\
GRAMMAIRE HISTORIQUE
DE LA
LANGUE FRANÇAISE
DU MÊME AUTEUR
Manuel phonétique du français parlé. Deuxième édition traduite et re.
maniée par E. Philipot, 1 vol. in 8" carré 4 fr.
Grammaire historique de la langue française, 4 vol. in 8°.
Tome I. Histoire générale de la langue française. Phonétique, 1 vol. 10 fr.
Tome II. Morphologie, 1 vol 10 fr.
Tome III. Formation des mots. Sémantique, 1 vol. (En préparation.)
Tome IV. Syntaxe, 1 vol. (En préparation.)
Nouveau recueil de farces françaises des XV^ et XVIe siècles. Publié
d'après un volume unique appartenant à la bibliothèque royale de Co-
penhague. En collaboration avec M. É. Picot. Paris, 1880.
Storia dell' epopea francese nel medio evo. Prima traduzione dall' origi-
nale danese di E. Gorra. Con aggiunte e correzioni fornite dall' autore,
con note del traduttore e una copiosa bibliografia. Opéra premiata con
medaglia d'oro dall' université di Copenaghen. Firenze, 1886.
Ordenes Liv. Copenhague, 1902.
Das Leben der Worter. Autorisierte Obersetzung ans dem Dânischen von
Robert Vogt. Leipzig. 1903.
Dk I . u r.
GRAMMAIRE HISTORIQUE
DE LA
LANGUE FRANÇAISE
PAR
KR. NYROP
PROFESSEUR A l'uNIVERSITÉ DE COPENHAGUE
TOME DEUXIEME
COPENHAGUE
DET NORDISKE FORLAG
ERNST BOJESEN
LEIPZIG NEW-YORK PARIS
OTTO HARRASSOWITZ G. E. STECHERT ALPHONSE PICARD & FILS
1903
Tous droits réservés
?c
2101
m
IMPRIMERIE NIELSEN & LYDICHE
AVANT-PROPOS
LJans ce nouveau volume de ma Grammaire historique j'ai
introduit deux changements pratiques que je crois utile de
signaler tout de suite à l'attention du lecteur.
Dans les transcriptions phonétiques j'ai abandonné mon
propre système pour adopter celui de l'Association internatio-
nale phonétique. Je l'ai fait pour contribuer de mon côté à la
victoire de «l'unité phonétiste«. Un très grand nombre de sys-
tèmes de transcription sont en usage maintenant; les roma-
nistes à eux seuls doivent connaître ceux de MM. Ascoli,
Boehmer, Gilliéron, Meyer-Lûbke, Weigand, Wulff, et plusieurs
autres. Il est superflu de relever ce que cet état de choses
comporte d'inconvénients de toutes sortes, et peut faire naître
de malentendus, sans parler de la perte de temps qu'il occa-
sionne: si l'on veut étudier des textes dialectaux romans, il
faut pour chaque pays, apprendre un nouveau système de
transcription, parfois même deux ou trois, et des systèmes
basés sur des principes typographiques absolument différents.
Combien tout serait plus simple si l'on pouvait convenir d'un
seul! L'unité phonétiste est loin encore de sa réalisation, mais
ce n'est plus une utopie. Beaucoup de savants y travaillent
énergiquement, et ils lui ont déjà fait faire un grand pas en
avant. Grâce à la propagande multiple et active dont le Maître
phonétique est le centre, l'alphabet de l'Association internatio-
nale est maintenant plus répandu, à lui tout seul, que tous les
VI
autres systèmes de transcription réunis. Sans parler des nom-
breux livres classiques allemands, anglais et français, où il a
été mis à profit, on s'en est aussi servi avec avantage dans
des études scientifiques sur les langues les plus diverses; il
vient même d'être employé dans une dissertation sur le japo-
nais! C'est donc ce système qui doit réunir toutes les voix, et
qui, selon toute probabilité, nous permettra quelque jour d'at-
teindre l'unité phonétiste si désirable et si désirée.
Le deuxième changement introduit dans ce volume est de
moindre importance; il concerne la Bibliographie, où j'ai re-
noncé à mes abréviations au profit de celles dont se sert
M. K. VollmôUer dans son Kritischer Jahresbericht.
Je tiens enfin à rappeler au souvenir du lecteur ce que j'ai
dit dans le premier volume: que le but de mon livre est sur-
tout pédagogique et qu'il s'adresse de préférence aux débutants.
C'est en effet ce point de vue qui a dominé le choix et l'or-
donnance des matières, et qui expliquera pourquoi par exemple
j'ai présenté à propos de la déclinaison quelques remarques
qui regardent plutôt la syntaxe.
MM. ScHULTZ-GoRA, E. Philipot, Joh. VisiNG, Anker Jensen
et Sv. SvEiNBJÔRNSSON out bien voulu me donner leur concours
précieux dans la correction des épreuves; en les priant tous
d'agréer mes remerciements sincères de leur amabilité, je dois
ajouter que je suis particulièrement reconnaissant à M. E. Phi-
lipot qui a bien voulu soumettre plusieurs paragraphes à une
discussion instructive; on trouvera dans les Additions quelques-
unes de ses observations qui n'ont pas trouvé place dans le
texte.
Jœgersborg, près Copenhague, 29 juillet 1903.
Kr. N.
VII
ABRÉVIATIONS ET SIGNES.
ail.
allemand
germ.
germanique
angl.
anglais
it.
italien
blat.
bas latin
lat.
latin
cf.
confer
port.
portugais
comp.
comparez
prov.
provençal
dan.
danois
roum.
roumain
dér.
dérivé
vfr.
vieux français
dim.
diminutif
vha.
vieux haut allemand
esp.
espagnol
vnorr.
vieux norrois.
> aboutit à
^ parallèlement à
<( provient de
: rime avec
Un astérisque (*) placé devant une forme indique qu'elle ne se trouve
dans aucun texte et qu'on ne la restitue que par conjecture.
Pour les abréviations des titres de revues, voir la Bibliographie.
EDITIONS CITEES.
Les plus anciens monuments de la langue française sont
cités d'après l'édition de E. Koschwitz; la Vie de St. Alexis,
d'après l'éd. de G. Paris; la chanson de Roland, d'après les
éd. de L. Gautier et Th. Muller; les autres vieux textes, d'a-
près les publications de la Société des Anciens Textes et de la
Bibliothèque Elzévirienne.
Les exemples de Malherbe, Corneille, Molière, La Fontaine
et Racine sont donnés d'après les Grands Écrivains de la France*
VIII
TRANSCRIPTION PHONÉTIQUE.
(Chaque lettre doit se prononcer comme la lettre italique du mot mis en regard.)
1.
, CONSONNES.
[b] bout
[n] angl. kin^
[d] doux
[p] pouls
[f] fou
[r] roux
[g] ^oût
[s] sou
[j] yeux
[J] c/iou
[k] coup
[t] tout
[1] /oup
[v] yous
[Ji] it. %/io
[w] oui
[m] mou
[^] lui
[n] nous
[z] zouave
[ji] agneau
[3] joue
II. VOYELLES ORALES.
[a] patte [o] pot
[a] pdte [0] port
[e] pédant [0] peu
[g] père [œ] peur
[9] peler [u] pour
[1] pzre
[y] pur
III. VOYELLES NASALES.
[à] banc [5] bon
[i] bain [œ] brun
après une voyelle indique qu'elle est longue.
TROISIÈME PARTIE
MORPHOLOGIE
LIVRE PREMIER.
LES VERBES.
CHAPITRE I.
REMARQUES PRÉLIMINAIRES.
I. Nous commencerons par examiner les changements géné-
raux qu'a subis le système verbal latin:
P Le latin classique possédait deux » formes « ou voix dif-
férentes, forma activa et forma passiua; on n'en retrouve ((ue
la première dans les langues romanes et le passif a disparu par-
tout.
2*^ Les verbes latins avaient quatre modes: modus indicati-
ons, modus conjimctiviis, modus imperatiinis, modus infmitivus;
ils ont tous été conservés.
3** Ces modes avaient différentes formes pour exprimer les
temps: tempus prœsens, tempus prœteritum, tempus futurum;
nous verrons dans la suite que quelques-unes de ces formes
ont été conservées, tandis que d'autres sont mortes et ont
donné place à de nouvelles formations.
4" On distinguait enlin, dans les modes personnels, entre le
singulier et le pluriel, et dans chaque nombre on avait trois
formes différentes pour les trois personnes. Ces distinctions
se retrouvent dans les langues romanes, mais elles tendent à
s'effacer en français, où les six formes se sont souvent ré-
duites à cinq ou à quatre, parfois même à trois, de sorte
qu'une seule forme peut servir pour tout le singulier et la 3?
pers. du pluriel (cf. § 129).
1*
/. Voix passive.
2. De tout le passif classique on n'a conservé que le parti-
cipe passé, et c'est à l'aide de cette forme qu'on a créé un
nouveau passif roman. Le latin présentait des formes syn-
thétiques: amor, amabar, etc., à côté de formes analytiques:
a mat us su m, amatus eram, etc. Sur le modèle de ces
dernières on a refait tout le passif en formant avec le verbe
esse et le participe passé, une série de nouvelles formes com-
posées. Ainsi amor est remplacé par amatus su m, ama-
bar par amatus eram, amatus sum par amatus fui,
etc. Ce nouveau passif analytique date probablement du VP
ou du VIP siècle; remarquons qu'on n'en découvre aucune trace
dans le latin de Grégoire de Tours.
Remarque. Outre le participe passé le français présente, dans quelques
s'ubstantifs, un faible reste d'une autre forme du passif, le participe futur
ou le gerundivum. Exemples: bibenda > buvande, offerenda > of-
frande, priebenda ) provende, vivenda ) viande. Rappelons aussi les
termes ecclésiastiques ordinand « ordinandus), clerc qui va être ordonné,
et conflrmand (( confirmandus), enfant qui va recevoir la confirmation,
et quelques mots purement savants : prébende, légende, propagande (de pro-
paganda fide), multiplicande, dividende, etc. On a voulu voir dans une
expression telle que argent comptant une autre trace du participe futur; argent
comptant serait, selon N. de Wailly, argentum computandum. Cette ex-
plication est erronée: nous n'avons dans l'expression citée qu'un participe
pi'ésent, détourné de son sens ordinaire.
3. Par suite de la disparition du passif tous les verbes dépo-
nents ont dû prendre la forme active: nascor, jocor, precor,
s e q u o r, m o r i o r sont devenus *n a s c o > nais, *j o c o > jue, jeu,
joue, *preco > pri, prie, '^sequo > sui, suis, *morio > muir^
meurs. Ce changement remonte probablement assez haut; on sait
que déjà dans le vieux latin vulgaire la plupart des verbes dé-
ponents hésitaient entre la forme passive et la forme active. Pour
le moyen âge citons quelques exemples qu'on trouve dans les
inscriptions latines de la Gaule: Fatum suum funxit (C. I. L.,
XII, 1381). Basilicam studuit hanc fabricare Deo (Le Blant,
209, c), etc. Grégoire de Tours écrit admirabam, calumnia-
bant, contemplabamus, deosculat, frustravi, etc. La
»Lex Romana Utinensis« donne causare, furare, mentir e,
morire, sequere, etc. (corap. ZRPh,, V, 49) et la Vie de
Ste Euphrosyne amplexare, dignare, mirare, oscu-
lare, etc.
Remarque. Rappelons les mots savants pâtir et compatir tirés directement
de pati et de compati (la forme compatiser, employée par dAubigné. est
due à rinfluence de si/mpathiser).
IL Voix active.
4. L'actif a subi de nombreux changements, et beaucoup
des formes classiques ont tout à fait disparu.
P Formes conservées. On a conservé le présent de l'in-
dicatif (canto y je chante), du subjonctif (cantem } je chante),
de l'infinitif (cantare > chanter), et du participe (cantan-
tem > chantant); l'imparfait de l'indicatif (cantabam } je
chantais); le parfait de l'indicatif (cantavi } je chantai); le
plus-que-parfail du subjonctif (cantavissem > je chantasse);
le gérondif (in cantando > en chantant).
2" Formes disparues. Toutes les autres formes sont éteintes,
à savoir: l'imparfait et le parfait du subjonctif (cantare m,
cantaverim), le plus-que-parfait de l'indicatif (cantave-
ram), le futur simple (cantabo), le futur antérieur (canta-
vero), le futur de l'impératif (cantato), le parfait et le futur
de l'infinitif (cantavisse, cantaturus esse), le futur du
participe (cantaturus), et les deux supins (cantatum, can-
tatu). La disparition du futur, de l'imparfait du subjonctif et
du parfait du même mode s'explique, en partie, par leur res-
semblance plus ou moins grande avec d'autres temps; ainsi
cantarem se confondait avec cantarim (cantaverim),
cantabit avec cantavit, scribam (futur) avec scribam
(prés, du subj.), scribes, scribet avec scribis, scribit, etc.
Remarque. Les plus anciens textes présentent quelques traces isolées du
plus-que-parfait de l'indicatif: Debuerat > dueret (Germent et Isembart,
V. 633). Fecerat > firet (St. Alexis, v. 125); comp. /isZrfra (St. Léger, v. 121).
Fuerat > furet (Ste Eulalie, v. 18). Habuerat > auret (ib., v. 2, 20). Potu-
erat > pouret {ib., v. 9). Rogaverat > roveret {ib.,v. 22). Viderat > vidra
(La Passion, v. 133, 331). Voluerat > voldret (Ste Eulalie, v. 21). Rappelons
aussi le futur simple ier ou er (ero) qui s'employait encore au XII siècle
(cf. § 204, Rem.).
5. Les pertes que nous venons de signaler ont été réparées
de différentes manières. On a tantôt attribué une nouvelle
6
fonction aux formes conservées (ainsi le latin difficile die tu
se rend en français par 'difficile à dire'), et tantôt créé de
nouvelles formes périphrastiques surtout à l'aide de habere
joint à l'infinitif ou au participe passé du verbe donné. Par
ce" moyen on a gagné quelques temps que ne connaissait pas
la grammaire latine (le parfait antérieur, le conditionnel passé,
l'impératif passé).
6. Pour exprimer le futur on a eu recours à une périplirase :
à côté du classique cantabo, on se servait de cantandum
mihi est, remplacé par cantandum liabeo, d'oii enfin
cantare habeo. Cette formule se retrouve dans presque tous
les parlers romans (excepté le roumain et le roumanche): it.
cantero (= cantare ho), esp. cantaré (= cantar hé), port, can-
tarei (= cantar hei), prov. cantarai (== cantar ai), fr. chanterai
(=^ chanter ai). On a dit aussi, mais plus rarement, habeo
cantare d'où appu cantai dans le sarde de Cagliari, et habeo
ad cantare, d'où appo a cantare dans le sarde logodourien et
am a cînta en vieux roumain (dans la langue actuelle am sa
cânt). Pour exprimer l'imparfait du futur, on a également eu
recours à l'infinitif composé avec habebam ou habui. Can-
tare habebam se trouve dans les langues suivantes: it. can-
taria (=^ cantare avea), esp. cantaria (== cantar habîa), port.
cantaria (= cantar havia), prov. cantaria (= cantar avia), fr.
chanterais (= chanter avais). Cantare habui n'est représenté
que par lit. canterei (pour canterebbi = cantare ehhi).
Remarque. A côté des deux périphrases citées du futur, on a aussi eu
recours aux verbes velle et venire. Ainsi cantabo se rend en roumain
par voiu cântd (on dit aussi voiii sa cânt ou am sa cânt) et dans le rou-
manche de rObwald par veng kuntar ou veng a kuntar. Rappelons qu'en
France dans les provinces de l'Est et du Sud, );vouloir« est souvent em-
ploj^é vicieusement pour remplacer le futur: Le médecin déclare que le
malade veut mourir demain. 11 en est de même dans la Suisse française,
où l'on dit: // veut pleuvoir. On vent avoir de la neige. Ce rosier ne veut
pas fleurir, etc. (W. Phulhun, Parlons français. 1890. P. 9). Au moj'en âge
le futur de valoir s'employait parfois de la même manière: Au pont de
Rocheflor me vodrai adrecier (\'engeance Alixandre, v. 942). Pour l'italien,
rappelons des phrases comme: Vuol fare temporale. Vuol piovere, è vero? etc.
7. On emploie déjà en latin classique habere suivi de l'in-
iinitif d'un »verbum dicendi« (habeo dicere = habeo quod
dicam). Cicéron écrit: Hœc fera dicere habui de natnra deo-
mm. De re publica niliil habeo ad te scribere (Ad Atticum, 2,
22, 6). De Alexandrina re tantum habeo polliceri (Ad Familiares,
1, 5, 3). Selon Suétone (chap. 58), Auguste disait: »Quid habeo
aliud deos immortales precaril< Bientôt le domaine de cette cons-
truction s'élargit, elle s'applique chez Tertullien (f 230) à
toutes sortes de verbes, et nous observons en même temps une
modification du sens: habeo die ère, qui marque d'abord
une possibilité, une faculté (je peux dire), arrive aussi à mar-
quer une nécessité (je dois dire, je suis obligé de dire) et adopte
enfin le sens du futur (j'ai à diye. je dirai), qu'il finit par rem-
placer. (Un développement semblable s'observe par ex. en alle-
mand: Ich habe zii sagen, et en danois: Du har at tie stille,
Du har at gère det.) Voici quelques exemples du nouveau
futur vulgaire: Ipsos erubescere convenit, (jiios habet œterna
pœna torqiiere == torquebit (Cassiodor). Prœsta inopi qiiidquid
reddere Christiis haliet (Venantius). ^4/», inqiiit, te haïrent laudare,
alii reprchendere (Scholiastes Gronovianus à Cicéron). Hic vero
qui vomire habet (Oribasius). Ego tibi facere habeo bonitatem
qiiam voliieris (Liutprandi Leges § 138). Ego te ferire habeo
(ib.). Ego quid tibi habeo dicere super hoc quod precepit Domi-
nus (Vie de Ste Euphrosyne, § 8). Non sis tristis, domni pater,
quia Deus satisfacere tibi habet quid devinit fûia tua (ib., § 16).
Quando jusserit Dominus sic cognuscere habis quid devinit fûia
tua {ib., § 13), etc. La plupart de ces exemples sont empruntés
à l'étude pénétrante de M. Thielmann, qui cite aussi le plus
ancien exemple du conditionnel roman : Sanare te habebat Deus,
si confiteris (Migne, vol. 39, col. 2214).
8. Pour exprimer plusieurs temps du passé on a employé
une périphrase formée de ha b ère uni au participe passé:
habeo cantatum > /a/ c/ja/?/é, habebam cantatum )/«-
vais chanté, habui cantatum ) feus chanté, etc. Le point
de départ de cette construction se trouve dans des phrases
telles (|ue: Xullos habeo scriptos (Plautus, Miles gl., II, 1, 48),
Multa bona bene porta habenius (Trin., II, 2, 66). Edictum, ut
ante kalendas sextiles omnes decunias ad aquam deportatas haberent
(Cicero). Verres deorum templis belluni semper habuit indictum
(id.). Dans ces phrases ha b ère conserve sa pleine valeur de
transitif, et il y a une différence assez nette entre habeo rem
auditam et audivi rem, entre habeo scriptam episto-
8
la m et s cri psi epistolam, etc. Cependant cette différence
ne se maintient pas; dans les combinaisons signalées, h a b ère
perd peu à peu sa signification primitive et devient un simple
auxiliaire. Ce nouvel état de choses se rencontre pour la pre-
mière fois dans Grégoire de Tours (f ô94), d'oi^i nous tirons
les exemples suivants: Deliheratum habiii ut pallas altaris tene-
rem. Promissum Imbemiis niliil sine eiiis consilio agere. Promis-
sionem quam statiitam habeo non obmitto. Episcopum inuitatuni
hahes. Gallum diaconem alibi habeo destinatuni. On voit facile-
ment que dans ces phrases, où habere a abandonné sa signi-
fication propre, nous avons affaire à une construction toute
nouvelle, à une création romane. Ajoutons que l'ancienne cons-
truction classique se trouve aussi dans Grégoire: Ecclesia pa-
rietes exornatos habet. Habemus scriptum in canonibns. Dotis
quam promissam ab sponso habeo, etc. (voir M. Bonnet, Le
latin de Grégoire de Tours. Paris, 1890. P. 689).
9. On reconnaît en latin quatre conjugaisons différentes qui
forment des systèmes plus ou moins complets et réguliers:
cantare, debëre, scribere, servira. Ces quatre types se retrouvent
en français; mais, grâce à l'évolution phonétique et à l'action
analogique, ils ont subi des changements nombreux et très
profonds, de sorte que beaucoup des traits les plus caractéris-
tiques de la flexion primitive ont été effacés; il suffit de com-
parer debes, scribis avec tu dois, tu écris, cantamus, de-
bemus, scribimus, servimus avec chantons, devons, écri-
vons, servons, et veni venisti venit avec vins vins vint. Il
est par là devenu excessivement difficile d'établir en français
une division rationnelle des conjugaisons. Dans beaucoup de
grammaires pratiques on s'en tient encore à la division latine
en admettant quatre conjugaisons selon que l'infinitif se ter-
mine en -er, -oir, -re, -ir {chanter, devoir, écrire, servir). Cepen-
dant on voit aisément que ce groupement, en tant qu'il s'ap-
plique à la langue moderne, est dénué de toute valeur; il est
purement historique et ne répond plus à rien de réel: nous
avons bien en français quatre infinitifs différents, mais non
pas quatre systèmes de flexion différents. Seuls les verbes en
-er et -ir constituent des groupes relativement bien distincts;
pour les autres, il vaut mieux renoncer à tout classement
général ; ni les verbes en -re, ni ceux en -oir ne présentent un
9
système régulier de formes et de terminaisons; comp. vendre
vendant vendu, prendre prenant pris, peindre peignant peint, etc.,
et voir voyant vu vois vis, avoir ayant eu ai eus, etc. — Si dans
l'exposé suivant, nous recourons parfois à la division latine
des verbes en quatre groupes (désignés par I, II, III, IV), c'est,
pour des raisons toutes pratiques.
Remarque. On a essayé, à plusieurs reprises, d'établir un nouveau groupe-
ment des verbes français. Quelques-uns ont pris pour base l'apophonie (I,
§ 297 — 302) et ont admis des verbes forts avec renforcement de la voyelle
radicale (devoir — je dois; tenir — je tiens) et des verbes faibles sans
changement de la voyelle (porter — je porte): d'autres ont considéré comme
verbes forts ceux qui avaient, dans certains temps, des formes à radicale
accentuée (fâcere > faire, féci ) fis, fâctum ) fait), et comme verbes
faibles ceux qui avaient dans les mêmes temps des formes à finale ac-
centuée (cantâre > chanter; cantâvi > cfiantai; cantâtum > ctianté).
Quelques-uns ont surtout tenu compte de l'accentuation du parfait, en cons-
tatant qu'en vieux français l'accent y est tantôt mobile (vi, veïs, vit; § 179)
tantôt fixe (cliantai, cl\antas, clianta); d'autres enfin ont établi des conjugai-
sons »vivantes« (chanter, finir) k côté de conjugaisons »mortes« ou «ar-
chaïques» (faire, devoir). Tous ces systèmes pèchent plus ou moins à diffé-
rents égards et n'ont qu'une valeur assez problématique.
CHAPITRE II.
ACCENTUATION.
10. L'ictus latiii s'est maintenu dans les verbes, comme par
tout ailleurs (I, § 136): cantare ) chanter, habere ) avoir,
perd ère ) perdre, canto ) chant(ej, cantamus > chantons,
dormivi ) dormi(s), feci ) fis, etc. On observe pourtant un
déplacement de l'accent dans quelques cas particuliers (fu'il
faut examiner à part.
11. Pour le développement des formes proparoxytones, au
])résent de l'indicatif et du subjonctif, il faut relever les points
suivants :
1° Dans les verbes composés, dont on ne sent plus la com-
position primitive, elles gardent l'accentuation classique: col-
locat ) couche, colligo > cueil, cueille.
2** Dans les autres verbes composés, elles deviennent oxy-
tones par une sorte de recomposition: convenit ) con-
venit ) convient, allocat ) aUocat ) alloue, etc. (voir I,
§ 139,3).
8*^ Dans les verbes non composés, elles disparaissent, rem-
placées par des formes analogiques refaites sur l'infinitif.
Ainsi, à côté de estudiier, graciier, saciier, justifder, on trouve
estudie(t), gracîe(t), sacie(t), justifie(t) ; aucune trace de estûdiet,
gràciet, sâciet, justifiet (comp. en italien: stiidia, grâzia, sâzia,
giustîfica).
12. Au pluriel du présent de l'indicatif de III, la 1'^ et la
2'" personne présentent en latin classique des formes fortes avec
I
11
accentuation de la voyelle du thème: scribimus scribïtis,
credïmus credïtis, etc. Dans le parler vulgaire, l'analogie
des autres conjugaisons a fini par faire disparaître ces formes,
qui se sont conformées au type de debëmus, debëtis, d'où
*scribëmus, *scribëtis, *credêmus, *credêtis (cf.§55,4).
Ce déplacement de l'accent n'a eu lieu que relativement tard,
et dans la vieille langue subsistent encore quelques restes de
l'ancienne accentuation: dicimus ) dîmes, dicïtis ) dites,
facïmus ) faunes, facïtis ) faites. De ces formes la langue
moderne a conservé dites et faites.
m
13. Pour le parfait il faut noter les points suivants:
P Da^îs I, l'accent est reculé à la 2<^ pers. du sing. et du plur.,
de sorte que dans toutes les formes l'ictus frappe la voyelle
a. Ainsi cantavisti et cantavistis ont été remplacés par
cantasti et cantastis, d'où chantas et chantastes.
2" Dans II, les formes fortes en -ui deviennent faibles par un
changement d'accent curieux: valui ) valui, etc. (comp.
§ 174,2).
3*^ Dans III, la 1'" pers. du plur. s'est réglée sur la 2^, et
l'ictus quitte l'antépénultième pour la pénultième. Ainsi, sous
l'influence de vidistis, le classique vidimus devient vidi-
m u s, d'où veïmeSi nimes et, par une nouvelle analogie de la
2e pers., vîmes; comp. conduxïmus > conduximus, d'où
conduisîmes, etc.
4® Dans IV, la différence d'accentuation a été effacée par l'a-
muïssement du u: dormivi > dormii, dormi; dormivi-
sti ) dormiisti, dormisti, etc.
ô^ A la 3*' pers. du plur. de toutes les conjugaisons -érunt
a été abrégé en -ërunt, forme qu'on trouve déjà dans les
poètes classiques, et l'ictus a ainsi été reporté sur l'anté-
.pénultième: cantaverunt > cantaverunt > cantarunt,
d'où chantèrent ; v a 1 u e r u n t ) v a 1 u (e) r u n t, d'où valurent;
fecerunt ) fecerunt, d'où firent.
Remarque. Ce développement e.st propre à toutes les langues romanes.
Ivhispano-roman seul paraît faire exception, mais les quelques formes qui
12
semblent prouver la conservation de l'accentuation classique, telles que hicie-
ron, dijeron, pusieron, etc., sont refaites; on a dit d'abord hizon, dijon, pu-
zon, etc. (comp. § 179,2).
14. Pour l'infinitif, il faut citer battuere et consuere,
qui, sous l'influence du présent battuo et consuo, sont
devenus battuere (fr, battre; prov. Imtre; port, bâter; it. bat-
tere; roum. bateré) et consuere (fr. coudre: roum. cosere);
comp. I, § 187, Rem.
CHAPITRE III.
LE RADICAL.
A. LES VOYELLES.
15. Dans les différentes formes verbales, l'ictus latin ne re-
pose pas toujours sur la même syllabe; on dit cantat, can-
tant, mais cantamus, cantatis, etc.; on dit dixi, dixit,
mais dixisti, dixistis, etc. Ce déplacement de l'accent in-
flue très souvent sur le sort des voyelles (voir I, § 297). Si
nous prenons comme exemples le présent de parabolare
(par au lare) et celui de pi or are, nous voyons que la voyelle
tonique de:
parabolo (paraulo) ploro
para bol a s (par au la s) ploras
parabolat (paraulat) plorat
parabolant (paraulant) plorant,
devient atone dans:
parabolamus (paraulamus) ploramus
parabolatis (paraulatis) ploratis,
d'où il résulte que ces voyelles subiront un développement dif-
férent. En vieux français on avait d'un côté:
paroi
pleur
paroles
pleures
•
parole(t)
pleur e(t)
parolent
pleurent,
et de l'autre:
parlons
plorons
parlez
plorez
14
Donc, le radical d'un verbe peut, dans certaines formes, tantôt
se prolonger d'une voyelle {pari- et paroi-), tantôt changer de
voyelle ou de diphthongue (plor- et pleur-).
I. ADDITION DE VOYELLE.
16. Commençons par donner quelques exemples de la flexion
à addition de voyelle dans la vieille langue. Nous citerons le
présent de parler (para bol are), mangier (manducare), ar-
raisnier (* ad ration are), disner (*dis[je]junare) :
paroi
manjii
paroles
manjues
parole
manjiie
parlons
manjons
parlez
mangiez
arraisone
(lesjune
arraisones
desjunes
arraisone
desjiine
arraisnons
disnons
ar rais niez
disniez
arraisonent
desiunen
paroleni manjuent
Des formes à radical prolongé s'emploient jusque dans le
XV^ siècle: Adonc boivent et menguent à la table (Mystère de
St. Laurent, p, p. W. Sôderhjelm, p. 144).
Une pareille flexion a dû s'employer primitivement dans tous
les verbes d'origine latine dont le radical comportait au moins
deux syllabes. Outre les formes citées, nous trouvons en effet
pour a/f//>r (adj utare): ajn — aidons; pour empaistrier (*im-
pastoriare): empastnre — empaistrons (Vu de la première
forme est dû à une influence de pasture). Mais l'analogie a de
très bonne heure effacé la diversité du radical de empeirier
(*i mpej orare) et de beaucoup d'autres verbes; au présent
on ne trouve que empeire et nulle trace de '-^empeiore. Il en est
de même des dérivés verbaux français, tels que aventurer, me-
surer, etc.
17. L'analogie continue au moyen âge son œuvre d'aplanisse-
ment, et les derniers restes de notre flexion disparaissent vers
la fin du XV'' siècle. Comme la forme pleine du singuHer et
de la 3« pers. du pluriel fait disparate avec toutes les autres
formes du verbe, elle succombe volontiers, à cause de son in-
fériorité numérique, devant la forme brève, mais il y a aussi
I
15
des exemples d'un développement en sens inverse. Voici quelques
détails :
1" Une généralisation de la forme brève du radical a eu
lieu dans - az(//er (aider), empaistrier (empêtrer), mangier (man-
ger), parler, dont les formes prolongées ajii, empastiire, manjii,
paroi ont été remplacées par les nouvelles formations aide, em-
pêtre, mange, parle.
Remarque. Un développement invense a sporadiquement eu lieu dans
parler; on trouve au XV^ siècle des exemples d'un infinitif paroler, etc.
Rappelons aussi que le patois normand a généralisé les formes prolongées
de empaistrier et quil dit. à rencontre de la langue littéraire, empaturer, etc.
2" Une généralisation de la forme prolongée a eu lieu dans
arraisnier, devenu arraisonner sans doute sous l'influence du
substantif raison; rappelons aussi que raisnable a disparu de-
vant raisonnable.
Remarque. La vieille langue offre sporadiquement des exemples d'une
généralisation de la forme brève : arraisne, arraisnes, etc. ; elle n'a pas eu de
succès dans la langue littéraire, mais elle se retrouve dans plusieurs patois
modernes.
3^ Notons enlin que dans disner l'analogie a agi dans les
deux sens et créé deux verbes nouveaux, grâce à la générali-
sation simultanée du radical court et du radical allongé : ainsi,
à côté de disner, dont on a refait le présent sur le radical
disn-, on a formé desjnner, déjeuner en tirant tout un nouveau
verbe du radical desjnn-.
18. Comme les causes qui ont amené en vieux français la
flexion à addition de voyelle subsistent toujours — mutatis
mntandis — , nous retrouvons sporadiquement le même système
de conjugaison dans les périodes postérieures de la langue.
Vers la fin du moyen âge, la pénultième de courroucer et ar-
rêter s'est amuie (cf. I, § 295), d'où les formes courcer, cour-
çons, courcez, arter, etc. Exemples: Vous vous courchies (Adam
de la Halle, Robin et Marion, v. 545). Car ce monseigneur se
coursait (Greban, Passion, v. 23774). Je suis courcée (Myst. du
V. Testament, v. 5582). Vrays amouituLv qui en sont tant cour-
cez (Paris, Chansons du XV*' siècle, p. 46). Plus je nartoij et
m'en fouy (ib. p. 114). A cela ne vous fault arter (Ane. th. fr.,
I, 214). Allez, mon filz, et n'artez guière (Gringoire, II, 293).
16
On a donc dû conjuguer au présent;
je courrouce
tu courrouces
il courrouce
nous courçons
vous courcez
ils courroucent
j'arrête
tu arrêtes
il arrête
nous artons
vous artez
ils arrêtent
Mais l'analogie ne tarde pas à se faire sentir et produit de
nouvelles formes tendant à effacer la différence entre le singu-
lier et le pluriel. Exemples : Et le vilain se cource (Paris, Chan-
sons du XV*^ siècle, p. 117). Qui se course si se déchausse (Ane.
th. fr., II, 319). Les formes abrégées n'ont pas survécu à la Re-
naissance.
19. Pour les périodes modernes, c'est Ye féminin qui est en
jeu et qui produit, dans les verbes dont le radical contient au
moins deux syllabes, une flexion à addition de voyelle. Bien
que conservée par l'orthographe, la pénultième ne se prononce
pas dans acheter, cacheter, becqueter, fureter, décolleter, appeler,
niveler, soulever et tous les verbes du même type. On dit ach'-
ter, ach'tant, ach'té, ach'tons, ach'tais, etc. ; mais devant une
syllabe contenant un e féminin final ou intérieur, Ve féminin
du radical se change en un è ouvert: achète, achètes, achètent,
achèterai, etc. Voici les formes du présent et du futur des
verbes appeler, modeler, cacheter, acheter, soulever:
appelle
modèle
cachette
achète
soulève
appelles
modèles
cachettes
achètes
soulèves
appelle
modèle
cachette
achète
soulève
ap'lons
mod'lons
cach'tons
ach'tons
soul'vons
ap'lez
mod'lez
cach'tez
ach'tez
souVvez
appellent
modèlent
cachètent
achètent
soulèvent
appellerai
modèlerai
cachetterai
achèterai
soulèverai
Donc, le radical de ces verbes présente deux formes dif-
férentes, une forme brève: [api], [modlj, [kajt], [ajt], [sulv], et
une forme allongée d'un è ouvert: [apel], [model], [kaj6t], [a Jet],
isulev], Comp. § 116,5.
17
20. Dans le parler populaire l'analogie s'est constamment
efforcée de faire disparaître ces variations du radical, en géné-
ralisant la forme brève. Cette généralisation a été signalée au
XVIir' siècle par Mauvillon (1754), comme »une mauvaise
prononciation de beaucoup de Français et ordinaire aux
étrangers* ; il ajoute: »Ils disent f acheté, fépoussete, f empaqueta,
il empaqueté, ils dépaquetent, en prononçant l'e de la pénultième
muet, comme s'il y avoit fachte, j'épousste, fempacte ... au lieu
qu'il faut 4?crire et prononcer j'achète, fépoussete, il empaqueté
. . . parce que deux e muets ne se peuvent jamais rencontrer
de suite*. Domergue (Thurot, I, 157) est indigné d'entendre:
Je cachte ma lettre, // furte partout, » comme bien des gens
disent à Paris*. Littré aussi proteste énergiquement contre
cacte (pour caquette), carie (pour carrelle), cachte (pour ca-
chette), décachte (pour décachette), décolte (pour décollette), épouste
(pour époussette), empacte (pour empaquette), furte (pour furète),
etc., qu'il qualifie de » mauvaises formes «.
Remarque. Des formations analogiques en sens inverse existent aussi, mais
elles paraissent très rares. Dans la «Lanterne de Boquillon« nous avons
trouvé la forme burlesque je respequette (pour je respecte), tiré de respecter
comme je becquette de becqueter, j'empaquète d'empaqueter. C'est probablement
une création purement artificielle.
21. Malgré les vives protestations de Littré et de beaucoup
d'autres grammairiens, plusieurs des formes étymologiques et
correctes paraissent maintenant bien mortes. Tout le monde
dira: une femme qui se décolte; décolleté serait pédant. Citons
à ce propos une petite observation de M. E. Deschanel: »Les
femmes, sans s'occuper de l'orthographe, ont établi certaines
prononciations à elles, qu'elles ont imposées à tout le monde,
dans les choses de leur domaine; elles disent: .... Comme
madame X. se décolte! pour se décolleté. Elle jarte au-dessous,
pour elle jarrette. Elle épouste pour elle époussette<.< (Les déforma-
tions de la langue française, p. 79). La dernière forme se trouve
aussi dans les auteurs: Il épouste parfois aussi mon justau-
corps (Legrand, La famille extravagante, se. 11). Comp.: Oui-dà,
très volontiers, je l'épousterai bien (Molière, L'Étourdi, IV, 5).
Je les epousteray et etrilleray (Ane. th. fr., IX, 44). Dans l'ar-
got de Paris on dit: Tu me détectes (du verbe débecqueter)
pour: Tu me dégoûtes (Rossignol, Dictionnaire d'argot, p. 34).
2
18
lî. CHANGEMENT DE VOYELLE.
22. Le changement de voyelle dit apophonie (I, § 297 ss.)
jouait un rôle important dans la vieille langue à laquelle son
balancement harmonieux des syllabes accentuées et inaccen-
tuées prêtait une beauté phonétique toute particulière. La
langue moderne n'a conservé que des traces isolées de ce
phénomène, disparu dans la plupart des cas devant l'action
destructive de l'analogie. Voici quelques détails sur l'aplanisse-
ment des formes.
P Le plus souvent c'est la voyelle atone qui a été géné-
ralisée, aux dépens de la tonique; ainsi treuve a disparu sous
l'influence de trouvons, trouvez, trouver, trouvant, trouvais, etc.,
et a été remplacé par la nouvelle formation trouve. Le même
développement a eu lieu dans jouer, nouer, prouver, courir,
nourrir, ouvrir, coudre, moudre, etc., etc.
2*^ Dans quelques cas on constate un développement en
sens inverse, de sorte que la voyelle (ou diphtongue) accen-
tuée l'emporte. C'est ainsi que l'ai des formes aim(e) aimes
aime aiment a été généralisé aux dépens de l'a inaccentué,
d'où aimer, aimant, aimé, etc., pour amer, amant, amé, etc. Le
même développement a eu lieu dans un petit nombre d'autres
verbes tels que demorer, plorer, plovoir, noyer, proijer, appoyer,
etc., devenus demeurer, pleurer, pleuvoir, nier, prier, appuyer, etc.
3" Parfois le développement analogique amène la formation
de doublets. Il se peut qu'on conserve l'ancienne forme éty-
mologique à côté de la nouvelle, et en ce cas, on attribue or-
dinairement un emploi différent aux deux formes. La première
édition du Dictionnaire de l'Académie donne épleuré et éploré
et explique: »Le premier se dit plus ordinairement dans le
style familier, et l'autre est plus en usage dans le style sou-
tenu*. Comp. encore aman/ conservé, comme substantif, à côté
de aimant, et amé conservé sous l'ancien régime dans la for-
mule »Nos amés et féaux sujets «. Sur l'origine de jo/ier, doublet
de ployer, voir § 28.
23. Il ne faut pas oublier qu'on n'est arrivé à fixer les
formes modernes qu'après beaucoup d'hésitations, et qu'on
trouve dans les auteurs d'autrefois des exemples d'analogies
absolument contraires à celles qui l'ont emporté. Aussi les
19
patois modernes montrent souvent un développement tout dif-
férent de celui qui a eu lieu dans la langue littéraire. Voie
quelques exemples:
1*^ Dans trouer et joer on a parfois généralisé la voyelle
tonique, d'où treuver et jeiier. On trouve par ex. dans Froissart
jeiier (Méliador, v. 276), jeiwit (ib., v. 27931), jeiue (ib., v. 10619),
et dans Mairet treiwer (Sophonisbe, v. 34), treiwoil (ib., v. 281),
etc. Le patois actuel du Berry dit treiwer.
2^ Dans d'autres verbes c'est la voyelle atone qui a été
généralisée à rencontre du développement ordinaire, d'où des
formes de présent telles que ame, demoure, voulent, poiwent,
etc. qu'on trouve p. ex. dans les «Quinze joies du mariage«.
3" Ajoutons que les quelques verbes qui ont conservé l'apo-
phonie dans la langue littéraire n'ont pas échappé aux ten-
dances vers l'uniformité. Si l'on dit maintenant comme au
moyen âge acquérir, acquiers, acquérons, acquière, etc., et mourir,
meurt, mourons, meure, etc., on trouve d'un côté acquere, conquere,
mourent, et d'un autre acquierons, acquierez, quierrai, meurrai,
meurrons, etc. Dans plusieurs patois on dit nous boivons, je
hoivais, etc. en finissant ainsi l'aplanissement à moitié accom-
pli dans la langue littéraire (je boirai; § 210, i); à Blois on dit
je voux — nous voulons, etc.
4** L'action troublante de l'analogie est encore vivante dans
le langage enfantin où on peut entendre nous boivons à cause
de je bois et je vont à cause de nous voulons.
24. A — AL Cette apophonie se trouvait dans amer, clamer,
tramer, planer, saner, manoir. On conjuguait au moyen âge:
aim aimes aime amons amez aiment, etc. L'analogie a agi au
profit de la voyelle tonique dans amer, devenu aimer (comp.
aimable, autrefois amable), et au profit de l'atone dans ceux
des autres verbes qui se sont conservés, d'où réclame, trame,
plane, pour réclaime, traime, plaine.
25. A — E. Cette apophonie se trouvait dans arer, baer, em-
braser, entraver, laver, navrer, parer (comparer); — paroir, savoir ;
— rere; — guarir, haïr. On disait ainsi au moyen âge: lef levés
levé lavons lavez lèvent, re rez ret raons raez reent, etc., etc.
Cette apophonie a disparu, et c'est la voyelle atone qui a été
généralisée, d'où les formes nouvelles embrase, entrave, lave,
2*
20
pare, savent, etc. ; pourtant, la voyelle tonique l'a emporté dans
héer (comp. le doublet bayer). Une dernière trace de l'ancien
changement de voyelle a été conservée dans appert — apparoir.
Rappelons aussi je sais — nous savons, je hais — nons haïssons
qui seront expliqués plus loin (§ 124 et § 126,i).
Remarque 1. Le changement d'à en e aurait dû se trouver aussi dans
valoir, dont la flexion étymologique au prés, de l'ind. serait vail vels velt
valons valez vêlent. On ne trouve que vail vais valt valons valez valent, ce
qui nous montre que l'a a été généralisé à une époque préliltérairc.
Remarque 2. Un changement particulier d'à en ie se trouve dans chaleir,
chalons — chielt (cal et); ici l'a se généralise, et chielt est remplacé par
chalt (chant), surtout, probablement, sous l'influence de chaille (cale a m)
et de l'adjectif chalt (calidum); ce sont peut-être ces mêmes mots qui ont
amené chaleir, chalons pour ^cheleir, "chelons (comp. I, § 194).
26. E— El, 01. Cette apophonie se trouve dans:
P Des verbes appartenant à I: abevrer, adeser, alener, areer,
celer, correer, edrer, ejfreer, enfrener, espérer, moneer, mener, pe-
ner, peser, pevrer, preer, sevrer, teser, etc. On disait au moyen
âge: ceîl, çoil — celons; espeir, espoir — espérons; seivre, soivre
— sevrons; mein (moin) — menons, etc., etc. Cette apophonie,
dont on trouve une trace encore à la fin du XVIe siècle dans
les tragédies de Garnier: Je ne les poise point (Juïves, v. 1169),
a disparu, de telle sorte que oi a été remplacé par un è ou-
vert: cèle celons, espère espérons, mène menons, sèvre sevrons, etc.
E a disparu de abevrer, devenu abrever (I, § 517, i), encore dans
Oudin (1655), puis abreuver; de poivrer et toiser, où oi a été
généralisé sous l'influence de poivre et toise, et enfin des verbes
en -eer qui finissent maintenant en -oyer ou -ayer (cf. I, § 159):
correer ) corroyer, effreer ) effrayer, moneer ) monnayer sous
l'influence des formes étymologiques correi, effrei, monei.
2" Des verbes appartenant à II: devoir, veoir et tous ceux
en -cevoir (concevoir, recevoir, etc.). L'apophonie a été con-
servée dans ce groupe de verbes (excepté voir) jusqu'à nos
jours: je dois nous devons, je reçois nous recevons. Dans voir la
diphtongue a été généralisée: je vois nous voyons, pour veons,
etc.; sur verrai et voirai, voir § 208,5.
3° Des verbes appartenant à III : boire, croire. On disait au
moyen âge : beis, bois — bevons, creis, crois — créons. Dans le pre-
mier de ces verbes, l'e inaccentué a été remplacé par u: bu-
21
vons, buvant, buvais; dans le deuxième, oi a été généralisé:
croyons, croyez, croirai, etc. ; l'ancien part, présent créant se
retrouve dans mécréant (comp. aussi créance, à côté de croyance,
et vfr. creable, remplacé par croyable).
27. E — lE. Cette apophonie se trouvait dans:
1° Des verbes appartenant à I: abregier, assegier, crever, de-
pecier, engregier, geler, grever, jeter, lever, veer (vetare), etc.
On disait au moyen âge lief — levons, grief — grevons, etc.
Cette apophonie a disparu, et la diphtongue a été remplacée
par un e ouvert: lève levons, grève 'grevons, etc. (la diphtongue
se retrouve dans les substantifs verbaux liève et relief). Assié-
ger, dépiécer, rapiécer ont subi l'influence des substantifs cor-
respondants.
2^ Des verbes appartenant à II: cheoir, seoir. On disait au
moyen âge chiet — cheons, siet — seons. Chiet, plus tard chet,
a été remplacé par choit (§ 119, i); sur siet, voir § 119,4.
3^ Des verbes appartenant à IV : ferir, frémir, gémir, merir,
périr, quérir, tenir, venir. Cette apophonie a été conservée dans
les trois derniers verbes: acquiers — acquérons, tiens — tenons,
viens — venons.
Remarque. Dans quelques-uns des verbes cités il y avait un troisième
changement de voyelle au présent du subjonctif, qui présentait régulièrement
un /; feriam > fire, meream > mire, peream > pire (comp. I, § 197);
comp. la formule consacrée: Diex vos le mire. L'z étymologique cède la place
à un ie analogique.
28. El, 01 — I. Cette apophonie, qui se distingue des autres
par la présence de la diphtongue à la syllabe atone et de la
voyelle simple à la syllabe accentuée (comp. I, § 197 — 198),
se trouvait dans :
P Des verbes appartenant à I: empeirier, neiier (nëcare),
neiier (n égare), preiier (*prëcare), preisier (prëtiare), seiier
(sëcare). On disait au moyen âge: pri — prêtons, proions;
ni — neions, notons; si — seions, soions, etc.; pourtant, l'ana-
logie est venue de bonne heure troubler cet état de choses, de
sorte qu'on a dit indistinctement pri — prions (pour prêtons)
et prêt (pour pri) — prêtons. La diphtongue atone a été géné-
ralisée dans noyer (nëcare); dans les autres verbes c'est la
voyelle tonique qui l'a emporté: nier, prier, priser, scier. Pour
22
ce dernier verbe, Richelet (1680) remarque: »Quelques labou
reurs d'autour de Paris disent soier, mais les honnêtes gens
qui parlent bien disent et écrivent sier <. Rappelons aussi qu'on
trouve encore dans les patois nier pour noyer: »Je lui ai dit:
Ma mie prenez garde de vous nier, Car si vous vous niez,
nous n'irons plus jouer« (Rolland, Recueil de chansons popu-
laires, I, 210).
Remarque. Notons pour la vieille langue à côté de la flexion de preiier
(*prècare), celle de pleiier (plïcare) et de chastiier (castîgare):
pri plei chasti
prêtons ■ pleions chastions
prêtiez pleitcz chastttez
Entre ces trois tj'pes il y a eu des croisements continuels: pri — prions,
prêt — prions, prêt — prêtons, plei — plions, etc. Dans certains cas la
flexion analogique a supplanté la flexion étymologique; on dit maintenant
lier pour loyer (lïgare), et à côté de la forme correcte ployer (plïcare)
on a le doul)let analogique plier (comp. reployer — replier, reploiement —
repliement). Rappelons aussi manier pour manoyer, et charrier, doublet de
charroyer.
2^ Des verbes appartenant à III et à IV: eissir (ex ire),
iistre (tëxere). On conjuguait is is ist eissons eissiez issent, et
de même fis, etc.
29. O (OU) — EU. Cette apophonie se trouvait dans:
1" Quelques verbes appartenant à I: avoer, coler, demorer,
dévorer, esposer, honorer, laborer, noer, plorer, sauorer, voer. On
conjuguait au moyen âge aveu — avoons, demeur — demorons,
neu — noons, pleur — plorons, etc. Ce changement de voyelle
a été abandonné après le moyen âge. Ordinairement la voyelle
inaccentuée a été généralisée: j'avoue, j'épouse, je noue, etc. Le
contraire a eu lieu dans demeurer et pleurer (influence de
demeure'et pleurs). Citons comme les dernières traces de notre
apophonie le substantif verbal aveu et le proverbe : En peu
d'heures Dieu labeiire.
2^ Courir et nourrir; dans ces deux verbes, ou l'a égale-
ment emporté sur eu, et keur et neur ont disparu devant
cours et nourris. On trouve queure et sequeure (surtout dans la
formule : Dieu nous sequeure) encore au XV*^ siècle (Mystère de
St. Laurent, v. 1385, 2012, 3879; Greban, Myst. de la Passion,
V. 2002; Villon, Gr. T., n» 49).
23
30. O (OU) — UE. Cette apophonie se trouvait dans:
1" Des verbes appartenant à I : bogler, joer, loer, ovrer (man-
ovrer), prover, rover (rôgare), trouer. On disait au moyen âge :
buegle — boglons, pruef — provons, etc. La voyelle inaccentuée
l'a emporté presque partout, et jue, lue, navre, pruef, truef ont
été remplacés par joue, loue, ouvre, prouve (cf. le subst. preuve),
trouve. Un développement en sens inverse a eu lieu dans
beugler grâce à des raisons d'onomatopée.
2" Des verbes appartenant à II: doloir, estovoir, movoir, plo-
voir, povoir, soloir, voloir. L'apophonie à été conservée dans je
meus — nous mouvons, je peux — nous pouvons, je veux —
nous voulons. La diphtongue tonique a été généralisée dans
pleuvoir grâce à l'emploi presque exclusif de la forme du
singulier du présent (// pleut). Quant aux autres verbes, esto-
voir disparaît déjà au moyen âge, tandis que douloir et sou-
loir vivent jusque dans le XVIP siècle; on conjuguait ye deuls
(ou deuil) — nous douions, je seuls — nous soûlons.
3® Le verbe moudre (m ô 1ère), dont le présent se conjuguait
muel muels muelt molons molez muelent. La langue littéraire a
généralisé ou (je mouds, etc.), quelques patois au contraire ont
généralisé eu; on dit en picard meus meus meut menions men-
iez meultent. La tendance à faire triompher eu se manifeste
déjà au moyen âge (où l'on trouve aussi meulin pour moulin
et meunier qui finit par remplacer mouniçr), et elle a failli
s'imposer à la langue littéraire pour le composé émoudre. Ri-
chelet remarque: «Plusieurs couteliers de Paris disent émeudre
pour émoudre, quoiqu'ils disent un raisoir émoulu : mais d'autres
se servent d'émoudre et condamnent émeudre. On croit que
ceux-ci ont raison et qu'il faut dire émoudre avec tous les
honnêtes gens et non pas émeudre.«
4" Quelques verbes appartenant à IV: courir, morir, ovrir,
sofrir. L'apophonie n'a été conservée que dans je meurs —
nous mourons; dans les autres verbes, ou a été généralisé, et
je couvre, j'ouvre, je souffre ont remplacé cuevre, uevre, suefre.
Dans le Mystère de la Passion de Greban on trouve indistincte-
ment je seuffre (v. 14L3) et je souffre (v. 3799).
31. 01 — UI. Cette apophonie se trouvait dans quelques verbes
qui présentaient un 6 suivi d'une palatale. On conjuguait au
moyen âge apui — apoyons, enui — enoyons. C'est ni qui a
/
24
été généralisé : appuie — appuyons, ennuie — ennuyons, grâce
à l'influence des substantifs appui et ennui. Citons aussi cuire
et nuire, où ui n'appartient de droit qu'aux syllabes accen-
tuées: coquere ) cuire, no cet ) nuit, etc.; c'est par une
analogie prélittéraire que ui a été introduit dans les syllabes
atones: nocentem aurait dû donner noisant, on ne trouve
que nuisant.
Remarque. Ajoutons ici une observation sur le verbe suivre, qui présente
également la généralisation de la diphtongue ui. On avait primitivement au
prés, de l'ind. : siu sius siut sevons sevez siuent; puis, par une métathèse ré-
gulière, iu devient ui (I, § 518, 4), d'oîi sui suis suit sui(v)ent, et peu à peu
le UI de ces formes se généralise: *sequere ) sivre > suivre; *sequam >
sive ) suive; sequentem > sevant (ou sivant, sur sivre) > suivant; *se-
quebam > seveie (ou siveie) > suivoie; sevons (ou sivons) ) suivons, etc.
B. LES CONSONNES.
32. La consonne finale du radical ne se trouvant pas tou-
jours dans les mêmes conditions phonétiques, peut, selon le
cas, changer de forme ou disparaître. Voyez par exemple ce
que deviennent /, b, c dans les formes suivantes: val ère >
valoir, valentem > valant, valeo > vail, valeam > vaille;
scribentem ) escrivant, scribo > escrif, scribit > escrit;
dicentem > disant, dicunt > dient, dicam ) die; ainsi /se
maintient ou se mouille, h devient v, f ou s'amuït, c devient
s [z] ou s'amuït. Donc, le thème est exposé à des variations
constantes de la consonne finale; pour les verbes cités il y a
hésitation entre val- et vail-, escriv, escrif- et escri-, dis- et di-.
D'autres verbes ont présenté primitivement des divergences
encore plus grandes, mais, le plus souvent, elles ont été
écartées, plus ou moins complètement par l'analogie, dont
nous pouvons suivre l'œuvre d'aplanissement depuis les temps
prélittéraires jusqu'à nos jours: manju pour ■ mandu < man-
duco (§ 40, 1) est dû au même besoin d'uniformité qui fait
dire moude (§ 38,2) pour moule < molam.
Remarque. La question du [j] qui se développe dans des formes telles
que dormi en tem, dormi o, dormiunt, dormiam, etc., valeo, valeam,
etc. (comp. scribentem, scribo, scribunt, scribam) est très compli-
quée et sera traitée en détail quand nous examinerons les différentes formes
25
où il se trouve: participe présent (§ 82,3), présent de l'indicatif (§ 120 ss.),
présent du subjonctif (§ 142 ss.). Sur -iebam, voir § 156.
33. B. — Cette consonne s'est développée entre m et r (I,
§ 497,2) dans tremere ) criembre et redimere ) raembre;
elle se trouve aussi au futur et au conditionnel, et, de ces
formes, elle a pénétré abusivement dans d'autres, où elle n'a
aucune raison étymologique; on trouve ainsi dans Joinville:
Raimbez-noiis (§ 643). Pourtant ces formes sont rares. Le b
analogique s'est aussi introduit dans le substantif criembor,
doublet de cremor.
34. C [k]. — Cette consonne a été généralisée dans vaincre,
sous l'influence de l'infinitif, du futur et du participe passé,
(^ette analogie est prélittéraire: on ne trouve que vainquant,
vainquais, vainque; il n'y a aucune trace de vençant « vin-
centem), vençoit « vincebat), venche (< vincam).
Remarque. C [k] a disparu au profit de ch dans les verbes en -care;
voir § 35.
35. CH. — Dans les verbes en -cher (vfr. -chier), ch a été
introduit par voie d'analogie au présent de l'ind. (lie pers.) et
au prés, du subj. Ainsi, tandis que nous constatons un dé-
veloppement régulier de c(a) dans collocare ) coucher, col-
locantem ) couchant, collocabam > couchais, collocat >
couche, la présence du phonème ch est due à l'analogie dans
couche (colloco, collocem), couches (colloces), couche
(coUocet), etc. La même remarque s'applique à chercher,
chevaucher, joncher, etc. ; dans charger, venger, etc. la chuin-
tante sourde est remplacée par une sonore. On trouve dans
la vieille langue quelques rares traces de formes non assimi-
lées; citons culzt et chevalzt (Roland, v. 2682, 2109) qui re-
montent directement à coUo cet et caballicet. Comp. curruzt
(Psautier de Cambridge) de corruptiet.
36. D. — Les questions qui se rattachent à cette consonne
sont assez compliquées et parfois difficiles à expliquer; nous
nous contenterons d'en indiquer les principales et nous abor-
derons d'abord les divers cas où un d s'est propagé par voie
d'analogie hors de son domaine étymologique. D se développe
26
régulièrement dans les groupes rgr, ngr (l, § 431), nr, Ir, zr
(I, § 498); il doit donc se trouver à l'infinitif et au futur des
verbes qui présentent ces combinaisons de consonnes, comme
par ex.: espardre (spargere), sourdre (surgere), terdre (ter-
gere), ceindre (c in gère), joindre (j un gère), pondre (ponere),
moudre (molere), soudre (sol v ère), coudre (c on su ère), etc.
Dans quelques-uns de ces verbes, le c? a été généralisé; dans
d'autres il a subi un développement différent.
Remarque. Une généralisation orthographique du rf a eu lieu au pré-
sent de l'indicatif d'un certain nombre de verbes (comp. § 38). Ainsi les
vieilles formes respont responz respont ont été remplacées par je répons (en-
core dans Racine, Androniaquc, v. 592), plus tard réponds, tu réponds, il ré-
pond. Pour plus de détails, voir i? 53, Rem.
37. Le d a été généralisé dans les verbes pondre, sourdre,
tordre.
P Pondre. Les formes étymologiques ponant, ponons, ponais,
pone, ponu, ponis, ponisse ont été remplacées, au XVI® siècle,
par pondant, pondais, pondu, etc. Palsgrave (1530) ne connaît
pas encore les formes analogiques. Meigret (1542) remarque:
»Les uns dizet ponons, -es, -et, les aotres dizet pondons, -es,
-et.« La même hésitation se trouve encore au XVII*' siècle. On
lit dans Oudin (1633): »Nostre vulgaire dit ponnons, ponnez et
ponnent au plurier. Dise qui voudra pondons. Indef. pondu et
ponnu, imp. ponde et ponne«.
2^ Sourdre. A côté de sourdre et de sourdra, on avait sour-
jant (surgentem), sourjoit (surgebat), sourgent (surgunt),
etc. Les formes analogiques sourdant, sourdoit, sourdent, etc. se
montrent de très bonne heure et supplantent vite les autres.
Remauque. La même alternance entre d et j se trouvait dans d'autres
verbes dont l'infinitif se terminait en latin par -rgere, tels que spargere >
espardre, t erg ère > terdre, et elle a été introduite par voie d'analogie dans
quelques verbes dont le d est étymologique, tels que ardre, mordre, tordre.
Ex.: Tergant ses iols (Escoufle, v. 6333). Si li argoit sa tere (Auc. et Nie. 2,
1. 6). Selon M. A. Tobler, l'interjection moderne nargue (d'où narguer) est
pour n'argue et doit s'expliquer comme un composé figé de ne et argue,
prés, du subj. analogique de ardre.
3^ Tordre. Dans ce verbe le d de l'infinitif est analogique;
la forme primitive est tortre (comp. I, § 412, s). La dentale
s'est généralisée dans une période prélittéraire; un imparfait
27
comme torcoit (torquoii), qui serait le résultat direct de tor-
que bat, n'existe nulle part.
38. Dans quelques verbes les formes étymologiques sans d
se retrouvent intactes dans la langue littéraire actuelle. Ainsi,
à côté de coudre, moudre, résoudre, on emploie cousant, cousu,
cousais, cousis, etc., moulant, moulu, moulais, moule, etc., ré-
solvant, résolu, résolvais, etc. On peut tout au plus signaler une
influence orthographique au singulier du prés, de l'ind.: le d
de je couds tu couds il coud, je mouds tu mouds il moud n'est
pas étymologique. Si, au contraire, on examine les périodes
antérieures ou les patois, on constate une forte tendance à
généraliser le d.
1° Coudre. Au centre, le Cte de Jaubert a noté les formes
coudant, coudons, coudu (Glossaire, I, 286). Comp. : Ageace,
ageace Ton cul coudu (L. Pineau, Folklore du Poitou, p. 475).
2^^ Moudre. Au centre, le Cte de Jaubert signale moudu pour
moulu (et moudure pour mouture). Selon Agnel on conjugue
dans le langage rustique des environs de Paris: j'mou, f mou-
don, vous moudez, ils mondent. Les mêmes formes se retrouvent
en Belgique, où les puristes mettent en garde contre une phrase
comme : // faut que vous mondiez le poivre. Ajoutons qu'un
grammairien français, M. Aubertin, indique par inadvertance
que je monde pour que je moule.
3*^ Soudre (et les composés absoudre, dissoudre, résoudre).
Le d accessoire qui ne s'emploie qu'à l'infinitif et au futur,
avait autrefois pénétré dans d'autres formes ; ainsi Calvin écrit :
ils absoudent, ils dissoudent, et Pierre Ramus demande qu'on
conjugue: je soulds, nous souldons (Livet, p. 227); Robert
Estienne au contraire admet nous solvons à côté de nous soul-
dons. On trouve encore dans les poésies de Régnier: je me ré-
soudois (Sat. XV). A propos du verbe résoudre Vaugelas a fait
l'observation suivante: »Ce verbe ne garde le d qu'au futur
de l'indicatif, où l'on dit aux trois personnes, et aux deux
nombres resoudray, résoudras, résoudra, résoudrons, etc. Mais
au présent, à l'imparfait, et aux prétérits, il prend 1'/, et l'on
dit nous resoluons, vous resoluez, ils resoluent, et non pas re-
soudons, resoudez, resoudent, comme disent quelques-uns « (Re-
marques, I, 135). Pourtant Patru ajoute: »,rai remarqué que
le peuple ne dit jamais resoluons, resoluez, resoluent, ni re-
28
saluant. Il dit Resoudons, resoudez, resoudent, et resoudant. Pour
moi, j'ay toujours été de cet avis, et dissoudre se conjugue
ainsi, dissoudez, dissoudent. Il n'y a que ce mot, le dissoluant,
qui est un terme de Chimye, où on l'a gardé du Latin; parce
que c'est un mot de doctrine, dont le Peuple ne s'est point
meslé. Car il est certain que resoluons et resoluant ont été faits
par ceux qui veulent montrer qu'ils sçavent du Latin, et qui
aiment mieux parler Latin que François; neantmoins comme
plusieurs le disent, je ne condamne pas, mais l'autre me
semble plus François.*
39. D alterne avec gn [ji] dans les verbes en -aindre, -eindre,
-oindre. On a d'un côté plaindre, ceindre, joindre, et de l'autre
plaignant, plaignons, plaignais, plaignis, plaigne, etc. Une géné-
ralisation du d se constate déjà au moyen âge. On trouve
dans les Dialogues de Grégoire et la Moralité sur Job des
formes comme ateindoit, destraindoit , complaindons , complain-
dant, astreindans, conjoindent, etc. Ces formes appartiennent
surtout au wallon, mais on en trouve aussi des exemples
dans les autres dialectes. Froissart se servait beaucoup des
formes avec un d analogique: ateindent (Méliador, v. 7380),
enfrainde (ib., v. 1902), joindent {ib., v. 5941), joindi(ib., v. 11144),
plaindés (ib., v. 11830), poindi (ib., v. 27212), etc. Au XVP siècle,
ces formes se font de plus en plus rares sans pourtant dis-
paraître. Palsgrave conjugue je ceins, nous ceindons, et de même
nous estaindons, nous attaindons, mais il a aussi les formes je
ceigne, je ceignis. Ajoutons qu'on trouve findit dans Marguerite
de Navarre (Heptaméron, n° 6), feindant dans Palissy, et vers
la fin du siècle dans R. Garnier, ceindoit (Cornélie, v. 596),
teindoit (La Troade, v. 1932). Vaugelas connaît encore les
formes analogiques; il observe: »0n dit peignons en parlant de
peindre, et non pas peindons, comme disent quelques-uns, non-
obstant l'équivoque de peignons, qui vient de peigner: et il en
est de mesme de peindre, feindre, ceindre, atteindre, etc.« (Re-
marques, II, 378). Pourtant, les formes analogiques avec d ne
disparaissent pas tout à fait; elles réapparaissent isolément çà
et là, non seulement dans la langue populaire, mais aussi dans
la langue littéraire ; ainsi H. de Balzac s'est servi, à plusieurs
reprises, de la forme poindit (Louis Lambert, p. 304; Hono-
rine, p. 205).
29
Remauque. Rappelons qu'à côté d'éteignoir, Richelet (1680) cite aussi la
forme éteindoir.
40. D a disparu, par voie d'analogie, de plusieurs formes
des verbes manger, prendre, répondre.
1^ Manger. Ici la disparition du d est prélittéraire; les
formes qui, en latin, portaient l'accent sur Vu, auraient dû
présenter en français la dentale sonore: manducat > '■' man-
due, manducant ) '■■ manduent, etc. Cependant ces formes
n'existent pas; elles ont disparu avant le X^ siècle, trans-
formées sur le modèle des formes qui conservaient le c comme
une chuintante sonore : '•' mandue ) manjne, '■'■ manduent ) man-
juent (§ 16).
2^ Prendre. Les formes étymologiques prendant, prendons,
prendais, prendent, etc. étaient encore en usage au XV*' et au
XVI^ siècle: Souffit que naissance prends — D'aucun qui de
David descende (Greban, Myst. de la Passion, v. 8709). Prendez
en deux, prendez en trois, — Prendez vostre phantasie (Chan-
son populaire; voir ZRPh., V, 529). Elles ont cédé la place
aux formes analogiques prenant, prenons, prenais, prennent, qui
sont de vieille date; la Chanson de Roland offre déjà prenent
(v. 2562).
3^ Répondre. Ce verbe perdait souvent son d étymologique
au moyen âge; ainsi, à côté de respondant , respondu, respon-
doit, responde, on trouve responant, responu, responoit, respone.
Il y faut probablement voir une influence des formes corres-
pondantes du verbe repondre (reponere). Encore Palsgrave
conjugue: nous responnons, ils responnent, que je responne, fay
responnu; il conserve pourtant je respondis.
41. F. Un f étymologique a disparu de la 1'*^ pers. du sing.
du prés, de l'ind. et de l'impératif d'un certain nombre de
verbes. Ainsi, les vieilles formes vif (vivo), escrif (scribo,
scribe), boif (bibo, bibe), serf (*servo, servi), muef
(••'movo, move), reçoif (*recipo, recipe), etc., ont cédé la
place à vis, écris, bois, sers, meus, reçois.
42. L mouillé [/i]. Sur le sort de cette consonne il faut re-
marquer :
1° Dans valere et * vol ère, le [K] étymologique a été
/
30
écarté de la 1'^ pers. sing. du prés, de l'ind.: valeo > vail
y vaux, *voleo ) vueil ) veux (§ 121); il est resté au prés, du
subj. va le a m ) vaille (mais prévale), *voleam > veuille. Un
[K] analogique a été introduit dans vaillant, doublet de valant
(§ 83, lo), vfr. vueillant, doublet de volant (§ 83, u), vfr. chail-
lant (fait sur chaille < c aléa m), doublet de chalant (on trouve
aussi nonchaillant, nonchaillance).
2^ Un développement pareil a eu lieu dans buUire et
*fallire (§ 66,3): BuUio > bail > bous; *fallio > fait >
faux. Mais le [K\ de ces formes et du prés, du subj.: bulliam
) bouille, *falliam ) faille, a été introduit dans toutes les
autres formes des verbes, excepté le sing. du prés, de l'ind.
(§ 121) et en partie le futur (§ 215), d'où bouillir, etc., et
faillir, etc. pour boulir et falir.
'S^ Enfin colligere > cueillir et salire > saillir noua montrent
la généralisation du [X] dans toutes leurs formes sans excep-
tion (comp. §§ 121, 215).
43. N et N mouillé (ji).
1^ Un [n] analogique a été introduit au participe passé et
au passé défini de quelques verbes en -angere, -ingère.
Ainsi p i c t u m est remplacé par * p i n c t u m (p^ p i n g o, p i n -
gère; cingo, cinctum), tactum par *tanctum (^^ tango,
tangere), etc. (voir § 102), et fregi par *franxi (^ frango,
frangere; plango — planxi), etc. (voir § 165). Rappelons
aussi les participes refaits de quelques verbes en -ndere, tels
que de fe ndere — defensum, pour defe(n)sum, respon-
dere — responsum, pour respo(n)sum, etc. (voir § 100).
2® Un [ji] analogique a été introduit au prés, du subj., au
passé défini et à l'imp. du subj. des verbes en -aindre, -eindre,
-oindre. Plangam aurait dû donner '*plange; on ne trouve
que plaigne, modelé sur les formes qui présentent un [ji] éty-
mologique: plaignant (plangentem), plaignais (plange-
bam), etc. Planxi, planxissem ont donné plains (§ 185),
plainsisse, remplacés déjà au moyen âge par plaignis, plaignisse.
Remarque. Une généralisation curieuse de [Jî] a eu lieu dans le verbe
poindre à côté duquel s'est formé le doublet moderne poigner (voir § 64, e).
3*^ Un [ji] étymologique a disparu au prés, du subj. des verbes
tenir et venir. Teneam etveniam deviennent régulièrement
31
tiegne (ligne) et viegne (vigne); les formes tienne et vienne sont
modernes et analogiques (voir § 144).
44. S sonore [z]. Un [z] analogique s'est introduit dans un
certain nombre de verbes; il est dû soit à une analogie in-
térieure, soit à une analogie extérieure.
1 " Analogie intérieure. Ce phénomène s'observe surtout
dans quelques verbes qui présentaient en latin un c intervoca-
lique lequel, selon les conditions phonétiques, tantôt devient
[z], tantôt subit un autre développement. Prenons comme ex-
emples dicere et ducere. On a d'un côté dicentem ) di-
sant, dicebat } disait, ducentem ) duisant, ducebat) duisoit,
etc., et d'un autre côté dicam ) die (§ 139,4), ducam > duie,
dicunt ) dient, ducunt duient. L'analogie a fait disparaître
ces dernières formes et les a remplacées par dise, diiise, disent,
dnisent. Dans les autres verbes de cette catégorie, l'aplanisse-
ment a eu lieu à une époque prélittéraire; on ne trouve que
cuise, nuise, plaise, taise, despise, suffise, et aucune trace des
formes qu'aurait produites un développement régulier de co-
quam, noceam, placeam, taceam, despiciam, suffi-
ciam. Un autre cas se présente dans le verbe clore, dont les
formes étymologiques cloe (cl au dam), cloons, chez, cloent,
chois ont été remplacées par close, closons, closez, closent, clo-
soit. Robert Estienne connaît encore les vieilles formes. Le [z]
provient peut-être d'vine influence du parfait sigmatique clos
— closis (clausisti; comp. § 182) et du fém. du part, passé close
(clausa).
2" Analogie extérieure. Ce phénomène s'observe dans
quelques verbes dont aucune forme n'a droit, au point de vue
étymologique, à un [z]. En voici quelques exemples:
Lire. On ne trouve aucune trace de formes dérivées directe-
ment de legentem, legebam, legam, etc.; elles ont été
remplacées par lisant, lisais, lise, etc. On a cru trouver dans
ces formes une influence du verbe germanique lesen, ce qui
paraît peu probable ; le [z] est plutôt dû à une analogie de
dire: sur dire — disoie on a créé lire — lisoie, etc. Un [z] non
étymologique se trouve aussi dans circoncisant, occisant.
Distraire. On trouve sporadiquement des formations ana-
logiques avec [z]. Littré remarque dans son Dictionnaire: »J. J.
Rousseau a dit (Confess. I) : Trop d'autres goûts me distraisent ;
32
et (Confess. VI) : L'exercice me distraisant sur mon état. Ce
sont de grosses fautes; il faut: distraient et distrayant. « Rous-
seau a modelé la flexion de distraire sur celle de plaire et
taire.
45. S sourd. Un [s] analogique a été introduit au présent
du subjonctif de connaître, croître, naître, paître, paraître et de
tous les inchoatifs. Examinons par exemple le verbe croître:
crescam aurait dû donner cr esche (ou croische), on ne trouve
que croisse, dont le ss est dû à l'influence de croissant (< cre-
scentem), croissait « crescebat), etc. La même observation
s'applique aux autres verbes cités.
46. V.
P Un u analogique s'est introduit dans le subjonctif doine
pour doie (§ 145, i) et dans le passé défini de écrire, dont les
formes primitives escris (s cri psi), etc. ont été remplacées par
escrivis, écrivis, etc. (voir § 188) sous l'influence de escrivant
(scribentem), escriuons, escrivoit, escrive (scribam).
Remarque. On ti-ouve aussi des traces d'un développement contraire, c.-à-d.
dune extension des formes avec [s] liors du passé défini: Escrisez lettres au
tribun (Mist. de St. Adrien, v. 3529). Froissart hésite entre escrise et escrive.
2° Un V étymologique a disparu des deux infinitifs boire et
écrire, dont les formes primitives sont boivre (< b ibère) et
escrivre (scribere).
C. CHANGEMENTS THÉMATIQUES.
47. Nous venons de voir comment l'analogie a fait dis-
paraître les doubles formes primitives des thèmes verbaux par
le changement ou l'amuïssement soit d'une voyelle {-am aim;
paroi jua//-), .soit d'une consonne {di- — diz-). Parfois une
analogie extérieure fait changer et la voyelle et la consonne
finale du radical. Comme exemple d'un tel changement théma-
tique nous citerons les verbes en -emere dont le développe-
ment a été troublé sous l'influence de ceux en -an gère,
-ingère. On disait primitivement criem criens crient cremons
cremez criement, cremoie, cremant, cremu, cremui. Ces formes
ont été changées en crain(s) crains' craint craignons craignez
craignent, craignais, craignant, craint, crains {craignis; cf. § 185),
33
sur le modèle de plain(s), plaignons, etc. Voici quelques ex-
emples des formes non assimilées: Molt criem que ne t'en
perde (St. Alexis, v. 60). Nous cremons le peuple plus que Dieu
(Miracles de N. D. no 5, v. 774). Tant le criement (Guill. de
Palerne, v. 6903). De moi ne vous cremés onkes (Villehardouin,
§ 602). Autrement cremoient il ke . . . (ib., § 629). Mains en
seriesmes cremu (ib., § 513). Un développement pareil a eu
lieu dans gemere > giembre ) geindre, gemo > giem > gein(s),
etc., dans les composés de premere: apriembre > apreindre,
compriembre > compreindre, depriembre ) depreindre, empriembre
) empreindre, et dans redimere ) membre (raiembre, raeinbre,
raimbre) ) reeindre, reindre. Fremere a changé de conjugai-
son (voir § 66, 3), mais on trouve le subst. frembor, ce qui
semble prouver l'existence d'un infinitif '^friembre.
3
/
CHAPITRE IV.
LES TERMINAISONS.
48. Par suite du développement phonétique des finales, la flexion
verbale française a profondément changé d'aspect, et elle pré-
sente dans les terminaisons une grande simplicité à côté de
l'abondante variété du latin classique; ainsi, les neuf formes:
canto, cantas, cantat, cantant, cantem, cantes, can-
tet, cantent, canta sont confondues, en français moderne,
dans la seule forme [Jà:t], qui s'écrit, selon le cas, chante,
chantes, chantent. A cause de quelques développements parti-
culiers il y a avantage à examiner à part le sort des finales
verbales, quoique, bien entendu, ces sons soient soumis aux
mêmes lois qu'on observe dans les autres groupes de mots.
49. Sort des voyelles finales:
P A reste comme e féminin (I, § 252): cantas} chantes,
caniat y chante, caniant} chantent, scr ibam >écni;e, scri-
has y écrives, scr'ihanty écrivent. L'e féminin est tombé dans
le singulier de l'imparfait de l'indicatif (cf. § 161): vendebani
yvendeie, vendais, vendais; vend ebas)yenfieze.s, vendais, vendais;
vendebat ) vendeiet, vendait, vendait; dans le singulier du pré-
sent du subjonctif de »être«: *siam ) seie, sois, *sias ) seies,
sois, '^sïaty seiet, soit (cf. § 139, lo), et dans habeat >aze/> ait
(Cf. §145,2).
2^ E s'amuït régulièrement (I, § 248): audire>o«i>, débet
y doit, cante m >c/ia/jf (plus tard, par analogie, chante), canta-
(vi)s s et >c/i a/7 /ô^. Il est resté comme voyelle d'appui (I, § 251)
dans vendere > ye/jc/re, scribere )ecn>e, cambiemy change,
35
am en ty aiment, dehe ni} doivent, etc., et il a été conservé par
analogie dans quœrere ) querre, curr ère} courre, trahere)
*tragere>/razre, légère} lire. Sur son maintien à l'imparfait
du subjonctif: canta(vi)ssem ) chantasse, canta(vi)sses >
chantasses, voir § 203.
3*^ I disparaît régulièrement (I, § 248): cantatis } chantez,
cantasti y chantas, habetis)ai;ez, mi si) mis, vidi)i;zs, feci)
fis, etc. Il est resté après une voyelle: canta(v)i) chantai (l,
§249), dans la 2^ pers. plur. du passé défini: canta(vi)stis
y chantâtes, fi ni (vi) s ti s < /mf/es, et dans estis>efes, facitis)
faites, dicitis y dites.
4** O disparaît (I, § 248) : cognosco) connais, credo) croi(s),
canto ) vfr. chant. Il reste parfois comme voyelle d'appui:
tremulo ) tremble; carrico ) charge (I, § 250).
5*^ U disparaît (I, § 248): can tatum ) c/ja/j/é, cantamus)
) chantons, sumus ) vfr. sons. Il est resté dans la !•'' personne
du pluriel du passé défini: ca n ta (vi)mu s ) c/ia/? /fîmes, duxi-
mus ) {con)dmsîmes , et dans d ici mus ) vfr. dimes (voir
§ 55, 4), etc. La conservation de la voyelle atone est peut-être
due à l'influence de la 2^ personne: fu(i)mus est devenu
fumes, fûmes à cause de fustes, fûtes.
50. Sort des consonnes finales:
1" M disparaît partout (I, § 318): vendam ) vende; can-
tem ) vfr. chant; cantabam ) vfr. chanteie; cantavissem
) chantasse; sum ) suis, etc.
2" S reste régulièrement (I, § 464) : cantas ) chantes; scri-
b i s ) écris ; cantamus ) chantons ; v e n d e b a s ) vendais ;
cantavistis ) chantâtes; canta visses ) chantasses, etc.;
comp. cognosco ) connais. S a été ajouté par analogie à
beaucoup de V'^^ personnes (voir § 51).
3" T reste partout dans la plus vieille langue: cantat )
chantet; cantabat ) chantevet (§ 157, 1); cantavit ) chantât;
amet ) aint; débet ) deit; vivit ) vit; facit ) fait; vadit
) val; ferivit ) ferit; fuit ) fut, etc.; sur le sort ultérieur
de ce t, voir § 53. T, devenu final à la 2^ pers., est tombé dès
les plus anciens temps (cf. § 165,2): cantasti ) chantas;
conduxisti ) conduisis, etc.
3*
36
DÉVELOPPEMENT
DES DÉSINENCES PERSONNELLES.
I. SINGULIER.
51. Première personne. Après l'amuïssement du m, la pre-
mière personne de tous les temps et de toutes les conjugaisons
(exe. su m) se terminait, dans le parler vulgaire, par une
voyelle inaccentuée : cant^, cantaba^ cante^^ canta visse,
etc. Cet état de choses est profondément changé en français,
grâce au développement phonétique (credo > crei, croi; lavo
> lef; senti vi > senti; cantaba > chanteie), auquel est venu
s'ajouter un développement analogique très curieux (croi > crois,
senti > sentis, chantoie ) chantois, chanteroie ) chanterais), qui
finit par attribuer à s le rôle de signe caractéristique de la
première personne. Voici quelques détails sur ce phénomène:
P Présent de l'indicatif. Le s analogique a été ajouté à
toutes les formes qui ne se terminent pas par un e féminin
ou un s: vendo ) vent ) vends; perdo > pert} perds; mitto
> met ) mets; credo ) croi > crois; recipio > reçoi ) reçois,
etc.; comp. § 118, i. On a conservé sans changement tremble,
charge, chante, parle, ouvre, souffre, couvre, etc. ; finis, fleuris,
connais, crois (cresco), etc., et la forme isolée ai (habeo),
tandis que sai (sapio) est devenu sais. Au lieu de s on écrit
.r dans vaux, peux, veux (mais on doit écrire meus).
2^ Imparfait de l'indicatif. Le s analogique a été introduit
dans toutes les conjugaisons; les vieilles formes chantoie, de-
voie, sentoie, etc. ont été remplacées par chantois, devois, sen-
tais. Comp. § 161, 1.
3^ Conditionnel. Même développement qu'à l'imparfait:
chanteroie y chantewis, devroie ) devrais, etc.
4*^ Passé défini. Le s analogique a été ajouté à toutes les
formes, excepté celles de la 1''^ conjugaison (chantai, parlai)
et celles qui étaient déjà munies d'un s (mis, quis): veni )
vin y vins; vidi ) vi ) vis; *sentivi y senti y sentis ; valui )
valui y valus, etc.; comp. § 169, i.
52. Deuxième personne. La consonne caractéristique de la
deuxième personne, s, reste partout: canta s > chantes, scri-
bis ) écris, debes > dois, cantabas y chantais. Quand s suit
37
une dentale, les deux sons se combinent en z (I, §384, 392):
partis > parz, perdis > perz, audis > oz; ce z se réduit, au
XIII^ siècle, à s: parz > pars, perz > pers, oz > os. Au passé
défini, l'analogie a fait tomber le t final à une époque pré-
littéraire: canta(Yi)sti > chantas, *senti(vi)sti > sentis, con-
duxisti > conduisis, etc. (le t a été conservé en provençal:
cantest, vendest, partist). A l'impératif, l'analogie a fait ajouter
un s dans beaucoup de formes: crede > croi > crois (pour
les détails, voir § 153). De cette manière, toutes les deuxièmes
personnes (à l'exception de quelques impératifs) ont s comme
signe caractéristique. Dans la langue moderne ce s est muet;
on ne fait aucune différence entre {je) chante et {tu) chantes,
entre {je) perde et {tu) perdes; voilà pourquoi le s ne joue au-
cun rôle dans les poésies en argot:
Plonplon, si tu réclam' encor . . .
(Mac Nab, L'expulsion.)
Pourquoi que tu treml)l' ainsi?
(id., Complainte du bon saint Labre.)
Cet amuïssement remonte très haut; on en a des exemples
du Xllle siècle (voir I, § 283).
53. Troisième personne. Le / final des formes latines s'est
conservé partout dans le plus ancien français (§ 50, s). Vers la
fin du XP siècle, il tombe régulièrement après l'e féminin :
chantet > chante, perdet > perde; après a: vat > ua, at > a,
chanterat y chantera; un peu plus tard aussi après i et u: ferit
> feri, guerpit > guerpi, saillit > sailli, courut ) couru, mourut >
mouru, valut > valu, etc. Restent intacts les imparfaits et les
conditionnels: chantoit, chanterait, et toutes les formes où t
était entravé: croist, sert, vent, prent, chantast, fist; il en était
de même des formes où / était entravé dans une période anté-
rieure: ot (audit), set (sapit), dit (dicit), fait (facit), moût
(moluit), ont (habuit), dut (debuit), etc.; comp. tectum
> toit, mais sitim > soi > soif. L'analogie de ces formes a ré-
introduit, au XIV^ siècle, le t partout après i et u: senti > sen-
tit, couru > courut, etc. Comp. § 169, s.
Remarque. Dans la langue moderne Le' t étymologique du présent est rem-
placé par un d analogique dans tous les verbes dont l'infinitif se termine
par -dre (excepté ceux en -aindre, -eindre, -oindre et les composés de sondre).
38
On écrit ainsi : attend, défend, descend, entend, fend, pend, prend, rend, tend,
vend; épand, répand; fond, pond, répond, tond; mord, tord, perd, sourd;
coud, moud, etc. (mais: craint, feint, peint, résout, etc.). L'orthograplie avec
d se montre déjà au XV^ siècle et comprend d'abord tous les verbes en -dre,
de sorte qu'on trouve aussi feind, craind, joind, mais ces formes ont été ra-
menées à feint, craint, joint. Rappelons enfin la forme isolée vainc, au moyen
âge veint (Roland, v. 2567).
II. PLURIEL.
54. Première personne. Le latin classicjue connaissait six
terminaisons, quatre régulières: -amus (-eamus, -iamus),
-ëmus, -îmus, -imus; et deux qui ne s'employaient que dans
quelques verbes isolés: -ûmus, -umus. Le français moderne
ne connaît que deux terminaisons : -ons, qui porte l'accent
{nous chantons, devons, servons), et -mes qui est inaccentué et
ne s'emploie régulièrement qu'au passé défini (nous chantâmes,
dûmes, servîmes); la vieille langue possédait encore quelques
autres terminaisons dont nous parlerons ci-dessous. L'explica-
tion de -ons offre un problème très difticile. Il est hors de
doute que chantons, devons, servons ne dérivent pas des formes
latines correspondantes cantamus, debëmus, servi m us,
qui auraient donné chantains, deveins, servins; ce sont donc
très vraisemblablement des formes analogiques. Les vieux
textes nous montrent que -ons remonte à -oms, et que l'o de
ces formes était fermé; il faut ainsi admettre comme point de
départ -ù m us, et la forme primitive de chantons à dû être
*cantumus. Maintenant, quelle peut être l'origine de cette
nouvelle formation? Une terminaison accentuée -ùmus ne se
trouve que dans la seule forme sûmus, devenu sons dans le
plus vieux français (§ 119,6), et on a supposé que c'est là
qu'il fallait, selon toute probabilité, chercher le point de dé-
part de -ons. D'autres (MM. Settegast et Mohl) ont voulu y
voir une terminaison celtique, ou plutôt une contamination
d'une terminaison celtique avec une terminaison latine; cette
opinion, très acceptable en théorie (comp. I, § 525), se heurte
à de grandes difficultés, restées insurmontables jusqu'à pré-
sent.
Remarque l. Au moyen âge on trouve, concurremment avec -ons et -oms,
une troisième forme -omes qui se rencontre un peu partout, mais qui ne
89
s'emploie d une niaiiièrc régulière que dans la région du Nord. Exemples:
Posciomes (Jouas), avrumes (Roland, v. 391), demandomes (Couronnement de
Louis, V. 1918), etc. On trouve souvent -ons et -ornes dans le même texte
employés selon les exigences de la mesure:
Cou remandrons or esgarees
Qui perdomes si buene amie.
(Chev. au lion, v. 4362— «3).
De -ornes, dont on se sert encore au XIV^ siècle (Baudouin de Condé), la
langue moderne conserve un dernier reste dans sommes. Sur l'origine de la
terminaison -iens, voir ci-dgssous § 55, i. Rem.
Remarque 2. Dans certains textes on trouve -Oiti (-um) ou -on (-un)
pour -oms et -ons. Ce phénomène est surtout propre aux dialectes de l'Ouest.
On le retrouve encore au XIV« siècle: la Chirurgie de Henri de Mondeville
donne nous avon, nous devon, nous prenon, etc. ; mais la graphie avec s est
la plus fréquente. (Comment expliquer cette chute du s? Il y a là probable-
ment un phénomène d'analogie; comme s au singulier était réservé à la
2»^ pers., on a voulu faire de même au pluriel. Un reste curieux de l'an-
cienne forme -om se cache probablement dans la formule alons m'ent dont
voici deux exemples: C'est escript: tenez. Alons mant — Car nous avons
ailleurs à faire (Mir. de N. D., I, v. 570—1). Alons m'en sans faire estry —
Lucifer nous envoyé querre (P^ournier, Théâtre av. la Renaissance, p. 80). Il
semble qu'on ait dit d'abord alom ent, dont la prononciation avec un o
nasalisé {alonment) a provoqué l'orthographe alons ment.
55. Sort des terminaisons latines.
P Amus, conservé en gallo-roman (prov. amam) comme
dans les autres langues romanes (roum. cântâm, \. ital. can-
tamo, esp., port, cantamos), a été supplanté au Nord de la
France par *-umus: cantamus > ==cantumus y chantoms }
chantons. Cette substitution est antérieure au X*^ siècle, on
trouve p. ex. cantumps (c. à d. chantons) dans St. Léger; elle
est probablement postérieure à l'altération des palatales comme
le montrent couchons, péchons, nageons, mangeons, etc., s'il n'y
a pas ici des faits d'analogie. Au parfait de la 1'** conjugaison
s'est développé un -amus secondaire conservé en français
sous la forme de -âmes, plus tard -âmes: cantavimus y
*cantamus ) chantâmes ) chantâmes (cf. § 49, .5).
Remarque. Au présent du subjonctif de II et de IV (parfois aussi de III),
on avait [jamus] (-eamus, -iamus); cette terminaison s'est conservée en
vieux français sous la forme de -iems, -iens: habeamus > aiiems, aiiens;
valeamus > valiens ; faciamus > faciens; dormiamus > dormiens; sa-
p iamus ) sachiens, etc. La même désinence se retrouve à l'imparfait de
l'indicatif de II, III, IV, où -ebamus, -i(e)bamus sont devenus -eamus.
40
-iamus, d'où fjamus]: habe(b)amus > aviens, vale(b)amus > valiens,
face(b)amus > faciens, d ormi(b) a m us > dormiens, et, par conséquent, au
conditionnel. Par analogie -iens a été introduit au présent du subjonctif de
I et III: cantemus > chantiens, perdamus > perdiens, à l'imparfait de
l'indicatif de I: cantabamus > chantiens, et à l'imparfait du subjonctif de
toutes les conjugaisons: cantavissemus > chantissiens , valuissemus >
valussiens, scripsissemus > écrivissiens, dormivissemus > dormissiens.
De cette manière -iens est devenu la désinence caractéristique de tout le
subjonctif, de l'imparfait de l'indicatif et du conditionnel; elle s'employait
surtout dans les dialectes de l'Est et du Nord, moins souvent dans ceux du
Centre, jamais dans ceux de l'Ouest; plusieurs régions (Orléanais, Berry,
Perche) en conservent encore des traces intéressantes, mais dans la langue
littéraire elle a disparu devant -ions (provenant d'une fusion de -ons et -iens):
faciens > fassions, valiens > valions, chantiens > chantions, etc.
2^ La terminaison -émus conservée en gallo-roman (prov.
devem, podem, valem) comme dans les autres langues romanes
(roum. vindem, Y. ital. dovemo, esp., port, debemos), a disparu
au Nord de la France devant la désinence victorieuse *-umus:
debemus ) *debumus ) devoms ) devons.
Remarque. On trouve dans les plus anciens monuments quelques rares
traces de -émus; ainsi devemps dans St. Léger (v. 1), avem et poem dans
Sponsus (v. 35, 72), mais aucun de ces textes n'appartient au francien propre-
ment dit.
3° Imus, conservé presque partout (roum. dormim, lad. dur-
min, V. ital. dormimo, esp., port, dormimos), a été remplacé en
gallo-roman par -émus (prov. donnem, servem; mais en gas-
con dormim) qui, à son tour, a été supplanté au Nord de la
France par -umus: dormim us > *dorniëmus > ^'dormu-
mus ) dormoms > dormons. Au parfait de IV s'est développé
un -imus secondaire, conservé en français sous la forme de
-imes, écrit maintenant -îmes: vidïmus ) *vidimus > veïmes,
vîmes, vîmes.
4" La terminaison inaccentuée -ïmus a été remplacée en
gallo-roman, comme dans toutes les autres langues romanes,
par -émus: perdïmus, vendïmus sont devenus, dans le
parler vulgaire, *perdëmus, *v end ému s (roum. perdem,
V. ital. perdemo, esp., port, perdemos, prov. perdem); au Nord
de la France -ëmus a disparu, à son tour, devant -umus:
perdïmus > *perdemus ) *perdumus > perdoms ) per-
dons. Le vieux français a conservé la terminaison étymolo-
gique dans f a c ï m u s > faîmes, d i ci m u s > dîmes, e r ï m u s >
41
ermes {esmes a été fait sur estes). Rappelons enfin que la substi-
tution de -émus à -imus n'a pas eu lieu au passé défini:
fui mu s > fumes, fûmes, val uï mu s > valûmes, valûmes, etc.
5" La terminaison inaccentuée -umus qui figurait dans
possûmus, volùmus (nolûmus, mal ù mu s) a disparu de
bonne heure; le roman nous atteste que, déjà dans un très
ancien latin vulgaire, on a dit * p o t ë m u s, * v o 1 ë m u s (à
côté de *potëtis, ^^volëtis); cf. roum. /}o/em, yom ; v. ital. /)o-
temo, volemo ; esp. podemos ; prov. podem, volem. En français
les deux formes ont régulièrement abouti à pouvons, voulons.
6" La terminaison -umus ne s'employait que dans la seule
forme s umus. Comme nous l'avons déjà dit, c'est probable-
ment sur cette forme que toutes les autres premières per-
sonnes se sont modelées; on peut admettre que su mu s a
commencé par changer stanius, à peu près son synonyme,,
en *stumus (vfr. estons), et que ces deux formes d'un emploi
si fréquent ont entraîné à leur suite tous les autres verbes.
Remarque. Une telle suprématie dune forme tout à fait isolée peut sur-
prendre, ainsi que l'énorme travail d'analogie qui a dû s'effectuer; mais les
faits sont là, et il paraît difficile de les expliquer d'aucune autre manière.
On trouve du reste dans une autre langue romane des formations ana-
logiques parallèles; on a constaté qu'en Tj^rol, en Frioul et dans l'Italie
centrale et septentrionale, où a été conservée la forme collatérale simus
(comp. Suétone, Auguste, chap. 87) à côté de su mus, la 1^ personne du plur.
est régulièrement terminée soit en -imus {-emo, -eim, etc.), soit en -umus
{-omo, etc.), suivant que celle du verbe «être* est simus ou su m us.
56. Deuxième personne. Le latin classique avait cinq ter-
minaisons différentes: -atis (-eatis, -iatis), -ëtis, -itis, -itis,
-stis ; le français moderne n'en a que deux : -ez, qui porte
l'accent (vous chantez), et -tes, qui est atone et ne s'emploie
régulièrement qu'au passé défini (vous chantâtes); la vieille
langue possédait encore quelques autres formes dont nous
parlerons plus tard. L'origine de -ez est assez claire; il re-,
monte à -atis, et a remplacé, par analogie, les autres termi-
naisons; quant à -tes, la conservation de la voyelle atone est
irrégulière (cantastis ) chantastes, mais hostis > oz).
Remarque. En cas d'enclise, la consonne finale du verbe est souvent élidée
dans les vieux textes picards et bourguignons; on trouve ainsi moustrele
(Richars 11 biaus, v. 763) et secoureme (ib., v 1410) pour moiistrez le et
secourez me.
• 42
57. Sort des terminaisons latines.
P La terminaison -atis, conservée dans toutes les langues
romanes, et à l'indicatif (roum. cîntaiï, ital. cantate, esp. port.
cantades, contais, prov. cantatz) et au subjonctif (v. ital. ven-
date, esp. vendades, vendais, prov. vendatz), devient en français
régulièrement -ez: cantatis > chantez, clam atis > clamez,
vendatis > vendez, scribatis > escrivez.
Remarque 1. Quand une palatale précède -atis, on a -iez (I, §192): col-
locatis > couchiez, nuntlatis ) nonciez, sapiatis ) sachiez, faciatis >
faciez. Au XVe siècle, -iez se réduit à -ez (I, § 193), mais seulement à l'in-
dicatif: couchiez > couchez, vengiez > vengez, nonciez > (an)noncez ; au sub-
jonctif on conserve -iez: sachiez, fassiez, plaigniez, puissiez, et cette termi-
naison finit même par sj' généraliser et remplacer -ez: perdez > perdiez,
escrivez ) écriviez, etc. A l'imparfait de l'indicatif et au conditionnel on avait
également -iez: scril)e[b]atis > csc/-z y nez, escriviez; senti[b]atis } sentiiez,
sentiez; sentiri(i)ez ; écriri(i)ez. Cette terminaison était d'abord dissyllabe:
on comptait sen-ti-(i)ez, sen-ti-ri-(i)ez, de-vri-(i)ez; mais elle devient mono-
syllabe déjà au moyen âge: sen-tiez, senti-riez, de-vriez (encore Régnier, Ma-
cette, V. 143). Au XVI !« siècle, elle redevient dissyllabe après »muta cum li-
quida* (I, § 296).
Remarque 2. On trouve parfois au XVIle siècle -es pour -ez: vous parlés,
vous donnés, etc. ; cette innovation n'a pas réussi.
2** La terminaison -ëtis, conservée dans toutes les langues
romanes, à l'indicatif (roum. auefi, it. avete, esp. haheis, prov.
avetz) et, moins régulièrement, au subjonctif (esp. cantedes,
canteis, prov. cantetz), devient en français -eiz: habetis )
aveiz, d'ehei'is y deveiz, *cantaretis> chantereiz, ametis >
ameiz, habuissetis > eiisseiz. Ces formes, dont le plus an-
cien exemple se trouve dans Jonas (aveist, pour aueits), dis-
paraissent de bonne heure du francien; elles sont remplacées
au prés, de l'ind. et au futur par -ez: aveiz > avez, chantereiz
> chanterez; au subj. par -iez: ameiz ) aimez, aimiez, eiisseiz >
eussiez; c'est le futur qui garde le plus longtemps la terminai-
son étymologique (comp. § 218, s). On trouve dans le Roland
portereiz (v. 80), avreiz (v. 88), verreiz (v. 564), enveiereiz (v.
572), etc., à côté de irez (v. 70), porterez (v. 72), vuldrez (v. 76),
ferez (v. 131); au présent au contraire, toujours -ez: menez (v.
357), saluez (v. 361), savez (v. 363), vulez (v. 433), tenez (v. 695),
etc., à l'exception de ameneiz (v, 508). Rappelons qu'on trouve
déjà dans la Vie de St. Alexis atendez (v. 548), querez (v. 314),
assurés par l'assonance (le copiste du ms. L. a -eiz). En dehors
43
du francien, la terminaison étymologique -eiz, -oiz s'emploie,
surtout au futur, dans des textes normands (Wace) et picards /
(Aiol, V. 7517), bourguignons, lorrains et wallons; on la re-
trouve dans plusieurs patois modernes. Ainsi à Namur et dans
sa banlieue on dit sai>o (sape tis), avo (habetis), etc. et, par
analogie, cimnto, allô, inario, etc.
3° La terminaison -itis s'est conservée dans toutes les langues
romanes (roum. dormiti, ital. dormite, esp. port, dormis), ex-
cepté en gallo-roman, où elle a été remplacée, à une époque
prélittéraire, par -ëtis, resté en provençal (dormetz) mais rem-
placé, à son tour, au Nord par la désinence de la première
conjugaison: dormitis > -^dormêtis > dormeiz ) dormez.
Remarque. Quelques faibles restes de -itis se trouvent au niojen âge
dans les dialectes de l'Est, surtout le lorrain. La forme -iz est seule admise
dans Ezéchiel: departiz, vestiz, veniz (et par analogie teniz); dans les Ser-
mons de St. Bernard, on trouve sentiz, couriz, deveniz, etc., à côté de formes
en -ez; l'Yzopet de Lyon offre sofj'riz (v. 1192), offriz (v. 1191). Des formes
analogues s'emploient encore dans les dialectes de l'Est.
4** La terminaison -itis n'a été conservée que dans dicïtis
> dites, et facïtis ) faites (comp. estis ) êtes). Partout ail-
leurs elle a été remplacée par -ëtis (comme -ïmus par -ëmus,
§ 55, 4): scribïtis ) '-'escribëtis > escriveiz ) écrivez, v e n -
dïtis > -^vendëtis > vendeiz > vendez, etc.
Remarque. La vieille forme traites ne remonte pas à trahïtis; elle l'em-
place un plus ancien traez et paraît modelée sur faites ; de la même manière
doivent probablement s'expliquer les formes analogues employées actuelle-
ment dans les dialectes de l'Est, des Alpes aux Vosges (région de la Saône
et du Rhône), et dans les parlers de la Suisse française. Dans le patois de
Besançon, par ex., on dit prentes (prenez), mettes (mettez), voites (voyez),
ventes (voyez), craintes (craignez), etc.
5*^ La terminaison -stis, précédée d'une voyelle, s'est main-
tenue: canta(vi)stis ) chantastes, chantâtes; ■•=senti(vi)stis
) sentistes ) sentîtes; habuistis ) enstes, eûtes, etc.
58. Troisième personne. Le latin classique avait les termi-
naisons suivantes : -ant (-eant, -iant), -ent (-ient), -unt (-iunt).
Le nombre de ces formes se réduit considérablement en latin
vulgaire :
P La terminaison -ient disparaît avec le futur.
44
2^ Les terminaisons -iant, -eant, -iunt se réduisent à -ant,
-unt (comp. §120): serviant > ■•= servant, debeant > '^de-
bant, serviunt > *servunt, sentiunt > *sentunt, fa-
ci unt ) facunt, etc. Cette dernière forme se trouve réelle-
ment dans une inscription de Hongrie (C. I. L., III, 3551:
numéro très facunt), et les formes françaises nous at-
testent très clairement la chute du [j]; on ne trouve aucune
trace de sapiunt, dormiunt, partiunt, vestiunt, mo-
riunt, etc. qui auraient donné sachent, dorgent, panent,
vessent, mnirent; les vieilles formes sevent, dorment, partent,
vestent, m uerent renvoient à •= s a p u n t, * d o r m u n t, * p a r t u n t,
*vestunt, *morunt (comp. Romania, XXII, 571; XXIII, 322).
3^ La terminaison -ent est souvent supplantée par -unt; on
trouve dans la »Lex Romana Utinensis« debunt, habunt,
valunt, etc. (pour d'autres exemples voir Neue-Wagener,
Formenlehre, III, 264 ss.) ; pourtant beaucoup de verbes con-
servent -ent, comme le montrent lu cent ) Inisent, placent >
plaisent; *lucunt et *placunt auraient donné tuent, plont.
59. Le français ne connaît que deux terminaisons : -ent, qui
est atone (chantent, chantaient, chantèrent, chantassent), et -ont
qui porte l'accent et ne s'emploie régulièrement qu'au futur
(chanteront, écriront). On remarque ici surtout la conservation
du / final, trait archaïque qui ne se retrouve dans aucune des
autres langues romanes (roum. cîntd, ital. cantano, prov., esp.
cantan, port, cantào), excepté le sarde (cantant).
60. Observations sur les terminaisons françaises.
P La terminaison -ent, qui se trouve dans toutes les troi-
sièmes personnes, sauf le futur et le présent de l'indicatif de
quatre verbes, dérive régulièrement de -ant, -unt (et -ent):
cantant > chantent, scribunt > écrivent, debe(b)ant > dé-
voient, canta(ve)runt > chantèrent, placent > plaisent. Au
commencement elle a dû se prononcer à peu près comme elle
s'écrivait; mais, au XVP siècle, les grammairiens attestent que
la consonne nasale était muette. Déjà Palsgrave (1530), qui
représente la prononciation du temps de Louis XII, remarque,
en citant les formes ayment, aynioyent, aymerent, disent, disoyent,
dirent, etc. que »in redynge or spekynge they sounde ail such
thus aymet, aymoyet, aymeret, diset, disoyet, diret(<. L'amuisse-
45
ment de la nasale remonte peut-être au XIII*' siècle; on
trouve dans l'Élégie hébraïque poet, furet, oret, etc., ^onr poent,
furent, orent, etc. (Romania, III, 461), et dans le Psautier lor-
rain: cesse (9,9), ordene (49,5), monte {75, e), parle (108, 19), etc.
pour cessent, ordenent, montent, parlent. La dentale, qui se pro-
nonçait encore au XVI^ siècle, a fini à son tour par disparaître
presque complètement ; elle ne vit plus guère que dans quelques
rares cas de liaiso'n : ils aim(ent), ils donn(ent) avec libéralité,
mais aim(en)t-ils. Dans la langue moderne la terminaison -eut
est donc à regarder comme une syllabe muette; elle compte
encore dans la mesure des vers, mais la poésie populaire et
argotique la néglige constamment : Les garçons d'à présent qui
cherch' à me tromper ! (Romania, VII, 55). Sont les gas de
Guérande qui viv' en bons garçons (Decombe, 319). Si mes
parents ne le veut' pas (Rolland, Chansons populaires, I, 227).
Sur le mur ils coW tranquillement Chacun un boniment (Mac
Nab, L'électeur embarrassé). Pourquoi qu'ils ont des trains
royaux qu'ils éclabouss' avec leur lusque (id., L'expulsion).
Voici un exemple du XVI'^ siècle : Quand ils fur' sur la brèche
par ou fallait passer (Revue d'hist. litt., VII, 425). Sur les cas
où -ent suit une voyelle et ne compte pas dans la versification
officielle, voir I, § 273.
2" La terminaison -ont s'emploie aujourd'hui au présent de
l'indicatif de quatre verbes : sont, ont, font, vont, et à tous les
futurs: chanteront, écriront, vendront, recevront; dans la vieille
langue on avait encore estont de ester. L'origine de sont n'est
pas douteuse: c'est le latin s un t. Les quatre autres formes
sont plus difficiles à expliquer, et chacune d'elles demande
son explication particulière. Estont est probablement modelé
sur sont; ont et vont remontent aux formes vulgaires ='aunt
(§ 123,2) et -^vaunt (§ 116, 1); font paraît de même supposer
une forme vulgaire *faunt (§ 127). Sur une extension dia-
lectale de -ont au passé défini, voir § 165, Rem.
61. La terminaison atone -ent (-aient) est remplacée par -ant
(-iant), -aint (-ient), -ont (rarement -iont) dans beaucoup de
patois modernes, surtout ceux du Sud et de l'Est (jamais en
Normandie et Ile de France). Exemples: Mon père aussi ma
mère n'aviant que moi d'enfant (Pineau; Folklore du Poitou,
p. 263). Les amants y venant (ib., p. 264). C'est la servante et le
46
valet qui mentant la treue au goret (ib., p. 269). D'autres qn'étîant
pus rich' que toué (ib., p. 337), etc., etc. Le transport de l'ac-
cent sur la finale est un phénomène assez répandu; il affecte
tous les temps, surtout l'imparfait du subjonctif et de l'indica-
tif, et il apparaît de très bonne heure, mais est surtout fré-
quent à partir du XIII*' siècle; il appartient proprement au
parler populaire et ne se montre que rarement dans la litté-
rature: Cum il Jesum o/c/sesa/?/ (Passion, v. 174). Mais dex ne
volt que il le preïssant (Jourdains de Blaivies, v. 1241). Puis
lor preia Que sa mère li vendissont (Roman de "Troie, v. 26342).
Onques n'outrage n'i pensant (Jean de Condé II, 186). Dans
l'ancien Psautier lorrain on trouve: chantient, honorient, disient,
puissient, sachient, etc.; dans les Chartes lorraines publiées par
Bonnardot (Romania, I, 337): tuont, trovont, decopont, laixont,
etc.; dans les Chartes wallones publiées par M. Wilmotte (Ro-
mania, XVII, 567, XIX, 84; cf. ib. XV, 132, XVI, 122): ame-
nant, qnittont, portant, etc. Au XVI^ siècle, Dubois admet dans
sa Grammaire (1531) esteont ou esteent pour estaient; ce sont
sans doute des formes dialectales. Dauron remarque expressé-
ment que »les bonnes gens du Maine et du Poitou prononcent
aujourd'hui iz alant, iz venant (Livet, Grammairiens du XVb'
siècle, p. 172), et Bèze confirme ce témoignage: »Pictones ad-
huc hodie tertias personas plurales aiment, disent sic efferunt
vt participia aimant, disant. < Comp. aussi les vers suivants
d'une comédie du temps, où l'on a voulu ridiculiser le patois
des paysans:
Ils disian qu'ils disian, ces gros bourgeois de la ville,
Ils disian qu'ils disian bian mieux que les autres gens.
{Ane. th. fr., IX, 229).
Pour le XVII'' siècle on peut citer les nombreuses formes du
patois de Pierrot et de Charlotte (Dan Juan, II, se. 1) : sayant
(soient), nageant, appelant, équiant (étaient), servant, boutant,
avant, tenant, etc.
CHAPITRE V.
TYPES DE CONJUGAISON.
62. Nous avons dit ci-dessus (§ 9) que seuls les verbes en
-cr et ceux en -ir présentent un système de flexion relative-
ment complet. Dans les paragraphes suivants nous allons ex-
aminer quelques questions générales concernant ces deux
groupes: de quels verbes ils se composent, leurs relations
entre eux, ainsi que leurs influences mutuelles, et enfin les deux
flexions différentes que présentent les verbes en -ir.
63. Verbes en -er. Ce groupe comprend primitivement tous
les verbes d'origine populaire remontant à la l'*' conjugaison
latine: chanter (cantare), /oHer (laudare), porter (portare),
etc., et chauffer, qui remonte à *calefare, altération vulgaire
du classique calefacere. Il faut ajouter les verbes empruntés
au grec directement ou indirectement: baptiser, blâmer, pâmer,
parler, etc. Ce groupe s'est enrichi incessamment:
P Aux temps prélittéraires les verbes germaniques en -an
(ou -on) se sont assimilés aux verbes romans en -are, d'où
danser (vha. dan s on), épier (vha. spehon), gagner (^vha.
weidinon), gratter (vha. *kratton), etc. Ajoutons cingler
(vnorr. si g la).
2^ Dès le moyen âge et jusqu'à nos jours, tous les verbes
d'origine savante remontant aux conjugaisons I, II, III se mo-
dèlent sur les verbes en -er. Exemples: ausculter (au s cul-
tare); absorber (absorbëre), exercer (exercer e), persuader
(persuadëre), posséder (possidëre); affliger (affligëre),
céder (cedëre), consumer (consumere), ériger (erigëre).
48
gérer (gerëre), zmjon/îje/" (imprimer e), 7?é^%e/' (negligëre),
rédiger (re digère), etc. Ajoutons les dérivés des verbes en
-uere: arguer (arguëre), contribuer (contribuëre), destituer
(destituëre), vfr. minuer (minuëre), prostituer (prosti-
tue re), etc. De la même manière se comportent:
3° Les verbes d'origine étrangère: trinquer (ail. trinken),
tricoter (a\\. strick.en'>), schlitter, schloffer, hâbler (e^p. hablar),
flirter (angl. flirt), stopper (angl. stop), etc.
4^ La plupart des verbes dérivés de substantifs: assassiner,
barrer, boiser, crayonner, draper, poudrer, téléphoner, pédaler,
bronzer, nickeler, adosser, encombrer, etc.
5" Quelques verbes dérivés d'adjectifs: fausser, griser, mater,
sécher, assoler, aveugler, engrosser, etc.
64. Rappelons enfin quelques verbes qui ont changé de
conjugaison:
1*^ Épeler, en vfr. espeldre ou espelir (go th. s p il Ion); le
changement paraît dû à l'influence de appeler grâce à une
analogie proportionelle {appelons: espelons ^ appeler: '^espeler).
2^ Qarer, doublet de guérir, autrefois garir, paraît tiré de
l'ancien futur garrai (comp. § 212).
3" Grogner a remplacé l'ancien gronir (grunnire), peut-
être sous l'influence de grigner.
4^ Gronder a remplacé l'ancien ^ronrf/r (grundire, variante
de grunnire).
5*^ Mouver, doublet de mouvoir, probablement emprunté au
normand mouvé, dont Vé final « lat. ë; I, § 156) a été assi-
milé fautivement au français -er « -are).
go Poigner a remplacé poindre, au sens de >piquer«. Le
point de départ du changement de la conjugaison sont les
formes poignant, poignais, poignons, etc. (;^ soignant, etc. —
soigner). Littré cite comme un barbarisme poigne, employé par
Fréd. Soulié. Des formes parallèles se trouvent souvent dans
les auteurs modernes : L'anxiété de ses enfants commence à le
poigner à son tour (Daudet, Petite paroisse, p. 381). Le regret
de lui qui le poignerait là-bas (Rod, Trois cœurs, p. 232).
M. Tobler cite ces exemples et plusieurs autres dans les Ver-
mischte Beitràge, III, 148—149.
7^ Puer a remplacé l'ancien joziir « ^-^putire, pour putêre).
Comp. : Il put étrangement son ancienneté {Femmes savantes,
49
II, se. 7). On lit encore dans le Dictionnaire de Trévoux:
»On ne conjugue point je pue ni je puis comme il semble
qu'on devroit conjuguer mais je pus, tu pus, il put«. L'assimi-
lation à la 1'*^ conjugaison est probablement due au verbe
tuer.
8® Sangloter a remplacé l'ancien sangloutir (de *singlut-
tire pour singultire; cf. I, § 518, i), encore employé par
Rabelais (III, chap. 2); c'est probablement un dérivé de
sanglot.
9^ Secouer, en vfr. secourre (suc eut ère). Cette forme dis-
paraît au XVP siècle. Oudin (1655) remarque: »Secourre n'est
plus en usage, on se sert de secouer, qui est régulier de la
conjugaison : il faut bannir secouis, et secoux«. Ce sont pro-
bablement secouant, secouons, secouais, etc. qui ont amené
secouer (^ louant^ louons, louais — louer).
10*^ Tisser a remplacé tistre (texere) et tissir. Le point de
départ du changement est probablement à chercher dans tis-
sant, tissais, tissage, etc.
11° Tousser a remplacé l'ancien toussir (tussire), encore
employé par Régnier (Sat. 4) et R. Garnier. A. Paré se sert
le premier de tousser, probablement dérivé de toux.
65. Le groupe des verbes en -er a de tout temps été le
plus nombreux, il s'est enrichi sans cesse et il est, de nos
jours, le seul productif. Aussi voyons-nous que sa flexion, qui
reproduit celle de la V^ conjugaison latine, a joué un rôle im-
portant dans le développement du système verbal français, et
plusieurs formes des autres groupes ont été transformées sur
le modèle des verbes en -are.
P Au participe présent, -ans a été généralisé aux dépens de
-en s, -iens; comp. cantans, debens, se r viens et chan-
tant, devant, servant. Pour les détails, voir § 82.
2° Au présent de l'indicatif, -atis a été généralisé aux dé-
pens de -ëtis, -ïtis, -itis; comp. cantatis, debëtis, scri-
bitis, servïtis et chantez, devez, écrivez, servez. Pour les dé-
tails, voir § 57.
'd^ Au passé défini, on constate au moyen âge une générali-
sation sporadique des formes en -ai. En voici quelques ex-
emples: Bâtèrent (Epître de St. Etienne, VIII, c), rendarent
4
50
(Nouv. franc, du XIII«' siècle, p. 70), rendast (ib., p. 74), secou-
rast (Ph. de Mousket, v. 31224), flécha (Brut de Munich, v. 1462),
conduisa (Jean d'Arras, Mélusine, p. 78), uesta (ib., p. 78), etc.
Surtout cueillir présente souvent un passé déf. en -ai, dû pro-
bablement à l'influence du présent analogique cueille (§ 121).
Les passés définis en -ai appartiennent de préférence au Nord
et au Nord-Est. On les retrouve encore aux XV^ et XVF siècles:
Trois fleurs d'amours je cueillay (ZRPh., V, 528). Et mon
père m'en batta tant (ib., 525). Henri Estienne blâme ceux qui
disent j'escriuay, je renday, pour fescrivi, je rendi (Deux dia-
logues, p. p. Ristelhuber, I, 206). Après la Renaissance, on ne
trouve ces formes que dans quelques rares chansons popu-
laires: Tendit sa belle main blanche, un beau lils receva (Ro-
mania, X, 378).
Remarque. Au moyen âge -er se substitue parfois à -eir, surtout en
anglo-noi'mand, qui présente aver (Chardri, Josaphat, v. 88, 246), saver
(ib., V. 1072), etc. Ce phénomène devient très fréquent aux XIII<= et XIV^
siècles et finit par s'étendre aussi aux verbes en -re et -ir; on trouve dans
les Contes de Bozon (voir l'éd. de P. Meyer, p. LXII): acqueller (accueillir),
assailer, cheer, choiser, empler. plagser, soffrer, etc. La même tendance à
l'unification au profit de la f^ conjugaison s'observe aussi, quoique sur
une échelle moins grande, dans divers patois du Nord et du Midi.
66* Verbes en -ir. — Ce groupe comprend primitivement
les verbes d'origine populaire remontant à la quatrième con-
jugaison latine: bouillir (bu 11 ire), dormir (dormire), mentir
(* m en tire), ouïr (au dire), sentir (sent ire), vêtir (vestire),
etc. Il s'est enrichi par l'apport des groupes suivants:
1" Les verbes germaniques en -jan: Choisir (goth. kausjan),
fourbir (vha. furbjan), fournir (vha. frumjan), garnir (vha.
warnjan), guérir (vha. warjan), haïr (goth. hatjan), rôtir
(vha. rostjan), etc.
2" Quelques verbes (inchoatifs) en -ëre qui ont changé de
conjugaison: fleurir (florëre), languir (la n guère), moisir
(mucëre), poumr (putrëre), etc., et em/>//r (impl ëre), yoMzr
(gaudêre), merir (merëre), puïr (pu ter e), repentir (poeni-
tëre), resplendir (splendëre). Ce changement de conjugaison
est prélittéraire.
3" Quelques verbes en -ëre qui ont changé de conjugaison:
(en)couvir (cupëre), cueillir (colligëre), faillir (fallëre),
51
fouir (fodëre), frémir (fremëre), fair (fugëre), gémir (ge-
mëre), ravir (rapëre), trahir (tradëre), /o////- (to llëre), en-
fa/ii'r (vadëre), t;er/z> (verte re), yom/> (v o mëre). Rappelons
aussi offrir, souffrir (§ 72) et bénir (benedicëre), vfr. maleïr
(maledicëre). Pour plusieurs des verbes cités, le changement
remonte assez haut. Sur fugire, voir Keil, Grammatici laiini,
IV, 185); on trouve gemire dans les inscriptions (C. I. L. XII,
2094).
4" Quelques verbes savants introduits surtout au XV*' et au
XVI^ siècle; plusieurs de ces verbes sont morts maintenant:
on ne dit plus affligir, contribuir, discutir, distribuir, exercir,
exigir, prétendir, procédir, restituir, mais on a conservé abolir
(abolëre), agir (agëre), applaudir (applaudëre), divertir
(divertëre), régir (regëre), etc.
5" La plupart des verbes tirés d'adjectifs: aigrir, chérir, bru-
nir, blêmir, blondir, jaunir, mûrir, affaiblir, abrutir, amincir, as-
sainir, assourdir, enrichir, enhardir, refroidir, etc. Au moyen âge
le nombre de ces dérivés était encore plus grand, on disait
absentir, asseurir, aveuglir, devancir, engrossir, séchir, tardir, etc.
6*^ Quelques verbes dérivés de substantifs: brandir, croupir,
garantir, meurtrir, etc., etc.; au moyen âge on avait aussi
baillir, chevir (de chef), etc. Ajoutons les parasynthétiques
aboutir, aguerrir, anéantir, atterrir, avachir, racornir, etc. Quant
à fanir, ce verbe n'est pas dérivé directement de foin; c'est
probablement une altération de faner (l, § 162), due à l'in-
fluence de fleurir, flétrir. Vaugelas remarque: » Faner, fanir,
fenir sont également bons et signifient une mesme chose. Mais
faner est encore plus usité que les deux autres « (Remarques,
II, 385). On ne forme plus des dérivés en -ir avec des sub-
stantifs ; la création moderne tripolir dérive, il est vrai, de tri-
poli, mais il y a là une sorte de contamination de polir (le
dérivé régulier serait tripoliser; comp. charivariser).
7" Étrécir, qui a remplacé le primitif estrecier, sous l'in-
fluence des verbes en -cir.
67. Les verbes en -ir se divisent en deux classes, dont l'une
reproduit la conjugaison simple des verbes latins en -ire,
tandis que l'autre présente à certains temps un allongement
du radical par l'insertion d'une syllabe dite inchoative -iss-
(-is). Comp. les formes suivantes:
4*
52
servant sers servons servais serve
finissant finis finissons finissais finisse
Cette syllabe tire son origine du latin -esc- dans floresco,
devenu *florisco sous l'influence de l'infinitif vulgaire *flo-
rire pour florere, et du passé déf. vulgaire *florivi pour
florui (on a conservé paresco devenu pareis, parais, parce
qu'il n'y avait pas d'infinitif par ire; comp. *nasco ) nais,
pasco ) pais, cognosco ) connais). Par des raisons pra-
tiques on a conservé à cette syllabe le nom d'inchoative, mais
c'est là une dénomination toute historique et qui ne répond
plus à rien de réel : -iss- a tout à fait perdu sa signification
et n'indique pas comme en latin le commencement d'une ac-
tion; ce n'est maintenant qu'une syllabe de flexion qui ne
change rien à la signification du verbe.
Remarque. On emploie -iss-, comme nous l'avons vu, au participe pré-
sent, au présent de l'ind., au présent du subj., à l'imparfait de l'ind., et à
l'impératif. Si l'on sort de la langue littéraire, on voit que le domaine de
-iss- est encore plus grand et qu'il embrasse aussi le passé défini et le part,
passé. Jaubert cite ainsi, pour les patois du Centre, je mentissis., sentissis,
recouvrissis, souffrissis; finissii, gémissu, haïssu, etc. Pour d'autres détails,
voir A. Risop, Geschichie der franz. Konjugation auf -ir, p. 118 ss.
68. La conjugaison simple était primitivement la plus em-
ployée, l'autre ne comprenant que les dérivés des verbes in-
choatifs latins. Cependant, la conjugaison inchoative gagne vite
du terrain ; elle conquiert d'abord les verbes d'origine germa-
nique (excepté guerpir et haïr, qui ne présentent pas à l'origine
des formes inchoatives), puis peu à peu la plus grande partie
des autres verbes, de sorte que le groupe simple n'est représenté
de nos jours que par une dizaine de verbes: dormir, mentir,
partir, se repentir, sentir, servir, sortir; assaillir, bouillir, cueillir
(nous n'avons pas ici à tenir compte de couvrir, offrir, ouvrir,
souffrir, vêtir, dont le part, passé n'est pas en -/, ni de courir,
quérir, tenir, venir, mourir). Voici maintenant quelques obser-
vations sur le passage de la conjugaison simple à la conjugai-
son inchoative; on verra que même les verbes restés simples
dans la langue littéraire, offrent, dans les anciens dialectes
comme dans les patois modernes, des exemples de l'immixtion
de -iss-.
53
69. Verbes simples devenus inchoatifs:
P Bénir. La flexion inchoative était générale au moyen âge;
on trouve déjà dans le Roland: E si evesque les ewes he-
neîssent (v. 3667). Au présent du subj. l'usage hésite longtemps
entre beneïe et beneïsse. Encore Amyot se sert de la formule
»que Dieu benie« ; c'était un pur archaïsme au XVI*^ siècle.
L'analogie de bénir a influé sur maudire et provoqué les
formes maudissant, maudissons, maudissais, maudisse.
2'^ Croupir. E. Deschamps se sert encore des formes simples:
L'autre en vain se crout {Œuvres complètes, II, 97). Eau crou-
pissante était au moyen âge yaue croupant. Dérivé : accroupisse-
ment.
3^ Emplir. Les formes simples s'employaient encore au
XVP siècle: Car ilz emplent bien leur godet {Ane. théâtre franc.,
III, 379). Les formes inchoatives apparaissent déjà dans le
Psautier de Cambridge. Dérivés : emplage, remplace, et d'après
la conjugaison analogique: remplissage, remplisseur.
4" Faillir. Au sens de 'faire faillite' ce verbe se conjugue
maintenant régulièrement sur le modèle de finir.
5" Fouir, enfouir. Les formes simples s'emploient jusqu'à la
Renaissance : Ung champ de terre Auquel on enfoue et enterre
Les povres pèlerins (Greban, La Passion, v. 21710). Dérivés:
enfouissement, enfouisseur ; fouisseur est déjà dans Oresme (en-
viron 1380).
6" Qloutir, engloutir. La conjugaison inchoative l'a emporté
déjà au moyen âge. Dérivés : engloutissement, engloutisseur (qui
a remplacé englouteur).
7" Guerpir, déguerpir. Les formes simples ne se trouvent
que dans quelques textes isolés (notamment Benoît de S*^ More,
Chronique des Ducs de Normandie); partout ailleurs on em-
ploie les formes inchoatives. Dérivé: déguerpissement.
S*' Haïr. Ce verbe est resté simple jusqu'à la Renaissance
et Noël du Fail dit encore hayoit {Œuvres facétieuses, I, 115).
Les formes inchoatives, dont on ne trouve que de rares traces
au moyen âge, deviennent générales vers la fin du XVI*' siècle.
De l'ancienne conjugaison simple la langue moderne a retenu
une seule forme, je hais (§ 126, 2).
9" Jouir. Au moyen âge, les formes simples s'employaient à
côté des formes inchoatives. On avait également jouiance, joui-
ahle, à côté de jouissance, jouissable.
54
10® Nourrir. La conjugaison inchoative l'emporte de très
bonne heure sur la simple. On trouve encore dans un des
contes de Baudouin de Condé (éd. A. Scheler, I, p. 108, v. 35)
le présent primitif: Envie envenimée, u neiire Tous maus;
mais les copistes, qui disent norist, ne comprennent plus u
neure et l'ont remplacé par enneure.
11® Resplendir. Une dernière trace des formes simples se
trouve dans Palsgrave qui mentionne je resplens à côté de je
resplendis; mais il ajoute »all other tenses be ever usedofthe
sec. conj.«
12® Vertir et les composés avertir, convertir, pervertir, re-
veriir abandonnent de bonne heure la conjugaison simple. On
trouve dans la Vie de St. Alexis reverl (v. 70) ; mais le Roland
offre déjà cunvertisset (v. 3674).
70. Verbes simples montrant sporadiquement des formes in-
choatives :
1® Bouillir. On trouve au moyen âge bouillissant, esbouillisse,
parbouillisse, etc., mais la conjugaison siinple l'emporte. Dé-
rivés : débouillage et débouillissage.
2® Couvrir. Des formes inchoatives s'emploient dans les
patois : Quand la belle n'a vu cela, la belle n'a tombé morte.
Couvrissez-\a de mon manteau et mettez-la dans mon tombeau
(Romania, VII, p. 76).
3® Cueillir. Des formes inchoatives s'emploient dans les
patois: Que sert d'être auprès du rosier, sans en pouvoir
cueillir la rose? Cueillissez, amant, cueillissez, car c'est pour vous
qu'elles sont écloses (Romania, VII, 61). Littré blâme cueillis-
sage, au lieu de cueillage, comme »une forme barbare*.
4® Mentir. Des formes inchoatives s'emploient dans les pa-
tois. Au Centre on dit au présent je mentis et au passé déf.
je mentissis (voir le Glossaire du C*^ de Jaubert).
5® Partir. La conjugaison simple a prévalu après beaucoup
d'hésitations. Les formes inchoatives remontent très haut; on
lit déjà dans le Roland: El plus espes sis rumpent e partis-
sent (v. 3529). Répartir, impartir, mipartir se conjuguent sur
finir.
6® Saillir. Ce verbe se conjugue de deux manières différentes
selon la signification qu'on y attache. Au sens de 'être en
saillie' il a conservé l'ancienne conjugaison simple: // saille,
55
saillant, il saillait, il saillera; du reste ces formes ne sont pas
très usitées; la conjugaison simple s'emploie aussi dans les
composés assaillir et tressaillir. Au sens de 'jaillir', au contraire,
il se conjugue comme les inchoatifs: saillissant, saillis, saillis-
sais, saillirai. Cette flexion a même envahi le composé tres-
saillir, auquel plusieurs écrivains du XVIIP siècle ont prêté
un nouveau présent je tressaillis au lieu de je tressaille (pour
les exemples, voir Littré).
7^ Sortir. La conjugaison simple a prévalu après beaucoup
d'hésitations; on trouve encore dans Palsgrave nous sortissons.
Ajoutons que notre verbe en terme de jurisprudence ('obtenir')
a gardé les anciennes formes inchoatives. Quant aux com-
posés, ressortir (sortir de nouveau) se conjugue comme sentir,
tandis que ressortir (être du ressort de) se conjugue comme
finir.
8^ Vêtir. Ce verbe a gardé la conjugaison simple jusqu'à
nos jours, au moins officiellement, car dès le moyen âge des
formes inchoatives se montrent assez souvent. Malherbe blâme
chez Desportes vestit pour vest, Vaugelas défend revestant, re-
vestois contre revestissant, revestissois (Remarques, I, 369), et plu-
sieurs auteurs classiques, depuis Bossuet et Voltaire jusqu'à
Lamartine, s'obstinent à dire je vêtis, je vêtissais, pour je vêts,
je vêtais. Investir, qui se conjugue comme finir, est un mot
savant. Dérivés: Vêtement, revêtement, investissement.
Remarque l. Il est curieux de constater qu'un verbe en -re, bruire, pré-
sente des formes inchoatives dues à une assimilation fautive. Ainsi, à côté
de bruyant, bruyais l'usage introduit bruissant, bruissais employés par Ber-
nardin de St. Pierre, Chateaubriand. Lamartine et d'autres. Ces formes, aux-
quelles s'ajoute un nouveau subj. que je bruisse, ont été faites sur le modèle
de bruissement (dérivé fautif de bruire, et qui a remplacé l'ancien bruie-
ment); les puristes les ont condamnées. Rappelons que Boissonade corrige
dans Chateaubriand bruissaient en bruyaient (Revue d'hist. littéraire, V, 282).
Remarque 2. Les verbes de forme inchoative ne passent jamais à la forme
simple. Les fautes de ce genre font sourire. Une des plaisanteries favorites
du célèbre clown Auriol (1808—1881) était de s'écrier: S'il faut périr, pé-
rons! en parodiant ainsi certains vers tragiques de Corneille (voir Alexandre,
Les mots qui restent, p. 143).
71. Les verbes en -ir, beaucoup plus nombreux que ceux en
-re ou -oir, sont pourtant très inférieurs en nombre à ceux en
-er. Leur influence sur les autres groupes n'est pas très grande;
56
elle se réduit à peu près à la généralisation au passé défini
de -is, qui remplace -ai, moins souvent -us. Les formes ana-
logiques en -is se rencontrent dès le moyen âge jusqu'à nos
jours; elles appartiennent surtout à l'Est. Dans un manuscrit
bourguignon du XI V*^ siècle, M. P. Meyer a signalé arestist,
morit (Romania, VI, 46). Comp. devancist (ib., VII, 191), tro-
vit (Floovent, v. 6), aportireut (v. 1228), etc. Les parfaits en -/
étaient très employés au temps de la Renaissance: Avecques
elle me couchy (Paris, Chansons pop. du XV^ siècle), fengagis
(Ane. th. fr., II, 267), frappit (ib., I, 276); on trouve aussi
dans Rabelais tombit, arrachit, franchit, etc., etc.; mais grâce
aux efforts réunis des poètes et des grammairiens, qui les
condamnent à qui mieux mieux, ils ne tardent pas à dis-
paraître de la langue littéraire. Citons à titre de curiosité une
épigramme (n° 276) de Clément Marot sur » quelques mauvaises
manières de parler « :
Collin s'en allit au Lendit
Où n'achetit ni ne vendit,
Mais seulement, i\ ce qu'on dit,
Dérobit une jument noire.
La raison qu'on ne le penda
Fust que soubdain il responda,
Que jamais autre il n'entenda,
Sinon que de la mener boire.
(Cl. Marot, Œuvres. La Haye, 1731. Vol. III, 197.)
Henri Estienne observe dans sa Grammaire: »Au parfait, plu-
sieurs disent: falli, tu allis, il allit, je bailli, je mandi pour
j'allay, tu allas, il alla, je baillay, je manday, et au contraire,
je cueillay, j'escrivay, je renday, je venday pour je cueilli, jescrivi,
je rendi, je vendi: c'est surtout à la première personne que
cette faute se commet, et tel qui dit je venday ne dira pas il
venda<< (comp. Livet, La Grammaire française, p. 436, 341).
