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Full text of "Grande chronique;"

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GRANDE  CHRONiOliE 


MATTHIEU   PARIS. 


WPKIMERIB  OB  HCHFEIDBH  BT  LAHORAND, 
RM  dlCrtartii,  »,  pre»  IAbb«ye. 


GRANDE  CHRONIQUE 


M\TTHIEl  PARIS 


FAR  A.  HUILLARD-BRÉBOLLES, 

A00OIIP*«!«KI  t»  NOTIS, 

ET    PRÉCÉDÉE    D'UNE   INTRODUCTION 
PAR  M   LK  Die  DE  LUYNES, 

M«Bbr«  de  I'lnstitMi. 


TOME  SEPTIEME. 


PARIS, 

PAULIN,   LIBRA1RE-ÉDITKUK, 
4840. 


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GRANDE  CHRONIQUE 

DB 

MATTHIEU  PARIS 

(historia  major  anglorum). 


SUITE  DE  HENRI  III. 

Le  roi  célèbre  a  Winchester  les  fêtes  de  Noel. 

—  Li  COMTESSE  de  CoRNODAILLES  MET  AD  MONDE  UN  FILS. 

—  Mort  de  Jérémie,  conseiller  du  roi.  —  Punition 
DE  Gaultier  de  Clifford.  —  Paix  entre  l^abbé  et  le 
coovENT  de  Westminster.  —  L'évèqce  de  Lincoln  fait 
CITER  LES  RELIGIEUX  DE  SON  DIOCÈSE.  —  L'ail  du  Sei- 
gneur >!  250,  qui  est  la  treiUe-quatrième  année  du 
règnedu  seijjneurroi  Henri  111,  le  même  seigneur  roi 
se  lrou>a  à  Winchester  à  la  naissance  du  Seigneur,  et 
y  célébra  magnifiquement,  selon  la  coutume,  les  i êtes 

VII.  i 


2  HENRI  ill. 

de  Noël.  Le  lendemain,  il  dîna  avec  Tévêque  de  ladite 
ville,  Guillnume,  dont  il  était  le  noble  et  ordinaire 
convive,  voulant  courtoisement  réjouir  ledit  évêque 
par  Thonneurde  sa  présence.  Ensuite  il  se  dirigea  en 
toute  liûte  vers  Londres,  où  il  célébra  solennellement 
la  fête  de  saint  Edouard,  à  laquelle  il  avait  invité 
outre  Tarchevéque  de  Cantorbéry  Boniface,  qui  dit  la 
messe  en  cette  circonstance,  sept  évêques  ainsi  qu'une 
foule  de  seigneurs  du  royaume. 

Vers  le  même  temps,  un  p^u  avant  les  fêtes  de 
Noël.  Cincia,  comtesse  de  Cornouailles,  épouse  du 
comte  Richard,  mit  au  n»onde  un  fils  à  Berkanisteed. 
Lecomte  invita  l'archevêque  de  Cantorbéry,  oncle  de 
Tenfant,  à  le  b.îptiser,  et  on  le  nomma  Edmond,  en 
rhonneur  du  bienheureux  Edmond,  archevêque  de 
Cantorbéry  et  confesseur. 

A  la  même  époque,  mourut  Jérémie  de  Caxton, 
clerc  et  conseiller  spécial  du  seigneur  roi.  L'évêque 
d'Ely  conféra  sur-le-champ  la  riche  église  qu'il  lais- 
sait vacante  à  Robert  Passelève,  espérant  qu'il  devien- 
drait un  saint  prêtre  après  n'avoir  rien  gagné  dans  sa 
vie  monduine. 

Vers  le  môme  temps,  Gaultier  de  Clifford,  qui,  sous 
le  rapport  du  pouvoir,  des  richesses  et  des  libertés, 
n'était  pas  le  dernier  d'outre  les  barons  de  la  marche 
de  Guiles,  fut  accusé  gravement  pnr-devant  le  siigneur 
roi  d'avoir  traité  violemment  et  indécemment,  au 
mépris  du  seigneur  roi,  un  messager  dudit  roi,  qui 
lui  apportait  des  lettres  royales,  et  de  Tnvoir  forcé  h 
uvuler  leMjites  lettre»  Mvec    In   c'ivo  (|ui  les  scellnit. 


ANNÉE  <250.  5 

Aussi  ledit  Gaultier,  ayant  été  convaincu  devant  le 
roi,  n'osa  pointsubir  son  jugement,  mais  s'en  remit 
à  la  merci  du  seigneur  roi,  et  échappa  à  grand'peine 
à  la  mort  ou  à  Texliérédation.  Toutefois  il  perdit  sa 
liberté,  ainsi  que  tout  Turgent  qu'il  avait  ou  pouvait 
avoir,  montant  à  mille  marcs;  et  il  obtint  alors  la 
permission  de  retourner  chez  lui  sans  avoir  été  em- 
prisonné, mais  sous  la  caution  de  fidéjusseurs  nom- 
més à  cet  eifft. 

Dans  la  fête  plus  haut  dite  ,  le  seigneur  roi  s  em- 
ploya le  plus  activement  possible  à  rétablir  la  paix 
entre  I  abbé  de  Westminster  et  le  couvent  du  même 
lieu  ;  car  le  scandale  de  cette  discorde,  s'étant  ébruité, 
était  retombé  sur  Tordre  religieux  tout  entier,  et 
même  sur  toule  la  région.  En  effet,  on  faisait  en- 
tendre audit  roi  que  c'était  en  vain  qu'il  avait  fait 
de  grandes  dépenses  pour  faire  sculpter  et  placer  les 
pierres  dans  la  nouvelle  construction  de  Téglise  de 
Westminster,  si  les  personnes  ecclésiastiques,  c'est- 
à-dire  le  pasteur  et  le  troupeau,  le  couvent  et  Tabbé, 
qui  doivent  servir  de  pierres  vivantes  pour  une  noble 
construction,  étaient  en  discorde,  contre  toute  règle. 
Mais,  jiar  l'intervention  du  seigneur  roi, qui  aimait 
cette  église,  la  paix  lut  rétablie  entre  les  parties. 

Vers  le  même  tenips,  Tévêque  de  Lincoln  iiobert, 
ce  persécuteur  infatigable  des  religieux,  fit  citer  tous 
les  religieux  de  son  diocèse,  pour  qu'ils  se  réunissent 
-à  Leicester,  le  jour  de  la  fête  de  saint  liilain^,  à 
Tefiet  d'y  écouter  un  mandai  du  seigneur  pape.  En 
effet,  ledit  évéque  aspirait  de  tous  ses  efforts  à  faire 


À  HENRI  m. 

rentrer  sous  sa  main  ,  ce  qui  était  fort  préjudiciable 
à  beaucoup  de  gens,  les  églises  et  les  revenus  des  re- 
ligieux établis  dans  son  diocèse ,  sur  lesquels  les 
nriêmes  religieux  n'auraient  pas  l'assentiment  du 
chapitre ,  et  ne  pourraient  pas  présenter  des  pièces 
qui  fournissent  témoignage  évident.  Pour  obtenir  ce 
privilège  ,  il  avait  envoyé  en  cour  romaine,  non  sans 
une  grande  effusion  d'argent ,  maître  Léonard  ,  son 
clerc  et  son  romipèle  ordinaire.  Or,  ladite  cour, 
semblable  à  un  gouffre,  a  le  pouvoir  et  l'habitude 
d'engloutir  tous  les  revenus  et  même  presque  tout 
ce  que  possèdent  les  évêques  et  les  abbés.  On  pourra 
trouver  au  livre  des  Addilamenta  ^  les  lettres  qui  con- 
tiennent ce  privilège. 

Plusieurs  seigneurs  anglais  accompagnent  le  comte 
Richard  en  France.  —  L'évéqce  de  Lincoln  se  rend  a 
la  cour  romaine. — -Biens  VENDUS  POUR  subvenir  AUX  frais 

DE  LA  CROISADE.  —  Le  PAPK  REJETTE  LES  OFFRES  DE  FRÉ- 
DÉRIC n.  —Relevé  de  l'argent  accordé  a  l'archevêque 
DE  Cantorbéry.  —  Le  roi  demande  aux  citoyens  de  Lon- 
dres pardon  des  injustices  qu'il  a  commises. — Il  prend 
la  croix  avec  UNE  foule  DE  seigneurs. — Ardeurunanime 
des  croisés.  —  Vers  le  môme  temps,  beaucoup  de  sei- 
gneurs du  royaume  d'Angleterre  passèrent  la  mer, 
sans  que  la  multitude  fût  instruite  des  motifs  de  ce 
voyage,  à  savoir  le  conite  Richard,  le  com  le  de  Gloces- 
ter,  le  baron  Henri  de  Hastings ,  Roger  de  Thurkeby^ 

*  Vt»l.  l'aildilioii  Xlll  n  \i\  iiii  du  volume. 


ANNEE  4250.  5^ 

el  beaucoup  d'autres  nobles  avec  eux.  Parmi  les  pré- 
lats on  voyait  les  évoques  de  Lincoln  ,  de  Londres  et 
de  Winchester  ',  et  avec  eux  les  archidiacres  d'Oxford 
çlde  Bedford,  du  diocèse  de  Lincoln  ,  ainsi  que  beau- 
coup d'autres  clercs.  Le  comte  Kicliard  traversa  le 
royaume  de  France  en  grand  appareil  et  en  splendide 
compagnie,  ayant  avec  lui  quarante  chevaliers,  tous 
vêtus  de  robes  neuves  pareilles,  montés  sur  des  che- 
vaux choisis,  aux  harnais  neufs  et  tout  brillants  d'or. 
Il  était  suivi  de  cinq  chariots  ,  de  cinquante  bêtes  de 
somme,  et  d'un  nombreux  domestique,  et  accom- 
pagné de  la  comtesse  sa  fenmie  et  de  Henri,  son  fils 
aîné  ;  en  sorte  que  sa  marche  présentait  un  spectacle 
aussi  surprenant  qu  honorable  pour  les  Français 
étonnés,  qui  le  voyaient  passer.  L'honorable  dame 
Blanche  alla  à  sa  rencontre  avec  les  plus  grands 
égards,  applaudissant  à  sa  venue,  et  lui  offrant  des 
présents  précieux,  comme  une  cousine  à  son  cousin, 
ou  plutôt  comme  une  mère  à  son  fils  chéri. 

L'évêque  de  Lincoln  fut  le  seul  qui  ne  put  cacher 
les  motifs  de  son  voyage.  En  effet,  le  susdit  évéque  de 
Lincoln,  tout  vieux  qu'il  était,  s'efforçait  ardemment 
de  plier  absolument  à  ses  volontés  ceux  qu'il  avait 
convoqués,  comme  nous  l'avons  dit,  pour  entendre 
le  mandat  du  pape,  et  qui  en  avaient  appelé  uu  saint- 
siéjje  apostolique  contre  ces  vexations  inouïes.  Or,  les 
exempts,  les  Templiers  et  les  Hospitaliers,  et  beau- 


•  Witjoruiensis ,  dit  le  texte;  mais  d'aprèg  ce  qu'on  voit  plus  bat 
<|)a.;.  7  «'t  32),  il  est  «-vident  qu'il  faut  lire  ici  M'intunieiisis. 


(>  HENRI  III. 

coup  d'autres  avaient  interjeté  appel,  el  plus  tard 
obtinrent  adroitement  du  seigneur  pape,  grâce  à  leur 
aident,  de  n'être  plus  inquiétés  :  selon  cette  parole 
d'un  païen  : 

«  Intéresse  le  juge  en  ta  favenr  quand  la  loi  est  inique.  » 

Lorsqu'après  de  grandes  dépenses  et  des  peines 
inutiles,  Tévéque  fut  instruit  de  ce  résultat,  il  se  pré- 
senta triste  et  confus  devant  le  seigneur  pape,  en 
disant  :  «  Seigneur  saint-père ,  je  suis  couvert  de  con- 
«  fusion  et  de  honte  dans  mon  projet;  car  moi  qui 
«  m'étais  appuyé  en  toute  confiance  sur  vos  lettres 
«  et  sur  vos  promesses,  je  n»e  trouve  frustré  dans  les 
«  espérances  que  j'avais  conçues,  puisque  ceux  que 
"  Je  croyais  avoir  domptés  se  retirent  librement,  à 
«  ma  grande  confusion.  »  Ou  dit  que  le  pape  lui  ré- 
pondit alors  en  le  regardant  de  travers  :  «  Mon  frère, 
«  d'où  vient  ce  reproche?  Toi  tu  as  délivré  ton  âme, 
«  et  nous  nous  leur  avons  fait  grâce.  Pourquoi  ton 
«  œil  est-il  courroucé,  parce  que  je  suis  bon?» 
Et  comme  Tévôque  disait  tout  bas  en  soupirant, 
mais  de  manière  cependant  à  être  entendu  par  le 
pope  :  ((  Argent,  argent,  quel  est  ton  pouvoir,  surtout 
«  dans  In  cour  romaine!  »  le  seigneur  pope,  exas- 
péré, reprit  aussitôt  :  «0  Anglais,  vous  êtes  les  plus 
'I  misérables  de  tous  les  hommes;  chacun  de  vous 
«  mord  son  prochain  et  s'efforce  de  l'appauvrir. 
"  Combien  de  religieux  soumis  à  ta  juridiction , 
"Combien  de  gens  qui  sont  tes  brebis,  combien 
«  d  indigènes  et  de  |>erboiine8  attachées  à  la  maison, 


ANNEE  ^250.  7 

«  qui  tous  s'acquitlaieul  des  devoirs  de  la  (iiière  et 
«  de  l^bospitalité,  n'as-tu  pas  cherché  à  abaisser  pour 
«  satisfaire  avec  leurs  biens  ta  tyrannie  et  ta  cupi- 
•  dite,  et  pour  rendre  riches  d'autres  personnes,  et 
"  peut-être  des  élranjjers?  »  Alors  l'évêque  se  retira 
couvert  de  confusion,  et  déclaré  insolent  par  tous  les 
assistants  ;  mais  il  s'occupa  d'autres  affaires ,  pour 
ne  pas  paraître  être  resté  dans  Tinaction. 

Celte  même  année.  Ko^jer  de  Monthaut,  un  des 
plus  nobles  barons  d'Anjjleterre,  ayant  pris  la  croix, 
et  voulant  se  procurer  de  Tardent  pour  son  voyage, 
donna  en  ferme,  pour  une  forte  somme,  son  fief  et  sa 
part  dans  les  forêts  et  autres  revenus  qu'il  possédait 
auprès  deCoventry,  au  prieur  et  au  couvent  du  même 
lieu;  aliéna  d'autres  possessions  et  en  vendit  beau- 
coup irrévocablement,  ainsi  qu'avaient  fait  d  autres 
8ei{;neurs,  tant  d'outre-mer  que  des  pays  d'en  deçà 
de  la  mer.  Outre  le  susdit  Roger,  une  multitude 
nombreuse  de  seigneurs,  dans  le  royaume  d'Angle- 
terre ,  avaient  pris  la  croix  à  la  même  époque  ,  pour 
contribuer  aux  succès  de  la  croix  ,  et  suivre  et  aider 
le  roi  de  France.  On  y  comptait,  tant  en  prélats  qu'en 
chevaliers,  les  évéques  de  Worcester  et  d  Hereford  , 
les  comtes  de  Leicester  et  d'Héreford  ,  Geoifroi  de 
Luci,  Robert  de  Quincy  et  beaucoup  d'autres,  qu'il 
serait  trop  long  d  énumérer.  Un  grand  nombre  aussi, 
ne  voulant  pas  recevoir  ou  porter  sur  leurs  épaules 
publiquement  le  signe  de  la  croix,  par  la  crainte  que 
leur  inspiraient  les  pièges  de  la  eour  romaine,  lirent 
vœu  secrètement  et  se  proposèrent  fermement  de  se 


8  HENRI  HI. 

reudre  dévotement  et  puissamment  en  Terre-Sainte. 
Vers  les  mêmes  jours ,  la  puissance  de  Frédéric 
prit  tant  d'accroissement  en  haine  de  la  cour  ro- 
maine, qu'après  la  défaite  de  Guillaume  de  Hollande 
et  du  légat,  beaucoup  d'hommes  puissants  se  donnè- 
rent à  Frédéric  et  lui  jurèrent  fidélité  ;  celui-ci  serra 
alors  de  si  près  les  habitants  de  Parme,  de  Reggio, 
de  Bologne  et  les  autres  rebelles  envers  lui,  qu'ils 
n'osèrent  point  se  montrer  à  quelque  distance  de 
leurs  villes,  redoutant  les  pièges  de  Frédéric.  Aussi , 
les  marchands  de  ces  villes,  qui  avaient  coutume  de 
regorger  de  richesses,  voyant  que  les  foires,  les  ports 
et  les  communications  des  routes  leur  étaient  inter- 
dits ,  commencèrent  à  être  besoigneux  ,  à  désirer  la 
paix  avec  Frédéric,  et  à  détester  la  rébellion  papale.  En 
effet,  beaucoup  de  gens  étaient  touchés  de  la  patience 
constante  de  Frédéric,  de  son  humiliation,  de  la 
satisfaction  qu'il  avait  offerte  pieusement,  disait-on, 
à  l'église.  En  effet ,  il  désirait  et  demandait  humble- 
ment qu'on  lui  permît  de  combattre  pour  l'église  en 
Terre-Sainte,  et  d'y  attaquer  les  ennemis  du  Christ, 
pendant  letempsqui  lui  restait  à  vivre,  jusqu'à  ce  qu'il 
eût  rendu  pour  le  moins  aux  chrétiens,  aussi  puis- 
samment que  prudemment,  tout  ce  qui  avait  pu  leur 
appartenir  en  aucun  temps,  pourvu  que  le  neveu  du 
seigneur  roi  d'Angleterre  ,  son  fils  Henri ,  qu'il  ai- 
mait par-dessus  tous  ses  (ils,  lui  lût  substitué  et  pût 
régner  après  lui  :  il  oil'rait  en  outre  de  rendre  tout 
ce  qui  avait  été  enlevé  à  Téglise,  et  de  donner  répa- 
r«li<ui  pour  les  dommages.  A  cela  ,  le  soigneur  pape 


ANNEE  4250.  9 

ne  cessait  de  répondre  qu'il  ne  voulait  en  aucune 
façon  remettre  aussi  légèrement  en  son  ancien  état 
celui  que  le  concile  général  de  Lyon  avait  déposé  et 
condamné.  Plusieurs  même  disaient  et  affirmaient 
que  le  seigneur  pape  désirait  ardemment  et  par- 
dessus tout  renverser  celui  qu'il  nommait  le  grand 
dragon,  afin  que,  quand  celui-là  serait  abattu  et 
foulé  aux  pieds  ,  il  foulât  plus  facilement  aux  pieds 
les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  ainsi  que  les  rois 
de  la  chrétienté,  qu'il  appelait  tous  roitelets  et  petits 
serpents  ,  lesquels  seraient  effrayés  par  l'exemple 
dudit  Frédéric,  et  qu'il  les  dépouillât  à  son  gré,  eux 
el  leurs  prélats,  de  tous  leurs  biens.  Ces  paroles  et  la 
conduite  scandaleuse,  qui  semblait  si  bien  s'accorder 
avec  de  pareils  discours,  firent  naître  Tindignation 
dans  beaucoup  de  cœurs  etjustifièrent  en  même  temps 
ledit  Frédéric ,  dont  lu  position  commença  à  s'amé- 
liorer de  jour  en  jour. 

Vers  le  même  temps,  les  évêques  de  la  province  de 
Cantorbéry  se  rassemblèrent  à  Oxford  ,  pour  exami- 
ner bi  l'argent  levé  dans  leurs  évéchés,  au  nom  de 
l'arcbevêque  de  Cantorbéry,  montait  à  la  somme  oc- 
troyée à  ce  dernier.  Ils  étaient  à  même  d'en  juger 
par  les  rapports  des  collecteurs  institués  dans  chaque 
evêché  ;  mais  l'archevêque  demandait  l)eaueoup 
plus',  voulant  que  les  dépenses  de  toute  espèce  fus- 
sent supportées  dans  son  intérêt.  Aussi  les  évêques 


•  Je  comprends  et  Iratluis  :  multo  plut  \exe<jit\.  au  lieu  de  muHoS 


10  HEiNRl  111. 

accordèrent  malgré  eux  ce  qu'il  exigeait,  sachant 
bien  que  le  seigneur  pape  était  en  toutes  choses  fa- 
vorable à  l'archevêque. 

Sur  Tordre  du  seigneur  roi,  les  bourgeois  de 
Londres  furent  cités  à  se  réunir  en  sa  présence,  tous 
sans  exception,  avec  leurs  familles,  jusqu'aux  enfants 
âgés  de  douze  ans,  à  Westminster,  dans  le  palais 
principal,  qu'on  appelle  la  grande  cour,  le  premier 
dimanche  avant  la  fête  de  sainte  Perpétue  et  de  sainte 
Félicité.  Le  palais  tout  entier,  ainsi  que  la  cour  d'en- 
trée, fut  rempli  de  leur  multitude,  au  point  qu'ils 
étaient  serrés  les  uns  contre  les  autres.  Lorsqu'ils 
furent  tous  rassemblés,  le  seigneur  roi,  d'un  ton 
humble  et  presque  en  pleurant,  les  supplia  de  lui 
remettre  bénignement  de  cœur  et  de  bouche,  tous 
tant  qu  ils  étaient,  tous  les  sentiments  de  colère,  de 
malveillance  et  d'indignation  qu'ils  pouvaient  avoir 
contre  lui.  Car,  comme  il  Tavoua  en  public,  lui- 
même  fréquemment,  et  ses  officiers  plus  fréquem- 
ment encore,  avaient  commis  envers  eux  des  in- 
justices de  toute  espèce,  en  enlevant,  saisissant  et 
retenant  outrageusement  leurs  biens,  et  en  lésant 
maintes  fois  les  libertés  d'iceux.  Aussi  demandait-il 
(]u  ils  lui  en  accordussenlpardon.  Alors  les  bourgeois, 
comprenantquec'élnit  là  toute  la  satisfaction  qui  leur 
était  offerte,  consentirent  à  tout  ce  que  le  seigneur 
roi  demandait;  mais  quant  :i  la  restitution  de  ce  qui 
leur  avait  été  enlevé,  il  n'en  lut  nullementquestion. 

Ce  même  jour  aussi,  le  seigneur  roi  reçut  la  croix 
des  moins  de  l'archevêque  de  Canlorbéry  Bonilnce. 


ANNÉE  4250.  44 

Ëosuite  le  même  archevêque  donna  la  croix  à  d'au- 
tres seigneurs,  parmi  lesquels  se  trouvaient  Fitz-Ni- 
colas,  sénéchal  du  seigneur  roi,  Guillaume  de  Va- 
lence, frère  utérin  du  seigneur  roi ,  Paulin  Lepoivre*, 
conseiller  spécial  du  même  seigneur,  et  beaucoup  de 
grands  et  de  courtisans.  L'abbé  de  Saint-Edmond, 
nommé  Edmond,  se  croisa  aussi,  rompant  ainsi  tous 
ses  vœux  :  ce  qui  parut  ridicule  à  tout  le  monde,  et 
d'un  exemple  pernicieux  et  préjudiciable  aux  moines 
et  à  l'ordre  religieux.  Il  y  eut  aussi  des  clercs,  con- 
seillers ordinaires  du  seigneur  roi,  tels  que  Jean 
Mansel,  Philippe  Luvel  et  beaucoup  d'autres  qu'il 
serait  trop  long  d'énumérer.  Des  personnes,  toujours 
disposées  à  mal  interpréter  les  démarches  d'autrui, 
ne  craignirent  pas  d'assurer  que  le  seul  but  du  sei- 
gneur roi ,  en  prenant  la  croix ,  était  d'extorquer 
violemment,  en  cette  occasion,  beaucoup  d'argent  à 
ses  seigneurs,  qui  précédemment  avaient  résisté  à  ses 
sollicitations,  et  cela  sous  prétexte  de  contribuer  à  la 
conquête  de  la  Terre-Sainte.  Cependant  les  gens  dis- 
crets, et  qui  avaient  plus  de  raison,  s'abstenaient  de 
juger,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  des  preuves  dans  les  actes 
subséquents.  En  elfet,  c'est  le  propre  d'un  homme 
de  bien  de  supposer  le  mieux  dans  une  question  dou- 
teuse, jusqu'à  ce  que  le  contraire  soit  prouvé.  Et 
d  ailleurs  qui  peut  connaître  les  pensées  des  mortels, 
excepté  Dieu?  Ce  qui  semblait  justifier  cette  interpré- 
tation fâcheuse,  c'était  l'exemple  pernicieux  du  roi 

'  hlaii.  Fari»  ra|)|>elle  ici  i'eviye  el  Camdrn  l'ever.  (Voij.  la  note  re- 
lalife  a  ee  per&oimj|;e,  année  4251.) 


^2  HENRI  Hi, 

de  France',  lequel,  dans  Tintérét  de  son  pèlerinage, 
avait  enlevé  de  son  royaume  des  sommes  considé- 
rables, qui  pourtant,  par  la  vengeance  de  Dieu,  ne 
devaient  pas  lui  profiter;  car  la  suite  du  récit  mon- 
trera quels  fruits  il  retira  de  celte  exaction. 

Cette  même  année,  à  savoir  le  cinq  avant  les  ca- 
lendes de  mai,  les  principaux  des  croisés  anglais  se 
rassemblèrent  à  Londres,  à  l'abbaye  de  Bermondsey^, 
pour  régler  les  préparatifs  de  leur  prochain  voyage, 
assurant  qu'ils  ne  retarderaient  rien  à  cause  du  roi; 
car  ils  regardaient  comme  indigne  de  négliger  le 
salut  de  leur  âme,  et  de  préférer  la  faveur  d'aucun 
roi  de  la  terre  au  service  du  roi  céleste.  Ils  fixèrent 
donc  pour  terme  la  fête  de  la  nativité  du  bienheu- 
reux Jean-Baptiste.  Dans  le  recensement  qui  fut  fait 
alors  des  personnes  rassemblées,  on  trouva  cinq  cents 
chevaliers  avec  leur  suite;  quant  au  nombre  des  ser- 
gents et  du  peuple  qui  devaient  se  joindre  à  eux,  la 
multitude  en  paraissait  incalculable.  Or,  tous  les 
croisés  du  royaume  d'Angleterre  et  beaucoup  de  croi- 
sés du  royaume  de  France,  qui  avaient  fait  leurs  pré- 
paratifs avant  que  le  soigneur  roi  d'Angleterre  eût 
pris  la  croix,  alteudaient  avec  in»patience  cette  expé- 
dition si  belle.  Mais  le  seigneur  roi,  qui,  en  éclaireur 
adroit,  avoit  eu  d'avance  connaissance  de  ce  projet, 
s'empressa  d'obtenir  de  la  cour  romaine,  en  y  ré- 

•  Kn  lupposaiil  même  qu'on  |>uiwc  faire  ce  reproche  à  luint  Louis,  il 
cul  loiijoum  ri  rfiVcluii  n'-flliMni'iit  I  intciilioii  (f'-illcr  h  h  croisade,  tnn- 
diit  (|u«  Ilcnri  III  n«|)<iurrnil  p*  .ivoir  lu  mi'mr  excuw*. 

>  Au  faubouri;  de  Soulhwork. 


ANNEE  ^250.  ^,> 

panJant  autant  d'argent  qu'elle  voulut,  et  en  en  pro- 
mettant plus  encore,  des  lettres  dont  l'autorité  sus- 
pendait le  départ  des  croisés  jusque  ce  que  lui-môme, 
comme  chef  et  capitaine ,  passât  puissamment  en 
personne  dans  les  pays  d'outre-mer;  ce  qui  rendrait 
sa  marche  et  plus  pompeuse  et  plus  sûre.  A  cela  les 
croisés  susdits  répondirent  qu'il  serait  convenable  et 
sûr  que  ceux  qui  s'étaient  croisés  avant  que  le  sei- 
gneur roi  eût  pris  la  croix,  qui  s'étaient  prémunis 
de  chevaux,  d'armes  et  de  provisions  de  voyage,  en 
mettant  leurs  terres  en  gage,  qui  avaient  vendu  beau- 
coup de  possessions,  et  qui  avaient  dit  adieu  à  leurs 
amis,  se  missent  en  roule  les  premiers,  précédassent 
la  personne  de  leur  roi,  et  trouvassent  ainsi  plus  fa- 
cilement des  vivres  ;  qu'à  cette  vue,  les  étrangers  di- 
raient :  «  Eh  mais,  si  tant  d'hommes,  de  si  magni- 
«  Hques  et  de  si  illustres  chevaliers  précèdent  la  face 
«  du  roi  d'Angleterre,  combien  nombreuse  doit-on 
a  croire  que  sera  sa  compagnie  et  sa  suite,  quand  il 
«  arrivera  en  personne?  »  Ainsi  l'honneur  du  roi 
s'accroîtrait  parmi  ses  voisins,  et  la  crainte  qu'il  in- 
spirait, parmi  sesennemis.  Mais  les  lettres  commina- 
toires du  seigneur  pape,  et  les  prières  impérieuses 
du  seigneur  roi  changèrent  tous  leurs  projets,  en  les 
forçant  à  rester.  Quoique  ce  changement  ne  puisse 
pas  être  regardé  comme  méritoire  en  soi,  ce  fut  ce- 
pendant accidentellement  un  bonheur  pour  eux  ; 
car  ils  ne  seraient  pas  arrivés  en  temps  opportun  an 
lècours  du  roi  de  France,  comme  ils  le  désiraient  ar- 
demment.  C'est  ainsi,  hélas!  que  les  a  lia  ires  de  la 


4 A  HENRI  111. 

croix  se  trouvèrent  arrêtées  et  languissantes  par  un 
obstacle  et  par  un  autre. 

Gaston  de  Béarn  et  les  aotres  rebelles  gascons  se 
sodmettent.  clémence  et  faiblesse  ddroi.  sor- 
TIE DES  Français  contre  les  Sarrasins,  a  Damiette.  — 
Le  SOUDAN  offre  des  conditions  de  paix.  —  Une  foule 
DE  Français  périssent  par  le  fer  et  la  faim.  -^Apo- 
stasie de  plusieurs  d  entre  eux. —  Mort  du  Soudan. — 
La  fidélité  de  plusieurs  chancelle.  —  Cette  même 
année,  la  Gascogne  fut  si  bien  soumise  par  le  comte 
deLeicester,  Simon  de Montfort,queGaslondeBéarn, 
le  plus  puissant  ou  l'un  des  plus  puissants  d'entre  les 
ennemis  du  roi  d'Angleterre,  ayant  été  pris  et  bumi- 
lié,  fut  obligé,  par  les  ordres  du  comte,  de  venir  en 
Angleterre  trouver  son  seigneur  le  roi,  quil  avait  of- 
fensé, et  (]ui  séjournait  alors  à  Clarendon,  pour  de- 
mander grâce  au  roi  sur  sa  vie,  ses  membres  et  sou 
tenement,  et  pour  s'en  remettre  absolunient,  non  pas 
à  un  jugement,  mais  à  la  merci  du  roi.  Cela  ayant 
été  fait,  il  trouva  dans  le  roi  une  clémence  qu'il  ne 
méritait  pas. 

Car  c'est  alors  que  le  sang  royal  est  vaincu  et  re- 
nonce à  la  vengeance,  quand  il  voit  les  rebelles  abat- 
tus; ainsi  que  Ta  dit  Ovide  : 

•  C'est  ùuei  pour  le  lion  magnanime  d'avoir  renversi*  à  terre  les  corps 
de  se*  eunemu.  11  finit  do  cumbultrc  dès  que  sou  adversaire  ne  le  peut 
plus.  • 

Le  seigneur  roi  reçut  donc  en  sa  main,  par  le 
moyeu  du  comte  Simon,  quelques cliàleaux du  même 


ANÎVÉE  ^230.  ^5 

Gaston  et  de  ses  complices,  à  savoir  Fronsac,  Aigre- 
mont  et  beaucoup  d'autres.  Gaston,  après  son  humi- 
liation, qui  pourtant  n'était  que  feinte,  rentra  si 
avant  dans  les  bonnes  grâces  du  roi,  par  l'interces- 
sion de  la  reine,  dont  il  prétendait  être  le  parent, 
qu'il  fut  rétabli  dans  la  possession  de  sa  terre,  tout 
en  restant  obligé  par  de  très-étroites  conditions.  Ce- 
pendant le  comte  susdit,  cherchant  à  être  en  tout 
digne  de  son  père,  et  à  suivre  ou  même  dépasser  les 
traces  de  son  magnifique  père,  parvint  à  réprimer 
Pinsolence  des  autres  rebelles  du  seigneur  roi,  tant 
h  Bordeaux  que  dans  toute  l'étendue  de  la  Gascogne, 
au  point  que  Guillaume  de  Solaires,  Kuslein  et  les 
autres  adversaires  superbes  du  roi  furent  ou  déshé- 
rités et  mis  en  fuite,  ou  condamnés  à  être  privés  de 
leurs  terres.  H  en  fit  même  pendre  beaucoup  à  de 
hautes  potences. 

Ilemarquez  que,  quand  le  roi  se  trouvait  en  Gas- 
cogne et  croyait  pouvoir  se  retirer  librement,  les 
Gascons,  et  principalement  les  Bordelais,  le  voyant 
placé  dans  une  position  difficile,  lui  extorquèrent, 
avant  qu'il  pût  se  retirer,  une  concession  de  qua- 
rante mille  marcs,  et  exigèrent  semblablement  qu'il 
reconnût  cette  dette  en  interposant  sa  foi,  en  prê- 
tant serment  et  en  dressant  une  charte.  C'est  pour- 
quoi, aussitôt  après  son  arrivée  en  Angleterre,  le  roi 
se  (it  donner  cet  argent  par  les  prélats;  et  ainsi  après 
avoir  perdu  le  Poitou,  il  appauvrit  l'Angleterre.  Il 
fui  même  obligé,  non  sans  délester  les  Gascons,  de 
vendre  son  trésor  pour  se  libérer. 


■16  HENRI  III. 

Le  lundi  avant  le  jour  des  cendres',  Tarmée  des 
Français  sortit  deDamietteavec  une  impétuosité  sou- 
daine, se  jeta  sur  les  Sarrasins  qui  Tassiégeaient  dans 
cette  ville,  et  en  tua  un  grand  nombre  ;  puis  les 
Français  victorieux  rentrèrent  dans  leurs  retranche- 
ments, joyeux,  sains  et  saufs  et  chargés  de  dépouilles. 
Le  lendemain  ils  sortirent  aussi,  espérant  que  le  sort 
des  armes  leur  serait  pareillement  favorable,  mais 
la  foule  de  leurs  ennemis  s'étant  accrue,  ils  eurent  le 
désavantage  danç  ce  combat ,  et  perdirent  dix  fois 
plus  ce  jour-là  qu'ils  n'avaient  fait  de  gain  la  veille; 
et  s'ils  réussirent  à  revenir  à  Damiette,  ce  ne  fut  que 
sanglants,  déchirés,  blessés,  et  après  avoir  perdu 
beaucoup  de  monde.  Désormais  les  Sarrasins  com- 
mencèrent à  se  ranimer  de  cœur,  à  relever  la  tête 
contre  les  chrétiens  ,  et  à  fermer  de  toutes  parts  les 
voies  et  les  chemins  parterre.  Le  Soudan,  concevant 
aussi  de  meilleures  espérances,  ramassa  de  tous  côtés 
des  galères,  tant  d'Alexandrie  que  des  autres  lieux 
maritimes,  ordonna  qu'on  surveillât  soigneusement 
les  abords  de  la  mer,  des  côtes  et  de  tous  les  lieux 
d'où  les  Français  pouvaient  tirer  des  secours,  et  s'at- 
tacha principalement,  et  avec  plus  de  vigilance  qu'à 
l'ordinaire,  à  ce  qu'on  ne  leur  apportât  pas  de  vivres. 

Enfin  on  ouvrit  conseil,  et  une  conférence  fut  te- 
nue. Le  Soudan  fit  savoir  au  roi  de  France  qu'il 
ferait  bien,  avant  que   la   famine   eût  détruit  son 

*  Erreur  de  daU.  Le  lundi  avonlles  cendres  de  l'nnnée  4249,  lescroU 
•^ëUient  eneorn  en  (Chypre,  ci  li;  lundi  nvnnt  les  cendres  de  Pann<^  \2!i0, 
il«  le  iirt'pnrnientln  trnvorser  le  Tlinnis  devant  Monsnurah. 


I 


ANNÉE  4250.  4  7 

armée,  de  cesser  les  hostilités  et  de  rendre  la  ville 
de  Damielte,  avec  toutes  les  provisions  de  {guerre  que 
Ton  appelle  vuljjairenient  {jarnilures;  s'engageant 
de  son  côté  à  rendre  amicalement  audit  roi  toute  la 
région  de  Jérusalem,  avec  les  esclaves  chrétiens; 
car,  disait-il.  le  roi  ne  devait  pas  aspirer  à  autre 
chose  qu'à  rendre  la  Terre -Sainte  aux  clirétiens. 
Une  foule  de  chrétiens,  à  savoir  les  gens  de  mé- 
diocre importance,  te  menu  peuple  besoigneux  et 
quelques-uns  des  grands  voulaient  qu'on  prît  ce 
parti,  assurant  que  si  Ton  ne  consentait  pas  à  ces 
conditions  de  paix  et  à  cette  iiumiiité,  l'orgueil  des 
seigneurs  perdrait  toute  l'armée.  Le  roi ,  connaissant 
doue  ces  dispositions,  aurait  cédé  à  ce  conseil,  si 
I  arrogance  du  comte  d'Artois,  qui  exigeait  de  plus 
Alexandrie,  ne  s'y  fûtaudacieusement  opposée.  Mais 
le  Soudan  ne  voulut  en  aucune  façon  rendre  aux 
chrétiens  Alexandrie,  qui  était  la  plus  noble  cité 
d'Egypte,  et  qui  servait  d'entrepôt  à  tous  les  mar- 
chands du  Midi  et  de  l'Orient.  D'ailleurs,  disait-il,  les 
AlexHniirinset  les  Egyptiens  ne  l'auraient  pas  souffert. 
La  position  des  Français  assiéjjés  de  tous  côtés 
commença  donc  à  devenir  très-funeste.  En  effet,  celte 
nation,  qui  est  recherchée  et  délicate  en  fait  de  mets 
et  de  boissons,  était  forcée  de  se  nourrir  d  aliments 
immondes  et  détestables,  sans  que  Frédéric  ou  au- 
cun chrétien  put  venir  des  lieux  voisins  à  son  se- 
cours. Pour  tout  dire  en  peu  de  mots,  les  Français 
étaient  réduits  à  de  telles  extrémités,  qu'ils  étaient 
obligés  de  manger,  pendant  le  carême,  leurs  chevaux 
qui  leur  étaient  si  nécessaires,  et  même  les  plus  pré- 


vu. 


18  HENRI  HI. 

cieux;  ce  qui  était  déplorable  à  voir.  Pour  comble 
«le  douleur,  la  dissension  et  la  haine  divisaient  le 
peuple  el  les  seigneurs ,  parce  que  ceux-ci  avaient 
rejeté  arroijamment  les  conditions  raisonnables  de 
la  paix  qui  était  offerle.  Déplus,  les  princes  des  Sar- 
rasins,détestant  l'insolence  des  chrétiens  et  se  liguant 
plus  étroitement,  se  disposaient  à  les  serrer  de  plus 
près  encore.  Aussi  beaucoup  de  chrétiens,  dans  ce 
moment  de  grande  détresse,  sortirent  secrètement 
de  leur  can>p  et  de  la  ville,  allèrent  se  joindre  aux 
troupes  des  Sarrasins  qui  les  traitèrent  bien,  et  de- 
vinrent pour  les  noires  des  ennemis  dangereux;  car 
les  Sarrasins  les  accueillirent  mourants  de  faim , 
applaudirent  à  leur  arrivée,  et  leur  fournirent  des 
rations  de  vivres  suffisantes.  Cependant  un  grand 
nombre  de  chrétiens  persistèrent  dans  leur  loi,  par 
la  tolérance  des  Sarrasins;  d'autres  apostasièrenl, 
s'associèrent  à  leurs  superstitions  ignominieuses,  et 
leur  jurèrent  hommage  durable  :  ceux-là  furent 
enrichis  abondanmient;  on  leur  donna  des  femmes, 
des  châteaux,  et  on  les  combla  d  honneurs.  Aussi 
furent-ils  (rautant  plus  mortellement  nuisibles  aux 
chrétiens,  quMls  étaient  à  même  de  révéler  aux  en- 
nemis les  secrètes  intentions  de  ces  derniers. 

I^orsquc  ces  apostats  curent  pleinement  expliqué 
jiu  Soudan  la  disette  de  toute  espèce  (jue  souffraient 
les  chrétiens,  celui-ci  fit  demander  ironiquement  au 
roi  de  France,  pourquoi  il  n'avait  pas  souci  de  se 
servir  des  herses,  des  fourches,  des  houx,  des  hoches, 
des  oharrucs  et  des  autres  instruments  nécessaires  à 
la  culture ,  qu'il  avait  apportés  avec  lui  sur  ses  vais- 


ANNÉE  ^250.  A9 

seaux  \  dans  les  pays  d'Orient  qu'il  ne  connaissait 
pas,  et  pourquoi  il  les  laissait  se  ronger  par  la 
rouille.  Le  soudaii  ajouta  que  pour  remplir  envers  lui 
les  devoirs  de  Tainitié,  il  lui  fournirait  plus  facile- 
ment du  blé,  du  vin,  de  Thiiile  el  de  la  viande  pour 
lui  et  pour  son  armée,  tant  qu'elle  séjournerait  en 
ce  lieu.  Mais  le  roi,  supportant,  non  sans  une  dou- 
leur profonde,  toutes  ces  tentations  de  ses  adver- 
saires, montrait  un  visage  serein,  et  cachait  pru- 
denmient  les  blessures  de  son  cœur. 

Peu  de  temps  après,  le  même  Soudan  mourut  em- 
poisonné, à  ce  qu'on  prétend,  par  ses  propres  cham- 
briers*  :  car  il  était  haï  des  siens  et  de  tous  les 
princes  ses  voisins.  En  effet  c'était  un  homme  su- 
perbe, avare  et  injuste  envers  tout  le  monde.  A  cetle 
nouvelle  les  chrétiens  furent  transportés  de  joie, 
quand  ils  auraient  du  plu  tôt  en  être  fâchés;  car  beau- 
coup de  Sarrasins  n'étaient  attachés  qu'en  apparence 
audit  soudai),  et  le  poursuivaient  d'une  haine  .se- 
crète', tandis  qu'aussitôt  après  il  fut  remplacé  par 

■  Ce  paatage coofirme  a*  que  rapportent  d'autres  historiens  :  que  saint 
louis  avait  Piutentjon  de  faire  de  TEgypte  une  colonie  chn-tionne,  en  y 
introduisant  des  agriculteurs  et  des  traiiquauts  d'Europe,  (l'otr  lea  Ad- 
ditiimeitta^  ti°  \i  cl  M.  Michaud,  toin.  iv,  paj;.  138.) 

*  Ce  fut,  en  effet,  le  bruit  qui  courut  ;  mais  les  historiens  arabes,  Ma- 
krisi  entre  autres,  disent  que  Nedjm-Eddin  mourut  d'une  fistule  et  d'un 
ulcère  an  pounuMi,  le  45  de  ta  lune  deChaban  (2^  novembre  I:Î4!>),  après 
avoir  désigné  pour  sou  sucsr^ssrur  son  (ils  Touran-rbah.  Saint  Louis  était 
déjà  eu  rouie  pour  le  C^ire  quand  il  apprit  la  mort  du  Soudan. 

*  Apres  la  prise  de  Damietle,  les  émirt>  auraient  tué  le  Soudan  sur  un 
geste  de  Fakreddin,  si  ce  dernier  l'eAt  voulu.  »  Laissez-le,  dit-il,  c'est 
un  mourant.  ^ 


20  HENRI  III. 

un  autre  soudan  qui  obtint  la  faveur  de  presque  tous 
les  Orientaux.  Ce  dernier  attaqua  les  chrétiens  con- 
stamment, puissamment  et  avec  plus  d'acharnement 
que  son  prédécesseur,  et  refusa  iormellement  les 
conditions  de  paix  qui  avaient  été  offertes  et  que  pres- 
que tous  les  ciirétiens  désiraient  et  demandaient. 
Désormais  la  position  des  chrétiens  devint  de  plus 
en  plus  pénible,  et  leur  renommée  commença  i\ 
s'obscurcir  aux  yeux  de  tous  les  Orientaux. 

Un  grand  nombre  de  chrétiens,  qu'une  foi  ferme 
ne  fortifiait  pas,  se  laissa  autant  décourager  par  le 
désespoir  et  par  les  blasphèmes  que  par  la  faim,  et 
la  foi  de  plusieurs  commença,  hélas!  à  chanceler; 
or  ils  se  disaient  entre  eux  :  «  Pourquoi  le  Christ 
a  nous  a<t-il  abandonnés,  nous  qui  ayons  combattu 
«  jusqu'ici  pour  lui  età  son  service?  déjà  maintes  fois, 
•(  dans  ces  derniers  temps,  nous  avons  été  vaincus 
'<  et  confondus,  et  nos  ennemis,  ou  plutôt  ceux  du 
M  Christ,  se  sont  glorifiés  en  triomphe  de  notre  sang 
«  et  de  nos  dépouilles.  D'abord  pour  parler  de  cette 
«  ville  de  Da miette,  nous  avons  été  forcés  de  la  rendre 
«  après  Tavoir  acquise  aU  prix  de  tant  de  sang,  quand 
M  nous  nous  sommes  vus  entourés  par  les  ilols  du 
«  Nil.  Ensuite,  non  loin  d'Antioche,  l'illustre  milice 
«  du  Temple  a  été  vaincue,  et  son  porte-bannière  a 
«  eu  lu  tète  coupée.  Plus  tard,  et  peu  d'années  après, 
•(  nous  avons  succombé  auprès  de  Gazer,  sous  le 
••  glaive  des  Sarrasins,  et  avons  été  rachetés  ensuite 
•4  par  un  certain  Anglais,  le  comte  Kichard.  Ensuite 
'<  |>re8(|ue    toute  l'universalité  des  chrétiens  a   été 


ANNÉE  4250  21 

"  iiidbsaticten  lerre-Sainle,  par  les  Choiosiiiinieiis 
«  qui  oikl  souillé  et  délruit  lous  les  lieux  (|u'un  ap- 
•  pelle  saints.  Et  aujourd'hui,  ce  qui  est  plus  pénible 
"  encore,  notre  roi  très-chrétien,  ressuscité  niiracu- 
«  leusement  d'entre  les  morts,  se  voit  exposé  à  des 
<<  dangers  ignominieux,  lui  et  toute  la  noblesse  di' 
<•  France.  Le  Seigneur  est  devenu  pour  nous  comme 
'<  un  ennemi  ;  et  celui  qu'on  a  coutume  d'appeler  le 
«  Dieu  des  armées,  est  méprisé  maintenant,  ô  dou- 
<<  leur  !  comme  ayant  été  maintes  fois  vaincu  par  ses 
«  ennemis.  A  quoi  nous  servent  nos  actes  de  dévo- 
"  lion,  les  oraisons  des  religieux,  les  aumônes  de 
«  no8  amis?  Est-ce  que  la  loi  de  Machometh  serait 
"  préférable  n  la  loi  du  Christ?  »  Telles  étaient  les 
paroles  qu'ils  prononçaient  dans  le  délire  d  une  foi 
vacillante,  et  les  jours  du  carême  se  passaient  dans 
le  péché  plutôt  que  dans  la  pénitence. 

SÉVÉRITÉ  DE  l'ÉVÈQUE  DE  LlNCOLN  ENVERS  UN  OFFICIER 

1)1)    HOI.    —   LeTFIIE    du    l'APE    A    CE    SUJET.    —    Le  COMTE 

RiCIIARD  REVIENT  DE  LA    COUR   ROMAINE.    —    OPINIONS  Dl- 

\KRSES  SUR  l'entretien  DU  i'.4PE  AVEC  LE  COMTE  HiCHARD. 

—   Le  COMTE  ACHÈTE  UN  PRIEURÉ  A  l'aRRÉ  DE  SaINT-De- 

Ms.  •—  Miracle  ou  rras  de  saint  Edmond.  —  Le  roi 
kait  restreindre  la  dépense  de  sa  maison.  —  Cette 
même  année,  il  arriva  que  l'évcque  de  Lincoln 
priva  de  son  bénéiice  uncertain  clerc  de  son  évéché, 
nommé  Ilanuif,  qui  était  accusé  d'incontinence,  et 
I  exconimuniu  eiisuile,  parce  qu  étant  condamné,  il 
inail  refusé  de  résigner  son  bénéfice,  (ioinmc  réceni 


22  HENKi  lil. 

ment  il  avait  persévéré  dans  la  sentence  d'excommu- 
nication au  delà  des  quarante  jours,  Tévêque  signifia 
au  vicomte  deRuthIand,  dans  la  vicomlé  duquel  le 
même  clerc  demeurait,  Tordre  de  le  saisir  et  de  le 
garder  comme  contumax.  Le  vicomte,  qui  par  ha- 
sard se  trouvait  l'ami  dudit  Ranuif  et  qui  n'était  pas 
favorable  à  Tévêque,  différa  ou  refusa  d'exécuter  cet 
ordre;  car,  comme  dit  Sénèque,  différer  longtemps, 
c'est  refuserlongtemps.  L'évêque,  comprenant  donc  le 
njauvais  vouloir  du  vicomte ,  Texcommunia  lui- 
n)ême  solennellement.  Alors  le  vicomte,  irrité  et  cou- 
vert de  honte,  alla  sur-le-champ  trouver  le  roi  et  se 
plaignit  amèrement  à  lui.  A  cette  nouvelle,  tous  les 
courtisans  témoignèrent  leur  indignation  ;  mais  le 
roi,  plus  irrité  que  les  autres,  répondit  en  proférant 
son  grand  juron  :  «  Si  quelqu'un  des  miens  avait 
«  forfait  contre  cet  évéque  ou  contre  tout  autre,  lé- 
«  vôque  aurait  dû  déposer  sa  plainte  par-devant 
«  nous.  Mais,  à  cequil  paraît,  il  a  fait  fi  de  moi.  » 
Aussi  il  envoya  à  la  cour  romaine  des  députés  solen- 
nels et  parvint  à  obtenir  sans  retard,  en  répandant 
de  l'argent,  lu  lettre  suivante,  fort  préjudiciable  à  la 
liberté  ecclésiastique  : 

«  Innocent  IV,  évéque,  etc.,  à  ses  chef  s  fils  Tabbé 
[et  le  couvent]  de  Weslminst(»r  à  Londres,  salut. 
Nous  acquiesçons  libéralement  aux  vœux  de  son  al- 
lesse  l'illustre  roi  d'An[;leterre  notre  très-clier  fils 
en  Jésus-Christ,  afin  de  nous  montrer  favorable 
pour  lui  en  ce  qu'il  nous  (lemun<le  justement. 
Oojnine  donc,  ainsi  qu'il  nous  a  été  i'X|>osé  de  sa  part, 


ANNÉE  1250.  25 

certains  pontifes  el  autres  prélats  forcent,  de  leur 
seule  volonté,  les  baillis  de  son  royaume  à  plaider 
par-devant  eux  sur  des  choses  qui  touchent  à  la  ju- 
ridiction royale,  et,  s'ils  ne  viennent  plaider  devant 
eux,  prononcent  contre  ces  baillis  des  sentences  d'ex- 
communication au  préjudice  et  aux  griefs  dudit  roi; 
nous  cédant  à  ses  supf)lieatioiis,  jugeons  à  propos  de 
défendre  formellement,  par  l'autorité  des  présentes, 
qu  aucun  archevêque,  évêque  ou  autre  prélat  dudit 
royaume,  force  les  susdits  baillis  à  plaider  par-de- 
vant lui  sur  des  choses  qui  touchent  à  la  juridiction 
royale,  ou  porte  contre  eux  à  ce  sujet  des  sentences  de 
cette  espèce.  C'es^  pourquoi  nous  recommandons  à 
votre  discrétion,  par  ce  rescrit  apostolique,  de  ne  pas 
permettre  que  le  susdit  roi  soit  molesté  injustement 
par  qui  que  ce  soit,  à  cet  égard,  contre  la  teneur  de 

notre  prohibition.  Que  les  malfaiteurs,  etc Donné 

à  Lyon,  le  sept  avant  les  ides  de  mars,  Tan  septième 
de  notre  pontificat.  »  Toutefois  le  seigneur  roi,  en  se 
plaignant  décela  au  seigneur  pape,  ne  trouva  pas  de 
])artisans  chez  les  gens  habiles. 

Le  premier  lundi  avant  les  jours  des  llogalions, 
le  comte  Kichard,  revenant  de  la  cour  romaine,  abor- 
da en  Angleterre, el,  étunt  ar^^ivé  à  Londres,  lut  reçu 
avec  honneur  et  révérence  pour  qu'il  ne  parût  pas 
recevoir  moins  d'hoimeurs  que  dans  les  pnys  d'outre- 
mer; car  la  noble  dame  et  reine  Blanche  lui  avait 
témoigné  tous  les  égards  qu'elle  avait  pu  et  lui  avait 
ouvert  le  sein  de  la  France  entière.  On  connut  aussi 
bientôt,  pai-  le  rapport  dudit  comte  et  de  ses  hommes. 


2i  HENRI  111. 

avec  quelle  pompe  le  pape  lui  avait  fait  les  honneurs 
quand  il  était  arrivé  à  Lyon.  En  effet,  lorsque  ledit 
comte  Richard  approcha  de  la  ville,  presque  tous  les 
cardinaux  et  les  clercs  de  la  cour  romaine  allèrent  à 
sa  rencontre,  en  sorte  qu'un  seul  cardinal  et  un 
petit  nombre  de  clercs  restèrent  auprès  du  seigneur 
pape.  Or,  la  presse  de  chevaux  et  d'hommes  formée 
tant  par  son  escorte  que  par  tous  ceux  qui  venaient  à 
lui  était  si  grande,  le  tumulte  causé  par  ses  bagages, 
la  multitude  nombreuse  de  sa  suite  richement  vêtue, 
présentaient  un  tel  spectacle,  que  les  citoyens  ainsi 
que  tous  les  étrangers  qui  étaient  venus  pour  leurs 
affaires  à  la  cour  romaine  ne  pouvaient  s'en  rassa- 
sier. Lorsqu'il  parut  sur  le  seuil  de  l'hôtel  du  pape, 
celui-ci  se  leva  et  vint  à  sa  rencontre,  applaudit  à 
son  arrivée,  le  salua  avec  déférence,  vl  le  reçut  au 
baiser;  puis  il  le  supplia,  du  visage  le  plus  gracieux, 
de  dîner  avec  lui  ce  jour-là.  Le  comte  y  ayant  consenti 
volontiers,  fut  placé  à  table  à  côté  du  seigneur  pape, 
et  le  comte  de  Glocester  Richard,  i»on  loin  d'eux  ;  et 
le  repas  se  passa  fort  joyeusement  et  courtoisement, 
les  convives  s'égayanl  mutuellement,  à  lu  manière 
des  Français  et  des  Anglais,  par  les  mets,  les  vins  et 
les  paroles  amicales.  Eqsuite  le  pape  et  les  nouveaux 
venus  eurent  entre  eux  de  longues  et  secrètes  confé- 
rences, en  sorte  (juetous  ceux  qui  voyaient  cela  s'en 
étonnaient,  en  considérant  surtout  la  munificence 
extraordinaire  i\i\  pape.  Le  comte,  après  s'être  arrêté 
à  l'onligiiy ,  vers  la  lin  (l'avril,  pour  y  faire  une 
oraison  à  saint  Edmond  le  confesseur,   revint  tout 


ANNÉE  4250.  25 

joyeux  en  Anglelerre,  comme  nous  venons  de  le  dire. 

Quanl  au  sujet  qui  avait  amené  une  conférence  si 
longue  et  si  familière,  les  avis  et  les  jugements  fu- 
rent partagés.  Beaucoup  pensèrent  que  le  seigneur 
pape  voulait  élever  le  comte  Richard  à  Tempire  de 
Remanie  et  le  soutenir  pour  réprimer  Tinsolence 
des  Grecs,  sachant  que  c'était  un  homme  avide,  am- 
bitieux et  riche  de  beaucoup  de  trésors  que  ledit  sei- 
gneur pape  aurait  voulu  employer  à  cette  expédition. 
D'autres  assuraient,  comme  indubitable,  que  le  sei- 
gneur pape  avait  cherché  avec  empressement  à  ac- 
quérir la  faveur  dudit  comte,  pour  en  être  bien  reçu, 
voulant  venir  lui-même  en  Angleterre. 

Lorsque  lecomle  Richard,  à  son  retour,  passa  par 
Tabbaye  de  Saint-Denis,  il  satisfit  à  Tabbé  du  même 
lieu  sur  le  prix  d'une  acquisition  qu'il  avait  faite,  à 
savoir,  d'un  certain  prieuré  d'Angleterre ,  nommé 
Hurst,  qui  dépendait  de  Téglisede  Saint-Denis,  et  où 
vivaient  quelques  moines.  De  ce  prieuré,  situé  non 
loin  de  Glocester,  dépendaient  huit  riches  villages  ; 
et  cetle  église,  avec  son  parc  et  toutes  ses  dépendances, 
valait  toujours  annuellement  environ  trois  cents 
inarcs,  au  taux  d'un  marc  de  redevance  au  banc  [du 
roi]  pour  trente  sols.  Après  avoir  obtenu  en  cour  ro^ 
maine  la  ratification  de  cet  acte  de  vente,  il  expulsa 
les  moines  aussitôt  après  son  retour  en  Anglelerre, 
détruisit  tous  les  édifices  et  fit  du  prieuré  un  de  ses 
domaines.  Désormais  appuyé  sur  la  protection  pa- 
pale, il  régla  tout  selon  son  caprice,  sans  crainte  de 
rencontrer  des  obstacles  de  la  part  d'aucun  voisin, 


26  HENRI  m. 

ni  surtout  d'aucun  religieux;  et  ainsi  la  condition  de 
Téglise  tomba  de  jour  en  jour  en  discrédit.  Le  même 
comte  se  proposa  de  bâtir  un  château  sur  le  cours  de 
ia  Saverne. 

Cette  môme  année,  les  moines  de  Pontigny,  fatigués 
de  Taffluence  des  pèlerins,  principalement  des 
femmes  anglaises  qui  se  rendaient  en  foule  à  la 
tombe  de  saint  Edmond  (car  cette  permission  était 
interdite  aux  autres  nations),  ou  stimulés  parles  ai- 
guillons de  la  cupidité,  coupèrent  avec  une  audace 
téméraire  le  bras  droit  du  mên»e  saint,  ce  qui  est 
horrible  à  dire.  Mais  ils  ne  réussirent  pas  pour  cela  à 
éloigner  la  multiiude  des  personnes  des  deux  sexes 
(jui  se  pressaient  pour  considérer  et  vénérer  le  corps 
du  saint  archevêque.  Aussi  les  moines  furent-ils  jus- 
tement frustrés  dans  leurs  espérances.  En  outre,  ce 
qui  paraît  avoir  été  un  manque  de  foi ,  puisque  le 
Seigneur  avait  préservé  de  la  corruption  le  corps  du 
saint  tout  entier,  les  moines  se  permirent  de  placer  le 
corps  dans  du  baume,  par  déliance,  pusillanimité  et 
manque  de  foi  (sauf  le  respect  dû  à  Tordre);  mais 
aussitôt  le  corps  prit  une  couleur  noire.  Aussi  les  op- 
probres des  moines  de  Pontignyouplutôtde  tous  les 
cisterciens  se  multiplièrent,  et  beaucoup  regrettèrent 
qa  un  corps  si  vénérable  lût  déposé  dans  une  église 
de  cieterciens,  en  considérant  avec  quel  respect  les 
corps  dos  saints  sont  gardés  dans  les  églises  des 
rnoinesdc  Tordre  Noir*.  0  présomption  téméraifc  ! 

'  N'oublioni  pai  qu<*  Matl.  PAri*  faiioil  |iartiu  de  Tordre  Noir  cl  ('-(iiit 
Ix-uédictiii. 


I 


ANNEE  <250.  37 

ce  que  le  Seigneur  avait  conservé  entier  et  incorrup- 
tible, les  hommes  ont  osé  le  mutiler.  Le  pieux  roi  de 
France,  à  qui  Ton  avait  offert  une  partie  de  ce  corps 
uu  moment  de  son  pèlerinage,  avait  répondu  :  <  A 
•  Dieu  ne  plaise  que  l'on  mutile  pour  moi  ce  qu'il  a 
«  consené  entier I  »  0  ntanque  de  foi,  je  le  répète! 
ce  corps  que  le  Seigneur  avait  conservé  incorruptible 
et  beau  à  voir,  ces  moines  ont  osé  l'oindre  de  baume 
et  faire  mieux  que  Dieu  en  le  préservant  par  ce  par- 
fum. Aussi  la  couleur  natui'elle  des  chairs  s'est-elle 
changée  eu  couleur  de  terre,  et  le  Seigneur,  irrité  à 
juste  titre,  a-t-il  fait  éclater  plus  rarement  désor- 
mais les  miracles  qui  précédemment  abondaient  en 
ce  lieu.  La  vénérable  règle  des  cisterciens  fut  donc 
avilie  aux  yeux  desseigueurSjdes  prélats  et  des  clercs  ; 
et  sauf  le  respect  dû  à  Tordre,  on  croit  que  cet  évé- 
nement fut  d'un  triste  présage  pour  la  chrétienté 
tout  entière. 

Vers  le  uiéme  temps,  le  seigneur  roi,  déviant  sans 
rougir  du  chemin  tracé  par  son  père,  Ot  restreindre 
les  dépenses  de  sa  cour  et  les  luri;esses  de  sa  muni- 
ficence ordinaire ,  au  point  d'encourir  le  reproche 
d'avarice  inexcusable.  11  ordonna  aussi  qu'on  dimi- 
nuât le  nombre  de  ses  aumônes  accoutumées  et  la 
multitude  des  cierges  dans  Téglise.  Toutefois,  ce  qui 
est  louable,  il  se  libéra  prudemment  des  dettes  qu'il 
avait  contractées  envers  plusieurs  marchands. 

Argekt  extorque  acx  juifs.  —  Crime  »  un  juif  uf. 

WaLLINGFOHI».     -  Des  JUSTICIERS  SONT  ENVOYÉS  pour  EXA- 


28  HENRI  m. 

MINER   LA    FOllTUNE    DES    JUIFS.   —  MoRT    1)  UN  RELIGIEUX 

ARMÉNIEN    EN    ANGLETERRE.  GrANDE    SOMME    DARGENT 

ENVOYÉE  AU  ROI  DE  FrANCE.  ReTOUR  DES  SEIGNEURS  AN- 
GLAIS.—  Fausses  rumeurs  au  sujet  de  la  croisade.  — 
Dans  les  mêmes  jours,  le  seigneur  roi,  dévoré  par 
une  soif  avaricieuse,  ordonna  qu'on  extorquai  sans 
aucune  miséricorde  de  l'argent  aux  juifs  ,  en  sorle 
qu'ils  paraissaient  appauvris  complètement  et  sans 
remède  ;  car  il  exigea  tout  ce  qu'ils  avaient  en  coffres. 
Cependant,  tout  malheureux  qu'ils  étaient,  ils  n'in 
spiraient  de  pitié  à  personne,  parce  qu'il  était  prouvé 
de  conviction  qu'ils  avaient  été  maintes  fois  faus- 
saires tant  de  monnaie  que  de  sceaux.  Et  pour  nous 
taire  sur  leurs  autres  méfaits,  nous  avons  jugé  à  pro- 
pos d'en  mentionner  un  dans  ce  livre  afin  que  leur 
malice  soit  notoire  à  plus  do  gens. 

Il  y  avait  un  juif  médiocrement  riche,  Abraham  par 
le  nom,  mais  non  pas  parla  foi ,  qui  avait  des  accoin- 
tances et  son  domicile  à  Berkamsted  et  à  Walling- 
lord  ;  car  il  était,  dit-on,  le  familier  du  comte  Uichard 
pour  un  motif  fort  peu  honorable.  Cet  homme  avait 
une  épouse  nommée  Floria,  très-belle  et  très-fidèle  à 
son  mari.  Ce  même  juif,  pour  accumuler  de  plus 
grands  outrajjes  contre  le  Christ,  lit  acheter  une  image 
delà  bienheureuseVierge  convenablement  sculptée  et 
peinte,  qui  la  représentait,  selon  Tusage,  tenant  son 
(ils  sur  son  sein,  ('e  juif  plaça  celte  image  dans  ses 
latriiw's,  et,  ce  (|u'il  est  impossible  de  redire  sans  in 
dignation  et  sans  honte,  il  .souillait  cette  image ,  l<> 
jour  cl  In  nuit,  par  de  suies  outrages,  (|ue  je  ne  puis 


ANNÉE  1250.  29 

exprimer,  Tinjuriant  comme  si  c'était  la  Vierge  en 
personne,  et  voulant  que  sa  femme  lui  prodiguât  les 
mêmes  outrages.  Cotte  femme,  voyant  cela  pendant 
quelques  jours,  fut  touchée  de  pitié  à  raison  de  son 
sexe  (qui  était  le  même  que  celui  de  la  Vierge),  et,  en 
passant  par  là,  nettoya  furtivement  les  ordures  dont 
cette  image  était  affreusement  souillée.  Mais  le  juif, 
son  mari,  ayant  su  comment  la  chose  s'était  passée, 
étouffa  secrètement,  comme  un  scélérat,  cette  femme 
qui  était  son  épouse.  Lorsque  ces  crimes  furent  avé- 
rés et  que  sa  culpabilité  fut  prouvée  et  patente,  quoi- 
qu'il y  eut  encore  sur  son  compte  d'autres  méfaits 
dignes  de  njort,  il  fut  plongé  dans  le  plus  noir  cachot 
de  la  tour  de  Londres.  Mais  afin  d'être  mis  en  liberté, 
il  promit  pour  sûr  de  prouver  que  tous  les  juifs 
d'Angleterre  étaient  des  traîtres  exécrables.  Comme 
presque  tous  Jes  juifs  d'Angleterre  le  chargeaient 
d'accusations  et  s'effoiçaientde  le  faire  mettre  à  mort, 
le  comte  Richard  parla  pour  lui.  Alors  les  juifs, 
l'accusant  plus  fortement  encore  d'avoir  altéré  les 
monnaies  et  d'avoir  commis  bien  d'autres  crimes, 
offrirent  au  comte  mille  marcs  pour  qu'il  ne  le  pro- 
tégeât plus:  ce  que  le  comte  refusa,  parce  qu'Abra- 
ham était  regardé  comme  son  juif.  Ledit  juif  Abra- 
ham donna  donc  sept  cents  marcs  au  roi  pour 
être  délivré,  grâce  au  comte,  de  la  prison  perpétuelle 
à  laquelle  il  avait  été  condamné. 

Le  seigneur  roi  envoya  aussi,  vers  le  même  temps, 
ilans  toute  l'Angleterre,  des  offlciei*s  comme  justi- 
ciers des  juifs  pour  examiner  toute  la  fortune  de  ces 


50  HENRI  111. 

derniers  tant  eu  créances  qu'en  possessions.  Il  leur 
adjoignit  un  certain  juif,  homme  Irès-méchant  el 
immiséricordieux,  dont  la  fonction  était  d'accuser 
tous  les  autres  juifs  méchamment  et  même  aux  dé- 
pens de  la  vérité.  Cet  homme  réprimandait  les  chré- 
tiens à  qui  il  arrivait  d'être  saisis  de  pitié  et  de  pleu- 
rer sur  l'affliction  des  juifs,  et  reprochait  aux  baillis 
»lu  roi  d'être  tièdes  et  efféminés.  A  chaque  juif  qu'il 
voyait,  il  grinçait  des  dents  et  affirmait  avec  de  grands 
serments  que  les  juifs  pouvaient  donner  au  roi  deux 
fois  plusqu'ils  ne  lui  avaient  donné,  quoiqu'il  mentît 
méchamment  sur  sa  tête  ;  et  pour  leur  nuire  plus  ef- 
ficacement de  jour  en  jour,  il  révélait  tous  leui'«  se- 
crets aux  chrétiens,  exacteurs  du  roi. 

Vers  le  même  temps,  quelques  frères  arméniens, 
fuyant  les  dévastations  des Tartares,  arrivèrent  comme 
pèlerins  en  Angleterre.  Lorsqu'ils  furent  parvenus  à 
Saint-Yves  \  un  d'eux  tomba  malade  dans  le  bourg 
où  il  décéda,  et  fut  enterré  avec  respect  auprès  de  la 
fontaine  de  Saiut-Yvps  dont  les  eaux  ont,  dit-on, 
une  grande  vertu.  Or,  les  frères  susdits  étaient  des 
hommes  d'une  vie  recommandable  et  d'une  absti- 
nence merveilleuse,  qui  récitaient  toujours  des  orai- 
•ons  et  qui  avaient  des  visages  simples,  barbus  et  sé- 
rieux. Celui  qui  mourut  à  Saint-Yves  était  leur  chef 
et  leur  maître.  Il  s'appelait  Ceorge;  il  avait  été  évé- 
que  dans  son  pnys,  à  ce  qu'on  eroit ,  el  passait  pour 


•  Saint-TTra  lor  In  hnir  dr  co  nom ,  h  IVxtrt'iiiitt'  de  In  |inintc  de  Gor- 
iinnaillfi. 


ANNEE  4250.  51 

saiol.  Aussi  (les  miracles  commencèrent-ils  à  éclater 
sur  son  tombeau. 

Vers  le  même  temps,  une  forte  somme  d'argent 
lut  envoyée  comme  subside  au  roi  de  France  qui  se 
trouvait  dans  la  dernière  détresse;  car  il  demeurait 
alors  dans  le  camp  qu'il  avait  placé  auprès  de  Da- 
mielte  et  entouré  de  retranchements,  manquant  de 
tout  et  dépouillé  de  toute  consolation  en  fait  de  vivres. 
Jour  et  nuit  il  avait  à  repousser  sans  relâche  les  in- 
cursions des  Sarrasins  innombrables  qui  habitaient 
les  monlag^nes  d'alentour,  quoiqu'une  {;arde  assidue 
Veillât  autour  des  lentes.  Quant  à  Damielle,  il  avait 
char{jé  cinq  cents  chevaliers  et  une  forte  troupe  de 
fantassins  de  garder  cette  ville,  et  cette  garnison  y 
demeurait  avec  le  légat,  quelques  évéques,  la  reine  et 
d'autres  nobles  dames.  Or,  la  somme  envoyée  au  roi 
tant  en  or  qu'en  argent,  et  qui  se  composait  de  talents, 
d'esterlings  et  de  pièces  de  Cologne  d'une  mon- 
naie approuvée  et  non  réprouvée,  comme  auraient  pu 
1  élre  par  exemple  les  deniers  parisis  ou  les  deniers 
tournois,  formait  une  telle  masse  qu'elle  faisait  la 
charge  de  onze  chariots  longs  traînés  chacun  par 
(|ualre  chevaux  des  plus  vigoureux,  et  en  outre  de 
quelques  chevaux  de  somme.  Cet  argent  devait  être 
transporté  ainsi  jusqu'à  la  mer  pour  y  être  reçu  sur 
des  vaisseaux  montés  par  les  Génois  et  remis  ensuite 
avec  de  grandes  provisions  de  vivres  au  roi  qui  en 
avait  grauil  besoin.  Chaque  chariot  portait  deux 
grands  tonneaux  cerclés  de  1er,  préparés  tout  exprès 
el  remplis  du  trésor  susdit.  Mais  quel  fui  le  résultat 


32  HENRI  HI. 

de  tout  cet  argent  levé  pendant  trois  ans  sur  les  biens 
de  l'église?  c'est  ce  que  la  suite  du  récit  montrera 
plus  au  long. 

Pendant  les  jours  des  Rogations  ,  Richard ,  comte 
de  Glocester,  Simon,  comte  de  Leicester  et  d'autres 
seigneurs  revinrent  aussi  des  pays  d'outre-mer.  L'é- 
véque  de  Londres  et  quelques  autres  prélats  qui 
avaient  passé  la  mer,  comme  nous  l'avons  dit,  ren- 
trèrent de  même  heureusement  en  Angleterre.  Deux 
évêques  seulement  restèrent  dans  les  pays  d'outre-mer, 
celui  de  Winchester  et  celui  de  Lincoln.  L'évêque  de 
Winchester  resta  donc  et  séjourna  dans  le  royaume 
de  France  avec  un  petit  nombre  de  domestiques,  afin 
de  retrancher  quelque  chose  sur  ses  dépenses.  L'é- 
vêque de  Lincoln  demeura  à  la  cour  romaine  pour 
poursuivre  auprès  du  pape  le  succès  du  projet  qu'il 
avait  conçu.  Quanta  la  cause  du  voyage  du  comte  Ri- 
chard ,  l'opinion  de  quelques-uns  fut ,  et  non  sans 
raison,  que  le  seigneur  pape  Tavait  appelé  pour  l'é- 
lever à  l'empire  de  Romanic,  lui  qu'il  savait  abonder 
en  trésors.  L'avis  de  quelques  autres,  avis  qui  plus 
tard  devint  probable,  étnit  que  ce  voyage  avait  pour 
but  d'empêcher  que  les  croisés  ne  passassent  en  Terre- 
Sainte.  D'autres  encore  assuraient  scmblablement , 
cequi,  peu  après,  fut  tenu  pour  vrai,  que  le  comte 
voulait  obtenir  habilement  de  l'abbé  de  Saint-Denis  le 
prieuré  de  llurst  avec  ses  dépendances,  et  se  faire  don- 
ner en  même  temps  les  [)rovi8ion8  de  voyage  des  croi- 
sés. Mais  on  diteton  croit  aussi  que  le  motif  du  grand 
accueil  quo  lui  lit  le  seigneur  pap(>,  était  (|uc  lecomte 


ANNEE  4250.  35 

reçut  à  son  tour  avec  bienveillance  et  respect  le  sei- 
gneur pape  qui  désirait  ardemment  venir  en  Angle- 
terre, et  qu'il  déterminât  le  seigneur  roi  son  frère  et 
les  seigneurs  laïques,  principalement  ceux  qui  fai- 
saient partie  du  conseil  du  seigneur  roi,  à  l'appeler 
eux-mêmes  dans  le  royaume  d'Angleterre.  Mais  nous 
avons  déjà  touché  ce  point  précédemment. 

Vers  le  même  temps,  pour  donner  aux  chrétiens 
une  vaine  consolation,  ou  pour  animer  les  croi- 
sés qui  différaient  le  moment  de  leur  pèlerinage,  des 
lettres  rédigées  par  des  hommes  authentiques  et 
digues  de  foi ,  tels  que  Tévêque  de  Marseille  et 
quelques  Templiers,  arrivèrent  de  la  Terre-Sainte. 
Elles  rendaient  compte  des  bruits  qui  couraient, 
bruits  très-agréables,  mais  qui  se  trouvèrent  faux, 
et  réjouissaient  les  auditeurs  crédules  par  le  récit  de 
succès  qui  n'existaient  pas  :  à  savoir,  que  Babylone 
et  le  Caire  étaient  pris,  que  les  Sarrasins  s'étaient  sau- 
vés d'Alexandrie,  et  que  la  ville  était  abandonnée  à 
la  désolation.  Ces  nouvelles,  dis-je,  percèrent  d'au- 
tant plus  cruellement  à  la  fin,  comme  fait  le  dard  du 
scorpion,  le  cœurdes  auditeurs  crédules,  que  d'abord 
elles  les  avaient  (lattes  par  de  plus  douces  espérances. 
Désormais  nous  regarda  mes  com  me  encore  plus  sus- 
pectes, et  même  comme  haïssables,  des  lettres  qui 
pourtant  se  trouvaient  bien  informées. 

Accord  ao  suet  de  la  PRÉsE^TATlo.N  a  l'église  de  W  en- 
CRAVE.—  L'archevêque  Bompace  se  propose  d  exercer 
SON  DROIT  de  VISITATION.  —  Boniface  tyrannise  le  cler- 
vil.  3 


S4  HENRI  in. 

GÉ  DE  Londres.  —  Les  chanoines  de  Saint-Barthélemv 
s'opposent  a  la  visite  de  l'archevêque.  —  Violences 

EXERCÉES   par  LE   PRÉLAT  ET   SES    SATELLITES.   —  Le  ROI 
REFUSE  d'entendre  LES  PLAINTES.  —  ÉmEUTE  A  LoNDRES. 

—  Sentence  d'excommunication,  —Boniface  se  prépare 
A  ALLER  a  la  COUR  ROMAINE.  —  Cette  même  année,  pen- 
les  jours  des  Rogations,  une  discussion  s'élant  élevée 
entre  l'abbé  de  Saint-Albans  et  Jean  de  Wedon,  au 
sujet  de  la  présentation  à  Téglise  de  Wengrave,  alors 
vacante,  la  concorde  fut  rétablie   entre  eux,  et  ledit 
Jean  reconnut,  parde-vant  les  justiciers  du  seigneur 
roi,  Hoger  de  Thurkeby ,  Robert  de  Brus  et  leurs 
autres  collègues,  que  le  droit  de  la  susdite  église  ap- 
partenait à  la  donation  dudit  abbé.  Or,  le  susdit  Jean 
avait  obtenu  contre  l'abbé  le  bref  de  sommation  qui 
suit  :  «  Le  roi,  au  vicomte  de  Buckingham,  salut. 
Enjoins  à  l'abbé  de  Saint-Albans  de  permettre  juste- 
ment et  sans  délai  que  Jean   de  Wedon   présente 
une  personne  convenable  pour  l'église  de  Wengrave 
qui  est  vacante,  à  ce  qu'on  dit,  et  qui  appartient  à  sa 
donation  ;  car  ledit  Jean  se  plaint  de  ce  que  l'abbé 
l'en    empêche   injustement.   Et  si  '  ledit   Jean  te 
donne  pouvoir  de  poursuivre  sa  réclamation,  alors 
adresse  sommation,  par  bons  sommateurs,  au  sus- 
dit abbé  de  comparoir  par-devant  nos  justiciers  à 
Westminster,    le  lendemain  de  l'ascension  du  Sei- 
neur,  etc.  »  Mais  quel  prolil  l'église  do  Saint-Albans 
relirn-t-«!lle  en  pareil  cas,  puisque  les  Romains  ou 

'  Et  niii   Nou*  liioi»  et  ni. 


i 


ANNEK  «250.  55 

les  {][eiis  du  roi  meltaient  violemment  les  mains  à  qui 
mieux  mieux  sur  toutes  les  églises  vacanles,  princi- 
palement sur  celles  des  religieux? 

A  la  même  époque,  l'archevêque  de  Cantorbéry, 
Boniface, entraîné  par  l'exemple  de  Tévêque  de  Lin- 
coln, qui  avait  obtenu  le  droit  de  visitation  sur  ses 
chanoines,  entreprit  d'exercer  aussi  le  droit  de  visite 
dans  son  diocèse,  à  savoir  sur  les  évoques,  les  abbés, 
le  clergé  et  le  peuple.  Il  commença  cette  visite  par 
le  chapitre  de  ses  moines  de  Cantorbéry,  et  il  secon- 
duisità  leur  égard  avec  tant  de  rigidité  et  d  une  ma- 
nière si  impitoyable,  qu'ils  se  disaient  les  uns  aux 
autres  :  «  Nous  sommes  justement  traités  par  celui- 
<•  ci,  parce  que  nous  avons  péché  envers  son  prédé- 
'<  cesseur,  le  bienheureux  Edmond,  que  nous  regar- 
«  dions  comme  un  homme  austère  et  orgueilleux  . 
«  nous  souffrons  vraiment  ce  que  nous  avons  mérité, 
»  en  élisant  un  étranger,  un  homme  illettré,  incon- 
u  nu,  et  inexpérimenté,  plus  propre  et  plus  exercé 
«  aux  choses  delà  guerrequ  aux  affaires  spirituelles. 
•«  Oh  !  quels  prédécesseurs  il  a  eus,  des  martyrs,  des 
«  docteurs  authentiques,  des  saints  confesseurs  de 
*  Dieu!  Hélas!  pourquoi  dans  cette  élection  irrégu- 
«  lière  avons-nous  obéi  au  roi  terrestre  plutôt  qu'au 
u  roi  céleste?  »  Boniface  se  rendit  ensuite  à  Tabbaye 
de  Féversham,et  les  moines,  redoutant  sa  tyrannie, 
n'osèrent  pas  par  pusillanimité  s'opposer  à  cette  vi- 
sitation. Delà  il  se  rendit  en  grand  fracas  au  prieuré 
de  Ilochester,  et  extorqua  plus  de  trente  marcsà  cette 
maison  qui  n'était  pas  opulente;  d'où  il  ressort  qu'il 


56  HENRI  111. 

exerçait  cet  office  de  visitation  plutôt  par  cupidité 
d'argent  que  pour  la  réformation  de  l'ordre  ou  des 
mœurs,  puisqu'il  était  ignorant  en  ce  qui  touche 
l'ordre  et  les  mœurs,  aussi  bien  que  dans  les  lettres. 
Le  quatrième  jour  avant  les  ides  de  mai,  c'est-à- 
dire  le  jour  de  saint  Pancrace  et  de  ses  compagnons, 
le  même  archevêque  arriva  à  Londres  pour  visiter 
l'évéque  et  son  chapitre,  ainsi  que  les  religieux  de  la 
ville  :  il  prit  ses  logements  sans  permission  aucune, 
dans  le  magnifique  hôtel  de  Pévêque  de  Chicester,  non 
loin  des  maisons  des  frères  convers,  et  ne  descendit  pas 
dans  son  propre  palais  de  Lambeth  ;  puis  il  envoya  ses 
maréchaux  faire  violemment  ses  provisions  au  mar- 
ché du  roi,  en  accablant  les  marchands  de  menaces, 
d'injures  et  d'outrages  ;  il  n'invita  cependant  que 
peu  ou  point  de  convives.  Le  lendemain  il  alla  visi- 
ter l'évéque  Foulques,  et  se  conduisit  chez  lui  avec 
tant  d'indécence,  en  exigeant  des  provisions  pour 
boire  et  pour  manger,  et  jusqu'à  des  fers  pour  ferrer 
ses  chevaux  qui  avaient  perdu  les  leurs,  que  ce  serait 
offenser  les  oreilles  et  les  esprits  des  auditeurs,  ce 
serait  môme  leur  percer  le  cœur  que  de  faire  le  récit 
de  la  conduite  de  l'archevêque.  Comme  il  se  dispo- 
sait à  visiter  le  chapitre  de  Saint-Paul  de  Londres,  les 
chanoines  s'y  opposèrent  et  en  appelèrent  au  souve- 
rain pontife  :  aussi  excommunia-t-il  le  doyen  et  les 
outres. 

Le  lendemain,  Boniface  encore  gonflé  de  colère  et 
vêtu  d'une  cuirasse  sous  ses  habits^  comme  l'ont  as- 
suré des  témoins  oculaires,  se  rendit  au  prieuré  de 


ANNEE  V250.  S7 

Saiut-Uarlhéleiny  pour  y  visiter  les  cliauoines.  Lors- 
qu'il arriva  et  qu'il  entra  dans  Téglise,  le  sous-prieur 
vint  à  sa  rencontre  (car  le  prieur  était  alors  absent), 
accompagné  du  couvent,  marchant  solennellement 
i*n  procession,  à  la  lueur  de  beaucoup  de  cierçes  et 
au  son  des  cloches.  Les  chanoines  avaient  revêtu 
leurs  chapes  de  chœur  très-richement  travaillées,  et 
le  sous-prieur  avait  la  plus  précieuse  de  toutes.  Mais 
l'archevêque  ne  parut  pas  beaucoup  se  soucier  de 
tous  les  honneurs  qu'on  lui  rendait,  et  dit  qu'il  était 
venu  au  prieuré  pour  visiter  les  chanoines.  Tous  les 
chanoines  se  trouvaient  alore  au  milieu  de  l'église, 
c'est-à-dire  dans  le  chœur  ,  ainsi  que  l'archevêque 
suivi  de  la  plus  grande  partie  de  sa  maison,  qui  se 
comportait  d'une  manière  inconvenante.  Alors  un 
des  chanoines  lui  répondit  au  nom  de  tous  qu'ils 
avaient  un  évèque  habile  et  attentif,  à  qui  il  apparte- 
nait de  les  visiter,  le  cas  échéant,  et  qu'ils  ne  voulaient 
ni  ne  devaient  être  visités  par  un  autre,  de  peur 
qu'ils  ne  semblassent  le  mépriser.  En  entendant 
cela,  l'archevêque,  saisi  d'un  accès  de  colère  indécent, 
se  précipita  sur  le  sous-prieur  ;  et  oubliant  la  dignité 
que  lui  imposait  sa  condition,  ainsi  que  la  sainteté 
de  ses  prédécesseurs,  il  frappa  d'une  manière  impie, 
avec  son  poing  fermé,  un  sainl  prêtre,  un  religieux 
au  milieu  de  son  église,  redoublant  brutalement  ses 
coups  sur  la  poitrine  de  ce  vieillard,  sur  sa  face  véné- 
rable, sur  sa  tête  blanchie,  et  disant  d'une  voix  reten- 
lissunte  :  «  Voilà  comment,  voilà  comment  il  con- 
a  vient  de  traiter  ces  traîtres  d'Anglais  !  »  Puis,  dans  un 


38  HENRI  III. 

moment  de  fureur  encore  plus  horrible,  et  avec  des 
jurements  que  je  n'ose  rapporter,  il  demanda  qu'on 
lui  apportât  son  épée  sans  retard .  Comme  le  tumulte 
augmentait  et  que  les  chanoines  s'efforçaient  d'arra- 
cher leur  sous-prieur  des  mains  de  ce  forcené,  le 
même  archevêque  déchira  cette  chape  précieuse  dont 
le  sous-prieur  était  revêlu,  arracha  le  fermail  qu'où 
appelle  vulgairement  le  mors  ;  ce  qui  fit  que  ce  vête- 
ment, enrichi  d'or,  d'argent  et  de  pierres  précieuses, 
fut  foulé  aux  pieds  de  cette  foule  qui  se  heurtait,  et 
absolument  perdu.  Cette  chape  magnifique,  foulée 
ainsi  aux  pieds  et  déchirée,  fut  donc  gâtée  sans  re- 
mède; mais  la  fureur  de  l'archevêque  n'était  pasapai- 
sée.  En  effet,  repoussant  le  sainthomme  par  unchoc 
violeutet  le  forçant  à  reculer,  il  serra  si  violemment 
ce  corps  de  vieillard  contre  une  barre  de  bois  qui  sé- 
parait deux  stalles  et  qui  servait  d'appui,  qu'il  lui 
brisa  les  os  jusqu'à  eu  faire  sortir  la  moelle,  et  dans 
sa  fureur  lui  écrasa  la  poitrine.  A  la  vue  des  excès 
auxquels  se  portait  l'archevêque,  les  autres  arrachè- 
rent à  grand'peine  le  sous-prieur  évanoui  des  portes 
de  la  mort,  en  repoussant  l'oppresseur.  Celui-ci 
étant  tombé  à  la  renverse,  et  ses  vêtements  s'étant 
écartés,  plusieurs  personnes  aperçurent  visiblentent 
8Q  cuirasse,  et  furent  saisies  d  horreur  en  voyant  un 
archevêque  cuirassé.  Aussi  plusieurs  conjecturaient 
qu'il  était  venu  en  ce  lieu  avec  l'intention,  non  pas 
do  visiter  les  chanoines  et  de  corriger  les  erreurs, 
mais  d'oxcitor  une  rixe.  Pendant  ce  temps,  les  offi- 
cierb  de  l'arclicvéque  ,  Provençaux   romme   lui  et 


gens  à  la  main  prompte,  se  jetèrent  brutalement  sur 
le  reste  des  chanoines  qui  étaient  faibles,  sans  armes 
et  surpris  à  I  improviste  ;  et  Tarchevêque  et  ses  hom- 
mes, animés  par  son  ordre  et  par  son  exemple,  mal- 
traitèrent un  {jrand  nombre  d'entre  eux,  les  frappant, 
les  déchirant,  les  renversant,  les  foulant  aux  pieds. 
Alors  les  chanoines  pâles,  souillés  de  sang,  meurtris 
de  coups,  les  cheveux  en  désordre,  les  vêtements  dé- 
chirés, se  rendirent  à  pied  auprès  de  Tévèque  de  la 
ville,  et  se  plaignirent  amèrement  à  lui,  en  versant 
des  larmes,  de  cette  action  détestable  :  Tévêque  leur 
répondit  :  «  Le  seigneur  roi  est  à  Westminster  :  allez 
■  le  trouver;  montrez -vous  à  lui  dans  cet  état.  Peut- 
«  être  sera-t-il  indigné  d'une  violation  si  criminelle 
«  et  si  manifeste  de  la  paix  dans  sa  propre  ville  ca- 
•  pitale?  • 

Quatre  des  chanoines  (car  les  autres  ne  pouvaient 
marcher,  tant  étaient  vives  les  douleurs  qu'ils  ressen- 
taient) allèrent  donc  se  présenter  au  roi  à  Westmin- 
ster, traversant  la  ville  au  milieu  du  peuple  saisi  de 
pitié,  montrant  à  tous  les  traces  des  coups,  le  sang 
qui  les  couvrait,  leur  pâleur,  leurs  tumeurs,  leurs 
vêlements  déchirés;  et  tous  compatissaient  à  leurs 
maux  et  détestaient  cet  attentait.  Mais  le  cinquième, 
c'est-à-dire  le  sous-prieur  susdit,  ne  put  en  aucune 
façon  se  rendre  à  la  cour  du  roi  ni  à  pied  ni  à  cheval  ; 
ciiron  l'avait  porté  tout  gémissant  à  l'inGrmerie,  et 
il  s'était  mis  uu  lit  où  il  fut  pris  d'une  maladie  de 
langueur  qui  dura  le  reste  de  sa  vie.  Cependant  le  roi 
ue  voulut  ni  entendre  ni  voir  les  susdits  chanoines 


40  HENRI  HI. 

qui  venaient  se  plaindre,  quoiqu'ils  eussent  attendu 
longtemps  à  la  porte  de  sa  chambre.  C'est  pourquoi, 
plus  confus  encore,  ils  revinrent  à  leur  église  que  le- 
dit archevêque  avait  souillée  et  profanée  par  le  sang 
des  prêtres  et  des  religieux.  Sur  ces  entrefaites,  toute 
la  ville  de  Londres  était  dans  une  grande  agitation  ; 
une  sédition  était  imminente,  et  les  bourgeois  propo- 
saient de  sonner  la  cloche  de  la  commune  et  de  cou- 
per Tarchevêque  par  morceaux,  quoi  qu'il  pût  arri- 
ver plus  tard.  En  attendant,  on  l'accabla  d'outrages 
et  d'injures  ;  on  se  précipita  en  foule  vers  son  palais 
de  Lambeth  où  il  s'était  réfugié,  et  ceux  qui  le  cher- 
chaient criaient  :  «  Où  est-il  ce  routier,  ce  meurtrier 
«  impie,  cet  homme  de  sang,  qui,  loin  de  gagner 
«  des  âmes,  ne  songe  qu'à  voler  de  l'argent?  Ce  n'est 
«  pas  Dieu,  ce  n'est  pas  une  élection  légitime  et  libre 
n  qui  l'a  élevé  où  il  est  ;  c'est  un  intrus  que  le  roi 
«  nous  a  donné  illicitement,  tout  illettré  et  marié 
«  qu'il  était.  Le  voilà  maintenant  qui  souille  de  ses 
«  infamies  toute  notre  ville.  »  Aussitôt  après,  l'ar- 
chevêque se  fit  transporter  secrètement  sur  l'autre 
bord  de  la  Tamise',  et  se  plaignit  amèrement  au  sei- 
gneur roi,  se  justifiant  quoique  coupable,  et  accusant 
gravement  les  autres  ;  puis,  courantvers  la  reine,  il  se 
plaignit  à  elle  plus  amèrement  encore.  Le  roi,  redou- 
tant donc  grandement  une  sédition,  fit  proclamer 
dans  la  ville,  par  la  voix  du  héraut,  que  personne 
sur  sa  vie  et  sur  ses  membres  n'essayât  de  s'immiscer 

'  Loinbcdi,  comme  noue  Tavont  dit,  ett  en  face  de  WotlmiiMter. 


ANNÉE  1250.  44 

dans  celle  affaire.  L'archevêque  ayant  donc  élé  mé- 
prisé ,  tant  par  les  chanoines  de  Saint-Barthélemy 
que  par  la  communaulé  de  la  Sainte-Trinité,  qui  en 
appelaient  fermement  au  pape,  n'en  persista  pas 
moins,  et,  se  voyant  soutenu  parla  faveur  du  roi,  re- 
nouvela solennellement,  dans  sa  chapelle  à  Lambeth, 
la  sentence  qu'il  avait  prononcée  contre  les  chanoines 
de  Saint-Paul,  enveloppant  dans  Texcommunication 
l'évêque  de  Londres  comme  fauteur,  ainsi  que  les 
chanoines  de  Saint-Barthélemy.  Aussi  les  chanoines, 
se  voyant  accablés  de  toutes  parts  d'injures  et  d'ou- 
trages, communiquèrent  leurs  plaintes  et  confièrent 
en  pleurant  leur  cause  à  saint  Barthélémy,  leur  pa- 
tron, au  service  duquel  ils  s'étaient  consacrés  jour  et 
nuit  ;  le  suppliant  de  faire  que  le  Seigneur  Dieu  des 
vengeances  daignât  châtier  de  si  grands  excès,  puis- 
que les  hommes  ne  le  pouvaient  ou  ne  le  voulaient 
pas. 

Cependant  l'archevêque,  encore  rempli  du  fiel  de 
la  colère,  se  rendit  le  lendemain  à  son  munoir  ap- 
pelé Harewes,  qui  est  éloigné  de  sept  milles  du  mo- 
nastère de  Saint-Albans ,  pour  exercer  l'office  de 
vigitation  dans  cette  abbaye  ;  et  là,  il  renouvela  la  sen- 
tence d'excommunication.  Mais  ses  amis  et  ses  clercs, 
honmiesdiscretsetletlrés,  lui  ayant  parlédes privilèges 
magnifiques  accordés  à  cette  église  par  le  saint-siège 
apostolique,  il  renonça  pour  le  moment  à  son  pro- 
jet. Étant  donc  revenu ,  il  se  disposa  à  passer  la  nier, 
pour  préparer  des  pièges  aux  innocents,  dans  cette 
cour  romaine,  où  il  était  tout  puissant,  et  où  il  avait 


Â2  HENRI  III. 

riiabitude  de  demeurer  plus  qu'il  ue  convient  à  un 
bon  pasteur  occupé  de  sou  troupeau.  D'un  autre 
côté,  le  doyen  de  Saint-Paul  de  Londres,  homme  ho- 
norable ,  d'avis  sage  et  de  grand  âge,  maître  Robert 
de  Barton  ,  et  maître  Guillaume  de  Lichfield  ,  tous 
deux  hommes  diserts  et  lettrés,  et  chanoines  de  la 
même  église,  ainsi  que  les  procurateurs  de  l'évéque 
de  Londres  et  des  chanoines  de  Saint-Barthélémy,  se 
rendirent  à  la  cour  du  pape,  pour  déposer  sur  tout 
cela  leur  plainte  par-devant  le  souverain  pontife,  et 
afin  de  prouver  leurs  griefs ,  ils  étaient  munis  de 
pièces  suffisantes ,  et  appuyés  par  le  témoignage  de 
plusieurs. 

Lettre  de  l'évéque  de  Londres,  qoi  demande  conseil 
A  l'abbé  de  Saint- Albans.  —  Chapitre  général  des 

FRÈRES  PrECHEORS.  —  AGITATION  DES  CITOYENS  DE  LON- 
DRES. —  Le  ROI  ACCORDE  DE  NOUVELLES  CHARTES  A  l'aBBÉ 

DE  Westminster.  —  Privilège  abusif  octroyé  par  le 
ROI  A  Geoffroy  le  Roux.  —  Vaines  réclamations  de 
Matthieu  Paris  —  Le  sceau  royal  est  confié  a  Guil- 
laume DE  Kilkenny.  —  Le  roi  de  France  se  dirige  vers 
LB  Caire.  —  Jalousie  des  Français  contre  les  Anglais. 
—  Sur  ces  entrefaites,  l'évéque  de  Londres,  grande- 
ment troublé  de  toutes  ces  tribulations ,  redoutait 
fortement,  et  Ton  ne  peut  s'en  étonner,  tant  l'avarice 
du  pape  <|ue  l'amilié  fort  douteuse  du  roi,  à  l'en- 
droit de  ses  hommes  naturels,  et  le  crédit  des  Sa- 
voyards qu'il  n'osait  pas  offenser.  Désirant  donc, 
dans  CCS  |)erplcxilés  ,  avoir  lo  conseil  et  l'aide  du 


ANNÉE  r250.  45 

couvent  et  de  Pabbé  de  Saiut-Albans,  il  leur  écrivit 
en  ces  termes  :  «  Aux  vénérables  bonimes ,  ses  amis 
très-cbers  en  Jésus-Christ,  Jean,  par  la  grâce  de 
Dieu,  abbé  de  Saint-Albans ,  les  frères  du  même  lieu 
et  tous  les  autres  soumis  à  la  juridiction  de  la  même 
maison,  Foulques,  par  la  permission  divine,  évêque 
de  Londres,  salut  et  accroissement  continuel  de  di- 
lection  sincère  dans  le  Seigneur.  La  renommée,  qui 
nous  menace  de  la  balance  du  jugement  commun  , 
marche  à  grands  pas  sur  la  terre,  et  dissémine  en 
plusieurs  lieux  la  nouvelle  de  la  sentence  qui  nous 
trouble.  Or,  la  longue  paix  dont  jouissait  notre  dio- 
cèse ayant  été  attaquée  par  notre  vénérable  père  Tar- 
chevêque,  nous  avons  recours  à  la  voie  d'une  juste 
défense,  comme  étant  vos  guerriers,  envoyés  les  pre- 
miers sur  le  champ  de  la  fortune  ,  pour  le  droit  de 
tous  en  général  et  de  chacun  en  particulier  dans  le 
diocèse,  et  nous  croyons  et  prédisons  que  la  guerre 
qui  nous  a  été  déclarée ,  retombera  plus  fortement 
encore  sur  vous ,  à  moins  que  nous  ne  respirions  , 
soutenu  par  les  consolations  du  Tout-Puissant  et  par 
vos  conseils.  En  effet ,  le  même  seigneur  archevêque 
(comme  peut-être  vous  en  êtes  déjà  instruits)  a  d'a- 
bord commencé  par  exiger  la  visitation  sur  tout  le 
clei-gé  et  le  peuple  de  notre  diocèse,  ainsi  qu'une 
procuration  des  chanoines  de  notre  chapitre ,  puis 
pareille  chose  de  deux  prieurés  de  Londres  ;  mais 
des  deux  côtés  il  a  éprouvé  contradiction  et  refus, 
quoiqu'en  termes  courtois  ,  les  chanoines  ne  layant 
pus  admis  ù  exercer  sur  eux  de  semblables  droits. 


44  HENRI  III. 

Ensuite ,  parce  que  nous  avions  mandé  à  quelques- 
uns  de  notre  juridiction  de  ne  pas  l'admettre  au 
préjudice  de  notre  église ,  il  a  fulminé  contre  notre 
personne  des  sentences  d'excommunication  ,  quoi- 
qu'il eût  été  prévenu  par  des  appels  légitimes,  des 
motifs  justes,  vrais  et  probables  ayant  été  exprimés. 
De  plus ,  pour  ne  pas  troubler  notre  repos  par  cette 
seule  attaque ,  il  a  fait  publier  dans  son  diocèse  et 
même  ailleurs,  à  ce  qu'on  assure,  des  sentences  aussi 
irrégulières.  Nous  avons  donc  envoyé  nos  procura- 
teurs à  la  cour  romaine ,  et  nous  avons  informé  de 
cette  affaire  quelques  évéques  ,  nos  collègues  ,  qui , 
dans  la  grandeur  de  leur  âme ,  se  proposent  de  dé- 
fendre leurs  droits  et  leurs  libertés.  C'est  pourquoi 
nous  avons  jugé  à  propos  de  supplier  votre  dilection 
de  voir  l'injustice  de  cette  attaque  et  de  vous  mainte- 
nir en  honneur  et  en  indemnité,  de  façon  que  la 
probité  ne  soit  pas  attiédie  ,  que  la  virilité  ne  se  re- 
froidisse pas  ,  mais  que  ,  plaçant  votre  confiance  en 
celui  qui  défend  les  opprimés  des  outrages  des  in- 
justes, vous  veuillez  bien  nous  tendre  la  main  d'un 
conseil  salutaire.  Portez-vous  toujours  bien  dans  le 
Seigneur  tous  tant  que  vous  êtes.  »  Les  décrétales 
sur  lesquelles  l'archevêque  se  fondait  pour  exiger  de 
pareils  droits sontrapportéesau  livredes  Additamenla  ' 
où  se  trouvent  aussi  les  discussions  des  parties. 

Vers  le  métiie  temps,  c'est-à-dire  vers  la  fête  de 
la  nativité  de  saint  Jean-Baptiste,  les  frères  de  l'ordre 

'  Voij.  \p»  /itiiiitiont  XIV  et  XV  k  In  lin  du  volume. 


I 


ANNÉE  ^250.  45 

desPrôcheurs,  de  quelque  pays  chrétien  qu'ils  fussent, 
iiiême  ceux  de  la  terre  de  Jérusalem  ,  se  rassemblè- 
rent, sur  convocation  commune,  dans  leur  maison  de 
Holburn  à  Londres,  pour  traiter  en  général  de  Tétat 
et  de  l'office  de  leur  ordre.  Comme  ils  n'avaient  pas 
de  ressources  en  propre,  les  seigneurs  et  les  prélats 
leur  fournirent  des  provisions  par  pure  libéralité,  sur- 
tout ceux  qui  habitaient  la  ville  de  Londres  et  les  lieux 
voisins,  tels  que  les  abbés  de  Wallham,  de  Saint-Al- 
bans ,  et  autres  semblables.  Le  chapitre  s'ouvrit  le 
jour  de  la  Pentecôte ,  après  une  invocation  adressée 
à  TEsprit-Saint,  qui  à  cette  époque  descendit  sur  les 
disciples.  Or,  il  y  avait  là  environ  quatre  cents  frères. 
Le  premier  jour,  le  roi  se  rendit  à  leur  chapitre,  pour 
leur  demander  le  suffrage  de  leurs  prières,  et  il  leur 
donna  à  manger  ce  jour-là  ,  s'asseyant  à  table  avec 
eux  pour  leur  faire  honneur  ;  puis  ce  fut  le  tour  de 
la  reine ,  puis  de  Pévêque  de  Londres  ,  puis  du  sei- 
gneur Jean  Mansel  ,  et  ensuite  des  autres  prélats, 
comme  l'abbé  de  Westminster  et  autres,  à  qui  les 
Prêcheurs  avaient  adressé  des  lettres  de  supplica- 
tions, pour  que  la  pauvreté  des  besoigneux  fût  sou- 
lagée par  l'abondance  des  riches. 

Vers  le  même  temps,  la  cité  de  Londres  fut  vio- 
lemment agitée,  parce  que  le  seigneur  roi  exigeait 
que  les  bourgeois  accordassent  certains  privilèges  à 
Westminster,  à  leur  grand  dommage  et  à  la  viola- 
tion de  leurs  propres  libertés.  Le  maire  de  la  ville, 
soutenu  par  toute  la  commune  unanimement,  résista 
autant  qu'il  le  put  à  la  volonté  du  roi,  ou  plutôt  à 


46  HBNRl  III. 

cello  allaquc  extravagante.  Mais  ie  roi  se  montra  dur 
et  inexorable.  Alors  les  bourgeois,  fort  troublés,  al- 
lèrent trouver,  d^un  air  triste  et  en  se  plaignant,  le 
comte  Richard,  le  comte  de  Leicester  et  d'autres  sei- 
gneurs du  royaume,  leur  exposant  comment  le  roi, 
entraîné  peut-être  dans  une  mauvaise  route  par 
l'exemple  du  pape,  ne  rougissait  pas  de  violer  leurs 
chartes,  qu'ils  tenaient  des  prédécesseurs  dudit  roi. 
Aussi  les  seigneurs  susdits,  fort  irrités  de  cela,  et  crai- 
gnant que  le  roi  n'entreprit  contre  eux-mêmes 
quelque  chose  de  semblable,  réprimandèrent  amère- 
ment le  roi  d'un  ton  menaçant,  le  firent  renoncer  à 
son  projet,  et  s'adressèrent  avec  plus  d'aigreur  encore 
à  Tabbé  de  Westminster,  qui  passait  pour  l'instiga- 
teur et  le  conseiller  de  cette  entreprise,  ajoutant  à 
leui*s  reproches  des  injures  qu'il  ne  convient  pas  de 
répéter,  par  respect  pour  l'ordre.  C'est  ainsi  que  la 
prudence  des  seigneurs  rappela  heureusement  le  roi 
à  de  meilleurs  sentiments. 

Vers  le  même  temps,  le  seigneur  roi,  agité  par  de 
semblables  intentions,  au  mépris  des  chartes  de  ses 
prédécesseurs  et  de  ceux  même  qui  avaient  régné  en 
Angleterre  avant  la  conquête,  et  à  la  violation  de  sa 
foi  et  de  son  serment  le  plus  sacré,  investit,  par  une 
charte,  le  susdit  abbé  de  Westminster,  au  dommage 
et  à  la  lésion  manifeste  de  l'église  de  Saint-Alhans, 
du  bourg  d'Aldenham,  lieu  très-aucien,  comme  son 
nom  l'indique.  Car  a/c/' signifie  ancien  ;  d'où  il  paraît 

«  Aojourd'hui  uUi.  Noui  ne  pouvons  r4>inprcndrc  le  rapport  «ftymolo- 
t;i(|ue  ()ue  MaU.  Pdrit  spinble  i^tablir  entre  Aldenliam  et  Albani. 


I 


I 


ANNEE  4230.  At 

probable  que  le  bourj^  susdit  avait  été  conféré  très- 
ancieiinemeiit  à  saint  Albans,  premier  martyr  d'An- 
gleterre, quand  bien  même  toutes  les  cbarles  se  tai- 
raient et  seraient  suspendues.  En  outre,  le  seigneur 
roi  susdit  concéda,  et  cela  par  charte,  le  droit  de  ga- 
renne sur  les  terres  de  Tabbaye  et  auprès  du  bourg 
de  Saint-Albans,  à  un  certain  chevalier  nommé 
Geoffroi ,  tenancier  en  chef  de  l'église  de  Saint-Al- 
bans, quoiqu'il  ne  descendît  pas  d'ancêtres  illustres, 
ni  même  de  chevaliers,  mais  parce  qu'il  avail  épousé 
la  sœur  de  son  clerc  Jean  Mansel  ;  et  cela  contre  les 
antiques  libertés  de  cette  église,  contre  les  chartes 
obtenues  des  pieux  et  anciens  rois,  et  usitées  sans  in- 
terruption ;  contre  la  charte  même  dudit  roi  aujour- 
d'hui régnant.  Et  ledit  Geoffroi  le  Roux  *  ne  rougit 

*  C*e«t  le  même  tenancier  dont  il  eit  parlé  plus  haut  sous  le  nom  de 
Geoffroi  de  Cbildewicke.  Ce  seigneur  frappait  à  coups  de  bdlon  les  ser- 
viteurs de  l'abbaye,  lançait  sur  eux  ses  cbiens  de  cbusse,  dans  la  garenne 
même  de  Saiol-Albans,  et,  s'întitulant  un  des  marécbaux  du  roi,  empé- 
duiit  rarcfaidiaere  de  Bedford  d'envoyer  à  Saint-AlbAis  les  provisions  de 
venaison.  Toutes  les  réclamations  des  moines  ayant  été  rendues  vaines 
par  le  crédit  de  Jean  Mausel ,  aussi  puissant  alors  que  le  comte  Ri- 
cbard  de  Cornouailles,  ceux-ci  fulminèrent  contre  Geoffroi  la  plus  ter- 
rible excommunication,  et  le  citèrent  de  pace  fraeta.  Henri  III,  ayant 
rémui  k  obtenir  de  l'abbé  qu'il  retirât  son  appel,  adjugea  le  droit  de  ga- 
renne à  Geoffroi,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  le  passage  que  nous  annotons  ; 
puis  comme  les  moines  avaient  persisté  à  exercer  leur  droit,  il  les  con- 
damna, kls  poanaite  de  Guillaume,  évéque  de  Salisbury.  Mutt.  Paris 
n\è%ei  viTemeat  !«•  termes  de  la  sentence  qui  ne  tendait  à  rien  moins  qu'à 
meUre  la  rotonlé  royale  au-dessus  du  droit  de  possession  le  plus  légi- 
time. Il  parle  ensuite  des  démêlés  de  sun  monastère  avec  ce  même  Geof 
froi  au  sujet  de  h  terre  de  Newbury  et  de  la  paix  que  les  moines  finirent 
par  aoorplM-  et  guerre  lawe.  iVoy.  Vit.  a'ub.  in  (iue.) 


48  HENRI  III. 

pas  de  se  révolter  contre  Téglise  sa  dame,  qui  Tavait 
nourri  et  élevé  en  puissance  ;  en  sorte  qu'il  encourut 
l'odieuse  renommée  de  trahir  sa  mère,  sinon  son 
père*;  car  il  attaquait  aussi  injustement  qu'impu- 
demment la  mère  qui  l'avait  engendré,  aussi  bien 
que  l'église  qui  l'avait  enrichi  lui  et  ses  pères.  Ce- 
lui qui  lui  donnait  de  l'assurance  pour  agir  ainsi 
était  le  susdit  Jean ,  clerc  spécial  du  seigneur  roi,  et 
dont  les  richesses  avaient  atteint  l'opulence  d'un 
évêque;  car  le  susdit  Geoffroi  avait  épousé  ,  comme 
nous  Pavons  dit,  la  sœur  de  ce  clerc,  qui  se  nommait 
Clarice  et  ne  lui  avait  pas  encore  donné  d'enfanls. 
Celait  la  fille  d'un  prêtre  de  campagne  ;  mais  elle 
n'en  était  pas  moins  orgueilleuse  outre  mesure,  non 
sans  être  ridicule  aux  yeux  de  tous;  et  l'on  croit 
qu'elle  avait  infatué  son  mari  de  ses  idées  de  gran- 
deur. Néanmoins,  je  ne  pense  pas  que  cela  puisse  lui 
servir  d'excuse  ;  mais  au  contraire  sa  faute  enestag- 
gravée,  selon  cette  parole  du  Seigneur,  qui,  en  ful- 
minant sa  sentence  contre  Adam,  le  premier  homme 
façonné  de  ses  mains,  lui  dit  :  «  Puisque  tu  as  écouté 
«  la  voix  de  ta  femme  plutôt  que  la  mienne,  la  terre 
«  sera  maudite  en  tout  temps.  »  Or^  comme  celui  qui 
a  composé  ce  livre,  ù  savoir  frère  Matthieu  Paris,  re- 
prochait sans  hésiter  au  seigneur  roi  une  pareillevio- 
Jation,  le  roi  lui  dit  :  o  Est-ce  que  le  pape  n'en  fait 
«  pas  autant,  lui  qui  ajoute  publiquement  dans  ses 
tt  lettres  la  clause  suivante  :  «  Nonobstant  tout  privi- 
«  lege  ou  indulgence?  »  Toutefois  il  reprit  d'un  ton 

'  Nouf  tranipoton*  le*  moU  ;  el  encore  le  ipns  n'est  pat  clair. 


ANNEE  ^250.  À% 

plus  modéré  :  «  Assez,  assez  pour  le  moment,  nous  y 
«  réflécliirons.  »  Mais  le  souvenir  de  ces  paroles  et  de 
celte  promesse  s'évanouit  comme  un  vain  son. 

Dans  le  coure  du  même  temps,  le  seigneur  roi,  cé- 
dant à  de  sages  conseils,  confia  la  garde  de  son  sceau, 
qui  est  réputé  la  clef  du  royaume,  à  maîlre  Guil- 
laume de  Kilkenny,  homme  modeste,  féal  et  bien 
lettre,  circonspect  d'ailleurs,  et  habile  dans  le  droit 
civil  et  canonique. 

Vers  le  même  temps,  le  roi  de  France  sortit  de  son 
camp  de  Damielte,  après  avoir  commis  à  garder  vi- 
gilamment  celle  ville  le  duc  de  Bourgogne,  une  foule 
d'autres  seigneurs  et  de  chevaliers,  et  un  corps  nom- 
breux de  fantassins,  qui  devaient  y  rester  en  même 
temps  que  le  légal,  quelques  évoques  et  clercs,  la 
reine  et  d'autres  nobles  dames  avec  leurs  suites;  car: 

11  y  a  autant  dp  mérite  à  coiuerTer  ce  qu'on  a  acquis,  qu'à  faire  de 
nouveiles  conquêtes. 

H  prit  sa  roule  vers  l'orient,  et  dirigea  de  ce  côté  ses 
bannières  et  son  armée.  11  était  accompagné  du  sei- 
gneur Guillaume  Longue-Épée  et  de  ceux  qui  s'é- 
taient attachés  à  la  fortune  dudit  comte,  tels  que  Ro- 
bert de  Ver  et  autres  anglais  qu'il  serait  trop  long 
d'énumérer,  ainsi  que  des  chevaliers  et  des  sergents 
qu'il  avait  retenus  à  sa  solde. 

Cependant  les  Français,  avec  leur  orgueil  ordi- 
naire, se  moquaient  de  Guillaume  et  des  siens,  1er. 
méprisaient  et  les  avaient  en  haine,  quoique  le  très- 
pieux  roi  de  France  le  leur  eût  défendu  spécialement, 
on  disant  :  "  Quelle  fureur  vous  transporte,  ô  Fran- 

VII.  •{ 


50  HENRI  III. 

«  çais?  Pourquoi  persécutez-vous  ce  guerrier,  qui  est 
«  accouru  à  mon  secours  et  au  vôtre  de  pays  fort 
0  éloignés,  et  qui,  pèlerin  comme  vous,  combat  fidè- 
«  lenient  pour  le  service  de  Dieu?  »  Mais  le  roi,  par 
toutes  ces  raisons  et  ces  sollicitations,  ne  pouvait  ame- 
ner les  cœurs  des  Français  à  ne  pas  mépriser  et  per- 
sécuter les  Anglais,  selon  cette  parole  d'un  poëte  : 

Il  Tout  orgueilleux  ne  peut  souffrir  de  partaj^e.  u 

Of,  voici  ce  qui  avait  donné  lieu  à  cette  jalousie  et  à 
cette  haine.  Le  même  Guillaume  s'était  emparé,  non 
par  force,  mais  par  un  coup  de  hasard  et  de  fortune, 
d'une  tour  très-forte,  située  non  loin  d'Alexandrie^  et 
remplie  de  dames  qui  étaient  les  épouses  de  plusieurs 
nobles  Sarrasins^  saiisque  les  Français  eussent  aucune 
connaissancedecette prise.  Aussi  sa  grande  renommée 
et  la  crainte  qu'il  inspirait  parvinrent  môme  jusque 
dans  les  pays  les  plus  reculés  de  TOrient.  Comme  il 
avait  acquis  partout,  ainsi  qu'en  ce  lieu,  grâce  aux 
faveurs  de  Mars,  de  grands  trésors,  et  avait  enrichi 
ses  chevaliers  et  ses  hommes,  ce  que  les  Français, 
tout  nombreux  et  puissants  qu'ils  étaient,  n'avaient 
pu  faire,  ceux-ci  murmuraient  par  envie,  le  haïs- 
saient, le  persécutaient,  et  ne  pouvaient  môme  lui 
parler  sans  colère. 

Stratagème  de  Guillaume  Longue-Epée.  —  Outragé 
PAR  Robert  d'Artois,  il  abandonne  les  Français. — Le 
roi  défend  aux  seigneurs  anglais  de  partir  pour  Jé- 
rusalem ,  et  PAIT  soigneusement  GARDER  LES  PORTS.  — 


ANNÉE  1250.  h\ 

Le  BOI  EXT0BQ13E  DE  L  .4RGENT  DE  TOCS  COTES.  — TyRANNIE 
DE  GeOFFROI  de  LaISGELEY  ,  IKQUISITELR  DES  FORÊTS.    — 

L'archevêque  de  Cantorbéry  se  rend  a  Rome.  —  Mort 
DE  RoBEBTDE  Lexinton. — Oi",  il  ari'iva  une  autre  fois 
<|ue  le  même  Guillaume,  ayant  fait  partir  des  espions 
adroits  qu'il  avait  avec  lui,  apprit,  par  leur  rapport 
secret,  que  quelques  marchands  orientaux  extrême- 
ment richesse  rendraient  imprudemment,  avec  une 
petite  escorte,  à  une  foire  qui  se  tenait  du  côté  d'A- 
lexandrie, où  ils  espéraient  pour  sur  augmenter 
leurs  biens.  Guillaume,  ayant  donc  pris  avec  lui  tous 
ses  chevaliers,  partit  secrètement  pendant  la  nuit 
vers  le  lieu  indiqué,  et  tomba  comme  la  foudre  sur 
ces  marchands  surprise  Timproviste;  ils  furent  mas- 
sacrés sur-le-champ,  leurs  conducteurs  furent  mis 
en  fuite,  quelques-uns  faits  prisonniers,  et  Guil- 
laume se  saisit  de  tout  ce  convoi,  que  Ton  appelle 
vnljjairement  caravane.  Il  s'empara  en  outre  de  cha- 
meaux, de  mulets,  d'ânes  chargés  de  pièces  de  soie, 
«le  piment,  d'épiceries,  d'or  et  d'argent,  ainsi  que  de 
quelques  chariots  avec  leurs  attelages  de  buffles  et 
de  bœufs,  et  de  provisions  aussi  nécessaires  aux 
chevaux  qu'aux  hommes ,  dont  lui  et  sa  troupe  man- 
quaient absolument.  Ledit  Guillaume,  après  avoir 
tué  et  fait  prisonniers,  dans  cette  rencontre,  un 
grand  nombre  de  ses  adversaires,  n'eut  à  regretter 
la  mort  que  d'un  seul  chevalier  et  de  huit  sergents. 
Il  ramena  cependant  quelques-uns  des  siens  blessés, 
maisde  manière  àôtreguéris  par  les  médecins.  Aussi, 
joyeux  et  triomphant,  revint-il  vers  raraiée  chai*gc 


52  HENRI  III. 

de  dépouilles.  A  celte  vue,  les  Français,  qui  étaient 
restés  dans  leur  inaction  et  leur  pauvreté,  stimulés  à 
la  fois  par  les  aiguillons  de  l'envie  et  de  l'avarice, 
allèrent  à  sa  rencontre  à  main  armée  et  lui  enlevè- 
rent par  la  force,  comme  des  brigands  sans  pudeur, 
tout  ce  qu'il  avait  conquis;  donnant  comme  excuse 
suffisante  de  cette  violence,  que,  dans  son  audace  té- 
méraire, il  s'était  séparé,  aussi  orgueilleusement  que 
sottement,  du  reste  de  l'armée  contre  l'édit  du  roi,  les 
arrêtés  des  chefs  et  la  discipline  militaire.  En  enten- 
dant ce  reproche,  Guillaume  promit  de  donner  satis- 
faction en  tous  points,  de  telle  façon  que  tout  ce 
qu'il  avait  acquis  en  fait  de  vivres  serait  distribué 
aux  besoigneux  de  l'armée,  tous  tant  qu'ils  étaient. 
Mais  les  Français,  élevant  la  voix  et  réclamant  toute 
la  prise  pour  eux,  mirent  au  pillage,  avec  force  in- 
jures, tout  ce  que  Guillaume  rapportait.  Alors  Guil- 
laume, attristé  jusqu'à  une  vive  amertume  de  cœur, 
et  indigné  d'un  pareil  outrage,  alla  se  plaindre  très- 
amèrement  au  roi,  ajoutant  que  le  comte  d'Artois, 
son  frère,  avait  dirigé  les  auteurs  de  cet  attentat  et  de 
cette  déprédation  violente.  Mais  le  roi,  avec  sa  piété 
ordinaire,  et  sa  sérénité  de  cœur  et  de  visage,  lui  ré- 
pondit h  voix  basse  :  «  Guillaume,  Guillaume,  le 
«  Seigneur  lésait,  lui  qui  n'ignore  rien,  je  redoute 
«  grandement,  à  la  vue  du  dommage  et  de  l'ouirage 
»  que  tu  as  soufferts,  que  noire  orgueil,  joint  h  nos 
«  autres  péchés,  ne  nous  confonde.  Mais  tu  sais  que, 
«<  dans  les  circonstances  périlleuses  où  je  suis  placé, 
«  il  serait  fûcheux  pour  moi  de  troubler  cl  (roffenser 


ANNÉE  4250.  55 

•I  en  aucune  façon  mes  seigneurs.  »  Taudis  quMI  di- 
sait ces  choses,  le  comte  d  Artois  arriva,  Tair  lier  et 
gonflé  comme  un  furieux,  et,  dans  sa  colère,  élevant 
la  voix  d'une  manière  inconvenante,  et  sans  saluer 
le  roi,  ni  aucun  des  assistants,  il  s'écria  :  «  Que  veut 
«  dire  cela,  seigneur  roi?  As-tu  la  prétention  dedé- 

•  fendre  cet  Anglais,  et  de  repousser  les  Français 
«  qui  sont  tes  féaux?  Cet  homme,  au  mépris  de 
«  toi  et  de  toute  l'armée,  guidé  par  son  seul  mouve- 

•  ment,  de  sa  propre  volonté  et  malgré  nos  statuts, 
«  est  allé  faire  du  butin  clandestinement  et  pendant 
«  la  nuit  ;  aussi  on  ne  parle  que  de  lui  seul  dans  les 
«  climats  d'Orient.  Quant  au  roi  de  France  et  à  ses 
u  hommes^  il  n'en  est  pas  question.  11  a  fait  pâlir  nos 
«  noms  et  nos  titres  de  gloire.  »  En  entendant  cela, 
le  roi  très-chrétien,  tournant  sa  face  et  penchant  son 
visage  du  côté  de  Guillaume,  lui  dit  d'un  ton  mo- 
deste :  «  Tu  peux  l'entendre  toi-même,  mon  ami. 
«<  Cela  pourrait  bientôt  donner  lieu  à  un  schisme,  ce 
«I  dont  Dieu  garde  l'armée.  11  est  nécessaire,  dans  une 
«  position  aussi  difficile  de  supporter  avec  sang-froid 
«  de  pareilles  choses  ou  même  des  choses  plus  pé- 
«  nibles.  »  Alors  Guillaume  :  «  Tu  n'es  donc  pas 
«  roi,  puisque  tu  ne  peux  tirer  justice  des  tiens  et 
'•  punir  les  délinquants,  tandis  que  moi  je  promets 
«  de  donner  satisfaction  en  tous  points,  si  j'ai  failli,  n 
Puis,  blessé  profondément  dans  son  cœur, [il  ajouta  : 
«  A  l'avenir  je  ne  servirai  plus  un  tel  roi,  je  ne  m'at- 
«  tacherai  plus  à  un  tel  seigneur.  »  Et  il  se  retira 
fort  irrité,  laissant  le  roi  dans  un  grand  chagrin.  De 


34  HENRI  in. 

là  il  se  rendit  à  Acre,  et  y  séjourna  plusieurs  jours 
avec  ses  compagnons  d'armes,  se  plaignant  de  son 
injure  à  tous  les  habitants,  et  leur  exposant  publi- 
quement, et  avec  larmes,  le  motif  de  son  départ. 
Aussi  tous  ceux  qui  Técoutèrent,  et  surtout  les  pré- 
lats, compatirent  à  sa  douleur  et  détestèrent  les 
Français.  Les  gens  sensés  et  expérimentés  dans  les 
affaires  de  la  guerre  prédisaient  que,  sans  nul  doute, 
cela  était  d'un  triste  présage  pour  Tavenir,  et  que  la 
colère  du  Très-Haut  devait  être  excitée  gravement 
par  de  telles  offenses.  On  rapporte  même  qu'après 
le  départ  du  comte  Guillaume,  le  comte  d'Artois 
se  prit  à  dire,  avec  de  grands  éclats  de  rire  :  «  C'est 
«  bien,  maintenant  la  noble  armée  des  Français  est 
«  purgée  de  tous  ces  gens  à  queue  *;  «  ce  qui  excita 
l'indignation  dans  le  cœur  de  plusieurs.  Depuis  ce 
moment,  Guillaume  résolut  de  demeurera  Acre,  avec 
les  citoyens,  les  Templiers  et  les  Hospitaliers,  d'y 
attendre  l'arrivée  des  seigneurs  d'Angleterre,  qui 
avaient  pris  la  croix,  de  les  avertir  de  l'orgueil  et 
des  injustices  des  Français,  et  de  les  exhorter  puis- 
samment à  tenter  par  leurs  propres  forces,  et  sans  se 
joindre  aux  Français,  d'attaquer  les  ennemis  du 
Christ,  avec  le  conseil  dhommes  discrets  et  hum- 
bles. 

Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire  le  jour  de  l'il- 

'  Cauditti  ((«sic  hit).  Koberl  foisail  allusion  à  un  bruit  qui  courait 
.-ilort  qu«  les  An(;lai»,  on  punition  de  rnitassinnl  du  Nainl|TlininaH  do 
(4intorlN'>ry,a«airnl  une  queun  alt^rlin'  .m  It.iB  doit  teins.  (Veutui,  llist. 
de  MaltCy  premier  roi.,  pà(i.  .'ilO.  ■—  Voy.  la  pj].  78  du  vol.) 


ANNÉE  4230.  55 

lustre  fête  du  bienheureux  Au^justiii,  tous  les  sci- 
{^neursd  Angleterre  qui  avaient  pris  lu  croix,  ainsi 
que  leurs  hommes,  et  dont  nous  avons  donné  les 
noms  plus  haut ,  ayant  résolu  fermement  de  se  mettre 
en  roule  pour  Jérusalem,  vers  la  fête  de  saint  Jean  , 
comme  nous  Pavons  dit,  avaient  vendu  ou  engagé 
leurs  terres,  s  étaient  enveloppés  dans  les  pièges  des 
Juifs  ou  des  Caursins,  avaient  dit  adieu  à  leurs  amis, 
et  se  tenaient  prompts  et  prêts.  Mais  voici  que  le 
seigneur  roi,  semblable  à  un  [)etit  enfant  blessé  ou 
contrarié,  qui  a  coutume  de  courir  vers  sa  mère  en 
se  plaignant,  s  était  adressé  au  seigneur  pape,  avec 
de  pressantes  sollicitations,  pour  qu'il  empêchât  ce 
voyage,  lui  faisant  savoir  que  quelques  seigneurs  il- 
lustres de  son  royaume,  ayant  pris  la  croix,  se  propo- 
saient fermement,  contre  son  gré  et  malgré  sa  dé- 
fense, de  se  mettre  en  route  pour  Jérusalem,  et  ne 
daignaient  pas  Tattendre  lui,  leur  seigneur,  qui  avait 
pris  la  croix  et  avait  Tiutention  de  faire  le  même 
voyage ,  tandis  qu'ils  aimaient  mieux  suivre ,  à  sa 
place,  le  roi  de  France,  son  ennemi  capital  qui , 
disaient-ils,  avait  pris  les  devants,  et  leur  avait  pré- 
paré la  route  et  l'accès  de  la  terre  d'Orient.  Aussi  le 
pape,  par  ses  lettres,  conmie  le  roi,  par  ses  paroles 
impérieuses,  délendit-il  forniellement ,  sous  peine 
(rexcommunication  qu'aucun  des  seigneurs  passât 
la  mer  contre  la  volonté  du  roi,  à  quelque  péril  ou 
danger  que  le  roi  de  France  |)ùt  êlie  exposé. 

Deplus,leseigneur  roi envoyaincontiuentaux châ- 
telains de  Douvres  et  aux  gardiens  des  autres  porl& 


56  HENRI  III. 

l'ordre  dene  pas  permettre  qu'aucun  seigneur  croisé 
passât  la  mer.  Cependant  on  allégua  contre  cette  me- 
sure que  le  roi  avait  agi  inconsidérément,  parce 
que  si  tant  et  de  si  illustres  chevaliers  (or  ils  étaient 
environ  cinq  cents  guerriers  à  cbeval,  sans  compter 
la  suite  nombreuse  de  leurs  hommes)  précédaient  la 
face  du  roi  d'Angleterre ,  la  chrétienté  tout  entière 
s'écrierait  avec  surprise  :  «  Quel  grand  roi  est-ce 
«  donc,  et  combien  formidable,  d'envoyer  une  sem- 
«  blable  avant-garde?  Combien  nombreuse  doit-on 
«  croire  que  sera  sa  compagnie?»  Et  que  par  ainsi 
tout  le  paganisme  serait  saisi  de  crainte.  Mais  à  quoi 
bon  celte  discussion?  Outre  l'obstacle  mis  en  avant 
par  le  roi  et  par  le  pape,  ce  retard  des  pèlerins  fut 
un  bonheur  ;  car,  s'ils  avaient  passé  la  mer  à  cette 
époque,  ils  ne  seraient  pas  arrivés,  hélas!  au  secours 
du  seigneur  roi  de  France  en  temps  opportun  et  pro- 
pice, comme  ils  le  souhaitaient  ardemment;  mais  il 
est  tout  à  fait  impossible  de  raconter  à  la  fois  des 
choses  qui  arrivèrent  simultanément. 

Sur  ces  entrefaites,  le  seigneur  roi  ne  cessait  pas 
d'extorquer  de  toutes  part  de  l'argent,  principalement 
aux  juifs  et  occasionnellement  à  ses  hommes  chré- 
tiens et  naturels,  en  sorte  qu'il  arracha  quatorze  mille 
marcs  [d'argent]  et  dix  mille  [marcs  '  ]  d'or  pour  la 
reine  h  un  seul  juif  nommé  Aaron,  qui  était  natif 
d'York  et  avait  continué  de  demeurer  dans  cette  ville, 

<  Ciîttf  (Icrnicrc  soiiiiiic  surtout  nous  pnrntt  «'xayrn'-fi,  quelle  c|up  fiU 
la  fnrtutu!  il'Aaron.  Le  texte  porte  rfcrew  viillia  auri.  Nous  suppo- 
•ont  noii-mnil«ment  une  lacune,  mnit  cnrorc  une  fnule. 


ANNÉE  ^250.  57 

parce  qu'il  était  convaincu,  à  ce  qu  on  prélendit,  iVù- 
voir  faussé  une  charte;  et  comme  ce  juif  avait  mis 
quelque  retard  dans  le  paiement,  on  le  laissa  lang^uir 
dans  une  prison.  Lorsque  toutes  ces  sommes  eurent 
été  payées,  il  fut  prouvé  que  le  même  Aaron  avait 
déjà  donné  au  roi  trente  mille  mures  d'argent,  et  à  la 
reine  deux  cents  marcs  d'or,  après  que  ledit  roi  fut 
revenu  des  pays  d'outre-mer,  comme  le  même  juif 
Tattesta  par  serment  sur  sa  loi  et  sur  sa  foi  à  frère 
Matthieu,  auteur  de  cette  histoire.  Toutefois,  quoique 
les  juifs  soient  malheureux,  ils  n'inspirent  de  pitié  à 
pei'sonne,  parce  que  ce  sont  des  gens  qui  altèrent  et 
laussent  la  monnaie  royale,  les  sceaux  et  les  chartes, 
et  qui  sont  condamnés  et  réprouvés  pour  ces  méfaits, 
dont  ils  ont  été  convaincus  manifestement  et  fré- 
quemment. 

Vers  le  même  temps,  un  certain  chevalier,  bailli  du 
seigneur  roi,  nommé  Geoffroi  surnommé  de  Lan- 
geley,  ayant  été  chargé  de  faire  une  enquête  sur  les 
usurpations  commises  dans  les  forêts  du  seigneur  roi, 
et  étant  en  tournée  dans  plusieurs  pays  d'Angleterre, 
se  conduisit  avec  tant  d'astuce,  d'arroganceet  de  vio- 
lence principalement  enver;»  les  seigneurs  des  pays  du 
nord,  et  leur  extorqua  tant  d  argent,  que  la  quantité 
du  trésor  levé  par  lui  lit  naître  la  stupeur,  et  lut  re- 
gardé comme  incroyable  par  ceux  qui  lapprirent. 
Or,  cette  oppression  immodérée  dont  le  roi  accablait 
sessujetsdu  nordsemblaitémanerd'unevieillehaine. 
Aussi  iesusditOeoffioi,  .iccompagné  d'une  suite  nom- 
breuse et  bien  armée,  faisaitsaisirsur-le-ehampeten- 


58  HENRI  III. 

fermer  dans  la  prison  du  roi  celui  des  nobles  susdits 
qui  osait  s'excuser  et  murmurer,  et  qui,  au  lieu  de 
juges,  trouvait  des  ennemis.  La  gravité  du  châtiment 
n'était  jamais  en  rapport  avec  la  nature  de  la  faute. 
Pour  le  plus  petit  animai,  pour  un  faon,  pour  un 
lièvre,  errant  même  à  travers  les  champs,  Geoffroi 
appauvrissait  jusqu'à  l'épuisement  le  plus  noble  sei- 
gneur, sans  considérer  le  rang  ou  la  fortune.  Aussi, 
en  comparaison  de  celui-ci,  Robert  Passelève  était 
regardé  comme  le  plus  doux  des  homn)es,  et  même 
tous  ses  prédécesseurs  étaient  justifies  et  bénis  à  côté 
de  lui.  Or,  ce  susdit  Geoffroi  avait  commencé  par 
être  promu  à  l'office  de  marécbalat  dans  l'hôtel  du 
seigneur  roi,  et  par  êtrechargéde  porter  la  vergeà  la 
place  du  grand-maréchal.  Alors  il  avait  réduit  autant 
que  possible  la  libéralité  et  la  courtoisie  ordinaire  de 
la  table  royale  pour  plaire,  parce  moyen,  au  roi  qu'il 
flattait.  Aussi  s'élait-il concilié,  qiioiqu'injustement,  la 
faveur  royale.  Plus  lard  le  susdit  Robert,  regardant 
le  même  Geoffroi  comme  un  homme  qui  entrerait 
dans  ses  vues  et  lui  serait  fidèle,  l'appela  à  partager 
son  pouvoir  et  son  office  de  justicier  <Ies  forêts  du 
seigneur  roi.  Mais  Geolfroi,  tendant  sourdement  des 
pièges  à  son  protecteur  Robert,  Unit  par  le  su[)planler 
méchamment,  déposa  ignominieuseuieut  les  baillis 
que  le  même  Robert  avait  institués,  cl  ne  rougit  pas  de 
les  oppauvrir;  ce  qui  couvrit  de  conlusion  ledit  Ro- 
l)ert  et  lui  nuisit  beaucoup.  Mais  aura-t-on  pitié  d'un 
enchanteur  qui  est  mordu  |)ur  son  serpent?  C'est  pour- 
quoi le  n»êmc  Robert,  évitant  les  pièges  de  la  cour  cl 


ANNEK  4250.  59 

des  courtisans,  fui  ordonné  prèlrc  el  s'occupa,  comme 
on  Ta  dit  plus  haut,  à  nouer  les  gerbes  d'une  vie 
meilleure. 

Vers  le  même  temps,  Tarcheveque  de  Canlorbéry 
Boniface,  apprenantle départ  du  doyen  deSaint-Paul, 
de  quelques  chanoines  de  la  mémeéglise  qui  raccom- 
pagnaient, et  des  procurateurs  de  ceux  qu'il  avait  mal- 
traités, passa  lo  mer  en  grande  pompe  et  appareil, 
animé  par  le  conseil  des  légistes,  fort  des  lettres  et  de 
la  protection  du  roi,  et  se  fiant  dans  Tautorité  de  sa 
naissance,  pour  se  rendre  à  la  cour  romaine  et  être 
soutenu  dans  sa  tyrannie  par lautorité  papale. 

Celte  même  année,  le  4  avant  les  calendes  de  juin, 
mourulKobertdeLexinlon,  clerc,  qui,  après avoiroc- 
cupé  longtemps  la  charge  de  justicier,  avait  acquis  un 
nom  fameux  et  des  possessions  considérables.  Cepen- 
<lantpeu  d'années  avant  sa  mort,  étant  tombé  en  pa- 
ralysie, il  avait  résigné  l'office  susdit,  renonçant  au 
métier  de  touloier  pour  une  vie  meilleure,  et  digne 
en  cela  d'être  assimilé  au  bienheureux  Matthieu  apô- 
tre :  aussi  termina-t-il  sa  vie  languissante  d'une  ma- 
nière louable  par  d'abondantes  aumônes  et  de  dévotes 
oraisons. 

Fausseté  des  bruits  scr  la  prise  du  Caire.  —  Prise 
i»E  Damiette  et  origine  des  bruits  précédents.  — 
Ketoir  de  Guillaume  Longue-Kpée  —  Offres  avan- 
tageuses DU  SOUDAN  POUR  OBTENIR  LA  PAIX.  Le  SOU- 
DAN découvre  la  TRAHISON  OURDIE  PAR  UN  DE  SES  OFFI- 
riERS.    —    ProsPÉRIPÉ    des    AFFAIRES    DE    FrÉDÉRIC.     — 


60  HENRI  111. 

Bernard  de  Nympha  lève  de  l'argent  sur  les  croisés. 
— Vers  le  même  temps,  comme  des  bruits  agréables, 
mais  faux,  avaient  couru  sur  la  prise  du  Caire  et  de 
Babylone' ,  et  que  tous  les  occidentaux  se  réjouissaient 
de  la  ruine  d'Alexandrie  et  de  consolations  qui  furent 
vaines,  il  fut  reconnu  que  la  cause  primitive,  et  l'o- 
rigine de  ces  rumeurs  fut  celle  que  nous  allons  ra- 
conter, et  qui  exige  une  narration  prolixe,  mais  in- 
fructueuse; car: 

«  ...  Un  triste  multat  jette  la  honte  sur  tout  ce  qui  a  précédé...  » 

Lorsque,  Tannée  précédente,  le  Soudan  de Babylone 
avait  été  instruit  de  l'arrivée  prochaine  de  Tillustre 
roi  de  France  et  de  son  armée  ,  il  avait  confié  à  l'un 
de  ses  officiers,  à  qui  il  se  fiait  le  plus,  la  garde  de 
Damiette,  et  au  frère  de  ce  môme  officier,  celle  du 
Caire  et  de  Babylone.  Après  la  prise  inopinée  de  Da- 
miette, le  Soudan,  ayant  convoqué  tous  ses  seigneurs, 
accusa  grièvement ,  en  présence  de  tous ,  l'officier  à 
qui  il  avait  confié  Damiette  à  garder,  et  sous  le  com- 
mandement duquel  cette  ville  avait  été  perdue,  lui 
reprochant  non-seulement  d'avoir  perdu  traîlreuse 

'  Les  historiens  des  croisades  confondent  souvent  ces  deux  places,  si- 
tuées louU'8  deux  près  du  Nil,  a  peu  de  distiiice  Tune  de  Paulre,  vis-n- 
vis  de  l'unciciiiie  Mi'inpliis.  Le  vieux  Cuirudes  Fatimitcs  fut  brûlé  vers 
1019  par  les  troupes  du  Kh.ilife  llakeui,  et  reliAli  ensuite  par  Suiadiu 
i|ui  y  conittruisil  un  châteaii  avec  leN  pierres  de  plusieurs  petites  pyra- 
mides Rituéej  près  de  Meinpliis.  li.iliyloiie  dM']|,'yp[c,  déjà  n  demi  ruinée 
au  temps  de  Snliidin,  detail  n^nvoir  aucune  iniporlniiceau  temps  de  saint 
Louis,  puisque  set  débris  servaient  aun  coiiHtruclious  de  la  nouvelle  ca- 
pitale. 


ANNEE  425U.  61 

ment,  négligemment  et  lùeliemeiit  sa  principale 
cité,  qui  passait  pour  inexpugnable,  mais  encore  do 
Tavoir  livrée  lui-même  aux  mains  des  ennemis  pu- 
blics, afin  que  les  chrétiens ,  ennemis  de  tous  les 
Sarrasins,  eussent  une  entrée  libre  en  Egypte  et  dans 
toute  la  terre  d'Orient,  l'espérance  de  conquérir 
puissamment  et  ouvertement  le  reste  avec  encore 
plus  de  promptitude  et  de  certitude,  et  enfin  un  asile 
très-fort,  à  la  confusion  de  tout  le  paganisme.  L'of- 
ficier ainsi  accusé  lui  répondit  :  a  Très-puissant  sei- 
«  gneur,  à  Tépoque  où  le  roi  des  Francs  hivernait 
«  dans  Vî\e  de  Chypre,  j'y  envoyai  mes  espions,  moi 
«(  qui  suis  ton  féal  et  ton  dévoué,  et  j'appris  que, 
«  quand  il  partirait  de  cette  île,  il  se  dirigerait  vers 
«  Alexandrie ,  pour  l'assiéger  à  main  armée.  Aussi 

•  je  fis  partir  en  hâte  toutes  mes  forces  de  Damiette 

•  pour  secourir  puissamment  les  Alexandrins,  nos 
«  amis  et  tes  sujets,  m'emparer  dudit  roi  et  de  toute 
«  sa  flotte  et  te  le  présenter.  Mais  la  fortune  ,  notre 
»  ennemie ,  ayant  changé  le  vent ,  heureuseujent 
«i  pour  lui,  nous  envoya  nos  ennemis  sans  que  nous 
«  fussions  préparés.  C'est  alors  (ju'il  occupa  le  ri- 
«  vage,  mais  non  sans  que  nous  ayons  résisté  de  tout 
«  notre  pouvoir,  comme  tu  le  sais.  Le  lendemain , 
t  Mars  lui  étant  propice  ,  il  assiégea  Damiette ,  qu'il 
«  trouva  dépourvue  de  toutes  ses  forces.  En  même 
«  temps  une  ilolte  si  nombreuse  était  arrivée  avec  lui, 
"  que  la  mer  en  paraissait  couverte.  Réfléchissant 
«  donc  en  vérité  qu'étant  privés  de  la  garnison  et  des 

•  rames  de  la  ville,  nous  ferions  bien  de  pourvoir  à 


62  HENRI  in. 

«  notre  salut  et  au  tien,  nous  prîmes  secrètement  la 
<(  fuite  pendant  la  nuit,  après  avoir  assommé  et  mas- 
«  sacré  les  captifs  chrélieus  que  nous  avions,  pour 
«  aller  chercher  les  renforts  que  nous  avions  envoyés 
«  à  Alexandrie,  et  revenir  attaquer  plus  vigoureuse- 
<«  ment  les  chrétiens.  Mais  quelques  captifs  chrétiens, 
((  voyant  que  les  leurs  arrivaient  et  que  nous  égor- 
«  gions  leurs  compagnons,  levèrent  hostilement  le 
«  talon  contre  nous  ,  se  soulevèrent  furieusement  et 
*  tuèrent  quelques-uns  des  nôtres.  De  plus,  après 
«  noire  départ,  ils  conduisirent,  par  des  chemins  in- 
<(  connus,  les  Francs  qui  arrivaient,  et  les  guidèrent 
«  secrètement  dans  l'intérieur  même  de  la  ville.  Ce- 
«  pendant ,  au  moment  de  la  quitter,  nous  y  avions 
«  mis  le  feu ,  pour  que  nos  ennemis  ne  se  glorifias- 
«  sent  pas  de  nos  dépouilles  ;  mais  les  efsclaves  Té- 
a  teignirent  aussi  promptement  qu'ils  le  purent.  Or, 
«  nous  voyant  forcés  de  nous  retirer,  nous  détestions 
«  en  gémissant  la  loi  de  Mahomet ,  nous  la  maudis- 
<(  siens  et  nous  souhaitions  plutôt  de  mourir  que  de 
<(  vivre.  »  En  entendant  cela,  le  soudan  fut  transporté 
de  colère,  car  c'était  un  homme  superbe  et  sans  mi- 
séricorde; etquoiqu'au  dire  de  quelques-uns,  le  sus- 
dit ofOcier  se  fût  suiGsamment  excusé,  ledit  Soudan 
sMndigna  cruellement  contre  lui  et  ordonna  qu'on  le 
pendit  à  une  potence  comme  traître  et  blasphéma- 
teur *.  A  celte  nouvelle,  le  frère  de  cet  officier,  qui 

'  Il  cil  vroi  que  le  soudun  lil  clninijlei'  en  ccttt!  occnsioii  ('iiii|iiuiiCc  «les 
|irin<M|>nux  oflicierH,  d'auJns  iliscnl  ix-iiHif  loule  linjdrnisoii  tir  D.iiniflle; 
inait  il  ii'ou  rien  cntr<>|)ri>ii(lni  cmilro  Fnkreddiu,  qui  disposait  de  Pnr- 


ANNEE  4230.  65 

élail  gardien  ilu  Caire ,  et  qui ,  dès  louglemps  nupu- 
ravant,  avait  ie  cœur  bien  disposé  en  faveur  de  la  lui 
chrétienne  ,  mais  sVii  cncliait  par  crainte  des  païens, 
lit  secrètement  appeler  quelques  caplils  qu'il  tenait 
dans  les  fers,  à  savoir  des  Templiers,  des  Hospitaliers, 
et  plusieurs  Français  pris  récemment  à  la  bataille  de 
Gazer,  et  leur  dit  :  «  J'ai  au  fond  du  cœur  un  secret 
«  que  je  veux  vous  révéler  fidèlement:  si  vous  me  pro- 
■  mettez,  dans  toute  la  sincérité  de  votre  foi  et  de  votre 
«  loi ,  de  le  cacher  et  de  persévérer  dans  votre  discré- 
«  tien,  je  vous  le  révélerai.  »  Comme  il  disait  ces 
choses,  les  captifs,  ayant  interposé  leur  foi  et  prêté 
serment,  lui  promirent  en  tous  points  une  lidé- 
lité  inébranlable.  Alois  il  commença  sa  narration  et 
dit  :  •  Le  Soudan  de  Babyloue,  mon  seigneur  jusqu  à 
«  présent,  mais  qui  ne  le  sera  plus  à  Tavenir,  que 
«  j'ai  servi  longtemps  et  fidèlement  dans  beaucoup 
«  de  périls,  m'a  récemment  causé  un  chagrin  into- 
«  lérable,  el  m'a  fait  un  outrage  ignominieux  en  iraî- 
«  nant  et  suspendant  à  une  potence  mon  frère,  que 
u  j'aimais  plus  qu'un  frère,  plus  même  que  toute  ma 
«  famille  ensemble,  lui  reprochant  d'avoir  livré  de 
«  bon  gré  et  lâchement  Damiette  aux  Francs,  sans 
«  que  ses  bonnes  raisons  et  le  témoignage  d  autrui 

inée.  {f^oy.  M.  JViiCHAL'D,  //i«*.  des  Ciois,,  tom.  iv,  paj;.  13",  136.) 
Qiuot  au  fait  qui  suit,  il  n'a  rieo  d'improbable  à  noire  avis,  (|uoiquc 
uou(  ne  retrouvions  aucun  renseignement  qui  le  confirme.  Nous  savons 
seulement  que  la  (jarnisou  de  Uamielte  était  composée  d'Arabes  de  la 
tribu  des  lienou-Keuaneb.  Or,  c'étaient  ces  nomades  enrôlés  forcément 
qui  founiissaient  le  plusde  transfuges,  et  ce  fut  encore  un  Arabe  qui  in- 
diqua aux  Fram;ai»  le  |juf  de  l'AM.hmoun. 


dA  HKNRI  HI. 

«  aient  pu  servir  à  sa  défense.  Or  il  est  constant, 
«  comme  vous  l'avez  peut-être  appris ,  que  cette  ac- 
«  cusation  criminelle  était  tout  à  fait  dénuée  de  fon- 
«  dement.  En  effet,  vous  savez  avec  quelle  vigueur, 
<(  avec  quelle  fidélité  il  a  combattu  en  résistant  aux 
«  Francs  qui  descendaient  sur  le  rivage;  de  telle 
«  sorte  qu'outre  un  grand  nombre  de  nos  amis  et  de 
«  nos  parents,  nous  avons  perdu  en  cette  occasion 
«  notre  Rook',  qui  chez  nous  était  le  plus  puissant  et 
«  tenait  le  second  rang  après  le  soudan ,  qui  avait 
«(  massacré  beaucoup  de  chrétiens  dans  ces  dernières 
«  années,  et  qui  avait  triomphé  des  vôtres  à  Gazer. 
«  C'est  pourquoi,  cherchant  à  tirer  vengeance  d'une 
<i  si  grande  tyrannie ,  je  remettrai  aux  mains  du  très- 
«  pieux  roi  de  France  ce  château  inexpugnable,  sur 
«  lequel  se  fonde  l'espérance  de  tout  le  paganisme,  à 
«  savoir  le  Caire  avec  Babylone,  ainsi  que  tout  le 
H  trésor  du  soudan,  qui  y  est  déposé.  Je  me  donnerai 
«  et  m'octroierai  moi-même  et  tout  ce  que  je  possède, 
«  à  Jésus-Christ  et  à  mon  seigneur  le  roi  de  France, 
«  demandant  pour  moi  le  sacrement  du  baptême; 
«  car  ce  que  ledit  soudan  a  déjà  fait  à  mon  frère,  il 
«  me  le  fera  indubitablement,  s'il  lui  arrive  de  mettre 

*  Dans  ce  combat,  quelques  émirs  i-cslorcnt ,  il  ost  vrni ,  sur  la  place  ; 
mais  si  l'un  d'cun  nvail  eu  riinporliiiicc  qu'on  lui  donne  ici,  les  rela- 
tions arabes  n'iiurnient  ps  manqué  de  It-  dcsifpier  par  son  nom.  INous  ne 
nous  rendons  pas  compte  du  titre  bonorilique  de  liook  ou  Hoocli  qui  se 
trouve  déjà  h  la  pa({.  105  du  cinquième  volume.  Kukn-Kddin,  qui  s'en 
rapproobe,  est  bien  le  ii'ini  de  l'émir  qui  vainquit  les  Francs  à  (iazer. 
mais  les  dcut  émirs  tués  devant  Damietlr  Noiit  appelés  Nedjni-lùldin  et 
Sarinieddin  ou  Vexiri. 


ANNEE  ^250.  65 

«  io  main  sur  moi ,  tout  innocent  que  je  suis:. 
«  Soyez  donc  dégagés  de  tous  liens,  étaliez  prudem- 
«  ment  et  eu  toute  hûle  trouver  ledit  roi  de  France  , 
»  })Our  lui  raconter  iidélement  tout  ceci  ;  el,  s'il  veut 

•  être  instruit  plus  pleinement  de  ma   fidélité,  qu'il 

•  amène  avec  lui  just]u'ici,  rangée  en  bataille,  toute 
«  son  armée,  que  nous  regardons  comme  invincible. 
«  Loi*sque  cette  nouvelle  parviendra  aux  oreilles  du 
"  Soudan,  il  rassemblera  toutes  ses  forces  pour  mar- 

•  cher  à  main  armée  à  la  rencontre  des  Francs.  Ce- 
«  pendant  il  ne  faudra  rien  craindre  ;  car  vous  aurez 
«  près  de  vous  le  château  susdit  ouvert  ainsi  que 
"  Babylone  ,  pour  vous  servir  de  refuge ,  et  de  plus 

•  je  vous  servirai  de  guide  en  toutes  choses ,  vous 

•  doimant  conseil  et  assistance,  afin  que  les  païens 
'  soient  subitement  confondus.  »  Alors  les  captifs 
lort  joyeux,  et  mis  en  liberté  pour  première  preuve 
de  la  vérité  de  cette  offre,  partirent  aussitôt  ;  ils  vinrent 
secrètement  trouver  le  roi,  et,  comme  c'étaient  des 
gens  connus  et  dignes  de  foi ,  ils  méritèrent  d'être  crus 
en  tous  points  dans  leur  récit.  Cependant  le  roi,  à  cette 
nouvelle ,  défendit  qu'on  en  donnât  connaissance  à 
qui  que  ce  fût,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  décidé  plus  miV 
rement  ce  qu'il  avait  à  faire.  Mais  chagrin  de  l'ab- 
sence de  Guillaume  Longue-Épée  et  de  ses  hommes 
quiavaientéprouvé  un  affront  cruel, et  voyant  que  Tar- 
mée  des  Français  était  mutilée  et  scandalisée  en  grande 
partie,  il  envoya  en  toute  hâte  un  messager  vers  lui 
|K)ur  le  prier  de  revenir,  lui  disant  qu'il  recevrait 
loule  satisfaction  sur  le  grief  dont  il  se  plaignait,  et 

VII.  5 


66  HENRI  III. 

ajoutant  à  la  fin  de  sa  missive  :  «  Tu  apprendras 
«  d'heureuses  nouvelles,  qui  pourront  être  suivies 
«  d'événements  longtemps  désirés ,  et  causer  plus 
«  tard  des  transports  de  joie  :  aussi  voulons-nous  et 
«  désirons-nous  que  tu  en  sois  instruit.  »  Cette  parole 
se  répandit  bientôt  parmi  les  habitants  du  pays  et  les 
citoyens  d'Acre.  Guillaume  donc,  cédant  aux  ordres 
d'un  si  grand  prince,  surtout  à  cause  de  l'addition 
qui  terminait  la  lettre,  revint  vers  le  roi  avec  toute 
sa  compagnie;  puis,  lorsqu'il  eut  appris  par  le  récit 
du  roi  rempli  d'allégresse  les  offres  que  faisait  l'of- 
ficier susdit,  il  en  fut  si  transporté  de  joie,  qu'il  remit 
toute  offense  et  tout  ressentiment  à  ses  débiteurs. 
Voilà  pourquoi  quelques  personnes,  habiles  à  sonder 
les  secrets  et  empressées  à  répandre  les  bonnes  nou- 
velles, avaient  annoncé  à  leurs  amis,  qu'elles  vou- 
laient combler  de  joie,  et  comme  si  les  promesses  se 
fussent  déjà  réalisées,  que  le  Caire  et  Babylone avaient 
été  pris,  et  qu'Alexandrie  restait  ouverte  aux  coups 
des  chrétiens.  Telle  fut  l'origine  des  bruits  qui  cou- 
rurent et  des  fausses  lettres  qui  y  donnèrent  lieu . 

Le  roi,  étant  donc  réconforté  par  cette  bonne  es- 
pérance, laissa  dims  la  villedeDamiette  une  garnison 
sûre,  composée  du  duc  de  Bourgogne  et  de  beaucoup 
d'autres,  ses  féaux,  et  dirigea  sa  marche  et  ses  ban- 
nières du  côté  du  Caire,  suivi  de  toute  son  armée,  ran- 
gée selon  la  discipline  militaire.  Il  massacra  en  passant 
quelques  Sarrasins,  placés  en  embuscade,  et  chargés 
irempôcher  que  l'on  porlût  des  vivres  à  Damiette.  Ce- 
pendant on  oimonça  au  Soudan  que  les  Trançais,  ayant 


ANNÉE  ^250.  67 

déployé  leurs  étendards*,  étaient  sortis  de  Damielte 
joyeusement  et  intrépidement,  et  avaient  conçu 
respérance  certaine  de  tout  conquérir.  Ledit  soudan 
envoya  doncsur-Ie-cliamp  au  roi  des  députés  illustres, 
qui  étaient  ses  familiers,  et,  redoutant  les  attaques  des 
Français,  offrit  aux  chrétiens  toute  la  Terre-Sainte^, 
à  savoir  le  royaume  entier  de  Jérusalem,  et  même 
plus,  ainsi  qu'un  trésor  inestimable  en  or,  en  argent, 
et  en  autres  choses  désirables  ;  à  condition  toutefois 
que  le  roi  rendrait  Damiette,  avec  tous  les  captifs 
qu'il  retenait  dansles  fers,  etrecevraitsemblablement, 
pour  le  bien  de  la  paix  et  de  la  dilection  mutuelle, 
tous  les  esclaves  chrétiens  qui  seraient  mis  en  liber- 
té, et  que*  dans  les  états  des  deux  princes  ',  les  com- 
munications et  les  rapports  de  commerce  seraient 
libres  et  pacifiques.  On  disait  même,  et  on  affirmait 
véritablement,  quelesoudan  et  beaucoup  de  seigneurs 
sarrasins  avaient  Tintention  d'abandonner  la  loi  de 
Mahomet,  qui,  de  toute  évidence,  est  très-ignomi- 
nieuse, pour  s'attacher  fidèlement  à  la  loi  chrétienne, 
qui  est  clairement  la  plus  honorable,  pourvu  qu'ils 


'  Noos  traduitona  ici,  comme  plus  haut,  signa  par  élendard.  Cepen- 
dant un  puuge  de  Guibert  de  Notent  fait  voir  que  siguu  peut  (iuel(|ue- 
fui*  ligoifier  aussi  rri  d'urmet.  (DuCANttB,  dissert.  M".)  L'analogie 
entre  lea  deux  signilications  vient  saos  doute  de  ce  que  le  cri  d'armes 
était  réservé  au  chevalier  banneret. 

*  Ce  fait  est  contesté.  Ces  propositions,  si  elles  eurent  lieu,  furent 
faites  par  la  sultane Chegger-Eddur  au  nom  de  son  mari  dont  elle  tenait 
la  mort  cachée. 

*  C'est-à-dire  en  I^ypte  et  en  TerrC'Sainte,  lorsque  cette  dernière  se- 
rait rendue  aut  chrétiens. 


f)8  HENRI  iri. 

pussent  conserver  pacifiquement  leurs  telres  et  leurs 
possessions.  Mais  le  légat  s'y  opposa,  et  se  montra  ar- 
rogamment  contraire  à  ces  propositions  de  paix,  sui- 
vant en  cela  le  mandat  du  pape,  qui  lui  avait  enjointde 
rejeter  les  offres  que  pourraient  faire  les  Sarrasins. 

Tandis  que  cette  affaire  traînait  inutilement  en  lon- 
gueur, quelques  Sarrasins  des  montagnes,  placés  en 
embuscade  avec  certains  pasteurs,  qui  faisaient  paître 
leurs  troupeaux  dans  les  vallées  voisines,  et  chargés 
d'intercepter  lesconvois  de  vivres,  apprirent,  parleurs 
espions  très-rusés,  la  trahison  du  susdit  officier  gou- 
verneur du  Caire.  Étant  donc  montés  sur  des  cavales 
très-rapides,  ils  allèrent  trouver  le  soudan  en  toute 
diligence,  et  lui  annoncèrent  ouvertement  la  cause 
de  l'arrivée  des  chrétiens,  de  leur  allégresse  et  de 
leursécurité.  Celui-ci,  sans  tarder,  envoya  rapidement 
au  Caire  des  chevaliers  agiles,  qui  se  saisirent  du 
gouverneur  et  le  retinrent  enchaîné  jusqu'à  ce  qu'ils 
trouvassent  des  preuves  de  la  vérité;  et  déjà,  la  prison 
vide  de  captifs  pouvait  servir  de  première  preuve. 
Certain  de  la  trahison  du  gouverneur,  le  Soudan 
pourvut  aussitôt  le  Caire  et  Bahylone  de  garnisons 
nombreuses,  composées  de  ses  hommes  d'armes,  en 
disant  :  «  Maintenant  j'espère  enfin  que  Jésus-Christ, 
«  Seigneur  et  Dieu  des  chrétiens,  les  confondra  pour 
«  leurorf^ueil,  lui  qui  aime  la  modestie  etl'Jiumili- 
a  lé.  »  Dès  lors,  le  soudan,  rccouvrantson  sang-froid 
et  »a  force,  refusa  d'accorder  ce  (ju'il  avait  d'abord 
offert  aux  chrétiens,  quoiqu'ils  le  demandassent  hum- 
blement, et,  plein  d'ardeur  pour  le  combot,  se  dispo- 


ANNÉE  nÉO.  Ci9 

staveccontianceà  leur  résister,  ou  plutôt  à  en  Iriuin- 
pher.    Il  fit  donc  rassembler,  dans  tous  les    pays 
d'Orieiit,  tous  les  guerriers  qui  avaient  à  cœur  les 
intérêts  coniniuns,  et  qui  avaient  soil  d^élre  enrichis 
;tbondamment  d'or  et  d'arjjent.  H  lit  même  crier  pu- 
bliquement, par  la  voix  du  héraut,  que  quiconque  vien- 
«Irail  lui  présenter  une  tête  de  chrétien  recevrait  dix 
talents,  outre  le  salaire  ordinaire  et  convenu,  et  que 
pour  une  main  droite  ildonneraitgracieusementcinq 
talents,  et  pour  un  pied  deux  talents  en  récompense. 
Cette  même  année,  le  seigneur  Frédéric,  grande- 
ment irrité  de  Tinsolence  endurcie  des  Italiens,  mais 
surtoutdesParmesi)nsetdeslk)lonai8;  des  Parmesans, 
à  cause  du  massacre  de  Tbaddée  el  de  ses  autres  féaux, 
et  du  renversement  de  la  ville  fortifiée  qu'il  avait 
appelée  Vittoria;  des  Bolonais,  qui  avaient  et  rete- 
naient son  fils  Enzio,  ses  hommes,  et  les  Crémguais, 
commença  à  leur  tendre  des  embûches  redoutables. 
Les  Parmesans,  se  fiant  dans  la  longue  paix,  dont 
Frédéric  leur  avait  permis  de  jouir,  parcoururent 
d'abord  sains  el  saufs,  et  sans  rien  craindre,  les  pays 
voisins  de  leur  ville;  puis  ilsallèrenlplus  loin,  portant 
leurs  marchandises  aux  foires,  faisant  tranquillement 
le  négoce  et  revenant  pacifiquement.  Aussi,  un  jour 
que  les  citoyensles  plus  puissants,  croyant  dès  lorsétre 
en  toute  sécurité,  parcouraient,  en  se  promenant 
tranquillesetsans  armes,  leursjardinset  les  châteaux, 
qu  ils  faisaient  bâtir  dans  le  voisinage,  pour  servir  de 
remparts  à   leur  ville,  les  féaux  de  Frédéric,  qui 
étaient  postés  en  embuscade,  les  laissèrent  s'avancer, 


fO  HENRI  111. 

puis,  sortant  tout  à  coup  de  leur  retraite,  armés  de 
pied  en  cap,  leur  fermèrent  l'entrée  de  la  ville.  Ils 
se  saisirent  de  tousces  citoyens, quiétaient  nombreux 
et  illustres,  comme  d'oiseaux  pris  au  fllet,  et  entrèrent 
même  dans  la  ville;  ils  étaient  déjà  parvenus  aux  pre- 
mières gardes  des  portes,  et  allaient  réussir  à  s'empa- 
rer de  toute  la  ville,  lorsque  le  peuple  qui  était  resté 
se  mit  à  pousser  des  cris  horribles,  à  tendre  les 
chaînes,  à  baisser  les  barrières  dans  les  rues,  et  à  op- 
poser en  toute  hâte  des  obstacles  au  passage  des  assail- 
lants. Les  Parmesans  roulèrent  même  sur  lep:ivé  des 
tonneaux  vides,  qui,  rendant  un  son  terrible,  ef- 
frayèrent les  chevaux  et  les  firent  reculer.  Mais  lors- 
que les  habitants  furent  instruits  de  la  prise  de  leurs 
concitoyens,  qui  étaient  les  capitaines  et  les  plus  émi- 
nents  de  toute  la  ville,  ils  demandèrent  humblement 
à  traiter  delà  paix;  et  beaucoup  d'entre  eux,  sortant 
de  Parme,  après  avoir  livré  une  bonne  partie  de  leur 
argent,  se  soumirent  à  Frédéric,  et  s'abandonnèrent 
à  sa  merci.  Quelques-uns,  qui  espéraient  encore  ré- 
sister à  l'abri  de  fortes  tours,  s'y  retirèrent,  et  se 
mirent  à  lancer  des  traits  et  de  grosses  pierres  sur  les 
assiégeants,  aimant  mieux  subir  tous  les  malheurs, 
quels  qu'ils  fussent,  que  de  s'en  remettre  au  juge- 
ment de  Fnkléric.  Cependant  les  Bolonais,  à  cette 
nouvelle,  envoyèrent  audit  Frédéric  des  députés 
chargés  de  demander  la  paix  avec  instances  et  hu- 
milité. Mais  Frédéric  refusa  de  les  entendre  pour  le 
moment.  Vers  le  même  tem|)s,  il  envoya  ses  féaux  à 
Avignon  cl  à  Arles,  villes  fameuses  et  peu  éloignées 


ANNÉE  4  250.  H 

de  Lyon,  el  reçut  les  serments  de  fidélité  desdites 
villes.  Lorsque  ces  nouvelles  parvinrent  à  la  con- 
naissance du  pape,  il  se  lamenta  grandement  d'avoir 
dépensé  en  vain  de  si  grands  trésors  pour  cette  af- 
faire. Pour  mettre  le  comble  à  la  douleur  de  la  cour 
romaine,  le  seigneur  Reyuier  de  Viterbe,  cardinal  et 
camérierdu  pape,  alla  où  va  toute  créature.  Or,  c'était 
un  homme  illustre  par  sa  naissance,  et  opulent  par 
ses  possessions,  qui  s'était  montré  le  persécuteur  et 
le  diffamateur  infatigable  de  Frédéric.  Quand  il  fut 
mort,  les  Romains  firent  savoir  au  seigneur  pape, 
d  un  ton  fort  menaçant,  qu'il  eût  à  venir  à  Rome 
sans  tarder,  comme  leur  pasteur  et  leur  évêque. 

Vers  le  même  temps,  Bernard  de  Nympha,  clerc, 
armé  des  pouvoirs  du  pape,  leva  beaucoup  d'argent 
sur  les  croisés,  au  nom  du  comte  Richard,  sous  ud 
prétexte  peu  honorable,  en  sorte  que  cette  exaction 
paraissait  plutôt  rapine  que  justice.  Pour  ne  pas 
offenser  les  oreilles  et  les  cœurs  de  plusieurs,  j'ai 
rejeté  au  livre  des  AdditameiUa*  les  détails  de  cette 
inique  rapine. 

Fâcheuses  noovelles  venues  de  Terre-Sainte.  — 
Injures  du  comte  d  Artois  contre  les  Templiers  et 
LES  Hospitaliers.  —  Réponse  du  grand-maître  desTem- 
pliers.  —  Altercation  de  Guillaume  Longue-ëpée 
4VEC  le  comte  d'Artois.  —  Défaite  et  mort  du  comte 
1»  Artois  a  Mansoiih.   -    Moiti    m   rîriLL^i'MK  Longue- 

'  Voy.  l'addition  XVI  à  la  Gn  du  volume. 


72  HENRI  III. 

Épée.  —  Le  roi  Lous  ranime  ses  soldats.  —  Marche 
DÉSASTREUSE  DES  FRANÇAIS.  — Le  joiiF  de  saiiit  Kenelme, 
c'est-à-dire  aux  calendes  d'août,  le  comte  Richard  se 
trouvant  à  Londres,  et  siégeant  à  l'échiquier,  un 
messager  vint  Ty  trouver  en  toute  hâte;  il  était  triste 
et  apportait  des  nouvelles  et  des  lettres  funestes,  dont 
voici  en  substance  le  contenu.  Le  très-chrétien  roi  de 
France,  après  avoir  tenu  le  conseil  général  de  son 
armée,  et  animé  par  les  bruits  relatifs  à  un  certain 
gouverneur  du  Caire,  dont  il  a  été  parié,  quitta  son 
camp  de  Damiette,  se  dirigea  vers  le  Caire,  et  mas- 
sacra puissamment  en  route'  quelques  Sarrasins  qui 
lui  résistaient.  Comme  Mars  le  favorisait  heureuse- 
ment en  toutes  choses,  les  chrétiens,  ayant  attaqué  les 
Sarrasins  avec  impétuosité,  triomphèrent  glorieuse- 
ment, après  un  combat  long,  acharné  et  sanglant. 
Vers  Pâques  closes,  une  partie  de  l'armée  traversa  un 
grand  fleuve  nommé  Thanis  ",  qui  est  une  branche  du 
lit  du  Nil,  sur  des  bateaux  plats  liés  ensemble,  et  à  un 
endroit  guéable,  qui  avait  été  indiqué  par  un  Sarrasin 

4  Le  roi  campa  d'abord  à  Fariskour,  puis  k  Charmesah,  puis  à  Ber- 
inoun,  ft  le  dimanche,  treizième  jour  de  la  lune  de  Ramadan,  l'arnii^e 
des  Francs  parut  devant  la  ville  do  Mansourn  (lî)  déc.  12-59).  Relation 
de  MaKHI/I. 

^  Les  historiens  des  croisades  coniundenl  le  Thanis  ou  la  branche  tba- 
nitiquc  du  Nil  avcx  le  canal  d'Almon  qui  partait  de  Mansoura  pour  aller 
se  jeter  dans  le  lac  Menzaléh.  Le  canal  d'Almou  (^tait  séparé  du  Thanis 
par  une  vaitc  plaine,  nomnii'c  Dagueliéh  et  inondée  pendant  huit  mois 
de  l'année.  {Voir  la  carte  de  MlCHAUD.)  Cependant,  comme  ce  canal  est 
di'-signé  sous  le  nom  d'Achmoun  Tanah  dans  les  relations  arabes,  nous 
.ivon»  ronser^é  ici  ,  r«ininie  dans  h  croisade  de  1210  ,  In  dénomination 
vulgaire. 


ANNÉE  nSO.  73 

roceiiiineut  converti* .  Alors  Kubert,  comle  d'Artois  et 
frère  du  roi,  ayant  pris  avec  lui  plusieurs  seigneurs, 
parmi  lesquels  se  trouvait  Guillaume  Longue-Epée, 
se  porta  sur  le  rivage  opposé,  à  Tinsu  du  roi  son 
frère.  Son  intention  était  de  triompher  seul  pour 
tous,  et  de  rem|)orter  des  titres  de  gloire  ,  afin  que 
la  victoire  ne  semblât  due  qu  à  lui  seul  ;  car  c'était 
lin  homme  superbe,  arrogant  et  désireux  d'une  vaine 
gloire.  Les  quelques  Sarrasins  que  Ton  rencontra 
furent  passés  au  lil  de  Tépée,  et  Robert,  s'avançant 
audacieusemenl,  ipais  inconsidérément,  résolut  d'al- 
ler oocuper  par  la  force  un  certain  bourg  nommé 
Mansor^ ,  qui  se  trouvait  devant  lui,  et  de  le  détruire, 
nprès  avoir  massacré  tous  ceux  qu  il  y  rencontrerait. 
Etant  donc  entré  de  force,  il  fut  assailli  d'une  grêle 
«le  pierres,  et  en  ressortit  en  désordre,  après  avoir 
cependant  tue  un  grand  nombre  d'habitants^.  Alors 
on  se  réunit  et  I  on  tint  conseil  sur  ce  qu'il  y  avait 
il  faire.  Le  comte  Uobert,  espérant  que  la  fin  répon- 
drait heureusement  an  commencement,  voulut  ani> 
mer  et  engager  tous  les  autres  à  passer  outre,  et  dit 

'  I^  patuge  du  Tlianis  eut  lieu  le  8  février  1250,  et  non  pas  au  temps 
«le  Pique*.  Sans  cette  révélation  inespérée,  les  chrétiens  ,  accablés  de 
raaui  de  toate*  sortes,  retournaient  à  Dainiette,  et  déjà  le  connétable 
Dreux  de  Mello  avait  ordre  de  préparer  toutes  cboses  pour  le  départ. 

*  Maoaor,  Massoure,  Mansoura  ,  ville  située  sur  le  Nil  vis-à-vis  de 
Djewdjer,  bétie  par  le  Soudan  Melek-Kamel  dprès  la  |>reniière  prise  de 
Dainiette.  Elle  serrail  quelquefois  de  demeure  au  Soudan  qui  y  avait  un 
palais,  et  daus  ces  derniers  temps  elle  avait  été  fortifiée. 

'  Itobeil  pciK-lra  d'abord  daus  le  cauip  de  FuLreddiu.  quifutsurpria  au 
bain  et  lu<-.  Les  Sjrra»ins  su  sauvèrent  en  Uiniulte.  Itohrrt  s'arrét»  là  et 
ne  iiénélra  dant  M.vnsnura  qu'après  l.i  discussion  qui  va  suivre. 


74  HENRI  III. 

au  niaitre  de  la  milice  du  Temple,  qui  se  trouvait 
alors  avec  lui,  en  présence  de  Guillaume  Longue- 
Épée  :  «  Poursuivons  les  ennemis  qui  sont  en  fuite, 
«  et  ne  sont  pas  fort  éloignés  de  nous,  à  ce  qu'on  dit  ; 
«  profitons  du  moment  où  les  affaires  prospèrent  en 
«  nos  mains,  où  nous  voyons  les  nôtres  remplis  d'ar- 
«  deur  à  s'abreuver  dans  le  sang  des  ennemis,  et  où 
«  les  adversaires  de  la  foi  désespèrent  de  leur  propre 
«  salut,  pour  les  écraser  tous  et  terminer  au  plus  tôt 
«  cette  guerre  par  une  heureuse  fin.  Allons  en  toute 
«  confiance ,  car  le  tiers  de  l'armée  française  nous 
(<  suit;  et  si  quelque  chose  de  fâcheux  nous  arrivait, 
«  ce  dont  Dieu  nous  garde,   l'invincible  armée  de 
«  notre  seigneur  et  frère  le  roi  viendrait  à  notre  se- 
«  cours  au  premier  signal.  »  Le  maître  de  la  milice 
du  Temple',  homme  discret  et  circonspect  autant 
qu'habile  et  expérimenté  dans   les  affaires   de    la 
guerre,  répondit  à  cela  :   «  Messire  et  magnifique 
«  conile,  nous  louons  fort  votre  vaillance,  votre  gran- 
«  deur  d'âme  innée,  votre  audace  volontaire  qui  tend 
«  à  l'honneur  de  Dieu  et  de  son  église  universelle  : 
«  nous  vous  connaissons  et  nous  avons  éprouvé  sou- 
«  vent  ce  que  vous  êtes.  Toutefois  nous  souhaitons  et 
«  nous  vous  conseillons,  avec  des  supplications  salu- 
«  taires,  de  vouloir  bien  réprimer  celle  ardeur  par 
«  le  frein  de  la  modération  et  de  la  discrétion,  afin 
«  que  nous  respirions  quelque  peu  a|)rès  ce  triomphe 
«  «'t  cet  honntMir  qtic  le  Seigneur  nous  a  accordés. 

I  Guillaume  de  Soniiiic. 


