écrit  ordinairement  egomet  ipse),  devient  dans  le  plus 
vieux  français  medesme  (comp.  it.  medesimo)  ou  medisme 
(St.  Alexis,  v.  118),  d'où  meesme  ou  meïsme,  et  enfin  mesme, 
même. 

5"  Ne  -f-  ipse  -f-  unus  se  combinent  en  n  issu  no,  d'où  en 
italien  nissuno,  nessuno,  en  provençal  neisus,  et  en  vieux  fran- 
çais nisun,  nesun.  Le  mot,  qui  se  déclinait  régulièrement,  s'em- 
ployait au  commencement  du  XVI^  siècle:  Afin  que  nesung  ne 
les  voye  (Coquillart,  II,  p.  283). 


412 

6°  Nec  -\-  ullus  se  combinent  en  ne  cul  lu  s,  d'où  en  vieux 
français  neuls  (niuls),  qui  se  déclinait  régulièrement:  Ne  io  ne 
neuls  (Serments  de  Strasbourg).  Niule  cose  (Ste  Eulalie,  v.  9), 
€tc.  Ce  mot  ne  se  trouve  que  dans  les  plus  anciens  monuments. 

70  Nec  _|_  unus  se  combinent  en  necunus,  d'où  en  vieux 
français  nëuns  (niuns,  nions),  nuns.  Pour  les  exemples,  voir 
Burguy,  Grammaire  de  la  langue  d'oïl,  I,  182. 

8°  Neque  -]-  unus  se  combinent  en  *nequunus,  d'où  en 
vieux  français  necun,  negun  (comp.  en  espagnol  ninguno).  Le 
mot  paraît  mort  après  le  XIV<^  siècle;  il  survit  dans  le  pro- 
verbe Qui  sert  commun,  il  ne  sert  negun,  cité  par  H.  Estienne 
(Précellence,  etc.,  p.  p.  Feugère,  p.  260). 

90  *piusiores  est  probablement  un  comparatif  pléonastique 
tiré  de  plus  (comp.  §  454,5);  il  devient  en  français  pluisor, 
pluisors,  et  plus  récemment  plusieur,  plusieurs.  Par  la  dispari- 
tion de  la  déclinaison  on  ne  garde  que  cette  dernière  forme 
qui  sert  des  deux  genres. 

10^  Quisque  -j-  unus  se  combinent  en  *quiscunus,  d'où 
par  assimilation  *ciscunus;  cette  forme  a  dû  se  changer, 
probablement  sous  l'influence  du  synonyme  cataunus  (voir 
ci-dessus)  en  *cascunus,   d'où    en  français  chascun,  chacun. 

578.  Nous  donnerons  ici  quelques  renseignements  sur  ceux 
•des  pronoms  et  adjectifs  indéfinis  dont  nous  ne  nous  sommes 
pas  occupés  dans  les  paragraphes  précédents: 

P  Chaque,  autrefois  chasque,  paraît  tiré  de  chascun,  chacun. 
On  en  a  quelques  exemples  remontant  au  moyen  âge  ;  on  trouve 
kasches  dans  un  texte  lorrain  du  XIP  siècle  (Romania,  V,  326), 
et  chasqu'un  dans  Gautier  de  Coincy.  Mais  ce  n'est  qu'au  XVI*' 
siècle  qu'il  devient  d'un  emploi  général. 

2"  Maint,  mot  d'origine  inconnue,  est  maintenant  vieilli,  on 
ne  le  trouve  guère  que  dans  la  locution  maintes  fois.  Autrefois 
il  était  très  employé  ;  au  moyen  âge  on  avait  aussi  les  com- 
posés tamaint  et  tresmaint. 

3"  Quelque  est  un  composé  de  quel  et  que  (comp.  en  esp. 
•cualque,  et  en  it.  qualche).  La  fusion  avait  eu  lieu  déjà  au 
XIIP  siècle:  A  quelque  poinne  se  dreça  (Erec,  v.  5206). 

4''  Quelqu'un  est  un  composé  de  quelque  et  un;  le  plus  ancien 
■exemple  remonte  au  XV^  siècle.  Les  deux  parties  du  mot  sont 


413 

variables  en  genre  et  en  nombre  (comp.  §  328)  :  quelques-uns, 
quelques-unes. 

5^  Quelconque  est  emprunté  du  latin  qualiscumque.  La 
première  partie  du  mot  est  maintenant  invariable:  une  récom- 
pense quelconque,  des  prétextes  quelconques.  Au  moj^en  âge  il 
varie  parfois,  et  on  trouve  quelsconques ,  quelleconque,  quelles- 
conques.  * 

6"  Quiconque  est  un  mot  savant  emprunté  du  latin  qui- 
cumque;  on  en  trouve  des  exemples  remontant  au  XIII*' 
siècle.  On  disait  ordinairement  au  moyen  âge  qui  onques  ou 
qui  qui  onques. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 


§  14  (p.  12,  1.  7):  batere;  lire  bâte. 

§  60  (p.  45,  1.  1).  —  Sur  ramuïssement  de  la  nasale  de  la 
terminaison  -ent,  voir  aussi  les  remarques  de  P.  Meyer  dans 
son  édition  de  Raoul  de  Cambrai,  p.  LXXXI,  et  dans  le  Bulle- 
tin de  la  Soc.  des  Ane.  Textes,  1903,  p.  44. 

§  60,2  (p.  45).  —  Sur  la  forme  supposée  faunt  (comp 
§  127),  voir  les  observations  de  M.  Meyer-Lûbke,  ZRPh,  XVIII, 
437—439. 

§  145,2  (p.  115).  —  A  côté  de  ayons,  ayez,  on  trouve  par- 
fois dans  la  langue  moderne  ayions,  ayiez. 

§  208  (p.  157,  1.  2).  —  Dans  l'argot  actuel  de  Paris  on  trouve 
la  forme  vourai;  elle  est  fréquemment  employée  par  Jehan 
Rictus  dans  Les  soliloques  du  Pauvre  (5*'  éd.  Paris,  1903):  J'vob- 
rais  me  fondre  (p.  67;  comp.  p.  59,  61,  122,  etc.). 

§  216  (p.  162,  1.  2):  asseoirai;  lire:  assoirai. 

§  221  (p.  164,  1.  2  d'en  bas):  érivait;  lire:  écrivait. 

§  304.  —  .1.  Rictus  emploie  le  pluriel  analogique  de  travail 
dans  Les  soliloques  du  Pauvre  (p.  199)  : 

....  ses  frangins  l'forcent  à  faire 

Des  cravails  [sic]  noirs  et  sans  plaisir. 

§  323  (p.  232).  —  Mol:  »Je  ne  considère  pas  l'exemple  de 
Lavedan  (mois  oreillers)  comme  étant  à  proprement  parler  un 
cas  du  pluriel   de   l'adjectif  mol.    Dans  cette  expression  toute 


415 

faite  »mol  oreiller«,  qui  est  devenue  traditionnelle  depuis 
Montaigne  (»le  mol  oreiller  du  doute«),  l'adjectif  mol  n'est  pas 
vivant.  Lavedan,  ayant  eu  à  mettre  au  pluriel  cette  expression 
figée,  a  simplement  ajouté  un  s  aux  deux  éléments  dont  elle 
se  compose.  «  (E.  Philipot.) 

§  323  (p.  232).  —  Sol:  »Vous  citez  avec  raison  la  forme 
sol  dans  le  parler  moderne.  Non  seulement  j'ai  lu  cette  forme, 
mais  je  l'ai  entendue.  Elle  s'entend  souvent  dans  les  milieux 
d'étudiants,  au  quartier  latin.  Je  la  considère  comme  un  pur 
archaïsme,  conscient  et  voulu:  il  y  en  a  quelques-uns  dans 
l'argot  moderne,  qui  proviennent  sans  doute,  comme  celui-là, 
d'un  désir  de  caricaturer  l'insipide  jargon  moyen  âge  que  les 
Romantiques  avaient  fait  parler  à  leurs  héros  chevelus.  Telle 
est  selon  moi,  l'origine  de  sol:  c'est  une  »  restauration  iro- 
nique«.  Les  héros  romantiques  genre  «Tour  de  Nesle«  se 
traitaient  de  »mon  féal«,  ou  de  »messire«  et  no  comptaient 
que  par  »sols«  ou  par  »deniers  parisis*.  Dans  la  même  caté- 
gorie je  citerais  le  mot  moult,  souvent  employé  en  français 
familier.  «  (E.  Philipot.) 

§  327.  »A  propos  du  pluriel  des  mots  composés  et  de  la 
tendance  qu'on  a  à  les  considérer  comme  un  tout  et  à  donner 
à  ce  tout  le  signe  du  pluriel,  je  puis  vous  confier  que  je  me 
suis  parfois  surpris,  —  et  j'en  ai  surpris  d'autres,  —  pronon- 
çant »les  chemins  de  fer  z'étrangers«,  avec  un  magnifique  cuir.« 
(E.  Philipot.)  —  Cette  prononciation  est  relevée  dans  un  ro- 
man de  Gyp  (Jaquette  et  Zouzou,  p.  245): 

Zouzou,  arrivant  aussi  avec  une  pile  de  papiers.  —  En  v'ià 
z'un  vent!  .  .  . 

Le  père  de  Cotoyan.  —  Pourquoi  dis-tu  »z'un«  vent?  . .  . 

Zouzou.  —  J'sais  pas!  ...  ça  m'a  fourché  .  .  . 

Le  père  de  Cotoyan.  —  Tu  parles  d'une  façon  grotesque  . .  . 
(Mouvement  de  Zouzou.)  oui  . .  .  grotesque  .  .  . 

Zouzou,  se  hérissant.  —  Ben,  vous  aussi,  alors!  . .  .  oui!  . . . 
vous!  .  .  .  pourquoi  qu'.  vous  dites  les  cli'mins  d'fer  z'Algé- 
riens?  .  .  .  qu'vous  l'avez  dit  deux  fois  d'suite  hier  à  dîner!  .  .  . 
j'avais  pas  r'marqué,  moi,  v'pensez  bien?  .  .  .  c'est  pac'  que 
j'ai  vu  l'oncle  Jacques  qu'y  s'gondolait  qu'  j'ai  fait  atten- 
tion. .  . . 


416 

§  364  (p.  253,  1.  2)  —  Aurochs:  Selon  Littré  et  le  Dict.  gén., 
ce  mot  se  prononce  [oroks].  M.  E.  Philipot  m'écrit:  »Je  suis 
certain  que  pour  l'immense  majorité  des  Français,  ce  mot  se 
décline  ainsi:  un  auroch  [orok]  —  des  aurochs  [orok]«. 

§  408,  Cas  isolés.  —  Le  féminin  haillie  se  trouve  déjà  dans 
»Le  Miroir  de  mariage«  d'Eustache  Deschamps:  Portez  la  paix 
à  la  haillie  (Œuvres  complètes,  IX,  v.  3306). 

§  425,  Rem.  —  A  propos  de  snohesse  (Sachs,  Rigaud),  M.  E. 
Philipot  remarque:  »Snobesse  m'est  inconnu,  mais  je  connais 
snobine,  et  surtout  snobinette.« 

§  437.  —  M.  E.  Philipot  observe  très  judicieusement:  »Ne 
trouvez-vous  pas  un  peu  exagérée  votre  idée  générale  du  début? 
Elle  étonne  quelque  peu  après  ce  qui  précède,  et  je  trouve 
qu'on  ne  s'attend  guère  à  une  pareille  conclusion  à  la  suite 
de  paragraphes  où  vous  nous  avez  surtout  montré  les  féminins 
que  nous  avons  perdus  au  cours  des  siècles  (§  423,  clergesse, 
mirgesse  ...  §  424,  aiglesse  ...  §  425,  mairesse,  426,  hermitesse, 
hypocritesse,  librairesse ,  miresse,  mireresse,  siresse,  vidamesse. 
§  428,  aideresse,  orfevreresse,  etc.,  etc.).  Il  me  semble  que  vous 
pourriez  exprimer  votre  idée  générale  plus  dubitativement,  en 
pensant  surtout  à  l'avenir.  Car  pour  le  présent  je  suis  obligé 
de  constater  une  timidité  excessive  et  beaucoup  de  répugnance 
pour  le  néologisme.  Sans  doute,  le  féminisme  arrivera  un  jour 
à  fléchir  les  grammairiens;  mais  vous  savez  que  les  mouve- 
ments sociaux  n'appellent  pas  nécessairement  un  mouvement 
correspondant  dans  le  langage:  l'évolution  du  langage  peut  se 
produire  beaucoup  plus  tard.  Le  moyen  âge  avait  miresse  et 
mirgesse,  et  nous  hommes  du  XX^  siècle  nous  en  sommes  en- 
core à  dire  une  femme-médecin  !« 

§  474.  —  Aux  exemples  cités  j'aurais  dû  ajouter  énorme, 
excellent,  immense,  parfait,  principal.  Littré  discute  dans  son 
Dictionnaire  s'ils  sont  susceptibles  de  comparaison  ou  non. 

§  490,  Rem.  (p.  343,  1.  4  d'en  bas):  onde;  lire:  fondé. 


BIBLIOGRAPHIE 


ABRÉVIATIONS 


AGIt.  —  Archivio  qlottologico  italiano. 

ALLG.  —  Archiv  fur  lateinische  Lexikographie  und  Grammatik. 

ASNS.  —  Archiv  far  das  Studium  der  neueren  Sprachen  und  Lil- 
le rature  n. 

CIL.  —  Corpus  inscriptionum  lalinarum. 

PS.  —  Franzôsische  Studien. 

Geijer-uppsatser. —  Uppsalser  i  Romansk  filologi  tillûgnade  pro- 
fesser P.  A.  Geijer  pâ  hans  sepciioârsdag  den  9de  april  1901.  Upsala, 
1901. 

JBRPh.  —  Krilischer  Jahresbericht  iiber  die  Fortschrilte  der  Ro- 
manischen  Philologie. 

LBlGRPh.  —  Literalurblatt  fiir  germanische  und  romanische  Phi- 
lologie. 

MSLP.  —  Mémoires  de  la  Société  de  Linguistique  de  Paris. 

Mélanges  Wahlund.  —  Mélanges  de  philologie  romane  dédiés  à 
Cari  Wahlund  à  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de  sa  nais- 
sance (7  janvier  1896).   Màcon,  1896. 

RF.  —  Romanische  Forschungen. 

RLH.  —  Revue  des  langues  romanes. 

Rom.  —  Romania.  Recueil  trimestriel  consacré  à  l'étude  des  langues 
et  des  littératures  romanes. 

RPhFP.  —  Revue  de  philologie  française  et  provençale. 

RS.  —  Romanische  Studien. 

Studier.  —  Studier  i  modem  sprâkvetenskap  utgifna  af  Nyfilolo- 
giska  sàllskapet  i  Stockholm.   I — II.   Upsala,  1898 — 1901. 

ZPSL.  —  Zeitschrift  fur  franzôsische  Sprache  und  Litteratur. 

ZRPh.  —  Zeitschrift  fur  romanische  Philologie. 


Diss.  inaug.  —  Dissertatio  inauguralis. 
Proar.  —  Programme. 


27* 


LIVRE  1. 
LES  VERBES. 


A.   PARTIE  GÉNÉRALE. 

Bastin  (J.),  Le  verbe  dans  la  langue  française.  Première  partie: 
Lexicologie.  Seconde  partie:  Syntaxe.  Saint-Pétersbourg,  1896. 

Chabaneau  (C),  Histoire  et  théorie  de  la  conjugaison  française. 
Paris,  1868.  2^  édition,  Paris,  1878.  —  Cf.  ZFSL,  I,  80—89  (W.  Fôr- 
ster). 

DouTREPONT,  Tableau  et  théorie  de  la  conjugaison  dans  le  Wallon 
liégeois.  Liège,  1891. 

FicHTE  (E.),  Die  Flexion  im   Cambridger  Psalter.  Halle,  1879. 

Freund  (h.),  €ber  die  Verbal  flexion  der  âltesten  franz.  Sprachdenk- 
màler  bis  zum  Rolandslied  einschliesslich.  Diss.  inaug.  Marburg,  1878. 
—  Cf.  Rom.,  Vn,  620—624  (G.  Paris). 

HoLLE  (F.),  Avoir  und  savoir  in  den  altfranzôsischen  Mundarten. 
Diss.  inaug.  Marburg,  1900. 

KocH  (K.),  Die  Entwicklung  des  lat.  Hûlfsverbs  esse  in  den  fran- 
zôsischen  Mundarten.   Diss.  inaug.  Marburg,  1902. 

KôRTiNG  (G  ),  Der  Formenbau  des  franzôsischen  Verbums  in  seiner 
geschichtlichen  Entwickelung .  Paderborn,  1893.  Cf.  ASNS.,  XCII,  445 
—465  (A.  Risop). 

Lenander,  Observations  sur  les  formes  du  verbe  dans  la  chanson 
de  Gui  de  Bourgogne.  Diss.  inaug.  Malmô,  1875. 

Littré  (É.),  Conjugaison  française  (Études  et  glanures.  Paris, 
1880,  p.  290—310). 