Après le XVP siècle, les formes en -is ne se rencontrent que
dans les patois et le langage populaire. Le paysan Gareau
dans le Pédant joué les emploie à tout moment: je ramenis,
il demeurit, il épousit, nous allimes, etc. Citons encore une chan-
son du XVIF siècle: »I1 m'enfermit dans notre cave — Et me
traitit comme un esclave — J'y demeuris toute la nuit«, etc.
(Paris burlesque, p. 111), et un fragment d'une lettre de 1739
(publiée dans M. F, Talbert, De la prononciation en France.
57
Paris 1887. P. 39), où il s'agit d'un voyageur qui raconte la
rencontre qu'il a faite sur la Loire de deux femmes de la pro-
vince: »Ces deux Comeres étaient assez gentilles, et leur ma-
nière de changer la terminaison des Aoristes, me divertit bau-
coup. — Quand je passis par ici, disoit l'une, je couchis à
Coiron (c'est un bourg situé sur le bord de la Loire). — Et
moi, reprenoit l'autre, je n'y couchas pas ; je sai par expérience
qu'il y fait cher vivre; f allas jusqu'au Pèlerin (c'est encore
une paroisse de l'autre côté de la Loire). — Voilà comme
toute leur conversation raisonoit en is et en as«. On en trouve
aussi beaucoup d'exemples dans les chansons populaires, non
seulement dans les rimes, mais aussi hors des rimes: retournit:
liit (Romania, X, 367), veni: presentit {ib., 376), amt: fini (Rol-
land, I, 78), elle regardit (Romania, X, 378), il Venvoyit {ib., XI,
587), etc. Rappelons enfin les fameux vers sur Carabi, qui
Monta sur un arbre
Pour voir ses chiens couri.
Mais la branche cassit.
Et Carabi tombit.
CHAPITRE VI.
L'INFINITIF.
72. Le latin connaissait quatre terminaisons difïérentes (-are,
-ère, -ëre, -ireX Q^^ toutes ont été reproduites en français:
^ cantare > chanteiy^eb ër e ) devoir, perdëre } perdre, sen-
ti re > sentir. Les quelques infinitifs qui présentaient une ter-
minaison spéciale ont été refaits: ^^E s se" est devenu *essëre,
d'où estre, ê/reJ(comp. it. essere; prov. esser; esp., port. ser).
P os se a été remplacé par *potëre (voir ALLG, II, 46), d'oîi
£oeir, pooir, pouvoir (comp, roum. putea, it. potere, esp. poder).
Velle a été remplacé par * vol ëre (les inscriptions donnent
voles, volet; C. I. L. IV, 1863, 1950, 1751; X, 4972), d'où
vouloir (comp. roum. vrea, it. volere, prov. voler). Offerre et
sufferre sont devenus *offerire et *sufferire, d'où offrir,
souffrir (comp. it. offerire, sofferire; prov. ufrir, suffrir); sur une
continuation hypothétique des infinitifs classiques, voir § 214, 3.
Remarque. Dans la langue moderne le mot /ic/ie, qui est originairement
une substitution euphémistique (I, § 120), peut prendre les fonctions de l'in-
finitif sans en avoir la forme: Je ne saurais plus fiche une machine comme
ça (Concourt, Manette Salomon, p. 412). Tout ce qu'il y a de plus commode
pour se fiche par la fenêtre (Daudet, Sapho, p. 227). J'avais envie de les
fiche à bas. Tu vas te faire fiche à la porte, toi.
73. ARE. Cette terminaison se développe de deux manières
différentes selon la nature de la consonne précédente:
1" Non précédé d'une palatale, -are devient -er: cantare
) chanter, porta re > porter, donare > donner, etc. Sur la
prononciation de cet -er, voir I, § 172.
59
2° Précédé d'une palatale, -are devient -ier (I, § 192): ju-
dicare y jugier, laxare ) laissier, tractare ) traitier, vigi-
lare ) veillier, etc. A la fin du moyen âge cet -ier devient -er
au Centre, grâce à un développement en même temps ana-
logique et phonétique (I, § 193): jugier } juger, laissier > lais-
ser, etc.
Remarque, Un pareil développement de l'a se retrouve au participe passé
(judicatus > jugiez), à la 2^ pers. plur. du prés, de l'ind. (judicatis >
jugiez) et à la 3^ pers. plur. du passé déf. (judicaverunt > jugierent).
74. ERE (avec ë long) se développe de deux manières dif-
férentes, selon la nature de la consonne précédente.
P Non précédé d'une palatale, -ère devient régulièrement
-eir, plus tard -oir (I, § 155): ha b ère > aveir, avoir; debere
) deveir, devoir; videre ) veeir, veoir, voir; manere ) ma-
noir; do 1ère ) douloir ; cal ère ) chaloir; movere > mou-
voir, etc.; ajoutons encore * pot ère (§ 72) > pooir, pouvoir;
"'volere (§ 72) > vouloir. Dans cadëre, fallëre, pluëre,
sapëre, la terminaison -ëre a été remplacée par -ëre, d'oii
choir, falloir, pleuvoir, savoir.
Remarque. On emploie sporadiquement au moyen âge -oir au lieu de
-er. Le Dictionnaire de Godefroy donne des exemples de esprouvoir, resprou-
voir, sauvoir, trouvoir. Dans les dialectes du Nord on trouve osoir.
2" Précédé d'une palatale, -ëre devient -ir (I, § 191): ja-
cere ) gésir, licere ) loisir, lucere ) luisir, nocere ) nui-
sir, placere ) plaisir, tacere ) taisir. De ces formes, la
langue moderne n'a guère conservé, en fonction d'infinitif, que
gésir. Dès le XIP siècle, luisir et nuisir sont remplacés par luire
et nuire (^ cuire), plaisir et taisir par plaire et taire {jà. faire).
Loisir est mort depuis longtemps comme infinitif; il a été
conservé comme substantif ainsi que plaisir.
75. Doublets. Plusieurs verbes en -oir avaient des formes
collatérales en -re ou -ir.
1*^ A côté de -oir, on trouve -re dans: ardoir — ardre, dou-
loir — doudre, manoir — moindre, semonoir — semondre, con-
cevoir — conçoivre, percevoir — perçoivre, recevoir — reçoivre,
mouvoir — muevre, etc. Ces formes en -re remontent à des
infinitifs vulgaires en -ëre, ou sont tirées du futur: le point de
/
60
départ de doudre est probablement doudrai (*doleraio; cf.
§ 216); ardre peut s'expliquer par ardrai ou dériver de *ar-
dëre (comp. it. ârdere; lad. ârder ; roum. ardea). Comp.
§ 79, 2.
2° A côté de -oir on trouve -ir dans les trois verbes cheoir,
seoir, veoir. Les doublets cheïr, seïr, veîr sont assez répandus;
on les trouve surtout dans le Vermandois, la Flandre, le Hai-
naut, le Liégeois, mais ils apparaissent aussi dans la Franche-
Comté et même dans l'Ile-de-France (voir Pèlerinage de Charle-
magne, v. 31, 442; Aiol, v. 3996; Richart le Beau, v. 2335;
Chev. as deus espées, v. 7678; Aucass. et Nicol., etc., etc.). Plu-
sieurs textes emploient à la fois les deux formes; on trouve
ainsi dans le Bastart de Bouillon veoir (v. 361), veïr (v. 1286)
et même vir (v. 290, 522). Elles sont probablement l'effet d'une
analogie dont le point de départ est le passé défini en -it (les
autres verbes en -oir ont -ut). — Les fameuses formes savir et
podir des Serments de Strasbourg ne sont probablement que
des notations gauches pour saveir et podeir (comp. dans les
mêmes textes sit pour seit).
3" Tenëre, qui a donné en français tenoir et tenir, demande
un examen à part. On trouve tenir déjà dans la Vie de St.
Alexis, où cette forme est assurée par l'assonance (v. 151,596),
mais dans St. Léger il y a tener, qui assonne avec aver (v. 99),
et plusieurs textes postérieurs présentent alternativement les
deux formes; ainsi Raoul de Cambrai emploie tenir: gehir
(v. 335) et tenoir: ardoir (v. 3834). L'infinitif tenir ne remonte
pas à l'époque du latin vulgaire (cf. roum. tinea; ital. tenere;
esp. tener; port, ter), c'est une forme analogique postérieure
due à l'influence de venir.
76. ERE (avec è bref) devient -re: credere ) croire, per-
dere ) perdre, légère ) lire, ducere > duire, molere >
moudre, plangere > plaindre, cognoscere > connaître, etc.
Notez scribere ) escrivre ) escrire, et bibere ) beivre, boivre
) boire. Sur currere et qu aérer e, qui donnent courre et
guerre, au lieu de cour et quer (comp. ferrum } fer), voir ci-
dessus § 49,2.' Dans mordëre, respondêre, ridëre, ton-
dëre, torquêre, la terminaison -ëre a été remplacée par
-ëre, d'où mordre, répondre, rire, tondre, tordre.
61
Remarque. Sous l'influence des formes en -ir (§ 78) on trouve parfois au
moyen âge confir, desconfir, suffir, occir, circoncir, etc. Déjà le fragment
d'Alexandre offre dir (v. 39).
77. Doublets. Plusieurs verbes en -re avaient une forme
collatérale en -ir:
P Courre <( currëre; le doublet courir, qui l'emporte, ap-
paraît seulement à la fin du moyen âge. Vaugelas soutient
qu'il faut dire faire courir le bruit, mais il admet courre for-
tune et courre la poste (Remarques, I, 400). Aujourd'hui, courre
ne s'emploie que comme terme technique; on dit courre le cerf,
laisser courre les chiens, une chasse à courre, courre un cheval;
partout ailleurs l'ancienne forme a été supplantée par courir.
2^ Naistre <( *nascëre; le doublet nasquir, dû au passé
défini nasquis (§ 180, i. Rem.) s'employait encore au XVP siècle
(Livet, La grammaire, etc., p. 228).
3° Querre ( quserëre; le doublet gumV, qui l'emporte dans
acquérir, conquérir, n'est pas ancien. On dit acquerre et con-
querre encore à la fin du XVI^ siècle (Garnier, Antigone, v. 814;
Cornélie, v. 1641).
4° Rompre < rumpëre; le doublet rompir (Mort de Garin,
p. 247), peu employé, a été tiré du passé déf. rompis.
5® Suivre <( * s e q u ë r e ; le doublet suivir est tiré de suivis.
Encore R. Garnier se sert de poursuyvir (Porcie, v. 833).
6° Vaincre <( vincëre; le doublet yainguzr (Greban, La Pas-
sion, V. 20682) est tiré de vainquis.
70 Vivre < vivëre; le doublet peu fréquent vesquir est tiré
de vesquis (§ 176, 2). ~~
Remarque. Le même verbe présente parfois jusqu'à cinq ou six formes
à l'infinitif. Examinons comme exemple t rem ère, représenté dans la vieille
langue par criembre, criendre, craindre, cremer, cremir, cremoir. La forme
étymologique est criembre, dont criendre et craindre sont des modifications
analogiques dues à l'influence de plaindre et du présent étymologique criem
(§ 47). Cremer est tiré des formes cremons, cremoie, cremant (comp. semer,
semons, semoie, semant, et § 64,9); cremir peut être dû à une autre analogie
des mêmes formes (servir — servons, servoie, servant); cremoir, enfin, est
tiré de crema, cremui (comp. § 93).
78. IRE devient -ir: audire ) ouïr, se r vire ) servir, ve-
nire > venir, etc. Sur les verbes en -ëre et -ëre qui ont
changé de conjugaison, voir § 66. Notez le développement de
•■•'fugire > fuir > fuir [fyir] (comp. I, §455). Au XVIP siècle,
62
-ir se prononçait -/ (voir I, § 364); la consonne finale a re-
paru dans la langue cultivée, mais elle est ordinairement
muette dans les patois: Mon fi, quand la feras -tu mouri
(Bujeaud, Chants et chansons populaires, II, 231). Ne tarde pas
à s'endormi (ib.). Reveni {ib., II, 244). J'irions vous le quéri
(Decombe, Chansons populaires, p. 214). Qui m'empêche de
dormi (Roinania, X, 196), etc.
Remarque. Sous l'influence des formes en -(u)ire (§ 76) on trouve parfois
au moyen âge faire, paire, etc. Il y a hésitation entre bénir et benire; cette
dernière forme est encore employée par Garnier {Cornélie, v. 906).
79. Doublets. Plusieurs verbes en -ir ont une forme col-
latérale en -oir ou -re.
P A côté de faillir (de *f al lire pour faUëre; cf. it. fal-
lire, prov. falhir) on trouve falloir, création plus récente. On a
gardé les deux infinitifs, et le verbe primitif s'est scindé en
deux: faillir a conservé sa signification primitive telle quelle,
tout en l'élargissant un peu, tandis que falloir, de l'idée de
manque, est arrivé à l'idée de besoin: 'l'argent lui faut', c'est-
à-dire: l'argent lui manque, devient: l'argent lui fait besoin,
l'argent lui est nécessaire.
2^ A côté de -ir on trouve -re dans: assaillir — assaudre,
bouillir — boudre, grondir — grondre, issir — istre, tollir — toldre;
découvrir — découvre, couvrir — couverre, souffrir — souferre,
ferir — ferre, etc. L'origine de beaucoup de ces formes en -re
est probablement à chercher dans le futur (comp. § 75, i).
80. Rapport de l'infinitif avec les autres temps. L'infinitif
est surtout lié au futur qu'il influence et dont il est influencé;
on constate aussi l'existence d'un rapport moins étroit entre
l'infinitif et le présent et le passé défini.
1" Un nouvel infinitif est parfois tiré du futur: ainsi istre
pour eissir provient de istrai (^^ naistrai — naistre), autre forme
de eissirai. Nous avons cité ci-dessus plusieurs infinitifs formés
de la même manière; ajoutons tindre et vindre employés dans
beaucoup de patois modernes pour tenir et venir (voir Nisard,
Langage populaire, p. 234, et le Glossaire du C**" de Jaubert).
Comp. ci-dessous § 216, 2.
2° Un nouvel infinitif est parfois tiré des passés définis
en -is; nous avons déjà cité nasquir, rompir, suivir, vesquir
63
(§ 77); ajoutons évanouir de évanouit, tiré directement de eva-
nuit (comp. § 174, Rem.).
3" La voyelle tonique propre à l'infinitif peut s'introduire au
présent et au futur: c'est ainsi à l'influence de asseoir, choir,
voir que sont dues les formes refaites assoit, assoirai, choit,
choirai, voirai, pour assiet, asserrai, chiet (§ 119, i), cherrai, ver-
rai (§ 208, 5).
4° La voyelle atone de l'infinitif peut se généraliser (trouver,
trueve > trouver, trouve) ou se changer sous l'influence de la
voyelle des formes fortes du présent (amer, aime} aimer, aime);
comp. § 22.
CHAPITRE VII.
LE PARTICIPE PRÉSENT
ET LE GÉRONDIF.
81. Le latin classique possédait pour le participe présent
trois terminaisons différentes, -ans, -ens, -iens: cantans,
debens, scribens, partiens, servions. En français, on
na que la seule terminaison -ant: chantant, devant, écrivant,
partant, servant; c'est celle de la première conjugaison qui l'a
emporté (cf § 65, i): chantant remonte à cantantem, les
autres formes citées sont analogiques.
Remarque. Le participe présent se confond en français avec le gérondif:
(in) cantando aboutit comme cantantem à chantant; les deux autres
terminaisons du gérondif, -endum, -iendum (scribendum, partien-
dum) disparaissent et sont remplacées, comme au participe présent, par
-ant. Cette généralisation est propre au français. Le portugais a conservé les
trois terminaisons: cantando, escrevendo, partindo, et il en est de même en
Obwald. Dans les autres langues romanes, elles ont été réduites à deux,
-ando et -iendo (qui a supplanté -endo) en espagnol: cantando, escribiendo,
partiendo; -ando et -endo (qui a supplanté -iendo) en italien: cantando,
scrivendo, partendo, et en provençal : cliantan, escriven, parten.
82. Développement des terminaisons.
P Antem devient régulièrement -ant: cantantem > chan-
tant, portantem > portant, etc. Cette terminaison s'est étendue
aux autres conjugaisons avant le dixième siècle, comme le
montre la chanson de St. Alexis, oii les représentants français
des participes manens, vivens, sedens, tenens, figurent
dans des assonances en -an sous les formes remanant (v. 10),
vivant (v. 39), sedant (v. 114), apartenant (v. 272).
65
2^ Entem, nous venons de le voir, a disparu dans une
époque prélittéraire devant -antem: debentem > de vente
) ^devante ) devant. Cette substitution n'a eu lieu qu'après
l'assibilation du c, comme le montre disant, qui .remonte né-
cessairement à dicentem (comp. vicinum > voisin, I, § 416),
et non pas à *dicantem, qui aurait donné diant (comp.
dicam > die). Rappelons que le dialecte lorrain du moyen
âge conservait la terminaison originaire ; à côté de aidant, con-
fortant, on avait servent, pendent, tenent, etc.
Remauque. On trouve -ent dans un certain nombre de mots savants (ad-
jectifs et substantifs): absent, adhérent, présent, affluent, concurrent, différent,
équivalent, excellent, influent, négligent, précédent, président, etc. Comp.
3*^ lentem a été absorbé par -entem qui, à son tour, a été
remplacé par -ant: dormientem ) *dormente ) dormant;
facientem ) *facente > faisant; morientem ) *morente
> mourant; partientem ) *partente > partant; recipien-
tem ) *recipente ) recevant; sapientem > *sapente > sa-
vant, etc. La disparition de -i en te m remonte assez haut; dans
une inscription de l'an 31 après J.-C. on lit facendo (Schu-
chardt, II, 445), et dans les manuscrits mérovingiens on trouve
sapenti, recipendi, convenendi, etc. Ajoutons que -ien s
s'est propagé, dans un seul cas, à un verbe de II; on trouve
doliens (C.I.L., XII, 2863) pour dolens, et le Jonas offre
doliants.
Remarque. La terminaison -lentem Vest conservée dans une forme qui
de_lmrme heure^esT'devermê substantif: servientem > sergent (la forme
verbale servant remipate^à~*sëTviirfëm}r~On trouvé"^ zen f dans quelques
mots savants (adjectifs et substlmtî^)T"e/"/icie/if, émoUient, expédient, orient,
patient, récipient, etc. Ajoutons pour la vieille langue escient, souvent employé
dans la combinaison mien escient(re) « lat. vulg. meo sciente pour me
scie n te); le français moderne a gardé le mot d'ans les locutions à mien
escient, à bon escient.
83. Formes particulières.
P Bibentem > vfr. bevant, d'oti buvant (1, 233, i); une
troisième forme boivant, modelée sur boire, boit, etc., apparaît
sporadiquement. Ménage remarque: »Les Provinciaux disent,
en boivant. Il faut dire, en buvant« (Observations, p. 221).
5
66
2^ Cadentem > vfr. cheant (ou chaant), d'où chéani (dans
déchéant, échéant) ou cheijant (employé encore par Rostand,
Cyrano de Bergerac, p. 142). Cheant aurait dû donner chant,
mais une telle forme monosyllabe aurait fait disparate avec
tous les autres participes présents, et comme on a voulu dis-
tinguer la terminaison d'avec le radical, la synérèse ordinaire
(I, § 265) n'a pas eu lieu; on la trouve au contraire dans
l'adjectif mescheant > meschant > méchant. Comp. ci-dessous le
développement de credentem'et de sedentem.
3*^ Credentem devient créant, remplacé par croyant (sous
l'influence de croire, crois, croie) ; comp. mécréant, oh l'ancienne
forme s'est conservée.
4" Habentem devient avant, qui se rencontre rarement
(voir les Psautiers d'Oxford et de Cambridge); la forme ordi-
naire est ayant, modelé sur le présent (ai, aie).
5" Legentem aurait dû donner leant; cette forme n'existe
pas, on n'a que lisant, dont l'explication reste à trouver (cf.
§ 44, 2).
6*^ Po tente m devient poant, pouant, pouvant (I, § 279,2).
Le doublet puissant, qui est devenu un pur adjectif, a été
modelé sur le présent (puis, puisse).
7" Prendentem devient prendant, remplacé par prenant
qui probablement a été modelé sur venant (cf. § 40, 2). Les
deux formes s'employaient simultanément au moyen âge.
8° *Sapentem (pour sapientem, voir § 82,3) donne sa-
vant qui s'emploie comme participe présent encore au XVP
siècle: Phaeton ... ne sçavant ensuyvre la ligne ecliptique
(Rabelais, II, 2). Depuis ce temps-là, savant est exclusivement
adjectif ou substantif; comme part. prés, on se sert de sachant,
dont on trouve des exemples déjà au XIP siècle; c'est une
forme refaite sur sache.
9" Sedentem devient séant, conservé sous les deux formes
séant (bienséant, malséant) et seyant (asseyant, rasseyant; on
trouve aussi assoyant; comp. § 119,4).
10^ Valentem devient valant; le doublet vaillant, qui est
aujourd'hui un pur adjectif, a été modelé sur le présent (vail,
vaille) : un reste de son ancien sens verbal se trouve dans
n'avoir pas un sou vaillant, avoir dix mille écus vaillant. Vau-
gelas remarque sur ces locutions: »I1 est vray que selon la
raison il faudroit dire, cent mille escus valant, et non pas, cent
67
mille esciis vaillant, parce qu'outre l'équiuoque de vaillant, et
la reigle qui veut qu'on ne face point d'équiuoque sans néces-
sité, valoir fait valant, comme vouloir fait voulant, et non pas
vaillant. Aussi l'on dit équivalant, et non pas équiuaillant. Mais
rVsage plus fort que la raison dans les langues, fait dire à la
Cour et escrire à tous les bons Autheurs, cent mille escus vail-
lant et non pas valant. C'est en Poictou principalement, où
l'on dit valant (Remarques, I, 99).
11° Vol ente m > volant, voulant. Au moyen âge on avait
aussi vueillant fait sur vueil (§ 121) et vueille (§ 143). Cette
forme est restée sous une forme altérée dans bienveillant (bien-
veillance) et malveillant (malveillance).
84. Doublets. La langue actuelle possède en plusieurs cas
deux (parfois trois) formes du participe présent du même
verbe. En règle générale, l'une de ces formes fonctionne comme
verbe, l'autre comme nom.
1 " Doublets d'origine française. Nous avons vu que parfois
le développement analogique amène la création d'une nouvelle
forme; cette forme remplace l'ancienne (comp. avant et ayant)
ou reste à côté d'elle. Voici quelques exemples de ce dernier
phénomène; nous citons d'abord la forme étymologique sans
égard à la fonction que lui attribue l'usage actuel : amant —
aimant, chéant (dans déchéant, échéant) — cheyant, créant (dans
mécréant) — croyant, ponant — pondant, pouvant — puissant,
savant — sachant, séant (bienséant, malséant) — seyant — as-
soyant, sergent — servant, valant — vaillant.
2" A côté des participes présents on a parfois des doublets
savants, qui présentent une orthographe étymologique et qui
fonctionnent exclusivement comme noms. Exemples: différant
— différent, équivalant — équivalent, excellant — excellent, in-
fluant — influent, négligeant — négligent, précédant — précédent,
présidant — président, etc. ; convainquant — convaincant, extra-
vaguant — extravagant, fabriquant — fabricant, fatiguant —
fatigant, intriguant — intrigant, provoquant — provocant, etc.
On voit que ces doublets sont ordinairement des homonymes ;
des cas comme concourant — concurrent sont rares. Rappelons
aussi arrogeant et arrogant, dérivé de l'ancien verbe arroguer
(comp. I, § 434, i) ou directement du latin arrogans.
5*
68
85. Rapport du participe présent avec les autres temps. —
Le participe présent est surtout lié au présent de l'ind. et
du subj., dont il subit une certaine influence; il est rare qvie
le part. prés, influe sur les autres temps.
1° Les formes analogiques déjà citées ayant, puissant, sa-
chant, vaillant sont modelées siir ai (aie), puis (puisse), sache,
vail (vaille); ajoutons les anciennes formes veignant (dans
hienveignant), vueillant, diant, doublets de venant, voulant, di-
sant, et modelées sur veigne (§ 144), vueille (§ 143, 2), die
(§ 139,4).
2^ Une influence sporadique de l'infinitif et du futur se
manifeste dans le d de pondant, sourdant, tordant (§ 37), et le
c de vaincant (§ 34).
3° Le participe présent et les formes qui s'en rapprochent
influencent parfois les autres temps; rappelons dise et écrivis
qui remplacent die (dicam) et escrisis (scripsisti), grâce à
l'influence de disant (disoie) et escrivant (escrivoie).
4° La voyelle atone du part. prés, peut se généraliser
(§ 22, 1) ou se changer sous l'influence des formes fortes du
présent (plovant pleut — pleuvant pleut) ou du présent et de
l'infinitif (veant voit veoir ) voyant voit voir, créant croit croire
y croyant croit croire).
86. DÉCLINAISON. Le participe présent se déclinait au moyen
âge comme un adjectif (cf. § 249):
(Masculin) (Féminin)
Cas sujet chantanz chantant, chantante
Cas régime chantant chantant, chantante
Cas sujet chantant chantanz, chantantes
Cas régime chantanz chantanz, chantantes
L'addition de Ve au féminin remonte au moins au XII^ siècle;
on trouve par ex. dans le Comput de Philippe de Thaun ar-
dante (v. 401), trenchantes (v. 669), etc. Les formes étymo-
logiques sans e restent en usage, surtout au pluriel, jusqu'au
XVP siècle. Antoine de La Salle écrit tantôt causes suffisons,
tantôt causes suffisantes (Quinze Joies de mariage. La lO^^joye).
La même hésitation se trouve dans les auteurs de la Renais-
sance. Desportes écrit: »Non, pour mille vertus honorans ta
jeunesse*, mais Malherbe observe: »C'est mal parlé, il fallait
69
ici, un participe féminin. Or le participe féminin ne vaudroit
rien, il devoit donc user d'une autre façon de parler. « De nos
jours, le participe présent est toujours^nyariable quandJLLjdé^
signe uneaction; empjoye comme^adjectif il s'accorde, comme
tous les adj^eçtifs, en genre et en nombre avec le substantif
augiiel il se rapporté. Ces règles, dont nous parlerons plus en
détail dans la Syntaxe, datent du XVII^ siècle: le samedi 3 juin
1679, l'Académie décida qu'on ne déclinerait plus les parti-
cipes actifs.
CHAPITRE VIII.
LE PARTICIPE PASSÉ.
87. On avait en latin des formes faibles et des formes fortes;
les premières avaient l'accent sur la terminaison, les secondes
sur le radical.
1" Les formes faibles se terminaient en -atum, -etum, -utum,
-itum: cantatum, deletum, consutum, dormitum. De
ces terminaisons, -etum a tout à fait disparu, les autres se
sont maintenues: chanté, cousu, dormi.
2" Les formes fortes se terminaient en -sum ou -tum: mis-
sum, cursum, factum, victum, debïtum, etc. Plusieurs
de ces formes se sont maintenues: missum > mis, factum
> fait; plusieurs ont disparu devant des formes faibles ana-
logiques, ainsi victum a été remplacé par vaincu, cursum
par couru, debitum par dëu, dû, etc.
A. FORMES FAIRLES.
88. Atum, propre à la l""^ conjugaison, s'est maintenu en
français sous la double forme d'é ou d'/é selon la nature de
la consonne précédente (§ 73): cantatum ) chanté, amatum
> amé, aimé, j u die atum )y«^zé, coUocatum ) couchié, etc.
Les formes en -ié s'assimilent au XV siècle à celles en -é:
jugié > jugé, couchié > couché.
Remarque. Notons l'existence dans I de quelques formes non étymologiques
en -u. On trouve au moyen âge à côté de esté, arresté les formations ana-
logiques estu (estëu), arrestu (arrestëu). Dans la langue moderne on emploie
comme euphémisme (comp. § 72, Rem.) fichu à côté de fiché. On dit in-
distinctement: Je lui ai fichu ou fiché une claque.
71
89. Itum donne régulièrement -i: dormitum ) rform/, ser-
vitum > servi, auditum > ouï, etc. Cette teiminaisoiL_a_jété
appliquée à presque_tous j£s — verbes de_lV. On lit dans le
glossaire de Reichenau (I, § 12): Sepulta i. e. sepelita;
cette forme vulgaire se retrouve dans le français enseveli;
comp. encore senti (lat. sensum), repenti, etc.
Remarque. Il y a eu confusion entre les terminaisons -/', -is, -it. C'est -i
qui l'a emporté dans ri < vfr. ris < risum, et suffi < vfr. soufit ( lat. suf-
fectum. C'est -it qui a eu le dessus dans les formes féminines patoises
finite (Jaubert, I, 437), assite. Rappelons encore pour la langue littéraire les
doublets béni, tiré régulièrement de bénir, et bénit, probablement une con-
tamination de benoît (§ 102, 7) et de béni.
90. Quelques verbes en -ir ne présentent pas de part, passé
en -i. Un tel désaccord entre l'infinitif et le participe se trouve
dans courir — couru, férir — féru, issir — issu, tenir — tenu,
venir — venu, vêtir — vêtu, couvrir — couvert, ouvrir — ouvert,
offrir — offert, souffrir — souffert, mourir — mort, acquérir —
acquis. Voici comment s'expliquent ces formes:
P Couru et tenu ont remplacé cursum et tentum (§ 104)
et sont conformes aux infinitifs courre (§ 77, 1) et tenoir (§ 75,3).
Venu est probablement dû à l'influence de tenu.
2" Pour expliquer féru et vêtu, il faut se rappeler qu'au
moyen âge beaucoup de participes hésitent entre -i et -u. On
trouve ainsi féri — féru, oï — ou, parti — partu, senti — sentu,
repenti — repentu, vesti — vestu, cueilli — cueilla, bouilli —
bouillu, failli — faillu, sailli — saillu, rempli — remplu, verti
— vertu. Nous trouvons encore aux XV^ et XVI® siècles plusieurs
traces de ces doublets en -u: Et ung enfer où damnez sont
boulluz (Villon). Je m'en suis sentu (Charles d'Orléans, Bail.
106). M'en a faillu fouyr au mieulx que j'ai peu (Jehan de
Paris, p. 5). Les grammairiens du XVI*' siècle blâment l'emploi
de sentu pour senti; Vaugelas consacre un article à démontrer
qu'il faut dire peu s'en est failli et non pas peu s'en est fallu
(Remarques, I, 421), et à cette occasion Th. Corneille rappelle
que le peuple dit boulu pour bouilli.
3° Issu est dû à l'ancien infinitif istre (§ 79, 2) pour issir.
4^ Ouvert et couvert remontent directement à apertum et
coopertum; offert et souffert sont des formations analogiques.
De très bonne heure on trouve aussi ouvri (Psautier lorrain.
72
21,13), coiwri, offri, souffri, refaits sur les infinitifs ouw/r, cou-
vrir, offrir, souffrir. Jean Garnier accepte même ces formes
(Livet, p. 320), mais Henri Estienne les condamne; elles vivent
de nos jours dans les patois (Jaubert, I, 297 ; Nisard, p. 234).
Nous avons aussi trouvé ouvru, employé à la rime dans une
chanson populaire : Le bon Dieu l'a voulu, la terre elle a ouvru
(Decombe, p. 386).
5° Mort dérive directement de mortuum; on trouve aussi
au moyen âge mouru: Il est mouruz (Jubinal, Mistères, 1, 163);
cette forme est encore en usage dans les patois (Jaubert, II,
86). Malgré l'infinitif en -//• on ne trouve jamais mouri.
6" Quis paraît remontera un *qu3esum (cf. § 100,6), dont
la voyelle a été modifiée sur celle du passé défini (comp.
pris, § 99, 14). On ne trouve jamais quéri, mais sporadique-
ment queru: Et eulz en uain et pour mal ont quairut mon
arme (Psautier lorrain, 62, 9). Il m'a requerru d'ung baiser
(Chanson populaire, ZRPh, V, 529).
91. Utum devient u: consutum > cousu. Cette terminai-
son s'employait en latin classique dans peu de formes: im-
butum, solutum, tributum, argutum, minutum, etc.;
on en a gardé les suivantes en français:
P Consutum ) cousu, conservé jusqu'à nos jours; sur la
forme collatérale patoise coudu, voir § 38, 1.
2^ Sec utum > vfr. sëu (sou), su; notez aussi la forme
(provençale?) segu: Je l'ay de près segue (Paris, Chansons du
XV*' siècle, p. 106). De bonne heure se montrent les forma-
tions analogiques sui, sivi, suivi, dont la dernière l'emporte.
3** Solutum > vfr. solu, conservé dans résolu, dissolu (cf.it.
soluto). A côté de cette forme, il faut admettre l'existence de
*solsum (§ 100,8) et de *soltum (§ 103,2).
4*^ Volutum > vfr. volu; cette forme a disparu ainsi que
les formations analogiques volt (§ 103, 4), vols (§ 100, n), volsu.
Remarque. Acutum et minutum se sont conservés comme adjectifs:
aigu, menu; tributum comme substantif: vfr. trëut (remplacé par la forme
savante tribut). Comp. encore les mots savants a&soZu (( absolu tu m), imbu
(< imbutum), statut « statutum), révolu.
92. La terminaison -utum a été introduite par analogie
dans un très grand nombre de participes passés; elle s'applique
73
d'abord et principalement aux verbes qui ont - uj^aujiarfait,
mais son domaine s'est élargi continuellement. Ces nouvelles
formes ont été emplo5^ées dans toutes les langues romanes;
elles se retrouvent aujourd'hui en roumain, en italien, en
rhéto-roman, en provençal, en français, Ji^ndis que l'espagnol
et le po^ugais ont remplacé l'ancien 4ida~>jp9Lr^c^perdudoy
perdido, tenudo ) tenido, etc. Voici quelques exemples de créa-
tions analogiques en -utum et leur sort dans les langues
romanes :
(Lat. classique)
bibïtum
creditum
debïtum
h a b ï t u m
perdïtum
p 1 a c ï t u m
r e c e p t u m
t e n t u m
V i s u m
(Lat. vulgaire)
bebutum
credutum
de bu tu m
h a b u t u m
p e r d u t u m
placutum
receputum
tenutum
vedutum
(Roumain)
beut
crezut
avut
pie r dut
pldcut
tinut
vezut
(Italien)
bevuto
creduto
dovuto
aviito
perduto
piaciuto
riceviito
tenuto
veduto
(Français)
bëu, bu
crëu, cru
dëu, dû
eu, eu
perdu
pîëu, plu
recëu, reçu
tenu
vëu, vu
93. Laterminaison -u est devenue, à côté d'é et d'i, une
des formes principales du part, passé. Comme nous venons
deTi^oir (§ ^1), elle n'est étymologique que dans quelques
cas isolés ; mais lës_forirnations analogiques sont très nom-"
Ki'euses, et -u s'applique maintenant à presque tous les verbes
en"^r; recevoir — reçu, devoir — dû, pouvoir — pu (exe. as-
seoir — assis); à la plupart des verbes en -re: perdre — perdu,
rendre — rendu, mordre — mordu, et à quelques verbes en -ir
(voir § 90).
Remarque. Il y a eu confusion entre -u, -us et -ut. Les vieilles formes
conclus — concluse, exclus — excluse sont devenues conclu — conclue, ex-
clu — exclue. (Le substantif écluse a naturellement gardé l's). Encore Racine
écrit: Pourquoi de ce conseil moi seule suis-je excluse (Bajazet, III, se. 3).
De nos jours on trouve, à côté de perclus — percluse, les formes populaires
perdu — perdue (voir p. ex. Zola, Le docteur Pascal, p. 48). R. Garnier s'est
servi à la rime de la forme condute: Or pour vostre César vous poursuiuistes
Brute, Et toutefois sa mort fut deuant moy condute (Porcie, v. 1743).
94. LaMibstitu[tim^^ faible&-eiL -i/ ^au^^ormes
fortes a eii_lieu successJTement_jet-4èslies-4emp&,,,£^
74
couru, fondu, venu, tenu; arsum et ru ptu m vivent encore au
moyen âge sous les formes ars, rout, qui cèdent la place à
ardu, rompu; morsum > mors disparaît à la fin du XVI*^
siècle, *torsum ) tors est encore vivant au XVII^ siècle. Mé-
nage remarque: »On disoit autrefois Je vous ay mords, pour
dire Je vous ay mordu .... On ne le dit plus présentement.
Mais on dit encore tors: Je lui ay tors le cou. On commance
pourtant à dire tordu; & apparemment il gagnera bien-tost le
dessus. Pour du fil retors, on ne le dit que de cette façon ; &
ce seroit très mal parler, que de dire du fû retordu. Nous di-
sons en Anjou La poulie a ponds .... On dit à Paris, La
poulie a pondu, Vn œuf pondu. Et c'est comme il faut parler.
Pondre se doit conjuguer comme fondre, tondre: & on dit fondu,
tondu« (Observations, p. 79). On peut encore observer la même
tendance au nivellement surtout dans le langage des enfants
où, par exemple, mort est souvent remplacé par mouru, et
dans les patois, comme le montre le vers suivant: Vous avez
la main teindue en couleur de violette (Rolland, Chansons popu-
laires, I, 315). La suprématie de la terminaison -u est très
sensible dans les patois. On y trouve des formes comme sentu,
sortu, haïssu, naissu, gémissu, plaisu, plaignu, etc.
95. Observations sur le développement des formes en -«;
P La consonne labiale qui précède -utum disparaît (comp.
I, § 371, 378): -^debutum (it. dovuto) } dëu, dû; *habutum
(it. avuto) ) eu, eu; *movutum } mëu, mû; *saputum (it.
saputo) ) sëu, su.
2" L'e féminin qui précède ïu en vieux français s'amuït ré-
gulièrement et disparaît de la graphie sans laisser de trace:
bëu ) bu, peu y pu, crëu ) cru, recëu ) reçu, etc. (on a pour-
tant conservé eu [y]). La suppression de l'e est marquée par
un accent circonflexe (I, § 104) dans les seules formes crëu
(de croître) ) crû (accru, décru), dëu > dû (redû, mais indu),
mëu y mû (mais ému, promu), et elles ne conservent le circon-
flexe qu'au singulier masculin. Autrefois cet accent était d'un
emploi bien plus général : Racine écrit p. ex. vu (Andromaque,
V. 115), pu, plû, déchu.
75
96. Formes particulières.
P Crû, vfr. crëu, remplace cretum. Une forme correspon-
dante au roum. crescut et à l'it. cresciuto est croissu, qui se
trouve dans les patois.
2^ Eu a conservé dans la graphie l'e féminin amuï. Quant
à la synérèse (I, § 269), il faut remarquer que la prononcia-
tion dissyllabique existait au XVII'' siècle. Dans une de ses
Lettres (II, n** 21), Balzac demande à Chapelain: »Dites-moi
s'il vous plaist .... si vous approuvez la prononciation de
Paris qui coupe en deux le monosyllabe: J'ay eu, il a eu*. A
propos de cette question, Ménage remarque: »M. Chapelain
luy répondit; je l'ay su de lui-mesme; que cette prononciation
estoit très-vicieuse, nonobstant la Chanson, qui dit,
Comtesse de Cursol,
La, II, ré, mi, fa, sol,
Je veux mettre en musique.
Que vous avez eu
La, sol, fa, mi, ré, u.
Plus d'Amans qu'Angélique.
Il n'y a que les Badaux de Paris qui prononcent de la
sorte. Tous les honnestes gens, & à la Cour & à Paris, disent
u en une syllabe. Et c'est comme parlent tous nos bons Poètes
modernes« (Observations, p. 77). Dans les patois modernes on
trouve les formes collatérales évu et ayu (fait sur ayant).
B. FORMES FORTES.
97. Le nombre des participes forts est allé diminuant jusqu'à
nos jours commenoîTs l'avons montré^ommairement ci-dessus
(§ 94; comp. plus loin § 101). Dès les premiers temps, on a
créé de nouvelles formes faibles, jamais des formes fortes; les
quelques reformations en -s et -t dont on constate l'existence
(voir §§ 100, 103, 106) remontent toutes à une époque pré-
littéraire.
I. FORMES EN -SUM.
98. SUM. De cette terminaison, il ne reste en français qu'un
s: sparsum ) vfr. espars, morsum ) vfr. mors, clausum )
/
76
clos, etc. La langue moderne a conservé les participes suivants
en -s: acquis, conquis, circoncis, mis, occis, pris, sis (assis, sur-
sis); clos, absous, dissous, résous. Ajoutons ^^ j:onclus, exclus,
ris ont perdu Jeur^ et sont devenus conclu, exclu (§ 93, Rem.), ri.
La langue médiévale connaissait plusieurs autres formes en
-s dont les unes, telles que mors, tors, etc. ont été supplantées
par des formes faibles (mordu, tordu), tandis que les autres,
telles que ars, espars, ters , sont mortes sans être rem-
placées.
Remarque. Un certain nombre de participes en -su m ont disparu avant
le X« siècle, remplacés par des formes analogiques: casum ) *cadutum )
chëu, chu (it. caduto); visum > *vedutum > uëu, vu (it. veduto); sensu m
> *sentitum > senti (it. senlito).
99^ Voici quelques remarques sur le sort des participes en
- s u m :
P Arsum > vfr. ars, encore en usage au XVI^ siècle: Je
octroyé que soye arse et cuytte. Si je ne fais bien vostre paix
{Ane. th. fr., III, p. 403). Il paraît que c'est ce participe qui
se retrouve dans le nom de la rue S.-André des Arts.
2" Au s uni, conservé dans l'adjectif vieilli os.
3^ Cisum, conservé dans les mots savants occis um ) oc-
cis, circumcisum > circoncis.
4^ Clausum > clos (éclos, enclos, forclos). Comp. les com-
posés conclusum > conclus, plus tard conclu (§ 93, Rem,);
exclus y exclu; inclus, perclus.
5*^ Cursum, conservé dans les substantifs cours, course, a
été remplacé par couru.
6° Cusi^um (-= quassum), conservé dans succussum >
vfr. secous, encore employé au XVI*^ siècle : Le gland des chesnes
secoux (Ronsard). J'eusse secoux vostre pelisse {Ane. th. fr., II,
337). Secous, conservé dans le substantif secousse, a été rem-
placé par secoué (comp. § 64, 9). L'ancienne langue employait
aussi escous et rescous.
7" Falsum, disparu comme forme verbale (cf. § 103, 1),
est remplacé par failli (inf. faillir) ou fallu (inf. falloir).
8^ Fissum (it. fesso), remplacé par fendu (it. fenduto).
90 Pu su m (it. fuso), remplacé par fondu (it. funduto).
10° M ans u m > vfr. mes (it. maso); on disait aussi manu,
masu, mansu.
77
IP M issu m ) mis; cette forme paraît influencée par le parf.
mis « mîsi; § 180, i); on aurait attendu *mes; cf. les substan-
tifs mets (pour mes; I, § 98), messe, et le part, italien messo.
12" Morsum > vfr. mors (it. morso), remplacé par mordu;
la forme forte est encore employée par Marot et Rabelais.
Meigret remarque: »Combien q'on estime mors melleur, mordu
toutefoes et suyuant la regle« {Tretté, p. 119, 15); au XVIP siècle
mordu est la seule forme employée (§ 94). Mors est resté
comme substantif; il a changé d'orthographe dans le composé
remords.
Occisum, voir cisum.
13° Pensum remplacé par *pendutum > pendu (it. pen-
duto).
14" Prensuin > pris; cette forme paraît influencée par le parf.
pris (CjPXilii— Çf- § 180,2); on aurait attendu preis (le fragm.
d'Alexandre d'Albéric donne preijs), prois. A côté de pris, on
trouve dès le moyen âge prins (Amis et Amiles, v. 287, 3075) ;
cette forme est encore citée par les grammairiens du XVII^
siècle, mais ils la réprouvent. Th. Corneille observe: »On di-
soit autrefois, // a prins, et quelques-uns l'escriuent en Prouince.
C'est une grande faute: il faut toujours dire, il a pris« (Vau-
gelas. Remarques, I, 183). La forme réprouvée s'emploie en-
core dans plusieurs patois: J'a prin éne rôte novèlle (Le Lor-
rain, 1853, p. 23).
15" Rasum ) vfr. res (it. raso), encore employé aux XV et
XVP siècles : Nos robbes sont plus qu'estamine — Reses (Pate-
lin, V. 31). Il fut rez .... comme un navet (Villon, Rondeau).
De nos jours le mot s'est maintenu dans quelques termes tout
faits: rez-^e^chmisséej^rezr-mur, rez-pied, rez-terre, les rez et les
tondus^
16" Risum ) vfr. ris (it. riso), remplacé par ri. La forme
étymologique s'emploie encore au XV^ siècle: La belle s'est
soubzrise (Paris, Chansons, p. 3).
17" Sparsum ) vfr. espars (it. sparso).
18" Sessum > sis; la voyelle s'est modifiée sur celle du
passé défini (comp. ci-dessus pris, et quis, § 108, 3). Une nou-
velle formation barbare est seyé, créée par Saint-Simon (voir
Littré) sur seyait et seyant (§ 83, 9).
19" Tensum (it. teso), remplacé par tendu.
20" Tersum ) vfr. ters (it. terso).
78
21^ Versum, conservé dans conversum > \h\ convers (it.
converso), remplacé par converti (it. coiwertiio).
22" Visu m (comp.it. visto), remplacé par *vedutum > vëu,
vu (it. veduto).
100. Reformations en -sum:
1° *Absconsum (pom* absconditum) ) vfr. ascons, abs-
cons, repris par les décadents.
20 *Defensum (avec n), refait à defendere; cette forme,
conservée comme substantif (§ 111), a été remplacée comme
participe par défendu; sur le sort du classique defe(n)sum,
voir § 111.
30 *Dispensum (avec n), refait à dispendere, a été con-
servé comme substantif (§ 111).
4" * M on su m, remplaçant de monitum, est attesté par, le
vfr. semons (prov. somons) : Et en fut semons li rois (Ménestrel
de Reims, § 456). On en a gardé le subst. semonce.
50 *Persum, forme collatérale de *perdutum (§ 107,6),
conservé dans le vfr. pers (comp. l'italien qui emploie les deux
formes perso et perduto).
6° *Quaisum remplace qusesitum; voir § 90,6.
7" *Responsum (avec n), refait à respondere; conservé
comme substantif (répons, réponse), remplacé comme participe
par répondu.
8" *Solsum, remplaçant de solutum (§ 91,3) est attesté
par le vfr. sols, asols, etc., conservé dans absous, dissous, ré-
sous.
90 *Sursum, remplaçant de sur rectum (Festus donne
sort u m), est attesté par le vfr. sors, conservé dans les sub-
stantifs source,* ressource.
jQo =^=Torsum, remplaçant de tortum, est attesté par le vfr.
tors (estors), qui a maintenant cédé la place à tordu. L'ancien
participe fort vit encore dans quelques expressions toutes faites
(du fû tors, de la soie torse, etc.) et dans retors.
11» *Volsum, doublet de volutum (§ 91,4), attesté par
le vfr. vols, vous; comp. les dérivés voussoir, voussure.
II. FORMES EN -TUM.
iOI. Nous examinerons les participes en -tum par groupes
selon le phonème qui précède. Dans quelques cas isolés c'est
79
A-
disparaît : natum >
une voyelle anc^ntuée^ et en ce cas l^t
né; mais le plussouveivt c'est une consonne ou un i in-
accentué, et alors le / se conserve: s cri p tu m ) écrit, mor-
tuum ) mort, tremitum > crient, craint. La langue moderne
possède les participes suivants en -/; confit, dit, écrit, frit, fait,
trait, mort, couvert, ouvert, souffert, offert; ensuite les participes
de tous les verbes en -aindre, -eindre, -oindre, -uire: craint, at-
teint, joint, construit (excepté fui, lui, nui); l'ancien soufd a
perdu son t, et est devenu suffi. Au moyen âge le nombre des
participes forts en t était plus grand : on disait ainsi coilloit,
lit, rout, tort, formes qui ont été supplantées par cueilli, lu,
rompu, tordu.
102. CTUM. Cette terminaison devient régulièrement -it; elle
se trouve dans les mots suivants:
P Afflictum > vfr, afflit (it. afflitto); remplacé par af-
fligé.
2° Ci net uni > ceint (it. cinto).
3° Coctum ) cuit (it. cotto).
4" Collectum > vfr. coilleit, coilloit, remplacé par la forme
analogique coilli, cueilli; l'ancien participe se retrouve dans
cueillette, où un changement de suffixe a eu lieu (comp. em-
plette pour emploite), et dans le doublet savant collecte. Sur
collectum a été modelé *tollectum (voir § 103,3).
5*^ Confectum ) confit.
6° Despectum ) despit (méprisé), encore employé par La
Fontaine: Nérie, honteuse et dépite (La coupe enchantée).
1^ Dictum > dit; on aurait attendu deit (it. detto, v. esp.
decho): Yi paraît dû à l'influence de l'infinitif. Le développe-
ment correct de Vi latin s'observe dans les composés bene-
dictum ) beneeit ) beneoit ) benoît, et maledictum > vfr.
maleeit ) maleoit > maloit. Ces deux participes ont disparu ;
pourtant benoît s'est conservé comme adjectif: Le benoît para-
dis (Voltaire), un benoît personnage, et comme substantif:
Saint Benoît, la benoîte (nom de plante) ; c'est encore le même .
mot que nous trouvons dans benêt (cf. 1, § 160, Rem.). Sous
l'influence des infinitifs bénir et maudire, on a créé: béni et
maudit. A côté de béni, on a bénit (cf. § 89, Rem.); sur l'em-
ploi de ces deux participes Vaugelas remarque: »Tous deux
sont bons, mais non pas dans le mesme vsage. Bénit, semble
80
estre consacré aux choses saintes, on dit à la Vierge, Tu es
bénite entre toutes les femmes, on dit, de l'eau bénite, une Cha-
pelle bénite, du pain bénit, vn cierge bénit, vn grain bénit, et ce
t là, a esté pris vrayseniblablement du Latin benedictus.
Mais hors des choses saintes et sacrées, on dit toujours béni
et bénie, comme vne œuvre bénie de Dieu, une famille bénie de
Dieu, Dieu vous a béni d'vne heureuse lignée, a béni vos armes,
a béni vostre travail ëtc.« {Remarques, I, p. 387). L'Académie,
qui approuve l'observation de Vaugelas, ajoute: »On peut
toutefois dire en parlant à la Vierge, vous estes bénie entre toutes
les femmes, aussi bien que vous estes bénite entre toutes les
femmes«. On disait au moyen âge eau benoiste, d'où benoistier,
benoitier, remplacé au XVII® siècle par bénitier sous l'influence
de eau bénite.
8° Ductum ) duit (it. dotto), conservé dans conduit, enduit,
déduit, produit, séduit, etc.
90 Factuni > fait (it. fatto).
10'' Fictum, transformé en *finctum (d'après fingere),
d'où feint (it. fmto).
11" Fractum > vfr. frait, remplacé par fraint, fait sur l'in-
finitif fraindre. Les deux formes alternent au moyen âge: De-
sous la boucle li a fraite e troée (Ogier le Danois, v. 5081).
La targe dorée — Qu'en deus li a e frainte et tronçonnée (ib.,
V, 5087). Fraint existe encore dans enfreint, dont on a faussé
l'orthographe.
12» Frictum > frit (it. fritto).
13" Junctum > joint (it. giunto).
14" Le et uni ) vfr. lit (it. letto), remplacé par la forme ana-
logique lëu y lu. La forme étymologique s'emploie, au moins
dans les composés, jusqu'à la Renaissance: Ta mort et pas-
sion eslite (Bartsch, 481, 21). La chose si est bien eslite {Ane.
th. fr., III, 132). Le féminin élite s'est conservé comme subs-
tantif.
15" Pictum transformé en *pinctum (d'après pin g ère),
d'où peint (it. pinto); cf. peintre de pictor (it. pittore).
16" Planctum ) plaint (it. pianto).
17" Punctum > point (it. punto).
18"Strictum > vfr. estreit, estroit (it. stretto) , de bonne
heure remplacé par la forme analogique estraint (it. strinto);
81
on avait de même destreit et destraint. Les formes analogiques
ont seules survécu : astreint, étreint, restreint.
19" Structum, conservé dans les composés construit, instruit,
détruit.
20" Suffectum ) vfr. soufit, deyenu su ffd, par réaction éty-
mologique, et écrit abusivement suffi (cf. § 89, Rem.).
21" Tactum, dans attactum, transformé en *attanctum,
d'où vfr. ataint, plus tard ateint, atteint (comp. l'inf. ataindre
devenu atteindre d'après attingere).
22" Tinctum > teint (it. tinto).
23" Tractum > trait (it. tratto).
24" Unctum > oint (it. unto).
25" Victum, conservé en italien (vitto), a été remplacé en
français par vaincu, tiré de vaincre.
26" Victum (de vivere), remplacé par vescu, vécu; l'ancien
doublet vesqui n'a pas survécu; comp. it. vissuto.
Remarque. La terminaison -ctum n'a pas été productive; comme nou-
velle formation on ne saurait guère citer que *tollectum (voir § 103,3).
103. LTUM. Cette terminaison devient -It, -ut ; elle se trouve
par ex. dans altum, cultum, consultum, occultum, se-
pultum, qui pourtant n'ont pas survécu en français. I^epul-
tum a été remplacé par se_p^Jitujii, qui se trouve dans les
textes vulgaires (voir Georges, Wôrterbuch; C.I.L., XIII, 1968)
et dans le glossaire de Reichenau (n*' 165; voir I, § 12); il se
continue en français dans le composé enseveli. Les autres
formes eii_Jju m sont mortes sans^ avoiiLété^ remplacées; mais
on constate en latin vulgaire la création d'un petit nombre de
nouvelles formations, dont nous citons les suivantes:
1" *Faltum, doublet de falsum (voir § 99,7), conservé
dans les substantifs défaut et faute (comp. it., esp., port., prov.
falta) ; la forme a disparu comme participe à cause du change-
ment de fallere en fallire (cf. § 66,3).
2" *SoItum, remplaçant de solutum (§ 91,3) attesté par
les vieilles formes assout, résout (cf. it. sciolto; esp. suelto;
prov. et port, solto). Hardy encore emploie résout = résolu.
La langue actuelle a gardé les féminins absoute, dissoute, dont
les masculins sont absous, dissous (cf. § 100, s). Ce mélange de
formes en -t et en -s remonte assez haut; dans la Chirurgie
6
82
de H. de Mondeville on trouve resolz (§ 755) à côté de resoute
(§ 117) et resolute (§ 1850).
30 *Toltum, remplaçant de latum, est attesté directement
par les formes vulgaires tulta (Esp. sagr., XI, 223), abstul-
tum (Marc. Form., I, 32) et par le prov. toit, tout: Ma onor
m'a toute (Meyer, Recueil, p. 56, v. 326); on en trouve encore
une trace dans maitôte. Rappelons que tout est assez rare, on
trouve plus souvent tolu (inf. toldre), toli (inf. tolir) ou toleit,
toloit; cette dernière forme remonte probablement à un * toi-
le et u m (comp. port, tolheito), modelé sur collectum.
40 * Vol tu m, doublet de volutum (§ 91,4), attesté par le
vfr. volt, vout; comp. le subst. volte, voûte.
104. NTUM. Cette terminaison se trouve dans:
1° Tentum, remplacé par *tenutum (§92), d'où tenu {\i.
tenuto, roum. tinut). A partir du XV*^ siècle, se rencontre une
nouvelle création analogique tins, probablement faite sur prins
(§ 99, 14) : J'ay toujours tins des bons sieurs les partis (Mont-
aiglon, Ane. poésies fr., VIII, 206). Quitton l'oiseuse paresse
qui nous a tins langoureux (J. Tahureau, Baisers). Th. Cor-
neille ajoute à une remarque de Vaugelas; »I1 en est aussi
qui disent tins pour tenu, au participe du verbe tenir: après
qail lui eut tins ce discours. C'est une faute aussi lourde que
de dire, il print, il a print« (Vaugelas, Remarques, I, 183). Dans
son livre sur le langage populaire de Paris, Nisard cite (p. 234)
tint, obtint, retint, pour tenu, obtenu, retenu.
2^ Ventum, remplacé par *venutum (§ 92), d'où venu
(it. venuto).
105. PTUM. Cette terminaison se réduit h. t; elle n'a été
conservée que dans les trois mots suivants:
P Emptum, dans le composé redemptum, qui se re-
trouve en vfr. sous beaucoup de formes: reient, raient, reent,
reant, raint, roint, rant (on a aussi reiens, etc.).
2^ Ruptum ) vfr. rout, remplacé par rompu. Les deux
formes s'employaient simultanément: Rout sont et despané,
mal atiré (Aiol, v. 1237). Li las en sont rompu et alasquié (ib.,
Y. 1951). On disait rout encore au XVP siècle (voir Godefroy).
On trouve de même desrout et desrompu. L'ancien participe
fort est conservé dans route et déroute.
3^ Scriptum ) escrit, écrit.
83
106. RTUM se trouve dans:
1° Apertum > ouvert (it. aperto); comp. § 90,4.
2^ Coopertum ) couvert (it. coperto) ; comp. § 90,4.
3*^ Mortuum > mort (it. morto); comp. § 90,5.
40 *Offertum > offert (it. offerto); comp. § 90,4.
5° Suffertum ) souffert (it. sofferto); comp. § 90,4.
6*^ Tortum ) vfr. tort; cette forme était encore employée par
Malherbe : Jusques à ce que la roue .... lui eut tord et rompu
le col (II, 544); elle a été remplacée par tordu (cf. § 94).
107. ITUM (avec i bref). Cette terminaison s'employait géné-
ralement dans II (debïtum, habïtum, monïtum, etc.),
parfois dans I (crepïtum, cubïtum, sonïtum, etc.) et dans
III (alitum, fugïtum, gemïtum, strepïtum, etc.). Elle ne
se conserve qu'exceptionnellement; le plus souvent elle est rem-
placée par -utum (voir § 92). Voici quelques observations de
détail :
1" Bibitum, conservé dans le subst. boite (<( bibita), rem-
placé comme participe par *bebutum ) bëu, bu (it. bevuto).
2^ Cognïtum, resté dans le vieil adjectif coint, remplacé
comme participe par *cognutum ) conu, connu (cf. it. co-
nosciuto).
3^ Debïtum, conservé dans le subst. dette « débita), rem-
placé comme participe par *debutum ) dëu, dû (it. dovuto).
4° Habïtum, remplacé par *habutum ) eu, eu (ii. avuto) ;
comp. § 96, 2. Conservé dans le comp. malehabïtum } malade.
5^ Nocïtum, remplacé par * no c utum ) vfr. nëu (prov.
nogut; comp. it. nociuto). On trouve aussi nui (pour nuit),
qui survit, et nuisi (inf. nuisir).
6° Perdïtum, conservé dans le subst. perte « perd ï ta),
remplacé comme part, par *persum (§ 100,5) et *perdu-
tum > perdu (it. perduto).
1^ Placïtum, conservé dans le substantif jo/a/rf (vfr. plait),
remplacé comme participe par ^-'placutum } plëu, plu (comp.
it. piaciuto).
8° Posïtum (it. posto, esp. puesto), conservé en français dans
repositum ) vfr. repost (au fém. reposte et repose), et dans le
subst. praepositum ) prévôt. On avait créé au moyen âge
une nouvelle forme forte, pons (respons), qui correspondait
mieux à l'infinitif pon^/re « p on ère), et qui s'emploie jusqu'à
g t.
84
la Renaissance: Un œuf pont et esclouz par Léda (Rabelais,
I). Ces mos sont bien espons (Greban, Passion, v. 9635). C'est
la forme analogique ponnu, plus tard pondu (§ 37, i), qui l'em-
porte.
9*^ Tacïtum, remplacé par *tacutum > tëu, tu (roum.
tàcut, it. taciuto).
10" Tremïtum, conservé dans vfr. crient, remplacé par
craint (§ 47); la forme analogique cremu n'a pas survécu.
108. La terminaison -ïtum a été utilisée en latin vulgaire
dans plusieurs nouvelles créations. En voici quelques exemples,
qui montrent qu'elle a été employée surtout quand la forme
du participe fort s'éloignait trop du thème verbal:
jo *Môvitum (pour môtum, de môvere), resté comme
nom {meute, Muette, I, § 178, Rem.), remplacé comme parti-
cipe par *movutum (§ 92) ) mëu, mû.
20 *Pendïtum (pour pensum), conservé dans les deux
substantifs pente « * pendit a) et appentis (<( vfr. apentiz <
*appendititium, formé sur le part. *appenditus pour ap-
pensus). Comme participe il a été remplacé par *pendutum
) pendu.
3° *Qu3esïtum, dû à quaesi (§ 180,2), remplace le clas-
sique qusesitum (conservé dans le roumain cersit). Il a gardé
sa fonction verbale en italien (chiesto); en français on ne le
trouve que dans quelques substantifs (acquêt, conquit, quête,
conquête); comme participe il a cédé la place à *quaesum,
d'où quis sous l'influence du passé défini (comp. § 112,2).
109. TUM précédé d'une voyelle accentuée se trouve dans:
1" Cretum, remplacé par des formations analogiques (voir
§ 96, i).
2" Latum, remplacé par le roman toltum (§ 103,3); le
glossaire de Reichenau (n^ 92) explique sublatum par sub-
portatum.
3*^ Môtum, remplacé par *movutum ) mëu, mu; sur la
forme hypothétique *movïtum voir § 108, i. L'italien a
mosso.
4" Natum ) né; au moyen âge on trouve comme formes
concurrentes nascu et nasqui.
5" Statum > esté, été.
85
Remarque. Tous les participes passés se déclinaient dans la vieille langue;
été seul fait exception: il est indéclinable depuis les plus vieux textes. Pour-
tant dans quelques rares textes, on lui donne sporadiquement la marque du
pluriel: Hz avoient estez choisis a l'eslite {Jehan de Paris, p. 83; comp. ib.,
p. 113 et 117).
110. Nous avons vu aux paragraphes précédents que beau-
coup de participes forts, disparus comme tels en français, ont
été conservés comme noms. Il est intéressant de constater
comment ces noms nous permettent souvent de reconstruire
dans les détails l'évolution des participes forts et la série des
formes analogiques consécutives. Exemples:
P Fissum (it. fesso) a été conservé dans le subst. fesse;
comme participe il a été remplacé successivement par *findi-
tum, d'où fente « *findïta), et *fendutum ) fendu.
2^ Pensum, conservé dans le subst. poids (cf. le doublet
savant pensum), remplacé comme participe par *pendïtum,
d'où pente « *pendïta), et *pendutum ) pendu (it. pen-
duto).
3" Positum, conservé dans prévôt « prsepositum), rem-
placé comme participe par pons ou pont, d'où ponte, et ponnu,
pondu.
4*^ T en su m, conservé comme participe en italien (teso), ne
se retrouve en français que comme nom {toise < t e s a) ; comme
part, il a été remplacé par *tendïtum, d'où tente, qui, à son
tour, a cédé la place à *tendutum (§ 92), d'où tendu.
Ili. Voici une liste de participes passés, étymologiques et
analogiques, conservés en français comme substantifs, adjec-
tifs ou prépositions:
Bibita ) boite. Ces su m ) vfr. ces (comp. abcès, accès, dé-
cès, excès, procès). Cognitum > vfr. coint. Collecta ) vfr.
cueilloite, d'où cueillette (cf. collecte). Cursa > course. Cursum
) cours (concours, recours, secours). Débita ) dette. Defensa
(§ 100, i) ) défense. Defensum ) défens ou défends. Defe(n)sa
> vfr. defeise, defoise. Defe(n)sum ) vfr. defeis, defois; resté
en normand sous la forme défais. Dispensa (class. expensa)
) dépense. Dispensum (class. expensum) ) dépens. Electa
> élite. *Fallita > faite, faute. *Fendita > fente. Fissa )
fesse. Frac ta ) vfr. fraite, ouverture, passage difficile; con-
servé dans beaucoup de patois et dans le nom de lieu La Fraite
86
(Seine-et-Oise). Fugita > fuite. Implicita ) vfr. empleite,
emploite } emplette. Mi s sa (se: est ecclesia) > messe. Missum
) vfr. mes, plus tard 77?e/s. M ors u m ) mors (et remords).
*Movita (pour mot a) > vfr. muette (cf. I, § 178, Rem.), meute
(cf. émeute, tiré d'émouvoir d'après meute). Offensa > offense.
Perdita ) perte. Pensum > vfr. peis, pois, plus tard poids.
Placitum ) vfr. plait, plus tard plaid, sous l'influence de
plaider. Pressum } près. *Q use si ta ) queste, quête (conquête,
enquête); la forme masculine est conservée dans acquêt, con-
quêt, requêt. Recepta > recette. *Rendita (class. reddita) >
rente. Responsa ) response, réponse. Rupta (se. via) ) route
(déroute; banqueroute < it. bancarotta). *Sequita > siute, suite.
*Submonsa > semonce. Succussa ) secousse. Sursa } sourse,
source (ressource). *Tendita (ou tenta) ) tente (attente, détente,
entente). Tensa ) teise, toise. *Tolta conservé dans maltôte,
autrefois maletolte. Tortum ) tort. Tundita ) tonte. Ton sa
> vfr. touse; cf. touselle emprunté au prov. tosela. Vendita >
vente. *Volta ) volte, voûte; la forme moderne volte vient de
Fit. volta.
112. Rapport du participe passé avec les autres temps.
P La voyelle du participe passé subit parfois une influence
analogique de celle de l'infinitif. Ainsi sur le modèle de dî-
cere, légère, ûngere, pùngere, les formes dïctum, léc-
tum, ûnctum, pQnctum se changent en dïctum ) d/Y, lëc-
tum y lit, ûnctum y oint, pùnctum )jDoznf. Il est intéressant
de comparer têctum, dirëctum qui se sont conservés in-
tacts (toit, droit), sans doute parce que tëgere et rëgere
avaient disparu.
2° L'influence du parfait se fait sentir dans mis, pris, quis,
sis, dérivés de missum, pre'nsum, *qu8esum, *sesum et
dont la voyelle irrégulière paraît due aux parfaits mis, pris,
quis, sis; comp. § 180.
CHAPITRE IX.
LE PRÉSENT DE L'INDICATIF.
113. On peut diviser les types latins en deux groupes prin-
cipaux, selon que la première personne se termine par -o ou
par -io, -eo (en latin vulgaire [jo]). Le premier groupe est le
plus nombreux; il embrasse tous les verbes de I: canto,
amo, clamo, lavo, etc., et la plus grande partie de ceux de
III: scribo, vendo, perdo, vivo, etc. Le deuxième groupe
embrasse originairement tous les verbes de II et de IV: te-
neo, sedeo, video, audio, dormio, servi o, senti o, etc.,
et quelques-uns de III: facio, capio, jacio, etc. En latin
vulgaire, la terminaison -o se généralise aux dépens de -jo, et
on dit p. ex. '''sento, *servo, *dormo, *vesto, pour sen-
ti o, servio, dormio, vestio. Le [j] disparaît de la 1® pers.
du sing. et de la 3^ pers. du plur. ; la chute du phonème est
attestée par les formes françaises : dor(s), dorment remontent à
*dormo, *dormunt, tandis que dormio, dormiunt au-
raient donné dorge, dorgent. Le [j] tombe également au prés,
du subj. (§ 138) et au part, présent (§ 82 3): dormiam ) *dor-
mam ) dorme, dormientem ) *dormentem ) dormant.
A. PREMIER GROUPE.
114. Première conjugaison.
(Latin) (Vieux français) (Français moderne)
canto chant chante
cantas chantes chantes
c a n t a t chante(t) chante
cantamus chantons chantons
cantatis chantez chantez
cantant chantent chantent
115. Observations particulières.
1° La 1'"*^ personne se terminait régulièrement au moyen âge
par une consonne: chant, port, mant, paroi, jur, aim, conseil,
lef, etc., ou par une voyelle (diphtongue) accentuée: pri, nei,
plei, chasii, gré, etc. ; dans quelques cas isolés, la voyelle latine
finale est restée comme voyelle d'appui sous la forme d'un e
féminin: entre, livre, ramembre, comble, semble, tremble, mesle,
brusle, etc. Dès le XIP siècle, l'e féminin, qui se trouvait aussi
dans toutes les 2^ et 3^ personnes du sing., a été introduit dans
les 1^* personnes qui n'en avaient pas: aim ) aime, chant )
chante, pri ) prie, plei > pleie, etc. Les vieilles formes sans e
s'emploient encore au XV*' siècle, surtout en poésie: Je conseil
que .... (Quinze joyes de mariage, p. 45). Je me vant (Pate-
lin, V. 331 ; Paris, Chansons du XV*^ siècle, p. 60, 68). A Dieu
vous command (Jacob, Farces, p. 243 ; Paris, /. c, p. 36 ; Mys-
tère de St. Laurent, v. 3831). Je vous asseur (Paris, /. c, p. 64,
111). Je vous aim loyaulment (ib., p. 105), etc. Les formes
telles que pri, suppli se trouvent encore dans Hardy.
2^ Sur l'amuïssement du s final de la 2^ pers., voir § 52.
3® Le t final de la 3^ pers. est conservé encore dans la Vie
de Saint Alexis: Ço peiset els, mais altre ne puet estre (v. 580).
Pour le Roland, la mesure nous montre que l'amuïssement de
la dentale finale avait déjà commencé, mais le copiste du ms.
O la garde fidèlement, même là où elle avait réellement disparu;
il écrit ainsi: Li empereres chevalchet iréement (v. 1834), et:
Muntet el palais, est venut en la sale (v. 3707), quoiqu'il faille
prononcer chevalch' iréement, mnnt' el palais.
4° A la l'' pers. du plur. -ons s'est substitué à la terminai-
son latine -a mu s; voir § 54.
5® A la 2® pers. du plur., l'a latin devient ie après une pala-
tale: laxatis > laissiez, collocatis > colchiez, etc. Comme à
l'infinitif (§ 73, 2) et au part, passé (§ 88) cet ie a été rem-
placé par e: laissiez ) laissez, couchiez ) couchez.
116. Formes particulières.
P Aller fait au présent:
(Latin classique) (Latin vulgaire) (Vieux français) (Français moderne)
va do vao vois vais (vas)
vadis vas vas vas
vadit vait vait, vat, va va
89
(Latin classique)
(Latin vulgaiie)
(Vieux français)
(Fr
ançais moderne)
(a m b u 1 a m u s)
a 1 1 a m U S
alons
allons
(ambulatis)
allatis
alez
allez
vadunl
vaunt
vont
vont
Observations particulières, a) La forme *vao est attestée
par la plupart des langues romanes; en français elle a été
élargie par l'addition de -is, dont l'origine est douteuse. Au
XVI*" siècle, vois a été remplacé par vais (analogie de /azs?);
rappelons cependant que Malherbe continue à se servir de
l'ancienne forme et corrige Desportes toutes les fois qu'il em-
ploie vais. La forme analogique vas est déjà en usage au temps
de la Renaissance (Thurot, I, 325), et Théodore de Bèze ob-
serve (p. 40) que les Bourguignons disent je va. Au XVII^
siècle elle est admise par Vaugelas: »Tous ceux qui sçavent
escrire, et qui ont estudié, disent, ie vais, et disent fort bien
selon la Grammaire .... Mais toute la Cour dit, ie va, et ne
peut souffrir, ie vais, qui passe pour vn mot Prouincial, ou
du peuple de Paris « {Remarques, I, 85). Ménage et plusieurs
autres grammairiens protestent contre cette décision. Dans les
Remarques de l'Académie sur Vaugelas on lit: »Je vais ....
est le seul qui soit aujourd'huy authorisé par l'usage*. La
Fontaine n'a pourtant pas hésité à écrire: Je me vas désalté-
rant (Fableà, I, n^ 10). En 1835, l'Académie remarque: «L'ex-
pression je vas ne s'emploie que rarement et dans le style
familier«. Dans la langue actuelle, je vas appartient au parler
vulgaire et dialectal: Où vas-tu mon ami? J'y vas dans ce
vallon (Puymaigre, Chants populaires, I, 214). Une autre forme
analogique est j'ai, qui se trouve dans quelques patois nor-
mands, où on a régularisé tout le présent et où on conjugue fal
t'ai il al j'alon voz aie il al (Romdahl, Glossaire du patois du val
de Saire. Linkôping, 1882, p. 73). — b) A côté de la forme
étymologique de la 2^ personne vas, on trouve aussi, dans la
vieille langue, la forme analogique vais, qui n'a pas survécu.
— c) La plus ancienne forme de la 3*^ personne est vait, vet:
Tôt s'en vait déclinant (Alexis, v. 9). Mult malement nus vait
(Roland, v. 2106). La forme vat (va) est peut-être due à l'ana-
logie (^ at, a). Les trois formes vait, vat, va s'employaient
simultanément au moyen âge ; on trouve ainsi dans Orson de
Beauvais: Trois mos en vait parler (v. 160). Ja s'an val Guine-
90
mans (v. 665). Li traïtes le va reconforter (v. 234). — d) A
la l*"^ pers. du plur. on trouve yons dans les patois: Nous fons
sercher nout' mée (Rolland, Chansons populaires, III, 7).
2" L'ancien verbe ester (<^ s tare) faisait au présent:
(Latin classique)
(Latin vulgaire)
(Vieux français)
sto
estao
estais
stas
estas
. estas
stat
estât
esta(t)
stamus
è s t a m u s
estons
statis
estatis
estez
stant
estant
estant
Observations PARTICULIÈRES, a) La forme *stao est attestée
par presque toutes les langues romanes; elle a été élargie en
français par l'addition de -is, dont l'origine est inexpliquée. —
b) A la 3^ pers. on avait à côté de estât la forme analogique
estait (comp. vat et voit).
3° Donner faisait à la 1^ pers. dains, qui paraît provenir
d'une confusion entre les deux formes hypothétiques '^dan «
dono) et *dois (< do). Doins (doing, doin), qui a été remplacé
par la forme analogique donne, s'employait encore au XI V
siècle: Congié te doins (Miracles de N. D,, n» 17, 1945).
4° Prover, trouer, raver (<( rogare) faisaient à la V^ pers.
pruis, trais, ruis. Ces formes curieuses sont peut-être dues à
l'influence de puis; elles s'employaient encore au XIV^ siècle:
Se la voie truis (Mir. de N. D., n" 3, 116).
5^ Sur le changement de voyelle dans les verbes qui ont
un e féminin à la pénultième (soulever — soulève, etc.), voir
§ 19. Ajoutons ici que la voyelle ouverte du radical est mar-
quée de deux manières différentes, tantôt par le redoublement
de la consonne suivante, tantôt par l'emploi d'un accent grave.
Le premier système, qui est le plus ancien, se trouve dans
amonceler, appeler, atteler, dételer, carreler, chanceler, ciseler, en-
ficeler, ensorceler, épeler, étinceler, ficeler, morceler, niveler, re-
nouveler, et cacheter, caqueter, crocheter, décolleter, dépaqueter,
empaqueter, épausseter, fureter, feuilleter, haleter, jeter, moucheter,
souffleter, tacheter, etc. Le deuxième, qui est plus récent, s'em-
ploie dans bourreler, écarteler, geler, harceler, marteler, modeler,
peler, acheter, becqueter, colleter, et tous les verbes dont le radi-
91
cal se termine par une consonne autre que / et t: lever, ache-
ver, halener, empeser, etc.
6° Dans les verbes en -oyer et -uyer, l'y est remplacé par
i devant un e féminin: employer — f emploie, tu emploies, etc.;
essuyer, essuyons — il essuie, ils essuient, etc.; pour les verbes
en -ayer il y a hésitation, on écrit je paye ou je paie (l'y se
conserve toujours dans les verbes en -eyer). Le changement
orthographique d'y en i n'est pas restreint au présent de la
l*"*^ conjugaison: employer — j'emploierai, fuyant — ils fuient,
nous croyons — ils croient, etc.
117. Comme types des autres conjugaisons nous citerons de-
beo, perdo, dormio, floresco.
(Latin classique)
(Latin vulgaire)
(Vieux français)
(Français moderne)
dois 1^
debeo
debo
dei, doi
debes
debes
deis, dois
dois
débet
débet
deit, doit
doit
debemus
debemus
devons
devons
debetis
debetis
deveiz, devoiz
devez
debent
debent
deivent, doivent
doivent
perdo
perdo
pert
perds
perdis
perdis
perz 5
perds
perdit
perdit
pert
perd
perdïmus
perdëmus
perdons
perdons
perdïtis
perdëtis
perdeiz, perdoiz
perdez
perdunt
perdunt
perdent
perdent
dormio
d 0 r m o
dor
dors
dormis
dormis
dors
dors
dormit
dormit
dort
dort
dormïmus
dormëmus
dormons
dormons
dormltis
d 0 r m ê t i s
dormeiz, dormoiz
dormez
d o r m i u n t
dormunt
dorment
dorment
floresco
florisco
floris
fleuris
florescis
floriscis
ftoris
fleuris
florescit
floriscit
florit
fleurit
florescimus
floriscemus
ftorissons
fleurissons
flo rescitis
floriscetis
florissez
fleurissez
florescunt
floriscunt
florissent
fleurissent
92
118. Observations particulières.
P La 1^ pers. du sing. se terminait régulièrement au moyen
âge soit par une consonne : pert, prent, dor, finis, soit par une
voyelle (diphtongue) accentuée: di, doi, voi; dans quelques
verbes isolés on avait un e féminin: ouvre, offre, emple. La
langue moderne a conservé intactes les formes en e (emple a
été remplacé par emplis), toutes les autres se terminent main-
tenant par s: perds, prends, dors, dis, dois, vois. Cette lettre
paragogique est probablement due à l'analogie des quelques
jres personnes qui avaient un s final étymologique: puis, crois
(cresco), conois (cognosco), finis, languis, etc. Le s parago-
gique se montre de bonne heure (cf. desdis pour desdi, Raoul
de Cambray, v. 2807 ; la forme se trouve à la rime), mais il
met du temps à se généraliser, et les formes étymologiques
sont encore prépondérantes au XV® siècle. Même Sibilet (1548)
se prononce énergiquement contre le s: »Tu te dois garder de
mettre s aux premières personnes singulières des verbes de
quelque mœuf ou temps qu'ils soient: comme ie voy, tu voys,
il voit: ie aimoye .... ie rendi .... ie boiray .... si ie faisoie
.... quand ie diroie .... : ce que tu verras auiourd'huy ob-
serué des sauans en leurs escritures: et la raison t'enseigne
que tu les dois obseruer ainsi, à cause que s est note de
seconde personne aux Grecs et aux Latins : et doit estre à
nous, qui tenons d'eux la pluspart du bien que nous auons.
Que si tu rencontres en Marot ou autres cecy non obserué,
lisant ie veys, ie dis, ie feis, ie mets, ie promets, et autres avec
s en première personne singulière : si c'est en fin de vers, ap-
pelle cela licence poétique s'estendant jusques à impropriété à
fin de seruir à la ryme. Si ailleurs, dy que c'est faute d'im-
pression : ou l'attribue à l'iniure du temps, qui n'auoit encore
mis ceste vérité en lumière. Le mesme dois tu obseruer au
singulier de l'impératif, disant fay, dy, ly, voy, ry, repond, pren,
vien, tien, mor, va, cou etc« (Thurot, II, 40). Vaugelas autorise
l'emploi de s: » Quelques vus ont creu qu'il falloit oster Vs
finale de la première personne, et escrire, ie croy, ie fay, ie dy,
ie crain, etc. changeant 1'/ en y, selon le génie de nostre langue,
qui aime fort l'vsage des y grecs à la fin de la pluspart des
mots terminez en i; et qu'il falloit escrire ainsi la première
personne, pour la distinguer d'auec la seconde: tu crois, tu
fais, tu dis, tu crains, etc. Il est certain que la raison le vou-
93
droit, pour oster toute equiuoque, et pour la richesse et la
beauté de la langue ; mais on pratique le contraire, et l'on ne
met point de différence ordinairement entre ces deux per-
sonnes« (Remarques, l, 226). Ménage n'est pas content de cette
Remarque, et tout en admettant je fais, je crains, je tiens, je
prens, j'entends, il veut qu'on écrive je say, je dy, je croi, j'escrî
(Observations, p. 318) ; c'est une pure bizarrerie qui n'entrave
en rien la victoire définitive du s final à la 1^ pers. Ce sont
les poètes qui offïent le plus grand nombre d'exemples de
formes sans s; on les trouve principalement à la rime. Ex-
emples: Je voi: toi (Corneille, Le Cid, v. 771; cf v. 851).
Étourdi: je di (Molière, L'Étourdi, I, se. 4). Moi: je voi (Amphi-
tryon, II, se. 4). Je ne sai: blessé (École des maris, I, se. 2);
bouchon: répond (ib., II, se. 9). Je vous tien: bien (Racine, Plai-
deurs, I, se. 3). Moy: je le doy (Andromaque, v. 628: comp.
v. 1095); je la voy: moy (ib., v. 803) ; je voi bien (ib., v. 1275).
Je Vapperçoy: le roy (Boileau, Sat. VIII), etc. Ces »licences« se
trouvent encore au XIX® siècle: Je croi: beffroi (A. de Vigny,
Madame de Soubise); roi: je croi (A. de Musset, A quoi rêvent
les jeunes filles); je te voi: moi (V. Hugo, Les Contemplations)^
je sai: passé (V. Hugo, Légende des Siècles), etc. — Rappelons
enfin que, par une fausse analogie, les poètes ont parfois sup-
primé le s final là où il était étymologique: comme on écrivait
indifféremment je di et je dis, on a créé je fini à côté de je
finis. Exemples: Je frémi: ami (Corneille, Menteur, II, se. 5);
je frémi: endormi (Molière, L'Étourdi, II, se. 4); je vous en
averti: parti (Racine, Bajazet, II, se. 3), etc.
Remarque 1. La terminaison e, dernier reste de l'o final latin, se trouve
dans ouvre, couvre, offre, souffre. Il a été introduit postérieurement dans
cueille et saille (§ 121). Plusieurs vieux textes montrent un emploi plus géné-
ral de l'e final. Dans le Myst. de S. Bernard de Menthon on trouve je con-
sente (v. 514), je me sente bien aggrave (2360, 4123), je rende (v. 3892), etc.
La même généralisation de Ve se retrouve dans quelques patois modernes,
surtout le wallon.
Remarque 2. Les vieilles formes vif, escrif, heif, receif, muef, serf perdent
leur consonne finale (§ 41): vif > vi ) vis, beif ) bei ) boi ) bois, etc.; cette
chute est probablement due à l'analogie des autres personnes du singulier.
2" A la 2''' pers. du sing., \e z étymologique a été remplacé
par s: perz ) pers (perds), renz > rens (rends), etc^
3" A là 3*^ pers., on écrit dans la langue moderne tantôt t,.
tantôt d (il plaint, il perd); voir § 53, Rem. " —
94
4® A la Impers, du plur., -ons a fini par remplacer -ëmus,
-ïmus, -i m us, voir § 54.
5° A la 2^ pers. du plur., -ez a remplacé -êtis, -ïtis, -îtis,
voir § 56.
119. Formes particulières.
1° Cado. On conjuguait d'abord chie chies chiet cheons cheez
chient, puis ches ches chet cheons (cheyonsj cheez (cheyez) cheent;
et enfin, sous l'influence de l'infinitif, chois chois choit choyons
choyez choient; on trouve rechoit déjà dans le poème de Jou-
froi (v. 1150). Quant aux composés, la langue moderne hésite
entre échoit échoient et échet échéent; Littré admet déchet, à côté
de déchoit, et déchéent se trouve encore dans Bossuet.
2^ Dico. L'ancienne flexion était di dis dit dimes dites dient.
Elle a été remplacée par dis dis dit disons dites disent.
Observations particulières. — a) La forme étymologique
dimes (Alexis, v. 625; Ph. de Thaun, Bestiaire, v. 314) dis-
paraît de bonne heure; elle est supplantée par disons, modelé
sur disant, diseie. La forme collatérale dioms (Quatre Livres
des Bois), modelée sur dient, était peu employée. — b) A côté
de la forme étymologique dites, conservée jusqu'à nos jours, il
s'est produit deux formes analogiques: diez, disparu depuis
longtemps, et disez qui s'emploie dans les patois; A! disez-moi,
maman, ma mie (Bolland, Chansons populaires, III, 38). Quant
aux composés, la langue littéraire moderne admet la forme
étymologique dans redites et là forme analogique dans contre-
disez, dédisez, médisez, interdisez, prédisez. On trouve dans Mo-
lière: Ne m'en dédites pas (Tartuffe, III, se. 4). Vaugelas re-
marque que beaucoup disent uous mesdites pour vous mesdisez
{Remarques, II, 356). — c) La forme étymologique dient est
encore citée par Du Val (1604): disent remonte à la fin du
XIIP siècle.
3° Duco. L'ancienne conjugaison était: dui duis duit duisons
duisiez duient: elle a été remplacée par duis duis duit duisons
duisez duisent (sur la généralisation du s, voir § 44). — On
trouve au moyen âge des exemples de duions, reformation sur
le modèle de dui, duie (§ 139,5), duient; comp. disohs et dions.
4° *Sedo, pour sedeo (§ 113). L'ancienne flexion était: sie
siez (sies) siet seons seez siéent (seent) ; elle a été remplacée par
sieds sieds sied seyons seyez seyent. Ces formes ne sont plus très
95
employées. Quant aux composés, asseoir fait ou /assieds nous
asseyons ou j'assois nous assoyons; surseoir n'a que la seule
forme je sursois.
Remarque. A propos de quelques remarques de Vaugelas sur je m'assieds,
Thomas Corneille fait une observation dont je reproduis le commencement
à titre de curiosité: »Je m'assieds, etc. On dit aussi, je m'assis, tu t'assis,
il s'assit, et ce dernier me semble plus usité. Nous nous asseions, vous vous
asseiez; on dit aussi, nous nous assisons, vous vous assisez, ils s'assisent.
Il me souvient qu'il n'y avoit pas longtemps que j'estois de l'Académie,
lorsqu'on y proposa la conjugaison de ce verbe: M. de Serisay, qu'on appel-
loit Serisay la Rochefoucault, M. l'Abbé de Geris}% M. Vaugelas, Ablancourt,
Gombaut, Chapelain, Faret, Malleville et autres y estoient. Je ne parle que
des morts: nous n'avons point eu de meilleurs Grammairiens, sur-tout Vau-
gelas, Cerisy et Serisay. Il passa enfin que je m'assieds et je m'assis, tu t'as-
sieds et tu t'assis se disoient également; que il s'assied et // s'assit estoient
tous deux bons, mais qu'zZ s'assied estoit le meilleur: nous nous assuions,
nous nous assisons, vous vous asseiez, vous vous assisez étoient tous deux
bons, mais qu'asseions, asseiez, étoient meilleurs. Pour la troisième personne
plurielle, je ne me souviens point de ce qui en fut décidé; mais je confesse
que qu'iZs s'assient me choque, et je dirai tousjours, ils s'asseient si ce n'est
qu'une rime ou une consonnance m'oblige de dire, assisent; mais comme
notre Auteur est pour s'assient, je ne le puis condamner* (Vaugelas, Re-
marques, I, 273). On est encore peu d'accord sur la 3<= pers. du plur. : Mas-
sillon écrit siéent, et Sainte-Beuve emploie la contamination sieijent
5® *Sequo, pour sequor (§ 3). On conjuguait d'abord siu
sius siut seuons (seivons) sevez (seivez) sivent; puis iu est devenu
ui (§ 31, Rem.), d'où sui(s) suis suit, et l'analogie de ces formes
amène d'abord suivent, ensuite suivons suivez.
6^ Sum. L'ancienne conjugaison était sui (suis) ies (es) est
soms (somes, esmesj estes (iestes) sont. Elle a été remplacée par
suis es est sommes êtes sont.
Observations. — a) Pour sum on aurait attendu '^son (comp.
m(e)um ) mon; I, § 318): la forme sui reste inexpliquée (peut-
on y voir une influence du passé déf. fuil); le s final est pro-
bablement dû à l'analogie de puis. — b) A la V'^ pers. du plur.
on trouve quatre formes différentes: soms ou sons, sommes,
esmes, suymes. Voici quelques mots sur leur développement.
Soms (.sons) remonte à su m us, dont il est le produit régulier;
il n'était pas d'un emploi très étendu au moyen âge; on en
trouve des exemples dans Philippe de Mousket, dans Richard
li Biaus (v. 2731, 2753, 3347), le Brut de Munich (v. 826),
Rustebuef (I, p. 90, 131, 175, etc.), les Miracles de Notre Dame
96
(n» 8, V, 938), les Chroniques de Froissart, et il se retrouve
dans les parlers populaires et vulgaires de nos jours: Ne sons
prou loin (L. Pineau, Folklore du Poitou, p. 269). Car nous
sons soûls (Richepin, Chansons des gueux, 10). Eh ben, est-ce
que nous sons pas des électeurs (Gyp, Dans l'train, p. 208).
Quand nous aut' nous sons dans la dèche (Mac Nab, L'expul-
sion). Sommes, qui remonte également à sumus, doit son eà
quelque influence analogique; il se trouve dès les plus anciens
textes (Alexis, v. 364, 617, 618) et était la forme la plus em-
ployée. Esmes, probablement modelé sur estes, s'employait al-
ternativement avec sommes: Las! malfadut! com es/7jes encom-
bret! Quer ça vedons que tôt somes desvet (Alexis, v. 616 —
617); il disparaît avec le XIII^ siècle. Rappelons enfin suymes
en usage au XV^ siècle: Nous suymes gentilzhommes (Paris,
Chansons du XVP siècle, p. 145; cf. ib., p. 23, 113). Nous ne
suymes pas si sottes (Quinze joies de mariage, p. 124); cette
forme curieuse paraît être une transformation de sommes sous
l'influence de suis.
7^ Tremo. La flexion ancienne est criem criens crient cre-
mons cremez criement; elle a été changée en crains crains craint
craignons craignez craignent. Ce changement est dû à l'influence
de plains (cf. § 47).
B. DEUXIÈME GROUPE.
120. Ce groupe, nous l'avons déjà dit, était bien moins nom-
breux en latin vulgaire qu'en latin classique (comp. § 113), et
il faut remarquer que le [j], même s'il se maintient à la V^
pers, du sing., disparaît toujours de la 3*^ pers. du plur. On
disait en latin vulgaire:
audio facio *morio
*audunt facunt . *morunt
d'où en vieux français:
oi faz muir
oent font muèrent
A cause du développement particulier que subit une con-
sonne suivie de [j] (voir I, § 471 — 477), tous les verbes de ce
97
groupe présentent à la V^ pers. du sing. une forme qui diffère
notablement des cinq autres; mais cette forme particulière
n'existe de nos jours que dans le seul verbe pouvoir, où l'ana-
logie n'a pas encore réussi à remplacer je puis par la forme
refaite je peux. — En examinant maintenant les formes en
[jo] et leur sort en français, nous les rangeons dans des groupes
selon la nature de la consonne précédente.
I. LIQUIDE (L, R) + JO.
121. L -f- J- Cette combinaison se trouve dans valeo, do-
leo, soleo, salio, b u 11 io et, par analogie, dans *voleo (pour
volo), *fallio (pour fallo), *collio (pour colligo). Tous
ces verbes présentaient originairement en français un [K] à la
V^ pers. du sing.; on conjuguait au moyen âge vail vais vali,
dueil duels duelt, etc. Cette flexion ne s'est pas maintenue: les
formes avec [K] ont été ou écartées sous l'influence des formes
sans [À], ou généralisées. Ainsi boil, dueil, fail, vail, voil ont
été remplacés par bous, deux (encore dans Régnier, Sat. V),
faux, vaux, veux. Dans cueillir, le [X] qui se trouvait dans la
plupart des autres formes a été généralisé; ainsi cueil cuelz
cuelt est devenu cueil cueilles cueille et enfin cueille cueilles cueille
(comp. § 214, i). On constate le même développement dans
saillir, dont les vieilles formes sail sais sait ont été remplacées
par saille sailles saille (comp. assaille, tressaille). La fixation de
ces formes n'a eu lieu qu'après beaucoup d'hésitations; vers la
fin du moyen âge on trouve dans les mêmes textes je vueil,
je me dueil, je fail, je vail, je sail, à côté de je veuls, je me
deuls, je fauls, je vauls, je sauls. On trouve encore dans Régnier
assaut, tressaut, et Malherbe lui-même emploie assaut, tout en
protestant contre tressaut, dont se sert Desportes. A partir du
grand siècle, assaille et tressaille sont les seules formes ad-
mises. Des observations pareilles s'appliquent au présent de
défaillir; rappelons que Littré défend encore défaus »donné par
de bons auteurs«, mais la langue actuelle ne reconnaît que
défaille. Ex. : La femme est peu hardie et, rien qu'au bruit du
fer. Défaille (C. Mendès, Médée, p. 33, 169). La généralisation
du [Ji] a été poussée plus loin dans les patois que dans la
langue littéraire; dans le parler du Centre On dit p. ex. il
bouille pour il bout.
' 7
98
122. R -|- J. Cette combinaison se présente dans *morio,
dont voici la flexion primitive: muir muers muert morons mo-
rez muèrent. De très bonne heure on s'est servi, à la l^'^pers,,
de la forme analogique muer qui a seule survécu. Exemples:
Se je i muir, s'arez ma signorie (Raoul de Cambrai, v. 4305).
Et s'ensi meur, trop cruel me sereis (Bartsch-Horning, p. 111,8).
II. LABIALE (B, P) + J O.
123. B -f J. Cette combinaison se trouve dans debeo et habeo.
P Debeo se réduit en latin vulgaire à *deio. L'ancienne
flexion était dei deis deit devons deveiz (-ez) deivent; elle a été
remplacée par doi(s) dois doit devons devez doivent. On trouve
parfois au pluriel des formes sans v: Ne doyon estre Ses sub-
getz (Mystère de St. Laurent, v. 2805); elles ont dû être mode-
lées sur crois — croyons.
2° Habeo perd également son b en latin vulgaire et se ré-
duit à *ajo as at abemus abêtis aunt. L'ancienne con-
jugaison était: ai (ei, oi, e) as a, at avons aveiz ont. Elle a été
remplacée par ai as a avons avez ont.
Observations. — a) Ai, prononcé d'abord ai (I, § 200),
rime depuis le XIII*^ siècle avec Ve venant du latin a (I, § 171):
ai: volé (Renard, v. 25263); comp. /é (Guingamor, v. 192). Cette
prononciation s'est maintenue jusqu'à nos jours: J'ai: congé
(Femmes savantes, v. 421); comp. les remarques sur sais (§ 124)
et le futur (§ 218, i). Notons encore que ai n'a pas été muni du
s analogique (§ 51,7): sai devient sais, mais ai reste tel quel;
ais se trouve sporadiquement dans les vieux textes (voir par ex.
Myst. de St. Adrien, v. 4886). — b) Sur la conservation de l'a
dans as, at, voir I, § 173, Sur le sort du t final de at, voir
§ 53. — c) A côté de avons, on emploie dans les parlers popu-
laires ons, fait sur ont. Exemples: N'ons pas mangé d'puis
hier au soir, N'ayons le cœur bien attaqué (L. Pineau, Folk-
lore du Poitou, p. 282). Nous ons la gorge Plus rouge qu'un
brûlant de forge (Richepin, Chansons des gueux, p. 10). —
d) A côté de ont, les parlers populaires offrent avont, fait sur
avons. Exemple: Dans les prisons de Pontoise Tous les trois
ils les avont mis (Decombe, Chansons populaires, p. 267).
124. P -[- J* Cette combinaison se trouve originairement dans
sapio, mais l'influence de habeo > *ajo (§ 123) amène sa-
99
pio > *sajo. L'ancienne conjugaison était sai ses set savons
savez sevent; elle a été remplacée par sais sais sait savons sa-
vez savent.
Observations. — a) Lai''*' pers.sing. l'emporte donc graphique-
ment sur la 2^ et la 3^ pers. ; phonétiquement c'est l'inverse
qui a lieu: sais [se] doit son é fermé à l'analogie des anciennes
formes ses et set; on trouve au XIV*' siècle la notation je sce
ou je scey. — b) Sevent qui remonte à *sapunt s'emploie en-
core au XV^ siècle : Hz ne se scevent ou estendre (Greban, Pas-
sion, V. 4476). Les autres scevent bien que telles choses vallent
{Quinze joies de mariage, p. 187). Villon se sert de scavent.
IIL DENTALE (D, T) -\- JO.
125. D -|- J« Cette combinaison se présente dans audio
dont voici les formes primitives: oi oz ot oons oez oent; la
généralisation de l'f de la l""^ pers. produit la flexion analogique
suivante: ois ois oit oyons oyez oient.
126. T -j- J* Cette combinaison se trouve dans deux formes
hypothétiques *poteo (cf. § 72) et *hatio.
l** Voici la flexion de *poteo au moyen âge: puis puez
(pues) puet poons poeiz pueent. On conjugue maintenant: puis
(peux) peux peut pouvons pouvez peuvent.
Observations. — a) A la l""^ pers., la forme analogique je
peux n'a été acceptée que très tard; elle est encore blâmée par
Vaugelas: » Plusieurs disent et escrivent ie peux. le ne pense
pas qu'il le faille condamner, mais ie sçay bien que ie puis,
est beaucoup mieux dit, et plus en vsage« (Remarques, I, 143).
— b) Au pluriel, le v des formes modernes est peut-être dû à
l'analogie de mouvons, prouvons, etc. — c) A la 3® personne
l'influence de veulent a produit peulent (Dolopathos, v. 4159;
Orson de Beauvais, v. 2461 ; E. Deschamps, IX, 704). Au XVI«
siècle, J. Pelletier remarque: »Les uns à.\sQni peuvent, les autres
pevent et encore les autres peulent« (Livet, p. 157). La forme
avec / était dialectale (comp. Romania, XXVIII, 253); elle s'em-
ploie encore en wallon (rappelons aussi le vénitien pol, et le
piémontais pôl).
2" Voici la flexion de *hatio au moyen âge: hai hez het
haons haez heent. A la 1'"® pers. on trouve aussi he (encore
100
dans Charles d'Orléans), refait sur hez, het, et haz modelé sur
faz. Quand faz disparaît devant fais (§ 127), haz devient hais,
et on conjugue vers la fin du moyen âge hais hais hait hayons
haijez haient. Au XV*" siècle, l'influence des verbes inchoatifs
commence à se faire sentir; Meigret est le premier grammai-
rien qui donne haïssons, et une lutte s'établit entre l'ancienne
conjugaison simple et la conjugaison inchoative. Joachim du
Bellay ayant employé la forme je hay dans une de ses odes,
en a été blâmé par Charles Fontaine dans son »Quintil Cen-
seur* en ces termes: »La première du verbe haïr, qui est je
hay, que tu fais monosyllabe, est de deux syllabes divisées,
sans diphtongue ; comme il appert par le participe haï, et l'in-
fmitif haïr, qui sont divisez ainsi par tous ses temps et per-
sonnes « (comp. Ménage, Observations, p. 407). Les deux sys-
tèmes finissent par se confondre dans le compromis curieux
adopté dans la langue moderne. C'est encore ici Vaugelas qui
a tranché la question; il s'exprime ainsi en parlant de haïr:
»Ce verbe se conjugue ainsi au présent de l'indicatif ie hais,
tu hais, il hait, nous haïssons, vous haïssez, ils haïssent, en fai-
sant toutes les trois personnes du singulier d'vne syllabe, et
les trois du pluriel, de trois syllabes. Ce que ie dis, parce que
plusieurs conjuguent, ie haïs, tu haïs, il haït: faisant haïs et
haït, de deux syllabes, et qu'il y en a d'autres, qui font bien
pis en conjuguant et prononçant j'haïs, comme si l'h, en ce
verbe n'estoit pas aspirée, et que, Ve, qui est deuant, se peust
manger [comp. I, § 486] ; Au pluriel il faut conjuguer comme
nous auons dit, et non pas, nous hayons, vous hayez, ils hayent,
comme font plusieurs, mesme à la Cour, et tres-mal« {Re-
marques, I, 75). Dans la langue populaire actuelle on entend
je haïs (cf. § 225) pour je hais.
IV. PALATALE + JO.
127. K -j- J. Cette combinaison se trouve dans facio, pla-
ce o, taceo, jacio, noceo, luceo. Les représentants étymo-
logiques des cinq dernières formes n'existent pas; au lieu de
plaz, taz, jaz, noz, luz qu'on aurait attendus, on trouve les
formes analogiques plais, tais, gis, nuis, luis, refaites sur les
autres personnes du sing. Le seul verbe qui ait conservé une
1''^ personne étymologique est facio dont voici la flexion:
101
(Latin classiiiue)
(Latin vulgaire)
(Vieux français)
(Fr. moderne)
facio
fakjo
faz, fas
fais
facis
fais
fais
fais
facit
fait
fait
fait
facimus
faimus
faimes
faisons
facitis
faitis
faites
faites
faciunt
faunt
font
font
Observations. — a) La forme étymologique de la 1'"*' per-
sonne s'emploie encore au XIV^ siècle: Non fas je moi (Mir.
de N. D., 2, 1057); la forme analogique fais apparaît déjà dans
le Rom. de la Rose. On a aussi fois, encore en usage au temps
de la Renaissance (Rabelais, Montaigne). — b) A la 1'"*' pers.
du plur., faimes était encore en usage au XIV^ siècle (H. de
Mondeville). La forme victorieuse faisons, modelée sur faisant,
faisoie, se trouve déjà dans les Quatre Livres des Rois. On
trouve aussi faions (Ezéchiel, IX, 26), modelé sur traions, fomes
(Rom. de la Rose), modelé sur somes, et fons (comp. nous vons,
§ 116, 1, d): Contre luy ne fons que murmurer (Montaiglon,
Recueil de poésies françaises, XI, 130). Les deux dernières
formes sont encore en usage dans la langue populaire (Nisard,
Le langage populaire de Paris, p. 239). — c) A la 2® pers. du
plur., la langue populaire se sert de la forme analogique vous
faisez (R. de Gourmont, Esthétique de la langue française, p. 159).
— d) A côté de font, on trouve feent (Jonas), resté inexpli-
cable; la forme fazent de la Passion (v. 484) est provençale.
G. FLEXION ACTUELLE.
128. Finissons par examiner, sans tenir compte de l'ortho-
graphe usuelle, la flexion du présent telle qu'elle existe dans
la langue actuelle parlée. Voici d'abord les formes de porto
en latin, en vieux français, en français moderne écrit et parlé :
porto
port
porte
[port]
portas
portes
portes
[port]
portât
porte(t)
porte
[port]
portamus
portons
portons
[portô^
portatis
portez
portez
[porte]
portant
portent
portent
[port]
102
En comparant ces quatre séries, on voit tout de suite que
la flexion française actuelle est bien plus éloignée de la flexion
latine que ne fait supposer la langue écrite: plusieurs traits
étymologiques conservés par l'orthographe usuelle n'existent
plus dans la langue vivante. En latin, le présent avait tou-
jours six formes différentes, trois' pour le singulier trois pour
le pluriel, et les désinences étaient variables pour les diffé-
rentes conjugaisons. En français, où les différences de con-
jugaisons ont presque toutes disparu, on a d'abord six formes
pour les six personnes; mais après le changement de la l*"^
personne, le nombre de ces formes se réduit à cinq: je port
— il porte y je, il porte; je voi — tu vois y je, tu vois. Ce n'est
que par exception qu'on garde six formes: je suis tu es il est,
etc. ; je puis tu peux il peut, etc. ; j'ai tu as il a, etc. On arrive
cependant à un tout autre résultat, quand on passe de la
langue écrite à la langue parlée, où ordinairement le présent
n'a que trois formes différentes, moins souvent quatre, très
rarement cinq et jamais six. Selon le nombre des formes nous
diviserons les présents français en trois groupes principaux
(dans l'exposé suivant les personnes du sing. seront désignées
par 1 2 3, et celles du plur. par 4 5 6).
Remarque. Aucun verbe français moderne ne présente dans le parler or-
dinaire six formes pour les six personnes. Signalons pourtant comme un fait
de curiosité les conjugaisons burlesques: je dors, tu pionces, il roupille, nous
cassons notre canne, vous piquez votre chien, ils tapent de l'œil. Je m'en vais,
tu te cavales, il se la brise, nous prenons la poudre d'escampette, vous
prenez de l'air, ils s'esbignent.
129. Le premier groupe n'a que trois formes pour les deux
nombres (12 3 6 — 4^5). Les terminaisons de 4: [5] et
de 5: [e], s'ajoutent directement à la forme fondamentale qui
sert pour les autres personnes. En voici quelques exemples:
12 3 6 [pa:r]
[s£:r]
[do:r]
[ku:r]
[ubli]
[kœ:j]
4 [parô]
[s£ro]
[dorô]
[kurô]
[ubliô]
[kœjô]
5 [pare]
[s£re]
[dore]
[kure]
[ublie]
[kœje]
Dans quelques verbes le changement d'accentuation à 4 et
à 5 amène un changement de la voyelle (comp. § 22 ss.) :
12 3 6 [kr£:v] [akj£:r] [mœ:r]
4 [kravô] [akerô] [murô]
5 [krave] [akere] [mure]
103
Dans d'autres, le changement d'accentuation amène la chute
de la voyelle accentuée de la forme fondamentale (voir l'ex-
plication historique, § 16 — 19):
2 3 6 [apel]
[aJ^t]
[sizEl]
[sul£:v
4 [aplô]
[aJtô]
[sizlô]
[sulvô]
5 [aple]
[ajte]
[sizle]
[suive]
Ce groupe comprend presque tous les verbes de la première
conjugaison latine: porte portons, pare parons, serre serrons,
dore dorons, oublie oublions, crève crevons, appelle appelons,
achète achetons, cisèle ciselons, soulève soulevons, et quelques
verbes appartenant aux autres conjugaisons: cours courons,
cueille cueillons, offre offrons, meurs mourons, acquiers acqué-
rons, conclus concluons, etc.
130. Le deuxième groupe a quatre formes différentes pour
les deux nombres (12 3 — 4 — 5 — 6). Les terminaisons de
4 et de 5 s'ajoutent au singulier à l'aide d'une consonne qui
forme à elle seule la terminaison de 6 (cf. § 132). Exemples:
2 3
[pa:r]
[s£:r]
[do:r]
[pare]
[sali]
[vi]
4
[parts]
[servS]
[dormS]
[par£s5]
[salisS]
[vivo
5
[parte]
[serve]
[dorme]
[par£se]
[salise]
[vive
6
[part]
[s£rv]
[dorm]
[par£s]
[salis]
[viv]
Dans plusieurs verbes, le changement d'accentuation propre
à 4 et à 5 et l'addition d'une consonne à 6 sont accom-
pagnés d'un changement de la voyelle du thème, de sorte
qu'on a dans les quatre formes soit deux voyelles différentes
(12 3 6 — 45,
ou 1 2 3 —
4
5 6):
1 2 3 [bwa]
[dwa]
[vo]
[se]
4 [byvS]
[d9v5]
[vais]
[savS]
5 ]byve]
[d9ve]
[vale]
[save]
6 [bwav]
[dwav]
[val]
[sav]
soit trois voyelh
5S
différentes
(1
2 3 — 45
-6):
1 2 3 [v0]
[p0]
M~^]
[prQ]
4 [vulS]
[puvô]
[v9n5]
[pranô]
5 [vule]
[puve]
[vane]
[prane]
6 [vœl]
[pœ:v]
[vjen]
[pren]
104
Ce groupe comprend la plupart des verbes appartenant aux
2^, 3^, 4^ conjugaisons: pars partons, sers servons, dors dor-
mons, parais paraissons, salis salissons, vis vivons, bois buvons^
dois devons, vaux valons, sais savons, veux voulons, peux pou-
vons, viens venons, prends prenons, et quelques verbes isolés de
la première: envoie envoyons.
131. Le troisième groupe, qui ne se compose que de quatre
verbes, a cinq formes pour les deux nombres (1 — 2 3 — 4
— 5 — 6):
1
[e]
[V£]
[pyi]
[syi]
2 3
[a]
[va]
[po]
[e]
4
[av5j
[al5]
[puvô]
[som
5
[ave]
[aie]
[puve^
[et] ■
6
[ô]
[v5]
[pœ:v]
[sô]
Ajoutons que [ve] et [pyi] sont souvent remplacés par [va]
(§ 116, i) et [p0] (§ 126, i), de sorte que ces deux verbes ap-
partiennent aussi au groupe précédent.
132. Voici par ordre alphabétique les consonnes caractéris-
tiques du pluriel:
1" [d] dans tous les verbes en -erdre, -ordre, -andre, -endre
(exe. prendre), -ondre: [p£:r] — [perdô] (perds — perdons), [mo:r]
— [mordo] (mords — mordons), [vd] — [vQdo] (vends — ven-
dons), etc.
2° [j] dans: [fyi] — [fyiJS] (fuis — fuyons), [krwa] — [krwajo]
(crois — croyons), [nwa] — [nwajo] (noie — noyons), [vwa] —
[vwajô] (vois — voyons), [dvwa] — [àvwajo] (envoie — en-
voyons), etc.
3^ [k] dans: [vè] — [vèkô] (vaincs — vainquons).
4° [1] dans: [mu] — [mulô] (mouds — moulons), [vo] — [va-
15] (vaux — valons), [v0] — [vulo] (veux — voulons), etc.
5^ [Iv] dans les composés de soudre: [apsu] — [apsolvô] (ab-
sous — absolvons), [rezu] — [rezolvô] (résous — résolvons).
6° [m] dans: [do:r] — [dormô] (dors — dormons) et les com-
posés.
7® [n] dans: [prà] — [prgnô] (prends — prenons), [tjè] — [tanô]
(tiens — tenons), [vjè] — [v9nô] (viens — venons) et les com-
posés.
105
8" [ji] dans les verbes en -aindre, -eindre, -oindre: [plè] —
[plejiô] (plains — plaignons), etc.
9^ [p] dans: [rô] — [ropô] (romps — rompons) et les com-
posés.
10" [s] dans les inchoatifs: [fini] — [finiso] (finis — finissons),
etc., et dans [béni] — [benisô] (bénis — bénissons), [krwa] —
[krwaso] (crois — croissons), [modi] — [modiso] (maudis —
maudissons), [ne] — [neso] (nais — naissons), [pare] — [paresô]
(parais — paraissons).
11° [t] dans: [ba] — [bato] (bats — battons), [ma] — [màto]
(mens — mentons), [me] — [metô] (mets — mettons), [pa:r] —
[parlô] (pars — partons), [rgpà] — [rapâtô] (repens — repen-
tons), [sa] — [sôtô] (sens — sentons), [so:r] — [sortô] (sors —
sortons), [\e] — [veto] (vêts — vêtons).
12'' [v] dans: [mo] — [muvo] (meus — mouvons), [po] — [puvô]
(peux — pouvons), [e] — [av5] (ai — avons), [se] — [savô] (sais
— savons), [ekri] — [ekrivô] (écris — écrivons), [syi] — [syivô]
(suis — suivons), [vi] — [vivo] (vis — vivons), [s£:r] — [servô]
(sers — servons), [bwa] — [byvo] (bois — buvons), [dwa] —
d9vô] (dois — devons), [r9swa] — [rasvo] (reçois — recevons) et
tous les verbes en -cevoir.
13*^ [z] dans: [di] — [dizô] (dis — disons), [kôfi] — [kôfizô]
(confis — confisons), [li] — [lizo] (lis — lisons), [syfi] — [syfizo]
(suffis — suffisons), [gi] — [sizo] (gis — gisons), [kyi] — [kyi-
z5] (cuis — cuisons), [lyi] — [lyizô] (luis — luisons), [nyi] —
[nyizô] (nuis — nuisons), etc., [h] — [fazô] (fais — faisons),
[pk] — [plezo] (plais — plaisons), [te] — [Uzo] (tais — taisons),
[ku] — [kuzô] (couds — cousons).
133. Rapport du présent avec les autres temps. — Le pré-
sent offre deux sortes de formes: les unes accentuent le radi-
cal, les autres la terminaison. Nous avons vu (§ 15 ss.) com-
ment le radical de ces formes peut différer et pour la consonne
et pour la voyelle, et comment l'analogie vient le plus souvent
aplanir ces différences en généralisant tantôt le radical des
formes fortes, tantôt celui des formes faibles. Sur les rapports
du présent avec l'infinitif, voir § 80,3; sur les rapports avec
le participe présent, voir § 85.
CHAPITRE X.
LE PRÉSENT DU SUBJONCTIF.
134. Les types latins se divisent en trois groupes selon que
la V^ personne se termine en -em, -am ou -eam, -iam (c. àd.
[jam]). Les trois types se retrouvent en vieux français: can-
tem > chant, scribam ) escrive, valeam ) vaille. Ils ont été
uniformisés après le moyen âge.
Remarque. Au moyen âge, le prés, du subj. des verbes dont le radical se
terminait en n, l ou r, se formait souvent d'une manière particulière par
l'addition de la terminaison -ge. On disait ainsi alge (de aler), bauge (de
baillier), demeurge, donge, garge (de garder), meinge, parolge, porge (de
porter), tourge (de tourner); arge, confonge (Aiol, v. 765), crienge, deffenge
(Aiol, V. 325), penge (Bastart de Bouillon, v. 6117), perge, prenge, renge, tolge;
courge, fierge, meurge, quierge, tienge, vienge, etc. Ces formes se montrent
dès le Xle siècle: on trouve quiergent dans Alexis (v. 297), corget dans le
Comput (v. 86), meinge dans Brandan (v. 119), alge, demuerge dans le Psau-
tier de Cambridge, etc., et elles étaient en usage encore au XIV'^ siècle
(Chirurgie de Henri de Mondeville); elles sont surtout propres à l'Ouest, mais
on les trouve aussi en Picardie; elles vivent encore dans le vendéen et quelques
autres patois. L'origine de ce -ge est peu claire; le point de départ est pro-
bablement à chercher ou dans des formes latines en -g a m telles que sur-
gam, spargam, plangam, ou dans des formes hypothétiques telles que
*prendiam > prenge.
A. PREMIER GROUPE.
135. Les formes en -em sont propres à la K^ conjugaison.
Voici la flexion de cantem:
107
(Latin classique)
(Vieux français)
(Français moderne)
c a n t e m
chant
chante
cantes
chanz, chans
chantes
cantet
chant
chante
cantemus
chantons (-iens)
chantions
cantetis
chanteiz, -oiz (-e
-^)
chantiez
cantent
chantent
chantent
Nous ajoutons encore quelques exemples destinés à faire
A^oir les modifications phonétiques propres à notre temps:
ament (de amender), aparent (de apareillier), apclt, apeaut (de
apeler), haut (de baillier), chevalzt (de chevalchier), colzt (de col-
chier), enseint (de enseignier), griet (de grever), liet (de lever),
parout (de parler), penst (de penser), sejort (de sejorner), sont
(de soner), tort (de torner), travaut (de travailier), etc. (comp.
Romania, XXV, 322).
136. Observations particulières.
P Dans quelques verbes la voyelle finale latine du singulier
était restée comme voyelle d'appui (comp. § 115, i): entre,
semble, livre, etc. Ces formes, ainsi que celles du subj. des
autres conjugaisons, où il y avait toujours un e féminin (perde,
vende, sente), expliquent la généralisation de cette voyelle au
prés, du subj. de I: Les formes étymologiques chant chanz
chant sont remplacées peu à peu par les formes analogiques
chante chantes chante; ces dernières remontent très haut: on
trouve déjà dans le Psautier d'Oxford cante, giiarde, munte,
habite à la V^ pers. et rebutes, oblies, otreies à la 2'^; mais l'e
fait presque toujours défaut à la 3- pers.: guart, habit, parolt,
etc. En regard de ces dernières formes il est difficile d'expli-
quer saneiet et degnet de Ste Eulalie. Les formes étymologiques
sans e s'employaient encore aux XV^ et XVI'' siècles, surtout
dans des locutions toutes faites: Et Dieu vous doint joie (Pate-
lin, V. 101). Dieu vous gard (ib., v. 509). M'aist Dieu (ib., v. 56).
Le diable emport le chapellain (Nouv. Pat., v. 766, 792). Dieu vous
gard {ib., v.409). Honneur vous doint le roy des roys (Myst. de Saint
Laurent, v. 3577). Le diable m'emport (Cl. Marot). L'ancienne
forme de »garder« est même restée en usage dans le XVIII®
siècle: Dieu te gard', Cléanthis (Amphitryon, II, se. 3). Dieu
vous gard mon frère (F'emmes savantes, II, se. 1). Dieu gard'
de mal femme qui jeune (La Fontaine, Diable). Que Dieu vous
108
gard' dun pareil logement (Voltaire). Signalons encore le pro-
verbe: >>Dieu gard la lune des loups«, le nom de famille Dieu-
tegard, et la Rue Quincampoix « vfr. qui qu'en poist) de Paris.
Après le XVIP siècle, on a abusivement affublé gard d'une
apostrophe (comp. grand route, § 386). Si la forme étymo-
logique s'est maintenue plus longtemps à la 3^ pers. qu'aux
deux autres, c'est qu'elle était appuyée par soit, ait, puist (en
regard de soie, aie, puisse) et par l'imp. du subj., où l'on avait
-ast (en regard de -asse).
2° La terminaison régulière de la 1'"^ pers. du plur. était
-ons: Qui ço vus lodet que cest plait degetuns (Roland, v. 226).
Je m'acort que nous nous tessons touz tuer (Joinville, § 319).
Le commandement Mahommet, qui nous commande que nous
gardons le nostre signour (ib., § 372). Il faut que nous luy re-
boutons (Patelin, v. 1290; cf. v. 1117); ces formes se retrouvent
encore sporadiquement dans Marot. A côté de -onSj^ on em-
ploie aussi au moyen âge -iens (voir ci-dessus § ^, i. Rem.);
Joinville écrit ainsi mangiens (§ 441), ostiens (§ 637), doutiens
(§ 756), etc.; de cette manière on arrivait à distinguer l'in-
dicatif du subjonctif. La forme moderne -ions représente un
compromis entre -ons et -iens.
3" A la 2^ pers. du plur., la terminaison étymologique se
retrouve encore dans Villehardouin: Et sor se mandent à vos
comme à lor bon père, que vos à lor commandoiz vostre com-
mandement (§ 106). Elle fut remplacée de bonne heure par
-ez: Ja Deu ne placet qu'el chiei portez corune (Roland, v. 3538).
Cette terminaison s'employait encore au XVI^ siècle: Posez le
cas que .... vous trouvez (Rabelais, Prologue). Ne faites que
.... vous laissez courir (Hardy, Didon, IV, se. 3). On ne s'est
servi régulièrement de -iez qu'à partir de 1500.
Remarque. Précédé d'une palatale -etis devrait donner -iz (cf. I, § 191),
mais cette forme ne se trouve pas; on a ordinairement -iez: laissiez, vengiez,
aidiez, jugiez, etc.
137. Formes particulières.
1" Aller présente les formes suivantes:
(Vieux Français) (Français moderne)
voise alge (auge) aille aille
voises alges (auges) ailles ailles
voist, voise alge (auge), ait, aut aille aille
109
(Vieux Français) (Français moderne)
voisons alg(i)ons aillons allions
voisiez alg(i)ez ailliez alliez
voisent algent, angent aillent aillent
Observations. Voise est modelé sur vois (§ 116,]); alge est
formé à l'aide de la terminaison -ge (§ 134, Rem.); aille re-
produit un *aliam hypothétique. Alge disparaît déjà au moyen
âge; voise s'emploie régulièrement encore au XVI*' siècle:
Souffrez qu'au lieu de vous Elle voise la-bas chercher un autre'
espoux (Garnier, Antigone, v. 1983). Vaugelas remarque que
voise pour aille est »un mauvais mot que le peuple de Paris
dit, mais que l'on ne dit point à la Cour, et que lés bons
Autheurs n'escrivent jamais« (Remarques, II, 417).
2° Donner avait au moyen âge quatre formes différentes:
doinse fait sur doins (§116, 3); donge, formé à l'aide de la ter-
minaison -ge (§ 134, Rem.); doigne tiré d'un *doniam hypo-
thétique, et done, donne. Cette dernière forme a seule survécu.
30 Ester faisait au présent estace ou esloise. La première
forme paraît faite sur face, place, etc., la seconde sur voise.
Stem n'a laissé de traces qu'en espagnol (esté), en v. port.
(esté) et en provençal.
4^ Prover, trover, rover faisaient au présent pruisse, truisse,
misse (cf. § 116, 4).
B. DEUXIÈME GROUPE.
138. La terminaison -am s'emploie dans la plupart des verbes
appartenant à II, III, IV. Voici la flexion de scribam:
(Latin classique) (Vieux Français) (Français moderne).
scribam escrive écrive
s c r i b a s escrives écrives
s c r i b a t escrive(t) écrive
scribam us escrivons, iens écrivions
scribatis escrivez écriviez
scribant escrivent écrivent
Les terminaisons des différentes personnes ne donnent pas
lieu à des observations spéciales; les remarques sur le pluriel
110
du premier groupe (§ 136,2,3) s'appliquent aussi à celui du
deuxième. Nous ajouterons seulement quelques autres ex-
emples de formes en -am et de leur développement: bibam
) beive, boive, vivam > vive, rumpam ) rompe, credam >
creie, croie, perd a m ) perde, vendam ) vende, mittam >
mette, quseram ) quière, curram ) courre, etc.
Formations analogiques. La terminaison -a m a supplanté
-iam (-eam) dans: dormiam, feriam, mentiam, mor-
deam, *moriam, moveam, partiam, respondeam, sen-
tiam, serviam, sortiam, tondeam, vestiam, et les
formes en -cipiam. Dormiam aurait donné dorge, on ne
trouve que dorme, etc.
139. Formes particulières.
P Cadam devient chiee, remplacé par choie (cf. § 119, i).
2^ Claudam devient cloe, remplacé par close (cf. § 44, i).
3^ Coquam est remplacé par la forme analogique cuise (comp.
§ 31).
4" Dicam. Les formes du moyen âge sont: die dies die(t)
diions diiez dient; elles ont été remplacées par dise dises dise
disions disiez disent qui apparaissent au XVI*^ siècle et sup-
plantent vite les autres (§ 44, i). Vaugelas remarque: »Au sin-
gulier quoy que Von die, est fort en vsage, et en parlant, et
en escriuant, bien que quoy que Von dise, ne soit pas mal dit;
Mais quoy qu'ils dient, au pluriel ne semble pas si bon à plu-
sieurs que quoy qu'ils disent; je voudrois vser indifféremment
de l'vn et de l'autre. Il y en a qui disent quoy que vous diiez,
pour dire, quoy que vous disiez, mais il est insupportable « (Re-
marques, II, 38). Die se trouve souvent dans Corneille (Cinna,
V. 61; Horace, v. 831), Molière (Dép. am., I, se. 1; V, se. 9;
Impr. de Versailles, se. 3) et même dans Racine; après le
grand siècle, die n'est plus qu'un archaïsme auquel les poètes
seuls ont parfois recours. On connaît la jolie chanson de Mus-
set: Mais j'aime trop pour que je die Qui j'ose aimer (Le
Chandelier, II, se. 3). Rappelons enfin la forme analogique
disse qui se trouve par exemple dans Froissarl; elle a disparu
du verbe simple, mais survit dans le composé maudire. Pals-
grave hésite entre mauldie et maudisse; la victoire de cette
dernière forme est due à l'influence du verbe bénir (§ 69, i).
b^ Ducam. On conjuguait au moyen âge: duie duies duie(t)
111
duiiens duiiez duient. Par la généralisation du [z] ces formes
sont remplacées par diiise duises duîse duisions duisiez duisenl.
Déjà dans Aiol duise s'emploie à côté de duie. Comp. § 44, i.
go * Hatam (pour *hatiam) devient hée, remplacé par la
forme inchoative haïsse (cf. § 126, 2). Au moyen âge on disait
aussi hace modelé sur face (§ 140).
1^ Legam est remplacé par lise (cf. § 44, i).
8^ Ponam devient pone, remplacé par ponde (cf. § 37, 1).
9" Prendam devient prende, remplacé déjà au moyen âge
par prenne (cf. § 40, 2). On a aussi dit prenge (§ 134, Rem.)
et preigne. Cette dernière forme était en usage encore au XVII®
siècle. Vaugelas remarque: » C'est une faute familière aux Cour-
tisans, hommes et femmes, de dire preigne pour prenne et veigne
pour viennes; et Th. Corneille ajoute: »I1 n'y a plus que le
bas peuple qui dise vieigne pour vienne, mais beaucoup de
femmes disent encore preigne pour prenne. M. Chapelain ap-
pelle cette faute barbare. On doit prendre soin de l'éviter*
(Vaugelas, Remarques, I, 143).
10® Sim. Cette forme a été remplacée dans le parler vul-
gaire par *siam (cf. it. prov. sia, esp. sea, port, seja):
(Latin classique)
sim
sis
(Lalin vulgaire)
siam
sias
siat
siamus
siatis
siant
(Vieux Français)
seie, soie
seies, soies
(Français moderne)
sois
sois
sit
seie(t), soie
soit
simus
seiens, soions
soyons
sitis
sint
seiez, soiez
scient, soient
soyez
soient
Observations. — L'e féminin des P et 2^ pers. est conservé
encore à la fin du XIV® siècle : Tant que g'y soie (Miracles de
N. D., no 31, 1696). Or soies appert d'y aler (ib., n^ 40, 354).
PourMa 3® pers. il faut remarquer que la forme étymologique
est assez rare; on n'en trouve que quelques exemples isolés:
sia (Passion, v. 240), sie (Fragment d'Alexandre, v. 8), soie
(Bartsch, 65, 41), et enfin soiet (seiet) dans quelques chartes
du XIII® siècle. On se sert ordinairement dès les plus anciens
textes de la forme contractée seit (Alexis, v.-25), plus tard soit.
Dans la langue vulgaire moderne on trouve soye, probable-
ment fait sur soyons, soyez: Comment voulez- vous qu'on soyek
112
l'aise (Gyp, Oh Province, p. 64). Que ce soye pour une idée ou
pour autre chose (A. France, L'affaire Crainqiiebille, p. 62).
11° Surgam devient sorge, remplacé par sorde, sourde (cf.
§37,2).
12° Vincam aurait dû devenir veinche; on ne trouve que
veinque, vainque, dont l'explosive est due à l'influence de l'in-
finitif vaincre (cf. § 34).
Remarque. Les formes en -scam n'aboutissent pas à -che, mais à -sse:
crescam ) creisse, croisse, cognoscam > conoisse, connaisse, floriscam >
florisse, fleurisse (comp. § 45, a).
C. TROISIÈME GROUPE.
140. La terminaison -iam (-eam) est propre à quelques
verbes de II, III, IV. A rencontre de l'indicatif, où le [j] ne
se trouve qu'à la 1'*^ pers. du sing., il s'emploie au subjonctif
dans tout le singulier et tout le pluriel. Voici la flexion de
faciam:
(Latin classique)
(Vieux français)
(Français moderne)
faciam
face
fasse
fa ci a s
faces
fasses
faciat
face(t)
fasse
faciam us
faciens
fassions
faciatis
faciez
fassiez
faciant
facent
fassent
141. Observations particulières.
1° A la P pers. du plur., la terminaison -eam us (-iamus)
donne régulièrement -iens. On trouve ainsi jusqu'au XIV*' siècle:
voliens, veniens, sachiens, aiens, veiiens, etc. Pourtant, de bonne
heure -iens est parfois remplacé par -ons; on trouve déjà dans
le Roland (v. 60) aium; Villehardouin emploie faisons (§ 588)
et faciens (§ 372), Joinville façons (§ 348), veuillons (§ 580),
aiens (§ 43), voiens (§ 637), etc. La terminaison victorieuse
-ions est un compromis entre -iens et -ons.
2° A la 2<^ pers. du plur., la terminaison -eatis (-iatis)
donne régulièrement -iez: sachiez, voliez, veniez, aiez, veiiez, etc.
Cette terminaison est restée, et elle a même supplanté -ez des
autres verbes: chantez ) chantiez, etc. (cf. § 57, i, Rem.). Au
113
moyen âge, par une analogie contraire, -iez était parfois rem-
placé par -oiz ou -ez; on trouve ainsi, d'un côté sachoiz, façois,
viegnoiz, soioiz (Gaydon, Aye d'Avignon, Villehardouin), et de
l'autre facez, tenez (Joinville) ; encore Rabelais emploie sachez
(cf. § 136, 3).
3" Les terminaisons -iens, -ions et -iez sont étymologiquement
monosyllabiques à la différence des terminaisons correspon-
dantes de l'imparfait (cf § 161,5); on avait ainsi fa-ciens fa-
ciez, a-iens a-iez, ve-niens ve-niez, à côté de fai-si-iens fai-si-iez,
a-vi-iens a-vi-iez, ve-ni-iens ve-ni-iez.
142. Le nombre des formes en - j a m a été plus restreint en
latin vulgaire qu'en latin classique; nous avons déjà cité plu-
sieurs exemples montrant la substitution de -jam à -am
(§ 138). Cependant, la création de nouvelles formes en -jam
a aussi eu lieu, mais c'est un phénomène rare: on ne saurait
guère citer que * col lia m (pour colligam), *falliam (pour
fallam), *voleam (pour velim), et peut-être *alliam ()
aille), *doneam () doigne). Ajoutons que quelques-unes des
formes en -ge (§ 134, Rem.) doivent peut-être leur origine à
une extension analogique de -jam, mais c'est très douteux.
L LIQUIDE (L, N) + JAM.
143. L -|- J. Cette combinaison se trouve dans bulliam )
bouille, caleam ) chaille, doleam ) diieille, saliam > saille,
soleam > sueille, valeam > vaille, et dans les formes vul-
gaires *colliam (pour colligam) ) cueille, *falliam (pour
fallam) ) faille, *voleam (pour velim) ) vueilte. De ces
formes, chaille, deuille, seuille sont mortes; on n'a conservé que
bouille, cueille, faille, saille (dans assaille, tressaille; la forme
inchoative saillisse a remplacé le simple saille), vaille, veuille.
Il faut examiner à part le développement de valeam et de
*voleam.
1" Valeam. L'ancienne flexion était: vaille vailles vaille(t)
vailliens vailliez vaillent; elle a été remplacée par vaille vailles
vaille valions valiez vaillent. Remarquez que le [K] a disparu de
la l'^' et de la 2® pers. du plur. (un développement parallèle
a eu lieu dans aillons ) allions, veuillons ) voulions). Dans lé
composé prévaloir, toutes les formes avec [Ji] ont disparu, et
8
114
on a créé le nouveau présent analogique prévale. L'ancienne
forme prévaille était en usage encore au XVIP siècle. Th. Cor-
neille remarque: » Quoique ceux qui s'attachent à l'exactitude
de la grammaire soutiennent que c'est ainsi qu'il faut parler,
on dit à la cour prévale, et non pas prévaille, et c'est la cour
qui nous doit servir de règle «. La cour — et l'analogie ont eu
raison des pédants.
20 *Voleam. L'ancienne flexion était viieille vueilles vueille(t)
voilliens voilliez vueillent. Elle a été remplacée par veuille veuilles
veuille voulions vouliez veuillent. Ajoutons qu'au pluriel, les
formes étymologiques voilliens voilliez ont d'abord été rempla-
cées par veuill(i)ons veuill(i)ez qui s'employaient encore au XVP
siècle. Malherbe remarque: »I1 faut dire veuillions pour dire
velimus; voulions signifie volebamus« (Œuvres complètes,
IV, 286). Vaugelas (Remarques, I, 101) et l'Académie au con-.
traire protestent contre veuillons et veuillez; mais malgré cela,
plusieurs auteurs ont continué à s'en servir, à la grande satis-
faction de Jullien et de Littré.
144. N -|- J. Cette combinaison se trouve dans teneam >
vfr. tiegne, veniam > vfr. viegne. On avait aussi des formes
en -ge (§ 134, Rem.): tienge, vienge. Au XVI^ siècle les formes
modernes tienne, vienne commencent à s'introduire; pourtant
Palsgrave ne donne que tiengne, viengne. Rappelons que cette
dernière forme est en usage encore au XVIP siècle. Vaugelas re-
marque (I, 144): »C'est une faute familière aux courtisans,
hommes et femmes de dire vieigne pour viennes, et Th. Cor-
neille ajoute: »I1 n'y a plus que le bas peuple qui dise vieigne^.
IL LABIALE (B, P) + JAM.
145. B -[- J« Cette combinaison se trouve dans debeam et
habeam.
1° Debeam se réduit en latin vulgaire à *deja (comp.
§ 123, i) qui se conjuguait en vfr. : deie deies deie(t) deiiens
deiiez deient. Cette série de formes a été remplacée par: doive
doives doive devions deviez doivent. Les formes étymologiques
vivent encore au XV^ siècle : doions (Miracles de N. D., n** 27,
299), doiez (ib., n« 19, 994), doye (Patelin, v. 779; Mystère de
St. Laurent, v. 2856); elles ont succombé, comme la forme
115
secondaire doige (encore Rom. des S. Sages, p. p. G. Paris, p. 70,
168), devant deive, doive, etc., dont le [v] est analogique.
2° Habeam se réduit en latin vulgaire à *aia (comp. § 123,2),
d'où en vieux français: aie aies aiet aiens aiez aient. Cette série
de formes a été remplacée par: aie aies ait ayons ayez aient.