ANNEE  ^250.  75 

«  En  effet,  après  nos  sueurs  et  nos  travaux  gucmers, 
u  nous  sommes  fatigués,  nous  sommes  blessés,  nous 

•  avons  faim  et  soif,  et  si  Thonneur  et  la  jjloire  de  la 
«  victoire  obtenue  nous  réconfortent,  Tbonneuret  la 

I  «  joie  ne  sont  point  pâtures  à  restaurer  nos  chevaux 
«  harassés  et  blessés.  Il  est  donc  plus  à  propos  de  re- 
«  tourner  pour  puiser  des  renforts,  tant  dans  l'armée 
«  que  dans  le  conseil  et  Taide  du  roi  notre  seigneur 
«  à  tous,  et  pour  {jouter  quelque  repos,  tant  nous  que 
«  nos  chevaux.  Quand  nos  ennemis  verront  cela,  ils 
«  loueront  davantage  notre  prudence  modérée,  et 
«  nouscraindronteucore plus. Aussi, aprèsavoirtenu 

•  plus  ample  conseil  avec  les  chefs  de  notre  armée , 

•  nous  nous  trouverons  plus  forts  pour  continuer 

-  I  œuvre  commencée  quand  nous  serons  tous  réu- 
«  nis,  et  cette  réunion  même  doublera  notre  con- 

•  Gance.  Car  déjà  se  sont  répandues  les  clameurs  des 
0  fugitifs,  qui,  emportés  par  leurs  chevaux  rapides, 

■  "  iront  réveiller  le  Soudan  et  nos  autres  ennemis  fiers 
•  de  leur  nombre  et  de  leurs  forces,  les  avertiront 
«  de  notre  petit  nombre,  les  réconforteront  par  la 
>  nouvelle  de  la  division  de  Tarmée,  qu'ils  ont  tou- 
«  jours  désirée.  Alors,  instruits  de  toutes  ces  choses, 
"  ils  viendront  nous  atlaquer  avec  plus  d'arrogance 
«  et  de  confiance,  déployant  toutes  leurs  forces  pour 
«  notre  confusion  et  notre  ruine;  car  ils  savent  que 
H  «  «'ils  sont  écrasés  aujourd'hui,  c'est  leur  extermi- 

•  nation  complète,  pour  eux.  pour  leurs  femmes  et 

-  pour  leurs  enfants,  et  qn'ils  n  auront  plus  que  le 
I  «Nil  pour  tout  refuge.  » 


76  HENRI  111. 

Lorsque  le  comte  d'Artois  eut  enteudu  cette  ré- 
ponse, il  s'indigna  grandement,  et  reprit,  gonflé  d'or- 
gueil et  dans  un  violent  accès  de  colère  :  «  Voilà 
«  bien  la  vieille  trahison  des  Templiers!  voilà  bien 
«t  l'esprit  séditieux  des  Hospitaliers!  avec  quelle 
«  impudence  leur  fraude,  longtemps  cachée,  se  fait 
«  maintenant  publiquement  jour!  Voici  donc  nos 
«  anciennes  prédictions  réalisées  !  Je  recannais  au- 
«  jourd'hui  la  vérité  de  ce  qu  on  disait,  que  toute 
«  celte  terre  d'Orient  aurait  été  conquise  depuis 
«  longtemps,  si  les  Templiers,  les  Hospitaliers  et  les 
«  autres,  qui  se  proclament  des  religieux,  n'eussent 
«  mis  obstacle  par  leurs  artifices  aux  progrès  des 
«  séculiers.  La  prise  du  Soudan,  la  confusion  de 
«  tout  \e  paganisme,  Texaltation  perpétuelle  de  la  loi 
«  chrétienne  sont  là  entre  nos  mains,  et  ce  Templier, 
«  ici  présent,  s'y  oppose  par  ses  discours  artificieux 
«  et  tronipeurs.  C'est  que  les  Templiers,  les  Hospi- 
«  taliers  et  leurs  complices  craignent  et  redoutent 
f  que,  si  la  Terre-Sainte  se  trouve  soumise  au  pou- 
•<  voir  des  chrétiens,  leur  domination  à  eux  ne  soit 
«  anéantie,  ainsi  que  les  riches  revenus  dont  ils  se 
"  gorgenl.  Voilà  pourquoi  ils  se  défont .  par  des 
«  poisons  de  tout  genre,  des  fidèles  qui  arrivent  ici , 
<«  et  qui  sont  armés  pour  la  croisade;  voilà  pourquoi 
«  ils  les  font  périr  en  trahison,  ligués  qu'ils  sont  avec 
<•  les  Sarrasins.  Est-ce  que  Frédéric  ne  peut  pas  ser- 
<•  vir  do  témoin  irrécusable  à  mes  paroles,  lui  (piia 
«  éprouvé  leur  perfidie?» 

A  ce  discours  satirique  et  mordant,  le  susdit  mai- 


ANNÉE  <230.  77 

trc  de  la  milice  du  Temple,  ainsi  que  ses  frères,  et  le 
maître  de  l'Hôpital ,  seniblahlement  avec  ses  frères , 
attristés  jusqu'à  amertume  de  cœur,  répondirent 
d  un  commun  accord  .  o  Pourquoi  donc,  généreux 
«•  comte,  aurions-nous  pris  Tliabit  de  religieux?  Sc- 
«  rail-ce  pour  renvei*8er  Téglise  du  Christ,  et  pour 
«  perdre  nos  âmes  en  nous  livrant  aux  trahisons? 
«  Loin  de  nous  cette  pensée,  loin  de  nous,  et  même 
««  de  tout  chrétien!»  Alors  le  maître  du  Temple, 
irrité  violemment,  éleva  la  voix,  et  cria  à  celui  qui 
portait  la  bannière  de  l'ordre  :  «  Déployez  dans  les 
■  airs  notre  étendard,  afin  que  nous  marchions  au 

•  combat  :  aujourd'hui  Mars  et  la  mort  vont  décider 
tt  de  notre  fatale  destinée.  Nous  étions  invincibles  si 
«  nous  fussions  restés  unis  ;  mais  nous  sommes  mal- 
<i  heureusement  divisés,  semblables  à  du  sable  suns 
«  mortier.  Aussi  incapables  de  bâtir  l'édifice  spiri- 
«  tuel  et  privés  du  ciment  de  la  charité,  nous  lom- 
«  berons  eu  ruines  sans  uul  doute,  comme  une 
«  muraille  battue  et  qui  s  écroule.  > 

Enentendant  cela,  Guillaume  Longue-Épée, redou- 
tant grandement  le  schisme  qui  s'élevait  dans  Tar- 
mée ,  et  désirant  apaiser,  d'une  part,  l'impétuosité 
altière  du  comte  d'Artois,  et  adoucir,  de  l'autre,  le 
courroux  du  maître  du  Temple,  répondit  ainsi  : 
«  La  désolation,  selon  la  parole  du  Seigneur,  suit  de 

•  pareilles  scissions  et  divisions.  Sérénissime  comte, 
M  croyons-en  l'avis  (1^11  homme  si  saint  et  si  digne 

•  de  foi.  Il  habile  depuis  longtemps  ce  pays;  il  con- 
••  uaîl  les  forces  et  les  ruses  des  Sarrasins,  instruit 


78  HENRI  III. 

«  qu'il  est  par  une  expérience  de  tant  d'années. 
«  Nous  qui  sommes  des  nouveaux  venus,  des  jeunes 
«  gens,  des  étrangers,  qu'y  a-t-il  d'étonnant  si  nous 
«  ignorons  les  périls  des  guerres  d'Orient?  Que  de 
«  différence  il  y  a  entre  l'Orient  et  l'Occident,  com- 
«  bien  peu  de  rapports  entre  les  occidentaux  et  les 
«  orientaux  de  ce  pays?  »  Ensuite,  se  tournant  vers  le 
maître  du  Temple ,  il  lui  parla  avec  sérénité,  et  en 
employant  des  mois  affables,  essayant  de  calmer  sa 
colère,  lorsque  le  comte  d'Artois,  lui  coupant  la 
parole,  se  mit  à  crier,  selon  l'usage  des  Français  ,  et 
à  jurer  d'une  manière  indécente  ;  puis,  s'em portant 
en  injures,  il  dit  en  pleine  assemblée  :  «  0  timidité  et 
«  lâcheté  de  ces  gens  à  queue  l  que  la  présente  armée 
«  serait  heureuse,  qu'elle  serait  purifiée,  si  elle  était 
«  purgée  et  des  queues  et  des  gens  à  queues'.  » 
A  ces  mots  Guillaume,  rougissant  de  honte,  et  juste- 

*  Nous  avons  rapporté  plus  haut,  mais  sans  la  garantir,  Tétymolouic 
(|ue  donne  Vertot.  On  ne  trouve,  en  effet,  ce  renseignement  ni  dans  Du- 
cangeni  dans  Carpentier.  Ducange,  dont  la  discussion  est  très-incertaine, 
y  voit  la  traduction  du  mot  français  couard  qui,  dit-il,  s'appliquait  éga- 
lement aux  chevaux  et  aux  chiens  h  qui  on  avait  coupe  la  queue  (en  ita- 
lien codardi^  en  espagnol  derabbabo).  Mais  il  nous  semble  que  la 
traduction  de  couard  serait  plutAt  ecors  (sans  coeur).  D'ailleurs  les  vers 
suivants  du  quinzième  siècle  empêchent  d'admettre  ce  sens  : 

Ce  cat  nonne  vient  de  Calais  ; 

Sa  mère  fut  Calliaii  la  bleuo. 

C'est  du  lignage  des  Anglais  ; 

Car  il  porte  trés-longuc  queue. 

Il  serait  puéril  d'admettre  que  cette  injure  vint  des  souliers  h  longues 
pointes  que  portaient  les  Anglais  ;  et  ce  passngt-,  h  notre  sens,  confirme 
IVxplicatioii  dr  Vcrtiit.  Itappclonn  aussi,  main  pour  mémoire,  qu'on 
trouve  eitrodatu»  dans  le  sens  de  clidlré,  (r.vrou/M,  con(her). 


ANNÉE  ^250.  79 

iiienl  irrité  li  une  parole  si  offensante,  lui  repartit  : 
«  Comte  Robert,  certes  je  m'avancerai  sans  rien 
«  craindre,  dussé-je  me  tronver  en  péril  de  mort; 
M  et  j'irai  si  avant  aujourd'hui ,  je  vous  en  réponds, 
a  que  vous  n'oserez  pas  approcher  seulement  de  la 
«  queue  de  mou  cheval.  »  Aussitôt  ils  mirent  leurs 
casques,  déployèrent  les  étendards,  et  continuèrent 
leur  marche  à  la  rencontre  des  ennemis,  qui  cou- 
vraient de  toutes  parts  une  plaine  spacieuse,  coupée 
de  collines  et  de  vallées.  C'est  ainsi  que  le  comte  Ro- 
bert, voulant  prendre  toute  la  gloire  pour  lui,  s'il 
arrivait  que  les  chrétiens  triomphassent,  dédaignait 
d'annoncer  à  son  frère  le  seigneur  roi  de  France 
les  périls  auxquels  il  courait. 

Le  Soudan',  instruit  de  tous  ces  détails  par  ses 
espions  très-agiles,  exhorta  joyeusement  au  combat 
la  multitude  nombreuse  qui  s'était  trouvée  rassem- 
blée soudainement  et  en  quelques  instants,  et  dit  à 
ses  troupes  :  «  Courage  ,  courage!  ce  que  je  souhai- 
«  tais  depuis  longtemps  est  arrivé.  Les  chrétiens  sont 
«  divisés,  et  le  frère  n'est  plus  à  côté  du  frère.  Bien 
u  plus  ,  ceux  même  qui  viennent  à  nous  ,  et  qui  for- 
u  ment  à  peine  le  tiers  de  leur  armée,  sont  désunis 
M  entre  eux  ;  c  est  une  proie  et  un  butin  qui  nous  est 
u  offert.  Aujourd  bui  n)éme  ils  se  sont  mordus  et  se 

*  Quand  le  comte  d'Arloig  se  fut  jelé  iniprudemmeut  daii§  Mansoura, 
ee  fut  Uendocdar,  cbef  de&  Mameluks,  qui  rallia  les  Sarrasins,  et  non  pas 
le  soudau  '^ui  était  mort  le  22  novembre  1249.  Touraii-Chab,  sou  ills, 
arriva  à  Mansoura  le  l*  iidomain  de  la  batiille,  d^autres  disent  quelques 
jours  après . 


8#  HENRI  III. 

u  sont  injuriés  honteusement.  Le  roi  des  Francs,  qui 
'(  se  trouve  éloigné,  ignore  complètement  ce  que 
«  ceux-ci  font  ou  doivent  faire.  Macérés  par  la  faim, 
M  épuisés  par  le  combat  et  les  fatigues  de  la  marche. 
«  meurtris  par  les  pierres  qui  les  ont  accablés  à 
«  Mansoura,  peu  redoutables  par  leur  petit  nombre 
«  et  par  leur  faiblesse  ,  ils  doivent  être  écrasés  du 
«  premier  choc,  et,  par  la  suite,  nous  nous  empare- 
«  rons  plus  facilement  des  autres,  que  nous  privons 
«  de  toute  espèce  de  vivres.  »  Ce  discours,  ayant  été 
entendu  par  tous  les  Sarrasins,  fut  approuvé  de  l'ar- 
mée entière.  Ledit  soudan,  accompagné  de  ses  trou- 
pes innombrables,  se  précipita  donc  sur  les  chrétiens, 
et  alors  s'engagea  le  combat  le  plus  sanglant  ;  mais 
dans  l'espace  de  quelques  instants,  Parmée  chré- 
tienne se  vit  entourée  par  la  multitude  des  Sarrasins 
comme  une  île  par  la  mer,  et  les  Sarrasins  vinrent 
se  placer  entre  les  chrétiens  et  le  fleuve  que  ceux-ci 
venaient  de  traverser,  pour  que  pas  un  d'entre  eux 
ne  pût  échapper.  A  cette  vue,  le  comte  d'Artois  se 
repentit  de  n'avoir  pas  acquiescé  aux  conseils  de  gens 
plus  âgés  et  plus  sages  que  lui  ;  mais  il  est  trop  tard 
pour  reculer  quand  on  a  le  casque  en  tôte.  Ayant  donc 
aperçu  Guillaume  Longue -Épée  qui  était  environné 
de  toutes  parts  d'une  foule  épaisse  d'ennemis,  et  qui 
soutenait  à  lui  seul  le  poids  de  la  bataille  ,  le  comte 
Robert  s'écria  aussi  impudemment  qu'imprudem- 
ment :  «  0  Guillaume  ,  Dieu  combat  contre  nous  : 
«  nous  ne  pouvons  plus  résister.  Veille  h  ton  salut 
«  par  la  fuite,  et  tûche  de  t'échapper  vivant,  tandis 


ANNEE  <25<).  Si 

«  que  ton  cheval  peut  encore  te  porter,  de  peur  que 
«  lu  ne  commences  à  vouloir  quand  tu  ne  pourrais 
«  plus  exécuter.  »  Alors  Guillaume  lui  répondit 
brièvement,  autant  que  le  tumulte  de  la  bataille  lui 
permettait  de  le  faire  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  le  fils 
«  de  mon  père  prenne  la  fuite  devant  un  Sarrasin, 
«  quel  qu'il  soit!  J'aime  mieux  mourir  glorieusement 
«  que  de  vivre  honteusement.  »»  Le  comte  d'Artois 
Robert ,  se  voyant  donc  cerné  de  tous  côtés  par  les 
ennemis,  et  considérant  qu'il  lui  restait  à  peine  les 
moyens  de  fuir,  tourna  bride  et  se  sauva  soudaine- 
ment. H  dirijjea  son  cheval  le  plus  rapidement  pos- 
sible vers  le  fleuve,  qui  était  ou  le  Nil  ou  le  Thanis  , 
branche  du  Nil,  et  qui  s'y  jette,  et  y  entra  tout  armé, 
espérant  que  son  cheval,  qu'il  savaitétre  très-robuste, 
pourrait  le  transporter  à  l'autre  bord  ;  mais  son  che- 
val, couvert  de  fer  et  arrêté  par  d'autres  obstacles,  ne 
put  y  parvenir.  Le  malheureux  périt  donc  dans  les 
eaux  ',  mais  sans  être  un  objet  de  pitié  pour  per- 
sonne, fugitif  et  orgueilleux,  humilié,  non  de  lui- 
même,  mais  malgré  lui,  ne  méritant  enfin  d'être 
pleuré  par  les  larmes  de  personne ,  parce  qu'étant 
procréé  du  généreux  sang  des  rois  ,  il  avait  donné 
aux  autres  un  exemple  pernicieux  ,  et  que,  selon  la 
la  })arole  d'un  poëte  , 

'  Tout  ni  bUmant  l'orgaeii  imprudeot  de  Robert,  on  doit  dire  à  sa 
louange  qu^il  mourut  dans  Mansoura  «eus  les  débris  d'une  maison  où  il 
s'était  relrancbé,  en  combattant  vaillamment,  et  iiuu  pas  uoyé  et  fugitif 
conme  .Matt.  Plris  le  prétend  ici,  je  ne  sait  sur  quel  fondement.  Ce  qui 
peut  avoir  donné  lieu  à  oe  bruit,  c'est  qu'après  la  bataille,  les  cadavres 
furent  jeUt  pèle  mêle  dans  le  canal. 

VU.  6 


82  HENRI  III. 

«  Plus  celai  qoi  commet  une  faute  est  haut  placé,  plus  les  reproches 
«  qa^il  mérite  doivent  être  éclatants .  » 

Le  comte  ayant  donc  ainsi  été  noyé,  tous  les  Fran- 
çais qui  se  trouvaient  à  la  bataille  commencèrent  à 
•  se  désespérer  et  à  rompre  leurs  rangs.  A  cette  vue  , 
Guillaume,  sur  qui  se  précipitaient  tous  les  Sarra- 
sins, comprit  que  c'en  était  fait  de  sa  vie;  mais  il 
n'en  soutint  pas  moins  vigoureusement  toutes  les  at- 
taques, faisant  voler  les  têtes,  et  envoyant  les  âmes 
au  Tartare  ;  et  quoique  son  cheval  épuisé,  et  ayant  eu 
les  jarrets  coupés,  se  fût  abattu  ,  il  mutilait  et  faisait 
encore  tomber  les  tètes ,  les  mains  ou  les  pieds  de 
ceux  qui  s'approchaient  de  trop  près. 

EnHn  ,  perdant  tout  son  sang  ,  par  les  coups  et  les 
blessures  qu'il  avait  reçus ,  et  succombant  sous  la 
grêle  de  pierres  qui  l'écrasaient ,  il  rendit  son  âme  , 
comme  un  martyr  qui  va  chercher  la  couronne  du 
ciel.  Son  porte-étendard  ,  Robert  de  Ver,  chevalier 
de  renom ,  fut  tué  à  ses  côtés ,  ainsi  qu'une  foule 
d'Anglais  qui,  depuis  le  commencement,  ne  s'étaient 
pas  écartés  d'un  pas  de  sa  bannière.  Or,  la  nuit  qui 
précéda  cette  bataille  ,  sa  mère ,  la  très-noble  dame  , 
comtesse,  nommée  Héla  ,  abbesse  de  Lacock,  avait 
vu  un  chevalier  couvert  de  toutes  ses  armes,  qui 
étaitreçu  dans  le  ciel  entr'ouvert;  et  reconnaissant  le 
bouclier  aux  armoiries  j)eintes  qui  s'y  trouvaient , 
elle  avait  demandé,  toute  surprise,  (]uel  était  ce  che- 
valier dont  elle  connaissait  l'armure,  et  qui,  montant 
vers  une  si  grande  gloire ,  était  reçu  par  les  anges. 
Alors  il  lui  avait  été  répondu  d'une  voix  claire  et  ac- 


ANNÉE  4SS6.  85 

ccntuée  :  •  C'est  Guillaume  ton  fils.  »  Elle  {jarda  le 
souvenir  de  celte  nuit,  et  plus  tard  trouva  Teiplica- 
liou  de  son  rêve.  Mais  revenons  à  noire  sujet  prin- 
cipal :  Robert,  comte  d'Artois,  ayant  donc  été  noyé  , 
et  Guillaume  Longue-Épée  massacré,  les  Sarrasins, 
certains  de  la  victoire,  passèrent  misérablement  au  fil 
de  Tépée  les  cbrétiens  cernés  et  découragés  ;  de  toute 
cette  glorieuse  et  fameuse  chevalerie  il  n'échappa  que 
deux.  Templiers,  un  Hospitalier  et  un  homme  de  peu 
d'importance,  qui,  s'étant  dépouillé  de  ses  habits,  et 
ayant  traversé  le  fleuve  à  la  nage,  vint  annoncer  au 
roi  de  France  et  au  reste  de  Tarmée  ce  désastre  dé- 
plorable pour  tous  les  siècles.  Les  autres  qui  avaient 
échappé   étaient  tellement  fatigués  et  blessés,  que 
pouvant  à  peine  respirer,  ils  furent  hors  d'état  de 
traverser  le  fleuve,  et  se  cachèrent  dans  les  joncs,  où 
ils  attendirent  les  ténèbres  de  la  nuit.  La  colère  ou 
plutôt  la  fureur  du  Seigneur  ne  permit  pas  qu'une 
seule  personne  de  marque  échappât. 

Loi'sque  ces  nouvelles  furent  parvenues  à  la  con- 
naissance du  très-pieux  roi  de  France,  il  poussa  de 
profonds  soupirs,  et,  touché  de  douleur  au  fond  du 
cœur,  il  ne  put  retenir  un  torrent  de  larmes  ;  puis, 
joignant  les  mains  et  levant  les  yeux  au  ciel,  il  s'écria 
dune  voix  entrecoupée  de  sanglots  :  «  Il  a  été  fait 
«  comme  il  a  plu  à  Dieu  :  que  le  nom  du  Sei|»neur 
«  soit  béni.»  Alora,  convoquant  les  seigneurs  français 
qu'il  avait  avec  lui,  il  leur  dit  :  «  Mes  améset  féaux, 
â  qui  participez  a  mes  fatigues  et  à  mes  périls,  et  qui 
"  êtes  mes  compagnons  très-zélés,  que  faut-il  faire 


84  HENRI  m. 

«  dans  cette  funeste  circonstance?  Si  nous  supportons 
«  cela,  et  si  nous  nous  retirons,  sans  faire  aucune  dé- 
a  monstration ,  nos  ennemis  se  réjouiront  comme 
«  s'ils  triomphaient  de  nous  tous,  et  ils  s'enorgueil- 
«  liront  plus  encore  de  notre  fuite  que  du  massacre 
«  de  nos  frères.  Comme  ils  sont  plus  agiles  que  nous, 
«  ils  seront  plus  fortement  encouragés  à  combattre 
«  et  à  nous  poursuivre,  et  par  ainsi,  ils  nous  feront 
«  tous  disparaître  vitement  de  dessous  le  ciel ,  à  la 
«  confusion  de  toute  la  clirélienlé.  L'Eglise  univer- 
«  selle  en  sera  plus  grandement  confondue  ,  et  la 
«  France  sera  noircie  d'un  opprobre  ineffaçable.  In- 
«  voquons  donc  Dieu,  que  nous  avons  offensé  griève- 
«  ment  par  nos  péchés,  à  ce  qu'il  paraît.  Puis  après, 
«  attaquons  unanimement  et  avec  confiance  nos  en- 
«  nemis  tout  souillés  du  sang  de  nos  frères ,  et ,  par 
(«  une  juste  vengeance,  demandons  courageusement 
«  compte  aux  mains  de  nos  adversaires  du  sang  de  nos 
«  amis  qu'ils  ont  versé.  En  effet,  quel  est  celui  qui 
a  pourrait  plus  longtemps  tolérer  de  sang-froid  un  si 
«  grand  outrage  fait  au  Christ?  » 

Animés  par  ces  paroles  du  roi,  tous  s'armèrent 
avecautantd'accord  qu'un  seul  homme;  mais  comme 
chacun  se  souvenait  de  la  mort  d'un  ami  ou  d'un 
parent,  ce  n'était  partout  que  gémissements  et  sou- 
pirs, que  sanglots  et  que  larmes;  des  sources  d'eaux 
coulaient  de  tous  les  yeux,  et  les  chrétiens  étaient 
accablés  par  la  douleur  plus  encore  que  |)ar  la  faniiiie. 
Ceux  qui  paraissaient  le  mieux  en  état  de  comhalln^ 
inarcbèrent  au  combat  précédés  de  Tori  flamme  et 


ANNEE  4250.  85 

suivaut  leslrucesde  leurs  frères  qui  avaient  succombé, 
comme  nous TavoDs  dit '.  On  mit  les  plus  faibles,  qui 
manquaient  complètement  d'armes  et  de  vivres,  sur 
des  nacelles  qui  devaient  redescendre  le  (leuve  jus- 
<|u^à  Damiette,  aûn  qu'ils  respirassent  au  moins  der- 
rière les  remparts  de  cette  ville.  Le  Soudan,  averti  de 
ces  préparatifs,  ordonna  qu'on  transportât  en  toute 
hâte  sur  ce  point  des  barques  placées  sur  des  chariots 
que  des  bullies  traînaient,  pour  augmenter  le  nombre 
de  celles  qu'il  y  avait  déjà  à  l'effet  d'intercepter  les 
vivres ,  et  pour  qu'une  flotte  plus  puissante  contribuât 
à  l'extermination  des  malheureux  chrétiens.  Cette 
Hotte,  remplie  de  Sarrasins,  rencontra  les  chrétiens 
qui  naviguaient  sur  le  fleuve.  Une  bataille  navale  très- 
sanglante  s'engagea  alors,  et  les  traits  commencèrent 
à  pleuvoir  comme  la  grêle.  Enûn,  après  une  longue 
et  affreuse  lutte,  les  ennemis  du  Christ,  lançant  de 
toutes  parts  le  feu  grégeois,  triomphèrent  selon  leurs 
vœux  et  par  un  secret  jugement  de  Dieu,  des  chrétiens 
épuisés  par  la  douleur  et  parla  faim.  De  plus,  laflotte 
des  Sarrasins  qui  se  trouvaitprèsde  Damiette  ,  et  qui 
devailempécheraussiquedes  vivres  ne  fussent appor- 

Milt.  Piris  omet  ou  plutôt  ignore  des  faits  importants,  et  nous  fait 
aiiitter  brusquement  à  la  retraite  des  Français  et  à  la  déroute  qui  en  fut 
la  suite.  Il  ne  nous  parle  pas  du  combat  livré  à  Bendocdar  sous  les  raurt 
6»  Maatoura,  do  séjour  des  Français  au  camp  de  Djedilé,  de  l'attaque 
furÏMae  i»  m  camp  par  les  Sarrasins,  de  la  bataille  lirrée  trois  jours 
aprM  et  perdue  par  Bendocdar,  et  des  ué^^ocialiuuti  entamées  eu  vain. 
1^  mort  du  comte  d'Artois  eut  lieu  le  8  février  I2.'i0,  jour  de  carême 
prenant  (mardi  gras);  la  retraite  de  larméo  cliri'-lifiiii<>  roiiiiiuMiça  le  .% 
«Tfil,  le  mardi  après  le  dimanclie  de  Quasimod" 


86  HENRI  111. 

tés  dans  cette  ville  par  le  fleuve,  rencontra  les  Fran- 
çais, et  ferma  le  chemin  à  ceux  qui  voulaient  fuir;  pas 
un  chrétien  n'échappa  pour  venir  annoncer  au  moins 
ce  désastre  aux  autres  chrétiens  qui  demeuraient  à 
Damiette.  Tous  tant  qu'ils  étaient  périrent  misérable- 
ment, ou  noyés,  ou  brûlés,  ou  percés  de  traits,  ou 
massacrés  de  toute  autre  façon.  Un  seul ,  qui  était  à 
l'arrière-garde,  et  qui  suivait  les  premiers  de  loin,  re- 
tourna du  côté  opposé  à  la  ville,  et  n'échappa  qu'à 
grand'peine,  ayant  été  blessé  de  cinq  grandes  plaies 
par  les  Sarrasins  qui  le  poursuivaient  dans  sa  fuite: 
c'était  un  Anglais  de  nation  ,  nommé  Alexandre  Gif- 
fard,qui  était  derace  illustre  et  fils  d'une  noble  dame, 
laquelle  demeurait  auprès  de  la  reine  d'Angleterre. 

Déplorable  défaite  des  Français.  —  Prise  dd  roi 
DE  France.  —  Gardiens  laissés  a  Damiette  et  a  la 
flotte.  —  Le  roi  de  France  prisonnier  refuse  de 
rendre  Damiette.  —  Les  Sarrasins   s'efforcent    de 
s'emparer  de  Damiette  par  la  rose.  —  Douleur  des 
chrétiens  a  la  nouvelle  de  la  déroute.  —  Les  Fran- 
çais, instruits  de  ce  nouveau  malheur,  et  se  lamen- 
tant de  plus  en  plus ,  séchaient  en  eux-mêmes  :  le 
roi  ne  pouvait  plus  les  réconforter,  tant  était  grande 
la  désolation  qui  avait  accablé  toutes  les  ûines.  Ce- 
pendant le  Soudan,  apprenant  toutes  les  infortunes 
des  chrétiens,  fut  transporté  de  joie  et  d'une  audace 
plus   grande    encore.    Aussi,  averti   que  le  roi  de 
France  et  son  armée  marclitiienl  hostilement  à  lui, 
il  s'étonna  d(;  leur  audace,  en  voyant  qu'après  tant 


ANNÉE  4250.  87 

<révéaeii)euls  contraires,  iiu  petit  nombre  de  ^ens 
nfrauiés  osa  lent  provo(}ueraucombat  unuarmée  nom 
breuse  eonune  l'élail  la  sienne  et  composée  de  toutes 
les  forces  de  l'Orient.  Ayant  donc  convoqué  ses  prin- 
cipaux ofliciers,  il  les  anima  en  disant  :  <«  Otrès  no- 
»  blés  Orientaux,  qui  avez  déjà  triomphalement 
"  et  magnifiquemeol  vaincu  près  de  la  moitié  de 
•  Tarmée  des  Francs,  et  qui  vous  êtes  enrichis  des 
><  dépouilles,  des  armes  et  des  chevaux  de  ceux  que 
*«  vous  aviez  tués,  allez  au  plus  tôt  et  en  toute  assu- 
«  rauce  au-devant  de  cette  populace  qui  vient  à  vous, 
«  épuisée  de  faim  et  de  douleur.  Passez  irrémédiable- 
'.  meut  au  fil  de  Tépée  tous  ceux  que  vous  rencontre- 
«  rez;  que  pas  un  d'entre  eux  n'échappe  et  n'évite  vos 
V  mains  triomphales.  En  effet ,  quelle  démence  té- 
«  méraire  les  agite  de  venir  nous  attaquer  et  de  vou- 
u  loir  nous  déshériter,  nous  qui  depuis  le  déluge  ha- 
«  bitons  ce  très-illustre  pays?  Leur  importe-t-il  donc 
«  beaucoup  que  nous  croyions  à  leur  Christ  malgré 
0  nous?  Quel  est  celui  qui  peut  être  converti  ou  qui 
«  peut  croire  malgré  lui?  Ces  chrétiens  mettent  en 
«  avant  un  prétexte  frivole,  il  est  vrai,  celui  de  recon- 
t  quérirla  terre  (ju  ils  appellent  sainte  :  mais  qu'ont- 
«  ils  de  commun  avec  l'Egypte?  Ils  sont  indignes,  sans 
«  oui  doute,  de  dominer  dans  cette  terre  que  travei'se 
«  et  que  féconde  le  fleuve  qui  a  sa  source  au  Paradis*. 

*he*»oanf»  du  Nil  «UdI  à  c«tte  rpuque  complètement  inconnues,  il 
n*est  pat  étonnant  que  la  superstition  arabe  ait  adoptt'  cette  tradition. 
Un  s«it  que  m^me  plasicars  auteurs  cliri'tiens  ont  Koutenu  avec  saint 
InJore  que  le  Nil  était  le  Gélion,  un  des  quatre  fleuves  du  Taradis  ter- 
rettre. 


gg  HENRI  HI. 

«  Ces  gens  tondus  et  sans  barbe,  faibles  et  lâches, 
«  plus  semblables  à  des  hermaphrodites,  à  des  eunu- 
«  ques,  ou  même  à  des  femmes  qu'à  des  hommes, 
«  que  veulent-ils  donc?  »  Animés  parces  paroles,  les 
Sarrasins  furent  enflammés  d'ardeur  et  vinrent  à  no- 
tre rencontre,  comme  des  flammes  dévorantes,  réso- 
lus à  combattre  avec  confiance. 

Nos  chrétiens,  s'étant  donc  avancés  sur  le  champ 
de  bataille  où  les  Français  leurs  frères  avaient  suc- 
combé misérablement',  trouvèrent  les  cadavres  déca- 
pités et  privés  des  mains  et  des  pieds  qu'on  avait 
coupés.  En  effet  les  Sarrasins,  voulant  gagner  les  ré- 
compenses promises  par  le  Soudan,  étaient  accourus 
à  Tenvi  ,  avaient  coupé  les  têtes  de  ceux  qui  étaient 
morts  dans  le  combat  susdit  et  avaient  laissé  le  reste 
à  dévorer  aux  bêtes  et  aux  oiseaux  de  proie.  A  cette 
vue  les  Français,  poussant  des  gémissements  lamen- 
tables, arrachèrent  leurs  cheveux,  déchirèrent  leurs 
habits,  mouillèrent  de  leurs  larmes  leurs  armes  et 
leurs  boucliers  ,  au  point  que  ces  tristes  pleurs  au- 
raient pu  inviter  à  la  compassion  les  ennemis  eux- 
mêmes.  Sur  ces  entrefaites,  les  troupes  des  Sarrasins 
apparurent  de  près,  et  sur-le-champ  s'engagea  un 
combat  lamentable.  Car  que  pouvait  faire  contre  tant 
de  milliers  de  mille  une  poignée  d'hommes  épuisés 
<li;  chagrin  et  de  douleur,  de  faiblesse  et  de  faim,  et 
monléssur  des  chevaux  amaigris?  Les  Français  sont 

*  Ce  foil  0(1  pou  exact.  Ko  fort  <lu  comlinl  fut  à  Fariskour,  à  Gliarinc- 
•ab  et  à  Miiiii'li,  où  le  roi  (ircsquc  mourant  nviiil  i'>t«'  coiiiiô  aux  soins 
d'une  bourjroiic  de  l'arii. 


ANNÉE  4250.  89 

ihuic  écrasés,  renversés,  massacrés,  et  se  rendent  de 
toutes  paris  aux  ennemis.  Qu'est-il  besoin  d'en  dire 
plus?  Leur  armée  est  vaincue  et  mise  en  désordre, 
après  avoir  tué  un  très-petit  nombre  d'ennemis', 
lians  cette  malheureuse  journée  on  ne  connaît  qu'un 
seul  Sarrasin  de  marque  qui  ait  succombé,  et  cedit 
Sarrasin  qui  périt  était  le  tils  de  Kook  et  s'appelait 
Melkadiu.  Quand  bien  même  il  en  serait  mort  de 
leur  côté  autant  que  du  nôtre,  c'est  à  peine  si  leur 
armée  en  aurait  paru  sensiblement  diminuée.  Or 
nous  avions  deux  mille  trois  cents  cavaliers  de  haute 
nai.'^sance  et  quinze  mille  ct)mbattants  ;  presque 
tous  furent  ou  massacrés  ou  faits  prisonniers  au  gré 
de  leurs  ennemis^.  Pour  comble  de  douleur,  à  l'op- 
probre éternel  des  Français  et  à  la  confusion  de  la 
clirélienté  tout  entière  et  de  rE|;lise  universelle,  le  roi 
lui-même  fut  pris'  avec  un  petit  nombre  de  seigneurs, 

'  Les  hiclorieus  arabes  prétendent  que  la  Musulmans  ne  perdirent 
i|ue  cent  hommes. 

'  Sans  s'arrêter  à  fexatjération  des  historiens  arabes,  il  est  permis  d*«>- 
\aluer  le  nombre  de  l'armée  chrétienne  à  un  cbilTre  plus  élevé  que  Matt, 
l'iris  ne  le  dit  ici.  S'il  est  vrai  quesaiut  Louis,  en  débarquant  à  Damiette, 
eut  9,500  hommes  de  cavalerie  et  450, OOU  hommes  d'infanterie,  en  y 
ei>mpreuant  les  ouvriers  et  les  valets,  et  que  Ton  prenne  un  tiers  euvirou 
c'est-à-dire  46,500,  (>our  le  nombre  de  ceux  qui  restèrent  à  Damiette, 
lin  second  tiers  |>our  les  morts  et  les  prisonniers  depuis  le  départ  de  Da- 
miette  jusqu'à  U  reiraile,  on  aura  encore  un  extv'dant  de  plus  de  45,000 
kflOMMS.  N'oublions  pat  cependant  que  Matt.  Paris  ne  parle  que  de« 
romltattants  {puguaiores) .  M.  Michaud  dit  que  l'arm<'>e  des  croisés,  en 
pjrtantde  Damielte,  était  composta  de  00,000  roi*it£ii/u;i<S  dont  20,000 
(«valiera. 

'  Philippe  de  Moutlort,  qui  t'était  retins  avec  Tarrière-garde  sur  une 
rolliur  près  de  Sdinieh,  avait  proposé  au  chef  des  Musulmans  une  trêve 


90  -  HENRI  lil. 

tels  que  Charles,  comte  de  Provence,  et  Alphonse, 
comte  de  Poitiers  et  d'autres  qui  le  défendaient  et  qui 
se  tenaient  autour  de  lui.  Or  on  ne  trouve  pas  dans  la 
série  d'aucune  his.toire  qu'un  roi  de  France  eût  été 
pris  ou  vaincu,  surtout  par  les  infidèles,  à  Texception 
de  celui-ci,  qui  était  un  prince  tel  que,  dùt-il  conser- 
ver seul  la  vie  et  4'honneur,  et  dussent  tous  les  autres 
succomber,  les  chrétiens  avaient  encore  Tespérance 
de  respirer  et  d'éviter  les  opprobres.  C'est  pourquoi, 
dans  ses  psaumes,  David  demande  avec  exaltation 
que  la  personne  royale  soit  sauvée,  comme  celle  de 
laquelle  dépend  le  salut  de  toute  l'armée,  quand  il 
dit:  «  Seigneur,  faites  que  le  roi  soit  sain  et  sauf.  » 
Déjà  dans  l'armée  que  Robert,  conite  d'Artois,  frère 
du  roi ,  avait  entraînée  avec  lui  dans  son  entreprise 
téméraire,  près  de  mille  chevaliers  et  sept  mille  deux 
cents  hommes  d'aroies  avaient  péri.  De  la  maison  du 
Temple  il  n'échappa  que  trois  chevaliers  seulement; 
de  celle  de  l'Hôpital,  que  quatre;  un  cinquième,  per- 
dant tout  son  sang  |)ar  ses  blessures,  mourut  avant 
d'arriver  à  Acre.  De  la  maison  des  Teutoniques  trois 
seulement  échappèrent  à  demi  morts.  Dansée  funeste 

(|ui  allait  être  coacluc.  Joinvillo  attribue  la  prise  du  roi  nu  sauve  qui 
peut  (l'un  huissier  nommé  Marcel,  qui,  en  crinnl  aux  chevaliers  de  se 
rendre,  au(;mcnta  la  confusion  et  la  terreur,  et  décida  l'émir  à  rompre 
les  ix'gociatinns.  Djemal-Eddin  entra  alors  dans  Miiiieh  et  se  saisit  du 
roi  et  des  serviteurs  qui  l'entouraient,  f^es  historiens  arabes  racontent 
que  le  roi  perdit  dans  la  déroute  son  bonnet  qui  était  do  velours  i^^irlate 
bordé  de  petit  gris,  et  que  IV>mir  de  Damas,  à  qui  ce  bonnet  fut  envoyé, 
le  mit  sur  sa  téti-  pour  lire  la  lettre  du  Soudan.  Ils  ajoutent  que  le  roi, 
cbar(;é  d'une  cbaiiie  de  f.-r,  fui  conduit  à  IVInnsourn  et  renfermé  dans  la 
maison  de  Loekman,  socrélairc  du  soudnn,  sous  In  |;nrde  de  Tcunuque 
Snhil. 


ANNÉE  ^250.  94 

combat,  outre  les  Templiers  et  les  autres  susdits,  <les 
lioiiimes  illustres  perdirent  lo  vie,  tels  que  Raoul  de 
Coucy*,  chevalier  vaillantet  fameux;  Ilugues,  comte 
de  Flandre,  liomme  puissant  et  célèbre;  Hugues  Le- 
brun, comte  de  la  Marche,  dont  le  père  était  mort 
|)eude  temps  auparavant  à  Damielte,  ainsi  que  le  comte 
dePonthieu,  pèlerin;  enfin,  pour  tout  dire,  en  peu 
de  mots,  toute  la  noblesse  de  France  fut  massacrée  et 
[lérit  en  ce  lieu.  Gaucher  de  Châtillon,  chevalier  va- 
leureux et  invincible,  fut  pris  et  envoyé  au  calife  à  qui 
il  fut  présenté  en  signe  de  victoire  *.  Or  c'est  la  cou- 
tume de  ce  calife  que  tout  chrétien  enfermé  dans  ses 
prisons  ne  soit  jamais  mis  en  liberté.  Ainsi  avait 
succombéGuillauuic  Longue-Épée  après  avoir  plongé 
son  glaive  dans  le  sang  d'un  grand  nombre  d^enne- 
inis,  ainsi  que  Hobert  de  Ver  et  une  foule  d'autres, 
tant  chevaliers  illustres  que  sergents;  et  comme  ou 
lui  conseillait  de  fuir,  il  ne  le  voulut  pas,  quoiqu^il  le 
pût  faire,  atin  de  ne  pas  paraître  indigne  d'être  as- 
socié aux  autres  martyrs. 

Or,  le  duc  de  Bourgogne,  qui  commandait  la  che- 
valerie et  le  peuple  laissés  à  Damiette,  et  Olivier  de 
Termes,  combalt.mt  et  guerrier  de  renom,  qui  com- 

'  Raoul  de  Coucy  avait  été  tué  à  Mansoura.  Quant  à  llujues,  couile 
de  Flandre,  il  est  évident  qu^il  faut  tire  ici  Guillaume,  tiU  afné  de  Guil- 
laume de  Daropierrc  et  de  Marguerite  de  Flandre.  Ce  seigneur  ne  péril 
pM  eo  cette  oeeation.  Fait  prisonnier  avec  Saint-Louis,  il  fut  relâché  on 
même  tempt  que  lui,  comme  on  peut  le  voir  danK  l;>  It-Un-  i'vrile  par  le 
roi  lui-même. 

'  Joinville  dit  qu'il  fui  tu<'  à  Minieb  dont  il  «-lurrliait  .1  <irfeiidrt>  l'cn- 
lr«^  aui  Sarrasins  et  où  il  ue  cessait  di>  crier  ;  •  A  (tatillon,  à  Cbàtillon, 
*  nil  sont  mr*  prrus  d'hommes!  • 


92  HENRI  III. 

mandait  les  arbalétriers  et  les  routiers,  avaient  été 
commis  à  la  garde  de  Damietle.  Le  légat  Eudes,  les 
évoques  d'Amiens  et  de  Soissons  se  trouvaient  dans 
la  ville  avec  beaucoup  d  autres  prélats  et  clercs.  La 
reine  de  Fiance  et  avec  elle  beaucoup  de  nobles 
dames  et  de  femmes  s'y  trouvaient  aussi.  Quant  à  la 
garde  de  la  flotte,  qui  était  nombreuse  el  telle  qu'on 
n'en  avait  jamais  vu  de  plus  puissante  on  de  plus 
magnifique,  on  avait  chargé  de  cette  garde  des  che- 
valiers de  renom,  de  concert  avec  les  Pisans  et  les 
Génois,  les  Flamands,  les  Poitevins  et  les  Proven- 
çaux, féaux  du  roi  de  France. 

Remarquez  que,  le  jour  même  où  le  roi  de  France 
fut  pris,  le  comte  liichard  festoyait  avec  le  pape,  et 
que,  de  même  que  le  soudan  deBabylone  prit  le  roi, 
de  même  le  pape  cherchait  à  prendre  le  comte  à 
l'hameçon  et  à  le  faire  céder  adroitement  à  ses  vo- 
lontés. 

S'étantdonc  emparés  du  roi  qu'ils  retenaient  pri- 
sonnier, les  Sarrasins  firent  ce  qu'ils  avaient  fait  aux 
premierschrétiensqui  avaient  succombé  avec  Robert, 
frèie  du  roi,  et,  en  signe  de  dernière  vengeance,  cou- 
pèrent aux  corps  morts  la  tôte,  les  pieds  et  les  mains, 
dans  Tespoir  «l'obtenir  la  récompense  que  le  Soudan 
avait  promise,  comme  nous  l'avons  déjà  dit.  Aussi, 
plus  ces  saints  martyrs  de  Dieu  ont  souffert  d'ou- 
trages, plus  iisrecueilleront,  sans  nul  doute,  de  rétri- 
butions abondantes.  Le  soudnn  eut  d'abord  l'inten- 
tion de  traîner  le  roi  captif  dans  les  contrées  les  plus 
reculées  du  I Orient,  afin  de  le  montrer  un  spectacle 
el  «1  en  ffnio  un  objet  de  risi'C  pour  tous  les  infidèles. 


I 


ANNÉE  V250.  95 

à  la  louan^je  du  sou<1un  et  à  Texaltalion  de  tous  les 
Sarrasins  *■  il  voulut  aussi  que  le  plus  illustre  des 
ebrétieus  fût  présenté  au  calife,  à  la  gloire  de  Mn- 
cboinetb,  afin  que,  le  plus  noble  étant  abattu,  les 
Sarrasins  conçussent  I  espoir  de  confondre  les  autres. 
Mais  connue  le  soudan  désirait  très-ardemment  re- 
couvrer Daoiiette,  il  cbangea  d'avis,  de  peur  que  le 
roi  ne  vînt  à  mourir  de  cbagrin.  En  effet,  celui-ci  re- 
fusa lie  boire  ou  de  mangerquoi  que  ce  fût  pendant 
deux  jours  ,  et  soubaitait  de  mourir  après  avoir  été 
pris.  Or,  s'il  venait  à  mourir,  les  assiégés  étaient  en 
état  de  soutenir  intrépidement  pendant  une  année  au 
moins,  tant  par  terre  que  par  mer,  les  attaques  de 
tous  les  Orientaux  ;  ils  auraient  pu,  pendant  ce  temps, 
être  délivrés  jiar  les  secours  des  cbrétiens.  D'ailleurs, 
Damiette  était  très-fortifîée  en  murs,  en  avant-murs 
et  en  tours,  et  la  flotte  sur  mer  était  invincible.  Les 
plus  éininents  et  les  plus  sages  des  Sarrasins,  consi- 
dérant tout  cela,  sollicitèrent  instamment  le  roi  de 
restituer  Damiette  et  de  racbeler  sa  personne  moyen- 
nant une  somme  de  cent  mille  livres  d  or.  *  Mais  le 
roi  leur  répondit,  les  yeux  baiss(^s  et  d'une  voix  sup- 
pliante :  u  Le'iout-Puissant  sait  que  je  suis  venu  de 
M  France  ici,  non  pas  aiin  (robtenir  pour  moi  des 
«  terres  ou  de  Targent,  mais  seulement  pjtur  gagner 
t  à  Dieu  vos  âmes  qui  sont  en  péril.  Si,  accomplis- 

•  sanl  mon  vœu,  j'ai  pris  sur  mes  épaules  ce  dange- 
«  reux  fardeau  ,  ce  n  était  pas  pour  mon  avantage, 

•  mais  pour  le  vôtre  :  car,  tout  pécbeur  et  indigue 

'  y  oil  U  ito(«  i  à  lit  6u  iu  volume. 


94  HENRI  m. 

«  que  je  suis,  je  possède  des  terres  fertiles,  dans  un 
'(  climat  tempéré,  sous  un  ciel  salubre;  mais  j'avais 
«  pitié  de  vos  âmes  qui  doivent  périr.  Qu'il  vous 
«  suffise  de  la  confusion  dont  je  suis  couvert  de  toutes 
«  façons,  par  la  permission  du  Christ  offensé  contre 
«  moi.  On  pourra  m'occire;  on  pourra  m'extorquer 
«  de  l'argent  jusqu'à  épuisement;  mais  jamais  la 
«  ville  de  Damiette,  conquise  par  un  miracle  divin, 
«  ne  vous  sera  rendue.  » 

Tandis  que  les  Sarrasins  s'occupaient  de  cette  af- 
faire, un  d'eux,  plus  rusé  que  les  autres,  leur  dit  : 
«  Pourquoi  êtes-vous  embarrassés?  Nous  obtiendrons 
«  Damiette  et  l'argent  demandé,  que  ce  roitelet  cap- 
«  tif  veuille  ou  ne  veuille  pas.  »>  Sur  son  conseil,  on 
forma  une  forte  et  nombreuse  troupe  de  Sarrasins 
composée  d'autant  d'hommes  ou  d'un  peu  plus  qu'il 
pouvaity  en  avoireu  dans  l'armée  chrétienne.  Les  Sar- 
rasins, ayant  pris  artificieusement  les  armes,  les  bou- 
cliers et  les  étendards  des  chrétiens  massacrés,  par- 
tirent sur-le-champ  pour  Damiette,  afin  d'y  être  reçus 
et  introduits  comme  s'ils  eussent  été  des  Français,  et, 
une  fois  entrés,  d'y  égorger  tous  ceuxqu'ilsy  trouve- 
raient. Lorsqu'ils  approchèrent  de  la  ville,  les  gardes 
des  chrétiens  les  aperçurent  du  haut  des  remparts 
de  la  ville  et  des  tours,  et  crurent  d'abord  que  c'é- 
taient en  effet  les  chrétiens  qui  revenaient  triom- 
phants et  chargés  de  dépouilles;  mais  plus  ils  s'ap- 
prochaient, plus  ils  paraissaient  différer  des  Fran- 
çais :  ciir  ils  marchaient  çà  cl  \h  cten  désordre,  faisant 
tourner  leurs  boucliers  plutôt  à  la  manière  des  Sar- 


ANNEE  <250.  95 

rasins  qu'à  la  oianiore  des  Français,  el  venaient  par 
|>elolons.  Quand  ils  furenl  tout  près  de  Textré- 
mité  des  retranchements  el  des  portes  de  la  ville,  on 
les  reconnut  plus  clairement  encore  pour  Sarrasins, 
à  leurs  visages  noirs,  à  leurs  longues  barbes  et  à  leur 
iauj^age  barbare,  ainsi  qua  la  manière  arro^jante 
dont  ils  eii{;eaieal  l'entrée  de  la  ville: car  toutes  les 
entrées,  tant  des  retraucbements  que  de  la  ville, 
étaient  dili^jeininent  et  vigilamment  gardées. 

Cependant,  lorsque  les  gardiens  de  la  ville  virent 
des  Sarrasins  couverts  des  dépouilles  des  chrétiens, 
ds  furent  convaincus  de  la  ruine  de  l'armée  chré- 
tienne, et,  remplissant  toute  la  ville  de  leurs  gémisse- 
ments lugubres,  ils  refusèrent  absolument  aux  enne- 
mis rentrée  de  la  ville  et  des  retranchements.  Ils  dé- 
clarèrent que,  quand  bien  même  Tarmée  chrétienne 
tout  entière  et  le  roi  lui-même  auraient  péri,  ils  n'en 
soutiendraient  pas  moins  avec  allégresse,  pendant 
longtemps,  un  siège  et  les  attaques  de  tous  les  Sarra- 
sins orientaux,  certains  qu  ils  étaient  d'être  secourus. 
Mais  comme,  en  faisant  le  guet  du  haut  des  tours  les 
plus  élevées,  ils  aperçurent  la  nombreuse  armée  des 
Sarrasins  qui  occupait  une  \aste  étendue  de  terrain 
et  comparèrent  leurs  forces  bien  inférieures  à  celles 
des  ennemis,  ils  ne  voulurent  pas  sortir  de  la  ville 
pour  livrer  bataille,  en  se  voyant  surtout  épuisés  par 
la  douleur,  p:ir  le  chagrin  et  par  In  famine.  Car  qui 
pourrait  pleinement  raeoiiter  leurs  lumenlalions 
cordiales  en  \oyuiit  les  ennemis  du  Christ  étaler 
ûèrement,  d'un  air  nioqueur ,  <les  armes,  des  ban- 


96  HENRI  HI. 

nières,  des  cottes  d'armes  peintes',  qu'ils  savaient  * 

appartenir  à  leurs  frères? 

Le  roi  de  France  rend  Damiette  adx  Sarrasins  pour 

SA  DÉLIVRANCE.    —  Le  SOUDAN  FAIT  CODPER  LA   TÊTE  AUX 

CHRÉTIENS    DE  DaMIETTE.   Le    ROI  DE    FrANCE   ENVOIE 

DÉFIER  LE  SOUDAN.  RÉVOLTE  DES  SarRASINS  CONTRE  LE 

SOUDAN.  —  Lettre  adressée  au  comte  Richard.  — 
Douleur  des  Français  en  apprenant  la  défaite  des 
LEURS.  —  Le  roi  de  Castille  prend  la  croix.  -^  Les 
Sarrasins,  trompés  dans  leurs  espérances,  revinrent 
et  commencèrent  dès  lors  à  traiter  plus  doucement 
le  roi  de  France.  Ils  accordèrent  donc  au  roi  la  per- 
mission d'être  servi  en  mets  et  en  boissons,  par  ses 
Jéaux  qui  avaient  été  pris  avec  lui,  comme  il  Tavait 
instamment  demandé;  car  il  craignait  que,  selon  la 
coutume  des  Sarrasins,  on  ne  lui  présentât  quelque 
breuvage  empoisonné.  Or,  il  resta  ,  durant  un  mois 
et  plus,  détenu  parmi  eux.  Pendant  ce  temps, 
comme  les  Sarrasins  exigeaient,  avec  de  terribles  me- 
naces, que  le  roi  rendît  Damiette,  et  comme  celui-ci 

*  Cognitiones  picturatce,  Coate  atmors.  L'usage  des  armoiries  ne 
commença  qu'au  temps  des  croisades.  Dans  ces  années  immenses  com- 
l>osëe8  de  nntions  diff<'rcnles  et  des  vassaux  de  tant  do  suzerains,  on  in- 
venta les  noms  de  famille  et  surtout  les  armoiries  pour  servir  de  points 
de  ralliement  aux  troupes  des  seii'nenrs  croisc's.  On  en  mit  sur  les  ban- 
nières, sur  les  ecus,  sur  les  cuirasses-,  on  s'en  para  dans  les  tournois.  Mu 
même  temps,  t'introduisirent  les  termes  d'argent,  d'or,  d'azur,  du  sable, 
de  guonles,  de  sinopic,  etc.,  pour  d^Kif^ner  les  couleurs  pointes  sur  les 
cottes  d'arme»  cl  les  /-tendards;  ce  qui  <lonn.'i  naissance  n  la  science  du 
blason  ou  explication  des  armoiriiw. 


ANNEE  ^30.  97 

refusait   absolument ,    ils  iusistèrent  pour  que  la 
somme  [  de  cent  mille  livres  d'or  ]  leur  fût  payée 
sans  aucune  diminution,  disant  que  sans  cela  il  se- 
rait exposé  à  de  longues  tortures  jusqu'à  ce  qu'il 
s'ensuivît  une   mort  ignominieuse,  ou  serait  pré- 
senté au  calife  qui  ne  le  mettrait  jamais  en  liberté 
et  ne  lui  laisserait  aucun  espoir  de  rançon,  à  la  con- 
fusion de  la  loi  cbrétienne.  Le  roi,  placé  dans  une 
position  embarrassante,  considérant  qu'il  ne  pou- 
vait en  aucune  façon  s'échapper  de  leurs  mains,  ni 
retenir  Damiette  entre  les  siennes,  sans  que  cette 
ville  ne  fût  obligée  de  céder  à  un  siège;  se  deman- 
dant en  outre  qui  pourrait  la  délivrer,  ou  qui  mieux 
que  lui  pourraitdélivrer  la  Terre-Saintej  voulanlen- 
fin  améliorer  quelque  peu  son  sort,  leur  répondit  : 
«  Nous  autres  Occidentaux  nous  n'abondons  pas  en 
«  or  comme  vous  Orientaux,  et  nous  ne  nous  servons 
«  pas  de  livres  dans  nos  calculs.  Convertissez  donc 
«  l'or  en  argent  et  les  livres  en  marcs;  que  les  cap- 
•  tifs  soient  restitués  des  deux  côtés,  et  que  je  sois 
»  mené  sain  et  sauf  à  Acre  sous  votre  conduite;  que 
u  ceux  qui  demeurent  à  Damiette  soient  conduits  par 
u  vous  en  lieux  sûrs  sans  violation  de  leurs  personnes 
«  et  sans  dommage  dans  leur  bagage.  Alors  (mais 
••  mon  cœur  saigne  en  \ous  le  disant)  je  vous  rési- 
«  gnerai  Damiette,  si  je  puis  y  déterminer  ceux  qui 
«  y  sont  renfermés.  »  Ces  conditions  de  paix,  aux- 
quelles le  roi  ajouta  la  conclusion  d  une  Iréve  de  dix 
uns,  furent  adoptées  par  le  Soudan.  Alors  le  roi  en- 
voya   avec  quelques-uns   des  principaux  Sarrasins 

Yll.  7 


98  HENRI  ni. 

quatre  de  ses  chevaliers  munis  de  lettres  et  de  signes 
convenus  et  secrets,  au  légat,  au  duc  et  aux  autres 
qui  tenaient  le  premier  rang  dans  la  ville,  leur  en- 
joignant et  leur  conseillant  de  rendre  Damielle  aux 
Sarrasins  dans  la  forme  prescrite.  Lorsque  les  mes- 
sagers du  roi,  accompagnés  des  Sarrasins  susdils,  fu- 
rent parvenus  aux  portes  de  la  ville  après  avoir  tra- 
versé les  retranchements,  et  eurent  annoncé  le  sujet 
de  leur  mission,  les  seigneurs  chrétiens,  affligés  plus 
qu'on  ne  peut  dire,  hésitèrent  longtemps  sur  ce  qu'ils 
avaient  à  faire'  ;  car  ils  redoutaient  grandement  les 
artifices  des  ennemis,  craignant  par  exemple  qu'une 
fois  n)aîlres  de  Damiette,  les  Sarrasins  ne  leur  ren- 
dissent le  roi  et  ceux  qui  étaient  avec  lui  infeclés 
d'un  poison  leut  qui  les  ferait  mourir  au  hout  de 
quelque  temps;  car  les  Sarrasins  mettent  en  pratique 
ce  genre  de  fraude.  Mais  lorsqu'ils  eurent  appris, 
par  U's  députés  du  roi,  que  le  roi  ne  recevait  ses 
mets  ou  ses  breuvages  de  la  main  d'aucuu  Sarrasin, 
les  gardiens  de  la  ville,  cédant  à  l'intercession  du 
légat,  delà  reine  et  des  autres  amis  du  roi  qui  tenaient 
beaucoup  à  le  voir  hors  de  danger,  résignèrent,  ô 
douleur  I  les  clefs  de  la  ville,  non  sans  pousser  des 
sanglots  lamentables,  après  s'être  assurés  toutefois 
que  le  roi,  queux-mômes  et  que  les  gens  de  mer 
seraient  mis  en  liberté  et  conduits  en  toute  sécurité  à 
Acre.  A  cette  nouvelle,  le  peuple,  dans  l'emporle- 

'Mokrui  dit  qu'il  fallut  de  nouveaux  ordres  |iius  prcssniits  pour  Iriocn- 
pberd«  Mtte  hésitation.  L'hialnirodein  reddition  de  Damiette  est  pleine 
<le  confusion. 


ANNEE  4250.  99 

ment  de  sa  douleur  et  de  sa  colère,  gâta  toutes  les 
provisions  tant  du  roi  que  des  autres,  lesquelles 
étaient  encore  en  bon  état,  brisa  les  tonneaux  d'huile 
et  de  vin,  dispersa  ou  brûla  le  froment,  l'orge  et  les 
viandes  salées,  au  mépris  des  conventions  faites  des 
deui  parts  ;  car  les  habitants  se  lamentaient  ineon- 
soiablement  de  voir  que  ces  provisions,  mises  précieu- 
sement en  réserve  pendant  leur  longuedisette, allaient 
servir  à  gorger  les  ennemis  de  la  croix  ;  et  ils  pensaient 
qu  ilvalaitmieux  quelles  ne  profitassent  àpersonne*. 
Lorsque  le  Soudan,  après  avoir  mis  le  roi  en  liber- 
té, et  l'avoir  fait  conduire  sain  et  sauf  à  Acre'*,  prit 
possession  de  la  ville  de  Damiette,  il  la  trouva  en- 
tièrement dépourvue  de  toute  espèce  de  vivres,  tous 
les  vases  qui  les  contenaient  ayant  été  brisés.  Aussi 
lit-il  couper  la  tête  au  menu  peuple  chrétien  qu'il  ren- 
contra à  Damiette,  les  plus  nobles  n'élant  plus  entre 

'  Il  e»l  possible  que  les  marchaadt  francs  qui  abondaient  à  Damiette 
iieut  commis  quelques  désordres  en  apprenant  la  prochaine  reddition 
de  la  ville;  mais  nous  oe  retroufons  ce  fait  dans  aucun  autre  historien. 
Ce  qoi  est  au  contraire  certain,  pr  le  récit  même  des  Arabes,  c'est  que 
les  Sarrasins,  en  entrant  à  Damiette,  pillèrent  les  vivres,  brûlèrent  les 
maefaiMS  de  gwrre  et  les  provisions.  Aboul-Moassem  prétend  que  les 
émirs  linrent  eompte  aux  croisés  de  ce  dommage  en  dispensant  saint 
Louis  de  payer  les  400,000  besauts  d'or  qui  restaient.  Mais,  d'après 
le  irmoigoage  Boaiiime  des  historiens  oceidentaui,  le  deuxième  paiement 
ne  fut  pas  elleeta^,  parce  que  les  Mameluks  n'avaient  point  rempli  leurs 
proraeues  au  sujet  de  la  délivrance  des  captifs. 

*  l.e  départ  du  roi  eut  lieu  le  samedi  après  l'Ascension  (7  mai).  Les 
{{alères  sarrasines  l'avaient  débarque  sur  la  côte  de  Damiette  à  une 
deuii-lieue  de  la  ville.  Dès  qu'il  fut  monté  sur  le  vaisseau  génois  qui 
I  attendait,  quatre-vingts  archers  parurent,  l'arbalète  an  poing,  pour 
•prévtnir  toute  surprise. 


400  HENRI  III. 

ses  mains,  et  il  se  repentit  d'avoir  laissé  aller  tran- 
quillement les  principaux  de  l'armée,  qui  avaient 
consenti  à  ce  pillage.  Il  ordonna  en  outre  que  la  flotte 
des  chrétiens  trouvée  dans  le  port  fût  livrée  aux 
flammes.  De  plus,  les  chrétiens  qui  étaient  sortis  en 
foule  de  la  ville  furent  massacrés,  étant  tombés  dans 
les  embuscades  que  leur  avaient  tendues  les  Sarrasins 
des  montagnes  et  des  vallées  voisines.  Cependant  les 
captifs,  avant  cet  événement,  étaient  heureusement 
relâchés  \ 

A  la  nouvelle  de  cescruautés,  le  roi  deFrance,  qui 
demeurait  à  Acre,  sous  la  garde  des  Templiers,  des 
Hospitaliers  et  des  autres  chrétiens  habitants  de  cette 
ville,  fit  savoir  au  Soudan  qu'il  s'était  montré  le  vio- 
lateur perfide  de  la  trêve  qui  venait  d'être  conclue, 
et  qu'en  la  rompant  sans  pudeur,  il  avait  acquis  par 
la  fraude  l'argent  qu'il  avait  tiré  de  lui.  Le  soudan 
répondit  à  cela  que  les  Français  avaient  donné  pré- 
texte à  cetle  vengeance,  et  avaient  excité  la  colère  des 
siens.  Or,  le  parti  des  Français  est  convaincu  d'être 
tombé  dans  cette  faute,  et  d'avoir  mérité  le  châtiment 
susdit. 

'  Captivi  tamen  auie  hunccasum  féliciter  restituehantur.  Nous  ne 
pensons  pasqu'on  puisse  comprendre  les  captifs  fails  avant  l'cxpt'-dition  de 
saint  Louis.  Makrisi  prétend  que  douze  mille  cent  hommes  et  dix  femmes 
furent  relâcbét.  Les  historiens  français  disent  au  contraire  que  les  pri- 
sonniers «(prouvèrent  les  traitements  les  plus  horribles  après  le  dt^part  de 
•aint  Louis.  Gela  donna  lieu  sans  doute  au  d«^li  qui  suit  et  dont  il  est 
parlé  dans  Alraul-Moasscm.  Cet  autiiur,  comme  saint  Louis  dons  la  lettre 
i-nvoyi'i!  en  France,  «lonne  doute  uiille  pour  le  nombre  de»  raplild  qui 
restaient.  Les  né|jocinlinns  qui  suivirent  n'en  arrachèrent  qu\in  petit 
nombre  aux  mains  des  Sarrasins. 


ANNÉE  4250.  401 

CependantlesOrieutauxel  les  Egyptiens,  apprenant 
que  le  susdit  Soudan,  corrompu  par  la  soif  de  Tor, 
uvuit  mis  en  liberté  un  si  grand  roi  el  ses  frères, 
furent  violemment  irrités,  et,  se  soulevant  contre 
lui,  Tattaquèrent  à  main  armée;  et  ils  ne  trouvèrent 
pas  suffisante  Texcuse  qu  il  donnait  de  sa  conduite, 
disantque,  dansTinteretde  tout  le  paganisme,  il  n^a- 
vait  pas  voulu  laisser  Damietle  aux  mains  des  Francs, 
de  peur  que  les  autres  chrétiens  n'y  trouvassent  un 
port  et  une  entrée  en  Egypte  ;  aussi  le  cliassèrent-ils 
ou  le  mirent-ils  à  mort* .  Ce  qui  augmenta  ce  soulève- 
ment du  peuple  sarrasiiiois  contre  ledit  Soudan,  c'est 
que,  sur  tout  Targenl  qu'il  avait  eu  avant  et  après  la 
prise  du  roi,  il  n  avait  pas  payé  les  salaires  convenus 
à  ceux  qui  avaieut  supporté  tout  le  poids  des  ba- 
tailles, et  qui,  d'après  ses  ordres,  avaient  coupé  les 
têtes  des  Français  vaincus.  De  plus,  une  querelle  et 
une  jalousie  mortelle  s'étaient  élevées  parmi  les  plus 

*  MaU.  Plris  n'a  qu'une  vague  notion  de  la  révolution  arrivée  en 
Egypte,  et  ne  la  met  pa»  en  son  lieu.  On  sait  qu'au  moment  où  le  traité 
tenait  d'être  conclu  avecTouran-Cbah  à  Fariscour,  le«  Mameluks,  irrita 
des  hauteurs  de  ce  prince,  Tégorgèrent  avec  un  acbarnemeut  féroce  et  se 
rendirent  maîtres  du  gouvernement  ;  mais  qu'ils  ratifièrent  le  traité  après 
avoir  inutilement  essayé  d'intimider  saint  Louis.  Trois  mois  après  le  dé- 
part du  roi  de  France,  l'émir  Ibegh  fut  proclamé  atabek,  puis  soudau, 
et  coauneoça  la  dyuaslie  des  Mameluks  baharites  ou  maritimes.  Cette 
niliee,  qui  devait  son  pouvoir  au  père  de  Touran-Cbab,  se  recrutait 
d'etclavet  formés  à  l'exercice  des  armes  dans  une  ville  maritime  de  l'E- 
gypte :  d'où  leur  venait  leur  nom.  LesBabarites  furent  renversés  en  1382, 
par  une  nouvelle  milice  de  Mameluks,  celle  des  Bordgites,  ou  élevés 
dans  des  tours,  qui  euxiuémrs  furent  eitermini^  par  les  Turcs  ottomans 
en  4517. 


102  HENRI  III.    , 

éminents  des  Orientaux,  pour  savoir  quel  était  celui 
d'entre  eux  qui  devait  se  glorifier  d'une  si  belle  proie  ; 
mais  lorsqu'ils  furent  instruits  de  la  délivrance  du 
roi,  ils  firent  retomber  toute  leur  colère  sur  le  sou- 
dan  de  Babylone.  Olivier  de  Termes  succomba  à  Da- 
miette,  avec  tous  ses  combattants,  que  nous  appelons 
routiers,  et  avec  beaucoup  d'autres  qu'il  serait  trop 
long  d'énumérer,  et  dont  il  est  constant  que  les  noms 
sont  écrits  au  livre  de  vie.  Il  est  évident  que  la 
cause  de  cette  horrible  calamité  ce  fut  l'orgueil  du 
comte  d'Artois,  qui  d'abord  avait  repoussé  arrogam- 
ment  l'bumilité  des  Sarrasins,  lesquels  offraient  pour 
le  bien  de  la  paix  tout  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut, 
et  qui  ensuite,  voulant  prendre  toute  la  gloire  pour 
lui,  s'était  séparé  du  roi  à  son  insu,  et  avaitprisavec 
lui  le  tiers  de  l'armée.  Pour  instruire  nos  lecteurs  du 
précis  des  événements  plus  haut  mentionnés,  nous 
avons  inséré  dans  ce  livre  la  lettre  suivante  adressée  au 
comte  Richard  : 

«  A  son  révérend  seigneur  Richard ,  comte  de 
Cornouailles,  Jean  [?],  son  chancelier,  etc.  Comme 
les  esprits  des  grands  ont  coutume  d'être  fatigués 
souvent  par  les  relations  de  bruits  divers,  et  d'être 
tourmentés  jusqu'à  ce  que  la  vérité  soit  connue ,  j'ai 
jugé  à  propos  de  vous  faire  savoir  les  bruits  lugubres 
et  tameutables  touchant  l'armée  des  Français,  sous 
une  forme  certaine  et  vraie  ,  et  seulement  les  bruits 
qui  méritent  croyance,  et  (jui  n'ont  pas  encore  été 
annoncés  publiquement ,  tels  (|ue  je  les  tiens  de  la 
bouche  d'un  certain  clerc ,  jadis  le  mien  ,  qui  u  été 


ANNEE  4250.  403 

envoyé  à  la  reine  Je  France,  mais  sans  apporter  de 
lettres.  Or,  après  la  purification  de  la  bienheureuse 
Marie ,  le  roi  prit  sa  roule  vers  le  Caire  ;  le  duc  de 
Uourjjogne ,  les  épouses  des  seigneurs  et  beaucoup 
(le  femmes,  avec  la  reine,  restèrent  à  Damietle.  Lors- 
que le  roi  voulut  traverser  le  Nil ,  le  soudan  de  Ba- 
bylone  et  l)€aucoup  de  Sarrasins  ,  placés  sur  l'aulre 
rive,  lui  résistèrent  fortement.  Les  deux  partis  cam- 
pèrent sur  les  deux  bords  du  lleuve.  Le  roi  fit  ras- 
sembler des  barques,  et  les  Gt  lier  les  unes  aux  autres, 
pour  passer  sur  elles  avec  son  armée,  comme  sur  un 
pont  très-solide.  Le  jour  où  commence  la  privation 
de  la  chair,  le  soudan  étant  absent,  et  la  nombreuse 
multitude  de  son  armée  étant  répandue  dans  les 
tentes  qui  bordaient  le  lleuve ,  un  ancien  Sarrasin 
converti  donna  iidèlement  connaissance  d'un  gué  ; 
ce  qui  permit  audit  comte,  au  maître  du  Temple  et 
à  tous  les  frères  [  Templiers]],  qui  étaient  présents  , 
de  traverser  le  Ueuve.  Or,  ce  même  converti  faisait 
partie  de  la  suite  du  comte  d'Artois,  et  était  son  serf. 
Le  seigneur  Guillaume  Longue-Épée,  avec  les  siens, 
se  mit  à  leur  suite,  ainsi  que  beaucoup  d'autres  ,  en 
sorte  que  cette  troupe  formait  le  tiers  de  toute  Tar- 
mée.  Tous  passèrent  le  Nil,  et,  tombant  toulàcoup 
sur  les  Sarrasins,  combattirent  vaillamment,  et  une 
grande  mêlée  eut  lieu.  Enfin  ,  après  avoir  tué  beau- 
coup de  monde,  à  savoir  tous  les   Sarrasins  qu'ils 
trouvèrent,  tant  dans  la  plaine  que  souh  les  tentes, 
et  avoir  fait  un  grand  massacre  des  deux  sexes  ,  les 
chrétiens  obtinrent  une  victoire  gloric  use  ;  mais  le 


-104  HENRI  HI. 

comte  susdit  et  les  siens  ne  s'en  contentèrent  pas.  Le 
comte  ,  homme  fort  arrogant ,  voulut  pousser  plus 
loin  et  aller  prendre  uncertain  village,  nommé  Man- 
sor,  qui  était  assez  près  de  là,  malgré  les  refus  et  les 
avis  des  Templiers  ,  qui  lui  remontraient  une  foule 
d'incommodités,  la  fatigue  et  les  blessures  de  leurs 
corps  et  de  leurs  chevaux,  et  d'autres  choses  encore. 
Mais  leditcomte  ni  les  siens  ne  voulurent  s'en  retour- 
ner pour  aucun  motif.  Après  une  discussion  pleine 
d'injures,  on  arriva  au  susdit  village,  et  on  attaqua  vi- 
goureusement les  ennemis.  Ce  que  voyant ,  les  Sarra- 
sins qui  se  trouvaient  dans  ce  village  et  dans  les 
bourgades  voisines  s'enfuirent  avec  de  grands  hur- 
lements, en  pleurant  et  en  se  lamentant,  de  telle 
sorte  que  ce  jour  même  ,  le  soudan  ,  qui  n'était  pas 
aussi  éloigné  que  l'on  croyait ,  entendit  leurs  cla- 
meurs, et  apprit  ce  qui  y  donnait  lieu.  Or,  les  chré- 
tiens étant  entrés  sans  précaution  dans  le  bourg  sus- 
dit, et  s'y  trouvant  enfermés,  beaucoup  furent  écrasés 
à  coups  de  pierres  par  ceux  qui  se  tenaient  en  em- 
buscade sur  les  remparts.  Aussi  leur  armée  fut  mise 
en  désordre,  n'en  sortit  que  grandement  diminuée  , 
et  commença  à  tomber  dans  le  désespoir.  Déplus,  le 
Soudan  arrivant  tout  à  coup  avec  une  immense  mul- 
titude, engagea  avec  eux  une  bataille  très-sanglante; 
et  enfin,  par  la  permission  de  Dieu ,  tous  les  chré- 
tiens furent  tués,  h  Texception  d'un  seul  homme  tout 
à  fait  obscur  qui  en  revint  à  grand'peine.  En  appre- 
nant cela,  le  roi  fut  grandement  affligé  (on  le  con- 
çoit niséinouti,  et  se  prépara  à  passer  le  fleuve,  avec 


ANNÉE  4250.  405 

aillant  d'empressement  et  d'ardeur  qu'il  le  put,  sur 
U'sdites  barques  et  les  autres  moyens  de  transport , 
en  disant  :  «  H  est  nécessaire  aujourd'hui  que  la 
«  France  entière  fasse  voir  son  courage  et  éprouve 
«  ses  forces  de  toutes  façons.  »  Cependant  beaucoup 
«le  chrétiens  étaient  épuisés  par  la  faim  et  par  la  soif  ; 
les  chevaux,  fatigués  et  affamés,  commençaient  à  ne 
plus  pouvoir  marcher,  et,  ce  qui  était  pis  encore,  la 
douleur  et  le  souvenir  des  morts  faisaient  saigner  tous 
les  cœurs  jusqu'à  amertume  des  âmes.  Ce  ne  fut  plus 
alors  qu  adversités  sur  adversités;  car  le  môme  sou- 
dan,  contre  lequel  beaucoup  de  Sarrasins  avaient  une 
haine  personnelle,  et  dont  ils  étaient  séparés  de  corps 
et  d'esprit,  à  cause  de  son  orgueil  et  de  sa  perfidie, 
mourut  tout  à  coup  vers  le  même  temps.   Aussitôt 
tous   les  Sarrasins,    mettant  à  sa   place  un  autre , 
(jui  était  son  iils,  à  ce  qu'on  dit,  se  confédérèrenl  et 
lui  jurèrent  serment  de  fidélité  comme  à  leur  sei- 
gneur. Dès  lors  devenus  tous  comme  un  seul  corps, 
et  encouragés  beaucoup  plus  fortement  que  précé- 
demment, ils  s'unirent  pour  la  ruine  des  chrétiens  ; 
car  ils  voyaient  qu'une  extermination  générale  les 
menaçait.  Aussi  le  Soudan  nouvellement  élu,  suivant 
les  conseils  des  vieillards  et  des  sages  ,  fit  espionner 
adroitement  les  actions  et  les  projets  des  Français. 
Sur  ces  entrefaites,  le  roi  de  France  avail  embarqué 
un  grand  nombre  de  Français  de  son  armée ,  qui 
étaient  éputsés  par  la  maladie  et  par  la  famine,  et  les 
envoyait  par  le  Nil  à  Damiette,  pour  qu'ils  respirassent 
au  moin^  en  sûreté  dans  C(>tte  ville.  IjC  Soudan,  averti 


106  HENRI  m. 

de  cela  ,  fit  charger  sur  des  chariots  traîués  par  des 
buffles  un  bien  plus  grand  nombre  de  barques ,  qu'il 
envoya  à  leur  rencontre.  Les  hommes  d'armes  qui 
montaient  ces  barques  leur  livrèrent  sur  le  fleuve 
même  un  combat  naval  très-sanglant.  Les  traits  pleu- 
vaient  des  deux  côtés  comme  la  grêle.  Mais  les  Sar- 
rasins, ayant  lancé  leur  feu  grégeois,  brûlèrent  un 
grand  nombre  de  barques ,  massacrant  ceux  qui  s'y 
trouvaient,  et  remportèrent  la  victoire.  Les  chrétiens 
furent  noyés  et  brûlés ,  et  ainsi  le  Seigneur  irrité  les 
détruisit  tous,  tant  par  lo  fer  que  par  la  faim.  11  n'en 
échappa  qu'un  seul  homme,  Anglais  de  nation,  pour 
venir  annoncer  ce  désastre  au  roi,  qui  était  comme 
Job  en  tribulations.  Enfin,  aux  octaves  de  Pâques,  le 
roi,  avec  son  armée  ,  traversa  un  fleuve  qui,  sortant 
du  Nil,  prend  un  autre  nom,  et  s'appelle  Thanis  :  en 
ce  moment,  le  Soudan  arriva  et  l'attaqua  avec  une 
multitude  infinie  de  Sarrasins.  Alors  eut  lieu  un 
combat  déplorable  ;  car  l'armée  des  chrétiens,  affai- 
blie par  la  tribulation  des  maux  et  des  douleurs,  suc- 
comba ,  et  une  infortune  irréparable  tomba  sur  le 
peuple  du  Christ.  Le  roi  fut  donc  pris,  ainsi  que  ses 
frères  survivants  et  tous  les  autres  qui  n'avaient  pas 
été  tués.  C'est  ainsi  que,  selon  les  secrets  jugements 
de  Dieu,  la  harpe  des  chrétiens  se  changea  en  instru- 
ment de  deuil,  et,  au  lieu  de  sons  jadis  doux,  ne  ren- 
dit plus  que  de  lugubres  gémissements.  Le  roi  et  les 
autres  étant  donc  prisonniers,  le  soudan  traita  de  la 
paix  avec  le  roi  et  les  siens.  Pendant  les  négociations 
ut  avant  que  I  on  fût  tombé  d  accord  (car  [le  roi]  élait 


ANNÉE  1250.  ^07 

lany^uissant  de  eha{jrin  jusqu'à  en  mourir),  le  Soudan 
envoya  traîtreusement  une  nombreuse  armée  à  Da- 
mielte ,  avec  roriflamme  et  les  bannières  des  Fran- 
çais, pour  que  cette  armée  s'emparât  promplement 
de  la  ville,  en  proGtant  habilement  de  la  surprise  et 
de  l'igrnorance  des  Français.  Mais  ceux-ci ,  s'étant 
aperçus  de  la  fraude,  à  la  démarche  désordonnée  des 
Sarrasins,  fermèrent  les  portes  sur  Tordre  du  duc  et 
des  autres  qui  se  trouvaient  dans  la  ville  :  on  tint 
conseil ,  on  déclara  qu'on  n'abandonnerait  pas  la 
{jarde  de  la  ville,  dùl-on  la  défendre  deux  ans  et 
même  plus,  jusqu'à  ce  que  le  Seigneur  pourvût  au 
salut  de  Damiette,  et  leur  envoyât  un  secours  qui  leur 
apportât  aide  et  conseil  ;  ajoutant  qu'ils  ne  se  laisse- 
raient pas  fléchir,  quand  il  s'agirait  de  la  vie  du  roi. 
I^s  Sarrasins  retournèrent  donc  vers  le  Soudan,  frus- 
trés dans  leur  espoir.  Mais  le  roi  ayant  alors  conclu 
une  trêve  pour  sa  personne  et  au  nom  de  ses  héri- 
tiers ,  et  s'étaut  obligé  par  otages  au  paiement  de 
cent  mille  marcs  d'argent',  comme  indemnité  des 
|>ertes  faites  à  Damiette,  les  gardiens  de  la  ville  cé- 
dèrent aux  intercessions  de  la  reine  et  des  autres  amis 
du  roi  qui  s'intéressaient  à  sa  vie,  et  Damietle ,  ô 
douleur!  tut  rendue  aux  ennemis  du  Christ,  à  la 
confusion  de  l'église  universelle.  Dans  cette  malheu- 
reuse bataille,  presque  tous  les  nobles  de  la  France 
sont  morts.  Le  comte  Jean  de  Dreux,  la  fleur  de  la 
France,  avait  succombé  dans  l'île  de  Chypre,  comme 
pour  servir  de  triste  présage  aux  infortunes  à  venir.  » 

'    Voy.  U  noie  I  à  la  tin  Hii  volume. 


408  HENRI  III. 

Lorsque  ces  funestes  nouvelles  furent  parvenues  à 
la  connaissance  de  la  reine  Blanche  et  des  seigneurs 
de  France,  par  le  rapport  de  quelques  personnes  qui 
revenaient  des  pays  d'Orient,  ceux-ci,  ne  pouvantni 
jie  voulant  y  croire,  ordonnèrent  que  ces  messagers 
fussent  pendus.  Or,  nous  croyons  que  ce  sont  des 
martyrs  manifestes.  Mais  lorsqu'ils  virent  que  ces 
rapports  se  multipliaient  par  de  nouveaux  messagers, 
qu'ils  n'osaient  plus  traiter  de  diseurs  de  riens  ,  lors- 
qu'ils virent  des  écrits  relatifs  à  tout  cela  ,  munis 
de  sceaux  et  signes  convenus  ,  à  n'en  pas  douter,  la 
France  entière  fut  plongée  dans  la  douleur  et  dans  la 
confusion  ;  les  hommes  d'église  aussi  bien  que  les 
chevaliers  se  plaignaient,  séchaient  de  chagrin,  et 
ne  voulaient  pas  recevoir  de  consolation.  De  toutes 
parts,  les  pères  et  les  mères  pleuraient  la  mort  de 
leurs  fils;  les  pupilles  et  les  orphelins,  de  ceux  qui 
leur  avaient  donné  la  vie  ;  les  parents,  de  leurs  pa- 
rents ;  les  amis,  de  leurs  amis.  La  beauté  des  femmes 
était  changée  par  le  chagrin  ;  les  guirlandes  de  fleurs 
étaient  rejelées  au  loin  ;  on  n'entendait  plus  de  chan- 
sons ;  les  instruments  de  musique  étaient  prohibés. 
Toutes  les  marques  extérieures  de  la  joie  avaientfait 
place  au  deuil  et  aux  lamentations.  Ce  qui  est  pis  en- 
core, les  hommes,  accusant  le  Seigneur  d'injustice, 
semblaient  perdre  la  raison  dans  l'amerluntede  leur 
Aine  et  Timmensité  de  leur  douleur,  et  s'emportaient 
en  paroles  de  blasphème  ,  qui  sentaient  l'apostasie 
ou  1  hérésie.  Et  la  loi  de  plusieurs  commença  à  vn- 
ciller.  Venise  ,  ville  très-fameuse  ,  et  beaucoup  de 


ANNEE  ^250.  ^09 

cités  (J'itaiie,  qui  sont  habitées  par  des  demi-chré- 
tiens, seraient  tombées  dans  i  apostasie,  si  elles  n'eus- 
sent étéfortiBées  par  les  consolations  de  leurs  évéques 
et  des  saints  religieux  ,  lesquels  leur  assuraient  en 
vérité  que  ceux  qui  avaient  été  tués  régnaient  déjà 
dans  le  ciel,  à  titre  de  martyrs,  et  ne  voudraient  plus, 
pour  tout  Tordu  monde,  revenir  dans  la  vallée  téné- 
breuse de  cette  vie.  Or,  leurs  paroles  apaisaient  Vem- 
portement  de  quelques-uns,  mais  non  de  tous. 

En  apprenant  ce  désastre,  le  Irès-victorieux  roi 
de  Castille  Alphonse,  qui  avait  déjà  conquis  sur  les 
Sarrasins  un  espace  de  plus  de  treize  journées  de 
marche ,  ayant  compassion  de  la  misère  des  Fran- 
çais, prit  la  croix,  regardant  comme  plus  méritoire 
de  sournettreau  Christ  la  Terre-Sainteque  toute  autre. 

Plaintes  sur  les  extorsions  d'argent.  —  Exemple 
remarquable  done  honteuse  exaction  ,  commise  en 
France  par  les  agents  do  pape.  —  Grandeur  d  ame  de 
l'abbesse  de  Lacock.  —  Morts  diverses.  —  Les  Sar- 
rasins se  préparent  a  assiéger  Acre.  —  Le  roi  envoie 
ses  frères  en  France.  —  Soulèvement  et  agitation  ex- 
traordinaires DE  la  mer. — Voilà  donc  les  fruits  que 
font  naître  les  rapines  et  les  déprédations  exercées  par 
les  seigneurs  sur  les  pauvres  qui  souffrent  des  injus- 
tices de  toute  espèce.  Car  avec  la  permission  ,  ou  plu- 
tôt d'après  les  leçons  de  la  cour  romaine,  ils  veulent 
remplir  leurs  bourses  toutes  les  {fois  qu'ils  sont  sur 
le  poiiil  (le  partir  en  |)èlerinage  pour  le  service  de 
Dieu.  Or  il  est  plus  clair  que  le  jour,  d'après  ce  que 


^^0  HENRI  HI. 

nous  avons  dit,  que  le  Seigneur  a  pour  Irès-déplai- 
sants  de  pareils  gains,  qui  proviennent  de  l'oppression 
et  de  l'appauvrissement  des  pauvres. 

Si  les  extorsions  d'argent  faites  dans  le  royaume 
de  France  ne  peuvent  être  répétées  et  méritent  un 
éternel  silence  ,  il  en  est  une  cependant  que  nous 
avons  jugé  à  propos  d'insérer  dans  ce  livre  pour 
exemple.  Il  est  notoire  que  le  seigneur  roi  de  France, 
avec  la  permission  de  l'église  romaine ,  devait  tirer 
de  l'église  de  France  un  dixième  pendant  trois  ans , 
à  condition  que  le  pape  extorquerait  ensuite  pareille 
somme  à  la  même  église,  pour  attaquer  plus  puis- 
samment Frédéric.  Mais,  après  avoir  fait  la  première 
collecte  des  trois  ans,  le  roi  de  France,  averti  que  le 
pape  voulait  faire  la  récolte  à  son  tour ,  résista  en 
face  à  cet  exacteùr  qui  prenait  toutes  les  formes,  et, 
pour  que  la  ruse  trompât  la  ruse,  il  mit  en  avant  le 
prétexte  suivant  :  disant  qu'il  ne  souffrirait  en  au- 
cune façon  que  l'église  de  son  royaume  fût  appauvrie 
pour  faire  la  guerre  aux  chrétiens  ;  que  la  chose  avait 
pu  être  plus  facilement  tolérée  quand  il  s'agissait  de 
combattre  les  infidèles  .  et  plutôt  encore  de  la  part 
d'un  laïque  que  de  la  part  d'un  prêtre;  qu'en  outre,  si 
l'église  de  son  royaume  était  encore  pillée  pendant 
les  trois  ans  qui  allaient  suivre,  olle  serait  exposée 
à  une  ruine  irréparable  ;  ce  <iont  le  [lapc  n'avait  nul 
souci.  Le  roi  extorqua  donc,  comme  nous  venons  de 
le  voir,  l'argent  susdit,  au  moyen  de  certains  offi- 
ciers du  pape  ,  afin  que  l'argent  fût  pluscjïicacunient 
obtenu,  et  que  l'on  sût  nneux  à  combien  monterait 
la  part  que  lèverait  le  pape.  Aussi  les  cœurs  de  beau- 


ANNÉE  4  250.  -•  H 

coup  (le  gens  sai{}naieut-ils  d'une  douleur  aiDèrc  : 
ce  n'étaient  gue  malédictions  et  souhaits  de  voir  se  vé- 
riGer  la  sentence  du  prophète  Isaie,  ou  plutôt  de  Dieu 
même,  qui  a  loujoui's  eu  en  haine  les  rapines  offertes 
en  holocauste.  Plùl  à  Dieu  que  le  seigneur  roi  d'An- 
gleterre ,  le  comte  Uichard  son  frère ,  et  les  autres 
princes  croisés  pesassent  ces  choses  dans  la  balance 
de  la  raison,  eux  qui  ne  se  faisaient  pas  faute  de  gains 
honteux.  En  effet,  quoiqu'il  soit  constant  qu'un  saint 
pèlerinage  est  un  acte  pieux,  l'argent  du  voyage  ac- 
quis par  de  mauvaises  voies  n'en  souille  pas  moins 
l'accomplissement  de  cet  acte  pieux.  Or  on  croit  que 
cela  fui  la  source  de  la  confusion  dont  nous  avons 
parlé,  quoiqu'il  ne  manque  pas  d'autres  causes  en- 
core. Nous  avons  aussi  trouvé  bon  de  mentionner 
une  des  extorsions  commises  en  France,  conmie  la 
plus  honteuse  de  toutes.  Il  arriva  qu'un  des  exac— 
teursdupape,  dans  la  collecte  susdite,  rencontra  un  ' 
pauvre  clerc  de  village,  qui  venait  à  lui  et  qui  portait 
dans  un  vase  de  l'eau  avec  un  goupillon,  ainsi  que 
(les  morceaux  de  pain ,  qu'on  lui  avait  donnés  pour 
avoir  aspergé  [les  maisons]  avec  de  l'eau  bénite.  Alors 
le  Romain  lui  dit  insidieusement  :  «  A  quel  prix 
«  monte  par  an  ce  bénéfice  qui  t'est  octroyé  par  l'é- 
«  glise?  —  A  vingt  sols,  à  ce  que  je  crois,  »  lui 
répondit  ce  clerc ,  qui  ne  se  méfiait  pas  des  pièges 
des  Uomains.  Aussitôt  le  Romain,  taisant  voir  qui  il 
était,  s'écria  :  u  I£li  bien,  cela  fait  par  an  vingt- 
<•  quatre  deniers,  autrement  dit  deux  sols  à  Tavan- 
M  tage  du  fisc.  •  Puis,  |)renant  à  la  gorge  ce  pauvre 
homme  qui  allait  mendier  de  porte  en  porte ,  ij  lut 


112  HENRI  m. 

(Ut  :  «  Rends  au  seigneur  roi  ce  que  tu  lui  dois.  » 
Aussi,  pour  payer  cette  somme,  toute  minime  qu'elle 
était,  ce  pauvre  clerc  fut  obligé  de  soutenir  sa  vie 
comme  un  affamé  et  un  gueux*,  en  faisant  pendant 
longtemps  des  classes  et  en  vendant  ses  copies  de 
livres  aux  petits  enfants  duparvis^  —  Mais  laissons 
■  le  côté  ces  détails  ,  pour  ainsi  dire,  collatéraux,  et 
revenons  à  notre  sujet  principal. 

Après  que  le  désastre  susdit  fut  parvenu  à  la  con  - 
naissancedu  seigneur  pape,  il  futgrandementafûigé, 
et  toute  la  cour  romaine  avec  lui;  les  bulles  furent 
suspendues  pendant  quelques  jours,  et  le  mauvais 

*  Famelicam  et  Codrinam  vitam.  Aucun  glossaire  ne  donne  codri- 
nam  ;  aussi  nous  proposons  coquinam  qui ,  en  vertu  de  son  etymologic 
cocus  (coquin,  gueux),  suit  ordinairement  famelicam. 

'  L'ctymologie  de  ce  mot  est  douteuse  ;  les  uns  le  font  venir  de  par- 
vins^ parce  que  Ton  appelait  autrefois  parvis  une  place  publique  devant 
un  bâtiment,  particulièrement  devant  une  église  ;  les  autres  de  a  parvis 
jnieris  docenrfis,  parce  que  l'on  appelait  parvisivm  un  lieu  au  bas  de 
la  nef  où  Ton  tenait  autrefois  les  petites  écoles.  Dans  Tacademie  d'Ox- 
ford, après  que  les  maîtres  avaient  soutenu  en  public  leurs  quolibets  et 
leurs  grandes  disputations,  les  jeunes  élèves  s'exerçaientà  de  petites  mé- 
ridiennes qu'ils  appelaient  parvises;  et  cet  usage  subsistait  encore  au 
temps  de  Guillaume  Wats.  Dans  les  écoles  de  jurisprudence,  on  appelait 
également  parvise  (plus  tard  moote)  la  conférence  des  plus  jeunes  étu- 
diant*. 

A  iergeant  ot  lav  ware  and  wite 

That  otten  had  ba«n  at  the  parvi$e. 

(ChauCEK,  prol.  IX.) 

Dana  ce  dernier  vers  ,  on  o  eberché  à  expliquer  parvise  par  barre  ; 

.  mais  un  passage  de  Fnrtcscun  donne  l'inlorprétaiion  la  plus  naturelle  : 

l'iacitaulis  Iwic  se  divertvut  ad  l'arvisium,  roiisulentes  nnn  ter- 

vieMihus  ad  legem  et  aliis  rousiliariii  suis.  (FoiiTBSCUE,  chap.  51 .] 


ANNÉE  4250.  443 

renom  du  pape  s'accrut  et  s'étendit  beaucoup.  En 
effet,  00  entendait  dans  la  boucbe  des  Français  les 
plaintes  et  les  discours  suivants  :  <■  Hélas i^bélas! 
•  combien  de  maux  nous  a  causés  lorgueil  papal, 
«  qui  a  repoussé  si  arrogamment  I  humiliation  [vo- 
«  lontaire]  de  Frédéric,  et  qui,  loin  d'admettre  la 
«  satisfaction  convenable  qu  il  offrait ,  l'a  plutôt  pro- 
"  voqué  jusqu'à  amertume  de  cœur;  car  il  promet- 
<  tait  de  nous  rendre  bénévolement  et  sans  effusion 
>•  de  sang  tout  ce  que  les  chrétiens  avaient  pu  possé» 
<«  deren  aucun  temps  dans  la  Terre-Sainle.  El  main- 
«  tenant,  ô douleur!  combien  de  sang  chrétien, et  du 
«  plus  noble  et  du  plus  généreux ,  est  versé  inutile- 
«  ment  en  Terre-Sainte  !  combien  en  Allemagne! 
«  combien  en  Italie  !  Et  ce  qu'il  y  a  de  plus  domma- 
M  geable  encore,  c'est  que  la  foi  vacille  et  que  la  Terre- 
«  Sainte  est  exposée  aux  plus  grands  dangers  :  la  re- 
"  ligion  chrétienne  est  abaissée,  tandis  que  la  su- 
"  perstition  des  |)aiens  est  exaltée.  Oh  !  qu'il  est  né 
«  sous  une  fatale  étoile  ,  celui  pendant  la  vie  duquel 
«  tant  d'adversités  sont  venues  affliger  l'église  du 
-  seigneur  Jésus-Christ,  dont  il  se  proclame  le  vi- 
«  caire!  »  —  Lorsque  la  relation  d'une  si  grande 
calamité  eut  frappé  les  oreilles  d'Héla ,  abbcsse  et 
comtesse,  qui  gouvernait  avec  une  vigueur  au-dessus 
de  son  sexe  le  couvent  des  dames  religieuses  de  ïja- 
cock.  et  que  l'on  sait  avoir  été  mère  de  Guillaume 
Longue-Epée,  celle-ci  se  souvenant  du  songe  glorieux 
qu'elle  avait  eu  relativement  à  son  iils,  à  Tépoque  où 
ec  dernier  succomba  en  vrai  martyr,  comme  nous 

▼II  H 


^U  HENRI  HI. 

TaFons  dit ,  joignit  les  mains  ,  fléchit  les  genoux,  et 
s'écria  d^un  Ion  joyeux  et  à  la  louange  de  Dieu  (ce 
qui  dut  plaire  beaucoup  au  Christ)  :  «  0  mon  Sei- 
«  gneur  Jésus-Christ,  je  te  rends  grâces,  à  toi  qui  as 
«  bien  voulu  que,  du  corps  d'une  indigne  pécheresse 
«  comme  moi,  sortît  un  fils  assez  noble  et  assez  saint 
n  pour  que  tu  aies  daigné  lui  mettre  sur  la  tète  la 
<i  couronne  d'un  martyre  si  éclatant.  J'espère  donc 
«  qu'avec  son  patronage,  je  serai  élevée  plus  tôt  au 
«  faîte  de  la  céleste  patrie.  »>  Or,  quand  les  porteurs 
de  ces  tristes  nouvelles,  qui,  par  crainte  [de  Taffliger], 
s'étaient  tus  longtemps,  virent  et  entendirent  cela,  ils 
louèrent  dans  cette  femme  une  fermeté  toute  virile, 
et  s'étonnèrent,  en  la  voyant ,  que  la  piété  de  la 
dame  et  de  la  mère  ,  loin  de  se  répandre  en  plaintes 
et  en  paroles  lugubres  ,  fût  transportée  joyeusement 
d'une  allégresse  spirituelle. 

Dans  le  cours  lamentable  de  cette  année,  mouru- 
rent ,  pendant  le  pèlerinage  susdit ,  qui  Sur  leurs 
vaisseaux  ,  qui  dans  les  îles,  qui  dans  les  flots,  des 
personnages  très-illustres,  comtes  et  marquis ,  évé- 
ques  et  chevaliers.  Parmi  eux  se  trouva  Tévéque  de 
Noyon,  dont  il  est  certain  que  le  nom,  ainsi  que  les 
noms  des  autres,  est  écrit  dans  le  livre  de  la  vie 
éternelle.  Cette  même  année ,  vers  la  fôte  de  sainte 
Marguerite,  mourut  Robert  de  Muschamp,  homme 
d'un  grand  renom  dans  les  pays  du  nord  de  l'Angle- 
terre. Vers  le  même  temps,  mourut  Henri  de  Has- 
tings, chevalier  distingué  et  baron  opulent. 

Vers  le  même  temps,  les  Sarrasins,  voyant  que  la 


I 


ANNÉE  4  250.  445 

fortune  des  combats  prospérait  entre  leurs  mains, 
tiiut  à  cause  des  dépouilles,  chevaux,  armes,  ma- 
chines, arbalètes,  vaisseaux  et  provisions  dont  la 
défaite  de  leurs  adversaires  les  avait  enrichis,  que  par 
le  nouveau  courage  dont  la  récente  confusion  des 
chrétiens  les  animait,  et  qu'à  cause  de  la  rupture  de 
la  trêve,  se  préparèrent  à  faire  le  si^e  d'Acre.  De 
plus,  ils  se  repentirent'  fort  d'avoir  souffert  que  le 
roi  de  France  et  ses  frères  survivants  se  rachetassent 
et  fussent  rais  en  liberté  après  s'être  rachetés,  la  ran- 
çon eùt-elle  été  dix  fois  plus  forte;  aussi,  faisant  re- 
tomber toute  la  faute  sur  le  soudan  de  Babylone,  et 
détestantson  avarice,  croyaient-ilsen  toute  confiance 
recouvrer  encore  ce  qu'ils  avaient  perdu,  et  prendre 
au  piège  le  roi  et  ses  frères. 

Considérant  cela ,  le  pieux  roi  de  France,  après 
avoir  payé  la  quantité  d'argent  convenue  qu'il  avait 
«•mpruntée  aux  Templiers,  aux  Hospitaliers,  aux  Gé- 
nois et  aux  Pisans,  et  avoir  repris  absolument  tous  les 
otages,  fit  embarquer  prudemment  sur  un  vaisseau 
solide  ses  deux  frères  survivants,  Alphonse,  comte  de 
Poitiers,  et  Charles,  comte  de  Provence,  et  les  ren- 

'  Dans  la  confusion  politique  et  les  désordres  qui  suivirent  le  meurtre 
de  Touran-Cbah,  les  i^mirs  laissén^ut  eu  effet  échapper  ce  re};ret.  Déjà 
inéine  i  Damiette  il  avaient  pensé  un  instant  à  massacrer  le  roi  et  tous 
les  prisonniers;  mais  l'avarice  l'emporta,  dit-on,  sur  la  cruauté.  Aboul- 
Moassem  prétend  que  saint  Louis  étant  au  lar{;c,  envoya  un  député  aux 
Mameluks  (probablement  Philippe  du  Moutfort),  cl  que  ce  député  les 
railU  d'avoir  laitsé  échapper,  pour  une  somme  si  modique,  un  prince 
si  puissant  et  qui  aurait  donné  son  royaume  pour  être  libre.  M.  Michaud 
repousse  ce  fait  comme  peu  vraisemblable. 


^U  HENRI    m. 

voya  secrètement  et  subitement  dans  les  pays  d'Oc- 
cident. Ceux-ci,  sous  la  conduite  et  la  protection  de 
Dieu,  parvinrent  en  France  sains  et  saufs,  et  sans 
encombre.  Le  roi  resta  à  Acre  triste  et  sans  gloire, 
jurant,  dans  la  profonde  amertume  de  son  cœur,  qu'il 
ne  rentrerait  jamais  couvert  d'une  telle  confusion  dans 
son  doux  pays  de  France'.  Qui  pourrait  décrire  sans 
larmes  et  sans  sanglots  les  sanglots  et  les  larmes  du 
roi,  lorsqu'après  avoir  perdu  le  troisième  de  ses 
frères,  c'est-à-dire  Robert,  et  après  avoir  été  vaincu 
lui-même,  il  confia  aux  flots  de  Neptune  les  deux 
autres  qui  n'avaient  pas  acquis  de  gloire?  Les  susdits 
comtes,  accompagnés  du  duc  de  Bourgogne  qui  avait 
passé  la  mer  avec  eux,  allèrent  sur-le-champ  trou- 
ver le  pape,  conformément  aux  instructions  qu'ils 
avaient  reçues  du  roi;  ils  lui  conseillèrent  efficacement 
et  d'une  manière  formelle  de  venir  sans  délai  au  se- 
cours du  roi,  qui  était  placé  en  si  grand  danger, 
et  qui  combattait  pour  l'honneur  de  l'église  univer- 
selle, d'admettre  dans  la  paix  de  l'église  Frédéric 
qui  s'humiliait,  comme  étant  le  seul  entre  tous  les 
chrétiens  qui  pûtremédierà  de  si  grandes  calamités,  et 
de  le  déterminer  5  porter  au  roi,  dont  la  position  était 
])resque  désespérée,  des  secours  prompts  et  conve- 
nables. S'il  n'en  était  pas  ainsi,  le  duc  et  les  comtes 
susdits  ovaient  mission  de  chasser  de  Lyon  le 
pape,  comme  obstiné  dans  sa  haine,  et  n'ayant  nul 


<  In  dulrem  Franciam.  C'est  lo  justice  (|ii(>  lui  rendait  plus  tard  Mn- 
rie  Stuart. 


ANNÉE  ^250.  -147 

souci  (le  l'honneur  de  la  foi  chrétienne;  et  si  Télu  à 
Lyon,  et  son  irère  Tarchevêque  de  Cantorbéry,  en 
qui  le  pape  mettait  sa  confiance,  entreprenaient  dç  le 
défendre,  la  France  entière  devait  se  soulever  contre 
eux,  sous  le  commandement  des  seigneurs  plus  haut 
dits. 

Pendant  le  cours  du  même  temps,  au  mois  d'oc- 
tobre, le  premier  jour  du  mois,  le  jour  de  la  lune 
étant  1,  la  nouvelle  lune  parut  gonflée  (?),  et  d'une  cou- 
leur rougeûtre,  en  signe  des  tempêtes  futures,  selon 
les  paroles  suivantes  d'un  philosophe  et  d'un  versifi- 
cateur, qui  dit  par  expérience  : 

•  ...  Quaad  Cyntbia  <  est  nouvelle  et  qu'elle  a  uoe  teinte  rouge,  c'est 
un  rigoe  de  vent ,  à  moins  que  de  grandes  chaleurs  ou  de  grands  froids 
n'y  mettent  obstacle;  quand  elle  est  gontlée  (?),  elle  annonce  la  pluie; 
quand  elle  est  d'un  clair-pâle,  un  temps  serein...  » 

Aussi,  pendant  la  première  semaine  où  la  lune 
était  dans  son  croissant.  Tair  commença  à  être  gran- 
dement obscurci  par  d'épais  brouillards  et  par  des 
tourbillons  de  vent.  Lèvent  brisa  et  fit  tomber  les  ra- 
meaux et  les  feuilles  qui  se  desséchaient  en  ce  moment 
sur  les  arbres,  et  les  emporta  à  de  grandes  distances. 
Et,  ce  qui  était  pis  encore,  la  mer,  agitée  et  opérant 
deux  fois  son  flux  sans  reflux,  dépassa  ses  bornes  or- 
dinaires, et  fit  entendre  un  nmgissement  et  un  fracas 
si  horrible,  que  le  bruit  en  parvint  dans  des  contrées 
reculées,  et  causa  Tétonnoment  de  tous,  même  des 
vieillards;  car  aucun  des   hommes  nouveaux  ne  si^ 

(.ijulhm,  ih<inf,  U  lune. 


us  HENRI  in. 

souvenaitd'avoirvu  pareille  chose.  On  aperçut  même, 
par  une  nuit  obscure,  la  mer  qui  se  colorait  d'une 
teinte  enflammée  et  les  flots  soulevés  qui  semblaient 
lutter  contre  les  flols,  en  sorte  que  Tliabileté  des  ma- 
telots ne  pouvait  porter  secours  aux  vaisseaux  en 
péril.  Aussi,  des  bateaux  grands  et  solidement  con- 
struits périrent  submergés;  et,  pour  ne  pas  parler  des 
autres  sinistres,  dans  un  seul  port  nommé  Herteburn, 
trois  beaux  vaisseaux  furent  engloutis  parlesflots  irri- 
tés, sans  compter  des  barques  petites  et  de  médiocre 
importance.  A  Winchelsey,  qui  est  un  port  du  côté 
de  l'orient,  plus  de  trois  cents  maisons  de  la  bourgade 
,  et  quelques  églises  lurent  emportées  par  le  déborde- 
ment de  la  mer,  sans  compter  les  chaumières  des 
sauniers,  les  cabanes  des  pêcheurs,  les  ponts  et  les 
moulins.  Le  pays  de  Holland  en  Angleterre  et  la 
Hollande  d'outre-mer,  ainsi  que  la  Flandre  et  les 
autres  pays  plats  et  voisins  de  la  mer,  subirent  aussi 
des  dommages  irréparables.  Les  fleuves  qui  se  jettent 
dans  la  mer  furent  tellement  refoulés  et  gonflés,  qu'ils 
bouleversèrent  les  prés,  les  moulins,  les  ponts  et  les 
maisons  voisines,  couvrirent  les  campagnes,  etempor- 
tèrentles  mpissons,  qui  n'étaient  pas  encore  serrées 
dans  les  granges  :  afin  que  la  colère  de  Dieu  se  ma- 
nifestât clairement  aux  mortels,  tant  sur  mer  que 
sur  terre,  selon  lu  prophétie  d'Habacuc,  et  que  la 
punition  des  péchés  parût  imminente.  «  Est-cedone, 
Seigneur,  que  vous  êtes  en  colère  contre  les  fleuves? 
est-ce  que  votre  indignation  éclatera  contre  la  nier?» 
Mais  qu'y  a-t-il   d'étonnant?  Des  abus   monstrueux 


ANNÉE  4250.  449 

émanaient  de  la  rour  romaine,  qui  aurait  ilû  être  la 
source  de  loule  juslico.  Or,  nous  avons  juyé  à  pro- 
pos dV'U  insérer  un  dans  cette  histoire,  malgré  notre 
répugnance  à  en  parler. 

Collation  inique  imposée  pah  le  pape  au  prieur  dk 

BiNUAM.     —    L  ARCHEVEQUE    DE   CaNTORBÉRY    FAIT    TAIRE 

par  la  crainte  la  voix  des  plaignants.  —  mort  de 
Guillaume,  évêque  de  Winchester.  — Efforts  du  roi 
POUR  faire  nommer  son  frère  Atuelmar  a  l'évèché  de 
Winchester.  —  Discours  du  roi  au  chapitre  de  Win- 
chester. —  Les  moines  de  Winchester  sont  forcés  de 
prendre  Athelhar  pour  leur  évêque.  —  Quoique  le 
prieur  de  Binliam  eût  droit  pléuier  sur  Téglise  de 
We8tley(?),  qui  lui  appartenait  en  usage  propre  par 
collation  du  patron,  parconiirmationdedeuxévêques 
etdu  chapitre  d'iceux,  et  de  Paveu  de  trois  pontifes  de 
Téglise  romaine,  à  savoir,  Lucius,  Eugène,  et  Gré- 
goire IX,  un  certain  génois  bâtard  et  illettré  obtint 
les  lettres  suivantes  du  seigneur  pape,  contre  tout  droit 
et  toute  piété  :  «  Innocent,  évêque,  etc.,  à  notre  cher 
tils  maître Bérard  de Nyinplia,  notre  écrivain,  demeu- 
rant eu  Angleterre,  salut  et  bénédiction  apostolique. 
C(mime  notre  clier  (ils  N.,  notre eamérier  [avait  con- 
féré] jadisàlleynierdeSolerio,  prévôt  d'Ypres,  qui  est 
allé  récemment  où  va  toute  créature,  Téglise  de  West- 
ley  au  diocèse  d'Ély,  laquelle  appartient  à  la  présen- 
tation de  nos  ebers  fils  le  |)rieur  et  le  couvent  de 
Binbam,  de  Tordre  de  Saint-Benoit,  et  que  le  même 
prévôt  a  possédée  pendant  sa  vie  dans  les  pays  d'An- 


^20  HENRI  ni. 

gleterre,  nous  avons  jugé  à  propos,  en  vertu  de  notre 
autorité,  de  conférer  cette  même  église  à  notre  cher 
fils  Herriget,  clerc,  né  du  noble  homme  Perrin  de 
Malachana  de  Volta,  citoyen  génois,  déclarant  nul  et 
de  nul  effet  tout  ce  qui  aura  pu  être  tenté  contre  la 
susdite  collation*.  Aussi  ayant  pour  bon  ce  qui  a  été 
fait  à  cet  égard  par  ledit  camérier,  nous  recomman- 
dons à  ta  discrétion,  par  ce  rescrit  apostolique,  de 
mettre  en  possession  de  l'église  susdite  le  procura- 
teur dudit  Herriget,  ou  toutautre  qu'il  voudra,  agis- 
sant en  son  nom,  en  écartant  d'icelle  tout  autre  dé- 
tenteur, de  Tinstaller  corporellement  par  toi-même 
ou  par  un  autre,  et  de  Ty  maintenir  une  fois  installé, 
en  réprimant  les  opposants  par  la  censure  ecclésias- 
tique et  en  passant  outre  sur  appel  ;  nonobstanlaussi 
cette  indulgence,  par  laquelle  il  a  été  accordé  aux 
Anglais  qu'un  Italien  ne  pourrait  obtenir  immédia- 
tement le  bénéfice  d'un  autre  clerc  italien  qui  vien- 
drait à  décéder,  ou  h  résigner  son  bénéfice;  nonob- 
stant toute  autre  indulgence  dont  il  faudrait  que 
mention  fut  faite  dans  les  présentes,  ou  par  laquelle 
cette  coll.! lion  ou  assignation  pourrait  êlre  empêchée 
ou  même  retardée;  nonobstant  enfin  la  constitution 
sur  les  deux  journées  de  marche,  rendue  dans  le  con- 
cile général.  Donné  5  Lyon,  le  3  avant  les  calendes  de 
mai,  l'an  septième  de  notre  pontiUcat.  » 

Vers  la  ménie  époque,  l'archevêque  de  Cantorbéry, 


I  Tàul  M  poiiagc  oit  lArt  obscur  o(  cmbarrasir  en  latin.  Nous  dun- 
non<  le  srns  probable. 


ANNÉE  4250.  +2« 

sentant  que  sa  concience  n'était  pas  nelte  au  sujet  de 
l'attentat  commis  par  lui  à  Londres,  principalement 
dans  I  ej}lise  de  Saiut-Barlhélemy,  comn«e  nous  Ta- 
vousdit  plus  haut, envoya  secrètement  des  messajjers 
chargés  de  paroles  à  la  fois  menaçantes  et  llalteuses, 
et  s'efforça  d'étouffer  la  voix  plaintive  des  chanoines, 
tant  au  nom  du  roi  et  de  la  reine  qu'en  son  propre 
nom. 

Cettemêmeannéevei-s  la  fétedesaint  Matthieu, Guil- 
laume, évéquede  Winchester,  mourut  à  Tours'.  Il  y 
avait  environ  onze  mois  qu'il  demeurait  en  ce  lieu  avec 
un  domestique  peu  nombreux,  afin  de  modérer  ses  dé- 
penses; car  son  évêché  était  obéré  de  dettes  inesti- 
mables, contractéesenversle  seigneur  pape,  et  qui  s'é- 
taient accrues  depuis  Tépoqucoù  le  seigneur  roi  avait 
persécuté  et  chassé  d'Angleterre  ledit  évêque.  Et  si  le 
seigneur  pape  lui  avait  ouvert  alors  le  sein  de  la 
consolation,  comme  nous  l'avons  dit,  ce  n'avait  été 
(|u'en  se  faisant  largement  payer.  Aussi,  quand  il  eut 
fait  accord  avec  le  seigneur  |)ape,  et  quand  il  eut 
vaincu  la  résistance  du  roi ,  il  retrancha  l'abondance 
ordinaire  de  sa  table,  et  diminua  le  nombre  de  ses 
domestiques,  afin  d'amasser  plus  vite  l'argent  convenu 
qui  devait  servir  à  libérer  son  église.  Etant  donc  sur 
le  point  de  mourir,  et  voyant  qu'on  lui  apportait  le 
viatique  de  salut,  il  arrêta  le  prêtre  qui  portail  Teu- 
«haristie,  on  lui  disant,  au  moment  où  il  paraissait  sur 

'  TurOHim  ,  taiu  autre  iudicalioa.  Ma(lbi<>u  Av  Wrslininslpr  dit 
Turofi;  mais  il  ajoute  in  pHrUhu$tranimarinis. 


^2•2  HKNRI  111. 

)e  seuil  de  ta  chambre  :  «  Attends  un  peu,  mon  ami, 
«  il  est  convenable  que  moi.  qui  ne  suis  qu'un  traître 
«  envers  mon  Dieu,  je  sois  traîné  au-devant  de  lui  : 
«  ce  sera  justice  pour  mes  péchés.  »  Alors  il  fut  traîné 
au-devant  du  corps  du  Christ  par  les  mains  de  ses 
serviteurs,  qui  avaient  cédé  à  ses  désirs,  et  reçut  le 
viatique  salutaire  avec  larmes  et  contrition  de  cœur. 
C'est  ainsi  qu'il  rendit  son  âme  repentante,  dans  la 
crainte  de  Dieu. 

A  celte  nouvelle,  le  sei<pieur  roi  prononça  d'un  œil 
fort  sec  quelques  paroles  brèves  de  regret  où  per- 
çait la  joie,  et  aussitôt  employa  tous  les  efforts  possi- 
bles pour  que  son  frère  Athelmar  fût  nommé  à  la 
place  du  défunt,  quoiqu'il  fût  insuffisant  en  grade, 
en  âge  et  en  science.  Il  envoya  donc  sur-le-champ  à 
Winchester  deux  de  ses  principaux  clercs,  qu'il  con- 
naissait pour  des  gens  habiles  en  fait  d'insinuations, 
avec  des  lettres  de  lui  et  la  mission  d'accumuler  ca- 
resses, menaces  et  promesses  pour  déterminer  les 
esprits  des  moines  de  l'église  cathédrale,  à  qui  appar- 
tient léleclion ,  à  postuler  tous  ledit  Athelmar  pour  évo- 
que et  pour  pasteur  de  leurs  âmes.  Les  clercs  envoyés 
en  cette  occasion  furent  Jean  Mansel  et  Pierre  Chace- 
porc,  qui,  pour  réaliser  les  désirs  du  roi,  employèrent 
la  plus  grande  diligence  etiirent  céder  les  co^ursdeplu- 
sieurs  moines  à  postuler  le  môme  Athelmar  pour  pré- 
lat, quoiqu'il  fût,  je  le  répète,  entièrement  insuffisant 
et  im|)roprcà  une  si  haute  dignité.  Ensuite,  après  un 
la|)S(rciiviroii  (|uin/e  jours,  |)endantles(|uels  les  sus- 
dits clercs  Irnvaillèrciil  très-activement  chaque  jour 


ANNEE  '1 250.  425 

:'i  foire  plier  ceux  du  couvent  qui  paraissaient  les  plus 
oner^iquesuuivoluntésd'un  Koi  terrestre,  en  laissant 
de  côté  la  crainte  du  Roi  descieux,  le  roi  se  rendit  lui- 
même  à  Winchester,  et,  se  dirigeant  sur-le-ciiamp 
vers  Téglise  de  Saint-Suithun,  qui  est  Téglise  cathé- 
drale, il  entra  au  chapitre  comme  aurait  fait  l'évè- 
(jue  t»u  le  prieur,  prit  la  place  du  président,  s'assit, 
et  commença  un  discours,  enpi'enant  le  texte  suivant: 
«  La  justice  et  la  paix  se  sont  embrassées  mutuelle- 
<>  ment,  etc.  »  Puis  continuant  son  discours,  il  ajouta  : 
•  C'està  moi  etaux  autres  rois,  ainsi  qu'aux  princes  et  à 
nos  justiciers,  qui  ont  droit  de  gouverner  les  peu- 
pies  sous  la  médiation  de  la  justice,  qu'ap[)artient 
«  la  rigueur  du  jugement  et  de  la  justice  ;  c'est  à  vous 
"  qui  êtes  des  hommes  de  paix  et  des  nourrissons  de 
'<  piété  qu'appartiennent  la  tranquillité  et  la  paix. 
'  Or  aujourd  hui,  comme,  dans  vos  intérêts,  vous 
«  vous  êtes  montrés  favorables  à  ma  demande,  à  ce 
M  que  j  ai  entendu  dire,  la  justice  et  la  paix  se  sont 
M  embrassées,  ainsi  que  je  Tai  dit.  Jadis  je  fus  irrité 
<<  contre  vous,  lorsque  vous  me  fîtes  résistance,  en 
«  postulant  pour  votre  évêque  Guillaume  de  Haie, 
«  aujourd'hui  défunt,  dont  la  nomination  me  déplai- 
<•  sait.  Mais  maintenant  je  suis  bien  disposé  pour 
«  vous;  je  suis  devenu  votre  grand  ami,  et,  me  sou^ 
M  venant  de  votre  bienveillance,  je  saurai  la  recon- 
«  uaitre  avec  gratitude.  En  outre,  il  est  constant  que 
M  c'est  d'une  femme  qu'est  \enuc  d  abord  la  ruine  du 
<«  monde,  et  d'une  femme  qu'est  venu  le  remède. 
«  Sembtablement,  dans  le  cas  pressent,  je  vous  ai  jadis 


^24  HENRI  III. 

«  causé  soucis,  inquiétudes  et  dommages  pour  satis- 
«  faire  mon  épouse,  c'est-à-dire  la  reine,  qui  désirait 
«  queson  oncle  Guillaume,  éluà  Valence,  fût  promu  à 
«  cetévêclié  :  mais  aujourd'hui  que  je  veux  en  pour- 
«  voir  mon  frère  utérin,  lequel,  à  raison  d'une  femme, 
«  à  savoir  la  reine  Isabelle  notre  mère,  est  uni  à  moi 
«  sansnuldouteparIesangfraternel,jeme  léconcilie- 
«  rai  avec  vous,  je  contribuerai  efficacement  àl'agran- 
«  dissemenlde  vous  et  de  votre  église,  et  je  vous  serre- 
«  rai  dans  les  bras  d'une  amitié  cordiale.  Au  reste, 
«  vous  devez  peser  dans  la  balance  de  la  raison  (et 
«  ce  ne  peut  être  In  dernière  de  vos  considérations) 
«  que  je  suis  né  dans  cette  cité,  et  que  j'ai  été  baptisé 
«  dans  cette  église.  Aussi  vous  êtes  unis  à  moi  par 
«  les  liens  d'une  dilection  plus  étroite,  et  vous  ne  de- 
ft vez  en  aucune  façon  contredire  ma  volonté,  mais 
«  au  contraire  me  seconder  en  toutes  choses  par  une 
«  prompte  dévotion.  Ce  qui  doit  aussi  compter  pour 
«  beaucoup  dans  votre  consentement  très-gracieux, 
«  c'est  que  mon  frère,  le  même  Athelmar  que  vous 
«  allez  postuler  pour  évêque,  illustrera  cette  église 
«  pendant  longues  années,   nous  l'espérons,  et  lui 
«  servira  de  soleil,  tant  por  les  rayons  de  la  générosité 
<-  royale  qui  brille  en  lui,  h  cause  de  sa  mère  et  du 
<•  sang  illustre  qui  lui  a  été  transmis  par  son  père, 
«  que  par  sa  très-gracieuse  affabilité  et  jeunesse,  qui 
«  font  qu'il  plait  h  Dieu  et  aux  hommes.  Allez  donc 
a  en  paix  et  revenez  vitenient,  après  en  avoir  délibéré, 
«  menez  à  bonne  lin  ,  sans  le  moindre  scrupule  de 
«  rontni'liclioM,  la  pieuse  enlrej)risc  sur  ln(|uollc  vous 


ANNEE  ^250.  425 

•  m'avez  déjà  donné  bon  espoir,  et  proclamez  lieu- 
«  reusement  et  hautement  devant  moi, et  devant  tous, 
"  que  vous  avez  élu  ou  postulé  ,  d'un  commun  avis, 
"  mon  frère  Athelmar.  »  H  ajouta  en  outre,  à  la  tin 
de  son  discours,  que  s'il  trouvait  les  moines  rebelles 
a  ses  sollicitations,  il  saurait  bien  les  confondre  sans 
nul  doute,  tous  tant  qu'ils  étaient,  selon  cette  maxime 
d'un  poète  : 

«  Le  puissant  supplie  l'épée  nue.  » 

Les  moines  s'étant  donc  retirés ,  et  se  trouvant 
dans  une  position  embarrassante,  conférèrent  fort 
instamment  entre  eux  de  cette  affaire.  Ils  remirent  en 
mémoire  les  anciennes  tribulations  qu'ils  avaient 
souffertes,  lesquelles  avaient  été  pénibles  à  cause  de 
(Guillaume,  élu  à  Valence,  et  plus  pénibles  encore  à 
cause  de  la  postulation  de  leur  évéque  Guillaume  [de 
Haie]  ,  et  ils  se  dirent  les  uns  aux  autres  :  «Vous  avez 
'•  entendu  les  prières  armées  du  seigneur  roi.  Leur 
««  résister  est  chose  fâcheuse,  fort  redoutable  et  fort 
M  dangereuse  pour  notre  église;  car  le  pape  cède  en 
a  toutes  choses  aux  désirs  du  roi,  et ,  comme  il  est 
«  placé  dans  une  position  embarrassante,  il  évite  et 
«  redoute  d'offenser  les  princes.  C'est  pourquoi ,  si 
a  nous  élisions  ou  postulions  pour  la  seconde  fois  une 
«  personne  convenable,  autre  que  son  frère,  dussions- 
«  nous  choisir  saint  Pierre,  si  saint  Pierre  vivait  en- 
«  core,  le  roi,  dans  un  accès  de  colère  ou  plutôt  de 
«  fureur,  casserait  notre  acte,  et  nous  persécuterait. 
u  Par  ainsi,  nous  aurions,  d  une  part,  le  rui  pour  en- 


^26  HENRI  III. 

«  nemi,  et  pour  redoutable  adversaire  le  pape,  que 
((  l'on  gagne  à  prix  d'argent.  Nous  serions  écrasés 
«  entre  deux  meules,  et  menacés  d'une  ruine  et  d^une 
«  confusion  irréparables.  De  plus,  après  que  nous 
«  eûmes  postulé  et  promu  pour  notre  évêque  Guil- 
«  laume,  évêque  de  Norwich,  après  que  nous  eûmes 
«  soumis  nos  cous  à  son  joug,  malgré  Topposilion, 
a  le  long  ressentiment  et  les  oppressions  du  roi , 
«  ce  même  Guillaume,  une  fois  en  possession  d^exer- 
«  cer  plein  pouvoir  sur  nous,  nous  a  persécutés  im- 
«  miséricordieusement ,  quoiqu'il  fût  indigène  et 
«  versé  dans  la  connaissance  des  lois  du  pays.  Nous 
«  qui  espérions  trouver  en  lui  un  homme  agréable  à 
«  Dieu,  et  fructueux  pour  nous,  il  nous  a  causé  des 
«  dommages  irréparables,  oublieux  qu'il  était  des 
«  bienfaits  qu'il  avait  reçus  de  nous  et  des  injures  in- 
«  nombrables  que  nous  avions  supportées  pour  lui. 
«  N'avons-nous  pas  été  incarcérés,  pris,  traînés,  fus- 
«  tiges,  épuisés  par  la  faim,  couverts  de  sang  et  en- 
«  chaînés  comme  des  voleurs?  En  qui  donc  pourrons- 
«  nous  désormais  nous  fier?  en  qui  espérer?  de  qui 
«  attendre  notre  salut?  Ici,  c'est  Seyila  qui  menace  de 
«  nous  engloutir,  et  là ,  c'est  Chary bde  :  si  nous  le  fai- 
«  sons,  c'est  notre  mort  ;  si  nous  ne  le  faisons  pas, 
'<  nous  n'échapperons  point  aux  mains  du  roi.  Outre 
«  cela,  il  y  a  une  chose  qui  doit  nous  effrayera  juste 
«  titre  :  c'est  que  si  nous  élevons  h  l'évêché  le  susdit 
«  Athelmar.  il  restera  toujours  élu  et  ne  sera  point 
«  évoque';  ce  qui  n'est  pas  encore  arrivé  à  celte  église. 

*  Depoii  (|iio  Iph  |>a|*fi  avaient  iniroduil  ru8n{;p  de  percevoir  les  re- 


ANNÉE  <250.  427 

i<  et  ue  devruit  pas  lui  arriver,  s  ii  plaisait  à  Dieu, 
a  Item,  il  obtieinirn  |)eul-ôlre(lu  pape  de  conserver,  à 
«  litre  d'élu,  les  revenus  immenses  dont  il  jouit  déjà  ; 
••  car  maintenant  que  ne  demandent  pas  et  n^obtien- 
'<  nent  pas  en  cour  romaine  ceux  qui  y  versent  des 
«  présents?  S'il  obtient  cela,  personne  en  Angleterre, 
«  excepté  le  roi  (et  encore  tout  au  plus),  ne  lui  sera 
«  supérieur  en  richesses  et  en  pouvoir;  et  alors  il 
«  pourra,  si  bon  lui  semble  (  mais  plaise  à  Dieu  qu  il 
"  ne  tienne  pas  de  son  père  et  ne  poitevine  pas),  chan- 

•  jjer  notre'  Angleterre  en  Poitou,  ou  le  Poitou  en 

•  Angleterre,  puisqu'il  disposera  à  son  gré  des  clefs  du 
■  royaume,  et,  par  ainsi,  faire  disparaître  de d(»ssous 
«  le  ciel  le  souvenir  des  Anglais.  »  Enfin,  après  toutes 
les  angoisses  qui  les  avaient  tourmentés,  voyant  que  les 
jours  étaient  mauvais  et  qu'il  n'y  avait  aucun  refuge 
à  espérer  dans  le  sein  de  notre  père  le  pape,  qui  de- 
vrait porter  secours  à  ceux  qui  se  réfugient  vers  lui, 
les  moines  susdits  furent  forcés  de  se  courber  et  de 
plier  malheureusement  sous  la  volonté  royale,  ils 

venus  de  plusieurs  <'\échés,  tout  eu  jouissaul-  des  bënétices  précédemment 
acquis,  et  depuis  quails  s'étaient  attribué  exclusivement  la  confirmation 
des  élus,  ils  avaient  ouvert  les  di^^nités  ecclésiastiques  à  toutes  les  am- 
bitions laïques.  Au  moyen  du  titre  d'élu,  titre  transitoire  et  va{jue ,  on 
sarait  se  souttraire  aoi  soio*  et  aux  devoirs  de  l'épiscopat.  Fbilippe  de 
Savoie  est,  vers  le  même  temps,  un  exemple  encore  plus  frappant  de  cet 
.ibu8.  Il  fut  plusieurs  années  .ircbevéque  de  Lvon,  ou  du  moins  élu  à 
Lyon,  sana  prendre  les  ordres  sarTos;  pui»i,  qunnd  il  préNit  qu'il  allait 
être  appelé  à  la  succession  du  comté  de  Savoie,  il  abandonna  son  titre 
d'élu,  et  se  maria  avet-  Ali»,  veuve  du  comte  de  Bour};o{;ne,  Hugues  d« 
Châlons. 

'  \otam.  Nous  lisons  notiram. 


^28  HENRI  m. 

postulèrent  donc ,  d'une  voix  commune ,  mais  non 
«l'un  cœur  unanime,  pour  évêque  et  pour  pasleur 
spirituel  de  leurs  âmes,  Athelmar,  frère  utérin  du 
roi,  né  du  mariage  d'Hugues-le-Brun,  comte  de  la 
Marche,  avec  Isabelle,  jadis  reine  d'Angleterre,  Poite- 
vin de  nation,  insuffisant  en  âge,  en  science  et  en 
grade,  abondant  en  revenus  annuels  qui  étaient  in- 
nombrables et  pouvaient  convenir  à  un  archevêque; 
vaincus  qu'ils  étaient  par  Pimportunité  du  roi  et  dés- 
espérant de  l'assistance  du  pape.  Ainsi  ils  proclamè- 
rent solennellementet  publiquement,  en  présence  du 
seigneur  roi,  ledit  Athelmar  comme  élu  ou  postulé 
par  eux,  en  ajoutant  la  condition  suivante,  5  savoir 
si  la  dispense  du  seigneur  pape  permettait  à  un  tel 
homme  d'être  promu  à  la  dignité  pontificale. 

Le  roi  d'Angleterre  se  prépare  a  envoyer  des  dé- 
potés AD  pape.  —  Tristes  réflexions  sur  l'état  de 
l'Angleterre.  —  Laurent  de  Saint-Martin  éld  a  Ro- 
chester. —  L'ÉvÉQUE  DE  Lincoln  revient  de  Home.  — 
Les  évêqoes  d'Angleterre  s'opposent  aux  projets  de 
l'archevêqde  de  Cantorbéry.  —  Tremblement  de 
terre  dans  le  comté  de  Hartford.  —  L'archevêque 
de  Cantorbéry  apaise  les  plaintes  des  chanoines.  — 
Aussi  le  roi,  faisant  voir  toute  sa  joie  par  son  visage, 
parses  gestes  et  par  l'élévation  de  sa  voix,  ordonna 
à  son  clerc,  Robert  de  Sothindon,  rhéteur  fort  ha- 
bile, de  composer  ù  ce  sujet  une  lettre  très-éléganto 
et  très-efficace,  qui  devait  être  adressée  au  seigneur 
|>npe,  et  dans  laquelle  il  entremêlerait  des  prières 


ANNEE  ^250.  ^29 

urg^enlcs ,  des  menaces  terribles  et  des  promesses 
abondantes.  Le  seigneur  roi  envoya  donc  à  la  cour 
romaine  des  députés  solennels  et  éloquents ,  gens 
qui  savaient  bien  faire  céder  à  leurs  demandes  le 
pape  et  les  cardinaux,  et  qui  étaient  chargés  de  s'ou- 
vrir au  pape  de  cette  affaire  délicate,  cfui  plaisait  au  roi 
et  lui  tenait  si  fort  au  cœur,  et  de  le  décider  instam^ 
ment  à  consentir,  tant  par  prières  qu'à  prix  d'argent. 
0  douleur!  Pourquoi  la  langueur  du  monde  se 
prolonge-t-elle  davantage,  puisque  celte  paix  et  cetle 
justice,  dont  le  roi  avait  fait  le  texte  de  son  discours 
et  de  sa  prédication,'  sont  exilées  de  la  terre?  Où 
est  la  libre  élection?  où  est  la  paix  de  l'église,  que, 
dans  son  couronnement,  le  roi,  pour  premier  ser- 
ment, avait  juré  de  maintenir  inviolable?  Uélas! 
hélas!  aujourd'hui  les  naturels  du  royaume,  les 
honimes  saints,  les  lettrés,  les  religieux  sont  mépri- 
sés. On  met  à  leur  place  des  étrangers,  indignes  de 
tout  honneur,  ignorant  complètement  les  lettres  et  la 
langue  anglaise,  tout  à  fait  impropres  aux  confessions 
et  aux  prédications,  hommes  aux  mœurs  frivoles  et 
déréglées,  qui  ne  savent  qu'extorquer  de  l'argent  et 
mépriser  les  âmes.  Jadis  les  hommes  saints,  religieux 
et  lettrés  par  la  coopération  et  la  révélation  de 
Tesprit  saint,  étaient  traînés  malgré  eux  aux  églises 
cathédrales,  que  maintenant  des  courtisans ,  des 
hommes  de  guerre  ou  des  barbares  occupent  vio- 
lemment par  des  moyens  licites  ou  non.  Déjà  toutes 
les  maisons  auxquelles  appartient  Télection  ponti- 
iicale,  sont  déli'uitcs  à  cause  de  cela  même.  Le  pa- 
vn.  9 


450  HENRI  HI. 

tronat  est  un  fardeau,  et  non  plus, un  honneur;  une 
cause  de  dommage,  et  non  plus  de  profit.  Toutes  les 
églises,  tant  pontificales  que  conventuelles,  sont  li- 
vrées en  proie  et  en  rapine,  quand  elles  deviennent 
vacantes,  et  sont  dévolues  aux  mains  du  roi,  dont  le 
bras  au  contraire  devrait  servir  de  protection  et  de 
défense.  0  pape,  père  des  pères,  pourquoi  permets- 
tu  que  les  pays  des  chrétiens  soient  souillés  par  de 
tels  abus?  C'est  donc  justement,  oui  justement,  que, 
chassé  de  la  ville  et  de  ton  siège,  tu  es  forcé  de  vivre 
en  exil  comme  un  fugitif  et  un  autre  Cain.  Tes  en- 
nemis, les  partisans  de  Frédéric,  prospèrent;  tu  fuis 
ceux  qui  te  font  fuir,  et  ceux  qui  te  poursuivent  sont 
agiles  et  puissants.  Partout  tes  bulles  tombent  comme 
la  foudre  sur  ceux  qui  le  sont  soumis,  mais  restent 
sans  force  contre  les  rebelles.  De  tous  côtés  les  pré- 
lats sont  privés  momentanément  de  la  collation  des 
bénéfices,  et  il  faut  constituer  des  provisions;  mais 
à  qui?  A  des  indignes,  à  des  barbares,  à  des  incon- 
nus, qui  tirent  le  lait  aux  brebis  du  troupeau  du 
Seigneur,  tondent  leurs  toisons  sans  ménager  la 
peau,  les  écorchent  et  les  évcntrent.  Les  privil^es 
accordés  par  les  pieux  ancêtres  ne  sont  profitables  à 
personne.  Parmi  toutes  les  nations  et  régions,  l'An- 
gleterre où,  comme  le  monde  le  sait,  lu  loi  chré- 
tienne est  le  plus  en  vigueur,  est  foulée  aux  pieds  avec 
le  plus  de  dédain,  et  est  dépouillée  de  ses  biens  et  de 
ses  labeurs  par  Toppression  du  pape.  Trouve-t-elle 
une  compensation,  pour  être  ainsi  la  proie  de  tousles 
brigands?  Qui  peut  dire  qu'aucun  Anglais  possède 


ANNÉE  4  250.  454 

un  revenu  du  côté  de  Rome,  de  l'Italie  ou  de  Gènes, 
ou  dans  d'autres  états,  tandis  que  des  gens  de  ces 
pays  viennent  tout  piller  en  Angleterre?  0  Seigneur 
Dieu  des  vengeances ,  quand  donc  tireras-lu  ton 
glaive  comme  un  éclair,  pour  qu'il  s  abreuve  du  sang 
de  ces  étrangers?  Sans  nul  doute,  ce  sont  nos  péchés 
qui  nous  ont  amené  justement  de  pareilles  vexations. 

A  cette  même  époque  de  Tannée,  c'est-à-dire  vers 
la  fête  de  saint  Michel,  Tévéque  de  Rochester  mou- 
rut. Les  moines  de  Rochester  élurent  à  sa  place 
maître  Laurent  de  Saint-Martin,  clerc  et  conseiller 
spécial  du  seigneur  roi,  de  peur  que,  s'ils  eu  élisaient 
un  autre,  le  roi  ne  s'opposât  à  cette  élection. 

Vers  la  même  fête,  c'est-à-dire  celle  de  saint  Mi- 
chel, Robert,  évêque  de  Lincoln,  après  être  resté 
longtemps  en  cour  romaine,  et  y  avoir  fait  de  gran- 
des dépenses  avec  une  profusion  inutile,  revint  triste 
et  mécontent  en  Angleterre,  sans  avoir  pu  mener  à 
bien  le  projet  qu'il  avait  conçu.  Cependant  il  avait 
fatigué  un  grand  nombre  de  religieux,  en  les  for- 
çant à  se  défendre  contre  ses  attaques,  et  ne  leur 
avait  pas  causé  de  médiocres  dommages.  Quand  il  fut 
arrivé  dans  son  évêché,  et  qu'il  vit  que  des  sujets  de 
confusion  menaçaient  de  toutes  parts  l'église  uni- 
verselle, il  voulut  suivre  l'exemple  de  l'évêque  de 
Durham  Nicolas,  et  se  délivrer  des  soucis  du  monde, 
qui  l'avaient  maintes  fois  inutilement  tourmenté, 
afin  de  s'adonner  plus  librement  à  la  contemplation, 
à  la  prière  et  à  l'étude,  il  confia  donc  à  maître  Ro- 
l)erl  du  Marais,  son  officiai,  le  soin  d'administrer 


^32  HENRI  ni. 

Toffice  qui  était  de  sa  compétence,  se  proposant  de 
dire  adieu  à  ce  monde  qui  allait  périr,  et  de  résigner 
son  évêché.  Mais  redoutant  les  rapines  du  roi,  qui 
avait  coutume  d'appauvrir  les  églises  vacantes,  et 
ensuite  d'y  introduire  des  personnes  indignes,  il 
tint  cachée  et  dissimula  sa  secrète  résolution,  fort  in- 
quiet, et  hésitant  sur  ce  qu'il  devait  faire,  au  milieu 
de  toutes  ces  agitations  du  monde. 

Sur  ces  entrefaites,  les  évoques  d'Angleterre,  ap- 
prenant par  les  rapports,  tant  du  susdit  évêque  re- 
venu de  la  cour  romaine,  que  des  autres  leurs  pro- 
curateurs et  explorateurs  qu'ils  avaient  envoyés,  que 
l'archevêque  deCanlorbéry  cherchait  à  leur  préparer 
des  pièges  fâcheux,  amassèrent  de  l'argent  pour  suf- 
fire aux  dépenses  à  faire  en  cour  romaine,  sachant 
bien  que,  quand  l'argent  intervient,  la  cour  ro- 
maine a  coutume  d'incliner  d'un  côté  et  d'un  autre, 
comme  un  roseau  agité  par  lèvent.  Ils  reçurent  donc 
des  bénéficiers  deux  deniers  par  chaque  marc;  car 
les  prétentions  de  l'exacteur  susdit  étaient  intoléra- 
bles, puisqu'il  exigeait  visitation  et  procuration  sur 
tout  le  clergé  et  le  peuple  de  son  diocèse,  qui  était 
fort  étendu.  Et  ce  qui  augmentait  encore  l'angoisse 
universelle,  c'est  qu'il  était  constant  que  le  susdit 
archevêque,  vrai  mendiant  en  fait  de  bonnes  mœurs 
et  de  science,  aspirait  évidemment  à  cette  visitation, 
non  pas  pour  l'accroissement  de  la  religion  ou  la 
reformation  des  mœurs,  mais  pour  se  procurer  des 
gains  honteux,  comme  il  avait  coutume  de  le  faire. 

Celle  même  année  ,    à  savoir  le  jour  de  sainte 


ANNÉE  4250.  455 

Lucie,  vet's  la  troisième  heure,  un  tremblement  de 
terre  se  (it  sentir  à  Saint-Albans  et  dans  les  pays 
voisins  que  Ton  appelle  Chilterne.  Or,  de  ce  côté, 
depuis  un  temps  immémorial,  on  n  avait  en  aucune 
façon  ni  vu,  ni  entendu  pareille  chose  ;  car  ce  pays 
est  d'un  terrain  solide  et  crayeux  ;  il  ne  renferme  ni 
excavations ,  ni  infdtralions  d'eaux  de  rivière  ou  de 
mer  :  aussi  un  pareil  événement ,  extraordinaire  et 
surnaturel,  parut-il  d'autant  pins  surprenant.  Or,  si 
ce  tremblement  de  terre  eût  été  aussi  terrible  dans 
ses  effets  qu'il  était  extraordinaire  et  surprenant,  il 
aurait  renversé  tous  les  édifices.  Pendant  ce  tremble- 
ment et  cette  agitation  de  la  terre  ,  on  entendit  aussi 
gronder  comme  un  tonnerre  souterrain  fort  ef- 
frayant. Ce  qu'il  y  eut  encore  d'étonnant  à  l'occasion 
de  ce  tremblement  de  terre,  ce  fut  que  les  colombes , 
les  corneilles,  les  passereaux  et  les  autres  oiseaux  qui 
étaient  perchés,  tant  sur  les  maisons  que  sur  les  bran- 
ches des  arbres  ,  effrayés  comme  si  un  épervier 
planait  au-dessus  d'eux ,  s'envolèrent  tout  à  coup , 
comme  saisis  de  vertige,  en  battant  des  ailes  ,  et  se 
mirent  à  fuir  et  à  revenir  sur  eux-mêmes  péle-mèle 
et  en  se  croisant  ;  ce  qui  inspira  une  horreur  mêlée 
d'effroi  à  ceux  qui  les  virent.  Mais  après  que  ce  trem- 
blement de  terre  et  ce  mugissement  sourd  se  furent 
apaisés,  ils  revinrent  à  leurs  nids  accoutumés  ,  que 
la  secousse  avait  ébranlés.  \Ln  outre  le  tremble- 
ment susdit  fit  naître  l'horreur  dans  tous  les  cœurs  , 
ce  qui  est  plus ,  à  mon  estime ,  que  la  stupeur  ou  que 
la  crainte.  Aussi  croit -on  qu'il  annonçait  les  événc- 


154  HENRI  in. 

ments  futurs.  Cette  année-là,  la  terre,  aussi  bien  que 
la  mer,  éprouva  donc  des  commotions  insolites  et  ter- 
ribles, lesquelles  présageaient  que  la  fin  du  monde 
était  proche,  selon  cette  menace  de  l'Evangile,  qui 
dit  :  «  Il  y  aura  des  tremblements  de  terre  en  divers 
lieux.  » 

L'arcbevéque  do  Cantorbéry ,  considérant  que 
l'énorme  attentat  qu*il  avait  commis  à  Londres,  dans 
l'église  des  chanoines  de  Saint-Barthélémy,  avait  ré- 
pandu sur  toule  l'étendue  du  royaume  comme  une 
vapeur  soufrée  d'infamie  et  de  scandale,  envoya  se- 
crètement des  messagers  et  étouffa  leurs  clameurs 
par  des  caresses  et  des  promesses  auxquelles  il  mê- 
lait des  menaces.  Les  susdits  moines,  voyant  qu'ils 
étaient  pauvres,  et  que  l'archevêque  était  assez  puis- 
sant pour  se  justifier,  quoiqu'il  fût  évidemment  cou- 
pable ,  maintinrent  leurs  âmes  dans  la  patience  et  se 
résignèrent  au  silence  ,  recommandant  leur  cause  à 
Dieu  et  au  bienheureux  Barthélémy. 

Innocent  IV  désire  aller  séjoorner  a  Bordeaux. 

—  Embarras  du  roi.  — Le  pape  lève  l'excommunication 

LANCÉE  contre  LES  CHANOINES  DE  LONDRES.  MoRT  DE 

Frédéric  11.  -Vingt-cinq  cinquantaines  d'années  écou- 
lées DEPUIS  l'an  de  GRACE.  —  HÉSUMÉ  DES  FAITS  PRINCI- 
PAUX QUI  SE  SONT  PASSÉS  DANS  LA  DERNIERE  CINQUANTAINE. 

—  Vers  le  môme  temps,  le  seigneur  pape,  ayant  en- 
voyé des  députés  solennels,  demanda  au  seigneur  roi 
d'Angleterre  qu'il  lui  permît  au  moins  d'aller  de- 
meurer dans  fin  ville  (\o  Bordeaux  en  Gascogne.  En 


ANNÉE  4250.  455 

c'llet ,  les  Irèrc's  du  seigneur  roi  île  France  élaicnt 
venus  le  trouver  et  lui  avaient  demandé  expressé- 
ment, ou  nom  dudit  roi  et  au  leur,  do  conclure  lu 
paix  avec  Frédéric,  qui  s'humiliait  et  qui  offrait  hum 
hiement  satisfaction  à  TE^jlise,  s  il  tenait  à  Thonneur 
de  rÉglise  universelle.  Les  susdits  frères  du  roi ,  à 
savoir  les  comtes  de  Poitou  et  de  Provence,  lui 
avaient  aussi  reproché  d'avoir  causé ,  par  son  ava- 
rice, toutes  les  calamités  plus  haut  dites;  carie  pape, 
corrompu  à  prix  d  aident,  avait  empêché  les  croisés 
d'aller  au  secours  du  roi ,  et  les  avait  absous  de  leur 
vœu  de  pèlerinage ,  après  leur  avoir  fait  donner  la 
croix,  peu  de  temps  auparavant,  par  ses  envoyés 
Prêcheurs  et  Mineurs.  En  outre  il  avait  vendu  les 
croisés  au  comte  Richard  et  aux  autres  seigneurs, 
comme  les  juifs  avaient  jadis  coutume  de  vendre  des 
brebis  et  des  colombes  dans  le  temple,  lorsque  Dieu , 
irrité ,  les  châtia  et  les  chassa,  ainsi  que  nous  le  lisons 
dans  l'Évangile.  Mais  le  pape  ne  voulut  pas  prêter 
l'oreille  à  ces  insinuations  ,  et  se  montra  inexorable. 
Aussi  le  seigneur  pape  et  les  susdits  comtes  se  sépa- 
rèrent avec  des  paroles  anières  et  injurieuses,  et  ces 
derniers  se  disposèrent  à  se  rendre  en  Angleterre  , 
pour  |>ersuader  au  seigneur  roi  d'Angleterre  de  venir 
eu  toute  hûte,  selon  son  vœu,  s'il  avait  à  cœur  l'hon- 
neur du  Christ,  au  secours  du  roi  de  France,  qui  dé- 
sirait et  utteiidait  sa  présence. 

Le  roi  d'Angleterre  était  donc  dans  un  grand  em- 
barras, parce  que,  s'il  fermait  le  chemin  au  pape,  le 
pape  offensé  rejetterait  la  postulation  de  son  frère 


156  HENRI  III. 

Atlielmar,  et,  s'il  lui  ouvrait  le  sein  du  refuge,  il 
provoquerait  à  la  colère  Frédéric  ,  par  les  terres  du- 
quel il  devait  nécessairement  passer  dans  son  pèleri- 
nage ,  et  qu'en  même  temps  il  déplairait  aux  Fran- 
çais. En  outre  les  plus  prudents  d'entre  les  Anglais 
redoutaient  fort  que,  si  le  pape  était  reçu  à  séjourner 
à  Bordeaux,  il  ne  fût  à  même  de  s'embarquer  et 
«l'arriver  en  peu  de  temps  en  Angleterre ,  qu'il  en- 
dommagerait et  souillerait  de  sa  présence  :  on  le 
craignait,  du  moins  ;  car  ceux  qui  savaient  combien 
l'Angleterre  était  corrompue  par  ses  usuriers  Caur- 
sins,  craignaient  encore  plus  qu'elle  ne  fûl  souillée 
par  sa  cour,  s'il  arrivait  en  personne,  ce  qu'à  Dieu 
ne  plût.  C'est  pourquoi  le  conseil  du  roi  pesait  lon- 
guement tous  ces  motifs. 

Dans  ces  mêmes  jours,  c'est-à-dire  à  l'avent  du 
Seigneur,  le  seigneur  pape  fit  savoir  aux  abbés  de 
Saint-Albans  et  de  Waltliam  ,  et  à  l'archidiacre  de 
Saint-Albans,  que  la  sentence  promulguée  par  l'ar- 
chevêque de  Cantorbéry  Boniface  contre  Henri , 
doyen  de  Londres;  Pierre,  archidiacre;  Robert, 
chantre  de  Londres;  maître  Guillaume  de  Lichlield; 
Guillaume  la  Faite  et  les  autres  chanoines  de  Lon- 
dres, à  cause  du  délit  du  chapitre  ,  devait  être  con- 
sidérée comme  non  avenue.  Cependant  le  même  ar- 
chevêque n'en  poursuivait  pas  moins  son  instance 
en  cour  romaine,  exigeant  le  droit  de  visitation  et 
de  procuration  sur  les  visités;  et  cela  avec  d'autant 
plus  de  constance  et  de  confiance  que  l'évêque  de 
Lincoln,  qui  était  évidemment  nu-dessous   de  lui, 


ANNÉE  4250.  457 

avait  oblenu  peu  d'années  auparavant  du  sci[;ucur 
papc  de  visiter  ses  chanoines  de  Tégliso  de  Lincoln, 
malgré  leur  résistance,  et  quoiqu'ils  eussent  versé 
beaucoup  d'argent  pour  s'en  défendre.  Or,  les  lettres 
qui  traitent  de  cette  affaire,  c'est-à-dire  de  la  décla- 
ration de  cassation,  sont  relatées  pleinement  au  livre 
des  Additamenta  * . 

Vers  ce  même  temps,  le  plus  grand  des  princes 
du  monde,  qui  avait  causé  tant  de  stupeur  et  de  chan- 
gements sur  la  terre,  je  veux  dire  Frédéric,  mourut 
absous  des  liens  de  l'excommunication,  revêtu,  à  ce 
(ju'on  prétend,  de  l'habit  des  Cisterciens,  et  dans 
une  disposition  mirifique  de  componction  et  d'hu- 
milité. .Or  il  expira  le  jour  de  sainte  Lucie',  afin 
«jue  le  tremblement  de  terre  arrivé  ce  jour-là  ne  pa- 
rût pas  être  sans  signification  et  sans  résultat.    Lui 

*  Foir  Taddition  XVil  à  la  fin  du  volume. 

'13  décembre.  C'est  aussi  ropinion  adoptée  par  la  plupart  des  bisto- 
rieai  modernes  qoi  peuvent  s'appuyer  également  sur  le  teste  des  Diur- 
iia/i  de  Matteo  di  Giovenazzu,  et  sur  l'assertion  deGregoriode  Monte-Lon- 
go,  légat  en  Romagne.  Toutefois,  comme  Fertz  l'observe  judicieusement, 
rien  n'est  pins  incertain  que  la  date  réelle  du  jour  où  mourut  Frédéric  II. 
Pietro  Capoccio  (Caboche  dans  Matt.  Paris),  cardinal-diacre  de  Saint- 
Georges  ad  velum  aureum,  fixe  la  mort  de  l'empereur  à  Capouc,  le  â 
des  ides  de  décembre  (12  décembre),  et  Matt.  Paris  lui-même,  revenant 
dans  une  note  postérieure  (Fotr  plus  bas  pag.  1T2)surson  premier  rensei- 
gnement, donne  pour  date  le  jour  de  saint  Etienne  (2G  décembre).  Eu  ef- 
fet, si  l'on  ajoute  foi  au  testament  de  l'empereur,  on  verra  que  cet  acte 
authentique  et  signé  par  les  plus  grands  personnages  du  royaume,  porte 
pour  date  le  samedi  17  décembre.  Il  faut  donc  admettre  ou  le  jour  de 
saint  Etienne  pour  date  réelle,  ou  du  moins  tout  autre  jour  de  dm>mbre 
apr*i  le  47.  (Duc  DE  LtvNF.s,  Comm.  sur  Maiteo,  pag.  79,  ^  27 
k  M.) 


458  HENRI  III. 

mort,  l'espoir  des  Français  de  voir  leur  roi  secouru 
s^en  alla  en  fumée.  11  laissa  un  magnifique  testament 
par  lequel  il  faisait  réparation  aux  églises  endom- 
magées par  lui.  Sa  mort  fut  tenue  cachée  pendant 
quelques  jours,  afin  que  ses  ennemis  ne  se  réjouis- 
sent pas  trop  vite.  Mais  le  jour  de  saint  Etienne,  elle 
fut  rendue  publique  et  annoncée  hautement  au  peu- 
ple. Son  très-magnifique  testament  est  consigné  au 
livre  des  Additamenta  \ 

Cette  année  se  trouvant  donc  terminée  ici ,  il  y  a 
d'écoulé,  depuis  le  temps  de  grâce,  vingt-cinq ^  cin- 
quantaines d'années ,  autrement  dit  mille  deux  cent 
cinquante  ans.  Or,  il  faut  remarquer  et  considérer 
soigneusement  que ,  dans  aucune  de  ces  cinquan- 
taines, qui  sont  au  nombre  de  XXIV,  il  ne  s'est 
passé  autant  de  faits  surprenants  et  de  nouveau- 
tés insolites  que  dans  cette  dernière  cinquantaine 
qui  vient  de  s'écouler,  et  qui  forme  la  vingt-cin- 
quième. 11  y  a  même  beaucoup  de  personnes,  tant 
écrivains  d'histoire  qu'inspecteurs  attentifs  des 
choses  ,  qui  disent  que  l'on  n'a  point  vu  autant  de 
prodiges  et  de  nouveautés  admirables  dans  toutes  les 

«  Ce  testament  n'c«t  point  aux  Addiiamenin^  mais  il  se  trouve  rap- 
port!^ plus  bas,  fort  imparfaitement  du  reste,?!  Pannéo  |2'>I,  p.  473.  Nous 
|>en8onB  que  Matt.  Paris,  se  proposant  de  finir  son  ouvrage  avec  Pan- 
nre  12,'i(),  avait  d'abord  rejeté  ce  testament  parmi  les  AdditmnenUi ^  qui 
sont  pour  ainsi  dire  des  notes  explicatives,  cl  qu'ensuite  sVtanl  déterminé 
à  continuer  sa  cbroniquc,  il  préfixa  joindre  ce  document  à  la  note  posté- 
rieure dont  nous  venons  de  parler.  Mais  comme  cette  pièce  est  insuffl- 
«aote,  nous  la  donnons  dans  son  entier  d'après  le  meilleur  texte  connu, 
il  la  fin  du  v<dumc.  Voir  la  note  II. 

'  Viginii  r/uoquc.  Evidemment  r/uingttr. 


ANNÉE  ^250.  «9 

autres  cinquantaines  [réunies]  que  dans  celle  qui 
vient  de  s'occomplir.  Et  cependant  on  s'attend,  mais 
non  sans  terreur,  à  des  choses  plus  étonnantes  encore. 

'  Dans  cette  cinquantaine,  en  effet,  les  Tarlares 
sortant  de  leur  pays ,  dévastent ,  par  une  désolation 
féroce ,  beaucoup  de  contrées  d'Orient ,  tant  ûdèles 
qu  infidèles. 

L'émir  Al-Moumenin ,  très-puissant  roi  des  Afri- 
cains et  des  Espagnols,  est  vaincu  et  mis  en  fuite,  et 
toute  son  armée  est  dispersée. 

Durant  la  prédication  de  maître  Olivier,  du  côté 
de  la  Germanie,  le  Christ  apparaît  clairement  à  tous 
les  yeux  sur  une  croix  suspendue  dans  les  airs. 

L'église  grecque  se  soustrait  à  Tobéissance  de  l'é- 
glise romaine,  à  cause  des  énormités  de  tout  genre 
de  ladite  église  romaine,  surtout  en  fait  d'usures,  de 
simonies,  de  sentences  vendues  et  d'autres  injustices 
intolérables. 

Damiette,  ville  d'Egypte  très-célèbre,  est  deux  fois 
prise,  deux  fois  perdue,  avec  grande  effusion  de 
sang  ,  tant  du  côté  des  Sarrasins  que  du  coté  des 
chrétiens. 

L'Angleterre  est  mise  en  interdit  pendant  environ 
sept  ans.  —  Le  royaume  d'Angleterre  souffre  une 
guerre  intestine  pendant  presque  autant  de  temps.— 
L'Angleterre  devient  tributaire. 

Le  roi  d'Angleterre  Jean  ,  au  moment  de  sa  mort, 

*  Nous  croyoïw  devoir  adopter  pour  la  revuf  qui  va  suivre  la  division 
par  paragrapheit,  qui  nous  panit  plus  propre  ù  faire  ressortir  Fiiiteution 
de  nuire  auteur. 


•140  HENRI  III. 

ne  possède  pacifiquement  aucune  terre ,  selon  les 
prophéties  de  quelques-uns  ;  aussi  est-il  appelé  Sans- 
Terre. 

Le  jugement  de  purge  par  Teau  et  par  le  feu  est 
prohibé. 

Il  est  permis  à  une  seule  personne  de  percevoir  les 
fruits  de  plusieurs  évêchés,  et  de  conserveries  revenus 
obtenus  précédemment. 

En  Angleterre  a  lieu  la  translation  du  martyr  Tho- 
mas, et  en  France  celle  du  confesseur  Edmond. 

Sainte  Elisabeth ,  fille  du  roi  de  Hongrie  ,  est  flo- 
rissante en  Allemagne. 

On  défend  et  ensuite  on  permet,  grâce  à  l'argent 
qui  intervient,  que  certaines  personnes  possèdent 
plusieurs  églises,  et  les  bâtards  sont  légitimés  '. 

Louis,  fils  aîné  et  héritier  du  roi  de  France,  est 
choisi  pourseigneuret  presque  pour  roi  d'Angleterre; 
mais  ensuite  il  quitte  bientôt  ce  pays  pour  son  man- 
que de  foi  et  s'en  revient  sans  gloire. 

Olhon  ,  empereur  des  Romains  ,  persécuté  par  le 
pape  Innocent  111.  éprouve  dans  les  combats  une  défaite 
malheureuse,  est  vaincu,  excommunié  et  déposé. 

Les  frères  du  Temple,  de  ITIôpilal,  de  Sainte-Ma- 
rie des  Teutoniques,  et  de  Saint-Lazare,  sont  pris, 
tués,  et  dispersés  deux  fois  ;  et  la  cité  sainte  de  Jéru- 

*  CVlait  encore  un  droit  que  Ici  popes  s'étaient  arrogé,  surtout  pour 
admettre  aux  di|;nil('-8  rcclrsiasliiiucs.  Saint  Louis  poursuivit  loii|;t(*nips 
auprès  de  la  cour  romaine  la  lr(;ilinialion  d'un  bâtard  de  l'Iiilippo-An- 
Qustc,  élu  A  un  évéclié,  l'eu  n  peu  la  légitimation  papale  fut  considérée 
comme  nécessaire,  même  pour  admettre  les  bâtards  lal(|ucs  h  succéder. 


AfINÉE  ^230.  444 

salem,  avec  ses  saintes  ^lises  et  les  lieux  consacrés 
par  la  présence  du  Christ,  est  deux  fois  détruite,  et 
finit  par  être  rasée  misérablement  par  les  Chorosmi- 
niens  et  dévastée  plus  misérablement  encore  par  le 
Soudan  de  Babylone. 

Le  soleil  subit  une  éclipse  deux  fois  en  trois  ans. 

H  y  a  un  autre  prodige  admirable  dans  les  airs 
qui  est  écrit  clairement  dans  ce  livre,  à  Tan  de 
j;râce  4253. 

On  éprouve  maintes  fois  des  tremblements  de  terre 
en  Angleterre  et  même  dans  le  pays  de  Chilterne. 

Du  côté  de  la  Savoie,  cinq  villes  avec  leurs  églises, 
maisons  et  habitants,  sont  écrasées  par  des  chutes  de 
montagnes. 

La  mer  monte  d'une  manière  insolite  et  funeste  : 
ce  qu'on  n'avait  jamais  vu . 

Une  certaine  nuit,  on  aperçoit  un  nombre  infini 
d'étoiles  tomber  du  ciel ,  en  sorte  qu'en  une  fois  et  à  la 
lois  dix  ou  douze  semblent  voltiger,  qui  à  Torient, 
qui  à  l'occident,  au  midi  et  au  nord,  qui  au  milieu 
du  firmament.  Si  elles  eussent  été  de  vraies  étoiles,  il 
n'en  serait  pas  resté  une  seule  au  ciel  ;  et  l'on  ne  peut 
trouver  au  livre  des  Météores  aucune  explication  suf- 
fisante de  ce  phénomène.  Mais  c'était  probablement 
pour  justifier  cette  parole  menaçante  du  Christ  :  «  11 
y  aura  des  signes  dans  le  soleil,  etc..  » 

Deux  conciles  généraux  sont  célébrés  l'un  à  Rome , 
et  l'autre  à  Lyon. 

Dans  le  second,  IVmpereur  des  Komains  Frédéric 
est  déposé. 


^42  HENRI  lU. 

Le  cardinal  Othon,  jadis  légat  en  Angleterre,  est 
pris  sur  mer,  non  loin  de  Gênes,  avec  une  foule  d'ar- 
chevêques, d'évêques ,  d'abbés,  de  prélats  et  de  Gé- 
nois, dont  plusieurs  sont  noyés. 

Le  pays  de  Galles,  privé  de  son  prince  Léolin,  dont 
ensuite  les  deux  fils  succombent  à  une  mort  préma- 
lurée,  est  soumis  aux  lois  anglaises  et  à  la  domination 
du  roi. 

La  Gascogne  rebelle  aussi  est  domptée  par  Simon 
comte  de  Leicester. 

Le  roi  Henri  troisième,  voulant  reconquérir  à 
main  armée  ses  provinces  d'outre-mer,  et  surtout  la 
Normandie,  dont  son  père  avait  été  dépouillé  par 
jugement  des  douze  pairs  de  France,  comme  coupa- 
ble du  meurtre  de  son  neveu  Arthur,  passe  deux  fois 
la  mer  avec  sa  gent,  et  revient  deux  fois  sans  gloire, 
appauvri,  et  couvert  de  confusion. 

Une  grande  partie  de  l'Espagne,  avec  quelques 
villes  fameuses  de  ce  pays,  telles  que  Cordoue,  Se- 
ville, Péniscola  et  plusieurs  autres,  certaines  îles 
comme  Majorque  et  Minorque,  et  plusieurs  lieux 
maritimes,  sont  conquis  et  rendus  au  culte  chrétien, 
par  le  très-victorieux  roi  de  Castille. 

Dans  les  pays  du  nord,  une  grande  partie  de  la 
Frise  et  de  la  Russie,  comprenant  un  espace  de  douze 
jours  de  marche,  est  conquise  par  Waldemar,  roi 
de  Dacie,  et  sept  évéchés  chrétiens  y  sont  fondés. 

Le  pape,  chassé  de  Rome,  comme  un  exilé,  ou 
un  fugitif  qui  se  cache,  demeure  ù  Anngni  et  à  Pé- 
rouse  ,  à  cause  <le  In  persécution  de  Tempereur  Fré- 


ANNÉE  4250.  445 

Jéric,  qui  1  accuse  d'avoir  voulu  lui  ôter  Tempire, 
tandis  qu'il  combattait  pour  Dieu  en  Terre-Sainte. 

Les  Templiers,  prenant  occasion  de  la  haine  du 
pape,  cherchent  à  livrer  Frédéric  au  Soudan  de  Ba- 
bylone. 

Après  la  mort  du  pape  Grégoire,  le  siège  pontifi- 
cal est  vacant  pendant  un  an  et  neuf  mois. 

Trois  hommes  apostoliques  se  succèdent  en  deux 
ans. 

Un  cardinal,  le  plus  eminent  de  tous  les  cardinaux, 
maître  Robert  de  Sumercote,  Anglais  de  nation,  dont 
les  autres  craignaient  qu'il  ne  fût  élu  pape,  tandis 
qu  on  s'occupait  de  Télection,  dans  le  palais  qu'on 
appelle  le  temple  du  soleU\  expire,  étouffé  par  le  poi- 
son de  l'envie,  à  ce  qu'on  prétend. 

Enfin  le  cardinal  Sinibald  est  élu,  et  prend  le  nom 
d'Innocent  IV.  11  suit  les  traces  de  son  prédécesseur, 
excommunie  le  même  empereur  Frédéric,  fuit  de 
ville  en  ville  la  persécution  de  Frédéric,  puis  arrive 
à  Lyon,  où  il  tient  un  concile  général,  y  dépose  ledit 
empereur  Frédéric,  et  avec  les  trésors  immenses,  ex- 
torqués impudemment  aux  prélats  de  l'église,  s'ef- 
force d'élever  à  l'empire  le  landgrave  de  Thuringe, 
et  ensuite  Guillaume,  comte  de  Hollande;  mais  l'un 
meurt,  l'autre  est  vaincu,  et  il  ne  réussit  nullement 
dans  son  dessein. 

Des  usuriers,  nommés  Caursins,  et  qui  prétendent 
être  des  chrétiens,  tolérés  d'abord  par  le  pape,  et 

Htgia  solis  :  lisez  sepUi  solis,  variant*-  île  Septizonium.  Nous  ren* 
voyooa  à  notre  ditmrUitioD,  uolel,  à  la  fin  du  cinquiènu-  voluuu-. 
*  Studfns.  Nous  lisons  studrnt. 


44f  HENRI  111. 

ensuite  protégés  ouvertement  par  lui,  trouvent  en 
Angleterre  refuge  et  paix,  et  ils  se  proclament  sans 
rougir  les  marchands  et  les  changeurs  du  pape. 

Les  prélats  sont  suspendus  de  la  collation  des  bé- 
néfices, jusqu'à  ce  qu'ils  aient  donné  satisfaction  à 
Tavarice  du  pape,  au  sujet  de  ses  indignes  barbares 
qu'il  veut  pourvoir,  et  qui  ne  se  montrent  jamais  en 
Angleterre,  ni  ne  s'occupent  en  rien  de  la  garde  des 
âmes. 

On  voit  fourmiller  des  frères  de  plusieurs  ordres, 
tantôt  Prêcheurs,  tantôt  Mineurs,  tantôt  Porte-Croix, 
tantôt  Carmes.  —  En  Allemagne  aussi  s'élève  une 
multitude  innombrable  de  femmes  continentes,  qui 
veulent  être  appelées  béguines,  au  point  que,  dans  la 
seule  ville  de  Cologne,  il  yen  habite  mille  ou  plus.  — 
Quant  aux  Prêcheurs  et  aux  Mineurs,  ils  mènent 
d'abord  une  vie  pauvre  et  très-sainte,  s'occupent  ab- 
solument de  prédications ,  de  confessions ,  des  offi- 
ces divins  dans  l'église,  de  lectures  et  d'études, 
embrassent  pour  Dieu  la  pauvreté  volontaire,  en 
renonçant  à  beaucoup  de  revenus,  et  ne  se  réservent 
rien  en  aliments  pour  le  lendemain.  Mais  au  bout 
de  quelques  années,  ils  se  procurent  soigneusement 
tous  les  agréments  de  la  vie,  et  se  construisent  des 
édifices  somptueux.  De  plus,  le  pape  se  sert  d'eux 
malgré  eux-mêmes  pour  en  faire  ses  tonloiers  et  ses 
exacteurs  d'argent  en  tous  genres;  ce  qui  paraît  être 
une  innovation  ù  ce  que  le  bienheureux  Benoît,  qui 
était  plein  de  l'esprit  de  tous  les  saints,  fixe  au  com- 
mencement de  sa  règle,  dans  le  passage  où  il  traite 
des  différentes  espèces  de  moines.  Or,  l'ordre  dudit 


ANNEE   1250.  445 

Saint- Bo  II  oit.  ou  du  bienheureux  Augustin,  depuis 
le  commencement  de  son  établissement,  qui  date  de 
loin  ,  n'a  pas  subi  autant  de  relâchement  que  ces 
ordres  nouveaux. 

Saint  Edmond,  archevêque  de  Cantorbéry,  enterré 
à  Ponligny,  et  dont  le  corps  reste  incorruptible  ;  saint 
Uoberl,  ermite  enterré  à  Knaresborough  ;  saint  Ro- 
ger, évéque  de  Londres,  et  plusieurs  autres  en  An- 
gleterre; sainte  Elisabeth,  fille  du  roi  de  Hongrie,  et 
sainte  Hildegarde,  prophétesse  en  Allemagne,  sont 
illustrés  par  des  miracles  éclatants. 

L'église  de  Westminster,  est  réédilîée.  —  Le  roi 
Henri  troisième  fait  fabriquer  une  châsse  d'or,  d'un 
travail  précieux ,  pour  contenir  le  corps  de  saint 
Edouard.  —  Le  sang  du  Christ  et  l'empreinte  de  son 
pied  sont  apportées  en  Angleterre,  et  déposés  à  West- 
minster, par  le  roi  Henri,  qui  en  fait  don. 

Les  hérésies  pullulantes  des  Albigeois,  des  Jovi- 
niens  et  de  beaucoup  d'Italiens  sont  détruites. 

Hacon,  roi  de  Norvège  ,  est  sacré  et  couronné  roi. 

Les  moines  de  Cîteaux,  sur  dispense  du  pape,  con- 
struisent des  édifices  convenables  à  Paris  et  dans  les 
autres  villes  où  il  y  a  des  universités  d'écoliers  ;  ils  se 
livrent  à  l'étude  \  afin  de  ne  plus  être  méprisés  par 
les  Prêcheurs  et  les  Mineurs,  et  suivent  ainsi  les  traces 
des  moines  de  l'ordre  Noir. 

Le  noble  siège  de  la  noble  église  de  Cantorbéry, 
illustré  précédemment  par  la  sainteté  de  tant  de  saints 

'  Stxidens.  Nous  Umm  student. 

vil.  ^n 


446  HENRI  III. 

archevêques,  est  occupé,  sur  rordrc  exprès  du  roi, 
par  un  homme  complètement  insuffisant ,  qui 
prélève,  pendant  un  laps  de  sept  ans,  les  fruits  de 
première  année  de  toutes  les  églises  vacantes  dans 
l'étendue  de  son  diocèse,  et  opprime  beaucoup  de 
religieux,  excité  qu'il  est  par  l'exemple  de  l'évêque  de 
Lincoln,  qui  a  obtenu  pouvoir  de  visitation  sur  ses 
chanoines,  malgré  leur  résistance. 

Cette  dernière  année,  qui  est  la  cinquantième,  les 
Sarrasins  triomphent  au  gré  de  leurs  vœux,  et  l'armée 
chrétienne,  composée  de  toute  la  noblesse  de  France, 
du  Temple,  de  l'Hôpital,  de  Sainte-Marie  des  Teu- 
toniques  et  de  Saint-Lazare,  est  massacrée  tout  entière 
en  Egypte  :  ô  douleur!  le  pieux  roi  de  France  Louis 
y  est  pris  aussi  avec  ses  deux  frères,  les  comtes  de 
Poitou  et  de  Provence.  Guillaume  Longuc-Épée,  et 
beaucoup  de  nobles  Anglais  périssent  par  l'épée  en 
cette  occasion.  Robert,  comte  d'Artois  et  frère  dudit 
roi,  s'enfuit  du  combat  et  se  noie. 

Le  pape  et  toute  la  cour  romaine  perdent  de  jour 
en  jour  la  faveur  tant  du  clergé  que  du  peuple,  parce 
que  les  croisés  sont,  pour  ainsi  dire,  mis  en  vente,  ou 
absous  de  leur  vœu  ù  prix  d'argent,  ou  retenus  sous 
différents  prétextes. 

Toute  la  chrétienté  est  troublée  par  les  guerres 
auxquelles  donnent  naissance  la  haine  et  la  discorde" 
entre  le  pape  et  Frédéric,  et  l'église  universelle  pé- 
riclite. 

Le  roi  (rAnglcIerrc  Henri  III  prend  la  croix  avec 
beaucoup  de  seigneurs  de  sa  terre.  Beaucoup  de  rois, 


ANNEE  4250.  U7 

]>iiuces,  seigneurs  et  prélats  de  la  chrétienté  pren- 
nent aussi  la  croix.  Seul,  labhé  de  Saint-Edmond, 
oubliant  qu  eu  prenant  le  capuchon  il  s'est  engagé 
à  |)orler  perpétuellement  la  croix  du  Christ,  se  fait 
donner  le  signe  de  croisade,  non  sans  exciter  un  rire 
moqueur,  devant  le  roi  et  en  même  temps  que  lui  : 
ce  qui  indique  clairement  un  esprit  d'adulation. 

Or,  dans  cette  année  très-meurlrière,  un  nombre 
infini  de  nobles,  qui  avaient  abandonné  leur  pays  na- 
tal, leurs  femmes,  leurs  enfants,  leurs  parents  et  leurs 
amis,  s'envolent  vers  le  Christ,  en  combattant  fidèle- 
ment pour  le  Christ.  Il  est  constant  que  ce  sont  des 
martyrs,  et  leurs  noms,  qui  n^ontpu  être  écrits  dans 
ce  livre,  à  cause  de  leur  multitude,  sont  couronnés, 
sans  nul  doute,  dans  le  livre  de  vie,  de  la  gloire  inef- 
façable due  à  leurs  mérites. 

De  plus,  Frédéric,  celte  stupeur  du  monde,  meurt 
dans  TApulie  *,  le  jour  de  sainte  Lucie. 

Telles  sont  les  étrangetés  et  nouveautés  qui  arri- 
tèrent  dans  le  laps  de  celte  dernière  cinquantaine 
d'années,  telles  qu'on  n  en  avait  jamais  vu  ni  ouï  de 
pareilles,  et  qu'on  n'en  trouve  pas  dans  les  livres, 
depuis  les  temps  de  nos  ancêtres  les  plus  reculés. 

C'est  ici  que  se  termine  la  chronique  de  frère 
Matthieu  Paris,  moine  de  Saint-Aibans',  lequel  a 
confié  toutes  ces  choses  à  l'écriture  pour  le  profit  de 

«  l'ielro  Capoocio  se  trom|ie  éTidcmineiit  pu  plaçant  la  mort  de  Vem- 
^H>rrur  à  Capuae.  C'etl  à  Fiorenlino,  boiir{;  prêt  de  Fogi'ia,  quVspin 
KrédiTicll.  Plusieurs  bistorioiiN  lundcriu-s  disent  Fiorrnzuob 
l'uir  à  riotroducliuu. 


us  HENRI  III. 

la  postérité  qui  doit  suivre,  pour  laniour  de  Dieu, 
pour  l'honneur  du  bienheureux  Albans,  premier 
martyr  d'Angleterre,  et  afin  que  le  souvenir  des  évé- 
nements modernes  ne  fût  pas  effacé  par  la  vétusté  ou 
par  l'oubli. 

Depuis  rcnfantement  de  ia  Vierge,  Pbœbus  a  parcouru  mille  deux 
ceul  cinquante  révolutions  annuelles;  mais  dans  un  si  grand  Japs  de 
temps  on  n'avait  pas  encore  vu  que  Pâques  se  fût  trouvé  le  six  avant  les 
calendes  d'avril,  tandis  qu'une  cinquantième  année  parcourait  le  monde^ 
Cependant  la  chose  arriva  cette  année-ci  dont  voilà  le  terme. 

En  effet,  depuis  rinearnation  du  Seigneur,  vingt- 
cinq  cinquantaines  d'années  se  sont  écoulées  ;  et  l'on 
n'avait  point  vu,  si  ce  n'est  dans  cette  dernière  année, 
que  Pâques  fût  célébré  en  son  lieu  propre,  c'est-à-dire 
le  six  avant  les  calendes  d'avril,  dans  une  annéede  ju- 
bilé, autrement  dit  une  cinquantième  année'. 

Ici  se  termine  la  chronique  de  Matthieu.  C'est  Tannée  du  jubilé,  an- 
née de  dispense,  temps  qui  promet  le  repos.  Que  le  repos  lui  soit  donc 
donné  ici-bas  et  dans  le  royaume  des  cicux. 

On  croit  aussi  que,  si  dans  cette  dernière  année, 

'  John  Russell ,  évéque  de  Lincoln  sous  Richard  III ,  prétend  que 
Matl.  Paris  se  trompe  ici  et  que  le  même  cas  arriva  l'an  186,  l'an  728, 
l'an  .10.'),  l'an  897,  et  plusieurs  autres  années  ;  et  que  cette  erreur  est 
étrange,  parce  qu'en  examinant  le  calendrier  au  mois  do  mars,  on  y  voit 
que  toutes  les  fois  que  la  lettre  dominicale  est  R  et  le  chiffre  lunaire  10, 
.*>,  ^5  ou  2,  il  faut  que  Pâques  tombe  le  0  avant  les  calendes  d'avril,  (27 
mars),  jour  de  la  résurrection  du  Seigneur,  d'après  cette  règle  : 

l'oil  nona$  mardi,  ubi  iil  nova  tuna  requirat  : 
Inde  die»  domini  terliapaieha  tenel. 