Meister  (J.  h.),  Die  Flexion  im  Oxfôrder  Psalter.  Halle,  1877. 

Merwart  (K.),  Die  Verbalflexion  in  Quatre  Livres  des  Rois.  Progr. 
Wien,  1880. 


421 

Muret  (E.),  Sur  quelques  formes  analogiques  du  verbe  français. 
(Études  romanes  dédiées  à  G.  Paris,  p.  465 — 473).  —  Cf.  Romania, 
XXII,  155—157  (G.  Paris). 

MussAFiA.  (A.),  Zur  Prâsensbildung  im  Romanischen.  Wien,  1883. 
(Tirage  à  part  de  Sitzungsberichte  der  phil.-hist.  Classe  der  kais. 
Akademie,  CIV,   Bd.  1,  Hft.  3.) 

Risop  (A.),  Sludien  zur  Geschichte  der  franzôsischen  Konjugation 
auf-ir.  Halle  a.  S.,  1891.  —  Cf.  Romania,  XXI,  329—330  (G.  Paris). 
LBlGRPh.,  1892,  p.  154—156  (W.  Meyer-Lûbke). 

Rydberg  (g.).  Le  développement  de  facere  dans  les  langues  ro- 
manes. Diss.  inaug.  Paris,  1893.  —  Cf.  Romania,  XXII,  569 — 574 
(G.  Paris).  ZRPh.,  XVIII,  434—440  (W.  Meyer-Lûbke).  LBlGRPh., 
1894,  302—307  (H.  Àndersson).  ZFSL.,  XVI 2,  142,ss  (A.  Hor- 
ning). 

Schumacher  (F.),  Die  starken  Prâsensstâmme  des  Lateins  in  ihrer 
Entwicklung  im  Franzôsischen.  Diss.  inaug.  Kiel,  1901. 

Stûnkel  (L.),  Flexion  der  Verba  in  der  Lex  Roaiana  Utinensis 
(ZRPh.,  V,  41—50). 

Stûrzinger,  Remarks  on  the  Conjugation  of  the  Wallonian  Dialect. 
Baltimore,  1886. 

Thurneysen  (R.),  Das  Verbum  être  und  die  franz.  Conjugation. 
Halle,  1882.  —  Cf.  Rom.,  XII,  365—367  (A.  Taverney). 

Trautmann  (m.),  Bildung  und  Gebrauch  der  Tempora  und  Modi 
in  der  Chanson  de  Roland.  I.  Die  Bildung  der  Tempora  und  Modi. 
Halle.  1871. 

B.   PARTIE  SPÉCIALE. 

2.  G.  KôRTiNG,  Das  laleinische  Passivum  und  der  PassivAusdruck 
im  Franzôsischen  (ZFSL.,  XVIII,  115— 130). 

4.  K.  FoTH,  Die  Verschiebung  der  lateinischen  Tempora  in  den  ro- 
manischen Sprachen  (RS.,  II,  243 — 336). 

16.  J.  Cornu,  Remarque  sur  l'ancienne  conjugaison  du  verbe  parler 
(Rom.,  IV,  457—460). 

J.  Cornu,  Conjugaison  des  verbes  aidier,  araisnier  et  mangier  (Rom., 
VII,  420—432). 

A.  Delboulle,  L'infinitif  paroler  (Rom.,  XIII,  113 — 114). 

22.  D.  Behrens,  Unorganische  LaatvèrTretang  innerhalb  der  for- 
malen  Entivickelung  des  franzôsischen  Verbalstammes  (FS.,  III,  357 
—448). 

Ph.  Kraft,  Vokalangleichung  im  franzôsischen  Verbalstamm  in  der 
Zeit  von  1500 — 1800  (nach  Zeugnissen  von  Grammatiken).  Progr. 
(Realschule  in  Eimsbûttel  zu  Hamburg).   Hamburg,  1897. 


422 

25,  Rem.  MussAFiA,  Francese  vais,  valt,  valent;  sais,  sait;  chielt, 
chalt  (Rom.,  XXIV,  433—436). 

32.  A.  Risop,  Die  analogische  Wirksamkeit  in  der  Entwickeliing  der 
franz.  Konjugation  (ZRPli.,  Vil,  45—65).  —  Cf.  ZFSL.,  V^,  65—80 
(D.  Behrens). 

W.  Kirsch,  Zur  Geschichte  des  consonant.  Stammauslauts  im  Prâ- 
sens  und  den  davon  abgeleiteten  Zeiten  im  Altfranzôsischen.  Diss. 
inaug.  Heidelberg,  1897. 

51.  Ad.  HoRNiNG,  Us  à  la  première  personne  du  singulier  en  fran- 
çais (RS.,  V,  707—715). 

54.  L.  DuvAU,  Remarques  sur  la  conjugaison  française  (-ons)  (M 
SLP.,  X,  161—166). 

A.  LoRENTz,  Die  erste  Person  Pluralis  des  Verbums  im  Altfranzô- 
sischen.  Diss.  inaug.   Heidelberg,  1886. 

\V.  Meyer-Lûbke  et  G.  Paris,  La  première  personne  du  pluriel  en 
français  (Romania,  XXI,  337 — 360). 

G.  MoHL,  Les  origines  romanes.  La  première  personne  du  pluriel 
en  gallo-roman.  Prague,  1900.  (Mémoires  de  la  Société  Royale  des 
Sciences  de  Bohême).  —  Comp.  Romania,  XXX,  578 — 587  (G.  Paris). 

I.  Rothenberg,  Die  Endung  -ons  in  der  franz.  Conjugation  (AS 
NS.,   LXII,   460—462). 

F.  Settegast,  Die  Bildung  der  1.  PI.  Prs.  Ind.  im  Galloromanischen, 
vorzûglich  im  Franzôsischen  (ZRPh.,  XIX,  266—270). 

Thurneyse:n  und  Baist,  Somes,  soms  und  som  (ZRPh.,  XVIII,  276 
—279). 

56.  A.  Behrens,  Die  Endung  der  zweiten  Person  Pluralis  des  alt- 
franzôsischen Verbums.  Diss.  inaug.  Greifswald,  1890.  —  Cf.  Rom., 
XIX,  502. 

C.  Chabaneau,  La  deuxième  personne  du  pluriel  de  l'indicatif  pré- 
sent dans  les  dialectes  de  l'Est  (RLR.,  XXI,  151—154). 

61.  W.  Sôderhjelm,  Ûber  Accentverschiebung  in  der  dritten  Person 
Pluralis  im  Altfranzôsischen.  Sonderabdruck  aus:  Ôfversigt  af  Finska 
Vet.  Soc.  Fôrhandlingar.  Hâft  XXXVII  (Helsingfors,  1895).  —  Cf.  Ro- 
mania, XXIV,  492  (G.  P.)  et  JBRPh.,  IV,  1,  216—220  (A.  Rlsop). 

64.  Ph.  Kraft,  'Konjugationswechsel  im  Neufranzôsischen  von  1500 
— 1800  nach  Zeugnissen  von  Grammatiken.  Diss.  inaug.  Marburg, 
1892. 

72,  ss.  E.  Herzog,  Geschichte  der  franzôsischen  Infinitivtypen  (ZR 
Ph.,  XXIII,  353—381;  XXIV,  77—111). 

H.  CuERS,  Bildung  jund  Bedeutungsivandel  franzôsischer  Infinilive 
beim   Uebergang  aus  dem  Lateinischen.  Progr.   Frankfurt,  1899. 

82.  M.  Bréal,  L'accusatif  du  gérondif  en  français  (MSLP.,  IX,  95). 
Henri  Le  Foyer,  De   la   survivance   de  l'accusatif  du  gérondif  en 
français  (MSLP.,  IX,  168—169). 


423 

87,  ss.  J.  Bastin,  Le  participe  passé  dans  la  langue  française  et  son 
histoire.  Saint-Pétersbourg,  1880.  —  Cf.  Rom.,  IX,  614—617  (Kr. 
Nyrop). 

J.  Bastin,  Etude  des  participes  basée  sur  l'histoire  de  la  langue. 
3«  éd.   St.-Pétersbourg,  1889.  —    Cf.  Rom.,  XIX,  154—155. 

A.  Mercier,  Histoire  des  participes  français.  Paris,  1879.  —  Cf. 
Rom.,  IX,  614—617  (Kr.  Nyrop). 

J.  Ulrich,  Die  formelle  Entwicklung  des  Participium  Prœteriti. 
Diss.  inaug.  Winterthur,  1879.  —  Cf.  Rom.,  VIII,  445—449  (G.Paris). 

102,  Rem.  W.  FôRSTER,  Die  franz.  Participia  auf -eit  (-oit)  (ZRPli., 
III,  105—106). 

A.  MussAFiA,  Zu  den  Participien  Perf.  auf  -ect  und  -est  (ZRPh., 
III,  267—270). 

115.  G.  LiNDQuisT,  Quelques  observations  sur  le  développement  des 
désinences  du  présent  de  l'indicatif  de  la  première  conjugaison  latine 
dans  les  langues  romanes.  Diss.  inaug.  Upsala,  1898.  —  Cf.  LBIGR 
Ph.,  1899,  p.  375—378  (Meyer-Lûbke).  ZFSL.,  XXI ^  p.  33—39  (E. 
Staaf). 

I.  UscHAKOFF,  Zur  Erklûrung  einiger  franz.  Verbalformen  (Mém.  de 
la  Soc.  néo-philologique  de  Helsingfors,  I,  131 — 166).  —  Cf.  Rema- 
nia, XXII,  567—568  (G.  Paris).  JBRPh.,  II,  148—151   (Risop). 

A.  Horning,  Die  afr.  1.  singul.  auf  -ois  in  den  heutigen  Mundarten 
(ZRPh.,  XXII,  95—96). 

116.  P.  Marchot,  Lat.  vulg.  (de  la  Gaule  du  Nord)  *vausio,'^estausio 
et*dausio  (Studi  di  filologia  romanza,  vol.  VIII,  fasc.  23). 

127.  P.  Marchot,  Feent  du  Jonas  (ZRPh.,  XXII,  401—402). 

135.  G.  WiLLENBERG,  HistoHsche  Untersuchung  fiber  den  Conjunk- 
tiv  Praesentis  der  ersten  schwachen  Conjugation  im  Franzôsischen 
(RS.,  III,  373—442). 

De  nombreux  exemples  du  singulier  du  subj.  prés,  des  verbes  de 
la   V^  conjugaison  se  trouvent   réunis  dans  la   Romania,  XXV,  322, 

138.  F.  KiRSTE,  HistoHsche  Untersuchung  iiber  den  Conjunctiv  Praes. 
im  Alt  franzôsischen.  (Mit  AUsschluss  der  latein.  A. -Conjugation). 
Greîfswald,  1890. 

151.  D.  Englânder,  Der  Imperaliv  im  Altfranzôsischen.  Diss.  inaug. 
Breslau,  1889.  —  Cf.  Romania,  XVIII,  647. 

157.  G.  KôRTiNG,  Das  Imperfekt  der  A-Conjugation  (ZFSL.,  XVIII, 
272—273). 

162.  G.  KÔRTING,  Das  Imperfectum  étais  (ZFSL.,  XVIII,  273—274). 

164.  W.  Meyer-LCbke,  Beitràge  zur  roman,  haut-  und  Formen- 
lehre.   II,  Zum  schwachen  Perfectum  (ZRPh.,  IX,  223 — 267). 

164.  Ed.  Wôlfflin,  Die  Perfektformen  amai  und  venui.  (ALLG., 
IX,  139—140). 


424 

H.  ScHUGHARDT,  Rom.  =  vulgârl.  -ai  (1.  P.  S.  Perf.)  (ZRPh.,  XXI, 
228—229). 

165,  Rem.  G.  Hentschke,  Die  lothringische  Perfektendung  -ont  (Z 
RPh.,VIII,  122—124). 

172.  D'Arbois  de  JuBAiNViLLE,  Les  parfaits  en  -didi  (Rom.,  II,  477). 

H.  ScHUCHARDT,  Parfaits  français  en  iè  (Rom.,  IV,  122). 

J.  Cornu,  De  l'influence  régressive  de  l'i  atone  sur  les  voyelles 
toniques  (Romania,  X,  216 — 217). 

H.  WoLTERSTORFF,  Das  Perfekt  der  zweiten  schwachen  Conjugation 
im  Altfranzôsischen.  Diss.  inaug.  Halle  a.  S.,  1882.  —  Cf.  Romania, 
XI,  174. 

180.  L.  CziscHKE,  Die  Perfektbildung  der  starken  Verba  der  si-Klasse 
im  Franzôsischen  (XI. — XVI.  Jahrhundert).  Diss.  inaug.  Greifswald, 
1888. 

182.  A.Thomas,  Ane.  franc,  feïs  =  fcsis,  etc.  (Rom.,  XXVIII,  118 
—119). 

G.  Baist,  Feïs  (ZRPh.,  XXIII,  533—535). 

190.  A.  MussAFiA,  Fecerunt  in  francese   (Rom.,  XXVII,  290  —  291). 
P.  Marchot,  Fisient  et  permessient  du  Jonas  (ZRPh.,  XXIII,  415 
—416). 

193.  H.  SucHiER,  Die  Mundart  des  Leodegarliedes  (ZRPh.,  II,  255 
—302). 

P.  Trommlitz,  Die  franzôsischen  ui-Perfekta  ausser  poi  (potui)  bis 
zum  13.  Jahrhundert  einschliesslich.   Progr.  Stralsund,  1895. 

204,  ss.  J.  Brôhan,  Die  Futurbildung  im  Altfranzôsischen.  Diss. 
inaug.  Greifswald,  1889. 

H.  RôNSCH,  Die  franzôsische  Futuralbildung  (Jahrbuch,  VIII,  418 
—424). 

A.  Sanchez  Moguel,  Le  futur  roman  et  la  grammaire  de  Lebrija 
(MSLP.,  VI,  176—179). 

210.  G.  Trier,  Om  futurum  og  konditionalis  af  det  romanske  ver- 
bum  essere.  (Det  philologisk-historiske  samfunds  mindeskrift.  Copen- 
hague, 1879.  P.  215—231).  —  Cf.  Rom.,  IX,  174—175  (G.  Paris). 

225.  G.  Paris,  Ti,  signe  d'interrogation  (Rom.,  VI,  438—441  ;  cf 
ib.,  p.  133,  442;  VII,  599). 


425 


LIVRE  IL 
LES  SUBSTANTIFS  ET  LES  ADJECTIFS. 


I 


A.  PARTIE  GENERALE. 

Beyer  (a.),  Die  Flexion  des  Vokalivs  im  Altfranzôsischen  and  Pro- 
venzalischen  (ZRPh.,  VII,  23—44). 

Ernst  (g.),  La  flexion  des  substantifs,  des  adjectifs  et  des  participes 
dans  le  Roland  d'Oxford.  Diss.  inaug.  Lund,  1897. 

FicHTE  (E.),  Die  Flexion  im  Cambridger  Psalter.  Halle,  1879. 

HoRNiNG  (A.),  Zur  altfranzôsischen  und  altprovençalischen  Deklina- 
tion  (ZRPh.,  VI,  439—445). 

KôRTiNG  (G.),  Der  Formenbau  des  franzôsischen  Nomens  in  ihrer 
geschichtlichen  Entwickelung .  Paderborn,  1898.  —  Cf.  ZRPh.,  XXIII, 
559—566  (J.  Subak). 

KoscHwiTz  (E.),  Der  Vocatio  in  den  âltesten  franz.  Sprachdenk- 
màlern  (RS.,  III,  493—500). 

Lebinski  (g.  von),  Die  Deklination  der  Substantiva  in  der  Oïl- 
Sprache.  I.  Bis  auf  Crestiens  de  Troies.  Diss.  inaug.  Posen,  1878.  — 
Cf.  Romania,  VII,  619—620  (G.  Paris). 

LiNDSTRôM  (a.),  L'analogie  dans  la  déclinaison  des  substantifs  latins 
en  Gaule.  V^''^  partie.  Diss.  inaug.  Upsala,  1897.  2^  partie,  ib.,  1898. 
—  Cf.  LBlGRPh.,  1897,  p.  408—411;  1899,  p.  311—315  (E.  Staaf). 

Meister  (J.  h.),  Die  Flexion  im  Oxforder  Psalter.    Halle,  1877. 

Schneider  (B.),  Die  Flexion  des  Substantivs  in  den  âltesten  metri- 
schen  Denkmûlern  des  Franzôsischen  und  im  Charlemagne.  Marburg, 
1883. 

B.   PARTIE  SPÉCIALE. 

228.  F.  d'Ovidio,  Sull'origine  dell'unica  forma  flessionale  del  nome 
italiano.  Pisa,  1872.  —  Cf.  Rom.,  I,  492-499  (A.  Mussafia).  AGIt., 
II,  416—438  (AscoLi). 

H.  ScHucHARDT,  Zur  romanischcn  sprachwissenschaft.  Lateinische 
und  romanische  deklination   (Kuhns  Zeitschrifl,  XXII,  153 — 190). 

AscoLi,  Archivio  gloltologico  italiano,  II,  416 — 438;  III,  466 — 467; 
IV,  398—402;  X,  262—269. 