La forme primitive de la 3^ pers. aiet ne se trouve que dans
les plus anciens monuments (Jonas; Alexis, v. 508); déjà le
Roland donne ait (v. 82, 1047); comp. le développement par-
allèle de seiet > seit (§ 139, lo). Il est curieux de constater que
l'analogie des autres prés, du subj. crée de nouveau une forme
aie très employée au XVP et au commencement du XVII''
siècle; Corneille encore s'en sert (voir p. ex. Cinna, v. 1260,
1283), mais Vaugelas (Remarques, I, 171), et les autres gram-
mairiens défendent vivement ait contre aye. Au pluriel, il faut
noter le changement de aiens, aiez en aiiens ayons, aiiez ayez,
sous l'influence des autres personnes.
146. P -[- J. Cette combinaison se trouve dans s a pi a m >
sache, qui s'est maintenu jusqu'à nos jours. Ajoutons que dans
la langue vulgaire et le parler enfantin on entend save: Suffit
que je 1' saue, pas vrai? (Monnier, Paris et la Province, p. 350).
III. DENTALE (D, T) + JAM.
147. D -|- J. Cette combinaison se trouve dans audiam >
oie, gaudeam ) vfr. joie (remplacé par la forme inchoative
jouisse) et peut-être dans rideam ) rie et videam ) veie, voie.
148. T -}- J. Celte combinaison a probablement existé dans
la forme latine vulgaire, d'où puisse est sorti (comp. § 126, i).
Quant à la conjugaison, il faut noter qu'à la 3*^ pers. du sing.
on trouve, à côté de puisse(t), la forme contractée puist (comp.
ait, § 145, 2, soit, § 139, lo). A la V^ pers. du plur., Jonas
donne posciomes, et Alexis poissons (v. 371, 550). La forme
analogique peuve, citée par Oudin, n'a guère été employée.
IV. PALATALE (K) + JAM.
149. K -j- J. Cette combinaison se trouve dans fa ci a m )
vfr. face (§ 140), placeam ) vfr. place, taceam ) vfr. tace. Les
8*
116
deux dernières formes ont été remplacées ^slt plaise, fa/se (comp.
§ 127); face au contraire s'est maintenu jusqu'à nos jours sous
la graphie changée fasse, mais on trouve des traces d'une
forme analogique faise: J'ordonne que faisez debvoir (Ane. th.
fr., I, 378). Vaugelas remarque: «Combien y en a-t-il qui disent
... faisions pour facions« {Remarques, II, 356). Quant à ja-
ceam, luceam, noceam, on n'a que des formes analogiques:
gise (d'après gisent), luise (d'après luisoie), nuise (d'après nuisoie).
150. Rapport du présent du suhjonctif avec les autres
TEMPS. — Le présent du subjonctif se comporte en tout à peu
près comme le présent de l'indicatif; voir § 133.
CHAPITRE XL
L'IMPÉRATIF.
151. De l'impératif latin, le français n'a gardé que la 2^ pers.
du sing. : canta ) chante. La forme du pluriel cantate, con-
servée en italien (cantate), en espagnol (cantad) et en engadi-
nois, ne se retrouve pas en français, où elle aurait donné
chantet; les formes seet et escotet de l'Épître de St. Etienne
sont trop isolées pour rien prouver. Pour exprimer le pluriel
on s'est servi des formes correspondantes de l'indicatif, can-
tatis ) chantez et cantamus ) chantons.
152. Formes primitives de l'impératif. En latin, l'impératif
se terminait en a, e, i ou c; voici comment ces terminaisons
se sont développées en français:
1" Formes en A. L'a final devient régulièrement e (I, § 252):
canta ) chante, ama ) aime, porta ) porte, etc. L'a s'est
conservé intact (I, §173) dans sta ) vfr. esta; cf. vade > va.
2^ Formes en E, I. L'e et Vi s'amuïssent à la finale (I, § 248) :
vide > vei, voi; senti ) sent, etc.; notons la disparition de
quelques consonnes devenues finales après la chute de la
voyelle: dormi ) dorm, dor, bibe ) beif, boif, boi, scribe )
escrif, escri, servi ) serf, ser, etc.
3® Formes en C. Le c final devient i (I, § 417,2): fac > fai.
153. Développement ultérieur de l'impératif. Les formes
étymologiques médiévales subissent, comme la V^ pers. du
sing. du présent de l'ind. (^ 118, i), l'addition d'un s parago-
gique. Voici quelques détails sur ce phénomène:
118
P Le s s'ajoute régulièrement à toutes les formes qui ne se
terminent pas par e, a ou s: vide ) vei, voi, vois; mitte >
met, mets; vende ) vent, vends: te ne ) tien, tiens; veni )
vien, viens; dormi ) dorm, dor, dors; scribe ) escrif, escri,
écris. Ce s, probablement dû à une assimilation de l'impératif
à la 2® pers. sing. du présent, s'employait déjà, mais d'une
manière très irrégulière, vers la fin du XIV*^ siècle. Dans les
Miracles de Notre Dame on trouve voiz, dix, fais, faiz, mes,
sers, escriz, à côté de voi, di, fai, met, tien, ren, etc. L'incerti-
tude dure encore aux XVP et XVIP siècles. Ramus écrit tous
les impératifs sans s, et la plupart des auteurs en font de
même; mais au siècle suivant, Vaugelas (Remarques, l, 319 —
322) n'admet que voy, connoy, tien, vien, fmj, et il condamne
toutes les autres formes sans s. Les vieilles formes s'em-
ployaient surtout à la rime: Voi: moi (L'Étourdi, III, se. 2), re-
vien: rien (Amphitryon, II, se. 7), revien: entretien (Phèdre, II,
se. 4), etc.
Dans les mots composés voici, voilà, fainéant, la langue mo-
derne conserve encore quelques restes des anciens impératifs.
2® Les formes en e et en a sont restées sans changement
orthographique jusqu'à nos jours: aime, chante, cueille, ouvre,
couvre, souffre, va. Pourtant ces formes étaient aussi munies
du s paragogique au moyen âge : Robin, vas, si lies la mère
(Miracles de N. D., n^ 26, v. 631); mais le s s'ajoutait sans au-
cune règle fixe. Il en est autrement dans la langue moderne,
où son emploi est restreint aux cas où l'impératif est suivi
des adverbes en et y, non suivis d'un infinitif: Parles-en à ton
frère. Donnes-y tes soins. Voici des fleurs, cueilles -en beaucoup.
Vas-y toi-même. (Mais : Cueille en ce jardin beaucoup de fleurs.
Va en parler à ton frère. Va y mettre ordre.) Pour éviter les
hiatus les poètes se servent quelquefois de ce s d'une manière
plus libre:
Retranches, ô mon Dieu, des jours de ce grand roi
Ces jours infortunés qui l'éloignent de toi.
(Voltaire.)
Vas au diable.
(A. Daudet, Les Amoureuses, p. 17.)
3" Les formes en s restent telles quelles jusqu'à nos jours:
cresce ) creis > crois, finisce ) finis.
119
154. Doublets.
P Quelques impératifs, qui s'employaient comme des inter-
jections, s'abrégeaient dans l'ancienne langue:
agare > agar (H. Capet, v. 6010, etc., voir Godefroy) ou aga
(Greban, La Passion) ; cette dernière forme est encore en usage
dans les patois (comp. Molière, Don Juan, II, se. 1).
agardez ) ardez; cette forme se retrouve dans Molière: Ar-
dez, le beau museau {Dépit amoureux, IV, se. 4); elle est en-
core employable: Hé! ardé! C'est-y un nez (Rostand, Cyrano
de Bergerac, I, se. 4).
esgarde > esgar (Robin et Marion, v. 547).
garde ) gar, gars.
laisse ) lais, leis (Ver del juise, v. 446; Mir. de N. Dame, n'' 4,
V. 1291).
2° Sous l'influence des doubles formes du présent de l'in-
dicatif du verbe asseoir (§ 119,4) on trouve à l'impératif as-
sieds asseyons asseyez et, moins bien, assois (Lavedan, Le nou-
veau jeu, p. 153, 266) assoyons assoyez.
155. Dans les verbes avoir, savoir, vouloir, être, on a attribué
au subjonctif la fonction de l'impératif. On disait au moyen
âge:
aies saches
veuilles
soies
aiens sachiens
veuilliens
soiens
aiez sachiez
veuilliez
soiiez
rmes modernes sont:
aie sache
veuille
sois
ayons sachons
veuillons
soyons
ayez sachez
veuillez
soyez
La chute du s des trois premières formes est due à l'in-
fluence de la première conjugaison. Pour vouloir, il faut re-
marquer que quelques auteurs modernes ont employé les
formes de l'indicatif au sens de l'impératif: Veux -le bien (V.
Cousin). Ne m'en veux pas (V. Hugo). Oh! n'en voulez pas à
Napoléon (Balzac, La paix du ménage). Ces formes sont blâ-
mées par Jullien et Littré.
CHAPITRE XII.
L'IMPARFAIT.
156. En latin classique on avait trois terminaisons diffé-
rentes, -abam, -ebam, -iebam: cantabam, debebam, scri-
bebam, audiebam. La dernière terminaison ne se maintient
pas en latin vulgaire; presque partout -iebam devient -ibam,
sous l'influence analogique des autres formes de IV, d'oii ré-
sulte une harmonie vocalique plus complète dans les trois
conjugaisons principales: à côté de cantare cantatis can-
tabam, debere debetis debebam, on obtient audire
auditis, *audibam. Les trois types de l'imparfait se sont
maintenus en
italien :
cantava
vendeva
sentiva
. roumain:
cântâm
vîndeam
sintiam
frioulan :
cantavi
vendèvi
sintiui
et dans quelques dialectes rhéto-romans. Ils ont été réduits à
deux, par la disparition de -ebam devant -ibam, en
espagnol:
cantaba
vendia
sentia
portugais :
cantava
vendia
sentia
provençal :
cantava
vendia
sentia
En français on trouve également deux formes, mais seule-
ment dans les plus vieux textes (cf. § 157); c'est ici -ebajn
qui l'a emporté sur -ibam:
chanteve vendeie senteie
et il pénètre vite aussi dans I:
121
chanteie
vendeie
senteie
chantoie
vendoie
sentaie
chantais
vendais
sentais
chantais
vendais
sentais
Ainsi, le français, seul parmi les langues romanes, ne présente
qu'une seule forme à l'imparfait.
157. La terminaison -abam s'est reproduite en français de
deux manières différentes: -eve et -aue; examinons-les à part.
1° Le développement de -abam en -eve est conforme aux
règles de la phonétique (cf. fabam > fève, lavât > lève, etc.,
voir I, § 170). Voici les différentes formes de ces imparfaits
(nous écartons la 1^*^ et la 2e pers. du plur., dont nous parle-
rons au § 161, 4):
cantabam • chanteve
cantabas chanteves
cantabat chantevet
cantabant chantevent
Ces formes appartiennent exclusivement à la région de l'Est.
On en trouve des exemples dans le Jonas (avardevet), St. Lé-
ger (regnevet), les Dialogues de St. Grégoire (alevet, lassevet,
etc.), la Moralité sur Job, le Poème moral, Aiol (s'apresteve,
V. 731), les Chartes de Liège et de Namur publiées dans la
Romania, vol. XVII, 567, XVIII, 218, XIX (clamevet, ostevet,
etc.). La terminaison -eve vit encore en wallon, oii elle est
devenue -ef, -œf et a supplanté les autres; on dit ainsi tschantœf
(cantabam), pairtœf (portabam) et pierdœf (perdebam),
mintœf (mentiebam), dairmœf (dormiebam), etc.
2^ Le développement de -abam en -oue est difficile à com-
prendre (on pourrait peut-être supposer que -abam, déjà à
l'époque mérovingienne et avant le passage de a à e, s'était
changé en -auva: cantabam > cantauva > cantova).
Voici maintenant les formes de ces imparfaits:
cantabam chantoue
cantabas chantaues
cantabat chantouet, chantant
cantabant chantauent
122
Notons qu'à côté de chantoue on trouve aussi les graphies
chantoe et chantonne, qui compliquent encore plus la question
d'origine. Ces formes appartiennent surtout aux dialectes de
l'Ouest (le normand, l'anglo-normand, le breton, le touran-
geau, le nivernais) ; on les trouve dans la Passion (adnnonent,
V. 171; annouent, v. 172; esuardonet, v. 190), oii elles sont
dues au copiste, dans l'Appendix de l'Alexis, l'Homélie de
St. Grégoire, les Psautiers d'Oxford et de Cambridge, Roland
{portant, v. 203 ; depeçont, v. 837), le Roman de Troie, la Chro-
nique des ducs de Normandie, Marie de France (1180), An-
dré de Coutances (1210), etc. Elles succombent devant la
concurrence des formes en -eie; déjà dans Garnier de Pont-
Sainte-Maxence on trouve la rime demandait: combateit, et à
partir du commencement du XIIP siècle, l'imparfait de la
1'*^ conjugaison a disparu partout.
158. La terminaison -ebam devient régulièrement -eie, en
passant par la forme réduite -ea (cf. I, § 378):
vendebam
V e n d e a
vendeie
vendebas
vendeas
vendeies
vendebat
V e n d e a t
vendeie
vendebant
vendeant
vendeie nt
C'est cette terminaison qui parvient à supplanter les deux
autres.
159. La terminaison -iebam ne s'est pas continuée au Nord
de la Gaule; elle a été supplantée par -ebam, d'où -ea > -eie
comme ci-dessus. Serv iebam aurait donné sergeie; on ne
trouve que serveie, qui suppose *servebam. Il est difficile de
dire si ce développement est phonétique (cf. quietus > *que-
tus ) qnei, quoi, coi) ou purement analogique (cf. le sort de
-ientem, § 82, .3; celui de -io, -iunt, § 126^; et celui de
-iam, § 142); il esl en tout cas prélittéraire, comme le
montrent les plus anciens textes, où l'on trouve saveiet, do-
ceiet, penteiet (Jonas) et serveit (St. Léger).
Remarque. Le dialecte lorrain présente au XII<^ siècle des imparfaits en
-ive; on trouve dans les Sermons de St. Bernard sentivet, servioet, offrivet,
departivet, etc. Il se peut que ces imparfaits remontent à la terminaison vul-
gaire -ibam; il se peut aussi que ce soient des formes refaites.
123
160. Flexion. Voici un tableau qui montre la succession
historique des terminaisons de l'imparfait:
vendeie
vendoie, -oi
vendoi(s)
vendais
vendeies
vendoies
vendais
vendais
uendei(e)t
vendait
vendait
vendait
vendiiems
vendiiens
vendians
vendians
vendiiez
vendiiez
vendiez
vendiez
vendeient
vendaient
vendaient
vendaient
Comme les terminaisons de l'imparfait se retrouvent au con-
ditionnel, les deux temps seront traités ensemble dans les re-
marques suivantes.
161. Observations sur les terminaisons.
1" L'e final de la 1'"^ personne était primitivement syllabique:
Ma grant onor aveie retenude (Alexis, v. 407). Il s'amuït cepen-
dant de bonne heure: Mieus me varaie combatre a lui qu'a
cez meschans (H. Capet, v. 1403); et dans plusieurs textes on
ne l'écrit même pas, surtout au conditionnel: Dont ne paroi
dire la disme (B. de Condé, I, v. 196). Les poètes hésitent
longtemps entre les deux formes et les emploient selon les
exigences du vers: S'araie bien a brief parler (Miracles de
N. D., n° 11, v. 158). Couinent m'en paurray je tenir (ib., 12,
853). Au XVI^ siècle, on trouve à côté de -oie et -ai la nou-
velle forme analogique -ois. Sur l'emploi de ces formes Ron-
sard remarque dans son Art poétique: »Tu pourras, avecques
licence, user de la seconde personne pour la première, pour-
veu que le mot se finisse par une voyelle ou diphthongue et
que le mot suivant s'y commence, afin d'éviter un mauvais
son qui te pourroit offenser, comme j'allais à Tours pour dire
fallag à Tours; je parlais à ma dame pour je parloy à ma
dame, et mille autres semblables qui te viendront à la plume
en composant. . . . Tu ne rejetteras point les vieux verbes pi-
cards, comme voudraye pour voudray, aimeroye, diraye, fe-
roye . . . .«
2" A la 2« personne, l'e posttonique tombe comme à la pre-
mière : tu chantais pour tu chantaies devient général au XV^
siècle.
3" La terminaison étymologique de la 3*^ personne -eiet ne
se rencontre que dans les plus anciens textes: saueiet (Jonas),
124
doceiet (ib.), sostendreiet (Eulalie); déjà dans Alexis on trouve
aveit (v. 334, 567), serveit (v. 169, 336), deveit (v. 77), esteit
(v. 240, 346). La chute de l'e est peut-être due à une influence
du présent du subjonctif du verbe »être« : seie ) seit amène esteie
) esteit, deveie ) deveit, etc.
4" Dès les plus anciens temps, la V^ et la 2^ personnes du
pluriel sont pareilles dans toutes les conjugaisons:
chantiiens vendiiens dormiiens
chantiiez vendiiez dormiiez
Il y a ici un fait d'assimilation; chantiiens chantiiez, ven-
diiens vendiiez ne remontent pas directement aux formes latines,
elles sont dues à l'analogie de dormiiens « *dormiamus) et
dormiiez (<( *dormiatis). La désinence -iens a été remplacée
par -ions à une époque différente dans les différents dialectes.
Tandis que Joinville ne connaît que amiens, aviens, chaciens,
connoissiens, donriens, feriens, envoieriens, on trouve déjà dans
Roland avium (v. 1504), durrium (v. 1805). Disparu définitive-
ment de la langue littéraire au courant du XI V*^ siècle, -iens
est resté dans les patois, oii il a parfois été appliqué à toutes
les 1^^^ personnes du pluriel.
5® Les terminaisons -iens, -ions, -iez étaient dissyllabiques au
moyen âge. Ci porrïen seoir trusqu'al jor du juïs (Vengeance
Alixandre, v. 1371). De si fait rei n'avions nos mestiers (Cour.
Louis, V. 199). Mais elles deviennent monosyllabiques de bonne
heure: Jou et mes frères cevauciens tout soé (Huon de Bor-
deaux, V. 2521). N'i vorriés estre pour Loon la chité {ib., v. 1898).
Si seriez vous sans différence (Patelin, v. 157). C'est très bien
dit; vous vous tordriez (ib., v. 289)). Mais vous devriez, ma
fille, en l'âge ou je vous voy (Régnier, Mazette, v. 143). De
nos jours, -ions et -iez sont redevenus dissyllabiques, quand ils
sont précédés de »muta cum liquida*: voudri-ons, mettri-ons,
oubli-ons, voudri-ez, tiendri-ez, etc. Cette règle est relativement
moderne (comp. I, § 296); Molière ne l'a pas appliquée dans
ses premières pièces: Elle n'est pas fort bonne et \ous devriez
tâcher (L'Étourdi, I, v. 49). Sauter à notre cou plus que nous ne
voudrions (Dépit amoureux, IV, v. 1236).
6° La terminaison -eient (-oient) était originairement dissylla-
bique: Si vunt ferir, que feraient il el? (Roland, v. 1185). Lor
estaient et net et monde Et s'amoient Divinité (Rustebuef, I,
125
179). Elle devient monosyllabique déjà au moyen âge: Tous
chis qui le veoient, en estaient esbahis (H. Capet, v. 902). Que
vo François avaient en l'estor pris (Aiol, 3805). Au XVP siècle,
-oient ne compte régulièrement que pour une syllabe (voir
Thurot, I, 180), et plusieurs auteurs (Monluc, Nicolas de
Troyes) emploient la graphie dialectale -oint (chantoint, disoint,
venoint, etc.).
162. Formes particulières. Être avait dans la vieille langue
deux formes à l'imparfait: iere et esteie. La première, qui re-
monte à eram, ne s'emploie guère après 1300; elle se con-
juguait: iere ieres iere(t) eriens eriez ierent. La deuxième est
probablement une création analogique (mètre meteie ^ estre
esteie) ; voici sa flexion ancienne et actuelle :
esteie
étais
esteies
étais
estei(e)t
était
estiiens
étions
estiiez
étiez
esteient
étaient
CHAPITRE XIII.
PASSÉ DÉFINI.
163. Les types du prétérit peuvent se diviser en deux groupes
principaux, dont le premier se compose de polysyllabes à ter-
minaison accentuée: chantai, dormis, vaTûs, écrivis, conduisis,
etc., et le deuxième de" monosyllabes : mis, fis, vis, vins, tins,
fus, crus, dus, etc. Les formes qui appartiennent au premier
groupe remontent généralement à des parfaits latins faibles :
chantai <( cantavi, dormis ( dormivi, valus <( * va lui (voir
§ 174), comme les formes du deuxième groupe remontent à
des parfaits latins forts: mis < misi, fis < feci, vins < veni,
fus <( fui, etc. Cependant dans quelques cas isolés des formes
à terminaison accentuée remontent à des parfaits^forts : écrivis
< yfr. escris X lat7{s cTI p sj:; conduisis < vfr. conduis < lat.^on-
duxWcomp. § 179,4).
A. PARFAITS FAIBLES.
I. PARFAITS EN -ai.
164. Les parfaits
jugaison (chanter —
(Latin classique)
cantavi
cantavisti
cantavit
cantavimus
cantavistis
cantaverunt
en -ai sont propres à la première con-
chantai) :
(Latin vulgaire)
cantal
cantasti
cantât
cantamus
cantastis
cantarunt
(Vieux français)
chantai
chantas
chantât
chantâmes
chantastes
chantèrent
(I?rançais moderne)
chantai
chantas
chanta
chantâmes
chantâtes
chantèrent
127
Les formes contractées, dont le latin classique connaissait
cantasti, cantastis, cantarunt, appartiennent surtout au
langage populaire. Probus les cite deux fois et les désapprouve:
»Probavi, non p r o b ai r^)Tob a s rîT^nôn^pTôKarrstrTpro -
bavit, non probait; — probavimus, non probaimus«
(Schuchardt, Vokalismus II, 476. Keil, Gramm. latini, IV, 160).
Quaeritur qua de causa calcavi et non calcai dicatur ....
et ideo calcai barbarismus esse pronuntiatur« (ib., IV, 182,
11). Rappelons que Lucrèce (I, 70) s'est servi de inritâtpour
in ri ta vit. Enfin les inscriptions nous offrent plusieurs ex-
emples de ces formes: edificai, speclarait (Schuchardt,
Vokalismus, II, 476); dans un contrat d'achat de l'an 160
après J.-C. on lit aeyvai, c. à d. signai (Brun, Fontes juris
Romani antiqui^, p. 261), laborait (C. I. L., X, 216), dedi-
cait {ib., VIII, 5667), pugnat {ib., X, 7297), educaut {ib.,
XI, 1074), etc.
165. Observations sur les terminaisons.
1° Chanta vi, qui aurait donné chantef, a été remplacé par
cantai (voir^ci^dessus). La terminaison française -ai, d^mt-i^â
prononciation primitive a dû être [aj], puis [e], se prononce de
bonne heure comme [e]. Dès le XIIP siècle, on trouve même
dans les textes la graphie -e: fapelé, je me couchié, etc.; on
écrit également fé (h a b e o), je seré, je partiré, etc. Cette ortho-
graphe, abandonnée depuis le moyen âge, se retrouve encore
dans Racine {Andromaque, I, se. 4):
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,
Brûlé de plus de feux que je n'en allumé.
2^ Canta(vi)sti aurait dû donner chantast (comp. it. can-
tasti, esp. cantaste, eng. cantast, prov. cantest); cependant les
plus vieux textes ne présentent que chantas. La chute dji t
finaj_^^xpjiqug^soi^^parJj__ph^étique syntaxique^ c a n t a,sj±
\ny_çantas(t)hi, soit par l'analogie: ai — ~~âs — at ^ chante-
ral — chanteras — chanterat ^ chahTâr~-^~cEantas — chantât.
30 Ganta vit dèvienTcantaut (cf. G. I. L., IV, 1391, 2048) ou
est remplacé par cantat (voir § 164). Le premier développe-
ment est propre à l'italien (canto) et à l'hispano-roman (esp.
canto, port, canton), le deuxième au rhéto-roman et au fran-
çais.
128
4" Cantam(m)us aurait dû donner chantans ou chan-
tains; la forme chantâmes _ô^ provenir de quelque analogie
^xterne. ^u XIIP siècle, chantâmes change d'orthographe, sous
l'influence jie chantastes, et devient chantasmes, d'où chan-
tâmes.
5^ A la 3^ pers. du plur. on trouve -arent à côté de -erent.
C'est une forme dialectale qui apparaît au Nord, en wallon
(Romania, XVII, 567), à l'Est et au Midi. Au XVI« siècle elle
faillit pénétrer dans la langue littéraire; nous la trouvons dans
plusieurs auteurs, entre autres Rabelais et Monluc, et elle est
admise par Dubois (1531) et Sibilet (Art poétique, 1555); et
Louis Meigret, qui était Lyonnais, place même aimarent avant
aimèrent. Pourtant, la plupart des grammairiens désapprouvent
cette forme. En 1575, Gauchie dit que »ceux qui préfèrent ai-
marent à aimèrent trahissent leur ineptie« (Thurot, I, 16), et
on lit dans Maupas (1625): »Gardez vous de dire aimarent,
parlarent, criarent à la mode de Gascogne «. Rappelons encore
que Tallemant des Réaux remarque, en parlant du Maréchal
de la Force et de sa femme, dont il blâme les manières vul-
gaires: »lls n'ont jamais pu se défaire de dire: ils allarent, ils
mangearent, ils frapparent, etc.* {Historiettes, p. p. Monmerqué
et P. Paris, I, 254).
Remarque. Dans quelques dialectes de l'Est (le lorrain, le wallon), -erent
est remplacé par -ont: Ex.: Ans n'i trovont palefroit ne somier (Prise de
Cordres, v. 1847). Des formes comme allant, portant, trovont, menant, etc. se
trouvent dans les vieilles chartes de Metz et de Liège (Romania, XVII, p. 567),
dans Philippe de Vigneulles, Jacomin de Husson (Chronique de Metz), etc.
Nous avons ici probablement affaire à une influence du futur (et de ai)
dont le singulier offre les mêmes terminaisons que celui du passé défini.
166. Formes particulières. Tous les_verbes_de_la_gremière
conjugaison ontdes parfaits enJ^Tj) Un seul verbe, ester de
sTare, présente des irrégularitésTrcjDarfait classique steti a
été reinplacéen_2atm,_iLiilgai^^ § 174yijui'sè~
retrouve en roum. statut, esp. estuve et en vieux français sous
les deux formes suivantes:
estai estai
estëus estons
estut estant
129
estëumes
estëustes
esturent
estoûmes
estoiistes
estourent
Quant aux composés de stare, ceux qui gardent le sens
propre du verbe, présentent et les formes irrégulières et les
formes régulières : rester — restât, resta, arrester — arrestut, ar-
resta; les autres sont réguliers: couster (constare) — cousta,
prester (prœstare) — presta.
IL PARFAITS EN -is.
167. Lej^garfaits en -;{syon^^ro£res_a^x_jverbesen_^i^
mir — dormis, sentir — sentis, finir — finis, et à la plus grande
partie de ceux en (re)) perdre — perdis, vendre -^ vendis. Quant
à l'origine de la terminaison, elle est différente pour les deux
groupes: dormis remonte directement à dormivi, tandis que
perdis s'explique par le parfait vulgaire perdëdi (§ 171).
Remarque. Autrefois la terminaison -is s'appliquait souvent aux verbes
de la première conjugaison (voir § 71); elle est encore d'un emploi très
étendu dans plusieurs patois où elle est même parvenue à se généraliser.
Nlsard (Lang. pop. de Paris, p. 222) cite je courts, je véquis, je voulis, je
mettis, je prenis, je recevis, j'apercevis, je croyis, etc.
1) Premier groupe.
168. Voici la flexion des parfaits en -is, provenant de -ivi:
(Latin classique)
dormivi
dormivisti
dormivit
dormivimus
dormivistis
dormiverunt
(Latin vulgaire)
dormii
dormisti
dormi (v) t
dormimus'
dormistis
dormirunt
(Vieux français)
dormi
dormis
dormi(t)
dor mimes
dormistes
dormirent
(Français moderne)
dormis
dormis
dormit
dormîmes
dormîtes
dormirent
Toutes les formes contractées (excepté dormirunt) se
trouvent dans le latin classique.
169. Observations sur les terminaisons. -^^
1° Le changement purement__giuphiqu^de (C[on^^
ne s'accomplit qu'après la Renaissance. Au commencement (îïr
130
XVP siècle on écrit : je senti, je dormi, je parti, tout comme je
fu, je deu, etc.; on trouve même je mi et je prorni, qui par une
réaction en sens inverseront perdu leur s étymologique. Mal-
herbe écrit encore à la rime couvri: Ivri (Stances pour Ali-
candre), mais Vaugelas (Remarques, I, 226) défend absolument
de supprimer s au parfait.
2° A la 2^ pers. du sing., comme à la 1® et à la 2^ pers. du
pluriel, on observe parfois l'insertion d'une syllabe -is- ou -es-
entre le thème et la terminaison: Guaresis (Roland, 2386, 3101),
guerpesis (Raoul de Cambrai, 1876), nouresis (ib., 3640), nore-
simes (ib., 1894), partesist (Chev. as deus espées, v. 5736),
vainquesis (Bast. de Bouillon, v. 412), etc. Ces formes, qui dis-
paraissent avec_le^XIV^ siècle, sont dues à l'influencF^îë^^er-
tains parfaits forts dont ndus^ parlerons ]3Tïïs tard (§ 182);
c'est dis — desis qui a amené nourris — nourresis. (Il en est
de même à l'imp. du subj. où desisse amène nouresisse; comp.
combatèsist, H. Capet, v. 3941).
3° La dentale finale de la 3*^ personne s'est conservée dans
les plus anciens textes: dormit (dormid); elle ne tarde pas à
s'amuïr et à disparaître de l'orthographe. On écrit dormi, senti,
servi, etc. jusqu'au XVP siècle. La réintroduction du t est un
fait d'analogie: il vit, il dit, il mit amènent il dormit, il servit,
il sentit, et ce t adventice a fini par s'introduire aussi dans la
prononciation (on peut le faire sonner en liaison).
4" A la 1''' pers. du plur. on trouve au moyen âge -ins pour
-imes; cette forme est particulière à l'Est et au Nord. Les dia-
logues de Grégoire donnent atendîns, desins, departins, poïns
pour atiendimes, desimes, départîmes, poïmes, et Baudouin de
Condé emploie sentins, venins, ahatins, pour sentîmes, venimes,
ahatimes, etc.; comp. fesins (Flore et Blancheflore, v. 1069).
Pour le wallon, voir Romania, XVII, 567.
170. La terminaison -ivi a_été appliquée, en latin vulgaire,
à tous lès verbes app^rte^y^^it f^ yy- sensi, salui, aperui
ont été remplacés par *sentivi ) senti, *salivi > sailli^^
*aprivi ) ouvri. En français moderne^ tQus les verbes en -z>
ont des parfaits er^^s. >, Notez pourtant les exceptions sui-
vantes :
1^ Courus (inf. courir) remonte à *currùi (§ 174, 2); on
trouve aussi la forme analogique couris (et secouris) ; par ex.
131
dans la Vie de St. Grégoire (Romania, VIII, 543). Palsgrave
connaît encore seconds, et Mathieu (1559) observe: »La com-
mune par corruption dict nous courismes, il courit, mettant z
consequemment partout« (Livet, p. 311). Ces formes se re-
trouvent encore dans les patois modernes (Jaubert, I, 45, 292).
2° Mourus (inf. mourir) remonte à une formation en -ui.
La forme analogique en -is se trouve rarement: Sa mère mari
(Mort de Garin, v. 4808). Dedenz petit terme morit (Meyer,
Recueil, p. 349, v. 99; cf. Romania, VI, 46).
3^ Quis (inf. quérir), conservé dans acquis, conquis, enquis,
requis (pour l'origine de quis, voir § 180, 2). La forme ana-
logique queris se rencontre rarement; on la trouve dans Aimé,
(Ystoire de li Normant) et quelques autres textes (Risop, Kon-
jugation auf -ir, p. 121).
4° Tins (inf. tenir) remonte à *tëni (pour tenui) modelé
sur veni; la forme faible tenis sera expliquée § 191.
5® Vins (inf. venir) remonte à veni; sur la formation ana-
logique venis, voir § 191.
2) Deuxième groupe.
171. Ce groupe comprend la plupart des verbes de III. Il
faut excepter les quelques parfaits forts conservés : dis, fis, mis,
pris, ris, les parfaits faibles, tels que écrivis, conduisis, feignis,
etc., qui ont remplacé des formes fortes (§ 181, 2), et une
dizaine de formes en -us: bus, crus, etc. (§ 174, 1). Lejreste
des^parfaits en(-is)se sont développés conformément au tableau
suivant:
(Latia classique)
(Latin vulgaire)
(Vieux français)
(Français moderne)
vendidi
vendëdi
vendis
vendidisti
vendëdisti
^ vendis
vendis
vendidit
vendëdit
vendiet
vendit
vendidimus
vendëdimus
- vendim.es
vendîmes
vendidistis
vendëdistis
^ vendistes
vendîtes
vendiderunt
ve n d ë d e r u n t
vendierent
vendirent
On voit que les formes avec -/- (vendis, vendîmes, vendistes)
l'ont emporté sur celles avec -ie- (vendiet, vendierent); il y a
des traces isolées d'une analogie contraire tendant à générali-
ser -ie-.
132
172. Le gaïlâiLxiilgairejeix/d^ëdi^ qui se continue en italien
(vendetti <( vendedi) et en vieux français, est dû à une sorte
de recomposition. La nouvelle terminaison -dëdi n^t autre
chose que le parfai^redoublé ded^rg,; perdu comme forme
simple, il a été réintroduit dans les composés: ainsi véndidi,
pérdidi, réddidi ont été remplacés par vendedi, perdëdi,
reddëdi, et petit_à_43fititcette^termiiiaison a été introduite
dans d'autnes~v£rbes^_-doi^tJ^_thèm^_se^eri^^
ceptionellement t): credidi, respondi, descendi, battui
ont été remplacés par credëdi, respondëdi, descendëdi,
battëdi. Ces formes ne sont pashypothétiques; on les trouve.
et assez souvent, dans les textes bas-latins. En~ voici ~qpiBlques
exemples: d e s c eird^ë3i~-(6ellTus7Tx7 5, 23), respondëdi
(Caper, VII, 103, 7), adtendedit (Formulse Andegavenses,
L, 11), ostendedi (Fredegarius), reddedi, tradedi, cre-
dëdi, perdedi, vendedi, battedi, etc. (voir Schuchardt,
Vokalismus, I, 35, II, 9, III, 10, 166). Cette nouvelle formation
a été très fertile surtout en italien; en vieux français son do-
maine est plus restreint, on la retrouve dans descendre, fendre,
fondre, pendre, pondre, respondre, rendre, attendre, entendre,
estendre, vendre, perdre, battre, et, par une analogie postérieure,
dans rompre, vivre, beneistre, pursev9, resplendir, revestir. En
voici quelques exemples: Abatiet (Roland, v. 98), respundiet
(ib., V. 2411), perdiet (ib., v. 2795), respundiet (Peler. Charle-
magne, v. 12), beneisquiet {ib., v. 177), etc., ces formes appa-
raissent encore dans Gormunt et Isembart, le Psautier d'Ox-
ford, les œuvres de Benoît de Sainte-More, Raoul de Cambrai,
Aiol, Li coronemenz Looys, Gaydon, et quelques autres textes.
Elle se rencontrent jusque dans le XIII® siècle.
III. PARFAITS EN -us.
173. Dans la langue moderne des parfaits en -us se trouvent
dans:
1® Tous les verbes en {-oir^ valoir — valus, vouloir — vou-
lus, avoir — eus, devoir — dus, mouvoir -^ mus, pleuvoir —
plut, pouvoir — pus, savoir — sus, recevoir — reçus, etc. (mais
asseoir — assis, voir — vis; sur pourvus, voir § 176, .3).
2" Une dizaine de verbes en (^ev boire — bus, croire — crus,
133
plaire — plus, taire — tus, lire — lus, conclure — conclus, con-
naître — connus, paraître — parus, paître — pus, être — fus,
croître — crûs, moudre — moulus, résoudre — résolus, vivre —
vécus.
3^ Deux verbes en -ir: courir — courus, mourir — mourus
(cf. § 170).
174. Pour l'origine, ces formes se divisent en deux groupes
principaux, un groupe fort et un groupe faible.
1° Le groupe fort se compose de bus, conclus,, connus, crus,
crûs, dus, eus, fus, lus, mus, plus, plut, pus, pus, reçus (conçus,
déçus, eTcT)' sus, tus; ces formes seront traitées plus loin
(§ 193 ss.).
2° Le groupe faible comprend maiçitenant courus, fallus,
moulus, mourus, parus, résolus, valus, vécus, voulus; il était plus
nombreux dans la vieille langue. L'origine de ces formes est
encore douteusej^Ues^pourraient peut-être s'expliquer de la
manière suivante :_ilQ^avait en latin vulgaire trois participes
faibleSj: -aJLunij^ -rtunij - u t u m (§ 87). Or, à côté de can-
tVtiïiti on avait le prétérit cantai (§ 164); à côté de fini-
tum on avait finii (§ 168); rien de plus naturel^alors qu'à
côté de valutum on ait eu valûi pour vâluij^outons que
fui peut avoir contribué au changement d'accwit.
Remarque. Au moj'en âge, les deux formes evanuit et g e nuit ont été
transportées tout d'une pièce de la langue latine biblique en français: Quant
li angles li ot ce dit, De devant le s'esvanuit (Vie de Ste Marguerite, p. 112).
Fil le roy Baudouin car il engenui [ingenuit] (Bast. de Bouillon, v. 1899).
Du passé défini esvanuit on a tiré tout un nouveau verbe esoanouir (comp.
le lat. evanescere).
175. Flexion des
parfaits faibles
en -us:
(Latin classique)
(Latin vulgaire)
(Vieux français)
(Français moderne)
valut
V a 1 ù 1
valui
valus
valuisti
valusti
valus
valus
valuit
valût
valut
valut
V a 1 u i m u s
valumus
valûmes
valûmes
valuistis
valustis
valustes
valûtes
valuerunt
valurunt
valurent
valurent
Ce groupe comprend caluit ) vfr. chalut; do lui > vfr. do-
lui; molui ) molui, moulus; parui ) parui, parus; solui y
134
solui, (ré)solus; submonui ) vfr. semoniii, et un certain
nombre de formes analogiques créées à leur modèle, telles que
*currui (pour cucurri) ) corui, courus; *falluit (pour fe-
fellit) > fallut; *manui (pour mansi) ) vfr. manui; *mo-
ruit (pour mortuus est) ) mourut; *tului (pour tuli) )
vfr. tolui, etc.
176. Dans la vieille langue, u s'introduit sporadiquement au
lieu de i; il faut peut-être y voir, au moins dans quelques cas,
une influence de? participes passés en -«. Ex.: Vesturent (Cla-
ris, V. 2006); issurent (ib., v. 18780); ferut (Rabelais; R. Gar-
nier, Hippolyte, v. 1592); boulut (Amyot), etc. Cette hésitation
entre u et i se continue après la Renaissance dans les quatre
verbes suivants:
1° Coudre. Vaugelas remarque: »I1 faut dire décousit avec
M. de Malherbe et non decousut« (Remarques, II, 391).
20 Vivre. L'ancienne forme est vesquis (§ 180, i. Rem.);
vescus ne devient commun qu'au XV*' siècle. Vaugelas admet-
tait les deux formes tout en ajoutant: «Seulement on peut ad-
uertir ceux qui ecriuent exactement, et aspirent à la perfec-
tion, de prendre garde à employer, vesquit, ou vescut, selon
qu'il sonnera mieux à l'endroit ou il sera mis. Par exemple,
j'aimerois mieux dire, il vesquit et mourut chrestiennement, que
non pas, il vescut et mourut à cause de la rudesse de ces deux
mesmes terminaisons, comme au contraire, je voudrois dire,
il vescut et sortit de ce monde, plustost qu'il vesquit et sortit.
Mais ces petites obseruations ne sont que pour les délicats*
(Remarques, 1, 196). Thomas Corneille ajoute en 1687 : »Je
n'entends plus dire vesquit ni survesquit«.
3^ Voir. A côté de la forme étymologique vis (§ 192), on
trouve vus (Jaubert, Glossaire du Centre, II, 436). Pour les
composés, on peut citer prévus et pourvus, à côté de prévis et
pourvis. Prévus disparaît, chassé par Vaugelas: »11 faut dire,
preuit, quoy qu'il y en ayt quelques-vns qui disent preueut« (Re-
marques, II, 74). Pourvus est resté en usage jusqu'à nos jours.
4° Vouloir. Palsgrave (1530) donne voulusse, tout en ajou-
tant »but voulsisse is more to be used« (comp, plus loin
§ 197,2).
135
B. PARFAITS FORTS.
177. Le latin offrait quatre types différents de parfaits forts.
1° Formes redoublées: cecidi, peperi, pepigi, tetigi,
momordi, totondi, etc.
2^ Formes sigmatiques en -si: arsi, clausi, scripsi, cessi,
dixi, cinxi,^etc.
3° Formes simples en -i: ^'idi, veni, feci, etc.
4° Formes en -ui: gemui, tremui, colui, genui, po-
sui, etc.
178. De ces quatre types, le premier a disparu en français
comme dans les autres langues romanes. Bien qu'on ait con-
servé les verbes cadëre, fallëre, credëre, currëre, pun-
gëre, pendëre, tendëre, tondere, mordere, on ne trouve
nulle trace de cecidi, fefelli, credidi, cucurri, pupugi,
momordi, pependi, tetendi, totondi, qui_tous ont éjg^
reninlacés par des formes analogiques soiten_AutJ ^ô^_ên^it:
chut, fallut, crut, courut (§ 173 ss.), poignit (§ 185), mordit, pen-
dit, tendit, tondit (§ 171).
Remarque. Seuls dedi et steti ont laissé des traces en roman: dedi >
iy. diedi, v. roum. dedï; stetï > v. roum. sietï. Sur le rôle de dedi dans la
formation du parfait français, voir § 172.
179. Les trois autres types ont été conservés tout en subis-
sant des changements considérables. Pour leur développement
il faut remarquer:
1^ Dans la langue latine vulgaire, elles avaient le radical
accentué aux V^ et 3^ pers. du sing. et à la 3*^ pers. du plur,,
tandis que l'ictus était sur la terminaison à la 2^ pers. du sing.
et à la 1^ et à la 2^ pers. du plur. (cf. § 13). Donnons comme
exemples la flexion de dixi, de coxi et de scripsi.
dixi coxi scripsi
dixisti coxisti scripsisti '
dixit coxit scripsit
diximus coximus scrigsimus
dixistis coxistis scripsistis
dixerunt coxerunt , scripserunt
136
2^ Cette variation de l'accent se retrouve plus ou moins bien
conservée dans presque toutes les langues romanes. Voici les
formes de dixi en italien, en espagnol (cf. § 13, Rem.) et en
vieux français:
1/
S*' Pour le français, il faut remarquer que la variation d'ac-
cent disparaît après le moyen âge; ordinairement les formes
fortes l'emportent, de sorte que les parfaits forts de la langue
moderne accentuent le radical à toutes les personnes:
d/'sst
d/je
dis
dicesti
dijiste
desis
disse
dijo
dist
dicemmo
dijimos
(fesimes
diceste
dijisteis
désistes
dissero
dijeron
distrent
\J
(Vieux français)
(Français moderne)
dis
dis
desis
dis
dist
dit
desimes
dîmes
désistes
dîtes
distrent
dirent
4" Dans quelques cas isolés, le développement contraire a
lieu, et les trois formes fortes disparaissent, de sorte que toutes
les personnes finissent par présenter des terminaisons accen-
tuées :
(Vieux français)
(Français moderne)
cuis
cuisis
cuisis
cuisis
cuist
cuisît
cuisîmes
cuisîmes
cuisistes
cuisîtes
cuisirent
cuisirent
I. PARFAITS EN -SI.
180. On trouve en français un grand nombre de parfaits
en -si:
137
1" Formes étymologiques conservées en vieux français: arsi
> ars, cinxi > cins, clausi > clos, clusi > (con)clus, coxi >
cuis, cussi ) (esjcos, despexi > despis, dixi ) dis, duxi >
duis, empsi > (rad)ens, ex tin xi > esteins, finxi ) feins,
junxi > joins, mansi > mes, misi > mis, pinxi > peins,
planxi ) plains, presi > pris, rasi > res, risi > ris, scripsi
) escris, sparsi ) espars, strinxi ) estreins, destruxi ) dés-
irais, tersi ) ters, tinxi ) teins, torsi ) tors, traxi ) trais,
un xi ) oins.
Remarque. Comme terme religieux on emploie au moyen âge la forme
savante surrexi. Ex.: Je fu la al sépulcre u surexi (Aiol, v. 1549; comp.
Gui de Bourgogne, v. 2566; Huon de Bordeaux, v. 1542). Al tierc jor sur-
rexit (Vers del juise, v. 411). Saint Lazaron de mort resiirrexis (Roland,
V. 2385). Une autre forme savante, qui a eu la vie plus durable, est vesquit
altération de vixit, prononcé à la française vixft puis visquit (cf. I, § 518,3),
vesquit. Sur cette forme, qui succombe devant vescut (§ 176,2), on a modelé
benesquit et nasquit > naquit.
2® Formes de création postérieure. Exemples: *Absconsi
(pour abscondi, fait sur *absconsus; cf. § 100, i) ) escos
(roum. ascunseï, it. nascosi); *attinxi (pour attïgi; fait sur
pinxi, etc.) ) atteins; *franxi (pour frëgi; fait sur planxi)
> frains; *im pinxi (pour impegi) ) empeins; *lexi (pour
legi) > lis (cf. it. lessi); *morsi (pour momordi; fait sur
morsus) > mors; *presi (pour prehendi) ) pris; *punxi
pour pupugi; fait sur junxi) > poins; *qu3esi (pour quse-
sivi; tiré de *qusesisti < qusesi(vi)sti) > quis; *sessi
(pour sedi; tiré de sessum) ) sis; *solsi (pour solui) >
sols; *sursi (pour surrexi; cf. sparsi) } sors; *tolsi (pour
tuli, sustuli) ) tous; *volsi (pour volvi) > vous. Ajoutons
que la flexion sigmatique apparaît dans la vieille langue spo-
radiquement à côté d'autres flexions; on a ainsi failli et fais,
respondi et respons, valui et vais, etc.
181. Examinons maintenant le sort des parfaits sigmatiques
que nous venons de citer.
1° Un tout petit nombre s'est conservé jusqu'à nos jours:
dis, mis, pris, quis (acquis, conquis), ris, sis.
2^ D'autres ont été remplacés par des formes faibles en -sis:
duis y duisis (conduisis, réduisis, etc.), en -dis: mors ) mordis,
138
tors > tordis, en -gnis: feins ) feignis, joins y joignis, ou en -vis:
escris ■) escrivis.
Remarque. On trouve aussi par exception des remplaçants faibles en -is.
A côté du vfr. trais (traxi), on a non seulement traisis, mais aussi traïs.
Littré regrette la disparition de je distrayis et j'extrayis.
3^ Un grand nombre est mort: ars, ers, res, ters, tols, trais, etc.
182. Le type des parfaits forts conservés est dixi. En
la flexion:
voici
(Latin)
(Vieux français)
(l'rançais moderne)
dixi
dis
dis
dixisti
desis (deïs)
dis
dixit
dist
dit
d i X i m u s
desimes (deïmes)
dîmes
dixistis
désistes (déistes)
dîtes
dixerunt
distrent
dirent
La même flexion et le même développement se retrouvent
dans fis, mis, pris, quis, ris, sis, clos et leurs composés.
Observations. P La substitution de (tu) dis, dîmes, dîtes à
desis, desimes, désistes peut être due à l'influence des formes
fortes (je)_dis, dist^^distrent (comp. le développement mverse
dans cuis, cuisis ) cuisis, cuisis, etc.); mais on peut aussi ex-
pliquer les formes modernes comme provenant de deïs, deïmes,
deïstes, formes médiévales collatérales de desis, desimes, désistes
et probablement modelées sur veïs, veïmes, veïstes (§ 192). Les
formes sans s remontent haut; on les tFouve dans le Roland
qui offre feïstes (v. 1708, 1723) à côté de presistes (v. 205).
Rappelons l'énigmatique feïssent de la Vie de St.-Léger (v. 54),
qui est difficile à expliquer, parce qu'il n'existait pas de veïs-
sent à l'époque où ce poème fut composé. Au XIII^ siècle on
n'emploie plus, en francien, que deïs, feïs, meïs, preïs, queïs
(Rustebuef); mais en dehors de l'Ile de France l'hésitation
entre les deux séries de formes continue dans plusieurs textes,
tandis que d'autres ne connaissent que desis, etc. Après le
moyen âge, les formes faibles apparaissent dans plusieurs
patois. Le paysan Gareau du » Pédant joué« (I, § 68, Rem.)
dit je fesi, et le wallon moderne présente je fisis, je disis; cette
dernière forme a aussi eu cours dans le français normal. Mé-
139
nage observe: »L'Usage veut aussi qu'on dise // V interdisit ; &
non pas II Vinterdist, comme voudroit la reigle: car nous di-
sons // lui dist cela, & non pas // lui disii cela« {Observations,
p. 296).
Remarque. Sur l'influence du type dis, desis, etc., fis, fesis, etc. sur les
parfaits faibles en -is, voir § 169,2.
2" A la S'^ pers. du plur., la terminaison varie selon les con-
ditions phonétiques: dixërunt devient régulièrement distrent,
comme duxërunt > duistrent et cinx eru nt ) cemsfren^ mais
on a d'un autre côté misërunt > misdrent (I, § 498,4), pre-
serunt ) prisdrent, voluerunt > voldrent, fecerunt > firent
et viderunt ) virent. Rappelons enfin misent, prisent pour
misrent, prisrent, formes propres au picard, au wallon, au lor-
rain. Ces différents types se confondent de bonne heure, et la
confusion dure jusque dans le XV® siècle. Rustebuef emploie
distrent, pristrent, quistrent à côté de dirent, prirent, firent; Join-
ville donne distrent, mistrent, occistrent, à côté de firent, dirent,
occirent, prirent; encore dans Commines on trouve des formes
variées: misdrent, misrent, mirent, fisdrent, disrent, dirent, etc.
C'est -irent qui l'emporte sur les autres.
183. Formes particulières.
1^ Dis. Pour les formes du verbe simple, voir le § précé-
dent. Le composé benedicere présente deux formes beneïs,
d'où le moderne bénis, et benesqui, probablement modelé sur
vesqui (§ 180, Rem.).
2^ Pris. Au cours des XIV® et XV® siècles vm n parasite
s'introduit dans pris, prist, pristrent, et on obtient les formes
prins, print, prindrent, qu'on trouve déjà dans Joinville. Ce n
existe aussi au part. pass. (§ 99, ii) ; à l'origine il est peut-être
purement graphique, mais il finit par se prononcer, comme
nous l'attestent beaucoup de rimes (prins: Sarrazins, E. Des-
champs; prins: Jacobins, Gringoire,' II, 255). Les formes men-
tionnées disparaissent au XVII® siècle: »Print, prindrent, prin-
rent. Tous trois ne valent rien, ils ont esté bons autrefois, et
M. de Malherbe en vse tousjours, Et d'elle prindrent le flam-
beau, dont ils désolèrent leur terre, etc. Mais aujourd'huy l'on
dit seulement, prit, et prirent, qui sont bien plus doux« (Vau-
gelas, Observations, l, 183).
140
184. Comme type des parfaits forts remplacés par des par-
faits faibles en -sis nous donnons:
(Latin)
(Vieux français)
(Français moderne)
coxi
cuis
cuisis
coxisti
cuisis
cuisis
coxit
cuist
cuisit
coximus
cuisimes
cuisîmes
coxistis
cuisistes
cuisîtes
coxerunt
cuisirent
cuisirent
On voit que dans ce groupe, les formes fortes (cuis cuist
cuisirent) ont été refaites (cuisis cuisit cuisirent) sous l'influence
des formes faibles. Le même développement a eu lieu dans
tous les verbes en -uire et dans clore: je conduisis, déduisis, sé-
duisis, construisis, luisis, nuisis, closis (inusité maintenant) ont
remplacé conduis, desduis, soduis, construis, luis, nuis, clos. ,
Les formes faibles analogiques se montrent de bonne heure.
Exemples: luisit (Dial. Grégoire, 105,8), conduisi (Bast. Bouil-
lon, v. 4815), enclosist (E. Deschamps, 194, 4), etc.
185. Comme type des parfaits forts remplacés par des par-
faits faibles en -gnis (§ 181,2) nous donnons:
(Latin) (Vieux français) (Français moderne)
c i n X i ceins ceignis
c i n X i s t i ceinsis ceign is
c i n X i t ceinst ceignit
cinximus ceinsimes ceignîmes
cinxistis ceinsistes ceignîtes
cinxerunt ceinstrent ceignirent
Le même développement a eu lieu dans tous les verbes en
-angere, -ingère, -ungere: finxi ) feins y feignis; junxi
> joins ) joignis; pinxi > peins ) peignis; plan xi ) plains >
plaignis; strinxi ) estreins > étreignis; tinxi ) teins > teignis;
un xi ) oins ) oignis; extinxi ) esteins ) éteignis. Ajoutons
quelques formes refaites: fregi ) *franxi ) frains, conservé
dans enfreignis; pupugi ) *punxi ) poins ) poignis; attigi
) *attinxi > attains > atteignis.
141
186. Observations particulières.
P Les formes étymologiques s'employaient encore au XIIP
siècle: Je joinz les pies (J. de Blaivies, v. 1319). Les mors
plainsent et regreterent (G. de Palerne, v. 9221).
2° Les formes analogiques avec [ji] sont dues à l'influence
des autres formes où [ji] est étymologique (comp. § 39) :
ceignant « cingentem), ceignait « ci ng ébat). Elles appa-
raissent au XIII® siècle et s'emploient pendant quelque temps
simultanément avec les autres. On trouve dans Joinville au
prétérit je me plainz (§ 413), et à l'imp. du subj. plainsist
(§ 105) et poinsist (§ 185), à côté de je me ceigny (§ 323).
3° Notons aussi les formes analogiques en -dis, faites sur
l'infinitif et le futur (comp. § 39).
187. Comme type des parfaits sigmatiques forts remplacés
par des parfaits faibles en -dis (§ 181,2) nous donnons:
(Latin)
(Vieux français)
(Français moderne)
torsi
tors
tordis
torsisti
torsis
tordis
1 0 r s i t
torst
tordit
torsimus
torsimes
tordîmes
torsistis
torsistes
tordîtes
torserunt
torstrent
tordirent
Le même développement a eu lieu dans *morsi ) vfr. mors
) mordis. Le d est dû à l'influence des autres temps où il
était étymologique.
188. Dans un seul verbe le parfait sigmatique fort a été
remplacé par un parfait faible en -vis:
(Latin) (Vieux français) (Français moderne)
S c r i p s i escris écrivis
scripsisti escrisis écrivis
scripsit escrist écrivit
scripsimus escrisimes écrivîmes
scripsistis escrisistes écrivîtes
scripserunt escristrent écrivirent
Les formes sigmatiques primitives s'employaient encore au
XIV*^ siècle: Lesquiex enseignemens li roys escrist de sa sainte
142
main (Join ville, § 739). Nous vous escripsimes (Mir. de Notre
Dame, n» 29, v. 2001). Ainsi con le nous escripsistes (ib.,
V. 1976). Froissait se sert de escrisi, Ph. de Commines de
escrivis. Les formes avec [v] sont dues à l'influence de écrivant,
écrivons, etc. (cf. § 46, i).
II. PARFAITS EN -I.
189. De ce groupe, on n'a conservé en français que vidi,
veni et feci; toutes les autres formes ont disparu:
1° Quelques-unes ont été assimilées au groupe en -si et ont
adopté la flexion sigmatique; ainsi px£hendi et sedi sont
remplacésjg^ar pris et sis (voir § 180, 2).
2^ D'autres ont été assimilées au groupe en -ui; ainsi bibi,
legi, movi sont supplantés par bus, lus, mus (§ 193).
3° D'autres enfin ont pris la flexion faible en -is; ainsi de-
fendi, fudi, ru pi, vici, ont cédé la place à défendis, fondis,
rompis, vainquis.
190. Flexion de feci:
(Latin)
(Vieux français)
(Français moderne)
feci
fis
fis
fecisti
fesis
fis
fecit
fist
fit
fecimus
fesimes
fîmes
fecistis
fesistes
fîtes
fecerunt
firent
firent
A côté de firent, on trouve différentes formes analogiques :
fisdren (St. Léger, v. 62), fait sur misdrent; fistrent, fait sur dis-
trent; fisent, fait sur misent.
191.
Flexion de veni:
(Latin)
(Vieux français)
(Français moderne)
veni
vin
vins
venisti
venis
vins
venit
vint
vint
V e n i m u s
venimes
vînmes
venistis
venistes
vîntes
venerunt
vindrent
vinrent
143
De la même manière se conjugue =-=teni ) tin, tins.
Observations. P Le J:ableau montre^omment les fornies
faibles ont été remplacées_piT_des^rmes^)rtës. Pourtant on
peut aussi constàîëFTéxistence d'une analogie inverse tendant
à généraliser les formes faibles; on trouve déjà dans Floovant
venit (v. 1942), et plusieurs patois modernes offrent 'je venis,
je tenis (Jaubert, Glossaire II).
2® A la 3*^ pers. du plur. les formes étymologiques étaient
en usage encore au XVI I^ siècle. En parlant de vinrent et vin-
drent, Vaugelas remarque: »Tous deux sont bons, mais vin-
rent, est beaucoup meilleur et plus vsité. M. Coëffeteau dit
tousjours vinrent, et M. de Malherbe vindrent. Toute la Cour
et tous les Autheurs modernes disent, vinrent, comme plus
doux. De mesme en ses composez, et autres verbes de cette
nature, reuinrent, deuinrent, souuinrent, et leurs semblables,
plus élégamment, que reuindrent, deuindrent, souuindrent, etc.,
l'on dit aussi, tinrent, plustost que tindrent, qui neantmoins est
bon; soustinrent, maintinrent, plustost que, soustindrent, et main-
tindrent« (Remarques, I, 182). Thomas Corneille ajoute dans
son édition de 1687: »I1 n'y a plus aujourd'huy que vinrent
qui soit en usage«.
192.
Flexion de vidi:
(Latin)
(\Meux français)
(Français moderne)
vidi
vi
vis
vidisti
veïs
vis
vTdit
vit
vit
vidimus
veïmes
vîmes
vidistis
veïsies
vîtes
viderunt
virent
virent
Sur le rapport entre veïs et desis, voir § 182. Sur la forme
collatérale vus, voir § 176, 3.
III. PARFAITS EN -UI.
193. Nous avons déjà vu qu'un grand nombre des parfaits
en -ui sont devenus faibles en français: vâlui > valùi ) vfr.
valui (§ 174). Nous nous occuperons ici seulement de ceux
qui ont gardé à la 1'*^ pers. l'accentuation radicale: hàbui.
144
sâpui, débui, nocui, et des quelques nouvelles formations
analogiques créées à leur modèle: *bibui, *credui, etc. Le
développement qu'ils ont subi en français est, dans beaucoup
de cas, difficile à expliquer, et, sans entrer en trop de détails
explicatifs, nous nous contenterons de citer les formes; elles
se divisent en deux groupes principaux selon la terminaison
de la 1'^ personne.
194. Premier groupe. Nous' donnons comme type sapui:
(Latin)
(Vieux français)
(F,
rançais moderne)
sapui
soi
sus
sapuisti
soûs
sus
sapuit
sout
sut
sapuimus
soûmes
sûmes
sapuis tis
soûstes
sûtes
sapuerunt
sourent
surent
Ce groupe comprend: habui > oi > eus; placui > ploi
y plus; potui > poi > pus; sapui > soi ) sus; tacui >
toi ) tus; et la forme analogique *pavui (pour pavi) ) poi
> pus.
195. Observations particulières.
1° Les formes faibles deviennent fortes par l'amuïssement
de la voyelle protonique (I, § 269) : soûs ) sus, etc.
2° Par analogie, la voyelle u [y], propre à la 2^ pers. du sing.,
à la f^ et à la 2^ pers. du plur., a été introduite dans les
autres personnes, de sorte que soi, sout, sourent ont cédé la
place aux nouvelles formations sus, sut, surent.
3" On trouve dans quelques verbes des traces d'une ana-
logie inverse qui écarte la voyelle u [y] : Tu oz (Mir. de N. D.,
no 18, V. 1321).
196. Deuxième groupe. Nous donnons comme type debui.
(Latin)
(Vieux français)
(Français moderne)
debui
dui
dus
debuisti
dëus
. dus
debuit
dut
dut
debuimus
dëumes
dûmes
debuistis
dëustes
dûtes
debuerunt
durent
durent
145
Ce groupe comprend: debui > dui > dus; jacui } jui } jus;
licuit > vfr. lut; nocui > nui > nuis > nuisis (§ 184); plu-
(v)it > plut; en outre quelques formations analogiques: *bi-
bui (pour bibi) > bui > bus; *cadui (pour cecidi) } chui}
chus; *cognovui (pour côgnôvi) > conui > connus; *cre-
dui (pour credidi) > crui > crus; *crevui (pour crëvi) >
crui > crûs; *legui (pour légi) > lui > lus; *movui (pour
môvi) > mui ) mus; recipui (pour recepi) > reçui > reçus
(de la même manière s'expliquent conçus, déçus, perçus, aper-
çus); *stetui (pour steti) > estui (§ 166).
197. Examinons à part deux prétérits en -ui (fui et volui)
qui ne rentrent pas dans les groupes mentionnés.
1" Flexion de fui.
fui
fui
fus
fuisti
fus
fus
fuit
fut
fut
fuimus
fumes
fûmes
fuisti s
fustes
fûtes
fuerunt
furent
furent
C'est le seul prétérit qui soit fort à toutes les personnes.
Quant au développement historique, on peut constater que,
probablement sous l'influence de la l""^ pers., l'ictus a été re-
porté partout sur Vu, et que Vi devenu posttonique a disparu.
Au moyen âge, l'analogie de eus amène feus, etc.
2° Flexion de volui: Les nombreuses formes qu'on trouve
au moyen âge se ramènent à deux types de flexion principaux;
on a d'un côté la flexion étymologique {voit, etc.), dont les
formes fortes sont refaites sous l'influence des formes faibles.
(uolis; etc.), et d'un autre cote une flexion sigmatique, création
purement française:
(Latin)
(Vieux fi
-ançais)
volui
voit
volis
vols (vous)
volsis
voluisti
volis
volis
volsis
volsis
V 0 1 u i t
. volt
volit
volst
volsit
voluimus
volimes
volimes
volsimes
volsimes
voluistis
volistes
volistes
volsistes
volsistes
voluerunt
voldrent
volirent
volstrent
volsirent
10
146
L'hésitation entre ces formes dure jusqu'à la fin du moyen
âge. On trouve dans Villon voult (voulut) et les formes sigma-
tiques voulsisse, voulsist. Pourtant, ces dernières sont les plus
employées ; au XVP siècle elles alternent encore avec les nou-
velles formes en -us qui finissent par l'emporter.
198. Rapport du passé défini avec les autres temps. — Le
développement du passé défini est surtout lié à celui du par-
ticipe passé ; on observe une certaine tendance à conserver (ou
à créer) une forme pareille dans les deux temps. Aux passés
définis en -si correspondent ainsi très souvent des participes
passés en -su m et vice versa; m or sus amène * m or si, etc.
(comp. §§ 98 ss., 180 ss.), comme (je) mis amène (j'ai) mis
(voir § 112,2). Dans les verbes vouloir et vivre les formes éty-
mologiques vous (volsis), vesquis disparaissent devant voulus et
vécus, grâce à l'influence du participe passé.
CHAPITRE XIV.
L'IMPARFAIT DU SUBJONCTIF.
199. L'imparfait du subjonctif latin n'a été conservé qu'en
logodourien; presque partout ailleurs cantarem a disparu
devant cantavissem, tout en lui laissant ses fonctions. Le
plus-que-parfait du subjonctif latin s'emploie de bonne heure
(déjà dans le Bellum Africanum) à la place de l'imparfait du
même mode, et cet emploi particulier se retrouve dans les
langues romanes occidentales, tandis que le roumain attribue
à ce temps la fonction du plus-que-parfait de l'indicatif.
Remarque. Dans la langue parlée actuelle l'emploi de limparfait du sub-
jonctif est très restreint. M. Remy de Gourmont écrit à ce sujet: »0n ne
peut le nier: l'imparfait du subjonctif est en train de mourir. Des formes
comme aimassiez ont peut-être été rendues ridicules par la floraison assez
nouvelle des verbes péjoratifs en -asser: rimasser, traînasser, — et par la
confusion avec l'imparfait du présent des verbes comme ramasser, embras-
ser, autrefois d'un usage restreint. Le discrédit s'est jeté par assimilation
logique sur les formes correspondantes des autres conjugaisons: vinssiez,
dormissions; sur les formes irrégulières et fort embarrassantes bouillions,
fuissions (fuir), pourvoyions, cousissions (coudre), moulussions (moudre) et
l'extraordinaire nuisissions! Quant à »I1 faudrait que nous sussions (savoir),
reçussions (recevoir) i-, nliésitons pas à les proférer lorsque nous voulons ex-
citer ou le rire ou la stupeur. On embaumera ces flexions, on les roulera
dans les suaires de la grammaire historique, et cela sera très bien« (Le pro-
blème du style, p. 253—254).
200. Première conjugaison.
(Latin classique) (Latin vulgaire) (Vieux français)
cantavissem cantassem chantasse
cantavisses can tasses chantasses
cantavisset cantasset chantast
(Français moderne)
chantasse
chantasses
chantât
10*
148
(Latin classique) (Latin vulgaire) (Vieux français) (Français moderne)
cantavissemus chantissons chantassions
cantavissetis chantisseiz, -ez chantassiez
cantavissent Gantassent chantassent chantassent
Les formes contractées citées s'employaient déjà dans la
langue classique. Sur la 1''^ et IsT^ pers.^u pluriel, voir le
pâfâgî^âpKe suivant, où nous examinerons la forme du radical.
Les terminaisons seront étudiées au § 203.
201. Observations sur le radical.
P A la 1'"® et à la 2^ pers. du plur., les formes avec -iss- sont
les seules connues au moyen âge. Ex.: Meslissiez (Roland,
V. 257) ; recordisson (Psaut. de Cambridge) ; travaillissez (Quatre
Livres des Rois); donissez (Besant de Dieu, v. 3481; Aiol,
V. 6246); irovissiez (Marie de France, Aucassin et Nicolete),
etc., etc. Pilot (1550) recommande encore de dire aymissions,
ay missiez; »In prima coniugatione secunda et tertia plurales
mutant a in i. Cave dicas nous aymassions, vous aymassiés,
sed aymissions, aymissiés, louissions, louissiés, hlamissions, bla-
missiés. Legi tamen estimassiés, aymassiés et similia. Magna pars
Pictonum, inter cœteros, ita et scribunt et pronuntiant«. Ro-
bert Estienne conjugue dans sa grammaire comme Pilot, mais
son fils Henri Estienne remarque: »Non ignoro patrem etiam
meum aimissions et aimissiez scripsisse; sed vicissim, eum in
loquendo aimassions et aimassiez usurpasse scio: et quum
utramque poni scripturam iussisset, prsetermissam alterani
fuisse«. On peut dire qu'à partir de la fin du XVP siècle, les
formes en -issions, -issiez sont tombées en désuétude; pour-
tant Jean Godard les défend encore en 1620: »Quant à ces
autres voix, nous aimissions, vous aimissiez, qui sont du même
verbe, c'êt ainsi qu'il faut dire, à mon auis, plutôt que, ai-
massions, aimassiés, qui au hasard pourroient être tolerables.
Toutefois ne les condannât pas, ie ne veux pas aussi les ab-
soudre*. A cette occasion A. F. Didot remarque: » Cette ob-
servation ne manque pas de justesse. Quoi de plus fâcheux
que l'existence de ces imparfaits du subjonctif en -assions,
-assiez, que nos grammairiens nous enjoignent d'employer, et
dont personne n'ose se servir, ni dans le discours, ni dans les
livres afin de ne pas blesser les oreilles délicates « (L'ortho-
graphe française, p. 216). Comment expliquer les vieilles formes
149
avec z? Dauron, le très judicieux et tant soit peu mondain
interlocuteur du Dialogue de l'Orthographe et Prononciation
françoese par Jacques Pelletier (1555), les attribue à l'influence
omniprésente des femmes. Voici ce qu'il dit: »Mais depuis que
les François ont esté en paix, ils ont commencé à parler plus
doucement, et, si j'osois dire, plus mollement. Ne les avons-
nous pas vus si sujets à leurs dames, qu'ils eussent cuidé estre
péché mortel de prononcer autrement qu'elles? ... Et de là
est venu aimissions, partissions, donnissions?« (Livet, p. 160). La
science moderne n'a pas encore trouvé le mot de l'énigme.
2^ L'i de la V'^ et de la 2^ pers. du plur. s'est parfois intro-
duit par analogie dans toutes les autres personnes, et de cette
manière, l'imp. du subj. des verbes en -er se confond avec celui
des verbes en -ir. On en trouve des exemples isolés au moyen
âge ; ainsi les Sermons de Maurice de Sully présentent alissent
(comp. demandisse, Cent nouv. nouv., n" 41), mais c'est surtout
au XVI® siècle que ces formes se répandent. Meigret les cite
et les condamne; il dit que je venisse, je donisse, je frapisse
sont »faotes qi n'ont james été reçues par les homes bien apriz
en la lange Francoeze«. Comp. § 71.
202. Pour les autres conjugaisons nous donnons les quatre
types suivants:
1** Flexion de valuissem:
V a 1 u i s s e m valusse valusse
val ui s ses valusses valusses
valuisset valust valût
valuissemus valussons , valussions
valuissetis valusseiz valussiez
valuissent valussent valussent
La voyelle accentuée du sing. et de la 3<^ pers. du plur. est
toujours u; on trouve ui dans Ste Eulalie: auuisset (v. 27).
2*^ Flexion ds perdidissem :
(Latin class'que) (Latin vulgaire) (Vieux français) (Franc, moderne)
perdidissem perdedissem perdisse perdisse
perdidisses perdedisses perdisses perdisses
perdidisset perdedisset perdist perdît
perdidissemus perdedissem us per dissons perdissions
perdidissetis perdedissetis perdisseiz perdissiez
perdidissent perdedissent perdissent perdissent
150
La forme du latin vulgaire est due à une substitution oc-
casionnée par le passé défini, où perdidi avait cédé la place
à perdëdi (§ 172).
3° Flexion de dormivissem :
(Latin classique)
dormivissem
dormivisses
dormivisset
dormivissemus
dormivissetis
d o r m i V i s s e n t
4*^ Flexion de dixissem:
(Latin)
dixissem
dixisses
dixisset
dixissem us
dixissetis
dixissent
Pour les verbes qui ont un passé défini fort, le développe-
ment de ce temps détermine celui de l'imparfait du subj. La
substitution de dis à desis (dixisti; § 182) entraîne celle de
disse à desisse (dixissem); comp. fesisse, presisse, tenisse, ve-
nisse, etc. remplacés par fisse, prisse, vinsse, tinsse.
(Vieux Français^
(Français moderne)
dormisse
dormisse
dormisses
dormisses
dormist
dormît
dormissons
dormissions
dormisseiz
dormissiez
dormissent
dormissent
(Vieux Français)
(Français moderne)
desisse
disse
desisses
disses
desist
dît
desissons
dissions
desisseiz
dissiez
desissent
dissent
203. Observations sur les terminaisons.
1" Première personne. Ganta s se m, dormis sem auraient
dû donner chantas, dormis (comp. passum ) pas, etc.). La con-
servation de l'e posttonique s'explique difficilement; elle est
peut-être due à l'influence analogique du présent du subj. de
II, III, IV, et à un vague désir de distinguer notre forme de
chantas (cantavisti), etc.
2^ Deuxième personne. La conservation de l'e posttonique
est probablement due à une tendance d'éviter la confusion des
deux s, celui du thème et celui qui marque la personne (cf.
esp. dios — dioses; prov. os — osses; angl. kiss — kisses; dan.
H ans — Hanses).
151
3" Troisième personne. L'e posttonique a régulièrement dis-
paru: cantasset > chantast, etc. On trouve pourtant dans
sainte Eulalie les deux formes curieuses perdesse (v. 17) et
auuisset (v. 27), à côté de amast (v. 10).
4** Première personne du pluriel. La terminaison primitive
est -ons: doussons (Alexis, v. 620), fuissons, eussons, mesissons
(Manekine, v. 3790), alissons (Mir. de Notre Dame, n« 9, v. 1095),
etc. De bonne heure on trouve aussi la terminaison analogique
-iens (§ 55,1, Rem.): fiissiens (Cliges, v. 5865); deussiens, eus-
siens, perdissiens (Villehardouin), ostissiens, etc. Comme au prés,
du subj. et à l'imp. de l'ind. c'est -ions qui finit par l'empor-
ter: alissions (Mir. de Notre Dame, n» 17, v. 1134).
5^ Deuxième personne du pluriel. La terminaison régulière
est -ezz, -oiz: veïsseiz (Bartsch-Horning, 171, s), eiisseiz (ib., 171, 13),
repentisseiz {ib., 174,9), alissoiz {ib., 625,3?), poiiseiz (Joufrois,
V. 1053), feissoiz {ib., v. 4209), veissoiz {ib., v. 4482). De bonne
heure -eiz a été remplacé par -ez et surtout par -iez; cette der-
nière terminaison finit par supplanter les deux autres: doiis-
sez (Roland, v. 455), veissez {ib., 1622), fussiez (Gormont et Isem-
bart), veissiez (Cliges, v. 5869). Villon emploie encore eussez à
côté de eussiez.
CHAPITRE XV.
LE FUTUR ET LE CONDITIONNEL.
204. Le futur français (celui du présent comme celui du
passé) est un composé de l'infinitif avec le présent et l'impar-
fait de habere. On a dit dans le latin vulgaire cantare habeo
(cf. § 6), qui s'est contracté en *cantaraio (I, § 472, 2), d'où
chanterai (cf. prov. cantarai, esp. cantaré, port, cantarei, it. can-
tero), et cantare habebam, d'où *cantaravea (I, § 378) )
*cantarea ) chantereie, chanteroie, chanteroîs, chanterais (cf.
prov. esp. port, cantaria). Les deux éléments du futur étaient
séparables au moyen âge en espagnol: Si yo prendo o mato al
Cid Mis cartes rebolver se ane (C. Michaelis, Romancero del
Cid, p. 22); en portugais: Vingar nos hemos ambos; en pro-
vençal : Dar laus ai (Jaufre) ; en catalan : Si s'esdevenia que no
pogues vencre per força d'armes la bestia .... aydar m'en hia
per ma art (R. Lull, Ein katal. Thierepos, p. p. K. Hofmann,
§ 20), et dans quelques dialectes du Nord de l'Italie. En fran-
çais, au contraire, la fusion des deux mots est complète dès
les plus anciens textes; déjà les Serments de Strasbourg offrent
Remarque. Le vieux français a conservé un seul futur latin: ero (en ita-
lien on a fia de fiam). Il se conjuguait: ier iers iert termes ierent ou er ers
ert ermes erent (le différent traitement du lat. ë est probablement dû à la
phonétique syntaxique; cf. I, § 112); on trouve aussi au sing. iere ieres iere
dont l'e atone est peut-être dû à une confusion avec l'imparfait. Ce futur
ne s'emploie guère après le XI V^ siècle; E. Deschamps s'en sert encore.
153
I. SORT DU RADICAL.
205. Première conjugaison. L'a accentué de l'infinitif (c an-
tare) devenu atone au futur, se change régulièrement en un
e féminin: cantarâio ) chanterai; les quelques formes qui
présentent l'a latin conservé sont ou des orthographes savantes
ou des formes provençales. Sur le sort de la désinence -erai
il faut remarquer:
1° A£rèsw;^^suiioutj^récéd^_(^
venljnétathèse (comp. I, § 518,2): entrerai y^^nterrai, livrerai )
liverrai, navrerai ) naverrai, ouvrerai ) oiiverrai, etc. ; cf. encore
durerai ) duerrai, jurerai ) juerrai, etc. Ces formes disparaissent
avec le moyen âge. ^ -,
2" AprèS(V\(surtout précédé d^une^ voyelle)j(J^^ouvait dis-
paraîtrej^^crasé entre les deux sons homophones (comp. I,
§ 514): durerai ) durrai, jurerai } jurrai, demorerai } démarrai,
honorerai ) honorrai, tirerai ) tir rai, désirerai ) désir rai, sou-
pirerai ) soupirrai, etc. On trouve encore dans A. Hardy res- .
pirrai et demourrai. ^
3° L'aniuJLSSÊnimit__ayait_au^si_JI^^
s'assimilait^ au /• suivant: douerai ) donrai ) dorrai, mènerai
y menrai ) merrai, tournerai ) tourrai, séjournerai ) séjourrai,
parlerai ) parrai, etc. Très peu de ces formes survivent au
moyen âge; les auteurs du XVP siècle emploient encore don-
rai (R. Garnier, Cornélie, ,v. 335), dorrai, merrai; mais les
grammairiens observent que ces formes sont » antiques et hors
d'usage« (Thurot, Prononciation, II, 290); Vaugelas les regarde
même comme »des monstres dans la langue « (Remarques, I,
210).
4^ L'e féminin pouvait aussi tomber sporadiquement après
d, t, V. Exemples: demandra (Chev. as deus espees, v. 9731;
H non de Bord., v. 5985), gardroie (Huon de Bordeaux, v. 6927),
aidrai {ib., v. 6650), doutrait (ib., v. 4869), portront (ib., v. 5137),
acatrons (Auc. et Nie, 21, 12), trouvrait (Guill. de Palerne,
V, 3943), etc. Ces formes étaient surtout fréquentes dans les
textes anglo-normands et picards. On trouve imputront et pré-
cipitrait encore dans A. Hardy.
5" jL'e féminin s'amuït, déjà au moyen âge, après une voyelle :
prierai > prîrai, etc. ; voir pouFTés^etâîls I, § 272. Si la forme
154
preirets du Jonas est sûre, nous avons là le plus ancien ex-
emple de notre phénomène.
6° Dans le parler vulgaire moderne, -erai devient -érai sous
l'influence de l'infinitif; on entend souvent dans le peuple
trouverai, chanterai (Romania, V, 159).
206. Formes particulières.
1^ Aller fait au futur irai, qui dérive régulièrement de ire
habeo. Le langage des enfants emploie aussi altérai (Jaubert,
Glossaire, I, 64); cette forme se retrouve très rarement dans la
littérature; Godefroy cite dans son Dictionnaire préalleroit (VI,
366) et suralleront (VII, 520).
2° Donner fait au futur régulièrement donnerai (sur donrai,
dorrai, voir § 205, 3). Au moyen âge on trouve quelques rares
traces d'une forme derai qui remonte probablement à dare
habeo; elle s'employait surtout dans le dialecte poitevin : Et dist
lor a totes qu'il les marieret e deret lor les meliores chivaliers
de l'ost (ZRPh., I, 289). Un curieux exemple latinisé de ce futur
se trouve au X*^ siècle dans l'historien Aimoin: »Cui ille: Non
inquam, dabo. Ad haec Justinianus respondit: Daras«.
3^ Envoyer faisait autrefois envoyerai ou envoirai, formes
dérivées de inviare habeo sous l'influence du substantif
voie; elles ont été remplacées par enverrai. Molière écrit en-
core : Je V envoirai d'ici des messagers fâcheux (Amphitryon,
V. 1519), et au XVIII^ siècle le grammairien Villecomte (1751)
remarque: »I1 est faux de vouloir écrire et prononcer /enver-
rai, fenverrois; l'opinion la plus commune parmi les savants
est d'écrire et prononcer f envoyerai, j'envoyerois^ (Thurot, Pro-
nonciation, I, 387). La forme victorieuse enverrai est due à l'in-
fluence du verbe voir, dont le futur est verrai (§ 208, 5).
4** Laisser fait régulièrement laisserai. On trouve aussi dans
les patois lairrai: Helas! Quels gages vous lairai-je (Romania,
X, 376). Pleurez pas tant, la belle, je vous lairrai aller (Bu-
geaud, I, 245). La belle que voilà, La lairrons nous entrer?
(Ronde enfantine). Dans la langue littéraire lairrai s'employait
encore au commencement du XVIP siècle; on le trouve dans
Descartes et dans Corneille: Et le Ciel, ennuyé d'un supplice
si doux. Vous lairra, par sa mort, Don Sanche pour époux
(Le Cid, V, se. 5). Mais Vaugelas observe que cette forme ne
vaut rien, »quoy q'vne. infinité de gens le disent et l'escriuent»
155
{Remarques, I, 210). Aussi Corneille l'a-t-il fait disparaître dans
sa révision de 1660, où il a corrigé ainsi les vers cités: Et
nous verrons du ciel l'équitable courroux Vous laisser, par sa
mort, don Sanche pour époux. Ajoutons qu'originairement
lairral n'a rien à faire avec laisser; il dérive probablement
d'un infinitif laiier ou laire, dont l'explication reste à trouver.
5" Trouver fait régulièrement trouverai. Au moyen âge on
rencontre sporadiquement troverrai (trovairai), qui paraît dû
à l'influence de verrai; cette forme était employée encore au
XVIP siècle, mais les grammairiens la blâmaient: » C'est un
badaudisme« observe Ménage (Thurot, Prononciation, I, 129).
Rappelons aussi la forme vulgaire moderne trouviendrai:
Suivez, suivez le long de la rivière, Y trouviendrez la belle
batelière (Puymaigre, Chants pop. messins, I, 188). Est-ce que
cette forme est propre aux patois qui ont remplacé verrai
(§ 215, 9) par viendrai?
207. Deuxième conjugaison. L'e accentué de l'infinitif (de-
bére) devenu atone au futur s'amuït: *deberâio ) devrai.
Comp. encore les exemples suivants: *moveraio ) mouvrai,
*videraio ) verrai, *cumpareraio > vfr. comparrai, *pote-
raio > pourrai, * placera io > plairai, *taceraio > tairai.
Un d se développe (selon I, § 498) dans *valeraio ) vau-
drai, *voleraio > voudrai, *doleraio > vfr. doudrai, *ma-
neraio ) vfr. mandrai, maindrai, *teneraio ) tendrai, tien-
drai, etc.
Remarque. Dans les verbes dont le radical se, termine par v, on trouve
parfois au moyen âge -erai. Ex.: avérai, lèverai, mnuverai, plovera, etc.; ces
formes, propres au Nord-Est, doivent leur e à une sorte de îsvarabhakti»
(I, § 494, 2). Notons que Hardy s'est servi de s'esmouveroit. Il ne faut pas
confondre ces formes, où l'e est syllabique, avec celles oii il est purement
graphique et destiné à indiquer que u est une consonne (on ne distinguait
pas autrefois u de y dans l'orthographe; comp. I, § 61); ainsi auerai doit
souvent être lu avrai (comp. liuere pour livre, etc.).
208. Formes particulières.
1" Avoir et savoir. Les futurs réguliers sont avrai, savrai;
dans les vieux dialectes du Nord-Est on trouve aussi arai,
sarai. Sylvius (1531) remarque encore que «quelques-uns pro-
noncent par u consonne jhavrai, tu havras, d'autres sans u,
156
j'harai, tu haras«. Ces formes ont disparu devant aurai, sau-
rai, dont l'origine est douteuse; elles existaient déjà au XVI''
siècle, comme le montre la graphie de Gauchie (1570) orey.
2^ Choir. Le futur vulgaire *caderaio donne régulièrement
cherrai, encore employé par R. Garnier: Gar plus il nous
eleue et plus cherrons de haut (Les Juives, v. 942). On le
trouve aussi au XVIP siècle, par ex. dans les Gontes de Per-
rault: Tire la chevillette, et la bobinette cherra (Le petit chape-
ron rouge), mais Ménage le condamne. La forme étymologique
a été remplacée par choirai, refait sur l'infinitif. Les composés
hésitent entre les deux formes; on dit décherrai, écherra ou
déchoirai et échoirai.
3^ Savoir, voir ci-dessus avoir.
4" Seoir. Le futur vulgaire *sederaio a donné régulière-
ment serrai, qui s'employait au moyen âge. A côté de la forme
étymologique on trouve trois formes analogiques: siérai fait
sur sied (§ 119,4), seyerai fait sur seyons, et soirai fait sur
l'infmitif. Les trois types se retrouvent dans la langue aiîtuelle
qui admet il siéra, j'assiérai, fasseyerai, je rasseyerai et j'assoi-
rai, je rassoirai, je surseoirai. Ajoutons que le futur seyerai ad-
mis par Vaugelas (Remarques, II, 321) fut refusé par Ménage
et Th. Gorneille.
5° Voir. Le futur vulgaire *videraio devient régulièrement
verrai, conservé jusqu'à nos jours malgré la forte concur-
rence de voirai, refait sur l'infinitif, et dont on trouve des
exemples déjà au moyen âge. Pendant un certain temps les
deux formes étaient également admises; Robert Estienne écrit:
»/e voyroye ... aut ut alii scribunt ie verroye« (Gramm. Gall.,
p. 50). Voirai est encore employé dans les patois: Nous voi-
rons pas c' qui l'a tué (Rugeaud, Ghansons populaires, II, 244).
Dans la langue littéraire, il a triomphé dans les composés
pourvoirai, dont le plus ancien exemple est du XIIP siècle, et
prévoirai; on peut aussi constater l'existence de pourverrai
(Les quinze joies de mariage, p. p. Toulon, p. 128) et de pré-
verrai (Richelet), mais ces formes sont très rares.
Remarque. A côté de verrai, on trouve dans le parler vulgaire verrerai:
Et vous verreriez c'que vous verreriez (Gyp, Les femmes du colonel, p. 76).
C'que je marcherais, vous verreriez ça (ib., p. 153). Pour lexplication de
cette forme, voir § 214, 2; comp. aussi Manuel phonétique, § 132, Rem.
157
6^ Vouloir. A côté de voudrai, on trouve la forme assi-
milée vourrai: Tant petit que tu vourras (B. Despériers, Nouv.
récréations, n° 77).
209. Troisième conjugaison. L'e inaccentué de l'infinitif
(pérdëre) disparaît au futur: *perderaio > perdrai, *ven-
deraio > vendrai, *viveraio > vivrai, *battueraio > bat-
trai, *curreraio > courrai, *quereraio > querrai. Un d se
développe (selon I, § 498) dans *consueraio > coudrai,
•falleraio ) faudrai, =^moleraio > moudrai, *solveraio >
soudrai, etc. Un / se développe (selon I, § 499) dans *co-
gnosceraio > connaîtrai, =^=nasceraio > naîtrai, *texeraio
> vfr. tistrai, *esseraio > vfr. eslrai.
Remarque. Dans les verbes dont le radical se termine par d, t, s, on
trouve parfois au moj^en âge -erai. Exemples: arderai, perderai, tarderai,
attenderai, renderai, responderai, batterai, metterai, naisserai, etc. Ce sont
probablement des formes analogiques: tarderai amène tarderai^ laisserai
amène naisserai (cf. laissons et naissons), etc. Plusieurs d'entre elles s'em-
ployaient encore comme des licences poétiques au temps de la Renaissance,
mais Ronsard les blâme: .Lesquels au contraire [il s'agit des verbes termi-
nés à l'infinitif par e], tu n'allongeras pas, et ne diras prendera pour pren-
dra, mordera pour mordra* (Art poétique, Vil, 328). De nos jours, elles se
retrouvent sporadiquement dans les poésies populaires: Not' chien n'a pas
encore pondu — Revenez demain, il pondéra (Bull, des parlers normands,
1901, Dec, p. 463).
t V
210. Formes particulières.
P Boire. Le futur vulgaire ^biberaio a donné régulière-
ment bevrai, remplacé depuis longtemps par boirai, refait sur
l'infinitif. Une autre forme analogique burai (Patelin, v. 293)
modelée sur buvant, buvais (comp. I, § 233, i) n'a pas survécu
au moyen âge. Ménage remarque: »Les Badaux de Paris
disent ie buray, tu buras, il bura &c. Il faut dire le boiray, tu
boiras, il boira, &c.« {Observations, p. 221). Richelet (1680) pro-
teste contre buvrai.
2^ Croire. Le futur étymologique est crerai « *crederaio).
La forme concurrente victorieuse croirai se montre déjà au
XII^ siècle.
3*^ Être. Le futur vulgaire *esseraio a donné régulièrement
estrai: » Chambre, « dist ele, »ja mais nestras parede« (Alexis,
V. 141). On avait aussi deux formes collatérales, esterai et
158
esserai: Se vous murez, esterez seint martir (Roland, v. 1134).
Et en ces porches esseront mi sonmier (Raoul de Cambrai,
V. 1235). Aucune de ces formes n'était d'un emploi très fré-
quent, et la langue littéraire les a abandonnées de bonne
heure; estrai vit encore dans le tourquennois: Les voitures y
sont à la commune y estront bientôt à l'église (Watteeuw,
Chansons tourqiiennoises, I, 93). T' n'étras pus si arse d' vin
{ib., p. 96). La forme victorieuse est serai: Que suens sui et
serai (Bartsch-Horning, p. 355, 4). Si l'on compare serai aux
autres formes romanes correspondantes (prov. serai; v. ital.
sera, plus tard sard; rhéto-rom. sarô; esp. seré; port, serei), on
sera tenté d'admettre qu'il a existé en latin vulgaire une forme
apocopée *seraio, à côté de la forme pleine *esseraio.
L'apocope pourrait s'expliquer comme l'effet d'une analogie:
les formes du verbe être commencent les unes par e les autres
par s, et on a ramené à e les formes commençant par s (comp.
dans la vieille langue esines à côté de soms <( sumus), ou in-
versement.
Remarque. Rappelons, à titre de curiosité, une cinquième forme observée
par V. Henry (Antinomies linguistiques. Paris 1896. P. 71) dans le langage
dune petite fille, qui lui disait: »Quand je suirai grande». C'est une créa-
tion analogique (fuis: fuirai = suis: suirai) absolument individuelle.
4° Faire. Un développement régulier de *faceraio aurait
donné fairai (cf. tairai, plairai), mais cette forme ne se trouve
nulle part; on a ferai (parfois abrégé en frai), rarement farai
(en bourguignon). Ces deux formes remontent à •••far ai o (cf.
prov. farai, esp. haré, it. fard) tiré de l'infinitif vulgaire fare;
la forme primitive doit être farai, d'où ferai, grâce à la pho-
nétique syntaxique (cf. I, § 175).
211. Quatrième conjugaison. On trouve dans la langue mo-
derne trois types de futur, dont un seul est régulier au point
de vue phonétique : mourir — mourrai; les deux autres sont
analogiguesi partir — partirai; cueillir — cueillerai. Nous allons
examiner l'origine et le développement de ces trois tj'pes.
212. Futurs sans voyelle de liaison. — Ui accentué de l'in-
finitif (audîre) devient atone au futur (*audiràio) et doit
régulièrejnent disparaître (I, § 254). Ce développement se trouve
159
dans: *audiraio > orrai, *feriraio > vfr. ferrai, *gaudi-
raio > \h\ jorrai, *moriraio > vfr. morrai; *hatiraio >
vfr. harrai (ou herrai), *wariraio > vfr. giiarrai, etc. Un d
s'est développé dans *bulliraio } \fr. boudrai, *colligiraio
> coildrai, ciieiidrai, *falliraio > faudrai, * s al irai o > vfr.
saudrai, *veniraio > vendrai, viendrai. Un t s'est développé
dans *exiraio > vfr. eistrai. De ces formes, la langue moderne
a retenu mourrai, faudra, viendrai (ajoutons tiendrai, courrai,
querrai; voir § 215); les autres ont été remplacées par des
formes en -irai (§ 213) ou en -erai (§ 214): ferrai > ferirai,
jorrai > jouirai, harrai > haïrai, boudrai > bouillirai, cueudrai >
cueillerai, etc.
213. Futurs en -irai. — L'i a été maintenu dans les inclioa-
tifs dès les plus anciens textes : bâtirai, choisirai, faiblirai, gar-
nirai, finirai, remplirai, etc. Un développement régulier de
*f inirai o aurait abouti à fîndrai qui aurait fait disparate
avec toutes les autres formes du verbe, qui contiennent le
groupe ni. Quant aux verbes non inchoatifs, les uns présentent,
comme nous l'avons vu, des formes régulières au point de vue
phonétique, les autres ne connaissent que la terminaison ana-
logique -irai: dormirai, mentirai, partirai, seryiVai (Alexis, v. 494),
vestirai.
214. Futurs en -erai. — La terminaison -erai se trouve dans
les cas suivants :
P Le radical se termine par [K]. La langue moderne con-
naît cueillerai et saillera; mais bouillerai et f aillerai ont aussi
existé. Ces formes sont dues au désir de conserver intacte,
aussi au futur, la finale du thème : cueudrai s'éloignait trop de
cueillir cueillons cueillais, et il a été refait. L'e est dû à l'im-
possibilité de conserver [/i] devant une consonne (cf. I, § 354).
2^ Le radical se termine par /•. On trouve sporadiquement
courerai, mourerai, çiiererai (voir § 215). Ces formes, auxquelles
il faut ajouter verrerai (§ 208, 5, Rem.), sont probablement
dues au désir de distinguer bien clairement la finale d'avec le
thème (comp. la forme populaire mairerie, pour mairie).
3^* On trouve enfin, surtout dans les textes lorrains, mente-
rai, parlerai, senterai, serverai, etc. (à côté de formes en -irai
des verbes inchoatifs). Rappelons encore ovrerai, ofrerai, sofre-
160
rai, ou avec métathèse overrai, oferrai, soferrai (on pourrait
aussi regarder les deux dernières formes comme des continua-
tions de offerre -j- habeo et de su f ferre -|- habeo).
215. Formes particulières.
1° Bouillir. La forme étymologique boudrai a disparu devant
bouillirai. Maupas (1625) admet encore les deux formes, mais
Oudin (1633) proteste contre boudray, conservé, du reste, dans
la langue familière comme bourrai. De Wailly (1763) cite
touillerai, forme peu connue.
2° Courir fait courrai. On a dit aussi courerai. Thomas Cor-
neille remarque: »J'entens souvent demander si au futur de
courir il faut dire je courerai ou je courrai. Il n'y a aucun
sujet de douter; il faut dire, je courrai avec une double r, et
tous ceux qui ont quelque connoissance de la Langue, en
tombent d'accord. J'en vois quelques-uns qui font difficulté
sur le futur de secourir et de discourir, et qui veulent qu'on
escrive, je secourerai, il discourera, quoiqu'en parlant on ne
fasse ces futurs que de trois syllabes« (Vaugelas, Remarques,
I, 401). Au moyen âge on trouve aussi courirai; mais cette
forme est très rare.
3^ Cueillir fait primitivement au futur coildrai, puis cueu-
drai; ces formes succombent devant cueillirai et cueillerai qui
s'emploient longtemps simultanément. Vaugelas observe qu'à
la cour tout le monde dit cueillira; il en conclut que cueillira
est »comme il faut parler« (Remarques, II, 259). Ménage dit au
contraire: »Je soutiens positivement qu'il faut dire cueillera et
recueillera« (Observations, p. 153). L'usage a donné raison à
Ménage.
4^ Faillir fait faudrai. Littré remarque dans son Diction-
naire: «Les trois personnes du présent au singulier, le futur
et le conditionnel vieillissent, et c'est dommage; les personnes
qui ont besoin du futur ou du conditionnel et qui en ignorent
la véritable forme, les composent suivant la règle des verbes
en -ir, et disent: je faillirai, je faillirais; c'est un barbarisme,
mais qui a chance de s'introduire et de devenir correct; déjà
quelques grammairiens disent que ce verbe, dans le sens de
faire faillite, se conjugue régulièrement sur finir: Quand un
négociant faillit, les créanciers, etc.; s'il faillissait, vous seriez
ruiné; si la baisse continue, il faillira; c'est un usage tout mo-
161
derne qui cherche à s'introduire». Défaillir fait défaudrqi;
V, Cousin a employé défaillerai dans les Fragments philo-
sophiques.
5*^ Mourir fait mourrai. La forme collatérale mourerai a
disparu il y a longtemps ; on peut encore en citer un exemple
isolé du milieu du XVIIP siècle, lequel se trouve dans une
épître bouffonne adressée au curé de Montchauvet: Ils moure-
ront tués, occis et trépassés (A. Gasté, Diderot et le curé de
Montchauvet, p. 30); et Xanrof l'a employée dans la «Fumis-
terie sentimentale« : Je mourerai froid comme pierre . . . Où je
m'attach' je mourerai (Chansons ironiques, p. 90). Dans les
patois on trouve la forme refaite mourirai: — Héla! ma très
chée niée, De faim je mourirons (Rolland, Chansons populaires,
III, 7).
6" Ouïr fait orrai, encore employé par Corneille (Le Cid,
V. 832). L'Académie admet oirai; est-ce que cette forme
existe ?
7° Quérir fait querrai, et de même aux composés, acquerrai,
conquerrai. On a dit aussi quererai, qui se retrouve dans ac-
quererai, employé par Corneille. Littré blâme cette forme qui
vit encore (voir p. ex. H. Malot, Mondaine, p. 220).
8° Saillir fait régulièrement saldrai, saudrai, remplacé par
saillirai; dans le sens de 's'avancer en dehors' on dit il sail-
lera. Quant aux composés, notons que R. Estienne remarque:
»Nous somrhes en controverse s'il faut dire fassaudray ou
j'assailliray« (Précellence, p. 319). Au siècle suivant. Ménage
avertit de dire assaillirai et non assaudrai (Observations, p. 439).
A côté de tressaillirai, on trouve sporadiquement tressaillerai
(Armand Dubarry, Une Allemande, p. 87).
9" Tenir, venir. Le futur étymologique est tendrai (tenrai),
vendrai (venrai); on trouve aussi les formes assimilées terrai,
verrai. Cette dernière forme est restée en usage jusqu'au
XVF siècle; comp. : I ne luy souveroit plus des faultes (Mont-
aiglon et Rothschild, Recueil de poésies, X, 327). La langue
actuelle ne connaît que tiendrai, viendrai, refaits sur le pré-
sent.
216. Rapport du futur avec les autres temps.
1" Le futur est modifié analogiquement surtout sous l'in-
fluence de l'infinitif et du présent; c'est ce que montrent
11
162
boirai, choirai, croirai, oirai, (pour)voirai, tiendrai, viendrai, as-
seoirai, asseyerai, assiérai, qui ont remplacé bevrai, cherrai, crer-
rai, orrai, (pour)verrai, tendrai, vendrai, asserrai, et les formes
en -érai (§ 205, e). Rappelons aussi les vieilles formes doinrai,
remaindrai, acquiererai (Sat. Ménippée), où se retrouve la diph-
tongue de doin, remain, acqnier.
2° Le futur est parfois le point de départ d'un nouvel in-
finitif; ainsi garer est tiré de garrai (fut. de garir). Rappelons
aussi les vieilles formes boudre, cueudre, faudre, toldre (pour
bouillir, cueillir, faillir, tolir), tirées de boudrai, cueudrai, fon-
drai, toldrai. Comp. § 80, i.
II. LES TERMINAISONS.
217. Flexion du futur. Comme les terminaisons du futur
sont communes à toutes les conjugaisons, nous pouvons nous
contenter de donner comme seul exemple *cantaraio > chan-
terai:
(Latin vulgaire) (Vieux français) (Français moderne)
cantaraio chanterai chanterai
cantaras chanteras chanteras
cantarat chantera(t) chantera
c a n t a r e m u s chanterons chanterons
cantaretis chantereiz, -oiz chanterez
cantaraunt chanteront chanteront
218. Observations sur les terminaisons.
1*^ Première personne. La terminaison -ai se prononce comme
é fermé et depuis très longtemps; au moyen âge on écrivait
souvent un simple e: donre (Les Narbonnais, v. 167), ire (ib.,
V. 1460), etc., et on avait des rimes commet, beauté: marieré
(Gaufrey, p. 141), esconté: conseillère (ib., p. 243), etc. Le dia-
lecte lorrain présente des formes analogiques en a: Je m' an
ira (Floovant, v. 88); Patelin les emploie dans la scène du
délire: je mangera (v. 952), je beura (v. 953).
2° Troisième personne. Sur la chute du t, voir § 53.
3° Deuxième personne du pluriel. La substitution de -ez à
-eiz a eu lieu dans les différents dialectes, à différentes époques
(cf. § 57, 2). On trouve déjà dans Jonas preirets, et Alexis
163
offre trouerez dans une laisse en -é fermé « a lat.). La Chan-
son de Roland offre ordinairement -eiz (portereiz: ireiz: rei:
mei; tir. 6), qui s'emploie aussi chez Wace. Nous retrouvons
de même la désinence étymologique sous la forme de -oiz
dans Chrestien de Troies, Villehardouin {porroiz, feroiz, etc.),
et le Roman de la Rose (venrois: drois), Rustebuef (sauroiz:
froiz), etc. Au XVI'' siècle, les grammairiens observent que les
Parisiens prononçaient la 2^ personne d'une manière spéciale:
on disait vous chanterez, etc. Restant (1730) est encore obHgé
de condamner cette prononciation: «Quelques personnes font
très mal de prononcer vous ferais, vous dormirais, etc., au lieu
de vous ferez, vous dormirez*. Cette prononciation paraît prou-
ver la persistance de la terminaison étymologique dans la
langue parlée: ferais remonte probablement à feroiz, comme
avais remonte à avois (voir I, § 159); la généralisation de -ez
qui remplace -oiz au XIIP siècle n'a donc atteint d'abord que
la langue écrite.
Remarque. Les textes en patois parisien qu'a publiés M. Nisard donnent
-ais ou -iais partout à la 2« pers. du pluriel: vous aimais, aimiais, aimerais,
aimeriais, aimassiais, aimissiais. Avons-nous là une généralisation de la ter-
minaison -ais < -oiz < lat. -ëtis?
219. Flexion du conditionnel. — Prenons comme exemple
*cantarea ) chantereie :
(Latin vulgaire) (Vieux français) (Français moderne)
cantarea chantereie, -oie chanterais
cantareas chantereies, -oies chanterais
cantareat chanter ei(e)t, -oit chanterait
cantarea mus chanteriiens chanterions
cantareatis chanteriiez chanteriez
cantarçant chantereient, -oient chanteraient
Pour le développement historique des terminaisons, nous
renvoyons à l'imparfait (§ 161).
11'
CHAPITRE XVI.
LES FORMES INTERROGATIVES.
220. Nous examinerons dans ce chapitre les changements
que subissent les formes verbales employées dans les tour-
nures interrogatives. Rappelons d'abord que l'ancienne langue
distinguait la proposition interrogative de la proposition ordi-
naire en plaçant dans celle-là le pronom personnel après le
verbe : aim jou, aimes tu, aime il, etc. ; dor jou, dors tu, dort il,
etc. La langue moderne a conservé ce procédé pour les 2<'^
personnes: aimes-tu, aimez-vous; dors-tu, dormez-vous, et pour
les 3^^: aime-t-il, aiment-ils; dort-il, dorment-ils. Pour la P*' per-
sonne du singulier, l'inversion n'est plus employée que dans
quelques verbes très usités: ai-je, suis-je, etc. (§ 222); on ne
dit pas cours-je, perds-je, etc., et aimé-je appartient au stjle
littéraire; au pluriel on dit encore chantons-nous, mais on se
sert plus volontiers de la périphrase est-ce que nous chantons.
Outre cette périphrase, la langue moderne fait un large em-
ploi d'une particule interrogative (et exclamative) ti, dont l'ori-
gine sera expliquée plus loin (§ 225).
221. Quand la l'*^ personne du singulier se termine par un
e féminin, cet e est remplacé dans les tournures interrogatives
par un é: aimé-je, parlé-je bien, puissé-je vous revoir, eussé-je
aimé. Bien qu'on écrive é, on prononce [e] dans ces formules,
l'é fermé ne s'employant guère dans les syllabes fermées (voir
notre Manuel phonétique, § 83); comp. préférer — je préfère,
j'ai [3e] — ai-je [e:^]. Autrefois on érivait ei ou ai: Et fussei-ge
à Tours (Paris, Chansons du XV siècle, p. 100). Ce cuidaij-je
165
(Franc archer de Baignolet, v. 340). Cette orthographe sub-
siste encore au XVIP siècle et est blâmée de Vaugelas: »Car
qui ne voit qn'aimay-je fait vne equiuoque auec la première
personne du prétérit simple ou défini, et qu'en escriuant aimé-
je, il fait le mesme effet pour la prononciation « (Remarques, I,
348). Pourtant, on ne renonce pas tout de suite à l'ancienne
orthographe, qui se retrouve chez les classiques. Comp, : Revay-
je (Amphitryon, I, se. 2); deussay-je (Andromaque, I, se. 4?
V. 286), et dans l'édition de 1734 de Molière on trouve encore:
Ne ïaimai-je pas aussi comme il faut (Don Juan, II, se. 1)
Remarque. On a dit d'abord aim jou, tremble jou. Cette tournure ne
pouvait se conserver intacte après l'affaiblissement de jou en je et après
le changement de aim en aime (§ 115, i); comme la langue n'admettait plus
de proparoxytons, on a dû accentuer le premier des deux e féminins, d'où.
aimc-je, tremblé-je. 11 paraît du reste qu'on n'a pas partout eu recours à ce
procédé. Ménage observe: »I1 est à remarquer que dans plusieurs lieux de
France, & dans toute la Lorraine, on prononce aime-je, chante-je, mange-je,
avec les deux e féminins desuite; qui est une façon de prononcer tres-
vicieuse, et tres-incommode« {Observations, p. 103).
222. Les l*'^" personnes du singulier du présent de l'indica-
tif qui ne se terminent pas par un e féminin ne peuvent pas
ordinairement être suivies d'un je atone; cette règle con-
cerne surtout les monosyllabes. Ainsi au lieu de dire cours-je,
perds-je, vends-je, mens-je, réponds-je, etc., on a recours à la
périphrase est-ce que je cours, etc. Il faut pourtant remarquer
qu'on admet aî-je, dis-je, dois-je, fais-je, puis-je, sais-je, suis-je,
vais-je, vois-je. Autrefois on était moins sévère; Malherbe écrit:
»Sens-je me dévorer« ! Et on trouve dans Corneille: »Ne perds-
je pas assez sans doubler rinfortune« (Agésilas, II, se. 7).
Cependant l'emploi de ces formules interrogatives était rare,
et dans la langue parlée on les remplaçait volontiers par des
formations analogiques assez curieuses: sous l'influence de
chanté -je, aimé -je, on disait perde -je, mente -je, etc. Vaugelas
blâme ces formes sévèrement: »I1 y a encore vne remarque à
faire mesme pour ceux qui sont de Paris, et de la Cour, dont
plusieurs disent, menté-je, pour dire, ments-je: perdé-je, pour
dire, perds-je: rompé-je, pour romps-je. Nous n'auons pas vn
seul Autheur ny en prose, ny en vers, ie dis des plus mé-
diocres, qui ayt jamais escrit, menté-je, ny perdé-je, ny rien de
semblable« (Remarques, I, 343). Cette dernière assertion est
166
erronée; on trouve par exemple dans Robert Garnier: Qu'a/-
tendé-je (Hippolyte, v. 664). Quel tumulte enteudé-ie (ib., v. 1639).
Aussi ne me senté-ie auoir que bien petite part en leurs grâces
(Bradamante, Dédicace). Les autres grammairiens du temps
s'expriment d'une manière plus exacte et avec plus d'indul-
gence. Thomas Corneille dit: »I1 n'y a rien de plus commun
dans nos Romans les plus estimez, que cette manière de par-
ler, Aussi ne prétendai-je pas; il faut assurément dire, aussi ne
prétens-je pas, ce mot n'ayant rien de rude: mais pour menis-
je, perds-je, romps-je, fents-je, dors-je, ceux qui parlent bien ne
les peuvent soufTrir, non plus que menlé-je, perdé-je, ronipé-je,
senté-je, dormé-je, qui sont tous formez contre les règles de la
Grammaire; ils veulent que l'on prenne un autre tour, et
qu'on dise, est-ce que je ments? croyez-vous que je menie"} ou
quelque chose semblable. « Ménage va jusqu'à recommander
les formes incriminées: » Comme tous les Parisiens disent
senté-je? menté-je? rompé-je? dormé-je? & que le langage des
Provinces doit estre reiglé selon l'usage de celui de Paris, la
Capitale du Royaume & la demeure du Souverain, j'ay changé
depuis peu d'opinion à l'égard de quelques-uns de ces mots,
qui sont si rudes de la façon que les disent les Provinciaux,
qu'on a peine à les prononcer: comme, romps-je, menis-je, sers-
je, dors-je: & qui d'ailleurs sont equiuoques: car romps-je, ments-
je, sers-je, dors-je, se prononcent comme ronge, mange, serge,
d'orge. Mon avis est donc présentement qu'il faut dire, à la
Parisienne, rompéje, menté-je, servé-je, dormé-je. Les reigles de
la Grammaire doivent céder en ces occasions à la douceur de
la prononciation. Impetratum à consuetudine, ut peccare sua-
vitatis caussâ liceret, dit le Maistre de l'Eloquence Romaine.
Mais pour ces mots, sens-je, perds-je, entends-je, qui ne sont
pas difficiles à prononcer, & qui ne font point d'équivoque, je
continue à les dire de cette sorte avec les Provinciaux» (Ob-
servations, p. 102). Finissons par rappeler que la formule senté-
je a eu la vie dure; elle se trouve encore dans le théâtre
d'A. Dumas père (voir Parigot, Alexandre Dumas père. Paris,
1902. P. 172).
223. Pour la troisième personne, il faut remarquer qu'on
intercale un t entre le verbe et le pronom (il, elle, on), si
celui-là se termine par un e féminin ou un a: aime-t-il, aima-
167
/-//, aimera-t-il, a-t-il, etc. Ce t n'est pas étymologique, on di-
sait au moyen âge aime il, aima il, aimera il, a il; il n'est pas
non plus euphonique, comme on Ta souvent prétendu (comp.
I, § 109, Rem.); il est dû tout simplement à l'analogie. Comme
on disait il est — est-il, il dort — dort-il, il aimait — aimait-il,
etc., on a fini par dire il a — a-t-il, il aime — aime-t-il au
lieu de a-il, aime-il, qui faisaient disparate avec les autres
formes interrogatives. Le / intercalé apparaît d'abord dans le
parler vulgaire ; les grammairiens le traitent longtemps comme
une faute grossière, et il n'obtient droit de cité qu'au XVII®
siècle. Dans son Dialogue de V orthographe et prononciation fran-
çoese (1555) Jaques Pelletier remarque: »Souvent aussi nous
prononçons des lettres qui ne s'escrivent point, comme quand
nous disons : dine ti, ira ii, et escrivons dine il, ira il, et seroit
chose ridicule si nous les escrivions selon qu'ils se prononcent».
Il revient plus tard sur la même question à propos des formes
ira-il, semble-il, et il ajoute: »Je confesse, qu'il seroit dur de
les escrire ainsi qu'ils se prononcent vulgairement. Mais vous
savez qu'il n'est pas défendu de prononcer ira il, et que ceux
qui le diront, on ne les sauroit justement reprendre, comme
vous trouvez es poètes assez souvent vous sembV il, et non
point semble til«. Théodore de Bèze (1584) dit en parlant de
la lettre t: Sed huic literae mirum quiddam accidit, nempe ut,
ubi nusquam apparet, tamen euphoniae causa pronuntietur,
ut si scribas parle il (loquiturne?), pronuntiandum erit inter-
posito t, etiam servato e foemineo, parlet-il. Sic in tertiis per-
sonis singularibus futuri indicativi ira-il, parlera-il et praesen-
tis etiam indicandi in quibusdam verbis, ut va-il scribitur qui-
dem, sed pronuntiatur irat-il, parlerat-il, quam pronuntiationem
recentiores quidam ad normam scripturae exigunt; sed hoc
certe facere saltem non possunt in tertia persona singulari
praesentis temporis indicativi primae coniugationis, ut aime il'?«
Au grand siècle le t analogique s'emploie régulièrement dans
l'orthographe, et Vaugelas condamne les anciennes formes:
»Si le verbe finit par vne voyelle deuant on, comme prie-on,
alla-on, il faut prononcer et escrire vn /, entre deux, prie-t-on,
alla-t-on pour oster la cacophonie, et quand il ne seroit pas
marqué, il ne faut pas laisser de le prononcer, ny lire comme
lisent vne infinité de gens, alla-on, alla-il, pour alla-t-on, alla-t-
iU< {Remarques, I, 64).
168
224. A la 2" personne du pluriel on rencontre pour savez-
vous et avez-vous les formes abrégées savons et avons, d'où
s'est détaché ous comme forme interrogative de vous; pour les
détails, voir les Pronoms personnels.
225. Dans les phrases interrogatives la langue populaire mo-
derne fait un large usage de ti. L'origine de cette particule,
que renie encore la langue cultivée, est assez curieuse: elle
provient des formules interrogatives telles que a-t-il, dort-il,
aime-t-il, viendra-t-il, etc. Par l'amuïssement vulgaire du / final
ks formes citées sont devenues ati, dorti, aimeti, viendrati, et
en les comparant aux formes ordinaires il a, il dort, il aime,
il viendra, on a vu dans la terminaison ti le signe de l'inter-
rogation. La faveur de cette nouvelle particule a été très grande;
restreinte originairement à la 3^ personne et au masculin, on
l'a peu à peu étendue à toutes les personnes et au féminin.
On l'ajoute à l'ancienne forme interrogative: suis-je-ti, sommes-
nous-ti, etc.; plus souvent à la forme ordinaire: faime-ti, je
sais-ti moi, elle aime-ti, elle est-ti, fas-ti bu, fsommes-ti, vous
passerez-ti par là, etc. Ti fonctionne surtout dans les phrases
exclamatives : Mon Dieu! J'suis-ti embêté! Nous avons-ti bu, nous
avons-ti ri! Oh! les maîtres; je les aï-ti!
L'emploi de cette particule remonte au XVII*' siècle; elle se
trouve dans les écrits en langage populaire depuis la Fronde,
et, sortant de l'argot de Paris, ti a peu à peu pénétré dans
différents patois, notamment le normand, le lorrain et le pro-
vençal. Les auteurs modernes qui se servent de // pour imiter
le parler vulgaire et patois, l'écrivent sous des formes variées
et étranges. En voici quelques exemples: C'est-ty vous (Daudet,
L'immortel, p. 308). Vous avez-t-il déjà vu le diable (Maupas-
sant, Horla, p. 197). Je pouvais-t-il choisir (Maupassant, Petite
Roque, p. 186). Dis-mé, ta femme est-i aisée (id., Bel' ami,
p. 223). C'est-y nous qui gagne (Gyp, Du haut en bas, p. 205).
Je voudrais t'y l'voir (ib., p. 209). J'ai t'y soif (Concourt, Sœur
Philomène, p. 235). T'en as ti un nez (Maupassant, Petite
Roque, p. 301). J'en ai t' i' connu des lanciers (Bruant, Dans
la rue, p. 145). ./' pensons-t-y à nous séparer, tandis qu' not'
pauv' petit ange souffre toutes les douleurs . . .'? ./' pouvons-t-y
(H. Bérenger, Le génie, II, se. 5). C'est-i ça la médecine (ib.).
Finissons par citer un exemple très curieux tiré d'une conver-
169
sation entre Cocotte et Labosse: Cest-i-vrai? ou ti-pas vrai? —
Ti vrai (H. Lavedan, Le vieux marcheur, p. 32).
Remarque. Par une extension analogique très intéressante, ti, réservé d'ordi-
naire aux verbes, s'ajoute aussi à l'adverbe voilà; on trouve déjà aux
XVII*^ et XVIIIe siècles voilà-t-il, voilà-t-il pas (Molière, Tartuffe, I, se. 1),
ne voilù-t-il pas; grâce à sa terminaison et à sa valeur exclamative voilà a
été traité comme un verbe. Citons' en même temps un autre cas d'une for-
mation analogique bien plus extraordinaire. Lassagne, acteur des Variétés,
mort en 1863, disait à la grande joie du public: 'Afo/i Dieu-je, Seigneur-je,
Désespoir-je. L'origine de ce tic est sans doute à chercher dans des exclama-
tions comme où suis-je, que vois-je, que dis-je, etc. (voir Alexandre, Les mots
qui restent, p. 51).
LIVRE DEUXIÈME.
LES SUBSTANTIFS ET LES ADJECTIFS.
CHAPITRE I.
REMARQUES PRÉLIMINAIRES.
226. Les noms latins étaient soumis à des modifications de
cas, de genre et de nombre. Daus les langues romanes, les
modifications de cas ont disparu presque partout; les pronoms
seuls gardent un reste de déclinaison. Les modifications de
genre existent encore, mais avec de profonds changements, et
le neutre a disparu. Les modifications de nombre se sont
maintenues relativement bien, elles tendent pourtant à s'efîacer
en français. "
L CAS.
227. De la riche flexion casuelle latine les langues romanes
n'ont presque rien conservé dans leur état actuel. Les six cas
du latin (le nominatif, le vocatif, l'accusatif, le génitif, le datif,
l'ablatif) ont été remplacés partout par une seule et même
forme qui sert indistinctement de sujet, de régime direct et de
régime prépositionnel. Cette unification est un des phénomènes
les plus curieux de la morphologie (ou de la syntaxe) romane.
228. Commençons par examiner la question de l'origine de
la forme nominale romane. Si l'on compare les formes sui-
vantes :
roum.
bou
jloar
ital.
boue
flore
fr.
bœuf
fleur
prov.
buou
flor
esp.
buey
flor
port.
boi
flor
ciità
lèpre
cité
lièvre
ciutat
lebre
ciudad
liebre
cidade
lebre
171
cetate iepure parete
parete
paroi
paret
pared
parede,
on voit facilement que leur base ne peut pas être dans les no-
minatifs bos, flos, civitas, lepus, paries; les terminai-
sons et l'accentuation ainsi que le développement phonétique
le montrent clairement. Ils remontent tous en effet à un cas
oblique, et, comme nous le verrons tout de suite, ce cas
oblique ne peut être autre que l'accusatif: les mots cités con-
tinuent bovem, florem, civitatem, leporem, par(i)etem.
Remarque. Sur ce point, l'opinion ne s'est fixée qu'après beaucoup d'iiési-
tations. Ascoli a voulu voir dans l'unique forme nominale romane surtout
une continuation de l'ablatif, tandis que Fr. d'Ovidio y a vu le résultat
d'une fusion du nominatif avec les cas obliques. Selon l'un, rosa, miiro, pane
viendraient de rosa, muro, pane; selon l'autre, ils ne remonteraient à au-
cun cas déterminé et proviendraient de rosa, -am, -a, de murus, -um,
-o, de panis, -em, -e, -i. Ces deux théories sont maintenant abandonnées
ou à peu près; la phonétique et la S3'ntaxe renvoient toutes les deux à l'ac-
cusatif et excluent nettement les autres cas.
229. Citons maintenant quelques-unes des raisons qui parlent
en faveur de l'accusatif:
1° Des accusatifs indiscutables se retrouvent dans plusieurs
monosyllabes qui ont gardé le m final; citons pour le français
rien « rem), mon « meum), ton « tuum), son « su uni);
comp. l'espagnol quien « quem) et le vieil italien speme
« spem).
2*^ Le sarde central (le logodourien) a maintenu la distinc-
tion entre o et u final: octo '/ olto, amo ) amo , mais cen-
tum ) chentu, cantamus ) cantamus. Or, tous les noms de
la deuxième déclinaison latine se terminent dans ce dialecte
par u: oru, sarmentu, chelu, crau, duru, plenu, etc., ce qui
prouve leur provenance de l'accusatif en -um, et exclut le da-
tif et l'ablatif; les mots cités dérivent de aurum, sacra-
m e n t u m , c a e 1 u m , c 1 a v u m , d u r u m , plénum, non de
auro, etc.
172
3" Les neutres imparisyllabiques renvoient également à l'ac-
cusatif. Si l'on compare les formes suivantes :
ital.
tempo
corpo
lato
petto
nome
esp.
tiempo
cuerpo
lado
pecho
nombre
port.
tempo
corpo
lado
peito
nome
fr.
temps
corps
lez
pis
nom
roum.
timp
(lature)
piept
nume,
on voit que leur point de départ ne peut être autre que la
forme du nom. et de l'ace: tempus, corpus, latus, pec-
tus, nomen. Il est impossible de regarder les formes romanes
comme des continuations de tempore, corpore, latere,
pectore, nomine. Des mots cités, un seul semble faire ex-
ception, le roum. lature; mais cette forme est en effet un sin-
gulier refait (comp. § 362), tiré du pluriel laturï < latera.
L'esp. nombre remonte à nomne qui, à la rigueur, pourrait
provenir aussi bien de nomine que de nomen; l'analogie
parle pour la dernière forme.
4° Les théories d'Ascoli et de d'Ovidio rencontrent enfin les
plus grandes difficultés pour le pluriel. Gomment se refuser
par ex. à voir dans les formes espagnoles muros et casas la
continuation directe de muros et casas?
230. L'écroulement du système de la déclinaison latine est
dû à des causes à la fois phonétiques et syntaxiques. Déjà
en latin classique, les prépositions s'employaient à côté des
simples cas; on disait indifféremment aptus alicui rei et
aptus ad aliquam rem, scribere alicui et scribere ad
al i que m, aliquis eorum et aliquis de eis. Dans le par-
ler vulgaire, l'emploi des prépositions va toujours en augmen-
tant, et ce développement analytique est secondé d'une ma-
nière très efficace par les changements phonétiques qui effacent
souvent les traits caractéristiques des cas. Par l'amuïssement
du m final (I, § 318, i) et par la confusion des voyelles atones
finales, terra m, terra et terra se réduisent à la seule forme
terra; de la même manière mu ru m et muro se confondent
en muro; pane m, pane, pani, en pane, etc. Ainsi la forme
casuelle ne suffit souvent plus à indiquer les fonctions syn-
taxiques, et l'emploi d'une préposition devient de toute néces-
173
site. Des cas latins, le génitif a probablement succombé le i
premier; le datif l'a suivi un peu plus tard. La fonction de y
ces cas a été reprise par les prépositions de et ad. L'ablatif,
qui s'employait surtout après certaines prépositions, est rem-
placé dans cette fonction par l'accusatif; on disait dans la
langue vulgaire cum filios suos, de fratres, de latus, in
cap ut, etc.; déjà les inscriptions de Pompéi offrent: Satur-
ninus cum discentes (C. L L., IV, 275).
231. La déclinaison classique se réduit ainsi dans le latin
populaire à deux cas : le nominatif, qui sert de sujet et qui a
aussi repris les fonctions du vocatif, et l'accusatif, qui sert de
régime direct des verbes transitifs et de régime prépositionnel
(très rarement, et surtout quand il s'agit de noms de personne,
de génitif ou de datif). Mais le développement ne s'arrête pas
là. Grâce à la force nivelante de l'analogie, l'accusatif parvient
même à absorber ou à supplanter le nominatif. Cette réduc-
tion à un cas unique s'est effectuée à des époques différentes
dans les différents domaines. En daco-roman, en italo-roman
et en hispano-roman elle a eu lieu à une époque prélittéraire
et se soustrait à notre observation directe. En gallo-roman, au
contraire, on a conservé le nominatif bien longtemps après
l'apparition des premiers textes (1, § 18). La déclinaison à
deux cas se continue en vieux français comme en vieux pro-
vençal. Elle ne s'altère qu'au XIV^ siècle, et l'accusatif finit
par remplacer le nominatif, de sorte que, au sortir du moyen
âge, on n'a en France qu'une seule forme nominale, comme
dans les autres pays romans.
Remarque. Il est probable que le nominatif s'est aussi conservé très long-
temps en rhéto-roman. Malheureusement les plus vieux textes de ce parler
ne remontent pas au delà du XVIe siècle, mais ils nous présentent beaucoup
de faits qui rendent extrêmement possible l'existence en Suisse, au moyen
âge, d'une déclinaison à deux cas.
232. Les seuls cas conservés en français sont donc le no-
minatif et l'accusatif. Des autres cas on ne trouve que des
traces isolées dans quelques mots composés et quelques ex-
pressions figées.
1" Le génitif singulier se trouve dans les noms des jours de la
semaine, et quelques noms de plante : J o v i s d i es yjuesdi, jeudi.
174
Lunse die s ) lundi (vfr. aussi lunsdi par analogie). Marti s
die s ) marsdi, mardi (vfr. aussi di mars). Mercurii dies >
mercredi (vfr. aussi mercresdi par analogie). Sabbati dies )
samedi (cf. I, § 496, Rem.). Veneris dies > vendresdi, ven-
dredi. Jovis barba } joubarbe. Pull i p edem > joou/pie, altéré
en pourpier (I, § 529). Rappelons aussi quelques formules sa-
vantes calquées sur le latin, comme par ex. Le temple dôme
(Aiol, V. 1678), c. à d. Templum Domini.
2^ Le génitif pluriel s'est conservé dans plusieurs noms de
lieux: (Villa) Britannorum ) Bretenoux. Curtis Fabrorum
Confavreux. Curtis Franco ru m ) Confracourt, Conf rançon.
Francorum villa ) Fra/Jconi;z7/e, Francourville. Francorum
campus ) Francorchamps. Wandalorum (castra) ) Gan-
dalor, Gandalou. (Villa) Magnalorum > Mignaloux. Mor-
tem Goth or um ) Mo/'^oc/oM. Villa fabrorum ) F/Z/e/ai^reux".
Villa pirorum > Villepreux. Rappelons aussi quelques ex-
pressions figées: Vassus vassorum ) vfr. vavassor; (ca-
ballus) mille solidorum ) vfr. (cheval) milsoldor; (festa)
*candelorum (pour candelarum) ) vfr. chandelor. On
trouve enfin -or dans un certain nombre de formules pro-
bablement d'origine plus ou moins savante: Geste Francor,
geste Sarasiiior, geste paienor, gent crestienor, uevre diablor, tens
ancienor, tens pascor (*paschoruni pour pascharum); on
dit par analogie geste Macedonor. Dans ces locutions on n'a
pas conscience de la valeur étymologique de la terminaison
-or. Paienor est ainsi pris pour un adjectif; on trouve livres
paienors, terres paienors (Enfances Ogier, v. 5704). Ancienor, qui
ne se trouve d'abord que dans la combinaison tens ancienor
(Alexis, V. 1), est regardé comme le comparatif d'ancien. De
tous les mots cités, la langue actuelle n'a conservé que chan-
delor, devenu Chandeleur.
3" L'ablatif se trouve surtout dans plusieurs noms de lieux :
Andecavo > Anjou. Pictavo > Poitou. (In) Pictavis )
Poitiers. (In) An deçà vis ) Angers. (In) A qui s ) Aix. Re-
mis ) Reims. Rappelons aussi quelques adverbes tels que
quomodo ) *quomo ) com(me), te m pore > vfr. tempre,
iilo loco ) vfr. illuec.
233. Mots d'emprunt. Les mots d'emprunt paraissent aussi
renvoyer à l'accusatif; en tout cas aruspice, calice, impératrice,
175
satellite, viscère, impubère ne reproduisent pas les nominatifs
aruspex, calix, imperatrix, satelles, viscu^, impuber,
mais bien un cas régime. En dehors de l'accusatif on trouve
des formes casuelles déterminées dans quelques cas isolés:
P Nominatif. La terminaison -us se trouve dans agnus,
angélus, argus, chorus, fœtus, hiatus, motus, et quelques autres
substantifs. Citons aussi les noms propres tels que Brutus,
Cassius, Crassus, Crispus, Decius, Manlius, Marias, Pyrrhus, Re-
mus, Romulus, Spartacus, etc.; les anciens tragiques francisaient
généralement ces noms en leur donnant un e féminin ; dans
Garnier on trouve Brute, Camille, Maire (Marins), Vare, etc., et
dans Corneille, Brute, Crasse, Cassie, Décie, Manlie, Romule, Ru-
tile, Sext, Tulle, etc. De la même manière on disait Agrippe,
Caligule, Jugurthe, Murène, Scévole, pour Agrippa, Caligula, Ju-
gurtha, Murena, Scéoola. — A la troisième déclinaison ap-
partiennent: codex, index, castor, major, etc.; c'est aussi le
nominatif qui se cache dans code (codex), pontife (ponti-
fex), prince (princeps), dédicace (dedicatio), préface (prse-
fatio), vfr. decolace (decollatio), vfr. generace (genera-
tio). Ajoutons que les mots tels que multitude, image ne
remontent pas à multitudo, imago, comme on pourrait le
croire; les vieilles formes sont multitiidine, imâgene (I, § 259),
qui renvoient à multitudinem, imaginem.
2^ Génitif. Mots simples: Aloès < (lignum) aloes. Boni <
(aliquid) boni. Pubis < (os) pubis. Quorum, emprunté de
l'anglais quorum <( quorum (maxima pars). Mots com-
posés: Jurisconsulte < jurisconsultus. Jurisprudence (^ juris-
prudentia. Juridiction < vfr. jurisdiction <( jurisdictio.
Mappemonde < mappamundi. Orpiment < auripigmen-
tum. Revendication < reivindication (R. Estienne, 1539) < rei-
vendicatio. Rossolis <( ros solis. Salpêtre { sal petrae.
3^ Ablatif. Omnibus < omnibus. Quibus < qui bus. Rébus
< rébus. La désinence de certains ablatifs pluriels -a été em-
ployée en français comme suffixe; citons par exemple rasibus,
transformation plaisante de ras.
Remarque. Ajoutons quelques formules transportées telles quelles en fran-
çais: Ad hominem ; ad libitum; ad patres; in extenso; in extremis, etc.
176
II. DECLINAISONS.
234. Des cinq déclinaisons classiques on n'a gardé dans le
latin vulgaire que les trois premières. La 4^ s'est confondue
avec la 2^ (le type murus a absorbé fructus), et la 5* s'est,
pour une grande partie, assimilée à la l''^ Le latin classique
admettait déjà barbaria, luxuria, materia, mollitia, à
côté de barbaries, luxuries, materies, mollities. Dans
la langue vulgaire, c'est -a qui l'emporte: Faciès ) facia
(roum. fatà, it. faccia, prov. fassa, fr. face). Glacies ) gla-
cia (roum. ghiatâ, \i. ghiaccia, fr. glace). Rabies > rabia (it.
rabbia, pTo\. rabia, fr. rage). Sanies > sania (esp. sana, port.
sanha). On a conservé die s (roum. zi, it. di, vfr. di) à côté de
dia (roum. zioâ, it. dia, esp, dîa, vfr. die).
235. Première déclinaison. Dans le latin populaire cette
déclinaison est réduite à n'avoir qu'une forme au singulier et
une au pluriel. Causa et causam se confondent par la chute
du m final (I, § 318), et au pluriel le nominatif causse dis-
paraît devant causas. On avait ainsi:
SINGULIER.
causa filia terra
PLURIEL.
causas filias terras
Remarque. La substitution de causas à causae s'explique soit par une
réaction du singulier, qui n'avait qu'une forme, soit par une influence du
pluriel des féminins de la 3^ déclinaison (flores servant de sujet et de ré-
gime amène causas); on peut aussi faire remarquer que causœ ne con-
tenait pas la voyelle finale caractéristique des mots de la l^e déclinaison.
L'installation de causas comme forme unique remonte assez haut. En voici
quelques exemples : Bene quiescant reliqiiias (C. I. L., V, 5078). Hic quescunt diias
maires, duas filias (numéro Ires facunl), el advenas II parvolas (ib., 111,
3551). Filias in pace fecerunt (Le Blant, II, 280). Aquas coquendœ sunt (Ori-
basius, 5, 9). Quod sunt oras uiginti et quattuor (Edictus Rothari, chap. 148;
comp. ib., chap. 314). Illas filias tollant uncias sex (ib., chap. 159). Si duas
plaças fuerint (ib., chap. 46), etc.
236. Cette déclinaison, à laquelle appartiennent presque ex-
clusivement des féminins, comprend les groupes suivants:
177
1*^ Tous les noms de la P déclinaison classique: causa,
coron a, femina, fi lia, terra, etc.
2*^ Des noms appartenant à la 5^ déclinaison classique (voir
§ 234).
3^ Des neutres pluriels de la 2^ déclinaison devenus singu-
liers: arma, folia, labra, vêla, etc. (voir § 247),
4" Quelques noms de la 3« déclinaison qui ont changé de
forme dans la langue populaire: paupertas •) pauperta,
potestas > potesta, tempestas ) tempesta, juventas
) juventa.