MaU cette  remarque,  nsses  durement  adressée,  porte  à  faux,  comme  In 
ailobtervcr  (iuillaumc  Wat»,   puisque  Malt.  P.lris  ne  parle  que  d'une 


ANNÉE  < 25 1.  liO 

tous  les  éléments  furent  troublés  d'une  manière  inso- 
lite et  irrégulière,  ces  phénomènes  ne  furent  pas  sans 
si{jnification.  Le  feu  fut  troublé,  puisque,  dans  In 
«lernière  nuit  de  Noël,  il  brilla  terriblement  contre 
le  cours  ordinaire  delà  nature;  lair,  puisque,  dans 
l'évèclié  de  Norwich  et  dans  les  pays  voisins,  un  ton- 
nerre surnaturel,  intempestif  et  prolongé  obscurcit 
Tair  en  tous  sens,  et  fit  tomber  des  pluies  d'orage  ; 
(or,  depuis  longues  années,  on  n  avait  pas  entendu  un 
tonnerres!  effrayant,  ni  vu  de  pareils  éclairs,  même  en 
été);  la  mer,  puisque,  dépassant  ses  bornes  accoutu- 
mées, elle  dévasta  les  pays  circonvoisins  ;  la  terre 
enfin,  puisqu'elle  trembla  en  Angleterre  et  môme  dans 
le  pays  de  Cbilterne,  qui  est  un  terrain  crayeux  et 
compacte. 

Arrête- (oi,  Mallhieu ,  et  mets  un  terme  à  ton  travail.  Ne  recherche 
pas  1m  pv«'>uements  futurs  que  Page  suivant  fera  naître. 

Le  noi  cÉLÈBBE  A  Winchester  les  fêtes  de  Noël. 
—  Tonnerre  pendant  l'hiver.  —  Le  roi  ne  distrible 

ALCCN  PRÉSENT.  — Il  i'AlT RESTREINDRE  LES  DÉPENSES  DE  SA 
TABLE.  —  Les  CAPTIFS  DE  l'emPEREUR  SONT  GARDÉS  AVEC 
PLUS  DE  SOIN.  Les  fils  et  les  AMIS  DE  l'empereur  SE 

SOULÈVENT  CONTRE  LE  PAPE. —  L'an  du  Seigucur  ^251, 


ciuquantièfnc  année,  et  quMl  ne  peut  avoir  oublié  la  remarqua  faite  par 
lui-niënie  à  Tanuée  1^38.  Jamais  jusqu^alors  Caques  n'était  tombé  le  27 
mart  dans  une  année  quinquagénaire,  et  ce  fait  ne  se  reproduira  qu'en 
49.')0,  parce  qu'alors  le  terme}  pascal  sera  le  2i  mars  F,  la  lettre  do- 
minicale li,  le  cvcle  luuairc  13,  le  cyrlc  «olairo  2/.  (.Vo/e.CM /cYe  de 
ledit,  de  IO«.l 


130  HENRI  III. 

qui  ost  la  trente-cinquième  année  du  règne  dii  sei- 
gneur roi  Henri  III ,  le  même  seigneur  roi- passa  les 
fêtes  de  Noël  à  Winchester.  Comme  le  siège  episco- 
pal était  vacant,  et  que  son  frère  Athelmar  avait  été 
postulé  pour  l'occuper,  ainsi  que  nous  Tavons  dit,  il 
s'abstint  d'étendre  ses  mains  rapaces  et  de  piller  les 
biens  de  l'évêché,  selon  sa  coutume.  Cependant, 
comme  on  perd  difficilement  les  mauvaises  habitudes, 
il  ordonna  qu'on  mît  les  forêts  en  coupe  et  en  vente, 
et  qu'on  ajoutât  à  son  trésor  l'argent  qui  en  provien- 
drait, quoiqu'on  lui  répétâtsans  cesse  que  de  pareilles 
rapines  n'étaient  nullement  profitables  à  desgensqui 
allaient  partir  en  pèlerinage  et  combattre  pour  Dieu. 

A  celte  époque,  c'est-à-dire  la  nuit  de  la  naissance 
du  Seigneur,  d'horribles  coups  de  tonnerre  éclatèrent 
surtout  dans  l'évêché  de  Norvich  et  dans  les  environs, 
et  présagèrent,  à  ce  que  l'on  craignit,  la  colère  de  Dieu. 
Des  éclairs  effrayants  brillèrent  en  même  temps,  et 
cet  orage,  extraordinaire  dans  cette  saison,  fit  naître 
à  la  fois  la  crainte  et  l'horreur  dans  les  oreilles  qui 
entendaient  et  dans  les  cœurs  qui  comprenaient.  Eu 
effet,  les  faiseurs  de  conjectures  disaient  que  c'était  là 
un  triste  pronostic. 

Dans  cette  même  fête  très-célèbre,  quoique  lous 
les  rois  ses  prédécesseurs  eussent  observé  la  coutume 
antique  de  distribuer  des  vêtements  royaux  et  des 
joyaux  précieux,  le  susdit  roi,  occupé  peut-être  de  sou 
pèlerinage,  et  devenu  chiche  à  cette  cause,  ne  distri- 
bua absolument  aucun  pri'scnt  h  ses  chevaliers  ou  à 
ses  familiers. 

I/.-iIm)||(I,-m)('c  ordinaire   de  la    table   du   roi  et  In 


ANNEE  4254.  454 

80ai|ituoi>ilé(le  sou  hùtel  furent  aussi  relraucliées,  et 
toute  verjjognc  fui  rejetée.  Le  roi  se  mit  à  demanJor 
logis  et  diuer  ii  des  abbés,  à  des  prieurs,  à  des  clercs, 
et  même  à  des  hommes  assez  pauvres,  séjournant 
chez  eux,  et  se  faisant  donner  des  présents.  Et  Ton 
ne  regardait  pas  comme  courtois  ceux  qui  fournis- 
saient au  roi  et  aux  gens  du  roi  logements  et  procu- 
rations splendides^  sUs  n'honoraient  pardes  présents 
magniliques  et  considérables  le  roi  lui-même,  la 
reine,  [leur  fils]  l'Mouard  et  les  courtisans,  les  uns 
après  les  autres.  Le  roi  ne  rougissait  pas  même  de 
solliciter  ces  dons,  non  pas  comme  gratuits,  mais 
comme  dus,  pour  ainsi  dire.  En  effet,  vers  cette 
époque{pour  ne  pas  priver  d'exemples  les  oreilles  des 
auditeurs),  le  seigneur  roi,  dînant  avec  Robert  Passe- 
lève,  qu'il  avait  naguère  couvert  des  outrages  les  plus 
honteux  danssachapelle  de  Westminster,  fut  comblé 
par  lui  de  beaux  présents.  Or,  les  courtisans  et  les  gens 
tlu  roi  ne  faisaient  cas  des  présents  offerts,  que  s'ils 
étaient  précieux  et  somptueux,  comme,  par  exemple, 
des  palefrois  de  prix,  des  coupes  d'or  ou  d'argent, 
des  colliers  enrichis  de  pierreries  Unes,  des  ceintures 
impériales  et  autres  choses  semblables.  Aussi  la  cour 
du  roi  ue  différait  plus  de  lu  cour  romaine.  C'était 
une  courtisane  attendant,  ou  pour  mieux  dire  se 
prostituant,  pour  gagner. 

Le  nombre  de  ceux  qui  furent  tués  dans  Tarmée 
du  roi  de  France,  par  suite  de  l'oi-gueil  du  comte 
d'Artois,  fut  de  soixante  mille  jjcrsonnes,  donl(?) 
vingt  mille  hommes  d'armes  et  plus,  sans  compter 
les  noyés,  les  fugitifs,  les  pcnlus,  et  ceux  qui  se  rcn- 


152  HENRI  m. 

dirent  d'eux-mêmes  aux  ennemis,  qui  apostasièrcnt 
et  qui  nuisirent  plus  que  les  autres  aux  chrétiens. 

Or,  la  somme  de  la  rançon  du  roi  de  France, 
comme  par  un  jugement  de  Dieu  irrité,  ne  différa 
pas  beaucoup  du  nombre  des  morts  :  elle  fut  de 
soixante  mille  livres  d'or  de  première  qualité  et  du 
plus  pur,  sans  compter  les  esterlings  de  monnaie 
courante,  tels  que  deniers  tournois  et  parisis, 
qui  montèrent  à  une  somme  considérable  ^  Le  mas- 
sacre arriva  l'an  de  grâce  ^  250.  Le  paiement  ou  la 
satisfaction  du  paiement  eut  lieu  l'année  suivante 
>I25>I^ 

Vers  le  même  temps,  trois  ou  quatre  citoyens  de 
chaque  cité  d'Italie^  et  quelques  citoyens  de  l'Apulie, 
qui  avaient  été  les  adversaires  de  Frédéric  et  de  son 
fils,  et  qu'il  avait  coutume  d'appeler  tous  ses  traîtres 
et  ses  rebelles,  étaient  détenus  dans  les  prisons  de 
Frédéric.  Lui  mort,  son  fils  Conrad,  d'après  le  con- 
seil qu'il  avait  reçu  de  lui,  les  fit  transférer  dans 

•  Voir  la  note  I  à  la  fin  du  volume. 

'Malt,  ['dris  veut  probablement  parler  des  quatre  cent  raille  bczans 
i|ui  restaient  et  que  saint  Louis  envoya  ch  Egypte  après  son  arrivée  à 
Acre  pour  la  rançon  des  prisonniers,  il  est  probable  cependant  que  cet 
argent  fut  rapporté,  puisque  les  émirs  n'cKéculcrent  par  leurs  promesses 
au  sujet  de  h  délivrance  des  prisonniers,  bien  quMIs  eussent  juré  que 
s'ils  y  manquaient  n  ils  consentaient  à  être  bafoués  comme  le  pèlerin  qui, 
pour  ses  pccbés  ,  fuit  liitc  nue  le  voyajjc  du  la  Mecque,  ou  comme  celui 
qui  reprend  ses  femmes  après  les  avoir  quittées,  ou  comme  le  Sarrasin 
qui  mange  de  la  cbuir  de  pourceau.  »  On  sait  qu'ils  avaient  voulu,  mais 
en  vain,  que  le  roi  consentit  h  <}tro  réputé  parjure  comme  le  cbréticn  qui 
cracbe  surin  croix  (tétait  là,  en  effet,  le  signe  ordinaire  de  l'apostasie, 
et  |ilus  lard  la  liuiiie  populaire  en  lit  une  accusation  terrible  ronlre  les 
Templier». 


ANNEE  ^25^.  ^35 

l'intérieur  de  ses  élaU,  c'est-à-dire  à  Naples  et  à  Pa- 
ieriiie  en  Sicile,  pour  qu'ils  y  fussent  gardés  plus 
sûrement  et  plus  étroitement.  Quelques-uns  des  cap- 
tifs furent  remis  en  garde  par  Conrad  à  Henri , 
autre  fils  de  Frédéric,  et  neveu  du  seigneur  roi  d'An- 
gleterre. Parmi  ces  prisonniers  se  trouvait  le  iilsdu 
marquis  de  Montferrat,  qui  allait  être  échangé  pour 
Enzio,  fds  de  Frédéric,  que  les  Bolonais  tenaient  en- 
core dans  les  fers,  lorsqu'au  milieu  des  négociations 
h  ce  sujet,  la  mort  de  Frédéric  vint  arrêter  la  con- 
clusion de  cette  all'aire. 

Les  fils  et  les  amis  de  Frédéric  commencèrent 
donc  à  se  fortifier  et  à  lever  le  talon  contre  le  sei- 
gneur pape;  et  s'il  y  avait  une  tête  de  coupée,  beau- 
coup de  léles  renaissaient,  comme  faisait  l'hydre  qui 
lut  tuée,  dit-on,  par  Hercule.  Or,  Conrad  était  fils 
de  la  fille  de  Jean,  roi  de  Jérusalem,  invincible  che- 
valier, et  lui-même  était  un  chevalier  très-vaillant, 
qui  était  un  objet  d'amour  et  d'elTroi  pour  tous  ceux 
de  I  empire.  Henri,  son  frère,  était  fils  de  limpéra- 
trice  Isabelle,  qui  avait  gagné  l'afi'ection  de  tous,  et 
neveu  du  très-chrélien  roi  d'Angleterre.  De  plus  c'é- 
tait un  enfant  de  très-bonne  mine,  qui  était  aimé  et 
bienvenu  de  tous  les  impériaux  ;  tandis  que  le  pape, 
tant  à  cause  de  son  avidité  que  de  celle  de  sa  famille, 
était  odieux  à  tous  les  impériaux.  Aussi  l'église,  dont 
les  persécuteurs  se  multipliaient,  était  en  grand  dan- 
ger, et  supportait  des  dommages  de  toute  espèce.  Le 
souvenir  des  infortunes  passées  était  comme  une 
épine  dans  l'œil,  pour  tous  les  partisans  du  pa|>e. 
En  elfet,  Henri  Raspe,  landgrave  de  Thuringe,  que 


^54  HENRI  111. 

le  pape  s'était  proposé  d'élever  à  l'empire,  et  pour 
la  proiijotioii  duquel  il  avait  dépensé  des  trésors  im- 
menses, avait  succombé  à  une  mort  ignominieuse. 
Après  sa  mort,  Henri,  comte  de  Gueidre,  avait  élé 
élu  à  sa  place;  mais,  considérant  la  mort  honteuse 
de  son  prédécesseur,  il  avait  refusé  cet  honneur. 
Après  lui  le  duc  de  Brabant  et  de  Lorraine  avait  pa- 
reillement rejeté  cette  distinction.  Après  lui  le  comte 
Uichard,  choisi  parce  qu'il  était  rusé,  abondant  en 
richesse,  et  frère  du  roi  d'Angleterre,  avait  aussi 
refusé  et  s'y  était  complètement  opposé,  songeant 
combien  les  chances  de  Mars  sont  douteuses.  Après 
lui,  le  seigneur  pape  avait  fait  choix  de  Guillaume, 
comte  de  Hollande,  qui  avait  imprudemment  con- 
senti ;  mais  déjà  il  avait  perdu  tous  ses  biens,  et  en 
était  réduit  à  sa  terre,  qui  n'était  même  plus  à  lui 
puisqu'il  en  avait  fait  donation  à  son  frère.  Aussi 
délestant  les  pièges  et  les  promesses  du  pa|)e,  était- 
il  forcé  de  mendier.  Après  tous  ces  prétendants,  le 
seigneur  pape  avait  voulu  élever  au  faîle  impérial, 
à  la  place  de  Frédéric,  Hacon,  roi  de  Norvège,  et, 
pour  le  trouver  mieux  disposé,  et  plus  favorable  à  ce 
projet,  il  avait  eu  soin  de  le  faire  courotmer  et  sacrer 
roi.  Mais  après  son  couronnement,  Hacon  protesta 
publiquement  qu'il  voudrait  toujours  attaquer  les  en- 
nemis de  l'église,  mais  non  pas  tous  les  ennemis  du 
|)apo.  Et  le  mémo  roi,  conlirmant  ses  paroles  par  un 
gi'and  serment,  me  ccrtilia  la  mémo  chose,  à  moi 
Matthieu  qui  écris  ceci.  C'est  pourquoi  choque 
jour  l'église  se  voyait  menacée  de  nouveaux  pé- 
rils. 


ANNÉE  1251.  ^5!> 

DlâCOHUË  ENTRE  LES  SOODANS  D  ALEP  ET  DE  BAbVLOME. 

—  Patience  du  roi  de  France.  —  Gcy,  frère  dl  roi 
d'Angleterre,  revient  de  Terre-Sainte. —  Le  roi  en- 
richit ses  frères.  —  L'ÉVÈQIE  DE  LONDRES  JLRE  DE  SE 
SOUMETTRE  1  LA  PROVISION  DE  l'aRCIIEVÉQUE.  —  ARRIVÉE  DU 

PAPE  A  Perouse.  —  Les  Vénitiens  et  autres  tendent 

DES  EMRUCIIES  AUX  VAISSEAUX  FRANÇAIS. CoNFÉDÉRATIO.N 

DE  PLUSIEURS  COUVENTS.  —  VcTS  le  même  temps  y  une 
grande  discorde  s  éleva  eutre  deux  1res- puissants 
princes  des  Sarrasins,  à  savoir  les  soudans  d'Alep  et 
de  Babylone,  parce  que  le  roi  de  France  avait  été 
racheté  par  avarice  d^argeut,  et  tiré  des  mains  des 
Sarrasins. En  effel,  c'était  la  voix  commune  parmi  les 
Orientaux,  qu'ils  n'auraient  jamais  laissé  aller  une  si 
précieuse  proie,  comme  les  Babyloniens  Tavaient 
fait  par  lâcheté  et  par  avarice.  Aussi  le  même  suudan 
de  Babylone,  attaqué  de  toutes  parts  à  main  armée 
par  les  Sarrasins,  et  surtout  par  le  Soudan  d'Alep, 
se  vit  forcé  d'avouer  et  de  révéler  sa  position  au  roi 
de  France,  de  lui  demander  la  paix,  et  de  solliciter 
humblement  ralliance  de  son  amitié  à  de  bonnes  et 
certaines  conditions  :  ce  qui  faisait  espérer  que  ce 
serait  là  une  source  de  salut  pour  Jérusalem.  Nous 
reçûmes,  à  cet  égard,  des  lettres  scellées  «In  maître 
de  THôpital  de  Jérusalem,  et  celui  qui  désire  en 
prendre  connaissance,  n'a  qu'à  regarder  au  livre 
des  AdditaineiUa* .  Or,  celui  qui  avait  tué  le  soudnn 
était  enflé  d'un  tel  orgueil,  qu'il  |)rov(>qua  ù  ta  colère 
tons  les  Orientaux.  Le  Soudan,  (]ui  avait  été  Irnitreii- 

'  l'ojr  l'addition  XVill  a  la  iin  du  volume. 


456  HENRI  HI. 

sèment  massacré,  était  au  contraire  un  homme  dis- 
cret ,  modéré  et  zélateur  infatigable  de  sa  loi  '.  Comme 
on  lui  reprochait  amèrement,  de  son  vivant,  d'avoir 
souffert  que  le  roi  de  France  sortît  de  ses  mains  eu 
vie  et  par  rançon,  on  prétend  qu'il  répondit  ainsi  : 
«  Mes  amis,  vDus  savez  que  celui-ci  est  le  plus 
«  noble  de  tous  les  chrétiens.  Or,  s'il  eût  été  mis  à 
M  mort,  ses  parents,  qui  sont  très-nombreux,  au- 
«  raient  aspiré  de  tous  leurs  efforts  à  le  venger.  De 
«  plus  j'aurais  perdu  sa  rançon,  tandis  que,  par  le 
«  paiement  entier  de  la  somme,  la  France  est  ap- 
«  pauvrie,  le  paganisme  est  enrichi  et  glorifié.  Et 
"  puis  je  n'ai  pas  osé  commettre  le  crime  d'empoi- 
«  sonnement  sur  un  si  respectable  personnage ,  de 
«  peur  qu'un  si  grand  attentat  n'excitât  la  colère  du 
«  Dieu  des  chrétiens.  Qu'il  nous  suffise  donc,  grâce 
«  à  la  faveur  de  Machometh,  d'avoir  couvert  de  con- 
«  fusion  un  si  grand  roi,  notre  adversaire,  de  l'avoir 
«  vaincu,  fait  prisonnier  et  mis  à  rançon,  sans  qu'il 
«  y  ait  eu  avec  lui  un  seul  noble  ou  notable  qui  ait 
«  échappée  nos  mains.  D'ailleurs  nous  nousréjouis- 
«  sons  de  leurs  dépouilles,  de  leurs  armes,  de  leurs 
«  chevaux,  de  leur  argent,  et  nous  nous  glorifions  de 
«  la  victoire  qui  est  au-dessus  de  tout  trésor.  »  Mais 
comme  celle  réponse,  loin  de  calmer  les  révoltés, 
ne  faisait  que  les  irriter  davantage,  ils  lui  dirent  : 
«  Tu  mens  méchamment;  car  si  tu  avais  mis  à  mort 

I  C'est  probablnnent  (le  Tnurau-Cbah  (ju'il  s'lijiil.  Ce  porlrail  est  loin 
de  relui  que  donnent  les  liisturicns  arabco.  Nous  avons  déjà  relcvô  les 
ini'sjctiludes  de  cette  relation. 


ANNÉE  ^25^.  ^57 

><  le  roi  Je  France,  ou  si  lu  l'avais  reufcrmé  dans 
0  une  prison  perpétuelle,  nous  aurions  été,  dans  la 
«  suite  des  siècles,  la  terreur  et  le  respect  de  tous  les 
«  Occidentaux;  mais  l'avarice  a  aveuglé  ton  cœur.  » 
Aussitôt  le  Soudan,  sans  qu'il  put  s'y  attendre,  fut 
frappé  à  cou|>s  de  poignard,  et  expira  misérablement. 
I^Mraitre  sanglant  qui  avait  tué  son  seigneur,  comme 
nous  Pavons  dit,  fut  mis  à  sa  place.  Cette  mort,  et  la 
substitution  d'un  autre  soudan,  furent  annoncées  en 
détail  au  comte  Hicbard.  On  peut  voir  les  lettres 
à  ce  sujet  au  livre  des  Addilamenta  \ 

Cependant  le  roi  de  France  très-chrétien  suppor- 
tait patiemment  en  silence  toutes  ces  adversités,  et 
séjournait  à  Acre,  attendant  qu'on  eût  pitié  de  lui  et 
demandant  des  oraisons  aux  religieux,  mais  surtout 
au  chapitre  général  deCîteaux,  afin  que  le  Seigneur, 
après  de  telles  tempêtes,  amenât  un  temps  plus  calme 
et  plus  serein.  11  avait  aussi  envoyé  dans  les  pays 
d'en  deçà  des  Alpes,  comme  nous  l'avons  dit,  ses 
frères,  dans  le  sein  desquels  il  avait  placé  son  espé- 
rance et  sa  confiance  la  plus  vive  ;  mais  ceux-ci,  ou- 
blieux comme  les  frères  de  Joseph,  exécutaient  avec 
tiédeur  l'office  qui  leur  était  confié,  et  différaient  au 
point  qu'ils  semblaient  ne  pas  vouloir  lui  porter  se- 
cours, selon  cette  parole  d'un  philoso|)he  : 

«  DifFi'rer  longlemps,  cW  refuser  longtemps.  • 

'  Il  est  problaLii'  <|ue  ce  document  était  autre  que  la  lettre  du  cbanre- 
lier  intértH-  plus  li.iul  dans  le  tetto;  mais  il  ne  ti|;ur*>  pas  aui  AddiUi- 
meuta. 


458  HENRI  m. 

Taudis  que  la  solennité  des  jours  de  Noël  était 
célébrée  tellement  quellement,  Guy,  frère  utérin  du 
seigneur  roi,  revint  en  toute  hâte  de  la  Terre-Sainte  ; 
on  ne  sait  s'il  avait  pris  la  fuite  dans  le  combat.  Ce- 
pendant  il  vaut  mieux  dire,  à  son  honneur,  que, 
faisant  partie  de  la  garnison  de  Damiette,  il  s'était 
échappé  prudemment  après  la  conclusion  de  la  paix  \ 
Or  il  aborda   pauvre  et  à  pied,   et  s'arrêta   à  l'ab- 
baye de  Feversham  pour  y  trouver  l'hospitalité  par 
charité;  il  y  fut,  en  effet,  reçu  courtoisement  et 
splendidement  régalé.  11  demanda  donc  à  l'abbé  de 
vouloir  bien  lui  prêter,  à  lui  et  à  ses  compagnons , 
en  vue  de  la  même  charité  et  par  honneur  et  révé- 
rence pour  le  seigneur  roi  son  frère,  plusieurs  de 
ses  chevaux  en  y  ajoutant  quelques  serviteurs,  jus- 
qu'à ce  qu'il  fût  parvenu  à  Londres.  Il  lui  promit 
aussi,  en  jurant  son  grand  serment,  qu'aussitôt  après 
son  arrivée  en  cette  ville,  il  lui  renverrait  les  che- 
vaux par  les  mêmes  serviteurs  avec  mille  actions  de 
grâces.  L'abbé  le  lui  octroya  et  satisfit  à  sa  demande. 
Mais  quand  ledit  Guy  fut  arrive  à  Londres,  il  ne 
craignit  pas  d'encourir  le  reproche  d'ingratitude  et 
de  mériter  la  vieille  ignominie  de  poitevinage.  Loin 
d'adresser  des  remercîments  à  l'abbé,  il  ne  renvoya 
pastes  chevaux,  mais  seulement  les  serviteurs,  et  en- 
core après  les  avoir  accablés  de  moqueries  qu'on  ne 
peut  répéter.  Ainsi  cet  hôte  sans  vei^ogne  put  être 


Il  nvait  sans  doulc  nccompnijnr  son  I'Htc  nliu'-  !luf|tirs,  <|ni  sVlnit  mis 
»vec.  Itii  «icim  il  l;i  tiojdr  «lu  roiiiir  i\v  l'nilii'rs. 


ANNÉE  ^25^.  ^5y 

justement  eomparé  à  un  serpent  récbuulïé  dans  ic 
sein,  à  un  rat  dans  la  besace. 

Loi*squ'il  se  présenta  devant  le  roi,  celui-ci  se  jeta 
avec  transport  dans  les  bras  de  son  frère;  et  compre- 
nant qu'il  était  besoijjneux  et  aspirait  à  prendre  sa 
part  du  trésor  royal ,  ledit  roi  lui  octroya  sur-le- 
cliamp  rinimense  quantité  de  deniers  qu'il  avait  ar- 
racbéeaux  juifs,  de  manière  à  engrosser  de  cinq  cents 
livres  ses  coffres  vides.  Il  concéda,  en  outre,  à  son 
frère  Geoffroi  la  garde  de  la  très-noble  baronnie  de 
Hastings  alors  vacante.  Ainsi,  à  Texclusion  et  au  mé- 
pris des  nobles  anglais  et  des  indigènes  naturels,  des 
étrangers  cliaque  jour  étaient  mis  à  leur  place,  en 
sorte  que  les  Anglais  pouvaient  se  plaindre  avec  le 
prophète  et  dire  :  «  Notre  héritage  s'est  tourné  vers 
les  étrangers  et  notre  moisson  vers  les  gens  du  de- 
hoi's.  »  Mais  ce  n'était  pas  assez  pour  le  seigneur  roi 
de  distribuer  inconsidérément  aux  séculiers  et  aux 
étrangers,  et  de  disperser  les  trésors  qu'il  aurait  dû 
réserver  pour  les  besoins  de  son  pèlerinage  ;  il  s'em- 
ployait encore  avec  ardeur  pour  élever  aux  dignités 
ecclésiastiques  des  étrangers  indignes,  pour  les  ar- 
mer et  les  exciter  contre  les  Anglais  une  fois  qu'ils 
étaient  en  possession  de  ces  dignités  et  pour  les  dé- 
fendre contre  les  inimitiés  qu'ils  soulevaient.  En 
effet,  le  roi  avait  écrit  au  seigneur  pape,  le  suppliant 
très- instamment  d'être  favorable  à  Tarcheveijue  de 
Cantorbéry  Boniface  dans  le  procès  agité  entre  lui 
et  les  prélats  d'Angleterre ,  mais  surtout  entre  ledit 
archevêque,  d'une  part,  et  révè(|ue  et  les  chanoines 


460  HENRI  111. 

de  Londres,  d'autre  part,  afin  que  rarchevêque  ne 
fût  frustré  en  aucune  façon  dans  ses  désirs. 

Cependant  Tévéque  de  Londres,  à  qui  l'archevêque 
avait  fait  énormément  outrage  en  l'excommuniant 
récemment  et  en  le  faisant  déclarer  excommunié  sur 
tous  les  points  du  diocèse,  considéra  toutes  ces  choses 
avec  l'examen  d'une  mûre  réflexion,  et  se  dit  à  part 
soi  :  «  L'honneur  de  rAn[;leterre  est  sur  une  pente 
«  glissante.  L'archevêque  me  persécute  moi  et  tous 
«  les  Anglais.  Un  étranger  m'opprime  moi  indigène, 
«  et  qui  suis  du  plus  noble  sang  d'Angleterre.  Si  le 
«  roi  avait  un  prétexte  de  sévir  contre  moi  et  contre 
«  ma  famille,  il  s'en  saisirait  avec  joie  et  empresse- 
«  ment  ;  il  dépouillerait  d'une  façon  ou  d'une  autre 
«  mes  parents  de  leurs  biens,  et  avec  ces  mêmes 
«  biens  enrichirait  des  étrangers.  Ainsi  l'Angleterre 
«  verrait  accumulés  maux  sur  maux.  »  Ayant  donc 
pesé  subtilement  ces  inconvénients,  et  se  voyant 
comme  broyé  entre  deux  meules,  il  était  dans  l'an- 
goisse :  d'un  côté  l'honneur  et  la  cause  de  son  église, 
de  l'autre,  la  violence  de  la  colère  du  roi  le  plon- 
geaient dans  une  grande  anxiété.  Enfin,  pour  s'ex- 
poser au  moindre  des  deux  maux,  il  se  décida,  tout 
lésé  et  outragé  qu'il  était,  à  s'humilier  pour  un 
temps,  et  à  jurer  de  se  soumettre  à  la  provision  de 
l'archevêque  son  adversaire,  plutôt  que  de  courir  les 
chances  de  l'indignation  royale  ;  et  par  ainsi  il  fut 
absous  de  la  sentence (|ui  le  liait,  plusieurs  se  deman- 
da ni  avec  surprise  s'il  avait  oublié  cette  menace  terrible 
<lu  proplièt<!:  «Malhcurù  vous, (|ui  justifiez  l'impie!» 


ANNÉE  425^.  4W 

Vers  le  même  temps,  le  pape,  aprèsavoir  prolongé 
son  séjour  à  Milan  *  pendant  un  mois  et  plus,  non 
sans  de  profondes  inquiétudes,  se  mit  eufm  en  route 
pour  aller  plus  loin, et,  en  passant  dans  les  villes  in- 
terniédiaires  avant  d'arriver  à  Rome,  répandit  Tar- 
gent  à  pleines  mains.  Quand  il  fut  venu  à  Pérouse, 
il  jugea  plus  à  propos  de  s'y  arrêter,  parce  qu'on  lui 
avait  donné  à  entendre  que  s'il  se  rendait  à  Rome , 
les  Romains   exigeraient   violemment  de  lui    une 
somme  considérable,  et  qu  il  ne  pourrait  plus  leur 
résister  à  force  égale  dès  qu'il  serait  pris  dans  leurs 
filets.  Or,  quoique  les  Romains  désirassent  son  arri- 
vée, il  ne  voulut  pas  aller  dans  leur  ville,  redoutant 
les  pièges  auxquels  il  avait  échappé  jadis,  et  disant 
de  Rome  : 

C'est  que  la  rue  de  ces  pas  m'effraie  :  j'aperçois  l'empreinte  do  rciix 
qui  sont  allés  Ters  toi,  mais  nullement  de  ceux  qui  sont  revenus. 

Vers  le  même  temps,  les  Vénitiens,  les  Pisans  et 
les  Génois  tendirent  fortement  des  embûches  hostiles 
au  roi  de  France,  à  ses  frères  et  à  ses  féaux,  afin 
qu'aucun  genre  de  tribulations  ne  leur  manquât.  En 
effet,  ils  prétendaient  qu'ils  avaient  obtenu  les  pre- 
miers par  la  force  l'entrée  deDamiette,  mais  qu'en- 
suite ils  en  avaient  été  chassés  par  l'orçueil  et  la 
violence  des  Français  qui  étaient  survenus.  Ils  repro- 
chaient ,  en  outre  ,  au  roi  de  France  une  grande 
énormilé,  l'accusant  d'infidélité  et  de  pusillanimité, 

'  Quelques  pages  plus  loin,  Matt.  Paris  revient  sur  ce  fait  avec  plus  df 
délaili). 

v||.  \{ 


^62  HENRI  III. 

et  disant  qu'au  moment  où  il  était  sur  le  point  de 
s  embarquer  pour  passer  la  mer,  il  avait  repoussé  plus 
dedixmille  arbalétriers,  tant  Vénitiens;,  Pisans  et  Gé- 
nois que  Français,  et  ne  s'était  pas  soucié  de  les  emme- 
ner avec  lui,  quoiqu'il  les  eût  appelés  et  leur  eût 
promis  une  solde  fixe  pendant  le  voyage  ;  qu'il  leur 
avait  donc  fallu  revenir  en  mendiant,  et  qu'à  leur 
retour  dans  leur  pays,  on  ne  leur  avait  pas  même  per- 
mis de  loger  dans  leurs  maisons  et  dans  leurs  champs 
(|u'ils  avaient  vendus  au  départ.  Ils  assiégeaient  donc 
avec  leurs  galères  les  routes  et  les  ports  de  la  mer, 
afin  de  dépouiller  ou  de  noyer  les  Français  qu'ils 
pourraient  saisir  au  passage. 

Cette  même  année,  quelques  prélatset  religieux  des 
églises  conventuelles,  considérant  clairement  qu'ils 
avaient  trouvé  dans  les  évêques,  qu'ils  avaient  cou- 
tume d'avoir  pour  défenseurs,  des  persécuteurs  ma- 
nifestes, plus  nuisibles  encore  que  les  laïques  et  les 
séculiers,  et  qu'il  en  était  de  même  du  souverain 
pontife,  qui  a  d'autant  plus  les  moyens  d'opprimer 
qu'il  est  plus  puissant,  cherchèrent  à  se  confédérer 
pour  être  moins  grevés  en  portant  les  fardeaux  les 
uns  des  autres.  Les  couvents  et  les  églises  de  la  pro- 
vince de  Kent  se  confédérèrent  donc  avec  l'abbé  et  le 
couvent  de  Waltliam,  et  eux  ainsi  que  d'autres  de- 
mandèrent humblement  à  la  communauté  de  Sainl- 
Albans  de  leur  fournir  ce  genre  de  subside  et  de 
consolation. 

Exploits  du  comte  de  Leicesteu  en  Gascogne.  —  1e 


ANNEE  ^25l.  t«5 

•SE  REND  EN  ANGLETERRE  POOR  SE  DÉFENDRE  CONTRE  SES 
ACCUSATEURS. —  II  DETOURNE  EN  GASCOGNE  AVEC  DES  AVEN- 
TURIERS ET  DES  TRESORS.  —  Le  ROI  ACCORDE,  DANS  UNE  MÊME 

affaire,  des  lettres  de  protection  aux  deux  parties. 
—  Plusieurs  chrétiens  sont  délivrés  des  fers  des  Sar- 
rasins. —  Absolution  du  doyen  et  des  chanoines  de 
Londres.  —  Réclamation  inutile  au  sujet  de  la  part 
laissée  a  l  ancien  évêque  de  Dfuham.  —  Le  jour  de 
rÉpiphanie,  lecomte de Leicesler, Simon,  nrriva  tout 
à  coup  avec  empressement,  mais  sans  gloire,  des  pays 
de  Gascogne,  accompagné  seulement  de  trois  écuyers 
et  sur  des  chevaux  épuisés  de  maigreur  et  de  fatigue. 
Étant  venu  à  Londres  et  y  ayant  trouvé  le  roi,  il  de- 
manda très-instammenl  audit  roi  de  lui  fournir  un 
secours  efficace  tant  en  argent  qu'en  chevalerie  pour 
réprimer  Tinsolence  des  Gascons  rebelles.  En  effet, 
disail-il,  il  ne  pouvait  continuer  tout  seul  une  guerre 
si  coûteuse  sans  l'assistance  royale,  et  déjà  il  avait 
épuisé  les  revenus  de  son  comté  de  Leicester.  11  cher- 
cha donc  à  aiguillonner  et  à  animer  le  seigneur  roi 
en  lui  disant  :  «  Seigneur  roi,  il  convient  que  vous 
«  vous  remettiez  en  mémoire  que,  quand  vous  êtes 
«  allé  dernièrement  en  Gascogne,  vous  vous  êtes  ré- 
"  fugié  avec  confiance  vers  ceux  que  vous  regardiez 
«  comme  vos  féaux,  pour  obtenjr  leur  aide.  Gepen- 
«  dant  ils  ne  vous  ont  pas  ouvert  le  sein  de  la  pitié 
«  et  ne  vous  ont  pas  tendu  une  main  secourable  ,  ce 
«  qu'ils  devaient  faire.  Ils  n'ont  pas  eu  pitié  de  vous 
«  tandis  que  vous  évitiez  les  pièges  du  roi  de  France 
«  qui  vous  poursuivait;  ils  n'ont  pas  eu  pitié  de  la 


164  HENRI  III. 

a  reine  qui  était  enceinte,  qui  était  malade  à  la  Réolc 
«  et  qui  accouchait  à  Bordeaux  ;  ils  ne  se  sont  pas 
«  abstenus  de  vous  extorquer  votre  trésor,  et  ont 
«  permis  que  vous  perdissiez  votre  terre  et  votre  hon- 
«  neur.  »  En  entendant  ces  paroles,  le  roi,  ayant 
compassion  du  comte  qui  avait  tant  souffert,  lui  ré- 
pondit pour  le  consoler  :  «  Téte-Dieu  \  tu  as  dit  la 
«  vérité,  comte  ,  et  je  ne  te  refuserai  pas  secours  el- 
«  ficace  quand  tu  combats  si  vaillamment  pour  moi. 
«  Cependant  des  clameurs  et  de  grieves  plaintes  sont 
«  venues  jusqu'à  moi.  On  dit  que  ceux  qui  se  pré- 
«  sentent  pacifiquement  devant  toi,  ceux  même  que 
«  tu  fais  venir  et  qui  se  fient  à  ta  bonne  foi,  tu  les 
«  emprisonnes  outrageusement,  tu  les  enchaînes  et 
«  lu  les  mets  à  mort.  »  Mais  le  comte  nia  formello- 
ment  ce  fait  et  reprit  :  «  Seigneur,  leur  traîtrise  vous 
<(  est  connue  par  expérience ,  elle  les  rend  indignes 
«  de  créance.  » 

Or,  le  susdit  comte  Simon ,  homme  puissant  à  la 
guerre  et  expérimenté  dans  les  combats,  avait  pris, 
avant  son  départ  de  Gascogne,  le  très-fort  château 
de  Fronsac,  fait  prisonniers  les  assiégés,  et  rasé  la 
place  jusqu'au  sol.  11  avait  aussi  exterminé  les  habi- 
lanls  d'une  montagne  inaccessible  et  d'un  chateau 
inexpugnable,  qu'on  appelle  Aigremont;  au  point  que 
tous  ceux  qui  passaient  par  là  pouvaient  voyager  en 
poix.  En  effet ,  ce  lieu  était  entouré  de  rochers  infran- 

«  Verrofui  Dei,  Pnr  le  cnprie  Dieu.  Henri  IH  n'nvaiUil  point  pris 
fc  juroii  cil  (»n«r,oj;ii«i '/ 


ANNÉE  ^25^  ^65 

ciiissables,  et  des  tours  bâties  sur  le  sommet  de  ces 
roehei"s  dominaient  les  vallées  d'alentour.  Les  mar- 
chands, les  pèlerins ,  les  gens  du  pays  eux-mêmes  no 
pouvaient  passer  de  ce  côté  sansélre  dépouillés,  ou 
souvent  même  égorgés  par  ces  brigands  de  nuit.  Lo 
«'omle  avait  donc  soumis  puissamment  à  l'autorité  du 
seigneur  roi  tous  ces  rebelles,  ainsi  que  quelques 
Bordelais  soulevés  contre  la  justice  et  les  lois. 

Mais  il  s'était  vu  forcé,  par  l'insurrection  des  traî- 
tres Gascons  tous  ensemble ,  d'abandonner  la  Gas- 
cogne; aussi  fut-il  réconforté  par  les  consolations  du 
roi ,  et  conçut-il  des  espérances  pleines  d'allégresse. 
Ayant  reçu  trois  mille  marcs  sur  lestrésorsdu  seigneur 
roi  d'Angleterre,  et  ayant  tiré  des  sommes  considéra- 
bles de  son  comté  de  Leicester  et  de  la  terre  qui  avait 
appartenu  à  Gilbert  de  lïumfreville ,  et  dont  il  avait 
la  garde,  il  repartit  incontinent  tout  joyeux,  et  fit  sa- 
voir au  duc  de  Brabant  et  aux  seigneurs  voisins  que 
si  on  lui  envoyait  à  son  débarquement  des  chevaliers 
et  des  sergents  bien  munis  d'armes  pour  conibattre 
iidèlement  sous  ses  ordres  en  Gascogne,  ils  seraient 
récompensés  par  unegrosse  paye.  Leduc,  se  rendant  à 
son  désir,  lui  envoya  deux  cents  routiei*6  et  ({uelques 
arbalétriers  avec  eux,  qui,  accourant  avec  empresse- 
ment sous  la  banuière  du  comte,  avaient  soif,  ainsi 
que  des  sangsues,  du  sang  des  Gascons.  Cependant 
les  Gascons  se  préparèrent  intrépidement  à  leur  at' 
taque. 

A  la  même  époque ,  comme  un  procès  était  pen- 
dant entre  Pcveque  de  Carlisle  Silvestnc  et  im  ccrljiiu 


I6fi  HENRI  ill. 

baron ,  au  sujet  d'un  certain  manoir  que  le  même 
baron  avait  vendu  à  Gaultier,   prédécesseur  dudit 
évêque,  et  qu'ensuite  il  voulait  ressaisir,  ledit  évo- 
que Silvestre  eut  la  précaution  de  se  présenter  en 
personne  :  car  son  adversaire,  dont  pourtant  les 
procurateurs  étaient  présents ,  se  trouvait  alors  dans 
les  pays  d'outre-mer.  Il  obtint  donc  du  roi  des  lettres 
de  protection  royale,  attendu  que  le  susdit  baron  était 
absent,  et  il  retourna  alors  avec  joie  dans  son  évê- 
ché.  La  partie  adverse  n'avait  pas  élevé  la  voix  ;  mais 
lorsque  levêque  fut  éloigné,  elle  obtint  du  roi  des 
lettres  portant  que  Taction  intentée  par  le  baron  ne 
souffrirait  aucun  délai,  nonobstant  la  première  lettre. 
Or,  on  croit  que  cette  décision  ne  fut  pas  prise  sans 
l'intervention  de  quelques  beaux  présents.  Déjà  com- 
mençaient à  se  montrer  des  lettres  pareilles ,  dans  les- 
quelles était  insérée  cette  addition  détestable  :  Non- 
obstant le  premier  mandat,  ou  cette  autre  :  Qu'on 
suive  l'affaire,  nonobstant  l'ancienne  liberté.  En 
outre  on  avait  pris  Thabitudo  d'interpréter  les  char- 
tes avec  mauvaise  foi  ;  en  sorte  que  s'il  était  écrit  : 
Nous  accordons  cette  liberté  à  telle  maison,  puis  la 
désignation  expresse  de  cette  maison  ,  et  que  la  charte 
ajoutât  :  Et  à  ses  manoirs,  mais  sans  que  les  susdits 
manoirs  fussent  nommés  expressément  les  uns  après 
les  autres  ,  l'addition  était  considérée  comme  n'ayant 
nulle  valeur.  Or,  il  est  constant  que  cela  est  contraire 
à  la  raison  et  à  toute  justice,  bien  plus  aux  saines 
règles  de  la  logique  qui  guide  infailliblement  dans  In 
reclicrcin'  d<'  l;«  vérité.  En  .'i|)|)i-(Mi<inl  cela,  un  vcv- 


ANNÉE  ^25^.  467 

tail)  Ituinme  disctel ,  alors  juslicier,  nommé  Roger 
i\e  Turkeby,  poussa  de  profonds  soupirs,  et  dit  en 
parlant  de  l'insertion  de  l'addition  susdite  :  «  Hélas, 
«  liélas!  pourquoi  avons-nous  attendu  ces  jours-ci? 
"  voici  que  déjà  la  cour  civile  est  infectée  de  Texem- 
>•  pie  de  la  cour  ecclésiastique ,  et  que  le  ruisseau , 
«  découlant  d'une  source  sulfureuse ,  est  empoi- 
«  sonné!  » 

Dans  le  cours  des  mêmes  jours,  on  découvrit  que 
quelques  personnes,  que  Ton  croyait  tuées  dans  la 
bataille  livrée  aux  Babyloniens,  vivaient  chargées  de 
chaînes  dans  les  prisons  des  infidèles.  Elles  furent 
rachetées  par  leui*s  amis.  Le  maître  de  THôpilal  fut 
mis  0  rançon  et  délivré  pour  une  très-forte  somme 
d'argent  ;  et  en  cette  occasion ,  selon  la  coutume  de 
rQûpital,  on  cessa  de  se  servir  du  sceau  de  Tordre  qui 
est  en  plomb,  jusqu'à  ce  qu*on  fût  instruit,  avec  cer- 
titude, de  sa  délivrance.  La  forme  de  ce  sceau  est  fi- 
gurée au  livre  des  Additamenta,  et  on  y  trouvera  aussi 
une  lettre  que  le  même  maître  adressa  à  ses  amis  '. 

Vers  le  même  temps,  le  doyen  de  l'église  deSaiut- 
Paul  de  Londres,  et  les  chanoines  dont  il  a  été  fait 
mention  dans  les  articles  précédents,  furent  absous, 
en  vertu  de  Tautorité  papale,  par  le  seigneur  abbé 
de  Saint-Albans ,  le  seigneur  abbé  de  Waltham  et 
Tarchidiacre  de  Saint-Albans,  de  la  sentence  que  le 
seigneur  archevêque  de  Cantorbéry,  Boniface,  avait 
prononcée  contre  eux;  mais  dans  la  suite  ils  en  en 
coururent  une  autre  pour  une  autre  cause. 

*  Voit  l'addition  \\\\\  a  la  ila  du  volumr 


U8  HENRI  m. 

Vers  le  même  temps ,  quelques  flatteurs  exécra- 
bles, désirant  plaire  à  l^évêque  de  Durham,  Gaul- 
tier, allèrent  trouver  le  seigneur  pape,  en  disant 
qu'on  avait  fait  une  part  déraisonnable,  sur  Teveche 
de  Durham,  à  l'évêque  Nicolas,  au  moment  de  sa 
résignation ,  et  que  ledit  évêque  avait  obtenu  presque 
le  tiers  de  l'évêché.  Aussi  demandaient-ils  que  Té- 
vêché  fût  rétabli  dans  son  intégrité,  ou  du  moins  su- 
bît un  moins  grand  dommage.  Le  pape  leur  répon- 
dit :  «  Nous  nous  étonnons  de  cela.  Cette  distri- 
«  bution  et  ce  partage  n'ont-ils  pas  été  faits  après 
«  examen  et  mûre  délibération  d'hommes  liabiles,  et 
«  d'après  le  consentement  des  parties?  La  chose  n'a- 
«  t-elle  pas  été  même  confirmée  par  nous ,  par  le 
«  roi  d'Angleterre  et  par  les  proviseurs?  »  Comme 
I  évoque  de  Bath ,  qui  était  un  des  proviseurs ,  se 
trouvait  en  ce  momenta  la  cour  romaine,  il  fut  ap- 
pelé pour  rendre  témoignage  à  la  vérité  ;  et  quand  il 
eut  attesté  que  tout  s'était  passé  régulièrement,  les 
accusateurs  furent  repoussés  honteusement;  et  loin 
de  nuire,  comme  ils  le  croyaient,  aux  intérêts  dudit 
évêque  Nicolas,  ils  ne  firent  que  fortifier  sa  cause. 
Cette  tentative  tourna  à  la  honte  de  l'évêque  de  Dur- 
ham, Gaultier,  ainsi  que  du  prieur  et  du  couvent  de 
Durham,  qui  paraissaient  avoir  vu  cette  machination 
avec  des  yeux  de  connivence. 

Accusations  portkes  contre  ll  justicier  Henri 
HE  Batii.  —  Il  ciiEnciiE  a  apaiser  le  roi  par  l'entre- 
mise    DU    r.OMTE  I>E    (!oRN(HAILLES.    —    UeLEVÉ    DES   DÉ- 


ANNËE4254.  ^69 

PE.NSES  Di'    ROI.  —  La  comtesse  d'Arondel  fonde  ose 

ABBAYE    DE    RELIGIECSES.    La    NOUVELLE    DE   LA    MORT 

DE  Frédéric  11  se  répand  dans  l'Occident.  —  Testa- 
ment DE  Frédéric.  —  Excommunication  do  doyen  et 
des  chanoines    de   Londres.   —  Le  comte  Gaultier 

DE    BrIENNE   subit    UNE    MORT    GLORIEUSE  ,     A    LEXEMPLE 

DU  PRINCE  dWntioche,  SON  PARENT.  —  Cette  même 
année,  c'est-à-dire  le  jour  de  la  Purification  de 
la  bienheureuse  Vierge,  Henri  de  Bath,  chevalier 
lettré  et  très-versé  dans  les  lois  de  Tétat,  justicier 
et  conseiller  spécial  du  seigneur  roi ,  fut  diffamé 
et  accusé  grièvement  de  n'aimer  que  ses  propres 
intérêts ,  de  supplanter  artificieusement  le  sei- 
gneur roi ,  de  vider  sans  honte  et  sans  crainte  la 
bourse  d'autrui  pour  en  grossir  la  sienne,  et  cela 
par  fourberie,  pour  ne  pas  dire  par  trahison  ;  enfin, 
dans  l'office  de  justicier  qui  lui  était  commis,  de  ten- 
dre les  deux  mains  et  de  recevoir  les  présents  des 
deux  parties.  En  effet,  en  peu  de  temps  il  s'était 
enrichi  tellement  en  revenus,  manoirs,  or  et  argent, 
qu'aucun  des  justiciers  ne  paraissait  le  surpasser  en 
opulence.  Son  épouse,  femme  avare  et  orgueilleuse, 
qui  tirait  origine  des  Basset  et  des  Sanford ,  et  qui 
était  enflée  de  sa  naissance  ,  ne  cessait  d'exciter  le 
susdit  Henri  à  ces  rapines.  Aussi,  stimulé  par  sa 
femme  et  par  sa  propre  cupidité ,  il  aspirait  si  avi- 
dement à  se  procurer  des  gains  honteux  par  voie 
licite  ou  illicite,  que,  dans  une  seule  tournée  comme 
justicier,  il  s'était  approprié,  à  ce  qu'on  prétendait, 
plus  de  deux  cents  livrées  de  terre.  Or,  un  scandale 


470  HENRI  III. 

nuilliplic  et  une  dispute  s'étant  élevés ,  au  sujet  d  un 
oertain  manoir,  entre  le  susdit  Henri  et  Everard  de 
Trumpinton ,  ledit  Henri  fut  cilé  par  devant  le  roi 
et  la  cour  du  roi,  pour  infidélité  et  trahison,  par  un 
certain  chevalier,  nommé  Philippe  de  Arci,  et  il  fut 
retenu,  ce  qu'on  appelle  vulgairement  attaché  '.  Jean 
Mansel ,  clerc  et  conseiller  en  chef  du  seigneur  roi , 
voulut  le  prendre  sous  sa  protection,  et  le  faire  mettre 
en  liberté  en  le  cautionnant  et  en  se  portant  pour  ga- 
rant qu'il  se  présenterait  devant  la  justice  :  mais  il 
ne  fut  pas  écouté  :  car  le  roi ,  dans  un  violent  accès 
de  colère ,  répondit  qu'il  n'admettrait  aucun  clerc 
pour  fidéjusseur  de  l'accusé  en  pareil  cas ,  regardant 
cette  cause  comme  une  affaire  de  lèse-majesté.  Mais 
Tévêquc  de  Londres  s'étant  approché ,  et  le  nombre 
des  intercesseurs  s'étant  accru  ,  ledit  Henri  fut  laissé 
à  la  garde  de  vingt-quatre  chevaliers,  qui  lui  servaient 
de  pleiges  et  qui  devaient  présenter  réponse  et  justi- 
fication au  nom  dudit  Henri,  régulièrement  et  judi- 
ciairement au  terme  fixé. 

Alors  Henri ,  homme  rusé  et  circonspect ,  réflé- 
chissant à  cotte  maxime  d'un  païen  : 

Quand  la  loi  ett  contre  loi,  implore  Tassittancc  du  jugo, 

envoya  sa  femme  vers  tous  les  Basset,  ses  parents, 
pour  les  supplier  instamment  d'intervenir  efficace- 
ment en  sa  faveur  auprès  du  roi ,  sans  regarder  aux 


'  AtlHchiatus   <««st  .i  «liriims  en  iiat  il  iirri'ïtation. 


•ANNÉE  \25i  a\ 

(ions  ma^rnifuiues  et  aux  promesses  plus  ina^nifiqills 
«•ncore;  ou  bien,  s'ils  ne  pouvaient  réussir  Hans  celle 
tcntalivo,  de  tenir  ferme  pour  lui  au  jour  du  péril,  et 
de  se  munir  même  d'armes  et  de  chevaux,  en  cas  de 
besoin.  Ceux-ci  le  lui  promirent  d'un  consentement 
unanime.  Or,  il  y  avait  parmi  eux  un  chevalier  vail- 
Innt ,  nommé  \icolas  de  Sanford,  capable  de  tenir 
ferme  pour  lui  contre  tous  jusqu'à  exposer  sa  tête. 
Lorsque  celle  résolution  des  Basset  eut  été  glissée  se- 
(•i"èlemeMl  à  l'oreille  du  roi,  il  n'en  fut  que  transporté 
iPune  plus  violente  colère,  et  refusa  formellement 
tout  présent  et  toute  parole  de  réconciliation,  jurant 
qu'il  faudrait  bien  que  Taccusé  en  passai  par  le  ju- 
;;ement  le  plus  sévère.  Henri,  se  voyant  donc  dans 
une  position  critique,  s'adjoignit  Téveque  de  Lon- 
dres ainsi  que  Philippe  Basset  et  ses  autres  amis  spé- 
<'iaux,  et  alla  trouver  le  comte  ttichard,  dont  il  se 
concilia  adroitement  le  cœur  tant  par  des  prières  que 
par  des  présents.  Il  ajouta,  sous  rattestation  du  juge- 
ment terrible,  que  si  te  seigneur  roi  prononçait  sa 
mort  ou  même  son  exhérédalion,  tout  le  royaume 
so  soulèverait  contre  ledit  roi  et  serait  entièrement 
troublé;  et  que,  si  la  chose  arrivait,  le  schisme  une 
fois  soulevé  ne  serait  pas  facilement  apaisé,  puisqu'il 
y  aurait  encore  d'autres  causes  de  révolte,  eonmie 
principalement  l'injuste  domination  des  étrangers  et 
les  oppressions  souffertes  par  les  Anglais.  En  enten- 
dant ces  paroles,  le  comte,  gagné  à  force  de  prières 
et  de  largesses  précieuses  et  réveillé  par  la  terreur, 
NiMl  triuiver  le  roi   pour  adoucir  son  eonir  et  pour 


472  HENRI  HI.     * 

pftider  efficacement  la  cause  de  Henri  dans  Tintérét 
de  la  paix  publique  ;  mais  ses  allégations  ne  réussi- 
rent pas  à  calmer  la  fureur  et  Tindi^ynation  du  roi. 
Alors  le  comte  lui  répondit  au  moment  de  se  retirer  : 
«  Mous  ne  pouvons  manquer  aux  nobles  du  royaume 
«  dans  leur  droit,  ni  à  la  paix  du  royaume  qui  est  en 
«  danger.  » 

A  la  même  époque,  le  seigneur  roi  fit  parcourir 
et  compulser  tous  les  registres  en  général  et  en  par- 
ticulier pour  avoir  le  relevé  des  dépenses  extraordi- 
naires qu'il  avait  faites  depuis  le  moment  de  son  cou- 
ronnement :  ce  relevé  monta  à  une  somme  inesti- 
mable, qui  est  relatée  au  livre  des  Additamenta  * . 

Vers  le  même  temps,  la  très-noble  dame  Isabelle, 
comtesse  d'Arondel,  jadis  épouse  de  Hugues,  comte 
d'Arondel,  fonda  à  ses  propres  frais,  c'est-à-dire  sur 
son  libre  douaire,  une  abbaye  de  religieuses,  nommée 
Marham  et  située  non  loin  de  Lynne. 

Cette  même  année,  les  fêtes  de  Noël  étant  termi- 
nées et  la  fête  de  la  Purification  de  la  bienheureuse 
Marie  étant  proche,  la  nouvelle  de  la  mort  de  Fré- 
déric, jadis  empereur  des  Romains,  se  répandit  dans 
le  pays  d'Occident,  et  l'on  apprit  que,  frappé  d'une 
maladie  irrémédiable  le  jour  de  sainte  Lucie,  vieqje, 
il  avoit  expiré  le  jour  de  saint  Etienne.  On  dit  que 
voyant  sa  mort  prochaine  et  indubitable,  et  recon- 
naissant avec  contrition  ses  péchés,  il  en  fit  une  con- 
fession pleine  et  entière,  en  versant  des  torrents  de 

'  Oc  dmumcnt,  tans  doute  fort  rcgmlloblp.  ne  B^eit  point  rctfOiivo. 


ANNÉE  4251.  475 

lîiniies  ei  en  se  recoin  mandant  à  Dieu,  et  qu  il  prit 
liuniblement  et  dévoteonent  avant  de  mourir  Thabil  * 
de  Tordre  de  Cîteaux,  comme  nous  Tavons  appris  par 
le  rapport  certain  de  ses  féaux ^.  Quand  il  fut  aux 
portes  de  la  mort,  un  certain  évèque, voyant  qu  il  pro- 
mettait satisfaction,  lui  donna  Pabsolution  au  nom  de 
Dieu,  qui  veut  qu  aucun  de  ceux  qui  croient  en  lui 
ne  périsse. 

Au  lit  de  mort  il  assura,  en  poussant  de  profonds 
soupirs,  qu'il  eût  mieux  aimé  n'être  jamais  né  ou 
n'avoir  jamais  pris  les  rênes  de  l'empire,  puisqu'il 
avait  élé  abreuvé  de  tant  d'amertumes  pour  avoir 
voulu  recouvrer  et  soutenir  les  droits  dudit  empire. 
On  assure  qu  il  laissa  le  testament  qui  suit  :  «  Moi, 
Frédéric,  avant  tout  je  laisse  pour  le  salut  de  mon 
âme  cent  mille  onces  d'or  pour  recouvrer  la  Terre- 
Sainte  au  profit  de  la  sainte  église  romaine,  laquelle 
somme  devra  être  fournie  et  employée  à  la-  volonté 
de  mon  fils  Conrad.  Item,  je  veux  que  tout  ce  qui  a 
été  pris  à  tort  soit  restitué.  Item,  je  laisse  libres  tous 
les  captifs  de  l'empire  et  du  royaume,  à  l'exception 
seulement  des  traîtres.  Item,  je  laisse  libre  toute  la 
terre  de  l'église  et  je  veux  que  les  droits  de  l'église  lui 


'  Ordini.  Probai^emcnt  ordinis  en  ajoutant  vestem. 

*  Il  paraît  cependant  que,  la  veille  de  sa  mort,  Frédéric  ne  croyait  pas 
sa  fin  si  prodiaine.  Au  rapport  de  Malteo,  il  avait  mangé  vers  le  soir 
des  poires  avec  du  sucre,  et  avait  dit  qu'il  voulait  se  lever  le  ieuderoain 
matin.  Cette  amélioration  apparente  dans  la  eanté  de  l'empereur  fut 
peut-être  la  cause  de  l'odieuse  accusation  de  parricide  intentée  plus  tard 
à  Manfred,  el  dont  rUisloin-  impartiale  a  fait  depuis  lonf;lcuips  justice. 


^74  HENRI  HI. 

soient  restitués.  Item,  j'institue  Conrad  pour  mon  hé- 
ritier dans  Tempire  romain  et  dans  le  royaume  de  Si- 
cile. Item,  je  laisse  à  mon  fils  Henri  le  royaume  de 
Jérusalem  et  dix  mille  onces  [  d'or  ],  à  la  volonté  de 
mon  fils  Conrad.  Item,  je  laisse  à  mon  petit-fils,  c'est- 
à-dire  au  fils  de  mon  fils  Henri,  le  duché  d'Autriche 
et  dix  mille  onces  d'or.  Item,  je  laisse  mon  fils  Man- 
fred *  bailli  de  Conrad  dans  l'empire  depuis  Pavie  et 
en  deçà,  et  [  préfet  (?)  ]  du  royaume  de  Sicile  pour 
soixante-dix  ans,  excepté  quand  Conrad  sera  pré- 
sent^. Item,  je  veux  être  enterré  à  Palerme'',  là  où 

<  Manfred  était  fils  de  Bianca  Lancia,  d'une  noble  et  puissante  fa- 
mille de  Lombardie,  et  sœur  de  Galvano,  Giordano  et  Federico  Lancia, 
que  Frédéric  II  combla  d'honneurs  et  de  biens,  et  qui  restèrent  constam- 
ment fidèles  à  sa  cause  et  à  celle  de  leur  neveu.  Frédéric,  en  mariant  son 
fils  préféré,  alors  dgé  de  quinze  ans,  avec  Beatrix,  lille  du  comte  de  Sa- 
voie et  veuve  du  marquis  de  Saluées,  lui  avait  déjà  donné  en  fief  et  hom- 
mage toute  la  terre  depuis  Pavie  jusqu\')ux  montagnes  et  jusqu'au  rivage 
de  Gènes,  avec  la  promesse  du  royaume  d'Arles,  si  cette  donation  parais- 
sait convenable  à  l'empereur  et  au  comte  de  Savoie.  Le  contrat  de  ma- 
riage est  du  21  avril  4247.  Plus  tard,  au  mois  de  septembre  42.'iO, 
Manfred  re<;ut  de  soii  père  la  principauté  de  Taronte  et  l'honneur  du 
mont  Saint-Angelo.  (Duc  DE  LuYNES,  Comment,  sur  Mattco,  p.(J.'i.V 

'  Cette  phrase  est  tout  à  fail  fautive,  ol  les  mots  xisqur.  ad  LA'.V  on- 
vos  ivariantc  «1illll0.^j,  sont  inintelligibles,  ^ous  icstituons  ce  document 
dans  son  intéj;rilé  à  la  (In  du  volume.  {Voy.  la  note  JI.) 

*  Apud  Pinitioniuin  (texte  hir).  On  doit  lire  évidemment  Panof- 
miam.  C'était  à  Païenne  qu'étaient  enterrés  son  père,  Henri  VI,  et  sa 
mère  CoMtanre.  A  Monréale,  ville  voisine  de  Palerme,  se  trouvaient  les 
tombeaux  des  rois  normands;  et  parées  mots:  le  mi  (inillaume,  Fré- 
déric veut  probablement  dé8i|,'ncr  Guillaume  II  Ir  Bon,  neveu  de  sa 
mère  et  dernier  roi  légitime  de  lu  race  de  Tancrède  de  llaulevillc.  Le 
corps  de  Frédéric  H  fui  transporté  de  Fiorentino  à  Bilonto,  de  Ih  n  Ta- 
renl«,  puis  it  Messine.  Il  fut  quelque   temps  ex|ioH<'    dans   la  principale 


ANNEE  4251.  ns 

repose  ie  corps  du  roi  Guillaume.  »  Le  susdit  testa- 
ment  contenait  ces  clauses  et  beaucoup  d'autres  dont 
je  ne  me  souviens  pas,  parce  qu'elles  étaient  moins 
remarquables.  Il  distribua  aussi  de  grands  présents, 
principalement  en  or  et  en  aident  à  ses  amis,  à  ses 
autres  (ils  et  à  ses  serviteurs.  Et  la  cliose  est  croyable; 
car  cette  même  année  douze  chameaux  chargés  d'or 
et  d'argent  lui  avaient  été  envoyés  des  pays  d'Orient. 
En  effet,  il  était  le  grand  ami  de  tous  les  soudans  d'O- 
rient et  prenait  part  à  leurs  opérations  mercantiles, 
au  point  que  les  courtiers  chargés  de  ses  intérêts  pé- 
nétraient tant  par  teri*e  que  par  mer  jusque  dans  les 
Indes. 

A  cette  époque,  Tarchevêque  de  Cantorbéry,  par 
Tentremisc  de  maître  Eustachede  Lyune,  son  oificial 
(  ce  dont  plusieurs  s'étonnèrent  ),  eut  soin  de  faire  dé- 
clarer excommuniés,  à  raison  de  leurs  propres  délits, 
le  doyen  et  les  susdits  chanoines  de  Londres.  De  plus, 
ils  furent  cités  à  comparoir  par-devant  le  pape.  Il  en 
résulta  donc  un  scandale  honteux,  puisque,  d'une 
jMirt,  ils  étaient  déclarés  excommuniés  en  ceci,  et, 
d'autre  part,  déclarés  par  d'autres  absous  en  cela. 
Aussi  les  chanoines,  grandement  troublés,  suppliè- 
rent en  grande  amertume  de  cœur  tous  les  évêques 

pglue  de  PatU,  enfin  déposé  à  Palerme  selon  le  dernier  vœu  de  Tempe- 
reur.  MatU-o  di  (jiovenazu>,<]ui  s'était  rendu  k  Bilonto  pourvoir  l'appa- 
reil funclife,  nous  raconte  «jue  !c  corps  était  dans  une  litière  couverte 
d'un  voile  de  pourpreavec  la  garde  sarrasine  à  pied  et  sii  compajjnies  de 
cavaliers  en  jrmes.  L^'s  s>ndics  du  payu  cl  les  liarons  vêtus  de  noir  ve- 
naient à  leur  tour  rejoindre  le  coriégc.  Diuriiali,  para|;.  5^. 


U6  HENRI  m. 

(l'Angleterre  de  les  secourir  dans  celte  nouvelle  op- 
pression et  de  résister  à  ces  violences  qui  les  mena- 
çaient eux  aussi,  puisque  la  maison  voisine  de  la  leur 
était  en  feu.  Cependant  le  roi,  qui  avait  fait  nommer 
ledit  archevêque,  et  la  reine,  dont  il  était  Tonde,  ne 
pouvaient,  quoique  sa  cause  fût  injuste  et  qu'ils  en 
rougissent,  le  laisser  sans  soutien. 

Cette  même  année,  le  noble  comte  Gaultier,  qui 
avait  été  puissant  dans  la  Terre-Sainte  par  ses  parolea 
et  par  ses  actes,  et  qui  avait  commandé  jadis  avec 
autant  de  cojurageque  de  prudence  dans  Joppé,  dans 
quelques  îles  et  dans  plusieurs  châteaux  du  bord  de  la 
mer,  était  chargé  de  chaînes  étroites  et  retenu  dans 
un  noir  cachot  par  les  Sarrasins.  En  effet,  les  infi- 
dèles le  haïssaient  parce  qu'il  leur  avait  causé  fré- 
quemment de  grands  dommages,  tandis  qu'il  était 
libre.  Or,  dans  toute  la  Terre-Sainle  il  n'y  avait  pas 
d'homme  plus  illustre,  plus  puissant  par  les  armes, 
ou  plus  aimé  pour  ses  mœurs.  Ses  ennemis  en  fai- 
saient un  jouet,  lui  faisaient  souffrir  la  faim  et  la 
soif,  le  déchiraient  fréquemment  à  coups  de  fouet, 
en  sorte  qu'il  paraissait  près  de  mourir  et  qu'il  ne 
lui  restait  plus  que  le  tombeau.  Les  infidèles  avaient 
employé  conlre  lui  tous  les  tourments  sans  pouvoir 
l'amener  ou  à  apostasier  ou  à  faire  leur  volonté.  Us 
tinrent  donc  conseil  entre  eux  et  le  firent  amener  de- 
vant le  Soudan  de  Babylone,  qui  essaya  de  le  circon- 
venir par  des  caresses,  des  menaces  ot  d'amples  pro- 
messes, afin  qu'il  lui  reslituûlpour  sa  rançon  lu  ville 
de  Joppé,  ù  la  garde  de  laquelle  il  avait  commis  ses 


ANNEE  ^251.  KT 

vaillants  et  féaux  hommes.  Le  Soudan  lui  parla  donc 
en  ces  termes  :  «  0  comte  invincible,  tu  m'as  causé 
«  fréquemment  beaucoup  de  dommages  irrépara- 
«  blés;  c'est  pourquoi  tu  as  mérité  d'être  puni  par 
«  mille  morls.  Cependant  tu  es  le  maître  de  te  con- 
«  server  à  toi-même  ta  vie  qui  chancelle,  et  de  te  voir 
«  honoré  par  une  foule  de  présents,  en  nous  ren- 
«  danl  la  ville  de  Joppé,  où  tu  as  commandé  jadis 
<  et  où  tu  as  placé  une  fidèle  garnison  de  tes  féaux, 
«  dont  nous  ne  pouvons  vaincre  la  fermeté  :  tu  seras 
M  donc  conduit  à  la  porte  de  la  ville,  afin  de  déclarer 
<«  aux  assiégés  quelle  est  la  condition  de  ta  délivrance 
«  et  de  celle  de  tous  les  habitants.  »  Le  comte,  y  ayant 
consenti,  fut  amené,  entouré  d'une  troupe  de  Sarra- 
sins, devant  les  portes  de  la  cité  susdite,  pour  faire  et 
annoncer  hautement  la  proposition  qu'on  a  vue.  En 
l'apercevant,  les  citoyens  le  reconnurent  à  peine,  tant 
il  était  maigri  et  défiguré.  Alors  le  comte  dit  à  ceux 
(|ui  le  tenaient  :  «  Qu'il  me  soit  permis  de  prononcer 
«  jusqu  uu  bout  les  paroles  que  j'ai  dans  Tesprit;  car 
«  nousdisoiisvulgairementque  le  dernier  mot  est  le  ré- 
«  sumé  de  la  parabole.  »  Quand  on  lui  eut  accordé  sa 
demande,  le  comte  s'efforça  dese  faire  entendre  d'une 
voix  haute,  claire  et  intelligible,  et  d'articuler  distinc- 
tement à  ses  chevaliers,  placés  au-dessus  de  la  porte, 
les  paroles  suivantes  :  «  0  chevaliers  dévoués,  très* 
«  vaillants  et  très-chrétiens,  vous  voyez  mon  faible 
«  corps  :  il  est  épuisé  au  point  que  vous  ne  devez  me 
<«  reconnaître  qu  à  ma  voix  et  à  mon  discours.  La 
u  mort  est  à  mes  côtés,  et  ma  poitrine  fatiguée  res- 
vn.  ^2 


nS  HENRI  III. 

«  pire  à  peine  le  souffle  de  vie.  Ne  rendez  ou  ne  con- 
«  cédez  absolument  rien  pour  moi  ;  qu'iriez-vous 
«  racheter  un  cadavre  à  demi  vivant  ?  Racheté  par 
«  vous,  je  n'en  vivrais  pas  davantage.  Je  vous  adjure 
a  donc,  par  Taspersion  du  sang  du  Christ,  qui  a  été 
«  versé  sur  cette  terre  pour  la  rédemption  du  monde 
«  entier,  de  ne  jamais  rendre  le  château  ou  la  ville  à 
«  ces  chiens  infidèles,  qui  désirent  ardemment  pos- 
«  séder  cette  cité,  à  la  confusion  de  toute  la  chrétien- 
«  té;  parce  que,  sans  nul  doute  ils  ne  vous  épargne- 
«  raient  pas  quand  vous  vous  seriez  rendus,  et  que  les 
«  pèlerins  et  les  habitants,  qui  sont  préisà  venir  vous 
«  secourir,  ne  vous  secourraient  pas  prochainement.  » 
En  entendant  ces  paroles,  les  Sarrasins  frappèrent  la 
tête  du  magnifique  comte  avec  la  garde  de  leurs 
glaives,  qu'ils  tenaient  hors  du  fourreau,  jusqu'à  faire 
jaillir  le  sang  en  abondance,  et  à  lui  faire  sauter  les 
dents;  puis  ils  le  ramenèrent  pour  Texposer  aux  tor- 
tures les  plus  raffinéesV  Mais  le  comte  Gaultier  souf- 
frit avec  fermeté  tous  les  tourments,  à  l'exemple  du 
prince  d'Antioche,  son  cousin.  Puisque  nous  faisons 
ici  mention  de  ce  dernier  prince,  il  convient  que 
nous  insérions  dans  ce  livre  et  que  nous  racontions, 


'  Nous  avons  dpjà  indiijui-  nillours  (p.  26f  du  cinquicme  vol.)  ce  slni- 
Ugème  employii  inuitlemcnt  par  le  chef  des  Gorasmins  après  In  balnillc 
de  Gazer,  et  allribui-  ici  au  Soudan  du  Caire.  Gnulliur  du  Urieunc  cnvoyi* 
en  E(;ypto,  y  tomba  sous  les  coups  d'une  multitude  furieuse.  Plus  tard, 
les  Mameluks  rendirent  ses  ossements  sur  les  instances  de  saint  f^ouis, 
et  le  r^reueil ,  Iransporttt  h  l'ioli'mnls  nu  mois  d'octobre  I2.'i1  ,  fut  dé- 
posé dans  IVglise  des  Hospitaliers. 


AXNÉE  ^25^.  179 

mais  aussi  succinctement  que  possible,  Hiistoire  de 
sa  morl'. 

Tandis  que  Saladin  combattait  dans  la  Terre- 
Sainte  contre  le  roi  Ricbard,  le  prince  d'Antioclie 
lut  fait  prisonner.  On  le  traita  inhumainement  dans 
les  prisons  de  Saladin ,  on  le  chargea  de  chaînes 
lourdes  et  étroites,  on  Tépuisa  par  la  faim  et  par  la 
soif,  au  point  qu'il  pouvait  à  peine  se  soutenir.  Un 
jour  Saladin  donna  ordre  qu'on  l'amenât  en  sa  pré- 
sence ;  ce  qui  fut  fait.  Alors  Saladin,  le  regardant 
d'un  air  farouche,  lui  dit  :  «  Par  ton  Dieu  qui  te  soit 
«  en  aide,  réponds-moi  sans  détours  ;  si  tu  me  tenais 
«  entre  tes  mains,  comme  je  te  tiens  entre  les  miennes, 
«  que  ferais-tu  de  moi  ?  »  Le  prince  lui  répondit  avec 
intrépidité  et  empressement  :  «  Tu  serais  décapité 
«  sur-le-champ,  j'en  prends  Dieu  pour  juge;  mais 
«  comme  lu  es  roi,  bien  qu'incrédule,  je  te  coupe- 
«  rais  la  tète  de  ma  propre  main,  afin  que  tu  ne 
'•  fusses  pas  frappé  par  un  bras  vulgaire.  —Ta  bouclie 
«  a  dicté  ta  sentence,  »  reprit  Saladin;  puis,  deman- 
dant son  glaive,  il  ajouta  :  «  Moi  aussi  je  vais  te  cou- 
«  per  la  tête  incontinent.  »  A  ces  mots,  le  prince  (il 
un  saut  de  joie,  et  s'avancant  en  riant  tout  près  d»- 
Saladin  dans  letat  où  il  était,  c'est-à-dire,  les  mains 
liées  derrière  le  dos,  il  tendit  la  tête  et  présenta  le  cou, 
pour  être  plus  à  la  portée  de  la  main  qui  allait  le 
frap|)er,  et  prononça  ces  dernières  paroles  :  «  Chien', 

>  Klle  est  déjà  rjcoatM  k  peu  prêt  daos  les  niéme$  termes  a  la  croisadt 
«iu  roi  Kichard.  [l'oy.  pag.  194  du  deuxième  volume.) 

'  Cape,  raiir.  Si  cVsl  là  le  sens,  il  faudrait  canis:  «u  rimum  dan^  le 
sciwdechaiivc.  Pcut-étrr  f«u(-il  lire  siwplfincnt  rape,  rape. 


<80  HENRI  HI. 

«  prends  ma  tête,  la  voici.  Elle  est  sale,  hérissée  et 
«  velue,  le  visage  est  amaigri,  les  oreilles  sont  souil- 
«  lées  de  boue  ;  c'est  peu  de  chose  ou  plutôt  ce  n'est 
'<  rien;  tu  n'auras  de  moi  rien  de  plus  ;  quant  à  mon 
«  âme,  je  la  recommandée  Dieu.  »  Alors  Saladin, 
<i'un  seul  coup  légèrementasséné,  Ht  tomber  la  tête  de 
ce  glorieux  martyr  de  Dieu,  etdit  :  «  Cœur  opiniâtre, 
«  seras-tu  vaincu  même  en   mourant?  »  Ce  prince, 
martyr  glorieux,  était  cousin   du   comte  Gaultier, 
dont  nous  venons  de  parler.  Or,  nous  croyons  que, 
collègues  en  martyre,  ils  régnent  ensemble.  J'ai  été 
instruit  de  ce  fait,  concernant  le  prince  d'Antioche, 
par  le  rapport  fidèle  de  maître  Ranulf,  surnommé 
Besace,  qui  était  alors  physicien  du  roi  Richard,  et 
plus  tard  devint  chanoine  de  l'église  de  Saint-Paul  ; 
lequel  avait  assisté  à  cette  mort,  et  l'avait  vue  de  ses 
propres  yeux.  Or,  il  avait  été  envoyé  vers  ledit  Sala- 
din, pour  traiter  de  la  délivrance  du  même  prince, 
mais  il  n'avait  pas  réussi. 

Les  forêts  de  l'archevêché  de  Caintorbéry   sont 

MISES  EN  COUPE.   —  GUERRE  ENTRE   LES  FILS   DE  WaLDE- 

MAR,  ROI  DE  Danemark.  —  Le  comte  de  Leicester  bat 
LES  Gascons.  —  Parlemi.nt  tenu  a  Londres.  —  Irrita- 
tion DU  ROI  contre  Henri  de  13ath.  —  x\thelmar  est 
confirmé  a  l'évéché  de  Winchester.  —  Mort  de  Guil- 
laume DE  Canteloup.  —  Assemblée  des  évéques  d'An- 
gleterre A  Dunstable.  —  Vers  la  môme  époque,  les 
forêts  de  l'archevôclié  étaient  mises  en  coupe,  les 
hommes  étaientappauvris,  les  revenus  vacantsétuient 
distribués  au  gré  des  étrangers  à  des  étrangers  comme 


ANNÉE  ^23^.  m 

eux,  dont  les  iiiœui*s  ou  la  scieuce  était  tout  à  fail 
inconnue  à  ceux  qui  les  nommaient;  et  ainsi,  en 
Tabsenee  du  pasteur ,  les  brebis  étaient  données  en 
pâture  aux  loups. 

Cette  même  année,  une  guerre  détestable  et  une 
dissension  à  main  armée,  au  sujet  de  la  possession 
du  royaume,  s'élevèrent  entre  les  (ils  de  Waldemar, 
jadis  roi  de  Dacie.  Quoique  le  monde  entier  déteste 
les  luttes  entre  frères  et  les  royaumes  agités  par  des 
haines  profanes  et  mutuelles,  Abel,  Tainé  ',  qui  mé- 
riterait plutôt  d'être  appelé  Gain,  tendit  des  embûches 
à  Éric.  Tandis  que  ce  dernier  jouait  aux  dés  et  se 
préparait  à  prendre  un  bain  au  sortir  du  jeu,  Abel 
survint  tout  à  coup,  tua  méchamment  et  traîtreu- 
sement son  frère,  et  le  jeta  à  la  mer  après  Tavoir 
égorgé.  Mais  la  mer  rejeta  trois  fois  le  cadavre  sur  le 
sable.  Alors  Tinhumain  Abel,  ne  voulant  pas  que  le 

*  Tout  ce  rt«it  est  mêlé  de  vrai  et  de  faux. 

L'obcenation  de  l'auteur  des  Adversaria,  qui  tixe  ce  meurtre  à  la 
Neillede  Saiiit-Laureot  1242,  u'est  pas  juste;  c'est  eu  1250.  Ëric,couuu 
»ous  le  nom  de  Plog-PeiniitKj,  était  l'aiué  des  fils  de  Waldemur  et  lui 
succéda.  Croyant  aux  paroles  paciUques  d'Abel,  il  se  rendit  à  sou  invi- 
tjliuu  dans  une  maison  de  plaisance,  au  milieu  de  la  Slye,  rivière  qui 
l>.ii;juc  les  murs  de  Sleswick.  Là  Abel  lu  Ht  enlever  et  jeter  duns  un  petit 
bateau  où  Lange  Gudmuusen,  gentilhomme  danois,  Tenuemi  partirulier 
d'Eric,  lui  lit  couper  la  tête,  et  précipita  ensuite  sou  cadavre  dans  |a 
Slye  avec  des  pierres  qui  y  étaient  attachées.  Le  corps  fut  tiré  de  l'eau 
.iprès  plusieurs  mois,  et  transporté  li  Hiiigstad  dans  le  tombeau  des  rois. 
iLacumue,  Hitt.  du  yord.i 

La  tradition  rapporte  qu'il  parut  sur  l'eau  le  jour  du  couronnement 
d'Abel,  qui  s'était  purjjé  par  le  serment  de  vingt-ijuatre  seigneurs.  Abel, 
.iprés  deux  ans  de  règne,  fut  égorgé  par  les  Frisons  dans  un  marais  où 
il  était  tombé  a  h  suite  de  sa  défaite.  Christophe  régna  jusqu'en  1259. 


^82  HENRI  m. 

corps  fut  inhumé ,  le  fit  porter  plus  loin  et  rejeter 
dans  l'endroit  le  plus  profond  ;  mais  la  mer  ramena 
de  nouveau,  par  la  volonté  de  Dieu,  le  corps  du  roi 
innocent  au  même  endroit  où  elle  l'avait  précédem- 
ment déposé.  Aussi  les  frères  Mineurs,  sur  leur 
demande,  emportèrent  le  corps  et  lui  donnèrent 
honorablement  la  sépulture  dans  leur  église  ,  où 
Dieu,  cédant  à  leurs  supplications,  accorda  au  roi 
défunt  le  don  de  faire  des  miracles.  Afin  de  mon- 
trer que  la  fraude  ne  profile  à  personne,  les  sei- 
gneurs de  Dacie  condamnèrent  à  un  exil  perpétuel 
cet  Abel,  fratricide  sanguinaire,  qui,  aprèsavoi  régorgé 
son  frère,  lui  avait  môme  refusé  la  sépulture.  Et 
comme  il  refusait  de  se  soumettre  à  cet  arrêt,  il  fut 
tué  par  les  mêmes  seigneurs.  Ou  mit  à  sa  place  le 
troisième  frère,  dernier  des  fils  de  Waldemar,  nom- 
mé Christophe,  qui ,  maintenant  assis  sur  le  trône 
royal,  règne  en  toute  prospérité.  Or,  il  faut  savoir 
que,  d'après  Tusagc  antique,  le  roi  de  Dacie  est  oint, 
sacré  et  couronné;  pareillement  le  roi  de  Norvège, 
nommé  Hacon,  avait  reçu  du  pape  Innocent  IV  le 
bienfait  de  consécration  ainsi  que  de  légitimation, 
après  avoir  fait  remettre  au  même  pape  trente  mille 
marcs  d'argent  par  les  mains  du  seigneur  Laurent, 
Anglais  de  nation  et  moine  de  Tordre  de  Citeaux, 
qui  devint  plus  tard  abbé  de  Kirkestudc  dans  le  Lind- 
sey,  et  qui  s'était  rendu  à  Home  pour  mener  toute 
cette  affaire  à  bonne  fin. 

Cette  même  année,  la  sérénité  du  printemps  étanl 
proche,  le  comte  de  Leicester  Simon  ,  avec  grande 


ANNÉE  V25i.  485 

compagnie  el  grands  trésors,  revint  en  Gascogne, 
où  il  trouva  presque  tous  les  Gascons  puissants  con- 
fédérés par  une  ligue  commune  et  disposés  à  lui  ré- 
sister. La  guerre  s'étant  donc  engagée  de  nouveau, 
les  Gascons  eurent  un  désavantage  marqué. 

Cette  même  année,  le  ^15  avant  les  calendes  de 
mars,  un  grand  parlement  fut  tenu  à  Londres  ainsi 
qu'il  avait  été  convenu  et  décidé.  Ilenri  de  Bath  s^y 
trouva,  et  comme  le  roi  le  poursuivait,  ses  adver- 
saires 1  avaient  assailli  d^accusations  graves  et  multi- 
pliées. Or,  le  roi  enilammé  de  la  colère  la  plus  vio- 
lente contre  ledit  Henri  qui  était  venu  accompagné 
d'une  nombreuse  chevalerie,  composée  tant  de  la 
famille  de  sa  femme,  parents  et  amis,  que  de  ses  pro- 
pres hommes,  le    roi,  disons-nous,  l'accusa   plus 
amèrement  encore  que  les  autres,  lui  reprochant, 
entre  autres  méfaits,  d'avoir  troublé  le  royaume  en- 
tier el  d'avoir  exaspéré  contre  lui  le  roi ,  les  barons 
tous  tant  qu'ils  étaient;  ce  qui  faisait  craindre  une 
sédition  générale.  11  fit  donc  crier  par  la  voix  du  hé- 
raut à  Londres  et  dans  la  cour,  que  si  quelqu'un  avait 
quelque  action  à  intenter  ou  quelque  plainte  a  former 
contre  Uenri  de  Bath,  il  eût  à  venir  à  la  cour  en  pré- 
sence du  roi  qui  Técouterait  pleinement.  Aussi  plu- 
sieurs se  soulevèrent  contre  lui  et  portèrent  plainte, 
en  sorte  que  môme  un  de  ses  collègues,  justicier 
comme  lui,  protesta  publiquement  que  ledit  Henri. 
gagné  par  d  abondantes  largesses,  avait  laissé  mettre 
en  liberté  sans  jugement  el  sans  permission  un  mal- 
faiteur convaincu  el  incarcéré ,  et  avait  agi  ainsi  au 


^84  HENRI  I». 

préjudice  du  roi  et  aux  risques  et  périls  des  justiciers 
ses  collègues.  Alors  le  roi,  de  plus  en  plus  furieux, 
arriva  au  dernier  degré  de  l'irritation,  et  s'écria  :  «Si 
«  quelqu'un  tue  Henri  deBalh,  qu'il  ne  soit  pas  in- 
«  quiété  pour  celte  mort.  Je  jure  qu'on  ne  Tinquié- 
«  tera  pas.  »  Puis  il  se  retira  précipitamment.  Il  y 
avait  là  beaucoup  de  gens  qui  se  seraient  jetés  à  main 
armée  sur  ledit  Henri ,  si  le  seigneur  Jean  Mansel 
n'eût  calmé  prudemment  leur  emportement  et  ne 
les  eût  arrêtés  en  disant  :  «  Mes  seigneurs  et  amis,  il 
«  n'est  pas  nécessaire  d'exécuter  un  ordre  donné 
«  précipitamment  dans  un  moment  de  colère.  Peut- 
«  être  quand  son  courroux  sera  passé,  notre  seigneur 
«  se  repentira-t-il  d'avoir  prononcé  ces  paroles.  En 
«  outre,  si  vous  faisiez  quelque  violence  audit  Henri, 
«  voici  l'évêque  de  Londres  qui  exercerait  contre 
«  vous  une  vengeance  spirituelle,  tandis  que  ses 
«  autres  amis,  qui  sont  chevaliers,  vous  puniraient 
<«  matériellement.  »  Par  ainsi  il  apaisa  en  grande  par- 
tie leur  transport.  Dès  ce  moment,  par  l'entremise 
ef6cace  du  comte  Richard  et  de  l'évêque  susdit,  on  en 
agit  plus  doucement  avec  Henri  de  Bath ,  et  on  fit  en- 
tendre secrètement  au  seigneur  roi  qu'il  était  éton- 
nant que  l'on  eût  encore  souci  de  le  servir,  puisqu'il 
s'efforçait  de  donner  la  mort  à  ses  serviteurs  quand 
ils  s'étaient  acquittés  de  leurofGce.  Henri  de  Bath, 
ayant  donc  promis  une  certaine  somme  d'argent,  se 
retira  délivré  de  la  crainte  de  la  mort. 

Vers  le  même  temps ,  Athelmar,  frère  utérin  du 
seigneur  roi,  fut  confirmé  à  Tévêché  de  Winchester 


ANNÉE  ^251.  485 

par  le  seigneur  pape  ,  nonobstaut  sa  jeunesse  ,  son 
ijiiorauce  des  lettres  et  sou  insufiisanee  absolue  pour 
être  appelé  à  uue  si  haute  dignité,  ou  au  {jouverne- 
lueut  de  tantd'âmes.  Le  seigneur  pape  poussa  même 
la  complaisance  jusqu'à  accorder  audit  Atlielmar 
la  permission  de  conserver  les  revenus  précédem- 
ment obtenus.  L  intervention  active  et  pressante  du 
seigneur  roi  emporta  le  consentement  du  pape  ; 
mais  pour  que  le  seigneur  pape  ne  pût  avoir  semé 
dans  un  sable  stérile,  sans  retirer  au  moins  quelque 
moisson  fructueuse ,  il  exigea  sur-le-champ  du  roi 
qu'il  pourvût  d'un  revenu  de  cinq  cents  marcs  le 
fils  du  comte  de  Bourgogne,  encore  tout  enfant. 

Vers  le  même  temps,  mourut  Guillaume  de  Can- 
teloup,  homme  puissant  et  discret,  et  féal  ami  du 
royaume.  Il  eut  pour  successeur  dans  son  héritage 
son  fils  Guillaume,  pour  qui  Je  roi  se  montra  mal 
disposé,  avant  de  le  laisser  entrer  pleinement  eu  pos- 
<^ession  dudit  héritage,  quoique  son  père  eût  été  le 
grand  ami  du  seigneur  roi,  et  le  premier  sénéchal 
dudit  roi. 

Vei*8  le  même  temps,  comme  Tarchevéque  travail- 
lait de  toutes  ses  forces,  et  au  delà  de  ses  forces,  en 
cour  romaine,  à  mener  son  projet  à  bonne  fin,  c'est- 
à-dire  à  exercer  le  droit  de  visitation  générale  sur 
tout  le  clergé  et  le  peuple  de  son  diocèse,  les  évê- 
•jues  d'Angleterre,  supportant  cela  avec  peine,  par- 
ce qu'il  était  constant  pour  eux  que  ce  n  était  pas  à 
la  reformation  des  nueurs  et  de  la  religion  que  l'ar- 
<h»'vé(pieyspir;iil  s'assi'mbl.icnl  ■»  Dunstable,  lej<»ur 


486  HENRI  III. 

de  saint  Matthieu,  pour  délibérer  en  commun  sur 
cette  oppression  injurieuse.  En  effet ,  tous  devaient 
examiner  une  affaire  qui  les  intéressait  et  concernait 
tous.  Lesévêques  de  Lincoln,  de  Londres,  de  Norwich, 
de  Salisbury,  d'Ely,  de  Worcester,  se  trouvèrent  donc 
présents  :  celui  de  Chester  ne  put  venir  à  cause  du 
mauvais  état  de  sa  santé.  Après  mûre  délibération 
ils  envoyèrent  à  la  cour  romaine  leur  procurateur, 
maître  Jean,  pour  porter  plainte  de  cette  oppression 
par-devant  le  seigneur  pape,  et  pour  obtenir  d'être 
délivrés  des  attaques  de  Tarchevèque,  Tautorisant  à 
répandre  en  largesses,  si  la  nécessité  l'exigeait,  jus- 
qu'à quatre  mille  marcs;  parce  quela  cour  romaine 
a  l'habitude  constante  de  favoriser  et  de  soutenir 
ceux  qui  donnent  de  l'argent.  Le  procurateur,  étant 
arrivé  à  la  cour  romaine,  s'occupa  très-activement 
de  la  mission  qui  lui  était  confiée.  Vers  le  même 
temps,  le  susdit  procurateur  sans  doute,  ou  quelque 
adversaire  de  l'archevêque  (car  le  nombre  des  per- 
sonnes qui  lui  étaient  contraires  s'augmentait  de 
jour  en  jour),  donna  à  entendre  au  pape  qu'il  avait 
levé  secrètement,  à  la  grande  vexation  de  l'église 
anglicane,  au  delà  de  la  contribution  que  le  pape 
lui  avait  accordée ,  et  qui  était  de  onxe  mille  marcs. 
Aussi  le  seigneur  pape  écrivit-il  aux  évêques  qu'ils 
lui  donnassent  des  renseignements  plus  positifs  sur 
cette  transgression  :  quant  aux  transgressions  et  à 
Vultcntat  énorme  commis  par  lui  à  Londres,  on  les 
passa  soussilence,et  on  les  laissa  dans  une  ombre  ob- 
scure, à  cause  de  la  pusillanimité  des  plaignants,  (|ni 


ANNÉE  ^25^..  ^87 

Il  oseront  pas  poursuivre  leur  droit ,  ou  ne  purent 
laire  lace  aux  dépenses  nécessaires.  Dès  lore  le  pape, 
iprès  avoir  annoncé  hautement  qu'il  était  transporté 
de  joie  d'être  loin  de  Lyon,  et  d'avoir  échappé  aux 
piéj;es  des  Savoyards,  promit  à  Tune  et  à  l'autre  des 
parties  plaignantes  qu'elles  obtiendraient  par  sen- 
tence, en  toute  modération,  ce  qui  leur  revenait  jus- 
tement. Mais  comme  la  cour  romaine  était  enrichie 
riiaque  jour  par  leurs  largesses,  le  pape  différa  en- 
core de  prononcer  une  sentence  définitive.  Le  pape 
se  plaignit  aussi  fréquemment  de  ce  que,  pendant  son 
séjour  à  Lyon  ,  l'archevêque  de  Cantorbéry  et  l'élu  à 
Lyon  lui  avaient  imposé  toutes  leurs  volontés,  au 
point  qu'une  pereonne  qui  avait  été  investie,  en  vertu 
de  son  autorité,  d'une  prébende  de  Téi^lise  de  Lyon, 
ayant  été  jetée  dans  le  Rhône  pendant  la  nuit,  et  li- 
vrée en  p&ture  aux  poissons,  il  n'avait  pas  osé  mur- 
murer. C'est  pourquoi  les  évéques  d'Angleterre, 
iidoucis  par  la  bienveillance  du  seigneur  pape,  ne 
voulurent  pas  parler,  dans  leur  réponse,  des  excès 
commis  par  l'archevêque,  de  peur  que  la  multitude 
des  plaintes  ne  présentai  l'apparence  de  la  haine  ; 
mais  ils  insistèrent  fortement  sur  le  point  principal. 

Visitation  sévèbe  de  l'évêque  de  Lincoln.  —  Le païs 
DE  Galles  est  socmis  aux  lois  de  l'Angletekke.  — 

i  luNFIRMATION  DES  ÉLOS  A  WlNCIIESTEIl  ET  A  KoCUESTEH.  — 

L'aube  de  VVestminsteb  passe  L4  meu.  —  Désolation 
d'Antiochl.  —  Le  doyen  de  Londres  se  rend  a  la  cour 
ROMAINE.  —  Le  roi  comble  de  julu  ï.^  jour  les  étran- 


-188  ,      HENRI  III. 

GERS  d'amitié  et  DE  RICHESSES.  MoRT  DU  CARDINAL-ÉVÈ- 

QDE  DE  Sabine.  —  Vers  le  même  temps,  l'évêque  de 
Lincoln  fit  une  visitation  dans  les  maisons  de  reli- 
gieux établies  dans  sou  diocèse.  S'il  fallait  répétertous 
les  actes  de  tyrannie  qu'il  exerça  en  cette  occasion, 
on  pourrait  le  taxer  non-seulement  de  sévérité,  mais 
même  de  rigueur  inhumaine.  Voici  quelques  faits  en- 
tre autres.  Étant  venu  à  Ramsey,  accompagné  de  sé- 
culiers, il  fouilla   en  personne  les  lits  des  moines, 
dans  le  dortoir,  examina  tout,  retourna  tout,  fit  ouvrir 
de  force  tout  ce  qu'il  trouva  fermé,  brisa  les  cassettes, 
sans  craindre  d'être  accusé  d'effraction,  mi  ten  pièces 
et  foula  aux  pieds  les  coupes  dont  les  supports  ou  les 
cercles  étaient  en  argent*,  tandis  qu'il  aurait  pu  les 
donnerauxpauvres,  s'il  eût  agi  avec  plus  de  réflexion. 
Étant  venu  aux  maisons  des  religieuses,  ce  que  j'ai 
honte  à  écrire,  il  leur  fit  presser  les  mamelles,  afin  de 
voir  physiquement  de  cette  façon  s'il  y  avait  quelque 
corruption  [de  mœurs]  entre  elles.  Il  prononça  en  ou- 
tre d'horribles  malédictions,  celles  que  Moïse  a  écri- 
tes, sur  la  tête  de  ceux  qui  transgresseraient  ses  statuts, 
cl  combla  au  contrairedes  bénédictions  de  Moïse  ceux 
qui  les  observeraient.  Dans  le  carême  suivant,  il  fut 
suspendu  de  l'office  episcopal ,  parcequ'il  n'avait  pas 
voulu  admettre  à  un  riche  bénéfice,  situé  dans  son 
évêclié,  un  certain  Italien,  qui  ignorait  la  langue  an- 
glaise. On  croit  cependant  que  ,  s'il  commit  tous  ces 


'  Cette  recherche  était  interdite  aux  moines  par  lours  statuts.  Nous 
renvoyons  aux  Additamenta  pour  (1«>  plus  amples  (KHhïIs. 


ANNÉE  4  25^  UQ 

aclesdesévérilé,  c  élait  poursauver  du  péché  lésâmes 
dont  il  devait  rendre  compte  un  jour. 

A  cette  époque,  le  pays  de  Galles,  qui  avait  tant  de 
fois  levé  le  lalon  contre  le  royaume  d'Angleterre,  lut 
domptée!  soumis  aux  lois  de  l'Angleterre.  La  partie 
limitrophe  du  pays  de  Chester  fut  donnée  en  garde  à 
Alain  de  la  Zouch  '.  Celui-ci,  qui  avait  supplanté 
Jean  de  Gray,  lequel  ne  tirait  de  ce  pays  que  cinq 
cents  marcs,  fît  monter  lu  contribution  jusqu'à  onze 
cents  marcs  ;  c  est  ainsi  que  le  malheureux  pays  de 
Galles  était  livré  comme  en  ferme  à  ceux  qui  vou- 
laient grossir  le  trésor  royal. 

Vers  le  même  temps,  furent  confirmés  Athelmar, 
frère  ulérin  du  seigneur  roi,  élu  à  Winchester,  et 
maître  Laurent  de  Saint-Marlin,  élu  à  Rochester.  Il 
leur  fut  permis  de  conserver  les  revenus  précédem- 
ment obtenus,  et  cela  pendant  quelques  années.  Ainsi 
étaient  déjà  passés  en  coutume  et  en  usage  des  abus 
lels  que  ceux-ci,  à  savoir  que  celui  qui  est  appelé  à 
un  évéché  ne  reste  pasévéquc,  mais  élu ^  de  façon  que 
le  pasteur  ne  mène  point  paître,  mais  paisse  lui-même; 
qu'un  évêque  conserve  les  revenus  qu'il  avait  précé- 
demment, de  façon  à  être  considéré  comme  quelque 
chose  de  monstrueux;  qu^enlin  un  évêque,  postulé  à 
un  autre  évêché  plus  riche,  y  soit  effectivement  trans- 

'  Il  ;  a,  en  Angleterre,  un  lieu  nommé  de  la  Souch,  non  loin  de 
Loagboroagh.  L'Index  donne  Alain  deZuehe  et  Alain  de  Souche  comme 
deux pertonnages  difTérents,  mai*  à  tort;  l'ortliograpbe  |iriniilive  était  de 
la  Souche,  comme  Du  taut  de  chevreau  qui  se  changea  en  Sachewerell, 
Uocheforl  en  Uochford ,  Chalong  en  Cbaloner  ,  Saînt«Maur  en  Sey- 
moar,  rtr. 


190  HENRI  HI. 

féré,  de  façon  qu'une  église  paraisse  être  la  concu- 
bine d'une  autre  église. 

A  la  même  époque,  c'est-à-dire  au  commencement 
du  carême,  Tabbé  de  Westminster  passa  secrètement 
la  mer,  sur  la  volonté  et  par  l'ordre  du  roi.  Or,  il  y 
en  avait  qui  disaient  que  le  seigneur  roi  avait  l'in- 
tention de  passer  la  mer,  et  de  se  rendrej  en  pèlerin 
à  Pontigny,  pour  y  visiter  le  bienheureux  Edmond, 
et  se  réconcilier  avec  lui  ;  car  il  n'ignorait  pas  qu'il 
l'avait  offensé  en  beaucoup  de  choses,  quand,  pre- 
nant parti  pour  Othon,  il  avait  tourmenté  jusqu'à 
amertume  de  cœur  le  saint  confesseur,  alors  arche- 
vêque, et  l'avait  obligé  à  un  exil  d'extermination  :  ce 
qui  lui  faisait  redouter  la  vengeance  du  saint.  Mais 
le  comte  Richard  ne  donnait  pas  son  consentement 
à  un  pèlerinage  aussi  dangereux.  Cependant  l'abbé, 
voyant  qu'il  ne  pouvait  réussir  à  préparer  une  voie 
pacifique  au  pèlerinage  du  roi,  ne  songea  plus  qu'à 
s'occuper  de  ses  propres  affaires,  c'est-à-dire  à  pou- 
voir plier  son  couvent  sous  ses  volontés,  et  à  obtenir 
le  titre  de  chapelain  du  seigneur  pape.  Mais  quand 
le  seigneur  roi  fut  instruit  de  cela,  il  chercha  à  ren- 
dre vains  les  efforts  de  l'abbé,  et  lui  retira  ,dès  lors 
toute  sa  faveur,  qui  faisait  la  confiance  dudit  abbé: 
ce  que  la  suite  des  faits  prouva  bien  ,  comme  on  le 
pourra  voir  dans  les  détails  qui  suivront. 

Oh  !  douleur!  dans  ces  mêmes  temps,  la  très-noble 
cité  d'Antioche,  acquise  au  prix  du  sang  de  tant  et 
de  si  nobles  hommes,  fut  exposée  à  l'ignominie  et 
au  danger,  les  forces  et  la  multitude  des  Turcs  cl  cfes 


ANNÉE  4254.  494 

Turcomans  s  accroissant  chaque  jour;  aussi  beau< 
coup  de  citoyens  désespérés  prirent  la  fuite,  parce 
que  déjà  toute  la  principauté  et  la  dignité  patriarcale 
étaient  livrées  à  la  plus  {{rande confusion.  En  effet,  le 
souvenir  de  la  victoire  du  Soudan  de  Babylone  et  la 
confusion  du  roi  de  France  avaient  encouragé  les 
inlidèles/'et  troublé  grandement  les  chrétiens. 

Vers» le  même  temps,  le  doyen  de  Londres,  qui 
avait  souffert  tant  de  vexations  pour  la  liberté  de  son 
église,  se  rendit  encore  à  la  cour  romaine,  malgré 
son  grand  âge,  pour  défendre  les  droits  de  son  église, 
et  à  Toccasion  du  scandale  multiplié  auquel  Tarche- 
véque  avait  donné  lieu.  En  effet ,  le  seigneur  pape 
avait  ordonné  que  les  chanoines  fussent  absous,  et 
leurs  adversaires,  au  nom  du  même  seigneur  pape, 
avaient  ordonné  qu'ils  fussent  excommuniés,  pour 
une  autre  raison.  Aussi  cette  querelle  paraissait-elle 
fort  ridicule  aux  laïques  :  et  il  n  y  a  pas  lieu  de  s'en 
étonner. 

Vers  le  même  temps ,  le  seigneur  roi  perdit  l'ol'- 
fection  de  ses  hommes  naturels,  de  jour  en  jour  et 
non  plus  peu  à  peu.  En  effet,  suivant  ouvertement 
les  traces  de  son  père,  il  attirait  tous  les  étrangers 
qu'il  pouvait,  dé|)Ouillait  les  Anglais  pour  les  enri- 
chir, et,  au  mépris  des  Anglais,  s'entourait  de  gens 
d'autres  pays.  C'était  tantôt  le  comte  Richard,  tantôt 
1  archevêque,  tantôt  l'évêque  de  Winchester  et  ses 
autres  frères,  ici  l'évêque  d'Uéreford,  là  Pierre  de 
Savoie,  et  les  autres  qu'il  appelait  de  tous  côtés.  Aussi 
il  n'y  avait  plus  tu  Angleterre  un  seul  roi,  mais 


492 


HENRI  III. 


plusieurs  rois,  toujours  prêls  à  enlever  de  force  des 
chariots,  des  chevaux,  des  vivres,  des  vêtements,  en- 
fin tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie.  De  plus,  les 
Poitevins  s'efforçaient  de  mille  manières  d'opprimer 
les  nobles  de  la  terre,  et  surtout  les  religieux;  au 
point  que,  si  l'on  passait  seulementen  revue  les  inju- 
res que  Guillaume  de  Valence  fit  souffrir  à  l'abbé  de 
Saint-Albans  et  au  prieur  de  Thynemouth  ,  cela 
suffirait  pour  arracher  des  larmes  aux  yeux  des  au- 
diteurs. Mais  pour  ne  pas  trop  grossir  ce  volume,  nous 
les  avons  rejetées  au  livre  des  Additamenta\ 

A  cette  même  époque  de  l'année,  l'évêque  de  Sa- 
bine ,  Guillaume  (homme  saint  et  cardinal  de  l'é- 
glise romaine ,  qui  peu  d'années  auparavant  avait 
été  légat  en  Suède  et  en  Norvège,  comme  nous  l'a- 
vons dit)  dormait  une  certaine  nuit  dans  son  lit, 
plein  de  vie  et  de  santé,  lorsqu'il  eut  une  vision  noc- 
turne ;  il  aperçut  le  cardinal  Othon,  qui  était  mort 
peu  de  temps  auparavant,  assis  comme  dans  un  con- 
cile général  fort  nombreux.  Lui  Guillaume  survenait; 
mais  personne  ne  se  levait  devant  lui,  ni  ne  lui  faisait 
place  pour  s'asseoir.  Othon,  seul,  se  levant  devant 
lui,  lui  disait  hautement:  «  Mon  ami,  monte  plus 
«  haut;  je  t'ai  réservé  une  place  où  tu  pourras  t'as- 
«  seoir.  »  En  effet ,  pendant  leur  vie  ,  Othon  et  lui 
avaient  été  amis  intimes.  Or,  Guillaume,  s'élant 
réveillé,  fut  grandement  agité  de  ce  songe,  et  il  eut 
une  révélation  divine,  qui  lui  fit  comprendre  qu'a- 


<  Ce  docoment  oc  s'eil  point  rnlrouvé. 


ANNÉE  4254.  495 

vant  trois  jours,  il  quitterait  ce  inonde.  Il  alla  donc 
sur-le-champ  trouver  le  pape,  dont  il  reçut  congé  et 
bénédiction,  et  lui  dit:  «Porte-toi  bien,  monseigneur, 
«  car  le  Seigneur  me  rappelle  de  ce  monde.  •  Puis, 
disant  adieu  de  la  même  façon  à  tous  ses  frères  et 
amis,  il  revint  à  son  hôtel,  le  cœur  plein  de  dévotion. 
Or,  tous  s'étonnaient  de  cela,  et  il  y  en  avait  qui  se 
moquaient  de  lui,  et  disaient  que  la  vieillesse  le  fai- 
sait radoter,  parce  qu'ils  le  voyaient  bien  portant  et 
n  ayant  aucune  infirmité  extérieure.  Cependant  ledit 
Guillaume,  après  avoir  fait  avec  réflexion  les  derniè- 
res dispositions  qu'il  avait  à  faire  dans  sa  maison,  et 
avoir  révélé  à  plusieurs  la  susdite  vision,  abandonna 
le  lendemain,  par  une  fin  louable,  cette  demeure 
terrestre.  Vers  le  même  temps,  mourut  aussi  maître 
JeandeOffinton,  chanoine  de  Salisbury,  qui  n'avait 
pas,  entre  tous  les  clercs  d'Angleterre,  son  pareil  pour 
la  célébrité. 

Discorde  entre  l'abbé  et  le  coovent  de  Westmin- 
ster. —  Défdtation  du  roi  de  Castille  au  roi  d'Angle- 
terre. —  Lettre  injurieuse  du  pape.  —  Arrivée  du  roi 
A  Saint- Albans.  —  Mort  miserable  de  Robert  Chan  dos. 
—  Mort  pieuse  de  Cécile  de  Sanford.  —  A  la  même 
époque,  un  scandale  vint  troubler  la  noble  commu- 
nauté de  Westminster,  en  sorte  que  la  discorde,  sou- 
levée entre  les  parties,  fut  aussi  dommageable  qu'in- 
convenante. Eneftet,  I  abbé,  homme  lettré  et  prudent, 
s'efforçait  de  faire  annuler,  en  vertu  de  l'autorité 
apostolique,  la  décision  de  sou  prédécesseur,  qui 
vM.  45 


494  HENRI  HI. 

avait  séparé  les  biens  de  son  église,  affectant  les  uns 
à  son  propre  usage,  les  autres  à  l'usage  du  couvent, 
afin  de  mieux  entretenir  la  bonne  intelligence  en- 
tre lui  et  ses  frères;  mais  celui-ci  travaillait  de  toutes 
ses  forces  à  réunir  ce  qui  avait  été  divisé,  et  à  faire 
tout  plier  sous  ses  volontés.  C'est  pourquoi  il  s'atta- 
cha au  seigneur  pape,  le  suivit  pas  à  pas,  et  prolon- 
gea de  beaucoup  son  séjour  à  la  cour  romaine,  non 
sans  y  faire  des  dépenses  considérables.  Aussi  était- 
il  compté  parmi  les  familiers  du  pape,  et  sa  prudence, 
son  éloquence  et  sa  bonne  mine,  lui  valurent  d'être 
réellement,  et  en  titre,  le  chapelain  du  seigneur  pape, 
et  d'obtenir  une  grande  partie  de  ce  qu^il  sollicitait. 
A  celte  nouvelle,  le  couvent  commença  à  redouter 
grandement  que  les  dispositions  pieuses,  réglées  par 
Tabbé  Richard,  prédécesseur  dudit  abbé,  ne  fussent 
infirmées,  et  que  la  condition  de  la  communauté  ne 
se  trouvât  mal  de  ce  mal.  Les  principaux  du  couvent 
furent  donc  envoyés  vers  le  roi,  et  se  plaignirent  à 
lui  en  pleurant,  et  en  lui  disant  :  «  Oh  !  seigneur, 
«  l'abbé  que  vous  nous  avez  fait  nommer  s'efforce 
«  de  troubler  notre  maison,  qui  est  plutôt  spéciale- 
<4  ment  la  vôtre,  et  d'annuler  ce  qui  a  été  pieusement 
u  réglé  pour  noire  repos.  C^esl  à  vous  de  protéger 
«  votre  maison  et  votre  domicile  royal,  afin  qu'il  ne 
(«  soit  ébranlé  ni  no  tombe  sous  le  choc  d'aucun  ad- 
"  versairo.  »  Le  seigneur  roi  leur  répondit,  en  pro- 
nonçant son  grand  serment  :  »  Il  ne  prévaudra  jamais 
<  contre  vous,  je  vous  l'assure.  »  lilt  il  fit  bien  voir 
hautement  l'indignation,  la  colère  et  la  haine  qu'il 


ANNEE  4354.  495 

ressentait  contre  Tabbé  :  «  Je  me  repens,  dit^il, 
«  d'avoir  fait  élire  cet  homme.  » 

Dans  le  même  temps,  le  très-glorieux  roi  de  Cos- 
tille,  Alphonse',  envoya,  dans  de  bonnes  intentions, 
un  député  solennel  au  roi  d'Angleterre  :  c  était  un 
chevalier  éloquent  et  de  bonne  mine,  par  Tentremise 
duquel  il  le  priait  efficacement  et  amicalement , 
comme  son  cousin  et  par  conséquent  son  ami  spé- 
cial,  de  ne  pas  suivre  les  traces  du  roi  de  France, 
dans  le  pèlerinage  qu'il  devait  entreprendre,  et  de  ne 
pas  imiter  I  orgueil  des  Français,  mais  bien  plutôt 
de  passer  en  toute  sécurité  sur  ses  terres,  promettant 
<le  lui  servir  de  guide  en  personne,  d'être  son  auxi- 
liaire inséparable  et  infatigable,  et  de  lui  fournir 
vivres,  armes  et  flotte.  Nous  apprîmes,  par  le  rap- 
port du  même  député,  qu'après  la  prise  de  Seville, 
oilé  très-opulente,  presque  toute  l'Espagne,  jusqu'à 
la  mer,  était  tombée  sous  la  domination  du  même 
roi  Alphonse.  Ce  député  nous  assura  aussi  que  cette 
cité,  avec  la  province  adjacente,  avait  coutume  de 
payer  au  roi  de  Maroc  (  que  nous  appelons  ordi- 
nairement Miramolin  |,  chaque  semaine,  a  sa- 
voir, à  la  sixième  férié,  et  cela  sans  manquer^ 
onze  mille  talents  de  revenu  ^  :  ce  qui  nous  semblait 
à  peine  croyable  à  nous  autres  Occidentaux.  Le  sei» 

•  Erreur.  Il  s'agit  de  Ferdinand  ill,  connu  sous  le  nom  de  saiat  Per- 
diiiaud.  Son  ambassade  avait  surtout  pour  objet  de  prier  Henri  IH  de  se 
joindre  k  lui  contre  le  roi  de  Maroc.  Il  ne  mourut  quVn  1253. 

*  Assertion  beaucoup  plus  vraisemblable  que  celle  qui  est  indiquée  à 
la  page  413  du  volume  précédent. 


J^96  HENRI  III. 

gneur  roi  d'Angleterre,  satisfait  de  ce  message,  rendit 
au  roi  de  Castille  d'abondantes  actions  de  grâces. 
Nous  avions  trouvé  un  sujet  de  joie  dans  le  contenu 
de  ce  message,  et  nous  y  aurions  trouvé  un  sujet 
d'honneur,  si  une  mort  prématurée  n'avait  enlevé  de 
ce  monde  le  magnifique  roi  Alphonse.  Toutefois, 
grâce  à  la  providence  du  Seigneur,  il  ne  mourut  pas 
tout  à  fait  en  mourant,  et  laissa  après  lui  des  fils 
très-vaillanls  pour  gouverner  son  royaume. 

Vers  le  même  temps,  le  seigneur  pape  adressa  à 
l'abbé  de  Saint-Albans  une  lettre  ainsi  conçue  : 
«  Innocent,  évéque  ,  etc. ,  à  ses  chers  fils  l'abbé  et  le 
couvent  de  Saint-Albans,  au  diocèse  de  Lincoln,  sa- 
lut et  bénédiction  apostolique.  Comme  notre  cher 
fils  Jean  de  Camecave,  notre  neveu  et  notre  chape- 
lain, possède*  l'église  de  Wengrave,  sur  laquelle,  à 
ce  que  nous  avons  appris,  vous  avez  évidemment 
droit  de  patronat,  nous  prions  votre  discrétion,  avec 
une  affection  paternelle,  et  nous  vous  recomman- 
dons, par  ce  rescrit  apostolique,  de  changer,  au  gré 
du  même  chapelain,  ladite  église  pour  une  autre 
église,  la  première  vacante  qui  appartiendra  à  votre 
présentation,  si  ledit  chapelain  ou  son  procurateur 
juge  à  propos  de  l'accepter,  tout  en  réservant  ladite 
église  de  Wengrave  h  notre  donation;  nonobstant 
toute  défense  ou  réserve  quelconque,  ou  même  cette 
indulgence  octroyée  aux  Anglais,  et  qui  porte  que  les 
bénéfices  des  clercs  italiens,  démissionnaires  ou  dé- 

*  Il  y  a  quelque  Isounf  au  (est«. 


ANNÉE  4254.  497 

cédés,  ne  seront  pas  immédiatement  conférés  à  un 
autre  clerc  d'Italie.  Donné  à  Lyon,  le  2  avant  les  ides 
de  décembre.  »  Or,  nous  avons  jugé  à  propos  d 'insérer 
cette  lettre  dans  ce  livre,  afin  que  les  lecteurs  ap- 
prennent par  combien  d'angoisses  et  d'injustices  la 
cour  romaine  nous  tourmente,  malheureux  Anglais 
que  nous  sommes.  En  effet,  en  examinant  la  teneur 
de  cette  lettre,  on  pourra  considérer  combien  elle 
renferme  de  mépris,  d'injure  et  d'oppression.  Mais 
il  fallait  que  cette  sentence  menaçante  de  l'apôtre 
s'accomplît  :  «  Tant  que  la  séparation  ne  sera  pas 
venue,  le  fils  de  l'iniquité  ne  sera  pas  révélé.»  Telle 
est  la  cause,  tel  est  le  sujet  qui  font  que  les  cœurs , 
sinon  les  corps,  se  séparent  de  notre  père  le  pape, 
qui  se  conduit  avec  la  rigidité  d'un  père  étranger,  et 
de  notre  mère  l'église  romaine  qui  exerce  les  persé- 
cutions d'une  marâtre. 

Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire  le  dimanche  de 
la  passion  du  Seigneur,  le  seigneur  roi  vint  à  Saint- 
Albans,  où  il  s'arrêta  trois  jours;  il  offrit  à  saint  Al- 
bans trois  tapis*  pour  le  maitre-autel ,  un  tapis  à 
saint  Amphibale,  et  de  l'or  pour  la  chûsse  de  saint 
Albans.  Cependant  il  montra  de  la  tiédeur  à  nous 
faire  rendre  justice,  dans  le  procès  fort  nuisible  pour 
nous,  qui  divisait  l'église  de  Saint-Albans  et  Geoffroi 
de  Cbildewike.  Or  ce  dernier,  entre  autres  excès 
qu'il  serait  trop  long  d'énumérer,  avait  violé  énor- 
mément la  paix  du  royaume  et  de  la  couronne  royale, 
en  dérobant,  comme  un  brigand,  à  main  armée,  le 

à'uda.  l.a  âoijUii  Uanyùtg. 


498  HENRI  m. 

cheval  d'un  serviteur  du  chapitre  de  Saint-Âlbans, 
avec  le  fardeau  dont  ce  cheval  était  chargé.  Aussi 
avait-il  été  cité,  par  ledit  serviteur,  pour  crime  de  lèse- 
paix,  et  le  susdit  chevalier  incriminé  pour  ce  fait  était- 
il  attaché,  en  vertu  d'une  lettre  obtenue  en  cour  du 
roi,  pour  nous  servir  des  termes  usités  en  justice. 
Mais  labbé,  ayant  reconnu  que  le  droit  serait  peu 
observé,  et  que  la  colère  du  roi  était  fort  adoucie, 
grâce  à  là  faveur  de  Jean  Mausel,  principal  conseiller 
du  roi,  et  beau-frère  du  susdit  chevalier,  retira  son 
appellation.  Cependant  ce  très- ingrat  chevalier  ne 
s'en  efforça  pas  moins  d'attaquer  méchamment  et 
traîtreusement  l'église,  l'abbé  et  le  couvent,  dont  il 
était  l'homme,  parce  que  les  secours  et  les  encoura- 
gements dudit  Jean  le  rendaient  fier. 

Vers  le  même  temps,  fut  pris  un  certain  chevalier 
très-audacieux  et  Irès-vai liant,  nommé  Robert,  sur- 
nommé Chandos,  du  vasselage  de  Jean  de  Mon- 
mouth. Cet  homme,  dans  un  moment  de  colère, 
s'était  retiré  du  service  de  son  seigneur  Jean,  s'était 
abandonné  aux  incendies,  aux  rapines  et  aux  homi- 
cides, de  concert  avec  une  foule  de  complices  qu'il 
avait  attirés  à  lui,  et  exerçait  ouvertement  et  secrè- 
tement l'affreux  métier  de  sicaire.  Tandis  que  le  roi 
séjournait,  comme  nous  l'avons  dit,  à  Saint-Albans, 
on  vint  lui  apporter  ta  nouvelle  que  les  féaux  du 
comte  de  Glocester  avaient  pris  Robert  Chandos,  et 
l'avaient  incarcéré  après  l'avoir  pris;  mais  qu'il  avait 
expiré  misérablement  dans  le  cachot  profond  où  il 
avait  été  jeté,  chargé  de  cliaincs  très-élroitcs  par 
les  geôliers,  qui  redoutaient  sa  force  et  son  courage. 


AiMNÉE  4311^  iU!» 

Celle  iiièmeauiiée,  ie^tO  uvaiil  lescaleudesd  uoùl, 
mourut  une  trèsHïuinte  femme,  nommée  Cécile,  sur- 
nommée de  Sanford,  ù  un  mille  de  Sainl-Albans. 
C'clail  une  (idèle  veuve,  noble  par  sa  naissance,  mais 
plus  noble  encore  par  ses  mœurs.  Or,  elle  était  veuve 
de  Guillaume  de  Gorbam,  et  mère  de  Guillaume  de 
Gorbom,  tous  deux  cbevaliefs.  Cette  dame,  qui  était 
fort  docte,  très-enjouée,  et  savait  le  beau  laugag^e,  fut 
choisie,  après  plusieurs  années  de  veuvage,  pour  être 
la  gouvernante  et  pour  former  le  caractère  d'Aliénor, 
sœur  du  seigneur  roi,  qui  fut  laissée  veuve  par  Guil- 
laume Maréchal  le  jeune,  et  ensuite  de  Jeanne,  qui 
lut  mariée  à  Guillaume  de  Valence.  Ladite  dame  Cé- 
cile, en  présence  de  saint  Edmond,  archevêque  de 
Cantorbéry,  lit  solennellement  vœu,  ainsi  que  la 
comtesse  de  Pembroke,  alors  veuve,  d'observer  la 
continence  qui  convient  aux  veuves,  et  reçut,  ains; 
que  son  élève  la  comtesse  Alienor,  Panneau  de  fîan- 
(^illes  et  lu  robe  de  rousset*,  pour  les  porter  en 
témoignage  de  célibat  perpétuel.  Mais  plus  tard  la- 
dite comtesse,  voulant  être  mère,  se  maria  au  comte 
de  Leicester,  en  verlu  d'une  indulgence  du  pape. 
Quant  à  Cécile,  elle  observa  inviolablement,  d'âme  et 
d'extérieur,  jusqu'à  la  mort,  le  vœu  promis  à  Dieu. 
Se  sentant  près  de  mourir,  elle  ût  appeler  eu  toute 
hôte  sou  confesseur,  frère  Gaultier  de  Saint-Martin, 
de  Tordre  des  Prêcheurs,  homme  doué,  entre  tous, 


'  Esfècc  (le  drap  biuii.  Mail.  Tariij  appelle  plus  haut  celle  sœur  de 
Henri  111  Johanna.  Jvhunnu  pour  Alienvra  e$i  cvidt>uimenl  une  faule. 


200  HENRI  III. 

de  bonnes  mœurs  et  de  science.  Après  qu'elle  se  fut 
pleinement  confessée,  qu'elle  eut  reçu  le  viatique  du 
corps  du  Seigneur,  et  qu'on  lui  eut  appliqué  l'extrême- 
onction,  elle  allait  expirer,  lorsque  frère  Gaultier, 
voyant  Tanneau  d'or  qu'elle  avait  au  doigt,  dit  aux 
servantes  :  «  Otez-lui  à  l'instant  cet  anneau^  afin 
«  qu'elle  ne  meure  pas  ainsi  parée.  »  Mais  celle-ci, 
entendant  ces  paroles,  quoiqu'elle  fût  à  demi  morte, 
retrouva  quelque  connaissance,  et  dit  avec  effort  : 
«  Ne  faites  pas  cela,  ne  faites  pas  cela,  cher  père.  Il 
«  ne  faut  pas  que  cet  anneau  me  quitte,  vivante  ou 
«  morte  ;  car  je  dois  le  représenter  devant  le  tribu- 
«  nal  de  Dieu,  à  mon  fiancé,  en  témoignage  de  la 
«  continence  inviolée  que  je  lui  ai  promise  par  cet 
«  anneau,  et  pour  recevoir  la  rétribution  convenue. 
«  Je  sais  à  qui  j'ai  cru,  puisque  j'ai  refusé  pour  lui 
«  les  embrassements  de  nobles  seigneurs,  avec  des 
«  dots  opulentes.»  Puis,  retirant  la  main  et  courbant 
le  doigt,  elle  retint  l'anneau  que  les  servantes  cher- 
cbaient  à  lui  ôter,  et  termina  ainsi  son  discours  avec 
sa  vie.  Or,  le  frère  Gaultier,  en  homme  discret, 
approuva  des  paroles  si  ferventes  et  un  dessein  si 
pieux,  et  c'est  aussi  le  susdit  frère  qui  m'a  conté, 
par  une  relation  véridique,  ces  preuves  et  d'autres 
encore  de  la  sainteté  de  ladite  damc^  afin  que  je  les 
écrivisse.  Le  corps  de  Cécile,  qui  avait  encore  l'an- 
neau au  doigt,  fut  donc  porté  h  Saint-Albans,  à  cause 
de  son  privilège  do  célibat  et  de  la  noblesse  de  sa 
naissance,  et  fut  enseveli  honorablement  dans  un 
sarcophage  de  pierre,  devant  l'autel  du  bienheureux 


ANNÉE  425^  a04 

André,  dans  ladite  église.  Or,  Tabbé  et  le  couvent, 
ainsi  qu  une  multitude  nombreuse  de  chevaliers  et 
de  seigneurs  de  la  famille  de  la  défunte,  assistaient  à 
la  célébration  des  obsèques.  Parmi  eux  se  trouvait  le 
seigneur  Nicolas  de  Sanford,  frère  de  la  susdite  Cé- 
cile, qui  éprouva  une  douleur  tellement  violente  de 
la  mort  d'une  sœur  si  recommandable,  que  jamais, 
bêlas!  il  ne  put  s'en  remettre  complètement.  Or, 
c  était  un  homme  dans  la  fleur  de  Tâge,  de  bonne 
mine,  et  qui  n'avait  point  son  supérieur  en  Angle- 
terre pour  la  vaillance  chevaleresque.  Ayant  donc 
passé  plusieurs  jours  en  lamentations,  il  paya  sa  dette 
à  la  nature  dans  Tannée  [qui  suivit],  c'est-à-dire  le 
40  avant  les  calendes  de  février. 

Le  pape  qditte  Lyon.  — Il  arbive  sain  et  sauf  a  Mi- 
lan et  DE  LA  A  PÉHOCSE.  —  L'aBBÉ  DE  WESTMINSTER  BE- 
VJENT  DE  LA  COCR  ROMAINE.  Le  TRESOR  ENVOYÉ  AU  ROI 

DE  France  est  englouti  dans  les  flots.  —  Déluge 

PARTIEL  DANS  LA  FrISE.  —  UeNRI  DE  BaTH  RENTRE  A  LA 
COUR.  UeTOUB  DE  l'ÉLU  A  WINCHESTER.  —  MoRT  DE 

Paulin-le-Poivre.  —  Cette  même  année,  pendant 
la  riante  sérénité  de  l'été',  le  seigneur  pape  quitta 
Lyon,  accompagné  d'un  grand  nombre  de  cardinaux 
et  de  seigneurs.  Philippe,  élu  à  Lyon,  lui  fit  la  con- 
duite avec  une  grande  compagnie  d'hommes  d'armes, 
à  cause  des  embûches  que  pourraient  lui  tendre  les 
partisans  de  Frédéric.  Tandis  que  tout  était  préparé 

'  Festira.  Nous  adoptons  la  varianle  eestiva. 


202  HENRI  III. 

pour  le  départ,  frère  Hugues,  cardinal,  prononça  un 
long  sermon  en  présence  du  peuple,  comme  étant 
chargé,  au  nom  du  seigneur  pape,  de  dire  adieu  aux 
habitants  de  Lyon.  Après  les  avoir  instruits  par  d'élé- 
gants préceptes,  et  ensuite  les  avoir  salués  civilement, 
au  nom  du  seigneur  papeetde  toute  la  cour  romaine, 
il  ajouta  quelques  paroles,  que  nous  avons  cru  devoir 
insérer  dans  ce  livre,  à  cause  du  reproche  satirique 
qu'elles  contiennent  :  «  Mes  amis,  depuis  que  nous 
«  sommes  venus  dans  cette  ville,  nous  y  avons  causé 
«  une  grande  utilité  et  fait  une  grande  aumône.  En 
"  effet,  quand  nous  y  sommes  arrivés  pour  la  pre- 
«  mière  fois,  nou8  y  avons  trouvé  trois  ou  quatre 
<(  lieux  de  prostitution  :  maintenant  que  nous  la 
<(  quittons,  nous  n'en  laissons  plus  qu'un  seul;  mais 
<(  aussi,  il  s'étend  etseprolongedepuis  la  porte  Orien- 
«  taie  de  la  ville  jusqu'à  la  porte  Occidentale.  »  Or, 
ces  paroles  étaient  fort  offensantes  pour  les  oreilles  de 
toutes  les  femmes,  dont  une  multitude  infinie  assis- 
tait à  ce  sermon.  Car  tous  les  habitants  de  la  ville 
avaient  été  convoqués  par  la  voix  du  héraut,  au  nom 
du  seigneur  pape  prêt  à  partir.  Aussi  cette  ironie  pas- 
sa-t-elle  de  bouche  en  bouche,  parce  qu'elle  attaquait 
avec  un  cynisme  mordant  les  habitants,  tous  tant  qu'ils 
étaient. 

Le  pape,  ayant  donc  traversé  sain  et  sauf  beaucoup 
de  périls,  parvint  à  Milan.  Les  citoyens  allèrent  à  sfl 
rencontre  pour  lui  faire  honneur,  et  le  reçurent  avec 
grande  déférence,  le  jour  du  la  nativité  de  la  bien- 
heureuse Marie.  Mais  ensuile,  lorsqu  il  eut  béjourné 


AIWÉE  4254.  »S 

parmi  eux  pendant  un  mois,  et  qu'il  voulut  se  retii-er, 
ils  exigèrent  de  lui  une  somme  considérable,  qu'ils 
prétendaient  avoir  dépensée  contre  Frédéric,  pour 
l'honneur  de  l'église  et  pour  le  sien.  On  assure  que  le 
pape  leur  répondit  avec  modération  comme  il  suit  : 
"  Nous  savons  bien,  amis  de  Dieu  et  de  Téglise,  que 
-  vous  vous  êtes  exposés  à  de  grandes  pertes  et  à 
«  beaucoup  de  dangers  pour  Thonneur  de  Dieu  et 
«  de  son  église,  et  pour  le  nôtre;  mais  vous  savez 
M  bien  aussi  que,  chassé  de  Rome  et  subissant  l'exil, 
«  j'ai  supporté  de  grandes  pertes,  dans  ma  per- 
«  sonne  et  dans  mes  dignités.  Aussi  quand  la  for- 
«  tune  prospère,  sur  laquelle  je  compte,  et  qui  doit 
n  m'advenir  par  vos  soins ,  j'en  suis  sûr,  me  soa- 
"  rira,  je  vous  comblerai  d'honneurs  convenables, 
"  comme  il  est  juste.  »  Ce  fut  par  ces  paroles  et 
d'autree  semblables,  ainsi  que  par  des  présents, 
que  le  seigneur  pape,  généreux  en  dons  et  pro- 
digue en  promesses,  apaisa  prudemment  l'exigence 
des  citoyens  de  Milan,  sachant  bien  qu'il  avait  la 
main  prise  dans  la  gueule  du  lion.  De  plus,  il  ob- 
tint d'eux  que  la  généralité  des  habitants  prendrait 
les  armes  pour  lui  frayer  un  libre  chemin,  et  le  con- 
duirait avec  respect  jusqu'aux  limites  du  Milanais, 
en  le  maintenant  sain  et  sauf  contre  toute  violence, 
et  en  le  protégeant  sûrement  contre  tous  les  partisans 
de  Frédéric.  Le  pape,  s'étant  donc  mis  en  route  pour 
Pérouse,  non  sans  beaucoup  de  dé|)ense8,  se  garda 
bien  d'entrer  dans  aucune  grande  cité,  afin  de  ne  pas 
re^embler  au  poisson  tombé  duns  le  iilet  pour  n'en 


204  HENRI  III. 

plus  sortir.  Et  jusqu'à  ce  qu'il  fût  arrivé  à  Pérouse, 
il  pressa  sa  marche,  sans  épargner  les  flancs  de  ses 
chevaux.  Les  habitants  de  Pérouse  le  reçurent  avec 
empressement,  à  cause  des  profits  qu'ils  comptaient 
faire  sur  tous  ceux  qui  allaient  affluer  dans  leur  ville. 
Vers  le  même  temps,  l'abbé  de  Westminster, 
chapelain  du  seigneur  pape,  revint  de  la  cour  romaine, 
où  il  avait  contracté  des  dettes  et  des  obligations  non 
petites;  car  il  avait  continué  et  prolongé  son  séjour 
en  cette  cour,  et  s'était  concilié  les  cœurs  de  beaucoup 
de  courtisans,  au  point  que  Ton  croyait  pour  sûr 
qu'il  resterait  définitivement  auprès  du  seigneur 
pape,  parce  que  c'était  un  homme  fort  habile  dans 
les  affaires  difficiles.  Il  arriva  donc,  armé  de  pouvoirs 
de  toute  espèce  pour  faire  plier  son  couvent  sous  sa 
volonté,  et  sur-le-champ  se  rendit  auprès  du  roi,  à 
Windsor,  où  il  lui  chanta  la  messe  en  cérémonie  et 
vêtu  des  habits  pontificaux  ;  car,  par  sa  belle  voix  et 
par  sa  bonne  mine,  c'était  un  homme  qui  ne  laissait 
rien  à  désirer.  Il  alla  donc  en  toute  confiance  trouver 
le  roi,  et  lui  montra  les  lettres  de  plusieurs  hommes 
puissants,  afin  qu'il  lui  fût  permis  de  gouverner 
absolument  la  maison  de  Westminster,  que  le  sei- 
gneur roi  lui  avait  donnée  à  diriger,  en  l'adminis- 
trant sainement,  et  de  rétablir  les  possessions  dans 
leur  intégrité,  en  réunissant  ce  qui  avait  été  divisé. 
Mais  le  seigneur  roi,  dont  le  cœur  s'était  détourné  de 
lui,  regarda  l'abbé  de  travers  et  d'un  œil  irrité;  puis, 
élevant  la  voix,  l'accabla  d'injures  qu'on  no  peut  ré- 
péter. H  lui  rc|)r(»cliii,  entre  autres  choses,  de  l'avoir 


ANNÉE  \2bi.  2»5 

élevé  à  tort  à  la  di{;nité  d'abbé,  et  de  Tavoir  appelé 
inconsidérément  dans  son  conseil  secret.  «  Comment 
«  pourrais-je  me  6er  dans  ta  6délilé,   ajouta-t-il, 
«  quand  tu  t'efforces  de  grever  et  de  molester  tes 
«  frères,  qui,  depuis  longtemps,    sont   tes   compa- 
«  gnons  et  tes  commensaux?  »  Quoique  plusieurs  de 
ses  amis,  tels  que  Jean  Mansel  et  beaucoup  d'autres 
quMI  serait  trop  long  de  nommer,    intercédassent 
pour  ledit  abbé,  le  roi,  grandement  courroucé,  le 
chassa  et  Téloigna  tant  de  son  conseil  que  de  sa  fa- 
veur. EnOn  Tabbé,  supportant  à  regret  Tindignation 
du  roi,   consentit  à  prendre  pour  arbitres  le  comte 
Richard  et  Jean  Mansel,  s'engageant  à  avoir  pour 
bon  et  valable  ce  qu'ils  décideraient,  si  leur  décision 
était  approuvée  du  seigneur  roi  :  ce  qui  fut  accepté 
volontiei^s  par  le  couvent,  quoique  les  deux  arbitres 
fussent  les  grands  amis  de  l'abbé,  et  le  roi  lui-même 
y  consentit.  Ceux-ci,  après  de  longues  discussions, 
déboutèrent  Tabbé,  et  accédèrent  complètement  au 
désir  et  à  la  demande  du  couvent;  car  ils  savaient 
que  c'était  le  moyen  de  plaire  au  roi.  Mais  cette  con- 
troverse ne  fut  pas  terminée  cette  année-là. 

Vers  le  même  temps,  la  mère  et  les  frères  du  roi 
de  France  envoyèrent  une  grande  quantité  d'argent 
pour  la  rançon  dudit  roi.  Mais  pendant  que  le  vais- 
seau qui  portait  cet  argent  était  en  mer,  une  tempête 
s'éleva  et  l'engloutit  avec  tout  ce  qu'il  contenait.  A 
cette  nouvelle,  le  très-chrétien  roi  de  France  dit  :  «  Ni 
<t  cette  adversité  ni  toute  autre,  quelle  qu'elle  soit,  ne 
«  pourra  me  séftarer  de  l'amour  du  Christ.  »  C'est 


206  HENRI  III. 

ainsi  que  ce  roi  magnanime  réconfortait  les  autres 
qu'il  voyait  pusillanimes,  en  sorte  qu'on  pouvait  le  re- 
garder, en  vérité,  comme  un  second  Job.  Les  infidèles 
eux-mêmes,  touchés  de  pitié,  admiraient  sa  fermeté. 
Celte  même  année ,  dans  la  Frise ,  qu'on  appelle 
vulgairement  Friseland  ,  une  masse  d'eau  ,  sortie  à 
ce  qu'on  croit  de  la  mer,  causa  un  déluge  partiel,  et 
couvrit  et  occupa  un  espace  de  terre  qui  formait  en- 
viron sept  journées  de  marche.  Dans  cet  espace  de 
terre,  par  un  coup  soudain  de  la  vengeance  divine, 
tout  ce  qui  pouvait  marcher  périt  misérablement. 
Au  bout  de  quarante  jours,  cette  inondation  funeste 
retourna  d'où  elle  était  venue.  Les  habitants  des  pays 
voisins,  qui  étaient  restés  vivants,  parcoururent  alors 
les  profondeurs  des  rochers  et  des  chateaux  à  demi 
ruinés,  où  cette  inondation  mortelle  avait  submergé 
les  habitants.  Ils  y  trouvèrent  une  infinité  de  cada- 
vres ,  qui  avaient  autour  des  bras ,  du  cou  ,  des  doigts 
et  du  corps,  ainsi  que  sur  la  poitrine,  des  colliers, 
des  bracelets,  des  anneaux,  des  ceintures  précieuses, 
des  agrafes  d'or,  et  de  plus  des  vêtements  magni- 
fiques et  de  l'argent  en  quantité.  Tous  ces  malheu- 
reux, au  moment  de  mourir,  avaient  attaché  ces  ri- 
chesses autour  d'eux,  afin  que  s'ils  venaient  à  être 
découverts,  ils  fussent  ensevelis  plus  volontiers  par 
ceux  qui  les  trouveraient ,  et  que  leurs  obsèques  ne 
leur  coûtassent  rien.  C'est  ainsi  que  les  vivants  furent 
enrichis  par  les  dépouilles  des  morts.  Beaucoup 
d'entre  eux  se  rendirent  ù  la  foire  de  Saint-Botulph, 
et  veudirent  ù  vie  bonnes  conditions  de  l'or,  de  Tur- 


ANNEE  425^.  M7 

genl  et  des  pierres  précieuses,  aux  marchands  qui 
voulurent  eu  acheter. 

Vers  la  fêle  de  la  bienheureuse  Marie-Madeleine, 
Henri  de  Bath  ,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut , 
avant  promis  au  seigneur  roi  deux  mille  marcs,  ren- 
tra pleinement  en  grâce  et  revint  à  la  cour,  ne  se 
souvenant  plus  des  pièges  auxquels  il  avait  échappé. 

Vers  le  même  temps,  Alhelmar,  élu  à  Winchester, 
aborda  en  Angleterre  avec  une  nombreuse  et  magni- 
fique compagnie,  venant  des  pays  d'outre-mer.  Le 
roi  alla  joyeusement  à  sa  rencontre  avec  une  nom- 
breuse multitude  de  seigneurs,  et  principalement  de 
Poitevins.  Dans  le  nombre  se  trouvaient  les  deux 
frères  d'Alhelmar,  Guillaume  de  Valence  et  Geoffroi 
de  Lusignan  ,  le  roi  faisant  le  troisième  frère.  Ils  se 
félicitèrent  mutuellement,  et  le  lendemain  de  la  fêle 
de  Sainte-Marie-Madeleiue ,  qui  était  un  dimanche, 
une  grande  fête  et  un  festin  furent  célébrés  à  Win- 
chester :  ainsi  ce  qu'il  y  avait  de  magnifique  en  An- 
gleterre devint  le  |>artage  des  étrangers  à  Texolusion 
des  indigènes.  Ce  qui  augmenta  les  causes  de  joie,  ce 
fut  la  faveur  du  pape,  que  le  susdit  élu  s^était  conoi^ 
liée  avec  la  faveur  du  roi ,  faveur  qu'il  devait  à  son 
litre  de  frère.  Grâce  à  cette  coopération  puissante,  il 
avait  réussi  à  conserver  les  revenus  précédemment 
obtenus  .  qui  montaient  à  une  somme  de  plus  de 
mille  marcs.  Or  il  est  évident  que  ledit  élu,  qui  était 
pauvre  ,  devait  toutes  ces  richesses  aux  extorsions  du 
seigneur  roi  son  frère,  et  l'on  ne  croit  pas  qu  il  y  ait 
en  Anglelerre  une  seule  église  de  renuni  duut  les 


208  HENRI  HI. 

mamelles  n'aient  pas  fourni  du  lait  audit  Athelmar. 
Aussi  avons-nous  jugé  à  propos  d'insérer  dans  ce  li- 
vre un  fait  bien  capable  d'arracher  des  larmes  aux 
yeux  de  ceux  qui  l'apprendront.  L'abbé  de  l'église 
de  Saint-Albans,  pour  satisfaire  à  l'exigence  énorme 
et  impudente  du  seigneur  roi,  payait,  au  compte 
de  Simon  de  Norwich ,  clerc ,  cent  sols  sur  le  re- 
venu de  sa  chambre  '  d'échansonnerie.  Ledit  Si- 
mon étant  venu  à  mourir  au  bout  de  vingt  ans,  et 
étant  à  peine  enterré,  le  même  seigneur  roi  exigea, 
par  des  prières  armées,  que  ce  revenu  fût  transféré  à 
un  autre  et  servît  à  gorger  un  étranger,  ce  qui  eut 
lieu  malgré  l'abbé,  qui  eu  gémissait.  De  plus  le  sei- 
gneur roi  avait  demandé  que  ledit  abbé  octroyât  et 
payât  dix  marcs  annuels  ,  sur  sa  chambre ,  à  son 
frère  Athelmar,  élu  depuis  àWinchester.  Ledit  Athel- 
mar ayant  donc  été  élu  à  l'évêché  de  Winchester,  le 
roi  ne  rougit  pas  de  demander  aussitôt  que  les  mêmes 
dix  marcs  que  le  susdit  Athelmar  avait  touchés  pen- 
dant quelques  années  fussent  donnés,  par  une  trans- 
lation pareille  ,  à  je  ne  sais  quel  clerc  poitevin  ,  ce 
qui,  sans  parler  du  dommage,  ne  peut  manquer  de 
mettre  l'église  en  péril  ;  car  une  servitude  indélébile 
et  un  dommage  irréparable  menaçaient  de  l'envahir. 
Outre  cela  le  roi,  agissant  comme  un  tyran,  ne  crai- 
gnit pas  de  faire  subir  maintes  et  maintes  fois  à  l'é- 
glise du  bienheureux  Albans,  premier  martyr  d'An- 


'  Camera  y  dam  le  lens  dVraHtim.  (Voy.  la  note  2,  pagcSOri  du 
cinquième  volume.) 


ANNEE  425r  209 

glelerre,  des  injures  et  des  vexations  do  !oute  espèce. 
Mais  il  serait  fatigant  pour  l'écrivain  de  les  énumé- 
rer  dans  ce  livre ,  et  ennuyeux  pour  les  auditeurs 
d'en  entendre  le  récit. 

Dans  cette  nnéme  année,  un  certain  chevalier  let- 
tré ,  ou  plutôt  un  clerc-chevalier,  nommé  Paulin  , 
surnommé  le  Poivre  *,  alla  où  va  toute  créature  ,  à 
Londres  ,  auxnones  de  juin.  H  était  officier  de  bou- 
che du  seigneur  roi  et  l'un  de  ses  plus  intimes  con- 
seillers. Lorsque  pour  la  premièrcfois  il  vint  lécher  les 
miettes  de  la  cour  du  roi ,  il  est  notoire  qu'il  possé- 
daità  peinedeux  charruaiges  de  terre'';  mais,  au  bout 
de  quelque  temps,  il  avait  acquis,  bien  ou  mal,  tant 
de  terres  et  tant  de  revenus,  que,  possesseur  de  plus 
de  cinquante  charruaigesen  bonnes  terres,  il  parais- 
sait avoir  atteint  les  richesses  et  la  pompe  d'un  comte. 

*  Ptper,  dit  le  texte.  C'est  éTideinment  le  même  qai  eat  nommé 
plus  baot  Pevire.  Nous  pensons  que  Piper  est  une  traduction  analogue 
à  liufus  (le  Roux\  CœmeHtarius  (le  Maçon),  etc.,  et  nous  traduisons 
dans  ee  sens.  Faisons  remarquer  cependant  que  Ougdale  et  Camden 
êerireot  Peter.  Dans  une  charte  d'Edouard  11,  donnée  en  faveur  de 
TabiMye  de  Tbame,  on  lit  :  Cotifirmamus  concessionem  factam  per 
Paulum  Peter  de  tota  terra  quam  habuit  apvd  Sydenham.  (Dug- 
dale,  Monast.  Auylic.  torn  ii,  p.  8(13.) 

*  Noos  savons  que  le  terme  de  carrucata  {charruaige  au  moyen  âge, 
plougland  dans  l'anglais  moderne),  répond  à  celui  de  Uida.  Il  est  cer- 
tiioemeut  employé  dans  le  même  sens  par  Mutt.  Paris.  Ce  qui  est  moins 
eertain,  c'est  le  nombre  d'acres  que  renfermait  le  charruaige.  Toutefois, 
d'après  plusieurs  chartes  de  Henri  11  et  de  Kicbard,  et  conformément  à 
l'opinion  de  Spelman,  le  charruaige  en  Angleterre  comprenait  soixante 
acres.  En  France,  au  treizième  siècle,  c'était  seulement  cinquante  acres, 
♦f'oir  Cahpe.mier,  gloss,  carruata  et  atnucuiu.)  Le  sens  du  passage 
est  donc  que  Paulin,  avant  l'époque  de  sa  faveur,  poaaedait  à  peine  cent 

ni.  14 


2^0  HENRI  m. 

Ce  fut  un  acheteur  insatiable  de  terres,  et  un  bâtis- 
seur incomparable  de  manoirs.  Celui  de  Tudington, 
pour  nous  taire  sur  les  autres ,  se  composait  d'un 
palais,  d'une  chapelle,  de  chambres  à  coucher, 
d'autres  édifices  en  pierre  et  couverts  en  plomb  ,  de 
vergers  et  de  viviers,  en  sorte  qu'il  causait  l'admi- 
ration de  tous  ceux  qui  le  regardaient.  Or,  on  assure 
que  les  ouvriers  employés  pendant  plusieurs  années 
à  construire  ses  édifices ,  recevaient  pour  salaire  cent 
sols  par  semaine,  et  maintes  fois  jusqu'à  dix  marcs. 
Son  corps,  après  qu'on  en  eut  fait  Tanatomie,  fut 
enterré  à  Londres,  et  son  cœur  fut  porté  à  Tuding- 
ton ,  où  il  avait  battu  tranquille  pendant  la  vie  de 
Paulin.  Jean  de  Gray,  chevalier  brave  et  de  bonne 
mine,  épousa  la  femme  que  Paulin  laissait  veuve, 
et  un  successeur  inopiné  habita  ces  magnifiques  de- 
meures, qui  venaient  à  peine  d'être  achevées.  C'est 
ainsi  que  le  corps  de  Paulin  fut  partagé ,  de  même 
que  ses  possessions  furent  divisées  et  dispersées. 

vingt  acres  de  terre,  et  qu^à  sa  mort  il  en  laissait  plus  de  trois  mille. 
Voilà  comment,  6  abeilles,  vous  faites  du  miel  qui  n'est  pas  pour  vous. 

/ipitaphe  de  Puulin-le- Poivre. 

Que  Dieu  te  sauve,  i'aulin-le-Poivre  ;  et  que  la  vie  céleste  te  soit  don- 
nét  par  les  mérites  de  saint  Edouard. 

Item^  autre  épitaphe  du  même. 

C'est  ici  que  repose  la  cendre  de  Pauiin-lc-i'oivrc.  Héfléchis  ici,  qui 
que  tu  sois,  qui  portes  un  fardeau  de  cendre  matérielle.  Itegarde  :  Je 
«ois  wque  ta  seras,  et  j'étais  ce  que  tu  es*.  Prie  donc,  quand  tu  passe- 
ras par  ici,  pour  que  je  ne  sois  pas  laissé  m  pfîturc  nux  vers. 

'  Ce  rers  et  le  s«ns  généra I  de  cettp  épita|ih('  se  retrouvent  dans  cfllc 
d'Alcuin  et  dans  une  fouir  d'aulros. 


ANNEE  4 25^.  -  2U 

AiRIVÉE  DE  l'abbé  DE  ClUNY  EN  ANGLETERRE. — TRANS- 
LATION   DES   RESTES  d'aNCIENS  RELIGIEUX  A  SaINT-AlBANS. 

—  Mort  de    Geoffroi    Despencer.    —   AccusàTiows 

CONTRE  LES  CaCRSINS. SOULEVEMENT  DES  PASTOUREA0X. 

—  Leur  séjocr  et  lecrs  violences  a  Orléans.  —  Ledr 

ARRIVÉE  A  BOCRGES  ET  A  BORDEADX.  —  IlS  SONT  DISPER- 
SÉS. —  Mort  de  Job  le  Hongrois.  —  Une  autre  de 

LEURS  BANDES  EST  EXTERMINÉE. QUELQUES  PASTOUREAUX 

RECRUTÉS   EN    ANGLETERRE    PÉRISSENT    A  MONTREUIL.    — 

Helation  de  Thomas  de  Shirburn.  —  A  la  même 
époque  arriva  en  Angleterre  l'abbé  de  Cluny  ,  pour 
visiter  ses  moines ,  réformer  l'ordre  et  lever  autant 
d'argent  que  possible.  Tandis  qu'il  séjournait  dans 
les  pays  d'Angleterre,  et  s'occupait  degagner  de  l'ar- 
gent ,  quelques-uns  de  ses  voisins  dans  les  pays 
dV#utre-mer  s'emparèrent  par  la  force  de  plusieurs 
de  ses  châteaux  avec  leurs  dépendances.  Aussi  fal- 
lut-il qu'il  s'en  allât  en  grande  bâte. 

Dans  le  cours  de  cette  même  année ,  au  moment 
où  on  venait  d'achever  une  construction  en  pierre 
de  peu  d'importance  auprès  du  maitre-autel  de 
Saint-Albans,  du  côté  du  midi  ,  on  rassembla  avec 
soin  les  ossements  des  frères  défunts  ,  que  l'on  esti- 
mait au  nombre  de  trente,  et  ou  les  déposa  au  de- 
hors, dans  deux  tombeaux  de  pierre,  après  qu'on 
eut  pratiqué  une  arcade  dans  la  muraille.  Et  ce  fut 
avec  raison  :  car  on  doit  croire ,  sans  nul  doute  , 
que  c'était  là  un  trésor  précieux  qu'on  devait  cacher. 
Quelques-uns  de  ces  ossements,  que  l'on  découvrit, 
étaient  blancs  comme  de  l'ivoire,  plus  blancs  même 
dans  les  endroits  où  ils  étaient  cassés,  et  parfumés 


2^2  HENRI  HI. 

comme  s'ils  avaient  élé  oinls  de  baume.   De  plus, 
aux  chaussures  des  mêmes  frères ,  étaient  attachées 
des  semelles  encore  entières  et  non  pourries,  en  sorte 
qu'elles  paraissaient  même  pouvoir  servir  aux  pau- 
vres. Or,  ces  semelles  étaient  rondes  et  semblaient 
convenir  également  à  l'un  et  à  Tautre  pied.  Ces 
chaussures  étaient  tenues  par  des  courroies,  et  quel- 
ques-unes de  ces  courroies  n'étaient  pas  encore  pour- 
ries. Aussi  cette  vue  excita  non-seulement  l'admira- 
tion, mais  même  la  stupeur  detous  les  assistants,  sur- 
tout quand  on  songeait  que  ces  tombes  avaient  pour  le 
moins  cent  ans.  Mais  c'étaient  là  des  indices  de  sain- 
teté ,  comme  on  le  doit  croire  sainement  et  pieuse- 
ment. Aussi  quelques-uns  des  frères  survivants,  con- 
sidérant cela,  en  gémissaient,  et  disaient  dans  leurs 
âmes,  en  poussant  des  profonds  soupirs  :  «  Oh  !  com- 
«  bien  vénérables  étaient  nos  pères  ,  et  les  anciens 
«  moines  nos  prédécesseurs ,  pour  se  servir  de  pa- 
«  reilles  choses,  qui  sont  des  indices  de  sainteté.  Com- 
«  bien,  ôDieu!  tes  témoignages  sont  devenus  eroya- 
«  blés!  quelles  preuves  manifestes  de  bonté  et  de  féli- 
«  cité  nous  trouvons  surtout  dans  la  blancheur  et  la 
«  bonne  odeur  de  ces  ossements  si  humbles!  Alors, 
«  sans  doute  ,   les   églises  des  religieux  prenaient 
«  d'heureux  uccroissemenls,  tant  au  spirituel  qu'au 
«  temporel  ;  mais  présentement  elles  sont  attaquées, 
a  parce  que  les  prélats,  aussi  bien  que  les  seigneurs, 
«  abandonnent  énormément  les  traces  des  ancêtres , 
■  par  la  vengeance  de  Dieu.  Que  les  modernes  rou- 
'<  gissent,  eux  qui  sont  vêtus,  ou  plutôt  ornés  d'é- 
«  tofics  molles,  lines,  et  précieuses.  Que  dire  de  ces 


ANNÉE  4251.  215 

«  Ijens  à  tuuiques  et  à  chaperons'!  Oh  !  si  saint  Be- 
«  noit  ressuscitait  et  voyait  ces  choses ,  combien  il 
«  serait  offensé?  Mais,  à  mieui  dire,  ne  les  voit-il 
«  pas,  lui  qui  jadis  percevait  l'univers  entier,  ramassé 
«  sous  un  ravon  de  soleil  ?  Et  si  le  bienheureux  Ber- 
«  nard  était  témoin  de  ces  abus,  combien  il  en  gro- 
«  gnerait?  Car  ne  disait-il  pas  et  n'a-l-il  pas  écrit  : 
«  Rien  n'est  plus  abominable ,  aux  yeux  de  Dieu , 
«  qu'un  moine  trop  abondamment  repu  ,  trop  élé- 
«  gammeut  vêtu  ,  trop  étroitement  chaussé?  » 

Cette  même  année,  à  l'époque  où  mourut  Paulin, 
dont  nous  avons  parlé  pins  haut,  mourut  aussi  Geof- 
froi  Despencer,  chevalier  de  renom,  et  conseiller 
spécial  du  roi,  en  son  palais. 

A  la  même  époque,  les  usuriers  transalpins,  que 
nous  appelons  Cnursins  ,  se  multiplièrent  et  s'enri- 
chirent au  point  qu'ils  firent  l'acquisition  de  magni- 
fiques palais  à  Londres,  et  s'établirent  dans  des  de- 
meures fixes  comme  s'ils  eussent  été  des  citoyens 
indigènes.  Or,  les  prélats  n'osaient  pas  murmurer, 
parce  que  les  Caursins  se  proclamaient  les  marchands 
du  seigneur  pape,  ni  les  citoyens  s'y  opposer,  parce 
que  ces  Caursins  étaient  protégés  à  l'exemple  de  la 
cour  romaine,  par  la  faveur  de  quelques  seigneurs 
dont  ils  semaient  et  faisaient  valoir  l'argent,  à  ce 
qu'on  disait.  Toutefois  à  cette  époque,  d'après  la 
volonté  et  par  les  soins  avisés  du  seigneur  roi,  ils 
furent  accusés  grièvement  au  tribunal  civil,  mis  en 

<  Le  chaperon  (pifftts)  était  la  coiffure  ordinaire  des  laïques,  et  le  ca- 
puc«  celle  des  moines. 


2iA  HENRI  in. 

cause  à  Londres,  par-devant  le  juge  [  c'est-à-dire  le 
maire'  ],  faisant  fonction  déjuge,  au  nom  du  roi, qui 
servait  d'accusateur,  réputés  scbismatiques  ou  héré- 
tiques, et  coupables  de  lèse-majesté  royale.  Aussi 
étaient-ils  détenus  pour  être  incarcérés  et  même  plus 
{jravement  punis,  pour  cela  surtout  que,  faisant  pro- 
fession de  la  religion  chrétienne,  ils  souillaient  le 
royaume  entier  d'Angleterre  par  les  gains  honteux 
de  leurs  usures.  C'est  pourquoi  le  seigneur  roi  très- 
chrétien,  qui  avait  juré  de  conserver  intactes  les  sain- 
tes institutions  de  Téglise,  se  plaignait  d'être  grave- 
ment blessé  dans  sa  conscience.  Gomme  la  chose  ne 
pouvait  être  niée,  quelques-uns  d'entre  eux  furent 
pris  pour  être  tenus  en  [)rison  sous  bonne  garde; 
d'autres  se  cachèrent  dans  des  lieux  secrets.  A  cette 
nouvelle,  les  Juifs  se  réjouirent  d'avoir  des  compa- 
gnons de  servitude.  Knfin,  moyennant  une  somme 
d'argent  non  petite,  les  Caursins,  ces  émules  des 
Juifs,  furent  relâchés  en  paix  pour  un  temps.  L'un 
d'eux  me  déclara,  au  moment  où  j'allais  écrire  ceci 
sur  leur  compte,  en  confirmant  ses  paroles  par  un 
grand  serment,  que  s'ils  n'avaient  pas  fait  Tacqui- 
sition  de  demeures  somptueuses  à  Londres,  c'est  à 
peine  s'il  en  serait  resté  un  seul  en  Angleterre. 

Cette  même  année,  le  seigneur  pape  composa  cer- 
taines décrétâtes  qu'un  lecteur  attentif  pourra  trou- 
ver rapportées  au  livre  des  Addilamcnta^ . 

'  Sfdente  ïjond.  pro  judicc.  Nous  ajoutons  majore.  Sons  obscur  et 
le&te  mutilé. 

'  Viiiipz  raddilinnXIX  n  l.i  fin  du  volume. 


ANNÉE  1234.  SU 

A  la  même  époque  aussi,  rennemi  du  jjenre  hu- 
main espérant  avec  conGanee  que  le  Jourdain  coule- 
rail  dans  sa  bouche,  parce  qu'il  en  avait  déjà  fait 
boire  au  Soudan  de  Uabylone,  et  voyant  que  la  foi 
chrétienne  chancelait  et  s'écroulait,  même  dans  le 
doux  pays  de  France,  s'efforça  d'égarer  les  hommes 
par  une  ruse  d  une  nouvelle  espèce.  Un  certain  Hon- 
^ois  de  nation,  qui  avait  renoncé  méchamment  à 
sou  titre  de  chrétien,  et  avait  apostasie  dès  sa  pre- 
mière jeunesse,  après  avoir  puisé  abondamment  au 
puits  de  soufre  de  Tolède  la  science  arliGcieuse  des 
prestiges,  être  devenu  l'esclave  et  le  disciple  de  Mac- 
hometli  ,  et  être  arrivé  ainsi  à  sa  soixantième 
année,  avait  promis  pour  sûr  au  soudan  de  Baby- 
lone,  dont  il  était  le  serviteur,  qu'il  lui  amènerait 
une  multitude  infmie  de  chrétiens  à  faire  prison- 
niers, afin  que  les  Sarrasins  trouvassent  plus  facile- 
ment accès  dans  les  climats  des  chrétiens,  la  France 
étant  dépourvue  d'hommes  et  veuve  de  son  roi.  C'est 
{>ourquoi  l'imposteur  susdit,  qui  savait  le  français, 
l'allemand  et  le  latin,  se  mit  à  vagabonder  çà  et  là  , 
et  à  prêcher  sans  avoir  l'autorisation  du  pape,  ou  le 
patronage  d'aucun  prélat,  assurant  faussement  qu'il 
avait  reçu,  de  la  bienheureuse  Marie,  mère  du  Sei- 
gneur, la  mission  de  rassembler  les  pasteurs  de  bre- 
bis etd  autres  animaux,  et  ajoutant  qu'il  était  accordé 
«Fen  haut  à  ces  bergers  d'arracher  la  Terre-Sainte  et 
tous  les  esclaves,  des  mains  des  infidèles,  dans  l'hu- 
milité et  dans  la  simplicité  de  leurs  cœurs;  car  l'or- 
gueil des  chevaliers  français  avait  déplu  à  Dieu.  Ce 


216  HENKI  111. 

qui  faisait  ajouter  foi  à  ses  paroles,  c'est  qu'il  avail 
une  éloquence  persuasive,  et  tenait  sa  main  constam- 
ment fermée,  prétendant  faussement  que  la  charte 
qui  contenait  les  ordres  de  la  bienheureuse  Vierge 
y  était  renfermée.  Partout  où  il  appelait  à  lui  les 
pasteurs,  ceux-ci  abandonnaient  leurs  troupeaux  de 
brebis,  de  bœufs  et  de  chevaux,  et  le  suivaient  pas  à 
pas,  sans  consulter  leurs  seigneurs  et  leurs  parents, 
et  sans  s'inquiéter  des  moyens  de  subsistance'.  Or, 
il  usait  du  même  genre  de  maléûce  dont  il  s'était 
servi  jadis  en  France,  alors  qu'il  était  encore  imberbe 
et  dans  l'adolescence,  et  qu'il  avait  infatué,  environ 

*  M.  Francisque  Michel  a  placé  en  tête  d'an  Foman  qu'il  a  composé 
sur  cet  homme  singulier  la  plupart  des  documents  contemporains  relatifs 
aux  pastoureaux,  entre  autres  le  passage  entier  de  Matt.  Paris  qu'il  a 
transcrit  et  traduit.  (Paris,  librairie  de  Vimont,  4832).  L'extrait  des 
grandes  chroniques  de  Saint-Denis  est  le  plus  curieux  document  après 
celui  de  notre  auteur.  On  y  lit  à  Panure  1251  :  «  Ung  maître  qui  scavait 
I  l'art  magique,  fist  promesse  au  Soudan  de  Babilonno  qu'il  lui  amon- 
«  rait  tous  les  jouvenceaulx  de  XXV  ans  ou  de  XXX  ou  de  XVj  par  telle 
u  condition  qu'il  auroit  de  chascune  teste  lllj  bezans  d'or,  et  furent 
<(  faictes  cestes  couveoauces  au  temps  que  le  roy  cstoit  en  Chypre...  Le 
«  Soudan  lui  donna  or  et  argent  à  grant  foison  et  le  baysa  en  la  bouche 
«  en  signe  de  grant  amour.  Ce  maistre  se  partit  de  la  terre  d'oultre-mer 

•  et  s'en  vint  en  France.  Quant  il  fut  venu  en  la  contrée,  si  se  pourpcnsa 
«  en  quelle  partie  il  gcteroit  son  sort  ;  si  s'en  droit  alla  en  Picardie  et 

•  priost  une  pouidre  qu'il  portoit,  et  la  gctta  aux  champs  contrcmout  on 
»  l'air  au  nom  de  sacrifice  qu'il  faisoit  au  dyable,  etc.»  {Voy.  aussi  GuiL- 
LAUMEDE  Nanci.s,  Chrofiic.  in  Spicileg.  Luc  d'Achery,  torn,  ni,  et 
Les  Gestet  de  Louis  IX,  du  môme  auteur  en  français.)  Les  Annales  do 
Waverlt-y  cl  les  Annales  albiennes  donnent  également  quelques  lignes 
MD«  importance.  Un  manuscrit  de  la  bililiollièquc  royale,  no  SilOo,  in- 
titulé le  Livre  de  la  vie  ft  des  miracles  de  inonseiijnnir  saint  Louis. 
ni  orné  d'une  su|ierbc  ininiaturr  relative  nux  pastoureaux. 


ANNKE  ^25^.  217 

quarante  ans  auparavant,  tout  le  populaire  de  France, 
entraînant  avec  lui  une  immense  multitude  d'en- 
fants, qui  le  suivaient  aussi  pas  à  pas  en  chantant  : 
et  ces  enfants,  ce  qu'il  y  avait  d'étonnant,  ne  pou- 
vaient être  arrêtés  ni  parles  serrures  ou  les  barrières, 
ni  par  les  défenses  de  leurs  pères  et  de  leurs  mères,  ni 
par  les  caresses  ou  les  présents.  On  disait  que  Ro- 
bert, surnommé  le  Bougre,  faux  frère  de  Tordre  des 
Prêcheurs,  avait  infatué  une  infinité  d'hommes  par 
les  mêmes  prestiges,  puis  avait  livré  aux  flammes  des 
innocents  ainsi  infatués,  et  les  avait  exterminés  mon- 
strueusement, par  le  pouvoir  séculier  du  roi  de 
France  qu'il  avait  incliné  a  ces  cruautés.  Mais  ces 
choses  sont  racontées  ailleurs  plus  pleinement.  Or, 
le  susdit  vaurien,  et  tous  ceux  qui  le  suivaient,  avaient 
pris  la  croix.  Et  il  y  avait  beaucoup  d'hommes  qui 
leur  prêtaient  faveur  et  secours,  en  disant  que  Dieu 
faisait  souvent  choix  des  faibles  de  ce  monde  pour 
confondre  les  forts  ;  que  le  bon  plaisir  du  Tout-Puis- 
sant ne  s'appuyait  pas  sur  les  jambes  de  l'homme 
vigoureux,  et  qu  il  n'avait  pas  pour  agréables  ceux 
qui  présumaient  trop  de  leur  chevalerie  et  vaillance. 
Aussi  la  reine  Blanche,  qui  gouvernait  la  F'rance* , 
espérant  que  ces  pastoureaux  reprendraient  la 
Terre-Sainte,  et  vengeraient  ses  fils,  leur  témoignait 

'  Pour  iiMlM|aer  le  pouToir  absolu  doat  elle  avait  été  investie  par  cou 
iilf,  Blanche,  par  une  ordonnance  datée  du  2  mai  42-f 9,  fit  frapper  une 
nouvelle  monnaie  (|ui  serait  appelée  reine  d'or,  i-t  sur  latjuelle  de- 
vait Hre  représentée  une  reine  tenant  uue  couronne.  {Tabie  rhroiiol.  ées 
ordonn.du  lAtvrre,  p«);.  lU.) 


248  HENRI  III. 

faveur  et  protection.  Bientôt  leur  nombre  s'accrut 
considérablement,  au  point  qu'on  en  compta  cent 
mille  et  plus.  Ils  prirent  des  étendards  militaires,  et 
sur  le  drapeau  de  leur  chef  était  figuré  un  afjneau 
portant  bannière  :  Tagneau  en  signe  d'iiumililé  et 
dMnnocence,  la  bannière  avec  la  croix,  en  signe  de 
victoire. 

Vers  la  fête  de  saint  Barnabe,  Tarchevéque  de 
Cantorbéry  arriva  en  Angleterre,  et  annonça,  en  ra- 
contant tout  cela,  que  ce  fléau  avait  commencé  après 
Pâques,  dans  le  royaume  susdit.  Il  ajouta,  dans  sa 
relation ,  que  le  seigneur  pape  après  avoir  excom- 
munié, le  jourde  la  cène,  Conrad,  fils  de  Frédéric, 
et  tous  ses  fauteurs,  s'était  mis  en  route  le  mercredi 
de  la  semaine  de  Pâques,  sous  la  conduite  et  la  pro- 
tection de  Philippe,  élu  à  Lyon,  qui,  dans  ladite  con- 
duite, avait  fait  une  dépense  de  trois  mille  marcs. 
Or,  le  départ  du  pape  et  sou  absence  redoublèrent 
l'audace  et  l'arrogance  des  pastoureaux,  qui  se  multi- 
pliaient en  France,  et  augmentaient  en  nombre  et 
en  forces. 

De  toutes  parts  accouraient,  pour  se  joindre  à  eux, 
des  voleurs,  des  exilés,  des  fugitifs,  des  excommuniés, 
tous  gens  que  les  Français  ont  coutume  d'appeler 
vulgairement  ribauds;  en  sorte  qu'ils  formèrent  une 
armée  très-nombreuse,  qui  avait  déjà  cinq  cents 
étendards  pareils  à  In  bannière  de  leur  maître  et  de 
leur  chef.  Ils  portaient  des  glaives,  des  haches  à  deux 
tranchants,  des  javelots,  des  poignards  et  des  cou- 
teaux, et  paraissaient  d(\jà  plus  adonnés  au  culte  de 


ANNEE  4254.  249 

Mai's  qu  à  celui  du  Christ.  La  folie  les  gagna  :  ils  se 
mirent  à  célébrer  des  mariages  illicites  :  leurs  chefs 
et  leurs  maîtres,  qui,  bien  que  laïques,  s'arrogeaient 
le  droit  de  prêcher,  s'écartèrent  énormément,  dans 
leurs  prédications,  des  arliclesde  la  foi  chrétienne,  et 
des  règles  de  la  vérité  manifeste.  Si  quelqu'un  leur 
opposait  contradiction,  ils  ne  cherchaient  à  le  con- 
vaincre ni  par  des  raisons,  ni  par  des  autorités,  mais 
l'attaquaient  violemment  à  main  armée.  Leur  chef 
souverain  prêchait  entouré  d'une  troupe  d'hommes 
armés,  et  condamnait  et  réprimandait  tous  les  ordres 
religieux,  excepté  les  conventicules  desdils  pastou- 
reaux. C'étaient  surtout  les  Prêcheurs  et  les  Mineurs 
qu'il  appelâitdes  vagabonds  et  des  hypocrites.  Il  assu- 
rait que  les  moines  de  Tordre  de  Cîteaux  étaient  des 
amateurs  très-avares  de  troupeaux  et  de  terres  :  il 
traitait  les  moines  Noirs  de  gloutons  et  de  superbes, 
les  chauoines  de  demi -séculiers  et  de  mangeurs  de 
chair.  Il  disait  que  les  évêques  et  leurs  officiaux  ne 
savaient  chasser  que  l'argent  et  affluaient  en  délices 
de  toute  espèce.  Quant  à  la  cour  romaine,  il  l'acca- 
blait d'outrages  qu'on  ne  peut  répéter,  en  sorte  que 
ces  pastoureaux  paraissaient  évidemment  schismati- 
ques  et  hérétiques.  Mais  le  peuple,  en  haine  et  par 
mépris  du  clergé,  prétait  l'oreille  à  toutes  ces  invec- 
tives, et  y  applaudissait  favorablement  :  ce  qui  était 
fort  dangereux. 

Or,  le  jour  de  saint  Barnabe,  il8  parurent  engrande 
pom|)e  et  en  grand  nombre  devant  Orléann,  et  en- 
trèrent,   malgré  l'évèque  vi  liiniversité  du   clergé. 


220  HENRI  III. 

dans  la  ville,  où  ils  furent  bien  venus  des  habitants. 
Leurchef,  qui  faisait  le  prophète  puissant  en  miracles, 
ayant  annoncé,  par  la  voix  du  héraut,  qu'il  allait  prê- 
cher, ou  plutôt,  ayant  ordonné  comme  un  tyran  de 
se  rendre  à  cette  prédication,  le  peuple  accourut  en 
foule  pour   l'entendre.  Cependant    l'évéque   de  la 
ville,  redoutant  grandement  ce  fléau  funeste,   dé- 
fendit, sous  peine  d'anathème,  qu'aucun  clerc  allât 
entendre  leurs  prédications  ou  suivît  leui*s  traces, 
assurant  que  tout  cela  était  piège  du  diable.  Quant 
aux  laïques,  ils  méprisaient  dès  lors  ses  menaces  et  ses 
ordres.  Cependant  quelques-uns  des  écoliers  clercs, 
transgressant  témérairement  les  limites  de  la  prohi- 
bition episcopate,  ne  purent  s'abstenir  de  prêter  à 
cette  nouveauté  inouïe  leurs  oreilles  qui  leur  déman- 
geaient, non  pas  toutefois  pour  embrasser  les  erreurs 
de  ces  gens-là,  mais  seulement  pour  être  témoins 
d'une  si  rare  insolence;  car  n'était-il  pas  nouveau  et 
absurde  qu'un  laïque,  voire  même  un  plébéien,  au 
mépris  de  l'autorité  pontificale,  se  mît  à  prêcher  si 
audacieusement  en  public  et  dans  une  ville  même  où 
florissait  une  université  d'écoliers,  et  cherchât  à  in- 
fecter de  ses  impostures  les  cœurs  et  les  oreilles  de 
tant  de  peuple?  Or,  ces  pastoureaux  déployaient  cinq 
cents  bannières  :  aussi  les  clercs  les  plus  prudents  se 
tinrent  cachés,  non  sans  trouble  et  non  sans  frayeur, 
dans  leurs  hôtels,  après  avoir  fermé  solidement  les 
portes  et  abafssé  les  barrières.  Le  maître  susdit,  étant 
donc  monté  en  chaire  pour  prêcher  en  public,  com- 
mença, sons  prendre  aucun  texte  pour  son  sermon,  à 
vomir,  à  grands  éclats  de  voix,  des  indignités  qu'on  ne 


ANNÉE  4254.  224 

peut  répéter.  Alors  un  des  écoliers,  qui  se  tenait  à 
distance,  s'avança  audacieusement  plus  preset  ne  put 
s'empêcber  de  s'écrier  :  «  0  hérétique  très-pervers  et 
a  ennemi  de  la  vérité,  tu  en  as  menti  sur  ta  léte.  Tu 
«  trompes  ces  innocents  par  tes  faux  et  fallacieux  dis- 
«  cours.  »  A  peine  avait-il  achevé,  qu'un  de  ces  vaga- 
bonds, se  jetant  sur  lui,  et  brandissant  une  hache  re- 
courbée, lui  partagea  la  tète  en  deux  et  le  blessa  de 
manièi*e  qu  il  n'ajouta  pas  un  seul  mot  de  plus.  Un 
grand  tumulte  s'éleva ,  et  ceuxque  nous  avons  nommés 
jusqu'ici  pastoureaux,  maisqui  méritent  plutôt  d'être 
appelés  imposteurs  et  précurseurs  de  l'Antéchrist, 
se  répandirent  de  toutes  parts,  se  jetèrent  en  général 
sur  le  clergé  d'Orléans,   attaquèrent  à  main   armée 
des  hommes  sans  défense,  pillèrentdes  livres  de  grand 
prix  et  les  jetèrent  au  feu,  après  avoir  brisé  les  portes 
et  les  fenêtres  ;  ils  massacrèrent  beaucoup  de  clercs, 
noyèrent  ceux-ci  dans  la  Loire,  blessèrent  ceux-là  et 
en  dépouillèrent  un  grand  nombre,  pendant  que  le 
peuple  de  la  ville  voyait  toutes  ces  horreurs  avec  des 
yeux  de  connivence,  ou  à  mieux  dire  y  applaudissait  : 
ce  qui  lui  valut  d'être  appelé  race  de  chiens.  Voyant 
cela,  ceux  qui  s  étaient  enfermés  et  cachés  dans  leurs 
maisons,  se  sauvèrent  en  foule  secrètementet  pendant 
la  nuit.  Toute  l'université  fut  donc  troublée,  et  il  fut 
avéré  que  vingt-cinq  clercs  environ  avaient  succombé 
misérablement,  sans  compter  les  blessés  et  ceux  qui 
avaient  souffert  dommage  d'une  façon  ou  d'une  autre. 
L'évêque  et  les  siens,  qui  s'étaient  cachés  pour  n'être 
pas  enveloppés  dans  de  semblables  calamités,  su- 


222  HENRI  HI. 

birent  plusieurs  opprobres  et  dommages.  Les  pas- 
toureaux, craignant  qu'une  sédition  ne  s'élevât  dans 
la  ville,  et  qu'il  ne  leur  survînt  des  ennemis  qui  en 
viendraient  aux  mains  avec  eux,  se  retirèrent.  Cepen- 
dant l  evêque,  ne  voulant  pas  être  assimilé  à  un 
chien  qui  ne  peut  aboyer,  mit  la  ville  en  interdit, 
parce  que  les  habitants  s'étaient  rendus  coupables  de 
permission,  consentement  et  coopération  :  ce  qui  les 
marquait  d'infamie.  Les  clameurs  et  les  plaintes 
parvinrent  aux  oreilles  de  la  reine  Blanche  et  des 
seigneurs,  mais  surtout  des  prélats.  Or,  la  reine  ré- 
pondit modestement  :  «  Dieu  m'en  est  témoin  :  je 
<t  croyais  qu'ils  allaient  conquérirtoute  la  Terre-Sainte 
«  dans  la  simplicité  et  la  sainteté:  mais  dès  que  je  les 
«  reconnais  pour  imposteurs,  qu'ils  soient  excom- 
«  munies,  pris  et  anéantis.  »  Ces  charlatans,  tous 
tant  qu'ils  étaient,  furent  donc  excommuniés  et  dé- 
noncés tels.  Mais,  avant  que  cette  sentence  eût  été 
publiée,  ils  se  présentèrent  artificieusement  devant 
Bourges,  dont  les  portes  leur  furent  ouvertes,  du  con- 
sentement des  habitants,  qui  violèrent  en  cette  occasion 
la  défense  de  l'archevêque.  La  majeure  partie  d'iceux 
entra  dans  la  ville  :  le  reste  s'arrêta  dans  les  champs  de 
vignes  hors  de  la  ville;  car  ils  étaient  si  nombreux 
qu'aucune  cité  n'aurait  pu  les  recevoir  commodé- 
ment. Il  y  avait  aussi  beaucoup  de  leurs  troupes  qui 
parcouraient  diverses  provinces;  Paris  même  s'était 
senti  de  leur  passage.  Or,  le  chef  de  ces  imposteurs 
ayant  promis  de  |)rononcer  un  sermon  en  public  et 
de  faire  des  miracles  surprenants,  une   multitude 


ANNÉE  4251.  225 

uorabreuse  de  peuple  accourut  ife  toutes  parts  pour 
entendre  et  pour  voir  aloi's  ce  que  les  siècles  passés 
n'avaient  ni  vu  ni  entendu  précédemment.  Mais  , 
comme  ce  traître  avançait  des  absurdités,  et  comme 
on  découvrit  Fartificedes  miracles  qu'il  avait  promis 
d'opérer,  un  boucher,  qui  setrouvait  parmi  le  peuple, 
le  frappa  à  la  tète  de  sa  hache  à  deux  tranchants,  lui 
lit  jaillir  la  cervelle,  et  l'envoya  auTarlare.  Il  fut  jeté 
sans  sépulture  dans  un  carrefour,  et  laissé  en  pâture 
aux  bêtes.  Bientôt,  le  bruit  s'élaut  répandu  que  tous 
les  pastoureaux  ainsi  que  leurs  fauteurs  et  auditeurs 
étaient  excommuniés,  ils  furent  dispersés  *,  et  on  les 
égorgea  de  tous  côtés  comme  des  chiens  enragés. 