W.  Meyer-Lûbke,  Zur  Deklination  (ZRPh.,  VIII,  304—306). 

G.  SuNDSTEDT,  Sur  Ic  cas  fondamental  de  la  déclinaison  romane. 
(Recueil  Wahlund,  p.  315—324.) 

Voir  aussi  Wôlfflin  dans  ALLG,  IX,  499  ss. 


426 

230.  K.  SiTTL,  Der  Untergang  der  lateinischen  Deklination  (ALLG, 
II,  555—580). 

232.2.  Voir  Romania,  XVIIl,  346;   XXII,  527;  XXIII,  341. 

232.3.  Comp.  Romania,  XIX,  468. 

241.  E.  Philipon,  Les  accusatifs  en  -on  et  en  -ain  (Romania,  XXXI, 
201—251). 

245.  M.  Bréal,  Les  noms  féminins  français  en  -eur  (MSLP.,VIII, 
312). 

Le  Héricher,  Féminisation  en  français  des  noms  masculins  latins 
en  -or  (Revue  de  linguistique,  1881,  XIV,  396 — 402). 

246.  A.  Mercier,  De  neutrali  génère  quid  factum  sit  in  gallica 
lingua.   Diss.  inaug.   Paris,  1879. 

\V.  Meyer[-LCbke],  Die  Schicksale  des  lateinischen  Neutrums  im 
Romanischen.   Halle,  1883. 

H.  Sachs,  Geschlechtswechsel  im  Franzôsischen.  Ein  Versuch  der 
Erklârung  desselben.  I.  Ursprûngliche  Neutra.  Diss.  inaug.  Frankfurt 
a.  O.,  1886. 

249.  E.  ScHWAN,  Zur  Flexion  der  Feminina  der  lat.  IIL  Deklina- 
tion im  Altfranzôsischen  (ZRPh.,  XI,  551 — 553). 

250.  G.  Paris,  Les  accusatifs  en  -ain  (Romania,  XXIII,  321  —  348). 
P.  Marchot,  L'accusatif  en  -ain  des  noms  de  femmes  (ZRPh.,  XVHI, 

243—246). 

A.  Thomas,  Les  noms  de  rivières  et  la  déclinaison  féminine  d'origine 
germanique  (Romania,  XXII,  489 — 503). 

Voir  aussi  l'étude  citée  au  §  241. 

262.  H.  PiATT,  Neuter  in  Old  French.  Diss.  inaug.  Strassburg,  1898. 
Voir  aussi  les  livres  cités  au  §  246. 

263.  A.  MussAFiA,  Spuren  des  lateinischen  Neutrum  Plurale  im  Alt- 
franzôsischen (Jaiirbuch,  VIII,  127—128). 

268.  HoRNiNG,  Du  z  dans  les  mots  mouillés  en  langue  d'oïl  (RS., 
IV,  627—637). 

280.  C.  Chabaneau,  Sur  quelques  formes  du  français  moderne 
qu'on  rapporte  à  l'ancien  cas  sujet  (RLR.,  1887,  p.  445 — 447). 

282.  Ph.  Plattner,  Ûber  Bildung  und  Gebrauch  des  Plurals  im 
Neufranzôsischen  (ZFSL.,  III,  424—453). 

283.  A.  Feist,  X  =  us  in  altfranzôsischen  Handschriften  (ZRPh.,. 
X,  294—296). 

341.  G.  M.  Robert,  Le  pluriel  des  noms  propres  en  français  mo- 
derne (Questions  de  grammaire,  p.  47 — 69). 

370.  A.  Langevin,  De  la  formation  du  pluriel  dans  le  parler  de 
Fontenay-le-Marmion  (Galvados)  (Bull,  des  Patois  normands,  1898,. 
p.  151—153). 


427 

383,  ss.  L.  EiCHELMANN,  Ûber  Flexion  iind  attributive  Stellung  des 
Adjectivs  in  den  àltesten  franzôsischen  Sprachdenkmâlern  bis  zum 
Rolandsliede  einschliesslich.  Heilbronn,  1879. 

Kr.  Nyrop,  Adjekiivernes  konsbôjning  i  de  romanske  sprog.  Diss. 
inaug.   Copenhague,  1886. 

P.  Plathe,  Enlwicklungsgeschichte  der  einfovmigen  Adjectiva  im 
Franzôsischen  (XI. — XVI.  JahrhJ.   Diss.  inaug.   Greifswald,  1886. 

451.  Ed.  Wôlfflin,  Lateinische  und  romanische  Komparation.  Er- 
langen,  1879. 

Ed.  Wôlfflin,  Ziir  latcinischen  Gradation  (ALLG.,  I,  93 — 101). 

452.  A.  Hammesfahr,  Ziir  Comparation  im  Altfranzôsischen.  Diss. 
inaug.  Strassburg,  1881. 

J.  A.  VoGES,  Die  organischen  Komparationsformen  im  Altfranzôsi- 
schen.  Progr.  Stettin,  1887. 


LIVRE  III. 
LES  NOMS  DE  NOMBRES. 


481,  ss.  M.  Ihm,  Vulgârformen  lateinischer  Zahlwôrter  auf  Inschriften 
(ALLG,  VII,  65—72). 

K.  Knôsel,  Ûber  altfranzôsische  Zahlwôrter.  Diss.  inaug.  Gôttingen, 
1883. 

483.  Fr.  d'Ovidio,  I  riflessi  romanzi  di  viginti,  triginta,  quadraginta^ 
quinqaaginta,  sexaginta,  sept[u]aginta,  oct[u]aginta,  nonaginta,  nov- 
aginta  (ZRPh.,  VIII,  82—105). 

GusT.  Rydberg,  Viginti,  triginta  ou  viginti,  triginta?  (Recueil  Wah- 
lund,  p.  337—351).  —   Cf.  Rom.,  XXVI,  107—108   (G.  Paris). 

493.  P.  Marchot,  La  numération  ordinale  en  ancien  français  (Z 
RPh.,  XXI,  102—111).  —  Cf.  Rom.,  XXVI,  326. 

E.  Staaf,  Le  suffixe  -ime,  -ième  en  français  (Studier,  I,  101 — 132). 

—  Cf.  Romania,  XXVIII,  293—294  (J.Vising).  ZFSL.,  XXI,  ^,  p.  164 

—  166  (E.  Herzog). 

A.  Thomas,  Le  suffixe  -esimus  en  français  (Romania,  XXX,  p.  398 
—400). 


428 


LIVRE  IV. 
LES  ARTICLES. 


497.  P.  A.  Geijer,  Om  artikeln,  dess  ursprung  och  iippgift  sàrskildt 
i  franskan  och  andra  romanska  sprâk  (Studicr,  I,  183 — 219).  —  CA 
Romania,  XXVIII,  294—296   (J.  Vising). 

N.  LuNDBORG,  Sur  Varticle  de  la  langue  française.  Diss.  inaug.  Hel- 
singfors,  1887. 

MoREL  Fatio,  l^ote  sur  l'article  dérivé  de  ipse  dans  les  dialectes 
catalans  (Mélanges  Renier.  Paris,  1887.  P.  9 — 15)  —  Comp.  Roma- 
nia, XX,  396,  note  2. 

498.  G.  Nehb,  Die  Formen  des  Artikels  in  den  franzôsischen  Mund- 
arten  (ZFSL.,  XXIV,  90—158,  208—261). 

E.  Staaf,  Sur  le  développement  phonétique  de  quelques  mots  atones 
en  français.  I.  L'article  (Studier,  II,  145 — 159). 

G.  Rydberg,  Principerna  for  artiklens  utveckling  i  franskan  (For- 
handlingar  vid  sjàtle  nordiska  filologmôtet  i  Upsala.  Upsala,  1903. 
P.  144—145). 

504.  O.  Ortenblad,  Sur  la  préposition  en  suivie  de  l'article  défini 
(Studier,  I,  69—72).  —  Cf.  Romania,  XXVIII,  293  (J.  Vising). 

L.  Clédat,  La  préposition  et  l'article  partitifs  (RPhFP.,  XV,  81  — 
131). 

509.  F.  Meinecke,  Der  sogenannte  Teilungsartikel  im  Franzôsischen 
Diss.  inaug.    Kiel,  1900. 


LIVRE  V. 
LES  PRONOMS. 


A.  PARTIE  GENERALE. 

Beyer  (E.),  Die  Pronomina  im  altfranzôsischen  Rolandsliede.  Diss. 
inaug.  Halle,  1875. 

Darmesteter  (a.),  Le  démonstratif  ille  et  le  relatif  qui  en  roman 
(Mélanges  Renier,  1887,  p.  145 — 157).  Réimprimé  dans  les  «Reliques 
scientifiques «,  II,  167—176.  —  Cf.  Romania,  XVI,  625. 


429 

D'OviDio,  Ricerche  siii  pronomi  personali  e  possessivi  neolatini  (A 
Gît.,  IX,  25—101). 

Ernst  (g.).  Les  pronoms  français  au  seizième  siècle  (Studier,  II, 
105-132). 

Gessner  (E.),  Zur  Lehre  vom  franzôsischen  Pronomen.  2.  Auflage. 
Berlin,  1885. 

Lahmeyer  (K.),  Das  Pronomen  in  der  franzôsischen  Sprache  des 
16.  und  17.  Jahrhunderts.   Diss.  inaug.  Gôttingen,  1886. 

Radisgh  (g.),  Die  Pronomina  bei  Rabelais.  Ein  Beitrag  zur  franz. 
Grammatik  des  16.  Jahrh.  Diss.  inaug.  Leipzig,  1878.—  Cf.  ZFSL., 
I,  240—243  (O.  Ulbrich). 

ScHMiDT  (H.),  Das  Pronomen  bei  Molière  im  Vergleich  zu  dem  heu- 
iigen  und  dem  altfranzôsischen  Sprachgebrauch.  Diss.  inaug.  Kiel, 
1885. 


B.  PARTIE  SPÉCIALE.  ^ 

521,  Rem.  A.Thomas,  Lui  et  lei  (Remania,  XII,  332-334). 

523.  A.  MussAFiA,  Enclisi  o  proclisi  dcl  pronome  personale  atono 
quai  ogelto  (Romania,  XXVII,  145—146). 

524.  M.  Behschnitt,  Das  franzôsische  Personalpronomen  bis  zum 
Anfang  des  XII.  Jahrhunderts.   Diss.  inaug.   Bonn,  1887. 

F.  Bauer,  Das  Personalpronomen  in  Le  Pèlerinage  de  Vie  humaine 
von   Guillaume  de  Deguileville.   Diss.  inaug.  Wûrzburg,  1899. 

G.  Ernst,  Étude  sur  les  pronoms  personnels  employés  comme  ré- 
gimes en  ancien  français.  Lund,  1900. 

525.  G.  Rudenick,  Lateinisches  ego  im  Altfranzôsischen.  Diss. 
inaug.   Halle,  1885. 

L.  Clédat,  Je  et  gié  (RPhFP.,  1896,  p.  222—223). 

527.  A.  ToBLER,  Ous  Nebenform  von  vous  (Vermischle  Beitrâge, 
V\  p.  260—264). 

D.  Behrens,  Franz,  ous,  os,  statt  vous  (ZRPh.,  XIII,  408—410). 

533.  G.  Paris,  Le  pronom  neutre  de  la  3^  personne  en  français 
(Romania,  XXIII,  161—176). 

L  Clédat,  Le  pronom  personnel  neutre  dans  le  Forez,  le  Lyonnais 
et  la  Bresse  (Romania,  XII,  346—354). 

535.  A.  Tobler,  Suus  auf  eine  Mehrheit  von  Besitzern  bezogen 
(Vermischle  Beitràge,  II,  80—82). 

536.  W.  DiTTMER,  Die  Pronomina  possessiva  im  Altfranzôsischen. 
Diss.  inaug.  Greifswald,  1888. 

H.  O.  OsTBERG,  Sur  les  pronoms  possessifs  au  singulier  dans  le 
vieux  français  et  le  vieux  provençal  (Geijer-Uppsatser,  p.  291 — 302). 


430 

E.  Staaf,  Sur  le  développement  phonétique  de  quelques  mots  atones 
en  français.  IL  Les  pronoms  possessifs  (Studier,  II,  159 — 161). 

540.  J.  Cornu,  Mien  =  meum  (Romania,  VII,  593—594). 
A.  MussAFiA,  Zu  mien  =  meum  (ZRPh.,  III,  267). 

541.  W.  FôRSTER,  Dos  altfranzôsische  Pron.  poss.  abs.  fem.  (ZRPh., 
II,  91—95). 

547.  E.  Herzog,  Die  vorvokalischen  Formen  mon,  ton,  son  beim 
Femininum  (ZRPh.,  XX,  84—86). 

552.  A.  GiESECKE,  Die  Demonstrativa  im  Altfranzôsischen  mit  Ein- 
schluss  des  XVL  Jahrhunderis.   Diss.  inaug.   Sondershausen,  1880. 

K.  Ganzlix,  Die  Pronom ina  demonstrativa  im  Altfranzôsischen. 
Diss.  inaug.  Greifswald,  1888.  —  Cf.  Romania,  XVIII,  346. 

568.  P.  A.  Geijer,  Historisk  ôfverblick  af  Lalinets  qui  och  qualis 
fortsatta  som  relativpronomina  i  de  romanska  sprdken.  Upsala,  1897. 
—  Cf.  Romania,  XXVII,  175. 

J.  Jeanjaquet,  Recherches  sur  l'origine  de  la  conjonction  »que«  et 
des  formes  romanes  équivalentes.   Neuchâtel,  1894. 

Karl  de  Jong,  Die  Relativ-  und  Lnterrogativpronomina  qui  und 
qualis  im  Altfranzôsischen.   Diss.  inaug.  Marburg,  1900. 


Je  signalerai  enfin  :  A.  Risop,  Begriffsverwandischaft  und  Sprach- 
entwickelung.  (Beitrâge  zur  Morphologie  des  Franzôsischen.)  Berlin, 
1903.  Celte  très  intéressante  étude  m'est  parvenue  trop  tard  pour 
pouvoir  l'utiliser. 


TABLE  ANALYTIQUE. 

(Les  chiffres  renvoient  aux  paragraphes  et  à  leurs  sulidivisions.) 


A  latin  final  dans  les  noms.  393—418; 

—  dans  les  verbes,  49,i. 
A-AI,  apophonie  verbale,  24. 
A-E,  apophonie  verbale,  25. 
-abam,  désinence  de  l'imparfait,  156 

—157. 

Ablatif,  restes  de  1',  232,3,  233,3. 

Accentuation  des  verbes,  10 — 14. 

Accusatif,  le  cas  fondamental  du  nom 
roman,  228  ss. 

Actif,  4  ss. 

Adjectifs.  Degrés  de  comparaison  431 
— 474;  —  déclinaison,  261  ss.  ;  —  fé- 
minin, 383—390,  393  ss.,  427,  445— 
450;  —  pluriel,  282—370;  —  i-edou- 
blement,  472,4. 

Adverbes  en  -animent  et  -emment, 
386,3;  —  de  renforcement,  470—473, 
478. 

-ai,  pour-avi,  au  parfait,  164,  165,i. 

-ai,  au  futur,  218,i;  —  au  passé  défini, 
65,3,  164,  165,1. 

-aient,  161,6. 

-ail,  au  pluriel  -aux  ou  -ails,  289 — 
290,  301—304 

-ail  et  -al,  échange  entre,  305. 

Aimoin,  206,2. 

-ain,  au   féminin   -aine  ou  -ine,  399; 

—  confondu  avec  -aint,  413,i. 
-ain,  suffixe  numéral,  496. 

-ain,  terminaison  du  cas  régime,  250. 


-aint,  confondu  avec  -ain,  413, i. 
-al,   au   pluriel   -aux   ou   -als,    289 — 

290,  291—300. 
-am  (prés,  du  subj.),  138  ss. 
-âmes,   désinence    de    la   1<^   pers.   du 

pluriel   du   passé  défini,  55, i,  165,4. 
-amus,  désinence   de   la  1^  pers.  du 

pluriel,  54 — 55. 
-an,  au  féminin  -anne  ou  -ane,  400; 

—  est   confondu   avec   -and,   41 6, i, 

et  -ant,  413,2. 
-ans,  terminaison   du   part,   présent, 

65,1,  82,1. 
-ant,    désinence    de    la    3*^   pers.    du 

pluriel,  58. 
-ant,    terminaison    du    part,  présent, 

81—82. 
-ant,    suffixe,    se    confond    avec    -an, 

400,  413,2. 
Apophonie,  22 — 31. 
Archi-,  préfixe  renforçant,  472,2. 
-ard  confondu  avec  -are,  416,2. 
-are,  désinence  de  l'infinitif,  73. 
-arent  pour  -èrent,  165,5. 
Article  défini,  497  —  505.  Accompagne 

le  superlatif,  464—469;  —  les  pro- 
noms démonstratifs,  558,  Rem. 
Article  indéfini,  506—508. 
Article  partitif,  509—516. 
-assions,  -assiez,  désinences  de  l'imp. 

du  subjonctif,  201. 


432 


-at,  au  féminin  -atte  ou  -ate,  414,i. 

-atis,  désinence  de  la  2^  pers.  du 
pluriel,  56,  57, i,  65,2. 