5^ Quelques noms de la 4^ déclinaison qui ont changé de
forme: nu ru s > nura (it. miora ; esp. nuera; port., prov.,
cat. nora; vfr. nore), soc rus ) soc(e)ra (it. suocera; esp.
suegra; port, sogra).
237. Deuxième déclinaison. Grâce à la conservation du s
final, la 2^ déclinaison classique-présente deux formes dis- V^
tinctes au singulier et au pluriel:
SINGULIER.
Cas sujet mu ru s filius se r vu s
Cas régime muro filio servo
PLURIEL.
Cas sujet mûri fili servi
Cas régime muro s fili os servo s
238. Cette déclinaison, à laquelle appartiennent presque ex-
clusivement des masculins, comprend les groupes suivants:
P Les noms masculins de la 2*^ déclinaison classique: filius,
m u r u s, s e r V u s, etc.
2" Les noms neutres de la 2*^ déclinaison : aurum > aurus,
castellum > castellus, ferrum > ferrus, pratum > pra-
tus, vinum > vinus, etc.; voir § 246.
3" Les noms masculins de la 4*^ déclinaison : f r u c t u s, p o r t u s.
4^ Les noms neutres de la 4<^ déclinaison: cornu > cornus.
239. Troisième déclinaison. Quant au développement de
cette déclinaison il faut noter les deux points suivants:
l*' Le nominatif singulier des imparisyllabiques a ordinaire-
ment été refait sur la forme plus longue des autres cas. Ainsi
12
178
bos — bovem, pes — pedem, leo — leonem, cantans
— cantantem, prsesens — prsesentem, carbo — car-
bone m, etc., etc., ont été remplacés par bovis — bovem,
pedis — pedem, leonis — leonem, cantantis — can-
tantem, prsesentis — praesentem, carbonis — car-
bone m. Pour les exemples, voir Schucbardt, I, 35, III, 9, et
mon Adjektivernes Konsbojning, p. 77. La généralisation de la
forme brève a aussi eu lieu, mais moins souvent: hères — he-
redem, sanguis — sanguine m, etc., sont devenus hères —
herem, sanguis — sanguem. On constate parfois les deux
développements pour le même mot; ainsi au lieu de ser-
pens — serpentem, on a soit serpentis — serpentem,
soit serpe(n)s — serpe m (cf. en prov. serps — serp). La
reformation n'a ordinairement pas eu lieu dans les impari-
syllabiques désignant des personnes: homo — hominem,
comes — comitem, soror — sororem, infans — in-
fante m, etc. sont conservés intacts (comp. §§ 255 — 260).
2^ Le nominatif pluriel des noms masculins a été refait sur
le modèle de la 2^ déclinaison: patres ) patri, homines )
homini, etc. On trouve dans les textes vulgaires omni, pedi,
etc. (ALL. II, 567); rappelons aussi dans le glossaire de Rei-
chenau folli (n° 632), et dans le glossaire de Cassel pirpici
(n«74), sapienti (n«227, 230).
240. Ces développements amènent pour un grand nombre
des masculins une déclinaison qui ressemble à la 2% et re-
pose comme celle-ci sur la présence ou l'absence d'un s:
Singulier.
Cas
sujet
pedis
leonis
cantantis
Cas
régime
pede
leone
Pluriel.
cantante
Cas
sujet
pedi
leoni
cantanti
Cas
régime
pedes
leones
cantantes
241. A côté de ces trois déclinaisons qui remontent au latin
classique, il faut encore citer deux autres propres au latin
populaire. Ce sont les flexions hybrides en -a -ane et -us
-one dont l'existence est prouvée en France, en Espagne, en
179
Suisse et dans l'Italie septentrionale; elles sont presque ex-
clusivement onomastiques.
242. La flexion en -a -ane est propre aux noms de femmes;
Alba — Albane; Alexandra — Alexandrane; Anna —
Annane; Elena — Elenane; Maria — Mariane, etc., etc.
Elle s'applique aussi à des noms étrangers: Berta — Ber-
tane; Eva — Evane; et à quelques noms de fleuves: Diva
— Divane. Comp. § 250.
243. La flexion en -us -one est propre aux noms d'hommes:
Albus — Albone; Carus — Carone; Gallus — Gal-
lone; Lucius — Lucione; Lupus — Lupone; Marcus
— Marcone; Petrus — Pétrone; Ursus — Ursone. Elle
s'applique aussi aux noms étrangers: Drogus — Drogone;
Hugus — Hugone; Milus — Milone. Comp. § 257.
IIL GENRE.
244. On avait en latin trois genres : genus mascuHnum, ge-
nus femininum, genus neutrum; les langues romanes ont
gardé les deux premiers, tandis que le neutre a presque com-
plètement disparu, assimilé partout au masculin.
Remarque. On trouve dans les inscriptions hune corpus (C. I. L., III, 9508),
hune moniimentum (ib., X, 3717, 3750), hune sepulchrum {ib., III, 8762, 9450),
eum templum {ib., VIII, 9796), votum quem promisit (ib., VIII, 6667), hune
signum, etc. Comp.: » Romani multa neutra masc. gen. potins enuntiant, ut
hune theatrum, hune prodigiuma^ (Curius Fortunatus, Ars Rhet., 3,4).
245. Les mots masculins et les féminins ont généralement
conservé leur genre: liber ) le Hure, libra > la livre. Il faut
pourtant remarquer les points suivants:
1^ Tous les mots abstraits en -or sont devenus féminins:
calorem ) la chaleur, dolorem ) la douleur, etc. Comp.:
Labor clausa est (Lex Salica). Ipsa erit laboris meœ repausacio
(Vita Stae Euphrosinae), etc. La raison de ce changement de
genre se trouve probablement dans l'influence exercée par les
autres terminaisons désignant des idées abstraites et qui sont
toutes du féminin.
12*
180
2° Tous les noms d'arbres sont devenus masculins: fraxi-
nus > le frêne, pin us > le pin, etc. La langue vulgaire a ici
réagi contre la discordance apparente entre la terminaison et
le genre, -us désignant ordinairement des masculins. A la
suite des mots cités a été entraîné arbor, devenu masculin
dans toutes les langues romanes (en portugais arvor est re-
devenu féminin).
246. Passage du neutre au masculin. Sont devenus mas-
culins :
1° Les neutres singuliers de la 2^ et de la 4^ déclinaison.
Pour cornu, vinum, aurum, argentum, on trouve en vfr.
// corz, li vins, li ors, H argenz, ce qui suppose dans la langue
vulgaire l'existence de cornus (se trouve déjà dans Cicéron
et Pline), vinus (dans Pétrone, Oribase, etc.), aurus, argen-
tus. La confusion des deux genres a été facilitée par l'exis-
tence en latin classique d'un certain nombre de mots qui
étaient des deux genres : caseus et caseum, dorsus et dor-
sum, nasus et nasum, etc.
Remarque. Jumentum, en s'appliquant à la femelle du cheval, est de-
venu la jument, c'est le sexe de l'être désigné qui a modifié le genre gram-
matical.
2° Les neutres singuliers de la 3^ déclinaison: corpus ) vfr.
li cors, latus > vfr. // lez, pectus ) vfr. li piz, tempus y
vfr. // tens, etc. ; ces mots étaient indéclinables dans la vieille
langue (comp. § 264). Le s flexion nel (§ 252) a été ajouté aux
mots qui n'en avaient pas en latin: Animal > vfr. li animaus,
altar > vfr. li auteiis, cor > vfr. li cuers, nom en > vfr. li
nons, f lumen ) vfr. // fluns, etc. Remarquons que tous les
neutres de la 3^ déclinaison ont dû être indéclinables en latin
vulgaire; on ne trouve aucune trace d'accusatifs comme cor-
de m, no mi ne m, etc. qu'aurait demandés une déclinaison
masculine. G a put a été remplacé par capum (attesté dans
une inscription du VII*' siècle), d'où capus > vfr. chies.
Remarque. Mare est devenu Za mer. Dans les autres langues romanes le
mot est du masculin.
247. Passage du neutre au féminin. Sont devenus féminins:
1° Un certain nombre de neutres pluriels en -a: Exemples:
Arma ) une arme, corn (u) a > la corne, festa > la fête, fo-
181
lia > la feuille, gaudia > la joie, grana > la graine, horde a
y l'orge, inguina ) une aine, insignia > une enseigne, labra
> la lèvre, opéra > une œuvre, saga ) la saie, tempora > la
tempe (I, § 361,2), vascella > la vaisselle, vêla } la voile, vi-
burna > la viorne, etc. Les textes vulgaires du moyen âge
présentent beaucoup d'exemples qui nous montrent le passage
des neutres pluriels au féminin. Ainsi : Cujus arma est, armas
non portare, omnem festam, ires [estas, hanc gestam, per plures
placitas, per signas certas, etc. Le glossaire de Cassel donne le
nominatif memhras (n° 37), le glossaire de Florence écrit pi-
sas, etc.
Remarque. Dans quelques cas on a tiré deux mots français du même
neutre latin, un mot masculin, dérivant du singulier, et un mot féminin,
dérivant du pluriel. Exemples: Bracchium > braz, bras — bracchia >
brace, brasse. Cornu > cor — cornua > corne. Folium > feuil (dans cer-
feuil; sur chèvre feuil, voir 1, § 125) — folia > feuille. Granum > grain —
grana } graine. Pratum > pré — prata > vfr. prée. Tormentum > tour-
ment — tormenta — tourmente.
2^ Quelques neutres grecs en -ma: sagnia > sauma >
soma (I, § 12,348) > la somme; comp. aussi enigma ) une
énigme, et de même une anagramme, une épigramme, mais la
plupart des mots d'emprunt remontant à des mots grecs en
-ma sont devenus masculins: un anathème, arôme, asthme,
calme, cataplasme, diadème, dogme, emblème, idiome, flegme,
rhume, etc.
CHAPITRE II.
DÉCLINAISON.
248. La plupart des noms se déclinaient au moyen âge
(pour les exceptions, voir § 264). Les noms masculins présen-
taient généralement deux formes différentes aux deux nombres;
les féminins n'avaient ordinairement qu'une forme au singu-
lier et une autre au pluriel. La différence des formes est due,
le plus souvent, à la présence ou à l'absence d'un s flexionnel
final. Dans quelques cas isolés le cas sujet du singulier est
plus bref d'une syllabe que les autres formes, d'où une décli-
naison particulière à accent mobile, à côté de la déclinaison
régulière à accent fixe. La déclinaison à accent mobile est
propre aux substantifs et à quelques adjectifs au comparatif.
I. SUBSTANTIFS FÉMININS.
249. Mots a accent fixe. Il faut ici distinguer deux groupes :
P Les mots à finale vocalique n'avaient, comme aujour-
d'hui, qu'une forme pour le singulier et une pour le pluriel.
Conformément à la déclinaison étudiée au § 235, on a en
français :
SINGULIER.
chose fille terre mère
PLURIEL.
choses filles terres mères
2^ Les mots à finale consonnantique avaient au temps de
Chrestien de Troyes un nominatif singulier en -s (z) :
183
SINGULIER.
Cas sujet fiors genz maisons vertez
Cas régime flor gent maison vertet
PLURIEL.
Cas sujet et régime fîors genz maisons vertez
Il est difficile de dire si ce s est étymologique ou non. Il
faut remarquer que les textes normands antérieurs présentent
au nominatif flor, gent, etc. Avons-nous là l'état primitif, et
est-ce que les nominatifs flors, genz sont refaits à l'imitation
des noms masculins? Ou les nominatifs fîors, genz présentent-
ils la reformation vulgaire (§ 239) du cas sujet?
250. Mots a accent mobile. La déclrnaison en -a, -ane
(§ 242) a laissé beaucoup de traces en français, où elle s'ap-
plique généralement à des noms propres (noms de personnes,
noms de fleuves), rarement à des noms communs. Remarquons
que -ane devient -ain ou, au cas qu'une palatale précède,
-ien (I, § 221).
P Noms de femmes: Aie — Aiien; Ade — Adain; Aide —
Aldain; Aie — Alain; Antigone — Antigonain; Aie — Atain;
Berte — Bertain; Boule — Boulain ; Brande — Brandain; Dode
— Dodain; Eve — Evain; Flerse — Flersain; Gisle — Gislain;
Gonse — Gonsain ; Hamle — Hamlain; Ide — Main; Jubé —
Jubain; Marie — Mariien et Mariain; Marote — Marotain, etc.
Ajoutons Corte — Cortain (épée d'Ogier le Danois); Guile —
Guilain (personnification de la tromperie) et quelques noms
d'animaux: Blere — Blerain (nom de vache); Fauve — Fau-
vain (nom de jument ou d'ânesse); Pinte — Pintain (nom de
poule), etc.
Remarque. Plusieurs des formes en -ain (-ien) se retrouvent encore dans
des noms de lieux: Adaincourt; Adainville; Alaincourt; Attainville; Boulain-
mont (Bodilane monte m); Boiilainrieux, autrefois Boulainriu; Bullain-
ville; Comblanchien (Curtis Blancane); Doudainvilîe (Doddane villa);
Flexainville (Flarsane villa); Goussainville (Gonzane villa); Hamlin-
court, autrefois Hamlaincourt; Jubainville; Joinville (Gaudiane villa).
2" Noms de fleuves. Comme ces noms se rencontrent rare-
ment dans les anciens textes français, nous ne pouvons pas
constater directement leur déclinaison primitive; mais, grâce
184
aux indications que nous fournissent les textes médiévaux la-
tins et les dénominations modernes, on peut mettre en fait
qu'on déclinait autrefois: Dive — Divain, Loue — Loiiain,
Mevre — Mevrain, Meure — Morain, Orne — Ornain, Senne —
Senain, Tere — Terain, etc. De ces formes, la langue actuelle
conserve rarement le cas sujet: Dive. Le plus souvent c'est le
cas régime qui s'est généralisé: Ornain, en subissant parfois
des changements orthographiques et autres: Louain ) Loing,
Mevrain > Mesvrin, Morain ) Morin, Senain ) Serain, Terain >
Thérain.
3^ Noms communs: Ante (a mita) — antain. Baiasse (blat.
bacassa) — baiassain. Nièce (*neptia) — niecien, et par ana-
logie nieçain. None (nonna) — nonnain. Pute (putida) —
putain. Taie (?) — taiien. De ces mots, la langue moderne a
conservé tantôt le cas sujet: (tjante, nièce; tantôt le cas ré-
gime: putain; tantôt les deux cas: nonne, nonnain.
251. Forme particulière. Tous les imparisyllabiques fémi-
nins de la 'S^ déclinaison classique présentent un nominatif
refait (§ 239). Un seul mot fait exception: soror, dont voici
la déclinaison:
SINGULIER,
soror suer
sororem .soror (seror)
PLURIEL.
sorores sorors (serors)
Remarque. On trouve dans la vieille langue les doublets cit — cité, poésie
— poesté, poverle — poverté, tempeste — tempesté. Ces formes fonctionnent
indistinctement comme sujet et régime et ne constituent pas, comme on la
cru, une déclinaison à accent mobile. Cit remonte à civitem (forme méro-
vingienne), cité à civitatem, poeste à *potesta, poesté à potestatem, etc.
II. SUBSTANTIFS MASCULINS.
252. Mots a accent fixe. Pour ces mots, il n'y a qu'une
seule déclinaison régulière ; elle repose sur la présence ou l'ab-
sence d'un s final. Conformément à la déclinaison étudiée au
§ 237, on avait en vieux français:
185
SINGULIER.
Cas sujet murs vins ors
Cas régime mur vin or
PLURIEL.
Cas sujet mur vin or
Cas régime murs vins ors
Ainsi, une forme avec s pour le cas sujet singulier et le cas
régime pluriel, et une autre forme sans s pour le cas régime
singulier et le cas sujet pluriel.
253. La déclinaison en s comprend :
P Tous les noms de la 2^ déclinaison vulgaire (§ 238).
2^ Les noms masculins de la 3^ déclinaison vulgaire (§ 240)
qui ont un s au nominatif: panis ) pains, canis ) chiens,
rex > reis, montis > monz, bovis ) hues, etc.
3*^ Les neutres qui n'ont pas de s à l'accusatif: cuers (cor).
4" Les infinitifs substantivés: // haisiers, H repentirs, li nian-
giers, U hoivres, H avoirs.
254. Une variété de la déclinaison en s est formée par
quelques mots en -e qui, n'ayant pas en latin de s au nomina-
tif singulier, n'en ont pas non plus en français:
SINGULIER.
Cas sujet magister maistre
Cas régime magistrum maistre
PLURIEL.
Cas sujet m agi s tri maistre
Cas régime magistros maistres
Cette flexion comprend des noms de la 2® déclinaison:
liber > livre, al ter > altre, autre, gêner ) gendre, etc., et
de la 3*^ déclinaison : arbor > arhre, f rater > fredre, pater )
pedre, etc.
Rémarque. Sous l'influence du type murs, les mots masculins en -e
prennent de bonne heure un s analogique. Les premiers exemples de cette
unification se trouvent dans les textes anglo-normands: pères (St. Brandan,
V. 146; Vers del juïse, v. 328); lères de latro (St. Brandan, v. 334); hermites
de ère mita (ib., v. 1537). En francien, la distinction qui sépare le type
186
maistre du type murs est complètement effacée à la fin du XIII«^ siècle, et
on dit couramment au nominatif maistres, livres, pères, arbres, etc.
255. Formes particulières. Citons à part la flexion de co-
rnes et de homo, qui présentent des particularités à cause de
leurs formes imparisyllabiques:
SINGULIER.
Cas sujet cornes ciiens homo on
Cas régime comitem comte ho mi ne m orne
PLURIEL.
Cas sujet comiti comte ho mini orne
Cas régime comités comtes ho mi ne s omes
256. Mots a accent mobile. Cette particularité peu com-
mune dans les mots féminins (§ 251) est bien mieux repré-
sentée dans les mots masculins, où elle s'observe non seule-
ment dans les débris de la déclinaison hybride en -us -one,
mais aussi dans un certain nombre d'imparisyllabiques clas-
siques dont le nominatif n'a pas été refait (voir § 239, i).
257. Mots en -us, -one (§ 243). Cette déclinaison hybride
a laissé plusieurs traces en vieux français. Exemples: Clair —
Clairon, Estev(e)nes — Estevenon, Pierres — Perron. Noms ger-
maniques: Biieves — Bovon, Charles — Charlon, Giienele (Guene,
plus tard Gane) — Ganelon, Guis — Guion, Hues — Huon, etc.
Rappelons aussi Lazares — Lazaron, Samse — Samson, etc.
Des formes citées, la langue moderne garde tantôt le cas ré-
gime (ainsi surtout pour les noms germaniques), tantôt le cas
sujet.
Remarque. Il existe pour un grand nombre de noms de personnes (surtout
de noms de famille) d'origine latine des doublets en -on; ainsi à côté de
Clémens, on a Clémençon. On a voulu voir dans les formes en -on des di-
minutifs; il vaut mieux les regarder avec M. E. Philipon comme d'ancieiTs
cas régimes. Voici quelques exemples de ces doublets qui paraissent supposer
comme point de départ la flexion hybride • en -us, -one, et qui nous
montrent ainsi probablement la conservation des deux cas: Andrieux — An-
drevon. Bel — Belon, Benoît — Benoîton, Cher — Chèron, Claude — Clau-
don, Denis — Denison, Estève — Thévenon, Jacques — Jaquemond, Laurens
— Laurençon, Mathieu — Matheoon, Philippe — Philippon, Toine — Toi-
non, etc.
187
258. Mots en -o -one. Le français a conservé quelques
imparisyllabiques tels que baro (> ber) baronem (> baron),
latro 0 lerre) latronem (> larron), auxquels s'ajoutent plu-
sieurs mots d'origine germanique. Voici leur déclinaison:
SINGULIER.
PLURIEL.
Cas sujet.
Cas régime.
Cas sujet.
Cas régime.
ber
baron
baron
barons
bric
bricon
bricon
bricons
compain
compagnon
compagnon compagnons
falc
falcon
falcon
falcons
fel
félon
félon
félons
gars
garçon
garçon
garçons
glot
gloton
gloton
glotons
grip
grifon
grifon
grifons
lerre
larron
larron
larrons
259. Mots en -or. Il faut les diviser en deux groupes.
1° Le premier comprend les mots suivants: antecessor,
cantor, debitor, grandior, junior, major, melior, mi-
nor, pastor, pejor, pictor, senior, traditor. Voici leur
déclinaison :
SINGULIER.
PLURIEL.
Cas sujet.
Cas régime.
Cas sujet.
Cas régime
ancestre
ancessor
ancessor
ancessor S
chantre
chantor
chantor
chantors
dettre
dettor
dettor
dettors
faitre
fait or
faitor
faitors
gr oindre
graignor
graignor
graignors
joindre
joignor
joignor -
joignors
maire
maior
maior
maior s
mieldre
meillor
meillor
meillor s
mendre
menor
menor
menors
pastre
pastor
pastor
pastors
pire
pior
pior
piors
peintre
peintor
peintor
peintor s
sire
seignor
seignor
seignors
traître
traïtor
traïtor
traïtor s
2" Le deuxième groupe comprend les mots en -ator tels que
imperator () emperere) — imperatorem {} emperëor), sal-
188
vator (> salvere) — salvatorem (> saluëor), etc. Sur ce type
ont été formés beaucoup de noms d'agents. Voici quelques
exemples qui montrent leur déclinaison:
SINGULIER.
PLURIEL.
Cas sujet.
Cas régime.
Cas sujet.
Cas régime.
buvere
buveor
buveor
buveor s
emperere
empereor
empereor
empereors
faisiere
faiseor
faiseor
faiseor s
gaigniere
gaigneor
gaigneor
gaigneors
mentere
menteor
menteor
menteor s
salvere
salveor
salveor
salveors
trovere
troveor
troveor
troveor s
260. Quelques mots isolés: abbas — abbatem, infans —
infantem, nepos— nepotem, et un mot de la 2*' déclinai-
son: presbyter — presbyterum. Voici leur déclinaison:
SINGULIER.
PLURIEL.
l&s sujet.
Cas régime.
Cas sujet.
Cas régime.
abes
abé
abé
abez
enfes
enfant
enfant
enfanz
nies
nevo
nevo
nevoz
prestre
proveire
proveire
proveires
III. ADJECTIFS.
261. La déclinaison des adjectifs ne diffère presque de celle
des substantifs que par la conservation d'une forme neutre
singulier (comp. § 262). Voici un relevé sommaire des diffé-
rents types que présente la vieille langue.
P Premier groupe. Exemple: sëurs < securus.
SINGULIER.
Masculin Féminin
Cas sujet sëurs sëure
Cas régime sëur sëure
PLURIEL.
Cas sujet sëur sëures
Cas régime sëurs sëures
Neutre
sëur
189
2^ Deuxième groupe. Exemple: sades < sapidus.
SINGULIER.
Masculin Féminin Neutre
Cas sujet sades sade sade
Cas régime sade sade
PLURIEL.
Cas sujet sade sades
Cas régime sades sades
3^ Troisième groupe. Exemple: aspre < asper.
SINGULIER,
Masculin Féminin Neutre
Cas sujet aspre aspre aspre
Cas régime aspre aspre
PLURIEL.
Cas sujet aspre aspres
Cas régime aspres aspres
4^ Quatrième groupe. Exemple: forz < fortis.
SINGULIER.
Masculin Féminin
Cas sujet forz fort
Cas régime fort fort
PLURIEL.
Cas sujet fort forz
Cas régime forz forz
Neutre
fort
IV. FORMES NEUTRES.
262. Neutre singulier. Le neutre singulier a été conservé
dans les adjectifs et les participes passés employés d'une ma-
nière prédicative. On disait au moyen âge li père est bons
(bonus), la mère est bone (bon a), mais ço est bon (bonum).
Exemples: Cest bon al noturner (Philipe de Thaun, Li cum-
poz, V. 303). Si cum est esproiwet (ib., v. 630). E iço est escrit
(ib., V. 415). Malt lor ert bel (Villehardouin, § 214). On lit en-
190
core dans les chartes de Joinville : Ce fii escrit de ma main,
ce fu fait par moy, etc.
263. Neutre pluriel. Nous avons vu qu'ordinairement les
neutres pluriel sont devenus des féminins singuliers (§ 247):
folia > la feuille (d'où le nouveau pluriel les feuilles). Dans
quelques cas isolés, la langue du moyen âge a cependant con-
servé aux mots neutres leur pluriel en -a devenu -e; ainsi à
côté de car ru m ) (le) char, on avait carra ) (les) charre.
Voici quelques exemples de ces formes:
arma > arme: S'oste ses arme (Richars li biaus, v. 2255).
brachia ) brace: Entre sa brace (= entre ses bras) était
autrefois une locution très employée.
carra ) carre: Cinquante carre (Roland, v. 33, 131, 186).
calceamenta ) c/jaucemen/e; Gardez es pies ait caucemente
(voir Godefroy).
digita > deie, doie: Deus doie (Aiol, v. 6855; Chevaliers as
deus espées, v. 9314).
dupla ) double: Set duble (Psautier d'Oxford).
m il lia > mile: Vint mille humes (Roland, v. 13). Cinquante
mille (ib., v. 1919).
paria > paire: Cent paire (Mâtzner, Altfr. Lieder, n° 3, v. 25).
sextaria > sestïère: voir N. de Wailly, Langue de Joinville,
p. 41, et Godefroy.
Les formes en -e, qui faisaient disparate avec tous les autres
pluriels, ont vite disparu; les unes sont mortes, les autres ont
été munies d'un s: les arme ) les armes; on hésitait déjà au
moyen âge entre carre et carres, sestiere et sestieres. Mille seul
a été conservé intact jusqu'à nos jours.
Remarque. Des traces plus nombreuses du neutre pluriel en -a se trouvent
en italien qui en a conservé un certain nombre jusqu'à nos jours: il braccio
— le hraccia, il corno — le corna, il dilo — le dita, il membro — le mem-
bra, etc., etc. Les nouvelles formations analogiques ne manquent pas: à côté
de il legno — le legna, on a il legno — i legni et la legna — le legne.
V. INDÉCLINABLES.
264. Tous les mots dont le radical se termine par s ou z,
sont indéclinables. Exemples: Cors (cursum), nés (nasum),
ors (u r s u m) , pas (p a s s u m), uers (v e r s u m), meis (m e n s u m),
191
cors (corpus), fiens (fi m us), oes (opus), tens (te m pu s).
Braz (bracchium), laz (*laceum, pour laqueum), croiz
(crucem), voiz (vocem), feiz (vice m), souriz (soricem),
fonz (fondus, -eris), lez (latus), piz (pectus), etc. Bas
(bassus), fais (falsus), gras (crassus), gros (grossus), et
tous les adjectifs en -eis (-ois) et en -os: curteis, angleis, daneis,
franceis, amoros, joios, etc.; tierz (tertius), dolz, etc.
Remarque. Par la force de l'analogie nous voyons parfois ces mots se
régler sur le type murs (§ 252) et en adopter la déclinaison : le s du thème
est pris pour le s de la flexion, et on l'éloigné du cas régime singulier et du
cas sujet pluriel. On trouve ainsi ver, refu, abi, etc. pour vers (ver s uni),
refus (tiré de refuser), abis (abyssum). Exemples: Seignors, oez chançon
dont li ver sunt bien fait (Orson de Beauvais, v. 1) Onques ne me fist refu
(Auberee, v. 158). Devers l'abi (Vers del juïse, v. 240).
VI. SORT DE LA FINALE.
265. L'addition du s amène en certains cas des changements
phonétiques qu'il faut examiner à part. Si le mot se termine
par une consonne, celle-ci peut s'amuïr (§ 266) ou se changer
en voyelle (§ 267); elle peut aussi modifier le s ou se com-
biner avec lui.
266. Amuïssement de la consonne. Si la consonne finale est
une labiale, une palatale, une nasale appuyée ou une latérale,
elle s'amuït devant le s de flexion (comp. I, § 314, i):
l^' Labiale (p, f) -\- s. Voici la déclinaison de drap (blat.
drappum), gap (subst. verbal tiré de gaber < vnorr. gab-
ban), buef {\at bovem), cer/" (lat. cervum):
SINGULIER.
Cas sujet dras gas bues cers
Cas régime drap gap biief cerf
PLURIEL.
Cas sujet drap gap buef cerf
Cas régime dras gas bues cers
On trouve de même: baillis — baillif (dér. de baillir), bries
— brief (brevem), chies — chief (capum), des — clef (cla-
vem), nés — nef (navem), nés — nef (napum), neis — neif
sas
ses
sac
sec
sac-
sec
sas
ses
192
(nivem), nues — niief (novum), sans — sauf (salvum), sers
— ser/" (servum), ues — uef (ovum), vis — vif {\\vum), etc.
2" Palatale (c) + s. Voici comment se déclinaient blanc
(vha. blanch), clerc (clericum), sac (sac eu m), sec (sic-
c u m) :
SINGULIER.
Cas sujet Mans clers
Cas régime blanc clerc
PLURIEL.
Cas sujet blanc clerc
Cas régime blans clers
De la même manière se déclinaient: ars — arc (arcum),
hors — bore (burgum), cos — coc, dus — duc (tiré de ducs
< dux), eschas — eschac (germ. scac), frans — franc (fran-
cum), grès — grec (graecum), pis — pic, sans — sanc
(*sanguem), turs — turc, etc. L'amuïssement du c est d'an-
cienne date; nous en trouvons le premier exemple dans le
glossaire de Cassel (I, § 12), qui donne au n" 106 la forme
toute française pis.
3" Nasale appuyée (m n) + s. Il faut remarquer que m dis-
paraît sans laisser de trace, tandis que n ne s'amuït pas com-
plètement; il perd sa nasalité, mais l'articulation dentale reste
et se combine avec s, d'où résulte un z. Voici la déclinaison
de ferm (firmum), verm (verm e m), charn (carnem), jorn
(diurnum):
SINGULIER.
Cas
sujet
fers vers
charz
jorz
Cas
régime
ferm verni
PLURIEL.
charn
jorn
Cas
sujet
ferm verm
charn
jorn
Cas
régime
fers vers
charz
jorz
De la même manière se déclinaient enferm (infirmum),
corn (cornu), forn (furnum), hivern (hibernum), torn (dér.
de torner), etc. ; à la finale on hésite entre s et z.
Remarque. Notez que le m non appuyé devient n sous l'influence régres-
sive du s. Ainsi campus, campos > chans, flumen ( -j- s) > fluns, etc.
193
4*^ Latérale (l et / mouillé) -\- s. Il faut remarquer que [1]
ne disparaît qu'après i et u, et que le s final se change en z
[ts] après [À]. Nous citerons comme exemples fil (filum), nul
(nullum), fil (filium), gril < greïl (*graticulum), lil (li-
1 i u m) :
Cas sujet fis
Cas régime ///
Cas sujet fil
Cas régime fis
singulip:r.
nus fiz
greïz
Hz
nul fil
greïl
lil
PLURIEL.
nul . fil
greïl
lil
nus fiz
greïz
Hz
267. Vocalisation de la consonne. Si la consonne finale du
thème est l ou l mouillé, elle se change en u (pour les excep-
tions, voir § 266, 4).
1^ L devient u après a, è, é et ô (I, § 342, 343). Voici la
déclinaison de cheval (ca bal lu m), bel (bellum), ciel (cae-
lum), chevel (capillum), col (col lu m):
SINGULIER.
Cas sujet chevaus
Cas régime cheval
beaiis
cieus
cheveus
cous
bel
ciel
chevel
col
PLURIEL.
bel
ciel
chevel
col
beaiis
cieus
cheveus
cous
Cas sujet cheval
Cas régime chevaus
2" L mouillé devient u après a, è, é, ue, 6. La réduction de
[À] à [u] est accompagnée d'un changement du s final en z.
Voici la déclinaison de travail (trepalium), vieil (vetulum),
soleil (*soliculum), dueil, genoil (*genuculum):
SINGULIER.
Cas
sujet
travauz
vieuz soleuz
duez
genoz
Cas
régime
travail
vieil soleil
PLURIEL.
dueil
genoil
Cas
sujet
travail
vieil soleil
dueil
genoil
Cas
régime
travauz
vieuz soleuz
duez
genoz
268. Modification du s flexionnel. On trouve z [ts] au lieu
de s, quand la consonne finale du thème est /, d, n, l mouillé,
13
194
n mouillé. Voici la déclinaison de fruit (fructum), nu (nu
du m), jorn (diurnum), travail (trepalium), coin (eu ne uni)
singulip:r.
Cas
sujet
fruiz
nuz jorz
travaux
coin
Cas
régime
fruit
nu jorn
PLURIEL.
travail
coin
Cas
sujet
fruit
nu jorn
travail
coin
Cas
régime
fruiz
nuz jorz
travauz
coin
Remarque. Au XIII^ siècle, l'affriquée z [ts] se réduit à une simple sif-
flante s [s], de façon que forz, fruiz, venz, granz, anz, corz, bainz, coinz, fiz,
travauz deviennent fors, fruis. vens, grans, ans, cors, bains, coins, fis. tra-
vaus.
VII. DÉVELOPPEMENT ANALOGIQUE.
269. Nous avons déjà vu comment s par la force de l'ana-
logie est devenu peu à peu le trait caractéristique de la flexion
de tous les noms masculins et de ceux des substantifs fémi-
nins qui ne se terminent pas par un e atone. Cette extension
de la déclinaison en -s se manifeste des deux manières sui-
vantes :
1° 5 a été ajouté à des nominatifs qui n'en avaient pas en
latin. Le type murs — mur a entraîné pères — père (§ 254),
leres — 1ère, ons — ome, bers — baron, ber (voir § 272), etc.,
et flors — flor, maisons — maison (§ 249, 2), etc.
2^, S a été enlevé à l'accusatif singulier et au nominatif plu-
riel des indéclinables (voir § 264, Rem.). Le type murs — mur
a entraîné vers — ver.
270. L'analogie rapproche aussi constamment les formes
flexionnelles du même mot différenciées par le développement
phonétique. Tantôt c'est la forme du cas sujet qui est refor-
mée sur celle du cas régime, tantôt c'est l'inverse qui a lieu.
En voici quelques exemples:
1° La voyelle du cas sujet singulier est changée sur le mo-
dèle de celle du cas régime. Ainsi, à côté de la forme étymo-
logique Gueiie, on crée Gane(s) sur Ganelon, altération de Guene-
lon (germ. Wenilon).
195
2" La consonne finale du cas régime singulier et du cas
sujet pluriel disparaît dans un certain nombre de mots sous
l'influence des formes munies du s de flexion devant lequel
elle s'était amuïe. Ainsi les formes primitives verm, charn,
corn, enfern, forn, hivern, jorn, torn, genoil, verroil, etc., sont
remplacées par les formes analogiques ver, char, cor, enfer, for,
hiver, jor, tor, genou, verrou, etc., créées sous l'influence de
vers, charz, corz, enferz, forz, hiverz, jorz, torz, genoz, verroz.
3^ La consonne finale du cas régime singulier (et du cas
sujet pluriel) est réintroduite devant le s flexionnel où elle s'é-
tait d'abord amuïe (§ 266). C'est ainsi qu'on remplace dras,
bues, ars, sas, nus, fis, par draps, bucfs, arcs, sacs, nuls, fds,
reformés sur drap, buef arc, sac, nul, fû.
271. C'est aussi grâce à la force toute -puissante de l'ana-
logie que disparaissent différentes particularités qui distinguent
certains groupes de mots. Examinons comme exemples les
mots dont le cas sujet singulier se terminait dans la vieille
langue en -anz (-ans); ils avaient au cas régime singulier soit
-ant soit -an; à côté de granz grant grant granz, on avait nor-
manz norman norman normanz. La concordance des deux
formes amène l'aplanissement des différences qui distinguent
les deux autres, et l'analogie ajoute un t au deuxième groupe,
ou fait disparaître le t du premier groupe.
1" Addition d'un t. A côté des formes étymologiques dan
(dominum), faisan (phasianum), tiran (tyran num), on
trouve dant, faisant, tirant (encore conservé dans l'angl. ty-
rant); on avait également alenian (A le m an nu m) et alemant
(Rou, II, V. 3255), esturman (néerl. estuurman) et esturmant,
norman et normant, persan et persant, soudan et soudant, même
Jehan et Jehant (Ste Juliane, v. 628), Priam et Priant (R. de
Troye, v. 184), etc.
2" Disparition du t. Ce phénomène est bien moins fréquent;
il se montre dans paisanz — paisant (pour païsenc), devenu
paisanz — paisan. Rappelons aussi élan et roman(t), pour eslanz
(subst. verb. tiré de es/a/jc/er) et romanz (*romanice). Comp.
§§ 400, 413, 2, 416, 1.
272. L'analogie joue aussi un rôle important dans le dé-
veloppement des imparisyllabiques. Tantôt le cas sujet singu-
13*
196
lier est reformé sur les autres formes plus longues, tantôt il
sert de base lui-même à de nouvelles formes. Citons comme
exemple ber (baro) dont nous donnerons
déclinaison primitive:
et la déclini
:iison
analogique
ber
barons
OU
bers
baron
baron
ber
baron
baron
ber
barons
barons
bers
273. GÉNÉRALISATION DE LA FORME COURTE. Exemples:
Abe pour abbé: Par un saint abe qi la pais i a mise (Raoul
de Cambrai, v. 5560).
Ancestre pour ancessor: Bien conneustes mon ancesire (Re-
cueil général des fabliaux, I, p. 33, v. 278).
Ber pour baron: La troueres Rainier et Aimer Et Gilemer
l'Escot, qui moût sont ber (Aiol, v. 1400). Sa femme fu estraite,
sans mençonge parler, De Gerbert, de Gerin, de Malvoisin le
ber (Berte aus grans pies, v. 89). De par le conte dant Aymeri
le ber (Les Narbonnais, v. 333).
Bri pour bricon: Que por musart te tieng je et por bri (Les
Narbonnais, v. 1705).
Compain pour compaignon: Nus feimes mal Endreit nostre
cnmpain Lanval (Marie de France, Lanval, v. 232).
Emperere pour emperëor: Or en ires en France, fiex, dist li
mère, Seruir roi Loeys, nostre enperere (Aiol, v. 493). Si ua
por armes querre a l'emperere (ib., v. 1497). Mes pur la venue
Vemperere . . . (Chardry, Set Dormant, v. 90).
Glout pour glouton: Le glou enverse qui estoit estordi (Ogier
le Danois, v. 587).
Laire pour larron : Tant en ferai essorber et desfaire. Et
pendre en haut as forches comme laire (Raoul de Cambrai,
V. 1026).
Mieudre pour meillior: Car j'ai ochis le mieudre qui soit
jusques ou Fart (Bastart de Bouillon, v. 777). Et lor escuz
fisent si depecier Q'en tout le mieudre nen avoit tant d'entier
(Raoul de Cambrai, v. 4496).
Ors pour Orson: Ja fu elle famé Ors (Orson de Beauvais,
V. 2095).
197
Prestre pour proveire: En l'ostel au prestre (Recueil des
Fabliaux, IV, p. 90). Ja n'avrez en la fin prestre (R. du Re-
nart).
Savere pour savëor: Aiols reclaime dieu, le vrai savere (Aiol,
V. 773).
Sire pour seignor: J'irai a vos amis parler Et a vo dame
et a vo sire (Recueil des Fabliaux, II, p. 158). A tant es vous
a cez paroles Sire Lanfroi le forestier (R. du Renart).
Suer pour seror: Ensurquetot si ai jo vostre soer (Roland,
V. 294). Et il n'auoit ne suer ne frère (Tyolet, v. 72). A sa suer
prent congie Berte qui ot cuer gent (Berte aus grans pies,
V. 228). Quant il virent lor suer qui de biauté resplent (Bas-
tart de Bouillon, v. 2346). Un jor ot mandée s'amie Chies sa
suer (Bartsch et Horning, p. 619, 7).
Traître pour traïtor. Et li traître se vont agenoillier (Ogier
le Danois, v. 8229). Voit les traîtres tôt entor arrengier (ib.,
V. 8295).
274. GÉNÉRALISATION DE LA FORME LONGUE. Exemples:
Abé pour ahes: Puis fu eslit sa bunté A Saint Oein à estre
abbé (Roman de Rou, II, v. 2292). En sa cambre est un jor
l'abbé (Bartsch et Horning, p. 440, 39).
Barun pour ber: Deus! quel bar un, s'oust chrestientel (Chan-
son de Roland, v. 3164).
Bertain pour Berte: De la chambre l'enboute, Bertain vint
moult en gré, K'encore cuidoit ele que ce fust amisté (Berte
aus grans pies, v. 437).
Borguignon pour Borgoin: Li Borguignon ot molt le coer
dolent (Bartsch et Horning, p. 138, 20).
Empereor pour emperere: Charles de France, le mainne em-
pereor, Tint cort moût riche a Paris par vigor (Les Narbon-
nais, V. 11).
Félon pour fel: Que ne m'ocie cist Sarrazins félon (Couronne-
ment de Louis, v. .1024).
Quions pour Gui: Bauduins li Flamans, li Bolonnois Guions
(Orson de Beauvais, v. 3241).
Meillor pour mieudre: Mes nule part n'en remest nul mellor
Que a Nerbone Aymeri le contor (Les Narbonnais, v. 19).
Mener pour moindre: Guibert l'avra, car il est le menor (Les
Narbonnais, v. 57).
198
Neveuz pour nies: Et auec elz i vint ses neveux Jocerans
(Orson de Beauvais, v. 2090).
Oton pour Otes: Et Jocerans, et de Police Oton (Aimeri de
Narbonne, v. 1547).
Poîgnëor pour poignière: C'est Aymeris, le noble pongnëor
(Aimeri de Narbonne, v. 2436).
Seignor pour sire: Qant Aymeris, mon seignor droiturier,
S'en revendra (Aimeri de Narbonne, v. 3672).
VIII. DISPARITION DE LA DÉCLINAISON.
275. Grâce aux assimilations que nous venons de mention-
ner, la différence phonétique des formes flexionnelles se réduit
peu à peu. Ordinairement c'est l'accusatif, le cas le plus em-
ployé, qui impose sa forme au nominatif, et il finit par le
remplacer tout à fait. Nous avons déjà cité plusieurs exemples
montrant l'emploi du cas régime pour le cas sujet; en voici
quelques autres : Tu ies tôt fol (Recueil de fabliaux, IV, 90).
A vos le di, Bernart; q'estes Vainné (Les Narbonnais, v. 85).
Aymeris fu do mengier levé (ib., v. 3846), etc., etc. Vers la fin
du moyen âge les quatre formes murs mur — mur murs sont
réduites à mur — murs: on n'a plus qu'une forme pour chaque
nombre, et avec la disparition des anciennes formes du nomi-
natif, le s, qui était déjà le trait caractéristique du pluriel des
noms féminins, le devient aussi pour les masculins.
276. A partir du commencement du XIW^ siècle, on peut
dire que la déclinaison à deux cas n'existe plus dans la langue
parlée. Pourtant, la langue écrite conserve encore longtemps le
s flexionnel, mais on l'ajoute ou on l'omet à tout hasard. Dans
son introduction grammaticale à la vieille traduction de la
Chirurgie de maître Henri de Mondeville (datée de 1314),
M. Bos remarque: »La déclinaison à deux cas, sujet et régime,
telle qu'elle existait encore au XIII*' siècle, est déjà presque
éteinte. Les exemples dans notre traduction en sont si rares,
si douteux qu'on pourrait les considérer, pour ainsi dire,
comme des fautes à côté de l'immense majorité des passages
où il n'existe pas trace de déclinaison. On dirait que notre
traducteur a un vague souvenir qu'il y avait des cas où il
199
fallait un s et d'autres où il n'en fallait pas. Mais quels étaient
ces cas, il semble rignorer« (I, p. XXIX). Cette hésitation
continue longtemps. Dans les «Quinze joies de mariage « on
écrit indifféremment le jeunes homs (p. 12, 33), nulz sages homs
(p. 31), le jeune homs (p. 99), le pauvre homs (p. 35), le bon
homs (p. 116), le bon homme (p. 163), jolis et gaillart maintien
(p. 30), etc., etc. Tout ouvrage du XV*= et du commencement
du XVP siècle offre des exemples pareils en masse. La bal-
lade que Villon essaie d'écrire »en vieil françois« nous montre
aussi à quel point on méconnaît l'ancienne déclinaison. En
voici la deuxième strophe:
Voire, où sont de Constantinohles
L'emperier aux poings dorez,
Ou de France ly roys très nobles.
Sur tous autres roys décorez,
Qui, pour ly grand Dieux adorez,
Bastist églises et convens?
S'en son temps il fut honorez,
Autant en emporte ly vens.
Remarque. Rappelons que l'ancien nominatif Dieus ou Dieux (de us) est
conservé jusqu'au commencement du XVI I« siècle dans la locution toute faite
ainsi m'ayde Dieux, altérée en medieus, midieus. Au XVI<= siècle on a quelque-
fois pris Dieux pour un pluriel.
277. On conserve aussi un petit nombre des nominatifs des
imparisyllabiques, mais eux aussi s'emploient indifïéremment
comme sujet et comme régime: Lte/re (Patelin, v. 1502), trom-
perre (ib., v. 760), fouterre (Villon, Gr. Test., n« LXXXI), Ganes
(Nouveau Patelin, v. 754; Ane. théâtre français, II, 44, 48),
tricherre (J. du Bellay), etc. Comp. la combinaison mon sire et
seigneur (Mystère d'Adrien, éd. Picot, v. 1934).
IX. DES NOMINATIFS CONSERVÉS.
278. La langue moderne a conservé la forme du nominatif
dans un petit nombre de mots. Ce sont surtout des substan-
tifs désignant des êtres vivants et dont le nominatif, qui ser-
vait aussi de vocatif, par cette raison a été plus employé que
l'accusatif; ensuite une exclamation à demi savante (los) et
quelques adjectifs. Mais il ne faut pas oublier que dans ces
200
mots, on n'a conservé que la forme du nominatif, non la
fonction: chantre, par exemple, remonte à cantor, mais s'em-
ploie indifféremment comme sujet et comme régime verbal ou
prépositionnel. Deux mots seuls font exception: on, qui a con-
servé sa fonction de nominatif, et sire, qui sert seulement de
vocatif.
279. Le s flexionnel du cas sujet a été conservé dans:
1® Quelques noms de personnes : Charles (Carolus), Georges
(Georgius), Gilles (vEgidius), Jacques (Jacobus), Jules (Ju-
lius), Louis; au XVII*' siècle on trouve aussi Philippes (Phi-
lippus). La forme de ces mots a été flottante. Ménage re-
marque (Observations, p. 319): «Monsieur de Vaugelas permet
de dire Philippe & Philippes indifféremment. Mais il veut qu'on
dise toujours Charles, Jaques, Jules, & jamais Charle, Jaque,
Jule. Je ne suis pas de son avis. Je croy qu'on peut aussi
bien dire Charle, Jaque, Jule, que Philippe; et particulièrement
en vers. Baïf livre 4. de ses Passe-temps a dit Charle:
Charle est puissant, adroit, courageux, valeureux.
Et M. Maynard dans un de ses Sonnets au Cardinal Mazarin,
a dit Jule:
Jule, à qui l'avenir se montre de si loin.«
Ces formes, qui s'expliquent selon I, § 283, se retrouvent
dans les poètes modernes :
(rest celui qui n'est plus. — Charle était mon ami.
(Musset, Premières poésies, p. 248.)
— — Qui jamais mieux que Charle
Prouva son éloquence à l'heure où le bras parle?
(ib., p. 249.)
— Vraiment? répondit Jacque; eh bien, ma chère amie . . .
(Musset, Rolla.)
Le bon roi Charle est plein de douleur et d'ennui.
(V. Hugo, Aymerillot.)
Le pauvre du chemin creux chante et parle,
11 dit: Mon nom est Pierre et non pas Charle.
(P. Verlaine.)
201
Far saint Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan. (V. Hugo, Ballades, n» 12.)
En prose, on hésite entre Georges et George.
2° Les noms communs suivants:
Fils; en vfr. fi(IJz < filius, et /// [fiÀ] < filium; l'ancien
accusatif s'est conservé dans plusieurs patois et se trouve sou-
vent dans les chansons populaires sous la forme de //; »Mon
//, quand la f'ras tu mouri?« (Bujeaud, Recueil, II, 231).
Los, acclamation poussée à l'arrivée des rois ou autres
grands personnages: Los aux dames! Au roi los! (V. Hugo,
Ballades, n" 12). Le mot, qui est vieilli maintenant, vient de
laus, et non de laudes (Dict. gén.), qui aurait donné loz.
Preux (pour preus); en vfr. preuz, et au cas régime preu <
lat. pop. *prodem.
Queux (pour queus); en vfr. qiieiis, et au cas régime queii <
*cocum, altération de coquum (cf. I, § 411,»).
Vieux (pour uieus); en vfr. vieuz, et au cas régime vieil <(
veclum, altération de vetulum (cf. I, § 383, Rem.).
280. On a cru trouver des traces du s flexionnel dans plu-
sieurs noms de choses; c'est une erreur. Tous les exemples
cités, dont nous allons examiner les principaux, sont à expli-
quer autrement:
Appas est une ancienne orthographe pour appâts, pluriel de
appât; c'est par une erreur que appas a été pris pour un sin-
gulier (cf. § 365).
Fonds remonte au neutre latin f un dus -eris; le doublet
fond remonte à fundum.
Lacs pour l'ancien las, laz (de "^4 a ce uni pour laqueum)
est une mauvaise orthographe due à l'influence du verbe lacer;
au moyen âge, laz était indéclinable (cf. § 264).
Legs est un substantif verbal de laisser; on écrivait autre-
fois lais ou leis. L'orthographe vicieuse moderne est due à une
étymologie populaire (I, § 528 ss.) qui a rapporté le mot au
verbe léguer.
Lez remonte au neutre la tu s -eris.
Lis, pour Hz est un pluriel qui s'est dégagé de la locution
fleur de lis, le blason des rois de France; le vrai singulier lil
202
(I, § 354) a été remplacé de bonne heure, comme le montrent
les vers suivants: Del nés bien fait et del cler vis, Ou la rose
cuevre le lis {Cligès, v. 818).
Puits est une orthographe savante qui a remplacé l'ancien
puis, puiz, de put eu m (comp. I, § 474).
Rets, pour rais (comp. I, § 159), est originairement un plu-
riel remontant à retes; le singulier rei, roi (retem) a dis-
paru.
281. Des imparisyllabiques on a conservé les nominatifs sui-
vants:
Ancêtre (antecessor); le régime ancesseur a disparu.
Chantre (cantor); le doublet chanteur est ou l'ancien ac-
cusatif chantor (cantorem) ou l'ancien accusatif chanteor
(cantatorem) ou un dérivé du verbe chanter.
Copain (*cumpanio), altération familière de comjoam, dont
se sert encore Garnier: La femme vous serez d'un puissant
empereur, De Charles le compaing (Bradamante, v. 532). A
côté du nominatif s'est aussi conservé l'accusatif compagnon;
il y a eu différenciation du sens.
Cuistre est peut-être une altération du vfr. coustre du lat.
*custor (comp. ail. Kiister) pour custos; custode (custo-
de m) est un mot d'emprimt.
Gars (d'origine inconnue); on a aussi conservé le cas ré-
gime garçon.
Gerfaut, mauvaise orthographe pour gerfauc, plus ancienne-
ment gerfalc, composé avec l'anc. haut ail. gîr, vautour, et
falc, ancien nominatif de falcon (§ 258).
Gindre, altération du vfr. joindre ou juindre, jeune garçon,
du lat. pop. *jrinior, pour junior. Ménage remarque: »Ce
mot semble avoir été fait de gêner: les garçons des boulan-
gers, & de tels autres gens de métier, devenant souvent leurs
gendres «.
Glout (glutto), dont se sert encore La Fontaine, est l'an-
cien cas sujet de glouton.
Maire vient de major (comp. le composé vimaire, de vis
major). On trouve aussi une forme provençale maje dans
l'ancien terme juge maje (ou mage), doublet de juge maire.
L'ancien accusatif maieur se trouve encore dans Cotgrave
(1611); les doublets majeur et major sont des mots empruntés.
203
Moindre, pour mendre (I, §214, 498,2), de minor; l'ancien
accusatif menor de minorem a disparu; on n'a plus que le
mot d'emprunt mineur (I, § 162).
On < homo; le cas régime correspondant homme (ho mi-
ne m) s'est conservé, mais il y a eu différenciation de l'em-
ploi des deux mots: on ne sert plus que de pronom indéfini.
Il faut d'ailleurs remarquer que on, ayant conservé sa valeur
de nominatif, est toujours employé comme sujet de la pro-
position. Comp. le nom propre Prud'hon, autrefois preud'hom
(Myst. de St. Laurent, v. 4354).
Pâtre < vfr. pastre < pastor; l'ancien accusatif pastor
« pas tore m), qui serait maintenant pâleur, a disparu.
Peintre <( lat. pop. * pin et or pour pictor; le cas régime
peinteur a disparu.
Pire < pejor; le cas régime pieur a disparu.
Prêtre < vfr. prestre < presbyte r; le cas régime provoire
(presbyterum) ne s'est conservé que dans le nom de la
Rue des Prouvaires à Paris.
Sire < senior (I, § 520); les formes de l'accusatif seigneur
et sieur se sont aussi maintenues. Il y a eu différenciation
d'emploi.
Sœur <( vfr. suer { soror; l'accusatif seror a disparu.
Traître < vfr. traître < traditor (I, § 137,2, 275); le cas ré-
gime traïtor a disparu.
Remarque. Rappelons que rancien nominatif des mots en -ère — -eor
(§ 259) s'est conservé dans les formes féminines en -eresse; ainsi enchanteresse
est un composé de enchantere et le suffixe -esse (§ 423); en outre dans
quelques noms de personne, p. ex. Gagnières. Citons enfin trouvère qui est
un mot d'emprunt tout récent (cf. I, § 83).
CHAPITRE III.
LE SINGULIER ET LE PLURIEL.
I. SIGNES DU PLURIEL.
282. Par la disparition du cas sujet (§ 275), s devint la
lettre caractéristique du pluriel des noms masculins, comme il
l'était déjà des noms féminins (§ 249). A côté de chose —
choses, mère — mères, bonne" — bonnes, pure — pures, on a
dès le XIV siècle mur — murs, baron — barons, bon — bons,
pur — purs, fort — forts, etc.
283. A côté de s, on emploie aussi x comme signe du plu-
riel. Au moyen âge, le groupe latin ou français hs s'écrivait
par un signe abréviatif spécial, qui finit par se confondre
avec la lettre x; de là les graphies diex, chevax, etc., pour
dieus, chevaus. Peu à peu on oubliait la fonction primitive de
X ; comme on entendait un u, on le rétablissait dans l'écriture,
tout en gardant le x, d'où les graphies curieuses dieux, chevaux,
etc.; de cette manière x a fini par être considéré comme une
marque particulière du pluriel remplaçant s après u. Aux XV^
et XVI'^ siècles on écrit chevaulx, où le / vocalisé est représenté
trois fois.
Remarque. Au moyen âge, comme plus tard, on a parfois substitué x à
s, comme signe du pluriel, après d'autres voj'elles que u, et l'incertitude dure
jusqu'à l'époque classique. Racine écrit encore loix (Andromaque, v. 116).
284. La langue moderne emploie .r comme signe du pluriel
dans les terminaisons -aux, -eaux, -eux, -oux.
P Aux, pluriel des mots en -al, -au, -ail. Exemples: cheval
— . chevaux; tuyau — tuyaux; travail — travaux, etc. Un seul
205
mot fait exception, le mot d'emprunt moderne /anc/aw. (ail.
Landau, le nom de la ville où ces voitures ont d'abord été
fabriquées), dont le pluriel est landaus.
2° Eaux, pluriel des mots en -eau. Exemples: Chapeau —
chapeaux, manteau — manteaux, beau — beaux, etc. Cette
règle ne souffre pas d'exception.
3*^ Eux, pluriel des mots en -eu. Exemples: Cheveu — che-
veux, feu (focum) — feux, lieu — lieux, neveu — neveux,
pieu — pieux, vœu — vœux, etc. Font exception alleu — al-
leus, bleu — bleus, feu (de *fatutum; I, § 276) — feus, et le
mot tout moderne pneu — pneus.
4^ Oux, pluriel des mots suivants en ou: Bijou — bijoux,
caillou — cailloux, chou — choux, genou — genoux, hibou —
hiboux, joufou — joujoux, pou — poux. Les autres noms en
-ou prennent s: sou — sous, trou — trous, chou — chous, clou —
clous, fou — fous, etc.; les zoologistes commencent aussi à
écrire hibous pour hiboux.
285. Autrefois z s'employait, en certains cas, au lieu de s.
Au moyen âge, .z, qui était une affriquée sourde (I, § 307, 3),
se trouvait souvent à la fin des mots, comme nous avons vu
au § 268; on disait, bontez, citez, amez, sentiz, forz, deuz, filz,
anz, jorz, etc. Au XI IF siècle, l'affriquée se réduisit à un s
simple (comp. I, § 384), et forz [forts] devint [fors], mais on
continuait à écrire forz. Z se maintint dans l'orthographe
après la disparition de la déclinaison et parvint ainsi à de-
venir, comme s, un signe du pluriel. On écrivait au XVI*^ siècle
dentz, fûz, anz, poingz, escriz, etc., mais il n'y avait pas de
règle fixe, et on hésitait beaucoup entre s et z. L'emploi de
z n'était constant que dans les mots qui se terminaient par
un é fermé: bonté — bontez, cité — citez, dignité _ — dignitez,
etc. Robert Estienne dit expressément dans son Traité de la
Grammaire françoyse (1557): »A tous ceulx [à tous les noms]
desquels l'e final se prononce à bouche ouverte au singulier,
de tout temps on adjouste un z au lieu de s pour faire le plu-
rier, comme: lettré lettrez ; aimé aimez^. Bonaventure Des Pé-
riers a donné la même règle en vers:
Vous avez toujours s à mettre
A la fin de chaque plurier . . .
Et quant e y ha son entier
206
Bonté vous guide à ses bontez;
Si vous suivez autre sentier
Vos bonnes notes mal notez.
E. Dolet (1542) avait protesté contre cet emploi de z; il
proposait d'écrire dignités, voluptés, etc., en réservant la lettre
z pour la terminaison de la seconde personne du pluriel des
verbes. Mais z se maintient jusque dans le XVIIP siècle.
II. FORMES PARTICULIERES.
286. Nous avons indiqué ci-dessus (§ 265 ss.) les altérations
phonétiques provoquées par l'addition du s flexronnel: selon
les cas, la consonne précédente pouvait s'amuïr ou se vocali-
ser, et le s final pouvait se changer en z; grâce à ces phéno-
mènes, l'ancienne déclinaison présentait une grande variété de
formes. Il s'agit maintenant d'examiner jusqu'à quel point les
changements causés en ancien français par le s de la flexion
se sont conservés.
287. Amuïssement de la consonne. Au moyen âge, p, f, c,
et en certains cas / (voir § 266) disparaissaient devant le s
flexionnel. Ce phénomène n'existe presque plus. On ne saurait
guère citer d'exemples que bœuf — bœufs, œuf — œufs, nerf —
nerfs. Il est vrai que l'orthographe a refait le pluriel de ces
mots sur le singulier, mais leur prononciation [bo], [o], [n£:r]
remonte directement aux formes médiévales bues, ues, ners.
Rappelons pourtant que l'influence du singulier commence
aussi à se faire sentir dans la prononciation; il y en a de nos
jours qui disent [bôf], [ôf], [nerf] au pluriel.
288. L'analogie a généralement détruit l'ancien système de
formes doubles. On n'a pas conservé duc — dus, baillif —
baillis, etc.; il y a eu aplanissement. Ou la consonne finale du
singulier a été introduite au pluriel: ducs pour dus, à cause
de duc; ou la consonne finale du singulier a disparu sous l'in-
fluence du pluriel: bailli pour baillif, à cause de baillis. Voici
maintenant quelques détails:
(Singulier)
chef
vif
grec
sec
nul
(Pluriel)
ches
vis
grès
ses
nus
(Singulier)
chef
vif
grec
sec
nul
(Pluriel)
chefs
vifs
grecs
secs
nuls
207
P Le plus souvent, la consonne finale du singulier a été
généralisée. Ainsi au lieu de:
on dit:
Autres exemples de ces pluriels analogiques: chétifs, nefs,
brefs, neufs, arcs, ducs, neufs, sacs, etc.
2^ Dans d'autres cas, la consonne finale du singulier s'a-
muït sous l'action du pluriel. Ainsi au lieu de:
(Singulier) apprentif baillif jolif tref
(Pluriel) apprentis baillis jolis très
on dit (comp. § 408, Cas isolés) :
(Singulier) apprenti bailli joli tré
(Pluriel) apprentis baillis jolis très
Ordinairement la consonne amuïe est maintenue dans l'ortho-
graphe: clef, drap, coup, blanc, clerc, petit, etc. Pour d'autres
détails, voir I, § 314, i, Rem.
Remarque 1. Une trace purement graphique de l'ancien usage s'est main-
tenue dans tout et gent, dont le pluriel tous et gens remonte directement au
moyen âge. Pourquoi ces formes n'ont- elles pas été refaites comme tant
d'autres (comp. bout — bouts, dent — dents, etc.)? La conservation de l'ortho-
graphe tous s'explique peut-être par la prononciation qui laissait souvent
sensible la consonne finale (remarquez qu'on écrit touts [tu] quand il s'agit
d'entités). Pour gens, il faut remarquer que le singulier, étant à peu près
hors d'usage, n'a pas pu influencer le pluriel.
Remarque 2. Plusieurs grammairiens ont admis que les noms terminés par
-ant ou -ent pouvaient perdre le t au pluriel. Dès 1705, Régnier Desmarais
blâmait cette suppression du t comme «effaçant peu à peu les traces de l'ori-
gine des noms«. et l'Académie ne l'a jamais reconnue. Elle existe pourtant
encore de nos jours; par un caprice curieux d'archaïsme la Revue des Deux
Mondes continue à écrire enfans, diamans, présens, prudens, 'etc.
289. Vocalisation de la consonne. Au moyen âge, la laté-
rale se vocalisait devant le s de flexion comme devant toute
autre consonne. Pour les mots dont le radical se terminait en
208
[1] ou [jCj, on devrait donc avoir en français moderne les
formes suivantes:
(Singulier) -al, -ail -el, -eil -el -eiil, -euil -ol, -oiiil
(Pluriel) -aux -eux -eaux -eux -oux.
Cependant, ce système de formes doubles n'existe plus dans
son entier; on n'en a conservé que des traces isolées. Dans la
plupart des cas, l'analogie a reformé le pluriel sur le singulier
ou le singulier sur le pluriel ; de cette manière, l'ancienne ri-
chesse des formes a été notablement restreinte.
290. Avant d'aborder l'étude détaillée des différentes termi-
naisons, nous allons tracer les grandes lignes du développe-
ment qu'elles ont subi depuis le XIV*^ siècle jusqu'à nos jours:
P L'état primitif se retrouve dans la plupart des mots en
-al: cheval — chevaux, royal — royaux, etc.; dans quelques
mots en -ail: travail — travaux, bail — baux, etc.; dans ciel
— deux, aïeul — aïeux, œil — yeux. Comp. aussi bel — beaux,
nouvel — nouveaux, fol — fous, mol — mous.
2° Le singulier l'a régulièrement emporté dans les mots en
-el (lat. -a le m), -eil, -eul, euil, et sporadiquement dans quelques
mots (surtout d'adoption postérieure) en -al et en -ail. Au
lieu de:
(Singulier) tel conseil
(Pluriel) teus consens
on dit:
filleul seuil bal gouvernail
filleus sens baus gouvernaux
(Singulier) tel conseil filleul seuil bal gouvernail
(Pluriel) tels conseils filleuls seuils bals gouvernails.
3° Le pluriel l'a emporté dans les mots qui originairement
se terminaient en -él (-illum), -èl (-ellum), -ol, -ouil. Ainsi,
au lieu de:
on dit:
(Singulier)
(Pluriel)
(Singulier)
(Pluriel)
chevel
cheveiis
cheveu
cheveux
drapel sol
drapeaus sous
drapeau sou
drapeaux sous
genouil
gênons
genou
genoux.
209
4^ Parfois la forme primitive se conserve à côté de la forme
analogique; dans ce cas, chacune des formes reçoit sa fonc-
tion spéciale. Citons comme exemples de ces doublets, pour le
singulier: col — cou, fol — fou, bel — beau, et pour le pluriel:
deux — ciels, aïeux — aïeuls, aulx — ails.
5" Parfois une double action analogique crée une nouvelle
forme et pour le singulier et pour le pluriel du même mot.
De cette manière, au lieu d'un mot à deux formes différentes,
on a deux mots nouveaux dont le pluriel correspond exacte-
ment au singulier. Ainsi, au lieu de col — cous et appel — ap-
peaux, on a col — cols, cou — cous et appel — appels, appeau
— appeaux.
î) Mots en -al.
291. Les mots en -al font généralement au pluriel -aux:
cheval — chevaux, brutal — brutaux. Pourtant, les formations
analogiques ne font pas défaut:
P Le pluriel a été refait sur le singulier, d'où une nouvelle
forme en -aïs, qui s'emploie surtout dans les mots d'emprunt:
narval — narvals.
2^ Le singulier a été refait sur le pluriel, d'où une nouvelle
forme en -au: animau — animaux (§ 299); cette forme n'existe
de nos jours que dans les patois.
292. AL — AUX. Le pluriel en -aux s'emploie:
1° Dans presque tous les anciens mots populaires ou savants
qui remontent au moyen âge: cheval — chevaux, égal — égaux,
journal — journaux, loyal — loyaux, mal — maux, royal —
royaux, val — vaux. Sur les exceptions, voir § 293, i.
2^ Dans la plupart des mots d'emprunt adoptés après le
moyen âge: arsenal — arsenaux, brutal — brutaux, clérical — clé-
ricaux, épiscopal — épiscopaux, génital — génitaux, idéal — idéaux,
madrigal — madrigaux, minéral — minéraux, santal — santaux,
virginal — virginaux, etc. Sur les exceptions, voir § 293, 2, 3.
Remarque. Les mots bestiaux, champeaux, matériaux et universaux sont
inusités au singulier. Bestiaux est le pluriel de bestial, disparu de la langue
littéraire, mais conservé dans les patois; en Normandie on dit le bestial pour
l'ensemble des bestiaux. Champeaux est le pluriel de l'ancien adj. champal;
on disait autrefois prés champaux, puis par abréviation champaux, écrit
14
210
champeaux sous l'influence de champeau (petit champ). Matériaux et iini-
versaiix remontent aux anciennes formes matérial et iiniversal, disiiarues
devant les doublets matériel et universel. Comp. I, § 173, 3
293. AL — ALS. Le pluriel en -als s'emploie:
P Dans quelques mots isolés qui remontent au delà du
XV« siècle:
Bal— bals. La forme régulière serait baux; on la trouve au
moyen âge: Danses, baus et caroles veïssiez comencier {Berte
ans grans pies, \. 302). Le pluriel refait bals se trouve dès le
XVI*' siècle; mais l'ancienne forme ne disparaît pas. En 1672,
Ménage remarque: »I1 faut dire il y a eu cette nuit cinq ft«/s«,
et il ajoute en 1675: »non pas .... cinq baux comme disent
les Normands « {Observations, p. 350).
Banal (dér. de ban) — banals. Employé au figuré, cet ad-
jectif est selon le Dictionnaire général inusité au pluriel. Cette
assertion est inexacte. Banals se trouve souvent dans les au-
teurs modernes: Beaucoup de jeunes filles nous arrivent ....
ayant reflété d'horribles et surtout de banals inconnus (J. Bois,
Une nouvelle douleur. Paris, 1900. P. 71). On dit de même des
visiteurs banals, des renseignements banals. Comme terme de
féodalité, banal a conservé l'ancien pluriel banaux dans les
deux expressions: des fours banaux, des moulins banaux. '
Cal (callus) — cals. Le plus ancien exemple que citent
Littré et le Dictionnaire général est de Paré (XVI*' siècle); j'ai
trouvé le mot dans la traduction française de la Chirurgie de
Maître Henri de Mondeville, qui remonte à 1314: Les leivres
de la pointure sont endurcies si comme cal (§ 1718); on trouve
la forme chai au § 1242.
Pal (emprunté du lat. palus) — pals. Au XV*' siècle on
trouve paux. Nicot, dans son Dictionnaire de 1584, donne
pauls ou pals. Cette dernière forme est restée comme terme de
blason.
Val — vais. Ce pluriel nouveau n'est en usage que chez les
ingénieurs qui parlent des vais supérieurs des fleuves, des vais
de la Loire, etc. (voir Littré). Dans tous les autres emplois du
mot, on se sert de l'ancien pluriel vaux.
2" Dans un petit nombre de mots étrangers:
Caracal (esp. caracal) — caracals; date du XVIII*' siècle.
Carnaval (ital. carne v aie) — carnavals; date du XVF
siècle.
211
Chacal (turc tchakâl) — chacals; date du XVIII*' siècle.
Narval (ail. Narwall) — narvals; date du XVII'' siècle.
Nopal (esp. nopal) — nopals; date du XVP siècle.
Régal (ital. régal o) — régals; date du XV^ siècle.
Serval (port, ce r val) — servals; date du XVIII^ siècle.
30 Dans quelques mots de formation récente:
Aval (peut-être abréviation de à valoir) — avals.
Bancal (dérivé récent de banc) — bancals. Le Dictionnaire
(le l'Académie de 1762 ne donne que le féminin bancale. Littré
remarque: » Depuis, cet adjectif est devenu des deux genres;
mais, comme bancal n'avait été usité qu'au féminin, le mascu-
lin pluriel bancaux ne s'était pas présenté: aujourd'hui l'usage
a admis de dire des bancals«.
Cantal (fromage du département du Cantal) — cantals.
Choral (dérivé de chorus) — chorals.
Tribal (dérivé de tribu) — tribals.
4" Dans tous les noms propres : des Hannibals, des Juvénals,
des Martials, les monts Ourals, les Gais.
294. Pour les mots d'emprunt, adoptés après le moyen âge,
il faut remarquer que dans beaucoup de cas on a commencé
par leur attribuer un pluriel régulier en -als. On trouve ainsi,
surtout ai^^VP siècle : bocals, fanais, madrigals, piédestals, réals.
Mais, petit à petit, l'influence des mots en -al, -aux se fait
sentir, et l'on commence à dire bocal — bocaux sur le modèle
de cheval — chevaux. L'hésitation qu'il y a eu un certain temps
entre -als et -aux, a aussi gagné plusieurs mots remontant au
moyen âge; c'est ainsi qu'on trouve bals, canals, cristals, pals,
locals, pour baux, canaux, cristaux, paux, locaux. De ces formes
refaites, la langue moderne a conservé bals et pals.
295. Voici quelques remarques de détail sur un certain
nombre de mots d'emprunt qui ont hésité entre -als et -aux,
et dans lesquels -aux a fini par l'emporter:
Arsenal (emprunté de l'ital. arsenale). Duez (1639) donne
arsenals et arsenaux, mais son opinion n'a pas beaucoup d'au-
torité; les autres grammairiens ne connaissent que arsenaux,
et on trouve déjà dans Amyot arceneaux (voir Littré).
Bocal (emprunté de l'ital. boccale). Les grammairiens du
XVII<' siècle donnent bocals, remplacé plus tard par bocaux.
14*
212
Canal (emprunté du lat. canalis). Au moyen âge on trouve
canaux {Dial. de Grégoire, p. p. W. Fôrster, p. 11). Au XVI^ siècle
Rabelais écrit: Le coulement et laps de la fontaine estoyt par
troys tubules et canalz (V, chap. 42). La même forme est in-
diquée par Pillot (1550) et Gauchie (1570), mais Lanoue (1596)
observe que »le pluriel se termine plus coustumièrement en
-aus«. Après 1600, on ne trouve que canaux.
Cristal. Le pluriel régulier cristaux se trouve dès le XI^ siècle ;
au temps de la Renaissance, B. Palissy a créé cristals (voir
Littré), mais il n'a pas trouvé d'imitateurs. Ménage observe
expressément: »On dit des cristaux, et non pas des cristals«
(p. 351).
Fanal (emprunté de l'ital. fan aie). Duez est seul à donner
fanais; l'Académie (1694) ne connaît que fanaux.
Général (emprunté du lat. gênera lis). Le pluriel ordinaire
est généraux; on trouve quelquefois au XIV'' siècle générais:
Toutevoies la cure raisonable .... de la quele sont données,
outre les choses generalz devant dites 4 ruilles generaulz (La
Chirurgie de maître Henri de Mondeville, § 1800).
Local (emprunté du lat. localis). Au moyen âge on hésite
entre locaus et locals. Dans la traduction de la Chirurgie de
Henri de Mondeville (1314) on trouve les choses locaux (§ 1324)
et Moût sont de locaux, c. à d. médicaments topiques (§ 1955),
mais le traducteur de La pratique de Maistre Bernard de Gor-
don écrit: Venons aux remèdes locals (II, 5). En 1783, de
Wailly indique le pluriel locals; aujourd'hui on ne connaît que
locaux.
Madrigal (emprunté de l'italien madrigale). Le pluriel pri-
mitif madrigals (on avait aussi un doublet féminin madrigales)
a été remplacé au XVIP siècle par madrigaux. Ménage re-
marque: » Ronsard a dit madrigals (Sonnets et madrigals pour
Astrée) . . . En quoi il a été suivi par M. de Balzac: qui est
une chose étonnante; car il est indubitable qu'il faut dire
madrigaux. i< Bouhours (Doutes sur la langue française, p. 126)
est du même avis : » Je croy qu'il faut dire madrigaux et non
pas madrigals comme a dit M. Balzac«.
Piédestal (emprunté de l'ital. pied est allô). On trouve au
XV® siècle piez-d' estrailz [sic], et, au XVI*', piedestalz ou piede-
stals. Au grand siècle les opinions sont partagées entre piede-
stals et piédestaux, mais Ménage observe que piédestaux est le
213
plus usité. Th. Corneille ajoute: «Il me semble qu'on ne dit
plus présentement que piédestaux^.
Poitral (voir § 305). Ménage remarque qu'on dit des paîtrais,
et non pas des poitraux. Cette observation étonne ; la forme poi-
irals ne se trouve dans aucun autre auteur.
Real (emprunté de l'esp. real). Cauchie donne au pluriel
réaus et réals. Th. Corneille ne connaît que réaux, et c'est
cette forme qui l'a emporté.
Signal (du lat. pop. signale). Duez est seul à donner si-
gnais; c'est probablement une faute.
Val (lat. va lie m). Duez est seul à donner vais; c'est pro-
bablement une faute.
Vassal. Lanoue (1596) donne vassals, mais il ajoute que le
pluriel termine »plus coustumièrement en aus». Deimier (1610)
proteste. On ne dict point vassals«.
296. Selon l'Académie, un certain nombre d'adjectifs en -al
sont inusités au pluriel masculin. Exemples : bramai, diagonal,
fatal, final, frugal, glacial, matinal, natal, naval, partial, pascal,
pénal, théâtral, etc., etc. Cette prescription est, pour beaucoup
de ces mots, plutôt théorique; Littré recommande de dire fru-
gaux, glaciaux, matinaux, nataux, pénaux.
297. Voici quelques remarques de détail sur le pluriel de
certains adjectifs en -al:
Fatal. On disait au XVF siècle fataux (voir les exemples de
Littré). Au XYII^ siècle, Chifflet (1659) et De la Touche (1696)
donnent fatals; cette forme, employée par Ducis et Lemercier,
a été adoptée par l'Académie, qui l'inscrit, tout en ajoutant
qu'elle est peu usitée. Dans le Mercure galant, Boursault s'est
moqué de l'incertitude des grammairiens sur le pluriel de fa-
tal, en faisant dire au soldat La Rissole: »Ces bras te devien-
dront ou fatals ou fataux«. Et Voltaire écrit à sa suite: » S'ils
n'insèrent pas dans l'ouvrage les cartons nécessaires, je deman-
derai net la saisie des exemplaires fataux ou fatals« (Lettre
à d'Argental, 9 avril 1763).
Final. Selon Littré et Marty-Laveaux, ce mot fait finals au
pluriel masculin: des sons finals. Le Dictionnaire général admet
des accords finals ou finaux, tout en ajoutant que cette der-
nière forme est rare.
214
Glacial. Bailly, l'astronome, écrit des vents glacials; Littré
observe que le pluriel glaciaux n'a rien autre de choquant que
de n'être pas employé. On préfère ne pas se servir du pluriel
masculin.
Nasal. Littré remarque: »Des grammairiens veulent qu'on
dise des sons nasals; mais l'usage admet le pluriel en -aux«.
Marty-Laveaux et l'Académie donnent le pluriel os nasaux.
M. Johan Storm, demandant une fois à un Français s'il disait
sons nasaux ou sons nasals, eut pour réponse: »Je ne le dis
pas«. A cette occasion, M. Paul Passy lui a adressé l'observa-
tion suivante: » Votre anecdote sur les sons nasals ou nasaux
est très amusante et tout à fait to the point: je n'ai jamais en-
tendu dire ni l'un ni l'autre; je ne sais pas si le pluriel existe;
s'il fallait l'employer, je dirais nasals, à cause des naseaux
d'un cheval, aussi parce que la tendance est de régulariser les
pluriels; mais je ne sais pas si j'aurais raison«. C'était en
1888; de nos jours, on dit couramment sons nasaux.
Natal. L'Académie dit qu'il n'a point de pluriel masculin.
Cependant Littré observe que Trévoux parle de jeux nataux
que l'on célébrait au jour natal de certains personnages, et il
demande: » Pourquoi ne le reprendrait-on pas ?« Marty-Laveaux
est d'une autre opinion ; sans renvoyer à Trévoux, il remarque
que les jeux en question s'appellent jeux natals.
Naval. Les grammairiens du XVI I^ siècle ne reconnaissent
ni navals ni navaux. Ménage remarque: »0n ne dit ny navals
ny navaux. Que si on estoit obligé de se servir nécessairement
de l'un ou l'autre de ces mots, il faudroit plustost dire navals
. . . Car qui a jamais dit des combats navaiix? Combats navals
n'est guère meilleur. Il faudroit donc éviter ces mots, en di-
sant combats de mêr, combats maritimes. « Th. Corneille est du
même avis. Cependant M'"^ de Sévigné n'a pas hésité à écrire
combats navaux (Lettre du 7 sept. 1689). De nos jours, naval
n'a point de pluriel masculin, selon l'Académie; mais plusieurs
grammairiens pensent qu'on pourrait bien dire des combats
navals, et on dit bien certainement des attachés navals.
Pascal. Les grammairiens recommandent de dire des cierges
pascals, et l'Académie observe que pascaux est inusité. C'est
pourtant la forme du XVI^ siècle, et Littré la préfère à
pascals.
215
298. Les exemples cités Uux §§ 293 et 297 montrent que la
force assimilatrice des terminaisons -al, -aux était plus grande
au XVP siècle qu'elle n'est maintenant. Presque tous les mots
d'emprunt datant de la Renaissance ont subi l'analogie des
pluriels en -aux: arsenaux, madrigaux, etc., tandis que ceux
qui ne remontent qu'au XVI I^ ou au XVIIP siècle font au pluriel
-als: chacals, narvals, etc. Nous avons également vu que -als
s'emploie dans les mots de formation récente (avals), et qu'il
s'introduit même dans les anciens mots populaires (vais, ba-
nals, à côté de vaux, banaux). 11 est donc indubitable qu'il
existe dans la langue moderne littéraire une tendance à géné-
raliser la forme du singulier des mots en -al. Cette tendance
est encore plus prononcée dans la langue vulgaire de Paris,
comme le montre le texte suivant:
Tous les matins j'en jette un coup
Dans les' journal.
(A. Bruant, Dans la rue, p. 188).
299. AU — AUX. Les formes en -au pour -al (§ 291, 2) remontent
au moyen âge: Et en chascune chartre avoit le sceau et le
seigneau [sic] dou rei (Assises de Jérusalem, I, 26). Rappelons
aussi l'ancien proverbe: A mau chat, mau rat. Pourtant, elles
sont d'un emploi assez rare. Elles apparaissent aussi au XVl^
siècle. En voici quelques exemples. Bonaventure Despériers
emploie animau: Prenez bien tant de loysir de vouloir escou-
ter la cause d'ung povre animau que je suis (Cymbalum mundi,
chap. III). Dans le grand prosateur Amyot on trouve pau: Il
feit commandement aux Syracusains que chacun eust à coupper
un pau (Dion, 60). Encore dans le Moyen de parvenir (1612),
Beroald de Verville fait dire à Badius (chap. 30) : Votre chevau
baille. Il convient d'ajouter que son interlocuteur, Budée, re-
Jève cette forme en riant. Les formes en -au étaient sans doute
regardées comme des barbarismes ou, au moins, comme des
formes vulgaires qu'il ne fallait pas employer. Telle était en
tout cas l'opinion de Henri Estienne. Dans ses Deux dialogues
du langage français italianizé (1578), Celtophile demande à Phi-
losaune si les courtisans commettent »ces fautes lourdes et
grossières que commettent les plus rustaux, comme de dire
une flabe, un chevau, un vieux hommes (éd. Ristelhuber, I, 208).
Philosaune lui répond: »Quand est de ce mot chevau, je n'ay
21(5
pas souvenance de leur avoir ouy dire«. Au grand siècle, les
lexicographes ne citent que deux mots en -au: journau et
guindeau [sic], pour guindau, doublet de giiindal Ce sont tous
les deux des termes techniques empruntés aux patois. En
1606, Nicot remarque dans son Thrésor delà langue françoyse:
»Le Languedoc dit iournal ou iournau pour une iournée d'homme
des champs*. L'Académie enregistre dans son DzWzon/?rti>e (1694)
les deux mêmes formes, en ajoutant: »Ce mot n'est en usage
qu'en quelques provinces*. Gui/îc/ea/z s'est conservé jusqu'à nos
jours (à côté de guindal et guindas). La langue moderne con-
naît aussi un autre singulier refait: bois marmentau (pour
marmental), écrit abusivement marmenteau, et tiré du pluriel
bois marmentaux, terme technique dialectal.
Remarque. Étau n'est pas, comme on l'a cru, un doublet de étal. Étau
devrait s'écrire étoc; la mauvaise orthographe est due à une confusion entre
étocs, dont le c ne se prononçait pas, et étaux, pluriel de étal (vfr. estai
< aha. stal). Étau devient ainsi un doublet de estoc (emprunté du germ.
stock).
300. Les formes en -au, bannies de la langue littéraire dès
le XVIP siècle, ont trouvé un refuge dans les patois où elles
sont très répandues. Dans la vie usuelle les paysans disent
fréquemment: » Voici \otre journau« pour » voici votre journal«.
Rappelons aussi une remarque de Mignard: »Nos pa3'sans ne
disent jamais autrement qu'un chevau au lieu de dire un cheval.
C'est un des exemples les plus singuliers de l'emploi ou con-
fusion du pluriel pour le singulier* (Histoire de l'idiome bour-
guignon). Il en est de même en Beny, en Saintonge, en Pi-
cardie, et en plusieurs autres provinces. Les formes en -au
reviennent souvent dans les chants populaires ; en voici quelques
exemples:
C'est bien le cœur de ma mie.
C'est pas le cœur d'un animau. *
(Romania, X. 196.)
J'engagerai mon blanc manteau
Et la bride de mon chevau. (ib.)
Plus froid que la glace, doux comme un agneau.
Jamais de la vie n'a}' vu son égau. (ib.)
L'plus beau clievau vient de mourir.
(Rolland, Recueil, III, 38.)
217
2) Mots en -ail.
301. Le pluriel primitif des mois en -a/7 est -aux: Bail —
baux, corail — coraux, émail — émaux, fermail — fermaux, sou-
pirail — soupiraux, travail — travaux, vantail — vantaux, ventail
— ventaux, vitrail ^ vitraux. A côté de ces mots, qui repré-
sentent l'état primitif, on trouve aussi des formes analogiques:
1° La reformation du pluriel sur le singulier amène un nou-
veau pluriel en -ails: épouvantait — épouvantails, autrefois epozi-
vantaux (voir § 302).
2° La reformation du singulier sur le pluriel, qui arnènerait
un nouveau singulier en -au, paraît se produire rarement.
Peut-être en avons-nous un exemple dans plumeau, qui pour-
rait être une mauvaise graphie pour plumau, tiré de plumaux,
ancien pluriel de plumait; pourtant c'est très douteux.
302. AIL — AUX. Le pluriel en -aux s'emploie ou s'employait
dans les mots suivants:
Ail (allium) — aulx (sur l'orthographe, voir I, § 97): ce
pluriel est peu usité, on dit plus souvent des gousses d'ail ou
des têtes d'ail que des aulx. Les naturalistes ont formé le plu-
riel analogique ails, dont l'emploi est maintenant général.
Bail (subst. verbal de bailler) — baux. On dit de même
sous-bail — sous-baux.
Corail (voir § 305, i) — coraux. Ambroise Paré dit alterna-
tivement coraux et corails (voir les exemples de Littré). Au
XVP siècle, les grammairiens recommandent de ne pas se
servir de coraux. En 1718, l'Académie décrète: » Corail fait au
pluriel coraux «.
Email (germ. s malt) — émaux. Dans ce mot, -ail n'est pas
primitif, il est le résultat d'une analogie proportionelle : comme
travail existait à côté de travauz, on a formé esmail à côté de
esmauz; la forme régulière à l'ace, sing. et au nom. plur. au-
rait été esmalt, esmaut, émaut; on trouve esmal (Narbonnais,
V. 3378).
Epouvantait (dér. de épouvante) — épouvantaux. Voici un
exemple de ce vieux pluriel : Ils dévoient avoir pour filtre
espouvantaux des hostes et jouets de nos ennemis (D'Aubigné,
Histoire universelle). Après le XVP siècle, Je pluriel primitif a
été remplacé par épouvantails.
218
Eventail (dér. de éventer) — éventaux. Ce pluriel s'employait
au XVP siècle : De beauls petits enfans avec des esventaux en
leurs mains (Amyot). Au siècle suivant, Ménage observe qu'on
dit des éventails, et non pas des éventaux.
Fermait (dér. de fermer) — fermaux.
Frontail (altération de frontal) — frontaux. On n'a pas formé
de pluriel en -ails; on se sert de -aux par confusion avec le
pluriel régulier de frontal, et surtout par déférence pour fron-
teau, bien plus usité.
Gouvernail (gubernaculum). L'ancien pluriel était gouver-
naux, mais Lanoue (1596) remarque que le mot »est toutefois
plus vzité avec le régulier az7s«. Au siècle suivant, Th. Corneille
observe: »I1 y en a qui disent gouvernaux. Le plus grand
nombre est pour gouvernails^. Les grammairiens suivants ne
donnent que cette dernière forme.
Plumail (dér. de plume) — plumaux, remplacé, probablement
au XVIP siècle, par plumails. Quoique le mot ne soit guère
employé dans la langue actuelle, où il a été- remplacé par
plumeau (voir sur ce mot ci-dessus), presque toutes les gram-
maires pratiques faites à l'étranger le citent et lui attribuent,
par-dessus le marché, l'ancien pluriel plumaux.
Poitrail. On disait avant le XVI I« siècle régulièrement poitral
(voir § 305) et au pluriel poitraux (cf. § 295). Le nouveau sin-
gulier poitrail a provoqué le pluriel poitrails.
Portail. On disait avant le XVIP siècle régulièrement portai
et au pluriel portaux. Pour le nouveau singulier portail on a
créé le pluriel portails (§ 303), mais du temps de Ménage
portaux était plus employé. La Fontaine s'en est servi:
Par ce point-là je n'entends, qnant à moy,
Tours ny portaux, mais gentilles galoises.
{Les Rémois, v. 6).
En 1740, l'Académie cite porteaux (sic!), tout en ajoutant
que cette forme n'est plus en usage.
Soupirail — soupiraux.
Travail (blat. trepalium) — travaux. L'Académie et Littré
signalent deux emplois du pluriel travails: machine à ferrer
les chevaux et rapport d'un ministre au roi, mais A. Darmes-
teter observe que l'usage actuel contredit cette règle.
219
Trémail ou tramail (tri m a eu lu m) — trémaux (tramaux),
remplacé maintenant par trémails (tramails).
Vantail (même mot que ventait) — vantaux.
Ventait (dér. de vent) — veniaux.
Ventrail (dér. de ventre) — ventraux. Exemples: Le cuer a
2 ventraux (Chirurgie de Mondeville, § 315), Au milieu de la
partie desous est une concavité qui est apelee le 3, ventrail
(ib., § 316). Le mot est inusité depuis longtemps.
Vitrail (dér. de vitre) — vitraux.
Remarque. Apparaux remonte à une ancienne forme dialectale apparail,
pour appareil (comp. I, § 207, 3, Rem.).
303. AIL — AILS. Le pluriel en -ails s'emploie actuellement:
1*^ Dans un petit nombre de mots anciens: ails, épouvantails,
éventails, gouvernails, plumails, poitrails, portails (voir § 302).
2^ Dans les mots d'emprunt:
Aiguail (emprunté de quelque dialecte) — aiguails.
Burail (ital. buratto) — burails.
Camail (prov. capmalh) — camails.
Bail (d'origine incertaine) — dails; on avait aussi autrefois
daille — dailles.
Rail (angl. rail) — rails.
Sérail (turc serai) — sérails.
3** Dans les mots de formation récente :
Attirail (dérivé de attirer) — attirails.
Détail (subst. verbal de détailler) n'avait pas de pluriel dans
la vieille langue; au XVII^ siècle on a créé la forme ana-
logique détails.
Encornait (composé avec en et corne) — encornails.
Remarque. Bercail (forme normanno-picarde qui remplace la vraie forme
française bergeail) n'a pas de pluriel; il en est de même de bétail, mais pour
ce mot on se sert de bestiaux, pluriel de bestial (§ 292, Rem.).
304. Les exemples cités aux §§ 302 et 303 montrent que la
force assimilatrice des mots en -ail, -aux a été nulle. La ter-
minaison -aux a disparu de plusieurs mots remontant au
moyen âge, et elle n'a jamais été appliquée aux mots d'em-
prunt. Elle perd aussi du terrain dans la langue vulgaire ac-
tuelle; dans l'argot de Paris on dit travails pour travaux:
220
Moi CCS travails-\a, ça m'épate
(A. Bruant, Dans la rue, p. 189).
Moi j'dis qu'on f rait mieux d'inventer
Des travails dont qu'personne n'crève.
(Id., ib.)
3) Échange entre -al et -ail.
305. A cause de la concordance du pluriel des mots en -ail
avec celui des mots en -al, il y a eu parfois confusion au
singulier, ainsi que -al a été remplacé par -ail, et vice-versa.
En voici quelques exemples:
P AL remplacé par AIL. Cette substitution se rencontre sou-
vent; cependant, elle n'est devenue définitive que dans trois
mots: corail, poitrail, portail.
Canal (emprunté du lat. canalis). On trouve canail dans
une chanson du XVP siècle: Mais le canail leur est osté (p.p.
É. Picot, dans la Revue d'histoire littéraire, VI [1899], p. 236).
C'est le seul exemple qui me soit connu.
Coral (emprunté du lat. corallium) est la forme ordinaire
au moyen âge; cependant, corail existe déjà au XI V*' siècle.
Au XVII'' siècle, les deux formes se contre-balancent. Ménage
(1672) remarque: »11 faut prononcer coral et non pas coraih<.
Th. Corneille (1687) est de l'avis opposé: »Je crois que corail
... est plus usité que corah. Coral se trouve encore dans la
première édition du Dictionnaire de l'Académie (1694); mais
dans celle de 1718, corail seul est cité.
Corporal (emprunté du latin ecclés. cor p orale); la forme
corporail, citée par R. Estienne et Oudin, a vite disparu.
Cristal (emprunté du lat. cristallus); au XVIP siècle on a
eu la forme collatérale cristail; mais les grammairiens recom-
mandent de l'éviter. Th. Corneille (1687) remarque: »Je ne
voudrois jamais dire cristail^.
Etal (aha. stal); Tabourot dit restait d'une boutique «, et
Monet (1635) hésite entre était et étal. Les grammairiens sui-
vants ne connaissent que la dernière forme.
Fil d'archal (oricalchum); Tabourot donne aussi fddarchail,
mais ses indications ne sont pas toujours très exactes.
Frontal (dérivé de front); la forme frontail apparaît au XVF
siècle et se maintient jusqu'à nos jours; on dit aussi fronteau,
qui dérive de frontel (§ 311), ancien doublet de frontal.
221
Giiindal (altération de giiindas); au XVP siècle, on disait
aussi giiindail ; sur guindeaii, voir § 299.
Hôpital (emprunté de hospitalem); dans le Saint Voyage
du Seigneur d'Anglure (p. p. F. Bonnardot et A. Longnon) on
trouve ospitail (§ 51).
Métal (emprunté du lat. m étal lu m): le doublet métail se
trouve dès le moyen âge. En 1718, l'Académie remarque: »on
prononce plus ordinairement métail«, et en 1740, elle donne
indistinctement métal et métail; dans les éditions suivantes,
métail est supprimé. Pourtant, la forme persiste toujours, et
on arrive même à lui attribuer une signification particulière.
Dans un erratum du tome II de la Légende du beau Pécopin,
Victor Hugo remarque: »Le métal est la substance métallique
pure; l'argent est un métal. Le métail est une substance mé-
tallique composée; le bronze est un métail. «
Piédestal (emprunté de l'ital. piedestallo); le doublet p/ec/es-
tail se rencontre surtout au XVII*' siècle; il est encore cité par
de La Touche (1710), mais il ajoute que piédestal est plus usité.
Poitral, plus anciennement joezïra/ (lat. pectorale). La forme
poitrail apparaît sporadiquement dès le XII^ siècle: Des cous
dont li poitrail sont rot (Méraugis, v. 3009). Le poitrail d'un
superbe bastiment (Des Accords, Bigai rares, p. 55). Elle ne
gagne du terrain qu'au XVI I*^ siècle, oîi l'on hésite entre poitral
et poitrail; mais Ménage et les autres grammairiens regardent
toujours poitral comme la forme la meilleure. Le Dictionnaire
de l'Académie de 1718 donne poitral; dans l'édition de 1740
on ne trouve que poitrail.
Portai (dér. de porte). La forme portail remonte au XV'-
siècle (voir Littré); elle n'est reconnue qu'au XVII*^ siècle.
Ménage observe expressément qu'il faut dire le portail d'une
église, et non pas le portai.
Quintal (emprunté du blat. quintale). Ménage donne qain-
tail et remarque qu'il fait quintaux au pluriel.
2® AIL remplacé par AL. Cette substitution est rare; on n'en
connaît que quelques exemples isolés:
Bétail (en anc. franc, bestail). Joubert (1579) est seul à don-
ner bétal; ce n'est peut-être qu'une faute d'impression.
Gouvernail (gube rnaculum); au XVI*^ siècle on trouve
aussi gouvernai. Desportes s'est servi de cette forme, mais
Malherbe (IV, 344) observe qu'il préfère gouvernail.
222
Soupirail; la forme collatérale soupirai indiquée au XV!*'
siècle par Tabourot (1587) se trouve encore dans Richelet
(1680). En 1710, De la Touche observe: »Soupirail est le véri-
table mot. Soupirai se dit quelquefois en poésie pour la com-
modité de la rime«. Dans l'édition suivante de Uart de bien
parler françois, il a ajouté: »Je crois qu'on ne le diroit pas
aujourd'hui*.
Travail. Joubert (1579) est seul à donner la forme iraiml.
h-) Mots en -el.
306. La terminaison -el a trois sources différentes; elle re-
monte à -a le m, à -ellum, à -illum. Selon leur origine, les
mots en -el avaient donc primitivement des formes différentes
au pluriel: tel (ta le m) — teus, agnel (a gn ellum) — agneaux
(I, § 239), chevel (capillum) — cheveux (ib., § 237). Pour le
premier cas, l'analogie a refait le pluriel et créé la forme ana-
logique tels; pour les deux derniers cas, c'est le singulier qui
a été refait sur le pluriel, et agneau et cheveu ont remplacé
agnel et chevel.
307. Mots en -el, de -alem, et ciel (cselum). Le pluriel pri-
mitif en -eux ne s'est conservé que dans ciel — deux. Pour
tous les autres mots on a refait le pluriel sur le singulier, d'où
les formes modernes en -els: cruel — cruels. La reformation du
singulier sur le pluriel est rare.
308. EL — EUX. Les pluriels en -eux sont employés au XV
siècle. En voici quelques exemples: Vouz voirrez par vos yeux
Le feu bien près de \os'hosteux (Monstrelet, I, 274). Nos puis-
sanz dieux Qui sont si grans et immortueux (Mystère de saint
Laurent, v. 6321). Par divers tourmens et crueulx (ib., 6324).
Comm'en doit les crimineux mettre (Mystère de saint Adrien,
V. 4521). Mes habitz tieulx Que . . . (Villon, Grand Testament,
V. 31). Des pluriels en -eux, qui n'existent plus au XVI® siècle,
la langue moderne n'a conservé que deux.
Les formes en -eulx s'employaient aussi au singulier, sans
doute sous l'influence analogique de la terminaison -eux
(-osus); Tout homme armé doit estre par effort Crueulx
devant, piteux après victoire (E. Deschamps, (Euvres complètes,
223
III, p. 37). Le connestable estait declairé ennemy et cnmineu/a'
vers tous les deux princes (Froissart). Une trace de ce phéno-
mène s'est conservée jusqu'à nos jours dans matineiix, qui a
remplacé matinel; la forme féminine matineiise se rencontre
dès le XV*^ siècle.
309. EL — ELS. Le pluriel en -els est maintenant le seul em-
ployé. On le trouve
P Dans tous les mots qui remontent au moyen âge: char-
nels, cruels, hôtels, sels, tels, etc. Ce sont des pluriels refaits,
dont on trouve des exemples dès le commencement du KIY*"
siècle; le traducteur de Henri de Mondeville hésite entre 7ï7o/--
tieux et mortelz {Chirurgie, § 1188), et on trouve dans Nicole
Oresme charnels à côté de charneux. Rappelons encore que,
tout en maintenant deux, on a aussi formé le doublet ana-
logique ciels, qui s'emploie surtout au figuré, en terme de
peinture et dans le sens de climat. Le plus ancien exemple
que j'en connaisse remonte au XVP siècle: Et firent oster de
dessus son berceau les ciels, poisles et daix qui y estoient (Car-
loix, III, 17; voir Littré).
2*^ Dans tous les mots adoptés après le XV^ siècle : carrou-
sels, cartels, pastels, scalpels, etc. Ces mots n'ont jamais eu de
pluriel en -eux.
310. Mots en -el de -ellum. L'échange primitif entre -el et
-eaux: chastel — chasteaux, n'a été conservé que dans deux ad-
jectifs : bel — beaux, nouvel — nouveaux. Dans tous les autres
mots le singulier a été refait sur le pluriel, d'où une nouvelle
forme en -eau: chasteau — chasteaux. La reformation du plu-
riel sur le singulier, d'où une nouvelle forme en -els, est re-
lativement rare : appel — appels.
311. EL — EAUX. On disait autrefois: agnel — agneaux, annel
— anneaux, chapel — chapeaux, chastel — chasteaux, coutel —
couteaux, drapel — drapeaux, oisel — oiseaux, pel — peaux, rastel
— rasteaux, taurel — taureaux, vaissel — vaisseaux, etc. Ces
formes doubles n'existent plus dans la langue littéraire (sur
quelques restes isolés, voir § 313), mais elles ont été con-
servées dans le patois du Dessin, où l'on dit agnè (agneau) —
agniâ, kapè (chapeau) — kapiâ, koutè (couteau) — koukiâ, raté
224
(râteau) — rakya, tore (taureau) ■ — toriâ, tonè (tonneau) — toniâ,
etc. ; comp. encore bio (beau) — biâ, pio (peau) — pia (Bulletin
des parlers normands, 1899, p. 152).
312. EAU — EAUX. Sous l'influence du pluriel, le singulier a
été refait et se termine maintenant en -ean: agneau, anneau,
chapeau, château, couteau, drapeau, oiseau, peau, râteau, taureau,
vaisseau. On a longtemps hésité entre -el et -eau; au XVF siècle,
l'usage est encore flottant pour beaucoup de mots; il ne se fixe
qu'au commencement du XVIP siècle.
313. Dans quelques mots isolés l'ancienne forme en -el a été
conservée à côté de la forme analogique en -eau.
Agnel (agnellum), terme historique désignant une pièce
d'or ancienne, dont l'effigie était un agneau. L'agnel d'or a
duré en France jusqu'à Charles VII. Le pluriel moderne est
sans doute agnels.
Appel (substantif verbal tiré de appeler). Rabelais se sert en-
core de l'ancien pluriel appeaux: Les appeaulx renversés et à
néant mis (III, chap. 36). De ce pluriel on a de bonne heure
tiré le singulier appeau: Leurs maryz . . . qui s'attendoyent à
l'appeau de leurs femmes (Cent nouv. nouv., n^SO); mais d'un
autre côté, l'ancien singulier appel a provoqué le nouveau plu-
riel appels. De cette manière, on a eu des formes doubles et
pour le singulier (appel — appeau) et pour le pluriel (appeaux
— appels) ; on en a tiré deux mots en unissant les formes
homonymes (appel — appels, appeau — appeaux), et chaque mot
a eu sa fonction spéciale.
Bel (b e 1 1 u m) s'emploie dans quelques surnoms historiques :
Charles le Bel, Philippe le Bel; dans quelques locutions toutes
faites: bel et bon, bel et bien, et devant un substantif masculin
commençant par une voyelle: un bel enfant (comp. un beau
garçon). En dehors de ces cas, les auteurs modernes se servent
parfois de bel pour donner un cachet archaïque à la phrase:
Bien que le paradis soit joyeux et brillant. Cocagne est bien
plus bel à voir (J. J. Jusserand, Histoire littéraire du peuple an-
glais, I, 227).
Bordel (diminutif de borde) est ou la forme médiévale con-
servée intacte ou un mot d'emprunt (italien? gascon?); Régnier
employait bordeau (Satire X), forme refaite régulièrement sur
225
le pluriel bordeaux qui se trouve dans le même auteur (Satire
IV). Le singulier bordel a provoqué le pluriel analogique
bordels.
Lambel (d'origine inconnue) s'emploie pour lambeau comme
terme de blason.
Martel (blat. martellum) s'emploie pour marteau dans le
nom historique de Charles Martel. C'est le même mot (ou le
substantif verbal de marteler-?) qu'on a dans la locution se
mettre martel en tête.
Nouvel (novellum) s'emploie pour nouveau devant un
substantif masculin commençant par une voyelle: un nouvel
habit (mais un nouveau livre). Comp.: Un nouveau Antoine
(Annales pol. et litt., 1897, I, 186 a).
Scel (sigillum) s'est longtemps employé pour sceau dans
quelques formules de chancellerie: Scel et contrescel, le scel du
Châtelet.
314. El de -ïllum (cf. I, § 237) ne s'est trouvé que dans un
seul mot chevel (capillum) ou cheveul (Chirurgie de Henri
de Mondeville, § 126), devenu cheveu sous l'influence du plu-
riel cheveus qui était bien plus souvent employé que le singu-
lier. Ronsard se sert de cheveul; cette forme est aussi donnée
par Oudin, mais au XVII^ siècle, / ne se prononçait pas.
5) Mots en -eil.
315. Les mots en -eil devraient régulièrement se terminer au
pluriel en -eux : conseil — conseux. Mais le pluriel a de bonne
heure été reformé sur le singulier, et se termine depuis long-
temps en -eils : conseils, orteils, pareils, vermeils, etc. Les an-
ciennes formes en -eux s'employaient encore, bien que rare-
ment, au commencement du .XV^ siècle. Un seul mot a con-
servé le pluriel primitif: vieil — vieux; c'est ici la forme sans /
qui l'emporte : nulle trace d'un pluriel analogique vieils, mais
au singulier on emploie vieux à côté de vieil. Lanoue (1596)
remarque: > Viens fait vieil au singulier. Toutefois l'vzage a
gagné qu'on s'y peut seruir aussy de ce plurier, spécialement
quand il suit vne consonante, tellement qu'on tient mieux dit
vn viens chenal qu'vn vieil chenal. Deuant vne voyelle on vze
de l'autre, et dit on vn vieil arbre, non vn vieux arbre. « Mais
cette règle n'était pas strictement observée. Nous avons vu
15
226
plus haut (§ 299) que le peuple disait un vieux homme, et
H. Estienne revient à cette prononciation dans sa Grammaire
où il ajoute expressément: »Sed qui e vulgo non sunt, et
emendatius loqui existimantur, dicunt vieih^. D'un autre côté,
A. d'Aubigné écrit: Le cœur d'un vieil crapaud (Misères, v. 929),
et c'est la forme qu'emploie de préférence Malherbe: Vieil
comme je suis. Un vieil sénateur. Un mot vieil, etc. Dans ses
Remarques (II, 85 — 86), Vaugelas cherche à établir des règles
précises, mais l'usage n'est pas encore fixé, et on hésite tou-
jours entre un vieux homme et un vieil homme. Les règles mo-
dernes, qui sont celles de Vaugelas, ne sont généralement re-
connues qu'au XVIIP siècle.
6) Mots en -eul.
316. Le pluriel primitif des mots en -eul est -eux: tilleul —
mieux. Les deux formes n'existent plus que dans aïeul — aïeux;
pour tous les autres mots, il y a eu assimilation, et on a
généralement refait le pluriel, d'oiî une nouvelle forme en
-euls: tilleul — tilleuls. On trouve aussi plusieurs traces du dé-
veloppement contraire, la reformation du singulier sur le plu-
riel, d'oii une nouvelle forme en -eu. Les grammairiens du
XVIP siècle attestent la prononciation chevreu, écurieu, épagneu,
filleu; elle n'a pas persisté, excepté dans un seul mot, moyeu
(modiolum), qui est pour moyeul (encore dans Palsgrave).
317. EUL— EUX, EULS. On disait jusqu'au milieu du XVIP
siècle chevreul — chevreux,épagneal — épagneux, glaïeul — glaïeux,
linceul — linceux. En 1685, le grammairien Mourgues remarque:
»Les noms qui ont eul au singulier peuvent retenir ou laisser
leur / au plurier pour la commodité de la rime, car on peut
prononcer linceuls, agents, glayeuls ou linceux, ayeux, glayeux.
... Il faut pourtant excepter seul et filleul, qui retiennent leur
/ au plurier« (Thurot, La prononciation française, II, 82). Après
le XVIP siècle, on n'emploie que les formes en -euls: épagneuls,
filleuls, glaïeuls, ligneuls, linceuls, seuls, tilleuls. L'analogie a aussi
créé aïeuls à côté de aïeux.
318. Voici quelques observations sur les principaux mots
en -eul:
227
Aïeul (*aviolum) — aïeux. La forme analogique aïeuls re-
monte probablement au XVF siècle; le plus ancien exemple
que j'en connaisse se trouve dans Malherbe: Comme ils se
trouvent au bout de leurs aïeuls ... ils mettent un dieu de
leur partie {Œuvres complètes, p. p. Lalanne, II, 21). Actuelle-
ment on se sert des deux formes, et aïeux est synonyme de
'ancêtres', tandis que aïeuls signifie le grand-père et la grand-
mère. Cette distinction n'existait pas autrefois, comme le
montrent l'exemple de Malherbe et ceux qu'a cités Littré.
Chevreul (capreolum) — chevreux. Ces formes s'employaient
jusque dans le XVII*' siècle. L'ancien pluriel se trouve encore
dans Chifflet (1659); Martin (1632), qui écrit chevreul, remarque
qu'on prononce chevreu. Sur le remplacement de chevreul par
chevreuil, voir ci-dessous au § 321.
Écurieul (*scuriolum, de *scurium pour sciurum) —
écurieux; on disait aussi écureul — écureux: Il leur faut robes
descureux (Deschamps, Œuvres complètes, IX, v. 2092). Les
escurieux ne dansèrent point au Louvre (Malherbe, Œuvres
complètes, III, 379). Pour le singulier, les grammairiens du
XVI*' siècle indiquent aussi des formes sans /; écurieu, écureu;
Rabelais écrit écurieux: Saultoit de l'une en l'autre comme un
escurieux (I, chap. 13). Au XVII'' siècle, les anciennes formes
disparaissent devant écureuzV — écureuils (comp. § 321). Ménage,
qui examine »s'il faut dire écureuil, ou écurieu«, conclut: » L'u-
sage est pour écureuih.
Épagneul (*hispaniolum) — épagneux. La Fontaine écrit:
Qu'elle vienne admirer le roi des épagneux (Le petit chien). On
dit maintenant épagneuls.
Filleul (filiolum) — filleuls. Je ne saurais indiquer quand
l'ancien pluriel filleux a disparu.
Glaïeul (gladiolum) — glaïeux. L'ancien pluriel est encore
employé par Perrault: Un sauvage oiseau de rivière. Parmi les
joncs et les glaïeux, Frappe inopinément les yeux (Chasse).
On dit maintenant glaïeuls.
Ligneul (dér, de ligne). Le pluriel ligneux m'est inconnu.
Linceul (linteolum) — linceux. L'ancien pluriel s'employait
couramment au XVI® siècle. On le trouve encore dans Agrippa
d'Aubigné: Quand le malade amasse et couverte et linceux Et
tire tout à soi, c'est un signe piteux (Misères, v. 651). Le même
15*
228
auteur se sert aussi de la nouvelle forme linceuls: Aprestez les
linceuls du lict (Poésies diverses, III, 252).
Seul (solum) — seuls. Je n'ai pas trouvé la forme primitive
sens après le XIV^ siècle.
Tilleul (*tiliolum) — iilleux. L'ancien pluriel est encore em-
ployé par Ménage; il écrit dans la première de ses Eglogues:
Ainsi sous les tilleux, pressant sa cornemuse, Chantoit le beau
Daphnis. Selon le même auteur il faut prononcer tilleu au
singulier.
7) Mots en -euil.
319. Tous les anciens mots en -euil devaient faire au plu-
riel -eux, mais cette forme était tombée en désuétude déjà au
XVI^ siècle, et on avait commencé à se servir de la terminai-
son analogique -euils, refaite sur le singulier. Malherbe n'ai-
mait pas ces nouvelles formes; il remarque: »Fuis tant que
tu pourras, les pluriers des mots en -euil: écueuil^ recueuil, ac-
cueuil, cercueuil, orgueuil. Œuil est excepté; aussi son plurier
yeux est anomal. Quant à moi, je ne donnerais jamais de plu-
rier aux mots que j'ai allégués ci-dessus« {Œuvres complètes,
IV, 463). L'opinion de Malherbe n'a pas prévalu; tous les
mots en -euil, anciens et récents, ont reçu un pluriel ana-
logique en -euils, et on dit accueils, bouvreuils, cercueils, cerfeuils,
chèvrefeuils (I, § 125), chevreuils, deuils, écureuils, fauteuils, or-
gueils, recueils, seuils. On trouve aussi des traces d'une refor-
mation du singulier sur le pluriel. A côté de bouvreuil, plu-
sieurs lexicographes citent une forme vulgaire bouvreu (bou-
vreux) qui paraît tiré d'un pluriel bouvreux, dont, du reste, je
ne connais pas d'exemples.
320. Voici quelques remarques de détail sur plusieurs mots
en -euil:
Cercueil (sarcophagum). Dans ce mot la terminaison -ueil
est de formation analogique: les anciennes formes sont sarcou,
sarqueu et sarcous, sarqueus. C'est de sarqueus qu'on a tiré
sarcueil (comp. ci-dessous, § 321). Froissart dit alternativement
un sarqueux et un sarcueil, sans aucune distinction. Les deux
formes sont donc à regarder comme un reste incompris de
l'ancienne déclinaison; l'usage, longtemps flottant, a fini par
accepter sarcueil, cercueil et lui a créé un pluriel analogique.
229
Chevreuil (câpre olum) est une forme analogique pour
chevreul (voir § 318); l'ancien pluriel chevreux a disparu de-
vant chevreuils.
Œil — yeux. A côté de yeux, forme très difficile à expliquer,
on a créé le pluriel analogique œils qui s'emploie dans quelques
mots composés où il est pris au sens figuré et ordinairement
suivi d'un nom d'être animé: des œils-de-bœuf (sorte de lu-
carnes), des œils-de-bouc (sorte de coquillage), des œils-de-chat
(corindon nacré), des œils-d'or (poisson), des œils du jour (pa-
pillon), des œils-de-verre (espèce de fauvette), des œils-blancs
(espèce de fauvette), des œils-peints (oiseau du Mexique). Par-
tout ailleurs on se sert de yeux: Les yeux de la tête, les yeux
du fromage, les yeux de la soupe, les yeux du pain, les yeux de
la pomme de terre, tailler à deux yeux, etc., etc.
Dans les patois on a souvent généralisé l'une des deux
formes; dans le patois de Bourberain, èj sert et pour le sin-
gulier et pour le pluriel (Revue des patois gallo-romans, 111,89);
au centre de la France, on dit au contraire «20/7 yeu (Jaubert,
Glossaire du Centre, II, 413).
8) Echange entre -eut et -euil.
321. A cause de la concordance du pluriel des mots en -eul
avec celui des mots en -euil, il y a eu parfois confusion au sin-
gulier, de sorte que -eul a été remplacé par -euil. On a dit par
exemple fûleuil (Tabourot), ligneuil (Lanoue), tilleuil (Furetière),
mais ces formes n'ont pas persisté. Dans deux mots, -euil a
définitivement remplacé -eul.
Chevreul. Le doublet victorieux chevreuil est déjà dans Rabe-
lais (IV, chap. 59), et Lanoue fadmet à rimer avec les mots
en -euil. Pourtant Cotgrave (1611) et Oudin (1633) ne con-
naissent que chevreul; à la fin du siècle, chevreuil Va emporté:
c'est la seule forme que connaisse Richelet (1680).
Écur(i)eul (voir § 318). La forme moderne écureuil n'appa-
raît qu'au XVII*^ siècle^; elle est reconnue par Ménage (1672).
Richelet cite et écureuil et écurieu, tout en donnant la pré-
férence à la première forme, la seule qu'admette l'Académie.
Linceul. Le doublet linceuil se montre déjà au XVI*^ siècle;
Tabourot et Lanoue donnent les deux formes et elles per-
sistent jusqu'à nos jours où la prononciation mouillée tend à
230
prévaloir; cependant l'orthographe officielle n'admet que lin-
ceul A. de Musset {Premières poésies, p. 233) fait rimer seuil et
linceul; comp. glaïeul: linceul (V. Hugo, Ballades, n° 4).
9) Mots en -ol.
322. Les mots en -ol faisaient autrefois au pluriel -oux
(-ous) : sol — sous. Cet état de choses a été troublé par l'ana-
logie :
1° On a refait le singulier sur le pluriel, d'où une nouvelle
forme en -ou: sou pour sol.
2*' On a, plus rarement, refait le pluriel sur le singulier, d'où
une nouvelle forme en -ois: rossignols pour rossignoux.
3^ Dans quelques mots on a conservé jusqu'à nos jours
l'ancienne forme en -ol à côté de la forme analogique en -ou:
fol — fou, col — cou. Chacun des doublets a reçu sa fonction
spéciale.
323. OL — OUX. Voici quelques remarques de détail sur les
différents mots appartenant à ce groupe:
Chol (caulem) — choux. Le singulier a été refait de très
bonne heure; chol est supplanté par chou dès le XV* siècle.
Le dernier exemple de l'ancien singulier que donne Littré est
tiré du Livre du roy Modus.
Col (collum) — cous. Le singulier refait cou se trouve déjà
dans Froissart. Au XVP siècle, on hésite entre col et cou, mais
cette dernière forme finit par l'emporter, et col ne s'emploie
plus qu'en poésie, et surtout quand le mot suivant commence
par une voyelle: Son col était penché (La Fontaine, Psyché).
De nos jours, col se dit encore au sens propre, mais seule-
ment en poésie: Le col toujours courbé (Musset, Premières
poésies, p. 267), et par euphonie, pour éviter un hiatus ou une
consonance désagréable. Littré et le Dictionnaire général citent
comme exemples: un col apoplectique, un col court; Littré ajoute
pourtant que l'usage s'en perd de plus en plus. Dans un ro-
man tout récent j'ai trouvé col employé devant un mot com-
mençant par une consonne: Elle admire encore les bêtes har-
dies, dont le col frémit sous la main des cavaliers (J. Bois,
Une nouvelle douleur, Paris, 1900, p. 45).
231
A cause de sa forte ressemblance avec le primitif latin, l'an-
cien singulier est aussi retenu comme terme savant et tech-
nique. Ménage remarque: »I1 y a pourtant certaines façons de
parler où l'on prononce col: comme en celles-cy: Le col de la
vessie; Le col de la matrice. On dit encore Le col -de perlas;
qui est un passage du Roussillon dans la Catalogne. Mais col
en cet endroit ne vient pas de collum, mais de collis.'i< Cet
emploi de col s'est maintenu jusqu'à nos jours, où l'on dit:
le col de la vessie, le col du fémur, le col du Simplon, un col
de bouteille, un col de chemise. Pour col on a créé le nouveau
pluriel cols, et de cette manière l'anden col — cous a donné
naissance à deux mots nouveaux: col — cols, et cou — cous.
Ajoutons que col s'est aussi conservé dans les composés hausse-
col (I, § 529), au pluriel hausse-cols, et licol (doublet de licou),
au pluriel licous.
Fol (folle m) — fous. On trouve au XI V« siècle la forme
foui, avant-coureur de fou; au XVI^ siècle, l'emploi de fol est
restreint au seul cas où le mot suivant commençait par une
voyelle. Pelletier remarque: »Nous disons quelquefois fol ...
quand il s'ansuit une voyèle«. Henri Estienne regrette cette
prépondérance de la nouvelle forme; on trouve dans ses Hypo-
mneses l'observation suivante: »Nam hsec pronuntiatio fou,
cou, mou, plané est ex abusu, pro fol, col, mol: quamvis non
solùm vulgus, sed multi etiam qui è vulgo non sunt, altéra
illa pronuntiatione utantur, vel potiùs abutantur«. De nos
jours, fol ne s'emploie que devant un substantif commen-
çant par une voyelle; aux XVI'' et XVIP siècles fol s'employait
devant un mot quelconque commençant par une voyelle. Té-
moin le dicton, attribué à François I^"": Souvent femme varie.
Bien fol est qui s'y fie; on remplacerait maintenant fol par
fou. En voici quelques autres exemples : Je dois bien moins
en prendre [des lois] et d'un fol et d'un fils (Rotrou, Vences-
las, I, se. 5). Un fol allait criant (La Fontaine, Fables, IX, 8).
Bossuet a créé le pluriel fols: O, le saint inutile! diront les
fols amateurs du siècle (Deuxième Panégyrique de St. François
de PauleJ. Littré observe: »I1 est certain que les fous amateurs
ne serait pas aussi bien dit«.
Mol (molle m) — mous. L'ancien singulier mol s'emploie
encore au XVI'^ siècle, mais les grammairiens observent qu'on
prononce généralement mou. En parlant des mots en -ol qui
232
se prononcent autrement qu'ils ne s'écrivent, Pelletier ajoute :
»Nous n'oserions lés écrire autremant, tant pour garder l'éti-
mologie que par ce que les féminins de téz nons sont an o/e«.
Tabourot (1587) et Lanoue (1596) admettent à la rime et les
formes en -ol, et les formes en -ou. Corneille se sert encore
de mol, même devant une consonne: Ce mol consentement
(Horace, v. 970). Un prince faible, envieux, mol, stupide (At-
tila, V. 217). Dès le XVIF siècle, l'emploi de mol s'est restreint
de plus en plus; de nos jours, il ne se trouve, selon les gram-
mairiens, que devant un substantif qui commence par une
voyelle: Un mol abandon^ un mol édredon (mais, un homme
mou au travail). Les deux exemples sont à rayer, ils appar-
tiennent exclusivement au style soutenu ; ce sont des fossiles
que les grammairiens se transmettent pieusement sans examen.
Dans une lettre à M. J. Storm, M. Paul Passy écrit: »Je crois
qu'on dit toujours un édredon mou. Quant à mol abandon, cela
ne se dit pas, ni abandon mou non plus; c'est la phrase même
qui est littéraire «. On peut en tirer la conclusion que la forme
mol ne vit plus dans la langue parlée de nos jours, bien qu'elle
s'emploie, mais rarement, dans la langue écrite: Le mol af-
faissement des roses épanouies (J. Normand, Contes à Madame,
p. 20). Finissons en citant un exemple d'un pluriel refait mois:
Adieu molz liz, adieu piteux regards (E. Deschamps, Œuvres-
complètes, IV, 309); peut-être n'avons-nous là qu'une ortho-
graphe analogique. Pourtant la même forme a été employée
par H. Lavedan dans un roman récent: La tête lâchée dans
les mois oreillers (Sire, p. 102).
Sol (solidum) — sous. L'ancien singulier est encore admis
dans la Grammaire de Cauchie (1586) où on lit: »Licet fol
et fou efferre, ut sol et sou«. La graphie sol persiste jusque
dans le XVII*^ siècle, mais les grammairiens remarquent que
»/ se prononce u«. C'est probablement pour donner à son par-
ler une teinte d'archaïsme que Roulette répond à son inter-
locuteur: Pas un sol (H. Lavedan, Sire, p. 89). La forme ana-
logique sou se rencontre dès la fin du XV*^ siècle.
324. OL — OLS. Le pluriel en -ois s'emploie:
1° Dans un petit nombre de mots anciens; à ceux que
nous avons cités au paragraphe précédent (cols, fols, mois), il
faut ajouter:
233
Rossignol (*lusciniolum) — rossignols. La forme rossig nous
ne se trouve pas après le XIV*^ siècle.
Vol (subst. verbal tiré de voler) — vols. La forme avec / a
été généralisée de bonne heure à cause de l'influence du verbe
voler. Dès le XVI*' siècle, on trouve, à côté de vol, la forme
vou, due à l'analogie de fol — fou, mol — mou. Le Gaygnard
(1585) remarque que vol se prononce vou »parmi les gens« ;
la règle ainsi formulée est sans doute trop générale. Régnier
(1705) fait des restrictions: »Vol, dans quelque signification
que ce soit, retient la prononciation et l'orthographe de 1'/
finale si ce n'est qu'en termes de fauconnerie on dit qu'un
oiseau a fait un beau vou, et qu'on dit pareillement le vou pour
la pie«. La même observation se trouve encore dans Antonini
(1758).
2" Dans les mots d'emprunt: bols, espagnols, mogols, parasols,
sols, viols, vitriols, etc.
10) Mots en -ouil.
325. Les mots en -ouil se terminaient autrefois au pluriel
en -oux: genouil — genoux. Cependant l'analogie a de bonne
heure troublé cet état de choses, en créant une nouvelle forme
ou pour le singulier ou pour le pluriel:
P Le pluriel a été refait sur le singulier, d'oii une nouvelle
forme en -ouils: fenouil — fenouils.
2^ Le singulier a été refait sur le pluriel, d'où une nouvelle
forme en -ou : genou — genoux.
326. Voici quelques remarques de détail sur les mots qui
appartiennent à ce groupe:
Fenouil (fenuculum). Le pluriel de ce mot est d'un em-
ploi assez rare; il est donc naturel qu'on ait généralisé la
forme du singulier en créant fenouils. Je n'ai jamais rencontré
fenoux, et il n'a probablement jamais existé; en parlant de
garbouil, fenouil, gazouil, Lanoue (1596) remarque: »A peine
reçoivent-ilz seulement le plurier; quand il adviendra, ilz au-
ront le régulier«. Quant au singulier, on trouve au XVII'^ siècle,
à côté de fenouil, la forme fenou, due à l'analogie de genouil
— genou, verrouil — verrou. Encore De la Touche (1710) donne
fenouil — fenou, mais il ajoute que la dernière forme n'était
pas »du bel usage «.
234
Genoiiîl (*genuculum) — genou. Dans ce mot, le singulier
a été refait sur le pluriel, à cause de l'emploi très fréquent
de cette forme, et genouil a fini par disparaître devant genou.
On hésite au XVIP siècle entre ces deux formes; la plupart
des grammairiens s'accordent à dire qu'il faut écrire genouil
et prononcer genou. L'ancien singulier se trouve encore dans
la deuxième édition du Dictionnaire de l'Académie (1718), mais
avec cette observation: »0n escrit ordinairement genou, et il
se prononce toujours genou«. De nos jours, genouil ne se
rencontre que dans les patois; l'abbé Delacorde signale cette
forme dans son Dictionnaire du patois du pays de Bray (Paris,
1852).
Pouil (*peduculum) — poux. L'ancien singulier se main-
tient orthographiquement jusqu'au milieu du XVII^ siècle, il
se trouve encore dans Chifflet (1659), mais depuis le Thrésor
de Nicot (1606) tout le monde est d'accord qu'il faut pronon-
cer pou. L'ancien singulier se retrouve dans plusieurs patois
modernes; ainsi, en lorrain on dit peuil (Romania, VI, 244).
Au XVP siècle, on trouve le pluriel refait pouils dans Montaigne :
Les pouils sont suffisants pour faire vacquer la dictature (éd.
Didot, de 1802, vol. II, p. 171). Dans la grande édition par
Pierre Coste (Paris, 1725), pouils est remplacé par poux (vol.
II, p. 152).
Verrouil (verruculum) — verroux. L'ancien singulier dis-
paraît au XVIP siècle. Oudin et Chifflet attestent que, tout en
écrivant verrouil, on prononce verrou. Richelet (1680) ne donne
que cette dernière forme.
MOTS COMPOSÉS.
327. Les noms composés qui s'écrivent en un seul mot,
sans trait d'union, sont regardés comme des mots simples et
suivent la règle commune : Des aubépines, des béjaunes, des
bonbons, des bonheurs, des bonjours, des bonsoirs, des betteraves,
des malemorfs, des malerages, des malheurs, des piverts, des pla-
fonds, des raiforts, des vinaigres, des sauvegardes, etc. Des entre-
sols, des passeports, des pourboires, des pourparlers, etc., etc.
Remarque. Nous trouvons des parallèles curieux dans les autres langues
romanes; comp. en ital. : i biancospini, i francoboUi, i camposanti, i mezzo-
235
giorni, etc., et en esp. los montepios, los padrenuestros, los sordomudos, los
aguardientes, etc.
328. Font exception à cette règle les mots suivants:
Bonhomme — bonshommes. M. R. de Gourmont remarque:
»La tendance populaire va vers le pluriel régulier; les enfants
disent des bonhommes« (Le problème du style, p. 229).
Gentilhomme — gentilshommes. Pour le féminin correspon-
dant gentil femme, qui s'employait jusqu'à la fin du XVI^' siècle,
on trouve au pluriel g entilz- femmes (gentilles femmes) et genti-
femmes (Bon. Des Périers, Nouvelles, n^ 128); comp. g entil-dones
(H. Estienne, Deux dialogues, I, 243).
Madame — mesdames. On trouve aussi madames: Je crains
qu'il ne vienne des madames (Sévigné, 17 mai 1680). Si dans
le monde on s'était avisé de ne donner les titres de Madame
et de Mademoiselle qu'au mérite de l'esprit et du cœur, ah!
qu'il y aurait des Madames et des Mademoiselles qui ne seraient
que des Manons et des Cathos (Marivaux, Marianne, 7^ partie).
Aussi toutes les madames de Corcieux et tous les Crucé (Bour-
get, Complications sentimentales, p. 7—6). Donnay a écrit un
roman intitulé Chères madames. Ainsi, le pluriel madames ne
peut s'employer que par ironie et comme citation de la for-
mule dont on se sert pour interpeller une dame.
Mademoiselle — mesdemoiselles. Un exemple du pluriel ma-
demoiselles est cité plus haut à l'article Madame.
Monseigneur — messeigneurs; on trouve aussi nosseigneurs,
dont on se servait principalement dans les requêtes présentées
au conseil du roi, aux cours du parlement, et autres cours
souveraines: Au roi et à nosseigneurs de son conseil. On dit
aussi monseigneurs au pluriel quand on n'adresse pas la pa-
role aux grands personnages et qu'on veut seulement mar-
quer leur dignité : Les simples monseigneurs (La Fontaine, Cour-
tisane amoureuse).
Monsieur — messieurs. On trouve aussi, familièrement, des
monsieurs : Lorsque leurs femmes sont avec les Maux Monsieux
(Éc. d. femmes, II, se. 3). Ceux qui le servont sont des Monsieux
eux-mesmes (Dom Juan, II, se. 1). Tous les plus gros monsieurs
me parlaient chapeau bas (Racine, Les Plaideurs, I, se. 1).
Remarque. Dans plusieurs cas la fusion des deux mots juxtaposés remonte
au moyen âge; dans d'autres, elle est plus récente. On trouve au XI V« siècle
236
4
malefaçons (voir Godefroy), à côté de maies semaines; le traducteur de Henri
de Mondeville hésite entre toutes voies et toutevoies; dans » L'amant rendu
cordelier* (v. 1818) on lit bel'antes pour belles antes, etc. L'imprécation mal-
dehe(t) a de bonne heure été prise comme un mot unique, et on ne donne
d'ordinaire le signe du pluriel qu'à la terminaison: maldehes pour mais dehes
(Romania, XVIll, 470). Pour les formes modernes bonheurs, bonjours, on
trouve au XVl^ siècle encore bons heurs (Brantôme, Recueil des dames, dis-
cours IV) et bons jours (Rabelais, III, chap. 3). Rappelons aussi le pluriel
curieux biens-faiz dans les Miracles de Notre Dame (n° XVI, v. 945).
329. Dans les noms composés dont les différentes parties
sont jointes par un trait d'union, le signe du pluriel ne s'a-
joute qu'aux substantifs et aux adjectifs; tout autre mot (ad-
verbe, préposition et verbe) reste invariable. On mettra donc
au pluriel les deux parties du mot, si ce sont deux substan-
tifs appositionnels ou un substantif accompagné d'un adjectif.
Remarque. Dans les dérivés de mots composés, la première partie est in-
variable: Des courte-pointiers, des franc-maçonneries, des haute-lissiers, des
terre-neuviers, des saint-simoniens , des arc-boutés, etc. Comp. § 334, Cas
isolés.
330. Substantif -|- SUBSTANTIF. Exemples: Les câbles-chaînes,
les cafés-concerts, les chats-tigres, les chefs-lieux, les choux-fleurs,
les choux-raves, les compères-loriots, les épines-vinettes, les filles-
mères, les fourmis-lions, les huissiers-priseurs , les jardiniers-fleu-
ristes, les lauriers-roses, les lieutenants-colonels, les loups-garous,
les martins-pêcheurs, des poêlier s- fumistes, les sabres-baïonnettes,
des voitures-lits, etc., etc. Rappelons aussi quartier-maître (c. à d.
maître de quartier, formé à l'imitation de l'ail. Quartier-
meister), au pluriel quartiers-maîtres, quoique quartier-maîtres
fût plus correct.
Cas isolés. Quelques mots font difficullé. Porc-épic (cf. I,
§ 529): l'Académie ne se prononce pas sur le pluriel de ce
mot. A. Paré écrivait porcs-espics. Littré propose porc-épics, en
ajoutant qu'il vaut mieux considérer ce mot comme un tout,
et mettre l'accord à la dernière partie. Reine-claude: l'Aca-
démie donne comme pluriel reines-claude ; Littré propose soit
le pluriel de Génin: des reine-claude, soit celui de Pautex: des
reines-claudes.
331. Il se peut que les deux substantifs ne soient pas co-
ordonnés; l'un d'eux peut dépendre de l'autre; en ce cas, on ne
met au pluriel que le substantif régissant.
237
1" Le rapport de dépendance entre les deux noms n'est pas
exprimé. Ce reste de la syntaxe du' moyen âge se trouve dans
les mots suivants : Fête-Dieu, Hôtel-Dieu, bain-marie, blanc-madame,
trou-madame. On écrit au pluriel : Fêtes-Dieu, Hôtels-Dieu, bains-
marie, blancs-madame, trous-madame. Le mot dépendant peut
aussi précéder comme dans terre-noix (c. à d. noix de terre),
et chèvre-pied (imité de capripes); au pluriel, des terre-noix,
des chèvre-pieds. Rappelons aussi un certain nombre de- com-
posés modernes qui peuvent s'expliquer par l'ellipse d'une
préposition : des abris-vent, des cartes-correspondance (employé
dans la Suisse romande), des cravates-dentelle, des livrets-police,
des portraits-carte, des timbres-poste, des timbres-quittance, des
trains-poste. Sur quartier-maître, voir § 330.
2^ Le rapport de dépendance entre les deux noms est ex-
primé par une préposition. Exemples: les aides -de -camp, les
arcs-en-ciel, les becs-de-cane, les chefs-d'œuvre, les dents-de-cheval,
les eaux-de-vie, les mains-d'œuvre, les monts-de-piété, les œils-
de-perdrix, les œils-de-vache, les oreilles-de-chat, les pieds-d'alouette,
les pieds-de-mouche, les poux-de-soie, etc., etc.