'  Le  récit  de  Guillaume  de  Nangis  et  des  chroniques  de  Saint-Denis 
diffère  de  celui-ci.  Nantis  rapporte  qu'en  sortant  de  Bourges,  Job  et  ceux 
qui  le  suivaient  furent  atteints  «  entre  Mortemer  et  la  Neuville  dessus 
«  un  fleuve  (Villeneure-sur-t^er),  *  que  l'imposteur  y  fut  tué  et  sa 
troupe  dispersée.  Selon  les  chroniques  de  Saint-Denis,  le  maître  de 
Hongrie,  en  partant  de  Paris,  détacha  une  partie  de  ses  hommes  vers 
liourges,  et  se  rendit  directement  à  Marseille  où  ils  devaient  le  rejoindre 
■Tce  le  fmit  de  leurs  pillages.  Mais  les  chefs  des  pastoureaux  furent  pris 
à  Bourges  et  pendus.  Les  eufants  qui  les  avaient  accompagnés,  retour- 
nèrent dans  leur  pays,  et  le  bailli  de  Bourges  envoya  en  toute  hùte  des 
roeuagers  à  Marseille,  avec  des  lettres  •  auxquelles  toute  la  mauvaislié 
<  do  maistrede  Hongrie  cttoit  contenue.  Si  fust  tantost  prins  et  pendu 
•  à  unes  haulles  fenrehet;  et  les  pastoureaulx  qui  allaient  après  lay, 
«  t'en  tetournèrent  poires  et  mendiants.  •  Quelque  idée  qu^on  doive  se 
former  des  moyens  d'action  dont  disposait  ce  personnage  mystérieux,  un 
s^explique  asseï  facilement  l'enthousiasme  qu'il  inspira.  Les  tristes  nou' 
velle*  reçoM  de  la  Terre-Sainte  avaient  disposé  les  esprits  à  la  sédition. 
Les  noble*,  Im  teigneurs,  les  puissants  ayant  échoué,  la  multitude  fut 
portée  à  croire  que  Jésus-Christ  rejetait  de  son  service  les  grands  delà 
terre,  et  qu'il  nu  voulait  pour  défenseurs  que  des  hommes  simples,  des 
bergers  et  des  laboureurs. 


224  HENRI  HI. 

Semblablement,  quelques-uns  de  leurs  convenlicules 
étant  arrivés  à  Bordeaux,  on  ferma  les  portes  par 
l'ordre  de  Simon,  comte  de  Leicester,  et  on  leur  re- 
fusa rentrée  :  comme  ils  demandaient  à  être  admis, 
le  comte  leur  répondit  :  «  En  vertu  de  quelle  autorité 
«  faites-vous  cela?  »  Ceux-ci  lui  répondirent  en  di- 
sant :  «  Ce  n'est  pas  l'aulorité  du  pape  ou  de  quelque 
«  évêque  que  nous  mettons  en  avant,  mais  celle  du 
«  Dieu  tout-puissant  et  de  la  bienheureuse  Marie  sa 
«  mère,  qui  est  une  autorité  bien  autrement  respec- 
«  table.  wMais  le  comte,  en  entendant  cela,  traita  jus- 
tement ces  raisons  de  prétextes  frivoles,  et  leur  fit 
dire  une  seconde  fois  :  «  Retirez-vous  au  plustôt 
«  tous  tant  que  vous  êtes,  ou  je  convoquerai  toute  ma 
«  chevalerie,  avec  la  commune  de  cette  ville  et  les 
«  gens  du  pays  ;  puis,  vous  attaquerai  à  main  armée 
«  et  vous  couperai  la  tête.  » 

En  entendant  cette  réponse,  ces  malheureux,  saisis 
deslupeur,  devinrent  comme  du  sable  sans  mortier. 
Chacun  d'eux  pourvut  à  son  salut  en  prenant  la  fuite 
décote  et  d'autre,  et  dans  leur  dispersion  ils  furent 
exposés  à  des  périls  de  toutgenre.  Un  de  leurs  chefs 
et  de  leurs  maîtres,  s'étant  échappé  secrètement,  et 
ayantloué  un  vaisseau,  chercha  à  retourner  en  toute 
liAte  dans  les  pays  infidèles,  d'où  il  venait;  mais  les 
matelots,  s'apercevant  que  c'était  un  traître  et  le  com- 
j)a{jnon  de  ce  Hongrois,  dont  on  a  parlé  plus  haut, 
que  les  habitants  de  Bourges  avaient  massacré,  lui 
lièrent  les  pieds  cl  les  mains  et  jetèrent  ce  misérable 
vagabond  dans  la  Gironde;  c'est  ainsi  qu'en  écliap- 


ANNEE  425<.  225 

pant  h  Scylla  il  tomba  dans  Cliarybde.  Or,  on  trouva 
dans  ses  coffres,  avec  une  forte  somme  d'argent, 
plusieurs  chartes  écrites  en  lettres  arabes  et  cbnl- 
déennes,  et  chargées  de  caractères  étrangers,  ainsi 
que  des  poudres  empoisonnées  pour  fabriquer  des 
potions  mortelles.  La  teneur  de  quelques-unes  de  ces 
chartes,  comme  on  le  découvrit  plus  tard,  portait 
que  le  Soudan  Texhortait  instamment  à  persévérer 
dans  l'entreprise  commencée,  lui  faisant  espérer  une 
grande  récompense.  On  pourrait  résumer  aussi  quel- 
ques-unes de  ces  lettres,  en  disant  qu'il  devait  con- 
duire au  même  soudan  un  peuple  innombrable.  Ainsi 
péri  rent  ces  deux  magiciens  enveloppés  dans  les  filets 
de  Satan. 

Un  troisième  avait  eu  Taudace  de  venir  en  Angle- 
terre, et,  ayant  abordé  à  Shoreham  *,  avait  rassemblé 
en  peu  de  temps  sous  ses  ordres  plus  de  cinq  cents 
pasteurs,  laboureurs,  porchers,  bouviers,  et  popu- 
laire de  cette  espèce.  Mais  comme  ils  furent  dissémi- 
nés par  rexcommunication  qui  les  frappa,  par  la 
mort  du  Hongrois,  leur  principal  maître,  et  de  son 
compagnon,  et  par  la  dispersion  des  complices  de 
ces  imposteurs,  ils  furent  réduits  à  une  condition 
irès-fûcheuse.  Or,  leur  chef,  étant  venu  à  MontreuiP, 

'  Petit  port  très-fréqueoté  au  moyea  âge  près  de  Lewes,  comté  do 
SuMK.  AppUraits  quod  Sorham  (texte  Air).  M.  Franc.  Michel  s'est 
mépris  en  traduisant  :  voulant  exécuter  ce  qu'avait  résolu  Sorham. 
Noos  n'aTons  pas  besoin  de  faire  remarquer  que  Sorbam,  port  d'Angle- 
lerre,  ne  peut  être  le  nom  du  troisième  chef  des  pastoureaux. 

*  Monsireolum.  Il  n'y  a  aucun  lieu  de  ce  nom  en  Angleterre.  Il  faut 
done  eomprendre,  malgré  rinrertilude  du  texte,  que  lo  personnage  dont 
VJl.  ^.j 


226  HENRI  IIÏ. 

se  proposa  de  prêcher  en  ce  lieu  ;  mais  comme  il  se 
mit,  dans  son  discours,  à  prononcer  des  erreurs  ou 
plutôt  des  folies,  ceux  qui  Técoutaient  se  soulevèrent 
contre  lui.  Alors,  pendant  qu'ils  couraient  aux  armes, 
ce  misérable  se  sauva  dans  une  forêt  ;  mais  il  y  fut 
bientôt  pris  et  haché,  non-seulement  en  pièces,  mais 
en  menus  morceaux.  Aussi  les  corbeaux  eurent 
bientôt  fait  d'engloutir  son  cadavre. 

Cependant  un  grand  nombre  de  ceux  qui  avaient 
suivi  ces  imposteurs,  sachant  qu'ils  avaient  été  sé- 
duits, et  reconnaissant  leur  propre  misère,  déposè- 
rent, d'après  la  pénitence  qui  leur  avait  été  infligée, 
les  croix  qu'ils  avaientreçues  des  mains  de  ces  traîtres, 
les  reprirent  de  nouveau  des  mains  d'hommes  re- 
commandables ,  et  accomplirent  en  bon  ordre  leur 
pèlerinage.  Ils  passèrent  en  Terre-Sainte  et  se  joi- 
gnirent à  la  compagnie  du  roi  de  France,  après  la 
délivrance  de  ce  dernier,  comme  il  sera  dit  plus  bas. 
Or,  ils  assuraient  que  leurs  maîtres  leur  avaient  pro- 
mis qu'ils  délivreraient  le  roi  de  France,  et  que  c'é- 
tait pour  cela  qu'ils  s'étaient  tous  croisés  à  l'envi. 
Un  moine  de  Shirburn,  le  seigneur  Thomas,  Nor- 
mand de  nation,  homme  discret  et  éloquent,  qui 
avait  élé  envoyé  à  cette  époque  dans  les  pays  d'outre- 
mer pour  travailler  aux  affaires  difficiles  du  roi,  fnt 
pri8  par  les  pastoureaux  dont  nous  avons  parlé  pré- 
cédemment et  retenu  pendant  huit  jours.  Comme  il 
ne  voulut  pas  céder  à  leurs  déclamations  menson- 


il  s'agit  ici  rcpaiu  en  Frauce  afec  let  levers  qu^il  nviiit  raitci,el  trouva 
U  morl  à  Monlrcuil  eii  lioulcnaii. 


ANNEE  423<.  227 

gères,  il  fut  Irès-grièvement  bâtonné;  mais  s'étant 
écliappé  à  graiid'peine  pendant  la  nuit,  il  vint  trou- 
ver le  roi  à  Winchester,  et  raconta  fort  au  long  au- 
dit roi  toot  ce  qu'on  vient  de  voir  et  d'autres  détails 
encore  sur  leurs  artifices,  en  présence  de  celui  qui 
écrit  cette  histoire.  Or,  l'écrivain  nota  aussitôt  iîdèle- 
inent  et  pleinement  les  faits  qu'il  tenait  de  la  bouche 
du  narrateur,  parce  que  c'était  un  homme  digne  de 
foi. 

Or,  les  hommes  graves  et  discrets  ainsi  que  les 
prélats  recommaudables  par  leur  sagesse,  disaient 
que  depuis  le  temps  de  Mahomet  jamais  aucun  fléau 
plus  redoutable  n'avait  menacé  l'église  du  Christ, 
surtout  quand  la  foi  commençait  à  vaciller  dans  le 
royaume  de  France  à  cause  de  l'infortune  qui  était 
arrivée  au  roi  de  France. 

Damiette  est  rasée.  —  Nouvelles  décrétales.  — 
Apparition  d  oiseacx  surprenants  en  Angleterre.  ■ — 
Le  pape  arsoct  des  seigneurs  qu'il  avait  excommuniés. 

—  Prise  de  Castillon  en  Gascogne.  —  L'évêque  de 
LiNcoLA  PUNrr  les  incontinents  et  poursuit  ses  hé- 
poiMCs.  —  Nouvelles  de  la  Terre-Sainte.  —  Arrivée 

ET  DORS   DU  roi   A  SaINT-AlBANS.   —    PlUIE  ABONDANTE. 

—  Visitation  a  Saint-Albans.  —  L'abbé  de  cette  com- 
munauté ÉLUDE  SES  promesses.  —  Vers  le  même  temps 
aussi,  le  soudau  de  Babylone,  voyant  que  Damiette 
avait  élé  deux  fois  la  proie  et  la  conquête  des  chré- 
tiens, ordonna  qu'on  la  rasût  jusqu'au  sol  '. 

•Oa  ne  Uùu  lubsùter  que  la  grande  inos<]uée.  Ouze  ans  après,  ah 
««Mbia  taémr  IVmUourhure  du  Nil  |M>ur  qu'une  UoUe  cltrt'tieiiiw  ne  j»ùl 


228  HENR[  111. 

A  la  même  époque ,  le  seigneur  pape  composa 
quelques  nouvelles  décrétales^  qu'un  lecleur  attentif 
trouvera  au  livre  des  Additammta. 

Dans  le  cours  de  la  même  année,  à  Tépoque  des 
fruits,  quelques  oiseaux  surprenants  qui  jusqu'alors 
n'avaient  jamais  paru  en  Angleterre,  et  qui  étaient  un 
peu  plus  gros  que  des  alouettes^,  se  jetèrent  surtout 
sur  les  vergers  et  s'attaquèrent  aux  pépins  des  fruits, 
sans  manger  rien  autre  chose  de  ces  mêmes  fruits. 
Aussi  causèrent-ils  grand  dégât  en  privant  les  arbres 
de  leurs  fruits.  Or,  ils  avaient  le  bec  croisé  et  s'en 

pas  reinonlcr  le  fleuve.  Mais  la  nouvelle  Damieltc  ne  tarda  point  cejicn- 
dunt  à  reprendre  une  grande  prospérité  commerciale. 

*  Voy.  l'addition  XIX  à  la  fin  du  volume. 

*  Guill.  Wats,  dans  son  auctarium,  consacre  une  longue  note  à  ce  pas- 
sage de  Matt.  Piiris,  et  transcrit,  à  cet  égard,  quelques  renseignements  qui 
lui  avaient  été  fournis  par  iiOjjer  Twysden,  baronnet  de  ses  amis,  lequel 
les  avait  tirés  lui-même  des  mémoires  de  son  j;raud-père.  Dans  Puulomne 
de  4595,  année  remarquable  parla  multitude  des  fruits,  une  nuée  d'oi- 
seaux inconnus  vint  s'abattre  en  Angleterre.  Leur  plumage  était  varié  ;  le 
jaune  et  le  rouge  y  dominaient.  Ils  étaient  de  la  grosseur  d'un  chardon- 
neret {Bulfinrli).  Us  avaient  le  bec  en  croix  et  s'attaquaient  uniquement 
aux  pépins  des  fruits,  comme  ceux  dont  parlo  ici  le  texte.  Les  mâles 
avaient  la  partie  supérieure  du  bec  recourbée  ;  chez  les  femelles,  au  con-* 
traire,  c'était  la  mandibule  inférieure  qui  revenait  sur  l'autre.  Ces  oi- 
seaux étaient  doux,  se  laissaient  prendre  et  tuer  sans  défiance,  ce  qui 
semblait  nniiniicer  qu'ils  venaient  de  pays  où  l'homme  n'haliilait  pas. 
Leur  chair  était  délicate  et  assez  savoureuse.  Apres  la  récolte  des  fruits, 
ils  disparurent.  Guill.  Wats  remarque  qu'à  la  suite  do  ces  oiseaux  la 
disette  se  fit  sentir  dans  les  années  l.*>9."i,  \^i{)H  et  I5î)7,  tandis  qu'au 
temps  de  Mott.  Fâris,  le  prix  des  vivres  n'augmenta  qu'en  \lîSi7^  c'ost-i- 
dire  six  ans  après  la  venue  de  ces  oiseaux.  Le  même  auteur  voit  dans 
cette  espèce  étrangère  celle  qui  a  été  décrite  par  Gcsner  et  Aldovrandus 
•<>ut  le  nom  de  loria.  Nous  laisionN  aux  naturalistes  la  di-cition  de  cette 
question . 


ANNÉE  123^  229 

servaient  comme  de  ciseaux  ou  de  couteau  pour  par- 
tager les  fruits.  Eu  outre,  les  parties  de  fruits  qu'ils 
laissaient  semblaient  gâtées  et  comme  empoisonnées. 
Le  4  avant  les  calendes  de  juillet,  le  pape,  au  mo- 
ment de  quitter  Gênes,  s'efforça  de  rappeler  à  la  paix 
deTéglise,  en  leur  envoyant  des  députés  pacifiques  et 
soleunels,  quelques  seigneurs  qu'il  avait  horrible- 
ment excommuniés  le  jour  de  la  Cène.  Parmi  eux  se 
trouvait  Thomas  de  Savoie,  à  qui  il  désirait  unir  sa 
nièce  par  niariage.  Dans  cette  sentence,  le  pape  n'a- 
vait pas  épargné  Conrad.  Pour  fortifier  davantage  son 
parti,  il  donna  une  de  ses  nièces  en  mariage  à  un 
homme  puissant,  appelé  le  seigneur  de  la  Tour  du 
Pin,  qui  consentit  à  ce  mariage  non  pas  tant  pour  la 
femme  en  elle-même,  que  pour  l'argent  qu'elle  lui 
apportait  :  car  le  pape  faisait  don  avec  la  fille  d  une 
somme  de  vingt  mille  marcs  d'argent.  Le  pape  fit 
aussi  épouser  à  Thomas  de  Savoie,  jadis  comte  de 
Flandre,  une  autre  de  ses  nièces  \  après  Ta  voir  absous 
des  liens  de  Texcommunication  qui  l'enveloppaient, 
et  en  lui  rendant  plusieurs  revenus  qu'il  devait  rece- 
voir de  Flandre,  et  qui  durent  lui  être  payés  dès  loi-s 
intégralement  et  satisdiflieulté.  Comme  ces  revenus, 
d'après  la  défense  du  pape,  avaient  été  retenus  pen- 
dant plusieurs  années,  tant  que  ledit  Thomas  était 
resté  exconmiunié ,  le  seigneur  pape  ordonna  que 
puisqu'il  était  réconcilié,  tout  Turriéré  lui  fût  soldé 
désormais.  En  effet,  telle  était  hi  vertu  de  ces  noces 

•QuVkl  (Ir^euu  Ir  pn-l^ntlu  iiiam^f  de  ce  priiKo  a»rc-  uuc  lillc  de 
Frftirric?  '.  Toy.  J4  ijoti-  à  U  fuge  372  du  vuluine  vj.) 


250  HENRI  in. 

sacrées,  que  de  fils  de  colère  il  devint  fils  de  ({rAce 
et  vase  d'élection.  Mais  les  os  de  Frédéric  restèrent 
dans  l'excommunication  que  lé  pape  avait  prononcée, 
ainsi  que  Conrad,  fils  de  Frédéric  qui,  d'après  la  do- 
nation de  son  père,  s'était  emparé  forcément  de  la 
meilleure  partie  de  l'empire,  et  s'était  approprié  les 
royaumes  de  Sardaigne,  de  Sicile,  d'Apulie  et  de 
Calabre  violemment  et  sans  l'assentiment  de  l'église 
romaine.  Gerald  le  Marseillais  avec  les  citoyens  de 
Marseille,  les  habitants  de  Crémone,  ceux  de  Pavie 
avec  leurs  fauteurs  et  beaucoup  d'autres,  dont  les  uns 
avaient  été  excommuniés  nominalement,  les  autres 
en  masse  le  jour  de  la  Cène,  restèrent  liés  par  la  sen- 
tence. Aussi  les  ennemis  de  l'église  se  multiplièrent 
et  les  maux  s'accrurent  ajoutés  aux  maux. 

Vers  le  même  temps,  le  comte  de  Leicester  Simon 
triompha,  dans  les  pays  d'outre-mer,  d'une  foule  de 
Gascons  ennemis  du  seigneur  roi.  Il  s'empara  aussi 
d'un  certain  château  nommé  Castillon  qui  servait  de 
refuge  à  tous  les  rebelles. 

A  la  même  époque,  l'évêque  de  Lincoln  ayant  fait 
dans  son  diocèse  un  examen,  une  enquête  exacte  et 
des  investigations  rigoureuses,  força  les  bénéficieis  à 
être  continents  et  les  obligea  même  à  éloigner  d'eux 
les  femmes  suspectes.  H  [)unit  les  transgresseurs  en 
les  privant  de  leurs  bénéfices ,  et  s'efforça  d'extirper 
les  vices  de  son  évêché.  Par  ses  prières  gracieuses  et 
par  SCS  persuasions  austères,  il  entraîna  et  décida 
plusieurs  clercs  à  recevoir  les  ordres  et  l'office  sacer- 
dotal. Il  prononçait  fréquemment  des  sermons  de- 


ANNEE  42SI.  231 

vaDt  le  peuple,  y  convoquait  les  prêtres  des  euvirons 
et  les  forçait  d'y  assister  sous  des  peines  fixées.  Il  > 
haïssait  les  détestables  Romains  qui  présentaient 
pour  être  pourvus  uu  bref  du  pape,  comme  s'ils  eus- 
sent été  des  serpents  venimeux,  et  il  disait  que  s  il 
leur  confiait  la  garde  des  âmes,  il  croirait  agir  comme 
Satan.  Aussi  rejK)ussait-il  souvent  les  lettres  scellées 
du  pape,  et  s'opposait-il  formellement  à  de  pareilles 
injonctions. 

Vers  le  même  temps ,  au  moment  où  les  abbés 
Cisterciens  étaient  réunis  en  chapitre  général,  uncer- 
tain abbé  du  même  ordre,  député  du  seigneur  roi 
de  France,  lit  donner  lecture  dans  le  chapitre  d'une 
lettre  du  même  roi  dont  voici  la  teneur  :  «  Le  roi  de 
France ,  son  épouse  et  le  peu  de  serviteurs  qu'ils 
avaient  avec  eux,  étaient  en  santé  corporelle  telle- 
ment quellement,  et  attendaient  la  miséricorde  de 
Dieu  après  tantdeiléaux.  Or,  ce  qui  leur  faisait  con- 
cevoir de  l>ouues  espérances,  c'était  la  discorde  ter- 
rible, la  guerre,  la  colère  et  la  haine  inexorables  qui 
difisiieiit  les  deux  plus  puissants  soudans  des  Sarra- 
tim,  à  savoir  le  suudan  de  Habylone  et  !«'  Soudan 
U'Alep  qui  &e  mordaient  mutuellement.  Or,  ledit  roi 
demeurait  alors  à  Césarée ,  et  lurtillait  cotte  ville  sur 
le  conseil  des  Templiers  et  des  Hospitalif  rs.  » 

Celle  même  année,  pendant  l'octave  de  ta  nativité 
de  Id  bienheureuse  Vierge,  le  seigneur  roi  se  rendit 
à  Saint-Albaiis.  A  son  entrée  dans  Téglise,  il  offrit, 
selon  sa  coutume,  trois  pièces  de  soie,  et  celles-ci ,  avec 
IfS  autres  |)récédemmenl  offertes,  formaient  un  total 


232  HENRI  III. 

de  trente  pièces.  En  outre,  il  offrit  cette  fois  deux 
colliers  très-précieux  et  voulut  qu'on  les  attachât  for- 
tement à  la  châsse  avec  des  clous  pour  éterniser  sa 
mémoire.  11  quitta  Saint-Albans  après  y  avoir  de- 
meuré pendant  trois  jours. 

Dans  la  nuit  de  la  Saint-Lambert,  c'est-à-dire  la 
nuit  du  dimanche,  les  ténèbres  devinrent  si  épaisses, 
qu'il  semblait  qu'on  pouvait  les  toucher,  et  la  pluie 
tomba  avec  tant  d'abondance,  que  les  cataractes  du 
ciel  paraissaient  s'être  entr'ouvertes  et  les  nuages  prêts 
à  descendre  sur  la  lerre  pour  l'engloutir. 

Dans  cette  même  année,  vers  la  fête  de  saint  Mi- 
chel, le  seigneur  Tbibauld  ,  prieur  de  Hurley,  et  le 
seigneur  Jacques ,  sous-prieur  de  l'église  de  Saint- 
Augustin  a  Cantorbéry  et  chapelain  du  seigneur 
pape  ,  firent  savoir  par  lettres  aux  moines  de  Saint- 
Albans  quils  viendraient  à  Saint-Albans  pour  y  exer- 
cer visitation ,  selon  qu'il  avait  été  décidé  à  Saint- 
Sauveur  de  Londres.  Un  délai  fut  demandé  au  nom 
du  couvent  dans  l'église  de  Sainte-Marie  à  South- 
wark,  jusqu'au  premier  jour  de  dimanche  avant  le 
jour  de  la  Toussaint  :  ce  qui  fut  accordé  par  les  visi- 
tateurs  susdits,  qui  s'étaient  proposé  et  avaient  ma- 
nifesté l'intention  d'arriver  le  jour  de  la  Saint-Denis. 
Sur  ces  entrefaites,  le  seigneur  abbé  de  Saint-Albans 
promit  qu'on  dresserait  d'une  manière  louable,  avant 
leur  arrivée,  l'état  de  tout  ce  qui  était  susceptible  de 
réforme,  et  que  lui-même,  sans  nul  doute,  dans  la 
suite  de»  temps,  corrigerait  tout  ce  qui  devait  être 
corrigé;  ce  qui  eut  lieu  par  compromis  ailn  que  rien 


ANNÉE  425^.  255 

ne  fit  naître  l'ombre  d  une  plainte  qui  put  causer 
scandale.  Les  deux  visitateurs  étant  donc  arrivés  au 
jour  lixé,  le  sous-prieur  prononça  le  lendemain  un 
sermon  dans  le  chapitre  ;  ensuite  il  fit  donner  lec- 
ture de  son  bref  authentique  puis  des  statuts  arrêtés 
dans  le  chapitre  provincial  tenu  à  Londres ,  les- 
quels étaient  salutaires  et  fort  nécessaires  n  Tor- 
dre monastique,  comme  on  peut  le  voir  au  livre  des 
Additwtienta  '  où  ces  statuts  sont  rapportés  pleine- 
ment. Comme  ils  ne  trouvèrent  aucun  sujet  de 
mécontentement,  quoiqu'ils  eussent  examiné  soi- 
gneusement chacun  des  moines  qui  en  fut  requis, 
il  se  retirèrent  en  paix  après  être  restés  quatre  jours. 
Or,  quelques-uns  des  moines  de  Téglise  deSaint-Al- 
bèns  furent  envoyés  pour  visiter  Saint-Edmond  et 
d'autres  monastères.  Pour  l'abbé  de  Saiut-Albans 
Jean  second,  il  satisfit  au  couvent  sur  tout  ce  qu'il 
avait  promis  avant  la  visitation  de  corriger  après,  de 
la  même  manière  que  son  prédécesseur  l'abbé  Guil- 
laume avait  satisfait,  alors  qu'il  devait  être  visité  par 
l'abbé  de  Boxiey  et  par  l'abbé  de  Bekeham,  en  vertu 
de  l'autorité  papale. 

C'est-à-dire  que  ni  l'un  ni  l'autre  ne  satisfit  bien. 
Eneflet,  TabbéJean  avait  promis  au  couvent,  entre 
autres  choses,  qu'il  s'abstiendrait  absolument  de 
prendre  son  général'  ou  ses  pitances,  droit  que,  le 
premier  de  tous  ses  prédécesseurs,  il  avait  levé  pour 

l'uij.  i  additioa  \\  a  U  fin  du  volume. 
>  il  »  a(>it  prolukleiurnl  des  uicU  que  Taiibr  se  faisait  domirr  <  n  siw 
4e  la  foriiou  aHign^  à  chaque  frère. 


234  HENRI  m. 

sa  chambre,  à  moins  qu'il  ne  mangeât  dans  le  réfec- 
toire ou  dans  la  galerie  adjacente',  avec  ses  compa- 
gnons ;  et  qu'il  rendrait  intégralement  les  pitances 
que  Tabbé  Guillaume,  son  prédécesseur,  avait  en- 
levées aux  frères  infirmes,  et  dont  il  avait  affecté  le 
prix  à  son  vin.  Mais  quand  la  visitation  fut  achevée, 
comme  on  ne  lui  rappela  aucune  de  ses  promesses, 
il  ne  songea  nullement  à  les  mettre  à  exécution. 

La  haine  du  pape  contre  Conrad  prive  Louis  IX  du 
SECOURS  des  croisés.  —  Grave  accusation  intentée  a 
Philippe  Luvel.  — Dédicace  de  l'église  de  Hales.  — 
Arrivée  du  comte  de  Leicester  avec  Guy  de  Lusi- 
GNAN.  —  Grande  tempête.  —  Orage  et  inondation 
extraordinaire.  —  La  reine  d'Ecosse  retourne  en 
France.  —  Tournoi  célébré  a  Rochester.  —  Coup 
d'oeil  sur  l'année  ^25^  .  —  Dans  le  cours  du  même 
temps,  bien  que  Conrad  eût  acquis  la  faveur  et  l'af- 
fection de  beaucoup  d'impériaux,  parce  qu'il  descen- 
dait d'une  race  généreuse  par  sa  mère,  fille  du  noble 
roi  de  Jérusalem  Jean,  et  bien  que  son  frère  Henri, 
neveu  du  seigneur  roi,  fût  très-gracieusement  aimé 
par  tous  les  seigneurs  féaux  de  son  père ,  tant  à  cause 
de  l'innocence  de  son  âge  que  de  sa  bonne  mine  et 
de  l'illustrolion  de  sa  naissance,  le  seigneur  |>a{)e, 
s'inquiétant  peu  de  cela,  ordonna  que  des  prédica- 
tions solennelles  et  générales  fussent  faites  dans  les 

•  Oriolum  (texte  hic).  Alower  gallery^  oate-house.  Dons  In  Vie  des 
(tlihés,  Mail.  l'âriii  donne  à  c«s  mot  le  «ens  de  portique,  cl  c^tt  aurai  la 
Mf;nificalion  du  vicut  mut  fran<;ais  oriol. 


ANNEE  4254.  255 

pays  (ie  Brubant  elde  Flauilre,  pour  que  les  iidèlcs 
du  Christ  altuquasseut,  à  luaiu  armée,  les  cbâteaui 
de  rinfidèle  Conrad ,  promeltant  une  récompent^e 
merveilleuse,  c'est-à-<lire  la  rémission  de  tous  les 
péchés,  et  cela  plus  amplement  que  s'il  se  fùiag^i  de 
faire  un  pèlerinage  en  Terre-Sainte  ;  car  si  quelqu'un 
prenait  la  croix  contre  Conrad,  non-seulement  le 
croisé,  mais  encore  le  père  et  la  mère  du  croisé  de- 
vaient obtenir  le  pardon  de  tous  leurs  péchés.  Vers 
le  même  temps,  comme  le  seigneur  roi  de  France 
supportait,  à  Césarée,  de  grandes  tribulations  et  un 
manque  absolu  de  toutes  les  choses  nécessaires,  il 
adressa  à  sa  mère,  à  ses  frères  et  à  tous  ses  féaux, 
une  lettre  faite  pour  exciter  les  larmes  et  la  pitié, 
les  suppliant  instamment  de  lui  envoyer  prompte- 
meut,  à  lui  qui  souffrait  tant  de  calamités  pour  Vé- 
glise  universelle,  un  secours  efiicace  en  chevalerie, 
provisions  et  argent.  A  cette  nouvelle,  la  dame 
Blanche,  qui  tenait  les  rênes  du  royaume  de  France, 
avec  plus  de  force  que  n'en  a  une  femme,  fit  convo- 
quer tous  les  nobles  du  royaume  pour  qu'ils  déli> 
bérassent  soigneusement  à  ce  sujet.  Pendant  leur 
délibération,  les  seigneurs  comniencèrent  à  murmu- 
rer eu  grande  colère  ,  et  à  dire  :  «  Quand  le  seigneur 
«  pape  suscite  ainsi  des  guerres  nouvelles  et  intesti- 
«  ues,  quand  il  excite,  dans  les  pays  chrétiens ,  les 
«  chrétiens  contre  les  chrétiens,  quand  il  fait  pré- 
«  cher  une  nouvelle  croisade    contre  des  hommes 

•  soumis  à  Dieu,  pour  augmenter  son  domaine,  il 

•  est  cause  que  l'on  oublie   notre  seigneur  le  roi, 


256  HENRI  III. 

«  qui  souffre  tant  d'opprobres  et  tant  d'adversités 
«  pour  le  siège  chrétien  ,  et  qu'on  n'a  point  souci 
«  de  le  secourir.  »  En  effet,  la  susdite  prédica- 
tion s'était  déjà  répandue  dans  les  contrées  de 
France.  C'est  pourquoi  Blanche,  irritée  parce  que  de 
justes  causes  donnaient  lieu  à  ces  murmures,  or- 
donna que  Ton  mît  la  main,  en  son  nom,  sur  les 
terres  et  les  possessions  des  croisés ,  et  dit  :  «  Que 
«  ceux  qui  combattent  pour  le  pape,  soient  entre- 
ce  tenus  aux  frais  du  pape;  qu'ils  s'en  aillent  pour  ne 
«  plus  revenir.  »  Déplus,  les  seigneurs  voisins,  sur 
les  terres  desquels  la  prédication  susdite  avait  pro- 
duit des  croisés,  firent  la  même  chose,  en  sorte  que 
la  prédication  tomba  en  discrédit,  et  que  les  croisés 
lurent  détournés  de  cette  entreprise.  Les  Prêcheurs 
et  les  Mineurs,  qui  avaient  été  les  promoteurs  de  ce 
soulèvement,  furent  aussi  très-sévèrement  répri- 
mandés à  cet  égard  par  les  seigneurs,  qui  leur  di- 
rent :  «  Nous  bâtissons  pour  vous  des  églises  et  des 
«  maisons;  nous  vous  élevons,  nous  vous  recueillons, 
<(  nous  vous  donnons  habits  et  aliments.  De  quelle 
«  grande  utilité  le  pape  est-il  pour  vous?  il  vous 
«  vexe,  il  vous  tourmente,  il  fait  de  vous  ses  tonloiers; 
«  il  vous  rend  odieux  à  vos  bienfaiteurs.  »  Mais  ceux- 
ci  leur  répondaient  :  «  Nous  y  sommes  forcés  en 
M  vertu  de  l'obédience.  »  Aussi  désormais  le  seigneur 
pope,  rougissant  à  juste  titre,  s'efforçait  de  traiter  de 
la  paix. 

Dans  le  cours  de  cette  même  année,  vers  la  lôlede 
Haint  Michel,  Philippe  Luvel,  clerc,  qui  avait  passé 


ANNÉE  425<.  257 

<Iii  séiiéchalat  du  comte  de  Winchester  au  service 
du  seigneur  roi,  et  qui  avait  été  chargé  de  |a  garde 
des  Juifs,  fut  grièvement  accusé  par-devant  le  sei- 
gneur roi,  et  ses  adversaires  affirmèrent  qu'à  l'épo- 
que où  il  avait  été  envoyé  dans  les  pays  du  nord, 
avec  Nicolas  de  Saii»t-Albaus,  clerc,  pour  imposer 
des  taxes  aux  Juifs,  il  avait  reçu  secrètement  d'un 
certain  Juif  fort  riche  une  vaisselle  très-précieuse, 
pour  qu'il  l'épargnât  dans  le  taillage  du  roi,  et  qu'il 
avait  reçu  semblablement  d'autres  Juifs  des  présents 
secrets,  pourqu  ilépargnâtceux-ci  et  chargeât  ceux- 
là,  au  détriment  du  roi  et  à  la  violation  de  sa  foi. 
Aussi  le  roi,  grandement  irrité,  ordonna  qu'on  traitât 
fort  sévèrement  ledit  Philippe,  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
donné  satisfaction  pour  une  transgression  si  criante. 
Alors  Philippe,  homnje  rusé  et  circonspect,  de- 
manda humblement  conseil  et  assistance,  dans  une 
si  grande  tribulation,  au  seigneur  Jean  Mansel,  prin- 
cipal conseiller  du  roi.  Jean,  ayant  donc  pitié  de  lui, 
parce  qu'il  l'avait  appelé  au  service  du  seigneur  roi, 
avec  l'intention  de  l'élever  plus  haut,  s'interposa  si 
efGcacement,  qu'il  rentra  en  grâce  auprès  du  roi , 
après  avoir  payé,  à  ce  qu'on  prétend,  la  forte  somme 
de  mille  marcs;  mais  il  n'en  fut  pas  moins  privé  de 
son  office  de  bailli,  et  grandement  vergogne. 

Cette  même  année,  aux  nones  *  de  novembre,  c'est- 
à-dire  la  veille  de  saint  Léonard,  le  comte  Richard  lit 
dédier  solennellement  et  magnifiquement  l'église  de 
Haies,  qu'il  avait  fondée  à  grands  frais  et  dont  il  avait 

'  Nono.  Kfidtnnicot  wmi$  (5  novemitre  | . 


258  HENRI  IH. 

construit  les  édifices,  selon  le  vœu  qu'il  avait  fait 
en   mer,  lorsqu'à  son  retour  de  Gascogne  il  fut 
assailli    d'une   tennpête   menaçante ,   et   aborda   à 
grand'peine  dans   un   port    de  Cornouailles.   Or, 
étaient  présents  à  la  susdite  dédicace  le  seigneur 
roi,  la  reine  et  presque  tous  les  seigneurs  et  prélats 
d'Angleterre  ;  les  évéques  étaient  au  nombre  de  treize, 
et  célébrèrent  tous  la  messe,  le  jour  de  la  dédicace, 
chacun  à  un  autel  particulier.  L'évêque  de  Lincoln 
chanta    solennellement  la  grand'messe  au   maître- 
autel.  C'était  un  dimanche,  et  les  seigneurs  festoyè- 
rent splendidement  et  en  bel  ordre,  avec  les  évoques 
et  les  autres  assistants  qui  pouvaient  manger  de  la 
viande.  Les  religieux  dînèrent  à  part,  et  furent  servis 
en  grande  abondance  de  poissons  de  toute  espèce.  Il 
y  avait  là  plus  de  trois  cents  chevaliers.  Or,  si  je 
voulais  décrire  pleinement  la  somptuosité  de  cette 
fête  et  de  ce  repas  solennel,  on  m'accuserait  peut- 
être  de  dépasser  les  limites  de  la  vérité.  Toutefois, 
pour  que  je  n'insérasse  rien  de  faux  dans  ce  livre, 
le  comte  me  déclara,  à  moi  Matthieu  Paris,  qui  dé- 
sirais avoir  des  renseignements  à  cet  égard,  et  cela 
en  m'en  donnant  l'assurance  formelle,  que,  tous  frais 
comptés,  il  avait  dépensé  à  la  construction  de  cette 
église  dix  mille  marcs.  Il  ajouta  même  cette  parole 
niéniorable,  ou  pour  mieux  dire  rccommandablc  : 
«  Plût  à  Dieu  que  j  eusse  dépensé  aussi  sagement  et 
«  aussi  salutairernenl  tout  I  argent  que  j'ai  dépensé 
M  nu  chAteau  de  Wallingford.  » 

Vers  le  même  temps,  le  comte  de  Leicester  Si- 


ANNÉE  4251.  239 

mon,  accompagné  «le  sa  femme,  et  amcnanl  aveclui 
Guy,  comle  de  Lusiguan,  Iroisiènie  frère  utérin  du 
seigneur  roi,  s'embarqua  à  Wissand,  pour  repasser 
en  Angleterre.  La  navigation  fut  d'abord  prospère,  et 
déjà  il  toucbait  au  port,  lorsque  le  vent  ayant  cbangé 
et  étant  devenu  contraire,  il  fut  repoussé  à  grand 
péril  et  rejeté  à  Wissand.  Lorsque  les  habitants  vi- 
rent les  voyageurs  sortir  de  leur  vaisseau,  et  rentrer 
duns  rhôtel  qu'ils  occupaient  précédemment,  il  y  en 
eut  qui  dirent  en  plaisantant  :  «  Les  frères  du  roi 
M  abondent  outre  mesure,  eux  qui  viennent  vides  en 
«  Angleterre,  et  qui  y  affluent  pour  y  être  remplis, 
u  C'est  une  superfluité  que  la  mer  a  rejetée.  »  Mais 
cela  fut  dit  par  manière  de  raillerie,  selon  la  coutume 
des  Français.  Les  deux  comtes,  ayant  donc  attendu 
un  vent  plus  favorable,  abordèrent  heureusement  au 
port  de  Douvres.  Or,  le  comle  de  Leicester  Simon 
avait  laissé  en  Gascogne  ses  féaux,  pour  soutenir  vi- 
goureusement la  guerre,  et  re|>ousser  puissamment 
les  attaques  des  Gascons.  Lorsque  le  seigneur  roi  fut 
instruit  de  leur  arrivée,  il  vint  joyeusement  à  leur 
rencontre  pour  faire  honneur  au  comte  son  frère, 
et  nullement  à  cause  du  comte  de  Leicester.  11  avait 
ordonne  à  beaucoup  de  seigneurs  et  aux  citoyens  de 
Londres  d'aller  au  devant  de  son  frère,  avec  allé- 
gresse et  solennité,  et  de  le  recevoir  avec  louanges  et 
liesse.  Mais  lorsque  ledit  Guy  eut  rempli  ses  coffres, 
qui  étaient  vides,  il  retourna  chez  lui  fort  enrichi. 
Dans  le  cours  de  cette  même  année,  à  savoir  pen- 
dant l'été,  le  jour  de  saint  Dunstan,  un  brouillard, 


240  HENRI  III. 

qui  s'éleva  de  grand  matin  ,  sembla  obscurcir  le 
monde  entier,  tant  à  Torient  qu'à  Toccident,  tant  au 
midi  qu'au  nord  ,  et  l'on  entendit  le  tonnerre,  qui 
était  encore  fort  éloigné  et  qui  s'annonçait  par  des 
éclairs.  Vers  la  première  heure,  le  tonnerre  se  rap- 
procha au  milieu  des  éclairs,  et  un  coup  plus  épou- 
vantable que  les  autres,  comme  si  le  ciel  tombait  sur 
la  terre,  porta,  par  son  fracas  soudain,  un  effroi  ter- 
rible dans  les  oreilles  et  dans  les  cœurs  de  tous  ceux 
qui  I  entendirent.  La  foudre  tomba  de  ce  coup  sur 
l'appartement  de  la  reine,  où  elle  se  trouvait  alors 
avec  ses  fils  et  les  gens  de  son  service ,  réduisit  en 
cendres  et  jeta  h  terre  une  cheminée,  et  ébranla 
toute  la  maison.  Dans  la  forêt  voisine  de  Windsor, 
elle  abattit  ou  fendit  et  déchira  trenle-cinq  chênes. 
Elle  détruisit  moulins  et  meuniers  ,  bergeries  et  pâ- 
tres, tuant  même  quelques  laboureurs  et  voyageurs, 
enfin  causa  aux  mortels  beaucoup  de  dommages, 
que  nous ,  qui  donnons  ces  détails,  n'avons  ni  en- 
tendus ni  vus.  La  foudre  tomba  aussi  sur  le  lavoir 
de  Saint-Albans,  qu'elle  brûla,  et  en  d'autres  en- 
droits, mais  ne  causa  pas  grand  dégût  au  monas- 
tère proprement  dit.  Cependant  les  traces  eu  restè- 
rent sur  les  murailles  pendant  plusieurs  années.  Il 
se  passa  en  cette  occasion  un  fait  surprenant  et  digne 
de  remarque.  Ce  môme  jour,  quelques  frères  Prê- 
cheurs ou  Mineurs  qui  avaient  été  reçus  à  Saint- 
Albans,  conmic  la  chose  a  lieu  presque  tous  les  jours, 
pour  loger  ou  dîner,  n'ayant  pas  voulu  rester  mal- 
gré les  instances  du  moine  chargé,  selon  l'usage,  de 


ANNÉE  425<.  24i 

les  recevoir  et  de  fournir  à  leurs  besoins  ,  lequel  les 
pressait  de  ne  pas  continuer  leur  roule,  et  étant  sor- 
tis du  bourg,  quoique  l'orage  n'eût  point  cessé,  vi- 
rent venir  à  eux  ,  sur  la  route  qui  sert  de  grand  cbe- 
niin  et  qui  est  foulée  par  les  hommes  et  les  chariots, 
une  trace  lumineuse  ayant  la  forme  d'un  glaive  hoi*s 
«lu  fourreau,  mais  qui  se  repliait  et  était  suivie  sans 
interruption  par  le  tonnerre,  avec  un  murmure  hor- 
rible. Ceux-ci,  se  jetant  de  côté,  tirent  le  signe  de  la 
croix  et  se  mirent  à  invoquer  TEsprit  saint  et  à  réci- 
ter avec  crainte  et  dévotion  le  Vent  Creator,  spiritus, 
et  ce  qui  suit.  La  foudre  et  Téclair  restèrent  sans 
force,  et  le  feu,  ainsi  que  l'éclair  et  le  tonnerre,  passa 
à  côté  d'eux  sans  leur  faire  aucun  mal. 

Dans  le  coure  de  cette  môme  année,  c'est-à-dire 
au  temps  de  Téquinoxe,  la  mer,  dépassant  ses  limites 
ordinaires,  causa  des  dégâts  considérables  sur  les 
oôles  d'Angleterre  :  or  elle  occupa  sur  ses  rivages  un 
«sspace  de  six  '  pieds  au  delà  des  bornes  qu^on  lui 
avait  toujours  vues. 

Vers  la  fête  de  saint  Michel ,  la  reine  d'Ecosse , 
veuve  du  roi  Alexandre  et  fille  d'Enguerrand  de 
Coucy,  voulant  visiter  sa  patrie  et  ses  parents,  quitta 
1  Ecosse  pour  retourner  en  France  ,  après  qu'on  lui 
eut  assigné  sur  le  royaume  d'Ecosse  la  portion  qui 
lui  revenait,  c'est-à-dire  un  revenu  de  sept  mille 
marcs.  S'étant  arrêtée  à  moitié  route,  et  étant  venue 
vers  le  seigneur  roi  pour  le  saluer,  celui-ci  la  combla 

*SeT.  >ou»  iirMHu«oloiilienSfxagti(((i. 

VU.  44 


242  HENRI  HI. 

d'honneurs  et  de  présents ,  selon  sa  coutume  con- 
stante d'enrichir  et  d'honorer  tous  les  étrangers.  11 
la  pria  de  revenir,  sans  aucun  délai  fâcheux,  quand 
elle  serait  appelée  pour  assister  aux  noces  de  son 
fils  Alexandre  second  ,  que  les  nobles  d'Ecosse 
avaient  élevé  à  la  royauté. 

Celte  nnême  année,  le  jour  de  la  fête  de  la  Con- 
ception de  la  bienheureuse  Vierge ,  un  tournoi  à 
outrance'  eut  lieu  à  Rochester,  entre  les  Anglais  et 
les  étrangers.  Lesétrangersfurent  honteusement  mal- 
traités dans  cette  rencontre  ,  et  comme  ils  fuyaient 
ignominieusement  vers  la  ville,  pour  y  trouver  un  re- 
fuge, ils  tombèrent  de  nouveau  dans  un  parti  d'é- 

'  Pour  désigner  ce  genre  de  combat,  quVnlrainait  fréquemment  la  ja- 
lousie réciproque  des  Anglais  et  des  étrangers,  Matt.  Paris  se  sert  de 
différentes  expressions  :  tomeamenium  quasi  hostile  (page  572  du  texte), 
nimiscruentum  (page492),ant/eatttmdanslc  passage  qui  nous  occupe. 
Il  est  évident  que  dans  ce  dernier  cas  il  s'agit  d'un  tournoi  «  fer  es- 
moulu  et  à  witrance,  c'est-à-dire  d'un  combat  où  les  deux  partis  en  ve- 
naient aux  mains  arec  des  armes  offensives,  comme  en  temps  de  guerre 
et  contre  des  ennemis.  Or,  nous  regardons  les  deux  autres  dénomina- 
tions comme  équivalant  à  celle-ci,  et  nous  n'admettons  pas  la  distinction 
quelque  peu  subtile  de  Ducange  qui  voit  dans  aculeatum  plus  que  dans 
quasi  hustHe.  (Dissert,  vu  sur  V Histoire  de  saiut  Louis.)  Ces  com- 
bats où  le  gage  de  bataille  était  outré  avaient  lieu  devant  des  juges  nom- 
més et  cboisis  par  les  deux  partis,  et  sous  des  conditions  dont  on  demeu- 
rait réciproquement  d'accord.  Souvent  il  y  avait  des  combats  singuliers 
de  cette  nature  qui ,  ainsi  quo  les  combats  généraux,  ne  se  terminaient 
que  parla  mort,  la  fuite  ou  l'aveu  du  vaincu.  L'acbarnement  que  les 
chevaliers  mettaient  à  s'acquitter  noblement  de  leur  vœu  d'emprise  ren- 
daient ces  combats  fort  dangereux,  bien  qu'on  s'y  servit  piutAt  do  biltons 
i>l  de  masses  que  de  lances  et  d'épécs.  Dans  un  de  ces  tournois  h  ou- 
trance, iloliert  de  Clermont,  (Ils  do  saint  F^uuis,  reçut  tant  de  coups  de 
matsc,  dit  Fauchel,  que  le  reste  de  ta  vie  il  s'en  porta  mal. 


ANNÉE  1251.  245 

ciiyers  qui  venait  à  leur  renconlre,  etqui  les  dépouilla 
et  martela  bellement  à  coups  de  bâlon  et  de  mas- 
sue. C'est  ainsi  qu'ils  rendirent  avec  usure  les  horions 
(|u'ilsavaientinjurieusement  reçus  à  Brackley.  Aussi 
lu  colère  et  la  haine  s'accrurent  entre  les  Anglais  et 
les  étrangers,  et  prirent  de  jour  en  jour,  par  la  suite, 
une  violence  formidable. 

Ainsi  se  passa  cette  année,  qui  fut  suffisante  ,  ou 
pour  mieux  dire  abondante  en  fruits  de  la  terre  et 
des  arbres,  quoiqu'elle  eût  été  orageuse  et  troublée 
par  d'effrayants  coups  de  tonnerre.  Pour  le  seigneur 
pape  et  la  cour  romaine,  elle  fut  laborieuse,  coûteuse 
et  périlleuse,  à  cause  de  leur  retour  de  Lyon  en  Italie  ; 
pacifique,  mais  d'une  manière  suspecte  et  douteuse, 
pour  la  France  et  T Angleterre  ;  peu  sûre  pour  les 
Romains,  pour  les  Italiens,  pour  les  Germains,  pour 
les  Siciliens  ,  pour  les  Apuliens  et  les  Calabrais ,  qui 
avaient  perdu  leur  chef  et  étaient  encore  sans  télé  ; 
sanglante  pour  la  Dacie;  inquiétante  et  menaçante 
|>our  l'Ecosse ,  dont  le  roi  était  un  enfant ,  selon  ce 
que  Lucain  dit,  eu  parlant  du  grand  Pompée  : 

•  L'ige  du  tyran  du  Nil  doit  justement  inspirer  des  soupçons;  car  la 
•  l»Mioe  foi  pour  être  ferme  exige  des  années  mûres...  » 

Or,  cet  rufant  ne  pouvait  que  se  taire  et  trembler  *,  exposé  qu'il  était 
«ai  occillalious  de  la  fortune. 

Le  ici  d'Angleterre  célèbre  a  York  les  fétes  de 

•  Sufi  Ofillo  fortnuas  taritus  et  tremebuiidus.  Cet  derniers  mois , 
<|aoiqoe écrite  en  forme  de  Ter»  et  en  ligue,  doivent  se  rapitorlt^r  au  i<i; 
J'EcosH.  New  M  r^poodoiu  pas  du  sens  d«  ce  passage  pou  imj>ortaiit 
J'aillear*. 


244  HENRI  III. 

Noel.  —  Le  roi  d'Ecosse  reçoit  le  baudrier  militaire 

DES    MAINS    DU    ROI    d'AnGLETERRE. 1l  ÉPOUSE  SA  FILLE 

Marguerite  et  lui  fait  hommage.  —  Héclamaïion  du 
comte-maréchal  dans  cette  circonstance.  descrip- 
TION DU  REPAS  NUPTIAL.  —  L'an  (lu  Seigiieup  -1232,  qui 
est  la  trenle-cinquicme  année  du  règne  du  seigneur 
roi  Henri ,  le  même  seigneur  roi  se  trouva  à  la  nais- 
sance du  Sauveur  à  York,  pour  s'y  occuper  du  mariage 
(le  sa  lille  Marguerite,  qui  élait  en  Age  nubile',  avec 
Alexandre,  roi  d'Ecosse,  et  pour  que  les  noces  lussent 
célébrées  comme  il  convenait  entre  si  grands  per- 
sonnages. Or,  une  foule  nombreuse,  tant  du  clergé 
que  de  la  cbevalerie  des  deux  royaumes,  s'était  réu- 
nie à  York,  pour  que  la  sérénité  d'un  mariage  si  écla- 
tant brillât  davantage  et  s'étendît  plus  loin.  Le  sei- 
gneur roi  d'Angleterre  et  la  reine  s'y  trouvèrent 
donc,  avec  beaucoup  de  seigneurs  qu'il  serait  trop 
long  de  désigner  par  leurs  noms.  11  y  avait  aussi  le 
roi  d'Ecosse  et  la  reine  sa  mère  ,  qui  avait  été  rap- 
pelée à  cette  occasion  des  pays  d'outre-mer.  Elle  était 
accompagnée,  non-seulement  de  seigneurs  écossais, 
mais  encore  de  beaucoup  de  nobles  de  France,  son 
pays  natal ,  qu'elle  avait  ramenés  avec  elle.  Car 
conmie  elle  avait  reçu,  ainsi  que  c'est  l'usage  pour  les 
reines  veuves,  le  tiers  des  provenances  du  royaume 
d'Ecosse,  ce  qui  montait  à  quatre  mille  marcs  et 
plus,  sans  compter  les  autres  possessions  qu'elle  tc- 


'  jEitaiejam.  Nousujoulonimaiitra.  Le  mol  osl  omis  ici  aasii  bien 
i|ue  liani  rrdition  tir  1571 . 


ANNÉE  4252.  24S 

nuit  de  la  libéralité  de  son  père  Eiijjuerrand,  elle 
iiuirehait  pompeusement,  en  splendide  et  nombreuse 
compagnie.  Lorsque  tous  furent  arrivés  à  York,  tous 
ceux  qui  étaient  venus  avec  le  roi  d'Ecosse  se  logè- 
rent dans  une  seule  et  même  rue,  sans  se  mêler  aux 
.lutres,  pour  plus  de  précaution.  Tandis  que  cer- 
tains officiers  des  seigneure,  ceux  que  nous  appelons 
inaré4;haux ,  préparaient  des  logements  pour  leurs 
maîtres ,  ils  entrèrent  en  dispute  et  en  vinrent  aux 
mains ,  d'abord  avec  les  poings  ,  ensuite  à  coups  de 
masse ,  et  enfin  d'épée.  Quelques-uns  d'entre  eux 
lurent  grièvement  blessés  ;  il  y  eu  eut  même  un  de 
lue  ;  parmi  les  blessés,  plusieurs  n'en  relevèrent  pas; 
mais  les  deux  rois ,  au  moyen  des  gardiens  qu'ils 
avaient  établis  à  York ,  et  qui  étaient  gens]  discrets 
et  modérés,  apaisèrent  prudemment  les  préten- 
tions tant  des  maîtres  que  des  serviteurs.  En  outre, 
les  gens  de  l'archevêque  ,  pour  que  le  défaut  de  lo- 
;;ements  n'engendrût  pas  de  querelles,  pourvurent 
convenablement,  autant  que  les  circonstances  le 
l»ermettaienl ,  à  ce  que  tous  fussent  logés:  car  les 
arrivants  excédaient  le  nombre  des  logements. 

Le  jour  de  la  naissance  du  Seigneur,  le  seigneur 
roi  ceignit  à  York  le  baudrier  militaire  nu  roi  d'E- 
cosse, et  créa  avec  lui  vingt  chevaliers  novices,  qui 
reçurent  tous  en  dons  des  vêtements  précieux  et  ri- 
chement travaillés,  comme  il  convenait  à  des  novices 
de  si  haute  noblesse. 

Le  lendemain  de  la  naissance  du  Seigneur,  c'est- 
à-dire  le  jour  de  suint  Etienne,  le  roi  <r Ecosse  épousa 


246  HENRI  IH. 

la  fille  du  seigneur  roi  d'Angleterre  :  comme  le  peu- 
ple se  pressait  en  désordre  et  s'accumulait  en  foule, 
pour  mieux  voir  et  considérer  la  magnificence  de  ce 
mariage ,  la  solennité  de  la  célébration  nuptiale  fut 
faite  de  grand  matin ,  secrètement  et  avant  Theure 
attendue.  En  effet,  il  y  avait  alors  à  York  tant  de  di- 
versités de  peuples  ,  une  multitude 'si  nombreuse  de 
seigneurs  anglais,  français  et  écossais,  une  si  grande 
foule  de  chevaliers  parés  d'habits  somptueux,  et  fiers 
des  riches  étoffes  de  soie  aux  couleurs  changeantes  ' 
dont  ils  étaient  couverts,  que  si  l'on  décrivait  plei- 
nement cette  pompe  séculière  et  ce  luxe  vaniteux,  on 
ferait  naître  l'étonnement  et  l'ennui  dans  les  oreilles 
des  auditeurs  ;  car  mille  chevaliers  et  plus,  vêtus  de 
ces  étoffes  de  soie  ,  que  nous  appelons  vulgairement 
cointises  ,  assistèrent  à  ces  noces  ,  du  côté  du  roi 
d'Angleterre  ,  et  le  lendemain .  ayant  quitté  ces  ha- 
bits, se  représentèrent  à  la  cour  en  robes  ^  nouvelles. 
Du  côté  du  roi  d'Éco^se,  soixante  chevaliers  et  plus, 
convenablement  parés,  et  beaucoup  d'autres,  aussi 
richement  ornés  que  les  chevaliers,  se  montraient 
aux  regards  de  l'assemblée. 

Le  roi  d'Ecosse  fil  donc  hommage  au  roi  d'An- 
gleterre, à  raison  du  tenement  qu'il  tient  du  seigneur 
roi  d'Angleterre  et  qui  fait  partie  du  royaume  d'An- 
gleterre ,  comme   le  Lothian  et  autres  pays.   Mais 

*  Ornamentis  trantformutis.  Nous  doutons  du  sens;  peut-être  étoffes 
rnyf'os  ou  rni-parlics.  TransformatuS  n'est  pas  dans  Dncani'c  ;  mnis  il  s»- 
rapproclic  dr  IraiiSfJututuS  ou  Niniplrnirnl  str(l<jutatus. 

>  Nobis  n»  nucxin  sens,  nnus  liHons  rohis. 


ANNEE  ^52.  247 

quand  on  demanda  au  roi  d'Ecosse  de  jurer  hom- 
mage ,  fidélité  et  allégeance  à  son  seigneur  le  roi 
d'Angleterre,  à  raison  du  royaume  d'Ecosse  ,  ainsi 
qu'avaient  fait  ses  prédécesseurs  envers  les  rois  d'An- 
gleterre ,  comme  la  chose  est  mentionnée  évidem- 
ment en  plusieurs  endroits  de  ces  chroniques,  le  roi 
d  Ecosse  répondit  qu'il  était  venu  pacifiquement  en 
ce  lieu,  pour  l'honneur  du  roi  d'Angleterre  et  sur 
son  appel,  à  l'effet  de  s'unir  à  lui  moyennant  la  jonc- 
lion  matrimoniale  ,  et  non  point  pour  lui  répondre 
sur  une  question  si  ardue.  Il  ajouta  qu'il  n'avait  point 
délibéré  pleinement  à  cet  égard  avec  ses  seigneurs, 
et  n'avait  point  tenu  conseil  compétent,  comme  l'exi- 
geait une  affaire  si  importante.  Quand  le  seigneur 
roi  eut  entendu  celte  réponse ,  il  ne  voulut  pas  ob- 
scurcir par  aucun  trouble  une  fête  si  sereine,  et 
molester  un  roi  si  jeune  et  si  nouvellement  marié  , 
lequel  surtout  était  venu  en  grande  joie,  sur  son  ap- 
|>el ,  pour  épouser  sa  fille  ;  mais  il  garda  le  silence , 
et  dissimula  pour  le  moment. 

A  l'occasion  de  ces  noces  et  de  la  réception  du  roi 
en  chevalerie,  le  comte-maréchal'  réclama  instam- 
ment l'exercice  de  son  droit  et  de  la  coutume  antique, 
c'esl-à-dire  qu'il  demanda  comme  un  droit  qu'on  lui 
reniîl  le  palefroi  du  roi  d'Ecosse,  tout  harnaché,  non 
par  concupiscence  ou  comme  salaire,  mais  afin  que 
l'antique  coutume  usitée  en  pareille  circonstance  ne 

'  H  •agit  ici ,  uns  nul  doute,  de  Hogcr  Bigod,  comte  de  Norfolk, 
gr«a4  aui^chal  d'Anglrli-rrf  depuis  IVutinction  des  couites  de  l'ciii- 
knAe. 


249  HENRI  lU. 

pérît  pas  en  sou  temps  par  son  insouciance.  On  lui 
fit  réponse  que  le  roi  d'Ecosse  n'était  pas  soumis  à 
une  pareille  exaction ,  parce  qu'il  était  libre ,  s'il  lui 
plaisait,  de  se  faire  armer  chevalier  par  tout  autre 
prince  catholique  ou  par  quelqu'un  des  seigneurs  de 
son  royaume  ;  mais  que ,  par  révérence  et  par  hon- 
neur pour  un  si  grand  prince, son  seigneur,  son  voisin 
et  son  beau-père,  il  avait  préféré  recevoir  le  baudrier 
militaire  dudit  roi  d'Angleterre  plutôt  que  de  tout 
autre.  Aussi  le  seigneur  roi  ayant  ordonné  que  ce  jour 
de  fête  ne  fût  pas  troublé,  toute  discussion  fut  apaisée. 
Les  deux  rois,  leurs  seigneurs  et  vassaux  ,  s'étant 
donc  assis  à  table,  célébrèrent  en  grande  allégresse 
les  fêtes  de  Noël.  Or,  si  je  détaillais  pleinement  l'a-^ 
boudante  diversité  des  mets,  la  variété  des  vêtements 
derechange,  le  spectacle  agréable  des  jongleurs  frap- 
pant dans  leurs  mains  ,  la  multitude  des  convives, 
mon  récit  hyperbolique  serait  un  sujet  d'ironie  pour 
les  cœurs  et  les  oreilles  de  ceux  qui  n'assistaient  pas  à 
cette  fête.  Mais  pour  neciter  qu'un  trait  qui  fasse  com- 
prendre le  reste  par  comparaison  facile,  l'archevêque 
donna  pour  ce  repas  plus  de  soixante  bœufs  de  pâtu- 
rages, qui  servirent  seulement  d'entrée  et  formèrent 
le  plat  fondamental.  Tous  festoyaient  donc,  tantôt  avec 
l'un  des  deux  rois ,  tantôt  avec  l'autre  ,  qui  tous  les 
deux  faisaient  préparer  à  leurs  convives  des  repas  dé- 
licats; en  sorte  que  les  mortels  goûtaient  tout  ce  qu'on 
peut  goûter  de  joie  courte  et  éphémère  dans  ce  monde, 
qui  n'est  qu'un  vain  théAtre.  Tous  les  conviés  man- 
gèrent aussi  pendant  quelques  jours  à  la  table  de  l'ar- 


ANNÉE  4252.  249 

clievèque,  qui  eloil  comme  le  prince  du  Nord,  et  qui 
se  montrait  pour  tous  un  hôte  généreux,  ouvrant  à 
tous  un  sein  secourable  dans  leurs  besoins  et  néces- 
sités. Tantôt  il  fournissait  des  logements  à  ceux  qui 
n'en  avaient  pas,  tantôt  du  fourrage  aux  chevaux, 
tantôt  de  la  vaisselle  en  tout  genre  ,  tantôt  du  bois 
pour  entretenir  tes  feux ,  tantôt  de  largent  en  pur 
don  :  enfiu  il  suppléait  largement  à  tous  les  besoins, 
en  sorte  que,  dans  cet  avent  du  Seigneur,  il  sema  sur 
un  rivage  stérile,  en  présents  d'or,  d'argent  et  de  soie, 
quatre  mille  marcs,  qu'il  ne  moissonna  jamais  dans 
la  suite.  Mais  il  était  obligé,  en  cette  occasion,  de  faire 
ces  dépenses,  pour  conserver  l'intégrité  de  sa  re- 
nommée et  pour  fermer  la  bouche  aux  malveillants. 

Célébration  de  la  fête  de  saint  Edouard  a  Londres. 

—  ilÉCONCILlATlON  DE  PHILIPPE  LCVEL  AVEC  LE  ROI.  — - 
GllDlEAS  DONNÉS  A  LA  REINE  d'ÉcoSSE.  —  VeNT  TRÈS- 
NIOLEXT.  —  L'tVÈgUE  DE  KoCIi ESTER  EXTORQUE  AUX  BE- 
NKPICIEHS  DE  SON  DIOCÈSE  LA  CINQUIEME  PARTIE  DE  LEURS 

REVENDS.  —  Mort  de  Nicolas  de  Sanford.  —  Le  pape 
ckgage  le  roi  a  accomplir  son  voeu  de  pèlerinage.  — 
Le  pape  fortifie  son  parti  en  augmentant  le  nombre 
DES cahdinaux.  — Premiers  buffles  vus  en  Angleterre. 
—Tandis  que  ces  choses  se  passaient  magnifiquement 
dans  les  pays  du  nord  de  l'Angleterre ,  le  seigneur 
évêque  d'Ély  et  les  abbés  de  Westminster  et  de  Wal- 
iham  ',  d  après  les  instructions  du  seigneur  roi,  qui 
ne  voulait  pas  paraître  oublier  saint  Edouard  ,  célé- 

WêUenu.  Évidrmmeol  ffaltham. 


250  HENRI  HI. 

brèrent  magnifiquement ,  en  son  lieu  et  sur  son 
ordre ,  la  fête  de  saint  Edouard  à  Londres  ,  c'est-à- 
dire  à  Westminster,  et  présidèrent  aux  solennités 
dans  Téglise  et  aux  festins  dans  le  palais. 

Pendant  que  les  fêtes  des  réjouissances  nuptiales 
duraient  encore,  et  que  toutes  les  pensées  et  les  in- 
tentions se  ressentaient  des  restes  de  la  fête,  Philippe 
Luvel,  clerc,  homme  rusé  et  éloquent,  supplia  hum- 
blementle  nouveau  roi  d'Ecosse,  tout  récemment  ma- 
rié, d'adresser  pour  lui  des  prières  qui  pussent  apaiser 
la  colère  du  roi  contre  lui,  et  la  changer  en  bienveil- 
lance. Or,  ledit  Philippe  connaissait  déjà  dès  long- 
temps le  roi  d'Ecosse,  et  avait  eu  pour  grands  amis 
le  père  et  la  mère  dudit  roi.  En  effet,  lorsqu'il  était 
sénéchal  du  comte  de  Winchester  dans  le  Galloway, 
qui  esl,  comme  on  sait,  du  domaine  dudit  comte,  et 
lorsqu'il  y  séjournait,  il  avait  offert  maintes  fois  des 
présents  honorifiques  au  roi  et  à  la  reine  d'Ecosse, 
et  à  leurs  familiers.  Aussi,  le  nouveau  roi,  cédant  à  la 
demande  de  Philippe,  et  saisissant  un  moment  favo- 
rable, s'agenouilla  devant  le  seigneur  roi  d'Angle- 
terre, qui  voulut  le  relever  ;  mois  lui  se  refusa  à  quit- 
ter celte  humble  posture,  et  joignant  les  mains, 
commença  par  prononcer  ces  paroles  bien  capa- 
bles d'émouvoir  le  cœur  dudit  roi  d'Angleterre  et 
d'exciter  des  larmes  de  piété  et  de  joie  chez  la  plu- 
part des  assistants  ;  il  lui  dit  donc  :  «  Messire  roi, 
«  voire  sérénité  sait  que  bien  que  je  sois  roi,  et  créé 
«  chevalier  |>ar  voire  munificence,  je  ne  suis  qu'un 
«  enfant  sans  Age  et  sans  science,  et  de  plus  qu'un 


kmÊÊ  4252.  251 

«  orplielin  ;  puisque  mon  père  est  mort,  et  que  mn 
<•  mère,  retournant  dans  son  pays  natal,  qui  est  éioi- 
••  gué  el  eu  outre-mer,  m'a  laissé  encore  si  jeune,  et 

•  n'est  revenue  que  sur  votre  appel.  Je  vous  adopte 
«  donc  dès  aujourd'hui  et  désormais  pour  père;  je 
««  souhaite  même  que  vous  me  teniez  lieu  et  de  père  et 

•  de  mère,  el'que  vous  fournissiez  à  mon  insuffisance 
•<  vos  conseils  el  votre  patronage  paternel.  »  Comme 
le  seigneur  roi,  pouvant  à  peine  retenir  ses  larmes, 
lui  répondait  :  «  Bien  volontiers,  »  avec  un  sanglot 
étouffé,  cet  enfant,  qui  ne  parlait  pas  en  enfant,  reprit 
la  parole  et  dit  :  •  J'éprouverai  donc  aujourd'hui 

•  et  je  saurai  par  expérience,  puisque  vous  m'écoutez 
«  avec  faveur,  si  vous  mettrez  à  exécution  le  premier 
«  désir  que  je  forme.  Il  s'agirait  de  remettre  toute 
«  offense  à,  Philippe  Luvel,  qui  jadis  et  maintes  fois 
«  a  traité  honorahlemenl  mon  père,  ma  mère  et  moi- 
•«  même,  el  de  le  rappeler  dans  voire  ancienne  fa- 
«  miliarité;  car  j'ai  appris  par  gens  dignes  de  foi 
«  qu'il  a  été  accusé  injustement  :  en  effet,  depuis 
9  lougteinps  on  le  reconnaît  pour  un  féal;  il  a  été 
«  fort  utile  au  comle  de  Winchester,  dans  les  affaires 
«  importantes  :  il  est  propre  aussi  à  vos  conseils  et  à 
«  voire  service.  »>  Les  assistants  ayant  donc  joint  à 
celle  demande  des  instances  favorables,  le  roi  y  con- 
ienlil  bénévolement.  Or,  celui  qui  conseilla  et  dirigea 
le  plus  efGcacement  toute  cette  affaire,  ce  fui  Jean 
Munsel. 

Les  solennités  nuptiales  étant  donc  terminées,  le 
roi  d  Ecosse,   après  avoir  pris  civilement  congé,  se 


352  HENRI  IK- 

relira  pour  retourner  dans  ses  élots  avec  ia  reine  sa 
nouvelle  épouse.  Le  seigneur  Robert  de  Norbam, 
maréchal  de  Thôtel  du  seigneur  roi ,  et  le  seigneur 
Etienne  Bauzan,  tous  deux  chevaliers,  furent  com- 
mis à  veiller  très-soigneusement  sur  ladite  reine,  et  à 
former  son  caractère  en  tout  bien  ;  et  on  leur  adjoignit 
une  noble  dame,  douée  de  toute  honnêteté,  nommée 
Mathilde,  qui  avait  été  laissée  veuve  par  le  second 
Guillaume  de  Canteloup,  ainsi  que  quelques  autres 
hommes  discrets  et  enjoués.  Le  seigneur  roi  d'An- 
gleterre promit  aussi  au  roi  d'Ecosse  de  lui  envoyer 
un  conseiller  discret  et  féal,  qui  traitât  prudemment, 
de  concert  avec  les  grands  du  royaume,  les  affaires 
qui  intéresseraient  tant  le  roi  que  la  reine. 

Cette  même  année,  c'est-à-dire  à  l'octave  de  1  Epi- 
phanie, pendant  le  jour  et  dans  la  nuit  qui  suivit, 
Éole,  furieux  et  irrité,  Ot  souffler  Africus*,  au  grand 
dommage  de  plusieurs.  Ce  vent,  se  déchaînant  avec 
un  horrible  mugissement  et  une  impétuosité  violente, 
repoussa  du  rivage  les  Ilots  de  la  mer,  enleva  les  toits 
des  maisons,  dont  plusieurs  furent  abattues,  déracina 
complètement  les  arbres  les  plus  gros,  ou  les  déchira 
en  enlevant  leurs  feuilles,  priva*  les  églises  de  leurs 
toitures,  faites  en  plomb  bien  travaillé,  submergea 
dans  les  flots  de  grands  navires,  ceux  mémo  qui 
étaient  le  plus  solidement  construits,  eniin  causa  en 
beaucoup  d'endroits  des  dommages  irréparables,  et 

'  T/C  vent  du  sud-ouefl. 

'  Decatcavit.  Vcat-Hrr  (Indlvaril. 


ANNÉE  ^252.  255 

s'ils  furent  i;rands  sur  la  terre  ferme,  il  est  constant 
qu  ils  furent  dix  fois  plus  grands  sur  la  mer  en  furie. 
Pour  ne  pas  parler  des  autres  inconvénients  et  âé- 
Ijàti»,  nous  avons  jugé  à  propos  d'en  raconter  quelques- 
uns,  que  nous  avons  connus  et  éprouvés.  Dans  le 
|)orlde\Vinchelsey.  qui  est  si  utile  aux  Anglais,  mais 
surtout  aux  habitants  de  Londres,  les  flots  de  la  mer, 
comme  indignés  et  furieux  d'avoir  été  repoussés  la 
veille,  couvrirent  les  rivages  voisins,  engloutirent  les 
moulins  et  les  maisons,  et  emportèrent  une  foule 
d  hommes  noyés.  Et  pour  parler  clairementdes  autres 
événements  inattendus  qui  arrivèrent  ailleurs,  le 
veut  déracina  dans  le  cimetière  deSaint-Albans,  trois 
chênes,  dont  chacun  n'aurait  pu  être  embrassé  par 
trois  hommes  ensemble,  et  déchira  violemment  le 
feuillage  d'autres  arbres.  Le  jour  de  la  fêle  de  saint 
Valentiu,  le  seigneur  roi  arriva  à  Londres. 

Cette  même  année,  qui  était  la  première  année  de 
sa  création,  Tévéque  de  Hochester,  encore  nouveau 
eo  diguité,  obtint,  à  la  grande  surprise  de  plusieurs, 
delà  cour  romaine  où  il  était  connu,  parce  qu'il  y 
avait  été  longtemps  le  procurateur  du  seigneur  roi, 
le  pouvoir  d'extorquer  aux  bénéfîciers  de  son  évéché 
la  cinquième  partie  de  leurs  revenus  pendant  cinq 
ans,  quoique  ledit  évêque,  en  vertu  d'une  indulgence 
du  pape,  eûtretenu  lesanciensrevenusqu'il  possédait 
avaut  d'être  promu  à  l'épiscopat.   En  effet,  il  était 
daua  la  DéeeiBité,  à  ce  qu'il  prétendait,  de  relever 
ion  mince  évèché  de  la  pauvreté  où  il  était  tombé  ;  et 
celait  uu  opprobre  à  ses  yeux  que  sou  évéché  fût  ré- 


254  HENRI    IH. 

pulé  le  plus  pauvre  entre  tous  lesévêchés  d'Angleterre, 
et  qu'il  fût  déjà  surpassé  par  celui  de  Carlisle.  Or,  il 
exigea  qu'on  lui  fournît  la  somme  susdite,  non  point 
d'après  estimation  des  biens  ecclésiastiques  faite  par 
ceux  de  sa  j  uridiction ,  mais  d'à  près  les  provenances  (?) 
des  biens  ecclésiastiques,  de  quelque  nature  qu'elles 
fussent. 

Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire  le^O  avant  les 
calendes  de  février,  mourut  Nicolas  de  Sanford,  che- 
valier. Or,  il  est  convenable  de  perpétuer  le  souvenir 
de  sa  mort  dans  ce  livre,  non  point  à  cause  de  ses 
richesses,  mais  à  cause  de  sa  vaillance.  Sa  mort  fut 
le  résultat,  comme  nous  l'avons  dit,  de  la  douleur 
qu'il  ressentit  en  perdant  son  illustre  sœur  Cé- 
cile. 

A  la  même  époque,  le  seigneur  pape  adressa  au 
seigneur  roi  d'Angleterre  une  lettre  persuasive  et 
efficace,  pour  que  le  même  roi  prît  vigoureusement 
les  armes  à  l'effet  de  secourir  la  Terre-Sainte,  sans 
aucun  délai  fâcheux,  et  fournît  subside  opportun  et 
empressé  au  seigneur  roi  de  France,  qui  attendait 
des  secours.  Il  lui  recommandait,  dans  le  cas  où  il  ne 
le  voudrait  pas,  de  ne  point  empêcher  du  moins  que 
lesautres,  qui  étaient  prêts  et  bien  disposés,  passassent 
la  mer  et  accomplissent  leur  pèlerinage.  Or,  cette 
clause  finale  fut  ajoutée  parce  que  le  roi  avait  retardé 
certains  seigneurs  ,  à  leurperte  et  grand  dommage, 
au  moment  où  ils  étaient  prêts  à  se  rendre  en  Terre- 
Sainte.  Aussi,  le  seigneur  roi,  pour  obtempérer  au 
«lésiretau  conseil  du  pape,  extorqua  aux  juifs  tout  ce 


;.'♦ 


ANNÉE  1252.  235 

que  ces  malheureux  possédaient  oslensibleniciU, 
non-seulement  leur  raclant  la  peau  et  les  écorchant, 
mais  encore  leséventrant.  Enfin,  dans  la  soif  de  Tor, 
qui  le  gonflait  comme  un  hydropique,  il  enleva  avec 
tant  de  cupidité  talents,  plaques,  ou  joyaux,  tant  aux 
chrétiens  qu  aux  juifs,  qu'un  nouveau  Crassus  parais- 
sait ressuscité  d'entre  les  morts. 

Aux  approchesdelasaison  du  printemps,  afin  que  l'é- 
glise respirât  avec  la  sérénité  de  l'année,  le  seigneur 
pape,  que  les  habitants  de  Pérouse  avaient  reçu  hono- 
rablement, parce  qu  ils  comptaient  gagner  beaucoup  à 
son  séjour  parmi  eux,  créa  sept  cardinaux  à  Pérouse. 
Etcomme  il  avait  déjà  marié  ses  nièces  Irès-pompeuse- 
ment  et  très-somptueusement,  il  se  proposa  encore, 
pour  fortifier  davantage  son  parti,  d'unir  par  mariage 
une  de  ses  nièces  à  Henri,  fils  de  Frédéric  et  neveu  du 
roi  d'Angleterre, afin  que  le  même  Henri  devînt  comme 
le  fils  adoptif  du  pape,  fût  protégé  sous  les  ailes  de 
Péglise,  fût  relevé  complètement  de  la  sentence  qui 
ie  liait,  et  pùtjouird  une  paix  profonde.  Mais  lorsque 
les  grands  de  Tempire  apprirent  cela,  ils  conçurent 
une  indignation  violente  de  ce  que  le  pape  osait  pro- 
poser un  mariage  si  disproportionné  pour  un  jeune 
homme  si  noble  et  de  si  haute  naissance.  Vers  le 
même  temps,  Guillaume,  comte  de  Hollande,  se  re- 
pentant de  sa  présomption,  qui  lui  avait  coûté  si  cher, 
el  regrettant  d'avoir  aspiré  au  faîte  impérial,  par  les 
conseils  et  les  secours  pécuniaires  du  pape,  résigna 
toutes  prétentions,  aimant  mieux,  quoiqu'un  peu 
lard,  jouir  d'une  paix  sûre  dans  un  état  plus  humble, 


!2o6  HENRI  HI. 

que  de  courir  les  chances  douteuses  de   Mars  dans 
une  position  élevée. 

Celte  même  année,  pendant  le  carême,  on  envoya 
au  comte  Richard,  des  pays  d'outre-mer,  des  buffles, 
moitié  mâles  moitié  femelles,  pour  que  ces  animaux, 
qui  n'avaient  point  encore  été  vus  en  Angleterre,  se 
multipliassent  dans  nos  pays  d'occident.  Or,  le  buffle 
est  une  espèce  de  bête  de  charge,  semblable  au  bœuf, 
et  très-propre  à  porter  ou  à  tirer  des  fardeaux.  C'est 
un  animal,  grand  ennemi  du  crocodile,  qui  aime 
beaucoup  l'eau  et  qui  est  pourvu  de  grandes  cornes. 
C'est  de  lui  que  Bernard  le  philosoplie  a  dit  *  : 

«  L'éléphant  sVlève  par  la  masse  de  ses  os,  le  chameau  par  la  bosse 
«  (le  son  dos,  et  le  buffle  se  distingue  par  ses  coraes,  honneur  de  son 
»  front.  11 

Les  frères  Mineurs  reposent  de  recevoir  do  roi  cn 

PRÉSENT  qu'il  AVAIT  LUI-MÊME  EXTORQUÉ.  GrAVES  AC- 
CUSATIONS intentées  par  les  Gascons   contre  Simon, 

<  Buffou,  aux  articles  Buffle  et  Bubale,  remarque  qu'on  a  donné  fau- 
tivement au  buffle  le  nom  de  bvbalus,  que  les  Grecs  et  les  Romains  ne 
connaissaient  pas  le  baffle,  et  quails  désignaient  par  le  nom  àobubalus 
l'animal  connu  vulgairement  aujourd'hui  sous  celui  de  vache  de  Barba- 
rie. On  pense  généralement  que  le  buffle  (on  vieux  Tranchais  bugle)  fut 
import*-  en  Italie,  du  septième  au  huitième  siècle,  des  pays  chauds  dont  il 
était  originaire,  et  surtout  de  TÊgypte.  Comme  cet  animal  aime  beau- 
coup l'eau,  l'assertion  de  Matl.  l'àris  n'a  rien  d'extraordinaire.  Remar- 
quons qu'il  adopte  ici  pour  crocodile  l'orthographe  italienne  cocodrilïo. 
(juant  n  l'écrivain  désigné  dans  le  texte  sous  le  nom  de  Bernard  le  phi- 
losophe, nous  pensons  qu'il  s'.'git  do  Bernard  de  Chartres,  poëto  latin, 
inorlavanl  H.'ifl.  (I^oj/.  l7/t.s<.  lUlér.,  toin.  \II,  pag.  2(i3.)  Le  distique 
ciU'>  par  Matt.  IMris  est  probablement  tirédu  Megacosmus,  AoniM.  Cou- 
sin a  publié  quelques  fragments  h  la  suite  des  ouvrages  inédits  d'Abai- 
lard,  p.  C'27  et  suiv. 


ANNÉE  ^252.  257 

r.OMTF.DE  Leicester.  — État  étonnatstde  i/ atmosphère. 

1.NFLDEWCE  de  CE  CHANGEMENT  SIR  LA  VÉGÉTATION. 

Les  bénéficiers  refusent  d'être  élevés  au  crade  de 
PRÊTRES.  —  Vers  le  même  temps,    le  seigneur   roi 
envoya  aux  frères  Mineurs,  comme  une  aumône  qu'il 
leurfaisail,  un  chariot  chargé  d'étofles  de  laine  teintes 
en  gris  et  propres  à  vêtir  les  frères  Mineurs.  Mais 
les  frères,  apprenant  que  ledit  seigneur  roi  avait  ex- 
torqué ces  étoffes  aux  marcliands,  comme  les  autres 
choses  qu  il  avait  Ihabilude  de  prendre  ou   plutôt 
de  piller,  et  en  avait  retenu  le  prix,  se  contentant  de 
payer  en  tailles,  eurent  horreur  de  recevoir  un  pareil 
présent,  et  renvoyèrent  toute  la  charge  avec  le  cha- 
riot, disant  qu'il  n'était  pas  permis  de  faire  des  au- 
mônes avec  les  dépouilles  des  pauvres,   et   qu'ils 
n'accepteraient  pas  un  présent  si  abominable.  Celte 
action  rendit  les   frères   recommandables  et  le  roi 
reprehensible  :  ô  honte!  car  le  roi  est  tenu  d'être  le 
miroir  et  1  exemple  de  la  justice,  et,  comme  le  soleil 
dont  les  rayons  sont  très-droits  el  traversent  les  corps 
opaques,  ses  paroles  devraient  rester  immuablement 
vraies,  illuminant  et  réformant  les  ténèbres.  Mais 
maintenant  que  celui-là,  qui  est  appelé  roi,  est  téné- 
breux en  soi,  comment  illuminera-t-il  ceux  qui  sont 
dans  lobacurité?  C'est  pourquoi  Stace  a  dit  : 

«  ...  Quand  tu  pourras  «-tre  inaitre  de  toi-inéme,  alurs  lu  sera*  le 
t  uuKre  de  toutes  tlios.<:.  .  Mais  les  Grecs  sonfrreiitdi'  tes  fautes...  i» 

En   celle  métne  année,  tandis  que  le  comte  de 
Leioesler,  Simon,   faisait  un  court  séjour  en    An- 
▼II.  n 


258  '  HENRI  IH. 

gleterre,  les  Gascons,  se  révoltant  et  rompant  les 
trêves  convenues,  soulevèrent  la  guerre  contre  le  roi, 
et  attaquèrent  ceux  que  le  conmte  avait  laissés  à  sa 
place  pour  garder  en  sûreté  ses  châteaux  et  ses  pos- 
sessions. Us  firent  savoir  au  seigneur  roi  que  le 
comte  susdit  était  un  traître  très-méchant,  qui  amas- 
sait une  infinité  d'argent  et  l'extorquait,  tant  aux  no- 
bles qu'aux  bourgeois  et  au  populaire,  sans  épargner 
personne ,  en  disant  que  tout  cet  argent  devait  être 
remis  au  roi  besoigneux,  qui  était  sur  le  point  d'entre- 
prendre son  pèlerinage,  quoiqu'il  gardât  tout  cela 
pour  lui-même;  ils  ajoutèrent  en  outre,  et  c'était  là 
une  grave  accusation,  qu'il  avait  appelé  pacifique- 
ment à  son  conseil  des  seigneurs  de  Gascogne,  qui 
étaient  les  très-féaux  sujelsdu  roi,  et  qu'une  fois  ces 
seigneurs  rassemblés,  ce  Simon  ou  plutôt  ce  Sinon  les 
avail  perfidement  retenus,  les  avait  incarcérés,  et  les 
avait  méchamment  fait  mourir  de  faim.  Aussi  ces 
imputations  rendirent  le  comte  fort  suspect  au  roi. 
Le  roi,  flottant  donc  dans  l'incertitude,  fit  partir  se- 
crètement et  sur-le-champ  pour  la  Gascogne  Henri 
de  Weugham,  son  clerc,  homme  adroit  et  circon- 
spect, à  Teffetdes'enquérir  soigneusement  des  choses 
susdites  et  de  recueillir  des  renseignements  certains, 
ainsi  qu'il  avait  envoyé  jadis  Geoffroi  de  Langeley 
faire  une  enquête  sur  la  conduite  suspecte  de 
Kohcrt  Pnsselève,  pour  sonder  ce  qui  était  caché  et 
dénouer  ce  qui  était  tordu,  en  cherchant  un  nœud 
dans  le  jonc  et  un  angle  dans  un  corde.  Mais  l'en- 
(fuête  de  l'un  et  de  l'autre  ne  produisit  aucun  résul- 


ANNEE  ^252.  259 

tat.  Cependant  le  comte,  tort  irrité  pour  deux  niotiis 
eu  apprenant  cela,  alla  trouver  le  roi,  et,  alléguant 
son  innocence,  lui  dit  :  a  Qu'est  cela,  niessire  roi? 
«  Tu  prêtes  tes  oreilles  et  ton  cœur  aux  insinuations 
«  de  tes  traîtres,  et  tu  ajoutes  plus  de  loi  à  ces  gens, 
u  convaincus  maintes  fois  de  trahison,  qu  à  moi  qui 
a  suis  ton  féal  !  Tu  ordonnes  une  enquête  sur  ma 
«  conduite.  »  Alors  le  roi,  devenu  plus  calme,  lui  ré- 
pondit :  u  Si  tout  est  clair,  en  quoi  une  enquête  te 
«  sera-t-elle  désavantageuse?  Ta  renommée  ne  fera 
«  qu'en  briller  d  un  plus  vif  éclat.  »  Le  comte  étant 
donc  humilié  et  sur  le  point  de  retourner  en  Gas- 
cogne, le  roi  lui  donna  et  lui  prêta ,  sur  sa  demande, 
une  forte  somme  d'argent.  Aussitôt  le  comte  se  hâta 
de  repasser  la  mer,  n'ayant  pas  l'esprit  entièrement 
tranquille  ;  car  il  se  proposait  de  tirer  une  vengeance 
méritée  d'accusations  si  outrageantes.  Il  forma  donc 
une  armée  nombreuse,  composée  de  chevaliers  et  de 
sergents  français  à  sa  solde,  et  de  soldats  fournis  par 
le  roi  de  Navarre,  le  comte  de  Bigorre  et  beaucoup 
d'autres,  se  fortifia  d'une  manière  invincible  pour 
exterminer  ses  adversaires,  et  écrasa  si  bien  l'orgueil 
des  Gascons  que,  si  l'Angleterre  ne  leur  eût  été  utile 
pour  vendre  leurs  vins,  ils  auraient  tous  renoncé  à 
la  fidélité  du  roi  d'Angleterre,  et  se  seraient  choisi 
un  autre  seigneur.  Cependant  comme  les  Gascons 
trouvent  en  Espagne  un  débouché  pour  vendre  leurs 
vins  qui  font  leur  seule  richesse,  par  exemple  à 
Cordoae,  à  Seville,  et  à  Valence  la  Grande,  villes 
qui  naguère  ont  été  soumises  au  culte  chrétien,  ou 


260  HENRI  III.''        C^    i 

pout  craindre  qu'ils  n'abandonnont  If  parli  {\o  TAn- 
gleterre,  qui  no  leurprocurequ'aiigoii^scset  vexations, 
surtout  à  cause  des  exactions  du  roi  ,  et  qu'ils  ne  se 
donnent  à  l'avenir  à  un  prince  étranger.  Aussi  avons- 
nous  jugé  à  propos  d'insérer  ici  ces  réilexions  ,  parce 
que  de  tout  ce  qui  composait  le  noble  royaume  d'An- 
gleterre, qui  avait  coutume  de  se  glorifier  des  pays 
d'outre-mer  qui  lui  étaient  soumis,  tandis  que  main- 
tenant il  est  amoindri  et  mutilé  par  la  lâcheté  et  la 
fausseté  des  rois  d'Angleterre,  il  ne  reste  plus  que  la 
Gascogne  vacillante,  laquelle  ne  de  meure  sous  les  lois 
des  Anglais,  que  parce  que  le  roi  de  France  dédaigne 
de  s'en  emparer*;  et  si  l'on  perdait  décidément  cette 
province,  comme  les  Gascons  nous  en  menacent  hau- 
tement, jamais  dans  les  temps  futurs  les  ancres  d'en 
deçà  de  la  mer  ne  seraient  jetées  sur  les  terres  d'ou- 
tre-mer®. 

A  la  môme  époque,  c'est-à-dire  le  lendemain  de 
saint  Grégoire,  à  la  quatrième  férié,  la  mutation  de 
la  lune  étant  imminente,  on  la  vit  paraître  quatre 
jours  avant  celui  où  on  devait  la  déclarer  en  son 
premier  jour  :  car  le  jour  de  la  lune  ne  fut  réel- 
lement 1  que  le  prochain  samedi  qui  suivit.  Ensuite,  . 
pendant  quinze  jours,  sans  interruption,  le  soleil  , 
la  lune  et  les  étoiles  parurent  d'une  teinte  rougeûtre, 
et  une  sorte  de  nuage  sec,  semblable  à  la  fumée,  et 

<  Quam  rex  Francorum  rontemnit,  «lit  le  lexlc. 

'  Malt,  l'âris  m;  se  «Inutail  pas  alors  qu'un  jour  le»  Anglais  seraient 
mallrcR  de  pri's  des  deux  tiers  de  la  France,  et  que  la  Guyenne  elle-nu'nio 
icrait  la  dernière  province  arrach«^e  ;i  leur  domination. 


ANINÊE  ^232.  264 

amené  par  Borée  ou  jiar  le  vent  d'orienl ,   parut 
remplir  toute  léteudue  du  monde.  Cetle  même  an- 
née, la  plus  {}rande  partie  du  mois  de  mars  et  les 
mois  entiers  d'avril  et  de  mai  *  furent  brûlés  par  un 
soleil  ardent,  pendant  que  le  vent  d'orient,  que  Borée 
et  que  1  aquilon  soufflaient  sans  relâche.  Les  causes 
de  chaleur  et  de  sécheresse  s'élant  donc  multipliées, 
et  les  rafraîclnssements  de  la  rosée  se  trouvant  in- 
terrompus, les  pommes  et  les  autres  fruits,  qui  com- 
mençaient à  paraître,  et  qui  déjà  se  nionlmient  en 
ausi>i  grande  quantité  que  se  montrent  les  noix,  se 
séchèrent  et  tombèrent  sans  ressource ,  et  une  très- 
faible  quantité  put  venir  à  maturité,  bien  que  les 
Heurs  qui  les  avaient  précédés  eussent  promis  des 
fruits  en  abondance.  Ce  qui  augmenta  encore  la  perte 
des  fruits  qui  restaient,  au  moment  où  ils  avaient 
atteint  la  grosseur  des  glands  ,  ce  fut  une  gelée  sou- 
daine, accompagnée  d'éclairs  surnaturels,  qui  frappa 
la  terre  un  matin   (ce  que  les  philosophes  naturels 
appellent  brûlure),  et  qui  s'attaqua  tellement  aux 
fruits ,  aux  glands  ,  aux  faînes  ,  et  à  ioute  espèce  de 
fruits  et  même  de  plantes  alors  en  puberté,  qu'il  en 
resta  à  peine  la  dixième  partie.  Cependant  les  ver- 
gers et  les  champs  étaient  encore  suffisamment  gar- 
nis de  fruits,  à  cause  de  l'abondance  primitive  qui 
était  telle,  que  si  tous  les  germes  des  fruits  étaient 
venus  à  bien,  les  arbres  n'auraient  pu  supporter  le 
poids  de  tous  les  fruits  qu'ils  auraient  produits.  Mais 
le  soleil  étant  arrivé  jusqu'au  faîte  du  solstice,  une 
*  Martius.  Evitlemineut  maius. 


262  UmWl  111.     • 

chaleur  iuiniodérée  et  intolérable  brûla  tellement  la 
surface  de  la  terre  et  multiplia  si  fort  ses  ardeurs  , 
que  toute  motte  de  terre  se  dessécha,  et  que  les  prai- 
ries refusèrent  aux  troupeaux  toute  espèce  de  pâture. 
De  plus,  la  chaleur  se  prolongeant  même  pendant 
les  nuits ,  engendra  des  moucherons ,  des  puces  et 
autres  insectes  incommodes ,  en  sorte  que  tous  les 
vivants  éprouvaient  l'ennui  de  vivre. 

A  la  même  époque ,  comme  Tévêque  de  Lincoln 
conseillait  efficacement  à  beaucoup  de  bénéficiers  de 
son  diocèse,  et  les  pressait  instamment,  soit  qu'ils  le 
voulussent  ou  non  ,  de  se  faire  élever  au  grade  de 
prêtres,  il  y  en  eut  plusieurs  qui,  refusant  de  sou- 
mettre leurs  cous  au  joug  du  Seigneur,  en  exerçant  le 
sacerdoce ,  firent  une  collecte  entre  eux  sur  l'avis 
commun,  amassèrent  une  forte  somme  d'argent,  dé- 
putèrent vers  la  cour  romaine,  et,  moyennant  l'effu- 
sion de  l'argent  qui  peut  beaucoup  dans  ladite  cour, 
résistèrent  au  décret  episcopal,  en  vertu  de  l'autorité 
papale;  ils  obtinrent  aussi  la  faculté  de  tenir  pen- 
dant quelques  années  des  écoles,  sans  être  revêtus  du 
sacerdoce.  C'est  ainsi  que,  sous  une  apparence  hon- 
nête, ils  rejetèrent  de  leurs  cous,  par  des  ruses  de 
renards,  le  joug  du  Seigneur. 

Le    roi    fait   (;o>Vi»y(iKii    1,1;^    SEKilNEOnS    CROISÉS.   — 

Projets  de  restitution  annoncés  par  Louis  IX.  — 
Henri  III  jure  d'accomplir  son  pj;lerinage  en  Terre- 
Sainte.  —Le  SOUDAN  DEMANDE  LA  PAIX  AU  ROI  DE  FrANCE. 

—  Le  roi  se  montre  dur  pour  ses  sujets  ,  prodigue 


ANNÉE  4252.  265 

POCR    LES    ÉTRANGERS.    TENTATIVE    d'eMPOISONNEMENT 

sur  la  personne  de  conrad.  périls  do  comte  de 

Leicester  a  Bordeaux.  —  Mort  de  maître  Jean  de 
Basingestores. — Ses  OUVRAGES.  —  Il  rapporte  en  An- 
gleterre LES   FIGURES  NUMÉRALES  DES  GrECS.    —  Celte 

même  année ,  aux  approches  de  la  solennité  de 
Pâques ,  le  seigneur  roi  fit  convoquer  à  Londres 
tous  les  seigneurs  d'Angleterre  croisés ,  à  Teffet  de 
8e  trouver  réunis  à  Londres  dans  la  quinzaine  de 
Pâques,  et  de  s'y  occuper  avec  soin  des  affaires  de  la 
Terre-Sainte,  dont  l'honneur  paraissait  clianceler 
énormément.  Vers  le  même  temps  aussi,  le  nom  du 
roi  de  France  commença  à  être  a\ili  grandement  dans 
le  royaume  de  France ,  et  à  devenir  fort  odieux  aux 
nobles  et  au  vulgaire,  tant  parce  qu'il  avait  été  vaincu 
honteusement  par  les  infidèles  dans  le  pays  d'E- 
gypte, et  que  toute  la  noblesse  de  France  avec  lui 
avait  été  couverte  d'une  confusion  indélébile,  que 
parce  qu'il  s'était  permis ,  sans  l'aveu  de  ses  sei- 
gneurs, d'offrir*  au  roi  d'Angleterre  la  Normandie 
et  les  autres  provinces  d'outre-mcr  ,  qu'il  détenait 
et  occupait,  si  le  même  roi  d'Angleterre  venait  puis- 
samment et  efficacement  à  son  secours;  ce  qu  il  était 
surtout  tenu  de  faire  comme  croisé.  Ce  qui  augmen- 


•  La  vmté  il^ane  pareille  assertion  est  plus  <]ue  contestable,  il  est  vrai 
^ae  niut  Louis  étsil  poss/'-dô  d'uu  >ioleut  drsir  de  restitution;  mais  eu 
■Vtait  ni  le  temps  ni  le  lieu  d'entamer  une  pareille  ué{>ociation,  sur  la- 
quelle, d'ailleurs,  tous  les  historiens  fraïujais  (]i(rdent  le  silence  le  pliif 
abcolu.  Il  f«t  plus  prultalilc  ipic  Malt.  Paris  a  été  ici  induit  eu  erreur  par 
quelque  uieu»on(;e  ofliciel  di-  Henri  III. 


264  HENRI  III. 

tait  encore  Torgueil  des  Français  ,  c'était  Popprobre 
qu'on  leur  jetait  fréquemment  à  la  face  ,  quand  on 
leur  disait  daris  la  conversation  quelle  plus  noble  des 
Français,  après  le  roi,  c'est-à-dire,  Robert,  comte 
d'Artois,  frère  du  roi  de  France,  avait  pris  la  fuite, 
tandis  qu'un  Anglais ,  à  savoir  Guillaume  Longue- 
Épée ,  issu  de  la  race  royale  d'Angleterre ,  et  encore 
jeune  d'âge,  avait  tenu  ferme  jusqu'à  la  mort,  en 
combattant  vigoureusement  et  vaillamment.  Aussi  les 
Français  eux-mêmes  ne  pouvaient-iis  nier  qu'il  ne 
brillât  de  la  couronne  éclatante  du  martyre,  et  dût- 
être  mis  au-dessus  du  bienheureux  Edmond    lui- 
même,  s'il  est  permis  de  le  dire.  En  effet,  si  ce  der- 
nier est  un  confesseur  glorieux ,   comme  Tattestent 
son  corps  préservé  de  la  corruption  et  la  fréquence  de 
ses  miracles,  l'autre,  chevalier  de  bonne  mine,  de 
haute  naissance  et  de  grande  vaillance,  avait  subi  pu- 
bliquement le  martyre  :  ce  qui  était  une  épine  blesr 
santé  dans  les  yeux  des  Fiançais.  En  effet,  riiommc 
arrogant  ne  peut  souffrir  son  égal  en  mérite  :  com- 
bien plus  il  s'indi;;ne  d'avoir  un  supérieur  !   c'est 
pourquoi  le  poëte  a  dit  :  , 

«  L'iiominc  puissant  ou  l'iiomiiic  superbe  uc  peut  supporter  de  par- 

Aussi  les  Français  répondirent- ils  arrogammenl 
comme  il  suit  au  message  du  roi  do  France,  dans 
lequel  il  était  question  de  restituer  au  roi  d'Angle- 
terre les  provinces  (roulrc-mo^*  :  «  A  Dieu  ne  plaise 
«  que,  de  notre  tenq)8,la  Fronce  soit  abaissée  et  mu- 


ANNÉE  4252.  265 

«  Ulée  à  ce  poinl,  que  Ton  rende  au  faible  roi  d'Au- 
«  glelerre  ce  qu'il  demande ,  bien  que  la  France  se 
«  trouve  avilie  au  delà  de  ce  qui  convient  par  la  lu- 
«  chelé  et  la  défaite  de  notre  roitelet.  C'est  assez  d'être 
«  foulés  aux  pieds,  d'être  diffamés,  d'être  appauvris 
«  comme  nous  le  sommes.  Quand   bien  même  la 
•  dame  Blanche,  parson  affection  maternelle  et  par 
«  une  volonté  de  femme,  voudrait  cela  pour  la  déli- 
«  vrauce  et  la  prospérité  de  son  fils ,  jamais  Tassem- 
«  blée  (jéiiérale  du  royaume  de  France  n'y!  consen- 
«  tirait.    En   efl'et,  nous  ne  souffrirons   pas  que  le 
«  jugement  des  douze  pairs,  par  lequel  le  roi  d'An- 
«  gleterre  a  été  déshérité  et  privé  justement  de  la 
M  Normandie,  soitcassé  et  regardé  comme  nul.  Quant 
«  aux  autres  terres  que  redemande  le  même  roi  d'An- 
«  gleterre  ,  notre  ennemi  capital ,  il  ne  les  possédera 
«  en  aucune  façon  tant  que  nous  vivrons.  »  Aussi  un 
murmure  horrible  et  des  grognements  s'élevèrent 
parmi  les  seigneurs  de  France,  en  voyant  que  le  roi 
de  France  osait  méditer  pareille  chose  sans  le  con- 
sentement du  baronage  entier.  Ses  frères  eux-mêmes, 
à  savoir  les  comtes  de  Poitou  et  de  Provence,  commen- 
cèrent à  le  dédaigner  et  à  l'avoir  en  haine  et  en 
mépris.  De  plus,  ils  refusèrent,  malgré  son  attente, 
de  lui  fournir  le  patronage  fraternel  qu'ils  lui  avaient 
promis.  Blanche  sa  mère  fut  la  seule  qui  tint  ferme 
pour  lui  et  avec  lui  ;  car  la  nature  et  la  piété  de  la 
religion  l'empêchaient  de  lui  fermer  ses  entrailles. 
Or,  quand  le  seigneur  roi  d'An<;leterre  apprit  cette 
rq>on8e,  les  espérances  qu'il  avait  conçues  de  recou- 


266  HENRI  111. 

vrer  ses  possessions  d'oiitre-mer  s^évanouirent  com- 
plètement. On  lui  rapporta  de  plus  que  les  seigneurs 
de  France  avaient  juré,  en  prononçant  un  horrible 
serment,  qu'avant  que  le  roi  d'Angleterre  recouvrât 
ce  qu'il  espérait,  il  lui  faudrait  nécessairement  passer 
à  main  armée  par  les  pointes  de  mille  lances,  et, 
quand  les  lances  seraient  brisées,  par  autant]  de 
glaives  prêts  à  verser  son  sang.  Ce  qui  effraya  beau- 
coup le  roi  d'Angleterre,  comme  on  doit  le  penser. 

Dans  le  cours  de  cette  même  année,  le  lundi  qui 
précéda  immédiatementlejourque  nous  appelons  vul- 
gairement Hokeday\  le  seigneur  roi  fitconvoquerpar 
la  voix  du  héraut  tous  les  habitantsde  Londres,  depuis 
le  plus  petit  jusqu'au  plus  grand,  leur  enjoignant  par 
édit  royal  de  se  rassembler  tous  à  Westminster, 
pour  y  entendre  ses  volontés.  Quand  ils  furent 
réunis,  le  roi  ordonna  que  l'évêque  de  Worcester,  ce- 
lui de  Chicester  et  Tabbc  de  Westminster,  fissent  au 
peuple  un  sermon  solennel  et  efficace,  pour  le  dé- 
terminer à  prendre  la  croix.  Mais,  malgré  cette  pré- 
dication,   un  très-petit  nombre    des   habitants  de 


*  On  applail  ainsi  une  fëlo  célébréo  en  commémoration  du  maasacrc 
des  Danois  qui  avait  nu  lien  en  1005,  lo  jour  de  saint  Hricc,  sous  le 
rèf^nc  d'blhclred  11.  Le  Uokeday  tombait  un  mardi  et  donnait  quelque- 
fois son  nom  à  la  quinzaine  do  l'ûqucs,  parce  qu'il  arrivait  quinze  jours 
après  râ(|nes.  Comme  la  trudilioii  nrontnit  (|ue  les  femmes  saxonnes 
avaient  vpnjjé  suns  pilif' sur  lr'«  Paiioig  leur  liounenr  onirngé,  le  Uoke- 
day ét-iit  la  foie  des  femmes  :  oe  jonr-l<i  elles  (<>ndi>ienl  des  cordes  d,iiis 
les  mes,  cl  s^omusaientà  orréler  les  piissunls  pour  leur  demander  quel- 
ques pelils  cadeaux,  qui  ensuite  éluient  consacrés  n  des  UBa({cs  pieux. 
Cette  félc  subtitlait  encore  au  temps  du  Guillaume  Wats. 


li 


ANNÉE  4252.  267 

Londres  ou  des  yens  d'alenloiir  voului*ent  prendre  la 
croix,  à  cause  des  diverses  extorsions  d'argent  et  des 
Ironiperies  de  la  cour  romaine;  toutefois,  parmi  les 
courtisans,  Richard  de  Gray,  Jean  son  frère,  et  Jean 
de  Plessets*,  s'empressèrent  de  recevoir  la  croix. 
Aussitôt  Icroi,  s'élançant  vers  eux,  les  serra  dans  ses 
bras,  en  les  appelant  ses  frères,  puis  il  traita  les  ci- 
toyens de  Londres  d'ignobles  marchands,  et  leur  fit 
un  reproche  de  ce  que  peu  d'entre  eux  avaient 
pris  la  croix.  Or,  c'était  Rome  qui  lui  donnait  cette 
audace  ou  plutôt  cette  opiniâtreté,  parce  qu'il  avait 
obtenu  du  pape  la  permission  de  lever  pendant 
trois  ans  un  dixième  sur  le  clergé  et  le  peuple  du 
royaume;  et  cedixième,  s'il  était  levé,  pourrait  mon- 
ter à  une  somme  totale  de  plus  de  six  cent  mille 
[marcs],  au  détriment  perpétuel  du  royaume.  Aussi 
se  disait-on  tout  bas  (ce  qui  doit  être  repoussé  par  les 
esprits  pieux),  que  le  seul  but  du  roi,  en  attachant  la 
croix  à  SCS  épaules,  était  d'avoir  un  prétexte  pour 
dépouiller  le  royaume  de  ses  biens.  Toutefois,  il 
jura  d'effectuer  son  passage  dans  les  trois  ans  qui  sui- 
vraient, à  partir  du  jour  de  saint  Jean-Baptiste,  à 
moinsqu  ilne  fût  retenu  par  la  mort  ou  par  une  infir- 
mité grave,  ou  par  quelque  autre  motif  raisonnable, 
et  en  prêtant  ce  serment,  il  posa  sa  main  droite  sur  sa 

*  Nous  pmioiu  qu'il  s'agit  ici  du  comte  de  Warwick,  nommé  plus 
hm  par  Matt.  Paria  Jean  de  Plcyseir.  Plessets  eat  la  bonne  lerou  selon 
Camito,  et  eoovieot  ê  l'iexeto  {Utxle  hic).  Nous  laissons  dune  de  cùlv 
rinterprélatiuu  PUvkc,  <iui  élail  le  nom  d'une  autre  famill»'  roulem{)o> 


2M  HENRI  HI. 

poitrine,  comme  font  les  prêtres,  et  ensuite  la  posa 
sur  les  évangiles  qu'il  baisa  comme  lont  les  laïques. 
Mais  ccsdémonslralions  ne  rassurèrent  pas  beaucoup 
les  assistants;  car  le  souvenir  des  trangressions  pas- 
sées faisait  naîlre  le  soupçon  pour  le  présent. 

A  la  même  époque,  pendant  que  le  roi  de  France 
séjournait  à  Césarée,  ceux  d'îconium  et  de  Damas 
continuèrent  une  guerre  sanglante  et  hostile  contre  le 
Soudan  de  Babyloue,  et  se  livrèrent  aux  rapines,  aux 
incendies  et  aux  massacres.  En  effet,  le  soudan  de 
Babylone  était  odieux  à  tous  les  Orientaux,  tant 
parce  qu'il  avait  souffert,  stimulé  qu'il  était  par  l'ava- 
rice,  que  le  roi  de  France  sortît  sain  et  sauf  des  mains 
des  Babyloniens,  que  parce  qu'on  l'accusait  d'avoir 
lue  séditieusement  son  seigneur  le  soudan  de  Baby- 
lone, son  prédécesseur,  pour  s  enrichir  de  ses  trésors. 
Or,  tous  les  Orientaux  s'étaient  proposé  de  faire  du 
seigneur  roi  de  France  un  jouet  pour  tous  les  Sar- 
rasins, à  la  ruine  et  au  scandale  éternel  de  la  loi 
chrétienne,  et  enfin  de  le  présenter  à  leur  calife  de 
la  Mecque,  pour  être  emprisonné  tout  le  reste  de  ses 
jours,  ou  immolé  à  Machomet  en  holocauste,  à 
l'exaltation  de  leur  loi.  Mais  la  colère  divine  ne  s'em- 
porta point  jusque-là  contre  ses  serviteurs,  quoi- 
qu'ils eussent  mérité  cela  par  leurs  péchés,  qui 
avaient  attiré  la  vengeance  de  Dieu  :  car  Dieu,  même 
dans  son  courroux,  se  souvient  de  la  miséricorde. 
C'est  pourquoi  dès  lors  le  susdit  soudan  de  Babylone 
envoya  auseigneur  roi  de  France  des  présents,  accom- 
pagn<';8  de  paroles  pacifiques,   lui   faisant  savoir  à 


ANNÉE  ^252.  269 

combien  de  trilnilntions  il  était  en  proie  pour  l'avoir 
épargué.  Le  même  Soudan  commença  aussi  à  méditer 
les  conditions  de  paix  ou  de  trêve  qu'il  voulait  of- 
frir au  roi  susdit:  ce  qui  réconforta  le  seigneur  roi, 
et  lui  lit  concevoir  de  meilleures  espérances. 

Avant  même  que  le  parlement,  dont  il  a  été  ques- 
tion, fût  levé,  le  seigneur  roi,  devenu  sourd  à  toutes 
les  prières,  non-seulement  n'accorda  pas  même  de 
courts  délais  à  ses  débiteurs,  mais  encore  pressura 
ses  sujets  naturels  sans  miséricorde,  sans  aucune 
considération  discrète,  et  au  gré  de  sescaprices.  Pour 
faire  saigner  encore  plus  les  cœurs  des  siens,  il  con- 
féra une  terre  de  cinq  cents  marcs  à  un  certain  Poi- 
tevin, nommé  Elie  de  Rabani,  homme  tout  à  fait 
indigne  d'un  pareil  honneur.  Ainsi  d'une  part  il 
était  devenu  avide  et  insatiable,  de  l'autre  dilapida- 
teur  des  biens  du  royaume. 

Vers  le  même  temps,  Conrad,  fils  de  Frédéric, 
ayant  gagné  la  faveur  de  presque  tous  les  Italiens, 
Calabrais,  Siciliens,  Romains  et  Germains,  fut  em- 
poisonné traîtreusement,  au  moyen  d'un  breuvage 
mortel  (plaise  à  Dieu  que  la  faute  n'en  soit  pas  à  la 
cour  romaine),  et  ne  fut  retiré  qu'à  grand'peine  des 
portes  de  la  mort,  par  l'habileté  très-active  des  mé- 
decins. 11  y  en  avait  qui  disaient  que  quelque  parti- 
san du  pape,  à  l'insu  cependant  du  seigneur  pape, 
avait  préparé  cet  attentat.  En  effet,  les  partisans  du 
pape  redoutaient  fort  que  Conrad,  suivant  les  traces 
de  SDii  père,  et  st*  souvenant  des  persécutions  que 
son  père  avait  éprouvées,  ne  se  vengeât  de  ses  adver- 


270  HENRI  III. 

saires.  Conrad  n'en  devint  donc  que  plus  cher  à  tout 
le  n^onde,  parce  que  le  Seigneur  l'avait  conservé 
sain  et  sauf  dans  une  circonstance  si  périlleuse. 
Aussi,  plusieurs  sollicitèrent  instamment  le  seigneur 
pape  d'élever,  autant  qu'il  était  en  lui,  le  susdit  Con- 
rad au  faîte  impérial  ;  mais  le  pape  craignit  qu'il 
ne  tint  de  son  père,  et  ne  suivît  pas  à  pas  les  traces 
de  Frédéric,  en  persécutant  l'église. 

Cette  même  année,  Simon  de  Montfort,  comte  de 
Leicester,  qui  supportait  déjà  maintes  tribulations, 
étant  arrivé  à  Bordeaux,  trouva  que  beaucoup  de 
citoyens  de  cette  ville,  après  avoir  tramé  un  complot 
occulte,  se  disposaient  à  lever  le  talon  contre  lui,  et  à 
lui  préparer  des  pièges  nouveaux  et  renaissants. 
Aussi  lui  fallut-il  s'exposer  de  nouveau  à  des  périls 
de  guerre  et  même  de  mort,  comme  on  le  verra  dans 
ce  qui  suit. 

A  la  même  époque  (  car  un  malheur  ne  vient 
jamais  seul  ),  maître  Jeun  de  Basingestokes,  archi- 
diacre de  Leicester,  homme  très-érudil  dans  le 
trivium  et  le  quadrivium,  et  pleinement  versé  dans 
les  lettres  grecques  et  latines,  alla  où  va  toute  créa- 
ture, et  multiplia  les  gémissements  et  les  larmes  du 
comte  susdit.  Ce  dit  maître  Jean  avait  fait  savoir  à 
1  evêque  de  Lincoln  llobert,  qu'à  l'époque  où  il  étu- 
diait à  Athènes,  il  avait  vu  et  appris,  de  la  bouche 
des  savants  docteurs  de  lu  Grèce,  certaines  choses  in- 
connues aux  Latins,  au  nombre  desquelles  se  trou- 
vaient les  testaments  des  douze  patriarches ',c'est-à- 

*  Saint  Jcrurac  paroit  faire  allusiou  à  ce  livre  ii|>ocry|iLc  dans  une 


ANNÉE  4252.  S74 

dire  des  fds  de  Jacob.  Or,  ii  est  constant  que  ces 
testaments  faisaient  partie  des  saintes  Écritures*; 
mais  ils  furent  lonfjlemps  cachés  par  la  jalousie  des 
Juifs,  0  cause  des  prophéties  manifestes  relatives  au 
Christ,  qui  y  sont  contenues.  Aussi  le  môme  évêque 
les  envoya  chercher  eu  Grèce,  et  se  les  étant  procurés 
les  traduisit  du  grec  eu  langue  latine,  ainsi  que  quel- 
ques autres  écrits.  De  plus  ledit  maître  Jean  rap- 
porta en  Angleterre  les  figures  numérales  des  Grecs, 
en  donna  connaissance  à  ses  familiers,  et  leur  en 
expliqua  la  signification.  Ces  figures  servent  aussi  à 
représenter  les  lettres  [numérales].  Ce  qu'il  y  a  de 
plus  admirable  dans  ces  figures,  c'est  qu'une  seule 

leltreà  Vigilantiiu  où,  après  avoir  éouméré  plusieurs  écrits  pen  ortho- 
doxes, il  lermine  en  disant  :  «Et  Si  tihi  placverit,  legite  fictas  révéla- 
iiones  omnium  patriarchamm  et  prophetanim,  et  quum  iUas  didi- 
ceris,  inter  muUerum  textrinas  cantato.  »  Matt.  Paris  n'est  pas,  à  ce 
4u'il  semble,  de  l'avis  de  saint  Jérôme.  Quant  au  livre  en  lui-même, 
voici  ce  qu'en  dit  Faliricius  :  Testamentum  Xll  prophetarum  qnod  a 
christiano,  ut  videtur,  Judaizante  compositum,  Origeni  aliis  que 
rtteribus  ledum,  lutiuè  pridem  veitit  Hobertus Lincolniensis,  grœ- 
ce  primus  edidit  torn.  i.  Spicilegii  vir  clarissimus  J.  E.  Grahe. 
{  Pabricics  Cod.  apoeryp.  nov.  testam.,  torn,  ii,  pag.  959.  Voyez 
aoiû  Codex  pseudepigraphus  vet.  test,  du  même  auteur.)  In  «utre  U- 
Ti«  de  semblable  composition,  intitulé  Trxr^^xc/ai,  attribuée  AbraLam,  è 
iMACet  h  Jaeob,  fut  condamné  par  d'anciens  conciles,  comme  sentant  Thé- 
rétie  et  eoutenaot  à'impia  figmenta.  {Voy.  Labbe,  lom.  v,  deuxième 
eoueile  Braeearense ,  c^nou  tT.) 

*  Dt  substantia  bibliothecœ  (texte  hic).  liibliotheca  s'emploie  tan- 
iM  ftmr  rwidroit  où  on  dépose  les  livres  (libraria) ,  tantôt  et  plus  or- 
dinûfcmcnt  pour  rauciea  et  le  nouveau  testament.  Mais  ou  y  trouve 
(rétpiamiiMot  joint  srripturarum  dwinarxiin,  ou  quelque  terme  aua- 
lognc.  Loi  noiabrruiei  citations  de  Ducauge  ne  laissent  aucun  doute  à 
flci^gud. 


272  HENRI  111. 

figure  représente  un  nombre  quelconque  :  ce  qui 
n'existe  pas  dans  le  latin  ou  dans  l'algorisme'. 

Or,  nous  avons  jugé  à  propos  de  retracer  ces  ca- 
ractères dans  le  présent  écrit.  Prenez  une  baguette^: 
de  cette  même  baguette  [perpendiculaire]  lirez  des 
lignes  de  manière  à  ce  que  chacune  forme  avec  la 
baguette  un  angle  droit,  un  angle  aigu  ou  un  angle 
obtus,  comme  il  suit. 

I       II     in     IV      V      VI     VII    VIII     IX 

X        XX      XXX     XL        L       LX      LXX  LXXX    XC 

Remarquons  que  toutes  les  lignes  tirées  de  droite 
à  gauche  de  la  baguette  représentent  la  numération 
sur  les  doigts,  c'est-à-dire  un  nombre  simple,  et  que 
les  lignes  tirées  de  gauche  à  droite  représentent  un 
nombre  composé,  c'est-à-dire  la  numération  graduée, 
ou  les  nombres  dont  la  conjonction  forme  un  nom- 
bre supérieur. 


Cette  figure  est  la  plus  reco  mmandable  de  toutes  : 

«  Voy.  la  noie  III  k  la  fin  du  volume. 

'  .Slt;)^s,  «lil  le  U'xt»*.  Non»  ppnions  que    c'esl  un   lerine  analogue  h 
notre  mot  vulf{aire,  une  rhjle. 


ANNÉE  4252.  273 

carde  quelque  colé  qu'on  la  tourne,  elle  représente 
le  même  nombre,  c'est-à-dire  le  nombre  LV,  comme 
si  elle  .avait  été  établie  de  toute  éternité  pour  avoir  la 
lorme  de  la  croix  du  seigneur  Jésus,  Dieu  et  homme, 
qui  devait  être  crucifié  :  aussi  beaucoup  de  Grecs 
outils  cru  dans  la  suite. 


t 


Cette  ligure,  qui  représente  XXXIll,  est  aussi  fort 
recommandable;  car  Jésus-Christ  a  été  crucifié  la 
trente-troisième  année  après  sa  naissance;  et  on  Tap- 
pelle,  à  cause  de  sa  forme,  le  signe  de  la  flèche;  car 
il  est  écrit  :  «  Tout  à  coup  la  ilèche^ » 


^ 

y^ 


^e 


Celte  figure,  selon  les  Grecs,  embrasse  toutes  les 
tigures  numérales^,  et  est  applicable  à  toutes  les  let- 
tres. .\u88i  en  Grèce  beaucoup  de  tabellions,  pour 
chiffrer  plus  vite,  écrivent  au  moyen  de  ces  figures 

Vubilo  sa.  r.  ru,  dit  le  texte  sans  autre  iodication. 
*  V.a  effet,  elle  reofenne  des  angles  droits,  aigus  el  obtus.  Voyfz  la 
dÎMertation  sur  ce  tytthne  de  notation,  nol«?  III  h  la  iiij  ilu  volume. 

VU.  m 


274  HENRI  m. 

en  tirant  des  lignes  avec  des  baguettes  préparées  à 
l'avance  *. 

En  outre  le  susdit  maître  Jean  traduisit  du  grec 
en  latin  un  certain  écrit,  dans  lequel  toutes  les  pro- 
priétés de  la  grammaire  sont  contenues  ingénieu- 
sement et  en  abrégé.  Le  même  maître  intitula  cet 
écrit  :  Donat  des  Grecs  ^. 

Item,  il  en  composa  un  autre,  dans  lequel  les  pa- 
ragraphes du  livre  des  Sentences^  sont  éclaircis  au 
moyen  de  distinctions,  et  qui  commence  ainsi  :  «  Le 
temple  du  Seigneur...  »  lequel  est  fort  utile "*. 

Item,  il  fit  encore  un  autre  écrit  qu'il  tira  de  ses 
rapports  avec  les  Athéniens;  car  c'est  dans  la  ville 
d'Athènes  qu'ont   étudié   les  sages   des  Grecs.   Et 

*  Intercalation  importante  fournie  par  le  manuscrit  de  régliso  collé- 
giale de  Cambridge. 

'  ^lius  Dunatus ,  grammairien  latin ,  naquit  au  quatrième  siècle , 
vers  333,  et  fut  précepteur  de  saint  Jérôme.  Outre  son  commentaire  sur 
Terence,  il  composa  deux  traites,  l'un  De  Barbarismo,  l'autre  De  octo 
partibus  orationis.  Comme  il  était  fort  goûté  au  moyen  .Igc,  l'usage 
s'introduisit  d'appeler  Donat  la  plupart  des  ouvrages  de  grammaire,  et 
nous  avons  une  grammaire  provençale  traduite  en  latin  sous  le  titre  de 
Domitus  provincialis. 

'  Pariiculo!  seutcntiarum .  Suard,  dans  son  article  à  la  biographie  de 
Michnud,  ayant  probablement  ce  pussuguon  vue,  traduit  «  une  partie  du 
«  livre  des  sentences  :  »  ce  qui  ne  nous  semble  pas  tout  à  fuit  exact. 
Cependant  nous  ne  répondons  point  de  notre  interprétation, — On  compte 
jusqu'à  deux  cent  quarante-quatre  auteurs  qui  ont  commenté  le  livre  de 
l'ierre  Lombard. 

4  Oudin,  dans  son  catalogue,  range  cet  ouvrage  parmi  ceux  de  Robert 
Grossc-Tétc,  ce  qui  est  inadmissible  d'après  le  témoignage  formel  de 
Mail,  l'ilris  ;  mais  l'erreur  okI  facili-  à  comprendre.  Il  est  h  regretter 
qu'Oudiii  ne  lionne  aucune  notion  sur  Rusingostokes  et  ne  le  cite  même 
pat. 


ANNÉE  4252.  2T$ 

comme  la  saffcsso  esl  immortelle,  ainsi  que  Ta  dit  le 
sage  en  parlant  d'elle  :  «  J'ai  été  créée  dès  le  commen- 
cement et  avant  les  siècles,  et  je  ne  manquerai  pas 
jusqu'à  la  fin  des  siècles;  »  ce  nom  d'Athènes,  vient 
du  mot  a,  qui  veut  dire  sans,  et  Tlianatos,  qui  veut 
dire  mort,  et  signifie  par  conséquent  immortelle'. 
Cet  écrit  est  consacré  à  prouver  l'ordre  des  Evangiles. 
Je  ne  dois  pas  omettre  que  ledit  maître  Jean  avait 
coutume  de  me  raconter  le  fait  suivant,  à  moi  qui 
écris  ces  détails.  Une  jeune  fille  qui  avait  pour  père 
l'archevêque  d  Athènes,  et  qui  s'appelait  Constan- 
tine,  douée  de  toutes  les  vertus,  et  qui  n'avait  pas 
encore  vingt  ans,  était  tellement  instruite  dans  toutes 
les  difGcullés  du  triviumet  duquadrivium,  que  ledit 
maître  Jean,  pour  l'éminence  de  sa  science,  avait 
coutume  de  l'appeler  agréablement  la  nouvelle  Ca- 
therine ou  [  simplement  j  Catherine.  Elle  fut  la  maî- 
tresse de  maître  Jean,  et  tout  ce  qu'il  savait  de  bon 
en  fait  de  science,  c'était  elle  qui  lui  en  avait  fait 
l'aumône,  comme  il  le  déclarait  fréquemment,  quoi- 
qu  il  eût  été  longtemps  écolier  et  lecteur  à  Paris. 

«  Celte  ëtymologie  est  «infjaliërc.  Le«  Grws  de  cette  époque  reniaicnt- 
il«  Minene  pour  leur  patronne ,  depuis  qu'ils  lui  avaient  substitue  la 
MÏnte  Vierge?  (Votj.  les  lettres  d'Innocent  III,  xv,  6.)  Quant  à  l'éty- 
molo{;ie  d*A»T.vr,  les  savants  depuis  Platon  dans  son  Crutijle,  jusqu'à 
Vossius  dans  sou  Traité  des  idoles,  s'en  sont  préoccupés  suns  donner 
ie  Miltttioii  satisfaisante.  Nous  ne  serions  pas  éloi{jnë  de  penser  que  la 
noarella  Catherine  dont  il  s'agit  ici  était  lillc  de  l'archevêque  Michel  Cho- 
oiatc  qui,  dans  le  démembreineot  de  l'empire  grec  ,  contribua  à  l'établis* 
•cmeot  de  la  famille  de  la  Roche  à  Athènes.  Michel  était  frère  de  This- 
tMicD  Nieéta«,et  fort  instruit  lui-même  pour  le  temps.  {Voy.  Gibbon, 
«Infitrett,  text«  rt  uotea.) 


270  HENRI  III. 

Cette  jeune  fille  prédisait  la  peste,  le  tonnerre,  les 
éclipses,  et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  admirable,  les 
tremblements  de  terre,  et  en  avertissait  infaillible- 
ment tous  ses  auditeurs.  Mais  ne  nous  écartons  pas 
trop  de  notre  sujet,  et  reprenons  le  récit  des  travaux 
et  des  inquiétudes  du  comte  de  Leicester,  Simon. 

Deuxième  et  plus  grave  accusation  contre  le  comte 
DE  Leicester.  —  Le  pays  de  Galles  est  soumis  aux 
LOIS  de  l'Angleterre.  —  Les  seigneurs  de  Gas- 
cogne viennent  en   Angleterre  pour  se  plaindre  de 

LA  tyrannie  DD  COMTE  DE  LEICESTER.  —  NOUVELLE  EN- 
QUÊTE. —  Querelle  entre  le  boi  et  le  comte.  — - 
Or,  cette  même  année,  le  comte  de  Leicester  Simon 
fut  diffamé  et  accusé  grandement  par  devant  tous 
les  seigneurs  des  pays  d'outre-mer.  On  disait  qu'il 
se  conduisait  traîtreusement  envers  les  féaux  du 
seigneur  roi  d'Angleterre,  qu'il  les  faisait  périr  inhu- 
mainement dans  ses  prisons  par  la  faim  et  par  le 
fer,  et  qu'il  s'emparait  des  châteaux  et  des  terres;  en 
sorte  qu'il  paraissait  plutôt  l'usurpateur  par  violence 
des  bourgs  et  des  cités,  et  le  féroce  exterminateur 
des  hommes,  que  le  conservateur  de  la  terre  de  son 
seigneur  qu'il  s'efforçait  de  déshériter.  H  fut  donc 
décidé,  de  l'aveu  et  du  consentement  commun  de 
tous  les  Gascons  assemblés,  qu'ils  enverraient  des 
députés  solennels  à  leur  sci[',neur  le  roi  d'Angleterre, 
lesquels,  en  temoijjnage  de  cette  accusation,  empor- 
teraient avec  eux  des  lettres  des  villes  communoles 
de  Gascogne ,  des  barons ,  des  chûtelains  et  des 
baillis,  et  les  présenteraient  au  seigneur  roi  avec  des 


ANNÉE  ^252.  277 

plaintes  lugubres.  11  fut  aussi  convenu,  après  délibé- 
ration, que  le  principal  et  le  plus  digne  personnage 
de  tout  leur  pays,  à  savoir  Tarchevêque  de  Bordeaux, 
serait  envoyé  en  toute  héte  vers  le  seigneur  roi  en 
Angleterre,  avec  quelques  autres  seigneurs  fameux, 
pour  obtenir  plus  de  créance,  à  la  confusion  du 
con)te.  A  cette  nouvelle,  le  comte  s'empressa  de  re- 
venir promptement  en  Angleterre,  pour  répondre 
convenablement  par  devant  le  roi  à  chacun  des 
griefs  de  ses  accusateurs. 

Vers  le  même  temps,  le  seigneur  Alain  de  la  Zoucli , 
justicier  du  pays  de  Galles,  dans  les  parties  qui  avoi- 
sinent  le  comté  de  Chester,  passa,  la  veille  de  la 
Pentecôte,  par  le  monastère  de  Saiut-Albans,  portant 
sur  des  chariots,  à  Téchiquier  de  Londres,  un  trésor 
non  petit  formé  des  revenus  royaux.  Le  susdit  Alain 
prolesta  publiquement  et  annonça  à  qui  voulut  Ten- 
lendre,  que  tout  le  pays  de  Galles  était  soumis  aux 
lois  anglaises,  en  obéissance  et  en  paix;  et  Tévéque 
de  Bangor,  qui  viut  aussi  à  SnintAlbans,  témoigna 
du  même  fait.  A  la  même  époque,  maître  Raoul,  cha- 
noine de  l'église  de  Lincoln,  fut  élu  à  Tévêché  de 
Murray  en  Ecosse  ' . 

Celte  même  année ,  vers  la  Pentecôte  et  peu  de 
jours  avant  la  fêle,  arriva  de  Gascogne  Tarclieveque 
de  Biirdeaux,  avec  les  seigneurs  de  la  Réole  et  d'autres 
villes  de  Gascogne,  qui  vinrent  par  mer  jusqu'à 
Lonilres,  où  ils  trouvèrent  le  seigneur  roi.  Alors  ils 

'  lAt'uê^  éUil  à  Elgio,  eaptUle  du  comU'. 


rrs  HENRI  111. 

se  plaignirent  à  lui,  en  pleurant,  de  la  tyrannie  du 
comte  de  Leicester  qu'il  leur  avait  envoyé  pour  gar- 
dien, et  Taecusèrent  de  la  trahison  la  plus  inique. 
Mais  le  roi,  n'ajoutant  pas  entièrement  foi  à  leurs 
paroles,  parce  qu'il  les  avait  trouvés  traîtres  pen- 
dant son  séjour  en  Gascogne,  envoya  dans  ce  pays 
Nicolas  de  Molis,  chevalier,  et  Dreux  de  Valence  [?], 
pour  s'enquérir  exactement  si  les  Gascons  étaient 
coupables  ou  innocents,  si  Henri  de  Weugham  était 
d'accord  avec  eux  ou  non ,  et  s'ils  en  étaient  venus 
des  réclamations  aux  voies  de  fait  ;  pour  qu'eniin  les 
témoins  de  la  vérité  donnassent  en  tous  points  des 
éclaircissements  certains  :  ce  qui  cependant  déplut  au 
comte  Simon,  comme  on  le  doit  bien  penser. 

Lorsque  les  susdits  enquesleurs  furent  revenus, 
ils  firent  savoir  au  seigneur  roi  que  le  comte  avait 
traité  quelques  Gascons  fort  inhumainement,  mais 
que  c'étaient  des  gens  qui,  à  ce  qu'ils  croyaient, 
avaient  bien  mérité  ce  traitement  ;  ajoutant  toutefois 
que  l'absence  du  comte  les  avait  empochés  d'éclaircir 
complètement  cette  affaire.  En  apprenant  cela,  les 
Gascons  qui  se  trouvaient  alors  en  présence  du  roi, 
comme  par  exemple  l'archevêque  de  Bordeaux  et 
ceux  qui  l'accompagnaient,  se  mirent  à  crier  et  à 
dire  :  a  Sans  nul  doute,  les  traces  de  la  vérité  se  dé- 
«  couvriront,  et  après  cette  découverte,  nous  de- 
«  mandons  le  jugement.  »  Puis  ils  protestèrent  avec 
serment  qu  ils  n'obéiruient  ou  ne  se  soumettraient 
jamais  h  ce  comte  exterminateur,  et  que  plutôt 
que  de  le  faire,  ils  se  choisiraient  pour  seigneur  un 
autre  que  le  seigneur  roi.  Tandis  que  le  comte  était 


ANNEE  4252.  279 

ainsi  fjravement  accusé  et  diffamé  dans  la  cour  du 
roi,  et  que  son  mauvais  renom  s'accroissait  par  des 
témoignages  multipliés,  il  arriva  en  Angleterre  en 
toute  hâte  et  avec  empressement.  Lorsqu'on  apprit  sa 
venue,  on  lui  fiïa  jour  pour  répondre  aux  imputa- 
tions de  ses  adversaires.  C'est  pourquoi  le  comte, 
placé  dans  une  position  difficile,  fit  en  sorte  que  le 
comte  Richard,  qui  se  réjouissait  fort  de  la  tribula- 
tion des  Gascons,  le  comte  de  Glocester,  favorable 
en  cette  circonstance  au  comte  Simon,  le  comte 
d'Héreford  et  beaucoup  d'autres  seigneurs  et  grands 
qui  n'auraient  permis  en  aucune  façon  que  le  comte 
fût  en  péril  à  ce  sujet,  assistassent  à  l'assemblée.  En 
effet,  on  craignait  fortement  que  le  roi,  dont  la  fa- 
veur pour  les  étrangers  n'était  que  trop  connue, 
n'ordonnât,  dans  un  accès  de  colère  et  avec  précipi- 
tation, de  saisir,  de  retenir  et  même  d  incarcérer 
comme  traître  convaincu  un  si  noble  comte  qui  était 
son  homme  naturel  ;  ce  qui  n'eût  été  souffert  en  au- 
cune façon.  Lorsque  le  comte  eut  suffisamment  allé- 
gué son  innocence  et  que  la  partie  adverse  eut  été 
repoussée  et  réduite  au  silence,  le  roi  n'en  proféra 
pas  moiiis  contre  le  comte  des  paroles  pleines  d'a- 
mertume; mais  quand  il  eut  comjiris  que  le  comte 
Richard  et  tous  les  autres  favorisaient  le  comte  Simon, 
parce  qu'ils  éîaicnt guidés  parla  discrétion,  il  ne  put, 
quoi(]ii'il  en  eût  envie,  agir  sévcninenl  conln»  lui. 
Cependant  la  chaleur  de  la  discussion  fit  naître  nue 
dispute  pleine  de  colère  entre  le  conjte  et  le  roi,  et 
ils  rappelèrent ,  pour  se  piquer  mutuellement ,  ce 


280  HENRI  m. 

qui  s'était  passé  depuis  longtemps.  Le  comte  raconta 
comment  à  Saiutes  il  avait  puissamment  délivré  le 
roi  des  pièges  des  Français;  comment  quand  lui 
Simon  devait  se  rendre  pour  la  première  fois  en  Gas- 
cogne, le  roi  lui  avait  conseillé  amicalement  de  punir 
les  traîtres;  comment  il  lui  avait  remis  une  charte 
qui  lui  conférait  la  garde  de  cette  terre  pour  six  ans  ; 
comment  il  lui  avait  promis  conseil  et  secours  effi- 
caces, sans  jamais  exécuter  ses  promesses  ;  puis  il 
ajouta:  «  Seigneur  roi,  tes  paroles  devraient  être 
«  stables  et  certaines.  Observe  ce  dont  tu  es  convenu 
«  avec  moi,  ou  tiens  tes  promesses  selon  la  teneur  de 
«  ta  charte,  ou  restitue-moi  les  dépenses  que  j'ai 
«  faites  pour  ton  service.  Car  il  est  notoire  que  j'ai 
«  appauvri  irréparablement  mon  comté  pour  ton 
«  honneur.  »  Alors  le  roi  lui  répondit  précipitam- 
ment et  inconsidérément  :  «  Je  sais  bien  que  je  n'ob- 
«  serverai  aucune  convention  ou  promesse  faite  en- 
«  vers  toi  qui  es  un  indigne  supplantateur  et  un 
«  traître.  En  effet,  il  est  permis  de  résilier  des  pactes 
«  et  l'on  n'a  pas  besoin  d'en  rougir  quand  il  s'agit 
«  d'un  homme  publiquement  méchant.  »  Aces  mots, 
le  comte,  violemment  irrité,  se  leva  et  protesta  hau- 
tement que  le  roi  en  avait  évidemment  menti,  et  que, 
si  son  titre  de  roi  ne  le  protégeait  sous  une  appa- 
rence de  dignité,  ce  serait  une  n)auvaise  heure  pour 
lui  que  celle  où  il  aurait  fait  sortir  de  semblables 
paroles  de  son  gosier.  Aussi  le  roi,  pouvant  à  peine 
80  contenir  de  colère,  aurait  ordonné  sur-lc-ciiamp 
qu'on  se  sqisît  de  lui,  s'il  n'eût  été  certain  que  les 


ANNÉE  ^252.  284 

seigfneurs  ne  l'auraient  nullement  souffert.  Le  comte 
ajouta  eu  oulre  :  «  Qui  pourrait  croire  que  lu  sois 
«  chrétien?  T'es-tu  jamais  confessé?  —  Oui,  »  re- 
prit le  roi.  —  t(  Mais  qu  est-ce  que  la  confession  sans 
«  pénitence  et  sans  satisfaction?  »  répondit  le  comte: 
comme  s'il  disait  :  «  Si  tu  t'es  confessé,  ce  n'a  ja- 
<(  mais  été  avec  contrition  et  en  donnant  satisfaction 
c(  convenable.  »  Alors  le  roi,  emporté  de  plus  en 
plus  par  la  colère,  s'écria  :  «  Toutefois  je  ne  me  suis 
«  jamais  repenti  d'aucune  action  autant  que  je  me 
«  repensaujour*riiui  d'avoir  permis  que  tu  entrasses 
«  jadis  en  Angleterre  ou  que  tu  possédasses  aucune 
«  terre  ou  aucun  honneur  dans  ce  pays  où  lu  as 
•  commencé  par  l'engraisser  pour  regimber  en- 
«  suite.  »  Biais  des  amis  communs  ayant  interrompu 
cette  dispute,  ils  se  séparèrent. 

Retour  sor  les  événements  politiques  qui  ont  ame- 
né   LES  troubles    de    Li   GUYENNE. Le  COMTE  SiMON 

EST  PORTEMENT  ACCUSÉ  PAR  LES   GaSCONS    AUPRES   DU   ROI 

d'Angleterre.  —  Réponse  du  comte  aux  accusations 
intentées  contre  lui.  —  dommage  considérable  causé 

PAR  LE  ROI  A  l'abbé  DE  RaMSEY.  —  L'ÉGLISE  DE  SaINT-Ed- 
MOND  MENACÉE  d'uNE  GRANDE  PERTE. —DISCUSSION  ÉLEVÉE 
ENTRE  LE  ROI  ET  LA  REINE  AU  SUJET  DE  l'ÉGLISE  DE  FlAM- 

STEED.  —  Mort  de  Robert  Passelève  et  de  Richard 
DE  Wendovue.  — Or,  ce  furent  les  inconséquences  et 
l'instabilité  du  roi  qui  firent  nuitre  toute  celle  dis- 
cussion. Mais  pour  continuer  sur  ce  sujet,  il  est  né- 
cessaire de  prendre  brièvement  notre  récit  de  plus 


282  HENRI  HI. 

haut,  afind'éclaircir  cette  affaire.  Vingt-sept  ans  envi- 
ron auparavant,  le  seigneur  roi,  appuyé  de  l'avis  de 
ses  seigneurs,  avait  concédé  volontiers  et  bénévole- 
ment la  Gascogne  au  comte  Richard.  Le  comte  ayant 
donc  passé  la  mer,  reçut  les  hommages  des  Gascons, 
à  qui  il  montra  une  charte  de  son  seigneur  et  frère 
le  roi  d'Angleterre,  qui  consacrait  son  droit.  Aussi 
les  Gascons  lui  jurèrent-ils  de  tout  cœur  fidélité  :  car 
c'était  alors  un  enfant  de  très-bonne  mine,  digne  de 
tout  honneuret  de  toute  faveur.  Ensuite  le  roi  conféra 
de  nouveau  la  même  terre  au  même  comte  par  une 
nouvelle  charte  donnée  quelques  années  après,  pour 
que  sa  possession  fût  assurée  d'une  manière  plus  so- 
lide. Plus  tard,  quelques  années  encore  s'étant  écou- 
lées, et  le  roi  ayant  eu  de  la  reine  un  fils  longtemps 
désiré,  le  roi,  à  l'instigation  de  la  reine,  enleva  la 
Gascogne  au  comte  Richard  son  frère  pour  la  donner 
à  Edouard  son  premier  né,  violant  ainsi  les  chartes 
et  les  concessions  précédentes.  Cependant  le  comte 
Richard  n'y  consentit  nullement  et  maintint  son 
droit,  quoiqu'il  fût  privé  de  la  possession  ;  aussi  arri- 
va-t-il  qu'au  dernier  séjour  du  roi  en  Gascogne, 
comme  quciques-nns  des  Gascons  étaient  embarras- 
sés de  savoir  à  (]ui  ils  devaient  plutôt  o!)éir,  le  roi 
ordonna  au  comte  avec  grande  colère  et  en  élevant 
la  voix,  de  résigner  les  chartps  et  de  renoncer  publi- 
quement à  son  droit  sur  In  Gascogne.  Mais  le  comte 
s'y  étant  refusé  absolninenl,  le  roi  ordonna  aux  Ror- 
delais  de  se  saisir  du  comte  pendant  la  nnil  et  de 
Tcmprisonner.  Les  Gascons  répondirent  secrètement 


ANNEE  4282.  285 

sans  hésiter  qu'ils  ne  feraient  point  cela  tant  à  cause 
de  l'illustraliou  du  sang  royal  et  de  Tliomniage  qu'ils 
avaient  fait  au  comte  Richard,  qu'à  cause  de  l'insta- 
bilité  du  roi,  de  peur  que  se  repentant  plus  tard  ,  il 
ne  les  punit  tous  tant  qu'ils  étaient  d^avoir  exécuté 
SCS  ordres.  Or,  le  roi  ne  voulait  pas  donner  pareille 
mission  aux  seigneurs  anglais,  certain  qu'ils  ne  l'ac- 
compliraient pas  sans  des  raisons  de  la  plus  haute 
importance.  Aussi  devenu  comme  furieux  par  la  co- 
lère, il  essaya  de  corrompre,  par  des  présents,  les  Gas- 
cons qui  avaient  résisté  à  ses  ordres  et  de  les  décider 
à  se  saisir  du  comte  et  à  le  charger  de  chaînes  comme 
rebelle.  C'est  pourquoi  le  comte,  averti  cette  même 
nuit,  se  tint  caché  à  Bordeaux  dans  le  monastère  de 
Sainte-Croix,  et  s'embarqua  de  très-grand  matin  se- 
crètement et  subitement  pour  repasser  en  Angleterre. 
Mais  comme  il  n  avail  pas  fait  ses  préparatifs  d'a- 
vance, il  éprouva  une  grande  pénurie  sur  mer  tant 
eu  vivres  qu'en  autres  choses  nécessaires.  De  plus, 
une  tempête  s'étant  élevée,  et  la  violence  des  vents 
contraires  l'ayant  entraîné  hors  de  son  chemin,  il  fut 
exposé  à  de  grands  périls,  au  point  qu'il  fut  délivré 
non  sans  peine  des  portes  de  la  mort.  Aussi  fît-il 
voou,  en  cette  occasion,  de  construire  à  Dieu  un  mo- 
nastère de  Tordre  de  Cîteaux  ;  vœu  qu'il  accomplit 
d'une  manière  louable,  comme  on  l'a  raconté  précé- 
demment. Le  comte,  voyant  que  le  roi  était  l'auteur 
de  toutes  ces  adversités,  en  conçut  contre  lui  une  co- 
lère violente,  et  désormais  le  roi  et  le  comte  n'eu- 
rent plus  l'un  pour  lautre  Taffeclion  sincère  et  fru- 


28^  HENRI  111. 

ternelle  qu'ils  avaient  précédemment.  Le  roi  étant 
instruit  que  le  comte  s'était  enfui  ainsi  plein  de  co- 
lère, convoqua,  dans  Tamertume  de  son  cœur,  les 
nobles  de  Gascogne  et  principalement  les  Bordelais, 
et  leur  adressant  un  discours,  détourna  leurs  cœurs, 
de  l'amour  et  de  la  fidélité  du  comte,  à  force  de  ca- 
resses et  de  promesses,  assurantque  c'était  un  homme 
cupide,  oj)presseur  de  ceux  qui  lui  étaient  soumis  , 
qui  promettait  fort  largement,  mais  tenait  fort  peu. 
Il  ajouta  qu'il  avait  annulé  ses  cbarles  et  avait  révo- 
qué la  donation  qu'il  lui  avait  faite  de  la  Gascogne. 
C'est  ainsi  qu'il  priva  totalement  le  comte  de  son 
droit  et  de  sa  possession,  en  faisant  renoncer  les  Gas- 
cons à  son  hommage.  De  plus,  il  promit  qu'il  leur 
donnerait  un  meilleur  seigneur  et  un  gardien  beau- 
coup plus  doux,  et  s'engagea  à  leur  octroyer  un  grand 
trésor  eji  récompense  s'ils  se  conformaient  bénévo- 
lement à  ses  désirs.  Le  prix  môme  en  fut  fixé,  et  ce 
marché  d'iniquité  fut  arrêté  à  trente  mille  marcs. 
Voilà  ce  (jui  détermina  les  Gascons  à  rejeter  la  fidé- 
lité et  la  soumission  qu'ils  avaient  promises  au  comte 
Richard.  Enfin  le  roi,  sur  le  point  de  quitter  hon- 
teusement la  Gascogne,  les  assura  par  charte,  par 
serment,  et  en  inter()osant  sa  foi,  que  cet  argent  leur 
serait  fidèlement  payé.  Or,  le  roi  croyait  pouvoir  les 
tromper  par  toutes  ces  promesses;  mais  le  trom|)eur 
finit  par  voir  qu'il  était  pris  au  piège;  car  les  Gas- 
cons, en  témoignage  de  ce  qui  s'était  passé,  gardent 
par  devers  eux  les  chartes  signées  du  roi.  C'est  ainsi 
qu'il  arriva ,  ô  douleur  I  que  des  deux  côtés  la  fourberie 


ANNÉE  <2.'i2.  285 

fill  mi<:e  à  nu,  tandis  qu'un  si  «rrand  prince  n'aurait 
dû  ni  tromper  ni  être  trompé.  Sur  ces  enlrofailes,  le 
comte  Kicliaid,  ballotté  par  les  flots  de  la  mer,  à  la 
perpétuelle  altération  de  sa  santé,  alteijjnit  à  grand'- 
peine  un  port  en  Cornouailles  où  il  aborda  sans  che- 
vaux et  sans  argent;  ce  qui  le  força  de  demander, 
triste  et  sans  gloire,  à  ses  féaux,  sur  sa  propre  terre, 
qu'ils  lui  fournissent  ce  dont  il  avait  besoin.  Les  af- 
faires étant  ainsi  terminées,  le  seigneur  roi  revint  en 
Angleterre  après  avoir  subi  des  pertes  de  toute  es- 
pèce, et  extorqua  de  l'argent  à  chaque  prélat  en  par- 
ticulier pour  satisfaire  aux  exigences  des  Gascons. 
Cependant  irrité  contre  eux,  et  les  ayant  en  haine,  il 
leur  envoya  pour  gardien  le  comte  de  Leicester  Si- 
mon, qui  était  un  homme  de  guerre  expérimenté  et 
fameux  dans  les  combats,  pour  écraser  Torgueil  de 
ceuxquise  révolteraient,  lui  octroya  une  charte  qui  lui 
conférait  ce  gouvernement  pour  six  ans,  et,  lui  ayant 
donné  dix  mille  marcs  sur  son  trésor,  le  supplia,  lui 
conseilla  et  lui  enjoignit  de  mettre  les  Gascons  sous 
ses  pieds  en  les  traitant  sévèrement  et  durement,  sur- 
tout ceux  qui  Tavaient  quitté  pour  prendre  le  parti  des 
rebellis,après  lui  avoir  extorquéson  argent,  non-seu- 
lement de  la  manière  susdite,  mais  encore  par  tous  les 
moyens  possibles  ;  désignant  parliculièremenl  Gaston 
de  Béarn  et  sa  mère,  dont  rembonpoint  était  prodi- 
gieuxou  plutôt  monstrueux, ainsi  queplusieursautres. 
Le  comte  Simon,  homme  belliqueux,  puissant  et  ha- 
bile, \oulantdoncaccomplir  la  volonté  du  roi,  s'expo- 
sa, lui,  ses  biens  et  ses  hommes,  aux  périls  de  la  mer  et 


286  HENRI  III. 

de  Mars.  Tout  ce  qu'il  put  tirer  de  ses  propres  terres, 
il  le  dépensa  et  Temploya  au  service  du  roi,  au  point 
d'aller  jusqu'à  vendre  et  à  faire  raser  ses  forêts,  et 
voilà  quelle  récompense  le  roi  lui  accorda  à  la  fin  de 
ses  travaux.  On  voit  clairement,  au  moyen  de  celle 
récapitulation  qui  fait  digression,  pourquoi  le  comte 
Ricliard  n'avait  ni  chagrin  ni  souci  de  la  perte  et  de 
la  perturbation  que  le  roi  souffrait  à  cet  égard.  Ce- 
pendant on  ne  peut  comprendre,  si  ce  n'est  par  une 
interprétation  défavorable,  comment  le  roi.  chan- 
geant d'avis ,  donnait  maintenant  créance  et  protec- 
tion aux  Gascons  dont  il  avait  éprouvé  l'astuce,  et 
repoussait  de  la  sincérité  de  son  affection  le  comte 
Simon  qui  avait  servi  fidèlement  le  même  roi  dans 
tant  de  circonstances  difficiles.  Mais  revenons  à  notre 
sujet  principal  dont  nous  nous  sommes  écartés. 

Or,  lorsque  le  comte  Simon  fut  arrivé  en  toute 
haie  de  Gascogne,  et  qu'il  fut  venu  trouver  le  roi  à 
Londres,  il  né  fut  pas  salué  par  lui  ou  reçu  hono- 
rablement, comme  il  convenait.  Au  contraire,  ses 
adversaires,  à  savoir  l'archevêque  de  Bordeaux  et 
ceux  qu'il  avait  amenés,  tenaient  ferme  contre  lui,  et 
ne  semblaient  faire  qu'un  avec  le  roi.  Tous,  ils  je- 
taient sur  le  comte  des  regards  empoisonnés,  et 
l'accusaient  grièvement  de  cette  façon  :  «  Seigneur 
«  roi,  et  vous  seigneur  comte  llichard,  nous  avons 
«  commencé  par  vous  montrer,  à  vous  et  aux  autres 
«  seigneurs  qui  sont  ici  présents,  au  nom  de  notre 
«  seigneur  le  roi,  les  lettres  de  créance  que  nous 
«  avons  apportées  avec  nous,  et  qui  sont  signées  de 


ANNÉE  4252.  287 

«  tous  les  féaux  tlu  roi,  seigneurs,  clievaliers,  bour- 
«  geois, châtelains el  habitants  do  (îascogne,qui,  d'un 
a  avis  commun,  ont  chargé  nos  bouches  d'exprimer 
a  leurs  plaintes.  Nous  nous  plaignons  dune  tous, 
«  d'une  voix  unanime,  du  conile  de  Leicester,  Simon 
«  de  Monllorl,  qui  a  reçu  la  garde  de  la  Gascogne , 
«  mais  qui  la  dévaste  et  l'extermine  avec  une  féro- 
«  cité  digne  d'un  ennemi.  De  plus,  ceux  à  qui  le 
M  comte  Richard,  qui  était  et  est  encore  supérieur 
«  au  comte  Simon,  avait  accordé  .depuis  longtemps 
«  la  V  ie  cl  la  paix,  ceux  qui  avaient  été  tolérés  bénévo- 
«  lement  et  regardés  comme  des  gens  pacifiques  et 
«  comme  des  amis  par  le  seigneur  Henri  de  Tru- 
«  bleville,  qui  naguère  était  sénéchal  de  Gascogne , 
«  en  vertu  de  votre  autorité,  et  qui  nous  gouvernait 

•  pacifiquement  en  gardien  pieux  et  juste,  ainsi  que 
M  par  le  seigneur  Waleran  l'Allemand ,  homme 
«  discret  et  circonspect,  ceux-là  ledit  comte  les  atta- 
«  que  et  les  ruine,  au  grand  dommage  et  griel"  du 
«  seigneur  roi.  Sans  s'inquiéter  du  jugement  et  des 
«  chartes  de  tant  de  nobles  personnages,  il  envoie  pri- 
u  son  ni  ers  en  France  les  nobles  de  notre  terre,  féaux 
«  du  seigneur  roi, pour  y  être  incarcérés,  au  mépris 
«  de  nos  droits,  et  au  préjudice  du  seigneur  roi. 
«  Quelques-uns  de  ces  captifs  ont  succombé  dans 
«  tern's  prisons,  sous  la  faim  et  sous  le  poids  des 
«  chaînes.  En  outre  il  leur  extorque  des  sommes 

•  considérables,  au   dommage  irréparable  du  sei- 

•  gneur  roi;  et  cela  sans  l'aveu  ou  sans  la  parlieipa- 
M  lion  du  seigneur  roi.  Il  appelle  aussi  à  lui  perfide- 


Sigfii  HENRI  III. 

«  ment, comme  s'il  s'agissaltd'uneentrevue pacifique, 
«  un  grand  nombre  des  féaux  du  roi,  qu'il  retient 
€  ensuite  pour  les  mettre  à  mort,  comme  un  méchant' 
«  qu'il  est.  Enfin  il  demande  qu'on  lui  remette,  au 
«  nom  du  seigneur  roi,  des  châteaux  qu'il  relient, 
«  comme  s'ils  lui  appartenaient  en  propre,  après 
«  s'en  être  emparé  traîtreusement  et  frauduleuse- 
a  ment,  et  avoir  fait  prisonniers  les  gardiens  de  ces 
«  châteaux,  qui  les  lui  ont  livrés  de  bonne  grâce.  » 
A  cela  le  comte  Simon  répondit  sans  hésiter  :  «  Il 
«  ne  faut  nullement  croire  ces  gens-là,  parce  que, 
«  lorsque  le  seigneur  roi  a  pensé  avec  confiance, 
«  dans  ses  plus  grands  besoins,  trouver  en  eux  des 
«  féaux  et  des  amis,  il  n'a  trouvé  en  eux  que  des 
«  ennemis  et  des  imposteurs  souillés  de  crimes;  ce 
«  qui  est  notoire.  Vous-mêmes  servez  à  prouver  qu'il 
«  ne  faut  s'en  rapporter  ni  à  votre  témoignage,  ni 
«  à  votre  jugement.  11  a  bien  pu  se  faire  qu'il  y  en 
a  eût  quelques-uns  dans  votre  terre  à  qui  le  comte 
«  Richard  et  les  autres  seigneurs  qui  vous  ont  été 
«  donnés  pour  gardiens  ont  accordé  la  paix  et  la  vie, 
«  parce  qu'à  l'abri  de  la  dissimulation  ils  parais- 
a  saieut  être  des  fils  de  paix;  mais  comme  ils  ont  re- 
«  gimbé  quand  ils  ont  trouvé  une  occasion  favorable, 
«  ils  sont  devenus  plus  tard  des  fils  de  trahison,  et 
a  ont  perdu  justement  la  |)aix  et  la  vie.  Et  pourquoi 
«  n'aurais-je  point  agi  conmie  je  l'ai  fait?  Ditu  n'en 
«  foil-il  pas  de  même,  lui  qui  est  plus  juste  qu'aucun 

'  Tanquam  peêsimuS.  t-'C  lens  scrnit  plus  nalurcl  en  lisant  pessi' 
mon. 


«  lioninie?  il  couronnprpiix  qui  poi-sévcrenl  dans  In 
«  justice,  ol  punil  ceux  qui  retombent  dans  le  mal  *. 
a  Par  ainsi  je  n'ni  fait  nullement  injure,  à  cet  égard, 

•  a  mes  prédécesseurs  les  gardiens  qui  vous  ont  été 
«  donnés,  ni  au  roi  lui-même.  Pour  certifier  la  vé- 
«  rite  de  ce  que  j'avance,  je  suis  prêt,  en  temps 
«  opportun,  à  produire  des  témoins  plus  nombreux 

•  et  plus  dignes  de  foi  que  vous.  Mais  qu'avons-nous 
«  besoin  de  témoins  en  pareille  affaire? Le  Seigneur 
«  est  là  pour  avouer  la  vérité  s'il  lui  plaît,  lui  qui  a 
«  éprouvé  vos  ruses  et  connu  \os  arlificfs.   Quant 

•  aux  autres  griefs  qui  me  sont  leprochés,  ce  n'est 
«  point  par  vous,  mais  par  des  gens  plus  dignes  de 
«  créance,  que  la  vérité  pourrait  être  révélée  :  on  ne 
«  doit  pas  ajouter  foi  à  des  perfides.  » 

Aussi  le  comte  Richard  et  les  autres  seigneurs,  qui 
avaient  éprouvé  par  expérience,  en  Cinscogne,  les 
ruses  des  Gascons,  approuvèrent  les  paroles  du 
comte  Simon,  et  ne  se  portèrent  nullemeiit  garants 
de  la  bonne  foi  des  Gascons. 

Vers  le  même  temps,  le  seigneur  roi,  occupé  de 
gagner  de  Tai^gent  par  tous  les  moyens,  autrement 
qu  il  ne  convenait  ou  n'était  avantageux  ,  troubla 
l'abbé  de  Ramsey  dans  la  possession  de  la  foire  de 
Saint-Yves,  par  le  conseil  de  Robert  l^asstlève,  quoi- 
que ledit  abbe  Teùt  possédée  sans  aucune  réclama- 
tion et  |)aciiiquement  depuis  un  temps  immémorial. 


'  Siiuou  <Ic  Moutiurt,  par  irs  aciions  et  par  son  langage,  neacmenlail 
fê%  1«  nog  «loot  il  sortait 

VU.  ^9 


^90  HENRI  in. 

Bien  que  le  susdit  abbé  montrât  pour  la  défense  de 
son  droit  des  ebartes  authentiques  du  bienheureux 
Edouard,  que  le  roi  chérit  spécialement,  et  du  bien- 
heureux Ulstan,  le  roi  ne  craignit  pas  de  les  violer. 
Or,  les  susdits  saints  avaient  excommunié  horrible- 
ment, avec  Tassentiment  de  beaucoup  d'autres  saints 
évêques,  tous  les  infracteurs  des  chartes  qui  conte- 
naient les  libertés  de  Ramsey,  et  principalement  de 
celles  qui  parlaient  de  la  foire  de  Saint- Yves.  Mais 
le  roi,  guidé  par  de  mauvais  conseils,  mit  en  avant, 
dans  son  intérêt ,  cette  chicane ,  que,  d'après  les 
chartes  octroyées  à  l'abbé,  il  ne  devait  posséder  la 
foire  susdite  que  jusqu'au  jour  de  saint  Yves  et  pas 
au  delà  ;  et  de  plus  le  roi  réclama  le  chemin  par  la 
roule  de  terre  et  par  le  fleuve,  quoique  l'abbé  eût 
possédé  ces  deux  voies  tranquillement,  d'après  un 
droit  antique.  Ce  n'était  pas  que  le  seigneur  roi 
voulût  paraître  retarder  les  marchands  qui  afflue- 
raient à  la  foire,  après  le  jour  de  saint  Yves  ;  mais  il 
prétendait  garder  pour  lui,  sans  opposition,  la  foire 
qui  se  tenait,  passé  ce  jour  et  le  gain  qu'elle  rappor- 
tait; ce  qui  semblait  tourner  absolument  au  préjudice 
et  à  la  perte  de  l'abbé.  Et  cela  n'était  point  conforme 
à  la  raison  et  aux  pieuses  intentions  des  donateurs , 
que  ladite  église  jouît  d'un  don  mutilé  et  réduit  à 
une  vaine  aj)parence.  Par  ainsi,  il  arriva  donc  que 
ce^le  noble  maison  de  Ramsey  éprouva  un  si  grand 
dommage,  qu'elle  eût  mieux  aimé  avoir  éprouvé  la 
perle  de  quelques-uns  de  ses  manoirs. 

Semblablemcnt  aussi,  une  grande  perte  menaçait 


ANNEE  1252.  SM 

la  noble  église  de  Saint- Edmond  roi  et  martyr,  à 
cause  d'une  discussion  qui  s  éleva  au  sujet  du  manoir 
de  Mildeubnle.  Enfin,  pour  tout  dire  en  peudemots, 
le  siècle  inclinait  tellement  vei"s  le  pillage  et  les  ra- 
pines, que  toute  extoi'siou  imposée  aux  religieux 
paraissait  plutôt  un  mérite  qu'un  démérite. 

Dans  le  coui*s  de  cette  même  année,  c'est-à-dire 
vers  Pâques,  mourut  Richard,  surnommé  de  Tliony, 
trésorier  d'Anjou,  illustre  par  sa  naissance  et  par  ses 
mœurs.  Il  était  cousin  du  seigneur  roi  d  Ecosse,  et 
frère,  de  père  et  de  mère,   dun    noble   chevalier 
nommé  Raoul  de  Tliony.  Comme  il  avait  obtenu 
beaucoup  de  revenus  dans  les  royaumes  de  France, 
d'Angleterre  et  d'Ecosse,  lui  mort,  ses  églises  devin- 
rent vacantes,  et  parmi  elles  celle  de  Flamsteed,  qui 
n'est  pas  fort  éloignée  de  l'église  de  Saint-Albans. 
Aussi  la  reine,  en  vertu  de  la  tutelle  que  le  roi  lui 
avait  conférée  sur  la  terre  de  Raoul  de  Thony,  à  la 
donation  duquel  appartenait  cette  église,  conféra  la 
même  église  ù  Guillaume  son  chapelain,  qui  était 
clerc  de  l'église  de  Saint-Albans,  à  raison  de  l'église 
de  Kenebell,  que  l'abbé  de  Saint-Albans  lui  avait  con- 
férée. Et  la  reine  avait  fait  cela,  se  liant  en  son  droit; 
car  elle  avait  élevé  pendant  plusieurs  années,  et  cela 
sur  le  don  bénévole  du  roi,  le  fils  et  l'héritier,  encore 
enfant,  dudit  Raoul*  de  Thony,  auquel  le  droit  de 
patronat  semblait  appartenir  :  et  c'est  ainsi  que  la 


*  Le  texle  donne  faulirement  Rogeri.  (  Voy.  la  noie  iil  à  la  tin  du  qoa- 
thème  Tolume.l 


292  hl-XRI  Hi, 

collation  avait  vXv  dévolup  à  In  reine,  he  roi ,  en 
apprenant  cette  nouvelle,  fut  saisi  crune  violente 
colère,  et  dit:  «  Oh!  combien  s  élèverait  l'orgueil 
«  féminin,  si  on  le  laissait  faire!  »  11  révoqua  donc 
et  cassa,  aussi  indécemment  qu  injustemenl,  îa  col- 
lation de  la  reine,  et  conféra  la  susdite  église,  dont 
le  revenu  s'élevait  notoirenientà  cent  marcs,  à  un  de 
ses  clercs  et  de  ses  conseillers  nommé  Hurtold ,  et 
Bourguignon  de  nation,  qui  aussitôt,  expulsant  Guil- 
laume, usurpa  cette  église,  et  en  prit  corporellement 
possession.  Mais  la  reine  supporta  avec  peine  celte 
violence,  à  cause  de  Toutragc  et  de  la  Iionle  qui  en 
retombaient  sur  elle.  Quand  la  connaissance  de  cette 
affaire  fut  parvenue  aux  oreilles  de  l'évêque  de  Lin- 
coln, dans  le  diocèse  duquel  est  située  l'église  susdite, 
il  excommunia  ledit  Hurtold,  et  ensuite  suspendit  et 
interdit  Téglise,  au  point  qu'il  n'était  pas  mêmeper- 
-mis  d'y  enterrer  les  morts. 

r.i  Cette  même  année,  le  8  avant  les  ides  de  juin, 
Jmourutà  Waltliam  Robert  Passelève,  archidiacre  de 
Lewis,  dont  on  a  parlé  j)lus  haut  longuement.  Ce 
Robert,  clerc  et  prélat,  ne  craignit  pas  d'appauvrir 
beaucoup  de  gens  par  tous  les  moyens  possibles,  pour 
engraisser  le  roi,  au  parti  duquel  il  s'était  attaché. 
Mais  ses  œuvres  l'ont  suivi. 

Vers  le  même  temps,  mourut  maître  Richard  de 
VVendovrc,  chanoine  de  Suint-raul  de  J^ondrcs  et 
physicien  de  renom  ,  lequel  s'était  conduit  avec 
beaucoup  plus  de  circonspection  que  le  susdit  Ro- 
bert; car  il  ovait  pourvu  «  renfrctien  de  n«uf  prêtres, 


ANNÉE  ^252.  295 

qui  (itivuieiil  oitrir  à  perpéluilc  au  Christ  l'hostie  sa- 
luUiire,  pour  la  délivrance  do  son  âme.  Nous  avons 
jugé  à  propos  de  faire  mention  spéciale  de  lui  dans 
ce  livre,  parce  qu'il  légua  et  octroya,  par  dévotion 
spontanée,  à  Téglise  de  Saint-Albans  une  croix  qui 
contient  et  renferme  plusieurs  reliques,  comme  l'at- 
testent les  inscriptions  desdites  reliques.  L'image  du 
Christ,  ligurée  sur  cette  croix,  est  en  ivoire,  et  la 
branche  principale  de  la  croix,  ainsi  que  les  bras 
dont  la  réunion  forme  ce  qu'on  appelle  la  potence, 
est  recouverte  d'ornements  d'ivoire.  Celte  croix  avait 
jadis  appartenu  au  pape  Grégoire,  qui  y  tenait  beau- 
cou  ji;  et  comme  le  susdit  maître  Richard  avait  été 
lephysicienduditpape,  Grégoire,  en  mourant,  donna 
cequ  il  avait  de  plus  cher  au  monde  à  son  plus  cher 
ami,  c'est-à-dire  cette  même  croix  à  maître  Richard. 

L'ÉvÊQCE  DE  Lincoln  obtient  do  pape  le  poovoia 
d'i^st1tder  des  vicariats.  —  motifs  qoi  mettent  ob- 
stacle a  la  paix  projetee  entre  le  pape  et  conrad. 
—  L'archev^qce  de  Cantorbéry  obtient  la  faculté 

d'exercer  le  droit  de  VISITATION.  —  Un  ENFANT 
t^CÉRIT  MIRACULEUSEMENT  PLUSIEURS  MALADES.  —  Dausle 

cours  de  cette  même  année,  l'évêque  de  Lincoln  Ro- 
l>erl,  |)our  amoindrir  les  provenances  des  religieux 
et  augmenter  les  parts  des  vicaires ,  obtint  du 
siège  apostolique  un  mandat  depuis  longtemps  atten- 
du et  ainsi  conçu  : 

«  Innocent,  évéque,  etc.,   à  son  vénérable  frère 
l'évêque  de  Lincoln,  etc.  Comme  dans  ta  cité  et  dans 


29  i  HEN  m  111. 

tou  diocèse ,  aiusi  que  nous  l'avons  appris,  plusieurs 
religieux  et  autreSj  faisant  partie  de  communautés, 
obtiennent  pour  leurs  propres  usages  des  églises 
paroissiales,  dans  lesquelles  les  vicariats  ou  ne  sont 
pas  taxés,  ou  le  sont  trop  peu,  nous  recommandons  à 
ta  fraternité,  par  ce  rescrit  apostolique,  d'instituer  ' 
en  notre  nom  des  vicariats,  et  d'augmenter  ceux  qui 
sont  institués,  mais  avec  trop  faible  rétribution,  dans 
lesdites  églises etsur  les  provenances d'icelles, comme 
tu  le  jugeras  convenable,  selon  Dieu,  d'après  la  cou- 
tume du  pays;  nonobstant  que  les  susdits  soient 
exempts  ou  munis  d'autre  part  de  privilèges  aposto- 
liques; nonobstant  aussi  les  indulgences  par  les- 
quelles cette  mesure  pourrait  être  empêchée  ou  dif- 
férée, et  dont  il  faudrait  que  mention  spéciale  fût 
faite  dans  les  présentes;  en  passant  outre  sur  appel, 
et  en  réprimant  les  opposants  par  la  censure  ecclé- 
siastique. Donné  à  Lyon,  le  7  avant  les  calendes 
d'octobre,  l'an  huitième  de  noire  pontificat.  » 

Aussi  l'évéque  susdit,  en  vertu  de  l'autorité  de  ce 
mandat,  suscita  des  dommages  et  des  vexations  à 
beaucoup  de  religieux,  plutôt  par  haine  des  reli- 
gieux, comme  on  Tassura  et  à  ce  qu'il  parut,  que  par 
affection  pour  les  vicaires  et  pour  accroître  leur  im- 
portance. 

Celte  même  année,  vers  la  fête  de  la  nativité  de  saint 
Jean-Baptiste,  pendant  quele  seigneur  pape  demeurait 
à  Pérouse,  tous  les  cardinaux  et  ses  autres  amis  lui 
dirent  sous  le  secret,  et  lui  assurèrent,  par  un  conseil 

'  InstUutas.  Nous  lisons  imUtuus. 


AHifÉE  4252.  295 

salutaire,  que  si  la  lutte  soulevée  entre  lui  et  les  par- 
tisans de  Frédéric,  qui  avaient  déjà  pour  eux  la  ma- 
jeure partie  de  Tempire,  n'était  pas  apaisée  au  plus 
vite,  Téglise  universelle,  ou  plutôt  toute  la  chrétienté, 
serait  mise  en  danger  et  exposée  à  la  ruine.  En  effet, 
Conrad,  fils  de  Frédéric,  avait  acquis  la  faveur  et  la 
bienveillance  de  tous  les  seigneurs,  à  cause  de  Tex- 
cellence  illustre  de  sa  race,  à  cause  de  son  affabilité 
naturelle,  à  cause  de  sa  vaillance  invincible  en  che- 
valerie, de  son  audace  et  de  son  habileté  dans  les 
combats.  Semblablement  Henri,  autre  fils  dudit 
Frédéric,  et  neveu  du  roi  d'Angleterre,  avait  mérité 
les  bonnes  grâces  de  tous  les  impériaux,  tant  à  cause 
de  s(Hî  innocence  et  de  sa  belle  mine,  qu'à  cause  de 
I  amour  qu'on  portait  à  l'impératrice  Isabelle,  qui' 
s'était  montrée  aimable  pour  tous.  Dans  ces  circon- 
stances, le  seigneur  pape  pensa  donc  à  se  concilier 
Tamitié  de  ces  deux  princes,  et  à  les  unir  à  lui  par  des 
mariages  avec  ses  parentes,  comme  il  avait  commen- 
cé à  le  faire  pour  d'autres  seigneurs,  à  qui  il  avait 
donné  ses  nièces  en  mariage.  Mais  cette  affaire  fut 
arrêtée  par  la  maladie  de  Conrad,  qui  empoisonné,  à 
ce  qu'on  prétend,  avait  recouvré  la  santé  à  grand'- 
peine,  et  par  l'indignation  que  ce  projet  avait  inspi- 
ré aux  impériaux  et  l'cpposition  qu'ils  yavaient  mise. 
Lorsque  Conrad,  retiré  des  portes  de  la  mort,  se  fut 
rétabli,  il  reprocha  aux  gens  du  pape  d'avoir  prépa- 
ré cet  attentat,  et  diff;ima  grandement  le  seigneur 
pajM',  assurant  que  ce  poison  mortel  lui  avait  été 
versé  par  le  pape,  comme  la  chose  avait  été  teotée 


296  HENRI  III. 

traîtreusement  jadis  contre  son  père  :  plaise  à  Dieu 
que  ce  ne  soit  pas  la  vérité.  Aussi  se  releva-t-il  plus 
fort  pour  nuire  au  seigneur  pape;  et  il  est  constant 
que  le  pape  avait  perdu  la  faveur  de  plusieurs.  Or, 
Thomas  de  Savoie,  allié  et  familier  du  seigueur 
pape,  avait  préparé  prudemmentles  voies  de  la  paix, 
qui  fut  relai'dée  par  cet  événement  fâcheux.  Une 
perturbation  funeste  vint  donc  agiter  Tempi re  en 
plusieurs  lieux,  au  point  que  ceux  qui  avaient  des 
affaires  à  expédier  en  cour  romaine  ne  pouvaient  se 
rendre  à  Rome  sans  être  dépouillés,  sans  que  les 
écrits  dont  ils  étaient  porteurs  ne  fussent  déchirés, 
et  que  les  bulles  ne  fussent  brisées,  au  mépris  et  au 
dommage  du  pape.  En  effet,  les  partisans  de  Frédé- 
ric, et  surtout  les  amis  de  Conrad,  disaient  que  le 
même  Conrad  avait  été  excommunié  injustement 
par  le  seigneur  pape;  et  que  s'il  avait  été  excommu- 
nié justement,  c'était  avec  plus  de  justice  encore 
qu'il  persécutait  par  le  fer  et  par  la  flamme  le  pape 
qui  l'avait  excommunié.  Aussi  beaucoup  s'abandon- 
naient aux  rapines,  aux  incendies  et  aux  massacres, 
et  ceux  qui  se  rendaient  à  la  cour  romaine  choisis- 
saient la  voie  de  mer,  quoique  dispendieuse  pour  eux, 
afin  d'échapper  aux  embûches  qui  leur  étaient  ten- 
dues. C'est  ainsi  que  notre  |)ère  le  pape,  qui  suivait 
les  traces  de  Constantin  j>lul()t  que  de  Pierre,  susci- 
tait ou  monde  beaucoup  de  désastres. 