-atum,  désinence  du  part,  passé,  8^. 

-au,  au  pluriel  -aux,  284,i;  —  rem- 
place -al,  299—300. 

-aud,  confondu  avec  -eau,  416,3. 

-aux,  terminaison  du  pluriel,  284,i; 
pluriel  de  -al,  292;  —  de  -au,  299; 

—  de  -ail,  302. 

-avi,    terminaison    du    parfait,    164, 

165,1. 
Ayer,  341. 
-ayer,  verbes  en,  116,6. 

B  dans  les  verbes,  33. 
Baif  (Ant.  de),  451,  Rem. 
Bonnet  (M.),  8. 
Bos  (A.),  276. 
Brachylogie,  495,  Rem. 

C  français  final  dans  les  noms,  417; 

—  s'amuït  devant  s,  266,2. 
C  latin  dans  les  verbes,  34. 
Cas,  voir  Déclinaison. 

Cas    régime     remplace    le    cas    sujet, 

274,  275,  536. 
Cas    sujet    remplace    le    cas    régime, 

273. 
CH  dans   les  verbes,  35;  —    dans  le 

féminin  des  noms,  417. 
Clédat  (Léon),  386,i. 
Comparaison  des  adjectifs,  451 — 474; 

—  des  substantifs,  475 — 478. 
Comparatif,  451—460. 
Composition,  voir  Mots  composés. 
Compter  porte  malheur,  481, i.  Rem. 
Conditionnel,  6,  204—219. 
-ctum,   terminaison   du   part,  passé, 

102. 

D  final  dans  les  noms,  415 — 416;  — 
dans  les  verbes,  53,  Rem. 

D  intérieur  dans  les  verbes,  36 — 40. 

Darmesteter  (Arsène),  333,  Rem.,  343. 

Déclinaison  des  adjectifs,  261  ;  —  des 
noms  de  nombres,  480,i  ;  —  du 
participe   passé,   109,   Rem.;    —   du 


participe  présent,  86;  —  des  pro- 
noms, 518,  521,  524,  536,  539,  543ss., 
554,  568,  576  ss.;  —  des  substantifs, 
227  ss. 

Déclinaison;  voir  Écroulement. 

-dedi,  terminaison  vulgaire  du  par- 
fait, 171—172. 

Démonstratifs  (pronoms),  552 — 567. 

Déponents  (verbes),  3. 

Deschanel  (É.),  21. 

Désinences  personnelles,  51 — 61. 

Deuxième  personne  du  singulier,  52; 
—  du  pluriel,  56 — 57. 

Divinement,  abus  de  ce  mot,  473,  Rem. 

Doublets:  adjectifs,  445;  impératif, 
154;  infinitifs,  75,  77,  79;  noms  de 
nombres,  480,2;  participe  passé, 
22,8,  110;  participe  présent,  22,3, 
84;  pronoms,  519,  523,  537;  sub- 
stantifs, 290,4,  376. 

Du  Bellay,  451,  Rem. 

E  latin  final  dans  les  verbes,  49,2. 

E — El,  01,  apophonie  verbale,  26. 

E — lE,  apophonie  verbale,  27. 

-é  (part,  passé),  88. 

-é,  terminaison  interrogative,  221  — 
222. 

-eam,  terminaison  du  prés,  du  sub- 
jonctif,  138,  140—149. 

-eam us,  désinence  de  la  l''^  pers.  du 
pluriel,  54,  55, i,*  Rem. 

-eant,  désinence  de  la  3^  pers.  du 
pluriel,  58. 

-eatis,  désinence  de  la  2^  pers.  du 
pluriel,  56,  57, i,  Rem. 

-eau,  au  pluriel  -eaux,  284,2;  —  au 
féminin  -elle,  397;  —  remplace  -el, 
312. 

-ebam,  terminaison  de  l'imparfait, 
156,  158. 

Écroulement  de  la  déclinaison  latine, 
230;  —  française,  275. 

El,  01 — I,  apophonie  verbale,  28. 

-eie  (imp.  de  l'ind.),  156,  158,  160— 
161. 

-eil,  au  féminin  -ci7Ze,  396;  —  au  plu- 
riel -eux  ou  -eils,  289—290,  315. 


433 


ein,  au  féminin  -eiiie,  399. 

-eiz,  désinence  de  la  2^  pers.  du  plu- 
riel, 57,2,  218,3. 

-el,  au  féminin  -elle,  396;  —  au  plu- 
riel -eux,  -eaux  ou  -els,  289 — 290, 
308—313. 

-eler,  verbes  en,  19,  129. 

Kllipse,  485,  Rem.  2. 

-émus,  désinence  de  la  1"=  pers.  du 
pluriel,  55,2. 

Knfants,  langage  des,  23,4,  94,  146, 
210,3,  Rem. 

-ans,  terminaison    du   part,  présent, 
82,2. 
ent,    désinence    de    la    3^    pers.    du 
pluriel,  58. 

-ent,  désinence  de  la  3^  pers.  du  plu- 
riel. 59,  60,1. 

-ent,  terminaison  de  l'adjectif  verbal, 
82,2,  Rem. 

-eo,  terminaison  du  prés,  de  l'indi- 
catif, 113. 

-er,  terminaison  de  l'infinitif,  63—65, 
73. 

-er,  au  féminin  -ère,  405. 

-erai  (futur),  205,  207,  Rem.,  209,  Rem., 
214. 

-ère,  verbes  en,  74 — 75. 

-ëre,  verbes  en,  76 — 77. 

-èrent,  désinence  de  la  3e  pars,  du 
pluriel,  165,5. 

-ercsse,  terminaison  féminine,  428— 
430. 

-esse,  terminaison  féminine,  423  — 
427. 

Et,  conjonction,  487. 

-et,  au  féminin  -ette  ou  -ète,  414,2;  — 
se  confond  avec  -ey,  413,3. 

-eter,  verbes  en,  19,  129. 

■etis,  désinence  de  la  2"=  pers.  du 
pluriel,  57,2. 

-etum,  part,  passé  en,  87, i. 

-eu,  au  pluriel  -eux  ou  -eus,  284,3. 

-euil,  au  pluriel  -eux,  289—290,  319 
—320. 

-euil  et  -eul,  échange  entre,  321. 

-eul  au  pluriel  -eux,  289—290,  316 
—318. 


-eur,  au  féminin  -eure  406,  ou  -euse 
406-407. 

-eux,  terminaison  du  pluriel,  284,3. 

-ève,  terminaison  de  l'imparfait,  156, 
157,1. 

-ever,  verbes  en,  129. 

-eyer,  verbes  en,  116,6. 

-ez,  désinence  de  la  2^  pers.  du  plu- 
riel, 56,  57;  —  au  prés,  de  l'ind. 
115,5;  —  au  prés,  du  subj.  136,2; 
—  au  futur  218,3. 

F  final    dans  les  noms,  devient  v  au 

féminin,  408;  —  s'amuït  devant  s, 

266,1,  287. 
F  final  dans  les  verbes,  41. 
Fausse  analogie,  118,i,  264,  Rem.,  363, 

364,  413,  416,  481,3;  —  liaison,  voir  S. 
Féminin  et  masculin  371 — 450. 
Féminin  analogique  379,  385. 
Féminin      remplace     masculin,     389, 

492,1,6. 
Féminisme,  437. 
Femmes,    langage    des,    21,   201,  407, 

473,  Rem. 
Fin  renforce  les  substantifs,  478,3. 
Formes  interrogatives,  220 — 225. 
Futur,  6,  204-216. 

G  final  dans  les  noms,  418. 
-ge,  terminaison   du  présent  du  sub- 
jonctif, 134,  Rem. 
Génitif,  restes  du,  232,i,2,  233,2. 
Genre  des  noms,  244 — 247. 
Gérondif,  81,  Rem. 
Gerundivum,  2,  Rem. 
Grégoire  de  Tours,  2,  3,  8. 

H,  ajouté  à  uit,  481,8. 

/  latin  final  dans  les  verbes,  49,3. 

-/,  désinence  du  part,  passé,  89. 

-/,  confondu   avec   -it,  89,  Rem.,  413, 

Rem. 
-iam,  terminaison  du  prés,  du  subj., 

113,  138,  140—149. 
-iamus,  désinence  de  la  V*^  pers.  du 

pluriel,   54,  55,i,  Rem. 

28 


434 


-iant,  désinence    de    la    3e  pers.  du 

pluriel,  58. 
-iatis,   désinence   de  la   2^  pers.  du 

pluriel,  56,  57, i,  Rem. 
-ic  ou  -iqiie  dans  les  adjectifs,  388. 
-ié,  participe  passé  en,  88. 
-iebam,  terminaison   de  l'imparfait, 

156,  159. 
-ième,  493. 

-ien,  au  féminin  -ienne,  401. 
-iens,  participe  présent  en,  82,3. 
-iens,    désinence    de    la    l'^   pers.   du 

pluriel,  55,1,  Rem. 
-ient,  adj.  verbal  en,  82,3,  Rem. 
-ier,  au  féminin  -ière,  405. 
-ier,  terminaison  de  l'infinitif,  74,2. 
-iez  (2«  pers.  plur.),  57,i,  Rem.;  —  au 

prés,  de  l'ind.  115,6;  —  au  prés,  du 

subj.,  136,3,   141,3;    —    à   l'imp.    de 

rind.  et  au  cond.  161,5. 
-il  ou  -ile  dans  les  adjectifs,  388. 
-imes,    désinence   de   la   1^^  pers.   du 

pluriel,  55,3. 
Imparfait  de   l'ind.,  156  —  162;  —   du 

subj.,  199—203. 
Impératif,  151  —  155. 
-îmus   et  -ïmus,    désinences    de   la 

l'e  pers.  du  pluriel,  55,3,4. 
-in,  au  féminin  -ine,  399. 
luclioatifs,  67-70. 
Indéclinables,  264. 
Indéfinis  (pronoms),  575  —  578. 
Infinitif,  72—80. 
Interrogatifs  (pronoms),  574. 
Interrogation,  220—225. 
-io,   terminaison    du   prés,  de   l'indi- 
catif, 113 
-ions,   désinence    de    la   l»'e   pers.  du 

pluriel,   au    prés,    du    subj.,    136,2, 

141,1,3;  —  à  l'imp.  de   l'ind.  et  au 

cond.,  161,5. 
-ior,  désinence  du  comparatif,  451. 
-ir,  verbes  e;i,  66—71,  74,2,  78—79. 
-irai,  futur  en,  213. 
-ire,  verbes  en,  78. 
-is,     désinence    du    part,    passé,    89, 

Rem.,  et   du  passé  défini,    71,   167, 

169,1. 


-issa,    terminaison    féminine,    422 — 

430. 
-issime,  terminaison    superlative    des 

adjectifs,  462,2;  —  des  substantifs. 

478,4. 
-issimus,   désinence    du    superlatif, 

451,  461—462. 
-issions,  -issiez,  pour  -assions,  -assiez, 

201. 
-it,  désinence  du  part,  passé,  89,  Rem.; 

—  se  confond  avec  -/,  413,  Rem. 
-ïtis    et-ïtis,    désinences   de   la  2' 

pers.  du  pluriel,  57,3,4. 
-îtum,  participe  passé  en,  89. 
-ïtum,  participe  passé  en,  107. 
-ivi,  terminaison  du  parfait,  168,  170. 
-iz,  désinence   de  la  2^  pers.  du  plu- 
riel, 57,3,  Rem. 

L  disparaît  devant  s,  266,4;  —  se 
vocalise  devant  s,  267,  289  ss. 

L  final   dans   les   féminins,  396 — 397. 

L  mouillé  [^]  dans  les  verbes,  42, 
121;  —  dans  les  noms,  266,3,  289  ss. 

Langage  archaïque,  p.  414;  —  biblique, 
430;  —  juridique,  430,  485,  554, 
Rem.;  —  poétique,  118,i,  153,i,2, 
430. 

Langage  des  afi'aires,  554,  Rem.;  — 
des  enfants,  23,4,  94,  146,  210,3, 
Rem.;  —  des  femmes,  21,201,407, 
473,  Rem.;  —  des  soldats,  494, 
Rem. 

Lebierre,  437. 

-Itum,  part,  passé  en,  103. 

M  français  s'amuït  devant  s,  266,3. 
M  latin  final,  50,i. 

Magis,  adverbe  de  comparaison,  455, i. 
Masculin  et  féminin,  371  —  450. 
Masculin  analogique,  380,  387-389. 
Masculin      remplace    féminin,     481,2 

(deux),  522,  529,i  (ils),  529,2  (eux), 

532,3    (leur),    547    (mon,   ton,  son); 

562,3  (ces),  569  (qui). 
Mau PASSANT  (Guy  de),  380. 
Melius,    adverbe     de    comparaison, 

455,2. 


435 


-mes,  désinences    de    la   l^^  pers.  du 

pluriel,  54. 
Mesure,    influence  de  la,    153,2,  279,i, 

331,  528,1.  Comp.  Rime. 
Meyer  (Paul),  552,4,  569,2,  Rem.,  576,2, 

Rem. 
MoHL,  54. 
MORF  (H.),  390. 
Mots  composés:  leur  pluriel,  327—  340; 

leur  féminin,  432. 
Mots  étrangers,  leur  pluriel,  350 — 357. 
Mots  invariabes,  264,  336,  340,  358— 

359,  369,  433-436. 

N  français  s'amuït  devant  s,  266,3. 

N  latin  dans  les  verbes,  43. 

A'  mouillé  dans  les  verbes,  43. 

Neutre.  Disparition  du  neutre  latin, 
244;  mots  neutres  devenus  mascu- 
lins, 246;  mots  neutres  devenus 
féminins.  247.  Traces  du  neutre 
dans  les  noms,  262  —  263:  —  dans 
les  noms  de  nombres,  481,3;  —  dans 
les  comparatifs,  462;  —  dans  les 
pronoms,  518,2. 

Nombres  cardinaux,  480  —  490. 

Nombres  ordinaux,  491 — 496. 

Nominatif,  restes  du,  231,  233,i. 

Noms  d'animaux,  374,  391,2,  403,  424 
—426,  431,  439. 

Noms  de  baptême,  372. 

Noms  de  famille:  leur  pluriel,  342 — 
346;  leur  féminin,  373. 

Noms  de  femmes:  leur  déclinaison, 
250,1  ;  —  deviennent  noms  de  fa- 
mille, 373. 

Noms  de  fleuves:  leur  déclinaison, 
250,2. 

Noms  de  fonctionnaires,  438. 

Noms  de  nombres,  479—496. 

Noms  de  personnes:  leur  pluriel,  341 
—347;  leur  féminin,  372— 373,391,i; 
leur  comparaison,  476,  Rem.,  477, 
Rem. 

Noms  géographiques,  leur  pluriel,  348 
—349. 
ntum,  part,  passé  en,  104. 


O  latin    final    dans    les    verbes,  49,*, 

113,  115,1. 
0(0 U) — EU,  apophonie  verbale,  29. 
0(0U) — UE,  apophonie  verbale,  30. 
01 — UI,  apophonie  verbale,  31. 
-oi,  confondu  avec  -oit,  413,5. 
-oiz,  désinence  de  la  2*  pers.  du  plu- 
riel, 57,2,  141,2,  218,3. 
-ol,  au  féminin  -olle,  396;  au  pluriel 

-ois  ou  -oux,  289-290,  322—324. 
-om,  -om(m)es,  désinences  de  la  l^e 

pers.  du  pluriel,  54,  Rem.  1,  2. 
-on,  au  féminin  -onne,  402  —  403. 
-ons,    désinence    de    la    l""*  pers.    du 

pluriel,  54,  55,   115,4. 
-ont,    désinence    de    la    3^   pers.    du 

pluriel,  59,  60,2;  —   au   passé   déf., 

165,  Rem. 
-ord,  confondu  avec  -or,  416,4. 
-ot,    au    féminin    -otte,    414,3;    —    se 

confond  avec  -o,  413,4. 
-ou,   au   pluriel   -oux  ou  -ous,  284,4; 

—  confondu  avec  -ont,  413,6. 
-oue,  désinence  de  l'imparfait,  157,2. 
-ouil,  au   pluriel  -oux,  289—290,  325 

—326. 
-oyer,  verbes  en,  116,6. 

P  s'amuït  devant  s,  266,i. 

Paris  (G.),  380. 

Participe  futur,  2,  Rem.;  —  passé, 
87—112;  —  présent,  81—86. 

Passé  défini,  163 — 198;  formes  en  -ai, 
164—166;  —  en  -is,  167—172;  -  en 
-us  173 — 176;  formes  fortes  en  -si, 
180—188;  —  en  -i,  189-192;  — 
en  -ui,  193—197. 

Passif,  2—3. 

Passy  (Paul),  297,  323. 

Personnels  (pronoms),  520 — 534. 

Pluriel  282—370;  —  des  mots  en  -/, 
289 — 326;  —  des  mots  composés, 
327 — 340;  —  des  mots  étrangers, 
350 — 357;  —  des  noms  géogra- 
phiques 348^ — 349;  —  des  noms  de 
personnes  341 — 347. 