Cas isolés. Ce n'est qu'exceptionnellement que le substantif
dépendant est mis au pluriel. Dans » Dupont et Durand«, A. de
Musset écrit culs-de-lampes pour le faire rimer avec marchand
d'estampes (Poésies nouvelles. Paris 1867. P. 141). Le sévère
Malherbe écrit : Tous ces chefs d' œuvres antiques {Œuvres com-
plètes, I, p. 94), sans doute à cause des exigences de la pros-
odie (comp. I, § 125). Du reste, Vaugelas remarque qu'on écri-
vait des chef s-d œuvres aussi de son temps. Rappelons que dans
quelques mots le substantif dépendant est toujours au pluriel:
un char-à-bancs — des chars-à-bancs.
Remarque. Quelques mots sont laissés invariables: des coq-à-l'âne, des
pied-à-terre, des tête-à-tête, des vol-au-vent. Rappelons que Regnard écrit
coq-à-l'ânes (Le Distrait, IV, se. 7) pour le faire rimer avec profanes. Lanoue
écrit fidarchals; l'orthographe actuelle est fils d'archal.
332. Substantif + adjectif. Exemples: Les aigues-marines,
les amours-propres, les arcs-boutants, les becs-fms, les bouts-rimés,
les carêmes-prenants, les cerfs-volants, les châteaux-forts, les chats-
huants, les coffres- forts, les cous-rouges, les culs-blancs, les courtes-
pointes, les eaux-fortes, les épuises-votantes, les esprits- forts, les
états-majors, les fers-blancs, les gorges-blanches, les loups-cerviers,
238
les loups-marins, les œils-blancs, les oreilles-blanches, les orties-
grièches, les pies-gr lèches, les pieds-plats, les revenants-bons, les
têtes-plates, etc., etc.
Cas isolés. On laisse invariable le substantif dans patte-pelus
(La Fontaine, Fables, IX, 14) et patte-pelues ; Rabelais écrivait
pâtes peines (livre IV, prol.). Rappelons aussi que Victor Hugo
(Légende des Siècles) et Paul de Musset (Biographie d'A. de
Musset) écrivent des guet-apens ; l'orthographe ordinaire est des
guets-apens. Sur chevau-léger — chevau-légers, voir § 363, Rem.
333, Adjectif + substantif. Exemples: Les basses-cours, les
basses-tailles, les beaux-arts, les beaux-pères, les beaux-esprits, les
belles-lettres, les belles-mères, les belles-sœurs, les blancs-becs, les
blancs-seings , les bons-chrétiens, les chauves-souris, les doubles-
aubiers, les doubles - bécassines , les dures-peaux, les extrêmes-
onctions, les francs-alleux, les francs-archers, les francs-maçons,
les grands-pères, les libres-penseurs, les longues-vues, les mortes-
saisons, les petits-fours, les petits-maîtres, les petits-neveux, les
petites- nièces, les plats-bords, les plates-bandes, les rouges-gorges,
les sages- femmes, etc., etc.
Cas isolés. On laisse invariable l'adjectif dans les grand-
mères, les grand' tantes (comp. d'un côté les prud'hommes, de
l'autre les grands-pères). Pour blanc-seing, on hésite entre des
blancs-seings et des blanc-seings, orthographe préférée par Lit-
tré. Sauf-conduit fait au pluriel sauf-conduits. Sur demi-dieu,
nu-pieds, etc., voir la Syntaxe.
Remarque. A. Darmesteter observe: t> Rouge-gorge, rouge-aile, rouge-queue,
étant devenus de véritables mots simples, comme le prouve le changement
de genre, le pluriel correct devrait être: les rougegorges, les rougeailes, les
rougequeues<i^.
334. Adjectif + adjectif. Les mots composés de deux ad-
jectifs suivent la règle générale: Un sourd-muet — des sourds-
muets. Les derniers-nés, les premiers-nés, les clairs-obscurs, les
touts-puissants, des hommes ivres-morts, des fruits aigres-doux,
des douces-amères, des toutes-bonnes, des toutes-saines, etc.
Cas isolés. Le premier adjectif est laissé sans changement
dans les dérivés: grand-ducal, tiré de grand-duc, fait au pluriel
grand-ducaux (grand-ducales). Il en est de même s'il fait fonc-
tion d'adverbe: des blanc-poudrés (des gens poudrés à blanc),
239
des chênes clairsemés, des pages court-vêtus, des chevaux courl-
jointés, long -jointes, court-montés ; des nouveau-nés, etc. La règle
n'est pas toujours strictement observée, et on constate parfois
des hésitations. Ainsi franc-comtois, tiré de Franche-Comté, fait
au pluriel francs-comtois, et Musset a écrit les nouveaux-nés
(Confessions, p. 294).
335. Verbe -f régime. Les mots composés avec un verbe et
son régime sont variables (un couvre-lit — des couvre-lits) ou
invariables (un abat-jour — des abat-jour); dans beaucoup de
cas, l'emploi du signe du pluriel est facultatif (un casse-noisette
— des casse-noisette ou des casse-noisettes); il est donc difficile
de donner des règles précises.
336. Mots invariables.
1" Le substantif dépendant est toujours au singulier. Ex-
emples : Des abat-faim, des abat-jour, des abat-vent, des accroche-
cœur, des branle-queue, des brèche-dent, des brise-cou, des brûle-
gueule, des brûle-tout, des cache-nuque, des chasse-bondieu , des
chasse-ennui, des chasse-marée, des chasse-rage, des coupe- faim,
des coupe-gorge, des coupe-paille, des coupe-pâte, des couvre-feu,
des crève-cœur, des emporte-pièce, des ferme-bourse, des gagne-
pain, des gagne-petit, des garde-crotte, des garde-manger, des
garde-vue, des mange-tout, des passe-appareil, des passe-rosée, des
passe-soie, des perce-neige, des perce-terre, des pèse-lait, des porte-
crosse, des porte-feu, des porte-malheur, des porte-monnaie, des
porte-respect, des porte-vent, des prie-Dieu, des serre-tête, des
trompe-l'œil, des tire-bourre, des tire-feu, des tire-fou, des tire-
moelle, etc.
2® Le substantif dépendant est toujours au pluriel. Exemples:
un coupe-cors, un croque-abeilles, un gobe-mouches, un porte-
allumettes, un porte-clefs, un porte-étriers, un porte-haillons, un
porte-lettres, etc.
Remarque. Dans quelques cas, l'addition du s amène une nouvelle signi-
fication : un porte-montre, coussinet sur lequel on suspend une montre, un
porte-montres, armoire vitrée où l'horloger expose ses montres; un porte-
cigare, un fume-cigare, un porte- cigares, étui à cigares.
337. Mots variables. Le substantif dépendant varie au plu-
riel. Exemples: Un bouche-trou — des bouche-trous; un boute-
240
selle — des honte-selles; un chasse-diable — des chasse-diahles ;
mi coupe-hourgeon — des coupe-bourgeons; un coupe-bourse —
des coupe-bourses ; un coupe-jarret — des coupe-jarrets; un coupe-
queue — des coupe-queues; un couvre-chef — des couvre-chefs,
etc» Pour les exemples suivants la forme du pluriel sera seule
citée: des couvre-faces, des couvre-gibernes, des couvre-lits, des
couvre-lumières, des couvre-plats, des couvre-shakos, des crève-
chiens, des crève- vessies, des croque- lardons, des croque- notes,
des croque-morts, des croque-noisettes, des cure-dents, des cure-
oreilles, des cure-môles, des cure-pieds, des gagne-deniers, des
garde-fous, des garde-robes, des lave-mains, des passe-balles, des
passe-canaux, des passe-chevaux, des passe-cordes, des passe-
cordons, des passe-droits, des passe-pieds, des passe-volants, des
perce-bourdons, des perce-chaussées, des perce-crânes, des perce-
feuilles, des perce-langues, des perce-lettres, des perce-meules, des
perce-murailles, des perce-oreilles, des perce-pierres, des perce-
roches, des perce-rondes, des porte-becs, des porte-originaux, des
prête-noms, des rince-bouches, des tire-balles, des tire-bottes, des
tire-bouchons, des tire-boutons, des tire-clous, des tire-dents, des
tire-lignes, des tire-sous, etc.
338. Variation facultative au pluriel. Littré donne comme
pluriel de arrache -sonde, des arrache -sonde et des arrache-
sondes, parce que l'on peut expliquer le pluriel par: outils
pour arracher la sonde, ou pour arracher les sondes. Darmes-
teter observe justement: » Comme cette explication est aussi
bonne pour le singulier que pour le pluriel, la logique dans
la théorie de Littré exige quatre formes: un arrache-sonde ou
arrache-sondes, des arrache-sondes ou arrache-sondes . Voici main-
tenant quelques autres exemples de mots composés, où le sub-
stantif dépendant peut varier ou non: Des brise -glace(s), des
brûle -queue(s), des cache- cou(s), des casse -cou(s), des casse-
motte(s), des casse-noisette(s) , des casse-pierre(s) , des casse-pot(s),
des casse-tête(s), des chasse-bosse(s), des chasse-coquin(s) , des
chasse -mouche(s), des chasse-punaise(s) , des essuie-main(s), des
garde-bonnet(s), des garde-boutique(s), des garde-cendre(s), des
garde-chaîne(s), des garde-chasse(s), des garde-fdet(s), des garde-
main(s), des garde-malade(s), des garde-manche(s), des garde-
meuble(s), des garde- nappe(s), des garde- port(s), des grippe-
fromage(s), des grippe-sou(s), des passe-perle(s), des passe-pierre(s),
241
des passe -poil(s), des pèse-acide(s), des pèse-esprit(s) , des pèse-
selfs), des pèse-vin(s), des pince-halle(s), des pince-Iisière(s), des
pince-maille(s), des porte-affiche(s) , des porte-aigle(s), des porte-
aiguilîe(s), des porte-amarre(s), des porte-arquebuse(s), des porte-
assiette(s), des porte-baïonnette(s) , des porte -balle(s), des porte-
bougie(s), des porte -chandelier(s), des porte- drapeau(x), des
porte-enseigne(s), des porte-épée(s) , des porte- fer (s), des porte-
flambeau(x) , des porte-maillot(s), des porte-pierre(s), des porte-
pluine(s), etc.
Remarque. Dans les noms composés avec le mot garde, on a essayé de
distinguer deux groupes différents: ceux où garde désigne une personne, et
ceux où il désigne une chose. Dans les premiers, garde est pris dans le sens
de gardien et considéré comme un substantif susceptible de prendre la marque
du pluriel: des gardes-chasse, des gardes-marine, des gardes-côte. Dans les
seconds, garde est un verbe et signifie 'qui garde', 'qui garantit', et en sa
qualité de verbe il ne prend pas la marque du pluriel: des garde-feu, des
garde-manger, des garde-fous, des garde-robes. Cette distinction n'est guère
fondée en raison: dans les deux cas, garde est un verbe et doit toujours
rester invariable. L'Académie demande pourtant un garde-côte — des gardes-
côtes, et un garde-note — des gardes-notes. Quant au régime de garde, on
peut dans la plupart des cas mettre le singulier ou le pluriel.
339. Adverbe (ou préposition) + substantif. Dans ces mots,
le substantif seul se met au pluriel. Exemples: Une arrière-
boutique — des arrière-boutiques; des arrière-gardes, des arrière-
saisons, des avant-coureurs, des avant-gardes, des contre-coups,
des contre-ordres, des contre-poisons, des contre-ruses, des entr'actes,
des entre-colonnes, des sans-culottes, des sous-baux, des sous-
lieutenants, des sous-poutres, des sous-préfets, des sous-sols. Des
ex-généraux, des vice-rois, des vice-amiraux, des quasi-délits, des
non-valeurs, etc. Dans quelques mots, l'adverbe suit le sub-
stantif: des basses-contre, des hautes-contre.
Cas isolés. Il y a hésitation sur le pluriel de après-dîner,
après-souper, après-midi.
340. Restent toujours invariables:
P Les mots composés, soit avec deux verbes, soit avec un
verbe et son complément, adverbial ou autre. Exemples: des
chante-pleur e, des passe-passe, des laissez-passer, des réveille-matin,
des passe -partout; des pince -sans- rire, des meurt -de -faim, des
chasse-avant, des gagne-petit, etc. Rappelons aussi les ouï-dire,
les on-dit, les bien-être éphémères (Bourget, L'Étape, p. 67), etc.
16
242
2° Les mots composés étrangers: Les auto-da-fé, les ex-voto,
les fac-similé, les in-quarto, les in-octavo, les in-folio, etc.; il y a
pourtant des auteurs qui écrivent des in-folios, des post-scriptums,
etc. On écrit toujours des pique-niques.
Cas isolés. Littré remarque : »Buïïon écrit des orang-outangs ;
suivant l'étymologie, il faudrait écrire: des orangs-outang, puis-
que cela signifie les hommes de la forêt; mais le mieux est
de le traiter comme un mot français, et d'écrire des orang-
outans.« Comp. § 357.
IV. NOMS DE PERSONNES.
341. Il y a beaucoup d'hésitations sur le pluriel des noms
propres de personnes. Les règles des grammairiens modernes
sont souvent contradictoires, et l'usage des auteurs est très
flottant. On trouve par exemple des Don Quichotte, des Don
Quichottes (l'Académie), des Dons Quichoties (Littré). Il serait
pourtant si simple d'adopter les deux règles proposées par Ayer:
»Les noms de personnes, tant qu'ils restent noms propres, sont
invariables au pluriel et s'écrivent avec une majuscule initiale:
Les Corneille sont rares. Quand les noms propres sont devenus
de vrais noms communs, ils sont traités comme les autres
noms communs et s'écrivent avec une minuscule initiale: Des
harpagons, des tartufes «. Cependant, le développement paraît
vouloir suivre un tout autre chemin.
342. Les noms propres de personnes désignant des familles
entières peuvent prendre la marque du pluriel ou rester in-
variables.
l*' Un petit nombre de noms de familles historiques et il-
lustres (royales ou princières, surtout de l'antiquité) prennent
la marque du pluriel: Les Pharaons, les Ptolémées, les Gracques,
les Horaces, les Césars, les Sévères, les Constantins, les Antonins,
les Tarquins, les Capets, les Bourbons, les Guises, les Coudés, les
Stuarts; le s s'ajoute même à des pluriels primitifs: les Strozzis,
les Médicis. Comp. § 354, Rem.
2° En dehors de ces cas consacrés par la tradition, on écrit:
Les Buonaparte, les Mirabeau, les Marillac, les Châiillon, les
Grammont, les Clairmont, etc. Surtout les noms d'une allure
trop étrangère ne prennent pas de s; on écrit les Hohenzollern,
243
les Habsbourg, les Borgia, les Sforza, les Lara, les Wasa, les
Leczinsky, les Visconti, les Pozzi, les Pallavicini, etc. C'est sans
doute pour se conformer aux exigences de la rime que
V.Hugo écrit:
C'est un enfant des Scandinaves,
C'est Gustave, fils des Gustaves.
(Odes, III, no 5.)
3" Dans beaucoup de cas il y a hésitation: Les Guise(s), les
Montfort(^), les Montmorency (s), les Tudor(s), les Plantagenet(s),
les Romanof(s), etc.
4** Les noms de famille vulgaires ou bourgeois restent tou-
jours invariables: Les Baudy, les Rallier, les Barbeau, les Du-
pont, etc.
Remarque. Autrefois l'addition de s était générale dans tous les cas. Ra-
cine écrit ainsi: Les portraits des Dandins (Plaideurs, I, se. 5). Cette règle
était simple et claire et excluait tout doute; avec la règle moderne on ne
sait jamais à quel degré d'illustration elle doit commencer. On n'a pas en-
core, que je sache, répondu à la question de Darmesteter, s'il faut écrire les
deux Carnots ou les deux Carnot.
343. Les noms propres de personnes désignant non pas des
familles toutes entières, mais seulement des individus qui ont
porté le même nom, ne prennent pas de s au pluriel: Les deux
Corneille étaient frères. Les deux Orloff. Les deux Scipion. Pour-
tant les exceptions ne sont pas rares. H. Martin écrit les trois
Maries, et Laveau remarque: »Je dirais les deux Pierres dans
une famille oii il y aurait deux hommes de ce nom« (Diffi-
cultés de la langue française, p. 27). En effet, la règle est ab-
surde. Pourquoi d'un côté: Les Corneilles étaient de race bour-
geoise, et d'un autre : Les deux Corneille étaient frères"? A. Dar-
mesteter a bien raison de demander: »A partir de quel nombre
d'individus doit-on mettre le pluriel?»
Remarque. Pour faire une rime à l'œil, Piron écrit, dans son épigramme
à Voltaire, Corneilles pour Corneille:
Vous l'insultez. En trois ou quatre veilles,
Sujets ratés par l'aîné des Corneilles,
Sujets remplis par le fier Crébillon,
Il refond tout ....
16*
244
344. Les noms propres de personnes employés par antono-
mase pour désigner l'espèce, le type, prennent la marque du
pluriel ou sont invariables.
1" Un petit nombre de noms traditionnels prennent la marque
du pluriel. Exemples: Les Platons, c. à d. les grands philo-
sophes. Les Césars, c. à d. les grands capitaines. Les Cicérons,
c. à d. les grands orateurs. Ces avocats sont les Cicérons de leur
pays. Les Corneilles sont rares sur notre Parnasse. Vous, Caïns
fugitifs, où trouverez-vous lieu (A. d'Aubigné, Jugement). On en
veut aux Trilbys (V. Hugo, Ballades, n° 4). Les Eues nouvelles.
Il n'était pas possible qu'il y eût beaucoup d'Hélènes sur la terre
(J. Bois, Une nouvelle douleur, p. 288). // n'y a plus de Ro-
lands, parce qu'il n'y a plus de Charlemagnes (Jusserand, His-
toire litt. du peuple anglais, I, 458). On écrit de même: les
Céladons, les Mécènes, les Virgiles, les Rolands furieux, des Tar-
tufes, etc.
2" En dehors de ces cas, on les laisse ordinairement in-
variables. Exemples: Des Nemrod, des Artaban, des Lovelace,
des Werther, des Rosine, etc., etc. La vieille colère des Samson
contre les Dalila (J. Bois, Une nouvelle douleur, p. 324).
Pourtant on trouve aussi des Mozarts, des Raphaëls, des Mo-
lières, etc. ,
3^ Pour les noms propres composés l'usage est très flottant.
Th. Gautier écrit: Les avoués ne sont pas des lord Byron
(Histoire de l'art dramatique, H, 327), et autre part, dans le
même ouvrage : Il y a de par le monde une foule de petits lords
Byrons (HI, 131). On hésite également entre les don Juan et
les dons Juans.
345. Les noms propres de personnes employés par emphase
et précédés de l'article au pluriel quoiqu'on n'ait en vue
qu'un seul individu, sont ordinairement invariables: Les Cor-
neille, les Racine, les Molière, les Rousseau sont la gloire des
lettres françaises. Les Turenne, les Condé ont illustré les armes
de leur pays. On mettait le pluriel au XVH*^ siècle (cf. ci-
dessus § 342, Rem.); Racine écrit: Comparables aux Eschyles, aux
Sophocles, aux Euripides, dont la fameuse Athènes ne s'honore
pas moins que des Thémistocles, des Périclès, des Alcibiades qui
vivaient en même temps.
245
346. Les noms propres de personnes employés par métony-
mie pour désigner des ouvrages produits par les personnes en
question sont ordinairement laissés invariables: Ses murs sont
couverts de Raphaël, de Titien, de Poussin, de Corot. Deux Rem-
brandt de la plus grande beauté. Les pâles Boucher (Baudelaire).
Les Courbet du Louvre. J'ai acheté deux La Fontaine. Il plaçait
tout, journaux, revues, livres de science, romans, et les Buffon il-
lustrés et les Crimes célèbres (Fr. Sarcey).
Remarque. La forme variable du pluriel se trouve aussi, mais rarement:
J'ai vu deux Raphaëls et deux Titiens au musée. Il a acheté deux Cicérons
in-folio. On hésite entre les Elzévir et les Elzévirs.
347. Les noms propres de personnes désignant des œuvres
d'art dénommés d'après les personnes représentées prennent
ordinairement la marque du pluriel : On admire là des Her-
cules, des Jupiters, des Minerves (c. à d. des statues d'Hercule,
de Jupiter, de Minerve). Vous trouverez des Eves et des Adams,
des Saint-Sébastiens, des Massacres d'Innocents, des Horatius Co-
des, qui ressemblent à des écorchés vivants et grotesques (Taine).
Il en est de même des noms de monnaies: Des Philippes d'or.
V. NOMS GÉOGRAPHIQUES.
348. Les noms propres de pays et de villes ne prennent or-
dinairement pas de s au pluriel: Les deux Fribourg. Aux États-
Unis il y a 5 Baltimore, 12 Boston, 16 Buffalo, etc. A tout le
moins, il y aura deux Universités, celle de VÉtat et celle de VÉ-
glise, et conséquemmeni deux France (Jules Simon). Deux Rome
sont mises en présence par Fauteur de l'Enéide, celle d'Auguste et
celle de ses fabuleux ancêtres (Patin). Les îles Sandwich, les îles
Chatam, etc. Pourtant, la marque du pluriel est parfois ajoutée:
Nos pauvres colonies, nos Frances d'outre-mer, sont administrées
comme des pays conquis. Il y a deux Algéries, l'une civile,
l'autre arabe et militaire. On trouve également: les deux Per-
games.
349. Le pluriel de certains noms de pays s'explique par le
fait de l'ancienne division politique ou administrative de ces
pays en provinces, en districts ou en états gardant sous un
246
chef commun leur indépendance respective, de sorte qu'on dit
à peu près les Espagnes, comme on dit les Pays-Bas (C. M.
Robert). En voici quelques exemples: Les Abruzzes, les Al-
garves, les Amériques, les Barbades, les Calabres, les deux Caro-
lines, les deux Castilles, les Espagnes, les Flandres, les Florides,
les Gaules, les Géorgies, les Guyanes, les Indes, les Marches, les
Romagnes, les Russies, les deux Siciles; on trouve aussi dans le
parler vulgaire les Afriques. La plupart de ces pluriels ont un
peu vieilli, et on se sert ordinairement de la forme du singu-
lier. Les Asturies et les Grisons n'ont pas de singulier.
Remarque. Flandres s'emploie abusivement au singulier. Vaugclas (Re-
marques, I, p. 19) et Ménage (Observations, p. 317) ont depuis longtemps rejeté
la Flandres (au lieu de la Flandre) comme un barbarisme, mais on lit en-
core dans Michaud: La conquête de la Flandres hollandaise.
VI. MOTS ÉTRANGERS.
350. On forme ordinairement le pluriel des mots d'emprunt
en ajoutant un s à la forme du singulier; on écrit ainsi: Ac-
cessits, adagios, albums, alibis, alinéas, allégros, alléluias, altos,
andantes, avisos, autodafés, bénédicités, bravos, concertos, déficits,
duos, dioramas, Eddas, folios, géraniums, imprésarios, impromp-
tus, jurys, mazurkas, maximums, minimums, mémentos, mu-
séums, opéras, oratorios, panoramas, pensums, pianos, polkas,
quidams, quiproquos, quolibets, rajahs, razzias, récépissés, rectos,
sagas, solos, spécimens, ténors, trios, villas, viragos, visas, vi-
vats, etc.
351. Beaucoup des mots cités étaient autrefois invariables,
et ce n'est que peu à peu que le pluriel régulier en s l'a em-
porté. Ménage remarque : »Nous avons dans nostre Langue plu-
sieurs noms qui sont indéclinables: je veux dire, qui ont le
plurier semblable au singulier. Nous disons, par exemple, un
opéra, & deux opéra; & non pas deux operas« (Observations,
p. 286). Au XVIII*' siècle, Rousseau écrit des opéra, mais d'A-
lembert préfère des opéras. Cette dernière forme est reconnue
par l'Académie en 1835. Prenons un autre exemple. Ménage
proteste contre impromptus. Après avoir remarqué que cette
forme se trouve dans Sarrazin et le père Bouhours, il ajoute:
247
»Après l'autorité de ces deux célèbres Ecrivains, je ne doute
point qu'on ne puisse dire des Impromptus. Je dis pourtant
toujours des Impromptu; & je voy que plusieurs personnes qui
parlent bien parlent de la sorte «. L'Académie n'admet im-
promptus qu'en 1878. On a également hésité sur le pluriel de
album, adagio, alléluia, bénédicité, exéat, mémento, villa, etc.
352. Un petit nombre de mots sont encore laissés sans change-
ment au pluriel. On écrit généralement: Des amen, des ave, des
comma, des confiteor, des contralto, des credo, des crescendo, des
critérium, des errata, des ex-voto, des fac-similé, des forum, des
intérim, des pater, des post-scriptum, des quatuor, des rasta, des
requiem, des stabat, des Te Deum, des veto, des osteria (J. Bois,
Une nouvelle douleur, p. 349), etc.
Désormais beaucoup de ces noms pourront suivre la règle
générale; selon l'Arrêté ministériel du 26 février 1901, il faut
donner le signe du pluriel aux noms empruntés aux autres
langues »lorsqu'ils sont tout à fait entrés dans la langue fran-
çaise: des exéats, comme des déficits^.
353. Il est curieux d'observer que pour quelques mots
étrangers, on n'a pas eu recours à un pluriel de formation
française: on a adopté le pluriel étranger. Ce phénomène s'ob-
serve surtout dans des mots empruntés à l'italien, à l'anglais
et au latin.
354. Mots italiens. Quelques mots masculins ont conservé
leur pluriel primitif en -/; la terminaison féminine en -e est
très rare :
Bravo (assassin) — bravi. Pour l'interjection bravo, le Dic-
tionnaire général remarque: » Quelques-uns disent, selon la
syntaxe italienne, brava quand il s'agit d'une femme; bravi,
de plusieurs hommes; brave, de plusieurs femmes, et au super-
latif bravissimo, bravissima, bravissimi, bravissime«.
Carbonaro — carbonari.
Cicérone — ciceroni. Ce pluriel est plutôt rare : Et des cice-
roni pour tes entremetteurs (Musset, Premières poésies, p. 217).
Je t'épargnerai les guides, les ciceroni et toute la vermine fami-
lière du touriste (O. Feuillet, Scènes et comédies. Paris, 1870.
248
P. 22). L'Académie écrit des cicérone; la forme usuelle est des
cicérones.
Condottiere — condottieri.
Contralto — contralti. Ce pluriel a été employé par Th. Gau-
tier (Histoire de l'art dramatique en France, VI, 56). Selon
Littré, il faut dire au pluriel des contralto ou des contraltes.
Dilettante — dilettanti. Th. Gautier hésite entre le pluriel ita-
lien (loc. cit., VI, 148) et dilettantes (ib., V, 207).
Lazarone — lazaroni. Pour éviter un hiatus, A. de Musset a
écrit lazaronis: Sur les lazaronis étendus au soleil (Premières
poésies, p. 194). On trouve ailleurs chez le même poète la
forme ordinaire: Oreiller des lazaroni Oà sont nés le macaroni
Et la musique (Poésies nouvelles, p. 256).
Libretto — libretti. Littré cite aussi le pluriel librettos.
Quintetto — quintetti. Ce mot est maintenant remplacé par
quintette.
Prima donna — prime donne. Ce pluriel est indiqué par
Littré, et A. Darmesteter l'emploie: Les prime donne, trouvant
ce féminin trop simple (Cours de grammaire historique, II, 66).
Solo — soli. Le pluriel ordinaire est solos; l'Académie écri-
vait avant 1878 des solo.
Soprano — soprani. Castil-Blaze écrit soprane — sopranes.
Remarque. Dans plusieurs cas, on a laissé de côté la forme du singulier,
en adoptant seulement celle du pluriel. lîxemples: Concetti (it. concetto
— concetti), Zazzf (ital. lazzo — lazzi), macaroni (ital. macherone —
macheroni). Conformément à l'étymologie, ils ne s'employaient à l'origine
qu'au pluriel: des concetti, des lazzi, des macaroni, mais à mesure que le
besoin d'un singulier s'est fait sentir, on a commencé à dire un concetti, un
lazzi, un macaroni, et ce passage au singulier a provoqué un nouveau plu-
riel en -s. On continue à écrire des concetti; mais des macaronis a été sanc-
tionné par l'Académie, qui pourtant repousse des lazzis. C'est également un
pluriel italien qui se cache dans coZis, écrit autrefois co/i « colli decollo);
voir § 365.
355. Mots latins. Quelques neutres ont conservé leur plu-
riel latin: maximum — maxima, minimum — minima ; encore
faut-il remarquer que les formes en -a appartiennent au lan-
gage scientifique, tandis que dans le langage ordinaire on dit
des maximums, des minimums. Pour le mot d'adoption récente
sanatorium, nous avons trouvé alternativement des sanatoria et
des sanatoriums.
249
Remarque. On a adopté les deux pluriels neutres agenda, errata qui
ont passé au singulier: un agenda, un errata. A propos de ce dernier mot
Littré a fait l'observation suivante: » L'Académie remarque que quelques per-
sonnes disent erratum quand il n'y a qu'une seule faute: Cette faute don-
nera lieu à un erratum. Mais la plupart des grammairiens s'accordent pour
dire que vouloir ici suivre le latin est pédantesque, et que, errata ayant pris
en français le sens de liste de fautes, peu importait qu'il y eût plusieurs
fautes ou une seule. « Au pluriel on écrit généralement des agendas, mais des
errata.
356. Mots anglais. On a gardé le pluriel anglais dans:
1° Plusieurs mots en -man; nous avons trouvé dans la lit-
térature moderne les pluriels suivants: Aldermen, cabmen, clergy-
men, clubmen (J. Bois, Une nouvelle douleur, p. 115, 116),
gentlemen, policemen (Jusserand, Histoire littéraire du peuple
anglais, I, 539), sportsmen.
2^ Plusieurs mots en -y: Baby — babies, dandy — dandies,
gipsy — gipsies, lady — ladies.
' 3" Quelques mots isolés tels que miss — misses (voir Littré,
Supplément, sous flirter).
357. Il arrive parfois qu'on n'emprunte que le pluriel des
mots étrangers. Aux exemples déjà cités (§§ 354, Rem., 355,
Rem.) ajoutons uléma qui vient de l'arabe ulemâ, pluriel de
alim (docte). A propos de ce mot, Littré observe qu'il ne faut
pas dire un uléma, et critique l'Académie qui écrit des ulémas.
Mais les grammairiens ont beau critiquer, le mécanisme gram-
matical va toujours son chemin, et le pluriel étranger, une
fois adopté en français, passe ordinairement au singulier. En
effet, pourquoi protester contre un uléma, quand on accepte
un agenda, un errata"^ Et pourquoi se refuser à des ulémas,
quand on reconnaît des agendas'! Il est curieux d'observer
comment ces pluriels doubles réussissent toujours à irriter les
grammairiens; ils sont pourtant tout à fait inoffensifs (surtout
quand il s'agit de mots arabes dont très peu connaissent la
forme correcte). A propos d'un autre pluriel, également incri-
miné, des Touaregs, M. Remy de Gourmont remarque: »On sait
que des savants innocents nous voudraient imposer, sous pré-
texte de linguistique africaine : un Targui, des Touareg. Ce sont
les frères de ceux qui crient brava à une femme et bravo à
un homme, au théâtre. Pédantisme de cabinet, pédantisme de
salon« (Le problème du style, p. 227).
250
VU. MOTS INVARIABLES.
358. Par suite de l'emploi de s, x, z comme signes de plu-
riel (§ 282 ss.), les mots qui se terminent par ces consonnes
au singulier, sont invariables au pluriel: Le fils — les fils; le
bras — les bras; le temps — les temps; la noix — les noix; le
nez — les nez.
359. Sont également invariables:
1^ Les mots et locutions qui ne sont employés qu'acciden-
tellement comme substantifs. Exemples: Plusieurs peu font un
beaucoup. Les qu'en dira-t-on inquiètent peu le sage. Les on-
dit. Les oui. Les non. Plusieurs un. Des solo. Des mi, etc. Les si,
les car, les pourquoi sont la porte Par où la noise entre dans
l'univers (La Fontaine). Trois un de suite.
2" Les titres des revues, des journaux et des livres. Ex-
emples: Voici plusieurs Revue britannique qui vous intéresse-
ront. Je vous rends les Journal des Débats que vous m'avez
prêtés. Envoyez-moi deux Télémaqiie. On écrira toujours des
Vie de Jésus, dit M. Renan, et on les lira toujours avec em-
pressement.
VIII. RAPPORT ENTRE LE SINGULIER ET
LE PLURIEL.
360. Beaucoup de grammaires enseignent qu'on forme géné-
ralement le pluriel en ajoutant un s au singulier. Cette règle,
dont la valeur pratique est incontestable, est inexacte au point
de vue historique; il faut dire qu'ordinairement les nombres
français viennent des nombres latins correspondants : le plu-
riel français murs remonte directement au pluriel latin mu-
ros, comme le singulier mur remonte à murum; par con-
séquent, murs n'est pas formé du singulier mur par l'addition
de s. Pourtant, dans beaucoup de cas la langue présente et
des pluriels tirés directement des singuliers correspondants
(§ 361) et des singuliers refaits sur le pluriel (§ 362).
361, Pluriel tiré du singulier. Ce phénomène s'observe
dans:
251
1" Tous les pluriels dont le s n'est pas étymologique. Ainsi,
tandis que murs remonte à mur os, landaus représente histo-
riquement le singulier landau (emprunté de l'ail. Landau)
-j- s. Ce groupe comprend surtout les mots d'emprunt et les
mots de formation française. Exemples: Pédants, patriotes, ca-
lifes, casques, cravaches, landaus, antivivisectionnistes, antivacci-
nistes, etc., etc. Un tout petit nombre de mots étrangers ont
conservé leur pluriel primitif: un libretto — des libretti; voir
§ 353 ss. Sur les neutres pluriels latins, voir § 263.
2" Les pluriels reformés. Bals, cruels, conseils, tilleuls, chefs,
grecs, qui ont remplacé baus, crueux, conseux, tilleux, ches, grès,
représentent historiquement bal -j- s, cruel -\- s, conseil -j- s, til-
leul -\- s, chef -\- s, grec -(- s.
362. Singulier tiré du pluriel par la soustraction de la
marque du pluriel. Ce phénomène s'observe dans les singu-
liers refaits tels que beau, cou, genou, animau (§ 299), bailli,
clé, qui ont remplacé bel, col, fenouil, animal, bailli f clef, et
représentent beaux -=- x, cous -=- s, genoux -^- x, animaux -h x,
baillis H- s, des -=- s.
363. Il faut encore rappeler tous les mots qui, de par leur
signification, sont originairement du pluriel, et auxquels le
mécanisme grammatical a fini par créer un singulier. En voici
quelques exemples:
Les cent-suisses — un cent-suisse.
Des faits divers — un fait divers.
Les gens d'armes — un gendarme; de ce singulier on a tiré
un nouveau pluriel : gendarmes.
Les gens de lettres — un gendelettres (voir p. ex. Mélusine,
VI, 244).
Les sept pseaumes — un sesseaume. H. Estienne remarque:
»Je sçay bien qu'il y avoit des hommes si ignorans que non
seulement ils ne sçavoient s'il faloit dire C'est une terre de
permission, ou Cest une terre de promission, mais au lieu de
dire Un pseaume de David disoyent Un sesseaume de David:
pource qu'ils oyoyent ordinairement parler des Sept pseaumes,
au lieu dequoy (comme l'oreille de chacun se sçait bien ac-
commoder à son ignorance) ils entendoyent Sesseaumes (Deux
252
dialogues du nouveau langage françois italianizé, p. p. Ristel-
huber, II, 135).
Les quinze-vingts — un quinze-vingt (un aveugle). Comp.
§ 490.
Les Seize (de Paris; les chefs des seize quartiers de la ville
au temps de la Ligue) — un seize.
La (fête de) Toussaints — la Toussaint.
Remarque. Les mots composés qui renferment une synecdoque ou une
métonymie gardent ordinairement le signe du pluriel: un huit-ressorts, un
trois-mâts, un trois-pieds, un trois-ponts, un trois- quarts, un quatre-coins, un
six-doigts, un mille-pieds, un 1500 francs (soldat de 1500 francs). On écrit
pourtant: une mille-feuille, un mille-graine, un mille-point. L'explication de
chevau-légér est douteuse; probablement ce singulier curieux est tiré di-
rectement du pluriel chevaux-légers (l'orthographe actuelle chevau-légers est
fautive). [On trouve au XVI« siècle le singulier étymologiquement plus cor-
rect cheval-léger; mais il change de forme au XVII^. Ménage observe: «Quoi-
qu'on dise un cheval, & non pas un chevau, il faut dire, 11 est chevau-leger,
& non pas, Il est cheval-léger. L'Usage le veut ainsi. L'Ordonnance de Blois
a usé pourtant du mot de cheval-leger. Ne pourra aucun estre Gendarme,
qu'il n'ait esté Archer ou Cheval-leger un an continuel. C'est en l'article
289« (Observations, p. 220).
364. La fonction du s comme marque du pluriel a eu pour
conséquence que cette lettre a été regardée comme élément for-
mel ou flexionnel dans quelques mots, où elle faisait partie du
radical, et qu'on l'a écartée du singulier. Voici quelques ex-
emples de ce curieux mécanisme grammatical:
^ esp. andaluz ) andalou; on trouve andalous au XVI 11^ siècle.
ail. Bars ) bar; le Dict. gén. donne aussi bars.
vfr. berz > ber; le Dict. gén. donne aussi bers.
vfr. bruz > bru; ce singulier existe dès le XVI^ siècle.
débris > débri; ce singulier a été employé à la rime par
Lamartine :
Et les peuples poussant un cri
Comme un avide essaim d'esclaves
Dont on a brisé les entraves,
Se sauvent avec un débri.
(Harmonies, IV, 14).
gars > gar; ce singulier a été employé par J. Le Roux dans
son Dictionnaire comique,
ail. Mastochs > mastoc.
ail. Urochs ) uroch. Cette forme tronquée a été employée par
253
Chateaubriand (Martyrs, chap. VII) et H, Taine (Hist. de la
litt. angl., I, 17). La forme ordinaire est aurochs.
Remarque. Cette formation d'un nouveau singulier par la soustraction
d'une prétendue terminaison de pluriel est un phénomène curieux d'ana-
logie qui se retrouve dans d'autres langues. Rappelons pour l'anglais cherry
(fr. cerise), marquée (fr. marquise), pea (lat. pi su m), au lieu de cherris,
marquées et pease (conservé dans peasblossom, pease-porridge), et la forme
vulgaire shay au lieu de chaise (fr. chaise); on trouve aussi a Chinée, a
Portuguee, a Maltee, pour a Chinese, a Portuguese, a Maltese.
365. Quelques mots, qui présentent indûment au singulier
un s final, sont des pluriels primitifs passés au singulier. Ce
sont ou des mots français ou des mots d'emprunt. Exemples:
Un alcarazas < esp. alcarrazas, pluriel de alcarraza.
Un appas tiré de des appas, ancien pluriel normal de ap-
past (voir p. ex. Régnier, Macette, v. 82). On avait aussi un
pluriel refait appasts, d'où appâts.
Un colis, tiré de des colis. L'Académie donne en 1735 coU
au singulier, mais supprime cette forme en 1878. Colis est un
double pluriel venant de l'it. colli; comp. § 354, Rem.
Un escampativos < gasc. escampati vos, pluriel de escam-
pativo, escapade.
Un lilas (pour lila ou lilac), tiré de des lilas, qui est pour
lilacs; le mot est emprunté de l'esp. lilac.
Un lis (pour /i7), tiré de des fleurs de lis (voir § 280).
Un mérinos < esp. mérinos, pluriel de merino.
Un palmarès < lat. palmarès, pluriel de pal mari s, qui a
mérité les palmes, les prix.
Un recors, tiré de des recors, ancien pluriel de record.
Un relais, tiré de des relais (subst. verbal de relayer; comp.
délayer — délai).
Un rets, tiré de des rets (voir § 280).
Un ségrais, tiré de des ségrais (pluriel de segrai ) secre-
tum).
Remarque. Quelques mots isolés présentent au singulier un s parasite:
Remous (emprunté du prov. moderne rem ou), salmis (pour salmi, abrévia-
tion de salmigondis). Dans tous les autres mots qui se terminent au singu-
lier par un s, cette consonne appartient au radical: vers (versum), tiers
(tertium), ours (ursum), ou bien est l'ancienne marque flexionnelle du
nominatif (§ 279).
254
IX. LA LANGUE PARLEE ET LES PATOIS.
366. Toutes les règles précédentes ont uniquement trait
à la langue écrite, et ne sont pas valables pour la langue par-
lée. Dans la plupart des cas, la langue écrite possède une
forme particulière pour le pluriel: Le petit chat — les petits
chats, ta belle maison — les belles maisons, le nouveau journal
— les nouveaux journaux, etc., et ce n'est qu'un petit ijombre
de mots qui restent invariables (§§ 358 — 359). La langue par-
lée, au contraire, ne connaît ordinairement qu'une seule forme
pour les deux nombres; il n'y a aucune différence entre (un)
petit chat et (deux) petits chats, (une) belle maison et (deux)
belles maisons (comp. § 368), le s du pluriel s'étant amuï.
Rappelons pourtant que cette consonne se prononce encore
devant une voyelle: les beaux arts [leboza:r], les langues étran-
gères [lelâgzetrâ5£:r], etc.; pour les détails, voir Manuel phonétique,
§ 164.
367. L'amuïssement du s était autrefois suivi d'un allonge-
ment de la voyelle précédente (I, § 130, i, Rem.); on disait
un lac [lak], des lacs [la:k]. Meigret pose en règle générale que
»toutes terminezons plurieres tant dès noms substantifs, q'ad-
iectifs, qe participes, qe pronoms, fèttes en voyelle, excepté l'e
bref, ont la voyelle de la dernière syllabe longe: comme lac,
lacs: hanap, hanâps: bonèt, bonês: sqif, sqîfs: coq, côcs: but,
bûs«. Lanoue attribue »raccent long« aux pluriels des mots
terminés au singulier par une consonne qui peut être syn-
copée devant Vs, ac; ap (dras) ; ec; ep; ef (chés, de chef et dé-
rivés, clés, fiés); ic (bazilis, aspis) ; if (baillis, apprentis, substan-
tis, craintis, restis, mestis) ; il mouillé (conis, fenis, chenis, péris,
baris, outis, gentis), » excepté sourds, qui rime à is bref; »euf«
excepté veuf, qui ne se peut proférer sans 1'/, pourtant quand
on s'en seruira il faudra accommoder ses compagnons à sa
pronontiation«. Cette différence quantitative entre le singulier
et le pluriel existe jusqu'à la fin du XVIIP siècle. L'Anonyme
de 1654 dit que »dans tous les mots en c, l, f r, Vs au plu-
rier sert comme de marque et d'accent, pour faire alonger la
voyelle de leurs dernières syllabes plurieres, comme en ces
mots bacs, becs, pîcs, sucs, chefs, vifs, chars, cors, dûrs<.<. Rap-
pelons enfin que Durand (1748) remarque: »Tous les pluriers
255
sont longs universellement, dans les noms, dans les verbes,
dans les articles, en un mot, dans toute expression qui en est
susceptible .... Vous savez aussi bien que moi qu'il y a de
la différence entre le Roi et lés Roïs, le duc et lés ducs, le roc
et lés rocs; on ne prononce pas Y s, il est vrai, mais on la fait
sentir par un petit allongement sans affectation«. De nos jours,
les patois seuls ont conservé une différence quantitative entre
le singulier et le pluriel.
368. La langue parlée ne possède une forme spéciale pour
le pluriel que dans les cas peu nombreux, où l'on conserve
des traces des changements phonétiques occasionnés autrefois
par l'addition du s. L'amuïssement de la consonne finale ne
joue plus aucun rôle (voir § 287); restent donc seulement
ceux des mots en /, dont on n'a pas reformé le pluriel. Ce
sont
1° Un certain nombre de mots en -al: [Javal] — [J^vo], [gur-
nal] — [gurno], [arsanal] — [arsano], etc. ; voir pour les détails,
§ 292.
2° Quelques mots en -ail: [travaj] — [travo], [koraj] — [ko-
ro], [baj] — [bo], etc.; voir pour les détails, § 302.
3" Les trois substantifs [ajœl] — [ajo], [sjeI] — [sjo], [œj] — [J0],
qui sont aussi invariables (voir §§ 308, 318).
369. L'effacement de la distinction entre le singulier et le
pluriel a eu lieu aussi en plusieurs patois. L'abbé Rabiet re-
marque dans son Étude sur le patois de Bourberain: »La
marque du pluriel [des substantifs] a à peu près complètement
disparu. Les alternances françaises al — aux, ail — aux, etc.,
comme caractéristiques du nombre n'existent pas dans notre
patois . . . Les formes èy, vèj servent à la fois pour le singu-
lier et le pluriel: œil — yeux; vieil, vieux — vieille, vieilles.
Quant à Vs, qui paraît en français dans l'orthographe et qui
sonne encore comme liaison devant un mot commençant par
une voyelle, il n'y en a plus trace, au moins après les subs-
tantifs, les adjectifs et les pronoms personnels sujets. C'est
donc uniquement par la forme de l'article ou par le nombre
du verbe qu'on peut être renseigné sur le nombre du substan-
tif*. Il ajoute plus loin: »I^a distinction du nombre a disparu
complètement dans les adjectifs comme dans les substantifs.
256
On n'entend jamais sonner d's à la finale de l'adjectif devant
un substantif commençant par une voyelle. Seulement devant
un mot commençant par une voyelle on se sert de la forme
la plus pleine, laquelle est identique à la forme du féminin:
[vif. de pœt uzja:] (voilà de laids oiseaux); — [le bel efa:r] (les
belles affaires); — [de ptitj Qfâ] (des petits enfants); — [le zâtitj
âfâ] (les gentils enfants); — [de vej 5m] (des vieux hommes,
des hommes âgés) (Revue des patois gallo-romans, III, 88, 90).
Le même état de choses se rencontre dans les patois lorrains.
M. Lucien Adam écrit: » C'est une règle absolue, dans nos
patois, que le nom ne subit aucune modification en passant
du nombre singulier au nombre pluriel. Ainsi, l'on dit sa chwâ
(son cheval), ses chwâs (ses chevaux); lo général, les générais,
le merchau (le maréchal), les merchaus (les maréchaux). M''"*^
Houberdon indique expressément que, dans le dialecte du
Tholy, Vs finale ne sonne point sur la voyelle initiale du mot
qui suit« (Les patois lorrains, Nancy et Paris. 1881. P. 103).
Mais, si le mot ne subit aucune modification au pluriel, pour-
quoi alors écrire un s final? On voit quelle est la puissance
de la langue littéraire, et la difficulté qu'éprouve même un
philologue à admettre le fait qu'il a constaté lui-même, à savoir
que les noms n'ont pas de pluriel.
370. D'un autre côté, il y a plusieurs patois qui distinguent
encore le pluriel du singulier. Nous avons déjà parlé de l'é-
change des finales -el et -eaux, abandonné dans la langue
littéraire actuelle et conservé en Calvados (§ 311). C'est
aussi dans les patois de ce pays que r est devenu le repré-
sentatif du pluriel d'un certain nombre de mots; cette forma-
tion s'explique par l'amuïssement du r final, et la réduction
de rs final à r; au lieu de voleur — voleurs, on dit voleu —
voleur; puis, ce r s'adjoint par analogie à tels autres mots où
il n'a rien d'étymologique. A Fontenay-le-Marmion on dit non
seulement bateu — bateur, raboureu (laboureur) — raboureur,
voleu — voleur, ne (noir) — ner, se (soir) — ser, mais aussi
kota (côté) — kotèr, fosa (fossé) — fosèr, pava (pavé) — pa-
ver. A La Hague on dit glayeu — glayeur, ye (œil) — yer, à
la Trinité (Ile de Jersey), jnou (genou) — jnour, ye (œil) —
yer, plesi — plesir, etc.
CHAPITRE IV.
LE MASCULIN ET LE FÉMININ.
A. DISTINCTION DES GENRES.
371. La distinction des deux genres a ordinairement lieu
dans les noms propres, en tant qu'ils sont personnels: Henri
— Henriette, etc.; dans les noms communs désignant des êtres
vivants: neveu — nièce, loup — louve, etc.; dans les adjectifs:
bon — bonne, doux — douce, fort — forte, etc. La distinction
se fait de plusieurs manières différentes:
1° On emploie pour le féminin un tout autre mot que pour
le masculin: homme — femme. Voir § 39L
2° On emploie le même mot en différenciant seulement la
finale ou en ajoutant (parfois en ôtant) un suffixe: cousin —
cousine, renard — renarde, jumeau — jumelle, hôte — hôtesse,
Josèphe — Joséphine, canard — cane, etc. Dans quelques mots
la différence entre les deux formes est plus marquée: neveu —
nièce, roi — reine. Voir §§ 392 — 432.
3" On emploie le même mot sans changement de forme, et
le genre s'exprime par le déterminant: un e'/èye — une élève,
son concierge — sa concierge, un éléphant mâle — un éléphant
femelle, etc. Voir §§ 433—440.
372. Noms propres. Beaucoup de noms de baptême ont une
forme spéciale au féminin: Adolphe — Adolphine, André —
Andrée, Antoine — Antoinette, Chariot — Charlotte, Emile —
Emilie, Eugène — Eugénie, Gabriel — Gabrielle, Henri — Hen-
riette, Jean — Jeanne, Jules — Julie, Louis — Louise, Mar-
17
258
tin — Martine, Napoléon — Napoléone, Paulin — Pauline, Si-
mon — Simonne, etc.
Remarque. Dans quelques cas, la même forme est commune aux deux
genres: Camille, Marie. Mais le plus souvent, le nom de baptême est ex-
clusivement masculin: Alexis, Alfred, Arthur, Gaston, ou exclusivement fé-
minin: Anne, Élise, Emma, Marguerite.
373. Les noms de famille ne changent pas de genre; on dit
Monsieur Jean Legrand et Madame Jeanne Legrand, Monsieur
Adolphe Bernadotte et Madame Adolphine Bernadotte. Ainsi les
noms propres s'immobilisent, soit sous une forme masculine,
soit sous une forme féminine, dès qu'ils deviennent communs
à tous les membres d'une famille. Autrefois le nom familial
pouvait varier de genre, et il le fait encore dans plusieurs
patois. Citons à ce sujet quelques observations intéressantes
de M. Robert Mowat: »I1 est aussi dans les usages populaires
d'une foule de localités de désigner une femme, mariée ou
veuve, par le nom familial de son mari avec la désinence
féminine, en le faisant précéder de l'article la. Le cas se pré-
sente souvent dans les livres de la Taille de Paris, pour 1292
et pour 1313. Le procès récent d'Aix nous apprend que l'une
des accusées, la veuve Fanny Lambert, était dite la Lamberte.
On comprend d'après cela comment tant de noms de famille
ont la désinence féminine, et reproduisent soit un nom per-
sonnel (prénom) de femme, soit un nom familial féminisé; ce
sont en général des »métronymiques«, qui indiquent que leur
premier auteur connu était un enfant illégitime, n'aj^ant d'autre
nom à transmettre à sa race que celui de sa mère; exemples:
Barbe, Nicole, Luce, Blanche, Jeanne, Susane, Bernadotte, Lassi-
monne (= la Simonne), Lamartine (= la Martine)., Lablanche,
Ladoucette, Larousse, etc., etc.«. (MSLP., I, 178). Ajoutons un
exemple tiré des » Scènes populaires « de Henri Monnier: J'vous
ons-t'y dit qu'la femme à défunt père Thibaud, la Thibaude,
aile s'aviont remariée (II, 60). Dans »rEsprit des Campagnes»,
Madame Germain s'appelle la Germaine (ib., II, 153).
Remarque. Henri Lavedan a plaisamment créé une forme féminine du
nom de Bourget. Dans «Le nouveau jeu« (p. 288), la Comtesse de Soperani,
ci-devant madame Costard, écrit: J'aurais débuté par .... des impressions
de voyages, où j'aurais fait ma petite Bourgette, tout en restant moi».
259
374. Noms communs. Les noms communs désignant des êtres
humains ou des animaux d'une classe supérieure, ont géné-
ralement une forme spéciale pour chaque genre: Homme —
femme, oncle — tante, neveu — nièce, cousin — cousine, duc
— duchesse, comte — comtesse, ami — amie, ouvrier — ouvrière.
Taureau — vache, loup — louve, renard — renarde, etc.
375. Dans tous les mots cités la distinction des genres sert
à marquer le sexe naturel. Il est rare que l'accord entre le
genre logique et le genre grammatical fasse défaut; rappelons
pourtant les faits suivants, qui seront traités plus en détail
dans la Syntaxe:
l*' Certains noms sont du masculin et ne s'appliquent qu'à
des femmes: laideron, souillon, tendron.
2® D'autres noms sont du féminin et ne s'appliquent qu'à
des hommes : estafette, recrue, sentinelle, vigie. r
3° Certains noms masculins désignant des états ou des pro-
fessions, autrefois propres aux hommes, s'appliquent indiffé-
remment aux deux sexes: écrivain, médecin, professeur, etc.;
pour les détails, voir § 435 ss.
4" Certains noms féminins, qui originairement ne désignaient
pas des personnes, s'appliquent indifféremment aux deux sexes:
caution, connaissance, dupe, pratique, victime, etc.
Remarque. Certains noms féminins désignant des états propres aux femmes,
n'ont pas de masculin : modiste., lavandière, nourrice.
376. La distinction des genres servant à marquer le sexe
naturel, est par cette raison inapplicable quand il s'agit d'ob-
jets inanimés. La langue vulgaire en présente bien quelques
exemples, mais ils sont tout à fait isolés et s'expliquent le
plus naturellement comme des créations artificielles et bur-
lesques. Nisard a tiré des »Poissardiana« (1756) la forme por-
traisse employé dans une vieille chanson pour portrait (7^ épais
épaisse) en parlant d'une femme : L'amour dont vous êtes la
vraie portraisse (De quelques parisianismes populaires, p. 180).
Rappelons aussi que La Chaussée a dit amadoue pour ama-
dou: Enfin je te revois, beau briquet de ma flamme. Douce et
chère amadoue, étoupe de mon âme (Rapatr., se. 7).
Doublets. Quelques substantifs désignant des objets pré-
sentent deux formes d'un genre différent. On trouve au moyen
17*
260
âge par ex.: un ail — une aille, un fust — une fuste, un ëur
— une ëure, un seuil — une seuile; une espine — un espin, une
fourche — un fourc, une olive — un olif, etc. Citons pour la
langue moderne grain — graine, ravin — ravine, cerveau —
cervelle, javeau — javelle, tonneau — tonnelle, etc. Ajoutons que
sonnette a parfois été employé, plaisamment, comme une forme
féminine de sonnet: »Et vous qui êtes cause de leur folie,
sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, ro-
mans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à
tous les diables !« (Molière, Précieuses ridicules, se. 17). La même
plaisanterie est attribuée par Tallemant des Réaux (Historiettes,
I, 294) à Malherbe, et nous la retrouvons aussi dans le Berger
extravagant de Sorel.
B. RAPPORT HISTORIQUE ENTRE LA FORME
MASCULINE ET LA FORME FÉMININE.
377. Très souvent les deux formes remontent au latin : homme
(hominem) — femme (femina), empereur (imperatorem)
— vfr. empererriz (impératrice m), abbé (abbatem) — ab-
besse (abbatissa), jumeau (gemellum) — jumelle (gemella),
époux (sponsum) — épouse (sponsa), ami (ami eu m) —
amie (amica), bon (bonum) — bonne (bona), sec (siccum)
— sèche (sicca), etc. Mais, dans beaucoup de cas, le rapport
historique entre les deux formes est tout autre, et l'une des
formes est une création purement française.
Remarque. Parfois les deux formes s'influencent phonétiquement. Le fé-
minin nièce doit sa diphtongue (I, § 164) à l'influence du nominatif masculin
nies (§ 260). De l'autre côté, l'ancien masculin leu (I, § 182) a été remplacé
par loup, sous l'influence de louve. Rappelons aussi frais — fraîche (ortho-
graphe moderne pour fres — fresche), où le féminin seul est étymologique;
on avait dans le plus vieux français freis — fresche, mais le féminin a réagi
sur le masculin; la forme moderne correcte serait frois.
I. SUBSTANTIFS.
378. Dans les substantifs biformes, le masculin aussi bien
que le féminin peut être analogique. A côté de leo, le latin
classique avait le féminin le a (ou lesena); de ces formes,
261
le français ne possède que le masculin: le o ne m > lion; pour
le féminin, on a créé deux formes non étymologiques, lionne
(§ 402) et lionnesse (§ 403). De l'autre côté, des deux formes
viduus et vidua, la dernière seule s'est continuée en fran-
çais: vidua ) veuve; le masculin veuf est une création ana-
logique postérieure (§ 380). Parfois les rapports entre les deux
formes sont très compliqués; ainsi le féminin daine ne re-
monte pas au classique dama, qui aurait donné daime; il a
été tiré du masculin daim (autrefois écrit dain) sur le modèle
de vain — vaine, et ce masculin vient de la forme vulgaire
* dam us, tiré de dama.
379. Un féminin analogique se trouve dans un grand nombre
de mots qui primitivement n'existaient qu'au masculin; ce sont
surtout :
1° Des mots appartenant à la 3^ déclinaison latine. Exemples:
Baronne, tiré de baron (baronem). Chienne (cf. § 401), tiré
de chien (cane m). Géante (cf. § 412), tiré de géant (gigan-
tem). Lionne (cf. § 402), tiré de lion (leonem). Marchande
(cf. § 416, i), tiré de marc/îanof (* mer ca tant em). Parente, tiré
de parent (parentem). Prieure (cf. § 406, i. Rem,), tiré de
prieur (priorem).
2" Des mots d'emprunt. Exemples : Sultane de sultan (mot
d'origine arabe). Co/one/Ze de coZo/7e/ (it. col on ello). Clownesse
de clown (mot anglais). Pick-pockette de pick-pocket (mot an-
glais). Ce n'est que très rarement qu'on emprunte aussi la
forme féminine étrangère ; rappelons pairesse (§ 425), authoresse
(§ 436), sportswoman et skatingwoman.
3" Des mots composés, dont la dernière partie est primitive-
ment invariable; ainsi vaurienne a été tiré de vaurien (qui est
pour vaut rien). Pour d'autres exemples, voir § 432.
380. Un masculin analogique se trouve dans un certain
nombre de mots qui primitivement n'existaient qu'au féminin.
En voici quelques exemples:
Concubin, tiré de concubine, sur le modèle de voisin — voi-
sine. Le mot appartient à la langue vulgaire (voir Rigaud). Il
s'emploie maintenant aussi dans la langue de droit, qui l'a
probablement emprunté du lat. concubinus.
262
Fé, tiré de fée (*fata); la forme masculine a été employée
par E. Rolland comme traduction du dan. alf, elf (voir Re-
cueil de chansons populaires, III, 54).
Machin, masculin vulgaire et de formation récente, tiré de
machine (macchina); comp. en italien moderne coso, tiré de
cosa.
M'ami, masculin tiré de m'amie, a été employé par A. Dau-
det (Sapho, p. 23, 34, 320, 337).
Puceau. Ce masculin, qui remonte au XVII^ siècle (La Fon-
taine), a été tiré de piicelle, sur le modèle de jumeau — ju-
melle.
Rosier, masculin tiré de rosière et dû à Guy de Maupassant,
qui a raconté plaisamment comment on fut obligé, dans une
petite ville de Normandie, de substituer un rosier à la rosière
introuvable (voir Le Rosier de Mme Husson).
Veuf. On n'avait autrefois que la forme féminine veuve (vi-
dua); à ce propos M. G. Paris remarque: »Le fait d'avoir
perdu sa femme ne constituait pas pour un homme une con-
dition sociale particulière comme pour une femme le fait d'a-
voir perdu son mari; quand on a voulu exprimer l'idée de
veuvage par un adjectif masculin, on a dit un homme veuve;
c'est la seule forme usitée jusqu'au XVII'^ siècle, et je ne l'ai
pas rencontrée avant le XI V*'; plus tard on a fait le mascuHn
veuf sur le modèle de neuf en regard de neuvei- (Romania, XV,
p. 440).
Cas isolés. Dans quelques cas on a tiré des adjectifs bi-
formes de substantifs féminins; ainsi violette, employé comme
adjectif, a donné naissance à violet — violette, et de châtaigne
provient châtain — châtaine (comp. § 442). Ajoutons enfin
médecin, tiré de médecine (medicina); on disait au moyen
âge mire, et au féminin miresse, mireresse, mirgesse. Sur un
nouveau féminin médecine, pour désigner la femme du méde-
cin, voir § 438.
381. Un masculin analogique refait tiré du féminin remplace
dans quelques mots le masculin primitif:
Emperier. L'origine de cette vieille forme est très curieuse;
elle a sans doute été tirée de emper(i)ere, qui est un nomina-
tif remontant à imperator et dont Joinville se sert encore:
Li emperieres Ferris l'avoit fait chevalier (Histoire de Saint
263
Louis, § 196). La forme resta en usage après la disparition de
la déclinaison (§ 276); mais, à cause de sa terminaison on la re-
garda comme un féminin et on l'employa au sens d'impératrice :
Dame du ciel, régente terrienne, Emperière des infernaulx pa-
lux (Villon, Ballade). Cette emperière du monde (Ane. théâtre
franc., IX, 238). Vaudroit mieux cent fois Mener paistre, ber-
gère, vn troupeau par les bois Contente en son amour, qu' Em-
perière du monde Régir sans son amy (Garnier, Bradamante,
V. 919). Garnier l'emploie aussi comme adjectif: Aspirer aux
grandeurs emperières (Porcie, v. 784). Cette ame emperière (Bra-
damante, V. 723). De emperière, regardé comme un féminin,
Villon a tiré le masculin emperier qui figure au sens d'empe-
reur dans sa Ballade en vieux français. On trouve le même
mot ailleurs au sens de chef, souverain.
Juif. Le masculin primitif est jui(e)u (Judaeum); de cette
forme on a tiré le féminin analogique juiue, juive, qui a été
le point de départ de juif (comp. vif — vive).
382. Plusieurs noms d'animaux présentent un masculin de
formation postérieure tirée du féminin. Exemples : Canard est
dérivé de cane, cochon dé coche (voir § 431). Rappelons aussi
daim (§ 378) et loup (§ 377, Rem.).
II. ADJECTIFS.
383. On avait dans la vieille langue :
1" Des adjectifs biformes, tels que bon, mal, pur, froit,
chalt, etc.
2" Des adjectifs uniformes, tels que brief, fort, grant, leial,
présent, etc. Exemples: Manatce regiel (Sie Eulalie, v. 8). Grand
honestet (ib., v. 18). Grant nobilitet (St. Alexis, v. 14). Fort aven-
ture {ib., V. 441). La leial compaignie (Roland, v. 1735), etc., etc.
384. Sur le sort des deux groupes d'adje<îtifs il faut remar-
quer :
1^ Les adjectifs biformes se sont généralement maintenus
tels quels: bon — bonne, pur — pure, froid — froide.
2" Quelques adjectifs biformes ont éliminé le masculin au
profit du féminin. Au lieu de chauf — chauve, on ne dit plus
que chauve aux deux genres; voir § 389.
264
3° Les adjectifs uniformes, qui ne se terminaient pas en -e,
sont devenus biformes par la création d'un féminin analogique
en -e; de fort (fortem) a été tiré forte, sur le modèle de
mort — morte (m or tu a).
Remarque. La tendance à donner un féminin spécial aux adjectifs bi-
formes remonte très liant. Déjà en latin on trouve pauperus paupera
pour pauper. L'Appendix Probi remarque qu'il faut dire ipauper mulier,
non paupera mulier«; la forme vulgaire en -us -a se retrouve dans l'ital.
povero — povera, et dans le prov. paubre — paubra. De même en gallo-
roman communis, dolens, follis et mollis ont été remplacés par com-
munus, dolentus, *follus, *mollus; ces adjectifs présentent dès les plus
anciens textes provençaux et français une forme spéciale en -a ou -e au fé-
minin. Il en est de même de diilz — douce (prov. dous — dousà), qui re-
monte peut-être à un *dulcius — *dulcia pour dulcis, et de tous les
adjectifs en -eis (-en si s): courteis — courteise (prov. cortes — cortesà), fran-
ceis — franceise, etc.
4^ Quelques adjectifs uniformes en -e sont devenus biformes
par la création d'un masculin analogique sans e: de bénigne
(emprunté de benignus), on a tiré bénin, sur le modèle de
voisin — voisine (vicina). Comp. § 388.
385. FÉMININ ANALOGIQUE. Comme la plupart des adjectifs
avaient une forme féminine en -e, cette terminaison a été
ajoutée, par voie d'analogie, aux adjectifs primitivement uni-
formes. Déjà dans la Vie de Saint Alexis, grande est employé
comme prédicat: Ne vus sai dire com lor ledice est grande
(v. 610) ; dans le Roland (XI^ siècle) on trouve grande (v. 302,
3656) et verte (v. 1569). Au courant des XII^ et XIII^ siècles,
les formes analogiques en -e deviennent plus fréquentes, et
brieve, forte, cruele, tele, quele, ardante, gentille, luisante, plorante,
etc. commencent à s'employer à côté des uniformes brief, fort,
cruel, tel, quel, gentil, ardant, luisant, plorant. Après le XIIP
siècle, l'emploi de ces dernières formes se restreint de plus en
plus. Dans la traduction de la Chirurgie de Henri de Monde-
ville (de 1314), l'indécision entre le féminin étymologique et
le féminin analogique en -e est très grande. On trouve indiffé-
remment fort vertu (§ 1203) et forte vertu (ib.J, grief chose
(§ 1932) et grieves doulours (§ 2078), tel manière (§ 1849) et
tele manière (§ 1502), autel manière (§ 1086) et autele (§ 1954),
autretel matière (§ 2031) et autretele manière (§ 1153), la quel
chose (§ 11) et /a quele fumée (§ 1885), plaies mortelles (§ 1188)
265
€t plaies mortieux, mortelz (ib.), complexion naturel (§ 1727) et
complexion natiirele (§ 1704), évacuations universels (§ 755) et
purgations . . . universeles (§ 1587), choses extrinsèques nuisons
(§ 2148) et choses . . . nuisantes (§ 2155), umeur péchant (§2030)
et humeurs péchantes (§ 1507), médecine compétent (§ 549) et
médecine compétente (§ 2039). Grand est variable quand il suit
le substantif: . . . qui ont grant plaie a incision, ou petite ou
contusion grande (§ 754). Cette hésitation se maintient jusqu'à
la fin du XV'' siècle. Au XVI^ siècle, les vieilles formes fémi-
nines sans e sont assez rares, et il n'y a guère que les poètes
qui s'en servent, mais pas pour longtemps. Régnier dans sa
XIII^ satire (Macette) écrit encore: S'enrichir de bonne heure
est une grand' sagesse (v. 153).
386. Voici un relevé sommaire des quelques restes isolés
des adjectifs uniformes qui se sont conservés après le XVI*'
siècle :
P Fort a maintenu son uniformité dans les noms propres
Pierrefort, Rochefort, Villefort, dans le composé raifort (comp.
barrefort) et dans l'expression se faire fort. L'Académie a dé-
cidé qu'il faut dire non seulement : elle se fait fort, mais aussi :
ils (elles) se font fort; cette dernière orthographe est fautive,
fort est un adjectif et non pas un adverbe comme prétendait
déjà Vaugelas {Remarques, I, 22, 444). Au singulier on s'est
parfois servi du féminin analogique forte: Ainsi est il, je m'en
fais forte (Patelin, v. 454). L'arrêté ministériel du 26 février
1901 s'est occupé de notre locution et permet l'accord de l'ad-
jectif: se faire fort, forte, forts, fortes de . . . Cette innovation
toute logique ne peut manquer d'être bien reçue. M. Léon Clé-
dat a fait l'observation suivante: »Si elle se fait forte nous
choque un peu, c'est simplement parce que la locution n'est
guère employée par les femmes, le sentiment qu'elle exprime
étant peu féminin «.
2^ Grand. De tous les adjectifs primitivement uniformes,
c'est grand qui a gardé le plus longtemps son uniformité.
Bèze remarque: »Observandum est autem peculiariter foemini-
num adiectivum grande, in quô e consuevit etiam ante con-
sonantes elidi, ut une grand' besongne, une grand' chose, une
grand' femme, une grand' meschancete« (De recta pronuntia-
tione, p. 93). Pourtant, les vieilles formes commencent à être
266
moins employées. Desportes ayant écrit dans un vers » Durant
les grand' chaleurs^ fut blâmé par Malherbe (Œuvres com-
plètes, IV, 252). Pour le XVIP siècle, voici une observation de
Ménage: » Monsieur de Vaugelas a fort bien remarqué qu'il y
a certains endroits où l'on dit grand avec l'apostrophe, aulieu
de grande. Et voicy apeuprês ces endroits : à grand' peine; en
grand peine; La plus grand part; J'ay eu grand' peur; C'est
grand' pitié; Ce n'est pas grand' chose; Nous avons fait grand'
chère; ma grand' mère; la grand' Chambre; la grand Sale; la
grand' Messe. Il ajoute qu'on dit néant-moins, une grande mé-
chanceté, une grande calomnie, une grande sagesse, une grande
marque. Il faloit dire, qu'on dit neantmoins la grande Con-
frairie, &c. M. de Vaugelas ne s'est pas aperceu que ces der-
niers exemples, estant accompagnez du mot à'une, n'estoient
pas opposez aux premiers, qui n'ont point ce mot. Car comme
nous disons, une grande méchanceté, une grande calomnie, &c.
nous disons demesme, une grande peine, une grande pitié, une
grande chose, une grande chère, une grande chambre, une grande
Sale, une grande Messe, &c. Et je ne sache que grand mère, qui
se dise aujourdhuy avec une. le la croiois fûle, et c'est une grand -
mere« (Observations, p. 378). Dans la langue actuelle, grand a
conservé son uniformité dans quelques noms propres: Grand-
Couronne, Grand-Fontaine, Grandlande, Grandmaison, Grandrive,
Gran(d)ville, et dans un certain nombre de locutions toutes faites
où il précède immédiatement le substantif: Grand bande, grand -
cérémonie, grand' chambre, grand chère, grandchose, grand' coiffe,
grand croix, grand faim, grand garde, grandhâte, grand' honte,
grand' mère, grand' messe, grand' peine, grand peur, grand pitié,
grand pompe, grand rue, grand salle, grand sœur, grand soif,
grandtante. Après le substantif on dit toujours grande.
Nous avons déjà fait remarquer (§ 385) que, dès les plus
anciens temps, la flexion de grand est intimement liée à sa
place dans la phrase. Dans la 34*^ nouvelle de son Heptaméron
Marguerite de Valois écrit: »Ilz estimoient grand vertu se
vaincre eulz-mesmes«, et un peu plus loin: »Les anciens esti-
moient ceste vertu grande«. Agnel remarque dans son Étude
sur les langages rustiques des environs de Paris (p. 41): Les
paysans disent la grandrue, la grand montagne, une grandtable,
mais ta fiyeu est ben grande«.
267
3*^ Les adjectifs en -ant et -ent ont conservé leur uniformité
dans les dérivés adverbiaux: constamment, élégamment, éloquem-
ment, prudemment, vaillamment, etc. Dans ces mots se cache
l'ancien féminin invariable : vaillamment est, comme bonnement,
un composé de la forme féminine de l'adjectif avec -ment; dès
qu'on a commencé à dire vaillante au féminin, on a aussi
créé vaillantement, mais cette forme n'a pas persisté. On a dit
de même aux XV*' et XVP siècles ardentement , diligentement,
excellentement, galantement, innocentement, méchantement, négli-
gentement, patientement, pesantement, prudentement, violentement,
etc. L'emploi de ces formes n'est jamais devenu général, et
Malherbe blâme Desportes d'avoir dit ardentement, au lieu de
arden\m.ent.
4^ Vert et réal (royal) ont conservé leur uniformité dans les
noms propres Vauvert (pour Valvert; val était du féminin au
moyen âge) et Villeréal.
5^ Rappelons enfin les termes archaïques lettres royaux, or-
donnances royaux, fonts baptismaux.
387. Masculin analogique. Par la création d'un nouveau
masculin la langue est enrichie ou appauvrie d'une forme selon
la flexion de l'adjectif qui a servi de modèle.
l*' La création d'un masculin analogique a lieu dans quelques
adjectifs uniformes, qui originairement se terminaient en -e
aux deux genres : comme Ve muet final est propre au féminin,
on l'élimine au masculin (nous avons signalé des procédés
pareils aux §§ 264, Rem., et 364). Ainsi sur le modèle de
lourd — lourde, l'uniforme balourde se transforme en balourd
— balourde. Un pareil procédé est surtout fréquent dans les
adjectifs savants: publique, emprunté du lat. publicus, s'est
scindé en public — publique. On a a'ussi créé des masculins
tels que brusc, brut, circonfîex, contract, fidel, intrinsec, néfast,
perplex, tricolor, mais ils ne sont pas parvenus à remplacer
brusque, brute, circonflexe, contracte, fidèle, intrinsèque, néfaste,
perplexe, tricolore!. Pour d'autres détails, voir § 388.
2^ La création d'un masculin analogique a lieu dans quelques
adjectifs biformes. Ainsi, sur le modèle de l'uniforme sage,
l'ancien lare — large est devenu large aux deux genres: le
masculin étymologique un peu isolé lare a disparu devant le
masculin analogique large, égal au féminin, et créé sur l'ana-
268
logie des adjectifs invariables en -e. La disparition de lare est
aussi due à la tendance assimilatrice que nous avons rencon-
trée tant de fois et qui cherche à rendre égales les différentes
formes du même mot (comp. bal — hais, au lieu de bal —
baux) ; la forme féminine offrait l'avantage d'être plus en har-
monie avec les autres dérivés du même radical largeur, lar-
gesse, largeté, largir, largitif. Pour d'autres exemples, voir
§ 389.
Remarque. Tandis que tous les adjectifs uniformes sont devenus biformes
(excepté ceux qui se terminaient par un e), le passage des adjectifs biformes
à la classe des uniformes ne se montre que sporadiquement, et il est diffi-
cile de voir pourquoi tel mot perd une forme et tel autre reste intact. Ainsi
roit a été remplacé par roide tandis que froit (froid) s'est conservé malgré
des hésitations (voir § 389). La langue littéraire a conservé sauf — sauve,
sec — sèche; la langue populaire de Paris emploie sèche et sauve au mascu-
lin. La généralisation se rencontre aussi dans beaucoup de patois; en lor-
rain on dit basse (baihhe), fraîche (frohhe), sèche (chosse), verte (voche),
pour bas, frais, sec, vert.
388. Exemples de masculins analogiques, créés par la sup-
pression d'un e féminin:
Balourd, masculin tiré au XVII° siècle de l'uniforme balourde,
emprunté de l'ital. balordo. Cotgrave (1611) donne balourde
(balorde) des deux genres; Furetière ne connaît que balourde,
subst. fém. On a un exemple de balourd remontant à 1604.
Bénin et malin. Ces masculins sont de création postérieure;
au moyen âge on employait bénigne (emprunté de benignus)
et maligne (emprunté de malignus) aux deux genres. Ex-
emples : Li très bénignes paistres (Sermon de saint Bernart, p. p.
Fôrster, p. 9, e). 0, tu malignes serpenz (ib., p. 10, lo). Cestui
chancre est débonnaire et bénigne (Chirurgie de H. de Monde-
ville, § 2013). Entre toutes les dames estoit plus doux et bénigne
que une pucelle (Boucicaut, I, chap. 8). On trouve aussi dans
ce dernier auteur le nouveau masculin bénin (IV, chap. 10);
malin doit dater du même temps. Ces formes s'expliquent
facilement: comme on prononçait bénine, maline (I, § 335), on
a créé bénin, malin sur le modèle de voisin en regard de voi-
sine. Rappelons enfin que l'ancien masculin bénigne s'est con-
servé comme nom propre : Jaques-Bénigne Bossuet. On lit dans
les Noei Bourguignon de Gui Barôzai (5*^ éd., 1738): »Béreigne,
Bénigne, nom du Saint que la ville de Dijon reconnoit pour
269
son Apôtre, en Latin Benignus, que Colomiés dans ses Mé-
langes historiques a traduit Bénin, ne sçachant pas qu'il falloit,
quand c'est un nom propre, dire Bénigne. D'autres en ont fait
une Sainte trompez par la terminaison féminine«.
Caduc, masculin tiré au XVIP siècle de l'uniforme caduque
(caduc us). En 1635, Monet renvoie de caduc à caduque, et
Furetière (1690) remarque encore: »I1 y en a qui écrivent
caduque, aussi bien pour le masculin que pour le féminin*.
Compact, masculin tiré de l'uniforme compacte (compac-
tus), n'a été admis par l'Académie qu'en 1878. Pourtant, Mar-
tin l'a signalé en 1632, et le Dictionnaire de Trévoux en 1771;
ajoutons que déjà Christine de Pisan se sert du masculin com-
pac: Tous corps compacs et palpables (Chemin de longue
estude, v. 2121).
Exact, masculin tiré au XVIP siècle de exacte (exactus).
Vaugelas remarque: «Plusieurs disent exacte, au masculin pour
exact, et très mal. Exacte ne se dit qu'au féminin» (Remarques,
l, 377).
Public, masculin tiré au XVI*' siècle de l'uniforme publique:
Le bien publique (Villon, Gr. Test., v. 16). En publique lieu (ib.,
V. 108). Les publiques et acostoumez esbatemens (Cent nouv.
nouv.). Troije est un dueil publique (R. Garnier, La Troade,
V. 71). On continue à se servir de puW/gue au masculin jusque
dans le XVII^ siècle. Vaugelas remarque: »Public et publique
sont tous deux bons pour adjectifs masculins; car on dit
fort bien un deuil public et un deuil publique (Remarques, II,
p. 384).
Remarque. Les grammairiens du XVI^ siècle aiment les masculins en -ic.
Palsgrave enseigne que les adjectifs dérivés des latins en -icus font -icq au
masculin, -ique ou -icque au féminin, et que cette formation est préférable
à -icque pour les deux genres. On trouve ainsi arabic, astmatic, coleric,
mélancolie, magie, pratic, pudic, rustic, etc. Beaucoup de ces formes sont
encore admises par Maupas (1625), Oudin (1633) et Duez(1639). A partir de
Richelet (1680) on écrit par -ique tous ces adjectifs, excepté public. Comp.
humo(u)ristique de l'angl. humoristic.
Puéril, emprunté du lat. puer i lis. Ménage remarque: » Mes-
sieurs de l'Académie ont décidé qu'il faloit dire puérile du
masculin, ayant esté consultez là dessus, à ma prière, par
M. Huet«. Néanmoins, on trouve puéril dans la première édi-
tion du Dictionnaire (1694); dans les deux suivantes, puérile
270
est uniforme, mais on retrouve puéril dans la quatrième (1762),
et cette forme a persisté jusqu'à nos jours.
Remarque. Rappelons que les grammairiens du XVI^ siècle aiment à don-
ner aux mots dérivés d'adjectifs latins en -ilis, un masculin en -il. Pals-
grave écrit agil, difficil, facil, habijl, subtil, et plusieurs grammairiens et
poètes le suivent. R. Garnier dans ses tragédies emploie inutil (Lés Juives,
V. 1694), rimant avec auroit-il, mais écrit inutil' à l'intérieur du vers (Por-
cie, V. 1006); il hésite entre fertil (Porcie, v. 308), et fertile (ib., v. 808). Les
masculins en -il sont loin d'être généralement reconnus. Malherbe (Œuvres
complètes, IV, 370, 377) proscrit fertil et inutil, qu'il trouve dans Desportes,
et, en 1610, Deimier défend expressément de se servir des formes en -il.
On trouve inutil encore dans Armand de Bourbon (Traité de la comédie,
p. 43, 3i); mais c'est un fait isolé. La terminaison uniforme l'emporte: agile,
débile, docile, facile, fertile, fragile, habile, servile, utile, imbécile, tranquille,
etc., et on ne trouve plus -il que dans bissextil, civil, puéril, sextil, subtil,
vil, viril, volatil.
Sublin, masculin tiré au XVI® siècle de sublime (emprunté
du lat. sublimis). Exemples: Estre ne devait si sublin (Four-
nier, Théâtre français av. la Renaissance, p. 286). Faut qu'ils
aient l'esprit sublin (Estienne, Deux dialogues, I, p. 122). La
même forme se trouve dans Montaigne, Brantôme et Cholières ;
elle est indiquée encore par Godard (1620) et Oudin (1633),
mais elle ne parvient pas à remplacer sublime.
Remarque. Ajoutons aussi que Sylvius (1531) donne maritim pour mari-
time.
389. Exemples de masculins analogiques coïncidant avec le
féminin :
Chauve, au masculin, ne se trouve qu'au XVP siècle; au
moyen âge on disait un homme chauf (cal vu m) et une femme
chauve (cal va); comp. sauf — sauve.
Courbe, au masculin, remonte très haut; on ne trouve au-
cune trace de courp qui serait la continuation directe de
*curbum, forme vulgaire de curvum.
Ferme remplace dès le XII I*^ siècle les formes du masculin:
fers (firmus) et fer, plus anciennement ferm (firmum).
Plache remplace au XIV siècle les formes primitives du
masculin, fias (flacciis) et flac (flaccum).
Fraîche pour frais se dit dans plusieurs patois: Cha nous a
tenu le corps bien fraîche (G. de Maupassant, Mont Oriol,
p. 74). On dit en tourquennois : Ch'est tout fraîche; y n'a po
271
deux menâtes que cha vent d'arriver (Watteeuw, Chansons
tourquennoises, p. 195).
Froide, pour froit (frigidum), se trouve au moyen âge:
Li dui fer trenchant et froides (Claris et Laris, v. 5849). Cette
forme n'est pas parvenue à remplacer le masculin étymo-
logique; frigidus est resté biforme: froid froide, à rencontre
de rigidus, devenu raide aux deux genres.
Juste s'emploie déjà dans Brandan (v. 42) comme mascu-
lin. La forme étymologique ju^ (justus, justum) est rare;
on en a un exemple dans Beneeit (Chronique, v. 24750).
Large a de très bonne heure été employé comme masculin
(voir Brandan, v. 1439). Dans le Renart (éd. Martin, XXIII,
V. 1766) on trouve lare (largum), mais la forme est extrême-
ment rare.
Louche remplace dès le XI IP siècle lois (luscum).
Moite a parcouru trois étapes différentes: on a dû dire d'a-
bord moist (comp. angl. moist) — moisde (de *muscida, al-
tération de mucida), puis moist — moiste et enfin moiste,
moite aux deux genres.
Raide; le masculin primitif reiz, reit (rigidum) se trouve
par ex. dans Villehardouin : Li ftumaire estoient si roit . . .
(§ 563). Il est remplacé de bonne heure par la forme fémi-
nine : Roides fu et chanins et si fu planteïs (Orson de Beau vais,
v. 1113).
Sauve au masculin pour sauf (salvum) se trouve au XVI*'
siècle: Je voudrais . . . que je vous tinsse mon prisonnier sain
et sauve (Brantôme). Saulve meilleur jugement de la court
(Rabelais, II, chap. 12). On dit encore dans le parler vulgaire
de Paris sain et sauve.
Sèche remplace sec (sic eu m) dans le parler populaire de
Paris, où l'on dit par exemple: Ceci est sèche. Le même dé-
veloppement se retrouve dans plusieurs patois.
Verde remplace parfois vert (viridem) dans le parler vul-
gaire : Nous trouverons le serpent verde, Nous le tuerons (Rol-
land, Chansons populaires, III, 10).
Vide, autrefois vuide, vient de *vocita (Romania, IV, 256
— 262; IX, 624); ne s'emploie au masculin qu'au XV^ siècle:
// fut vuide (Cent nouv. nouv., I, 217). Dans E. Deschamps
on trouve encore le masculin étymologique vuit: Mon sac est
vuit (Œuvres complètes, IV, 287).
272
390. Nous avons constaté dans le développement des ad-
jectifs deux phénomènes qui semblent contraster singulière-
ment l'un avec l'autre. On a d'un côté l'évolution des adjec-
tifs uniformes, par laquelle est créée une nouvelle forme soit
au féminin, soit au masculin:
fort
balourde
bénigne
/\
/\ ,
/\
fort forte
balourd balourde
bénin bénigne,
et de l'autre côté, l'évolution des adjectifs biformes, par la-
quelle la langue est appauvrie d'une forme :
chauf chauve
lare large
vuit vuide
\/
\y
\/
chauve
large
vide
Ces deux tendances ne sont contradictoires qu'en apparence;
elles ont pour but, comme l'a très bien dit M. Morf (Romania,^
XVI, 283), de réunir à un groupe de flexion considérable des
flexions plus ou moins isolées.
G. PARTICULARITÉS DE LA FORME MASCULINE
ET DE LA FORME FÉMININE.
I. LES DEUX GENRES S'EXPRIMENT PAR DEUX
MOTS DIFFÉRENTS.
391. Pour désigner les deux genres, on emploie des mots de
radical différent dans quelques noms de personnes et quelques
noms d'animaux.
1° Noms de personnes. Frère — sœur. Garçon — (jeune) fille.
Gendre — bru. Homme, mari — femme. Oncle — tante. Papa
— maman. Parâtre — marâtre. Parrain — marraine. Père —
mère, etc.
Remarque. Pour, quelques-uns des mots cités on trouve aussi des fémi-
nins analogiques tirés du masculin : garçon — garçonne (§ 403), oncle —
onclesse (§ 425, Rem.). Ajoutons que dans les Hautes-Pyrénées on a tiré de
frag (frater) le féminin analogique fraga.
273
2® Noms d'animaux. Bélier — brebis. Bouc — chèvre. Cerf —
biche. Étalon — jument (§ 246, i, Rem.); au moyen âge on di-
sait ive (equa); le féminin caya/e (it. cavalla) s'emploie sur-
tout en poésie. Chien — lice; on a dit autrefois cagne (it.
cagna), vieilli maintenant en ce sens; de nos jours on se
sert communément de chienne (§ 401). Coq — poule. Jars —
oie. Lièvre — hase (ail. Hase); dans le bas gâtinais, la femelle
du lièvre s'appelle levrèche. Matou — chatte. Sanglier — laie.
Singe — guenon. Taureau — vache. Verrat ou porc — truie.
II. LES DEUX GENRES S'EXPRIMENT
PAR DIFFÉRENTES FORMES DU MÊME MOT.
392. On avait en latin trois terminaisons féminines: -a,
-trix et, dans la langue postérieure, -issa. Exemples: amicus
— arnica, actor — actrix, abbas — abbatissa. Nous
allons examiner leur sort en français.
1. LA TERMINAISON -A.
393. A côté du masculin en -us, on avait souvent en latin
un féminin en -a: Do minus — domina, amicus — amie a,
servus — serva, lupus — lupa; un tel féminin était de
règle dans les adjectifs: purus — pura, rotundus — ro-
tunda. Des deux terminaisons, le français ne conserve géné-
ralement que celle du féminin sous la forme affaiblie d'un e
féminin: au lieu de amicus — amica, purus — pura, on
n'a plus que ami — amie, pur — pure. De cette manière, l'e
devient la marque caractéristique du féminin, et il est intro-
duit par voie d'analogie dans beaucoup de mots.
394. A cause du rôle dévolu à l'e final, cette voyelle a été
retranchée de plusieurs mots masculins qui y avaient étymo-
logiquement droit. En voici quelques exemples:
Canari a remplacé canarie (esp. canario), dès le com-
mencement du XVIII*' siècle.
Patriot se trouve au XVIP siècle (Talbert, De la prononcia-
tion en France. Paris, 1887. P. 32) pour patriote; c'est la der-
nière forme qui est restée.
18
274 .
Patte-pelu a été tiré de patte peine. Rabelais écrit: Cafars,
cagots, pâtes pelues (IV, l*''" prol.) ; mais on trouve dans La
Fontaine: Deux francs patte-pelus (Fables, IX, 14).
Pédant a remplacé pédante (it. pédante); cette forme était
la plus usitée au XVP siècle. Nous la trouvons par exemple
dans Du Bellay:
Mais j'ay bien quelque chose encore plus mordante:
C'est, pour le faire court, que tu es un pédante.
(Regrets.)
Remarque. Cyrano de Bergerac se sert de la forme curieuse poiraisain :
Les flambeaux poiraisins des Furies (Le pédant joué, V, se. 10), qui sans
doute a été tiré de poix résine.
395. L'e féminin n'est pas la seule marque distinctive entre
les formes des deux genres; dans un grand nombre de mots,
des particularités phonétiques ou orthographiques se sont dé-
veloppées tantôt au masculin, tantôt au féminin.
P Les particularités phonétiques proviennent surtout de la
► consonne finale du radical qui, très souvent, se développe dif-
féremment dans les deux formes. Ainsi tandis que la vibrante
persiste sans changement dans purum } pur et pura y pure,
la clusile vélaire c [k] ne se conserve intacte qu'au masculin:
sic eu m ) sec, mais si ce a ) sèche, et la clusile dentale d ne
se conserve intacte qu'au féminin: tarda ) tarde, mais tar-
dum ) vfr. tart. Pour les observations suivantes sur les traits
distinctifs des deux genres il faut se rappeler que: D, G, V
deviennent sourds à l'état final: grandem ) grant, longum
) lonc, novum ) neuf; C, G deviennent chuintants devant a:
franca > franche, larga > large; S libre devient sonore de-
vant a: *zelosa } jalouse; L, R, SS, T" appuyé se maintiennent
tels quels et à l'état final et devant a.
2^ Les particularités orthographiques sont dues à l'addition
de l'e féminin, qui nécessite parfois ou le redoublement de la
consonne: sujet — sujette, ou l'emploi d'un accent grave: com-
plet — complète; comp. bref — brève, dernier — dernière. Rap-
pelons aussi l'intercalation d'un u après les vélaires : long
— longue, le changement de c en q (cq): turc — turque, grec
— grecque, et l'emploi du tréma: aigu — aiguë (comp. figue).
Enfin, au masculin s a été remplacé par .r après un u: vfr.
fais — false est devenu faux — fausse.
275
a) Mots terminés par L.
396. L persiste sans changement à la fin des mots: ma-
lum > mal, et devant a: mala > maie. La consonne reste
donc la même aux deux genres. Pour l'orthographe, il faut
remarquer que dans la langue moderne, L se double dans la
forme féminine des terminaisons -eil, -el, -ol, -ul. Exemples:
Pareil — pareille, vieil (vieux) — vieille. Cruel — cruelle, Ga-
briel — Gabrielle, colonel — colonelle. Fol (fou) — folle, mol
(mou) — molle. Nul — nulle. Mais L ne se double jamais
dans les terminaisons -al et -il: Banal — banale, royal —
royale. Civil — civile, viril — virile. Pourtant ce sont là des
règles récentes. Jusque dans le XVIIP siècle on a hésité entre
royale et royalle, générale et généralle, naturele et naturelle, tele
et telle, subtile et subtille, foie et folle, etc. L'orthographe défini-
tive du XIX*' siècle provient de considérations étymologiques; on
écrit générale et subtile à cause de generalis et subtilis, et
belle, nulle, folle, molle h cause de bel la, nulla, follis, mol-
lis. Ajoutons que belle a entraîné tous les mots en -el: natu-
relle, telle, etc. Le redoublement de L dans pareille, vermeille
est nécessaire pour rendre le son mouillé.
397. EAU — ELLE. Après le moyen âge, la terminaison -el
(-ellum) a été remplacé par -eau (§ 312), d'où est résultée une
alternance entre -eau et -elle, inconnue à la vieille langue. Ex-
emples : Agneau — agnelle, beau — belle, chameau — chamelle,
damoiseau — damoiselle, Isabeau — Isabelle, jouvenceau — jou-
vencelle, jumeau — jumelle, maquereau — maquerelle, nouveau
— nouvelle, pastoureau — pastourelle, taureau — taurelle, tour-
tereau — tourterelle.
Cas isolés. De bedeau on a tiré bedeaude (§ 416, s). Che-
vreau fait au féminin chevrette (comp. § 431). Fabago (em-
prunté du latin des naturalistes fabago) a été assimilé aux
mots en -eau, et on lui a créé le féminin fabagelle, admis par
l'Académie en 1835. Sur puceau — pucelle, voir § 380.
Remarque. Un assez grand nombre de mots en -eau n'ont pas de féminin:
baleineau., blaireau, corbeau, dindonneau, étourneau, faisandeau, lionceau,
moineau, oiseau, renardeau, etc. Dans les auteurs modernes, on trouve pour-
tant sporadiquement oiseau — oiselle: Vos latines frivoles ... je les com-
18*
276
pare à des oiselles de serre (.1. Bois, Une nouvelle douleur, p. 154). Des
oiselles désolées (L. Bloy, La femme pauvre. Paris, 1897. P. 16).
b) Mots terminés par une nasale.
398. Les nasales disparaissent à la fin des mots, en nasali-
sant la voyelle précédente: bonum > bon [bô]; elles se con-
servent devant a: bona ) bone. La voyelle de cette dernière
forme était autrefois nasalisée [bona], et c'est pour désigner
orthographiquement cette prononciation qu'on redouble le n:
bonne. Peu à peu la voyelle se dénasalise (I, § 211), mais on
garde l'ancienne orthographe, qui n'a plus de raison d'être.
La langue moderne redouble la nasale des terminaisons -on,
-ien et parfois de -an; au contraire -ain, -ein et -in sont lais-
sés sans redoublement au féminin. On peut établir comme
règle générale que le redoublement n'a lieu que dans les mots
anciens, jamais dans les mots modernes.
399. AIN, EIN, IN. L'orthographe moderne ne double ja-
mais la consonne de ces terminaisons : certain — certaine, plein
— pleine, voisin — voisine, etc.
Cas isolés. La confusion de -ain (-ein) et -in dans un
même son [g] a amené quelques féminins irréguliers. A côté
de daim — daine (§ 378) on trouve dans la langue des chas-
seurs daim — dine (^ voisin — voisine). On a longtemps hé-
sité entre sacristaine et sacristine. Ménage observe: »Les Reli-
gieuses disent Sacristine. Je dirois Sacristaine, conformément à
ranalogie« (Observations, p. 388). C'est la forme irrégulière qui
l'a emporté. Dans les «Locutions et prononciations vicieuses
usitées en Belgique» on trouve cité nain — nine, pour naine.
400. AN. Les mots en -an ont au féminin -anne: Jean —
Jeanne, paysan — paysanne, ou, plus souvent, -ane: castillan
— castillane, catalan — catalane, charlatan — charlatane, cour-
tisan — courtisane, gallican — gallicane, mahométan — maho-
métane, sultan — sultane, vétéran — vétérane, etc. ; tous ces der-
niers mots sont empruntés.
Formation analogique. Sur le modèle des mots cités on a
formé géant — géane. Ce féminin, qu'on trouve dans Buffon,
n'est plus employé; il n'aurait jamais dû l'être, observe Littré.
277
401. lEN. Les mots en -ien ont au féminin -ienne: Ancien
— ancienne, chrétien — chrétienne (cliristiana), doyen —
doyenne (decana), moyen — moyenne (mediana). Aérien —
aérienne, algérien — algérienne, parisien — parisienne, etc. Chien
— chienne (comp. § 391,2). Proprarien — proprarienne, vau-
rien — vaurienne. Sur les féminins de mien, tien, sien, voir les
Pronoms possessifs (§ 541).
402. ON. Les mots en -on ont au féminin -onne: Bon —
bonne (bon a), et, par analogie, baron — baronne, besson —
bessonne, fanfaron — fanfaronne, félon — félonne, folichon —
folichonne, glouton — gloutonne, lion — lionne, mignon — mi-
gnonne, paon — paonne, polisson — polissonne, poltron — pol-
tronne, quarteron — quarteronne, saxon — saxonne, vibrion —
vibrionne (Dumas, L'Étrangère), etc. Un seul mot fait excep-
tion: Lapon — lapone.
Remarque. Beaucoup des mots en -on ne s'emploient guère qu'au mas-
culin: avorton, barbichon, caneton, champion, hérisson, liron, maçon, nour-
risson, pigeon, pion, etc. Il faut pourtant noter qu'on dit, par plaisanterie,
pigeonne d'une jeune femme, et que, dans largot des écoles, on appelle
pionne la sous-maîtresse d'un pensionnat de demoiselles: Sa seule concep-
tion, c'est de m'établir pionne quelque part (Bourget, L'Étape, p. 287). Rap-
pelons aussi l'expression sportive toute moderne championne (Le Chasseur,
1900, l^"" avril, p. 16). On hésite entre une tatillon et une tatillonne.
403. Il faut examiner à part quelques mots en -on qui pré-
sentent un féminin particulier.
Cochon — coche (voir § 431) ; au figuré on se sert du fémi-
nin analogique cochonne (une femme sale).
Compagnon — compagne (§ 431); Voltaire, V. Hugo (Ruy
Blas) et Th. Gautier ont employé compagnonne.
Félon — vfr. felle (tiré de l'ancien nominatif fel), remplacé
par félonne. E. Deschamps emploie les deux formes: Felle et
orgueilleuse (Œuvres complètes, IX, v. 2487, 2493). Dyanire la
félonne (ib., v. 2659). On avait aussi félonnesse (§ 426). De ces
trois formes la langue moderne n'a conservé que félonne.
Garçon (§ 431); dans l'argot de Paris on dit garçonne (de
brasserie); comp. aussi Huysmans, Là-bas, p. 64, 109.
Larron — larronnesse (§ 425).
Lion — lionne (Ph. de Thaun, Bestiaire, v. 363) ou lion-
nesse; ce dernier féminin, disparu maintenant, est employé
encore par Pascal.
278
Paon — paonne; autrefois on trouve aussi paonnesse.
Patron — patronne ou patronnesse ; ce féminin n'est guère
employé que dans les (dames) patronnesses d'une fête.
c) Mots terminés par R.
404. R persiste sans changement à la fin des mots: cla-
rum ) cler ) clair, et devant a: clara ) clere > claire. La
consonne reste donc la même aux deux genres, et elle ne se
double jamais: noir — noire, obscur — obscure, pur — pure,
dur — dure, pair — paire, martyr — martyre, etc. Une diffé-
rence phonétique n'existe que pour les mots en -ier (§ 405)
et ceux en -eur (§ 406).
Cas isolé. Butor, d'origine inconnue, fait au féminin butorde
(comp. § 416, 4).
405. 1ER. Pour les mots en -ier, ou -er (après une pala-
tale), il faut remarquer qu'au masculin le r final s'est amuï,
et que l'e se prononce fermé {ier = [e]), tandis qu'au féminin
il est ouvert devant la consonne prononcée (ière = [fc:r]): al-
lier — altière, premier — première, léger — légère, meurtrier —
meurtrière, etc. Plusieurs mots en -ier n'ont pas de féminin,
au moins dans le langage ordinaire: bachelier, barbier, cheva-
lier, courrier, templier, etc. Les poètes leur créent parfois des
féminins. Villon emploie bachelière (Gr. Test., CXXXIV), Boileau
appelle la Renommée une »prompte courrière« (Le Lutrin, II,
V. 5). Sur barbière et chevalière, voir § 426.
406. EUR. Les mots en -eur font au féminin -eure ou -euse
(sur -(t)eur et -(t)rice, voir § 420).
P EURE se trouve actuellement dans majeur — majeure,
mineure, meilleure, prieure et antérieure, extérieure, citérieure, in-
férieure, intérieure, postérieure, ultérieure. Ce sont tous, comme
on le voit, des comparatifs et des mots empruntés. Si l'on re-
monte au moyen âge on trouve encore d'autres féminins en
-eure. Le Mystère du Vieil Testament emploie par exemple,
intercesseur e, inventeure, promoteure. Rappelons aussi la forme
pastoure, féminin de pastour pour pasteur, employée dans les
Cent nouv, nouv., n° 2L
Remarque. Prieure n'est pas le féminin primitif de prieur. On trouve au
moyen âge prioresse, prieuresse (voir Godefroy), et prieuse: Autre ore sui
. 279
religieuse, Or sui rendue, or sui prieuse (R. de la Rose, v. 11250). D'abbez,
moynes, prieurs, prieuses (E. Deschamps, Œuvres complètes, IX, v. 5100).
Ce n'est qu'au XV^ siècle qu'apparaît prieure (Cent nouv. nouv., n° 21). L'i-
talien présente une formation pareille dans priora (comp. siiperiora, lavora-
tora, etc.).
2" EUSE s'emploie au féminin des noms en -eiir, en tant
qu'ils sont des noms d'agents et de formation française à base
verbale. Exemples: danseur — danseuse, flatteur — flatteuse,
trompeur — trompeuse. Coureur — coureuse, dormeur — dor-
meuse, menteur — menteuse. Blanchisseur — blanchisseuse, four-
bisseur — fourbisseuse, ravisseur — ravisseuse. Buveur — bu-
veuse. Entremetteur — entremetteuse, faiseur — faiseuse, confiseur
— confiseuse, receveur — receveuse. Le même féminin se trouve
aussi dans quelques mots anglais dont on a assimilé la termi-
naison -er à -eur: bookmake(u)r — bookmakeuse.
Remarque. Dans les mots en -eur qui remontent au moyen âge, le fémi-
nin -euse n'est pas primitif: il a remplacé -eresse (voir §428): avant de dire
danseuse, flatteuse, menteuse, trompeuse, etc.. on a dit danseresse, flatteresse,
menteresse, tromperesse ; au XVI^ siècle il y a encore hésitation entre les
deux formes. Les mots en -eur d'origine plus récente ne connaissent que
le féminin en -euse: blanchisseuse.^ confiseuse, coureuse.
407. L'origine de la terminaison -euse est douteuse. Selon
l'explication la plus probable, elle provient d'une confusion
entre -eur et -eux, devenus homophones par l'amuïssement de
la consonne finale: heureu(x) — heureuse aurait amené dan-
seu(r) — danseuse. On emploie en effet dès le XV^ siècle -eux
pour -eur: En l'hostel du trompeu.v Banquet (Jacob, Recueil
de farces, p. 453). Cette graphie se trouve aussi dans les gram-
mairiens du XVI^ siècle, qui admettent chastreux, rageux, quere-
leus. Au XVII*" elle n'est plus admise, quoiqu'on garde toujours
l'ancienne prononciation. L'Anonyme de 1654 dit que »les noms
verbaux ... en eur ont vue double prononciation, à sçauoir
eur et eux, courreur, courreux, mangeur, mangeux, sauteur, sau-
teux. Mais l'on escrit touiours coureur, mangeur, sauteur «.
L'hésitation entre -eux et -eur continue longtemps, mais peu à
peu -eur l'emporte, et -eux finit par être regardé comme une
prononciation négligée. En 1751, Villecomte blâme la pronon-
ciation des femmes »qui poussent quelquefois leur négligence
jusqu'à dire c'est un menteu, c'est un causeu, c'est un craqueu.
280
etc. Je n'approuve point du tout ces sortes de molesse qui
sentent l'enfant gâté«, Mauvillon fait une distinction: »Les
noms en -eur qui ont un féminin en -euse doivent se pronon-
cer comme les adjectifs en -eux . . . rieux, voleux, mangeux,
trompeux, brodeux . . . mais si l'on parle avec emphase, on
fait sentir Vr fortement ; c'est un insigne honneur, un vrai trom-
peur, un grand mangeur, etc.* Au XIX^ siècle, -eu pour -eur ne
s'entend que dans le parler vulgaire et les patois. Nisard cite
comme p^ropres au langage de la banlieue de Paris avaleu,
casseu, chanteu, danseu, etc., et le comte de Jaubert (Glossaire
du Centre, I, 416) relève les formes patoises flatteux, laboureux,
violoneux, etc. Ajoutons enfin quelques exemples pris dans
les chansons populaires: Fossoyeux (Bujeaud, II, 213), tailleux
(Beaurepaire, p. 50), cueilleu (Champfleury, p. 90), chasseu (ib.J,
pêcheu (ib.), etc. La langue littéraire moderne a adopté fau-
cheux, gâteux, partageux, piqueux, violoneux (comp. I, § 364),
et les noms propres Batteux, Chasseux, Lefaucheux; en dehors
de ces mots, on prononce partout -eur, et malgré la réappari-
tion de /■ au masculin, on garde toujours -euse au féminin.
d) Mots terminés par une labiale.
408. V. Le V latin devient sourd à la fin des mots (I,
§ 449): novum ) neuf, et se maintient devant a: nova )
neuve, d'où un échange entre F au masculin et V au féminin,
qui a persisté jusqu'à nos jours. Exemples: sau/" (sa Ivum) —
sauve (salva), vif (vivum) — vive (viva), naïf (nativum)
— naïve (nativa), chétif (captivum) — chétive (captiva)
et tous les autres dérivés, anciens ou modernes, en -if: actif
— active, craintif — craintive, hâtif — hâtive, etc. Les fémi-
nins brève et grève sont d'origine analogique; au moyen âge
brief (brevem) et grief (grevem) étaient uniformes. D'autre
part chauve était biforme, et on disait chauf (cal vu m) —
chauve (cal va); comp. § 389.
Cas isolés. A côté de cerf (ce r vu m), dont le féminin est
maintenant biche (§ 391,2), on avait autrefois cerve (cerva)
ou cere (Guillaume de Palerne, v. 4958). La dernière forme est
une nouvelle création tirée du masculin ce/'s (cer vu s, §266),
sur le modèle de amers — amere, chiers — chiere, etc. Un
amuïssement de la labiale se rencontre dans d'autres mots;
281
pour apprentif, baillif (ces deux formes s'employaient encore
au XVII<^ siècle) etjolif, on dit maintenant apprenti (déjà dans
R, Estienne, 1539), bailli et joli (ces deux formes remontent
au moyen âge) ; comp. § 288, 2. Le changement de la forme
masculine a provoqué, pour deux de ces mots, un changement
correspondant du féminin primitif: Apprentive (encore dans
Boileau, Sat. X) et jolive ont disparu devant apprentie et
jolie (se trouve déjà au XIP siècle). Baillive, au contraire, a
été conservé; La Fontaine a bien dit: La baillie au père Fabry
(Les Frères de Catalogne), mais cette forme n'a pas fait for-
tune. Dans le bas gâtinais on a la forme analogique hardive
(pour hardie).
e) Mots terminés par S (X).
409. S. Le s latin simple [s] reste à la fin des mots: clau-
s u m ) clos, et le groupe ss se réduit à s: bassum ) bas.
Devant une voyelle s devient sonore [z]: clausa > close, tan-
dis que ss ou s appuyé reste sourd: bassa > basse, falsa >
false, fausse. Au point de vue orthographique il faut remar-
quer qu'on écrit x au lieu de s après un u: falsum > fais,
faus, faux; russum ) rous, roux; -osum ) -eus, -eux (dou-
loureux, heureux) ou -ous, -oux (jaloux). Il y aura donc dans
ces mots une alternance orthographique entre x et s(s).
410. La fricative sonore [z] se trouve dans le féminin de la
plupart des adjectifs terminés par -ais, -ois, -eux, -oux, -is, -us.
Exemples: Français — française, mauvais — mauvaise, niais
— niaise, courtois — courtoise, grivois — grivoise, suédois —
suédoise, heureux — heureuse, douteux — douteuse, laineux —
laineuse, jaloux — jalouse, gris — grise, mis — mise, confus
— confuse, diffus — diffuse, intrus — intruse; ajoutons ras —
rase, clos — close.
Cas isolés. Andalous (esp. andaluz) a maintenant perdu
son s au masculin (§ 364), mais il l'a gardé au féminin, qui
est resté andalouse. Hébreu a ordinairement au féminin hébra-
ïque; dans un roman de Gyp, le petit Zouzou forge le fémi-
nin Hébreuse (Jacquette et Zouzou, p. 160) pour éviter youpine.
Sous l'influence des adjectifs en -u -ue (superflu — superflue),
perclus fait, dans la langue vulgaire, perdue au féminin. Sur
exclu et conclu, pour exclus et conclus, voir § 93, Rem.
282
411. La fricative sourde [s] se trouve dans:
1° Bas — basse (bassa); épais — épaisse (spi s s a); faux —
fausse (fa 1 s a) ; gras — grasse (c r a s s a) ; gros — grosse (g r o s s a) ;
las — lasse (lassa); roux — rousse (rus s a). Ajoutons aussi
les mots d'emprunt exprès (expressum) — expresse et profès
(professum) — professe.
Cas isolés. Sur absous — absoute, dissous — dissoute, voir
§ 103, 2. Crasse n'a pas de masculin. Dispos n'a pas de fé-
minin. Briseux a employé dispose à la rime (voir Littré), mais
c'est un exemple unique.
2^ Coulis — coulisse, doux — douce, métis — métisse, tiers —
tierce. Ces mots présentaient primitivement et au masculin et
au féminin une affriquée sourde; on disait ainsi coleïz — co-
leïce (colaticia); dolz — dolce (§ 383,3, Rem.); mestiz —
mestice (mixticia); tiers — tierce (tertia). Au XIIP siècle
l'affriquée a été remplacée par une sifflante (I, § 384).
f) Mots terminés par une plosive dentale (T, D).
412. T. Le / latin appuyé reste sans changement à la fin
des mots: di rectum ) droit, et devant a: di recta ) droite.
La consonne reste donc la même aux deux genres: Mort —
morte (mortuà), ouvert — ouverte (aperta), court — courte
(curta), dolent — dolente (do lent a), etc. Ajoutons fort (for-
te m) — forte, amant (a m an te m) — amante, présent (prae-
sentem) — présente, etc., dont le féminin est analogique (voir
§ 385).
Cas isolés. Comme féminin de muscat (prov. muscat), on
emploie muscade (prov. muscada): Du raisin muscat, du vin
muscat, mais rose muscade, noix muscade; au moyen âge on
trouve aussi noix muscate. Sur géant — géane, pour géant —
géante, voir § 400.
413. Quelques féminins présentent un T non étymologique.
P AIN(T). Sur le modèle de saint — sainte, on a formé
vilain — vilainte; ce féminin ne se trouve qu'en patois: Tes
une vilainte, toi (Dom Juan, II, se. 3). On dit de même en
wallon moderne plein — pleinte.
2° AN(T). Sur le modèle de amant — amante, Ninon de
Lenclos a formé partisan — partisante (voir Littré); elle n'a
pas trouvé d'imitateurs. Au moyen âge on avait à côté de
283
grant — grande (§ 385), grant — grante (on trouve également
agrandir et agrantir) ; le féminin grante est de nos jours propre
aux patois de l'Est.
3" E(T). Sur le modèle de coquet — coquette, on a formé
dans l'argot actuel de Paris jockey — jockey le, poney — po-
neyte ou ponneite (J. Normand, Contes à Madame, p. 21).
4*^ 0(T). Sur le modèle de sot — sotte, on a formé dans
l'argot actuel de Paris rigolo — rigolote (O. Mirbeau, Journal
d'une femme de chambre, p. 346) et typo — typote.
b'^ OI(T). Sur le modèle de droit — droite, étroit — étroite,
on a formé coi — coite; jusqu'au XYIII*^ siècle on disait ré-
gulièrement coi — coie (qui e ta). Le féminin analogique, qui
n'est guère usité que dans la locution vieillie chambre coite,
ne figure dans le Dictionnaire de l'Académie qu'à partir de
1798. Rappelons que quelques auteurs modernes regardent »se
tenir coi<s. comme une locution figée et laissent coi invariable:
Celle-ci se sentait fort mal à l'aise et se tenait coi (J. de Gas-
tyne, L'Aff'aire du général X, p. 175).
6" OU(T). Sur le modèle de tout — toute, on a formé voyou
— voyoute, Loulou — Louloute.
7^ Examinons en dernier lieu l'adjectif vert. A côté du fé-
minin invariable vert, on trouve aussi verte (Roland, v. 1569);
cette forme ne remonte pas au bas-latin virida, qui aurait
donné verde, c'est une formation française, tirée du masculin
et modelée sur ouvert — ouverte. A la fin du moyen âge on
crée un nouveau féminin verde, dû probablement à l'influence
de verdure, verdoyer et du radical latin: Recoips celle coullée
verde (Ane. th. fr., III, 317). L'herbe verde (A. d'Aubigné, Les
Misères, v. 25). Ailleurs le même poète emploie vertes qu'il fait
rimer avec découvertes (Les Vengeances). Monet (1635) donne
encore verde, Oudin (1633) ne connaît que verte. Pour d'autres
détails, voir § 386, 4. L'hésitation entre d et t se montre aussi
dans les dérivés; dans H. de Mondeville on trouve verdeur et
verteur.
Remarque. On pourrait encore citer béni — bénite et favori — favorite;
cependant bénite est le féminin de bénit (voir § 89, Rem.), et favorite est
emprunté de l'it. favorita; Thierry donne dans son Dictionnaire (1564):
mon favorit, ma favorite.
284
414. Au point de vue orthographique il faut remarquer
qu'on redouble parfois le T dans la forme féminine des ter-
minaisons -at, -et, -ot:
P AT. Le T est redoublé dans chat — chatte (blat. catta).
Les autres mots en -at, qui sont presque tous des mots d'em-
prunt, ne redoublent pas la consonne: Avocat -e, candidat -e,
délicat -e, immédiat -e, scélérat -e. Fat, goujat, soldat, rosat et
violât n'ont pas de féminin; on trouve pourtant une voix
goujate dans L. Bloy, La femme pauvre, p. 186. Sur muscat,
voir § 412; sur rat, § 440.
2^ ET. Le T est redoublé dans la plupart des mots en -et:
Net — nette, blet — blette. Aigret — aigrette, aigrelet — aigre-
lette, bleuet — bleuette, brunet — brunette, clairet — clairette, co-
quet — coquette, fluet — fluette, duret — durette, follet — fol-
lette, maigrelet — maigrelette, muet — muette, propret — proprette,
seulet — seulette, suret — surette, violet — violette, etc. On trouve
aussi pick-pocket — pick-pockette. Comme on le voit, ce groupe
comprend surtout des diminutifs dont la terminaison remonte
au suffixe bas-latin -ittum, -itta. Les mots savants en -et
font au féminin -ète: Complet — complète, concret — concrète,
discret — discrète, incomplet — incomplète, indiscret — indiscrète,
inquiet — inquiète, replet — replète, secret — secrète; on trouve
aussi préfet — préfète. Cette graphie capricieuse se fonde sur
le désir de rapprocher l'orthographe française de la latine
(compléta, discreta, sécréta, etc.). Du reste, les règles
modernes n'ont été fixées qu'au XIX" siècle; jusqu'à la lin du
XVIIP siècle on écrivait aussi bien cadète que cadette, discrette
que discrète. Ce n'est que dans la dernière édition de son Dic-
tionnaire que l'Académie a remplacé surète par surette. Baudet,
furet, gourmet, marmouset, sansonnet, valet n'ont pas de fémi-
nin. Mulet fait mule (mu la) au féminin.
3° OT. On trouve -otte dans sot — sotte, marmot — mar-
motte et tous les diminutifs tels que bellot — bellotte, pâlot —
pâlotte, vieillot — vieillotte, linot — linotte; un seul mot fait
exception manchot — manchote. Les autres mots, qui sont
presque tous d'adoption relativement récente, font au féminin
-ote: Bigot -e, cagot -e, camelot -e, capot -e, dévot -e, falot -e,
huguenot -e, idiot -e, nabot -e. Cachalot, mulot, pilot, turbot n'ont
pas de féminin. Gelinotte et marotte n'ont pas de masculin.
285
415. D. Le d latin appuyé devient sourd à la fin des mots
(I, § 395,2): tardum ) vfr. tart, et se maintient devant a:
tarda > tarde, d'où une alternance entre T au masculin et D au
féminin propre à la vieille langue: chaut (calidum) > chaude
(calida), froit — froide (frigida), parfont — porfonde (pro-
funda), roit — roide (rigida), reont — reonde (rotunda),
sourt — sourde (surda), tart — tarde (tarda). Ajoutons un
adjectif de la deuxième classe (§ 383,2): grant — grande (cf.
grandeur) et tous les noms qui contiennent le suffixe germa-
nique -h art: couart — couarde, gaillart — gaillarde, criart —
criarde, etc. Après l'amuïssement de la dentale, l'orthographe
a rapproché le masculin du féminin en substituant un d au
t: chaud, froid, grand, profond^ rond, sourd, tard, couard, cri-
ard, gaillard, etc. ; sur le sort de roit, voir § 389. Il faut enfin
rappeler vuit — vuide (voir § 389), dont le d remonte à un f
latin.
416. Plusieurs féminins présentent un D non étymologique.
P AN(D). L'analogie de grand — grande, truand — truande,
etc. a amené le féminin irrégulier faisande de faisan (phasia-
num); on dit aussi pou/e /a/sane. L'analogie des mots en -and
influe aussi sur ceux en -ant d'où quelques féminins irrégu-
liers : Galande, de galant, s'emploie à côté de galante aux XVP
et XVIP siècles. Lieutenande, de lieutenant, se trouve à côté de
lieutenante au XVP siècle (Heptaméron, n° 28). Paysande, de
paysan(t), a été employé par d'Aubigné (Hist. univers.). Ro-
mande, dans l'expression la Suisse romande, a été modelé sur
la Suisse allemande. Un changement de terminaison complet a
eu lieu dans allemand, chaland, friand, marchand, pour alle-
man, chalant, friant, marchant.
2^ AR(D). L'analogie de tard — tarde, bavard — bavarde a
amené plusieurs formations irrégulières telles que avare —
avarde, bizarre — bizarde (Labiche, Théâtre, IX, 175), ignare
— ignarde; elles appartiennent exclusivement à la langue vul-
gaire.
3*^ AU(D). L'analogie de chaud — chaude amène bedeau —
bedeaude; ce féminin s'emploie au sens de 'mi-parti de deux
couleurs': chenille bedeaude, corneille bedeaude (par allusion à
la robe de deux couleurs que portaient les bedeaux dans les
églises de campagne).
286
4® OR(D). C'est probablement le rapport entre bord et bor-
der, bordage, bordereau, bordure, etc., entre accord et accorder,
etc. qui amène butor — butorde.
g) Mots terminés par une vélaire (C, G).
417. C [k]. Le c latin appuyé reste intact à la fin des mots,
tandis qu'il passe à un son chuintant sourd devant a (I,
§401,2): vfr. manc (mancum) — manche (manca), sec (sic-
cum) — sèche (sicca) et quelques mots d'origine germanique:
blanc — blanche (blanc a), franc — franche (franca). Cet
échange entre c et ch se retrouve dans la langue moderne
dans blanc, franc, sec. Les féminins tels que franque, grecque,
turque, qui gardent inaltérée la clusile du masculin (écrite qu
ou cqu devant l'e féminin), sont de formation postérieure et
analogique. Franque, qui ne s'emploie qu'en parlant des Francs
(la monarchie franque, une femme franque), est tout récent et
tiré du masculin; de la même manière s'expliquent turque et
grecque; à côté de ce dernier féminin on a le doublet grièche
(employé dans ortie-grièche, pie-grièche), qui correspond au vfr.
grieis, dér. de griu <( g r se eu m. Ajoutons enfin qu'à côté de
sèche on trouve dans la langue vulgaire sèque: T'allumeras le
four avec la bourrée qu'est sous l'hangar au pressoir. Elle est
sèque (G. de Maupassant, Contes du jour et de la nuit, p. 120).
— Les mots en -ac, -ic, -uc sont savants: ammoniac — ammo-
niaque, public — publique (cf. § 388), Frédéric — Frédérique,
Ulric(h) — Ulrique, caduc — caduque (§ 388), etc.; sur duc,
voir § 425. ,
Cas isolés. Un féminin en -che s'employait au moyen âge
dans quelques toponymiques en -eis, remontant à -iscus:
angleis — anglesche, daneis — danesche, franceis — francesche,
galleis — gallesche, grieis — griesche, tieis — tiesche, etc. Ces
féminins disparaissent sous l'influence analogique des mots en
-eis, remontant à -en si s: cartels — corteise (§ 384,3, Rem.)
amène franceis — franceise (déjà dans le Roland, v. 396), da-
neis — daneise, etc. Villon emploie encore Anglesche (Ballade
des dames de Paris).
418. Q [g]. Le g latin appuyé devient sourd à la fin des
mots et passe à un son chuintant devant a (I, § 423), d'où
287
une alternance entre c [k] au masculin et g [dg] au féminin,
dans la vieille langue: lare (largum) — large (larga), lonc
(longum) — longe (longa). Cet échange n'existe plus depuis
longtemps : lare, dont l'emploi était rare, a été remplacé par
le féminin large (voir § 389), et longe a succombé devant la
forme refaite longue (l'ancien longe s'est conservé dans le bas
gâtinais).
2. LA TERMINAISON -TRIX.
419. En latin un certain nombre de mots en -tor avaient
au féminin -trix: adjutor — adjutrix, fautor — fau-
trix, ultor — ultrix, victor — victrix, imperator —
imperatrix. Cette terminaison paraît avoir été très peu em-
ployée dans la langue vulgaire, et les langues romanes n'en
conservent que des restes isolés. Pour la langue d'oïl, on ne
peut guère citer que imper atricem ) empererriz et pecca-
tricem ) pécher riz. Voici quelques détails sur ces formes et
leur sort:
1" Empererriz (empererris), parfois altéré en empeerris, em-
perreïs, emper(r)is, reste en usage jusque dans le XV® siècle:
Chancellier, faictes nous venir, L'empererix a nous parler
(Mystère de St. Adrien, v. 1901). Comme formes collatérales
on avait empereresse ou emperesse: Au temps de Glande l'em-
peresse (Montaiglon, Recueil de poésies, VII, p. 237), empe-
reuse et emperice; pour les exemples, voir Godefroy. Rappelons
enfin emperiere, expliqué au § 381. Tous ces féminins ne sont
guère en usage après 1500; ils disparaissent devant la forme
savante impératrice.
2^ Pecher(r)iz ou pecher(r)is s'employait jusqu'au XV® siècle:
Ensi puet on bel apaier Et pecheors et pecherriz (Bartsch et
Horning, p. 310, 39). Entendez tous, pécheurs et pecheris (Mon-
taiglon, Recueil de poésies, II, 118). Le féminin en -eresse qui
finit par prendre la place de la forme étymologique s'emploie
dès le XII® siècle: Icele pécheresse (Bartsch et Horning, p. 94,27),
Remarque. Les deux féminins cités en -is faisant disparate avec les autres
féminins de la langue, disparaissent. Malgré leur rareté ils ont cependant
provoqué une formation analogique isolée: C'est la bona conforteris (Bartsch
et Horning, p. 482,7). Rappelons aussi quelques mots savants: gene/rzs(genitrix)
qui s'employait en parlant de la Sainte Vierge {Marie Deu genetris; Marie reine
288
genetris, ^etc), mereiris (meretrix) et cocatris (calcatrix), dont on dé-
signait au moyen âge l'ichneumon et plusieurs animaux fantastiques; il s'est
conservé dans le poitevin (au sens de: œuf avorté) et dans le bas gâtinais
(où le cocatri est supposé être le produit de l'accouplement d'une volaille et
d'un reptile).
420. Après le moyen âge on emprunte au latin la termi-
naison -trix sous la forme savante -trice: imperatrix ) im-
pératrice, persecutrix ) persécutrice, et peu à peu -trice de-
vient la marque du féminin de tous les noms d'agents en
-teur, en tant qu'ils sont de formation. savante. Exemples: Ac-
cusateur -trice, acteur -trice, admirateur -trice, adulateur -trice,
bienfaiteur -trice, calomniateur -trice, conducteur -trice, conserva-
teur -trice, consolateur -trice, coopérateur -trice, corrupteur -trice,
créateur -trice, curateur -trice, délateur -trice, destructeur -trice,
détenteur -trice, directeur -trice, dispensateur -trice, distributeur
-trice, dominateur -trice, électeur -trice, émancipateur -trice, exé-
cuteur -trice, fascinateur -trice, fondateur -trice, imitateur -trice,
inspecteur -trice, inventeur -trice, lecteur -trice, législateur -trice,
libérateur -trice, méditateur -trice, moteur -trice, observateur -trice,
persécuteur -trice, protecteur -trice, provocateur -trice, spoliateur
-trice, tentateur -trice, tuteur -trice, etc.
421. Il faut examiner à part un petit nombre de féminins
en -trice (-drice):
Ambassadrice, féminin d'ambassadeur, vient directement de
l'it. ambasciadrice ou a été tiré du masculin, sur le mo-
dèle des mots en -teur -trice.
Cantatrice (emprunté de l'ital. cantatrice) sert de fémi-
nin à chanteur et se dit surtout des prime donne. En de-
hors de ce cas on dit chanteuse: une chanteuse à l'Opéra, une
chanteuse de rue.
Débitrice (lat. debitrix) sert de féminin à débiteur (debi-
tor), 'celui qui doit'. Au sens de 'celui qui débite', débiteur est
un dérivé de débiter et fait régulièrement au féminin débiteuse.
Expultrice (expultrix), féminin de expulseur (expulser).
Impératrice (lat. imperatrix), féminin de empereur (cf.
§ 419, i).
Procuratrice (procura trix), qui appartient étymologique-
ment à procurateur, sert de féminin à procureur (dér. de pro-
curer), celui qui a pouvoir d'agir pour un autre. Au sens de
289
'officier ministériel', procureur fait au féminin procureuse (qui
a aussi la signification de entremetteuse).
3. LA TERMINAISON -ISSA.
422. La terminaison -issa a été empruntée au grec à l'é-
poque chrétienne; elle était très employée dans le latin de la
décadence où l'on disait abbatissa, diaconissa, prophe-
tissa, sacerdotissa, poetissa, ^thiopissa, Arabissa,
Germanissa (C.I.L., XIII, 3183), etc.; elle pénétra aussi dans
la langue vulgaire, où son emploi s'étendit de plus en plus.
On la retrouve dans tout le domaine roman : roum. jupàneasa,
ital. (ajbadessa, esp. abadesa, port. prov. abbadessa, fr. ab-
besse.
423. En français, -issa est devenu -esse, prononcé d'abord
-ésse, puis -èsse (I, § 154); en vieux français on écrivait par-
fois -esce ou -ece. Il faut aussi signaler le doublet savant -isse
employé maintenant dans le seul mot pythonisse; on a dit
autrefois diaconisse, remplacé par diaconesse, sénéscalisse, etc.
Remarque. A côté du simple -esse, on trouve les formes élargies -eresse
(voir § 428) et -gesse. Le point de départ de cette dernière forme est pro-
bablement à chercher dans clergesse; c'est sur ce modèle qu'on a créé mir-
gesse (de mire < medicum), etc. Rabelais s'en sei't encore: Ne sçay toutes-
fois beaux amis, que peut estre ne d'où vient que les femelles, soient Cler-
gesses, Monagesses ou Abbegesses, ne chantent motets plaisans et charisteres
(Liv. V, chap. 4).
424. Le suffixe -esse est parvenu à jouer un rôle assez im-
portant en français; quant à son emploi et à son extension il
faut remarquer les points suivants:
P Sur le modèle de abbé — abbesse, on a adopté -esse dans
plusieurs des mots qui n'avaient pas de féminin étymologique ;
tandis que le latin ne donne que comes, p rince ps, on dit
en français comte — comtesse, prince — princesse. On a aussi
employé -esse dans les cas où la distinction de genre étymo-
logique s'est effacée grâce au développement phonétique; ainsi
asinum et asina, qui donnent en italien asino et asina,
n'auraient donné en français qu'une même forme asne; comme
il n'y avait pas moyen de créer un nouveau masculin par l'é-
19
290
limination de l'e (comp. § 394), on a refait le féminin à l'aide
d'un suffixe. Rappelons enfin les quelques cas où -esse rem-
place une autre terminaison féminine étymologique; en face
de de us — de a, on a en français dieu — déesse, et nous
avons déjà vu qu'on crée empereresse et pécheresse, à côté de
empereris et pecheris (§ 419). L'emploi de -esse s'est peu à peu
étendu aux mots d'emprunt: nègre — négresse, et de nos jours
c'est le seul suffixe vivant (§ 425, Rem.), abstraction faite de
-trice dans les mots savants (§ 420).
2" Le suffixe -esse s'employait d'abord pour désigner le fé-
minin de mots exprimant des titres: comte — comtesse, cha-
noine — chanoinesse; peu à peu il s'est étendu à d'autres
noms de personnes: hôte — hôtesse, et à des noms d'animaux:
lion — lionnesse, tigre — tigresse, aigle — aiglesse.
3" Le suffixe -esse s'adaptait d'abord à des substantifs,
comme le montrent tous les exemples cités précédemment;
par une extension analogique il s'adapte aussi, et dès la fin du
moyen âge, à des adjectifs (§ 427).
425. Voici une liste alphabétique des mots dont le féminin
se forme actuellement par l'addition du suffixe -esse:
Abbé — abbesse <( vfr. abeesse (I, § 266).
Ane — ânesse.
Centaure — centauresse (A. France, L'Orme du Mail, p. 47).
Chanoine — chanoinesse < vfr. chanonesse.
Comte — comtesse.
Diable — diablesse < vfr. deablesse. On dit une diable dans
des combinaisons comme une diable de vie, cette diable de
femme, etc.; comp.: Cette diablesse de Mme de Pahaiien (Soi-
rées de Médan, p. 161).
Diacre — diaconesse; le féminin diaconisse a vieilli.
Dieu — déesse; ce féminin remonte au XII*' siècle; les autres
vieilles formes dieuesse, deuesse ont disparu.
Docteur — doctoresse; cette forme remonte au XV siècle.
Doge — dogaresse (it. dogaressa); St. Évremond s'est servi
de dogesse, maintenant inusité.
Drôle — drôlessé; comp. une expression telle que une drôle
d'idée.
Druide — druidesse (admis dans Acad. 1835); on a dit autre-
fois une druide.
291
Duc — duchesse; sur le ch du féminin, voir § 417.
Faune — faunesse. Félibre (I, § 80, Rem.) — félibresse. Hôte
— hôtesse. Ladre — {adresse. Larron — larronnesse. Maire —
mairesse (comp. § 438).
Maître — maîtresse; ce féminin s'emploie maintenant et
comme substantif et comme adjectif: «ne maîtresse chèvre
(A. Daudet), trente maîtresses tours (V. Hugo), la qualité maî-
tresse d'une personne, la maîtresse ancre, etc. Au moyen âge on
trouve aussi maistre au féminin: Ele estoit sa mestre et sa
garde (Chevalier au lyon, v. 1593). La maistre pierre en fist jus
trebuchier (Raoul de Cambrai, v. 3151). A Saint Denis en la
maistre abaïe (Aimeri de Narbonne, v. 137). La forme féminine
maître s'emploie encore dans les parlers provinciaux: La
maître que gouverne, comment l'appellent-ils (Romania, VII, 65).
Moine — moinesse.
Mulâtre — mulâtresse; on dit aussi une mulâtre.
Nègre — négresse.
Notaire — notaresse ou notairesse (A. Theuriet).
Ogre — Ogresse.
Pair — pairesse (d'après l'angl. peeress); ce féminin dé-
signe la femme d'un membre de la chambre des pairs d'Angle-
terre.
Pape — papesse. Patron — patronnesse (comp. § 403). Poète
— poétesse. Prêtre — prêtresse. Prince — princesse. Prophète —
prophétesse. Quaker (quacre) — quakeresse (quacresse). Tigre —
tigresse.
Traître — traîtresse. Au moyen âge la forme masculine s'em-
ployait aussi au féminin. Dans le Chevalier au Lion, Lunette
dit à Ivain : Oil, sire, a la moie foi, Troi sont qui traître me
claimment (v. 3619).
Remarque. Dans la langue parlée moderne (surtout dans l'argot de Paris), le
suffixe -esse a pris une assez grande extension. Voici quelques exemples de
formation récente et toute populaire: Bougre — bougresse; chef — chef esse
(de rayon); clown — clownesse (Huj'smans*, Là-bas, p. 104); dab, dabe — •
dabesse; faraud — faraudesse; gonce — gonzesse; grêle — grelesse; juif —
juivresse; oncle — onclesse (concierge femelle d'une prison); singe — sin-
gesse; snob — snobesse; type — typesse^ etc.
426. Si l'on remonte au moyen âge et à la Renaissance, on
trouve beaucoup de féminins en -esse, qui ne s'emploient plus.
En voici quelques exemples:
19*
292
Aigle — aiglesse; on dit maintenant une aigle quand il s'agit
de la femelle.
Barbier — barhieresse, maintenant barbière (J. Richepin, Contes
espagnols, p. 201).
Chevalier — chevaleresse, maintenant chevalière (Hugo, Odes,
V, n«25).
Clerc — clergesse; ce féminin est encore employé par Régnier:
Clergesse, elle fait jà la leçon aux prescheurs (Macette,
V. 19).
Compain (§ 258) — compagnesse; on dit maintenant com-
pagne (§ 403).
Fel, félon — felonesse; ce féminin servait exclusivement d'ad-
jectif.