Or,  le  susdit  Thomas,  aux  désirs  duquel  le  pape  se 
conformiiit  en  tout,  par  amour  pour  sa  nièce,  s'em- 
ploya efficacement  pour  que  sou  frère,  l'archevêque  de 


ANNEE  4252.  297 

Canlorbéry,  uelùlpaspleineiiienl  conioudu  el  frustré 
dans  le  désir  qu'il  avait  conçu  d'exercer  droit  de  visita- 
lion  en  Anjjleterre.  Le  oîênie  arclievêque  obtint  donc 
ia  faculté  d'exercer  cetle  visitation  ,  niais  on  modifia 
les  procurations  que  les  visités  devaient  fournir.  Et 
ainsi  la  cour  romaine  s'arrangea  adroitement,  de  ma- 
nière à  ce  que  le  seigneur  pape  gagnât  Targeut  de  l'ar- 
chevêque, et  qu'il  ne  perdît  pas  tout  ce  qu'il  pouvait  ti- 
rer de  la  partie  adverse  \  Les  lettres  authentiques  à 
cet  égard  sont  rapportées  au  livre  des  Additamenta' , 
Cetle  môme  année,  dans  une  bourgade  du  pays  de 
Kent,  qu'on  appelle  Estanes,  près  de  Dartford,  il  y 
avait  un  enfant  qui  avait  accompli  sa  deuxième  année 
à  la  fêle  del  exaltation  de  la  Sainte-Croix,  et  qui  faisait 
des  miracles,  on  ne  sait  par  quelle  vertu.  Le  père  de 
cet  enfant   s'appelait  Guillaume  Crul,  et  sa    mère 
Estuchie;  l'enfant  se  nommait  Guillaume,  du  nom 
de  sou  père.  Or,  cet  enfant,  à  mesure  que  l'un  des 
assistants  faisait  le  signe  de  la  croix  et  lui  désignait 
un  malade,  guérissait  tous  ceux  qu'on  lui  présentait, 
quelque  grave  que  fût  leur  infirmité.  Ces  cures  mer- 
veilleuses attirèrent  tous  les  malades  des  pays  d'alen- 
tour, qui  venaient  en  foule  auprès  de   cet  enfant, 
pour  recouvrer  la  santé,  et  qui,   chose  étonnante, 
n'étaieul  pas  frustrés  dans  leur  désir.  Comme  on  de- 
mandait à  sa  mère  comment  un  si  petit  enfant  pos- 

'  Part  adrersa.  Sens  obscur  ;  nous  lisons  à  parle  adversd. 

*  M«U.  Péris  revient  |>lu£  loin  et  avec  plus  de  details  sur  ce  sujet. 
Lm  4eeVBeots  autquels  il  renvoie  ici  et  lii,  ne  nous  semblent  pas  autres 
qve  1m  ée»\  diplômes  taiu  dat«  rapportes  à  la  fia  du  volume  sous  les 
nam^foaXIV  et  WIV. 


298  HENRI  III. 

sédailuii  pareil  don,  elle  répondit  que,  pendant  sa 
grossesse  et  même  après  son  accoucbement,  elle  avait 
été  instruite  de  cela  par  une  révélation  divine.  Mais 
comme  ce  miracle  ne  dura  pas  longtemps,  et  que  de 
jour  en  jour  il  s'affaiblit  dans  ses  effets,  cet  enfant 
tomba  en  peu  de  temps  dans  un  oubli  complet,  et 
on  ne  s'occupa  plus  de  lui. 

Fin  de  la  discorde  entre  le  couvent  et  l'abbé  de 
Westminster,  —  Privilège  et  charte  accordés  par  le 

ROI   AD    couvent  DE   WESTMINSTER. CoLÈRE    DU     ROI 

CONTRE  l'abbé  DE  WESTMINSTER  —RumEURS  SUR  l'ÉTAT 
DE  LA  TeRRE-SaINTE.  —   NOUVELLES  PLUS  AGRÉABLES  SUR 

LA  Terre-Sainte.  —  Propositions  de  paix  entre  le  roi 
DE  France  et  le  soudan  du  Caire.  —  Murmures  au 

SUJET  DES  conditions  DE  LA  TRÊVE.  —  Le  ROI  DE  FrANCE 
consent  a  la  TRÊVE.  —  LETTRES  AU  SUJET  DE  LA  TRÊVE. 

—  Entrevue  du  roi  de  France  avec  le  soudan  du 
Caire.  —  A  cette  même  époque  de  l'année,  c'est-à- 
dire  vers  l'assomption  de  la  bienheureuse  Marie,  la 
discussion  qui  durait  depuis  plusieurs  années  entre 
l'abbé  de  Westminster  et  son  couvent,  et  qui  s'était 
aigrie  de  jour  en  jour,  fut  heureusement  assoupie  par 
les  démarches  cfilcaces  du  seigneur  roi,  qui  a  une 
affection  toute  particulière  pour  ce  couvent  et  pour 
cette  église.  Mais  dans  ccltn  lutte,  l'abbé  encourut 
Tindigiialion  du  seigneur  roi,  et  remporta  un  désa- 
vantage marqué;  car  trois  manoirs,  que  l'abbé  avait 
retenus  longtemps  malgré  l  opposition  et  les  récla- 
mations des  moines,  finirent  |)ar  leur  être  assignés, 


ANNÉK  42Wt'  29» 

pour  que  la  maison  de  Westminster  se  servît  des  re- 
venus de  ces  manoirs,  afin  d'aujjmenter  son  hospi- 
talité et  sa  charité.  Les  choses  furent  réglées  ainsi, 
sur  mûre  délibération,  par  le  comte  Richard  et  le  sei- 
gneur Jean  Mansel,  à  l'arbitrage  desquels  les  deux 
parties  avaient  promis  de  se  soumettre.  Comme 
Tahbé  avait  le  dessein  de  revenir  sur  le  compromis  en 
interjetant  appel,  le  roi,  fort  irrité.  Taccabla  d'op- 
probres malséants  et  d'outrages  qu'on  ne  peut  répé- 
ter; et  désormais  le  seigneur  roi  ne  daigna  plus  rap- 
peler dans  son  ancienne  amitié  ledit  abbé,  qui  au- 
paravant avait  été  son  conseiller  intime,  et  l'ami  de 
cœur  dudit  Jean  Mansel,  quoique  lui-même  l'eût 
fait  nommer  abbé;  assurant  qu'il  avait  appauvri 
outre  mesure  la  maison  de  Westminster,  et  qu'il 
avait  opprimé  le  couvent  par  ses  injustices. 

C'est  pourquoi  le  roi,  ayant  pitié  du  couvent  de 
Westminster  qui,  pendant  plusieurs  années,  avait 
supporté  tant  de  vexations  et  de  dommages,  lui  ac- 
corda bénévolement  de  disposer  librement,  pendant 
la  vacance  de  Pabbaye  de  Westminster,  des  posses- 
sions appartenant  audit  couvent  et  que  le  roi  avait 
coutume  de  retenir  en  ses  mains,  au  grand  dommage 
et  grief  de  la  maison,  jusqu'à  ce  qu'un  nouvel  abbé 
fût  installé;  et  il  octroya  à  cet  égard  aux  susdits 
moines  la  charte  qui  suit  : 

«  Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  etc.,  à  tous  ceux 
à  qui  les  présentes  lettres  parviendront,  salut.  Comme 
les  biens  de  Tabbé  de  Westminster  et  ceux  du  prieur 
et  du  couvent  du  même  lieu  sont  distincts  et  séparés 


SOO  HENRI  III. 

les  uns  des  autres ,  nous  voulons  pourvoir  à  Tinté- 
grité  et  à  la  tranquillité  des  mêmes  prieur  et  couvent, 
et  nous  leur  accordons,  en  notre  nom  et  au  nom  de 
nos  héritiers,  que  toutes  les  fois  qu'il  arrivera  que 
l'abbaye  soit  vacante  par  l'abdication  ou  le  décès  de 
leurs  abbés,  lesdits  prieur  et  couvent  aient  la  libre 
administration  de  leurs  biens  séparés,  sauf  pour  nous 
et  pour  nos  héritiers  pendant  le  temps  de  la  vacance 
la  garde  de  la  susdite  maison,  quant  aux  biens  qui 
appartiennent  aux  susdits  abbés.  En  témoignage  de 
quoi,  etc.  Fait  sous  mes  yeux,  à  Saint-Edmond,  l'an 
trente-sixième  de  mon  règne.  »  Or,  cette  charte  fut 
rédigée  à  Saint-Edmond  où  le  seigneur  roi,  alors  ma- 
lade, demeurait  depuis  environ  trois  semaines,  au 
grand  détriment  de  celte  maison. 

Cependant  le  seigneur  roi,  craignant  que  l'abbé  de 
Westminster  n'exaspérât  contre  lui  la  cour  romaine, 
où  il  était  déjà  bien  connu  à  titre  de  chapelain  du 
seigneur  pape,  surtout  parce  que  le  même  abbé  avait 
interjeté  appel,  et  qu'il  n'engageât  la  maison  de 
Westminster  dans  des  dettes  irrémédiables  ,  l'acca- 
bla de  nouveaux  outrages  et  de  malédictions  fu- 
rieuses qui  évidemment  ne  s'appuyaient  sur  aucun 
motif  réel,  mais  étaient  dictés  seulement  par  In  co- 
lère. De  plus,  le  seigneur  roi  fit  proclamer  dans  toute 
la  ville  de  Londres,  par  la  voix  du  héraut,  que  per- 
sonne ne  prétAten  aucune  façon  de  l'argent  à  l'abbé 
de  Westminster,  ou  n'ajoutât  aucunement  foi  à  ses 
écrits  ou  à  son  sceau  ;  ce  qui  paraissait  tourner  au 
grand  op[)robre  de  l'abbé. 


ANNÉE  4252.  iOi 

Or,  tons  ceux  qui  ontemlaient  cette  défense,  s'é- 
tonnaient outre  mesure  que,  de  très-grand  ami  du 
rei  l'abbé  fût  devenu  pour  lui  un  étranger  et  un  ob- 
jet de  réprobation.  Cest  ce  que  dit  le  poëte,  quand 
il  représente  une  maîtresse  qui  se  plaint  de  son 
amant  : 

«  Nous  nous  regardions  Tun  Tautre,  et  nos  yeux  se  demandaient  en 
silence  ce  qu'était  devenu  notre  amour.  ■ 

Vers  le  même  temps,  se  répandirent  des  nouvelles 
certaines  sur  l'état  de  la  Terre-Sainte,  au  moyen  de 
la  lettre  suivante,  adressée  à  un  frère  de  Tordre  des 
Précbeui-s,  nonmié  frère  Gaultier  de  Saint-Martin, 
qui  jadis  avait  joui  d'un  grand  renom  dans  la  ïerre- 
Saiute.  «  A  son  vénérable  et  cher  frère  en  Jésus- 
Christ  ,  Gaultier  de  Saint-Martin  ,  frère  Joseph  de 
Cancy,  humble  trésorier  de  la  sainte  maison  de  l'Hô- 
pital de  Jérusalem  à  Acre,  salut.  » 

Hegardezau  livre  des  Additamenla^  Or,  voici  le  ré- 
sumé de  celle  lettre  :  «  Les  trêves  demandées  par  les 
Babyloniens,  qui  sont  pressés  par  le  Soudan  d'Alep, 
au  roi  de  France,  n'ont  pu  encore  être  conclues  el 
avoir  une  issue  prospère  ;  car  les  Babyloniens  y  ont 
mis  obstacle  '\  Toute  la  province  d'Antioche  est  déjà 


'  Foy.  l'addition  XXI  à  la  un  du  volume. 

*  Cette  phrase  n'est  point  exacte,  et  d'ailleurs  ne  rend  pas  fidèlement 
le  «en  de  b  lettre  à  bquellc  renvoie  MaU.  l'âris  (addit.  u»  21).  Saint 
IxNiis,  eimtanaémtDi  aux  conditions  de  la  trêve,  se  rendit  à  Jaffa  où  il 
attendit  Tainemeot  les  Egyptiens  retenus  cbex  eux  par  leurs  discordes 
I.  Biais  la  trêve  ne  fut  rompue  que  l'arma  suivante  par  les  émirs 


HENRI  TIT. 

dévastée  par  les  Turcomans,  et  les  citoyens  de  cette 
ville,  saisis  d'effroi,  prennent  la  fuite  en  foule.  Aussi 
une  foule  d'infidèles,  faisant  partie  de  ces  peuples, 
pénètrent  dans  les  pays  soumis  aux  chrétiens,  s'a- 
bandonnent partout,  avec  une  férocité  capricieuse, 
aux  incendies  et  aux  massacres,  et  viennent  se  repo- 
ser de  leurs  courses  dans  un  lieu  qu'on  appelle  Cé- 
sarée  la  Grande.  C'est  le  soudan  d'Alep  qui  a  suscité 
ce  fléau.  »  Or,  ces  rumeurs  furent  divulguées  pendant 
l'automne  dans  les  pays  d'en  deçà  des  monts. 

Cette  même  année,  les  moines  de  l'ordre  de  Cî- 
teaux,  au  retour  de  leur  chapitre  général,  répan- 
dirent des  bruits  plus  agréables  ,  instruits  qu'ils 
étaient  par  le  cardinal  Jean,  Anglais  de  nation, 
qu'ils  appelaient  vulgairement  le  cardinal  blanc, parce 
qu'il  était  moine  de  l'ordre  de  Cîteaux.  Celui-ci, 
par  le  moyen  d'un  abbé  du  môme  ordre,  avait  fait 
passer  au  chapitre  des  lettres  dont  voici  le  contenu  : 
«  Comme  la  haine  et  l'inimitié  s'accroissaient  de  jour 
en  jour  entre  le  soudan  de  Babylone  et  celui  d'Alep, 
ceux  qui  paraissaient  les  premiers  et  les  principaux 
des  Babyloniens  envoyèrent  en  toute  hute  un  message 
très-pressant  ù  celui  (|ui  était  soudan  de  Babylone, 
ou  qui  du  moins,  à  cette  époque,  était  établi  à  la  place 


Mameluks  qui  se  rcconcilicrent  avec  le  soudau  d'Alep.  Gclui-ci,  au  mo- 
ment des  ni^guciations,  pour  attirer  les  chrétiens  dans  son  pnrli,  avait  of- 
fert au  roi  un  libre  occés  dans  Jrrusulcin  dont  il  était  maître.  Saint 
Louis  no  renonça  au  vif  désir  qu'il  avait  de  visiter  les  lieux  saints,  que 
sur  l'avis  dns  chevaliers  des  trois  ordres  qui  lui  remontriircnt  que  s'il 
entrait  à  Jérusalem  autrement  qu'en  conquérant,  les  plus  |j[rands  rois  se 
conleatcraient  du  rôle  de  pèlerins,  et  <|u^il  n'y  aurait  plui  du  croiMde. 


ANNÉE  ^252.  $9$ 

et  par  l'autorité  diulit  Soudan  de  Babylone  ;  lui  as- 
surant qu'il  fallait  absoluypent  de  toute  nécessité 
entrer  en  composition  et  conclure  ou  la  paix  ou  une 
trêve  avec  le  sei^jneur  roi  de  France.  Qu'en  effet 
l'armée  de  ce  dernier  s'était  déjà  accrue  immensé- 
ment et  s'aujjmcntait  encore  de  jour  en  jour  comme 
un  torrent  qui,  dans  les  vallées,  se  grossit  des  neiges 
fondues  ;  qu'enlin,  s  il  ne  faisait  pas  cela,  les  Babylo- 
niens seraient  attaqués  et  écrasés  sans  remède  par  le 
Soudan  d  Alep  d  une  part,  et  de  l'autre  par  les  chré- 
tiens. » 

•  On  travailla  donc,  d'un  avis  commun,  à  déter- 
miner pour  les  deux  parties  les  conditions  d'une 
trêve  de  quinze  ans,  qui  fussent  supportables  pour 
chacun  :  à  savoir,  que  le  seigneur  roi  de  France  de- 
viendrait Tami  du  soudan  de  Babylone,  son  aide  et 
son  consolateur  dans  ses  tribulations,  et  principale- 
ment contre  le  soudan  d'Alep  qui  s'efforçait  de  l'ex- 
terminer, sauf  eu  toutes  choses  le  culte  chrétien  pour 
le  seigneur  roi  et  pour  ses  sujets.  Qu'en  outre  le  sei- 
gneur roi  et  le  soudan  susdit  partageraient  par  moitié 
tout  ce  qu  ils  pourraient  conquérir,  si  la  fortune  leur 
était  tavorable,  sur  le  soudan  d'Alep  et  sur  leurs 
autres  adversaires  et  ennemis,  en  terres,  en  châteaux, 
en  cités,  en  argent,  en  hommes  faits  prisonniers, 
en  butin  et  dépouilles,  enfin  en  loiile  espèce  d'acqui- 
sition. Que  de  plus,  tout  ce  qui  restait  à  payer  sur 
la  délivrance  et  la  rançon  du  roi,  lui  serait  bénévo- 
lement et  libéralement  remis,  » 

u  Or,  In  somme  fixée  pour  sa  rançon  était  ioesti- 


§04  HENRI  til. 

mable  et  même  dix  fois  plus  forte  qu'on  ne  le  croyait. 
Mais  on  Ta v ait  tenue  seA-èle  pour  qu'on  ne  désespé- 
rât pas  du  paiement.  —  Ite7n,  que  tout  ce  que  ledit 
Soudan  (ie  Babylone  avait  en  son  pouvoir  dans  la 
Terre-Sainte,  serait  restitué  au  roi  de  France  avec 
les  chrétiens  esclaves;  car  c'est  ainsi  qu'on  appelle  les 
captifs.  )' 

«  Lorsqu'on  eut  connaissance  de  ces  conditions 
de  trêve  ou  de  paix,  il  y  en  eut  plusieurs  qui,  hési- 
tant à  les  accepter,  en  conçurent  dans  leur  âme  une 
indignation  suscitée  par  le  diable,  et  dirent  :  «Qu'au 
«  Très-Haut  ne  plaise  que  le  seigneur  roi  de  France, 
«  le  plus  haut  et  le  plus  noble  des  rois  de  la  terre,  lui 
«  qui  a  été  oint  du  chrême  céleste  et  qui  est  le  suc- 
«  cesseur  de  l'invincible  Charles,  fasse  la  guerre  pour 
«  le  service  d'un  homme  aussi  vil  qu'un  chien,  ou 
«  qui  plutôt  n'est  qu'un  chien  inhumain,  else  mette 
«  à  ses  gages.  »  Telles  étaient  les  paroles  insensées 
qu'inspiraient  aux  Français  leur  orgueil  naturel, 
leur  jactance  et  leur  envie  de  faire  sonner  leur  go- 
sier. » 

«  Cependant  le  roi,  considérant  que  ses  frères  sur- 
vivants l'avaient  abandonné,  et  ne  se  cachant  pas  que 
sa  noblesse  de  France  l'avait  en  mépris,  fut  humilié 
et  donna  son  consentement  a  la  trêve  demandée  et 
aux  conditions  qui  lui  étaient  oiferlcs.  Toute  colère 
ayant  donc  été  abjurée,  toules  les  terres  du  royaume 
de  Jérusalem  situées  en  deçh  du  Jourdain,  lesquelles 
terres  étaient  soumises  à  la  domination  des  lîabylo- 
niens,  furent  restituées  de  lM)nne  grâce  au  seigneur 


ANNÉE  4252.  505 

roi  de  France,  ainsi  que  tous  les  caplili;  cliriMieusque 
nous  appelons  vulgairement  esclaves.  H  fut  décidé  de 
plus,  d'une  manière  inviolable,  que  les  deux  parties, 
de  leur  féal  et  unanime  consentement,  poursuivraient 
inexornhicnjent,  par  le  fer  et  j)ar  le  feu,  jusqu'à  ex- 
termination, le  Soudan  d'Alep,  leur  ennemi  publie, 
pour  partager  fidèlement,  par  moilié  bien  entendu. 
Ainsi  donc  l'un  des  princes,  à  savoir  le  roi  de  France 
d'une  part,  et  l'autre,  à  savoir  le  soudan  do  Baby- 
lone  d'autre  part,  se  sont  soulevés  à  main  armée 
contre  ledit  soudan  d'Alep,  en  sorte  que  ce  dernier, 
attaqué  de  deux  côtés,  ne  peut  absolument  résister. 
Or,  le  roi  de  Cbypre,  qui  est  arrivé  naguère  amenant 
un  subside  opportun  au  roi  de  France,  et  une  foule 
d'autres  croisés ,  ont  augmenté  considérablement 
Tarmée  des  Français  et  l'ont  fortifiée  avec  allégresse. 
Kt  les  travaux  de  Mars  ont  j)rospéré  entre  les  mains 
du  roi  humilié,  grâce  à  la  faveur  de  Dieu  qui,  résistant 
aux  superbes,  répand  ses  faveurs  sur  les  humbles.  » 
Or ,  nous  avons  tiré  de  la  brièveté  de  la  lettre  qui 
suit  quelque  fondement  de  certitude ,  quoique  celte 
certitude  ne  soit  pas  encore  pleine  et  entière. 

«  A  son  révérend  père  et  seigneur  en  Jésus-Christ, 
Richard  ,  par  la  grûce  de  Dieu  ,  évêque  de  Chicester, 
(ïuillaume,  par  la  même  miséricorde  ,  ministre  in- 
digne d'Orléans ,  salut  et  volonté  prêle  à  son  bon 
plai>ir,  avec  toute  révérenceet  tout  honneur,  comme 
à  son  seigneur  et  père.  Nous  écrivons  brièvement  à 
votre  paternilé  les  nouvelles  qui  sont  arrivées  des 
pays  d'outre-mer  et  qui  sont  celles-ci.  Le  seigneur  et 
m.  20 


306  HENRI  m. 

excellenlissime  roi  de  France  a  conclu  une  trêve 
pour  quinze  ans  avec  les  infidèles  Sarrasins.  Toute 
la  terre  du  royaume  de  Jérusalem,  située  en  deçà  du 
Jourdain  ,  lui  est  rendue  avec  tous  les  captifs  chré- 
tiens que  Ton  appelle  vulgairement  esclaves;  le  reste 
de  la  somme  d'argent  qu'il  devait  aux  Sarrasins  sur 
sa  rançon,  lui  est  semblablement  remis;  et  ce  reste 
s'élevait  encore  à  cinquante  mille  marcs  d'argent.  » 
Un  de  ces  jours-là,  après  la  confirmation  de  la 
susdite  trêve  ,  tandis  que  le  seigneur  roi  de  France 
et  le  Soudan  de  Babylone  jouissaient  d'une  confé- 
rence longtemps  souhaitée  et  s'instruisaient  de  leurs 
volontés  mutuelles,  par  le  moyen  d'un  interprète  fi- 
dèle \  le  Soudan  dit  au  roi ,  avec  un  visage  serein  et 
d'un  ton  joyeux  :  «  Comment  te  portes-tu,  seigneur 
«  roi?  »  Le  roi  lui  répondit  d'un  air  triste  et  abattu  : 
«  Tant  bien  que  mal.  —  Pourquoi  ne  réponds-tu 
«  pas:  Bien,  «reprit  le  Soudan  :  «quelle  est  la  cause  de 
«  ta  tristesse?  »  Alors  le  roi  :  «  C'est  que  je  n'ai  point 
«  gagné  ce  que  je  désirais  le  plus  gagner,  la  chose 
«  pour  laquelle  j'avais  laissé  mon  doux  royaume  de 
«  France  et  ma  mère,  plus  chère  encore,  qui  criait 
«  après  moi,  la  chose  pour  laquelle  je  m'étais  exposé 
«  aux  périls  de  la  mer  et  de  Mars.  »  Le  Soudan,  fort 
surpris  et  voulant  savoir  quelle  était  cette  chose  tant 
désirée,  lui  dit  :  «  Et  qu'est-ce  donc ,  ô  seigneur  roi, 
a  que  tu  désires  si  ardemment?  —C'est  ton  ûme,  re- 

*  Nous  ne  connaisions  aucan  ti'moijnayo  historique  qui  vienDe  coaOr- 
ntPrcoUo  ciilrevuc.  Le  fait  lernil  mious  placé  pendant  In  captivité  de 
Luuii  l\  h  Mansourab. 


ANNÉE  ^252.  507 

«  prit  le  roi ,  que  le  diable  se  promet  de  précipiter 
«  dans  le  goufl're.  Mais  jamais,  g^rûce  à  Jésus-Christ, 
«  qui  veut  que  toutes  les  âmes  soient  sauvées,  il 
«  n'arrivera  que  Satan  puisse  se  {jloriOer  d'une  si 
«  belle  proie.»  Puisilajouta:  «  LeTrès-IIaut  le  sait, 
«  lui  qui  n'ignore  rien  ;  si  tout  ce  monde  visible  était 
«  à  moi ,  je  le  donnerais  tout  entier  en  échange  du 
«  salut  des  ûmes.  »  Alors  le  soudan  :  «  Eh  quoi  !  bon 
«  roi,  tel  a  été  le  but  de  ton  pèlerinage  si  pénible! 
«  nous  pensions,  nous  tous  en  Orient,  que  vous  tous, 
«  les  chrétiens,  aspiriez  ardemment  à  celle  domiua- 
«  tion,  et  vouliez  triompher  de  nous  par  avidité  de 
«  conquérir  nos  lerres,  et  nen  par  désir  de  sauver 
t  nos  âmes.  —  J'en  prends  à  témoin  le  Ïout-Puis- 
«  saot,  reprit  le  roi  ;  je  n'ai  point  souci  de  retour- 
«  ner  jamais  dans  mon  royaume  de  France,  pourvu 
•  que  je  gagne  à  Dieu  ton  âme  et  les  âmes  des  autres 
«  infidèles,  et  qu'elles  puissent  être  glorifiées.  »  En 
entendant  cela,  le  soudan  répondit  :  «  Nous  espérons, 
«  60  suivant  la  loi  du  très-bénin  Machomet,  arriver 
«  à  jouir  des  plus  grandes  délices  dans  Tavenir.  »  Le 
très-pieux  roi  reprit  aussitôt:  «  Voilà  pourquoi  je  ne 
u  puisassezuVélonner  que  vous,  qui  êtes  des  hommes 
«  discretsetcirconspects,  vous  ajoutiez  loi  à  cet  enchan- 
«  teur  Machomet ,  qui  commande  et  permet  tant  de 
c  choses  déshounêtes.  En  efiet,  j'ai  regardé  et  examiné 
«  son  Alcoran  :  je  n'y  ai  vu  qu'ordures  et  impureté  , 
t  tandis  que ,  d'après  tous  les  sages  anciens ,  voire 
«  même  les  païens,  1  honnôlelc  est  le  souverain  bien 
«  dans  cette  vie.  » 


508  HENRI  HI. 

En  entendant  ces  paroles,  des  larmes  abondantes 
arrosèrent  la  barbe  naissante  du  Soudan,  et  il  ne  ré- 
pondit plus  rien  à  ces  objections;  car  ses  sanglots  et 
ses  profonds  jjémissenients  lui  coupaient  la  voix. 
Mais  désormais,  ajuvs  cette  conference  salutaire,  il 
ne  se  montra  pas  aussi  enclin  et  aussi  dévoué  h  la 
religion,  ou  plutôt  à  la  superstition  machométique, 
qu'il  l'avait  été  précédemment.  On  peut  donc  con- 
clure, des  paroles  et  des  actions  qu'on  vient  de  voir, 
que  le  même  Soudan,  revenu  à  de  meilleures  espé- 
rances, se  convertira  à  la  religion  et  à  la  foi  chré- 
tienne. De  son  côté,  le  roi  de  France  déclara  qu'il  ne 
reviendrait  jamais  en  France,  mais  qu'il  combattrait 
tout  le  reste  de  sa  vie  en  Terre-Sainte,  pour  gagner 
à  Dieu  les  âmes  intidèles;  se  liant  à  la  vaillance  des 
Français  et  à  la  tutelle  de  sa  mère  pour  garder  son 
royaume  et  pour  le  défendre  contre  les  attaques  de 
tous  ses  voisins.  Mais  Dieu  dispose  dès  projets  de 
l'homme. 

Mort  d'Alphonse,  iioi  d'Espagne. — Alphonse, frèrk 
DU  ROI  DE  France,  est  attaqué  d'une  maladie  incurable. 
—  Douleur  de  Blanche,  reine  de  France.  —  Guil- 
laume DE  Saint-Edmond,  moine  de  Saint-Albans,  est 
envoyé  a  la  cour  romaine.  —  Le  roi  d'Angleterre 

RENVOIE    le   comte    DE   LEICESTER    EN   GASCOGNE.  —  La 

Gascogne  est  conférée  a  Edouard,  fils  aîné  du  roi 
d'Angleterre.  —  Combat  sanglant  entre  les  Gascons 
ET  LE  comte  de  LEICESTER.  —  Four  que  les  prospé- 
rités de  ce  monde  ne  soient  pas  sans  mélange  d'ad- 


ANNÉE  4  252.  S09 

versités,  le  seigneur  roi  de  France  lut  grandement 
Iroublé,  en  recevant  la  nouvelle  que  Tillustre  roi  de 
Castille  Alphonse,  qu  on  appelait,  à  cause  de  sa  préé- 
minence, roi  de  toute  TEspague,  élail  ailé  où  va  toute 
créature,  après  s'être  rendu  célèbre  par  ses  exploits 
et  par  les  grandes  conquêtes  qu'il  avait  faites  surles  in- 
fidèles d'Espagne,  conquêtes  qui  exigeraient  des  trai- 
tés spéciaux  et  prolixes.  En  eflel,  ledit  roi  de  Castiile 
avait  promis  de  fournir  uu  subside  efficace  et  prompt 
au  roi  de  France,  et  Blanche,  qui  était  sa  cousine, 
l'y  avait  déterminé  par  ses  prières  multipliées,  par 
ses  présents  et  par  ses  promesses.  Or,  il  laissa  après 
lui  des  enfants  très-illustres,  chevaliers  de  renom  et 
de  bonne  mine,  pour  opposer  puissamment  les  bar- 
rières de  la  résistance  à  Tinsolence  des  Sarrasins.  En 
outre  le  Seigneur,  pour  apaiser  la  douleur  du  roi  de 
France,  lui  octroya  de  voir  naître  de  la  reine  son 
épouse,  en  Terre-Sainte,  une  race  illuslre,  à  savoir 
un  fils  et  une  fdle  souhaitée*. 

Cependant  Alphonse,  comte  de  Poitou,  et  frère  du 
roi  de  France,  ayant  été  frappé  de  [)araly.sie,  à  la 
grande  douleur  du  roi  sou  frère  et  de  sa  mère,  tomba 
malade  sans  remède,  et  languit  jusqu'à  sa  mort. 
Peut-être  fut-il  ainsi  châtié  par  la  vengeance  divine  : 
car  il  avait  négligé  de  porter  secours  au  roi  son  frère, 
alors  placé  dans  une  position  pénible,  comme  il  avait 
promis  de  le  faire,  en  engageant  son  serment  et  sa  foi. 

'  Le  comte  de  Neven,  Jeao  dit  Triitan,  né  à  Dimiette  pendaut  lac«p> 
lirité  de  sou  père,  et  Blanche,  née  A  Joppé  en  1252.  Celle-ci  épousa  Fer- 
dioand  de  Lac«rda,  tiU  aiaé  d'Alphouie  \,  roi  de  Castiile. 


5^0  HENRI  III. 

Aussi  la  reine  de  France,  la  première  de  toutes 
les  dames,  la  dame  Blanche,  a{>prenant  que  le  plus 
cher  et  Taîné  de  ses  fds,  à  savoir  le  seigneur  roi  de 
France  Louis,  avait  fait  vœu  de  demeurer  en  Terre- 
Sainte  tant  qu'il  vivrait ,  se  souvenant  de  la  mort 
honteuse  de  Robert,  comte  d'Artois,  son  autre  fils, 
considérant  enfin  qu'un  troisième  de  ses  fils,  Al- 
pho  nse,  comte  de  Poitou,  était  malade  d'une  manière 
incurable,  ne  put  fermer  ses  entrailles  maternelles, 
et  gémit  comme  si  on  la  frappait  d'une  profonde 
blessure.  Dès  ce  moment  elle  sécha  en  elle-même , 
se  voyant  privée  de  ses  gages  les  plus  chers.  Epuisée 
par  la  douleur,  elle  anticipa  misérablement  sur  l'é- 
poque fixée  pour  sa  mort,  et  désormais  elle  n'eut 
plus  un  instant  de  gaieté,  ni  ne  put  se  réjouir  d'au- 
cune consolation.  * 

Cette  année  aussi ^  le  seigneur  Guillaume  de  Saint- 
Edmond  ,  moine  de  Saint-Albans,  et  Guillaume  de 
Saint-Edouard  [  clerc],  furent  envoyés  à  la  cour  ro- 
maine qui  se  trouvait  alors  à  Pérouse,  pour  une 
affaire  pressante  qui  concernait  l'église  de  Saint- 
Michel  de  Kingcsburn  (?).  Mais  après  avoir  renvoyé 
le  clerc  à  Saint-Albans,  le  moine  disparut  sans  que 
l'on  pût  savoir  ce  qu'il  était  devenu,  bien  que  le 
procureur  de  Snint-Albans  l'eût  fait  chercher  avec 
soin  dans  tous  les  pays.  Enfin,  après  un  pèlerinage 
qui  avait  duré  un  an  et  plus,  il  revint,  non  sans 
crainte,  à  Suint- Albans,  où  il  rentra  malade,  ayant 
accompli,  tant  bien  que  uml  la  mission  dont  il  avait 
été  chargé,  et  ayant  endullv  de  trois  cent»  mures  la 


ANNÉE  4252.  S44 

maison  de  Saint-Albans.  li  s'introduisit  secrètement 
dans  rinfirmerie,  et  après  y  avoir  demeuré  quelques 
jours,  il  s  embarqua,  contre  la  coutume  et  la  règle 
de  Saint-Albans,  pour  se  rendre  à  Saint-Gilles'.  On 
Irouveraau  livre  des  .4rf(///fl»ïdn<a' les  lettres  de  créance 
qui  lui  avaient  été  données. 

Vers  le  même  temps,  le  seigneur  roi  d'Angleterre, 
imitant  la  conduite  du  roi  David,  qui  envoya  Urieau 
plus  fort  du  danger ,  voulut  que  celui  qui  avait  été  le 
perturbateur  de  la  paix  en  parût  le  réformateur ,  et 
dit  au  comle  de  Leicester  Simon  :  «  Retourne  en 
«  Gascogne  :  tu  y  trouveras  assez  de  guerres,  toi  qui 
«  fomentes  et  aimes  la  guerre.  Puisses-tu  y  gagner 
«  des  récompenses  méritées,  comme  ton  père  a  fait 
«  jadis!  »  Kn  prononçant  ces  paroles  piquantes,  le 
seigneur  roi  se  concilia  la  faveur  etTamitié  des  Gas- 
cons qui  étaient  présents.  Mais  le  comte  répondit 
sur-le-cbamp  au  seigneur  roi  avec  allégresse  et  in- 
trépidité :  u  Et  moi  j'irai  volontiers.  Et  je  n'en  re- 
a  viendrai  pas,  à  ce  que  je  crois,  avant  d'avoir  sou- 
«  mis  le*  rebelles  à  ton  pouvoir,  tout  ingrat  que  tu 
tt  es,  et  d'avoir  fait  de  tes  ennemis  un  escabeau  pour 
«  tes  pieds.  »  Puis  le  comle  Simon,  quittant  sur-le- 
cliam))  l'Angleterre,  se  rendit  dans  les  pays  de  France 
quil  connaissait  bien,  et  là,  a  I  aide  de  ses  parents 
et  de  ses  amis,  il  rassembla  une  forte  et  nombreuse 
armcc  de  njcrceiraires,  leur  promettant  que  les  dé- 


'  Sanctum  OgMium.  Nous  lisou*  A-jjidiutn. 
'  loi/,  l'iddiliuu  Wll  à  U  (indu  >uluin«3- 


ô^  HENRI  ill. 

pouilles  et  le  butin  dont  ils  s'empareraient  leur  ser- 
viraient de  salaires  suffisants.  Or,  ces  hommes 
d'armes,  plus  avides  que  des  sangsues,  suivirent 
les  pas  du  comte  avec  allégresse  et  intrépidité.  En 
effet,  le  comte  brûlait  de  se  venger,  et  aspirait  de 
toute  son  ame  à  châtier  ceux  qui  l'avaient  diffamé! 
Cej)endant  le  roi  d'Angleterre,  passant  sous  silence 
ou  feignant  d'ignorer  la  cession  qu'il  avait  faite  jadis 
de  la  Gascogne  à  son  frère  le  comte  Richard,  cession 
confirmée  deux  fois  par  des  chartes ,  suivit  son  des- 
sein et  son  projet  de  conférer  la  Gascogne  à  son  fils 
aîné,  et  cela  à  l'instigation  de  la  reine  sa  femme,  et 
d'après  les  conseils  qu'elle  lui  donnait  dans  la  cham- 
bre nuptiale  \  Lorsque  le  susdit  comte  Richard  en  fut 
instruit,  il  s'en  montra  fort  irrité  et  indigné,  et  il 
quitta  incontinent,  tant  d'esprit  que  decorps,  la  cour 
du  roi,  délestant  de  cœur  l'inconstance  de  cette  cour 
aussi  malléable  que  la  cire. 

Le  seigneur  roi  d'Angleterre  ordonna  donc  qu'on 
rassemblât  sur-le-champ,  par  édit  royal  ,  tous  les 
Gascons  qui  demeuraient  encore  à  Londres,  tant 
rarchcvêque  de  Bordeaux  que  les  autres  qui  étaient 
venus  avec  lui,  et  leur  déclara  à  tous  la  donation 
qu'il  faisait ,  attestant  et  annonçant  publiquement 
qu'il  avait  conféré  la  Gascogne  à  Edouard,  sou  fds 
aîné,  leur  assurant  aussi  (|ue  le  contic  Hichard  son 
frère  ne  se  souciait  pas  de  posséder  la  Gascogne  ni 
même  de  la  voir  jamais;  car  il  avait  été  assez  tour- 

*  Ia!  leiU  porte  :  Sua  tu  cumerali  uxorit  suœ  reyinœ. 


ANNEE  4253.  SIS 

jnealé  par  les  tempêtes  de  la  mer,  et  la  Gascogne 
avait  fréquemnieut  vidé  ses  coffres.  Les  Gascons  ac- 
cueillirent avec  joie  ce  changement,  et  sur-le-champ 
tous  ceux  qui  se  trouvaient  là  présents  jurèrent 
hommage  à  Edouard,  et  lui  prêtèrent  serment  de 
fidélité.  Edouard,  de  son  côté,  leur  octroya  des  dons 
maiijùGques  et  précieux  en  or,  en  aident,  en  col- 
liers, en  ceintures,  en  pièces  de  soie,  et  leur  pro- 
mit de  plus  beaux  présents  encore.  Toutefois  le 
seigneur  roi  se  réserva  la  principale  suzeraineté, 
c'est-à-dire  l'allégeance;  puis  tous  ensemble  s'assi- 
rent à  un  festin  splendide,  au  milieu  des  transports 
de  la  joie  la  plus  vive;  et,  pendant  le  repas,  on  ne 
manqua  point  de  se  répandre  en  menaces  orgueil- 
leuses contre  le  comte  Simon,  et  de  dire  que  cet 
homme,  qui  avait  conçu  l'espoir  de  faire  couler  dans 
sa  bouche  le  Jourdain  tout  entier,  serait  ou  coupé 
en  morceaux  ou  chassé  en  exil  et  dépouillé  de  ses 
terres.  Ensuite  les  Gascons,  étant  remontés  sur  leurs 
vaisseaux,  s'empressèrent  de  regagner  leur  pays  à 
pleines  voiles.  Mais  avant  qu'ils  eussent  pu,  une  fois 
arrivés  dans  leur  patrie,  se  refaire  quelque  peu  des 
fatigues  de  leur  voyage  sur  mer,  et  même  publier  ce 
qui  s'était  passé  en  Angleterre,  ils  trouvèrent  le  sus- 
dit comte  Simon  bien  muni  contre  eux,  entouré 
d'une  armée  nombreuse  et  pré|)aré  à  les  recevoir. 
Toutefois  ils  rassemblèrent  un  grand  nombre  des  en- 
nemis du  comte,  et  les  encouragèrent  bellement  eu 
leur  disant  qu'ils  avaient  un  nouveau  seigneur^  le- 
quel était  disposé  à  émousser  et  à  rogner  les  cornes 


544  HENRI  lil. 

du  comle  Simon.  Alors,  avec  la  grande  et  forte  ar- 
mée qu'ils  avaient  réunie  et  qui  paraissait  assez  re- 
doutable pour  pouvoir  écraser  indubitablement  ledit 
comte,  ils  Tassaillireut  et  l'attaquèrent  hostilement. 
Comme  ils  se  tenaient  sur  leurs  gardes,  ils  décou- 
vrirent une  embuscade  que  le  comte  Simon  avait  ca- 
chée dans  un  lieu  détourné  pour  qu'elle  tombât  sur 
les  Gascons  surpris.  Après  un  combat  sanglant ,  ils 
s'emparèrent  d'un  chevalier  très-vaillant  à  qui  le 
comte  Simon  avait  confié  le  commandement  de  ce 
corps  détaché,  Tenchaînèrent  et  l'emmenèrent  après 
avoir  dissipé  le  reste  de  sa  troupe,  et  en  poussant  des 
cris  de  joie  et  de  triomphe. 

Or,  le  comte  ne  se  trouvait  pas  loin  de  là  et  s'at- 
tendait à  recevoir  vigoureusement  ses  ennemis  à  la 
pointe  de  l'épée,  espérant,  selon  ce  qui  avait  été  con- 
venu secrètement,  que  ceux  qu'il  avait  placés  en 
embuscade,  se  seraient  jetés  sur  les  Gascons  du  côté 
opposé  ;  il  cherchait  donc  à  voir  s'il  apercevrait 
quelques  signes  que  la  bataille  fût  engagée,  lorsqu'un 
fuyard,  qui  revenait  du  combat  en  pressant  rapide- 
ment son  clieval  pour  annoncer  à  son  seigneur  ce 
qui  s'était  passé,  arriva  vers  lui  blessé,  sanglant  et 
déchiré,  et  lui  raconta,  en  respirant  h  peine,  ce  qui 
était  arrivé.  Il  ajoutaque ce  clievaliersi  clicrau  comte, 
et  qui  avait  été  établi  par  lui  gardien  et  chef  de  cette 
troupe,  avait  été  entraîné  par  les  ennemis.  A  cette 
nouvelle,  le  comle,  semblant  se  réveiller  d'un  profond 
sommeil,  s'écria  avec  stupéfaction  :  «  Nous  tardons 
«  trop.  Les  ennemis  sont-ils  bien  éloignés  de  nous? 


ANNÉE  4252.  315 

•  —  Non  pas.  Ils  s'avancenl  plutôt  et  se  hâtent  pour 
«  venir  aussitôt  h  ta  rencontre  et  pour  te  combattre 
«  à  main  armée.  Ils  se  réjouissent  aussi  et  se  glori- 
«  fient,  parce  qu'ils  ont  trouvé  la  fortune  favorable 
«  cl  nous  ont  mis  en  désordre.  »  A  peine  avait-il 
achevé  ces  mdts,  que  le  comte,  avide  de  délivrer  le 
chevalier  plus  haut  dit,  s'élance,  presque  sans  at- 
tendre sa  chevalerie,  et  guidé  par  le  messager,  vole 
plus  prompt  qu'un  tourbillon  rapide,  en  déchirant 
les  flancs  de  son  coursier.  H  tombe  tout  à  coup  sur 
les  ennemis,  et  plonge  dans  le  sang  de  plusieurs  son 
glaive  foudroyant;  puis,  délivrant  puissamment  tous 
les  captifs,  il  coupe  et  brise  leurs  liens.  Ceux-ci,  plus 
animés  encore  par  leur  délivrance,  se  jettent  furieu- 
sement sur  leurs  ennemis.  Alors  s'engagea  un  com- 
bat douteux  et  sanglant.  Les  Gascons,  se  fiant  dans 
leur  multitude ,  se  précipitèrent  tous  ensemble  sur 
le  comte ,  qu'ils  désiraient  ardemment  prendre  ou 
luer  de  préférence  à  tout  autre.  Tout  le  poids  de  lu 
bataille  tomba  donc  sur  lui  ;  et  comme  ils  se  pous- 
saient contre  lui  en  foule  et  avec  violence,  il  fut  jeté 
à  bas  de  son  cheval,  et  courait  risque  de  perdre  la 
vie,  lorsque  ce  chevalier,  qu'il  venait  de  délivrer 
l'ayant  aperçu,  s'écria  :  «  0  très-vaillant  comte,  il 
«  est  juste  que  je  délivre  mon  libérateur.  »  Aussitôt, 
par  un  élan  rapide,  il  fendit  la  foule  épaisse  des  enne- 
mis, remit  le  comte  en  selle  ,  et  blessa  sans  remède 
plusieurs  de  ceux  qui  s'opposaient  à  lui  ou  les  ren- 
versa pourqu'ils  fussent  foulés  aux  pieds  des  chevaux . 
Après  que  le  combat  eut  duré  pendant  près  de  la  moi- 


5^6  HENRI  HI. 

tiédu  jour,  les  Gascons  furent  mis  eu  désordre,  vain- 
cus et  enchaînés.  Dans  cette  bataille  furent  pris  cinq 
des  seigneurs  les  pluséminents  de  Gascogne.  Uuslein 
y  fut  pris  aussi  et  présenté  au  roi.  Ce  jour-là  le  comte 
triompha  glorieusement  et  n'échappa  jamais  à  un  si 
grand  péril.  Désormais  ses  ennemis  n'osèrent  plus 
grogner  contre  lui. 

L'Angleterre  est  horriblement  maltraitée  par  les 

ÉTRANGERS.  —  ENTRETIEN  DE  MATTHIEU  ParIS  ET  DE  Ro- 
GER   DE    ThDRKEBY.  —  GrANDE     CHALEUR   ET  SECHERESSE 

PENDANT   l'Été.    —  RÉFORME   DU  PAPE.  CÉLÉBRATION, 

AUPRÈS  DE  l'abbaye   DE  WaLTHEN,   d'uN  TOURNOI  APPELÉ 

TOURNOI  DE  LA  Table-Ronde. — Le  roi  d'Angleterre  se 

rend  a  SaINT-AlBANS  OU  IL  FAIT  PLUSIEURS  DONS.  —  MoRT 

de  Guillaume  de  Haverhulle.  —  Dans  le  cours  des 
mêmes  jours ,  les  ruses  multipliées  de  Satan  affli- 
gèrent de  tous  les  fléaux  le  peuple  anglais  en  général, 
barons,  chevaliers, bourgeois, marchands,  laboureurs 
et  principalement  les  religieux.  Ceux  qui  tenaient  le 
premier  rang  parmi  les  étrangers,  accablaient  leurs 
inférieurs  de  tant  d'angoisses,  les  tourmentaient  par 
tant  de  rapines  et  d'injustices,  qu'entre  tous  les 
peuples  le  peuple  anglais  paraissait  réduit  à  la  pire 
des  conditions.  Les  chevaux  des  marchands,  icui's 
chariots,  jusqu'à  leurs  derniers  moyens  de  subsis- 
tance, leur  étaient  enlevés  de  force  ;  et  on  ne  leur 
laissait  pour  les  indemniser  que  des  tailles  ou  des 
railleries;  ce  que  voyant,  quelques  Anglais,  môine 
des  plus  illustres,  mais  j'aurais  honte  de  les  nommer, 


ANNÉE  1232.  Ul 

se  disaient  en  jurant,  Hans  leur  orj^^ueil  :  «  Il  y  a 
«  maintenant  plusieurs  rois  et  tyrans  en  Angleterre  : 
«  Eh  bien  !  il  faut  régner  et  tyranniser  avec  les 
«  autres.  •  Et  par  ainsi,  ils  devenaient  plus  méchants 
que  les  autres.  Si  quelqu'un  venait  se  plaindre  d'une 
injustice  énorme  qu'on  lui  avait  faite,  par-devant  les 
Poitevins  auxquels  leurs  richesses  immenses  et  leurs 
vastes  possessions  avaient  tourné  la  tête,  et  s'avisait  de 
demander  qu'on  lui  rendît  justice  selon  la  loi  du  pays, 
les  Poitevins  lui  répondaient  :  «  Nous  n'avons  point 
«  souci  de  la  loi  du  royaume.  Qu'avons-nonsde  corn- 
«  mun  avec  les  assises  et  les  coutumes  de  ce  pays-ci?  » 
Aussi  les  indig[ènes,  mais  surtout  les  reli^^ieux^  étaien  t- 
ils  avilis  en  présence  des  étrangers  dont  quelques 
Anglais  ne  rougissaient  pas  de  suivre  les  traces.  C'est 
pourquoi;  un  jour  que  frère  Matthieu  Paris,  auteur 
de  ce  livre,  et  le  seigneur  Roger  de  Thurkeby,  che- 
valier et  homme  lettré,  mangeaient  de  bonne  amitié 
à  la  môme  table,  la  conversation  tomba  sur  ce  sujet 
lugubre,  et  comme  frère  Matthieu  racontait  les  op- 
pressions susdites,  le  chevalier  plus  haut  nommé  lui 
répondit  d'un  ton  sérieux  :  t  L'heure  est  venue,  ô 
«  religieux,  et  voici  le  temps  où  tous  ceux  qui  vous 

•  oppriment  pensent  qu'ils  rendent  service  à  Dieu. 

•  En  effet,  j'estime  que  ces  oppressions  injurieuses  et 
«  ces  vexations  ne  diffèrent  pas  beaucoup  d'une  ruii»e 
«  totale.  i>  En  entendant  ces  mots,  ledit  Matthieu  se 
remiten  mémoire  la  prophétie  suivante,  à  savoirqu'à 
la  fin  du  monde  les  hommes  n'aimeront  plus  qu'eux- 
mêmes,  sans  avoir  égard  à  l'avantage  du  prochain. 


348  HENRI  HI. 

Dans  le  cours  de  cette  môme  année,  aux  niois  d'a- 
vril, de  mai,  de  juin  et  de  juillet,  la  chaleur  et  la 
sécheresse  se  firent  sentir  d'une  manière  intolérable 
et  se  prolongèrent  sans  pluie  rafraîchissante  ou  sans 
rosée  bienfaisante.  Aussi  les  fleurs  des  arbres  qui 
promettaient  des  fruits  abondants,  se  fanaient  et  lorti- 
baient  ;  les  prairies  étaient  dépouillées  de  gazon  ;  les 
feuilles  des  plantes  se  desséchaient  ;  les  pâturages  re- 
fusaient des  aliments  aux  troupeaux  épuisés.  La  terre, 
endurcie  et  fendue  de  crevasses,  ne  pouvait,  faute 
d'humidilé,  fournir  de  sève  aux  semailles.  Les  mou- 
ches voltigeaient  en  bourdonnant  ;  les  oiseaux,  les 
ailes  pendantes  et  le   bec  ouvert ,   interrompaient 
leurs  chants  et  leurs  joyeux  concerts.  Aussi  cette 
température,  engendrant  des  chaleurs  et  des  sueurs 
brûlantes,  promettait  aux  mortels,  pour  la  saison 
d'automne,  des  maladies  chroniques  et  des  fièvres 
haletantes. 

Vers  le  même  temps,  le  seigneur  pape  accorda  aux 
dignilaires  ecclésiastiques,  qui  étaient  opprimés  outre 
mesure,  surtoutdans  les  pays  transalpins  *,  la  faculté 
de  disposer  eux-mêmes  régulièrement,  en  ayant  Dieu 
devant  les  yeux,  des  dignités  sur  lesquelles  ils  avaient 
droit  d'élection.  Or,  les  lettres  à  ce  sujet  sont  rap- 
portées au  livre  des  Add'Uamcnta  ^. 

Celte  môme  année ,  les  chevaliers ,  pour  expéri- 
menter leur  habileté  et  vaillance  au  métier  des  armes, 


*  U  faut  entendre  ici  (ransolpins  par  rn|i|)or(  h  Pltalic. 
'  Voir  à  la  fin  du  volume  l'addilion  XXlll. 


ANFlli4tn.  349 

résolurent  iinanimoment  d'essayer  leurs  forces,  non 
j)oint  dans  ce  jeu  de  lances  qu'on  appelle  communé- 
ment et  vul(][aireinent  lournoi,  mais  plutôt  dans  cette 
épreuve  de  chevalerie  qu  ou  nomme  Table  Ronde  *. 
Aussi  les  chevaliers,  tant  du  nord  que  du  midi,  et 
quelques-uns  des  pays  d'oulre-nier,  se  réunirent  en 
{jrande  et  Irès-forte  multitude  auprès  de  l'abbaye  de 
Wallhon,  à  Tocttive  de  la  Nativité  de  la  bienheureuse 
Vierge.  Ce  jour-là  et  le  lendemain,  selon  ce  qui  avait 
été  réglé  pour  ce  jeu  guerrier,  quelques  chevaliers 
anglais  joutèrent  vaillamment,  vigoureusement  et 
déleclablemeut,  au  point  d'exciter  1  admiration  de 

*  Cf  passage  et  tout  le  morceau  ne  laissent  aucun  doute  sur  la  diffé- 
rence qui  existait  entre  les  joustes  et  les  tournois.  Les  2>remières  étaient 
des  eooikats  singuliers  dont  Farmc propre  était  la  lance;  les  seconds  des 
combats  en  troupes  dont  Tarme  propre  était  IV'péeou  la  masse.  Ces  com- 
bats Je  la  Table-Uonde  onl  la  plus  grande  analogie  avec  ce  que  Tbistoire 
du  niarécbai  de  Boucicaut  appelle  joustes  à  tous  venants  grandes  etplé- 
uiéres.  Il  parait  cependant,  dit  Ducange,  qu'il  était  moins  bonorable  de 
combattre  aux  joustes  qu'aux  tournois.  On  sait  que  les  romans  de  chera- 
lerie  attribuent  l'institution  de  la  Table-Ronde  au  fabuleux  Arthur  ;  mais 
oo  en  retrouve  la  ti-ac«  jusque  chez  les  anciens  Gaulois,  au  rapport  d'A- 
tbénée  (  Atinv^^iiç.  lib.  IV  ),  et  Camden,  malgré  son  amour  pour  les  an- 
tiquités de   sa  patrie,  repousse  la  tradition  qui  voyait  la  Table-Ronde 
d'Arthur  dans  la  table  attachée  aux  murailles  du  vieux  château  de  Win- 
chester. Quoi  qu'il  en  soit,  on  peut  conjecturer  avec  vraisemblance  que  les 
cheTaliers  qui,  après  la  joute,  venaient  souper  chcx  celui  qui  faisait  la 
cérémonie  de  cet  exercice  militaire,  s'asseyaient  autour  d'une  table  ronde, 
I>our  signifier  que  tous  étaient  égaux  en  mérite,  ou  pour  éviter  toute 
dispute  de  préséance.  Le  terme  de  table  ronde  était  fort  asité  en  Angle- 
terre; et  Thomas  de  Walsingham,  dans  la  Vie  d'Edouard  III ,  rapporte 
que  ce  prince  fit  bâtir,  au  château  de  Windsor,  une  maison  dont  le  dia- 
mètre était  de  deux  cents  pieds,  à  laquelle  il  donna  le  nom  de  Table- 
Koode.  {yovi.  DlcanGB,  diM.  VU,  et  les  autorités  qv'il  cite.) 


520  HENRI  Ilf. 

tous  les  étranfyers  présents  à  ce  spectacle.  Le  qua- 
trième jour  suivant,  deux  chevaliers  très-vaillants  et 
de  grand  renom,  à  savoir  Arnauld  de  Montigny  [?]  et 
Roger  de  Lemburne,  devant  combattre  à  cheval ,  re- 
vêtus de  toutes  armes,  selon  l'usage,  montèrent 
sur  leurs  destriers,  qui  étaient  des  chevaux  d'élite 
richement  harnachés,  et  coururent  l'un  sur  l'autre 
ens'assaillantà  coups  de  lances.  MaisRoger  ayant  mis 
en  arrêt  sa  lance  dont  le  fer  n'était  point  émoussé, 
comme  cela  aurait  dû  avoir  lieu,  atteignit  Arnauld 
au-dessous  du  casque  ,  et  lui  coupa  la  gorge  avec 
la  trachée  et  les  artères  ;  car  Arnauld  était  découvert 
en  cet  endroit  et  n'avait  point  de  gorgière.  En  le 
voyant  tomber  de  cheval  à  terre  mortellement  blessé, 
Roger  futgrandement  chagriné,  à  ce  qu'on  prétendit. 
Or  le  blessé  expira  sur-le-champ.  Comme  le  mort 
était  très-vaillant  dans  les  armes  et  qu'il  ne  laissait 
pas  en  Angleterre  d'homme  qui  pût  lui  être  compa- 
ré ou  qui  vint  après  lui,  sa  mort  causa  un  grand 
deuil  et  des  gémissements  incomparables  parmi  les 
chevaliers  rassemblés  en  ce  lieu  ;  et  ainsi  ceux  qui 
étaient  arrivés  pleins  de  joie,  se  séparèrent  tout  à  coup 
avec  tous  les  signes  de  la  tristesse  et  force  lamenta- 
tions. Le  corps  du  défunt  fut  enseveli  fort  honorable- 
ment dans  l'abbaye  voisine,  à  savoir  celle  de  Wal- 
Ihen,  au  milieu  d'un  déluge  de  larmes,  et  les  sei- 
gneurs assistèrent  5  la  triste  cérémonie  avant  de  par» 
tir.  Mais  aucun  chevalier  ne  pleura  autant  la  mort 
du  défunt  que  l'auteur  de  cette  mort,  à  savoir  le  sus- 
dit Uoger,  qui  aussitôt  se  croisa  et  fit  voni  de  pèle- 


ANNÉE  ^252.  524 

rinage  pour  la  délivrance  de  lame  d'Arnauld.  Eu 
ellet,  cuiniiie  il  lut  iioloire  qu  ihnait  blessé  niôrtel- 
leiiieiit  le  susdit  Arnauld  de  Muiitigny  sans  le  vou- 
loir et  à  son  grand  regret,  on  ne  put  lui  reprocher 
cet  homicide ,  ni  Ten  accuser.  Or,  il  y  avait  dans 
celte  réunion  de  chevaliers  plusieurs  seigneurs  d'An- 
gleterre, et  entre  autres  le  comte  de  Glocester  qui, 
en  voyant  tomber  le  susdit  chevalier  Arnauld,  s'ef- 
força d'extraire  le  fragment  de  lance  de  la  gorge  du 
blessé;  il  arracha  vigoureusement  le  bois,  mais  le  fer 
resta  dans  la  plaie.  Quand  enfin  on  parvint  à  enlever 
le  fer  et  que  les  chevaliers  qui  se  trouvaient  là  purent 
l'examiner,  on  vil  qu'il  était  fort  aiguisé  a  la  pointe 
comme  un  poignard,  et  qu'il  avait  la  largeur  d'un 
couteau,  taudis  qu'il  aurait  dû  être  émoussé  d'après 
la  règle.  Ce  fer  avait  en  petit  la  forme  d'un  soc  de 
charrue  :  c'est  ce  qu'on  appelle  vulgairement  petit 
soc,  en  français  soket.  Or,  en  cette  occasion,  le  sus- 
dit Roger  de  Lemburne,  quoiqu'il  se  prétendît  in- 
nocent, fut  regardé  comme  suspect,  et  on  lui  repro- 
cha  amèrement  d'avoir  commis  traîtreusement  ce 
crime;  surtout  parce  que  ledit  Arnauld,  dans  une 
autre  joute,  avait  cassé  la  cuisse  du  susdit  Roger  de 
Lemburne.  Mais  Dieu  seul  connaît  la  vérité,  lui  qui 
scrute  les  cœui*s. 

C'mI  ainsi  que  ceui  qui  aiment  la  gloire  pour  a«quérir  une  renommée 
moodaiue sont  aLatlui  et  meurent  abattus... 

Dans  le  cours  de  cette  même  année,  à  savoir  la 
veille  de  la  fête  du  bienheureux  Barthélémy,  le  sei- 
vn.  2t 


^^  HENRI  III. 

gueur  roi  d'Angleterre  se  rendit  à  Saint-Albnns  ;  et , 
aussitôt  après  s'être  approché  dévotement  du  maîlre- 
autel  et  s'y  être  mis  eu  prières,  il  oilrit  au  martyr, 
selon  son  usage  liahituel,  un  tapis  magnifique  et 
précieux,  deux  colliers,  deux  anneaux  d'or  et  douze 
talents'  ;  et  il  voulut  que  ces  dons  fussent  affectés  spé- 
cialement à  1  ornement  de  la  châsse.  Ce  même  jour, 
Edouard,  son  fils  aîné,  offrit  au  môme  autel  un  lapis, 
et  à  l'autel  de  saint  Ampliibale  un  autre  tapis  et  deux 
colliers.  Le  seigneur  roi  ordonna  que  tout  cela  fût 
vendu  le  lendemain  ainsi  que  les  autres  présents  pré- 
cieux, et  que  le  prix  qu'on  en  tirerait  servît  à  la  gar- 
niture de  la  châsse.  Or,  le  seigneur  roi  demeura 
quinze  jours  durant  à  Saint-Alb^ns,  comme  il  avait 
fait  jadis  au  temps  de  Pâques  Tannée  qui  suivit  im- 
médiatement le  siège  de  Bedford. 

Le  jour  môme  où  le  seigneur  roi  arriva  à  Saint- 
Albans,  comme  nous  l'avojnsdit,  c'est-à-dire  la  veille 
de  la  Saint-Barthélémy,  mourut  à  Londres  Guillaume 
de  Haverhulle,  chanoine  de  Saint-Paul,  et  trésorier 
du  seigneur  roi,  qui  avait  passé  plusieurs  années  de 
sa  vie  à  servir  avec  exactitude  le  même  roi.  Au  mo- 
ment OI4  l'on  croyait  que  le  seigneur  roi  mettrait 
.lean  le  Français  à  la  place  de  Guillaume,  on  fit 
courir  le  bruit  que  le  inéineJean  était  mort  dans  un 
pays  éloigné  du  nord  de  rAnglelerre,  où  il  était  allé 
pour  plaider  contre  quelques  religieux,  et  le  sei- 
gneur roi  institua  pour  son  trésorier,  à  la  place  du 
susdit  Guillaume,  l'iidippe  Luvel,  clerc,  homme  pru- 

'  Moniinif  (l'or,  unologuc  au  lieiaiit,  Tslanl  de  Mpl  à  iiouf  soli  d'argent. 


d^nl,  éloquent  el  de  uob|e  naissance.  Cette  promo- 
lioii  eut  lieu  à  Saint-Albaus,  par  les  soins,  à  ce  qu'on 
prétend,  de  Jean  Mansel,  ami  spécial  de  Philippe. 

Epitaphe  de  Guillaume  de  UaverhuUe. 
Ci-glt  ûaillamue,  premier  trésorier  du  roi.  Et  toi  tu  pleures,  Uarer^ 
bulle,  parce  que  tu  ne  feras  pas  naître  un  second  Guillaume.  Tu  loi 
roomissais  des  mets  exquis,  tu  faisais  couler  des  vins  dignes  des  cieux. 
Que  le  Christ  désonnais  soit  sa  nourriture  et  son  aliment. 

SÉCHERESSE,  MORTALITÉ,    ÉPIZOOTIE.   —    DÉDICACE    Dfl 

L  ÉGLISE  d'Élï.  —  Mort  de  Marguerite  de  Uedviers, 

VEDVE     DE     FaLCAISE.     GrAND    PARLEMENT     TENU     i 

Londres.  —  L'évêqde  de  Lincoln  dirige  l'opposition. 

—  Le  roi  irrité   est  apaisé  par  ses  codrtisans.   — 

NOCVELLES  propositions.  RÉPONSE  DES    PRÉLATS  A  LA 

DEMANDE  DU  ROI,   —  HeNRI  111  PERSISTE  DANS  SON  PROJET. 

—  RÉPONSE    EVASIVE  DES  PRELATS.  DaUS  Ic  COUPS  de 

cette  même  année,  quand  arriva  la  saison  d'automne 
après  les  {^randes  chaleurs  de  I  été,  un  fléau  de  mor- 
talité se  jela  sur  tes  grands  troupeaux  en  plusieurs 
lieux  de  TAnyleterre,  mais  principalement  dans  le 
comlé  de  Norfolk,  dans  le  Marshland  et  dans  les  pro- 
vinces du  midi,  avec  tant  de  violence,  que  de  mé- 
moire  d'homme  on  n'avait  point  vu  pareille  morta- 
lité. Ce  quil  y  eut  de  surprenant  dans  ce  fléau,  c'est 
que  les  chiens  et  les  corbeaux  qui  se  nourrissaient 
avec  les  corps  des  troupeaux  niorts  devenaient  gon- 
flés ton  ta  coup  et  périssaient  empoisonnés;  aussi  aucun 
lioi.nme  n'osait  manger  de  la  chair  de  bœuf,  de  peur 
que  c^-tle  chair  ne  provînt  des  charognes  susclites. 
Ce  qui  était  encore  étonnant  dans  les  grands  trou- 


524  HENRI  in. 

peaux,  c'est  que  les  vaches  et  les  bouvillons  adultes 
se  mettaient  à  sucer  et  à  traire  les  pis  des  vaches 
plus  âgées,  comme  le  font  les  tout  jeunes  veaux.  Un 
autre  phénomène  merveilleux  de  cette  époque,  ce 
fut  qu'à  ce  temps  de  l'année  où  la  nature  a  coutume 
de  donner  des  poires  ou  des  pommes,  les  arbres 
paraissaient  en  fleurs,  comme  si  Ton  eût  été  au  mois 
d'avril.  Or,  la  mortalité  susdite,  l'apparition  de 
fleurs  nouvelles,  et  les  caprices  surnaturels  des  trou- 
peaux eurent  primitivement  leur  cause  dans  les  cha- 
leurs et  la  sécheresse  dont  nous  avons  parlé.  Car,  ce 
(jui  est  étonnant,  le  gazon,  même  celui  des  prés,  se 
trouvait  si  desséché,  si  aride  et  si  dur  dans  les  mois 
de  mai,  de  juin  et  de  juillet,  que  si  on  le  frottait  dans 
les  mains  il  tombaiten  poussière;  puis,  la  saison  équi- 
noxiule  ayant  ramené  la  fraîcheur  et  ayant  fait  tomber 
des  pluies  abondantes  sur  la  terre  desséchée,  la  terre 
aspira  toute  cette  humidité  par  ses  pores  entr'ouverts, 
et  devint  prodigue  de  ses  bienfaits,  en  faisant  naître 
une  herbe  abondante,  mais  hûtive  et  contre  nature. 
Les  troupeaux,  affamés  et  privés  de  pâturage,  se  je- 
tèrent sur  cette  herbe  avec  avidité,  et  obtinrent  ainsi 
un  embonpoint  subit  qui  rendit  leur  chair  inutile, 
et  arrêta  chez  eux  la  circulation  des  humeurs;  ils  ne 
faisaient  plus  que  bondir  étrangement  comme  des 
fous;  puis,  tout  à  coup  infectés  et  empoisonnés  par 
celte  nourriture  malsaine,  ils  tombaient  morts  et 
frappaient  même  les  nutres  de  contagion  :  tant  le 
fléau  était  viidcnt.  Une  semblable  cause  peut  être  as- 
signée aux  arbres  qui  fleurissaient  hors  de  la  saison. 


ANNÉE  4252.  325 

Cette  même  année ,  le  (juinze  avant  les  calendes 
iroclobre ,  à  savoir  le  jour  de  la  Saint-Lambert ,  la 
noble  église  catliédrale  d'Ély  fut  dédiée  magnifique- 
ment et  solennellement.  Hugues,  évéque  du  même 
lieu ,  amateur  magnifique  de  tout  honneur  et  de 
toute  honnêteté,  avait  construit  à  ses  propres  Irais, 
jusqu'à  achèvement  complet ,  le  presbytère  de  cette 
église,  et  outre  cela  le  clocher,  qui  se  distinguait  par 
un  travail  aussi  admirable  que  dispendieux.  Ce  même 
évoque  avait  glorieusement  édifié  dans  sacour,  àÉly, 
un  palais  royal ,  avec  appartements  et  autres  bâtiments 
et  dépendances  ,  et  ce  fut  là  que  festoyèrent  joyeuse- 
ment et  splendidement  ceux  qui  assistèrent  à  la  so- 
lennité de  cette  dédicace,  comme  nous  allons  le  dire. 
Or,  ledit  évêque  d'Ély ,  qui  depuis  longtemps  aspi- 
rait à  voir  dédier  son  église,  fui  secondé  par  les  évo- 
ques de  INorwich  eule  Landaf  dans  cet  office  de  dedi- 
cation. A  celte  solennité  assistaient  aussi  le  seigneur 
roi,  beaucoup  de  seigneurs  du  royaume  ,  des  prélats 
et  des  clercs  en  grand  nombre.  Une  indulgence  de 
plusieurs  jours  fut  octroyée  à  tous  ceux  qui  étaient 
venus  à  cette  solennité  et  qui  devaient  y  venir  plus 
tard.  Après  que  les  fêtes  spirituelles  eurent  été  glo- 
rieusement célébrées,  on  s'occupa  par  suite  des  fêles 
cor[)orelles;  et  les  logements,  tant  des  moines  eux- 
mêmes  que  de  Tévêque  et  de  ceux  qui  iiabitaient 
dans  le  bourg,  furent  remplis  de  convives;  et  Tévêque 
se  plaiijuait  encore  du  petit  nombre  de  ceux  qui 
étaient  venus,  affirmant  que  les  vivres  qu^il  avait  pré- 
parés à  cette  intention  n'avaient  pas  été  employés  en 


526  HENRI  tn. 

grande  partie.  Il  se  félicita  donc  dans  son  cœur,  avec 
les  transports  de  la  plus  vive  joie ,  de  ce  que  t)ieu 
propice  lui  avait  permis  d'atteindre  ce  jour  où  il 
voyait  heureusement  accomplis  tous  les  vœux  qu'il 
avait  formés  depuis  longtemps,  et  dont  il  avait  pré- 
paré l'exécution  :  en  sorte  que,  dans  l'allégresse  de 
sa  jubilation,  le  bienheureux  vieillard  pouvait  dire, 
avec  Simeon  :  «  C'est  maintenant.  Seigneur,  que 
vous  laisserez  mourir  en  paix  votre  serviteur,  etc.» 
Cette  môme  année,  le  six  avant  les  nones  d'octo- 
bre, mourut  la  noble  et  illustre  dame  Marguerite, 
comtesse  de  l'Isle ,  surnommée  de  lledviers,  jadis 
épouse  de  Falcaise,  ce  traître  détestable.  Or,  la  no- 
blesse avait  été  unie  à  la  vilainie,  la  piété  à  l'impiété, 
la  beauté  à  la  laideur,  et  cela  parle  tyran  Jean,  qui 
ne  craignait  de  commettre  aucune  espèce  de  forfait , 
et  qui  l'avait  livrée  de  force  et  malgré  elle.  C'est  au 
sujet  de  cette  union  qu'on  a  fait  ces  vers  assez  élé- 
gants : 

La  loi  les  unit^  ainsi  qne  Painnur  et  la  concorde  du  lit  nuptial.  Mais 
quelle  loi?  mais  quel  amour?  mais  quelle  concorde?  C'est  une  loi  sans 
loi,  ua  amour  plein  de  haine,  une  concorde  discordante. 

Or  le  doux  souvenir  de  celte  noble  dame  me  pa- 
raît mériter  d'être  perpétué  à  cause  du  fait  suivant  : 
Une  nuit  qu'elle  dormait  avec  Fulcaise,  son  époux, 
celui-ci  eut  un  songe  où  il  lui  semblait  (prune  pierre 
d'une  grosseur  énorme  se  détachait  du  clocher  de 
l'église  de  Suint-Albanb  ,  tombait  sur  lui  comme  la 
tàuére,  et  te  rédui^àil  en  poussière.  S'étanl  éveillé, 


ANNÉE  4252.  527 

il  snula  hors  du  lit,  effrayé  et  haletant  ;  et  sa  femme, 
le  voyant  tremblant  et  comme  en  délire  furieux  ,  lui 
dit  :  «  Qu'est  cela,  seijjtieur?  qu'as-tu  donc?  »  Alors 
Falcaise  :  «  J'ai  été  exposé  à  de  {jrands  périls;  mais 
«  jamais  je  n'ai  été  autant  troublé  et  effrayé  que  dans 
«  ce  songe  de  mon  sommeil.  »  El  quand  il  lui  eut 
raconté  son  rêve  eu  détail,  sa  femme  lui  répondit  : 
«  N'as-tu  pas  offensé  najjuère  grièvement  le  bienheu- 
«  reux  Albans  ,  en  souillant  de  sang  son  église,  en 
«  dépouillant  la  bourgade  de  ses  biens  ,  en  faisant 
«  souffrir  beaucoup  d'injustices  à  l'abbé  et  au  cou- 
«  vent?  Lève-toi  donc  en  toute  haie,  rends-loi  avec 
«  empressement  à  Saint-AIbans,  et  mets-toi  en  roule 
«  même  avant  le  jour.  Alors  humilie-toi  et  cherche  à 
«  te  réconcilier  au  plus  vite  avec  le  martyr,  de  peur 
«  que  la  vengeance  terrible  qui  te  menace  ne  t'é- 
«  erase.  »  Falcaise,  étant  donc  venu  de  grand  malin 
à  Saint-AIbans  (car  il  avait  couché  à  Luiton),   fit 
appeler  l'abbé  et  lui  dit  en  fléchissant  les  genoux, 
en  joignant  les   mains  et  en  versant  des  larmes  : 
«  Seigneur,  ayez  pitié  de  moi  ;  j'ai  offensé  griève- 
«  ment  le  Seigneur,  et  son  martyr,  le  bienheureux 
«Albans,    et    vous-même;   mais   à    tout    pécheur 
«  miséricorde.  Donnez-moi  la  permission  de  parler 
•  au  couvent  en  plein  chapitre,  et  de  lui  demander 
«  pardon  en  votre  présence  des  attentats  que  j  ai 
«  commis.  •  L'abbé  lui  accorda  sa  demande,  admi- 
rant dans  un  loup  la  douceur  d'une  brebis.  Ftdcaise, 
s'etanl  donc  dépouillé  de  ses  véteinenls,  el  aceoai- 
pagné   de   ses   clievalierB,   vêtus  aussi   légèrement 


32S  HENRI  III. 

que  lui,  entra  dans  le  chapitre,  portant  à  la  main  une 
baguette,  que  nous  appelons  vulgairement  balai  ', 
lit  l'aveu  de  la  faute  qu'il  avait  faite  et  commise  en 
temps  de  guerre ,  comme  il  lui  plut  de  le  dire ,  et 
reçut  sur  sa  chair  nue  des  coups  de  discipline  de 
chacun  des  frères.  Ayant  ensuite  remis  ses  habits,  il 
alla  s'asseoir  à  côté  de  l'abbé,  et  dit  publiquement  ; 
«  C'est  mon  épouse  qui  m'a  fait  faire  cela,  à  cause 
«  d'un  certain  songe;  mais  si  vous  exigez  que  ce 
«  qui  vous  a  été  enlevé  vous  soit  rendu  ,  je  n'y  con- 
«  sentirai  pas.  »  Puis  il  se  relira.  Toutefois  l'abbé  et 
le  couvent  estimèrent  que  c'était  encore  là  un  grand 
bonheur,  parce  que  désormais  il  cesserait  de  les  tour- 
menter. En  effet,  dans  les  temps  où  nous  vivons, 
celui  qui  n'est  j)as  mauvais  est  regardé  comme  excel- 
lent  :  c'est  ainsi  qu'on  litd'Astaroth  :  «  Quand  l'injuste 
cesse  de  nuire,  on  peut  trouver  qu'il  est  utile.  »  C'est 
aussi  ce  <jue  dit  l'apôtre  :  «  Le  mari  fidèle  est  sauvé 
par  la  femme  fidèle.  » 

Aux  approches  de  la  fêle  du  bienheureux  Edouard, 
que  d'ordinaire  le  seigneur  roi  avait  coutume  de 
célébrer  en  grande  compagnie  et  en  appareil  splen- 
didc,  presque  tous  les  prélats  de  l'Angleterre  entière 
se  trouvèrent  réunis  comme  convoqués  par  un  édit 


»  ttalHs  (texte  hic).  On  trouve  quelquefois  ba\ai%im.  Dut-aupe  voit 
dans  cette  expression  notre  mot  moderne  hnliii.  Le  vieux  mot  celtique 
haliien  a  le  même  sens.  Nous  peiutoiis  qu'il  s^agil  ici  d'une  bninclic  de 
Ixiulcau,  en  basse  lalinili- 6oh(ni ,  en  l.in|;uc  vul(;iiire  balaie.  Mulfjp'-  l'ii- 
naloj;ie  Apji.irenle,  le  mot  genilili-  diff/rcr  «le  houldyr  d.ins  !<•  sens  dr  \y:\- 
'•m  terminé  en  boule  (6o/«),  d'où  est  venu  le  terme  srrgcns  à  boiildijc. 


ANNÉE  4252.  529 

roytil.  En  effet,  tous  les  évêques  furent  présents  à 
celte  cérémonie ,  à  Texception  tie  l'évêque  de  Clies- 
ler,  retenu  par  le  mauvais  élal  de  sa  santé;  de  Tar- 
ciievéque  de  Cantorbéry  ,  qui ,  à  celte  époque ,  était 
dans  les  pays  d'outre- mer  avec  l'évéque  de  Hereford, 
et  de  rarchevéque  d'York ,  qui  s'absenta  pour  une 
cause  à  nous  inconnue ,  à  moins  peut-être  que  Ic- 
loignement  n'ait  motivé  son  absence. 

Le  seigneur  roi  fit  alors  donner  connaissance  à 
tous  les  assistants  réunis  d^uu  bref  papal  odieux  et 
détestable  pour  tous  les  amis  zélés  de  Tétat  :  à  savoir, 
que  le  seigneur  pape  lui  avait  conféré  pour  trois 
ans,  en  vertu  du  pouvoir  qui  lui  était  octroyé  par 
Dieu,  le  dixième  du  royaume  entier,  c'est-à-dire 
des  provenances  de  toute  Téglise  anglicane,  pour 
fournir  aux  frais  du  pèlerinage  du  roi,  en  ajoutant 
lu  clause  fort  blessante  que  voici  :  «  Non  pas  selon 
l'ancienne  estimation  des  églises,  mais  selon  une  esti- 
mation nouvelle,  sur  enquête  très-stricte,  laquelle 
devra  être  faite  à  la  volonté  et  au  gré  des  officiers  et 
des  exacteurs  royaux.»  Or,  ce  sont  gens  qui  par  leur 
astuce  procurent  à  l'église  des  dommages  inesti- 
mables et  une  servitude  perpétuelle,  et  songent  tou- 
jours, pour  commencer,  à  leui*s  propres  intérêts  ;  puis 
ensuite  à  grossir  le  trésor  royal.  Les  députés  du  roi 
cbercbèrentdoncà  insinuer  spécialemenlaux  évêques 
assemblés  qu'ils  devaient  consentira  une  pareille  et 
si  fort"  roiitrtbution,  et  exigèrent,  avec  une  adresse 
de  renard,  <|ue  non-seulement  l'argent  de  deux  ans 
lût  payé  selon  le  mandat  du  pape,  mais  encore  qu'on 


35»  HENRI  III. 

fournit,  avant  le  pèlerinage,  l'argent  de  la  troisième 
année,  quoique  cela  ne  fût  pas  contenu  dans  le  bref 
authentique  du  pape,  en  sorte  que  la  totalité  de  la 
somme  levée  dans  la  forme  prescrite  aurait  été  payée 
au  roi  avant  son  départ,  ou  que  du  moins  on  accor- 
dât au  roi  la  moitié  de  la  somme  avec  une  gratuité 
bienveillante  et  une  bienveillance  gratuite;  car  alors, 
disaient-ils,  le  seigneur  roi  dirigerait  sa  route  et  ses 
bannières  du  côté  de  TOrient.  Mais  Tévéque  de  Lin- 
coln, entre  autres,  surpris  outre  mesure  en  entendant 
des  paroles  si  empoisonnées  et  si  bien  faites  pour  la 
subversion  de  l'église,  répondit  dans  une  violente 
colère  :  «  Ob!  qu'est  cela,  par  Notre-Dame?  vous 
«  vous  appuyez  sur  des  concessions  qui  ne  vous  sont 
«  point  faites;  supposez-vous  donc  que  nous  consen- 
«  tirons  à  cette  contribution  maudite?  Loin  de  nous 
«  de  fléchir  les  genoux  devant  Baal!  »  L'élu  à  Win- 
chester reprit  alors  :  aiMonpère,  comment  pourrons- 
«  nous  résister  à  la  volonté  du  pape  et  à  celle  du 
«  roi?  Tun  nous  pousse,  l'autre  nous  tire.  Dans  une 
«  circonstance  semblable,  les  Français  ont  consenti 
«  à  cette  contribution  pour  subvenir  au  pèlerinage 
«  de  leur  roi.  Or,  ils  sont  plus  forts  que  nous  et  plus 
«  hardis  d'habitude  à  résister;  mais  nous,  quels  sont 
«  nos  moyens  de  résistance?  »  A  cela,  l'évéque  de 
Lincoln  répondit  de  nouveau  :  «  Les  Français  ont 
«  conlribué!  (Vest  pour  cela  môme  qu'il  ne  le  faut  pas 
«(  foire;  car  un  acte  doux  lois  répété  impli(jue  cou- 
»  tuine.  En  outre,  ôdoulcur!  ne  voyons-nous  pas  plus 
«  clairement  que  le  jour  quel  beau  résultat  a  obtenu 


ANNÉE  4252.  554 

M  ceiie  tyrannique  extorsion  d'argent  faite  par  le  roi 
«  deFrauce?Que  les  exemples  qui  précédent  nous  ef- 
a  frayent;  n'encourons  donc,  ni  le  roi  ni  nous,  lecour- 
«  roux  de  Dieu,  par  cette  grave  offense.  Quanta  moi, 
«  je  vous  le  dis  d'une  voix  libre,  je  m'oppose  à  celle 
«  contribution  injurieuse.  »  Aussitôt,  avec  allégresse 
et  sans  hésiter,  les  évoques  de  Londres,  de  Chicester, 
de  Worcester,  I  élu  à  Winchester  et  |)resque  tous 
lesautres  donnèrent  leur  assentiment  à  cette  décision: 
seul  l'évéque  de  Salisbury  était  flottant.  Alors  Tévêque 
de  Lincoln  ajouta  :  «  Supplions  donc  tous  noire  sei- 
«  gneurroi  de  s'inquiéter  du  salut  de  son  âme,  et  de 
«  mettre  un  frein  à  une  violence  si  téméraire.  » 

Loi*sque  tout  cela  eut  été  annoncé  au  seigneur  roi, 
par  un  rapport  tidèle,  il  entra  comme  en  fureur,  et, 
ne  pouvant  se  contenir  de  colère,  il  se  mit  à  pousser 
des  cris,  et  fit  fuir  tous  ceux  qui  étaient  dans  sa 
chambre  et  qui  redoutèrent  un  accès  de  folie.  Enfin, 
ses  courtisans  e(  ses  familiers  étant  parvenus  à  le  cal- 
mer et  à  l'adoucir,  il  fit  savoir  aux  prélats  que  ce 
n'était  pointa  titre  de  seigneur  allier,  ni  en  se  fon- 
dant sur  le  mandat  du  pape,  mais  comme  suppliant, 
comme  prêt  à  combattre  en  Terre-Sainte,  pour  Jésus- 
Christ,  comme  disposé  à  s'y  rendre  en  pèlerinage, 
pour  l'honneur  de  l'église  universelle,  qu'il  leur  de- 
mandait de  lui  accorder  libéralement  et  bénévole- 
ment un  secours  pécuniaire  convenable. 

Quand  celte  réponse  eut  été  faite  aux  prélats,  ils 
répondirent  à  leur  tour  avec  plus  de  calme  :  «  Nous 
M  croyonsindubitablemenlquesiieseigneur  pape  com- 


352  HENRI  III. 

«  prenait  en  vérité  par  combien  d'angoisses,  parcom- 

«  bien  d'exactions  fâcheuses   Téglise  anglicane  est 

«  grevée  et  opprimée,  leseigneur  roi  n^aurait  jamais 

«  obtenu  en  cour  romaine  un  semblable  bref.  Et  si 

«  nous  donnions  à  cet  égard  des  renseignements  cer- 

«  tains  au  seigneur  pape,  il  révoquerait  sur-le-champ 

«  son  acte,  sans  nul  doute,  comme  trompé  par   la 

«  suppression  de  la  vérité  et  les  suggestions  de  la 

«  fausseté;  et  cela  ne  serait  pas  étonnant.  En  effet, 

«  maintenant  le  seigneur  roi  appauvrit  son  royaume, 

«  tantôt  en  accroissant  ses  forêts,  tantôt  par  le  moyen 

«  de  ses  justiciers  en  tournée,  tantôt  par  l'invention 

«  de  nouveaux  plaids  et  par  d'autres  moyens.  Le 

«  royaume  une  fois  épuisé,  c'est  une   conséquence 

«  nécessaire  que  l'église  soit   aussi  appanvpc  et  be- 

«  soigneuse.  Que  dirons-nous   des  prélats  ,  que    le 

«  même    seigneur   roi    a   intrus    dans    de    nobles 

«  églises?  Combien  misérablement  l'archevêque  de 

«  Cantorbéry   Boniface  a  extorqué  les  biens  de  sa 

«  terre,  en  feignant  d'être  chargé  de  tant  de  dettes, 

«  qu'il   ne  pouvait  en  aucune  façon  respirer  sans 

«  l'assistance  de  l'église  anglicane  tout  entière  !  Le 

«  seigneur  roi  ne  cesse  pas  encore,  si  toutelois  il  est 

«  permis  de  rappeler  pareilles  choses,   d'employer 

«  chaque  jour  des  prétextes  nombreux  et  toujours 

«  nouveaux  pour  priver  son  royaume  et  l'église,  tant 

«  de  leur  argent  <|ue  de  huirs  libertés  anciennes  et 

«  accoutumées,  contre  son  serment  (>t  son  principal 

«  jurement.  En  outre,  cesi  déjà  une  croyance  et  un 

«  bruit  général,  «pie  le  roi  n'a  pas  eu  d'autre  inten- 


AUNÉE  4252.  555 

«  tion,  à  ce  qu'il  parait,  en  prenant  la  croix,  que 
«  (I  être  à  même  d'enlever,  parce  nouveau  prétexte, 
«  le  |>eu  d'argent  (jui  est  resté  en  Angleterre,  et  de 
"  réduire  ainsi  en  désert  le  royaume  d'Angleterre, 
«  où  coulait  le  miel  et  si  opulent  jadis;  ou  du  moins 
«  de  le  rendre  veuf  de  ses  iiabitants  nés  et  élevés  dans 
«  son  sein,  en  leur  substituant  ou  on  y  introduisant 
«  des  étrangers.  Il  y  a  longtemps,  dans  son  enfance, 
*<  alors  qu'il  venait  d'être  nommé  roi  heureusement, 
<  n  a-t-il  pas  attaché  à  son  épaule  la  croix  du  roi  Jean 
«  sou  père,  qui  s'était  aussi  croisé  à  la  même  époque? 
«I  Aussi  doit-on  craindre  que  le  seigneur  roi  actuel, 
«(  marchant  sur  les  traces  de  son  père,  n'ait  pris  la 
«  croix  de  la  même  façon  et  avec  les  mêmes  inten- 
«  tions  que  son  père  l'avait  prise;  à  savoir,  pour 
«  que  ledit  roi,  ce  dont  Dieu  nous  garde,  éloigne 
«  ses  hommes  et  écrase  ses  féaux  et  naturels  sujets. 
«  Toutefois,  quoi  qu'il  ait  fait  jusqu'ici,  de  quelques 
«  oppressions  et  afflictions  qu'il  ait  accablé  l'église 
«  anglicane  et  son  royaume  d'Angleterre,  nous  lui 
«  fournirons  encore  ce  qu'il  nous  demande,  et  nous 
«  obtempérerons  à  son  désir,  selon  notre  pouvoir, 
«  s'il  veut,  comme  il  Ta  tant  de  fois  promis,  obser- 
«  ver  inviolablement  désormais  la  charte  si  souvent 
«  stipulée  et  si  souvent  due  des  libertés  qui  nous 
«  ont  été  jurées;  et,  de  plus,  rédiger  une  autre 
«  charte,  afin  que,  sous  prétexte  de  la  faveur  que  nous 
«  lui  accordons,  il  n'exige  pas  pareille  chose  une 
«  autre  fois,  et  que  Téglise  anglicane  ne  soit  pas 
«  soumise  à  un  tribut  et  à  une  exaction  si  exécrable. 


554  mmi  ui- 

«  EnBn  nous  requérons,  que  si  Von  concède  l'argent 
«  que  le  seigneur  roi  demande  et  exige  de  nous  pré- 
«  seulement,  cet  argent  soit  levé  avec  exactitude  et 
et  Rdélité,  pour  être  distribué  utilement  dans  Tinté- 
«  rétdu  seigneur  roi,  qui  doit  partir  en  Terre-Sainte, 
«  selon  qu'il  seiid)lera  convenable  à  ses  féaux,  et 
«  avec  plus  de  prudence  qu'à  l'ordinaire,  et  que 
«  Targent  ainsi  levé  soit  remis  au  seigneur  roi.  » 

Or,  les  évêques  ajoutaient  cette  clause,  parce  que 
tous  les  trésors  que  le  seigneur  roi  avait  extorqués 
aux  Anglais  avaient  été  distribués  par  lui  aussi 
prodigieusement  que  prodigalementà  ses  ennemis  et 
à  ses  adversaires,  au  grand  dommage  du  royaume 
et  au  péril  de  ses  féaux;  comme  si  quelqu'un  de  son 
plein  gré  distribuait  ses  armes  à  ses  ennemis,  pour 
sa  propre  perte  et  ruine.  Telles  furent  les  décisions 
salutaires  prises  par  les  prélats,  fils  de  la  paix,  pour 
être  signifiées  au  roi  de  leur  part. 

Après  qu'elles  eurent  été  annoncées  au  seigneur 
roi,  au  nom  des  prélats,  et  expliquées  pleinement 
par  l'intermédiaire  de  Tévéque  de  Salisbury,  le  roi 
eut  un  accès  de  colère  plus  violent  encore,  et  jura 
horriblement,  en  ridant  son  ne/,  que  jamais,  tant 
qu'il  respirerait  un  soufjle  de  vie,  il  ne  se  soumet- 
trait ù  une  pareille  servitude,  suivant  en  cela  pas  à 
pas  les  traces  de  son  pî're.  Alors  il  leur  lit  deman- 
der de  nouveau  s'ils  voulaient  lui  répondre  aulre- 
ment  qu'en  tergiversant  ainsi.  Les  prélats,  pour  ne  | 
pas  paraître  heurter  de  front  le  roi  leur  seigneur 
par   un   refus  formel,    dirent  qu'ils  ne  pouvaient 


j 


prendre  une  détermination  pleine  el  complète  sans 
la  présence  et  I  ussenliment  <lu  seigneur  archevêque 
de  Cantorbéry,  qui  est  reconnu  pour  le  primat  de 
toule  la  Bretagne  et  pour  le  plus  excellent  de  tous  les 
prélats  d'Angleterre,  ainsi  que  sans  le  consentement 
cl  les  sages  conseils  du  seigneur  archevêque  d'York, 
qui  était  le  premier  ou  des  premiers  de  tout  le 
royaume.  Or,  I  un  se  trouvait  dans  les  pays  d'outre- 
mer, Tautre  était  absent  et  restait  dans  son  pays 
éloigné,  retenu  qu'il  était  par  des  causes  inconnues. 

Le  roi  distribue  les  revenus  vacants  a  des  gens  in- 
dignes, ENTRE  AUTRES  A  SON  BOUFFON.  —  II  CHERCHE  A 
TRIOMPHER  DE  CHACUN  DES  PRÉLATS,  DANS  DES  ENTREVUES 
PARTICULIÈRES.  —  RÉSISTANCE  DE  L  ÉVÉQUE  d'ÉlY.  — 
RÉPONSE    ÉNERGIQUE    DE    LÉLU    A   WINCHESTER.    —    LeS 

habitants  de  londres  paient  20  marcs  dor  au  roi.  — 
Nouvelle  vexation  exercée  contre  les  habitants  de 
Londres.  —  Cependant  le  roi ,  |)ersistant  dans  ses 
extravagances  ordinaires,  et  comme  pour  se  venger 
de  lopposition  qu'il  rencontrait ,  ne  cessait  pas  de 
conlérer  les  possessions  qui  échéaient  et  les  revenus 
vacants  à  des  étrangers  inconnus,  illettrés,  boulions 
«-l  tout  â  fait  indignes,  pour  blestïer  ainsi  les  cœurs  de 
ses  sujets  naturels  par  une  blessure  plus  inguérissa- 
ble. Pour  nous  laire  sur  le  reste,  nous  avons  jugé  à 
propos  d'en  insérer  dans  ce  livre  un  exemple  entre 
autres.  Geoffroi  de  Lusignan,  irère  du  roi,  avait  un 
chapelain  qui  servait  de  fou  et  de  bouffon  ridicule 
au   seigneur  roi,  au  susdit  Geolfroi ,  seigneur  du 


556  HENRI  III. 

méaie  chapelain,  et  à  toute  leur  cour,  et  qui  les 
faisait  tous  rire  par  les  sottises  qu'il  débitait , 
comme  un  jongleur  imbécile  portant  marotte*  [?]. 
Ce  fut  à  cet  homme  que  le  seigneur  roi  conféra  Topu- 
lente  église  de  Preston  ,  qui  avait  appartenu  à  Guil- 
laume de  Haverhulle ,  trésorier  du  roi ,  naguère  dé- 
funt, et  dont  les  fruits  annuels  s'élevaient  notoire- 
ment à  une  valeur  de  plus  de  cent  livres.  Or  nous 
avons  vu  ce  chapelain ,  Poitevin  de  nation  et  tout  à 
fait  ignorant  en  mœurs  et  en  science ,  poursuivre  le 
seigneur  roi ,  Geoffroi  son  frère ,  et  les  autres  sei- 
gneurs, pendant  qu'ils  se  promenaient  dans  le  verger 
de  Saint-Albans,  à  coups  de  mottes  de  gazon,  de 
cailloux  et  de  fruits  verts,  et  leur  écraser  sur  les 
yeux  des  raisins  acides  ,  comme  un  homme  privé  de 
raison.  Enfin  ce  bouffon  ,  aussi  méprisable  par  ses 
gestes,  par  ses  paroles  et  par  ses  habits,  que  par  la 
conformation  de  son  corps  et  par  sa  laideur,  devait 
être  regardé  plutôt  comme  un  histrion  que  comme 
UQ  prêtre  ,  au  grand  déshonneur  de  l'ordre  sacerdo- 
tal. Voilà  ceux  à  qui  le  seigneur  roi  confiait  et  faisait 
confier  la  garde  de  tant  de  milliers  d'anies,  au  mé- 
pris de  tant  d'hommes  lettrés  ,  discrets  et  capables, 
auxquels  l'Angleterre  avait  donné  naissance;  car 
c'est  elle  qui  apprend  sa  langue  à  ses  enfants,  et  qui 
sait  former  leur  ignorance.  Scmblablement  le  soi- 
gneur roi  conféra  inconsidérément  les  autres  béné- 


'  Jonilutoris  et  davigeri.  Les  attribut»  du  liouffon  au  moyen  âge  tU- 
l4'nniu«ut  nodr  (raducliou. 


àmtE  4252.  357 

tices  des  églises  que  le  môme  Guillaume  avait  possé- 
dés, comme  s'il  se  fût  plu  à  provoquer  la  colère  et 
la  haine  des  gens  dignes ,  en  enrichissant  des  indi- 
gnes ,  des  hommes  d'oulre-mer ,  dont  la  conduite 
désordonnée  indiquait  rinsuiiisance  et  linulilité,  et 
que  leurs  paroles  non-seulement  bouffonnes,  mais 
encore  grossières  et  obscènes,  devaient  faire  réprou- 
ver. Bfais  c^est  là  une  digression  à  uotre  sujet ,  où 
l'amertume  de  nos  soupirs  nous  a  entraîné. 

Le  roi  donc,  qui  avait  une  soif  insatiable  d'argent, 
eut  rcc(airs  à  ses  ruses  ordinaires  et  à  ses  détours  de 
renard,  et,  ne  |)ouvantvaincre  les  prélats  réunis  en  un 
avis  commun  ,  songea  à  les  vaincre  séparément ,  une 
lois  divisés.  Aussi,  lorsque  l'assemblée  eut  été  levée, 
et  a>ant  que  les  prélats  fussent  partis  de  Londres  ,  il 
lit  venir  Tévéque  d'Kly,  pour  s'entretenir secrèlemenl 
avec  lui.  Lorsque  l'évêque  se  présenta,  le  roi  se  leva 
avec  tous  les  signes  de  la  déférence  et  du  respect , 
l'appela  auprès  de  lui,  et  lui  lit  honneur  en  voulant 
que  févéque  se  plaçât  familièrement  à  ses  cotés.  Alors 
il  lui  dit  d'un  ton  humble  et  avec  un  visage  serein  : 
«  Très-cher  seigneur  évéque,  il  me  serait  difficile  de 
tt  rappeler  tous  les  bienfaits,  toutes  les  libéralités, 
«  tous  les  services  que  j'ai  souventes  fois  reçus  de 
«  vous.  En  effet,  vous  vous  êtes  rendu  volontiers  en 
«  Provence  ,  et  avez  entrepris  un  voyage  fatigant  et 
«  périlleux,  pour  me  ramener  mon  épouse  à  vos 
«  propres  frais.  De  plus,  quand  j'ai  dû  partir  pour 
«  les  pays  d'outre-mer,  vous  m'avez  fourni  maintes 
u  cl  maintes  lois,  sa  us  vous  fatiguer,  des  secours  efli- 
Yii.  22 


998  «ENRl  in. 

«  caces.  Que  dirais-je  de  plus?  Jamais  je  ji'ai  eu 
«  besoin  d'aide  que  vous  n'ayez  prévenu  ,  ou  du 
«  moins  soulagé  aussitôt  mon  indigence  par  une 
«  prompte  faveur.  Or,  maintenant  plus  que  jamais 
«  j'ai  besoin  de  votre  munificence  et  de  votre  bien- 
«  veillance  accoutumée.  En  effet,  j'ai  pris  sur  mes 
«  épaules ,  comme  votre  paternité  le  sait ,  la  croix  du 
«  Seigneur,  pour  la  porter  magnifiquement  enTerre- 
«  Sainte,  à  l'honneur  de  l'église  universelle  et  à  la 
«  prosjjérité  du  royaume.  Je  désire  donc,  et  je  de- 
ft mande  spécialement,  que  vous  qui  êtes  mon  féal  et 
«  mou  bienfaiteur,  vous  participiez  à  ce  pèlerinage. 
«  Aussi  je  vous  supplie  aussi  instamment  que  je  le 
«  puis,  de  ne  pas  négliger  de  m'aider  dans  la  néces- 
«  site  présetiie,  qui  exige  beaucoup  de  dépenses, 
«  sans  considérer  la  tiédeur  des  autres  et  pour  leur 
«  donner  un  bon  exemple.  De  mon  côté,  quand  j'en 
<t  trouverai  l'occasion ,  je  saurai  reconnaître  ce  so- 
il cours  |)ar  des  récompenses  et  des  bienfaits  plus 
<(  abondants.  »  Mais  l'évèque ,  restant  forme  dans 
celte  tentation,  répondit  à  ces  discours  captieux  en 
ganl.int  avec  modération  le  silence  sur  le  dommage 
que  lui  causait  l'inslilulion  nouvelle  do  la  foire  de 
Sainl-Kdouard  à  Westminster,  au  préjudice  de  la 
foire  de  Snint-Elhelred  :  «  Seigneur,  si  je  vous  ai 
«  jadis  rendu  service,  j'en  suis  fort  satisfait;  mais 
«  que  votre  sérénité  sache  que  je  ne  veux  ,  ni  ne 
«  puis,  en  aucune  façon,  me  détacher  ou  me  séparer 
«  des  promesses  que  rassemblée  générale  a  faites 
«  sous  condition,  et  de  la  décision  qu'elle  a  prise  eu 


ANNÉE  4252.  rfff 

«  boiui*  foi  ;  car  ce  serait  déshonorant  pour  moi.  En 
«  tilTet,  si  nous  autres  prélats  consentions  à  vos  vo- 
«  lontés  violentes,  I  église  serait  appauvrie  et  se  ver- 
<•  rait  soumise  à  un  tribut  et  à  une  servitude  perpé- 
«  tuelle,  à  la  lésion  de  la  loi  et  de  votre  serment. 
«  Rappelez,  s'il  vous  plaît,  à  votre  mémoire,  coin- 
«  ment  une  foule  de  saints  ont  subi  joyeusement 
«  l'exil  pour  la  liberté  de  la  sainte  église ,  et  sont 
«  morts  glorieusement  massacrés.  Parlerai-je  du 
«  bienheureux  Thomas,  martyr  glorieux?  Parlerai- 
«  je  de  son  bienheureux  successeur,  le  bienheureux 
«  Edmond^  noire  contemporain?  Les  exemples abon- 
«  dent  en  foule,  qui  tous  semblent  tourner  à  votre 
«  opprobre.  Lexeniple  du  roi  de  Trance ,  exemple 
«  tjue  Dit'u  vous  présente  comme  un  miroir,  devrait 

•  vous  effrayer.  N'a-t-il  pas  distribué  à  ses  ennemis, 
«  comme  prix  de  sa  rançon  ,  l'argent  qu'il  avait  ex- 
«  torque  à  son  royaume  ,  et  n'a-t-il  pas  enrichi  da- 
«  vantage,  avec  cet  argent,  nos  ennemis,  c'est-à- 
«'  dire  les  Sarrasins?  Aussi  ceux  qui  nous  poursuivent 
«  sont  plus  rapides ,  et  ceux  qui  nous  haïi^sent  se  glo- 
«  rifient  de  leur  victoire  :  bien  plus,  ils  se  réjouissent, 

•  riches  de  nos  armes  et  de  notre  argent.  C'est  pour- 
«  quoi,  quoi  que  fusse  désormais  le  roi  susdit,  ce 
«  sera  pour  lui  une  tache  inelTaçable  dans  le  passé, 

•  à  savoir  que  le  plus  noble  des  chrétiens  soit  devenu 

•  la  proie  des  Sarrasins ,   et  que  plusieurs ,  ô  dou- 

•  leur!  abandonnant  la  foi  à  cause  de  cela,  aient 
«  apostasie.  Or,  nous  imputons  tous  ces  malheurs  k 

•  la  rapine  dont  je  viens  de  parler.  » 


540  HENRI  III. 

En  entendant  ces  paroles ,  le  roi ,  frappé  comme 
d'une  blessure  profonde,  et  n'obéissant  plus  à  la 
raison,  dit  à  ses  officiers,  en  criant  d'un  ton  fu- 
rieux :  «  Jetez-moi  ce  rustre  hors  d'ici  ;  mettez-le 
«  dehors  et  fermez  la  porte ,  afin  qu'il  ne  reparaisse 
«  plus  devant  moi ,  lui  qui  me  refuse  consolation  et 
«  assistance.   »  C'est  ainsi  que  l'évéque,  qui,  à  son 
arrivée,  avait  été  accueilli  courtoisement ,  s'en  alla 
couvert  d'opprobres.  Le  roi  essaya  de  la  même  ma- 
nière de  fléchir  la  fermeté  de  quelques  autres  prélats, 
qu'il  fit  venir  aussi  à  un  entretien  secret,  et  dont, 
pour  être  plus  bref ,  nous  passons  les  ré})oiises  sons 
silence  ,  qiioitju'elles  ne  manquent  pas  de  vi}}ueur. 
Or,  par  celte  ruse,  il  tâchait  ardemment  de  vaincre 
les  esprits  des  prélats,  pour  entraîner,  par  suite,  les 
cœurs  des  seigneurs  à  consentir  à  cette  contribution  ; 
mais  la  détermination  des  seigneurs  dépendait  de 
celle  des  prélats. 

Ce  même  jour-là,  l'élu  à  Winchester  vint  trou- 
ver ïe  seigneur  roi,  son  frère,  pour  lui  dire  adieu, 
et  en  obtenir  la  permission  de  retourner  chez  lui. 
Mais  le  roi  ne  l'appela  pas  auprès  de  lui  avec  un  vi- 
sage serein  comme  il  convenait,  ni  ne  se  leva,  comme 
il  avait  coutume  de  le  faire  quand  son  frère  venait. 
L'élu  lui  dit  alors  :  «  Seigneur,  à  ce  qu'il  me  semble, 
«  l'assemblée  est  levée,  et  vous  êlos  instruit,  à  ce 
«  que  je  crois,  de  la  décision  inébranlable  des  pré- 
«  lats.  Je  n'ai  plus  qu'à  attendre  votre  congé  pour 
«  m'en  retourner  plus  tôt  que  je  ne  jjcnsais;  car  ce 
«  serait  un  souci  pour  moi  de  continuer  plus  long- 


St 


ANNÉE  4252.  941 

«  temps  mon  séjour  en  cette  ville.  Je  vous  recom- 
«  mande  au  Seigneur  Dieu.  —  Et  moi  je  te  voue  ' 
«  au  diable ,  reprit  le  roi.  Ne  devrais-tu  pas,  toi 
«  qui  es  mon  frère  utérin ,  tenir  ferme  avec  moi , 
«  quand  bien  môme  le  monde  entier  se  soulèverait 
«  conli'c  moi?  Ne  t'ai-je  pas  élevé ^  où  tu  es,  mal{;ré 
«  Dieu  et  ses  saints,  et  malgré  ceux  à  qui  Télection 
«  appartenait  de  droit?  Ne  t'ai-je  pas  tellement  com- 
«  blé  de  dignités,  que,  dans  tout  le  clergé  d'Angle- 
«  terre,  il  n'y  a  personne  qui  te  surpasse  en  riches- 
«  ses?  »  Mais  l'élu,  blessé  de  ces  paroles  offensantes, 
lui  répondit:  «  Seigneur,  je  suis  jeune  d'années; 
«  mais  pour  vous  plaire,  parce  que  vous  m'avez  fait 
*  nommer,  je  ne  veux  point  paraître  agir  en  enfant. 
«  Que  Dieu  me  garde  d'enfreindre  la  décision  de 
«  l'assemblée  générale  qui  chérit  le  Seigneur  et  votre 
«  honneur.  »  A  ces  mots,  il  se  retira  irrité  jusqu'à 
la  colère. 

Vers  le  même  temps,  le  roi  extorqua,  par  ses 
prières  impérieuses,  vingt  marcs  d'or  aux  bourgeois 
de  Londres,  qui,  selon  la  teneur  de  leurs  chartes  et 
lancienne  coutume,  devraient  jouir  d'une  pleine 
liberté;  comme  s'ils  eussent  été  des  serfs  de  la  der- 
nière condition,  de  façon  qu'ils  semblaient  pouvoir 
être  comparés,  ou  peu  s'en  faut,  aux  Juifs,  race 
servile. 

De  plus,  le  seigneur  roi  força  les  habitants  de 

*  Vivo.  ÉTidemmeBt  voveo. 

Now  Hmhu  promo vt. 


342  HENRI  HT. 

Londres  à  se  rendre,  bon  çré  malgré,  à  la  foire  qu'il 
avait  instituée  à  Westminster,  pour  la  fête  de  saint 
Edouard,  et  qui  devait  durer  quinze  jours,  au  grand 
détriment  de  la  foire  d^Ely,  et  il  exigea  que  [|)en- 
dantce  temps]  ils  fermassent  toutes  leurs  boutiques' 
à  Londres.  Ni  les  rigueurs  de  la  saison  dliiver,  ni 
la  boue,  ni  la  pluie,  ni  Tincommodité  du  lieu  ne 
l'empêchèrent  d'exiger  qu'ils  demeurassent  sous  des 
tentes.  11  leur  fallut  donc,  malgré  leur  résistance, 
mettre  en  vente  leurs  marchandises,  quoiqu'ils  ne 
trouvassent  point  d'acheteurs,  et  le  roi  ne  craignit 
pas,  en  cette  occasion,  de  s'attirer  les  imprécations 
de  tous. 

Souffrance  des  habitants  de  Londres  a  cause  du  mau- 
vais TEMPS.—  Nouvelles  venues  de  Gascogne.  —  Dis- 
cussion A  CE  sujet.  —  L'assemblée  est  levée  au  milieu 

DE  l'indignation  GÉNÉRALE.  —  IsABELLE,  COMTESSE  d'A- 

rondel,vientdemanderjusticeauroi. — Refus  de  CELUI- 
CI.  —  Paroles  courageuses  de  la  comtesse. — Nouvelle 

DISCUSSION  sur  les  AFFAIRES  DE  GASCOGNE.  —  DISSOLU- 
TION DU  PARLEMENT.  —  PLAINTES  DU  MaÎTRE  DE  l'HÔ- 
PITAL  au  ROI.  — ReGNAULD  DE  MOHUN  EST  NOMMÉ  GARDIEN 
DES  FORÊTS,   A  LA  PLACE  DE  GeOFFROI  DE  LaNGELEY.  

4  Fenestris  (tente  hic),  proprement  la  devanture  de  la  boutique  :  le 
svpplinut  viarrhdut  rspicin-  estant  eu  Votivrourr  ou  fcurstre  de 
lUtsiel  (miltlcmeure.  Oi>  trouveauisi  fcnestracominti  synonyme  de  bou- 
liijne  :  fenrsire  ou  boutirle  de  )ihtsintrs  denrées  et  marthundises.  l>e. 
terme  de  fenestriers  dési|;nait  \v»  |ji-ns  de  petit  rommcrce  :  Item  que 
nulz  feuettriers  ou  reyiatieis  ne  ptiisseut  faire  ehandelte  pour 
vendre.  (Garpemtier,  gion.  Fen§$tra,  4.) 


A1II1IÉII2S2.  94S 

RÉCITS  UB  «iMfems  Arméniens.  — Mort  df^  la  comtesse 
DE  NViNCHESTEB.  —  Aussi  reiiiiui  accablait  tant  ceux 
qui  c'iaieut  venus  à  celte  foire  que  ceux  qui  y  denaeu- 
raient.  Kn  effet,  pendant  tout  le  temps  que  la  foule, 
venue  de  tous  les  points  du  royaume,  mit  à  arriver, 
à  séjourner  à  Londres,  et  à  sen  retourner,  la  pluie 
tomba  par  torrents,  et  tous  couverts  de  boue,  mouil- 
lés, fali(;ués  et  salis,  éprouvèrent  de  grands  dom- 
mages. En  effet,  ils  trouvèrent  les  rivières  infran- 
cbissables,  les  ponts  étant  brisés  sur  les  routes,  les 
chemins  alfrcux,  la  ville  pleine  de  boue  et  dépour- 
vue de  vivres,  et  des  autres  choses  nécessaires,  et 
toutes  les  marchandises  d'une  cherté*  excessive,  au 
pointqu'ils  se  voyaient  misérablement  en  proie  à  des 
incqnvénients  dont  ils  ne  pouvaient  pas  se  tirer.  En 
outre,  la  multitude  de  la  population,  qui  arrivait 
à  Londres  et  y  demeurait,  était  si  grande,  que  les 
habitants,  même  les  plus  âgés,  assuraient  n^y  avoir 
jamais  vu  tant  de  monde.  Sur  ces  entrefaites,  comme 
on  voyait  que  le  pape  et  le  roi  se  fournissaient  faveur 
et  soutien  daus  leur  tyrannie  mutuelle,  la  colère  se 
soulevait,  la  haine  intérieure  s'accumulait,  et  la  mau- 
vaise humeur  générale  les  appelait  perturbateurs  des 
hommes,  au  point  que  cette  parole  de  Tapôtre 
|>araissait  accomplie  :  «  A  moins  que  la  scission  ne 
vienne,  le  fils  d  iniquité  ne  sera  pas  révélé.  »  En  effet, 
Texuspérulion  commune,  que  féjjlise  romaine  avail 
soulevée  contre  elle,  faisait  craindre  une  scission  ma- 
nifeste, sinon  des  corps,  au  moins  des  cœurs,  ce  qui 
Chatistiam,  dit  le  tnte. 


344  HENRI  III. 

est  pis  eucore.  et  la  dernière  étincelle  de  la  dévotion 
s'éteignait-. 

Or  le  roi,  afin  que  les  seigneurs  qui  étaient  arri- 
vés à  Londres  ne  parussent  pas  avoir  été  convoqués 
pour  rien,  fit  discuter  expressément  la  question  de 
savoir  ce  qu'il  fallait  faire  de  sa  terre  de  Gascogne , 
que  le  comte  de  Leicester  paraissait  n'avoir  pas  peu 
troublée,  au  grand  dommage  dudit  roi.  En  effet,  les 
bruits  recueillis  çà  et  là  faisaient  entendre  qu'après 
avoir  triomphé  glorieusement,  comme  il  a  été  dit, 
de  ses  ennemis  et  de  ceux  du  roi,  le  comte  s'était 
retiré  imprudemment  dans  un  certain  château  ap- 
pelé Montauban,  qui,  bien  que  paraissant  inexpu- 
gnable, était  dépourvu  d'hommes  d'armes  et  de 
toute  espèce  de  provisions.  Les  rapports  ajoutaient 
qu'il  y  avait  été  aussitôt  assiégé  par  tous  ses  ennemis 
de  la  province,  et  n'avait  été  délivré,  à  grand'peinc, 
que  par  le  secours  de  ses  féaux  qui  s'étaient  exposés 
au  péril  de  mort;  que,  de  plus,  il  avait  rendu  aux 
assiégeants  quelques-uns  des  prisonniers  qui  étaient 
tombés  n.iguère  dans  ses  fdets.  Or,  le  roi  était  dans 
un  grand  enibarras,  parce  que,  voulant  passer  la 
mer  en  j)er8onne  pour  aller  pacifier  cette  terre  si 
misérablement  troublée,  il  avait  envoyé  demander 
à  la  reine  Blanche,  par  son  clerc,  Pierre  Chaceporc, 
la  permission  de  traverser  pacifiquement  la  France, 
mais  que  cette  demande  absurde  avait  toujours  été 
suivie  d  un  refus  formel,  et  que  d'un  autre  coté  il 
n'osait  |)as  s'embarquer,  6  cause  des  dangers  de  la 
roule  de  nier,  dangers  qu'il  connaissait  par  expé- 


ANNÉE  4252.  543 

rieuco,  surtout  quand  l'hiver,  qui  était  proche,  nie- 
iiaçail  (le  multiplier  les  tempèles.  Pendant  que  ces 
considerations  faisaient  naître  dans  tous  les  esprits 
des  pensées  diverees,  le  roi,  à  la  fin  de  son  discours, 
reprit  des  forces  pour  demander  très-instamment 
qu'on  lui  fournît  une  aide  pécuniaire  et  militaire 
dans  son  prochain  pèlerinage,  où  il  allait  servir  le 
Christ  pour  le  salut  commun.  Tous  répondirent 
unanimement  à  cela  que  leur  réponse  dépendait  de 
la  réponse  des  prélats,  et  qu  ils  ne  voulaient  pas  s'é- 
carter et  se  séparer  de  la  décision  prise  par  ces  der- 
niers. Et  se  regardant  mutuellement,  ils  se  disaient 
tout  bas  à  Toreille,  les  uns  aux  autres  :  «  Quelle  espé- 
«  rance  raisonnable  ce  roitelet,  qui  n'entend  rien  au 

•  métier  de  chevalerie,  qui  n'a  jamais,  dans  un 

•  combat  guerrier,  gouverné  un  cheval ,  tiré  une 
«  épée,  brandi   une  lance,  ou  soulevé  un  bouclier, 

■  peut-il  concevoir  de  triompher  là  où  a  été  pris  le 
«  roi  de  France,  et  où  a  succombé  la  chevalerie 
«  françai.se?  Quelle  est  donc  cette  téméraire  con- 

•  fiance  qu  il  a  de  conquérir  puissamment  les  pro- 

■  viuces  d'outre-mer,  qu'il  n'a  pas  même  su  conser- 

■  verquand  il  les  possédait?  »  Alors  ils  retournèrent 
dans  leurs  logis,  ne  lui  épargnant  pas  des  injures 
pleines  d'indignation,  et  assurant  que  cet  homme 
n'était  né  que  pour  tirer  de  l'argent,  vider  leurs 
coffres,  et  les  endetter  toujours  davantage. 

La  séance  ayant  donc  été  levée  au  milieu  de  l'in- 
dignation du  roi ,  du  clergé  et  des  seigneurs,  le  roi 
«'nta&>H  <ltnis  bon  ca>ur  la  colère  et  la  haine,  croyant 


346!  HENRI  111. 

que  toutes  ces  actious  et  toutes  ces  paroles,  dictées  par 
un  sentiment  de  malveillance  et  de  haine  contre  lui, 
lui  donnaient  sujet  de  mal  agir  à  son  tour.  Aussi,  de- 
venu incorrigible,  se  proposa-t-il   de  tourner  tout 
autour  du  projet  qu'il  avait  conçu,  jusqu'à  ce  qu'il 
trouvât  l'occasion  favorable  de  le  mettre  à  exécution. 
Vers  le  même  temps,  pendant  que  le  seigneur  roi 
prolongeait  son  séjour  à  Londres,  Isabelle,  comtesse 
d'Arondel,  veuve  du  comte  d'Arondel  Hugues,  et  cou- 
sine du  même  roi,  se  présenta  à  lui,  dans  sa  chambre, 
pour  obtenir  une  audience  avantageuse,  au  sujet  du 
droit  qu'elle  possédait  sur  une  certaine  garde.  Le  roi 
lui  montra  d'abord  un  visage  serein,  mais  bientôt  la 
rudoya  par  de  dures  paroles  ,  et  refusa  d'écouter  fa- 
vorablement une  seule  des  demandes  de  la  comtesse; 
car  le  roi  revendiquait  pour  lui  la  garde  '  de  la  même 
garde ,  à  raison  d'une  petite  portion  de  cette  garde 
qui  appartenait  audit  roi.  Aussi  la  comtesse,  toute 
femme  qu'elle  était,  répondit  avec  une  intrépidité 
digne  d'un  homme  :  «  0  seigneur  roi,  pourquoi  dé- 
«  tournes-tu  ta  face  de  la  justice?  Déjà  on  ne  peut 
«  obtenir  dans  ta  cour  ce  qui  est  juste.  Tu  es  établi 
M  comme  médiateur  entre  le  Seigneur  ot  nous,  mais 
«  tu  ne  gouvernes  sainement  ni  nous  ni  toi-même, 
«  et  tu  n'as  pas  craint  de  troubler  maintes  fois  l'église, 
«  comme  elle  Ta  éprouvé  non-seulement  présente- 
«(  ment,  mais  encore  depuis  longtemps.  Déplus,  tu 
«  ne  redoutes  ni  ne  rougis  d'opprimer  sous  toute 

*  Cujuidam.  Non»  liinu  cjusdem. 


ANNÉE  4252.  347 

«  espère  de  prétextes  les  nobles  du  royaume.  »  En 
entendant  ces  paroles,  le  roi  se  mil  à  rider  son  nez 
et  à  se  moquer;  puis  il  dit,  en  élevant  la  voix  :  «  Qu'est 
'.  cela,  dame  comtesse?  les  seigneurs  d'Angleterre 

•  (ont-ils  fait  une  charte  et  sont-ils  convenus  avec  toi 
"  que  lu  leur  servirais  d'avocat  et  d'interprète ,  loi 
i<  qui  parles  si  bien?  »  Alors,  la  comtesse,  toute  jeune 
qu'elle  était,  lui  répondit  avec  une  mûre  sagesse  : 
«  îNullement,  seigneur;  les  grands  de  ton  royaume 
«  ne  m'ont  point  donné  de  charte  ;  mais  c'est  bien 
«  toi  qui  en  as  octroyé  une,  celle  qu'avait  rédigée  ton 

•  père,  qui  as  juré  de  1  observer  fidèlement  et  irréfra- 
«  gablement,  qui  as  maintes  fois  extorqué  de  l'argent 
«  à  teB  féaux,  en  promettant  de  l'observer  et  de  main- 
u  tenir  leurs  libertés,  tandis  que  toujours  tu  t'es  mon- 
»  tré  le  transgresseur  impudenl  de  ces  libertés.  Où 
«  sont  les  libertés  d  Angleterre,  lantde  fois  mises  en 
«  écrit,  tant  de  fois  octroyées,  tant  defois  rachetées? 
«  Aussi,  tons  les  indigènes,  tous  tes  sujets  naturels, 
a  tous  tes  féaux,  et  moi  qui  ne  suis  qu'une  femme  , 

•  nous  en  appelons  contre  toi  au  tribunal  du  juge 
«  terrible.  Le  ciel  et  la  terre  porteront  témoignage 
«  pour  nous,  parce  que  tu  nous  traites  par  trop  injus- 

•  teraent,  malgré  notre  innocence  ;  que  le  Seigneur 
■  Dieu  des  vengeances  nous  venge.  »  A  ces  mots,  le 
roi ,  couvert  de  confusion,  garda  le  silence,  parce 
qu'il  savait,  par  le  témoignage  de  sa  propre  con- 
science ,  que  la  comtesse  ne  s  écartait  pas  du  sentier 
de  la  vérité  ;  puis  il  dit  :  «  Ne  me  demandes-tu  pas  une 
«  grèce ,  parce  que  tu  et  sia  cousine  ?  »  Mais  elle  : 


548  HENRI  III. 

«  Depuis  que  tu  m'as  dénié  ce  que  le  droit  demande, 
«  comment  puis-je  espérer  que  tu  voudrais  accorder 
«  une  faveur  à  mes  prières?  Mais  j'en  appelle  devant 
«  la  face  du  Christ  contre  ceux  qui  te  servent  de  con- 
«  seillers,  qui  te  fascinent  et  te  montent  la  léte,  et 
«  qui  te  détournent  du  chemin  de  la  vérité ,  n^ayant 
«  seulement  en  vue  que  leurs  propres  intérêts.»  Le  roi 
ne  put  rien  répondre  à  cette  réprimande  polie.  Alors  la 
comtesse,  sans  avoir  reçu  ni  demandé  son  congé,  re- 
tourna chez  elle,  après  avoir  envainsuhi  de  grandes 
fatigues  et  fait  des  frais  coûteux.  Quant  au  roi,  persévé- 
ranldans  son  obstination  incorrigible,  il  ne  fut  rame- 
né ni  par  ces  paroles  ni  par  d'autres  conseils  sa!  u  taires. 
Le  seigneur  roi,  ayant  donc  convoqué  de  nouveau 
ses  seigneurs,  qui,  comme  nous  l'avons  déjà  dit, 
avaient  résisté  à  ses  premières  exigences  ,  leur  de- 
manda ce  qu'il  fallait  faire  relativement  à  la  Gascogne. 
Les  seigneurs  lui  répondirent  :  «  Que  le  comte  de 
«  Leicester  Simon  ait  cherché  à  dompter  les  re- 
ft belles  envers  le  roi ,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  élon- 
«  ner  ni  de  s'en  affliger,  surtout  parce  que  ces  Gas- 
«  cons  sont  gens  mal  famés  qui  t'ont  trahi ,  toi  leur 
«  seigneur,  quand  tu  te  réfugiais  vers  eux  avec  con- 
«  fiance,  et  qui  t'ont  ap[)auvri  par  tous  les  moyens 
«  possibles.  Ce  qui  a  fait  quo  tu  es  revenu  de  là  sans 
«  gloire  et  pauvre,  au  dommage  et  à  l'opprobre  de 
«  tous  les  Anglais.  En  outre,  la  plupart  des  (îascons 
«  sont  des  brigands  et  des  larrons,  qui  dv|)ouillent 
«  sur  les  routes  les  pèlerins  et  les  marchands  ,  et  qui 
«  trouvent  un  refuge  daus  une  ancienne  caverne  de 


ANNÉE  4252.  549 

«  vuleui*$,  à  Ai{{remont ,  au  milieu  de  montagnes 
•  inaccessibles  qu'ils  ont  encore  fortifiées  par  desre- 
«  tranchenienls.  H  ne  s'en  faut  plus  que  de  quelques 
«  années,  à  savoir  de  trois  et  demie  ,  pour  que  le 
«  comte,  aux  termes  de  ta  charte ,  arrive  à  la  lin  du 
«  temps  de  son  gouvernement  dans  cette  province. 
«  Aussi  bien,  nous  ne  sommes  pas  pleinement  in- 
«  slruits  du  dernier  état  des  choses,  puisque  nous 
«  sommes  séparés  de  la  Gascogne  par  un  vaste  in- 
«  tervalle  de  terre  et  de  mer;  et  nous  ne  pouvons 
«  répondre  d'une  manière  certaine  sur  ce  qui  estin- 
M  certain  pour  nous.  »  Mais  il  déplut  fort  au  roi  que 
les  soigneurs,  en  excusant  ainsi  le  comte,  seinblni- 
sent  le  condamner  lui-même  :  car  il  se  proposait 
d'en  agir  plus  durement  encore  avec  lui ,  de  le  faire 
déclarer  traître,  juger  comme  tel  et  priver  de  son 
héritage.  Ce  que  le  comte,  tout  éloigné  qu'il  était, 
n'ignorait  nullement.  Aussi  répondit-il  à  ceux  qui 
lui  rapportaient  cette  nouvelle  :  «  Je  sais  fort  bien 
«  qu'il  voudrait  me  dépouiller  pour  enrichir  de  mon 
«  comté  quelque  homme  de  Provence  ou  de  Poitou.  » 
L'assemblée  lut  donc  rompue,  non  sans  que  le  roi 
ne  gardât  une  rancune  violente,  tant  aux  seigneurs 
quaux  prélats,  et  il  songea  à  appeler  un  légat  qui 
forçât  leclerjje,  en  vertu  de  l'autorité  apostolique,  à 
fournir  la  contribution  qu'il  demandait ,  bien  que  ce 
dût  être  uu  lourd  tribut  et  une  servitude  nouvelle  et 
intolérable  pour  Téglise.  C'est  ainsi  que  les  maux 
menaçaient  de  s'accunmler  aux  maux.  Les  prélats  et 
les  seigneurs,  ayant  donc  engraissé  les  Caursins,  les 


SSO  HENRI  HI. 

juifs  et  les  autres  prêteurs  d'argent ,  se  retirèreut  les 
coffres  vides,  fort  chagrins  et  fort  besoigoeux. 

Vers  le  même  temps ,  le  maître  de  THôpital  de 
Jérusalem,  séant  eu  la  maison  deClerkenwell,  et  qui 
avait  attendu  en  paix  qu'il  trouvât  un  moment  de 
loisir  favorable  pour  s'entretenir  avec  le  roi ,  vint  se 
plaindre  à  lui  d'une  injure  manifeste  qu'il  avait  souf- 
ferte, et  lui  présenta  des  chartes  de  protection  sit^nées 
par  les  rois  ses  prédécesseurs  et  par  lui-même.  Alors 
le  roi,  élevant  la  voix,  répondit  avec  colère,  après 
avoir  prononcé  son  grand  juron  :  «  Vous  autres  pré- 
«  lats  et  religieux ,  et  vous  surtout,  Templierset  Hos- 
«  pitaliers,  vous  avez  tant  de  libertés  et  de  chartes, 
«  que  vos  possessions  superllues  vous  rendent  or- 
«  gueilleux  ,  et  que  cet  orgueil  vous  mène  à  la  folie. 
«  11  faut  donc  révoquer  prudemment  ce  qui  a  été 
«  octroyé  imprudemment,  et  réunir  avec  sagesse  ce 
«  qui  a  été  inconsidérément  dispersé.  »  Puis  il  ajouta  : 
«  Est-ce  que  le  seigneur  pape  ne  revient  pas  parfois 
«  et  même  maintes  fois  sur  ses  actes?  Ne  casse-t-il 
«  pas  des  chartes  précédemment  accordées  en  y  mct- 
«  tant  une  barrière  par  la  clause  nonosbtant?  De 
«  môme,  moi  aussi,  je  briserai  cette  charte  et  les 
«  autres  chartes  (pie  mes  prédécesseurs  et  moi  avons 
a  témérairement  accordées.  »  Mais  le  maître  de 
THôpital,  que  Ton  appelle  prieur,  ne  craignit  pas 
de  lui  répondre  en  relevant  la  tête  :  «  Qu'est  cela? 
«que  dis-tu,  seigneur  roi?  Dieu  nous  garde  que 
«  cette  parole  outrageante  et  absurde  soit  répétée  par 
«  ta  bouche.  Tant  que  lu  observeras  la  justice,  tu 


ANNé£  4i52.  SM 

<«  pourras  être  roi ,  et  tu  cesseras  d«  l'être  aussitôt 
«  que  tu  la  violeras.  »  Aussitôt  le  roi  l'eprit  sans  me- 
surer ses  paroles:  •  Que  voulez-vous  «lire  par  là, 
«  vous  auli*es  Anglais?  Avez-vous  I  intention  de  me 
«  précipiter  du  trône,  comme  vous  avez  fait  jadis  à 
«  mon  père,  et  de  me  tuer  après  m'avoir  délrôné?i 

Vers  le  même  temps,  Gfollroi  de  Lanjjeley,  che- 
valier, qui  avait  opprimé  oulre  mesure  ceux  qu'il  avait 
pu  faire  tomber  dans  ses  piéjjes,  perdit  la  garde  des 
forêts,  et  fut  envoyé  en  Ecosse  pour  faire  jMirlie  du 
couseil  de  la  reine  d'Ecosse,  iille  du  seigneur  roi.  Sa 
destitution  et  son  éloignement  comblèrent  de  joie  un 
grand  nombre  d'Anglais.  Le  seigneur  Regnauld  de 
Moliun  fut  mis  à  sa  place. 

Le  même  Geoffroi,  par  ordre  du  roi  d'Angleterre, 
fut  donc  établi  Tun  des  gardiens  de  la  reine  d  Ecosse  ; 
mais  les  seigneurs  d  Ecosse  ne  voulurent  pas  tolérer 
plus  longtemps  ses  violences ,  et  le  privèrent  de  sa 
rliarge.  Alors  il  s  attacha  au  service  d'ÉtIouard  ,  et 
duns  cette  nouvelle  fonction  suscita  beaucoup  d'en- 
nemis ,  tant  au  seigneur  roi  qu'à  Edouard.  Ce  Geof- 
froi avait  été  nourri  par  Hobert  Passelèvc,  à  qui  il 
devait  son  avancement;  mais  le  nourrisson  supplanta 
le  nourricier,  et,  une  bus  en  haul,  renversa  celui  qui 
Tavait  élevé. 

A  la  même  époque,  quelques  Arméniens,  dont 
I  un  était  le  frère  de  ce  saint  homme  qui  mourut  à 
Saint  Yves  ,  et  dont  il  a  été  question  plus  haut ,  vin- 
rent à  Saint-Albans  pour  y  prier.  En  effet,  la  pâleur 
de  Ifurs  visages,  la  longueur  de  leurs  barbes,  Taus- 


552  HENRI  III. 

térjtéde  leur  vie,  ténioigDaient  de  leur  sainteté  et  de 
leurs  mœurs  sévères.  Or  ces  Arméniens,  qui  parais- 
saient gens  dignes  de  foi,  répondirent  véridiquement 
aux  questions  qui  leur  furent  faites;  à  savoir  que ,  par 
la  vengeance  de  Dieu  plutôt  que  par  celle  des  hommes, 
les  Tartares  avaient  été  affaiblis,  massacrés ,  vaincus, 
et  forcés  de  retourner  dans  leurs  premières  demeures, 
tant  par  la  division  sanglante  qui  s'était  mise  entre 
eux ,  que  par  les  glaives  de  leurs  adversaires.  Or  les 
Occidentaux  peuvent  être  sûrs  que  jamais  extermina- 
tion plus  formidable  ne  menaça  le  monde.  Us  assu- 
raient de  plus  savoir,  à  n'en  pas  douter,  que  ce  Jo- 
seph, qui  avait  vu  le  Christ  sur  le  point  dêlre  crucifié, 
et  qui  attendait  le  jour  où  il  doit  nous  juger  tous,  vi- 
vait encore  selon  son  habitude  :  et  c'est  là  une  des 
choses  merveilleuses  de  ce  monde  et  une  grande 
preuve  de  la  foi  chrétienne.  La  terre  des  mêmes  Ar- 
méniens est  éloignée  de  Jérusalem ,  à  ce  qu'ils  disent , 
de  trente  journées  de  marche,  et  les  extrémités  de 
leur  pays  touclient  aux  premières  contrées  do  l'Inde, 
qui  a  été  dévastée  en  grande  partie  par  les  Tartares. 
11  faut  savoir  que  l'arche  de  Noé  sost  arrêtée  duns 
cette  Arménie,  ainsi  qu'il  est  écrit:  et  ce  (|u'il  y  a 
d'admirable,  c'est  qu'elle  subsiste  encore;  mais 
comme  elle  est  placée  sur  le  sommet  de  deux  mon- 
tagnes très-éicvées,  où  habitentune  mullilr-dc  de  ser- 
pents venimeux  et  de  dragons,  personne  ne  pentar- 
river  jusqu'à  elle.  Or  c'est  Dieu  qui  le  veut,  alin  que 
les  hommes,  ne  parvenant  pas  jusqu'à  l'arche,  ne 
lu  mettent  pas  en  pièces  pour  en  emporter  des  uior- 


ANNÉE  ^252.  555 

ceaux ,  et  qu'en  restant  ainsi  indestructible  par  la 
clémence  de  Dieu,  elle  perpétue  dans  la  mémoire  des 
hommes  le  souvenir  de  l'extermination  générale  du 
monde  et  du  sacrifice  expialoire  qui  l'a  suivie. 

Vers  le  même  temps  ,  non  loin  de  Leicester,  à 
Grobi ,  manoir  du  comte  de  Winchester,  mourut  la 
comtesse,  femme  du  même  comte,  encore  dans  la 
première  jeunesse.  De  cette  femme,  fille  du  comte 
d'Héreford,  le  même  comte  n'avait  pas  eu  d'enfant. 
De  même,  sa  première  épouse  précédemment  morte, 
fille  d'Alain  de  Galloway,  ne  lui  avait  pas  donné  de 
postérité ,  si  ce  n'est  une  postérité  féminine.  Or,  la 
susdite  comtesse,  dont  il  a  d'abord  été  question, 
mourut  le  ^5  avaut  les  calendes  de  novembre,  et  fut 
enterrée  à  Brakley  où  l'autre  épouse  du  même  comte 
avait  été  aussi  ensevelie  ;  car  cette  maison  avait  été 
fondée  par  les  anciens  comtes  de  Winchester.  C'est 
à  cause  de  tous  ces  motifs  que  le  même  comte  choisit 
Brakley  pour  le  lieu  de  sa  sépulture.  Et  sans  tarder 
il  épousa  une  autre  femme,  espérant  encore  mériter 
du  Seigneur  la  faveur  de  procréer  un  fils. 

Les   chrétiens  prisonniers  sont  helacués  par  le 

SOUDAN    DE   BaBYLONE.  —  LeS    OSSEMENTS   DE  GUILLAUME 
LoNCL'E-EpÉE  SONT  APPORTÉS  A  AcRE.  —  GUILLAUME  DE 

Valence  et  Geoffkoi  de  Lusignan  insultent  et  mal- 
traitent LES  serviteurs  DE  l'ÉVÊQUE  d'ÉlY  ET  DE  l'aBBÉ 

DE  Saint- Albans.  —  Accusation  portée  contre  Robert 

DE  LA  Ho.  —  Le  procurateur  des  évoques  d'Angleterre 

fait  be&trcindre  le  droit  de  irocir\tion  de  l'arche- 

vu.  25 


554  HENRI  III. 

vÊQCE.  —  Vers  le  même  temps,  les  messagers  du  roi 
de  France  parcourant  librement,  avec  la  permission 
du  Soudan,  toute  Tétendue  de  la  terre  soumise  au 
Soudan  de  Babylone ,  recherchèrent  en  quels  lieux 
étaient  incarcérés  les  chrétiens.  Ceux  qui  se  trou- 
vaient entre  les  mains  dudit  Soudan  furent  relâchés 
et  mis  en  liberté.  Ceux  qui  étaient  prisonniers  d^au- 
tres  Sarrasins,  lesquels  avaient  le  soudan  pour  sei- 
gneur, furent  délivrés  sous  de  légères  conditions.  Or, 
le  très-pieux  roi  de  France  fournit  abondamment  à 
leurs  rançons  sur  ses  aumônes. 

Un  jour  le  soudan  de  Babylone  dit  aux  messagers 
qui  avaient  été  envoyés  à  cet  effet  :  «  Je  m'étonne 
«  que  vous  autres  chrétiens ,  qui  vénérez  les  osse- 
«  ments  des  morts,  vous  ne  vous  inquiétiez  pas  des 
«  ossements  du  très-illustre  et  très-noble  Guillaume 
«  à  qui  vous  donnez  le  surnom  de  Longue-Épée. 
«  Or,  on  nous  raconte  à  nous  et  à  d'autres,  au  sujet 
«  de  ces  ossements,  des  choses  surprenantes,  peut- 
«  être  ne  sont-ce  que  des  bagatelles  ;  à  savoir  que 
«  dans  les  ténèbres  de  la  nuit,  des  visions  apparais- 
«  sent  sur  sa  tombe,  et  que  ceux  qui  y  ont  invoqué 
«  le  Dieu  du  susdit  Guillaume,  ont  éprouvé  une  foule 
«  de  bienfaits  célestes.  C'est  pourquoi  nous  avons 
«I  fuit  ensevelir  honorablement  le  corps  de  ce  guer- 
«  ricrtué  dans  la  guerre,  à  cause  de  rexcellence  de 
«  son  courage  et  de  l'illustration  de  sa  naissance.  » 
Alors  les  messagers,  se  parlant  les  uns  aux  autres, 
dirent:  «  Comment  pouvons-nous  être  les  délrac- 
M  leur»  de  <'et  Anglais,  puisque  les  Sarrasins  eux- 


ANNEE  4232.  5S5 

A  mêmes  ne  peuvent  nier  la  noblesse  dudit  Guii- 
«  laume  ?  »  C'est  pourquoi  ils  demandèrentqu'on  leur 
donnât  ses  os,  ee  que  le  Soudan  leur  accorda  volontiers. 
Les  messagers  traînant  donc  avec  eux  une  multitude 
d'esclaves  délivrés,  et  rapportant  aussi  les  os  dudit 
Guillaume,  re\inrent  à  Acre,  et  les  ossements  sus- 
dits furent  ensevelis  avec  respect  dans  l'église  de  la 
Sainte-Croix. 

A  la  même  époque,  Guillaume  de  Valence,  fi*ère 
utérin  du  roi,  partit  de  sa  maison  qui  est  dans  le 
château  d'Hartfurd,  et  malgré  Tédit  du  seigneur  roi, 
promulgué  récemment  sur  l'avis  commun  du  par- 
lement, pénétra  violemment  dans  les  bois  réservés  de 
Tévêque  d'Ély  (ce  qu'on  appelle  vulgairement  parc) 
auprès  de  son  manoir  de  Hatfeld,  et  là  se  mit  à 
chasser  sans  la  permission  de  personne,  contre  la  loi 
de  l'état  et  contre  l'honneur  de  courtoisie.  Cela  fait, 
il  se  dirigea  vers  le  manoir  dudit  évéque.  Mais  comme 
il  avait  soif  et  qu  il  n'y  trouvait  à  boire  que  de  la  cer- 
voise,  il  brisa  violemment  avec  grand  tumulle  les  portes 
du  cellier  qui  étaient  fortes  et  barricadées,  en  faisant 
un  bruit  affreux  et  malhonnête,  en  jurant,  en  mau- 
dissant la  cervoise  et  tous  ceux  qui  l'avaient  brassée, 
fit  arracher  les  robinets  des  tonneaux,  et  répandit  à 
grands  flots  un  vin  exquis;  puis,  après  en  iivoir  bu 
à  sa  sufii^ance,  il  ordonna  qu'on  en  distribuai,  sans 
aucun  respect,  h  ses  garçons  et  à  tous  ceux  qui  en 
voulurent,  comme  si  c'eût  été  de  l'eau  ou  la  plus  mé- 
chante des  cer\olses.  Cependant,  en  enteniianl  le  tu- 
multe que  causaient  les  coups  de  maillets  qui  ser- 


556  nETNRI  W. 

vaienl  à  briser  les  portes,  et  les  clameurs  poussées 
par  ces  effraeteurs,  le  serfjent  du  manoir  accourut 
pour  réprimer  leurs  violences  et  pour  leur  tlislrihuer 
de  bon  gré  autant  de  \in  qu'ils  voudraient;  mais 
accueilli  par  des  huées  et  par  des  outrages,  il  n'é- 
chappa qu'à  grand'peine  aux  mains  violentes  de  ces 
furieux.  Lorsque  tous  se  furent  enivrés  jusqu'à  en 
voipir,  ils  s'en  allèrent  avec  force  railleries  et  éclats 
de  rire,  laissant  le  vin  se  perdre  et  se  répandre,  et 
sans  se  soucier  de  boucher  ou  non  les  tonneaux  avec 
les  robinets.  Après  leur  départ,  le  serviteur  qu'on 
appelle  le  sergent  du  manoir,  s'approcha  et  trouva 
les  portes  brisées  comme  si  elles  eussent  été  enfon- 
cées à  la  guerre,  et  le  vin  coulant  abondamment  sur 
le  pavé  du  cellier.  Il  se  hâta  donc  de  faire  boucher 
les  tonneaux  et  réparer  les  portes.  Quand  cette  vio- 
lence eut  été  annoncée  à  l'éveque,  il  répondit  en  pal- 
liant sous  un  visage  serein  la  douleur  qu'il  ressen- 
tait de  cette  injure  :  «  Qu'était-il  nécessaire  de  piller 
«  et  de  voler  ce  qu'on  leur  eût  distribué  de  bonne 
«  grâce,  civilement  et  abondamment,  s'ils  l'eussent 
«  demandé?  Maudits  soient  donc  tous  ces  rois  ou 
«  plutôt  tous  ces  tyrans  dans  un  seul  royaume  !  »  Or, 
il  est  constant  qu'un  envahisseur  si  violent  et  si  im- 
pudent des  biens  ecclésiastiques  était  tombé  de  fait 
dans  les  liens  de  la  sentence  d'excommunidîlion. 

Le  troisième  jour  suivant,  Geoflroi  de  Lusignan, 
frère  du  susdit  Guillaume,  se  proposant  d'aller  loger 
h  Saint- Albans  dans  le  monastère,  fit  prendre  les  de- 
vants à  son  maréchal  pour  nller  annoncer  son  nrri- 


ANNEE  4252.  557 

vée.  Lorsque  cet  ollicier  lut  arrivé  à  la  porlc  de  la 
cour  du  monastère,  il  se  mit  à  dire  sans  saluer  le 
portier  :  «  Voici  venir  mon  seigneur  qui  est  proche 
«  et  qui  veut  loger  ici.  Où  coucliera-t-il?  —  Où  il 
«  lui  plaira,  »  reprit  le  portier.  Alors  le  maréchal  : 
«  Il  ne  couchera  pas  ailleurs  que  dans  le  palais  royal, 
«  qu  on  appelle  rbôlel  du  roi,  car  il  est  issu  desan^; 
«  royal.  —Qu'il  en  soit  ainsi,  seijjneur,  dit  le  por- 
«  tier;  toutefois  la  coutume  chez  nous  est  que  ceux 
«  qui  veulent  loger  ici,  demandent  Thospitalité 
«  comme  un  don  charitable  et  non  impérieusement; 
«  car  celle  maison-ci  est  une  maison  de  charité.  » 
Mais  le  maréchal,  regardant  le  portier  de  travers  et 
avec  un  œil  irrité,  s'écria  :  «  Quelles  bagatelles  nous 
«  contes-tu  là?  Où  est  la  marescliaucie  pour  faire  re- 
«  poser  nos  chevaux?  »  On  lui  montra  alors  un  vaste 
logis  qui  servait  d'écurie ,  et  où  trois  cents  chevaux 
environ  pouvaient  se  reposer  à  l'aise.  Or,  ce  jour-là 
étaient  venus  à  Saint-Albans  des  hommes  de  bien 
tant  religieux  que  séculiers  qui  y  avaient  reyu  l'hos- 
pitalité après  avoir  été  restaurés,  et  dont  les  chevaux 
étaient  couchés  après  avoir  reçu  leur  nourriture, 
lorsque  le  maréchal  susdit,  entrant  arrogamment 
dans  récurie,  s'emporta  violennnent  en  voyant  les^ 
lieux  occupés  par  les  chevaux  et  les  palefreniers. 
Aussitôt  il  s'élança,  brisa  les  licous,  fit  fuir  par  «es 
menaces  orgueilleuses  les  palefreniers  aussi  bien  que 
les  chevaux,  et  ne  leur  permit  pas  même  de  se  cachçr 
dans  aucun  coin  de  cette  maison  qui  était  très-vaste. 
Ce|K>ndant  il  fallut  que  l'abbé  de  Saint-Albans  sup- 


358  HENRI  III. 

portât  patiemment  tout  cela,  ainsi  que  l'évêque  qui 
avait  souffert  l'outrage  que  nous  venons  de  raconter, 
surtout  puisque  les  Anglais  efféminés  se  laissent  fou- 
ler aux  pieds,  tandis  que  les  étrangers  prédominent. 
Sous  un  roi  tyran,  tout  est  réuni  au  haut  d'une  pente 
glissante,  et  exposé  à  la  chute  et  à  la  ruine. 

Cette  même  année,  tandis  que  s'écoulait  le  cours 
de  ces  jours-là  et  que  [s'approchait]  la  fête  des  apôtres 
Simon  et  Jude,  époque  du  déclin  des  années  du  sei- 
gneur roi  Henri  troisième  \  un  certain  chevalier  ès- 
lettres  ^,  Robert  de  la  Ho,  à  qui  le  roi  avait  confié  la 


*  Limes  annorum.  Nous  donnons  le  sens  probable. 

*  Miles  litteralus  (texte  hic).  Plus  haut  armiger  UtteratuSy  désigne 
l'homme  qui  veut  assassiner  Henri  III  à  Woodstok.  (4258.  Votj.  pag. 
367  du  4'  Tol.)  Ces  deux  passages  prouvent  que  dès  lu  première  moitié 
du  treizième  siècle,  on  avait  pris  Tbabitude  de  désigner  ainsi  un  nouvel 
ordre  de  chevaliers,  connus  aussi  sous  le  nom  de  milites  justitiœ,  mi- 
lites clerici.  Dans  l'origine  les  fonctions  de  guerrier  et  de  juge  n'étaient 
point  séparées,  comme  nous  l'apprend  Yves  de  Chartres,  et  les  romans 
provençaux  parlent  fréquemment  de  braves  chevaliers  qui  sont  aussi  de 
bons  légistes.  Mais  plus  tard,  les  chevaliers  d'armes  abandonnèrent  lo 
soin  de  la  justice,  soit  h  ceux  d'entre  eux  que  la  modicité  de  leur  fortune 
ou  la  faibirase  du  leur  tempérament  obligeait  do  renoncer  aux  exercices 
militaires,  soit  aux  clercs  qui  n'étaient  point  engagés  dans  les  ordres, 
soit  h  une  nouvelle  classe  d'hommes  qui  commençait  à  s'élever  et  h  qui 
s^applique  plus  particulièrement  l'expressiou  do  Matt.  Pdris.  Lacurnc 
de  Sainte-Palaye  pense  que  ces  chevaliers  ès-lois,  désignés  par  les  histo- 
riens modernes  sous  le  nom  de  légistes,  u'eurcnt  d'abord  que  les  vête- 
ments et  la  parure  des  chevaliers  en  armes,  et  ne  jouirent  que  plus  tard 
de  tous  le»  hoinieurs  cl  prérogatives  attnrliés  h  ce  dernier  titre.  1,'écar- 
late,  par  exemple,  était  réservée  aux  chevaliers  en  armes  et  aux  chevaliers 
en  lettre»,  et  l'habit  de  chevalier,  porté  par  un  clerc,  ne  l'ompéohait  pas 
do  jouir  des  immunités  de  ciéricalurc.  D'ailleurs,  on  avait  pour  ces  deux 
genres  de  chevalerie  un  respect  presque  égal,  cl  l'empereur  Charles  IV, 


ANNÉE  4252.  559 

iulelle  des  juifs  el  [la  garde]  de  son  sceau  en  ce  qui  les 
concerne  dans  son  échiquier,  fut  accusé  grièvement 
devant  le  roi,  et  on  lui  reprocha  d'avoir  opprimé  un 
innocent,  le  fils  d'un  chevalier,  au  moyen  d'une 
charte  fausse  et  scellée  du  sceau  dont  le  même  Ro- 
bert était  porteur  et  gardien  à  titre  de  justicier  des 
juifs.  Aussi  fut-il  arrêté  ignominieusement  et  jeté 
dans  une  étroite  prison.  Ainsi  se  renouvela  le  scan- 
dale de  diffamation  dont  Tannée  précédente  Philippe 
Luvel,  qui  était  alors  justicier  des  juifs,  avait  été  la 
vielime,  étant  tombé  »lans  les  pièges  des  juifs  per- 
fides; mais  maintenant,  grâce  à  son  habileté,  il  avait 
été  élevé  à  la  garde  du  trésor  royal.  Voilà  comment,- 
en  effet, 

La  puissance  divine  se  joue  des  choses  humaines. 

Enfin,  grâce  à  riuterveulion  des  amis  de  Robert, 
la  malice  des  juifs  fut  découverte  ;  Robert  lut  mis  en 
liberté  et  son  innocence  fut  prou^ée,  mais  non  sans 
jeine.  Toutefois  il  fut  déposé  de  son  bailliage,  et  paya 
publiquement  quatre  marcs  d'or  au  moins. 

Vei-s  le  même  temps,  maître  Jean,  procurateur  gé- 
néral des  évêques  d'Angleterre,  soutint  leur  requête 
en  cour  romaine,  contre  l  archevé(|ue  de  Canlorbéry, 
qui  exigeait  la  visitation  de  toute  l'Angleterre,  à  la 
vexation  intolérable  de  l'église  anglicane.  Or,  maître 

«o  «Uiiauit  l*acmU4e  à  Barlbole,  suivait  sans  doute  Peiemplc  de  plu- 
■irun  roU  t^mi  Favaieot  |irrc^dé.  [Voy.  sur  cette  intéressante  ({ueslioii 
ir*  eoatioaateurf  del'y/istoirf /i(fer(iir<>,  loni.  xvi,e(  partitulièrenient 
SAlirrs-PAlaVK,  Méiié,  »ur  1\mi:  chtval.^  v*  partie,  notes  21  et  32, 
iV*  prti*.  pag.  29i  noU  15.) 


560  HElNRI  m. 

Jean,  pour  résister  à  une  pareille  oppression,  donna 
six  mille  marcs  au  seigneur  pape.  Ce  qui  fit  que  la 
visitation  de  rarchevèque,  qui  exigeait  visitation  plé- 
nière,  fut  restreinte,  et  il  fut  stipulé  qu'il  ne  visite- 
rait aucune  église  paroissiale,  à  moins  qu'il  ne  fût 
appelé  par  le  recteur  du  lieu,  mais  seulement  les 
églises  conventuelles  non  exemptes,  et  que,  dans  ce 
cas,  il  ne  devait  pas  recevoir,  à  titre  de  procuration, 
plus  de  quatre  marcs  en  tout.  On  pourra  s'instruire 
plus  au  long  des  détails  de  cette  affaire,  par  les  let- 
tres du  seigneur  pape,  qui  sont  rapportées  au  livre 
des  Additamenta*.  Or,  quiconque  voudra  scruter  soi- 
gneusement les  intentions  des  cœurs,  pourra  com- 
prendre parfaitement,  dansées  lettres,  de  quelle  ma- 
nière les  évêques  chérissent  les  religieux  du  royaume, 
et  surtout  les  religieux  exempts'^;  mais  Dieu,  irrité, 
veut  que  ce  fléau  de  division,  qui  engendrera  la 
discorde,  s'étende  généralement  sur  les  prélat^ 
comme  sur  les  laïques. 

Albert,  notaire  du  pape,  se  rend  en  Angleterre. 
—  Il  s'occupe  de  s'enrichir.  —  Arrivée  de  l'archevê- 
que de  Cantorbéry  en  Angleterre.  —  Discorde  entre 
l'archevêque  et  l'élu  a  Winchester.  —  Violences 
exercées  par  les  parents  d'Athelmar  sur  la  personne 
d'Eustache  de  Lynn.  —  Plaintes  portées  a  l'arche- 
vêque DE   Cantorbéry.    —   L'archevêque  se  rend  a 

•  Foy.  l'addition  XXIV  n  la  fin  du  volume. 

'  Celte  phraïc  lemblc  faire  alluiion  à  la  dccrétalo  que  nous  donuoiiw 
•ou*  le  o«  XXVilf . 


ANNÉE  425S.  564 

OxFOBU.—  Il  y  rK0Mi3LGi}£  la  sentence  d'excommcnica- 
TioN  conTBE  LES  DÉLINQUANTS.  —  Vers  la  léle  de  saint 
Martin,  arriva  en  Angleterre  maître  Albert,  notaire 
(lu  seigneur  pape,  lequel  était  déjà  venu,  il  y  avait 
lieux  ans,  à  Tépoque  où  le  roi  de  France  se  prépa- 
rait à  passer  la  mer,  pour  défendre  au  roi  d'Angle- 
terre, «le  la  part  du  seigneur  pape,  d'infester  en 
aucune  façon  les  terres  du  roi  de  France  qui  allait 
combattre  pour  Dieu.  La  cause  de  ce  nouveau  voyage 
fut  ignorée  do  plusieurs,  dans  le  principe;  mais  bien- 
tôt, au  moyen  des  œuvres,  on  en  connut  la  cause  par 
les  effets.  Or,  le  seigneur  pape,  sachant  que  le  comte 
Kicliard,  frère  du  seigneur  roi,  abondait  en  trésors 
|>ar-dessus  tous  les  seigneurs  d'Occident,  et  ne  s'in- 
quiétant  pas  des  sources  d'où  provenait  cet  argent, 
avait  conçu  le  projet  fort  adroit  de  Télire  et  de  l'ap- 
peler au  royaume  d  Apulie,  de  Sicile  etdeCalabre, 
pour  que  le  comte,  faisant  la  guerre  au  nom  du 
pape,  dépensât  son  argent  dans  les  chances  douteuses 
de  Mars,  exposât  sa  personne  aux  périls,  conquît 
tous  ces  pays,  au  grand  profit  de  la  cour  romaine,  et 
lui  entassât  des  trésors  en  se  ruinant  lui-même.  Le 
pape  se  fondait  en  cela  sur  cette  tentation  du  grand 
sophiste  :  «  Je  le  donnerai  tout  cela,  si  tu  veux  tom- 
l>er  à  genoux  et  m'adorer  ;  »  car  il  savait  que  le  comte 
était  gonflé  insatiablemont  d'une  hydropisie  cupide, 
et  désirait  les  dignités  temporelles.  Tel  était  donc 
Tappât  qu'il  avait  mis  au  bout  de  son  hameçon  re- 
courbé, pour  le  rendre  appétissant,  et  croyant  y 
prendre  le  comte  plus  facilement.  Aloi-s  se  découvrit 


S«8  HENRI  III. 

le  motif  mystérieux  de  tous  les  honneurs  que  le  sei- 
gneur pape  avait  jadis  rendus  à  Lyon  au  comte  Ri- 
chard, alors  qu'il  Tavait  fait  asseoir  adroitement  à  ses 
côtés,  et  l'avait  accueilli  avec  un  empressement  qui 
avait  causé  Tadmiration  de  tous.  Toutefois,  la  plupart 
des  hommes  ne  pensaient  pas  que  le  comte  cédât  eu 
aucune  façon  aux  promesses  du  pape,  parce  qu'il  n'é- 
tait nullement  sain  et  bien  portant  de  corps,  parce 
qu'il  n'était  ni  brave  ni  exercé  au  métier  des  armes, 
parce  qu'il  devait  regarder  comme  déshonorant  de 
supplanter  son  neveu  Henri,  enfin  parce  qu'il  n'est 
point  d'un  homme  sage  de  quitter  le  certain  pour 
Tincertain.  Mais  le  seigneur  pape  ne  regardait  pas 
tout  cela  comme  des  inconvénients,  et  trouvait  qu'on 
devait  passer  par-dessus  ces  obstacles.  Or,  il  faut 
savoir  que  le  jour  même  où  le  comte  Richard  fes- 
toyait avec  le  pape,  le  roi  de  France  fut  pris  par  un 
triste  coup  de  la  fortune.  C'est  le  comte  lui-même 
qui  me  l'a  affirmé  à  poi  qui  écris  cçs  choses. 

Comme,  selon  le  prpverbp,  c,'esl  foliq  c]e  pfier 
quand  on  s'oublie  en  prjant,  et  qu'en  travaillant  aux 
intérêts  d'antrui  il  ne  faut  pqs  néglige^  les  siens, 
maître  Albert,  qui  séjournait  à  Londres,  jusqu  à  ce 
que  le  conite,  qui  avnit  demandé  un  délai  pour  f4- 
fléchir,  lui  eût  donné  une  réponse  certaine  aux  pro- 
positions <lu  scignour  |)iJpc,  s'adressa,  pendant  ce 
temps,  ù  plusieurs  prélats  d  Angleterre,  demandant 
à  Tun  un  palefroi,  à  Taulrc  un  bénéfice  ecclésiasti- 
que, et  leur  faisant  savoir  qu'il  ne  refuserait  nullc- 
ineat  tous  les  autres  dons  qu'ils  voudraient  lui  offrir 


ANNÉE  4252.  5«5 

gracieusement,  afin  qu'il  ne  parût  pas  méprisé.  Ce 
qui  fit  qu'en  cette  occasion  il  réussit  à  obtenir ,  en 
vue  de  charité,  de  labbé  de  Saint-Albaiis,  entre 
.nitres,  un  palefroi  et  un  bénéfice  ecclésiastique,  à 
savoir  cette  espèce  de  bénéfice  que  les  Romains  ont 
coutume  de  lever  sur  la  chambre  d'un  prélat  quel- 
conque :  ce  qui  revient  à  peu  près  au  môme. 

A  l'octave  du  bienheureux  Martin,  Tarchevéque. 
de  Canlorbérv  Boniface  aborda  en  Anj'leterre,  et  son 
arrivée  ne  réjouit  absolument  personne,  mais  fut 
plutôt,  nous  le  disons  h  regret,  un  sujet  de  trouble. 
En  effet,  tous  en  général  et  chacun  en  particulier,  se 
remettaient  en  mémoire  la  conduite  désordonnée  et 
cruelle  qu'il  avait  tenue  à  Londres,  quand  il  y  avait 
exigé  des  religieux  le  droit  de  les  visiter;  combien,  en 
outre,  il  avait  appauvri  maintes  lois  le  royaume  et 
Péglise,  eu  extorquant  maintenant  onze  mille  marcs, 
et  récemment  six  mille  marcs,  sous  prétexte  de  sa  vi- 
sitation tyrannique;  comment  aussi  il  avait  appauvri 
la  noble  église  deCantorbéry,  que  tant  de  saints  pré- 
lats avaient  gouvernée ,  faisant  couper  les  bois,  et 
foulant  aux  pieds  le  couvent;  comment  enfin  il  avait 
conféré  à  des  étrangers,  sans  exception,  les  riches 
revenus  qui  étaient  devenus  vacants  depuis  sa  pro- 
motion. Aussi  croyait-on  que  l'édifice  élevé  sur  ces 
fondations  marécageuses  serait  peu  solide;  mais  il 
faut  laisser  cela  à  la  disposition  du  Très-Haut. 

Cette  même  année,  avant  Toctave  de  saint  Martin, 
un  certiiii  prêtre,  en  vertu  de  l'autorité  de  l'élu  ^ 
Winchester,  s'empara  de  la  garde  d'un  certain  ho- 


U4       .  HENRI  m. 

pitalsituédans  [le  faubourg  deJSoutvvaik,  qui  lait  no- 
toirement partie  de  l'évêché  de  Winchester.  Or,  selon 
la  coutume  des  habitants,  on  appel  le  prieur  le  gardien 
de  cet  établissement  de  charité,  dont  la  fondation 
remonte  au  bienheureux  Thomas,  martyr.  iVIais  maî- 
tre Eustache  de  Lynn ,  official  de  Tarchevéque  de  Can- 
torbéry,  voyant  qu'en  cette  affaire  on  avait  dérogé  à 
son  droit,  parce  qu'on  aurait  dû  requérir  son  assen- 
timent à  raison  du  patronat,  formalité  qui  avait  été 
dédaigneusement  omise,  avertit  par  trois  fois  le  sus- 
dit prêtre   de  se  retirer,  puisque  son  entrée  dans 
cette  garde  était  injurieuse  et  présomptueuse.  Mais 
ce  prêtre,  que  Ton  appelle  prieur,  refusa  de  le  faire, 
et  se  maintint  dans  sa  possession.  Alors  Tofficial  le  lit 
excommunier  pour  cause  de  résistance.  Le  susdit 
prieur  n'en  persista  pas  moins  quarante  jours  dans 
son  excommunication,  ne  cessant  de  proférer  des 
menaces  et  des  injures.  L'official,  ne  pouvant  donc 
supporter  un  pareil  orgueil,  ordonna  qu'on  Tarrê- 
lAt  comme  rebelle.  A  cette  nouvelle,  le  prieur,  se  re- 
vêlant de  ses  habits  sacerdotaux,   se  réfugia   dans 
Téglise.  Mais  les  officiers  qui  avaient  été  envoyés  pour 
le  prendre,  ne  Tcpargnerent  pas  pour  cela,  parce 
qu'il  avait  méprisé  les  clefs  de  Téglisc,  étant  excom- 
munié.  L'official   donna   ordre  qu'on  le  nicnâl  à 
Maidestone,  manoir  de  l'archevêque,  pour  y  être 
gardé  jusqu'à  ce  qu'on  eût  décidé  ce  qu'on  ferait  en 
celte  affaire  ;  car  on  disait  quo  l'archevêque  n'était 
pas  loin. 
En  apprenant  cela,  l'élu  à  Winchester  fut  saisi  de 


ANNÉE  4252.  365 

colère,  autrement  qu'il  ne  convenait;  et  comme  s'il 
eût  éprouvé  une  grande  injure,  qui  entraînât  déshon- 
neur, il  alla  se   plaindre  amèrement  à  ses  frères. 
Encouragé  par  leur  aide  et  leur  conseil,  il  rassembla 
une   troupe  de   chevaliers  et   d'hommes  d'armes, 
suivis  d'une  compagnie  non  petite,  et  il  les  cbai^ea 
de  chercher  et  de  saisir  les  auteurs  de  cette  violence. 
Ceux-ci,  étant  partis  avec  impétuosité  et  tumulte, 
comme  s'il  s'agissait  d'une  expédition  guerrière,  se 
rendirent  à  Soutwark,  croyant  les  y  trouver  encore. 
Mais  n'ayant  trouvé  personne,  après  avoir  fouillé  par- 
tout, ils  coururent  rapidement,  et  sans  tarder,  à 
Maidestone,  pour  délivrer  puissamment   le  prieur 
qu'on  y  retenait  prisonnier.  Ils  brisèrent  de  force 
tout  ce  qui  les  arrêtait,  cherchèrent  dans  les  lieux 
les  plus  secrets,  et  ne  trouvant  pas  celui  qu'ils  vou- 
laient, parce  qu'on  le  tenait  caché,  demandèrent  du 
feu  pour  tout  réiluire  en  cendres.  Après  avoir  commis 
beaucoup  de  désordres  en  ce  lieu,   et  n'avoir  pas 
trouvé  ce  qu'ils  étaient  venus  chercher,  ils  apprirent, 
par  le  rapport  d'un  dénonciateur,  que  l'official  qu'ils 
cherchaient  s'était  retiré  à  Lambeth,  près  de  Lon- 
dres. Ils  y  volèrent  aussitôt  en  foule,  soulevèrent  les 
portes  hors  de  leurs  gonds  ou  les  brisèrent,  entrè- 
rent tumultueusement,  se  jetèrent  tout  à  coup,  avant 
Theure  du  dîner,  sur  l'official  qui  ne  s'attendait  à 
rien  de  pareil,  Tenlraînèreut  insolemment  et  à  main 
armée,  le  mirent  sur  un  cheval,  comme  le  plus  vil 
des  êtres  pris  en  flagrant  délit  de  vol,  pour  le  con- 
duire où  ils  voulaient,  sans  môme  lui  permettre  de 


816  HENRI  III. 

prendre  les  rênes  en  main  et  de  guider  le  cheval. 
0  présomption  téméraire!  ô  irrévérence  inexcusa- 
ble, de  faire  subir  un  traitement  si  ignominieux  et 
si  pénible  à  un  homme  aussi  respectable,  aussi  versé 
dans  les  lettres,  aussi  remarquablement  fameux,  et 
qui  représentait  la  personne  derarcheveque!  Déplus, 
ils  accablèrent  d'outrages  et  traitèrent  inhumaine- 
ment le  chapelain  qui  desservait  la  chapelle,  et  qui 
embrassait  comme  refuge  la  pointe  de  l'autel,  portant 
ainsi  des  mains  sacrilèges  sur  les  choses  ecclésiasti- 
ques. Quant  à  maître  Henri  de  Gant,  en  entendant 
ce  tumulte,  il  fut  saisi  d'un  effroi  qui  aurait  pu  être 
ressenti  par  1  homme  le  plus  ferme,  et  s'échappa  en 
prenant  adroitement  la  fuite,  pour  ne  pas  tomber 
entre  les  mains  de  ceux  qui  en  voulaient  à  sa  vie.  Ils 
,  traînèrent  donc  l'official  par  la  bride  de  son  cheval 
jusqu'à  Fernham,  lui  faisant  subir  tout  ce  que  la  co- 
lère, ou  plutôt  la  fureur,  leur  conseillait,  et  le  retin- 
rent do  force,  malgré  lui,  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent 
assurés  qu'on  leur  rendrait  le  prieur  qui  avait  été 
arrêté.  Enfin  on  le  laissa  aller,  mais  en  le  chassant  et 
en  Taccablant  des  traitements  les  plus  ignominieux. 
L'official,  se  réjouissant  encore  dans  son  malheur 
d'avoir  échappé  à  ces  mains  crochues  et  rapaces,  cou- 
rut à  j)ied,  tout  vieux  qu'il  était,  jusqu'à  Walerle, 
maison  de  Cisterciens,  sans  oser  regarder  derrière 
lui,  de  peur  d'être  changé  en  statue.  Les  moines,  en 
le  voyant,  lui  demandèrent  avec  étonnement  quel 
événement  Tamenait  ainsi  vers  eux,  seul  et  fugitif. 
Il  reçut  en  ce  lieu  des  consolations  et  put  y  respirer. 


4252.  867 

Cependaii  \m  gens  de  Parcheveque,  qui  avaient 
souffert  une  si  grande  injure,  vinrent  porter  à  l'ar- 
clievèque  Irès-griève  plainte  d  une  audace  si  témé- 
raire, avec  des  larmes  et  des  soupirs,  faisant  le  mal 
plus  grand  elexagéranl  routrage.  Aussi  Tarclieveque, 
irrité  plus  qu'on  ne  peut  dire,  s  écria  :  «  Ce  sont 
u  là  de  tristes  nouvelles  à  notre  arrivée.  »  Ayanldonc 
pris  avec  lui  lesévéques  deChiccster  et  de  Hereford, 
il  partit  pour  Londres;  puis  lui-même  et  les  deux 
evéques  susdits,  revêtus  de  leui*s  habits  ponliOcaux, 
en  présence  d'une  foule  innombrable,  qu'ils  avaient 
fait  convoquer  pour  cela,  par  la  voix  du  héraut,  dans 
I  église  de  sainte  Marie-des-Arcs,  en  octroyant  à  ceux 
qui  viendraient  une  indulgence  de  trente  jours,  ex- 
communièrent horriblement  et  solennellement  tous 
les  auteurs  et  fauteurs  de  cette  témérité,  à  l'excep- 
lion  seulement  du  seigneur  roi,  de  la  reine  et  de 
leurs  enfants,  du  comte  Richard,  de  la  comtesse  sa 
lemme  et  de  leurs  enfants.  L  archevêque  écrivit  de 
plus  à  tousles  évêq  ues  ses  su  ffra  gants,  leur  enjoignant 
lormellement,  en  vertu  de  Tobédieuce  dont  ils 
étaient  tenus  et  liés  envers  Téglise  de  Cai>torbéry, 
de  (aire  la  même  chose  dans  leurs  églises,  chaque 
jour  de  dimanche  et  fête.  De  son  côté,  I  élu  à  Win- 
chester manda  sur-le-champ  au  doyen  de  Soutvvark 
et  à  quelques  autres  de  sa  juridiction  de  résister  en 
(ace  audit  archevêque,  et  de  déclarer  publiquement 
que  celle  sentence  était  absolument  nulle,  qu'elle 
était  \aine  et  frivole,  et  que  le  délit  sur  lequel  elle  se 
fondait  était  une  excuse  de  renard  ;  mais  les  gens  de 


568  HENRI  III. 

l'archevêque  en  appelèrent  au  souverain  pontife  sur 
celte  injure  et  le  scandale  qui  en  était  résulté.  Ce- 
pendant il  y  avait  plusieurs  personnes  qui,  sans 
favoriser  l'un  ou  Tautredes  deux  partis,  disaient  que 
l'archevêque  avait  évidemment  fait  tort  à  Télu.  En 
effet,  pour  faire  cesser  toute  querelle  de  celle  nature, 
il  avait  été  décidé  qu'un  arrangement  aurait  lieu, 
par  lequel  toute  la  maison  susdite  serait  soumise  à  la 
disposition  de  Tévêque  de  Winchester,  nonobstant 
le  titre  de  patronat,  et  que  celui-ci  paierait  alors 
trois  sols  par  an  en  reconnaissance.  C'est  ainsi  que 
l'un  et  l'autre  se  diffamèrent  et  encoururent  le  re- 
proche de  violence  injurieuse,  tandis  que  les  citoyens 
de  Londres ,  se  souvenant  de  l'arrogance  et  de  la 
cruauté  que  l'archevêque  avait  déployées  à  Londres, 
rappelaient  les  nombreuses  extorsions  d'argent  qu'il 
avait  commises,  les  violences  du  roi  pour  le  fa  ire  nom- 
mer archevêque,  et  la  manière  irrégulière  dont  il 
conférait  les  bénéfices  vacants.  D'une  autre  part,  les 
gens  du  roi,  à  savoir  les  Poitevins,  outre  qu'on  leur 
reprochait  la  perfidie  qui  leur  est  naturelle,  étaient 
accablés  d'autres  injures,  comme  c'est  l'usage  dans 
le  colère  ;  et  parmi  les  citoyens  qui  entendaient  cela, 
il  y  en  avait  beaucoup  qui  souhaitaient  que  ceux-ci 
cassassent  la  tête  à  ceux-là,  et  que  les  autres  éventras- 
sent  le  reste.  Aussi,  comme  il  est  écrit  :  «Malheur  à 
ceux  par  qui  vient  le  scandale,»  les  deux  partis  étaient 
en  danger  à  cause  du  scandale  ignominieux  (jui 
s'était  élevé.  C  est  ainsi  que  gens  du  roi  contre 
gens  de  la  reine,  Poitevins  contre  Provençaux,  eni- 


ANNEE  4252.  569 

vrés  qu'ils  étaient  de  ieui'S  vastes  possessions,  se 
décliaînaieot  les  uns  contre  les  autres  pendant  le 
sommeil  desmalbeureux  Angolais,  oomme  s'ils  eom- 
hattaieut  pour  savoir  auquel  des  deux  partis  devait 
rester  la  supériorité  dans  le  royaume,  à  Texelusion 
des  indigènes.  Cependant  la  voix  commune  condam- 
nait plutôt  les  Poitevins,  parce  que  l'élu  s'était  élevé 
contre  son  supérieur,  en  dépassant  orgueilleusement 
toute  mesure  et  en  se  fiant  dans  le  roi  son  frère,  qui 
lavait  créé,  comme  Dieu  le  sait;  de  plus,  on  lui  en 
voulait  surtout  de  ce  que  le  Poitou  avait  été  perdu 
par  la  trahison  de  son  père. 

Cependant  Tarcheveque  Boniface,  entassant  sous  la 
cendre  le  feu  de  la  colère  qu'il  avait  conçue,  et  persévé- 
rant dans  son  ressentiment,  à  l'instigation  de  maître 
Ëustacbe,  qui,  étant  le  plus  lésé  et  le  plus  mécontent 
dans  cette  affaire,  le  poussait  à  la  vengeance,  se  mit 
promptementen  route  pourOxford ,  aCn  d'y  convoquer 
I  uuivei'sité  des  écoliers  qui  se  rendent  en  ce  lieu  des 
diversespartiesdu  monde  pour  y  étudier,  et  de  donner 
en  public  tous  les  détails  d'un  attentat  si  impie, 
pensant  bien  que  les  rapports  des  écoliers  feraient  par- 
venir dans  les  contrées  même  fort  éloignées  la  con- 
naissance d'une  pareille  énormité.  Lorsque,  arrivant 
à  Oxford,  il  s'approcha  de  la  ville,  une  foule  innom- 
brable de  clercs,  revêtus  de  leurs  plus  beaux  habits^  et 
montés  sur  des  chevaux  bien  harnachés,  allèrent  à 
sa  rencontre  et  Paccueillirent  avec  respect,  ainsi 
(ju'il  convenait  vis-à-vis  d'un  archevêque,  du  primat 
de  toute  TAnglolerre,  et  d'un  homme  trèsillnslre 
vu.  24 


370  HENRI  m. 

par  sa  naissance  ;  ils  applaudirent  à  son  arrivée,  lui 
iirent  honneur,  et  lui  fournirent  d'abondantes  pro- 
visions en  vivres  et  en  boissons.  Aussi,  lorsque  Par- 
chevêque  et  tous  ses  Provençaux,  clercs  ou  préten- 
dus tels,  eurent  examiné  la  civiiitédes  clercs  d'Oxford, 
la  gravité  de  leurs  gestes,  le  bel  arrangement  de  leurs 
habits,  la  sévérité  de  leurs  mœurs,  ils  furent  forcés 
d'avouer  que  funiversité  d'Oxford  méritait  d'être 
comparée  à  celle  de  Paris. 

Or,  le  lendemain  de  la  fêle  du  bienheureux  Nico- 
las, en  présence  de  tous  les  clercs,  qu'il  avait  fait 
rassembler  à  cet  effet  au  signal  de  la  cloche  com- 
mune, il  lit  raconter  publiquement  la  témérité  pré- 
somptueuse et  la  téméraire  présomption  de  Télu  à 
Winchester,  qui ,  ainsi  que  ses  frères  et  complices  , 
lirait  son  audace  de  sa  confiance  dans  le  roi  ;  il  fit 
aussi  publier  expressén)ent  les  noms  des  transgres- 
seurs,  et  renouvela  la  sentence  susdite,  qui  est  con- 
signée plus  pleinement  dans  les  lettres  que  le  même 
archevêque  jugea  à  propos  d  adresser  à  tous  les 
évêques  ses  suflragants;  les  noms  des  transgresseurs 
y  sont  contenus  tout  au  long.  Celui  qui  désirera  les 
connaître  n'a  qu'à  consulter  le  livre  des  Additamenta\ 
qui  est  déposé  à  Sumt-Albans,  et  qui  lui  donnera 
tous  les  détails  d^'sirnbles  sur  cette  allaire.  Or,  il  est 
constant  pour  tous  en  général,  et  pour  chacun  en 
particulier,  que  l'élu  et  ses  frères  ont  été  lés  autours 
de  cette  lîution. 

*  Vvy.  l'addition  XW  k  la  lin  du  Tulumr. 