Pluriel  tiré  du  singulier,  361. 
28* 


436 


Plus,  adverbe   de  camparaison,  455,3, 

456. 
Plus-que-parfait  de  l'ind.  français,  8; 

—  latin,  4,  Rem. 
Possessifs  (pronoms),  535 — 551. 
Précieux  et  précieuses,  473,  Rem. 
Préfixes  de  renforcement,  472,2. 
Première  personne   du   singulier,  51  ; 

—  du   pluriel,  54—55. 
Présent  de  l'indicatif,  113—133. 
Présent  du  subjonctif,  134 — 150. 
Pronoms  démonstratifs,  552—567;  — 

indéfinis,  575 — 578;  —  interrogatifs, 
574;    —    personnels,    520 — 534;    — 
possessifs,    535 — 551  ;    —    réfléchis, 
534;  —  relatifs,  568—573. 
-ptum,  part,  passé  en,  105. 

R    final    dans    les    noms,  404  ss.  ;   — 

dans  les  infinitifs  73,  78. 
;•,  marque  du  pluriel,  370. 
Radical  des  verbes,  15—47. 
Redoublement  de  l'adjectif,  472,4. 
Réfléchis  (pronoms),  534. 
Relatifs  (pronoms),  568—573. 
Remy  de  Gourmont,   199,  Rem.,  328, 

357,  430,  436,  437,  481,5. 
Revue  des  Deux  Mondes,  288,  Rem.  2. 
Rime,  influence  de  la,  331,  Rem.,  342,2, 

343,  Rem.,  485.  Comp.  iMesure. 
Risop  (A.),  67,  Rem. 
Robert  (G.  M.),  349. 
-rtum,  part,  passé  en,  106. 

S,  fausse  liaison  de,  481,4  (quatre), 
481,9  (neuf),  485,  Rem.  1  (mille), 
529,3  (leur). 

S  français  analogique  au  prés,  de 
l'ind.,  118,1  ;  —   à   l'impératif,  153; 

—  à  l'imp.  de  l'ind.,  161, i;  —  au 
passé  défini,  169,i;  —  au  condition- 
nel, 219. 

S  français   final   dans   les   noms,  409 

—411. 
S  latin  final  dans  les  verbes,  50,2;  — 

intérieur,  44 — 45. 
S,  marque    de    déclinaison,    237,  252 

— 257,  261;  —  ajouté  par  analogie, 


269,  551,1  ;  —   écarté   par  analogie, 
264,    Rem.,    481,3.    Restes    actuels. 
279. 
S,  marque  du  pluriel,  282;  —  écarté 
du  singulier  par  analogie,  363 — 364; 

—  ne  se  prononce  pas,  366 — 370. 
Settegast,  54. 

Singulier  et  pluriel,  282 — 370. 

Singulier  tiré  du  pluriel,  362-363. 

Soldats,  langage  des,  494,  Rem. 

Substantifs.  Leur  comparaison,  475 — 
478;  —  déclinaison,  247—277;  — 
féminin,  371  ss.;  —  pluriel,  282. 

-su m,  part,  passé   en,   87,2,  98 — IGO. 

Superlatif,  461—478. 

Système  vicésimal,  479,  489—4^0. 

T  final  dans  les  noms,  268  (déclinai- 
son), 412 — 414  (féminin). 
T  final  dans  les  verbes,  50,3,  53,  11  a.» 

(prés,  de  l'ind.),  169,3  (passé  défini). 
T  intercalé  des  formes  interrogativcs, 

223. 
Tallemant  des  Réaux,  165,5,  376. 
Terminaisons  verbales,  48—61. 
-tes,   terminaison    de    la    2*^   pers.  du 

pluriel,  56. 
Thielmann,  7. 

//,  particule  interrogative,  225. 
Tobler  (A.),  37,  Rem  ,  64,6,  535,  Rem. 
Tout  plein,  472,3. 
Très  renforce  un  substantif,  478,i  ;  — 

un  superlatif,  470. 
-trice,    terminaison     féminine,    420 — 

421. 
-trix,    terminaison    féminine,   419 — 

421. 
Troisième  personne  du  singulier,  53; 

—  du  pluriel,  58  —  61. 

-tum,  part,  passé  en,  87,2,  101 — 111. 
Types  de  conjugaison,  62 — 71. 

U  latin  final,  49,5. 

-n,  part,  passé  en,  88,  Rem.,  91—96. 

-ui,  désinence   du   parfait,  174—175, 

193—197. 
-UI,    terminaison     pronominale,    521, 

Rem. 


437 


-///,  au  féminin  -iille,  396. 

-umus,  désinence  de  la  l'"«  pers.  du 

pluriel,  55,  56. 
-unt,    désinence    de    la    3^   pers.  du 

pluriel,  58. 
-us,  part,  passé  en,  93,  Rem. 
-us,  terminaison  du  passé  défini,  173 

—176. 
-;//,  part,  passé  en,  93,  Rem. 
-utum,  part,  passé  en,  91 — 92. 
-uijer,  verbes  en,  116,6. 

Y  final  dans  les  noms,  408. 

\'  intérieur  dans  les  verbes,  46. 


Velours,  481,4,9,  529,3.  Comp.  p.  415. 
Verbes    déponents,    3;    —    faibles,  9, 

Rem.;  —  forts,  9,  Rem.;  —  inchoa- 

tifs,  67—70. 
Vers;  voir  Mesure,  Rime. 
Voix  active,  4 — 9;  —  passive,  2 — 3. 

A',  marque    du    pluriel,  283—284;  — 
écrit  abusivement  dans  dix,  481, lo. 

y  se  change  en  i,  116,6,  118,i. 

Z,  marque  flexionnelle,  268;  —  marque 
du  pluriel,  285. 


INDEX  DES  MOTS. 

(Les  chiffres  renvoient  aux  paragraplies  et  à  leurs  subdivisions.) 


abbé,  260,  425 
abregier,  21,  i 
abreuver,  26,  i 
abscons,  100.  i 
absolu,  91,  Rem. 
absous,  98,  100,8,  103,2 
accompagneresse,  430, 

Rem. 
acheter,  19,  20 
acquérir,  27,  3,  77,  3 
acquis,  90,6,  98 
adeser,  26,i 
afflit,  102,1 
agar,  154,i 
agenda,  355,  Rem. 
ag/r,  66,4 
agneau,  306,  311 
ag-neZ,  313 
agnus,  233, 1 
a/,  123,1,  131 
aider,  16,  17,i 
oie  (impér.),  155 
aie  (subj.),  145,2 
aïeul,  318 
aigle,  426 
aigu,  81,  Rem. 
aiguail,  303,2 
a£7,  302,  303,1 
aille,  137,1 
aimable,  24 
aimer,  22,2,  24 
aine,  247,i 
Aix,  232,3 


aZ  (aliud),  575,2 
al  (au),  500,1 
aZ  (illum),  532,i 
alcarazas,  365 
alener,  26, 1 
aZffe,  137,1 
aZ(/}e  (elle),  531,2 
allemand,  416, 1 
aZZerai,  206,i 
aZZeu,  2S4,3 
aloès,  233,2 
alquant,  576,i 
alque,  576,2 
amadoue,  376 
amant,  22,3,  84, i 
amateur,  436 
ambassadrice,  421 
ambes,  488 
ame',  20,3 
ampleis,  454,i 
anagramme,  247,2 
anathème,  247,2 
anceis,  454,2 
ancêtre,  281 
ancienor,  232,2 
andalou,  364,  410 
andui,  488 
dne,  425 
angie,  435 
angélus,  233,i 
Angers,  232,3 
animal,  440 
A/yoi/,  232,2 


aonZ,  533,1 

apparaux,  302,  Rem. 
apparoir,  25 
appas,  280,  365 
appeZ,  313 
appeler,  19 
appentis,  108,2 
applaudir,  66,4 
apprenti,  288,2,  408 
appuyer,  31 
âpre,  261,3 
apreindre,  47 
arc,  266,2 
archi-,  472,2 
ardez,  154,i 
ardre,  75,i 
areer,  2 6,1 
arer,  25 
argus,  233,i 
arme,  247,i,  263 
arôme,  247,2 
arrache-sonde,  338 
arraisonner,  16,  17.2 
arrêta,  166 
arrêté,  88,  Rem. 
arrêter,  18 
arrogant,  84,2 
ars,  94,  99,i 
arsenal,  295 
aruspice,  233 
as,  500,2 
assaille,  121 
assaillir,  68,  79,2 


439 


assaiidrai,  215,8 
assegier,  27, i 
assieds,  119,4 
assiérai,  208,4 
assoirai,  80,s,  216,i 
assois  (iinp.),  154,2 
assois  (iiid.),  119,4 
assoit,  80,3 
assoyant,  83,9,  84,i 
asthme,  247,2 
atteignis,  185 
a«einf,  102,2i 
attirail,  303,3 
on,  500,1 
aucun,  577.1 
aurai,  208, i 
autant,  576.3.  13 
auteur,  436 
a»/re,  492.2,  576,4 
a«.r,  500,2 
<a)aZ,  293,3 
avarde,  41  (1,2 
ayec,  552,1 
aventurer,  16 
avocat,  436 
avons,  123  2  c 
avant,  123.2,  d 
avouer,  29,i 
ayant,  83  4,  85, 1 

iJaty,  356,2 
bachelière,  405 
&aer,  25 
Z>aj7,  301,  302 
bailleresse,  430 
fcaiZZ/,  266,1,  288,  408 
bain-marie,  331, 1 
baZ,  293,1 

balourd,  387,  388,  390 
/^anaZ,  293,i 
ZjoncaZ,  293,3 
banqueroute,  111 
baptismaux  (fonts),  386, 
[yarbière,  405,  426 
/jaron,  258,  402 
Zjors,  364 
Z7as,  387,2,  Rem. 
basque,  431 


Batteux,  407 

battre,  14 

bayer,  25 

Z^eau,  267,1,  300,  313 

Z^erfeau,  397 

Z^eZ,  313 

bêlais,  453,3 

bellezour,  453,3 

Z^enêf,  102,7 

béni,  89,  Rem.,  102,7 

Bénigne,  388 

&énzn,  388.  390 

Z>enj>,  69,1,  78, 'Rem. 

bénire,  78,  Rem. 

fcéniZ,  89,  Rem.,  102,7 

ftënZZe,  413,7,  Rem. 

ftenoff,  89,  Rem.,  102,7 

bercail,  303,3.  Rem. 

Bernadotte,  373 

Z>erz,  364 

bestiaux,  292,2,  Rem. 

Z?éZaiZ,   303,3,  Rem.,  305,2 

6éZe,  435 

beugler,  30,i 

bienveillant,  83, n 

bijou,  284,4 

&ZZZion,  486 

bizarde,  416,2 

ftZa/Jc,  266,2,  417 

blanc-madame,  331,i 

Z>Zeii,  284,3 

feocaZ,  295 

Zkbi//;  228,  266,1,  287 

Z?o//;  41 

Z)o/Z,  42,2 

Zjoirai,  210,i,  216,i 

boire,  26,3,  46,2,  76 

bois,  41,  118,1,  Rem.  2 

fcoZZe,  107,1,  111 

bonheurs,  328,  Rem. 

bonhomme,  328 

ftoni,  233,2 

bonjours,  328,  Rem. 

bookmake(u)r,  406,2 

fcorcZeZ,  313 

borgnesse,  427 

bougre,  425,  Rem. 

bouillir,  42,2,  68,  70,i,  79,2 


bouillirai,  212,  215,i 

boulu,  90,2 

bourg,  266,2 

Bourget,  373,  Rem. 

bourreau,  436 

Z>OHS,  121 

bouvreuil,  319 

Z^ras,  247,1,  Rem. 

Z^rasse,  247,i,  Rem.,  263 

Z^roDO,  354,  357 

Bretenoux,  232,2 

bricon,  258 

6r«,  364,  391,1 

bruire,  70,  Rem.   1 

brusque,  387, 1 

Z?n/Ze,  387,1 

Z>«,  92,  107,1 

burail,  303,2 

Z7MS,    196 

butorde,  404,  416,4 

buvande,  2,  Rem. 

buvant,  83, 1 

Cacheter,  19.  20 
caduc,  388 
cagne,  391,2 
caillou,  284,4 
caZ,  293,1 
calice,  233 
calme,  247,2 
canaille,  435 
canaZ,  295,  305,i 
canard,  382,  431 
canari,  394 
canZaZ,  293,3 
cantatrice,  421 
caqueter,  20 
caracal,  293,2 
carbonaro,  354 
carnail,  303.2 
carnaval,  293,2 
carre,  263 
carreler,  20 
msZor,  233,1 
cataplasme,  247,2 
cavale,  391,2 
ce  (masc.),  560,2 
ce  (neutre),  567 


440 


ceindre,  39 

ceint,  102,2 

cel,  554,  559 

cela,  555 

celer,  26,i 

celle,  554,  557 

celoiir,  556,3 

ceZïn",  554,  555,3 

cent,  484 

centaure,  425 

cent-suisses,  363 

cercueil,  320 

cer/;  41,  266,1,  391,2,  408 

certain,  576,3 

ces  (part,  passé),  111 

ces  (pron.  dém.),  561,2 

cef,  560,2,  564 

cette,  562,  564 

cettes,  562,  564 

cettui,  560,3,  564 

ceux,  554,  556,2 

chacal,  293,2 

chacun,  577,2,  lo 

chair,  266,3 

chalant,  416, i 

chaleur,  245, i 

chaloir,  25,  Rem.  1 

champarteresse,  430 

champeaux,  292,2.  Rem. 

championne,  402,  Rem. 

Chandeleur,  232,2 

chanoine,  425 

chantai,  164 

chantais,  177 

chantasse,  200 

chante  (impér.),  151,  152,2 

chante  (prés,   de    l'ind.), 

114,  115. 
chante   (prés,   du  subj.), 

135 
chantre,  281 
chaque,  578, i 
Charles,  279,i 
chartneresse,  430 
charrier,  28,i,  Rem. 
charroyer,  28, i.  Rem. 
chasseresse,  430 
Chasseux,  407 


châtain,  380,  442 
chaucemente,  263 
chauve,  384,2,  389,  390 
c/ie'a/îf,  83,2,  84,i 
chef,  266,1,  288,i,  425, 

Rem. 
c/ief  d' œuvre,  331,2 
cheoir,  27,2,  74, i,  75,2 
cherrai,  208,2 
cheun,  577,2 
c/ieyaZ,  267,1,  290,i,  292,i, 

300 
chevalière,  426 
chevau-léger,  363,  Rem. 
cheveu,  267, i,  290,3,  306, 

314 
chevillissinie,  478,4 
chevreau,  397 
chèvre-pied,  331, i 
chevreu(i)l,  316,  318,  320, 

321,  431 
cheijant,  83,2,  84, i 
c/i/c,  441 
choie,  139,1 

choirai,   80,3,  208,2,  216,i 
chois,  119,1 
c/joraZ,  293,3 
chorus,  233,1 
c/îou,  284,4,  323 
c/?n,  98,  Rem. 
c/iJis,  196 
cicérone,  354 
cieZ,  267,1,  308,  309,i 
cï7,  554,   555,  556 
c/nç,  481,5 
cinquante,  483,4 
cinquième,  494,2 
circoncis,  98,  99,3 
circonflexe,  387,i 
cisZ,  554,  560 
ciZ^,  228,  250,  Rem. 
clamer,  24 
cZe/;  266,1 
cZerc,  266,2 

clergesse,  423,  Rem.,  426 
cZoe,  44,1 
cZore,  44,1 
cZos  (part,  pas.),  98,  99,4 


cZos  (passé  déf.),    182,  184 
cZose,  139,2 
closis,  184 
clown,  425,  Rem. 
cocatris,  419,2,  Rem. 
cochon,  382,  403,  431 
codex,  233,1 
coznZ,  107,i,  111 
cozZe,  413,6 
coZ,  323 
cdZzs,  365 
comme,  232,3 
commun,  384,3,  Rem. 
compact,  388 

compagnon,   258,  403,  431 
compain,  426 
compatir,  3,  Rem. 
compositeur,  436 
comptant,  2,  Rem. 
compreindre,  4:1 
comte,  255,  425 
concetti,  354,  Rem. 
concevoir,  75,i 
concZu,  93,  Rem.,  99,4 
concubin,  380 
concurrent,  84,2 
condottiere,  354 
Confavreux,  232,2 
confirmand,  2,  Rem. 
con/îZ,  102,5 

conforteris,  419,2,  Rem. 
Confracourt,  232,2 
connu,  107,2 
connus,  196 
conquérir,  77,3 
conquis,  98 
contracte,  387, i 
contralto,  354 
couver  s,  99,2i 
converti,  99,2i 
copain,  281 
coç,  266,2,  391,2 
coq-à-l'âne,  331,2,  Rem. 
cor,  247,1,  Rem. 
coraz7,  301,  302 
coral,  305,1 

cor/ze,  247,1,  247,i,  Rem. 
Corneille,  343 


441 


corporal,  305,i 

corps,  229,3 

corroyer,  26,i 

cou,  267,1,  322,3,  323 

coucher,  35 

coudre,  14,  38,i 

couler,  29,1 

courbe,  389 

courir,  29,2,  77, i 

courrai,  209,  215,2 

courre,  49,2,  77, i 

courricre,  405 

courroucier,  18 

cours  -e,  99,6,  111 

Courtisols,  453,1 

courtois,  384,3,  Rem. 

couru,  90,1,  94,  99,5 

courus,  170,1 

cousis,  176,1 

cousu,  91,1 

couvert,  90,4,  101,  106,2 

couvir,  66,3 

couvrir,  30,4,  70,2,  79,2 

craindre,  33,  47,  77,  Rem. 

crains,  119,7 

«ra/nf,  101,  107,io 

crasse,  411,i 

créance,  26,3 

crevé,  431 

crever,  27,i 

CT-ista/,  295,  305,1 

croirai,  210,2,  216,i 

croire,  26,3 

croisse,  45 

croupir,  69,2 

croyable,  26,3 

croyant,  83,3,  84,i,  85,4 

«ru,  92 

crû,  96,1 

crus,  196 

crûs,  196 

cueille,  121 

cueillerai,  212,  215,3 

cueillette,  111 

cue/7//,  101,  102,4 

cueillir,  42,3,  66,3,  68,  70,3 

cui,  569,3 

cuire,  31 


cujse,  44,1,  139,3 
CUISIS,  179,  184 
cuistre,  281 
cuiï,  102,3 
cul-de-lampe,  331,2 

Dabesse,  425,  Rem. 
rfaiZ,  303,2 
rfa/uj,  378,  399 
Dandin,  342,  Rem. 
dandy,  356,2 
débecqueter,  21 
débitrice,  421 
rfe'tr/s,  364 
décacheter,  20 
décolace,  233,i 
décolleter,  20,  21 
dédicace,  233, 1 
déesse,  425 
défaille,  121 
défais,  111 
f/e/au/,  103,1 
défenderesse,  430 
défendu,  100,2 
défense,  111 
défoise,  111 
déguerpir,  69,7 
déjeuner,  16,  17,3 
deZ,  501,1 

demanderesse,  430 
demeurer,  29,i 
dépaqueter,  20 
dépecier,  27, 1 
dépens  -e,  111 
rfe/Ji7,  102,6 
dépreindre,  47 
derai,  206,i 
(/es,  501,2 
despise,  44,i 
rféta//,  303,3 
rfe«e,  107,3,  111 
(/euiZ,  267,2 
rfeuo:  (verbe),  121 
rfeux  (duo),  481,2 
deuxième,  492,2 
devineresse,  430 
devoir  26,2 
dévorer,  29,i 


(//,  234 

dia&Ze,  425 

diablor,  232,2 

diacre,  425 

diadème,  247,2 

diant,  85,i 

dZe,  44,1,  234 

dZenZ,  119,2 

dieu,  425 

Dieutegard,  136,i 

dilettante,  354 

dfuje,  492,10 

dyues,  12,  119,2 

dindon,  431 

dîne,  399 

df/ier,  16,  17,i 

dire,  44,1 

dis  (passé  déf.),  179,  180,i. 

181,1,  182,  183,1 
dis  (présent),  119,2 
disanZ,  82,2 
dise,  44,1,  85,3,  139,4 
disent,  119,2 
dispos,  411,1,  442 
disse,  202,4 
dissous,  100,8,  103,2 
distraire,  44,2 
diZ,  101,  102,7,  112,1 
diZes,  12,  57,4,  119,2 
divertir,  66,4 
dividende,  2,  Rem. 
divinement,  473,  Rem. 
dix,  481, 10 
dixième,  492, 10 
dix-huit,  482,8 
dix-neuf,  482,9 
dix-sept,  482,7 
docteur,  425 
doctoresse,  425 
dogaresse,  425 
doge  425 
dogme,  247,2 
doie  (verbe),  46,i 
doie  (digita),  263 
doigne,  137,2 
doins,  116,8 
doinse,  137,2 
doinZ,  136,1 


442 


dois,  117,  123,1 

doive,  46,1,  145, i 

donge,  134,  Rem.,  137.2 

Don  Juan,  344,3 

donne,  116,3,  137,2 

Don  Quichotte,  341 

dormant,  113 

dorme,  113 

dorment,  113 

dormir,  68 

dormis,  168 

dormisse,  202, s 

dorrai,  205,3 

dors,  113,  117 

rfouWe,  263 

douleur,  245,i 

douloir,  30,2,  75, i 

doux,  384,3,  Rem. 

douze,  482,2 

douzième,  492,i2 

rfra/),  266,1 

drdZe,  425 

druide,  425 

rfiz,  92,  95,1,  107,3 

rfn,  501,1 

duc,  266,2,  425 

duie,  44,1 

duire,  44,i 

d»zs,  119,3 

duise,  44,1,  139,5 

duisis,  184 

dnz7,  102.8 

durement,  473 

dus,  196 

Écluse,  93,  Rem. 

écornait,  303,2 

écrire,  46,2,  76 

écris,  41,  118,i,  Rem.  2 

ccnï,  101,  105,3 

écrivis,    46, i,    65,3,    181, 

188 
écumeresse,  430 
écureuil,  316,  318,  321 
edrer,  26,i 
effrayer,  26,i 
p/,  525,1 
eZ  (aliud),  576.3 


eZ  (elle),  531, i 
eZ  (en  le),  502,i 
eZ  (illud),  533,1 
eZ  (le),  528,2 
eZzZe,  102,14,  111 
elle,  530,1 
eZZes,  532,1,  2 
els,  532,1 
cmazZ,  301,  302 
emblème,  247,2 
embraser,  25 
émoudre,  30,3 
empaistrier,  16,  17, 1 
empaqueter,  20 
empeirier,  16,  28, 1 
empererriz,  419,i 
emperier,  381 
empêtrer,  16,  17,i 
emplette,  111 
emplir,  69,3 
emplis,  118,1 
empreindre,  47 

empreu,  481, 1,  Rem. 

enceint,  443,  Rem. 

enchanteresse,  430 

en/a/jZ,  260,  434 

enfouir,  69,5 

enfreignis,  185 

enfreint,  102,ii 

enfrener,  26, 1 

engloutir,  69,6 

engregier,  27, 1 

énigme,  247,2 

ennuyer,  31 

enseigne,  247, 1 

enseveli,  89,  103 

entraver,  25 

envahir,  66,3 

enverrai,  206,3 

envoirai,  206  3 

épagneul,  316,  318 

épeler,  64, 1 

épigramme,  247,2 

épZortî,  22,3 

épouser,  29,i 

épousseter,  20,  21 

épouvantait,  301—303 

errata,  355,  Rem. 


es,  502,2 

es  (ipse),  552,8 

escampativos,  365 

escient,  82,3,  Rem 

escrif,  41 

esgar,  154,i 

esmes,  119,6  b 

espars,  98,  99,i7 

espérer,  26,i 

esZ  (iste),  552,4 

estace,  137,3 

estafette,  375,2 

esZoc,  299,  Rem. 

esZoï,  166 

estois,  116,2 

estoise,  137,8 

estont,  60,2 

estovoir,  30,2 

estrai,  210,3 

esZreiZ,  102,i8 

esZuz,  166,  196 

éZa/s,  162 

éZaZ,  305,1 

éZau,  299,  Rem.      , 

e'Z^,  88,  Rem.,  109,  Rem. 

éteignis,  185 

eteindoir,  39,  Rem. 

êZre,  72 

étrécir,  66,7 

étreignis,  185 

étreint,  102,i8 

en,  92,  95,1,  96,2,  107,4 

ea  (en  le),  502,i 

eus,  194,  195,3 

eux,  529,2 

évanouir,  80  2,  174,  Rem. 

éventail,  302 

ea-acZ,  388 

ea-cZ/i,  93,  Rem. 

exprès,  411,i 

expultrice,  421 

Fabago,  397 

/ace,  234 

/az7,  42,2 

/•azZZz,  90,2,  99,7 

/azZZzr,  42,2,  66,3,  69,4,  79.t 

faillirai,  215,4 


443 


faimes,  12,  127,  b 
fais,  127 
faisons,  127,  b 
fait,  101,  102,9 
faites,  12,  57,4,  127,  c 
faits  divers,  363 
falcon,  258 
falloir,  74,1,  79,i 
/aZZu,  99,7 
fanal,  295 
faner,  66,6 
fanir,  66,6 
faraud,  425,  Rem. 
/asse,  140,  149 
/"aZaZ,  297 
faucheux,  407 
faudra,  212 
/a/zne,  425 
/■aafe,  103,1,  111 
/azix,  121 

favorite,  413,7,  Rem. 
/a  3,  120 
M  380 

feignis,  181,2,  185 
feindre,  39 

/e/nf,  102,10 

/eZ,  258,  426 

/•eZo/i,  258,  403 

femelle,  439,  443,  Rem. 

fendu,  99,8,  110,i 

fenouil,  325,i,  326 

/enZe,  110,i,  111 

/eraZ,  210,4 

férir,  27,3,  79.2 

fermait,  301,  302 

/erme,  266,3,  389 

fertil,  388,  Rem. 

/eru,  90 

fesse,  110,1,  111 

/•éZe,  247,1 

Fête-Dieu,  331, i 

/eu,  284,3 

/èin'Z,  247,1,  Rem. 

feuille,  247,1,  247,i,  Rem. 

fiche,  72,  Rem. 

/icZié,  88,  Rem. 

fichu,  88,  Rem. 

fidèle,  387,1 


^Z,  266,4 

^Z  d'archal,  305,i,   331,2, 

Rem. 
/îZZeuZ,  316,  318 
fils,  266,4,  279,2,  431 
fin,  478,3 
/înaZ,  297 
fis,  182,  190 
/îsse,  202,4 
flache,  389 
Flandres,  349,  Rem. 
flegme,  247.2 
/Zeur,  228 
fleurir,  67 
fleuris,  117 
/"œZas,  233,1 
/•oZ,  323 
/b/jds,  280 
/■o/jfZ»,  94,  99,9 
/■o/iZ,  60,2,  127,  d 
fonts  baptismaux,  386,5 
forçor,  453,4 
/•orZ,    261,4,    384,3,    386,i, 

390 
fou,  322,3,  384,3,  Rem. 
fouir,  66,3,  69,5 
fraîche,  389 
/rais,   377,    Rem.,    387,2, 

Rem. 
/raiZ,  102,11 
fraite,  111 

franc,  266,2,  417 
français,  384,3,  Rem. 

Francor,  232,2 

Francorchamps,  232,2 

Francourville,  232,2 

frémir,  27,3,  66,3 

frêne,  245,2 

friand,  41 6,1 

/riZ,  101,  102.12 

/roZde,  389 

frontail,  302 

frontal,  305,i 

/■«/,  101 

/■«Zr,  66,3 

/•jnZe,  111 

fureter,  20 

/■»s,  197,1 


Galande,  41 6,1 

Gandalou,  232,2 

Ganelon,  257 

g-ap,  266,1 

.gar,  154,1 

garce,  431 

garçon,  258,  403,  431     ' 

garçonne,  391,  Rem. 

gard',  136,i 

garde-,  338,  Rem. 

garer,  64,2,  216,2 

gars,  258,  281,  364 

gâteux,  407 

g-éanZ,  400 

geindre,  47 

geZer,  27,i 

gémir,  27,3,  66,3 

générace,  233,i 

général,  295 

génétris,  419,2,  Rem. 

genou,   267,2,   284,4,   325,2, 

326 
gens,  288,  Rem.  1 
gens  d'armes,  363 
gens  de  lettres,  363 
gentilhomme,  328 
genzor,  454,3 
Georges,  279,i 
gerfaut,  281 
gësZr,  74,2 
gZé,  525,1 
gigolo,  431 
GiZZes,  279,1 
gzndre,  281,  453,6 
gipsg,  356,2 
grs,  127 
g/se,  149 
gZace,  234 
glacial,  297 
glaïeul,  318 

gZouZ,  281  , 

gloutir,  69,6 
glouton,  258 
gonce,  425,  Rem. 
goujat,  414, 1 

gouvernail,  302,  303,i.  305,2 
gouverneur,  431 
graignor,  453,5 


444 


grain,  247, i,  Rem. 
graindre,  453,5 
graine,  247, i,  247, i.  Rem. 
grand,  385,  386,2 
(jrandisme,  462, i 
grandissime,  462,2 
grante,  413,2 
,<7/-ec,  288,2,  417 
greigneur,  453,5 
flrèZe,  425,  Rem. 
grever,  27,i 
grifon,  258 
grogner,  64,s 
gronder,  64.4 
grondir,  64,4,  79,2 
gnarir,  25,  64,2 
gnerpir,  68,  69,7 
gaet-apens,  332 
gnindal,  305,i 
gnindean,  299 

//air,  25,  68,  69,8 

Aairai,  212 

haïs,  69,8,  166,2 

haïsse,  139,6 

halçor,  453,2 

hébreux,    410,    431,    442, 

Rem. 
hermite,  426 
héros,  431 
ijmfus,  233,1 
/iifcou,  284,4 
homme,  255 
honorer,  29,i 
hôpital,  305,1 
Hôtel-Dieu,  331,i 
/luiï,  481,8 
hiiitme,  492,8 
l\umo(u)ristique,     388, 

Rem. 
pypocrite,  426 

/ce/,  icelle,  icelui,  iceli, 
554—559,  564—566. 

icesf,  ices/e,  icestui,  554, 
560—565 

ici,  566,  Rem. 

idiome,  247,2 


/ère,  162 
ignarde,  416,2 
ignorantissime,  462,2 
//,  528,1 

///e  (fém.),  531,4 
///e  (masc.),  5'i8,i 
///»ec,  232,3 
illustrissime,  462,2 
//s,  529,1 
image,  233,i 
impératrice,  233,  421 
impromptu,  351 
impubère,  233 
//irfe.r,  233,1 
intrinsèque,  387, i 
inutile,  388,  Rem. 
investir,  70,8 
ira/,  206,1 
/ss/r,  28,2,  79,2,  80, < 
/ss»,  90 
/s/,  552,4 
//an/,  576,13 
/ye,  391,2 
ivresse,  427 
ivrognesse,  427 

Jacques,  279,i 
j arrêter,  21 
>,  525,1 
je/er,  27,i 
jewrf/,  232,1 
jo,  525,1 
jockegte,  413,3 
70/e,  247,1 
joignis,  181,2,  185 
joindre  (adj.),  453,6 
joindre  (verbe),  39 
io/n/,  102,13 
70//,  288,  408 
jongleresse,  430 
joubarbe,  232,i 
jouer,  30,1 
jouir,  69,9 
jouisse,  147 
joujou,  284,4 
jonr,  266,3 
journau,  299 
jugesse,  426 


./(à/,  381,  425,  Rem. 
Ju/es,  279,1 
juridiction,  233,2 
jurisconsulte,  233,2 
jurisprudence,  233,2 
71ZS,  196 
jns/e,  389 

La  (article),  408,  499,3 

Za  (pronom),  530,2 

labourer,  29,i 

/acs,  280 

/arfy,  356,2 

La  Fraite,  111 

laideron,  375,i 

lairrai,  206,4 

/a /s,  144,1 

Za//e,  439 

Lamartine,  372 

/a77j/;e/,  313 

landau,  284,i 

/a/^on,  402 

Zarge,   387,2,  389,  390,   418 

Larousse,  373 

/arro/i,  258,  403 

Lassimonne,  373 

laver,  25 

lazzarone,  354 

/a:c/,  354,  Rem. 

Ze  (article),  498,  499 

Ze  (pronom),  528,2,  533,2 

Lefaucheux,  407 

légende,  2,  Rem. 

Zeffs,  280 

Zeo/j,  426 

Zes  (article),  498,  499.5 

Zes  (pronom),  529,2,  532.» 

lettres  royaux,  386,5 

Zeur  (pron.  pers.),   529,s, 

532,3 
Zear    (pron.    poss.),    535, 

551 
Zei'er,  27,i 
Zèyre,  247, 1 
lévrier,  431 
Zer,  229,3,  280 
Z/  (article),  498,  499.i,  4 
//  (pron.  fém  ),  530,3 


445 


H  (pron.  masc),  528,4 

librairesse,  426 

libreito,  354 

lièvre,  228,  391,2 

ligneiil,  318 

nias,  365 

linceul,  318,  321 

lionne,  378,  402 

lionnesse,  378,  403 

lire,  44,2,  49,2 

/is,  280,  365 

lisant,  83,5 

/ise,  139,7 

/lï,  102,14,  112,1 

lo,  528,2,  533,2 

local,  295 

loisir,  74,2 

longue,  418 

/os,  279,2 

/ouc/i^,  389 

louer,  30,1 

Louis,  279.1 

Louloute,  413,6 

Zon/J,  377,  Rem.,  431 

loup-cervier,  439 

/h,  101,  102,14 

/!j/  (part,  passé),  101 

/(a'  (pronom),  528,3 

/ij/re,  74,2 

Zazs,  127 

luise,  149 

luisis,  184 

Zii/irfi,  232,1 

Zns,  196 

.Wa,  537,  544,  545,  547 
macaroni,  354,  Rem. 
Macedonor,  232,2 
machin,  380 
madame,  328 
mademoiselle,  328 
madrigal,  295 
mage,  453,7 
maint,  578,2 
maire,  281,  453,7 
maître,  254,  425 
majeur,  453,7 
major,  233,i 


malade,  107,4 
maldehet,  328,  Rem. 
777aZjn,  388 
maltôte,  111 
malveillant,  83,ii 
m'ami,  380 
manchot,  414,3 
manger,    16,    17,i,    32 

40,1 
manier,  28,i,  Rem. 
manoir,  24,  75,i 
mappemonde,  233,2 
marchand,  416,i 
ïjjarrfZ,  232,1 
marmeniau  (bois),  299 
HjarZeZ,  313 
mastochs,  384 
matériaux,  292,2,  Rem. 
matineux,  308 
maudire,  69, i 
maudisse,  139,4 
maximum,  355 
;»e,  525,2 
méchant,  83,2 
mécréant,   26,3,   83,3,  84, i 
médecin,  380,  435,  438 
meilleur,  453,8,  457 
même,  577,4 
mener,  26,i 
menteur,  426 
mentir,  68,  70,4 
menu,  91,  Rem. 
mer,  246,2,  Rem. 
mercredi,  232, i 
meretris,  419,2,  Rem. 
mérinos,  365 
merir,  27,3 
merZe,  426,  431 
merme,  463 
merrai,  205,3 
;jies  (pron.),  544 — 546 
mes  (verbe),  99, lo 
messe,  111 
mesurer,  16 
méZaZ,  305,1 
meZs,  99,11,  111 
meurs,  122 
meus,  41,  51,i,  118,  Rem. 2 


meute,  111 

/ni  (pron.  pers.),  525,3 

mi  (pron.  poss.),  536,  539, 

544—546 
mieldre,  453,8 
mien,  537—540 
mieux,  453,8 
Mignaloux,  232,2 
miZZe.  263,  485 
milliard,  486 
milliasse,  486 
million,  486 
milsoldor,  232,2 
minimum,  355 
mZre  (subst.),  380,  426 
mZre  (verbe),  27,  Rem. 
mis  (part,  passé),  98,  99, n, 

112,2 

mis  (passé  déf.),  180,  181,u 

182 
miss,  356,3 
modeler,  19 
moi,  525,2 
moie,  536,  541,  542 
moindre,  281,  453,9,  457 
moine,  425 
moiZe,  389 
777  oZ,   323 

môme,  425,  Rem. 
777077,    229,   537,   544,   545, 

547 
monnayer,  26,i 
monseigneur,  328 
monsieur,  328 
mordis,  181,2,  187 
mordre,  76 
mordu,  94,  99,i2 
Morgodou,  232,2 
777ors,  94,  98,  99,i2,  111 
777orZ,  90,5,  94,  101,  106,s 
motus,  233,1 
mou,  384,3,  Rem. 
moudre,  30,s,  38,2 
moult,  576,5 
mourir,  30,4 
77ioiir7ai, .212,  215,5 
mouru,  90,5,  94 
mourus,  170,2 


446 


mouver,  64,6 
mouvoir,  30,2,  75, i 
moyen,  316 
mû,  95,1,  108,1,  109,3 
muef,  41 
muir,  120,  122 
mulâtre,  425,  434,    Rem. 
mulet,  414,2,  431 
multiplicande,  2,  Rem. 
multitude,  233,i 
mus,  196 
muscat,  412 

Nain,  399 

naître,  77,2 

naquit,  180,i,  Rem. 

narval,  293,2 

/lasaZ,  297 

nasquir,  77,2,  80,2 

/ja/aZ,  297 

/lauaZ,  297 

navrer,  25 

ne,  101,  109,4 

necun,  577,8 

/je/",  206,1 

néfaste,  387, i 

nègre,  425 

negun,  577,8 

nenal,  533,i 

ne/fs,  287 

nesun,  577,5 

/leuf,  266,1,  481,9 

nëuls,  571, e 

neuvième,  492,9,  494,2 

neycu,  260,  431 

nièce,   250,3,   377,    Rem., 

431 
nier,  28,i 
nisun,  577,6 
noelor,  454,4 
nom,  229,3 
nouante,  483,8 
none,  492,9 
nonne,  250,3 
nopal,  293,2 
nore,  236,5 
nos,  548—550 
notaire,  425 


no/re,  537,  548 
nouer,  29,i 
nourrir,  29,2,  69,io 
nous,  525,4 
nouveau-né,  334 
nouvel,  313 
noyer,  28, i 
nui,  101,  107,5 
nuire,  31,  74,2 
nuis,  127 
nuise,  44,i,  149 
nuisis,  184,  196 
nuZ,  266,4,  288,1,  576,8 
nuns,  577,7 

0  (hoc),  552,1 
o  (illa),  531,3 
occis,  98,  99,3 
octante,  483,7 
œiZ,  320 
a;u/",  266,1 
œu/s,  287 
œuvé,  439 
œuvre,  247, i 
offense,  111 
o/;^erZ,  90,4,  101,  106,4 
offrande,  2,  Rem. 
o/^rir,  72 
ogre,  425 
oi,  120,  125 
oignis,  185 
oinZ,  102,24,  112,1 
oiseau,  397,  Rem. 
oZ  (illum),  533,1, 2 
oZe  (illa),  531,8 
omnibus,  233,3 
on,  255,  281 
oncZe,  425,  Rem. 
onclesse,  391,  Rem. 
ons,  123,2 
onf,  60,2 
onze,  482,1 
onzième,  492, 11 
opéra,  351 
orang-outan,  340,2 
orateur,  436 
ordinand,  2,  Rem. 
orpiment,  233,2 


orrai,  212,  215,6 

os,  99,2 

osoir,  74,1,  Rem. 

ou,  502,1 

ouaZ,  533,1 

ouan,  552,1 

ous,  527,1,  2,  3 

ouyerZ,  90,4,  101,  106,i 

ouvrer,  30,i 

ouvrir,  30,4 

Paienor,  232,2 

/jair,  425 

paire,  263 

paZ,  293,1 

palmarès,  365 

paon,  403,  426 

jpape,  425 

parer,  25 

parler,  15,  16,  17,i 

paroi,  228 

paroir,  25 

partagent;  407 

parZir,  68,  70,5 

partisan,  436 

partisante,  413,2 

pascal,  297 

pascor,  232,2 

pastour,  406,1 

pdZir,  3,  Rem. 

pdZre,  281 

patriot,  394 

patron,  403 

patte-pelu,  332,  394 

pauvre,  384,3,  Rem. 

pauvresse,  427 

pauvreté,  250,  Rem. 

pécheresse,  419,2,  430 

pécheresse,  430 

pecherriz,  419,i 

pédant,  394 

peignis,  185 

peint,  102,15 

petnZre,  281,  435,  436,  437. 

438 
pendu,  99,13,  108,2 
pener,  26,i 
pente,  108,2 


447 


percevoir,  75,i 

perclus,  93,  Rem.,  99,4 

perdis,  167,  171,  172 

perdisse,  202,2 

perds,  117 

perdu,  92,  100,5,  107.6 

périr,  27,3,  70,  Rem    2 

perplexe,  38 7, i 

perroquet,  431 

/jer/e,  107,6,  111 

peser,  26,i 

pesme,  463 

petitesse,  427 

/)en,  576,10 

peulent,  126, i,  c 

peuvent,  126,i,  c 

/jenx,  51,1,  120,  126,i 

Philippes,  279,1 

piédestal,  295,  305,i 

Pierre,  257 

Pierrefort,  386, i 

pierrot,  431 

pigeon,  402,  Rem.,  440 

pin,  245,2 

pio;i,  402,  Rem. 

piqueux,  407 

pire    (adj.),    281,    453,io, 

457 
pire  (verbe),  27,  Rem. 
pis,  229,3,  453,10 
pZaid,  107,7,  111 
plaigne,  43,2 
plaignis,  43,2,  185 
plaindre,  39 
p/ainf,  102,16 
pZais,  127 
plaise,  44,1,  149 
plaisir,  74,2 
planer,  24 
pleinte,  413,i 
pleurer,  15,  29,i 
pleuvant,  85,4 
pleuvoir,  30,2,  74,i 
pZier,  28,1,  Rem. 
ployer,  28, i,  Rem. 
pZu,  92,  107,7 
pluisor,  454,5 
plumait,  301,2,  302,  303,i 


pZzis,  194 
/jZus  Z)on,  457.1 
plusieurs,  454,5,  577,9 
pZizs  mauvais.  457,2 
pZns  peZiZ,  457,3 
pZiif,  196 
pneu,  284,3 
podir,  75,2 
poids,  111 
peigner,  64,6 
poignis,  185 
poindit,  39 
poindre,  39,  64,6 
jjoinZ,  102,17,  112,1 
poiraisin,  394,  Rem. 
Poitiers,  232,3 
PoiZou,  232,3 
poitrail,  302,  303,i 
poitral,  295,  305,i 
poivrer,  26.i 
ponant,  84,i 
ponde,  139,8 
pondre,  37. i,  94 
poncZjz,  94,  107,8,  110,3 
poney,  431 
poneyte,  413,3 
pons,  94,  107,8,  110,3 
porc- épie,  330 
portail,  302,  303,i 
portai,  305,1 
porZe,  128 

porte-cigare,  336,  Rem. 
porte-montre,  336,  Rem. 
portrait,  376 
poruec,  552,1 
pou,  284,4,  326 
poulain,  431 
pourrai,  207 
poursuivir,  77,5 
pourvoirai,  208.5 
pourvus,  176,3 
pouvant,  83,6,  84,i 
pouvoir,  30,2,  72 
pre',  247,1,  Rem. 
prébende,  2,  Rem. 
prée,  247,1,  Rem. 
preer,  26,i 
préface,  233,i 


premier,  492, i 

prenant,  83,7 

prendre,  40,i 

prenne,  139,9 

près,  111 

prêta,  166 

prêZre,  260,  281 

preu,  481,1,  Rem. 

preux,  279,2 

prévale,  143,i 

prévoirai,  208,5 

prévôt,  107,8,  110,3 

prévus,  1763 

prier,  28, 1 

prieure,  406,i,  Rem. 

prima  donna,  354 

prime,  492, 1 

pri/i,  492,1 

prince,  233,i 

prins,  99,14,  183,2 

pris  (part,  passé),  98,  99,i4, 

112,2 

7;ris  (passé  déf.),  180,i,  181, 1. 

182,  183,2 
priser,  28,i 
prisse,  202,4 
procuratrice,  421 
prof  es,  411,1 
professeur,  436 
proisme,  463 
propagande,  2,  Rem. 
prouver,  30, 1 
provende,  2,  Rem. 
pruis,  116,4 
pruisse,  137,4 
puZ^is,  233,2 
puZ)Zic,  387,1,  388 
puceau,  380 
puer,  64,7 
puéril,  388 
puir,  64,7,  66,2 
puis,  120,  126,1 
puissant,  83,6,  84,i,  85,i 
puisse,  148 
puiZs,  280 
yjus,  194 
putain,  250  3 


448 


Quant,  575,11 
quarante,  483,3 
quart,  492,4 
quartier- maître,  330 
quatorze,  482,4 
quatre,  481,4 
quatre-vingt,  489,  490 
que,  569,2,  570,  571,2,  572 
quelconque,  578,5 
quelque,  578,3 
quelqu'un,  578,4 
quérir,  27,3,  77,3 
querrai,  215,7 
querre,  49,2,  77,3 
r/uc/e,  108,3,  111 
queux,  279,2 
7iiz,  569,1,  570 
quibus,  233,3 
quiconque,  578,6 
Quincampoix,  136, i 
quint,  492,5 
quintal,  305, i 
quintetto,  354 
quinze,  482,5 
quinze-vingts,  363,  490 
ç/HS    (part,    passé),    90,6, 

108,3,  112,2 
f/u/s    (passé   déf.,),    170,3, 

180,2,  181.1,  182 
(/uoi,  571,1 
quorum,  233,2 

Raembre,  33,  47 
rage,  234 
/•aide,  389 
/•af/'or/,  386,1 
/■a//,  303,2 
raisonnable,  17,2 
rarissime,  462,2 
rasibus,  233,3 
rasseyerai,  208,4 
rafe,  440 
ravir,  66,3 
reaZ,  295 

rcaZ  (royal),  386,4 
rc'bus,  233,3 
recette,  111 
recevoir,  75,i 


reçoif,  41 

reçois,  41,  118,i,    Rem.  2 

recors,  365 

recrue,  375,2 

reçu,  92 

reçus,  196 

re'^aZ,  293,2 

re'gzr,  66,4 

reient,  105,i 

iîemjs,  232,3 

reine-claude,  330 

relais,  365 

remords,  111 

remous,  365,  Rem. 

rente,  111 

repentir,  68 

répondre,  40,3,  76 

répondu,  100,7 

réponse,  111 

rere,  25 

res,  99,15 

résolu,  103,2 

resous,  98,  100,8,  103,2 

respecter,  20,  Rem. 

resplendir,  69,ii 

ressortir,  70,7 

ressource,  100,9 

resta,  166 

retors,  100,io 

re/s,  280,  365 

revendication,  233,2 

rhume,  247,2 

rz,  89,  Rem.,  99,i6 

richissime,  462,2 

rie/j,  229,1 

rigolote,  413,4 

rire,  76 

ris,  180,1,  181,1,  182 

Rochefort,  386,i 

roi,  431 

rompir^  11, i,  80,2 

rompre,  11, i 

rompu,  101,  105,2 

rosier,  380 

rossignol,  324,i,  440 

rossolis,  233,2 

rouge-gorge,  333,  Rem. 

rouf,  94,  101,  105,2 


route,  111 
rover,  30,i 

royaux     (lettres,    ordon- 
nances), 386,5 
rudement,  473 
ruis,  116,4 
misse,  137,4 


Sa,  537,  544,  545,  547 

sac,  266,2 

sachant,  83,8,  84,i,  85,i 

sac/ie  (impér.),  155 

sac/ie  (subj.),  146 

sacristain,  399 

sade,  261,2 

saie,  247,1 

saignis,  185 

saiZZe,  121 

saillerai,  215,8 

saillir,  42,3,  70,6 

saillirai,  215,8 

saillisse,  143 

Saint-André  des  Arts,  99. 1 

sais,  124 

salmis,  365,  Rem. 

salpêtre,  223,2 

samedi,  232, 1 

sanatorium,  355 

saner,  24 

sa;j(7,  266,2 

sangloter,  64,8 

Sarasinor,  232,2 

satellite,  233 

sau/",  266,1 

saurai,  208, 1 

sauvagesse,  427 

sauve,  389 

savant,  83,8,  84,i 

savantissime,  462,2 

savent,  124,  b 

savir,  75,2 

savoir,  25,  74,i 

savourer,  29,i 

sceZ,  313 

scier,  28,1 

se,  534 

séa/iZ,  83,9,  84,1 


449 


sec,    266,2,   288,1,    387,2, 

Rem.,  417 
sèche,  389 
second,  492,2 
secouer,  64,9 
secoiis,  99,6 
secousse,  111 
ségrais,  365 
seigneur,  453,ii 
seize,  482,6 
Sei~e  rfe  Paris,  363 
semonce,  100,4,  111 
senionoir,  75,i 
semons,  100,4 
sen«,  89,2,  98,  Rem. 
sentinelle,  375,2 
sentir,  68 
scnfu,  90,2,  94 
senuec,  552, i 
seoir,  27,2,  75,2 
sepf,  481,7 
septante,  483,6 
sf/jf  pseaumes,  363 
serai,  210,3 
sérail,  303,2 
ser/-,  266,1 

sergent,  82,3,  Rem.,  84,i 
serrai,  208,4 
sers,  41,  118,i,  Rem.  2 
servait,  159 

serval,  293,2  ( 

servant,  84,i 
servir,  68 
serviteur,  426,  431 
sestiere,  263 
setme,  492,? 
seuZ,  318 
sevrer,  26,i 
seyant,  83,9,  84,i 
seijerai,  208,4 
sieds,  119,4 
s/en,  537—540 
siérai,  208,4 
signal,  295 
singe,  425,  Rem. 
singeresse,  430 
s/re,  281,  426,  453,ii 


SIS  (part,  passé),  98,  99, is, 

112,2 

sjs    (passé    déf.),    180,2, 

181,1,  182 
sisfe,  sixfe,  492,6 
s/x,  481,6 
s/jofc,  425,  Rem. 
sœur,  250,  281 
SOI,  534 

so/e,  538,  541,  542 
sois  (impér.),  155 
sois  (subj.),  139,10 
soixante,  183,5 
soixante-dix,  483,6 
so/,  323 
soleil,  267,2 
soZo,  354 
soZu,   91,3 
somme,  247,2 
sommes,  54,  Rem.,  119,6  b 
son,   229,   537,   544,   545, 

547 
sonnet,  376 
sons,  54,  55,6,  119,6  b 
sonZ,  60,2 
soprano,  354 
sordeior,  453,i2 
sorZir,  68,  70,7 
son,  322,1 
soudre,  38,2 
sone,  538,  541,  542 
souffert,  90,4,  101,  106,5 
souffrir,  30,4,  72,  79,2 
souillon,  375,1 
soulever,  19 
souloir,  30,2 

soupirail,  301,  302,  305,2 
source,  100,9,  111 
sourde,  I39,ii 
sourd-muet,  334,  432,i 
sourdre,  37,2 
su,  91,2,  95,1 
sufcZin,  388 
suen,  538—540 
suf^,    89,    Rem.,    101, 

102,20 
suffise,  44,1 
suirai,  210,3,  Rem. 


suis  (de  suivre),  119,5 
SUIS  (sum),  119,6 
Suissesse,  427 
suiZe,  112,1 
sujyi,  91,2 
suivir,  77,5,  80,2 
suivre,  31,  Rem.,  77,5 
sûr,  261,1 
surette,  414,2 
surrexi,  180,i,  Rem. 
sus,  194,  195 
suymes,  119,6  b 
sylphe,  431 

Ta,  537,  544,  545,  547 

tailleresse,  430 

Zaïre,  74,2 

Zaïs,  127 

Zaïse,  44,1,  149 

ZanZ,  575,13 

ZanZe,  250,3 

tatillon,  402,  Rem. 

taureau,  431 

Ze,  526,1,2 

teignis,  185 

teindu,  94 

ZeinZ,  102,22 

ZeZ,  290,2,  306,  308,  375,i2 

témoin,  436 

tempe,  247, i 

tempête,  250,  Rem. 

tempre,  230,3 

Zem/js,  229,3 

tendron,  375,i 

Zendu,  99,i9,  110,4 

Zenir,  27,3,  75,s,  80,i 

tenoir,  75,3 

ZenZe,  111 

Zenu,  90,  92,  94,  104,i 

terre-noix,  331, i 

Zers,  99,20 

tête-à-tête,  331,2,  Rem. 