Hermite — hermitesse: Là sont belles et joyeuses hypocri-
tesses, chattemitesses , hermitesses , femmes de grande religion
(Rabelais, IV, chap. 64). Madame de Sévigné se sert encore de
ce féminin. Godefroy donne la forme hermitresse.
Hypocrite — hypocritesse.
Juge — Jugesse ; pour des exemples de cette forme, voir
Heptaméron, n° 46. Au moyen âge on trouve aussi jugieresse,
de jiigiere.
Léon (lion) — leonesse (lionesse) ; on dit maintenant lionne
(voir § 403).
Libraire — librairesse. Exemple: »Ça, monseu, qu'acliepterez-
vous?« Dit une belle librairesse (Paris ridicule et burlesque,
p. p. Jacob, p. 98).
Menteur — menteresse (E. Deschamps, IX, v. 4398); on dit
maintenant menteuse.
Merle — merlesse. Hors des patois où ce féminin s'est con-
servé, on dit maintenant merlette.
Mire — miresse; on disait aussi mirgesse ou mireresse.
Paon — paonesse; ce féminin s'employait encore au XVIP
siècle; on dit maintenant paonne ou femelle du paon.
Serviteur — serviteresse (E. Deschamps, IX, v. 103); on dit
maintenant servante (voir § 431).
Sire — stresse. Exemple: Qui? dit il, la femme du sire Pierre?
Oui, dit la preude-femme, c'est la Stresse elle mesme (Noël du
Fail, Œuvres facétieuses, 1, 73).
Vidame — vidamesse.
293
427. Le suffixe -esse s'ajoute aussi à quelques adjectifs,
quand ils sont employés substantivement. On trouve ainsi
ivresse pour femme ivre: Tu n'es qu'une ijvresse (Picot et Ny-
rop, Recueil de farces, n" I, 230). La même forme vit encore
dans les chansons populaires: Tout en colère le maître arrive, et
la prend pour ivresse (Rolland, Recueil, V, 70). Ronsard s'est
servi de petitesse. La langue moderne connaît: un borgne — une
borynesse (plus souvent une femme borgne), un ivrogne — une
ivrognesse, un pauvre — une pauvresse, un sauvage — une sau-
vagesse, un Suisse — une Suissesse.
428. ERESSE. Ce suffixe secondaire est dû à une fausse
analyse de mots tels que enchanteresse, pécheresse, etc. Enchan-
teresse est en effet un composé de enchanter e (incantator)
avec -esse. Mais on l'a décomposé en enchant- et -eresse; comp.
enchantement (^= enchant- -{- -ement), enchantoison (^= enchant-
-\- -oison). Au moyen âge -eresse était très employé dans les
noms d'agent. En voici quelques exemples: Accuseresse, aide-
resse, barateresse, chanteresse, couveresse, danseresse, empereresse,
entreteneresse, flatteresse, fondateresse, gouverneresse, inventeresse,
joueresse, lecheresse, menteresse, plaideresse, rapporter esse, servi-
ieresse, sousteneresse, tanceresse, trouveresse, etc. Eresse s'adaptait
aussi, bien que plus rarement, à des mots qui ne se termi-
naient pas par -ère au masculin; on trouve ainsi clerc — cler-
geresse (G. Coquillart, I, 34), mire — mireresse, orfèvre — or-
fevreresse, vieil — vieilleresse, etc.
429. Au XVI<^ siècle l'emploi de -eresse était encore assez ré-
pandu malgré la concurrence toujours croissante de -euse
(§ 406, 2). Rabelais écrit espouilleresse , racleresse, revenderesse
(II, chap. 30). On trouve dans les poètes de la Pléiade par-
leresse, menteresse, flatteresse. Montaigne dit art piperesse et men-
songère, à côté de une pipeuse espérance. Robert Garnier em-
ploie domteresse, flateresse, menteuresse, vainqueresse, etc. Après
la Renaissance, l'emploi de notre suffixe se perd peu à peu,
et la langue actuelle n'en possède que des traces isolées.
Remarque. La terminaison -eresse est encore très répandue dans plusieurs
patois. En baguais on dit par exemple aigucheresse, beugueresse, charmeresse,
enjoleresse, fileresse (à côté de fileuse), gaspilleresse, songeresse, touerniresse,
tracberesse (MSLP, V, 316).
294
430. La langue moderne n'a conservé la terminaison -eresse
que dans quelques mots juridiques (bailleresse, défenderesse, de-
manderesse, venderesse), poétiques (charmer esse, chasseresse, de-
vineresse, enchanteresse, vengeresse), bibliques (pécheresse) et tech-
niques (champar ter esse, écumeresse, pécheresse, tailleresse). Voici
quelques remarques de détail sur ces formes:
Bailleresse, de bailleur.
Champarteresse (emploj^é dans grange champar ter esse), de
champarteur, dérivé de champart.
Charmeresse, de charmeur, féminin un peu vieilli: La char-
meresse Esméralda (V. Hugo). Dès le XVII^ siècle on a formé
charmeuse: Aux yeux de ma charmeuse (Corneille, Illusion co-
mique, III, se. 4).
Chasseresse, de chasseur. Ce féminin ne s'emploie guère plus
que dans des expressions poétiques : Une chasseresse, les nymphes
chasseresses, Diane chasseresse. En prose on dit ordinairement
chasseuse.
Défenderesse, de défendeur.
Demanderesse, de demandeur. En dehors de l'emploi juridique,
on dit demandeuse.
Devineresse, de devineur, sert maintenant de féminin à devin,
comme devineur n'a plus que la signification toute générale de
'celui qui devine'; on dit ainsi un devineur de rébus, et au fé-
minin une devineuse de rébus. Ajoutons que la Fontaine a em-
ployé devineuse au sens de 'devineresse' (Fables, VII, 15).
Écumeresse (écumoire de raffineur de sucre), de écumeur. Au
sens ordinaire, écumeur fait au féminin écumeuse.
Enchanteresse, de enchanteur ; le féminin enchanteuse est tout
récent. M. Remy de Gourmont remarque: » Enchanteuse, qui
était inévitable n'est pas déplaisant* (Esthétique de la langue
française, p. 148).
Jongleresse, féminin vieilli de jongleur.
Pécheresse (§ 419, 2), de pécheur.
Pécheresse, de pêcheur-; ce féminin ne s'emploie plus que
dans quelques expressions isolées: raie pécheresse, trêve péche-
resse; partout ailleurs il a été remplacé par pêcheuse.
Sîngeresse, d'un masculin inusité singeurl
Tailleresse, de tailleur; ce féminin ne s'emploie que de l'ou-
vrière chargée de tailler les flans des monnaies; quand il s'agit
d'une couturière, on dit tailleuse.
295
Venderesse, de vendeur. Ce féminin, maintenant inconnu à la
majorité des Français, est confiné dans la langue du droit. La
seule forme en usage est vendeuse.
Vengeresse, de vengeur.
Remarque. V. Hugo a écrit des accompagneresses d'honneur (N.-Dame de
Paris, II, 5); c'est un pur pastiche.
4. CAS ISOLÉS.
431. Un certain nombre de mots présentent des particulari-
tés, soit dans le masculin, soit dans le féminin, qui ne ren-
trent pas dans les règles précédentes; nous allons les examiner
à part :
Basque, au féminin une Basque ou une Basquaise.
Canard — cane. Le masculin est un dérivé de cane (comp.
§ 382) ou plutôt une contamination de cane et du vfr. malart
(encore conservé dans le baguais). Le rapport entre cane et la
forme primitive ane n'est pas clair.
Chevreuil; la femelle s'appelle chevrette (le masculin che-
vret est inusité).
Cochon; le féminin étymologique est coche (comp. § 403).
Au point de vue bistorique, le masculin cochon est un dérivé
de coche et ne désigne d'abord que le cocbon de lait.
Compagnon — compagne; ce féminin correspond propre-
ment à l'ancien nominatif conipain, copain (§ 281); comp. en
ital. compagno — compagna. On trouve aussi compagnesse
(§ 426) et compagnonne (§ 403).
Crevé — crevette, termes d'argot.
Dindon — dinde. Le masculin dindon est proprement un
dérivé de dinde; O. de Serres (1600) l'emploie au sens de
'dindonneau'. On a aussi dit au masculin un dinde, c. à d. un
coq d'Inde, comme une dinde est pour une poule d'Inde (I,
§ 491); comp. en italien un gallo d'India, una gallina d'India.
Fils (voir § 279,2) — fille (fi lia).
Garçon — garce; comp. l'ancien nominatif masculin gars
(§ 281). Sur le développement sémasiologique de garce', voir
la Sémantique. Un féminin tout récent est garçonne (§ 403).
Gigolo — gigolette, termes d'argot.
Gouverneur — gouvernante. Ce dernier mot est proprement
296
le féminin de gouvernant, part. prés, de gouverner. On disait
au moyen âge gouverneresse (E. Deschamps, IX, v. 3307 ; Frois-
sart). Malherbe a employé gouverneuse : Nous avons la Reine
gouverneuse (Œuvres complètes, III, 261). Plus tard, cette forme
n'a été employée que par plaisanterie.
Hébreu — hébraïque; sur un autre féminin, voir § 410.
Héros (emprunté du lat. héros) — héroïne (emprunté du
lat. heroina).
Lévrier (dér. de lièvre) — levrette. Pour désigner la femelle,
Nicot (1606) donne levrière ou levrette; la dernière forme a
seule survécu.
Loup (autrefois leu; I, § 182) — louve.
Merle — merlette (comp. § 426).
Mulet — mule (mu la). L'ancien masculin mul (mu lu m)
a disparu.
Neveu (nepotem) — nièce (*neptia); l'ancien nominatif
est nies (nepos). Comp. § 260.
Perroquet (it. parrochetto) ~ perruche.
Pierrot — Pierrette.
Poney (angl. poney) ^ — poneytte (Gyp, Plume et poil, p. 230),
sur le modèle de coquet — coquette (§ 413, s). On trouve aussi
ponet — ponette, et pong (angl. pony) — pongette.
Poulain (* p u 1 1 a n u m) — pouliche (forme normanno-picarde
pour poulisse, dérivé de poulain, par changement de suffixe).
Les féminins poulaine et pouline ne sont pas usités.
Roi (regem) — reine (regina).
Serviteur — servante. Ce mot est proprement le féminin de
servant, part. prés, de servir. Il a remplacé l'ancien féminin
serviteresse.
Sylphe (mot d'origine gauloise) — sylphide.
Taureau. La femelle s'appelle vache (§391,2) ou, si elle est
toute jeune et n'a pas eu de veau, taure (taura); l'ancien
masculin tor (tau ru m) a disparu.
Tsar (czar) — tsarine (czarine). La vraie forme féminine
serait tsaritsa; le suffixe -ine en russe n'indique nullement des
féminins.
5. MOTS COMPOSÉS.
432. Un tout petit nombre de mots composés présentent
une forme féminine spéciale.
297
P Mots composés issus d'une juxtaposition: Beau-fils
helle-fille; beau-frère — belle-sœur; beau-père — belle-mère. Petit-
fils — petite- fille; petit-maître — petite-maîtresse ; petit-neveu —
petite-nièce. Prud'homme — prude femme (vieilli). Sur grand-
mère, féminin de grand-père, voir § 386, 2. A côté de gentil
homme, on avait au XVP siècle gentille femme ou gentil femme;
on trouve même dans Bonaventure Despériers (éd. Jacob,
p. 291) gentifemme. Pour les mots composés de deux adjectifs
rappelons sourd-muet qui fait au féminin sourde-muette et, dans
la langue vulgaire, sourd-muette. Sur la flexion de mots tels que
mort-né, premier-né, nouveau-marié, tout-puissant, etc., voir la
Syntaxe.
Remarque. Rappelons à titre de curiosité des féminins espagnols tels que
petitmetra (souvent dans Ramon de la Cruz), mayordoma.
2^ Mots composés issus d'une subordination et dont la der-
nière partie est primitivement invariable : Fainéant — fainéante.
Gridelin « gris de lin) — grideline. Proprarien (< propre à rien)
— proprarienne. Trousse-pet — trousse-pète. Vaurien « vaut rien)
— vaurienne.
Remarque. Rappelons le masculin curieux poiraisin, de poix résine (§ 394,
Rem.).
D. MOTS INVARIABLES.
I. SUBSTANTIFS.
433. Un grand nombre de substantifs désignant des êtres
vivants n'ont pas de forme féminine spéciale. On peut les di-
viser en deux groupes, selon que le mot varie de genre ou non.
On a d'un côté: Cette femme est une artiste excellente, et de
l'autre: Cette femme est un auteur excellent.
434. Un certain nombre de noms de personnes varient de
genre sans varier de forme: Exemples: Aide, adversaire, artiste,
camarade, complice, concierge, convive, copiste, cycliste, élève,
émule, enfant, esclave, garde, hypocrite, locataire, nihiliste, ' no-
vice, patriote, pensionnaire, péri, philosophe, propriétaire, pupille,
soprano, touriste, Belge, Russe, etc. On dit ainsi : // est mon
meilleur élève, et: Elle est ma meilleure élève.
298
Remarque. Dans quelques mots il y a hésitation entre un féminin in-
variable et un féminin en -esse. Les vieux féminins une druide, une maître,
ont été supplantés par une druidesse, une maîtresse (§ 425); d'autre part,
une hgpocritesse a disparu devant une tiypocrite. A côté d'une pliilosoptie
(Molière, Femmes savantes, v. 625), on trouve aussi dans le langage plaisant
une philo sophesse (Gherardi, Théâtre italien, IV, 7). La langue actuelle hésite
entre une mulâtre et une mulâtresse.
435. Un certain nombre de noms de personnes désignant
surtout des états ou professions ordinairement propres aux
hommes, n'ont pas de forme féminine et sont toujours du
masculin. Exemples : Amateur, assassin, auteur, avocat, bour-
reau, censeur, charlatan, compositeur, confrère, destructeur, doc-
teur, écrivain, fidéjusseur, graveur, guide, imprimeur, juge, litté-
rateur, médecin, modèle, oppresseur, orateur, peintre, poète, pro-
fesseur, romancier, sculpteur, secrétaire, souscripteur, successeur,
témoin, tyran, ultra, vainqueur, vérificateur, etc. Ces mots restent
invariables; on dit: Son frère est un peintre de talent, et: Sa
sœur est un peintre de talent. On leur crée une sorte de fémi-
nin à l'aide du mot femme: un peintre — une femme peintre,
un médecin — une femme médecin (comp. medica, C.I.L., XII,
3343), un poète — une femme poète, etc. Sur les nouveaux fé-
minins employés dans la langue actuelle, voir § 436 et sur-
tout § 437.
Cas isolés. Il faut ajouter ange et archange qui, selon l'u-
sage ordinaire, sont toujours du masculin: Cette femme est un
ange. Cependant, les auteurs les font parfois varier de genre.
Exemple : Oh ! le premier signe de la préférence de cette ange
de la pensée, le premier regard expressif que la petite amie
adresse à son ami (Nodier, La neuvaine de la Chandeleur, p. 14).
De l'autre côté, bête et canaille sont toujours du féminin: Cet
homme est une bête, une canaille, et on ne leur a pas créé de
masculin comme en espagnol où l'on peut dire : Ese ombre es
un bestia, un canalla.
436. Pour plusieurs des mots cités l'usage a hésité ou hésite
encore :
Amateur. Le féminin amatrice se trouve au XVP siècle:
Une ville amatrice et inventrice de nouvelleté (Amyot); il a aussi
été employé par J. J. Rousseau (Emile, III) et Linguet, mais
il n'a pas été reçu généralement. Littré remarque: »Mot qui,
bien que bon et utile, a beaucoup de peine à s'introduire*.
299
Auteur. Le féminin autrice se trouve dans une pièce du
Mercure de Juin 1726 (une dame autrice); il est aussi cité
dans le Dictionnaire néologique par l'abbé Desfontaines (1725).
Cependant, il n'a pas fait fortune. Saura-t-on jamais pourquoi
on recule devant autrice, et adopte actrice, bienfaitrice, même
oratrice'? 11 est également défendu de dire une auteur: c'est
ironiquement que Boileau a écrit: Vai-je épouser icy quelque ap-
prentie auteur (Satire X, v. 464). Le Dictionnaire néologique
donne un exemple de la première auteur et le qualifie de
»digne de remarque «, mais le néologisme n'a pas été imité.
La langue actuelle n'admet auteur que comme masculin: Cette
dame est un charmant auteur. Elle est le premier auteur de mes
maux. Comme féminin d'auteur on dit une femme auteur. On
a récemment essayé d'introduire l'anglicisme authoresse, mais
sans succès. Remy de Gourmont s'est spirituellement moqué
de ce mot étranger, »orné, comme d'un anneau dans le nez,
d'un grotesque ^/j«.
Avocat. Le féminin avocate s'emploie surtout dans le lan-
gage religieux: La sainte Vierge est V avocate des pécheurs. On
le dit aussi, dans la langue toute moderne, des femmes avo-
cats: Ces doctoresses soignent et guérissent des malades; ces
avocates plaident devant le tribunal (M. Prévost, Frédérique,
p. 439; cf. ib., p. 454).
Bourreau. Le féminin tourelle s'employait au XVI® siècle et
encore au commencement duXVII*": La faim de l'autre bout,
bourelle impitoyable (A. d'Aubigné, Misères, v. 518). Furies,
laissez-moi! Las! laissez -moi, bourrelles (Rivaudeau, Aman,
acte 4). On le trouve aussi comme adjectif: Leurs bourrelles
mains (Satire Ménippée). — Dans le Cid de Corneille, Chimène
dit: Va, je suis ta partie et non pas ton bourreau (v. 940), et
Ménage approuve l'emploi de bourreau en parlant d'une femme.
Compositeur. On dit au féminin compositrice en parlant de
l'ouvrière qui assemble les caractères.
Orateur. Le féminin oratrice ne se rencontre que dans les
auteurs tout modernes: Les lèvres frémissantes de l'oratrice
(J. Bois, Une nouvelle douleur. Paris, 1900. P. 102; ib., p. 96).
Partisan. Les grammairiens ont soiivent protesté contre
l'emploi du féminin partisane. On lit dans Les omnibus du
langage (Paris, 1829) » Dites: Madame est partisan de Rossini,
et non partisanes. Pourtant, ce féminin criminel se trouve déjà
300
dans Commines: Grande partisane des François (VIII, chap. 9).
A. d'Aubigné s'en est aussi servi : Telle estait lors l'affection
partisane (Hist. univers.). Il se trouve également dans une
lettre de Voltaire. De nos jours, partisane est accepté, quoique
peu employé. Sur le féminin partisante, voir § 413, 2.
Peintre. Le féminin peintresse a été employé par Calvin: //
prendra uos fuies pour les faire peiniresses, cuisinières, boulan-
gères. On le retrouve dans J. J. Rousseau: La peintresse ne
vous a pas flattée (Lettre à Mme Latour, 2 oct. 1763). De nos
jours, il s'emploie dans les écoles professionnelles en parlant
de celles qui font la peinture sur porcelaine; en dehors de ce
cas, on dit une femme peintre. Il y a eu des grammairiens qui
ont voulu qu'on dît une peintre, mais on ne les a pas suivis.
La Fontaine emploie la peintre en parlant de la femme d'un
peintre (Les Rémois).
Professeur Le féminin professeuse a été employé par Vol-
taire et d'autres, mais il ne paraît pas devoir réussir; on con-
tinue à employer professeur au féminin: Cette femme est un bon
professeur.
Témoin. Le féminin insolite témoine a été employé par
M. Léo Rouanet dans une traduction de l'espagnol: Senora
Torbellina, soyez témoin — ou témoine, si vous préférez (Inter-
mèdes espagnols. Paris, 1897. P. 294).
Tyran. Quelques poètes ont hasardé le féminin tyranne; on
trouve cette forme dans Desportes, Boisrobert et De la Mé-
nardière, mais les grammairiens ne l'ont pas approuvée. Mé-
nage remarque: «Nonobstant toutes ces autoritez, je dirois
toujours tyran, en parlant d'une femme, et jamais tyranne«.
Tel est encore l'usage; on dit: cette femme est un tyran do-
mestique. Toutefois Fr. Soulié a employé tyranne dans le style
familier.
Vainqueur. On employait autrefois le féminin vainqueresse:
Nos vainquerresses bandes (R. Garnier, Bradamante, v. 1696).
Racine a dit vainqueur en parlant d'une femme: Aurois-je pour
vainqueur dû choisir Aride (Phèdre, I, se. 1), et cet usage s'est
maintenu.
•
437, Comme nous venons de le voir, la langue moderne
présente un assez grand nombre de formes féminines incon-
nues aux époques antérieures; c'est le contre-coup philologique
301
des progrès du féminisme, de l'accès des femmes à des postes,
des emplois et des fonctions dont elles étaient autrefois ex-
clues. Le développement social demande impérieusement tous
les jours la création de nouveaux féminins, mais on est en-
core loin d'avoir satisfait à toutes les demandes, et l'hésitation
des auteurs et des grammairiens est toujours grande. Il y en
a qui gardent le masculin, il y en a d'autres qui lancent har-
diment de nouveaux féminins. Nous trouvons d'un côté: Ca-
roline Tessier, docteur en droit, licencié es lettres (Revue bleue,
I, p. 666,1), et de l'autre: La nouvelle avocate n'arriva que
seconde, quinze jours après son ou sa confrère, Madame P. (L'Il-
lustration, 1900, 12 déc, p. 404). Voici quelques remarques de
M. Remy de Gourmont montrant l'importance qu'il attache à
une rapide solution de notre problème en faveur des femmes:
»La féminisation des mots de notre langue importe plus au
féminisme que la réforme de l'orthographe. Actuellement, pour
exprimer les qualités que quelques droits conquis donnent à
la femme, il n'y a pas de mots. On ne sait si l'on doit dire:
une témoin, une électeure ou une électrice consulaire, une avocat
ou une avocate. L'absence du féminin dans le dictionnaire a
pour résultat l'absence, dans le Code, des droits féminins« {Le
problème du style, p. 240 — 41). Le développement actuel de la
langue semble vouloir remplir le vœu de M. Remy de Gour-
mont. On rencontre en effet à tout m'oment de nouveaux fé-
minins, dont les uns ne manqueront pas de s'imposer, tandis
que les autres ne jouiront probablement que d'une vie éphé-
mère. M. Lebierre cite beaucoup d'exemples des deux sortes
d'innovation et les accompagne des considérations suivantes:
»Les grammairiens portent que les substantifs désignant cer-
taines professions le plus souvent exercées par des hommes
gardent la forme masculine lorsqu'ils sont appliqués à des
femmes. On a maintenant un féminin pour la plupart de ces
substantifs. Ne lit-on pas peintresse et peintrice, oratrice, autrice
(qui est plutôt un archaïsme qu'un néologisme), doctoresse, ré-
dactrice (cette forme se trouve dans Littré), la secrétaire, la so-
ciétaire (non pas seulement dans le sens de sociétaire de la
Comédie- Française), la candidate; électrice, avocate (ces deux
mots dans une autre acception que celle qui est donnée par
l'Académie et Littré). Avocate, dit un critique galant, existe
depuis longtemps, parce que les femmes sont naturellement
302
éloquentes. On a encore éledeuse; on voudrait docteuse et doc-
teure, auteure, etc. Du reste, et ceci ne se rattache pas à ce
qui précède, on propose, outre le féminin en »ice«, débiteure,
chanteure, tout en conservant, dans une signification, déhiteuse
et chanteuse; on a créé des acteases, des théâtreuses, des ser-
veusesa (Le mouvement réformiste des 35 dernières années et
l'état actuel de la langue française. Mulhouse, 1902. P. 28 — 29).
Finissons par citer quelques exemples curieux trouvés dans
des livres tout récents: Cette tournée . . . que des milliers de
leurs courageuses collègues en célibat forcé ou volontaire entre-
prennent chaque année (P. Bourget, Un saint. Paris, 1894. P. 6).
Cette vagabonde fut pour moi la messie poudreuse qui . . .
(J. Bois, Une nouvelle douleur, p. 160). Sa précieuse acolyte
(M. Prévost, Frédérique, p. 232). Un sentiment d'invocation
vers l'apôtre absente (ib., p. 262).
438. Les noms de quelques fonctionnaires (militaires et
juridiques) s'emploient parfois au féminin pour désigner la
femme du fonctionnaire en question. On dit ainsi madame l'a-
mirale, la maréchale, la générale, la commandante, la colonelle,
la lieutenante, et madame la préfète, la sous-préfète, la mairesse,
la pairesse, la baillive, la procureuse, la nota(i)resse; on disait
autrefois la vidamesse, la sénéchale, la prévote (Orson de Beau-
vais, V. 1017). Cet emploi du féminin est restreint à un tout
petit nombre de titres; on n'a pas de mot spécial pour dé-
signer la femme d'un conseiller d'État, d'un ministre, d'un
sénateur, d'un avocat, d'un juge, d'un médecin, d'un profes-
seur, etc. Nous avons entendu dire en plaisantant Madame la
sénatoresse, la ministresse, la secrétairesse , mais ordinairement
la femme d'un ministre, etc. n'est pas désignée par le titre de
son mari (on dit par ex. : Le ministre de France et Mme Jusse-
rand). Dans »Frédérique« de Marcel Prévost, Tinka, la Fin-
landaise, raconte: On me fit tant rire quand on me dit qu'il
voulait m'épouser et que je serais la »Madame Professeur*
(p. 196). Il y a ici une imitation du procédé Scandinave et
germanique.
Cas isolés. On trouve au XVI*^ siècle médecine employé au
sens de 'femme d'un médecin' : Maintenant que mon Hippolite
•est logé, et que peut-estre il baille une médecine à la médecine
303
(Ane. th. franc., VI, 140). La Fontaine a dit la peintre en par-
lant de la femme d'un peintre (Les Rémois).
439. Pour beaucoup de noms d'animaux, le sexe naturel
n'est pas indiqué par le genre grammatical ; on n'exprime que
l'espèce, et le genre dépend de l'étymologie. Ainsi éléphant,
rhinocéros, serpent, héron, moineau sont tous du masculin et
n'ont pas de forme féminine, et souris, panthère, hyène, truite,
grue sont du féminin et n'ont pas de forme masculine. On
disait autrefois louve-cerviere (Ph. de Thaun, Bestiaire, v. 1179),
on dit maintenant loup-cervier . Si l'on veut désigner l'individu
et le sexe, il faut ajouter des déterminants: un éléphant mâle
— un éléphant femelle; une panthère mâle — une panthère fe-
melle; un serin mâle — un serin femelle (des combinaisons
pareilles se trouvent dans les langues Scandinaves: en hunulu,
et en anglais: a she-wolf). Un hareng laite — un hareng œuvé.
Un coq faisan — une poule faisande; le coq de la perdrix —
une poule perdrix; le mâle du renne — la femelle du renne, etc.
440. 11 arrive parfois qu'on donne, surtout par plaisanterie,
une forme féminine aux noms d'animaux qui ordinairement
désignent les deux sexes; cette nouvelle forme est tirée directe-
ment du masculin selon les règles ordinaires. Exemples:
Pigeon — pigeonne. Pellisson dit en parlant d'une jeune
fille: Pleurez, amour, avec nous. Pleurez l'aimable pigeonne.
Rat — ratte (le Dict. gén. écrit rate). On a attribué la créa-
tion de ce féminin à La Fontaine, mais à tort; la forme se
trouve déjà au moyen âge (Ysopet de Lyon, v. 1297), et plus
tard Marot s'en est servi. Ajoutons qu'on disait autrefois ratte
pénade (c. à d. ratte pennée) pour chauve-souris.
Rossignol — rossignolle. Voltaire écrit: Le miracle est qu'un
rossignol fasse un rossignolet à sa rossignole et non pas à une
fauvette (Oreilles 2).
Remarque. On trouve aussi animal — animale: Quelques provinciales,
Aux personnes de cour fâcheuses animales (Molière, Les fâcheux, v. 372).
Sur oiseau — oiselle, voir § 397, Rem.
11. ADJECTIFS.
441. Tous les adjectifs qui se terminent en -e n'ont pas de
féminin : aigre, libre, louche, sauvage, secondaire, timide, etc., etc.
304
Ajoutons chic, qui est primitivement une abréviation de chi-
cane (I, § 522, 2) : un homme chic, une femme chic, une chic
idée. Sur les formes en -esse, voir § 427.
442. Un certain nombre d'adjectifs ne s'ajoutant qu'à des
noms masculins, n'ont ordinairement pas de féminin : aquilin,
bot, châtain, dispos, fat, hébreu, résous, rosat, rubican, violât.
Remarque. Rappelons que Bescherelle et Littré admettent châtaine et
dispose, et que le féminin hébreue s'emploie comme substantif: Une jeune
Hébreue (mais: une traduction hébraïque).
443. D'autres adjectifs n'ont pas de masculin: enceinte, fe-
melle, scarlatine.
Remarque. Le masculin de enceinte se trouve parfois dans le stjie plai-
sant. Dans un feuilleton du »Gil-Blas« Pierre Veber a écrit: Un front in-
quiétant et comme enceint. Femelle étant originairement un substantif fémi-
nin, employé comme adjectif, s'ajoute sans changement à un nom masculin:
un éléphant femelle; Cyrano de Bergerac (éd. Jacob, p. 234) a écrit le sexe
femel.
E. LA LANGUE PARLÉE.
444. Les règles précédentes concernent surtout le développe-
ment historique des formes écrites; un examen rapide de la
langue parlée montrera qu'elles reproduisent fort imparfaite-
ment l'état réel des choses. En effet, l'amuïssement de l'e fé-
minin final (I, § 253) et de la consonne finale (I, § 315) a eu
pour résultat une modification profonde de la morphologie
que la langue écrite ne nous laisse pas soupçonner. La diffé-
rence phonétique entre écrit (scriptum) et écrite (scripta)
était autrefois un e, comme l'indiquait l'écriture: on pronon-
çait [ekrit] et [ekrita]; la différence actuelle est un t: on pro-
nonce [ekri] et [ekrit]. Donc, les deux formes écrit et écrite sont
devenues écri(t) et écrit(e), sans que ces changements impor-
tants aient été notés par l'orthographe officielle, qui donne
ainsi une idée tout à fait fausse du rapport actuel entre le
masculin et le féminin. Rappelons encore que la différence
établie dans la langue écrite entre les uniformes antique, aus-
tère, rebelle, utile, et les biformes public — publique, fier —
fière, temporel — temporelle, subtil — subtile, n'existe pas dans
305
la langue parlée, où tous ces adjectifs sont uniformes. Nous
allons examiner maintenant les formes du masculin et du fé-
minin telles qu'elles existent dans la langue vivante.
I. FORMES DU MASCULIN.
445. Dans la langue écrite quelques adjectifs isolés ont deux
formes au piasculin: beau — bel, nouveau — nouvel, fou —
fol, mou — mol, vieux — vieil. Tous les autres sont uniformes
au masculin: grand, petit, long, heureux, premier, etc. Dans la
langue parlée au contraire, un très grand nombre de ces der-
niers sont en fait biformes: [grà] — [gi'a:t], [pati] — [p8tit], [15]
— [lo:k], [oro] — [oroiz], [pramje] — [pr9mJ8:r], etc., etc. Ex-
emples: Un gran(d) jardin et ce jardin est gran(d), mais un
grand homme. Un peti(t) garçon et ce garçon est peti(t), mais
un petit homme. Un lon(g) voyage, ce voyage est lon(g), mais
un long hiver, etc. Donc, la forme à terminaison vocalique
s'emploie devant une consonne et devant une pause, la forme
à terminaison consonnantique devant une voyelle; comp. un
beau jardin, ce jardin est beau, mais un bel enfant.
il' formes du Féminin.
446. Mots terminés par une voyelle orale ou une consonne.
Pour ces mots, la formation du féminin se fait de quatre ma-
nières principales: par l'addition d'une consonne ou d'une
terminaison, par le changement de la consonne finale, par la
substitution d'une terminaison à une autre. Ces changements
extérieurs sont parfois accompagnés de changements intérieurs.
Pour la quantité des voyelles, il faut remarquer que la voyelle
longue du masculin s'abrège au féminin, et que la voyelle
brève du masculin s'allonge parfois au féminin (devant [z]):
[fo:r] — [fort] (fort — forte), [v8:r] — [vert] (vert — verte), [o:t]
— [otes] (hôte — hôtesse), [qtq] — [0r0:z] (heureux — heureuse).
Pour la qualité des voyelles, il faut remarquer que [e] devient
[e] devant r et que [o] peut devenir [o] devant t: [pr9mje] —
[pr9mJ£:r] (premier — première), [so] — [sot] (sot — sotte).
447. Voici quelques détails sur les particularités de la forme
féminine.
20
306
P Addition d'une consonne. On ajoute D, T, R, S [s], S [z],
CH [J]. Exemples: D: [Jo] — [Jod] (chaud — chaude), [ha\si:r] —
[bavard] (bavard — bavarde). T: [o] — [ot] (haut — haute), [pati] —
[p9tit] (petit — petite), [so] — [sot] (sot — sotte), [ègra] — [Ègrat]
(ingrat — ingrate), [kokg] — [koket] (coquet — coquette), [fo:r]
— [fort] (fort — forte). S [s]: [du] — [dus] (doux — douce),
[fo] — [fos] (faux — fausse). S [z]: [oro] — [0r0:z] (heureux
— heureuse), [kurtwa] — [kurtwa:z] (courtois — courtoise). R:
[dernje] — [dErnJ8:r] (dernier — dernière). CH: [J] : [fre] —
[frÊ:J] (frais — fraîche).
Remarque. On voit que, dans beaucoup de cas, la consonne ajoutée au
féminin est la même que celle qui se trouve dans la forme pleine du mas-
culin: dans une petite femme et un petit ftonime, l'adjectif se prononce de
la même manière.
2" Addition d'une terminaison. On ajoute souvent [es], rare-
ment [in] ou [et]. Exemples: [o:t] — [otes] (hôte — hôtesse),
[pr£:s] — [prèSEs] (prince — princesse), [ero] — [eroin] (héros —
héroïne), [ôtwan] — [àtwauEt] (Antoine ' — Antoinette).
3° Changement d'une consonne. Trois changements sont à
noter: [k] > [J], [f] > [v], [r] > [z]. Exemples: [sEk] - [seJ] (sec
— sèche), [vif] — [viv] (vif — vive), [tropœ:r] — [tr5p0:z] (trom-
peur — trompeuse).
4^ Changement de terminaison. On change [tœ:r] en [tris] et
[o] en [e1]. Exemples: [aktœ:r] — [aktris] (acteur — actrice),
[lÊktœ:r] — [Uktris] (lecteur — lectrice), [bo] — [b£l] (beau —
belle), [Jamo] — [JamEl] (chameau — chamelle). Ajoutons [fu]
— [fol] (fou — folle), [vj0] — [vj£:j] (vieux — vieille).
448. Mots terminés par une voyelle nasale. Il faut distin-
guer entre deux cas principaux, selon que la voyelle nasale
reste au féminin ou redevient orale:
P La voyelle nasale reste au féminin. En ce cas la forma-
tion du féminin se fait par addition d'une consonne, ordinaire-
ment D ou T, plus rarement G [g], QU [k] ou CH [J]. Exemples:
D: [grô] — [grâ:d] (grand — grande); [almà] — [alma:d] (alle-
mand — allemande), [ro] — [r5:d] (rond — ronde). T: [kôtâ]
— [k5tâ:t] (content — contente), [pî] — [pÈ:t] (peint — peinte),
[se] — [s£:t] (saint — sainte), [prô] — [pr5:t] (prompt — prompte),
[deFœ] — defôé:t] (défunt — défunte). G: [15] — [I5:g] (long —
longue), [oblô] — [oblô:g] (oblong — oblongue). CH : [frô] —
[frà:J] (franc — franche). QU: [frà] — [frà:k] (franc — franque).
307
2^ La voyelle nasale ne reste pas au féminin. En ce cas, la
formation du féminin se fait par le changement de la voyelle
nasale en une orale: [â] > [a], [è] > [e] ou [i], [œ] > [y], [o] > [o],
et par l'addition de N, rarement GN [ji]. Exemples. N: [syltà]
— [syltan] (sultan — sultane), [se] — [sen] (sain — saine), [fè]
— [fm] (fin — fine), [brôé] — [bryn] (brun — brune), [bô] —
[bon] (bon — bonne). QN [ji]: [malè] — [maliji] (malin — ma-
ligne).
449. Les règles précédentes ne sont que sommaires, elles
n'embrassent pas tous les cas; mais elles suffisent à montrer
que le rapport réel entre le masculin et le féminin est radi-
calement différent de celui qu'on peut déduire de la langue
écrite et qu'il est extrêmement compliqué. Nous citerons en
transcription phonétique quelques séries d'exemples montrant
de quelle manière se forme le féminin des adjectifs en [o], [u],
[£], H [5], [£]•
1° Mots en [o]. On ajoute [t], [d], [s], [z] ou [1]; la voyelle
peut s'allonger (devant [z]) ou se changer en [o] (devant [t])
ou en [e] (devant [1]). Exemples: haut, sot, chaud, faux, clos,
beau;
[o] [so] [Jo] [fo] [klo] [bo]
[ot] [sot] [Jod] [fos] [klo:z] [bel]
2® Mots en [u]. On ajoute [t], [s] ou [1]; la voyelle peut se
changer en [o] (devant [1]). Exemples: tout, doux, soûl, fou;
[tu] [du] [su] [fu]
[tut] [dus] [sul] [fol]
3° Mots en [e]. On ajoute [t], [d], [s], [z] ou [J], ou on les
laisse invariables; la voyelle se prolonge devant [z]. Exemples:
muet, laid, épais, niais, frais, vrai;
[mye] [le] [epe] [nje] [îre] [vre]
[myet] [led] [epes] [nJE:z] [fr£:J] [vre]
4® Mots en [à]. On ajoute [t], [d], [k] ou [J], et la voyelle
restant nasale, s'allonge; on ajoute [n], et la voyelle reste
brève, mais devient orale. Exemples: ardent, grand, franc,
toscan ;
[arda] [grd] [frâ] [frO] [toskâ]
[ardâ:t] [grd:d] [frà:k] [frà:J] [toskan]
20*
308
5° Mots en [5], On ajoute [t], [d] ou [g], et la voyelle reste
nasale et s'allonge; on ajoute [n], et la voyelle devenant orale,
reste brève. Exemples: joro/np/, rond, long, bon;
[prô] [rô] [15] [bo]
[pr5:t] [r3:d] [lo:g] [bon]
6® Mots en [l]. On ajoute [t], et la voyelle reste nasale et
s'allonge; on ajoute [n], et la voyelle devenant orale, [e] ou [i],
reste brève. Exemples: saint, feint, sain, fin;
[se] [fè] [S6] [fë]
[sg:t] [f£:t] [s£n] [fin]
450. On voit quelle est la variété des formes féminines, et
on comprend facilement que les formes analogiques se pré-
sentent à tout moment. Comment s'expliquer les uniformes
[goli], [ny], [ra:r], à côté des biformes [pati] — [p9tit], [dify] —
[dify:z], [bava:r] — [bavard], le biforme [le] — [led], à côté de l'uni-
forme [vrg], ou [fê] — [f£:t], à côté de [fè] — [fin], etc. Ces dis-
parates amènent facilement des incertitudes et des hésitations,
d'où résultent de nouvelles formes faites sur des modèles qui
se sont imposés à l'esprit populaire comme les plus réguliers;
nous avons déjà relevé avarde, ignarde, bedeaude, friande, fai-
sande, coite, favorite, partisante, vilainte, jockeyte, poneyte, har-
dive, géane, dine, sacristine et quelques autres. De tels féminins
analogiques sont assez fréquents dans les patois; rappelons
par exemple ch'ti — ch'tite (pour chétif — chétive), et genti —
gentite (pour gentil — gentille), qui paraissent très répandus.
En tourquennois j'ai relevé bleu — bleusse, jaloux — jalousse,
goulu — goulusse, vi (vieu) — visse, nu — nute, etc. (Watteeuw,
Chansons, fables et pasquilles tourquennoises. Tourcoing, 1896).
CHAPITRE V.
COMPARAISON.
451. On avait en latin des flexions spéciales pour marquer
les degrés de comparaison. Le comparatif se formait à l'aide
de la terminaison -ior (-ius au neutre): fortis — fortior,
fortius; le superlatif, à l'aide de la terminaison -issimus:
fortis — fortissimus. Ce système n'existe plus dans les
langues romanes. Le superlatif latin disparaît presque entière-
ment, et on ne garde que des traces isolées du comparatif
(major, melior, minor etpejor se retrouvent dans presque
tout le domaine roman, la Roumanie exceptée).
Remarque. Au XVI^ siècle, quelques ï>escumeurs de latins (I, § 37) ré-
clament le droit de faire revivre en français les comparatifs et les super-
latifs latins: docte, doctieiir, doctime; hardi, hardieur, hardime, etc. C'est
pour se moquer de cette tentative que Du Bellay adressa le sonnet suivant
à Baïf:
Bravime esprit, sur tous excellentime.
Qui mesprisant ces vanimes abois.
As entonné d'une hautime voix
Des sçavantimes la trompe bruyantime;
De tes doux vers le style coulantime,
Tant estimé par les doctieurs françois
Justimement ordonne que tu sois
Par ton sçavoir à tous reverandime.
Nul mieux de toy, gentillime poëte,
Los que chascun grandimement souhaite,
Façonne un vers doulcimement naïf;
Et nul de toy hardieurement en France
Va déchassant l'indoctime ignorance
Docte, doctieur et doctime Baïf. /
310
Baïf répondit par une Gosserie contre le sonei de Joachim du Bellay, des
comparatifs:
Beau bélier bien beslant, bellieur, voir bellime
Des béliers les belieurs qui beslent en la France
Qui d'un haut beslement effroies l'ignorance,
Fortieur d'elle qui fût des fortieurs la fortime,
Bélier qui vas broutant de l'Olive la cime,
Qui a ton doux besler de doucime accordance
Des neuf doctimes sœurs l'excellentime dance
Attirois du troupeau d'Hélicon le hautime
Beau bélier, vaillantime à hurter de la teste
Qui est hardieur de toy, o gentilime beste?
Quand à hurte bélier tu éguises ta corne
Tout le troupeau frizé de tes femmes s'arrête,
Ton berger ententif ta couronne t'appreste
Et d'un chaperon vert pour récompense t'orne.
Ce badinage fut fatal pour la mémoire de Baïf: c'est à lui surtout que
la postérité a attribué l'essai ridicule de faire revivre en français les degrés
de comparaison latins.
A. COMPARATIF.
452. Le gallo-roman a conservé un certain nombre de com-
paratifs organiques et en a même créé de nouveaux par ana-
logie. Quelques-uns de ces comparatifs présentaient en vieux
français et le cas sujet et le cas régime: graindre — graignor,
joindre — jougnor, joinvre — juveignor, maire — maior, mendre
(moindre) — menor, mieldre — meillor, nualdre — noaillor (et sire
— seignor); d'autres au contraire ne nous sont parvenus que
sous la forme du cas régime: alzor, hellezor, forçor, gençor,
sordeior. La plupart de ces comparatifs ne survivent pas au
. moyen âge ; on ne trouve après la Renaissance que les deux
I nominatifs moindre et pire, l'accusatif meilleur, et les formes
^neutres, mieux, moins, pis. Ajoutons encore les substantifs
gindre, maire, sire, seigneur, sieur (voir sur ces mots § 281) et
le pronom indéfini plusieurs.
Remarque. Antérieur, citérieur, extérieur, inférieur, postérieur, supérieur,
ultérieur, et majeur, mineur, prieur sont des mots savants qui remontent à
des comparatifs. Il faut noter qu'ils n'ont pas conservé en français le sens
du comparatif, et qu'ordinairement ils n'admettent pas de degrés de com-
311
paraison; ce n'est que dans la langue populaire qu'on dit plus supérieur et
le plus supérieur.
453. Voici quelques remarques détaillées sur les comparatifs
organiques employés en français:
P Acutior, conservé dans le nom de lieu Curtis acutior
) Courtisor, altéré en Coiirtisols.
2^ Altiorem ) vfr. halçor, hauçor; on trouve aussi haltor,
hautor, dû à l'influence de halt^ haut. Exemples: Un pui hal-
çur (Roland, v. 1017). En sun palais halçur (ib., v. 3698). Une
[este hautor (Les Narbonnais, v. 1). Al mestre dois autor (ib.,
V. 25). Ces exemples montrent que le mot, dès les plus an-
ciens textes, avait perdu son sens de comparatif; il ne signifie
pas 'plus haut', mais 'très haut'. Sur plus halçor, voir § 459.
30 *BeIlatiorem (de *bellatus, dér. de bellus) > bellezour,
Exemples: Bel auret corps, bellezour anima (Ste Eulalie, v. 2).
Eslire i doit la biellissor Et la plus fine et la mellour (Eracle,
V. 2679). Ne fu dame de sa valor, Onkes nus ne vit belissor
(Durmart le Galois, v. 40). On trouve aussi la forme neutre
bêlais « * bel latins): Et de paraige del miex et del balais
(Raoul de Cambrai, v. 2446). Del miauz et del bêlais (Orson
de Beauvais, v. 2).
4*^ Fortiorem ) forçor : Es altres unt forsur fiance (Bartsch et
Horning, 193, 12). Se ele fu en paine de l'entrer, encor fu ele
en farceur de l'iscir (Aucassin et Nicolete, 16, 23).
5" Qrandior ) graindre; grandiorem ) vfr. graignor, grei-
gnor: Mais adonc fust la perte graindre (Chev. au lion, v. 3101).
Ainz de rien nule duel greignor N'oïstes conter ne retraire (ib.,
V. 3508). Il s'employait aussi au sens d'un superlatif absolu:
Mais il l'aront [l'estour] par tamps et orible et greignor (Bas-
tart de Bouillon, v. 189). La forme du cas régime reste en
usage jusqu'au XVP siècle: Vous estes tout le greigneur (Mys-
tère de St. Laurent, v. 3565). Prince amoureux, des amans le
greigneur (Villon, Ballade à s'amye). C'est le greigneur Trom-
peur (Patelin, v. 1361). Rabelais s'en sert encore: Au plus fort
ou au greigneur (II, chap. 27); mais c'est exceptionnellement:
au XVP siècle, le mot était tombé en désuétude. Pasquier re-
marque: »Nos prédécesseurs dirent grigneour puis grigneur,
dont encores est faite fréquente mention dans quelques an-
ciennes coustumes : nous disons plus grande, et meilleure part,
312
rendans en deux mots ce qu'ils comprenoient sous un seul«
(Recherches de la France, VIII, chap. 3).
6° Junior )yoz/jffre, j uni ore m >youg'no/'; on trouve aussi au
nom. joenure ou genvre « *juvenior?) et à Y ace. juueignor
({ *juveniorem). Pour les exemples, voir Godefroy, qui cite
aussi la combinaison plus genvre (comp. § 459). Joindre se re-
trouve dans la langue moderne sous la forme de gindre (§ 281).
1^ Major ) maire; majorem ) maior. Exemples: Que je fui
plus petiz de lui Et ses chevaus meire del mien (Ivain, v. 525).
Anguice est en sun curage . . . Unques uncore n'ot maiir (Tris-
tan, V. 1488). La forme de l'accusatif s'employait aussi au sens
de 'très grand'. Rappelons surtout l'ancienne expression la tere
maïor pour la France (voir la Chanson de Roland, passim).
La langue moderne a conservé maire comme substantif (voir
plus bas, sous senior), et dans les expressions vimaire, juge
maire (La Fontaine, Fables, IV, 7), bateau maire; le doublet
maje {mage), employé dans p/ace mage (Rabelais, II, chap. 29),
juge mage, etc., est emprunté au provençal. L'ancien accusatif
maïor, maïeur (encore dans Gotgrave) a disparu; majeur est
un mot savant.
8° Melior ) vfr. mieldre, mieudre; meliorem ) meillor,
meilleur; melius ) mieux. Exemples: Ne fud nuls om del son
iuvent Qui mieldre fust (Saint Léger, v. 32). De meillor ome ne
cuit que nus vous chant (Couronnement de Louis, v. 9).
9" Minor ) vfr. mendre, moindre; minorem ) menor, me-
neur; minus ) meins, moins. Exemple: RoUans est un peu
meures de li en son estant (Fierabras, v. 545).
10° Pejor ) pire; pejorem > peior ; pejus ) pis. De ces
trois formes, pire et pis sont restés en usage jusqu'à nos jours;
peior, devenu pior, pieur (sous l'influence du cas sujet) a dis-
paru vers 1400.
11° Senior ) sendre (Serments de Strasbourg) ou sire (voir
I, § 197); seniorem ) seignor, seigneur, ou sieur. Le mot
n'existe pas en français comme adjectif; de très bonne heure
il a été employé comme titre d'honneur. Isidore écrit: »Pres-
byter graece latine senior interpretatur, non pro aetate vel
decrepita senectute, sed propter honorem et dignitatem«. Comp.
en ail. herr, comparatif de hehr, vénérable, et en angl. the el-
ders et the alder'man.
313
12" Sordidiorem > sordeior: Mais li Breton furent millor Et
li Norois li sordeor (Brut, v. 2598). Le neutre sordeis, sordois
(sordidius) s'emploie au sens du positif: Drois emperere,
or me va molt sordois (Raoul de Cambrai, v. 713).
454. Rappelons encore quelques formes dont l'origine est
douteuse :
l'' Ampleis (ampleiz) figure au sens de ampli us dans les
traductions des Psaumes: Et ampleiz ne serai (et amplius non
ero). E nus ne cumiistra ampleis (et nos non cognoscet am-
plius).
2° Anceis, ançois (plus tôt): Vus recrerez anceis (Pèlerinage
Charlemagne, v. 490). Le mot s'emploie le plus souvent suivi
de »que« : Doel i aurai enceis qu'ele departel (Roland, v. 3480).
3° Qenzor signifie 'plus beau'. Exemple: A^e veïstes genzorz
pulcelles (Brut de Munich, v. 2569). Comparatif de gent, pro-
bablement formé sur le modèle de fort — forzor.
4" Noelor signifie 'pire' ou 'moindre' et le neutre noalz
(noaus) 'pis': Marchegai ne fu mie des /joe//o/-.s (Aiol, v. 4178).
Mult devriom noalz sufrir. Pur nos péchiez espeneïr (R. de
Rou, II, V. 3039). Nous avons peut-être dans ces mots des dé-
rivés de nugalis.
5*^ Piuisor, pluiseur, plusieurs: Alquant i chantent, li pluisor
getent lairmes (St. Alexis, v. 584). Quant Charles veit que tuit
sunt mort paien Alquant ocis e li plusur neiet (Roland, v. 2477).
Franceis furent plusur que cil de Normendie (Rou, I, v. 3927).
Le mot dérive peut-être de *plusiores, comparatif pléonas-
tique de plus.
455. En dehors des cas cités aux §§ 453 — 454, le compara-
tif organique latin est remplacé par une construction ana-
lytique. Le rapport exprimé en latin classique par largior
s'exprime en roman par magis largus, melius largus ou
plus largus selon la région et le temps:
P Magis s'emploie en daco-roman, en hispano-roman, en
catalan et sporadiquement en gallo-roman : roum. mai larg,
esp. mas largo, port, mais largo, cat. mes llarch, prov. mai
larg (ou pu larg) ; dans le Morvan on dit al o ma mailaide.
Remarque. Le latin classique se servait déjà de magis pour former le
comparatif de certains adjectifs, surtout ceux en -eus, -ius; on trouve ainsi
314
magis idoneus, magis pius, magis strenuus, etc., mais on trouve
aussi par ex. magis mirabilis (Cicero, Orator, 12,39).
2^ Melius s'emploie sporadiquement en italien et en gallo-
roman: it. meglio capace (Orlando furioso, III, 48); prov. lo
miel presaii el plus plasen (Choix, V, 12). En français, mieux
est d'un emploi rare: Donc prist muillier vaillant et honorede,
Des mielz gentils de lote la contrede (Alexis, v. 20); li mielz
guarit en ont bout itant (Roland, v. 2473). Il se trouve sur-
tout devant un participe présent: Les plus forz veïssiez e les
mielz cumbatanz (Rou, I, v. 3365). Hui verrum le plus pruz e
le mielz cumbatant (ib., v. 3803). Dame, je ai Yvain trové, Le
chevalier miauz esprové Del monde et le miauz antechié (Chev.
au lion, v. 2921 — 23). Il n'a milor sous ciel, Ne mielz corant
ne plus fort (Ogier, v. 4629). Rappelons aussi l'emploi de
mieux dans les exemples suivants: Bien at set anz et mielz
(Pèlerinage de Charlemagne, v. 310). Nus miauz de moi ne se
doit plaindre (Chev. au lion, v. 3860). Une dame . . . qui avoyt
mieulx de quatre mil ducatz de rente (Heptaméron, n° 30).
Montaigne souligne la différence entre mieux et plus: Il falloit
s'enquérir qui est mieux sçavant, non qui est plus sçavant (Es-
sais). Dans la langue moderne on ne trouve mieux que devant
un participe passé : Cette cavalerie était la plus belle et la mieux
disciplinée de l'Europe. On distingue soigneusement entre mieux
aimé et plus aimé. Les frères Concourt ont étendu l'emploi de
mieux: Immortelle et fixée en une épreuve mieux vivante que
le sein de la femme de Diomède (L'art au XVIII^ siècle, I, 5),
et les symbolistes les ont suivis: Les eaux mieux voisines (Ro-
denbach, Bruges).
Remarque. L'exemple souvent cité du »Mercator« (II, 4,29) de Plaute:
melius sanus si sis est très douteux (il faut probablement lire : meliust,
s an us si sis). Mais on trouve melius comme adverbe de comparaison
dans la basse latinité: Faba vero intégra cocta bene ... melius congrua est
quam illa faba fresa (Anthimus, § 65).
3" Plus s'emploie en italien, en rhéto-roman, en gallo-roman
et sporadiquement en vieux portugais: it. più largo, lad. plû
larg, prov. plus larg, prov. mod. pu larg, fr. plus large, vieux
port, chus largo.
Remarque. La périphrase avec plus n'était pas inconnue au latin clas-
sique; on trouve déjà dans Ennius plus miser (Fabulae, v. 371). A l'époque
chrétienne ce comparatif devient de plus en plus général.
315
456. Au Nord de la France, l'emploi de plus est de vieille V
date; il se montre déjà dans le glossaire de Reichenau (I,
§ 12), où saniore est expliqué par plus sano (n° 1116), et
dès les plus anciens textes français le comparatif péripliras-
tique est à peu près le seul employé: Bries est cist siècles,
plus durable atendez (St. Alexis, v. 548). Plus sunt neir que
nen est arrement (Roland, \. 1933), etc., etc. Les quelques
comparatifs organiques qu'avait conservés la langue du moyen
âge, sont peu à peu remplacés par des périphrases: bellezor,
forzor, graignor, maior, etc., cèdent la place à plus beau, plus
fort, plus grand, etc. Pendant un certain temps, les formes
s'employaient indifféremment l'une pour l'autre. Villehardouin
les emploie même dans la même phrase; il écrit: Or oïez une
des plus granz merveilles et des greignors aventures que vous
onques oïssiez (§ 70). A partir du XVF siècle, presque tous
les comparatifs organiques disparaissent et la périphrase
triomphe.
Remarque. Le comparatif est parfois accompagné de l'article défini, ce qui
amène une confusion apparente avec le superlatif: A la plus grande gloire
de Dieu (ad majorem Dei gloriam). Le mieux est l'ennemi du bien. Les
plus savants triomphent des ignorants. Un traité entre les souverains n'est
souvent qu'une soumission à la nécessité jusqu'à ce que le plus fort puisse
accabler le plus faible (Voltaire, Charles XII, livre 1).
457. La langue moderne a conservé trois comparatifs or-
ganiques: meilleur, moindre, pire (mieux, moins, pis), mais ils
ne régnent pas seuls, on dit aussi plus bon, plus petit et plus
mauvais:
l^ Plus bon (comp. prov. mai bon) tend à remplacer meilleur
dans la langue populaire : N'y aviont rien ed' pus bon à prendre
(H. Monnier, Scènes populaires, II, 317). Tiens, j'oubliais le plus
bon et le meilleur {ib., I, 514). Déjà Figaro a dit: »Une rivale
acharnée te poursuivait; j'étais tourmenté par une furie; tout
cela s'est changé, pour nous, dans la plus bonne des mères«
(Le mariage de Figaro, IV, se. 1). Dans la langue cultivée on
dit plus bon, quand bon a le sens de simple, crédule, singu-
lier: »Vous êtes bien bon pour vous fâcher pour un rien« !
... »Et vous, monsieur, vous êtes bien plus bon de croire que
je supporterai patiemment vos railleries*.
Remarque. L'emploi de plus bon dans les phrases suivantes n'a pas be-
soin d'explication: Peu m'importe que ce dictionnaire soit plus ou moins
316
bon. Ce remède est plus que tout autre bon contre la fièvre. Plus on est
bon, plus on est aimé. Plus le vin est vieux, plus il est bon (ou meilleur il
est). Comp.: Plus l'argile est pure, plus elle est plastique et meilleure elle est.
Chez eux, moins un homme a d'honneur plus il est bon soldat (E.-Chatrian).
Ce n'est ni plus bon, ni plus mauvais. Ajoutons encore un exemple curieux
de V. Hugo: Il est mort, ce brave homme, le plus bon homme qu'il y eût
dans les bonnes gens du bon Dieu (V. Hugo, Les misérables, II, p. 369).
Citons pour le moyen âge l'exemple suivant: Et plus est buens à essaiier
Uns petiz biens que l'an délaie Qu'unz granz que l'an ades essaie (Chev. au
lion, V. 2516—18).
2° Plus mauvais tend à remplacer pire, qui dans la langue
parlée ne s'emploie guère, au sens de comparatif, que dans
des locutions toutes faites : // n'est pire eau que Veau qui dort.
Le remède est pire que le mal. Les maladies de ïâme sont en-
core pires que celles du corps, etc. Dans plusieurs cas on peut
employer les deux formes : Votre excuse est pire (ou plus mau-
vaise) que votre faute, mais on dira: // a les yeux plus mau-
vais que son frère. La plus mauvaise chose du monde, etc. Sur
plus pire, qui dans la langue vulgaire remplace pire, voir
§459.
3° Plus petit (comp. prov. pu pichot) remplace moindre sur-
tout au sens concret: Ton jardin est plus petit que le mien;
mais: Sa douleur est moindre que la mienne.
458. Renforcement du comparatif. On peut renforcer le
comparatif à l'aide des adverbes beaucoup et bien. Exemples:
Cest beaucoup plus avantageux ; c'est bien plus raisonnable. Dans
la vieille langue on employait aussi assez, moult et trop. Ex-
emples: Asez mielz (Roland, v. 1743). Asez greigneur (St. Nico-
las, V. 849). Mult mielz (R. de Rou, I, 2168), etc. Trop mieux,
trop plus se disait couramment encore au XVP siècle.
459. Parfois plus est combiné avec un comparatif organique;
ce phénomène, qui se rencontre surtout dans le parler popu-
laire, remonte au moyen âge. On trouve sporadiquement dans
les vieux textes plus forçor, plus graindre, plus halçor, plus
joinvre, plus maire, etc. Au XVF siècle, Henri Estienne re-
marque: »Sur quoy est à noter que, combien que ce com-
paratif meilleur emporte autant que plus bon, toutesfois il
eschappe souvent au commun peuple de dire plus meilleur, au
lieu de meilleur simplement: qui est un vice d'autant plus
317
pardonnable qu'il est pris du grec, qui dit ainsi xqsÎttov /iiâl-
lov, ^èItlov f-iàllov^ àf.iBLVOv i.iâllovi< (Conformité,' etc., p. p. L.
Feugère, p. 78). En parlant du XVII^ siècle, Ch. Nisard re-
marque: »On n'y dit guère meilleur, mieux, moins, pire, mais
très-volontiers le plus meilleur ou meyeur, plus mieux, plus
moins, plus pire, sans compter les adjectifs qui expriment par
eux-mêmes une qualité superlative, comme le plus principal, le
plus supérieur. Les Sarcelles, les Conférences, Vadé et tous les
écrits poissards du XVIIP siècle en sont infectés. On trouve
même tant plus moins pour moins dans les Sarcelles: Tant
plus moins on y songera, Tant plus drait au ciel on ira« (Le
langage populaire de Paris, p. 279^280). Rappelons aussi plus
mieux dans le patois de Charlotte: Il y en a un qu'est bien
pu mieux fait que les autres (Dom Juan, II, se. 1). Pour la
langue moderne, Littré remarque: »On entend souvent dire
plus pire; c'est une grosse faute «. On dit de même plus meil-
leur et plus mieux. Exemples: Ça n'va pas mieux, ça n'va pas
plus pire (H, Monnier, Scènes populaires, I, 203). A n' va pas
pu mieux non pu (ib., II, 302).
Remarque. Les comparatifs redoublés se retrouvent dans beaucoup de
langues et sont surtout propres au parler familier et vulgaire. On trouve
màs mejor en vieil espagnol, plus melhor en vieux provençal, pin meglio en
italien. Rappelons que Plaute s'est déjà servi de magis stultius (Stichus,
V. 699). De telles formations sont très nombreuses dans l'anglais vulgaire qui
offre ivorser, nicerer, hetterer, miser ablerer, et même more worser, more ten-
derer, more better, more unlikier, etc. (cf. Storm, Englische Philologie, I, 685,
778, 949).
460. Au lieu du comparatif on se servait parfois en latin
de différentes circonlocutions telles que super (ou prseter)
ceteros c la ru s, etc.; des formules correspondantes se trouvent
en français: Sur iuz les altres est Caries anguissus (Roland, v. 823).
Sur tute gent est la tue hardie (ib., v. 1617). Comp. les vers sui-
vants de La Fontaine: Mes petits sont mignons, Beaux, bien
faits et jolis sur tous leurs compagnons.
B. SUPERLATIF.
461. La langue populaire n'a pas conservé le superlatif clas-
sique en -issimus; il a été remplacé par des circonlocutions.
318
(§ 463). Des autres superlatifs organiques la langue d'oïl a
gardé: minimum ) merme, pessimum ) pesme, proximum
proisme, qui fonctionnent comme superlatifs absolus ou comme
positifs. Exemples: Jo alendeie de tei bones noveles, Mais or
les vei si dures et si pesmes (St. Alexis, v. 480). Mult par est
pesmes et orgoillos (Roland, v. 2550). Li rois estoit enfes et
merme d'aage, c. à d. mineur (voir Godefroy). Es plus proismes
aiguës noioient (Brut de Munich, v. 888). Rappelons aussi l'ad-
verbe maismement (comp. it. massimamente), qui est un dérivé
de maximum, et la forme analogique me//esme, probablement
modelé sur pesme: Trai tei en sus, si li dirai Del mellesme
que je saurai (Chastoiement, XX, v. 116).
Remarque. Minimum a été repris, après le moj^en âge, sous la forme
savante minime; comp. encore infime, extrême, suprême. Au moyen âge on
trouve aussi proxime.
462. Les superlatifs en -issimus réapparaissent à plusieurs
reprises en français sous une forme savante:
P Au moyen âge on trouve plusieurs adjectifs en -isme, dont
la terminaison a été modelée sur -issimus, et qui s'emploient
au sens du superlatif absolu. Exemples: altisme, bonisme, che-
risme, fortisme^ grandisme, malisme, saintisme, etc. Pois, sunt
muntet sus el palais altisme (Roland, v. 2708). Cil saintismes
hom (St. Alexis, v. 268). Un grandisme nés plat (Aucassin et
Nicolete, 24, is), etc.
Remarque. Un développement populaire de -issimus aurait donné -esme.
Godefroy donne un exemple de sainteme; la forme est trop isolée pour rien
prouver.
2^ Au XVP siècle apparaissent, sous la double influence du
latin et surtout de l'italien, un grand nombre de superlatifs
en -issime. Les grammairiens, cependant, les condamnent.
Meigret observe: »Au regard de la nouvelle invention des super-
latifs latins en -issime, comme illustrissime, reverendissime, que
nous pouvons appeler superlatifs titulaires, l'usage de la langue
françoise ne les peut goûter et encore moins digérer « (Tretté,
p. 38). Pierre Ramus (1562) est du même avis: y Illustrissime,
invictissime, doctissime, reverendissime sentent un latinisme que
le françoi? ne peut goûter et encore moins digérer*. Jean Pil-
lot (1550), au contraire, est plus indulgent. » Quelques-uns,
319
dit-il, voulant enrichir notre langue, lui donnent un superlatif
à l'imitation des Latins; ils disent pour très sçavant, sçavantis-
sime; pour très bon, bonissime; pour très révérend, reuerendis-
sime. Ces formes sont dues à la cour, dont l'autorité est telle
qu'il vaut mieux se tromper avec elle que de bien parler avec
les autres, et que l'on a toujours raison avec ce mot: »elle l'a
dit« (voir Livet, p. 221, 291). Dans les Deux dialogues de
Henri Estienne (1, § 42), Philosaune observe: »A propos de
ce Grandissime dont je vien d'user, notez que ces superlatifs
sont maintenant fort plaisants aux courtisans, comme sonnans
fort bien, et ayans quelque garbe: tellement qu'il vous faudra
prendre garde de dire pi ustost Doc/m/me, que Tresdocte: plus-
tost Bellissime, que Tresbeau: plustost Bonissime, que Tresbon«
(voir l'éd. de Ristelhuber, I, p. 285). Pourtant, l'emploi de ces
formes artificielles reste toujours assez restreint; au XVIP
siècle, Chapelain essaie de les remettre à la mode, on trouve
dans ses poésies clarissime, confideniissime, purissime, ardentis-
sime, importantissime, occupantissime, hassissime, mais le pauvre
auteur de »La Pucelle« ne trouva pas d'imitateurs, et les
quelques formes en -issime encore vivantes de nos jours sont
surtout des termes d'étiquette : amplissime, éminentissime, excel-
lentissime, généralissime, illustrissime, nobilissime, révérendissime ,
sérénissime ; les autres appartiennent ou à la langue un peu
familière: rarissime, richissime, ou à la langue plaisante: igno-
rantissime, savantissime. Voltaire, en parlant de Genève, l'ap-
pelle avec dédain la petitissime république; de ces superlatifs
forgés à plaisir, on en trouve déjà dans Henri Estienne qui
écrit: »Ce meschant, voire trimeschantissime, si dire se pouvait*
(Apologie d'Hérodote, I, 335).
463. Le superlatif relatif. Pour exprimer le superlatif re-
latif, le latin se servait non seulement du superlatif: homo
sapientissimus, res una omnium difficillima, etc.,
mais aussi, quand il s'agissait de deux personnes ou de deux
objets, du comparatif: validior manuum (la plus forte
des mains), major fratrum melius pugnavit (l'aîné des
frères a combattu le mieux). Cette dernière conception du
superlatif relatif a été généralisée en gallo-roman ; on en trouve
un exemple dans le glossaire de Reichenau (I, § 12), où op-
timos est expliqué par meliores (n° 574).
320
464. Le superlatif relatif s'exprimait en vieux français à
l'aide du comparatif tout seul. En voici un exemple: Dame
qui aime a plus fresche color El mielz se vesl el de plus bel
ator (Les Narbonnais, v. 7 — 8). Le terme de comparaison est
sous-entendu, et on voit facilement que, par cette omission, le
comparatif acquiert la valeur d'un superlatif relatif: La femme
qui aime a plus fraîche couleur et s'habille mieux [que celles
qui n'aiment pas], donc : la femme qui aime a la plus fraîche
couleur et s'habille le mieux. Au moyen âge l'article défini ne
s'ajoutait au comparatif, pour le déterminer, que dans quelques
cas isolés (§ 469); dans la langue moderne son emploi est de
rigueur partout, excepté après un de partitif, ovi Fusage mé-
diéval s'est conservé intact. Exemples: Ce qu'il y a de plus
intéressant dans ce livre. Voilà ce que j'y vois de plus beau.
Il y eut encore une scène de révolte et d'emportement qui fut
tout ce qu'il est possible d'imaginer en ce genre de plus puéril
et de plus charmant (Sandeau, Mlle de la Seiglière). Tout ce
qu'il y a de meilleur, etc. Nous montrerons dans les chapitres
suivants comment l'emploi de l'article s'est étendu peu à peu
à tous les autres cas.
Remarque. Comme déterminatif on trouve, outre l'article défini : le plus
grand plaisir, les pronoms possessifs: mon plus grand plaisir; ses meilleurs
amis; votre plus cher souvenir, etc. D'autres déterminatifs sont rares: Car il
y a toujours une plus belle personne de Paris (L. Halévy, Karikari, p. 155).
Le plus difficile reste à faire, et je vais rêver à ce plus difficile (Dumas, Le
vicomte de Bragelonne, I, 153).
465. Le comparatif suit un substantif comme attribut. Ex-
emples: Si recevrai la nostre lei plus salve (Roland, v. 189).
Talent lur veies et les chemins plus granz (ib., v. 2464). Passent
cez puis et ces roches plus haltes (ib., v. 3125). Li chevalier plus
poissant (Tyolet, v. 13), etc., etc. Cette construction est géné-
rale encore au XVP siècle : Le vers plus coulant est le vers plus
parfait (Du Bellay). Cest la beste du monde plus philosophique
(Rabelais, I, prol.). Les choses plus visibles, plus approchantes
de la perfection (Heptaméron, n° 11). Etant là je furète aux re-
coins plus cachés (Régnier, Satires, IV). Que la beauté plus grande
est laide auprès de vous (Régnier, Macette, v. 64), etc. Elle se
rencontre aussi sporadiquement au XVIP siècle: Je cherchay
longtemps parmy les personnes plus galantes qui en serait Vau-
321
theur (Voiture, I, 73). Souvenez-vous que nous parlons dans notre
confidence plus étroite (Balzac). J'en garde en mon esprit les
forces plus pressantes (Corneille, Horace, V, se. 3; v. 1731). Je
vais employer mes efforts plus puissants (Molière, L'Étourdi, V,
se. 7; V. 1889). Vous leur dérobez leurs conquêtes plus belles (ib.,
V. 1895). Le remède plus prompt où fai su recourir (Dep. am.,
III, se. 1; V. 780). C'est bien le cuir plus doux, le corps mieux
fait, la taille plus gentille (La Fontaine, Le berceau). Chargeant
de mon débris les reliques plus chères (Racine, Bajazet, III, se. 2).
On lit encore dans G. Sand: Si Janille crie, je crierai aussi, et
on verra qui a la voix plus haute et la langue mieux pendue,
d'elle ou de moi (Le péché de M. Antoine).
Remarque. La vieille construction française se retrouve en espagnol: la
mujer mas hermosa, en italien: la rosa più bella, en engadinois: l'asziun
plû bclla e plû genenisa.
466. La langue moderne demande la répétition de l'article:
c'est l'homme le plus heureux que je connaisse (comp. encore
un ouvrier le plus habile du monde, son ami le plus fidèle).
Cette construction se rencontre déjà au moyen âge, mais elle
est extrêmement rare ; en voici deux exemples : Tuit H juef li
plus save d'Asie (St. Estienne, IV, 4). Li cuens li plus cortois
(Méraugis, v. 3454). Ce n'est qu'au XVI^ siècle que l'emploi
de l'article commence à devenir général. Desportes ayant écrit
dans une de ses poésies le cœur plus dévot, est corrigé par
Malherbe: »I1 faut dire le cœur le plus dévot. Règle infaillible «
(Œuvres complètes, IV, 286; cf. ib., p. 296, 346, 393, 467, 471).
Vaugelas est de la même opinion: »Tout adiectif mis après
le substantif auec ce mot plus, entre deux, veut tousjours auoir
son article et cet article se met immédiatement deuant plus;
et tousjours au nominatif, quoy que l'article du substantif qui
va deuant, soit en vn autre cas, quelque cas que ce soit.
Voicy vn exemple de cette Reigle. C'est la coustume des peuples
les plus barbares. le dis que c'est ainsi qu'il faut dire, et non
pas des peuples plus barbares^ (Remarques, I, 154). Thomas Cor-
neille ajoute: »Cette remarque est très-digne de M. de Vau-
gelas, et il est d'une indispensable nécessité de s'assujettir à
la règle qu'il nous donne. Une infinité de gens ne laissent pas
d'y manquer, et croyent surtout que quand l'article les a pré-
cédé le substantif, il est inutile de le répéter avec l'adjectif.
21
322
Ainsi ils disent, il s'est renfermé dans les bornes plus étroites
quil a pu. C'est fort mal parler. La répétition de l'article les
est nécessaire; il faut dire, »dans les bornes les plus étroites
qu'il a pu«.
467. Le comparatif est le prédicat ou le régime d'un verbe
ou se trouve sous la dépendance d'une préposition. Exemples:
Lores munte el palmier La u la grape veit ki plus meure seit
(Ph. de Thaun, Bestiaire, v. 1748). Si ferrai sur les helmes u
il ierent plus cler (Pèlerinage Charlemagne, v. 459). Par celé lei
que vus tenez plus salue (Roland, v. 649). L'orne del mont que
plus dois avoir chier (Ogier, v. 4082). Les trefs qui plus hait
estaient (Livre des Rois, p. 248). Par de quel part est plus foible
Ventrée (Les Narbonnais, v. 3543). Et cornant il H vint aidier
Quant ele en ont plus grant mestier (Chev. au lion, v. 4986).
Quoi que H fesie estait plus plaine, et Aucassins fut apoyez a une
paie (Auc. et Nie, 20, 12). Quel couleur vous semble plus belle
(Patelin, v. 75). L'exploit sera faict à moindre effusion de sang
qu'il sera possible (Rabelais, I, chap. XXIX). C'est à mon gré,
entre toutes, la matière à laquelle nos esprits s'appliquent de plus
diverse mesure (Montaigne, Essais, I, chap. 27). Malherbe blâme
chez Desportes les vers suivants: Si ce qui m'est plus cher se
sépare de moi (Œuvres complètes, IV, 393). Et les derniers en-
fants sont toujours mieux aimés (ib., IV, 467). Cependant, le
sévère critique ne suit pas toujours sa propre théorie, comme
le montreront les exemples suivants : Je ne prends pas tout ce
que l'on m'apporte, pource qu'il y a force sottises; je choisis
seulement ce que je crois être moins mauvais (ib., III, 484). Le
soleil qui tout surmonte Quand même il est plus flamboyant (ib.,
I, 148). Des exemples correspondants se trouvent encore chez
les classiques : L'on ne choisit pas pour gouverner un bateau
celui des voyageurs qui est de meilleure maison (Pascal, Pen-
sées, I, 94). Des malheurs qui sont sortis De la boîte de Pandore
Celui qu'à meilleur droit tout l'univers abhorre C'est la fourbe
(La Fontaine, Fables, III, 6). A meilleur marché qu'il est pos-
sible (Montesquieu, Lettres persanes). Les vieillards sont ceux
dont le sommeil a été plus long (La Bruyère, Caractères, XI).
468. Ajoutons que les adverbes plus, moins, mieux s'em-
ployaient également sans article au sens de superlatif: Ja par
323
celui qui mieux se prise (Chev. au lion, v. 1631). Vous m'avez
tolu la riens en cest mont que je plus amoie (Auc. et Nie, 6, 13).
Les gens du monde à qui je suy plus tenu (Les 15 joyes du
mariage, p. 92). Et s'ordonnent mieux qu'elle puent (E. Des-
champs, IX, V. 4077). En examinant le vers: Celle pèche le
moins qui a plus de licence (IV, 378), Malherbe remarque:
»J'eusse dit le plus, pource qu'il y a le moins. Toutefois il peut
passer*. L'omission de l'article est encore pratiquée au XVIP
siècle. Exemples: Ce n'est pas en effet ce qui plus m'embarrasse
(Corneille, Sertorius, IV, se. 2). Ce que plus il souhaite est ce
qu'il croit le moins (Molière, Les Fâcheux, I, se. 1 ; v. 130). Son
cœur sait, quand moins on y pense, D'une bonne action verser
la récompense (Tartuffe, V, se. 6; v. 1941). Aux vœux de son
rival portera plus d'obstacle (L'Etourdi, v. 4). Nous verrons qui
sur elle aura plus de pouvoir (Les femmes savantes, v. 1445).
469. L'article défini s'employait déjà dans la vieille langue,
quand le comparatif était le sujet de la phrase et, parfois,
quand il fonctionnait comme prédicat. Exemples: Einz vus
qvrunt H meillur cumperée (Roland, v. 449). Onbre H fet li plus
biaus arbres (Chev. au Tion, v. 382). Ocist li maires le menour
(R. de Brut, p. 72). Li mieudres est li pires (Rustebuef, I, p. 22).
Puis fu mandez li meures Loeys, Ce fu li mendres des IIII Her-
bert fix (Raoul de Cambray, v. 2076 — 77). Quand cil fu morz,
qui fu li mialdres d'aus toz (Villehardouin, § 393). Et la menor
sera moult bien doee (Les Narbonnais, v. 652). On le trouve
aussi sporadiquement dans d'autres cas, surtout si le com-
paratif est sous la dépendance d'une préposition : Mais as
plus pauvres le donet a mangier (St. Alexis, v. 254). Vint une
des plus bêles dames (Chev. au lion, v. 1146). La ot grant des-
corde de la graindre partie des barons et de Vautre gent (Ville-
hardouin, § 60). Une des graignors dolors et des graignors do-
mages avint a cel jor, et des graignors piliez qui onques avenist
{id., § 409). Un des meillors barons et des plus larges et des
meillors chevaliers qui fust et remanant dou monde {id., § 500).
Comp. encore les exemples suivants: En cel altre, la plus du-
rable joie (St. Alexis, v. 624). Car Dix me veut par vous oster
Le grignour duel, la grignour paine Qui onques fust (La Mane-
kine, v. 6363), etc., etc.
21*
324
470. Renforcement du superlatif. On pouvait autrefois ren-
forcer le superlatif par l'adverbe très qui pouvait précéder plus
(la très plus belle dame) ou s'intercaler entre plus et l'adjectif
(la plus très belle dame). En voici quelques exemples: La très
plus orrible gent Qui fust desuz le firmament (Benoist, I, 77).
La très plus merveilleuse estoire (Cleomades). Les très plus cruels
choses dou monde (Brunetto Latini, p. 194). La très milleur mère
(H. Capet, p. 195). Et prist famé a leur los la plus très bêle née
Que on pëust trouer en nesune contrée (Doon de Mayence, v. 38).
Tant le porta qu'ele enfanta, Et le plus très bel enfant a, Fil,
que onques feïst nature (La Manekine, v. 2972). Le plus très
haut arbre (Bastart de Bouillon, v. 5993). Car cest la plus très
forte place (Chanson du XVP siècle; Revue d'histoire littéraire,
VII, 428).
IL LE SUPERLATIF ABSOLU.
471. Le latin employait ordinairement la même forme pour
le superlatif absolu que pour le superlatif relatif (§ 463);
homo sapientissimus voulait ainsi dire en même temps
'l'homme le plus savant' et 'un homme très savant'. Mais on
avait aussi recours à des mots renforçants et on disait mul-
tum loquax, recte sanus, valde magnus, satisfacun-
dus, etc. Le même procédé se retrouve dans les langues ro-
manes qui ont aussi eu recours à d'autres moyens.
472. Le superlatif absolu s'exprime en français:
1^ Par des adverbes simples tels que assez, bien, fort; dans
la vieille langue on avait aussi moult, outre, par, prou, trop.
Sur l'emploi des adverbes en -ment, voir § 473.
2° Par des préfixes tels que extra-, super-, sur-, ultra-. Ex-
emples : Extrafm, extrasolide, super fm, surabondant, ultranerveux,
ultraroyaliste, etc. On trouve même dans la langue du com-
merce extra-super fm. Le parler courant de nos jours se sert
surtout de archi-, qui renforce non seulement les adjectifs,
mais aussi les substantifs et les participes passés. Exemples:
Je suis jaloux, archijaloux (H. Lavedan, Le vieux marcheur,
p. 63). C'est fait, je vous dis, archi-fait (ib., p. 147), A l'excep-
tion de Richelieu tous les favoris (des champs de courses) ont
été battus, archi-battus (L'Illustration, ^"/g 1884). Rappelons
325
aussi archifou, archifripon, archibête, archipatelin, archimillion-
naire, archiriche, archisot, etc., etc. Nous sommes prêts, archi-
prêts (Le Bœuf).
3° Par difTérentes tournures telles que : Ils sont arrivés les
tout premiers. Il est on ne peut plus aimable. Des détails on ne
saurait plus amusants. Il est (fune famille tout ce qu'il y a de
plus honnête. Une tribu belliqueuse au possible. Une scène des
plus touchantes. Le repas fut des plus gais, etc., etc. Rappelons
encore l'expression figée tout plein, dont voici quelques ex-
emples : Un beau petit parapluie-aiguille dont je suis tout plein
fier (H. Lavedan, Le vieux marcheur, p. 92). Tu es gentil tout
plein (ib., p. 200). Vous êtes gentille, mignonne tout plein (O. Mir-
beau).
4° Par le redoublement de l'adjectif. Ce procédé, si employé
dans les autres langues romanes (surtout l'italien, le roumain,
le portugais, le provençal moderne), ne joue qu'un rôle bien
modeste en français. Citons comme exemples: Ils ont donné
cet hiver des soirées jolies, jolies, jolies (H. Monnier, Scènes
populaires, II, 201). C'est joli, joli, joli (ib., p. 237). Une lueur
pâle, pâle (P. Loti, Pêcheur d'Islande, p. 10). Finissons par
rappeler un vers de Malherbe: Grand et grand prince de l'E-
glise, Richelieu (Œuvres complètes, I, 313).
473. Pour renforcer le sens des adjectifs on se sert très
généralement d'adverbes en -ment tels que: adorablement, di-
vinement, excessivement, extrêmement, fameusement, fortement,
grandement, infiniment, joliment, magnifiquement, rudement, ter-
riblement, etc. Remarquons que ces adverbes perdent assez
souvent leur signification étymologique précise pour n'exprimer
qu'un renforcement général. Ainsi, selon l'usage moderne on
peut dire d'une femme qu'elle est rudement jolie, comme on
dit d'un travail qu'il est rudement difficile. Un tel effacement
du sens primitif des adverbes en -ment s'observe déjà au
moyen âge. Marie de France écrit: La dame est bêle durement
(Equitan, v. 31), et on trouve de même dans l'ancienne tra-.
duction du Livre des Rois (IV, 154): Si fud durement bêle (=
erat autem mulier pulchra valde). A. d'Aubigné s'est moqué
des tournures catachrétiques employées de son temps, telles
que: // est grandement petit. Il est doux furieusement. Je vous
326
aime horriblement (Aventures du Baron de Fœneste, III, chap.
22), etc.
Remarque. Très souvent, les femmes et les précieux ont fait un emploi
exagéré des adverbes en -ment, et on n'a pas manqué de le leur reprocher
sévèrement. Selon Henri Estienne, les courtisans de Henri III raffolaient de
extrêmement, infiniment: »11 vous faudra avoir ordinairement en la bouche
ce mot Infiniment ou ce mot Extrêmement. Et dire, Je vous suis infiniment
obligé, Je vous suis infiniment serviteur. Pareillement, Je suis infiniment
joyeux: ou, infiniment marri. Ou bien extrêmement* (Deux dialogues, etc.,
p. p. Ristelhuber, II, p. 129). C'est surtout l'abus qu'on faisait de divine-
ment qui excite son ressentiment: »Si vous estes si scrupuleux, vous orrez
beaucoup d'autres façons de parler qui vous offenseront, car maintenant
on use de ce mot Divinement à tous propos, jusques à dii-e, non pas seule-
ment, Il parle divinement bien. Il lit divinement bien, Il escrit divinement
bien, (au lieu que on soulet dire, 11 escrit comme un ange), Il chante divine-
ment bien: mais aussi. Il joue du lut divinement bien. Il baie divinement
bien. Et quelques uns se contentent de dire Divinement, sans ajouster Bien.
On dira aussi, Vêla une viande divinement bonne, Vêla du vin divinement
bon. Voire me souvient-il d'avoir ouy dire. C'est un divinement bon cheval.
Que dites vous de ceux qui parlent ainsi? Celtophile: Qu'ils profanent ce
mot Divinement, et par conséquent sont culpables du crime de lèse majesté:
j'enten (comme vous pouvez bien penser) majesté divine (Deux dialogues, 11.
129). Au XVlle siècle, les Précieuses abusent de furieusement, éponvantable-
ment, horriblement, terriblement, etc., et Madelon et Cathos s'empressent de
les imiter.
474. Certains adjectifs exprimant des idées absolues con-
crètes, comme carré, circulaire, double, rond, triple, ou abstraites
comme éternel, divin, parfait, premier, dernier ne sont pas sus-
ceptibles des degrés de comparaison. On les rencontre pour-
tant avec la marque du comparatif et du superlatif lorsqu'ils
sont employés dans un sens relatif ou figuré. Exemples: Mon
plus unique bien (Corneille, Horace, I, v. 141). L'auteur le plus
divin (Boileau, Art poétique, I, v. 161). Le péché est le plus
grand et le plus extrême de tous les maux (Bossuet). On trouve
de même plus parfait, plus impossible, etc., etc. Parfois les au-
teurs demandent pardon de ces comparatifs: L'expérience des
choses de Varmée est devenue, si Von peut employer ce compara-
tif, plus universelle encore (Revue bleue, 1901. II, 407). Rappe-
lons à cette occasion que Malherbe a blâmé ce vers de Des-
portes: Je sors des Dieux la plus aisnée, et pourtant il n'hésite
pas à écrire lui-même: Plus morts que s'ils estaient morts
(Œuvres, I, 27).
327
C. COMPARAISON DES SUBSTANTIFS.
475. Ordinairement les adjectifs seuls sont susceptibles des
degrés de comparaison. Cependant, on trouve sporadiquement
des substantifs avec la marque du comparatif et du superlatif
(relatif et absolu). Ce phénomène, qui se rencontre dès les
plus anciens temps jusqu'à nos jours, n'a rien d'étonnant, vu
qu'au fond il n'y a pas de limite entre les substantifs et les
adjectifs. Du moment qu'on dit par exemple un air enfant, il
est très naturel de dire aussi il est plus enfant que son frère.
Il s'agit ici surtout de substantifs qui désignent des êtres vi-
vants (homme, femme, enfant, maître, tyran, roi, reine, etc.),
et dont on peut faire un emploi attributif ou prédicatif pour
désigner une qualité quelconque. Notre phénomène a été ob-
servé déjà par Vaugelas qui remarque: y>Plus comparatif peut
estre mis avec des Substantifs. Ainsi on dit Le plus homme de
bien, Les plus gens de bien, parce que bien tient icy lieu d'Ad-
jectif: car de soy le Substantif, c'est-à-dire la substance, non
recipit nec majus nec minus, comme disent les Philosophes»
{Remarques, II, p. 473).
476. Comparatif. L'union de plus avec un substantif se
trouve dès le moyen âge dans quelques cas isolés. Exemples:
Car Ogiers estait ber Com ne pooit plus prodome trouer (Ogier,
V. 1445). A plus prodome ne les puis-jo baillier (ib., v. 3420).
Nat plus prodome sos ciel {ib., v. 4031). Et mes sire Yvains est
plus sire Qu'on ne porroit conter (Chev. au lion, v. 2051). De
pareils exemples se trouvent aussi aux XVP et XVIP siècles:
Ce garçon est plus homme de bien que vous et que moy (A. d'Au-
bigné, Mémoires, p. p. Lalanne, p. 72). Je suis plus rocher que
vous n'estes (Malherbe, Œuvres complètes, I, 153). Et quelque
monstre en fin que Thétis agi chez soy, Elle n'en aura point de
plus monstre que toy (Mairet, La Silvanire, v. 1997). Depeschons
avant qu'il soit plus jour (ib., v. 2115). Et je ne vis de ma vie
Un Dieu plus diable que toi (Amphitryon, v. 1889). Mais c'est
indubitablement la langue moderne qui fait l'eniploi le plus
large de cette tournure en l'étendant parfois à des cas très
curieux, comme le montreront les exemples suivants: C'est
lady Churchill . . . plus reine . . . que sa souveraine (Scribe). Le
roi vous a-t-il fait plus roi quil n'est lui même (C. Delavigne).
328
Ce Simon Renard est plus roi que je ne suis reine (V. Hugo).
Les faux patriotes plus tyrans mille fois que les pères despotes
(Ponsard). Tu es plus enfant qu'elle (H. Monnier, Scènes po-
pulaires, I, 224). Jamais elle ne fut plus femme (J. Bois, Une
nouvelle douleur, p. 252). La femme qui ni allaita fut honnête,
plus honnête, plus femme, plus grande, plus mère que ma mère
(G. de Maupassant, Un parricide). La veuve resta, quoique ma-
riée, plus veuve de grand homme que jamais (Daudet, Femmes
d'artistes, 133). Tu deviens plus déesse encore, d'être femme
(G. Mendès, Médée, p. 118). Pour sûr que c'est une morue. Et
même y a pas plus morue que cette femme-là (A. France, L'Af-
faire Grainquebille, p. 53). Henriette avait eu trop raison, plus
raison qu'elle ne le savait elle-même (Bourget, La terre promise,
p. 113). Le Turc . . . avec son ours dont Lydie, enfant, avait si
grand' peur ; moins peur cependant que du père Georges (Daudet,
La petite paroisse, p. 30). Le bonheur de vous voir est plus
bonheur avec du soleil (Mérimée, Lettres à une inconnue, I,
154). Et les parcs, sans doute d'une moins belle ordonnance que
ces Tuileries, mais combien plus vastes, plus campagne, plus na-
ture (M. Prévost, Frédérique, p. 328). Y a-t-il rien de plus folk-
lore . . . que la vie d'un village (H. Gaidoz, Mélusine, X, 240).
Remarque. Même les noms propres sont capables d'être comparés. Citons
le passage suivant de Brantôme: Aussy le roy Pierre d'Arragon, le repro-
chant audict roy Charles par une lettre, pour ce qu'il n'avoit pas gardé
telle raison envers Conrradin que les Sarrazins envers luj% entre autres pa-
roles luy dict ainsin: Tu Nerone Neronior, et Sarracenis crudelior: »Tu es
plus Néron que Néron, et plus cruel que les Sarrazins« (Recueil des dames,
3e dise). Malherbe se sert des tournures suivantes : Plus Mars que Mars de
la Thrace, Mon père victorieux, etc. (Épitaphe du Duc d'Orléans). Qui ne
confesse Qu'Hercule Fut moins Hercule que toy (Au Roy Henri le Grand).
477. Superlatif relatif. En voici quelques exemples à
l'ordre chronologique: Tut le plus maistre en apelet Besgun
(Roland, v. 1818). De la face le plus maistre braon (Ogier,
V. 1908). Le plus prodome qui soit en tôt le mont (ib., v. 666).
Mai^ le plus traytour (H. Gapet, v. 4567). Les' plus rois fach
amolier (Jean de Gondé, n° 37, v. 1045). Le plus preudomme
c'onkes Dieus estora (Bastart de Bouillon, v. 3679). Le plus roy
qui fut onc couronné (Marot). Sa sœur l'une des plus femmes de
bien (Marguerite de Navarre, Heptaméron, n° 12). Les plus gens
de bien (Malherbe, Œuvres, II, 487). Le plus âne des trois n'est
329
pas celui qu'on pense (La Fontaine, Fables, III, 1). Cestoit un
des plus hommes d'honneur (Revue d'hist. litt., VII, p. 442). //
n'y a que le roi de Prusse que je mets de niveau avec vous,
parce que c'est de tous les rois le moins roi et le plus homme
(Voltaire). Parmi toutes les bourdes de nos traités de versifica-
tion, la plus bourde est sans doute l'obligation de rimer pour les
yeux (C. Tisseur, Modestes observations sur l'art de versifier,
p. 187). Mon ami André, le doyen et le plus homme de nous
tous (P. Loti, Figures et choses qui passaient, p. 33). La rose-
thé est la moins rose de toutes les roses. La postérité est le plus
tribunal de tous les tribunaux. Le ton le plus faubourg Saini-
Germain (Barbey d'Aurevilly). Les plus gamins (Concourt, Ma-
nette Salomon, p. 39).
Remarque. Ajoutons pour les noms propres l'exemple suivant: Les Met-
ternich les plus Metternich sont des nains (E. Rostand, L'Aiglon, IV, se. 2).
478. Superlatif absolu. Les substantifs sont susceptibles
d'être renforcés de différentes manières comme les adjectifs
(§472):
P Dans la vieille langue on se servait d'adverbes comme
moult par, très, trop, si, etc. Exemples : Mult par ies ber et sages
(Roland, v. 648). Ogier, mult es prodon (Ogier, v. 1927). Trop
est prodon cist Danois (ib., v. 4703). Mis pères et le tuen furent
mult ami (Livre des Rois). N'a si prodom desi que an Ponti
(Les Narbonnais, v. 3052). Dui si preudome (Chev. au lion,
V. 5970). // est si très homme de bien (Jodelle, Eugène, II, se. 3).
Un très homme de bien (Racine, Œuvres, VII, 36). Vous êtes
sergent, monsieur, et très sergent (Racine, Plaideurs, II, se. 4).
— Dans la langue moderne on se sert surtout de très. Ex-
emples: // a raison, très raison (Maupassant, Mont-Oriol,
p. 344). Et vous êtes amis? — Très amis (Daudet, Sapho, p. 258).
Ils ont l'air très amis (Bourget, Complications, p. 144). // lui
avait fait très peur (Daudet, Fromont jeune, p. 221). Ils ont
très hâte de vous voir (Loti, Mon frère Yves, p. 304). C'est déjà
très alliance russe cet attelage à trois (Bourget, Complications,
p. 256). A côté de pauvres diables très prix de Rome, très cha-
marrés, très surchargés de commandes gouvernementales . . . (Re-
vue bleue, 1900, I, p. 485). Délicate, nerveuse, très femme, douée
d'une finesse remarquable, elle avait pris sa tâche à cœur
(G. Weill, L'école saint-simonienne, p. 100).
330
2" Par le préfixe archi-, voir § 472, 2.
3<^ Par différents adjectifs dont il faut surtout signaler fm,
qui s'employait très souvent au moyen âge devant des sub-
stantifs (parfois aussi adverbialement devant des adjectifs, des
participes passés et des adverbes) pour exprimer une idée de
superlatif. On trouve dans la vieille langue les combinaisons
dest fine vérités, a fine force, par fine paour, de fine ire, au fin
commencement, sur la fine pointe du jour, etc., etc.; voir Gode-
froy. Dans cet emploi, fin qui est un adjectif verbal tiré de
finir, conserve sa signification primitive: qui atteint la limite,
extrême. On trouve dans la farce de Patelin fine famine (v. 29),
fin droit maistre (v. 45), fin fol (v. 1428). Comparez encore
les exemples suivants: Quant fay fm froit (R. de Collerye,
Rondeaux). Au fin feu de l'enfer (Montaiglon, Recueil de poé-
sies, Vil, 54). Tout fin nu en belle chemise (Coquillart, II, 258).
Je me couchis tout fin nu (Cyrano de Bergerac, Pédant joué,
V, se. 10). En fin fond de forêts (Molière, Les Fâcheux, v. 490).
// parle tout fin droit comme s'il lisoit dans un livre (Médecin
malgré lui, II, se. 1). Laquelle maladie . . . pourrait bien dé-
générer ... en fine frénésie et fureur (M. de Pourceaugnac, I,
se. 7). Cet emploi de fin a été conservé dans quelques locu-
tions: Le fm fond de la mer. Le fin mot de l'affaire. Le fm
premier. Tout fin seul, etc. Les patois en font encore un usage
très étendu. Godefroy remarque: »0n dit encore en Lorraine,
fin plein, pour tout à fait plein; en Picardie: // est fin bête,
— Toute fine seule. — J'ai fin froid; dans la Beauce le fm
mitan, pour le beau milieu; dans le district de Valenciennes,
il est fm sot; dans le pays wallon et la Suisse romande, il
est fin saoul; dans le Jura: Elle est fine belle, pour dire
qu'une jeune fille est très belle. On trouve dans le Glossaire
du Centre de la France par le comte Jaubert: Le fm bout de
mon bâton. La fine pointe d'une aiguille. Le fm bord d'un fossé.
Le fin fait du clocher. Fine pointe du jour.«
4" Par la terminaison -issime. Malherbe crée chevillissime,
pour dire 'tout ce qu'il y a de plus cheville' ; en citant un vers
de Desportes, il ajoute ces seuls mots: Cheville, chevillissime
(Œuvres complètes, IV, 417). Rappelons aussi le vers de Mo-
lière: Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime (L'Etourdi,
II, se. 5).
LIVRE TROISIÈME.
LES NOMS DE NOMBRES.
479. Le système latin de numération a été conservé tel quel
dans toutes les langues romanes; deux seuls changements sont
à noter. En Roumanie, une forte influence slave a produit les
formes un spre zece (mot à mot : un ajouté à dix), doi spre zece,
etc., qui remplacent un de ci m, du ode ci m, etc., et doue zeci
(mot à mot: deux dix), trei zeci (trois dix), etc. qui remplacent
viginti, triginta, etc. Au nord de la France, comme en Si-
cile, le système vicésimal s'est introduit à côté du système
décimal (§ 489).
CHAPITRE I. -
NOMBRES CARDINAUX.
480. La plupart des nombres cardinaux français dérivent
directement des noms latins correspondants; on a seulement
abandonné les formes synthétiques de 17 à 19 (septemdecim,
etc.) et les composés de centum (ducenti, etc.), qui ont été
remplacés par des combinaisons nouvelles (§ 482). Il faut du
reste remarquer:
P Dans la vieille langue, les nombres 1, 2, 3, 20, 100 étaient
déclinables et changeaient de forme suivant le cas, le genre
et le nombre. Après le moyen âge, cet état de choses a été
notablement changé : la variation de cas a tout à fait disparu
unus
uns
unum
un
uni
un
unos
uns
332
(§ 275); 1 varie encore de genre, 20 et 100 de nombre, tandis
que 2 et 3 sont devenus invariables.
20 Pour les noms de nombre 1—10, 20, 80, 90, 100, la
langue moderne présente des formes doubles, mêmes triples,
dues à la phonétique syntaxique; comp. un ami [œnami] (il y
en a même qui disent [ynami]), et un sou [œsu]; deux amis
[dozami] et deux sous [desu]; dix hommes [dizom], dix francs
[difrà] et fen veux cfza: [gàvodis], etc.; voir notre Manue/ p/ione-
iique, § 160.
481. Les nombres 1 — 10.
1" Unus. Voici les formes conservées de ce mot en vieux
français :
una une
un a m une
unas (§ 235) unes
u n a s unes
Des formes citées, la langue moderne n'a conservé que un et
une. Sur l'absence d'élision qu'on rencontre parfois devant un,
voir I, § 282 et plus loin sous huit et onze.
Remarque. Dans la vieille langue, un était souvent remplacé par en preu
(ou empreu). En voici quelques exemples : An preu et deus et trois et quatre
(Chev. au lion, v. 3167; ainsi le ms. H.). En preu cucu, Et deus cucu et trois
cucu (Couronn. Renart, v. 217). Je commencherai volontiers. Empreu! Et deus!
Et trois! Et quatre (Jeu de Robin et Marion, v. 497). Nous les aulneron; Si
sont-elles cy, sans rabattre: Empreu, et deux, et trois, et quatre, Et cinq, et
six (Patelin, v. 268 — 271). Sous la forme empreut, notre mot est cité par
presque tous les grammairiens du XVI^ siècle. Henri Estienne nous donne
l'explication du t paragogique; il remarque: y>Empreut pour en preut, quand
on commance à conter, h nqwtov (Traicté de la conformité du language
Français avec le Grec. Paris, 1565. P. 146). Après le XVI^ siècle, empreu dis-
paraît de la langue littéraire. Il s'est conservé en Suisse sous la forme em-
prô, qui est à la fois le début et le nom d'une formulette de jeu usitée à
Genève. Quant à l'origine, preu est probablement le substantif ordinaire pro,
preu (de prode), profit; empreu est donc une sorte de souhait de bonheur,
une parole de bon augure prononcée au moment où l'on commence à comp-
ter: on sait que selon des croyances superstitieuses très répandues, compter
porte malheur (comp. Samuel, II, chap. 24).
2° Duo. Le latin classique offre au nom. et à l'ace, les
formes suivantes: duo, duos (duo) — duœ, duas. En latin
333
vulgaire duo est remplacé par *dui (cf. roum. doï, v. it. dui),
du 86 cède la place à duas (§ 235), et pour le neutre, on se
sert de du a. Voici le développement de ces formes en fran-
çais:
*dui dui, doi duas does
duos dous, deus duas does
Observations. — a) Les deux formes du cas sujet mascu-
lin s'employaient indistinctement; dans un même fableau (Re-
cueil Montaiglon, n° LXII) on trouve doi (debui): andoi
(v. 26), et au jour d'ui: andui (v. 272). Le nominatif disparaît
avec la déclinaison (§ 275) ; il se retrouve encore dans E. Des-
champs : cil doy {n° CCCLX, 26) et Froissart : Tout doi se sont
mis ou chemin (Méliador, v. 3501). La tendance à remplacer
doi par dous se montre déjà dans le ms. O de la Chanson de
Roland : De cent millers n'en poent guarir dous (v. 1440), où
dous est une altération due au scribe anglo-normand. Notez la
locution dui a dui ou deus a deus. — b) La forme féminine
doues se trouve seulement dans l'Est: Doues pièces (Yzopet de
Lyon, V. 252). Des doues pars (ib., v. 1774). An douefsj par-
ties (Floovant, v. 250). Doues moût belles figures (Romania, VII,
193). Les autres dialectes n'offrent aucune trace de cette forme;
ils la remplacent par le masculin dous, deus, qui sert pour les
deux cas: Juste des sunt les dous testes (Brandan, v. 933).
Entre les deus furceles (Roland, v. 1294). On trouve très rare-
ment doi au nom. fém. : Etes estoient doi serors (Floire et
Blancheflor, p. 3). — c) Le cas régime masculin deus est la
seule des anciennes formes conservée jusqu'à nos jours. On
écrit arbitrairement deux (comp. § 283), et on le prononce [do]
ou, devant une voyelle, [doz]; le parler vulgaire connaît aussi
[dos], qu'on écrit deusse, et qui est probablement la dernière
trace de la prononciation primitive.
3*^ Très ) treis, trois. Par la soustraction du s final (comp.
§ 264, Rem.) on avait créé dans la vieille langue une forme
spéciale pour le nominatif masculin, d'où la déclinaison trei
(troi) — treis (trois). Exemples: // en seront honi tout troi
(Chev, au lyon, v. 3754). De ses barons apela treis (Rou, II,
V. 4411). Au féminin on n'emploie que trois: Et les trois par-
ties (Villehardouin, § 123). Le neutre tria (trea) se retrouve
dans le vfr. treie troie, qui signifie le nombre trois au jeu de
334
dés: S'il ne gete troie et as z7 /'a perc/u (Bartsch, ChrestomathieS
p. 366, 15). La langue écrite moderne ne connaît que la seule
forme trois; la langue parlée distingue entre [trwa] (donne m'en
trois, trois personnes), [trwaz] (trois heures), et, vulgairement,
[trwas] (troisse). Comp. les remarques sur deux.
4^ Quattuor devient en latin vulgaire quattor (I, § 452,3)
d'où quatre (écrit aussi au moyen âge katre, catre, qatre).
Dans la langue moderne on prononce [katra], [katr] ou parfois
[kat]; cette dernière forme s'emploie devant une consonne. On
dit ainsi quatre enfants [katrQfà], quatre-vingts [katrgvè], quatre
sous [katsu] ou [katr9su], j'en veux quatre [zàvekatr]; comp.
notre Manuel phonétique, § 56. La langue vulgaire emploie
aussi quatres, prononcé [katraz] ou plus souvent [katz]. Dobert
(1650) remarque: »Pluzieurs prononset des s ancore k'èles ne
soêt en l'écriture, pour randre plus gracieuse la prononse,
comme quand on dit katres amours, ... se ki et plus agréable
que de dire katr' amours, par élizion«. Hindret (1687) reproche
à des gens de la cour et de Paris de dire les quatres éléments.
Ce » velours « (I, § 289) est autorisé par l'Académie dans la
locution entre quatre yeux qui se prononce [Qtrakatrazjo] ou
plutôt [Qtrakatzjo]. Partout ailleurs cette prononciation est re-
gardée comme un vulgarisme: •
J'I'ai vu porter en terre
Par quatre-z-officiers.
(Chanson de Marlbroiigh.)
Il dit: Viv' la République
J'ai sauvé quatr'z' électeurs.
(Mac Nab, Marche des scolaires.)
L'origine de cette liaison s'explique facilement; elle est due
sans doute à l'analogie: on a dit quatres officiers sur le modèle
de deux officiers, trois officiers. Il est curieux de remarquer que
la forme quatres se trouve déjà au moyen âge: Cilz quatres con
loiaus amis (Yzopet de Lyon, v. 285; comp. v. 289).
5° Quinque. Par une dissimilation régressive (I, § 513),
quinque devient en latin vulgaire *cinque, d'oii se dé-
veloppe régulièrement cinc, remplacé par la graphie étymo-
logique cinq. Rappelons aussi les vieilles formes dialectales
chuinc, cuinc (Bastart de Bouillon, p. 319). De cinq se dé-
veloppe devant un mot commençant par une consonne le
335
doublet cin(q) ; on dit ainsi j'en ai cinq [gQeseik], cinq hommes
[sèkom], mais cinq francs [sèfrà]. Cette prononciation est déjà
indiquée par Chifflet (1659). Dans le parler familier de nos
jours la forme, longue est en train de se généraliser, et on re-
vient ainsi à la prononciation uniforme du moyen âge. Il n'y
a, cro3^ons-nous, aucune raison de regretter ce développement
très naturel comme le fait M. Remy de Gourmont: »On en-
tend à Paris des gens ornés de gants et peut-être de rubans
violets dire: sette sous, cinque francs: le malheureux sait l'ortho-
graphe, hélas! et il le prouve» (Esthétique de la langue fran-
çaise, p. 124).
6" Sex devient régulièrement sis (I, § 197), remplacé par la
graphie étymologique six. L'ancienne prononciation [sis] ne
s'est maintenue que devant une pause : il y en a six [iliànasis] ;
devant une voyelle, la sifflante finale sourde est devenue so-
nore: six ours [sizurs], et devant une consonne, elle s'est amuïe
(I, § 465): six fois sept [sifwaset]. Le latin sex est ainsi repré-
senté dans la langue moderne par trois formes différentes:
[sis], [siz], [si].
7^ Septem, en latin vulgaire * sette, devient régulièrement
set, remplacé par la graphie étymologique sept. Dans la langue
parlée moderne on a les deux formes [s£t] (j'en ai sept, sept
enfants) et [se] (sept jours) ; sur la généralisation de cette der-
nière forme, voir ci-dessus les remarques sur cinq.
8" Octo devient en vfr. oit ou uit, selon les dialectes; on
trouve dès le XII*' siècle huit. Ce h, étant purement ortho-
graphique et dû au seul désir d'éviter la confusion de u ini-
tial avec V (comp. I, § 479, Rem.), ne se prononçait pas. De-
puis le commencement du XVIP siècle, huit est regardé comme
commençant par un h aspiré, et on dit le huit sans élision
et les huit sans liaison. Cette particularité, déjà observée par
Vaugelas (Remarques, I, 152), est probablement due à l'ana-
logie des autres noms de nombres qui commencent tous (ex-
cepté un et onze) par une consonne: le six, le sept amènent le
huit. Dans la vieille langue l'élision était permise : Près duit
ans (Berte, v. 1694). Plus d'uit jors (Fergus, p. 145,24). Si
j'eusse failly d'huit jours (Marg. de Navarre, Lettre XCIX).
L'ancienne prononciation est encore conservée dans les com-
posés dix-huit [dizyit] et vingt-huit [vètyit]. Ces deux exemples
nous montrent aussi la conservation de la consonne finale
336
devant une pause; elle s'entend également devant une voyelle:
huit heures [yitœrr], mais elle est nulle devant une consonne:
huit sous [yisu].
9" Novem > nuef, neuf. Ce mot se prononce, selon le cas,
[nœf] ou [no], rarement [nœv]. Exemples: Charles neu/" [Jarbnœf],
neuf mois [nomwa], neuf heures [nœvœ:r] ; comp. Manuel pho-
nétique, §§ 160, 161, 3. Constatons aussi l'existence d'une pro-
nonciation qui admet le s paragogique dont nous avons parlé
ci-dessus (voir quatre); dans »Eugénie Grandet«, H. de Balzac
fait dire au notaire: // est neuffe-s-heures (p. 46).
10" Decem > diz, dis, écrit fautivement dix sur le modèle de
six. Pour la prononciation de la consonne finale, dix se com-
porte comme six.
482. Les noms de nombres 11 — 19.
1° Undecim > onze. Il faut remarquer que, depuis longtemps,
onze est regardé comme commençant par un h aspiré, et qu'on
prononce en parler soigné le onze [l95:z], les onze [le5:z], /7s
étaient onze [ilzet80:z]. Cette particularité s'explique par l'ana-
logie avec les autres noms de nombre (voir sous huit). Au
moyen âge l'usage était hésitant: D'onze m. homes qe il orent
avant (Raoul de Cambrai, v. 3500). Richars li Restorés la on-
sime mena (Bastars de Bouillon, v. 3002). Le onziesme jour du
moix de Mars (document messain de 1390). Au XVII^ siècle le
onzième est condamné par Vaugelas: »Plusieurs parlent et
écriuent ainsi, mais tres-mal. Il faut dire V onziesme; car sur
quoy fondé, que deux voyelles de cette nature, et en celte si-
tuation, ne fassent pas ce qu'elles font par tout, qui est que
la première se mange ?« {Remarques, I, 156). Les grammairiens
suivants ne lui ont pas donné raison; ils demandent presque
tous la non-élision de la voyelle précédente. Pourtant l'usage
reste flottant; le Dictionnaire de l'Académie n'ose rien décider;
il admet le onze du mois et Vonze du mois (éd. de 1718), l'on-
zième page et la onzième page (éd. de 1762). Dans le langage
familier de nos jours on dit couramment Vonze du mois, nous
n'étions qu'onze, l'onzième, etc., et plusieurs auteurs imitent cet
usage: // est tout près d'onze heures (Bourget, Cosmopolis,
p. 56). Il n'est pas loin d'onze heures (Pierre Maël, Dernière
pensée, p. 56). Rappelons aussi le nom de plante belle d'onze
heures.
337
2^ Duodecim devient en latin vulgaire *dodece, d'où douze.
30 Tredecim ) "''tredece > ireze, treize (I, § 156).
4" Quattuordecim ) •■'quatto rdece ) quatorze.
5*^ Quindecim ) '-'quindece ) quinze.
6^ Sedecim ) '-'sedece > seze, seize (I, § 156). Comp. l'ita-
lien sedici, et l'espagnol diez ij seis.
7° Septemdecim, remplacé par decem et septem ) dis et
set y dix-sept.
8^ Octodecim, remplacé par decem et octo ) dis et uit )
dix- huit.
9° Novemdecim, remplacé par decem et novem ) dis et
nuef ) dix-neuf.
483. Les noms de nombre 20—90.
P Viginti. La forme vulgaire de ce mot a été venti ou vinti
(comp. C.LL., VIII, 8573), d'où en français vint (sur l'influence
de 1'/ posttonique, voir I, § 155, Cas isolés), remplacé par la
graphie étymologique vingt. Quoique invariable en latin, ce
nom de nombre fléchit en français, et cela depuis les plus an-
ciens temps, dans les multiples: Set vinz tors (Chardry, Josaphaz,
V. 1742). Mil et cent et quatre-vinz et dix sept anz (Villehar-
douin, § 1). Treis vinz et dis (Livre des Rois, p. 23). Douze
vins livres de tournois (Joinville, § 136), Quatorze vins homes
armés (ib., § 219). Quatre vins et quatorze (Chanson d'Antioche,
I, p. 267). Quatre cens quatre vingtz quarante et quatre (Rabelais,
II, chap. 2). On trouve aussi quelques exemples de vingt in-
variable: Huit vin en ot a sa baniere (Bel Inconnu, v. 5464).
Onze vint i poissiez choisir (Garin le Loherain, II, p. 143). Set
vin mil armes ont promis (Wace, Brut, II, p. 136). On lit en-
core dans Racine six-vingt (Plaideurs, v. 228). Dans la langue
moderne, vingt ne varie pas dans les multiples, quand il est
suivi lui-même d'un autre nom de nombre: quatre-vingts, mais
quatre-vingt-dix; c'est une subtilité arbitraire et récente; on
trouve p. ex. dans Voltaire quatre vingts et un ans, quatre
vingts mille francs, mais quatre-vingt deux ans, etc. (voir Rev.
de phil. franc., VIII, 154). Selon l'Arrêté ministériel du 26 fé-
vrier 1901, on tolérera le pluriel de vingt et de cent, même
lorsque ces mo.ts seront suivis d'un autre adjectif numéral. Ex.:
quatre vingt ou quatre vingts dix hommes; — quatre cent ou
quatre cents trente hommes. Pour la prononciation, il faut re-
22
338
marquer qu'on prononce [vè], mais [vètdo], [vëttrwa], [vètkatr],
etc. (comp. [katravedo], [katravètrwa], etc.). Cette particularité
a été observée déjà par Ménage qui dit: »Pour représenter la
prononciation Parisienne, j'écrirois vinte-deax, vinte-trois, comme
on écrit trente-deux, trente-trois « {Observations, p. 363). Elle re-
monte du reste bien plus haut: on peut la constater déjà au
moyen âge, oii se rencontre parfois la forme vinte (pour les
exemples, voir ASNS, vol. 95, p. 319), due probablement à
l'influence de trente, quarante, etc.
2° Triginta. Dans la langue vulgaire, le g est tombé, d'où tri-
ent a (comp. C.I.L., XII, 5399; Le Blant, n« 679; id.. Nouveau
recueil, n^ 295), trenta, et en français trente.
3" Quadraginta. Le g tombe dans la langue vulgaire, d'où
quadrainta () esp. cuarenta, port, quarenta) et, avec change-
ment d'accent (cf. I, § 137, 2), quadranta > quarranta (Le
Blant, Nouv. rec, n° 66) ) fr. quarante (comp. cat. et it. qua-
ranta).
4° Quinquaginta, en gallo-roman *cinquanta, d'où cin-
quante (comp. it. cinquanta).
5'' Sexaginta, en gallo- roman *sexanta, d'où seissante,
soissante, remplacé par soixante (comp. it. sessanta).
6° Septuaginta, en gallo-roman *settanta, d'où en vfr.
setante, plus tard septante (comp. it. settanta). On le trouve en-
core dans Molière: Quatre mille trois cent septante-neuf livres
douze sols huit deniers à votre marchand (Bourgeois gentilhomme,
III, se. 4), dans Bossuet, dans Voltaire, et même dans Rostand:
Septante fois sept fois pardonnez ! C est mon culte (La Samaritaine,
p. 79). Pourtant ce n'est qu'un usage exceptionnel, dû surtout
à un certain désir d'archaïsme, car après le XV*' siècle septante
ne s'emploie guère dans la langue littéraire. Il a été remplacé
par soixante- dix qu'on trouve déjà dans Ogier le Danois
(v. 7317), combinaison curieuse des systèmes décimal et vicé-
simal et probablement modelée sur trois vins dis (§ 490). Mé-
nage remarque: »I1 faut dire, dans le discours familier, soixante-
dix, quatrevint, quatrevint dix, & non pas septante, octante, no-
uante. Mais en termes d'Aritmetique & d'Astronomie, on dit
fort bien septante, octante, nouante. On dit aussi Septante, en
parlant des Interprètes de la Bible. Et ce seroit mal parler
que de les appeller Les Soixante dix: si ce n'est qu'on ajou-
tast Interprètes de la Bible« {Observations, p. 361).
339
7^ Octoginta, en gallo-roman ==octanta (provenant de *oc-
tuaginta, fait sur septuaginta?), d'où en vieux français
oitante ou uitante, et le doublet savant octante (comp. it. ot-
tanta). A côté de ce mot, depuis longtemps vieilli et relégué
aux patois, on trouve dès les plus anciens textes quatre vinz,
maintenant quatre-vingts (comp. § 489).
8*^ Nonaginta, en gallo-roman *nonanta, d'où en vfr. no-
uante (comp. it. novanta). Voltaire s'est encore servi de ce
mot : // porta le sceptre des rois, Et le garda jusqu'à nouante
(Épigrammes). Littré remarque: »Nonante a vieilli et c'est
dommage; il est resté très usité en Suisse, en Savoie et dans
le midi de la France*.
484. Centum > cent. Ce mot, invariable en latin, fléchit en
français dans les multiples : Treis cenz anz (Chardry, Set Dor-
marts, V. 1383). Mil dous cenz quarante et huit (Joinville, § 110),
etc. En 1762, l'Académie écrivit encore neuf cents mille. La
règle qui demande l'invariabilité de cent, quand il est suivi
d'un autre nom de nombre (deux cents, mais deux cent trois),
est arbitraire et récente; l'Arrêté ministériel du 26 février 1901
y a porté remède, et on tolérera désormais quatre cents trente,
etc. Ajoutons que cent reste invariable, quand il est précédé
de l'article partitif: J'ai vu des cent et des mille conscrits dé-
périr (Erckmann-Chatrian, Homme du peuple).
Remarque. Les noms de nombres composés de centum, ducenti, tre-
centi, quadringenti, etc. ont tous disparu; on les a remplacés par les
combinaisons nouvelles deux cents, trois cents, quatre cents, etc.
485. Mille ) mil. Cette forme ne devrait servir, d'après son
origine, qu'au singulier : Mil colps i fiert (Roland, v. 2090).
Auec lui vinrent mil nobile baron (Raoul de Cambrai, v. 2893).
Cependant dès les plus anciens textes on l'emploie aussi au
pluriel: Cel jorn i out cent mil lairmes ploredes (St. Alexis,
V. 595). Vint mil chevaliers (Roland, v. 548). Trente mil (Aiol,
V. 9394), etc. Au pluriel on trouve aussi mille, mile (mire) ou
mille, emprunté du lat. mi lia: Vint mille humes (Roland, v. 13).
Set mille chevaliers i troverent (Voyage de Charlemagne, v. 336).
Mil mars? Voire par foi, trois mile (Chev. au lion, v. 1279), etc.
Mais dès le XII*' siècle, mille s'emploie également au singulier
et se confond tout à fait avec mil: De dis mil homes j'ai en
22*
340
ma coinpaignie, — N'en remaint pas, mien escient, un mile
(Chevalerie Ogier, v. 5453). Au XVP siècle on emploie encore
indistinctement mil et mille; témoin les vers de J. du Bellay:
Mille doux mots doucement exprimés,
Mil doux baisers doucement imprimés.
Mais bientôt mille triomphe, et mil n'est employé que dans la
numération des années du premier millésime (on écrit pour-
tant l'an mille). En citant un vcîrs de Crétin : Un jour vaut
cent, et une heure dix mil, Ménage remarque: »I1 n'y a plus que
les Notaires & les Praticiens qui écrivent ce mot de la sorte.
Il faut prononcer & écrire mille. Trois cent mille piétons; une
heure, en vaut dix mille. Si ce n'est en datant les années du
jour de la Nativité de Nostre Seigneur: car en ce cas, il faut
dire mil, & non pas mille. L'an mil cinq cens quatre-vint-dix.
L'an mil quatre cents cinquante. Mil six cents treize, &c.« (Ob-
servations, p. 358). Les règles de Ménage sont restées en
usage jusqu'à nos jours. Béranger a probablement obéi aux
exigences de la rime quand il écrivait: Celles-ci sont pour
l'an trois mil, — Ainsi soit-il (Ainsi soit-il). — Ajoutons que,
selon l'Arrêté ministériel du 26 février 1901, on tolérera dans
la désignation du millésime, mille au lieu de mil, comme dans
l'expression d'un nombre. Ex.: l'an mil huit cent quatre vingt
dix ou Van mille huit cents quatre vingts dix.
Remarque 1. On trouve sporadiquement en vieux français mils et surtout
miles au pluriel: S'ot bien XIII miles mengans (Cheval, as deus espees,
V. 12291). La ou d'abbes avoii miles (Coincy, Miracles, 123, eig). Plus de
trente mils (G. le Loherain, I, 3). Cet essai de déclinaison, dû en partie aux
besoins de la rime, disparaît vite, et n'a jamais été repris après le moyen
âge. Vaugelas remarque expressément qu'on dit deux mille, et non pas deux
milles (Remarques, II, 111). Ménage est du même avis, et il ajoute: »Je lui
ay mille obligations, et non pas mille sobligations, comme disent la pluspart
des Dames: qui est une faute épouvantable* {Observations, p. 358). Elles
disaient également, selon le témoignage d'autres grammairiens, mille-s-amitiés,
mille-s-honnêtetés, etc.; sur l'origine de ce velours, voir 1, § 289.
Remarque 2. Dans les millésimes composés on pouvait autrefois élider
mil. Voici ce qu'en dit Ménage: >I1 est à remarquer, que quand nous par-
lons d'une chose qu'on sait qui s'est passée depuis quelques années, nous
omettons le mot de mil. Cela arriva Van 600, au lieu de Van 1600. Et nous
omettons mesme le mot de cents, quand nous parlons d'une chose qui s'est
passée depuis peu. Cela arriva en trente-six: pour dire, en mil six cents
trente-six^ {Observations, p. 360). Comp. en italien: Dante fiorl nel trecento.
La rivoluzione del 89, etc.
341
486. Le nombre 1,000,000 s'exprimait au moyen âge par
mil milie, dis feis cent mile, milante mil. Au XIV^ siècle on
crée, probablement à l'imitation de l'italien, le dérivé million,
resté dans la langue jusqu'à nos jours. De million on tire,
par changement de suffixe, milliard, pour dire mille mil-
lions, et militasse, pour dire mille milliards. Un million de
millions s'exprimait au XVI^ siècle par billion, composé irré-
gulier de bis, qui indique le redoublement, et million; il s'em-
ploie maintenant comme synonyme de milliard. Un autre com-
posé irrégulier est trillion pour tri-million; il signifie main-
tenant mille billions; au XV!** siècle il s'employait pour un
million de billions.
487. On unissait autrefois les nombres à additionner, dans
une expression numérique complexe, par la conjonction et: Dis
et set (Saint Alexis, v. 161). Dis et iiit (Couronnement de Louis,
V. 39). Dis et nuef (Coincy, Miracles, p. 125). Vint et quatre
(Couronnement de Louis, v. 2429). Vint et sis (ib., v. 45). No-
nante et nuef (ib., v. 12). M/7 et cent (ib,, v. 74). Soissante et
dis (Miracles de N, D., n" 8, v. 286). M/7 et cent et quatre-vinz
et dix sept anz (Villehardouin, § 1), etc. Sur cet et A. D'armes-
teter a fait l'observation suivante: »Cette conjonction ne s'é-
crivait pas, quand on mettait les nombres en chiffres, et, dans
des textes en vers du moyen âge, il est souvent nécessaire de
la rétablir à la lecture pour conserver au vers sa mesure.
L'usage de lire les nombres tels qu'on les écrivait et un besoin
de rapidité amenèrent graduellement la suppression de et«
(Cours de grammaire, § 136). On trouve encore dans Molière
quarante et deux (École des femmes, I, se. 1), soixante et trois
(Malade imaginaire, I, 1). Dans la langue actuelle, et ne s'em-
ploie ordinairement que devant »un«: vingt et un, trente et un,
quarante et un, cinquante et un, soixante et un, les mille et un
jours, les mille et une nuits, et dans soixante et onze. Il faut
remarquer qu'on dit quatre-vingt-un, cent un, quatre-vingt-onze.
488. Finissons par examiner le sort de ambo, qui s'était
conservé dans la vieille langue sous les formes suivantes:
ambo am ambas (§ 235) ambes
ambos ans ambas ambes
342
Il accompagnait surtout des noms désignant des choses qui
se comptaient par deux: Ambes lavres (St. Léger, v. 157),
ambes mains (Alexis, v. 387; Roland, v. 2931), ambes les mains
(St. Brandan, v. 204), ambes les eles (Girart de Viane, p. 124);
très fréquentes sont les combinaisons ambes pars et ambes as,
dont la dernière s'est conservée jusqu'à nos jours dans le sub-
stantif ambesas. La forme masculine, qu'on trouve dans la
Passion (Am se paierent a cel jorn, v. 208), ne paraît conser-
vée dans la langue d'oïl qu'unie à duo. Voici les formes de
cette combinaison:
ambo *dui andui ambas duas ambesdous
ambo(s) duos an(s)dous ambas duas ambesdous
Exemples : Deu en apelent andoi parfitement (Alexis, v. 23).
El palais montent andui li chevalier (Raoul de Cambrai, v. 61).
Fors de la teste li met les oilz ambsdous (Roland, v. 1355). Au
col li met ses bras andous (G. de Palerne, v. 9477). Cuntre lo
ciel ambesdous ses mains jointes (Roland, v. 2015). Pourtant
l'emploi de ces formes est assez flottant, et dès les plus an-
ciens textes, le féminin se prend pour le masculin, et vice
versa. Au XIV*^ siècle, E. Deschamps emploie endeux: Les
femmes Jacob sont louées Et endeux assez esprouvées (Œuvres
complètes, IX, v. 6866), et ambedoy (ib., v. 9706).
489. Le système vicésimal s'emploie dans quelques dialectes
de l'Italie du Sud, surtout le sicilien, où l'on compte par ven-
tine, notamment quand il s'agit d'ans: Quant' anni avili? —
Tri vintini e deci (^= sellant' anni) ; ensuite sporadiquement au
midi de la France, où on se sert de multiples de vint: très
vint (60), quatre vint (80), sieis vint (120), trege vint (260), des
e nou vint (380), etc.; enfin au Nord de la France, où ce sys-
tème était d'un usage étendu déjà au moyen âge. On comp-
tait dans la langue d'oïl par vingtaines jusqu'à dix-huit vingts;
la langue moderne n'en a gardé que les traces isolées quatre-
vingts et quatre-vingt-dix (sur soixante-dix, voir § 483, e). En
dehors des langues romanes on trouve le système vicésimal
par ex. en danois: très (60), abréviation de tresinstyve (c. à d.
trois fois vingt), halvtres (50) pour halvtresinstyve (deux et
demi fois vingt), firs (80) pour firsinstyve (quatre fois vingt).
343
halvfjers (70) pour halvfjersinstyve (trois et demi fois vingt),
halvfems (90) pour halofemsinstyve (quatre et demi fois vingt).
En Danemark, cette manière de compter est indubitablement
d'origine assez récente ; il en est probablement de même
en Sicile et en Provence; pour la langue d'oïl au contraire,
on a supposé que le système vicésimal était un héritage des
Gaulois. Pourtant, les pauvres restes que nous possédons de
leur langue ne nous permettent pas de constater qu'ils ont
connu ce système ; nous savons seulement que d'autres peuples
celtiques s'en servent. Nous le retrouvons notamment en cam-
brique et dès les plus anciens textes, mais rien n'indique qu'il
soit primitif chez les Celtes et qu'il remonte assez haut pour
avoir pu servir de modèle aux Gallo-Romans.
490. Voici les formes médiévales du système vicésimal:
30, Vint et dis (Le Roux de Lincy: Chants historiques, I,
p. 157). — 40, deus vins. — 60, trois vins. — 70, trois vins et
dis. — 80, quatre vins. — 90, quatre vins et dis. — 120, sis
vins. — 140, set vins. — 160, huit vins. — 180, neuf vins. —
220, onze vins. — 240, douze vins. — 280, quatorze vins. — 300,
quinze vins. — 320, seize vins. — 340, dis set vins. — 360, dis
huit vins.
De ces noms de nombres la langue moderne n'a gardé que
quatre vins et quatre vins et dis, devenus quatre-vingts et quatre-
vingt-dix. On a remplacé trois vins et dis par soixante-dix, qui
représente ainsi un compromis entre les deux systèmes. Six-
vingts s'employait encore au XVII*' siècle: Vous passerez les six-
vingts (Molière, Avare, II, se. 5). Une autre fois, six-vingts
(Bourg, gentilhomme, III, se. 4). Six-vingt [sic] productions
(Racine, Plaideurs, v. 228). Cinq-vingts et sept vingts s'em-
ployaient encore au XVP siècle: Que ne suys-je roy pour cinq
ou six vingts ans (Régnier, Sat. III). Environ sept vingts faisans
(Rabelais, I, chap. 27). Les autres disparaissent déjà au moyen
âge.
Remarque. On a gardé quinze-vingts dans le nom de l'asile d'aveugles
onde par Saint Louis: Les aveugles que fonda saint Loys Qui quinze vins
sont en une maison (liustache Deschamps, V, 388). Ménage remarque dans
ses Observations (p. 360): »Quand on parle du lieu que S. Louis a fondé à
Paris pour les Aveugles, ou bien de ces Aveugles, il faut dire les Quinze-
344
vints, & non pas les Trois cents: si ce n'est en vers; comme a dit M. de
Malleville, page 341.
De Testât où je suis, je n'ay qu'un pas à faire,
Afin de m'enrôler au nombre des Trois cents.
Villon a dit demesme.
Item, je donne aux Quinze-vints,
(Qu'autant vaudroit nommer Trois-cents)
De Paris; non pas de Provins;
Car à eux tenu ne me sens».
CHAPITRE II.
NOMBRES ORDINAUX.
491. Les adjectifs numéraux ordinaux remontent au latin ou
sont de nouvelles formations françaises.
1*^ Des ordinaux latins les douze premiers sont conservés
dans la vieille langue, où ils sont représentés par premier,
second, tierz, quart, quint, sixte, setme, uitme, nuefme, disme, on-
zime (onzième), dozime (dozieme). De ces mots la langue mo-
derne n'a gardé comme adjectifs numéraux que premier, second,
onzième, douzième.
2" Pour remplacer les formes disparues et pour suppléer aux
adjectifs ordinaux latins non transmis en français, on a créé
de nouveaux dérivés, le plus souvent tirés des nombres car-
dinaux correspondants à l'aide des suffixes -ième (§ 493) ou
-ain (§ 496).
Remarque. Le suffixe latin -esimus, qui se trouve dans vicesimus,
centesimus, millesimus, etc. se rencontre parfois au moyen âge sous les
formes -esme et -oisme (région orientale); la langue moderne conserve ca-
rême qui remonte à *quaresima, de quadragesima.
492. NOxMBRES ORDINAUX D'ORIGINE LATINE.
P Primum > prim, prin; prima } prime. Ce mot, conservé
dans la vieille langue comme substantif au sens de commence-
345
•
ment et comme adjectif au sens de fin, délicat, ne s'employait
que très rarement comme nombre ordinal et seulement dans
quelques combinaisons toutes faites: prin saut, prin soir, prin
some, prin tens (ou tens prin), et prime face, prime rose. Il faut
remarquer qu'on a employé de très bonne heure la forme fé-
minine aux deux genres (comp. § 389), d'où des combinaisons
telles que prime saut, prime soir. La langue moderne n'a con-
servé l'ancien masculin que dans printemps, tandis que prin-
saut a été remplacé par prime saut, et le dérivé prinsautier
(encore dans Cotgrave) par prime-sautier . Au XVI*' siècle, prime
s'employait couramment comme nombre ordinal; c'était une
mode savante qui n'a pas survécu à la Renaissance.
En effet, p ri m us, dans sa fonction de nombre ordinal, a
été remplacé, en Gaule, par *primarius, d'oii premiers, pre-
mier, et au féminin première. Dans la vieille langue ce mot
s'employait aussi dans les nombres composés; on trouve
par ex. vyntysme premier (voir Burguy) ; pourtant cet usage
était rare, et on disait ordinairement vint et unime (voir § 494).
Pour la prononciation, il faut remarquer qu'on hésitaît au
XVII^ siècle entre premier et premier; Ménage remarque: »Je
suis de l'avis de ceux qui disent premier «. Celte prononcia-
tion s'entend encore, quoique l'usage officiel se soit décidé
pour [pramje].
Remarque. Dans les jeux d'enfant premier s'abrège souvent en prem,
comme dernier devient dcr ; dans l'argot de Paris on dit preii pour premier
étage ou pour le meilleur ouvrier de l'atelier.
2^ Secundum n'a pas survécu comme nom de nombre (on
le retrouve peut-être dans l'ancienne préposition son <( ''^seont);
il fut remplacé dans la langue populaire par alterum, d'où
altre, autre: La première est de Canelius, les laiz, Valtre est de
Turcs et la tierce de Pers (Roland, v. 3240). Autre conserve sa
fonction d'adjectif numéral jusqu'au XVI^ siècle, mais non
d'une manière incontestée. Déjà au XIF siècle, la langue sa-
vante avait repris secundum sous la forme second, tandis
que la langue populaire avait, un peu plus tard, tiré deusième
de deus, et ces deux formes supplantent peu à peu autre.