ANNEE  4252  571 

Mort  de  BLi?(CHE ,  reine  de  France.  —  Immensesrevenls 
DF  Jean  Ma>8el.  —  L'ÉvÊQCE  DE  Lincoln  paitcalcolerles 

REVENUS  DES  ÉTRANGERS  EN  ANGLETERRE, —Le  ROI  MET  LES 
GARENNES  EN  VENTE.—  VEXATIONS  EXERCÉES  CONTRE  PLU- 
SIEURS MONASTÈRES.  — Coup  d'oeil  sur  l'année  1252.— 
Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire  le  premierdimanche 
de  l'Avent  du  Seigneur,  et  le  premier  jour  du  mois, 
mourut  la  dame  des  dames  de  ce  monde,  à  savoir 
Blanche,  mère  du  roi  de  France,  gardienne,  tutrice 
et  reine  de  France,  atin  que  notre  Seigneur  Jésus- 
Cliristarrivanl,sa  dévouée  servanleallât  respectueuse- 
ment à  sa  rencontre.  Ce  qui  anticipa  cette  mort  dé- 
plorable et  funeste  pour  les  Français,  ce  furent  les 
chagrins  multipliés  de  ladite  reine  Blanche  :  à  savoir 
la  mort  de  son  mari  le  roi  Louis,  qui  était  venue  por- 
ter le  deuil  dans  sa  très-gracieuse  jeunesse  ;  le  far- 
deau fort  inquiétant  du  royaume  de  France  qui  était 
retombé  sur  elle  ;  la  faiblesse  maladive  de  son  fils  ; 
ensuite  la  croisade  qu'il  avait  voulu  entreprendre, 
et  son  départ  pour  un  pèlerinage  dont  il  ne  revien- 
drait pas;  puis  sa  capture  si  déplorable  pour  toute 
la  chrétienté;  la  fuite  honteuse  de  Kobert,  comte 
d'Artois,  qui  avait  trouvé  dansles  eaux  une  fin  lamen- 
table; en  outre  la  maladie  incurable  d'Alphonse , 
comte  de  Poitiers,  etenfince  qui  luiavaitété  annoncé 
que  son  fils  aîné,  c'est-à-dire  le  roi  de  France,  com- 
battant pour  Dieu  en  Terre-Sainte,  se  proposait  d'y 
séjourner  tout  le  reste  de  sa  vie  et  d'y  mourir,  en 
changeant  ainsi,  par  un  heureux  commerce,  son 
royaume  terrestre  pour  le  royaume  des  cieux.  Aussi 


572  HENRI  III. 

la  très-noble  dame  Blanche,  mère  des  princes  susdits, 
languissait  désolée  et  morte  d'avance,  se  voyant  privée 
de  ces  chers  gages.  Quand  elle  sentit  que  la  mort  était 
proche,  elle  fit  choix,  pour  le  lieu  delà  sépulture  de 
son  corps,  de  la  maison  de  religieuses  à  Pontoise, 
qu'elle  avait  magnifiquement  fondée  et  construite. 
Avant  de  mourir,  elle  avait  pris  le  voile  et  avait  fait 
profession  de  religieuse'.  On  lui  mit  sur  la  tête  la 
couronne  par-dessus  le  voile,  on  la  revêtit  de  ses 
habits  royaux,  et  on  l'ensevelit  dans  cet  appareil, 
comme  il  convenait.  C'est  ainsi  que  la  magnanime 
Blanche,  femme  par  son  sexe,  mais  homme  par  sa 
fermeté,  et  qui  méritait  d'être  comparée  à  Sémira- 
mis,  dit  adieu  au  siècle,  laissant  le  royaume  de  France 
dépourvu  de  toute  consolation. 

Dans  le  cours  de  cette  même  année,  Jean  Mansel, 
qui  était  le  principal  conseiller  du  seigneur  roi,  vit 
la  fortune  lui  sourire,  et  s'enrichit  tellement  en  re- 
venus, que  son  revenu  annuel ,  en  y  comprenant  les 
sept  cents  marcs  qu'il  y  avait  ajoutés  nouvellement, 
s'élevait  en  tout  à  quatre  mille  marcs.  Or,  de  noire 
temps,  aucun  clerc  n'arriva  h  une  si  grande  opulence. 
Cependant  ceux  qui  connaissent  les  choses  qui  sont 
de  Dieu ,   s'étonnaient  avec  stupeur  qu'un  hoqfime 


'  L«  tombeau  de  Blnnchn  fut  placn  au  milieu  du  chœur  qyec  une  Ggure 
en  cuivre  cl  une  épitapbc,  dont  le»  troi»  derniers  ver»  confirment  le  récit 
de  IVfHlt.  HAfia  : 

Tandem  it  Ckrittn  rrrtu  dnnatil  tn  ùto 
CujUM  lerta  malii  viguit  gent  Franca  tub  alit , 
Tu9la  fritu,  lalii,  jacet  hir  pauper  monialit. 


ANNEE  4252.  m 

viu8si  circonspect  n  eût  pas  craint  de  prendre  sur  lui 
la  charge  de  tant  d'âmes,  et  de  s'enga{jer  par  cela 
méiue  à  rendre  compte  do  toutes  ces  âmes  au  sou- 
verain juge  ;  mais  ,  pour  que  ce  qui  est  écrit  soit  vé- 
rifié, il  y  a  beaucoup  de  gens  qui  savent  beaucoup  de 
choses  et  qui  ne  se  connaissent  pas  eux-mômes  à  fond. 

Cette  même  année,  Tavarice  des  Romains  se  donna 
si  libre  carrière  et  s'éleva  à  un  tel  point,  que  Tévéque 
de  Lincoln  Kobert  s'en  émut  et  (it  faire  par  ses 
clercs  Teiamen  et  le  calcul  exact  des  provenances 
conférées  à  des  étrangers  en  Angleterre.  Or,  on 
trouva  et  on  établit  véridiquement  que  le  présent 
pape,  c'est-à-dire  Innocent  IV,  avait  plus  appauvri 
léglise  universelle  que  tous  ses  prédécesseurs  en- 
semble ,  à  partir  des  premiers  temps  de  la  papauté. 
Les  revenus  des  clercs  étrangers,  introduits  par  lui 
en  Angleterre,  et  enrichis  par  l'église  romaine,  s'é- 
levaient à  plus  de  soixante-dix  mille  marcs.  Les  re- 
venus nets  du  roi  ne  s'élèvent  pas  au  tiers  de  celte 
somme*. 

Cette  même  année  le  roi,  comprenant  que  les  dis- 
sensions suscitées  entre  les  seigneurs,  à  cause  de  leurs 
garennes,  fournissaientde grands,  mais  honteux  pro- 
fits à  son  trésor,  par  les  forfaitures  qu'ils  encou- 
raient, fit  proclamer,  par  la  voix  du  héraut,  dans  les 
lieux  publics,  c'est-à-dire  dans  les  marchés,  que  celui 
qui  dénrarait  avoir  une  garenne  n'avait  qu'à  lui  en 
adresser  la  demande,  et  qu'il  serait  favorablement 
écouté,   moyennant  une  certaine  somme.  Plusieurs 

*  yo$.  U  p«6e  n  du  VI*  Tolumc. 


S74  HENRI  III. 

profitèrent  de   cette  faculté,  et  ainsi  dépérirent  les 
droits  de  beaucoup  de  personnes,  droits  octroyés  et 
confirmés  par  d  antiques  chartes  et  par  Tusage.  Aussi 
l'abbé  et  le  couvent  de  Waredon,  croyant  qu'il  leur 
serait  utile  d'avoir  une  garenne,  parce  que  les  offi- 
ciers des  seifjneurs  leurs  voisins  brisaient  leurs  haies, 
parcouraient  leurs  champs  ensemencés,  en  y  foulant 
tout  aux  pieds,  et  accablaient  de  coups  et  de  paroles 
oulrageantes  les  frères  cultivateurs  et  gardiens ,  ob- 
tinrent du  roi  le  droit  de  garenne,  à  prix  d'argent. 
Mais  Guillaume  de  Beauchamp ,  prétendant  qu'on 
avait  dérogé  à  son  droit  en  cela ,  prit  et  pourchassa 
leurs  troupeaux  ,  massacra  ,  blessa  et  endommagea 
de  toutes  façons  les  frères  qui  en  étaient  gardiens. 
Or  il  avait  appris  par  les  instigations  de  son  épouse 
(car  il  était  marié)  à  attaquer  les  religieux  plutôt  que 
les  chevaliers  ,  lui  qui  déjà  ,  pendant  un  espace  de 
douze  ans ,  avait  fatigué  sans  relâche  les  chanoines 
de  Newenham,  se  montrant  aussi  dur  que  la  pierre 
pour  ceux  dont  il  aurait  dû  être  le  patron.  Sembla- 
blemcnt,  Pierre  de  Savoie,  à  qui  l'intime  familiarité 
du  roi  fournissait  les  cornes  de  la  présomption ,  sans 
craindre  de  troubler  les  bienfaits  des  anciens  sei- 
gneurs, et  de  violer  l'ordre  établi,  ne  cessa,  pendant 
dix  années  de  suite  ,  de  fatiguer  par  ses  persécutions 
la  sainte  maison  de  Gyrivaux  * ,  de  l'ordre  de  Cî- 
teaux,  située  dans  les  pays  du  nord  de  l'Angleterre, 

*  Eo  fraiiçaii  du  tempi  Jorvaulx  {Morth-Riding).  On  «e  rnppellc  l« 
gaiaiK  pritiur  Ayinrr,  <l.iii«  le  rumaii  do  Wnllcr  Scolt,  Ivanlinë. 


ANNEE  4252.  275 

el  fondée  luaguiliquenieut  par  uos  pieux  ancêtres. 
Or,  le  roi,  qui  voyait  loul  cela  avec  des  yeux  de  conni- 
venoe,  laissait  ces  attentats  impunis;  niais  permettre 
c'est  consentir ,  et  ceux  qui  commettent  de  pareils 
excès  sont  menacés  plus  sévèrement  de  la  vengeance 
divine. 

Ainsi  se  passa  cette  année,  médiocrement  féconde 
eu  fruits  de  la  terre  et  en  fruits  des  arbres ,  et  fâ- 
cheuse par  la  mortalité  qui  se  jela  sur  les  bestiaux. 
Elle  fut,  aiin  de  résumer  en  peu  de  mois  l'état  des 
choses,  une  année  de  troubles  pour  tout  le  genre  hu- 
main. Or,  il  est  évident  que  la  cause  de  celte  [)ertur- 
bation  parmi  les  Orientaux  fut  la  malheureuse  cap- 
ture du  roi  de  France.  Tel  on  voit  un  os  jeté  au  milieu 
de  chiens  affamés;  chacun  d'eux  s'efforce  de  le  saisir  : 
dans  leur  ardeur,  ils  se  jettent  les  uns  sur  les  autres^ 
se  mordent  mutuelKment  pour  avoir  l'os,  et  se 
rongent  sans  que  l'os  soit  rongé.  L'empire  périclitait 
comme  un  vaisseau  sans  gouvernail.  Le  royaume  de 
France ,  privé  de  ses  chefs  ,  de  ses  barons,  de  ses  ar- 
mes, de  ses  trésors,  ne  s'était  jamais  vu  à  un  tel 
point  de  désolation.  L'Angleterre,  foulée  aux  pieds 
par  les  étrangers ,  courbée  sous  plusieurs  maîtres, 
dépourvue  de  la  dilection  sincère  de  son  roi,  réduite 
enfin  à  la  pire  des  conditions,  gisait  inconsolable" 
ment  désespérée;  et,  ce  qui  est  plus  fâcheux  encore, 
une  haioe  empoisonnée  entre  l'église  et  le  peuplt> 
prenait  chaque  jour  de  nouveaux  accroissements. 

Lt  ROI  ckLhBui  i  \Vi.ni:hp.ster  i-ks  fêtes  m:  Noel. 


376  HENRI  III. 

—  Canonisation  de  Pierre,  de  l'ordre  des  Prêcheurs. 

—  Les  Romains  élisent  Brancaléon  poor  sénateur.  — 
Les  habitants  de  Winchester  envoient  au  roi  des 
présents  magnifiques.  —  Réconciliation  d'Athelmar 
et  de  Boniface.  —  Vaines  promesses  du  roi.  —  Dé- 
part  DE   MAITRE  AlBERT.    LeS  JUIFS  SONT  CHASSÉS  DU 

ROYAUME    DE    FRANCE.     —    MoRT    DE    l'aBBÉ    DE    SaiNT- 

AuGUSTiN. — L'an  du  Seigneur -1255,  qui  est  la  trente- 
•septième  du  règne  du  seigneur  roi  Henri  troisième, 
le  même  roi  se  trouva  dans  la  ville  de  Winchester,  à 
Noël,  et  y  célébra  magnifiquement  les  fêtes  de  la  nais- 
sance du  Seigneur. 

A  cette  époque ,  arrivèrent  les  messagers  du  sei- 
gneur roi  et  de  quelques  autres  seigneurs  d'Angle- 
terre, annonçant  qu'un  certain  frère  de  l'ordre  des 
Prêcheurs,  nommé  Pierre,  pendant  qu'il  prêchait  à 
Milan  et  reprochait  sans  faiblesse  aux  Milanais  leurs 
vices  et  leurs  erreurs,  ou  plutôt  leurs  hérésies,  avait 
été  massacré  secrètement  par  eux,  pour  avoir  défendu 
la  vérité ,  et  avait  gagné  le  martyre ,  en  récompense 
de  son  courage.  Or,  pour  que  la  lumière  sereine  de 
la  vérité  ne  fût  pas  cachée  longtemps  sous  le  bois- 
seau ,  le  Seigneur  le  glorifia  sur-le-champ  par  des 
miracles  éclatants  ,  et  le  seigneur  pape,  instruit  plei" 
nement  de  cela,  le  canonisa  magnifiquement. 

Les  messagers  susdits  rapportèrent  en  outre  que  , 
dans  le  mois  d'août,  les  Romains  s'étaient  choisi 
pour  nouveau  sénateur*  un  citoyen   de  Bologne, 

*  four  coiiipli'ter  oe  «{ue  nouii  avoiu  dojii  dit  h  roccnsion  des  mots  po- 


ANNÉE  <255.  577 

nommé  Brancaléon ,  homme  juste ,  rigide ,  et  versé 
dans  le  droit,  qui  ne  voulut,  en  aucune  façon,  con- 
sentira Téleclion  qu'on  avait  faite  de  lui ,  si  les  Ro- 
mains ne  lui  donnaient  sûreté  de  lui  conserver  pen- 
dant trois  ans  le  pouvoir  sénatorial,  contre  les  statuts 
de  la  ville.  H  exigea  de  plus  de  chaque  famille  puis- 
saute  un  otage  de  valeur,  et  de  tous  les  citoyens,  tant 
qu  ils  étaient ,  le  serment  de  lui  obéir  fidèlement , 
comme  à  leur  sénateur.  En  effet,  il  connaissait  Tin- 
solence  du  peuple  romain,  qui  se  révoltait  fréquem- 
ment pour  le  moindre  sujet,  et  qui  se  plaisait  aux 
séditions.  Lorsqu'il  eut  donné  son  consentement  et 
qu'il  fut  reçu  par  les  citoyens  et  par  le  peuple,  on 
lui  imposa  ,  comme  condition  inviolable  ,  de  gouver- 
ner justement  la  ville  et  le  peuple  de  la  ville,  ou  de 
ne  retourner  jamais  à  Bologne  dans  Tintégrité  de  son 
corps.  Aussitôt  qu'il  eut  été  investi  du  pouvoir  sé- 
natorial pour  trois  ans,  il  fit  pendre  aux  fenêtres  de 

lestas  et  senator,  nous  renvoyons  à  Gibbon,  cbap.  69,  pag.  (71,  <ur 
la  oatore  da  contrat  qui  unissait  réciproquement  If  gouverneur  étranger 
elkrépabliquq«'il  venait  administrer.  (l'oiriACOPoSALViATldarsla 
eoUar<ieodnpèrelld«fonso,  etGlov.  YillaM,  Uv.  v.)  Lorsqu'un  podestà 
ott  aoeapitano  quittait  ses  fonelious,  il  devait  rester  quelque  temps  pour 
répondre  ie  sa  gestion  devant  des  syndics  uouunég  ad  hoc  ;  et  pendant  ce 
leaps  Ittot  le  monde  avait  le  droit  d'accuser  le  magistrat  sortant.  (Note 
de  M.  LiBAlt  Uiêt.  des  math.,  lom.  n,  pag.  47.)  Gibbon  fait  aussi  re- 
■MTfMr^tM,  s^il  peut  paraître  étonnant  qu'un  historien  anglaisait  tiré 
de  roakli  le  oom  et  le  mérite  de  BrancaliH)n,  les  pèlerinages  et  les  solli- 
citations de  proe^  entretenaient  des  liaisons  entre  Rome  et  Saint-Albans, 
el  ifm  U  «brfé  aafbts,  ptaw  6é  ressentiment,  se  réjouissait  quand  les 
papas  étoiflol  hmiliét  et  opprimés.  Au  reste,  Gibbon  ajoute  qu'un  bio- 
graphe dMaaorcot  IV,  dans  la  collection  de  Muratori,  fait  de  ce  sénateur 
KÎbelin  un  portrait  moins  iarorakie  que  Matt.  Paris. 


378  HENRI  III. 

leurs  châteaux  quelques  citoyens  notés  et  de  plus 
convaincus  d'homicide,  et  fit  attacher  quelques  re- 
belles à  la  potence. 

Comme  le  roi  devait  donner  un  festin  à  l'occasion 
de  la  susdite  fête  de  Noël ,  les  citoyens  de  Winchester 
lui  envoyèrent  un  présent  en  vivres  et  en  boissons, 
si  magnifique  qu'il  pouvait  exciter  l'admiration  de 
tous  les  assistants.  Mais  le  roi  ,  pour  leur  témoigner 
sa  gratitude,  les  obligea  à  lui  payer  deux  cents  marcs 
dans  un  bref  délai ,  quoiqu'il  fût  né  dans  cette  ville , 
et  changea  ainsi  en  lamentations  lugubres  les  joies 
de  Noël.  Le  roi  cependant,  ne  s'en  inquiétant  pas, 
s'occupa  de  préparer  de  joyeux  banquets.  Mais  comme 
les  joies  de  ce  monde  sont  presque  toujours  mêlées  de 
nuages  qui  en  troublent  la  sérénité  ,  la  sentence  pro- 
noncée par  l'archevêque  contre  l'élu  à  Winchester 
et  contre  tous  ses  fauteurs  préoccupait  quelque  peu' 
ledit  élu ,  qui  était  Phôte  du  roi ,  parce  qu'il  n'avait 
encore  été  ni  absous  ni  reçu  au  baiser  de  paix,  quoi- 
que la  paix  fût  sur  le  point  de  se  conclure.  Or,  à  l'oc- 
tave de  l'Epiphanie,  par  l'intervention  active  du  roi 
et  de  la  reine,  le  roi  agissant  pour  son  frère  l'élu  ,  et 
la  reine  pour  son  oncle  l'archevêque ,  et  cela  avec 
d'autant  plus  d'ardeur  que  Guillaume  de  Valence  et 
Jean  de  Warenne  avaient  pris  pari,  disait-on,  à  cette 
violence,  l'élu  h  Winchester  fut  pleinement  et  ami- 
calement réconcilié  avec  l'archevêque,  et  admis  au 
baiser  de  paix.  En  elfet,  il  jura  en  public  qu'il  n'a- 

'  Utrumque.  Noui  propofonKfl  traduisons ufcum^uc-  Il  est  vrai  qu'on 
ftaicomprenArKutrumqueliospUcm ,  l'btMc  qui  reçoit  et  l'hrttcqui  est rceii . 


ANNÉE  4253.  379 

vait  jamais  consenli  à  cette  violence ,  ni  ne  sV  était 
complu,  mais  qu'elle  avait  été  commise  téméraire- 
ment à  son  insu  et  malgré  lui.  Ainsi  ledit  élu  fut  ab- 
sous ,  et,  pour  effacer  toute  trace  de  celte  querelle , 
tous  ceux  qui  avaient  pris  part  à  Toutra^je  susdit 
jouirent  du  bénéûee  de  la  plus  larf^e  absolution.  On 
vit  clairement,  par  la  conclusion  de  celte  affaire,  où 
toutes  les  injures  susdites  furent  remises  impuné- 
ment, avec  quel  empressement  les  évéques  et  tous 
les  autres  s'intéressèrent  au  rétablissement  de  la  paix  ; 
et  la  ebose  arriva  ainsi,  parce  que  le  roi  avait  promis 
de  se  montrer  toujours  favorable  à  tous  ceux  qui  s'oc- 
cuperaient de  cette  réconciliation  ,  et  de  céder  plei- 
nement à  tous  leurs  bons  plaisirs.  C'est  pourquoi  les 
évoques  recommencèrent  à  délibérer  avec  plus  de 
confiance  sur  Taffaire  difficile  dont  il  a  été  question, 
à  savoir  sur  la  concession  de  la  contribution  susdite, 
moyennant  l'observation  de  la  grande  cbarte.  Enfin, 
après  une  longue  discussion,  ils  décidèrent  qu'ils  ne 
couseiitiraient  point  à  une  telle  et  si  forte  contribu- 
tion ,  mais  à  quelque  autre ,  et  fourniraient  aide  effi- 
cace et  volontaire,  si  le  roi  voulait  s'abstenir,  comme 
il  1  avait  maintes  fois  promis,  des  injustices  dont  il 
avait  I  babitude  d'accabler  l'église  ,  et  consentait  à 
suivre  les  pieux  conseils  de  ses  hommes  naturels  ;  ce 
qu'ils  demandèrent  avec  instance,   le  roi  répondit 
favorablement  à  cela  qu'ils  n'avaient  qu'à  régler  et  à 
écrire  en  secret,  sur  mûre  délibération,  les  articles  de 
eurs  griefs,  quels  qu'ils  fussent,  et  que,  de  son  côté,  il 
corrigerait  cequi  ^rail  à  corriger.  On  prit  jour  pour 


380  HENRI  111. 

la  dénonciation  de  |ces  griefs  ,  afin  que  le  roi ,  sur 
l'avis  commun ,  réformât  heureusement  tout  ce  qu'il 
faudrait  réformer.  Ils  conçurent  donc  de  très-bonnes 
espérances  de  voir  le  roi  obtempérer  à  leurs  désirs, 
parce  que,  sur  ses  instantes  sollicitations,  ils  avaient 
remis  toute  offense ,  comme  il  a  été  dit ,  à  son 
frère  l'élu  à  Winchester^  et  avaient  rétabli  la  paix  ; 
parce  qu'il  avait  pris  le  signe  de  la  croix,  qui  exige 
l'humilité  et  la  justice;  parce  qu'il  était  parvenu  à  un 
âge  plus  mûr;  parce  qu'il  pouvait  être  plus  pleine- 
ment instruit  par  l'exemple  de  son  père;  parce  que 
les  malheurs  arrivés  récemment  au  roi  de  France  de- 
vaient lui  enseigner  sa  conduite  ,  et  qu'enfin  l'église 
lui  promettait  assistance  de  bonne  grâce.  Or ,  quoi- 
qu'il y  eût  beaucoup  de  motifs  capables  de  le  déter- 
miner à  faire  avec  faveur  et  empressement  ce  qu'on 
lui  demandait,  il  en  est  un  que  nous  avons  jugé  à 
propos  d'insérer  dans  ce  volume,  comme  le  plus 
fort.  A  l'époque  où  le  bienheureux  Edmond  gouver- 
nait l'église  de  Cantorbéry  ,  une  certaine  contribu" 
tion  fut  accordée  au  roi,  selon  son  désir  et  sa  de- 
mande. Le  môme  roi  jura,  en  étendant  sa  main  droite 
sur  les  très-saints  et  sacrés  évangiles ,  et  en  tenailt 
dans  sa  main  gauche  un  cierge  allumé,  tandis  que 
l'archevêque  lui  dictait  la  formule  du  serment,  qu'il 
observerait  désormais  inviolablcmcnt  ut  sans  détour 
la  charte  octroyée  tant  de  fois  à  ses  féaux  ,  et  ne  se 
laisserait  pas  séduire  par  les  tromperies  ordinaires 
de  quelques  méchants  conseillers.  Sembinblementun 
grand  nombre  do  prélats  qui  se  trouvaient  présents 


à  celle  solennité  excommunièrent ,  en  tenant  à  la 
main  des  cierges  allumés,  ainsi  que  l'archevêque  sus- 
dit ^  tous  ceux  qui  violeraient  cette  charte  et  qui  lui 
donneraient  de  mauvaises  interprétations.  En  ache- 
vant de  prononcer  la  sentence  ,  tous  les  assistants  et 
le  roi  lui-même  répétèrent,  selon  Tusage  :  «  Qu'il  en 
«<  soit  ainsi ,  qu'il  en  soit  ainsi  ;  »  les  cierges  furent 
rQQfttnés  par  terre  et  éteints  ;  et  comme  la  fumée 
fétide  qui  s'en  exhalait  pénétrait  désagréablement 
dans  les  yeux  et  dans  les  narines  des  assistants  ,  Par- 
chevêque  s  écria  :  «  Qu'ainsi  soient  éteintes ,  soient 
0  fumantes  et  fétides  les  âmes  damnées  de  ceux  qui 
«  violeront  ladite  charte  ou  lui  donneront  une  inter- 
«  prétation  mauvaise.  »  Alors  tous,  mais  le  roi  plus 
fréquemment  et  plus  ardemment  que  les  autres  , 
crièrent:  «  Amen,  amen,  u  Et  ces  choses  se  passèrent 
dans  la  chapelle  de  Sainte-Catherine,  à  Westminster. 
Toutefois  le  roi  ne  rasa  point  les  hauts  lieux,  comme 
on  le  lit  dans  l'Ancien  Testament  au  sujet  de  certains 
rois  insensés.  Bien  plus ,  il  leva  de  Targent,  et  dissipa 
en  prodigalités  l'arjjent  levé  contre  la  décision  com- 
mune; il  eo  leva  une  seconde  fois,  et  pendant  cette 
année  qui  s'écoule  dans  le  temps  présent.    Mais  cet 
excès,  ô douleur!  parce  qu'il  se  renouvelle  fréquem- 
ment, n'est  plus  considéré  comme  un  grand  mal. 

Maître  Albert  qui,  après  avoir  envoyé  un  message 
au  6ei}jneur  pape,  avait  attendu  sa  réponse,  se  h&ta, 
ses  coffres  remplis  ,  de  s'en  retourner.  Or,  le  pape 
n  avait  voulu  en  aucune  façon  aider  de  son  trésor  le 
i-omte  Kicbard  ,  ou  lui  conférer  des  châteaux  où  il 


582  HENRI  III. 

put  trouver  un  refuge,  ou  lui  livrer  des  otages  qui  pus- 
sent lui  servir  de  sûres  garanties.  Le  comte,  ajoutant 
donc  foi  aux  sages  conseils  et  aux  recommandations  de 
son  ami  Conrad,  resta  en  paix.  Mais  le  seigneur  pape, 
nepouvantdéterminerle  comte,  eutrecoursà  d'autres 
moyens  de  tromper,  et  chercha  à  circonvenir  la  sim- 
plicité du  frère  dudit  comte,  c'est-à-dire  du  seigneur 
roi  d'Angleterre.  Il  réussit  dans  ce  dessein,  comme 
on  le  verra  dans  ce  qui  suit. 

A  la  même  époque,  arrivèrent  de  Terre-Sainte  des 
ordres  du  seigneur  roi  de  France,  portant  que  tous 
les  juifs  seraient  chassés  du  royaume  de  France  et 
condamnés  à  un  exil  éternel  ;  cette  restriction  cepen- 
dant y  était  ajoutée  :  «  mais  que  celui  qui  voudra  res- 
ter, qu'il  soit  négociant  ou  manœuvre,  se  livre  à  des 
arts  mécaniques.  »  En  effet,  les  Sarrasins  avaient  fait 
reproche  audit  roi  de  ce  que  nous  chérissions  ou 
respections  peu  notre  Seigneur  Jésus-Christ,  en  souf- 
frant que  ceux  qui  l'avaient  tué  demeurassent  parmi 
nous.  Or,  les  Caursins  remplirent  avec  joie  la  place 
et  j'oftice  des  juifs  qui  s'exilaient, 

Vers  le  même  temps,  l'abbé  de  Saint-Augustin 
étant  venu  à  mourir,  le  seigueur  roi,  pour  faire  voir 
évidemment  qu'il  ne  voulait  en  aucune  façon  obser- 
ver lu  charte  souvent  dite,  fit  piller  jusqu'à  exter- 
mination les  biens  de  cette  église  par  ses  satellites, 
et  enfreignant  sans  pudeur  les  autres  articles  de  la- 
dite charte,  s'efforça  de  sévir  contre  les  prélats,  les 
seigneurs  et  les  bourgeois  de  Londres.  Le  couvent  de 
adite  maison,  saisi  de  consternation,  se  hôta  d'élire 


ANM  1.  4250.  585 

sun  précenleur  pour  abbé  ulin  de  faire  cesser  ce  fléau 
(le  rapine.  Celui-ci,  après  avoir  été  élu,  parvint  à 
peine  à  se  procurer  les  choses  nécessaires  sur  les 
biens  de  son  é[][lise,  surtout  lors({u'il  eut  conclu  un 
nccomniodement  pécuniaire  avec  le  roi.  Les  res- 
sources de  cette  église  se  trouvant  donc  épuisées,  les 
moines  purent  a  peine  respirer  pendant  les  cinq  ans 
qui  suivirent. 

DoMMiGE  ET  OPPRESSION  DE  L  ÉGLISE  DE  SâINTE-MaRIE 

D  York.  —  Les  Romains  dévastent  la  ville  de  Tivoli. 

—  HiCUARD,  COMTE  DE  GlOCESTER,  EST  FIANCÉ  A  LA  NIECE 

DE  Uenri  111.  —  Déncment  dl  roi.  —  Le  roi  d'Es- 
pagne REVENDIQCE  LA  GaSCOGNE.  —  ADOUCISSEMENT  AP- 
PORTÉ AUX  VISITATIONS.  —  ToDRNOI  CÉLÉRRÉ  EN  FrANCE 
EN    L  HONNEUR    DU    MARIAGE    PROJETÉ  —  VcPS    le    même 

temps,  Tabbé  et  le  couvent  de  Téglise  de  Suinte-Ma- 
rie, à  York,  épiouvèrenl  grand  dommage  et  flétris- 
sure au  sujet  d'une  certaine  charte  que  les  adversaires 
d  iceux,  dont  le  principal  était  Jean  le  Français,  clerc 
de  Téchiquier  du  roi.  avaient  jugée  non  valable.  Or, 
GO  croit  sans  nul  doute  que  le  même  Jean  qui,  né 
dans  le  nord,  désirait  ardemment  augmenter  dans 
cet>  pays  ses  revenus  avec  les  biens  de  Téglise  susdite, 
avait  provoqué  cette  décision  sans  s'inquiéter  du  sa- 
lut de  son  âme,  tandis  qu'il  est  écrit  :  «  Malheur  à 
«  Ibommc  par  qui  tout  scandale  est  causé,  h  Ils 
furent  doue  forcés  de  payer  au  roi  une  somme  d'ar- 
gent considérable,  perdirent  de  plus  à  perpétuité  des 
terres   et  des  revenus  opulents,  el  furent  couverts 


SS4  HENRI  III. 

d'une  flétrissure  indélébile.  Les  moines  se  trouvèrent 
dispersés,  et  celte  noble  église,  plongée  dans  la  plus 
grande  confusion,  sévit  exposée  au  péril  et  à  la  ruine. 
Le  susdit  Jean,  persécuteur  des  églises,  et  que  la  ven- 
geance de  Dieu  avait  privé  d'un  œil  pour  ses  précé- 
dents mérites  ,  fit  éprouver  de  la  même  manière  et 
pour  une  cause  semblable  des  dommages  irréparables 
à  l'abbaye  de  Selby  *. 

A  la  même  époque,  les  Romains,  pour  punir  l'in- 
solence et  l'oi^ueil  des  habitants  de  Tivoli,  dévas- 
tèrent et  ruinèrent  misérablement  leur  ville.  Les  ci- 
toyens furent  forcés  de  se  rendre  à  Rome,  nus,  sans 
chaussures  et  enchaînés  pour  y  demander  merci,  afin 
d'obtenir  la  vie. 

Cette  même  année,  le  roi,  ce  supplantateur  cap- 
tieux des  Anglais  indigènes,  voulant  que  tous  les 
nobles  de  son  royaume  dégénérassent,  «'opposant 
pour  leur  ruine  à  la  pure  reproduction  de  la  race  an- 
glaise, et  cherchant  à  mélanger  leur  sang  généreux 
avec  le  sang  des  étrangers,  qui  n'est  qu'une  humeur 
noire  et  fétide,  vit  avec  peine  que  Richard,  comte  de 
Glocester  et  sa  progéniture  ne  s'étaient  pas  du  moins 
souillés  à  ce  contact  empoisonné.  Or,  le  comte  était 
jeune  encore,  de  bonne  mine,  éloquent,  prudent, 
versé  dans  les  lois  du  pays,  et  enfin  tel  en  tous  points 
que  l'espérance  de  tous  les  nobles  d'Angleterre  était 
déposée  ajuste  litre  dans  son  sein,  et  qu'il  s'était 
concilié  la  faveur  et  l'amitié  de  Ions.  Mais  tous  furent 

*  Kn  york-Shirc,  WonURidini!. 


ANItRE  42SS.  385 

trompés  dans  l'espoir  qu'ils  avaient  conçu  ;  car  une 
avarice  ignoble,  lonfiteinps  cachée,  se  lit  jour  tout  à 
coup  et  vint  obscurcir  énorinémenl  la  noblesse  du 
comte.  Aussi  le  seigneur  roi,  flairant  pour  ainsi  dire 
sa  cupidité  (car  le  comte  avait  été  en  sa  garde  pen- 
dant plusieurs  années),  lui  dil  :  «  Mon  très-cher  et 
«  aoié  comte,  je  ne  veux  pas  te  cacher  plus  long- 

•  temps  le  secret  de  mon  cœur.  Je  désire  ardem- 

•  ment  t'élever,  t  enrichir  et  t'agrandir  en  unissant 

•  par  mariage  ton  fils  aîné  et  légitime  à  la  fille  de 
«  Guy,  comte  d'Angouléme,  mon  frère  utérin.  De 
«  mon  côté,   par  une  largesse   magnifique,  je  t'oc- 

•  In^rai  cinq  mille  marcs,  au  moyen  desquels  ta 

•  bru  pourra  s'élever  au  faîte  royal,  comme  il  con- 
«  vient  à  une  jeune  fille  issue  de  sang  royal.  »  Aussi 
le  comte,  stimulé  par  Tavarice  qui  seule  entre  tous 
les  f  ices  fléchit  le  genou  devant  les  idoles,  dégénéra 
en  eette  occasion  de  la  noblesse  de  ses  ancêtres,  et 
aooaeDtit  pour  de  Targent,  comme  s^il  eût  été  un 
courtier  ou  un  usurier,  à  marier  son  héritier  légitime 
è  one  fille  jeune  d'âge,  ou  pour  mieux  dire  encore 
dans  leniiBnce,  qui  manquait  probablement  de  fidé- 
liiéei  de  beauté,  comme  tout  ce  qui  sort  du  Poitou, 
et  qui  n'était  alliée  au  noble  sang  des  rois  qu'à  un 
degré  fort  éloigné,  collatéralement  et  occasionnelle- 
ment. Comme  le  roi  n'avait  pas  sous  la  main  Par^i^ent 
susdit,  parce  qu  il  avait  coutume  de  dissiper  les  tré- 
sors ravis  çà  et  là,  il  supplia,  mais  impérieusement, 
Tabbé  de  Saint-Albans,  1  abbé  de  Reading  et  Tabbé 
de  Waltliam  de  se  porter  garants  pour  la  somme  sus- 
vu.  25 


586  HENRI  III. 

dite  vis-à-vis  du  conUe  de  Glocester  ,  ce  que  ceux-ci 
ne  pouvaient  ni  ne  devaient  faire  en  aucune  façon  ; 
car  qui  pourrait  forcer  le  roi  à  payer  si  [par  la  suite] 
il  sY  refusait  ?  Le  roi,  en  outre,  supplia  instamment 
les  Templiers  et  les  Hospitaliers  de  se  charger  du 
fardeau  de  ladite  obligation  dont  il  était  tenu  envers 
le  comte  susdit.  Ceux-ci  s'y  étant  formellement  re- 
fusés, assurant  que  la  chose  leur  était  tout  à  fait  im- 
possible, le  roi,  irrité,  les  accabla  de  menaces  ter- 
ribles, et,  dans  sa  colère,  dépouilla  frère  Roger, 
Templier,  de  l'office  d'aumônerie,  ordonnant  qu'on 
le  chassât  de  la  cour  ;  et  toutes  les  fois  qu'il  en  trouva 
l'occasion,  il  tendit  aux  Templiers  et  aux  Hospita- 
liers des  pièges  artificieux.  Le  roi,  de  plus,  était 
endetté  du  ne  forte  somme  envers  le  comte  de  Lei- 
cester Simon,  pour  la  résignation  de  la  charte  que  ce 
dernier  avait  reçue  du  roi,  et  qui  lui  conférait  la 
garde  de  la  Gascogne  pendant  cinq  années. 

Aussi  le  roi  d'Espagne  Alphonse  ,  apprenant  que 
le  comte  de  Leicester  Simon  avait  quitté  la  Gasco- 
gne, et  avait  résigné  la  charte  qui  lui  en  conférait 
la  garde,  réclama  sur-le-champ  la  Gascogne,  et  cela 
avec  d'autant  plus  de  sécurité,  que  cette  province 
n'avait  plus  pour  chef  qu'un  enfant,  c'est-à-dire 
Edouard  ,  selon  celle  parole  de  Lucain  : 

•  l/<i(;e  (lu  lyraii  du  Nil  doit  inspirer  des  soupçons  :  cnr  In  bonne  Toi, 
<■  pour  élrn  ferme,  exige  des  années  mûres.  » 

C'est  pourquoi  le  roi  susdit,  considérant  ces  deux 
occasions  favorables,  à  savoir  que  lecomle,  guerrier 


ANNEE  -1253.  587 

redoutable,  s'était  retiré,  et  que  la  Gascogne  était  sous 
\n  domination  d'un  enfant,  se  concilia  la  faveur 
du  souverain  pontife,  et  demanda  qu'il  lui  fût  per- 
mis, sans  offenser  aucunement  l'église,  de  revendi- 
quer et  de  soumettre  puissamment  ce  qui  était  à  lui 
en  vertu  de  la  donation  du  roi  d'Angleterre  Henri 
second,  donation  qu'il  prouvait  par  une  charte  dudit 
roi,  cooGrmée  par  les  rois  Richard  et  Jean.  Aussi  le 
roi  de  Castille  appela  à  lui  un  Gascon  puissant  et  de 
haute  naissance,  nommé  Gaston,  et  quelques  autres 
seigneurs  de  cette  terre  :  beaucoup  des  nobles  de  la 
Gascogne  s'altachèrent  au  roi  d'Espagne,  abandon- 
nant ainsi  le  roi  d  Angleterre;  et  ce  furent  surtout  les 
riches  qui  avaient  coutume  d'envoyer  leurs  vins  en 
Angleterre  pour  y  être  vendus,  et  dont  les  vins  étaient 
retenus  et  pillés  sans  pudeur,  au  gré  tyrannique  du 
roi  d'Angleterre.  Ce  que  voyant,  les  Bordelais,  féaux 
duseigneurroid'Angleterre,  lui  annoncèrenten  toute 
bâte  que  s'il  ne  venait  puissamment  et  promptement 
à  leur  secours,  il  perdrait,  sans  nul  doute,  toute  la 
Gascogne,  et  la  verrait  passer  aux  mains  du  roi  de 
Castille,  qui  revendiquait  et  espérait  occuper  toute 
la  province.  En  apprenant  cela,  le  roi  fut  fâché  et  se 
repentit  du  fond  du  cœur,  mais  trop  tard,  d'avoir 
rappelé  le  comte  Simon  de  la  garde  de  la  Gascogne. 
Cependant  le  comte,  pour  se  soustraire  aux  prières 
qu*on  aurait  pu  lui  faire  de  revenir,  se  retira  en 
France,  où  les  seigneurs  du  royaume  de  France  l'au- 
raient retenu  volontiers,  ayant  dessein,  dans  leurs 
intérêts  et  dans  ceux  du  royaume  désolé  et  grande- 


388  HENRI  III. 

ment  désespéré,  à  cause  de  Tabsence  du  roi  et  de  la 
mort  de  la  reine  Blanche,  de  le  nommer  leur  séné- 
chal parce  qu'il  était  vaillant  et  féal.  Ce  que  le  comte 
refusa  expressément  pour  ne  point  paraître  traître, 
selon  ce  précepte  de  Tapôtre  :  «  Abstenez-vous  de 
«  toute  apparence  de  mal.»  Quant  au  comte  Richard, 
comme  il  avait  été  supplanté  dans  le  gouvernement 
de  Oasco(Tne  malgré  les  chartes  qui  le  lui  conféraient, 
il  considérait  tout  cela  prudemment  et  en  silence  avec 
des  yeux  de  connivence. 

Vers  le  même  temps,  le  seigneur  pape,  pour  satis- 
faire les  deux  partis,  régla  et  décida  d'une  manière 
assez  salutaire  et  tolerable  que  l'archevêque  et  les 
autres  prélats,  à  qui  appartient  la  visitation,  exer- 
ceraient le  droit  de  visitation  dû  et  accoutumé;  en 
sorte  toutefois  que  les  visités  ne  seraient  point  grevés 
par  les  procurations  des  visitants,  et  il  taxa  le  prix  de 
chaque  visitation  en  le  limitant,  comme  sa  lettre  le 
prouve  au  livre  des  Additamenta*. 

Cette  même  année,  vers  le  commencement  du 
printemps,  le  comte  de  (îlocester  Uichard,  et  Guil- 
laume de  Valence,  frère  du  roi,  passèrent  lamer 
avec  pompe  et  en  grand  appareil,  pour  mener  à  plein 
effet  et  achèvement  le  mariage  convenu  entre  Ui- 
cbard,  iils  aîné  du  comte,  et  In  fille  du  comte  d'An- 
goulémc,  frère  du  roi.  Ceux-ci,  tout  en  étalant  leurs 
broderies,  voulurent  mériter  dans  In  fleur  de  leur 
âge  le  renom  d'habileté  en  chevalerie,  et  dans  un 

«  Voyez  l'addiUoii  XXtVd^ji  cili^f.rt  l'addilion  XXVI  h  la  fin  du  vo- 
lume. 


ANNÉE  nS3  I8f 

tournai  livré  en  e«  lieu,  essayèrent  avec  une  audace 
téméraire  leurs  forces,  leur  intrépidité,  etPagilitéde 
leurs  chevaux  ;  mais  les  Français,  avec  leur  ot^ueil 
naturel,  s'indignant  que  ces  jeunes  fjensaiix  cheveux 
frisés  etaux  formes  délicates  eussent  une  présomption 
si  oulree4iidaute,  lorsque  nous  lisons  qu'Hector  dit  à 
Paris  :«Marsaime  un  guerrierendurci  aux  combats,» 
lesreçurentavec  vigueur,  et  après  les  avoir  dépouillés 
et  renversés,  ils  les  bàtonnèrent  si  bellement,  qu'ils 
eurent  pendant  longtemps  besoin  d'emplâtres  et  de 
bains;  toutefois  ils  méritèrent  peu  d'ôlre  plaints,  par- 
ce qu'ils  étaient  partis  pour  conclure  un  mariage 
odieux  aux  Anglais,  en  se  glorifiant  vainement  et  en- 
flés d'une  pompe  orgueilleuse.  A  cette  époque  la  lune 
apparut  quatre  jours  avant  eelui  où  on  devait  fixer 
son  âge. 

Lm  BiilTANTS  D6  LONDEES  SONT  FOACÉS  DE  tk\V.h  AD 
IM  ONBaOVllE  o'aROEKT,  après  avoir  BATONNÉ  SES  SER- 
VITEURS. —  Proclamation  podb  la  soketé  du  aoyalhe. 

OliaAIUSAT10.>  DINE  MILICE  COIIMINAJ4E.  MoBT  DE 

Kiciar»  de  Witz,  évéô*je  DE  Chicester.  —  Nou- 
velle RÉVOLTE  DES  GaSCONS.  —  PlLLAGE  DES  BIENS  DES 
rAOVlES.  — LlfEBTÉS  ACCORDÉES  A  l'ÉGLISE  DE  VVaLTIIAM. 

—  Les  Français  demandent  conseil  et  secoubs  au 
COMTE  DE  Leicester,  et  veulent  l'investir  de  la 
régence.  —  Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire  dans 
la  première  quinzaine  du  carême,  le  roi,  sur  un  léger 
prétexte,  imposa  une  contribution  de  mille  marcs  aux 
citoyens  de  Londres,  quo  nous  avons  coutume  d'aj)- 


390 


HENRI  111. 


peler  barons,  à  cause  de  la  dignité  de  la  ville  et  de 
l'ancienne  liberté  des  citoyens.  Vers  le  même  temps, 
les  jeunes  gens  de  la  ville  de  Londres,  ayant  fixé  un 
paon  pour  prix  des  jeux,  essayèrent  leurs  forces  et 
l'agilité  de  leurs  chevaux,  dans  la  lice  qu'on  appelle 
vulgairement  Quintaine  \  Mais  quelques  serviteurs 
et  pages  de  la  maison  du  roi,  lequel  se  trouvait  alors 
à  Westminster,  s'en  indignèrent,  se  mirent  à  les  in- 
jurier, les  traitant  de  rustres,  de  fariniers,  et  de  sa- 
vonniers, et  se  présentèrent  pour  lutter  contre  eux. 

'  Voici  ce  que  dit  Dacange  sur  ce  jeu,  désigné  longtemps  en  Angle- 
terre par  l'expression  Running  ai  the  quinien  .  «  La  quintaine  est  une 
«  espèce  de  bust  posé  sur  un  poteau  ob  il  tourne  sur  un  pivot,  en  telle 
«  sorte  que  celui  qui,  avec  la  lance,  n'adresse  pas  au  milieu  de  la  poi- 
«  triue,  mais  aux  extrémités,  le  fait  tourner;  et  comme  il  (le  buste)  tient 
n  dans  la  main  droite  un  baston  on  une  espée,  et  de  la  gauche  un  bou- 
<  clier,  il  en  frappe  celui  qui  a  mal  porté  son  coup.  Cet  exercice  semble 
«  avoir  été  inventé  pour  ceux  qui  se  servaient  de  la  lance  dans  les  jousles, 
M  qui  estaient  obligez  d'en  frapper  entre  les  quatre  membres,  autrement 
•  ils  estaient  blâmez  comme  maladroits.  »  (Dissert,  vil.)  D'où  l'on  pour- 
rait conclure  que  c'était  un  exercice  réservé  aux  nobles ,  ce  qui  achève- 
rait d'expliquer  le  fait  dont  il  est  ici  question.  La  quintaine  resta  en  usage 
en  France  jusqu'au  dix-septième  siècle,  et  fut  remplacée,  dans  les  exer- 
cices du  manège,  par  la  course  au  faquin  et  par  les  têtes;  mais  le  mot 
resta  employé  dans  le  beau  langage  du  temps. 

Et  qui,  depuis  dix  ans,  jusqu'en  ses  derniers  jours 

A  soutenu  le  prix  en  l'escrime  d'amours 

LaiM  enfin  de  servir  au  peuple  de  quintaine,  etc. 

(Regnikr,  satire  XIH.) 
Sc«rron  s'eo  sort  dans  un  sens  moins  énergique. 

Ses  beaux  yeux  à  lance*  d'ébène 
**'  Sur  les  ceeur*  courent  la  quintaine. 

(RiCHRLRT,  Diet,  au  mot  Quintaiur.j 


11 


ANNEE  ^255.  ô'j\ 

Ceux  de  Londres  les  reçurent  vigoureusement,  et  avec 
des  fragements  de  lunées  battirent  si  fortement  la 
mesure  sur  leurs  dos,  que  tous  les  gens  du  roi,  cou- 
verts de  coups,  rouges  et  noirs,  furent  jetés  à  bas  de 
leurs  chevaux,  et  se  sauvèrent  à  toutes  jambes.  Ils 
vinrent  donc  trouver  le  roi  les  maiiisjointeset  les  yeux 
en^ileurs,  se  plaignant  à  lui  et  le  suppliant  de  ne  pas 
laisser  un  tel  excès  impuni.  Le  roi  eut  recours  à  son 
moyen  de  vengeance  ordinaire,  qui  était  d'extorquer 
aux  habitants  de  Londres  une  grande  sotnme  d'ar- 
gent. 

Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire  pendant  le  ca- 
rême, des  bruits  fûclieux  se  répandirent,  à  savoir  que 
les  Gascons,  devenus  insolents  à  Tenvi,  se  disaient  en 
parlant  de  leur  seigneur,  le  roi  irAngleterre  :  «  Nous 
«  ne  voulons  plus  que  celui-là  règne  sur  nous;  car 
•  c'est  an  homme  d'iniquité  qui  n'observe  ni  ses 
M  promesses,  ni  ses  serments,  ni  même  la  teneur  des 
■  chartes.  »  On  apprit  peu  de  jours  après  que  la 
Réole,  Saint-Émilion  et  plusieurs  autres  châteaux  de 
Gascogne  étaient  pris  et  perdus,  et  qu'un  grand 
carnage  d'hommes  avait  eu  lieu.  Aussi  le  roi,  redou- 
tant grandement  que  de  telles  pertes  n'entraînassent 
la  ruine  de  la  Gascogne  tout  entière,  comme  il  était 
arrivé  naguère  en  Poitou,  (surtout,  puisque  lesdiles 
terres  sont  comme  les  remparts  et  les  barrières  de 
tout  le  royaume  d'Angleterre,  décida  et  fit  proclamer 
géuéralement  en  Angleterre,)  par  la  voix  du  héraut, 
et  cela  par  brefs  envoyés  dans  chaque  comté,  que 
selon   r ancien  usage,    de^  armes   seraient  assignées 


592  HEiNKl  Hi. 

convenablement  aux  citoyens,  qu'elles  seraient  pas- 
séesen  revue*,  et  qu'on  en  tiendrait  rôle;  de  telle  sorte 
qu'elles  fussent  sufBsantes  et  convenables,  selon  les 
facultés  de  chacun  ;  que  quiconque  posséderait  quinze 
livrées  de  terre  serait  chevalier;  qu'en  outre,  dans 
chaque  cité,  aussi  loin  que  s'étendrait  la  juridic- 
tion' de  ladite  cité,  des  gardes  seraient  instituées 
pour  veiller  la  nuit,  sous  les  yeux  d'hommes  discrets, 
qui  garderaient  avec  soin  les  rues,  les  places,  les  en- 
trées et  les  sorties^.  De  plus,  le  roi,  sur  le  conseil 
des  Savoyards,  décida  que  si  quelqu'un,  en  passant, 
était  dépouillé  ou  éprouvait  dommage,  d'une  façon 
ou  d'une  autre,  de  la  part  d'un  brigand,  ceux  qui 
étaient  chargés  en  dernier  ressort  de  la  garde  du 
pays  donneraient  satisfaction  convenable  au  lésé,  et 
lui  restitueraient  ce  qu'il  aurait  perdu,  selon  la  cou- 

'  Monstrareniur  (texte  hic) .  Ducange  etCarpentier  donnent  une  foule 
d^ exemples  de  monstrare  pris  dans  ce  sens .  On  disait  en  vieux  français 
montre  pour  revue,  et  on  trouve  en  allemand  Musterung. 

*  Possibilitas  (texte  hic).  L'origine  scoiastique  de  ce  mot  est  évidente. 
Le  vicomte  ou  shérif  d'une  cité  avait  juridiction  non-seulemeut  sur  la 
cité,  mais  aussi  sur  les  jardins  et  les  faubourgs,  ainsi  que  sur  les  cam- 
pagnes, les  bourgades  et  les  villa  jcs  de  la  banlieue  ;  et  ce  qui  constituait 
la  liberté  de  la  cité,  comme  on  disait  en  Angleterre,  c'était  d'être  comté 
intra  se  (Gloss,  du  texte),  d'avoir  juridiction  séparée  sur  les  citoyens  et 
la  population  dépendante,  et  de  n'être  pas  soumise  au  vicomte  du  comté 
dans  lequel  elle  se  trouvait.  Les  vicomtes  que  nous  appellerons  urbains, 
avaient  donc  pouvoir  de  comté,  posse  romitatus^  dans  la  ville-comté 
dont  les  juridictions,  les  limites  cl  les  enceintes  portoicnt  le  nom  géné- 
riqu<!  il«>  possihiliié. 

'  Voir  V Aurtnrium  <!»!«  AâdHamcntn  sous  ce  titre  :  Mandata  de 
juratis  tid  arma,  ql  lot  notes  qui  accompagnent  ce  passage.  Nous  don- 
ooqs  ce  document  à  In  fin  du  Tolumr.  loui  le  n"  XWII. 


M 


ANNEE  4255.  395 

tumede  la  Suvoie;  que  ceUe nécessité  lesobli{/eraità 
poursuivreles malfaiteurs,  etàen  purger  le  pays.  Mais 
la  chose,  selou  Topinioa  de  plusieurs,  ne  pouvait  se 
faire  en  ce  pays-ci  connue  eu  Savoie;  car  il  n'y  a  pas 
en  Savoie  autant  de  routes  de  traverse,  autant  de 
broussailles,  autant  de  retraites,  autant  de  forêts 
qu  en  Augleterre  :  et  les  montagnes  inaccessibles  qui 
hérissent  le  pays  font  qu'il  n'y  a  de  chemio  ouvert 
que  la  grande  route  commune,  où  les  voleurs  ne 
peuveut  m  se  cacher  ni  se  sauver  commodément, 
ce  qui  permet  de  les  prendre  plus  aisément;  outre 
cela,  comment  parvieodrail-ou  à  prouver  ce  qui  se- 
rait dit  s'être  passé  sans  témoins  ?  C'est  pourquoi 
les  murmures  qui  s'élevèrent  lirentdiiférer,  ou  pour 
uiieux  dire  rendirent  nulle  Tekéeution  de  cette  or- 
donnance, surtout  puisqu'une  aussi  grande  permu- 
tation daus  la  loi  ne  pouvait  être  établie  valablemeut 
MQ8  le  commun  assentiment  du  baronage. 

Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire  le  4  avant  les 
Hlfiias  d'avril,  mourut  Tévéque  de  Chicestcr,  maître 
Eichard  deWilz,  homme  d'une  érudition  distinguée, 
et  dmie  sainteté  parfaite,  jadis  derc  et  conseilla 
•péfâal  du  bienheureux  Edmond,  archievéque  de 
Caotorbér}',  dont  il  s'efforçait  de  suivre  les  traces  pas 
à  pas.  Ledit  Richard,  qui  avait  été  élevé  à  la  dignité 
d'evéque,  non  sans  que  le  bienheureux  Edmond  ne 
lui  eût  prédit  sa  grandeur  future,  se  rendit  à  Pon- 
Ijgny,  è  l'époque  où  ledit  saint  devait  être  transféré, 
alio  qu'un  ami  si  s|>écial  ne  fût  |>a8  absent  d'une  si 
l»*lb'  o\  1,1  louable  solennité.   H  avait  été  en  effet 


Ô9A  HENRI  III. 

comme  son  serviteur  et  le  confident  de  tous  ses  secrels; 
et  quand  on  lui  faisait  des  questions  à  cet  égard,  il 
y  répondait  hautement  pour  Tédification  de  tous. 
Aussi  le  seigneur  Matthieu  Paris,  moine  de  l'église  de 
Saint-Albans,  instruit  par  les  récits  dudit  Richard, 
ainsi  que    par    ceux  de  maître  Roger   Bacon,  de 
Tordre  des  Prêcheurs,  a  écrit  la  vie  du  susdit  saint 
Edmond,  et  a  mis  soigneusement  en  ordre  ce  qu^il 
avait  appris ,  sans  nul  doute,  de  gens  dignes  de  foi. 
Celui  qui  désire  la  connaître,  pourra  la  trouver  dans 
l'église  de  Saint-Albans. 

Vers  la  fête  de  saint  ^Elphège,  les  traîtres  du  roi 
en  Gascogne,  voyant  que  l'absence  du  comte  Simon 
et  de  tout  autre  guerrier  puissant  leur  laissait  libre 
carrière  pour  se  déchaîner  et  se  livrer  à  leurs  fu- 
reurs, commencèrent  à  se  mordre  et  à  s'attaquer  ré- 
ciproquement, comme  des  bêles  féroces  et  comme 
des  chevaux  indomptés,  à  surprendre  les  châteaux 
les  uns  des  autres,  à  faire  les  hommes  prisonniers, 
et  à  réduire  les  édifices  en  cendres,  après  en  avoir  tué 
les  habitants.  Le  premier  et  le  principal  de  ces  rebelles 
était  Gaston,  seigneur  de  Béarn  et  de  Périgord, 
homme  souillé  de  plusieurs  attentais,  qui  avait  faussé 
les  serments  prêtés  au  roi,  b.  qui  le  seigneur  roi  avait 
épargné  une  condamnation,  et  qui  cependant  s'était 
attaché  au  roi  d'Espagne,  pour  nuire  davantage  au 
roi  d'Angleterre.  Il  dévastait  donc  une  gronde  partie 
de  la  Gascogne,  et  animait  los  ennemis  du  roi  contre 
leur  seigneur  le  roi  d'Angleterre,  en  sorle  que  Bor- 
deaux, qui  fournissait  orHinaireirïont  des  vivres  à 


% 


ANNÉE  4253  595 

toute  la  Gascogne,  commençait  lui-même  à  en  man- 
quer. 

Vers  le  même  temps,  le  roi  encourut  une  haine 
implacable  et  de  formidables  imprécations,  tant  de 
la  part  des  indigènes  que  des  étrangers,  pour  des 
motifs  qui  se  multipliaient  de  jour  en  jour.  En  effet, 
les  vicomtes  et  les  officiers  royaux  s'efforçaient 
d'appauvrir,  ou  pour  mieux  dire  de  piller  tous  ceux 
qu'ils  pouvaient,  sous  des  prétextes  de  pure  invention, 
et  sans  craindre  de  se  charger  de  pareils  péchés.  Or, 
il  y  avait  alors  en  Angleterre  plusieurs  rois,  unique- 
ment occupés  de  rapines,  qu'il  serait,  je  crois,  en- 
nuveux  et  dangereux  de  nommer.  Ils  prenaient  aux 
pauvres,  et  principalement  aux  marchands,  leurs  che- 
vaux, leurs  chariots,  leurs  vins,  leurs  vivres,  leurs 
pièces  d'étoffes,  leur  cire,  enfin  tous  les  objets  de 
première  nécessité,  les  obligeaient  même  à  transpor- 
ter ces  objets  malgré  eux  dans  des  pays  éloignés,  sans 
leur  en  fournir  le  prix  ou  leur  en  adresser  le  plus 
mince  remercîment.  De  plus,  cherchant  un  nœud 
dans  le  jonc,  ils  prétendaient  trouver  des  fraudes 
dans  les  mesures  pour  liquides  et  dans  les  aunes, 
imposaient  aux  bourgs  des  amendes  énormes  sans 
motif,  et  extorquaient  de  Targent  aux  innocents. 
Let  Gascons,  qui  avaient  apporté  des  vins  à  vendre, 
voyant  qu  on  pillait  leur  marchandise  sans  la  leur 
payer,  retournèrent  sans  argent  dans  leur  pays,  et 
se  plaignirent  à  tous  les  habitants  de  la  Gascogne. 
Ainsi  le  roi  encourait  l'indignation  générale. 

r.etle  même  année,  c'est-à-dire  à  râquei>,  le  sei- 


596  HENRI  HI. 

gneur  roi  octroya  et  confirma  à  l^abbé  et  au  couvent 
de  Waltham,  à  cause  de  la  religion  de  cette  maison, 
et  de  la  généreuse  etcharitable hospitalité  qu'ony  exer- 
çait, la  faculté  suivante  :  à  savoir  que  toutes  les  fois 
qu'il  arriverait  que  leur  maison  fût  vacante,  soit  par 
la  résignation ,  soit  par  le  décès  de  Tabbé ,  et  fût 
veuve  de  son  pasteur,  le  couvent  disposerait  libre- 
ment à  sa  volonté  des  biens  de  la  maison,  et  aurait 
pleine  permission  de  disposer  tant  de  la  baronnie 
que  des  possessions  du  même  couvent;  et  il  leur 
donna  à  cet  égard  une  charte  en  règle.  Or,  ils  avaient 
déjà  obtenu  cette  faculté  à  une  époque  bien  anté- 
rieure; mais  le  roi,  pour  plus  de  sécurité,  la  leur 
oclroya  et  confirma  de  nouveau.  Il  leur  accorda  en 
outre  deux  marchés,  et  leur  conféra  quelques  autres 
bénéfices;  mais  toutcela,  avec  le  contenu  des  chartes, 
est  rapporté  plus  au  long  dans  le  livre  des  Addita- 
menta  * . 

Aux  approches  de  la  fête  de  Pâques,  les  seigneurs 
frauçais,  considérant  que  le  royaume  de  France,  dé- 
pourvu de  conseils,  était  en  grand  péril,  à  couse  de 
l'absence  du  roi  qui  combattait  pour  Dieu  eu  Terre- 
Sainte,  à  cause  de  la  mort  de  la  dame  reine  Blanche, 
à  cause  enfin  de  la  perte  des  grands  de  France,  qui 
avaient  succombé  en  Ïqrre-Sainte  ;  voyant,  d'autre 
part,  que  le  comte  de  Leicester  Simon  était  un  homme 
féal  et  magnifique,  qui  s'oflbi-çait  do  suivre  en  lout 
les  traces  de  son  père,  et  qu'il  se  trouvait  alors  privé 

'  Oc  docamrot  ne  i^eit  point  retrouva. 


ANNÉE  4255.  597 

de  lu  garde  de  la  Gascogne,  le  sollicitèrent  ardem- 
ment de  demeurer  parmi  eux,  et  d'être  un  des  gar- 
diens de  la  couronne  et  du  royaume  de  France,  pro- 
mettant de  le  combler  de  justes  honneurs,  selon  son 
mérite.  En  effet  ils  savaient,  à  ce  qu'ils  prétendaient 
du  moins,  qu'il  chérissait  depuis  longtemps,  du  fond 
du  cœur,  le  royaume  de  Fronce,  ainsi  que  son  père 
Simon,  qui  avait  combattu  pour  Téglise  contre  les 
Albigeois,  et  qu'il  n'était  pas  étranger  aux  Français 
par  sa  naissance.  Les  Français  firent  cette  proposi- 
tion au  comte  susdit,  en  lui  envoyant  par  deux  fois 
des  lettres  et  des  députés  solennels;  mais  le  comte 
refusa  formellement,  pour  ne  pas  être  regardé  comme 
un  transfuge. 

Les  Romains  rappellent  le  pape  dans  ledr  ville.  — 
Grand  parlement  tend  dans  la  quinzaine  de  Paqdes.  — 
Nodvellb  confirmation  de  la  grande  charte.  —  Le 
COMTE  Simon  est  déposé  de  la  garde  de  la  Gascogne. 
—  Henri  de  Bath  rentre  a  la  cour.  —  Nouveaux 
forestiers.  —  Miracles  opérés  sur  le  tombeau  de 
Richard,  évéque  de  Chicester.  —  Jean  Clippinge  est 
élu  évéque  de  Chicester.  —  Visitation  de  l'ordre 
Noir.  —  Vers  le  même  temps,  les  Romains,  ayant 
envoyé  des  députés  solennels  au  seigneur  pape,  Ini 
demandèrent  qu'il  revînt  à  Rome,  pour  protéger  son 
troupeau  comme  un  bon  pasteur,  et  afin  que  Rome 
se  réjooit  de  la  présence  de  son  pontife,  comme  les 
autres  cités  se  réjouissent  de  la  présence  de  lenr  évé- 
que, puisqu'on  Tuppelait  {>ontife  romain.  Or,  il  leur 


598  HENRI  III. 

paraissait,  et  il  devait  iiatureiiement  leur  paraître 
abusif,  qu'entre  toutes  les  cités,  Rome  seule,  qui  est 
appelée  la  reine  des  cités,  fût  veuve  pendant  si  long- 
temps de  son  pontife,  et  du  vivant  de  ce  pontife  ;  car  le 
pape,  occupé  de  tirer  de  l'argent  à  ceux  qui  venaient 
vers  lui, et  toujours  prêt  à  ouvrir  son  sein  aux  présents, 
se  montrait  à  peine  à  ceux  d'en  deçà  des  monts, 
en  allant  et  venant  de  côté  et  d'autre,  sans  se  fixer 
nulle  part.  Comme  il  différa  de  venir,  les  Romains 
l'appelèrent  de  nouveau  dans  leur  ville,  comme  pré- 
cédemment, mais  avec  plus  d'insistance,  et  en  lui  si- 
gnifiant qu'il  eût  à  venir  alors  ou  jamais.  Le  pape, 
voyantdoncqu'il  était  en  péril,  quitta  Pérouseau  mois 
de  mai  :  ce  qui  le  décida ,  c'est  que  les  Romains  avaient 
ordonné  aux  habitants  de  Pérouse  de  ne  pas  retenir  le 
pape  plus  longtemps,  avec  menace  de  les  assiéger  etde 
les  exterminer.  11  se  rendit  donc  à  Rome,  mais  avec 
frayeur  et  en  tremblant;  car  on  lui  avait  glissé  à  l'o- 
reille que  les  Romains,  et  même  les  Milanais,  vou- 
laient exiger  de  lui  les  sommes  considérables  qu'il 
leur  devait,  et  qu'ils  avaient  dépensées  à  attaquer 
Frédéric,  en  protégeant  les  droits  du  pape  et  de  l'é- 
glise. Aussi  le  pape,  quoiqu'il  palliîl^t  sa  tristesse  sous 
un  visage  serein,  rentra  à  Rome,  le  cœur  plein  d'in- 
quiétude et  d'effroi.  Mais  le  sénateur  et  le  peuple 
romain  le  reçurent  avec  joie. 

Dans  la  quinzaine  de  Pâques,  au  mois  d'avril , 
toute  la  noblesse  d'Angleterre,  convoquée  par  édit 
royal,  se  rassembla  a  Londres  pour  traiter,  de  con- 
cert avec  le  roi,  les  importantes  affaires  de  l'état. 


ANNBE  4253.  599 

Oulre  les  comtes  et  les  barons  en  grand  nombre , 
l'archevêque  de  Caulorbéry  Boniface,  et  presque  tous 
les  évêques  d'Angleterre  se  trouvaient  présents.  Quant 
à  l'archevêque  d'York,  qui  se  dispensait  autant  qu'il 
le  pouvait  d'assister  aux  assemblées  du  roi,  ayant 
éprouvé  maintes  fois  par  expérience  qu'elles  ne  pro- 
duisaient point  de  résultai,  il  s'excusa  sur  son  éloi- 
gnement  et  sur  sa  vieillesse.  L'évêque  de  Chester,  qui 
était  absent,  allégua  notoirement  le  mauvais  état  de 
sa  santé  ;  quant  à  l'évéché  de  Chicester,  il  était  alors 
vacant.  Après  qu'on  se  fut  occupé  longtemps  et  inuti- 
lementde  la  grande  exigence  du  roi,  qui  demandait 
qu'on  lui  fournît  pourson  pèlerinage  une  très-grosse 
somme  d'ai*gent,  et  après  force  messages  envoyés 
de  part  et  d'autre,  avec  consentement  réciproque,  il 
advint  que  l'archevêque  de  Cantorbéry,  les  évêques 
de  Carlisle  et  de  Salisbury,  et  l'élu  à  Winchester 
furent  envoyés  nu  roi,  de  la  part  des  évêques  et  de 
tous  les  prélats,  à  l'effet  de  l'exhorter  et  de  le  déter- 
miner à  permettre,  comme  il  l'avait  promis  plusieurs 
fois  par  serments  solennels,  que  la  sainte  église  jouît 
de  ses  libertés,  surtout  au   sujet  des  élections,  en 
quoi  consiste  principalement  la  liberté  ecclésiasti- 
que; car  maintenant  personne  autre  ne  pouvait  être 
promu  à  aucune  église  cathédrale  ou  conventuelle, 
que  ceux  que  le  roi  y  introduisait.  Aussi  les  prélats 
et  leurs  sujets  tombaient  en  perdition,  et  les  églises 
étaient  énormément  endommagées.  Les  mandataires 
devaient  ajouter  que,  si  le  roi  corrigeait  cet  abus  et  les 
autres  vices,  conformément  à  la  teneur  de  la  grande 


.;00  HENRI  in. 

charte  des  libertés,  les  évêques  céderaient  à  sa  de- 
mande, dût-il  leur  en  coûter  beaucoup.  Le  roi  leur 
répondit  :  «  Cela  est  vrai  ;  j'en  suis  fort  peiné  et  je  me 
«  repens  grandement  de  l'avoir  fait.  Aussi  faut-il 
a  s'occuper  activement  de  corriger  ces  anciens  abus 
«  dont  vous  parlez,  et  d'aviser  aux  moyens  qu'ils  ne 
«  se  renouvellent  plus  à  l'avenir.  Servez-moi  de 
«  coadjuteurs  en  cette  affaire,  de  peur  que  ceux  qui 
«  ont  été  promus  de  cette  façon  ne  soient  damnés 
«  eux  et  leurs  sujets.  Vous  vous  souvenez  sans  doute 
«  que  c'est  moi  qui  ai  élevé  à  une  si  haute  dignité 
«  Tarchevéque  de  Cantorbéry  Boniface  que  voici,  et 
«  toi  aussi,  Guillaume,  évêque  de  Salisbury,  que  j'ai 
«  tiré  de  bien  bas,  toi  qui  me  servais  de  copiste  pour 
«  mes  brefs  royaux,  et  que  je  chargeais  des  juge- 
«  ments  les  plus  scabreux,  à  titre  de  justicier  et 
«  d'homme  à  gages.  Et  toi, Sylvestre,  évêque  de  Car- 
«  lisle,  qui  as  longtemps  léché  les  miettes  à  la  chan- 
«  cellerie,  et  qui  as  été  le  petit  clerc  de  mes  clercs, 
«  tu  te  rappelles  comment  je  t'ai  promu  à  Tépisco- 
«  pat,  au  mépris  d'une  foule  de  théologiens  et  de 
«  révérends  personnages.  Et  toi  aussi,  mon  frère 
«  Athelmar,  tu  n'ignores  pas  comment,  malgré  les 
«  moines  cédant  à  la  prière  ou  à  la  peur,  je  t'ai  élevé 
«  au  faîte  de  la  noble  église  de  Winchester,  quand 
«  tu  étais  insuffisant  en  ôge  et  en  science,  et  que  tu 
<«  avais  encore  besoin  d'un  pédagogue.  11  est  donc 
(I  avantageux  en  premier  lieu,  et  principalement 
«  pour  vous  comme  pour  moi,  que,  touchés  de  repen- 
«  tir,  vous  résigniez  ce  que  vons  avez  obtenu  injuste- 


•tk 


ANNÉE  4255.  40^ 

«  ment,  de  peur  que  vous  ne  soyez  éternellement 
<*  damnés.  Cet  exempie  servira  à  ma  justificatiou,  et 
«  m'apprendra,  pour  Favenir,  à  n'élever  en  dignité 
o  que  des  personnes  qui  en  soient  dignes.  »  Les  dé- 
putés, en  entendant  celte  reprimai.de  courtoise  et 
moqueuse  à  la  fois,  lui  répondirent  :  «  Seigneur  roi, 
«  nous  ne  faisons  pas  mention  du  passé;  mais  nous 
«  portons  la  parole  pour  Paveuir.  »  Laissant  donc  de 
côté  ces  paroles  frivoles  qui  pouvaient  engendrer  des 
disputes,  ils  traitèrent  sérieusement  cette  importante 
question.  Enfin,  après  de  longues  et  nombreuses 
discussions ,  qui  se  prolongèrent  pendant  quinze 
jours  et  plus,  on  décida,  sur  Tavis  unanime  de  tous, 
que  le  désir  du  roi,  qui  voulait  parlir  en  pèlerinage, 
ilésir  pieux  par  cela  même,  ne  serait  pas  complète- 
ment frustré,  mais  que  pourtant  l'état  de  l'église  et  du 
royaume  ne  subirait  pas  de  grave  dommage  en  cette 
circonstance.  On  accorda  donc  au  roi  le  dixième  des 
provenances  ecclésiastiques,  qu'ildevaitpercevoirlors- 
qu'il  se  mettrait  en  route  pour  Jérusalem,  et  qui  de- 
vaitètre  distribué  en  provisions  de  voyage  sur  le  vu  des 
seigneurs,  et  cela  pour  trois  ans,  à  l'effet  de  secourir  la 
Terre-Sainte  contre  les  ennemis  de  Dieu.  Les  che- 
valiers consentirent  à  un  escuage  pour  cette  année, 
lequel  escuage  fut  taxé  à  trois  marcs  par  bouclier. 
Le  roi,  de  son  côté,  promit  en  bonne  foi,  et  sans  au- 
cun détour,  d'observer  fidèlement  la  grande  charte 
et  tous  ses  articles.  Or,  bien  des  années  auparavant, 
son  père,  le  roi  Jean  ,  avait  juré  de  Tobserver,  et  le 
présent  roi  en  avait  fait  autant  en  recevant  la  cou- 
vu,  26 


^02  HENRI    m. 

roDne,  et  plus  tard  maintes  fois  :  ce  qui  était  un 
moyen  d'extorquer  de  Targent  en  quantité.  Or,  se 
trouvaient  présenls  en  cette  occasion  parmi  les  pré- 
lats rarchevêque  deCantorbéry  Boniface,  lesévéques 
de  Londres,  de  Rochester,  d'Ély,  de  Lincoln,  de 
Worcester,  de  Norwich,  d'Héreford,  de  Salisbury, 
de  Balh,  d'Exeter,  de  Carlisle,  de  Durham,  de  Saint- 
David  et  l'élu  à  Winchester.  L'évéque  de  Chicester 
était  mort  récemment  :  celui  de  Chester  s'était  excusé 
sur  le  mauvais  état  de  sa  santé,  Tarchevêque  d'York 
sursa  vieillesse  et  son  éloignement.  «  Le  troisième 
jour  de  mai,  dans  la  grande  cour  royale  à  Westmin- 
ster, en  présence  et  de  l'aveu  du  seigneur  Henri,  par 
la  grâce  de  Dieu,  illustre  roi  d'Angleterre,  et  des 
seigneurs  Ilichard,  comte  de  Cornouailles,  son  frère, 
Roger,  comte  de  Norfolk  et  de  Suffolk,  maréchal 
d'Angleterre,  Henri,  comte  d'Héreford, Henri,  comte 
d'Oxford,  Jean,  comte  de  Warvick,  et  des  autres 
grands  du  royaume  d'Angleterre,  nous,  Boniface, 
par  la  miséricorde  divine,  archevêque  de  Cantorbéry, 
primat  de  toute  l'Angleterre,  Foulques,  évoque  de 
Londres,  Henri ,  évêque  d'Ely,  Robert,  évêque  de 
Lincoln,  Gaultier,  évêque  de  Worcester,  Gaultier, 
évêque  de  Norvich,  Pierre,  évêque  d'Héreford,  Guil- 
laume, évêque  de  Salisbury,  Gaultier,  évêque  de 
Durham,  Richard,  évêque  d'Exeter,  Sylvestre,  évê- 
que de  Carlisle,  Guillaume,  évêque  de  Balh,  Lau- 
rent, évêqne  de  Rochester,  Thomas,  évêque  de  Saint- 
David,  revêtus  de  nos  hnhils  pontificaux  ,  tenant  à  In 
main  des  cierges  allumés,  avons  lancé  solennellement 


ANNEE  4255.  405 

sentence  d'exeommunicaliun  cunlre  les  Iransgres- 
seurs  des  libertés  ecclésiastiques  et  des  libertés  ou 
libres  coutumes  du  royaume  d'Angleterre,  principa- 
lement de  celles  qui  sont  contenues  dans  la  charte 
des  libertés  du   royaume  d'An^jleterre  et  dans  h 
charte  des  forêts  (ces  chartes  sont  rapportées  dans 
ce  livre  eu  leur  lieu,  c'est-à-dire  au  temps  du   roi 
Jeao  et  à  Tépoque  où  il  les  octroya)  ;  ladite  sentence 
d'excommunication  étant  sous  ta  forme  suivante  : 
«  Par  Tautorité  du  Dieu  tout-puissaiil,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit,  de  la  glorieuse  Marie,  mère  de  Dieu  et 
toujours  vierge,  des  bienheureux  apôtres  Pierre  et 
Paul,  et  de  tous  les  apôtres,  du  bienheureux  Thomas, 
archevêque  et  martyr,  et  de  tous  les  martyrs,  du 
bienheureux  Edouard,  roi  d'Angleterre,   et  de  tous 
les  confesseurs  et  vierges,  et  de  tous  les  saints  de  Dieu, 
nous  excommunions,  anathématisons  et  écartons  du 
seuil  de  la  sainte  mère  Église,  tous  ceux  qui,  sciem- 
ment et  malicieusement,   priveraient  ou  dépouille- 
raient les  églises  de  leur  droit.  Item,  tous  ceux  qui, 
par  quelque  moyen  ou  engin  que  ce  soit,  violeraient 
témérairement,  diminueraient  ou  changeraient  se- 
crètement ou  publiquement,  enactions,  en  paroles 
et  en  intentions  les  libertés  ecclésiastiques  ou  les  an- 
tiques coutumes  approuvées  du  royaume,  principa- 
lement les  libertés  et  les  libres  coutumes  qui  sont 
contenues  dans  les  chartes  des  libertés  communes 
d'Angleterre  et  des  forêts,  lesquelles  chartes  ont  été 
octroyées  par  le  seigneur  roi  d'Angleterre,  les  arche- 
vêques, évêques,  et  autres  prélat'^  d'Angleterre,  les 


404  HENRI  m, 

comtes,  barons,  chevaliers  et  tenanciers  libres,  en 
allant  témôrairemenl  à  Tencontre  d'icelles  ou  d'au- 
cune d'icelles  en  quelque  article  quece  soit. /<cm,  tous 
ceux  qui  promulgueraient  quelque  édit  contre  ces 
chartes  ou  leurs  statuts,  qui  maintiendraient  ces  edits, 
qui  introduiraient  d'autres  coutumes  ou  les  conser- 
veraient introduites;  nous  excommunions  aussi  les 
copistes  de  ces  statuts,  leurs  conseillers  et  exécuteurs, 
et  ceux  qui  oseraient  juger  conformément  à  ces  sta- 
tuts nouveaux.  Que  les  personnes  désignées  plus 
haut,  toutes  en  général  et  chacune  en  particulier, 
sachent  qu'elles  encourront  cette  sentence  par  le  fait 
même  d'avoir  commis  sciemment  quelqu'un  des  at- 
tentats susdits;  quant  à  ceux  qui  auront  failli  par 
ignorance,  si ,  étant  avertis,  ils  ne  se  corrigent  pas 
dans  la  quinzaine  à  partir  du  moment  de  l'avertisse- 
ment et  ne  donnent  pas  pleine  satisfaction  sur  l'at- 
tentat commis,  et  cela  au  gré  des  juges  ordinaires, 
qu'ils  soient  dès  lors  enveloppés  danscette  sentence. 
Nous  lions  aussi,  par  la  même  sentence,  tous  ceux 
qui  oseraient  troubler  la  paix  du  roi  et  du  royaume. 
Pour  éterniser  la  mémoire  de  cette  sentence,  nous 
avons  jugé  à  propos  d'apposer  nos  sceaux  aux  pré- 
sentes. »  On  apporta  au  milieu  de  l'assemblée  la 
cliortedu  roi  Jean,  que  le  roi  Henri  octroya  de  nou- 
veau de  sa  pure  volonté  ;  et  il  fit  donner  lecture  des 
libertés  susdites.  Tandis  que  le  roi  écoutait  la  susdite 
sentence,  il  tenait  sa  main  sur  sa  poitrine,  et  pré- 
sentait un  visage  seriin,  calme  cl  joyeux.  Lorsqu'à 
la  fin  les  prélats  jetèrent  à  terre  les  cierges  éteints  e( 


i 


KmÈE  ^255.  403 

iuiiiauls,  el  que  tous  répétèrent  au  son  des  cloches  : 
«  Qu'aiusi  soient  éteintes  et  fument  dans  Tenfer  les 
«  âmes  de  ceux  qui  encouiTont  cette  sentence,  »  le 
roi  s'écria  :  «  Que  Dieu  me  soit  en  aide.  J'observe- 
«  rai  fidèlement  tous  les  articles  de  ces  chartes  dans 
«  leur  intégrité,  aussi  bien  que  je  suis  homme,  que 
«  je  suis  chrétien,  que  je  suis  chevalier,  que  je  suis 
«  roi  couronné  et  sacré.  »  Or,  il  faut  savoir  qu'au 
moment  où  la  sentence  allait  être  prononcée,  et  où  on 
distribuait  à  tous  des  cierges  allumés,  on  en  offrit  un 
au  roi  ;  mais  que  quand  il  Teut  reçu,  il  ne  voulut  pas 
tenir  le  cierge  lui-même  et  le  remit  à  un  des  prélats 
en  disant  :  «  Il  ne  convient  pas  que  je  tienne  ainsi  un 
«  cierge,  car  je  ne  suis  point  prêtre.  Le  cœur  fournit 
«<  un  témoignage  plus  sûr;  »  et  dès  ce  moment  il 
tint  sa  main  appliquée  sur  sa  poitrine  jusqu'à  ce  que 
la  sentence  fût  entièrement  terminée.  L'évêque  de 
Lincoln  Robert,  préconisant  toute  cette  affaire  dans 
son  cœur,  et  craignant  que  le  roi  ne  revînt  sur  ses 
promesses,  lit  excommunier  solennellement,  aussitôt 
après  son  retour  dans  son  évéché,  dans  chaque  église 
paroissiale  de  son  diocèse  (et  c^est  à  peine  si  Ton  peut 
les  compter,  tant  le  nombre  en  estgiand),  tous  ceux 
et  principalement  les  prêtres,  qui  porteraient  atteinte 
aux  chartes  susdites.  En  entendant  cette  sentence  , 
les  oreilles  des  auditeurs  purent  tinter  et  leurs  cœurs 
être  saisis  d'uli  grand  effroi. 

L'assemblée  ayant  donc  été  levée,  le  roi,  s'aban- 
donnant  aussitôt  aux  plus  mauvais  conseils,  songea  à 
violer  toutes  les  promesses  susdites.  En  effet,  ou  lui 


406  HENRI  III. 

disait  qu'il  ne  serait  plus  roi  ni  même  seigneur  en 
Angleterre,  s'il  observait  les  promesses  susdites,  et 
que  le  roi  Jean ,  son  père,  l'avait  appris  par  expé- 
rience, lui  qui  avait  mieux  aimé  mourir  que  d'être 
ainsi  foulé  aux  pieds  par  ses  sujets.  Puis  ces  émis- 
saires de  Satan  ajoutaient  :  «  Ne  vous  inquiétez  pas 
n  d'encourir  celte  sentence  :  pour  cent  ou  deux  cents 
«  livres  vous  serez  absous  par  le  pape  qui,  en  vertu 
«  de  la  plénitude  de  son  pouvoir,  peut  lier  ou  délier 
«  tout  ce  qu'il  veut.  Car  un  plus  grand  [que  vous] 
«  n'a  pas  d'autorité  sur  un  plus  grand  [que  soiy. 
«  Vous  obtiendrez  pleinement  le  dixième  qui  pourra 
«  s'élever  à  plusieurs  milliers  de  marcs  ;  et  quand  sur 
«  cette  somme  inestimable,  vous  aurez  abandonné  au 
"  seigneur  pape  une  petite  portion  en  diminution,  il 
«  vous  absoudra,  quand  bien  même  il  auraitconfirmé 
n  la  sentence,  puisque  c'est  à  celui-là  à  qui  il  ap- 
fl  partient  d'établir  qu'il  appartient  de  révoquer; 
«  bien  plus,  pour  une  légère  rétribution,  il  prolon- 
«  géra  d'un  an,  peut-être  de  deux,  le  terme  pendant 
«  lequel  on  doit  vous  fournir  le  dixième.  »  C'est  ce 
qui  arriva  plus  tard,  comme  la  suite  du  récit  le  mon- 
trera. Vers  le  même  temps,  les  Bordelais  firent  sa^ 
voir  pour  sûr  au  roi  que,  s'il  ne  venait  prompte- 
ment  et  puissamment  en  Gascogne,  il  perdrait  tout 
le  pays.  Ils  lui  avaient  déjà  mandé  souvent  la  même 

'  Major  enim  in  majorem  non  obiinet  impcrium.  Nous  pensons 
<|ii«  ci'tl«  plirasc  signifie  :  fje$  évi^qnes  agissant  au  nom  de  f  église  sont 
au-drssun  de  vous;  mais  le  pape  est  au-dessus  des  évoques.  Le  sens 
fcriil  ptiiK  naturel  en  liiaitt  mitwr  <tu  lieu  <l<'  nuijor. 


ANNÉE  4253.  407 

chose  ;  muis  cette  fois  ce  tut  dans  des  termes  iorinels, 
ajoutant  (ce  qui  éluit  taux)  que  la  tyrannie  du  comte 
de  Leicester  Simon  lui  avait  fait  perdre  beaucoup  de 
sujets  et  d'amis,  sans  doute  parce  qu'il  avait  soumis 
à  la  domination  du  roi  un  bien  plus  ^rand  nombre 
de  rebelles  et  d  hommes  puissants  qu'il  avait  domp- 
tés. Or,  le  roi,  voulant  plaire  aux  Gascons,  leur  lit 
savoir  que  sans  nul  doute,  si  Dieu  lui  prêtait  vie,  il 
se  rendrait  puissamment  en  Gascogne,  pour  leur 
honneur  et  avantage.  Il  fît  aussi  publier  en  Gascogne, 
par  la  voix  du  héraut,  que  personne  désormais  ne 
devait  se  soumettre  ou  obéir  au  comte  Simon,  et  fît 
savoir  à  tous  en  général,  et  à  chacun  en  particulier, 
qu'il  avait  déposé  le  comte  à  cause  des  oppressions 
dont  on  se  plaignait,  et  qu'il  avait  racheté,  non  sans 
payer  une  forte  somme,  la  charte  que  ledit  comte 
avait  obtenue  de  lui  et  qui  lui  conférait  le  gouverne- 
ment de  la  Gascogne  pour  les  trois  ans  qui  devaient 
suivre.  Toutes  ces  nouvelles  réjouirent  fort  les  Gas- 
cons. Alors  apparut  au  grand  jour  la  trahison  qui 
s'était  tenue  cachée;  car  du  moment  où  l'on  apprit 
que  sa  domination  avait  expiré,  ceux  qui  avaient  feint 
pour  lui  la  plus  vive  amitié  et  qui  s'étaient  attachés 
à  sa  fortune,  devinrent  ses  plus  grands  ennemis. 

Vers  le  même  temps ,  Henri  de  Bath ,  oubliant  ses 
cicatrices,  s'immisça  de  nouveau,  de  son  plein  gré, 
dans  les  soucis  de  la  cour;  car  celui  que  le  monde 
prend  dans  ses  pièges  ne  s'en  débarrasse  qu'à  graud'- 
peine.  Cette  même  année,  Arnauld  du  Bois,  cheva- 
lier, fut  établi  grand  forestier,  à  la  place  de  Rober 


408  HENRI  HI. 

Passelève,  pour  les  contrées  du  midi  de  TAngleterre, 
c'est-à-dire  jusqu'au  grand  fleuve  qu'on  appelle  la 
Trent,  et  Jean  de  Lexinlou,  chevalier,  eut  la  même 
charge ,  depuis  le  susdit  fleuve  jusqu'au  royaume 
d'Ecosse,  à  la  place  de  Geoffroi  de  Langeley,  qui, 
l'année  précédente,  avait  appauvri  misérablement , 
sans  justice  et  sans  miséricorde ,  tous  ceux  des  ha- 
bitants de  ces  pays,  qui  étaient  voisins  des  forêts. 

Vers  le  même  temps,  le  Seigneur  opéra  des  mira- 
cles manifestes  dans  l'église  de  Chicester  sur  la  tombe 
de  saint  Richard,  évêque  de  Chicester,  et  alors  apparut 
clairement  sa  sainteté,  qui  était  restée  cachée.  Car 
lorsqu'il  eut  expiré  et  qu'on  dépouilla  son  corps,  selon 
l'usage,  pour  le  laver,  on  le  trouva  couvert  d'un 
cilice  et  serré  de  ceintures  de  fer. 

A  la  même  époque,  les  chanoines  de  Chicester, 
ayant  Dieu  devant  les  yeux,  élurent  pour  leur  évêque 
maître  Jean  Clippinge,  chanoine  de  cette  même 
église. 

Vers  le  même  temps,  le  pape,  préoccupé  d'inten- 
tions spécieuses,  enjoignit  aux  évêques  de  visiter 
chacun  les  abbés  et  les  couvents  institués  dans  leur 
diocèse  ,  leur  ordonnant  de  les  forcer,  sous  peine 
d'excommunication,  à  observer  certains  articles  mal- 
séants de  la  règle  de  saint  Benoit,  lesquels  ne  font 
point  partie  de  la  substance  même  de  la  règle,  et  que 
les  mêmes  moines  n'avaient  pas  coutume  et  n'avaient 
pas  fait  vœu  d'observer.  Or,  les  moines  de  l'ordre 
INoir,  en  France,  voyant  qu'ils  étaient  absolument  dé- 
pourvus de  l'nppui  royal,  songèrent  à  se  racheter  et 


ANNÉE  ^255.  409 

à  obtenir  la  paix  ,  pour  ne  pus  être  soumis  à  Tarbi- 
trage  des  évoques,  à  qui  les  privilégiés  surtout  sont 
odieux.  Ayant  donc  donné  au  pape  quatre  mille  livres 
tournois,  ils  évitèrent  ainsi  les  violences  d'une  pareille 
tyrannie.  Toute  cette  affaire  est  rapportée  pleine- 
ment, articles  par  articles,  au  livre  des  Additamenta*. 
Quant  à  Tabbé  et  au  couvent  de  Saint-Albans,  ils  en 
appelèrent  à  la  présence  du  seigneur  pape,  afin  de  ne 
pas  être  visités  par  Tévéque  de  Lincoln  ,  parce  qu'a- 
lors leurs  privilèges  seraient  violés. 

Le  roi  d  Angleterre  prépare  une  expédition   en 
Gascogne.  —  Guerre  civile  en  Flandre.  —  L'arche- 

VÊQOE  de  CaNTORBÉRY  EXERCE   LA  VISITATION.  RoGER 

BiGOD,  MARÉCHAL,  REPREND  SON  ÉPOUSE  QU'iL  AVAIT  RÉPU- 
DIÉE. —  Le  ROI  d'Angleterre  passe  en  Gascogne.  — 
Mort  de  Thomas  de  Hartford  ,  archidiacre  de  Nor- 
thumberland. —  Il  est  enterré  dans  la  maison  des 
Carmes.  — Miracles  opérés  sur  son  tombeau.  — Quel- 
que tempsaprès  la  tenue  de  l'assemblée  susdite,  c'est- 
à-dire  vers  les  calendes  de  juin,  le  roi,  instruit  de  la 
désolation  de  la  Gascogne,  lit  sommer  par  un  édit 
royal,  dans  toute  l'Angleterre,  les  chevaliei-s  qui  lui 
devaient  service  militaire,  comme  devant  partir  puis- 
samment, avec  armes  et  chevaux,  pour  la  Gascogne  , 
exposée  aux  plus  grands  périls,  afin  de  lui  rendre  la 
paix,  et  de  la  faire  rentrer  sous  sa  souveraineté  ;  leur 

'  Fojf.  TaddiUoo  XXVUl  à  la  On  du  volume.  11  est  évident  que  dans 
le  ooinmefie«ineot  de  ce  paragraphe,  Matt.  Péris  fait  allusion  aui  statuts 
de  Grégoirr  l\,  renouvelés  par  Innocent  l\  .  lesquels  sont  donnés  sous 
le  n"  XIX 


-510  HENRI  III. 

enjoignant  expressément  de  se  trouver  prêts  et  pré- 
parés à  Portsmouth,  à  Toclave  de  la  Trinité,  avec 
toutes  les  provisions  nécessaires  pour  passer  la  mer. 
Sur  ces  entrefaites  ,  il  fit  saisir  violemment  tous  les 
vaisseaux  des  marchands,  tant  d'outre-mer  que  d'en 
deçà  delà  mer,  et  même  des  autres  personnes,  pour  le 
transporter  en  Gascogne,  en  sorte  que  ces  vaisseaux, 
de  compte  fait,  s'élevaient  à  plus  de  mille.  Mais  les 
capitaines  et  les  gardiens  de  ces  vaisseaux,  contrariés 
par  les  vents ,  prolongèrent  inutilement  leur  séjour 
dans  le  port  pendant  trois  mois,  non  sans  grand  dom- 
mage et  grand  ennui,  afin  que  ce  voyage  parût  évi- 
demment dépourvu  de  la  faveui'  de  Dieu.  Le  roi 
ayant  donc  déjà  dépensé  son  trésor  en  grande  partie, 
extorqua ,  surtout  dans  les  pays  voisins  de  Ports- 
mouth, toute  la  substance  qu'il  put  tirer  des  reli- 
gieux, faisant  passer  çà  et  là  des  hommes  et  des  che- 
vaux ,  pour  y  séjourner,  jusqu'à  ce  qu'un  vent  plus 
favorable  vînt  à  souffler.  11  écrivit  au  comte  Richard 
et  à  la  reine,  qu'il  avaitélablis  gardiens  du  royaume, 
de  lui  réserver  la  garde  de  toute  noble  abbaye,  et  môme 
de  tout  évéché  qui  deviendrait  vacant ,  et  ne  craignit 
pasd'infirmer  plusieurs  articles  des  chartes,  pour  l'ob- 
servation desquelles  une  sentence  si  terrible  avait  été 
prononcée  dernièrement  et  môme  récemment. 

Cette  môme  année,  un  affreux  carnage  d'hommes, 
de  chevaux  et  de  troupeaux ,  eut  lieu  dans  les  pays 
voisins  de  la  Flandre  et  de  rAllemagne,  au  point  que 
plus  de  quarante  mille  hommes  de  guerre  furent  tués, 
à  ce  qu  on  croit.   De  môme  qu On  lit  que  Troie  fut 


ANNEE  4253.  Ài4 

détruite  avec  ses  habitants  au  sujet  d'une  femme;  de 
même,  ce  fut  au  sujet  d'une  femme,  c'est-à-dire  de  la 
comtesse  de  Flandre,  que  cet  épouvantable  massacre 
fut  commis,  à  ce  qu'on  prétend.  Or,  la  cause  et  les  dé- 
tails de  cette  calamité  irréparable  sont  consignés  plus 
pleinement  dans  le  livre  des  Additamenta  \  et  sont 
aussi  rapportés  plus  au  long  dans  ce  qui  suit.  — Vers 
le  même  temps,  mourut  Guillaume,  évéque  de  Lan- 
daff,  dont  une  cécité  de  sept  ans  avait  précédé  la 
mort. 

Vers  le  même  temps,  l'arcLevêque  Boniface,  ayant 
fait  visitation  à  Feversham  et  à  Rochester,  visita  les 
chanoines  de  Saint -Paul  et  les  autres  maisons  de 
Londres.  Il  fut  admis  partout  avec  bienveillance ,  à 
cause  de  la  modération  [qui  lui  était  imposée].  Et  il 
agit  ainsi  prudemment,  pour  paraître  faire  acte  et 
prendre  possession  du  droit  de  visitation. 

Vers  le  même  temps,  le  comte  Roger  Bigod,  ma- 
jt'chal  d  Angleterre,  reprit  salutairement  la  fille  du 
roi  d'Ecosse  [son  épouse],  qu'il  avait  précédemment 
répudiée,  séduit  par  de  méchants  conseils.  Le  juge- 
ment de  l'église  le  fit  revenir  à  la  raison ,  et  instruit 
de  la  vérité,  il  dit  :  «  Puisque  tel  est  le  jugement  de 
tt  l'église ,  j'accepte  volontiers  et  en  sûreté  de  con- 
«•  science  ce  mariage,  qui  d'abord  avait  été  pour  moi 
•  un  sujet  de  scrupules  et  de  doutes.  »  Or,  on  lui  avait 
jailis  fait  croire  que  des  rapports  de  parenté  existaient 
«'litre  lui  et  sa  femme. 

Vvy.  Ta^ditioa  XXIX  à  U  liu  du  Tolume. 


-i^2  HENRI  HI. 

Celle  même  année,  le  huit  avant  les  ides  d'août,  le 
roi,  invité  par  un  vent  prospère,  dit  adieu  à  TAngle- 
terre  et  se  conOa  à  Neptune  ,  après  avoir  établi  gar- 
diens du  royaume  le  comte  Richard  et  la  reine ,  et 
leur  avoir  remis  en  garde  son  fils  aîné ,  Edouard.  Il 
s'embarqua  dans  Pile  de  Portsey,  et  son  vaisseau  était 
accompagné  de  trois  cents  gros  vaisseaux  et  d'une 
flotte  nombreuse  de  navires  de  toute  grandeur.  Le 
jeune  prince  Edouard ,  sur  lequel  son  père  avait 
pleuré,  Tembrassant  et  le  baisant  à  plusieurs  reprises, 
se  tint  sur  le  rivage,  pleurant  et  sanglotant,  et  ne 
voulut  pas  quitter  la  place,  tant  qu'il  put  apercevoir 
les  voiles  gonûées  de  la  flotte. 

Cette  même  année,  à  l'octave  de  la  Saint-Laurent, 
mourut  dans  son  archidiaconat,  Thomas  de  Hartford, 
archidiacre  de  Northumberland ,  frère  du  seigneur 
abbé  de  Saint-Albans  :  sa  fin  fut  sainte  et  bienheu- 
reuse, et  il  s'était  prémuni  de  tout  ce  qui  est  néces- 
saire pour  le  saint  passage  d'un  chrétien.  Il  avait  été 
jadis  dans  l'école  le  disciple  du  bienheureux  Ed- 
mond,  archevêque  de  Canlorbéry,  avait  été  ensuite 
son  ami  intime,  et,  étant  devenu  tout  à  fait  semblable 
à  lui,  il  cherchait  à  suivre  ses  traces  pas  à  pas  jusqu'à 
la  mort,  ainsi  qu'avait  fait  maître  Richard,  qui  devint 
plus  tard  évéqucdeChicester,et  dont  nous  avons  parlé. 
Comme  il  avait  été  un  homme  abondant  en  biens', 
mais  aussi  en  bonnes  œuvres,  grand  umi  des  pauvres. 


'  Fruyalin  cl  fruetuosut.  Frugatis  a  ici  un  «ens  aitcs  fr<^(|iiciit  nu 
moyco  i^t,  mai*  nppos«'>  «  ion  accfptinn  hnbitiipllo.  Son  rapitroclioincDi 


I 


ANNEE  4255.  AiS 

el  |)i'incipalement  cleà  Prêcheurs  et  des  Mineurs  ,  il 
légua  son  corps,  quand  il  se  vit  près  de  mourir,  à  une 
très-pauvre  maison  de  frères  du  Mont-Carmel  :  ce  qui. 
tourna  à  leur  grand  honneur  et  avantage.  Quand  il 
eut  expiré,  les  assistants  cherchèrent  avec  inquiétude 
comment  ils  pourraient  se  procurer  une  tomhe  en 
pierre,  sur  laquelle  ils  désiraient  faire  graver  le  nom 
de  Thomas  ;  car  en  ce  moment  il  était  impossible  d  en 
trou\er  une  dans  le  pays;  mais  voici  qu'un  prêtre, 
nommé  Thomas,  homme  bon  et  pieux,  s'écria  :  a  Ne 
«  soyez  pas  inquiets  à  cet  égard  ;  car  j'ai  sous  la  main 
«  ce  que  vous  cherchez,  à  savoir  une  tombe  en  pierre 
•<  marquée  de  mon  nom,  qui  est  le  nom  de  Thomas, 
«  comme  vous  le  désirez.  Je  l'avais  fait  faire  pour  y 
«  être  enseveli,  moi  pécheur;  mais  aujourd'hui  il  en 
<(  a  été  disposé  d'en  haut  autrement  par  le  doigt  de 
<«  Dieu,  qui  règle  tout  à  sa  volonté.  Je  la  donne  donc 
«  à  notre  saint  archidiacre  que  voici,  et  il  ne  faut  pas 
«  altérer  Piuscription ,  aGn  qu'il  daigne  me  placer 
«  avec  lui  dans  la  demeure  céleste.  Quel  hôte  bien 
«  différent  de  moi  citte  maison  de  pierre  va  heu- 
«  reusement  renfermer  dans  son  sein!  «En effet,  les 
fidèles  serviteurs  du  Christ  éprouvèrent  des  guérisons 
miraculeuses  de  maladies  sur  la  tombe  du  même 
saint  Thomas,  archidiacre  ,  comme  Ta  attesté,  de  la 
manière  la  plus  formelle,  à  celui  qui  écrit  cette  page, 
le  seigneur  Jean  de  Lexinton,  chevalier,  homme  de 


de  fruetuotus^  prit  dans  le  «eni  d'utile,  en  italien  fructuoso,  ne  UÏMt 
aurun  doole  à  cet  égard . 


4^4  HENRI  111. 

granti  poids  et  de  grande  science.  Noire  Seigneur 
Jésus-Christ,  dont  les  témoignages  sont  entièrement 
croyables ,  manifesta  la  sainteté  de  ce  saint  homme 
par  une  foule  de  miracles  éclatants.  Aussi,  en  peu  de 
temps,  par  la  fréquence  et  les  bienfaits  de  ceux  qui 
venaient  demander  des  consolations  spirituelles  et 
corporelles,  la  cellule  des  frères  susdits,  prenant  de 
grands  accroissements,  mérita  d'être  appelée  Cella 
(prieuré).  C'est  pourquoi  nous  croyons  indubitable- 
ment que  le  saint  archidiacre  Thomas ,  ainsi  que 
Tévéque  de  Chicester  Richard  ,  quoiqu'ils  ne  soient 
pas  canonisés  à  Rome,  sont  allés  rejoindre  saint 
Edmond ,  dont  ils  avaient  été  les  amis  spéciaux  en 
cette  vie.  Les  miracles  que  le  Seigneur  a  daigné  opé- 
rer par  les  mérites  du  bienheureux  évoque,  sont 
rapportés  dans  les  livres  d'histoire  de  Saint-Albans, 
à  savoir,  au  livre  de  la  vie  de  saint  Edmond.  Quant 
aux  bienfaits  miraculeux  que  le  Seigneur  accorde  à 
ceux  qui  en  ont  besoin  ,  par  les  mérites  du  susdit  ar- 
chidiacre Thomas,  ils  sont  connus  des  susdits  frères 
du  Mont-Carmel  et  des  gens  du  pays.  Nous  croyons 
donc  que  ces  trois  enfants  de  l'Angleterre,  Edmond, 
Richard  et  Thomas,  confesseurs  de  Dieu ,  jouissent 
de  la  gloire  de  la  souveraine  trinité. 

Histoire  tragique  advenue  fendant  le  séjour  du  ro 
DE  France  a  Césarée.—  Le  roi  d'Angleterre  débarque 
A  Bordeaux.  —  Soupçons  des  Français  contre  la  fidé- 
lité DES  Poitevins. — Taudis  que  s'écoulaient  les  jours 
que  le  seigneur  roi  de  France  passait  sans  gloire  à 


ANNÉE  4253.  .  445 

iorliGer  Césarée,  au  temps  de  sa  tribulation  en  Terre- 
Sainte  ,  et  comme  la  famine  se  faisait  cruellement 
sentir,  un  de  ses  chevaliers,  homme  noble  et  vaillant, 
et  natif  du  royaume  de  France,  vint  trouver  son  sei- 
gneur le  roi  et  lui  dit  :  «  Messire  roi,  nous  restons  ici 
«  honteusement  et  inutilement;  accorde -moi,  s'il 
«  te  plait,  la  permission  de  faire  une  course  contre 
«  ceux  des  infidèles,  avecqui  lu  n'as  ni  trêve  ni  amitié, 
«  et  de  conquérir  sur  eux  quelque  honneur,  quelque 
«  avantage,  et  quelques  vivres,  dont  nous  avons  grand 
«c  besoin,  sauf  la  discipline  militaire  de  notre  armée; 
■  car  tu  sais  que  tout  ce  qu'un  chevalier  obtient  en 

•  avantage  ou  en  renommée  rejaillit  plus  abondam- 
«  ment  sur  son  seigneur.  »  Le  roi  lui  répondit  avec 
bouté  :  «  Va  donc,  et  que  le  Seigneur  te  ramène  sain 
«  et  sauf.  »  Ce  chevalier,  ayant  donc  pris  avec  lui  une 
troupe  d'hommes  d'armes,  instruit  et  animé  qu'il 
était  par  l'exemple  de  Guillaume  Longue-Epée,  qui 
avait  fait  une  semblable  course,  ainsi  qu'ilaété  diten 
son  lieu,  partit  pour  le  pays  des  Sarrasins,  qui  avaient 
nui  avec  le  plus  d'acharnement  aux  chrétiens,  et  les 
ayant  vigoureusement  assaillis  par  un  choc  soudain, 
les  vainquit  et  les  mit  en  désordre;  puis  il  revint 
triomphant  avec  gloire,  et  rapportant  avec  joie  de 
riches  dépouilles.  Ce  que  voyant,  quelques  envieux 
et  flatteurs  parmi  les  conseillers  du  roi,  lui  dirent  : 
«  Seigneur,  ce  chevalier  s'est  emparé  de  beaucoup 

•  d'argent;  le  bon  droit  veut  que  vous  en  réclamiez 
«•  et  en  possédiez  une  bonne  [)art,  vous  qui  en  avez 

•  jà  lK*8oin  ;  carc'ctit  par  votre  bienveillance  et  faveur 


Âiè  HENRI  m. 

«  qu'il  a  quitté  secrètement  l'armée  contre  Tédit  gé- 
«  néral,  commettant  ainsi  une  violation  téméraire.  >» 
Le  chevalier,  ayant  donc  été  convoqué  et  provoqué 
devant  le  roi,  fut  accusé  amèrement  par  ses  envieux, 
et  Ton  décida  qu'il  octroyerait  au  seigneur  roi  la 
meilleure  partie  de  sa  prise.  Alors  le  chevalier: 
«  Seigneur,  tout  ce  que  j'ai  est  à  toi,  et  moi-même  je 
«  suis  à  toi;  cependant  il  me  paraît  plus  juste  que  ce- 
«  lui-là  jouisse  des  biens  obtenus,  qui,  pour  les  obte- 
«  nir,  a  exposé  sa  tête  et  sa  vie.  Or,  je  présume  fort 
«  que  ceux  qui  ont  suscité  ce  projet,  ce  sont  ces  gens 
«  lâches  et  oisifs ,  qui  te  servent  de  chambriers  et 
«  de  conseillers,  et  qui,  pour  te  plaire,  te  flattent 
«  et  te  caressent.  »  Aussitôt  un  de  ceux  qu'il  ve- 
nait de  réprimander  ainsi  s'élança  au  milieu  de 
l'assemblée,  et,  transporté  d'une  bouillante  colère,  se 
mit  à  l'accabler  d'invectives,  et  à  dire  :  «  Toi  qui 
«  dis  cela,  tu  mens  par  le  milieu  de  ta  gueule  fétide, 
«  en  accusant  de  lâcheté  et  de  trahison  ceux  qui 
«  vivent  aux  côtés  du  seigneur  roi.  »  Puis  il  ajouta 
qu'il  était  un  mauvais  chevalier,  fugitif  et  vaincu; 
ce  qui  se  dit  en  langue  française  meschant,  et  ce  qui 
est  le  terme  le  plus  offensant  parmi  eux.  Mais  en  en- 
tendant ces  injures,  un  jeune  chevalier,  homme  vail- 
lant et  intrépide,  qui  était  fils  du  chevalier  accusé, 
s'avança  à  son  tour,  brûlant  de  fureur,  et,  pouvant  à 
peine  se  contenir  de  colère,  s'écria  d'une  voix  reten- 
tissante :  0  Par  la  cervelle  de  Dieu,  comment, 
u  homme  lâche  et  dégénéré  que  tu  es,  as-lu  osé  pro- 
«  noncer  de  telles  paroles,  en  présence  et  aux  oreilles 


ANNEE  1255.  À41 

«  (le  mon  père?  w  Aussitôt,  tirant  le  poi^rnnrd  qu'il 
portait,  cVst-à-dirc  sa  dngue,  il  la  lui  plonjjoa  dans 
le  ventre,  et,  se  sauvant  encore  tou4  furieux,  se  retira 
dans  réfjlise  pour  y  trouver  un  asile.  Voyant  cela, 
le  père  fut  saisi  de  douleur  jusqu'à  en  mourir,   e1 
tombant  aux  pieds  du  roi,  lui  dit  :  «C'est  maintenant, 
«  mon  très-révérend  seigneur,  qu'il  me  faut  éprou- 
«  ver  votre  clémence  royale,  et  voir  si  vous  daijjnerez 
«  pardonner  à  cetacte  d'emportement.  Pour  moi,  je 
«  suis  prêt  à   me  présenter  au  jugement  de  votre 
«  cour,  et  à  obéir  humblement  au  droit.  »  Alors  le 
roi  reprit  :  «  Trouve  à  cet  égard  des  cautions  conve- 
«  nables.  »  Mais  tandis  que  le  père  était  allé   les 
chercher,  le  fils  fut  aussitôt  tiré  hors  de  l'église  par  les 
satellites  du  roi,  et  fut  pendu  sur-le-champ,  sans  ju- 
gement delà  cour.  Quand  le  père,  prêt  à  obéir  en  tout 
au  droit,  revint  avec  des  cautions,  il  aperçut  son  fils 
pendu  et  déjà  mort.  Or,  ses  ennemis  avaient  ainsi 
disposé  les  choses,  pour  que  la  vue  du  cadavre  de  son 
fils  accrût  encore  ses  douleurs.  Aussi,  dans  son  an- 
goisse, trembla-t-il  de  tous  ses  membres;  et,  pouvant 
à  peine  ouvrir  la  bouche,  il  dit  enfin  :  «  Qu'est  cela, 
«  messire  roi?  Tu  as  lait  pendre  mon  fils  sans  juge- 
«  ment,  ou  du  moins  tu  as  permis  avec  des  yeux  de 
V  connivence  qu'il  fût  pendu.  Je  suis  père,  et  ne  puis 
«  pasie  cacher.  Où  est  la  révérence  due  à  l'église?  où 
«  est  la  justice  de  la  cour  de  France?  Tout  ce  qui 
«  m'appartient  en  France,  par  le  droit  de  mes  aïeux, 
«  l'hommage   que    je   t'ai   juré ,   et   la   prise    que 
a  j'ai  faite  dernièrement  avec  mon  épée,  je  te  résigne 
vn.  27 


448  HENRI  III. 

«  et  t'abandonne  tout.  »  Puis,  sans  qu'on  pût  s'y  at- 
tendre, il  monta  sur  un  cheval  rapide,  dont  il  pressa 
la  course  à  coups  d'éperons,  alla  trouver  un  certain 
Soudan,  et  lui  raconta  en  détail  tout  ce  qui  s'était 
passé.  Celui-ci  lui  répondit  :  «  Tu  t'es  réfugié  vers 
«  moi,  je  ne  te  manquerai  jamais  :  je  t'ouvre  le  sein 
«  du  reluge  et  de  la  protection.  ))Dès  lors  ce  cheva- 
lier, s'étant  joint  à  Tarméedes  païens,  devint  un  apos- 
tat formidable,  etpoursuivitardemmentsa  vengeance, 
suivant  ce  qui  est  écrit  :  «La  colère,  c'est  le  désir  de 
se  venger.»  Ayant  donc  changé  son  amitié  en  haine 
intime,  il  causa  des  dommages  inestimables  au  roi  et 
àson  armée,  et  ne  cessa  point,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  tué 
tous  ceux  qui  avaient  pendu  son  fils.  Voilà  comment 
l'envie  engendre  la  colère,  et  la  colère  fait  naître 
rhomicide.  Or,  une  calamité  toute  semblable  était 
arrivée  quarante  ans  auparavant,  au  sujet  d'un  cer- 
tainTemplier,  nomméFerrand,  homme  vaillant  dans 
les  armes,  et  circonspect  dans  les  conseils,  qui  avait 
passé  du  côté  des  Sarrasins,  à  cause  d'un  cheval  de 
prix  qu'on  lui  avait  violemment  enlevé.  Ce  transfuge 
fit  perdre  d'abord  Damietle  aux  chrétiens,  et  ensuite 
leur  enleva  malheureusement  tout  honneur;  mais 
enfin,  quand  il  les  vil  près  d'être  noyés,  ses  entrailles 
s'émurent,  et  il  les  sauva  de  la  mort,  pour  que  la 
faute  d'un  seul  no  letombAt  pas  sur  tant  de  milliers 
d'hommes. 

Vers  ce  temps,  après  avoir  attendu  longtemps  un 
vent  favorable,  le  roi  s'embarqua;  et,  après  avoir  reçu 
les  embrassemeulb  et  les  baisers  de  son  père,  Edouard 


ANNÉE  4255.  449 

revint  vers  sa  mère,  tandis  que  le  roi  traversait  le  dé- 
troit à  voiles  déployées. 

Vers  r Assomption  de  la  bienheureuse  Vierge,  le 
roi  aborda  heureusement  à  Bordeaux;  les  habitants, 
allant  à  sa  rencontre,  le  reçurent  avec  respect,  comme 
il  convenait;  quanta  ses  ennemis,  ou  ils  s  enfuirent, 
ou  ils  se  retirèrent  dans  leurs  châteaux,  pour  s'y  dé- 
fendre. Le  roi  donna  ordre  aussitôt  qu'on  mît  le  siège 
devant  I^  Kéole,  où  s'étaient  enfermés  la  plupart  des 
|)arlisaos  de  Gaston,  ses  ennemis.  Gaston  se  réfugia 
vers  le  roi  d'Espagne,  dont  il  était  devenu  Tami  et 
l'allié,  lui  promettant  la  souveraineté  de  la  Gascogne, 
qui  lui  appartenait  de  droit,  à  ce  qu'il  disait.  Ceux 
qu'il  avaitlaissés  dans  La  Réole,ayantconfiance  en  cette 
alliance,  se  défendirent  vaillamment  et  avec  courage. 
,  Cependant  ceux  qui  tenaient  les  rênes  du  royaume 
de  France,  apprenant  que  le  roi  d'Angleterre  avait 
abordé  sain  et  sauf  en  Gascogne,  et  suspectant  la  per- 
fidie des  Poitevins,  qu'ils  avaient  maintes  fois  éprou- 
Tée.  craignirent  que  ces  mêmes  Poitevins  ne  passas- 
sent du  côté  du  roi  d'Angleterre,  leur  ancien  et  libé- 
ral seigneur.  Ils  envoyèrent  donc  en  Poitou  une 
troupe  de  chevaliers,  et  ne  permirent  pas  aux  Poi- 
tevins de  conserver  la  garde  ou  la  souveraineté  de 
leurs  châteaux  et  de  leurs  cités;  c'est  ainsi  que,  mal- 
gré eux,  les  Poitevins  restèrent  fidèles,  et  ne  purent 
ni  nuire  au  rovaume  de  France,  ni  être  utiles  au  roi 
d'Angleterre.  Toutefois  ils  tendirent  secrètement  des 
pièges  aux  talons  des  Anglais,  comme  on  le  verra  plus 
au  long  dans  la  suite. 


4àO  HENRI  III. 

Lettre  courageose  de  l'évêqde  de  Lincoln  au  pape. 

—  Indignation  dd  pape  a  la  lectdre  de  cette  lettre. 

—  monificenge  de  robert  de  sothlndon.  —  mort  de 
Randlf,  abbé  DE  Uamsey.  —  Inondations  étonnantes 

CAUSÉES  PAR  les  pluies.  SpLENDIDE  CÉLÉBRATION  DE  LA 

FÊTE  DE  SAINT  EdOUARD.  Le  ROI  RECOUVRE  SES  CHA- 
TEAUX DE  Gascogne.— Ala  même  époque,  le  seigneur 
papelnnocentlVayantsigiiiGéetenjointjparunrescrit 
apostolique,  à  l'évêque  de  Lincoln  Robert,  comme  il 
l'avait  souvent  ordonné  à  lui  et  aux  autres  prélats 
d'Angleterre,  de  faire  quelque  chose  qui  paraissait  à 
l'évêque  injuste  etcontraireà la  raison,  celui-ci  répon- 
dit au  pape  en  ces  termes  :  «  Salut.  Que  votre  discré- 
tion sache  que  j'obéis  dévotement  et  respectueuse- 
ment, avec  une  dévotion  filiale  ,  aux  mandats  apos- 
toliques, et  que,  dans  mon  zèle  pour  l'honneur  pater- 
nel, je  m'oppose  et  m'élève  contre  ceux  qui  se  portent 
pour  adversaires  des  mandats  apostoliques.  En  effet, 
je  suis  tenu  à  ces  deux  choses  par  le  mandat  divin; 
car  les  mandats  apostoliques  ne  sont  et  ne  peuvent 
être  que  conformes  et  concordants  avec  la  doctrine 
apostolique  et  celle  de  notre  Seigneur  Jésus-Christ, 
maître  et  seigneur  des  apôtres  ,  dont  le  seigneur 
pape,  dans  la  hiérarchie  de  l'église,  représente  au  plus 
haut  degré  le  type  et  la  personne.  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  a  dit  :  «  Celui  qui  n'est  pas  avec  moi  est 
«  contre  moi.  »  Or,  la  sainteté  divinissime  du  siège 
apostolique  n'est  point  ni  ne  peut  être  contre  lui. 
La  teneur  de  la  lellrc  susdite  n'est  donc  point  con- 
forme à  la  sainteté  apostolique,  mais  en  diffère  et 


ANNÉE  4255.  421 

s'en  écarle  grandement.  D'abord  l'accumulalion  de 
la  clause  Nonobstant,  qui  est  dans  cette  lettre  et  dans 
les  lettres  semblables  répandues  dans  le  monde  de 
tous  côtés,  sans  qu'elle  soit  introduite  par  la  nécessité 
d'observer  la  loi  naturelle,  fait  naître  un  cataclysme 
d'inconstance,  d'audace,  d'insolence  et  d'impudeur; 
on  ment,  on  trompe;  la  confiance  s'éteint;  on  n'ajoute 
plus  foi  à  personne  ;  et  tous  les  vices  qui  en  résultent, 
vices  qu'on  ne  peut  compter,  altèrent  et  troublent  la 
pureté  de  la  religion  chrétienne  et  la  sécurité  qui 
doit  régner  dans  les  rapporlssociauxdes  hommes.  En 
outre,  depuis  le  péché  de  Lucifer  (péché  qui,  à  la  fin 
des  siècles,  sera  aussi  celui  de  l'Antéchrist,  ce  fils  de 
perdition,  que  le  Seigneur  tuera  d'un  souffle  de  sa 
bouche),  il  n'y  a  pas  ni  ne  peut  y  avoir  de  genre  de  péché 
qui  soit  plus  opposé  et  pi  us  con  traire  à  ladoctrine  apos- 
tolique et  évaugélique,  plus  odieux  au  Seigneur  Jésus- 
Christ,  plus  détestable  et  plus  abominable,  que  de 
mortifier  et  de  perdre  les  âmes,  en  les  frustrant  de 
l'office  et  du  ministère  des  soins  pastoraux.  Or,  se- 
lon les  témoignagnes  les  plus  évidents  de  l'Écriture 
sainte,  ceux*là  commettent  notoirement  ce  péché 
qui,  investis  du  pouvoir  des  soins  pastoraux,  font 
salaire  avec  le  lait  et  la  laine  des  brebis  du  Christ, 
lesquelles  devraient  être  vivifiées  et  sauvées  par  l'of- 
fice et  le  ministère  pastoral,  et  qui  n'adniinistrent 
pas  ce  qu'ils  devraient  administrer.  En  effet,  ne  point 
administrer  les  secours  pastoraux,  c'est,  au  témoi- 
gnage de  1  Écriture,  tuer  et  perdre  les  brebis.  Or, 
ces  deux  genres  de  péchés  sont  très-mauvais,  quoique 


422  HENRI  Hi. 

d'une  manière  différente,  et  surpassent  inestimable^ 
ment  tout  autre  genre  de  péché  :  ce  qui  est  manifeste, 
en  ce  qu  ils  sont  directement  contraires  aux  deux 
manières  d'être  susdites,  lesquelles  sont  très  bonnes, 
quoique  d'une  manière  différente  et  dissemblable; 
car  cela  est  très-mauvais,  qui  est  contraire  à  ce  qui 
est  très-bon.  Quant  à  ce  qui  est  de  ceux  qui  pèchent 
de  celte  manière,  l'un  de  ces  péchés  est  la  mort  de 
la  déité,  laquelle  est  suressentiellement  et  surnatu- 
rellement  très-bonne;  l'autre  est  la  mort  de  la  réfor- 
mation '  et  de  la  déification,  laquelle,  par  une  parti- 
cipation gratifique  du  rayon  divin,  est  essentiellement 
et  naturellement  très-bonne.  Aussi  puisque,  de  même 
que  dans  les  biens  la  cause  du  bien  est  meilleure  que 
son  effet,  dans  les  maux  également  la  cause  du  mal 
est  pire  que  son  effet'',  il  est  manifeste  que  ceux  qui 
introduisent  dans  l'église  de  Dieu  ces  très-mauvais 
meurtriers  de  la  réformation  et  de  la  déification  des 
brebis  du  Christsontpiresque  ces  très-mauvais  meur- 
triers eux-mêmes,  sont  plus  près  encore  de  Lucifer  et 

4  Deformniionis  inleremplio.  Malgré  notre  attentioa  h  tradairescru- 
puleuscmont  ce  curieux  monument  de  l^argumcntalion  scolastiquo,  nous  M 

avons  dû  l'aire  subir  à  ce  mot  une  légère  variante;  car  on  peut  igno» 
rer  que  dcforniaiio  soit  sourcul  pris  au  moyen  âge,  par  les  écrivains 
ecclésiastiques,  dans  le  sens  (lUnstruction  morale.  (  Voyez  Cakpen- 
TlER,  nu  mot  dfformare.) 

1  Kapin  'i'Iioyras  p.iraphrase  ainsi  ce  passage  «  Si,  dans  les  productions 
morales,  la  cause  du  bien  est  toujours  meilleure  que  ses  cfTets  ,  il  eu  est 
tout  au  contraire  dans  la  propagation  du  vice,  dont  la  source  et  Torigine 
sont  toujours  pires  que  les  désordres  qui  on  procèdent.  »  À\i  voniraire, 
\\t«r.  révi\>roiiurmpul.  (Foi/,  l'ubrégr  de  itUc  leltro,  Uist ,  (V AnijWt . ^ 
torn    II  n  In  fin.) 


ANNEE  4255.  423 

de  l'Antéchrist,  el  dansce  degré  su[)érieur  de  méchan- 
celé  sont  proportionnellement  plus  éloignés  de  l'être 
surexcellent,eux  qui,  ayant  reçu  d'en  haut,  pour  rédift- 
eation  et  non  pour  la  destruction,  un  pouvoir  d'autant 
plusg^randetd'autant  plus  divin,  étaient  d'autant  plus 
tenus  d'exclureet  d'exlirperde  l'églisedeDieu  ceslrès- 
inauvais  meurtriers.  C'est  pourquoi  le  très-saint  siège 
apostolique, à  qui  notre  Seigneur  Jésus-Christ,  lesaint 
dessaints,  adonné  un  pouvoir  de  toute  sorte,  pourl'é- 
dificatioD   et  non  pour  la   destruction,   au  témoi- 
gnage de  l'apôtre,  ne  peut  point  recommander  ou 
enjoindre  quelque  chose  qui  penche  vers  le  péché 
susdit,  si  odieux,  si  détestable  et  si  abominable  au 
Seigneur   Jésus-Christ,  ni  tendre   d'aucune  façon 
à  quelque  chose  de  semblable;  car  ce  serait  là  évi- 
defnment  un  abandon,   une  altération  ou  un  abus 
de  son  très-saint  et  très-plein  pouvoir,  et  unéloigne- 
ment  absolu  du  trône  de  gloire  de  notre  Seigneur 
Jésus-Christ  ;  ce  serait  s'asseoir  dans  la  chaire  de  pes 
tilence  et  des  peines  de  la  géhenne,   non  loin  des 
deux  princes  des  ténèbres  que  nous  avons  nommés 
plus  haut.  Quiconque  est  soumis  et  fidèle  au  même 
siège,  par  une  obédience  immaculée  et  sincère,   et 
qui  n'est  pas  séparé  par  un  schisme  du  corps  du 
Christ  et  du  même  saint  sié<je,  ne  peut  obtempérer 
à  de  pareils  mandats,  injonctions  ou  efforts  quel- 
conques, de  quelque  part  qu'ils  émanent,  et  quand 
bien    même  ils  viendraient  du   pouvoir   suprême 
d'Angleterre;  mais  au  contraire  est  dans  Tobligatioa 


424  HENRI  HI. 

d'y  résisler  et  de  s'y  opposer  de  tout  son  pouvoir. 
C'est  poui'  cela,  révérends  seigneurs,  que  moi,  en 
vertu  de  l'obédience  et  de  la  fidélité  dues,  dont  je 
suis  tenu  envers  les  deux  pères  du  très-saint  siège 
apostolique,  et  en  vertu  du  désir  que  j'ai  de  m'unir 
avec  lui  dans  le  corps  du  Christ,  je  n'obéis  pas,  je 
m'oppose  et  je  résiste,  mais  en  restant  dans  l'unité, 
dans  l'affection  filiale  et  dans  l'obédience,  aux  choses 
qui  sont  contenues  dans  la  lettre  susdite,  surtout  par- 
ceque  ces  injonctions,  ainsi  que  je  l'ait  fait  entendre, 
penchent  très-évidemment  vers  ce  péché  très-abomi- 
nable à  notre  Seigneur  Jésus-Christ,  et  très-perni- 
cieux au  genre  humain,  et  sont  tout  à  fait  opposées 
à  la  sainteté  du  siège  apostolique,  et  contraires  à  la 
foi  catholique.  Or,  votre  discrétion  nepeutpas,  à  cause 
de  cela,  statuer  rien  de  dur  contre  moi,  parce  que 
toute  ma  contradiction  et  opposition  à  cet  égard 
n'est  ni  contradiction,  ni  rébellion,  mais  affection 
filiale  due  à  mon  père,  en  vertu  du  mandat  divin,  et 
honneur  rendu  à  vos  personnes.  Enfin,  me  résu- 
mant en  peu  de  mots,  je  dis  que  la  sainteté  du  siège 
apostolique  nepeutquecequiestpour  rédiHcation,et 
non  ce  qui  est  pour  la  destruction  ;  car  c'est  là  la 
plénitude  de  la  puissance,  de  tout  pouvoir  pour  Té- 
diGcation.  Or,  ces  choses,  que  l'on  appelle  des  provi- 
sions, n'ont  point  pour  but  l'édification,  mais  la  des- 
tiuclion  la  plus  manifesic;  aussi  le  bienheureux 
siège  apostolique  ne  peut  point  lesavoir  pour  bonnes, 
parcequ'elles  outcté  iiisj)irées|iar  la  chairetlesang.^ 


ANNEE  4255.  425 

lesquels  ne  posséderont  pas  le  royaume  de  Dieu,  et 
non  poiul  pnr  le  père  de  notre  Seigneur  Jésus  Christ, 
qui  est  auxcieux  \  • 

Lorsque  cette  lettre  parvint  à  la  connaissance  du 
seigneur  pape,  il  put  à  peine  contenir  sa  colère  et  son 
indignation,  et,  jetant  autour  de  lui  des  regards  irri- 
tés ,  il  s'écria  dans  son  orgueil  :  »  Quel  est  donc  ce 
«  vieux  radoteur,  ce  sourd,  cet  inepte,  qui,  dans  son 
>  audace,  ou  plutôt  dans  sa  présomption  ,  prétend 
«  juger  nos  actes?  Par  Pierre  et  Paul,  si  nous  n'étions 
«  arrêté  par  notre  générosité  naturelle,  je  le  précipi- 
«  terais  dans  une  si  grande  confusion ,  qu'il  devien- 
a  drait  la  fable,  la  stupeur,  l'exemple  et  l'effroi  du 
«  nionde  entier.  Est-ce  que  le  roi  d'Angleterre  n'est 
«  pas  notre  vassal,  ou  pour  mieux  dire  notre  esclave, 
«  ei  sur  un  geste  de  nous,  ne  peut-il  pas  l'empri- 
a  sonner  et  le  réduire  à  l'ignominie?  »  Comme  ces 
paroles  étaient  prononcées  au  milieu  des  frères  car- 
dinaux, ils  calmèrent  à  grand'peine  l'emportement 
du  pape,  en  lui  disant  :  «  11  ne  serait  point  avanta- 
u  geux,  seigneur,  que  nous  prissions  quelque  mesure 
«  sévère  contre  cet  évêque  ;  car  pour  avouer  la  vé- 
•  rite,  ce  qu'il  dit  là  est  juste.  Nous  ne  pouvons  le 
«  condamner.  11  est  catholique,  et  même  c'est  un  très- 
«  saint  lionimc,  plus  religieux  et  plus  saint  que  nous, 

'  Là  querelle  de  Kobert  GroM«-Téle  avec  le  pape  éelaU  dès  Tau  1250, 
«i  c'est  à  tort  qoe  pliuieurs  ecrivaius  la  retardent  de  trois  années.  Ou- 
din  i-ii  a  rélikli  la  véritable  date  d'après  des  manuscrits  où  elle  est  po- 
aitivement  eiprimée.  {Histoire  littérairr  de  la  France,  loin,  xvui, 
P*B.  458.) 


!26  HENRI  HI. 

«  plus  irréprochable  et  d'une  vie  plus  irréprochable 
«  que  nous  ;  au  point  que,  parmi  tous  les  prélats,  il 
«  n'a  point,  à  ce  qu'on  croit,  de  supérieur  ni 
«  même  d'égal.  C'est  une  chose  notoire  pour  l'uni- 
«  versalité  du  clergé  en  France  et  en  Angleterre  ; 
«  notre  soulèvement  contre  lui  ne  prévaudrait  pas. 
n  La  vérité  de  cette  lettre ,  qui  peut-être  a  déjà  été 
«  communiquée  à  plusieurs,  pourrait  irriter  beau- 
«  coup  de  gens  contre  nous;  car  on  le  regarde  comme 
«  un  grand  philosophe,  instruit  pleinement  dans  les 
«  lettres  latines  et  grecques,  zélé  pour  la  justice ,  lec- 
«  teur  dans  les  écoles  de  théologie,  prédicateur  de- 
«  vant  le  peuple,  amateur  de  la  chasteté,  persécuteur 
a  des  simoniaques.  »  Ainsi  parlèrent  le  seigneur 
Gilles  l'Espagnol,  cardinal,  et  les  autres  qui  étaient 
tourmentés  par  leur  propre  conscience,  et  ils  conseil- 
lèrent au  seigneur  pape  de  souffrir  avec  les  yeux  de 
la  connivence  que  cette  affaire  s'assoupît,  de  peur 
qu'elle  n'occasionnât  scandale,  surtout  quand  on 
savait  que  la  scission  devait  venir  prochainement. 

Cette  même  année ,  le  seigneur  Robert  de  Sothin- 
don,  clerc  et  conseiller  spécial  du  seigneur  roi,  con- 
sidérant les  grandes  dépenses  que  faisait  la  maison 
de  Saint-Albans ,  conféra  à  l'église  de  Saint-Albans , 
en  vue  de  charité,  l'église  de  Herteburn,  dont  il  était 
en  pleine  possession ,  pour  qu'elle  la  possédât  h  ses 
usages  propres.  H  accorda  un  bienfait  semblable  à 
Téglise  de  Saint-Martin-dc<la-Uataille*,  en  lui  oc- 

*  Debello,  en  anglais  moderne  Hnltle.  On  snit  quo.  Uuillaumc-lu- 
O^nqui-rani  avait  fondit  ce  monaitèrn  iiii  lieu  intime  où  fl't^lnil  livrée  \t\ 


ANNÉE  42SS.  417 

Iroyant  l'église  de  lelelham  (m),  et^jratifiasemblable- 
ment  de  Téglise  de  Hospinjre  les  frères  de  rilôpital 
de  Douvres.  Or,  les  provenances  du  premier  bénéfice 
s'élèvent  à  une  valeur  de  trois  cents  marcs  ;  celles  du 
second  à  ce!:t ,  celles  du  troisième  à  soixante  marcs 
annuellement.  Et  il  conféra  tout  cela  dans  de  pieuses 
intentions,  afin  que,  dans  chacun  des  lieux  susdits,  on 
pût  exercer  plus  largement  encore,  tant  envers  les 
personnes  qu'envers  les  clievaux,  le  bienfait  d'hospi- 
talité. 

La  veille  de  TAssomption  de  la  bienheureuse  Ma- 
rie, mourut  le  vénérable  Ranulf,  abbé  de  Ramsey, 
laissant  sa  maison  aux  mains  rapaces  des  gens  du  roi, 
surtout  à  cette  époque,  qui  était  le  temps  de  la  mois- 
son. Elle  fut  donc  livrée  en  garde  à  un  clerc  de  la 
cour,  nommé  Eudes,  dont  je  passe  les  actes  sous  si- 
lence, de  peur  qu'ils  ne  parviennent  aux  oreilles  des 
médisants.  Or,  ceux  qui  étaient  tenus  d'être  les  gar- 
diens et  les  tuteurs  des  pupilles,  enlevèrent,  au  profit 
des  gardiens  du  royaume ,  des  vases  d'argent  qui  pe- 
saient trente  cinq  marcs ,  des  vins  de  choix ,  des  che- 
vaux^ le  bétail  des  forêts,  dépouillèrent  l'église  de  ce^ 
richesses  sans  aucun  respect,  et,  ce  qui  était  plu9 
odieux  encore  ,  extorquèrent  une  forte  somme  d'ar- 
gent aux  tenanciers  de  1  abbaye.  Quelques  clercs  du 
roi ,  à  savoir  maître  Nicolas  de  Plumtou  et  maître 
Jean  d'Irlande,  furent  aussi  envoyés  en  cour  romaine, 

baUille  d  Hutiogf,  et  Pavait  dédié  à  la  sainte  Trinité  et  k  saint  Martin, 
patron  des  f^uerrier»  de  la  Gaule.  (Foy    M.    Aug.  ThIBHRY,  Hist.  de 

laCimq.,  loin.  I,  pa};.  ."îiS    .*>4i.) 


428  HENRI  HI. 

pour  faire  annuler  et  casser  toutes  les  susdites  pro- 
messes du  roi ,  avec  ordre  de  ne  pas  regarder  aux 
<lépenses  pécuniaires,  pourvu  qu'ils  menassent  à  bon 
terme  le  projet  et  le  désir  du  roi.  Sur  ces  entrefaites, 
Tévêque  de  Lincoln,  qui  avait  deviné  comme  d'in- 
spiration que  le  roi,  guidé  et  séduit  par  de  mauvais 
conseils,  violerait  toutes  ses  promesses,  fit  excom- 
munier, pendant  toute  cette  année,  dans  toute  l'é- 
tendue de  son  diocèse,  tous  les  infracteurs  des  sus- 
dites chartes;  car  partout  où  il  y  avait  des  réunions 
d'hommes  ,  les  clefs  de  l'église ,  oh  douleur  !  étaient 
méprisées. 

A  cette  même  époque,  arriva  un  fait  digne  d'ad- 
miration et  qui  passa  de  bouche  en  bouche,  à  savoir 
que,  cette  même  année,  après  la  grande  et  longue 
sécheresse  qui  avait  régné  dans  le  printemps  et  dans 
l'été,  les  fleuves  sortirent  de  leurs  lits  à  la  fin  de  Tété 
et  dans  l'automne,  montèrent  jusqu'à  la  hauteur  des 
collines,  et  renversèrent  les  habitations  voisines.  Puis, 
vers  la  fin  de  l'automne ,  et  après  la  fête  de  saint 
Michel,  à  la  suite  de  cette  inondation,  due  à  la  grande 
quantité  des  pluies,  la  sécheresse  des  fleuves  devint 
telle,  les  fontaines  diminuèrent  tellement,  et  l'eau  se 
trouva  si  rare,  que  ceux  qui  en  avaient  besoin  pour 
moudre  portèrent  leurs  grains  à  moudre  à  environ 
une  journée  de  marche.  Un  semblable  prodige  arriva 
dans  toute  la  saison  du  printemps,  contre  les  lois  or- 
dinaires de  la  saison;  car,  au  temps  de  l'équinoxe, 
comme  tout  est  dons  une  température  modérée,  les; 
élémontfi  ont  coutume  do  rester  en  paix. 


ANNÉE  ^255.  429 

Une  foule  de  prélats  et  de  seigueurs  s'étant  ras- 
semblée sur  Tordre  du  roi,  la  fête  de  saint  Edouard, 
qui  se  trouve  dans  la  quinzaine  de  la  Saint-Michel , 
fut  célébrée  avec  plusdema^jniticence  que  jamais,  par 
les  soins  empressés  du  comte  Kiebardet  delà  reine. 

A  la  fin  de  Tété  de  cette  année,  après  de  grands 
travaux  et  des  dépenses  inutiles,  le  seigneur  roi 
d'Angleterre  recouvra  ses  propres  cbâteaux  en  Gas- 
cogne, en  accordant  de  bonnes  conditions  aux  assié- 
gés; et  malgré  lescbûtimenls  qu'ils  avaient  mérités 
de  toutes  façons,  il  ne  leur  causa  pas  grand  tort  ni 
grand  dommage,  si  ce  n'est  qu'ils  virent  et  appri- 
rent que  leurs  vignes  étaient  arrachées.  Cependant  ils 
avaient  lancé  chaque  jour  sur  l'armée  du  roi  des 
pierres  meulières  et  des  javelots  d'une  grandeur  sur- 
prenante, qui  avaient  tué  beaucoup  de  monde,  et 
que  l'on  conservait  pour  les  rapporter  et  les  mon- 
trer en  Angleterre,  comme  des  objets  de  curiosité. 
Tandis  que  ces  assiégés  étaient  serrés  de  près,  ils 
avaient  envoyé  secrètement  et  fréquemment  des 
députés  au  roi  d'Espagne,  pour  que  ledit  roi  d'Espa- 
gne daignât  les  secourir  comme  étant  ses  féaux  qu'on 
assiégeait.  Tout  cela  avait  exagéré  encore  leurs  fau- 
tes et  leurs  méfaits.  Or,  quand  ils  sortirent  de  ces 
cbâteaux,  malgré  eux  et  de  force,  conune  prisonniers 
duseigneur  roi  d'Angleterre,  les  frères  utérins  du  roi 
s'approchèrent  et  exigèrent  qu'on  leur  remît  ces  cap- 
tifs pour  les  traiter  comme  ils  Tentendraient:  préten- 
tion qui  fit  naître  la  surprise  et  Tindignation  chez  la 
plupart  des  amis  du  seigneur  roi.  Mais  la  miséri- 


430  HENRI  III. 

corde  du  roi  s'exerça  enfaveur  de  ces  ennemis  mani- 
festes, domptés  avec  tant  de  peine,  et  il  les  épargna, 
oubliant  ce  précepte  de  l'Évangile  :  «  Amenez  ceux 
qui  n'ont  pas  voulu  que  je  règne  sur  eux,  et  tuez- 
les  devant  moi  *.  »  C'est  ainsi  que  le  roi,  qui  opprime 
ses  propres  sujets  et  qui  caresse  les  étrangers,  perdit 
beaucoup  en  renommée  et  en  respect. 

Ambassade  dd  roi  d'Angleterre  ad  roi  d'Espagne. — 
Ravages  des  Sarrasins  a  Ptolemaïs.  —  Grande  famine 

DANS    l'armée    du    ROI    EN    GASCOGNE.    L'aBBÉ   ET  LE 

COUVENT  DE  SaINT-AlBANS  SONT  LIBÉRÉS  DE  LA  DETTE 
CONTRACTÉE  PAR  RiCHARD  DE  OxHAlE.  —  EXTENSION  DE 
LA  RENOMMÉE  DU  ROI  d'EsPAGNE. CoNSEIL  BIENVEILLANT 

DU  ROI  d'Espagne  au  roi  d'Angleterre.  —  Cependant 
le  roi,  redoutant  les  fourberies  des  Gascons,  et  crai- 
gnant qu'ils  ne  passassent  du  côté  du  très-puissant 
roi  d'Espagne,  lui  envoya  des  députés  solennels,  à 
savoir  l'évêque  de  Bath  et  le  seigneur  Jean  Mansel , 
son  clerc  spécial,  pour  demander  humblement  son 
alliance  et  son  amitié,  et  lui  proposer  de  consentir 
bénévolement  à  l'union  par  mariage  de  sa  sœur  uté- 
rine avec  Edouard ,  fils  aîné  et  légitime  héritier  du 
seigneur  roi  d'Angleterre.  Or,  ledit  seigneur  roi  d'An- 
gleterre avait  concédé  la  Gascogne  à  son  fils  susdit; 
ce  qui  diil'ère  peu  de  la  concession  faite  ou  à  faire  à 
la  sœur  dudit  roi  d'Espagne,  laquelle  devait  être 
mariée  à  son  fils  Edouard.  Les  susdits  députés  pour- 

•  Quelle  citation  et  quel  regret?  Matt.  Péris  semble  ne  sortir  de  sa 
tnlt^rancc  habituelle  que  pour  s'associer  À  la  baiiie  nationale  contre  les 
rangers. 


^ 


ANNÉE  4255.  451 

suivirent  eflicacement  cette  affaire  jusqu'à  achève- 
ment, non  sans  se  donner  beaucoup  de  peines  et  de 
soucis,  obtinrent  la  faveur  et  Tamitié  du  roi  d'Espa- 
gne, et  rapportèrent  une  charte  magnifique,  dont  le 
sceau  d'or  pesait  un  marc  d'argent,  dans  laquelle  il 
était  inséré,  en  termes  solennels,  que  le  roi  d'Espa- 
gne déclarait  renoncer  à  tous  les  droits  qu'il  avait 
ou  pouvait  avoir  sur  la  Gascogne,  en  vertu  de  la  do- 
nation du  roi  Henri  second  et  de  la  confirmation  de 
cette  donation  par  les  rois  Richard  et  Jean.  De  plus 
l'habileté  des  députés,  ou  plutôt  du  seul  Jean  Mansel, 
à  ce  que  I  on  dit,  obtint  quelques  libertés  au  profit 
des  pèlerins  qui  se  rendent  à  Saint-Jacques,  par  exem- 
ple la  permission  de  loger,  selon  leur  bon  plaisir, 
dans  les  villes  qui  sont  sous  la  domination  du  roi 
d'I^spagne,  et  de  se  procurer  librement  des  provi- 
sions, sans  en  requérir  leur  hôte.  Or,  ledit  roi  de- 
mandait qu'on  lui  procurât  la  présence  d'Edouard , 
pour  qu'il  le  vît,  qu'il  considérât  sa  bonne  mine  et 
son  savoir-faire,  et  qu'il  lui  ceignit  le  baudrier  mili- 
taire, avec  tous  les  honneurs  et  toute  la  solennité  qui 
convenaient  pour  un  jeune  homme  de  si  haute  nais- 
sance. Quand  les  députés  eurent  fait  leur  rapport  au 
seigneur  roi  d'Angleterre,  il  fut  très-satisfait  du  ré- 
sultat de  cette  affaire;  toutefois  il  craignit  grande- 
ment d'envoyer  son  fils  aîné  et  l'héritier  de  toutes 
ses  possessions  au  susdit  roi  d'Espagne,  qui  faisait 
sou  séjour  dans  des  pays  si  éloignés,  redoutant,  et 
non  sans  raison,  que  le  roi  d'Espagne,  guidé  et  sé- 
duit par  la  malignité  et  l'avarice,  ne  voulût  tirer 
parti  d'un  otage  si  important  qu'on  lui  remettrait 


452  HENRI  Hi. 

légère/lient.  Maisie  seigneur  Jean  Mansel  ayant  porté 
témoignage  de  la  féauté  du  roi  d'Espagne,  et  ayant 
affirmé  qu'il  était  tout  à  fait  incapable  de  commettre 
ou  de  laisser  commettre  un  pareil  attentat,  le  sei- 
gneur roi  d'Angleterre  conçut  dès  lors  de  meilleures 
espérances,  et  goûta  le  projet  d'envoyer  avec  con- 
fiance en  Espagne,  non-seulement  Edouard,  mais 
encore  la  reine  :  ce  qui  fut  fait.  Or,  pendant  tout  le 
temps  de  cette  guerre,  il  arriva,  sansy  manquer  ja- 
mais, que  si  quelque  Anglais  commettait  une  faute, 
il  était  puni  outre  mesure;  si  au  contraire  c'était  un 
étranger,  on  ne  lui  infligeait  qu'un  cbâtiment  léger, 
et  souvent  même  on  laissait  sa  faute  impunie.  Ce 
que  Ton  remarquait^  et  non  sans  raison. 

Vers  le  même  temps,  quelques-uns  des  principaux 
Sarrasins  d'Orient  se  confédérèrent  en  haine  et  pour 
la  ruine  des  chrétiens.  Aussi,  faisant  librement  des 
courses,  ils  arrivaient,  sans  trouver  ni  obstacle  ni  ré- 
sistance, jusqu'aux  portes  d'Acre,  pleins  d'oi^ueil,  et 
commettant  de  grands  ravages  dans  la  campagne. 

A  la  même  époque,  la  famine  fit  de  si  grands  pro- 
grès dans  l'armée  du  roi,  en  Gascogne,  qu'une  poule 
se  vendait  six  deniers  sterling ,  une  charge  de  fro- 
ment vingt  sols,  un  seticr  de  vin  deux  sols  et  plus, 
un  pain  du  poids  d'une  livre  deux  ou  trois  deniers; 
en  sorte  qu'un  chevalier  à  jeun  pouvait  à  peine  se 
sustenter  convenablement  lui,  son  écuyer,  son  page' 
et  ses  chevaux,  avec  deux  sols  d'argent  [par  jour.] 

•  Eti>ueru.  Lu  vAriaiitr  iluniic  gtrcione. 


ANNEE  4255.  435 

OUe  même  année,  à  savoir  le  ^0  avant  les  ca- 
lendes de  novembre,  la  charte  obligatoire  par  laquelle 
Tabbé  el  le  couvent  de  Saint-Albans  avaient  pris  Ten- 
f;a{];emeut  de  répondre  pour  la  dette  de  Kicbard  de 
Oxhaie,  chevalier,  fui  retirée  des  mains  d'Elie,  juit 
lie  Londres,  el  mise  hors  de  la  caisse;  et  il  fut  pro- 
i-iamé,  dans  Técole  des  juifs'  à  Londres,  que  le  cou- 
vent et  Tabbé  susdit  étaient  exempts  de  toute  récla- 
mation de  la  part  des  juifs,  au  sujet  de  toute  dette 
de  cette  espèce,  depuis  le  commencement  des  siècles 
jusqu'à  présent,  comme  la  quitlance  obtenue  d'eux 
peut  le  prouver. 

V^ers  le  même  temps  s'étendit  la  renommée  du  roi 
d  Espagne,  niais  non  du  roi  [d'Angleterre].  Or,  dans 
ses  chartes,  le  susdit  roi  s'intitule  ainsi  :  «  Alphonse, 
parla  grâce  de  Dieu,  roi  de  Castille,  de  Léon,  de 
Galice,  de  Tolède,  de  Murcie,  deCordoue  et  dcJaën.  »> 
Quant  à  la  domination  du  roi  d'Angleterre,  elle  fut 
mutilée  en  grande  partie;  car  il  promit  à  son  fils 
rirlande  et  beaucoup  d'autres  possessions;  mais  cette 
aifaire  exigerait  qu'on  s'en  occupât  spécialement. 

A  la  même  époque,  !<*  roi  d'Espagne,  étantdevenn 
le  très-grand  ami  du  seigneur  roi  d'Angleterre,  s'af- 
fligea, dans  un  esprit  de  bienveillance  et  de  discré- 
tion, de  ce  qu'il  avait  appris  sur  son  caractère,  et  lui 
lit  savoir,  par  lellre,  qu  il  devait  suivre  l'exemple  des 
Ikjiis  rois  el  des  bons  princes,  dont  le  titre  d'hon- 
neur était  celui-ci,  de  toute  antiquité  :  «  Il  sera  un 

'  Schnifi  juda^ruM .  Cesl  éTideiniiieut  ce  (jue  iiouk  enteuduui  au- 
jourd'hui p.;r  stjuatjogue. 

vu.  28 


434  HENRI  m. 

agneiiu  pour  sos  amis  domestiques  et  pour  ses  com- 
pagnons d'armes,  et  un  lion  pour  les  étrangers  et 
pour  les  rebelles.  »  Or,  il  lui  rappelait  ces  paroles 
pour  qu'il  s'y  conformât  et  qu'il  ne  se  montrât  plus 
l'oppresseur  des  siens,  tandis  qu'il  accueillait  et  ali- 
mentait les  étrangers.  Mais 

A  quui  sert-ii  de  répandre  des  semences  duns  un  terrain  stérile? 

r 

Le  roi  d'Espagne  a  huit  royaumes  qui  tiennent  de 
lui  :  la  Castille,  la  Galice,  Seville,  Cordoue,  Murcie 
et  Hispalis'.  Tous  ces  pays  sont  soumis  aux  chrétiens. 
11  a  de  plus  pour  tributaires  deux  rois  Sarrasins , 
comme  on  le  voit  dans  la  charte  octroyée  nu  sei- 
gneur roi  d'Angleterre. 

I/ÉvÉQDE  DE   Lincoln  Robert  Grosse-Tête  tombe 

GRAVEMENT  MALADE.    SoN    ENTRETIEN    AVEC    UN    FRÈRE 

PRÊCHEDR.  —  Il  se  PLllNT  A  SES  CLERCS  DES  EXACTIONS 
DE  LA  COUR  ROMAINE.   —  RÉCAPITULATION  DES  VEXATIONS 

ÉPROUVÉES  PAR  l'Église. — Mort  de  l'évêque.  —  Mélo- 

*  Nous  ne  cnnnaisson*  yaad'Jlispalis  auire  que  Seville,  désignée  ici 
par  Sybilln.  Matl,  Paris  parle  plus  bnut  des  richesses  de  Sybilla.  Or, 
nous  savons  quUl  y  avail  à  Seville,  du  temps  des  Arabes,  seize  mille 
métiers  à  soie  ;  mais  elle  dut  déchoir,  lorsque  cent  mille  de  ses  habitants 
l'abandonnf'rent  plutôt  que  de  vivre  sous  les  lois  des  chrétiens.  Pour 
formerlosbuitroyaumes  dont  parle  notre  auteur,  il  faudrait  donccompter, 
comme  plus  haut,  Léon,  'J'oli^dc  et  Ja^'n.  Nous  pensons  même,  en  compa- 
rant lei  divers  historiens,  qu'on  ne  peut  re^'urder  le  royaume  de  Murcio 
comme  faisant  alors  partie  des  états  du  roi  de  Castille.  Ce  royaume,  ainsi 
qae  celui  de  Grenade,  fondé  en  1238  par  Mohammcd-ben-Ahmar,  con- 
(erra  longtemps  encore  sou  existence  propre  eu  payant  tribut.  {Voij.  en 
particulier  JuiJN  BlCLAND,  Nht.  dl-^tptigue,  cbap.  Vlll.) 


A.NNKE  4250.  435 

blE  ENTENDUE    DANS   LES    AlftS.    —    HhUIT   SLHNATUREL  DK 
CLOCHES  ET  DE  TROMPETTES  QUI  ANNONCE  LA  SAINTETÉ  I)U 

DÉFCNT.  —  Vers  le  même  temps,  pendant  que  les  jours 
caniculaires  exerçaient  leur  mali|;ne  influence,  I  é- 
v^quede  Lincoln  Robert  tomba  {jravement  malade, 
dans  son  manoir  de  Bukedon.  Il  appela  donc  à  lui 
un  certain  frère  de  l'ordre  des  Prêcheurs,   nommé 
maître  Jean  de  Saint-Gilles,  lifibile  dans  Tort  de  la 
médecine,  lecteur  en  ihéologie,  homme  bien  instruit 
et  qui  instruisait  bien   les  autres,  pour  recevoir  de 
lui  consolation  de  corps  et  d'âme;  car  il  pressentait 
d'inspiration  que  Té^lise  allait  être  troublée  prochai- 
nement par  une  tribulation  que  nous  ne  prévoyions 
)Kis.  Aussi  il  ordonna  aux  prêlres  institués  dans  son 
dioct'se  de  renouveler  sans  relâche  la  sentence  d'ex- 
Cfxmmunication  contre  tous  les  violateurs  des  gran- 
des chartes  des  libertés  du  royaume,  partout  où  ils 
sauraient  que  les  hommes  devaient  se  rassembler. 
Quelques  courlisans.   tant   clercs  que   laïques,  ré- 
sistèrent insolemment  à  cette  injonction,  et  acca- 
blèrent les  prêtres  d'outrages.  Or.  nous  savons  que 
ces  gens-là  sont,  par  le  lait  même,  enveloppés  dans 
les  liens  de  ranalhème.  Un  jour  que  l'évêque  s'entre- 
tenait avec  frère  Jean,  le  physicien  susdit,  et  parlait 
des  actes  du  pape,  il  attaqua   violemment  les  Prê- 
cheurs, confrères  dudit  Jean,  et  les  autres,  et  n'é- 
pargna pas  non  plus  les  Mineurs,  disant  que  si  leur 
onire  i-tait  établi  salutairement  dans  une   pauvreté 
\olont)ire,  qui  est  la  pauvreté  de  I  esprit,  c  était  atin 
qu'ils  pussent  plus  librement,  non  point  caresser  les 


a«  HÇNRI  Hi. 

vices  (ies  puissants,  mais  les  en  reprendre  fortement 
avec  raustérité  qui  convient  à  des  censeurs  ;  car 

Le  voyageur  qai  n'a  riea  à  perdre  pourra  chanter  devant  un  voleur. 

«  Or,  ajoutn  l'évêque,  comme  toi,  frère  Jean,  et 
«  vous  autres  Prêcheurs,  ne  reprenez  pas  audacieu- 
«  sèment  les  péchés  des  grands,  et  ne  dévoilez  pas 
«  leurs  méfaits,  je  vous  regarde  comme  des  héréli- 
«  ques  manifestes.  »  L'évêque  insista  :  «  Qu'entend- 
«  on  par  hérésie?  donne-m'en  la  définition.  »  El 
comme  frère  Jean  hésitait,  ne  se  souvenant  pas  de 
Tauthentique  raison  de  la  chose  et  de  la  définition, 
Tévéque  reprit,  en  traduisant  fidèlement  de  la  langue 
grecque  en  lalin  :  «  L'hérésie,  c'est  une  opinion 
«  choisie  par  le  sentiment  humain,  contraire  à  l'E- 
«  criture  sainte,  enseignée  publiquement,  défendue 
«  opiniâtrement.  »  Or,  hérésie  en  grec  se  traduit  eu 
latin  par  choix.  L'évêque  s'appuya  donc  de  ce  prin- 
cipe pour  attaquer  les  prélats,  surtout  romains,  qui 
confient  le  soin  des  âmes  à  leurs  parents,  gens  indi- 
gnes et  insuffisants  en  âge  et  en  science  :  «  Donner 
•'  charge  d'âmes  à  un  jeune  enfant,  c'est  là  l'opinion 
't  de  certain  prélat,  opinion  choisie  par  le  sentiment 
N  humain  à  cause  de  la  chair  ou  des  ail'ections  ter- 
«  restres.  Elle  est  contraire  à  l'Écriture  sainte,  qui 
<4  défend  que  ceux-là  soienl  pasteurs,  qui  ne  sont  pas 
<i  c»f)ables  de  repousser  les  loups.  Elle  est  enseignée 
«  publiquement,  puisque  l'on  présente  manifeste- 
«  ment,  à  cet  égard,  des  chartes  scellées  ou  avec 
I'  huiles:  et  elle  est  défendue  opiniâtrement,  puis- 
«  qui',  si  quelqu'un  ])rétend  s  y  opf)oser,  il  est  sus- 


ANNEE  <255.  137 

«  pendu  et  exconuiiunié,  et  que  Ton  prêche,  coin  me 
M  sainte,  la  guerre  contre  lui.  Celui  à  qui  convient 
«  entièrement  la  définition  de  l'hérétique,  esl  liéré- 
«  tique.  Mais  tout  fidèle  est  tenu  de  s'opposer  à  un 
c  hérétique,  autant  qu'il  le  peut.  Aussi  celui  qui 
«  peut  contredire  un  hérétique,  et  qui  ne  le  contre- 
«  dit  pas,  pèche  et  parait  être  son  fauteur,  selon  ce 
«  précepte  de  Grégoire:  «Celui  qui  néglige  de  s'op- 
«  poser  à  un  crime  manifeste,  n'est  pas  exempt  du 
«  soupçon  d'en  être  le  com  pi  ice.  «Ma  is  les  frères,  tant 
a  Mineurs  que  Prêcheurs,  sont  surtout  tenus  de 
a  s'opposera  tout  hérétique,  puisque  ces  deux  ordres 
a  ont  reçu  d'office  la  faculté  de  prêcher,  et  que  leur 
«  pauvreté  leur  donne  plus  de  liberté  pour  exercer 
«  cet  office.  Or,  non-seulement  ils  pèchent,  s'ils  ne 
«  s'opposenl  pas  aux  hérétiques,  mais  encore  de- 
«  viennent  leurs  fauteurs;  ainsi  que  l'a  dit  I  apôtre 
«  aux  Romains  [chap.  A.]*  Non-seulement  ceux  qui 
«  font  ces  clioses,  mais  aussi  ceux  qui  approuvent 
«  ceux  qui  les  font,  sont  dignes  de  mort.»  On  peut 
«  donc  en  conclure  que  le  pape,  s'il  ne  renonce  à 
«  cet  abus,  aussi  bien  que  les  t:usdils  frères,  s'ils  ne 
a  se  montrent  jaloux  d'éloigner  un  pareil  héréti- 
«  que,  sont  dignes  de  mort,  c'est-à-dire  de  la  mort 
a  perpétuelle.  Item,  il  y  a  une  décrétule  qui  dit  qu'en 
«  pareil  cas,  c'est-à-dire  en  cas  d'hérésie,  le  pape 
«  |>eut  et  doit  être  mis  en  accusation.  >* 

Celait  alors  la  troisième  nuit   avant  la   fête  de 
.saint  Denis.  Conune  les  nuits,  à  cette  épo<|ue  ,  du 
rent  fort  longtemps.  1  évê<)u<> ,  accablé  par  la  mala- 


<58  HENIU  lir. 

die  et  par  un  ennui  inortei ,   fit  venir  (|tieiqaes*un$ 
de  ses  clercs,  pour  qu'un  entretien  mutuel  servît  au 
moins  à  le  distraire.  Alors  Tévêque,  se  plaignant  de 
la  perte  des  âmes  que  causait  Tavarice  de  la  cour  ro- 
maine, leur  dit  en  soupirant  :  «  Le  Christ  est  venu 
«  dans  le  monde  pour  gagner  les  âmes;   donc  si 
«  quelqu'un  ne  craint  point  de  perdre  les  âmes ,  ne 
«  peut-on   pas   l'appeler  justement  Antéchrist?  Le 
«  Seigneur  a  créé  le  monde  entier  en  six  jours ,  mais 
«  pour  réparer  la  faute  de  Thomme,  il  a  travaillé 
«  plus  de  trente  ans.   Le  destructeur  des  âmes  ne 
«  doit-il  dorjc  pas  être  regardé  comme  l'ennemi  de 
«  Dieu  et  comme  l'Antéchrist!  Le  pape  ne  rougit  pas 
H  d'annuler  sans  pudeur  les  privilèges   des  saints 
«  pontifes  romains,  ses  prédécesseurs,  en  élevant  la 
«  harrière  du  nonobstant  :  ce  qui  a  lieu ,  non  sans 
«  leur  préjudice  et  leur  injure  manifeste;  car  ainsi 
«  il  réprouve  et  détruit  ce  qu'ont  édifié  tant  et  de  si 
«  saints  personnages.  N'est-ce  pas  là  mépriser  les 
o  saints?  Aussi  celui  qui  méprise  sera  justement  mé- 
«  prisé,  selon  cette  parole  d'Isaïe  :  «  Malheur  à  toi, 
«  qui  dédaignes  ;  ne  seras-tu  pas  dédaigné?»  Or,  qui 
«  conservera  ses  privilèges,  h  lui?  Je  sais  bien  que 
«  le  pape,  répondant  à  cela,  défend  ainsi  son  erreur, 
<•  en  disant  :  «Un  égal  na  pas  de  pouvoir  sur  son 
<*  égal.  Or  un  pa])e  ne  peut ,  en  aucune  façon  ,  me 
<•  tenir  lié  ,  moi  qui  suis  pape  aussi.»  Je  répondrai  à 
«  cela  ,  continu»  l'évéque  ,  qu'à  mon  avis,  celui  qui 
«  navigue  sur  les  périls  de  ce  monde  et  celui  qui  se 
«  réjouit  •Ions  la  sécurité  du  port  ne  sont  pas  égaux. 


ANNEE  ^253. 


43Î)- 


Admettons  quo  tout  pape  soit  sauvé  :  loin  de  nous 
de  dire  le  contraire.  Le  Seigneur  a  dit  :  «Celui  qui 
est  le  plus  petit  dans  le  royaume  des  cieux  est  plus 
grand  que  Jean-Baptiste,  qui  cependant  n'a  per- 
sonne de  plus  grand  que  lui  parmi  les  enfants  des 
femmes.»  Donctoutpape,  donneurouconBrmateur 
de  privilèges,  n'est-il  pas  plus  grand  que  ce  pape 
actuel?  Sans  nul  doute,  il  me  paraît  plus  grand  ; 
donc  il  a  pouvoir  sur  plus  petit  que  lui ,  et  celui-ci 
ne  doit  pas  invalider  les  décisions  de  ses  prédéces- 
seui"s  (?).  Le  pape  ne  dit-il  pas,  en  parlant  de  la  plu- 
part de  ses  prédécesseurs  :  •  Un  tel  ou  un  tel ,  de 
pieuxsouvenir,  notreprédécesseur. .. ,  »  et  fréquem- 
ment aussi  :  «  Nous  qui  marchons  sur  les  traces  de 
notre  saint  prédécesseur...»?  Pourquoi  donc  ceux 
^ui  suivent  détruisent-ils  les  fondements  que  ceux 
qui  précèdent  ont  jetés?  Plusieurs  pontifes  apostoli- 
quesontconfirme  toutprivilége  accordépieusement 
avanleux.  Or,  plusieurs  pontifes  sauvés  par  la  grâce 
divine  ne  sont-ils  pas  plus  grands  qu'un  seul ,  dont 
le  salut  est  encore  incertain?  De  plus,  nos  anciens 
pères  ,  les  pontifes  ajjostoliques  ,  sont  les  plus  an- 
ciens dans  le  temps,  et  nous  sommes  tenus  d'avoir 
pour  vénérables  ceux  que  Tancienneté  désigne  à 
notre  respect.  C'est  ce  que  considérait  parfaitement 
saint  Benoît ,  cet  homme  vénérable  par  sa  vertu  et 
rempli,  en  composant  sa  rèjjle,  de  l'esprit  de  tous 
les  saints.  H  préfère  ceux  qui  sont  venus  les  pre- 
miers, quels  quails  soient,  aux  personnes  les  plus 
authentiques  qui  se  présentent  tardivement  pour 


440  HENRI  111. 

•  faire  partie  de  Tordre ,  et  veut  qu'on  regarde  les 
«  plus  anciens  comme  les  plus  vénérables.  D'où  vient 
«  donc  cetteoutrageante  témérité  de  révoquer  et  d'an- 
«  nulerles  privilèges  d'une  foule  de  saints  anciens? 

«   En  outre  ,   quoique  plusieurs  autres   pontifes 

«  apostoliques  aient  affligé  l'église,  celui-ci  l'a  réduite 

«  en  servitude  plus  durement  que  les  autres,  et  a  mul- 

fl  tiplié  les  inconvénients.  En  effet,  les  Caursins,  ces 

«  usuriers  manifestes,  que  de  saints  pères  et  docteurs, 

«  que  nous  avons  vus  et  entendus,  tels  que  ce  maître 

«  illustre,  prédicateur  en  France,  l'abbé  de  Flaix  de 

H  Tordre  de  Cîteaux,  maître  Jacques  de  Vitry,  Tarche- 

«  véque  de  Cantorbéry  Etienne,  pendant  son  exil, 

«  maître  Robert  de  Courçon,  avaient  chassés  des  pays 

«  deFrance  par  leurs  prédications,  ontéléexcitésà  dé- 

«  vorer  l'Angleterre,  exempte  jusqu'alors  de  ce  fléau, 

«  par  ce  pape  qui  les  a  protégés  après  les  avoir  sus- 

««  cités  ;  et  si  quelqu'un  en  murmure,  il  est  accablé  de 

«  soucis  et  de  dommages ,  témoin  Tévèque  de  Lon- 

•«  dres  Roger.  Le  monde  sait  que  l'usure  est  regardée 

«  comme  détestable  dans  les  deux  Testaments,  et  est 

«  prohibée  par  Dieu  ;  et  maintenant  les  marchands 

«  on  les  banquiers  du  seigneur  pape,  au  grand  mur- 

«  mure  des  juifs,  exercent  publiquement  l'usure  à 

«  Londreâ,  machinent  des  vexations  de  toute  espèce 

«  contre  les  personnes  ecclésiastiques,  et  principale- 

«  ment  les  religieux,  forçant  ceux  qui  sont  pressés 

«  par  le  besoin  n  mentir  «l  a  apposer  leurs  sceaux  à 

«  des  écrits  menteurs  :  ce  qui  est  commettre  crime 

f  d'idolAtrie  et  renier  In  vérité ,  qui  est  Dieu.  En 


ANNÉE  4255. 


444 


«  vouiez-vous  un  exemple?  J'emprunle  pour  un  an 
«  [cenlj  marcs  que  l'on  mécompte  comme  s'ils  fai- 
n  saient  cent  livres  ;  je  suis  forcé  île  rédiger  et  de  signer 
«  un  écrit  par  lequel  je  reconnais  avoir  reçu  ,  à  titre 
«  de  prêt,  cent  livres,  que  je  paierai  à  la  (in  de  Tan- 

•  née.  Or»  s'ilarriveque  je  me  procure  dans  un  mois, 
«  ou  même  avant  moins  de  temps,  le  principal  de  la 

•  somme, et  que  je  veuille  payer  l'usurier  papal,  il  ne 
«  recevra  pas  autre  chose  que  les  cent  livres  iulégrale- 
«  ment.  N'est>ce  pas  là  une  condition  plus  dure  que 
«  les  conditions  des  juifs  ,  puisque  si  vous  apportez 
«  le  principal  de  la  dette  à  un  juif,  il  le  recevra  vo- 

•  lontiers,  et  se  contentera  des  intérêts  mesurés  au 
«  temps  qui  se  sera  écoulé  depuis  le  prêt.  En  outre , 
«  nous  savons  que  le  pape  a  enjoint  aux  frères  Prê- 
«  chœurs  et  aux  Mineurs  d'assister  les  mourants,  en 
«  lessollicitantvivementeten  leur  persuadant  défaire 
«  leurs  testaments  pour  l'avantage  et  le  subside  de  la 
«  Terre-Sainte ,  et  de  prendre  la  croix ,  afin  que  si 
«  les  malades  viennent  à  convalescence,  ilsleurarra- 
«  client  leurs  dernières  ressources,  ou  que  si  les  ma- 
n  lades  meurent ,  ils  en  retirent  ou  en  extorquent 
«  autant  des  exécuteurs  testamentaires.  Il  vend  aussi 
«  lescroisésà  la  rapacitédes  personnes  laïques,  comme 

■  jadis  les  juifs  avaient  coutume  de  vendre  dans  le 

■  temple  des  brebis  et  des  bœufs.  Nous  avons  eu  sous 

■  les  yeux  une  lettre  du  pape,  dans  laquelle  nous  avons 

■  trouvé  que  ceux  qui  feraient  leurs  testaments ,  ou 
"  qui  prendraient  la  croix,  ou  qui  fourniraient  sub- 
'«  side  à  la  Terre-Sainte,  recevraient  des  indulgences 


442  HENRI  III. 

«  en  proportion  de  ce  qu'ils  auraient  donné  d'argent. 
«  Kn  outre  le  pape,  dans  plusieurs  de  ses  rescrits, 
«  a  enjoint  aux  prélats  de  pourvoir  d'un  bénéfice 
«  ecclésiastique  telle  ou  telle  personne  étrangère, 
«  absente  et  tout  à  fait  indigne,  qui .  ne  connaissant 
'<  ni  les  lettres  ni  la  langue  du  pays,  ne  pouvait  faire 
«  des  prédications  ni  recevoir  des  confessions,  et  ne 
«  devait  pas  même  résider  dans  son  bénéfice  ,  pour 
«  soulager  les  pauvres  et  pour  accueillir  les  passants; 
«  en  ajoutant  que  ce  bénéfice  devait  être  tel  par  son 
«  importance  et  par  sa  valeur  qu'il  plairait  à  la  per- 
«  sonne.  Itenij,  nous  savons  que  le  seigneur  pape  a 
«  écrit  à  l'abbé  de  Saint-Albans  de  pourvoir  d'un 
«  bénéfice  convenable  un  certain  Jean  de  Camezana, 
«  qu'il  n'avait  jamais  vu.  Peu  de  temps  après,  on 
«  pourvut  cet  homme  d'une  église  qui  valait  annuel- 
ce  lement  quarante  marcs  et  plus;  mais  celui-ci, 
«  n'en  étant  pas  content ,  se  plaignit  au  pape.  Le 
«  pape  écrivit  donc  à  Tabbé  susdit  de  pourvoir  ledit 
«  clerc  d'un  bénéfice  plus  opulent,  et  de  réserver 
«  néanmoins  la  donation  de  la  première  église  au 
«  même  seigneur  pape.  Peu  de  jours  après ,  deux 
«  personnes  assez  méprisables  vinrent  au  monastère 
((  dudit  abbé,  apportant  des  lettres  du  pape,  dans  le 
«  contenu  desquelles  il  était  dit  que  l'abbé  devait  oc- 
(*  troyer  sur-le-champ,  de  la  main  à  la  main,  et  sans 
a  difficulté  aucune,  dix  marcs  aux  nobles  porteurs 
«  de  ces  lettres ,  qui  en  avaient  besoin  pour  leurs  af- 
"  faire»  :  comme  ils  se  répandaient  en  paroles  or- 
«  guejlleuscs  et  nienaçaiiles,  l'abbé  finit  par  payer. 


ANNÉE  (233.  445 

tr  Le  pape,  pour  exlorquer  spécieusement  de  l  ar»jent, 
«  fait  aussi  ses  tonloiers  d\'iomnies  saints  el  lettrés  , 
<>  quiont  abandonné  le  siècle  sans  retour,  atin  d'imi- 
«  ter  Dieu.  Or,  ceux-ci  prennent  malgré  eux  ce  far- 
«  deau,  pour  ne  point  paraître  désobéissants.  C'est 
«  ainsi  que  de  séculiers  ils  <ievieiinent  plus  séculiers 
«  encore,  et  qu'ils  font  mentir  la  grossièreté  de  leurs 
.<  habits* ,  puisque,  sous  Pextérieur  de  la  pauvreté, 
«  habite  Tesprit  d'élévation.  Comme  un  légat  ne  peut 
•  être  envoyé  en  Angleterre  que  sur  la  demande  du 
«  roi ,  le  pape  y  envoie  des  légats  déguisés  et  Irans- 
«  formés  ,  qui ,  s'ils  ne  sont  pas  revêtus  de  robes 
«  rouges,  n'en  sont  pas  moins  armés  de  grands 
«  pouvoirs  ;  et  il  n'est  pas  difficile  d'en  trouver  des 
«  exemples;  car  la  venue  de  ces  envoyés  est  m  fré- 
<•  qtiente,  qu'il  serait  ennuyeux  de  vous  les  nommer 
«  tous.  Au  reste,  ce  quejen'avais  jamaisvu,  le  pape, 
"  par  faveur  pour  un  séculier,  permet  que  Ton  ob- 
"  tienne  un  évéché,  sans  être  pour  cela  évêque,  mais 
«  seulement  élu  perpétuel,  et  en  gardant  même  les 
»<  anciens  revenus  qu^on  peut  avoir  ;  ce  qui  revient 
«  à  recueillir  le  lait  et  la  laine  des  brebis,  sans  être 
«  chargé  de  chasAcr  les  loups.  »  Après  avoir  détesté 
ces  abus  et  d'aulres  énormités,  à  savoir  l'avarice  de 
toute  es()èce  .   Iiisure,   la  smionie  ,   les  rapines,  la 

•  VUitas  tragulorum.  Sans  doute  stragulorum  :  vélempiit  qui  sert 
de  manteau  le  jour  et  de  couverture  la  nuit.  Ou  entendait  aussi  par 
sliuijuluin,  une  étoffe  rayée  et  travaillée  en  plusieurs  couleurs.  •  Pan- 
«  iium  struyutaium  ntutinentem  x\  royes.  »  (Dl'cakue,  Gloss-) 
Mais  il  est  érident  qu'il  s'agit  ici  de  l'étofTe  la  plus  commune. 


iiî  HENRI  m. 

luxure  et  les  débauches  de  tous  genres,  ia  gourman- 
dise ,  la  recherche  dans  les  habits ,  tous  vices  qui 
régnent  dans  cette  cour,  et  qui  font  qu'on  peut  dire 
justement  d'elle  : 

La  terre  entière  ne  suffit  pas  à  son  avarice  ;  toutes  les  courtisanes  dn 
monde  ne  suffisent  pas  à  sa  luxure; 

l'évêque  Robert  poursuivit,  en  faisant  effort  sur  lui- 
même,  et  montra  comment  cettecour,  qui  espère  que 
le  Jourdain  coulera  dans  sa  bouche,  se  tenait  la  gueule 
béante,  prête  à  engloutir  les  biens  des  intestats,  et 
même  de  ceux  qui  léguaient  expressémentleurs  biens, 
et  comment,  pour  arriver  plus  sûrement  à  ses  fins, 
elle  entraînait  dans  ses  rapines  le  roi,  dont  elle  faisait 
son  complice.  «  L'église  ne  sera  délivrée,  ajouta-t-il, 
«  de  la  servitude  d'%ypte,  qu'à  la  pointe  du  glaive 
«  ensanglanté  :  ces  maux  sans  doute  sont  encore  le- 
ft gers;  mais  dans  peu  detemps,  c'est-à-dire  danstrois 
«<  ans,  des  maux  plus  terribles  arriveront.»  Comme  il 
finissait  de  prononcer  ces  paroles  prophétiques, 
interrompues  maintes  fois  par  ses  sanglots,  ses 
larmes  et  ses  Foupirs,  sa  langue  s'épaissit,  l'haleine 
lui  manqua,  et  il  perdit  l'organe  delà  voix. 

Le  saint  évéque  de  Lincoln,  Robert  second,  quitta 
donc  ce  monde  qu'il  n'avait  jamais  aimé,  et  où  il 
était  en  exil,  et  mourut  à  Bukedon,  son  manoir,  la 
nuit  de  la  Saint-Denis.  Pendant  sa  vie,  il  avait  répri- 
mandé publiquement  le  seigneur  pape  et  le  roi,  cor- 
rigé les  prélats,  réformé  les  moines,  dirigé  les  prêtres, 
Instruit  les  clercs,  soulenu  les  écoliers,  prêché  devant 


ANNEE  4253.  445 

Iti  peuple,  persécuté  les  iuconliuenls,  fuuillé  avec  soin 
les  divers  écrils,  et  avait  été  le  marteau  et  ie  coii- 
teinpteur  des  Romains.  Il  était  libéral,  prodigue, 
courtois,  };ai  et  affable  à  la  table  de  la  réfection  cor- 
porelle; mais  à  la  table  spirituelle,  il  se  présentait 
en  pleurant  et  avec  un  cœur  pieux  et  contrit.  Il  avait 
};agné  le  respect  de  tous  par  sou  zèle  infatigable  à 
remplir  les  fonctions  pontificales. 

Lorsqu'il  mourut,  à  savoir  la  nuit  où  il  monta 
vei*s  le  Seigneur,  Foulques,  évéque  de  Londres,  en- 
tendit au  plus  haut  des  airs  un  son  très-doux,  dont 
la  mélodie  pouvait  à  juste  titre  récréer  et  charmer, 
les  oreilles  et  le  cœur  de  celui  qui  Tenlendait.  Aus- 
sitôt, prêtant  Toreille  et  écoutant  avec  attention,  car 
il  n'était  pus  loin  de  Bukedon,  il  dit  à  ceux  qui  1  ac- 
compugnaieut  :  «  Entendez-vous  ce  que  j'entends? »> 
Alors  ceux-ci  lui  demandèrent  :  «  Qu'entends-tu  , 

•  seigneur?  —  Un  bruit  qui  est  au-dessus  des  bruits 

•  humains,  répondit  l^êque  :  c'est  comme  le  son 
«  d'une  grande  cloche,  d'une  cloche  de  monastère, 
«  qui  serait  balancée  régulièrement  dans  les  airs  de 
-  la  manière  la  plus  agréable.  »>  Or,  ceux-ci  avouèrent 
que,  malgré  toute  leur  attention,  aucun  son  de  cette 
espèce  ne  parvenait  à  leurs  oreilles.  Alors  l'évéque  : 

"  Par  la  foi  que  je  dois  à  saint  Paul,  je  crois  que  le 
«  >éuérable  évéque  de  Lincoln,  notre  père,  notre 
"  frère  et  notre  maitre,  a  passé  de  ce  monde,  et  est 
u  déjà  placé  dans  le  royaume  du  ciel.  Le  bruit  que 
«  je  viens  d'entendre  en  est  pour  moi  le  signe  ma- 
«  nifesle.  Au  reste,  ce  n'est  pas  loin  d'ici  :  infor- 


446  HENRI  III. 

((  mons-auus-cn  iiiconlinent.  »  El  ilsrecoiuiurent  et 
apprirent,  par  les  assertions  de  toute  la  maison,  qu'à 
cette  môme  heure  l'évêque  était  sorti  de  cette  vie. 
Celui  qui  écrit  ce  livre  tient  ce  fait  merveilleux  ou 
plutôt  ce  miracle  primitif  du  seigneur  Jean  Crachale, 
clerc  spécial  de  Tévéque,  liomnie  vénérable,  et  l'un 
des  plus  considérés  parmi  tous  les  serviteurs  de 
Tévêque,  lequel  s'en  est  porté  garanten  le  lui  racon- 
tant affirmativement. 