Zi,  526,3 

Zien,  537—540 

tiendrai,   207,   212,    215,9, 

216,1 
tienne,  43,3,  144 
Ziers,  411,2,  492,s 
29 


450 


tilleul,  316,  318 
tindre,  80,i 

tins  (part,  passé),  104,i 
tins    (passé    déf.),    170,4, 

191 
tinsse,  202,4 
tisser,  64,io 
tistre,  28,2 
toi,  526,2 

toie,  538,  541,  542 
toise,  110,4,  111 
toiser,  26,i 
foZeiï,  103,3 
/oZZj>,  66,3,  79,2 
ton,  229,1,  537,  544,  545, 

547 
tondre,  76 
/on/e,  111 
tordis,  181,2,  187 
tordre,  37,3,  76 
/ordu,  94,  100,10, 101,106,6 
tors,  94,  100,10 
tort,  106,6,  111 
Touareg,  357 
toue,  538,  541,  542 
tourment,  247, i.  Rem. 
tourmente,  247,i,  Rem. 
/oiis,  288,  Rem.  1 
touse,  111 
Toussaints,  363 
tousser,  64,ii 
/ouf  (part,  passé),  103,3 
ZouZ  (pronom),  576,i4 
toutevoies,  328,  Rem. 
ZouZ  plein,  472,3 
trahir,  66,3 
traire,  49,2 
ZraiZ,  101,  102,23 
ZrafZre,  281,  425 
tramer,  24 
travail,   267,2,    301,   302, 

304,  305,2 
Zrë,  288,2 
treize,  482,3 
trémail,  302 
trente,  483,2 
tressaille,  121 
tressaillir,  70,6 


tressaillirai,  215,8 
trestout,  575,14 
ZrifcaZ,  293,3 
tricolore,  387, 1 
tripolir,  66,6 
Zrois,  481,3 
trou-madame,  331,i 
trouver,  30,i 
trouverai,  206,5 
trouvère,  281,  Rem. 
trouviendrai,  206,6 
Zruis,  116,4 
truisse,  137,4 
Zsar,  431 

Zu  (part,  passé),  107,9 
Zu  (pronom),  526,i 
Zuen,  538—540 
Zizrc,  266,2,  417 
Zus,  194 

Zype,  425,  Rem. 
typote,  413,4 
tyran,  436 

Uléma,  357 
uZZe,  576,15 
un,  481,1,  507 
unième,  484,i,  Rem. 
universaux,  292,2,  Rem. 
urochs,  364 

Fa,  116,1,  153,2 

yaiZ,  42,1 

vaillant,  42,i,  83,io,  84,i, 

yaiZZe,  134,  143,i 

vaincre,  34,  77,6 

vaincu,  102,25 

vainque,  139,i2 

vainqueur,  436 

yais,  116,1 

vaisselle,  247,i 

uazZ,  116,1 

raZ,  293,1,  295 

yaZanZ,  83,io,  84,i 

valoir,  25,  Rem.  1 

yaZi/s,  175,  193 

valusse,  202,i 

vantail,  301,  302 

uas,  116,1,  153,2 


vassal,  295 

vaudrai,  207 

vaurien,  379,3 

Vauvert,  386,4 

vaux,  51,1,  131 

vavassor,  232,2 

yecu,  102,26 

vécus,  176,2 

yeer,  27,i 

veignant,  85,i 

vendais,  158,  168 

venderesse,  430 

yendZs,  171,  172 

vendredi,  232, 1 

vengeresse,  430 

venir,  27,3,  80, 1 

yenZaiZ,  301,  302 

yenZe,  111 

ventrail,  302 

yenu,  90,  94,  104,i 

uer,  266,3 

verde,  389 

yerrai,  207,  208,5 

verrou,  326 

yerZ,    386,4,    387,2,    Rem., 

413,7 
vertir,  66,3,  69,i2 
vesquir,  77,7,  80,2 
uéZir,  70,8 
pêZu,  90 
yeu/",  380 

veuille  (impér.),  155 
veuille  (subj.),  143,2 
yeux,  51,1,  121 
viande,  2,  Rem. 
vidame,  426 
yide,  389,  390 
viendrai,   212,   215,9,   216,i 
vienne,  43,3,  144 
yZeua;,  267,2,  279,2,  315 
yi/-,  41,  266,1,  288,1 
yig'ie,  375,2 
vilainte,  413,i 
Villefavreux,  232,2 
Villefort,  386,i 
Villepreux.  232,2 
Villeréal,  386,4 
vindre,  80,i 


451 


vingt,  483,1 

vins,  170,5,  191 

vinsse,  202,4 

violet,  380 

violoneux,  407 

viorne,  247, i 

uis  (vidi),  192 

yjs  (vivo),  41,  118,  Rem.  2, 

192 
viscère,  233 
vitrail,  301,  302 
vivre,  77,7 
uozZe,  247,1 
voir,  26,2,"  75,2 


uoirai,  80,3,  208,5,  216,i 

voise,  137,1 

yoZ,  324,1 

vol-au-vent,  331,2,  Rem. 

yoZu,  91,4 

vomir,  66,3 

Dons,  116,1,  d 

vont,  60,2 

yos,  548—550 

votre,  537,  548 

voudrai,  207,  208,6 

vouer,  29,1 

voulant,  83,11 

vouloir,  30,2,  72 


voulus,  176,4,  197,2 

yous  (part,  passé),  100, n 

uous  (pronom),  526,4 

voiissoir,  100,11 

voussure,  100,ii 

youf,  103,4 

voûte,  111 

voyant,  85,4 

voyoute,  413,6 

us,  526,4 

yu,  92,  98,  Rem.,  99,22 

yueiZ,  42,1 

vueillant,  42,i,  83,ii,  85,i 

PUS,  176,3 


29* 


TABLE   DES   MATIÈRES 


Chapitre  I. 
Chapitre  II. 
Chapitre     III. 


t/  Chapitre  IV. 
Chapitre  V. 
Chapitre  VI. 
Chapitre  VII. 
Chapitre  VIII. 


Chapitre     IX. 


Chapitre       X. 


Chapitre  XI. 
Chapitre  XII. 
Chapitre  XIII. 


Chapitre  XIV. 
Chapitre  XV. 
Chapitre  XVI. 


TROISIEME  PARTIE 
MORPHOLOGIE 

LIVRE  PREMIER 

LES    VERBES 

Page 

Remarques  préliminaires 3 

Accentuation 10 

Le  radical 13 

A.  Les  voyelles 13 

B.  Les  consonnes 24 

C.  Changements  thématiques 32 

Les  terminaisons 34 

Types  de  conjugaison 47 

L'infinitif 58 

Le  participe  présent  et  le  gérondif 64 

Le  participe  passé 70 

A.  Formes  faibles 70 

B.  Formes  fortes 75 

Le  présent  de  l'indicatif 87 

A.  Premier  groupe 87 

B.  Deuxième  groupe 96 

C.  Flexion  actuelle 101 

Le  présent  du  subjonctif 106 

A.  Premier  groupe 106 

B.  Deuxième  groupe 109 

C.  Troisième  groupe 112 

L'impératif 117 

L'imparfait 120 

Passé  défini 126 

A.  Parfaits  faibles 126 

B.  Parfaits  forts 135 

L'imparfait  du  subjonctif 147 

Le  futur  et  le  conditionnel 152 

Les  formes  interrogatives 164 


453 

LIVRE  DEUXIÈME. 

LES  SUBSTANTIFS  ET  LES  ADJECTIFS,  p^g. 

Chapitre        I.  —  Remarques  préliminaires 170 

Chapitre       II.  —  Déclinaison 182 

Chapitre     III.  —  Le  singulier  et  le  pluriel 204 

Chapitre      IV.  —  Le  masculin  et  le  féminin •   257 

A.  Distinction  des  genres 257 

B.  Rapport  historique  entre  la  forme  masculine  et  la 
forme  féminine 260 

C.  Particularités  de  la  forme  féminine  et  de  la  forme 
masculine 272 

#.  D.  Mots  invariables 297 

E.  La  langue  parlée 304 

Chapitre       V.  —  Comparaison 309 

A.  Comparatif 310 

B.  Superlatif 317 

C.  Comparaison  des  substantifs 327 

LIVRE  TROISIÈME. 

LES   NOMS   DE   NOMBRES. 

Chapitre    I.  —  Nombres  cardinaux 331 

Chapitre  II.  —  Nombres  ordinaux - 344 

LIVRE  QUATRIÈME. 

LES  ARTICLES. 

Chapitre      I.  —  L'article  défini 350 

Chapitre    II.  —  L'article  indéfini 356 

Chapitre  III.  —  L'article  partitif 357 

LIVRE  CINQUIÈME. 

LES   PRONOMS. 

Chapitre       I.  —  Pronoms  personnels 366 

Chapitre     II.  —  Pronoms  possessifs 381 

Chapitre  III.  —  Pronoms  démonstratifs 391 

Chapitre   IV.  ^Pronoms  relatifs  et  interrogatifs 403 

Chapitre     V.  —  Pronoms  indéfinis .  408 


Additions  et  corrections 414 

Bibliographie 417 

Table  analytique 431 

Index  des  mots 438 

Table  des  matières 452 


Du  même  auteur: 

MANUEL  PHONÉTIQUE 


DU 


FRANÇAIS    PARLÉ 

DEUXIÈME  ÉDITION  TRADUITE  ET  REMANIÉE 

PAR 

EMMANUEL  PHILIPOT 

MAITRE  DE  CONFÉRENCES  A  L'UNIVERSITÉ  DE  RENNES 

Un  volume  in  8»  carré  (VIII— 184  pages) 4  fr. 


APPRÉCIATIONS: 

Revue  critique  (Mars  1903,  p.  342): 

Commençons  par  remercier  M.  Pliilipot  de  nous  donner  une  traduction 
de  cet  excellent  livre,  qui  avait  paru  d'abord  en  danois,  et  qui  méritait  à 
tant  d'égards  de  se  répandre  un  peu  chez  nous.  Le  Manuel  de  M.  Nyrop  est 
en  effet  très  simple  et  très  savant  à  la  fois:  j'entends  par  là  que  l'auteur  y 
a  résumé  avec  une  dextérité  très  sûre  tout  ce  qu'il  importe  vraiment  de 
connaître  sur  la  prononciation  actuelle  du  français  ....  En  somme  ce  livre 
sera  un  guide  précieux  pour  les  étudiants  étrangers,  surtout  ceux  de  langue 
Scandinave  ou  germanique,  car  il  les  mettra  en  garde  contre  de  nombreux 
vices  de  prononciation.  Mais  en  France  aussi  il  pourra  rendre  des  services . . 

E.    BOURCIEZ. 

Archiv  fur  das  Studium  der  neiieren  Sprachen  (vol.  CX,  p.  239): 
Dasz  die  zweite  Auflage  des  1893  zum  erstenmal  und  zwar  in  dânischer 
Sprache  erschienenen  Bûches  nun  gleichzeitig  in  dieser  und  in  franzôsicher 
Sprache  dargeboten  wird,  entspricht  ohne  Zvs'eifel  einem  an  manchem  Orte 
geliegten  Wunsche.  Das  kleine  Buch  wird  fortfahren,  gute  Dienste  zu  tun, 
zumal  da  Verfasser  und  Ûbersetzer  vereint  sich  haben  angelegen  sein  lassen, 
den  Text  der  ersten  Ausgabe,  wo  dazu  Anlasz  war,  zu  berichtigen  und  zu 
vervollstândigen.  Adolf  Tobler. 

Romania  (vol.  XXXII,  p.  347)  : 

Le  livre  de  M.  Nyrop  se  distingue  de  ceux  du  même  genre  en  ce  que 
l'auteur  joint  à  une  pratique  excellente  du  français  parlé  une  connaissance 
de  l'histoire  du  français  qu'atteste  sa  Grammaire  historique.  La  première 
édition,  en  danois,  était  inaccessible  à  beaucoup  de  ceux  qu'elle  aurait  le 
plus  intéressés:  M.  Philipot  a  rendu  un  vrai  service  en  la  traduisant. 

Gaston  Paris. 

Westminster  review  (January,  1903): 

This  excellent  little  treatise  is  composed  in  a  terse  and  lucid  style.  It 
is  a  work  of  great  practical  utility,  and  deserves  to  be  known  and  studied 
far  and  wide. 


Revue  des  Humanités  (1903,  p.  167): 

On  sent  partout  dans  ce  livre  —  et  ce  n'est  pas  chose  banale  que  de 
trouver  ces  qualités  réunies  —  l'érudition  du  philologue,  l'expérience  du 
phonéticien,  la  clarté  et  l'agrément  du  professeur  qui  sait  intéresser  aux 
matières  les  plus  arides  en  apparence.  C'est  assez  dire  que  nous  le  recom- 
mandons vivement  à  tous  ceux  qui  sont  chargés  d'enseigner  le  français. 

L.    GOEMANS. 

BoUetiino  di  Filologia  moderna  (Anno  V,  p.  150): 

Questo  manuale,  scritto  dapprima  in  danese  e  voltato  poscia  in  francese 
con  moite  aggiunte  del  prof.  Philipot  nel  mentre  forma  uno  studio  tutto  a 
se,  chiaro  e  completo  sui  fonemi  délia  lingua  francese,  viene  a  collegarsi  al 
lavoro  suaccennato  del  Passy.  Questi  due  libri  .  .  .  non  dovrebbero  mancare 
nella  biblioteca  di  nessun  insegnante  di  francese  perché  formano  la  base  di 
ogni  elementare  cognizione  di  fonetica  e  rischiarano  sui  dubbi  che  possono 
sorgere  riguardo  alla  pronuncia  dei  vocaboli  francesi.  R.  Lovera. 

Ncnphilologische  Mittheihingen  (Helsingfors,  1902,  p.  14): 
Disons  tout  de  suite  que  cette  seconde  édition  produit  une  impression 
encore  plus  favorable  que  la  première.  L'auteur  a  évidemment  tâché  d'être 
aussi  clair  et  précis  que  possible,  et  sous  ce  rapport  je  n'ai  vraiment  rien  à 
lui  reprocher.  11  a,  à  maints  endroits,  intercalé  des  Comparaisons  utiles  avec 
d'autres  langues  et  a  de  beaucoup  augmenté  le  nombre  des  exemples  fran- 
çais ....  Le  Manuel  de  M.  N.  est  un  ouvrage  excellent  qu'on  ne  saurait  trop 
recommander  à  tous  ceux  qui  veulent   s'initier  à  la  phonétique  du  français 

A.  Wallenskôld. 


TABLE   GÉNÉRALE. 

Préface V 

Abréviations    VII 

Transcription  phonétique    'V^III 

Chapitre         I.     Les  organes  de  la  parole 1 

Chapitre       IL     Consonnes 16 

Chapitre      III.     Voyelles 54 

Chapitre      IV.     Syllabes 80 

Chapitre        V.     Quantité 85 

Chapitre      VI.     Accent  d'intensité 101 

Chapitre    VII.     Accent  musical 111 

Chapitre  VIII.     Assimilation 117 

Chapitre      IX.     Liaison 123 

Chapitre       X.     Écriture  et  prononciation 135 

Appendice     I.     Comment  se  prononcent  les  lettres  françaises 145 

Appendice    II.     Texte  en  transcription  phonétique 167 

Table  analytique 175 

Index  des  mots  cités 179 


oiriuluu  :c»i^wi.  uiiig.' 


PC     Nyrop,  Kristoffer 

2101      Grammaire  historique 

N8     de  la  langue  française 

1899 
t,2 


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