3" Tertium > tierz, tiers; tertia ) tierce. Cet adjectif ordinal
est resté en usage jusqu'au commencement du XVII® siècle;
on le trouve encore dans La Fontaine : Le premier passe ainsi
346
fait le deuxième; Au tiers il dit: que le diable y ait part (Contes,
I, no 11). Dans la langue actuelle, il ne s'emploie que dans
quelques expressions toutes faites : Le tiers état, la tierce épreuve,
la fièvre tierce, le tiers et le quart, etc.
4*^ Quartum ) quart, cart; quarta > quarte, carte; cet adjec-
tif est resté en usage jusque dans le XVP siècle: Le premier
lui apprenait la religion; le second a estre tousjours véritable; le
tiers a se rendre maistre des cupidités; le quart à ne rien craindre
(Montaigne, Essais, I, chap. 24). Nous le retrouvons dans La
Fontaine, comme archaïsme: Un quart voleur survint (Fables,
I, n° 13). La langue moderne conserve notre mot dans quelques
locutions toutes faites : le quart an ou le quartan, la fièvre quarte,
la seime quarte, consulter le tiers et le quart, parler du tiers et
du quart, être en quart, etc.; rappelons aussi les substantifs
quart (la quatrième partie d'un tout) et quarte.
5° Quintum ) quint; quint a ) quinte. Exemple: Le secont
et le tiers ochist et afola Et le quart et le quint a la tere versa
(Gaufrey, v. 3095). On avait aussi une forme analogique dia-
lectale cieme, faite probablement sur le modèle de setme: Li
ciemes péchiez (St. Grégoire, éd. Fôrster, p. 295). On trouve
dans la langue actuelle Charles-Quint, Sixte-Quint, fièvre quinte,
le quint d'un revenu, le droit de quint; comp. quintessence, pour
quinte essence, et le terme de musique quinte.
6° Sextum) siste; on n'a aucune trace d'une forme sist, qui
serait le développement régulier du primitif latin, elle a été
remplacée dès les plus anciens textes par siste. Exemples: Le
siste signe e mistrent (Comput, v. 1848). Le siste fil q'Aymeri
angendra (Les Narbonnais, v. 3238). Qu'au sixte jour dudit
mois fu conduit (E. Deschamps, Œuvres, I, n° LV, v. 13).
Rappelons enfin les trois substantifs suivants: sexte, emprunté
du latin ecclés. sexta (h or a); sixte, altération savante de
siste; sieste, emprunté de l'esp. siesta (repos de la sixième
heure).
7° Septimum et septima sont devenus, selon les dialectes,
setme (sietme), sedme, sepme, semé (sieme) ; on trouve aussi
sesme (siesme), dont le s est dû à l'influence de disme. Ces
formes disparaissent au XIV^ siècle, supplantées par setième,
septième.
8^ Octavum n'a pas survécu en français sous une forme
populaire: on ne trouve nulle trace d'un masculin '-oitou
347
(comp. c la vu m ) clou), et le féminin oiteve (o et a va) existe
seulement comme substantif. La forme savante octave s'em-
ployait surtout dans la combinaison Voctave jour, et comme
substantif. Comme adjectif numéral on s'est servi dès les plus
anciens textes de la forme analogique oime, oidme, oitme (uime,
uidme, uitme), remontant probablement à *o*ctimus, fait sur
le modèle de septimus. Elle cède de bonne heure la place
à huitième.
9^ Nonum, dont le féminin se retrouve dans le terme litur-
gique none (cf. angl. noon) < non a (hora), a été remplacé
dès les plus anciens textes par une forme analogique neume,
nuefme remplacé de bonne heure par neuvième. En Bretagne,
neume a été conservé jusqu'au XVIIP siècle, comme substan-
tif pour désigner le droit qu'avaient les curés de prendre la
neuvième partie des meubles de leurs paroissiens décédés.
lO*' Decimum ) dime ; on trouve aussi disme, dû probable-
ment à l'influence de dis. On a conservé ce mot comme
substantif, dîme (comp. la forme savante décime); mais comme
adjectif numéral il a été supplanté, déjà au moyen âge, par
disième, dixième.
11" Undecimus > onzime (Ph. de Thaun, Comput, v. 1439),
onzième. Ces formes sont nées sous l'influence de onze; un
développement régulier aurait probablement donné ondime.
12" Duodecimus > dozime, dozieme (formes refaites sur doze);
maintenant douzième.
493. Nombres ordinaux de création française. Les nou-
veaux nombres ordinaux français sont tirés des nombres car-
dinaux correspondants à l'aide de la terminaison -ième, dont
l'origine est assez obscure. Au moyen âge elle se présente sous
les deux formes -ime (ou -isme) et -ieme (ou -iesme); on trouve
troisime (Guill. d'Angleterre) et troisième (Roman de la Rose),
quatrime (Bastart de Bouillon, v. 1950) et quatrième, cinquisme
(Erec, V. 1165) et cinquiesme (Villehardouin, § 163), etc., etc.
Selon toute probabilité, -ime est la forme la plus ancienne, et
elle paraît remonter à la terminaison -e ci m us qui se trouve
dans undecimus, duodecimus, etc. Un développement ré-
gulier de ces mots aurait donné ondime, douime, etc.; mais
l'influence des cardinaux correspondants a dû les changer en
onzime et dozime (la forme collatérale -isme est probablement
348
due à l'influence de disme). En-core plus obscure est l'origine
de -ieme (-iesme) ; c'est peut-être une variante dialectale (occi-
dentale) de -ime, introduite par on ne sait quel hasard dans
la langue littéraire.
494. Nombres ordinaux simples.
P Unième. Ce mot ne se dit point seul; il ne s'emploie que
dans les nombres composés : Vingt et unième, deux cent trente
et unième, mille et unième, etc. Il se trouve déjà au moyen âge
(voir § 492, i), mais l'Académie ne l'a admis qu'en 1740 (il se
trouve dans Furetière).
Remarque. Citons comme un fait de curiosité que dans l'argot actuel des
soldats, unième peut s'employer isolé: Bibi de deuxième à la unième du trois
(Villatte).
2" Les autres ordinaux simples s'expliquent tout seuls: deu-
xième, en vfr. deusime, deusieme; troisième, en vfr. treisime, trei-
sieme, etc., etc. ; il faut ■ seulement noter, pour l'orthographe,
cinquième (de cinq), et pour la phonétique, neuvième (de neuf).
495. Nombres ordinaux composés. Dans les nombres com-
posés -ième ne s'ajoute qu'au dernier nombre: le vingt-troisième,
le deux cent quatre-vingt-dix-neuvième, etc., ce qui veut dire
que le nombre cardinal qui sert de point de départ, est re-
gardé comme un nombre simple; ce procédé se trouve aussi
en latin dans undecimus, duodecimus, unusetvicesi-
mus et quelques autres formes, mais il n'était pas très em-
ployé. Le système le plus généralement suivi par le latin se
manifeste dans tertius decimus, quartus decimus, vi-
cesimus tertius, primus et tricesimus, et il se continue
en italo-roman et en hispano-roman. Pour vicesimus tertius
on trouve en it. ventesimo terzo, en esp. vigésimo tercero et en
port, vigésimo terceiro, en face du fr. vingt-troisième (l'italien a
même créé decimoprimo, decimosecondo, etc. à côté de undice-
simo, dodicesimo, etc.). Abstraction faite de ce point, les formes
françaises ne donnent pas lieu à beaucoup d'observations:
Dix-septième, en vfr. dis et setme ou dis et setime (setieme). Dix-
huitième, en vfr. dis et uitme, dis et uitisme, dis et uitain. Dix-
neuvième, en vfr. dis et nuefme, dis et nuevime, etc.
Remarque. Si plusieurs ordinaux se suivent, reliés entre eux par et ou ou,
-ième ne s'ajoute quelquefois qu'au dernier: La langue des douze et treizième
349
siècles (Liltré, Hist. de la langue française, I, 16). // est dans sa trente-deux ou
trente-troisième année. La quatre ou la cinquième page. Pasquier a déjà écrit
les quatre et dixiesme (Recherches, VII, 6), et les grammairiens du XVIIe
siècle sanctionnent des phrases telles que: C'est la cinq ou sixième fois que
vous me faites cela. C'est la neuf ou dixiesme de ses emblèmes (Vaugelas,
Remarques, I, 217; Ménage, Observations, p. 361). C'est par une brachylogie
analogue qu'on dit vingt-troisième pour vingtième-troisième ; comp. en esp.
interior y exteriormente, severa pero justamente, etc.
496. Pour former des nombres ordinaux on s'est aussi
servi de la terminaison -ain; elle se trouve dans: Premerain
(Roland, v. 122), tierçain, quartain, quintain, sisain (R. de
Troie, v. 8165), setain, uitain ou oitain (ib., v. 305), dizain, un-
zain, douzain, trezain, quatorzain, quinzain, sezain, dis et oitain,
vintain. Aucune de ces formes n'a survécu au moyen âge
comme adjectif numéral.
LIVRE QUATRIÈME.
LES ARTICLES.
CHAPITRE I.
L'ARTICLE DÉFINI.
497. L'article défini inconnu au latin classique est une créa-
tion propre au latin vulgaire; il se trouve dans toutes les
langues romanes et dès les plus anciens textes. C'est partout
un pronom démonstratif (ille ou ipse) qui par un affaiblisse-
ment graduel de sa signification primitive a reçu la fonc-
tion plus générale réservée à l'article défini d'individualiser le
nom qui l'accompagne.
1^ Ille est le mot le plus généralement employé. En certains
cas syntaxiques le simple homo du latin classique a été rem-
placé dans la glus grande partie du domaine roman, par ille
homo: fr. V homme, prov. lo om, esp. el hombre, port, o ho-
mem, ital. Vuomo. Dans le domaine daco-roman l'ordre a été
inverti, et on a dit homo ille, d'où le roum. omul.
Remarque. On trouve des traces de l'emploi d'il le comme article dans
la »Vulgata« et r»Itala«. Les exemples deviennent plus nombreux dans la
» Régula Monachorum« de Saint Benoît (comp. ALLG., IX, 493) et sont fré-
quents dans les chartes latines à partir du \\^ siècle.
2® On s'est aussi servi sporadiquement de ipse; la formule
ipse homo se retrouve actuellement dans la Sardaigne et
les îles Baléares, surtout en logodourien et en majorquin
{s' home). L'emploi de ip se est constaté aussi à Ampurdan (pro-
vince de Gerona), mais autrefois il a dû s'étendre à presque
351
tout le domaine catalan comme au gascon. Une trace curieuse
de cet article se retrouve probablement dans Sebre, nom donné
dans la chanson de Roland au fleuve d'Ebre; il faut admettre
que cette forme reproduit le S'Ebrii f== su Ebru) des anciens
Catalans.
Remarque. On trouve_ipse avec la valeur de l'article défini déjà dans la
traduction du livre de Sirach (ALLG., IX, 253); il alterne avec ille dans la
» Régula monachorum« (VI^ siècle), et il est assez fréquent dans les textes mé-
rovingiens; on trouve dans la Vie de Sainte Euphrosjme in ipso monas-
terio, ipsi abbas, ipse vir, in ipsa ecclesia, etc.
498. Voici un tableau des vieilles formes françaises de l'ar-
ticle défini; elles procèdent du démonstratif ille employé
comme proclitique (cf. I, § 139, i):
. SINGULIER.
Masculin Féminin
Cas sujet li la
Cas régime lo, le la
PLURIEL.
Masculin Féminin
Cas sujet li les
Cas régime les les
De ces formes, le français moderne n'a gardé que celles du
cas régime: le, la, les; celles du cas sujet disparaissaient au
XIV^ siècle avec la déclinaison du nom (§ 275). Nous ex-
pliquerons dans les paragraphes suivants le développement
des formes françaises, et nous verrons comment elles s'abrègent
en certains cas selon leur emploi proclitique ou enclitique.
Remarque 1. Des traces de la valeur démonstrative de l'article se trouvent
encore, dans plusieurs expressions, telles que: Les choses ne se passeront pas
de la sorte. Pour le coup. Faites-le à l'instant. Il partira dans la huitaine.
Signalons aussi un nom propre comme Villeneuve-la- G uyard (c. à d. Ville-
neuve, celle de Guyard). Dans la vieille langue ces traces sont bien plus
nombreuses; rappelons p. ex. la construction les d'Henry, pour dii^ les fils
d'Henry, qui éveillait la curiosité de Henri Estienne {Conformité, p. 52).
Remarque 2. En vieux français l'adjectif démonstratif peut fonctionner
comme article défini. Exemple: Voit sor ces haubres ces oisellons chanter,
Et parmi Saine ces poissonsiaus noer. Et par ces prés ces flors renoveler
(Raoul de Cambrai, v. 6217 — 20). Le même phénomène se retrouve dans
plusieurs patois modernes; ainsi en picard on dit ch'curé, ch'marichau pour
352
le curé, le maréchal. Nous retrouvons ici le même affaiblissement du sens
démonstratif qui a eu lieu dans il le.
499. Observations sur les formes de l'article.
1° Li (au singulier) ne remonte pas à la forme classique
ille mais à illi, forme vulgaire dont l'existence est constatée
à partir du VI'' siècle (voir G. Rydberg, Zur Geschichte des
franzôsischen a, p. 246 ss.), et qui s'explique peut-être par l'in-
\ fluence de qui. La voyelle finale de li s'élidait facultative-
i ment; on disait au moyen âge // amis ou Vamis.
2" Lo (lu dans un ms. de St. Alexis) remonte à illum et
s'emploie encore dans le Roland; après le XP siècle, il s'af-
faiblit en le (comp. jo ) je, § 525, i) au Centre, à l'Ouest et
au Nord; la vieille forme pleine persiste dans les dialectes de
l'Est, de l'Aunis et du Poitou.
/ 3" La remonte à illa (I, § 173, i). La voyelle finale s'élide
J dès les plus vieux textes devant un nom commençant par une
/ voyelle: Vamie, Verbe, etc.
Remarque. En picard on disait le à l'accusatif (comme me, te, se pour
ma, ta, sa), et cette forme affaiblie se retrouve dans les noms propres De-
lepierre, Delerue, Delegorgue, etc. L'effacement de la distinction des genres à
l'accusatif a eu pour résultat l'emploi de li pour la au nominatif dans les
mêmes dialectes.
Q'
4*^ Li (au pluriel) provient régulièrement de illi. La voyelle
ne s'élidait jamais: li ami.
5^ Les remonte à illos et à il las; les formes originaires
qui ont dû être los (Sponsus, v. 16) et las, se sont perdues
en français, mais le vieux provençal les a conservées (comp.
cat. et esp. los las, port, os as).
500. A suivi de l'article défini:
1*^ A -j- lo devient al, qui se change en au devant une
consonne (I, § 342): Al conte > au conte. On trouve dans
quelques vieux textes la graphie o pour au.
2^ A -[- les devient als qui se réduit de bonne heure à as
(peut-être sur le modèle de les). On trouve als altres dans
St. Léger (v. 206), mais la Vie de Saint Alexis ne connaît que
as. Vers la fin du XIIF siècle, on commence aussi à se servir
de aus (aux), qui est une formation analogique faite sur le
singulier au. Dans la Chirurgie de Henri de Mondeville (1314)
353
on trouve indifféremment as et aus. La vieille forme as s'est
conservée en lorrain.
_ 501, De suivi de l'article.
; 1° De -]- lo devient del: Fors del sacrarie (Alexis, v. 293).
j Cette forme se développe de trois manières différentes. Le plus
^/ souvent on a del ) deu ) du (quant au développement deu
conte y du conte, on peut comparer preud' homme ) prud homme ;
voir I, § 302). Mais on trouve aussi del > deu ) dou, et bien
I plus rarement del > der (Auberi, p. p. Tobler, p. 30, i9, 36, 3)
> dor (voir Godefroy).
^ 2^ De -|- les devient dels, qui se réduit de bonne heure à
des (^ les). St. Léger offre encore dels sanz (v. 3), mais les
textes postérieurs ne connaissent que des, forme conservée jus-
qu'à nos jours.
502. En suivi de l'article.
1° En -\- lo devient enl, qui se réduit à el, d'où eu. Ex-
emples: Enz enl fou (Eulalie, v. 19); el paradis (St. Alexis,
V. 544); eu prael (Joinville, § 97). A partir du XIII*^ siècle, eu
cède la place à ou (on écrit aussi o, u), peut-être à cause de
' l'emploi proclitique. Dans la Chirurgie de Henri de Monde-
ville on trouve indifféremment eu, ou, u. La forme ou s'em-
i ploie jusque dans le XV® siècle : Ou temps de ma jeunesse folle
j (Gr. Test., str. 26). On trouve aussi dès le XIP siècle la forme
j collatérale on, dont l'explication est douteuse; Rabelais s'en
V sert encore: On mois d'Octobre (Pantagruel, chap. 1).
f Remarque, Ou a disparu devant au, qui en a pris les fonctions. Pour ou
J moins, ou temps de, jeter ou feu, etc., on dit maintenant au moins, au temps
\ de, jeter au feu; comp. la locution en mon nom et au vôtre.
2° En -f les devient enls, qui se simplifie de deux manières
/ différentes. Par la chute de la consonne médiale (I, § 313, 2)
\ on a ens (plus tard ans, ons), qui se trouve par exemple dans
1 les Sermons de St. Bernard et sporadiquement ailleurs; mais
! cette forme était peu employée. Par la chute de la première
consonne (I, § 313, 1) on a els qui se réduit à es. Exemples:
l Els porz de mar (Fragment d'Alexandre); es- bans (St. Alexis,
I\^ V. 327); es cartres (Roland, v. 1684). Es, qui est peu à peu
remplacé par dans les ou aux, est d'un emploi fréquent en-
23
354
core au temps de la Renaissance. Mais au siècle suivant c'est
un mot archaïque. En parlant .des expressions juridiques es
mains et es prisons, Ménage (1672) dit: »Cette façon de parler
qui estoit si élégante autrefois, est devenue barbare : & il faut
bien prendre garde de s'en servir, mesme dans le Palais*
(Observations, p. 442). Les quelques exemples qu'on en trouve
encore dans les auteurs classiques, sont plutôt des archaïsmes.
Exemples : Quand son propre mal-heur, aussi bien que le vostre
Sur la pointe du jour le fit tomber es mains D'un esquadron
(Mairet, Sophonisbe, v. 249). Es choses temporelles (Pascal,
Provinciales, n" 9). Es choses spirituelles (ib., n^ 18). Es assigna-
tions, dont je tiens les copies (Regnard, Le joueur, III, 4). S'il
advient que ces petits vers-ci Tombent es mains de quelque ga-
lant homme (Voltaire, Mule du pape). Le vilain que ledit pro-
cureur ... a fait constituer es prisons (P.-L. Courier). Es n'existe
plus que dans quelques locutions toutes faites: Verser une somme
es mains de qn. Bachelier, licencié, docteur es lettres, es sciences.
Maître es arts. Ajoutons aussi quelques noms de lieu : Saint-Pierre-
ès-Liens, Saint-Pierre-ès-Champs.
Remarque. Par une extension analogique curieuse, es s'emploie dans plu-
sieurs néologismes devant un substantif au singulier. Exemples: Les éman-
cipées es littérature (Annales politiques et littéraires, 1899, 29 janv.). Thèse
de doctorat es féminisme (Revue Bleue, 1899, I, p. 766). Trois docteurs es
théologie (E. Dujardin, Les lauriers sont coupés, p. 15). Un maître es langue
latine doublé d'un professeur d'histoire (Maxime du Camp, Théophile Gau-
tier, p. 15). Cet emploi nous montre qu'on n'a plus aucune idée de l'ori-
gine et de la vraie signification de es, et qu'on le regarde comme une sorte
de préposition.
503. L'enclise était obligatoire au moyen âge comme elle l'est
maintenant; les formes contractées s'emploient dès les plus
anciens textes à l'exclusion absolue des formes pleines. Si-
gnalons pourtant quelques cas particuliers:
P On trouve dans la vieille langue des exemples isolés où
la contraction ne s'est pas produite: Lors carrent a les armes tuit
(Jouffroi, V. 2968; comp. v. 2420). Si s'entresfifejrent li dui
conte De les lances par les blazons (ib., v. 4507). L'espee li sou-
dans hauca, A les François granz cops dona (Octavian, v. 4534).
Enz en le cuer (Roman de la Poire, v. 558). Gardés-m' Ogier
dessi qu'à le matin (Ogier, v. 2089; comp. v. 2096) ; la locution
a le matin se trouve dans plusieurs autres textes; voir Perce-
355
val, V. 18296; Richart le biel, v. 3525; Élie de St. Gille, v. 1045.
La raison de ces irrégularités nous échappe.
2° Pour la langue moderne, je ne saurai citer que le vers
suivant pris dans une chanson populaire:
Jusqu'à le noble fils du roi l'entend-il de sa chambre.
(Romania, VII, 60.)
3" Faisons enfin remarquer que devant les noms de personnes
qui commencent par Le, la contraction n'a jamais lieu: les
romans de Lesage. Autrefois il y a eu hésitation. Saint-Simon
écrit alternativement les hommages de Le Blanc et du Blanc.
504. Après la mort de el (en le) et de es (en les), les gram-
mairiens interdisent absolument l'emploi des combinaisons en
le, en les. On les trouve pourtant dans plusieurs auteurs mo-
dernes. Exemples : Je vivais en le souverain détachement de l'hu-
manité (Dujardin, Les lauriers sont coupés. Paris, 1897. P. 99).
En le plus grand nombre (Richepin, Contes espagnols, p. 271).
Nous avons rencontré également en le ciel, en le livre, en le
bon droit, en les moments, en les races, en les ténèbres, etc.
505. Au moyen âge, l'enclise avait lieu dans un cas parti-
culier auquel la langue moderne n'offre plus rien de cor-
respondant à cause des changements qui se sont produits
dans l'ordre des mots. On pouvait autrefois intercaler le ré-
gime entre la préposition et l'infinitif; on disait par la pais
faire, au lieu de par faire la pais. Dans ces constructions, il
n'y a aucun rapport syntaxique entre la préposition et l'ar-
ticle, mais bien un rapport phonétique et qui exige la con-
traction; on disait avons envie del bourc prendre, comme vo-
lons del conte parler. Exemples: Grant sunt H colp as helmes
detrenchier, c. à d. à trancher les heaumes (Roland, v. 3889).
Quant ce vint as lances baissier (Villehardouin, § 157). Or pen-
sons del remanant garir (ib., § 364). Si pristrent conseil del Di-
mot secoure (ib., § 426). Et si est maus des dous enfans tuer
(Amis et Amiles, v. 2930).
Remarque. II en était de même, si le régime du verbe était le pronom
le: Si s'acorderent al faire (Villehardouin, § 24). Li roys n'ont pas consoil
dou faire (Joinville, § 169).
23*
356
CHAPITRE II.
L'ARTICLE INDÉFINL
506. L'article indéfini, qui se retrouve dans toutes les langues
romanes, s'est développé en latin vulgaire, où dédit nobis
villa m a été remplacé, en certains cas syntaxiques, par de-
dit nobis unam vil la m. Le numéral unus, qui signifiait
I d'abord 'un seul', passe au sens de 'un certain' (quidam) et
1 finit par fonctionner de la manière très vague qui est le
\propre de l'article indéfini des langues modernes.
507. L'article indéfini se déclinait au moyen âge de la ma-
nière suivante:
SINGULIER.
Masculin Féminin
Cas sujet unus uns una une
Cas régime unum un una une
PLURIEL.
Masculin Féminin
Cas sujet uni un unas (§235) unes
Cas régime un os uns unas unes
De ces formes on n'emploie après le XIV*' siècle que celles
du régime: (comp. § 275) un, une, uns, unes. Au XVP siècle,
uns et unes disparaissent à leur tour, de sorte qu'on n'a plus
que les deux formes du singulier. Un dernier reste du pluriel
se trouve dans les uns (les autres), quelques-uns et quelques-
unes.
508. Les formes du pluriel s'employaient au moyen âge au
sens de 'quelques', surtout avec des substantifs désignant des
objets qui ne se présentent généralement pas isolés: Unes bones
genz (Villehardouin, § 54). Et avoit unes granz joes, et un
grandisme nés plat, et unes granz narines lees, et unes grosses
lèvres plus roges d'une escharbocle, et uns granz denz jaunes et
laiz, et estait chauciez d'uns hoseaus et d'uns solers de buef (Au-
cassin et Nicolete, 24, 17). Unes lettres (Joinville, § 66). Unes
357
fourches (ib., § 536). Unes belles joustes (Roman des sept Sages,
p. 76). Uns soûlas, c. à d. une paire de souliers (Paris, Chan-
sons du XV*' siècle, p. 14). Unes botes (Quinze joies de mariage,
chap. 4). Unes nouvelles (Myst. de St. Laurent, v. 7221). On
trouve encore dans Rabelais unes lettres, unes belles décrétâtes,
etc. Comp. en espagnol unas casas, unas botas, unos anteojos,
unas tijeras, etc.
Remarque. Au singulier un correspond dans la langue actuelle le pluriel
partitif des (§ 509) : un livre — des livres^ une maison — des maisons, un
poulet — des poulets, etc.
CHAPITRE III.
LARTICLE PARTITIF.
509. La langue française possède un troisième article, in-
connu aux autres langues romanes (sauf l'italien), dont voici
les formes:
SINGULIER. PLURIEL.
du (de V) de la (de V) des
D'ordinaire ces formes ne s'emploient qu'immédiatement
devant un substantif: du pain, de la viande, des pommes; si au
contraire le substantif est précédé d'un adjectif, l'article se ré-
duit à la pure préposition de: de bon pain, de mauvaise viande,
de grandes pommes.
Remarque. Il faut remarquer qu'au point de vue de la signification des
ne peut pas, dans la plupart des cas, être regardé comme le pluriel de du
(de la). Le vrai singulier de des fruits est un fruit, et non pas du fruit.
Comparer les trois phrases: J'ai mangé un fruit. J'ai mangé des fruits.
Comme dessert je ne mange que du fruit.
510. Originairement le soi-disant article partitif n'est pas un
article. Des phrases telles que il mange du pain, elle cueille
des fleurs, avaient au moyen âge une signification notablement
y
358
différente de celle qu'elles ont maintenant. Dans la langue ac-
tuelle manger du pain veut dire en toute généralité se nourrir
de la substance qu'on appelle pain; du pain est dit sans rap-
port à aucun pain déterminé. Au moyen âge il en était autre-
ment; mangier del pain signifiait: manger une certaine quantité
d'un pain déterminé, du pain, de ce pain-ci, de ce pain-là.
De même ele prist des flours veut proprement dire 'elle prit
quelques-unes des fleurs'. On voit facilement que dans ces phrases
l'emploi de l'article défini était en effet indifférent; mangier
del pain égalait à peu près mangier de pain: Plus hisdos om
ne puet de pain mangier (Couronnement Louis, v. 510). L'es-
sentiel de ces constructions c'est la préposition de, qui avait,
à elle seule, la valeur partitive. Donc, ce qu'on appelle main-
itenant article partitif est graduellement sorti d'un emploi
Iparticulier de de.
Remarque 1. Un régime partitif se trouve déjà dans le latin vulgaire, qui,
selon Darmesteter, avait créé la tournure edere de pane, au lieu de edere
panem. Ce de partitif se retrouve au moyen âge en italien, en provençal,
en français, et assez rarement en espagnol.
Remarque 2. Pour mieux faire comprendre la nature primitive de l'ar-
ticle partitif, nous donnerons un choix d'exemples de constructions très di
verses, mais contenant tous un de partitif suivi de l'article défini ou d'un
pronom: Dont prent li pedre de ses meillors serjanz (Alexis, v. 111). Li mar-
chis leur offri de ses chevax et de ses joiaus (Rob. de Clari, p. 4). Si vinrent
demander de leur nouveles (ib., p. 43). Si s'entra en une galie et de ses gens
avec lui (ib., p. 19). Si leur fu bien avis que ch'estoit de le gent l'empereur
(ib., p. 20). Envoierent de lor nés chargies de dras (Villehardouin, § 48).
Perdu avons de nos amis (Mystère Saint Laurent, 2065). Voilà de mes don-
neurs de conseils à la mode (Molière, L'amour Médecin, I, se. 1). Je garde
dans ma cassette de leurs billets (Comtesse d'Escarbagnas, se. 2). Je trouvois
de mes portraits partout (Montesquieu, Lettres persanes, n° XXX). A mer-
veilles, Mademoiselle: à peine fiancée vous faites de ces apprêts (Beaumarchais,
Mariage de Figaro, 1, se. 9). Je suis curieuse de lire de son style à ce monsieur
(Musset, Il ne faut jurer de rien, II, 2). J'ai certainement vu de cette écri-
ture-là quelque part (Musset, Un caprice, se. 8). // jeta à la vallée de ces
regards qu'on a pour un ami retrouvé (Tlieuriet, Lucile Desenclos). — A ces
tournures françaises on peut comparer, pour le vieux danois, une phrase
telle que: / lader mig af eders mœnd (Grundtvig, DgF, III, 223).
511. L'emploi de l'article partitif était assez restreint dans la
période du vieux français; on disait plus souvent mangier
pain que mangier del (ou de) pain. Il est resté facultatif jus-
qu'à la fin du XVI^ siècle; et on trouve sporadiquement dans
359
les auteurs classiques des tournures montrant qu'on pouvait
se passer encore au XVIP siècle de l'article partitif dans plu-
sieurs cas où son emploi maintenant est de rigueur. Nous re-
viendrons à ces questions dans la Syntaxe, et nous nous con-
tenterons de donner ici une série d'exemples de l'article par-
titif dans la vieille langue :
Si 'n deit hum perdre e de Vquir e de l'peil (Roland, v. 1012).
Si 'n deit hum perdre de l'sanc e de la carn (ib., v. 1119). En
l'orie punt asez i ad reliques: Un dent seint Pierre e de Vsanc
seint Basilic, E des chevels mun seignur seint Denise ; De Vveste-
ment i ad seinte Marie (ib., v. 2345 — 48). Donrai vos tels re-
liques qui feront granz vertuz, Del lait sainte Marie don alai-
tat Jesu, ... : De la sainte chemise que ele out revestut (Pèle-
rinage de Charlemagne, v. 187 — 89). Tant com il a des la
chevece Jusqu'au fermail d'antr' overture, Vi del piz nu sanz
coverture Plus blanc que n'est la nois negiee (Cligès, v. 844).
On pourroit bien canter et lire De le sequenche dou haut jour
(Vrai aniel, v. 403). Et par vive force montèrent des chevaliers
sor les eschieles (Villehardouin, § 171). Si li donra un de ces
jors un baceler qui du pain li gaaignera par honor (Aucassin
et Nicolete, 2, 32). Elle prist des flors de lis et de Verbe du
garris (ib., 19, 12). Del ewe, bêle, me baillez (Tristan, v. 979).
De l'aige but, ses blances mains lavoit (Huon, v. 5561). Chil
ki servoient du vin et du claré (ib., v. 5582).
512. Nous citerons à part quelques exemples où le substan-
tif est précédé d'un adjectif, et nous verrons que, conformé-
ment à l'origine de l'article partitif, l'emploi ou l'omission de
l'article défini après le de partitif est un fait absolument in-
différent.
P Exemples de la forme pleine devant un adjectif: // eurent
akaté des nouveles viandes a mètre en leur nés (R. de Clari,
p. 10). Du bon pain (Manière de langage). Des petis oisealx
(ib.). Du menu vair (Nouv. Patelin, 331). Du bon temps (Quinze
joies, chap. 13). Des bonnes nouvelles (Fournier, Théâtre avant
la Renaissance, p. 458). Des bonnes maisons (ib., p. 459).
Dressent encor es forests des doux rets (Darmesteter et Hatzfeld,
Le seizième siècle, p. 235). Forment tant qu'ils voudront des
piteuses complaintes (ib., p. 357). Des bons propos (ib., p. 17)^
Des petites pierres (ib., p. 117). Des célestes roses (ib., p. 353).
360
Donnant des sainctes loix à son affection (Régnier, Macette,
V. 15).
2^ L'emploi de la préposition seule paraît un peu plus rare :
De ruistes cos merveilleus i feri (Garin, v. 4746). De bons motz
(Villon, Grand Test., v. 96). De grosses soupes (ib., v. 106). De
belles choses (Fr. de Sales, Lettres, n" 97). De riches dons (Mys-
tère de St. Adrien, v. 4818). De vieilles poulailles (Jehan de
Paris, p. 43). De bonnes choses (Quinze joyes, chap. 3). De
belles filles (ib., chap. 9). De beaux faicts (ib., chap. 12). De
bonne avoijne (Gautier Garguille, Chansons, p. 47). J'ai couru
mille fois après de jeunes veaux (Darmesteter et Hatzfeld, Le
seizième siècle, p. 239, 19). De très haultz sacrements (ib., p. 97,25).
De belles devises (ib., p. 61, 13). De grandes amendes (ib., p. 149,2).
De beaux et grands services (ib., p. 72, 24).
V 513. Au XVI I^ siècle la règle s'établit qu'il faut employer la
préposition pure sans article, si un adjectif précède le sub-
stantif. C'est Vaugelas qui observe le premier qu'il faut dire
il y a d'excellens hommes, et il y a des hommes excellens. Il
ajoute même que » c'est une reigle essentielle dans la langue «
(Remarques, II, 7), et tous les grammairiens lui apportent leur
consentement.
514. D'après ce qui précède il est superflu de faire observer
que la règle de Vaugelas, tout essentielle qu'il l'estime, est
I arbitraire et artificielle. Il avoue lui-même qu'elle est contraire
|à l'usage en ajoutant: ».... ayant considéré que dans la plus-
part des Prouinces, on y manque, et que parmy ce nombre
infini d'Escriuains qui sont en France, il y en a vne bonne
partie, qui n'y prennent pas garde, j'ay jugé cette Remarque
nécessaire*. Il est facile de constater qu'elle reste sans in-
fluence sur la langue populaire. Malgré les grammairiens le^
peuple continue à fumer du bon tabac et à manger du bon
pain. Les proverbes et les chansons populaires sont là pour
nous l'attester; rappelons le dicton: A la Saint-Martin on boit
du bon vin, et le vieux refrain: J'ai du bon tabac dans ma
tabatière; J'ai du bon tabac; tu n'en auras pas. Même les
grands auteurs classiques ne se conformant pas toujours à la
règle de Vaugelas. En voici quelques exemples : Du haut style
(Molière, Précieuses ridicules, se. 4). Du bon goût (Le Misan-
361
thrope, V. 791). Du beau monde (Comtesse d'Escarbagnas, se. 3).
Des indignes fus (Racine, Mithridate, v. 306). Des grosses larmes
(Mme de Sévigné). Des grandes grâces (Bossuet). Des mauvaises
industries (Fénelon), etc.
515. La règle de Vaugelas, si arbitraire qu'elle soit, finit
pourtant par prendre pied dans les grammaires comme dans
la langue littéraire. Elle supporte cependant certaines restric-
tions générales; elle ne frappe pas:
P Les mots composés: Des bas-reliefs. Des belles-mères. Des
petits-neveux. Des chauves-souris, etc.
2^ Les groupes de mots où l'adjectif pour ainsi dire fait ^
corps avec le substantif, de sorte que les deux mots forment
une seule expression. Exemples : Du petit lait. Du vif argent.
Du menu bois. Du bon sens. Des beaux esprits. Des gros mots.
Des bons mots. Des grands seigneurs. Des jeunes gens. Des petits
noms (c. à d. prénoms). Des petits pois, etc.
Remarque. Au XYII^ siècle l'usage était hésitant. On trouve dun côté de
bons mots (Molière, Misanthrope, v. 636), de petits maîtres (La Bruyère), de
jeunes gens (Fénelon), et de l'autre côté, des petits enfants, des faux pro-
phètes. A propos des derniers exemples. Thomas Corneille fait les observa-
tions suivantes: »11 est hors de doute, que le véritable usage est de dire,
devenons comme de petits enfans; et que c'est ainsi qu'il faut parler; mais
comme le même Auteur a dit, des petits enfans, en trois différents endroits
il est aisé de connoistre que c'est exprès qu'il l'a dit. C'est peut-estre parce
qu'on ne sçauroit estre enfant sans estre petit; et qu'il a creu pouvoir l'e-
garder petits enfans, comme un seul mot, qui estant substantif, demande
l'article des. ... Je sais bien que par rapport au Latin Pseudopropheta,
tiré du mot Grec, faux Prophète ne devroit estre considéré que comme un
seul mot; mais par le seul mot Prophète, on ne peut entendre faux Pro-
phète, comme par le seul mot d'enfant, on pourroit en quelque sorte en-
tendre petit enfant; et puisqu'il 3^ a de vrais et de faux prophètes, fau.v en
cet endroit doit estre regardé comme un adjectif séparé de Prophète, et je
crois par conséquent qu'il faut dire, comme de faux Propliètes, et non pas,
comme des faux Prophètes^ (voir Vaugelas, Remarques, II, 8). Ajoutons
quelques réflexions sur l'usage actuel dues à M. Léon Clédat: »Pour qu'on
puisse, devant l'adjectif, employer du, de la, des, au lieu de de, il faut . . .
que l'adjectif puisse former avec le substantif un nom d'espèce, c'est-à-dire:
1*^ que l'adjectif exprime une qualité conçue par notre esprit comme cons-
titutive d'espèce, et 2° que le substantif exprime un objet conçu par notre
esprit comme susceptible d'espèces. Par exemple, on dit bien plutôt: elle a
de charmantes toilettes, que des charmantes' toilettes, parce que la qualité
exprimée par l'adjectif charmant est trop particulière pour être constitutive
d'espèce; nous pouvons concevoir les belles toilettes comme formant une
362
espèce du genre »toilettes«, mais beaucoup moins les charmantes toilettes.
On ne dirait guère non plus: il a eu des grandes déceptions, au lieu de il a
eu de grandes déceptions, parce que si la grandeur est une qualité constitu-
tive d'espèce, les déceptions se prêtent peu à une subdivision en espèces.»
3° Les expressions abstraites. Exemples: Avec de la bonne
volonté on vient à bout de tout (proverbe). De la bonne foi. De
la mauvaise humeur. De la vraie reconnaissance. De la pure fo-
lie. De la simple amitié, etc.
516. Le développement actuel de la langue ne semble pas
favoriser une observation très sévère de la règle de Vaugelas,
au contraire. Il y a dans le parler familier une tendance mar-
quée à conserver la forme pleine de l'article partitif devant
un adjectif (comp. § 514) ; en voici quelques exemples tirés
des » Scènes populaires* de Henri Mounier: Je m'attends à des
grands changements (I, 360). Un tout petit homme . . . qu'a des
tout petits yeux (I, 505). Vous restez des pleines soirées dans la
loge (I, 324). Tu a toujours des bonnes grosses joues, ma com-
mère (11^ 608). Ajoutons des phrases populaires comme de la
belle ouvrage, vous avez fait de la belle besogne, etc. Cette ten-
dance du langage parlé est en train d'envahir la langue écrite;
elle s'observe souvent avec bon, grand, jeune, mauvais, vrai, et
surtout avec petit:
Beau. — Ils voyaient du monde, du très beau monde (Dau-
det, Fromont jeune, p. 287). — De la très belle peinture (Gyp, La
fée Surprise, p. 220). — Des belles robes. Des belles lignes (Con-
court, Renée Mauperin, p. 109).
Blanc. — De la blanche toile (Dozon, Épopée serbe, p. 169).
Bon. — Du bon vin et de bons morceaux (Zola, Lourdes,
p. 236). Cher maître, bon comme du bon pain (Flaubert, Lettres
à Ceorge Sand, p. 9). Du bon temps (Mérimée, Chroniques,
p. 19). Du bon petit drap (id., Les deux héritages, p. 220). Du
bon blé (Daudet, Lettres de mon moulin, p. 40). Du bon ma-
dère (Littré). Du bon bœuf (E.-Chatrian). Du bon nanan (Cop-
pée). Du bien bon monde (G. Droz). Du bon bouillon (Lavedan^
Le nouveau jeu, p. 262). Du bon or! de l'or (Balzac, Eugénie
Grandet, p. 232). — De la bonne volonté. De la très bonne mu-
sique (G. de Maupassant, Bel Ami, p. 12). De la bonne pein-
ture (Barrière, Les faux bonshommes, p. 10). De la bonne eau
(Maupassant, Mont-Oriol, p. 146). De la bonne bière (E.-Cha-
363
trian). De la bonne soupe (Ohnet). — Des bons points (Zola,
L'Œuvre, p. 451). — Des bonnes fortunes (Romania, XVII, 605).
Des bons vieux et des bonnes vieilles (Loti).
Brave. — Des gueux et des braves gens (E.-Chatrian).
Faux. — De la fausse hermine, De la fausse martre (Zola, Au
bonheur des dames, p. 3). — Des faux bonshommes (Barrière, Les
faux bonshommes, p. 5). Des faux bonheurs (Pailleron, Le
monde où l'on s'ennuie, p. 30). — Des fausses dents (Pailleron,
ib., p. 30).
Grand. — Apaiser par du grand air et du mouvement ses
nerfs déséquilibrés (Bourget, La terre promise, p. 121). Ce n'est
pas du grand bonheur (Lavedan, Le nouveau jeu, p. 134). —
Des grands pieds (Gyp, La fée Surprise, p. 89). — Des grandes
mains (ib., p. 89).
Gros. — Du gros plomb (Concourt, Renée Mauperin, p. 250).
— De la grosse monnaie (ib., p. 230). — Ramasser des gros sous
(Concourt, Manette Salomon, p. 87). En roulant des gros yeux
blancs (Malot). Il y en a qui ont des gros bras avec une taille
mince (Le nouveau Décaméron, III, 61). Des gros sabots.
Jeune. — Des jeunes femmes, des jeunes fûtes (M. Prévost,
Frédérique, p. 41).
Mauvais. — Se faire du mauvais sang. — On voyait sur leur
visage de la mauvaise humeur et de la fatigue (G. de Maupas-
sant, Contes du jour et de la nuit, p. 332). Entendre de la
mauvaise musique (Flammarion, Lumen). — Exercer des mau-
vais traitements (Rev. des D. M., 1882). — Des mauvaises ma-
ladies (Loti, Pêcheur d'Islande, p. 274).
Petit. — Des petits enfants. Des petits garçons. Des petits faits.
Des petits jeux. Des petits coins. Des petits mots. Des petits crois-
sants. Des petits verres. Des petits morceaux. Des petits poissons
rouges. Des petits rentiers. Des petits princes (Daudet, Souvenirs,
p. 117). Des petits jeunes gens (id., Fromont jeune, p. 12). Des
petits drapeaux (id.. Contes du lundi, p. 10). Des petits mor-
ceaux (Mélusine, 111,558). — Des petites choses (Zola, L'Œuvre,
p. 106). Des petites saletés (ib., p. 232). Des petites rues. Des
petites larmes. Des petites amies.
Rude. — De la rude misère (Concourt, Manette Salomon,
p. 285).
Sacré. — Des sacrés billets de mille francs (Mirbeau, Jour-
nal d'une femme de chambre, p. 98).
364
Sale. — Du sale argent (Mirbeau, Journal d'une femme de
chambre, p. 43).
Triste. — De la triste chair (Zola, Lourdes, p. 9).
Vert. — Voilà de la verte sincérité (Revue bleue, 1900, II, 303).
Vieux. — Du vieux vin (Gyp). Du vieil acajou (Mirbeau,
Journal d'une femme de chambre, p. 23). — Des torchons, des
vieux journaux (Remy de Gourmont, D'un pays lointain, p. 263).
Des vieux vêtements. — Des vieilles femmes (Gyp, La fée Sur-
prise, p. 205). Des vieilles filles (ib., p. 236).
Vilain. — Des vilaines femmes (Loti, Pêcheur d'Islande,
p. 257).
Vrai. — Un peintre qui peindra dans du vrai soleil (Goncourt,
Manette Salomon, p. 212). Du vrai fruit (Goncourt, Sœur Philo-
mène, p. 261). — De la vraie misère de Paris (ib-, p. 188). Ils
ouvrirent la fenêtre donnant sur de la vraie campagne (Le nou-
veau Décaméron, III, 100). De la vraie reconnaissance (Bour-
get. Mensonges, p. 329). On mangeait de la vraie viande (Zola,
L'Œuvre, p. 94). De la vraie chair (Goncourt, Manette Salo-
mon, p. 210).
LIVRE CINQUIÈME.
LES PRONOMS.
517. La plupart des pronoms latins ont été conservés en
français; on a abandonné is, idem, quidam, nihil, om-
nis, nemo, ullus et quelques autres (§ 575); les représen-
tants de ipse, alius, aliquid ne subsistaient qu'en vieux
français. Pour former des pronoms nouveaux on a eu re-
cours soit à des substantifs ou à des adjectifs, tels que
homo, res, causa, totus, soit à des compositions; ainsi
hoc a été remplacé par ecce hoc, d'où iço, ço, ce, et cette
dernière forme a de nouveau été renforcée par l'addition d'un
adverbe: ceci, cela.
518. Cas et genres.
P Les pronoms ont conservé la déclinaison mieux que les
noms (voir § 227 ss.). On a gardé non seulement le nominatif
et l'accusatif, mais aussi, dans plusieurs mots, le datif: illi y
vfr. //, cui ) vfr. cui, etc. Il faut noter qu'on a même créé de
nouveaux datifs (comp. § 521, Rem.).
2^ A côté du masculin et du féminin on a conservé des
traces importantes du neutre: illum > el (§ 533), m eu m y
mien (§ 536,2), hoc > o (§ 552, i), aliquid > a/g«e (§ 576, 2),
etc. La langue littéraire a abandonné plusieurs des formes
neutres après le moyen âge.
519. Doublets. Beaucoup de pronoms français présentent
deux formes distinctes correspondant à une forme unique en
latin ; ces doublets s'expliquent par l'emploi tour à tour to-
366
nique (emphatique) ou atone des pronoms en question. Pre-
nons comme exemple le développement du cas régime de la
deuxième personne des pronoms personnels, te; selon qu'il
est accentué (contra te) ou inaccentué (Carolus te lau-
dat), il se développe régulièrement en toi [twa] ou en te [ta],
tout comme dêbêre devient devoir [davwair]. Rappelons aussi
le changement de mea en meie, moie (§ 542) ou, s'il est pro-
clitique, en ma. Nous trouverons plus loin beaucoup d'autres
exemples de tels doublets.
CHAPITRE I.
PRONOMS PERSONNELS.
520. Les pronoms personnels du latin classique ont tous
été conservés. Pour la troisième personne, on a adopté le dé-
s/monstratif ille qui a en même temps fourni l'article défini
(§ 499). Rappelons aussi que les deux adverbes de lieu inde
et ibi, par un changement de fonction assez ancien, sont ar-
rivés à faire l'office de pronoms personnels (pour les détails,
voir la Syntaxe).
Remarque. Les composés latins mecum, tecum, se eu m, nobiseum,
vobiscum ont été conservés en italo-roman et en hispano-roman; notez
que nobiseum et vobiscum ont été remplacés par noscum (App. Probi,
no 220) et voscum (ib., n" 221). Les formes italiennes sont meco, teco, seco,
nosco, vosco; dans la langue parlée on. trouve des formes renforcées con
meco, con teco, con seco, tout comme en espagnol: conmigo, contigo, consigo,
conusco, convusco, et en portugais commigo (comigo), comtigo, comsigo, com-
nosco, comvosco.
521. Cas. Des cas latins on a conservé le nominatif et l'ac-
cusatif des deux nombres et, en partie, le datif du singulier.
Les formes du génitif ont disparu, excepté illorum, qui a
pris les fonctions de il lis. Les pronoms personnels offrent
ainsi une déclinaison à trois cas; elle s'est maintenue jusqu'à
nos jours à la troisième personne.
367
Remarque. A côté du datif illi, on constate dans le latin vulgaire la créa-
tion de deux nouvelles formes: illui (lai) pour le masculin et illaei pour le
féminin. En voici quelques exemples: Constat antedicta villa illa ciim omni
sua integritate ab ipso principe illo mcmorato lui fuisse concessa (Marculfi
Formnlœ, éd. K. Zeumer, 54, 34). Ipsius lui solvere deberet, c.-à-d. ipsi illi huic
(Rozicres, Recueil général des Formules usitées dans l'empire des Francs,
n° CCCCLXVI). On trouvera d'autres exemples dans Schuchardt, Vokalismus,
II, 383, d'Arbois de Jubainville, Déclinaison latine à l'époque mérovingienne,
p. 151, G, Rydberg, Zur Geschichte des franzôsischen d, p. 279 ss. Pour il-
Isei (lœi), voir Rozières, loc. cit., n» CCXXIII, note, et Romania, XI, 163,
note. La forme illui s'explique le plus naturellement par l'action analogique
du pronom relatif ou interrogatif cui. La forme illaei est probablement une
transformation du datif vulgaire illse, faite sur le modèle de illui. Ajou-
tons que la terminaison -ui, qui s'employait aussi dans ipsui, s'étendait au
moj^en âge à plusieurs autres pronoms; on trouve ainsi en vieux français
icelui, icettui, autrui, aucunui, nului, telui. Des formes en -/// la langue mo-
derne a conservé lui, celui, autrui.
522. Genre. Pour la troisième personne, il faut remarquer
la généralisation des formes du masculin au dépens de celles
du féminin. Ce phénomène, dû tantôt à un développement
phonétique, tantôt à une pure substitution, s'observe surtout
au pluriel. Les formes classiques:
illi illos
i 1 1 0 r u m
illse illas
i 1 1 a r u m
is la langue vulgaire:
illi illos
i 1 1 0 r u m
illas illas
illorum,
donc, la différence de genre n'existe plus au datif. A l'accusa-
tif, la différence disparaît au X^ siècle:
U les loi'
elles les lor,
et au XV^ siècle elles est souvent remplacé par ils (§ 529, 1,
Rem.), de sorte que la série
ils les leur
devient commune aux deux genres pendant un certain temps.
On revient cependant au nominatif spécial du féminin. Pour le
singulier, il n'y a confusion des deux genres qu'au datif; lui, qui
368
était à l'origine une forme exclusivement masculine et tonique,
a fini par remplacer le // atone, et il est par là devenu com-
mun aux deux genres, comme //' l'était au moyen âge.
523. Doublets. La langue moderne présente un grand nombre
de formes doubles dues à la phonétique syntaxique :
P Le développement de la voyelle de me, te, se est diffé-
rent selon qu'elle est accentuée ou non, de là moi — me, toi
— te, soi — se. Pour nos et vos, on aurait dû avoir neus —
nous, veiis — vous, mais la forme faible a été généralisée.
2^ Dans les formes de ille, on accentue ordinairement la
première syllabe, si le mot est frappé de l'ictus : illi cantant
> vfr. il chantent; sinon, la première syllabe est atone et la
dernière porte un accent secondaire : Carolus illos amabat
> Charles les aimait. Au nominatif on n'a que des formes
fortes: illi > il, il la > elle; illi > il(s), *illas > elles. A l'ac-
cusatif on trouve des doublets: îllam > elle et illâm } la,
illos > els, eux et illos > les, îllas > elles et il las > les;
pour illum, on aurait dû avoir el — le, mais la forme forte
ne s'est pas développée. Au datif, illi a servi de forme faible,
et il lui et illsei de formes fortes, de là en vieux français //
— lui, lei (lie, li).
3^ La voyelle finale de je, me, te, le, se, la et tu (prononcia-
tion vulgaire) s'amuït devant une voyelle: je crains, mais
j'aime, etc.
4" La consonne finale de nous, vous, ils, elles, les s'amuït
devant une consonne et se prononce comme sonore devant
une voyelle: nou(s) parlons — nous avons, je le(s) connais —
je les aime, etc. Dans la prononciation vulgaire on a de même
deux formes de il et de elle : il aime, elle aime, mais i(lj vient,
e(lle) croit, etc.
524. Tableau des pronoms personnels. Nous donnerons
dans le schème suivant les formes toniques et les formes
atones sur la même ligne, séparées par un trait suspensif.
369
1° Formes du vieux français:
SINGULIER.
ire
personne.
2^ personne.
3^ personne.
Masculin.
Féminin.
Neutre.
gié;
jo, je
tu — tu, te
il — il
ele — ele
el
— el
mei,
moi —
■ me
tei, toi — te
lui — lo, le
li — la
ol
— lo, le
mei,
moi —
me
tei, toi — te
lui — li
PLURIEL.
li (lie, lei) — li
nos,
nous
vos, vous
il — il
eles
nos,
nous
vos, vous
els — les
eles — les
nos,
nous
vos, vous
lor, lour, leur
lor, lour, leur
2° Formes du français moderne;
V^ personne.
moi — je
moi — me
me
nous — nous
nous — nous
nous
SINGULIER.
2^ personne.
toi — tu lui
toi — te lui
te
3^ personne.
il elle — elle
le elle — la
lui lui
PLURIEL.
vous — vous
vous — vous
vous
eux — ils
eux — les
leur
elles — elles
elles — les
leur
I. PREMIÈRE PERSONNE.
525. DÉVELOPPEMENT DES FORMES.
P Ego était devenu eo (voir Schuchardt, I, 129, et Ryd-
berg, toc. cit., p. 242—243) en latin vulgaire. On prononçait
soit èo (comp. it. io), soit eo (comp. esp. yo), et le gallo-
roman paraît avoir connu les deux prononciations; mais il est
excessivement difficile de fixer le point de départ exact et le
développement détaillé des formes françaises. Voici celles qu'on
trouve au moyen âge : eo et io (Serments de Strasbourg), jo et
les variantes graphiques jou, ju, jeo (Marie de France, Wace,
Benoît, etc.); enfin gié qui apparaît surtout à la rime (p. ex.
Vengeance Alixandre, v. 498; Chev. au lion, v. 262), et le dis-
syllabique joe (rime avec roe dans le »Donnei des Amants «,
24
370
V. 277 — 8; Romania, XXV, 532,6). De ces formes, la langue
littéraire ne garde que jo qui s'affaiblit, au commencement du
XII^ siècle, en je. Cette forme est restée jusqu'à nos jours.
L'élision de la voyelle finale était d'abord facultative: Dist
Oliviers: Jo ai paiens veduz (Roland, v. 1039). Se j'ai parenz,
nen i at nul si prot (ib., v. 2905). Mais elle devient bientôt
obligatoire, excepté dans les cas oiî le pronom était accentué:
Je irai, ce Dé plait, ne sai que voz ferez (Orson de Beauvais,
V. 148). Dans la langue parlée actuelle la forme abrégée /
s'emploie aussi devant une consonne et, par une assimilation
régressive régulière, elle devient [J] devant une sourde; on dit
ainsi [3vuzasy:r] (je vous assure), mais [Jkrwabjè] (je crois bien).
— On trouve enfin dans l'argot de Paris, comme dans beau-
coup de patois, la forme ej (comp. ed pour de, etc.): D'abord
ef comprends pas qu'on s'gêne, Ej' suis ami d'ia liberté (Bruant,
Dans la rue, p. 13). Euj peux ben li dire la vérité (Watteeuw,
Chansons tourquennoises, 1, 191).
Remarque. Dans la vieille langue, jou et je qui s'écrivaient iou et ie, fai-
saient souvent corps avec le verbe précédent s'il se terminait par i; on écri-
vait ainsi suie (Aiol, v. 1454), aie (ib., v. 1523), aiou (ib., v. 1525), uie (ib.,
V. 1828), etc., pour sui ie, ai ie, ai ion, iii ie.
2^ Me se développe de deux manières différentes: comme
forme tonique il devient mei, moi (I, § 155), comme forme
atone, me (I, § 162), qui s'abrège en m devant une voyelle
(I, § 281, 1). Au moyen âge la forme abrégée s'employait aussi
enclitiquement ; on trouve des combinaisons comme: jem, tum,
nem, quim, sim, semprem, pourqueim, etc.; comp. I, § 293,2.
Exemple : Por teim vedeies desidrer a morir (St. Alexis, v. 439).
3® Mihi s'est maintenu dans les vieux dialectes du Nord et
de l'Est (le picard, le w^allon, le lorrain) sous la forme mi.
4" Nos. La forme tonique régulière serait neus (I, § 182),
mais elle ne s'est pas produite; c'est la forme atone nous qui
l'a emporté; elle fait fonction et de sujet et de régime direct
et indirect. La langue parlée actuelle connaît deux formes de
nous; on dit [nu] devant une consonne et [nuz] devant une
voyelle: nous marchons, il nous pardonne, mais: nous aimons,
il nous aime. On a constaté une vague tendance à généraliser
la forme courte; voir Manuel phonétique, § 164,3, Rem.
371
II. DEUXIEME PERSONNE.
526. DÉVELOPPEMENT DES FORMES.
P Tu devient régulièrement tu [ty]; sur l'élision de la voyelle,
voir I, § 285, 3. Comme forme atone on trouve dans la vieille
langue te, fait probablement sur le modèle de je. Exemples:
Ha! vielle, dist li rois, di, pourquoi traïsis te? (Berte aus grans
pies, V. 2222). Te nous as bien cy refardés (Mist. de St. Adrien,
V. 1234).
2*^ Te se développe de deux manières différentes: comme
forme tonique il devient tei, toi (I, § 155), comme forme atone
te (I, § 162), qui s'abrège en t devant une voyelle (I, § 281, i).
Au moyen âge la forme abrégée s'employait aussi enclitique-
ment, d'où des combinaisons comme jot, net, queit, sit,jat, etc.
(comp. ci-dessus, § 525,2). Exemple: Por queim fuïs 9 jat por-
tai en mon ventre (St. Alexis, v. 453).
3^ Tibi s'est maintenu dans les vieux dialectes du Nord et
de l'Est (le picard, le wallon, le lorrain) sous la forme //.
4^ Vos. La forme tonique régulière serait veus (I, § 182), mais
elle ne s'est pas produite. C'est la forme atone vous qui l'a
emporté; elle fait fonction de sujet, de régime direct et de ré-
gime indirect. Pour les deux formes actuelles de vous, [vu] et
[vuz], voir ce que nous avons dit ci-dessus sur nous. Dans l'an-
cienne langue et dans les patois actuels on trouve quelques
formes collatérales réduites qu'il faut examiner à part.
527. Formes collatérales de vous.
1" Ous remplaçait autrefois vous après que, se (si), de, je.
Exemples : Vostre fei me pleuistes, ne sai s'ous la tendreiz (Rom.
de Rou, I, 2747). Kar li reis a grant gent a ceo qu'us en auez
(ib., V. 3821). S'ous me volés riens comander (Rom. de la Rose,
V. 15731). S'os me poez partir d'ici (Guillaume de Maréchal,
.V. 9002). D'os dous (Benoît, Chronique, v. 4271). Volés le vos?
Oïl, s'ou plest (Vengeance Raguidel, v. 4670). En essil ert, si
com jos [= je vos] dis (Rom. de Troie, v. 40853). Je sui tout
prest, sire, s'ous plaist (Mir. de N. Dame, n^ V, 627). Hau, hau,
c'ous plest (Ane. th. fr., I, p. 352). S'ou m'en croyez (ib., VII,
365, 437). Simonne qu'ous avez de biaux ciseaux (ib., IX, 171).
J'ai en moy ce qu'où dicte (Gautier Garguille, p. 75). Après le
XVP siècle, notre phénomène ne se rencontre que dans les
24*
372
patois. On en trouve quelques exemples dans le parler de
Pierrot: Je vous dis qu'où vous tegniez et qu'où ne caressiais
point nos accordées (Dom Juan, II, se. 2). Parce quous estes
monsieu, ous viendrez caresser nos femmes (ib.). Dans le patois
de Greville (Fleury, p. 62), on dit: Où qu'os en êtes? Qu'est
qu'est qu'os faites là ? L'explication de cet ous est difficile ; peut-
être le V a-t-il disparu grâce à une sorte de fusion avec la
voyelle labiale suivante. Rappelons que dans la langue mo-
derne s'il vous plaît devient dans le parler négligé [siuple].
2° Ous remplaçait autrefois vous dans les phrases interroga-
tives. Exemples: Sire herault, a-vous tels reliques en Angleterre
comme il y a en France (Débat des heraulx d'armes, § 107).
Av'ous point vu la Perronnelle (G. Paris, Chansons du XV^
siècle, p. 41). N'a'vous pas honte (Patelin, v. 622). A'vous mal
aux dents (ib., v. 1256). G. Paris remarque (loc. cit.) qu'on
trouve aussi croy'ous, ven'ous. Je suppose qu'une forme pa-
reille se cache dans le latin de Panurge: Et ubiprenus [= pren'-
ous]? (II, chap. 15); comp.: Et ubi prenu qui ne l'emble (Ane. th.
fr., I, p. 230). Le ous interrogatif était très répandu au XVI*'
siècle, et tous les grammairiens le reconnaissent. En 1606 en-
core, Masset remarque: »En la seconde personne pluriere du
présent indicatif de . . . auoir et scavoir, nous retrai;ichons vez,
et ce par interrogation seulement: auous fait celai scauous bien
cela?« L'Académie au contraire, relègue ces formes à »la con-r
versation fort négligée, où l'on ne prend aucun soin de bien
prononcer les mots« (Vaugelas, Remarques, I, 177). Ous est
encore très répandu dans les patois; on dit ainsi en Calvados:
En voulons, mais L'quel qu'vo voulé, et Vos en allons (Bulletin
des patois normands, III, 209 — 210). Déjà en 1521 Fabri avait
observé: »En bas normant Ion dit ou estons pour ou estes vous,
que distous, vous coffous, pour que dictes vous, vous coffez vous,
et en picart Ion a acoustumé de dire . . . ou allieus ... en lieu
de dire ou allez vous« (comp. Thurot, II, 255). En voici pour
finir quelques exemples pris dans les chansons populaires:
C'est voir' fdV aînée, Voul'ous nous la bailler (Rolland, Recueil,
I, p. 314)? Fourr'ous dans ma paillasse (ib., V, p. 36)? Tho-
mine, ma Thomine, Voul'ous vous marier (Decombe, n° 21)?
Thomine, ma Thomine, M' apport' r' ous à manger (ib.)? Pour
expliquer l'origine de cet ous, il faut probablement partir de
savez-vous et avez-vous; dans ces groupes, l'e, devenu atone, a
■
373
disparu entre les deux consonnes homophones (comp. I, §514):
sav'vous, avvous. Cette prononciation s'observe encore de nos
jours; en voici un exemple tout récent: Et la robe de Reichem-
berg^ au' vous vu, monsieur Paul? ... ce tablier de jais rose? . . .
cette quille en rubans? . . . avvous vu? ... (Daudet, l'Immortel,
p. 212). On a ensuite simplifié la consonne double : avons, sa-
vons (écrit fautivement a' vous, sa' vous); par une fausse ana-
lyse de ces formes, on les a regardées comme des composés
du radical d'avoir et de savoir avec un ous interrogatif, et à
leur modèle on a formé voulons, croyons, prenons, etc.
3^ Par une extension analogique, ous s'emploie parfois comme
sujet hors des phrases interrogatives et sans être précédé de
que, etc. Nous en avons cité un exemple de Dom Juan, et les
patois modernes en offrent d'autres.
4^ Vs, qui est la forme réduite d'un vous atone, est assez
général dans les patois: Allez vs en (Molière, Dom Juan, II,
se. 2). La récompense de vs avoir sauvé (ib.). A^e vs en déplaise
(Le médecin malgré lui, II, se. 1). Voici encore quelques ex-
emples tirés de chansons populaires : Pour cinq sous v'z' en
aurez trente (Rolland, Recueil, V, p. 10). Ne v sauvez donc pas
(Puymaigre, I, 205). Il s'agit ici d'une sorte d'enclise (I, §293;
comp. § 295, 4).
III. TROISIÈME PERSONNE.
528. Masculin singulier.
P nie, conservé par ex. en hispano-roman (v. esp. elle,
port, elle), a été remplacé au Nord de la France par une
forme vulgaire illi (comp. lital. elli, egli), faite probablement
sur le modèle de qui (voir § 499, i); cet illi devient régu-
lièrement //, en français (il le aurait donné e/ qui n'existe pas;
la leçon el de Ste Eulalie, v. 13, est peu sûre). Devant une
consonne il se réduisait parfois au moj^en âge à i. Exemples :
Tant qu'i H comanda (Robert de Clari, § 21). Qu'i desfande son
cors (Floovant, v. 175). Qu'i le retiengne {Les Narbonnais,
V. 1185). S'i vos vient a talent (ib., v. 1323). Par extension
analogique, / s'emploie même devant une pause: Sire gnerri,
fait i, vos avez tort (Raoul de Cambrai, v. 3422). Cette forme
abrégée se rencontre aussi après le moyen âge; mais plus
374
sporadiquement et comme en dépit des auteurs; il arrive à
Malherbe lui-même d'écrire qui faut pour qu'il faut (comp.
Œuvres complètes, V, p. LXXXIV). Dans la langue moderne,
z pour il s'entend souvent dans le parler familier; voir Manuel
phonétique, § 47, Rem., § 79, Rem. 1. — Dans les chansons
populaires on trouve parfois ille (ile). Exemples : Ille n'appelle
son valet (Romania, VII, 60). Et puis ille s'en va (ib., 70). Ile
donne à sa mie Trois petits coups badins (Ulrich, n° 52, s). Cette
forme allongée est peut-être due au besoin de remplir le vers
(comp. I, § 495). Une forme réduite / existe aussi: Du jour
de sa naissance 'L est déjà malheureux (Le pauvre laboureur).
2^ Illum n'a pas donné naissance à des doublets. La forme
tonique illum serait devenu el; on n'en trouve aucune trace.
La forme atone illum s'est régulièrement changé en lo (lou),
qui s'affaiblit en le. La voyelle finale s'élide devant un mot
commençant par une voyelle: nous l'aimons (sur la pronon-
ciation, voir Manuel phonétique, § 132, Rem.; comp. pour
d'autres détails, I, § 281). Au moyen âge, la forme abrégée
s'employait aussi enclitiquement après une voyelle (I, § 293, 2);
on disait jol pour jo lo, jel pour je le, tul pour tu le, quil, quel,
nel (neu, nou, nu), sil, sel (su), oui, etc. Exemples: Ab o ma-
gistre semprel mist (St. Léger, v. 22). En terrel metent (St. Ale-
xis, 588). Dont vint au roi, su salua (Romania, VIII, p. 48,
V. 581). — [Dans la langue vulgaire moderne, on trouve el
pour le (comp. ej pour je, § 525, 1) : Les turbineurs i's s'cass' el
cou (Bruant, Dans la rue, p. 188). Moi, je n'gob' pas El son du
glas (ib., p. 157). Ces exemples appartiennent au § 499, 2.]
3" lllui (voir § 521, Rem.) devient lui, forme tonique qui
s'employait régulièrement comme régime indirect et après les
prépositions. Exemples: Lui la consent qui de Rome esteit pape
(St. Alexis, V. 373). Ensemble ot lui grant masse de ses ornes
(ib., V. 214). Lui s'employait aussi comme régime direct to-
nique: Qui lui a grant torment occist (St. Léger, v. 12). Cil ama
H et ele lui (Lai de l'espervier, v. 92). Ne ne me conoist, ne je
lui (Chev. au lion, v. 5990). Si la salue, et ele lui (ib., v. 6677).
A partir du XIV<^ siècle, lui remplace // comme forme atone
(voir ci-dessous) et devient par là commun aux deux genres
comme régime indirect.
Remarque. La langue du moyen âge nous montre aussi des traces d'une
tendance à généraliser lui comme forme tonique aux deux genres. Exemples:
1
375
Fut la pucele de rnolt hait parentet, Filie ad un conte . . . N'at plus enfant,
lui vuelt molt onorer (St, Alexis, v. 43). Puis est demoures par deviers lui
[l'emperreïs] en prison (Villehardouin, § 610). [La roïne] Vers lui le trait, si
Va baisié (Guingamor, v. 106). // s'abaisse sus lui, si la baise et acole et ele
lui (Godefroj'^, Dictionnaire, IV, 746). Cet usage qui aurait fini par effacer
toute différence entre les deux genres n'était pas très répandu et a com-
plètement disparu.
4° Illi devient //, forme atone qui servait de régime indirect
aux deux genres. Exemples : Deus cel edre li donat (Jonas). Ad
une spede H roveret tolir h chieef (Ste Eulalie). Et li distrent
(Villehardouin, § 37). Lor ata Ciienes de Biethune a l'emper-
reïs, et li demandât s'ele le looit (ib., § 602). A lui li ont tolu sa
fûle (L'Escoufle, v. 4123). La royne fist acheter toutes les viandes
de la ville qui li cousterent trois cents et soixante mille livres
(Joinville, § 400). Devant en, li peut perdre sa voyelle finale
(I, § 284,5): Puis l'en font croiz sor son helme d'acier (Cou-
ronnement de Louis, v. 597). A partir du XIV<^ siècle, le datif
atone li s'emploie rarement; il est le plus souvent remplacé
par lui; comp. : Escrive li, baille ou lui die Le libelle de répudie
(E. Deschamps, IX, 7075). — Li s'est maintenu dans beau-
coup de patois et se trouve souvent dans les chansons popu-
laires: Li ont mangé la tête (E. Rolland, Recueil, V, 35). Ter-
jou le nez li dégouttait (ib., p. 49). J'ii aurais donné de l'iau.
bénite (ib., p. 50), etc.
Remarque. Au XIII^ et surtout au XIV^ siècle, li se confond avec lui et
s'emploie comme forme tonique. Exemples: L'ame de li (Joinville, § 34).
Entre moy et li (ib., § 387). Leur miroir est trouble et pâli Tant que nul ne
se mire en li (E. Deschamps, Œuvres, IX, 5204). Le dgable en lieu de li
(Patelin, v. 989).
529. Masculin pluriel.
!•* nu est devenu régulièrement il, remplacé dès le com-
mencement du XI V^ siècle par Hz, ils; dans les Miracles de
Notre Dame, où il est la forme ordinaire, on trouve un seul
exemple de Hz: Et donnez tant qu'ilz s'en noisent (n*^ XX, 329).
Les grammairiens du XV^ siècle constatent trois différentes
prononciations de ils: on disait i devaint une consonne, et il,
iz ou i devant une voyelle. Suivant Rarcley (1521) dans Hz »/
and z hath no sounde somtyme, as Hz vont ensemble, and
somtyme, / hath his sounde and z leseth the sounde, whan
Hz cometh before a worde begynnynge with a vowell, as Hz
376
ont fait«. L'usage continue à être partagé au XVIP siècle; on
hésite entre il ont et iz ont, tandis que la prononciation en-
tière Us ont est réservée au style soutenu; devant une con-
sonne on dit i dans le parler négligé: i racontent. La pro-
nonciation sans / est encore très courante : [izô] (ils ont), [in9-
vœlpa] (ils ne veulent pas); comp. ci-dessus les remarques sur
i7. — Dans les chansons populaires on trouve parfois une
forme allongée illes, faite probablement pour remplir le vers:
Moi fais chanter les hommes, quand illes sont à la table (Ro-
mania, VI, 598). Comp. ci-;dessus, ille pour il (§ 528, i).
Remarque. Au moyen âge la forme masculine ils se substituait parfois à
la féminine elles. Ce phénomène, qui se montre d'abord en anglo-normand,
se répand peu à peu et devient assez général au X1V« et surtout au XV^
siècle. Exemples: Femmes a la pye Portent compagnye ... Escotez que vus
dge E quele assocye Yl tienent en amours (Reimpredigt, p. XLIII). S'il [les
femmes] en fussent creues Les maisons u il est, fussent tost abatues (Rom.
de Rou, I, V. 2095). Sire, Hz ne sont mie trop belles (Mir. de N. Dame,
n» VII, 734). Ilz sont toutes très sages dames (ib , n" XXXIII, v. 1746). Hz
sont si gentilles que de leur amour suis rang (Mis. du Vieil Test., I, v. 5320).
Hz en seront toutes joyeuses (ib., I, v. 5330). Car a bien pou ilz sont toutes
ainsi (G. Paris, Chansons, p. 40). Ou sont ilz [les dames du temps jadis]?
(Villon). Ajoutons que ils pour elles se trouve fréquemment dans la Chirurgie
de H. de Mondeville (I, p. XXXVI) et dans Froissart (voir ZRPh., V, 324).
2^ Illos se développe de deux manières différentes ; la forme
tonique lUos devient els, eus, eux; la forme atone illos de-
vient los qui s'affaiblit en les. Exemples: Ço peiset els (St. Ale-
xis, V. 580). // los absols (St. Léger, v. 226). A Rome les portet
li orez (St. Alexis, v. 195). Employée enclitiquement, la forme
faible se réduisait au moyen âge à s; on disait ainsi: jos ou
jes, pour je les, tus, mes, luis, quis, ques, nés, sis, ses. Exemple :
Se jos en creit, il me trairont a perte (St. Alexis, v, 205).
Remarque. Au moyen âge la forme masculine els (eus) s'employait par-
fois pour la forme féminine elles. Exemples : Li chevaliers contre els [les
dames] leva (Marie de France, Guigemar, v. 769) Tûtes les bestes i alerent.
Entre els distrent et esguarderent (ead., Fabeln, p. 219, v. 4). Les dames et
demoiselles gssirent hors pour euls raffreschir (Froissart, XI, 333).
3° Illorum devient lor, lour, plus tard leur (I, § 183); il sert
aux deux genres. — Dans la langue vulgaire moderne, on
trouve la forme curieuse leursy ou leuzy, qui doit s'expliquer
comme un composé de leur (muni de la marque du pluriel)
avec l'adverbe y. Exemples : Ça leux zy est ben égal (Monnier,
Scènes populaires, I, S). Je leur z'y ai parlé, s'entend, sans leux
377
z'y parler (id., I, 10). l's sont frusques avec des p'iures Qu'on
leur-z-y fait exprès pour eux (Bruant, Dans la rue, p. 117).
Mine ! Que f leur-z-y cass'rais la gueule (ib, p. 119, 193).
Remarque. L'emploi de leur ne coïncide pas avec celui de lui: on n'a de
illum qu'une forme faible (§ 528,2) et les fonctions de la forme forte ont
été attribuées à lui. Pour leur, rien de pareil, comme illos a été conservé
sous une double forme. Dans quelques patois, leur est cependant annvé à
supplanter eux.
530. FÉMININ SINGULIER.
P nia devient régulièrement elle (Ste Eulalie), qui se réduit
à ele (St. Alexis, Roland, etc.), remplacé après le moyen âge
par la graphie étymologique elle. Dans la prononciation mo-
derne vulgaire, elle [û] se réduit Volontiers à [e], surtout devant
une consonne double; on dit ainsi [enkrwapa], pour elle ne
croit pas; comp. ci-dessus les remarques sur i pour il (§528, i).
Sur d'autres formes collatérales, voir § 531.
2" niam n'a pas donné naissance à des doublets; on ne
trouve que la forme atone illâm, d'oii la qui s'abrège en /
devant une voyelle: nous l'aimons (comp. I, § 285, i). Au
moyen âge cette même forme abrégée pouvait aussi s'em-
ployer enclitiquement en Picardie: A le royne keurt, sel prist
par le giron (Bastart de Bouillon, v. 5914). La pais fut bonne
quil peust pourchacier (Ogier, v. 8873). Ne me dist ele voirement
Que jet receusse en ma brace (G. de Palerne, v. 1195).
3^ Illsei (voir § 521, Rem.) devient en francien H, et dans les
autres dialectes lei (région du Nord et de l'Est) et lie (région
d'Ouest): Dont lei nonque chielt (Ste Eulalie). Li vuelt molt ono-
rer (St. Alexis, v. 43). Aveid un' amie; Lei ad laisiet (P. Meyer,
Recueil, p. 208, l. 53). Un jour venait de lie prier (Chastoie-
ment d'un père, n» XI, 142). Od lie seras penduz (Wace, Rou,
II, V. 1280). Les parties adjacens qui sont environ lie [la plaie]
(H. de Mondeville, § 709). Le fons de l'ulcère soit eslevé et la
bouche de lie soit déprimée (ib., § 1637). Quant la roïne vou-
sistes espouser, Jamais en li ne vous devez fier (Bartsch et Hor-
ning, 134, 19). L'empereris s'en ala en France et emmena avec li
monseignor Jehan d'Acre (Joinville, § 140). Li s'employait aussi
quelquefois comme régime direct tonique: Et la roine malvais
samblant m'en fist, Laidengea moi, et je li autresi (Les Lohe-
rains, voir Godefroy). Cil ama li et ele lui (Lai de l'espervier,
378
V. 92). Ce pronom, inconnu depuis la fin du XV^ siècle à la
langue littéraire, ^dt encore dans les patois qui ne réduisent
pas ei à z; on a ainsi lei en wallon et en lorrain.
4^ lUi > H, voir «û-dessus § 528, 4.
531. Formes collatérales de elle.
P El est une forme abrégée, dont les plus anciens exemples
remontent au XIF siècle: Ne peut remaindre quel ne seit (Rom.
de Rou, II, V. 5632). Se plus durast qu'el ne faillist (ib., v. 10002).
De toi volons oïr com et sera damnée (Bartsch-Horning, p. 102,9).
La forme abrégée se trouve aussi dans Rustebuef, Les Nar-
bonnais (v. 437, 3783), Henri de Mondeville, E. Deschamps
(IX, 3118, 4083), etc., etc.; elle est surtout fréquente au XV^
et au commencement du XVI^ siècle : Car el parlait et ne savait
comment (G. Paris, Chansons du XV^ siècle, p. 31; comp. p. 40).
Hélas! s'el ne fust langoureuse, El nous fist des biens a planté,
Mais el n'a journée de santé (Myst. de St. Laurent, v. 4186 ss.).
Certainement el me batroit (Ane. théâtre franc., I, 21), etc., etc.
Les derniers exemples que je connaisse se trouvent dans
R. Garnier: Si tost qu'elV les tient asservis (Hippolyte, v. 939).
De corrompre vos loix elV nauoit entrepris (Antigone, v. 2031).
2" Aie (aile) est une variante dialectale dont le plus ancien
exemple se trouve dans Wace: Dame, dit aie, je vo commant
(voir Godefroy, IV, 747, i). Elle vit encore dans les patois
modernes. Exemples: La cane, alV sort du bois pleurant (L. Pi-
neau, Le folk-lore du Poitou, p. 225). Que ieue mée [leur mère]
aile est morte (Rolland, Recueil, III, p. 6). Devant une con-
sonne elle peut se réduire à a. Exemple: Allons sercher nouf
mée Qu'a venue nous nourrer (ib.). Les mêmes deux formes se
retrouvent dans l'argot de Paris: A poussa comme un cham-
pignon. Malgré qu'aile ait r'çu plus d'un gnon (A. Bruant, Dans
la rue, p. 18).
3° Ole est une autre variante dialectale; elle peut s'abréger
en o. On dit ainsi en normand oie ème, mais o viindra.
4^ nie est une nouvelle formation, tiré du masculin // (§ 528).
Nous la trouvons trois fois dans l'Escoufle, en rime avec fdle:
De quel aconte Est Guilliaumes, li fix le conte, Adès es chambres
vostre fdle? Nos cremons moût que vos ne ille N'en aies blasme
(v. 2704). La forme existe encore en tourquennois et d'autres
patois: La lune ille est trop haute (Romania, VII, 55). La ber-
379
gère gardant ses moutons, ille s'est endormie (ib., 68). Ce qu'ille
n'a dit n'a pas manqué (ib., 72). Ille était la servante de Jésus-
Christ (Romania, IV, 111).
532. FÉMININ PLURIEL.
P Illae a été remplacé par illas (§ 235), d'où elles qui se
réduit à eles, écrit plus tard elles, par réaction étymologique.
On trouve au moyen âge la forme abrégée els, mais bien plus
rarement que el, pour elle, au singulier (voir § 531, i). Quant
els sunt sautées (Ph. de Thaun, Bestiaire, v. 1085). Els parolent
et volent (ib., v. 1391). Et mistrent desouz leurs aisselles. Char
de poules qu'elz ont plumées (E. Deschamps, Œuvres complètes,
I, V. 10443). Dans les patois modernes on rencontre illes
(comp. ille pour elle, § 531,4): Que les étoiles sont grandes,
quand illes sont au firmament (Romania, VII, 57).
2^ nias se développe de deux manières différentes: tonique,
il devient elles, et atone (illâs), il devient les (dans la Passion
on trouve las, v. 414). A côté de les, on a la forme enclitique
s; voir § 529, 2.
3^^ Illarum a été remplacé par illorum (comp. § 232,2),.
d'où lor, tour, leur (voir § 529, 3).
533. Forme neutre. Illud fut remplacé dans la langue vul-
gaire par il lu m, dont l'existence est attestée déjà par Com-
modien (Instructiones, II, 22,4); il se retrouve dans la plupart
des langues romanes.
P Comme sujet neutre, lUum apparaît en vieux français
sous les formes el (eu), al (au), ol (ou, o). Ces formes sont
propres à la région occidentale (Saintonge, Poitou, Touraine,
Bretagne); elles sont assez fréquentes dans les deux poètes
tourangeaux Benoît de Sainte -More et Péan Gastinel. Ex-
emples: Quant el veneit al desevrer (Benoît de Sainte-More,
Chronique, I, 571). Si cum el est leis et dreiture (ib., I, 1316).
Peser m'en deit, et si fait el (Rom. de Troie, v. 20253). Dist
qu'o coitout Que au pauvre fust einz rendue (Péan Gastinel,
Vie de St. Martin, v. 1048). Ou semblait meselerie (ib., v. 6419).
La forme neutre s'emploie aussi dans l'affirmation oel de hoc
illum (comp. o/Y < hoc ille; voir I, § 14, Rem.) dont on
trouve les variantes oal, oual et aol, aoul (avec dissimilation
de la première voyelle) et dans la négation nenal de non il-
380
lu m (comp. nenni < nenil < non il le). Exemples: Puet estre
voirs? Par Diu, aoul (Escoufle, v. 5956). Vielz auoir mon gré?
— Dame, aol (Recueil de fabliaux, VI, p. 106). Belz nez, fait
ele, est il en vie? — Madame, oal, mes febîement (Godefroy,
Dictionnaire). Est sains? — Dame, nenal (Guillaume de Pa-
leine, v. 2515).
Remarque. Le nominatif neutre existe encore aujourd'hui dans le Poitou
et les pays limitrophes, où l'on dit: 01 était une foué, ol é ben vrai, o m'en-
neu ben, ol é li (c'est lui), ol est v'nii un gros chin, etc.
2" A l'accusatif, illum s'est développé de deux manières
différentes. Comme forme tonique (illum), nous avons ol, ou
qui est d'un emploi assez rare: Car l'emperere ou commanda
(Vie de St. Martin, v. 8479). Comme forme atone (illum)
nous avons lo, le, absolument identique à l'ace, masc. sing.
(§ 528, 2), avec lequel il s'est confondu.
534. Forme réfléchie. Se se développe comme me (§ 525, 2)
et te (§ 526,2) de deux manières différentes: comme forme
tonique, il devient sei, soi (I, § 155), comme forme atone se
(I, § 162), qui s'abrège en s devant une voyelle (I, § 281, 1).
Au moyen âge, la forme abrégée s'emploj^ait aussi enclitique-
ment; on trouve ainsi sis, quis, nés (St. Alexis, v. 140), ques
(ib., V. 614), poros (Eulalie, v. 18), etc.
CHAPITRE II.
LES PRONOMS POSSESSIFS.
535. Les possessifs latins sont meus, tuus, suus, noster,
vester, auxquels est venu se joindre illorum, qui, dans
certaines régions, remplace suus dans sa fonction de posses-
sif de la pluralité. Tandis qu'on disait en latin: Patres
amant suos liber os, on dit en italien: / genitori amano
loro figli, et en français: Les pères aiment leurs enfants.
Remarque. L'emploi latin de suus comme possessif de la pluralité s'est
conservé intact en hispano-roman ; on dit en espagnol : Los padres quieren
à sus Iiijos, et en portugais: Os pais amào seus filhos. On le retrouve aussi
sporadiquement en italien, en rhétique, en provençal et en vieux français:
Li soleil et la lune perdirent ses clartez (Alexandre le Grand). Les deus en
jura et les soes vertuz (ib.). Ces exemples avec beaucoup d'autres se trouvent
dans A. Tobler, Beitrâge, II, 80—82.
536. Cas et genres.
P Les pronoms possessifs n'ont conservé que le nominatif
et l'accusatif (comp. § 539 ss.) ; cette déclinaison à deux cas
disparaît eh même temps '■que celle des substantifs (§ 275).
Notons que le cas régime prend de très bonne heure les fonc-
tions du cas sujet. Ce sont les textes écrits en Angleterre qui
en montrent les premiers exemples: Mors est Saul et Jonathas
siin fiz (Quatre Livres des rois). Ta maison iert leale et tun
règne permanablement devant mei (ib.). Dans les textes posté-
rieurs, l'emploi de mon, ton, son au cas sujet devient de plus
en plus général. Les manuscrits de la Chronique de Joinville
ne connaissent presque pas les formes mes, tes, ses. Pour le
382
pluriel, c'est aussi l'accusatif qui l'emporte; les anciens nomi-
natifs se trouvent encore, bien que rarement, à la fin du XIV''
siècle: Mi bon ami, venez lever le siège (E. Deschamps, IV,
105).
2^ Outre le masculin et le féminin, le vieux français avait
aussi conservé le neutre singulier meum ) mien, etc.
537. Doublets. La langue moderne présente pour tous les
pronoms possessifs (excepté leur) des formes doubles : mien —
mon, mienne — ma, tien — ton, tienne — ta, sien — son, sienne
— sa, nôtre — notre, vôtre — votre. L'origine des doublets re-
monte assez haut; nous pouvons constater, déjà dans la basse
latinité, l'existence d'une double série de formes. Voici celles
qui ont dû exister au VP siècle:
Première personne.
meus
mos
mea
ma
meum
mom
mea
ma
mei
mi
meas
mas
meos
mos »
mea s
mas
Deuxième
per
sonne.
tos
toa
ta
tom
toa
ta
tui
ti
toas
tas
tos
toas
tas
Troisième
per
sonne.
sos
soa
sa
som
soa
sa
sui
si
soas
sas
SOS
soas
sas
Le grammairien gaulois Virgilius remarque: »Sunt pro-
nomina, quae non omnia in usu habentur ut mus, genitivo
mi, dativo mo, accusativo mum, vocativo mi, ablativo mo et
plurali mi, morum, mis, mos, a mis et feminino ma, mae, mae,
mam, o ma, a ma, mae., marum, mis, a mis et neutro mum et
tus, et sas« (comp. ALLG, II, 24). Pour d'autres témoignages.
383
voir G. Rydberg, Zur Geschichte des franzôsischen a, p. 244
—245.
538. Formes analogiques. On constate dans le développe-
ment des pronoms possessifs la création de nombreuses formes
analogiques qui tendent à effacer l'opposition phonétique entre
les primitifs. Déjà en latin vulgaire vester a cédé la place à
voster (roum. vostru, it. vostro, esp. vuestro, port, vosso, prov.
vostre), fait sur le modèle de no s ter. La même prédominance
de la première personne s'observe en vieux français, où la
série mien — tuen — saen est remplacée par mien — tien — sien;
la série mi — tui — sui, par mi — ti — si (rarement mui — tui —
sui), la série moie — toue — soue, par moie — toie — soie, etc.
A. FORMES FORTES.
I. POSSESSIFS DE L'UNITÉ.
539. Formes fortes du masculin. Le pluriel latin a presque
entièrement disparu, et quant au singulier on ne trouve que
de faibles traces du nominatif. Le seul cas conservé est en
effet l'accusatif, et il est devenu le point de départ de toutes
les nouvelles formations françaises, créées pour suppléer aux
formes latines perdues: des accusatifs mien, tuen, suen on tire
un nouveau nominatif miens, tuens, suens et tout le pluriel. A
partir du XIIP siècle, la langue ne conserve des formes éty-
mologiques que celle de la première personne (mien), sur la-
quelle toutes les autres se modèlent. Voici un tableau som-
maire des possessifs toniques :
ire personne. 2^ personne.
meos (meus) — miens tuens — tiens
mien tuen — tien
mi — mien
miens
tui — tuen — tien
tuens — tiens
3e personne.
suens — siens
suen — sien
sui — suen — sien
suens — siens
540. Observations sur l'origine et le développement des
formes :
I
384
P Première personne. — Meus est conservé dans les Ser-
ments de Strasbourg: Karlos meos sendra (Charles mon sei-
gneur). Cette forme meos, dont la graphie correcte serait pro-
bablement mieus, est unique ; dans les autres textes on trouve
miens, qui est une nouvelle formation tirée du cas oblique.
Le plus ancien exemple se trouve dans le Cantique des Can-
tiques: Li miens amis me fist molt grant ennor (v. 65). —
Meum, qui se trouve dans les Serments sous la forme de
meon, est devenu mien (en anglo-normand men), point de dé-
part de toutes les formes actuelles des pronoms possessifs
forts. — Mei devient mi (mei dans les Dialogues de Grégoire),
se confond ainsi avec la forme atone et est remplacé par
mien, tiré du singulier; de la même manière meos est rem-
placé par miens.
2^ Deuxième personne. — Tuus (tos) est remplacé dès les
plus anciens textes par tuens, qui cède la place à tiens. —
Tuum, en passant par tôm, d'où probablement tôm, est de-
venu toen (Alexis, v. 418), tuen, qui cède la place à tien, fait
sur mien. — Tui devient toi (Alexis, v. 412), tui qui s'emploie
comme forme atone; comme forme tonique on crée tuen, tien.
— Tuos est remplacé par tuens, tiens.
3^ Troisième personne. — Su us est encore conservé dans
la Vie de St. Léger: // suos corps (v. 10); partout ailleurs rem-
placé par suens et siens. — Suum est devenu suon (Ste Eu-
lalie, V. 15), plus tard suen (soen), qui, au XIII^ siècle, cède
la place à sien, fait sur mien. — Sui devient soi (St. Léger,
V. 14; Brut de Munich, v. 2090) ou sui, mais ces formes ont
changé de fonction, elles sont devenues atones, et à leur dé-
faut on a créé suen, sien sur le modèle du singulier. — Suos
est remplacé par suens, siens.
541. Formes fortes du féminin. Toutes les formes latines
étaient conservées au moyen âge: mea ) meie, tua > toue,
sua ) soue; elles ont toutes disparu dans la langue moderne
qui ne connaît que des formes analogiques faites sur le mas-
culin de la première personne : mienne, de mien, tienne, sienne.
Voici un tableau montrant la succession des formes:
mea > meie, moie — mienne
tua ) toue, teue — teie, toie — tienne
sua > soue, seue — seie, soie — sienne.
385
542. Observations sur l'origine et le développement des
formes :
1" Première personne. — Mea devient régulièrement meie,
moie. On trouve cette forme encore au XV*' siècle: Et telle est
la voiilenté moye (G. Raynaud, Rondeaux, p. 36). Sont vos dou-
leurs telles comme les moyes (Montaiglon, Recueil, II, p. 121).
Jamais bouche de homme ne toucheroit a la moye (Quinze joies
de mariage, p. 19). Elle est inconnue au XVI*^ siècle; E. Pas-
quier remarque expressément que les anciens disaient moye et
toye pour mienne et tienne {Recherches, IIII, chap. 46). A côté
de meie, moie on avait, dans le dialecte picard mieue (miuej,
probablement modelé sur un masculin mieus (§ 540, i). La
forme victorieuse mienne, tirée du masculin mien, remonte au
XIII*' siècle; on s'est aussi servi de moyenne qui représente une
sorte de compromis entre moye et mienne.
2" Deuxième et troisième personnes. — Tua et sua de-
viennent toe (toue, tue), soe (soue, sue), et vers 1200 (I,
§ 183) teue, seue. On avait aussi des formes analogiques re-
faites sur la première personne: teie, toie et seie, soie, à côté
desquelles tienne et sienne ne tardent pas à apparaître. Ruste-
buef se sert ordinairement de toie et soie, mais on trouve aussi
dans ses poésies les formes toe, soe, seue et sienne. En Picar-
die, on disait tieue (tiue), sieue (siue). L'hésitation entre les
différentes formes dure longtemps; on relève dans les poésies
de Froissart toie, soie, sienne, sieue.
II. POSSESSIFS DE LA PLURALITÉ.
543. Il faut examiner à part noster, voster et illorum.
1^ Voici les formes de noster dans la vieille langue:
noster nostre(s) nostra nostre
nostrum nostre nostra nostre
n o s t r i nostre nostras(§ 235) nostres
nostros nostres no stras nostres
De ces formes on ne conserve que les accusatifs nostre —
nostres qui deviennent nôtre — nôtres. Le développement de
25
X
386
voster est identique à celui de noster; les formes modernes
sont vôtre — vôtres.
Remarque. Sur les formes fortes noe et voe, voir § 550, Rem.
2" Illorum devient régulièrement lor (lour), puis leur. Con-
formément à son origine, il était invariable dans la vieille
langue (comp. § 551).
B. FORMES FAIBLES.
I. POSSESSIFS DE L'UNITÉ.
544. Voici d'abord un tableau des formes françaises du
moyen âge:
SINGULIER.
ire personne.
2^ personne.
3« personne.
mes (mis)
ma
tes (tis) ta
ses (sis) sa
mon (men)
ma
ton (ten) ta
PLURIEL.
son (sen) sa
mi (mai)
mes
ti (tui) tes
si (sui) ses
mes
mes
tes tes
ses ses
De ces formes, la langue moderne n'a conservé que les ac-
cusatifs mon, ton, son — mes, tes, ses, et ma, ta, sa — mes,
tes, ses.
545. Formes faibles du masculin.
l*' Première personne. — Meus > mos devient régulière-
ment mes; on trouve aussi la forme collatérale mis. La langue
moderne conserve une dernière trace de l'ancien nominatif
dans le titre d'honneur messire. — M eu m > muin ) mon (en
anglo-normand, mun) ; en picard et wallon on disait men. —
Mei > mi ) mi; on trouve aussi mui (voir Godefroy), fait sur
le modèle de tui, sui.
2^ Deuxième personne. — Tuus > tos > tos (St. Léger,
V. 92) > tes (et tis). — Tuum > tum > ton (en anglo-normand
tun, en picard et wallon ten). — Tui ) ti } ti; on trouve
aussi comme formes atones tui (§ 540, 2) et tel, mei (§ 540, 1).
— Tuos ) tos ) tes.
I
I
I
387
3'^ Troisième personne. — Suus > sos } ses (et sis). —
Suum > sum > son (en anglo-normand sun, en picard et
wallon sen). — Sui > si > si; on trouve aussi comme formes
atones sui (§ 540, s) et sei, fait sur mei (§ 540, i). — S u o s }
sos > SOS (St. Léger, v. 2, 59, 86, etc.) > ses.
Remarque. Les observations suivantes de Henri Estienne sur les pronoms
possessifs montreront le peu d'intelligence qu'on avait au XVI^ siècle de la
langue du moyen âge. Dans les Deux Dialogues (voir I, § 42) Philausone
demande l'explication de Messire, et Celtophile répond: »Peut estre qu'on
disait premièrement Men sire, pour Mon sire: et depuis pour addoucir on
aima mieux dire Messire: comme en la langue Latine et en la Grecque se
void souvent tel changement de consonante. Toutesfois il ne seroit pas moins
vraysemblable qu'au commancement on eust dit Me sire, au lieu de Mon :
et qu'après on eust dict Messire en un mot. Car ce Mon n'a pas esté si
commun à nos ancestres qu'à nous: et mesmes il semble qu'ils l'ayent évité
tant qu'ils ont peu devant un mot de genre féminin. Qu'ainsi soit, vous li-
sez en 'Villon, qui a esté du temps de nos ayeuls, M'ame pour Mon ame: et
M'escoliere pour Mon escoliere. Laquelle façon se retient encores aujourdhuy
en quelques lieux: et ne la devons trouver estrange, veu que nous mesmes
disons M'amie, plustost que Mon amie': (éd. Ristelhuber, I, 157).
546. Formes faibles du féminin. On a conservé en français
toutes les formes latines:
1^ Mea > ma > ma (comp. illa ) la; I, § 173, i), et meas
> mas ) mes (comp. illas ) les).
2" Tua > ta > ta, et tuas > tas > tes.
3^ Sua > sa > sa, et suas > sas ) ses.
Remarque. Au lieu de ma, ta, sa on trouve, dès le XIII* siècle, en picard,
me, te, se (comp. le pour la, § 499, s. Rem.).
547. Dans l'ancienne langue, l'a final de ma, ta, sa s'élidait
devant les noms commençant par une voyelle ; on disait ainsi
m'anme, t'espee, s'enfance (cf. I, § 285, i). La langue moderne
emploie dans ce cas la forme masculine du pronom: mon
âme, ton épée, son enfance. Cet usage remonte assez haut; on
le constate dès la fin du XIP siècle dans les dialectes ex-
trêmes du Nord-Est et du Nord (le lorrain et le v^^allon). Il
se trouve ainsi, à l'état de règle, dans les Sermons de St. Ber-
nard (éd. W. Fôrster, Erlangen, 1885): mon ainrme (7,6), mon
aasmance (33, 28), ton ainrme (4, 29), ton oroille (45, 17), ton yma-
gine (59, 5), son oroille (47, 30). Comp. son aïe et mon aïe dans
Orson de Beauvais (v. 1694, 1983), dont le manuscrit est exé-
26*
388
cuté en Lorraine. L'emploi des formes masculines devant un
substantif féminin se montre plus tard dans les autres dia-
lectes (il y a son amor dans Rustebuef) et ne devient général
dans le francien qu'au XIV^ siècle. Dans les Miracles de Notre
Dame on trouve m'ame (n° 2, v. 199), m'antin (ib., v. 454),
s'entencion (ib., v. 296), à côté de mon église (n^ 8, ttg), mon
avision (n° 8, éis), ton ame (n" 6, eeo), son eveschié (n° 6, 1443). La
même hésitation s'observe dans la Chirurgie de Henri de Monde-
ville (traduction de 1314): sumidité (§ 116), mais son humidité
(§ 192), son extrémité (§ 270), etc. Au XV*' siècle on ne trouve
l'ancien usage que dans quelques expressions consacrées: par
m'ame (Villon; Patelin, v. 574; Quinze joies, p. 74), m' amie,
s' amie, m' amour, s' amour, etc. La langue moderne a con-
servé m'amie^ écrit fautivement ma mie (I, § 490), et m'a-
mour, employé dans l'expression 'faire des mamours à qn.';
on trouve rarement le singulier comme dans l'exemple sui-
vant: Fais un beau m' amour à ta petite femme (G. de Maupas-
sant, Bel ami, p. 297). La substitution de mon amie à m' amie
est probablement due à une analogie tirée des adjectifs mo-
biles qui présentaient la même forme au masculin qu'au fé-
minin, si le nom commençait par une voyelle. Tandis que la
différence entre les deux formes est notable devant une con-*
sonne: beau père — belle mère, bon père — bonne mère, elle
devient presque nulle devant une voyelle: bel ami — belle
amie, bon ami — bonne amie, et c'est sur le dernier modèle
qu'on a créé mon ami — mon amie.
IL POSSESSIFS DE LA PLURALITÉ.
548. Les changements que subissent noster et voster sont
les mêmes en position faible qu'en position forte pour toutes
les formes à l'exception du cas oblique du pluriel, où nos-
tros et vostros se réduisent à noz et voz, plus tard nos et
vos; oii a donc les séries:
SINGULIER.
nostre(s) vostre(s)
nostre vostre
PLURIEL.
nostre vostre
noz, nos voz, vos
389
Voici quelques exemples des formes réduites: De noz aveirs
(Alexis, V. 523). De noz péchiez (ib., v. 618). A voz Françeis
(Roland, v. 205), etc. On peut aussi citer la forme vost du
Jonas: Faites vost almosnes (1, 30). La langue moderne a
adopté notre, votre, dont Vo ouvert est dû à la position pro-
tonique, et au pluriel nos, vos.
549. Les formes monosyllabiques du cas régime pluriel ju-
raient avec les autres, et on constate au moyen âge une cer-
taine tendance à faire disparaître la discordance, soit par la
création des formes analogiques nostres et vostres, ce qui est
un phénomène plutôt rare, soit par la généralisation des
formes courtes; ce dernier procédé est très employé, et il a
provoqué les séries:
ire
personne.
2e
personne.
Masculin.
Féminin.
Masculin
Féminin
nos
770
VOS
VO
no
no
vo
VO
no
nos
VO
VOS
nos
nos
VOS
vos
Ces formes s'employaient surtout en Picardie. Exemples: Li
empereres nos sires vos salue (Villehardouin, § 576). Vo vair
oiel et vos gens cors (Aucassin et Nicolete, 23, 13). A vo lit (ib.,
6, 21). No cantefable prent fin (ib., 41, 24). Nicolete vo douce amie
(ib., 40, 44). Et no compagnon sont detrenchiet (Aiol, v. 6075).
On les trouve encore aux XIV<^ et XV*^ siècles. Exemples: Car
vostre sui et comme vos sers viz (E. Deschamps, IV, 103). Adieu
noz dame. — Adieu noz maistre (Ane. théâtre français, I, 215).
A voz menton (ib., II, 106). Voilà pour no pasté (ib., II, 77).
Pour vo salut (Greban, Mistere de la Passion, v. 226). En no
demaine (ib., v. 968).
550. On constate au moyen âge une certaine tendance à
généraliser les formes faibles aux dépens des formes fortes:
L'avoir soit voz et li loz nostre (Richars li biaus, v. 5056). Li
vo amie (Chev. au lion, v. 1296. Ms. F.). Les noz del ost s'en
sunt fuiz (Quatre livres des Rois, 16, 10). Tu nies mie des nos
(Roland, v. 2286). Nos proeces devant les voz (Cligès, v. 5013).
I
390
Si soloient estre les noz moût renomées (ib., v. 5014), etc. On
trouve encore au XV^ siècle des exemples de cette confusion:
// se viendra renger des noz (Ane. th. fr., I, 112).
Remarque. Au féminin on trouve aussi, quoique rarement, noe et voe,
qui n'apparaissent qu'à la rime. Exemples: Tout sut voe (Berte, v. 863). Par
li fuisse murdris, se forche ne fiiist noe, Se che fuist aussi bien ma soer,
corne c'est la voe (Beaud. de Sebourc, VI, 647).
551. lUorum devient lor, lour qui aboutit à leur, sous l'in-
fluence de la forme accentuée. Il est primitivement invariable
selon son origine: N'unt cure de lur vies (Roland, v. 2604). Au
XIV^ siècle, leur ayant perdu sa valeur démonstrative est re-
gardé comme un pur adjectif, et on commence à le faire va-
rier en nombre. La traduction de la Chirurgie de Henri de
Mondeville (1314) en a deux exemples: à touz leurz navrez
(§ 766), à leurs chienz (§ 1760); partout ailleurs dans ce texte,
leur est invariable, mais peu à peu l'addition de s au pluriel
devient générale. Cependant, des exemples isolés de leur pour
leurs se trouvent encore au XVP, même au XVII^ siècle ; on
en rencontre ainsi dans les Mémoires autographes du cardinal
de Retz et dans les écrits de la jeunesse de Racine (voir ses
Œuvres complètes, V, 538, note 2). — Au XVII'^ siècle, Hindret
constate l'amuissement du r en recommandant de prononcer
leu(rs) pays, leu(r) oncle, leu(r)s enfants.
Remarque. Tout en assimilant leur aux adjectifs, on n'est pas allé jusqu'à
lui donner une forme féminine; au moins n'avons nous jamais trouvé leure.
Le vieux bolonais se sert de lora.
CHAPITRE m.
PRONOMS DÉMONSTRATIFS.
552. On avait en latin les démonstratifs suivants: hic, il le,
iste, is, idem, ipse. De ces pronoms, is et idem ont to-
talement disparu; voici quelques remarques sur le sort des
autres.
1^ Hic. De ce pronom on n'a conservé que le neutre hoc,
qui est devenu o. Exemples : In o quid il mi altresi fazet (Serm.
de Strasbourg). Et pour o fut presentede (Eulalie, v. 11). Sem-
pre fist bien o que el pod (St. Léger, v. 40). Faites o tost (Spon-
sus, V. 77). Ce pronom s'employait principalement comme ad-
verbe d'affirmation : Aine ne m'en sot dire ne o ne non (Huon
de Bordeaux, v. 9479) ; surtout accompagné d'un pronom per-
sonnel: o je, o tu, o il, o el (comp. § 533, i), o nos, etc.; de
ces combinaisons on ne garde que o il, oïl, plus tard oui (I,
§ 14, Rem.). Comme pronom, o ne s'emploie guère en position
isolée après le X« siècle, mais nous le retrouvons dans le com-
posé iço ou ço (plus tard ce) qui dérive de ecce hoc (§ 567).
Rappelons aussi les combinaisons suivantes: Apud hoc)
avuec, avec. Pro hoc ) vfr. prouec, pruec, pruekes (sur la
signification, voir Romania, VI, 588), et la forme négative ne-
poruec. Sine hoc > vfr. senuec (sans cela). Hoc anno ) vfr.
ouan.
2" nie a reçu les fonctions d'article défini (§ 497) et de pro-
nom personnel (§ 520) ; comme démonstratif il a été remplacé
par le composé ecce ille (§ 554).
3^ Ipse s'est conservé dans les plus anciens monuments sous
la forme es (comp. it. esso, port, èiso, esp. ese). Exemples: Cil
392
eps nun auret Evrui (St. Léger, v. 56). Paschas furent en eps
cel di (ib,, v. 80). Le féminin esse se trouve rarement: Par esse
la chariere (Ph. de Thaun, Comput, v. 1433, 2469; Bestiaire,
V. 1087). Es se conserve jusqu'au XI V*' siècle dans les locu-
tions toutes faites en es le pas (aussitôt), en es Veure (aussitôt)
et en es ça (jusqu'à présent) ; comme pronom il cède la place,
dès le X® siècle, à medesme, plus tard meesme, mesme, même
(voir § 577,4).
4° Iste s'est conservé jusqu'au XII^ siècle sous la forme ist
ou est (comp. roum. ist, v. it. esto, esp., port, este, prov. est).
Exemples: D'ist di in avant (Serm. de Strasbourg). Mi parent
d'esté terre (Alexis, v. 203). Un des plus haus diste contrée (Ro-
man de Troie, v. 12470). — Dans la Vie de Saint Grégoire le
Grand, on trouve parfois is pour il; M. P. Meyer demande s'il
fau# y voir une survivance de iste ou de ipse (voir Roma-
nia, XII, 199).
553. Si l'on n'a que des restes assez pauvres des démon-
stratifs simples, c'est que, dans le parler vulgaire, on les rem-
plaçait très souvent par des formes renforcées à l'aide d'un
adverbe ou d'un autre pronom. Ainsi à côté de iste, on a dit
atque iste, ecce iste, en iste, et ces combinaisons ont
laissé des traces plus ou moins profondes dans les langues
romanes. En gallo-roman c'est ecce qui l'a emporté. Les au-
teurs de l'ère chrétienne font un large emploi de cet adverbe
comme intensif; on trouve ainsi ecce ipse, ecce iste, ecce
ille, ecce hic, ecce qui, ecce qualis, et ecce ubi, ecce
jam, ecce nunc, ecce modo, etc. Pour les exemples, nous
renvoyons à l'excellent travail de M. G. Rydberg, Zur Ge-
schichte des franzôsischen d (Upsala, 1898), p. 283 ss.
554. Des combinaisons citées on garde en français ecce
ille, ecce iste, ecce hoc, qui deviennent icil, icist, iço. Les
deux premiers de ces pronoms se déclinaient de la manière
suivante:
SINGULIER.
Masculin. Féminin. Neutre. Masculin. Féminin. Neutre.
icil icele icel • icist iceste icest
icel icele icest iceste
icelui, icelei, icestui, icestei,
iceli iceli icesti icesti
393
PLURIEL.
Masculin.
Féminin.
Masculin.
Féminin
icil
iceles
icist
icestes
icels
îceles
icez
icestes
Remarque. Les formes pleines icil, icist, iço s'abrègent de bonne heure en
cil, cist, ço; les Serments, la prose de Ste Eulalie, le Jonas ne connaissent
que ces dernières formes, mais les autres anciens monuments hésitent entre
icil et cil, etc. Ce sont les formes brèves qui l'emportent, mais on trouve
icelui, icelle, iceux généralement emploj'^és encore au XVI^ siècle, et on les
garde jusqu'à nos jours dans la langue juridique toujours plus ou moins ar-
chaïque. En parlant du style des notaires, Vaugelas remarque: »Les termes
de l'art sont tousiours fort bons et fort bien receus dans l'estenduë de leur
iurisdiction, où les autres ne vaudroient rien, et le plus habile Notaire de
Paris se rendroit ridicule, et perdroit toute sa pratique, s'il se mettoit dans
l'esprit de changer son stile, et ses phrases, pour prendi'e celles de nos
meilleurs Escriuains; Mais aussi que diroit-on d'eux s'ils escriuoient, Iceluu,
jaçoit que, ores que, pour et à icelle fin, et cent autres semblables que le^
Notaires employent* {Remarques, 1, 35 — 36). C'est cette langue que Racine
fait parlera L'Intimé, le secrétaire des » Plaideurs*: Témoin trois procureurs
dont icelui Citron A déchiré la robe (y. 786). L'idée universelle De ma
cause, et des faits, enfermés en icelle (v. 796). Les formes avec i s'em-
ploient encore dans différents documents. Voici un fragment d'un connaisse-
ment récent de Bordeaux: Pour cet effet, je m'engage corps et biens avec
mon dit navire, fret et apparaux d'icelui; en foi de quoi j'ai signé quatre
connaissements, etc.
I. ECCE ILLE.
555. Masculin singulier.
P Ecce ille > eccille > eccilli (§ 499, i) > icil} cil; on
trouve aussi, surtout dans les dialectes d'Est, une forme élar-
gie par l'addition du s flexionnel des noms (cf. § 269) cils ou
cilz (dus, ciuz; cis, ciz). Le fragment de Valenciennes offre cilg,
qui est probablement = [siJi]. Cil s'emploie encore au XV^,
même au XVI*' siècle: Vous estes cil que je désire (Mystère de
St. Laurent, v. 1522). Cil vint à moi (Jehan de Paris, p. 62).
Bien en doibt estre reprouvé Cil qui le despend en ordure (Ane.
th. franc., III, 81). Cil qui vaincra d'eux . . . Ait sans aucun
débat Vamour de Bradamante (Garnier, Bradamante, v. 1406).
Desportes écrit: Cil qui vous a veue, mais Malherbe le blâme;
pour lui, cil est un » mauvais mot, hors d'usage, qui ne vaut
rien du tout«. Aussi les classiques ne s'en servent-ils pas, ce
que regrette La Bruyère: »Cil a été dans ses beaux jours le
394
plus joli mot de la langue française; il est douloureux poul-
ies poètes qu'il ait vieilli» (Les Caractères: De quelques usages).
Diderot le reprend : Cil qui était assis . . . prit la parole (Jacques
le Fataliste), mais c'est un pur archaïsme, le mot était bien
mort depuis des siècles.
Remarque. Les quelques auteurs de la Renaissance qui se servent encore
de cil, n'ont aucune notion de sa valeur primitive et l'emploient aussi comme
régime. Exemples: A cil qui rend la santé aux malades (Marot). Renvoya cil
qui au boys la laissa (ib.). Comme a cil qui pardonne .aux imperfections
(Régnier, Sat. VI), etc. On peut du reste signaler des exemples remontant au
moyen âge où cil est mis abusivement à la place de celui (comp. § 272):
Si jure [Renarz] cil qui l'engendra Que Roonel ilec prendra (Renart, v. 24717).
Cil qui succe se il est gëun, succe plus fort ... et le succement du gëun est
meilleur au patient et pire à cil qui succe (H. de Mondeville, Chirurgie,
§ 1872).
2" Ecce illum > eccillum > icel > cel, et devant une con-
sonne, surtout en picard, ceu, çu, chu, etc. Exemples: En eps
cel di (St. Léger, v. 80). Puis cel jour (Alexis, v. 140). En chu
temps (Gaufrey, v. 2770), etc. Ce pronom ne survit guère dans
la langue littéraire au XIV'^ siècle; on en trouve des exemples
encore dans le Livre du chevalier de la Tour Landry: Elle
auoit veu nagaires cel qu'elle vouldroit bien qu'il feust son pri-
sonnier. Les patois et les parlers vulgaires ont retenu la forme
ç« ; on la trouve par exemple en normand : Mais si a mourait,
à qui qu'il irait, çu bien? (G. de Maupassant, Contes du jour
et de la nuit, p. 305). Dans la littérature argotique et poissarde
du XVIIP siècle on trouve: A su qu'on di; v'ia su qui chante,
etc. (Nisard, Étude sur le langage populaire de Paris, p. 274).
3" Ecce illui > eccillui ) icelui > celui. Cette forme fonc-
tionne dès les plus anciens textes comme régime. Exemples:
Celui tien ad espous Qui nos redenst (St. Alexis, v. 66). A celui
mot ot il Dieu renoié (Raoul de Cambray, v. 3023). Ensi ont
celui jor passé (Cligès, v. 1433). N'i at celui ne plurt e se dé-
ment (Roland, v. 1836). S'il pooient auoir celuy en leur aide
(Villeliardouin, § 505). On l'emploie aussi comme sujet sur-
tout à partir du XIIP siècle, mais les plus anciens exemples
remontent au XF: Celui levât le rei Marsiliun (Roland, v. 1520).
Celuy qui prend la feme veuve (Assises de Jérusalem, n" 133).
Celug home deit estre mis en la prison dou vesque (ib., n<^ 134).
Comme nous avons vu, celui s'employait et comme substantif
395
et comme adjectif; cet usage continue jusqu'au XVIP siècle.
Exemples : Celuy Dieu doit on aorer (Myst. de St. Laurent,
V. 5401). Celuy meurdre vil et infait (Myst. du V. T., I, v. 2829).
En celuy temps (Jehan de Paris, p. 25). En celuy cas (Quinze
joyes de mariage, p. 82, 101). Celuy Dieu (Marot). Celuy temps
(Rabelais). Celuy sieur de La Roche (Nouv. récréations, n° 14).
Icelluy Gentilhomme (Heptaméron, n*^ 23). Pour d'autres détails,
voir la Syntaxe; ajoutons seulement que la langue moderne,
à côté de celuy [salyi] , présente la forme abrégée et vulgaire
çui [syi]. Comp. Manuel phonétique, § 47, Rem.
4" Ecce + illi > eccilli > iceli > celi. Cette forme est
rare (voir les exemples de Godefroy) ; quant à l'emploi, elle
ne se distingue guère de (i)celui.
556. Masculin pluriel.
1" Ecce -)- illi > eccilli > icil > cil. Exemples: Com felix
cil qui par feit Vonorerent (Alexis, v. 500). Le saint cors con-
rederent Toit cil seignor (ib., v. 499). La forme disparaît au
XIV« siècle.
2" Ecce -\- illos > eccillos ) icels, iceus, ou cels, ceus,
ceux; on trouve au moyen âge aussi ceals, cials, ceauls, ciauls,
ceaus, ciaus. Exemples: A ciels temps (St. Léger, v. 13, 32).
Por ciels signes (ib., v. 209), A cels dis (Eulalie, v. 12). Dans
les textes postérieurs cels ne fonctionne que comme substantif.
3° Ecce illorum ) eccillorum ) celour. Nous citons cette
forme dont Godefroy ne donne que deux exemples du XV^
siècle, sous toute réserve. Comme elle paraît totalement in-
connue aux anciens textes, il faut peut-être y voir une nou-
velle création.
557. FÉMININ.
1° Ecce illa > eccilla ) icelle } celle. Au moyen âge, cette
forme servait et d'adjectif et de substantif: Celé imagene
(St. Alexis, V. 183). Si veit venir celé gent paienur (Roland,
v. 1019), etc. On trouve encore aux XV^ et XVI^ siècles: A celle
fin quilz en mangeussent (Mystère de St. Laurent, v. 5460). //
faut parfaire celle tasche (ib., v. 5516). Sans celle confession
(Calvin). Celle' précieuse dame (Marot). Celle beauté qui te faisoit
mourir (Ronsard). A partir du commencement du XVII^ siècle,
celle sert seulement de substantif; on ne garde, de l'ancien
396
emploi, que la locution à celle fin de, que condamnent les
grammairiens. Vaugelas remarque: »A celle fin que est un fort
mauvais mot, qui néantmoins est à la bouche de force hon-
nêtes gens. A icelle fin, que quelques autres disent, est bien
encore pis. Pour et à icelle fin que, que plusieurs disent aussi,
est tout-à-fait barbare et insupportable. Il faut dire afin que<
(Remarques, II, 427; comp. ib., I, 418). Dans la langue mo-
derne à celle fin de s'est altéré en à seule fin de.
2° Ecce -j- illœi > eccillœi devient, selon les dialectes
(cf. § 530, .s), celei, celle, celi. Exemples : Uns serpenz est entreiz
en celei (Dialogues Grégoire, 135, 19). Que por celle est si sou-
pris (Chastoiement, II, 67). Si dirai de celi Que il laissa plaine
d'aniii (Beaumanoir, Manekine, v. 2932).
3" Ecce illas, qui fonctionne et comme sujet et comme
régime, devient eccillas > icelles } celles. Exemples: Celés met
jus, pois H afublent altres (Roland, v. 3941). Celés eschieles ne
poet il acunter (ib., v. 1034). Pour l'emploi, celles se comporte
comme celle.
Remarque. A côté de celés, on avait au mo3'en âge la rare forme collaté-
rale cels (comp. els pour eles, § 532, 1). Exemples: Cels elemosynas (Jonas).
Cels présentes lettres (Doc. de 1262. Godefroy). Toutes cels choses (ib.).
558. Il résulte des observations précédentes que de toutes
les formes d'icil et d'icele la langue moderne n'a gardé que
celui, ceux pour le masculin, et celle, celles pour le féminin.
Contrairement à l'ancien usage, elles ne s'emploient que comme
substantifs.
Remarque. Dans la langue populaire moderne on ajoute volontiers l'ar-
ticle défini à ceux, celle, celles. Exemples: L' commissaire de police dit un
jour à sa mère qui fallait qu'a m.ette à son garçon une auV culotte, que la
celle qu'il avait était pas décente (M. Monnier, Paris et la province, p. 284).
Conservez-la! les celles qui sont bonnes sont rares (ib., p. 362). C'est lui qu'a
la manie des petits oiseaux, c'est lui qu'a donné les ceux qu'a madame (id ,
Scènes populaires, I, 505). Déjà Henri Estienne parle de cette particularité:
»Et mesmes, tout ainsi qu'on adjouste ci après ceux quand il sert de pro-
nom aussi le populaire (lequel je n'avoue pas toutesfois) adjouste souvent
ceste particule les au devant de ceux tenant le lieu d'article; et use de les
ceux au lieu de ceux. Comme, Les ceux de la maison, ou, Tous les ceux de
la maison l'ont veut (De la conformité, etc., p. 129).
559. Neutre. Ecce -f- illum (pour illud, voir § 533) >
eccillum > icel > cel. On le trouve surtout dans la formule
397
consacrée piiet cet estre (Cumpoz, v. 1 1 1 ; Quatre livres des
rois; Marie de France, Lais; Chev. au lion, v. 1404, 1515;
Cligès, V. 2325). Hors de ce cas, l'emploi de cel est assez rare :
Cel sai je bien et proué Vai (Ben. de Ste More; v. Godefroy).
De plusurs le veit hum sovent: Cel dunt il pensent durement Est
par lur huche coneu (Marie de France, Fables, 81, le).
II. ECCE ISTE.
560. Masculin singulier.
1° Ecce iste > ecciste > eccisti ) icist ) cist; on trouve
aussi, surtout en picard et wallon, ciz (cis) qui représente cist
-(- s (comp. § 269). Ce nominatif, qui disparaît au XIV*^ siècle,
était employé à la fois comme adjectif et comme substantif:
CÂst cunseilz sereit trop hastis (Marie de France, Lais, p. 25,
V. 510). Pur sa largece fu cis li bons Richars clamez (Roman
de Rou, II, V. 779).
2^ Ecce istum > eccistum ) icest > cest. Cette dernière
forme se réduit quelquefois à ces, mais ordinairement à cet,
qui se maintient jusqu'à nos jours devant une voyelle; devant
une consonne il devient ce. Exemples: En icest siècle (Alexis,
V. 623). Par cest saint orne (ib., v. 620). Por tout l'or de ces
mont (Aiol, v. 8405). En cet païs (Raoul de Cambray, v. 6958).
La forme courte ce se trouve déjà dans l'Épitre de St. Estienne:
a ce jor (v. 5), mais elle ne devient générale que vers la fin
du XIV*' siècle.
3® Ecce istui (comp. § 521, Rem.) ) eccistui ) icestui )
cestui ) cettui. S'emploie et comme adjectif et comme substan-
tif. Exemples: Quer par cestui aurons bone adjutorie (Alexis,
V. 504; cf. ib., v. 535). Se vos cestuy occis (Chev. au lion,
V. 5710). En faisant cestuy sacrifice (Myst. du V. Test., I,
V. 2556). En cestuy repaire (Myst. de St. Laurent, v. 7932).
Cestuy cy premier s'est rendu (Rabelais, III, chap. 41). Cestuy
nostre souhait (ib., IV, prol.). Cestuy nostre larcin (Cymb. mundi,
I). Malherbe fait encore un emploi régulier de cettuy, mais
après lui ce pronom n'est guère usité qu'en style marotique.
Exemples: Cettui me semble, à le voir, papimane (hsi Fontaine,
Le diable de Papefiguière). Cettuy Richard était juge dans Pise
(id.. Calendrier des Vieillards). De cettui preux maints grands
398
clercs ont escrit (La Bruyère). Cetlui pays n'est pays de cocagne
(Voltaire, Conte du Bourbier).
.4" Ecce 4" isti ) eccisti ) icesti ) cesti. Ce pronom fonc-
tionnait comme (i)cestm. Il se retrouve encore dans les patois:
Donnez-moi, va, mon Guillaume, c'est çtila que je veux (Rol-
land, Chansons populaires, IV, 45) ; dans la langue littéraire
il fut de bonne heure supplanté par cestuy, comme li par lui
(§ 528, 4).
561. Masculin pluriel.
1° Ecce isti > eccist ) icist > cist. Exemples: La u cist
furent (Roland, v. 108). Cist paien vunt grant martirie querafit
(ib., V, 1166). A partir du XIII® siècle, on trouve aussi la
forme réduite cis, propre surtout aux dialectes du Centre, du
Nord et de l'Est: Cis borgois m'escarnissent (Aiol, v. 3081). Ce
pronom ne s'emploie pas après le XVII*^ siècle.
2° Ecce istos > eccistos > icez, ices > cez, ces. Exemples:
D'icez suens sers (Alexis, v. 123). Lez cez buissons (Marie de
France, Fables, 61,22). L'emploi comme substantif est rare.
3*^ Ecce istorum ) eccistorum ) cestor. Cette forme est
extrêmement rare; Godefroy n'en cite qu'un seul exemple.
562. FÉMININ.
1® Ecce ista > eccista ) iceste ) ceste ) cette. Au moyen
âge cette forme sert et de substantif et d'adjectif. Exemples:
Après iceste, altre avisiun sunjat (Roland, v. 725). Iceste semence
se dresce (Besant de Dieu, v. 2004). On trouve encore au
XVI® siècle: Et en autres choses et en ceste (Rabelais, III,
chap. 32). Vous me debvez ceste là (id., VI, chap. 53). Cette
autre curiosité contraire me semble germaine à cette cy (Mon-
taigne, I, chap. 26). Ceste est ta seule cause (Sat. Ménippée).
En cette-ci [occasion] je ne trouve pas qu'il y ait moyen de le
défendre (Malherbe, Œuvres complètes, II, p. 34).
2** Ecce istsei > eccistsei devient selon les dialectes
(comp. § 530, 3) cestei, cestie, cesti. Exemples : A cestei . . . ap-
paruit Felis (Dialogues Grégoire, p. 216, u). Cesti vos doing a
feme (Aiol, v. 10149).
3^ Ecce istse disparaît devant ecce istas qui sert ainsi
et de sujet et de régime; il devient régulièrement eccistas >
icestes } cestes. Exemples: Cestes viles (Livres des Rois). Cestes
399
genz (ib.). En cestes terres (Benoît, Chronique, v. 20667). Je
gart si cestes (Chev. au lion, v. 341). Autant com celé . . . Het
bien, heent cestes V outrage (Meraugis, v. 1971). Cestes pieres
(Ph. de Thaun, Bestiaire, v. 3058). Et cestes trouent gent (ib.,
2851). Cestes at, ço saceiz (id., Comput, v. 3048). D'autres ex-
emples ont été réunis par M. E. Walberg, Bestiaire de Philippe
de Thaun, p. LXXV. La forme cestes (cettes) n'était pas très
employée; dès les plus anciens textes le masculin cez, ces lui
fait concurrence surtout dans les fonctions d'adjectif: Dreites
cez hanstes (Roland, v. 1043). Cez enseignes fermées (ib., v. 3308).
Cez paroles (Quatre livres des Rois). Cez trois choses (St. Ber-
nard). Ces testes (Ph. de Thaun, Bestiaire, v. 1466). Par cez
eles (ib., v. 2315), etc., etc. Pourtant cestes apparaît encore à
la fin du moyen âge et au XVI*' siècle. Exemples : A cestes nos
lettres ouvertes (Froissart). Regardez cestes fillettes (Montaiglon,
Recueil, V, 108). Voyant cestes armoiries (Rabelais, IV, chap. 67).
Peut-être s'agit-il ici d'une nouvelle formation, d'un nouveau
pluriel tiré du singulier (cestes = ceste -\- s), et non pas d'une
continuation directe de l'ancien icestes {ecceistas.
563. Neutre. Ecce istum ) eccistum > icest > cest. Ex-
emples: Mult avez pechied vers nostre Seigneur en cest (Quatre
Livres des Rois). Par icest la tendrunt (Ph. de Thaun, Comput,
V. 3365). Icest deit bien saveir (ib., v. 3374). Ces meïsmes me fist
lis père (Marie de France, Fables, 2, 21). Ce pronom s'employait
rarement.
564. Quant à la prononciation de cest (cet, ce), cestuy (cet-
tuy), ceste (cette), cestes (cettes), on a dû avoir primitivement,
dans toutes les formes, un è ouvert. Dans la langue actuelle,
cet et cette se prononcent [set], mais ce est devenu [sa]. Le pa-
risien vulgaire et la plupart des patois ont introduit cet af-
faiblissement aussi dans les autres formes, d'où c't, c'te, c'tui.
Voici quelques remarques sur l'historique de ces formes. On
trouve déjà dans la correspondance de Philippe de Comines
ste lettre, ste dissimulacion , etc. (Nisard, Étude sur le langage
populaire de Paris, p. 276). Au XVP siècle, Jacques Pelletier (I^
§49, Rem.) blâme ceux qui »se sont avisez d'écrire s/e /emme,
ste cause, au lieu de cette femme, cette cause, et Dieu sait com-
ment ils ne s'y montrent pas bestes!« Au siècle suivant cette
400
prononciation paraît plus répandue. Th. Corneille remarque:
»Dans le discours familier on prononce st' homme, ste femme,
et ce seroit une affectation vicieuse de dire cet homme, cette
femme, quoique dans la Chaire on doive prononcer ainsi ces
mots. Il y a pourtant d'excellens Prédicateurs qui prononcent
sf action, sf habitude, mais la plupart prononcent entièrement
cet et cette « (Vaugelas, Remarques, II, 164). La littérature argo-
tique des XVII^ et XVIII'' siècles présente de nombreux ex-
emples de ste, sti, stici, stilà, stuici, stuilà; on trouve même les
deux féminins curieux stelle (tiré de sti, sur le modèle de il —
elle, et sous l'influence de celle) et stellà. Voici enfin quelques
témoignages de la prononciation vulgaire moderne: Savez-vous
c' qu'elle a fait c'te bête? (G. de Maupassant, Contes du jour et
de la nuit, p. 299). Cf enfant-là, voyez-vous, ce n'était pas n'im-
porte qui (ib., p. 300). Çtila que faim' le mieux (Rolland, Re-
cueil de chansons populaires, IV, 45). Pour d'autres détails,
voir Manuel phonétique, § 97, Rem.
565. Dans la langue moderne on a formé par l'addition des
particules ci et là de nouveaux pronoms démonstratifs:
celui-ci celle-ci ceci celui-là celle-là cela
ceux-ci celles-ci ceux-là celles-là
Les pronoms auxquels on adjoint ci indiquent des personnes
ou des choses rapprochées; ceux auxquels on adjoint là, in-
diquent des personnes ou des choses éloignées.
Remarque. Pour la prononciation, faisons observer que cela se réduit en
règle générale à [sa], qu'on écrit souvent ça. Sur la réduction de celui,, voir
ci-dessus § 555, 3.
566. Voici quelques observations sur les adverbes démon-
stratifs:
, P Commençons par rappeler qu'au moyen âge icist dé-
signait les objets plus proches, icil, les objets plus éloignés.
Exemples: Par ceste meie destre (Roland, v. 47). Par ceste barbe
et par cest mien gernun (ib., v. 249). Que fait que ne se tue Cist
las qui joie s'est tolue? Que faz je, las, qui ne m'oci? Coment
puis je demorer ci? (Chevalier au lion, v. 3531 — 34). Puis si
m'en irai la fors en cet plain (Pèlerinage de Charlemagne,
V. 472). Car sa volonté est tuz jourz unie, et od meismes la vo-
401
lonté qu'il salved cestui, si damne celui (Liv. des Rois). Cist vont
zi::VsZr% Tr'i'' ''''^- "' "" -' «■' "-• -> «^
rX; n T^' ' """'""' "' "■' ' "■*' (Chev. au lion,
^. 1197). On trouYe auss, la locution ne cil ne cis, ni celui-là
m celui-ci, personne.
2» Comme la signification étymologique des deux pronoms
•H . n ' .'""""'"■■' "" '■^"f"'-^^ '-'^ dérivés de isle à
Uide de l'adverbe (ijci. Exemples: Après cest ici fu roys Bal
riojns (voir Godefroy, II, p. 141, i). Dont feres vou's chetuychi
(JoinMlle, § 61). Un peu plus tard on trouve des exemples
montrant les dérivés de ille renforcés à l'aide de l'adverbe to
3» Par leffacement progressif de la fonction primitive des
deux pronoms, on arrive à dire cil ci et cist la aussi bien que
cl la Hast .c: les adverbes seuls suffisent pour situer Tes
seurdiffé.'^' "' ';'*'' '' "'"""' "''"' '^ '-«- -'-"Va
est un adjectif, la seconde un substantif.
<abZTr^ ''"T''" ''' "'"' '" <"= "" h''' Propreme,,, .voici ici.)
ab, cgc de bonne heure en d, qui .e trouve déjà dans le Roland. C'est ce te
fo me ,u. se jo,n. de préférence aux pronoms démonstratifs, sans poùrt ",t
.rt"em7"'d ™'""'""" '" """"^ <""""■ """" t-lques exemp^mÔ
core au XVII. siècle. Vaugcla, renfarcue- .Tout Pa, dl^ pa, etempT: Te",
hom„e.cy. ce temps-cy, cette annee-cy. m..is la plus grand'pa l de la C„"
dit ce, ,on,n,c ,cy. ce ,e„,ps iey, cette année icy.\t .lue I au re n uppor
ours di,t ', ,r '' '"■ ■""■"• "'"" ""' P""-- "«'■>'■ J" ^"O"- '»"s-
Zales , erV"';- ,"°" "-""•<"""-»!'. et ainsi des antres.
^I^emarques 1,-68). Le développement postérieur a donné tort à Vauselas-
cef ft„™„e ,c. n'est plus reçu dans le bon usage; mais il en est .ut," me, t
du pa,ler vulga„-c. Liltré ,.ema,qne: .On fait souvent la faute de dire c"
^om™ ,„, ce momen, ,c,-., et i. proteste vivement contre cet usage. Dans
s .Scènes popula„-cs. de H. Meunier „„ m à tout moment: C'(e ,o„,e M
cte Aeure ,o,, Ce au„erçe ici. etc., et ceu. Uà, Ce dernière rénotut^n
26
402
III. ECCE HOC.
567. Dans cette combinaison, la voyelle finale de ecce ne
s'élide pas, elle se change en consonne (cf. I, § 262, 3) et se
combine avec la palatale précédente en une atîriquée fricative
(cf. I, § 476): ecce hoc > ecceoc ) eccioc > eccyoc > iço
[itso] ) ço, çou y ce. En voici les plus anciens exemples : Par
iço ciiident (St. Alexis, v. 528). Iço vus di (Ph. de Thaun, Cum-
poz, V. 12). Cio fud lonx tiemps (St. Léger, v. 28). A czo nos
voldret concreidre (Ste Eulalie, v. 21). Ço dixit (Jonas), etc. La
forme affaiblie ce se trouve pour la première fois dans l'Épitre
de St. Estienne: Quant ce oïrent (VIII, 1). Sur les composés
ceci et cela, voir § 565.
CHAPITRE IV.
PRONOMS RELATIFS ET INTERROGATIFS.