Celte  même  nuit,  quelques  frères  de  l'ordre  des 
Mineurs,  en  se  rendant  à  Bukedon,  où  demeurait 
l'évêque  de  Lincoln  Robert  (  car  il  élail  le  père  et  le 
consolateur  des  Prêcheurseldes  Miikeurs),  s'égarèrent 
en  traversant  la  forêt  royale,  qu'on  appelle  VVau- 
berge,  dont  ils  ignoraient  les  détours.  En  ce  ntoment 
ils  eniendirent  dans  les  airs  un  bruit  de  cloches  très- 
mélodieux,  parmi  lequel  dominait  un  son  fort  doux, 
nettement  et  clairement  accentué,  qui  semblait  de 
beaucoup  préférable  au  bruit  qui  l'avait  précédé  :  ce 
qui  leur  causa  une  grande  surprise;  car  ils  ne  con- 
naissaient dans  les  environsaucune  église  importante. 
Au  point  du  jour,  après  avoir  erré  longtemps  et  en 
vain  dans  la  forêt,  ils  renconlrèrentquelquesforestiers, 
à  qui  l'un  des  frères  demanda  ce  que  signifiait  ce 
grand  et  solennel  bruit  de  cloches  qu'ils  avaient  en- 
tendu du  côté  de  Bukedon.  Ceux-ci  répondirent  qu'ils 
n'avaient  entendu  ni  n'entendaient  rien;  et  cepen- 
dant ce  bruit  résonnait  encore  légèrement  dans  l'air. 
Aussi  les  frères,  de  plus  en  plus  étonnés,  se  dirigèrent 
avec  empressement  versBukedfMi,  el,  y  étant  arrivés, 


ANNÉE  ^253.  447 

ils  apprirent  que,  dans  cette  même  nuit  et  à  cette 
heure  de  la  nuit  où  ils  uvaient  entendu  dans  l^air  la- 
dite mélodie,  Tévéque  Robert  avait  rendu  son  âme 
bienheureuse. 

Continuation  de  la  famine  en  Gascogne.  —  Pbison- 

MEBS  MIS  EN  LIBERTÉ  PAR  LE  ROI  d'AnGLETEBRE.  — 
MOBT  DE  GtlLLACME  DE  VeSCY. —  PONITION  DE  QUELQUES 
CIIEVAUEBSDU  COMTÉ  DE  ShBEWSBUBY.  —  SuCCÈS  DES  SaR- 
BASLNS  CONTRE   LES  CHRÉTIENS.  —  CoNQUÈTES  DE  CoNRAD, 

FILS  DE  Frédéric.  —  Vers  le  même  temps,  en  Gas- 
cogne, la  cherté  des  vivres  s'accrut  et  s  aggrava  telle- 
menl,  qu'une  charge  de  froment  valait  vingtsols,  une 
charge  d'avoine  dix  sols,  et  que  la  viande  et  le  poisson 
se  vendaient  à  un  prix  exorbitant,  aussi  bien  que  le 
viii,'qui  d  ordinaire  abonde  en  Gascogne.  Aussi  le 
roi  envoya  en  Angleterre  le  prieur  de  Newbury, 
chanoine,  et  Roger  Censeur,  avec  quelques  autres, 
ses  féaux  et  conseillers,  alin  qu'ils  rapportassent  au 
plus  tôt  ce  qui  était  nécessaire  à  son  armée.  Ces  dé- 
putés étant  venus  a  Londres,  exigèrent  des  bourgeois 
et  des  marchands  de  Londres  une  très-forte  somme 
«rargeut,  avec  laquelleils  se  procurèrent  des  armes,  du 
blé,  des  viandes  salées,  dont  ils  chargèrent  plusieurs 
vaisseaux,  et  ne  se  montrèrent  ni  paresseux,  ni  inac* 
tils  dans  leurs  exactions.  Mais  la  cour  du  roi  et 
Parinée,  semblables  au  gouffre  insatiable  de  Carybde, 
engloutirent  presque  toutes  ces  provisions. 

En  effet,   le  seigneur   roi  regardait  TAngleterre 
comme  un  puith  intarissable,  et  comme  une  région 


448  HENRI  III. 

destinée  à  payer  pour  les  fautes  et  les  excès  de  tous 
les  pays  voisins  et  adjacents.  C'est  ainsi 

Que  les  Grecs  sont  punis  pour  toutes  les  folies  des  rois. 

Or,  le  roi,  devenu  comme  un  nouveau  Lycurgue, 
lit  déraciner  et  arracher  les  vignes  qui  faisaient  la 
principale  richesse  des  Gascons  ses  ennemis ,  et 
Ht  raser  de  fond  en  comble  les  châteaux  et  les  mai- 
sons. En  apprenant  ces  ravages,  les  Gascons,  indi- 
gnés de  ce  genre  de  vengeance,  regrettèrent  la  ma- 
nière chevaleresque  dont  le  comte  de  Leicester  Simon 
faisait  la  guerre  ,  et  regardèrent  la  destruction  des 
plants  de  vignes  et  Tincendie  des  maisons  comme 
une  guerre  de  vieilles  femmes  et  non  d'hommes. 

Après  la  prise  des  châteaux  de  La  Réole  etdeBazas\ 
ceux  qui  avaient  été  pris  dans  ces  château^t,  par  la 
peine  et  les  dépenses  des  Anglais,  furent  remis  libres 
par  le  roi  entre  les  mains  de  Pierre  de  Savoie  et  des 
Poitevins,  ses  frères.  Or,  ces  captifs,  rendus  à  la  li- 
berté, se  joignirent  sur-le-ehamp  aux  ennemis  du 
roi. 

L'Angleterre  dépouillée  de  tous  côtés  de  ses  biens, 
c'est-à-dire  de  ses  armes,  de  ses  provisions  et  de  ses 
trésors,  était  aussi  privée  du  subside  de  ses  nobles 
chevaliers,  ce  qui  est  encore  plus  déplorable.  En  ef- 
fet, après  que  le  seigneur  roi  eut  passé  la  mer,  plu 
sieurs  doses  chevaliers  moururent;  parmi  eux,  Guil- 

•  henagiut.  Nous  lisons  et  pntposons  liesagius,  qui  se  rapprot-lic  J<- 
notre  înterpri^totion. 


fi 


ANNEE  V255.  449 

luunie  de  Vescy,  chevalier,  un  des  plus  nobles  barons 
des  pays  du  nord  de  l'Angleterre,  alla  où  va  toute 
créature.  Le  roi  aussitôt  conféra  à  un  étranger  la 
possession  d'une  garde  si  importante,  non  sans  of- 
fenser ses  sujets  naturels. 

Vers  le  niénie  temps,  comme  [dusieui's  chevaliers 
du  comté  de  Shrewsbury,  ou  plutôt  presque  tous  ceux 
de  ce  pays  n'avaient  pas  voulu  courber  le  cou  sous  la 
nouvelle  constitution  du  seigneur  roi,  relative  à  la 
prise  et  à  la  revue  d'armes,  ni  consentira  la  restitu- 
tion des  objets  dérobés,  dont  les  voyageurs  pouvaient 
être  dépouillés,  ainsi  que  les  Savoyards  ont  coutume 
de  le  faire  dans  leur  pays ,  ou  leur  imposa  des 
amendes  exorbitantes,  en  sorte  que  pendant  plusieurs 
années  ils  purent  à  peine  se  procurer  les  choses  né- 
cessaii*esà  leur  entretien  et  à  celui  de  leur  maison,  ou 
fournir  aux  dépenses  qu'exigeait  la  culture  de  leurs 
terres. 

Cette  même  année,  à  savoir  le  jour  de  la  Tous- 
saint, les  plus  fâcheuses  nouvelles  furent  rapportées 
au  comte  Richard,  qui  s'inquiétait  plus  que  les  autres 
de  Tétat  de  la  Terre-Sainte.  On  lui  dit  qu'en  signe 
de  la  grande  colère  de  Dif*u,  les  principaux  des  Sar- 
rasins, c  est-à-dire  les  soudans,  avaient  fait  la  paix 
entre  eux,  et  s^élaient  confédérés  pour  la  ruine  des 
chréiiens;  qu'ils  faisaient  librement  des  courses  dans 
la  Terre-Sainte;  qu'ils  s'emparaient,  au  gré  de  leurs 
vœux  et  sans  trouver  d'obstacles,  des  possessions  des 
chrétiens;  qu'ils  avaient  tout  ravagé  jusqu'aux  portes 
d'Acre,  et  même  détruit  dans  la  campagne  quelques 
vu.  29 


450  HKNRI  HI. 

moulins  appartenant  aux  habitants.  Or,  ils  avaient 
universellement  conspiré  pour  assiéger  Acre,  prendre 
le  roi  de  France,  à  Topprobre  ineffaçable  de  la  chré- 
tienté, et  présenter  leur  captif  à  leur  calife,  qui  est 
pour  eux  comme  pour  nous  le  pape.  Lorsque  ces 
nouvelles  furent  parvenues  à  la  connaissance  de  plu- 
sieurs, tous  gémirent  du  fond  du  cœur,  imputant 
tous  ces  maux  à  Tavarice  obstinée  des  Romains,  qui 
avaient  repoussé  insolemment  Thumililéde  Frédéric, 
et  avaient  rejeté  son  offre,  quand  il  promettaitde  faire 
restituer  en  paix  tout  ce  que  les  chrétiens  avaient  pu 
jamais  posséder  en  Terre-Sainte;  ne  voulant  pasqu'une 
si  grande  conquête  fût  attribuée  à  Frédéric.  Et  ce 
qu^il  y  a  de  plus  lugubre,  ils  vendent  aux  laïques 
les  croisés  fatigués  et  réduits  à  la  mendicité,  comme 
jadis  les  Juifs,  qui  furent  chassés  |)ar  le  Seigneur, 
vendaient  dans  le  temple  des  brebis,  des  bœufs  et 
des  colombes,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  remarquer. 
Cependant,  par  la  volonté  de  Dieu,  qui  même  danssa 
colère  se  souvient  de  la  miséricorde,  quelques  Sarra- 
sins orientaux  vinrent  attaquer  les  terres  de  ceux  qui 
se  déchaînaient  contre  nous,  et  qui  furent  alors  for- 
cés de  se  retirer  en  renonçant  à  leur  projet. 

A  la  même  époque,  Conrad,  fils  de  Frédéric,  pro- 
speraitdansTApulieen  haine  du  pape*.  Les  villes  de 

'  Auwitôt  après  la  mort  de  Frederic,  le  légat  Gapoccio,  devançant 
peut-être  les  instructions  d'Innocent  IV,  avait  fait  révolter  les  principales 
villes  de  la  terre  de  Labour.  Conrad,  qui  était  encore  h  Aujjsbouffj  au 
mois  d'oelobre  4254,  se  rendit  h  Vérone,  où  il  eut  une  entrevue  avec  Et- 
jclino  do  Romnno  eiilc  li  îilln  s'rmbnrqucr  &  Pirano  {PorittS  P<S«tnV)  ; 


AWtE   «255.  «I 

Capoue,  do  Naj)les,  et  d'autres  encore,  s'étaienl  raii- 
Ijées  sous  sa  domination,  elil  eonlinuait  lajjuerrequil 
avait  entreprise,  écrasant  un  grand  nombre  de  ses 
adversaires.  Or,  il  y  avait  un  habitant  et  un  indigène 
de  06  pays,  nommé  Jean,  dit  le  Maure,  homme  de 
sang  et  couvert  de  crimes,  qui  savait  capter  la  bien- 
veillance des  hommes  parses  (latteries  adroites  et  ses 
dehors  d'amitié,  et  les  empoisonnait;  c'est  ainsi  que, 
gagné  à  prix  d  argent,  il  avait  déjà  tué  Frédéric,  à  ce 
qu'on  prétendait,  et  préparait  à  Conrad  des  pièges 

mortels,  mais  cachés. 

# 

Discorde  entre  l'archevêque  Bomface  et  le  cha- 
pitre DE  Lincoln.  —  Uoniface  se  rend  a  Saint-Albans. 
—  Privilège  acc(»idé  par  le  pape  a  la  maison  de  saint 
Adgdstin  a  Cantorbéry.  —  La  reine  d'Angleterre  ME1 
AD  monde  une  pille.  —  Le  comte  de  Leicester  va  re- 
joindre LE  roi  d'Angleterre  en  Guienne.  — Troubles 
DANS  l'université  DE  Paris.  —  Vers  le  même  temps, 
au  retour  de  I  archevêque  de  Cantorbéry  Boniface, 
de  la  cérémonie  des  funérailles  de  Kobert,  évéque  de 
Lincoln,  unediscussion  s'engagea  entre  lui  et  le  chapitre 
de  Lincoln.  En  effet,  I  archevêque  revend i(|uait  de 
droitcommun  le  pouvoir  de  conférer  les  prébendes  et 
les  revenus  dans Tévêché  de  Lincoln^enrabsenced'un 

il  débarqua  à  Sipooto  au  inuis  de  janvier  4252,  ^  rendit  à  San  Geruiano 
au  rooia  d'août,  et,  dès  le  mois  de  8e|ileinbre,  atUit|u.i  le  comte  d^Aquiiio 
<t  celui  de  Sora  Riccardo,  frère  d'Iimoc^ol  IV.  Ciijioue capitula  par  l'iii- 
flaeaee  det  familles  de  la  l^eouessj  et  d'HIutli.  Naples,  a8«ié|j[ée  au  mois 
de  d«e«nbre,  ue  (ut  prùe  qu'au  10  octobre  425S.  Ou  sait  le  traitement 
ncoureui  qui  fut  iuiligé  à  cette  ville.  (VoiJ.  M.  LK  Uuc  UE  LrvNES, 
Vommeut.  tur  Matieo;  Tabl.  des  %éjour$  et  patatj.  Xi  l»  Hi.) 


452  HENKl  111. 

pasteur;  mais  le  doyen  et  le  chapitre,  s'appuyaut  sur 
un  privilège  spécial,  etsurla  coutume  ancienneet  ap- 
prouvée, s'y  opposaient.  Maître  Gaultier  de  Billes- 
done,  homme  habile  dans  le  droit,  et  digne  de  foi, 
porta  témoignage  pour  eux  en  énumérant  trois  églises 
,  qui  avaient  été  conférées  par  le  doyen,  pendant  la  va- 
cance du  siège  episcopal;  beaucoup  d'autres,  qui 
connaissaient  et  avaient  vu  le  fait,  s'en  portèrent  aussi 
garants.  L'archevêque,  se  fiant  dans  les  pouvoirs  mul- 
tipliés dont  il  était  investi,  excommunia  tous  les 
opposants;  mais  l'archidiacre  de  Lincoln,  maître 
Guillaume  le  Loup,  homme  habile  dans  le  droit,  élé- 
gamment lettré,  et  jouissant  d'une  grande  considéra- 
tion, résista  seul  en  face  à  l'archevêque,  et  en  ap- 
pela avec  fermeté  à  la  présence  du  souverain  pontife, 
pour  le  droit  et  la  liberté  de  l'église.  Aussi,  commeil 
s'opposa  seul,  ainsi  qu'un  mur,  pour  la  possession  et 
la  liberté  de  son  église,  il  souffrit  des  tribulations 
lamentables  jusqu'à  en  mourir,  comme  on  pourra  le 
voirdans  la  suite  du  récit.  En  effet,  les  chanoines,  fa- 
tigués des  anciens  procès  qu'ils  avaient  poursuivis 
inutilement,  et  ne  voulant  ni  ne  pouvant  soutenir  une 
lutte  incertaine  contre  un  si  redoutable  adversaire  , 
cédèrent,  et  en  celant  méritèrent  le  bénéfice  d'abso- 
lution. Mais  l'archidiacre,  restant  ferme  dans  son 
projet,  chercha  pendant  ce  temps  des  lieux  de  re- 
traite. Enlin,  croyant  trouver  un  reluge  assuré  à  Saint- 
Edmond,  parce  que  ce  lieu  et  la  terre  de  SaintAI- 
bans  servaient  ordinairement  de  refuges  protecteurs 
aux  affligés,  il  si;  retira  dans  la  ville  de  Saint-Edmond, 


ANNEE  1255.  455 

et  se  mit  sous  la  protection  du  saint,  après  avoir  lais- 
sé, à  tort  ou  à  raison,  s'écouler  les  quarante  jours, 
terme  de  la  levée  de  la  sentence.  Cependant  Tarchevê- 
que  Tv  ayant  poursuivi,  il  y  trouva  non  pas  l'asile  du 
refuge,  mais  la  dureté  d'une  prison;  et  comme  Tabbé 
de  Saint -Edmond  ne  pouvait  ni  le  protéger  ni  le 
garder,  le  susdit  archidiacre  se  rendit  à  Rome,  pauvre, 
fugitif  et  exilé,  afin  de  trouver  au  moins  quelque 
consolation  de  la  part  du  seigneur  pape.  Or,  le  pape 
ayant  compassion  et  pitié  de  lui,  et  connaissant  la 
vérité,  blâma  la  pusillanimité  des  chanoines  et  la  ri- 
gueur de  l'archevêque,  et  louant  au  contraire  la 
fermeté  de  l'archidiacre,  lui  fournit  un  remède  pa- 
ternel. Mais  tandis  que  l'archidiacre,  concevant  de 
meilleures  espérances,  traversait  les  pays  d'en  deçà  des 
Alpes,  en  revenant  de  la  cour  romaine,  il  succomba 
aux  fatigui'S  et  aux  chagrins  qu'il  avait  éprouvés 
en  défendant  la  liberté  de  son  église,  et  alla  où  va 
toute  créature;  méritant  d'être  associé  au  bienheureux 
Thomas,  martyr,  qui  mourut  pour  une  semblable 
cause,  mais  qui,  avant  de  mourir,  avait  souffert  à  ce 
sujet  une  tribulation  de  près  de  trois  ans. 

Vers  l'époque  plus  haut  dite  de  cette  année,  l'ar- 
chevêque de  Cantorbéry  Boniface,  à  son  retour  de  la 
cérémonie  des  funérailles  du  saint  corps  de  l'évéque 
deLincoln  Robert,  envoya  demander  à  l'abbé deSaint- 
Albans,  par  le  monastère  duquel  il  devait  passer,  l'hos- 
pitalité, mais  seulement  pour  le  logis  et  en  termes 
humbles  et  modérés,  craignant  d'éprouver  refus 
d  hospitalité  pour  cause  d'exemption,  comme  la  chose 


A5*  HENRI  III, 

luiétaitarrivéerécemmenlàBelvair;monastèredépen- 
daut  de  Saint-Albans.  Aussitôt  Tabbéde  Sainl-Albans 
envoya  à  sa  rencontre  son  archidiacre  et  quelques-uns 
(Jes  frères,  s'excusant  de  ne  pas  yallerlui-mômesur  sa 
vieillesse  et  ses  infirmités.  Ils  raccueillirentavec  hon- 
neur et  révérence,  nprès  avoir  reçu  des  lettres  de  lui, 
par  lesquelles  il  était  dit  quMl  avait  demandé  Thospi- 
talité  à  titre  de  charité,  et  il  fut  admis  un  certain  jour 
après  Nones.  L'archevêque  ne  voulut  rien  recevoir  sur 
les  biens  de  la  maison,  quoiqu'on  Ten  sollicitât  ar- 
demment, et  ne  prit  que  les  vivres  et  les  boissons 
qu'on  lui  offrit  en  présents;  puis  remerciant  civile- 
ment les  frères  de  ce  qu'il  avait  été  reçu  sous  forme 
de  charité  et  d'hospitalité  gratuite,  il  partit  de  grand 
malin  lejour  de  la  Saint-Martin,  sans  être  entré  dans 
le  cloître  ou  dans  l'église. 

Le  légat  Othon,  qui  avait  été  comme  un  second 
pape  en  Angleterre,  s'était  cependant  conduit  de  la 
même  manière,  et  avait  écrit  des  lettres  par  les- 
quelles il  demandait  l'hospitalité  à  titre  de  charité; 
mais  l'évêque  de  Lincoln  Robert,  étant  venu  à  Hart- 
ford, ne  voulut  pas  écrire  de  pareilles  lettres;  aussi 
ne  fut-il  pas  admis.  Le  lendemain  il  suspendit  les 
églises  des  séculiers  d'Harllord;  mais  en  ayant  été 
repris  par  le  légat,  il  leva  sur-le-champ  la  sentence 
qu'il  avait  témérairement  prononcée;  car  il  avait 
agi  d'une  façon  contraire  au  bien. 

i)ï\  à  son  relojir  <le  Saint-Albans,  le  même  arche- 
vêque reçut  «les  lettres  du  pap<>,qui  lui  étaient  appor- 
tées par  un  moine  de  Saint/Vugustin  de  Cantorhéry, 


ANNEE  ^255.  485 

et  qui  lui  interdisaient  de  troubler  l'abbé  ou  le  cou- 
vent de  cette  maison,  en  les  visitant,  les  suspendant  ou 
les  eicoaimuuiant;  ce  qu'il  avait  Tintenlion  de  faire, 
et  avait  déjà  entrepris.  A  peine  I  archevêque  eut-il  lu 
ces  lettres,  qu'il  les  lit  jeter  au  leu.  Vous  pourrez  les 
trouver  au  livre  i\es  Additamenta  * .  Dès  lors  Tarclie- 
véque  et  ceux  qui  lui  avaient  donné  ce  bun  conseil 
se  félicitèrent  grandement  de  s'être  conduits  paciti- 
quement  et  avec  moderation  à  Saint-Albans. 

Vers  le  même  temps,  la  reine  d'Angleterre  Alienor 
donna  au  seigneur  roi  une  fille  dont  elle  accoucha  à 
Londres.  L'archevêque  imposa  le  nom  et  le  sacrement 
de  baptême  à  cette  enfant,  qui  fut  appelée  Catherine, 
parce  qu'elle  était  née  et  avait  respiré  l'air  pour  la 
première  fois  le  jour  de  sainte  Catherine  ^. 

A  celte  époque ,  le  comte  de  Leicester  Simon , 
qu  bn  avait  voulu  nommer  sénéchal  de  France , 
comme  nous  l'avons  dit,  à  cause  de  sa  féauté  et  de 
son  courage,  mais  qui  n'avait  pas  voulu  y  consentir, 
parce  que  personne  ne  peut  servir  convenablement 
deux  maîtres  qui  sont  ennemis  l'un  de  l'autre  ,  vint 
en  Gascogne  trouver  le  roi  d'Angleterre,  son  sei- 
gneur, et  lui  olfril  avec  empressentent  ses  services 
pour  dompter  les  rebelles  ses  ennemis.  Or,  les  Gas- 
cons craignaient  le  comte  comme  la  foudre.  Il  arriva 

•  I  otf.  IWditioa  XXX  à  U  iio  du  volome. 

*  Celle  princesse  mourat  jeune.  l£lleriiteuterrée,aTevsesfrères  Richard, 
Jean,  Guillaume  el  Henri,  ausii  morls  en  bas  fige,  dans  la  chapelle  de 
Sainl-Édouard  et  de  Saint-Bennet  à  WestmiosUr.  (THOMAS  Mr  LES, 
l/sû*ii  of  huHour.\ 


456  HENIU  III. 

conduisant  avec  lui  une  chevalerie  déiile  qu'il  avaii 
levée  à  ses  propres  frais,  et  qu'il  offrait  d'entretenir 
au  bon  plaisir  du  seigneur  roi.  Elle  était  composée 
d'une  multitude  nombreuse  de  chevaliers  et  de  ser- 
gents. Or ,  l'esprit  de  charité  et  d'humilité  qui  se 
met  au-dessus  des  faiblesses  de  la  condition  hu- 
maine avait  inspiré  au  comte  la  pensée  de  rendre  le 
bien  pour  le  mal  et  d'oublier  les  paroles  impétueuses 
de  son  seigneur  le  roi,  qui  jadis,  dans  le  premier 
emportement  de  la  colère,  s'était  répandu  contre  lui 
à  Londres  en  injures  imprévues  prononcées  publique- 
ment contre  toute  convenance;  mais  de  se  remettre 
plutôt  en  mémoire  les  bienfaits  qu'il  avait  reçus  du 
même  roi,  quand  le  seigneur  roi  lui  avait  donné  sa 
sœur  pour  épouse,  quand  il  lui  avait  concédé  de 
bonne  grâce  le  comté  de  Leicester  ,  quand  enfin  il 
lui  avait  octrové  en  garde  l'héritage  de  Gilbert  de 
Humfraville.  Ce  conseil  qui  lui  avait  été  donné  par 
l'évêque  de  Lincoln  llobert,  pour  lequel  le  comte 
avait  la  plus  vive  amitié,  comme  étant  son  père  con- 
fesseur, tomba  dans  un  cœur  obéissant.  De  son  côté, 
le  roi ,  admirant  la  conduite  charitable  du  comte  , 
l'accueillit  avec  de  grands  transports  de  joie.  Aussi 
les  Gascons,  qui  sont  les  amis  de  la  fortune,  appre- 
uanl  que  le  roi  d'Espagne  s'était  réconcilié  de  cœur 
avec  leur  seigneur,  le  roi  d'Angleterre,  et  que  le 
comte  Simon  était  arrivé  avec  une  compagnie  et  une 
suite  si  formidable,  s'humilièrent  bon  gré,  mal  gré. 
Dès  lors  ils  revinrent  [pour  ainsi  dire]  goutte  à 
goutte  et  se  soumirent  à  la  domination  lé[;ilimc  de 


ANNÉE  4255  457 

leur  roi.  Kn  cet  élat  de  choses,  le  seigneur  roi  se  pro- 
posa de  retourner  en  Angleterre. 

Vers  le  même  temps,  une  grande  querelle  s'éleva 
entre  Tunivei-silé  des  écoliers  de  Paris  et  les  frères 
Prêcheurs  qui  étaient  devenus  si  nombreux  et  si  fiers 
d'élre  les  confesseurs  et  les  conseillers  des  rois,  qu'ils 
avaient  refusé  de  se  soumettre  aux  vieilles  coutumes 
et  aux  droits  approuvés  dont  jouissaient  les  écoliers. 
Les  écoliers  s'étant  donc  réunis,  firent  une  collecte 
entre  eux  et  contribuèrent  tous,  à  savoir  chacun  selon 
son  pouvoir.  On  préleva  quelque  chose  sur  toutes  les 
portions  communes  de  la  semaine  ',  et  cette  contri- 
bution fut  destinée  à  la  cour  romaine  pour  la  bien 
disposer  en  faveur  de  fa  réclamation  du  clergé  :  ce 
qui  redoubla  Taudace  des  frères  susdits  ;  car  ils 
avaient  à  la  cour  romaine  des  amis  très-inflneiits, 
tels  que  le  seigneur  frère  Hugues,  de  l'ordre  des  Prê- 
cheurs. Le  pape  lui-même  et  beaucoup  de  puissants 
personnages  étaient  pour  eux. 

Or,  après  qu'on  eut  dépensé  beaucoup  d'argent  et 
qu'on  se  fut  donné  beaucoup  de  peine  de  part  et 
d'autre,  lu  paix  finit  par  être  rétablie  an  moyen  de 
quelques  changements  introduits  dans  les  coutumes 
de  Paris. 

Le  pape  est  forcé  de  quitteb  Assise  pour  se  rendre 
A  KoME.  —  Cupidité  des  Romains.  —Tonnerre  en  hi- 

*  Communia  hehdomadalis  (texte  hic).  Cette  façon  de  parier  ^tait  si 
bien  entrée  dans  le  langage  usuel,  que  l'on  trouve  souvent  le  root  heb- 
tloitmdinius  (semainier)  dans  le  m^roeseus  qu«  rellarius  (cellcrier).  On 
appelait  auaai  r(imm«Ke«,  !«•  ofTniMiea  qui  étaient  faite*  aui  é};lisea. 


458  ilRNRI  III. 

VER.  —  Ceux  qoe  la  famine  avait  chassés  de  la  Héole 
SONT  exilés.  —  Débordement  de  Là  mer  et  des  fleuves. 
—  Miracles  opérés  d^ins  l'église  de  Lincoln.  — Cocp 
d'oeil  sur  l'année  ^1255.  —  Dans  le  cours  des  mêmes 
jours,  le  seigneur  pape  était  agité  par  de  longues  et 
grandes  tribulations;  car,  après  qu  il  eut  séjourné 
quelque  temps  à  Assise,  on  lui  signifia  de  la  part  des 
Romains,  par  des  députés  solennels  qu'avaitenvoyés  le 
sénateur  Brancaléon,  et  de  la  part  de  tous  les  citoyens 
de  Rome,  qu'il  eût  à  revenir  sans  tarder  dans  la  ville 
dont  il  devait  être  le  pasteur  et  le  pontife.  On  lui  fit 
aussi  comprendre  qu'on  s'étonnait  grandement  qu'il 
allât  tantôt  ici  tantôt  là  ,  comme  un  fugitif  et  un  va- 
gabond, et  qu'il  laissât  Rome  privée  de  sa  présence 
pontificale,  el  ses  brebis,  dont  il  devait  rendre  un  jour 
un  compte  rigoureux  au  souverain  juge,  exposées 
aux  dents  et  aux  griffes  des  loups,  tandis  que  sa  seule 
occupation  était  d'amasser  de  l'arf^ent.  De  plus,  le 
sénateur  et  les  citoyens  de  Rome  enjoignirent  aux 
habitants  d'Assise,  avec  menace  de  les  exterminer 
sans  remède,  de  ne  pas  recevoir  plus  longtemps  le 
seigneur  pape ,  que  le  monde  regardait  comme  le 
pontife  de  Rome  et  non  comme  celui  de  Lyon,  de 
Pérouse  ou  d'Anagni  (car  il  s'était  maintes  fois  caché 
tantôt  ici,  tantôt  là).  Les  habitants  d'Assise  étant  donc 
venus  trouver  le  seigneur  pape,  lui  exposèrent  plei- 
nement l'injonction  qu'ils  avaient  reçue.    Le    pape 
comprit  alors  qu'il  lui  fallait  de  toute  nécessité  re- 
venir à  Rome,  de  peur  que  les  habitants  d'Assise  ne 
fussent,  ù  leur  tour,  ext^^minés  par  la  férocité  des 


ANNÉE  1255.  45» 

Romains,  comme  Tavaient  été  ceox  d'Ostie,  de  Porto, 
de  Tuseulum,  d  Albano.  de  Sabine,  et  récemment 
ceux  de  Tivoli.  Aussi  le  pape  ayant  fait  préparer  ses 
bagages  bon  gré,  malgré,  se  rendit  à  Rome  en  trem- 
blant. Il  y  fut  reçu  avec  honneur,  comme  il  conve- 
nait, par  Tordre  et  la  volonté  du  sénateur.  Sur  ces 
entrefaites,  Conrad, qui  éluit  comme  une  épine  dans 
Tceil  du  pape,  avait  pris,  par  terre  et  par  mer,  Na- 
ples, cette  cité  qui  avait  été  jadis  le  domicile  spécial 
de  Virgile,  et  Tavait  horriblement  ravagée  dans  les 
murailles  intérieures  et  extérieures.  Aussi  Conrad  ne 
put  jamais  prospérer  dans  ses  entreprises  à  cause  de 
la  haine  et  des  imprécations  du  peuple  *. 

Or,  les  Romains,  ne  voulant  ni  ne  pouvant  dissi- 
muler plus  longtemps  leur  cupidité,  commencèrent 
à  adresser  au  pape  des  réclamations  violentes,  en 
exigeant  très-instamment  de  lui  qu'il  les  dédomma- 
geât de  tous  les  torts  et  perles  qu'ils  avaient  soufferts 
p9r  son  absence,  à  savoir  en  fait  de  logis  à  louer,  de 
marchandises,  d'usures,  de  revenus,  de  provisions 
et  d'autres  proiils  de  tous  genres.  A  cette  nouvelle, 
le  pape  gémit  du  fond  du  coeur,  et,  comprenant  qu'il 
était  pris  au  piège,  demanda  conseil  et  consolation 


*  L«s  hûtorîens  annrent,  en  effet,  que  Conrad  s'aliénait  ses  sujets  par 
son  carvctère  émet  et  ioâeul>le,  et  qu'il  était  jaloux  de  l'affection  qu'on 
témoignait  «  Manfred,  dont  la  modération  et  l'adresse  gagnaient  tous  1m 
oœun.  Ue&igea  même  que  son  frère  lui  remit  successivement  les  di- 
ïerses  seigneuries  dont  il  avait  ét^'  inveali  par  Frédéric  ;  mais  nous  ne 
trooToos  pas  que  cette  défiaiioe  ait  altéré  le  dévouement  de  Manfred. 


460  HENRI  III. 

au  sénateur.  Le  sénateur,  par  ses  discours  conci- 
liants, apaisa  la  fureur  du  peuple  en  lui  remontrant 
quil  était  inhumain  de  troubler  si  grièvement  leur 
père  et  leur  pasteur  qu'ils  avaient  tous  appelé  en 
paix  pour  la  garde  des  âmes.  Ainsi  se  calma  la  vio- 
lence de  cette  tempête. 

Cette  même  année,  le  lendemain  de  sainte  Lucie, 
les  nuages  firent  tomber  de  la  neige  en  abondance, 
et  le  tonnerre  en  hiver  annonça  de  fâcheux  pronos- 
tics. 

A  ce  même  temps  de  Tannée,  tous  ceux  qui  s'é- 
taient trouvés  à  la  Héole  et  dans  les  autres  châteaux, 
pendant  que  ces  châteaux  étaient  pressés  par  un  siège 
et  qui  en  avaient  été  chassés  à  Tépoque  de  la  famine, 
tant  hommes  que  femmes,  furent  condamnés  [par 
le  roi  ?]  à  un  exil  perpétuel.  Tous  furent  réduits  à 
errer  et  à  mendier  dans  les  pays  voisins. 

Cette  même  année  aussi,  la  mer  et  les  fleuves,  dé- 
passant maintes  fois  leurs  limites  accoutumées,  cau- 
sèrent sur  leurs  bords  des  dommages  irréparables. 

Chaque  jour  s'accumulaient  miracles  sur  miracles 
dans  l'église  de  Lincoln.  Par  l'opération  du  Seigneur 
et  les  mérites  de  Tévéque  Robert,  les  autres  saints 
qui  reposaient  dans  cette  église,  tels  que  saint  Rémi 
et  saint  Hugues,  reçurent  le  pouvoir  d'octroyer  des 
bienfaits  aux  fidèles,  comme  s'ils  eussent  été  ranimés 
et  fléchis  par  les  prières  et  les  sollicitations.  Que 
personne  ne  s'en  étonne,  en  se  souvenant  de  cer- 
taines violences  exercées  par  le  même  évéque  pen^ 


i 


ANNÉE  425S.  464 

(idiilsa  vie,  et  qui  sont  consiguées  dans  ce  livre.  Il 
i'bt  vrai  qu  entre  autres  choses  il  avait  vexé  ses  cha- 
noines .  c  est-à-dire  ceux  de  l'église  de  Lincoln,  et 
leur  avait  cause  de  grands  dommages,  quand  il  vou- 
lait les  visiter.  De  plus,  le  même  Robert  avait  cou- 
tume de  fulminer  terriblement  contre  les  religieux 
et  plus  terriblement  encore  contre  les  religieuses,  par 
suite  d  un  zèle  pieux,  mais  qui  n'agissait  peut-être 
pas  avec  discernement.  Je  ne  craindrai  pas  cependant 
d'assurer  avec  conliance  que  ses  vertus  ont  plu  à  Dieu , 
bien  que  ses  emportements  aient  pu  lui  déplaire  ;  de 
même  que  chez  David  et  chez  Pierre,  je  loue  la  dou- 
ceur de  David,  tout  en  réprimandant  sa  trahison 
envers  Lrie  son  féal ,  et  que  je  trouve  belle  la  fermeté 
de  Pierre,  tout  en  le  blâmant  d'avoir  renié  son 
maitte  par  trois  fois.  Or,  le  premier  a  été  trouvé 
juste  selon  le  cœur  du  Seigneur,  et  le  second  a  été 
établi  prince  des  apôtres. 

Ainsi  se  passa  celte  année,  assez  abondante  en  fruits 
de  la  terre  et  des  arbres,  pour  que  la  charge  de  fro- 
ment descendit  à  trente  deniers  seulement.  Mais  si 
l'on  jouit  des  biens  de  la  terre,  la  mer  causa  de 
grands  maux  en  dépassant  ses  limites,  en  se  répan- 
dant tout  à  coup  comme  une  inondation,  et  en  en- 
traînant beaucoup  d'hommes  et  de  troupeaux.  Si 
cette  inondation  fût  arrivée  pendant  la  nuit,  elle  au- 
rait encore  produit  beaucoup  plus  de  désastres.  Cette 
année  fut  fataie  à  la  Terre-Sainte,  très-sanglante  pour 
la  Flandre  et  pour  les  pays  voisins,  funeste  et  hon- 


462  HENRI  ill. 

teuse  puur  la  Frauce  ;  elle  amena  des  embarras  ei 
des  angoisses  pour  le  pape  et  les  gens  du  pape,  et  des 
troubles  pour  l'Angleterre  ,  et  fit  pencher  vers  leur 
ruine  les  biens  spirituels  et  temporels. 


FIN    DU    TOME    SEPTIEME. 


ADDITIONS. 


XIII. 


Année  1250.  —  Voir  la  page  4  du  volume. 

Bref  obtenc  par  l  évêque  de  Lincoln.  —  «  Inno- 
cent, évêque,  etc.,  à  son  vénérable  frère  l'évêque  de 
Lincoln,  salut  et  bénédiction  apostolique.  Ta  frater- 
nité nous  a  fait  savoir  que  quelques  religieux  entre- 
prennent d'appliquer  à  leur»  propres  usages  plusieurs 
posses-sions  et  dîmes  des  églises,  quoique  le  consen- 
tement de  Ion  cbapitre  n'ait  point  ratifié  cette  usur- 
pation ;  c'est  pourquoi  nous  accordons  à  ta  fraternité, 
par  Tautorilé  des  présentes,  la  faculté  de  pouvoir  lé- 
gitimement réformer  les  abus  susdits,  en  réprimant 
les  contradicteurs  par  la  censure  ecclésiastique,  no- 
nobstaol  tout  appel.  Donné  à  Lyon,  le  ^16  avant  les 
*  alendes  de  juin,  Tan  sixième  de  notre  pontificat  '.» 

'  Datoi^alls:  4T  mai  42<9. 


464  ADDITIONS. 

XIV. 

Année  1230.  —  Voir  les  pages  44  et  297  du  volume. 

NOOVELLE  DÉCRÉTALE  d'InNOCENT  IV,  PAR  l' AUTORITÉ 
DE  LAQUELLE  BoNIFACE,  ARCHEVÊQUE  DE  CaNTORBÉRY,  PRÉ- 
TENDAIT VISITER  CEUX  QUI  ÉTAIENT  A  VISITER  DANS  SA  PRO- 
VINCE. —  «  L'église  romaine,  etc.  Nous  statuons  que 
tout  archevêque,  voulant  visiter  sa  province,  s'effor- 
cera de  visiter  pleinement  d'abord  le  chapitre  de  son 
église,  la  cité  [métropolitaine]  et  son  diocèse  propre. 
11  ne  devra  pas  s'appliquer  seulement  à  la  visitation 
deséglises  les  plus  importantes,  mais  encore  des  moins 
importantes,  ni  seulement  à  la  visitation  des  clercs, 
mais  encore  des  peuples.  S'il  ne  peut  point  se  rendre 
commodément  et  sans  difficulté  à  chacune  des  églises, 
il  s'appliquera  à  réunir  de  plusieurs  lieux  en  une 
seule  congrégation  les  clercs  et  autres,  pour  que  la 
visitation  d'iceux  ne  soit  pas  dédaignée.  Ensuite, 
qu'il  lui  soit  permis  d'exercer  l'office  de  visitation 
dans  toute  sa  province,  ou  partie  d'icelle,  en  visitant 
librement  les  cités  et  les  diocèses,  les  suffragants  et 
ceux  qui  leur  sont  soumis  tant  en  églises  catbédrales 
qu'en  autres  églises,  les  monastères,  les  églises,  et  les 
autres  lieux  rcligieuxet  pieux,  les  clercset  les  peuples, 
et  de  recevoir  les  procurations  seulement  des  lieux  vi- 
sités; cependant,  dès  le  moment  où  il  aura  commencé 
h  visiter  quelqu'un  des  susdits  diocèses,  qu'il  n'y  re- 
vienne ensuite  en  aucune  façon  sous  |)rélexte  de  visita- 
lion, soittju'ill'nitvisité  en  toutou  on  partie,  avant  que 


i 


ADDITIONS.  463 

tuus  les  autres  diocèses  de  la  même  province,  et  le 
sien  |>our  la  seconde  fois,  aient  été  visités  en  tout 
ou  eu  partie,  selon  qu'il  pourra  intérieurement  le 
juger  à  propos,  en  sûreté  de  conscience.  Que  si  par 
hasard  le  même  diocèse,  ou  quelque  église  qui  s'y 
trouve,  a  plus  besoin  de  visitation  que  les  autres, 
qu'il  interrompe  alors  la  visitation  des  autres  pour  y 
revenir,  dans  le  cas  où  il  en  aura  été  requis  par  le 
diocésain  du  lieu,  et  où  il  aura  procédé  sur  Tavis  et 
avec  l'assentiment  de  tous  les  évoques  de  la  même 
province,  ou  de  la  majeure  partie  d'iceux.  Que  les 
susdits  évêques  se  montrent  bien  disposés  pour  cela, 
de  peur  que  le  salut  des  âmes  ne  soit  négligé  en 
quelque  façon.  Si  au  contraire  ils  apportent  malicieu- 
sement quelque  empêchement  à  cela,  que  l'arche- 
vêque demande  avec  confiance  la  permission  à  cet 
égard.  Après  qu'il  aura  visité  une  fois  tous  les  dio- 
cèses de  sa  province,  qu'il  lui  soit  ensuite  permis 
(quand  toutefois  il  aura  d'abord  requis  l'avis  de  ses 
suffraganis,  et  qu  il  aura  déclaré  devant  eu\  sa  défi- 
nition '  à  cet  égard,  laquelle  devra  être  rédigée  par 

*  Le  t«nne  <le  d^finilear  avait  une  grande  aaalogie  avec  celui  de  yui'^ 
tuteur,  et  indiquait  également  un  oftice  monastique.  «  Que  chaque  abbé 

•  ou  prieur  venant  au  chapitre  |général|  chaque  aunée,  emporte  à  son 

•  retour  les  définitions  qui  auront  été  publiées,  et  les  fasse  réciter  deut 
«  lois  par  an  dans  ton  chapitre,  même  au  temps  de  la  visitation.  »  Gré- 
goire IX,  Constit.  up.  iiro/ttini,  pag.  K57.  Ces déiiniteurs  paraissent 
^tre  des  moines  élut  dans  le  chapitre  (général  pour  avoir  la  haute  main 
dana  le*  élections  dea  supérieurs,  et  pour  statuer  et  définir  tout  ce  qui 
tooebe  k  là  discipline  monastique.  I. ^archevêque  ,  comme  visitateur, 
use  do  droit  d«  délinition. 

VU  ."50 


466  ADDITIONS. 

écrit,  afin  qu'elle  puisse'  être  connue  des  autres)  de 
réitérer'^  sa  visitation  dans  la  même  manière,  en  obser- 
vant les  formes  dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Si 
Tassentiment  des  susdits  suffragants  n'intervient  pas 
eu  cela,  il  devra  toujours  agir  avec  une  précaution 
telle,  que  dans  les  visitations  postérieures  il  visite 
(Pabord  les  églises,  les  clercs,  et  les  peuples  qui  n'au- 
ront pas  été  visités  par  lui  dans  les  premières  visita- 
tions, à  moins  qu'il  n'y  en  ait  d'autres  pour  qui  l'of- 
fice de  visitation  soit  plus  opportun.  Quand  il  se 
mettra  en  devoir  d'accomplir  cet  office,  qu'il  annonce 
la  parole  de  Dieu,  qu'il  s'enquière  de  la  vie  et  de  la 
conduite  des  ministres  des  églises,  de  ceux  qui  sont 
affectés  au  culte  divin,  et  des  autres  personnes  que 
concerne  ledit  office;  qu'il  s'applique  attentivement, 
selon  la  prudence  que  Dieu  lui  aura  concédée,  sans 
contradiction,  et  sans  exiger  aucun  serment,  à  la  cor- 
rection d'iceux,  au  moyen  d'avertissements  salutaires, 
tantôt  légers,  tantôt  sévères.  Si  quelque  accusation 
infamante  s'élève  contre  quelques-uns  d'entre  eux, 
qu'il  les  dénonce,  s'il  le  juge  convenable,  aux  ordi- 
naires desdilcs  églises,  afin  que  ceux-ci  fassent  une 
enquête   solennelle    sur  lesdites    imputations.    S'il 
s'agit  de  crimes  notoires  qui  n'aient  pas  besoin  d'exa- 
men, et  à  I  occasion  desquels  la  négligence  des  ordi- 
naires puisse  être  justement  réprimandée,  qu'il  les 
corrige  librement  en  U>ur  infiigennt  la  peine  qu'ils 


4  l'Oiuit.  Nous  litoni  po$liit. 
•  UeriUire.  'Sout\tton$reUeruri\ 


ADDITIONS.  467 

aut'ODl  méritée  pour  ce  fait.  Quant  aux  procurations, 
qu  il  en  reçoive;  mais  que  ni  lui  ni  aucune  personne 
de  sou  escorte  ne  reçoive  d'argent  à  roccasion  d'au- 
cun office  ou  coutume,  ou  de  toute  autre  façon,  à 
litre  de  procurations,  lesquelles  devront  consister 
on  provisions  de  bouche,  et  être  modérées.  Qu'ils  se 
[{ardent  en  outre,  lui  et  tous  les  siens,  si  un  présent 
quelconque  ou  d'une  manière  quelconque  leur  était 
ainsi  offert,  de  prendre  sur  eux  de  le  recevoir:  afin 
qu'ils  ne  paraissent  pas  chercher  ce  qui  est  à  eux, 
mais  seulement  ce  qui  est  à  Jésus-Christ.  Si  quel- 
qu'un ose  aller  à  l'encontre,  que  celui  qui  aura  reçu 
le  présent  encoure  une  malédiction  dontil  ne  pourra 
jamais  être  relevé,  que  quand  il  aura  restitué  le 
double.  En  effet,  nous  voulons  qu'en  fait  de  procu- 
rations, toute  fraude  soit  absolument  évitée. 

«Nous  ordonnons  aussi  que  la  susdite  forme  de  vi- 
sitation soit  observée  pleinement  par  tous  les  évoques, 
etâulres  prélats,  tant  qu'ils  sont,  qui  visitent,  d'après 
le  droit  ordinaire,  ceux  qui  sont  soumis  à  leur  juri- 
diction, sauf  sur  ce  point  les  coutumes  raisonnables 
et  approuvées  des  religieux,  et  les  institutions  régu- 
lières. Il 

\\ 
Année  1350.  —  Voir  la  pa^e  ','i  du  volume. 

KtfONSES    UK    LÉVÊQUF.  DE    LoNDRKS    Al'X   PRÉTENTIONS 

i»E  L  ARCHEvé<jUE  HoNiFACE.  —  (Extr.  de  \  Auct avium.) 
—  Quant  à  Taverlissement  que  le  seigneur  arche- 


468  ^  ADDITIONS. 

vôque  a  donné  au  seigneur  évêque  de  Londres,  de 
révoquer  le  mandement  adressé  par  lui  au  prieur  de 
la  Sainte-Trinité,  le  seigneur  évêque  de  Londres  de- 
mande que  ce  mandement  lui  soit  présenté^  déclarant 
que  s'il  y  a  dans  ce  mandement  quelque  chose  qui 
doive  être  corrigé  ou  révoqué,  il  est  prêt  à  le  faire, 
autant  qu'il  pourra  le  faire  selon  le  droit. 

Le  seigneur  évêque  de  Londres  demande  que  le 
même  archevêque,  de  concert  avec  lui,  élise  quatre 
hommes  probes,  dignes  de  fois,  et  habiles  dans  le 
droit,  et  que  cesquatre',  de  concertavec  un  cinquième 
communément  élu,  écoulent  les  raisons  du  seigneur 
évêque,  parlant  pour  lui  et  pour  les  sujets  de  son 
église,  ainsi  que  les  raisons  du  seigneur^  archevêque 
de  Cantorbéry,  touchant  le  fait  de  la  visitation,  pour 
que  l'affaire  soit  terminée  en  paix  par  eux,  si  la 
chose  est  possible.  Si  ces  arbitres  ne  s'accordent  point 
à  une  seule  sentence,  qu'ils  consultent  le  seigneur 
pape,  et  que  sa  décision  définitive  soit  attendue. 

Autre  chose.  Le  seigneur  évêque  demande  que  le 
seigneur  archevêque  révoque  de  fait  ce  qu'il  a  fait 
de  fait  à  l'égard  de  ses  sentences,  lesquelles  avaient 
été  prévenues  par  appels  légitimes  ;  que  dans  l'inter- 
valle de  ce  temps  il  s'abstienne  de  poursuivre  une  vi- 
sitation insolite  ;  qu'il  lusse  uneconvocation  des  frères 
et  de  ses  coévêques;  qu'après  qu'il  aura  recueilli 
leur  avis,  et  qu'il  en  aura  délibéré  avec  eux,  une  ré- 
solution soit  prise  sur  ce  qui  devra  être  fait,  selon  la 

'  lp$e.  NouR  lisoni  ipsi. 

\ 


ADDITIONS.  469 

justice,  la  paix  et  rhonuêlelé  dudit  archevêque,  et  de 
ceux  qui  sont  soumis  à  sa  juridiction.  Ledit  évèque, 
avec  ceux  qui  lui  sont  soumis,  promet  d'accepter 
la  convention  qui  sera  déterminée,  et  de  l'observer 
uniformément  avec  ses  frères  les  coévêques.  S'il  ar- 
rive qu^une  dissension  s'élève  entre  les  évêques,  il 
s'engage  pour  sa  part  à  adhérer  à  la  majeure  et  à  la 
plus  saine  partie  d'iceux. 

Autre  chose.  Le  seigneur  évêque  de  Londres  de- 
mande que  le  seigneur  archevêque,  après  avoir  pro- 
noncé la  révocation  de  ses  sentences,  comme  il  a  été 
demandé  plus  haut,  procède  à  la  visitation  du  reste 
des  évêques  de  la  province,  comme  il  a  fait  pour  la 
visitation  dudit  évèque  *,  et  renvoie  en  paix  les  sujets 
du  même  évêque,  jusqu'à  ce  que  le  seigneur  pape, 
ayant  été  consulté  et  ayant  entendu  et  compris  les 
griefs  des  églises,  décide  expressément  ce  qu'il  faut 
faire  finalement  en  de  pareilles  circonstances. 

11  faut  remarquer  aussi  que  l'archevêque  a  refusé 
formellement,  tant  à  l'évêque  qu'aux  chanoines, 
communication  de  son  bref  authentique. 

XVI. 

Année  1230.  — Voir  la  page  71  de  ce  volume  et  la  page  482  du 
précédent. 

Pouvoirs  donnés  a  Bernard  de  Nympha,  au  sujet  de 
L'ARtiF.M  i)F  i.A  fuoisADE  ^.  (  Exlr.  de  l Auctarium.  )  — 

ni  visiUiuoite  peisuita.  Probablemt'iil  de  la  personne  (jUJ  parle. 
Sens  obieur. 

'  Tout  Uf*  documents  comprit  tout  ce  naméro  |M)rt«nt  pour  date  i 247  : 


470  ADDITIONS. 

«  Robert,  par  la  grâce  divine,  évêqiie  de  Lincoln,  à 
ses  chers  fils  en  Jésus-Christ,  tous  les  archidiacres 
institués  dans  le  diocèse  de  Lincoln,  salut,  grâce  et 
bénédiction.  Nous  avons  reçu  des  lettres  du  seigneur 
Jean  Sarrasin,  sous-diacre  et  chapelain  du  seigneur 
pape  et  doyen  de  Wells,  et  de  Bernard  de  Nympha, 
écrivain  du  même  seigneur  pape,  ainsi  conçues: 
«A  leur  révérend  père  et  seigneur  en  Jésus-Christ, 
Robert,  par  la  grâce  de  Dieu,  evéque  de  Lincoln,  et 
au  discret  homme,  son  officiai,  Jean  Sarrasin,  sous- 
diacre  et  chapelain  du  seigneur  pape,  doyen  de 
Wells,  et  Bernard  de  Nympha,  écrivain  du  même 
seigneur  pape,  salut  avec  dilection  sincère.  Sachez 
qu'après  les  divers  mandements  du  siège  apostoli- 
que, qui  ont  été  adressés  jusqu'ici  à  nous  et  aux  au- 
tres prélats  du  royaume  d'Angleterre,  au  sujet  de  la 
rédemption  des  vœux  et  d'autres  choses  dans  le  même 
royaume,  octroyées  par  le  susdit  saint-siège  au  no- 
ble homme  le  seigneur  Richard,  comte  de  Cor- 
nouailles,  desquels  mandements  copie  et  teneur 
vous  ont  été  envoyées  depuis  longtemps,  revêtues 
de  nos  sceaux,  et  sont  entre  vos  mains  à  notre  con- 
naissance; nous  avons  reçu  dernièrement  un  man- 
dement apost(>lique  conçu  en  ces  termes  : 

Bref  authentique. 

«  Innocent,  cvêque,  serviteur  desserviteursdeDieu, 

mais  nous  avonf  frétM  noui  conformer  nu  renvoi  positif  indiqua'  par 
Malt.  Plrii. 


ADDITIONS  471 

à  ses  fliers  fils  Jean  Sarrasin,  son  sous-diacre  et  son 
oba|>elain,  doyen  de  Wells,  el  a  maître  Bernard  de 
Nympha,  son  écrivain,  demeurant  tous  deux  en  An- 
{jleterre,  salut  et  bénédiction  apostolique.  Il  a  été 
eiposé  par-devant  nous,  de  la  part  de  notre  cher 
fils  le  noble  homme  Richard,  comte  de  Cornouailles, 
(ju  après  les  divers  mandements  octroyés  au  comte 
susdit,  par  le  siège  apostolique  dans  le  royaume 
d'Angleterre,  au  sujet  de  la  rédemption  des  vœux, 
tant  par  nous  que  par  notre  |)rédécesseur  le  pape 
Grégoire  ,  d'heureuse  souvenance  ,  nous  veuillions 
trouver  bon  d'enjoindre  par  nos  lettres,  à  toi  notre 
fils  le  doyen,  à  celui  qui  est  dans  le  royaume  susdit 
le  supérieur  de  Tordre  de  la  Sainte-Trinité  et  des 
Captifs,  ainsi  qu'à  l'archidiacre  de  Barkshire,  d'avoir 
soin  de  procéder,  dans  l'affaire  susdite,  conformé- 
ment à  la  teneur  des  premières  lettres  ;  mais  le  sus- 
dit archidiacre  se  trouvant  hors  du  royaume,  et  s'ex- 
cusant  en  totalité  de  suivre  cette  affaire,  de  plus  le 
même  supérieur  te  confiant,  à  toi  Bernard,  notre  fils, 
ses  pouvoirs  en  totalité  pour  celte  affaire,  nous  vous 
recommandons  de  nouveau  de  procéder  sans  délai 
fâcheux  à  la  même  affaire,  selon  le  contenu  des 
précédentes  lettres.  Donné  à  Lyoji,  le  5  avant  les 
ides  d'octobre,  l'an  (|uatrième  de  notre  pontificat '. 
«Comme  donc  nous  voulons  paraître  des  fils  d'o- 
bédience, comme  nous  le  devons,  que  la  nécessité 
d'obéir  nous  est  imposée  et  que  la  témérité  de  la 


472  ADDITIONS. 

résistance  nous  est  interdite;  comme  surtout,  outre 
que  nous  sommes  tenus  à  une  obéissance  spéciale  en- 
vers le  susdit  saint-siége,  le  mandement  du  roi, 
aussi  bitn  que  les  sollicitations  assidues  du  susdit 
comte,  nous  excitent  à  la  consommation  et  à  Taccé- 
lération  de  la  susdite  affaire;  comme  de  plus  nous 
considérons  que  Ton  pourra  procéder  dans  la  chose 
susdite,  par  le  moyen  des  ordinaires  des  lieux,  plus 
à  propos  et  plus  salutairement,  sans  scandale  et  sans 
bruit,  et  avec  la  célérité  désirable,  nous  avons  ré- 
solu, sur  l'avis  des  prudents,  et  selon  le  souhait  du 
même  comte,  de  les  appeler  à  partager  ce  fardeau  et 
cette  sollicitude,  afin  que  par  Taide  de  plusieurs,  et 
en  nous  adjoignant  plusieurs  avis,  nous  procédions 
à  ce  qu'on  doit  faire  en  cette  occasion  avec  assez  de 
régularité  et  de  prudence,  Dieu  aidant,  pour  que 
nous  ne  puissions  pas  être  taxés,  auprès  du  seigneur 
pape,  d'une  désobéissance  nuisible  pour  nous,  ni 
être  accusés  de  négligence  auprès  du  susdit  seigneur 
comte.  Aussi  nous  enjoignons  à  votre  discrétion , 
avec  le  respect  que  nous  vous  devons,  en  vertu  de 
l'obédience  au  nom  de  laquelle  injonction  nous  est 
faite,  et  nous  vous  commandons  expressément,  sous 
peine  d'interdit,  en  vertu  de  Tautorité  dont  nous 
sommes  revêtus  sur  ce  point,  de  ci.ter  péremptoire- 
ment tous  les  archidiacres  et  leurs  ofGciaux  de  la 
ville  et  du  diocèse  de  Lincoln,  ainsi  que  les  archi- 
diacres des  monaslcres,  exempts  et  non  exempts  de 
la  même  ville  et  du  même  diocèse,  à  comparaître 
|)er8oiMiellement  par-devant  nous,  dans  Téglisc  de 


AUDITIONS.  47.- 

Saint-Marliii-le-Graiid  à  Londres,  le  plus  prochain 
jour  de  lundi  après  l'Assomption  de  la  bienheureuse 
Marie,  qui  doit  arriver  bientôt,  pour  faire,  à  Tégard 
de  Texéculion  des  choses  susdites,  ce  qui  a  été  or- 
donné et  réglé  par  les  prélats  du  même  royaume. 
Sachez  donc  pour  sûr,  que  quelque  grand  que  soit 
notre  désir  d'avoir  de  la  déférence  pour  vous  et  pour 
les  vôtres,  nous  procéderons  cependant  contre  les 
rebelles  et  les  résistants,  autant  qu'il  sera  permis 
selon  le  droit  et  que  nous  le  pourrons;  pour  vous, 
ayez  soin  de  nous  informer,  par  vos  lettres  patentes, 
au  moyen  du  porteur  des  présentes,  tant  de  la  ci- 
tation que  vous  aurez  faite  que  du  nom  des  per- 
sonnes citées,  faisant  en  sorte  que  celui  de  vous  à  qui 
ce  mandement  aura  été  présenté  le  premier  Texé- 
cute  sans  aucun  délai  et  sans  même  attendre  son 
collègue.  Donné  Tan  de  grâce  ^247,  le  2  avant  les 
noues  de  juin. 

«  *  C'est  pourquoi  nous  vous  recommandons,  en 
vertu  de  l'obédience,  et  nous  vous  enjoignons  fer- 
mement, sous  la  peine  susdite,  de  comparaître,  tous 
en  général  et  chacun  en  particulier,  avec  vos  offi- 
ciaux,  auxdits  lieu  et  jour,  selon  le  susdit  mande- 
ment, ptiur  faire  ce  que  le  droit  décidera,  si  vous 
voulez  éviter  la  peine  susdite.  Vous  nous  ferez  savoir 
par  vos  lettres  patentes  à  quel  jour  et  en  quel  lieu 
vous  aurez  reçu  ces  lettres.  Item,  que  dans  chaque 
paroisse  de  vos  archidiaconats,  quelques  croisés  di- 

'  La  circulaire  4e  Robert  G roue-Téle  reprend  ici. 


474  ADDITIONS. 

giies  de  foi  soient  députés  par  vous,  de  concert  avec 
un  prêtre,  pour  inscrire  les  noms  des  croisés  mou- 
rants, soit  ceux  qui  sont  déjà  décédés,  soit  ceux  qui 
viendront  à  décéder,  pour  inscrire  aussi  combien 
ceux-là  auront  promis  ou  légué  au  secours  de  la 
Terre-Sainle,  et  quels  auront  été  les  exécuteurs.  Que 
Ton  enjoigne  aux  exécuteurs  d'avoir  l'argent  tout 
prêt  quand  ils  en  seront  requis  ;  que  les  relevés  de 
chaque  paroisse  soieut  portés  dans  les  chapitres  des 
doyens,  par  les  recteurs  ou  les  prêtres,  avec  le  té- 
moignage de  quelques-uns  ou  de  quelqu'un  des  croi- 
sés; que  le  doyen,  avec  le  témoignage  de  quelques- 
uns  qui  devront  être  députés  à  cet  égard,  rédige  tous 
ces  relevés  en  un  seul  relevé;  qu'il  y  appose  son 
sceau  avec  les  sceaux  de  ses  collègues,  et  qu'il  porte 
ledit  relevé  à  la  maison  des  frères  Prêcheurs  ou 
Mineurs  qui  auront  prêché  dans  le  même  lieu. 
Qu'aussitôt  la  collecte  de  l'argent  provenant  de  là 
soit  faite  sur  le  vu  de  celui  qui  aura  prêché,  ou  de 
celui  que  le  prédicateur  lui-même  pourra  appeler  à 
cet  effet  en  chaque  lieu  ;  qu'il  soit  déposé  dans  le  lieu 
saint,  sous  le  sceau  de  celui  qui  aura  prêché,  et  des 
collecteurs,  pour  être  remis  à  nous  et  au  seigneur 
évêque  de  Worcester,  ou  aux  nôtres  assignés  à  cet 
effet,  quand  nous  jugerons  à  propos  de  l'exiger. 
Quant  aux  biens  des  croisés  qui  meurent  sans  testa- 
ment, en  ce  qui  touche  la  portion  les  concernant, 
que  cette  portion  soit  réglée  par  les  amis  des  défunts 
et  par  les  frères  désignés  pour  prêcher  au  même 
lieu,  déserte  qu'on  assigne  au  secours  de  la  Terre- 


AUDITIONS.  475 

Sainte  autant  qu  on  pourra  le  faire  sans  scandale, 
afin  que  les  défunts  (?)  obtiennent  indulgence  plé- 
nière.  Item,  que  tous  les  malades  et  les  mourants 
soient  exhortés  par  les  chapelains  et  par  les  autres 
qui  assisteront  à  la  confection  de  leurs  testaments, 
à  prendre  la  croix  s'ils  ne  Tout  pas  encore  prise ,  et 
que  ceux-là  aussi  bien  queceux  qui  auront  pris  la  croix 
auparavant  déclarent  combien  ils  veulent  donner 
pour  le  secours  de  la  Terre-Sainte;  qu'on  leur  dise 
expressément  que  s'ils  donnent  complètement  selon 
leurs  facultés,  ils  obtiendront  indulgence  plénière; 
que  s'ils  donnent  moins,  ils  seront  seulement  parti- 
cipants, à  savoir  selon  la  quantité  du  subside  et  la 
vivacité  de  leur  dévotion.  Que  nul  cependant  ne  soit 
forcé  de  contribuer  au  delà  de  sa  volonté.  Que  tout 
cela  soit  écrit  et  rapporté ,  de  la  manière  plus  haut 
dite. 

«  Or,  nous  et  le  seigneur  évêque  de  Worcester  nous 
enjoignons  cela  aux  prêtres  qui  assisteront  aux  tes- 
taments ,  par  l'autorité  apostolique,  en  vertu  de  l'o- 
bédience et  en  rémission  de  leurs  péchés  ,  tant  pour 
eux  que  pour  les  autres.  Vous  aurez  soin  de  nous 
informer  par  vos  lettres  patentes  de  ce  que  vous  au- 
rez fait  à  cet  égard ,  avant  la  fête  de  l'Assomption 
de  la  bienheureuse  Marie.  Donné  à  Edeveton  («»c), 
dans  le  diocèse  de  Salisbury,  aux  calendes  d'août, 
Tan  douzième  de  notre  pontificat'.» 


r     août   4247.  Hâtait,  en  effet,  été  coiuacrô  au  iiioiti  de  juÏQ 
I23.>. 


476  ADDITIONS. 

Il  faut  savoir  que  cette  même  année ,  avant  que 
cette  collecte  odieuse  eût  commencé  à  être  ainsi 
faite,  le  comte  Richard  reçut  vingt-cinq  livres  sur  la 
terre  de  Saint-AIbans,  par  les  mains  de  Tarchidiacre 
du  même  lieu. 

XVII. 
Année  i2o0.  —  Voir  la  page  137  du  volume. 

Lettre  apostolique  réformant  la  sentence  pronon- 
cée   CONTRE    les  chanoines   DE  SaINT-PaOL  DE  LoNDRES 
PAR  l'aRCHEVÊQDE  DE  CaNTORBÉRY,  QCI  VOULAIT  LES  VISI- 
TER. —  «  Innocent,  évêque,  serviteur  des  serviteurs  de 
Dieu,  à  ses  chers  fils  les  abbés  de  Saint-Albans  el  de 
Waltham  ,  et  à  Tarchidiacre  de  Saint-Albans  du  dio- 
cèse de  Lincoln  et  de  Londres  ,  salut  et  bénédiction 
apostolique.  Il  a  été  exposé  par-devant  nous,  de  la  part 
de  nos  chers  fils  Henri,  doyen;  Pierre,  archidiacre; 
Robert ,  chantre  ;  maître  Guillaume  de  Lichfield . 
Guillaume  la  Faite  et  Robert,  dit  le  Moine,  les  dessus 
dits  chanoines  de  Londres,  que  notre  vénérable  frère 
l'archevêque  de  Cantorbéry  s'étant  rendu  à  Téglise 
de  Londres  pour  y  exercer  Toffice  de  visitation  ,  et  le 
chapitre  de  celte  même  église  ayant  déclaré  que  lui 
et  cette  église  étaient  libres  et  exempts  de  sa  juridic- 
tion, et  ayant  refusé  pour  cela  d'admettre  le  même 
archevêque  à  la  visitation  et  de  lui  fournir  le  service 
de  procuration  ,  le  même  archevêque  ,   en  vertu  de 
son  autorité  propre,   a  promulgué,  5  cause  du  dé- 
lit du  même  chapitre,  une  sentence  (rexcommuni- 


AUDITIONS.  477 

calion  contre  les  personnes  d'iceux  ;  et  qu'ils  ont 
humblement  demandé  à  entendre  an  moins  la  messe. 
A  quoi  le  susdit  arcbevêqne  a  répondu  contradicloi- 
rement,  que  s'il  avait  prononcé  cette  sentence  contre 
eux ,  ce  n'était  poiut  à  cause  du  délit  du  chapitre  , 
mais  à  cause  du  délit  des  susdits  doyen  et  autres.  La 
forme  de  celte  sentence  a  été  lue  en  notre  audience 
et  en  celle  de  nos  frères,  et  nous  en  avons  fait  insérer 
la  teneur  dans  les  présenles  ,  pour  cautèle.  En  voici 
les  termes  :  »  Que  tous  sachent  tant  qu'ils  sont,  que 
«  nous,  Boniface,  par  la  grâce  de  Dieu,  archevêque 
«  de  Cantorbçry,  primat  de  toute  l'Angleterre,  après 
«  avoir  visité  les  cités  et  les  diocèses  de  Cantorbéry 
««  et  de  Hocbesler,  avons  voulu  visiter  notre  véné- 
t*  rable  frère  Tévêque  de  Londres,  et  sommes  des  cen- 
H  du  pour  visiter  le  chapitre  de  Téglise  cathédrale 
«  de  Saint-Paul  de  Londres.  Nous  avons  averti  de  vive 
«  voix ,  et  nous  avons  fait  avertir  maintes  fois  par 
«  d  autres,  le  doyen  et  le  chapitre  de  la  susdite  église 
u  cathédrale  de  Saint-Paul,  de  nous  admettre  avec 
M  respect  comme  leur  métropolitain,  selon  la  forme 
«  consacrée  par  le  droit,  pour  exercer  dans  leur 
«  église  TofGce  de  visitation;  mais  le  doyen  lui-même 
«  et  le  chapitre  ont  refusé  de  le  faire  en  humanité, 
«  et  ont  déclaré  de  vive  voix  par-devant  nous ,  qu'ils 
«  ne  nous  admettraient  en  aucune  façon  à  exercer 
«  le  susdit  ofGce  de  visitation  ;  ils  ont  tenu  fermées 
«  les  portes  du  chœur  et  du  chapitre,  où  nous  vou- 
«  lions  exposer  manifestement  la  parole  de  Dieu,  et 
«  nous  ont  empêché,  de  parole  et  de  fait,  de  pou- 


478  ADDITIONS. 

H  voir  exercer  le  dû  de  notre  office.  Autant  de  temps 
«  que  nous  avons  été  présent  de  corps  dans  celte 
«  église  de  Saint-Paul ,  ils  ont  suspendu ,  au  gré  de 
«  leur  volonté  ,  l'usage  des  orgues  '  qui  servent  à  la 
«  louange  divine,  et  cela  à  Tinjure  manifeste  et  au 
«  grave  préjudice  de  l'église  de  Canlorbéry,  ainsi 
«  qu'au  péril  des  âmes  et  au  scandale  de  plusieurs. 
«  Nous  donc  qui  ne  voulons  ni  ne  devons  laisser  im- 
«  punie  une  injure  aussi  manifeste,  pour  que  lesau- 
«  très  ne  puisent  pas  dans  cet  exemple  l'audace  de 
«  résister  semblablement;  après  avoir  préalablement 
«  adressé  admonition  convenable  ;  considérant  qu'ils 
«  nous  ont  repoussé  avec  tant  de  témérité  et  d'inhu- 
«  manité  de  l'exercice  de  l'office  de  visitation  ,  et 
«  qu'ils  n'ont  point  pris  souci  de  nous  obéir  et  de 
«  nous  satisfaire  sur  ce  point;  nous  excommunions 
«  par  écrit  et  déclarons  devoir  être  excommuniés 
«  publiquement  par  l'autorité  de  Dieu  tout-puissant, 
«  des  bienheureux  apôtres  Pierre  et  Paul,  et  de  notre 
«  très-bienheureux  patron  saint  Thomas  ,  martyr 
«  glorieux  ,  Henri,  doyen;  Pierre,  archidiacre;  Ro- 
«  bert,  chantre  de  Londres;  maître  Guillaume  de 
«  Lichfield;  Guillaume  la  Faite,  et  Robert ,  dit  le 
«  Moine ,  les  dessus  dits  chanoines  de  Londres  ,  les- 


'  CVlail,  en  (Tfct,  une  insulte  (fravc  dans  les  mœurs  du  temps.  Le 
jea  de  l'orgue  était  considéré  comme  une  partie  si  importante  de  roffiu; 
divin,  qu'on  appelait  du  nom  commun  tVorgnnwn,  la  messe  et  les  autres 
cérémonies  du  culte.  Organa  resumere^  reprendre  la  célébration  des 
offioes;  rontinuarr  organadiviiiurum,  In  continuer,  etc.  (Foi/.  Ckix- 
l'KNTIEK,  Suppléni.  ad  verh.) 


ADDITIONS.  479 

«  quels  se  sont  opposés  irrévérencieusenteiit ,  et  out 
«•  été  présents,  et  qui  évidemment  et  notoirement  se 
«  sont  rendus  coupables  envers  nous  d'opiniâtreté, 
«  de  rébellion  et  de  contradiction.  Fait  à  Londres, 
'<  dans  la  susdite  église  de  Saint-Paul,  le  jour  de 
«<  mardi  après  T Ascension  du  Seigneur,  Tau  du  même 
•  Seigneur  ^250.  » 

Après  donc  que  nous  avons  entendu  et  compris 
jjleinemenl  les  choses  qui  nous  ont  été  exposées  des 
deux  côtés  par  les  parties,  nous ,  pesant  avec  Texa- 
men  perspicace  de  notre  discrétion  les  paroles  de  la 
sentence  susdite  ,  et  voulant  détruire,  par  le  remède 
d'un  abrégé  salutaire,  le  sujet  d'une  discussion  pro-  . 
lixe  à  cet  égard ,  qui  ne  pourrait  que  se  prolonger  au 
<létrimeot  des  deux  parties,  nous  décidons  et  décla- 
rons, avec  Tavis  de  nos  susdits  frères,  que  la  susdite 
sentence,  qui  a  été  notoirement  prononcée  contre  les 
sus.iits  Henri ,  doyen  ;  Pierre  ,  archidiacre;  Robert, 
chantre,  et  autres  chanoines  de  Londres  ,  en  ce  qui 
touche  le  délit  du  susdit  chapitre ,  doit  être  regardée 
comme  absolument  nulle;  qu'ils  ne  sont  enveloppés 
d'aucun  lien  par  elle,  et  qu'ils  ne  doivent  être,  en 
aucune  façon,  ni  mal  notés,  ni  évités,  à  cause  de  la 
dénonciation  d  icelle.  Quant  à  cela  que  le  même  ar- 
chevêque exposi'  qu'il   a  prononcé  ladite  sentence 
contre  eux  ,  à  cause  du  délit  d'iceux  ,  nous  Pécoute- 
rons  à  cet  égard  ,  selon  qu'il  sera  de  droit.  C'est 
pourquoi  nous  recommandons  à  votre  discrétion  , 
par  ce  rescrit  apostolique,  de  faire  casser  absolument 
les  déclarations  de  la  sentence  siisdite  que  l'arche- 


480  ADDITIONS. 

vêque  susdit,  à  ce  qu'on  assure,  a  fait  prononcer 
contre  les  susdits  doyen  et  autres,  en  tant  qu'ayant 
été  portée  contre  les  susdits  chanoines  de  Londres  , 
à  cause  du  délit  du  chapitre,  en  réprimant  les  con- 
tradicteurs en  vertu  de  notre  autorité ,  nonobstant 
toukappel.  Si  vous  ne  pouvez  tous  donner  vos  soins 
à  raccomplissement  du  susdit  mandement,  que  deux 
d'entre  vous  l'exécutent  néanmoins.  —Donné  à  Lyon, 
le  5  avant  les  calendes  d'octobre,  l'an  huitième  de 
notre  pontificat  '.  » 

XVIII. 

Année  12o< .  —  Voir  les  pages  136, 169  du  volume. 

Lettres  du  maître  de  l'Hôpital.  —  «  Au  reli{{ieux, 
illustre  et  prudent  homme,  son  ami  principal  et  très- 
spécial  frère  Gaultier  de  Saint-Martin,  de  Tordre  des 
Prêcheurs,  frère  Guillaume  de  Châleauneuf ,  par  la 
grâce  de  Dieu  ,  humble  maître  de  l'Hôpital  de  Jéru- 
salem, salut  et  dévouement  entier  à  sa  volonté.  Kspé- 
ranl  que  vous  serez  charmé  d'apprendre  des  nou- 
velles quelles  qu'elles  soient  de  la  Terre-Sainte,  nous 
avons  jugé  à  propos  de  vous  faire  savoir  qu'après  ce 
désastre  inexplicable  que  le  seigneur  roi  de  France, 
vaincu  et  pris  par  les  ennemis,  a  souffert  en  Egypte, 
ainsi  que  toute  l'armée  chrétienne,  le  susdit  roi,  déli- 
vré niiraculeusement  par  l'opération  de  la  clémence 
divine,  est  venu  dans  la  ville  d'Acre,  avec  ses  frères 


Al>DniONS.  481 

1*1  quelques  nubles  |>rincesdont  le  Seigneur,  au  mo- 
ment de  la  confusion  ,  avail  préservé  la  vie  contre  la 
destruction.  Comme  il  ne  pouvait,  sans  dérogera  la 
sublimité  royale,  abandonner  la  terre  de  Syrie,  dé- 
pourvue de  trêve,  aux  chances  de  lexterminalion,  il  a 
renvoyé  en  France  ses  frères  et  tous  les  autres  nobles, 
pour  y  lever  des  secours,  et  s'est  proposé  de  séjourner 
ici  jusqu'à  ce  que,  par  les  subsides  de  sa  nation  et  des 
autres  fidèles  du  Christ,  il  pût  écraser  Torgueil  des 
perfides,  ou  régler,  pour  la  Terre-Sainte,  un  état 
prospère  par  la  médiation  des  trêves.  Quoiqu'au  mo- 
ment où  nous  rédigeons  les  présentes ,  une  grande 
discorde  existe  entre  les  soudans  d'Alep  et  de  Baby- 
lone,  et  puisse  faire  es[)érer  que  la  conclusion  d'une 
trêve  convenable  devra  intervenir,  il  ne  nous  paraît 
pas  cependant  très-certain,  à  nous,  qui  avons  éprouvé 
les  artifices  des  païens,  que  la  chose  puisse  être  ame- 
née à  Teffet  souhaité  par  les  instigations  de  quelques- 
uns  et  de  plusieurs  qui  s'entremettent  pour  la  trêve. 
Mais  dans  la  suite  du  temps,  quand  les  affaires  seront 
devenues  plus  claires,  nous  aurons  soin  d'informer 
votre  prudence  des  événements  qui  seront  survenus. 
Porlez-vous  bien.  • 

Le  même  au  même. 

a  Au  religieuxethonorable  homme,  ami  tres-clier  et 

s|iécial  de  l'Hôpital,  frère  Gaultier  île  Saint-Martin  , 

de  l'ordre  de»  Prêcheurs  ,  frère  Guillaume  de  Châ- 

leanneuf,  par  la  grâce  de  Dieu,  huntble  maître  de 

vn.  54 


}82  ADDITIONS. 

la  sainte  maison  de  1  Hôpital  de  Jérusalem ,  et  gar- 
dien des  pauvres  du  Christ,  salut  et  volonté  prête  à 
ses  bons  plaisirs.  Comme  nous  avons  appris  que  par 
votre  grâce  vous  avez  toujours  chéri  siucèremenl  la 
maison  et  les  frères  de  l'Hôpital,  et  que  vous  avez  té- 
moigné un  empresseiv.ent  fidèle  pour  leurs  volontés, 
nous  en  rendons  à  votre  libéralité  d'abondantes  ac- 
tions de  grâces ,  vous  faisant  savoir  que  par  cette 
conduite  vous  nous  avez  faits  vos  débiteurs  ,  nous  et 
tous  les  frères  de  l'Hôpital,  et  que  vous  nous  trouverez 
perpétuellement  obligés  à  tout  ce  qui  pourra  être  votre 
bon  plaisir.  S'il  vous  est  agréable  de  recevoir  de  nos 
nouvelles,  nous  vous  faisons  savoir  qu'après  avoir 
été  délivrés  de  la  prison  des  Babyloniens,  par  Tin- 
tervenlion  du  seigneur  roi  de  France,  avec  trente  de 
no»  frères,  d'autres  religieux el  beaucoup  deséculiers, 
nous  sommes  entrés,  parla  grâce  de  Dieu,  dans  la  cité 
d'Acre,  le  dix-septième  jour  du  mois  d'octobre,  lais- 
sant dans  lu  captivité  d'Egypte  une  très-grande  multi- 
tude de  fidèles,  que  nous  espérons  devoir  être  délivrés 
très-prochainement  avec  l'aide -de  Dieu.  Une  grande 
discorde  s'est  élevée  entre  les  soudans  de  Babylone 
et  d'Alep;  ce  qui  nous  donne  lieu  de  penser  en  con- 
fiance, que  si  un  secours  de  chevalerie  nous  arrive  des 
pays  d'oulre-mer,  la  condition  de  la  Terre -Sainte 
pourra  être  améliorée,  et  l'orgueil  de  nos  ennemis 
écrasé.  Portez-vous  bien .  »  A  ces  lettres  étaient  ap- 
pendues  deux  bulles  ou  sceaux. 


ADDITIONS.  4«5 

XIX. 

Année  1254.  —  Voir  les  pages  214  el  228  dn  volume. 

I. 

StATOTS    do     pape    (iRÉGOIRE    IX  SUR  LA    RÉFORMATION 
DE    l'OrDRE-NoIR  ,    RENOUVELÉS    PAR    INNOCENT  IV'.   — 

-1.  Nous  statuons,  en  preinier  lieu,  que  tous  les  moi- 
nes établis  duns  une  abbaye,  à  l'exception  des  malades 

*  GDillaumc  WaU  ,  dans  iioc  note  insérée  à  V Aurtarium  (pag.  t47 
de  notre  édition),  cherche  à  déterminer  la  place  de  cette  addition  et  de 
l'addition  suirante.  Sa  discussion,  asset  obscure,  n^a,  selon  nous,  rien  de 
concluant,  parce  qu'il  n'a  pas  examiné  d'iissez  près  le  teste  de  l'auteur. 
Les  abbés  bénédictins,  rassemblés  à  Londres,  viennent  de  promulguer  des 
statuts  applicables  à  toutes  les  communautt's  de  leur  ordre  eu  Angle- 
terre. Thibaut,  prieur  de  Hurley,  et  Jacques,  sous-prieur  de  Saint-Au- 
i;4istin  de  Canturbéry,  sont  chargés,  à  titre  de  visiteurs,  d'en  prescrire 
l'observation.  De  son  côté,  le  pape,  dans  la  même  année  12<')1,  reuou- 
veile  l'exemple  de  Grégoire  IX  qui,  à  l'assemblée  de  Londres  «n  1258, 
avait  fait  publier  des  statuts  généraux  par  son  légat  Othon.  Innocent  IV 
compose  donc  de  nouvelles  décrétâtes  [novas  rimposuit  décrétâtes), 
qui  ont  un  caractère  d'universalité,  et  désigne  les  évéquesdioct'-sains  pour 
veiller  à  leur  exécution  à  titre  de  visiteurs  et  d'ordinaires.  Aussi  Matt. 
Péris  appelle-t-il  utiles  et  nécessaires  les  statuts  des  abbés,  tandis  que 
les  statuts  du  pape  sont  loin  d'obtenir  son  approbation.  {Quosrtam  ar- 
tieulos  leyulœ  sancii  Henedicti  imfieriinentcs^  pag.  584  du  texte.) 
De  même  pour  lui,  les  moines  visiteurs  sont  des  gens  paciliques,  les 
évoques  visiteurs  presque  des  tyrans.  A  I  époque  de  la  vi^'itatton  de  Thi- 
baut et  de.  Jac/|ue«,  les  décrétales  du  pape  n'ont  pas  encore  force  de  loi 
«anonique.  Mais  l'année  suivante,  les  évéques  obtiennent  droit  de  visite 
avec  procurations  restreintes.  (Voy.  les  additions  XXIV  et  XXVI.)  lu» 
4  2.^1,  l'fvéque  de  Lincoln  prétend  à  visiter  Saitil-Albans,  et  nous  pen- 
•oos  qu'ici  doivent  se  placer  les  réponses  du  couvent.  La  communauté, 
pour  prévenir  la  visite,  répond  que  res  statuts  sont  observés,  sauf  quel- 
ques légère»  etceplious,  et  pour  éviter  d'être  pressée  sur  ce  point,  en 
appelle  au  pape. 


484  ADDITIONS. 

et  (les  gardiens  d'iceux,  aussitôt  qu'ils  auront  entendu 
le  son  de  la  cloche,  quitteront  toutes  leurs  occupa- 
tions ,  puisqu'ils  doivent  savoir  que  rien  ne  peut 
passer  avant  le  service  '  divin,  et  se  rendront  à  l'é- 
glise avec  Tempressement  dû.  Ils  serviront  Dieu  dans 
l'église  avec  crainte  et  révérence,  et  entendront,  selon 
la  règle,  le  commencement,  le  milieu  et  la  fin  des 
heures;  ils  offriront  à  Dieu  le  sacrifice  de  louange, 
fruit  de  leurs  lèvres,  en  pureté  de  conscience  et  en 
dévotion  de  cœur. 

Que  chaque  mois,  dans  les  monastères  ,  une  con- 
fession générale  de  tous  les  frères  ait  lieu  ;  que  tous 
et  que  chacun  s'y  soumettent  shqs  aucune  excuse  ; 
que  le  premier  dimanche  du  mois  ,  les  frères  com- 
munient avec  le  corps  et  le  sang  tie  notre  Seigneur 
Jésus-Christ.  Si  quelqu'un,  pour  une  cause  quelcon- 
que, juge  à  propos  de  s'en  abstenir,  qu'il  ne  diffère 
point  de  déclarer  cette  cause  à  l'abbé  propre,  ou  au 
prieur,  en  l'absence  de  l'abbé,  ou  aux  pénitenciers  dé- 
signés par  l'abbé^,  afin  que  par  leur  jugement,  ou  il 
s'abstieime  ou  il  vieune  à  la  communion. 

Que  la  rigueur  de  la  disciplinesoit  maintenuedans 
le  chapitre  ;  que  le  silence  soit  observé  dans  l'église, 
dans  le  (rloîir<' ,  dans  le  irferloire  et  dans  le  dortoir. 


'  Diuoverunt.  Noue  lisons  et  traduisons  divino  noverunt. 

>  Los  mois  soulignes,  soit  vitriuiitos,  soil  additions,  sont  fournis  par 
une  copie  de  ces  mêmes  statuts,  remise  sans  doute  au  couvent  de  Sainl- 
Albans  avnni  la  visitation  projetée  par  Pëv<?que  do  Lincoln,  et  cette  copie 
.intérieure  difTire  du  rAlc  présenté  par  IVvi^quo,  comme  l'indiquent  évi- 
drmnu-nl  irit  uioU  tu  mistio  lulu'o  ou  siniplcmcnt  tit  HOSiro. 


ADDITIONS.  485 

On  (livra  iulli{]er  aux  transjjresseiirs  le  châtiinenl  fix/* 
|jai-  les  statuts  réjjullers. 

2.  Qu'on  fasse  connaître  Iréqueminenl  et  spécia- 
lement, à  tous  ceux  qui  voudront  entrer  en  religion, 
ces  trois  principes  :  obéissance,  continence,  et  vivre 
sans  avoir  rien  en  propre;  qu'on  leur  répèle  que  les 
convers  et  les  moines  sont  astreints  à  cela.  Qu'on 
leur  dise  expressément  et  spécialement  qu'étant  pla- 
cés sous  la  direction  de  Tabbé  et  du  prieur,  ils  ne 
sont  obli}{és  nullement,  jusqu'à  leur  entrée  en  reli- 
}jion ,  envers  le  monastère ,  ni  le  monastère  envers 
eux*,  et  que  jusqu'à  la  lin  de  l'année  ils  pourront 
se  retirer  quittes  envers  ledit  monastère,  et  ledit 
monastère  s'acquitter  avec  eux,  si  leurs  mœurs  ne 
plaisent  point  à  l'abbé  et  au  couvent.  Qu'on  explique 
auxnovic^s,  avant  de  les  admettre,  ce  qu'il  y  a  <ledur 
et  de  pénible;  une  fois  admis,  qu'on  leur  lise  trois 
fois  dans  l'année  d'épreuve  la  règle  de  l'ordre  dans 
les  termes  fixés  par  le  bienheureux  Benoît.  Qu'un 
instructeur  fidèle  soit  affecté  aux  novices  ;  qu  aucune 
administration  ne  leur  soit  absolument  confiée  jus- 
qu'à ce  qu'ils  aient  fait  profession.  L'année  d'épreuve 
étant  donc  accomplie,  que  les  novices  fassent  aussitôt 
profession  et  reçoivent  la  bénédiction.  Si  par  hasard 
ils  ne  le  voulaient  pas,  qu'ils  se  retirent  au  plus  vite. 
—  Que  personne  ne  soit  admis  avant  d'avoir  atteint 
la  quinzième^  année  de  son  âge,  et  qu'aucune  pro- 

<  Le  texte  nous  semble  faotif.  Nous  donaous  le  sens  probable. 
'  La  variante  donne  dix-/lvt(ténie,  ce.  ({ui  nous  parait  la  bouuc  le^ou. 
C'est  déjà  UM  dérogation  aus  statuts  publia  par  le  cardinal  Olhun,  les 


486  ADDITIONS. 

fessioii  ne  soil  faite  par  ceux  de  cet  âge  qui  seront 
admis. 

~'5.  Que  les  prieurés,  les  doyennés,  les  prévôtés  et 
toutes  les  autres  adminislrationssoient  conférées  f;ra- 
tis  ,  Stins  aucune  vénalité  ni  aucun  pacte ,  et  exclusi- 
vement à  des  moines  bons  et  habiles.  Que  les  prieurés 
conventuels  ne  soient  pas  conférés  à  d'autres  qu'à  des 
prêtres  ,  ou  qu'à  des  personnes  telles  quelles  soient  pro- 
mues dans  l'année  ;  si  elles  ne  sont  point  promues  dans 
l'année,  quelles  perdent  ces  prieurés.  Si  quelque  moine 
est  convaincu  d^  avoir  donné  ou  promis  quelque  chose 
pour  pareil  office,  qu'il  soit  regardé  comme  simonia- 
que,  qu'il  soit  privé  de  l'office  ainsi  obtenu,  et  qu'il 
n'obtienne  jamais  ni  dignité  ni  honneur  dans  l'ordre. 
Si  le  diocésain,  les  visitaleurs  ou  les  définiteurs  con- 
çoivent à  cet  égard  de  fortes  présomptions  contre 
quelqu'un  ,  qu'ils  le  privent  du  prieuré  ou  de  toute 
administration  obtenue  ainsi.  Que  l'abbé  qui  aura 
vendu  un  office  soit  puni  comme  simoniaque.  Si  quel- 
qu'un demande,  par  Tinterventlon  de  personnes  sé- 
culières ,  qu'une  obédience  ou  un  prieuré  lui  soit 
confié,  qu'il  ne  l'obtienne  jamais,  et  même  qu'il 
n'en  obtienne  pas  un  autre  dans  l'année. 

Que  les  prieurs  conventuels  ne  soient  point  desti- 
tuésà  moins  de  causeroisonnable,  comme,  par  exem- 
ple, s'ils  sont  ditapidatcurs  de  leur  maison,  s'ils  sont 
désobéissants  et  rebelles  ,  s'ils  passent  pour  inconti- 


(|UcU  lisent  la  probiilion  n  «lit-nuiif  ans  nu  \A\\\>  tât,  cl  la  professiua  r 
vhigt  ans  ac<;oinplii. 


ADDITIONS.  487 

neiits  ou  pour  in  là  mes,  ou  s'ils  doivent  élre  promus 
à  une  plus  haute  dijjiiilé  ,  ou  pour  une  autre  cause 
(rutilité  manifeste.  Nous  voulons  aussi  que  la  même 
chose  soil  observée  à  l'égard  des  prieurs  inférieurs  , 
qu'aucun  prieur  n'obtienne  des  lettres  de  coulirm.»- 
lion  par  lesquelles  il  ne  doive  pas  être  p4'ivé  de  son 
prieuré  ou  de  son  obédience  ;  si  de  pareilles  lettres 
ont  été  obtenues,  qu'elles  soient  nulles  de  plein  droit. 
4.   Nous  défendons  aussi  lorniellement  qu'aucun 
moine  ait  plusieurs  abbayes  <»u  prieurés,  ou  une  ab 
baye  et  un  prieuré  [à  la  lois],  ni  une  part  monacale 
dans  plusieurs  monastères  ;  que  celui  qui  aura  une 
administration  dans  Tabbaye  n'en  ait  aucune  à  Tex- 
térieur.  à  moins  qu  il  n  arrive  que  cette  administra- 
tion ne  soit  annexée  à  radmini>tration  intérieure. 

î).  Qu'un  seul  moine  ne  demeure  point  dans  un 
prieuré  ou  dans  une  granjje;  mais  qu'on  adjoign»'  à 
celui  qui  est  seul  un  moine  ou  plusieurs  moines  pour 
compagnons,  selon  que  le  comportent  les  facultés  du 
lieu  ;  autrement  qu'il  soit  rappelé  au  cloître;  qu'on 
veille  cependant  à  ce  que  les  offices  divins  soient 
célébrés  honorablement  dans  le  même  lieu. 

6.  Lorsqu'un  abbé  voudra  confier  à  quelqu'un  des 
frères  un  bailliage  ou  une  prévôté,  ou  le  soin  de 
quelques  revenus,  il  ne  fera  point  de  ferme  avec  lui, 
ni  ne  recevra  de  lui,  ou  ne  lui  demandera  des  cau- 
tions. L'abbé  enjoindra  expressément  à  ceux  qui  se- 
ront chargés  de  quelque  administration,  de  ne  mo- 
lester personne,  de  n'élever  de  réclamation  contre 
|>crsonne.  de  n'opprimer  pei'sonne  par  dcr.  inju-lic<°s 


488  ADDITIONS. 

ou  des  exactions  indues,  de  ne  pas  vendre  plus  cher 
au  terme,  et  de  ne  pas  faire  des  contrats  déslionnêtes. 

7.  Quant  aux  prieurs,  aux  obédienciers  ,  aux 
moines  ayant  administration  temporelle,  aux  baillis 
et  aux  prévôts,  nous  statuons  que,  s'ils  tombent  gra- 
vement malades ,  ils  résigneront  et  assigneront  à 
Tabbé  leurs  administrations  et  toutes  choses  qu'ils 
pourront  avoir  provenant  de  là,  après  en  avoir  rendu 
compte  sans  délai ,  et  après  confession  préalable. 

8.  Quant  à  la  qualité  des  mets  et  aux  habits,  nous 
voulons  qu'on  observe  ceci  :  à  savoir  que  tous  les 
moines  aient  des  habits  du  même  vestiaire,  et  que 
les  plais  qui  ont  coutume  d'être  servis  dans  les  cham- 
bres étant  [désormais]  complètement  interdits,  ils  se 
restaurent  régulièrement  dans  le  ijnême  réfectoire  , 
à  la  même  cuisine ,  avec  le  même  pain  et  la  même 
boisson  ;  sauf  la  pitance,  qui  a  coutume  d'être  portée 
à  la  grande  table ,  pour  une  cause  déterminée  ;  à 
moins  aussi  que  les  moines  ne  mangent  dans  l'infir- 
merie ou  à  part  avec  l'abbé.  —  Que  l'abbé,  cependant, 
mange  dans  le  réfectoire  avec  les  moines^  à  moins  qu'il 
ne  change  le  lieu  pour  faire  honneur  à  d'illustres  hôtes. 

Que  depuis  les  ides  de  septembre  jusqu'au  com- 
mencement du  carême  ,  les  moines  se  restaurent  à 
none,  selon  la  règle  du  bienheureux  Benoît;— dans 
les  autres  temps ,  sidon  la  même  règle  et  avec  cette 
modération  dans  les  mets  qu'exige  lu  règle.  Qu'ils  se 
contentent  des  pitances  réglées,  s'il  arrive  qu'on  les 
leur  assigne  ;  que  personne  ne  se  fasse  préparer  ou 
apporlor  du  dehors  quelque  chose  do  plus  délicat. 


l 


ADDITIONS.  489 

soit  eu  vivres,  soit  eu  boisson,  et  qu'il  ue  reçoive  pas 
ce  qu  ou  lui  pié8euterait..Que  tout  ce  qui  sera  pré- 
senté soit  porté  devant  celui  qui  préside  au  cou- 
veut,  et  qu  alors  il  dispose,  soit  des  choses  présen- 
tées, soit  des  autres  pitances,  de  telle  laçon  qu'il 
réconforte  la  nature  de  ceux  qui,  étant  déljcats  ou  dé- 
biles, ne  peuvent  user  commo<lénient  des  portions 
coinniuues. 

9.  Que  les  uiuines  ue  se  servent  point,  dans  I  in- 
firmerie et  le  réfectoire,  de  coupes  d'argent  ou  d'or, 
ou  même  de  coupes  ayant  un  pied  ou  un  cercle  d'ar- 
{jent  ou  d'or  ;  qu'il  ne  soit  permis  à  personne  de 
porter  ou  d'avoir  une  ceinture  ou  uu  couteau  avec 
des  ornements  d'or  ou  d'arjjent. 

40.  Que  dans  l'infirmerie  personne  ne  mange  de 
chair,  si  ce  n'est  le  moine  ou  le  con  vers  qui  sera  ma- 
lade, ou  celui  qui  aura  été  envoyé  à  l'inlirmerie  pour 
débilité  de  corps. 

Qu'aucun  moine  ,  en  quelque  lieu  qu'il  soit ,  soit 
dans  une  maison  de  Tordre,  soit  au  dehors,  ne  mange 
de  la  viande,  si  ce  n'est  dans  les  cas  exposés  par  la 
règle. 

Nous  défendons  expressément  ces  réfections  de 
chair,  qu'il  a  été  jusqu'ici  d  usage  de  prendre  dans 
certains  monastères  recommaudables  [du  reste],  à 
desé|>oques  déterminées,  et  de  même  que  nous  in- 
terdisons l'usage  de  la  chair,  de  même  nous  prohi- 
Ijons  les  farces  de  viandes  hachées.  Cependant  »i  le 
cas  de  faiblesse  oblige  un  abbé  ou  un  moine  à  se  nourrir 
ib  ihaii ,  fundaiif  un  voyayt   ifuil  aura  tiUrrpiis,  qu'il 


490  ADDITIONS. 

se  détourne  pour  aller  à  la  maison  religieuse  qu  il  trou- 
vera dans  le  voisinage;  autrement,  qu'il  pourvoie  à  sa 
faiblesse  de  telle  façon  que  sa  nourriture  ne  puisse  ni 
offenser,  ni  scandaliser  le  prochain  pour  lequel  est  mort 
le  Seigneur  Jésus-Christ. 

Si  quelqu'un  prend  sur  lui  de  manger  de  la  chair, 
malgré  la  défense  susdite  ,  qu  il  soit  soumis,  la  pre- 
mière ou  même  la  seconde  fois,  à  la  discipline  régu- 
lière. S'il  pèche  une  troisième  fois,  qu'il  jeûne  au 
pain  et  à  l'eau  la  quatrième  et  la  sixième  férié 
suivante.  S'il  a  tourné  la  chose  en  coutume,  et  qu'il 
ait  refusé  de  se  corriger  après  avoir  été  averti  par  le 
diocésain  ou  par  les  visilateurs,  qu'il  soit  privé  du 
droit  d'administration. 

A^.  Nous  ordonnons  qu'on  pourvoie  aux  frères 
malades  en  fait  de  vivres,  de  lits,  de  serviteurs  et 
des  autres  choses  nécessaires  selon  que  le  requiert 
leur  infirmité,  et  selon  ce  qui  est  contenu  dans  la 
règle.  Si  l'inlirmier  a  été  trouvé  en  défaut  sur  tout 
cela,  qu'il  soit  corrigé  par  l'abbé  propre  ou  par  le 
prieur.  Si  c'est  l'abbé  ou  le  prieur  [qui  est  en  défaut], 
qu'il  soit  puni  d'une  peine  convenable. 

i2.  Nous  voulons  aussi  qu'on  pourvoie  en  temps 
opportun,  tant  les  moines  que  les  convers,  de  vête- 
ments et  de  chaussures  selon  la  règle;  et  nous  dé- 
fendons expressément  que  de  l'argent  soit  donné  à 
quelqu'un  à  cause  de  cela. 

Que  les  moines  sortent  dehors  en  vêtements  com- 
muns  et  religieux  aussi  bien  que  dans  le  cloître  ; 
qu'ils  80  conduisent  honnêtement,  et  ({u'ils  ne  s'en 


ADDITIONS  4î»l 

aillent  pas  sans  capuchon  et  sans  habit  régulier; 
qu  ils  iraient  point  «le  chape  de  couleur,  et  qu'aucun 
d'eux  ne  se  permette  de  voyager  à  cheval  avec  une  selle 
plus  somptueuse  que  la  re[jle  ne  le  permet,  ou  ornée 
de  clous  formant  une  décoration  superflue  ;  qu'ils  ne 
portent  point  d'éperons  dorés  ou  argentés  ;  qu'ils 
s'abstiennent  absolument  d'avoir  aux  freins  des  orne- 
ments eu  fer  poli  ;  qu'ils  n'aient  ni  gants  à  doigis  sé- 
parés, ni  bottes  à  éperons,  mais  que  tout  moine  clie- 
vauckatU  se  serve  de  souliers  attachés  avec  une  courroie, 
et  qui  soient  ronds  et  non  pointus. 

Que  personne,  en  quelque  lieu  que  ce  soit,  né  se 
serve  d'une  tunique  ou  de  vêtements  de  dessus  en 
burnei,  ni  d'autre  étoffe,  ni  de  peaux  de  bêtes  fauves, 
ni  de  chemises  de  lin,  ni  de  linges;  mais  qu'ils  dor- 
ment avec  vêlements  et  ceintures,  selon  qu'il  est  cou- 
tume dans  la  règle;  qu'ils  n'aient  point  non  plus 
d'habits  fendus  par  devant  ou  par  derrière. 

15.  Qu'aucun  prieur  claustral  ou  autre  moine  ne 
s'approprie  ni  chambre,  ni  chevaux,  ni  serviteurs,  ni 
harnais,  ou  n'en  dispute  I  usage  ;  mais  s'il  faut  qu'il 
sorte  par  nécessité  ou  par  utilité  ,  qu'il  soit  pourvu 
en  toutes  choses  nécessaires  par  celui  qui  préside  à  la 
communauté. 

44.  Nous  ordoimons  en  outre  que  tous  les  abbés 
et  prieurs,  avec  l'avis  de  tous  les  frères  dont  ils  sont 
les  chefs,  ou  de  la  majeure  et  de  la  plus  saine  partie 
d'iceux,  lorsqu'il  s'agira  de  contracter  ou  de  renou- 
veler un  emprunt,  le  fassent  de  telle  sorte,  que  tous 
sachent  quelle  est  la  s(»ninu>,  à  qu*'ls  cteanciers  et 


492  ADDITIONS. 

pour  quels  termes  elle  est  due,  à  quels  usages  Tem- 

prunt  contracté  a  été  appliqué. 

Pour  que  Télat  des  maisons  soit  plus  certainement 
connu,  les  officiaux  rendront  compte  raisonnablede 
leurs  ofûces  tous  les  trois  mois,  par-devant  Tabbé,  ou 
le  prieur,  s'il  n'y  a  pas  point  là  d'abbé,  et  par  devant 
les  plus  âgés  de  la  communauté,  en  faisant  le  calcul 
fidèle  de  toutes  les  dépenses  et  les  recettes. 

Que  deux  fois  par  an,  à  savoir  aux  calendes  d'oc- 
tobre, après  la  collection  des  fruits  annuels,  et  aux 
calendes  d'avril,  les  abbés  et  les  prieurs  fassent  con- 
naître clairement  létat  de  leurs  maisons  dans  le  cba- 
pitre,  ou  par-devant  les  plus  âgés,  ou  même  par-de- 
vant les  visitateurs  quand  ils  viendront;  que  l'abbé  , 
que  le  prieur  ou  que  le  prévôt  qui  aura  supprimé 
frauduleusement  des  dettes  importantes,  dans  les 
comptes  susdits,  soit  absolument  privé  de  l'adminis- 
tration qu'il  avait  obtenue. 

Si  un  abbé  ou  un  prieur  a  contracté  un  emprunt 
sans  le  consentement  du  couvent,  que  le  monastère  n'y 
soit  pas  tenu,  à  moins  qu'il  n'ait  été  prouvé  que  cet 
emprunt  a  été  appliqué  à  l'utilité  do  l'église. 

Que  le  monastère  ne  soit  pas  obligé,  par  instrument 
rédigé  au  sujet  d'un  emprunt  contracté,  si  cet  instrument 
n'a  pas  été  revêtu  du  sceau  du  chapitre. 

15.  Qu'aucun  abbé  ou  prieur  n'ose  donner  à  des 
personnes  séculières  un  prieuré,  ou  une  grange,  ou 
une  pension,  ou  une  prébende  monacale;  qu'il  ne 
vende,  ne  commue,  ou  n'aliène  aucune  pension  ou 
possession,  ni  ce  n'est  dans  les  cas  dclroyéspar  le  droit; 


ADDITIONS.  493 

qu'il    n'en   fasse  pas   même   donation;    mais    qu  ii 
sache  que  l'aliénation  lui  est  complètement  interdite. 

40.  Que  les  moines  propriétaires  soient  excom- 
muniés par  leurs  abbés,  et  si  quelqu'un  est  reconnu 
pour  propriétaire  au  jour  de  la  mort,  qu'il  soit  privé 
de  la  sépulture  ecclésiastique,  ou  qu'il  soit  enterré 
comme  une  personne  du  vul^jaire. 

Que  personne  absolument  n  ait  sans  permission 
un  coffre  avec  clef,  si  ce  n'est  à  raison  d  un  office  à 
lui  confié,  et  toutes  les  fois  que  l'abbé  le  demandera, 
que  la  clef  lui  soit  remise;  s'il  eu  est  autrement,  que 
le  moine  soit  réputé  propriétaire  par  cela  même. 

Que  la  sentence  d'excommunication  contre  les 
propriétaires  soit  publiée  solennellement  dans  le 
cbapitre  une  fois  Tan,  à  savoir  le  dimanche  des  Ra- 
meaux ;  si  après  cela  quelqu  un  a  été  trouvé  ayant 
quelque  chose  en  propre,  qu'il  perde  le  bailliage 
qu  il  pourrait  avoir,  et  qu  un  autre  biiilliage  ne  lui 
soit  pas  confié  dans  1  année,  ni  même  désormais,  à 
moins  qu'il  u  ait  restitué  ce  qu'il  avait  en  propre,  et 
qu  il  n'ait  accompli  pénitence  convenable. 

Que  I  abbé  qui  aura  accordé  sciemment  quelque 
chose  en  propre  à  un  moine,  ou  qui  aura  négligé  de 
le  punir,  soit  suspendu  pour  un  temps.  Or,  nous 
entendons  par  propre,  selon  la  règle  du  bienheureux 
Benoit,  toute  chose  qui  n  étant  le  résultat  ni  d'un 
prêt,  ni  d  une  location,  ni  d  un  dépôt,  aura  été  reçue 
par  quelque  moine  ou  convers  que  ce  soit,  en  son 
nom,  et  non  point  au  nom  du  monastère;  si  ce  n'est 
avec  licence  spéciale  de  l'abbé  ou  du  couvent,  et  dans 


494  ADDITIONS. 

les  cas  octroyés  par  le  droit.  S'il  s'ajjit  d'emprunt , 
qu'on  n'aille  point  au  delà  de  cette  quantité,  qui  de- 
vra, d'après  notre  volonté,  être  moflérée  et  taxée  par 
le  chapitre  et  par  Tabbé. 

Que  Tabbé  lui-même  donne  à  chacun,  selon  que 
chacun  aura  besoin,  de  sorte  qu'il  n'y  ait  point  ac- 
ception de  personnes,  mais  considération  en  faveur 
des  malades. 

17.  Nous  défendons  aussi  expressément  à  tout 
abbé  de  concéder  des  immeubles  de  son  église  à  son 
parent  indigent  ou  non  indigent,  ni  même  de  lui 
donner  des  biens  meubles,  à  moins  qu'il  ne  lui  fasse 
quelque  largesse  modique  à  titre  d'aun'ône.  Que 
celui  qui  aura  pris  sur  lui  de  disposer  des  immeu- 
bles, soit  écarté  de  la  même  église;  que  les  prieurs 
et  les  officiaux,  s'il  est  constant  qu'ils  aient  commis 
pareil  délit,  soient  absolument  éloignés  de  leurs  ad- 
ministrations, pour  être  punis,  d'ailleurs,  selon  que 
la  nature  de  la  faute  l'exigera. 

^8.  Que  la  garde  du  cloître,  du  réfectoire,  du 
dortoir  et  du  chœur,  pendant  que  l'on  chante  l'of- 
6ce,  soit  commise  à  des  personnes  désignées.  Qu'il 
ne  soit  permis  à  aucune  femme  d'entrer  dans  les 
susdits  lieux,  ni  dans  le  chœur  pendant  qu'on  y 
chante,  si  ce  n'est  par  hasard,  dans  les  consécrations 
et  indulgences  des  églises  ,  à  la  fête  principale  de 
l'église,  et  aux  obsèques  des  njorls,  occasions  où 
quelques  femmes  pourront  passer  par  le  cloître  ou 
par  le  chœur.  Sont  exceptées  les  nobles  clamas  qui 
sont  les  patronnes  du  monastère,  et  les  autres  nobles 


ADDITIONS.  4«5 

(ianies  à  qui  Ton  ne  pourrait  refuser  Tentrée  sans 
j;rave scandale.  A  icelles  l'entrée  pourra  êlre  octpoyée 
par  l'abbé  ou  par  le  prieur,  à  des  heures  et  des 
lemps  fixés;  sauf  aussi  les  indulgences  accordées  ou 
devant  I  être  à  cet  égard,  par  le  siège  apostolique,  à 
des  personnes  déterminées. 

Si  1  on  est  venu  à  Tencontre  de  la  présente  injonc- 
tion ,  l'oflicial  (»ar  la  porte  duquel  une  femme  sera 
entrée,  ainsi  que  I  abbé  ou  le  prieur  qui  aura  or- 
donne que  cela  se  lasse,  jeûnera  un  jour  au  pain  et 
à  Peau  pour  chaque  fois. 

19.  Que  les  abbés  ou  les  prieurs,  s'ils  ont  avec 
eux  des  serviteurs  séculiers  chevauchant,  de  leur  pro- 
pre domestique  ou  du  domestique  commun,  aient 
soin  d'avoir  des  gens  mûrs  et  recommandables  dont 
le  costume  ne  soit  pas  indécent. 

Que  ce  lie  soient  ni  deg  jeunes  gens,  ni  des  nobles,  ni 
des  parents  à  eux  y  ni  des  hommes  revêtus  d^  habits  rayés, 
ou  ornés  de  boutons  d  argent,  ou  mi-partis,  ou  verts  ou 
rouges;  qu'ils  n'aient  point,  dans  les  maisons  ou  en  pré- 
sence des  religieux,  des  chapelets  de  fleurs  ou  de  feuilles; 
qu'ils  n'aient  ni  chiens,  ni  oiseaux  de  chasse,  ni  échi- 
quiers, ni  instruments  de  jeux  de  hasard,  ni  dés. 

Nous  voulons  aussi  et  recommandons  que  dans 
chaque  monastère  ou  prieuré,  Tabbé  ou  le  prieur, 
ou,  sils  manquent,  les  visitiiteurs,  qui  seront  selon 
le  temps,  re^jlent  Ihospitalité  selon  les  moyens  des 
lieux,  |)Our  que  les  aumônes  soient  faites;  qu'un 
logis  déterminé  soit  consacré  à  recevoir  les  pauvres, 
et  les  autres  hôtes  pauvres,  avec  un  serviteur  con- 


41M»  ADDITIONS. 

veuable  pour  les  servir.  Si  Thospitalité  a  élé  refusée 
à  une  personne  en  religion,  que  celui  qui  aura  été 
alors  chargé  d'exercer  Thospilalité  jeûne  pendant 
trois  jours  au  pain  et  à  Teau. 

20.  Nous  défendons  de  plus,  avec  la  menace  de  la 
damnation  éternelle,  que  les  ()Ossessions  ou  revenus 
affectés  ou  conférés  à  Taumône,  à  Thospitalité  ou  à 
l'infirmerie,  soient  distraits  des  susdits  usages.  Si 
pareille  chose  a  été  jusqu'ici  entreprise,  que  Tabus 
soit  réformé  et  la  coutume  remise  en  son  ancien 
état.  Si  les  abbés  se  permettent  de  contrevenir  à  cette 
défense,  qu'ils  soient  suspendus  de  l'administration 
par  lesvisitateurs  5  si  ce  sont  des  moines,  qu'ils  soient 
suspendus  par  les  abbés,  et  qu'ils  restent  suspendus, 
selon  la  nature  du  délit,  autant  de  temps  qu'il  sera 
jugé  convenable. 

Comme  aucune  fraude  ne  doit  se  glisser  dans  les 
aumônes  dues  aux  pauvres,  que  personne  ne  fraude 
l'aumône,  soit  dans  ce  qui  lui  est  fourni  à  table, 
soit  en  ce  qui  touche  les  vieux  vêtements  ou  les 
vieilles  chaussures,  quand  il  en  reçoit  de  neuvesj 
mais  que  tout  cela  soit  remis  entre  les  mainsde  l'au- 
mônier qui  distribuera  ces  restes  aux  pauvres.  Que 
de  nouveaux  vêtements  ne  soient  donnés  à  personne, 
s'il  ne  rend  pas  en  même  lenips  les  vieux. 

Nous  défendons  aussi  expressément  que  l'on  donne 
aux  moines  libre  permission  de  sortir,  ni  aux 
claustraux  la  faculté  de  revoir  les  choses  séculières, 
bi  CM  n  est  dans  de  tiès-rares  occasions,  pour  une 
cause  raisonnable,  et  pour  un  temps  fort  couri,  et  en 


ADDITIONS.  49T 

leur  assignant  pour  les  surveiller  une  compagnie 
d'Iiommes  mûrs.  Qu'ils  disent  leurs  heures  en  route, 
et  qu'on  fournisse  des  livres  à  iceux.  Que  permis- 
sion soit  refusée  à  tout  moine  de  s'entretenir  avec 
une  femme,  à  moins  que  ce  ne  soit  en  présence  de 
deux  ou  trois  témoins  lionorablts. 

Que  tout  moine  qui  fera  séjour  dans  une  abbaye, 
ou  dans  un  prieuré,  soit  soumis  à  la  peine  infligée 
par  la  règle,  s'il  prend  sur  lui  de  sortir  des  clôtures 
do  la  maison,  sans  la  permission  du  supérieur. 

Nous  enjoignons  aussi  formellement  aux  moines 
qui  séjournent  dans  les  prieurés  extérieurs  de  se 
conformer  aux  mœurs  de  leurs  abbayes  par  la  célé- 
bration du  service  divin,  Thonnéteté  de  leurs  vête- 
ments, et  l'abstinence  de  nourriture,  et  de  se  coucher 
avec  leurs  vêtements  et  leur  ceinture,  aussi  bien  que 
les  moines  dans  le  dortoir  de  l'abbaye.  Nous  voulons 
aussi  que  cela  soit  observé  par  tous  ceux  qui  cou- 
chent en  dehors  du  dortoir. 

Qu'aucun  abbé,  ou  prieur,  ou  moine,  ne  se  permette 
d'avoir  à  demeure  avec  tut,  soit  dans  l'intérieur,  soit 
en  dehors  de  l'abbaye,  aucun  parent  séculier. 

Que  les  femmes  ne  soient  admises  personnelle- 
ment en  aucun  lieu  au  service  des  moines. 

24 .  Enfin,  comme  les  abbés  et  les  prieurs  ne  doi- 
vent ni  courir  ni  vagabonder,  nous  voulons  qu'ils 
siègent  dans  le  cloître  avec  les  frères,  qu'ils  assistent 
nnx  offices  divins,  surtout  aux  veilles,  au  chapelet  et 
à  liï  collation,  ainsi  qu'aux  autres  offices  avec  les 
VII  }2 


A98  ADDITIONS. 

mêmes  frères,  à  moins  qu'ils  n'en  aient  été  empê- 
chés par  cause  nécessaire,  utile  et  honnête. 

Qu'aucun  ahbé  ou  moine  ne  mange  ou  ne  passe 
la  nuit  à  une  lieue  près  de  son  monasière,  ou  d'une 
maison  dépendante  de  son  monastère,  dans  une  mai- 
son séculière. 

22.  An  reste,  comme  dans  beaucoup  de  monas- 
tères la  règle  est  comprise  par  un  petit  nombre 
quand  elle  est  lue,  nous  ordonnons  que  la  lecture 
de  la  lègle,  qui  est  faite  dans  le  chapitre,  soit  aussi- 
tôt après  reproduite  en  langue  vulgaire*,  h  cause  des 
plus  jeunes,  par  (u.lui  qui  tiendra  le  chapitre,  ou  par 
tout  autre  qu'il  jugera  à  propos  d'en  charger. 

25.  Quant  aux  montures  des  abbés,  nous  voulons 
et  enjoignons  qtje  la  restriction  suivante  soit  obser- 
vée; à  savoir  qu'aucun  abbé,  pour  ses  familiers  lui 
faisant  suite,  n^ait  pas  plus  de  dix  montures  et  de 
dix  chemises^ ;  que  chaque  moine  [faisant  suite]  porte 

'  E.rpOiiatur  in  vuUj  ni,  saiw  autre  indication.  Je  ne  pense  pas  que 
le  sens  soit  :  exposée  publiquem  nt.  Ces  mots,  Us  plus  jeunes,  in- 
diquent ceux  qui  ne  sont  pas  encore  familiarisés  avec  la  langue  latine. 

^  SuUus  ubbus  de  familid  mu  ruutiuua  ultra  decern  habeat  equi- 
taturut  :  et  de  iis  quilibet  monachus  aliquem  paniiumportet.  Mous 
adoptons  pour  cette  phrase  difiicile,  à  titre  d'addition,  la  variante  eqvi- 
taturds  vel  caias,  ci\  Visaiiicaraicis.  (Sorte  de  vétemeni  monastique, 
rochet, aube,  surcot,  chinnsU;  nul  pans  de  cliiimsil.  Rom.  de  Garin. 
Voy.  nccANOE  et  CarPENtiek,  ramisa,  ramisia,  cumix.)  Ce  qui 
nous  a  déterminé  dans  notre  traduction,  c'est  que  pauiius  signiliait  aussi 
vêtement  :  es$e  de  puunis  aUcujus,  se  disait  des  familiers  à  qui  le  sei- 
gneur donnait  lex  hahits,  et  dans  le  liin(ja|;e  usuel  des  églises,  piluilUS 
désignait  qucIquefoiH  rhommc  lui-même  :  aliquos  de  Cdpiiulo,  seu 
de  r/ior<j,  sen  de  pimuis  ecrlesifr  (Uintotensis,  «te.  Les  liitniersel 


ADDITIONS.  499 

un  (le  ces  vêlements.  Que  les  abbés  moindres  se 
oontenleol  d  un  moindre  nombre  de  montures,  selon 
les  facultés  de  leurs  maisons. 

24.  Que  tous  les  revenus  de  Tabbaye,  tant  ài\  chef 
tjue  des  membres,  soient  rédijjés  par  écrit;  que  les 
obvenlions  qui  ne  sont  point  fixes  soient  estimées 
iidèlfment,  de  sorte  que  Tabbé  en  ait  un  relevé  par 
devers  lui,  et  le  prieur  un  autre  avec  le  couvent. 
Que  tous  deux  gardent  ces  écrits  en  lieu  secret. 

Nous  décidons  encore  que  si  la  pauvreté  du  lieu , 
ou  le  défaut  de  l'ordre  ,  ou  le  châtiment  d'un  délit 
exige  que  certains  moines  soient  ôtés  de  leurs  de- 
meures propres ,  les  abbés  à  qui  ces  personnes  auront 
été  envoyées  ne  devront  pas  refuser  de  les  recevoir 
autant  de  temps  que  les  visilateurs  Pauront  jugé  con- 
venable, à  moins  que  ce  ne  soient  des  gens  tels  que 
leur  séjour  ne  puisse  être  toléré  sans  grave  scandale. 
Si  les  abbés  se  refusent  à  les  recevoir,  quoique  le 
pouvant,  qu  ils  y  soient  forcés  par  les  visilateurs. 
Quant  à  la  manière  dont  on  doit  procéder  à  l'éjjard 
des  personnes  susdites,  elle  est  contenue  dans  la  con- 
stitution promulguée  par  nous  à  ce  sujet,  et<]ue  nous 
avons  jugé  à  propos  d'insérer  par  précaution  dans  les 
présents  statuts.  En  voici  la  teneur  : 


matiniers  et  autres  des  draps  de  Véglise.  (Carp.,  Pannus  ,  3.)  Ce- 
peniiaot,  en  •'en  référant  à  un  autre  aeni  de  e«*  mot,  on  pourrait  corn 
prendre  auni  :  qu'un  moine  quelconque  porte  uu  des  ptnts  du  vitC' 
metit  de  Vuhbé,  ou  niéme  de  la  housse  du  cheval  de  Cuhhé  ;  car  on 
IrouTC,  quoique  rarement,  camisïa  avec  celle  signific-ilion,  que  1»  tour- 
nure de  la  phraae  ne  rendrait  pa*  improbable. 


500  ADDITIONS. 

«  Pour  que  les  relig^ieux  n'encourent  pas  détriment 
de  leur  pro|)re  saint,  eu  trouvant  une  occasion  de 
vagabonder,  et  que  leur  sang  ne  soit  pas  demandé 
en  compte  aux  mains  des  prélats,  nous  statuons  que 
les  présidents,  dans  les  chapitres  qui  devront  être 
célébrés  aux  termes  des  statuts  du  concile  général , 
soit  pères  abbés,  soit  prieurs,  s'enquerront  soigneu- 
sement chaque  année  des  fugitifs  et  de  ceux  qui  ont 
été  expulsés  de  leur  onire  :  que,  si  ceux-là  peuvent 
être  reçus  dans  leurs  monastères  selon  Tordre  régu- 
lier, leurs  abbés  ou  leurs  prieurs,  après  admonition 
préalable,  seront  forcés,  par  la  censure  ecclésiastique, 
à  les  recevoir,  sauf  la  discipline  de  Tordre.  Si  Tordre 
réguli*^r  ne  le  pornict  pas,  qu\)n  pourvoie,  en  vertu 
de  notre  autorité,  à  ce  que  les  choses  nécessaires  à  la 
vie  soient  fournies  à  ceux-là  dans  des  lieux  convena- 
bles dépendants  des  sus  lits  monastères,  si  la  chose 
peut  se  faire  sans  grave  scandale;  aulrenient,  dans 
d'autres  maisons  religieuses  du  même  ordre  ,  pour 
qu'il»  y  fassent  pénitence.  Si  cependant  ils  trouvent 
désobéissants  les  fujplifs  ou  les  expulsés  dont  il  vient 
d'être  question  ,  quils  les  excommunient ,  et  qu'ils 
les  fussent  déclarer  publiquement  excommuniés  pnr 
les  prélats  des  rglises,  autant  de  temps  que  ceux-là 
négligeront  de  revenir  humblement,  d'après  le  man- 
dat desdits  présidents    » 

25.  Nous  voulons  (|ue  les  nbbés,  ou  les  prieurs  qui 
n  ont  point  d'abbé  propre  dnns  leurs  églises,  fussent 
observer  inviolnltlcmenl  toutes  les  dispositions  susdi- 
tes dans  leurs  monastères,  dans  les  oommuiiautés  dé- 


|)eiiclanles,lesubcdieiicrsetijulies  lieux  à  euxsotiinis. 
Qu'auUenieiil,  les  visilaleui's  punisseiil  régulièrement 
les  Iransgresseurs,  el  fassent  observer  les  choses  sus- 
dites ,  sauf  liéaninoins  la  règle  du  Lieiilieureux  Be- 
noît, qu  ils  devront  avoir  pour  maître  princfpal  dans 
lacorreclion  et  la  réformation  de  Tordre. 

Nous  ordonnons  même ,  en  vertu  de  Tobédience , 
que  Tabbé,  ou  le  prieur,  en  cas  d'absemede  l'abbé, 
fasse  lire  et  expliquer  soigneusement  toutes  les  choses 
susdites  dans  le  chapitre,  trois  fois  par  an,  à  savoir, 
dans  les  octaves  des  fêîes  suivantes  :  la  naissance  du 
Seigneur,  la  résurrection  pascale  et  Tassomplion  de 
la  bienheureuse  Vierge. 

Que  Tahhé  observe  soigneusement  toutes  ces  ciio- 
ses  ,  el  (ju  il  les  fasse  observer  soigneusement  par  les 
irtjlres.  Autrement ,  s'il  a  été  trouvé  négligent  dans 
leur  observation  ,  qu'il  soit  puni  selon  la  nature  de 
sa  transgression  ou  de  sa  négligence,  de  telle  façon 
que  son  châtiment  serve  d'exemple  aux  autres.  S'il 
arrive  que,  par  l'exigence  de  ses  fautes,  un  abbé  soit 
privé  de  l'administration,  qu'aucune  provision  de  re- 
>enus  en  aucune  manière  n'ait  lieu  en  sa  faveur, 
mais  que  Ton  pourvoie  plutôt  à  son  âme,  afin  qu'il 
fasse  pénitence  î-aluluirc  (>es  fautes  commises. 

Nous  enjoignons  aussi,  sous  menace  du  jugement 
divin,  aux  abbés  qui  présideront,  selon  le  temps,  le 
chapitre  provincial  ,  d'instituer  dans  ledit  chapitre 
provincial  des  visitateurs,  hommes  prudents,  pré- 
voyants et  craignant  Dieu  ,  qui  visitent  dans  l'année 
toutes  les  abbayes  el  tous  les  prieurés  n Vyant  pas. 


502  ADDITIONS, 

d'abbés  propres  de  la  môme  province,  et  qui  procè- 
dent, en  fait  de  correclion  et  de  reformation ,  selon 
notre  présente  ordination ,  de  telle  sorte  qu'ils  laissent 
sous  leurs  sceaux,  à  chaque  monastère,  le  détail  des 
choses  dont  ils  auront  ordonné  la  correction,  et  qu'ils 
remportent  ce  même  relevé,  pour  le  remettre,  dans 
le  chapitre  de  l'année  suivante,  aux  visitateurs  qui 
devront  les  remplacer.  Par  ainsi,  toute  désobéissance 
ou  transgression  commise  par  les  monastères  sera 
connue. 

Que  les  visitateurs  de  chaque  province  nous  récri- 
vent de  cinq  ans  en  cinq  ans,  afin  de  nous  instruire 
de  ce  qu'ils  auront  réformé  et  de  ce  qu'ils  auront  éta- 
bli pour  être  observé. 

Qu'aucun  homme  donc,  etc.  Donné,  etc. 


11. 


Réponses  du  colvent  de  Saint-Albans  au  sujet  de 
L  OBSERVATION  DE  CES  STATUTS.  (Extrait  de  VAucia- 
rium.) 

A .  Nous  statuons  enpremier  lieu,  etc.  Ce  premier  statut 
est  observé  ;  car  tous  sont  présents  ,  à  l'exception  de 
l'abbé,  ainsi  que  de  seschapelams  et  autres  obédien- 
ciers,  occupés  à  Texercice  de  leurs ollices,  —Item,  que 
la  confession  générale  ait  lieu ,  non-seulement  tous 
les  mois,  mais  môme  tous  les  jours,  quand  il  sera 
nécessaire.  Toutes  les  autres  dispositions  contenues 
au  fiiônie  statut  sont  observées  selon  la  teneur  d'ice- 
lui. 


I 


ADDITIONS.  503 

2.  Qu'on  fasse  coimaUre,  etc.  Ce  secoud  statut  est 
observé  en  tous  points  dans  l'église  de  Saint-Albans, 
avec  cette  addition  que  les  novices  peuvent,  sils  le 
veulent,  faire  profession  av;inl  Texjjiralion  de  la  pro- 
bation '. 

3.  Que  les  prieurés ,  etc.  Ce  Iroisiènje  statut  est 
observé,  et  lous  octroient  son  observation. 

4.  Ce  statut  est  observe  semblablement. 

ri.  Ce  statut  est  observé,  si  ce  n'est  que  dans  une 
petite  île  appelée  Koket  '  réside  un  seul  moine,  qui 
est  regardé  comme  un  ermite;  le  lieu  lui-même  est 
regardé  comme  un  ermitage.  H  y  a  aussi  un  autre 
solitaire  dans  une  forêt. 

0.   Lorsqu  un  abbé,  etc. 

7.  Quant  aux  frieurs,  etc. 

8.  Quant  à  li  qualité  des  mets,  etc.  Ces  trois  statuts 
sont  donnés  pour  être  observés,  le  dernier  avec  ra- 
doucissement qu  il  contient. 

9.  Que  les  moines  ne  se  servent  point,  etc.  Ce  statut 
ne  peut  être  observé  sans  dommage  dans  son  entier, 
parce  que  plusieurs  ont  légué  des  coupes  précieuses, 
avec  cercles  et  avec  pieds,  par  des  motifs  de  religion 

*  Celt»  .iddilioii  aous  temhle  uii  moyen  d'éluder  I Vsprit  du  sUtut,  qui  dé- 
roye  lui-même,  comme  nous  l'avoos  remarqué,  à  celui  de  ltî58.  Kn  effet, 
rintfotion  formelle  du  pape  est  que  Tannée  de  noviciat  soit  complète.  Il 
%tn\  prévrair  aiiifi  des  ru-ux  imprudents  prononcés  dans  la  première  fer- 
reuf  in  «êle.  Miiis  les  réponses  du  couvent  annoncent  bien  que  les 
motonoe  veulent  point  accepter  ces  réformes  sans  restriction.  Au  reste, 
U  plupart  de  leurs  objections  paraissent  fort  sensées. 

»  C'est  un  rocher  st<  rile  situé  dans  la  mer,  sur  Ui  côtes  du  Norlliura- 
lierlaod,  à  environ  sept  lieues  au  nor  I  de  Tynt-m  <ulh. 


504  ADDITIONS. 

et  d'honnêteté.  Or,  les  briser  serait  rliose  nuisible. 
En  effet,  quelques-unes  de  ces  coupes  sont  reliées  de 
cercles  non  pour  ornement,  mais  pour  rendre  le 
vase  plus  fort  et  plus  commode  ;  par  exemple,  pour 
que  le  bord  de  la  coupe  ne  se  fende  pas  de  côté  et 
d'autre.  Il  faut  savoir  aussi  qu'on  ne  permet  point 
dans  le  réfectoire  l'usage  d'une  coupe  à  pied,  si  ce 
n'est  seulement  à  la  grande  table  que  nous  appelons 
le  dais',  et  on  ne  l'y  permettra  pas  non  plus;  mais 
cette  exception  a  lieu,  parce  que  le  pape  Adrien  a  en- 
voyéà  l'abbéet  au  couvent  de  Saint-Albans  une  coupe 
à  pied  que  Ton  garde  encore  avec  respect  en  mémoire 
de  lui,  et  qu'il  a  recommandé  qu'on  se  servît  de  cette 
coupe  dans  le  réfectoire  en  mémoire  de  lui.  En  outre, 
il  arrive  fréquemment  que  les  évêquesetlesabbés  du 
dehors  mangent  à  cette  table;  or  il  est  convenable 
qu'onseserved'unepareillecoupe  pourleur  faire  hon- 
neur. Telle  est  aussi  la  décision  qu'ont  prise  nos  pieux 

'  De'.s  (texte  hic).  Ducan|;e  dit,  à  propos  de  ce  mot  :  «  C'est peut-tUre 
1  la  table  au-dessus  de  laquelle  était  suspendu,  comme  au-dessus  de  la 
''  plus  honorable,  un  voile  que  Ton  appelait  dais.  C'était  Tusage  pour 
«  les  rois  et  pour  les  seijjneurs,  et  même,  si  je  ne  me  trompe,  pour  les 
<•  abhé»  dans  les  réfectoires  de  moines.»  Cette  table,  plus  élevée  que  les 
antres,  t'appelait  Dn.<ii(m  au  réfectoire  de  Saiut-Germain-des-Prés.  (  Voy. 
ces  deux  mots  et  Dagus.)  C'était  sur  le  dais  qu'on  déposait  les  mets  qui 
devaient  être  distribués  aux  pauvres.  Walter  Scott  rappelle  Tusage  du 
dais  dans  IvauhoC,  chap.  m.  «  Le  plancher,  dans  le  quart  de  lu  lon- 
«  gueur  de  cette  aallc,  dit-il,  était  plus  élevé  d'environ  six  pouces,  et 
'•  cet  espace,  qu'on  appelait  le  ^/«t.f,  était  réservé  aux  piincipaux  membres 
•  delà  famille  et  aux  hùtes  do  distinction.  A  cet  effet,  une  table  riche- 
H  ment  couverte  d'un  drap  écarlatc  était  placée  tranivcrialement  sur 
«  rette  estrade  ou  platc-fornie,  etc.  m 


ADDITIONS.  505 

Itères,  eu  cousidérniil  tant  rhonnétetéqiie  I  ulililé;  el 
ii  leur  paraissait  que  cela  était  licite,  puisque  saint 
IJenoîl  (lit  dans  la  règle,  que  des  choses  de  celte  es- 
pèce (ainsi  que  des  choses  bien  plus  importantes) 
sont  à  la  disposition  de  Tabbé,  Même  décision  a  été 
prise  à  Tégard  des  souliers  à  courroies,  puisque  cela 
tie  fait  point  partie  intégrante  de  la  règle  dont  nous 
il  vous  fait  profession. 

^0.  Que  dans  l'infirmerie,  etc.  Le  statut  est  observé, 
qui  porte  que  des  viandes  broyées  ne  seront  pas  man- 
gées dans  le  réfectoire;  et  cVsl  là  une  ancienne  cou- 
tume usitée  dans  le  même  réfectoire. 

M .  ISous  ordonnons  qu'on  pourvoie,  etc.  Ce  statut  est 
observé,  et  on  en  octroie  l'observation . 

\2.  Nous  voulons  aussi,  etc.  Ce  statut  est  observé,  si 
ce  D'est  que  les  moines  en  voyage  se  servent  de  gants, 
de  peur  que  leurs  mains  avec  lesquelles  ils  touchent 
les  objets  qui  sont  à  l'usage  de  l'autel  ne  soient 
noircies  par  leurs  chapes,  qui  sont  noires;  ce  n'est 
point  par  ornement,  ni  même  pour  ne  point  avoir 
froid.  Eu  outre,  d'après  le  mûr  examen  des  pères,  les 
souliers  à  courroies  ont  été  changés  pour  dessouliers 
plus  convenables,  tant  à  cause  de  l'honnêteté,  qu'afin 
qu'on  puisse  se  rendre  au  service  divin  avec  plus  de 
promptitude  el  de  facilité,  en  entendant  le  son  de  la 
cloche,  selon  que  Tenjoint  le  bienheureux  Benoît 
dans  sa  règle.  11  arrivait  aussi  fréquemment  dans  les 
processions  (occasions  où  il  est  de  loule  nécessité 
que  le  couvent  s'avance  avec  ordre  el  sans  empêche- 
ment) que  les  cordons  de  h  chaussure  de  quelque 


506  ADDITIONS. 

frère,  venant  à  se  détacher  el  à  se  dénouer,  embarras- 
saient la  marche  du  frère  qui  marchait  derrière  :  ce 
qui  oblijjeait  le  couvent  tout  entier  à  s'arrêter^  jus- 
qu'à ce  que  les  cordons  eussent  été  renoués,  ce  qui 
d'ailleurs  salissait  '  les  mains. 

^5.  Qu'aucun  prieur^,  etc.  Ce  statut  est  observé  en 
tous  points. 

14.  Nous  ordonnons  en  outre,  etc.  Ce  statut  est  ob- 
servé, si  ce  n'est  que  les  obédienciers  ne  rendent 
compte  de  leurs  obédiences  qu'une  fois  dans  l'année, 
à  «avoir  vers  la  fête  de  saint  Michel,  alors  que  les 
fruits  ont  été  levés;  et  il  a  été  prouvé  que  c<da  suffit. 
Quant  aux  autres  personnes  qui  sont  établies  en  de 
moindres  offices,  elles  rendent  compte  non-seulement 
pendant  l'annécou  pendant  le  mois,  mais,  bien  plus, 
de  semaine  en  semaine,  et  quelquefois  môme  de  jour 
en  jour. 

-15.  Qu'aucun  abbé,  etc.  Ce  statut  est  observé. 

16.  Que  les  moines  propriétaires,  etc.  Ce  statut  est 
observé  selon  la  constitution  de  saint  Benoît,  du  sei- 
gneur pape  et  des  pères. 

17.  Nous  enjoignons  aussi,  etc.  Nous  observons  ce 
statut. 

AS.  Que  la  garde  du  cloître,  etc.  Ce  statut  doit  être 
observé;  que  Tabbô  y  veille. 

^9.  Que  les  abbés,  etc.  Que  l'abbé  veille  en  cela  sur 
lui-même. 


*  Manus  fadttbaut.  Ce  ilci  nier  mol  ii'esl  dans  iiucuii  glussuiic.  iNoiis 
lifont  rolonlicri  ftt'ciscebnnl  (tHro^tiiclir  dt-  lie,  <lc  lioui'). 


ADDITIONS.  507 

20.  Sous  défendons  de  phis,  etc.  Ce  s'alut  esl  ob- 
servé. 

21.  Enfin,  etc.  Ce  statut  est  observé. 

22.  Au  reste,  etc.  Ce  statut  est  observé. 

25.  Quant  aux  montures,  etc.  Que  Tabbé  veille  à 
lela. 

24.  Que  tous  les  revenus,  etc.  Nous  consentons  à  ce 
(|ue  celd  soit  observé. 

25.  Nous  voulons  que,  etc.  Toutes  les  dispositions  sus- 
dites, etc.  Nous  consentons  é{Talement;  nous  étendons 
le  même  consentement  aux  religieuses. 

XX. 

Minée  ^  231 .  —  Voir  la  page  253  de  ce  volume  el  la  iMige  492  du 
liTiicédeiU . 

Statcts  des  abbés  de  l'ordre  Noir.  —  A  tous  tant 
«ju'ils  sont,  etc.  —  En  vertu  de  l'office  d'administra- 
tion qui  nous  a  été  conféré,  nous  nous  regardons 
comme  efficacemenl  obligés  à  être  tenus  de  recevoir 
avec  bienveillance  les  mandements  de  nos  supérieurs, 
et  à  les  accomplir  avec  humilité,  quand  nous  les 
avons  reçus.  Comme  donc,  le  jour  de  saint  Matthieu, 
Tan  du  Seigneur  12^9\  nous  nous  étions  rassemblés, 

*  .Nous  pro|iosou$  1251 .  L'iutroductiou  de  ces  statuts  semble,  il  est  vrai, 
auuoocvr  pour  date  4249,  el  le  premier  renvoi  inditiué  p^r  !\Iatl.  Paris 
se  trouve  en  effet  daut  celle  auix'e.  Mais  plusieurs  considerations  nous 
ontdécidéà  ne  donner  cc'tte  addition (|u'au  second  renvoi  de. Mutt.  l'âris, 
r'etl-à-direàrauiièe  I2.*)l .  La  vitilatiun de  Thibaut  etdeJac(|ue8  n'eut  lieu 
•|u'en  1251.  ils  firent  lire  dans  le  chapitre  de  SainUAlbans  les  nouveaux 
Matuts.  dont  l'eiérution  nVtait  obligatoire  que  di  ptiis   pni    de   temps. 


508  ADDITIONS. 

de  concert  avec  les  vénérables  pèies  de  noire  ordre , 
à  Oxford,  pour  y  célébrer  un  concile  général,  et  que 
iiuit  abbés  de  notre  ordre  seulement  s'y  trouvèrent 
réunis,  nous  jugeâmes  apropos,  après  mûre  délibé- 
ration, de  proroger  jusqu'au  lendemain  de  la  Saint- 
Edouard  ,  c'est-à-dire  jusqu'au  jour  desainlCalixte, 
pape  ' ,  à  cause  de  l'absence  des  prélats ,  le  jour  où 

puisqu'ils  n'avaient  rrçu  leur  forme  définitive  qu'après  avoir  été  discutés 
dans  plusieurs  assemblées  successives.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  qu'à  l'année 
4249,   Matt.  Paris  annonce  que  le  statut  relatif  à   la  collecte  qui  doit 
être  dite  pour  le  roi  et  la  reine  ne  se  trouve  p.is  parmi  les  statuts  rédigés 
à  Berdmondsey ,  tandis  qu'il  se  trouve  mentionné  à  l'avant-dernier  ali- 
néa des  statuts  que  nous  traduisons  sous  le  présent  numéro.  Guill.  Wals, 
à  la  remarque  déjà  citée,  y  voit  un  défaut  de  mémoire  ;  ce  qui  nous  pa- 
rait peu  admissible.  Sans   doute  il  est  difficile  de  concilier  les  faits  : 
Malt.  Paris  parle  d'une  assemblée  h  Berdmondsey,  le  14  octobre  42i9, 
et  l'addition  place  cette  même  assemblée  a  Sa  in  te- M  a  rie  deSouthwark, 
Mais  nous  pensons  que  toute  la  difficulté  vient  de  ce  que  les  éditeurs, 
trouvant  la  date  omise  ou  effacée,  ont  ajouté  légèrement  l'indication 
t2-i9,  écrite  d'ailleurs  on  chiffres  modernes.  Nous  pensons  que  les  fait» 
peuvent  être  considérés  comme  il  suit,  si  l'on  admet  notre  correction 
1251.  l/assemblée  tenue  à   Berdmondsey,  et  que  iMatt.  Paris  rappelle 
en  disant  sirut  provisum  fuit  apud  Sanctum  Sahatorem  LotidUii 
iSaint-Sauvcar  et  Berdmondsey  sont  un  seul  et  même  lieu),  pose  les  bases 
de  la  réforme  monastique.  Elle  s'ajourne  ensuite  au  prochain  chapitre 
qui  doit  être  tenu  à  Oxford,  le  jour  de  saint  Matthieu  (21  septembre) 
l2.')l.  Les  abbés,  n'étant  pas  en  nombre,  se  réunissent,  le  14  octobre  de 
la  même  année,  à  Sainte-Marie  deSouthwark,  et  arrêtent  définitivement 
leurs  statuts.  Dans  ce  synode,  les  visi^ateurs  désignés  par  l'assemblée 
de  Berdmondsey,  et  qui  devaient  d'abord  se  rendre  à  Sainl-Albans  le  9 
octobre,  jour  de  la  Saint-Denis,  acceptent  un  délai  jusqu'au  premier  di- 
manche avant  lu  Toussaint.  L'introduction  est  donc  postérieure  aux  sta- 
tuts, parmi  lesquels  il  faut  distinguer  ceux  qui   appartiennent  déjà  à 
l'.-issemblée  de  Berdmondiey  et  i-eux  (|ni  sont  ajoutés  |)ar  rnsseinhiée  de 
Sainte- Marie. 

14  nrlobre.  11  iiciagil  donr  p.ts  de  l.i  fêle  de  s.tinl  Kdouard-lv-Oon- 


ADDITIONS.  509 

devail  être  célébré  ce  chapitre ,  et  nous  tixânies  le 
lieu  à  Soulhwark,  près  de  Londres,  dans  l'église  de 
la  bienheureuse  Marie.  Lesvénérables  pères  de  notre 
ordre  s'étant  rassemblés  à  Soulhwark,  selon  que  nous 
le  leur  avions  enjoint,  pour  traiter  salutairement  de 
Tétat  monastique;  avec  le  commun  assentiment  des 
abbés  et  des  prieurs  nous  assistant,  nous  avons  jugé 
à  propos  ,  après  avoir  retranché  quelques-uns  des 
statuts  des  chapitres  précédents,  et  en  avoir  ajouté 
d'autres,  d'adopter  une  forme  certaine,  et  de  statuer 
en  ces  termes  les  articles  qui  vont  suivre,  pour  la 
réformation  de  Tétat  de  notre  ordre. 

Avant  tout,  par  Tinspiration  de  l'Esprit-Saint,  il  a 
été  statué  que  les  abbés  et  les  prieurs  se  conduisant 
régulièrement,  quant  à  l'extérieur  et  au  genre  de  vie, 
s'efforceraient  d'assister  d'une  manière  opportune 
au  chapitre  et  au  cloître  ,  pour  entendre  les  confes- 
sions et  pour  instruire  les  frères  par  la  voie  de  l'exem- 
ple, au  chœur  pour  les  offices  divins,  et  au  réfectoire 
pour  les  consolations  fraternelles,  toutes  les  fois  que 
ni  rinlirmité  ou  la  faiblesse  corporelle,  ni  Tutililé 
de  l'égiise,  ni  toute  autre  cause  raisonnable  ne  ser- 
virait d'empêchement;  que  les  abbés  et  prieurs  ne  se 
porteraient fidéjusseurs  pour  personne,  et  ne  s'obli- 
geraient par  charte,  ni  eux  ni   leurs  monastères, 
pour  qui  que  ce  lût;  qu'ils  n'entreprendraient  de  rien 
faire  sur  les  t*  rres  ou  les  revenus  du  monastère  qui 

teueur,  dont  la  fête  m  célébrait  le  4  janvier,  maia  de  celle  d'oa  autre  mi 
iaioo  antérieur  d^un  siècle.  Cette  dernière  enl  habituellement  appelée, 
dans  Malt.  Pftria,  la  trauxlntiou  de  nnut  Edouard. 


510  ADDITIONS 

fût  contre  riionnêtelé  de  la  reli<;ion  ou  Tulilité  de 
leur  nionaslèrc  ,  ni  de  faire  une  perpétuelle  aliéna- 
tion ' ,  à  la  lésion  manifeste  dudit  monastère;  qu'ils 
ne  concéderaient  à  personne  ,  sans  le  conseil  et  Tas- 
sentiment  de  leur  couvent,  des  terres  coutumières 
en  liberté,  des  terres  nouvelles  en  feudations,  ou  des 
pensions  héréditaires,  ou  des  amorlissenrtents  ;  qu'ils 
n'auraient  point  des  serviteurs  excédant,  en  nombre 
ou  en  appareil,  une  honnête  mesure,  et  d'où  Tordre 
monastique  pût  être  en  rien  accusé  de  légèreté;  que, 

*  L'aliénation  des  terres  féodales  aux  gens  de  mainmorte  étiit  deve- 
nue, au  treizième  siècle,  d'un  usage  si  général,  qu'en  Angleterre  le  par- 
lement entreprit  maintes  fois  de  restreindre  ces  aliénations  de  tenures, 
au  moins  jusqu'à  concurrence  des  services  dus  aux  seigneurs.  (  Voy 
aussi  les  articles  03  et  64  de  la  grande  Gliarte.  )  D'autre  part,  il 
arrivait  fréquemment  que  les  seigneurs  troublaient  les  ecclésiastiques 
dans  la  libre  possession  de  leurs  acquêts  ,  et  voulaient  les  forcer  à  sVu 
dessaisir.  GVst  ainsi  que,  sous  saint  Louis,  les  communautés  sVtant 
plaintes  au  pape  Alexandre  IV,  obtinrent  le  droit  d'acquérir  en  main- 
morte, moyennant  un  tribut  qui  compensât  le  bénéfice  qu'aurait  produit 
le  droit  de  mutation,  si  les  terres  fussent  restées  dans  le  commerce  ordi- 
naire. rbilippe-Ie-IIardi,  en  127.'>,  et  Cbarles-le  Bel,  en  1520,  suivirent 
ret  exemple,  et  f.ivoriscrent  les  amortissements  et  les  acquisitions  de  ro- 
tures qui  devaient  tourner  au  prolitdu  pouvoir  royal.  Aussi  dans  le  p;i8sage 
qui  nous  occupe,  \oyon8  nous  les  abbés  occupés  drjà  à  se  prémunir  non 
plus  contre  les  réclamations  des  seigneurs,  mais  contre  le  morcellement 
et  l'aliénation  des  (erres  dé  mainmorte  qu'ils  avaient  en  leur  possession. 
(^01  In  ce  qui  nous  semble  ressortir  du  passage  entier,  et  surtout  du  mot 
Itberalione.i,  que  nous  traduisons  paramoilisscments.  Ce  motadeilxsens 
à-notrc  avis  :  ou  il  signifie  exemption  du  droit  de  mainmorte  (dans  le 
scnJi  de  servitude  de  la  glèbe)  et  reviendrait  n  affrnncliissemcnt  des 
hommes  de  poestc  ,  ou  il  indique  concession  de  terres  à  titre  perpétuel 
{lihrrnlio  à  atdurilafe).  ("est  ce  dernier  sens  que  nous  adopterons  ici. 
],PH  terres  de  mainmorte  se  divisent,  parce  que  l'ambition  des  roturiers 
suit  le  progrés  Au  commerce  et  des  libertés  municipales. 


ADDITIONS.  S  H 

quand  des  conlrats  mutuels  devraient  être  faits,  les 
prélats  procéderaicnl  de  façon  à  faire  connaître  aux 
frères  qu'ils  pourraient  en  instruire  quelle  serait  la 
somme  d'argent,  sur  quelles  sûretés  (?)',  à  quelles 
conditions  el  pour  quels  termes  elle  serait  due;  à 
quels  usajjes  l'emprunt  contracté  serait  appliqué.  — 
Si  quelqu'un  lait  un  contrat  relatif  à  un  emprunt, 
sîins  le  consentement  du  chapitre,  le  monastère  ne 
sera  nullement  obligé,  à  moins  qu'il  ne  soit  prouvé 
par  hommes  dignes  de  foi  que  ledit  emprunt  a  été 
appliqué  à  l'utilité  manifeste  du  monastère.  —  Que 
les  prélats  enjoignent  aussi  formellenient  à  ceux  qui 
seront  institués  dans  les  administrations  de  n'in- 
(juiéter  personne  ,  de  n'élever  de  réclamation  contre 
personne,  de  n'opprimer  personne  par  des  injustices 
ou  Jes  exactions  indues,  de  ne  pas  vendre  plus  cher 
au  terme,  el  de  ne  pas  faire  de  contrats  déshonnêtes. 
Que  tous  les  prélats,  une  fois  l'an,  donnent  lecture, 
en  présence  du  couvent,  de  l'état  de  leur  maison,  et 
que  les  obédienciers,  en  présence  de  1  abbé  ou  du 
prieur,  quand  il  n'y  a  point  d'abbé  en  propre,  ainsi 
que  par-devant  quelques-uns  des  plus  discrets  de  la 
maison  convoqués  à  cet  effet,  rendent  deux  ou  quatre 
fois  l'an,  si  faire  se  peut,  des  comptes  fidèles  de  toutes 
les  recettes  el  de  toutes  les  dépenses ,  afin  qu'on 
obtienne  des  renseignements  certains  sur  l'amélio- 
ration ou  la  détérioration  du  monastère. 

Que  le  jeune  d  hiver,  dejiuis  la  fête  de  Texaltation 
de  la  Sainte-Croix  ju^qu'à  Pâques,  soit  observé  ré- 

'  Cettificaliottibus,  nous  lirioiu  \uluuliers     rid-loi iius^  coiifornir- 
ineiil  au  «Ulut  i  i  de  l'additiMn  |»roc^denle. 


5^2  ,  ADDITIONS. 

gulièrement  par  tous,  sauf  dispense  pour  les  faibles, 
poui  ceux  qui  auront  été  saignés  '  (?),  et  pour  ceux 
qui  portent  le  poids  du  jour  et  de  la  chaleur;  laquelle 
dispense  pourra  leur  être  octroyée  par  leurs  prélats, 
quand  besoin  sera. 

Pour  que  les    pauvres  ne  soient  pas  frustrés  des 
aumônes  qui  leur  sont  dues,  il  a  été  décidé  que  tout 
ce  qui  doit  être  servi   serait  servi  sans   diminution 
dans  le  réfectoire ,  dans  Tinfirmerie,  et  partout  ail- 
leurs où  les  moines  se  restaurent;  que  tout  le  reste 
de  ce  qui  aurait  élé  servi  serait  donné  en  aumône  , 
pour  èlre  distribué  fidèlement  aux  pauvres  par  Tau- 
mônier  ;  que  ceux  qui  mangeraient  raumône  à  leur 
j)rofi(,  sMs  ne  se  corrigeaient  pas  après  avoir  été  ré- 
primandés une  fois,  deux  fois,  et  trois  fois  dans  le 
chapitre,  en  présence  de  tous,  jeûneraient  pendant 
trois  jours  de  suite,  au  pain  et  à  Peau  ,  pour  servir 
d'exemple  aux  autres. — Pour  que  l'aumône  soit  plus 
efficacement  observée ,  les  portes  du  cloître  seront 
fermées  tant  que  le  couvent  sera  à  dîner  ou  à  souper, 
et  on  en  interdira  Taccès  aux  séculiers,  si  la  disposi- 
tion du  lieu  le  permet.  Les  obédienciei*8  ne  fourni- 
ront pas  à  la  subsistance  de  leurs  serviteurs. 

Quant  à  Tusage  de  la  chair ,  il  a  élé  ainsi  réglé 
que  tous  régulièrement  devaient  s'abstenir  de  chair, 
en  maintenant  toutefois  la  modification  de  la  décré- 
tale  :  Cum  ad  monasticum...,  etc.  —  Quant  aux  obé- 
dienciers  séjournant  au  dehors,  et  aux  frères  se  trou- 
vant en  voyage  pour  les  affaires  de  la  maison  ,  il  a 

'  Miiiutii.  Sitnguine  e*i  prohnM«mpiit  •ou(-«nl«n(lu. 


ADDITIONS.  515 

élé  sUilué  que  publiquement,  en  présence  et  dans  la 
eonvocaliou  solennelle  des  séculiers,  ils  ne  se  nourri- 
raient point  de  chairs,  à  moins  d^une  dispense,  qui 
pourra  leurêtreoclroyéepar  leur  prélat,  selon  le  lieu 
et  le  temps,  et  dans  les  cas  nécessaires,  ainsi  qu'il  sera 
avantageux,  et  d'après  Texigence  de  chacun  et  la  dis- 
cipline de  Tordre;  mais  que  la  faculté  de  manger  de 
la  chair  soit  interdite  complètement  à  ceux  qui  se- 
ront négligents  dans  le  service  divin,  qui  seront  dés- 
obéissants, et  qui  troublerontia  paix  des  frères;  qu'on 
ne  leur  accorde  point  facilement  la  permission  de 
sortir  du  monastère. 

Que  le  silence,  aux  heures,  lieux  et  temps  fixés, 
soit  observé  inviolablement  par  tous;  que  pendant 
les  conversations  permises  dans  le  cloître  et  ailleurs, 
on  s'abstienne  de  paroles  déshonnétes,  de  discours 
vaniteux  et  de  médisances;  que  les  contrevenants 
soient  soufnis  à  la  discipline  régulière.  —  Comme 
quelques-uns  après  le  dîner  sont  plus  disposés  à 
dire  ce  qu'il  ne  faut  pas  dire,  qu  à  dire  ce  qui  pour- 
rait édifier  les  auditeurs,  il  a  été  statué,  afin  d'aug- 
menter le  culte  de  la  justice,  qui  est  observé  par  le 
silence,  que  la  conversation  qui  a  coutume  d'avoir 
lieu  après  le  dîner  dans  quelques  cloîtres  serait 
complètement  interdite,  et  qu'à  la  place  on  s'occupe- 
rait plus  abondamment  de  repasser  des  méditations 
et  des  lectures.  Que  l'on  suspende  aussi  à  l'avenir 
la  boisson  dans  le  réfectoire,  après  la  neuvième 
heure  en  tenqjs  d'été;  qu'à  ce  nionient  où  le  cou- 
vent avait  coutume  d'aller  au  réfectoire,  il  revienne 
VII.  55 


5U  ADDITIONS, 

au  cloître  pour  attendre,  dans  la  contemplation,  le 
coup  de  cloches  annonçant  vêpres. — Il  est  décidé  que 
la  cervoise,  qui,  depuis  un  temps  ancien,  était  assi- 
gnée pour  ladite  boisson,  en  certains  lieux,  sera 
apportée  dans  le  réfectoire,  d'après  le  droit  ordi- 
naire, pour  être  affectée  aux  besoins  des  pauvres. 

Que  les  moines  ne  soient  point  reçus  à  prix  d'ar- 
gent, et  qu'ils  n'aient  point  la  faculté  d'avoir  un  pé- 
cule, si  ce  n'est  pour  administration  qui  leur  aura 
été  con6ée.  Que  ceux  qui  auront  un  pécule  en  tout 
autre  cas  soient  séparés  vivants  de  la  communion 
de  l'autel.  Quant  à  ceux  qui,  à  l'extrémité,  aurontété 
trouvés  avec  un  pécule ,  qu'il  n'y  ait  point  d'obla- 
tion  faite  pour  eux,  et  qu'ils  ne  reçoivent  point  la 
sépulture  parmi  les  frères. 

Que  chaque  moine  ne  reste  pas  [seul]  en  chaque 
lieu.  —  Que  les  moines  n'écrivent  point  ou  n'enlu- 
minent point  de  livres,  grands  ou  petits,  sans  la 
permission  de  leur  prélat,  à  moins  que  ces  livres  ne 
doivent  être  appliqués  à  l'usage  du  monastère. 

Que  les  novices  soient  surveillés  avec  garde  vigi- 
lanto  et  discrète;  qu'ils  ne  soient  pas  librement  mis 
hors  de  garde  ni  promus  à  l'ordre  du  sacerdoce, 
jusqu'à  ce  qu'ils  soient  versés  dans  les  choses  qui 
regardent  la  discipline  de  l'ordre,  lesquelles  choses 
ils  sont  tenus  de  savoir  par  cœur,  selon  la  coutume 
approuvée  du  monastère,  et  selon  les  statuts  du  con- 
cile et  la  profession  de  la  règle,  et  quand  les  prélats 
le  jugeront  convenable.  —  Que  les  moines  n'aient  ni 
coffre  ni  clef,  cl  qu'ils  ne  soient  pas  o(tu|u'!S  à  un 


ADDITIONS.  Sn 

oHice  extérieur;  qu  ils  ne  soient  pas  envoyés  hors  du 
monastère,  si  ce  n  est  pour  nécessité  ou  utilité  mani- 
feste, et  à  moins  qu'ils  n  aient  vécu  d'une  manière 
louable  dans  le  cloître  pendant  deux  ans  aupara- 
vant; excepté  les  vieillards  et  les  personnes  jjraves  à 
qui  leur  prélat  pourra  accorder  dispense,  quand  il 
le  jugera  bon. 

Comme  la  confession  contraire  à  Torgueil  conserve 
l'humilité  et  confère  la  grâce  de  pénitence,  il  a  été 
statué  que  les  moines  aussi  bien  que  les  novices  se 
confesseraient  au  moins  une  fois  l'an  à  leur  abbé, 
sauf  néanmoins  les  confessions  privées  qui  doivent 
être  faites  chaque  jour  sur  les  délits  quotidiens;  et 
pour  que  ces  confessions  annuelles  ne  soient  pas 
empêchées,  Tabbé  devra  se  montrer  prêt  à  les  en- 
tendre. 

Que,  dans  tous  les  monastères,  selon  les  facultés 
du  lieu,  Phospitalité  soil  observée  par  tous,  de  toutes 
les  façons  avec  exactitude,  et  que  le  moine  qui  sera 
désigné  pour  recevoir  les  holes  soit  diligent,  sobre 
et  affable. 

Que  les  lits  des  moines  soient  disposés  de  façon  à 
ce  qu'on  puisse  les  voir  quand  ils  dorment.  Que  les 
vêtements  et  les  chaussures  des  moines  soient  expres- 
sément réglés.  Que  les  babils  de  dessus  soient  de 
drap  blanc  ou  noir  ou  de  rousset,  avec  des  peaux 
d'agneaux^  blanches  ou  noires,  des  peaux  de  chats 
sauvages*  ou  de  renards,  et  que  les  chapes  soient 

*  Murfirfjii  ou  mureletjlx,  qui  rli^sse  les  rats.  Aussi  (rouM*-inn  «ou- 
\(>nl  et  Xerme  em|i|ny*^  pour  di'tignpr  les  chats  •ioinesliiiue* 


5^  e»  ADDITIONS, 

noires.  El  que  loiites  ces  choses  soient  données  et  re- 
çues eu  temps  convenable  et  sans  difficulté.  Que  le 
camérier  ne  se  permelte  pas  de  donner  des  deniers, 
ou  quelque  autre  chose  que  ce  soit,  pour  les  choses 
susdites  ou  autres  appartenant  aux  usages  monas- 
tiques; qu'aucun  moine  ne  prenne  sur  lui  d'accep- 
ter aucun  changement  en  fait  des  susdits  habits,  si 
ce  n'est  avec  la  permission  de  son  prélat,  et  |)our 
cause  raisonnable,  laquelle  licence  à  cet  égard  aura 
été  demandée  et  octroyée  précédemment  ;  de  telle 
sorte  que,  recevant  de  nouveaux  habits  selon  la  règle, 
il  donne  les  vieux  aux  pauvres,  pour  leur  être  distri- 
bués fidèlement.  —Que  les  selles  et  tous  les  harna- 
chements qui  conviennent  aux  montures  soient 
disposés  de  manière  à  ne  pas  offenser  les  yeux  de 
ceux  qui  les  verraient. 

Que  le  vagabondage  des  moines  soit  expressément 
défendu.  S'ils  partent  avec  la  permission  de  leur 
prélat,  pour  les  affaires  de  leur  église  ou  pour  quel- 
que juste  cause,  qu'on  pourvoie  à  ce  qu'ils  voyagent 
avec  des  serviteurs  d'un  âge  mûr,  avec  des  montures 
suffisantes,  et  un  appareil  honorable,  selon  les  fa- 
cultés de  l'église,  pour  revenir  au  jour  qui  leur  aura 
été  fixé  par  leur  prélat,  à  moins  qu'ils  ne  justifient 
d'une  cause  valable  de  délai  ultérieur.  Afin  que  les 
frères  qui  supportent  le  poids  du  jour  et  de  la  cha- 
leur soient  restaurés  plus  convenablement  et  plus 
secrètement  quand  besoin  sera,  en  vertu  de  la  pro- 
vision du  prélat,  on  affectera  à  cela  un  lieu  conve- 
nable auprès  de  rinlirmerie,  et  quand  ils  s'y  seront 


ï 


ADDITIONS.  517 

refaits,  ils  se  reuclronl  avec  empressement  au  cloître 
et  aux  heures  eauoniques.  Lorsque  le  couvent  jeûne, 
tjue  ceux-là  dînent  une  fois,  et  qu'à  la  place  du  sou- 
[  er  ils  soient  servis  plus  abondamment  au  premier 
dîner.  Que  le  couvent  assiste  à  collation  et  h  com- 
plies, excepté  les  faibles^  ceux  qui  auront  été  saignés, 
et  ceux  à  qui  le  prélat  aura  jugé  à  propos  d'accorder 
dispense.  Que  les  contrevenants  soient  punis  régu- 
lièrement, et,  s'ils  ne  se  corrigent  pas,  que  la  faculté 
de  pareille  dispense  leur  soit  retirée.  Qu'aucun  sécu- 
lier ne  soit  admis  parmi  les  moines,  avant  le  dîner 
ou  après,  si  ce  n'est  les  serviteurs  affectés  à  cela. 

Que  toute  secularité  en  mets  et  en  boissons  soit 
interdite  dans  le  réfectoire.  —  Il  a  été  statué  et  dé- 
cidé de  plus  que  tous  les  obédienciers  et  cloîtrés 
assisteraient  eu  personne  à  collation  et  à  complies 
dans  le  couvent,  à  moins  qu'une  évidente  nécessité 
n  existe,  pour  laquelle  ils  soient  obligés  de  rester, 
t't  cela  sur  permission  spéciale  du  prélat. 

Qu'un  gardien  diligent  et  soigneux  soit  donné 
aux  frères  malades,  de  peur  qu'ils  ne  souffrent  quel- 
que détriment.  Qu'aucun  séculier  ne  se  mêle  aux 
malades  ni  ne  boive  ou  mange  avec  eux,  excepté  les 
médecins  et  les  serviteurs  affectés  à  leur  garde. 
Qu  aucun  malade  ne  prenne  pour  lui  un  serviteur  à 
sa  volonté,  mais  qu'il  se  contente  des  serviteurs  qui 
sont  affectés  à  l'inlirmerie;  que  lesdits  serviteurs  ne 
passent  point  la  nuit  hors  de  I  infirmerie.  S'il  de- 
vient nécessaire  que  quelque  malade  ait  un  serviteur 
spéciii!.   (ju'oii  Txu    (Ml  assigne  un   qui  soit  sobre  et 


bU  ADDITIONS, 

incapable  de  troubler  le  repos  des  autres.  Que  le 
prieur  ou  celui  qui  préside  à  Tordre,  et  le  cellerier 
intérieur,  visite  chaque  jour  les  malades  après  les 
messes  privées,  afin  qu'ayant  examiné  Télat  de  cha- 
cun, il  fasse  pourvoir  convenablement  selon  que 
chacun  aura  besoin.  Que  tous  les  malades,  si  faire  se 
peut,  mangent  communément  à  la  même  table,  et 
qu'aucun  ne  s'en  dispense,  s'il  n'est  retenu  par  une 
trop  mauvaise  santé,  et  dans  tel  état  qu'il  ne  puisse 
s'en  approcher  sans  scandale  ou  sans  manifeste  lé- 
sion de  corps.  Quant  à  ceux  cependant  à  qui  l'on 
devra  de  plus  grands  égards  à  cause  de  leurs  mérites, 
on  aura  pour  eux  de  la  déférence  en  ce  point,  selon 
le  lieu  et  le  temps,  ainsi  que  leur  prélat  le  jugera  le 
plus  avantageux  à  leur  repos  et  à  leur  conservation. 

Que,  dans  tous  les  monastères,  la  discipline  de  ré- 
fection soit  observée  de  telle  sorte  que,  dans  l'inté- 
rieup,  nul  ne  se  restaure  si  ce  n'est  dans  le  réfectoire, 
ou  à  la  table  de  l'abbé,  ou  avec  les  autres,  d'après  le 
commandement  du  supérieur,  ou  dans  l'infirmerie 
avec  les  malades,  conformément  à  ce  qui  est  contenu 
au  sujet  du  lieu  de  réfection  dans  ladécrétale:  «Que 
i'abbé  ne  pense  pas,  etc.  » 

Qu'aucun  dépôt  ne  soit  admis  dans  aucun  monas- 
tère, si  ce  n'est  du  consentement  du  prélat,  et  sur  le 
louable  témoignage  de  trois  frères. 

Qu'aucun  moine,  obédiencier  ou  claustral,  ne 
donne  ou  ne  reçoive  (|uoi  (|ue  ce  soit  sans  la  permis- 
sion de  son  supérieur.  Que  tous  ceux  qui  auront  fail 
fruudt' ^p'atis  reliitivemcnl  nux   i)i(;n^(lti   inonuslcro, 


ADDITIONS.  S49 

que  tous  les  conspirateurs,  les  voleurs,  les  proprié> 
taires,  et  tous  ceux  qui  auront  intenté  faussement  des 
accusations  contre  autrui,  soient  déclarés  publique- 
ment excommuniés  chaque  année,  à  la  seconde  t'éric 
de  la  première  semaine  de  carême  dans  les  chapitres, 
par  la  voix  de  leurs  prélats  avec  Tétole  et  le  bâton 
pastoral.  On  entend  par  conspirateurs  tous  ceux  qui 
se  confédèrent  entre  eux  pour  la  subversion  de  Tordre 
ou  des  statuts  [rédigés]  salutairement  par  les  chefs  de 
Tordre, ou  pour  la  persécution  de  tout  prélat, ou  de  tout 
frère,  tant  par  haine  que  par  ambition,  ou  ceux  qui 
défendent  malicieusement  les  autres  conjurés.  On  en- 
tend par  propriétaires  ceux  qui  possèdent  pour  eux, 
sansqueleur  prélateusoit  informé, quelquechoseque 
leur  prélat  ne  leur  a  pas  donné  ou  permis  de  posséder. 
l*pur  réprimer  aussi  la  témérité  de  ceux  qui  sortent 
[du  monastère],  il  a  été  prudemment  statué  qu'une 
fois  sortis,  ils  seraient  reçus  au  dernier  rang  quand  ils 
reviendraient;  qu'ils  resteraient  dans  le  grade  et  le 
rang  où  ils  auraient  été  reçus;  qu'ils  n'auraient  u- 
cunement  voixau  chapitre,  jusqu'à  ce  que  leur  prélat, 
trouvant  qu'ils  aient  donné  satisfaction  convenable, 
jugeât  à  propos  de  leur  accorder  dispense.  Que  dans 
le  chapitre  il  y  ail  trois  voix,  à  savoir  :  de  celui  qui 
porte  plainte,  de  celui  qui  répond,  et  de  celui  qui 
juge*.  Qu'on  y  traite  fort  brièvement  des  affaires  cor- 
porelles, afin  que  les  affaires  spirituelles  soient  trai- 
ls chapitre  esl  ua  triliunal.  Pour  y  maiuleuir  la  gravité  qui  conrieiit, 
\j  parole  n'est accoril(>cc|u^au  demandeur,  au  défendeur  et  au  jug*.  C*e«t 
du  nioios  aioai  que  noua  iiiterprt'toni  C4.*tle  phr«se. 


3^0  ADD1TI0?<S. 

tees  avec  toute  l'attention  et  ie  succès  qui  leur  sont 
dusj  que  les  perlurbateurs  des  chapitres,  que  les 
désobéissants,  que  ceux  qui  se  disputeront  arrogam- 
naent  avec  leurs  prélats,  soient  sévèrement  corrigés, 
afin  d'inspirer  de  la  crainte  aux  autres  ;  que  ceux  qui 
seront  trouvés  ou  contumaces,  ou  incorrigibles,  soient 
chassés  du  monastère,  comme  la  règle  l'enjoint. 

Que  lesobédienciers  retenus  par  une  grave  maladie 
de  corps,  et  se  trouvant  en  péril  de  mort,  résignent 
sans  délai,  après  avoir  rendu  compte,  et  a  près  confes- 
sion préalable,  leurs  administrations  et  toutes  choses 
quelconques  qu'ils  ont,  provenant  desdites  adminis- 
trations, et  à  moins  qu'une  réunion  excédant  le 
nombre  de  vingt  [en  ait  ainsi  décidé]*,  qu'aucun 
gardien  de  l'ordre  ne  soit  chargé  d'uneadministration 
extérieure,  par  laquelle  l'exécution  de  son  oflice  pour- 
rait être  empêchée.  Que  l'accès  dans  le  cloître,  après 
le  diner,  soit  complètement  interdit  aux  femmes; 
qu'elles  ne  soient  en  aucune  façon  admises  au  diner 
en  deçà  des  portes  du  monastère,  si  ce  n'est  sur  la 
permission  de  l'abbé,  ou  en  sa  présence;  sauf  la  con- 
sidération que  l'on  doit  avoir  à  l'endroit  des  nobles 
dames,  selon  le  lieu,  et  selon  le  temps,  ainsi  que  les 
prélats  le  jugeront  avantageux. 

Il  a  été  réglé,  en  outre,  que  tous  les  abbés,  prieurs 
et  procurateurs  se  rendront  au  prochain  chapitre 
général, qui  doit  être  célébré  à  Oxford,  lejourdesnint 
Matthieu,  apôtre,  l'an'....,  avec  leur  habit  régulier; 

'  TeiUs  iuRuni|)k't.  Jo  ne  puis  n'poitilre  Ju  icns. 

'  l.»  daU  ««l  «mil*  ici  ;  il  ni  H»A  |n'ol)al>lviiiant  «lo  iii()iiie  sur  la  ma- 


l 


ADDITIONS.  521 

qu'ils  se  montreront  revêtus  de  leurs  frocs,  dans  ce 
même  chapitre,  aussi  bien  que  s'ils  étaient  dans  leurs 
propre8cha|)ilres,etqu'ilss'yconduirontavec  retenue, 
tauten  habit  qu'en  actes  extérieurs,  lia  été  réglé  aussi 
que  si  quelque  affaire  s'élève  dans  le  royaume  qui 
puisse  toucher  tous  lesprélatsdes  monastères,  quand 
celte  affaire  sera  parvenue  à  la  connaissance  des  pré- 
sidents, ils  convoqueront  les  prélats,  si  faire  se  peut; 
au  cas  contraire,  ils  convoqueront  ceux  qu'ils  juge- 
ront à  propos  de  convoquer,  selon  la  nature  de  l'af- 
faire ,  afin  que  ce  qui  les  intéresse  tous  soit  traité  par 
tous  ou  par  la  plus  saine  partie  d'iceux. 

Qu  il  ne  soit  pas  permis  aux  abbés  ou  aux  prieurs 
de  rétablir  ou  de  destituer  les  obédienciers  dans  leur 
chambre,  mais  seulement  dans  le  chapitre,  lieu  où 
l  on  doit  statuer  sur  eux;  qu'ils  ne  confèrent  point  les 
obédiences  en  vue  de  quelque  affection  spéciale,  mais 
qu'ils  les  contient  à  des  moines  discrets;  que  cependant 
les  obédiences  ne  soient  conférées  à  personne  à  per- 
pétuité; mais  quand  ils  devront  être  écartés  de  leurs 
obédiences  pour  juste  cause,  qu  ils  en  soient  écartés, 
et  que  d'autres  craignant  Dieu  soient  mis  à  leur  place. 
Que  l'église  soit  tenue  propre,  et  que  les  ornements  de 
léglise  soient  aussi  assez  propres  pour  que  celui  qui 
viendra  accomplir  le  sacrifice  de  la  louange  divine 
ne  soit  pas  dégoûté  par  aucune  saleté. 


nuKrit  au  eomiMiiMinenl  de  cette  additit^ii,  là  oh  les  éditeurs  ont  cru 
rtmplir  la  lacooe  eo mettant  4241).  H  est  évident,  par  la  date  et  le  lieu, 
4ue  ce  chapitre,  qui  doit  être  célèbre^  est  bien  celui  que  les  abbéi  in- 
diqnent  plus  haut  cunime  nr  TdTant  pas  été. 


522  ADDITIONS. 

Que  le  négoce  ne  soit  pas  exercé  dans  l'église,  si 
ce  n'est  au  temps  des  foires.  En  entendant  la  cloche, 
que  tous  se  hâtent  de  venir  à  l'église,  aux  heures  et 
aux  messes;  qu'à  toutes  les  messes  et  heures  ils  en- 
tendent le  commencement,  le  milieu  et  la  lin ,  à 
moins  qu'un  besoin  pressant  ne  leur  serve  d'excuse, 
et  qu'ils  ne  trompent  pas  leurs  supérieurs  en  disant 
nécessaire  ce  qui  ne  Test  pas,  parce  qu'ils  se  trom- 
peraient ainsi  eux-mêmes  en  face  de  celui  qui  juge  et 
qui  connaît  les  pensées  les  plus  secrètes.  Ha  été  aussi 
réglé,  après  mùredélibération,que,  quand  lechapitre 
serait  célébré,  on  dirait,  le  premier  jour  du  chapitre, 
une  messe  du  S;iint-Esprit,  pour  le  pontife  romain  et 
la  cour  romaine,  pour  le  roi  d'Angleterre,  la  reine 
et  leurs  héritiers,  et  pour  les  familiers  de  notre  ordre  ; 
que,  le  second  jour  du  chapitre,  on  dirait  une  messe 
pour  les  fidèles  défunts^  pour  les  âmes  des  rois  d'An- 
gleterre et  des  bienfaiteurs  de  notre  ordre,  et  de  tous 
les  frères  de  notre  ordre  défunts. 

Qu'après  le  dernier  chapitre  célébré,  et  qu'après  la 
célébration  de  chaquechapitre  général,  enchaquecou- 
venl  de  notre  ordre,  la  célébration  d'une  messe  solen- 
nelleait  lieu  a ussilôlque  faire  se  pourra  dans  le  couvent, 
pour  tous  les  frères  du  chapitre  défunts,  et  pour  leurs 
familiers;  que  chaque  prêtre  di*e  une  messe  privée, 
et  que  chaque  religieux  d'un  ordre  inférieur  récite 
un  psautier.  Que  les  moines  ne  soient  pas  grevés  à 
Tavenir  au  delà  de  leurs  forces,  à  cause  de  la  multi- 
tude [d'occupulions]  qui  n  coutume d'exisicr  en  cer- 
tains lieux  pur  une  sorte  de  singularité.  Afin  que  la 


AUDITIONS.  525 

même  observance  el  !e  même  ordre  soient  dans  tous 
les  monastères,  il  a  été  communément  statué  que  les 
psaumes  familiers  ne  seraient  en  aucune  façon  réci- 
tés de  jour  en  chapes  après  les  heures  canoniques,  ni 
les  psaumes  familiers,  de  nuit. 

Il  est  enjoint  aux  visitateurs,  en  vertu  de  l'obé- 
dience, et  sous  peine  d'être  suspendus  de  la  célébra- 
lion  des  mystères  divins,  de  visiter,  corriger  et  ré- 
former tout  ce  qui  sera  à  corriger,  selon  la  forme  du 
concile  général  et  de  la  décrétale  :  »  Les  choses  qui  in- 
téressent I  honneur  de  la  religion,  etc.»— Que  ceux 
qui  ne  voudront  pas  admettre    la  visitation  soient 
suspendus  par  les  visitateurs,  et,  s'ils  le  demandent, 
qu'ils  soient  absous  par  les  mômes  visitateurs,  en  don- 
nant caution  de  se  soumettre  au  jugement  du  cha- 
pitre général ,  et  d'admettre  à  l'avenir  la  visitation. 
—  Quant  aux  moines  d'outre-mer,  s'ils  ne  veulent  pas 
être  visités  par  les  visitateurs  ,  qu'il  leur  soit  enjoint 
de  se  rendre  au  premier  concile  général  qui  doit  être 
célébré  à  Oxford,  pour  y  alléguer  les  raisons  par  les- 
quelles ils  ne  doivent  pas  être  visités  par  les  visitateurs. 
Que  lesdits  visitateurs  se  gardent  bien  aussi  que 
les  monastères  à  visiter  soient  grevés  par  des  dépenses 
superllues ,  à  l'occasion  de  leur  venue  ;  qu'ils  veillent 
à  ce  que  tout  soit  fait  avec  mesure  ,  et  qu'ils  s'effor- 
cent d'accomplir  leur  office  de  telle  sorte  qu'ils  re- 
çoivent de  Dieu  une  digne  récompense  pour  leurs 
travaux.  Qu'ils  craignent  ausî«i ,  s'ils  étaient  négli- 
gents ,  que  le  Seigneur  des  vengeances  ne  demande 
i-oiiipte  il  leurs  mains  du  sang  des  délinquants.  Se- 


524  ADDITIONS, 

ront  présidenls,  dans  le  proclîain  cliapilre,  les  abbés 
de  Saint-EdmoDd  et  de  Glocesler,  à  Oxford,  dans 
l'église  d'Oseney'. 

11  a  été  statué,  en  outre,  que,  dans  ebaque  monas- 
tère ,  chaque  jour ,  à  la  niesse  de  la  bienheureuse 
Vierge  Marie ,  une  mention  spéciale  serait  faite  du 
seigneur  roi ,  de  la  reine  et  de  leurs  enfants ,  avec 
cette  oraison  :  «  Dieu,  dans  la  njain  de  qui^,  etc.  » 
—  Pour  que  les  statuts  susdits  soient  mieux  obser- 
vés ,  et  pour  que  rien  de  ce  qui  y  touche  ne  soit 
omis,  il  a  été  réglé  que  les  présents  statuts,  aussi 
bien  que  les  statuts  du  concile  de  Latran  ,  et  les  con- 
stitutions du  pape  Grégoire  JX ,  concernant  notre 
ordre ,  seraient  récités  chaque  année  ,  dans  chaque 
couvent,  à  des  jours  fixes  assignés  à  cela. 

Ilem,  puisque  chaque  monastère  tire  sa  subsistance 
des  bienfaits  et  des  aumônes  des  défunts,  de  peur 
que  les  âmes  des  bienfaiteurs  défunts  ne  soient  pri- 
vées des  messes  qui  leur  sont  dues,  par  omission 
et  négligence,  il  a  été  statué  que  quiconque,  se  trou- 
vant dans  un  couvent,  se  sera  soustrait  quatre  jours 


'  Fondée  en  U29  p.ir  Kobcrt,  nevt-u  de  Henri  I"'.  (CamdeN,  lirit. 
Aiitiqua.) 

'  Nous  avons  indiqué,  à  la  noie  explicative  qui  se  trouve  en  U-lit  de 
cette  addition,  l'inconséquence  <i|ipar(>iile  (|ui  existe  entre  le  texte  de 
Matlb.  l'âris  et  le  document  .'iu(|url  il  renvoie,  linppelons  seulement  que 
rc  itatut  ipécial  fut  tri-t-probuLlunieiit  inséré  d'une  nianiî'rc  expresse 
dans  la  seconde  assemblée  tenue  à  Saiute-Alurie  de  Soulhwurk  et  rendu 
obligatoire  a  Saint-Aibnns,  h  l'époque  de  la  visite  de  Thibaut  et  de 
Jticques. 


ADDITIONS.  Stt 

à  la  céiébratioo  des  mystères  divins ,  sera  seciète» 
ment  réprimandé  sur  ce  point,  le  cinquième  jour, 
pur  Tobbé  ou  par  le  prieur  ;  s'il  ne  se  corrige  pas  , 
et  s'il  ne  peut  justiiier  d'une  cause  raisonnable,  il 
sera  dénoncé  publiquement  sur  celle  infraclion ,  le 
jour  suivant,  dans  le  chapitre. 

XXI. 

Année  4252.  —  \  oir  la  page  301  du  volume. 

Bbdits  soa  l'état  de  la  Terre-Sainte  ,  répandcs  en 
Angleterre  a  la  fête  de  la  Nativité  de  saint  Jean* 
Baptiste.  —  «  A  son  vénérable  et  cher  ami  en  Jésus- 
Christ,  le  frère  Gaultier  de  Saint-Martin  ,  frère  Jo- 
seph de  Cancy ,  humble  Irésorier  de  la  sainte  maison 
de  l'Hôpital  de  Jérusalem,  à  Acre,  salul  et  succès 
prospères  au  gré  de  ses  vœux.  Quant  aux  bruils  ré- 
pandus sur  la  Terre-Sainte ,  que  votre  dilection  n'i- 
gnore pas  que  I  illustre  roi  de  France  ,  qui  a  déjà 
accompli  un  séjour  d  une  année  à  Césarée  de  Pules- 
tine,  la  fait  environner  d'une  enceinte  de  murs  et  de 
fossés  ,  et  que  cet  ouvrage  est  presque  complètement 
achevé  au  njoment  où  nous  écrivons  les  présentes. 
Des  députés  onlété  envoyés  à  plusieurs  reprises,  tant 
de  la  part  du  Soudan  d'Alep  que  de  la  part  de  ceux 
qui  paraissent  présentement  avoir  la  domination  de 
Babylone,  au  seigneur  roi  susdit,  pour  Iraiter  de  lu 
conclusion  des  trêves ,  avec  pouvoir  de  confirmer 
les  engagements  mutuels  :  ledit  roi  n'a  >oulu  admet- 
tre à  aucune  trêve  ledit  Soudan  d'Alep,  et  enfin  il  a 


526  ÂDDITIOINS. 

conclu  avec  les  Babyloniens ,  dans  la  semaine  de  Pâ- 
ques dernièrement  écoulée,  une  trêve  pour  quinze 
ans,  sur  serment  prêté  corporellement  de  part  et 
d'autre  ,  aux  conditions  qui  suivent  :  Les  susdits  Ba- 
byloniens restitueront  au  seigneur  roi,  outre  le  reste 
des  captifs  chrétiens  survivants  qu'ils  s'étaient  enga- 
gés à  rendre  dans  l'autre  traité ,  conclu  quand  ils  te- 
naient le  roi  prisonnier,  toute  la  terre  en  deçà  du 
fleuve  du  Jourdain  ,  par  quelque  Sarrasin  qu'elle 
soit  occupée,  à  l'exception  toutefois  de  Gazer ,  de  Gi- 
belet,  du  grand  Gérinetde  Daroun,  qui,  aux  termes 
de  la  trêve ,  resteront  aux  Babyloniens.  11  a  été  en 
outre  réglé  que  si  les  Babyloniens  n'amenaient  point 
leur  armée  à  Gazer  avant  le  milieu  du  mois  de  mai, 
après  la  date  des  présentes  lettres,  et  si  le  roi ,  dans 
l'espace  du  même  temps,  ne  conduisait  pas  son  ar- 
mée de  Césarée  vers  les  pays  de  Joppé ,  la  confédéra- 
tion de  ladite  trêve  serait  nulle.  A  cetle  nouvelle  ,  le 
Soudan  d'Alep,  adversaire  manifeste  des  susdits  Ba- 
byloniens, et  qui  se  trouvait  à  Damas  au  moment  de 
la  conclusion  de  la  trêve,  s'avança'  en  occupant  tout 
le  pays  ,  jusqu'à  un  certain  lieu  qu'on  appelle  Casey 
{8ic)f  et  qui  est  entre  Gazer  et  Daroun,  conduisant 
contre  les  susdits  Babyloniens  douze  mille  combat- 
tants, sans  compter  trois  autres  mille,  qu'il  attendait 
et  qui  devaient  arriver  très-prochainement,  pour  être 
joints  aux  autres  susdits  douze  mille  ,  tandis  que 
toutes  les  forces  des  susdits  Babyloniens  n'excédaient, 

'  J  ai  rrin|>ii  ir.i  iiiii-  hriiiu'  prnb.ibir. 


ADDITIONS.  527 

eii  aucune  façon ,   le  nombre  de  six  ou  sept  mille 
hommes  d'armes,  dont  ils  avaient  même  obtenu  de 
détacher  une  partie  vers  le  pays  de  Babylone,  pour 
défendre  ladite  terre  contre  les  incursions  des  Bé- 
douins et  des  autres  indigènes.  D'un  autre  côlé,  l'ar- 
mée dudit  roi  n'était  pas  assez   considérable  pour 
qu'il  pût  porter  secours  avec  opportunité  aux  susdits 
Babyloniens,  en  cas  de  besoin,  puisqu'il  n'avait  pas 
tout  à  fait  et  n'amenait  pas  même  uoloirement  avec 
lui ,  en  y  comptant  les  cent  chevaliers  dont  il  espé- 
rait la  venue,  et  cela  tant  en  religieux  qu'en  sécu- 
liers, douze  cents  cavaliers  et  quatre  cents  turco- 
poles',  cavaliers  armés  en  guerre.  Aussi  nous  et  une 
foule  d'autres  étions-nous  grandement  dans  le  doute 
que  la  route  put  être  ouverte  aux   susdits   Babylo- 
niens; et,  par  ainsi,  la  trêve  susdite  n'a  obtenu  au- 
cune force.  Déplus,  nous  voulons  vous  informer  que 
toute  la  terre  habitée  par  les  chrétiens,  en  deçà  de  la 
mer,  du  côlé  de  l'Arménie,  s'était  trouvée  dans  un 
étal  tolerable  ,  grâce  à  la  trêve  que  le  roi  de  la  même 
terre  avait  conclue  avec  le  soudan  d'iconium  ,  mais 


*  Le«  tareopolet,  d'où  a  éU»  formé  le  nom  de  turcopolier,  étaient  an- 
cJeDoemeiit,  au  rapport  de  Guill  de  Tyr,  des  compagnies  de  cheraux- 
h^er».  L'origine  de  ce  terme  Tonait  des  Turcomans,  qui  iippelaieul  eu 
général  Turcopoles  les  enfants  nés  d'une  mere  [jrecque  et  d'un  père  tur- 
coman,  et  destinés  à  la  milice.  Le  nom  de  Turcopolier  fut  depuis  un  titre 
de  dignité  militaire  dans  le  royaume  de  CLypre,  d'où  il  était  passé  dan* 
l'ordre  de  Saint-Jean.  Mais  les  Hospitaliers  ne  s'en  serraient  que  pour  dé- 
signer le  colonel  général  de  l'infanterie.  (VerTOT,  JJist.  de  Mnltt^,  t.  1, 
pag.  2fi6.|  On  donne  |»our  étymolo^ie  «  ce  mot  Turcs  aehet^s  (  ito'Xtw  ), 
ou  Turr^  méli»  /p<tulaiiis\ 


528  ADDITIONS, 

que  maintenant  elle  se  trouve  dans  une  pire  condi- 
tion et  dans  un  pire  état  que  nous  ne  Tavons  jamais 
vue.  En  effet,  la  terre  d'Antioche,  sur  laquelle  se  sont 
déchaînés  avec  férocité  certains  peuples  perfides , 
nommés  les  Fercomans' ,  a  été  complètement  dévas- 
tée :  ce  qui  met  en  grand  péril  la  ville  même  d'An- 
tioche ,  pour  laquelle  on  redoute  une  perte  très- 
prochaine.  Déjà  même  ses  habitants  l'abandonnent 
et  s'enfuient  dans  leur  effroi.  Une  troupe  de  mille 
hommes  de  cette  exécrable  nation  s'est  avancée  jus- 
qu'à mi  lieu  qu'on  appelle  Césarée-la-Grande,  et  a 
planté  ses  tentes  en  cet  endroit  pour  y  demeurer. 
Puis  ces  barbares,  redoublant  d'audace,  ont  parcouru 
notre  terre  et  celle  des  autres ,  du  côté  de  Tripoli , 
ont  incendié  plusieurs  villages,  ont  emmené  avec  eux 
quatre  mille  têtes  de  gros  bétail,  nous  appartenant, 
puis  sont  retournés  à  Césarée ,  après  avoir  fait  un 
jrrand  carnage  de  leurs  ennemis,  et  en  traînant  avec 
eux  une  multitude  de  captifs  ^.  Ils  sont  postés  là, 

*  Lisez  Turcomans.  «  Cil  Turquenians  sont  une  gcnt  sauva{i[e,  qui 
«  n^ont  ne  ville,  ne  chastiaux,  ains  sont  les  jors  berberjips  en  tentes 
«  qu'ils  ont  de  feutres,  et  ont  hestes  à  grand  foison...  »  (  GuiLL.  TyrII 
Co>TI.\.  apud  Martene  ampliss-  coll.,  tom.  v.)  Dans  une  note  anté- 
rieure uoui  avons  donné  quelques  détails  sur  res  ancêtres  de  la  nation  ot- 
tomane. Rappelons  seulement  que,  vers  42^5,  Krthogrul  conduisit  quatre 
cents  familles  turques  dans  l'Asie-Mincurc,  il  arriva  an  moment  où 
Aladin,  sultan  scljounide  d'Iconium,  luttait  avec  peine  contre  une  armée 
de  Mongol»;  son  arrivée  décida  la  victoire  en  faveur  d'Alndin  qui  l'établit 
dans  la  fertile  vallée  de  Sugut  ou  Surgut,  où  son  tombeau  est  encore 
Tobjet  de  la  vénération  des  fidèles  osmanlis.  Les  amours  de  son  fils  Os 
man  avec  la  belle  Maidjaloun  sont  le  po<*me  épique  de  l'Orient  au  trei- 
xiéme  siècle. 

Ils  avaient  massaer*  la  garnison  d«  Sidon  au  moment  où  saint  Louis 


fl 


ADDITIONS.  52» 

jusqu  à  ce  qu'ils  uieut  détruit  tout  le  pays,  à  moins 
que  Dieu  ue  nous  vienne  en  aide.  On  croit  même 
que  ces  barbares  marcheront  contre  nous  comme 
auxiliaires  du  Soudan  dAlep,  par  l'instigation  du- 
quel toutes  les  dévastations  susdites  ont  été  commises. 
Donné Ie2avanl  les nonesde  mai.)>Orces  bruits  furent 
répandus  à  l'Assomption  de  la  bienheureuse  Marie. 

XXII. 
Année  4252.  —  Voir  la  page  311  du  volume. 

Lettre  de  créance  adressée  au  pape  Innocent  podr 

LE    SEIGNEOR    GoiLLACME    DE    SaINT-EdmOND  ,    MOINE    DE 

Saint-Alrans.  —  «  A  leur  très-saint  père  en  Jésus- 
Christ  et  à  leur  révérend  seigneur  Innocent,  par  la 
grâce  de  Dieu,  souverain  pontife  de  la  très-sainte  et 
sacrée  église  romaine,  ses  dévoués  fils  Tabbé  et  le 
couvent  de  Saiiit-.Albans,  baisement  dévoué  de  ses 
pieds  bienheureux  avec  toute  obédience  et  révérence. 
Nous  avons  établi  pour  nos  procurateurs  ,  nos  amés 
en  Jésus-Christ,  frère  Guillaume  de  Saint-Kdmond  , 
moine  de  notre  communauté,  et  le  seigneur  Guil- 
laume de  Saint  Edouard,  clerc,  pour  une  affaire  où 
il  s'agit  d'impétration,  de  contradiction  ,  de  citation 
en  justice,  et  pour  solliciter  et  obtenir  de  Votre  Sain- 
teté une  grâce  .spéciale  ;  et  nous  aurons  pour  valable 

venait  d'envoyer  de»  ouvrier*  pour  relever  les  forliGcations  de  la  ville. 
Let  chevaliers  frauçais  parlireul  aussitAt  pour  Césarëe  ou  Belinas,  ce  sai- 
tirent  de  eelle  ville  abaodoDnée  par  les  Turcomans,  el  la  mirent  au  pil 
lage.  Mais  les  chevaliers  Teutoniques  (échouèrent  au  siège  d'un  château 
filué  parmi  les  pics  du  Liban,  et  Joinville  courut  risque  du  la  vie  eu 
\uulant  les  dégager.  (  Voy.  M.  MiCHAUD,  Ui$i.  de$  Cruisadef,  toin.  iv, 
liv.  M.t 

vn.  "i 


550  ADDiriOiNS. 

et  pour  agréable  tout  ce  que  les  iitémes  procurateurs, 
ou  celui  des  deux  qui  sera  présent,  selon  le  temps, 
aura  fait  ou  auront  fait  en  notre  nom.  Que  le  Très- 
Haut  conserve  le  pontife  de  sa  sainte  église  dans  les 
temps  les  plus  éloignés. 

"  A  lous  ceux  qui  ces  présentes  lettres  verront , 
Jean,  par  la  permission  divine,  abbé  de  Saiut-Albans, 
et  1  humble  couvent  du  même  lieu  ,  au  diocèse  de 
Lincoln,  salutdans  le  Seigneur,  bâchez  tous,  tanl  que 
que  vous  êtes  ,  que  nous  avons  créé ,  institué  et  or- 
donné pour  nos  nonces  et  nos  procurateurs,  à  Teffet 
d^obtenir,  de  contredire  et  de  choisir  des  juges  dans 
la  cour  du  seigneur  pape,  ainsi  que  pour  obtenir 
une  grâce  spéciale  du  même  seigiieur  pape  ,  notre 
cher  frère  et  collègue  eu  communauté,  Guillaume  de 
Saint-Edmond  et  le  seigneur  Guillaume  de  Saiut- 
Édouard ,  clerc.  Nous  leur  donnons  aussi  à  tous  les 
deux,  ou  à  l'un  des  deux,  plein  et  libre  pouvoir,  afin 
d'expédier  utilement,  dans  ladite  cour,  nos  alfaires 
et  celles  de  notre  église,  de  contracter  des  emprunts 
envers  les  marchands  qu'il  leur  [daira  de  choisir,  jus- 
qu'à la  somme  de  cinquante  marcs  en  sterlings  bons, 
neufs  et  loyaux.  Pour  plus  grande  sécurité  de  ladite 
chose ,  nous  consentons  et  nous  nous  engageons  à 
rendre  cl  à  payer  ledit  argent  emprunté,  à  ceux  à  qui 
il  aura  été  emprunté  ,  avec  toutes  les  stipulations  et 
conventions,  selon  qu  il  aura  été  convenu  entre  eux. 
Selon  que  nos  susdits  procuruleurs  auront  promis, 
on  que  Tun  d'eux  aura  promis,  en  notre  nom  et  au 
nom  de  notre  église,  nous  promettons  aussi  en  tout  et 


1 


AlUXTUAS.  ÎUM 

pour  luul.  De  même,  nous  nous  olili^jeous,  nous  dé- 
clarons tenus,  et  jurons  d'observer  et  d'accomplir  les 
conditions,  dans  la  forme  selon  laquelle  tous  deux 
auront  promis,  se  seront  obliges  ,  se  seront  déclarés 
tenus  et  auront  juré,  ou  Tun  d  eux  aura  promis ,  se 
sera  oblijjé,  se  sera  déclaré  tenu  et  aura  juré.  Nous 
aurons  pour  valable  et  pour  ajjréable  tout  ce  que 
tous  deux  ou  Tun  des  deux  auront  <>u  aura  juré  à 
propos  de  faire  sur  les  choses  susdites.  En  témoignage 
de  quoi  nous  avons  scellé  ces  lettres  de  nos  sceaux. 
«  Donné  publiquement  dans  notre  chapitre,  qu 
mois  de  septembre,  Tan  du  Seigneur  mil  deux  cent 
cinquante-deux.  » 

XXUl. 

Aunée  4252.  —  Voir  la  page  318  du  volume. 

Lettre  do  pape  Innocent  sub  les  oidinations  des 
DIGNITÉS.  —  ««  Innocent  IV,  évéque,  serviieur  des  ser- 
viteurs de  Dieu  ,  ù  ses  vénérables  frères  ,  tous  tant 
qu'ils  sont,  les  patriarches,  archesêques  et  evèques, 
et  à  ses  chers  tils  les  abbés,  les  prieurs  et  les  autres 
prélats,  ainsi  qu'aux  chapitres,  couvents  et  collèges 
des  églises  ,  salut  et  bénédiction  apostolique.  Jadis, 
la  Uiiture  des  circonstances,  qui,  à  cette  époque,  nous 
indiquait  le  moyen  le  plus  efficace  pour  réprimer  la 
méchanceté  multipliée  des  hommes,  et  la  sollicitation 
importune  de  quelquf^^uns,  ont  obtenu  de  nous  ce 
que,  par  nos  lettres,  nous  avons  recommandé  qu'on 
fît  en  divers  points  à  l'égard  des  arehe\échés  ou  des 
évéci lés.  des  abbayes  ou  des  prieurés  ;  mais  considé- 
rant quil  v<!Ut  mieux  pourvoir  les  églises,  surtout 


S52  ADDITIONS, 

quand  il  s'agit  du  gouvernement  d'icelles ,  que  \es 
personnes,  nous  concédons,  par  l'autorité  des  pré- 
senles,  à  ceux  à  qui  appartient  Télection,  ou  l'ordina- 
tion, ou  la  collation,  ou  la  provision  de  ces  dignités, 
libre  pouvoir  d'ordonner  et  de  pourvoir  canoni- 
quement  à  toutes  les  dignités  susdites  ;  nonobstant 
toute  lettre  générale  ou  spéciale,  sous  quelque  forme 
de  mots  qu'elle  soit  écrite,  obtenue  ou  même  à  obte- 
nir du  siège  apostolique  ou  de  ses  légats  au  sujet  des 
promotions  ou  des  provisions  de  qui  que  ce  soit; 
nonobstant  aussi  toute  réserve,  ou  prohibition  ,  ou 
nomination  faites  ou  à  faire  par  l'autorité  des  mêmes 
lettres,  ou  toute  procédure  commencée  ou  à  com- 
mencer à  l'avenir  d'après  les  mêmes  lettres.  Nous 
voulons  que  toutes  ces  choses  manquent  de  force  ; 
car  nous  déclarons  nul  et  de  nul  effet  tout  ce  qui  a 
a  été  fait  ou  sera  préusurpé  eu  ce  point  par  qui  que 
ce  soit,  à  l'occasion  de  ces  sortes  de  lettres,  par  la 
teneur  de  notre  concession  dont  s'agit ,  et  par  la  li- 
berté du  droit  ou  de  notre  pouvoir  ;  levons  les  sen- 
tences d'interdit,  de  suspension  et  d'excommunica- 
tion, qui  auraient  pu  être  prononcées  jusqu'ici,  sous 
prétexte  de  nos  lettres  ,  et  considérons  comme  étant 
complètement  nulles  celles  qui  pourraient  être  pro- 
mulguées désormais.  Néanmoins  les  défenses  géné- 
ralement laites  par  nous  et  nos  légats,  pour  empê- 
cher l'élection  des  prélats  dans  les  églises  des  cités  et 
des  dioceses  rebelles  à  I  église  romaine,  lorsqu'elles 
viendront  à  v»(|uer,  subsisteront  dans  toute  leur 
force.  Donné  à  Férousc,  le  Ai)  avant  les  calendes  de 


ADDITIONS.  55S 

juin  ,  Tau  neuvième  de  notre  ponlitical  '.  »  —  Celle 
lettre  fut  publiée  la  même  année,  dans  Toctave  de  lu 
décollation  de  saint  Jean. 

XXIV. 
Animée  1232.  —  Voir  les  pages  297,  360  du  volume. 

Lettbe  do  pape  Innocent  pocr  restreindre  les  pro- 
cciATiONS  MAJEURES.  —  «  Innocent  IV,  etc.  Pour  ser- 
vir de  mémoire  et  d'observance  perpétuelle  contre 
les  vexations  qui  sont  imposées  par  les  prélats  à  ceux 
qui  leur  sont  sountis  dans  les  procurations  qui  sont 
dues  à  raison  de  la  visitation  ,  les  institutions  cano- 
niques ont  pris  des  mesures  sululaires  contre  la  mul- 
titude des  montures  et  des  escortes,  contre  la  trop 
grande  abondance  des  festins,  et  contre  les  autres 
superfluités ,  en  statuant  que  la  modération  due  de- 
vait être  observée,  de  telle  sorte  que  les  prélals  n'ex- 
cédassent pas,  pur  leurs  exigences,  le  nombre  fixé, 
et  que  ceux  qui  leur  étaient  soumis  ne  fussent  pas 
grevés,  en  fournissant  au  delà  du  nécessaire.  Mais 
comme  on  entend  encore  une  foule  de  plaintes  au 
sujet  de  ces  sortes  de  procurations,  nous  qui  voulons, 
dans  notre  sollicitude  pastorale,  pourvoir  de  telle 
façon  à  cet  abus  que  toute  occasion  de  vexation  i-oit 
détruite  et  que  tout  sujet  d'injustice  disparaisse  ea- 
tièrement,  jious  statuons,  en  vertu  de  Tautorité  apo- 
stolique, que  les  procurations,  en  fait  de  provisions 

'  Date  Tulgaire,  22  mai  I2.'i2.  Cette  indication  positive  suffit  pour 
prouTer  que  Guili.  Wata  a  mal  placé  cette  addition  eu  la  rejetant  à 
l'année  4254  ;  d'ailleun  le  rentoi  de  Matt.  Péris  est  précis. 


554  ADDITrONS. 

de  bouche  el  des  autres  choses  nécessaires  ,  seront 
t'oufnies  avec  modération  aux  archevêques,  évêques, 
archidiacres  et  autres  prélats  visitant  en  personne, 
par  les  éfjlises  et  les  lieux  visités;  en  sorte  que  ces 
procurations  en  chaque  lieu,  ou  le  total  des  frais  qui 
seront  faits  en  ces  occasions,  n'excèdent  dans  aucun 
cas,  selon  notre  estimation  commune  ,  la  sonime  ou 
la  valeur  de  quatre  marcs  d'argent.  Nous  décidons 
cependant  que ,  quant  aux  montures  en  plus  ou  en 
moins,  et  quant  au  nombre  des  personnes  qui  devront 
accompagner  les  prélats,  aux  termes  du  concile  de 
Latran  ,  selon  la  plus  ou  moins  grande  élévation  d'i- 
ceux ,  les  dépenses  de  ces  sortes  de  procurations  au- 
ront lieu  jusqu'à  concurrence  de  cette  sonjme ,  ou 
en  deçà,  [à  savoir  jusqu'à  quatre  marcs],  dans  les 
lieux  où  il  est  constant  que  la  fertilité  et  Tabondance 
des  choses  sont  plus  grandes  ;  mais  là  où  les  revenus 
et  les  facultés  ecclésiastiques  sont  moindres,  on  four- 
nira moins  pour  lesdiles  procurations,  selon  la  plus 
grande  fréquence  des  besoins  et  la  moins  grande 
abondance  des  provenances.  S'il  arrive  qu^on  four- 
nisse davantage  pour  res  sortes  de  procurations ,  que 
les  prélats  qui  auront  reçu  ces  procurations  immo- 
dérées soient  forcés  de  les  restituer,  pour  Tutililé  des 
églises,  à  ceux  dont  ils  les  auront  reçues,  et  que  ceux 
qui  les  auront  fournies  soient  forcés  de  donner  aux 
pauvres,  sur  leurs  biens  propres,  le  double  de  ce  qui 
Vùvti  été  dépensé  tin  delô  de  In  somme  fixée  plus  haut. 
Qu'ils  soient  néanmoins  punis  par  une  autre  peine, 
si  la  chose  parait  avantageuse ,  sauf  toutefois  aussi  les 


ADDinONS.  555 

autres  décisions,  qui  noloiremenl  ont  été  générole- 
n»eut  prises  à  I  egani  de  ces  sortes  de  visitations  ou 
d'exactions,  lesquelles  subsistent  toujours.  Qu'aucun 
honiine  donc  n'entrej)renne  nl)solument,  etc.  » 

XXV. 
Année  tio-2.  —  Voir  la  page  370  du  volume. 

Lbttbe  sur  l'injdre  r.oMHisE  A  Lambetu,  enveks  l'ar- 
chevêque DE  (Iantoebéry,  et  maître  Eustaciie  de  Lynn, 
SON  OFFICIAL. —  «Lennenii  du  jjenre  humain  ne  c^'sse 
point,  daus  les  temps  où  nous  ^onlme8,  de  rechercher 
subtilement  les  moyens  de  semer  la  zizanie  dans  Té- 
glise  de  Dieu,  pour  que  celte  zizanie  pullule  et  que. 
par  son  épaisseur,  elle  étouffe  dans  le  champ  du  Sei- 
gneur la  tranquillité  de  la  paix  et  la  suavité  des  ver- 
tus. Il  faut  donc  obvier  par  un  prompt  remède  à  ces 
iirtilices  tortueux,  afin  qu'on  les  arrête  dans  le  prin- 
cipe, de  peur  que  si  la  maladie  ne  s  au^jmente  consi- 
dérablement, il  ne  soit  tropt  rd  pour  y  porter  remède. 
IJonc,  pour  que  Terreur  soit  corrigée  par  notre  pru  • 
dene«,  et  pour  que  I  excès  soit  réprimé,  uous  racon- 
tous  avec  une  vive  affection  à  votre  fraternité  les  faits 
qui  se  sont  passés  à  la  dérision  de  Jésus-Christ,  à  l'op- 
probre de  l'église  de  Dieu,  au  scandale  du  clergé,  et 
a  la  rupture  de  la  paix  du  royaume,  faits  qui  sont 
empreints  d'une  téméraire  etatroce  cruauté.  Quelques 
HU  deBélial,  oublieux  de  leur  salut,  prodigues  de  leur 
renonmiée,  et  désireux  de  faii'e  le  mal,  à  savoir  Phi- 
lippe delà  Forêt,  sénéchal  du  seigneur  élu  à  Winches- 
ter, Guy   Peverel,  Gaultier  de   Kale,  Guillaume  <ie 


556  ADDITIONS. 

S'Earmuiid, Olivier,  «lu  lignage  du  seigneur  Geoffroi 
(le  Lusignan ,  Guillaume  de  Saint-Léger,  Robert  Agoil- 
luu,  chevaliers,  le  prieur  de  Lusignan,  avec  un  de  ses 
moines,  Martin,  arbalétrier,  et  Jean  Picard,  son  frère, 
Guillaume  Gaucher,  Etienne  de  Croindon,  clercs  du 
susdit  élu,  et  Guillaume,  clerc,  bailli  du  même  élu, 
ainsi  que  beaucoup  d'autres  dont  nous  ignorons  les 
noms,  sont  venus  avec  chevaux  elarmes,  et  dans  un  es- 
prit de  fureur,  à  notre  manoir  de  Lambeth,  près  de 
Londres,  pendant  le  jour  avant  l'heure  du  dîner,  le  di- 
manche après  la  fêle  de  la  Toussaint  dernièrement 
écoulée,  alors  que  nous  nous  trouvions  dans  les  pays 
d'outre-mer,  ont  brisé  les  portes  des  bâtiments  et  de 
la  chapelle,  y  ont  porté  des  mains  sacrilèges  sur 
maître  Eustache  de  Lynn ,  notre  officiai ,  qui  représente 
notre  personne,  et  sur  notre  prêtre,  qui  desservait  Tof- 
tice  divin  dans  la  chapelle  des  bienheureux  Etienne 
et  Thomas,  niartyrs,  en  outre  sur  quelques-uns  de 
nos  hommes  qui  s'étaient  retirés  dans  l'église  parois- 
siale du  même  lieu,  et  môme  sur  les  choses  sacrées 
et  autres  qui  se  trouvaient  dans  ladite  église,  et  dans 
les  chambres  dudit  manoir;  ils  se  sont  saisis  dudit 
officiai  et  des  autres  qui  se  trouvaient  dans  l'église, 
après  les  avoir  arrachés  violemment  de  la  pointe  de 
l'autel  où  ils  s'étaient  réfugiés;  puis,  à  la  dérision  de 
Dieu,  à  l'opprobre  de  l'ordre  clérical,  de  nous  et  de 
notre  église,  à  la  honte  et  au  mépris  de  toute  l'An- 
gleterre, ils  ont  mis  ledit  officiai  sans  chape  sur  un 
cheval  à  qui  les  rênes  pendaient  du  cou,  en  ne  per- 
mellant  pas  à  celui  qui  le  monUiit  de  les  tenir;  ils  ont 


ADDITIONS.  537 

fait  marcher  le  prêtre  à  pied  au  milieu  de  la  boue, 
ainsi  que  les  autres,  eu  les  poussant  et  en  les  frappant, 
et  les  ont  ainsi  conduits  lionteusement  en  présence 
du  peuple  à  la  maison  de  l'élu  à  Winchester,  dans 
Soulwark,  où  ils  les  ont  retenus  captifs.  Ensuite  ils 
ont  transféré  de  là ,  avec  ignominie  et  violence,  de  jour 
et  de  nuit,  dans  des  lieux  écartés  à  un  mille  de  Fern- 
ham,  dans  le  districtdudil  élu,  le  même  officiai,  et  les 
laïques  pris  dans  Téglise  de  Lambeth,  les  y  ont  rete- 
nus autant  qu'il  leur  a  plu,  l'tenont  emporté  leurs 
biens  et  les  nôtres,  dont  ils  s'étaient  emparés  à  Lam- 
beth. Comme  donc,  il  est  clair  et  de  toute  évidence 
que  tant  et  de  si  jurandes  énormités,  ainsi  que  plu- 
sieurs autres  ont  été  commises,  non-seulement  contre 
nous  et  contre  l'église  de  Cantorbéry,  mais  encore 
contre  Téglise  universelle  et  le  clergé  de  la  province 
de  Cantorbéry,  nous,  considérant  que  les  susdits  mal- 
faiteurs, pour  avoir  porté  des  mains  violentes  sur  des 
clercs,  sont  soumis  au  canon  de  la  sentence  déjà  pro- 
noncée; que,  pour  avoir  violé  les  libertés  et  immunités 
de  Téglise,  ils  ont  encouru  la  sentence  d'excommu- 
nication promulguée  dans  le  concile  d'Oiford  contre 
les  malfaiteurs  decette  espèce;  quede  plus,  comme  ils 
ont  commis  des  sacrilèges  multipliés  dans  les  choses 
susdites,  et  comme,  avec  une  audace  téméraire,  ils 
ont  rompu  la  paii  du  seigneur  roi  et  du  royaume, 
en  employant  la  force  et  les  armes,  en  dédaignant  la 
crainte  de  Dieu,  et  en  abjurant  tout  respect  pour  le 
prince,  nous  déclarons  excommuniés  en  vertu  de 
lautorite  du  Dieu  tout-puissaiil,    Père,  Fils  et  Sain^ 


558  ADDITIONS. 

Esprit,  de  la  bienheureuse  Mtirie,  ruère  de  Dieu,  du 
bienheureux  martyr  Thomas,  de  saint  Edmond  le 
confesseur,  et  do  tous  les  saints,  ceux-là  et  tous  ceux 
qui  les  ont  assistés  dans  le  susdit  maléfice,  ainsi  que 
ceux  qui  leur  ont  fourni  aide,  autorisation  ,  conseil 
et  assentiment;  vous  recommandant  et  vous  enjoi- 
gnant fermement,  en  vertu  de  Tobedience  dont  vous 
êtes  tenus  envers  Téoli^e  de  Cantorbéry,  de  déclarer 
publiquement  et  solennellement  excommuniés  dans 
votre  église  cathédrale  les  susdits  malfaiteurs,  de 
les  faire  déclarer  publiquement  excommuniés  dans 
votre  diocèse,  au  son  des  cloches,  à  la  lueur  des 
cierges,  chaque  jour  de  dimanche  et  de  fête,  et  d'or- 
donner à  tous  de  les  éviter  avec  jjrand  soin  comme 
des  excommuniés.  Au  reste,  comme  les  possessions 
du  voisin  sont  en  danger  quand  la  maison  contiguë 
est  la  proie  des  flammes,  comme  on  doit  justement 
craindre  que,  si  ces  choses  ont  lieu  impunément  en 
lieu  verdoyant,  pires  choses  encore  ne  soient  com- 
mises en  lieu  aride,  puisque  l'impunité  nccordée  à 
un  délit  est  une  incitation  à  renouveler  ce  délit,  nous 
prions  votre  fraternité,  en  la  quelle  nous  avons  pleine 
confiance  dans  le  Seigneur,  à  cette  fin  que  vous  vous 
souleviez  vigoureusement  avec  nous,  pour  In  maison 
du  Seigneur,  contre  ces  méchants,  que  vous  agissiez 
de  concert  avec  nous,  et  que  vous  nous  fassiez  savoir 
par  vos  lettres  comment  il  aura  été  procédé  ultérieu- 
rement dans  cette  affaire.  Doimé  à  Croindon,  le  len- 
demain de  sainte  <'atherine,  Tan  du  Seigneur  ^2.^12. 
Cependant  nous  exceptons  de  cette  dérlnralion  \c  sei- 


\nniTIONS  5S9 

«pieur  roi,  In  (iame  reine  el  leurs  enfants,  leseio^neiir 
Kieliard.  coinlede  Cornouailles,  el  la  dame  comtesse, 
son  épouse.  »  L'évêque  TÉly  fit  remettre  à  son  archi- 
diacre les  lettres  susdites,  qui  avaient  été  envoyées  par 
rarchevôque. 

XXVI. 
Année  1335.  —  Voir  la  page  588  du  volume. 

Lettre  sur  les  procdrations  des  églises  parois- 
siales.— «Gaultier,  par  la  {jrôce  de  Dieu,  évêque  de 
Norwich  ,  à  son  cher  fils  le  doyen  de  Bingham  (?) , 
salut,  grâce  et  bénédiction.  Nous  avons  reçu  un  man- 
dement des  vénérables  pères  Robert ,  évêque  de  Lin- 
coln, Foulques,  évêque  de  Londres.  Guillaume, 
évêque  de  Wells  et  de  Bath  ,  que  nous  vous  faisons 
passer  pour  que  vous  l'examiniez  et  le  transcriviez. 
Par  la  même  autorité ,  nous  vous  recommandons  et 
enjoignons ,  à  vous  et  à  tous  ceux  qui  sont  soumis  à 
votre  juridiction ,  en  vertu  de  Tobédience  et  sous 
peine  de  la  contrainte  canonique,  de  recevoir  hono- 
rablement les  archidiacres  ,  ou  autres,  à  qui  appar-. 
tiendra  notoirement  l'office  de  visitation  ,  loi*squ'ils 
vien«lront  vers  vous  pereonnellement  pour  vous  visi- 
ter avec  le  nombre  de  montures  réglé  dans  la  consti- 
tution de  Latran,  et  de  leur  fournir  des  provisions  de 
bouche  ;  jusqu'à  la  somme  de  sept  sols  et  six  deniei*s, 
selon Testimation commune, ou  rargent,s'ilsraiment 
mieux.  Sachez  donc  pour  sûr  que  si  vous  payez  plus, 
.soit  en  argent,  soit  en  provisions  de  bouche,  ou  si  eux 
reçoivent  davantage,  ou  si  vous  leur  fourniss<'Z  quel- 


540  ADDITIONS, 

que  chose  à  titre  de  visitation,  sans  qu'ils  vousvisitenl, 
nous  punirons,  selon  la  forme  de  la  constitution  [)lus 
haut  dite,  tant  les  payeurs  que  les  receveurs,  soit  par 
nous,  soit  par  les  mêmes  conservateurs  plus  haut  dits. 
Quant  aux  antres  églises  où,  à  cause  de  Tinsuffisance 
des  biens ,  ils  avaient  coutume  de  percevoir  une 
moindre  quantité,  qu'ils  perçoivent  comme  par  le 
passé,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  réglé  la  chose  autre- 
ment, de  concert  avec  eux.  Pour  nous,  dans  les  lieux 
que  nous  visiterons  à  l'avenir,  avec  la  permission  du 
Seigneur,  nous  voulons  nous  contenter  de  provisions 
de  bouche,  montant  jusqu'à  la  somme  de  trenteetun 
sols  et  dix  deniers,  selon  l'estimation  commune . 
ou  de  l'argent  comptant ,  et  môme  de  moins  ,  selon 
les  facultés  du  lieu.  Donné  à  Londres,  le  4  des  nones 
de  février,  l'an  huitième  de  notre  pontificat.  » 

xxvn. 

Aimée  4235.  —  Voir  la  page  592  du  volume. 

Brefs  dd  roi  ad  sdjet  des  jurés  aux  armes.  (  Extrait 
del'Auctarium.) —  Premier  bref.  —  «Henri  de  Hathe- 
lokeston,  vicomte  d'Essex  et  d'Hartford,  aux  baillis 
des  libertés  de  Saint-Albuns,  salut.  J'ai  reçu  un  man- 
dement du  seigneur  roi,  ainsi  conçu  : 

«  Henri ,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  d'Angleterre,  etc. , 
au  vicomte  d'Essex  et  d'Harllord  ,  salut.  Sommez 
par  bons  sommateurs  tous  les  chevaliers  et  tous  les 
libres  tenanciers  des  comtés  susdits,  quatre  hommes 
et  le  prévôt  de  cha(jue  ville,  amsi  que  douze  loyaux 
bourgeois  de  chaque  bourg,  do  se  trouver  par-devant 


ADDITIONS.  Ui 

notre  anié  et  féal  Henri  de  Coleville  ,  aux  jours  et 
aux  lieux  qu'il  vous  fera  savoir,  pour  y  apprendre 
et  exécuter  notre  conimandement.  Fuites  aussi  venir 
par-devant  lui,  aux  mêmes  jours  et  lieux  ,  tous  ceux 
qui  sont  jurés  '  aux  armes  et  doivent  Têtre,  avec  les 
armes,  pour  le  maniement  desquelles  ils  sont  jurés 
et  doivent  létre  ,  à  l'effet  d'entendre  et  d'exécuter 
notre  commandement.  Et,  pendant  ce  temps,  en- 
quérez-vous  avec  diligence  de  ceux  qui  ont  fait,  en 
dernier  lieu,  perquisition  des  armes  dans  les  comtés 
susdits  ,  de  ceux  qui  ont  prêté  serment  à  cet  égard 
en  dernier  lieu,  et  de  l'endroit  où  sont  les  rôles  re- 
latifs à  cette  perquisition  et  à  ce  serment.  Soyez  en 
état  de  présenter  ces  rôles  au  susdit  Henri,  aux  jours 
et  lieux  susdits,  et  soyez  vous-même,  en  propre  per- 
sonne ,  en  ce  lieu,  à  cette  épo(|ue ,  pour  accomplir 
les  choses  que  le  mên>e  Henri  vous  enjoindra  de  no- 
tre pari.  S  il  arrive  que  les  baillis  des  libertés ,  qui 
ont  acte  de  renvoi  '  de  nos  brefs,  n'aient  point  exé- 

*  L'instilutioD  ou  plutôt  ierenouvellemeutdecette  garde  de  police,  nout 
parait  une  mesure  utile,  quoi  qu'eu  dise  Matt.  Paris  qui  l'attribue  aux  Pro- 
vençaux, conseillers  du  roi  (pag.  570  du  texte).  Ces  jurait  ad  arma,  sur 
lesquels  on  trouve  ici  les  détails  les  plus  circondanciés,  ne  sont  pas  sans 
analogie  atec  ce  qu^on  appela  plus  tard  yeomanry,  et  ce  qui  était  déjà 
nommé  en  France  le  guet.  11  parait  que  cette  milice  était  aussi  destinée 
a  marcher  à  la  guerre  en  cas  urgent,  puisque  le  comte  de  Leicester,  me- 
nace sérieusement  après  la  l>ataille  de  Lewes,  couToqoa,  k  titre  d'ar> 
rière-ban,  les  citoyens  armés  des  villes  municipales,  et  que  les  termes  de 
ton  ordonnance  rappellent  celle  de  Henri  III.  (Voy.  LiNGAHD  et  les  au* 
torités qu'il  cite.) 

*  Hetuntum  bretitim  {return).  Le  bref  émané  du  roi  est  adressé  au 
■bérif  (vicomte),  etjretourne  au  bailli.  La  même  formalité  s'appelait  eu 


542  AUDITIONS, 

cuté  noire  présenl  mandai,  vous  ne  néglijjeiez  pas 
de  pénétrer  dans  lesdiles  libertés,  pour  y  exécuter  le 
niênte  mandat.  Fait  sous  mes  yeux,  à  Portsmouth, 
le  dix-huitième  jour  de  juillet,  Tan  trente-septième 
de  noire  règne.  C  est  pourquoi  je  vous  recommande 
d'exécuter  avec  diligence  le  présent  mandat,  sous 
peine  de  perdre  la  liberté  de  votre  domaine.  » 

«  Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  etc.,  àsonaméetléal 
Henri  de  Coleville,  salut.  Sachez  que  nous  vous  avons 
désigné,  pour  faire  connaîlrt-  les  articles  que  nous 
vous  envoyons  sous  notre  sceau,  aux  chevaliers,  aux 
hommes  libres,  et  aux  autres  des  comtés  de  Cam- 
bridge ,  de  Huntingdon ,  d  Hartford  et  d  'Essex ,  lesquels 
doivent  venir  devant  vous,  selon  Tordre  que  nous 
eu  avons  donné,  aux  jours  et  aux  lieux  que  nous  au- 
rons fait  savoir  aux  vicomtes  des  mêmes  comtés, 
afin  de  veiller  à  ce  que  ces  articles  soient  fermement 
observés  pour  la  conservation  de  notre  paix,  afin  de 
vous  assurer  si  chacun  a  les  armes  pour  le  maniement 
desquelles  il  est  juré  ou  doit  l'être,  et  afin  de  punirde 
la  manière  accoutumée  tous  ceux  que  vous  aurez 
trouvés,  ou  résistant,  ou  rebelles,  ou  négligents  dans 
les  choses  susdites.  C'est  pour  cela  que  nous  vous  re- 
commandons de  vous  trouver  aux  jours  et  aux  lieux 
que  vous  aurez  jugé  à  propos  de  fixer  dans  les  comtés 
susdits,  pour  y  faire  les  choses  susdites,  selon  que 
vous  Taurez  jugé  le  plus  coivenable  ;  car  nous  mau- 
dons  à  chaque  vicomte  des  comtés  susdits  de  i.-iire 

France   renvoi  ;  relûniu$  curUf.  (I  «y.   Ducangb  nt  i;akpe>tiek, 
aux  raoU  tontun  ni  rtloruus.) 


AUl)^110^S.  545 

venir  «levant  vous,  aux  joura  el  aux  lieux  que  vous 
leur  aurez  fail  t>avoir,  lous  les  chevaliers ,  les  libres 
teaauciers  des  conilés  susdits,  quatre  hommes  jet  le 
prévôt  de  chaque  ville,  douze  loyaux  bourgeois  de 
chaque  bour^,  et  tous  ceux  qui  sont  jurés  aux  armes 
el  doi\eut  Télre,  avec  les  armes  pour  le  maniement 
desquelles  ils  sont  jurés  et  doivent  Tèlre,  pour  y  ap- 
prendre et  luire  les  choses  que  vous  leur  enjoindrez 
de  notre  part.  Nous  mandons  aussi  aux  susdits  vi- 
comtesde  se  trouver,  à  cette  époque,  en  leurs  propres 
persoimes,  par-devant  vous,  avec  les  rôles  de  la  dei^ 
nière  perquisition  des  armes,  faite  dans  les  mêmes 
comtés,  pour  exécuter  ce  que  vous  leurnurez  enjoint 
de  notre  part.  S  il  arrive  que  les  baillis  des  libertés, 
qui  ont  acte  de  renvoi  de  nos  brefs,  n'aient  point 
exécuté  en  cette  partie  notre  mandat,  vous  ne  né^li> 
gérez  pas  de  pénétrer  dans  lesdiles  libertés  pour  y 
exécuter  notre  susiit  mandat.  Fait  sous  mes  yeux,  à 
Porstmoulh,  le  viugtiéme  jour  de  juillet,  I  an  trente- 
septième  de  notre  règne.  » 

Autre  Bref. 

«  Henri ,  par  la  grâce  de  Dieu ,  roi  d'Angleterre,  etc., 
il  tel  ou  tel  vicomte,  salut.  Sachez  que,  pour  faire  ob- 
server  fermement  notre  paix,  il  a  été  décidé,  sur  l'avis 
de  notre  conseil ,  que  des  veilles  auraient  lieu  dans 
chaque  cité,  chaque  bourg  et  dans  toutes  les  autret 
villes  de  votre  comté,  depuis  le  jour  deTascension  dii 
Seigneur,  jusqu'à  la  fêle  de  la  Saint-Michel  ;  à  savoir 
que,  dans  chaque  cité,  six  hommes,  couverts  de  lem^s 


544  ADDITIONS, 

armes,  Vacilleront  à  chaque  porte  ;  dans  chaque  bourg, 
douze  hommes  ;  dans  chaque  ville  entérine  ,  six 
hommes  ou  quatre  homuies  au  moins ,  semblable- 
ment  couverts  de  leurs  armes,  selon  le  nombre  des 
habitants.  Ils  veilleront  continuellemenl  pendant 
toute  la  nuit,  depuis  le  coucher  du  soleil  jusqu'à  son 
lever  ;  en  sorte  que  si  quelque  étranger  veut  passer 
au  milieu  d'eux,  ils  l'arrêteront  jusqu'au  matin. 
Alors,  si  c'est  un  homme  féal,  il  sera  mis  en  liberté  ; 
si  c'est  un  homme  suspect,  il  sera  livré  au  vicomte, 
qui  le  recevra  sans  aucune  difficulté  ni  délai  ,  et  le 
gardera  en  lieu  de  sûreté  ;  mais  s'il  arrive  que  les 
étrangers  de  cette  espèce ,  passant  par  là ,  refusent  de 
se  laisser  arrêter,  alors  les  susdites  sentinelles  pous- 
seront contre  eux  de  tous  côtés  le  cri  de  hue  hue  *,  et 
les  poursuivront  avec  toute  la  ville  et  les  villes  voisi- 
nes, en  poussant  des  clameurs  et  des  cris  de  hue 
hue  de  village  en  village ,  jusqu'à  ce  qu'ils  soient 
pris.  Alors  ils  seront  livrés  au  vicomte,  comme  il  est 
dit  plus  haut;  eu  sorte  que  personne,  pour  avoir  man- 
qué d'arrêter  ou  de  prendre  ainsi  les  étrangers,  ne 

<  Hutesiunij  Huesium.  Cette  ordonnance  paraît  renouvelëe  de  celle 
de  Gaillaume  le  Conquérant  qni  prescrivait  k  tout  habitant  des  villes  et 
des  bourgs  d'Angleterre  de  traquer  Thomme  mis  hors  la  loi,  Thomme 
des  forêts,  comme  un  loup,  de  te  poursuivre  de  canton  en  canton,  par  la 
hvée  el  par  le  cri^  hxj  hue  and  cry.  (Foj/.M.  Aug.  Thierry,  liv.  vi, 
pag.  247.  )0n  disait  en  français,  /lu,  huyet,  /mrie,  /mtrie,  d'ofi  notre 
mot  ahuri.  «  Justice  el  jurisdiction...  de  heux  brisée.  »  G'est-à-diro 
d'infraction  commise  k  la  poursuite  h  cor  el  h  cri.  On  trouve  aussi  liaha, 
hahuy,  hay.  tu  ii»a([c  diuitoguo  s'appelait  pu  INormniidic  haro,  rla- 
mrur  de  haro.  Mais  ce  ternie  ne  larda  pus  h  Hm  nslreint  aux  recours 
en  justice.  {Voy.  Cahpektieh,  aux  mots  huesium,  luiro.) 


ADUriiONS.  845 

se  liielte  dans  le  cas  d'être  oiolesté  par  le  vicomte  ou 
par  ses  baillis.  Que  chaque  cité,  que  chaque  bourjj, 
que  chaque  village  soit  préparé  à  faire  chacune  des 
susdites  veilles  et  poursuites  avec  assez  de  diligeuee  , 
pour  que  nous  ne  devions  pas  punir  grièvement  ceux 
qui  seraient  en  défaut.  Il  a  été  décidé  aussi  que  cba» 
quevicomte,de  concert  avec  deux  chevaliers  assignés 
spécialement  à  cela  ,  parcourrait  son  conité  de  hun- 
dred en  hundred  ,  ainsi  que  les  cités  et  les  bourgs 
du  comté,  et  ferait  comparaître  devant  lui,  dans  cha> 
que  hundred,  cité  et  bourg,  les  citoyens,  les  bour- 
geois, les  libres  tenanciers,  les  vilains  et  autres  ,  de- 
puis l'âge  de  quinze  ans  jusqii  à  râ|>e  de  soixante  ans. 
Les  mêmes  vicomtes  et  chevaliers  les  feront  tous  jurer 
aux  armes ,  selon  la  quantité  de  leurs  terres  et  de 
leurs  biens  chattels .  à  savoir,  pour  quinze  livrées  de 
terre,  une  armure,  un  chapeau  de  fer,  une  épée,  un 
couteau  et  un  cheval;  pour  dix  livrées  de  terre,  un 
hauberget\  un  chapeau  de  fer,  une  épée  et  un  cou- 
teau; pour  cent  souldées  '  de  terre  ,  un  pourpoint, 
un  chapeau  de  fer,  une  épée,  une  lance  et  un  gou* 
teau  ;  pour  quarante  souldées  de  terre  et  plus,  jus- 
qu'à cent  souldées  de  terre,  une  épée,  un  arc,  des 
flèches  et  un  couteau;  que  ceux  qui  ont  moins  de 

<  Gorgière,  gorgerette.  Ce  n'est  point  la  cuirasse  ratière  qu'exprime 
le  mot  luriru . 

*  Rappelons,  pour  mémoire,  que  !•  livrée  (livrutu)  était  la  portion  de 
terre  qui  rapportait  une  livre  d'argent  par  an,  et  contenait  quatre  or- 
^ng$  ou  bovales  :  chaque  bovate  était  de  Ireiie  acres ,  ee  qui  faisait  cin- 
quante-deux aères.  La  souldée,  soudée,  saudée,  solée  [sulidata)  rappor- 
tait aoouellemeal  an  sol  d'argent.  (Voy.  DuCA!«GE.| 

TU.  5o 


516  ADDITIÔiSS. 

quarante  souldées  de  terre,  soient  jurés  pour  des 
faux,  des  haches  à  longs  manches,  des  couteaux  et 
autres  menues  armes.  Quant  aux  chattels,  pour  des 
chattels  de  soixante  marcs,  une  armure,  un  chapeau 
de  fer,  uneépée,  un  couteau  et  un  cheval  ;  pour  des 
chattels  de  quarante  *  marcs,  un  hauberget,  un  cha- 
peau de  fer,  une  épée  et  un  couteau  ;  pour  des  chat- 
tels  de  vingt  marcs ,  un  pourpoint ,  un  chapeau  de 
fer,  une  épée  et  un  couteau  ;  pour  des  chattels  de  neuf 
marcs,  une  épée  ,  un  couteau,  un  arc  et  des  flèches; 
pour  des  chattels  de  quarante  souldées  et  au-dessus, 
jusqu'à  dix  marcs,   des   faux,  des  haches  à  longs 
manches  et  autres  menues  armes.  En  effet,  que  tous 
ceux  qui  peuvent  avoir  des  arcs  et  des  flèches  hors 
des  forêts  les  aient  ;  que  ceux  qui  sont  dans  les  forêts 
aient  des  arcs  et  des  traits.  Que,  dans  chaque  cité  et 
dans  chaque  bourg  ,  les  jurats  aux  armes  se  présen- 
tent devant  les  maires  de  la  ville,  et  devant  les  pré- 
vôts et  baillis  des  bourgs,  là  où  il  n'y  a  point  de  mai- 
res. Que,  dans  chaque  autre  ville  majeure,  un  ou 
deux  constables  soient  institués,  selon  le  nombre  des 
habitants  et  selon  la  provision  des  susdits.  Que,  dans 
chaque  hundred,  soit  institué  un  constable  capital, 
au  mandement  duquel  tous  les  jurais  aux  armes  du 
hundred  se  rassemblent,  et  que  ces  jurats  lui  obéis- 
sent pour  faire  tout  ce  qui  appartiendra  à  la  conser- 
vation de  notre  paix.  Que  chaque  vicomte  fasse  crier 
dans  toutes  lescitéH,  tous  les  bourgs  et  tous  les  mar- 

*-Sexaginta  «it  r^p^U.  E^idemmtol  quariraginia. 


\ 


ADDITIOÎNS.  547 

l'Iiés  de  son  baiiliajje,  défense  à  tous  de  se  rassembler 
|>uur  faire  tuuriiois  de  vilains  à  coups  de  masses  '  ou 
pour  toute  autre  aventure.  Que  personne  aussi  ne 
se  montre  en  armes  ,  à  moins  que  ce  ne  soient  gens 
assignés  spécialement  à  la  garde  de  notre  paix.  Si 
quelques-uns  sont  trouvés  se  promenant  ainsi  en  ar- 
nies  ,  contre  notre  présente  provision  ,  qu'ils  soient 
arrêtés  et  livrés  au  vicomte.  S'il  arrive  qu'ils  ne  se 
laissent  point  arrêter,  qu'alors  les  constables  de  cha- 
que hundred  el  de  chaque  ville  majeure,  et  tous  au- 

'  Ad  burdaudum.  Ce  terme  élait  usité  pour  désigner  les  tournois  des 
vilains  qui  se  servaient  de  bâtous  appelés  burdons  p  ir  Cbaucer  dank  son 
tournoi  de  Tottenham  't;loss.  du  texte).  Eu  FraDce,  les  bâtons  ou  masses 
destinées  à  cet  usage  étaient  nommés  bourdeaux,  bordes,  ou  plutôt  bou- 
hours  qui  parait  le  terme  consacré  au  treizième  siècle,  f  Jceulx  Jehan 
et  Girart  prinrent  chanMU  d'eux  uu  blanc  petit  tilleul  pelé  pour  en 
behaurder  /^un  à  (''autre  et  en  eulx  ainsi  esbatant  et  bouliourdant 
hrisérent  plusieur$  tilleux  l'un  contre  Vautre.  »  Comme  dans  le  nord 
de  la  France,  cet  tournois  avaient  lieu  surtout  le  premier  et  le  deuxième 
dimanche  de  carême,  le  terme  de  bouhourdis  servait  de  date.  «  Ce  fut 

•  fait  eo  Tan  de  rincarnation  Jbesu-Cbrist  1283,  au  mois  de  mars,  le 
«  samedi  prochain  devant  le  bebourdidi.  u  (Chartul.  de  Corbie.)  «  Le 
t  juesdi  devant  le  bouhourdiich.  •  {Hegi$t.  de  Vhotel  de  ville  d' Abbe- 
ville à  Vcuihée  4290.)  «  Fait  Fan  del  incarnation  de  nostre   Seigneur 

•  1282,  le  vendredi  upres  le  bourboudich  le  moys  de  march.  {Chartul. 
de  .\amur.)  (Voy.  Carfentier,  gloss.  Duhardium^  Bordai.)  La  tra- 
duction latine  de  ce  terme  élait  de  lignis  orditis.  iDntniuira  de  lignix 
orditix^  le  dimanche  du  bois  hourdis.\  Des  combats  de  ce  genre  por- 
taient à  Lille  le  nom  de  IVspinelle,  et  les  grands  seigneurs,  dit  Ducauge, 
ne  dédaignaient    pas  de  s'y  trouver.  «  Ces  jeux  et  ces  tournois  estoieni 

•  appelei  du  terme  général  do  bouhourd,  ainsi  que  Buzelius  Ta  rt'mar- 
>  que  qui  ajoute  que  quelques-uns  on  rapportent  l'origine  et  l'institution 
'  au  roi  saint  Ix>uys.  •  (Disserl.  vu  sur  V Hist,  dr  saint  Louis.)  (Rap- 
pelons enfin  que  bourdons  était  le  nom  général  des  bitons  bénit  que  les 
pèlerins  emportaient  a  la  croisade. 


S48  ADDIUONS. 

très,  quels  qu'ils  soient,  élèvent  contre  eux  de  tous 
côtés  le  cri  de  hue  hue,  et  les  poursuivent  de  village 
en  village  avec  les  villages  voisins,  jusqu'à  ce  qu'ils 
soient  pris  et  livrés  au  vicomte ,  comme  il  a  été  dit 
plus  haut.   Or,  toutes  les  lois  qu'il  arrivera  qu  ou 
élève   le  cri  de   hue  hue  contre  des  perturbateurs 
quelconques  de  notre  paix,  et  contre  des  brigands  et 
uiallaiteurs  dans  les  parcs  ou  les  viviers,  qu'aussitôt 
le  cri  de  hue  hue  soit  poussé  à  cause  d'eux,  et  qu'on 
les  poursuive  jusqu'à  ce  qu'ils  soient  pris  et  livrés  au 
vicomte»,  ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut  pour  les  autres. 
Que  tous  les  vicomtes  et  leurs  baillis,  les  constables, 
les  jurais  aux  armes,  les  citoyens  ,  les  bourgeois ,  les 
tenanciers  libres  et  les  vilains  ,  fassent  telle  poursuite 
à  l'égard  des  susdits  malfaiteurs,  de  peur  que  ces 
malfaiteurs  ne  s'échappent,  et  pour  empêcher  que, 
dans  le  cas  où  ils  échapperaient  par  la  faute  d'iceux, 
ceux  qui  auraient  été  trouvés  en  défaut  ne  soient 
grièvement  punis.  Auquel  cas,  qu'ils  soient  punis  sur 
l'avis  de  notre  conseil,  de  telle  façon  que  leur  châti- 
ment inspire  de  la  crainte  aux  autres  et  leur  enlève 
sujet  de  tomber  en  faute.  Que  les  vicomtes  reçoivent 
sans  délai  ni  difficulté  les  suspects  qui  auront  été  ar- 
rêtés de  jour  par  quelques  arrestations  que  ce  soit , 
et  qu'ils  les  gardent  en  lieu  de  sûreté,  jusqu'à  ce  qu'ils 
soient  mis  en  liberté,  d'après  la  loi  de  la  terre.  C'est 
pourquoi ,  nous  vous  enjoignons ,  si  vous  tenez  à 
votre  corps  et  à  tous  vos  biens,  d'accomplir  avec  di- 
ligence loules  les  choses  susdites,  dans  In  forme  pres- 
crite, de  concert  avec  nos  améset  féaux  Henri,  fils  de 


ADDITIOINS.  540 

Bernard,  et  Pierre  deGoldinloii,  que  nous  vous  avons 
adjoints  pour  cela,  de  telle  sorte  que  nous  n'ayons  pas 
à  vous  demander  un  compte  sévère,  à  vous  et  à  eux, 
dans  le  cas  où  vous  et  les  susdits  Henri  et  Pierre  se- 
riez en  défaut  pour  cela.  Fait  sous  les  yeux  de  l'ar- 
chevêque d'York  à  Westminster,  le  vingtième  jour 
de  mai,  l'an  trente-sixième  de  notre  rè^jne ,  à  nous 
Henri,  fils  du  roi  Jean.  » 

ABTICLES. 

i .  Que  les  veilles  soient  faites  dans  chaque  ville, 
comme  elles  ont  coutume  d'être  faites,  et  par  des 
hommes  preux  et  valides. 

2.  Que  les  poursuites  de  Huyet*  aient  lieu  selon  la 
manière  ancienne  et  due,  eu  sorleque  les  néglij|ents 
et  ceux  qui  ne  voudront  pas  suivre  le  Huyet  soient 
pris  comme  étant  les  complices  des  malfaiteurs,  et 
soient  livrés  au  vicomte.  Que  de  plus,  dans  chaque 

'  C'est-à-dire  le  guet,  de  wactare,  waiter^  gneiteTf  d'où  waUhman. 
l\  ne  paraît  pasqu'eo  France,  au  treizième  tiécle,  le  guet  eût  le  caractère 
de  généralité  <]ue  nons  trouvons  ici,  quoiqu'il  en  soit  fait  mention  dans 
let  ordonnances  da  Cbarlemagne,  et  même,  à  ce  qu'on  prétend,  de  Clo- 
ture II.  Sous  saint  Louis,  le  guet  était  organisé  seulement  à  Paris,  et  son 
commandant  s'appelait  gardien.  Les  communautés  de  métiers  fournis- 
saient chaque  jour  un  certain  nombre  d'hommes  uux  ordres  du  prévôt  de 
Paris  ;  c'était  le  (juet  assis,  parce  qu'il  restait  dans  des  corps  de  garde 
fiua,  et  qu'on  ne  reqoérait  son  assistance  qu'en  ca«  d'urgence.  Le  guet 
royal,  composé  de  soixante  sergents  entretenus  aui  frais  du  roi,  était 
chargé  de  faire  les  rondes.  Le  nombre  des  sergents  fut  porté  à  quatre- 
vingU  par  Philippe  le  Bel.  (Ordonnance  sur  le  Cbâtelet,  1502.)  {Voij. 
l>L;tA*GE,  Viqiliœ  ;  Salval,  Antiq.  de  Paris  ;  Uelauarke,  Traité 
dépolie^:  ViLLAHET,  Uist.  de  France,  tom.  ix,  pag.5<0.) 
yirexium.  Nousiitoni  llutesium. 


550  ADDITIONS, 

ville,  quatre  hommes  ou  six,  selon  la  quantité  des 
habitants,  soient  désignés  pour  faire  suite  de  Huyet, 
avec  promptitude  et  persévérance,  et  pour  poursuivre 
les  malfaiteurs,  s'il  en  survient,  et  cela,  en  cas  de  be- 
soin, avec  arcs  et  flèches  et  autres  armes  légères,  qui 
doivent  êtres  affectées  à  la  garde  de  toute  la  ville,  et 
qui  doivent  rester  toujours  pour  les  besoins  de  la  sus- 
dite ville;  qu'outre  ceux-là,  deux  hommes  libres  et 
loyaux,  plus  puissants,  qui  leur  soient  supérieurs, 
soient  désignés  dans  chaque  hundred,  et  qu'ils  veil- 
lent à  ce  que  les  veilles  et  les  poursuites  susdites  se 
lassent  comme  il  doit. 

5.  Qu'aucun  étranger  ne  soit  reçu  à  loger,  si  ce 
n'est  de  jour,  et  qu'il  s'en  aille  au  grand  jour. 

4.  Qu'aucun  étranger  ne  soit  reçu  dans  les  villages 
de  la  campagne  au  delà  d'un  jour  ou  deux  au  plus,  en 
autre  temps  qu'à  l'époque  des  moissons,  à  moins  que 
son  hôte  ne  veuille  répondre  pour  lui. 

5.  Si  quelque  malfaiteur,  ou  quelqu'un  sur  le. 
quel  on  aurait  de  mauvais  soupçons,  est  pris  par  les 
sentinelles,  ou  par  les  autres  féaux  du  seigneur  roi , 
que  le  vicomte  ou  le  bailli  du  hundred  le  reçoive 
sans  délai,  ou  sans  récompense  aucune. 

C.  Qu'il  soit  enjoint  au  maire  et  aux  baillis  de 
chaque  cité  et  de  chaque  bourg,  dans  le  cas  où  quel- 
que marchand  ou  étranger,  portant  6p  l'aqjent,  leur 
montrerait  cet  argent,  et  leur  demanderait  sauf-con- 
duit, de  lui  fournir  sauf-conduit  à  travers  les  mau- 
vais pas  et  les  lieux  douteux.  S'il  arrive  qu'il  perde 
qMpl(|nc  «•lioso,  soit  par  déf.iut  de  [sauf]  conduit,  soit 


ADDITIONS.  55< 

iJaiis  la  coiiiiuile  d  iceux,  qu'où  le  lui  restitue  aux  dé- 
pens de  la  commune  de  ce  bourg  ou  de  cette  cité. 

xxvm. 

Année  lilS.  —  Voir  la  page  409  du  volume. 
DÉCRÉTALE    DO    PAPE  INNOCENT    IV    POOR    MODIFIER  LE 

PRIVILEGE  D  EXEMPTION  '.  —  «  Voulant  que  la  liberté 
octroyée  à  plusieurs,  eu  vertu  du  privilège  d'exemp- 
tion, soit  conservée  dans  son  intégrité,  de  telle  façon 
que  les  autres  ue  Tenfreignent  pas,  et  que  [les  pri- 
vilégiés] eux-mêmes  ndcèdent  pas  ses  limites,  nous 
déclarons  d'une  manière  définitive  et  irréiragable 
que,  quelque  étendue  que  soit  la  liberté  dont  les 
exempts  jouissent  de  cette  façon,  ils  peuvent  être  ré- 
gulièrement néanmoins  cités  par-devant  leur  ordi- 
naire, à  raison  d  un  <lélit,  ou  d'un  contrat,  ou  de 
ractioii  intentée  contre  eux;  et  l'ordinaire  pourra 

*  Cette  décrétale  ne  portant  point  de  date,  il  est  difficile  de  lui  assi- 
gner ta  place  Cxe.  Toalefois  Texamen  attentif  du  teste  suffit  pour  dé- 
montrer que  rarraogeinent  de  Guillaume  Wats  est  fautif  ici  comme 
ailleurs.  Cet  éditeur  renvoie  aux  pa{;es  o50,  5o2  du  texte,  qui  corres- 
pondent aux  pages  244,  228  de  ce  volume.  Or,  il  nous  parait  démontré 
que  par  ces  muta  :  qiuisdam  uovas  décrétâtes  composuit,  Matt.  Paris 
veut  parler  des  nouveaux  statuts  de  l'ordre  Noir,  traduits  sous  le  u"  XIX, 
et  non  d'une  seule  décrétale.  Celle-ci,  au  contraire,  convient  bien  au  pas- 
sage auquel  nous  la  rapportons.  Matt.  Péris  s'y  plaint  de  ce  que  le  pape 
favorise  les  prétentions  des  évéques.  La  décrétale  restreint,  en  effet,  les 
droits  des  privilégiés  dont  il  est  bien  question  dans  le  texte,  puii^qu'ou, 
y  voit  que  l'é^éque  de  Lincoln  aspirait,  eu  vertu  de  ce  titre,  à  visiter  le 
couvent  de  Saiut-Albans,  qui  tenait  le  premier  rang  parmi  les  monas- 
tère* exempta.  Tout  nous  semble  doue  autoriser  la  rectittcatiou  qusootu. 
propoMNii. 


.V52  ADDITIONS, 

poursuivre,  comme  le  droit  l'exige ,  jusqu'où  s'é- 
tend sa  juridiction  '  sur  eux.  Kst-ceàdire  qu'ils  soient 
absolument  privés  en  cela  de  l'avantage  de  leur  li- 
berté? non  pas  certes,  puisque,  dans  le  cas  où  le 
délit  aura  été  commis,  le  contrat  stipulé  ou  le  procès 
intenté  dans  un  lieu  exetnpt,  ils  ne  pourront  en  au- 
cune façon  être  cités  à  cet  égard  devant  leurs  ordi- 
naires ;  ni  être  cités  là  où  ils  ont  domicile,  si  le  dé- 
lit, ou  le  contrat,  ou  la  chose  liligieuse  a  eu  lieu  ail- 
leurs, sous  prétexte  que  le  [susdit]  domicile  est  lieu 
diocésain.  De  même  s'il  arrive  qu'ils  soient  cités  là 
où  a  eu  lieu  le*  délit,  ou  le  contrat,  ou  la  chose  liti- 
gieuse, les  ordinaires  n'ont  point  '  pouvoir  de  les 
renvoyer  au  lieu  où  ils  ont  domicile,  ou  de  leur  en- 
joindre de  répondre  au  susdit  domicile  ;  sauf  toute- 
fois les  autres  cas,  dans  lesquels  les  statuts  canoni- 
ques ordonnent  que  les  exempts  soient  soumis  à  la 
juridiction  des  évéques.  Nous  décidons  la  même 
chose  à  l'égard  de  ceux  à  qui  il  a  été  octroyé  par  le 
privilège  apostolique,  de  n'être  tenus  à  répondre  que 
devant  un  seul  juge  à  ceux  qui  se  plaignent  d'eux, 
ainsi  qji'a  l'égard  de  ceux  à  qui  le  saint-siége  aposto- 
lique a  accordé  de  ne  pouvoir  être  ni  interdits^  ni 
suspendus,  ni  excommuniés  par  qui  que  ce  soit  : 
comme,  par  exemple,  une  foule  de  communautés  re- 
ligieuses dont  les  privilèges  contiennent  qu'aucun 
évéque  ou  archevêque  ne  pourra  absolument  exercer 

'  Jwutionem.  Probablement jurteNcftoneni.  Phrniie  miitib'f . 
*  fi»  phr«xe  latine  rsl  inintelli|{iblft,  si  l'«in  ne  modifie  la  ponctuation 
'ti  ajoutant  non  k  hahent. 


A  DOUIONS.  555 

de  poursuites  contre  les  moines  di celles,  pour  au- 
cune cause  qui  rentre  dans  les  cas  susdits,  quelque 
part  que  soient  ces  moines;  à  moins  que  par  hasard 
les  susdits  moines  n'aient  été  envoyés  à  des  prieurés 
de  leurs  monastères,  lesquels  prieurés  se  trouvent 
soumis  aux  mêmes  ordinaires,  soit  pour  jjérer  Tad- 
ministratinu  desdits  prieurés,  soit  pour  y  résider  à 
titre  de  moines  propres  desdits  lieux.  Alors,  en  effet, 
leurs  ordinaires  susdits  pourront  user  licitement,  en 
ce  qui  rentrera  dans  les  cas  susdits,  du  droit  de  juri- 
diction sur  eux,  à  raison  des  mêmes  prieurés,  tant 
qu'ils  y  demeureront,  bien  que  ces  moines  puissent 
librement  être  rappelés  aux  mêmes  monastères,  et 
être  reçus  comme  moines ,  tant  desdits  monastères 
que  desdits  prieurés,  puisqu'il  n'y  a  point  d'incon^é- 
ui^tà  ce  qu'on  ait  place  de  moine  des  deux  côtés, 
dès  qu'il  estreconnu  que  Tun  des  deux  monastères  est 
soumis  à  1  autre  ou  eu  dépend  *.  » 

XXIX. 
Année  48S5.  Voir  la  page  414  du  volume. 

Carnage  en  pLANoaE.  —{Extrait  de  l'Auctariutn.)  -^ 
Vers  ce  temps,  une  dissension  lamentable  s'éleva 
entre  les  Flamands,  qu'on  appelle  les  hommes  d'A- 


'  Noof  pUçooa  M  4eroi«r  lieu,  à  cause  de  sa  loogaeur,  le  membre  de 
phrase  iiicideut.  mds  cependant  r«>pondre  da  sens.  Tout  ce  passage  ett 


554  ADDITIONS. 

vauterre,   et  les  Français,   qui  sont  voisins  de  ces 
pays.  En  voici  le  sujet  :  Guillaume  de  Hollande,  que 
le  seigneur  pape  avait  réceiiunenl  promu  à  la  dignité 
de  roi  d'Allemagne,  du  vivant  même  de  Frédéric,  ja- 
dis empereur  des  Romains,  haïssait  la  comtesse  de 
Flandre,  Marguerite,  dont  toute  la  conduite  méritait 
évidemment  cette  haine,  et  qui  était  sœur  de  celte 
autre  comtesse,  qui  s'était  souillée  d'un  parricide  aux 
yeux  du  monde  entier,  comme  il  a  été  dit  plus  haut 
en  temps  et  lieu.  Or,  le  même  Guillaume  se  voyant 
déjà  nommé  roi  d'Allemagne,  et  aspirant  à  de  plus 
grandes  choses  encore  (car  l'aide  et  le  conseil  elfi- 
cacesdu  seigneur  pape  lui  donnaient  d'orgueilleuses 
espérances  ),  avait  abandonné  son  héritage,  à  savoir 
la  Hollande  et  laZélande,  à  son  plus  jeune  frère,  nom- 
mé Florent.  Ladite  comtesse  Marguerite  demanda  à 
ce  dernier  l'hommage  qui  lui  était  dû,  disait-elle,  à 
raison  de  ces  deux  terres  ;  mais  il  reiusa  constamment 
de  faire  hoftimage  pour  la  Zélande.  C'est  pour  cela 
que  le  même  Guillaume  fut  cité  à  la  cour  de  Flandre, 
pour  répondre  de  ce  refus.  Il  s'y  rendit  en  ei'lét  pa- 
cifiquement; mais  ayant  refusé  de  faire  hommage,  il 
fut  pris  et  retenu  en  prison  pendant  deux  ans.  Dans 
la  suite,  ayant  été  délivré  de  sa  prison  par  Jean  d'A- 
vesnes,  fils  aîné  de  ladite  comtesse,  qui  avait  pris 
pour  épouse  la  sœur  dudit  roi  et  de  Florent,  Guil- 
laume,  |)ar  la   médiation  de  ses  cousins  le  duc  de 
Brahant,  l'élu  à  Liège,  et  le  comte  Gaëler,  forma  une 
confédération  avec  l'nrchovAquc  de  Cohtgne.  le  duc 
de  Limhourg.  lecoml<'de('.l('ves,  Iccomie  (\c  Mons,  le 


ADDITIONS.  95S- 

comte  (?)«  (le  Luxembourg,  et  d'autres  seigneurs  du 
pays  de  Cologne.  Tous  s'élant  donc  ligués,  se  prépa- 
rèrent à  la  guerre  contre  la  comtesse  susdite  et  contre 
ses  forces.  A  cette  nouvelle,  celle-ci  appela  à  son  se- 
coui-s  le  comte  de  Bar,  le  comte  de  Saint-Paul,  le 
comte  du  Perche,  le  comte  de  Guines,  avec  leurs 
communes.  Quand  ceux-ci  eurent  rassemblé  de  toutes 
parts  une  anitée  forte  et  uombreuse,  ils  vinrent  avec 
une  flotte  pour  combattre  contre  leurs  adversaires 
susdils  dans  la  Zélande,  la  susdite  comtesse  étant 
restée  dans  ses  élats.  Or,  ils  avaient  pour  principal 
chef  Baudouin  >,  fils  de  la  comtesse,  et  qui  prenait  le 
titre  de  comte  de  Flandre.  Cependant  les  susdits  sei- 
gneurs d'Allemagne,  ayant  eu  connaissance  de  leur 
arrivée  hostile,  avaient  eu  la  précaution  d'occuper 
Tibe  de  Zélande  avant  l'arrivée  d'iceux.  Aussi  au  mo- 
ment où  les  Français  abordaient,  sortaient  à  la  hâte 
de  leurs  vaisseaux,  et  étaient  encore  agités  et  ballottés 
par  les  flots  de  la  mer,  leurs  ennemis,  bien  préparés 
et  parfaitement  armés  de  pied  en  cap,  se  présentèrent 
subitement  à  eux,  et,  les  attaquant  par  un  choc  im- 
pétueux, reçurent  à  la  pointe  de  Tépée  les  Français 
surpris  et  fatigués  de  la  mer.  Après  une  bataille 
acharnée  et  terrible,  les  Français  furent  réprimés  et 
repoussés;  un  grand  carnage  eut  lieu  ;  il  y  eut  beau- 
coup de  sang  répandu;  les  Français  furent  tués  en 

'  Génère  t»i  iocompréheotible.  Noos  lisons  comité.  ReinarquoDt 
repeudantqur  Henri  de  l.uiembour);  avait  épousé,  en  1240,  Mai^uerile, 
tillf  du  comte  de  Bar. 

^  C'e«l  i>%idrnim<-iit  de  liiiv  d<-  Dampierre  qu  il  s  agit  ici. 


5W  ADDITIONS. 

majeure  partie,  el  les  Flamands  aussi  en  bon  nombre. 
Or  cet  affreux  massacre  fut  une  perte  funeste  et  ir- 
réparable pour  la  chrélienté  tout  entière.  Cependant,  à 
ce  (ju'on  prétend,  Jean  d'Avesnes  épargna  les  Fla- 
mands, dans  l'espérance  de  recouvrer  son  héritage, 
dont  sa  mère  l'avait  fait  dépouiller  par  arrêt  de  la  cour 
de  France.  En  cette  occasion  périrent  d'une  mort 
lamentable  le  comte  du  Perche,  le  comtedeBar,  et,  à 
ce  qu'on  croit,  le  comte  de  Saint-Paul.  Dans  le  môme 
combat,  le  comte  deGuines  fut  fait  prisonnier  avec  le 
comte  de  Flandre,  à  ce  qu'on  prétend,  et  un  autre 
frère  plus  jeune  dudit  Baudouin,  H  n'échappa  aucun 
homme  de  race  française,  ni  aucun  de  ceux  qui  ne 
savaient  pas  la  langue  flamande*.  Quand  on  ame- 
nait des  prisonniers,  le  susdit  Jean  et  les  siens  les 
examinaientl'un  après  l'autre  dans  la  langue  susdite; 
s'ils  ne  parvenaient  par  leurs  réponses  à  se  soustraire 
à  la  sentence  capitale,  ils  étaient  misérablement 
égorgés  sans  distinction  de  condition.  Or,  on  dit 
qu'il  périt  en  cette  occasion  treize  mille  hommes 
d'armes,  sans  compter  le  populaire  et  les  noyés,  sans 
compter  aussi  ceux  qui  auraient  sans  doute  mieux 
aimé  succomber  glorieusement  dans  la  bataille,  sa- 
chant qu'ils  pourriraient  en  prison,  ou  ne  seraient  ra- 
chetés, eux  et  leurs  amis,  qu'à  des  conditions  très- 
onéreuses.  Comme  c'est  l'ardeur  des  passions  de  Venus 
et  la  détestable  luxure  d'une  femme  qui  a  suscité  ce 
désastre,  Dieu  vengeur  a  voulu  que  ce  carnage  dé- 

'  An  manaere  de  Bra|;e8,  en  i.'S<>2,  le*  Flamands  firent  suliir  In  mémo 
r preuve  aox  Fnn^n'u. 


1 


i 


AUDI  r  IONS.  557 

plorable  dans  tous  le:»  siècles  eût  lieu  un  jour  de 
Véuus,  à  savoir  la  sixième  férié,  quatrième  jour  de 
juillet,  l'an  du  Seiyneur  1255.  Or,  quoique  TorigiDe 
de  C6  lu^jubre  événement,  qui  provient  de  Tincouti- 
ueuce  d'une  femme,  ait  précédé  par  anticipation  dans 
le  temps,  cependant  comme  on  nous  en  a  fait  le 
récit  quaud  déjà  quelques  années  s'étaient  écoulées, 
nous  avous  exposé  eo  ce  lieu  plus  clairement  et  plus 
pleinement  de  nouveaux  détails  sur  ce  qui  s'était 
passé*. 

XXX. 

Année  I2.^i3.  Voir  la  page  455  da  volume. 

Obtentions  de  l'abbé  et  du  cocvent  de  l'église  de 

SlINf-ADGCSTIN  A  CaNTORBÉRY,  CONTRE  LES  PRÉTENTIONS 

DE  l'archevêque  Boniface  *.  —  «  Innoceut ,  etc.,  aux 
abbés  de  la  Bataille  et  de  Waltbam,  dans  les  diocèses 

'  Ces  faiU  toot  ooofirmés  par  Meyer,  Ann.  de  Flandre,  p.  77,  édi- 
tion 457 1 .  Marguerite,  ayaut  rompu  la  trêve  conclue  à  Anvers  par  la  mé- 
diation du  ducde  Brabant,  envoya  une  armée  en  Zélande  sous  le  comman- 
deroeot  de  deui  de  ses  lîls.  Mais  cette  armée  fut  défaite  par  Florent  dans 
i'ite  de  Walcberen,  près  de  West-Kapeile,  le  4  juillet.  Guy  et  Jean  de 
Dampierre  furent  pris  avec  les  comtes  de  Bar  et  de  Guines  et  deux  cent 
trente  chevaliers,  parmi  lesquels  Simon  de  iSesle-Clermout  et  Lrard  de 
Valéry.  On  fait  monter  k  trente  mille  le  nombre  des  morts.  Marguerite 
al«r«  envoya  um  ambassade  à  Guillaume  de  Hollande.  Irritée  de  sa  ré- 
ponse insultante,  elle  appela  k  son  secours  Charles  d'Anjou  et  lui  adjugea 
le  Hainaut. 

*  Fidèle  à  ses  habitudes  d'opposition,  Matt.  l'Aris  ajoute  eo  note  : 
«  Remarquez  CturonsUince  du  pape  quidé  en  tuut  ceci  pur  Cava- 
•  rice.  •  Cea  dcui  lettres  sont  datées  du  8  et  du  tti  septembre  4'ia.l. 


558  ADDtTIONS. 

de  Chichester  et  de  Londres,  salut  et  bénédiction 
apostolique.  Jadis  comme  il  avait  été  rapporté  à  notre 
audience  que  les  abbés,  les  prieurs  et  les  moines  de 
Saint-Benoît,  dans  la  province  dcCantorbéry,  n'ob- 
servaient pas  les  statuts  rendus  pour  la  réformation 
dudit  ordre,  par  notre  prédécesseur  le  pape  Grégoire, 
d'heureuse  souvenance,  nousavions  donné  injonction 
par  nos  lettres  sous  forme  déterminée,  à  notre  véné- 
rable frère  Tarchevêque  de  Cantorbéry,  et  à  ses  suf- 
fra^ants,des'enquérir  soigneusementde  lavéritéà  cet 
égard,  et  de  faire  observer  avec  une  diligence  exacte 
les  susdits  statuts,  par  toutes  les  personnes  du  même 
ordreengénéral,exemptes  ou  nonexemptes,dans  leurs 
cités  etdans leurs  diocèses.  Aujourd'hui,  accédant  aux 
prières  de  nos  chers  tils  l'abbé  et  le  couvent  du  mo- 
nastère de  Saint-Augustin  à  Cantorbéry,  dudil  ordre 
de  Saint-Benoît,  nous  vous  recommandons,  en  vertu 
(le  l'autorité  des  présentes,  dans  le  cas  où  le  même  ar- 
chevêque aurait  promulgué  contre  le  même  abbé,  ou 
contre  d'autres  personnes  du  même  monastère,  ou 
contre  ledit  monastère,  par  laulorilé  des  lettres  sus- 
dites, quelque  sentence  d'excommunication,  de  sus- 
pension ou  d'interdit,  de  les  délier  de  ces  sentences 
en  notre  nom  sans  difficulté  aucune,  et  de  ne  pas 
permettre  ({u'ils  soient  molestés  par  qui  que  ce  soit, 
sous  prétextedcsniémesletlresou  des  mêmes  sentences, 
en  réprimant  par  les  censures  de  Tégliso  apostolique, 
nonobstant  tout  appel,  ceux  qui  les  molesteraient  de 
cette  façon  ;  nonobstant  aussi  que  quel(|ues-uns  aient 
obleim  du  siégi-  apostolique,  de  ne  pouvoir  être  ex- 


communies,  suspendus  ou  interdits  sans  un  mande- 
ment special  de  nous,  qui  fasse  mot  pour  mot  men- 
liou  pleine  et  expresse  du  privilège  accordé.  Que  si 
tous  ne,  etc.  Donné  à  Assise,  le  C  avant  les  ides  de 
septembre,  lan  onzième  de  noire  pontifical.  » 

/lu/r^" /f/Zn. —  B  Innocent,  elc...  à  larclievêque  de 
<!antorbéry  ,  salut  et  bénédiction  apostolique.  Quoi- 
que nous  devions  traiter  favorablement  le  monastère 
de  Saint-Augustin  à  Cantorbéry,  de  l'ordre  de  Saint- 
Benoît  ,  par  cela  qu'il  dépend  de  l'église  romaine  im- 
médiatement, nous  lui  uvons  voué  dans  le  Seigneur 
une  affection  encore  plus  spéciale  ,  parce  que,  parmi 
les  autres  monastères  du  même  ordre,  c'est  chez  lui, 
à  ce  que  nous  avons  appris,  que  l'observance  régu- 
lière et  le  bienfait  de  Ihospilalilé  occupent  le  pre- 
mier i*ang.  Il  esl  vrai  que  jadis  nous  l  avons  donne 
injonction,  par  nos  lettres  sous  forme  déterminée, 
de  faire  observer  avec  une  exacte  diligence  ,  par  tou- 
tes les  personnes  du  même  ordre  en  général,  dans  ta 
cité  et  dans  ton  diocèse,  les  statuts  rendus  pour  la 
reformation  dudit  ortlre  ,  par  notre  prédécesseur  le 
pape  Grégoire ,   d'heureuse  souvenance.   Exécutant 
sur  ce  point  le  mandement  apostolique,  en  vertu  de 
l'autorité  de  ces  lettres,  tu  as  procédé,  à  ce  que  nous 
savons ,  à  un  examen  vigilant  dans  le  niénie  monas- 
tère. Comme  aujourd  hui,  sur  les  informations  et  les 
témoignages  de  gens  dignes  de  foi,  nous  avons  la 
meilleure  opinion  de  la  religion  el  de  la  vie  des  per- 
sonnes du  même  monastère  ,  et  (jue  nous  avons  en- 
voyé Tfu'dre  (le  lever  les  seiiiem  es  que  tu  aurais  pu 


360 


ADDITIONS. 


avoir  promulguées  depuis  lors  contre  les  personnes 
du  monastère  souvent  dit ,  nous  jugeons  à  propos  de 
prier  inslamuaent  ta  fraternité ,  et  de  te  recomman- 
der, par  ce  rescrit  apostolique,  de  ne  pas  molester 
désormais  les  personnes  dudit  monastère ,  à  Pocca- 
sion  des  susdites  lettres,  mais,  par  déférence  pour  nous 
et  pour  le  saint-siége  apostolique ,  de  maintenir  at- 
tentivement dans  leurs  droits  lesdites  personnes  et 
ledit  monastère ,  et  de  te  montrer  favorable  et  bien- 
veillant envers  elles  ,  autant  qu'il  sera  en  toi,  contre 
les  vexations  d'autrui ,  de  telle  sorte  que  ta  dévotion 
à  cet  égard  soit  justement  recommandable  à  nos 
yeux.  Donné  à  Assise  ,  le  >!  6  avant  les  calendes  d\>c- 
tobre.  Tan  onzième  de  notre  pontificat.» 


NOTES. 


Note  1.  Voir  les  pages  95,  <07,  452  du  volume. 

Ducange,  dans  sa  Dissertation  XX  sur  l'Histoire  de  saint 
Louis,  s'efforce  de  faire  concorder  le  récit  de  Joinville  avec 
celui  de  ^'att.  Paris,  au  sujet  de  la  rançon  du  roi  de 
France.  I.a  chose,  à  notre  avis,  est  impossible  :  aussi  la  dis 
cussion  de  Ducange  est-elle  fort  incertaine.  Sans  prétendre 
arriver  à  un  résultat  exact  dans  une  des  questions  les  plus 
difficiles  qui  puissent  se  présenter  au  commentateur,  nous 
nous  bornerons  à  signaler  comme  inconciliable  la  différence 
qui  existe  entre  les  indications  de  Joinville  et  celles  de  Matt. 
Paris. 

Joinville  raconte  que  le  soudan  ayant  demandé  un  million 
de  besants  d'or,  qui  valait  cinq  cent  mille  livres,  Louis  IX 
consentit  a  payer  cette  somme,  et  que  le  vainqueur,  charmé 
de  sa  bonne  grâce ,  rabattit  cent  mille  livres  ' .  D'autre  part, 

'  •  Kt  rapportèrent  aa  rey  qo«  se  la  royne  voulait  paier  dit  eenl  mil 
Vil.  Sfi 


5G2  NOTES. 

saint  Louis  ,  dans  la  lettre  qu'il  écrivit  lui-même  en  France^ 
au  sujet  de  sa  captivité  et  de  sa  délivrance,  Vincent  de  Beau- 
vais,  Guillaume  deNangis  ^  et  d'autres  auteurs,  donnent  pour 
somme  huit  cent  mille  besants  d'or  sarrasinois  ;  ce  qui  ne  per- 
met pas  de  douter  que  les  quatre  cent  mille  livres  de  Joinville 
ne  répondissent  exactement  aux  huit  cent  mille  besants  d'or. 
Makrisi  parle  également  de  quatre  cent  mille  pièces  d'or  payées 
en  quittant  Damiette,  et  qui,  par  conséquent,  indiquent  le  pre- 
mier paiement  de  deux  cent  mille  livres. 

Matt.  Paris  expose  ainsi  les  faits  :  à  la  page  93,  il  parle  de 
cent  mille  livres  d'or  qui  sont  converties  en  autant  de  marcs 
d'argent  (page  97).  Dans  la  lettre  du  chancelier,  écrite  au 
comte  de  Cornouailles,  nous  lisons  aussi  (page  107)  cent  mille 
marcs  d'argent.  Plus  loin,  à  la  page  ^52,  Matt.  Paris,  proba- 
blement sur  quelque  indication  nouvelle, donne  soixante  mille 
livres  d'or  pur,  et  y  ajoute  comme  appoint  un  nombre  con- 
sidérable, nnnurtis  infini  tus ,  de  deniers  tournois  et  parisis 
Les  rapports  transmis  en  Occident  par  le  cardinal  Jean  disent 
expressément  que  le  reste  de  la  rançon  ne  fut  pas  payé.  On  y 
lit  cetti*  phrase  singulière  :  erat  auleni  snnima  suce  redemp- 
tionis  tnœstimabiiis ,  imo  in  deciiplo  plus  quant  credebatur: 
celnbnrur  nnmque ,7if.  soliitio  desperaretvr.  (Voy.  la  page  505 
de  ce  volume.)  Enfin  la  lettre  adressée  à  l'évêque  de  Chiches- 
ter (page  506)  [confirme  le  non-paiement  du  reliquat,  et  ce  reli- 
quat montait,  dit  l'auteur  de  la  lettre,  à  cinquante  mille  marcs 
d'argent. 

•  betani  dW  qui  valoienl  cinq  cent  mil  livres,  que  il  dt'livreroit  le 

•  roy Or  li  nirs  dirr,  list  Icsouldiin,  que  jo  li  donne  cent  mil  livres 

«  pour  la  n'iincoii  |)aii>r et  le  roy  leur  devoit  jurer  aussi  à  leur  faire 

■  gré  de  deux  cent  mil  livres  avant  que  il  parlisisl  du  tluai  et  deux  cf  nt 
«  millivresen  Acre."  (JoiNVilLE,  édit  de  17(H.)  On  commença  h  faire 
l«  paiement  le  <iuniedi  ajtri's  l'Ascension  au  matin,  et  le  dimanche  tout  li- 
jour  jusqu'à  la  nuit,  et  on  pesa  l'arfjnnt  (en  deniers  mnnnayrs  dans  des 
balanr^s,  dix  imilc  livres  par  dix  mille  bvres 

'  (.'édition  de  Nangis,  |T«I,  à  la  suite  de  Joinville,  porte  fnnlive- 
mtui  huil  mil  ;  eVsl  huit  rntt  mil  qu'il  faut  lire. 


NOTKS.  SW 

1/histoire  des  arclievéques  de  Brème  et  Sanut  donnent  éga- 
lement une  somme  de  cent  mille  marcs  d'argent.  Matthieu  de 
Westminster,  copiant  probablement  Matt.  Paris,  dit  que 
toute  la  somme  qui  composa  la  rançon  de  saint  Louis  fut  de 
soixante  mille  livres  d'or,  et  Meyer,  dans  ses  Annales  de 
Flandre,  évalue  cette  rançon  à  huit  mille  livres  pesant  d'or  '. 

Ducauge,  prenant  pour  base  de  son  calcul  la  livre  à  vingt 
sols,  admet  que  chaque  besant  d'or'''  répondait  à  diii;  sols  d'ar- 
gent, et  il  s'appuie  sur  un  passaiie  de  Raymond  d'Agiles,  au- 
teur du  onzième  siècle,  en  supposant  une  légère  élévation  dans 
la  valeur  de  la  monnaie  d'or  des  Sarrasins  au  temps  de  saint 
Louis.  Cette  élévation  n'a  rien  d'improbable  ,  puisqu'elle  est 
justiûée  par  les  faits;  mais  c«  que  nous  rejetons  entièrement, 
c'est  la  conclusion  qu'il  en  tire.  •  D'où  il  faut  conclure,  dit-il, 
que  les  quatre  cent  mille  livres  faisaient  en  argent  cent  mille 
marcs.  »  Et  plus  loin  :  «  Il  s'ensuit  que  chaque  marc  d'argent 
valait  alors  huit  besants  en  or  et  quatre  livres  ou  quatre- 
vingts  sols  en  argent.  » 

Pour  faire  voir  l'inexactitude  de  cette  assertion  *,  il  suffit 


'  •  Otio  millia  pondo  auri  pro  sud  yuonnnque  redeuifitume  tex 
«  tolrit.  »  (Meter,  pag.  76,  édit.  dt  1,T/1.) 

*  Le  Dom  d<>  besant  vient  évidemment  de  la  monnaie  d'ur  frappée  par 
lei  empereurs  bysantins.  Leblanc  {Traité  hixtoriqup  des  mofiiiaies  de 
Freuicei  pense  qu'au  treizième  siècle  on  donnait  à  toutes  les  monnaies 
d'or  le  nom  ^^uérique  de  besant.  Il  parait  cependant  que  les  anciennes 
monnaies  d'or,appeléesspécialoment  besants,  avaient  encore  cours  à  o«tle 
époque,  puisqu'un  arr^t  du  parlement,  en  4282,  évalue  le  besant  à 
huit  sols,  et  uu  compte  des  baillis,  en  1297,  à  neuf  sols.  Mais  comme  il 
s'agit  dans  Joinvilie  de  besants  d'or  sarrusit.ois,  etque  les  monnaies 
orientales  étaient  réputées  pour  leur  pureté,  on  peut,  avec  Ducange,  éva- 
luer le  besant  à  dix  sols  d'argent. 

*  bucange  lui-même  dans  le  passage  que  nous  citons,  se  sent  arrêté 
par  le  manque  de  preuves  ou  plutôt  par  des  preuves  contraires.  Pour 
soutenir  son  hypothèse,  il  rappelle  que  les  évaluations  des  marcii  d'ur 
tl  (l'argent  changeaient  notablement  non  feulement  tous  les  ans.   mais 


S64  NOTKS. 

d'examiner  ce  qu'étaient,  sous  saint  Louis,  la  livre  de  France 
et  le  marc  d'Angleterre.  Car  il  est  clair  que  Matt.  Paris 
veut  parler  de  marcs  sterling  :  et  d'ailleurs,voulût-il  parler  du 
marc  de  Tours,  qui  fournissait  le  plus  à  la  taille,  la  difficulté 
resterait  la  même. 

La  livre  de  poids  devint  livre  de  compte  *,  dès  le  moment 
où  tout  ce  qui  valait  vingt  sols  était  appelé  livre,  et, depuis 
Cbarlemagne,  les  marchés  et  contrats  furent  généralement 
faits  sur  le  pied  de  cette  monnaie  imaginaire,  quoique  les  sols 
eussent  changé  de  poids  etd'aloi.  La  première  altération  des 
deniers  d'argent  date  du  règne  de  Philippe  I*»^.  Ils  furent 
frappés  dans  la  proportion  de  deux  tiers  d'argent  et  un  tiers 
de  cuivre.  Sous  Louis  le  Gros,  en  i  112,  la  monnaie  courante 
fut  moitié  cuivre,  moitié  argent  fin,  en  sorte  que  de  la  livre 
on  tirait  réellement  quarante  sols.  L'altération  ayant  encore 
augmenté  sous  Louis  VII,  l'usage  s'introduisit  de  prendre  pour 
base  de  la  taille  le  marc,  pesant  huit  onces.  Sous  Philippe- 
Auguste,  le  marc  d'argent  valut  cinquante  sol.s  tournois  '^,  ou 

même  presque  lous  les  mois.  Mais  il  oublie  (jue  ces  variations  furent 
très-faibles  sous  saint  Louis,  et  que  le  marc  ne  monta  à  quatre  livres  que 
sous  Philippe  le  Bel,  en  d2U9. 

'  «  La  livre,  dit  M.  Trouvé  dans  son  Infrnductio»  à  l'hisloire  de 
Jacques  Cœur,  est  une  monnaie  imnginaire  qui  doit  son  origine  îi  une 
chose  r/'olle.  Ce  fut  sous  Charlemapne  que  l'on  commen<;a  d'employer  In 
livre  de  compte  valant  vin|;t  sols  de  douze  deniers.  L'arjjent  étant  do- 
venu  plus  abondant  en  France  par  suite  des  conquLU'es  de  ce  prince,  on 
tit  faire  des  sols  plus  p(>sauts.  On  n'en  tailla  plus  que  vingt  dans  une 
livre  d'argent,  et  «ingt  sols  pesaient  une  livre  de  douze  onces.  Depuis 
ce  temps,  le  mot  livre  u  toujours  exprimé  une  sonune  de  vingt  sols. 
Ainsi  la  livre  de  compte  est  née  de  la  livre  do- poids,  et  toutes  deux  duns 
le  principe  eurent  une  valeur  é^ale.  ». 

*  Kn  i'iOT,  un  litre  de  rév<W|ue  de  Paris  évalue  cent  marcs  d'argent 
a  de-jf  r^nts  livret  purisis.  Ainsi  le  more  d'argent  valait  quarante  sols 
pirisis  ou  cinquante-  soU  tournois,  la  monnaie  pariais  étant  d'un  quart 
phi«  forte  que  la  monnaie  tournois.  (Sous  saint  Louis  on  ne  comptait 
lisbiluellemeiit  qu  •  p;ir   livre»  et  «ol»  toiirnoin.)  Même  évnluntion  en  ii.'H, 


deux  livres  dix  sols  'monnaie  de  compte)  ;  sous  saint  Louis  , 
cinquante-quatre  sols  six  deniers,  ou  deux  livres  quatorze  sois 
six  deniers;  sous  Philippe  le  Bel,  le  faux  mohnaycnr ,  le  marc 
monta  à  quatre  livres  cinq  sols  en  1299,  et  à  six  livres  cinq  sols 
en  1504.  Louis  X  rétablit  les  monnaies  au  taux  où  elles  étaient 
sous  saint  Louis,  et  remit  le  marc  d'or  à  trente- huit  livres  et  le 
marc  d'argent  à  cinquante-quatre  sois.  Mais,  sous  Philippe  de 
Valois,  le  cuivreentrapour  trois  quarts  dans  la  fabrication  des 
monnaies,  et  le  surhaussement  du  marc  s'accrut  sans  cesse 
pendant  les  désastres  des  guerres  contre  les  Anglais.  L'affai- 
blissement de  la  valeur  intrinsèque  de  la  livre  continiia,  et  fut 
porté  au  point  que,  de  nos  jours,  vingt  sous,  qui  avant  Phi- 
lippe l*' faisaient  une  livre  réelle  d'argent,  n'e»  forment  plus 
que  la  centième  partie. 

En  Angleterre,  au  contraire,  avant  Edouard  III  ',  la  déno- 
mination des  espèces  n'avait  jamais  été  changée.  Une  livre 
sterling  était  toujours  une  livrede  poids,  et  pouvait  valoir  trois 
livres  sterling  de  la  monnaie  actuelle.  Pendant  le  douzième  et 
le  treizième  siècles,  les  deniers  sterling  furent  constamment 
de  même  poids  et  de  même  aloi.  Aussi  saint  Louis  donna-t-il 
eours  aux  sterlincs  pour  quatre  deniers  tournois,  et  sous  Phi- 
lippe le  Bel  ils  étaient  encore  évalués  au  même  prix.  Ce  qui  éta- 
blit la  proportion  de  1  à  ^  entre  la  monnaie  anglaise  et  la  mon- 
naie française  de  la  même  époque.  Ainsi  le  marc  poids  sterling 
faisant  en  Angleterre  treize  sols  quatre  deniers  '*,  valait  en  mon 

roinine  on  peut  le  voir  par  le  tfslament  de  Pliilippe-  Aujuale  :  «  î'»- 
tj'tuii  quinque  v\iUin  marrarum  imjetAi  ad  (nutdrcghtta  xil.  Paris, 
per  marcain.  »  'Leblanc,  Traité  d  s  moniHiies.) 

'  l^  première  innovatiou,  dit  M.  Troiivé,  viut  de  ce  conqucrnut.  La 
pr.  inièrc  année  de  son  règne,  il  lira  de  la  livre  de  douze  onc(>»  vingt- 
deui  scliillinj^s  (folidii,  t'I  »*pt  a»»  après,  vin{jt-rinq.  Henri  V  b.inssu 
enrore  davantage  la  dénouiinaliou,  et  frapp-i  de«  monnaies  sur  le  pied  de 
trente  fcbillings  par  livre  pesant. 

'  l'ne  ordonnance  de  Henri  II,  datée  de  !  158,  le  prouve  «'videmmcnt, 
ou  y  lit  :  •  Et  illi  qt  i  défient  anjeniuia  domino  régi  riddttnt  pro 
marca  xiii  soUdos  et  iiij  det)ario$  $terUu<jt.mm  de  vimUxUa  xei  un 
Xididos  et  Ul'l  d^narios  (uioneus-i:.  »  Li>lil.iiir,  qui  rapporte  crtU- or- 


566  NOTES. 

naie  française  35  sols  4  deniers'.  Donc,  que  Matt.  Paris  parle 
du  marc  sterling  ou  du^marc  de  Tours,  cemarcne  peut  être  éva- 
lué qu'à  2  livres  i5  sols  4  deniers,  ou  2  livres  ^4  sols  6  de- 
niers au  plus ,  d'après  le  prix  du  marc  au  temps  de  saint  Louis. 

La  même  disproportion  se  reproduit  si  l'on  évalue  les 
+00,000  marcs  de  Matt.  Paris  et  les  400,000  livres  de  Join- 
ville  en  monnaie  moderne.  1 00,000  marcs,  calculés  à  2  livres 
sterling  le  marc,  donnent  5,000,000  de  francs.  400,000  livres 
numéraires,  calculées  sur  le  taux  actuel  de  54  francs  le  marc, 
donnent  environ  9  millions  de  francs,  qui  est  la  somme  admise 
par  les  meilleurs  historiens  '  ;  par  conséquent  ^  00,000  marcs 
ne  répondront  qu'à  270,000  livres  à  54  sols  le  marc. 

Tout  en  signalant  cette  différence  qui  nous  paraît  démon- 
trée, nous  croyons  qu'il  est  difiicite  d'en  donner  la  raison ,  et 
nousne  le  tenterons  pas  ici.  Matt.  Paris  veut-il  parler  unique- 
ment du  premier  paiement  effectué,  c'est-à-dire  des  400,000  li- 
vres de  Joinville?  Les  50,000  marcs  désignés  comme  reste 
ou  moitié  de  la  somme  totale  rendent  cette  supposition  peu 
probable.  Indique-t-il  une  somme  mensongère ,  inférieure  à 
celle  qui  avait  été  réellement  stipulée?  Le  caractère  de  saint 
Louis  et  les  termes  précis  dont  il  se  sert  dans  sa  lettre  officielle 
ne  peuvent  laisser  croire  qu'il  ait  cherché  à  celer  la  véritable 
somme  de  sa  rançon  ,  ainsi  que  semblerait  l'insinuer  la  phrase 
singulière  que  nous  citons  plus  haut.  Il  faut  donc  s'en  tenir 
aux  400,(»00  livres,  et  penser  que  Matt.  Paris  a  été  induit  en 
erreur,  .soit  par  des  dires  inexacts ,  soit  par  une  évaluation 

ëonuRiice,  ajoute  en  note  ;  «  Marra  se  prend  ici  pour  lii  livre  «le  inoii- 
«  naie  (|ui  avait  cours  CD  petites  espèces  u  Matt.  Paris  indique  lui-même 
Mtte  différence  de  valeur  entre  la  monnaie  sterling  et  la  monnaie  tour- 
nois. iVoy.  en  particulier  la  pafje  .ViO  du  VI'''  volume.) 

'  Fille.-iu  de  In  (Jliaise  évalue  les  (jiiutreaMil  mille  livres  de  Joinville  h 
liait  millions  de  son  temps.  Il  écrivait  veiH  iOS'>,  et  lu  déiioininiilioii  a 
bien  haassé  depuis  cette  (^imkiuc.  I.a  valeur  coin|inrative  des  espèces  mon- 
nayées sous  Haint  Louis  cl  de  nos  jours,  porte  à  peu  près  la  livre  tour- 
■oit  à  Tin|;t-dc\n  francs. 


NOÏKS.  567 

fautive,  quoiqu'on  ait  peine  à  comprendre  comment  il  peut 
s'éloigner  autant  de  la  vérité  sur  un  point  aussi  essentiel. 

Ici  s'élèverait  la  question  de  savoir  si  les  100,000  livres 
d'or'  annoncées  d  abord  par  Matt.  Paris répond;iient  ati  mil- 
lion de  besants  d'or  demandé  primitivement  par  le  soudan ,  et 
si  les  60,000  livris  d'or  dont  il  parle  ensuite  peuvent  être  rame 
nées  à  i  00,000  marcs.  Ducange  ne  s'engage  pas  dans  cette 
nouvelle  discussion,  et  renvoie  seulement  à  Budée  {de  nase)  et 
à  Sirmond  {Moles  sur  len  capilnl.  de  Charles- le -Chauve).  Il 
faudrait  d'abord  connaître  positivement  ce  que  Matt.  Paris 
entend  par  livres  d  or  ;  et  encore  il  est  clair  à  la  premiere  vue 
quon  ne  peut  retrouver  dans  100,000  livres  d'or  réduites  à 
60,000  la  proportion  de  500,000  livj-es  d'argent  réduites  à 
«00,000,  et  qu'ensuite  60,000  livres  d'or  dépassent  de  beau- 
coup ^  00,000  mares  d'argent.  Nous  nous  abstenons  de  pousser 
plus  loin  des  recherches  qui  sortent  du  cercle  habituel  de  nos 
études  ;  et  d'ailleurs  nous  pensons  qu'elles  ne  conduiraient 
qu'a  démontrer  de  nuyveau  l'impossibilité  de  faire  concorder 
la' version  de  Matt.  Paris  avec  celle  du  sire  de  Joinville. 

Note  U.  Voiries  pages  4S8,  n4du  volume. 

Pertz,  dans  son  grand  recueil  (3ionum.    Gerni.  Hislor.y 
t.  IV,  p.  356,  557,)  a  collationué  avec  soin  le  testament  de 

'  Quelque*  auteurs  ont  pcosé  qu'on  u|ipelait  livre  d'or  iion  pas  uue 
livre  (ie  poids,  mais  une  naonnaie  ainsi  a|>pelée  parce  qdVlIc  valait  vingt 
sols;  i-omine  suus  le  roi  Jean  ou  appela  franc  d'or  uue  monnaie  d'or  qui 
\alail  viugl  sols  ou  uue  livre,  parce  que  Thabitude  de  compter  par  livres 
devait  son  orijine  aux  Français.  Mais  Leblanc  rejette  cette  opinioii  et 
tioutient  que  li\re  d^or  a  toujours  si^juiné  livre  de  poids.  On  sait  que  de- 
puis Charles  le  Chauve  le  rapport  de  l'or  à  l'argent  fut  de  un  à  douze  et 
resta  tel  jusqu'à  la  fin  du  seizième  siècle  ;  de  sorte  qu'en  France  et  dans 
Im  pays  voitios  uu  marc  d'or  monnaya  en  valait  douze  d'argent.  La  livre 
d'or  se  taillait  en  soixante-douze  sols  d'or  dont  chacun  valait  quarante 
deniers  d'argent,  en  comptant  par  sol,  den«i-«.ol  et  tiers  de  i»«>l. 


NOTES. 


l'empereur  Frédéric  II ,  et  nous  avons  eu  recours  à  son  texte 
pour  traduire  en  entier  cet  important  document. 

«  Au  nom  du  Dieu  éternel  et  de  notre  sauveur  Jésus-Christ  : 
année  mil  deux  cent  cinquante  de  l'Incarnation,  jour  de  samedi, 
dix-septième  jour  du  mois  de  décembre,  neuvième  indiction. 

«  La  transgression  imprudente  du  premier  père  a  imposé 
à  la  postérité  une  loi  et  condition  telle ,  que  ni  les  torrents 
versés  en  châtiment  par  le  déluge  n'ont  pu  l'effacer,  ni  les 
eaux  si  salutaires  du  magnifique  baptême  n'ont  pu  empêcher 
qu'au  moment  fatal  la  faute  de  transgression  transmise  en 
châtiment  aux  mortels ,  enveloppés  dans  les  excès  de  leur  vie 
passée  ,  ne  subsistât  comme  la  cicatrice  après  une  blessure. 
Nous  donc,  Frédéric, second,  par  la  faveur  de  la  clémence 
divine  empereur  des  Romains,  toujours  auguste,  roi  de  Jéru- 
salem et  de  Sicile ,  nous  souvenant  de  la  condition  humaine 
que  la  fragilité  de  nature  accompagne  toujours,  voyant  appro- 
cher le  terme  de  notre  vie,  mais  conservant  encore  la  parole 
et  l'intégrité  de  notre  mémoire,  malade  de  corps,  sain  d'esprit, 
avons  pourvu  au  salut  de  notre  âme  et  avons  jugé  ix  propos  de 
disposer  de  l'empire  et  de  nos  royaumes  de  telle  façon  qu'après 
avoir  subi  la  loi  commune  de  l'humanité ,  nous  paraissions 
vivre  encore  et  que  toute  matière  de  scandale  comme  d'indigna- 
tion soit  assoupie  et  enlevée  entre  nos  lils,  que  nous  avons  pro- 
duits par  la  clémence  divine  et  que  nous  voulons,  par  notre 
présente  disposition,  rendre  satisfaits,  sous  peine  de  perdre 
notre  bénédiction. 

u  C'est  pourquoi  nous  établissons  notre  cher  iils  Conrad , 
élu  roi  desRo  nainset  héritier  du  royaume  de  Jérusalem,  pour 
héritier  dans  l'empire  et  toutes  choses  autres,  achetées  ou  ac- 
quises d'une  façon  quelconque,  et  spécialement  dans  notre 
royaume  de  Sicile.  S'il  arrive  qu'il  meure  sans  enfants,  que 
notre  fils  Henri  lui  succède  ;  si  ce  dernier  meurt  sans  enfants,  que 
notre  fils  Manfred  lui  succède;  mais  lorsque  Conrad  résidera 
en  .Mlema^neou  ailleurs  hors  du  royaume,  nous  établissons 
ledit  Manfred  bailli  dudit  Conrad  en  Italie,  et  spécialement 


NOitS.  560 

dans  le  royaume  de  Sicile ,  lui  dooDaut  plein  pouvoir  de  faire 
ce  que  notre  personne  pourrait  faire  si  nous  vivions  ;  à  savoir, 
de  concéder  terres,  châteaux,  ville»,  parentèles,  dignités,  béné- 
tices,  et  toutes  choses  autres  à  sa  disposition,  excepté  les  anti- 
ques domaines  du  royaume  de  Sicile  ;  voulant  que  Conrad  et 
Henri,  nos  susdits  lîls,  et  leurs  héritiers,  tiennent  et  observent 
pour  bon  et  valable  tout  ce  qu'il  aura  fait. 

•  lit-m  y  nous  concédons  et  confirmons  audit  Manfred,  notre 
tils ,  la  principauté  de  Tarente ,  à  savoir  depuis  la  porte  de 
Rosito  jusqu'à  la  source  du  lleuve  Bradano,  avec  les  comtés 
de  Monte-Scaglioso,  de  Tricaricoet  de  Gravina,  dans  l'étendue 
que  ce  dernier  comté  occupe  depuis  la  terre  maritime  de  Bari 
jusqu'à  Palignano;  nous  lui  concédons  également  cette  ville 
a\  ec  toutes  les  terres  depuis  Palignano  sur  toute  la  côte  jusqu'à 
ladite  porte  de  Rosito ,  à  savoir  cités ,  châteaux  et  villes  con- 
tenues dans  cet  espace,  avec  toutes  justices,  dépendances  et 
juridictions  quelles  qu'elles  soient,  tant  de  la  principauté  sus- 
dite, que  des  comtés  susdits.  Nous  concédons  aussi  au  même 
la  cité  de  Monte -Sant-Angelo avec  tout  son  honneur,  toutes 
cités,  châteaux  et  villes,  terres,  dépendances,  justices  et  juri- 
dictions ,  appartenant  au  même  honneur,  à  savoir  celles  qui 
sont  de  domaine  à  domaine  et  de  service  à  service.  Nous  con- 
cédons aussi  et  confirmons  au  même  tout  ce  qui  lui  a  été 
concédé  par  Notre  Majesté  dans  l'empire,  en  sorte  toutefois 
qu'il  tienne  et  même  reconnaisse  tenir  toutes  ces  choses 
dudit  Conrad  ;  auquel  Manfred  nous  adjugeons  même  pour 
ses  dépenses  dix  mille  onces  d'or. 

«  Item^  nous  statuons  que  Frédéric,  notre  petit-flls.  ait  les 
duchés  d'Autriche  et  de  Styrie  pour  les  tenir  et  reconnaître  les 
tenir  du  susdit  Conrad  ;  auquel  Frédéric  nous  adjugeons  pour 
ses  dépenses  dix  mille  onces  d'or. 

■  Iteiity  nous  statuons  que  Henri,  notre  flls,  ait  le  royaume 
d'Arles  ou  le  royaume  de  Jérusalem,  celui  des  deux  que  ledit 
Conrad  voudra  que  le  susditHenri  possède  ;  auquel  Henri  nous 
adjugeons  cent  mille  onces  d'or  pour  ses  dépenses. 


570  NOTÉS. 

«  Item ,  nous  statuons  que  cent  mille  onces  d'or  soient  dé- 
pensées pour  le  salut  de  notre  âme ,  au  secours  de  la  ïerre- 
Sainte ,  selon  que  l'ordonneront  ledit  Conrad  et  autres  nobles 
croisés. 

«  Item  ,  nous  statuons  que  tous  les  biens  de  la  milice  de  la 
maison  du  Temple  que  notre  cour  retient  soient  restitués  aux 
mêmes  Templiers  ,  à  savoir  ceux  qu'ils  doivent  avoir  de  droit. 

«  Ilcm  ,  nous  statuons  qu'on  rende  à  toutes  les  éulises  et; 
maisons  religieuses  les  biens  d'ieelles  et  qu'elles  jouissent  de 
la  liberté  accoutumée . 

«  liein ,  nous  statuons  que  les  hommes  de  notre  royaunii* 
soient  libres  et  exempts  de  toutes  collectes  générales,  comme 
Is  avaient  coutumede  l'être,  au  tempsdu  roi  Guillaume  second, 
notre  cousin. 

«  Item  ,  nous  statuons  que  les  comtes,  barons,  chevaliers  et 
autres  feudataires  du  royaume  jouissent  de  leurs  droits  et 
juridiitions  qu'ils  avaient  coutume  d'avoir  au  temps  du  roi 
Guillaume,  dans  les  collectes  et  autres. 

«  Item,  nous  statuons  que  les  églises  de  Luceria  et  de  Sora 
et  celles  qui  auront  pu  être  lésées  par  nos  ofiiciaux  soient  re- 
parées et  rétablies. 

«  Item ,  nous  statuons  que  la  réunion  tout  entière  de  manses  ' 
et  de  métairies  que  nous  avons  à  Saint-Nicolas-sur-l'Aufide, 
et  toutes  les  provenances  d'ieelles,  soient  affectées  à  la  répara- 
tion età  l'achèvement  du  pont  construit  ou  à  construire  en  ce 
lieu. 

«  Item ,  nous  statuons  que  tous  les  captifs  détenus  dans 
notre  prison  soient  délivrés,  n  l'exception  de  ceux  de  l'empire 
et  du  royaume  qui  ont  été  pris  pour  crime  de  trahison. 

«  liemy  nous  statuons  que  le  susdit  Manfred,  notre  fils, 

<  Tel  rstdii  rnoin»  lu  gens  que  Dumnijc,  n  propos  de  ce  passuge  m(*me, 
donne  i  massaria,  dont  IVlynioloijic  est  évidetninent  tnn.v.svi,  m.inoir; 
masserizid,  le  mobilier  qui  fynrnit  le  manoir.  Mnysaiin  nouxirmi*!^ 
«iirlont  drfiign«>r  une  rirconurriplion  t'ucilr. 


NOTKS.  r,74 

|X)urYoie  eo  notre  uum  tous»  ceux  qui  ont  bien  mérite  de  notre 
famille,  en  terres,  châteaux  et  villes,  sauf  le  domaine  de  notre 
royaume  de  Sicile,  et  que  Conrad  et  Henri,  nos  susdits  fils,  et 
leurs  héritiers  aient,  pour  bon  et  valable  tout  ce  que  le  même 
Manfred  aura  jugé  à  propos  de  faire  à  cet  égard. 

«  Item ,  nous  voulons  et  recommandons  que  nul  des  traîtres 
du  royaume  n'os«  en  aucun  temps  revenir  dans  le  royaume, 
et  que  nul  de  leur  race  ne  puisse  succéder  ;  bien  plus,  que  nos 
héritiers  soient  tenus  de  tirer  vengeance  d'eux . 

«  Item  y  nous  statuons  qu'on  paie  nos  dettes  aux  marchands 
nos  créanciers. 

•  Item ,  nous  statuons  qu'on  rende  à  la  très  sainte  0t  sacrée 
église  romaine,  notre  mere,  tous  ses  droits,  sauf  en  tout  et 
pour  tout  le  droit  et  l'honneur  de  l'empire,  de  nos  héritiers  et 
autres  féaux ,  si  l'église  de  son  côté  restitue  les  droits  de 
l'empire*. 

«  Item ,  nous  statuons  que  s'il  arrive  que  nous  mourions 
deja  présente  maladie,  notre  corps  soit  ;  enseveli  dans  la 
grande  église  de  Palerme ,  où  sont  ensevelis  les  corps  du  divin 
empereur  Henri  et  de  la  divine  impératrice  Constance ,  nos 
parents  de  vénérable  mémoire;  à  laquelle  église  nous  assi- 
gnons cinq  cents  onces  d'or  pour  le  salut  des  âmes  de  nosdits 
parents  et  de  notre  âme,  par  les  mains  de  Bérard ,  vénérable 
archevêque  de  Palerme,  notre  familier  et  notre  féal  :  ladite 
somme  applicable  à  la  réparation  de  ladite  église. 

«  Nous  voulons  que  toutes  les  choses  susdites ,  qui  sont 
faites  en  présence  dudit  archevêque,  de  Bertold,  margrave  de 
Hohenburg,  notre  cher  cousin  et  familier  ;  de  Richard ,  comte 

<  Cet  article  et  le»  deux  autres  relatifs  aux  captifs  et  aui  traîtres, 
proQTent,  coutre  Topiniou  de  ceux  qui  out  vu  une  rétractatiou  dans  le 
tesUmeat  de  Frédéric,  que  ce  prince  ne  son^jeait  nullement  à  revenir  sur 
les  points  etseuliels  de  sa  conduite  politique.  Les  restrictions  apportées 
à  des  coocrssions  apparentes  léguaient  une  çverrt  inexpitble  à  la  maison 
d«  Sous he. 


572 


NOIES. 


de  Caserta,  notre  cher  gendre;  de  Pietro  Ruffo  de  Calabre, 
maître  de  notre  maréehalat;  de  Richard  de  Montenigro,  maître 
justicier  de  notre  grande  cour  ;  de  maître  Jean  d'Otrante  ;  de 
Fulcone  Ruffo  ;  de  Jean  de  Ocrea;  de  maître  Jean  de  Procida , 
de  maître  Robert  de  Palerme,  juge  de  l'empire,  du  royaume  de 
Sicile  et  de  notre  grande  cour  ;  de  maître  Nicolas  de  Brindes , 
tabellion  public  de  l'empire  et  du  royaume  de  Sicile,  et  notaire 
de  notre  cour,  nos  féaux,  que  nous  avons  appelés  à  assister  à 
la  présente  disposition,  soient  observées  fermement  par  le  sus- 
dit Conrad,  notre  fils  et  héritier,  et  autres  successivement, 
sous  peine  de  perdre  notre  bénédiction  ;  qu'autrement  ils  ne 
jouissent  pas  de  notre  héritage.  Or,  nous  enjoignons  à  nos 
féaux  présents  et  futurs,  sous  le  serment  de  fidélité  par  lequel 
ils  sont  tenus  envers  nous  et  nos  héritiers,  de  garder  et  obser- 
ver toutes  les  choses  susdites  inviolablement. 

«  Nous  avons  ordonné  que  le  présent  testament  et  notre 
dernière  volonté  auxquels  nous  voulons  assurer  force  et  fer- 
meté, fussent  écrits  par  le  susdit  maître  Nicolas  et  munis  de 
notre  propre  main  du  saint  signe  de  Ja  croix  ,  de  notre  sceau 
et  des  suscri plions  des  témoins  susdits. 

«  Fait  à  Florentino,  dans  la  Capitanate,  aux  mois,  jour  et 
indiction  susdits,  l'an  trente-deuxième  de  notre  empire,  vinut- 
huitième  de  notre  royauté  de  Jérusalem,  cinquante  et  unième 
de  notre  royauté  de  Sicile. 

«  Moi,  Frédéric  second,  par  la  faveur  deJa  clémence  divine 
empereur  des  Romains,  toujours  auguste,  roi  de  Jérusalem  et 
de  Sicile ,  dis  et  déclare  que  cela  a  été  et  est  mon  solennel 
testament  et  ma  dernière  volonté.  Cet  acte  a  été  écrit  d'après 
mou  ordre,  volonté  et  mandat ,  par  la  main  de  maître  Nicolas 
de  Hrindcs ,  tabellion  public  de  notre  cour,  et  en  présence  des 
témoins  plus  haut  et  plus  bas  mentionnés  ,  nos  féaux,  que 
nous  avons  mandés  pour  assister  aux  choses  susdites;  et  en 
foi  des  choses  susdites  avons  souscrit  de  notre  propre  main 
et  scellé  de  notre  sceau  accoutumé  imperial  et  royal. 

«  Moi,  Bérard  ,  archevêque  de  P.ilcrme,  y  appelé,  ai  n-ssistc 


NOTES.  575 

a  toutes  les  choses  susdites,  ai  souscrit  mou  nom  de  ma  propre 
maiu,  et  ai  scellé  du  sceau  impérial  et  royal. 

•I   Moi ,  margravede  Hohenburg.  {}ft-nic.  formule). 

«  Moi,  Richard,  comte  de  Caserta.  [Idem.) 

•  Moi,  Ruffo  de  Calabre.  [Idtm.) 

1  Moi,  maître  Jean  d'Utrante.  {Idem.) 

•  Moi,  Fulcone Ruffo.  (/</em.) 

•  Moi,  Jean  de  Ocrea.  [Idem.) 

•  Moi,  maître  Jean  de  Procida.  [Idem.) 

•  Moi ,  maître  Robert  de  Palerme.  {Idem.) 

•  Moi,  Richard  de  Montenigro.  maitre  justicier  de  la  cour 
impériale  et  royale.  [Idevi.) 

•  Moi,  maitre  Nicolas  de  Brindes,  tabellion  public  de 
l'empire  et  du  royaume  de  Sicile ,  et  notaire  de  la  cour  impé- 
riale, appelé  par  le  seigneur  empereur  pour  rédiger  son  susdit 
testament  etsa  dernière  volonté,  comme  j'ai  assisté  aux  choses 
susdites,  à  toutes  et  à  chacune,  avec  les  susdits  témoins,  que  je 
les  ai  publiées  et  rédigées  dans  la  présente  forme  publique ,  je 
les  ai  aussi  souscrites  et  scellées  de  ma  suscription  et  de  mon 
sceau  ordinaires  et  accoutumés. 

>  Signé  Maître  Nicolas  ub  Bbindes,  notaire.  ■» 
Note  m.  Voir  les  pa^es  272,  275  du  volume. 

Tout  le  passage  relatif  à  Jean  de  Basingestokes,  ainsi  que 
lintercalationtrés-imiwrtantequi  s'y  rattache,  présente  d'as- 
sez grandes  difiicultes  que  nous  ne  pouvons  espérer  de  résou- 
dre. Nous  nous  bornons  à  traduire  le  texte  avec  autant  d'exac- 
titude que  possible  et  à  indiquer  les  deux  principales  questions 
qui  se  présentent  au  commentateur  ;  ^•'  Que  faut-il  entendre 
par  ces  mots  figuret  numérales  des  Grecs?  2°  Quel  était  exac- 
tement ce  système  de  notation  ? 

1*  Fabricius.  l'abbé  Lebœuf,  les  continuateurs  de  l'Histoire 
littéraire  des  Bénédictins  et  plusieurs  autres  écrivains  attribuent 


575  NOTES. 

à  Jean  de  Basingestokes  l'honneur  d'avoir  introduit  en  Oc- 
cident (  le  texte  dit  en  Angleterre)  les  figures  des  chiffres 
grecs-,  et  ils  s'appuient  uniquement  sur  l'autorité  de  Matthieu 
Paris.  S'ils  veulent  parler  du  système  de  notation  par  lettres 
usité  chez  les  Grecs,  nous  partageons  l'opinion  deM.Ch. 
Jourdain  qui  affirme  que  les  chiffres  grecs  étaient  connus  long- 
temps avant  Basingestokes '.  En  examinant  le  traité  de  l'a- 
nalyse des  nombres,  ouvrage  attribué  par  les  manuscrits  à 
différents  auteurs,  mais  certainement  écrit  à  1  époque  de  la 
deuxième  croisade,  c'est-à-dire  de  ^^47  à  ^^49,  il  y  trouve 
une  mention  formelle  des  chiffres  grecs  et  un  tableau  fort  exact 
de  la  combinaison  des  lettres  grecques  prises  arithmétique- 
ment.  L'auteur  du  traité  dit,  il  est  vrai,  qu  on  se  servait  ra- 
rement de  ces  chiffres,  tandis  que  les  six  lettres  romaines 
C,  D,  L,  V,  I,  X  étaient  d'un  usage  général  ;  mais  son  témoi- 
gnage n'en  subsiste  pas  moins  pour  prouver  que  les  lettres  grec- 
ques n'étaient  point  ignorées  de  son  temps.  Si  d'ailleurs  on 
considère  que  ks  figures  rapportées  d'Athènes  par  Basinges- 
tokes n'ont  aucun  rapport  avec  la  notation  grecque,  on  verra 
que  les  auteurs  cités  plus  haut  ou  n'ont  pas  eu  connaissance  de 
l'intercalation.ou  ont  mal  interprété  le  passage  de  Matt.  Paris 

Il  nous  semble  donc  que  par  ligures  numérales  des  Grecs 
il  faut  entendre  certains  caractères  conventionnels  usités 
chez  les  Grecs  du  Bas-Empire  comme  étant  plus  commodes 
que  les  anciens  chiffres;  et  par  cette  phrase  du  texte :;/r;- 
qiias  cliam  figuras  liltera'  reprœsenlanlur,  nous  ne  compre- 
nons nullement  une  notation  qui  répond  à  1r  notation  grecque 
ou  la  représente,  mais  simplement  différentes  figures  pou- 
vant remplacer  les  lettres,  soit  romaines,  soit  grecques,  qu'on 
employait  comme  chiffres. 

Il  est  possible  d'ailliurs  que  Matthieu  Paris, quoique  fort 
instruit  pour  le  temps  où  il  vivait,  n'ait  point  connu  les  vé- 
ritables chiffres  grecs,  et  ait  confondu  avec  eux  le  système 

•  Di.SfTt,  5ttr  rétat  de  ht  philos,  nul.  nu  dcuiième  fièelc,  1858. 

DOl.   1. 


NOTES.  575 

tout  particulier  rapporté  par  l'ami  de  Robert  Grosse-Téte.Ce 
qui  j)0urrait  faire  admettre  cette  supposition,  c'est  qu'en  com- 
parant cette  notation  nouvelle  aux  notations  à  lui  connues,  il 
n'encitequedeux,  la  notation  latiueou romaine  et  l'algorisme. 
Ici  s'élève  la  question  de  savoir  de  quel  algorisme  ou  pour 
mieux  dir«  algorithme,  veut  parler  Matthieu  Paris.  C'est  la 
seule  fols  que  ce  mot  se  trouve  dans  son  texte,  et  encore  il 
n'est  accompagné  d'aucune  explication.  iSous  pensons  qu'il 
s'agit  de  l'arithmétique  établie  d'après  les  apices  de  Boëce  et 
l'abacus pythagoricien.  M.  Vincent,  dans  une  note  assez  ré- 
cente insérée  au  Journal  des  mathématiques,  donne  la  figure 
et  les  noms  des  neuf  apices  d'après  deux  anciens  manu- 
scrits de  Cliartres  et  d'Arondel  ,  et  s'attache  à  prouver  que 
ces  apices,  dans  lesquels  il  voit  nos  chiffres  modernes,  sont 
d'origine  liébraïque  et  chaldéenne.  Sans  entrer  dans  la  dis- 
cussion soulevée  eiitre  ^i.  Chasies  [Aperçu  hist,  sur  les  niéth. 
m  éjéotn.)  et  M.  Libri,  au  sujet  de  l'origine  de  Tarithmé- 
tlque  de  position,  du  calcul  par  colonnes,  et  du  zéro,  nous 
ferons  observer  avec  ce  dernier  savant,  dont  l'autorité  est 
d'un  si  grand  poids  en  cette  matière,  que  le  système  de  nume- 
ration arabe  ou  plutôt  indienne  fut  apporté  pour  la  première 
fois  en  Occident  par  le  Pisan  Léonard  Fibonacci  au  commen- 
cementdu  treizième  siècle  :  ce  qui  conlirme l'opinion  des  conti- 
nuateurs de  l'Histoire  littéraire,  lesquels  assurent  qu'on  n'en 
trouve  pas  de  monuments  antérieurs  à  l'an  i200^  et  s'il  est 
impossible  d'admettre  que  quelques  docteurs  précédents,  en- 
tre autres  Gerbert,  n'aient  point  connu  les  chiffres  arabes,  il 
est  certain  qu'aucun  traité  sur  l'arithmétique  arabe  n'avait 
été  écrit  en  latin  et  par  un  chrétien  avant  Fibonacci.  (M.  Libri. 
Hut.  rf<'*j/ui/h.en/la/û;,tom.ii,page24etsuiv.,notel,p.295 
et  suiv.)  Or  Fibonacci,  au  commencement  de  son  traité  del' a- 
bacctu^  composé  en  1 202,  raconte  qu'ayant  voyagé  en  Egypte, 
en  Syrie,  en  Grèce,  en  Sicile  et  en  Provence,  après  avoir  appris 
la  méthode  indienne  qu'avaient  adoptée  les  Arabes,  il  se  per- 
suada que  cette  méthode  eait  bien  plus  parfaite  que   les 


57  fi  NOTES. 

méthodes  usitées  dans  ces  différentes  contrées,  et  qu'ele  était 
même  supérieure  à  l'algorithme  et  à  la  méthode  de  Pytha- 
gore.  Sed  hoc  lolum  et  algorismum  atque  Piclagorœ ,  quasi 
trroremcomputav'i,  respectu  mod'ilndorum.  Ce  passage  remar- 
quable prouve  qu'à  cette  époque  le  mot  algorismus  ne  s'appli- 
quait pas  à  notre  système  de  numération ,  mais  bien  à  cette 
espèce  de  sténographie  numérique  que  Boëce  attribue  aux 
Pythagoriciens.  Si  maintenant  on  considère  que  Fibonacci, 
de  la  mort  duquel  la  date  est  incertaine ,  mourut  évidemment 
après  ^  228  ,  époque  à  laquelle  il  dédia  la  seconde  édition  de 
son  abaccus  à  Michel  Scott ,  astrologue  de  Frédéric  II,  qu'il 
termina  sa  vie  dans  l'obscurité  en  butte  aux  railleries  de  ses 
concitoyens,  que  la  diffusion  des  livres  et  des  idées  était 
difficile  au  moyen  âge,  et  qu'un  système  aussi  savant  deman- 
dait du  temps  pour  être  compris,  on  nous  accordera  aisément 
que  Matt.  Paris  devait  ignorer,  en  ^2ô2,  les  chiffres  ou  du 
moins  la  numération  des  Arabes  ',  et  qu'il  appliquait  le 
mot  algorismus  au  système  d'abréviations  des  Pythagori- 


'  On  uous  objectera  sans  doute  que  l'Anglais  Sarrobosco  (Jean  àc 
Holywoodj,  contemporain  de  Matt.  Paris  et  professeur  à  Paris,  contribua 
à  répandre  la  méthode  de  Fibonacci  ;  mais  d'abord,  comme  Jordano  ^e- 
morario  et  comme  Valla,  il  Pappeilc  plutôt  arithmétique  indienne  qu'al- 
gorisme.  D'ailleurs  nous  avons  pour  nous  l'opinion  de  M.  I.ibri  qui 
assure  que  pendant  longtemps  personne  n'osa  suivre  Fibonacci  dans  la 
route  qu'il  avait  ouverte,  cl  que  les  principaux  traités  de  mathématiques 
du  treizième  siècle  sont  plutôt  des  traductions  de  l'arabe.  {Uist.  des 
math.,  tom.  ii,  pag.  {4  et  suiv.)  Guillaume  de  Lunis,  Campanus  de 
Novaru  appartiennent  a  la  seconde  moitié  du  treizième  siècle,  et  si  les 
continuateurs  de  r//t.«/./t(/ér.  parlentd'un  traité  anonyme  de  l'algorisme 
arabe,  écrit  en  langue  vulgaire,  il  faut  bien  remarquer  qu'ils  le  placent 
ioui  Philippe  le  Hardi.  Enfin  Matl.  Paris  parait  avoir  peu  de  goAt  ou 
plutôt  de  la  répugnance  pour  l'étude  des  mathématique»  venues  par  la 
voie  des  Arabes,  puisqu'il  les  place  sur  le  même  rang  que  la  nécroman- 
cie :  Srient'uB  uerrommitit'œ  vel  artis  mnihematiraf  secundum  Irn- 
ditiones  obomiunhili'n^  Suirareui  etc.  {V»y.  la  page  78  du  V*  volume.} 


N<1TES.  577 

dens;  système  établi  d'après  les  notes  tironieunes ,  et  sous 
l'influeDce  des  doctrines  kabbalistiques. 

2*  Abréger  :  telle  fut.  en  effet,  la  tentative  de  la  plupart 
des  peuples  qui  sentaient  le  besoin  d'exprimer  plus  simplement 
les  nombres  composés.  Fibonacci  assure  que ,  dans  toutes  les 
contrées  qu'il  a  visitées,  il  a  trouvé  des  méthodes  abrégées  de 
numération  ,  et  que  chaque  peuple  avait  des  abréviations  dif- 
férentes. Les  Romains  l'avaient  essayé.  Les  Chinois,  en  modi- 
fiant leur  arithmétique ,  avaient  employé  des  lignes  droites , 
tantôt  verticales,  tantôt  horizontales,  suivant  qu'ils  voulaient 
représenter  des  dizaines  ou  des  unités  :  ce  qui  n'est  pas  sans 
analogie  avec  le  système  de  Basingestokes.  En  Grèce  surtout 
cette  réforme  a\ait  été  tentée.  Archimede  avait  écrit  son 
trait«  de  Varénaire  pour  simplifier  la  numération.  Apollonius 
avait  fait  également  un  essai  de  ce  genre,  et  les  Grecs  avaient 
intercalé  d'autres  signes  dans  leur  alphabet  appliqué  à  la 
numération.  (Hift.  des  mathéni.,  tom.  I,  pag.  -193,  note.) 
Quoique  nous  devions  regretter  que  M.  Libri  ne  s'explique 
pas  davantage  sur  ce  point ,  il  est  permis  de  supposer  que  le 
système  qui  nous  occupe  était  un  de  ces  systèmes  abréviatifs, 
et  cela  nous  ramène  à  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut. 

On  sait  que  le  système  décimal  ne  nous  est  pas  arrivé  avec 
les  chiffres  indiens ,  comme  le  croit  le  vulgaire ,  et  que ,  dans 
presque  tous  les  anciens  systèmes  d'arithmétique  littérale,  les 
dix  premieres  lettres  de  l'alphabet  exprimaient  ordinairement 
les  dix  premiers  nombres,  et  que  les  autres  lettres  désignaient 
successivement  le»  dizaines .  les  centaines ,  etc.  Nous  retrou- 
vons ce  procédé  dans  les  figures  retracées  par  Matt.  Paris , 
lesquelles  viennent  confirmer  cette  observation  de  la  science 
moderne.  Dans  ce  système  d'angles,  i  correspond  exactement 
a  iO,  2  à  20,  5  a  50,  etc.,  la  position  de  la  ligne  qui  forme 
angle  faisant  fonction  de  zéro.  Nous  signalons  seulement  deux 
erreurs  évidentes,  dues  sans  aucun  doute  à  l'inattention  des 
ropistes.  Pour  correspondre  à  70  |^  ,  le  signe  7  doit  être 
vu.  57 


578  NOTES. 

figuré     J,  et  non    J  (voy.  la  page  272  du  volume),  et  poar 

correspondre  à  9    sj,  le  signe  90  doit  être  figuré  |/  ,  et 

nonk^ .  Ainsi ,  à  notre  sens ,  77  doit  être  écrit  1  et  99  \y. 

Quant  aux  deux  signes  ajoutés  après  9,  et  désignés  seulement 
dans  le  texte  par  les  mots  qucisi  cilrà,  nous  ne  pouvons  dé- 
terminer leur  signification  ' ,  et  si  nous  cherchons  à  expli- 
quer comment  dans  ce  système  s'exprimait  le  nombre  ^  00 , 
nous  sommes  obligé  de  nous  arrêter  à  -H  0.  La  principale  dif- 
ficulté consiste  à  savoir  s'il  y  avait  la  même  correspondance 
entre  les  dizaines  et  les  centaines  qu'entre  les  unités  et  les 
dizaines.  Dans  le  silence  de  Matt.  Paris,  nous  ne  pousserons 
pas  plus  loin  les  hypothèses.  Il  en  devait  cependant  être  ainsi, 
puisque  notre  auteur  dit  qu'une  seule  figure  représentait  un 
nombre  quelconque  (  quilibet  numerus  ).  En  tout  cas ,  on  voit 
facilement  combien  cette  notation  singulière,  bonne  tout  au 
plus  pour  l'addition  et  la  soustraction,  était  insuffisante  pour 
multiplier  et  pour  diviser. 

■  Le  premier  de  ces  signes  I  nous  parait  être  simplement  l'indica- 
tion de  la  baguette  perpendicalaire,  stipes  ;  mais  le  second  ainsi  marqué 
I        exprime  à  notre  avis  le  chiffre  400  par  la  jonction  du  signe  90  et 
du  signe  10,  si  toutefois  l'on  a  ëgard  h  la  correction  que  nous  venons 
d'indiquer.  Il  doit  donc  être  écrit  1        ,  et  de  100  à  109  la  notation  sera 

facile  en  traçant  de  gauche  i  droite  les  signes  déjà  connus.  Ainsi     y^ 

ferait  109.  Faisons  remarquer  on  teimiuant  que  nous  avons  donné  ces 
figures  telles  qu'elles  st-  trouvent  dniis  notre  texte,  mais  qu'il  serait 
plun  exact  de  repréflenler  uniqucmrnt  drs  angles  sans  aucun  contour  ui 
addition. 


NOTES.  579 

Nous  ne  terminerons  pas  cette  note,  sans  faire  une  dernière 
remarque.  Ce  système  de  notation  semble  fondé  sur  les  mêmes 
principes  que  celui  des  francs-maçons  :  un  même  signe  di- 
versement varié,  dont  l'angle  droit  qui  figure  l'équerre  est  la 
base  et  qui  suit  en  croissant  par  dizaines  les  mêmes  transmu- 
tations. (Voy .  Chéreau,  Expl.de  la  croix  philosophique,  ^  800.) 
Nous  sommes  loin  d'avancer  que  Jean  de  Basingestokes  ait 
été  afiilié  aux  sociétés  secrètes  du  moyen  âge.  L'explication 
toute  mystique,  mais    aussi  toute   chrétienne   que  donne 

Matt.  PAris  du  signe  -^  (35)  et  du  signe    y"  (53),  ne  permet 

pas  cette  supposition.  Cependant  Jean  a  pu  avoir  connaissance 
de  ces  signes  sans  en  comprendre  le  sens  hermétique  et  sans 
y  deviner  l'influence  de  quelque  société  occulte  ;  ce  qui  ne 
nous  parait  pas  dénué  de  toute  vraisemblance,  surtout  si 
l'on  songe  «  que  les  anciennes  doctrines  mystérieuses  de  la 
Grèce  se  sont  rencontrées  de  nouveau  avec  les  spéculations 
orientales  ,  dont  elles  s'étaient  détachées  originairement.  » 
(Si,  Matter,  Hist.  ait.  du  (fnosticisme  ;  t.  I,  p.  ^7G.) 


FIN    DES   NOTES. 


TABLE  DES  MATIERES 


CO>TENDES  DAMS  CE  VOLUME. 


SUITE  DE  HENRI  111. 

Paget.  Aun. 

Le  roi  célèbre  à  Winchester  les  fêtes  de  Noël.  —  La  com-  1250 

tesse  de  Cornouailles  met  au  monde  un  fils.  —  Mort  de 
Jérémie,  conseiller  du  roi.  — Punition  de  Gaultier  de 
ClifTord.  —  Paix  entre  l'abbé  et  le  couvent  de  West- 
minster —  L'évéqoe  de  Lincoln  fait  citer  les  religieux  de 
spn  diocèse.  1 

Plusieurs  seigneurs  anglais  accompagnent  le  comte  Richard 
en  France.  —  L'évêque  de  Lincoln  se  rend  à  la  cour  ro- 
maine.—  Biens  vendus  pour  subvenir  aux  frais  de  la 
croisade.  —  Le  pape  rejette  les  offres  de  Frédéric  IL  — 
Relevé  de  l'argent  accordé  à  l'archevêque  de  Cantorbéry. 

—  Le  roi  demande  aux  citoyens  de  Londres  pardon  des 
injustices  qu'il  a  commises.  —  Il  prend  la  croix  avec  une 
foule  de  seigneurs.  —  Ardeur  unanime  des  croisés.  4 

Gaston  deBéarn  et  les  autres  rebelles  gascons  se  soumettent. 
Clémence  et  faiblesse  du  roi.  —  Sortie  des  Français 
contre  les  Sarrasins,  à  Dainiette.  —  Le  Soudan  offre  des 
conditions  de  paix.  —  Une  foule  de  Français  périssent  par 
le  fer  et  la  faim.  — Apostasie  de  plusieurs  d'entre  eux. — 
Mort  du  Soudan.  —  La  fidélité  de  plusieurs  chancelle.  14 

Sévérité  de  l'évêque  de  Lincoln  envers  un  officier  du  roi. 

—  Lettre  du  pape  à  ce  sujet.  —  Le  comte  Richard  revient 
de  la  cour  romaine.  —  Opinions  diverses  sur  l'cnlrelien 
du  pape  avec  le  comte  Richard.  —  Le  comte  achète  un 
prieuré  à  l'abbé  de  Saint- l^enis.  —  Miracle  du  bras  de 


.')82  TABLE 

Ann.  Pages. 

i250      saint  Edmond.  —  Le  roi  fait  restreindre  la  dépense  de  sa 

maison.  21 

Argent  extorqué  aux  juifs.  —  Crime  d'un  juif  de  Waling- 
ford.  — Des  justiciers  sont  envoyés  pour  examiner  la  for- 
tune des  juifs.  —  Mort  d'un  religieux  arménien  en  An- 
gleterre. —  Grande  somme  d'argent  envoyée  au  roi  de 
France.  —  Retour  des  seigneurs  anglais.  —  Fausses  ru- 
meurs au  sjuet  de  la  croisade.  27 
Accord  au  sujet  de  la  présentation  à  l'église  de  Wengrave. 

—  L'archevêque  Boniface  se  propose  d'exercer  son  droit 
de  visitation. — Boniface  tyrannise  le  clergé  de  Londres. 
— Les  chanoines  de  Saint-Barthélémy  s'opposent  à  la  vi- 
site de  l'archevêque.  —  Violences  exercées  par  le  prélat 
et  ses  satellites.  —  Le  roi  refuse  d'entendre  les  plaintes. 

—  Emeute  à  Londres.  —  Sentence  d'excommunication. 

—  Boniface  se  prépare  à  aller  à  la  cour  romaine.  33 
Lettre  de  l'évêque  de  Londres,   qui  demande  conseil  à 

l'abbé  de  Saint-Albans.  —  Chapitre  général  des  frères 
Prêcheurs.  —  Agitation  des  citoyens  de  Londres.  —  Le 
roi  accorde  de  nouvelles  chartes  à  l'abbé  de  Westminster. 

—  Privilège  abusif  octroyé  par  le  roi  à  Geoffroi  le  Roux. 

—  Vaines  réclamations  de  Matthieu  Paris.  —  Le  sceau 
royal  est  confié  à  Guillaume  de  Kilkenny.  — Le  roi  de 
France  se  dirige  vers  le  Caire.  —  Jalousie  des  Français 
contre  les  Anglais.  42 

Stratagème  de  Guillaume  Longue-Épée.  —  Outragé  par  Ro- 
bert d'Artois,  il  abandonne  les  Français.  —  Le  roi  défend 
aux  seigneurs  anglais  de  partir  pour  Jérusalem,  et  fait 
soigneusement  garder  les  ports.  —  Le  roi  extorque  de 
l'argent  de  tous  cotés.  —  Tyrannie  de  Geoffroi  de  Lan- 
geley,  inquisiteur  des  forêts.  — L'archevêque  de  Cantor- 
béry  se  rend  à  Rome.  —  Mort  de  Robert  de  Lexington.         50 

Fausseté  des  bruits  sur  la  prise  du  Caire.  —  Prise  de  Da- 
mielte  et  origine  des  bruits  précédents.  —  Retour  de 
(îuiliaume  Longue-Épée. —  Offres  avantageuses  du  sou- 
dan  pour  obtenir  la  paix.  —  Le  soudan  découvre  la  tra- 
hison ourdie  par  un  de  ses  officiers.  —  Prospérité  des 
affaires  de  Frédéric.  —  Bernard  de  Nympha  lève  de  l'ar- 
gent sur  les  croisés.  5U 

Fâcheuses  nouvelles  venues  de  Terre-Sainte.  —  Injures  du 


DES  MATIÈRES.  585 

Pag.  Ann. 
comte  d'Artois  contre  les  Templiers  et  les  Hospitaliers. —  1250 

Réponse  du  grandmaiire  des  Templiers.  —  Altercation 
de  Guillaume  Longue-Épée  avec  le  comte  d'Artois.  — 
Défaite  et  mort  du  comte  d'Arlois  à  Mansoura. —  Mort  de 
Gaillaume  Longue-Épée.  —  Le  roi  Louis  ranime  ses  sol- 
dats. —  Marche  désastreuse  des  Français.  71 
Déplorable  défaite  des  Français.  —  Prise  du  roi  de  France. 

—  Gardiens  laissés  à  Damielte  et  à  la  flotte.  —  Le  roi  de 
France,  prisonnier,  refuse  de  rendre  Damietle.  —  Les  Sar- 
rasins s'efforcent  de  s'emparer  de  Damiette  par  la  ruse. — 
Douleur  des  chrétiens  à  la  nouvelle  de  la  déroute.  86 

Le  roi  de  France  rend  Damiette  aux  Sarrasins  pour  sa  dé- 
livrance.—  Le  Soudan  fait  couper  la  tête  aux  chrétiens 
de  Damiette.  —  Le  roi  de  France  envoie  défler  le  Soudan. 

—  Révolte  des  Sarrasins  contre  le  Soudan.  —  Lettre  adres- 
sée au  comte  Richard.  —  Douleur  des  Français  en  appre- 
nant la  défaite  des  leurs.  —  Le  roi  de  Castille  prend  la 
croix.  96 

Plaintes  sur  les  extorsions  d'argent.  —  Exemple  remar- 
quable d'une  honteuse  exaction,  commise  en  France  par 
les  agents  du  pape.  —Grandeur  d'âme  de  Tabbesse  de 
Lacock.  —  Morts  diverses.  —  Les  Sarrasins  se  préparent 
à  assiéger  Acre.  —  Le  roi  envoie  ses  frères  en  France.  — 
Soulèvement  et  agitation  extraordinaires  de  la  mer.  109 

Collation  inique  imposée  par  le  pape  au  prieur  de  Binham. 

—  L'archevêque  de  Cantorbéry  fait  taire  par  la  crainte  la 
voix  des  plaignants.  —  Mort  de  Guillaume,  évëque  de 
Winchester.  —  Efforts  du  roi  pour  faire  nommer  son 
frère  Atbelmar  à  l'évèché  de  Winchester.  —  Discours 
du  roi  au  chapitre  de  Winchester.  —  Les  moines  de 
Winchester  sont  forcés  de  prendre  Atbelmar  pour  leur 
évëque.  119 

Le  roi  d'Angleterre  se  prépare  à  envoyer  des  députés  au 
pape.  —  Tristes  réflexions  sur  l'état  de  l'Angleterre.— 
Laurent  de  Saint-Martin  élu  à  Rochester.  —  L'évéque  de 
Lincoln  revient  de  Rome. — Les  évèques  d'Angleterre 
s'opposent  aux  projets  de  l'archevêque  de  Cantorbéry.— 

—  Tremblement  de  terre  daiis  le  comté  de  Hartford. — 
L'archevêque  de  Canloii>éry  apaise  les  plaintes  des  cha- 
noines. 128 


584  TABLE 

Ann.  Page* 

1250  Innocent  IV  desire  aller  séjourner  à  Bordeaux.  —  Embar- 
ras du  roi  — Le  pape  lève  l'excommunication  lancée 
contre  les  chanoines  de  Londres.  —  Mort  de  Frédéric  IL 
—  Vingt-cinq  cinquantaines  d'années  écoulées  depuis 
l'an  de  grâce.  —  Résumé  des  faits  principaux  qui  se  sont 
passés  dans  la  dernière  cinquantaine.  434 

4251  Le  roi  célèbre  à  Winchester  les  fêtes  de  Noël.  —  Ton- 
nerre pendant  l'hiver.  —  Le  roi  ne  distribue  aucun  pré- 
sent. —  Il  fait  restreindre  les  dépenses  de  sa  table.  —  Les 
captifs  de  l'empereur  sont  gardés  avec  plus  de  soin.  — 
Les  fils  et  les  amis  de  l'empereur  se  soulèvent  contre  le 
pape.  149 

Itiscorde  entre  les  soudans  d'Alep  et  de  Babylone.  —  Pa- 
tience du  roi  de  France. — Guy,  frère  du  roi  d'Angleterre, 
revient  de  Terre-Sainte.  —  Le  roi  enrichit  ses  frères.  — 
L'évèque  de  Londres  jure  de  se  soumettre  à  la  provision 
de  l'archevêque.  —  Arrivée  du  pape  à  Pérouse.  —  Les 
Vénitiens  et  autres  tendent  des  embûches  aux  vaisseaux 
français.  —  Confédération  de  plusieurs  couvents.  155 

Exploits  du  comte  de  Leicester  en  Gascogne.  —  Il  se  rend 
en  Angleterre  pour  se  défendre  contre  ses  accusateurs.  — 
Il  retourne  en  Gascogne  avec  des  aventuriers  et  des  tré- 
sors.—  Le  roi  accorde, ;^dans  une  même  affaire,  des  lettres 
de  protection  aux  deux  parties.— Plusieurs  chrétiens  sont 
délivrés  des  fers  des  Sarrasins.  —  Absolution  du  doyen 
et  des  chanoines  de  Londres.  —  Réclamation  inutile  au 
sujet  de  la  part  laissée  à  l'ancien  évëque  de  Durham.  162 

Accusations  portées  contre  le  justicier  Henri  de  Bath.  — 
11  cherche  à  apaiser  le  roi  par  l'entremise  du  comte  de 
Cornouailles.  —  Relevé  des  dépenses  du  roi.  —  La  com- 
tesse d'Arondel  fonde  une  abbaye  de  religieuses. — La 
nouvelle  de  la  mort  de  Frédéric  II  se  répand  dans  l'Occi- 
dent. —  Testament  de  Frédéric.  —  Excommunication  du 
doyen  et  des  chanoines  de  Londres.—  Le  comte  Gaultier 
de  Brienne  subit  une  mort  glorieuse,  à  l'exemple  du 
prince  d'Antioche,  son  parent.  168 

Les  forêts  de  l'archevêché  de  Canlorbéry  sont  mises  en 
coape.  —  Guerre  entre  les  fils  de  Waldemar,  roi  de  Da 
ncmark-  —Le comte  de  Leicester  bat  les  Gascons.— Par- 
lement tenu  à  Londres.  -  Irritation  du  roi  contre  Henri  de 


DKS  MAIIKRES.  5X5 

I'ag.    Ann. 

Balb.  — Athelmarestcontirméà  l'évècbede  Winchester.  1251 

—  Mort  de  Guillaume  de  Canteloup.  —  Assemblée  des 
évoques  d'Angleterre  à  Dunstable.  180 

Visitation  sévère  de  l'evêquede  Lincoln. —  Le  pays  de  Galles 
est  soumis  aux  lois  de  l'Angleterre. — Confirmation  des 
élus  à  Winchester  et  à  Rochester.  —  L'abbé  de  West- 
minster passe  la  mer.—  Désolation  d'Antioche.  —  Lé  doyen 
de  Londres  se  rend  à  la  cour  romaine.  —Le  roi  comble 
de  jour  en  jour  les  étrangers  d'amilié  et  de  richesses.  — 
Mort  du  cardinal-évèque  de  Sabine.  487 

Discorde  entre  Tabbé  et  le  couvent  de  Westminster.  —  De- 
putation du  roi  de  Castille  au  roi  d'Angleterre.  —  Lettre 
injurieuse  du  pape.  —  Arrivée  du  roi  à  Saint-Albans.  — 
Mort  misérable  de  Robert  Chandos.  —  Mort  pieuse  de 
Cécile  de  Sanford.  193 

Le  pape  quitte  Lyon.  — 11  arrive  sain  et  sauf  à  Milan  et  de 
là  à  Péroose.  —  L'abbé  de  Westminster  revient  de  la 
cour  romaine.  —  Le  trésor  envoyé  au  roi  de  France  est 
englouti  dans  les  flots.  —  Déluge  partiel  dans  la  Frise.— 
Henri  de  Rath  rentre  à  la  cour.  —  Retour  de  l'élu  à  Win- 
chester. —  Mort  de  Paulin-le-Poivre.  201 

Arrivée  de  l'abbé  de  Cluny  en  Angleterre.  —  Translation 
des  restes  d'anciens  religieux  à  Saint-Albans.  —  Mort  de 
lîeofTroi  Despencer.  -Accusations  contre  les  Caursins.— 
Soulèvement  des  pastoureaux.— Leur  séjour  et  leurs  vio- 
lences à  Orléans.  —  Leur  arrivée  à  Bourges  et  à  Bor- 
deaux.—  Ils  sont  dispersés.  —  Mort  de  Job  le  Hongrois. 

—  Une  autre  de  leurs  bandes  est  exterminée.  —  Quelques 
pastoureaux  recrutés  en  Angleterre  périssent  à  Montreuil. 

— Relation  de  Thomas  de  Shirburn.  211 

Damiette  est  rasée.  —  Nouvelles  décréiales.  —  Apparition 
d  oiseaux  surprenants  en  Angleterre.  —  Le  pape  absout 
des  seigneurs  qu'il  avait  excommuniés-  —  Prise  de  Cas- 
tillon  en  Gascogne.  —  L'évëque  de  Lincoln  punit  les  in- 
continents et  poursuit  ses  réformes.  —  Nouvelles  de  la 
Terre-Sainte.  —  Arrivée  et  dons  du  roi  à  Saint-Albans. 
— Pluie  abondante.-  Yisilalion  à. ''aint-Aibans.  -L'abbé 
de  cette  communauté  élude  ses  promesses.  227 

La  haine  du  pape  contre  Conrad  prive  Louis  IX  du  secours 
des  croisés.  — «iravc  acnisalion  intentée  à  l'hilipix*  Luvel. 


586  TABLE 

Ann.  Pages. 

1251  —  Ijédicace  de  l'église  de  Hales.  —Arrivée  du  comte  de 
Leicester  avec  Guy  de  Lusignan.  — Grande  tempête.  — 
Orage  et  inondation  extraordinaire, —  La  reine  d'Ecosse 
retourne  en  France.  —  Tournoi  célébré  à  Rochester. — 
Coup  d'œil  sur  l'année  1251.  234 

1252  Le  roi  d'Angleterre  célèbre  à  York  les  fêtes  de  Noël.  — Le 

roi  d'Ecosse  reçoit  le  baudrier  militaire  des  mains  du  roi 
d'Angleterre.  —  Il  épouse  sa  fille  Marguerite  et  lui  fait 
hommage.  —  Réclamation  du  comte-maréchal  dans  cette 
circonstance.  —  Description  du  repas  nuptial.  243 

Célébration  de  la  fête  de  saint  Edouard  à  Londres.  —  Ré- 
conciliation de  Philippe  Luvel  avec  le  roi.  —  Gardiens 
donnés  à  la  reine  d'Ecosse. — Vent  Irès-vioIent.  —  L'é- 
vêque  de  Rochester  extorque  aux  bénéficiers  de  son  dio- 
cèse la  cinquième  partie  de  leurs  revenus.  —  Mort  de 
Nicolas  de  Sanford.  —  Le  pape  engage  le  roi  à  accomplir 
son  vœu  de  pèlerinage.  —  Le  pape  fortifie  son  parti  en 
augmentant  le  nombre  des  cardinaux. — Premiers  buffles 
vus  en  Angleterre.  249 

Les  frères  Mineurs  refusent  de  recevoir  du  roi  un  présent 
qu'il  avait  lui-même  extorqué. — Graves  accusations  in- 
tentées par  les  Gascons  contre  Simon,  comte  de  Leicester. 
—  État  étonnant  de  l'atmosphère. — Influence  de  ce  chan- 
gement sur  la  végétation.— Les  bénéficiers  refusent  d'être 
élevés  au  grade  de  prêtres.  256 

Le  roi  fait  convoquer  les  seigneurs  croisés.—  Projets  de  res- 
titution annoncés  par  Louis  IX. —  Henri  IHjure  d'accom- 
plir son  pèlerinage  en  Terre-Sainte. — Le  Soudan  de- 
mande la  paix  au  roi  de  France.  —  Le  roi  se  montre  dur 
pour  SCS  sujets,  prodigue  pour  les  étrangers.  —  Tentative 
d'empoisonnement  sur  la  personne  de  Conrad. — Périls  du 
comte  de  Leicester  à  Bordeaux.  —  Mort  de  maître  Jean 
de  Basingeslokes.  —  Ses  ouvrages.  —  Il  rapporte  en  An- 
gleterre les  figures  numérales  des  Grecs.  262 

Deuxième  et  plus  grave  accusation  contre  le  comte  de  Lei- 
cester. —  Le  pays  de  Galles  est  soumis  aux  lois  de  l'An- 
gleterre. —  Les  seigneurs  de  Gascogne  viennent  en 
Angleterre  pour  se  plaindre  de  la  tyrannie  du  comte  de 
Leicester.  —  Nouvelle  enquête.—  Querelle  «-ntre  le  roi 
cl  le  comte.  27() 


DES  MAilEKËS.  587 

Pages.  Ann 

Ketour  sur  les  événements  politiques  qui  ont  amené  les  1252 

troubles  de  la  Guyenne.  —Le  coiute  Simon  est  fortement 
accusé  par  les  Gascons  auprès  du  roi  d'Angleterre. — Ré- 
ponse du  comte  aux  accusations  intentées  contre  lui.  — 
Dommage  considérable  causé  par  le  roi  à  l'abbé  de  Ram- 
sey. —  L'église  de  Saint-Edmond  menacée  d'une  grande 
perte.—  Discussion  élevée  entre  le  roi  et  la  reine  au  su- 
jet de  l'église  de  Flamsteed.  —  Mort  de  Robert  Passeléve 
et  de  Richard  de  Wendovre.  281 

L'évèque  de  Lincoln  obtient  du  pape  le  pouvoir  d'instituer 
des  vicariats.  —  .Motifs  qui  mettent  obstacle  à  la  paix  pro- 
jetée entre  le  pape  et  Conrad.  — L'archevêque  de  Cantor- 
béry  obtient  la  faculté  d'exercer  le  droit  de  visitation.  — 
Un  enfant  guérit  miraculeusement  plusieurs  malades.         293 

Fin  de  la  discorde  entre  le  couvent  et  l'abbé  de  Westmins- 
ter.—  Privilège  et  charte  accordés  par  le  roi  au  couvent 
de  Westminster.  —  Colère  du  roi  contre  l'abbé  de  West- 
minster.— Rumeurs  sur  l'état  de  la  Terre-Sainte. —  Nou- 
velles plus  agréables  sur  la  Terre-Sainte.  ^—  Propositions 
de  paix  entre  le  roi  de  France  et  le  soudan  du  Caire.  — 
Murmures  au  sujet  des  conditions  de  la  trêve. —  Le  roi  de 
France  consent  à  la  trêve.  —  Lettres  au  sujet  de  la  trêve. 

—  Entrevue  du  roi  de  France  avec  le  Soudan  du  Caire.       298 
Mort  d'Alphonse,  roi  d'E<pagne.  —  Alphonse,  frère  du  roi 

de  France,  est  attaqué  d'une  maladie  incurable.  —  Dou- 
leur de  Blanche,  reine  de  France.  —  Guillaume  de  Saint- 
Edmond,  moine  de  Saint-Albans,  est  envoyé  à  la  cour 
romaine.  —  Le  roi  d'Angleterre  renvoie  le  comte  de  Lei- 
cester en  Gascogne.— La  Gascogne  est  conférée  à  Edouard, 
fils  aine  du  roi  d'Angleterre.  — Combat  sanglant  entre  les 
Gascons  et  le  comte  de  Leicester.  308 

L'Angleterre  est  horriblement  maltraitée  par  les  étran- 
gers. —  Entretien  de  Matthieu  Paris  et  de  Roger  de  Thur- 
keby. — Grande  chaleur  et  sécheresse  pendant  l'été. — 
Réforme  du  pape.  —  Célébration,  auprès  de  l'abbaye  de 
Walthen,  d'un  tournoi  appelé  tournoi  de  la  Table-Ronde. 

—  Le  roi  d'.Angleterre  se  rend  à  Saint-Albans  où  il  fait 
plusieurs  dons. —Mort  de  Guillaume  de  Ilaverhulle.  316 

Sécheresse,  mortalité,  épizootie.  -  Dédicace  de  l'église  d'Ély. 

—  Mort  de  Marguerite  de  Redviers.  veuve  de  FaUaise.  — 


S8g 


TABLE 


Ann. 

1252 


Pages 


Grand  parleincul  tenu  à  Londres.  —  L'évèque  de  Lincoln 
dirige  Topposilion.  —  Le  roi  irrité  est  apaisé  par  ses  cour- 
tisans.—  Nouvelles  propositions.  —  Réponse  des  prélats 
à  la  demande  du  roi.  —  Henri  III  persiste  dans  son  pro- 
jet. —  Réponse  evasive  des  prélats.  323 

Le  roi  distribue  les  revenus  vacants  à  des  gens  indignes, 
entre  autres  à  son  bouffon.  —  II  cherche  à  triompher  de 
chacun  des  prélats,  dans  des  entrevues  particulières.  — 
Résistance  de  l'évèque  d'Ély.  —  Réponse  énergique  de 
l'élu  à  Winchester.  —  Les  "habitants  de  Londres  paient 
vingt  marcs  d'or  au  roi.  —  Nouvelle  vexation  exercée 
contre  les  habitants  de  Londres.  335 

Souffrance  des  habitants  de  Londres  à  cause  du  mauvais 
temps. — Nouvelles  venues  de  Gascogne  — Discussion  à 
ce  sujet.— L'assemblée  est  levée  au  milieu  de  l'indignation 
générale.  —  Isabelle,  comtesse  d'Arondel,  vient  deman- 
der justice  au  roi. — Refus  de  celui-ci.  —  Paroles  coura- 
geuses de  la  comtesse.  —  Nouvelle  discussion  sur  les  af- 
faires de  Gascogne.  —  Dissolution  du  parlement.— 
Plaintes  du  maître  de  l'Hôpital  au  roi. —  Regnault  de 
Mohun  est  nommé  gardien  des  forêts,  à  la  place  de  Geof- 
froi  de  Langeley.  —  Récits  de  quelques  Arméniens. — 
Mort  de  la  comtesse  de  Winchester.  342 

Les  chrétiens  prisonniers  sont  relâchés  par  le  Soudan  de 
Babylone. — Les  ossements  de  Guillaume  Longue-Épée 
sont  apportés  à  Acre. —  Guillaume  de  Valence  et  Geoffroi 
de  Lusignan  insultent  et  maltraitent  les  serviteurs  de  l'é- 
vèque d'Ély  et  de  l'abbé  de  Saint-Albans.  —  Accusation 
portée  contre  Robert  de  la  Ho.  — Le  procurateur  des 
évèques  d'Angleterre  fait  restreindre  le  droit  de  procu- 
ration de  l'archevêque.  353 

Albert,  notaire  du  pape,  se  rend  en  Angleterre.  —  Il  s'oc- 
cupe de  s'enrichir.  —  Arrivée  de  l'archevêque  de  Cantor- 
bt-ry  en  Angleterre.—  Discorde  entre  l'archevêque  et  l'élu 
à  Winchester.  —  Violences  exercées  par  les  parents 
d'Athelniar  sur  la  personne  d'Eustache  de  Lynn.  —Plaintes 
portées  à  l'archevêque  de  Cantorbéry.  —  L'archevêque  se 
rend  à  Oxford.  —  Il  y  promulgue  la  sentence  d'excom- 
munication contre  les  délinquanLs.  360 

Mort  de  Blanche,  reine  de  France.—  Immenses  rcv<>nus  de 


DES  MATIKRES.  589 

Pa};es.  Ann. 
Jean  Hansel.  — L'évéque  de  Lincoln  Tait  calculer  les  re-  1252 

venus  des  étrangers  en  Angleterre.  —  Le  roi  met  les  ga- 
rennes en  vente.  —  Vexations  exercées  contre  plusieurs 
monastères.  —  Coup  d'œil  sur  l'année  1252.  371 

Le  roi  célèbre  à  Winchester  les  fêtes  de  Noël.  —  Canonisa-  1253 

sion  de  Pierre,  de  l'ordre  des  Prêcheurs.  —  Les  Romains 
élisent  Brancaléon  pour  sénateur. — Les  habitants  de  Win- 
chester envoient  au  roi  des  présents  magniflques.  —  Ré- 
conciliation d'Athelmar  et  de  Boniface.  — Vaines  pro- 
messes du  roi.  —  Départ  de  maître  Albert.  —  Les  juifs 
sont  chassés  du  royaume  de  France.  —  Mort  de  l'abbé  de 
Saint-Augustin.  375 

Dommage  et  oppression  de  l'église  de  Sainte-Marie  d'York. 
—  Les  Romains  dévastent  la  ville  de  Tivoli.  —  Richard, 
comte  de  Glocester,  est  fiancé  à  la  nièce  de  Henri  III.  — 
Dénùment  do  roi.  —  Le  roi  d'Espagne  revendique  la  Gas 
cogne.  —  Adoucissement  apporté  aux  visitations.  —  Tour- 
noi célébré  en  France  en  l'honneur  du  mariage  projeté.      383 

Les  habitants  de  Londres  sont  forcés  de  payer  au  roi  une 
somme  d'argent,  après  avoir  bàtonné  ses  serviteurs. — 
Proclamation  pour  la  sûreté  du  royaume.—  Organisation 
d'une  milice  communale.  —  Mort  de  Richard  de  Witz, 
evèque  de  Chichester. —  Nouvelle  révolte  des  Gascons. — 
Pillage  des  biens  des  pauvres. — Libertés  accordées  à  l'é- 
glise de  Waltham.  —  Les  Français  demandent  conseil  et 
secours  au  comte  de  Leicester,  et  veulent  l'investir  de  la 
régence.  389 

Les  Romains  rappellent  le  pape  dans  leur  ville.  —  Grand 
parlement  tenu  dans  li  quinzaine  de  Pâques.  —  Nouvelle 
conGrmation  de  la  grande  charte.  —  Le  comte  Simon  est 
déposé  de  la  garde  de  la  Gascogne.  —  Henri  de  Balh  rentre 
à  la  cour.  —Nouveaux  forestiers.-  Miracles  opérés  sur 
le  tombeau  de  Richard,  évëque  deChichester.— Jean  Clip- 
pinge  est  élu  évéque  de  Chichester.  -  Visitation  de  l'ordre 
Noir.  397 

Le  roi  d'Angleterre  prépare  une  ex[)edi(ion  en  Gascogne.  — 
Guerre  civile  en  Flandre.  —  L'archevêque  de  Cantorbéry 
exerce  la  visitation.—  Roger  Bigod,  maréchal,  reprend 
son  épouse  qu  il  avait  répudiée.  Le  roi  d'Angleterre 
passe  en  Gascogne.  —  Mort  de  Thomas  do  Hartford,  archi- 


390  TABLE 

Ann.  Pages. 

1253      diacre  de  Northumberland .  —  Il  est  enterré  dans  la  maison 

des  Carmes.  —  Miracles  opérés  sur  son  tombeau.  409 

Histoire  tragique  advenue  pendant  le  séjour  du  roi  à  Césa- 
rée. — Le  roi  d'Angleterre  débarque  à  Bordeaux.  — 
Soupçons  des  Français  contre  la  fidélité  des  Poitevins.  414 
Lettre  courageuse  de  l'évêque  de  Lincoln  au  pape.  —  In- 
dignation du  pape  à  la  lecture  de  cette  lettre.  —  Munifi- 
cence de  Robert  de  Sothindon.— Mort  de  Ranulf,  abbé 
de  Ramsey.  —  Inondations  étonnantes  causées  par  les 
pluies. — Splendide  célébration  de  la  fête  desaintÉdouard. 

—  Le  roi  recouvre  ses  châteaux  de  Gascogne.  420 
Ambassade  du  roi  d'Angleterre  au  roi  d'Espagne.  —  Ravage 

des  Sarrasins  à  Ptolémaïs.  —  Grande  famine  dans  l'armée 
du  roi  en  Gascogne.  —  L'abbé  et  le  couvent  de  Saint-Al- 
bans  sont  libérés  de  la  dette  contractée  par  Richard  de 
Oxhaie.  —  Extension  de  la  renommée  du  roi  d'Espagne. 

—  Conseil  bienveillant  du  roi  d'Espagne  au  roi  d'Angle- 
terre. 430 

L'évêque  de  Lincoln  Robert  Grosse-Tête  tombe  gravement 
malade.  —  Son  entretien  avec  un  frère  Prêcheur.  —  Il  se 
plaint  à  ses  clercs  des  exactions  de  la  cour  romaine.  — 
Récapitulation  des  vexations  éprouvées  par  l'église. — 
Mort  de  l'évêque.  —  Mélodie  entendue  dans  les  airs.  — 
Bruit  surnaturel  de  cloches  et  de  trompettes  qui  annonce 
la  sainteté  du  défunt.  434 

Continuation  de  la  famine  en  Gascogne.  —  Prisonniers  rais 
en  liberté  par  le  roi  d'Angleterre.  —  Mort  de  Guillaume 
de  Vescy.  —  Punition  de  quelques  chevaliers  du  comté  de 
Shrewsbury. —  Succès  des  Sarrasins  contre  les  chrétiens. 

—  Conquêtes  de  Conrad,  fils  de  Frédéric  447 
Discorde  entre  l'archevêque  Boniface  et  le  chapitre  de  Lin- 
coln.—  Boniface  se  rend  à  Saint-Albans.  —  Privilège  ac- 
cordé par  le  pape  à  la  maison  de  Saint-Augustin  à  Can- 
torbéry.  —  La  reine  d'Angleterre  met  au  monde  une  fille. 

—  Le  comte  de  Leicester  va  rejoindre  le  roi  d'Angleterre 

en  Guyenne.  —  Troubles  dans  l'université  de  Paris.  <54 

Le  pape  est  forcé  de  quitter  Assise  pour  se  rendre  à  Rome. 

—  Cupidité  des  Romains.  —  Tonnerre  en  hiver.  — Ceux 
que  la  famine  avait  chassés  de  La  Rcole  sont  exilés.  —  Dé- 
bordement de  la  mer  cl  des  lleuves.  —  Miracles  opérés 


DES  MATIERES.  591 

Pages.  Ann. 

dans  l'église  de  Lincoln.  —  Coup  d'œil  sur  l'année  1253.    457  42j3 
Additions.  463 

Notes.  561 

TaBLB  des   MATliSHSS.  581 


FIN   DR   LA   TABLB. 


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