568. Les quatorze formes flexionnelles des pronoms relatifs
ont subi une très forte réduction; on n'en a conservé que le
nominatif, l'accusatif et le datif du masculin singulier (qui
que m cui) et le nominatif du masculin pluriel (qui), tout le
reste a disparu. En vieux français les trois formes qui, que,
cui servaient indifféremment des deux genres et des deux
nombres; après le moyen âge elles se réduisent à deux par la
disparition de cui (§ 569, 3), et dans le parler vulgaire les
deux formes de la langue littéraire se réduisent à une seule,
que (voir § 573). A côté de qui il faut signaler // quels dès le
XF siècle comme pronom relatif; nous en parlerons dans la
Syntaxe ainsi que des adverbes oii et dont.
Remarque. Dans les textes de la basse latinité on trouve souvent qui
pour qua", que m pour quam, etc. Le plus ancien exemple de qui fém.
se trouve peut-être dans une inscription chrétienne de Rome de 342 (Rossi,
Inscriptions chrétiennes, 1, n" 72). En Gaule, on lit dans une inscription de
Lyon datée de 431 : Leucadia deo sacrata puella qui vitam . . . gessit, qui
vixit annos XVI (Le Blant, Inscr., n° 44); une autre non datée, également de
Lyon, est peut-être plus ancienne encore, à en juger d'après son aspect exté-
rieur: Hic iacet Agricia qui fuit in obseroasione (Le Blant, Inscr., n° 18). Nous
empruntons ces détails à la savante dissertation de M. Jeanjaquet (Recherches
sur l'origine de la conjonction yyque^, Neuchâtel, 1894. P. 44); d'autres ex-
emples ont été réunis par H. Rjônsch (Ilala und Vulgata, p. 276; et RF, II,
p. 293) et par M. Rydberg {Zur Geschichte des franzôsischen a, p. 342 ss.).
Voici en dernier lieu quelques exemples tirés de la Vie de Sainte Euphrosyne:
Eufrosine qui interpretatur (§ 1). Vade in ecclesiam quem construcxit (§ 7).
Filia mea qui (§ 15). Ego sum paupera quem queris (§ 17). Magna mirabi-
lia sunt Dei quem vidi hodie (§ 15).
26*
404
569. Masculin.
. P Qui devient qui, souvent écrit ki ou chi dans la vieille
langue. Exemples: Nul plaid . . . qui meon vol cist meon fradre
karle in damno sit (Serments de Strasbourg). Quelle deo raneiet
chi maent sus en ciel (Ste Eulalie, v. 6). Chi sil feent (Jonas).
Enfant nus done ki seit a sun talent (St. Alexis, v. 25), etc.
Cette forme fonctionne aussi au féminin: El nom la uirgene
qui portât saluetet. Sainte Marie, qui portât Damnedeu (St. Alexis,
V. 89 — 90), et au pluriel des deux genres.
2" Quem devient que: devant une voyelle on trouve dans
les plus anciens monuments la forme élargie qued (cf. I,
§ 289,3) ou la forme abrégée qu. Exemples: Si lodhuuigs sa-
grament, que son fradre karlo iurat conseruat (Serment de Stras-
bourg). Sainz Boneface, qued om martir apelet (Saint Alexis,
V. 566). Tôt son aveir quo sei en at portet (ib., v. 91). Les
formes citées fonctionnent aussi au féminin et au pluriel des
deux genres. Exemples: Avuec ma spouse que jo tour ai guer-
pide (St. Alexis, v. 209). E la pulcele qued il out esposede (ib.,
V. 237). Apres ditrai uos dels âânz, que H suos corps susting si
granz (Saint Léger, v. 10). Les choses que tu attendeies (Saint
Alexis, App., 10).
Remarque. La consonne finale de quem a été conservée en hispano-roman:
esp. qiiien, port. quem. On en trouve aussi des traces dans le Sud-Est de la
France. L'origine de la forme queien qu'on rencontre dans Estienne de Fou-
gières (Livres des Manières, v. 234, 968) est obscure; comp. quelques re-
marques de P. Meyer dans la Romania, XX, 321.
30 Cui devient cui. Cette forme, propre à la vieille langue,
fonctionne comme datif et génitif. Exemples: Non ot oh se cui
en calsist (Saint Léger, v. 164). Guenes oth num cuil comandat
(ib., V. 175). 0 fdz, cui ierent mes granz ereditez (St. Alexis,
V. 401). De ço cui calt (Roland, v. 1405, 1840). Cil cui vos
obéissiez (Villehardouin, § 146). Cui seror il avait a famé (ib.,
§ 264). Ne sai par cui conseil Vempereres respondi (ib., § 277).
Cui cousins il estait (Joinville, § 277). Et Hues Dodekins, cui
ame soit sauvée (Bastart de Bouillon, v. 4178). Dès les plus
anciens textes, cui s'emploie aussi comme régime préposition-
nel et comme régime direct emphatique. Exemples: Por cui
sustinc tels passions (Saint Léger, v. 240). Li sires par cui li
nostre se metent en abandon (Villehardouin, § 532). Diex a cui
il satendoit (Joinville, § 16). Ceux à cui joustice apartient (ib.,
I
405
§ 824). Ne io ne neuls cui eo returnar int pois (Serments de
Strasbourg). Celui cui nos eslirons (Villehardouin, § 260). La
forme cui se confond dès le XI*' siècle phonétiquement avec
qui, d'où résulte aussi une confusion graphique: Et Oliviers en
qui tant il se fiet (Roland, v. 586). Et cil les maine qui Dex
doinst encombrier (Raoul de Cambray, v. 6060). Après le XIV*'
siècle cui disparaît entièrement de la langue écrite, remplacé
dans les fonctions qui lui restaient par qui. Dans des phrases
comme: celui de qui je parle, à qui de droit, prenez qui vous
voudrez, c'est l'ancien cui qui se cache sous une graphie
fautive.
570. FÉMININ. Nous avons déjà dit que les formes du fémi-
nin ont été supplantées par celles du masculin erî latin vul-
gaire, et que, dès les plus anciens textes français, qui, que, cui
se réfèrent indifféremment aux deux genres. Il faut pourtant
noter que dans l'Est on trouve parfois une forme féminine
que au nominatif. En voici quelques exemples tirés des Ser-
mons de Saint Bernard: Mais uos chier freire a cuy deus reue-
let si cum a ceos ki petit sunt celés choses ke receleies sunt as
saiges et as senneiz, uos soiez entenduit cusencenousement entor
celés choses ke urayement apertiennent a uostre salueteit (éd.
W. Fôrster, p. 1, 21). Le même féminin se rencontre aussi
sporadiquement dans des textes normands: La guerre Que uint
par mer (Roman de Rou, II, v. 1274). E la grant gent que o
lui nient (ib., v. 4102). La muete que trop demura (Estoire de
la Guerre Sainte, v. 161). L'ost pensive E plus mate que rien
que vive (ib., v. 7870), etc.
571. Neutre. Le neutre latin quod n'a pas survécu en ro-
man. Pour le français, nous constatons l'existence de deux
formes neutres quoi et que; il est difficile de dire si elles re-
montent au quid interrogatif détourné de son emploi primi-
tif, ou bien au masculin que m sous l'influence des doublets
moi — me, toi — te, soi — se. Nous en reparlerons dans la
Syntaxe.
P Forme tonique: quei, plus tard quoi. Exemples: Filz
Alexis, por queit portât ta medre? (Saint Alexis, v. 131). Jou ne
sai, fait H empereres, ke il avenra ne coi non (Villehardouin,
406
§ 682). Mult se merveille por quoi ne a quoi vos lestes venu en
sa terre (ib., § 143).
2^ Forme atone : que (on trouve aussi qued devant une
voyelle, dans les plus anciens textes; comp. § 569,2); elle
s'employait comme cas sujet et comme cas régime. Exemples
de que comme cas sujet: ... escut u chivalz u huefs u vache:
u porcs u berbiz, que est forfeng en Engleis apeled (Lois de
Guillaume). Ço qu'estre en deit ne Valez demurant (Roland,
V. 3519). Or dites ce que vos plaira (Villehardouin, § 142). Vos
donroie ce que mestiers vos seroit (ib., § 195). Exemples de que
comme cas régime: Tôt te donrai, bons om, quant que m'as
quis (Saint Alexis, v. 224). Eufemiiens vuelt saveir qued espelt
(ib., V. 350). Respunt Rollanz : »Io fereie que fols <i (Roland, v. 1053).
572. Sous l'influence du masculin le neutre que est peu à
peu remplacé au nominatif par qui. Nous venons de voir
qu'on disait primitivement: ferons tôt (ço) que te plaira; la
forme moderne de cette phrase est: nous ferons tout ce qui te
plaira. Qui employé comme nominatif du neutre apparaît de
bonne heure. Villehardouin, qui ordinairement écrit que (§571,2),
se sert aussi de qui: Je vos daim cuite ce qui remaint en la
nef (§ 122). Qui l'emporte, mais la victoire définitive ne vient que
tard. Au XVI^ siècle encore, que n'est pas rare au nominatif;
on lit par exemple dans Rabelais: Tout ce que leur estait servi/
à table. Soigneusement peser ce que y est deduict. Délibérer sur
ce que seroit de faire. Au siècle suivant La Fontaine écrit en
archaïsant: Satan en fera tout ce que bon Jui semblera. Dans
la langue moderne, qui n'admet plus cet usage, on peut toute-
fois signaler quelques restes isolés de que employé comme cas
sujet: *
1" Dans quelques proverbes et locutions toutes faites: Coide
que coûte. Vaille que vaille. Fais ce que dois, advienne que pourra.
Faites ce que bon vous semblera.
2° Devant les verbes impersonnels précédés de il: Je ferai
ce quil vous' plaira. Je vais vous dire ce qu'il m'en semble.
3® Comme prédicat : Je suis ce que je suis. Malheureux que je suis.
4^ Dans des phrases telles que: C'est une belle fleur que la
rose. Qu'est-ce que (c'est que) la vie"? Erreur que tout cela (comp.
A. Tobler, Vermischte Beitrâge, I, 12 ss.). Nous en reparlerons
dans la Syntaxe.
407
573. Dès les plus anciens textes que représente le cas ré-
gime du masculin et du féminin des deux nombres, le cas
sujet et le cas régime du neutre. Au neutre il est remplacé au
nominatif par qui (voir § 572), mais à part ce seul cas, le
domaine de que s'est constamment élargi, de sorte que, dans
la langue vulgaire moderne, que fonctionne non seulement
comme régime, mais aussi comme nominatif masculin et
féminin des deux nombres : Ce sont des jolis bouquets que vont
bien aux demoiselles (Romania, VII, 58); il remplace encore
qui (cui) régi par une préposition; dans 5>Le vieux marcheur «
Lavedan fait dire à Cocotte: Ce neveu que tu m'as parlé'? Ce
neveu que tu m'as dit qu'il te ferait crever de chagrin? (p. 40).
Ce développement curieux, qui se retrouve en espagnol et sur-
tout en italien, et qui, pour le français, remonte au moyen
âge, sera étudié dans la Syntaxe.
574. Pronoms interrogatifs. Le classique qui s ayant dis-
paru devant qui, les formes du pronom interrogatif sont les
mêmes que celles du pronom relatif (pour le neutre, voir
§ 571), et elles se développent de la même manière. Il faut
pourtant remarquer qu'au cas régime direct des deux genres
on ne se sert pas de que, qui était une forme atone: que m
a été remplacé par cui, d'où cui, plus tard qui (comp. §569, s).
— On a chargé du simple rôle de pronom interrogatif l'adjectif
qualis, devenu quels en vieux français; il se déclinait régu-
lièrement, et le féminin étymologique a été remplacé par la
forme analogique quele, quelle (comp. § 385). Ce pronom s'em-
ployait souvent avec l'article, // quels, d'où lequel.
CHAPITRE V.
PRONOMS INDÉFINIS.
575. Sur le développement général des pronoms indéfinis il
faut remarquer les points suivants:
1® Un grand nombre de pronoms indéfinis latins sont morts
sans laisser de traces: alteruter, nemo, neuter, nihil,
nonnullus, omnis, quidam, quispiam, quisque, ullus,
unusquisque, uterque, et tous les composés de -vis et
-libet.
•Remarque. On a repris par voie savante qualiscunque et quicunque
(voir § 578). La langue savante a également emprunté quidam. Sur ullus,
voir § 576.
2° De aliquantus, aliquis, alius on n'a que des traces
isolées ; voir § 576.
3" On a réparé ces pertes soit par des formations nou-
velles, des dérivés (*certanus de certus) ou des composés
(aliquis -j- un us ) * a lie un us), soit par l'adoption d'autres
mots; ainsi en latin vulgaire totus remplace omnis, et en
français on a attribué des fonctions pronominales aux sub-
stantifs chose, rien, on, personne.
576. Observations sur le sort de quelques-uns des pronoms
et adjectifs indéfinis latins:
P Aliquantus. De ce mot on n'a guère conservé que les
formes du pluriel d'où en vieux français alquant, alquanz, al-
quantes. Ex.: Alquant i vont, alquant se font porter (Alexis,.
V. 558). On trouve aussi la combinaison li alquant.
409
2^ Aliquis. De ce mot subsiste seulement le neutre aliquid )
vfr. alqiie, auque. Ex. : Qui auques a, si est amez (voir Gode-
froy). Il fonctionne ordinairement comme adverbe: Neirs les
chevels e alques brun le vis (Roland, v. 3821). Le mot, rem-
placé comme pronom dans la langue littéraire par 'quelque-
chose', se retrouve dans plusieurs patois modernes; à Pont-à-
Mousson (Ardennes) on dit par exemple: je H donrai iauque.
Sur le composé aliquis -j- unus, voir § 577, i.
3" Alius. De ce mot on n'a guère conservé que le neutre
devenu el (al) en vieux français: Si vunt ferir ; que fereient il
el? (Roland, v. 1185). Godefroy cite deux exemples d'un emploi
adjectif de notre mot : Vau jour. Notez les combinaisons un et
el (une chose et une autre), ne un ne el, et les composés altel,
autel, et allant, autant. Abstraction faite de ces restes, alius
est remplacé par aller.
4° Alter devient altre, autre. Au moyen âge il se déclinait
régulièrement (comp. § 261,3); on avait aussi la forme ana-
logique autrui, qui s'employait comme régime direct et in-
direct, comme régime prépositionnel et comme génitif (conip.
ce que nous avons dit de cui, § 569, 3). Pour les détails, voir
la Syntaxe.
5" Multus ne se trouve comme adjectif que dans les plus
anciens textes de la Normandie qui donnent mulz jurs, par
mulz ans, niult altre, etc. Ordinairement il était adverbe, et il
s'est maintenu comme tel dans les patois. La langue littéraire
l'a totalement abandonné. Comp. plus loin, p. 415.
6° Nemo a été conservé en roumain (nime) et dans quelques
dialectes italiens. Partout ailleurs il a disparu, remplacé de dif-
férentes manières : en français par negun, nëun , nessun (voir
§ 577), nul, et par (ne) personne, qui rappelle d'une manière
intéressante l'origine de nemo « ne homo).
7" Nihil a disparu partout; il est remplacé en français par
les deux substantifs néant et rien.
8^ NuIIus est devenu nul, et nul la, nule, nulle. Le mot se
déclinait régulièrement en vieux français : nus, nul — nul, nus.
(comp. § 266, 4). On trouve aussi les formes analogiques nului
(nelui) et nuli, qui s'employaient comme cas régime. Nullui
«tait en usage encore au XVP siècle : Sans parler a nulluy ni
nul a elle (Heptaméron, n° 32). L'emploi de nul s'est restreint
de siècle en siècle ; dans la langue moderne, où il est en train
410
de disparaître comme pronom, il ne fonctionne ordinairement
que comme sujet du masculin singulier.
9° Omnis a été conservé en italien (ogni) ; il a disparu par-
tout ailleurs, remplacé par totus (voir plus bas). Les mots
omnicolore, omnipotence, omniprésence, omniscience, omnivore,
etc. sont savants.
10^ Paucus se comporte en vieux français comme multus;
on ne trouve que quelques rares traces de son emploi adjec-
tif. Ordinairement il fonctionne comme substantif ou adverbe:
pauci homines se rend par peu d hommes.
IP Quantus > vfr. quanz; quanta > quanie. Ce mot a rem-
placé quot dans le latin populaire; il se déclinait régulière-
ment et s'employait comme adjectif jusque dans le XVI^ siècle:
Quans ans peult elle bien avoir (Ane. th. fr., I, p. 2). Après la
Renaissance on ne le trouve qu'avec le mot fois dans les locu-
tions vieillies quantes fois, tantes et quantes fois. Pour la vieille
langue il faut citer les formes combinées quan(t)que et quan-
conque.
12° Talis devient en vieux français tels ou tes; le féminin
étymologique tel est remplacé par telle (comp. § 385). Le mot,
qui se déclinait régulièrement, présente aussi la forme telui;
elle est assez rare. Signalons dans la vieille langue le doublet
itel (comp. I, § 502, 3) et les deux composés altel, autel (comp.
§ 576, 3), conservés dans les patois actuels, et altretel, autretel.
13° Tantus > vfr. tanz; tante > tante. Ce mot qui se dé-
clinait régulièrement, s'employait comme adjectif jusqu'à la
Renaissance; on disait au moyen âge tant bon chevalier, tantes
guerres, on dit maintenant tant de bons chevaliers, tant de
guerres. Signalons la forme collatérale itant (I, § 502, 3), et les
composés allant, autant et altretant, autretant, dont le dernier
ne survit pas au moyen âge.
14° Totus remplace omnis dans la basse latinité: Ubi et
toti fuerant patres sepulti (Vie de Ste Euphrosyne, §20). Pour
la forme, il paraît s'être changé en *tottus, d'où en vieux
français toz, touz, et au féminin tote, toute. Le mot se décli-
nait régulièrement, excepté au pluriel masculin, dont la forme
primitive est luit; elle fut remplacée au XIIF siècle par tout.
Rappelons le composé trestouz, qui se retrouve sous différentes
formes dans les patois actuels: C'est vous qui les avez tués
tous? — Tretous, oui, c'est me (G. de Maupassant, Le père Mi-
411
Ion, p. 10). Sauvons-nous tourtous (Puymaigre, Chants popu-
laires messins, I, p. 205).
15*^ Ullus a disparu partout (sur la survivance dans un
composé, voir § 577, e). On trouve au XVI*' siècle ulle dans
Rabelais et d'autres auteurs (voir Godefroy); c'est une forme
purement savante.
577, Observations sur quelques nouvelles formations:
1° Aliquis -\- unus se combinent de bonne heure en *alic-
unus, qui se retrouve dans presque toutes les langues ro-
manes: it. alcuno, esp. alguno , port, algum, prov. alcus, fr.
alcun, aucun. Dans la vieille langue, le mot se déclinait ré-
gulièrement: alcuns, alcun, etc.; on trouve aussi, mais rare-
ment, la forme analogique alcunui. (A côté de alcuns, quelques
vieux textes présentent alcuens, qui paraît dû à une influence
de uen(s), de homo.)
2^ Cata 4- unus se combinent en *catunus, d'où en vieux
français chedun, chëun. Ce mot était rare; il figure dans les
Serments de Strasbourg (en cadhuna cosa), dans le Livre des
Rois (chaun, chëun) et dans un texte lorrain du XIP siècle
(chaum) ; cf. Romania, V, 326.
Remarque. Lorigine de cata est, comme l'a établi M. P. Meyer (Romania,
II, 80—85), la préposition grecque yatâ, qui s'employait en latin vulgairie
avec son sens original. On lit dans la Vulgate: Et faciet sacrificium super
eo cata mane ... Faciet agnum et sacrificium et oleum cata mane mane
(Ezéchiel, XLVI, 14, 15). D'autres exemples ont été réunis par M. J. Cornu
(Romania, IV, 453 — 454; comp. ib., XXII, 482). Cata, qui se retrouve en
espagnol, en portugais et en provençal, se combinait volontiers avec unus,
d'où l'italien catuno, caduno, le provençal cadiin et le vieux français chëun.
30 *Certanus, dérivé de certus, remplace quidam; il est
devenu certain en français.
40 * Metipsimus, superlatif de metipse (tiré de ego met-
ipse, écrit ordinairement egomet ipse), devient dans le plus
vieux français medesme (comp. it. medesimo) ou medisme
(St. Alexis, v. 118), d'où meesme ou meïsme, et enfin mesme,
même.
5" Ne -f- ipse -f- unus se combinent en n issu no, d'où en
italien nissuno, nessuno, en provençal neisus, et en vieux fran-
çais nisun, nesun. Le mot, qui se déclinait régulièrement, s'em-
ployait au commencement du XVI^ siècle: Afin que nesung ne
les voye (Coquillart, II, p. 283).
412
6° Nec -\- ullus se combinent en ne cul lu s, d'où en vieux
français neuls (niuls), qui se déclinait régulièrement: Ne io ne
neuls (Serments de Strasbourg). Niule cose (Ste Eulalie, v. 9),
€tc. Ce mot ne se trouve que dans les plus anciens monuments.
70 Nec _|_ unus se combinent en necunus, d'où en vieux
français nëuns (niuns, nions), nuns. Pour les exemples, voir
Burguy, Grammaire de la langue d'oïl, I, 182.
8° Neque -]- unus se combinent en *nequunus, d'où en
vieux français necun, negun (comp. en espagnol ninguno). Le
mot paraît mort après le XIV<^ siècle; il survit dans le pro-
verbe Qui sert commun, il ne sert negun, cité par H. Estienne
(Précellence, etc., p. p. Feugère, p. 260).
90 *piusiores est probablement un comparatif pléonastique
tiré de plus (comp. § 454,5); il devient en français pluisor,
pluisors, et plus récemment plusieur, plusieurs. Par la dispari-
tion de la déclinaison on ne garde que cette dernière forme
qui sert des deux genres.
10^ Quisque -j- unus se combinent en *quiscunus, d'où
par assimilation *ciscunus; cette forme a dû se changer,
probablement sous l'influence du synonyme cataunus (voir
ci-dessus) en *cascunus, d'où en français chascun, chacun.
578. Nous donnerons ici quelques renseignements sur ceux
•des pronoms et adjectifs indéfinis dont nous ne nous sommes
pas occupés dans les paragraphes précédents:
P Chaque, autrefois chasque, paraît tiré de chascun, chacun.
On en a quelques exemples remontant au moyen âge ; on trouve
kasches dans un texte lorrain du XIP siècle (Romania, V, 326),
et chasqu'un dans Gautier de Coincy. Mais ce n'est qu'au XVI*'
siècle qu'il devient d'un emploi général.
2" Maint, mot d'origine inconnue, est maintenant vieilli, on
ne le trouve guère que dans la locution maintes fois. Autrefois
il était très employé ; au moyen âge on avait aussi les com-
posés tamaint et tresmaint.
3" Quelque est un composé de quel et que (comp. en esp.
•cualque, et en it. qualche). La fusion avait eu lieu déjà au
XIIP siècle: A quelque poinne se dreça (Erec, v. 5206).
4'' Quelqu'un est un composé de quelque et un; le plus ancien
■exemple remonte au XV^ siècle. Les deux parties du mot sont
413
variables en genre et en nombre (comp. § 328) : quelques-uns,
quelques-unes.
5^ Quelconque est emprunté du latin qualiscumque. La
première partie du mot est maintenant invariable: une récom-
pense quelconque, des prétextes quelconques. Au moj^en âge il
varie parfois, et on trouve quelsconques , quelleconque, quelles-
conques. *
6" Quiconque est un mot savant emprunté du latin qui-
cumque; on en trouve des exemples remontant au XIII*'
siècle. On disait ordinairement au moyen âge qui onques ou
qui qui onques.
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
§ 14 (p. 12, 1. 7): batere; lire bâte.
§ 60 (p. 45, 1. 1). — Sur ramuïssement de la nasale de la
terminaison -ent, voir aussi les remarques de P. Meyer dans
son édition de Raoul de Cambrai, p. LXXXI, et dans le Bulle-
tin de la Soc. des Ane. Textes, 1903, p. 44.
§ 60,2 (p. 45). — Sur la forme supposée faunt (comp
§ 127), voir les observations de M. Meyer-Lûbke, ZRPh, XVIII,
437—439.
§ 145,2 (p. 115). — A côté de ayons, ayez, on trouve par-
fois dans la langue moderne ayions, ayiez.
§ 208 (p. 157, 1. 2). — Dans l'argot actuel de Paris on trouve
la forme vourai; elle est fréquemment employée par Jehan
Rictus dans Les soliloques du Pauvre (5*' éd. Paris, 1903): J'vob-
rais me fondre (p. 67; comp. p. 59, 61, 122, etc.).
§ 216 (p. 162, 1. 2): asseoirai; lire: assoirai.
§ 221 (p. 164, 1. 2 d'en bas): érivait; lire: écrivait.
§ 304. — .1. Rictus emploie le pluriel analogique de travail
dans Les soliloques du Pauvre (p. 199) :
.... ses frangins l'forcent à faire
Des cravails [sic] noirs et sans plaisir.
§ 323 (p. 232). — Mol: »Je ne considère pas l'exemple de
Lavedan (mois oreillers) comme étant à proprement parler un
cas du pluriel de l'adjectif mol. Dans cette expression toute
415
faite »mol oreiller«, qui est devenue traditionnelle depuis
Montaigne (»le mol oreiller du doute«), l'adjectif mol n'est pas
vivant. Lavedan, ayant eu à mettre au pluriel cette expression
figée, a simplement ajouté un s aux deux éléments dont elle
se compose. « (E. Philipot.)
§ 323 (p. 232). — Sol: »Vous citez avec raison la forme
sol dans le parler moderne. Non seulement j'ai lu cette forme,
mais je l'ai entendue. Elle s'entend souvent dans les milieux
d'étudiants, au quartier latin. Je la considère comme un pur
archaïsme, conscient et voulu: il y en a quelques-uns dans
l'argot moderne, qui proviennent sans doute, comme celui-là,
d'un désir de caricaturer l'insipide jargon moyen âge que les
Romantiques avaient fait parler à leurs héros chevelus. Telle
est selon moi, l'origine de sol: c'est une » restauration iro-
nique«. Les héros romantiques genre «Tour de Nesle« se
traitaient de »mon féal«, ou de »messire« et no comptaient
que par »sols« ou par »deniers parisis*. Dans la même caté-
gorie je citerais le mot moult, souvent employé en français
familier. « (E. Philipot.)
§ 327. »A propos du pluriel des mots composés et de la
tendance qu'on a à les considérer comme un tout et à donner
à ce tout le signe du pluriel, je puis vous confier que je me
suis parfois surpris, — et j'en ai surpris d'autres, — pronon-
çant »les chemins de fer z'étrangers«, avec un magnifique cuir.«
(E. Philipot.) — Cette prononciation est relevée dans un ro-
man de Gyp (Jaquette et Zouzou, p. 245):
Zouzou, arrivant aussi avec une pile de papiers. — En v'ià
z'un vent! . . .
Le père de Cotoyan. — Pourquoi dis-tu »z'un« vent? . . .
Zouzou. — J'sais pas! ... ça m'a fourché . . .
Le père de Cotoyan. — Tu parles d'une façon grotesque . . .
(Mouvement de Zouzou.) oui . . . grotesque . . .
Zouzou, se hérissant. — Ben, vous aussi, alors! . . . oui! . . .
vous! . . . pourquoi qu'. vous dites les cli'mins d'fer z'Algé-
riens? . . . qu'vous l'avez dit deux fois d'suite hier à dîner! . . .
j'avais pas r'marqué, moi, v'pensez bien? . . . c'est pac' que
j'ai vu l'oncle Jacques qu'y s'gondolait qu' j'ai fait atten-
tion. . . .
416
§ 364 (p. 253, 1. 2) — Aurochs: Selon Littré et le Dict. gén.,
ce mot se prononce [oroks]. M. E. Philipot m'écrit: »Je suis
certain que pour l'immense majorité des Français, ce mot se
décline ainsi: un auroch [orok] — des aurochs [orok]«.
§ 408, Cas isolés. — Le féminin haillie se trouve déjà dans
»Le Miroir de mariage« d'Eustache Deschamps: Portez la paix
à la haillie (Œuvres complètes, IX, v. 3306).
§ 425, Rem. — A propos de snohesse (Sachs, Rigaud), M. E.
Philipot remarque: »Snobesse m'est inconnu, mais je connais
snobine, et surtout snobinette.«
§ 437. — M. E. Philipot observe très judicieusement: »Ne
trouvez-vous pas un peu exagérée votre idée générale du début?
Elle étonne quelque peu après ce qui précède, et je trouve
qu'on ne s'attend guère à une pareille conclusion à la suite
de paragraphes où vous nous avez surtout montré les féminins
que nous avons perdus au cours des siècles (§ 423, clergesse,
mirgesse ... § 424, aiglesse ... § 425, mairesse, 426, hermitesse,
hypocritesse, librairesse , miresse, mireresse, siresse, vidamesse.
§ 428, aideresse, orfevreresse, etc., etc.). Il me semble que vous
pourriez exprimer votre idée générale plus dubitativement, en
pensant surtout à l'avenir. Car pour le présent je suis obligé
de constater une timidité excessive et beaucoup de répugnance
pour le néologisme. Sans doute, le féminisme arrivera un jour
à fléchir les grammairiens; mais vous savez que les mouve-
ments sociaux n'appellent pas nécessairement un mouvement
correspondant dans le langage: l'évolution du langage peut se
produire beaucoup plus tard. Le moyen âge avait miresse et
mirgesse, et nous hommes du XX^ siècle nous en sommes en-
core à dire une femme-médecin !«
§ 474. — Aux exemples cités j'aurais dû ajouter énorme,
excellent, immense, parfait, principal. Littré discute dans son
Dictionnaire s'ils sont susceptibles de comparaison ou non.
§ 490, Rem. (p. 343, 1. 4 d'en bas): onde; lire: fondé.
BIBLIOGRAPHIE
ABRÉVIATIONS
AGIt. — Archivio qlottologico italiano.
ALLG. — Archiv fur lateinische Lexikographie und Grammatik.
ASNS. — Archiv far das Studium der neueren Sprachen und Lil-
le rature n.
CIL. — Corpus inscriptionum lalinarum.
PS. — Franzôsische Studien.
Geijer-uppsatser. — Uppsalser i Romansk filologi tillûgnade pro-
fesser P. A. Geijer pâ hans sepciioârsdag den 9de april 1901. Upsala,
1901.
JBRPh. — Krilischer Jahresbericht iiber die Fortschrilte der Ro-
manischen Philologie.
LBlGRPh. — Literalurblatt fiir germanische und romanische Phi-
lologie.
MSLP. — Mémoires de la Société de Linguistique de Paris.
Mélanges Wahlund. — Mélanges de philologie romane dédiés à
Cari Wahlund à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa nais-
sance (7 janvier 1896). Màcon, 1896.
RF. — Romanische Forschungen.
RLH. — Revue des langues romanes.
Rom. — Romania. Recueil trimestriel consacré à l'étude des langues
et des littératures romanes.
RPhFP. — Revue de philologie française et provençale.
RS. — Romanische Studien.
Studier. — Studier i modem sprâkvetenskap utgifna af Nyfilolo-
giska sàllskapet i Stockholm. I — II. Upsala, 1898 — 1901.
ZPSL. — Zeitschrift fur franzôsische Sprache und Litteratur.
ZRPh. — Zeitschrift fur romanische Philologie.
Diss. inaug. — Dissertatio inauguralis.
Proar. — Programme.
27*
LIVRE 1.
LES VERBES.
A. PARTIE GÉNÉRALE.
Bastin (J.), Le verbe dans la langue française. Première partie:
Lexicologie. Seconde partie: Syntaxe. Saint-Pétersbourg, 1896.
Chabaneau (C), Histoire et théorie de la conjugaison française.
Paris, 1868. 2^ édition, Paris, 1878. — Cf. ZFSL, I, 80—89 (W. Fôr-
ster).
DouTREPONT, Tableau et théorie de la conjugaison dans le Wallon
liégeois. Liège, 1891.
FicHTE (E.), Die Flexion im Cambridger Psalter. Halle, 1879.
Freund (h.), €ber die Verbal flexion der âltesten franz. Sprachdenk-
màler bis zum Rolandslied einschliesslich. Diss. inaug. Marburg, 1878.
— Cf. Rom., Vn, 620—624 (G. Paris).
HoLLE (F.), Avoir und savoir in den altfranzôsischen Mundarten.
Diss. inaug. Marburg, 1900.
KocH (K.), Die Entwicklung des lat. Hûlfsverbs esse in den fran-
zôsischen Mundarten. Diss. inaug. Marburg, 1902.
KôRTiNG (G ), Der Formenbau des franzôsischen Verbums in seiner
geschichtlichen Entwickelung . Paderborn, 1893. Cf. ASNS., XCII, 445
—465 (A. Risop).
Lenander, Observations sur les formes du verbe dans la chanson
de Gui de Bourgogne. Diss. inaug. Malmô, 1875.
Littré (É.), Conjugaison française (Études et glanures. Paris,
1880, p. 290—310).
Meister (J. h.), Die Flexion im Oxfôrder Psalter. Halle, 1877.
Merwart (K.), Die Verbalflexion in Quatre Livres des Rois. Progr.
Wien, 1880.
421
Muret (E.), Sur quelques formes analogiques du verbe français.
(Études romanes dédiées à G. Paris, p. 465 — 473). — Cf. Romania,
XXII, 155—157 (G. Paris).
MussAFiA. (A.), Zur Prâsensbildung im Romanischen. Wien, 1883.
(Tirage à part de Sitzungsberichte der phil.-hist. Classe der kais.
Akademie, CIV, Bd. 1, Hft. 3.)
Risop (A.), Sludien zur Geschichte der franzôsischen Konjugation
auf-ir. Halle a. S., 1891. — Cf. Romania, XXI, 329—330 (G. Paris).
LBlGRPh., 1892, p. 154—156 (W. Meyer-Lûbke).
Rydberg (g.). Le développement de facere dans les langues ro-
manes. Diss. inaug. Paris, 1893. — Cf. Romania, XXII, 569 — 574
(G. Paris). ZRPh., XVIII, 434—440 (W. Meyer-Lûbke). LBlGRPh.,
1894, 302—307 (H. Àndersson). ZFSL., XVI 2, 142,ss (A. Hor-
ning).
Schumacher (F.), Die starken Prâsensstâmme des Lateins in ihrer
Entwicklung im Franzôsischen. Diss. inaug. Kiel, 1901.
Stûnkel (L.), Flexion der Verba in der Lex Roaiana Utinensis
(ZRPh., V, 41—50).
Stûrzinger, Remarks on the Conjugation of the Wallonian Dialect.
Baltimore, 1886.
Thurneysen (R.), Das Verbum être und die franz. Conjugation.
Halle, 1882. — Cf. Rom., XII, 365—367 (A. Taverney).
Trautmann (m.), Bildung und Gebrauch der Tempora und Modi
in der Chanson de Roland. I. Die Bildung der Tempora und Modi.
Halle. 1871.
B. PARTIE SPÉCIALE.
2. G. KôRTiNG, Das laleinische Passivum und der PassivAusdruck
im Franzôsischen (ZFSL., XVIII, 115— 130).
4. K. FoTH, Die Verschiebung der lateinischen Tempora in den ro-
manischen Sprachen (RS., II, 243 — 336).
16. J. Cornu, Remarque sur l'ancienne conjugaison du verbe parler
(Rom., IV, 457—460).
J. Cornu, Conjugaison des verbes aidier, araisnier et mangier (Rom.,
VII, 420—432).
A. Delboulle, L'infinitif paroler (Rom., XIII, 113 — 114).
22. D. Behrens, Unorganische LaatvèrTretang innerhalb der for-
malen Entivickelung des franzôsischen Verbalstammes (FS., III, 357
—448).
Ph. Kraft, Vokalangleichung im franzôsischen Verbalstamm in der
Zeit von 1500 — 1800 (nach Zeugnissen von Grammatiken). Progr.
(Realschule in Eimsbûttel zu Hamburg). Hamburg, 1897.
422
25, Rem. MussAFiA, Francese vais, valt, valent; sais, sait; chielt,
chalt (Rom., XXIV, 433—436).
32. A. Risop, Die analogische Wirksamkeit in der Entwickeliing der
franz. Konjugation (ZRPli., Vil, 45—65). — Cf. ZFSL., V^, 65—80
(D. Behrens).
W. Kirsch, Zur Geschichte des consonant. Stammauslauts im Prâ-
sens und den davon abgeleiteten Zeiten im Altfranzôsischen. Diss.
inaug. Heidelberg, 1897.
51. Ad. HoRNiNG, Us à la première personne du singulier en fran-
çais (RS., V, 707—715).
54. L. DuvAU, Remarques sur la conjugaison française (-ons) (M
SLP., X, 161—166).
A. LoRENTz, Die erste Person Pluralis des Verbums im Altfranzô-
sischen. Diss. inaug. Heidelberg, 1886.
\V. Meyer-Lûbke et G. Paris, La première personne du pluriel en
français (Romania, XXI, 337 — 360).
G. MoHL, Les origines romanes. La première personne du pluriel
en gallo-roman. Prague, 1900. (Mémoires de la Société Royale des
Sciences de Bohême). — Comp. Romania, XXX, 578 — 587 (G. Paris).
I. Rothenberg, Die Endung -ons in der franz. Conjugation (AS
NS., LXII, 460—462).
F. Settegast, Die Bildung der 1. PI. Prs. Ind. im Galloromanischen,
vorzûglich im Franzôsischen (ZRPh., XIX, 266—270).
Thurneyse:n und Baist, Somes, soms und som (ZRPh., XVIII, 276
—279).
56. A. Behrens, Die Endung der zweiten Person Pluralis des alt-
franzôsischen Verbums. Diss. inaug. Greifswald, 1890. — Cf. Rom.,
XIX, 502.
C. Chabaneau, La deuxième personne du pluriel de l'indicatif pré-
sent dans les dialectes de l'Est (RLR., XXI, 151—154).
61. W. Sôderhjelm, Ûber Accentverschiebung in der dritten Person
Pluralis im Altfranzôsischen. Sonderabdruck aus: Ôfversigt af Finska
Vet. Soc. Fôrhandlingar. Hâft XXXVII (Helsingfors, 1895). — Cf. Ro-
mania, XXIV, 492 (G. P.) et JBRPh., IV, 1, 216—220 (A. Rlsop).
64. Ph. Kraft, 'Konjugationswechsel im Neufranzôsischen von 1500
— 1800 nach Zeugnissen von Grammatiken. Diss. inaug. Marburg,
1892.
72, ss. E. Herzog, Geschichte der franzôsischen Infinitivtypen (ZR
Ph., XXIII, 353—381; XXIV, 77—111).
H. CuERS, Bildung jund Bedeutungsivandel franzôsischer Infinilive
beim Uebergang aus dem Lateinischen. Progr. Frankfurt, 1899.
82. M. Bréal, L'accusatif du gérondif en français (MSLP., IX, 95).
Henri Le Foyer, De la survivance de l'accusatif du gérondif en
français (MSLP., IX, 168—169).
423
87, ss. J. Bastin, Le participe passé dans la langue française et son
histoire. Saint-Pétersbourg, 1880. — Cf. Rom., IX, 614—617 (Kr.
Nyrop).
J. Bastin, Etude des participes basée sur l'histoire de la langue.
3« éd. St.-Pétersbourg, 1889. — Cf. Rom., XIX, 154—155.
A. Mercier, Histoire des participes français. Paris, 1879. — Cf.
Rom., IX, 614—617 (Kr. Nyrop).
J. Ulrich, Die formelle Entwicklung des Participium Prœteriti.
Diss. inaug. Winterthur, 1879. — Cf. Rom., VIII, 445—449 (G.Paris).
102, Rem. W. FôRSTER, Die franz. Participia auf -eit (-oit) (ZRPli.,
III, 105—106).
A. MussAFiA, Zu den Participien Perf. auf -ect und -est (ZRPh.,
III, 267—270).
115. G. LiNDQuisT, Quelques observations sur le développement des
désinences du présent de l'indicatif de la première conjugaison latine
dans les langues romanes. Diss. inaug. Upsala, 1898. — Cf. LBIGR
Ph., 1899, p. 375—378 (Meyer-Lûbke). ZFSL., XXI ^ p. 33—39 (E.
Staaf).
I. UscHAKOFF, Zur Erklûrung einiger franz. Verbalformen (Mém. de
la Soc. néo-philologique de Helsingfors, I, 131 — 166). — Cf. Rema-
nia, XXII, 567—568 (G. Paris). JBRPh., II, 148—151 (Risop).
A. Horning, Die afr. 1. singul. auf -ois in den heutigen Mundarten
(ZRPh., XXII, 95—96).
116. P. Marchot, Lat. vulg. (de la Gaule du Nord) *vausio,'^estausio
et*dausio (Studi di filologia romanza, vol. VIII, fasc. 23).
127. P. Marchot, Feent du Jonas (ZRPh., XXII, 401—402).
135. G. WiLLENBERG, HistoHsche Untersuchung fiber den Conjunk-
tiv Praesentis der ersten schwachen Conjugation im Franzôsischen
(RS., III, 373—442).
De nombreux exemples du singulier du subj. prés, des verbes de
la V^ conjugaison se trouvent réunis dans la Romania, XXV, 322,
138. F. KiRSTE, HistoHsche Untersuchung iiber den Conjunctiv Praes.
im Alt franzôsischen. (Mit AUsschluss der latein. A. -Conjugation).
Greîfswald, 1890.
151. D. Englânder, Der Imperaliv im Altfranzôsischen. Diss. inaug.
Breslau, 1889. — Cf. Romania, XVIII, 647.
157. G. KôRTiNG, Das Imperfekt der A-Conjugation (ZFSL., XVIII,
272—273).
162. G. KÔRTING, Das Imperfectum étais (ZFSL., XVIII, 273—274).
164. W. Meyer-LCbke, Beitràge zur roman, haut- und Formen-
lehre. II, Zum schwachen Perfectum (ZRPh., IX, 223 — 267).
164. Ed. Wôlfflin, Die Perfektformen amai und venui. (ALLG.,
IX, 139—140).
424
H. ScHUGHARDT, Rom. = vulgârl. -ai (1. P. S. Perf.) (ZRPh., XXI,
228—229).
165, Rem. G. Hentschke, Die lothringische Perfektendung -ont (Z
RPh.,VIII, 122—124).
172. D'Arbois de JuBAiNViLLE, Les parfaits en -didi (Rom., II, 477).
H. ScHUCHARDT, Parfaits français en iè (Rom., IV, 122).
J. Cornu, De l'influence régressive de l'i atone sur les voyelles
toniques (Romania, X, 216 — 217).
H. WoLTERSTORFF, Das Perfekt der zweiten schwachen Conjugation
im Altfranzôsischen. Diss. inaug. Halle a. S., 1882. — Cf. Romania,
XI, 174.
180. L. CziscHKE, Die Perfektbildung der starken Verba der si-Klasse
im Franzôsischen (XI. — XVI. Jahrhundert). Diss. inaug. Greifswald,
1888.
182. A.Thomas, Ane. franc, feïs = fcsis, etc. (Rom., XXVIII, 118
—119).
G. Baist, Feïs (ZRPh., XXIII, 533—535).
190. A. MussAFiA, Fecerunt in francese (Rom., XXVII, 290 — 291).
P. Marchot, Fisient et permessient du Jonas (ZRPh., XXIII, 415
—416).
193. H. SucHiER, Die Mundart des Leodegarliedes (ZRPh., II, 255
—302).
P. Trommlitz, Die franzôsischen ui-Perfekta ausser poi (potui) bis
zum 13. Jahrhundert einschliesslich. Progr. Stralsund, 1895.
204, ss. J. Brôhan, Die Futurbildung im Altfranzôsischen. Diss.
inaug. Greifswald, 1889.
H. RôNSCH, Die franzôsische Futuralbildung (Jahrbuch, VIII, 418
—424).
A. Sanchez Moguel, Le futur roman et la grammaire de Lebrija
(MSLP., VI, 176—179).
210. G. Trier, Om futurum og konditionalis af det romanske ver-
bum essere. (Det philologisk-historiske samfunds mindeskrift. Copen-
hague, 1879. P. 215—231). — Cf. Rom., IX, 174—175 (G. Paris).
225. G. Paris, Ti, signe d'interrogation (Rom., VI, 438—441 ; cf
ib., p. 133, 442; VII, 599).
425
LIVRE IL
LES SUBSTANTIFS ET LES ADJECTIFS.
I
A. PARTIE GENERALE.
Beyer (a.), Die Flexion des Vokalivs im Altfranzôsischen and Pro-
venzalischen (ZRPh., VII, 23—44).
Ernst (g.), La flexion des substantifs, des adjectifs et des participes
dans le Roland d'Oxford. Diss. inaug. Lund, 1897.
FicHTE (E.), Die Flexion im Cambridger Psalter. Halle, 1879.
HoRNiNG (A.), Zur altfranzôsischen und altprovençalischen Deklina-
tion (ZRPh., VI, 439—445).
KôRTiNG (G.), Der Formenbau des franzôsischen Nomens in ihrer
geschichtlichen Entwickelung . Paderborn, 1898. — Cf. ZRPh., XXIII,
559—566 (J. Subak).
KoscHwiTz (E.), Der Vocatio in den âltesten franz. Sprachdenk-
màlern (RS., III, 493—500).
Lebinski (g. von), Die Deklination der Substantiva in der Oïl-
Sprache. I. Bis auf Crestiens de Troies. Diss. inaug. Posen, 1878. —
Cf. Romania, VII, 619—620 (G. Paris).
LiNDSTRôM (a.), L'analogie dans la déclinaison des substantifs latins
en Gaule. V^''^ partie. Diss. inaug. Upsala, 1897. 2^ partie, ib., 1898.
— Cf. LBlGRPh., 1897, p. 408—411; 1899, p. 311—315 (E. Staaf).
Meister (J. h.), Die Flexion im Oxforder Psalter. Halle, 1877.
Schneider (B.), Die Flexion des Substantivs in den âltesten metri-
schen Denkmûlern des Franzôsischen und im Charlemagne. Marburg,
1883.
B. PARTIE SPÉCIALE.
228. F. d'Ovidio, Sull'origine dell'unica forma flessionale del nome
italiano. Pisa, 1872. — Cf. Rom., I, 492-499 (A. Mussafia). AGIt.,
II, 416—438 (AscoLi).
H. ScHucHARDT, Zur romanischcn sprachwissenschaft. Lateinische
und romanische deklination (Kuhns Zeitschrifl, XXII, 153 — 190).
AscoLi, Archivio gloltologico italiano, II, 416 — 438; III, 466 — 467;
IV, 398—402; X, 262—269.
W. Meyer-Lûbke, Zur Deklination (ZRPh., VIII, 304—306).
G. SuNDSTEDT, Sur Ic cas fondamental de la déclinaison romane.
(Recueil Wahlund, p. 315—324.)
Voir aussi Wôlfflin dans ALLG, IX, 499 ss.
426
230. K. SiTTL, Der Untergang der lateinischen Deklination (ALLG,
II, 555—580).
232.2. Voir Romania, XVIIl, 346; XXII, 527; XXIII, 341.
232.3. Comp. Romania, XIX, 468.
241. E. Philipon, Les accusatifs en -on et en -ain (Romania, XXXI,
201—251).
245. M. Bréal, Les noms féminins français en -eur (MSLP.,VIII,
312).
Le Héricher, Féminisation en français des noms masculins latins
en -or (Revue de linguistique, 1881, XIV, 396 — 402).
246. A. Mercier, De neutrali génère quid factum sit in gallica
lingua. Diss. inaug. Paris, 1879.
\V. Meyer[-LCbke], Die Schicksale des lateinischen Neutrums im
Romanischen. Halle, 1883.
H. Sachs, Geschlechtswechsel im Franzôsischen. Ein Versuch der
Erklârung desselben. I. Ursprûngliche Neutra. Diss. inaug. Frankfurt
a. O., 1886.
249. E. ScHWAN, Zur Flexion der Feminina der lat. IIL Deklina-
tion im Altfranzôsischen (ZRPh., XI, 551 — 553).
250. G. Paris, Les accusatifs en -ain (Romania, XXIII, 321 — 348).
P. Marchot, L'accusatif en -ain des noms de femmes (ZRPh., XVHI,
243—246).
A. Thomas, Les noms de rivières et la déclinaison féminine d'origine
germanique (Romania, XXII, 489 — 503).
Voir aussi l'étude citée au § 241.
262. H. PiATT, Neuter in Old French. Diss. inaug. Strassburg, 1898.
Voir aussi les livres cités au § 246.
263. A. MussAFiA, Spuren des lateinischen Neutrum Plurale im Alt-
franzôsischen (Jaiirbuch, VIII, 127—128).
268. HoRNiNG, Du z dans les mots mouillés en langue d'oïl (RS.,
IV, 627—637).
280. C. Chabaneau, Sur quelques formes du français moderne
qu'on rapporte à l'ancien cas sujet (RLR., 1887, p. 445 — 447).
282. Ph. Plattner, Ûber Bildung und Gebrauch des Plurals im
Neufranzôsischen (ZFSL., III, 424—453).
283. A. Feist, X = us in altfranzôsischen Handschriften (ZRPh.,.
X, 294—296).
341. G. M. Robert, Le pluriel des noms propres en français mo-
derne (Questions de grammaire, p. 47 — 69).
370. A. Langevin, De la formation du pluriel dans le parler de
Fontenay-le-Marmion (Galvados) (Bull, des Patois normands, 1898,.
p. 151—153).
427
383, ss. L. EiCHELMANN, Ûber Flexion iind attributive Stellung des
Adjectivs in den àltesten franzôsischen Sprachdenkmâlern bis zum
Rolandsliede einschliesslich. Heilbronn, 1879.
Kr. Nyrop, Adjekiivernes konsbôjning i de romanske sprog. Diss.
inaug. Copenhague, 1886.
P. Plathe, Enlwicklungsgeschichte der einfovmigen Adjectiva im
Franzôsischen (XI. — XVI. JahrhJ. Diss. inaug. Greifswald, 1886.
451. Ed. Wôlfflin, Lateinische und romanische Komparation. Er-
langen, 1879.
Ed. Wôlfflin, Ziir latcinischen Gradation (ALLG., I, 93 — 101).
452. A. Hammesfahr, Ziir Comparation im Altfranzôsischen. Diss.
inaug. Strassburg, 1881.
J. A. VoGES, Die organischen Komparationsformen im Altfranzôsi-
schen. Progr. Stettin, 1887.
LIVRE III.
LES NOMS DE NOMBRES.
481, ss. M. Ihm, Vulgârformen lateinischer Zahlwôrter auf Inschriften
(ALLG, VII, 65—72).
K. Knôsel, Ûber altfranzôsische Zahlwôrter. Diss. inaug. Gôttingen,
1883.
483. Fr. d'Ovidio, I riflessi romanzi di viginti, triginta, quadraginta^
quinqaaginta, sexaginta, sept[u]aginta, oct[u]aginta, nonaginta, nov-
aginta (ZRPh., VIII, 82—105).
GusT. Rydberg, Viginti, triginta ou viginti, triginta? (Recueil Wah-
lund, p. 337—351). — Cf. Rom., XXVI, 107—108 (G. Paris).
493. P. Marchot, La numération ordinale en ancien français (Z
RPh., XXI, 102—111). — Cf. Rom., XXVI, 326.
E. Staaf, Le suffixe -ime, -ième en français (Studier, I, 101 — 132).
— Cf. Romania, XXVIII, 293—294 (J.Vising). ZFSL., XXI, ^, p. 164
— 166 (E. Herzog).
A. Thomas, Le suffixe -esimus en français (Romania, XXX, p. 398
—400).
428
LIVRE IV.
LES ARTICLES.
497. P. A. Geijer, Om artikeln, dess ursprung och iippgift sàrskildt
i franskan och andra romanska sprâk (Studicr, I, 183 — 219). — CA
Romania, XXVIII, 294—296 (J. Vising).
N. LuNDBORG, Sur Varticle de la langue française. Diss. inaug. Hel-
singfors, 1887.
MoREL Fatio, l^ote sur l'article dérivé de ipse dans les dialectes
catalans (Mélanges Renier. Paris, 1887. P. 9 — 15) — Comp. Roma-
nia, XX, 396, note 2.
498. G. Nehb, Die Formen des Artikels in den franzôsischen Mund-
arten (ZFSL., XXIV, 90—158, 208—261).
E. Staaf, Sur le développement phonétique de quelques mots atones
en français. I. L'article (Studier, II, 145 — 159).
G. Rydberg, Principerna for artiklens utveckling i franskan (For-
handlingar vid sjàtle nordiska filologmôtet i Upsala. Upsala, 1903.
P. 144—145).
504. O. Ortenblad, Sur la préposition en suivie de l'article défini
(Studier, I, 69—72). — Cf. Romania, XXVIII, 293 (J. Vising).
L. Clédat, La préposition et l'article partitifs (RPhFP., XV, 81 —
131).
509. F. Meinecke, Der sogenannte Teilungsartikel im Franzôsischen
Diss. inaug. Kiel, 1900.
LIVRE V.
LES PRONOMS.
A. PARTIE GENERALE.
Beyer (E.), Die Pronomina im altfranzôsischen Rolandsliede. Diss.
inaug. Halle, 1875.
Darmesteter (a.), Le démonstratif ille et le relatif qui en roman
(Mélanges Renier, 1887, p. 145 — 157). Réimprimé dans les «Reliques
scientifiques «, II, 167—176. — Cf. Romania, XVI, 625.
429
D'OviDio, Ricerche siii pronomi personali e possessivi neolatini (A
Gît., IX, 25—101).
Ernst (g.). Les pronoms français au seizième siècle (Studier, II,
105-132).
Gessner (E.), Zur Lehre vom franzôsischen Pronomen. 2. Auflage.
Berlin, 1885.
Lahmeyer (K.), Das Pronomen in der franzôsischen Sprache des
16. und 17. Jahrhunderts. Diss. inaug. Gôttingen, 1886.
Radisgh (g.), Die Pronomina bei Rabelais. Ein Beitrag zur franz.
Grammatik des 16. Jahrh. Diss. inaug. Leipzig, 1878.— Cf. ZFSL.,
I, 240—243 (O. Ulbrich).
ScHMiDT (H.), Das Pronomen bei Molière im Vergleich zu dem heu-
iigen und dem altfranzôsischen Sprachgebrauch. Diss. inaug. Kiel,
1885.
B. PARTIE SPÉCIALE. ^
521, Rem. A.Thomas, Lui et lei (Remania, XII, 332-334).
523. A. MussAFiA, Enclisi o proclisi dcl pronome personale atono
quai ogelto (Romania, XXVII, 145—146).
524. M. Behschnitt, Das franzôsische Personalpronomen bis zum
Anfang des XII. Jahrhunderts. Diss. inaug. Bonn, 1887.
F. Bauer, Das Personalpronomen in Le Pèlerinage de Vie humaine
von Guillaume de Deguileville. Diss. inaug. Wûrzburg, 1899.
G. Ernst, Étude sur les pronoms personnels employés comme ré-
gimes en ancien français. Lund, 1900.
525. G. Rudenick, Lateinisches ego im Altfranzôsischen. Diss.
inaug. Halle, 1885.
L. Clédat, Je et gié (RPhFP., 1896, p. 222—223).
527. A. ToBLER, Ous Nebenform von vous (Vermischle Beitrâge,
V\ p. 260—264).
D. Behrens, Franz, ous, os, statt vous (ZRPh., XIII, 408—410).
533. G. Paris, Le pronom neutre de la 3^ personne en français
(Romania, XXIII, 161—176).
L Clédat, Le pronom personnel neutre dans le Forez, le Lyonnais
et la Bresse (Romania, XII, 346—354).
535. A. Tobler, Suus auf eine Mehrheit von Besitzern bezogen
(Vermischle Beitràge, II, 80—82).
536. W. DiTTMER, Die Pronomina possessiva im Altfranzôsischen.
Diss. inaug. Greifswald, 1888.
H. O. OsTBERG, Sur les pronoms possessifs au singulier dans le
vieux français et le vieux provençal (Geijer-Uppsatser, p. 291 — 302).
430
E. Staaf, Sur le développement phonétique de quelques mots atones
en français. IL Les pronoms possessifs (Studier, II, 159 — 161).
540. J. Cornu, Mien = meum (Romania, VII, 593—594).
A. MussAFiA, Zu mien = meum (ZRPh., III, 267).
541. W. FôRSTER, Dos altfranzôsische Pron. poss. abs. fem. (ZRPh.,
II, 91—95).
547. E. Herzog, Die vorvokalischen Formen mon, ton, son beim
Femininum (ZRPh., XX, 84—86).
552. A. GiESECKE, Die Demonstrativa im Altfranzôsischen mit Ein-
schluss des XVL Jahrhunderis. Diss. inaug. Sondershausen, 1880.
K. Ganzlix, Die Pronom ina demonstrativa im Altfranzôsischen.
Diss. inaug. Greifswald, 1888. — Cf. Romania, XVIII, 346.
568. P. A. Geijer, Historisk ôfverblick af Lalinets qui och qualis
fortsatta som relativpronomina i de romanska sprdken. Upsala, 1897.
— Cf. Romania, XXVII, 175.
J. Jeanjaquet, Recherches sur l'origine de la conjonction »que« et
des formes romanes équivalentes. Neuchâtel, 1894.
Karl de Jong, Die Relativ- und Lnterrogativpronomina qui und
qualis im Altfranzôsischen. Diss. inaug. Marburg, 1900.
Je signalerai enfin : A. Risop, Begriffsverwandischaft und Sprach-
entwickelung. (Beitrâge zur Morphologie des Franzôsischen.) Berlin,
1903. Celte très intéressante étude m'est parvenue trop tard pour
pouvoir l'utiliser.
TABLE ANALYTIQUE.
(Les chiffres renvoient aux paragraphes et à leurs sulidivisions.)
A latin final dans les noms. 393—418;
— dans les verbes, 49,i.
A-AI, apophonie verbale, 24.
A-E, apophonie verbale, 25.
-abam, désinence de l'imparfait, 156
—157.
Ablatif, restes de 1', 232,3, 233,3.
Accentuation des verbes, 10 — 14.
Accusatif, le cas fondamental du nom
roman, 228 ss.
Actif, 4 ss.
Adjectifs. Degrés de comparaison 431
— 474; — déclinaison, 261 ss. ; — fé-
minin, 383—390, 393 ss., 427, 445—
450; — pluriel, 282—370; — i-edou-
blement, 472,4.
Adverbes en -animent et -emment,
386,3; — de renforcement, 470—473,
478.
-ai, pour-avi, au parfait, 164, 165,i.
-ai, au futur, 218,i; — au passé défini,
65,3, 164, 165,1.
-aient, 161,6.
-ail, au pluriel -aux ou -ails, 289 —
290, 301—304
-ail et -al, échange entre, 305.
Aimoin, 206,2.
-ain, au féminin -aine ou -ine, 399;
— confondu avec -aint, 413,i.
-ain, suffixe numéral, 496.
-ain, terminaison du cas régime, 250.
-aint, confondu avec -ain, 413, i.
-al, au pluriel -aux ou -als, 289 —
290, 291—300.
-am (prés, du subj.), 138 ss.
-âmes, désinence de la 1<^ pers. du
pluriel du passé défini, 55, i, 165,4.
-amus, désinence de la 1^ pers. du
pluriel, 54 — 55.
-an, au féminin -anne ou -ane, 400;
— est confondu avec -and, 41 6, i,
et -ant, 413,2.
-ans, terminaison du part, présent,
65,1, 82,1.
-ant, désinence de la 3*^ pers. du
pluriel, 58.
-ant, terminaison du part, présent,
81—82.
-ant, suffixe, se confond avec -an,
400, 413,2.
Apophonie, 22 — 31.
Archi-, préfixe renforçant, 472,2.
-ard confondu avec -are, 416,2.
-are, désinence de l'infinitif, 73.
-arent pour -èrent, 165,5.
Article défini, 497 — 505. Accompagne
le superlatif, 464—469; — les pro-
noms démonstratifs, 558, Rem.
Article indéfini, 506—508.
Article partitif, 509—516.
-assions, -assiez, désinences de l'imp.
du subjonctif, 201.
432
-at, au féminin -atte ou -ate, 414,i.
-atis, désinence de la 2^ pers. du
pluriel, 56, 57, i, 65,2.
-atum, désinence du part, passé, 8^.
-au, au pluriel -aux, 284,i; — rem-
place -al, 299—300.
-aud, confondu avec -eau, 416,3.
-aux, terminaison du pluriel, 284,i;
pluriel de -al, 292; — de -au, 299;
— de -ail, 302.
-avi, terminaison du parfait, 164,
165,1.
Ayer, 341.
-ayer, verbes en, 116,6.
B dans les verbes, 33.
Baif (Ant. de), 451, Rem.
Bonnet (M.), 8.
Bos (A.), 276.
Brachylogie, 495, Rem.
C français final dans les noms, 417;
— s'amuït devant s, 266,2.
C latin dans les verbes, 34.
Cas, voir Déclinaison.
Cas régime remplace le cas sujet,
274, 275, 536.
Cas sujet remplace le cas régime,
273.
CH dans les verbes, 35; — dans le
féminin des noms, 417.
Clédat (Léon), 386,i.
Comparaison des adjectifs, 451 — 474;
— des substantifs, 475 — 478.
Comparatif, 451—460.
Composition, voir Mots composés.
Compter porte malheur, 481, i. Rem.
Conditionnel, 6, 204—219.
-ctum, terminaison du part, passé,
102.
D final dans les noms, 415 — 416; —
dans les verbes, 53, Rem.
D intérieur dans les verbes, 36 — 40.
Darmesteter (Arsène), 333, Rem., 343.
Déclinaison des adjectifs, 261 ; — des
noms de nombres, 480,i ; — du
participe passé, 109, Rem.; — du
participe présent, 86; — des pro-
noms, 518, 521, 524, 536, 539, 543ss.,
554, 568, 576 ss.; — des substantifs,
227 ss.
Déclinaison; voir Écroulement.
-dedi, terminaison vulgaire du par-
fait, 171—172.
Démonstratifs (pronoms), 552 — 567.
Déponents (verbes), 3.
Deschanel (É.), 21.
Désinences personnelles, 51 — 61.
Deuxième personne du singulier, 52;
— du pluriel, 56 — 57.
Divinement, abus de ce mot, 473, Rem.
Doublets: adjectifs, 445; impératif,
154; infinitifs, 75, 77, 79; noms de
nombres, 480,2; participe passé,
22,8, 110; participe présent, 22,3,
84; pronoms, 519, 523, 537; sub-
stantifs, 290,4, 376.
Du Bellay, 451, Rem.
E latin final dans les verbes, 49,2.
E — El, 01, apophonie verbale, 26.
E — lE, apophonie verbale, 27.
-é (part, passé), 88.
-é, terminaison interrogative, 221 —
222.
-eam, terminaison du prés, du sub-
jonctif, 138, 140—149.
-eam us, désinence de la l''^ pers. du
pluriel, 54, 55, i,* Rem.
-eant, désinence de la 3^ pers. du
pluriel, 58.
-eatis, désinence de la 2^ pers. du
pluriel, 56, 57, i, Rem.
-eau, au pluriel -eaux, 284,2; — au
féminin -elle, 397; — remplace -el,
312.
-ebam, terminaison de l'imparfait,
156, 158.
Écroulement de la déclinaison latine,
230; — française, 275.
El, 01 — I, apophonie verbale, 28.
-eie (imp. de l'ind.), 156, 158, 160—
161.
-eil, au féminin -ci7Ze, 396; — au plu-
riel -eux ou -eils, 289—290, 315.
433
ein, au féminin -eiiie, 399.
-eiz, désinence de la 2^ pers. du plu-
riel, 57,2, 218,3.
-el, au féminin -elle, 396; — au plu-
riel -eux, -eaux ou -els, 289 — 290,
308—313.
-eler, verbes en, 19, 129.
Kllipse, 485, Rem. 2.
-émus, désinence de la 1"= pers. du
pluriel, 55,2.
Knfants, langage des, 23,4, 94, 146,
210,3, Rem.
-ans, terminaison du part, présent,
82,2.
ent, désinence de la 3^ pers. du
pluriel, 58.
-ent, désinence de la 3^ pers. du plu-
riel. 59, 60,1.
-ent, terminaison de l'adjectif verbal,
82,2, Rem.
-eo, terminaison du prés, de l'indi-
catif, 113.
-er, terminaison de l'infinitif, 63—65,
73.
-er, au féminin -ère, 405.
-erai (futur), 205, 207, Rem., 209, Rem.,
214.
-ère, verbes en, 74 — 75.
-ëre, verbes en, 76 — 77.
-èrent, désinence de la 3e pars, du
pluriel, 165,5.
-ercsse, terminaison féminine, 428—
430.
-esse, terminaison féminine, 423 —
427.
Et, conjonction, 487.
-et, au féminin -ette ou -ète, 414,2; —
se confond avec -ey, 413,3.
-eter, verbes en, 19, 129.
■etis, désinence de la 2"= pers. du
pluriel, 57,2.
-etum, part, passé en, 87, i.
-eu, au pluriel -eux ou -eus, 284,3.
-euil, au pluriel -eux, 289—290, 319
—320.
-euil et -eul, échange entre, 321.
-eul au pluriel -eux, 289—290, 316
—318.
-eur, au féminin -eure 406, ou -euse
406-407.
-eux, terminaison du pluriel, 284,3.
-ève, terminaison de l'imparfait, 156,
157,1.
-ever, verbes en, 129.
-eyer, verbes en, 116,6.
-ez, désinence de la 2^ pers. du plu-
riel, 56, 57; — au prés, de l'ind.
115,5; — au prés, du subj. 136,2;
— au futur 218,3.
F final dans les noms, devient v au
féminin, 408; — s'amuït devant s,
266,1, 287.
F final dans les verbes, 41.
Fausse analogie, 118,i, 264, Rem., 363,
364, 413, 416, 481,3; — liaison, voir S.
Féminin et masculin 371 — 450.
Féminin analogique 379, 385.
Féminin remplace masculin, 389,
492,1,6.
Féminisme, 437.
Femmes, langage des, 21, 201, 407,
473, Rem.
Fin renforce les substantifs, 478,3.
Formes interrogatives, 220 — 225.
Futur, 6, 204-216.
G final dans les noms, 418.
-ge, terminaison du présent du sub-
jonctif, 134, Rem.
Génitif, restes du, 232,i,2, 233,2.
Genre des noms, 244 — 247.
Gérondif, 81, Rem.
Gerundivum, 2, Rem.
Grégoire de Tours, 2, 3, 8.
H, ajouté à uit, 481,8.
/ latin final dans les verbes, 49,3.
-/, désinence du part, passé, 89.
-/, confondu avec -it, 89, Rem., 413,
Rem.
-iam, terminaison du prés, du subj.,
113, 138, 140—149.
-iamus, désinence de la V*^ pers. du
pluriel, 54, 55,i, Rem.
28
434
-iant, désinence de la 3e pers. du
pluriel, 58.
-iatis, désinence de la 2^ pers. du
pluriel, 56, 57, i, Rem.
-ic ou -iqiie dans les adjectifs, 388.
-ié, participe passé en, 88.
-iebam, terminaison de l'imparfait,
156, 159.
-ième, 493.
-ien, au féminin -ienne, 401.
-iens, participe présent en, 82,3.
-iens, désinence de la l'^ pers. du
pluriel, 55,1, Rem.
-ient, adj. verbal en, 82,3, Rem.
-ier, au féminin -ière, 405.
-ier, terminaison de l'infinitif, 74,2.
-iez (2« pers. plur.), 57,i, Rem.; — au
prés, de l'ind. 115,6; — au prés, du
subj., 136,3, 141,3; — à l'imp. de
rind. et au cond. 161,5.
-il ou -ile dans les adjectifs, 388.
-imes, désinence de la 1^^ pers. du
pluriel, 55,3.
Imparfait de l'ind., 156 — 162; — du
subj., 199—203.
Impératif, 151 — 155.
-îmus et -ïmus, désinences de la
l'e pers. du pluriel, 55,3,4.
-in, au féminin -ine, 399.
luclioatifs, 67-70.
Indéclinables, 264.
Indéfinis (pronoms), 575 — 578.
Infinitif, 72—80.
Interrogatifs (pronoms), 574.
Interrogation, 220—225.
-io, terminaison du prés, de l'indi-
catif, 113
-ions, désinence de la l»'e pers. du
pluriel, au prés, du subj., 136,2,
141,1,3; — à l'imp. de l'ind. et au
cond., 161,5.
-ior, désinence du comparatif, 451.
-ir, verbes e;i, 66—71, 74,2, 78—79.
-irai, futur en, 213.
-ire, verbes en, 78.
-is, désinence du part, passé, 89,
Rem., et du passé défini, 71, 167,
169,1.
-issa, terminaison féminine, 422 —
430.
-issime, terminaison superlative des
adjectifs, 462,2; — des substantifs.
478,4.
-issimus, désinence du superlatif,
451, 461—462.
-issions, -issiez, pour -assions, -assiez,
201.
-it, désinence du part, passé, 89, Rem.;
— se confond avec -/, 413, Rem.
-ïtis et-ïtis, désinences de la 2'
pers. du pluriel, 57,3,4.
-îtum, participe passé en, 89.
-ïtum, participe passé en, 107.
-ivi, terminaison du parfait, 168, 170.
-iz, désinence de la 2^ pers. du plu-
riel, 57,3, Rem.
L disparaît devant s, 266,4; — se
vocalise devant s, 267, 289 ss.
L final dans les féminins, 396 — 397.
L mouillé [^] dans les verbes, 42,
121; — dans les noms, 266,3, 289 ss.
Langage archaïque, p. 414; — biblique,
430; — juridique, 430, 485, 554,
Rem.; — poétique, 118,i, 153,i,2,
430.
Langage des afi'aires, 554, Rem.; —
des enfants, 23,4, 94, 146, 210,3,
Rem.; — des femmes, 21,201,407,
473, Rem.; — des soldats, 494,
Rem.
Lebierre, 437.
-Itum, part, passé en, 103.
M français s'amuït devant s, 266,3.
M latin final, 50,i.
Magis, adverbe de comparaison, 455, i.
Masculin et féminin, 371 — 450.
Masculin analogique, 380, 387-389.
Masculin remplace féminin, 481,2
(deux), 522, 529,i (ils), 529,2 (eux),
532,3 (leur), 547 (mon, ton, son);
562,3 (ces), 569 (qui).
Mau PASSANT (Guy de), 380.
Melius, adverbe de comparaison,
455,2.
435
-mes, désinences de la l^^ pers. du
pluriel, 54.
Mesure, influence de la, 153,2, 279,i,
331, 528,1. Comp. Rime.
Meyer (Paul), 552,4, 569,2, Rem., 576,2,
Rem.
MoHL, 54.
MORF (H.), 390.
Mots composés: leur pluriel, 327— 340;
leur féminin, 432.
Mots étrangers, leur pluriel, 350 — 357.
Mots invariabes, 264, 336, 340, 358—
359, 369, 433-436.
N français s'amuït devant s, 266,3.
N latin dans les verbes, 43.
A' mouillé dans les verbes, 43.
Neutre. Disparition du neutre latin,
244; mots neutres devenus mascu-
lins, 246; mots neutres devenus
féminins. 247. Traces du neutre
dans les noms, 262 — 263: — dans
les noms de nombres, 481,3; — dans
les comparatifs, 462; — dans les
pronoms, 518,2.
Nombres cardinaux, 480 — 490.
Nombres ordinaux, 491 — 496.
Nominatif, restes du, 231, 233,i.
Noms d'animaux, 374, 391,2, 403, 424
—426, 431, 439.
Noms de baptême, 372.
Noms de famille: leur pluriel, 342 —
346; leur féminin, 373.
Noms de femmes: leur déclinaison,
250,1 ; — deviennent noms de fa-
mille, 373.
Noms de fleuves: leur déclinaison,
250,2.
Noms de fonctionnaires, 438.
Noms de nombres, 479—496.
Noms de personnes: leur pluriel, 341
—347; leur féminin, 372— 373,391,i;
leur comparaison, 476, Rem., 477,
Rem.
Noms géographiques, leur pluriel, 348
—349.
ntum, part, passé en, 104.
O latin final dans les verbes, 49,*,
113, 115,1.
0(0 U) — EU, apophonie verbale, 29.
0(0U) — UE, apophonie verbale, 30.
01 — UI, apophonie verbale, 31.
-oi, confondu avec -oit, 413,5.
-oiz, désinence de la 2* pers. du plu-
riel, 57,2, 141,2, 218,3.
-ol, au féminin -olle, 396; au pluriel
-ois ou -oux, 289-290, 322—324.
-om, -om(m)es, désinences de la l^e
pers. du pluriel, 54, Rem. 1, 2.
-on, au féminin -onne, 402 — 403.
-ons, désinence de la l""* pers. du
pluriel, 54, 55, 115,4.
-ont, désinence de la 3^ pers. du
pluriel, 59, 60,2; — au passé déf.,
165, Rem.
-ord, confondu avec -or, 416,4.
-ot, au féminin -otte, 414,3; — se
confond avec -o, 413,4.
-ou, au pluriel -oux ou -ous, 284,4;
— confondu avec -ont, 413,6.
-oue, désinence de l'imparfait, 157,2.
-ouil, au pluriel -oux, 289—290, 325
—326.
-oyer, verbes en, 116,6.
P s'amuït devant s, 266,i.
Paris (G.), 380.
Participe futur, 2, Rem.; — passé,
87—112; — présent, 81—86.
Passé défini, 163 — 198; formes en -ai,
164—166; — en -is, 167—172; - en
-us 173 — 176; formes fortes en -si,
180—188; — en -i, 189-192; —
en -ui, 193—197.
Passif, 2—3.
Passy (Paul), 297, 323.
Personnels (pronoms), 520 — 534.
Pluriel 282—370; — des mots en -/,
289 — 326; — des mots composés,
327 — 340; — des mots étrangers,
350 — 357; — des noms géogra-
phiques 348^ — 349; — des noms de
personnes 341 — 347.
Pluriel tiré du singulier, 361.
28*
436
Plus, adverbe de camparaison, 455,3,
456.
Plus-que-parfait de l'ind. français, 8;
— latin, 4, Rem.
Possessifs (pronoms), 535 — 551.
Précieux et précieuses, 473, Rem.
Préfixes de renforcement, 472,2.
Première personne du singulier, 51 ;
— du pluriel, 54—55.
Présent de l'indicatif, 113—133.
Présent du subjonctif, 134 — 150.
Pronoms démonstratifs, 552—567; —
indéfinis, 575 — 578; — interrogatifs,
574; — personnels, 520 — 534; —
possessifs, 535 — 551 ; — réfléchis,
534; — relatifs, 568—573.
-ptum, part, passé en, 105.
R final dans les noms, 404 ss. ; —
dans les infinitifs 73, 78.
;•, marque du pluriel, 370.
Radical des verbes, 15—47.
Redoublement de l'adjectif, 472,4.
Réfléchis (pronoms), 534.
Relatifs (pronoms), 568—573.
Remy de Gourmont, 199, Rem., 328,
357, 430, 436, 437, 481,5.
Revue des Deux Mondes, 288, Rem. 2.
Rime, influence de la, 331, Rem., 342,2,
343, Rem., 485. Comp. iMesure.
Risop (A.), 67, Rem.
Robert (G. M.), 349.
-rtum, part, passé en, 106.
S, fausse liaison de, 481,4 (quatre),
481,9 (neuf), 485, Rem. 1 (mille),
529,3 (leur).
S français analogique au prés, de
l'ind., 118,1 ; — à l'impératif, 153;
— à l'imp. de l'ind., 161, i; — au
passé défini, 169,i; — au condition-
nel, 219.
S français final dans les noms, 409
—411.
S latin final dans les verbes, 50,2; —
intérieur, 44 — 45.
S, marque de déclinaison, 237, 252
— 257, 261; — ajouté par analogie,
269, 551,1 ; — écarté par analogie,
264, Rem., 481,3. Restes actuels.
279.
S, marque du pluriel, 282; — écarté
du singulier par analogie, 363 — 364;
— ne se prononce pas, 366 — 370.
Settegast, 54.
Singulier et pluriel, 282 — 370.
Singulier tiré du pluriel, 362-363.
Soldats, langage des, 494, Rem.
Substantifs. Leur comparaison, 475 —
478; — déclinaison, 247—277; —
féminin, 371 ss.; — pluriel, 282.
-su m, part, passé en, 87,2, 98 — IGO.
Superlatif, 461—478.
Système vicésimal, 479, 489—4^0.
T final dans les noms, 268 (déclinai-
son), 412 — 414 (féminin).
T final dans les verbes, 50,3, 53, 11 a.»
(prés, de l'ind.), 169,3 (passé défini).
T intercalé des formes interrogativcs,
223.
Tallemant des Réaux, 165,5, 376.
Terminaisons verbales, 48—61.
-tes, terminaison de la 2*^ pers. du
pluriel, 56.
Thielmann, 7.
//, particule interrogative, 225.
Tobler (A.), 37, Rem , 64,6, 535, Rem.
Tout plein, 472,3.
Très renforce un substantif, 478,i ; —
un superlatif, 470.
-trice, terminaison féminine, 420 —
421.
-trix, terminaison féminine, 419 —
421.
Troisième personne du singulier, 53;
— du pluriel, 58 — 61.
-tum, part, passé en, 87,2, 101 — 111.
Types de conjugaison, 62 — 71.
U latin final, 49,5.
-n, part, passé en, 88, Rem., 91—96.
-ui, désinence du parfait, 174—175,
193—197.
-UI, terminaison pronominale, 521,
Rem.
437
-///, au féminin -iille, 396.
-umus, désinence de la l'"« pers. du
pluriel, 55, 56.
-unt, désinence de la 3^ pers. du
pluriel, 58.
-us, part, passé en, 93, Rem.
-us, terminaison du passé défini, 173
—176.
-;//, part, passé en, 93, Rem.
-utum, part, passé en, 91 — 92.
-uijer, verbes en, 116,6.
Y final dans les noms, 408.
\' intérieur dans les verbes, 46.
Velours, 481,4,9, 529,3. Comp. p. 415.
Verbes déponents, 3; — faibles, 9,
Rem.; — forts, 9, Rem.; — inchoa-
tifs, 67—70.
Vers; voir Mesure, Rime.
Voix active, 4 — 9; — passive, 2 — 3.
A', marque du pluriel, 283—284; —
écrit abusivement dans dix, 481, lo.
y se change en i, 116,6, 118,i.
Z, marque flexionnelle, 268; — marque
du pluriel, 285.
INDEX DES MOTS.
(Les chiffres renvoient aux paragraplies et à leurs subdivisions.)
abbé, 260, 425
abregier, 21, i
abreuver, 26, i
abscons, 100. i
absolu, 91, Rem.
absous, 98, 100,8, 103,2
accompagneresse, 430,
Rem.
acheter, 19, 20
acquérir, 27, 3, 77, 3
acquis, 90,6, 98
adeser, 26,i
afflit, 102,1
agar, 154,i
agenda, 355, Rem.
ag/r, 66,4
agneau, 306, 311
ag-neZ, 313
agnus, 233, 1
a/, 123,1, 131
aider, 16, 17,i
oie (impér.), 155
aie (subj.), 145,2
aïeul, 318
aigle, 426
aigu, 81, Rem.
aiguail, 303,2
a£7, 302, 303,1
aille, 137,1
aimable, 24
aimer, 22,2, 24
aine, 247,i
Aix, 232,3
aZ (aliud), 575,2
al (au), 500,1
aZ (illum), 532,i
alcarazas, 365
alener, 26, 1
aZffe, 137,1
aZ(/}e (elle), 531,2
allemand, 416, 1
aZZerai, 206,i
aZZeu, 2S4,3
aloès, 233,2
alquant, 576,i
alque, 576,2
amadoue, 376
amant, 22,3, 84, i
amateur, 436
ambassadrice, 421
ambes, 488
ame', 20,3
ampleis, 454,i
anagramme, 247,2
anathème, 247,2
anceis, 454,2
ancêtre, 281
ancienor, 232,2
andalou, 364, 410
andui, 488
dne, 425
angie, 435
angélus, 233,i
Angers, 232,3
animal, 440
A/yoi/, 232,2
aonZ, 533,1
apparaux, 302, Rem.
apparoir, 25
appas, 280, 365
appeZ, 313
appeler, 19
appentis, 108,2
applaudir, 66,4
apprenti, 288,2, 408
appuyer, 31
âpre, 261,3
apreindre, 47
arc, 266,2
archi-, 472,2
ardez, 154,i
ardre, 75,i
areer, 2 6,1
arer, 25
argus, 233,i
arme, 247,i, 263
arôme, 247,2
arrache-sonde, 338
arraisonner, 16, 17.2
arrêta, 166
arrêté, 88, Rem.
arrêter, 18
arrogant, 84,2
ars, 94, 99,i
arsenal, 295
aruspice, 233
as, 500,2
assaille, 121
assaillir, 68, 79,2
439
assaiidrai, 215,8
assegier, 27, i
assieds, 119,4
assiérai, 208,4
assoirai, 80,s, 216,i
assois (iinp.), 154,2
assois (iiid.), 119,4
assoit, 80,3
assoyant, 83,9, 84,i
asthme, 247,2
atteignis, 185
a«einf, 102,2i
attirail, 303,3
on, 500,1
aucun, 577.1
aurai, 208, i
autant, 576.3. 13
auteur, 436
a»/re, 492.2, 576,4
a«.r, 500,2
<a)aZ, 293,3
avarde, 41 (1,2
ayec, 552,1
aventurer, 16
avocat, 436
avons, 123 2 c
avant, 123.2, d
avouer, 29,i
ayant, 83 4, 85, 1
iJaty, 356,2
bachelière, 405
&aer, 25
Z>aj7, 301, 302
bailleresse, 430
fcaiZZ/, 266,1, 288, 408
bain-marie, 331, 1
baZ, 293,1
balourd, 387, 388, 390
/^anaZ, 293,i
ZjoncaZ, 293,3
banqueroute, 111
baptismaux (fonts), 386,
[yarbière, 405, 426
/jaron, 258, 402
Zjors, 364
Z7as, 387,2, Rem.
basque, 431
Batteux, 407
battre, 14
bayer, 25
Z^eau, 267,1, 300, 313
Z^erfeau, 397
Z^eZ, 313
bêlais, 453,3
bellezour, 453,3
Z^enêf, 102,7
béni, 89, Rem., 102,7
Bénigne, 388
&énzn, 388. 390
Z>enj>, 69,1, 78, 'Rem.
bénire, 78, Rem.
fcéniZ, 89, Rem., 102,7
ftënZZe, 413,7, Rem.
ftenoff, 89, Rem., 102,7
bercail, 303,3. Rem.
Bernadotte, 373
Z>erz, 364
bestiaux, 292,2, Rem.
Z?éZaiZ, 303,3, Rem., 305,2
6éZe, 435
beugler, 30,i
bienveillant, 83, n
bijou, 284,4
&ZZZion, 486
bizarde, 416,2
ftZa/Jc, 266,2, 417
blanc-madame, 331,i
Z>Zeii, 284,3
feocaZ, 295
Zkbi//; 228, 266,1, 287
Z?o//; 41
Z)o/Z, 42,2
Zjoirai, 210,i, 216,i
boire, 26,3, 46,2, 76
bois, 41, 118,1, Rem. 2
fcoZZe, 107,1, 111
bonheurs, 328, Rem.
bonhomme, 328
ftoni, 233,2
bonjours, 328, Rem.
bookmake(u)r, 406,2
fcorcZeZ, 313
borgnesse, 427
bougre, 425, Rem.
bouillir, 42,2, 68, 70,i, 79,2
bouillirai, 212, 215,i
boulu, 90,2
bourg, 266,2
Bourget, 373, Rem.
bourreau, 436
Z>OHS, 121
bouvreuil, 319
Z^ras, 247,1, Rem.
Z^rasse, 247,i, Rem., 263
Z^roDO, 354, 357
Bretenoux, 232,2
bricon, 258
6r«, 364, 391,1
bruire, 70, Rem. 1
brusque, 387, 1
Z?n/Ze, 387,1
Z>«, 92, 107,1
burail, 303,2
Z7MS, 196
butorde, 404, 416,4
buvande, 2, Rem.
buvant, 83, 1
Cacheter, 19. 20
caduc, 388
cagne, 391,2
caillou, 284,4
caZ, 293,1
calice, 233
calme, 247,2
canaille, 435
canaZ, 295, 305,i
canard, 382, 431
canari, 394
canZaZ, 293,3
cantatrice, 421
caqueter, 20
caracal, 293,2
carbonaro, 354
carnail, 303.2
carnaval, 293,2
carre, 263
carreler, 20
msZor, 233,1
cataplasme, 247,2
cavale, 391,2
ce (masc.), 560,2
ce (neutre), 567
440
ceindre, 39
ceint, 102,2
cel, 554, 559
cela, 555
celer, 26,i
celle, 554, 557
celoiir, 556,3
ceZïn", 554, 555,3
cent, 484
centaure, 425
cent-suisses, 363
cercueil, 320
cer/; 41, 266,1, 391,2, 408
certain, 576,3
ces (part, passé), 111
ces (pron. dém.), 561,2
cef, 560,2, 564
cette, 562, 564
cettes, 562, 564
cettui, 560,3, 564
ceux, 554, 556,2
chacal, 293,2
chacun, 577,2, lo
chair, 266,3
chalant, 416, i
chaleur, 245, i
chaloir, 25, Rem. 1
champarteresse, 430
champeaux, 292,2. Rem.
championne, 402, Rem.
Chandeleur, 232,2
chanoine, 425
chantai, 164
chantais, 177
chantasse, 200
chante (impér.), 151, 152,2
chante (prés, de l'ind.),
114, 115.
chante (prés, du subj.),
135
chantre, 281
chaque, 578, i
Charles, 279,i
chartneresse, 430
charrier, 28,i, Rem.
charroyer, 28, i. Rem.
chasseresse, 430
Chasseux, 407
châtain, 380, 442
chaucemente, 263
chauve, 384,2, 389, 390
c/ie'a/îf, 83,2, 84,i
chef, 266,1, 288,i, 425,
Rem.
c/ief d' œuvre, 331,2
cheoir, 27,2, 74, i, 75,2
cherrai, 208,2
cheun, 577,2
c/ieyaZ, 267,1, 290,i, 292,i,
300
chevalière, 426
chevau-léger, 363, Rem.
cheveu, 267, i, 290,3, 306,
314
chevillissinie, 478,4
chevreau, 397
chèvre-pied, 331, i
chevreu(i)l, 316, 318, 320,
321, 431
cheijant, 83,2, 84, i
c/i/c, 441
choie, 139,1
choirai, 80,3, 208,2, 216,i
chois, 119,1
c/joraZ, 293,3
chorus, 233,1
c/îou, 284,4, 323
c/?n, 98, Rem.
c/iJis, 196
cicérone, 354
cieZ, 267,1, 308, 309,i
cï7, 554, 555, 556
c/nç, 481,5
cinquante, 483,4
cinquième, 494,2
circoncis, 98, 99,3
circonflexe, 387,i
cisZ, 554, 560
ciZ^, 228, 250, Rem.
clamer, 24
cZe/; 266,1
cZerc, 266,2
clergesse, 423, Rem., 426
cZoe, 44,1
cZore, 44,1
cZos (part, pas.), 98, 99,4
cZos (passé déf.), 182, 184
cZose, 139,2
closis, 184
clown, 425, Rem.
cocatris, 419,2, Rem.
cochon, 382, 403, 431
codex, 233,1
coznZ, 107,i, 111
cozZe, 413,6
coZ, 323
cdZzs, 365
comme, 232,3
commun, 384,3, Rem.
compact, 388
compagnon, 258, 403, 431
compain, 426
compatir, 3, Rem.
compositeur, 436
comptant, 2, Rem.
compreindre, 4:1
comte, 255, 425
concetti, 354, Rem.
concevoir, 75,i
concZu, 93, Rem., 99,4
concubin, 380
concurrent, 84,2
condottiere, 354
Confavreux, 232,2
confirmand, 2, Rem.
con/îZ, 102,5
conforteris, 419,2, Rem.
Confracourt, 232,2
connu, 107,2
connus, 196
conquérir, 77,3
conquis, 98
contracte, 387, i
contralto, 354
couver s, 99,2i
converti, 99,2i
copain, 281
coç, 266,2, 391,2
coq-à-l'âne, 331,2, Rem.
cor, 247,1, Rem.
coraz7, 301, 302
coral, 305,1
cor/ze, 247,1, 247,i, Rem.
Corneille, 343
441
corporal, 305,i
corps, 229,3
corroyer, 26,i
cou, 267,1, 322,3, 323
coucher, 35
coudre, 14, 38,i
couler, 29,1
courbe, 389
courir, 29,2, 77, i
courrai, 209, 215,2
courre, 49,2, 77, i
courricre, 405
courroucier, 18
cours -e, 99,6, 111
Courtisols, 453,1
courtois, 384,3, Rem.
couru, 90,1, 94, 99,5
courus, 170,1
cousis, 176,1
cousu, 91,1
couvert, 90,4, 101, 106,2
couvir, 66,3
couvrir, 30,4, 70,2, 79,2
craindre, 33, 47, 77, Rem.
crains, 119,7
«ra/nf, 101, 107,io
crasse, 411,i
créance, 26,3
crevé, 431
crever, 27,i
CT-ista/, 295, 305,1
croirai, 210,2, 216,i
croire, 26,3
croisse, 45
croupir, 69,2
croyable, 26,3
croyant, 83,3, 84,i, 85,4
«ru, 92
crû, 96,1
crus, 196
crûs, 196
cueille, 121
cueillerai, 212, 215,3
cueillette, 111
cue/7//, 101, 102,4
cueillir, 42,3, 66,3, 68, 70,3
cui, 569,3
cuire, 31
cujse, 44,1, 139,3
CUISIS, 179, 184
cuistre, 281
cuiï, 102,3
cul-de-lampe, 331,2
Dabesse, 425, Rem.
rfaiZ, 303,2
rfa/uj, 378, 399
Dandin, 342, Rem.
dandy, 356,2
débecqueter, 21
débitrice, 421
rfe'tr/s, 364
décacheter, 20
décolace, 233,i
décolleter, 20, 21
dédicace, 233, 1
déesse, 425
défaille, 121
défais, 111
f/e/au/, 103,1
défenderesse, 430
défendu, 100,2
défense, 111
défoise, 111
déguerpir, 69,7
déjeuner, 16, 17,3
deZ, 501,1
demanderesse, 430
demeurer, 29,i
dépaqueter, 20
dépecier, 27, 1
dépens -e, 111
rfe/Ji7, 102,6
dépreindre, 47
derai, 206,i
(/es, 501,2
despise, 44,i
rféta//, 303,3
rfe«e, 107,3, 111
(/euiZ, 267,2
rfeuo: (verbe), 121
rfeux (duo), 481,2
deuxième, 492,2
devineresse, 430
devoir 26,2
dévorer, 29,i
(//, 234
dia&Ze, 425
diablor, 232,2
diacre, 425
diadème, 247,2
diant, 85,i
dZe, 44,1, 234
dZenZ, 119,2
dieu, 425
Dieutegard, 136,i
dilettante, 354
dfuje, 492,10
dyues, 12, 119,2
dindon, 431
dîne, 399
df/ier, 16, 17,i
dire, 44,1
dis (passé déf.), 179, 180,i.
181,1, 182, 183,1
dis (présent), 119,2
disanZ, 82,2
dise, 44,1, 85,3, 139,4
disent, 119,2
dispos, 411,1, 442
disse, 202,4
dissous, 100,8, 103,2
distraire, 44,2
diZ, 101, 102,7, 112,1
diZes, 12, 57,4, 119,2
divertir, 66,4
dividende, 2, Rem.
divinement, 473, Rem.
dix, 481, 10
dixième, 492, 10
dix-huit, 482,8
dix-neuf, 482,9
dix-sept, 482,7
docteur, 425
doctoresse, 425
dogaresse, 425
doge 425
dogme, 247,2
doie (verbe), 46,i
doie (digita), 263
doigne, 137,2
doins, 116,8
doinse, 137,2
doinZ, 136,1
442
dois, 117, 123,1
doive, 46,1, 145, i
donge, 134, Rem., 137.2
Don Juan, 344,3
donne, 116,3, 137,2
Don Quichotte, 341
dormant, 113
dorme, 113
dorment, 113
dormir, 68
dormis, 168
dormisse, 202, s
dorrai, 205,3
dors, 113, 117
rfouWe, 263
douleur, 245,i
douloir, 30,2, 75, i
doux, 384,3, Rem.
douze, 482,2
douzième, 492,i2
rfra/), 266,1
drdZe, 425
druide, 425
rfiz, 92, 95,1, 107,3
rfn, 501,1
duc, 266,2, 425
duie, 44,1
duire, 44,i
d»zs, 119,3
duise, 44,1, 139,5
duisis, 184
dnz7, 102.8
durement, 473
dus, 196
Écluse, 93, Rem.
écornait, 303,2
écrire, 46,2, 76
écris, 41, 118,i, Rem. 2
ccnï, 101, 105,3
écrivis, 46, i, 65,3, 181,
188
écumeresse, 430
écureuil, 316, 318, 321
edrer, 26,i
effrayer, 26,i
p/, 525,1
eZ (aliud), 576.3
eZ (elle), 531, i
eZ (en le), 502,i
eZ (illud), 533,1
eZ (le), 528,2
eZzZe, 102,14, 111
elle, 530,1
eZZes, 532,1, 2
els, 532,1
cmazZ, 301, 302
emblème, 247,2
embraser, 25
émoudre, 30,3
empaistrier, 16, 17, 1
empaqueter, 20
empeirier, 16, 28, 1
empererriz, 419,i
emperier, 381
empêtrer, 16, 17,i
emplette, 111
emplir, 69,3
emplis, 118,1
empreindre, 47
empreu, 481, 1, Rem.
enceint, 443, Rem.
enchanteresse, 430
en/a/jZ, 260, 434
enfouir, 69,5
enfreignis, 185
enfreint, 102,ii
enfrener, 26, 1
engloutir, 69,6
engregier, 27, 1
énigme, 247,2
ennuyer, 31
enseigne, 247, 1
enseveli, 89, 103
entraver, 25
envahir, 66,3
enverrai, 206,3
envoirai, 206 3
épagneul, 316, 318
épeler, 64, 1
épigramme, 247,2
épZortî, 22,3
épouser, 29,i
épousseter, 20, 21
épouvantait, 301—303
errata, 355, Rem.
es, 502,2
es (ipse), 552,8
escampativos, 365
escient, 82,3, Rem
escrif, 41
esgar, 154,i
esmes, 119,6 b
espars, 98, 99,i7
espérer, 26,i
esZ (iste), 552,4
estace, 137,3
estafette, 375,2
esZoc, 299, Rem.
esZoï, 166
estois, 116,2
estoise, 137,8
estont, 60,2
estovoir, 30,2
estrai, 210,3
esZreiZ, 102,i8
esZuz, 166, 196
éZa/s, 162
éZaZ, 305,1
éZau, 299, Rem. ,
e'Z^, 88, Rem., 109, Rem.
éteignis, 185
eteindoir, 39, Rem.
êZre, 72
étrécir, 66,7
étreignis, 185
étreint, 102,i8
en, 92, 95,1, 96,2, 107,4
ea (en le), 502,i
eus, 194, 195,3
eux, 529,2
évanouir, 80 2, 174, Rem.
éventail, 302
ea-acZ, 388
ea-cZ/i, 93, Rem.
exprès, 411,i
expultrice, 421
Fabago, 397
/ace, 234
/az7, 42,2
/•azZZz, 90,2, 99,7
/azZZzr, 42,2, 66,3, 69,4, 79.t
faillirai, 215,4
443
faimes, 12, 127, b
fais, 127
faisons, 127, b
fait, 101, 102,9
faites, 12, 57,4, 127, c
faits divers, 363
falcon, 258
falloir, 74,1, 79,i
/aZZu, 99,7
fanal, 295
faner, 66,6
fanir, 66,6
faraud, 425, Rem.
/asse, 140, 149
/"aZaZ, 297
faucheux, 407
faudra, 212
/a/zne, 425
/■aafe, 103,1, 111
/azix, 121
favorite, 413,7, Rem.
/a 3, 120
M 380
feignis, 181,2, 185
feindre, 39
/e/nf, 102,10
/eZ, 258, 426
/•eZo/i, 258, 403
femelle, 439, 443, Rem.
fendu, 99,8, 110,i
fenouil, 325,i, 326
/enZe, 110,i, 111
/eraZ, 210,4
férir, 27,3, 79.2
fermait, 301, 302
/erme, 266,3, 389
fertil, 388, Rem.
/eru, 90
fesse, 110,1, 111
/•éZe, 247,1
Fête-Dieu, 331, i
/eu, 284,3
/èin'Z, 247,1, Rem.
feuille, 247,1, 247,i, Rem.
fiche, 72, Rem.
/icZié, 88, Rem.
fichu, 88, Rem.
fidèle, 387,1
^Z, 266,4
^Z d'archal, 305,i, 331,2,
Rem.
/îZZeuZ, 316, 318
fils, 266,4, 279,2, 431
fin, 478,3
/înaZ, 297
fis, 182, 190
/îsse, 202,4
flache, 389
Flandres, 349, Rem.
flegme, 247.2
/Zeur, 228
fleurir, 67
fleuris, 117
/"œZas, 233,1
/•oZ, 323
/b/jds, 280
/■o/jfZ», 94, 99,9
/■o/iZ, 60,2, 127, d
fonts baptismaux, 386,5
forçor, 453,4
/•orZ, 261,4, 384,3, 386,i,
390
fou, 322,3, 384,3, Rem.
fouir, 66,3, 69,5
fraîche, 389
/rais, 377, Rem., 387,2,
Rem.
/raiZ, 102,11
fraite, 111
franc, 266,2, 417
français, 384,3, Rem.
Francor, 232,2
Francorchamps, 232,2
Francourville, 232,2
frémir, 27,3, 66,3
frêne, 245,2
friand, 41 6,1
/riZ, 101, 102.12
/roZde, 389
frontail, 302
frontal, 305,i
/■«/, 101
/■«Zr, 66,3
/•jnZe, 111
fureter, 20
/■»s, 197,1
Galande, 41 6,1
Gandalou, 232,2
Ganelon, 257
g-ap, 266,1
.gar, 154,1
garce, 431
garçon, 258, 403, 431 '
garçonne, 391, Rem.
gard', 136,i
garde-, 338, Rem.
garer, 64,2, 216,2
gars, 258, 281, 364
gâteux, 407
g-éanZ, 400
geindre, 47
geZer, 27,i
gémir, 27,3, 66,3
générace, 233,i
général, 295
génétris, 419,2, Rem.
genou, 267,2, 284,4, 325,2,
326
gens, 288, Rem. 1
gens d'armes, 363
gens de lettres, 363
gentilhomme, 328
genzor, 454,3
Georges, 279,i
gerfaut, 281
gësZr, 74,2
gZé, 525,1
gigolo, 431
GiZZes, 279,1
gzndre, 281, 453,6
gipsg, 356,2
grs, 127
g/se, 149
gZace, 234
glacial, 297
glaïeul, 318
gZouZ, 281 ,
gloutir, 69,6
glouton, 258
gonce, 425, Rem.
goujat, 414, 1
gouvernail, 302, 303,i. 305,2
gouverneur, 431
graignor, 453,5
444
grain, 247, i, Rem.
graindre, 453,5
graine, 247, i, 247, i. Rem.
grand, 385, 386,2
(jrandisme, 462, i
grandissime, 462,2
grante, 413,2
,<7/-ec, 288,2, 417
greigneur, 453,5
flrèZe, 425, Rem.
grever, 27,i
grifon, 258
grogner, 64,s
gronder, 64.4
grondir, 64,4, 79,2
gnarir, 25, 64,2
gnerpir, 68, 69,7
gaet-apens, 332
gnindal, 305,i
gnindean, 299
//air, 25, 68, 69,8
Aairai, 212
haïs, 69,8, 166,2
haïsse, 139,6
halçor, 453,2
hébreux, 410, 431, 442,
Rem.
hermite, 426
héros, 431
ijmfus, 233,1
/iifcou, 284,4
homme, 255
honorer, 29,i
hôpital, 305,1
Hôtel-Dieu, 331,i
/luiï, 481,8
hiiitme, 492,8
l\umo(u)ristique, 388,
Rem.
pypocrite, 426
/ce/, icelle, icelui, iceli,
554—559, 564—566.
icesf, ices/e, icestui, 554,
560—565
ici, 566, Rem.
idiome, 247,2
/ère, 162
ignarde, 416,2
ignorantissime, 462,2
//, 528,1
///e (fém.), 531,4
///e (masc.), 5'i8,i
///»ec, 232,3
illustrissime, 462,2
//s, 529,1
image, 233,i
impératrice, 233, 421
impromptu, 351
impubère, 233
//irfe.r, 233,1
intrinsèque, 387, i
inutile, 388, Rem.
investir, 70,8
ira/, 206,1
/ss/r, 28,2, 79,2, 80, <
/ss», 90
/s/, 552,4
//an/, 576,13
/ye, 391,2
ivresse, 427
ivrognesse, 427
Jacques, 279,i
j arrêter, 21
>, 525,1
je/er, 27,i
jewrf/, 232,1
jo, 525,1
jockegte, 413,3
70/e, 247,1
joignis, 181,2, 185
joindre (adj.), 453,6
joindre (verbe), 39
io/n/, 102,13
70//, 288, 408
jongleresse, 430
joubarbe, 232,i
jouer, 30,1
jouir, 69,9
jouisse, 147
joujou, 284,4
jonr, 266,3
journau, 299
jugesse, 426
./(à/, 381, 425, Rem.
Ju/es, 279,1
juridiction, 233,2
jurisconsulte, 233,2
jurisprudence, 233,2
71ZS, 196
jns/e, 389
La (article), 408, 499,3
Za (pronom), 530,2
labourer, 29,i
/acs, 280
/arfy, 356,2
La Fraite, 111
laideron, 375,i
lairrai, 206,4
/a /s, 144,1
Za//e, 439
Lamartine, 372
/a77j/;e/, 313
landau, 284,i
/a/^on, 402
Zarge, 387,2, 389, 390, 418
Larousse, 373
/arro/i, 258, 403
Lassimonne, 373
laver, 25
lazzarone, 354
/a:c/, 354, Rem.
Ze (article), 498, 499
Ze (pronom), 528,2, 533,2
Lefaucheux, 407
légende, 2, Rem.
Zeffs, 280
Zeo/j, 426
Zes (article), 498, 499.5
Zes (pronom), 529,2, 532.»
lettres royaux, 386,5
Zeur (pron. pers.), 529,s,
532,3
Zear (pron. poss.), 535,
551
Zei'er, 27,i
Zèyre, 247, 1
lévrier, 431
Zer, 229,3, 280
Z/ (article), 498, 499.i, 4
// (pron. fém ), 530,3
445
H (pron. masc), 528,4
librairesse, 426
libreito, 354
lièvre, 228, 391,2
ligneiil, 318
nias, 365
linceul, 318, 321
lionne, 378, 402
lionnesse, 378, 403
lire, 44,2, 49,2
/is, 280, 365
lisant, 83,5
/ise, 139,7
/lï, 102,14, 112,1
lo, 528,2, 533,2
local, 295
loisir, 74,2
longue, 418
/os, 279,2
/ouc/i^, 389
louer, 30,1
Louis, 279.1
Louloute, 413,6
Zon/J, 377, Rem., 431
loup-cervier, 439
/h, 101, 102,14
/!j/ (part, passé), 101
/(a' (pronom), 528,3
/ij/re, 74,2
Zazs, 127
luise, 149
luisis, 184
Zii/irfi, 232,1
Zns, 196
.Wa, 537, 544, 545, 547
macaroni, 354, Rem.
Macedonor, 232,2
machin, 380
madame, 328
mademoiselle, 328
madrigal, 295
mage, 453,7
maint, 578,2
maire, 281, 453,7
maître, 254, 425
majeur, 453,7
major, 233,i
malade, 107,4
maldehet, 328, Rem.
777aZjn, 388
maltôte, 111
malveillant, 83,ii
m'ami, 380
manchot, 414,3
manger, 16, 17,i, 32
40,1
manier, 28,i, Rem.
manoir, 24, 75,i
mappemonde, 233,2
marchand, 416,i
ïjjarrfZ, 232,1
marmeniau (bois), 299
HjarZeZ, 313
mastochs, 384
matériaux, 292,2, Rem.
matineux, 308
maudire, 69, i
maudisse, 139,4
maximum, 355
;»e, 525,2
méchant, 83,2
mécréant, 26,3, 83,3, 84, i
médecin, 380, 435, 438
meilleur, 453,8, 457
même, 577,4
mener, 26,i
menteur, 426
mentir, 68, 70,4
menu, 91, Rem.
mer, 246,2, Rem.
mercredi, 232, i
meretris, 419,2, Rem.
mérinos, 365
merir, 27,3
merZe, 426, 431
merme, 463
merrai, 205,3
;jies (pron.), 544 — 546
mes (verbe), 99, lo
messe, 111
mesurer, 16
méZaZ, 305,1
meZs, 99,11, 111
meurs, 122
meus, 41, 51,i, 118, Rem. 2
meute, 111
/ni (pron. pers.), 525,3
mi (pron. poss.), 536, 539,
544—546
mieldre, 453,8
mien, 537—540
mieux, 453,8
Mignaloux, 232,2
miZZe. 263, 485
milliard, 486
milliasse, 486
million, 486
milsoldor, 232,2
minimum, 355
mZre (subst.), 380, 426
mZre (verbe), 27, Rem.
mis (part, passé), 98, 99, n,
112,2
mis (passé déf.), 180, 181,u
182
miss, 356,3
modeler, 19
moi, 525,2
moie, 536, 541, 542
moindre, 281, 453,9, 457
moine, 425
moiZe, 389
777 oZ, 323
môme, 425, Rem.
777077, 229, 537, 544, 545,
547
monnayer, 26,i
monseigneur, 328
monsieur, 328
mordis, 181,2, 187
mordre, 76
mordu, 94, 99,i2
Morgodou, 232,2
777ors, 94, 98, 99,i2, 111
777orZ, 90,5, 94, 101, 106,s
motus, 233,1
mou, 384,3, Rem.
moudre, 30,s, 38,2
moult, 576,5
mourir, 30,4
77ioiir7ai, .212, 215,5
mouru, 90,5, 94
mourus, 170,2
446
mouver, 64,6
mouvoir, 30,2, 75, i
moyen, 316
mû, 95,1, 108,1, 109,3
muef, 41
muir, 120, 122
mulâtre, 425, 434, Rem.
mulet, 414,2, 431
multiplicande, 2, Rem.
multitude, 233,i
mus, 196
muscat, 412
Nain, 399
naître, 77,2
naquit, 180,i, Rem.
narval, 293,2
/lasaZ, 297
nasquir, 77,2, 80,2
/ja/aZ, 297
/lauaZ, 297
navrer, 25
ne, 101, 109,4
necun, 577,8
/je/", 206,1
néfaste, 387, i
nègre, 425
negun, 577,8
nenal, 533,i
ne/fs, 287
nesun, 577,5
/leuf, 266,1, 481,9
nëuls, 571, e
neuvième, 492,9, 494,2
neycu, 260, 431
nièce, 250,3, 377, Rem.,
431
nier, 28,i
nisun, 577,6
noelor, 454,4
nom, 229,3
nouante, 483,8
none, 492,9
nonne, 250,3
nopal, 293,2
nore, 236,5
nos, 548—550
notaire, 425
no/re, 537, 548
nouer, 29,i
nourrir, 29,2, 69,io
nous, 525,4
nouveau-né, 334
nouvel, 313
noyer, 28, i
nui, 101, 107,5
nuire, 31, 74,2
nuis, 127
nuise, 44,i, 149
nuisis, 184, 196
nuZ, 266,4, 288,1, 576,8
nuns, 577,7
0 (hoc), 552,1
o (illa), 531,3
occis, 98, 99,3
octante, 483,7
œiZ, 320
a;u/", 266,1
œu/s, 287
œuvé, 439
œuvre, 247, i
offense, 111
o/;^erZ, 90,4, 101, 106,4
offrande, 2, Rem.
o/^rir, 72
ogre, 425
oi, 120, 125
oignis, 185
oinZ, 102,24, 112,1
oiseau, 397, Rem.
oZ (illum), 533,1, 2
oZe (illa), 531,8
omnibus, 233,3
on, 255, 281
oncZe, 425, Rem.
onclesse, 391, Rem.
ons, 123,2
onf, 60,2
onze, 482,1
onzième, 492, 11
opéra, 351
orang-outan, 340,2
orateur, 436
ordinand, 2, Rem.
orpiment, 233,2
orrai, 212, 215,6
os, 99,2
osoir, 74,1, Rem.
ou, 502,1
ouaZ, 533,1
ouan, 552,1
ous, 527,1, 2, 3
ouyerZ, 90,4, 101, 106,i
ouvrer, 30,i
ouvrir, 30,4
Paienor, 232,2
/jair, 425
paire, 263
paZ, 293,1
palmarès, 365
paon, 403, 426
jpape, 425
parer, 25
parler, 15, 16, 17,i
paroi, 228
paroir, 25
partagent; 407
parZir, 68, 70,5
partisan, 436
partisante, 413,2
pascal, 297
pascor, 232,2
pastour, 406,1
pdZir, 3, Rem.
pdZre, 281
patriot, 394
patron, 403
patte-pelu, 332, 394
pauvre, 384,3, Rem.
pauvresse, 427
pauvreté, 250, Rem.
pécheresse, 419,2, 430
pécheresse, 430
pecherriz, 419,i
pédant, 394
peignis, 185
peint, 102,15
petnZre, 281, 435, 436, 437.
438
pendu, 99,13, 108,2
pener, 26,i
pente, 108,2
447
percevoir, 75,i
perclus, 93, Rem., 99,4
perdis, 167, 171, 172
perdisse, 202,2
perds, 117
perdu, 92, 100,5, 107.6
périr, 27,3, 70, Rem 2
perplexe, 38 7, i
perroquet, 431
/jer/e, 107,6, 111
peser, 26,i
pesme, 463
petitesse, 427
/)en, 576,10
peulent, 126, i, c
peuvent, 126,i, c
/jenx, 51,1, 120, 126,i
Philippes, 279,1
piédestal, 295, 305,i
Pierre, 257
Pierrefort, 386, i
pierrot, 431
pigeon, 402, Rem., 440
pin, 245,2
pio;i, 402, Rem.
piqueux, 407
pire (adj.), 281, 453,io,
457
pire (verbe), 27, Rem.
pis, 229,3, 453,10
pZaid, 107,7, 111
plaigne, 43,2
plaignis, 43,2, 185
plaindre, 39
p/ainf, 102,16
pZais, 127
plaise, 44,1, 149
plaisir, 74,2
planer, 24
pleinte, 413,i
pleurer, 15, 29,i
pleuvant, 85,4
pleuvoir, 30,2, 74,i
pZier, 28,1, Rem.
ployer, 28, i, Rem.
pZu, 92, 107,7
pluisor, 454,5
plumait, 301,2, 302, 303,i
pZzis, 194
/jZus Z)on, 457.1
plusieurs, 454,5, 577,9
pZizs mauvais. 457,2
pZns peZiZ, 457,3
pZiif, 196
pneu, 284,3
podir, 75,2
poids, 111
peigner, 64,6
poignis, 185
poindit, 39
poindre, 39, 64,6
jjoinZ, 102,17, 112,1
poiraisin, 394, Rem.
Poitiers, 232,3
PoiZou, 232,3
poitrail, 302, 303,i
poitral, 295, 305,i
poivrer, 26.i
ponant, 84,i
ponde, 139,8
pondre, 37. i, 94
poncZjz, 94, 107,8, 110,3
poney, 431
poneyte, 413,3
pons, 94, 107,8, 110,3
porc- épie, 330
portail, 302, 303,i
portai, 305,1
porZe, 128
porte-cigare, 336, Rem.
porte-montre, 336, Rem.
portrait, 376
poruec, 552,1
pou, 284,4, 326
poulain, 431
pourrai, 207
poursuivir, 77,5
pourvoirai, 208.5
pourvus, 176,3
pouvant, 83,6, 84,i
pouvoir, 30,2, 72
pre', 247,1, Rem.
prébende, 2, Rem.
prée, 247,1, Rem.
preer, 26,i
préface, 233,i
premier, 492, i
prenant, 83,7
prendre, 40,i
prenne, 139,9
près, 111
prêta, 166
prêZre, 260, 281
preu, 481,1, Rem.
preux, 279,2
prévale, 143,i
prévoirai, 208,5
prévôt, 107,8, 110,3
prévus, 1763
prier, 28, 1
prieure, 406,i, Rem.
prima donna, 354
prime, 492, 1
pri/i, 492,1
prince, 233,i
prins, 99,14, 183,2
pris (part, passé), 98, 99,i4,
112,2
7;ris (passé déf.), 180,i, 181, 1.
182, 183,2
priser, 28,i
prisse, 202,4
procuratrice, 421
prof es, 411,1
professeur, 436
proisme, 463
propagande, 2, Rem.
prouver, 30, 1
provende, 2, Rem.
pruis, 116,4
pruisse, 137,4
puZ^is, 233,2
puZ)Zic, 387,1, 388
puceau, 380
puer, 64,7
puéril, 388
puir, 64,7, 66,2
puis, 120, 126,1
puissant, 83,6, 84,i, 85,i
puisse, 148
puiZs, 280
yjus, 194
putain, 250 3
448
Quant, 575,11
quarante, 483,3
quart, 492,4
quartier- maître, 330
quatorze, 482,4
quatre, 481,4
quatre-vingt, 489, 490
que, 569,2, 570, 571,2, 572
quelconque, 578,5
quelque, 578,3
quelqu'un, 578,4
quérir, 27,3, 77,3
querrai, 215,7
querre, 49,2, 77,3
r/uc/e, 108,3, 111
queux, 279,2
7iiz, 569,1, 570
quibus, 233,3
quiconque, 578,6
Quincampoix, 136, i
quint, 492,5
quintal, 305, i
quintetto, 354
quinze, 482,5
quinze-vingts, 363, 490
ç/HS (part, passé), 90,6,
108,3, 112,2
f/u/s (passé déf.,), 170,3,
180,2, 181.1, 182
(/uoi, 571,1
quorum, 233,2
Raembre, 33, 47
rage, 234
/•aide, 389
/•af/'or/, 386,1
/■a//, 303,2
raisonnable, 17,2
rarissime, 462,2
rasibus, 233,3
rasseyerai, 208,4
rafe, 440
ravir, 66,3
reaZ, 295
rcaZ (royal), 386,4
rc'bus, 233,3
recette, 111
recevoir, 75,i
reçoif, 41
reçois, 41, 118,i, Rem. 2
recors, 365
recrue, 375,2
reçu, 92
reçus, 196
re'^aZ, 293,2
re'gzr, 66,4
reient, 105,i
iîemjs, 232,3
reine-claude, 330
relais, 365
remords, 111
remous, 365, Rem.
rente, 111
repentir, 68
répondre, 40,3, 76
répondu, 100,7
réponse, 111
rere, 25
res, 99,15
résolu, 103,2
resous, 98, 100,8, 103,2
respecter, 20, Rem.
resplendir, 69,ii
ressortir, 70,7
ressource, 100,9
resta, 166
retors, 100,io
re/s, 280, 365
revendication, 233,2
rhume, 247,2
rz, 89, Rem., 99,i6
richissime, 462,2
rie/j, 229,1
rigolote, 413,4
rire, 76
ris, 180,1, 181,1, 182
Rochefort, 386,i
roi, 431
rompir^ 11, i, 80,2
rompre, 11, i
rompu, 101, 105,2
rosier, 380
rossignol, 324,i, 440
rossolis, 233,2
rouge-gorge, 333, Rem.
rouf, 94, 101, 105,2
route, 111
rover, 30,i
royaux (lettres, ordon-
nances), 386,5
rudement, 473
ruis, 116,4
misse, 137,4
Sa, 537, 544, 545, 547
sac, 266,2
sachant, 83,8, 84,i, 85,i
sac/ie (impér.), 155
sac/ie (subj.), 146
sacristain, 399
sade, 261,2
saie, 247,1
saignis, 185
saiZZe, 121
saillerai, 215,8
saillir, 42,3, 70,6
saillirai, 215,8
saillisse, 143
Saint-André des Arts, 99. 1
sais, 124
salmis, 365, Rem.
salpêtre, 223,2
samedi, 232, 1
sanatorium, 355
saner, 24
sa;j(7, 266,2
sangloter, 64,8
Sarasinor, 232,2
satellite, 233
sau/", 266,1
saurai, 208, 1
sauvagesse, 427
sauve, 389
savant, 83,8, 84,i
savantissime, 462,2
savent, 124, b
savir, 75,2
savoir, 25, 74,i
savourer, 29,i
sceZ, 313
scier, 28,1
se, 534
séa/iZ, 83,9, 84,1
449
sec, 266,2, 288,1, 387,2,
Rem., 417
sèche, 389
second, 492,2
secouer, 64,9
secoiis, 99,6
secousse, 111
ségrais, 365
seigneur, 453,ii
seize, 482,6
Sei~e rfe Paris, 363
semonce, 100,4, 111
senionoir, 75,i
semons, 100,4
sen«, 89,2, 98, Rem.
sentinelle, 375,2
sentir, 68
scnfu, 90,2, 94
senuec, 552, i
seoir, 27,2, 75,2
sepf, 481,7
septante, 483,6
sf/jf pseaumes, 363
serai, 210,3
sérail, 303,2
ser/-, 266,1
sergent, 82,3, Rem., 84,i
serrai, 208,4
sers, 41, 118,i, Rem. 2
servait, 159
serval, 293,2 (
servant, 84,i
servir, 68
serviteur, 426, 431
sestiere, 263
setme, 492,?
seuZ, 318
sevrer, 26,i
seyant, 83,9, 84,i
seijerai, 208,4
sieds, 119,4
s/en, 537—540
siérai, 208,4
signal, 295
singe, 425, Rem.
singeresse, 430
s/re, 281, 426, 453,ii
SIS (part, passé), 98, 99, is,
112,2
sjs (passé déf.), 180,2,
181,1, 182
sisfe, sixfe, 492,6
s/x, 481,6
s/jofc, 425, Rem.
sœur, 250, 281
SOI, 534
so/e, 538, 541, 542
sois (impér.), 155
sois (subj.), 139,10
soixante, 183,5
soixante-dix, 483,6
so/, 323
soleil, 267,2
soZo, 354
soZu, 91,3
somme, 247,2
sommes, 54, Rem., 119,6 b
son, 229, 537, 544, 545,
547
sonnet, 376
sons, 54, 55,6, 119,6 b
sonZ, 60,2
soprano, 354
sordeior, 453,i2
sorZir, 68, 70,7
son, 322,1
soudre, 38,2
sone, 538, 541, 542
souffert, 90,4, 101, 106,5
souffrir, 30,4, 72, 79,2
souillon, 375,1
soulever, 19
souloir, 30,2
soupirail, 301, 302, 305,2
source, 100,9, 111
sourde, I39,ii
sourd-muet, 334, 432,i
sourdre, 37,2
su, 91,2, 95,1
sufcZin, 388
suen, 538—540
suf^, 89, Rem., 101,
102,20
suffise, 44,1
suirai, 210,3, Rem.
suis (de suivre), 119,5
SUIS (sum), 119,6
Suissesse, 427
suiZe, 112,1
sujyi, 91,2
suivir, 77,5, 80,2
suivre, 31, Rem., 77,5
sûr, 261,1
surette, 414,2
surrexi, 180,i, Rem.
sus, 194, 195
suymes, 119,6 b
sylphe, 431
Ta, 537, 544, 545, 547
tailleresse, 430
Zaïre, 74,2
Zaïs, 127
Zaïse, 44,1, 149
ZanZ, 575,13
ZanZe, 250,3
tatillon, 402, Rem.
taureau, 431
Ze, 526,1,2
teignis, 185
teindu, 94
ZeinZ, 102,22
ZeZ, 290,2, 306, 308, 375,i2
témoin, 436
tempe, 247, i
tempête, 250, Rem.
tempre, 230,3
Zem/js, 229,3
tendron, 375,i
Zendu, 99,i9, 110,4
Zenir, 27,3, 75,s, 80,i
tenoir, 75,3
ZenZe, 111
Zenu, 90, 92, 94, 104,i
terre-noix, 331, i
Zers, 99,20
tête-à-tête, 331,2, Rem.
Zi, 526,3
Zien, 537—540
tiendrai, 207, 212, 215,9,
216,1
tienne, 43,3, 144
Ziers, 411,2, 492,s
29
450
tilleul, 316, 318
tindre, 80,i
tins (part, passé), 104,i
tins (passé déf.), 170,4,
191
tinsse, 202,4
tisser, 64,io
tistre, 28,2
toi, 526,2
toie, 538, 541, 542
toise, 110,4, 111
toiser, 26,i
foZeiï, 103,3
/oZZj>, 66,3, 79,2
ton, 229,1, 537, 544, 545,
547
tondre, 76
/on/e, 111
tordis, 181,2, 187
tordre, 37,3, 76
/ordu, 94, 100,10, 101,106,6
tors, 94, 100,10
tort, 106,6, 111
Touareg, 357
toue, 538, 541, 542
tourment, 247, i. Rem.
tourmente, 247,i, Rem.
/oiis, 288, Rem. 1
touse, 111
Toussaints, 363
tousser, 64,ii
/ouf (part, passé), 103,3
ZouZ (pronom), 576,i4
toutevoies, 328, Rem.
ZouZ plein, 472,3
trahir, 66,3
traire, 49,2
ZraiZ, 101, 102,23
ZrafZre, 281, 425
tramer, 24
travail, 267,2, 301, 302,
304, 305,2
Zrë, 288,2
treize, 482,3
trémail, 302
trente, 483,2
tressaille, 121
tressaillir, 70,6
tressaillirai, 215,8
trestout, 575,14
ZrifcaZ, 293,3
tricolore, 387, 1
tripolir, 66,6
Zrois, 481,3
trou-madame, 331,i
trouver, 30,i
trouverai, 206,5
trouvère, 281, Rem.
trouviendrai, 206,6
Zruis, 116,4
truisse, 137,4
Zsar, 431
Zu (part, passé), 107,9
Zu (pronom), 526,i
Zuen, 538—540
Zizrc, 266,2, 417
Zus, 194
Zype, 425, Rem.
typote, 413,4
tyran, 436
Uléma, 357
uZZe, 576,15
un, 481,1, 507
unième, 484,i, Rem.
universaux, 292,2, Rem.
urochs, 364
Fa, 116,1, 153,2
yaiZ, 42,1
vaillant, 42,i, 83,io, 84,i,
yaiZZe, 134, 143,i
vaincre, 34, 77,6
vaincu, 102,25
vainque, 139,i2
vainqueur, 436
yais, 116,1
vaisselle, 247,i
uazZ, 116,1
raZ, 293,1, 295
yaZanZ, 83,io, 84,i
valoir, 25, Rem. 1
yaZi/s, 175, 193
valusse, 202,i
vantail, 301, 302
uas, 116,1, 153,2
vassal, 295
vaudrai, 207
vaurien, 379,3
Vauvert, 386,4
vaux, 51,1, 131
vavassor, 232,2
yecu, 102,26
vécus, 176,2
yeer, 27,i
veignant, 85,i
vendais, 158, 168
venderesse, 430
yendZs, 171, 172
vendredi, 232, 1
vengeresse, 430
venir, 27,3, 80, 1
yenZaiZ, 301, 302
yenZe, 111
ventrail, 302
yenu, 90, 94, 104,i
uer, 266,3
verde, 389
yerrai, 207, 208,5
verrou, 326
yerZ, 386,4, 387,2, Rem.,
413,7
vertir, 66,3, 69,i2
vesquir, 77,7, 80,2
uéZir, 70,8
pêZu, 90
yeu/", 380
veuille (impér.), 155
veuille (subj.), 143,2
yeux, 51,1, 121
viande, 2, Rem.
vidame, 426
yide, 389, 390
viendrai, 212, 215,9, 216,i
vienne, 43,3, 144
yZeua;, 267,2, 279,2, 315
yi/-, 41, 266,1, 288,1
yig'ie, 375,2
vilainte, 413,i
Villefavreux, 232,2
Villefort, 386,i
Villepreux. 232,2
Villeréal, 386,4
vindre, 80,i
451
vingt, 483,1
vins, 170,5, 191
vinsse, 202,4
violet, 380
violoneux, 407
viorne, 247, i
uis (vidi), 192
yjs (vivo), 41, 118, Rem. 2,
192
viscère, 233
vitrail, 301, 302
vivre, 77,7
uozZe, 247,1
voir, 26,2," 75,2
uoirai, 80,3, 208,5, 216,i
voise, 137,1
yoZ, 324,1
vol-au-vent, 331,2, Rem.
yoZu, 91,4
vomir, 66,3
Dons, 116,1, d
vont, 60,2
yos, 548—550
votre, 537, 548
voudrai, 207, 208,6
vouer, 29,1
voulant, 83,11
vouloir, 30,2, 72
voulus, 176,4, 197,2
yous (part, passé), 100, n
uous (pronom), 526,4
voiissoir, 100,11
voussure, 100,ii
youf, 103,4
voûte, 111
voyant, 85,4
voyoute, 413,6
us, 526,4
yu, 92, 98, Rem., 99,22
yueiZ, 42,1
vueillant, 42,i, 83,ii, 85,i
PUS, 176,3
29*
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre I.
Chapitre II.
Chapitre III.
t/ Chapitre IV.
Chapitre V.
Chapitre VI.
Chapitre VII.
Chapitre VIII.
Chapitre IX.
Chapitre X.
Chapitre XI.
Chapitre XII.
Chapitre XIII.
Chapitre XIV.
Chapitre XV.
Chapitre XVI.
TROISIEME PARTIE
MORPHOLOGIE
LIVRE PREMIER
LES VERBES
Page
Remarques préliminaires 3
Accentuation 10
Le radical 13
A. Les voyelles 13
B. Les consonnes 24
C. Changements thématiques 32
Les terminaisons 34
Types de conjugaison 47
L'infinitif 58
Le participe présent et le gérondif 64
Le participe passé 70
A. Formes faibles 70
B. Formes fortes 75
Le présent de l'indicatif 87
A. Premier groupe 87
B. Deuxième groupe 96
C. Flexion actuelle 101
Le présent du subjonctif 106
A. Premier groupe 106
B. Deuxième groupe 109
C. Troisième groupe 112
L'impératif 117
L'imparfait 120
Passé défini 126
A. Parfaits faibles 126
B. Parfaits forts 135
L'imparfait du subjonctif 147
Le futur et le conditionnel 152
Les formes interrogatives 164
453
LIVRE DEUXIÈME.
LES SUBSTANTIFS ET LES ADJECTIFS, p^g.
Chapitre I. — Remarques préliminaires 170
Chapitre II. — Déclinaison 182
Chapitre III. — Le singulier et le pluriel 204
Chapitre IV. — Le masculin et le féminin • 257
A. Distinction des genres 257
B. Rapport historique entre la forme masculine et la
forme féminine 260
C. Particularités de la forme féminine et de la forme
masculine 272
#. D. Mots invariables 297
E. La langue parlée 304
Chapitre V. — Comparaison 309
A. Comparatif 310
B. Superlatif 317
C. Comparaison des substantifs 327
LIVRE TROISIÈME.
LES NOMS DE NOMBRES.
Chapitre I. — Nombres cardinaux 331
Chapitre II. — Nombres ordinaux - 344
LIVRE QUATRIÈME.
LES ARTICLES.
Chapitre I. — L'article défini 350
Chapitre II. — L'article indéfini 356
Chapitre III. — L'article partitif 357
LIVRE CINQUIÈME.
LES PRONOMS.
Chapitre I. — Pronoms personnels 366
Chapitre II. — Pronoms possessifs 381
Chapitre III. — Pronoms démonstratifs 391
Chapitre IV. ^Pronoms relatifs et interrogatifs 403
Chapitre V. — Pronoms indéfinis . 408
Additions et corrections 414
Bibliographie 417
Table analytique 431
Index des mots 438
Table des matières 452
Du même auteur:
MANUEL PHONÉTIQUE
DU
FRANÇAIS PARLÉ
DEUXIÈME ÉDITION TRADUITE ET REMANIÉE
PAR
EMMANUEL PHILIPOT
MAITRE DE CONFÉRENCES A L'UNIVERSITÉ DE RENNES
Un volume in 8» carré (VIII— 184 pages) 4 fr.
APPRÉCIATIONS:
Revue critique (Mars 1903, p. 342):
Commençons par remercier M. Pliilipot de nous donner une traduction
de cet excellent livre, qui avait paru d'abord en danois, et qui méritait à
tant d'égards de se répandre un peu chez nous. Le Manuel de M. Nyrop est
en effet très simple et très savant à la fois: j'entends par là que l'auteur y
a résumé avec une dextérité très sûre tout ce qu'il importe vraiment de
connaître sur la prononciation actuelle du français .... En somme ce livre
sera un guide précieux pour les étudiants étrangers, surtout ceux de langue
Scandinave ou germanique, car il les mettra en garde contre de nombreux
vices de prononciation. Mais en France aussi il pourra rendre des services . .
E. BOURCIEZ.
Archiv fur das Studium der neiieren Sprachen (vol. CX, p. 239):
Dasz die zweite Auflage des 1893 zum erstenmal und zwar in dânischer
Sprache erschienenen Bûches nun gleichzeitig in dieser und in franzôsicher
Sprache dargeboten wird, entspricht ohne Zvs'eifel einem an manchem Orte
geliegten Wunsche. Das kleine Buch wird fortfahren, gute Dienste zu tun,
zumal da Verfasser und Ûbersetzer vereint sich haben angelegen sein lassen,
den Text der ersten Ausgabe, wo dazu Anlasz war, zu berichtigen und zu
vervollstândigen. Adolf Tobler.
Romania (vol. XXXII, p. 347) :
Le livre de M. Nyrop se distingue de ceux du même genre en ce que
l'auteur joint à une pratique excellente du français parlé une connaissance
de l'histoire du français qu'atteste sa Grammaire historique. La première
édition, en danois, était inaccessible à beaucoup de ceux qu'elle aurait le
plus intéressés: M. Philipot a rendu un vrai service en la traduisant.
Gaston Paris.
Westminster review (January, 1903):
This excellent little treatise is composed in a terse and lucid style. It
is a work of great practical utility, and deserves to be known and studied
far and wide.
Revue des Humanités (1903, p. 167):
On sent partout dans ce livre — et ce n'est pas chose banale que de
trouver ces qualités réunies — l'érudition du philologue, l'expérience du
phonéticien, la clarté et l'agrément du professeur qui sait intéresser aux
matières les plus arides en apparence. C'est assez dire que nous le recom-
mandons vivement à tous ceux qui sont chargés d'enseigner le français.
L. GOEMANS.
BoUetiino di Filologia moderna (Anno V, p. 150):
Questo manuale, scritto dapprima in danese e voltato poscia in francese
con moite aggiunte del prof. Philipot nel mentre forma uno studio tutto a
se, chiaro e completo sui fonemi délia lingua francese, viene a collegarsi al
lavoro suaccennato del Passy. Questi due libri . . . non dovrebbero mancare
nella biblioteca di nessun insegnante di francese perché formano la base di
ogni elementare cognizione di fonetica e rischiarano sui dubbi che possono
sorgere riguardo alla pronuncia dei vocaboli francesi. R. Lovera.
Ncnphilologische Mittheihingen (Helsingfors, 1902, p. 14):
Disons tout de suite que cette seconde édition produit une impression
encore plus favorable que la première. L'auteur a évidemment tâché d'être
aussi clair et précis que possible, et sous ce rapport je n'ai vraiment rien à
lui reprocher. 11 a, à maints endroits, intercalé des Comparaisons utiles avec
d'autres langues et a de beaucoup augmenté le nombre des exemples fran-
çais .... Le Manuel de M. N. est un ouvrage excellent qu'on ne saurait trop
recommander à tous ceux qui veulent s'initier à la phonétique du français
A. Wallenskôld.
TABLE GÉNÉRALE.
Préface V
Abréviations VII
Transcription phonétique 'V^III
Chapitre I. Les organes de la parole 1
Chapitre IL Consonnes 16
Chapitre III. Voyelles 54
Chapitre IV. Syllabes 80
Chapitre V. Quantité 85
Chapitre VI. Accent d'intensité 101
Chapitre VII. Accent musical 111
Chapitre VIII. Assimilation 117
Chapitre IX. Liaison 123
Chapitre X. Écriture et prononciation 135
Appendice I. Comment se prononcent les lettres françaises 145
Appendice II. Texte en transcription phonétique 167
Table analytique 175
Index des mots cités 179
oiriuluu :c»i^wi. uiiig.'
PC Nyrop, Kristoffer
2101 Grammaire historique
N8 de la langue française
1899
t,2
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY