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GRANDE CHRONiOliE
MATTHIEU PARIS.
WPKIMERIB OB HCHFEIDBH BT LAHORAND,
RM dlCrtartii, », pre» IAbb«ye.
GRANDE CHRONIQUE
M\TTHIEl PARIS
FAR A. HUILLARD-BRÉBOLLES,
A00OIIP*«!«KI t» NOTIS,
ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION
PAR M LK Die DE LUYNES,
M«Bbr« de I'lnstitMi.
TOME SEPTIEME.
PARIS,
PAULIN, LIBRA1RE-ÉDITKUK,
4840.
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GRANDE CHRONIQUE
DB
MATTHIEU PARIS
(historia major anglorum).
SUITE DE HENRI III.
Le roi célèbre a Winchester les fêtes de Noel.
— Li COMTESSE de CoRNODAILLES MET AD MONDE UN FILS.
— Mort de Jérémie, conseiller du roi. — Punition
DE Gaultier de Clifford. — Paix entre l^abbé et le
coovENT de Westminster. — L'évèqce de Lincoln fait
CITER LES RELIGIEUX DE SON DIOCÈSE. — L'ail du Sei-
gneur >! 250, qui est la treiUe-quatrième année du
règnedu seijjneurroi Henri 111, le même seigneur roi
se lrou>a à Winchester à la naissance du Seigneur, et
y célébra magnifiquement, selon la coutume, les i êtes
VII. i
2 HENRI ill.
de Noël. Le lendemain, il dîna avec Tévêque de ladite
ville, Guillnume, dont il était le noble et ordinaire
convive, voulant courtoisement réjouir ledit évêque
par Thonneurde sa présence. Ensuite il se dirigea en
toute liûte vers Londres, où il célébra solennellement
la fête de saint Edouard, à laquelle il avait invité
outre Tarchevéque de Cantorbéry Boniface, qui dit la
messe en cette circonstance, sept évêques ainsi qu'une
foule de seigneurs du royaume.
Vers le même temps, un p^u avant les fêtes de
Noël. Cincia, comtesse de Cornouailles, épouse du
comte Richard, mit au n»onde un fils à Berkanisteed.
Lecomte invita l'archevêque de Cantorbéry, oncle de
Tenfant, à le b.îptiser, et on le nomma Edmond, en
rhonneur du bienheureux Edmond, archevêque de
Cantorbéry et confesseur.
A la même époque, mourut Jérémie de Caxton,
clerc et conseiller spécial du seigneur roi. L'évêque
d'Ely conféra sur-le-champ la riche église qu'il lais-
sait vacante à Robert Passelève, espérant qu'il devien-
drait un saint prêtre après n'avoir rien gagné dans sa
vie monduine.
Vers le môme temps, Gaultier de Clifford, qui, sous
le rapport du pouvoir, des richesses et des libertés,
n'était pas le dernier d'outre les barons de la marche
de Guiles, fut accusé gravement pnr-devant le siigneur
roi d'avoir traité violemment et indécemment, au
mépris du seigneur roi, un messager dudit roi, qui
lui apportait des lettres royales, et de Tnvoir forcé h
uvuler leMjites lettre» Mvec In c'ivo (|ui les scellnit.
ANNÉE <250. 5
Aussi ledit Gaultier, ayant été convaincu devant le
roi, n'osa pointsubir son jugement, mais s'en remit
à la merci du seigneur roi, et échappa à grand'peine
à la mort ou à Texliérédation. Toutefois il perdit sa
liberté, ainsi que tout Turgent qu'il avait ou pouvait
avoir, montant à mille marcs; et il obtint alors la
permission de retourner chez lui sans avoir été em-
prisonné, mais sous la caution de fidéjusseurs nom-
més à cet eifft.
Dans la fête plus haut dite , le seigneur roi s em-
ploya le plus activement possible à rétablir la paix
entre I abbé de Westminster et le couvent du même
lieu ; car le scandale de cette discorde, s'étant ébruité,
était retombé sur Tordre religieux tout entier, et
même sur toule la région. En effet, on faisait en-
tendre audit roi que c'était en vain qu'il avait fait
de grandes dépenses pour faire sculpter et placer les
pierres dans la nouvelle construction de Téglise de
Westminster, si les personnes ecclésiastiques, c'est-
à-dire le pasteur et le troupeau, le couvent et Tabbé,
qui doivent servir de pierres vivantes pour une noble
construction, étaient en discorde, contre toute règle.
Mais, jiar l'intervention du seigneur roi, qui aimait
cette église, la paix lut rétablie entre les parties.
Vers le même tenips, Tévêque de Lincoln iiobert,
ce persécuteur infatigable des religieux, fit citer tous
les religieux de son diocèse, pour qu'ils se réunissent
-à Leicester, le jour de la fête de saint liilain^, à
Tefiet d'y écouter un mandai du seigneur pape. En
effet, ledit évéque aspirait de tous ses efforts à faire
À HENRI m.
rentrer sous sa main , ce qui était fort préjudiciable
à beaucoup de gens, les églises et les revenus des re-
ligieux établis dans son diocèse , sur lesquels les
nriêmes religieux n'auraient pas l'assentiment du
chapitre , et ne pourraient pas présenter des pièces
qui fournissent témoignage évident. Pour obtenir ce
privilège , il avait envoyé en cour romaine, non sans
une grande effusion d'argent , maître Léonard , son
clerc et son romipèle ordinaire. Or, ladite cour,
semblable à un gouffre, a le pouvoir et l'habitude
d'engloutir tous les revenus et même presque tout
ce que possèdent les évêques et les abbés. On pourra
trouver au livre des Addilamenta ^ les lettres qui con-
tiennent ce privilège.
Plusieurs seigneurs anglais accompagnent le comte
Richard en France. — L'évéqce de Lincoln se rend a
la cour romaine. — -Biens VENDUS POUR subvenir AUX frais
DE LA CROISADE. — Le PAPK REJETTE LES OFFRES DE FRÉ-
DÉRIC n. —Relevé de l'argent accordé a l'archevêque
DE Cantorbéry. — Le roi demande aux citoyens de Lon-
dres pardon des injustices qu'il a commises. — Il prend
la croix avec UNE foule DE seigneurs. — Ardeurunanime
des croisés. — Vers le môme temps, beaucoup de sei-
gneurs du royaume d'Angleterre passèrent la mer,
sans que la multitude fût instruite des motifs de ce
voyage, à savoir le conite Richard, le com le de Gloces-
ter, le baron Henri de Hastings , Roger de Thurkeby^
* Vt»l. l'aildilioii Xlll n \i\ iiii du volume.
ANNEE 4250. 5^
el beaucoup d'autres nobles avec eux. Parmi les pré-
lats on voyait les évoques de Lincoln , de Londres et
de Winchester ', et avec eux les archidiacres d'Oxford
çlde Bedford, du diocèse de Lincoln , ainsi que beau-
coup d'autres clercs. Le comte Kicliard traversa le
royaume de France en grand appareil et en splendide
compagnie, ayant avec lui quarante chevaliers, tous
vêtus de robes neuves pareilles, montés sur des che-
vaux choisis, aux harnais neufs et tout brillants d'or.
Il était suivi de cinq chariots , de cinquante bêtes de
somme, et d'un nombreux domestique, et accom-
pagné de la comtesse sa fenmie et de Henri, son fils
aîné ; en sorte que sa marche présentait un spectacle
aussi surprenant qu honorable pour les Français
étonnés, qui le voyaient passer. L'honorable dame
Blanche alla à sa rencontre avec les plus grands
égards, applaudissant à sa venue, et lui offrant des
présents précieux, comme une cousine à son cousin,
ou plutôt comme une mère à son fils chéri.
L'évêque de Lincoln fut le seul qui ne put cacher
les motifs de son voyage. En effet, le susdit évéque de
Lincoln, tout vieux qu'il était, s'efforçait ardemment
de plier absolument à ses volontés ceux qu'il avait
convoqués, comme nous l'avons dit, pour entendre
le mandat du pape, et qui en avaient appelé uu saint-
siéjje apostolique contre ces vexations inouïes. Or, les
exempts, les Templiers et les Hospitaliers, et beau-
• Witjoruiensis , dit le texte; mais d'aprèg ce qu'on voit plus bat
<|)a.;. 7 «'t 32), il est «-vident qu'il faut lire ici M'intunieiisis.
(> HENRI III.
coup d'autres avaient interjeté appel, el plus tard
obtinrent adroitement du seigneur pape, grâce à leur
aident, de n'être plus inquiétés : selon cette parole
d'un païen :
« Intéresse le juge en ta favenr quand la loi est inique. »
Lorsqu'après de grandes dépenses et des peines
inutiles, Tévéque fut instruit de ce résultat, il se pré-
senta triste et confus devant le seigneur pape, en
disant : « Seigneur saint-père , je suis couvert de con-
« fusion et de honte dans mon projet; car moi qui
« m'étais appuyé en toute confiance sur vos lettres
« et sur vos promesses, je n»e trouve frustré dans les
« espérances que j'avais conçues, puisque ceux que
" Je croyais avoir domptés se retirent librement, à
« ma grande confusion. » Ou dit que le pape lui ré-
pondit alors en le regardant de travers : « Mon frère,
« d'où vient ce reproche? Toi tu as délivré ton âme,
« et nous nous leur avons fait grâce. Pourquoi ton
« œil est-il courroucé, parce que je suis bon?»
Et comme Tévôque disait tout bas en soupirant,
mais de manière cependant à être entendu par le
pope : (( Argent, argent, quel est ton pouvoir, surtout
« dans In cour romaine! » le seigneur pope, exas-
péré, reprit aussitôt : «0 Anglais, vous êtes les plus
'I misérables de tous les hommes; chacun de vous
« mord son prochain et s'efforce de l'appauvrir.
" Combien de religieux soumis à ta juridiction ,
"Combien de gens qui sont tes brebis, combien
« d indigènes et de |>erboiine8 attachées à la maison,
ANNEE ^250. 7
« qui tous s'acquitlaieul des devoirs de la (iiière et
« de l^bospitalité, n'as-tu pas cherché à abaisser pour
« satisfaire avec leurs biens ta tyrannie et ta cupi-
• dite, et pour rendre riches d'autres personnes, et
" peut-être des élranjjers? » Alors l'évêque se retira
couvert de confusion, et déclaré insolent par tous les
assistants ; mais il s'occupa d'autres affaires , pour
ne pas paraître être resté dans Tinaction.
Celte même année. Ko^jer de Monthaut, un des
plus nobles barons d'Anjjleterre, ayant pris la croix,
et voulant se procurer de Tardent pour son voyage,
donna en ferme, pour une forte somme, son fief et sa
part dans les forêts et autres revenus qu'il possédait
auprès deCoventry, au prieur et au couvent du même
lieu; aliéna d'autres possessions et en vendit beau-
coup irrévocablement, ainsi qu'avaient fait d autres
8ei{;neurs, tant d'outre-mer que des pays d'en deçà
de la mer. Outre le susdit Roger, une multitude
nombreuse de seigneurs, dans le royaume d'Angle-
terre , avaient pris la croix à la même époque , pour
contribuer aux succès de la croix , et suivre et aider
le roi de France. On y comptait, tant en prélats qu'en
chevaliers, les évéques de Worcester et d Hereford ,
les comtes de Leicester et d'Héreford , Geoifroi de
Luci, Robert de Quincy et beaucoup d'autres, qu'il
serait trop long d énumérer. Un grand nombre aussi,
ne voulant pas recevoir ou porter sur leurs épaules
publiquement le signe de la croix, par la crainte que
leur inspiraient les pièges de la eour romaine, lirent
vœu secrètement et se proposèrent fermement de se
8 HENRI HI.
reudre dévotement et puissamment en Terre-Sainte.
Vers les mêmes jours , la puissance de Frédéric
prit tant d'accroissement en haine de la cour ro-
maine, qu'après la défaite de Guillaume de Hollande
et du légat, beaucoup d'hommes puissants se donnè-
rent à Frédéric et lui jurèrent fidélité ; celui-ci serra
alors de si près les habitants de Parme, de Reggio,
de Bologne et les autres rebelles envers lui, qu'ils
n'osèrent point se montrer à quelque distance de
leurs villes, redoutant les pièges de Frédéric. Aussi ,
les marchands de ces villes, qui avaient coutume de
regorger de richesses, voyant que les foires, les ports
et les communications des routes leur étaient inter-
dits , commencèrent à être besoigneux , à désirer la
paix avec Frédéric, et à détester la rébellion papale. En
effet, beaucoup de gens étaient touchés de la patience
constante de Frédéric, de son humiliation, de la
satisfaction qu'il avait offerte pieusement, disait-on,
à l'église. En effet , il désirait et demandait humble-
ment qu'on lui permît de combattre pour l'église en
Terre-Sainte, et d'y attaquer les ennemis du Christ,
pendant letempsqui lui restait à vivre, jusqu'à ce qu'il
eût rendu pour le moins aux chrétiens, aussi puis-
samment que prudemment, tout ce qui avait pu leur
appartenir en aucun temps, pourvu que le neveu du
seigneur roi d'Angleterre , son fils Henri , qu'il ai-
mait par-dessus tous ses (ils, lui lût substitué et pût
régner après lui : il oil'rait en outre de rendre tout
ce qui avait été enlevé à Téglise, et de donner répa-
r«li<ui pour les dommages. A cela , le soigneur pape
ANNEE 4250. 9
ne cessait de répondre qu'il ne voulait en aucune
façon remettre aussi légèrement en son ancien état
celui que le concile général de Lyon avait déposé et
condamné. Plusieurs même disaient et affirmaient
que le seigneur pape désirait ardemment et par-
dessus tout renverser celui qu'il nommait le grand
dragon, afin que, quand celui-là serait abattu et
foulé aux pieds , il foulât plus facilement aux pieds
les rois de France et d'Angleterre, ainsi que les rois
de la chrétienté, qu'il appelait tous roitelets et petits
serpents , lesquels seraient effrayés par l'exemple
dudit Frédéric, et qu'il les dépouillât à son gré, eux
el leurs prélats, de tous leurs biens. Ces paroles et la
conduite scandaleuse, qui semblait si bien s'accorder
avec de pareils discours, firent naître Tindignation
dans beaucoup de cœurs etjustifièrent en même temps
ledit Frédéric , dont lu position commença à s'amé-
liorer de jour en jour.
Vers le même temps, les évêques de la province de
Cantorbéry se rassemblèrent à Oxford , pour exami-
ner bi l'argent levé dans leurs évéchés, au nom de
l'arcbevêque de Cantorbéry, montait à la somme oc-
troyée à ce dernier. Ils étaient à même d'en juger
par les rapports des collecteurs institués dans chaque
evêché ; mais l'archevêque demandait l)eaueoup
plus', voulant que les dépenses de toute espèce fus-
sent supportées dans son intérêt. Aussi les évêques
• Je comprends et Iratluis : multo plut \exe<jit\. au lieu de muHoS
10 HEiNRl 111.
accordèrent malgré eux ce qu'il exigeait, sachant
bien que le seigneur pape était en toutes choses fa-
vorable à l'archevêque.
Sur Tordre du seigneur roi, les bourgeois de
Londres furent cités à se réunir en sa présence, tous
sans exception, avec leurs familles, jusqu'aux enfants
âgés de douze ans, à Westminster, dans le palais
principal, qu'on appelle la grande cour, le premier
dimanche avant la fête de sainte Perpétue et de sainte
Félicité. Le palais tout entier, ainsi que la cour d'en-
trée, fut rempli de leur multitude, au point qu'ils
étaient serrés les uns contre les autres. Lorsqu'ils
furent tous rassemblés, le seigneur roi, d'un ton
humble et presque en pleurant, les supplia de lui
remettre bénignement de cœur et de bouche, tous
tant qu ils étaient, tous les sentiments de colère, de
malveillance et d'indignation qu'ils pouvaient avoir
contre lui. Car, comme il Tavoua en public, lui-
même fréquemment, et ses officiers plus fréquem-
ment encore, avaient commis envers eux des in-
justices de toute espèce, en enlevant, saisissant et
retenant outrageusement leurs biens, et en lésant
maintes fois les libertés d'iceux. Aussi demandait-il
(]u ils lui en accordussenlpardon. Alors les bourgeois,
comprenantquec'élnit là toute la satisfaction qui leur
était offerte, consentirent à tout ce que le seigneur
roi demandait; mais quant :i la restitution de ce qui
leur avait été enlevé, il n'en lut nullementquestion.
Ce même jour aussi, le seigneur roi reçut la croix
des moins de l'archevêque de Canlorbéry Bonilnce.
ANNÉE 4250. 44
Ëosuite le même archevêque donna la croix à d'au-
tres seigneurs, parmi lesquels se trouvaient Fitz-Ni-
colas, sénéchal du seigneur roi, Guillaume de Va-
lence, frère utérin du seigneur roi , Paulin Lepoivre*,
conseiller spécial du même seigneur, et beaucoup de
grands et de courtisans. L'abbé de Saint-Edmond,
nommé Edmond, se croisa aussi, rompant ainsi tous
ses vœux : ce qui parut ridicule à tout le monde, et
d'un exemple pernicieux et préjudiciable aux moines
et à l'ordre religieux. Il y eut aussi des clercs, con-
seillers ordinaires du seigneur roi, tels que Jean
Mansel, Philippe Luvel et beaucoup d'autres qu'il
serait trop long d'énumérer. Des personnes, toujours
disposées à mal interpréter les démarches d'autrui,
ne craignirent pas d'assurer que le seul but du sei-
gneur roi , en prenant la croix , était d'extorquer
violemment, en cette occasion, beaucoup d'argent à
ses seigneurs, qui précédemment avaient résisté à ses
sollicitations, et cela sous prétexte de contribuer à la
conquête de la Terre-Sainte. Cependant les gens dis-
crets, et qui avaient plus de raison, s'abstenaient de
juger, jusqu'à ce qu'on eût des preuves dans les actes
subséquents. En elfet, c'est le propre d'un homme
de bien de supposer le mieux dans une question dou-
teuse, jusqu'à ce que le contraire soit prouvé. Et
d ailleurs qui peut connaître les pensées des mortels,
excepté Dieu? Ce qui semblait justifier cette interpré-
tation fâcheuse, c'était l'exemple pernicieux du roi
' hlaii. Fari» ra|)|>elle ici i'eviye el Camdrn l'ever. (Voij. la note re-
lalife a ee per&oimj|;e, année 4251.)
^2 HENRI Hi,
de France', lequel, dans Tintérét de son pèlerinage,
avait enlevé de son royaume des sommes considé-
rables, qui pourtant, par la vengeance de Dieu, ne
devaient pas lui profiter; car la suite du récit mon-
trera quels fruits il retira de celte exaction.
Cette même année, à savoir le cinq avant les ca-
lendes de mai, les principaux des croisés anglais se
rassemblèrent à Londres, à l'abbaye de Bermondsey^,
pour régler les préparatifs de leur prochain voyage,
assurant qu'ils ne retarderaient rien à cause du roi;
car ils regardaient comme indigne de négliger le
salut de leur âme, et de préférer la faveur d'aucun
roi de la terre au service du roi céleste. Ils fixèrent
donc pour terme la fête de la nativité du bienheu-
reux Jean-Baptiste. Dans le recensement qui fut fait
alors des personnes rassemblées, on trouva cinq cents
chevaliers avec leur suite; quant au nombre des ser-
gents et du peuple qui devaient se joindre à eux, la
multitude en paraissait incalculable. Or, tous les
croisés du royaume d'Angleterre et beaucoup de croi-
sés du royaume de France, qui avaient fait leurs pré-
paratifs avant que le soigneur roi d'Angleterre eût
pris la croix, alteudaient avec in»patience cette expé-
dition si belle. Mais le seigneur roi, qui, en éclaireur
adroit, avoit eu d'avance connaissance de ce projet,
s'empressa d'obtenir de la cour romaine, en y ré-
• Kn lupposaiil même qu'on |>uiwc faire ce reproche à luint Louis, il
cul loiijoum ri rfiVcluii n'-flliMni'iit I intciilioii (f'-illcr h h croisade, tnn-
diit (|u« Ilcnri III n«|)<iurrnil p* .ivoir lu mi'mr excuw*.
> Au faubouri; de Soulhwork.
ANNEE ^250. ^,>
panJant autant d'argent qu'elle voulut, et en en pro-
mettant plus encore, des lettres dont l'autorité sus-
pendait le départ des croisés jusque ce que lui-môme,
comme chef et capitaine , passât puissamment en
personne dans les pays d'outre-mer; ce qui rendrait
sa marche et plus pompeuse et plus sûre. A cela les
croisés susdits répondirent qu'il serait convenable et
sûr que ceux qui s'étaient croisés avant que le sei-
gneur roi eût pris la croix, qui s'étaient prémunis
de chevaux, d'armes et de provisions de voyage, en
mettant leurs terres en gage, qui avaient vendu beau-
coup de possessions, et qui avaient dit adieu à leurs
amis, se missent en roule les premiers, précédassent
la personne de leur roi, et trouvassent ainsi plus fa-
cilement des vivres ; qu'à cette vue, les étrangers di-
raient : « Eh mais, si tant d'hommes, de si magni-
« Hques et de si illustres chevaliers précèdent la face
« du roi d'Angleterre, combien nombreuse doit-on
a croire que sera sa compagnie et sa suite, quand il
« arrivera en personne? » Ainsi l'honneur du roi
s'accroîtrait parmi ses voisins, et la crainte qu'il in-
spirait, parmi sesennemis. Mais les lettres commina-
toires du seigneur pape, et les prières impérieuses
du seigneur roi changèrent tous leurs projets, en les
forçant à rester. Quoique ce changement ne puisse
pas être regardé comme méritoire en soi, ce fut ce-
pendant accidentellement un bonheur pour eux ;
car ils ne seraient pas arrivés en temps opportun an
lècours du roi de France, comme ils le désiraient ar-
demment. C'est ainsi, hélas! que les a lia ires de la
4 A HENRI 111.
croix se trouvèrent arrêtées et languissantes par un
obstacle et par un autre.
Gaston de Béarn et les aotres rebelles gascons se
sodmettent. clémence et faiblesse ddroi. sor-
TIE DES Français contre les Sarrasins, a Damiette. —
Le SOUDAN offre des conditions de paix. — Une foule
DE Français périssent par le fer et la faim. -^Apo-
stasie de plusieurs d entre eux. — Mort du Soudan. —
La fidélité de plusieurs chancelle. — Cette même
année, la Gascogne fut si bien soumise par le comte
deLeicester, Simon de Montfort,queGaslondeBéarn,
le plus puissant ou l'un des plus puissants d'entre les
ennemis du roi d'Angleterre, ayant été pris et bumi-
lié, fut obligé, par les ordres du comte, de venir en
Angleterre trouver son seigneur le roi, quil avait of-
fensé, et (]ui séjournait alors à Clarendon, pour de-
mander grâce au roi sur sa vie, ses membres et sou
tenement, et pour s'en remettre absolunient, non pas
à un jugement, mais à la merci du roi. Cela ayant
été fait, il trouva dans le roi une clémence qu'il ne
méritait pas.
Car c'est alors que le sang royal est vaincu et re-
nonce à la vengeance, quand il voit les rebelles abat-
tus; ainsi que Ta dit Ovide :
• C'est ùuei pour le lion magnanime d'avoir renversi* à terre les corps
de se* eunemu. 11 finit do cumbultrc dès que sou adversaire ne le peut
plus. •
Le seigneur roi reçut donc en sa main, par le
moyeu du comte Simon, quelques cliàleaux du même
ANÎVÉE ^230. ^5
Gaston et de ses complices, à savoir Fronsac, Aigre-
mont et beaucoup d'autres. Gaston, après son humi-
liation, qui pourtant n'était que feinte, rentra si
avant dans les bonnes grâces du roi, par l'interces-
sion de la reine, dont il prétendait être le parent,
qu'il fut rétabli dans la possession de sa terre, tout
en restant obligé par de très-étroites conditions. Ce-
pendant le comte susdit, cherchant à être en tout
digne de son père, et à suivre ou même dépasser les
traces de son magnifique père, parvint à réprimer
Pinsolence des autres rebelles du seigneur roi, tant
h Bordeaux que dans toute l'étendue de la Gascogne,
au point que Guillaume de Solaires, Kuslein et les
autres adversaires superbes du roi furent ou déshé-
rités et mis en fuite, ou condamnés à être privés de
leurs terres. H en fit même pendre beaucoup à de
hautes potences.
Ilemarquez que, quand le roi se trouvait en Gas-
cogne et croyait pouvoir se retirer librement, les
Gascons, et principalement les Bordelais, le voyant
placé dans une position difficile, lui extorquèrent,
avant qu'il pût se retirer, une concession de qua-
rante mille marcs, et exigèrent semblablement qu'il
reconnût cette dette en interposant sa foi, en prê-
tant serment et en dressant une charte. C'est pour-
quoi, aussitôt après son arrivée en Angleterre, le roi
se (it donner cet argent par les prélats; et ainsi après
avoir perdu le Poitou, il appauvrit l'Angleterre. Il
fui même obligé, non sans délester les Gascons, de
vendre son trésor pour se libérer.
■16 HENRI III.
Le lundi avant le jour des cendres', Tarmée des
Français sortit deDamietteavec une impétuosité sou-
daine, se jeta sur les Sarrasins qui Tassiégeaient dans
cette ville, et en tua un grand nombre ; puis les
Français victorieux rentrèrent dans leurs retranche-
ments, joyeux, sains et saufs et chargés de dépouilles.
Le lendemain ils sortirent aussi, espérant que le sort
des armes leur serait pareillement favorable, mais
la foule de leurs ennemis s'étant accrue, ils eurent le
désavantage danç ce combat , et perdirent dix fois
plus ce jour-là qu'ils n'avaient fait de gain la veille;
et s'ils réussirent à revenir à Damiette, ce ne fut que
sanglants, déchirés, blessés, et après avoir perdu
beaucoup de monde. Désormais les Sarrasins com-
mencèrent à se ranimer de cœur, à relever la tête
contre les chrétiens , et à fermer de toutes parts les
voies et les chemins parterre. Le Soudan, concevant
aussi de meilleures espérances, ramassa de tous côtés
des galères, tant d'Alexandrie que des autres lieux
maritimes, ordonna qu'on surveillât soigneusement
les abords de la mer, des côtes et de tous les lieux
d'où les Français pouvaient tirer des secours, et s'at-
tacha principalement, et avec plus de vigilance qu'à
l'ordinaire, à ce qu'on ne leur apportât pas de vivres.
Enfin on ouvrit conseil, et une conférence fut te-
nue. Le Soudan fit savoir au roi de France qu'il
ferait bien, avant que la famine eût détruit son
* Erreur de daU. Le lundi avonlles cendres de l'nnnée 4249, lescroU
•^ëUient eneorn en (Chypre, ci li; lundi nvnnt les cendres de Pann<^ \2!i0,
il« le iirt'pnrnientln trnvorser le Tlinnis devant Monsnurah.
I
ANNÉE 4250. 4 7
armée, de cesser les hostilités et de rendre la ville
de Damielte, avec toutes les provisions de {guerre que
Ton appelle vuljjairenient {jarnilures; s'engageant
de son côté à rendre amicalement audit roi toute la
région de Jérusalem, avec les esclaves chrétiens;
car, disait-il. le roi ne devait pas aspirer à autre
chose qu'à rendre la Terre -Sainte aux clirétiens.
Une foule de chrétiens, à savoir les gens de mé-
diocre importance, te menu peuple besoigneux et
quelques-uns des grands voulaient qu'on prît ce
parti, assurant que si Ton ne consentait pas à ces
conditions de paix et à cette iiumiiité, l'orgueil des
seigneurs perdrait toute l'armée. Le roi , connaissant
doue ces dispositions, aurait cédé à ce conseil, si
I arrogance du comte d'Artois, qui exigeait de plus
Alexandrie, ne s'y fûtaudacieusement opposée. Mais
le Soudan ne voulut en aucune façon rendre aux
chrétiens Alexandrie, qui était la plus noble cité
d'Egypte, et qui servait d'entrepôt à tous les mar-
chands du Midi et de l'Orient. D'ailleurs, disait-il, les
AlexHniirinset les Egyptiens ne l'auraient pas souffert.
La position des Français assiéjjés de tous côtés
commença donc à devenir très-funeste. En effet, celte
nation, qui est recherchée et délicate en fait de mets
et de boissons, était forcée de se nourrir d aliments
immondes et détestables, sans que Frédéric ou au-
cun chrétien put venir des lieux voisins à son se-
cours. Pour tout dire en peu de mots, les Français
étaient réduits à de telles extrémités, qu'ils étaient
obligés de manger, pendant le carême, leurs chevaux
qui leur étaient si nécessaires, et même les plus pré-
vu.
18 HENRI HI.
cieux; ce qui était déplorable à voir. Pour comble
«le douleur, la dissension et la haine divisaient le
peuple el les seigneurs , parce que ceux-ci avaient
rejeté arroijamment les conditions raisonnables de
la paix qui était offerle. Déplus, les princes des Sar-
rasins,détestant l'insolence des chrétiens et se liguant
plus étroitement, se disposaient à les serrer de plus
près encore. Aussi beaucoup de chrétiens, dans ce
moment de grande détresse, sortirent secrètement
de leur can>p et de la ville, allèrent se joindre aux
troupes des Sarrasins qui les traitèrent bien, et de-
vinrent pour les noires des ennemis dangereux; car
les Sarrasins les accueillirent mourants de faim ,
applaudirent à leur arrivée, et leur fournirent des
rations de vivres suffisantes. Cependant un grand
nombre de chrétiens persistèrent dans leur loi, par
la tolérance des Sarrasins; d'autres apostasièrenl,
s'associèrent à leurs superstitions ignominieuses, et
leur jurèrent hommage durable : ceux-là furent
enrichis abondanmient; on leur donna des femmes,
des châteaux, et on les combla d honneurs. Aussi
furent-ils (rautant plus mortellement nuisibles aux
chrétiens, quMls étaient à même de révéler aux en-
nemis les secrètes intentions de ces derniers.
I^orsquc ces apostats curent pleinement expliqué
jiu Soudan la disette de toute espèce (jue souffraient
les chrétiens, celui-ci fit demander ironiquement au
roi de France, pourquoi il n'avait pas souci de se
servir des herses, des fourches, des houx, des hoches,
des oharrucs et des autres instruments nécessaires à
la culture , qu'il avait apportés avec lui sur ses vais-
ANNÉE ^250. A9
seaux \ dans les pays d'Orient qu'il ne connaissait
pas, et pourquoi il les laissait se ronger par la
rouille. Le soudaii ajouta que pour remplir envers lui
les devoirs de Tainitié, il lui fournirait plus facile-
ment du blé, du vin, de Thiiile el de la viande pour
lui et pour son armée, tant qu'elle séjournerait en
ce lieu. Mais le roi, supportant, non sans une dou-
leur profonde, toutes ces tentations de ses adver-
saires, montrait un visage serein, et cachait pru-
denmient les blessures de son cœur.
Peu de temps après, le même Soudan mourut em-
poisonné, à ce qu'on prétend, par ses propres cham-
briers* : car il était haï des siens et de tous les
princes ses voisins. En effet c'était un homme su-
perbe, avare et injuste envers tout le monde. A cetle
nouvelle les chrétiens furent transportés de joie,
quand ils auraient du plu tôt en être fâchés; car beau-
coup de Sarrasins n'étaient attachés qu'en apparence
audit soudai), et le poursuivaient d'une haine .se-
crète', tandis qu'aussitôt après il fut remplacé par
■ Ce paatage coofirme a* que rapportent d'autres historiens : que saint
louis avait Piutentjon de faire de TEgypte une colonie chn-tionne, en y
introduisant des agriculteurs et des traiiquauts d'Europe, (l'otr lea Ad-
ditiimeitta^ ti° \i cl M. Michaud, toin. iv, paj;. 138.)
* Ce fut, en effet, le bruit qui courut ; mais les historiens arabes, Ma-
krisi entre autres, disent que Nedjm-Eddin mourut d'une fistule et d'un
ulcère an pounuMi, le 45 de ta lune deChaban (2^ novembre I:Î4!>), après
avoir désigné pour sou sucsr^ssrur son (ils Touran-rbah. Saint Louis était
déjà eu rouie pour le C^ire quand il apprit la mort du Soudan.
* Apres la prise de Damietle, les émirt> auraient tué le Soudan sur un
geste de Fakreddin, si ce dernier l'eAt voulu. » Laissez-le, dit-il, c'est
un mourant. ^
20 HENRI III.
un autre soudan qui obtint la faveur de presque tous
les Orientaux. Ce dernier attaqua les chrétiens con-
stamment, puissamment et avec plus d'acharnement
que son prédécesseur, et refusa iormellement les
conditions de paix qui avaient été offertes et que pres-
que tous les ciirétiens désiraient et demandaient.
Désormais la position des chrétiens devint de plus
en plus pénible, et leur renommée commença i\
s'obscurcir aux yeux de tous les Orientaux.
Un grand nombre de chrétiens, qu'une foi ferme
ne fortifiait pas, se laissa autant décourager par le
désespoir et par les blasphèmes que par la faim, et
la foi de plusieurs commença, hélas! à chanceler;
or ils se disaient entre eux : « Pourquoi le Christ
a nous a<t-il abandonnés, nous qui ayons combattu
« jusqu'ici pour lui età son service? déjà maintes fois,
•( dans ces derniers temps, nous avons été vaincus
'< et confondus, et nos ennemis, ou plutôt ceux du
M Christ, se sont glorifiés en triomphe de notre sang
« et de nos dépouilles. D'abord pour parler de cette
« ville de Da miette, nous avons été forcés de la rendre
« après Tavoir acquise aU prix de tant de sang, quand
M nous nous sommes vus entourés par les ilols du
« Nil. Ensuite, non loin d'Antioche, l'illustre milice
« du Temple a été vaincue, et son porte-bannière a
« eu lu tète coupée. Plus tard, et peu d'années après,
•( nous avons succombé auprès de Gazer, sous le
•• glaive des Sarrasins, et avons été rachetés ensuite
•4 par un certain Anglais, le comte Kichard. Ensuite
'< |>re8(|ue toute l'universalité des chrétiens a été
ANNÉE 4250 21
" iiidbsaticten lerre-Sainle, par les Choiosiiiinieiis
« qui oikl souillé et délruit lous les lieux (|u'un ap-
• pelle saints. Et aujourd'hui, ce qui est plus pénible
" encore, notre roi très-chrétien, ressuscité niiracu-
« leusement d'entre les morts, se voit exposé à des
<< dangers ignominieux, lui et toute la noblesse di'
<• France. Le Seigneur est devenu pour nous comme
'< un ennemi ; et celui qu'on a coutume d'appeler le
« Dieu des armées, est méprisé maintenant, ô dou-
<< leur ! comme ayant été maintes fois vaincu par ses
« ennemis. A quoi nous servent nos actes de dévo-
" lion, les oraisons des religieux, les aumônes de
« no8 amis? Est-ce que la loi de Machometh serait
" préférable n la loi du Christ? » Telles étaient les
paroles qu'ils prononçaient dans le délire d une foi
vacillante, et les jours du carême se passaient dans
le péché plutôt que dans la pénitence.
SÉVÉRITÉ DE l'ÉVÈQUE DE LlNCOLN ENVERS UN OFFICIER
1)1) HOI. — LeTFIIE du l'APE A CE SUJET. — Le COMTE
RiCIIARD REVIENT DE LA COUR ROMAINE. — OPINIONS Dl-
\KRSES SUR l'entretien DU i'.4PE AVEC LE COMTE HiCHARD.
— Le COMTE ACHÈTE UN PRIEURÉ A l'aRRÉ DE SaINT-De-
Ms. •— Miracle ou rras de saint Edmond. — Le roi
kait restreindre la dépense de sa maison. — Cette
même année, il arriva que l'évcque de Lincoln
priva de son bénéiice uncertain clerc de son évéché,
nommé Ilanuif, qui était accusé d'incontinence, et
I exconimuniu eiisuile, parce qu étant condamné, il
inail refusé de résigner son bénéfice, (ioinmc réceni
22 HENKi lil.
ment il avait persévéré dans la sentence d'excommu-
nication au delà des quarante jours, Tévêque signifia
au vicomte deRuthIand, dans la vicomlé duquel le
même clerc demeurait, Tordre de le saisir et de le
garder comme contumax. Le vicomte, qui par ha-
sard se trouvait l'ami dudit Ranuif et qui n'était pas
favorable à Tévêque, différa ou refusa d'exécuter cet
ordre; car, comme dit Sénèque, différer longtemps,
c'est refuserlongtemps. L'évêque, comprenant donc le
njauvais vouloir du vicomte , Texcommunia lui-
n)ême solennellement. Alors le vicomte, irrité et cou-
vert de honte, alla sur-le-champ trouver le roi et se
plaignit amèrement à lui. A cette nouvelle, tous les
courtisans témoignèrent leur indignation ; mais le
roi, plus irrité que les autres, répondit en proférant
son grand juron : « Si quelqu'un des miens avait
« forfait contre cet évéque ou contre tout autre, lé-
« vôque aurait dû déposer sa plainte par-devant
« nous. Mais, à cequil paraît, il a fait fi de moi. »
Aussi il envoya à la cour romaine des députés solen-
nels et parvint à obtenir sans retard, en répandant
de l'argent, lu lettre suivante, fort préjudiciable à la
liberté ecclésiastique :
« Innocent IV, évéque, etc., à ses chef s fils Tabbé
[et le couvent] de Weslminst(»r à Londres, salut.
Nous acquiesçons libéralement aux vœux de son al-
lesse l'illustre roi d'An[;leterre notre très-clier fils
en Jésus-Christ, afin de nous montrer favorable
pour lui en ce qu'il nous (lemun<le justement.
Oojnine donc, ainsi qu'il nous a été i'X|>osé de sa part,
ANNÉE 1250. 25
certains pontifes el autres prélats forcent, de leur
seule volonté, les baillis de son royaume à plaider
par-devant eux sur des choses qui touchent à la ju-
ridiction royale, et, s'ils ne viennent plaider devant
eux, prononcent contre ces baillis des sentences d'ex-
communication au préjudice et aux griefs dudit roi;
nous cédant à ses supf)lieatioiis, jugeons à propos de
défendre formellement, par l'autorité des présentes,
qu aucun archevêque, évêque ou autre prélat dudit
royaume, force les susdits baillis à plaider par-de-
vant lui sur des choses qui touchent à la juridiction
royale, ou porte contre eux à ce sujet des sentences de
cette espèce. C'es^ pourquoi nous recommandons à
votre discrétion, par ce rescrit apostolique, de ne pas
permettre que le susdit roi soit molesté injustement
par qui que ce soit, à cet égard, contre la teneur de
notre prohibition. Que les malfaiteurs, etc Donné
à Lyon, le sept avant les ides de mars, Tan septième
de notre pontificat. » Toutefois le seigneur roi, en se
plaignant décela au seigneur pape, ne trouva pas de
])artisans chez les gens habiles.
Le premier lundi avant les jours des llogalions,
le comte Kichard, revenant de la cour romaine, abor-
da en Angleterre, el, étunt ar^^ivé à Londres, lut reçu
avec honneur et révérence pour qu'il ne parût pas
recevoir moins d'hoimeurs que dans les pnys d'outre-
mer; car la noble dame et reine Blanche lui avait
témoigné tous les égards qu'elle avait pu et lui avait
ouvert le sein de la France entière. On connut aussi
bientôt, pai- le rapport dudit comte et de ses hommes.
2i HENRI 111.
avec quelle pompe le pape lui avait fait les honneurs
quand il était arrivé à Lyon. En effet, lorsque ledit
comte Richard approcha de la ville, presque tous les
cardinaux et les clercs de la cour romaine allèrent à
sa rencontre, en sorte qu'un seul cardinal et un
petit nombre de clercs restèrent auprès du seigneur
pape. Or, la presse de chevaux et d'hommes formée
tant par son escorte que par tous ceux qui venaient à
lui était si grande, le tumulte causé par ses bagages,
la multitude nombreuse de sa suite richement vêtue,
présentaient un tel spectacle, que les citoyens ainsi
que tous les étrangers qui étaient venus pour leurs
affaires à la cour romaine ne pouvaient s'en rassa-
sier. Lorsqu'il parut sur le seuil de l'hôtel du pape,
celui-ci se leva et vint à sa rencontre, applaudit à
son arrivée, le salua avec déférence, vl le reçut au
baiser; puis il le supplia, du visage le plus gracieux,
de dîner avec lui ce jour-là. Le comte y ayant consenti
volontiers, fut placé à table à côté du seigneur pape,
et le comte de Glocester Richard, i»on loin d'eux ; et
le repas se passa fort joyeusement et courtoisement,
les convives s'égayanl mutuellement, à lu manière
des Français et des Anglais, par les mets, les vins et
les paroles amicales. Eqsuite le pape et les nouveaux
venus eurent entre eux de longues et secrètes confé-
rences, en sorte (juetous ceux qui voyaient cela s'en
étonnaient, en considérant surtout la munificence
extraordinaire i\i\ pape. Le comte, après s'être arrêté
à l'onligiiy , vers la lin (l'avril, pour y faire une
oraison à saint Edmond le confesseur, revint tout
ANNÉE 4250. 25
joyeux en Anglelerre, comme nous venons de le dire.
Quanl au sujet qui avait amené une conférence si
longue et si familière, les avis et les jugements fu-
rent partagés. Beaucoup pensèrent que le seigneur
pape voulait élever le comte Richard à Tempire de
Remanie et le soutenir pour réprimer Tinsolence
des Grecs, sachant que c'était un homme avide, am-
bitieux et riche de beaucoup de trésors que ledit sei-
gneur pape aurait voulu employer à cette expédition.
D'autres assuraient, comme indubitable, que le sei-
gneur pape avait cherché avec empressement à ac-
quérir la faveur dudit comte, pour en être bien reçu,
voulant venir lui-même en Angleterre.
Lorsque lecomle Richard, à son retour, passa par
Tabbaye de Saint-Denis, il satisfit à Tabbé du même
lieu sur le prix d'une acquisition qu'il avait faite, à
savoir, d'un certain prieuré d'Angleterre , nommé
Hurst, qui dépendait de Téglisede Saint-Denis, et où
vivaient quelques moines. De ce prieuré, situé non
loin de Glocester, dépendaient huit riches villages ;
et cetle église, avec son parc et toutes ses dépendances,
valait toujours annuellement environ trois cents
inarcs, au taux d'un marc de redevance au banc [du
roi] pour trente sols. Après avoir obtenu en cour ro^
maine la ratification de cet acte de vente, il expulsa
les moines aussitôt après son retour en Anglelerre,
détruisit tous les édifices et fit du prieuré un de ses
domaines. Désormais appuyé sur la protection pa-
pale, il régla tout selon son caprice, sans crainte de
rencontrer des obstacles de la part d'aucun voisin,
26 HENRI m.
ni surtout d'aucun religieux; et ainsi la condition de
Téglise tomba de jour en jour en discrédit. Le même
comte se proposa de bâtir un château sur le cours de
ia Saverne.
Cette môme année, les moines de Pontigny, fatigués
de Taffluence des pèlerins, principalement des
femmes anglaises qui se rendaient en foule à la
tombe de saint Edmond (car cette permission était
interdite aux autres nations), ou stimulés parles ai-
guillons de la cupidité, coupèrent avec une audace
téméraire le bras droit du mên»e saint, ce qui est
horrible à dire. Mais ils ne réussirent pas pour cela à
éloigner la multiiude des personnes des deux sexes
(jui se pressaient pour considérer et vénérer le corps
du saint archevêque. Aussi les moines furent-ils jus-
tement frustrés dans leurs espérances. En outre, ce
qui paraît avoir été un manque de foi , puisque le
Seigneur avait préservé de la corruption le corps du
saint tout entier, les moines se permirent de placer le
corps dans du baume, par déliance, pusillanimité et
manque de foi (sauf le respect dû à Tordre); mais
aussitôt le corps prit une couleur noire. Aussi les op-
probres des moines de Pontignyouplutôtde tous les
cisterciens se multiplièrent, et beaucoup regrettèrent
qa un corps si vénérable lût déposé dans une église
de cieterciens, en considérant avec quel respect les
corps dos saints sont gardés dans les églises des
rnoinesdc Tordre Noir*. 0 présomption téméraifc !
' N'oublioni pai qu<* Matl. PAri* faiioil |iartiu de Tordre Noir cl ('-(iiit
Ix-uédictiii.
I
ANNEE <250. 37
ce que le Seigneur avait conservé entier et incorrup-
tible, les hommes ont osé le mutiler. Le pieux roi de
France, à qui Ton avait offert une partie de ce corps
uu moment de son pèlerinage, avait répondu : < A
• Dieu ne plaise que l'on mutile pour moi ce qu'il a
« consené entier I » 0 ntanque de foi, je le répète!
ce corps que le Seigneur avait conservé incorruptible
et beau à voir, ces moines ont osé l'oindre de baume
et faire mieux que Dieu en le préservant par ce par-
fum. Aussi la couleur natui'elle des chairs s'est-elle
changée eu couleur de terre, et le Seigneur, irrité à
juste titre, a-t-il fait éclater plus rarement désor-
mais les miracles qui précédemment abondaient en
ce lieu. La vénérable règle des cisterciens fut donc
avilie aux yeux desseigueurSjdes prélats et des clercs ;
et sauf le respect dû à Tordre, on croit que cet évé-
nement fut d'un triste présage pour la chrétienté
tout entière.
Vers le uiéme temps, le seigneur roi, déviant sans
rougir du chemin tracé par son père, Ot restreindre
les dépenses de sa cour et les luri;esses de sa muni-
ficence ordinaire , au point d'encourir le reproche
d'avarice inexcusable. 11 ordonna aussi qu'on dimi-
nuât le nombre de ses aumônes accoutumées et la
multitude des cierges dans Téglise. Toutefois, ce qui
est louable, il se libéra prudemment des dettes qu'il
avait contractées envers plusieurs marchands.
Argekt extorque acx juifs. — Crime » un juif uf.
WaLLINGFOHI». - Des JUSTICIERS SONT ENVOYÉS pour EXA-
28 HENRI m.
MINER LA FOllTUNE DES JUIFS. — MoRT 1) UN RELIGIEUX
ARMÉNIEN EN ANGLETERRE. GrANDE SOMME DARGENT
ENVOYÉE AU ROI DE FrANCE. ReTOUR DES SEIGNEURS AN-
GLAIS.— Fausses rumeurs au sujet de la croisade. —
Dans les mêmes jours, le seigneur roi, dévoré par
une soif avaricieuse, ordonna qu'on extorquai sans
aucune miséricorde de l'argent aux juifs , en sorle
qu'ils paraissaient appauvris complètement et sans
remède ; car il exigea tout ce qu'ils avaient en coffres.
Cependant, tout malheureux qu'ils étaient, ils n'in
spiraient de pitié à personne, parce qu'il était prouvé
de conviction qu'ils avaient été maintes fois faus-
saires tant de monnaie que de sceaux. Et pour nous
taire sur leurs autres méfaits, nous avons jugé à pro-
pos d'en mentionner un dans ce livre afin que leur
malice soit notoire à plus do gens.
Il y avait un juif médiocrement riche, Abraham par
le nom, mais non pas parla foi , qui avait des accoin-
tances et son domicile à Berkamsted et à Walling-
lord ; car il était, dit-on, le familier du comte Uichard
pour un motif fort peu honorable. Cet homme avait
une épouse nommée Floria, très-belle et très-fidèle à
son mari. Ce même juif, pour accumuler de plus
grands outrajjes contre le Christ, lit acheter une image
delà bienheureuseVierge convenablement sculptée et
peinte, qui la représentait, selon Tusage, tenant son
(ils sur son sein, ('e juif plaça celte image dans ses
latriiw's, et, ce (|u'il est impossible de redire sans in
dignation et sans honte, il .souillait cette image , l<>
jour cl In nuit, par de suies outrages, (|ue je ne puis
ANNÉE 1250. 29
exprimer, Tinjuriant comme si c'était la Vierge en
personne, et voulant que sa femme lui prodiguât les
mêmes outrages. Cotte femme, voyant cela pendant
quelques jours, fut touchée de pitié à raison de son
sexe (qui était le même que celui de la Vierge), et, en
passant par là, nettoya furtivement les ordures dont
cette image était affreusement souillée. Mais le juif,
son mari, ayant su comment la chose s'était passée,
étouffa secrètement, comme un scélérat, cette femme
qui était son épouse. Lorsque ces crimes furent avé-
rés et que sa culpabilité fut prouvée et patente, quoi-
qu'il y eut encore sur son compte d'autres méfaits
dignes de njort, il fut plongé dans le plus noir cachot
de la tour de Londres. Mais afin d'être mis en liberté,
il promit pour sûr de prouver que tous les juifs
d'Angleterre étaient des traîtres exécrables. Comme
presque tous Jes juifs d'Angleterre le chargeaient
d'accusations et s'effoiçaientde le faire mettre à mort,
le comte Richard parla pour lui. Alors les juifs,
l'accusant plus fortement encore d'avoir altéré les
monnaies et d'avoir commis bien d'autres crimes,
offrirent au comte mille marcs pour qu'il ne le pro-
tégeât plus: ce que le comte refusa, parce qu'Abra-
ham était regardé comme son juif. Ledit juif Abra-
ham donna donc sept cents marcs au roi pour
être délivré, grâce au comte, de la prison perpétuelle
à laquelle il avait été condamné.
Le seigneur roi envoya aussi, vers le même temps,
ilans toute l'Angleterre, des offlciei*s comme justi-
ciers des juifs pour examiner toute la fortune de ces
50 HENRI 111.
derniers tant eu créances qu'en possessions. Il leur
adjoignit un certain juif, homme Irès-méchant el
immiséricordieux, dont la fonction était d'accuser
tous les autres juifs méchamment et même aux dé-
pens de la vérité. Cet homme réprimandait les chré-
tiens à qui il arrivait d'être saisis de pitié et de pleu-
rer sur l'affliction des juifs, et reprochait aux baillis
»lu roi d'être tièdes et efféminés. A chaque juif qu'il
voyait, il grinçait des dents et affirmait avec de grands
serments que les juifs pouvaient donner au roi deux
fois plusqu'ils ne lui avaient donné, quoiqu'il mentît
méchamment sur sa tête ; et pour leur nuire plus ef-
ficacement de jour en jour, il révélait tous leui'« se-
crets aux chrétiens, exacteurs du roi.
Vers le même temps, quelques frères arméniens,
fuyant les dévastations des Tartares, arrivèrent comme
pèlerins en Angleterre. Lorsqu'ils furent parvenus à
Saint-Yves \ un d'eux tomba malade dans le bourg
où il décéda, et fut enterré avec respect auprès de la
fontaine de Saiut-Yvps dont les eaux ont, dit-on,
une grande vertu. Or, les frères susdits étaient des
hommes d'une vie recommandable et d'une absti-
nence merveilleuse, qui récitaient toujours des orai-
•ons et qui avaient des visages simples, barbus et sé-
rieux. Celui qui mourut à Saint-Yves était leur chef
et leur maître. Il s'appelait Ceorge; il avait été évé-
que dans son pnys, à ce qu'on eroit , el passait pour
• Saint-TTra lor In hnir dr co nom , h IVxtrt'iiiitt' de In |inintc de Gor-
iinnaillfi.
ANNEE 4250. 51
saiol. Aussi (les miracles commencèrent-ils à éclater
sur son tombeau.
Vers le même temps, une forte somme d'argent
lut envoyée comme subside au roi de France qui se
trouvait dans la dernière détresse; car il demeurait
alors dans le camp qu'il avait placé auprès de Da-
mielte et entouré de retranchements, manquant de
tout et dépouillé de toute consolation en fait de vivres.
Jour et nuit il avait à repousser sans relâche les in-
cursions des Sarrasins innombrables qui habitaient
les monlag^nes d'alentour, quoiqu'une {;arde assidue
Veillât autour des lentes. Quant à Damielle, il avait
char{jé cinq cents chevaliers et une forte troupe de
fantassins de garder cette ville, et cette garnison y
demeurait avec le légat, quelques évéques, la reine et
d'autres nobles dames. Or, la somme envoyée au roi
tant en or qu'en argent, et qui se composait de talents,
d'esterlings et de pièces de Cologne d'une mon-
naie approuvée et non réprouvée, comme auraient pu
1 élre par exemple les deniers parisis ou les deniers
tournois, formait une telle masse qu'elle faisait la
charge de onze chariots longs traînés chacun par
(|ualre chevaux des plus vigoureux, et en outre de
quelques chevaux de somme. Cet argent devait être
transporté ainsi jusqu'à la mer pour y être reçu sur
des vaisseaux montés par les Génois et remis ensuite
avec de grandes provisions de vivres au roi qui en
avait grauil besoin. Chaque chariot portait deux
grands tonneaux cerclés de 1er, préparés tout exprès
el remplis du trésor susdit. Mais quel fui le résultat
32 HENRI HI.
de tout cet argent levé pendant trois ans sur les biens
de l'église? c'est ce que la suite du récit montrera
plus au long.
Pendant les jours des Rogations , Richard , comte
de Glocester, Simon, comte de Leicester et d'autres
seigneurs revinrent aussi des pays d'outre-mer. L'é-
véque de Londres et quelques autres prélats qui
avaient passé la mer, comme nous l'avons dit, ren-
trèrent de même heureusement en Angleterre. Deux
évêques seulement restèrent dans les pays d'outre-mer,
celui de Winchester et celui de Lincoln. L'évêque de
Winchester resta donc et séjourna dans le royaume
de France avec un petit nombre de domestiques, afin
de retrancher quelque chose sur ses dépenses. L'é-
vêque de Lincoln demeura à la cour romaine pour
poursuivre auprès du pape le succès du projet qu'il
avait conçu. Quanta la cause du voyage du comte Ri-
chard , l'opinion de quelques-uns fut , et non sans
raison, que le seigneur pape Tavait appelé pour l'é-
lever à l'empire de Romanic, lui qu'il savait abonder
en trésors. L'avis de quelques autres, avis qui plus
tard devint probable, étnit que ce voyage avait pour
but d'empêcher que les croisés ne passassent en Terre-
Sainte. D'autres encore assuraient scmblablement ,
cequi, peu après, fut tenu pour vrai, que le comte
voulait obtenir habilement de l'abbé de Saint-Denis le
prieuré de llurst avec ses dépendances, et se faire don-
ner en même temps les [)rovi8ion8 de voyage des croi-
sés. Mais on diteton croit aussi que le motif du grand
accueil quo lui lit le seigneur pap(>, était (|uc lecomte
ANNEE 4250. 35
reçut à son tour avec bienveillance et respect le sei-
gneur pape qui désirait ardemment venir en Angle-
terre, et qu'il déterminât le seigneur roi son frère et
les seigneurs laïques, principalement ceux qui fai-
saient partie du conseil du seigneur roi, à l'appeler
eux-mêmes dans le royaume d'Angleterre. Mais nous
avons déjà touché ce point précédemment.
Vers le même temps, pour donner aux chrétiens
une vaine consolation, ou pour animer les croi-
sés qui différaient le moment de leur pèlerinage, des
lettres rédigées par des hommes authentiques et
digues de foi , tels que Tévêque de Marseille et
quelques Templiers, arrivèrent de la Terre-Sainte.
Elles rendaient compte des bruits qui couraient,
bruits très-agréables, mais qui se trouvèrent faux,
et réjouissaient les auditeurs crédules par le récit de
succès qui n'existaient pas : à savoir, que Babylone
et le Caire étaient pris, que les Sarrasins s'étaient sau-
vés d'Alexandrie, et que la ville était abandonnée à
la désolation. Ces nouvelles, dis-je, percèrent d'au-
tant plus cruellement à la fin, comme fait le dard du
scorpion, le cœurdes auditeurs crédules, que d'abord
elles les avaient (lattes par de plus douces espérances.
Désormais nous regarda mes com me encore plus sus-
pectes, et même comme haïssables, des lettres qui
pourtant se trouvaient bien informées.
Accord ao suet de la PRÉsE^TATlo.N a l'église de W en-
CRAVE.— L'archevêque Bompace se propose d exercer
SON DROIT de VISITATION. — Boniface tyrannise le cler-
vil. 3
S4 HENRI in.
GÉ DE Londres. — Les chanoines de Saint-Barthélemv
s'opposent a la visite de l'archevêque. — Violences
EXERCÉES par LE PRÉLAT ET SES SATELLITES. — Le ROI
REFUSE d'entendre LES PLAINTES. — ÉmEUTE A LoNDRES.
— Sentence d'excommunication, —Boniface se prépare
A ALLER a la COUR ROMAINE. — Cette même année, pen-
les jours des Rogations, une discussion s'élant élevée
entre l'abbé de Saint-Albans et Jean de Wedon, au
sujet de la présentation à Téglise de Wengrave, alors
vacante, la concorde fut rétablie entre eux, et ledit
Jean reconnut, parde-vant les justiciers du seigneur
roi, Hoger de Thurkeby , Robert de Brus et leurs
autres collègues, que le droit de la susdite église ap-
partenait à la donation dudit abbé. Or, le susdit Jean
avait obtenu contre l'abbé le bref de sommation qui
suit : « Le roi, au vicomte de Buckingham, salut.
Enjoins à l'abbé de Saint-Albans de permettre juste-
ment et sans délai que Jean de Wedon présente
une personne convenable pour l'église de Wengrave
qui est vacante, à ce qu'on dit, et qui appartient à sa
donation ; car ledit Jean se plaint de ce que l'abbé
l'en empêche injustement. Et si ' ledit Jean te
donne pouvoir de poursuivre sa réclamation, alors
adresse sommation, par bons sommateurs, au sus-
dit abbé de comparoir par-devant nos justiciers à
Westminster, le lendemain de l'ascension du Sei-
neur, etc. » Mais quel prolil l'église do Saint-Albans
relirn-t-«!lle en pareil cas, puisque les Romains ou
' Et niii Nou* liioi» et ni.
i
ANNEK «250. 55
les {][eiis du roi meltaient violemment les mains à qui
mieux mieux sur toutes les églises vacanles, princi-
palement sur celles des religieux?
A la même époque, l'archevêque de Cantorbéry,
Boniface, entraîné par l'exemple de Tévêque de Lin-
coln, qui avait obtenu le droit de visitation sur ses
chanoines, entreprit d'exercer aussi le droit de visite
dans son diocèse, à savoir sur les évoques, les abbés,
le clergé et le peuple. Il commença cette visite par
le chapitre de ses moines de Cantorbéry, et il secon-
duisità leur égard avec tant de rigidité et d une ma-
nière si impitoyable, qu'ils se disaient les uns aux
autres : « Nous sommes justement traités par celui-
<• ci, parce que nous avons péché envers son prédé-
'< cesseur, le bienheureux Edmond, que nous regar-
« dions comme un homme austère et orgueilleux .
« nous souffrons vraiment ce que nous avons mérité,
» en élisant un étranger, un homme illettré, incon-
u nu, et inexpérimenté, plus propre et plus exercé
« aux choses delà guerrequ aux affaires spirituelles.
•« Oh ! quels prédécesseurs il a eus, des martyrs, des
« docteurs authentiques, des saints confesseurs de
* Dieu! Hélas! pourquoi dans cette élection irrégu-
« lière avons-nous obéi au roi terrestre plutôt qu'au
u roi céleste? » Boniface se rendit ensuite à Tabbaye
de Féversham,et les moines, redoutant sa tyrannie,
n'osèrent pas par pusillanimité s'opposer à cette vi-
sitation. Delà il se rendit en grand fracas au prieuré
de Ilochester, et extorqua plus de trente marcsà cette
maison qui n'était pas opulente; d'où il ressort qu'il
56 HENRI 111.
exerçait cet office de visitation plutôt par cupidité
d'argent que pour la réformation de l'ordre ou des
mœurs, puisqu'il était ignorant en ce qui touche
l'ordre et les mœurs, aussi bien que dans les lettres.
Le quatrième jour avant les ides de mai, c'est-à-
dire le jour de saint Pancrace et de ses compagnons,
le même archevêque arriva à Londres pour visiter
l'évéque et son chapitre, ainsi que les religieux de la
ville : il prit ses logements sans permission aucune,
dans le magnifique hôtel de Pévêque de Chicester, non
loin des maisons des frères convers, et ne descendit pas
dans son propre palais de Lambeth ; puis il envoya ses
maréchaux faire violemment ses provisions au mar-
ché du roi, en accablant les marchands de menaces,
d'injures et d'outrages ; il n'invita cependant que
peu ou point de convives. Le lendemain il alla visi-
ter l'évéque Foulques, et se conduisit chez lui avec
tant d'indécence, en exigeant des provisions pour
boire et pour manger, et jusqu'à des fers pour ferrer
ses chevaux qui avaient perdu les leurs, que ce serait
offenser les oreilles et les esprits des auditeurs, ce
serait môme leur percer le cœur que de faire le récit
de la conduite de l'archevêque. Comme il se dispo-
sait à visiter le chapitre de Saint-Paul de Londres, les
chanoines s'y opposèrent et en appelèrent au souve-
rain pontife : aussi excommunia-t-il le doyen et les
outres.
Le lendemain, Boniface encore gonflé de colère et
vêtu d'une cuirasse sous ses habits^ comme l'ont as-
suré des témoins oculaires, se rendit au prieuré de
ANNEE V250. S7
Saiut-Uarlhéleiny pour y visiter les cliauoines. Lors-
qu'il arriva et qu'il entra dans Téglise, le sous-prieur
vint à sa rencontre (car le prieur était alors absent),
accompagné du couvent, marchant solennellement
i*n procession, à la lueur de beaucoup de cierçes et
au son des cloches. Les chanoines avaient revêtu
leurs chapes de chœur très-richement travaillées, et
le sous-prieur avait la plus précieuse de toutes. Mais
l'archevêque ne parut pas beaucoup se soucier de
tous les honneurs qu'on lui rendait, et dit qu'il était
venu au prieuré pour visiter les chanoines. Tous les
chanoines se trouvaient alore au milieu de l'église,
c'est-à-dire dans le chœur , ainsi que l'archevêque
suivi de la plus grande partie de sa maison, qui se
comportait d'une manière inconvenante. Alors un
des chanoines lui répondit au nom de tous qu'ils
avaient un évèque habile et attentif, à qui il apparte-
nait de les visiter, le cas échéant, et qu'ils ne voulaient
ni ne devaient être visités par un autre, de peur
qu'ils ne semblassent le mépriser. En entendant
cela, l'archevêque, saisi d'un accès de colère indécent,
se précipita sur le sous-prieur ; et oubliant la dignité
que lui imposait sa condition, ainsi que la sainteté
de ses prédécesseurs, il frappa d'une manière impie,
avec son poing fermé, un sainl prêtre, un religieux
au milieu de son église, redoublant brutalement ses
coups sur la poitrine de ce vieillard, sur sa face véné-
rable, sur sa tête blanchie, et disant d'une voix reten-
lissunte : « Voilà comment, voilà comment il con-
a vient de traiter ces traîtres d'Anglais ! » Puis, dans un
38 HENRI III.
moment de fureur encore plus horrible, et avec des
jurements que je n'ose rapporter, il demanda qu'on
lui apportât son épée sans retard . Comme le tumulte
augmentait et que les chanoines s'efforçaient d'arra-
cher leur sous-prieur des mains de ce forcené, le
même archevêque déchira cette chape précieuse dont
le sous-prieur était revêlu, arracha le fermail qu'où
appelle vulgairement le mors ; ce qui fit que ce vête-
ment, enrichi d'or, d'argent et de pierres précieuses,
fut foulé aux pieds de cette foule qui se heurtait, et
absolument perdu. Cette chape magnifique, foulée
ainsi aux pieds et déchirée, fut donc gâtée sans re-
mède; mais la fureur de l'archevêque n'était pasapai-
sée. En effet, repoussant le sainthomme par unchoc
violeutet le forçant à reculer, il serra si violemment
ce corps de vieillard contre une barre de bois qui sé-
parait deux stalles et qui servait d'appui, qu'il lui
brisa les os jusqu'à eu faire sortir la moelle, et dans
sa fureur lui écrasa la poitrine. A la vue des excès
auxquels se portait l'archevêque, les autres arrachè-
rent à grand'peine le sous-prieur évanoui des portes
de la mort, en repoussant l'oppresseur. Celui-ci
étant tombé à la renverse, et ses vêtements s'étant
écartés, plusieurs personnes aperçurent visiblentent
8Q cuirasse, et furent saisies d horreur en voyant un
archevêque cuirassé. Aussi plusieurs conjecturaient
qu'il était venu en ce lieu avec l'intention, non pas
do visiter les chanoines et de corriger les erreurs,
mais d'oxcitor une rixe. Pendant ce temps, les offi-
cierb de l'arclicvéque , Provençaux romme lui et
gens à la main prompte, se jetèrent brutalement sur
le reste des chanoines qui étaient faibles, sans armes
et surpris à I improviste ; et Tarchevêque et ses hom-
mes, animés par son ordre et par son exemple, mal-
traitèrent un {jrand nombre d'entre eux, les frappant,
les déchirant, les renversant, les foulant aux pieds.
Alors les chanoines pâles, souillés de sang, meurtris
de coups, les cheveux en désordre, les vêtements dé-
chirés, se rendirent à pied auprès de Tévèque de la
ville, et se plaignirent amèrement à lui, en versant
des larmes, de cette action détestable : Tévêque leur
répondit : « Le seigneur roi est à Westminster : allez
■ le trouver; montrez -vous à lui dans cet état. Peut-
« être sera-t-il indigné d'une violation si criminelle
« et si manifeste de la paix dans sa propre ville ca-
• pitale? •
Quatre des chanoines (car les autres ne pouvaient
marcher, tant étaient vives les douleurs qu'ils ressen-
taient) allèrent donc se présenter au roi à Westmin-
ster, traversant la ville au milieu du peuple saisi de
pitié, montrant à tous les traces des coups, le sang
qui les couvrait, leur pâleur, leurs tumeurs, leurs
vêlements déchirés; et tous compatissaient à leurs
maux et détestaient cet attentait. Mais le cinquième,
c'est-à-dire le sous-prieur susdit, ne put en aucune
façon se rendre à la cour du roi ni à pied ni à cheval ;
ciiron l'avait porté tout gémissant à l'inGrmerie, et
il s'était mis uu lit où il fut pris d'une maladie de
langueur qui dura le reste de sa vie. Cependant le roi
ue voulut ni entendre ni voir les susdits chanoines
40 HENRI HI.
qui venaient se plaindre, quoiqu'ils eussent attendu
longtemps à la porte de sa chambre. C'est pourquoi,
plus confus encore, ils revinrent à leur église que le-
dit archevêque avait souillée et profanée par le sang
des prêtres et des religieux. Sur ces entrefaites, toute
la ville de Londres était dans une grande agitation ;
une sédition était imminente, et les bourgeois propo-
saient de sonner la cloche de la commune et de cou-
per Tarchevêque par morceaux, quoi qu'il pût arri-
ver plus tard. En attendant, on l'accabla d'outrages
et d'injures ; on se précipita en foule vers son palais
de Lambeth où il s'était réfugié, et ceux qui le cher-
chaient criaient : « Où est-il ce routier, ce meurtrier
« impie, cet homme de sang, qui, loin de gagner
« des âmes, ne songe qu'à voler de l'argent? Ce n'est
« pas Dieu, ce n'est pas une élection légitime et libre
n qui l'a élevé où il est ; c'est un intrus que le roi
« nous a donné illicitement, tout illettré et marié
« qu'il était. Le voilà maintenant qui souille de ses
« infamies toute notre ville. » Aussitôt après, l'ar-
chevêque se fit transporter secrètement sur l'autre
bord de la Tamise', et se plaignit amèrement au sei-
gneur roi, se justifiant quoique coupable, et accusant
gravement les autres ; puis, courantvers la reine, il se
plaignit à elle plus amèrement encore. Le roi, redou-
tant donc grandement une sédition, fit proclamer
dans la ville, par la voix du héraut, que personne
sur sa vie et sur ses membres n'essayât de s'immiscer
' Loinbcdi, comme noue Tavont dit, ett en face de WotlmiiMter.
ANNÉE 1250. 44
dans celle affaire. L'archevêque ayant donc élé mé-
prisé , tant par les chanoines de Saint-Barthélemy
que par la communaulé de la Sainte-Trinité, qui en
appelaient fermement au pape, n'en persista pas
moins, et, se voyant soutenu parla faveur du roi, re-
nouvela solennellement, dans sa chapelle à Lambeth,
la sentence qu'il avait prononcée contre les chanoines
de Saint-Paul, enveloppant dans Texcommunication
l'évêque de Londres comme fauteur, ainsi que les
chanoines de Saint-Barthélemy. Aussi les chanoines,
se voyant accablés de toutes parts d'injures et d'ou-
trages, communiquèrent leurs plaintes et confièrent
en pleurant leur cause à saint Barthélémy, leur pa-
tron, au service duquel ils s'étaient consacrés jour et
nuit ; le suppliant de faire que le Seigneur Dieu des
vengeances daignât châtier de si grands excès, puis-
que les hommes ne le pouvaient ou ne le voulaient
pas.
Cependant l'archevêque, encore rempli du fiel de
la colère, se rendit le lendemain à son munoir ap-
pelé Harewes, qui est éloigné de sept milles du mo-
nastère de Saint-Albans , pour exercer l'office de
vigitation dans cette abbaye ; et là, il renouvela la sen-
tence d'excommunication. Mais ses amis et ses clercs,
honmiesdiscretsetletlrés, lui ayant parlédes privilèges
magnifiques accordés à cette église par le saint-siège
apostolique, il renonça pour le moment à son pro-
jet. Étant donc revenu , il se disposa à passer la nier,
pour préparer des pièges aux innocents, dans cette
cour romaine, où il était tout puissant, et où il avait
Â2 HENRI III.
riiabitude de demeurer plus qu'il ue convient à un
bon pasteur occupé de sou troupeau. D'un autre
côté, le doyen de Saint-Paul de Londres, homme ho-
norable , d'avis sage et de grand âge, maître Robert
de Barton , et maître Guillaume de Lichfield , tous
deux hommes diserts et lettrés, et chanoines de la
même église, ainsi que les procurateurs de l'évéque
de Londres et des chanoines de Saint-Barthélémy, se
rendirent à la cour du pape, pour déposer sur tout
cela leur plainte par-devant le souverain pontife, et
afin de prouver leurs griefs , ils étaient munis de
pièces suffisantes , et appuyés par le témoignage de
plusieurs.
Lettre de l'évéque de Londres, qoi demande conseil
A l'abbé de Saint- Albans. — Chapitre général des
FRÈRES PrECHEORS. — AGITATION DES CITOYENS DE LON-
DRES. — Le ROI ACCORDE DE NOUVELLES CHARTES A l'aBBÉ
DE Westminster. — Privilège abusif octroyé par le
ROI A Geoffroy le Roux. — Vaines réclamations de
Matthieu Paris — Le sceau royal est confié a Guil-
laume DE Kilkenny. — Le roi de France se dirige vers
LB Caire. — Jalousie des Français contre les Anglais.
— Sur ces entrefaites, l'évéque de Londres, grande-
ment troublé de toutes ces tribulations , redoutait
fortement, et Ton ne peut s'en étonner, tant l'avarice
du pape <|ue l'amilié fort douteuse du roi, à l'en-
droit de ses hommes naturels, et le crédit des Sa-
voyards qu'il n'osait pas offenser. Désirant donc,
dans CCS |)erplcxilés , avoir lo conseil et l'aide du
ANNÉE r250. 45
couvent et de Pabbé de Saiut-Albans, il leur écrivit
en ces termes : « Aux vénérables bonimes , ses amis
très-cbers en Jésus-Christ, Jean, par la grâce de
Dieu, abbé de Saint-Albans , les frères du même lieu
et tous les autres soumis à la juridiction de la même
maison, Foulques, par la permission divine, évêque
de Londres, salut et accroissement continuel de di-
lection sincère dans le Seigneur. La renommée, qui
nous menace de la balance du jugement commun ,
marche à grands pas sur la terre, et dissémine en
plusieurs lieux la nouvelle de la sentence qui nous
trouble. Or, la longue paix dont jouissait notre dio-
cèse ayant été attaquée par notre vénérable père Tar-
chevêque, nous avons recours à la voie d'une juste
défense, comme étant vos guerriers, envoyés les pre-
miers sur le champ de la fortune , pour le droit de
tous en général et de chacun en particulier dans le
diocèse, et nous croyons et prédisons que la guerre
qui nous a été déclarée , retombera plus fortement
encore sur vous , à moins que nous ne respirions ,
soutenu par les consolations du Tout-Puissant et par
vos conseils. En effet , le même seigneur archevêque
(comme peut-être vous en êtes déjà instruits) a d'a-
bord commencé par exiger la visitation sur tout le
clei-gé et le peuple de notre diocèse, ainsi qu'une
procuration des chanoines de notre chapitre , puis
pareille chose de deux prieurés de Londres ; mais
des deux côtés il a éprouvé contradiction et refus,
quoiqu'en termes courtois , les chanoines ne layant
pus admis ù exercer sur eux de semblables droits.
44 HENRI III.
Ensuite , parce que nous avions mandé à quelques-
uns de notre juridiction de ne pas l'admettre au
préjudice de notre église , il a fulminé contre notre
personne des sentences d'excommunication , quoi-
qu'il eût été prévenu par des appels légitimes, des
motifs justes, vrais et probables ayant été exprimés.
De plus , pour ne pas troubler notre repos par cette
seule attaque , il a fait publier dans son diocèse et
même ailleurs, à ce qu'on assure, des sentences aussi
irrégulières. Nous avons donc envoyé nos procura-
teurs à la cour romaine , et nous avons informé de
cette affaire quelques évéques , nos collègues , qui ,
dans la grandeur de leur âme , se proposent de dé-
fendre leurs droits et leurs libertés. C'est pourquoi
nous avons jugé à propos de supplier votre dilection
de voir l'injustice de cette attaque et de vous mainte-
nir en honneur et en indemnité, de façon que la
probité ne soit pas attiédie , que la virilité ne se re-
froidisse pas , mais que , plaçant votre confiance en
celui qui défend les opprimés des outrages des in-
justes, vous veuillez bien nous tendre la main d'un
conseil salutaire. Portez-vous toujours bien dans le
Seigneur tous tant que vous êtes. » Les décrétales
sur lesquelles l'archevêque se fondait pour exiger de
pareils droits sontrapportéesau livredes Additamenla '
où se trouvent aussi les discussions des parties.
Vers le métiie temps, c'est-à-dire vers la fête de
la nativité de saint Jean-Baptiste, les frères de l'ordre
' Voij. \p» /itiiiitiont XIV et XV k In lin du volume.
I
ANNÉE ^250. 45
desPrôcheurs, de quelque pays chrétien qu'ils fussent,
iiiême ceux de la terre de Jérusalem , se rassemblè-
rent, sur convocation commune, dans leur maison de
Holburn à Londres, pour traiter en général de Tétat
et de l'office de leur ordre. Comme ils n'avaient pas
de ressources en propre, les seigneurs et les prélats
leur fournirent des provisions par pure libéralité, sur-
tout ceux qui habitaient la ville de Londres et les lieux
voisins, tels que les abbés de Wallham, de Saint-Al-
bans , et autres semblables. Le chapitre s'ouvrit le
jour de la Pentecôte , après une invocation adressée
à TEsprit-Saint, qui à cette époque descendit sur les
disciples. Or, il y avait là environ quatre cents frères.
Le premier jour, le roi se rendit à leur chapitre, pour
leur demander le suffrage de leurs prières, et il leur
donna à manger ce jour-là , s'asseyant à table avec
eux pour leur faire honneur ; puis ce fut le tour de
la reine , puis de Pévêque de Londres , puis du sei-
gneur Jean Mansel , et ensuite des autres prélats,
comme l'abbé de Westminster et autres, à qui les
Prêcheurs avaient adressé des lettres de supplica-
tions, pour que la pauvreté des besoigneux fût sou-
lagée par l'abondance des riches.
Vers le même temps, la cité de Londres fut vio-
lemment agitée, parce que le seigneur roi exigeait
que les bourgeois accordassent certains privilèges à
Westminster, à leur grand dommage et à la viola-
tion de leurs propres libertés. Le maire de la ville,
soutenu par toute la commune unanimement, résista
autant qu'il le put à la volonté du roi, ou plutôt à
46 HBNRl III.
cello allaquc extravagante. Mais ie roi se montra dur
et inexorable. Alors les bourgeois, fort troublés, al-
lèrent trouver, d^un air triste et en se plaignant, le
comte Richard, le comte de Leicester et d'autres sei-
gneurs du royaume, leur exposant comment le roi,
entraîné peut-être dans une mauvaise route par
l'exemple du pape, ne rougissait pas de violer leurs
chartes, qu'ils tenaient des prédécesseurs dudit roi.
Aussi les seigneurs susdits, fort irrités de cela, et crai-
gnant que le roi n'entreprit contre eux-mêmes
quelque chose de semblable, réprimandèrent amère-
ment le roi d'un ton menaçant, le firent renoncer à
son projet, et s'adressèrent avec plus d'aigreur encore
à Tabbé de Westminster, qui passait pour l'instiga-
teur et le conseiller de cette entreprise, ajoutant à
leui*s reproches des injures qu'il ne convient pas de
répéter, par respect pour l'ordre. C'est ainsi que la
prudence des seigneurs rappela heureusement le roi
à de meilleurs sentiments.
Vers le même temps, le seigneur roi, agité par de
semblables intentions, au mépris des chartes de ses
prédécesseurs et de ceux même qui avaient régné en
Angleterre avant la conquête, et à la violation de sa
foi et de son serment le plus sacré, investit, par une
charte, le susdit abbé de Westminster, au dommage
et à la lésion manifeste de l'église de Saint-Alhans,
du bourg d'Aldenham, lieu très-aucien, comme son
nom l'indique. Car a/c/' signifie ancien ; d'où il paraît
« Aojourd'hui uUi. Noui ne pouvons r4>inprcndrc le rapport «ftymolo-
t;i(|ue ()ue MaU. Pdrit spinble i^tablir entre Aldenliam et Albani.
I
I
ANNEE 4230. At
probable que le bourj^ susdit avait été conféré très-
ancieiinemeiit à saint Albans, premier martyr d'An-
gleterre, quand bien même toutes les cbarles se tai-
raient et seraient suspendues. En outre, le seigneur
roi susdit concéda, et cela par charte, le droit de ga-
renne sur les terres de Tabbaye et auprès du bourg
de Saint-Albans, à un certain chevalier nommé
Geoffroi , tenancier en chef de l'église de Saint-Al-
bans, quoiqu'il ne descendît pas d'ancêtres illustres,
ni même de chevaliers, mais parce qu'il avail épousé
la sœur de son clerc Jean Mansel ; et cela contre les
antiques libertés de cette église, contre les chartes
obtenues des pieux et anciens rois, et usitées sans in-
terruption ; contre la charte même dudit roi aujour-
d'hui régnant. Et ledit Geoffroi le Roux * ne rougit
* C*e«t le même tenancier dont il eit parlé plus haut sous le nom de
Geoffroi de Cbildewicke. Ce seigneur frappait à coups de bdlon les ser-
viteurs de l'abbaye, lançait sur eux ses cbiens de cbusse, dans la garenne
même de Saiol-Albans, et, s'întitulant un des marécbaux du roi, empé-
duiit rarcfaidiaere de Bedford d'envoyer à Saint-AlbAis les provisions de
venaison. Toutes les réclamations des moines ayant été rendues vaines
par le crédit de Jean Mausel , aussi puissant alors que le comte Ri-
cbard de Cornouailles, ceux-ci fulminèrent contre Geoffroi la plus ter-
rible excommunication, et le citèrent de pace fraeta. Henri III, ayant
rémui k obtenir de l'abbé qu'il retirât son appel, adjugea le droit de ga-
renne à Geoffroi, ainsi qu'on le voit dans le passage que nous annotons ;
puis comme les moines avaient persisté à exercer leur droit, il les con-
damna, kls poanaite de Guillaume, évéque de Salisbury. Mutt. Paris
n\è%ei viTemeat !«• termes de la sentence qui ne tendait à rien moins qu'à
meUre la rotonlé royale au-dessus du droit de possession le plus légi-
time. Il parle ensuite des démêlés de sun monastère avec ce même Geof
froi au sujet de h terre de Newbury et de la paix que les moines finirent
par aoorplM- et guerre lawe. iVoy. Vit. a'ub. in (iue.)
48 HENRI III.
pas de se révolter contre Téglise sa dame, qui Tavait
nourri et élevé en puissance ; en sorte qu'il encourut
l'odieuse renommée de trahir sa mère, sinon son
père*; car il attaquait aussi injustement qu'impu-
demment la mère qui l'avait engendré, aussi bien
que l'église qui l'avait enrichi lui et ses pères. Ce-
lui qui lui donnait de l'assurance pour agir ainsi
était le susdit Jean , clerc spécial du seigneur roi, et
dont les richesses avaient atteint l'opulence d'un
évêque; car le susdit Geoffroi avait épousé , comme
nous Pavons dit, la sœur de ce clerc, qui se nommait
Clarice et ne lui avait pas encore donné d'enfanls.
Celait la fille d'un prêtre de campagne ; mais elle
n'en était pas moins orgueilleuse outre mesure, non
sans être ridicule aux yeux de tous; et l'on croit
qu'elle avait infatué son mari de ses idées de gran-
deur. Néanmoins, je ne pense pas que cela puisse lui
servir d'excuse ; mais au contraire sa faute enestag-
gravée, selon cette parole du Seigneur, qui, en ful-
minant sa sentence contre Adam, le premier homme
façonné de ses mains, lui dit : « Puisque tu as écouté
« la voix de ta femme plutôt que la mienne, la terre
« sera maudite en tout temps. » Or^ comme celui qui
a composé ce livre, ù savoir frère Matthieu Paris, re-
prochait sans hésiter au seigneur roi une pareillevio-
Jation, le roi lui dit : o Est-ce que le pape n'en fait
« pas autant, lui qui ajoute publiquement dans ses
tt lettres la clause suivante : « Nonobstant tout privi-
« lege ou indulgence? » Toutefois il reprit d'un ton
' Nouf tranipoton* le* moU ; el encore le ipns n'est pat clair.
ANNEE ^250. À%
plus modéré : « Assez, assez pour le moment, nous y
« réflécliirons. » Mais le souvenir de ces paroles et de
celte promesse s'évanouit comme un vain son.
Dans le coure du même temps, le seigneur roi, cé-
dant à de sages conseils, confia la garde de son sceau,
qui est réputé la clef du royaume, à maîlre Guil-
laume de Kilkenny, homme modeste, féal et bien
lettre, circonspect d'ailleurs, et habile dans le droit
civil et canonique.
Vers le même temps, le roi de France sortit de son
camp de Damielte, après avoir commis à garder vi-
gilamment celle ville le duc de Bourgogne, une foule
d'autres seigneurs et de chevaliers, et un corps nom-
breux de fantassins, qui devaient y rester en même
temps que le légal, quelques évoques et clercs, la
reine et d'autres nobles dames avec leurs suites; car:
11 y a autant dp mérite à coiuerTer ce qu'on a acquis, qu'à faire de
nouveiles conquêtes.
H prit sa roule vers l'orient, et dirigea de ce côté ses
bannières et son armée. 11 était accompagné du sei-
gneur Guillaume Longue-Épée et de ceux qui s'é-
taient attachés à la fortune dudit comte, tels que Ro-
bert de Ver et autres anglais qu'il serait trop long
d'énumérer, ainsi que des chevaliers et des sergents
qu'il avait retenus à sa solde.
Cependant les Français, avec leur orgueil ordi-
naire, se moquaient de Guillaume et des siens, 1er.
méprisaient et les avaient en haine, quoique le très-
pieux roi de France le leur eût défendu spécialement,
on disant : " Quelle fureur vous transporte, ô Fran-
VII. •{
50 HENRI III.
« çais? Pourquoi persécutez-vous ce guerrier, qui est
« accouru à mon secours et au vôtre de pays fort
0 éloignés, et qui, pèlerin comme vous, combat fidè-
« lenient pour le service de Dieu? » Mais le roi, par
toutes ces raisons et ces sollicitations, ne pouvait ame-
ner les cœurs des Français à ne pas mépriser et per-
sécuter les Anglais, selon cette parole d'un poëte :
Il Tout orgueilleux ne peut souffrir de partaj^e. u
Of, voici ce qui avait donné lieu à cette jalousie et à
cette haine. Le même Guillaume s'était emparé, non
par force, mais par un coup de hasard et de fortune,
d'une tour très-forte, située non loin d'Alexandrie^ et
remplie de dames qui étaient les épouses de plusieurs
nobles Sarrasins^ saiisque les Français eussent aucune
connaissancedecette prise. Aussi sa grande renommée
et la crainte qu'il inspirait parvinrent môme jusque
dans les pays les plus reculés de TOrient. Comme il
avait acquis partout, ainsi qu'en ce lieu, grâce aux
faveurs de Mars, de grands trésors, et avait enrichi
ses chevaliers et ses hommes, ce que les Français,
tout nombreux et puissants qu'ils étaient, n'avaient
pu faire, ceux-ci murmuraient par envie, le haïs-
saient, le persécutaient, et ne pouvaient môme lui
parler sans colère.
Stratagème de Guillaume Longue-Epée. — Outragé
PAR Robert d'Artois, il abandonne les Français. — Le
roi défend aux seigneurs anglais de partir pour Jé-
rusalem , et PAIT soigneusement GARDER LES PORTS. —
ANNÉE 1250. h\
Le BOI EXT0BQ13E DE L .4RGENT DE TOCS COTES. — TyRANNIE
DE GeOFFROI de LaISGELEY , IKQUISITELR DES FORÊTS. —
L'archevêque de Cantorbéry se rend a Rome. — Mort
DE RoBEBTDE Lexinton. — Oi", il ari'iva une autre fois
<|ue le même Guillaume, ayant fait partir des espions
adroits qu'il avait avec lui, apprit, par leur rapport
secret, que quelques marchands orientaux extrême-
ment richesse rendraient imprudemment, avec une
petite escorte, à une foire qui se tenait du côté d'A-
lexandrie, où ils espéraient pour sur augmenter
leurs biens. Guillaume, ayant donc pris avec lui tous
ses chevaliers, partit secrètement pendant la nuit
vers le lieu indiqué, et tomba comme la foudre sur
ces marchands surprise Timproviste; ils furent mas-
sacrés sur-le-champ, leurs conducteurs furent mis
en fuite, quelques-uns faits prisonniers, et Guil-
laume se saisit de tout ce convoi, que Ton appelle
vnljjairement caravane. Il s'empara en outre de cha-
meaux, de mulets, d'ânes chargés de pièces de soie,
«le piment, d'épiceries, d'or et d'argent, ainsi que de
quelques chariots avec leurs attelages de buffles et
de bœufs, et de provisions aussi nécessaires aux
chevaux qu'aux hommes , dont lui et sa troupe man-
quaient absolument. Ledit Guillaume, après avoir
tué et fait prisonniers, dans cette rencontre, un
grand nombre de ses adversaires, n'eut à regretter
la mort que d'un seul chevalier et de huit sergents.
Il ramena cependant quelques-uns des siens blessés,
maisde manière àôtreguéris par les médecins. Aussi,
joyeux et triomphant, revint-il vers raraiée chai*gc
52 HENRI III.
de dépouilles. A celte vue, les Français, qui étaient
restés dans leur inaction et leur pauvreté, stimulés à
la fois par les aiguillons de l'envie et de l'avarice,
allèrent à sa rencontre à main armée et lui enlevè-
rent par la force, comme des brigands sans pudeur,
tout ce qu'il avait conquis; donnant comme excuse
suffisante de cette violence, que, dans son audace té-
méraire, il s'était séparé, aussi orgueilleusement que
sottement, du reste de l'armée contre l'édit du roi, les
arrêtés des chefs et la discipline militaire. En enten-
dant ce reproche, Guillaume promit de donner satis-
faction en tous points, de telle façon que tout ce
qu'il avait acquis en fait de vivres serait distribué
aux besoigneux de l'armée, tous tant qu'ils étaient.
Mais les Français, élevant la voix et réclamant toute
la prise pour eux, mirent au pillage, avec force in-
jures, tout ce que Guillaume rapportait. Alors Guil-
laume, attristé jusqu'à une vive amertume de cœur,
et indigné d'un pareil outrage, alla se plaindre très-
amèrement au roi, ajoutant que le comte d'Artois,
son frère, avait dirigé les auteurs de cet attentat et de
cette déprédation violente. Mais le roi, avec sa piété
ordinaire, et sa sérénité de cœur et de visage, lui ré-
pondit h voix basse : « Guillaume, Guillaume, le
« Seigneur lésait, lui qui n'ignore rien, je redoute
« grandement, à la vue du dommage et de l'ouirage
» que tu as soufferts, que noire orgueil, joint h nos
« autres péchés, ne nous confonde. Mais tu sais que,
«< dans les circonstances périlleuses où je suis placé,
« il serait fûcheux pour moi de troubler cl (roffenser
ANNÉE 4250. 55
•I en aucune façon mes seigneurs. » Taudis quMI di-
sait ces choses, le comte d Artois arriva, Tair lier et
gonflé comme un furieux, et, dans sa colère, élevant
la voix d'une manière inconvenante, et sans saluer
le roi, ni aucun des assistants, il s'écria : « Que veut
« dire cela, seigneur roi? As-tu la prétention dedé-
• fendre cet Anglais, et de repousser les Français
« qui sont tes féaux? Cet homme, au mépris de
« toi et de toute l'armée, guidé par son seul mouve-
• ment, de sa propre volonté et malgré nos statuts,
« est allé faire du butin clandestinement et pendant
« la nuit ; aussi on ne parle que de lui seul dans les
« climats d'Orient. Quant au roi de France et à ses
u hommes^ il n'en est pas question. 11 a fait pâlir nos
« noms et nos titres de gloire. » En entendant cela,
le roi très-chrétien, tournant sa face et penchant son
visage du côté de Guillaume, lui dit d'un ton mo-
deste : « Tu peux l'entendre toi-même, mon ami.
«< Cela pourrait bientôt donner lieu à un schisme, ce
«I dont Dieu garde l'armée. 11 est nécessaire, dans une
« position aussi difficile de supporter avec sang-froid
« de pareilles choses ou même des choses plus pé-
« nibles. » Alors Guillaume : « Tu n'es donc pas
« roi, puisque tu ne peux tirer justice des tiens et
'• punir les délinquants, tandis que moi je promets
« de donner satisfaction en tous points, si j'ai failli, n
Puis, blessé profondément dans son cœur, [il ajouta :
« A l'avenir je ne servirai plus un tel roi, je ne m'at-
« tacherai plus à un tel seigneur. » Et il se retira
fort irrité, laissant le roi dans un grand chagrin. De
34 HENRI in.
là il se rendit à Acre, et y séjourna plusieurs jours
avec ses compagnons d'armes, se plaignant de son
injure à tous les habitants, et leur exposant publi-
quement, et avec larmes, le motif de son départ.
Aussi tous ceux qui Técoutèrent, et surtout les pré-
lats, compatirent à sa douleur et détestèrent les
Français. Les gens sensés et expérimentés dans les
affaires de la guerre prédisaient que, sans nul doute,
cela était d'un triste présage pour Tavenir, et que la
colère du Très-Haut devait être excitée gravement
par de telles offenses. On rapporte même qu'après
le départ du comte Guillaume, le comte d'Artois
se prit à dire, avec de grands éclats de rire : « C'est
« bien, maintenant la noble armée des Français est
« purgée de tous ces gens à queue *; « ce qui excita
l'indignation dans le cœur de plusieurs. Depuis ce
moment, Guillaume résolut de demeurera Acre, avec
les citoyens, les Templiers et les Hospitaliers, d'y
attendre l'arrivée des seigneurs d'Angleterre, qui
avaient pris la croix, de les avertir de l'orgueil et
des injustices des Français, et de les exhorter puis-
samment à tenter par leurs propres forces, et sans se
joindre aux Français, d'attaquer les ennemis du
Christ, avec le conseil dhommes discrets et hum-
bles.
Vers le même temps, c'est-à-dire le jour de l'il-
' Cauditti ((«sic hit). Koberl foisail allusion à un bruit qui courait
.-ilort qu« les An(;lai», on punition de rnitassinnl du Nainl|TlininaH do
(4intorlN'>ry,a«airnl une queun alt^rlin' .m It.iB doit teins. (Veutui, llist.
de MaltCy premier roi., pà(i. .'ilO. ■— Voy. la pj]. 78 du vol.)
ANNÉE 4230. 55
lustre fête du bienheureux Au^justiii, tous les sci-
{^neursd Angleterre qui avaient pris lu croix, ainsi
que leurs hommes, et dont nous avons donné les
noms plus haut , ayant résolu fermement de se mettre
en roule pour Jérusalem, vers la fête de saint Jean ,
comme nous Pavons dit, avaient vendu ou engagé
leurs terres, s étaient enveloppés dans les pièges des
Juifs ou des Caursins, avaient dit adieu à leurs amis,
et se tenaient prompts et prêts. Mais voici que le
seigneur roi, semblable à un [)etit enfant blessé ou
contrarié, qui a coutume de courir vers sa mère en
se plaignant, s était adressé au seigneur pape, avec
de pressantes sollicitations, pour qu'il empêchât ce
voyage, lui faisant savoir que quelques seigneurs il-
lustres de son royaume, ayant pris la croix, se propo-
saient fermement, contre son gré et malgré sa dé-
fense, de se mettre en route pour Jérusalem, et ne
daignaient pas Tattendre lui, leur seigneur, qui avait
pris la croix et avait Tiutention de faire le même
voyage , tandis qu'ils aimaient mieux suivre , à sa
place, le roi de France, son ennemi capital qui ,
disaient-ils, avait pris les devants, et leur avait pré-
paré la route et l'accès de la terre d'Orient. Aussi le
pape, par ses lettres, conmie le roi, par ses paroles
impérieuses, délendit-il forniellement , sous peine
(rexcommunication qu'aucun des seigneurs passât
la mer contre la volonté du roi, à quelque péril ou
danger que le roi de France |)ùt êlie exposé.
Deplus,leseigneur roi envoyaincontiuentaux châ-
telains de Douvres et aux gardiens des autres porl&
56 HENRI III.
l'ordre dene pas permettre qu'aucun seigneur croisé
passât la mer. Cependant on allégua contre cette me-
sure que le roi avait agi inconsidérément, parce
que si tant et de si illustres chevaliers (or ils étaient
environ cinq cents guerriers à cbeval, sans compter
la suite nombreuse de leurs hommes) précédaient la
face du roi d'Angleterre , la chrétienté tout entière
s'écrierait avec surprise : « Quel grand roi est-ce
« donc, et combien formidable, d'envoyer une sem-
« blable avant-garde? Combien nombreuse doit-on
« croire que sera sa compagnie?» Et que par ainsi
tout le paganisme serait saisi de crainte. Mais à quoi
bon celte discussion? Outre l'obstacle mis en avant
par le roi et par le pape, ce retard des pèlerins fut
un bonheur ; car, s'ils avaient passé la mer à cette
époque, ils ne seraient pas arrivés, hélas! au secours
du seigneur roi de France en temps opportun et pro-
pice, comme ils le souhaitaient ardemment; mais il
est tout à fait impossible de raconter à la fois des
choses qui arrivèrent simultanément.
Sur ces entrefaites, le seigneur roi ne cessait pas
d'extorquer de toutes part de l'argent, principalement
aux juifs et occasionnellement à ses hommes chré-
tiens et naturels, en sorte qu'il arracha quatorze mille
marcs [d'argent] et dix mille [marcs ' ] d'or pour la
reine h un seul juif nommé Aaron, qui était natif
d'York et avait continué de demeurer dans cette ville,
< Ciîttf (Icrnicrc soiiiiiic surtout nous pnrntt «'xayrn'-fi, quelle c|up fiU
la fnrtutu! il'Aaron. Le texte porte rfcrew viillia auri. Nous suppo-
•ont noii-mnil«ment une lacune, mnit cnrorc une fnule.
ANNÉE ^250. 57
parce qu'il était convaincu, à ce qu on prélendit, iVù-
voir faussé une charte; et comme ce juif avait mis
quelque retard dans le paiement, on le laissa lang^uir
dans une prison. Lorsque toutes ces sommes eurent
été payées, il fut prouvé que le même Aaron avait
déjà donné au roi trente mille mures d'argent, et à la
reine deux cents marcs d'or, après que ledit roi fut
revenu des pays d'outre-mer, comme le même juif
Tattesta par serment sur sa loi et sur sa foi à frère
Matthieu, auteur de cette histoire. Toutefois, quoique
les juifs soient malheureux, ils n'inspirent de pitié à
pei'sonne, parce que ce sont des gens qui altèrent et
laussent la monnaie royale, les sceaux et les chartes,
et qui sont condamnés et réprouvés pour ces méfaits,
dont ils ont été convaincus manifestement et fré-
quemment.
Vers le même temps, un certain chevalier, bailli du
seigneur roi, nommé Geoffroi surnommé de Lan-
geley, ayant été chargé de faire une enquête sur les
usurpations commises dans les forêts du seigneur roi,
et étant en tournée dans plusieurs pays d'Angleterre,
se conduisit avec tant d'astuce, d'arroganceet de vio-
lence principalement enver;» les seigneurs des pays du
nord, et leur extorqua tant d argent, que la quantité
du trésor levé par lui lit naître la stupeur, et lut re-
gardé comme incroyable par ceux qui lapprirent.
Or, cette oppression immodérée dont le roi accablait
sessujetsdu nordsemblaitémanerd'unevieillehaine.
Aussi iesusditOeoffioi, .iccompagné d'une suite nom-
breuse et bien armée, faisaitsaisirsur-le-ehampeten-
58 HENRI III.
fermer dans la prison du roi celui des nobles susdits
qui osait s'excuser et murmurer, et qui, au lieu de
juges, trouvait des ennemis. La gravité du châtiment
n'était jamais en rapport avec la nature de la faute.
Pour le plus petit animai, pour un faon, pour un
lièvre, errant même à travers les champs, Geoffroi
appauvrissait jusqu'à l'épuisement le plus noble sei-
gneur, sans considérer le rang ou la fortune. Aussi,
en comparaison de celui-ci, Robert Passelève était
regardé comme le plus doux des homn)es, et même
tous ses prédécesseurs étaient justifies et bénis à côté
de lui. Or, ce susdit Geoffroi avait commencé par
être promu à l'office de marécbalat dans l'hôtel du
seigneur roi, et par êtrechargéde porter la vergeà la
place du grand-maréchal. Alors il avait réduit autant
que possible la libéralité et la courtoisie ordinaire de
la table royale pour plaire, parce moyen, au roi qu'il
flattait. Aussi s'élait-il concilié, qiioiqu'injustement, la
faveur royale. Plus lard le susdit Robert, regardant
le même Geoffroi comme un homme qui entrerait
dans ses vues et lui serait fidèle, l'appela à partager
son pouvoir et son office de justicier <Ies forêts du
seigneur roi. Mais Geolfroi, tendant sourdement des
pièges à son protecteur Robert, Unit par le su[)planler
méchamment, déposa ignominieuseuieut les baillis
que le même Robert avait institués, cl ne rougit pas de
les oppauvrir; ce qui couvrit de conlusion ledit Ro-
l)ert et lui nuisit beaucoup. Mais aura-t-on pitié d'un
enchanteur qui est mordu |)ur son serpent? C'est pour-
quoi le n»êmc Robert, évitant les pièges de la cour cl
ANNEK 4250. 59
des courtisans, fui ordonné prèlrc el s'occupa, comme
on Ta dit plus haut, à nouer les gerbes d'une vie
meilleure.
Vers le même temps, Tarcheveque de Canlorbéry
Boniface, apprenantle départ du doyen deSaint-Paul,
de quelques chanoines de la mémeéglise qui raccom-
pagnaient, et des procurateurs de ceux qu'il avait mal-
traités, passa lo mer en grande pompe et appareil,
animé par le conseil des légistes, fort des lettres et de
la protection du roi, et se fiant dans Tautorité de sa
naissance, pour se rendre à la cour romaine et être
soutenu dans sa tyrannie par lautorité papale.
Celte même année, le 4 avant les calendes de juin,
mourulKobertdeLexinlon, clerc, qui, après avoiroc-
cupé longtemps la charge de justicier, avait acquis un
nom fameux et des possessions considérables. Cepen-
<lantpeu d'années avant sa mort, étant tombé en pa-
ralysie, il avait résigné l'office susdit, renonçant au
métier de touloier pour une vie meilleure, et digne
en cela d'être assimilé au bienheureux Matthieu apô-
tre : aussi termina-t-il sa vie languissante d'une ma-
nière louable par d'abondantes aumônes et de dévotes
oraisons.
Fausseté des bruits scr la prise du Caire. — Prise
i»E Damiette et origine des bruits précédents. —
Ketoir de Guillaume Longue-Kpée — Offres avan-
tageuses DU SOUDAN POUR OBTENIR LA PAIX. Le SOU-
DAN découvre la TRAHISON OURDIE PAR UN DE SES OFFI-
riERS. — ProsPÉRIPÉ des AFFAIRES DE FrÉDÉRIC. —
60 HENRI 111.
Bernard de Nympha lève de l'argent sur les croisés.
— Vers le même temps, comme des bruits agréables,
mais faux, avaient couru sur la prise du Caire et de
Babylone' , et que tous les occidentaux se réjouissaient
de la ruine d'Alexandrie et de consolations qui furent
vaines, il fut reconnu que la cause primitive, et l'o-
rigine de ces rumeurs fut celle que nous allons ra-
conter, et qui exige une narration prolixe, mais in-
fructueuse; car:
« ... Un triste multat jette la honte sur tout ce qui a précédé... »
Lorsque, Tannée précédente, le Soudan de Babylone
avait été instruit de l'arrivée prochaine de Tillustre
roi de France et de son armée , il avait confié à l'un
de ses officiers, à qui il se fiait le plus, la garde de
Damiette, et au frère de ce môme officier, celle du
Caire et de Babylone. Après la prise inopinée de Da-
miette, le Soudan, ayant convoqué tous ses seigneurs,
accusa grièvement , en présence de tous , l'officier à
qui il avait confié Damiette à garder, et sous le com-
mandement duquel cette ville avait été perdue, lui
reprochant non-seulement d'avoir perdu traîlreuse
' Les historiens des croisades confondent souvent ces deux places, si-
tuées louU'8 deux près du Nil, a peu de distiiice Tune de Paulre, vis-n-
vis de l'unciciiiie Mi'inpliis. Le vieux Cuirudes Fatimitcs fut brûlé vers
1019 par les troupes du Kh.ilife llakeui, et reliAli ensuite par Suiadiu
i|ui y conittruisil un châteaii avec leN pierres de plusieurs petites pyra-
mides Rituéej près de Meinpliis. li.iliyloiie dM']|,'yp[c, déjà n demi ruinée
au temps de Snliidin, detail n^nvoir aucune iniporlniiceau temps de saint
Louis, puisque set débris servaient aun coiiHtruclious de la nouvelle ca-
pitale.
ANNEE 425U. 61
ment, négligemment et lùeliemeiit sa principale
cité, qui passait pour inexpugnable, mais encore do
Tavoir livrée lui-même aux mains des ennemis pu-
blics, afin que les chrétiens , ennemis de tous les
Sarrasins, eussent une entrée libre en Egypte et dans
toute la terre d'Orient, l'espérance de conquérir
puissamment et ouvertement le reste avec encore
plus de promptitude et de certitude, et enfin un asile
très-fort, à la confusion de tout le paganisme. L'of-
ficier ainsi accusé lui répondit : a Très-puissant sei-
« gneur, à Tépoque où le roi des Francs hivernait
« dans Vî\e de Chypre, j'y envoyai mes espions, moi
«( qui suis ton féal et ton dévoué, et j'appris que,
« quand il partirait de cette île, il se dirigerait vers
« Alexandrie , pour l'assiéger à main armée. Aussi
• je fis partir en hâte toutes mes forces de Damiette
• pour secourir puissamment les Alexandrins, nos
« amis et tes sujets, m'emparer dudit roi et de toute
« sa flotte et te le présenter. Mais la fortune , notre
» ennemie , ayant changé le vent , heureuseujent
«i pour lui, nous envoya nos ennemis sans que nous
« fussions préparés. C'est alors (ju'il occupa le ri-
« vage, mais non sans que nous ayons résisté de tout
« notre pouvoir, comme tu le sais. Le lendemain ,
t Mars lui étant propice , il assiégea Damiette , qu'il
« trouva dépourvue de toutes ses forces. En même
« temps une ilolte si nombreuse était arrivée avec lui,
" que la mer en paraissait couverte. Réfléchissant
« donc en vérité qu'étant privés de la garnison et des
• rames de la ville, nous ferions bien de pourvoir à
62 HENRI in.
« notre salut et au tien, nous prîmes secrètement la
<( fuite pendant la nuit, après avoir assommé et mas-
« sacré les captifs chrélieus que nous avions, pour
« aller chercher les renforts que nous avions envoyés
« à Alexandrie, et revenir attaquer plus vigoureuse-
<« ment les chrétiens. Mais quelques captifs chrétiens,
(( voyant que les leurs arrivaient et que nous égor-
« gions leurs compagnons, levèrent hostilement le
« talon contre nous , se soulevèrent furieusement et
* tuèrent quelques-uns des nôtres. De plus, après
« noire départ, ils conduisirent, par des chemins in-
<( connus, les Francs qui arrivaient, et les guidèrent
« secrètement dans l'intérieur même de la ville. Ce-
« pendant , au moment de la quitter, nous y avions
« mis le feu , pour que nos ennemis ne se glorifias-
« sent pas de nos dépouilles ; mais les efsclaves Té-
a teignirent aussi promptement qu'ils le purent. Or,
« nous voyant forcés de nous retirer, nous détestions
« en gémissant la loi de Mahomet , nous la maudis-
<( siens et nous souhaitions plutôt de mourir que de
<( vivre. » En entendant cela, le soudan fut transporté
de colère, car c'était un homme superbe et sans mi-
séricorde; etquoiqu'au dire de quelques-uns, le sus-
dit ofOcier se fût suiGsamment excusé, ledit Soudan
sMndigna cruellement contre lui et ordonna qu'on le
pendit à une potence comme traître et blasphéma-
teur *. A celte nouvelle, le frère de cet officier, qui
' Il cil vroi que le soudun lil clninijlei' en ccttt! occnsioii ('iiii|iiuiiCc «les
|irin<M|>nux oflicierH, d'auJns iliscnl ix-iiHif loule linjdrnisoii tir D.iiniflle;
inait il ii'ou rien cntr<>|)ri>ii(lni cmilro Fnkreddiu, qui disposait de Pnr-
ANNEE 4230. 65
élail gardien ilu Caire , et qui , dès louglemps nupu-
ravant, avait ie cœur bien disposé en faveur de la lui
chrétienne , mais sVii cncliait par crainte des païens,
lit secrètement appeler quelques caplils qu'il tenait
dans les fers, à savoir des Templiers, des Hospitaliers,
et plusieurs Français pris récemment à la bataille de
Gazer, et leur dit : « J'ai au fond du cœur un secret
« que je veux vous révéler fidèlement: si vous me pro-
■ mettez, dans toute la sincérité de votre foi et de votre
« loi , de le cacher et de persévérer dans votre discré-
« tien, je vous le révélerai. » Comme il disait ces
choses, les captifs, ayant interposé leur foi et prêté
serment, lui promirent en tous points une lidé-
lité inébranlable. Alois il commença sa narration et
dit : • Le Soudan de Babyloue, mon seigneur jusqu à
« présent, mais qui ne le sera plus à Tavenir, que
« j'ai servi longtemps et fidèlement dans beaucoup
« de périls, m'a récemment causé un chagrin into-
« lérable, el m'a fait un outrage ignominieux en iraî-
« nant et suspendant à une potence mon frère, que
u j'aimais plus qu'un frère, plus même que toute ma
« famille ensemble, lui reprochant d'avoir livré de
« bon gré et lâchement Damiette aux Francs, sans
« que ses bonnes raisons et le témoignage d autrui
inée. {f^oy. M. JViiCHAL'D, //i«*. des Ciois,, tom. iv, paj;. 13", 136.)
Qiuot au fait qui suit, il n'a rieo d'improbable à noire avis, (|uoiquc
uou( ne retrouvions aucun renseignement qui le confirme. Nous savons
seulement que la (jarnisou de Uamielte était composée d'Arabes de la
tribu des lienou-Keuaneb. Or, c'étaient ces nomades enrôlés forcément
qui founiissaient le plusde transfuges, et ce fut encore un Arabe qui in-
diqua aux Fram;ai» le |juf de l'AM.hmoun.
dA HKNRI HI.
« aient pu servir à sa défense. Or il est constant,
« comme vous l'avez peut-être appris , que cette ac-
« cusation criminelle était tout à fait dénuée de fon-
« dement. En effet, vous savez avec quelle vigueur,
<( avec quelle fidélité il a combattu en résistant aux
« Francs qui descendaient sur le rivage; de telle
« sorte qu'outre un grand nombre de nos amis et de
« nos parents, nous avons perdu en cette occasion
« notre Rook', qui chez nous était le plus puissant et
« tenait le second rang après le soudan , qui avait
«( massacré beaucoup de chrétiens dans ces dernières
« années, et qui avait triomphé des vôtres à Gazer.
« C'est pourquoi, cherchant à tirer vengeance d'une
<i si grande tyrannie , je remettrai aux mains du très-
« pieux roi de France ce château inexpugnable, sur
« lequel se fonde l'espérance de tout le paganisme, à
« savoir le Caire avec Babylone, ainsi que tout le
H trésor du soudan, qui y est déposé. Je me donnerai
« et m'octroierai moi-même et tout ce que je possède,
« à Jésus-Christ et à mon seigneur le roi de France,
« demandant pour moi le sacrement du baptême;
« car ce que ledit soudan a déjà fait à mon frère, il
« me le fera indubitablement, s'il lui arrive de mettre
* Dans ce combat, quelques émirs i-cslorcnt , il ost vrni , sur la place ;
mais si l'un d'cun nvail eu riinporliiiicc qu'on lui donne ici, les rela-
tions arabes n'iiurnient ps manqué de It- dcsifpier par son nom. INous ne
nous rendons pas compte du titre bonorilique de liook ou Hoocli qui se
trouve déjà h la pa({. 105 du cinquième volume. Kukn-Kddin, qui s'en
rapproobe, est bien le ii'ini de l'émir qui vainquit les Francs à (iazer.
mais les dcut émirs tués devant Damietlr Noiit appelés Nedjni-lùldin et
Sarinieddin ou Vexiri.
ANNEE ^250. 65
« io main sur moi , tout innocent que je suis:.
« Soyez donc dégagés de tous liens, étaliez prudem-
« ment et eu toute hûle trouver ledit roi de France ,
» })Our lui raconter iidélement tout ceci ; el, s'il veut
• être instruit plus pleinement de ma fidélité, qu'il
• amène avec lui just]u'ici, rangée en bataille, toute
« son armée, que nous regardons comme invincible.
« Loi*sque cette nouvelle parviendra aux oreilles du
" Soudan, il rassemblera toutes ses forces pour mar-
• cher à main armée à la rencontre des Francs. Ce-
« pendant il ne faudra rien craindre ; car vous aurez
« près de vous le château susdit ouvert ainsi que
" Babylone , pour vous servir de refuge , et de plus
• je vous servirai de guide en toutes choses , vous
• doimant conseil et assistance, afin que les païens
' soient subitement confondus. » Alors les captifs
lort joyeux, et mis en liberté pour première preuve
de la vérité de cette offre, partirent aussitôt ; ils vinrent
secrètement trouver le roi, et, comme c'étaient des
gens connus et dignes de foi , ils méritèrent d'être crus
en tous points dans leur récit. Cependant le roi, à cette
nouvelle , défendit qu'on en donnât connaissance à
qui que ce fût, jusqu'à ce qu'il eût décidé plus miV
rement ce qu'il avait à faire. Mais chagrin de l'ab-
sence de Guillaume Longue-Épée et de ses hommes
quiavaientéprouvé un affront cruel, et voyant que Tar-
mée des Français était mutilée et scandalisée en grande
partie, il envoya en toute hâte un messager vers lui
|K)ur le prier de revenir, lui disant qu'il recevrait
loule satisfaction sur le grief dont il se plaignait, et
VII. 5
66 HENRI III.
ajoutant à la fin de sa missive : « Tu apprendras
« d'heureuses nouvelles, qui pourront être suivies
« d'événements longtemps désirés , et causer plus
« tard des transports de joie : aussi voulons-nous et
« désirons-nous que tu en sois instruit. » Cette parole
se répandit bientôt parmi les habitants du pays et les
citoyens d'Acre. Guillaume donc, cédant aux ordres
d'un si grand prince, surtout à cause de l'addition
qui terminait la lettre, revint vers le roi avec toute
sa compagnie; puis, lorsqu'il eut appris par le récit
du roi rempli d'allégresse les offres que faisait l'of-
ficier susdit, il en fut si transporté de joie, qu'il remit
toute offense et tout ressentiment à ses débiteurs.
Voilà pourquoi quelques personnes, habiles à sonder
les secrets et empressées à répandre les bonnes nou-
velles, avaient annoncé à leurs amis, qu'elles vou-
laient combler de joie, et comme si les promesses se
fussent déjà réalisées, que le Caire et Babylone avaient
été pris, et qu'Alexandrie restait ouverte aux coups
des chrétiens. Telle fut l'origine des bruits qui cou-
rurent et des fausses lettres qui y donnèrent lieu .
Le roi, étant donc réconforté par cette bonne es-
pérance, laissa dims la villedeDamiette une garnison
sûre, composée du duc de Bourgogne et de beaucoup
d'autres, ses féaux, et dirigea sa marche et ses ban-
nières du côté du Caire, suivi de toute son armée, ran-
gée selon la discipline militaire. Il massacra en passant
quelques Sarrasins, placés en embuscade, et chargés
irempôcher que l'on porlût des vivres à Damiette. Ce-
pendant on oimonça au Soudan que les Trançais, ayant
ANNÉE ^250. 67
déployé leurs étendards*, étaient sortis de Damielte
joyeusement et intrépidement, et avaient conçu
respérance certaine de tout conquérir. Ledit soudan
envoya doncsur-Ie-cliamp au roi des députés illustres,
qui étaient ses familiers, et, redoutant les attaques des
Français, offrit aux chrétiens toute la Terre-Sainte^,
à savoir le royaume entier de Jérusalem, et même
plus, ainsi qu'un trésor inestimable en or, en argent,
et en autres choses désirables ; à condition toutefois
que le roi rendrait Damiette, avec tous les captifs
qu'il retenait dansles fers, etrecevraitsemblablement,
pour le bien de la paix et de la dilection mutuelle,
tous les esclaves chrétiens qui seraient mis en liber-
té, et que* dans les états des deux princes ', les com-
munications et les rapports de commerce seraient
libres et pacifiques. On disait même, et on affirmait
véritablement, quelesoudan et beaucoup de seigneurs
sarrasins avaient Tintention d'abandonner la loi de
Mahomet, qui, de toute évidence, est très-ignomi-
nieuse, pour s'attacher fidèlement à la loi chrétienne,
qui est clairement la plus honorable, pourvu qu'ils
' Noos traduitona ici, comme plus haut, signa par élendard. Cepen-
dant un puuge de Guibert de Notent fait voir que siguu peut (iuel(|ue-
fui* ligoifier aussi rri d'urmet. (DuCANttB, dissert. M".) L'analogie
entre lea deux signilications vient saos doute de ce que le cri d'armes
était réservé au chevalier banneret.
* Ce fait est contesté. Ces propositions, si elles eurent lieu, furent
faites par la sultane Chegger-Eddur au nom de son mari dont elle tenait
la mort cachée.
* C'est-à-dire en I^ypte et en TerrC'Sainte, lorsque cette dernière se-
rait rendue aut chrétiens.
f)8 HENRI iri.
pussent conserver pacifiquement leurs telres et leurs
possessions. Mais le légat s'y opposa, et se montra ar-
rogamment contraire à ces propositions de paix, sui-
vant en cela le mandat du pape, qui lui avait enjointde
rejeter les offres que pourraient faire les Sarrasins.
Tandis que cette affaire traînait inutilement en lon-
gueur, quelques Sarrasins des montagnes, placés en
embuscade avec certains pasteurs, qui faisaient paître
leurs troupeaux dans les vallées voisines, et chargés
d'intercepter lesconvois de vivres, apprirent, parleurs
espions très-rusés, la trahison du susdit officier gou-
verneur du Caire. Étant donc montés sur des cavales
très-rapides, ils allèrent trouver le soudan en toute
diligence, et lui annoncèrent ouvertement la cause
de l'arrivée des chrétiens, de leur allégresse et de
leursécurité. Celui-ci, sans tarder, envoya rapidement
au Caire des chevaliers agiles, qui se saisirent du
gouverneur et le retinrent enchaîné jusqu'à ce qu'ils
trouvassent des preuves de la vérité; et déjà, la prison
vide de captifs pouvait servir de première preuve.
Certain de la trahison du gouverneur, le Soudan
pourvut aussitôt le Caire et Bahylone de garnisons
nombreuses, composées de ses hommes d'armes, en
disant : « Maintenant j'espère enfin que Jésus-Christ,
« Seigneur et Dieu des chrétiens, les confondra pour
« leurorf^ueil, lui qui aime la modestie etl'Jiumili-
a lé. » Dès lors, le soudan, rccouvrantson sang-froid
et »a force, refusa d'accorder ce (ju'il avait d'abord
offert aux chrétiens, quoiqu'ils le demandassent hum-
blement, et, plein d'ardeur pour le combot, se dispo-
ANNÉE nÉO. Ci9
staveccontianceà leur résister, ou plutôt à en Iriuin-
pher. Il fit donc rassembler, dans tous les pays
d'Orieiit, tous les guerriers qui avaient à cœur les
intérêts coniniuns, et qui avaient soil d^élre enrichis
;tbondamment d'or et d'arjjent. H lit même crier pu-
bliquement, par la voix du héraut, que quiconque vien-
«Irail lui présenter une tête de chrétien recevrait dix
talents, outre le salaire ordinaire et convenu, et que
pour une main droite ildonneraitgracieusementcinq
talents, et pour un pied deux talents en récompense.
Cette même année, le seigneur Frédéric, grande-
ment irrité de Tinsolence endurcie des Italiens, mais
surtoutdesParmesi)nsetdeslk)lonai8; des Parmesans,
à cause du massacre de Tbaddée el de ses autres féaux,
et du renversement de la ville fortifiée qu'il avait
appelée Vittoria; des Bolonais, qui avaient et rete-
naient son fils Enzio, ses hommes, et les Crémguais,
commença à leur tendre des embûches redoutables.
Les Parmesans, se fiant dans la longue paix, dont
Frédéric leur avait permis de jouir, parcoururent
d'abord sains el saufs, et sans rien craindre, les pays
voisins de leur ville; puis ilsallèrenlplus loin, portant
leurs marchandises aux foires, faisant tranquillement
le négoce et revenant pacifiquement. Aussi, un jour
que les citoyensles plus puissants, croyant dès lorsétre
en toute sécurité, parcouraient, en se promenant
tranquillesetsans armes, leursjardinset les châteaux,
qu ils faisaient bâtir dans le voisinage, pour servir de
remparts à leur ville, les féaux de Frédéric, qui
étaient postés en embuscade, les laissèrent s'avancer,
fO HENRI 111.
puis, sortant tout à coup de leur retraite, armés de
pied en cap, leur fermèrent l'entrée de la ville. Ils
se saisirent de tousces citoyens, quiétaient nombreux
et illustres, comme d'oiseaux pris au fllet, et entrèrent
même dans la ville; ils étaient déjà parvenus aux pre-
mières gardes des portes, et allaient réussir à s'empa-
rer de toute la ville, lorsque le peuple qui était resté
se mit à pousser des cris horribles, à tendre les
chaînes, à baisser les barrières dans les rues, et à op-
poser en toute hâte des obstacles au passage des assail-
lants. Les Parmesans roulèrent même sur lep:ivé des
tonneaux vides, qui, rendant un son terrible, ef-
frayèrent les chevaux et les firent reculer. Mais lors-
que les habitants furent instruits de la prise de leurs
concitoyens, qui étaient les capitaines et les plus émi-
nents de toute la ville, ils demandèrent humblement
à traiter delà paix; et beaucoup d'entre eux, sortant
de Parme, après avoir livré une bonne partie de leur
argent, se soumirent à Frédéric, et s'abandonnèrent
à sa merci. Quelques-uns, qui espéraient encore ré-
sister à l'abri de fortes tours, s'y retirèrent, et se
mirent à lancer des traits et de grosses pierres sur les
assiégeants, aimant mieux subir tous les malheurs,
quels qu'ils fussent, que de s'en remettre au juge-
ment de Fnkléric. Cependant les Bolonais, à cette
nouvelle, envoyèrent audit Frédéric des députés
chargés de demander la paix avec instances et hu-
milité. Mais Frédéric refusa de les entendre pour le
moment. Vers le même tem|)s, il envoya ses féaux à
Avignon cl à Arles, villes fameuses et peu éloignées
ANNÉE 4 250. H
de Lyon, el reçut les serments de fidélité desdites
villes. Lorsque ces nouvelles parvinrent à la con-
naissance du pape, il se lamenta grandement d'avoir
dépensé en vain de si grands trésors pour cette af-
faire. Pour mettre le comble à la douleur de la cour
romaine, le seigneur Reyuier de Viterbe, cardinal et
camérierdu pape, alla où va toute créature. Or, c'était
un homme illustre par sa naissance, et opulent par
ses possessions, qui s'était montré le persécuteur et
le diffamateur infatigable de Frédéric. Quand il fut
mort, les Romains firent savoir au seigneur pape,
d un ton fort menaçant, qu'il eût à venir à Rome
sans tarder, comme leur pasteur et leur évêque.
Vers le même temps, Bernard de Nympha, clerc,
armé des pouvoirs du pape, leva beaucoup d'argent
sur les croisés, au nom du comte Richard, sous ud
prétexte peu honorable, en sorte que cette exaction
paraissait plutôt rapine que justice. Pour ne pas
offenser les oreilles et les cœurs de plusieurs, j'ai
rejeté au livre des AdditameiUa* les détails de cette
inique rapine.
Fâcheuses noovelles venues de Terre-Sainte. —
Injures du comte d Artois contre les Templiers et
LES Hospitaliers. — Réponse du grand-maître desTem-
pliers. — Altercation de Guillaume Longue-ëpée
4VEC le comte d'Artois. — Défaite et mort du comte
1» Artois a Mansoiih. - Moiti m rîriLL^i'MK Longue-
' Voy. l'addition XVI à la Gn du volume.
72 HENRI III.
Épée. — Le roi Lous ranime ses soldats. — Marche
DÉSASTREUSE DES FRANÇAIS. — Le joiiF de saiiit Kenelme,
c'est-à-dire aux calendes d'août, le comte Richard se
trouvant à Londres, et siégeant à l'échiquier, un
messager vint Ty trouver en toute hâte; il était triste
et apportait des nouvelles et des lettres funestes, dont
voici en substance le contenu. Le très-chrétien roi de
France, après avoir tenu le conseil général de son
armée, et animé par les bruits relatifs à un certain
gouverneur du Caire, dont il a été parié, quitta son
camp de Damiette, se dirigea vers le Caire, et mas-
sacra puissamment en route' quelques Sarrasins qui
lui résistaient. Comme Mars le favorisait heureuse-
ment en toutes choses, les chrétiens, ayant attaqué les
Sarrasins avec impétuosité, triomphèrent glorieuse-
ment, après un combat long, acharné et sanglant.
Vers Pâques closes, une partie de l'armée traversa un
grand fleuve nommé Thanis ", qui est une branche du
lit du Nil, sur des bateaux plats liés ensemble, et à un
endroit guéable, qui avait été indiqué par un Sarrasin
4 Le roi campa d'abord à Fariskour, puis k Charmesah, puis à Ber-
inoun, ft le dimanche, treizième jour de la lune de Ramadan, l'arnii^e
des Francs parut devant la ville do Mansourn (lî) déc. 12-59). Relation
de MaKHI/I.
^ Les historiens des croisades coniundenl le Thanis ou la branche tba-
nitiquc du Nil avcx le canal d'Almon qui partait de Mansoura pour aller
se jeter dans le lac Menzaléh. Le canal d'Almou (^tait séparé du Thanis
par une vaitc plaine, nomnii'c Dagueliéh et inondée pendant huit mois
de l'année. {Voir la carte de MlCHAUD.) Cependant, comme ce canal est
di'-signé sous le nom d'Achmoun Tanah dans les relations arabes, nous
.ivon» ronser^é ici , r«ininie dans h croisade de 1210 , In dénomination
vulgaire.
ANNÉE nSO. 73
roceiiiineut converti* . Alors Kubert, comle d'Artois et
frère du roi, ayant pris avec lui plusieurs seigneurs,
parmi lesquels se trouvait Guillaume Longue-Epée,
se porta sur le rivage opposé, à Tinsu du roi son
frère. Son intention était de triompher seul pour
tous, et de rem|)orter des titres de gloire , afin que
la victoire ne semblât due qu à lui seul ; car c'était
lin homme superbe, arrogant et désireux d'une vaine
gloire. Les quelques Sarrasins que Ton rencontra
furent passés au lil de Tépée, et Robert, s'avançant
audacieusemenl, ipais inconsidérément, résolut d'al-
ler oocuper par la force un certain bourg nommé
Mansor^ , qui se trouvait devant lui, et de le détruire,
nprès avoir massacré tous ceux qu il y rencontrerait.
Etant donc entré de force, il fut assailli d'une grêle
«le pierres, et en ressortit en désordre, après avoir
cependant tue un grand nombre d'habitants^. Alors
on se réunit et I on tint conseil sur ce qu'il y avait
il faire. Le comte Uobert, espérant que la fin répon-
drait heureusement an commencement, voulut ani>
mer et engager tous les autres à passer outre, et dit
' I^ patuge du Tlianis eut lieu le 8 février 1250, et non pas au temps
«le Pique*. Sans cette révélation inespérée, les chrétiens , accablés de
raaui de toate* sortes, retournaient à Dainiette, et déjà le connétable
Dreux de Mello avait ordre de préparer toutes cboses pour le départ.
* Maoaor, Massoure, Mansoura , ville située sur le Nil vis-à-vis de
Djewdjer, bétie par le Soudan Melek-Kamel dprès la |>reniière prise de
Dainiette. Elle serrail quelquefois de demeure au Soudan qui y avait un
palais, et daus ces derniers temps elle avait été fortifiée.
' Itobeil pciK-lra d'abord daus le cauip de FuLreddiu. quifutsurpria au
bain et lu<-. Les Sjrra»ins su sauvèrent en Uiniulte. Itohrrt s'arrét» là et
ne iiénélra dant M.vnsnura qu'après l.i discussion qui va suivre.
74 HENRI III.
au niaitre de la milice du Temple, qui se trouvait
alors avec lui, en présence de Guillaume Longue-
Épée : « Poursuivons les ennemis qui sont en fuite,
« et ne sont pas fort éloignés de nous, à ce qu'on dit ;
« profitons du moment où les affaires prospèrent en
« nos mains, où nous voyons les nôtres remplis d'ar-
« deur à s'abreuver dans le sang des ennemis, et où
« les adversaires de la foi désespèrent de leur propre
« salut, pour les écraser tous et terminer au plus tôt
« cette guerre par une heureuse fin. Allons en toute
« confiance , car le tiers de l'armée française nous
(< suit; et si quelque chose de fâcheux nous arrivait,
« ce dont Dieu nous garde, l'invincible armée de
« notre seigneur et frère le roi viendrait à notre se-
« cours au premier signal. » Le maître de la milice
du Temple', homme discret et circonspect autant
qu'habile et expérimenté dans les affaires de la
guerre, répondit à cela : « Messire et magnifique
« conile, nous louons fort votre vaillance, votre gran-
« deur d'âme innée, votre audace volontaire qui tend
« à l'honneur de Dieu et de son église universelle :
« nous vous connaissons et nous avons éprouvé sou-
« vent ce que vous êtes. Toutefois nous souhaitons et
« nous vous conseillons, avec des supplications salu-
« taires, de vouloir bien réprimer celle ardeur par
« le frein de la modération et de la discrétion, afin
« que nous respirions quelque peu a|)rès ce triomphe
« «'t cet honntMir qtic le Seigneur nous a accordés.
I Guillaume de Soniiiic.
ANNEE ^250. 75
« En effet, après nos sueurs et nos travaux gucmers,
u nous sommes fatigués, nous sommes blessés, nous
• avons faim et soif, et si Thonneur et la jjloire de la
« victoire obtenue nous réconfortent, Tbonneuret la
I « joie ne sont point pâtures à restaurer nos chevaux
« harassés et blessés. Il est donc plus à propos de re-
« tourner pour puiser des renforts, tant dans l'armée
« que dans le conseil et Taide du roi notre seigneur
« à tous, et pour {jouter quelque repos, tant nous que
« nos chevaux. Quand nos ennemis verront cela, ils
« loueront davantage notre prudence modérée, et
« nouscraindronteucore plus. Aussi, aprèsavoirtenu
• plus ample conseil avec les chefs de notre armée ,
• nous nous trouverons plus forts pour continuer
- I œuvre commencée quand nous serons tous réu-
« nis, et cette réunion même doublera notre con-
• Gance. Car déjà se sont répandues les clameurs des
0 fugitifs, qui, emportés par leurs chevaux rapides,
■ " iront réveiller le Soudan et nos autres ennemis fiers
• de leur nombre et de leurs forces, les avertiront
« de notre petit nombre, les réconforteront par la
> nouvelle de la division de Tarmée, qu'ils ont tou-
« jours désirée. Alors, instruits de toutes ces choses,
" ils viendront nous atlaquer avec plus d'arrogance
« et de confiance, déployant toutes leurs forces pour
« notre confusion et notre ruine; car ils savent que
H « «'ils sont écrasés aujourd'hui, c'est leur extermi-
• nation complète, pour eux. pour leurs femmes et
- pour leurs enfants, et qn'ils n auront plus que le
I «Nil pour tout refuge. »
76 HENRI 111.
Lorsque le comte d'Artois eut enteudu cette ré-
ponse, il s'indigna grandement, et reprit, gonflé d'or-
gueil et dans un violent accès de colère : « Voilà
« bien la vieille trahison des Templiers! voilà bien
«t l'esprit séditieux des Hospitaliers! avec quelle
« impudence leur fraude, longtemps cachée, se fait
« maintenant publiquement jour! Voici donc nos
« anciennes prédictions réalisées ! Je recannais au-
« jourd'hui la vérité de ce qu on disait, que toute
« celte terre d'Orient aurait été conquise depuis
« longtemps, si les Templiers, les Hospitaliers et les
« autres, qui se proclament des religieux, n'eussent
« mis obstacle par leurs artifices aux progrès des
« séculiers. La prise du Soudan, la confusion de
« tout \e paganisme, Texaltation perpétuelle de la loi
« chrétienne sont là entre nos mains, et ce Templier,
« ici présent, s'y oppose par ses discours artificieux
« et tronipeurs. C'est que les Templiers, les Hospi-
« taliers et leurs complices craignent et redoutent
f que, si la Terre-Sainte se trouve soumise au pou-
•< voir des chrétiens, leur domination à eux ne soit
« anéantie, ainsi que les riches revenus dont ils se
" gorgenl. Voilà pourquoi ils se défont . par des
« poisons de tout genre, des fidèles qui arrivent ici ,
<« et qui sont armés pour la croisade; voilà pourquoi
« ils les font périr en trahison, ligués qu'ils sont avec
<• les Sarrasins. Est-ce que Frédéric ne peut pas ser-
<• vir do témoin irrécusable à mes paroles, lui (piia
« éprouvé leur perfidie?»
A ce discours satirique et mordant, le susdit mai-
ANNÉE <230. 77
trc de la milice du Temple, ainsi que ses frères, et le
maître de l'Hôpital , seniblahlement avec ses frères ,
attristés jusqu'à amertume de cœur, répondirent
d un commun accord . o Pourquoi donc, généreux
«• comte, aurions-nous pris Tliabit de religieux? Sc-
« rail-ce pour renvei*8er Téglise du Christ, et pour
« perdre nos âmes en nous livrant aux trahisons?
« Loin de nous cette pensée, loin de nous, et même
«« de tout chrétien!» Alors le maître du Temple,
irrité violemment, éleva la voix, et cria à celui qui
portait la bannière de l'ordre : « Déployez dans les
■ airs notre étendard, afin que nous marchions au
• combat : aujourd'hui Mars et la mort vont décider
tt de notre fatale destinée. Nous étions invincibles si
« nous fussions restés unis ; mais nous sommes mal-
<i heureusement divisés, semblables à du sable suns
« mortier. Aussi incapables de bâtir l'édifice spiri-
« tuel et privés du ciment de la charité, nous lom-
« berons eu ruines sans uul doute, comme une
« muraille battue et qui s écroule. >
Enentendant cela, Guillaume Longue-Épée, redou-
tant grandement le schisme qui s'élevait dans Tar-
mée , et désirant apaiser, d'une part, l'impétuosité
altière du comte d'Artois, et adoucir, de l'autre, le
courroux du maître du Temple, répondit ainsi :
« La désolation, selon la parole du Seigneur, suit de
• pareilles scissions et divisions. Sérénissime comte,
M croyons-en l'avis (1^11 homme si saint et si digne
• de foi. Il habile depuis longtemps ce pays; il con-
•• uaîl les forces et les ruses des Sarrasins, instruit
78 HENRI III.
« qu'il est par une expérience de tant d'années.
« Nous qui sommes des nouveaux venus, des jeunes
« gens, des étrangers, qu'y a-t-il d'étonnant si nous
« ignorons les périls des guerres d'Orient? Que de
« différence il y a entre l'Orient et l'Occident, com-
« bien peu de rapports entre les occidentaux et les
« orientaux de ce pays? » Ensuite, se tournant vers le
maître du Temple , il lui parla avec sérénité, et en
employant des mois affables, essayant de calmer sa
colère, lorsque le comte d'Artois, lui coupant la
parole, se mit à crier, selon l'usage des Français , et
à jurer d'une manière indécente ; puis, s'em portant
en injures, il dit en pleine assemblée : « 0 timidité et
« lâcheté de ces gens à queue l que la présente armée
« serait heureuse, qu'elle serait purifiée, si elle était
« purgée et des queues et des gens à queues'. »
A ces mots Guillaume, rougissant de honte, et juste-
* Nous avons rapporté plus haut, mais sans la garantir, Tétymolouic
(|ue donne Vertot. On ne trouve, en effet, ce renseignement ni dans Du-
cangeni dans Carpentier. Ducange, dont la discussion est très-incertaine,
y voit la traduction du mot français couard qui, dit-il, s'appliquait éga-
lement aux chevaux et aux chiens h qui on avait coupe la queue (en ita-
lien codardi^ en espagnol derabbabo). Mais il nous semble que la
traduction de couard serait plutAt ecors (sans coeur). D'ailleurs les vers
suivants du quinzième siècle empêchent d'admettre ce sens :
Ce cat nonne vient de Calais ;
Sa mère fut Calliaii la bleuo.
C'est du lignage des Anglais ;
Car il porte trés-longuc queue.
Il serait puéril d'admettre que cette injure vint des souliers h longues
pointes que portaient les Anglais ; et ce passngt-, h notre sens, confirme
IVxplicatioii dr Vcrtiit. Itappclonn aussi, main pour mémoire, qu'on
trouve eitrodatu» dans le sens de clidlré, (r.vrou/M, con(her).
ANNÉE ^250. 79
iiienl irrité li une parole si offensante, lui repartit :
« Comte Robert, certes je m'avancerai sans rien
« craindre, dussé-je me tronver en péril de mort;
M et j'irai si avant aujourd'hui , je vous en réponds,
a que vous n'oserez pas approcher seulement de la
« queue de mou cheval. » Aussitôt ils mirent leurs
casques, déployèrent les étendards, et continuèrent
leur marche à la rencontre des ennemis, qui cou-
vraient de toutes parts une plaine spacieuse, coupée
de collines et de vallées. C'est ainsi que le comte Ro-
bert, voulant prendre toute la gloire pour lui, s'il
arrivait que les chrétiens triomphassent, dédaignait
d'annoncer à son frère le seigneur roi de France
les périls auxquels il courait.
Le Soudan', instruit de tous ces détails par ses
espions très-agiles, exhorta joyeusement au combat
la multitude nombreuse qui s'était trouvée rassem-
blée soudainement et en quelques instants, et dit à
ses troupes : « Courage , courage! ce que je souhai-
« tais depuis longtemps est arrivé. Les chrétiens sont
« divisés, et le frère n'est plus à côté du frère. Bien
u plus , ceux même qui viennent à nous , et qui for-
u ment à peine le tiers de leur armée, sont désunis
M entre eux ; c est une proie et un butin qui nous est
u offert. Aujourd bui n)éme ils se sont mordus et se
* Quand le comte d'Arloig se fut jelé iniprudemmeut daii§ Mansoura,
ee fut Uendocdar, cbef de& Mameluks, qui rallia les Sarrasins, et non pas
le soudau '^ui était mort le 22 novembre 1249. Touraii-Chab, sou ills,
arriva à Mansoura le l* iidomain de la batiille, d^autres disent quelques
jours après .
8# HENRI III.
u sont injuriés honteusement. Le roi des Francs, qui
'( se trouve éloigné, ignore complètement ce que
« ceux-ci font ou doivent faire. Macérés par la faim,
M épuisés par le combat et les fatigues de la marche.
« meurtris par les pierres qui les ont accablés à
« Mansoura, peu redoutables par leur petit nombre
« et par leur faiblesse , ils doivent être écrasés du
« premier choc, et, par la suite, nous nous empare-
« rons plus facilement des autres, que nous privons
« de toute espèce de vivres. » Ce discours, ayant été
entendu par tous les Sarrasins, fut approuvé de l'ar-
mée entière. Ledit soudan, accompagné de ses trou-
pes innombrables, se précipita donc sur les chrétiens,
et alors s'engagea le combat le plus sanglant ; mais
dans l'espace de quelques instants, Parmée chré-
tienne se vit entourée par la multitude des Sarrasins
comme une île par la mer, et les Sarrasins vinrent
se placer entre les chrétiens et le fleuve que ceux-ci
venaient de traverser, pour que pas un d'entre eux
ne pût échapper. A cette vue, le comte d'Artois se
repentit de n'avoir pas acquiescé aux conseils de gens
plus âgés et plus sages que lui ; mais il est trop tard
pour reculer quand on a le casque en tôte. Ayant donc
aperçu Guillaume Longue -Épée qui était environné
de toutes parts d'une foule épaisse d'ennemis, et qui
soutenait à lui seul le poids de la bataille , le comte
Robert s'écria aussi impudemment qu'imprudem-
ment : « 0 Guillaume , Dieu combat contre nous :
« nous ne pouvons plus résister. Veille h ton salut
« par la fuite, et tûche de t'échapper vivant, tandis
ANNEE <25<). Si
« que ton cheval peut encore te porter, de peur que
« lu ne commences à vouloir quand tu ne pourrais
« plus exécuter. » Alors Guillaume lui répondit
brièvement, autant que le tumulte de la bataille lui
permettait de le faire : « A Dieu ne plaise que le fils
« de mon père prenne la fuite devant un Sarrasin,
« quel qu'il soit! J'aime mieux mourir glorieusement
« que de vivre honteusement. »» Le comte d'Artois
Robert , se voyant donc cerné de tous côtés par les
ennemis, et considérant qu'il lui restait à peine les
moyens de fuir, tourna bride et se sauva soudaine-
ment. H dirijjea son cheval le plus rapidement pos-
sible vers le fleuve, qui était ou le Nil ou le Thanis ,
branche du Nil, et qui s'y jette, et y entra tout armé,
espérant que son cheval, qu'il savaitétre très-robuste,
pourrait le transporter à l'autre bord ; mais son che-
val, couvert de fer et arrêté par d'autres obstacles, ne
put y parvenir. Le malheureux périt donc dans les
eaux ', mais sans être un objet de pitié pour per-
sonne, fugitif et orgueilleux, humilié, non de lui-
même, mais malgré lui, ne méritant enfin d'être
pleuré par les larmes de personne , parce qu'étant
procréé du généreux sang des rois , il avait donné
aux autres un exemple pernicieux , et que, selon la
la })arole d'un poëte ,
' Tout ni bUmant l'orgaeii imprudeot de Robert, on doit dire à sa
louange qu^il mourut dans Mansoura «eus les débris d'une maison où il
s'était relrancbé, en combattant vaillamment, et iiuu pas uoyé et fugitif
conme .Matt. Plris le prétend ici, je ne sait sur quel fondement. Ce qui
peut avoir donné lieu à oe bruit, c'est qu'après la bataille, les cadavres
furent jeUt pèle mêle dans le canal.
VU. 6
82 HENRI III.
« Plus celai qoi commet une faute est haut placé, plus les reproches
« qa^il mérite doivent être éclatants . »
Le comte ayant donc ainsi été noyé, tous les Fran-
çais qui se trouvaient à la bataille commencèrent à
• se désespérer et à rompre leurs rangs. A cette vue ,
Guillaume, sur qui se précipitaient tous les Sarra-
sins, comprit que c'en était fait de sa vie; mais il
n'en soutint pas moins vigoureusement toutes les at-
taques, faisant voler les têtes, et envoyant les âmes
au Tartare ; et quoique son cheval épuisé, et ayant eu
les jarrets coupés, se fût abattu , il mutilait et faisait
encore tomber les tètes , les mains ou les pieds de
ceux qui s'approchaient de trop près.
EnHn , perdant tout son sang , par les coups et les
blessures qu'il avait reçus , et succombant sous la
grêle de pierres qui l'écrasaient , il rendit son âme ,
comme un martyr qui va chercher la couronne du
ciel. Son porte-étendard , Robert de Ver, chevalier
de renom , fut tué à ses côtés , ainsi qu'une foule
d'Anglais qui, depuis le commencement, ne s'étaient
pas écartés d'un pas de sa bannière. Or, la nuit qui
précéda cette bataille , sa mère , la très-noble dame ,
comtesse, nommée Héla , abbesse de Lacock, avait
vu un chevalier couvert de toutes ses armes, qui
étaitreçu dans le ciel entr'ouvert; et reconnaissant le
bouclier aux armoiries j)eintes qui s'y trouvaient ,
elle avait demandé, toute surprise, (]uel était ce che-
valier dont elle connaissait l'armure, et qui, montant
vers une si grande gloire , était reçu par les anges.
Alors il lui avait été répondu d'une voix claire et ac-
ANNÉE 4SS6. 85
ccntuée : • C'est Guillaume ton fils. » Elle {jarda le
souvenir de celte nuit, et plus tard trouva Teiplica-
liou de son rêve. Mais revenons à noire sujet prin-
cipal : Robert, comte d'Artois, ayant donc été noyé ,
et Guillaume Longue-Épée massacré, les Sarrasins,
certains de la victoire, passèrent misérablement au fil
de Tépée les cbrétiens cernés et découragés ; de toute
cette glorieuse et fameuse chevalerie il n'échappa que
deux. Templiers, un Hospitalier et un homme de peu
d'importance, qui, s'étant dépouillé de ses habits, et
ayant traversé le fleuve à la nage, vint annoncer au
roi de France et au reste de Tarmée ce désastre dé-
plorable pour tous les siècles. Les autres qui avaient
échappé étaient tellement fatigués et blessés, que
pouvant à peine respirer, ils furent hors d'état de
traverser le fleuve, et se cachèrent dans les joncs, où
ils attendirent les ténèbres de la nuit. La colère ou
plutôt la fureur du Seigneur ne permit pas qu'une
seule personne de marque échappât.
Loi'sque ces nouvelles furent parvenues à la con-
naissance du très-pieux roi de France, il poussa de
profonds soupirs, et, touché de douleur au fond du
cœur, il ne put retenir un torrent de larmes ; puis,
joignant les mains et levant les yeux au ciel, il s'écria
dune voix entrecoupée de sanglots : « Il a été fait
« comme il a plu à Dieu : que le nom du Sei|»neur
« soit béni.» Alora, convoquant les seigneurs français
qu'il avait avec lui, il leur dit : « Mes améset féaux,
â qui participez a mes fatigues et à mes périls, et qui
" êtes mes compagnons très-zélés, que faut-il faire
84 HENRI m.
« dans cette funeste circonstance? Si nous supportons
« cela, et si nous nous retirons, sans faire aucune dé-
a monstration , nos ennemis se réjouiront comme
« s'ils triomphaient de nous tous, et ils s'enorgueil-
« liront plus encore de notre fuite que du massacre
« de nos frères. Comme ils sont plus agiles que nous,
« ils seront plus fortement encouragés à combattre
« et à nous poursuivre, et par ainsi, ils nous feront
« tous disparaître vitement de dessous le ciel , à la
« confusion de toute la clirélienlé. L'Eglise univer-
« selle en sera plus grandement confondue , et la
« France sera noircie d'un opprobre ineffaçable. In-
« voquons donc Dieu, que nous avons offensé griève-
« ment par nos péchés, à ce qu'il paraît. Puis après,
« attaquons unanimement et avec confiance nos en-
« nemis tout souillés du sang de nos frères , et , par
(« une juste vengeance, demandons courageusement
« compte aux mains de nos adversaires du sang de nos
« amis qu'ils ont versé. En effet, quel est celui qui
a pourrait plus longtemps tolérer de sang-froid un si
« grand outrage fait au Christ? »
Animés par ces paroles du roi, tous s'armèrent
avecautantd'accord qu'un seul homme; mais comme
chacun se souvenait de la mort d'un ami ou d'un
parent, ce n'était partout que gémissements et sou-
pirs, que sanglots et que larmes; des sources d'eaux
coulaient de tous les yeux, et les chrétiens étaient
accablés par la douleur plus encore que |)ar la faniiiie.
Ceux qui paraissaient le mieux en état de comhalln^
inarcbèrent au combat précédés de Tori flamme et
ANNEE 4250. 85
suivaut leslrucesde leurs frères qui avaient succombé,
comme nous TavoDs dit '. On mit les plus faibles, qui
manquaient complètement d'armes et de vivres, sur
des nacelles qui devaient redescendre le (leuve jus-
<|u^à Damiette, aûn qu'ils respirassent au moins der-
rière les remparts de cette ville. Le Soudan, averti de
ces préparatifs, ordonna qu'on transportât en toute
hâte sur ce point des barques placées sur des chariots
que des bullies traînaient, pour augmenter le nombre
de celles qu'il y avait déjà à l'effet d'intercepter les
vivres , et pour qu'une flotte plus puissante contribuât
à l'extermination des malheureux chrétiens. Cette
Hotte, remplie de Sarrasins, rencontra les chrétiens
qui naviguaient sur le fleuve. Une bataille navale très-
sanglante s'engagea alors, et les traits commencèrent
à pleuvoir comme la grêle. Enûn, après une longue
et affreuse lutte, les ennemis du Christ, lançant de
toutes parts le feu grégeois, triomphèrent selon leurs
vœux et par un secret jugement de Dieu, des chrétiens
épuisés par la douleur et parla faim. De plus, laflotte
des Sarrasins qui se trouvaitprèsde Damiette , et qui
devailempécheraussiquedes vivres ne fussent appor-
Milt. Piris omet ou plutôt ignore des faits importants, et nous fait
aiiitter brusquement à la retraite des Français et à la déroute qui en fut
la suite. Il ne nous parle pas du combat livré à Bendocdar sous les raurt
6» Maatoura, do séjour des Français au camp de Djedilé, de l'attaque
furÏMae i» m camp par les Sarrasins, de la bataille lirrée trois jours
aprM et perdue par Bendocdar, et des ué^^ocialiuuti entamées eu vain.
1^ mort du comte d'Artois eut lieu le 8 février I2.'i0, jour de carême
prenant (mardi gras); la retraite de larméo cliri'-lifiiii<> roiiiiiuMiça le .%
«Tfil, le mardi après le dimanclie de Quasimod"
86 HENRI 111.
tés dans cette ville par le fleuve, rencontra les Fran-
çais, et ferma le chemin à ceux qui voulaient fuir; pas
un chrétien n'échappa pour venir annoncer au moins
ce désastre aux autres chrétiens qui demeuraient à
Damiette. Tous tant qu'ils étaient périrent misérable-
ment, ou noyés, ou brûlés, ou percés de traits, ou
massacrés de toute autre façon. Un seul , qui était à
l'arrière-garde, et qui suivait les premiers de loin, re-
tourna du côté opposé à la ville, et n'échappa qu'à
grand'peine, ayant été blessé de cinq grandes plaies
par les Sarrasins qui le poursuivaient dans sa fuite:
c'était un Anglais de nation , nommé Alexandre Gif-
fard,qui était derace illustre et fils d'une noble dame,
laquelle demeurait auprès de la reine d'Angleterre.
Déplorable défaite des Français. — Prise dd roi
DE France. — Gardiens laissés a Damiette et a la
flotte. — Le roi de France prisonnier refuse de
rendre Damiette. — Les Sarrasins s'efforcent de
s'emparer de Damiette par la rose. — Douleur des
chrétiens a la nouvelle de la déroute. — Les Fran-
çais, instruits de ce nouveau malheur, et se lamen-
tant de plus en plus , séchaient en eux-mêmes : le
roi ne pouvait plus les réconforter, tant était grande
la désolation qui avait accablé toutes les ûines. Ce-
pendant le Soudan, apprenant toutes les infortunes
des chrétiens, fut transporté de joie et d'une audace
plus grande encore. Aussi, averti que le roi de
France et son armée marclitiienl hostilement à lui,
il s'étonna d(; leur audace, en voyant qu'après tant
ANNÉE 4250. 87
<révéaeii)euls contraires, iiu petit nombre de ^ens
nfrauiés osa lent provo(}ueraucombat unuarmée nom
breuse eonune l'élail la sienne et composée de toutes
les forces de l'Orient. Ayant donc convoqué ses prin-
cipaux ofliciers, il les anima en disant : <« Otrès no-
» blés Orientaux, qui avez déjà triomphalement
" et magnifiquemeol vaincu près de la moitié de
• Tarmée des Francs, et qui vous êtes enrichis des
>< dépouilles, des armes et des chevaux de ceux que
*« vous aviez tués, allez au plus tôt et en toute assu-
« rauce au-devant de cette populace qui vient à vous,
« épuisée de faim et de douleur. Passez irrémédiable-
'. meut au fil de Tépée tous ceux que vous rencontre-
« rez; que pas un d'entre eux n'échappe et n'évite vos
V mains triomphales. En effet , quelle démence té-
« méraire les agite de venir nous attaquer et de vou-
u loir nous déshériter, nous qui depuis le déluge ha-
« bitons ce très-illustre pays? Leur importe-t-il donc
« beaucoup que nous croyions à leur Christ malgré
0 nous? Quel est celui qui peut être converti ou qui
« peut croire malgré lui? Ces chrétiens mettent en
« avant un prétexte frivole, il est vrai, celui de recon-
t quérirla terre (ju ils appellent sainte : mais qu'ont-
« ils de commun avec l'Egypte? Ils sont indignes, sans
« oui doute, de dominer dans cette terre que travei'se
« et que féconde le fleuve qui a sa source au Paradis*.
*he*»oanf» du Nil «UdI à c«tte rpuque complètement inconnues, il
n*est pat étonnant que la superstition arabe ait adoptt' cette tradition.
Un s«it que m^me plasicars auteurs cliri'tiens ont Koutenu avec saint
InJore que le Nil était le Gélion, un des quatre fleuves du Taradis ter-
rettre.
gg HENRI HI.
« Ces gens tondus et sans barbe, faibles et lâches,
« plus semblables à des hermaphrodites, à des eunu-
« ques, ou même à des femmes qu'à des hommes,
« que veulent-ils donc? » Animés parces paroles, les
Sarrasins furent enflammés d'ardeur et vinrent à no-
tre rencontre, comme des flammes dévorantes, réso-
lus à combattre avec confiance.
Nos chrétiens, s'étant donc avancés sur le champ
de bataille où les Français leurs frères avaient suc-
combé misérablement', trouvèrent les cadavres déca-
pités et privés des mains et des pieds qu'on avait
coupés. En effet les Sarrasins, voulant gagner les ré-
compenses promises par le Soudan, étaient accourus
à Tenvi , avaient coupé les têtes de ceux qui étaient
morts dans le combat susdit et avaient laissé le reste
à dévorer aux bêtes et aux oiseaux de proie. A cette
vue les Français, poussant des gémissements lamen-
tables, arrachèrent leurs cheveux, déchirèrent leurs
habits, mouillèrent de leurs larmes leurs armes et
leurs boucliers , au point que ces tristes pleurs au-
raient pu inviter à la compassion les ennemis eux-
mêmes. Sur ces entrefaites, les troupes des Sarrasins
apparurent de près, et sur-le-champ s'engagea un
combat lamentable. Car que pouvait faire contre tant
de milliers de mille une poignée d'hommes épuisés
<li; chagrin et de douleur, de faiblesse et de faim, et
monléssur des chevaux amaigris? Les Français sont
* Ce foil 0(1 pou exact. Ko fort <lu comlinl fut à Fariskour, à Gliarinc-
•ab et à Miiiii'li, où le roi (ircsquc mourant nviiil i'>t«' coiiiiô aux soins
d'une bourjroiic de l'arii.
ANNÉE 4250. 89
ihuic écrasés, renversés, massacrés, et se rendent de
toutes paris aux ennemis. Qu'est-il besoin d'en dire
plus? Leur armée est vaincue et mise en désordre,
après avoir tué un très-petit nombre d'ennemis',
lians cette malheureuse journée on ne connaît qu'un
seul Sarrasin de marque qui ait succombé, et cedit
Sarrasin qui périt était le tils de Kook et s'appelait
Melkadiu. Quand bien même il en serait mort de
leur côté autant que du nôtre, c'est à peine si leur
armée en aurait paru sensiblement diminuée. Or
nous avions deux mille trois cents cavaliers de haute
nai.'^sance et quinze mille ct)mbattants ; presque
tous furent ou massacrés ou faits prisonniers au gré
de leurs ennemis^. Pour comble de douleur, à l'op-
probre éternel des Français et à la confusion de la
clirélienté tout entière et de rE|;lise universelle, le roi
lui-même fut pris' avec un petit nombre de seigneurs,
' Les hiclorieus arabes prétendent que la Musulmans ne perdirent
i|ue cent hommes.
' Sans s'arrêter à fexatjération des historiens arabes, il est permis d*«>-
\aluer le nombre de l'armée chrétienne à un cbilTre plus élevé que Matt,
l'iris ne le dit ici. S'il est vrai quesaiut Louis, en débarquant à Damiette,
eut 9,500 hommes de cavalerie et 450, OOU hommes d'infanterie, en y
ei>mpreuant les ouvriers et les valets, et que Ton prenne un tiers euvirou
c'est-à-dire 46,500, (>our le nombre de ceux qui restèrent à Damiette,
lin second tiers |>our les morts et les prisonniers depuis le départ de Da-
miette jusqu'à U reiraile, on aura encore un extv'dant de plus de 45,000
kflOMMS. N'oublions pat cependant que Matt. Paris ne parle que de«
romltattants {puguaiores) . M. Michaud dit que l'arm<'>e des croisés, en
pjrtantde Damielte, était composta de 00,000 roi*it£ii/u;i<S dont 20,000
(«valiera.
' Philippe de Moutlort, qui t'était retins avec Tarrière-garde sur une
rolliur près de Sdinieh, avait proposé au chef des Musulmans une trêve
90 - HENRI lil.
tels que Charles, comte de Provence, et Alphonse,
comte de Poitiers et d'autres qui le défendaient et qui
se tenaient autour de lui. Or on ne trouve pas dans la
série d'aucune his.toire qu'un roi de France eût été
pris ou vaincu, surtout par les infidèles, à Texception
de celui-ci, qui était un prince tel que, dùt-il conser-
ver seul la vie et 4'honneur, et dussent tous les autres
succomber, les chrétiens avaient encore Tespérance
de respirer et d'éviter les opprobres. C'est pourquoi,
dans ses psaumes, David demande avec exaltation
que la personne royale soit sauvée, comme celle de
laquelle dépend le salut de toute l'armée, quand il
dit: « Seigneur, faites que le roi soit sain et sauf. »
Déjà dans l'armée que Robert, conite d'Artois, frère
du roi , avait entraînée avec lui dans son entreprise
téméraire, près de mille chevaliers et sept mille deux
cents hommes d'aroies avaient péri. De la maison du
Temple il n'échappa que trois chevaliers seulement;
de celle de l'Hôpital, que quatre; un cinquième, per-
dant tout son sang |)ar ses blessures, mourut avant
d'arriver à Acre. De la maison des Teutoniques trois
seulement échappèrent à demi morts. Dansée funeste
(|ui allait être coacluc. Joinvillo attribue la prise du roi nu sauve qui
peut (l'un huissier nommé Marcel, qui, en crinnl aux chevaliers de se
rendre, au(;mcnta la confusion et la terreur, et décida l'émir à rompre
les ix'gociatinns. Djemal-Eddin entra alors dans Miiiieh et se saisit du
roi et des serviteurs qui l'entouraient, f^es historiens arabes racontent
que le roi perdit dans la déroute son bonnet qui était do velours i^^irlate
bordé de petit gris, et que IV>mir de Damas, à qui ce bonnet fut envoyé,
le mit sur sa téti- pour lire la lettre du Soudan. Ils ajoutent que le roi,
cbar(;é d'une cbaiiie de f.-r, fui conduit à IVInnsourn et renfermé dans la
maison de Loekman, socrélairc du soudnn, sous In |;nrde de Tcunuque
Snhil.
ANNÉE ^250. 94
combat, outre les Templiers et les autres susdits, <les
lioiiimes illustres perdirent lo vie, tels que Raoul de
Coucy*, chevalier vaillantet fameux; Ilugues, comte
de Flandre, liomme puissant et célèbre; Hugues Le-
brun, comte de la Marche, dont le père était mort
|)eude temps auparavant à Damielte, ainsi que le comte
dePonthieu, pèlerin; enfin, pour tout dire, en peu
de mots, toute la noblesse de France fut massacrée et
[lérit en ce lieu. Gaucher de Châtillon, chevalier va-
leureux et invincible, fut pris et envoyé au calife à qui
il fut présenté en signe de victoire *. Or c'est la cou-
tume de ce calife que tout chrétien enfermé dans ses
prisons ne soit jamais mis en liberté. Ainsi avait
succombéGuillauuic Longue-Épée après avoir plongé
son glaive dans le sang d'un grand nombre d^enne-
inis, ainsi que Hobert de Ver et une foule d'autres,
tant chevaliers illustres que sergents; et comme ou
lui conseillait de fuir, il ne le voulut pas, quoiqu^il le
pût faire, atin de ne pas paraître indigne d'être as-
socié aux autres martyrs.
Or, le duc de Bourgogne, qui commandait la che-
valerie et le peuple laissés à Damiette, et Olivier de
Termes, combalt.mt et guerrier de renom, qui com-
' Raoul de Coucy avait été tué à Mansoura. Quant à llujues, couile
de Flandre, il est évident qu^il faut tire ici Guillaume, tiU afné de Guil-
laume de Daropierrc et de Marguerite de Flandre. Ce seigneur ne péril
pM eo cette oeeation. Fait prisonnier avec Saint-Louis, il fut relâché on
même tempt que lui, comme on peut le voir danK l;> It-Un- i'vrile par le
roi lui-même.
' Joinville dit qu'il fui tu<' à Minieb dont il «-lurrliait .1 <irfeiidrt> l'cn-
lr«^ aui Sarrasins et où il ue cessait di> crier ; • A (tatillon, à Cbàtillon,
* nil sont mr* prrus d'hommes! •
92 HENRI III.
mandait les arbalétriers et les routiers, avaient été
commis à la garde de Damietle. Le légat Eudes, les
évoques d'Amiens et de Soissons se trouvaient dans
la ville avec beaucoup d autres prélats et clercs. La
reine de Fiance et avec elle beaucoup de nobles
dames et de femmes s'y trouvaient aussi. Quant à la
garde de la flotte, qui était nombreuse el telle qu'on
n'en avait jamais vu de plus puissante on de plus
magnifique, on avait chargé de cette garde des che-
valiers de renom, de concert avec les Pisans et les
Génois, les Flamands, les Poitevins et les Proven-
çaux, féaux du roi de France.
Remarquez que, le jour même où le roi de France
fut pris, le comte liichard festoyait avec le pape, et
que, de même que le soudan deBabylone prit le roi,
de même le pape cherchait à prendre le comte à
l'hameçon et à le faire céder adroitement à ses vo-
lontés.
S'étantdonc emparés du roi qu'ils retenaient pri-
sonnier, les Sarrasins firent ce qu'ils avaient fait aux
premierschrétiensqui avaient succombé avec Robert,
frèie du roi, et, en signe de dernière vengeance, cou-
pèrent aux corps morts la tôte, les pieds et les mains,
dans Tespoir «l'obtenir la récompense que le Soudan
avait promise, comme nous l'avons déjà dit. Aussi,
plus ces saints martyrs de Dieu ont souffert d'ou-
trages, plus iisrecueilleront, sans nul doute, de rétri-
butions abondantes. Le soudnn eut d'abord l'inten-
tion de traîner le roi captif dans les contrées les plus
reculées du I Orient, afin de le montrer un spectacle
el «1 en ffnio un objet de risi'C pour tous les infidèles.
I
ANNÉE V250. 95
à la louan^je du sou<1un et à Texaltalion de tous les
Sarrasins *■ il voulut aussi que le plus illustre des
ebrétieus fût présenté au calife, à la gloire de Mn-
cboinetb, afin que, le plus noble étant abattu, les
Sarrasins conçussent I espoir de confondre les autres.
Mais connue le soudan désirait très-ardemment re-
couvrer Daoiiette, il cbangea d'avis, de peur que le
roi ne vînt à mourir de cbagrin. En effet, celui-ci re-
fusa lie boire ou de mangerquoi que ce fût pendant
deux jours , et soubaitait de mourir après avoir été
pris. Or, s'il venait à mourir, les assiégés étaient en
état de soutenir intrépidement pendant une année au
moins, tant par terre que par mer, les attaques de
tous les Orientaux ; ils auraient pu, pendant ce temps,
être délivrés jiar les secours des cbrétiens. D'ailleurs,
Damiette était très-fortifîée en murs, en avant-murs
et en tours, et la flotte sur mer était invincible. Les
plus éininents et les plus sages des Sarrasins, consi-
dérant tout cela, sollicitèrent instamment le roi de
restituer Damiette et de racbeler sa personne moyen-
nant une somme de cent mille livres d or. * Mais le
roi leur répondit, les yeux baiss(^s et d'une voix sup-
pliante : u Le'iout-Puissant sait que je suis venu de
M France ici, non pas aiin (robtenir pour moi des
« terres ou de Targent, mais seulement pjtur gagner
t à Dieu vos âmes qui sont en péril. Si, accomplis-
• sanl mon vœu, j'ai pris sur mes épaules ce dange-
« reux fardeau , ce n était pas pour mon avantage,
• mais pour le vôtre : car, tout pécbeur et indigue
' y oil U ito(« i à lit 6u iu volume.
94 HENRI m.
« que je suis, je possède des terres fertiles, dans un
'( climat tempéré, sous un ciel salubre; mais j'avais
« pitié de vos âmes qui doivent périr. Qu'il vous
« suffise de la confusion dont je suis couvert de toutes
« façons, par la permission du Christ offensé contre
« moi. On pourra m'occire; on pourra m'extorquer
« de l'argent jusqu'à épuisement; mais jamais la
« ville de Damiette, conquise par un miracle divin,
« ne vous sera rendue. »
Tandis que les Sarrasins s'occupaient de cette af-
faire, un d'eux, plus rusé que les autres, leur dit :
« Pourquoi êtes-vous embarrassés? Nous obtiendrons
« Damiette et l'argent demandé, que ce roitelet cap-
« tif veuille ou ne veuille pas. »> Sur son conseil, on
forma une forte et nombreuse troupe de Sarrasins
composée d'autant d'hommes ou d'un peu plus qu'il
pouvaity en avoireu dans l'armée chrétienne. Les Sar-
rasins, ayant pris artificieusement les armes, les bou-
cliers et les étendards des chrétiens massacrés, par-
tirent sur-le-champ pour Damiette, afin d'y être reçus
et introduits comme s'ils eussent été des Français, et,
une fois entrés, d'y égorger tous ceuxqu'ilsy trouve-
raient. Lorsqu'ils approchèrent de la ville, les gardes
des chrétiens les aperçurent du haut des remparts
de la ville et des tours, et crurent d'abord que c'é-
taient en effet les chrétiens qui revenaient triom-
phants et chargés de dépouilles; mais plus ils s'ap-
prochaient, plus ils paraissaient différer des Fran-
çais : ciir ils marchaient çà cl \h cten désordre, faisant
tourner leurs boucliers plutôt à la manière des Sar-
ANNEE <250. 95
rasins qu'à la oianiore des Français, el venaient par
|>elolons. Quand ils furenl tout près de Textré-
mité des retranchements el des portes de la ville, on
les reconnut plus clairement encore pour Sarrasins,
à leurs visages noirs, à leurs longues barbes et à leur
iauj^age barbare, ainsi qua la manière arro^jante
dont ils eii{;eaieal l'entrée de la ville: car toutes les
entrées, tant des retraucbements que de la ville,
étaient dili^jeininent et vigilamment gardées.
Cependant, lorsque les gardiens de la ville virent
des Sarrasins couverts des dépouilles des chrétiens,
ds furent convaincus de la ruine de l'armée chré-
tienne, et, remplissant toute la ville de leurs gémisse-
ments lugubres, ils refusèrent absolument aux enne-
mis rentrée de la ville et des retranchements. Ils dé-
clarèrent que, quand bien même Tarmée chrétienne
tout entière et le roi lui-même auraient péri, ils n'en
soutiendraient pas moins avec allégresse, pendant
longtemps, un siège et les attaques de tous les Sarra-
sins orientaux, certains qu ils étaient d'être secourus.
Mais comme, en faisant le guet du haut des tours les
plus élevées, ils aperçurent la nombreuse armée des
Sarrasins qui occupait une \aste étendue de terrain
et comparèrent leurs forces bien inférieures à celles
des ennemis, ils ne voulurent pas sortir de la ville
pour livrer bataille, en se voyant surtout épuisés par
la douleur, p:ir le chagrin et par In famine. Car qui
pourrait pleinement raeoiiter leurs lumenlalions
cordiales en \oyuiit les ennemis du Christ étaler
ûèrement, d'un air nioqueur , <les armes, des ban-
96 HENRI HI.
nières, des cottes d'armes peintes', qu'ils savaient *
appartenir à leurs frères?
Le roi de France rend Damiette adx Sarrasins pour
SA DÉLIVRANCE. — Le SOUDAN FAIT CODPER LA TÊTE AUX
CHRÉTIENS DE DaMIETTE. Le ROI DE FrANCE ENVOIE
DÉFIER LE SOUDAN. RÉVOLTE DES SarRASINS CONTRE LE
SOUDAN. — Lettre adressée au comte Richard. —
Douleur des Français en apprenant la défaite des
LEURS. — Le roi de Castille prend la croix. -^ Les
Sarrasins, trompés dans leurs espérances, revinrent
et commencèrent dès lors à traiter plus doucement
le roi de France. Ils accordèrent donc au roi la per-
mission d'être servi en mets et en boissons, par ses
Jéaux qui avaient été pris avec lui, comme il Tavait
instamment demandé; car il craignait que, selon la
coutume des Sarrasins, on ne lui présentât quelque
breuvage empoisonné. Or, il resta , durant un mois
et plus, détenu parmi eux. Pendant ce temps,
comme les Sarrasins exigeaient, avec de terribles me-
naces, que le roi rendît Damiette, et comme celui-ci
* Cognitiones picturatce, Coate atmors. L'usage des armoiries ne
commença qu'au temps des croisades. Dans ces années immenses com-
l>osëe8 de nntions diff<'rcnles et des vassaux de tant do suzerains, on in-
venta les noms de famille et surtout les armoiries pour servir de points
de ralliement aux troupes des seii'nenrs croisc's. On en mit sur les ban-
nières, sur les ecus, sur les cuirasses-, on s'en para dans les tournois. Mu
même temps, t'introduisirent les termes d'argent, d'or, d'azur, du sable,
de guonles, de sinopic, etc., pour d^Kif^ner les couleurs pointes sur les
cottes d'arme» cl les /-tendards; ce qui <lonn.'i naissance n la science du
blason ou explication des armoiriiw.
ANNEE ^30. 97
refusait absolument , ils iusistèrent pour que la
somme [ de cent mille livres d'or ] leur fût payée
sans aucune diminution, disant que sans cela il se-
rait exposé à de longues tortures jusqu'à ce qu'il
s'ensuivît une mort ignominieuse, ou serait pré-
senté au calife qui ne le mettrait jamais en liberté
et ne lui laisserait aucun espoir de rançon, à la con-
fusion de la loi cbrétienne. Le roi, placé dans une
position embarrassante, considérant qu'il ne pou-
vait en aucune façon s'échapper de leurs mains, ni
retenir Damiette entre les siennes, sans que cette
ville ne fût obligée de céder à un siège; se deman-
dant en outre qui pourrait la délivrer, ou qui mieux
que lui pourraitdélivrer la Terre-Saintej voulanlen-
fin améliorer quelque peu son sort, leur répondit :
« Nous autres Occidentaux nous n'abondons pas en
« or comme vous Orientaux, et nous ne nous servons
« pas de livres dans nos calculs. Convertissez donc
« l'or en argent et les livres en marcs; que les cap-
• tifs soient restitués des deux côtés, et que je sois
» mené sain et sauf à Acre sous votre conduite; que
u ceux qui demeurent à Damiette soient conduits par
u vous en lieux sûrs sans violation de leurs personnes
« et sans dommage dans leur bagage. Alors (mais
•• mon cœur saigne en \ous le disant) je vous rési-
« gnerai Damiette, si je puis y déterminer ceux qui
« y sont renfermés. » Ces conditions de paix, aux-
quelles le roi ajouta la conclusion d une Iréve de dix
uns, furent adoptées par le Soudan. Alors le roi en-
voya avec quelques-uns des principaux Sarrasins
Yll. 7
98 HENRI ni.
quatre de ses chevaliers munis de lettres et de signes
convenus et secrets, au légat, au duc et aux autres
qui tenaient le premier rang dans la ville, leur en-
joignant et leur conseillant de rendre Damielle aux
Sarrasins dans la forme prescrite. Lorsque les mes-
sagers du roi, accompagnés des Sarrasins susdils, fu-
rent parvenus aux portes de la ville après avoir tra-
versé les retranchements, et eurent annoncé le sujet
de leur mission, les seigneurs chrétiens, affligés plus
qu'on ne peut dire, hésitèrent longtemps sur ce qu'ils
avaient à faire' ; car ils redoutaient grandement les
artifices des ennemis, craignant par exemple qu'une
fois n)aîlres de Damiette, les Sarrasins ne leur ren-
dissent le roi et ceux qui étaient avec lui infeclés
d'un poison leut qui les ferait mourir au hout de
quelque temps; car les Sarrasins mettent en pratique
ce genre de fraude. Mais lorsqu'ils eurent appris,
par U's députés du roi, que le roi ne recevait ses
mets ou ses breuvages de la main d'aucuu Sarrasin,
les gardiens de la ville, cédant à l'intercession du
légat, delà reine et des autres amis du roi qui tenaient
beaucoup à le voir hors de danger, résignèrent, ô
douleur I les clefs de la ville, non sans pousser des
sanglots lamentables, après s'être assurés toutefois
que le roi, queux-mômes et que les gens de mer
seraient mis en liberté et conduits en toute sécurité à
Acre. A cette nouvelle, le peuple, dans l'emporle-
'Mokrui dit qu'il fallut de nouveaux ordres |iius prcssniits pour Iriocn-
pberd« Mtte hésitation. L'hialnirodein reddition de Damiette est pleine
<le confusion.
ANNEE 4250. 99
ment de sa douleur et de sa colère, gâta toutes les
provisions tant du roi que des autres, lesquelles
étaient encore en bon état, brisa les tonneaux d'huile
et de vin, dispersa ou brûla le froment, l'orge et les
viandes salées, au mépris des conventions faites des
deui parts ; car les habitants se lamentaient ineon-
soiablement de voir que ces provisions, mises précieu-
sement en réserve pendant leur longuedisette, allaient
servir à gorger les ennemis de la croix ; et ils pensaient
qu ilvalaitmieux quelles ne profitassent àpersonne*.
Lorsque le Soudan, après avoir mis le roi en liber-
té, et l'avoir fait conduire sain et sauf à Acre'*, prit
possession de la ville de Damiette, il la trouva en-
tièrement dépourvue de toute espèce de vivres, tous
les vases qui les contenaient ayant été brisés. Aussi
lit-il couper la tête au menu peuple chrétien qu'il ren-
contra à Damiette, les plus nobles n'élant plus entre
' Il e»l possible que les marchaadt francs qui abondaient à Damiette
iieut commis quelques désordres en apprenant la prochaine reddition
de la ville; mais nous oe retroufons ce fait dans aucun autre historien.
Ce qoi est au contraire certain, pr le récit même des Arabes, c'est que
les Sarrasins, en entrant à Damiette, pillèrent les vivres, brûlèrent les
maefaiMS de gwrre et les provisions. Aboul-Moassem prétend que les
émirs linrent eompte aux croisés de ce dommage en dispensant saint
Louis de payer les 400,000 besauts d'or qui restaient. Mais, d'après
le irmoigoage Boaiiime des historiens oceidentaui, le deuxième paiement
ne fut pas elleeta^, parce que les Mameluks n'avaient point rempli leurs
proraeues au sujet de la délivrance des captifs.
* l.e départ du roi eut lieu le samedi après l'Ascension (7 mai). Les
{{alères sarrasines l'avaient débarque sur la côte de Damiette à une
deuii-lieue de la ville. Dès qu'il fut monté sur le vaisseau génois qui
I attendait, quatre-vingts archers parurent, l'arbalète an poing, pour
•prévtnir toute surprise.
400 HENRI III.
ses mains, et il se repentit d'avoir laissé aller tran-
quillement les principaux de l'armée, qui avaient
consenti à ce pillage. Il ordonna en outre que la flotte
des chrétiens trouvée dans le port fût livrée aux
flammes. De plus, les chrétiens qui étaient sortis en
foule de la ville furent massacrés, étant tombés dans
les embuscades que leur avaient tendues les Sarrasins
des montagnes et des vallées voisines. Cependant les
captifs, avant cet événement, étaient heureusement
relâchés \
A la nouvelle de cescruautés, le roi deFrance, qui
demeurait à Acre, sous la garde des Templiers, des
Hospitaliers et des autres chrétiens habitants de cette
ville, fit savoir au Soudan qu'il s'était montré le vio-
lateur perfide de la trêve qui venait d'être conclue,
et qu'en la rompant sans pudeur, il avait acquis par
la fraude l'argent qu'il avait tiré de lui. Le soudan
répondit à cela que les Français avaient donné pré-
texte à cetle vengeance, et avaient excité la colère des
siens. Or, le parti des Français est convaincu d'être
tombé dans cette faute, et d'avoir mérité le châtiment
susdit.
' Captivi tamen auie hunccasum féliciter restituehantur. Nous ne
pensons pasqu'on puisse comprendre les captifs fails avant l'cxpt'-dition de
saint Louis. Makrisi prétend que douze mille cent hommes et dix femmes
furent relâcbét. Les historiens français disent au contraire que les pri-
sonniers «(prouvèrent les traitements les plus horribles après le dt^part de
•aint Louis. Gela donna lieu sans doute au d«^li qui suit et dont il est
parlé dans Alraul-Moasscm. Cet autiiur, comme saint Louis dons la lettre
i-nvoyi'i! en France, «lonne doute uiille pour le nombre de» raplild qui
restaient. Les né|jocinlinns qui suivirent n'en arrachèrent qu\in petit
nombre aux mains des Sarrasins.
ANNÉE 4250. 401
CependantlesOrieutauxel les Egyptiens, apprenant
que le susdit Soudan, corrompu par la soif de Tor,
uvuit mis en liberté un si grand roi el ses frères,
furent violemment irrités, et, se soulevant contre
lui, Tattaquèrent à main armée; et ils ne trouvèrent
pas suffisante Texcuse qu il donnait de sa conduite,
disantque, dansTinteretde tout le paganisme, il n^a-
vait pas voulu laisser Damietle aux mains des Francs,
de peur que les autres chrétiens n'y trouvassent un
port et une entrée en Egypte ; aussi le cliassèrent-ils
ou le mirent-ils à mort* . Ce qui augmenta ce soulève-
ment du peuple sarrasiiiois contre ledit Soudan, c'est
que, sur tout Targenl qu'il avait eu avant et après la
prise du roi, il n avait pas payé les salaires convenus
à ceux qui avaieut supporté tout le poids des ba-
tailles, et qui, d'après ses ordres, avaient coupé les
têtes des Français vaincus. De plus, une querelle et
une jalousie mortelle s'étaient élevées parmi les plus
* MaU. Plris n'a qu'une vague notion de la révolution arrivée en
Egypte, et ne la met pa» en son lieu. On sait qu'au moment où le traité
tenait d'être conclu avecTouran-Cbah à Fariscour, le« Mameluks, irrita
des hauteurs de ce prince, Tégorgèrent avec un acbarnemeut féroce et se
rendirent maîtres du gouvernement ; mais qu'ils ratifièrent le traité après
avoir inutilement essayé d'intimider saint Louis. Trois mois après le dé-
part du roi de France, l'émir Ibegh fut proclamé atabek, puis soudau,
et coauneoça la dyuaslie des Mameluks baharites ou maritimes. Cette
niliee, qui devait son pouvoir au père de Touran-Cbab, se recrutait
d'etclavet formés à l'exercice des armes dans une ville maritime de l'E-
gypte : d'où leur venait leur nom. LesBabarites furent renversés en 1382,
par une nouvelle milice de Mameluks, celle des Bordgites, ou élevés
dans des tours, qui euxiuémrs furent eitermini^ par les Turcs ottomans
en 4517.
102 HENRI III. ,
éminents des Orientaux, pour savoir quel était celui
d'entre eux qui devait se glorifier d'une si belle proie ;
mais lorsqu'ils furent instruits de la délivrance du
roi, ils firent retomber toute leur colère sur le sou-
dan de Babylone. Olivier de Termes succomba à Da-
miette, avec tous ses combattants, que nous appelons
routiers, et avec beaucoup d'autres qu'il serait trop
long d'énumérer, et dont il est constant que les noms
sont écrits au livre de vie. Il est évident que la
cause de cette horrible calamité ce fut l'orgueil du
comte d'Artois, qui d'abord avait repoussé arrogam-
ment l'bumilité des Sarrasins, lesquels offraient pour
le bien de la paix tout ce que nous avons dit plus haut,
et qui ensuite, voulant prendre toute la gloire pour
lui, s'était séparé du roi à son insu, et avaitprisavec
lui le tiers de l'armée. Pour instruire nos lecteurs du
précis des événements plus haut mentionnés, nous
avons inséré dans ce livre la lettre suivante adressée au
comte Richard :
« A son révérend seigneur Richard , comte de
Cornouailles, Jean [?], son chancelier, etc. Comme
les esprits des grands ont coutume d'être fatigués
souvent par les relations de bruits divers, et d'être
tourmentés jusqu'à ce que la vérité soit connue , j'ai
jugé à propos de vous faire savoir les bruits lugubres
et tameutables touchant l'armée des Français, sous
une forme certaine et vraie , et seulement les bruits
qui méritent croyance, et (jui n'ont pas encore été
annoncés publiquement , tels (|ue je les tiens de la
bouche d'un certain clerc , jadis le mien , qui u été
ANNEE 4250. 403
envoyé à la reine Je France, mais sans apporter de
lettres. Or, après la purification de la bienheureuse
Marie , le roi prit sa roule vers le Caire ; le duc de
Uourjjogne , les épouses des seigneurs et beaucoup
(le femmes, avec la reine, restèrent à Damietle. Lors-
que le roi voulut traverser le Nil , le soudan de Ba-
bylone et l)€aucoup de Sarrasins , placés sur l'aulre
rive, lui résistèrent fortement. Les deux partis cam-
pèrent sur les deux bords du lleuve. Le roi fit ras-
sembler des barques, et les Gt lier les unes aux autres,
pour passer sur elles avec son armée, comme sur un
pont très-solide. Le jour où commence la privation
de la chair, le soudan étant absent, et la nombreuse
multitude de son armée étant répandue dans les
tentes qui bordaient le lleuve , un ancien Sarrasin
converti donna iidèlement connaissance d'un gué ;
ce qui permit audit comte, au maître du Temple et
à tous les frères [ Templiers]], qui étaient présents ,
de traverser le Ueuve. Or, ce même converti faisait
partie de la suite du comte d'Artois, et était son serf.
Le seigneur Guillaume Longue-Épée, avec les siens,
se mit à leur suite, ainsi que beaucoup d'autres , en
sorte que cette troupe formait le tiers de toute Tar-
mée. Tous passèrent le Nil, et, tombant toulàcoup
sur les Sarrasins, combattirent vaillamment, et une
grande mêlée eut lieu. Enfin , après avoir tué beau-
coup de monde, à savoir tous les Sarrasins qu'ils
trouvèrent, tant dans la plaine que souh les tentes,
et avoir fait un grand massacre des deux sexes , les
chrétiens obtinrent une victoire gloric use ; mais le
-104 HENRI HI.
comte susdit et les siens ne s'en contentèrent pas. Le
comte , homme fort arrogant , voulut pousser plus
loin et aller prendre uncertain village, nommé Man-
sor, qui était assez près de là, malgré les refus et les
avis des Templiers , qui lui remontraient une foule
d'incommodités, la fatigue et les blessures de leurs
corps et de leurs chevaux, et d'autres choses encore.
Mais leditcomte ni les siens ne voulurent s'en retour-
ner pour aucun motif. Après une discussion pleine
d'injures, on arriva au susdit village, et on attaqua vi-
goureusement les ennemis. Ce que voyant , les Sarra-
sins qui se trouvaient dans ce village et dans les
bourgades voisines s'enfuirent avec de grands hur-
lements, en pleurant et en se lamentant, de telle
sorte que ce jour même , le soudan , qui n'était pas
aussi éloigné que l'on croyait , entendit leurs cla-
meurs, et apprit ce qui y donnait lieu. Or, les chré-
tiens étant entrés sans précaution dans le bourg sus-
dit, et s'y trouvant enfermés, beaucoup furent écrasés
à coups de pierres par ceux qui se tenaient en em-
buscade sur les remparts. Aussi leur armée fut mise
en désordre, n'en sortit que grandement diminuée ,
et commença à tomber dans le désespoir. Déplus, le
Soudan arrivant tout à coup avec une immense mul-
titude, engagea avec eux une bataille très-sanglante;
et enfin, par la permission de Dieu , tous les chré-
tiens furent tués, h Texception d'un seul homme tout
à fait obscur qui en revint à grand'peine. En appre-
nant cela, le roi fut grandement affligé (on le con-
çoit niséinouti, et se prépara à passer le fleuve, avec
ANNÉE 4250. 405
aillant d'empressement et d'ardeur qu'il le put, sur
U'sdites barques et les autres moyens de transport ,
en disant : « H est nécessaire aujourd'hui que la
« France entière fasse voir son courage et éprouve
« ses forces de toutes façons. » Cependant beaucoup
«le chrétiens étaient épuisés par la faim et par la soif ;
les chevaux, fatigués et affamés, commençaient à ne
plus pouvoir marcher, et, ce qui était pis encore, la
douleur et le souvenir des morts faisaient saigner tous
les cœurs jusqu'à amertume des âmes. Ce ne fut plus
alors qu adversités sur adversités; car le môme sou-
dan, contre lequel beaucoup de Sarrasins avaient une
haine personnelle, et dont ils étaient séparés de corps
et d'esprit, à cause de son orgueil et de sa perfidie,
mourut tout à coup vers le même temps. Aussitôt
tous les Sarrasins, mettant à sa place un autre ,
(jui était son iils, à ce qu'on dit, se confédérèrenl et
lui jurèrent serment de fidélité comme à leur sei-
gneur. Dès lors devenus tous comme un seul corps,
et encouragés beaucoup plus fortement que précé-
demment, ils s'unirent pour la ruine des chrétiens ;
car ils voyaient qu'une extermination générale les
menaçait. Aussi le Soudan nouvellement élu, suivant
les conseils des vieillards et des sages , fit espionner
adroitement les actions et les projets des Français.
Sur ces entrefaites, le roi de France avail embarqué
un grand nombre de Français de son armée , qui
étaient éputsés par la maladie et par la famine, et les
envoyait par le Nil à Damiette, pour qu'ils respirassent
au moin^ en sûreté dans C(>tte ville. IjC Soudan, averti
106 HENRI m.
de cela , fit charger sur des chariots traîués par des
buffles un bien plus grand nombre de barques , qu'il
envoya à leur rencontre. Les hommes d'armes qui
montaient ces barques leur livrèrent sur le fleuve
même un combat naval très-sanglant. Les traits pleu-
vaient des deux côtés comme la grêle. Mais les Sar-
rasins, ayant lancé leur feu grégeois, brûlèrent un
grand nombre de barques , massacrant ceux qui s'y
trouvaient, et remportèrent la victoire. Les chrétiens
furent noyés et brûlés , et ainsi le Seigneur irrité les
détruisit tous, tant par lo fer que par la faim. 11 n'en
échappa qu'un seul homme, Anglais de nation, pour
venir annoncer ce désastre au roi, qui était comme
Job en tribulations. Enfin, aux octaves de Pâques, le
roi, avec son armée , traversa un fleuve qui, sortant
du Nil, prend un autre nom, et s'appelle Thanis : en
ce moment, le Soudan arriva et l'attaqua avec une
multitude infinie de Sarrasins. Alors eut lieu un
combat déplorable ; car l'armée des chrétiens, affai-
blie par la tribulation des maux et des douleurs, suc-
comba , et une infortune irréparable tomba sur le
peuple du Christ. Le roi fut donc pris, ainsi que ses
frères survivants et tous les autres qui n'avaient pas
été tués. C'est ainsi que, selon les secrets jugements
de Dieu, la harpe des chrétiens se changea en instru-
ment de deuil, et, au lieu de sons jadis doux, ne ren-
dit plus que de lugubres gémissements. Le roi et les
autres étant donc prisonniers, le soudan traita de la
paix avec le roi et les siens. Pendant les négociations
ut avant que I on fût tombé d accord (car [le roi] élait
ANNÉE 1250. ^07
lany^uissant de eha{jrin jusqu'à en mourir), le Soudan
envoya traîtreusement une nombreuse armée à Da-
mielte , avec roriflamme et les bannières des Fran-
çais, pour que cette armée s'emparât promplement
de la ville, en proGtant habilement de la surprise et
de l'igrnorance des Français. Mais ceux-ci , s'étant
aperçus de la fraude, à la démarche désordonnée des
Sarrasins, fermèrent les portes sur Tordre du duc et
des autres qui se trouvaient dans la ville : on tint
conseil , on déclara qu'on n'abandonnerait pas la
{jarde de la ville, dùl-on la défendre deux ans et
même plus, jusqu'à ce que le Seigneur pourvût au
salut de Damiette, et leur envoyât un secours qui leur
apportât aide et conseil ; ajoutant qu'ils ne se laisse-
raient pas fléchir, quand il s'agirait de la vie du roi.
I^s Sarrasins retournèrent donc vers le Soudan, frus-
trés dans leur espoir. Mais le roi ayant alors conclu
une trêve pour sa personne et au nom de ses héri-
tiers , et s'étaut obligé par otages au paiement de
cent mille marcs d'argent', comme indemnité des
|>ertes faites à Damiette, les gardiens de la ville cé-
dèrent aux intercessions de la reine et des autres amis
du roi qui s'intéressaient à sa vie, et Damietle , ô
douleur! tut rendue aux ennemis du Christ, à la
confusion de l'église universelle. Dans cette malheu-
reuse bataille, presque tous les nobles de la France
sont morts. Le comte Jean de Dreux, la fleur de la
France, avait succombé dans l'île de Chypre, comme
pour servir de triste présage aux infortunes à venir. »
' Voy. U noie I à la tin Hii volume.
408 HENRI III.
Lorsque ces funestes nouvelles furent parvenues à
la connaissance de la reine Blanche et des seigneurs
de France, par le rapport de quelques personnes qui
revenaient des pays d'Orient, ceux-ci, ne pouvantni
jie voulant y croire, ordonnèrent que ces messagers
fussent pendus. Or, nous croyons que ce sont des
martyrs manifestes. Mais lorsqu'ils virent que ces
rapports se multipliaient par de nouveaux messagers,
qu'ils n'osaient plus traiter de diseurs de riens , lors-
qu'ils virent des écrits relatifs à tout cela , munis
de sceaux et signes convenus , à n'en pas douter, la
France entière fut plongée dans la douleur et dans la
confusion ; les hommes d'église aussi bien que les
chevaliers se plaignaient, séchaient de chagrin, et
ne voulaient pas recevoir de consolation. De toutes
parts, les pères et les mères pleuraient la mort de
leurs fils; les pupilles et les orphelins, de ceux qui
leur avaient donné la vie ; les parents, de leurs pa-
rents ; les amis, de leurs amis. La beauté des femmes
était changée par le chagrin ; les guirlandes de fleurs
étaient rejelées au loin ; on n'entendait plus de chan-
sons ; les instruments de musique étaient prohibés.
Toutes les marques extérieures de la joie avaientfait
place au deuil et aux lamentations. Ce qui est pis en-
core, les hommes, accusant le Seigneur d'injustice,
semblaient perdre la raison dans l'amerluntede leur
Aine et Timmensité de leur douleur, et s'emportaient
en paroles de blasphème , qui sentaient l'apostasie
ou 1 hérésie. Et la loi de plusieurs commença à vn-
ciller. Venise , ville très-fameuse , et beaucoup de
ANNEE ^250. ^09
cités (J'itaiie, qui sont habitées par des demi-chré-
tiens, seraient tombées dans i apostasie, si elles n'eus-
sent étéfortiBées par les consolations de leurs évéques
et des saints religieux , lesquels leur assuraient en
vérité que ceux qui avaient été tués régnaient déjà
dans le ciel, à titre de martyrs, et ne voudraient plus,
pour tout Tordu monde, revenir dans la vallée téné-
breuse de cette vie. Or, leurs paroles apaisaient Vem-
portement de quelques-uns, mais non de tous.
En apprenant ce désastre, le Irès-victorieux roi
de Castille Alphonse, qui avait déjà conquis sur les
Sarrasins un espace de plus de treize journées de
marche , ayant compassion de la misère des Fran-
çais, prit la croix, regardant comme plus méritoire
de sournettreau Christ la Terre-Sainteque toute autre.
Plaintes sur les extorsions d'argent. — Exemple
remarquable done honteuse exaction , commise en
France par les agents do pape. — Grandeur d ame de
l'abbesse de Lacock. — Morts diverses. — Les Sar-
rasins se préparent a assiéger Acre. — Le roi envoie
ses frères en France. — Soulèvement et agitation ex-
traordinaires DE la mer. — Voilà donc les fruits que
font naître les rapines et les déprédations exercées par
les seigneurs sur les pauvres qui souffrent des injus-
tices de toute espèce. Car avec la permission , ou plu-
tôt d'après les leçons de la cour romaine, ils veulent
remplir leurs bourses toutes les {fois qu'ils sont sur
le poiiil (le partir en |)èlerinage pour le service de
Dieu. Or il est plus clair que le jour, d'après ce que
^^0 HENRI HI.
nous avons dit, que le Seigneur a pour Irès-déplai-
sants de pareils gains, qui proviennent de l'oppression
et de l'appauvrissement des pauvres.
Si les extorsions d'argent faites dans le royaume
de France ne peuvent être répétées et méritent un
éternel silence , il en est une cependant que nous
avons jugé à propos d'insérer dans ce livre pour
exemple. Il est notoire que le seigneur roi de France,
avec la permission de l'église romaine , devait tirer
de l'église de France un dixième pendant trois ans ,
à condition que le pape extorquerait ensuite pareille
somme à la même église, pour attaquer plus puis-
samment Frédéric. Mais, après avoir fait la première
collecte des trois ans, le roi de France, averti que le
pape voulait faire la récolte à son tour , résista en
face à cet exacteùr qui prenait toutes les formes, et,
pour que la ruse trompât la ruse, il mit en avant le
prétexte suivant : disant qu'il ne souffrirait en au-
cune façon que l'église de son royaume fût appauvrie
pour faire la guerre aux chrétiens ; que la chose avait
pu être plus facilement tolérée quand il s'agissait de
combattre les infidèles . et plutôt encore de la part
d'un laïque que de la part d'un prêtre; qu'en outre, si
l'église de son royaume était encore pillée pendant
les trois ans qui allaient suivre, olle serait exposée
à une ruine irréparable ; ce <iont le [lapc n'avait nul
souci. Le roi extorqua donc, comme nous venons de
le voir, l'argent susdit, au moyen de certains offi-
ciers du pape , afin que l'argent fût pluscjïicacunient
obtenu, et que l'on sût nneux à combien monterait
la part que lèverait le pape. Aussi les cœurs de beau-
ANNÉE 4 250. -• H
coup (le gens sai{}naieut-ils d'une douleur aiDèrc :
ce n'étaient gue malédictions et souhaits de voir se vé-
riGer la sentence du prophète Isaie, ou plutôt de Dieu
même, qui a loujoui's eu en haine les rapines offertes
en holocauste. Plùl à Dieu que le seigneur roi d'An-
gleterre , le comte Uichard son frère , et les autres
princes croisés pesassent ces choses dans la balance
de la raison, eux qui ne se faisaient pas faute de gains
honteux. En effet, quoiqu'il soit constant qu'un saint
pèlerinage est un acte pieux, l'argent du voyage ac-
quis par de mauvaises voies n'en souille pas moins
l'accomplissement de cet acte pieux. Or on croit que
cela fui la source de la confusion dont nous avons
parlé, quoiqu'il ne manque pas d'autres causes en-
core. Nous avons aussi trouvé bon de mentionner
une des extorsions commises en France, conmie la
plus honteuse de toutes. Il arriva qu'un des exac—
teursdupape, dans la collecte susdite, rencontra un '
pauvre clerc de village, qui venait à lui et qui portait
dans un vase de l'eau avec un goupillon, ainsi que
(les morceaux de pain , qu'on lui avait donnés pour
avoir aspergé [les maisons] avec de l'eau bénite. Alors
le Romain lui dit insidieusement : « A quel prix
« monte par an ce bénéfice qui t'est octroyé par l'é-
« glise? — A vingt sols, à ce que je crois, » lui
répondit ce clerc , qui ne se méfiait pas des pièges
des Uomains. Aussitôt le Romain, taisant voir qui il
était, s'écria : u I£li bien, cela fait par an vingt-
<• quatre deniers, autrement dit deux sols à Tavan-
M tage du fisc. • Puis, |)renant à la gorge ce pauvre
homme qui allait mendier de porte en porte , ij lut
112 HENRI m.
(Ut : « Rends au seigneur roi ce que tu lui dois. »
Aussi, pour payer cette somme, toute minime qu'elle
était, ce pauvre clerc fut obligé de soutenir sa vie
comme un affamé et un gueux*, en faisant pendant
longtemps des classes et en vendant ses copies de
livres aux petits enfants duparvis^ — Mais laissons
■ le côté ces détails , pour ainsi dire, collatéraux, et
revenons à notre sujet principal.
Après que le désastre susdit fut parvenu à la con -
naissancedu seigneur pape, il futgrandementafûigé,
et toute la cour romaine avec lui; les bulles furent
suspendues pendant quelques jours, et le mauvais
* Famelicam et Codrinam vitam. Aucun glossaire ne donne codri-
nam ; aussi nous proposons coquinam qui , en vertu de son etymologic
cocus (coquin, gueux), suit ordinairement famelicam.
' L'ctymologie de ce mot est douteuse ; les uns le font venir de par-
vins^ parce que Ton appelait autrefois parvis une place publique devant
un bâtiment, particulièrement devant une église ; les autres de a parvis
jnieris docenrfis, parce que l'on appelait parvisivm un lieu au bas de
la nef où Ton tenait autrefois les petites écoles. Dans Tacademie d'Ox-
ford, après que les maîtres avaient soutenu en public leurs quolibets et
leurs grandes disputations, les jeunes élèves s'exerçaientà de petites mé-
ridiennes qu'ils appelaient parvises; et cet usage subsistait encore au
temps de Guillaume Wats. Dans les écoles de jurisprudence, on appelait
également parvise (plus tard moote) la conférence des plus jeunes étu-
diant*.
A iergeant ot lav ware and wite
That otten had ba«n at the parvi$e.
(ChauCEK, prol. IX.)
Dana ce dernier vers , on o eberché à expliquer parvise par barre ;
. mais un passage de Fnrtcscun donne l'inlorprétaiion la plus naturelle :
l'iacitaulis Iwic se divertvut ad l'arvisium, roiisulentes nnn ter-
vieMihus ad legem et aliis rousiliariii suis. (FoiiTBSCUE, chap. 51 .]
ANNÉE 4250. 443
renom du pape s'accrut et s'étendit beaucoup. En
effet, 00 entendait dans la boucbe des Français les
plaintes et les discours suivants : <■ Hélas i^bélas!
• combien de maux nous a causés lorgueil papal,
« qui a repoussé si arrogamment I humiliation [vo-
« lontaire] de Frédéric, et qui, loin d'admettre la
« satisfaction convenable qu il offrait , l'a plutôt pro-
" voqué jusqu'à amertume de cœur; car il promet-
< tait de nous rendre bénévolement et sans effusion
>• de sang tout ce que les chrétiens avaient pu possé»
<« deren aucun temps dans la Terre-Sainle. El main-
« tenant, ô douleur! combien de sang chrétien, et du
« plus noble et du plus généreux , est versé inutile-
« ment en Terre-Sainte ! combien en Allemagne!
« combien en Italie ! Et ce qu'il y a de plus domma-
M geable encore, c'est que la foi vacille et que la Terre-
« Sainte est exposée aux plus grands dangers : la re-
" ligion chrétienne est abaissée, tandis que la su-
" perstition des |)aiens est exaltée. Oh ! qu'il est né
« sous une fatale étoile , celui pendant la vie duquel
« tant d'adversités sont venues affliger l'église du
- seigneur Jésus-Christ, dont il se proclame le vi-
« caire! » — Lorsque la relation d'une si grande
calamité eut frappé les oreilles d'Héla , abbcsse et
comtesse, qui gouvernait avec une vigueur au-dessus
de son sexe le couvent des dames religieuses de ïja-
cock. et que l'on sait avoir été mère de Guillaume
Longue-Epée, celle-ci se souvenant du songe glorieux
qu'elle avait eu relativement à son iils, à Tépoque où
ec dernier succomba en vrai martyr, comme nous
▼II H
^U HENRI HI.
TaFons dit , joignit les mains , fléchit les genoux, et
s'écria d^un Ion joyeux et à la louange de Dieu (ce
qui dut plaire beaucoup au Christ) : « 0 mon Sei-
« gneur Jésus-Christ, je te rends grâces, à toi qui as
« bien voulu que, du corps d'une indigne pécheresse
« comme moi, sortît un fils assez noble et assez saint
n pour que tu aies daigné lui mettre sur la tète la
<i couronne d'un martyre si éclatant. J'espère donc
« qu'avec son patronage, je serai élevée plus tôt au
« faîte de la céleste patrie. »> Or, quand les porteurs
de ces tristes nouvelles, qui, par crainte [de Taffliger],
s'étaient tus longtemps, virent et entendirent cela, ils
louèrent dans cette femme une fermeté toute virile,
et s'étonnèrent, en la voyant , que la piété de la
dame et de la mère , loin de se répandre en plaintes
et en paroles lugubres , fût transportée joyeusement
d'une allégresse spirituelle.
Dans le cours lamentable de cette année, mouru-
rent , pendant le pèlerinage susdit , qui Sur leurs
vaisseaux , qui dans les îles, qui dans les flots, des
personnages très-illustres, comtes et marquis , évé-
ques et chevaliers. Parmi eux se trouva Tévéque de
Noyon, dont il est certain que le nom, ainsi que les
noms des autres, est écrit dans le livre de la vie
éternelle. Cette même année , vers la fôte de sainte
Marguerite, mourut Robert de Muschamp, homme
d'un grand renom dans les pays du nord de l'Angle-
terre. Vers le même temps, mourut Henri de Has-
tings, chevalier distingué et baron opulent.
Vers le même temps, les Sarrasins, voyant que la
I
ANNÉE 4 250. 445
fortune des combats prospérait entre leurs mains,
tiiut à cause des dépouilles, chevaux, armes, ma-
chines, arbalètes, vaisseaux et provisions dont la
défaite de leurs adversaires les avait enrichis, que par
le nouveau courage dont la récente confusion des
chrétiens les animait, et qu'à cause de la rupture de
la trêve, se préparèrent à faire le si^e d'Acre. De
plus, ils se repentirent' fort d'avoir souffert que le
roi de France et ses frères survivants se rachetassent
et fussent rais en liberté après s'être rachetés, la ran-
çon eùt-elle été dix fois plus forte; aussi, faisant re-
tomber toute la faute sur le soudan de Babylone, et
détestantson avarice, croyaient-ilsen toute confiance
recouvrer encore ce qu'ils avaient perdu, et prendre
au piège le roi et ses frères.
Considérant cela , le pieux roi de France, après
avoir payé la quantité d'argent convenue qu'il avait
«•mpruntée aux Templiers, aux Hospitaliers, aux Gé-
nois et aux Pisans, et avoir repris absolument tous les
otages, fit embarquer prudemment sur un vaisseau
solide ses deux frères survivants, Alphonse, comte de
Poitiers, et Charles, comte de Provence, et les ren-
' Dans la confusion politique et les désordres qui suivirent le meurtre
de Touran-Cbah, les i^mirs laissén^ut eu effet échapper ce re};ret. Déjà
inéine i Damiette il avaient pensé un instant à massacrer le roi et tous
les prisonniers; mais l'avarice l'emporta, dit-on, sur la cruauté. Aboul-
Moassem prétend que saint Louis étant au lar{;c, envoya un député aux
Mameluks (probablement Philippe du Moutfort), cl que ce député les
railU d'avoir laitsé échapper, pour une somme si modique, un prince
si puissant et qui aurait donné son royaume pour être libre. M. Michaud
repousse ce fait comme peu vraisemblable.
^U HENRI m.
voya secrètement et subitement dans les pays d'Oc-
cident. Ceux-ci, sous la conduite et la protection de
Dieu, parvinrent en France sains et saufs, et sans
encombre. Le roi resta à Acre triste et sans gloire,
jurant, dans la profonde amertume de son cœur, qu'il
ne rentrerait jamais couvert d'une telle confusion dans
son doux pays de France'. Qui pourrait décrire sans
larmes et sans sanglots les sanglots et les larmes du
roi, lorsqu'après avoir perdu le troisième de ses
frères, c'est-à-dire Robert, et après avoir été vaincu
lui-même, il confia aux flots de Neptune les deux
autres qui n'avaient pas acquis de gloire? Les susdits
comtes, accompagnés du duc de Bourgogne qui avait
passé la mer avec eux, allèrent sur-le-champ trou-
ver le pape, conformément aux instructions qu'ils
avaient reçues du roi; ils lui conseillèrent efficacement
et d'une manière formelle de venir sans délai au se-
cours du roi, qui était placé en si grand danger,
et qui combattait pour l'honneur de l'église univer-
selle, d'admettre dans la paix de l'église Frédéric
qui s'humiliait, comme étant le seul entre tous les
chrétiens qui pûtremédierà de si grandes calamités, et
de le déterminer 5 porter au roi, dont la position était
])resque désespérée, des secours prompts et conve-
nables. S'il n'en était pas ainsi, le duc et les comtes
susdits ovaient mission de chasser de Lyon le
pape, comme obstiné dans sa haine, et n'ayant nul
< In dulrem Franciam. C'est lo justice (|ii(> lui rendait plus tard Mn-
rie Stuart.
ANNÉE ^250. -147
souci (le l'honneur de la foi chrétienne; et si Télu à
Lyon, et son irère Tarchevêque de Cantorbéry, en
qui le pape mettait sa confiance, entreprenaient dç le
défendre, la France entière devait se soulever contre
eux, sous le commandement des seigneurs plus haut
dits.
Pendant le cours du même temps, au mois d'oc-
tobre, le premier jour du mois, le jour de la lune
étant 1, la nouvelle lune parut gonflée (?), et d'une cou-
leur rougeûtre, en signe des tempêtes futures, selon
les paroles suivantes d'un philosophe et d'un versifi-
cateur, qui dit par expérience :
• ... Quaad Cyntbia < est nouvelle et qu'elle a uoe teinte rouge, c'est
un rigoe de vent , à moins que de grandes chaleurs ou de grands froids
n'y mettent obstacle; quand elle est gontlée (?), elle annonce la pluie;
quand elle est d'un clair-pâle, un temps serein... »
Aussi, pendant la première semaine où la lune
était dans son croissant. Tair commença à être gran-
dement obscurci par d'épais brouillards et par des
tourbillons de vent. Lèvent brisa et fit tomber les ra-
meaux et les feuilles qui se desséchaient en ce moment
sur les arbres, et les emporta à de grandes distances.
Et, ce qui était pis encore, la mer, agitée et opérant
deux fois son flux sans reflux, dépassa ses bornes or-
dinaires, et fit entendre un nmgissement et un fracas
si horrible, que le bruit en parvint dans des contrées
reculées, et causa Tétonnoment de tous, même des
vieillards; car aucun des hommes nouveaux ne si^
(.ijulhm, ih<inf, U lune.
us HENRI in.
souvenaitd'avoirvu pareille chose. On aperçut même,
par une nuit obscure, la mer qui se colorait d'une
teinte enflammée et les flots soulevés qui semblaient
lutter contre les flols, en sorte que Tliabileté des ma-
telots ne pouvait porter secours aux vaisseaux en
péril. Aussi, des bateaux grands et solidement con-
struits périrent submergés; et, pour ne pas parler des
autres sinistres, dans un seul port nommé Herteburn,
trois beaux vaisseaux furent engloutis parlesflots irri-
tés, sans compter des barques petites et de médiocre
importance. A Winchelsey, qui est un port du côté
de l'orient, plus de trois cents maisons de la bourgade
, et quelques églises lurent emportées par le déborde-
ment de la mer, sans compter les chaumières des
sauniers, les cabanes des pêcheurs, les ponts et les
moulins. Le pays de Holland en Angleterre et la
Hollande d'outre-mer, ainsi que la Flandre et les
autres pays plats et voisins de la mer, subirent aussi
des dommages irréparables. Les fleuves qui se jettent
dans la mer furent tellement refoulés et gonflés, qu'ils
bouleversèrent les prés, les moulins, les ponts et les
maisons voisines, couvrirent les campagnes, etempor-
tèrentles mpissons, qui n'étaient pas encore serrées
dans les granges : afin que la colère de Dieu se ma-
nifestât clairement aux mortels, tant sur mer que
sur terre, selon lu prophétie d'Habacuc, et que la
punition des péchés parût imminente. « Est-cedone,
Seigneur, que vous êtes en colère contre les fleuves?
est-ce que votre indignation éclatera contre la nier?»
Mais qu'y a-t-il d'étonnant? Des abus monstrueux
ANNÉE 4250. 449
émanaient de la rour romaine, qui aurait ilû être la
source de loule juslico. Or, nous avons juyé à pro-
pos dV'U insérer un dans cette histoire, malgré notre
répugnance à en parler.
Collation inique imposée pah le pape au prieur dk
BiNUAM. — L ARCHEVEQUE DE CaNTORBÉRY FAIT TAIRE
par la crainte la voix des plaignants. — mort de
Guillaume, évêque de Winchester. — Efforts du roi
POUR faire nommer son frère Atuelmar a l'évèché de
Winchester. — Discours du roi au chapitre de Win-
chester. — Les moines de Winchester sont forcés de
prendre Athelhar pour leur évêque. — Quoique le
prieur de Binliam eût droit pléuier sur Téglise de
We8tley(?), qui lui appartenait en usage propre par
collation du patron, parconiirmationdedeuxévêques
etdu chapitre d'iceux, et de Paveu de trois pontifes de
Téglise romaine, à savoir, Lucius, Eugène, et Gré-
goire IX, un certain génois bâtard et illettré obtint
les lettres suivantes du seigneur pape, contre tout droit
et toute piété : « Innocent, évêque, etc., à notre cher
tils maître Bérard de Nyinplia, notre écrivain, demeu-
rant eu Angleterre, salut et bénédiction apostolique.
C(mime notre clier (ils N., notre eamérier [avait con-
féré] jadisàlleynierdeSolerio, prévôt d'Ypres, qui est
allé récemment où va toute créature, Téglise de West-
ley au diocèse d'Ély, laquelle appartient à la présen-
tation de nos ebers fils le |)rieur et le couvent de
Binbam, de Tordre de Saint-Benoit, et que le même
prévôt a possédée pendant sa vie dans les pays d'An-
^20 HENRI ni.
gleterre, nous avons jugé à propos, en vertu de notre
autorité, de conférer cette même église à notre cher
fils Herriget, clerc, né du noble homme Perrin de
Malachana de Volta, citoyen génois, déclarant nul et
de nul effet tout ce qui aura pu être tenté contre la
susdite collation*. Aussi ayant pour bon ce qui a été
fait à cet égard par ledit camérier, nous recomman-
dons à ta discrétion, par ce rescrit apostolique, de
mettre en possession de l'église susdite le procura-
teur dudit Herriget, ou toutautre qu'il voudra, agis-
sant en son nom, en écartant d'icelle tout autre dé-
tenteur, de Tinstaller corporellement par toi-même
ou par un autre, et de Ty maintenir une fois installé,
en réprimant les opposants par la censure ecclésias-
tique et en passant outre sur appel ; nonobstanlaussi
cette indulgence, par laquelle il a été accordé aux
Anglais qu'un Italien ne pourrait obtenir immédia-
tement le bénéfice d'un autre clerc italien qui vien-
drait à décéder, ou h résigner son bénéfice; nonob-
stant toute autre indulgence dont il faudrait que
mention fut faite dans les présentes, ou par laquelle
cette coll.! lion ou assignation pourrait êlre empêchée
ou même retardée; nonobstant enfin la constitution
sur les deux journées de marche, rendue dans le con-
cile général. Donné 5 Lyon, le 3 avant les calendes de
mai, l'an septième de notre pontiUcat. »
Vers la ménie époque, l'archevêque de Cantorbéry,
I Tàul M poiiagc oit lArt obscur o( cmbarrasir en latin. Nous dun-
non< le srns probable.
ANNÉE 4250. +2«
sentant que sa concience n'était pas nelte au sujet de
l'attentat commis par lui à Londres, principalement
dans I ej}lise de Saiut-Barlhélemy, comn«e nous Ta-
vousdit plus haut, envoya secrètement des messajjers
chargés de paroles à la fois menaçantes et llalteuses,
et s'efforça d'étouffer la voix plaintive des chanoines,
tant au nom du roi et de la reine qu'en son propre
nom.
Cettemêmeannéevei-s la fétedesaint Matthieu, Guil-
laume, évéquede Winchester, mourut à Tours'. Il y
avait environ onze mois qu'il demeurait en ce lieu avec
un domestique peu nombreux, afin de modérer ses dé-
penses; car son évêché était obéré de dettes inesti-
mables, contractéesenversle seigneur pape, et qui s'é-
taient accrues depuis Tépoqucoù le seigneur roi avait
persécuté et chassé d'Angleterre ledit évêque. Et si le
seigneur pape lui avait ouvert alors le sein de la
consolation, comme nous l'avons dit, ce n'avait été
(|u'en se faisant largement payer. Aussi, quand il eut
fait accord avec le seigneur |)ape, et quand il eut
vaincu la résistance du roi , il retrancha l'abondance
ordinaire de sa table, et diminua le nombre de ses
domestiques, afin d'amasser plus vite l'argent convenu
qui devait servir à libérer son église. Etant donc sur
le point de mourir, et voyant qu'on lui apportait le
viatique de salut, il arrêta le prêtre qui portail Teu-
«haristie, on lui disant, au moment où il paraissait sur
' TurOHim , taiu autre iudicalioa. Ma(lbi<>u Av Wrslininslpr dit
Turofi; mais il ajoute in pHrUhu$tranimarinis.
^2•2 HKNRI 111.
)e seuil de ta chambre : « Attends un peu, mon ami,
« il est convenable que moi. qui ne suis qu'un traître
« envers mon Dieu, je sois traîné au-devant de lui :
« ce sera justice pour mes péchés. » Alors il fut traîné
au-devant du corps du Christ par les mains de ses
serviteurs, qui avaient cédé à ses désirs, et reçut le
viatique salutaire avec larmes et contrition de cœur.
C'est ainsi qu'il rendit son âme repentante, dans la
crainte de Dieu.
A celte nouvelle, le sei<pieur roi prononça d'un œil
fort sec quelques paroles brèves de regret où per-
çait la joie, et aussitôt employa tous les efforts possi-
bles pour que son frère Athelmar fût nommé à la
place du défunt, quoiqu'il fût insuffisant en grade,
en âge et en science. Il envoya donc sur-le-champ à
Winchester deux de ses principaux clercs, qu'il con-
naissait pour des gens habiles en fait d'insinuations,
avec des lettres de lui et la mission d'accumuler ca-
resses, menaces et promesses pour déterminer les
esprits des moines de l'église cathédrale, à qui appar-
tient léleclion , à postuler tous ledit Athelmar pour évo-
que et pour pasteur de leurs âmes. Les clercs envoyés
en cette occasion furent Jean Mansel et Pierre Chace-
porc, qui, pour réaliser les désirs du roi, employèrent
la plus grande diligence etiirent céder les co^ursdeplu-
sieurs moines à postuler le môme Athelmar pour pré-
lat, quoiqu'il fût, je le répète, entièrement insuffisant
et im|)roprcà une si haute dignité. Ensuite, après un
la|)S(rciiviroii (|uin/e jours, |)endantles(|uels les sus-
dits clercs Irnvaillèrciil très-activement chaque jour
ANNEE '1 250. 425
:'i foire plier ceux du couvent qui paraissaient les plus
oner^iquesuuivoluntésd'un Koi terrestre, en laissant
de côté la crainte du Roi descieux, le roi se rendit lui-
même à Winchester, et, se dirigeant sur-le-ciiamp
vers Téglise de Saint-Suithun, qui est Téglise cathé-
drale, il entra au chapitre comme aurait fait l'évè-
(jue t»u le prieur, prit la place du président, s'assit,
et commença un discours, enpi'enant le texte suivant:
« La justice et la paix se sont embrassées mutuelle-
<> ment, etc. » Puis continuant son discours, il ajouta :
• C'està moi etaux autres rois, ainsi qu'aux princes et à
nos justiciers, qui ont droit de gouverner les peu-
pies sous la médiation de la justice, qu'ap[)artient
« la rigueur du jugement et de la justice ; c'est à vous
" qui êtes des hommes de paix et des nourrissons de
'< piété qu'appartiennent la tranquillité et la paix.
' Or aujourd hui, comme, dans vos intérêts, vous
« vous êtes montrés favorables à ma demande, à ce
M que j ai entendu dire, la justice et la paix se sont
M embrassées, ainsi que je Tai dit. Jadis je fus irrité
<< contre vous, lorsque vous me fîtes résistance, en
« postulant pour votre évêque Guillaume de Haie,
« aujourd'hui défunt, dont la nomination me déplai-
<• sait. Mais maintenant je suis bien disposé pour
« vous; je suis devenu votre grand ami, et, me sou^
M venant de votre bienveillance, je saurai la recon-
« uaitre avec gratitude. En outre, il est constant que
M c'est d'une femme qu'est \enuc d abord la ruine du
<« monde, et d'une femme qu'est venu le remède.
« Sembtablement, dans le cas pressent, je vous ai jadis
^24 HENRI III.
« causé soucis, inquiétudes et dommages pour satis-
« faire mon épouse, c'est-à-dire la reine, qui désirait
« queson oncle Guillaume, éluà Valence, fût promu à
« cetévêclié : mais aujourd'hui que je veux en pour-
« voir mon frère utérin, lequel, à raison d'une femme,
« à savoir la reine Isabelle notre mère, est uni à moi
« sansnuldouteparIesangfraternel,jeme léconcilie-
« rai avec vous, je contribuerai efficacement àl'agran-
« dissemenlde vous et de votre église, et je vous serre-
« rai dans les bras d'une amitié cordiale. Au reste,
« vous devez peser dans la balance de la raison (et
« ce ne peut être In dernière de vos considérations)
« que je suis né dans cette cité, et que j'ai été baptisé
« dans cette église. Aussi vous êtes unis à moi par
« les liens d'une dilection plus étroite, et vous ne de-
ft vez en aucune façon contredire ma volonté, mais
« au contraire me seconder en toutes choses par une
« prompte dévotion. Ce qui doit aussi compter pour
« beaucoup dans votre consentement très-gracieux,
« c'est que mon frère, le même Athelmar que vous
« allez postuler pour évêque, illustrera cette église
« pendant longues années, nous l'espérons, et lui
« servira de soleil, tant por les rayons de la générosité
<- royale qui brille en lui, h cause de sa mère et du
<• sang illustre qui lui a été transmis par son père,
« que par sa très-gracieuse affabilité et jeunesse, qui
« font qu'il plait h Dieu et aux hommes. Allez donc
a en paix et revenez vitenient, après en avoir délibéré,
« menez à bonne lin , sans le moindre scrupule de
« rontni'liclioM, la pieuse enlrej)risc sur ln(|uollc vous
ANNEE ^250. 425
• m'avez déjà donné bon espoir, et proclamez lieu-
« reusement et hautement devant moi, et devant tous,
" que vous avez élu ou postulé , d'un commun avis,
" mon frère Athelmar. » H ajouta en outre, à la tin
de son discours, que s'il trouvait les moines rebelles
a ses sollicitations, il saurait bien les confondre sans
nul doute, tous tant qu'ils étaient, selon cette maxime
d'un poète :
« Le puissant supplie l'épée nue. »
Les moines s'étant donc retirés , et se trouvant
dans une position embarrassante, conférèrent fort
instamment entre eux de cette affaire. Ils remirent en
mémoire les anciennes tribulations qu'ils avaient
souffertes, lesquelles avaient été pénibles à cause de
(Guillaume, élu à Valence, et plus pénibles encore à
cause de la postulation de leur évéque Guillaume [de
Haie] , et ils se dirent les uns aux autres : «Vous avez
'• entendu les prières armées du seigneur roi. Leur
«« résister est chose fâcheuse, fort redoutable et fort
M dangereuse pour notre église; car le pape cède en
a toutes choses aux désirs du roi, et , comme il est
« placé dans une position embarrassante, il évite et
« redoute d'offenser les princes. C'est pourquoi , si
a nous élisions ou postulions pour la seconde fois une
« personne convenable, autre que son frère, dussions-
« nous choisir saint Pierre, si saint Pierre vivait en-
« core, le roi, dans un accès de colère ou plutôt de
« fureur, casserait notre acte, et nous persécuterait.
u Par ainsi, nous aurions, d une part, le rui pour en-
^26 HENRI III.
« nemi, et pour redoutable adversaire le pape, que
(( l'on gagne à prix d'argent. Nous serions écrasés
« entre deux meules, et menacés d'une ruine et d^une
« confusion irréparables. De plus, après que nous
« eûmes postulé et promu pour notre évêque Guil-
« laume, évêque de Norwich, après que nous eûmes
« soumis nos cous à son joug, malgré Topposilion,
a le long ressentiment et les oppressions du roi ,
« ce même Guillaume, une fois en possession d^exer-
« cer plein pouvoir sur nous, nous a persécutés im-
« miséricordieusement , quoiqu'il fût indigène et
« versé dans la connaissance des lois du pays. Nous
« qui espérions trouver en lui un homme agréable à
« Dieu, et fructueux pour nous, il nous a causé des
« dommages irréparables, oublieux qu'il était des
« bienfaits qu'il avait reçus de nous et des injures in-
« nombrables que nous avions supportées pour lui.
« N'avons-nous pas été incarcérés, pris, traînés, fus-
« tiges, épuisés par la faim, couverts de sang et en-
« chaînés comme des voleurs? En qui donc pourrons-
« nous désormais nous fier? en qui espérer? de qui
« attendre notre salut? Ici, c'est Seyila qui menace de
« nous engloutir, et là , c'est Chary bde : si nous le fai-
« sons, c'est notre mort ; si nous ne le faisons pas,
'< nous n'échapperons point aux mains du roi. Outre
« cela, il y a une chose qui doit nous effrayera juste
« titre : c'est que si nous élevons h l'évêché le susdit
« Athelmar. il restera toujours élu et ne sera point
« évoque'; ce qui n'est pas encore arrivé à celte église.
* Depoii (|iio Iph |>a|*fi avaient iniroduil ru8n{;p de percevoir les re-
ANNÉE <250. 427
i< et ue devruit pas lui arriver, s ii plaisait à Dieu,
a Item, il obtieinirn |)eul-ôlre(lu pape de conserver, à
« litre d'élu, les revenus immenses dont il jouit déjà ;
•• car maintenant que ne demandent pas et n^obtien-
'< nent pas en cour romaine ceux qui y versent des
« présents? S'il obtient cela, personne en Angleterre,
« excepté le roi (et encore tout au plus), ne lui sera
« supérieur en richesses et en pouvoir; et alors il
« pourra, si bon lui semble ( mais plaise à Dieu qu il
" ne tienne pas de son père et ne poitevine pas), chan-
• jjer notre' Angleterre en Poitou, ou le Poitou en
• Angleterre, puisqu'il disposera à son gré des clefs du
■ royaume, et, par ainsi, faire disparaître de d(»ssous
« le ciel le souvenir des Anglais. » Enfin, après toutes
les angoisses qui les avaient tourmentés, voyant que les
jours étaient mauvais et qu'il n'y avait aucun refuge
à espérer dans le sein de notre père le pape, qui de-
vrait porter secours à ceux qui se réfugient vers lui,
les moines susdits furent forcés de se courber et de
plier malheureusement sous la volonté royale, ils
venus de plusieurs <'\échés, tout eu jouissaul- des bënétices précédemment
acquis, et depuis quails s'étaient attribué exclusivement la confirmation
des élus, ils avaient ouvert les di^^nités ecclésiastiques à toutes les am-
bitions laïques. Au moyen du titre d'élu, titre transitoire et va{jue , on
sarait se souttraire aoi soio* et aux devoirs de l'épiscopat. Fbilippe de
Savoie est, vers le même temps, un exemple encore plus frappant de cet
.ibu8. Il fut plusieurs années .ircbevéque de Lvon, ou du moins élu à
Lyon, sana prendre les ordres sarTos; pui»i, qunnd il préNit qu'il allait
être appelé à la succession du comté de Savoie, il abandonna son titre
d'élu, et se maria avet- Ali», veuve du comte de Bour};o{;ne, Hugues d«
Châlons.
' \otam. Nous lisons notiram.
^28 HENRI m.
postulèrent donc , d'une voix commune , mais non
«l'un cœur unanime, pour évêque et pour pasleur
spirituel de leurs âmes, Athelmar, frère utérin du
roi, né du mariage d'Hugues-le-Brun, comte de la
Marche, avec Isabelle, jadis reine d'Angleterre, Poite-
vin de nation, insuffisant en âge, en science et en
grade, abondant en revenus annuels qui étaient in-
nombrables et pouvaient convenir à un archevêque;
vaincus qu'ils étaient par Pimportunité du roi et dés-
espérant de l'assistance du pape. Ainsi ils proclamè-
rent solennellementet publiquement, en présence du
seigneur roi, ledit Athelmar comme élu ou postulé
par eux, en ajoutant la condition suivante, 5 savoir
si la dispense du seigneur pape permettait à un tel
homme d'être promu à la dignité pontificale.
Le roi d'Angleterre se prépare a envoyer des dé-
potés AD pape. — Tristes réflexions sur l'état de
l'Angleterre. — Laurent de Saint-Martin éld a Ro-
chester. — L'ÉvÉQUE DE Lincoln revient de Home. —
Les évêqoes d'Angleterre s'opposent aux projets de
l'archevêqde de Cantorbéry. — Tremblement de
terre dans le comté de Hartford. — L'archevêque
de Cantorbéry apaise les plaintes des chanoines. —
Aussi le roi, faisant voir toute sa joie par son visage,
parses gestes et par l'élévation de sa voix, ordonna
à son clerc, Robert de Sothindon, rhéteur fort ha-
bile, de composer ù ce sujet une lettre très-éléganto
et très-efficace, qui devait être adressée au seigneur
|>npe, et dans laquelle il entremêlerait des prières
ANNEE ^250. ^29
urg^enlcs , des menaces terribles et des promesses
abondantes. Le seigneur roi envoya donc à la cour
romaine des députés solennels et éloquents , gens
qui savaient bien faire céder à leurs demandes le
pape et les cardinaux, et qui étaient chargés de s'ou-
vrir au pape de cette affaire délicate, cfui plaisait au roi
et lui tenait si fort au cœur, et de le décider instam^
ment à consentir, tant par prières qu'à prix d'argent.
0 douleur! Pourquoi la langueur du monde se
prolonge-t-elle davantage, puisque celte paix et cetle
justice, dont le roi avait fait le texte de son discours
et de sa prédication,' sont exilées de la terre? Où
est la libre élection? où est la paix de l'église, que,
dans son couronnement, le roi, pour premier ser-
ment, avait juré de maintenir inviolable? Uélas!
hélas! aujourd'hui les naturels du royaume, les
honimes saints, les lettrés, les religieux sont mépri-
sés. On met à leur place des étrangers, indignes de
tout honneur, ignorant complètement les lettres et la
langue anglaise, tout à fait impropres aux confessions
et aux prédications, hommes aux mœurs frivoles et
déréglées, qui ne savent qu'extorquer de l'argent et
mépriser les âmes. Jadis les hommes saints, religieux
et lettrés par la coopération et la révélation de
Tesprit saint, étaient traînés malgré eux aux églises
cathédrales, que maintenant des courtisans , des
hommes de guerre ou des barbares occupent vio-
lemment par des moyens licites ou non. Déjà toutes
les maisons auxquelles appartient Télection ponti-
iicale, sont déli'uitcs à cause de cela même. Le pa-
vn. 9
450 HENRI HI.
tronat est un fardeau, et non plus, un honneur; une
cause de dommage, et non plus de profit. Toutes les
églises, tant pontificales que conventuelles, sont li-
vrées en proie et en rapine, quand elles deviennent
vacantes, et sont dévolues aux mains du roi, dont le
bras au contraire devrait servir de protection et de
défense. 0 pape, père des pères, pourquoi permets-
tu que les pays des chrétiens soient souillés par de
tels abus? C'est donc justement, oui justement, que,
chassé de la ville et de ton siège, tu es forcé de vivre
en exil comme un fugitif et un autre Cain. Tes en-
nemis, les partisans de Frédéric, prospèrent; tu fuis
ceux qui te font fuir, et ceux qui te poursuivent sont
agiles et puissants. Partout tes bulles tombent comme
la foudre sur ceux qui le sont soumis, mais restent
sans force contre les rebelles. De tous côtés les pré-
lats sont privés momentanément de la collation des
bénéfices, et il faut constituer des provisions; mais
à qui? A des indignes, à des barbares, à des incon-
nus, qui tirent le lait aux brebis du troupeau du
Seigneur, tondent leurs toisons sans ménager la
peau, les écorchent et les évcntrent. Les privil^es
accordés par les pieux ancêtres ne sont profitables à
personne. Parmi toutes les nations et régions, l'An-
gleterre où, comme le monde le sait, lu loi chré-
tienne est le plus en vigueur, est foulée aux pieds avec
le plus de dédain, et est dépouillée de ses biens et de
ses labeurs par Toppression du pape. Trouve-t-elle
une compensation, pour être ainsi la proie de tousles
brigands? Qui peut dire qu'aucun Anglais possède
ANNÉE 4 250. 454
un revenu du côté de Rome, de l'Italie ou de Gènes,
ou dans d'autres états, tandis que des gens de ces
pays viennent tout piller en Angleterre? 0 Seigneur
Dieu des vengeances , quand donc tireras-lu ton
glaive comme un éclair, pour qu'il s abreuve du sang
de ces étrangers? Sans nul doute, ce sont nos péchés
qui nous ont amené justement de pareilles vexations.
A cette même époque de Tannée, c'est-à-dire vers
la fête de saint Michel, Tévéque de Rochester mou-
rut. Les moines de Rochester élurent à sa place
maître Laurent de Saint-Martin, clerc et conseiller
spécial du seigneur roi, de peur que, s'ils eu élisaient
un autre, le roi ne s'opposât à cette élection.
Vers la même fête, c'est-à-dire celle de saint Mi-
chel, Robert, évêque de Lincoln, après être resté
longtemps en cour romaine, et y avoir fait de gran-
des dépenses avec une profusion inutile, revint triste
et mécontent en Angleterre, sans avoir pu mener à
bien le projet qu'il avait conçu. Cependant il avait
fatigué un grand nombre de religieux, en les for-
çant à se défendre contre ses attaques, et ne leur
avait pas causé de médiocres dommages. Quand il fut
arrivé dans son évêché, et qu'il vit que des sujets de
confusion menaçaient de toutes parts l'église uni-
verselle, il voulut suivre l'exemple de l'évêque de
Durham Nicolas, et se délivrer des soucis du monde,
qui l'avaient maintes fois inutilement tourmenté,
afin de s'adonner plus librement à la contemplation,
à la prière et à l'étude, il confia donc à maître Ro-
l)erl du Marais, son officiai, le soin d'administrer
^32 HENRI ni.
Toffice qui était de sa compétence, se proposant de
dire adieu à ce monde qui allait périr, et de résigner
son évêché. Mais redoutant les rapines du roi, qui
avait coutume d'appauvrir les églises vacantes, et
ensuite d'y introduire des personnes indignes, il
tint cachée et dissimula sa secrète résolution, fort in-
quiet, et hésitant sur ce qu'il devait faire, au milieu
de toutes ces agitations du monde.
Sur ces entrefaites, les évoques d'Angleterre, ap-
prenant par les rapports, tant du susdit évêque re-
venu de la cour romaine, que des autres leurs pro-
curateurs et explorateurs qu'ils avaient envoyés, que
l'archevêque deCanlorbéry cherchait à leur préparer
des pièges fâcheux, amassèrent de l'argent pour suf-
fire aux dépenses à faire en cour romaine, sachant
bien que, quand l'argent intervient, la cour ro-
maine a coutume d'incliner d'un côté et d'un autre,
comme un roseau agité par lèvent. Ils reçurent donc
des bénéficiers deux deniers par chaque marc; car
les prétentions de l'exacteur susdit étaient intoléra-
bles, puisqu'il exigeait visitation et procuration sur
tout le clergé et le peuple de son diocèse, qui était
fort étendu. Et ce qui augmentait encore l'angoisse
universelle, c'est qu'il était constant que le susdit
archevêque, vrai mendiant en fait de bonnes mœurs
et de science, aspirait évidemment à cette visitation,
non pas pour l'accroissement de la religion ou la
reformation des mœurs, mais pour se procurer des
gains honteux, comme il avait coutume de le faire.
Celle même année , à savoir le jour de sainte
ANNÉE 4250. 455
Lucie, vet's la troisième heure, un tremblement de
terre se (it sentir à Saint-Albans et dans les pays
voisins que Ton appelle Chilterne. Or, de ce côté,
depuis un temps immémorial, on n avait en aucune
façon ni vu, ni entendu pareille chose ; car ce pays
est d'un terrain solide et crayeux ; il ne renferme ni
excavations , ni infdtralions d'eaux de rivière ou de
mer : aussi un pareil événement , extraordinaire et
surnaturel, parut-il d'autant pins surprenant. Or, si
ce tremblement de terre eût été aussi terrible dans
ses effets qu'il était extraordinaire et surprenant, il
aurait renversé tous les édifices. Pendant ce tremble-
ment et cette agitation de la terre , on entendit aussi
gronder comme un tonnerre souterrain fort ef-
frayant. Ce qu'il y eut encore d'étonnant à l'occasion
de ce tremblement de terre, ce fut que les colombes ,
les corneilles, les passereaux et les autres oiseaux qui
étaient perchés, tant sur les maisons que sur les bran-
ches des arbres , effrayés comme si un épervier
planait au-dessus d'eux , s'envolèrent tout à coup ,
comme saisis de vertige, en battant des ailes , et se
mirent à fuir et à revenir sur eux-mêmes péle-mèle
et en se croisant ; ce qui inspira une horreur mêlée
d'effroi à ceux qui les virent. Mais après que ce trem-
blement de terre et ce mugissement sourd se furent
apaisés, ils revinrent à leurs nids accoutumés , que
la secousse avait ébranlés. \Ln outre le tremble-
ment susdit fit naître l'horreur dans tous les cœurs ,
ce qui est plus , à mon estime , que la stupeur ou que
la crainte. Aussi croit -on qu'il annonçait les événc-
154 HENRI in.
ments futurs. Cette année-là, la terre, aussi bien que
la mer, éprouva donc des commotions insolites et ter-
ribles, lesquelles présageaient que la fin du monde
était proche, selon cette menace de l'Evangile, qui
dit : « Il y aura des tremblements de terre en divers
lieux. »
L'arcbevéque do Cantorbéry , considérant que
l'énorme attentat qu*il avait commis à Londres, dans
l'église des chanoines de Saint-Barthélémy, avait ré-
pandu sur toule l'étendue du royaume comme une
vapeur soufrée d'infamie et de scandale, envoya se-
crètement des messagers et étouffa leurs clameurs
par des caresses et des promesses auxquelles il mê-
lait des menaces. Les susdits moines, voyant qu'ils
étaient pauvres, et que l'archevêque était assez puis-
sant pour se justifier, quoiqu'il fût évidemment cou-
pable , maintinrent leurs âmes dans la patience et se
résignèrent au silence , recommandant leur cause à
Dieu et au bienheureux Barthélémy.
Innocent IV désire aller séjoorner a Bordeaux.
— Embarras du roi. — Le pape lève l'excommunication
LANCÉE contre LES CHANOINES DE LONDRES. MoRT DE
Frédéric 11. -Vingt-cinq cinquantaines d'années écou-
lées DEPUIS l'an de GRACE. — HÉSUMÉ DES FAITS PRINCI-
PAUX QUI SE SONT PASSÉS DANS LA DERNIERE CINQUANTAINE.
— Vers le môme temps, le seigneur pape, ayant en-
voyé des députés solennels, demanda au seigneur roi
d'Angleterre qu'il lui permît au moins d'aller de-
meurer dans fin ville (\o Bordeaux en Gascogne. En
ANNÉE 4250. 455
c'llet , les Irèrc's du seigneur roi île France élaicnt
venus le trouver et lui avaient demandé expressé-
ment, ou nom dudit roi et au leur, do conclure lu
paix avec Frédéric, qui s'humiliait et qui offrait hum
hiement satisfaction à TE^jlise, s il tenait à Thonneur
de rÉglise universelle. Les susdits frères du roi , à
savoir les comtes de Poitou et de Provence, lui
avaient aussi reproché d'avoir causé , par son ava-
rice, toutes les calamités plus haut dites; carie pape,
corrompu à prix d aident, avait empêché les croisés
d'aller au secours du roi , et les avait absous de leur
vœu de pèlerinage , après leur avoir fait donner la
croix, peu de temps auparavant, par ses envoyés
Prêcheurs et Mineurs. En outre il avait vendu les
croisés au comte Richard et aux autres seigneurs,
comme les juifs avaient jadis coutume de vendre des
brebis et des colombes dans le temple, lorsque Dieu ,
irrité , les châtia et les chassa, ainsi que nous le lisons
dans l'Évangile. Mais le pape ne voulut pas prêter
l'oreille à ces insinuations , et se montra inexorable.
Aussi le seigneur pape et les susdits comtes se sépa-
rèrent avec des paroles anières et injurieuses, et ces
derniers se disposèrent à se rendre en Angleterre ,
pour |>ersuader au seigneur roi d'Angleterre de venir
eu toute hûte, selon son vœu, s'il avait à cœur l'hon-
neur du Christ, au secours du roi de France, qui dé-
sirait et utteiidait sa présence.
Le roi d'Angleterre était donc dans un grand em-
barras, parce que, s'il fermait le chemin au pape, le
pape offensé rejetterait la postulation de son frère
156 HENRI III.
Atlielmar, et, s'il lui ouvrait le sein du refuge, il
provoquerait à la colère Frédéric , par les terres du-
quel il devait nécessairement passer dans son pèleri-
nage , et qu'en même temps il déplairait aux Fran-
çais. En outre les plus prudents d'entre les Anglais
redoutaient fort que, si le pape était reçu à séjourner
à Bordeaux, il ne fût à même de s'embarquer et
«l'arriver en peu de temps en Angleterre , qu'il en-
dommagerait et souillerait de sa présence : on le
craignait, du moins ; car ceux qui savaient combien
l'Angleterre était corrompue par ses usuriers Caur-
sins, craignaient encore plus qu'elle ne fûl souillée
par sa cour, s'il arrivait en personne, ce qu'à Dieu
ne plût. C'est pourquoi le conseil du roi pesait lon-
guement tous ces motifs.
Dans ces mêmes jours, c'est-à-dire à l'avent du
Seigneur, le seigneur pape fit savoir aux abbés de
Saint-Albans et de Waltliam , et à l'archidiacre de
Saint-Albans, que la sentence promulguée par l'ar-
chevêque de Cantorbéry Boniface contre Henri ,
doyen de Londres; Pierre, archidiacre; Robert,
chantre de Londres; maître Guillaume de Lichlield;
Guillaume la Faite et les autres chanoines de Lon-
dres, à cause du délit du chapitre , devait être con-
sidérée comme non avenue. Cependant le même ar-
chevêque n'en poursuivait pas moins son instance
en cour romaine, exigeant le droit de visitation et
de procuration sur les visités; et cela avec d'autant
plus de constance et de confiance que l'évêque de
Lincoln, qui était évidemment nu-dessous de lui,
ANNÉE 4250. 457
avait oblenu peu d'années auparavant du sci[;ucur
papc de visiter ses chanoines de Tégliso de Lincoln,
malgré leur résistance, et quoiqu'ils eussent versé
beaucoup d'argent pour s'en défendre. Or, les lettres
qui traitent de cette affaire, c'est-à-dire de la décla-
ration de cassation, sont relatées pleinement au livre
des Additamenta * .
Vers ce même temps, le plus grand des princes
du monde, qui avait causé tant de stupeur et de chan-
gements sur la terre, je veux dire Frédéric, mourut
absous des liens de l'excommunication, revêtu, à ce
(ju'on prétend, de l'habit des Cisterciens, et dans
une disposition mirifique de componction et d'hu-
milité. .Or il expira le jour de sainte Lucie', afin
«jue le tremblement de terre arrivé ce jour-là ne pa-
rût pas être sans signification et sans résultat. Lui
* Foir Taddition XVil à la fin du volume.
'13 décembre. C'est aussi ropinion adoptée par la plupart des bisto-
rieai modernes qoi peuvent s'appuyer également sur le teste des Diur-
iia/i de Matteo di Giovenazzu, et sur l'assertion deGregoriode Monte-Lon-
go, légat en Romagne. Toutefois, comme Fertz l'observe judicieusement,
rien n'est pins incertain que la date réelle du jour où mourut Frédéric II.
Pietro Capoccio (Caboche dans Matt. Paris), cardinal-diacre de Saint-
Georges ad velum aureum, fixe la mort de l'empereur à Capouc, le â
des ides de décembre (12 décembre), et Matt. Paris lui-même, revenant
dans une note postérieure (Fotr plus bas pag. 1T2)surson premier rensei-
gnement, donne pour date le jour de saint Etienne (2G décembre). Eu ef-
fet, si l'on ajoute foi au testament de l'empereur, on verra que cet acte
authentique et signé par les plus grands personnages du royaume, porte
pour date le samedi 17 décembre. Il faut donc admettre ou le jour de
saint Etienne pour date réelle, ou du moins tout autre jour de dm>mbre
apr*i le 47. (Duc DE LtvNF.s, Comm. sur Maiteo, pag. 79, ^ 27
k M.)
458 HENRI III.
mort, l'espoir des Français de voir leur roi secouru
s^en alla en fumée. 11 laissa un magnifique testament
par lequel il faisait réparation aux églises endom-
magées par lui. Sa mort fut tenue cachée pendant
quelques jours, afin que ses ennemis ne se réjouis-
sent pas trop vite. Mais le jour de saint Etienne, elle
fut rendue publique et annoncée hautement au peu-
ple. Son très-magnifique testament est consigné au
livre des Additamenta \
Cette année se trouvant donc terminée ici , il y a
d'écoulé, depuis le temps de grâce, vingt-cinq ^ cin-
quantaines d'années , autrement dit mille deux cent
cinquante ans. Or, il faut remarquer et considérer
soigneusement que , dans aucune de ces cinquan-
taines, qui sont au nombre de XXIV, il ne s'est
passé autant de faits surprenants et de nouveau-
tés insolites que dans cette dernière cinquantaine
qui vient de s'écouler, et qui forme la vingt-cin-
quième. 11 y a même beaucoup de personnes, tant
écrivains d'histoire qu'inspecteurs attentifs des
choses , qui disent que l'on n'a point vu autant de
prodiges et de nouveautés admirables dans toutes les
« Ce testament n'c«t point aux Addiiamenin^ mais il se trouve rap-
port!^ plus bas, fort imparfaitement du reste,?! Pannéo |2'>I, p. 473. Nous
|>en8onB que Matt. Paris, se proposant de finir son ouvrage avec Pan-
nre 12,'i(), avait d'abord rejeté ce testament parmi les AdditmnenUi ^ qui
sont pour ainsi dire des notes explicatives, cl qu'ensuite sVtanl déterminé
à continuer sa cbroniquc, il préfixa joindre ce document à la note posté-
rieure dont nous venons de parler. Mais comme cette pièce est insuffl-
«aote, nous la donnons dans son entier d'après le meilleur texte connu,
il la fin du v<dumc. Voir la note II.
' Viginii r/uoquc. Evidemment r/uingttr.
ANNÉE ^250. «9
autres cinquantaines [réunies] que dans celle qui
vient de s'occomplir. Et cependant on s'attend, mais
non sans terreur, à des choses plus étonnantes encore.
' Dans cette cinquantaine, en effet, les Tarlares
sortant de leur pays , dévastent , par une désolation
féroce , beaucoup de contrées d'Orient , tant ûdèles
qu infidèles.
L'émir Al-Moumenin , très-puissant roi des Afri-
cains et des Espagnols, est vaincu et mis en fuite, et
toute son armée est dispersée.
Durant la prédication de maître Olivier, du côté
de la Germanie, le Christ apparaît clairement à tous
les yeux sur une croix suspendue dans les airs.
L'église grecque se soustrait à Tobéissance de l'é-
glise romaine, à cause des énormités de tout genre
de ladite église romaine, surtout en fait d'usures, de
simonies, de sentences vendues et d'autres injustices
intolérables.
Damiette, ville d'Egypte très-célèbre, est deux fois
prise, deux fois perdue, avec grande effusion de
sang , tant du côté des Sarrasins que du coté des
chrétiens.
L'Angleterre est mise en interdit pendant environ
sept ans. — Le royaume d'Angleterre souffre une
guerre intestine pendant presque autant de temps.—
L'Angleterre devient tributaire.
Le roi d'Angleterre Jean , au moment de sa mort,
* Nous croyoïw devoir adopter pour la revuf qui va suivre la division
par paragrapheit, qui nous panit plus propre ù faire ressortir Fiiiteution
de nuire auteur.
•140 HENRI III.
ne possède pacifiquement aucune terre , selon les
prophéties de quelques-uns ; aussi est-il appelé Sans-
Terre.
Le jugement de purge par Teau et par le feu est
prohibé.
Il est permis à une seule personne de percevoir les
fruits de plusieurs évêchés, et de conserveries revenus
obtenus précédemment.
En Angleterre a lieu la translation du martyr Tho-
mas, et en France celle du confesseur Edmond.
Sainte Elisabeth , fille du roi de Hongrie , est flo-
rissante en Allemagne.
On défend et ensuite on permet, grâce à l'argent
qui intervient, que certaines personnes possèdent
plusieurs églises, et les bâtards sont légitimés '.
Louis, fils aîné et héritier du roi de France, est
choisi pourseigneuret presque pour roi d'Angleterre;
mais ensuite il quitte bientôt ce pays pour son man-
que de foi et s'en revient sans gloire.
Olhon , empereur des Romains , persécuté par le
pape Innocent 111. éprouve dans les combats une défaite
malheureuse, est vaincu, excommunié et déposé.
Les frères du Temple, de ITIôpilal, de Sainte-Ma-
rie des Teutoniques, et de Saint-Lazare, sont pris,
tués, et dispersés deux fois ; et la cité sainte de Jéru-
* CVlait encore un droit que Ici popes s'étaient arrogé, surtout pour
admettre aux di|;nil('-8 rcclrsiasliiiucs. Saint Louis poursuivit loii|;t(*nips
auprès de la cour romaine la lr(;ilinialion d'un bâtard de l'Iiilippo-An-
Qustc, élu A un évéclié, l'eu n peu la légitimation papale fut considérée
comme nécessaire, même pour admettre les bâtards lal(|ucs h succéder.
AfINÉE ^230. 444
salem, avec ses saintes ^lises et les lieux consacrés
par la présence du Christ, est deux fois détruite, et
finit par être rasée misérablement par les Chorosmi-
niens et dévastée plus misérablement encore par le
Soudan de Babylone.
Le soleil subit une éclipse deux fois en trois ans.
H y a un autre prodige admirable dans les airs
qui est écrit clairement dans ce livre, à Tan de
j;râce 4253.
On éprouve maintes fois des tremblements de terre
en Angleterre et même dans le pays de Chilterne.
Du côté de la Savoie, cinq villes avec leurs églises,
maisons et habitants, sont écrasées par des chutes de
montagnes.
La mer monte d'une manière insolite et funeste :
ce qu'on n'avait jamais vu .
Une certaine nuit, on aperçoit un nombre infini
d'étoiles tomber du ciel , en sorte qu'en une fois et à la
lois dix ou douze semblent voltiger, qui à Torient,
qui à l'occident, au midi et au nord, qui au milieu
du firmament. Si elles eussent été de vraies étoiles, il
n'en serait pas resté une seule au ciel ; et l'on ne peut
trouver au livre des Météores aucune explication suf-
fisante de ce phénomène. Mais c'était probablement
pour justifier cette parole menaçante du Christ : « 11
y aura des signes dans le soleil, etc.. »
Deux conciles généraux sont célébrés l'un à Rome ,
et l'autre à Lyon.
Dans le second, IVmpereur des Komains Frédéric
est déposé.
^42 HENRI lU.
Le cardinal Othon, jadis légat en Angleterre, est
pris sur mer, non loin de Gênes, avec une foule d'ar-
chevêques, d'évêques , d'abbés, de prélats et de Gé-
nois, dont plusieurs sont noyés.
Le pays de Galles, privé de son prince Léolin, dont
ensuite les deux fils succombent à une mort préma-
lurée, est soumis aux lois anglaises et à la domination
du roi.
La Gascogne rebelle aussi est domptée par Simon
comte de Leicester.
Le roi Henri troisième, voulant reconquérir à
main armée ses provinces d'outre-mer, et surtout la
Normandie, dont son père avait été dépouillé par
jugement des douze pairs de France, comme coupa-
ble du meurtre de son neveu Arthur, passe deux fois
la mer avec sa gent, et revient deux fois sans gloire,
appauvri, et couvert de confusion.
Une grande partie de l'Espagne, avec quelques
villes fameuses de ce pays, telles que Cordoue, Se-
ville, Péniscola et plusieurs autres, certaines îles
comme Majorque et Minorque, et plusieurs lieux
maritimes, sont conquis et rendus au culte chrétien,
par le très-victorieux roi de Castille.
Dans les pays du nord, une grande partie de la
Frise et de la Russie, comprenant un espace de douze
jours de marche, est conquise par Waldemar, roi
de Dacie, et sept évéchés chrétiens y sont fondés.
Le pape, chassé de Rome, comme un exilé, ou
un fugitif qui se cache, demeure ù Anngni et à Pé-
rouse , à cause <le In persécution de Tempereur Fré-
ANNÉE 4250. 445
Jéric, qui 1 accuse d'avoir voulu lui ôter Tempire,
tandis qu'il combattait pour Dieu en Terre-Sainte.
Les Templiers, prenant occasion de la haine du
pape, cherchent à livrer Frédéric au Soudan de Ba-
bylone.
Après la mort du pape Grégoire, le siège pontifi-
cal est vacant pendant un an et neuf mois.
Trois hommes apostoliques se succèdent en deux
ans.
Un cardinal, le plus eminent de tous les cardinaux,
maître Robert de Sumercote, Anglais de nation, dont
les autres craignaient qu'il ne fût élu pape, tandis
qu on s'occupait de Télection, dans le palais qu'on
appelle le temple du soleU\ expire, étouffé par le poi-
son de l'envie, à ce qu'on prétend.
Enfin le cardinal Sinibald est élu, et prend le nom
d'Innocent IV. 11 suit les traces de son prédécesseur,
excommunie le même empereur Frédéric, fuit de
ville en ville la persécution de Frédéric, puis arrive
à Lyon, où il tient un concile général, y dépose ledit
empereur Frédéric, et avec les trésors immenses, ex-
torqués impudemment aux prélats de l'église, s'ef-
force d'élever à l'empire le landgrave de Thuringe,
et ensuite Guillaume, comte de Hollande; mais l'un
meurt, l'autre est vaincu, et il ne réussit nullement
dans son dessein.
Des usuriers, nommés Caursins, et qui prétendent
être des chrétiens, tolérés d'abord par le pape, et
Htgia solis : lisez sepUi solis, variant*- île Septizonium. Nous ren*
voyooa à notre ditmrUitioD, uolel, à la fin du cinquiènu- voluuu-.
* Studfns. Nous lisons studrnt.
44f HENRI 111.
ensuite protégés ouvertement par lui, trouvent en
Angleterre refuge et paix, et ils se proclament sans
rougir les marchands et les changeurs du pape.
Les prélats sont suspendus de la collation des bé-
néfices, jusqu'à ce qu'ils aient donné satisfaction à
Tavarice du pape, au sujet de ses indignes barbares
qu'il veut pourvoir, et qui ne se montrent jamais en
Angleterre, ni ne s'occupent en rien de la garde des
âmes.
On voit fourmiller des frères de plusieurs ordres,
tantôt Prêcheurs, tantôt Mineurs, tantôt Porte-Croix,
tantôt Carmes. — En Allemagne aussi s'élève une
multitude innombrable de femmes continentes, qui
veulent être appelées béguines, au point que, dans la
seule ville de Cologne, il yen habite mille ou plus. —
Quant aux Prêcheurs et aux Mineurs, ils mènent
d'abord une vie pauvre et très-sainte, s'occupent ab-
solument de prédications , de confessions , des offi-
ces divins dans l'église, de lectures et d'études,
embrassent pour Dieu la pauvreté volontaire, en
renonçant à beaucoup de revenus, et ne se réservent
rien en aliments pour le lendemain. Mais au bout
de quelques années, ils se procurent soigneusement
tous les agréments de la vie, et se construisent des
édifices somptueux. De plus, le pape se sert d'eux
malgré eux-mêmes pour en faire ses tonloiers et ses
exacteurs d'argent en tous genres; ce qui paraît être
une innovation ù ce que le bienheureux Benoît, qui
était plein de l'esprit de tous les saints, fixe au com-
mencement de sa règle, dans le passage où il traite
des différentes espèces de moines. Or, l'ordre dudit
ANNEE 1250. 445
Saint- Bo II oit. ou du bienheureux Augustin, depuis
le commencement de son établissement, qui date de
loin , n'a pas subi autant de relâchement que ces
ordres nouveaux.
Saint Edmond, archevêque de Cantorbéry, enterré
à Ponligny, et dont le corps reste incorruptible ; saint
Uoberl, ermite enterré à Knaresborough ; saint Ro-
ger, évéque de Londres, et plusieurs autres en An-
gleterre; sainte Elisabeth, fille du roi de Hongrie, et
sainte Hildegarde, prophétesse en Allemagne, sont
illustrés par des miracles éclatants.
L'église de Westminster, est réédilîée. — Le roi
Henri troisième fait fabriquer une châsse d'or, d'un
travail précieux , pour contenir le corps de saint
Edouard. — Le sang du Christ et l'empreinte de son
pied sont apportées en Angleterre, et déposés à West-
minster, par le roi Henri, qui en fait don.
Les hérésies pullulantes des Albigeois, des Jovi-
niens et de beaucoup d'Italiens sont détruites.
Hacon, roi de Norvège , est sacré et couronné roi.
Les moines de Cîteaux, sur dispense du pape, con-
struisent des édifices convenables à Paris et dans les
autres villes où il y a des universités d'écoliers ; ils se
livrent à l'étude \ afin de ne plus être méprisés par
les Prêcheurs et les Mineurs, et suivent ainsi les traces
des moines de l'ordre Noir.
Le noble siège de la noble église de Cantorbéry,
illustré précédemment par la sainteté de tant de saints
' Stxidens. Nous Umm student.
vil. ^n
446 HENRI III.
archevêques, est occupé, sur rordrc exprès du roi,
par un homme complètement insuffisant , qui
prélève, pendant un laps de sept ans, les fruits de
première année de toutes les églises vacantes dans
l'étendue de son diocèse, et opprime beaucoup de
religieux, excité qu'il est par l'exemple de l'évêque de
Lincoln, qui a obtenu pouvoir de visitation sur ses
chanoines, malgré leur résistance.
Cette dernière année, qui est la cinquantième, les
Sarrasins triomphent au gré de leurs vœux, et l'armée
chrétienne, composée de toute la noblesse de France,
du Temple, de l'Hôpital, de Sainte-Marie des Teu-
toniques et de Saint-Lazare, est massacrée tout entière
en Egypte : ô douleur! le pieux roi de France Louis
y est pris aussi avec ses deux frères, les comtes de
Poitou et de Provence. Guillaume Longuc-Épée, et
beaucoup de nobles Anglais périssent par l'épée en
cette occasion. Robert, comte d'Artois et frère dudit
roi, s'enfuit du combat et se noie.
Le pape et toute la cour romaine perdent de jour
en jour la faveur tant du clergé que du peuple, parce
que les croisés sont, pour ainsi dire, mis en vente, ou
absous de leur vœu ù prix d'argent, ou retenus sous
différents prétextes.
Toute la chrétienté est troublée par les guerres
auxquelles donnent naissance la haine et la discorde"
entre le pape et Frédéric, et l'église universelle pé-
riclite.
Le roi (rAnglcIerrc Henri III prend la croix avec
beaucoup de seigneurs de sa terre. Beaucoup de rois,
ANNEE 4250. U7
]>iiuces, seigneurs et prélats de la chrétienté pren-
nent aussi la croix. Seul, labhé de Saint-Edmond,
oubliant qu eu prenant le capuchon il s'est engagé
à |)orler perpétuellement la croix du Christ, se fait
donner le signe de croisade, non sans exciter un rire
moqueur, devant le roi et en même temps que lui :
ce qui indique clairement un esprit d'adulation.
Or, dans cette année très-meurlrière, un nombre
infini de nobles, qui avaient abandonné leur pays na-
tal, leurs femmes, leurs enfants, leurs parents et leurs
amis, s'envolent vers le Christ, en combattant fidèle-
ment pour le Christ. Il est constant que ce sont des
martyrs, et leurs noms, qui n^ontpu être écrits dans
ce livre, à cause de leur multitude, sont couronnés,
sans nul doute, dans le livre de vie, de la gloire inef-
façable due à leurs mérites.
De plus, Frédéric, celte stupeur du monde, meurt
dans TApulie *, le jour de sainte Lucie.
Telles sont les étrangetés et nouveautés qui arri-
tèrent dans le laps de celte dernière cinquantaine
d'années, telles qu'on n en avait jamais vu ni ouï de
pareilles, et qu'on n'en trouve pas dans les livres,
depuis les temps de nos ancêtres les plus reculés.
C'est ici que se termine la chronique de frère
Matthieu Paris, moine de Saint-Aibans', lequel a
confié toutes ces choses à l'écriture pour le profit de
« l'ielro Capoocio se trom|ie éTidcmineiit pu plaçant la mort de Vem-
^H>rrur à Capuae. C'etl à Fiorenlino, boiir{; prêt de Fogi'ia, quVspin
KrédiTicll. Plusieurs bistorioiiN lundcriu-s disent Fiorrnzuob
l'uir à riotroducliuu.
us HENRI III.
la postérité qui doit suivre, pour laniour de Dieu,
pour l'honneur du bienheureux Albans, premier
martyr d'Angleterre, et afin que le souvenir des évé-
nements modernes ne fût pas effacé par la vétusté ou
par l'oubli.
Depuis rcnfantement de ia Vierge, Pbœbus a parcouru mille deux
ceul cinquante révolutions annuelles; mais dans un si grand Japs de
temps on n'avait pas encore vu que Pâques se fût trouvé le six avant les
calendes d'avril, tandis qu'une cinquantième année parcourait le monde^
Cependant la chose arriva cette année-ci dont voilà le terme.
En effet, depuis rinearnation du Seigneur, vingt-
cinq cinquantaines d'années se sont écoulées ; et l'on
n'avait point vu, si ce n'est dans cette dernière année,
que Pâques fût célébré en son lieu propre, c'est-à-dire
le six avant les calendes d'avril, dans une annéede ju-
bilé, autrement dit une cinquantième année'.
Ici se termine la chronique de Matthieu. C'est Tannée du jubilé, an-
née de dispense, temps qui promet le repos. Que le repos lui soit donc
donné ici-bas et dans le royaume des cicux.
On croit aussi que, si dans cette dernière année,
' John Russell , évéque de Lincoln sous Richard III , prétend que
Matl. Paris se trompe ici et que le même cas arriva l'an 186, l'an 728,
l'an .10.'), l'an 897, et plusieurs autres années ; et que cette erreur est
étrange, parce qu'en examinant le calendrier au mois do mars, on y voit
que toutes les fois que la lettre dominicale est R et le chiffre lunaire 10,
.*>, ^5 ou 2, il faut que Pâques tombe le 0 avant les calendes d'avril, (27
mars), jour de la résurrection du Seigneur, d'après cette règle :
l'oil nona$ mardi, ubi iil nova tuna requirat :
Inde die» domini terliapaieha tenel.
MaU cette remarque, nsses durement adressée, porte à faux, comme In
ailobtervcr (iuillaumc Wat», puisque Malt. P.lris ne parle que d'une
ANNÉE < 25 1. liO
tous les éléments furent troublés d'une manière inso-
lite et irrégulière, ces phénomènes ne furent pas sans
si{jnification. Le feu fut troublé, puisque, dans In
«lernière nuit de Noël, il brilla terriblement contre
le cours ordinaire delà nature; lair, puisque, dans
l'évèclié de Norwich et dans les pays voisins, un ton-
nerre surnaturel, intempestif et prolongé obscurcit
Tair en tous sens, et fit tomber des pluies d'orage ;
(or, depuis longues années, on n avait pas entendu un
tonnerres! effrayant, ni vu de pareils éclairs, même en
été); la mer, puisque, dépassant ses bornes accoutu-
mées, elle dévasta les pays circonvoisins ; la terre
enfin, puisqu'elle trembla en Angleterre et môme dans
le pays de Cbilterne, qui est un terrain crayeux et
compacte.
Arrête- (oi, Mallhieu , et mets un terme à ton travail. Ne recherche
pas 1m pv«'>uements futurs que Page suivant fera naître.
Le noi cÉLÈBBE A Winchester les fêtes de Noël.
— Tonnerre pendant l'hiver. — Le roi ne distrible
ALCCN PRÉSENT. — Il i'AlT RESTREINDRE LES DÉPENSES DE SA
TABLE. — Les CAPTIFS DE l'emPEREUR SONT GARDÉS AVEC
PLUS DE SOIN. Les fils et les AMIS DE l'empereur SE
SOULÈVENT CONTRE LE PAPE. — L'an du Seigucur ^251,
ciuquantièfnc année, et quMl ne peut avoir oublié la remarqua faite par
lui-niënie à Tanuée 1^38. Jamais jusqu^alors Caques n'était tombé le 27
mart dans une année quinquagénaire, et ce fait ne se reproduira qu'en
49.')0, parce qu'alors le terme} pascal sera le 2i mars F, la lettre do-
minicale li, le cvcle luuairc 13, le cyrlc «olairo 2/. (.Vo/e.CM /cYe de
ledit, de IO«.l
130 HENRI III.
qui ost la trente-cinquième année du règne dii sei-
gneur roi Henri III , le même seigneur roi- passa les
fêtes de Noël à Winchester. Comme le siège episco-
pal était vacant, et que son frère Athelmar avait été
postulé pour l'occuper, ainsi que nous Tavons dit, il
s'abstint d'étendre ses mains rapaces et de piller les
biens de l'évêché, selon sa coutume. Cependant,
comme on perd difficilement les mauvaises habitudes,
il ordonna qu'on mît les forêts en coupe et en vente,
et qu'on ajoutât à son trésor l'argent qui en provien-
drait, quoiqu'on lui répétâtsans cesse que de pareilles
rapines n'étaient nullement profitables à desgensqui
allaient partir en pèlerinage et combattre pour Dieu.
A celte époque, c'est-à-dire la nuit de la naissance
du Seigneur, d'horribles coups de tonnerre éclatèrent
surtout dans l'évêché de Norvich et dans les environs,
et présagèrent, à ce que l'on craignit, la colère de Dieu.
Des éclairs effrayants brillèrent en même temps, et
cet orage, extraordinaire dans cette saison, fit naître
à la fois la crainte et l'horreur dans les oreilles qui
entendaient et dans les cœurs qui comprenaient. Eu
effet, les faiseurs de conjectures disaient que c'était là
un triste pronostic.
Dans cette même fête très-célèbre, quoique lous
les rois ses prédécesseurs eussent observé la coutume
antique de distribuer des vêtements royaux et des
joyaux précieux, le susdit roi, occupé peut-être de sou
pèlerinage, et devenu chiche à cette cause, ne distri-
bua absolument aucun pri'scnt h ses chevaliers ou à
ses familiers.
I/.-iIm)||(I,-m)('c ordinaire de la table du roi et In
ANNEE 4254. 454
80ai|ituoi>ilé(le sou hùtel furent aussi relraucliées, et
toute verjjognc fui rejetée. Le roi se mit à demanJor
logis et diuer ii des abbés, à des prieurs, à des clercs,
et même à des hommes assez pauvres, séjournant
chez eux, et se faisant donner des présents. Et Ton
ne regardait pas comme courtois ceux qui fournis-
saient au roi et aux gens du roi logements et procu-
rations splendides^ sUs n'honoraient pardes présents
magniliques et considérables le roi lui-même, la
reine, [leur fils] l'Mouard et les courtisans, les uns
après les autres. Le roi ne rougissait pas même de
solliciter ces dons, non pas comme gratuits, mais
comme dus, pour ainsi dire. En effet, vers cette
époque{pour ne pas priver d'exemples les oreilles des
auditeurs), le seigneur roi, dînant avec Robert Passe-
lève, qu'il avait naguère couvert des outrages les plus
honteux danssachapelle de Westminster, fut comblé
par lui de beaux présents. Or, les courtisans et les gens
tlu roi ne faisaient cas des présents offerts, que s'ils
étaient précieux et somptueux, comme, par exemple,
des palefrois de prix, des coupes d'or ou d'argent,
des colliers enrichis de pierreries Unes, des ceintures
impériales et autres choses semblables. Aussi la cour
du roi ue différait plus de lu cour romaine. C'était
une courtisane attendant, ou pour mieux dire se
prostituant, pour gagner.
Le nombre de ceux qui furent tués dans Tarmée
du roi de France, par suite de l'oi-gueil du comte
d'Artois, fut de soixante mille jjcrsonnes, donl(?)
vingt mille hommes d'armes et plus, sans compter
les noyés, les fugitifs, les pcnlus, et ceux qui se rcn-
152 HENRI m.
dirent d'eux-mêmes aux ennemis, qui apostasièrcnt
et qui nuisirent plus que les autres aux chrétiens.
Or, la somme de la rançon du roi de France,
comme par un jugement de Dieu irrité, ne différa
pas beaucoup du nombre des morts : elle fut de
soixante mille livres d'or de première qualité et du
plus pur, sans compter les esterlings de monnaie
courante, tels que deniers tournois et parisis,
qui montèrent à une somme considérable ^ Le mas-
sacre arriva l'an de grâce ^ 250. Le paiement ou la
satisfaction du paiement eut lieu l'année suivante
>I25>I^
Vers le même temps, trois ou quatre citoyens de
chaque cité d'Italie^ et quelques citoyens de l'Apulie,
qui avaient été les adversaires de Frédéric et de son
fils, et qu'il avait coutume d'appeler tous ses traîtres
et ses rebelles, étaient détenus dans les prisons de
Frédéric. Lui mort, son fils Conrad, d'après le con-
seil qu'il avait reçu de lui, les fit transférer dans
• Voir la note I à la fin du volume.
'Malt, ['dris veut probablement parler des quatre cent raille bczans
i|ui restaient et que saint Louis envoya ch Egypte après son arrivée à
Acre pour la rançon des prisonniers, il est probable cependant que cet
argent fut rapporté, puisque les émirs n'cKéculcrent par leurs promesses
au sujet de h délivrance des prisonniers, bien quMIs eussent juré que
s'ils y manquaient n ils consentaient à être bafoués comme le pèlerin qui,
pour ses pccbés , fuit liitc nue le voyajjc du la Mecque, ou comme celui
qui reprend ses femmes après les avoir quittées, ou comme le Sarrasin
qui mange de la cbuir de pourceau. » On sait qu'ils avaient voulu, mais
en vain, que le roi consentit h <}tro réputé parjure comme le cbréticn qui
cracbe surin croix (tétait là, en effet, le signe ordinaire de l'apostasie,
et |ilus lard la liuiiie populaire en lit une accusation terrible ronlre les
Templier».
ANNEE ^25^. ^35
l'intérieur de ses élaU, c'est-à-dire à Naples et à Pa-
ieriiie en Sicile, pour qu'ils y fussent gardés plus
sûrement et plus étroitement. Quelques-uns des cap-
tifs furent remis en garde par Conrad à Henri ,
autre fils de Frédéric, et neveu du seigneur roi d'An-
gleterre. Parmi ces prisonniers se trouvait le iilsdu
marquis de Montferrat, qui allait être échangé pour
Enzio, fds de Frédéric, que les Bolonais tenaient en-
core dans les fers, lorsqu'au milieu des négociations
h ce sujet, la mort de Frédéric vint arrêter la con-
clusion de cette all'aire.
Les fils et les amis de Frédéric commencèrent
donc à se fortifier et à lever le talon contre le sei-
gneur pape; et s'il y avait une tête de coupée, beau-
coup de léles renaissaient, comme faisait l'hydre qui
lut tuée, dit-on, par Hercule. Or, Conrad était fils
de la fille de Jean, roi de Jérusalem, invincible che-
valier, et lui-même était un chevalier très-vaillant,
qui était un objet d'amour et d'elTroi pour tous ceux
de I empire. Henri, son frère, était fils de limpéra-
trice Isabelle, qui avait gagné l'afi'ection de tous, et
neveu du très-chrélien roi d'Angleterre. De plus c'é-
tait un enfant de très-bonne mine, qui était aimé et
bienvenu de tous les impériaux ; tandis que le pape,
tant à cause de son avidité que de celle de sa famille,
était odieux à tous les impériaux. Aussi l'église, dont
les persécuteurs se multipliaient, était en grand dan-
ger, et supportait des dommages de toute espèce. Le
souvenir des infortunes passées était comme une
épine dans l'œil, pour tous les partisans du pa|>e.
En elfet, Henri Raspe, landgrave de Thuringe, que
^54 HENRI 111.
le pape s'était proposé d'élever à l'empire, et pour
la proiijotioii duquel il avait dépensé des trésors im-
menses, avait succombé à une mort ignominieuse.
Après sa mort, Henri, comte de Gueidre, avait élé
élu à sa place; mais, considérant la mort honteuse
de son prédécesseur, il avait refusé cet honneur.
Après lui le duc de Brabant et de Lorraine avait pa-
reillement rejeté cette distinction. Après lui le comte
Uichard, choisi parce qu'il était rusé, abondant en
richesse, et frère du roi d'Angleterre, avait aussi
refusé et s'y était complètement opposé, songeant
combien les chances de Mars sont douteuses. Après
lui, le seigneur pape avait fait choix de Guillaume,
comte de Hollande, qui avait imprudemment con-
senti ; mais déjà il avait perdu tous ses biens, et en
était réduit à sa terre, qui n'était même plus à lui
puisqu'il en avait fait donation à son frère. Aussi
délestant les pièges et les promesses du pa|)e, était-
il forcé de mendier. Après tous ces prétendants, le
seigneur pape avait voulu élever au faîle impérial,
à la place de Frédéric, Hacon, roi de Norvège, et,
pour le trouver mieux disposé, et plus favorable à ce
projet, il avait eu soin de le faire courotmer et sacrer
roi. Mais après son couronnement, Hacon protesta
publiquement qu'il voudrait toujours attaquer les en-
nemis de l'église, mais non pas tous les ennemis du
|)apo. Et le mémo roi, conlirmant ses paroles par un
gi'and serment, me ccrtilia la mémo chose, à moi
Matthieu qui écris ceci. C'est pourquoi choque
jour l'église se voyait menacée de nouveaux pé-
rils.
ANNÉE 1251. ^5!>
DlâCOHUË ENTRE LES SOODANS D ALEP ET DE BAbVLOME.
— Patience du roi de France. — Gcy, frère dl roi
d'Angleterre, revient de Terre-Sainte. — Le roi en-
richit ses frères. — L'ÉVÈQIE DE LONDRES JLRE DE SE
SOUMETTRE 1 LA PROVISION DE l'aRCIIEVÉQUE. — ARRIVÉE DU
PAPE A Perouse. — Les Vénitiens et autres tendent
DES EMRUCIIES AUX VAISSEAUX FRANÇAIS. CoNFÉDÉRATIO.N
DE PLUSIEURS COUVENTS. — VcTS le même temps y une
grande discorde s éleva eutre deux 1res- puissants
princes des Sarrasins, à savoir les soudans d'Alep et
de Babylone, parce que le roi de France avait été
racheté par avarice d^argeut, et tiré des mains des
Sarrasins. En effel, c'était la voix commune parmi les
Orientaux, qu'ils n'auraient jamais laissé aller une si
précieuse proie, comme les Babyloniens Tavaient
fait par lâcheté et par avarice. Aussi le même suudan
de Babylone, attaqué de toutes parts à main armée
par les Sarrasins, et surtout par le Soudan d'Alep,
se vit forcé d'avouer et de révéler sa position au roi
de France, de lui demander la paix, et de solliciter
humblement ralliance de son amitié à de bonnes et
certaines conditions : ce qui faisait espérer que ce
serait là une source de salut pour Jérusalem. Nous
reçûmes, à cet égard, des lettres scellées «In maître
de THôpital de Jérusalem, et celui qui désire en
prendre connaissance, n'a qu'à regarder au livre
des AdditaineiUa* . Or, celui qui avait tué le soudnn
était enflé d'un tel orgueil, qu'il |)rov(>qua ù ta colère
tons les Orientaux. Le Soudan, (]ui avait été Irnitreii-
' l'ojr l'addition XVill a la iin du volume.
456 HENRI HI.
sèment massacré, était au contraire un homme dis-
cret , modéré et zélateur infatigable de sa loi '. Comme
on lui reprochait amèrement, de son vivant, d'avoir
souffert que le roi de France sortît de ses mains eu
vie et par rançon, on prétend qu'il répondit ainsi :
« Mes amis, vDus savez que celui-ci est le plus
« noble de tous les chrétiens. Or, s'il eût été mis à
M mort, ses parents, qui sont très-nombreux, au-
« raient aspiré de tous leurs efforts à le venger. De
« plus j'aurais perdu sa rançon, tandis que, par le
« paiement entier de la somme, la France est ap-
« pauvrie, le paganisme est enrichi et glorifié. Et
" puis je n'ai pas osé commettre le crime d'empoi-
« sonnement sur un si respectable personnage , de
« peur qu'un si grand attentat n'excitât la colère du
« Dieu des chrétiens. Qu'il nous suffise donc, grâce
« à la faveur de Machometh, d'avoir couvert de con-
« fusion un si grand roi, notre adversaire, de l'avoir
« vaincu, fait prisonnier et mis à rançon, sans qu'il
« y ait eu avec lui un seul noble ou notable qui ait
« échappée nos mains. D'ailleurs nous nousréjouis-
« sons de leurs dépouilles, de leurs armes, de leurs
« chevaux, de leur argent, et nous nous glorifions de
« la victoire qui est au-dessus de tout trésor. » Mais
comme celle réponse, loin de calmer les révoltés,
ne faisait que les irriter davantage, ils lui dirent :
« Tu mens méchamment; car si tu avais mis à mort
I C'est probablnnent (le Tnurau-Cbah (ju'il s'lijiil. Ce porlrail est loin
de relui que donnent les liisturicns arabco. Nous avons déjà relcvô les
ini'sjctiludes de cette relation.
ANNÉE ^25^. ^57
>< le roi Je France, ou si lu l'avais reufcrmé dans
0 une prison perpétuelle, nous aurions été, dans la
« suite des siècles, la terreur et le respect de tous les
« Occidentaux; mais l'avarice a aveuglé ton cœur. »
Aussitôt le Soudan, sans qu'il put s'y attendre, fut
frappé à cou|>s de poignard, et expira misérablement.
I^Mraitre sanglant qui avait tué son seigneur, comme
nous Pavons dit, fut mis à sa place. Cette mort, et la
substitution d'un autre soudan, furent annoncées en
détail au comte Hicbard. On peut voir les lettres
à ce sujet au livre des Addilamenta \
Cependant le roi de France très-chrétien suppor-
tait patiemment en silence toutes ces adversités, et
séjournait à Acre, attendant qu'on eût pitié de lui et
demandant des oraisons aux religieux, mais surtout
au chapitre général deCîteaux, afin que le Seigneur,
après de telles tempêtes, amenât un temps plus calme
et plus serein. 11 avait aussi envoyé dans les pays
d'en deçà des Alpes, comme nous l'avons dit, ses
frères, dans le sein desquels il avait placé son espé-
rance et sa confiance la plus vive ; mais ceux-ci, ou-
blieux comme les frères de Joseph, exécutaient avec
tiédeur l'office qui leur était confié, et différaient au
point qu'ils semblaient ne pas vouloir lui porter se-
cours, selon cette parole d'un philoso|)he :
« DifFi'rer longlemps, cW refuser longtemps. •
' Il est problaLii' <|ue ce document était autre que la lettre du cbanre-
lier intértH- plus li.iul dans le tetto; mais il ne ti|;ur*> pas aui AddiUi-
meuta.
458 HENRI m.
Taudis que la solennité des jours de Noël était
célébrée tellement quellement, Guy, frère utérin du
seigneur roi, revint en toute hâte de la Terre-Sainte ;
on ne sait s'il avait pris la fuite dans le combat. Ce-
pendant il vaut mieux dire, à son honneur, que,
faisant partie de la garnison de Damiette, il s'était
échappé prudemment après la conclusion de la paix \
Or il aborda pauvre et à pied, et s'arrêta à l'ab-
baye de Feversham pour y trouver l'hospitalité par
charité; il y fut, en effet, reçu courtoisement et
splendidement régalé. 11 demanda donc à l'abbé de
vouloir bien lui prêter, à lui et à ses compagnons ,
en vue de la même charité et par honneur et révé-
rence pour le seigneur roi son frère, plusieurs de
ses chevaux en y ajoutant quelques serviteurs, jus-
qu'à ce qu'il fût parvenu à Londres. Il lui promit
aussi, en jurant son grand serment, qu'aussitôt après
son arrivée en cette ville, il lui renverrait les che-
vaux par les mêmes serviteurs avec mille actions de
grâces. L'abbé le lui octroya et satisfit à sa demande.
Mais quand ledit Guy fut arrive à Londres, il ne
craignit pas d'encourir le reproche d'ingratitude et
de mériter la vieille ignominie de poitevinage. Loin
d'adresser des remercîments à l'abbé, il ne renvoya
pastes chevaux, mais seulement les serviteurs, et en-
core après les avoir accablés de moqueries qu'on ne
peut répéter. Ainsi cet hôte sans vei^ogne put être
Il nvait sans doulc nccompnijnr son I'Htc nliu'- !luf|tirs, <|ni sVlnit mis
»vec. Itii «icim il l;i tiojdr «lu roiiiir i\v l'nilii'rs.
ANNÉE ^25^. ^5y
justement eomparé à un serpent récbuulïé dans ic
sein, à un rat dans la besace.
Loi*squ'il se présenta devant le roi, celui-ci se jeta
avec transport dans les bras de son frère; et compre-
nant qu'il était besoijjneux et aspirait à prendre sa
part du trésor royal , ledit roi lui octroya sur-le-
cliamp rinimense quantité de deniers qu'il avait ar-
racbéeaux juifs, de manière à engrosser de cinq cents
livres ses coffres vides. Il concéda, en outre, à son
frère Geoffroi la garde de la très-noble baronnie de
Hastings alors vacante. Ainsi, à Texclusion et au mé-
pris des nobles anglais et des indigènes naturels, des
étrangers cliaque jour étaient mis à leur place, en
sorte que les Anglais pouvaient se plaindre avec le
prophète et dire : « Notre héritage s'est tourné vers
les étrangers et notre moisson vers les gens du de-
hoi's. » Mais ce n'était pas assez pour le seigneur roi
de distribuer inconsidérément aux séculiers et aux
étrangers, et de disperser les trésors qu'il aurait dû
réserver pour les besoins de son pèlerinage ; il s'em-
ployait encore avec ardeur pour élever aux dignités
ecclésiastiques des étrangers indignes, pour les ar-
mer et les exciter contre les Anglais une fois qu'ils
étaient en possession de ces dignités et pour les dé-
fendre contre les inimitiés qu'ils soulevaient. En
effet, le roi avait écrit au seigneur pape, le suppliant
très- instamment d'être favorable à Tarcheveijue de
Cantorbéry Boniface dans le procès agité entre lui
et les prélats d'Angleterre , mais surtout entre ledit
archevêque, d'une part, et révè(|ue et les chanoines
460 HENRI 111.
de Londres, d'autre part, afin que rarchevêque ne
fût frustré en aucune façon dans ses désirs.
Cependant Tévéque de Londres, à qui l'archevêque
avait fait énormément outrage en l'excommuniant
récemment et en le faisant déclarer excommunié sur
tous les points du diocèse, considéra toutes ces choses
avec l'examen d'une mûre réflexion, et se dit à part
soi : « L'honneur de rAn[;leterre est sur une pente
« glissante. L'archevêque me persécute moi et tous
« les Anglais. Un étranger m'opprime moi indigène,
« et qui suis du plus noble sang d'Angleterre. Si le
« roi avait un prétexte de sévir contre moi et contre
« ma famille, il s'en saisirait avec joie et empresse-
« ment ; il dépouillerait d'une façon ou d'une autre
« mes parents de leurs biens, et avec ces mêmes
« biens enrichirait des étrangers. Ainsi l'Angleterre
« verrait accumulés maux sur maux. » Ayant donc
pesé subtilement ces inconvénients, et se voyant
comme broyé entre deux meules, il était dans l'an-
goisse : d'un côté l'honneur et la cause de son église,
de l'autre, la violence de la colère du roi le plon-
geaient dans une grande anxiété. Enfin, pour s'ex-
poser au moindre des deux maux, il se décida, tout
lésé et outragé qu'il était, à s'humilier pour un
temps, et à jurer de se soumettre à la provision de
l'archevêque son adversaire, plutôt que de courir les
chances de l'indignation royale ; et par ainsi il fut
absous de la sentence (|ui le liait, plusieurs se deman-
da ni avec surprise s'il avait oublié cette menace terrible
<lu proplièt<!: «Malhcurù vous, (|ui justifiez l'impie!»
ANNÉE 425^. 4W
Vers le même temps, le pape, aprèsavoir prolongé
son séjour à Milan * pendant un mois et plus, non
sans de profondes inquiétudes, se mit eufm en route
pour aller plus loin, et, en passant dans les villes in-
terniédiaires avant d'arriver à Rome, répandit Tar-
gent à pleines mains. Quand il fut venu à Pérouse,
il jugea plus à propos de s'y arrêter, parce qu'on lui
avait donné à entendre que s'il se rendait à Rome ,
les Romains exigeraient violemment de lui une
somme considérable, et qu il ne pourrait plus leur
résister à force égale dès qu'il serait pris dans leurs
filets. Or, quoique les Romains désirassent son arri-
vée, il ne voulut pas aller dans leur ville, redoutant
les pièges auxquels il avait échappé jadis, et disant
de Rome :
C'est que la rue de ces pas m'effraie : j'aperçois l'empreinte do rciix
qui sont allés Ters toi, mais nullement de ceux qui sont revenus.
Vers le même temps, les Vénitiens, les Pisans et
les Génois tendirent fortement des embûches hostiles
au roi de France, à ses frères et à ses féaux, afin
qu'aucun genre de tribulations ne leur manquât. En
effet, ils prétendaient qu'ils avaient obtenu les pre-
miers par la force l'entrée deDamiette, mais qu'en-
suite ils en avaient été chassés par l'orçueil et la
violence des Français qui étaient survenus. Ils repro-
chaient , en outre , au roi de France une grande
énormilé, l'accusant d'infidélité et de pusillanimité,
' Quelques pages plus loin, Matt. Paris revient sur ce fait avec plus df
délaili).
v||. \{
^62 HENRI III.
et disant qu'au moment où il était sur le point de
s embarquer pour passer la mer, il avait repoussé plus
dedixmille arbalétriers, tant Vénitiens;, Pisans et Gé-
nois que Français, et ne s'était pas soucié de les emme-
ner avec lui, quoiqu'il les eût appelés et leur eût
promis une solde fixe pendant le voyage ; qu'il leur
avait donc fallu revenir en mendiant, et qu'à leur
retour dans leur pays, on ne leur avait pas même per-
mis de loger dans leurs maisons et dans leurs champs
(|u'ils avaient vendus au départ. Ils assiégeaient donc
avec leurs galères les routes et les ports de la mer,
afin de dépouiller ou de noyer les Français qu'ils
pourraient saisir au passage.
Cette même année, quelques prélatset religieux des
églises conventuelles, considérant clairement qu'ils
avaient trouvé dans les évêques, qu'ils avaient cou-
tume d'avoir pour défenseurs, des persécuteurs ma-
nifestes, plus nuisibles encore que les laïques et les
séculiers, et qu'il en était de même du souverain
pontife, qui a d'autant plus les moyens d'opprimer
qu'il est plus puissant, cherchèrent à se confédérer
pour être moins grevés en portant les fardeaux les
uns des autres. Les couvents et les églises de la pro-
vince de Kent se confédérèrent donc avec l'abbé et le
couvent de Waltliam, et eux ainsi que d'autres de-
mandèrent humblement à la communauté de Sainl-
Albans de leur fournir ce genre de subside et de
consolation.
Exploits du comte de Leicesteu en Gascogne. — 1e
ANNEE ^25l. t«5
•SE REND EN ANGLETERRE POOR SE DÉFENDRE CONTRE SES
ACCUSATEURS. — II DETOURNE EN GASCOGNE AVEC DES AVEN-
TURIERS ET DES TRESORS. — Le ROI ACCORDE, DANS UNE MÊME
affaire, des lettres de protection aux deux parties.
— Plusieurs chrétiens sont délivrés des fers des Sar-
rasins. — Absolution du doyen et des chanoines de
Londres. — Réclamation inutile au sujet de la part
laissée a l ancien évêque de Dfuham. — Le jour de
rÉpiphanie, lecomte de Leicesler, Simon, nrriva tout
à coup avec empressement, mais sans gloire, des pays
de Gascogne, accompagné seulement de trois écuyers
et sur des chevaux épuisés de maigreur et de fatigue.
Étant venu à Londres et y ayant trouvé le roi, il de-
manda très-instammenl audit roi de lui fournir un
secours efficace tant en argent qu'en chevalerie pour
réprimer Tinsolence des Gascons rebelles. En effet,
disail-il, il ne pouvait continuer tout seul une guerre
si coûteuse sans l'assistance royale, et déjà il avait
épuisé les revenus de son comté de Leicester. 11 cher-
cha donc à aiguillonner et à animer le seigneur roi
en lui disant : « Seigneur roi, il convient que vous
« vous remettiez en mémoire que, quand vous êtes
« allé dernièrement en Gascogne, vous vous êtes ré-
" fugié avec confiance vers ceux que vous regardiez
« comme vos féaux, pour obtenjr leur aide. Gepen-
« dant ils ne vous ont pas ouvert le sein de la pitié
« et ne vous ont pas tendu une main secourable , ce
« qu'ils devaient faire. Ils n'ont pas eu pitié de vous
« tandis que vous évitiez les pièges du roi de France
« qui vous poursuivait; ils n'ont pas eu pitié de la
164 HENRI III.
a reine qui était enceinte, qui était malade à la Réolc
« et qui accouchait à Bordeaux ; ils ne se sont pas
« abstenus de vous extorquer votre trésor, et ont
« permis que vous perdissiez votre terre et votre hon-
« neur. » En entendant ces paroles, le roi, ayant
compassion du comte qui avait tant souffert, lui ré-
pondit pour le consoler : « Téte-Dieu \ tu as dit la
« vérité, comte , et je ne te refuserai pas secours el-
« ficace quand tu combats si vaillamment pour moi.
« Cependant des clameurs et de grieves plaintes sont
« venues jusqu'à moi. On dit que ceux qui se pré-
« sentent pacifiquement devant toi, ceux même que
« tu fais venir et qui se fient à ta bonne foi, tu les
« emprisonnes outrageusement, tu les enchaînes et
« lu les mets à mort. » Mais le comte nia formello-
ment ce fait et reprit : « Seigneur, leur traîtrise vous
<( est connue par expérience , elle les rend indignes
« de créance. »
Or, le susdit comte Simon , homme puissant à la
guerre et expérimenté dans les combats, avait pris,
avant son départ de Gascogne, le très-fort château
de Fronsac, fait prisonniers les assiégés, et rasé la
place jusqu'au sol. 11 avait aussi exterminé les habi-
lanls d'une montagne inaccessible et d'un chateau
inexpugnable, qu'on appelle Aigremont; au point que
tous ceux qui passaient par là pouvaient voyager en
poix. En effet , ce lieu était entouré de rochers infran-
« Verrofui Dei, Pnr le cnprie Dieu. Henri IH n'nvaiUil point pris
fc juroii cil (»n«r,oj;ii«i '/
ANNÉE ^25^ ^65
ciiissables, et des tours bâties sur le sommet de ces
roehei"s dominaient les vallées d'alentour. Les mar-
chands, les pèlerins , les gens du pays eux-mêmes no
pouvaient passer de ce côté sansélre dépouillés, ou
souvent même égorgés par ces brigands de nuit. Lo
«'omle avait donc soumis puissamment à l'autorité du
seigneur roi tous ces rebelles, ainsi que quelques
Bordelais soulevés contre la justice et les lois.
Mais il s'était vu forcé, par l'insurrection des traî-
tres Gascons tous ensemble , d'abandonner la Gas-
cogne; aussi fut-il réconforté par les consolations du
roi , et conçut-il des espérances pleines d'allégresse.
Ayant reçu trois mille marcs sur lestrésorsdu seigneur
roi d'Angleterre, et ayant tiré des sommes considéra-
bles de son comté de Leicester et de la terre qui avait
appartenu à Gilbert de lïumfreville , et dont il avait
la garde, il repartit incontinent tout joyeux, et fit sa-
voir au duc de Brabant et aux seigneurs voisins que
si on lui envoyait à son débarquement des chevaliers
et des sergents bien munis d'armes pour conibattre
iidèlement sous ses ordres en Gascogne, ils seraient
récompensés par unegrosse paye. Leduc, se rendant à
son désir, lui envoya deux cents routiei*6 et ({uelques
arbalétriers avec eux, qui, accourant avec empresse-
ment sous la banuière du comte, avaient soif, ainsi
que des sangsues, du sang des Gascons. Cependant
les Gascons se préparèrent intrépidement à leur at'
taque.
A la même époque , comme un procès était pen-
dant entre Pcveque de Carlisle Silvestnc et im ccrljiiu
I6fi HENRI ill.
baron , au sujet d'un certain manoir que le même
baron avait vendu à Gaultier, prédécesseur dudit
évêque, et qu'ensuite il voulait ressaisir, ledit évo-
que Silvestre eut la précaution de se présenter en
personne : car son adversaire, dont pourtant les
procurateurs étaient présents , se trouvait alors dans
les pays d'outre-mer. Il obtint donc du roi des lettres
de protection royale, attendu que le susdit baron était
absent, et il retourna alors avec joie dans son évê-
ché. La partie adverse n'avait pas élevé la voix ; mais
lorsque levêque fut éloigné, elle obtint du roi des
lettres portant que Taction intentée par le baron ne
souffrirait aucun délai, nonobstant la première lettre.
Or, on croit que cette décision ne fut pas prise sans
l'intervention de quelques beaux présents. Déjà com-
mençaient à se montrer des lettres pareilles , dans les-
quelles était insérée cette addition détestable : Non-
obstant le premier mandat, ou cette autre : Qu'on
suive l'affaire, nonobstant l'ancienne liberté. En
outre on avait pris Thabitudo d'interpréter les char-
tes avec mauvaise foi ; en sorte que s'il était écrit :
Nous accordons cette liberté à telle maison, puis la
désignation expresse de cette maison , et que la charte
ajoutât : Et à ses manoirs, mais sans que les susdits
manoirs fussent nommés expressément les uns après
les autres , l'addition était considérée comme n'ayant
nulle valeur. Or, il est constant que cela est contraire
à la raison et à toute justice, bien plus aux saines
règles de la logique qui guide infailliblement dans In
reclicrcin' d<' l;« vérité. En .'i|)|)i-(Mi<inl cela, un vcv-
ANNÉE ^25^. 467
tail) Ituinme disctel , alors juslicier, nommé Roger
i\e Turkeby, poussa de profonds soupirs, et dit en
parlant de l'insertion de l'addition susdite : « Hélas,
« liélas! pourquoi avons-nous attendu ces jours-ci?
" voici que déjà la cour civile est infectée de Texem-
>• pie de la cour ecclésiastique , et que le ruisseau ,
« découlant d'une source sulfureuse , est empoi-
« sonné! »
Dans le cours des mêmes jours, on découvrit que
quelques personnes, que Ton croyait tuées dans la
bataille livrée aux Babyloniens, vivaient chargées de
chaînes dans les prisons des infidèles. Elles furent
rachetées par leui*s amis. Le maître de THôpilal fut
mis 0 rançon et délivré pour une très-forte somme
d'argent ; et en cette occasion , selon la coutume de
rQûpital, on cessa de se servir du sceau de Tordre qui
est en plomb, jusqu'à ce qu*on fût instruit, avec cer-
titude, de sa délivrance. La forme de ce sceau est fi-
gurée au livre des Additamenta, et on y trouvera aussi
une lettre que le même maître adressa à ses amis '.
Vers le même temps, le doyen de l'église deSaiut-
Paul de Londres, et les chanoines dont il a été fait
mention dans les articles précédents, furent absous,
en vertu de Tautorité papale, par le seigneur abbé
de Saint-Albans , le seigneur abbé de Waltham et
Tarchidiacre de Saint-Albans, de la sentence que le
seigneur archevêque de Cantorbéry, Boniface, avait
prononcée contre eux; mais dans la suite ils en en
coururent une autre pour une autre cause.
* Voit l'addition \\\\\ a la ila du volumr
U8 HENRI m.
Vers le même temps , quelques flatteurs exécra-
bles, désirant plaire à l^évêque de Durham, Gaul-
tier, allèrent trouver le seigneur pape, en disant
qu'on avait fait une part déraisonnable, sur Teveche
de Durham, à l'évêque Nicolas, au moment de sa
résignation , et que ledit évêque avait obtenu presque
le tiers de l'évêché. Aussi demandaient-ils que Té-
vêché fût rétabli dans son intégrité, ou du moins su-
bît un moins grand dommage. Le pape leur répon-
dit : « Nous nous étonnons de cela. Cette distri-
« bution et ce partage n'ont-ils pas été faits après
« examen et mûre délibération d'hommes liabiles, et
« d'après le consentement des parties? La chose n'a-
« t-elle pas été même confirmée par nous , par le
« roi d'Angleterre et par les proviseurs? » Comme
I évoque de Bath , qui était un des proviseurs , se
trouvait en ce momenta la cour romaine, il fut ap-
pelé pour rendre témoignage à la vérité ; et quand il
eut attesté que tout s'était passé régulièrement, les
accusateurs furent repoussés honteusement; et loin
de nuire, comme ils le croyaient, aux intérêts dudit
évêque Nicolas, ils ne firent que fortifier sa cause.
Cette tentative tourna à la honte de l'évêque de Dur-
ham, Gaultier, ainsi que du prieur et du couvent de
Durham, qui paraissaient avoir vu cette machination
avec des yeux de connivence.
Accusations portkes contre ll justicier Henri
HE Batii. — Il ciiEnciiE a apaiser le roi par l'entre-
mise DU r.OMTE I>E (!oRN(HAILLES. — UeLEVÉ DES DÉ-
ANNËE4254. ^69
PE.NSES Di' ROI. — La comtesse d'Arondel fonde ose
ABBAYE DE RELIGIECSES. La NOUVELLE DE LA MORT
DE Frédéric 11 se répand dans l'Occident. — Testa-
ment DE Frédéric. — Excommunication do doyen et
des chanoines de Londres. — Le comte Gaultier
DE BrIENNE subit UNE MORT GLORIEUSE , A LEXEMPLE
DU PRINCE dWntioche, SON PARENT. — Cette même
année, c'est-à-dire le jour de la Purification de
la bienheureuse Vierge, Henri de Bath, chevalier
lettré et très-versé dans les lois de Tétat, justicier
et conseiller spécial du seigneur roi , fut diffamé
et accusé grièvement de n'aimer que ses propres
intérêts , de supplanter artificieusement le sei-
gneur roi , de vider sans honte et sans crainte la
bourse d'autrui pour en grossir la sienne, et cela
par fourberie, pour ne pas dire par trahison ; enfin,
dans l'office de justicier qui lui était commis, de ten-
dre les deux mains et de recevoir les présents des
deux parties. En effet, en peu de temps il s'était
enrichi tellement en revenus, manoirs, or et argent,
qu'aucun des justiciers ne paraissait le surpasser en
opulence. Son épouse, femme avare et orgueilleuse,
qui tirait origine des Basset et des Sanford , et qui
était enflée de sa naissance , ne cessait d'exciter le
susdit Henri à ces rapines. Aussi, stimulé par sa
femme et par sa propre cupidité , il aspirait si avi-
dement à se procurer des gains honteux par voie
licite ou illicite, que, dans une seule tournée comme
justicier, il s'était approprié, à ce qu'on prétendait,
plus de deux cents livrées de terre. Or, un scandale
470 HENRI III.
nuilliplic et une dispute s'étant élevés , au sujet d un
oertain manoir, entre le susdit Henri et Everard de
Trumpinton , ledit Henri fut cilé par devant le roi
et la cour du roi, pour infidélité et trahison, par un
certain chevalier, nommé Philippe de Arci, et il fut
retenu, ce qu'on appelle vulgairement attaché '. Jean
Mansel , clerc et conseiller en chef du seigneur roi ,
voulut le prendre sous sa protection, et le faire mettre
en liberté en le cautionnant et en se portant pour ga-
rant qu'il se présenterait devant la justice : mais il
ne fut pas écouté : car le roi , dans un violent accès
de colère , répondit qu'il n'admettrait aucun clerc
pour fidéjusseur de l'accusé en pareil cas , regardant
cette cause comme une affaire de lèse-majesté. Mais
Tévêquc de Londres s'étant approché , et le nombre
des intercesseurs s'étant accru , ledit Henri fut laissé
à la garde de vingt-quatre chevaliers, qui lui servaient
de pleiges et qui devaient présenter réponse et justi-
fication au nom dudit Henri, régulièrement et judi-
ciairement au terme fixé.
Alors Henri , homme rusé et circonspect , réflé-
chissant à cotte maxime d'un païen :
Quand la loi ett contre loi, implore Tassittancc du jugo,
envoya sa femme vers tous les Basset, ses parents,
pour les supplier instamment d'intervenir efficace-
ment en sa faveur auprès du roi , sans regarder aux
' AtlHchiatus <««st .i «liriims en iiat il iirri'ïtation.
•ANNÉE \25i a\
(ions ma^rnifuiues et aux promesses plus ina^nifiqills
«•ncore; ou bien, s'ils ne pouvaient réussir Hans celle
tcntalivo, de tenir ferme pour lui au jour du péril, et
de se munir même d'armes et de chevaux, en cas de
besoin. Ceux-ci le lui promirent d'un consentement
unanime. Or, il y avait parmi eux un chevalier vail-
Innt , nommé \icolas de Sanford, capable de tenir
ferme pour lui contre tous jusqu'à exposer sa tête.
Lorsque celle résolution des Basset eut été glissée se-
(•i"èlemeMl à l'oreille du roi, il n'en fut que transporté
iPune plus violente colère, et refusa formellement
tout présent et toute parole de réconciliation, jurant
qu'il faudrait bien que Taccusé en passai par le ju-
;;ement le plus sévère. Henri, se voyant donc dans
une position critique, s'adjoignit Téveque de Lon-
dres ainsi que Philippe Basset et ses autres amis spé-
<'iaux, et alla trouver le comte ttichard, dont il se
concilia adroitement le cœur tant par des prières que
par des présents. Il ajouta, sous rattestation du juge-
ment terrible, que si te seigneur roi prononçait sa
mort ou même son exhérédalion, tout le royaume
so soulèverait contre ledit roi et serait entièrement
troublé; et que, si la chose arrivait, le schisme une
fois soulevé ne serait pas facilement apaisé, puisqu'il
y aurait encore d'autres causes de révolte, eonmie
principalement l'injuste domination des étrangers et
les oppressions souffertes par les Anglais. En enten-
dant ces paroles, le comte, gagné à force de prières
et de largesses précieuses et réveillé par la terreur,
NiMl triuiver le roi pour adoucir son eonir et pour
472 HENRI HI. *
pftider efficacement la cause de Henri dans Tintérét
de la paix publique ; mais ses allégations ne réussi-
rent pas à calmer la fureur et Tindi^ynation du roi.
Alors le comte lui répondit au moment de se retirer :
« Mous ne pouvons manquer aux nobles du royaume
« dans leur droit, ni à la paix du royaume qui est en
« danger. »
A la même époque, le seigneur roi fit parcourir
et compulser tous les registres en général et en par-
ticulier pour avoir le relevé des dépenses extraordi-
naires qu'il avait faites depuis le moment de son cou-
ronnement : ce relevé monta à une somme inesti-
mable, qui est relatée au livre des Additamenta * .
Vers le même temps, la très-noble dame Isabelle,
comtesse d'Arondel, jadis épouse de Hugues, comte
d'Arondel, fonda à ses propres frais, c'est-à-dire sur
son libre douaire, une abbaye de religieuses, nommée
Marham et située non loin de Lynne.
Cette même année, les fêtes de Noël étant termi-
nées et la fête de la Purification de la bienheureuse
Marie étant proche, la nouvelle de la mort de Fré-
déric, jadis empereur des Romains, se répandit dans
le pays d'Occident, et l'on apprit que, frappé d'une
maladie irrémédiable le jour de sainte Lucie, vieqje,
il avoit expiré le jour de saint Etienne. On dit que
voyant sa mort prochaine et indubitable, et recon-
naissant avec contrition ses péchés, il en fit une con-
fession pleine et entière, en versant des torrents de
' Oc dmumcnt, tans doute fort rcgmlloblp. ne B^eit point rctfOiivo.
ANNÉE 4251. 475
lîiniies ei en se recoin mandant à Dieu, et qu il prit
liuniblement et dévoteonent avant de mourir Thabil *
de Tordre de Cîteaux, comme nous Tavons appris par
le rapport certain de ses féaux ^. Quand il fut aux
portes de la mort, un certain évèque, voyant qu il pro-
mettait satisfaction, lui donna Pabsolution au nom de
Dieu, qui veut qu aucun de ceux qui croient en lui
ne périsse.
Au lit de mort il assura, en poussant de profonds
soupirs, qu'il eût mieux aimé n'être jamais né ou
n'avoir jamais pris les rênes de l'empire, puisqu'il
avait élé abreuvé de tant d'amertumes pour avoir
voulu recouvrer et soutenir les droits dudit empire.
On assure qu il laissa le testament qui suit : « Moi,
Frédéric, avant tout je laisse pour le salut de mon
âme cent mille onces d'or pour recouvrer la Terre-
Sainte au profit de la sainte église romaine, laquelle
somme devra être fournie et employée à la- volonté
de mon fils Conrad. Item, je veux que tout ce qui a
été pris à tort soit restitué. Item, je laisse libres tous
les captifs de l'empire et du royaume, à l'exception
seulement des traîtres. Item, je laisse libre toute la
terre de l'église et je veux que les droits de l'église lui
' Ordini. Probai^emcnt ordinis en ajoutant vestem.
* Il paraît cependant que, la veille de sa mort, Frédéric ne croyait pas
sa fin si prodiaine. Au rapport de Malteo, il avait mangé vers le soir
des poires avec du sucre, et avait dit qu'il voulait se lever le ieuderoain
matin. Cette amélioration apparente dans la eanté de l'empereur fut
peut-être la cause de l'odieuse accusation de parricide intentée plus tard
à Manfred, el dont rUisloin- impartiale a fait depuis lonf;lcuips justice.
^74 HENRI HI.
soient restitués. Item, j'institue Conrad pour mon hé-
ritier dans Tempire romain et dans le royaume de Si-
cile. Item, je laisse à mon fils Henri le royaume de
Jérusalem et dix mille onces [ d'or ], à la volonté de
mon fils Conrad. Item, je laisse à mon petit-fils, c'est-
à-dire au fils de mon fils Henri, le duché d'Autriche
et dix mille onces d'or. Item, je laisse mon fils Man-
fred * bailli de Conrad dans l'empire depuis Pavie et
en deçà, et [ préfet (?) ] du royaume de Sicile pour
soixante-dix ans, excepté quand Conrad sera pré-
sent^. Item, je veux être enterré à Palerme'', là où
< Manfred était fils de Bianca Lancia, d'une noble et puissante fa-
mille de Lombardie, et sœur de Galvano, Giordano et Federico Lancia,
que Frédéric II combla d'honneurs et de biens, et qui restèrent constam-
ment fidèles à sa cause et à celle de leur neveu. Frédéric, en mariant son
fils préféré, alors dgé de quinze ans, avec Beatrix, lille du comte de Sa-
voie et veuve du marquis de Saluées, lui avait déjà donné en fief et hom-
mage toute la terre depuis Pavie jusqu\')ux montagnes et jusqu'au rivage
de Gènes, avec la promesse du royaume d'Arles, si cette donation parais-
sait convenable à l'empereur et au comte de Savoie. Le contrat de ma-
riage est du 21 avril 4247. Plus tard, au mois de septembre 42.'iO,
Manfred re<;ut de soii père la principauté de Taronte et l'honneur du
mont Saint-Angelo. (Duc DE LuYNES, Comment, sur Mattco, p.(J.'i.V
' Cette phrase est tout à fail fautive, ol les mots xisqur. ad LA'.V on-
vos ivariantc «1illll0.^j, sont inintelligibles, ^ous icstituons ce document
dans son intéj;rilé à la (In du volume. {Voy. la note JI.)
* Apud Pinitioniuin (texte hir). On doit lire évidemment Panof-
miam. C'était à Païenne qu'étaient enterrés son père, Henri VI, et sa
mère CoMtanre. A Monréale, ville voisine de Palerme, se trouvaient les
tombeaux des rois normands; et parées mots: le mi (inillaume, Fré-
déric veut probablement dé8i|,'ncr Guillaume II Ir Bon, neveu de sa
mère et dernier roi légitime de lu race de Tancrède de llaulevillc. Le
corps de Frédéric H fui transporté de Fiorentino à Bilonto, de Ih n Ta-
renl«, puis it Messine. Il fut quelque temps ex|ioH<' dans la principale
ANNEE 4251. ns
repose ie corps du roi Guillaume. » Le susdit testa-
ment contenait ces clauses et beaucoup d'autres dont
je ne me souviens pas, parce qu'elles étaient moins
remarquables. Il distribua aussi de grands présents,
principalement en or et en aident à ses amis, à ses
autres (ils et à ses serviteurs. Et la cliose est croyable;
car cette même année douze chameaux chargés d'or
et d'argent lui avaient été envoyés des pays d'Orient.
En effet, il était le grand ami de tous les soudans d'O-
rient et prenait part à leurs opérations mercantiles,
au point que les courtiers chargés de ses intérêts pé-
nétraient tant par teri*e que par mer jusque dans les
Indes.
A cette époque, Tarchevêque de Cantorbéry, par
Tentremisc de maître Eustachede Lyune, son oificial
( ce dont plusieurs s'étonnèrent ), eut soin de faire dé-
clarer excommuniés, à raison de leurs propres délits,
le doyen et les susdits chanoines de Londres. De plus,
ils furent cités à comparoir par-devant le pape. Il en
résulta donc un scandale honteux, puisque, d'une
jMirt, ils étaient déclarés excommuniés en ceci, et,
d'autre part, déclarés par d'autres absous en cela.
Aussi les chanoines, grandement troublés, suppliè-
rent en grande amertume de cœur tous les évêques
pglue de PatU, enfin déposé à Palerme selon le dernier vœu de Tempe-
reur. MatU-o di (jiovenazu>,<]ui s'était rendu k Bilonto pourvoir l'appa-
reil funclife, nous raconte «jue !c corps était dans une litière couverte
d'un voile de pourpreavec la garde sarrasine à pied et sii compajjnies de
cavaliers en jrmes. L^'s s>ndics du payu cl les liarons vêtus de noir ve-
naient à leur tour rejoindre le coriégc. Diuriiali, para|;. 5^.
U6 HENRI m.
(l'Angleterre de les secourir dans celte nouvelle op-
pression et de résister à ces violences qui les mena-
çaient eux aussi, puisque la maison voisine de la leur
était en feu. Cependant le roi, qui avait fait nommer
ledit archevêque, et la reine, dont il était Tonde, ne
pouvaient, quoique sa cause fût injuste et qu'ils en
rougissent, le laisser sans soutien.
Cette même année, le noble comte Gaultier, qui
avait été puissant dans la Terre-Sainte par ses parolea
et par ses actes, et qui avait commandé jadis avec
autant de cojurageque de prudence dans Joppé, dans
quelques îles et dans plusieurs châteaux du bord de la
mer, était chargé de chaînes étroites et retenu dans
un noir cachot par les Sarrasins. En effet, les infi-
dèles le haïssaient parce qu'il leur avait causé fré-
quemment de grands dommages, tandis qu'il était
libre. Or, dans toute la Terre-Sainle il n'y avait pas
d'homme plus illustre, plus puissant par les armes,
ou plus aimé pour ses mœurs. Ses ennemis en fai-
saient un jouet, lui faisaient souffrir la faim et la
soif, le déchiraient fréquemment à coups de fouet,
en sorte qu'il paraissait près de mourir et qu'il ne
lui restait plus que le tombeau. Les infidèles avaient
employé conlre lui tous les tourments sans pouvoir
l'amener ou à apostasier ou à faire leur volonté. Us
tinrent donc conseil entre eux et le firent amener de-
vant le Soudan de Babylone, qui essaya de le circon-
venir par des caresses, des menaces ot d'amples pro-
messes, afin qu'il lui reslituûlpour sa rançon lu ville
de Joppé, ù la garde de laquelle il avait commis ses
ANNEE ^251. KT
vaillants et féaux hommes. Le Soudan lui parla donc
en ces termes : « 0 comte invincible, tu m'as causé
« fréquemment beaucoup de dommages irrépara-
« blés; c'est pourquoi tu as mérité d'être puni par
« mille morls. Cependant tu es le maître de te con-
« server à toi-même ta vie qui chancelle, et de te voir
« honoré par une foule de présents, en nous ren-
« danl la ville de Joppé, où tu as commandé jadis
< et où tu as placé une fidèle garnison de tes féaux,
« dont nous ne pouvons vaincre la fermeté : tu seras
M donc conduit à la porte de la ville, afin de déclarer
<« aux assiégés quelle est la condition de ta délivrance
« et de celle de tous les habitants. » Le comte, y ayant
consenti, fut amené, entouré d'une troupe de Sarra-
sins, devant les portes de la cité susdite, pour faire et
annoncer hautement la proposition qu'on a vue. En
l'apercevant, les citoyens le reconnurent à peine, tant
il était maigri et défiguré. Alors le comte dit à ceux
(|ui le tenaient : « Qu'il me soit permis de prononcer
« jusqu uu bout les paroles que j'ai dans Tesprit; car
« nousdisoiisvulgairementque le dernier mot est le ré-
« sumé de la parabole. » Quand on lui eut accordé sa
demande, le comte s'efforça dese faire entendre d'une
voix haute, claire et intelligible, et d'articuler distinc-
tement à ses chevaliers, placés au-dessus de la porte,
les paroles suivantes : « 0 chevaliers dévoués, très*
« vaillants et très-chrétiens, vous voyez mon faible
« corps : il est épuisé au point que vous ne devez me
<« reconnaître qu à ma voix et à mon discours. La
u mort est à mes côtés, et ma poitrine fatiguée res-
vn. ^2
nS HENRI III.
« pire à peine le souffle de vie. Ne rendez ou ne con-
« cédez absolument rien pour moi ; qu'iriez-vous
« racheter un cadavre à demi vivant ? Racheté par
« vous, je n'en vivrais pas davantage. Je vous adjure
a donc, par Taspersion du sang du Christ, qui a été
« versé sur cette terre pour la rédemption du monde
« entier, de ne jamais rendre le château ou la ville à
« ces chiens infidèles, qui désirent ardemment pos-
« séder cette cité, à la confusion de toute la chrétien-
« té; parce que, sans nul doute ils ne vous épargne-
« raient pas quand vous vous seriez rendus, et que les
« pèlerins et les habitants, qui sont préisà venir vous
« secourir, ne vous secourraient pas prochainement. »
En entendant ces paroles, les Sarrasins frappèrent la
tête du magnifique comte avec la garde de leurs
glaives, qu'ils tenaient hors du fourreau, jusqu'à faire
jaillir le sang en abondance, et à lui faire sauter les
dents; puis ils le ramenèrent pour Texposer aux tor-
tures les plus raffinéesV Mais le comte Gaultier souf-
frit avec fermeté tous les tourments, à l'exemple du
prince d'Antioche, son cousin. Puisque nous faisons
ici mention de ce dernier prince, il convient que
nous insérions dans ce livre et que nous racontions,
' Nous avons dpjà indiijui- nillours (p. 26f du cinquicme vol.) ce slni-
Ugème employii inuitlemcnt par le chef des Gorasmins après In balnillc
de Gazer, et allribui- ici au Soudan du Caire. Gnulliur du Urieunc cnvoyi*
en E(;ypto, y tomba sous les coups d'une multitude furieuse. Plus tard,
les Mameluks rendirent ses ossements sur les instances de saint f^ouis,
et le r^reueil , Iransporttt h l'ioli'mnls nu mois d'octobre I2.'i1 , fut dé-
posé dans IVglise des Hospitaliers.
AXNÉE ^25^. 179
mais aussi succinctement que possible, Hiistoire de
sa morl'.
Tandis que Saladin combattait dans la Terre-
Sainte contre le roi Ricbard, le prince d'Antioclie
lut fait prisonner. On le traita inhumainement dans
les prisons de Saladin , on le chargea de chaînes
lourdes et étroites, on Tépuisa par la faim et par la
soif, au point qu'il pouvait à peine se soutenir. Un
jour Saladin donna ordre qu'on l'amenât en sa pré-
sence ; ce qui fut fait. Alors Saladin, le regardant
d'un air farouche, lui dit : « Par ton Dieu qui te soit
« en aide, réponds-moi sans détours ; si tu me tenais
« entre tes mains, comme je te tiens entre les miennes,
« que ferais-tu de moi ? » Le prince lui répondit avec
intrépidité et empressement : « Tu serais décapité
« sur-le-champ, j'en prends Dieu pour juge; mais
« comme lu es roi, bien qu'incrédule, je te coupe-
« rais la tète de ma propre main, afin que tu ne
'• fusses pas frappé par un bras vulgaire. —Ta bouclie
« a dicté ta sentence, » reprit Saladin; puis, deman-
dant son glaive, il ajouta : « Moi aussi je vais te cou-
« per la tête incontinent. » A ces mots, le prince (il
un saut de joie, et s'avancant en riant tout près d»-
Saladin dans letat où il était, c'est-à-dire, les mains
liées derrière le dos, il tendit la tête et présenta le cou,
pour être plus à la portée de la main qui allait le
frap|)er, et prononça ces dernières paroles : « Chien',
> Klle est déjà rjcoatM k peu prêt daos les niéme$ termes a la croisadt
«iu roi Kichard. [l'oy. pag. 194 du deuxième volume.)
' Cape, raiir. Si cVsl là le sens, il faudrait canis: «u rimum dan^ le
sciwdechaiivc. Pcut-étrr f«u(-il lire siwplfincnt rape, rape.
<80 HENRI HI.
« prends ma tête, la voici. Elle est sale, hérissée et
« velue, le visage est amaigri, les oreilles sont souil-
« lées de boue ; c'est peu de chose ou plutôt ce n'est
'< rien; tu n'auras de moi rien de plus ; quant à mon
« âme, je la recommandée Dieu. » Alors Saladin,
<i'un seul coup légèrementasséné, Ht tomber la tête de
ce glorieux martyr de Dieu, etdit : « Cœur opiniâtre,
« seras-tu vaincu même en mourant? » Ce prince,
martyr glorieux, était cousin du comte Gaultier,
dont nous venons de parler. Or, nous croyons que,
collègues en martyre, ils régnent ensemble. J'ai été
instruit de ce fait, concernant le prince d'Antioche,
par le rapport fidèle de maître Ranulf, surnommé
Besace, qui était alors physicien du roi Richard, et
plus tard devint chanoine de l'église de Saint-Paul ;
lequel avait assisté à cette mort, et l'avait vue de ses
propres yeux. Or, il avait été envoyé vers ledit Sala-
din, pour traiter de la délivrance du même prince,
mais il n'avait pas réussi.
Les forêts de l'archevêché de Caintorbéry sont
MISES EN COUPE. — GUERRE ENTRE LES FILS DE WaLDE-
MAR, ROI DE Danemark. — Le comte de Leicester bat
LES Gascons. — Parlemi.nt tenu a Londres. — Irrita-
tion DU ROI contre Henri de 13ath. — x\thelmar est
confirmé a l'évéché de Winchester. — Mort de Guil-
laume DE Canteloup. — Assemblée des évéques d'An-
gleterre A Dunstable. — Vers la môme époque, les
forêts de l'archevôclié étaient mises en coupe, les
hommes étaientappauvris, les revenus vacantsétuient
distribués au gré des étrangers à des étrangers comme
ANNÉE ^23^. m
eux, dont les iiiœui*s ou la scieuce était tout à fail
inconnue à ceux qui les nommaient; et ainsi, en
Tabsenee du pasteur , les brebis étaient données en
pâture aux loups.
Cette même année, une guerre détestable et une
dissension à main armée, au sujet de la possession
du royaume, s'élevèrent entre les (ils de Waldemar,
jadis roi de Dacie. Quoique le monde entier déteste
les luttes entre frères et les royaumes agités par des
haines profanes et mutuelles, Abel, Tainé ', qui mé-
riterait plutôt d'être appelé Gain, tendit des embûches
à Éric. Tandis que ce dernier jouait aux dés et se
préparait à prendre un bain au sortir du jeu, Abel
survint tout à coup, tua méchamment et traîtreu-
sement son frère, et le jeta à la mer après Tavoir
égorgé. Mais la mer rejeta trois fois le cadavre sur le
sable. Alors Tinhumain Abel, ne voulant pas que le
* Tout ce rt«it est mêlé de vrai et de faux.
L'obcenation de l'auteur des Adversaria, qui tixe ce meurtre à la
Neillede Saiiit-Laureot 1242, u'est pas juste; c'est eu 1250. Ëric,couuu
»ous le nom de Plog-PeiniitKj, était l'aiué des fils de Waldemur et lui
succéda. Croyant aux paroles paciUques d'Abel, il se rendit à sou invi-
tjliuu dans une maison de plaisance, au milieu de la Slye, rivière qui
l>.ii;juc les murs de Sleswick. Là Abel lu Ht enlever et jeter duns un petit
bateau où Lange Gudmuusen, gentilhomme danois, Tenuemi partirulier
d'Eric, lui lit couper la tête, et précipita ensuite sou cadavre dans |a
Slye avec des pierres qui y étaient attachées. Le corps fut tiré de l'eau
.iprès plusieurs mois, et transporté li Hiiigstad dans le tombeau des rois.
iLacumue, Hitt. du yord.i
La tradition rapporte qu'il parut sur l'eau le jour du couronnement
d'Abel, qui s'était purjjé par le serment de vingt-ijuatre seigneurs. Abel,
.iprés deux ans de règne, fut égorgé par les Frisons dans un marais où
il était tombé a h suite de sa défaite. Christophe régna jusqu'en 1259.
^82 HENRI m.
corps fut inhumé , le fit porter plus loin et rejeter
dans l'endroit le plus profond ; mais la mer ramena
de nouveau, par la volonté de Dieu, le corps du roi
innocent au même endroit où elle l'avait précédem-
ment déposé. Aussi les frères Mineurs, sur leur
demande, emportèrent le corps et lui donnèrent
honorablement la sépulture dans leur église , où
Dieu, cédant à leurs supplications, accorda au roi
défunt le don de faire des miracles. Afin de mon-
trer que la fraude ne profile à personne, les sei-
gneurs de Dacie condamnèrent à un exil perpétuel
cet Abel, fratricide sanguinaire, qui, aprèsavoi régorgé
son frère, lui avait môme refusé la sépulture. Et
comme il refusait de se soumettre à cet arrêt, il fut
tué par les mêmes seigneurs. Ou mit à sa place le
troisième frère, dernier des fils de Waldemar, nom-
mé Christophe, qui , maintenant assis sur le trône
royal, règne en toute prospérité. Or, il faut savoir
que, d'après Tusagc antique, le roi de Dacie est oint,
sacré et couronné; pareillement le roi de Norvège,
nommé Hacon, avait reçu du pape Innocent IV le
bienfait de consécration ainsi que de légitimation,
après avoir fait remettre au même pape trente mille
marcs d'argent par les mains du seigneur Laurent,
Anglais de nation et moine de Tordre de Citeaux,
qui devint plus tard abbé de Kirkestudc dans le Lind-
sey, et qui s'était rendu à Home pour mener toute
cette affaire à bonne fin.
Cette même année, la sérénité du printemps étanl
proche, le comte de Leicester Simon , avec grande
ANNÉE V25i. 485
compagnie el grands trésors, revint en Gascogne,
où il trouva presque tous les Gascons puissants con-
fédérés par une ligue commune et disposés à lui ré-
sister. La guerre s'étant donc engagée de nouveau,
les Gascons eurent un désavantage marqué.
Cette même année, le ^15 avant les calendes de
mars, un grand parlement fut tenu à Londres ainsi
qu'il avait été convenu et décidé. Ilenri de Bath s^y
trouva, et comme le roi le poursuivait, ses adver-
saires 1 avaient assailli d^accusations graves et multi-
pliées. Or, le roi enilammé de la colère la plus vio-
lente contre ledit Henri qui était venu accompagné
d'une nombreuse chevalerie, composée tant de la
famille de sa femme, parents et amis, que de ses pro-
pres hommes, le roi, disons-nous, l'accusa plus
amèrement encore que les autres, lui reprochant,
entre autres méfaits, d'avoir troublé le royaume en-
tier el d'avoir exaspéré contre lui le roi , les barons
tous tant qu'ils étaient; ce qui faisait craindre une
sédition générale. 11 fit donc crier par la voix du hé-
raut à Londres et dans la cour, que si quelqu'un avait
quelque action à intenter ou quelque plainte a former
contre Uenri de Bath, il eût à venir à la cour en pré-
sence du roi qui Técouterait pleinement. Aussi plu-
sieurs se soulevèrent contre lui et portèrent plainte,
en sorte que môme un de ses collègues, justicier
comme lui, protesta publiquement que ledit Henri.
gagné par d abondantes largesses, avait laissé mettre
en liberté sans jugement el sans permission un mal-
faiteur convaincu el incarcéré , et avait agi ainsi au
^84 HENRI I».
préjudice du roi et aux risques et périls des justiciers
ses collègues. Alors le roi, de plus en plus furieux,
arriva au dernier degré de l'irritation, et s'écria : «Si
« quelqu'un tue Henri deBalh, qu'il ne soit pas in-
« quiété pour celte mort. Je jure qu'on ne Tinquié-
« tera pas. » Puis il se retira précipitamment. Il y
avait là beaucoup de gens qui se seraient jetés à main
armée sur ledit Henri , si le seigneur Jean Mansel
n'eût calmé prudemment leur emportement et ne
les eût arrêtés en disant : « Mes seigneurs et amis, il
« n'est pas nécessaire d'exécuter un ordre donné
« précipitamment dans un moment de colère. Peut-
« être quand son courroux sera passé, notre seigneur
« se repentira-t-il d'avoir prononcé ces paroles. En
« outre, si vous faisiez quelque violence audit Henri,
« voici l'évêque de Londres qui exercerait contre
« vous une vengeance spirituelle, tandis que ses
« autres amis, qui sont chevaliers, vous puniraient
<« matériellement. » Par ainsi il apaisa en grande par-
tie leur transport. Dès ce moment, par l'entremise
ef6cace du comte Richard et de l'évêque susdit, on en
agit plus doucement avec Henri de Bath , et on fit en-
tendre secrètement au seigneur roi qu'il était éton-
nant que l'on eût encore souci de le servir, puisqu'il
s'efforçait de donner la mort à ses serviteurs quand
ils s'étaient acquittés de leurofGce. Henri de Bath,
ayant donc promis une certaine somme d'argent, se
retira délivré de la crainte de la mort.
Vers le même temps , Athelmar, frère utérin du
seigneur roi, fut confirmé à Tévêché de Winchester
ANNÉE ^251. 485
par le seigneur pape , nonobstaut sa jeunesse , son
ijiiorauce des lettres et sou insufiisanee absolue pour
être appelé à uue si haute dignité, ou au {jouverne-
lueut de tantd'âmes. Le seigneur pape poussa même
la complaisance jusqu'à accorder audit Atlielmar
la permission de conserver les revenus précédem-
ment obtenus. L intervention active et pressante du
seigneur roi emporta le consentement du pape ;
mais pour que le seigneur pape ne pût avoir semé
dans un sable stérile, sans retirer au moins quelque
moisson fructueuse , il exigea sur-le-champ du roi
qu'il pourvût d'un revenu de cinq cents marcs le
fils du comte de Bourgogne, encore tout enfant.
Vers le même temps, mourut Guillaume de Can-
teloup, homme puissant et discret, et féal ami du
royaume. Il eut pour successeur dans son héritage
son fils Guillaume, pour qui Je roi se montra mal
disposé, avant de le laisser entrer pleinement eu pos-
<^ession dudit héritage, quoique son père eût été le
grand ami du seigneur roi, et le premier sénéchal
dudit roi.
Vei*8 le même temps, comme Tarchevéque travail-
lait de toutes ses forces, et au delà de ses forces, en
cour romaine, à mener son projet à bonne fin, c'est-
à-dire à exercer le droit de visitation générale sur
tout le clergé et le peuple de son diocèse, les évê-
•jues d'Angleterre, supportant cela avec peine, par-
ce qu'il était constant pour eux que ce n était pas à
la reformation des nueurs et de la religion que l'ar-
<h»'vé(pieyspir;iil s'assi'mbl.icnl ■» Dunstable, lej<»ur
486 HENRI III.
de saint Matthieu, pour délibérer en commun sur
cette oppression injurieuse. En effet , tous devaient
examiner une affaire qui les intéressait et concernait
tous. Lesévêques de Lincoln, de Londres, de Norwich,
de Salisbury, d'Ely, de Worcester, se trouvèrent donc
présents : celui de Chester ne put venir à cause du
mauvais état de sa santé. Après mûre délibération
ils envoyèrent à la cour romaine leur procurateur,
maître Jean, pour porter plainte de cette oppression
par-devant le seigneur pape, et pour obtenir d'être
délivrés des attaques de Tarchevèque, Tautorisant à
répandre en largesses, si la nécessité l'exigeait, jus-
qu'à quatre mille marcs; parce quela cour romaine
a l'habitude constante de favoriser et de soutenir
ceux qui donnent de l'argent. Le procurateur, étant
arrivé à la cour romaine, s'occupa très-activement
de la mission qui lui était confiée. Vers le même
temps, le susdit procurateur sans doute, ou quelque
adversaire de l'archevêque (car le nombre des per-
sonnes qui lui étaient contraires s'augmentait de
jour en jour), donna à entendre au pape qu'il avait
levé secrètement, à la grande vexation de l'église
anglicane, au delà de la contribution que le pape
lui avait accordée , et qui était de onxe mille marcs.
Aussi le seigneur pape écrivit-il aux évêques qu'ils
lui donnassent des renseignements plus positifs sur
cette transgression : quant aux transgressions et à
Vultcntat énorme commis par lui à Londres, on les
passa soussilence,et on les laissa dans une ombre ob-
scure, à cause de la pusillanimité des plaignants, (|ni
ANNÉE ^25^.. ^87
Il oseront pas poursuivre leur droit , ou ne purent
laire lace aux dépenses nécessaires. Dès lore le pape,
iprès avoir annoncé hautement qu'il était transporté
de joie d'être loin de Lyon, et d'avoir échappé aux
piéj;es des Savoyards, promit à Tune et à l'autre des
parties plaignantes qu'elles obtiendraient par sen-
tence, en toute modération, ce qui leur revenait jus-
tement. Mais comme la cour romaine était enrichie
riiaque jour par leurs largesses, le pape différa en-
core de prononcer une sentence définitive. Le pape
se plaignit aussi fréquemment de ce que, pendant son
séjour à Lyon , l'archevêque de Cantorbéry et l'élu à
Lyon lui avaient imposé toutes leurs volontés, au
point qu'une pereonne qui avait été investie, en vertu
de son autorité, d'une prébende de Téi^lise de Lyon,
ayant été jetée dans le Rhône pendant la nuit, et li-
vrée en p&ture aux poissons, il n'avait pas osé mur-
murer. C'est pourquoi les évéques d'Angleterre,
iidoucis par la bienveillance du seigneur pape, ne
voulurent pas parler, dans leur réponse, des excès
commis par l'archevêque, de peur que la multitude
des plaintes ne présentai l'apparence de la haine ;
mais ils insistèrent fortement sur le point principal.
Visitation sévèbe de l'évêque de Lincoln. — Le païs
DE Galles est socmis aux lois de l'Angletekke. —
i luNFIRMATION DES ÉLOS A WlNCIIESTEIl ET A KoCUESTEH. —
L'aube de VVestminsteb passe L4 meu. — Désolation
d'Antiochl. — Le doyen de Londres se rend a la cour
ROMAINE. — Le roi comble de julu ï.^ jour les étran-
-188 , HENRI III.
GERS d'amitié et DE RICHESSES. MoRT DU CARDINAL-ÉVÈ-
QDE DE Sabine. — Vers le même temps, l'évêque de
Lincoln fit une visitation dans les maisons de reli-
gieux établies dans sou diocèse. S'il fallait répétertous
les actes de tyrannie qu'il exerça en cette occasion,
on pourrait le taxer non-seulement de sévérité, mais
même de rigueur inhumaine. Voici quelques faits en-
tre autres. Étant venu à Ramsey, accompagné de sé-
culiers, il fouilla en personne les lits des moines,
dans le dortoir, examina tout, retourna tout, fit ouvrir
de force tout ce qu'il trouva fermé, brisa les cassettes,
sans craindre d'être accusé d'effraction, mi ten pièces
et foula aux pieds les coupes dont les supports ou les
cercles étaient en argent*, tandis qu'il aurait pu les
donnerauxpauvres, s'il eût agi avec plus de réflexion.
Étant venu aux maisons des religieuses, ce que j'ai
honte à écrire, il leur fit presser les mamelles, afin de
voir physiquement de cette façon s'il y avait quelque
corruption [de mœurs] entre elles. Il prononça en ou-
tre d'horribles malédictions, celles que Moïse a écri-
tes, sur la tête de ceux qui transgresseraient ses statuts,
cl combla au contrairedes bénédictions de Moïse ceux
qui les observeraient. Dans le carême suivant, il fut
suspendu de l'office episcopal , parcequ'il n'avait pas
voulu admettre à un riche bénéfice, situé dans son
évêclié, un certain Italien, qui ignorait la langue an-
glaise. On croit cependant que , s'il commit tous ces
' Cette recherche était interdite aux moines par lours statuts. Nous
renvoyons aux Additamenta pour (1«> plus amples (KHhïIs.
ANNÉE 4 25^ UQ
aclesdesévérilé, c élait poursauver du péché lésâmes
dont il devait rendre compte un jour.
A cette époque, le pays de Galles, qui avait tant de
fois levé le lalon contre le royaume d'Angleterre, lut
domptée! soumis aux lois de l'Angleterre. La partie
limitrophe du pays de Chester fut donnée en garde à
Alain de la Zouch '. Celui-ci, qui avait supplanté
Jean de Gray, lequel ne tirait de ce pays que cinq
cents marcs, fît monter lu contribution jusqu'à onze
cents marcs ; c est ainsi que le malheureux pays de
Galles était livré comme en ferme à ceux qui vou-
laient grossir le trésor royal.
Vers le même temps, furent confirmés Athelmar,
frère ulérin du seigneur roi, élu à Winchester, et
maître Laurent de Saint-Marlin, élu à Rochester. Il
leur fut permis de conserver les revenus précédem-
ment obtenus, et cela pendant quelques années. Ainsi
étaient déjà passés en coutume et en usage des abus
lels que ceux-ci, à savoir que celui qui est appelé à
un évéché ne reste pasévéquc, mais élu ^ de façon que
le pasteur ne mène point paître, mais paisse lui-même;
qu'un évêque conserve les revenus qu'il avait précé-
demment, de façon à être considéré comme quelque
chose de monstrueux; qu^enlin un évêque, postulé à
un autre évêché plus riche, y soit effectivement trans-
' Il ; a, en Angleterre, un lieu nommé de la Souch, non loin de
Loagboroagh. L'Index donne Alain deZuehe et Alain de Souche comme
deux pertonnages difTérents, mai* à tort; l'ortliograpbe |iriniilive était de
la Souche, comme Du taut de chevreau qui se changea en Sachewerell,
Uocheforl en Uochford , Chalong en Cbaloner , Saînt«Maur en Sey-
moar, rtr.
190 HENRI HI.
féré, de façon qu'une église paraisse être la concu-
bine d'une autre église.
A la même époque, c'est-à-dire au commencement
du carême, Tabbé de Westminster passa secrètement
la mer, sur la volonté et par l'ordre du roi. Or, il y
en avait qui disaient que le seigneur roi avait l'in-
tention de passer la mer, et de se rendrej en pèlerin
à Pontigny, pour y visiter le bienheureux Edmond,
et se réconcilier avec lui ; car il n'ignorait pas qu'il
l'avait offensé en beaucoup de choses, quand, pre-
nant parti pour Othon, il avait tourmenté jusqu'à
amertume de cœur le saint confesseur, alors arche-
vêque, et l'avait obligé à un exil d'extermination : ce
qui lui faisait redouter la vengeance du saint. Mais
le comte Richard ne donnait pas son consentement
à un pèlerinage aussi dangereux. Cependant l'abbé,
voyant qu'il ne pouvait réussir à préparer une voie
pacifique au pèlerinage du roi, ne songea plus qu'à
s'occuper de ses propres affaires, c'est-à-dire à pou-
voir plier son couvent sous ses volontés, et à obtenir
le titre de chapelain du seigneur pape. Mais quand
le seigneur roi fut instruit de cela, il chercha à ren-
dre vains les efforts de l'abbé, et lui retira ,dès lors
toute sa faveur, qui faisait la confiance dudit abbé:
ce que la suite des faits prouva bien , comme on le
pourra voir dans les détails qui suivront.
Oh ! douleur! dans ces mêmes temps, la très-noble
cité d'Antioche, acquise au prix du sang de tant et
de si nobles hommes, fut exposée à l'ignominie et
au danger, les forces et la multitude des Turcs cl cfes
ANNÉE 4254. 494
Turcomans s accroissant chaque jour; aussi beau<
coup de citoyens désespérés prirent la fuite, parce
que déjà toute la principauté et la dignité patriarcale
étaient livrées à la plus {{rande confusion. En effet, le
souvenir de la victoire du Soudan de Babylone et la
confusion du roi de France avaient encouragé les
inlidèles/'et troublé grandement les chrétiens.
Vers» le même temps, le doyen de Londres, qui
avait souffert tant de vexations pour la liberté de son
église, se rendit encore à la cour romaine, malgré
son grand âge, pour défendre les droits de son église,
et à Toccasion du scandale multiplié auquel Tarche-
véque avait donné lieu. En effet , le seigneur pape
avait ordonné que les chanoines fussent absous, et
leurs adversaires, au nom du même seigneur pape,
avaient ordonné qu'ils fussent excommuniés, pour
une autre raison. Aussi cette querelle paraissait-elle
fort ridicule aux laïques : et il n y a pas lieu de s'en
étonner.
Vers le même temps , le seigneur roi perdit l'ol'-
fection de ses hommes naturels, de jour en jour et
non plus peu à peu. En effet, suivant ouvertement
les traces de son père, il attirait tous les étrangers
qu'il pouvait, dé|)Ouillait les Anglais pour les enri-
chir, et, au mépris des Anglais, s'entourait de gens
d'autres pays. C'était tantôt le comte Richard, tantôt
1 archevêque, tantôt l'évêque de Winchester et ses
autres frères, ici l'évêque d'Uéreford, là Pierre de
Savoie, et les autres qu'il appelait de tous côtés. Aussi
il n'y avait plus tu Angleterre un seul roi, mais
492
HENRI III.
plusieurs rois, toujours prêls à enlever de force des
chariots, des chevaux, des vivres, des vêtements, en-
fin tout ce qui est nécessaire à la vie. De plus, les
Poitevins s'efforçaient de mille manières d'opprimer
les nobles de la terre, et surtout les religieux; au
point que, si l'on passait seulementen revue les inju-
res que Guillaume de Valence fit souffrir à l'abbé de
Saint-Albans et au prieur de Thynemouth , cela
suffirait pour arracher des larmes aux yeux des au-
diteurs. Mais pour ne pas trop grossir ce volume, nous
les avons rejetées au livre des Additamenta\
A cette même époque de l'année, l'évêque de Sa-
bine , Guillaume (homme saint et cardinal de l'é-
glise romaine , qui peu d'années auparavant avait
été légat en Suède et en Norvège, comme nous l'a-
vons dit) dormait une certaine nuit dans son lit,
plein de vie et de santé, lorsqu'il eut une vision noc-
turne ; il aperçut le cardinal Othon, qui était mort
peu de temps auparavant, assis comme dans un con-
cile général fort nombreux. Lui Guillaume survenait;
mais personne ne se levait devant lui, ni ne lui faisait
place pour s'asseoir. Othon, seul, se levant devant
lui, lui disait hautement: « Mon ami, monte plus
« haut; je t'ai réservé une place où tu pourras t'as-
« seoir. » En effet , pendant leur vie , Othon et lui
avaient été amis intimes. Or, Guillaume, s'élant
réveillé, fut grandement agité de ce songe, et il eut
une révélation divine, qui lui fit comprendre qu'a-
< Ce docoment oc s'eil point rnlrouvé.
ANNÉE 4254. 495
vant trois jours, il quitterait ce inonde. Il alla donc
sur-le-champ trouver le pape, dont il reçut congé et
bénédiction, et lui dit: «Porte-toi bien, monseigneur,
« car le Seigneur me rappelle de ce monde. • Puis,
disant adieu de la même façon à tous ses frères et
amis, il revint à son hôtel, le cœur plein de dévotion.
Or, tous s'étonnaient de cela, et il y en avait qui se
moquaient de lui, et disaient que la vieillesse le fai-
sait radoter, parce qu'ils le voyaient bien portant et
n ayant aucune infirmité extérieure. Cependant ledit
Guillaume, après avoir fait avec réflexion les derniè-
res dispositions qu'il avait à faire dans sa maison, et
avoir révélé à plusieurs la susdite vision, abandonna
le lendemain, par une fin louable, cette demeure
terrestre. Vers le même temps, mourut aussi maître
JeandeOffinton, chanoine de Salisbury, qui n'avait
pas, entre tous les clercs d'Angleterre, son pareil pour
la célébrité.
Discorde entre l'abbé et le coovent de Westmin-
ster. — Défdtation du roi de Castille au roi d'Angle-
terre. — Lettre injurieuse du pape. — Arrivée du roi
A Saint- Albans. — Mort miserable de Robert Chan dos.
— Mort pieuse de Cécile de Sanford. — A la même
époque, un scandale vint troubler la noble commu-
nauté de Westminster, en sorte que la discorde, sou-
levée entre les parties, fut aussi dommageable qu'in-
convenante. Eneftet, I abbé, homme lettré et prudent,
s'efforçait de faire annuler, en vertu de l'autorité
apostolique, la décision de sou prédécesseur, qui
vM. 45
494 HENRI HI.
avait séparé les biens de son église, affectant les uns
à son propre usage, les autres à l'usage du couvent,
afin de mieux entretenir la bonne intelligence en-
tre lui et ses frères; mais celui-ci travaillait de toutes
ses forces à réunir ce qui avait été divisé, et à faire
tout plier sous ses volontés. C'est pourquoi il s'atta-
cha au seigneur pape, le suivit pas à pas, et prolon-
gea de beaucoup son séjour à la cour romaine, non
sans y faire des dépenses considérables. Aussi était-
il compté parmi les familiers du pape, et sa prudence,
son éloquence et sa bonne mine, lui valurent d'être
réellement, et en titre, le chapelain du seigneur pape,
et d'obtenir une grande partie de ce qu^il sollicitait.
A celte nouvelle, le couvent commença à redouter
grandement que les dispositions pieuses, réglées par
Tabbé Richard, prédécesseur dudit abbé, ne fussent
infirmées, et que la condition de la communauté ne
se trouvât mal de ce mal. Les principaux du couvent
furent donc envoyés vers le roi, et se plaignirent à
lui en pleurant, et en lui disant : « Oh ! seigneur,
« l'abbé que vous nous avez fait nommer s'efforce
« de troubler notre maison, qui est plutôt spéciale-
<4 ment la vôtre, et d'annuler ce qui a été pieusement
u réglé pour noire repos. C^esl à vous de protéger
« votre maison et votre domicile royal, afin qu'il ne
(« soit ébranlé ni no tombe sous le choc d'aucun ad-
" versairo. » Le seigneur roi leur répondit, en pro-
nonçant son grand serment : » Il ne prévaudra jamais
< contre vous, je vous l'assure. » lilt il fit bien voir
hautement l'indignation, la colère et la haine qu'il
ANNEE 4354. 495
ressentait contre Tabbé : « Je me repens, dit^il,
« d'avoir fait élire cet homme. »
Dans le même temps, le très-glorieux roi de Cos-
tille, Alphonse', envoya, dans de bonnes intentions,
un député solennel au roi d'Angleterre : c était un
chevalier éloquent et de bonne mine, par Tentremise
duquel il le priait efficacement et amicalement ,
comme son cousin et par conséquent son ami spé-
cial, de ne pas suivre les traces du roi de France,
dans le pèlerinage qu'il devait entreprendre, et de ne
pas imiter I orgueil des Français, mais bien plutôt
de passer en toute sécurité sur ses terres, promettant
<le lui servir de guide en personne, d'être son auxi-
liaire inséparable et infatigable, et de lui fournir
vivres, armes et flotte. Nous apprîmes, par le rap-
port du même député, qu'après la prise de Seville,
oilé très-opulente, presque toute l'Espagne, jusqu'à
la mer, était tombée sous la domination du même
roi Alphonse. Ce député nous assura aussi que cette
cité, avec la province adjacente, avait coutume de
payer au roi de Maroc ( que nous appelons ordi-
nairement Miramolin |, chaque semaine, a sa-
voir, à la sixième férié, et cela sans manquer^
onze mille talents de revenu ^ : ce qui nous semblait
à peine croyable à nous autres Occidentaux. Le sei»
• Erreur. Il s'agit de Ferdinand ill, connu sous le nom de saiat Per-
diiiaud. Son ambassade avait surtout pour objet de prier Henri IH de se
joindre k lui contre le roi de Maroc. Il ne mourut quVn 1253.
* Assertion beaucoup plus vraisemblable que celle qui est indiquée à
la page 413 du volume précédent.
J^96 HENRI III.
gneur roi d'Angleterre, satisfait de ce message, rendit
au roi de Castille d'abondantes actions de grâces.
Nous avions trouvé un sujet de joie dans le contenu
de ce message, et nous y aurions trouvé un sujet
d'honneur, si une mort prématurée n'avait enlevé de
ce monde le magnifique roi Alphonse. Toutefois,
grâce à la providence du Seigneur, il ne mourut pas
tout à fait en mourant, et laissa après lui des fils
très-vaillanls pour gouverner son royaume.
Vers le même temps, le seigneur pape adressa à
l'abbé de Saint-Albans une lettre ainsi conçue :
« Innocent, évéque , etc. , à ses chers fils l'abbé et le
couvent de Saint-Albans, au diocèse de Lincoln, sa-
lut et bénédiction apostolique. Comme notre cher
fils Jean de Camecave, notre neveu et notre chape-
lain, possède* l'église de Wengrave, sur laquelle, à
ce que nous avons appris, vous avez évidemment
droit de patronat, nous prions votre discrétion, avec
une affection paternelle, et nous vous recomman-
dons, par ce rescrit apostolique, de changer, au gré
du même chapelain, ladite église pour une autre
église, la première vacante qui appartiendra à votre
présentation, si ledit chapelain ou son procurateur
juge à propos de l'accepter, tout en réservant ladite
église de Wengrave h notre donation; nonobstant
toute défense ou réserve quelconque, ou même cette
indulgence octroyée aux Anglais, et qui porte que les
bénéfices des clercs italiens, démissionnaires ou dé-
* Il y a quelque Isounf au (est«.
ANNÉE 4254. 497
cédés, ne seront pas immédiatement conférés à un
autre clerc d'Italie. Donné à Lyon, le 2 avant les ides
de décembre. » Or, nous avons jugé à propos d 'insérer
cette lettre dans ce livre, afin que les lecteurs ap-
prennent par combien d'angoisses et d'injustices la
cour romaine nous tourmente, malheureux Anglais
que nous sommes. En effet, en examinant la teneur
de cette lettre, on pourra considérer combien elle
renferme de mépris, d'injure et d'oppression. Mais
il fallait que cette sentence menaçante de l'apôtre
s'accomplît : « Tant que la séparation ne sera pas
venue, le fils de l'iniquité ne sera pas révélé.» Telle
est la cause, tel est le sujet qui font que les cœurs ,
sinon les corps, se séparent de notre père le pape,
qui se conduit avec la rigidité d'un père étranger, et
de notre mère l'église romaine qui exerce les persé-
cutions d'une marâtre.
Vers le même temps, c'est-à-dire le dimanche de
la passion du Seigneur, le seigneur roi vint à Saint-
Albans, où il s'arrêta trois jours; il offrit à saint Al-
bans trois tapis* pour le maitre-autel , un tapis à
saint Amphibale, et de l'or pour la chûsse de saint
Albans. Cependant il montra de la tiédeur à nous
faire rendre justice, dans le procès fort nuisible pour
nous, qui divisait l'église de Saint-Albans et Geoffroi
de Cbildewike. Or ce dernier, entre autres excès
qu'il serait trop long d'énumérer, avait violé énor-
mément la paix du royaume et de la couronne royale,
en dérobant, comme un brigand, à main armée, le
à'uda. l.a âoijUii Uanyùtg.
498 HENRI m.
cheval d'un serviteur du chapitre de Saint-Âlbans,
avec le fardeau dont ce cheval était chargé. Aussi
avait-il été cité, par ledit serviteur, pour crime de lèse-
paix, et le susdit chevalier incriminé pour ce fait était-
il attaché, en vertu d'une lettre obtenue en cour du
roi, pour nous servir des termes usités en justice.
Mais labbé, ayant reconnu que le droit serait peu
observé, et que la colère du roi était fort adoucie,
grâce à là faveur de Jean Mausel, principal conseiller
du roi, et beau-frère du susdit chevalier, retira son
appellation. Cependant ce très- ingrat chevalier ne
s'en efforça pas moins d'attaquer méchamment et
traîtreusement l'église, l'abbé et le couvent, dont il
était l'homme, parce que les secours et les encoura-
gements dudit Jean le rendaient fier.
Vers le même temps, fut pris un certain chevalier
très-audacieux et Irès-vai liant, nommé Robert, sur-
nommé Chandos, du vasselage de Jean de Mon-
mouth. Cet homme, dans un moment de colère,
s'était retiré du service de son seigneur Jean, s'était
abandonné aux incendies, aux rapines et aux homi-
cides, de concert avec une foule de complices qu'il
avait attirés à lui, et exerçait ouvertement et secrè-
tement l'affreux métier de sicaire. Tandis que le roi
séjournait, comme nous l'avons dit, à Saint-Albans,
on vint lui apporter ta nouvelle que les féaux du
comte de Glocester avaient pris Robert Chandos, et
l'avaient incarcéré après l'avoir pris; mais qu'il avait
expiré misérablement dans le cachot profond où il
avait été jeté, chargé de cliaincs très-élroitcs par
les geôliers, qui redoutaient sa force et son courage.
AiMNÉE 4311^ iU!»
Celle iiièmeauiiée, ie^tO uvaiil lescaleudesd uoùl,
mourut une trèsHïuinte femme, nommée Cécile, sur-
nommée de Sanford, ù un mille de Sainl-Albans.
C'clail une (idèle veuve, noble par sa naissance, mais
plus noble encore par ses mœurs. Or, elle était veuve
de Guillaume de Gorbam, et mère de Guillaume de
Gorbom, tous deux cbevaliefs. Cette dame, qui était
fort docte, très-enjouée, et savait le beau laugag^e, fut
choisie, après plusieurs années de veuvage, pour être
la gouvernante et pour former le caractère d'Aliénor,
sœur du seigneur roi, qui fut laissée veuve par Guil-
laume Maréchal le jeune, et ensuite de Jeanne, qui
lut mariée à Guillaume de Valence. Ladite dame Cé-
cile, en présence de saint Edmond, archevêque de
Cantorbéry, lit solennellement vœu, ainsi que la
comtesse de Pembroke, alors veuve, d'observer la
continence qui convient aux veuves, et reçut, ains;
que son élève la comtesse Alienor, Panneau de fîan-
(^illes et lu robe de rousset*, pour les porter en
témoignage de célibat perpétuel. Mais plus tard la-
dite comtesse, voulant être mère, se maria au comte
de Leicester, en verlu d'une indulgence du pape.
Quant à Cécile, elle observa inviolablement, d'âme et
d'extérieur, jusqu'à la mort, le vœu promis à Dieu.
Se sentant près de mourir, elle ût appeler eu toute
hôte sou confesseur, frère Gaultier de Saint-Martin,
de Tordre des Prêcheurs, homme doué, entre tous,
' Esfècc (le drap biuii. Mail. Tariij appelle plus haut celle sœur de
Henri 111 Johanna. Jvhunnu pour Alienvra e$i cvidt>uimenl une faule.
200 HENRI III.
de bonnes mœurs et de science. Après qu'elle se fut
pleinement confessée, qu'elle eut reçu le viatique du
corps du Seigneur, et qu'on lui eut appliqué l'extrême-
onction, elle allait expirer, lorsque frère Gaultier,
voyant Tanneau d'or qu'elle avait au doigt, dit aux
servantes : « Otez-lui à l'instant cet anneau^ afin
« qu'elle ne meure pas ainsi parée. » Mais celle-ci,
entendant ces paroles, quoiqu'elle fût à demi morte,
retrouva quelque connaissance, et dit avec effort :
« Ne faites pas cela, ne faites pas cela, cher père. Il
« ne faut pas que cet anneau me quitte, vivante ou
« morte ; car je dois le représenter devant le tribu-
« nal de Dieu, à mon fiancé, en témoignage de la
« continence inviolée que je lui ai promise par cet
« anneau, et pour recevoir la rétribution convenue.
« Je sais à qui j'ai cru, puisque j'ai refusé pour lui
« les embrassements de nobles seigneurs, avec des
« dots opulentes.» Puis, retirant la main et courbant
le doigt, elle retint l'anneau que les servantes cher-
cbaient à lui ôter, et termina ainsi son discours avec
sa vie. Or, le frère Gaultier, en homme discret,
approuva des paroles si ferventes et un dessein si
pieux, et c'est aussi le susdit frère qui m'a conté,
par une relation véridique, ces preuves et d'autres
encore de la sainteté de ladite damc^ afin que je les
écrivisse. Le corps de Cécile, qui avait encore l'an-
neau au doigt, fut donc porté h Saint-Albans, à cause
de son privilège do célibat et de la noblesse de sa
naissance, et fut enseveli honorablement dans un
sarcophage de pierre, devant l'autel du bienheureux
ANNÉE 425^ a04
André, dans ladite église. Or, Tabbé et le couvent,
ainsi qu une multitude nombreuse de chevaliers et
de seigneurs de la famille de la défunte, assistaient à
la célébration des obsèques. Parmi eux se trouvait le
seigneur Nicolas de Sanford, frère de la susdite Cé-
cile, qui éprouva une douleur tellement violente de
la mort d'une sœur si recommandable, que jamais,
bêlas! il ne put s'en remettre complètement. Or,
c était un homme dans la fleur de Tâge, de bonne
mine, et qui n'avait point son supérieur en Angle-
terre pour la vaillance chevaleresque. Ayant donc
passé plusieurs jours en lamentations, il paya sa dette
à la nature dans Tannée [qui suivit], c'est-à-dire le
40 avant les calendes de février.
Le pape qditte Lyon. — Il arbive sain et sauf a Mi-
lan et DE LA A PÉHOCSE. — L'aBBÉ DE WESTMINSTER BE-
VJENT DE LA COCR ROMAINE. Le TRESOR ENVOYÉ AU ROI
DE France est englouti dans les flots. — Déluge
PARTIEL DANS LA FrISE. — UeNRI DE BaTH RENTRE A LA
COUR. UeTOUB DE l'ÉLU A WINCHESTER. — MoRT DE
Paulin-le-Poivre. — Cette même année, pendant
la riante sérénité de l'été', le seigneur pape quitta
Lyon, accompagné d'un grand nombre de cardinaux
et de seigneurs. Philippe, élu à Lyon, lui fit la con-
duite avec une grande compagnie d'hommes d'armes,
à cause des embûches que pourraient lui tendre les
partisans de Frédéric. Tandis que tout était préparé
' Festira. Nous adoptons la varianle eestiva.
202 HENRI III.
pour le départ, frère Hugues, cardinal, prononça un
long sermon en présence du peuple, comme étant
chargé, au nom du seigneur pape, de dire adieu aux
habitants de Lyon. Après les avoir instruits par d'élé-
gants préceptes, et ensuite les avoir salués civilement,
au nom du seigneur papeetde toute la cour romaine,
il ajouta quelques paroles, que nous avons cru devoir
insérer dans ce livre, à cause du reproche satirique
qu'elles contiennent : « Mes amis, depuis que nous
« sommes venus dans cette ville, nous y avons causé
« une grande utilité et fait une grande aumône. En
" effet, quand nous y sommes arrivés pour la pre-
« mière fois, nou8 y avons trouvé trois ou quatre
<( lieux de prostitution : maintenant que nous la
<( quittons, nous n'en laissons plus qu'un seul; mais
<( aussi, il s'étend etseprolongedepuis la porte Orien-
« taie de la ville jusqu'à la porte Occidentale. » Or,
ces paroles étaient fort offensantes pour les oreilles de
toutes les femmes, dont une multitude infinie assis-
tait à ce sermon. Car tous les habitants de la ville
avaient été convoqués par la voix du héraut, au nom
du seigneur pape prêt à partir. Aussi cette ironie pas-
sa-t-elle de bouche en bouche, parce qu'elle attaquait
avec un cynisme mordant les habitants, tous tant qu'ils
étaient.
Le pape, ayant donc traversé sain et sauf beaucoup
de périls, parvint à Milan. Les citoyens allèrent à sfl
rencontre pour lui faire honneur, et le reçurent avec
grande déférence, le jour du la nativité de la bien-
heureuse Marie. Mais ensuile, lorsqu il eut béjourné
AIWÉE 4254. »S
parmi eux pendant un mois, et qu'il voulut se retii-er,
ils exigèrent de lui une somme considérable, qu'ils
prétendaient avoir dépensée contre Frédéric, pour
l'honneur de l'église et pour le sien. On assure que le
pape leur répondit avec modération comme il suit :
" Nous savons bien, amis de Dieu et de Téglise, que
- vous vous êtes exposés à de grandes pertes et à
« beaucoup de dangers pour Thonneur de Dieu et
« de son église, et pour le nôtre; mais vous savez
M bien aussi que, chassé de Rome et subissant l'exil,
« j'ai supporté de grandes pertes, dans ma per-
« sonne et dans mes dignités. Aussi quand la for-
« tune prospère, sur laquelle je compte, et qui doit
n m'advenir par vos soins , j'en suis sûr, me soa-
" rira, je vous comblerai d'honneurs convenables,
" comme il est juste. » Ce fut par ces paroles et
d'autree semblables, ainsi que par des présents,
que le seigneur pape, généreux en dons et pro-
digue en promesses, apaisa prudemment l'exigence
des citoyens de Milan, sachant bien qu'il avait la
main prise dans la gueule du lion. De plus, il ob-
tint d'eux que la généralité des habitants prendrait
les armes pour lui frayer un libre chemin, et le con-
duirait avec respect jusqu'aux limites du Milanais,
en le maintenant sain et sauf contre toute violence,
et en le protégeant sûrement contre tous les partisans
de Frédéric. Le pape, s'étant donc mis en route pour
Pérouse, non sans beaucoup de dé|)ense8, se garda
bien d'entrer dans aucune grande cité, afin de ne pas
re^embler au poisson tombé duns le iilet pour n'en
204 HENRI III.
plus sortir. Et jusqu'à ce qu'il fût arrivé à Pérouse,
il pressa sa marche, sans épargner les flancs de ses
chevaux. Les habitants de Pérouse le reçurent avec
empressement, à cause des profits qu'ils comptaient
faire sur tous ceux qui allaient affluer dans leur ville.
Vers le même temps, l'abbé de Westminster,
chapelain du seigneur pape, revint de la cour romaine,
où il avait contracté des dettes et des obligations non
petites; car il avait continué et prolongé son séjour
en cette cour, et s'était concilié les cœurs de beaucoup
de courtisans, au point que Ton croyait pour sûr
qu'il resterait définitivement auprès du seigneur
pape, parce que c'était un homme fort habile dans
les affaires difficiles. Il arriva donc, armé de pouvoirs
de toute espèce pour faire plier son couvent sous sa
volonté, et sur-le-champ se rendit auprès du roi, à
Windsor, où il lui chanta la messe en cérémonie et
vêtu des habits pontificaux ; car, par sa belle voix et
par sa bonne mine, c'était un homme qui ne laissait
rien à désirer. Il alla donc en toute confiance trouver
le roi, et lui montra les lettres de plusieurs hommes
puissants, afin qu'il lui fût permis de gouverner
absolument la maison de Westminster, que le sei-
gneur roi lui avait donnée à diriger, en l'adminis-
trant sainement, et de rétablir les possessions dans
leur intégrité, en réunissant ce qui avait été divisé.
Mais le seigneur roi, dont le cœur s'était détourné de
lui, regarda l'abbé de travers et d'un œil irrité; puis,
élevant la voix, l'accabla d'injures qu'on no peut ré-
péter. H lui rc|)r(»cliii, entre autres choses, de l'avoir
ANNÉE \2bi. 2»5
élevé à tort à la di{;nité d'abbé, et de Tavoir appelé
inconsidérément dans son conseil secret. « Comment
« pourrais-je me 6er dans ta 6délilé, ajouta-t-il,
« quand tu t'efforces de grever et de molester tes
« frères, qui, depuis longtemps, sont tes compa-
« gnons et tes commensaux? » Quoique plusieurs de
ses amis, tels que Jean Mansel et beaucoup d'autres
quMI serait trop long de nommer, intercédassent
pour ledit abbé, le roi, grandement courroucé, le
chassa et Téloigna tant de son conseil que de sa fa-
veur. EnOn Tabbé, supportant à regret Tindignation
du roi, consentit à prendre pour arbitres le comte
Richard et Jean Mansel, s'engageant à avoir pour
bon et valable ce qu'ils décideraient, si leur décision
était approuvée du seigneur roi : ce qui fut accepté
volontiei^s par le couvent, quoique les deux arbitres
fussent les grands amis de l'abbé, et le roi lui-même
y consentit. Ceux-ci, après de longues discussions,
déboutèrent Tabbé, et accédèrent complètement au
désir et à la demande du couvent; car ils savaient
que c'était le moyen de plaire au roi. Mais cette con-
troverse ne fut pas terminée cette année-là.
Vers le même temps, la mère et les frères du roi
de France envoyèrent une grande quantité d'argent
pour la rançon dudit roi. Mais pendant que le vais-
seau qui portait cet argent était en mer, une tempête
s'éleva et l'engloutit avec tout ce qu'il contenait. A
cette nouvelle, le très-chrétien roi de France dit : « Ni
<t cette adversité ni toute autre, quelle qu'elle soit, ne
« pourra me séftarer de l'amour du Christ. » C'est
206 HENRI III.
ainsi que ce roi magnanime réconfortait les autres
qu'il voyait pusillanimes, en sorte qu'on pouvait le re-
garder, en vérité, comme un second Job. Les infidèles
eux-mêmes, touchés de pitié, admiraient sa fermeté.
Celte même année , dans la Frise , qu'on appelle
vulgairement Friseland , une masse d'eau , sortie à
ce qu'on croit de la mer, causa un déluge partiel, et
couvrit et occupa un espace de terre qui formait en-
viron sept journées de marche. Dans cet espace de
terre, par un coup soudain de la vengeance divine,
tout ce qui pouvait marcher périt misérablement.
Au bout de quarante jours, cette inondation funeste
retourna d'où elle était venue. Les habitants des pays
voisins, qui étaient restés vivants, parcoururent alors
les profondeurs des rochers et des chateaux à demi
ruinés, où cette inondation mortelle avait submergé
les habitants. Ils y trouvèrent une infinité de cada-
vres , qui avaient autour des bras , du cou , des doigts
et du corps, ainsi que sur la poitrine, des colliers,
des bracelets, des anneaux, des ceintures précieuses,
des agrafes d'or, et de plus des vêtements magni-
fiques et de l'argent en quantité. Tous ces malheu-
reux, au moment de mourir, avaient attaché ces ri-
chesses autour d'eux, afin que s'ils venaient à être
découverts, ils fussent ensevelis plus volontiers par
ceux qui les trouveraient , et que leurs obsèques ne
leur coûtassent rien. C'est ainsi que les vivants furent
enrichis par les dépouilles des morts. Beaucoup
d'entre eux se rendirent ù la foire de Saint-Botulph,
et veudirent ù vie bonnes conditions de l'or, de Tur-
ANNEE 425^. M7
genl et des pierres précieuses, aux marchands qui
voulurent eu acheter.
Vers la fêle de la bienheureuse Marie-Madeleine,
Henri de Bath , dont nous avons parlé plus haut ,
avant promis au seigneur roi deux mille marcs, ren-
tra pleinement en grâce et revint à la cour, ne se
souvenant plus des pièges auxquels il avait échappé.
Vers le même temps, Alhelmar, élu à Winchester,
aborda en Angleterre avec une nombreuse et magni-
fique compagnie, venant des pays d'outre-mer. Le
roi alla joyeusement à sa rencontre avec une nom-
breuse multitude de seigneurs, et principalement de
Poitevins. Dans le nombre se trouvaient les deux
frères d'Alhelmar, Guillaume de Valence et Geoffroi
de Lusignan , le roi faisant le troisième frère. Ils se
félicitèrent mutuellement, et le lendemain de la fêle
de Sainte-Marie-Madeleiue , qui était un dimanche,
une grande fête et un festin furent célébrés à Win-
chester : ainsi ce qu'il y avait de magnifique en An-
gleterre devint le |>artage des étrangers à Texolusion
des indigènes. Ce qui augmenta les causes de joie, ce
fut la faveur du pape, que le susdit élu s^était conoi^
liée avec la faveur du roi , faveur qu'il devait à son
litre de frère. Grâce à cette coopération puissante, il
avait réussi à conserver les revenus précédemment
obtenus . qui montaient à une somme de plus de
mille marcs. Or il est évident que ledit élu, qui était
pauvre , devait toutes ces richesses aux extorsions du
seigneur roi son frère, et l'on ne croit pas qu il y ait
en Anglelerre une seule église de renuni duut les
208 HENRI HI.
mamelles n'aient pas fourni du lait audit Athelmar.
Aussi avons-nous jugé à propos d'insérer dans ce li-
vre un fait bien capable d'arracher des larmes aux
yeux de ceux qui l'apprendront. L'abbé de l'église
de Saint-Albans, pour satisfaire à l'exigence énorme
et impudente du seigneur roi, payait, au compte
de Simon de Norwich , clerc , cent sols sur le re-
venu de sa chambre ' d'échansonnerie. Ledit Si-
mon étant venu à mourir au bout de vingt ans, et
étant à peine enterré, le même seigneur roi exigea,
par des prières armées, que ce revenu fût transféré à
un autre et servît à gorger un étranger, ce qui eut
lieu malgré l'abbé, qui eu gémissait. De plus le sei-
gneur roi avait demandé que ledit abbé octroyât et
payât dix marcs annuels , sur sa chambre , à son
frère Athelmar, élu depuis àWinchester. Ledit Athel-
mar ayant donc été élu à l'évêché de Winchester, le
roi ne rougit pas de demander aussitôt que les mêmes
dix marcs que le susdit Athelmar avait touchés pen-
dant quelques années fussent donnés, par une trans-
lation pareille , à je ne sais quel clerc poitevin , ce
qui, sans parler du dommage, ne peut manquer de
mettre l'église en péril ; car une servitude indélébile
et un dommage irréparable menaçaient de l'envahir.
Outre cela le roi, agissant comme un tyran, ne crai-
gnit pas de faire subir maintes et maintes fois à l'é-
glise du bienheureux Albans, premier martyr d'An-
' Camera y dam le lens dVraHtim. (Voy. la note 2, pagcSOri du
cinquième volume.)
ANNEE 425r 209
glelerre, des injures et des vexations do !oute espèce.
Mais il serait fatigant pour l'écrivain de les énumé-
rer dans ce livre , et ennuyeux pour les auditeurs
d'en entendre le récit.
Dans cette nnéme année, un certain chevalier let-
tré , ou plutôt un clerc-chevalier, nommé Paulin ,
surnommé le Poivre *, alla où va toute créature , à
Londres , auxnones de juin. H était officier de bou-
che du seigneur roi et l'un de ses plus intimes con-
seillers. Lorsque pour la premièrcfois il vint lécher les
miettes de la cour du roi , il est notoire qu'il possé-
daità peinedeux charruaiges de terre''; mais, au bout
de quelque temps, il avait acquis, bien ou mal, tant
de terres et tant de revenus, que, possesseur de plus
de cinquante charruaigesen bonnes terres, il parais-
sait avoir atteint les richesses et la pompe d'un comte.
* Ptper, dit le texte. C'est éTideinment le même qai eat nommé
plus baot Pevire. Nous pensons que Piper est une traduction analogue
à liufus (le Roux\ CœmeHtarius (le Maçon), etc., et nous traduisons
dans ee sens. Faisons remarquer cependant que Ougdale et Camden
êerireot Peter. Dans une charte d'Edouard 11, donnée en faveur de
TabiMye de Tbame, on lit : Cotifirmamus concessionem factam per
Paulum Peter de tota terra quam habuit apvd Sydenham. (Dug-
dale, Monast. Auylic. torn ii, p. 8(13.)
* Noos savons que le terme de carrucata {charruaige au moyen âge,
plougland dans l'anglais moderne), répond à celui de Uida. Il est cer-
tiioemeut employé dans le même sens par Mutt. Paris. Ce qui est moins
eertain, c'est le nombre d'acres que renfermait le charruaige. Toutefois,
d'après plusieurs chartes de Henri 11 et de Kicbard, et conformément à
l'opinion de Spelman, le charruaige en Angleterre comprenait soixante
acres. En France, au treizième siècle, c'était seulement cinquante acres,
♦f'oir Cahpe.mier, gloss, carruata et atnucuiu.) Le sens du passage
est donc que Paulin, avant l'époque de sa faveur, poaaedait à peine cent
ni. 14
2^0 HENRI m.
Ce fut un acheteur insatiable de terres, et un bâtis-
seur incomparable de manoirs. Celui de Tudington,
pour nous taire sur les autres , se composait d'un
palais, d'une chapelle, de chambres à coucher,
d'autres édifices en pierre et couverts en plomb , de
vergers et de viviers, en sorte qu'il causait l'admi-
ration de tous ceux qui le regardaient. Or, on assure
que les ouvriers employés pendant plusieurs années
à construire ses édifices , recevaient pour salaire cent
sols par semaine, et maintes fois jusqu'à dix marcs.
Son corps, après qu'on en eut fait Tanatomie, fut
enterré à Londres, et son cœur fut porté à Tuding-
ton , où il avait battu tranquille pendant la vie de
Paulin. Jean de Gray, chevalier brave et de bonne
mine, épousa la femme que Paulin laissait veuve,
et un successeur inopiné habita ces magnifiques de-
meures, qui venaient à peine d'être achevées. C'est
ainsi que le corps de Paulin fut partagé , de même
que ses possessions furent divisées et dispersées.
vingt acres de terre, et qu^à sa mort il en laissait plus de trois mille.
Voilà comment, 6 abeilles, vous faites du miel qui n'est pas pour vous.
/ipitaphe de Puulin-le- Poivre.
Que Dieu te sauve, i'aulin-le-Poivre ; et que la vie céleste te soit don-
nét par les mérites de saint Edouard.
Item^ autre épitaphe du même.
C'est ici que repose la cendre de Pauiin-lc-i'oivrc. Héfléchis ici, qui
que tu sois, qui portes un fardeau de cendre matérielle. Itegarde : Je
«ois wque ta seras, et j'étais ce que tu es*. Prie donc, quand tu passe-
ras par ici, pour que je ne sois pas laissé m pfîturc nux vers.
' Ce rers et le s«ns généra I de cettp épita|ih(' se retrouvent dans cfllc
d'Alcuin et dans une fouir d'aulros.
ANNEE 4 25^. - 2U
AiRIVÉE DE l'abbé DE ClUNY EN ANGLETERRE. — TRANS-
LATION DES RESTES d'aNCIENS RELIGIEUX A SaINT-AlBANS.
— Mort de Geoffroi Despencer. — AccusàTiows
CONTRE LES CaCRSINS. SOULEVEMENT DES PASTOUREA0X.
— Leur séjocr et lecrs violences a Orléans. — Ledr
ARRIVÉE A BOCRGES ET A BORDEADX. — IlS SONT DISPER-
SÉS. — Mort de Job le Hongrois. — Une autre de
LEURS BANDES EST EXTERMINÉE. QUELQUES PASTOUREAUX
RECRUTÉS EN ANGLETERRE PÉRISSENT A MONTREUIL. —
Helation de Thomas de Shirburn. — A la même
époque arriva en Angleterre l'abbé de Cluny , pour
visiter ses moines , réformer l'ordre et lever autant
d'argent que possible. Tandis qu'il séjournait dans
les pays d'Angleterre, et s'occupait degagner de l'ar-
gent , quelques-uns de ses voisins dans les pays
dV#utre-mer s'emparèrent par la force de plusieurs
de ses châteaux avec leurs dépendances. Aussi fal-
lut-il qu'il s'en allât en grande bâte.
Dans le cours de cette même année , au moment
où on venait d'achever une construction en pierre
de peu d'importance auprès du maitre-autel de
Saint-Albans, du côté du midi , on rassembla avec
soin les ossements des frères défunts , que l'on esti-
mait au nombre de trente, et ou les déposa au de-
hors, dans deux tombeaux de pierre, après qu'on
eut pratiqué une arcade dans la muraille. Et ce fut
avec raison : car on doit croire , sans nul doute ,
que c'était là un trésor précieux qu'on devait cacher.
Quelques-uns de ces ossements, que l'on découvrit,
étaient blancs comme de l'ivoire, plus blancs même
dans les endroits où ils étaient cassés, et parfumés
2^2 HENRI HI.
comme s'ils avaient élé oinls de baume. De plus,
aux chaussures des mêmes frères , étaient attachées
des semelles encore entières et non pourries, en sorte
qu'elles paraissaient même pouvoir servir aux pau-
vres. Or, ces semelles étaient rondes et semblaient
convenir également à l'un et à Tautre pied. Ces
chaussures étaient tenues par des courroies, et quel-
ques-unes de ces courroies n'étaient pas encore pour-
ries. Aussi cette vue excita non-seulement l'admira-
tion, mais même la stupeur detous les assistants, sur-
tout quand on songeait que ces tombes avaient pour le
moins cent ans. Mais c'étaient là des indices de sain-
teté , comme on le doit croire sainement et pieuse-
ment. Aussi quelques-uns des frères survivants, con-
sidérant cela, en gémissaient, et disaient dans leurs
âmes, en poussant des profonds soupirs : « Oh ! com-
« bien vénérables étaient nos pères , et les anciens
« moines nos prédécesseurs , pour se servir de pa-
« reilles choses, qui sont des indices de sainteté. Com-
« bien, ôDieu! tes témoignages sont devenus eroya-
« blés! quelles preuves manifestes de bonté et de féli-
« cité nous trouvons surtout dans la blancheur et la
« bonne odeur de ces ossements si humbles! Alors,
« sans doute , les églises des religieux prenaient
« d'heureux uccroissemenls, tant au spirituel qu'au
« temporel ; mais présentement elles sont attaquées,
a parce que les prélats, aussi bien que les seigneurs,
« abandonnent énormément les traces des ancêtres ,
■ par la vengeance de Dieu. Que les modernes rou-
'< gissent, eux qui sont vêtus, ou plutôt ornés d'é-
« tofics molles, lines, et précieuses. Que dire de ces
ANNÉE 4251. 215
« Ijens à tuuiques et à chaperons'! Oh ! si saint Be-
« noit ressuscitait et voyait ces choses , combien il
« serait offensé? Mais, à mieui dire, ne les voit-il
« pas, lui qui jadis percevait l'univers entier, ramassé
« sous un ravon de soleil ? Et si le bienheureux Ber-
« nard était témoin de ces abus, combien il en gro-
« gnerait? Car ne disait-il pas et n'a-l-il pas écrit :
« Rien n'est plus abominable , aux yeux de Dieu ,
« qu'un moine trop abondamment repu , trop élé-
« gammeut vêtu , trop étroitement chaussé? »
Cette même année, à l'époque où mourut Paulin,
dont nous avons parlé pins haut, mourut aussi Geof-
froi Despencer, chevalier de renom, et conseiller
spécial du roi, en son palais.
A la même époque, les usuriers transalpins, que
nous appelons Cnursins , se multiplièrent et s'enri-
chirent au point qu'ils firent l'acquisition de magni-
fiques palais à Londres, et s'établirent dans des de-
meures fixes comme s'ils eussent été des citoyens
indigènes. Or, les prélats n'osaient pas murmurer,
parce que les Caursins se proclamaient les marchands
du seigneur pape, ni les citoyens s'y opposer, parce
que ces Caursins étaient protégés à l'exemple de la
cour romaine, par la faveur de quelques seigneurs
dont ils semaient et faisaient valoir l'argent, à ce
qu'on disait. Toutefois à cette époque, d'après la
volonté et par les soins avisés du seigneur roi, ils
furent accusés grièvement au tribunal civil, mis en
< Le chaperon (pifftts) était la coiffure ordinaire des laïques, et le ca-
puc« celle des moines.
2iA HENRI in.
cause à Londres, par-devant le juge [ c'est-à-dire le
maire' ], faisant fonction déjuge, au nom du roi, qui
servait d'accusateur, réputés scbismatiques ou héré-
tiques, et coupables de lèse-majesté royale. Aussi
étaient-ils détenus pour être incarcérés et même plus
{jravement punis, pour cela surtout que, faisant pro-
fession de la religion chrétienne, ils souillaient le
royaume entier d'Angleterre par les gains honteux
de leurs usures. C'est pourquoi le seigneur roi très-
chrétien, qui avait juré de conserver intactes les sain-
tes institutions de Téglise, se plaignait d'être grave-
ment blessé dans sa conscience. Gomme la chose ne
pouvait être niée, quelques-uns d'entre eux furent
pris pour être tenus en [)rison sous bonne garde;
d'autres se cachèrent dans des lieux secrets. A cette
nouvelle, les Juifs se réjouirent d'avoir des compa-
gnons de servitude. Knfin, moyennant une somme
d'argent non petite, les Caursins, ces émules des
Juifs, furent relâchés en paix pour un temps. L'un
d'eux me déclara, au moment où j'allais écrire ceci
sur leur compte, en confirmant ses paroles par un
grand serment, que s'ils n'avaient pas fait Tacqui-
sition de demeures somptueuses à Londres, c'est à
peine s'il en serait resté un seul en Angleterre.
Cette même année, le seigneur pape composa cer-
taines décrétâtes qu'un lecteur attentif pourra trou-
ver rapportées au livre des Addilamcnta^ .
' Sfdente ïjond. pro judicc. Nous ajoutons majore. Sons obscur et
le&te mutilé.
' Viiiipz raddilinnXIX n l.i fin du volume.
ANNÉE 1234. SU
A la même époque aussi, rennemi du jjenre hu-
main espérant avec conGanee que le Jourdain coule-
rail dans sa bouche, parce qu'il en avait déjà fait
boire au Soudan de Uabylone, et voyant que la foi
chrétienne chancelait et s'écroulait, même dans le
doux pays de France, s'efforça d'égarer les hommes
par une ruse d une nouvelle espèce. Un certain Hon-
^ois de nation, qui avait renoncé méchamment à
sou titre de chrétien, et avait apostasie dès sa pre-
mière jeunesse, après avoir puisé abondamment au
puits de soufre de Tolède la science arliGcieuse des
prestiges, être devenu l'esclave et le disciple de Mac-
hometli , et être arrivé ainsi à sa soixantième
année, avait promis pour sûr au soudan de Baby-
lone, dont il était le serviteur, qu'il lui amènerait
une multitude infmie de chrétiens à faire prison-
niers, afin que les Sarrasins trouvassent plus facile-
ment accès dans les climats des chrétiens, la France
étant dépourvue d'hommes et veuve de son roi. C'est
{>ourquoi l'imposteur susdit, qui savait le français,
l'allemand et le latin, se mit à vagabonder çà et là ,
et à prêcher sans avoir l'autorisation du pape, ou le
patronage d'aucun prélat, assurant faussement qu'il
avait reçu, de la bienheureuse Marie, mère du Sei-
gneur, la mission de rassembler les pasteurs de bre-
bis etd autres animaux, et ajoutant qu'il était accordé
«Fen haut à ces bergers d'arracher la Terre-Sainte et
tous les esclaves, des mains des infidèles, dans l'hu-
milité et dans la simplicité de leurs cœurs; car l'or-
gueil des chevaliers français avait déplu à Dieu. Ce
216 HENKI 111.
qui faisait ajouter foi à ses paroles, c'est qu'il avail
une éloquence persuasive, et tenait sa main constam-
ment fermée, prétendant faussement que la charte
qui contenait les ordres de la bienheureuse Vierge
y était renfermée. Partout où il appelait à lui les
pasteurs, ceux-ci abandonnaient leurs troupeaux de
brebis, de bœufs et de chevaux, et le suivaient pas à
pas, sans consulter leurs seigneurs et leurs parents,
et sans s'inquiéter des moyens de subsistance'. Or,
il usait du même genre de maléûce dont il s'était
servi jadis en France, alors qu'il était encore imberbe
et dans l'adolescence, et qu'il avait infatué, environ
* M. Francisque Michel a placé en tête d'an Foman qu'il a composé
sur cet homme singulier la plupart des documents contemporains relatifs
aux pastoureaux, entre autres le passage entier de Matt. Paris qu'il a
transcrit et traduit. (Paris, librairie de Vimont, 4832). L'extrait des
grandes chroniques de Saint-Denis est le plus curieux document après
celui de notre auteur. On y lit à Panure 1251 : « Ung maître qui scavait
I l'art magique, fist promesse au Soudan de Babilonno qu'il lui amon-
« rait tous les jouvenceaulx de XXV ans ou de XXX ou de XVj par telle
u condition qu'il auroit de chascune teste lllj bezans d'or, et furent
<( faictes cestes couveoauces au temps que le roy cstoit en Chypre... Le
« Soudan lui donna or et argent à grant foison et le baysa en la bouche
« en signe de grant amour. Ce maistre se partit de la terre d'oultre-mer
• et s'en vint en France. Quant il fut venu en la contrée, si se pourpcnsa
« en quelle partie il gcteroit son sort ; si s'en droit alla en Picardie et
• priost une pouidre qu'il portoit, et la gctta aux champs contrcmout on
» l'air au nom de sacrifice qu'il faisoit au dyable, etc.» {Voy. aussi GuiL-
LAUMEDE Nanci.s, Chrofiic. in Spicileg. Luc d'Achery, torn, ni, et
Les Gestet de Louis IX, du môme auteur en français.) Les Annales do
Waverlt-y cl les Annales albiennes donnent également quelques lignes
MD« importance. Un manuscrit de la bililiollièquc royale, no SilOo, in-
titulé le Livre de la vie ft des miracles de inonseiijnnir saint Louis.
ni orné d'une su|ierbc ininiaturr relative nux pastoureaux.
ANNKE ^25^. 217
quarante ans auparavant, tout le populaire de France,
entraînant avec lui une immense multitude d'en-
fants, qui le suivaient aussi pas à pas en chantant :
et ces enfants, ce qu'il y avait d'étonnant, ne pou-
vaient être arrêtés ni parles serrures ou les barrières,
ni par les défenses de leurs pères et de leurs mères, ni
par les caresses ou les présents. On disait que Ro-
bert, surnommé le Bougre, faux frère de Tordre des
Prêcheurs, avait infatué une infinité d'hommes par
les mêmes prestiges, puis avait livré aux flammes des
innocents ainsi infatués, et les avait exterminés mon-
strueusement, par le pouvoir séculier du roi de
France qu'il avait incliné a ces cruautés. Mais ces
choses sont racontées ailleurs plus pleinement. Or,
le susdit vaurien, et tous ceux qui le suivaient, avaient
pris la croix. Et il y avait beaucoup d'hommes qui
leur prêtaient faveur et secours, en disant que Dieu
faisait souvent choix des faibles de ce monde pour
confondre les forts ; que le bon plaisir du Tout-Puis-
sant ne s'appuyait pas sur les jambes de l'homme
vigoureux, et qu il n'avait pas pour agréables ceux
qui présumaient trop de leur chevalerie et vaillance.
Aussi la reine Blanche, qui gouvernait la F'rance* ,
espérant que ces pastoureaux reprendraient la
Terre-Sainte, et vengeraient ses fils, leur témoignait
' Pour iiMlM|aer le pouToir absolu doat elle avait été investie par cou
iilf, Blanche, par une ordonnance datée du 2 mai 42-f 9, fit frapper une
nouvelle monnaie (|ui serait appelée reine d'or, i-t sur latjuelle de-
vait Hre représentée une reine tenant uue couronne. {Tabie rhroiiol. ées
ordonn.du lAtvrre, p«);. lU.)
248 HENRI III.
faveur et protection. Bientôt leur nombre s'accrut
considérablement, au point qu'on en compta cent
mille et plus. Ils prirent des étendards militaires, et
sur le drapeau de leur chef était figuré un afjneau
portant bannière : Tagneau en signe d'iiumililé et
dMnnocence, la bannière avec la croix, en signe de
victoire.
Vers la fête de saint Barnabe, Tarchevéque de
Cantorbéry arriva en Angleterre, et annonça, en ra-
contant tout cela, que ce fléau avait commencé après
Pâques, dans le royaume susdit. Il ajouta, dans sa
relation , que le seigneur pape après avoir excom-
munié, le jourde la cène, Conrad, fils de Frédéric,
et tous ses fauteurs, s'était mis en route le mercredi
de la semaine de Pâques, sous la conduite et la pro-
tection de Philippe, élu à Lyon, qui, dans ladite con-
duite, avait fait une dépense de trois mille marcs.
Or, le départ du pape et sou absence redoublèrent
l'audace et l'arrogance des pastoureaux, qui se multi-
pliaient en France, et augmentaient en nombre et
en forces.
De toutes parts accouraient, pour se joindre à eux,
des voleurs, des exilés, des fugitifs, des excommuniés,
tous gens que les Français ont coutume d'appeler
vulgairement ribauds; en sorte qu'ils formèrent une
armée très-nombreuse, qui avait déjà cinq cents
étendards pareils à In bannière de leur maître et de
leur chef. Ils portaient des glaives, des haches à deux
tranchants, des javelots, des poignards et des cou-
teaux, et paraissaient d(\jà plus adonnés au culte de
ANNEE 4254. 249
Mai's qu à celui du Christ. La folie les gagna : ils se
mirent à célébrer des mariages illicites : leurs chefs
et leurs maîtres, qui, bien que laïques, s'arrogeaient
le droit de prêcher, s'écartèrent énormément, dans
leurs prédications, des arliclesde la foi chrétienne, et
des règles de la vérité manifeste. Si quelqu'un leur
opposait contradiction, ils ne cherchaient à le con-
vaincre ni par des raisons, ni par des autorités, mais
l'attaquaient violemment à main armée. Leur chef
souverain prêchait entouré d'une troupe d'hommes
armés, et condamnait et réprimandait tous les ordres
religieux, excepté les conventicules desdils pastou-
reaux. C'étaient surtout les Prêcheurs et les Mineurs
qu'il appelâitdes vagabonds et des hypocrites. Il assu-
rait que les moines de Tordre de Cîteaux étaient des
amateurs très-avares de troupeaux et de terres : il
traitait les moines Noirs de gloutons et de superbes,
les chauoines de demi -séculiers et de mangeurs de
chair. Il disait que les évêques et leurs officiaux ne
savaient chasser que l'argent et affluaient en délices
de toute espèce. Quant à la cour romaine, il l'acca-
blait d'outrages qu'on ne peut répéter, en sorte que
ces pastoureaux paraissaient évidemment schismati-
ques et hérétiques. Mais le peuple, en haine et par
mépris du clergé, prétait l'oreille à toutes ces invec-
tives, et y applaudissait favorablement : ce qui était
fort dangereux.
Or, le jour de saint Barnabe, il8 parurent engrande
pom|)e et en grand nombre devant Orléann, et en-
trèrent, malgré l'évèque vi liiniversité du clergé.
220 HENRI III.
dans la ville, où ils furent bien venus des habitants.
Leurchef, qui faisait le prophète puissant en miracles,
ayant annoncé, par la voix du héraut, qu'il allait prê-
cher, ou plutôt, ayant ordonné comme un tyran de
se rendre à cette prédication, le peuple accourut en
foule pour l'entendre. Cependant l'évéque de la
ville, redoutant grandement ce fléau funeste, dé-
fendit, sous peine d'anathème, qu'aucun clerc allât
entendre leurs prédications ou suivît leui*s traces,
assurant que tout cela était piège du diable. Quant
aux laïques, ils méprisaient dès lors ses menaces et ses
ordres. Cependant quelques-uns des écoliers clercs,
transgressant témérairement les limites de la prohi-
bition episcopate, ne purent s'abstenir de prêter à
cette nouveauté inouïe leurs oreilles qui leur déman-
geaient, non pas toutefois pour embrasser les erreurs
de ces gens-là, mais seulement pour être témoins
d'une si rare insolence; car n'était-il pas nouveau et
absurde qu'un laïque, voire même un plébéien, au
mépris de l'autorité pontificale, se mît à prêcher si
audacieusement en public et dans une ville même où
florissait une université d'écoliers, et cherchât à in-
fecter de ses impostures les cœurs et les oreilles de
tant de peuple? Or, ces pastoureaux déployaient cinq
cents bannières : aussi les clercs les plus prudents se
tinrent cachés, non sans trouble et non sans frayeur,
dans leurs hôtels, après avoir fermé solidement les
portes et abafssé les barrières. Le maître susdit, étant
donc monté en chaire pour prêcher en public, com-
mença, sons prendre aucun texte pour son sermon, à
vomir, à grands éclats de voix, des indignités qu'on ne
ANNÉE 4254. 224
peut répéter. Alors un des écoliers, qui se tenait à
distance, s'avança audacieusement plus preset ne put
s'empêcber de s'écrier : « 0 hérétique très-pervers et
a ennemi de la vérité, tu en as menti sur ta léte. Tu
« trompes ces innocents par tes faux et fallacieux dis-
« cours. » A peine avait-il achevé, qu'un de ces vaga-
bonds, se jetant sur lui, et brandissant une hache re-
courbée, lui partagea la tète en deux et le blessa de
manièi*e qu il n'ajouta pas un seul mot de plus. Un
grand tumulte s'éleva , et ceuxque nous avons nommés
jusqu'ici pastoureaux, maisqui méritent plutôt d'être
appelés imposteurs et précurseurs de l'Antéchrist,
se répandirent de toutes parts, se jetèrent en général
sur le clergé d'Orléans, attaquèrent à main armée
des hommes sans défense, pillèrentdes livres de grand
prix et les jetèrent au feu, après avoir brisé les portes
et les fenêtres ; ils massacrèrent beaucoup de clercs,
noyèrent ceux-ci dans la Loire, blessèrent ceux-là et
en dépouillèrent un grand nombre, pendant que le
peuple de la ville voyait toutes ces horreurs avec des
yeux de connivence, ou à mieux dire y applaudissait :
ce qui lui valut d'être appelé race de chiens. Voyant
cela, ceux qui s étaient enfermés et cachés dans leurs
maisons, se sauvèrent en foule secrètementet pendant
la nuit. Toute l'université fut donc troublée, et il fut
avéré que vingt-cinq clercs environ avaient succombé
misérablement, sans compter les blessés et ceux qui
avaient souffert dommage d'une façon ou d'une autre.
L'évêque et les siens, qui s'étaient cachés pour n'être
pas enveloppés dans de semblables calamités, su-
222 HENRI HI.
birent plusieurs opprobres et dommages. Les pas-
toureaux, craignant qu'une sédition ne s'élevât dans
la ville, et qu'il ne leur survînt des ennemis qui en
viendraient aux mains avec eux, se retirèrent. Cepen-
dant l evêque, ne voulant pas être assimilé à un
chien qui ne peut aboyer, mit la ville en interdit,
parce que les habitants s'étaient rendus coupables de
permission, consentement et coopération : ce qui les
marquait d'infamie. Les clameurs et les plaintes
parvinrent aux oreilles de la reine Blanche et des
seigneurs, mais surtout des prélats. Or, la reine ré-
pondit modestement : « Dieu m'en est témoin : je
<t croyais qu'ils allaient conquérirtoute la Terre-Sainte
« dans la simplicité et la sainteté: mais dès que je les
« reconnais pour imposteurs, qu'ils soient excom-
« munies, pris et anéantis. » Ces charlatans, tous
tant qu'ils étaient, furent donc excommuniés et dé-
noncés tels. Mais, avant que cette sentence eût été
publiée, ils se présentèrent artificieusement devant
Bourges, dont les portes leur furent ouvertes, du con-
sentement des habitants, qui violèrent en cette occasion
la défense de l'archevêque. La majeure partie d'iceux
entra dans la ville : le reste s'arrêta dans les champs de
vignes hors de la ville; car ils étaient si nombreux
qu'aucune cité n'aurait pu les recevoir commodé-
ment. Il y avait aussi beaucoup de leurs troupes qui
parcouraient diverses provinces; Paris même s'était
senti de leur passage. Or, le chef de ces imposteurs
ayant promis de |)rononcer un sermon en public et
de faire des miracles surprenants, une multitude
ANNÉE 4251. 225
uorabreuse de peuple accourut ife toutes parts pour
entendre et pour voir aloi's ce que les siècles passés
n'avaient ni vu ni entendu précédemment. Mais ,
comme ce traître avançait des absurdités, et comme
on découvrit Fartificedes miracles qu'il avait promis
d'opérer, un boucher, qui setrouvait parmi le peuple,
le frappa à la tète de sa hache à deux tranchants, lui
lit jaillir la cervelle, et l'envoya auTarlare. Il fut jeté
sans sépulture dans un carrefour, et laissé en pâture
aux bêtes. Bientôt, le bruit s'élaut répandu que tous
les pastoureaux ainsi que leurs fauteurs et auditeurs
étaient excommuniés, ils furent dispersés *, et on les
égorgea de tous côtés comme des chiens enragés.
' Le récit de Guillaume de Nangis et des chroniques de Saint-Denis
diffère de celui-ci. Nantis rapporte qu'en sortant de Bourges, Job et ceux
qui le suivaient furent atteints « entre Mortemer et la Neuville dessus
« un fleuve (Villeneure-sur-t^er), * que l'imposteur y fut tué et sa
troupe dispersée. Selon les chroniques de Saint-Denis, le maître de
Hongrie, en partant de Paris, détacha une partie de ses hommes vers
liourges, et se rendit directement à Marseille où ils devaient le rejoindre
■Tce le fmit de leurs pillages. Mais les chefs des pastoureaux furent pris
à Bourges et pendus. Les eufants qui les avaient accompagnés, retour-
nèrent dans leur pays, et le bailli de Bourges envoya en toute hùte des
roeuagers à Marseille, avec des lettres • auxquelles toute la mauvaislié
< do maistrede Hongrie cttoit contenue. Si fust tantost prins et pendu
• à unes haulles fenrehet; et les pastoureaulx qui allaient après lay,
« t'en tetournèrent poires et mendiants. • Quelque idée qu^on doive se
former des moyens d'action dont disposait ce personnage mystérieux, un
s^explique asseï facilement l'enthousiasme qu'il inspira. Les tristes nou'
velle* reçoM de la Terre-Sainte avaient disposé les esprits à la sédition.
Les noble*, Im teigneurs, les puissants ayant échoué, la multitude fut
portée à croire que Jésus-Christ rejetait de son service les grands delà
terre, et qu'il nu voulait pour défenseurs que des hommes simples, des
bergers et des laboureurs.
224 HENRI HI.
Semblablement, quelques-uns de leurs convenlicules
étant arrivés à Bordeaux, on ferma les portes par
l'ordre de Simon, comte de Leicester, et on leur re-
fusa rentrée : comme ils demandaient à être admis,
le comte leur répondit : « En vertu de quelle autorité
« faites-vous cela? » Ceux-ci lui répondirent en di-
sant : « Ce n'est pas l'aulorité du pape ou de quelque
« évêque que nous mettons en avant, mais celle du
« Dieu tout-puissant et de la bienheureuse Marie sa
« mère, qui est une autorité bien autrement respec-
« table. wMais le comte, en entendant cela, traita jus-
tement ces raisons de prétextes frivoles, et leur fit
dire une seconde fois : « Retirez-vous au plustôt
« tous tant que vous êtes, ou je convoquerai toute ma
« chevalerie, avec la commune de cette ville et les
« gens du pays ; puis, vous attaquerai à main armée
« et vous couperai la tête. »
En entendant cette réponse, ces malheureux, saisis
deslupeur, devinrent comme du sable sans mortier.
Chacun d'eux pourvut à son salut en prenant la fuite
décote et d'autre, et dans leur dispersion ils furent
exposés à des périls de toutgenre. Un de leurs chefs
et de leurs maîtres, s'étant échappé secrètement, et
ayantloué un vaisseau, chercha à retourner en toute
liAte dans les pays infidèles, d'où il venait; mais les
matelots, s'apercevant que c'était un traître et le com-
j)a{jnon de ce Hongrois, dont on a parlé plus haut,
que les habitants de Bourges avaient massacré, lui
lièrent les pieds cl les mains et jetèrent ce misérable
vagabond dans la Gironde; c'est ainsi qu'en écliap-
ANNEE 425<. 225
pant h Scylla il tomba dans Cliarybde. Or, on trouva
dans ses coffres, avec une forte somme d'argent,
plusieurs chartes écrites en lettres arabes et cbnl-
déennes, et chargées de caractères étrangers, ainsi
que des poudres empoisonnées pour fabriquer des
potions mortelles. La teneur de quelques-unes de ces
chartes, comme on le découvrit plus tard, portait
que le Soudan Texhortait instamment à persévérer
dans l'entreprise commencée, lui faisant espérer une
grande récompense. On pourrait résumer aussi quel-
ques-unes de ces lettres, en disant qu'il devait con-
duire au même soudan un peuple innombrable. Ainsi
péri rent ces deux magiciens enveloppés dans les filets
de Satan.
Un troisième avait eu Taudace de venir en Angle-
terre, et, ayant abordé à Shoreham *, avait rassemblé
en peu de temps sous ses ordres plus de cinq cents
pasteurs, laboureurs, porchers, bouviers, et popu-
laire de cette espèce. Mais comme ils furent dissémi-
nés par rexcommunication qui les frappa, par la
mort du Hongrois, leur principal maître, et de son
compagnon, et par la dispersion des complices de
ces imposteurs, ils furent réduits à une condition
irès-fûcheuse. Or, leur chef, étant venu à MontreuiP,
' Petit port très-fréqueoté au moyea âge près de Lewes, comté do
SuMK. AppUraits quod Sorham (texte Air). M. Franc. Michel s'est
mépris en traduisant : voulant exécuter ce qu'avait résolu Sorham.
Noos n'aTons pas besoin de faire remarquer que Sorbam, port d'Angle-
lerre, ne peut être le nom du troisième chef des pastoureaux.
* Monsireolum. Il n'y a aucun lieu de ce nom en Angleterre. Il faut
done eomprendre, malgré rinrertilude du texte, que lo personnage dont
VJl. ^.j
226 HENRI IIÏ.
se proposa de prêcher en ce lieu ; mais comme il se
mit, dans son discours, à prononcer des erreurs ou
plutôt des folies, ceux qui Técoutaient se soulevèrent
contre lui. Alors, pendant qu'ils couraient aux armes,
ce misérable se sauva dans une forêt ; mais il y fut
bientôt pris et haché, non-seulement en pièces, mais
en menus morceaux. Aussi les corbeaux eurent
bientôt fait d'engloutir son cadavre.
Cependant un grand nombre de ceux qui avaient
suivi ces imposteurs, sachant qu'ils avaient été sé-
duits, et reconnaissant leur propre misère, déposè-
rent, d'après la pénitence qui leur avait été infligée,
les croix qu'ils avaientreçues des mains de ces traîtres,
les reprirent de nouveau des mains d'hommes re-
commandables , et accomplirent en bon ordre leur
pèlerinage. Ils passèrent en Terre-Sainte et se joi-
gnirent à la compagnie du roi de France, après la
délivrance de ce dernier, comme il sera dit plus bas.
Or, ils assuraient que leurs maîtres leur avaient pro-
mis qu'ils délivreraient le roi de France, et que c'é-
tait pour cela qu'ils s'étaient tous croisés à l'envi.
Un moine de Shirburn, le seigneur Thomas, Nor-
mand de nation, homme discret et éloquent, qui
avait élé envoyé à cette époque dans les pays d'outre-
mer pour travailler aux affaires difficiles du roi, fnt
pri8 par les pastoureaux dont nous avons parlé pré-
cédemment et retenu pendant huit jours. Comme il
ne voulut pas céder à leurs déclamations menson-
il s'agit ici rcpaiu en Frauce afec let levers qu^il nviiit raitci,el trouva
U morl à Monlrcuil eii lioulcnaii.
ANNEE 423<. 227
gères, il fut Irès-grièvement bâtonné; mais s'étant
écliappé à graiid'peine pendant la nuit, il vint trou-
ver le roi à Winchester, et raconta fort au long au-
dit roi toot ce qu'on vient de voir et d'autres détails
encore sur leurs artifices, en présence de celui qui
écrit cette histoire. Or, l'écrivain nota aussitôt iîdèle-
inent et pleinement les faits qu'il tenait de la bouche
du narrateur, parce que c'était un homme digne de
foi.
Or, les hommes graves et discrets ainsi que les
prélats recommaudables par leur sagesse, disaient
que depuis le temps de Mahomet jamais aucun fléau
plus redoutable n'avait menacé l'église du Christ,
surtout quand la foi commençait à vaciller dans le
royaume de France à cause de l'infortune qui était
arrivée au roi de France.
Damiette est rasée. — Nouvelles décrétales. —
Apparition d oiseacx surprenants en Angleterre. ■ —
Le pape arsoct des seigneurs qu'il avait excommuniés.
— Prise de Castillon en Gascogne. — L'évêque de
LiNcoLA PUNrr les incontinents et poursuit ses hé-
poiMCs. — Nouvelles de la Terre-Sainte. — Arrivée
ET DORS DU roi A SaINT-AlBANS. — PlUIE ABONDANTE.
— Visitation a Saint-Albans. — L'abbé de cette com-
munauté ÉLUDE SES promesses. — Vers le même temps
aussi, le soudau de Babylone, voyant que Damiette
avait élé deux fois la proie et la conquête des chré-
tiens, ordonna qu'on la rasût jusqu'au sol '.
•Oa ne Uùu lubsùter que la grande inos<]uée. Ouze ans après, ah
««Mbia taémr IVmUourhure du Nil |M>ur qu'une UoUe cltrt'tieiiiw ne j»ùl
228 HENR[ 111.
A la même époque , le seigneur pape composa
quelques nouvelles décrétales^ qu'un lecleur attentif
trouvera au livre des Additammta.
Dans le cours de la même année, à Tépoque des
fruits, quelques oiseaux surprenants qui jusqu'alors
n'avaient jamais paru en Angleterre, et qui étaient un
peu plus gros que des alouettes^, se jetèrent surtout
sur les vergers et s'attaquèrent aux pépins des fruits,
sans manger rien autre chose de ces mêmes fruits.
Aussi causèrent-ils grand dégât en privant les arbres
de leurs fruits. Or, ils avaient le bec croisé et s'en
pas reinonlcr le fleuve. Mais la nouvelle Damieltc ne tarda point cejicn-
dunt à reprendre une grande prospérité commerciale.
* Voy. l'addition XIX à la fin du volume.
* Guill. Wats, dans son auctarium, consacre une longue note à ce pas-
sage de Matt. Piiris, et transcrit, à cet égard, quelques renseignements qui
lui avaient été fournis par iiOjjer Twysden, baronnet de ses amis, lequel
les avait tirés lui-même des mémoires de son j;raud-père. Dans Puulomne
de 4595, année remarquable parla multitude des fruits, une nuée d'oi-
seaux inconnus vint s'abattre en Angleterre. Leur plumage était varié ; le
jaune et le rouge y dominaient. Ils étaient de la grosseur d'un chardon-
neret {Bulfinrli). Us avaient le bec en croix et s'attaquaient uniquement
aux pépins des fruits, comme ceux dont parlo ici le texte. Les mâles
avaient la partie supérieure du bec recourbée ; chez les femelles, au con-*
traire, c'était la mandibule inférieure qui revenait sur l'autre. Ces oi-
seaux étaient doux, se laissaient prendre et tuer sans défiance, ce qui
semblait nniiniicer qu'ils venaient de pays où l'homme n'haliilait pas.
Leur chair était délicate et assez savoureuse. Apres la récolte des fruits,
ils disparurent. Guill. Wats remarque qu'à la suite do ces oiseaux la
disette se fit sentir dans les années l.*>9."i, \^i{)H et I5î)7, tandis qu'au
temps de Mott. Fâris, le prix des vivres n'augmenta qu'en \lîSi7^ c'ost-i-
dire six ans après la venue de ces oiseaux. Le même auteur voit dans
cette espèce étrangère celle qui a été décrite par Gcsner et Aldovrandus
•<>ut le nom de loria. Nous laisionN aux naturalistes la di-cition de cette
question .
ANNÉE 123^ 229
servaient comme de ciseaux ou de couteau pour par-
tager les fruits. Eu outre, les parties de fruits qu'ils
laissaient semblaient gâtées et comme empoisonnées.
Le 4 avant les calendes de juillet, le pape, au mo-
ment de quitter Gênes, s'efforça de rappeler à la paix
deTéglise, en leur envoyant des députés pacifiques et
soleunels, quelques seigneurs qu'il avait horrible-
ment excommuniés le jour de la Cène. Parmi eux se
trouvait Thomas de Savoie, à qui il désirait unir sa
nièce par niariage. Dans cette sentence, le pape n'a-
vait pas épargné Conrad. Pour fortifier davantage son
parti, il donna une de ses nièces en mariage à un
homme puissant, appelé le seigneur de la Tour du
Pin, qui consentit à ce mariage non pas tant pour la
femme en elle-même, que pour l'argent qu'elle lui
apportait : car le pape faisait don avec la fille d une
somme de vingt mille marcs d'argent. Le pape fit
aussi épouser à Thomas de Savoie, jadis comte de
Flandre, une autre de ses nièces \ après Ta voir absous
des liens de Texcommunication qui l'enveloppaient,
et en lui rendant plusieurs revenus qu'il devait rece-
voir de Flandre, et qui durent lui être payés dès loi-s
intégralement et satisdiflieulté. Comme ces revenus,
d'après la défense du pape, avaient été retenus pen-
dant plusieurs années, tant que ledit Thomas était
resté exconmiunié , le seigneur pape ordonna que
puisqu'il était réconcilié, tout Turriéré lui fût soldé
désormais. En effet, telle était hi vertu de ces noces
•QuVkl (Ir^euu Ir pn-l^ntlu iiiam^f de ce priiKo a»rc- uuc lillc de
Frftirric? '. Toy. J4 ijoti- à U fuge 372 du vuluine vj.)
250 HENRI in.
sacrées, que de fils de colère il devint fils de ({rAce
et vase d'élection. Mais les os de Frédéric restèrent
dans l'excommunication que lé pape avait prononcée,
ainsi que Conrad, fils de Frédéric qui, d'après la do-
nation de son père, s'était emparé forcément de la
meilleure partie de l'empire, et s'était approprié les
royaumes de Sardaigne, de Sicile, d'Apulie et de
Calabre violemment et sans l'assentiment de l'église
romaine. Gerald le Marseillais avec les citoyens de
Marseille, les habitants de Crémone, ceux de Pavie
avec leurs fauteurs et beaucoup d'autres, dont les uns
avaient été excommuniés nominalement, les autres
en masse le jour de la Cène, restèrent liés par la sen-
tence. Aussi les ennemis de l'église se multiplièrent
et les maux s'accrurent ajoutés aux maux.
Vers le même temps, le comte de Leicester Simon
triompha, dans les pays d'outre-mer, d'une foule de
Gascons ennemis du seigneur roi. Il s'empara aussi
d'un certain château nommé Castillon qui servait de
refuge à tous les rebelles.
A la même époque, l'évêque de Lincoln ayant fait
dans son diocèse un examen, une enquête exacte et
des investigations rigoureuses, força les bénéficieis à
être continents et les obligea même à éloigner d'eux
les femmes suspectes. H [)unit les transgresseurs en
les privant de leurs bénéfices , et s'efforça d'extirper
les vices de son évêché. Par ses prières gracieuses et
par SCS persuasions austères, il entraîna et décida
plusieurs clercs à recevoir les ordres et l'office sacer-
dotal. Il prononçait fréquemment des sermons de-
ANNEE 42SI. 231
vaDt le peuple, y convoquait les prêtres des euvirons
et les forçait d'y assister sous des peines fixées. Il >
haïssait les détestables Romains qui présentaient
pour être pourvus uu bref du pape, comme s'ils eus-
sent été des serpents venimeux, et il disait que s il
leur confiait la garde des âmes, il croirait agir comme
Satan. Aussi rejK)ussait-il souvent les lettres scellées
du pape, et s'opposait-il formellement à de pareilles
injonctions.
Vers le même temps , au moment où les abbés
Cisterciens étaient réunis en chapitre général, uncer-
tain abbé du même ordre, député du seigneur roi
de France, lit donner lecture dans le chapitre d'une
lettre du même roi dont voici la teneur : « Le roi de
France , son épouse et le peu de serviteurs qu'ils
avaient avec eux, étaient en santé corporelle telle-
ment quellement, et attendaient la miséricorde de
Dieu après tantdeiléaux. Or, ce qui leur faisait con-
cevoir de l>ouues espérances, c'était la discorde ter-
rible, la guerre, la colère et la haine inexorables qui
difisiieiit les deux plus puissants soudans des Sarra-
tim, à savoir le suudan de Habylone et !«' Soudan
U'Alep qui &e mordaient mutuellement. Or, ledit roi
demeurait alors à Césarée , et lurtillait cotte ville sur
le conseil des Templiers et des Hospitalif rs. »
Celle même année, pendant l'octave de ta nativité
de Id bienheureuse Vierge, le seigneur roi se rendit
à Saint-Albaiis. A son entrée dans Téglise, il offrit,
selon sa coutume, trois pièces de soie, et celles-ci , avec
IfS autres |)récédemmenl offertes, formaient un total
232 HENRI III.
de trente pièces. En outre, il offrit cette fois deux
colliers très-précieux et voulut qu'on les attachât for-
tement à la châsse avec des clous pour éterniser sa
mémoire. 11 quitta Saint-Albans après y avoir de-
meuré pendant trois jours.
Dans la nuit de la Saint-Lambert, c'est-à-dire la
nuit du dimanche, les ténèbres devinrent si épaisses,
qu'il semblait qu'on pouvait les toucher, et la pluie
tomba avec tant d'abondance, que les cataractes du
ciel paraissaient s'être entr'ouvertes et les nuages prêts
à descendre sur la lerre pour l'engloutir.
Dans cette même année, vers la fête de saint Mi-
chel, le seigneur Tbibauld , prieur de Hurley, et le
seigneur Jacques , sous-prieur de l'église de Saint-
Augustin a Cantorbéry et chapelain du seigneur
pape , firent savoir par lettres aux moines de Saint-
Albans quils viendraient à Saint-Albans pour y exer-
cer visitation , selon qu'il avait été décidé à Saint-
Sauveur de Londres. Un délai fut demandé au nom
du couvent dans l'église de Sainte-Marie à South-
wark, jusqu'au premier jour de dimanche avant le
jour de la Toussaint : ce qui fut accordé par les visi-
tateurs susdits, qui s'étaient proposé et avaient ma-
nifesté l'intention d'arriver le jour de la Saint-Denis.
Sur ces entrefaites, le seigneur abbé de Saint-Albans
promit qu'on dresserait d'une manière louable, avant
leur arrivée, l'état de tout ce qui était susceptible de
réforme, et que lui-même, sans nul doute, dans la
suite de» temps, corrigerait tout ce qui devait être
corrigé; ce qui eut lieu par compromis ailn que rien
ANNÉE 425^. 255
ne fit naître l'ombre d une plainte qui put causer
scandale. Les deux visitateurs étant donc arrivés au
jour lixé, le sous-prieur prononça le lendemain un
sermon dans le chapitre ; ensuite il fit donner lec-
ture de son bref authentique puis des statuts arrêtés
dans le chapitre provincial tenu à Londres , les-
quels étaient salutaires et fort nécessaires n Tor-
dre monastique, comme on peut le voir au livre des
Additwtienta ' où ces statuts sont rapportés pleine-
ment. Comme ils ne trouvèrent aucun sujet de
mécontentement, quoiqu'ils eussent examiné soi-
gneusement chacun des moines qui en fut requis,
il se retirèrent en paix après être restés quatre jours.
Or, quelques-uns des moines de Téglise deSaint-Al-
bèns furent envoyés pour visiter Saint-Edmond et
d'autres monastères. Pour l'abbé de Saiut-Albans
Jean second, il satisfit au couvent sur tout ce qu'il
avait promis avant la visitation de corriger après, de
la même manière que son prédécesseur l'abbé Guil-
laume avait satisfait, alors qu'il devait être visité par
l'abbé de Boxiey et par l'abbé de Bekeham, en vertu
de l'autorité papale.
C'est-à-dire que ni l'un ni l'autre ne satisfit bien.
Eneflet, TabbéJean avait promis au couvent, entre
autres choses, qu'il s'abstiendrait absolument de
prendre son général' ou ses pitances, droit que, le
premier de tous ses prédécesseurs, il avait levé pour
l'uij. i additioa \\ a U fin du volume.
> il » a(>it prolukleiurnl des uicU que Taiibr se faisait domirr < n siw
4e la foriiou aHign^ à chaque frère.
234 HENRI m.
sa chambre, à moins qu'il ne mangeât dans le réfec-
toire ou dans la galerie adjacente', avec ses compa-
gnons ; et qu'il rendrait intégralement les pitances
que Tabbé Guillaume, son prédécesseur, avait en-
levées aux frères infirmes, et dont il avait affecté le
prix à son vin. Mais quand la visitation fut achevée,
comme on ne lui rappela aucune de ses promesses,
il ne songea nullement à les mettre à exécution.
La haine du pape contre Conrad prive Louis IX du
SECOURS des croisés. — Grave accusation intentée a
Philippe Luvel. — Dédicace de l'église de Hales. —
Arrivée du comte de Leicester avec Guy de Lusi-
GNAN. — Grande tempête. — Orage et inondation
extraordinaire. — La reine d'Ecosse retourne en
France. — Tournoi célébré a Rochester. — Coup
d'oeil sur l'année ^25^ . — Dans le cours du même
temps, bien que Conrad eût acquis la faveur et l'af-
fection de beaucoup d'impériaux, parce qu'il descen-
dait d'une race généreuse par sa mère, fille du noble
roi de Jérusalem Jean, et bien que son frère Henri,
neveu du seigneur roi, fût très-gracieusement aimé
par tous les seigneurs féaux de son père , tant à cause
de l'innocence de son âge que de sa bonne mine et
de l'illustrolion de sa naissance, le seigneur |>a{)e,
s'inquiétant peu de cela, ordonna que des prédica-
tions solennelles et générales fussent faites dans les
• Oriolum (texte hic). Alower gallery^ oate-house. Dons In Vie des
(tlihés, Mail. l'âriii donne à c«s mot le «ens de portique, cl c^tt aurai la
Mf;nificalion du vicut mut fran<;ais oriol.
ANNEE 4254. 255
pays (ie Brubant elde Flauilre, pour que les iidèlcs
du Christ altuquasseut, à luaiu armée, les cbâteaui
de rinfidèle Conrad , promeltant une récompent^e
merveilleuse, c'est-à-<lire la rémission de tous les
péchés, et cela plus amplement que s'il se fùiag^i de
faire un pèlerinage en Terre-Sainte ; car si quelqu'un
prenait la croix contre Conrad, non-seulement le
croisé, mais encore le père et la mère du croisé de-
vaient obtenir le pardon de tous leurs péchés. Vers
le même temps, comme le seigneur roi de France
supportait, à Césarée, de grandes tribulations et un
manque absolu de toutes les choses nécessaires, il
adressa à sa mère, à ses frères et à tous ses féaux,
une lettre faite pour exciter les larmes et la pitié,
les suppliant instamment de lui envoyer prompte-
meut, à lui qui souffrait tant de calamités pour Vé-
glise universelle, un secours efiicace en chevalerie,
provisions et argent. A cette nouvelle, la dame
Blanche, qui tenait les rênes du royaume de France,
avec plus de force que n'en a une femme, fit convo-
quer tous les nobles du royaume pour qu'ils déli>
bérassent soigneusement à ce sujet. Pendant leur
délibération, les seigneurs comniencèrent à murmu-
rer eu grande colère , et à dire : « Quand le seigneur
« pape suscite ainsi des guerres nouvelles et intesti-
« ues, quand il excite, dans les pays chrétiens , les
« chrétiens contre les chrétiens, quand il fait pré-
« cher une nouvelle croisade contre des hommes
• soumis à Dieu, pour augmenter son domaine, il
• est cause que l'on oublie notre seigneur le roi,
256 HENRI III.
« qui souffre tant d'opprobres et tant d'adversités
« pour le siège chrétien , et qu'on n'a point souci
« de le secourir. » En effet, la susdite prédica-
tion s'était déjà répandue dans les contrées de
France. C'est pourquoi Blanche, irritée parce que de
justes causes donnaient lieu à ces murmures, or-
donna que Ton mît la main, en son nom, sur les
terres et les possessions des croisés , et dit : « Que
« ceux qui combattent pour le pape, soient entre-
ce tenus aux frais du pape; qu'ils s'en aillent pour ne
« plus revenir. » Déplus, les seigneurs voisins, sur
les terres desquels la prédication susdite avait pro-
duit des croisés, firent la même chose, en sorte que
la prédication tomba en discrédit, et que les croisés
lurent détournés de cette entreprise. Les Prêcheurs
et les Mineurs, qui avaient été les promoteurs de ce
soulèvement, furent aussi très-sévèrement répri-
mandés à cet égard par les seigneurs, qui leur di-
rent : « Nous bâtissons pour vous des églises et des
« maisons; nous vous élevons, nous vous recueillons,
<( nous vous donnons habits et aliments. De quelle
« grande utilité le pape est-il pour vous? il vous
« vexe, il vous tourmente, il fait de vous ses tonloiers;
« il vous rend odieux à vos bienfaiteurs. » Mais ceux-
ci leur répondaient : « Nous y sommes forcés en
M vertu de l'obédience. » Aussi désormais le seigneur
pope, rougissant à juste titre, s'efforçait de traiter de
la paix.
Dans le cours de cette même année, vers la lôlede
Haint Michel, Philippe Luvel, clerc, qui avait passé
ANNÉE 425<. 257
<Iii séiiéchalat du comte de Winchester au service
du seigneur roi, et qui avait été chargé de |a garde
des Juifs, fut grièvement accusé par-devant le sei-
gneur roi, et ses adversaires affirmèrent qu'à l'épo-
que où il avait été envoyé dans les pays du nord,
avec Nicolas de Saii»t-Albaus, clerc, pour imposer
des taxes aux Juifs, il avait reçu secrètement d'un
certain Juif fort riche une vaisselle très-précieuse,
pour qu'il l'épargnât dans le taillage du roi, et qu'il
avait reçu semblablement d'autres Juifs des présents
secrets, pourqu ilépargnâtceux-ci et chargeât ceux-
là, au détriment du roi et à la violation de sa foi.
Aussi le roi, grandement irrité, ordonna qu'on traitât
fort sévèrement ledit Philippe, jusqu'à ce qu'il eût
donné satisfaction pour une transgression si criante.
Alors Philippe, homnje rusé et circonspect, de-
manda humblement conseil et assistance, dans une
si grande tribulation, au seigneur Jean Mansel, prin-
cipal conseiller du roi. Jean, ayant donc pitié de lui,
parce qu'il l'avait appelé au service du seigneur roi,
avec l'intention de l'élever plus haut, s'interposa si
efGcacement, qu'il rentra en grâce auprès du roi ,
après avoir payé, à ce qu'on prétend, la forte somme
de mille marcs; mais il n'en fut pas moins privé de
son office de bailli, et grandement vergogne.
Cette même année, aux nones * de novembre, c'est-
à-dire la veille de saint Léonard, le comte Richard lit
dédier solennellement et magnifiquement l'église de
Haies, qu'il avait fondée à grands frais et dont il avait
' Nono. Kfidtnnicot wmi$ (5 novemitre | .
258 HENRI IH.
construit les édifices, selon le vœu qu'il avait fait
en mer, lorsqu'à son retour de Gascogne il fut
assailli d'une tennpête menaçante , et aborda à
grand'peine dans un port de Cornouailles. Or,
étaient présents à la susdite dédicace le seigneur
roi, la reine et presque tous les seigneurs et prélats
d'Angleterre ; les évéques étaient au nombre de treize,
et célébrèrent tous la messe, le jour de la dédicace,
chacun à un autel particulier. L'évêque de Lincoln
chanta solennellement la grand'messe au maître-
autel. C'était un dimanche, et les seigneurs festoyè-
rent splendidement et en bel ordre, avec les évoques
et les autres assistants qui pouvaient manger de la
viande. Les religieux dînèrent à part, et furent servis
en grande abondance de poissons de toute espèce. Il
y avait là plus de trois cents chevaliers. Or, si je
voulais décrire pleinement la somptuosité de cette
fête et de ce repas solennel, on m'accuserait peut-
être de dépasser les limites de la vérité. Toutefois,
pour que je n'insérasse rien de faux dans ce livre,
le comte me déclara, à moi Matthieu Paris, qui dé-
sirais avoir des renseignements à cet égard, et cela
en m'en donnant l'assurance formelle, que, tous frais
comptés, il avait dépensé à la construction de cette
église dix mille marcs. Il ajouta même cette parole
niéniorable, ou pour mieux dire rccommandablc :
« Plût à Dieu que j eusse dépensé aussi sagement et
« aussi salutairernenl tout I argent que j'ai dépensé
M nu chAteau de Wallingford. »
Vers le même temps, le comte de Leicester Si-
ANNÉE 4251. 239
mon, accompagné «le sa femme, et amcnanl aveclui
Guy, comle de Lusiguan, Iroisiènie frère utérin du
seigneur roi, s'embarqua à Wissand, pour repasser
en Angleterre. La navigation fut d'abord prospère, et
déjà il toucbait au port, lorsque le vent ayant cbangé
et étant devenu contraire, il fut repoussé à grand
péril et rejeté à Wissand. Lorsque les habitants vi-
rent les voyageurs sortir de leur vaisseau, et rentrer
duns rhôtel qu'ils occupaient précédemment, il y en
eut qui dirent en plaisantant : « Les frères du roi
M abondent outre mesure, eux qui viennent vides en
« Angleterre, et qui y affluent pour y être remplis,
u C'est une superfluité que la mer a rejetée. » Mais
cela fut dit par manière de raillerie, selon la coutume
des Français. Les deux comtes, ayant donc attendu
un vent plus favorable, abordèrent heureusement au
port de Douvres. Or, le comle de Leicester Simon
avait laissé en Gascogne ses féaux, pour soutenir vi-
goureusement la guerre, et re|>ousser puissamment
les attaques des Gascons. Lorsque le seigneur roi fut
instruit de leur arrivée, il vint joyeusement à leur
rencontre pour faire honneur au comte son frère,
et nullement à cause du comte de Leicester. 11 avait
ordonne à beaucoup de seigneurs et aux citoyens de
Londres d'aller au devant de son frère, avec allé-
gresse et solennité, et de le recevoir avec louanges et
liesse. Mais lorsque ledit Guy eut rempli ses coffres,
qui étaient vides, il retourna chez lui fort enrichi.
Dans le cours de cette même année, à savoir pen-
dant l'été, le jour de saint Dunstan, un brouillard,
240 HENRI III.
qui s'éleva de grand matin , sembla obscurcir le
monde entier, tant à Torient qu'à Toccident, tant au
midi qu'au nord , et l'on entendit le tonnerre, qui
était encore fort éloigné et qui s'annonçait par des
éclairs. Vers la première heure, le tonnerre se rap-
procha au milieu des éclairs, et un coup plus épou-
vantable que les autres, comme si le ciel tombait sur
la terre, porta, par son fracas soudain, un effroi ter-
rible dans les oreilles et dans les cœurs de tous ceux
qui I entendirent. La foudre tomba de ce coup sur
l'appartement de la reine, où elle se trouvait alors
avec ses fils et les gens de son service , réduisit en
cendres et jeta h terre une cheminée, et ébranla
toute la maison. Dans la forêt voisine de Windsor,
elle abattit ou fendit et déchira trenle-cinq chênes.
Elle détruisit moulins et meuniers , bergeries et pâ-
tres, tuant même quelques laboureurs et voyageurs,
enfin causa aux mortels beaucoup de dommages,
que nous , qui donnons ces détails, n'avons ni en-
tendus ni vus. La foudre tomba aussi sur le lavoir
de Saint-Albans, qu'elle brûla, et en d'autres en-
droits, mais ne causa pas grand dégût au monas-
tère proprement dit. Cependant les traces eu restè-
rent sur les murailles pendant plusieurs années. Il
se passa en cette occasion un fait surprenant et digne
de remarque. Ce môme jour, quelques frères Prê-
cheurs ou Mineurs qui avaient été reçus à Saint-
Albans, conmic la chose a lieu presque tous les jours,
pour loger ou dîner, n'ayant pas voulu rester mal-
gré les instances du moine chargé, selon l'usage, de
ANNÉE 425<. 24i
les recevoir et de fournir à leurs besoins , lequel les
pressait de ne pas continuer leur roule, et étant sor-
tis du bourg, quoique l'orage n'eût point cessé, vi-
rent venir à eux , sur la route qui sert de grand cbe-
niin et qui est foulée par les hommes et les chariots,
une trace lumineuse ayant la forme d'un glaive hoi*s
«lu fourreau, mais qui se repliait et était suivie sans
interruption par le tonnerre, avec un murmure hor-
rible. Ceux-ci, se jetant de côté, tirent le signe de la
croix et se mirent à invoquer TEsprit saint et à réci-
ter avec crainte et dévotion le Vent Creator, spiritus,
et ce qui suit. La foudre et Téclair restèrent sans
force, et le feu, ainsi que l'éclair et le tonnerre, passa
à côté d'eux sans leur faire aucun mal.
Dans le coure de cette môme année, c'est-à-dire
au temps de Téquinoxe, la mer, dépassant ses limites
ordinaires, causa des dégâts considérables sur les
oôles d'Angleterre : or elle occupa sur ses rivages un
«sspace de six ' pieds au delà des bornes qu^on lui
avait toujours vues.
Vers la fête de saint Michel , la reine d'Ecosse ,
veuve du roi Alexandre et fille d'Enguerrand de
Coucy, voulant visiter sa patrie et ses parents, quitta
1 Ecosse pour retourner en France , après qu'on lui
eut assigné sur le royaume d'Ecosse la portion qui
lui revenait, c'est-à-dire un revenu de sept mille
marcs. S'étant arrêtée à moitié route, et étant venue
vers le seigneur roi pour le saluer, celui-ci la combla
*SeT. >ou» iirMHu«oloiilienSfxagti(((i.
VU. 44
242 HENRI HI.
d'honneurs et de présents , selon sa coutume con-
stante d'enrichir et d'honorer tous les étrangers. 11
la pria de revenir, sans aucun délai fâcheux, quand
elle serait appelée pour assister aux noces de son
fils Alexandre second , que les nobles d'Ecosse
avaient élevé à la royauté.
Celte nnême année, le jour de la fête de la Con-
ception de la bienheureuse Vierge , un tournoi à
outrance' eut lieu à Rochester, entre les Anglais et
les étrangers. Lesétrangersfurent honteusement mal-
traités dans cette rencontre , et comme ils fuyaient
ignominieusement vers la ville, pour y trouver un re-
fuge, ils tombèrent de nouveau dans un parti d'é-
' Pour désigner ce genre de combat, quVnlrainait fréquemment la ja-
lousie réciproque des Anglais et des étrangers, Matt. Paris se sert de
différentes expressions : tomeamenium quasi hostile (page 572 du texte),
nimiscruentum (page492),ant/eatttmdanslc passage qui nous occupe.
Il est évident que dans ce dernier cas il s'agit d'un tournoi « fer es-
moulu et à witrance, c'est-à-dire d'un combat où les deux partis en ve-
naient aux mains arec des armes offensives, comme en temps de guerre
et contre des ennemis. Or, nous regardons les deux autres dénomina-
tions comme équivalant à celle-ci, et nous n'admettons pas la distinction
quelque peu subtile de Ducange qui voit dans aculeatum plus que dans
quasi hustHe. (Dissert, vu sur V Histoire de saiut Louis.) Ces com-
bats où le gage de bataille était outré avaient lieu devant des juges nom-
més et cboisis par les deux partis, et sous des conditions dont on demeu-
rait réciproquement d'accord. Souvent il y avait des combats singuliers
de cette nature qui , ainsi quo les combats généraux, ne se terminaient
que parla mort, la fuite ou l'aveu du vaincu. L'acbarnement que les
chevaliers mettaient à s'acquitter noblement de leur vœu d'emprise ren-
daient ces combats fort dangereux, bien qu'on s'y servit piutAt do biltons
i>l de masses que de lances et d'épécs. Dans un de ces tournois h ou-
trance, iloliert de Clermont, (Ils do saint F^uuis, reçut tant de coups de
matsc, dit Fauchel, que le reste de ta vie il s'en porta mal.
ANNÉE 1251. 245
ciiyers qui venait à leur renconlre, etqui les dépouilla
et martela bellement à coups de bâlon et de mas-
sue. C'est ainsi qu'ils rendirent avec usure les horions
(|u'ilsavaientinjurieusement reçus à Brackley. Aussi
lu colère et la haine s'accrurent entre les Anglais et
les étrangers, et prirent de jour en jour, par la suite,
une violence formidable.
Ainsi se passa cette année, qui fut suffisante , ou
pour mieux dire abondante en fruits de la terre et
des arbres, quoiqu'elle eût été orageuse et troublée
par d'effrayants coups de tonnerre. Pour le seigneur
pape et la cour romaine, elle fut laborieuse, coûteuse
et périlleuse, à cause de leur retour de Lyon en Italie ;
pacifique, mais d'une manière suspecte et douteuse,
pour la France et T Angleterre ; peu sûre pour les
Romains, pour les Italiens, pour les Germains, pour
les Siciliens , pour les Apuliens et les Calabrais , qui
avaient perdu leur chef et étaient encore sans télé ;
sanglante pour la Dacie; inquiétante et menaçante
|>our l'Ecosse , dont le roi était un enfant , selon ce
que Lucain dit, eu parlant du grand Pompée :
• L'ige du tyran du Nil doit justement inspirer des soupçons; car la
• l»Mioe foi pour être ferme exige des années mûres... »
Or, cet rufant ne pouvait que se taire et trembler *, exposé qu'il était
«ai occillalious de la fortune.
Le ici d'Angleterre célèbre a York les fétes de
• Sufi Ofillo fortnuas taritus et tremebuiidus. Cet derniers mois ,
<|aoiqoe écrite en forme de Ter» et en ligue, doivent se rapitorlt^r au i<i;
J'EcosH. New M r^poodoiu pas du sens d« ce passage pou imj>ortaiit
J'aillear*.
244 HENRI III.
Noel. — Le roi d'Ecosse reçoit le baudrier militaire
DES MAINS DU ROI d'AnGLETERRE. 1l ÉPOUSE SA FILLE
Marguerite et lui fait hommage. — Héclamaïion du
comte-maréchal dans cette circonstance. descrip-
TION DU REPAS NUPTIAL. — L'an (lu Seigiieup -1232, qui
est la trenle-cinquicme année du règne du seigneur
roi Henri , le même seigneur roi se trouva à la nais-
sance du Sauveur à York, pour s'y occuper du mariage
(le sa lille Marguerite, qui élait en Age nubile', avec
Alexandre, roi d'Ecosse, et pour que les noces lussent
célébrées comme il convenait entre si grands per-
sonnages. Or, une foule nombreuse, tant du clergé
que de la cbevalerie des deux royaumes, s'était réu-
nie à York, pour que la sérénité d'un mariage si écla-
tant brillât davantage et s'étendît plus loin. Le sei-
gneur roi d'Angleterre et la reine s'y trouvèrent
donc, avec beaucoup de seigneurs qu'il serait trop
long de désigner par leurs noms. 11 y avait aussi le
roi d'Ecosse et la reine sa mère , qui avait été rap-
pelée à cette occasion des pays d'outre-mer. Elle était
accompagnée, non-seulement de seigneurs écossais,
mais encore de beaucoup de nobles de France, son
pays natal , qu'elle avait ramenés avec elle. Car
conmie elle avait reçu, ainsi que c'est l'usage pour les
reines veuves, le tiers des provenances du royaume
d'Ecosse, ce qui montait à quatre mille marcs et
plus, sans compter les autres possessions qu'elle tc-
' jEitaiejam. Nousujoulonimaiitra. Le mol osl omis ici aasii bien
i|ue liani rrdition tir 1571 .
ANNÉE 4252. 24S
nuit de la libéralité de son père Eiijjuerrand, elle
iiuirehait pompeusement, en splendide et nombreuse
compagnie. Lorsque tous furent arrivés à York, tous
ceux qui étaient venus avec le roi d'Ecosse se logè-
rent dans une seule et même rue, sans se mêler aux
.lutres, pour plus de précaution. Tandis que cer-
tains officiers des seigneure, ceux que nous appelons
inaré4;haux , préparaient des logements pour leurs
maîtres , ils entrèrent en dispute et en vinrent aux
mains , d'abord avec les poings , ensuite à coups de
masse , et enfin d'épée. Quelques-uns d'entre eux
lurent grièvement blessés ; il y eu eut même un de
lue ; parmi les blessés, plusieurs n'en relevèrent pas;
mais les deux rois , au moyen des gardiens qu'ils
avaient établis à York , et qui étaient gens] discrets
et modérés, apaisèrent prudemment les préten-
tions tant des maîtres que des serviteurs. En outre,
les gens de l'archevêque , pour que le défaut de lo-
;;ements n'engendrût pas de querelles, pourvurent
convenablement, autant que les circonstances le
l»ermettaienl , à ce que tous fussent logés: car les
arrivants excédaient le nombre des logements.
Le jour de la naissance du Seigneur, le seigneur
roi ceignit à York le baudrier militaire nu roi d'E-
cosse, et créa avec lui vingt chevaliers novices, qui
reçurent tous en dons des vêtements précieux et ri-
chement travaillés, comme il convenait à des novices
de si haute noblesse.
Le lendemain de la naissance du Seigneur, c'est-
à-dire le jour de suint Etienne, le roi <r Ecosse épousa
246 HENRI IH.
la fille du seigneur roi d'Angleterre : comme le peu-
ple se pressait en désordre et s'accumulait en foule,
pour mieux voir et considérer la magnificence de ce
mariage , la solennité de la célébration nuptiale fut
faite de grand matin , secrètement et avant Theure
attendue. En effet, il y avait alors à York tant de di-
versités de peuples , une multitude 'si nombreuse de
seigneurs anglais, français et écossais, une si grande
foule de chevaliers parés d'habits somptueux, et fiers
des riches étoffes de soie aux couleurs changeantes '
dont ils étaient couverts, que si l'on décrivait plei-
nement cette pompe séculière et ce luxe vaniteux, on
ferait naître l'étonnement et l'ennui dans les oreilles
des auditeurs ; car mille chevaliers et plus, vêtus de
ces étoffes de soie , que nous appelons vulgairement
cointises , assistèrent à ces noces , du côté du roi
d'Angleterre , et le lendemain . ayant quitté ces ha-
bits, se représentèrent à la cour en robes ^ nouvelles.
Du côté du roi d'Éco^se, soixante chevaliers et plus,
convenablement parés, et beaucoup d'autres, aussi
richement ornés que les chevaliers, se montraient
aux regards de l'assemblée.
Le roi d'Ecosse fil donc hommage au roi d'An-
gleterre, à raison du tenement qu'il tient du seigneur
roi d'Angleterre et qui fait partie du royaume d'An-
gleterre , comme le Lothian et autres pays. Mais
* Ornamentis trantformutis. Nous doutons du sens; peut-être étoffes
rnyf'os ou rni-parlics. TransformatuS n'est pas dans Dncani'c ; mnis il s»-
rapproclic dr IraiiSfJututuS ou Niniplrnirnl str(l<jutatus.
> Nobis n» nucxin sens, nnus liHons rohis.
ANNEE ^52. 247
quand on demanda au roi d'Ecosse de jurer hom-
mage , fidélité et allégeance à son seigneur le roi
d'Angleterre, à raison du royaume d'Ecosse , ainsi
qu'avaient fait ses prédécesseurs envers les rois d'An-
gleterre , comme la chose est mentionnée évidem-
ment en plusieurs endroits de ces chroniques, le roi
d Ecosse répondit qu'il était venu pacifiquement en
ce lieu, pour l'honneur du roi d'Angleterre et sur
son appel, à l'effet de s'unir à lui moyennant la jonc-
lion matrimoniale , et non point pour lui répondre
sur une question si ardue. Il ajouta qu'il n'avait point
délibéré pleinement à cet égard avec ses seigneurs,
et n'avait point tenu conseil compétent, comme l'exi-
geait une affaire si importante. Quand le seigneur
roi eut entendu celte réponse , il ne voulut pas ob-
scurcir par aucun trouble une fête si sereine, et
molester un roi si jeune et si nouvellement marié ,
lequel surtout était venu en grande joie, sur son ap-
|>el , pour épouser sa fille ; mais il garda le silence ,
et dissimula pour le moment.
A l'occasion de ces noces et de la réception du roi
en chevalerie, le comte-maréchal' réclama instam-
ment l'exercice de son droit et de la coutume antique,
c'esl-à-dire qu'il demanda comme un droit qu'on lui
reniîl le palefroi du roi d'Ecosse, tout harnaché, non
par concupiscence ou comme salaire, mais afin que
l'antique coutume usitée en pareille circonstance ne
' H •agit ici , uns nul doute, de Hogcr Bigod, comte de Norfolk,
gr«a4 aui^chal d'Anglrli-rrf depuis IVutinction des couites de l'ciii-
knAe.
249 HENRI lU.
pérît pas en sou temps par son insouciance. On lui
fit réponse que le roi d'Ecosse n'était pas soumis à
une pareille exaction , parce qu'il était libre , s'il lui
plaisait, de se faire armer chevalier par tout autre
prince catholique ou par quelqu'un des seigneurs de
son royaume ; mais que , par révérence et par hon-
neur pour un si grand prince, son seigneur, son voisin
et son beau-père, il avait préféré recevoir le baudrier
militaire dudit roi d'Angleterre plutôt que de tout
autre. Aussi le seigneur roi ayant ordonné que ce jour
de fête ne fût pas troublé, toute discussion fut apaisée.
Les deux rois, leurs seigneurs et vassaux , s'étant
donc assis à table, célébrèrent en grande allégresse
les fêtes de Noël. Or, si je détaillais pleinement l'a-^
boudante diversité des mets, la variété des vêtements
derechange, le spectacle agréable des jongleurs frap-
pant dans leurs mains , la multitude des convives,
mon récit hyperbolique serait un sujet d'ironie pour
les cœurs et les oreilles de ceux qui n'assistaient pas à
cette fête. Mais pour neciter qu'un trait qui fasse com-
prendre le reste par comparaison facile, l'archevêque
donna pour ce repas plus de soixante bœufs de pâtu-
rages, qui servirent seulement d'entrée et formèrent
le plat fondamental. Tous festoyaient donc, tantôt avec
l'un des deux rois , tantôt avec l'autre , qui tous les
deux faisaient préparer à leurs convives des repas dé-
licats; en sorte que les mortels goûtaient tout ce qu'on
peut goûter de joie courte et éphémère dans ce monde,
qui n'est qu'un vain théAtre. Tous les conviés man-
gèrent aussi pendant quelques jours à la table de l'ar-
ANNÉE 4252. 249
clievèque, qui eloil comme le prince du Nord, et qui
se montrait pour tous un hôte généreux, ouvrant à
tous un sein secourable dans leurs besoins et néces-
sités. Tantôt il fournissait des logements à ceux qui
n'en avaient pas, tantôt du fourrage aux chevaux,
tantôt de la vaisselle en tout genre , tantôt du bois
pour entretenir tes feux , tantôt de largent en pur
don : enfiu il suppléait largement à tous les besoins,
en sorte que, dans cet avent du Seigneur, il sema sur
un rivage stérile, en présents d'or, d'argent et de soie,
quatre mille marcs, qu'il ne moissonna jamais dans
la suite. Mais il était obligé, en cette occasion, de faire
ces dépenses, pour conserver l'intégrité de sa re-
nommée et pour fermer la bouche aux malveillants.
Célébration de la fête de saint Edouard a Londres.
— ilÉCONCILlATlON DE PHILIPPE LCVEL AVEC LE ROI. — -
GllDlEAS DONNÉS A LA REINE d'ÉcoSSE. — VeNT TRÈS-
NIOLEXT. — L'tVÈgUE DE KoCIi ESTER EXTORQUE AUX BE-
NKPICIEHS DE SON DIOCÈSE LA CINQUIEME PARTIE DE LEURS
REVENDS. — Mort de Nicolas de Sanford. — Le pape
ckgage le roi a accomplir son voeu de pèlerinage. —
Le pape fortifie son parti en augmentant le nombre
DES cahdinaux. — Premiers buffles vus en Angleterre.
—Tandis que ces choses se passaient magnifiquement
dans les pays du nord de l'Angleterre , le seigneur
évêque d'Ély et les abbés de Westminster et de Wal-
iham ', d après les instructions du seigneur roi, qui
ne voulait pas paraître oublier saint Edouard , célé-
WêUenu. Évidrmmeol ffaltham.
250 HENRI HI.
brèrent magnifiquement , en son lieu et sur son
ordre , la fête de saint Edouard à Londres , c'est-à-
dire à Westminster, et présidèrent aux solennités
dans Téglise et aux festins dans le palais.
Pendant que les fêtes des réjouissances nuptiales
duraient encore, et que toutes les pensées et les in-
tentions se ressentaient des restes de la fête, Philippe
Luvel, clerc, homme rusé et éloquent, supplia hum-
blementle nouveau roi d'Ecosse, tout récemment ma-
rié, d'adresser pour lui des prières qui pussent apaiser
la colère du roi contre lui, et la changer en bienveil-
lance. Or, ledit Philippe connaissait déjà dès long-
temps le roi d'Ecosse, et avait eu pour grands amis
le père et la mère dudit roi. En effet, lorsqu'il était
sénéchal du comte de Winchester dans le Galloway,
qui esl, comme on sait, du domaine dudit comte, et
lorsqu'il y séjournait, il avait offert maintes fois des
présents honorifiques au roi et à la reine d'Ecosse,
et à leurs familiers. Aussi, le nouveau roi, cédant à la
demande de Philippe, et saisissant un moment favo-
rable, s'agenouilla devant le seigneur roi d'Angle-
terre, qui voulut le relever ; mois lui se refusa à quit-
ter celte humble posture, et joignant les mains,
commença par prononcer ces paroles bien capa-
bles d'émouvoir le cœur dudit roi d'Angleterre et
d'exciter des larmes de piété et de joie chez la plu-
part des assistants ; il lui dit donc : « Messire roi,
« voire sérénité sait que bien que je sois roi, et créé
« chevalier |>ar voire munificence, je ne suis qu'un
« enfant sans Age et sans science, et de plus qu'un
kmÊÊ 4252. 251
« orplielin ; puisque mon père est mort, et que mn
<• mère, retournant dans son pays natal, qui est éioi-
•• gué el eu outre-mer, m'a laissé encore si jeune, et
• n'est revenue que sur votre appel. Je vous adopte
« donc dès aujourd'hui et désormais pour père; je
«« souhaite même que vous me teniez lieu et de père et
• de mère, el'que vous fournissiez à mon insuffisance
•< vos conseils el votre patronage paternel. » Comme
le seigneur roi, pouvant à peine retenir ses larmes,
lui répondait : « Bien volontiers, » avec un sanglot
étouffé, cet enfant, qui ne parlait pas en enfant, reprit
la parole et dit : • J'éprouverai donc aujourd'hui
• et je saurai par expérience, puisque vous m'écoutez
« avec faveur, si vous mettrez à exécution le premier
« désir que je forme. Il s'agirait de remettre toute
« offense à, Philippe Luvel, qui jadis et maintes fois
« a traité honorahlemenl mon père, ma mère et moi-
•« même, el de le rappeler dans voire ancienne fa-
« miliarité; car j'ai appris par gens dignes de foi
« qu'il a été accusé injustement : en effet, depuis
9 lougteinps on le reconnaît pour un féal; il a été
« fort utile au comle de Winchester, dans les affaires
« importantes : il est propre aussi à vos conseils et à
« voire service. »> Les assistants ayant donc joint à
celle demande des instances favorables, le roi y con-
ienlil bénévolement. Or, celui qui conseilla et dirigea
le plus efGcacement toute cette affaire, ce fui Jean
Munsel.
Les solennités nuptiales étant donc terminées, le
roi d Ecosse, après avoir pris civilement congé, se
352 HENRI IK-
relira pour retourner dans ses élots avec ia reine sa
nouvelle épouse. Le seigneur Robert de Norbam,
maréchal de Thôtel du seigneur roi , et le seigneur
Etienne Bauzan, tous deux chevaliers, furent com-
mis à veiller très-soigneusement sur ladite reine, et à
former son caractère en tout bien ; et on leur adjoignit
une noble dame, douée de toute honnêteté, nommée
Mathilde, qui avait été laissée veuve par le second
Guillaume de Canteloup, ainsi que quelques autres
hommes discrets et enjoués. Le seigneur roi d'An-
gleterre promit aussi au roi d'Ecosse de lui envoyer
un conseiller discret et féal, qui traitât prudemment,
de concert avec les grands du royaume, les affaires
qui intéresseraient tant le roi que la reine.
Cette même année, c'est-à-dire à l'octave de 1 Epi-
phanie, pendant le jour et dans la nuit qui suivit,
Éole, furieux et irrité, Ot souffler Africus*, au grand
dommage de plusieurs. Ce vent, se déchaînant avec
un horrible mugissement et une impétuosité violente,
repoussa du rivage les Ilots de la mer, enleva les toits
des maisons, dont plusieurs furent abattues, déracina
complètement les arbres les plus gros, ou les déchira
en enlevant leurs feuilles, priva* les églises de leurs
toitures, faites en plomb bien travaillé, submergea
dans les flots de grands navires, ceux mémo qui
étaient le plus solidement construits, eniin causa en
beaucoup d'endroits des dommages irréparables, et
' T/C vent du sud-ouefl.
' Decatcavit. Vcat-Hrr (Indlvaril.
ANNÉE ^252. 255
s'ils furent i;rands sur la terre ferme, il est constant
qu ils furent dix fois plus grands sur la mer en furie.
Pour ne pas parler des autres inconvénients et âé-
Ijàti», nous avons jugé à propos d'en raconter quelques-
uns, que nous avons connus et éprouvés. Dans le
|)orlde\Vinchelsey. qui est si utile aux Anglais, mais
surtout aux habitants de Londres, les flots de la mer,
comme indignés et furieux d'avoir été repoussés la
veille, couvrirent les rivages voisins, engloutirent les
moulins et les maisons, et emportèrent une foule
d hommes noyés. Et pour parler clairementdes autres
événements inattendus qui arrivèrent ailleurs, le
veut déracina dans le cimetière deSaint-Albans, trois
chênes, dont chacun n'aurait pu être embrassé par
trois hommes ensemble, et déchira violemment le
feuillage d'autres arbres. Le jour de la fêle de saint
Valentiu, le seigneur roi arriva à Londres.
Cette même année, qui était la première année de
sa création, Tévéque de Hochester, encore nouveau
eo diguité, obtint, à la grande surprise de plusieurs,
delà cour romaine où il était connu, parce qu'il y
avait été longtemps le procurateur du seigneur roi,
le pouvoir d'extorquer aux bénéfîciers de son évéché
la cinquième partie de leurs revenus pendant cinq
ans, quoique ledit évêque, en vertu d'une indulgence
du pape, eûtretenu lesanciensrevenusqu'il possédait
avaut d'être promu à l'épiscopat. En effet, il était
daua la DéeeiBité, à ce qu'il prétendait, de relever
ion mince évèché de la pauvreté où il était tombé ; et
celait uu opprobre à ses yeux que sou évéché fût ré-
254 HENRI IH.
pulé le plus pauvre entre tous lesévêchés d'Angleterre,
et qu'il fût déjà surpassé par celui de Carlisle. Or, il
exigea qu'on lui fournît la somme susdite, non point
d'après estimation des biens ecclésiastiques faite par
ceux de sa j uridiction , mais d'à près les provenances (?)
des biens ecclésiastiques, de quelque nature qu'elles
fussent.
Vers le même temps, c'est-à-dire le^O avant les
calendes de février, mourut Nicolas de Sanford, che-
valier. Or, il est convenable de perpétuer le souvenir
de sa mort dans ce livre, non point à cause de ses
richesses, mais à cause de sa vaillance. Sa mort fut
le résultat, comme nous l'avons dit, de la douleur
qu'il ressentit en perdant son illustre sœur Cé-
cile.
A la même époque, le seigneur pape adressa au
seigneur roi d'Angleterre une lettre persuasive et
efficace, pour que le même roi prît vigoureusement
les armes à l'effet de secourir la Terre-Sainte, sans
aucun délai fâcheux, et fournît subside opportun et
empressé au seigneur roi de France, qui attendait
des secours. Il lui recommandait, dans le cas où il ne
le voudrait pas, de ne point empêcher du moins que
lesautres, qui étaient prêts et bien disposés, passassent
la mer et accomplissent leur pèlerinage. Or, cette
clause finale fut ajoutée parce que le roi avait retardé
certains seigneurs , à leurperte et grand dommage,
au moment où ils étaient prêts à se rendre en Terre-
Sainte. Aussi, le seigneur roi, pour obtempérer au
«lésiretau conseil du pape, extorqua aux juifs tout ce
;.'♦
ANNÉE 1252. 235
que ces malheureux possédaient oslensibleniciU,
non-seulement leur raclant la peau et les écorchant,
mais encore leséventrant. Enfin, dans la soif de Tor,
qui le gonflait comme un hydropique, il enleva avec
tant de cupidité talents, plaques, ou joyaux, tant aux
chrétiens qu aux juifs, qu'un nouveau Crassus parais-
sait ressuscité d'entre les morts.
Aux approchesdelasaison du printemps, afin que l'é-
glise respirât avec la sérénité de l'année, le seigneur
pape, que les habitants de Pérouse avaient reçu hono-
rablement, parce qu ils comptaient gagner beaucoup à
son séjour parmi eux, créa sept cardinaux à Pérouse.
Etcomme il avait déjà marié ses nièces Irès-pompeuse-
ment et très-somptueusement, il se proposa encore,
pour fortifier davantage son parti, d'unir par mariage
une de ses nièces à Henri, fils de Frédéric et neveu du
roi d'Angleterre, afin que le même Henri devînt comme
le fils adoptif du pape, fût protégé sous les ailes de
Péglise, fût relevé complètement de la sentence qui
ie liait, et pùtjouird une paix profonde. Mais lorsque
les grands de Tempire apprirent cela, ils conçurent
une indignation violente de ce que le pape osait pro-
poser un mariage si disproportionné pour un jeune
homme si noble et de si haute naissance. Vers le
même temps, Guillaume, comte de Hollande, se re-
pentant de sa présomption, qui lui avait coûté si cher,
el regrettant d'avoir aspiré au faîte impérial, par les
conseils et les secours pécuniaires du pape, résigna
toutes prétentions, aimant mieux, quoiqu'un peu
lard, jouir d'une paix sûre dans un état plus humble,
!2o6 HENRI HI.
que de courir les chances douteuses de Mars dans
une position élevée.
Celte même année, pendant le carême, on envoya
au comte Richard, des pays d'outre-mer, des buffles,
moitié mâles moitié femelles, pour que ces animaux,
qui n'avaient point encore été vus en Angleterre, se
multipliassent dans nos pays d'occident. Or, le buffle
est une espèce de bête de charge, semblable au bœuf,
et très-propre à porter ou à tirer des fardeaux. C'est
un animal, grand ennemi du crocodile, qui aime
beaucoup l'eau et qui est pourvu de grandes cornes.
C'est de lui que Bernard le philosoplie a dit * :
« L'éléphant sVlève par la masse de ses os, le chameau par la bosse
« (le son dos, et le buffle se distingue par ses coraes, honneur de son
» front. 11
Les frères Mineurs reposent de recevoir do roi cn
PRÉSENT qu'il AVAIT LUI-MÊME EXTORQUÉ. GrAVES AC-
CUSATIONS intentées par les Gascons contre Simon,
< Buffou, aux articles Buffle et Bubale, remarque qu'on a donné fau-
tivement au buffle le nom de bvbalus, que les Grecs et les Romains ne
connaissaient pas le baffle, et quails désignaient par le nom àobubalus
l'animal connu vulgairement aujourd'hui sous celui de vache de Barba-
rie. On pense généralement que le buffle (on vieux Tranchais bugle) fut
import*- en Italie, du septième au huitième siècle, des pays chauds dont il
était originaire, et surtout de TÊgypte. Comme cet animal aime beau-
coup l'eau, l'assertion de Matl. l'àris n'a rien d'extraordinaire. Remar-
quons qu'il adopte ici pour crocodile l'orthographe italienne cocodrilïo.
(juant n l'écrivain désigné dans le texte sous le nom de Bernard le phi-
losophe, nous pensons qu'il s'.'git do Bernard de Chartres, poëto latin,
inorlavanl H.'ifl. (I^oj/. l7/t.s<. lUlér., toin. \II, pag. 2(i3.) Le distique
ciU'> par Matt. IMris est probablement tirédu Megacosmus, AoniM. Cou-
sin a publié quelques fragments h la suite des ouvrages inédits d'Abai-
lard, p. C'27 et suiv.
ANNÉE ^252. 257
r.OMTF.DE Leicester. — État étonnatstde i/ atmosphère.
1.NFLDEWCE de CE CHANGEMENT SIR LA VÉGÉTATION.
Les bénéficiers refusent d'être élevés au crade de
PRÊTRES. — Vers le même temps, le seigneur roi
envoya aux frères Mineurs, comme une aumône qu'il
leurfaisail, un chariot chargé d'étofles de laine teintes
en gris et propres à vêtir les frères Mineurs. Mais
les frères, apprenant que ledit seigneur roi avait ex-
torqué ces étoffes aux marcliands, comme les autres
choses qu il avait Ihabilude de prendre ou plutôt
de piller, et en avait retenu le prix, se contentant de
payer en tailles, eurent horreur de recevoir un pareil
présent, et renvoyèrent toute la charge avec le cha-
riot, disant qu'il n'était pas permis de faire des au-
mônes avec les dépouilles des pauvres, et qu'ils
n'accepteraient pas un présent si abominable. Celte
action rendit les frères recommandables et le roi
reprehensible : ô honte! car le roi est tenu d'être le
miroir et 1 exemple de la justice, et, comme le soleil
dont les rayons sont très-droits el traversent les corps
opaques, ses paroles devraient rester immuablement
vraies, illuminant et réformant les ténèbres. Mais
maintenant que celui-là, qui est appelé roi, est téné-
breux en soi, comment illuminera-t-il ceux qui sont
dans lobacurité? C'est pourquoi Stace a dit :
« ... Quand tu pourras «-tre inaitre de toi-inéme, alurs lu sera* le
t uuKre de toutes tlios.<:. . Mais les Grecs sonfrreiitdi' tes fautes... i»
En celle métne année, tandis que le comte de
Leioesler, Simon, faisait un court séjour en An-
▼II. n
258 ' HENRI IH.
gleterre, les Gascons, se révoltant et rompant les
trêves convenues, soulevèrent la guerre contre le roi,
et attaquèrent ceux que le conmte avait laissés à sa
place pour garder en sûreté ses châteaux et ses pos-
sessions. Us firent savoir au seigneur roi que le
comte susdit était un traître très-méchant, qui amas-
sait une infinité d'argent et l'extorquait, tant aux no-
bles qu'aux bourgeois et au populaire, sans épargner
personne , en disant que tout cet argent devait être
remis au roi besoigneux, qui était sur le point d'entre-
prendre son pèlerinage, quoiqu'il gardât tout cela
pour lui-même; ils ajoutèrent en outre, et c'était là
une grave accusation, qu'il avait appelé pacifique-
ment à son conseil des seigneurs de Gascogne, qui
étaient les très-féaux sujelsdu roi, et qu'une fois ces
seigneurs rassemblés, ce Simon ou plutôt ce Sinon les
avail perfidement retenus, les avait incarcérés, et les
avait méchamment fait mourir de faim. Aussi ces
imputations rendirent le comte fort suspect au roi.
Le roi, flottant donc dans l'incertitude, fit partir se-
crètement et sur-le-champ pour la Gascogne Henri
de Weugham, son clerc, homme adroit et circon-
spect, à Teffetdes'enquérir soigneusement des choses
susdites et de recueillir des renseignements certains,
ainsi qu'il avait envoyé jadis Geoffroi de Langeley
faire une enquête sur la conduite suspecte de
Kohcrt Pnsselève, pour sonder ce qui était caché et
dénouer ce qui était tordu, en cherchant un nœud
dans le jonc et un angle dans un corde. Mais l'en-
(fuête de l'un et de l'autre ne produisit aucun résul-
ANNEE ^252. 259
tat. Cependant le comte, tort irrité pour deux niotiis
eu apprenant cela, alla trouver le roi, et, alléguant
son innocence, lui dit : a Qu'est cela, niessire roi?
« Tu prêtes tes oreilles et ton cœur aux insinuations
« de tes traîtres, et tu ajoutes plus de loi à ces gens,
u convaincus maintes fois de trahison, qu à moi qui
a suis ton féal ! Tu ordonnes une enquête sur ma
« conduite. » Alors le roi, devenu plus calme, lui ré-
pondit : u Si tout est clair, en quoi une enquête te
« sera-t-elle désavantageuse? Ta renommée ne fera
« qu'en briller d un plus vif éclat. » Le comte étant
donc humilié et sur le point de retourner en Gas-
cogne, le roi lui donna et lui prêta , sur sa demande,
une forte somme d'argent. Aussitôt le comte se hâta
de repasser la mer, n'ayant pas l'esprit entièrement
tranquille ; car il se proposait de tirer une vengeance
méritée d'accusations si outrageantes. Il forma donc
une armée nombreuse, composée de chevaliers et de
sergents français à sa solde, et de soldats fournis par
le roi de Navarre, le comte de Bigorre et beaucoup
d'autres, se fortifia d'une manière invincible pour
exterminer ses adversaires, et écrasa si bien l'orgueil
des Gascons que, si l'Angleterre ne leur eût été utile
pour vendre leurs vins, ils auraient tous renoncé à
la fidélité du roi d'Angleterre, et se seraient choisi
un autre seigneur. Cependant comme les Gascons
trouvent en Espagne un débouché pour vendre leurs
vins qui font leur seule richesse, par exemple à
Cordoae, à Seville, et à Valence la Grande, villes
qui naguère ont été soumises au culte chrétien, ou
260 HENRI III.'' C^ i
pout craindre qu'ils n'abandonnont If parli {\o TAn-
gleterre, qui no leurprocurequ'aiigoii^scset vexations,
surtout à cause des exactions du roi , et qu'ils ne se
donnent à l'avenir à un prince étranger. Aussi avons-
nous jugé à propos d'insérer ici ces réilexions , parce
que de tout ce qui composait le noble royaume d'An-
gleterre, qui avait coutume de se glorifier des pays
d'outre-mer qui lui étaient soumis, tandis que main-
tenant il est amoindri et mutilé par la lâcheté et la
fausseté des rois d'Angleterre, il ne reste plus que la
Gascogne vacillante, laquelle ne de meure sous les lois
des Anglais, que parce que le roi de France dédaigne
de s'en emparer*; et si l'on perdait décidément cette
province, comme les Gascons nous en menacent hau-
tement, jamais dans les temps futurs les ancres d'en
deçà de la mer ne seraient jetées sur les terres d'ou-
tre-mer®.
A la môme époque, c'est-à-dire le lendemain de
saint Grégoire, à la quatrième férié, la mutation de
la lune étant imminente, on la vit paraître quatre
jours avant celui où on devait la déclarer en son
premier jour : car le jour de la lune ne fut réel-
lement 1 que le prochain samedi qui suivit. Ensuite, .
pendant quinze jours, sans interruption, le soleil ,
la lune et les étoiles parurent d'une teinte rougeûtre,
et une sorte de nuage sec, semblable à la fumée, et
< Quam rex Francorum rontemnit, «lit le lexlc.
' Malt, l'âris m; se «Inutail pas alors qu'un jour le» Anglais seraient
mallrcR de pri's des deux tiers de la France, et que la Guyenne elle-nu'nio
icrait la dernière province arrach«^e ;i leur domination.
ANINÊE ^232. 264
amené par Borée ou jiar le vent d'orienl , parut
remplir toute léteudue du monde. Cetle même an-
née, la plus {}rande partie du mois de mars et les
mois entiers d'avril et de mai * furent brûlés par un
soleil ardent, pendant que le vent d'orient, que Borée
et que 1 aquilon soufflaient sans relâche. Les causes
de chaleur et de sécheresse s'élant donc multipliées,
et les rafraîclnssements de la rosée se trouvant in-
terrompus, les pommes et les autres fruits, qui com-
mençaient à paraître, et qui déjà se nionlmient en
ausi>i grande quantité que se montrent les noix, se
séchèrent et tombèrent sans ressource , et une très-
faible quantité put venir à maturité, bien que les
Heurs qui les avaient précédés eussent promis des
fruits en abondance. Ce qui augmenta encore la perte
des fruits qui restaient, au moment où ils avaient
atteint la grosseur des glands , ce fut une gelée sou-
daine, accompagnée d'éclairs surnaturels, qui frappa
la terre un matin (ce que les philosophes naturels
appellent brûlure), et qui s'attaqua tellement aux
fruits , aux glands , aux faînes , et à ioute espèce de
fruits et même de plantes alors en puberté, qu'il en
resta à peine la dixième partie. Cependant les ver-
gers et les champs étaient encore suffisamment gar-
nis de fruits, à cause de l'abondance primitive qui
était telle, que si tous les germes des fruits étaient
venus à bien, les arbres n'auraient pu supporter le
poids de tous les fruits qu'ils auraient produits. Mais
le soleil étant arrivé jusqu'au faîte du solstice, une
* Martius. Evitlemineut maius.
262 UmWl 111. •
chaleur iuiniodérée et intolérable brûla tellement la
surface de la terre et multiplia si fort ses ardeurs ,
que toute motte de terre se dessécha, et que les prai-
ries refusèrent aux troupeaux toute espèce de pâture.
De plus, la chaleur se prolongeant même pendant
les nuits , engendra des moucherons , des puces et
autres insectes incommodes , en sorte que tous les
vivants éprouvaient l'ennui de vivre.
A la même époque , comme Tévêque de Lincoln
conseillait efficacement à beaucoup de bénéficiers de
son diocèse, et les pressait instamment, soit qu'ils le
voulussent ou non , de se faire élever au grade de
prêtres, il y en eut plusieurs qui, refusant de sou-
mettre leurs cous au joug du Seigneur, en exerçant le
sacerdoce , firent une collecte entre eux sur l'avis
commun, amassèrent une forte somme d'argent, dé-
putèrent vers la cour romaine, et, moyennant l'effu-
sion de l'argent qui peut beaucoup dans ladite cour,
résistèrent au décret episcopal, en vertu de l'autorité
papale; ils obtinrent aussi la faculté de tenir pen-
dant quelques années des écoles, sans être revêtus du
sacerdoce. C'est ainsi que, sous une apparence hon-
nête, ils rejetèrent de leurs cous, par des ruses de
renards, le joug du Seigneur.
Le roi fait (;o>Vi»y(iKii 1,1;^ SEKilNEOnS CROISÉS. —
Projets de restitution annoncés par Louis IX. —
Henri III jure d'accomplir son pj;lerinage en Terre-
Sainte. —Le SOUDAN DEMANDE LA PAIX AU ROI DE FrANCE.
— Le roi se montre dur pour ses sujets , prodigue
ANNÉE 4252. 265
POCR LES ÉTRANGERS. TENTATIVE d'eMPOISONNEMENT
sur la personne de conrad. périls do comte de
Leicester a Bordeaux. — Mort de maître Jean de
Basingestores. — Ses OUVRAGES. — Il rapporte en An-
gleterre LES FIGURES NUMÉRALES DES GrECS. — Celte
même année , aux approches de la solennité de
Pâques , le seigneur roi fit convoquer à Londres
tous les seigneurs d'Angleterre croisés , à Teffet de
8e trouver réunis à Londres dans la quinzaine de
Pâques, et de s'y occuper avec soin des affaires de la
Terre-Sainte, dont l'honneur paraissait clianceler
énormément. Vers le même temps aussi, le nom du
roi de France commença à être a\ili grandement dans
le royaume de France , et à devenir fort odieux aux
nobles et au vulgaire, tant parce qu'il avait été vaincu
honteusement par les infidèles dans le pays d'E-
gypte, et que toute la noblesse de France avec lui
avait été couverte d'une confusion indélébile, que
parce qu'il s'était permis , sans l'aveu de ses sei-
gneurs, d'offrir* au roi d'Angleterre la Normandie
et les autres provinces d'outre-mcr , qu'il détenait
et occupait, si le même roi d'Angleterre venait puis-
samment et efficacement à son secours; ce qu il était
surtout tenu de faire comme croisé. Ce qui augmen-
• La vmté il^ane pareille assertion est plus <]ue contestable, il est vrai
^ae niut Louis étsil poss/'-dô d'uu >ioleut drsir de restitution; mais eu
■Vtait ni le temps ni le lieu d'entamer une pareille ué{>ociation, sur la-
quelle, d'ailleurs, tous les historiens fraïujais (]i(rdent le silence le pliif
abcolu. Il f«t plus prultalilc ipic Malt. Paris a été ici induit eu erreur par
quelque uieu»on(;e ofliciel di- Henri III.
264 HENRI III.
tait encore Torgueil des Français , c'était Popprobre
qu'on leur jetait fréquemment à la face , quand on
leur disait daris la conversation quelle plus noble des
Français, après le roi, c'est-à-dire, Robert, comte
d'Artois, frère du roi de France, avait pris la fuite,
tandis qu'un Anglais , à savoir Guillaume Longue-
Épée , issu de la race royale d'Angleterre , et encore
jeune d'âge, avait tenu ferme jusqu'à la mort, en
combattant vigoureusement et vaillamment. Aussi les
Français eux-mêmes ne pouvaient-iis nier qu'il ne
brillât de la couronne éclatante du martyre, et dût-
être mis au-dessus du bienheureux Edmond lui-
même, s'il est permis de le dire. En effet, si ce der-
nier est un confesseur glorieux , comme Tattestent
son corps préservé de la corruption et la fréquence de
ses miracles, l'autre, chevalier de bonne mine, de
haute naissance et de grande vaillance, avait subi pu-
bliquement le martyre : ce qui était une épine blesr
santé dans les yeux des Fiançais. En effet, riiommc
arrogant ne peut souffrir son égal en mérite : com-
bien plus il s'indi;;ne d'avoir un supérieur ! c'est
pourquoi le poëte a dit : ,
« L'iiominc puissant ou l'iiomiiic superbe uc peut supporter de par-
Aussi les Français répondirent- ils arrogammenl
comme il suit au message du roi do France, dans
lequel il était question de restituer au roi d'Angle-
terre les provinces (roulrc-mo^* : « A Dieu ne plaise
« que, de notre tenq)8,la Fronce soit abaissée et mu-
ANNÉE 4252. 265
« Ulée à ce poinl, que Ton rende au faible roi d'Au-
« glelerre ce qu'il demande , bien que la France se
« trouve avilie au delà de ce qui convient par la lu-
« chelé et la défaite de notre roitelet. C'est assez d'être
« foulés aux pieds, d'être diffamés, d'être appauvris
« comme nous le sommes. Quand bien même la
• dame Blanche, parson affection maternelle et par
« une volonté de femme, voudrait cela pour la déli-
« vrauce et la prospérité de son fils , jamais Tassem-
« blée (jéiiérale du royaume de France n'y! consen-
« tirait. En efl'et, nous ne souffrirons pas que le
« jugement des douze pairs, par lequel le roi d'An-
« gleterre a été déshérité et privé justement de la
M Normandie, soitcassé et regardé comme nul. Quant
« aux autres terres que redemande le même roi d'An-
« gleterre , notre ennemi capital , il ne les possédera
« en aucune façon tant que nous vivrons. » Aussi un
murmure horrible et des grognements s'élevèrent
parmi les seigneurs de France, en voyant que le roi
de France osait méditer pareille chose sans le con-
sentement du baronage entier. Ses frères eux-mêmes,
à savoir les comtes de Poitou et de Provence, commen-
cèrent à le dédaigner et à l'avoir en haine et en
mépris. De plus, ils refusèrent, malgré son attente,
de lui fournir le patronage fraternel qu'ils lui avaient
promis. Blanche sa mère fut la seule qui tint ferme
pour lui et avec lui ; car la nature et la piété de la
religion l'empêchaient de lui fermer ses entrailles.
Or, quand le seigneur roi d'An<;leterre apprit cette
rq>on8e, les espérances qu'il avait conçues de recou-
266 HENRI 111.
vrer ses possessions d'oiitre-mer s^évanouirent com-
plètement. On lui rapporta de plus que les seigneurs
de France avaient juré, en prononçant un horrible
serment, qu'avant que le roi d'Angleterre recouvrât
ce qu'il espérait, il lui faudrait nécessairement passer
à main armée par les pointes de mille lances, et,
quand les lances seraient brisées, par autant] de
glaives prêts à verser son sang. Ce qui effraya beau-
coup le roi d'Angleterre, comme on doit le penser.
Dans le cours de cette même année, le lundi qui
précéda immédiatementlejourque nous appelons vul-
gairement Hokeday\ le seigneur roi fitconvoquerpar
la voix du héraut tous les habitantsde Londres, depuis
le plus petit jusqu'au plus grand, leur enjoignant par
édit royal de se rassembler tous à Westminster,
pour y entendre ses volontés. Quand ils furent
réunis, le roi ordonna que l'évêque de Worcester, ce-
lui de Chicester et Tabbc de Westminster, fissent au
peuple un sermon solennel et efficace, pour le dé-
terminer à prendre la croix. Mais, malgré cette pré-
dication, un très-petit nombre des habitants de
* On applail ainsi une fëlo célébréo en commémoration du maasacrc
des Danois qui avait nu lien en 1005, lo jour de saint Hricc, sous le
rèf^nc d'blhclred 11. Le Uokeday tombait un mardi et donnait quelque-
fois son nom à la quinzaine do l'ûqucs, parce qu'il arrivait quinze jours
après râ(|nes. Comme la trudilioii nrontnit (|ue les femmes saxonnes
avaient vpnjjé suns pilif' sur lr'« Paiioig leur liounenr onirngé, le Uoke-
day ét-iit la foie des femmes : oe jonr-l<i elles (<>ndi>ienl des cordes d,iiis
les mes, cl s^omusaientà orréler les piissunls pour leur demander quel-
ques pelils cadeaux, qui ensuite éluient consacrés n des UBa({cs pieux.
Cette félc subtitlait encore au temps du Guillaume Wats.
li
ANNÉE 4252. 267
Londres ou des yens d'alenloiir voului*ent prendre la
croix, à cause des diverses extorsions d'argent et des
Ironiperies de la cour romaine; toutefois, parmi les
courtisans, Richard de Gray, Jean son frère, et Jean
de Plessets*, s'empressèrent de recevoir la croix.
Aussitôt Icroi, s'élançant vers eux, les serra dans ses
bras, en les appelant ses frères, puis il traita les ci-
toyens de Londres d'ignobles marchands, et leur fit
un reproche de ce que peu d'entre eux avaient
pris la croix. Or, c'était Rome qui lui donnait cette
audace ou plutôt cette opiniâtreté, parce qu'il avait
obtenu du pape la permission de lever pendant
trois ans un dixième sur le clergé et le peuple du
royaume; et cedixième, s'il était levé, pourrait mon-
ter à une somme totale de plus de six cent mille
[marcs], au détriment perpétuel du royaume. Aussi
se disait-on tout bas (ce qui doit être repoussé par les
esprits pieux), que le seul but du roi, en attachant la
croix à SCS épaules, était d'avoir un prétexte pour
dépouiller le royaume de ses biens. Toutefois, il
jura d'effectuer son passage dans les trois ans qui sui-
vraient, à partir du jour de saint Jean-Baptiste, à
moinsqu ilne fût retenu par la mort ou par une infir-
mité grave, ou par quelque autre motif raisonnable,
et en prêtant ce serment, il posa sa main droite sur sa
* Nous pmioiu qu'il s'agit ici du comte de Warwick, nommé plus
hm par Matt. Paria Jean de Plcyseir. Plessets eat la bonne lerou selon
Camito, et eoovieot ê l'iexeto {Utxle hic). Nous laissons dune de cùlv
rinterprélatiuu PUvkc, <iui élail le nom d'une autre famill»' roulem{)o>
2M HENRI HI.
poitrine, comme font les prêtres, et ensuite la posa
sur les évangiles qu'il baisa comme lont les laïques.
Mais ccsdémonslralions ne rassurèrent pas beaucoup
les assistants; car le souvenir des trangressions pas-
sées faisait naîlre le soupçon pour le présent.
A la même époque, pendant que le roi de France
séjournait à Césarée, ceux d'îconium et de Damas
continuèrent une guerre sanglante et hostile contre le
Soudan de Babyloue, et se livrèrent aux rapines, aux
incendies et aux massacres. En effet, le soudan de
Babylone était odieux à tous les Orientaux, tant
parce qu'il avait souffert, stimulé qu'il était par l'ava-
rice, que le roi de France sortît sain et sauf des mains
des Babyloniens, que parce qu'on l'accusait d'avoir
lue séditieusement son seigneur le soudan de Baby-
lone, son prédécesseur, pour s enrichir de ses trésors.
Or, tous les Orientaux s'étaient proposé de faire du
seigneur roi de France un jouet pour tous les Sar-
rasins, à la ruine et au scandale éternel de la loi
chrétienne, et enfin de le présenter à leur calife de
la Mecque, pour être emprisonné tout le reste de ses
jours, ou immolé à Machomet en holocauste, à
l'exaltation de leur loi. Mais la colère divine ne s'em-
porta point jusque-là contre ses serviteurs, quoi-
qu'ils eussent mérité cela par leurs péchés, qui
avaient attiré la vengeance de Dieu : car Dieu, même
dans son courroux, se souvient de la miséricorde.
C'est pourquoi dès lors le susdit soudan de Babylone
envoya auseigneur roi de France des présents, accom-
pagn<';8 de paroles pacifiques, lui faisant savoir à
ANNÉE ^252. 269
combien de trilnilntions il était en proie pour l'avoir
épargué. Le même Soudan commença aussi à méditer
les conditions de paix ou de trêve qu'il voulait of-
frir au roi susdit: ce qui réconforta le seigneur roi,
et lui lit concevoir de meilleures espérances.
Avant même que le parlement, dont il a été ques-
tion, fût levé, le seigneur roi, devenu sourd à toutes
les prières, non-seulement n'accorda pas même de
courts délais à ses débiteurs, mais encore pressura
ses sujets naturels sans miséricorde, sans aucune
considération discrète, et au gré de sescaprices. Pour
faire saigner encore plus les cœurs des siens, il con-
féra une terre de cinq cents marcs à un certain Poi-
tevin, nommé Elie de Rabani, homme tout à fait
indigne d'un pareil honneur. Ainsi d'une part il
était devenu avide et insatiable, de l'autre dilapida-
teur des biens du royaume.
Vers le même temps, Conrad, fils de Frédéric,
ayant gagné la faveur de presque tous les Italiens,
Calabrais, Siciliens, Romains et Germains, fut em-
poisonné traîtreusement, au moyen d'un breuvage
mortel (plaise à Dieu que la faute n'en soit pas à la
cour romaine), et ne fut retiré qu'à grand'peine des
portes de la mort, par l'habileté très-active des mé-
decins. 11 y en avait qui disaient que quelque parti-
san du pape, à l'insu cependant du seigneur pape,
avait préparé cet attentat. En effet, les partisans du
pape redoutaient fort que Conrad, suivant les traces
de SDii père, et st* souvenant des persécutions que
son père avait éprouvées, ne se vengeât de ses adver-
270 HENRI III.
saires. Conrad n'en devint donc que plus cher à tout
le n^onde, parce que le Seigneur l'avait conservé
sain et sauf dans une circonstance si périlleuse.
Aussi, plusieurs sollicitèrent instamment le seigneur
pape d'élever, autant qu'il était en lui, le susdit Con-
rad au faîte impérial ; mais le pape craignit qu'il
ne tint de son père, et ne suivît pas à pas les traces
de Frédéric, en persécutant l'église.
Cette même année, Simon de Montfort, comte de
Leicester, qui supportait déjà maintes tribulations,
étant arrivé à Bordeaux, trouva que beaucoup de
citoyens de cette ville, après avoir tramé un complot
occulte, se disposaient à lever le talon contre lui, et à
lui préparer des pièges nouveaux et renaissants.
Aussi lui fallut-il s'exposer de nouveau à des périls
de guerre et même de mort, comme on le verra dans
ce qui suit.
A la même époque ( car un malheur ne vient
jamais seul ), maître Jeun de Basingestokes, archi-
diacre de Leicester, homme très-érudil dans le
trivium et le quadrivium, et pleinement versé dans
les lettres grecques et latines, alla où va toute créa-
ture, et multiplia les gémissements et les larmes du
comte susdit. Ce dit maître Jean avait fait savoir à
1 evêque de Lincoln llobert, qu'à l'époque où il étu-
diait à Athènes, il avait vu et appris, de la bouche
des savants docteurs de lu Grèce, certaines choses in-
connues aux Latins, au nombre desquelles se trou-
vaient les testaments des douze patriarches ',c'est-à-
* Saint Jcrurac paroit faire allusiou à ce livre ii|>ocry|iLc dans une
ANNÉE 4252. S74
dire des fds de Jacob. Or, ii est constant que ces
testaments faisaient partie des saintes Écritures*;
mais ils furent lonfjlemps cachés par la jalousie des
Juifs, 0 cause des prophéties manifestes relatives au
Christ, qui y sont contenues. Aussi le môme évêque
les envoya chercher eu Grèce, et se les étant procurés
les traduisit du grec eu langue latine, ainsi que quel-
ques autres écrits. De plus ledit maître Jean rap-
porta en Angleterre les figures numérales des Grecs,
en donna connaissance à ses familiers, et leur en
expliqua la signification. Ces figures servent aussi à
représenter les lettres [numérales]. Ce qu'il y a de
plus admirable dans ces figures, c'est qu'une seule
leltreà Vigilantiiu où, après avoir éouméré plusieurs écrits pen ortho-
doxes, il lermine en disant : «Et Si tihi placverit, legite fictas révéla-
iiones omnium patriarchamm et prophetanim, et quum iUas didi-
ceris, inter muUerum textrinas cantato. » Matt. Paris n'est pas, à ce
4u'il semble, de l'avis de saint Jérôme. Quant au livre en lui-même,
voici ce qu'en dit Faliricius : Testamentum Xll prophetarum qnod a
christiano, ut videtur, Judaizante compositum, Origeni aliis que
rtteribus ledum, lutiuè pridem veitit Hobertus Lincolniensis, grœ-
ce primus edidit torn. i. Spicilegii vir clarissimus J. E. Grahe.
{ Pabricics Cod. apoeryp. nov. testam., torn, ii, pag. 959. Voyez
aoiû Codex pseudepigraphus vet. test, du même auteur.) In «utre U-
Ti« de semblable composition, intitulé Trxr^^xc/ai, attribuée AbraLam, è
iMACet h Jaeob, fut condamné par d'anciens conciles, comme sentant Thé-
rétie et eoutenaot à'impia figmenta. {Voy. Labbe, lom. v, deuxième
eoueile Braeearense , c^nou tT.)
* Dt substantia bibliothecœ (texte hic). liibliotheca s'emploie tan-
iM ftmr rwidroit où on dépose les livres (libraria) , tantôt et plus or-
dinûfcmcnt pour rauciea et le nouveau testament. Mais ou y trouve
(rétpiamiiMot joint srripturarum dwinarxiin, ou quelque terme aua-
lognc. Loi noiabrruiei citations de Ducauge ne laissent aucun doute à
flci^gud.
272 HENRI 111.
figure représente un nombre quelconque : ce qui
n'existe pas dans le latin ou dans l'algorisme'.
Or, nous avons jugé à propos de retracer ces ca-
ractères dans le présent écrit. Prenez une baguette^:
de cette même baguette [perpendiculaire] lirez des
lignes de manière à ce que chacune forme avec la
baguette un angle droit, un angle aigu ou un angle
obtus, comme il suit.
I II in IV V VI VII VIII IX
X XX XXX XL L LX LXX LXXX XC
Remarquons que toutes les lignes tirées de droite
à gauche de la baguette représentent la numération
sur les doigts, c'est-à-dire un nombre simple, et que
les lignes tirées de gauche à droite représentent un
nombre composé, c'est-à-dire la numération graduée,
ou les nombres dont la conjonction forme un nom-
bre supérieur.
Cette figure est la plus reco mmandable de toutes :
« Voy. la noie III k la fin du volume.
' .Slt;)^s, «lil le U'xt»*. Non» ppnions que c'esl un lerine analogue h
notre mot vulf{aire, une rhjle.
ANNÉE 4252. 273
carde quelque colé qu'on la tourne, elle représente
le même nombre, c'est-à-dire le nombre LV, comme
si elle .avait été établie de toute éternité pour avoir la
lorme de la croix du seigneur Jésus, Dieu et homme,
qui devait être crucifié : aussi beaucoup de Grecs
outils cru dans la suite.
t
Cette ligure, qui représente XXXIll, est aussi fort
recommandable; car Jésus-Christ a été crucifié la
trente-troisième année après sa naissance; et on Tap-
pelle, à cause de sa forme, le signe de la flèche; car
il est écrit : « Tout à coup la ilèche^ »
^
y^
^e
Celte figure, selon les Grecs, embrasse toutes les
tigures numérales^, et est applicable à toutes les let-
tres. .\u88i en Grèce beaucoup de tabellions, pour
chiffrer plus vite, écrivent au moyen de ces figures
Vubilo sa. r. ru, dit le texte sans autre iodication.
* V.a effet, elle reofenne des angles droits, aigus el obtus. Voyfz la
dÎMertation sur ce tytthne de notation, nol«? III h la iiij ilu volume.
VU. m
274 HENRI m.
en tirant des lignes avec des baguettes préparées à
l'avance *.
En outre le susdit maître Jean traduisit du grec
en latin un certain écrit, dans lequel toutes les pro-
priétés de la grammaire sont contenues ingénieu-
sement et en abrégé. Le même maître intitula cet
écrit : Donat des Grecs ^.
Item, il en composa un autre, dans lequel les pa-
ragraphes du livre des Sentences^ sont éclaircis au
moyen de distinctions, et qui commence ainsi : « Le
temple du Seigneur... » lequel est fort utile "*.
Item, il fit encore un autre écrit qu'il tira de ses
rapports avec les Athéniens; car c'est dans la ville
d'Athènes qu'ont étudié les sages des Grecs. Et
* Intercalation importante fournie par le manuscrit de régliso collé-
giale de Cambridge.
' ^lius Dunatus , grammairien latin , naquit au quatrième siècle ,
vers 333, et fut précepteur de saint Jérôme. Outre son commentaire sur
Terence, il composa deux traites, l'un De Barbarismo, l'autre De octo
partibus orationis. Comme il était fort goûté au moyen .Igc, l'usage
s'introduisit d'appeler Donat la plupart des ouvrages de grammaire, et
nous avons une grammaire provençale traduite en latin sous le titre de
Domitus provincialis.
' Pariiculo! seutcntiarum . Suard, dans son article à la biographie de
Michnud, ayant probablement ce pussuguon vue, traduit « une partie du
« livre des sentences : » ce qui ne nous semble pas tout à fuit exact.
Cependant nous ne répondons point de notre interprétation, — On compte
jusqu'à deux cent quarante-quatre auteurs qui ont commenté le livre de
l'ierre Lombard.
4 Oudin, dans son catalogue, range cet ouvrage parmi ceux de Robert
Grossc-Tétc, ce qui est inadmissible d'après le témoignage formel de
Mail, l'ilris ; mais l'erreur okI facili- à comprendre. Il est h regretter
qu'Oudiii ne lionne aucune notion sur Rusingostokes et ne le cite même
pat.
ANNÉE 4252. 2T$
comme la saffcsso esl immortelle, ainsi que Ta dit le
sage en parlant d'elle : « J'ai été créée dès le commen-
cement et avant les siècles, et je ne manquerai pas
jusqu'à la fin des siècles; » ce nom d'Athènes, vient
du mot a, qui veut dire sans, et Tlianatos, qui veut
dire mort, et signifie par conséquent immortelle'.
Cet écrit est consacré à prouver l'ordre des Evangiles.
Je ne dois pas omettre que ledit maître Jean avait
coutume de me raconter le fait suivant, à moi qui
écris ces détails. Une jeune fille qui avait pour père
l'archevêque d Athènes, et qui s'appelait Constan-
tine, douée de toutes les vertus, et qui n'avait pas
encore vingt ans, était tellement instruite dans toutes
les difGcullés du triviumet duquadrivium, que ledit
maître Jean, pour l'éminence de sa science, avait
coutume de l'appeler agréablement la nouvelle Ca-
therine ou [ simplement j Catherine. Elle fut la maî-
tresse de maître Jean, et tout ce qu'il savait de bon
en fait de science, c'était elle qui lui en avait fait
l'aumône, comme il le déclarait fréquemment, quoi-
qu il eût été longtemps écolier et lecteur à Paris.
« Celte ëtymologie est «infjaliërc. Le« Grws de cette époque reniaicnt-
il« Minene pour leur patronne , depuis qu'ils lui avaient substitue la
MÏnte Vierge? (Votj. les lettres d'Innocent III, xv, 6.) Quant à l'éty-
molo{;ie d*A»T.vr, les savants depuis Platon dans son Crutijle, jusqu'à
Vossius dans sou Traité des idoles, s'en sont préoccupés suns donner
ie Miltttioii satisfaisante. Nous ne serions pas éloi{jnë de penser que la
noarella Catherine dont il s'agit ici était lillc de l'archevêque Michel Cho-
oiatc qui, dans le démembreineot de l'empire grec , contribua à l'établis*
•cmeot de la famille de la Roche à Athènes. Michel était frère de This-
tMicD Nieéta«,et fort instruit lui-même pour le temps. {Voy. Gibbon,
«Infitrett, text« rt uotea.)
270 HENRI III.
Cette jeune fille prédisait la peste, le tonnerre, les
éclipses, et, ce qu'il y a de plus admirable, les
tremblements de terre, et en avertissait infaillible-
ment tous ses auditeurs. Mais ne nous écartons pas
trop de notre sujet, et reprenons le récit des travaux
et des inquiétudes du comte de Leicester, Simon.
Deuxième et plus grave accusation contre le comte
DE Leicester. — Le pays de Galles est soumis aux
LOIS de l'Angleterre. — Les seigneurs de Gas-
cogne viennent en Angleterre pour se plaindre de
LA tyrannie DD COMTE DE LEICESTER. — NOUVELLE EN-
QUÊTE. — Querelle entre le boi et le comte. — -
Or, cette même année, le comte de Leicester Simon
fut diffamé et accusé grandement par devant tous
les seigneurs des pays d'outre-mer. On disait qu'il
se conduisait traîtreusement envers les féaux du
seigneur roi d'Angleterre, qu'il les faisait périr inhu-
mainement dans ses prisons par la faim et par le
fer, et qu'il s'emparait des châteaux et des terres; en
sorte qu'il paraissait plutôt l'usurpateur par violence
des bourgs et des cités, et le féroce exterminateur
des hommes, que le conservateur de la terre de son
seigneur qu'il s'efforçait de déshériter. H fut donc
décidé, de l'aveu et du consentement commun de
tous les Gascons assemblés, qu'ils enverraient des
députés solennels à leur sci[',neur le roi d'Angleterre,
lesquels, en temoijjnage de cette accusation, empor-
teraient avec eux des lettres des villes communoles
de Gascogne , des barons , des chûtelains et des
baillis, et les présenteraient au seigneur roi avec des
ANNÉE ^252. 277
plaintes lugubres. 11 fut aussi convenu, après délibé-
ration, que le principal et le plus digne personnage
de tout leur pays, à savoir Tarchevêque de Bordeaux,
serait envoyé en toute héte vers le seigneur roi en
Angleterre, avec quelques autres seigneurs fameux,
pour obtenir plus de créance, à la confusion du
con)te. A cette nouvelle, le comte s'empressa de re-
venir promptement en Angleterre, pour répondre
convenablement par devant le roi à chacun des
griefs de ses accusateurs.
Vers le même temps, le seigneur Alain de la Zoucli ,
justicier du pays de Galles, dans les parties qui avoi-
sinent le comté de Chester, passa, la veille de la
Pentecôte, par le monastère de Saiut-Albans, portant
sur des chariots, à Téchiquier de Londres, un trésor
non petit formé des revenus royaux. Le susdit Alain
prolesta publiquement et annonça à qui voulut Ten-
lendre, que tout le pays de Galles était soumis aux
lois anglaises, en obéissance et en paix; et Tévéque
de Bangor, qui viut aussi à SnintAlbans, témoigna
du même fait. A la même époque, maître Raoul, cha-
noine de l'église de Lincoln, fut élu à Tévêché de
Murray en Ecosse ' .
Celte même année , vers la Pentecôte et peu de
jours avant la fêle, arriva de Gascogne Tarclieveque
de Biirdeaux, avec les seigneurs de la Réole et d'autres
villes de Gascogne, qui vinrent par mer jusqu'à
Lonilres, où ils trouvèrent le seigneur roi. Alors ils
' lAt'uê^ éUil à Elgio, eaptUle du comU'.
rrs HENRI 111.
se plaignirent à lui, en pleurant, de la tyrannie du
comte de Leicester qu'il leur avait envoyé pour gar-
dien, et Taecusèrent de la trahison la plus inique.
Mais le roi, n'ajoutant pas entièrement foi à leurs
paroles, parce qu'il les avait trouvés traîtres pen-
dant son séjour en Gascogne, envoya dans ce pays
Nicolas de Molis, chevalier, et Dreux de Valence [?],
pour s'enquérir exactement si les Gascons étaient
coupables ou innocents, si Henri de Weugham était
d'accord avec eux ou non , et s'ils en étaient venus
des réclamations aux voies de fait ; pour qu'eniin les
témoins de la vérité donnassent en tous points des
éclaircissements certains : ce qui cependant déplut au
comte Simon, comme on le doit bien penser.
Lorsque les susdits enquesleurs furent revenus,
ils firent savoir au seigneur roi que le comte avait
traité quelques Gascons fort inhumainement, mais
que c'étaient des gens qui, à ce qu'ils croyaient,
avaient bien mérité ce traitement ; ajoutant toutefois
que l'absence du comte les avait empochés d'éclaircir
complètement cette affaire. En apprenant cela, les
Gascons qui se trouvaient alors en présence du roi,
comme par exemple l'archevêque de Bordeaux et
ceux qui l'accompagnaient, se mirent à crier et à
dire : a Sans nul doute, les traces de la vérité se dé-
« couvriront, et après cette découverte, nous de-
« mandons le jugement. » Puis ils protestèrent avec
serment qu ils n'obéiruient ou ne se soumettraient
jamais h ce comte exterminateur, et que plutôt
que de le faire, ils se choisiraient pour seigneur un
autre que le seigneur roi. Tandis que le comte était
ANNEE 4252. 279
ainsi fjravement accusé et diffamé dans la cour du
roi, et que son mauvais renom s'accroissait par des
témoignages multipliés, il arriva en Angleterre en
toute hâte et avec empressement. Lorsqu'on apprit sa
venue, on lui fiïa jour pour répondre aux imputa-
tions de ses adversaires. C'est pourquoi le comte,
placé dans une position difficile, fit en sorte que le
comte Richard, qui se réjouissait fort de la tribula-
tion des Gascons, le comte de Glocester, favorable
en cette circonstance au comte Simon, le comte
d'Héreford et beaucoup d'autres seigneurs et grands
qui n'auraient permis en aucune façon que le comte
fût en péril à ce sujet, assistassent à l'assemblée. En
effet, on craignait fortement que le roi, dont la fa-
veur pour les étrangers n'était que trop connue,
n'ordonnât, dans un accès de colère et avec précipi-
tation, de saisir, de retenir et même d incarcérer
comme traître convaincu un si noble comte qui était
son homme naturel ; ce qui n'eût été souffert en au-
cune façon. Lorsque le comte eut suffisamment allé-
gué son innocence et que la partie adverse eut été
repoussée et réduite au silence, le roi n'en proféra
pas moiiis contre le comte des paroles pleines d'a-
mertume; mais quand il eut comjiris que le comte
Richard et tous les autres favorisaient le comte Simon,
parce qu'ils éîaicnt guidés parla discrétion, il ne put,
quoi(]ii'il en eût envie, agir sévcninenl conln» lui.
Cependant la chaleur de la discussion fit naître nue
dispute pleine de colère entre le conjte et le roi, et
ils rappelèrent , pour se piquer mutuellement , ce
280 HENRI m.
qui s'était passé depuis longtemps. Le comte raconta
comment à Saiutes il avait puissamment délivré le
roi des pièges des Français; comment quand lui
Simon devait se rendre pour la première fois en Gas-
cogne, le roi lui avait conseillé amicalement de punir
les traîtres; comment il lui avait remis une charte
qui lui conférait la garde de cette terre pour six ans ;
comment il lui avait promis conseil et secours effi-
caces, sans jamais exécuter ses promesses ; puis il
ajouta: « Seigneur roi, tes paroles devraient être
« stables et certaines. Observe ce dont tu es convenu
« avec moi, ou tiens tes promesses selon la teneur de
« ta charte, ou restitue-moi les dépenses que j'ai
« faites pour ton service. Car il est notoire que j'ai
« appauvri irréparablement mon comté pour ton
« honneur. » Alors le roi lui répondit précipitam-
ment et inconsidérément : « Je sais bien que je n'ob-
« serverai aucune convention ou promesse faite en-
« vers toi qui es un indigne supplantateur et un
« traître. En effet, il est permis de résilier des pactes
« et l'on n'a pas besoin d'en rougir quand il s'agit
« d'un homme publiquement méchant. » Aces mots,
le comte, violemment irrité, se leva et protesta hau-
tement que le roi en avait évidemment menti, et que,
si son titre de roi ne le protégeait sous une appa-
rence de dignité, ce serait une n)auvaise heure pour
lui que celle où il aurait fait sortir de semblables
paroles de son gosier. Aussi le roi, pouvant à peine
80 contenir de colère, aurait ordonné sur-lc-ciiamp
qu'on se sqisît de lui, s'il n'eût été certain que les
ANNÉE ^252. 284
seigfneurs ne l'auraient nullement souffert. Le comte
ajouta eu oulre : « Qui pourrait croire que lu sois
« chrétien? T'es-tu jamais confessé? — Oui, » re-
prit le roi. — t( Mais qu est-ce que la confession sans
« pénitence et sans satisfaction? » répondit le comte:
comme s'il disait : « Si tu t'es confessé, ce n'a ja-
<( mais été avec contrition et en donnant satisfaction
c( convenable. » Alors le roi, emporté de plus en
plus par la colère, s'écria : « Toutefois je ne me suis
« jamais repenti d'aucune action autant que je me
« repensaujour*riiui d'avoir permis que tu entrasses
« jadis en Angleterre ou que tu possédasses aucune
« terre ou aucun honneur dans ce pays où lu as
• commencé par l'engraisser pour regimber en-
« suite. » Biais des amis communs ayant interrompu
cette dispute, ils se séparèrent.
Retour sor les événements politiques qui ont ame-
né LES troubles de Li GUYENNE. Le COMTE SiMON
EST PORTEMENT ACCUSÉ PAR LES GaSCONS AUPRES DU ROI
d'Angleterre. — Réponse du comte aux accusations
intentées contre lui. — dommage considérable causé
PAR LE ROI A l'abbé DE RaMSEY. — L'ÉGLISE DE SaINT-Ed-
MOND MENACÉE d'uNE GRANDE PERTE. —DISCUSSION ÉLEVÉE
ENTRE LE ROI ET LA REINE AU SUJET DE l'ÉGLISE DE FlAM-
STEED. — Mort de Robert Passelève et de Richard
DE Wendovue. — Or, ce furent les inconséquences et
l'instabilité du roi qui firent nuitre toute celle dis-
cussion. Mais pour continuer sur ce sujet, il est né-
cessaire de prendre brièvement notre récit de plus
282 HENRI HI.
haut, afind'éclaircir cette affaire. Vingt-sept ans envi-
ron auparavant, le seigneur roi, appuyé de l'avis de
ses seigneurs, avait concédé volontiers et bénévole-
ment la Gascogne au comte Richard. Le comte ayant
donc passé la mer, reçut les hommages des Gascons,
à qui il montra une charte de son seigneur et frère
le roi d'Angleterre, qui consacrait son droit. Aussi
les Gascons lui jurèrent-ils de tout cœur fidélité : car
c'était alors un enfant de très-bonne mine, digne de
tout honneuret de toute faveur. Ensuite le roi conféra
de nouveau la même terre au même comte par une
nouvelle charte donnée quelques années après, pour
que sa possession fût assurée d'une manière plus so-
lide. Plus tard, quelques années encore s'étant écou-
lées, et le roi ayant eu de la reine un fils longtemps
désiré, le roi, à l'instigation de la reine, enleva la
Gascogne au comte Richard son frère pour la donner
à Edouard son premier né, violant ainsi les chartes
et les concessions précédentes. Cependant le comte
Richard n'y consentit nullement et maintint son
droit, quoiqu'il fût privé de la possession ; aussi arri-
va-t-il qu'au dernier séjour du roi en Gascogne,
comme quciques-nns des Gascons étaient embarras-
sés de savoir à (]ui ils devaient plutôt o!)éir, le roi
ordonna au comte avec grande colère et en élevant
la voix, de résigner les chartps et de renoncer publi-
quement à son droit sur In Gascogne. Mais le comte
s'y étant refusé absolninenl, le roi ordonna aux Ror-
delais de se saisir du comte pendant la nnil et de
Tcmprisonner. Les Gascons répondirent secrètement
ANNEE 4282. 285
sans hésiter qu'ils ne feraient point cela tant à cause
de l'illustraliou du sang royal et de Tliomniage qu'ils
avaient fait au comte Richard, qu'à cause de l'insta-
bilité du roi, de peur que se repentant plus tard , il
ne les punit tous tant qu'ils étaient d^avoir exécuté
SCS ordres. Or, le roi ne voulait pas donner pareille
mission aux seigneurs anglais, certain qu'ils ne l'ac-
compliraient pas sans des raisons de la plus haute
importance. Aussi devenu comme furieux par la co-
lère, il essaya de corrompre, par des présents, les Gas-
cons qui avaient résisté à ses ordres et de les décider
à se saisir du comte et à le charger de chaînes comme
rebelle. C'est pourquoi le comte, averti cette même
nuit, se tint caché à Bordeaux dans le monastère de
Sainte-Croix, et s'embarqua de très-grand matin se-
crètement et subitement pour repasser en Angleterre.
Mais comme il n avail pas fait ses préparatifs d'a-
vance, il éprouva une grande pénurie sur mer tant
eu vivres qu'en autres choses nécessaires. De plus,
une tempête s'étant élevée, et la violence des vents
contraires l'ayant entraîné hors de son chemin, il fut
exposé à de grands périls, au point qu'il fut délivré
non sans peine des portes de la mort. Aussi fît-il
voou, en cette occasion, de construire à Dieu un mo-
nastère de Tordre de Cîteaux ; vœu qu'il accomplit
d'une manière louable, comme on l'a raconté précé-
demment. Le comte, voyant que le roi était l'auteur
de toutes ces adversités, en conçut contre lui une co-
lère violente, et désormais le roi et le comte n'eu-
rent plus l'un pour lautre Taffeclion sincère et fru-
28^ HENRI 111.
ternelle qu'ils avaient précédemment. Le roi étant
instruit que le comte s'était enfui ainsi plein de co-
lère, convoqua, dans Tamertume de son cœur, les
nobles de Gascogne et principalement les Bordelais,
et leur adressant un discours, détourna leurs cœurs,
de l'amour et de la fidélité du comte, à force de ca-
resses et de promesses, assurantque c'était un homme
cupide, oj)presseur de ceux qui lui étaient soumis ,
qui promettait fort largement, mais tenait fort peu.
Il ajouta qu'il avait annulé ses cbarles et avait révo-
qué la donation qu'il lui avait faite de la Gascogne.
C'est ainsi qu'il priva totalement le comte de son
droit et de sa possession, en faisant renoncer les Gas-
cons à son hommage. De plus, il promit qu'il leur
donnerait un meilleur seigneur et un gardien beau-
coup plus doux, et s'engagea à leur octroyer un grand
trésor eji récompense s'ils se conformaient bénévo-
lement à ses désirs. Le prix môme en fut fixé, et ce
marché d'iniquité fut arrêté à trente mille marcs.
Voilà ce (jui détermina les Gascons à rejeter la fidé-
lité et la soumission qu'ils avaient promises au comte
Richard. Enfin le roi, sur le point de quitter hon-
teusement la Gascogne, les assura par charte, par
serment, et en inter()osant sa foi, que cet argent leur
serait fidèlement payé. Or, le roi croyait pouvoir les
tromper par toutes ces promesses; mais le trom|)eur
finit par voir qu'il était pris au piège; car les Gas-
cons, en témoignage de ce qui s'était passé, gardent
par devers eux les chartes signées du roi. C'est ainsi
qu'il arriva , ô douleur I que des deux côtés la fourberie
ANNÉE <2.'i2. 285
fill mi<:e à nu, tandis qu'un si «rrand prince n'aurait
dû ni tromper ni être trompé. Sur ces enlrofailes, le
comte Kicliaid, ballotté par les flots de la mer, à la
perpétuelle altération de sa santé, alteijjnit à grand'-
peine un port en Cornouailles où il aborda sans che-
vaux et sans argent; ce qui le força de demander,
triste et sans gloire, à ses féaux, sur sa propre terre,
qu'ils lui fournissent ce dont il avait besoin. Les af-
faires étant ainsi terminées, le seigneur roi revint en
Angleterre après avoir subi des pertes de toute es-
pèce, et extorqua de l'argent à chaque prélat en par-
ticulier pour satisfaire aux exigences des Gascons.
Cependant irrité contre eux, et les ayant en haine, il
leur envoya pour gardien le comte de Leicester Si-
mon, qui était un homme de guerre expérimenté et
fameux dans les combats, pour écraser Torgueil de
ceuxquise révolteraient, lui octroya une charte qui lui
conférait ce gouvernement pour six ans, et, lui ayant
donné dix mille marcs sur son trésor, le supplia, lui
conseilla et lui enjoignit de mettre les Gascons sous
ses pieds en les traitant sévèrement et durement, sur-
tout ceux qui Tavaient quitté pour prendre le parti des
rebellis,après lui avoir extorquéson argent, non-seu-
lement de la manière susdite, mais encore par tous les
moyens possibles ; désignant parliculièremenl Gaston
de Béarn et sa mère, dont rembonpoint était prodi-
gieuxou plutôt monstrueux, ainsi queplusieursautres.
Le comte Simon, homme belliqueux, puissant et ha-
bile, \oulantdoncaccomplir la volonté du roi, s'expo-
sa, lui, ses biens et ses hommes, aux périls de la mer et
286 HENRI III.
de Mars. Tout ce qu'il put tirer de ses propres terres,
il le dépensa et Temploya au service du roi, au point
d'aller jusqu'à vendre et à faire raser ses forêts, et
voilà quelle récompense le roi lui accorda à la fin de
ses travaux. On voit clairement, au moyen de celle
récapitulation qui fait digression, pourquoi le comte
Ricliard n'avait ni chagrin ni souci de la perte et de
la perturbation que le roi souffrait à cet égard. Ce-
pendant on ne peut comprendre, si ce n'est par une
interprétation défavorable, comment le roi. chan-
geant d'avis , donnait maintenant créance et protec-
tion aux Gascons dont il avait éprouvé l'astuce, et
repoussait de la sincérité de son affection le comte
Simon qui avait servi fidèlement le même roi dans
tant de circonstances difficiles. Mais revenons à notre
sujet principal dont nous nous sommes écartés.
Or, lorsque le comte Simon fut arrivé en toute
haie de Gascogne, et qu'il fut venu trouver le roi à
Londres, il né fut pas salué par lui ou reçu hono-
rablement, comme il convenait. Au contraire, ses
adversaires, à savoir l'archevêque de Bordeaux et
ceux qu'il avait amenés, tenaient ferme contre lui, et
ne semblaient faire qu'un avec le roi. Tous, ils je-
taient sur le comte des regards empoisonnés, et
l'accusaient grièvement de cette façon : « Seigneur
« roi, et vous seigneur comte llichard, nous avons
« commencé par vous montrer, à vous et aux autres
« seigneurs qui sont ici présents, au nom de notre
« seigneur le roi, les lettres de créance que nous
« avons apportées avec nous, et qui sont signées de
ANNÉE 4252. 287
« tous les féaux tlu roi, seigneurs, clievaliers, bour-
« geois, châtelains el habitants do (îascogne,qui, d'un
a avis commun, ont chargé nos bouches d'exprimer
a leurs plaintes. Nous nous plaignons dune tous,
« d'une voix unanime, du conile de Leicester, Simon
« de Monllorl, qui a reçu la garde de la Gascogne ,
« mais qui la dévaste et l'extermine avec une féro-
« cité digne d'un ennemi. De plus, ceux à qui le
M comte Richard, qui était et est encore supérieur
« au comte Simon, avait accordé .depuis longtemps
« la V ie cl la paix, ceux qui avaient été tolérés bénévo-
« lement et regardés comme des gens pacifiques et
« comme des amis par le seigneur Henri de Tru-
« bleville, qui naguère était sénéchal de Gascogne ,
« en vertu de votre autorité, et qui nous gouvernait
• pacifiquement en gardien pieux et juste, ainsi que
M par le seigneur Waleran l'Allemand , homme
« discret et circonspect, ceux-là ledit comte les atta-
« que et les ruine, au grand dommage et griel" du
« seigneur roi. Sans s'inquiéter du jugement et des
« chartes de tant de nobles personnages, il envoie pri-
u son ni ers en France les nobles de notre terre, féaux
« du seigneur roi, pour y être incarcérés, au mépris
« de nos droits, et au préjudice du seigneur roi.
« Quelques-uns de ces captifs ont succombé dans
« tern's prisons, sous la faim et sous le poids des
« chaînes. En outre il leur extorque des sommes
• considérables, au dommage irréparable du sei-
• gneur roi; et cela sans l'aveu ou sans la parlieipa-
M lion du seigneur roi. Il appelle aussi à lui perfide-
Sigfii HENRI III.
« ment, comme s'il s'agissaltd'uneentrevue pacifique,
« un grand nombre des féaux du roi, qu'il retient
€ ensuite pour les mettre à mort, comme un méchant'
« qu'il est. Enfin il demande qu'on lui remette, au
« nom du seigneur roi, des châteaux qu'il relient,
« comme s'ils lui appartenaient en propre, après
« s'en être emparé traîtreusement et frauduleuse-
a ment, et avoir fait prisonniers les gardiens de ces
« châteaux, qui les lui ont livrés de bonne grâce. »
A cela le comte Simon répondit sans hésiter : « Il
« ne faut nullement croire ces gens-là, parce que,
« lorsque le seigneur roi a pensé avec confiance,
« dans ses plus grands besoins, trouver en eux des
« féaux et des amis, il n'a trouvé en eux que des
« ennemis et des imposteurs souillés de crimes; ce
« qui est notoire. Vous-mêmes servez à prouver qu'il
« ne faut s'en rapporter ni à votre témoignage, ni
« à votre jugement. 11 a bien pu se faire qu'il y en
a eût quelques-uns dans votre terre à qui le comte
« Richard et les autres seigneurs qui vous ont été
« donnés pour gardiens ont accordé la paix et la vie,
« parce qu'à l'abri de la dissimulation ils parais-
a saieut être des fils de paix; mais comme ils ont re-
« gimbé quand ils ont trouvé une occasion favorable,
« ils sont devenus plus tard des fils de trahison, et
a ont perdu justement la |)aix et la vie. Et pourquoi
« n'aurais-je point agi conmie je l'ai fait? Ditu n'en
« foil-il pas de même, lui qui est plus juste qu'aucun
' Tanquam peêsimuS. t-'C lens scrnit plus nalurcl en lisant pessi'
mon.
« lioninie? il couronnprpiix qui poi-sévcrenl dans In
« justice, ol punil ceux qui retombent dans le mal *.
a Par ainsi je n'ni fait nullement injure, à cet égard,
• a mes prédécesseurs les gardiens qui vous ont été
« donnés, ni au roi lui-même. Pour certifier la vé-
« rite de ce que j'avance, je suis prêt, en temps
« opportun, à produire des témoins plus nombreux
• et plus dignes de foi que vous. Mais qu'avons-nous
« besoin de témoins en pareille affaire? Le Seigneur
« est là pour avouer la vérité s'il lui plaît, lui qui a
« éprouvé vos ruses et connu \os arlificfs. Quant
• aux autres griefs qui me sont leprochés, ce n'est
« point par vous, mais par des gens plus dignes de
« créance, que la vérité pourrait être révélée : on ne
« doit pas ajouter foi à des perfides. »
Aussi le comte Richard et les autres seigneurs, qui
avaient éprouvé par expérience, en Cinscogne, les
ruses des Gascons, approuvèrent les paroles du
comte Simon, et ne se portèrent nullemeiit garants
de la bonne foi des Gascons.
Vers le même temps, le seigneur roi, occupé de
gagner de Tai^gent par tous les moyens, autrement
qu il ne convenait ou n'était avantageux , troubla
l'abbé de Ramsey dans la possession de la foire de
Saint-Yves, par le conseil de Robert l^asstlève, quoi-
que ledit abbe Teùt possédée sans aucune réclama-
tion et |)aciiiquement depuis un temps immémorial.
' Siiuou <Ic Moutiurt, par irs aciions et par son langage, neacmenlail
fê% 1« nog «loot il sortait
VU. ^9
^90 HENRI in.
Bien que le susdit abbé montrât pour la défense de
son droit des ebartes authentiques du bienheureux
Edouard, que le roi chérit spécialement, et du bien-
heureux Ulstan, le roi ne craignit pas de les violer.
Or, les susdits saints avaient excommunié horrible-
ment, avec Tassentiment de beaucoup d'autres saints
évêques, tous les infracteurs des chartes qui conte-
naient les libertés de Ramsey, et principalement de
celles qui parlaient de la foire de Saint- Yves. Mais
le roi, guidé par de mauvais conseils, mit en avant,
dans son intérêt , cette chicane , que, d'après les
chartes octroyées à l'abbé, il ne devait posséder la
foire susdite que jusqu'au jour de saint Yves et pas
au delà ; et de plus le roi réclama le chemin par la
roule de terre et par le fleuve, quoique l'abbé eût
possédé ces deux voies tranquillement, d'après un
droit antique. Ce n'était pas que le seigneur roi
voulût paraître retarder les marchands qui afflue-
raient à la foire, après le jour de saint Yves ; mais il
prétendait garder pour lui, sans opposition, la foire
qui se tenait, passé ce jour et le gain qu'elle rappor-
tait; ce qui semblait tourner absolument au préjudice
et à la perte de l'abbé. Et cela n'était point conforme
à la raison et aux pieuses intentions des donateurs ,
que ladite église jouît d'un don mutilé et réduit à
une vaine aj)parence. Par ainsi, il arriva donc que
ce^le noble maison de Ramsey éprouva un si grand
dommage, qu'elle eût mieux aimé avoir éprouvé la
perle de quelques-uns de ses manoirs.
Semblablemcnt aussi, une grande perte menaçait
ANNEE 1252. SM
la noble église de Saint- Edmond roi et martyr, à
cause d'une discussion qui s éleva au sujet du manoir
de Mildeubnle. Enfin, pour tout dire en peudemots,
le siècle inclinait tellement vei"s le pillage et les ra-
pines, que toute extoi'siou imposée aux religieux
paraissait plutôt un mérite qu'un démérite.
Dans le coui*s de cette même année, c'est-à-dire
vers Pâques, mourut Richard, surnommé de Tliony,
trésorier d'Anjou, illustre par sa naissance et par ses
mœurs. Il était cousin du seigneur roi d Ecosse, et
frère, de père et de mère, dun noble chevalier
nommé Raoul de Tliony. Comme il avait obtenu
beaucoup de revenus dans les royaumes de France,
d'Angleterre et d'Ecosse, lui mort, ses églises devin-
rent vacantes, et parmi elles celle de Flamsteed, qui
n'est pas fort éloignée de l'église de Saint-Albans.
Aussi la reine, en vertu de la tutelle que le roi lui
avait conférée sur la terre de Raoul de Thony, à la
donation duquel appartenait cette église, conféra la
même église ù Guillaume son chapelain, qui était
clerc de l'église de Saint-Albans, à raison de l'église
de Kenebell, que l'abbé de Saint-Albans lui avait con-
férée. Et la reine avait fait cela, se liant en son droit;
car elle avait élevé pendant plusieurs années, et cela
sur le don bénévole du roi, le fils et l'héritier, encore
enfant, dudit Raoul* de Thony, auquel le droit de
patronat semblait appartenir : et c'est ainsi que la
* Le texle donne faulirement Rogeri. ( Voy. la noie iil à la tin du qoa-
thème Tolume.l
292 hl-XRI Hi,
collation avait vXv dévolup à In reine, he roi , en
apprenant cette nouvelle, fut saisi crune violente
colère, et dit: « Oh! combien s élèverait l'orgueil
« féminin, si on le laissait faire! » 11 révoqua donc
et cassa, aussi indécemment qu injustemenl, îa col-
lation de la reine, et conféra la susdite église, dont
le revenu s'élevait notoirenientà cent marcs, à un de
ses clercs et de ses conseillers nommé Hurtold , et
Bourguignon de nation, qui aussitôt, expulsant Guil-
laume, usurpa cette église, et en prit corporellement
possession. Mais la reine supporta avec peine celte
violence, à cause de Toutragc et de la Iionle qui en
retombaient sur elle. Quand la connaissance de cette
affaire fut parvenue aux oreilles de l'évêque de Lin-
coln, dans le diocèse duquel est située l'église susdite,
il excommunia ledit Hurtold, et ensuite suspendit et
interdit Téglise, au point qu'il n'était pas mêmeper-
-mis d'y enterrer les morts.
r.i Cette même année, le 8 avant les ides de juin,
Jmourutà Waltliam Robert Passelève, archidiacre de
Lewis, dont on a parlé j)lus haut longuement. Ce
Robert, clerc et prélat, ne craignit pas d'appauvrir
beaucoup de gens par tous les moyens possibles, pour
engraisser le roi, au parti duquel il s'était attaché.
Mais ses œuvres l'ont suivi.
Vers le même temps, mourut maître Richard de
VVendovrc, chanoine de Suint-raul de J^ondrcs et
physicien de renom , lequel s'était conduit avec
beaucoup plus de circonspection que le susdit Ro-
bert; car il ovait pourvu « renfrctien de n«uf prêtres,
ANNÉE ^252. 295
qui (itivuieiil oitrir à perpéluilc au Christ l'hostie sa-
luUiire, pour la délivrance do son âme. Nous avons
jugé à propos de faire mention spéciale de lui dans
ce livre, parce qu'il légua et octroya, par dévotion
spontanée, à Téglise de Saint-Albans une croix qui
contient et renferme plusieurs reliques, comme l'at-
testent les inscriptions desdites reliques. L'image du
Christ, ligurée sur cette croix, est en ivoire, et la
branche principale de la croix, ainsi que les bras
dont la réunion forme ce qu'on appelle la potence,
est recouverte d'ornements d'ivoire. Celte croix avait
jadis appartenu au pape Grégoire, qui y tenait beau-
cou ji; et comme le susdit maître Richard avait été
lephysicienduditpape, Grégoire, en mourant, donna
cequ il avait de plus cher au monde à son plus cher
ami, c'est-à-dire cette même croix à maître Richard.
L'ÉvÊQCE DE Lincoln obtient do pape le poovoia
d'i^st1tder des vicariats. — motifs qoi mettent ob-
stacle a la paix projetee entre le pape et conrad.
— L'archev^qce de Cantorbéry obtient la faculté
d'exercer le droit de VISITATION. — Un ENFANT
t^CÉRIT MIRACULEUSEMENT PLUSIEURS MALADES. — Dausle
cours de cette même année, l'évêque de Lincoln Ro-
l>erl, |)our amoindrir les provenances des religieux
et augmenter les parts des vicaires , obtint du
siège apostolique un mandat depuis longtemps atten-
du et ainsi conçu :
« Innocent, évéque, etc., à son vénérable frère
l'évêque de Lincoln, etc. Comme dans ta cité et dans
29 i HEN m 111.
tou diocèse , aiusi que nous l'avons appris, plusieurs
religieux et autreSj faisant partie de communautés,
obtiennent pour leurs propres usages des églises
paroissiales, dans lesquelles les vicariats ou ne sont
pas taxés, ou le sont trop peu, nous recommandons à
ta fraternité, par ce rescrit apostolique, d'instituer '
en notre nom des vicariats, et d'augmenter ceux qui
sont institués, mais avec trop faible rétribution, dans
lesdites églises etsur les provenances d'icelles, comme
tu le jugeras convenable, selon Dieu, d'après la cou-
tume du pays; nonobstant que les susdits soient
exempts ou munis d'autre part de privilèges aposto-
liques; nonobstant aussi les indulgences par les-
quelles cette mesure pourrait être empêchée ou dif-
férée, et dont il faudrait que mention spéciale fût
faite dans les présentes; en passant outre sur appel,
et en réprimant les opposants par la censure ecclé-
siastique. Donné à Lyon, le 7 avant les calendes
d'octobre, l'an huitième de noire pontificat. »
Aussi l'évéque susdit, en vertu de l'autorité de ce
mandat, suscita des dommages et des vexations à
beaucoup de religieux, plutôt par haine des reli-
gieux, comme on Tassura et à ce qu'il parut, que par
affection pour les vicaires et pour accroître leur im-
portance.
Celte même année, vers la fête de la nativité de saint
Jean-Baptiste, pendant quele seigneur pape demeurait
à Pérouse, tous les cardinaux et ses autres amis lui
dirent sous le secret, et lui assurèrent, par un conseil
' InstUutas. Nous lisons imUtuus.
AHifÉE 4252. 295
salutaire, que si la lutte soulevée entre lui et les par-
tisans de Frédéric, qui avaient déjà pour eux la ma-
jeure partie de Tempire, n'était pas apaisée au plus
vite, Téglise universelle, ou plutôt toute la chrétienté,
serait mise en danger et exposée à la ruine. En effet,
Conrad, fils de Frédéric, avait acquis la faveur et la
bienveillance de tous les seigneurs, à cause de Tex-
cellence illustre de sa race, à cause de son affabilité
naturelle, à cause de sa vaillance invincible en che-
valerie, de son audace et de son habileté dans les
combats. Semblablement Henri, autre fils dudit
Frédéric, et neveu du roi d'Angleterre, avait mérité
les bonnes grâces de tous les impériaux, tant à cause
de s(Hî innocence et de sa belle mine, qu'à cause de
I amour qu'on portait à l'impératrice Isabelle, qui'
s'était montrée aimable pour tous. Dans ces circon-
stances, le seigneur pape pensa donc à se concilier
Tamitié de ces deux princes, et à les unir à lui par des
mariages avec ses parentes, comme il avait commen-
cé à le faire pour d'autres seigneurs, à qui il avait
donné ses nièces en mariage. Mais cette affaire fut
arrêtée par la maladie de Conrad, qui empoisonné, à
ce qu'on prétend, avait recouvré la santé à grand'-
peine, et par l'indignation que ce projet avait inspi-
ré aux impériaux et l'cpposition qu'ils yavaient mise.
Lorsque Conrad, retiré des portes de la mort, se fut
rétabli, il reprocha aux gens du pape d'avoir prépa-
ré cet attentat, et diff;ima grandement le seigneur
pajM', assurant que ce poison mortel lui avait été
versé par le pape, comme la chose avait été teotée
296 HENRI III.
traîtreusement jadis contre son père : plaise à Dieu
que ce ne soit pas la vérité. Aussi se releva-t-il plus
fort pour nuire au seigneur pape; et il est constant
que le pape avait perdu la faveur de plusieurs. Or,
Thomas de Savoie, allié et familier du seigueur
pape, avait préparé prudemmentles voies de la paix,
qui fut relai'dée par cet événement fâcheux. Une
perturbation funeste vint donc agiter Tempi re en
plusieurs lieux, au point que ceux qui avaient des
affaires à expédier en cour romaine ne pouvaient se
rendre à Rome sans être dépouillés, sans que les
écrits dont ils étaient porteurs ne fussent déchirés,
et que les bulles ne fussent brisées, au mépris et au
dommage du pape. En effet, les partisans de Frédé-
ric, et surtout les amis de Conrad, disaient que le
même Conrad avait été excommunié injustement
par le seigneur pape; et que s'il avait été excommu-
nié justement, c'était avec plus de justice encore
qu'il persécutait par le fer et par la flamme le pape
qui l'avait excommunié. Aussi beaucoup s'abandon-
naient aux rapines, aux incendies et aux massacres,
et ceux qui se rendaient à la cour romaine choisis-
saient la voie de mer, quoique dispendieuse pour eux,
afin d'échapper aux embûches qui leur étaient ten-
dues. C'est ainsi que notre |)ère le pape, qui suivait
les traces de Constantin j>lul()t que de Pierre, susci-
tait ou monde beaucoup de désastres.
Or, le susdit Thomas, aux désirs duquel le pape se
conformiiit en tout, par amour pour sa nièce, s'em-
ploya efficacement pour que sou frère, l'archevêque de
ANNEE 4252. 297
Canlorbéry, uelùlpaspleineiiienl conioudu el frustré
dans le désir qu'il avait conçu d'exercer droit de visita-
lion en Anjjleterre. Le oîênie arclievêque obtint donc
ia faculté d'exercer cetle visitation , niais on modifia
les procurations que les visités devaient fournir. Et
ainsi la cour romaine s'arrangea adroitement, de ma-
nière à ce que le seigneur pape gagnât Targeut de l'ar-
chevêque, et qu'il ne perdît pas tout ce qu'il pouvait ti-
rer de la partie adverse \ Les lettres authentiques à
cet égard sont rapportées au livre des Additamenta' ,
Cetle môme année, dans une bourgade du pays de
Kent, qu'on appelle Estanes, près de Dartford, il y
avait un enfant qui avait accompli sa deuxième année
à la fêle del exaltation de la Sainte-Croix, et qui faisait
des miracles, on ne sait par quelle vertu. Le père de
cet enfant s'appelait Guillaume Crul, et sa mère
Estuchie; l'enfant se nommait Guillaume, du nom
de sou père. Or, cet enfant, à mesure que l'un des
assistants faisait le signe de la croix et lui désignait
un malade, guérissait tous ceux qu'on lui présentait,
quelque grave que fût leur infirmité. Ces cures mer-
veilleuses attirèrent tous les malades des pays d'alen-
tour, qui venaient en foule auprès de cet enfant,
pour recouvrer la santé, et qui, chose étonnante,
n'étaieul pas frustrés dans leur désir. Comme on de-
mandait à sa mère comment un si petit enfant pos-
' Part adrersa. Sens obscur ; nous lisons à parle adversd.
* M«U. Péris revient |>lu£ loin et avec plus de details sur ce sujet.
Lm 4eeVBeots autquels il renvoie ici et lii, ne nous semblent pas autres
qve 1m ée»\ diplômes taiu dat« rapportes à la fia du volume sous les
nam^foaXIV et WIV.
298 HENRI III.
sédailuii pareil don, elle répondit que, pendant sa
grossesse et même après son accoucbement, elle avait
été instruite de cela par une révélation divine. Mais
comme ce miracle ne dura pas longtemps, et que de
jour en jour il s'affaiblit dans ses effets, cet enfant
tomba en peu de temps dans un oubli complet, et
on ne s'occupa plus de lui.
Fin de la discorde entre le couvent et l'abbé de
Westminster, — Privilège et charte accordés par le
ROI AD couvent DE WESTMINSTER. CoLÈRE DU ROI
CONTRE l'abbé DE WESTMINSTER —RumEURS SUR l'ÉTAT
DE LA TeRRE-SaINTE. — NOUVELLES PLUS AGRÉABLES SUR
LA Terre-Sainte. — Propositions de paix entre le roi
DE France et le soudan du Caire. — Murmures au
SUJET DES conditions DE LA TRÊVE. — Le ROI DE FrANCE
consent a la TRÊVE. — LETTRES AU SUJET DE LA TRÊVE.
— Entrevue du roi de France avec le soudan du
Caire. — A cette même époque de l'année, c'est-à-
dire vers l'assomption de la bienheureuse Marie, la
discussion qui durait depuis plusieurs années entre
l'abbé de Westminster et son couvent, et qui s'était
aigrie de jour en jour, fut heureusement assoupie par
les démarches cfilcaces du seigneur roi, qui a une
affection toute particulière pour ce couvent et pour
cette église. Mais dans ccltn lutte, l'abbé encourut
Tindigiialion du seigneur roi, et remporta un désa-
vantage marqué; car trois manoirs, que l'abbé avait
retenus longtemps malgré l opposition et les récla-
mations des moines, finirent |)ar leur être assignés,
ANNÉK 42Wt' 29»
pour que la maison de Westminster se servît des re-
venus de ces manoirs, afin d'aujjmenter son hospi-
talité et sa charité. Les choses furent réglées ainsi,
sur mûre délibération, par le comte Richard et le sei-
gneur Jean Mansel, à l'arbitrage desquels les deux
parties avaient promis de se soumettre. Comme
Tahbé avait le dessein de revenir sur le compromis en
interjetant appel, le roi, fort irrité. Taccabla d'op-
probres malséants et d'outrages qu'on ne peut répé-
ter; et désormais le seigneur roi ne daigna plus rap-
peler dans son ancienne amitié ledit abbé, qui au-
paravant avait été son conseiller intime, et l'ami de
cœur dudit Jean Mansel, quoique lui-même l'eût
fait nommer abbé; assurant qu'il avait appauvri
outre mesure la maison de Westminster, et qu'il
avait opprimé le couvent par ses injustices.
C'est pourquoi le roi, ayant pitié du couvent de
Westminster qui, pendant plusieurs années, avait
supporté tant de vexations et de dommages, lui ac-
corda bénévolement de disposer librement, pendant
la vacance de Pabbaye de Westminster, des posses-
sions appartenant audit couvent et que le roi avait
coutume de retenir en ses mains, au grand dommage
et grief de la maison, jusqu'à ce qu'un nouvel abbé
fût installé; et il octroya à cet égard aux susdits
moines la charte qui suit :
« Henri, par la grâce de Dieu, etc., à tous ceux
à qui les présentes lettres parviendront, salut. Comme
les biens de Tabbé de Westminster et ceux du prieur
et du couvent du même lieu sont distincts et séparés
SOO HENRI III.
les uns des autres , nous voulons pourvoir à Tinté-
grité et à la tranquillité des mêmes prieur et couvent,
et nous leur accordons, en notre nom et au nom de
nos héritiers, que toutes les fois qu'il arrivera que
l'abbaye soit vacante par l'abdication ou le décès de
leurs abbés, lesdits prieur et couvent aient la libre
administration de leurs biens séparés, sauf pour nous
et pour nos héritiers pendant le temps de la vacance
la garde de la susdite maison, quant aux biens qui
appartiennent aux susdits abbés. En témoignage de
quoi, etc. Fait sous mes yeux, à Saint-Edmond, l'an
trente-sixième de mon règne. » Or, cette charte fut
rédigée à Saint-Edmond où le seigneur roi, alors ma-
lade, demeurait depuis environ trois semaines, au
grand détriment de celte maison.
Cependant le seigneur roi, craignant que l'abbé de
Westminster n'exaspérât contre lui la cour romaine,
où il était déjà bien connu à titre de chapelain du
seigneur pape, surtout parce que le même abbé avait
interjeté appel, et qu'il n'engageât la maison de
Westminster dans des dettes irrémédiables , l'acca-
bla de nouveaux outrages et de malédictions fu-
rieuses qui évidemment ne s'appuyaient sur aucun
motif réel, mais étaient dictés seulement par In co-
lère. De plus, le seigneur roi fit proclamer dans toute
la ville de Londres, par la voix du héraut, que per-
sonne ne prétAten aucune façon de l'argent à l'abbé
de Westminster, ou n'ajoutât aucunement foi à ses
écrits ou à son sceau ; ce qui paraissait tourner au
grand op[)robre de l'abbé.
ANNÉE 4252. iOi
Or, tons ceux qui ontemlaient cette défense, s'é-
tonnaient outre mesure que, de très-grand ami du
rei l'abbé fût devenu pour lui un étranger et un ob-
jet de réprobation. Cest ce que dit le poëte, quand
il représente une maîtresse qui se plaint de son
amant :
« Nous nous regardions Tun Tautre, et nos yeux se demandaient en
silence ce qu'était devenu notre amour. ■
Vers le même temps, se répandirent des nouvelles
certaines sur l'état de la Terre-Sainte, au moyen de
la lettre suivante, adressée à un frère de Tordre des
Précbeui-s, nonmié frère Gaultier de Saint-Martin,
qui jadis avait joui d'un grand renom dans la ïerre-
Saiute. « A son vénérable et cher frère en Jésus-
Christ , Gaultier de Saint-Martin , frère Joseph de
Cancy, humble trésorier de la sainte maison de l'Hô-
pital de Jérusalem à Acre, salut. »
Hegardezau livre des Additamenla^ Or, voici le ré-
sumé de celle lettre : « Les trêves demandées par les
Babyloniens, qui sont pressés par le Soudan d'Alep,
au roi de France, n'ont pu encore être conclues el
avoir une issue prospère ; car les Babyloniens y ont
mis obstacle '\ Toute la province d'Antioche est déjà
' Foy. l'addition XXI à la un du volume.
* Cette phrase n'est point exacte, et d'ailleurs ne rend pas fidèlement
le «en de b lettre à bquellc renvoie MaU. l'âris (addit. u» 21). Saint
IxNiis, eimtanaémtDi aux conditions de la trêve, se rendit à Jaffa où il
attendit Tainemeot les Egyptiens retenus cbex eux par leurs discordes
I. Biais la trêve ne fut rompue que l'arma suivante par les émirs
HENRI TIT.
dévastée par les Turcomans, et les citoyens de cette
ville, saisis d'effroi, prennent la fuite en foule. Aussi
une foule d'infidèles, faisant partie de ces peuples,
pénètrent dans les pays soumis aux chrétiens, s'a-
bandonnent partout, avec une férocité capricieuse,
aux incendies et aux massacres, et viennent se repo-
ser de leurs courses dans un lieu qu'on appelle Cé-
sarée la Grande. C'est le soudan d'Alep qui a suscité
ce fléau. » Or, ces rumeurs furent divulguées pendant
l'automne dans les pays d'en deçà des monts.
Cette même année, les moines de l'ordre de Cî-
teaux, au retour de leur chapitre général, répan-
dirent des bruits plus agréables , instruits qu'ils
étaient par le cardinal Jean, Anglais de nation,
qu'ils appelaient vulgairement le cardinal blanc, parce
qu'il était moine de l'ordre de Cîteaux. Celui-ci,
par le moyen d'un abbé du môme ordre, avait fait
passer au chapitre des lettres dont voici le contenu :
« Comme la haine et l'inimitié s'accroissaient de jour
en jour entre le soudan de Babylone et celui d'Alep,
ceux qui paraissaient les premiers et les principaux
des Babyloniens envoyèrent en toute hute un message
très-pressant ù celui (|ui était soudan de Babylone,
ou qui du moins, à cette époque, était établi à la place
Mameluks qui se rcconcilicrent avec le soudau d'Alep. Gclui-ci, au mo-
ment des ni^guciations, pour attirer les chrétiens dans son pnrli, avait of-
fert au roi un libre occés dans Jrrusulcin dont il était maître. Saint
Louis no renonça au vif désir qu'il avait de visiter les lieux saints, que
sur l'avis dns chevaliers des trois ordres qui lui remontriircnt que s'il
entrait à Jérusalem autrement qu'en conquérant, les plus |j[rands rois se
conleatcraient du rôle de pèlerins, et <|u^il n'y aurait plui du croiMde.
ANNÉE ^252. $9$
et par l'autorité diulit Soudan de Babylone ; lui as-
surant qu'il fallait absoluypent de toute nécessité
entrer en composition et conclure ou la paix ou une
trêve avec le sei^jneur roi de France. Qu'en effet
l'armée de ce dernier s'était déjà accrue immensé-
ment et s'aujjmcntait encore de jour en jour comme
un torrent qui, dans les vallées, se grossit des neiges
fondues ; qu'enlin, s il ne faisait pas cela, les Babylo-
niens seraient attaqués et écrasés sans remède par le
Soudan d Alep d une part, et de l'autre par les chré-
tiens. »
• On travailla donc, d'un avis commun, à déter-
miner pour les deux parties les conditions d'une
trêve de quinze ans, qui fussent supportables pour
chacun : à savoir, que le seigneur roi de France de-
viendrait Tami du soudan de Babylone, son aide et
son consolateur dans ses tribulations, et principale-
ment contre le soudan d'Alep qui s'efforçait de l'ex-
terminer, sauf eu toutes choses le culte chrétien pour
le seigneur roi et pour ses sujets. Qu'en outre le sei-
gneur roi et le soudan susdit partageraient par moitié
tout ce qu ils pourraient conquérir, si la fortune leur
était tavorable, sur le soudan d'Alep et sur leurs
autres adversaires et ennemis, en terres, en châteaux,
en cités, en argent, en hommes faits prisonniers,
en butin et dépouilles, enfin en loiile espèce d'acqui-
sition. Que de plus, tout ce qui restait à payer sur
la délivrance et la rançon du roi, lui serait bénévo-
lement et libéralement remis, »
u Or, In somme fixée pour sa rançon était ioesti-
§04 HENRI til.
mable et même dix fois plus forte qu'on ne le croyait.
Mais on Ta v ait tenue seA-èle pour qu'on ne désespé-
rât pas du paiement. — Ite7n, que tout ce que ledit
Soudan (ie Babylone avait en son pouvoir dans la
Terre-Sainte, serait restitué au roi de France avec
les chrétiens esclaves; car c'est ainsi qu'on appelle les
captifs. )'
« Lorsqu'on eut connaissance de ces conditions
de trêve ou de paix, il y en eut plusieurs qui, hési-
tant à les accepter, en conçurent dans leur âme une
indignation suscitée par le diable, et dirent : «Qu'au
« Très-Haut ne plaise que le seigneur roi de France,
« le plus haut et le plus noble des rois de la terre, lui
« qui a été oint du chrême céleste et qui est le suc-
« cesseur de l'invincible Charles, fasse la guerre pour
« le service d'un homme aussi vil qu'un chien, ou
« qui plutôt n'est qu'un chien inhumain, else mette
« à ses gages. » Telles étaient les paroles insensées
qu'inspiraient aux Français leur orgueil naturel,
leur jactance et leur envie de faire sonner leur go-
sier. »
« Cependant le roi, considérant que ses frères sur-
vivants l'avaient abandonné, et ne se cachant pas que
sa noblesse de France l'avait en mépris, fut humilié
et donna son consentement a la trêve demandée et
aux conditions qui lui étaient oiferlcs. Toute colère
ayant donc été abjurée, toules les terres du royaume
de Jérusalem situées en deçh du Jourdain, lesquelles
terres étaient soumises à la domination des lîabylo-
niens, furent restituées de lM)nne grâce au seigneur
ANNÉE 4252. 505
roi de France, ainsi que tous les caplili; cliriMieusque
nous appelons vulgairement esclaves. H fut décidé de
plus, d'une manière inviolable, que les deux parties,
de leur féal et unanime consentement, poursuivraient
inexornhicnjent, par le fer et j)ar le feu, jusqu'à ex-
termination, le Soudan d'Alep, leur ennemi publie,
pour partager fidèlement, par moilié bien entendu.
Ainsi donc l'un des princes, à savoir le roi de France
d'une part, et l'autre, à savoir le soudan do Baby-
lone d'autre part, se sont soulevés à main armée
contre ledit soudan d'Alep, en sorte que ce dernier,
attaqué de deux côtés, ne peut absolument résister.
Or, le roi de Cbypre, qui est arrivé naguère amenant
un subside opportun au roi de France, et une foule
d'autres croisés , ont augmenté considérablement
Tarmée des Français et l'ont fortifiée avec allégresse.
Kt les travaux de Mars ont j)rospéré entre les mains
du roi humilié, grâce à la faveur de Dieu qui, résistant
aux superbes, répand ses faveurs sur les humbles. »
Or , nous avons tiré de la brièveté de la lettre qui
suit quelque fondement de certitude , quoique celte
certitude ne soit pas encore pleine et entière.
« A son révérend père et seigneur en Jésus-Christ,
Richard , par la grûce de Dieu , évêque de Chicester,
(ïuillaume, par la même miséricorde , ministre in-
digne d'Orléans , salut et volonté prêle à son bon
plai>ir, avec toute révérenceet tout honneur, comme
à son seigneur et père. Nous écrivons brièvement à
votre paternilé les nouvelles qui sont arrivées des
pays d'outre-mer et qui sont celles-ci. Le seigneur et
m. 20
306 HENRI m.
excellenlissime roi de France a conclu une trêve
pour quinze ans avec les infidèles Sarrasins. Toute
la terre du royaume de Jérusalem, située en deçà du
Jourdain , lui est rendue avec tous les captifs chré-
tiens que Ton appelle vulgairement esclaves; le reste
de la somme d'argent qu'il devait aux Sarrasins sur
sa rançon, lui est semblablement remis; et ce reste
s'élevait encore à cinquante mille marcs d'argent. »
Un de ces jours-là, après la confirmation de la
susdite trêve , tandis que le seigneur roi de France
et le Soudan de Babylone jouissaient d'une confé-
rence longtemps souhaitée et s'instruisaient de leurs
volontés mutuelles, par le moyen d'un interprète fi-
dèle \ le Soudan dit au roi , avec un visage serein et
d'un ton joyeux : « Comment te portes-tu, seigneur
« roi? » Le roi lui répondit d'un air triste et abattu :
« Tant bien que mal. — Pourquoi ne réponds-tu
« pas: Bien, «reprit le Soudan : «quelle est la cause de
« ta tristesse? » Alors le roi : « C'est que je n'ai point
« gagné ce que je désirais le plus gagner, la chose
« pour laquelle j'avais laissé mon doux royaume de
« France et ma mère, plus chère encore, qui criait
« après moi, la chose pour laquelle je m'étais exposé
« aux périls de la mer et de Mars. » Le Soudan, fort
surpris et voulant savoir quelle était cette chose tant
désirée, lui dit : « Et qu'est-ce donc , ô seigneur roi,
a que tu désires si ardemment? —C'est ton ûme, re-
* Nous ne connaisions aucan ti'moijnayo historique qui vienDe coaOr-
ntPrcoUo ciilrevuc. Le fait lernil mious placé pendant In captivité de
Luuii l\ h Mansourab.
ANNÉE ^252. 507
« prit le roi , que le diable se promet de précipiter
« dans le goufl're. Mais jamais, g^rûce à Jésus-Christ,
« qui veut que toutes les âmes soient sauvées, il
« n'arrivera que Satan puisse se {jloriOer d'une si
« belle proie.» Puisilajouta: « LeTrès-IIaut le sait,
« lui qui n'ignore rien ; si tout ce monde visible était
« à moi , je le donnerais tout entier en échange du
« salut des ûmes. » Alors le soudan : « Eh quoi ! bon
« roi, tel a été le but de ton pèlerinage si pénible!
« nous pensions, nous tous en Orient, que vous tous,
« les chrétiens, aspiriez ardemment à celle domiua-
« tion, et vouliez triompher de nous par avidité de
« conquérir nos lerres, et nen par désir de sauver
t nos âmes. — J'en prends à témoin le Ïout-Puis-
« saot, reprit le roi ; je n'ai point souci de retour-
« ner jamais dans mon royaume de France, pourvu
• que je gagne à Dieu ton âme et les âmes des autres
« infidèles, et qu'elles puissent être glorifiées. » En
entendant cela, le soudan répondit : « Nous espérons,
« 60 suivant la loi du très-bénin Machomet, arriver
« à jouir des plus grandes délices dans Tavenir. » Le
très-pieux roi reprit aussitôt: « Voilà pourquoi je ne
u puisassezuVélonner que vous, qui êtes des hommes
« discretsetcirconspects, vous ajoutiez loi à cet enchan-
« teur Machomet , qui commande et permet tant de
c choses déshounêtes. En efiet, j'ai regardé et examiné
« son Alcoran : je n'y ai vu qu'ordures et impureté ,
t tandis que , d'après tous les sages anciens , voire
« même les païens, 1 honnôlelc est le souverain bien
« dans cette vie. »
508 HENRI HI.
En entendant ces paroles, des larmes abondantes
arrosèrent la barbe naissante du Soudan, et il ne ré-
pondit plus rien à ces objections; car ses sanglots et
ses profonds jjémissenients lui coupaient la voix.
Mais désormais, ajuvs cette conference salutaire, il
ne se montra pas aussi enclin et aussi dévoué h la
religion, ou plutôt à la superstition machométique,
qu'il l'avait été précédemment. On peut donc con-
clure, des paroles et des actions qu'on vient de voir,
que le même Soudan, revenu à de meilleures espé-
rances, se convertira à la religion et à la foi chré-
tienne. De son côté, le roi de France déclara qu'il ne
reviendrait jamais en France, mais qu'il combattrait
tout le reste de sa vie en Terre-Sainte, pour gagner
à Dieu les âmes intidèles; se liant à la vaillance des
Français et à la tutelle de sa mère pour garder son
royaume et pour le défendre contre les attaques de
tous ses voisins. Mais Dieu dispose dès projets de
l'homme.
Mort d'Alphonse, iioi d'Espagne. — Alphonse, frèrk
DU ROI DE France, est attaqué d'une maladie incurable.
— Douleur de Blanche, reine de France. — Guil-
laume DE Saint-Edmond, moine de Saint-Albans, est
envoyé a la cour romaine. — Le roi d'Angleterre
RENVOIE le comte DE LEICESTER EN GASCOGNE. — La
Gascogne est conférée a Edouard, fils aîné du roi
d'Angleterre. — Combat sanglant entre les Gascons
ET LE comte de LEICESTER. — Four que les prospé-
rités de ce monde ne soient pas sans mélange d'ad-
ANNÉE 4 252. S09
versités, le seigneur roi de France lut grandement
Iroublé, en recevant la nouvelle que Tillustre roi de
Castille Alphonse, qu on appelait, à cause de sa préé-
minence, roi de toute TEspague, élail ailé où va toute
créature, après s'être rendu célèbre par ses exploits
et par les grandes conquêtes qu'il avait faites surles in-
fidèles d'Espagne, conquêtes qui exigeraient des trai-
tés spéciaux et prolixes. En eflel, ledit roi de Castiile
avait promis de fournir uu subside efficace et prompt
au roi de France, et Blanche, qui était sa cousine,
l'y avait déterminé par ses prières multipliées, par
ses présents et par ses promesses. Or, il laissa après
lui des enfants très-illustres, chevaliers de renom et
de bonne mine, pour opposer puissamment les bar-
rières de la résistance à Tinsolence des Sarrasins. En
outre le Seigneur, pour apaiser la douleur du roi de
France, lui octroya de voir naître de la reine son
épouse, en Terre-Sainte, une race illuslre, à savoir
un fils et une fdle souhaitée*.
Cependant Alphonse, comte de Poitou, et frère du
roi de France, ayant été frappé de [)araly.sie, à la
grande douleur du roi sou frère et de sa mère, tomba
malade sans remède, et languit jusqu'à sa mort.
Peut-être fut-il ainsi châtié par la vengeance divine :
car il avait négligé de porter secours au roi son frère,
alors placé dans une position pénible, comme il avait
promis de le faire, en engageant son serment et sa foi.
' Le comte de Neven, Jeao dit Triitan, né à Dimiette pendaut lac«p>
lirité de sou père, et Blanche, née A Joppé en 1252. Celle-ci épousa Fer-
dioand de Lac«rda, tiU aiaé d'Alphouie \, roi de Castiile.
5^0 HENRI III.
Aussi la reine de France, la première de toutes
les dames, la dame Blanche, a{>prenant que le plus
cher et Taîné de ses fds, à savoir le seigneur roi de
France Louis, avait fait vœu de demeurer en Terre-
Sainte tant qu'il vivrait , se souvenant de la mort
honteuse de Robert, comte d'Artois, son autre fils,
considérant enfin qu'un troisième de ses fils, Al-
pho nse, comte de Poitou, était malade d'une manière
incurable, ne put fermer ses entrailles maternelles,
et gémit comme si on la frappait d'une profonde
blessure. Dès ce moment elle sécha en elle-même ,
se voyant privée de ses gages les plus chers. Epuisée
par la douleur, elle anticipa misérablement sur l'é-
poque fixée pour sa mort, et désormais elle n'eut
plus un instant de gaieté, ni ne put se réjouir d'au-
cune consolation. *
Cette année aussi ^ le seigneur Guillaume de Saint-
Edmond , moine de Saint-Albans, et Guillaume de
Saint-Edouard [ clerc], furent envoyés à la cour ro-
maine qui se trouvait alors à Pérouse, pour une
affaire pressante qui concernait l'église de Saint-
Michel de Kingcsburn (?). Mais après avoir renvoyé
le clerc à Saint-Albans, le moine disparut sans que
l'on pût savoir ce qu'il était devenu, bien que le
procureur de Snint-Albans l'eût fait chercher avec
soin dans tous les pays. Enfin, après un pèlerinage
qui avait duré un an et plus, il revint, non sans
crainte, à Suint- Albans, où il rentra malade, ayant
accompli, tant bien que uml la mission dont il avait
été chargé, et ayant endullv de trois cent» mures la
ANNÉE 4252. S44
maison de Saint-Albans. li s'introduisit secrètement
dans rinfirmerie, et après y avoir demeuré quelques
jours, il s embarqua, contre la coutume et la règle
de Saint-Albans, pour se rendre à Saint-Gilles'. On
Irouveraau livre des .4rf(///fl»ïdn<a' les lettres de créance
qui lui avaient été données.
Vers le même temps, le seigneur roi d'Angleterre,
imitant la conduite du roi David, qui envoya Urieau
plus fort du danger , voulut que celui qui avait été le
perturbateur de la paix en parût le réformateur , et
dit au comle de Leicester Simon : « Retourne en
« Gascogne : tu y trouveras assez de guerres, toi qui
« fomentes et aimes la guerre. Puisses-tu y gagner
« des récompenses méritées, comme ton père a fait
« jadis! » Kn prononçant ces paroles piquantes, le
seigneur roi se concilia la faveur etTamitié des Gas-
cons qui étaient présents. Mais le comte répondit
sur-le-cbamp au seigneur roi avec allégresse et in-
trépidité : u Et moi j'irai volontiers. Et je n'en re-
a viendrai pas, à ce que je crois, avant d'avoir sou-
« mis le* rebelles à ton pouvoir, tout ingrat que tu
tt es, et d'avoir fait de tes ennemis un escabeau pour
« tes pieds. » Puis le comle Simon, quittant sur-le-
cliam)) l'Angleterre, se rendit dans les pays de France
quil connaissait bien, et là, a I aide de ses parents
et de ses amis, il rassembla une forte et nombreuse
armcc de njcrceiraires, leur promettant que les dé-
' Sanctum OgMium. Nous lisou* A-jjidiutn.
' loi/, l'iddiliuu Wll à U (indu >uluin«3-
ô^ HENRI ill.
pouilles et le butin dont ils s'empareraient leur ser-
viraient de salaires suffisants. Or, ces hommes
d'armes, plus avides que des sangsues, suivirent
les pas du comte avec allégresse et intrépidité. En
effet, le comte brûlait de se venger, et aspirait de
toute son ame à châtier ceux qui l'avaient diffamé!
Cej)endant le roi d'Angleterre, passant sous silence
ou feignant d'ignorer la cession qu'il avait faite jadis
de la Gascogne à son frère le comte Richard, cession
confirmée deux fois par des chartes , suivit son des-
sein et son projet de conférer la Gascogne à son fils
aîné, et cela à l'instigation de la reine sa femme, et
d'après les conseils qu'elle lui donnait dans la cham-
bre nuptiale \ Lorsque le susdit comte Richard en fut
instruit, il s'en montra fort irrité et indigné, et il
quitta incontinent, tant d'esprit que decorps, la cour
du roi, délestant de cœur l'inconstance de cette cour
aussi malléable que la cire.
Le seigneur roi d'Angleterre ordonna donc qu'on
rassemblât sur-le-champ, par édit royal , tous les
Gascons qui demeuraient encore à Londres, tant
rarchcvêque de Bordeaux que les autres qui étaient
venus avec lui, et leur déclara à tous la donation
qu'il faisait , attestant et annonçant publiquement
qu'il avait conféré la Gascogne à Edouard, sou fds
aîné, leur assurant aussi (|ue le contic Hichard son
frère ne se souciait pas de posséder la Gascogne ni
même de la voir jamais; car il avait été assez tour-
* Ia! leiU porte : Sua tu cumerali uxorit suœ reyinœ.
ANNEE 4253. SIS
jnealé par les tempêtes de la mer, et la Gascogne
avait fréquemnieut vidé ses coffres. Les Gascons ac-
cueillirent avec joie ce changement, et sur-le-champ
tous ceux qui se trouvaient là présents jurèrent
hommage à Edouard, et lui prêtèrent serment de
fidélité. Edouard, de son côté, leur octroya des dons
maiijùGques et précieux en or, en aident, en col-
liers, en ceintures, en pièces de soie, et leur pro-
mit de plus beaux présents encore. Toutefois le
seigneur roi se réserva la principale suzeraineté,
c'est-à-dire l'allégeance; puis tous ensemble s'assi-
rent à un festin splendide, au milieu des transports
de la joie la plus vive; et, pendant le repas, on ne
manqua point de se répandre en menaces orgueil-
leuses contre le comte Simon, et de dire que cet
homme, qui avait conçu l'espoir de faire couler dans
sa bouche le Jourdain tout entier, serait ou coupé
en morceaux ou chassé en exil et dépouillé de ses
terres. Ensuite les Gascons, étant remontés sur leurs
vaisseaux, s'empressèrent de regagner leur pays à
pleines voiles. Mais avant qu'ils eussent pu, une fois
arrivés dans leur patrie, se refaire quelque peu des
fatigues de leur voyage sur mer, et même publier ce
qui s'était passé en Angleterre, ils trouvèrent le sus-
dit comte Simon bien muni contre eux, entouré
d'une armée nombreuse et pré|)aré à les recevoir.
Toutefois ils rassemblèrent un grand nombre des en-
nemis du comte, et les encouragèrent bellement eu
leur disant qu'ils avaient un nouveau seigneur^ le-
quel était disposé à émousser et à rogner les cornes
544 HENRI lil.
du comle Simon. Alors, avec la grande et forte ar-
mée qu'ils avaient réunie et qui paraissait assez re-
doutable pour pouvoir écraser indubitablement ledit
comte, ils Tassaillireut et l'attaquèrent hostilement.
Comme ils se tenaient sur leurs gardes, ils décou-
vrirent une embuscade que le comte Simon avait ca-
chée dans un lieu détourné pour qu'elle tombât sur
les Gascons surpris. Après un combat sanglant , ils
s'emparèrent d'un chevalier très-vaillant à qui le
comte Simon avait confié le commandement de ce
corps détaché, Tenchaînèrent et l'emmenèrent après
avoir dissipé le reste de sa troupe, et en poussant des
cris de joie et de triomphe.
Or, le comte ne se trouvait pas loin de là et s'at-
tendait à recevoir vigoureusement ses ennemis à la
pointe de l'épée, espérant, selon ce qui avait été con-
venu secrètement, que ceux qu'il avait placés en
embuscade, se seraient jetés sur les Gascons du côté
opposé ; il cherchait donc à voir s'il apercevrait
quelques signes que la bataille fût engagée, lorsqu'un
fuyard, qui revenait du combat en pressant rapide-
ment son clieval pour annoncer à son seigneur ce
qui s'était passé, arriva vers lui blessé, sanglant et
déchiré, et lui raconta, en respirant h peine, ce qui
était arrivé. Il ajoutaque ce clievaliersi clicrau comte,
et qui avait été établi par lui gardien et chef de cette
troupe, avait été entraîné par les ennemis. A cette
nouvelle, le comle, semblant se réveiller d'un profond
sommeil, s'écria avec stupéfaction : « Nous tardons
« trop. Les ennemis sont-ils bien éloignés de nous?
ANNÉE 4252. 315
• — Non pas. Ils s'avancenl plutôt et se hâtent pour
« venir aussitôt h ta rencontre et pour te combattre
« à main armée. Ils se réjouissent aussi et se glori-
« fient, parce qu'ils ont trouvé la fortune favorable
« cl nous ont mis en désordre. » A peine avait-il
achevé ces mdts, que le comte, avide de délivrer le
chevalier plus haut dit, s'élance, presque sans at-
tendre sa chevalerie, et guidé par le messager, vole
plus prompt qu'un tourbillon rapide, en déchirant
les flancs de son coursier. H tombe tout à coup sur
les ennemis, et plonge dans le sang de plusieurs son
glaive foudroyant; puis, délivrant puissamment tous
les captifs, il coupe et brise leurs liens. Ceux-ci, plus
animés encore par leur délivrance, se jettent furieu-
sement sur leurs ennemis. Alors s'engagea un com-
bat douteux et sanglant. Les Gascons, se fiant dans
leur multitude , se précipitèrent tous ensemble sur
le comte , qu'ils désiraient ardemment prendre ou
luer de préférence à tout autre. Tout le poids de lu
bataille tomba donc sur lui ; et comme ils se pous-
saient contre lui en foule et avec violence, il fut jeté
à bas de son cheval, et courait risque de perdre la
vie, lorsque ce chevalier, qu'il venait de délivrer
l'ayant aperçu, s'écria : « 0 très-vaillant comte, il
« est juste que je délivre mon libérateur. » Aussitôt,
par un élan rapide, il fendit la foule épaisse des enne-
mis, remit le comte en selle , et blessa sans remède
plusieurs de ceux qui s'opposaient à lui ou les ren-
versa pourqu'ils fussent foulés aux pieds des chevaux .
Après que le combat eut duré pendant près de la moi-
5^6 HENRI HI.
tiédu jour, les Gascons furent mis eu désordre, vain-
cus et enchaînés. Dans cette bataille furent pris cinq
des seigneurs les pluséminents de Gascogne. Uuslein
y fut pris aussi et présenté au roi. Ce jour-là le comte
triompha glorieusement et n'échappa jamais à un si
grand péril. Désormais ses ennemis n'osèrent plus
grogner contre lui.
L'Angleterre est horriblement maltraitée par les
ÉTRANGERS. — ENTRETIEN DE MATTHIEU ParIS ET DE Ro-
GER DE ThDRKEBY. — GrANDE CHALEUR ET SECHERESSE
PENDANT l'Été. — RÉFORME DU PAPE. CÉLÉBRATION,
AUPRÈS DE l'abbaye DE WaLTHEN, d'uN TOURNOI APPELÉ
TOURNOI DE LA Table-Ronde. — Le roi d'Angleterre se
rend a SaINT-AlBANS OU IL FAIT PLUSIEURS DONS. — MoRT
de Guillaume de Haverhulle. — Dans le cours des
mêmes jours , les ruses multipliées de Satan affli-
gèrent de tous les fléaux le peuple anglais en général,
barons, chevaliers, bourgeois, marchands, laboureurs
et principalement les religieux. Ceux qui tenaient le
premier rang parmi les étrangers, accablaient leurs
inférieurs de tant d'angoisses, les tourmentaient par
tant de rapines et d'injustices, qu'entre tous les
peuples le peuple anglais paraissait réduit à la pire
des conditions. Les chevaux des marchands, icui's
chariots, jusqu'à leurs derniers moyens de subsis-
tance, leur étaient enlevés de force ; et on ne leur
laissait pour les indemniser que des tailles ou des
railleries; ce que voyant, quelques Anglais, môine
des plus illustres, mais j'aurais honte de les nommer,
ANNÉE 1232. Ul
se disaient en jurant, Hans leur orj^^ueil : « Il y a
« maintenant plusieurs rois et tyrans en Angleterre :
« Eh bien ! il faut régner et tyranniser avec les
« autres. • Et par ainsi, ils devenaient plus méchants
que les autres. Si quelqu'un venait se plaindre d'une
injustice énorme qu'on lui avait faite, par-devant les
Poitevins auxquels leurs richesses immenses et leurs
vastes possessions avaient tourné la tête, et s'avisait de
demander qu'on lui rendît justice selon la loi du pays,
les Poitevins lui répondaient : « Nous n'avons point
« souci de la loi du royaume. Qu'avons-nonsde corn-
« mun avec les assises et les coutumes de ce pays-ci? »
Aussi les indig[ènes, mais surtout les reli^^ieux^ étaien t-
ils avilis en présence des étrangers dont quelques
Anglais ne rougissaient pas de suivre les traces. C'est
pourquoi; un jour que frère Matthieu Paris, auteur
de ce livre, et le seigneur Roger de Thurkeby, che-
valier et homme lettré, mangeaient de bonne amitié
à la môme table, la conversation tomba sur ce sujet
lugubre, et comme frère Matthieu racontait les op-
pressions susdites, le chevalier plus haut nommé lui
répondit d'un ton sérieux : t L'heure est venue, ô
« religieux, et voici le temps où tous ceux qui vous
• oppriment pensent qu'ils rendent service à Dieu.
• En effet, j'estime que ces oppressions injurieuses et
« ces vexations ne diffèrent pas beaucoup d'une ruii»e
« totale. i> En entendant ces mots, ledit Matthieu se
remiten mémoire la prophétie suivante, à savoirqu'à
la fin du monde les hommes n'aimeront plus qu'eux-
mêmes, sans avoir égard à l'avantage du prochain.
348 HENRI HI.
Dans le cours de cette môme année, aux niois d'a-
vril, de mai, de juin et de juillet, la chaleur et la
sécheresse se firent sentir d'une manière intolérable
et se prolongèrent sans pluie rafraîchissante ou sans
rosée bienfaisante. Aussi les fleurs des arbres qui
promettaient des fruits abondants, se fanaient et lorti-
baient ; les prairies étaient dépouillées de gazon ; les
feuilles des plantes se desséchaient ; les pâturages re-
fusaient des aliments aux troupeaux épuisés. La terre,
endurcie et fendue de crevasses, ne pouvait, faute
d'humidilé, fournir de sève aux semailles. Les mou-
ches voltigeaient en bourdonnant ; les oiseaux, les
ailes pendantes et le bec ouvert , interrompaient
leurs chants et leurs joyeux concerts. Aussi cette
température, engendrant des chaleurs et des sueurs
brûlantes, promettait aux mortels, pour la saison
d'automne, des maladies chroniques et des fièvres
haletantes.
Vers le même temps, le seigneur pape accorda aux
dignilaires ecclésiastiques, qui étaient opprimés outre
mesure, surtoutdans les pays transalpins *, la faculté
de disposer eux-mêmes régulièrement, en ayant Dieu
devant les yeux, des dignités sur lesquelles ils avaient
droit d'élection. Or, les lettres à ce sujet sont rap-
portées au livre des Add'Uamcnta ^.
Celte môme année , les chevaliers , pour expéri-
menter leur habileté et vaillance au métier des armes,
* U faut entendre ici (ransolpins par rn|i|)or( h Pltalic.
' Voir à la fin du volume l'addilion XXlll.
ANFlli4tn. 349
résolurent iinanimoment d'essayer leurs forces, non
j)oint dans ce jeu de lances qu'on appelle communé-
ment et vul(][aireinent lournoi, mais plutôt dans cette
épreuve de chevalerie qu ou nomme Table Ronde *.
Aussi les chevaliers, tant du nord que du midi, et
quelques-uns des pays d'oulre-nier, se réunirent en
{jrande et Irès-forte multitude auprès de l'abbaye de
Wallhon, à Tocttive de la Nativité de la bienheureuse
Vierge. Ce jour-là et le lendemain, selon ce qui avait
été réglé pour ce jeu guerrier, quelques chevaliers
anglais joutèrent vaillamment, vigoureusement et
déleclablemeut, au point d'exciter 1 admiration de
* Cf passage et tout le morceau ne laissent aucun doute sur la diffé-
rence qui existait entre les joustes et les tournois. Les 2>remières étaient
des eooikats singuliers dont Farmc propre était la lance; les seconds des
combats en troupes dont Tarme propre était IV'péeou la masse. Ces com-
bats Je la Table-Uonde onl la plus grande analogie avec ce que Tbistoire
du niarécbai de Boucicaut appelle joustes à tous venants grandes etplé-
uiéres. Il parait cependant, dit Ducange, qu'il était moins bonorable de
combattre aux joustes qu'aux tournois. On sait que les romans de chera-
lerie attribuent l'institution de la Table-Ronde au fabuleux Arthur ; mais
oo en retrouve la ti-ac« jusque chez les anciens Gaulois, au rapport d'A-
tbénée ( Atinv^^iiç. lib. IV ), et Camden, malgré son amour pour les an-
tiquités de sa patrie, repousse la tradition qui voyait la Table-Ronde
d'Arthur dans la table attachée aux murailles du vieux château de Win-
chester. Quoi qu'il en soit, on peut conjecturer avec vraisemblance que les
cheTaliers qui, après la joute, venaient souper chcx celui qui faisait la
cérémonie de cet exercice militaire, s'asseyaient autour d'une table ronde,
I>our signifier que tous étaient égaux en mérite, ou pour éviter toute
dispute de préséance. Le terme de table ronde était fort asité en Angle-
terre; et Thomas de Walsingham, dans la Vie d'Edouard III , rapporte
que ce prince fit bâtir, au château de Windsor, une maison dont le dia-
mètre était de deux cents pieds, à laquelle il donna le nom de Table-
Koode. {yovi. DlcanGB, diM. VU, et les autorités qv'il cite.)
520 HENRI Ilf.
tous les étranfyers présents à ce spectacle. Le qua-
trième jour suivant, deux chevaliers très-vaillants et
de grand renom, à savoir Arnauld de Montigny [?] et
Roger de Lemburne, devant combattre à cheval , re-
vêtus de toutes armes, selon l'usage, montèrent
sur leurs destriers, qui étaient des chevaux d'élite
richement harnachés, et coururent l'un sur l'autre
ens'assaillantà coups de lances. MaisRoger ayant mis
en arrêt sa lance dont le fer n'était point émoussé,
comme cela aurait dû avoir lieu, atteignit Arnauld
au-dessous du casque , et lui coupa la gorge avec
la trachée et les artères ; car Arnauld était découvert
en cet endroit et n'avait point de gorgière. En le
voyant tomber de cheval à terre mortellement blessé,
Roger futgrandement chagriné, à ce qu'on prétendit.
Or le blessé expira sur-le-champ. Comme le mort
était très-vaillant dans les armes et qu'il ne laissait
pas en Angleterre d'homme qui pût lui être compa-
ré ou qui vint après lui, sa mort causa un grand
deuil et des gémissements incomparables parmi les
chevaliers rassemblés en ce lieu ; et ainsi ceux qui
étaient arrivés pleins de joie, se séparèrent tout à coup
avec tous les signes de la tristesse et force lamenta-
tions. Le corps du défunt fut enseveli fort honorable-
ment dans l'abbaye voisine, à savoir celle de Wal-
Ihen, au milieu d'un déluge de larmes, et les sei-
gneurs assistèrent 5 la triste cérémonie avant de par»
tir. Mais aucun chevalier ne pleura autant la mort
du défunt que l'auteur de cette mort, à savoir le sus-
dit Uoger, qui aussitôt se croisa et fit voni de pèle-
ANNÉE ^252. 524
rinage pour la délivrance de lame d'Arnauld. Eu
ellet, cuiniiie il lut iioloire qu ihnait blessé niôrtel-
leiiieiit le susdit Arnauld de Muiitigny sans le vou-
loir et à son grand regret, on ne put lui reprocher
cet homicide , ni Ten accuser. Or, il y avait dans
celte réunion de chevaliers plusieurs seigneurs d'An-
gleterre, et entre autres le comte de Glocester qui,
en voyant tomber le susdit chevalier Arnauld, s'ef-
força d'extraire le fragment de lance de la gorge du
blessé; il arracha vigoureusement le bois, mais le fer
resta dans la plaie. Quand enfin on parvint à enlever
le fer et que les chevaliers qui se trouvaient là purent
l'examiner, on vil qu'il était fort aiguisé a la pointe
comme un poignard, et qu'il avait la largeur d'un
couteau, taudis qu'il aurait dû être émoussé d'après
la règle. Ce fer avait en petit la forme d'un soc de
charrue : c'est ce qu'on appelle vulgairement petit
soc, en français soket. Or, en cette occasion, le sus-
dit Roger de Lemburne, quoiqu'il se prétendît in-
nocent, fut regardé comme suspect, et on lui repro-
cha amèrement d'avoir commis traîtreusement ce
crime; surtout parce que ledit Arnauld, dans une
autre joute, avait cassé la cuisse du susdit Roger de
Lemburne. Mais Dieu seul connaît la vérité, lui qui
scrute les cœui*s.
C'mI ainsi que ceui qui aiment la gloire pour a«quérir une renommée
moodaiue sont aLatlui et meurent abattus...
Dans le cours de cette même année, à savoir la
veille de la fête du bienheureux Barthélémy, le sei-
vn. 2t
^^ HENRI III.
gueur roi d'Angleterre se rendit à Saint-Albnns ; et ,
aussitôt après s'être approché dévotement du maîlre-
autel et s'y être mis eu prières, il oilrit au martyr,
selon son usage liahituel, un tapis magnifique et
précieux, deux colliers, deux anneaux d'or et douze
talents' ; et il voulut que ces dons fussent affectés spé-
cialement à 1 ornement de la châsse. Ce même jour,
Edouard, son fils aîné, offrit au môme autel un lapis,
et à l'autel de saint Ampliibale un autre tapis et deux
colliers. Le seigneur roi ordonna que tout cela fût
vendu le lendemain ainsi que les autres présents pré-
cieux, et que le prix qu'on en tirerait servît à la gar-
niture de la châsse. Or, le seigneur roi demeura
quinze jours durant à Saint-Alb^ns, comme il avait
fait jadis au temps de Pâques Tannée qui suivit im-
médiatement le siège de Bedford.
Le jour môme où le seigneur roi arriva à Saint-
Albans, comme nous l'avojnsdit, c'est-à-dire la veille
de la Saint-Barthélémy, mourut à Londres Guillaume
de Haverhulle, chanoine de Saint-Paul, et trésorier
du seigneur roi, qui avait passé plusieurs années de
sa vie à servir avec exactitude le même roi. Au mo-
ment OI4 l'on croyait que le seigneur roi mettrait
.lean le Français à la place de Guillaume, on fit
courir le bruit que le inéineJean était mort dans un
pays éloigné du nord de rAnglelerre, où il était allé
pour plaider contre quelques religieux, et le sei-
gneur roi institua pour son trésorier, à la place du
susdit Guillaume, l'iidippe Luvel, clerc, homme pru-
' Moniinif (l'or, unologuc au lieiaiit, Tslanl de Mpl à iiouf soli d'argent.
d^nl, éloquent el de uob|e naissance. Cette promo-
lioii eut lieu à Saint-Albaus, par les soins, à ce qu'on
prétend, de Jean Mansel, ami spécial de Philippe.
Epitaphe de Guillaume de UaverhuUe.
Ci-glt ûaillamue, premier trésorier du roi. Et toi tu pleures, Uarer^
bulle, parce que tu ne feras pas naître un second Guillaume. Tu loi
roomissais des mets exquis, tu faisais couler des vins dignes des cieux.
Que le Christ désonnais soit sa nourriture et son aliment.
SÉCHERESSE, MORTALITÉ, ÉPIZOOTIE. — DÉDICACE Dfl
L ÉGLISE d'Élï. — Mort de Marguerite de Uedviers,
VEDVE DE FaLCAISE. GrAND PARLEMENT TENU i
Londres. — L'évêqde de Lincoln dirige l'opposition.
— Le roi irrité est apaisé par ses codrtisans. —
NOCVELLES propositions. RÉPONSE DES PRÉLATS A LA
DEMANDE DU ROI, — HeNRI 111 PERSISTE DANS SON PROJET.
— RÉPONSE EVASIVE DES PRELATS. DaUS Ic COUPS de
cette même année, quand arriva la saison d'automne
après les {^randes chaleurs de I été, un fléau de mor-
talité se jela sur tes grands troupeaux en plusieurs
lieux de TAnyleterre, mais principalement dans le
comlé de Norfolk, dans le Marshland et dans les pro-
vinces du midi, avec tant de violence, que de mé-
moire d'homme on n'avait point vu pareille morta-
lité. Ce quil y eut de surprenant dans ce fléau, c'est
que les chiens et les corbeaux qui se nourrissaient
avec les corps des troupeaux niorts devenaient gon-
flés ton ta coup et périssaient empoisonnés; aussi aucun
lioi.nme n'osait manger de la chair de bœuf, de peur
que c^-tle chair ne provînt des charognes susclites.
Ce qui était encore étonnant dans les grands trou-
524 HENRI in.
peaux, c'est que les vaches et les bouvillons adultes
se mettaient à sucer et à traire les pis des vaches
plus âgées, comme le font les tout jeunes veaux. Un
autre phénomène merveilleux de cette époque, ce
fut qu'à ce temps de l'année où la nature a coutume
de donner des poires ou des pommes, les arbres
paraissaient en fleurs, comme si Ton eût été au mois
d'avril. Or, la mortalité susdite, l'apparition de
fleurs nouvelles, et les caprices surnaturels des trou-
peaux eurent primitivement leur cause dans les cha-
leurs et la sécheresse dont nous avons parlé. Car, ce
(jui est étonnant, le gazon, même celui des prés, se
trouvait si desséché, si aride et si dur dans les mois
de mai, de juin et de juillet, que si on le frottait dans
les mains il tombaiten poussière; puis, la saison équi-
noxiule ayant ramené la fraîcheur et ayant fait tomber
des pluies abondantes sur la terre desséchée, la terre
aspira toute cette humidité par ses pores entr'ouverts,
et devint prodigue de ses bienfaits, en faisant naître
une herbe abondante, mais hûtive et contre nature.
Les troupeaux, affamés et privés de pâturage, se je-
tèrent sur cette herbe avec avidité, et obtinrent ainsi
un embonpoint subit qui rendit leur chair inutile,
et arrêta chez eux la circulation des humeurs; ils ne
faisaient plus que bondir étrangement comme des
fous; puis, tout à coup infectés et empoisonnés par
celte nourriture malsaine, ils tombaient morts et
frappaient même les nutres de contagion : tant le
fléau était viidcnt. Une semblable cause peut être as-
signée aux arbres qui fleurissaient hors de la saison.
ANNÉE 4252. 325
Cette même année , le (juinze avant les calendes
iroclobre , à savoir le jour de la Saint-Lambert , la
noble église catliédrale d'Ély fut dédiée magnifique-
ment et solennellement. Hugues, évéque du même
lieu , amateur magnifique de tout honneur et de
toute honnêteté, avait construit à ses propres Irais,
jusqu'à achèvement complet , le presbytère de cette
église, et outre cela le clocher, qui se distinguait par
un travail aussi admirable que dispendieux. Ce même
évoque avait glorieusement édifié dans sacour, àÉly,
un palais royal , avec appartements et autres bâtiments
et dépendances , et ce fut là que festoyèrent joyeuse-
ment et splendidement ceux qui assistèrent à la so-
lennité de cette dédicace, comme nous allons le dire.
Or, ledit évêque d'Ély , qui depuis longtemps aspi-
rait à voir dédier son église, fui secondé par les évo-
ques de INorwich eule Landaf dans cet office de dedi-
cation. A celte solennité assistaient aussi le seigneur
roi, beaucoup de seigneurs du royaume , des prélats
et des clercs en grand nombre. Une indulgence de
plusieurs jours fut octroyée à tous ceux qui étaient
venus à cette solennité et qui devaient y venir plus
tard. Après que les fêtes spirituelles eurent été glo-
rieusement célébrées, on s'occupa par suite des fêles
cor[)orelles; et les logements, tant des moines eux-
mêmes que de Tévêque et de ceux qui iiabitaient
dans le bourg, furent remplis de convives; et Tévêque
se plaiijuait encore du petit nombre de ceux qui
étaient venus, affirmant que les vivres qu^il avait pré-
parés à cette intention n'avaient pas été employés en
526 HENRI tn.
grande partie. Il se félicita donc dans son cœur, avec
les transports de la plus vive joie , de ce que t)ieu
propice lui avait permis d'atteindre ce jour où il
voyait heureusement accomplis tous les vœux qu'il
avait formés depuis longtemps, et dont il avait pré-
paré l'exécution : en sorte que, dans l'allégresse de
sa jubilation, le bienheureux vieillard pouvait dire,
avec Simeon : « C'est maintenant. Seigneur, que
vous laisserez mourir en paix votre serviteur, etc.»
Cette môme année, le six avant les nones d'octo-
bre, mourut la noble et illustre dame Marguerite,
comtesse de l'Isle , surnommée de lledviers, jadis
épouse de Falcaise, ce traître détestable. Or, la no-
blesse avait été unie à la vilainie, la piété à l'impiété,
la beauté à la laideur, et cela parle tyran Jean, qui
ne craignait de commettre aucune espèce de forfait ,
et qui l'avait livrée de force et malgré elle. C'est au
sujet de cette union qu'on a fait ces vers assez élé-
gants :
La loi les unit^ ainsi qne Painnur et la concorde du lit nuptial. Mais
quelle loi? mais quel amour? mais quelle concorde? C'est une loi sans
loi, ua amour plein de haine, une concorde discordante.
Or le doux souvenir de celte noble dame me pa-
raît mériter d'être perpétué à cause du fait suivant :
Une nuit qu'elle dormait avec Fulcaise, son époux,
celui-ci eut un songe où il lui semblait (prune pierre
d'une grosseur énorme se détachait du clocher de
l'église de Suint-Albanb , tombait sur lui comme la
tàuére, et te rédui^àil en poussière. S'étanl éveillé,
ANNÉE 4252. 527
il snula hors du lit, effrayé et haletant ; et sa femme,
le voyant tremblant et comme en délire furieux , lui
dit : « Qu'est cela, seijjtieur? qu'as-tu donc? » Alors
Falcaise : « J'ai été exposé à de {jrands périls; mais
« jamais je n'ai été autant troublé et effrayé que dans
« ce songe de mon sommeil. » El quand il lui eut
raconté son rêve eu détail, sa femme lui répondit :
« N'as-tu pas offensé najjuère grièvement le bienheu-
« reux Albans , en souillant de sang son église, en
« dépouillant la bourgade de ses biens , en faisant
« souffrir beaucoup d'injustices à l'abbé et au cou-
« vent? Lève-toi donc en toute haie, rends-loi avec
« empressement à Saint-AIbans, et mets-toi en roule
« même avant le jour. Alors humilie-toi et cherche à
« te réconcilier au plus vite avec le martyr, de peur
« que la vengeance terrible qui te menace ne t'é-
« erase. » Falcaise, étant donc venu de grand malin
à Saint-AIbans (car il avait couché à Luiton), fit
appeler l'abbé et lui dit en fléchissant les genoux,
en joignant les mains et en versant des larmes :
« Seigneur, ayez pitié de moi ; j'ai offensé griève-
« ment le Seigneur, et son martyr, le bienheureux
«Albans, et vous-même; mais à tout pécheur
« miséricorde. Donnez-moi la permission de parler
• au couvent en plein chapitre, et de lui demander
« pardon en votre présence des attentats que j ai
« commis. • L'abbé lui accorda sa demande, admi-
rant dans un loup la douceur d'une brebis. Ftdcaise,
s'etanl donc dépouillé de ses véteinenls, el aceoai-
pagné de ses clievalierB, vêtus aussi légèrement
32S HENRI III.
que lui, entra dans le chapitre, portant à la main une
baguette, que nous appelons vulgairement balai ',
lit l'aveu de la faute qu'il avait faite et commise en
temps de guerre , comme il lui plut de le dire , et
reçut sur sa chair nue des coups de discipline de
chacun des frères. Ayant ensuite remis ses habits, il
alla s'asseoir à côté de l'abbé, et dit publiquement ;
« C'est mon épouse qui m'a fait faire cela, à cause
« d'un certain songe; mais si vous exigez que ce
« qui vous a été enlevé vous soit rendu , je n'y con-
« sentirai pas. » Puis il se relira. Toutefois l'abbé et
le couvent estimèrent que c'était encore là un grand
bonheur, parce que désormais il cesserait de les tour-
menter. En effet, dans les temps où nous vivons,
celui qui n'est j)as mauvais est regardé comme excel-
lent : c'est ainsi qu'on litd'Astaroth : « Quand l'injuste
cesse de nuire, on peut trouver qu'il est utile. » C'est
aussi ce <jue dit l'apôtre : « Le mari fidèle est sauvé
par la femme fidèle. »
Aux approches de la fêle du bienheureux Edouard,
que d'ordinaire le seigneur roi avait coutume de
célébrer en grande compagnie et en appareil splen-
didc, presque tous les prélats de l'Angleterre entière
se trouvèrent réunis comme convoqués par un édit
» ttalHs (texte hic). On trouve quelquefois ba\ai%im. Dut-aupe voit
dans cette expression notre mot moderne hnliii. Le vieux mot celtique
haliien a le même sens. Nous peiutoiis qu'il s^agil ici d'une bninclic de
Ixiulcau, en basse lalinili- 6oh(ni , en l.in|;uc vul(;iiire balaie. Mulfjp'- l'ii-
naloj;ie Apji.irenle, le mot genilili- diff/rcr «le houldyr d.ins !<• sens dr \y:\-
'•m terminé en boule (6o/«), d'où est venu le terme srrgcns à boiildijc.
ANNÉE 4252. 529
roytil. En effet, tous les évêques furent présents à
celte cérémonie , à Texception tie l'évêque de Clies-
ler, retenu par le mauvais élal de sa santé; de Tar-
ciievéque de Cantorbéry , qui , à celte époque , était
dans les pays d'outre- mer avec l'évéque de Hereford,
et de rarchevéque d'York , qui s'absenta pour une
cause à nous inconnue , à moins peut-être que Ic-
loignement n'ait motivé son absence.
Le seigneur roi fit alors donner connaissance à
tous les assistants réunis d^uu bref papal odieux et
détestable pour tous les amis zélés de Tétat : à savoir,
que le seigneur pape lui avait conféré pour trois
ans, en vertu du pouvoir qui lui était octroyé par
Dieu, le dixième du royaume entier, c'est-à-dire
des provenances de toute Téglise anglicane, pour
fournir aux frais du pèlerinage du roi, en ajoutant
lu clause fort blessante que voici : « Non pas selon
l'ancienne estimation des églises, mais selon une esti-
mation nouvelle, sur enquête très-stricte, laquelle
devra être faite à la volonté et au gré des officiers et
des exacteurs royaux.» Or, ce sont gens qui par leur
astuce procurent à l'église des dommages inesti-
mables et une servitude perpétuelle, et songent tou-
jours, pour commencer, à leui*s propres intérêts ; puis
ensuite à grossir le trésor royal. Les députés du roi
cbercbèrentdoncà insinuer spécialemenlaux évêques
assemblés qu'ils devaient consentira une pareille et
si fort" roiitrtbution, et exigèrent, avec une adresse
de renard, <|ue non-seulement l'argent de deux ans
lût payé selon le mandat du pape, mais encore qu'on
35» HENRI III.
fournit, avant le pèlerinage, l'argent de la troisième
année, quoique cela ne fût pas contenu dans le bref
authentique du pape, en sorte que la totalité de la
somme levée dans la forme prescrite aurait été payée
au roi avant son départ, ou que du moins on accor-
dât au roi la moitié de la somme avec une gratuité
bienveillante et une bienveillance gratuite; car alors,
disaient-ils, le seigneur roi dirigerait sa route et ses
bannières du côté de TOrient. Mais Tévéque de Lin-
coln, entre autres, surpris outre mesure en entendant
des paroles si empoisonnées et si bien faites pour la
subversion de l'église, répondit dans une violente
colère : « Ob! qu'est cela, par Notre-Dame? vous
« vous appuyez sur des concessions qui ne vous sont
« point faites; supposez-vous donc que nous consen-
« tirons à cette contribution maudite? Loin de nous
« de fléchir les genoux devant Baal! » L'élu à Win-
chester reprit alors : aiMonpère, comment pourrons-
« nous résister à la volonté du pape et à celle du
« roi? Tun nous pousse, l'autre nous tire. Dans une
« circonstance semblable, les Français ont consenti
« à cette contribution pour subvenir au pèlerinage
« de leur roi. Or, ils sont plus forts que nous et plus
« hardis d'habitude à résister; mais nous, quels sont
« nos moyens de résistance? » A cela, l'évéque de
Lincoln répondit de nouveau : « Les Français ont
« conlribué! (Vest pour cela môme qu'il ne le faut pas
«( foire; car un acte doux lois répété impli(jue cou-
» tuine. En outre, ôdoulcur! ne voyons-nous pas plus
« clairement que le jour quel beau résultat a obtenu
ANNÉE 4252. 554
M ceiie tyrannique extorsion d'argent faite par le roi
« deFrauce?Que les exemples qui précédent nous ef-
a frayent; n'encourons donc, ni le roi ni nous, lecour-
« roux de Dieu, par cette grave offense. Quanta moi,
« je vous le dis d'une voix libre, je m'oppose à celle
« contribution injurieuse. » Aussitôt, avec allégresse
et sans hésiter, les évoques de Londres, de Chicester,
de Worcester, I élu à Winchester et |)resque tous
lesautres donnèrent leur assentiment à cette décision:
seul l'évéque de Salisbury était flottant. Alors Tévêque
de Lincoln ajouta : « Supplions donc tous noire sei-
« gneurroi de s'inquiéter du salut de son âme, et de
« mettre un frein à une violence si téméraire. »
Loi*sque tout cela eut été annoncé au seigneur roi,
par un rapport tidèle, il entra comme en fureur, et,
ne pouvant se contenir de colère, il se mit à pousser
des cris, et fit fuir tous ceux qui étaient dans sa
chambre et qui redoutèrent un accès de folie. Enfin,
ses courtisans e( ses familiers étant parvenus à le cal-
mer et à l'adoucir, il fit savoir aux prélats que ce
n'était pointa titre de seigneur allier, ni en se fon-
dant sur le mandat du pape, mais comme suppliant,
comme prêt à combattre en Terre-Sainte, pour Jésus-
Christ, comme disposé à s'y rendre en pèlerinage,
pour l'honneur de l'église universelle, qu'il leur de-
mandait de lui accorder libéralement et bénévole-
ment un secours pécuniaire convenable.
Quand celte réponse eut été faite aux prélats, ils
répondirent à leur tour avec plus de calme : « Nous
M croyonsindubitablemenlquesiieseigneur pape com-
352 HENRI III.
« prenait en vérité par combien d'angoisses, parcom-
« bien d'exactions fâcheuses Téglise anglicane est
« grevée et opprimée, leseigneur roi n^aurait jamais
« obtenu en cour romaine un semblable bref. Et si
« nous donnions à cet égard des renseignements cer-
« tains au seigneur pape, il révoquerait sur-le-champ
« son acte, sans nul doute, comme trompé par la
« suppression de la vérité et les suggestions de la
« fausseté; et cela ne serait pas étonnant. En effet,
« maintenant le seigneur roi appauvrit son royaume,
« tantôt en accroissant ses forêts, tantôt par le moyen
« de ses justiciers en tournée, tantôt par l'invention
« de nouveaux plaids et par d'autres moyens. Le
« royaume une fois épuisé, c'est une conséquence
« nécessaire que l'église soit aussi appanvpc et be-
« soigneuse. Que dirons-nous des prélats , que le
« même seigneur roi a intrus dans de nobles
« églises? Combien misérablement l'archevêque de
« Cantorbéry Boniface a extorqué les biens de sa
« terre, en feignant d'être chargé de tant de dettes,
« qu'il ne pouvait en aucune façon respirer sans
« l'assistance de l'église anglicane tout entière ! Le
« seigneur roi ne cesse pas encore, si toutelois il est
« permis de rappeler pareilles choses, d'employer
« chaque jour des prétextes nombreux et toujours
« nouveaux pour priver son royaume et l'église, tant
« de leur argent <|ue de huirs libertés anciennes et
« accoutumées, contre son serment (>t son principal
« jurement. En outre, cesi déjà une croyance et un
« bruit général, «pie le roi n'a pas eu d'autre inten-
AUNÉE 4252. 555
« tion, à ce qu'il parait, en prenant la croix, que
« (I être à même d'enlever, parce nouveau prétexte,
« le |>eu d'argent (jui est resté en Angleterre, et de
" réduire ainsi en désert le royaume d'Angleterre,
« où coulait le miel et si opulent jadis; ou du moins
« de le rendre veuf de ses iiabitants nés et élevés dans
« son sein, en leur substituant ou on y introduisant
« des étrangers. Il y a longtemps, dans son enfance,
*< alors qu'il venait d'être nommé roi heureusement,
< n a-t-il pas attaché à son épaule la croix du roi Jean
« sou père, qui s'était aussi croisé à la même époque?
«I Aussi doit-on craindre que le seigneur roi actuel,
«( marchant sur les traces de son père, n'ait pris la
« croix de la même façon et avec les mêmes inten-
« tions que son père l'avait prise; à savoir, pour
« que ledit roi, ce dont Dieu nous garde, éloigne
« ses hommes et écrase ses féaux et naturels sujets.
« Toutefois, quoi qu'il ait fait jusqu'ici, de quelques
« oppressions et afflictions qu'il ait accablé l'église
« anglicane et son royaume d'Angleterre, nous lui
« fournirons encore ce qu'il nous demande, et nous
« obtempérerons à son désir, selon notre pouvoir,
« s'il veut, comme il Ta tant de fois promis, obser-
« ver inviolablement désormais la charte si souvent
« stipulée et si souvent due des libertés qui nous
« ont été jurées; et, de plus, rédiger une autre
« charte, afin que, sous prétexte de la faveur que nous
« lui accordons, il n'exige pas pareille chose une
« autre fois, et que Téglise anglicane ne soit pas
« soumise à un tribut et à une exaction si exécrable.
554 mmi ui-
« EnBn nous requérons, que si Von concède l'argent
« que le seigneur roi demande et exige de nous pré-
« seulement, cet argent soit levé avec exactitude et
et Rdélité, pour être distribué utilement dans Tinté-
« rétdu seigneur roi, qui doit partir en Terre-Sainte,
« selon qu'il seiid)lera convenable à ses féaux, et
« avec plus de prudence qu'à l'ordinaire, et que
« Targent ainsi levé soit remis au seigneur roi. »
Or, les évêques ajoutaient cette clause, parce que
tous les trésors que le seigneur roi avait extorqués
aux Anglais avaient été distribués par lui aussi
prodigieusement que prodigalementà ses ennemis et
à ses adversaires, au grand dommage du royaume
et au péril de ses féaux; comme si quelqu'un de son
plein gré distribuait ses armes à ses ennemis, pour
sa propre perte et ruine. Telles furent les décisions
salutaires prises par les prélats, fils de la paix, pour
être signifiées au roi de leur part.
Après qu'elles eurent été annoncées au seigneur
roi, au nom des prélats, et expliquées pleinement
par l'intermédiaire de Tévéque de Salisbury, le roi
eut un accès de colère plus violent encore, et jura
horriblement, en ridant son ne/, que jamais, tant
qu'il respirerait un soufjle de vie, il ne se soumet-
trait ù une pareille servitude, suivant en cela pas à
pas les traces de son pî're. Alors il leur lit deman-
der de nouveau s'ils voulaient lui répondre aulre-
ment qu'en tergiversant ainsi. Les prélats, pour ne |
pas paraître heurter de front le roi leur seigneur
par un refus formel, dirent qu'ils ne pouvaient
j
prendre une détermination pleine el complète sans
la présence et I ussenliment <lu seigneur archevêque
de Cantorbéry, qui est reconnu pour le primat de
toule la Bretagne et pour le plus excellent de tous les
prélats d'Angleterre, ainsi que sans le consentement
cl les sages conseils du seigneur archevêque d'York,
qui était le premier ou des premiers de tout le
royaume. Or, I un se trouvait dans les pays d'outre-
mer, Tautre était absent et restait dans son pays
éloigné, retenu qu'il était par des causes inconnues.
Le roi distribue les revenus vacants a des gens in-
dignes, ENTRE AUTRES A SON BOUFFON. — II CHERCHE A
TRIOMPHER DE CHACUN DES PRÉLATS, DANS DES ENTREVUES
PARTICULIÈRES. — RÉSISTANCE DE L ÉVÉQUE d'ÉlY. —
RÉPONSE ÉNERGIQUE DE LÉLU A WINCHESTER. — LeS
habitants de londres paient 20 marcs dor au roi. —
Nouvelle vexation exercée contre les habitants de
Londres. — Cependant le roi , |)ersistant dans ses
extravagances ordinaires, et comme pour se venger
de lopposition qu'il rencontrait , ne cessait pas de
conlérer les possessions qui échéaient et les revenus
vacants à des étrangers inconnus, illettrés, boulions
«-l tout â fait indignes, pour blestïer ainsi les cœurs de
ses sujets naturels par une blessure plus inguérissa-
ble. Pour nous laire sur le reste, nous avons jugé à
propos d'en insérer dans ce livre un exemple entre
autres. Geoffroi de Lusignan, irère du roi, avait un
chapelain qui servait de fou et de bouffon ridicule
au seigneur roi, au susdit Geolfroi , seigneur du
556 HENRI III.
méaie chapelain, et à toute leur cour, et qui les
faisait tous rire par les sottises qu'il débitait ,
comme un jongleur imbécile portant marotte* [?].
Ce fut à cet homme que le seigneur roi conféra Topu-
lente église de Preston , qui avait appartenu à Guil-
laume de Haverhulle , trésorier du roi , naguère dé-
funt, et dont les fruits annuels s'élevaient notoire-
ment à une valeur de plus de cent livres. Or nous
avons vu ce chapelain , Poitevin de nation et tout à
fait ignorant en mœurs et en science , poursuivre le
seigneur roi , Geoffroi son frère , et les autres sei-
gneurs, pendant qu'ils se promenaient dans le verger
de Saint-Albans, à coups de mottes de gazon, de
cailloux et de fruits verts, et leur écraser sur les
yeux des raisins acides , comme un homme privé de
raison. Enfin ce bouffon , aussi méprisable par ses
gestes, par ses paroles et par ses habits, que par la
conformation de son corps et par sa laideur, devait
être regardé plutôt comme un histrion que comme
UQ prêtre , au grand déshonneur de l'ordre sacerdo-
tal. Voilà ceux à qui le seigneur roi confiait et faisait
confier la garde de tant de milliers d'anies, au mé-
pris de tant d'hommes lettrés , discrets et capables,
auxquels l'Angleterre avait donné naissance; car
c'est elle qui apprend sa langue à ses enfants, et qui
sait former leur ignorance. Scmblablement le soi-
gneur roi conféra inconsidérément les autres béné-
' Jonilutoris et davigeri. Les attribut» du liouffon au moyen âge tU-
l4'nniu«ut nodr (raducliou.
àmtE 4252. 357
tices des églises que le môme Guillaume avait possé-
dés, comme s'il se fût plu à provoquer la colère et
la haine des gens dignes , en enrichissant des indi-
gnes , des hommes d'oulre-mer , dont la conduite
désordonnée indiquait rinsuiiisance et linulilité, et
que leurs paroles non-seulement bouffonnes, mais
encore grossières et obscènes, devaient faire réprou-
ver. Bfais c^est là une digression à uotre sujet , où
l'amertume de nos soupirs nous a entraîné.
Le roi donc, qui avait une soif insatiable d'argent,
eut rcc(airs à ses ruses ordinaires et à ses détours de
renard, et, ne |)ouvantvaincre les prélats réunis en un
avis commun , songea à les vaincre séparément , une
lois divisés. Aussi, lorsque l'assemblée eut été levée,
et a>ant que les prélats fussent partis de Londres , il
lit venir Tévéque d'Kly, pour s'entretenir secrèlemenl
avec lui. Lorsque l'évêque se présenta, le roi se leva
avec tous les signes de la déférence et du respect ,
l'appela auprès de lui, et lui lit honneur en voulant
que févéque se plaçât familièrement à ses cotés. Alors
il lui dit d'un ton humble et avec un visage serein :
« Très-cher seigneur évéque, il me serait difficile de
tt rappeler tous les bienfaits, toutes les libéralités,
« tous les services que j'ai souventes fois reçus de
« vous. En effet, vous vous êtes rendu volontiers en
« Provence , et avez entrepris un voyage fatigant et
« périlleux, pour me ramener mon épouse à vos
« propres frais. De plus, quand j'ai dû partir pour
« les pays d'outre-mer, vous m'avez fourni maintes
u cl maintes lois, sa us vous fatiguer, des secours efli-
Yii. 22
998 «ENRl in.
« caces. Que dirais-je de plus? Jamais je ji'ai eu
« besoin d'aide que vous n'ayez prévenu , ou du
« moins soulagé aussitôt mon indigence par une
« prompte faveur. Or, maintenant plus que jamais
« j'ai besoin de votre munificence et de votre bien-
« veillance accoutumée. En effet, j'ai pris sur mes
« épaules , comme votre paternité le sait , la croix du
« Seigneur, pour la porter magnifiquement enTerre-
« Sainte, à l'honneur de l'église universelle et à la
« prosjjérité du royaume. Je désire donc, et je de-
ft mande spécialement, que vous qui êtes mon féal et
« mou bienfaiteur, vous participiez à ce pèlerinage.
« Aussi je vous supplie aussi instamment que je le
« puis, de ne pas négliger de m'aider dans la néces-
« site présetiie, qui exige beaucoup de dépenses,
« sans considérer la tiédeur des autres et pour leur
« donner un bon exemple. De mon côté, quand j'en
<t trouverai l'occasion , je saurai reconnaître ce so-
il cours |)ar des récompenses et des bienfaits plus
<( abondants. » Mais l'évèque , restant forme dans
celte tentation, répondit à ces discours captieux en
ganl.int avec modération le silence sur le dommage
que lui causait l'inslilulion nouvelle do la foire de
Sainl-Kdouard à Westminster, au préjudice de la
foire de Snint-Elhelred : « Seigneur, si je vous ai
« jadis rendu service, j'en suis fort satisfait; mais
« que votre sérénité sache que je ne veux , ni ne
« puis, en aucune façon, me détacher ou me séparer
« des promesses que rassemblée générale a faites
« sous condition, et de la décision qu'elle a prise eu
ANNÉE 4252. rfff
« boiui* foi ; car ce serait déshonorant pour moi. En
« tilTet, si nous autres prélats consentions à vos vo-
« lontés violentes, I église serait appauvrie et se ver-
<• rait soumise à un tribut et à une servitude perpé-
« tuelle, à la lésion de la loi et de votre serment.
« Rappelez, s'il vous plaît, à votre mémoire, coin-
« ment une foule de saints ont subi joyeusement
« l'exil pour la liberté de la sainte église , et sont
« morts glorieusement massacrés. Parlerai-je du
« bienheureux Thomas, martyr glorieux? Parlerai-
« je de son bienheureux successeur, le bienheureux
« Edmond^ noire contemporain? Les exemples abon-
« dent en foule, qui tous semblent tourner à votre
« opprobre. Lexeniple du roi de Trance , exemple
« tjue Dit'u vous présente comme un miroir, devrait
• vous effrayer. N'a-t-il pas distribué à ses ennemis,
« comme prix de sa rançon , l'argent qu'il avait ex-
« torque à son royaume , et n'a-t-il pas enrichi da-
« vantage, avec cet argent, nos ennemis, c'est-à-
«' dire les Sarrasins? Aussi ceux qui nous poursuivent
« sont plus rapides , et ceux qui nous haïi^sent se glo-
« rifient de leur victoire : bien plus, ils se réjouissent,
• riches de nos armes et de notre argent. C'est pour-
« quoi, quoi que fusse désormais le roi susdit, ce
« sera pour lui une tache inelTaçable dans le passé,
• à savoir que le plus noble des chrétiens soit devenu
• la proie des Sarrasins , et que plusieurs , ô dou-
• leur! abandonnant la foi à cause de cela, aient
« apostasie. Or, nous imputons tous ces malheurs k
• la rapine dont je viens de parler. »
540 HENRI III.
En entendant ces paroles , le roi , frappé comme
d'une blessure profonde, et n'obéissant plus à la
raison, dit à ses officiers, en criant d'un ton fu-
rieux : « Jetez-moi ce rustre hors d'ici ; mettez-le
« dehors et fermez la porte , afin qu'il ne reparaisse
« plus devant moi , lui qui me refuse consolation et
« assistance. » C'est ainsi que l'évéque, qui, à son
arrivée, avait été accueilli courtoisement , s'en alla
couvert d'opprobres. Le roi essaya de la même ma-
nière de fléchir la fermeté de quelques autres prélats,
qu'il fit venir aussi à un entretien secret, et dont,
pour être plus bref , nous passons les ré})oiises sons
silence , qiioitju'elles ne manquent pas de vi}}ueur.
Or, par celte ruse, il tâchait ardemment de vaincre
les esprits des prélats, pour entraîner, par suite, les
cœurs des seigneurs à consentir à cette contribution ;
mais la détermination des seigneurs dépendait de
celle des prélats.
Ce même jour-là, l'élu à Winchester vint trou-
ver ïe seigneur roi, son frère, pour lui dire adieu,
et en obtenir la permission de retourner chez lui.
Mais le roi ne l'appela pas auprès de lui avec un vi-
sage serein comme il convenait, ni ne se leva, comme
il avait coutume de le faire quand son frère venait.
L'élu lui dit alors : « Seigneur, à ce qu'il me semble,
« l'assemblée est levée, et vous êlos instruit, à ce
« que je crois, de la décision inébranlable des pré-
« lats. Je n'ai plus qu'à attendre votre congé pour
« m'en retourner plus tôt que je ne jjcnsais; car ce
« serait un souci pour moi de continuer plus long-
St
ANNÉE 4252. 941
« temps mon séjour en cette ville. Je vous recom-
« mande au Seigneur Dieu. — Et moi je te voue '
« au diable , reprit le roi. Ne devrais-tu pas, toi
« qui es mon frère utérin , tenir ferme avec moi ,
« quand bien môme le monde entier se soulèverait
« conli'c moi? Ne t'ai-je pas élevé ^ où tu es, mal{;ré
« Dieu et ses saints, et malgré ceux à qui Télection
« appartenait de droit? Ne t'ai-je pas tellement com-
« blé de dignités, que, dans tout le clergé d'Angle-
« terre, il n'y a personne qui te surpasse en riches-
« ses? » Mais l'élu, blessé de ces paroles offensantes,
lui répondit: « Seigneur, je suis jeune d'années;
« mais pour vous plaire, parce que vous m'avez fait
* nommer, je ne veux point paraître agir en enfant.
« Que Dieu me garde d'enfreindre la décision de
« l'assemblée générale qui chérit le Seigneur et votre
« honneur. » A ces mots, il se retira irrité jusqu'à
la colère.
Vers le même temps, le roi extorqua, par ses
prières impérieuses, vingt marcs d'or aux bourgeois
de Londres, qui, selon la teneur de leurs chartes et
lancienne coutume, devraient jouir d'une pleine
liberté; comme s'ils eussent été des serfs de la der-
nière condition, de façon qu'ils semblaient pouvoir
être comparés, ou peu s'en faut, aux Juifs, race
servile.
De plus, le seigneur roi força les habitants de
* Vivo. ÉTidemmeBt voveo.
Now Hmhu promo vt.
342 HENRI HT.
Londres à se rendre, bon çré malgré, à la foire qu'il
avait instituée à Westminster, pour la fête de saint
Edouard, et qui devait durer quinze jours, au grand
détriment de la foire d^Ely, et il exigea que [|)en-
dantce temps] ils fermassent toutes leurs boutiques'
à Londres. Ni les rigueurs de la saison dliiver, ni
la boue, ni la pluie, ni Tincommodité du lieu ne
l'empêchèrent d'exiger qu'ils demeurassent sous des
tentes. 11 leur fallut donc, malgré leur résistance,
mettre en vente leurs marchandises, quoiqu'ils ne
trouvassent point d'acheteurs, et le roi ne craignit
pas, en cette occasion, de s'attirer les imprécations
de tous.
Souffrance des habitants de Londres a cause du mau-
vais TEMPS.— Nouvelles venues de Gascogne. — Dis-
cussion A CE sujet. — L'assemblée est levée au milieu
DE l'indignation GÉNÉRALE. — IsABELLE, COMTESSE d'A-
rondel,vientdemanderjusticeauroi. — Refus de CELUI-
CI. — Paroles courageuses de la comtesse. — Nouvelle
DISCUSSION sur les AFFAIRES DE GASCOGNE. — DISSOLU-
TION DU PARLEMENT. — PLAINTES DU MaÎTRE DE l'HÔ-
PITAL au ROI. — ReGNAULD DE MOHUN EST NOMMÉ GARDIEN
DES FORÊTS, A LA PLACE DE GeOFFROI DE LaNGELEY.
4 Fenestris (tente hic), proprement la devanture de la boutique : le
svpplinut viarrhdut rspicin- estant eu Votivrourr ou fcurstre de
lUtsiel (miltlcmeure. Oi> trouveauisi fcnestracominti synonyme de bou-
liijne : fenrsire ou boutirle de )ihtsintrs denrées et marthundises. l>e.
terme de fenestriers dési|;nait \v» |ji-ns de petit rommcrce : Item que
nulz feuettriers ou reyiatieis ne ptiisseut faire ehandelte pour
vendre. (Garpemtier, gion. Fen§$tra, 4.)
A1II1IÉII2S2. 94S
RÉCITS UB «iMfems Arméniens. — Mort df^ la comtesse
DE NViNCHESTEB. — Aussi reiiiiui accablait tant ceux
qui c'iaieut venus à celte foire que ceux qui y denaeu-
raient. Kn effet, pendant tout le temps que la foule,
venue de tous les points du royaume, mit à arriver,
à séjourner à Londres, et à sen retourner, la pluie
tomba par torrents, et tous couverts de boue, mouil-
lés, fali(;ués et salis, éprouvèrent de grands dom-
mages. En effet, ils trouvèrent les rivières infran-
cbissables, les ponts étant brisés sur les routes, les
chemins alfrcux, la ville pleine de boue et dépour-
vue de vivres, et des autres choses nécessaires, et
toutes les marchandises d'une cherté* excessive, au
pointqu'ils se voyaient misérablement en proie à des
incqnvénients dont ils ne pouvaient pas se tirer. En
outre, la multitude de la population, qui arrivait
à Londres et y demeurait, était si grande, que les
habitants, même les plus âgés, assuraient n^y avoir
jamais vu tant de monde. Sur ces entrefaites, comme
on voyait que le pape et le roi se fournissaient faveur
et soutien daus leur tyrannie mutuelle, la colère se
soulevait, la haine intérieure s'accumulait, et la mau-
vaise humeur générale les appelait perturbateurs des
hommes, au point que cette parole de Tapôtre
|>araissait accomplie : « A moins que la scission ne
vienne, le fils d iniquité ne sera pas révélé. » En effet,
Texuspérulion commune, que féjjlise romaine avail
soulevée contre elle, faisait craindre une scission ma-
nifeste, sinon des corps, au moins des cœurs, ce qui
Chatistiam, dit le tnte.
344 HENRI III.
est pis eucore. et la dernière étincelle de la dévotion
s'éteignait-.
Or le roi, afin que les seigneurs qui étaient arri-
vés à Londres ne parussent pas avoir été convoqués
pour rien, fit discuter expressément la question de
savoir ce qu'il fallait faire de sa terre de Gascogne ,
que le comte de Leicester paraissait n'avoir pas peu
troublée, au grand dommage dudit roi. En effet, les
bruits recueillis çà et là faisaient entendre qu'après
avoir triomphé glorieusement, comme il a été dit,
de ses ennemis et de ceux du roi, le comte s'était
retiré imprudemment dans un certain château ap-
pelé Montauban, qui, bien que paraissant inexpu-
gnable, était dépourvu d'hommes d'armes et de
toute espèce de provisions. Les rapports ajoutaient
qu'il y avait été aussitôt assiégé par tous ses ennemis
de la province, et n'avait été délivré, à grand'peinc,
que par le secours de ses féaux qui s'étaient exposés
au péril de mort; que, de plus, il avait rendu aux
assiégeants quelques-uns des prisonniers qui étaient
tombés n.iguère dans ses fdets. Or, le roi était dans
un grand enibarras, parce que, voulant passer la
mer en j)er8onne pour aller pacifier cette terre si
misérablement troublée, il avait envoyé demander
à la reine Blanche, par son clerc, Pierre Chaceporc,
la permission de traverser pacifiquement la France,
mais que cette demande absurde avait toujours été
suivie d un refus formel, et que d'un autre coté il
n'osait |)as s'embarquer, 6 cause des dangers de la
roule de nier, dangers qu'il connaissait par expé-
ANNÉE 4252. 543
rieuco, surtout quand l'hiver, qui était proche, nie-
iiaçail (le multiplier les tempèles. Pendant que ces
considerations faisaient naître dans tous les esprits
des pensées diverees, le roi, à la fin de son discours,
reprit des forces pour demander très-instamment
qu'on lui fournît une aide pécuniaire et militaire
dans son prochain pèlerinage, où il allait servir le
Christ pour le salut commun. Tous répondirent
unanimement à cela que leur réponse dépendait de
la réponse des prélats, et qu ils ne voulaient pas s'é-
carter et se séparer de la décision prise par ces der-
niers. Et se regardant mutuellement, ils se disaient
tout bas à Toreille, les uns aux autres : « Quelle espé-
« rance raisonnable ce roitelet, qui n'entend rien au
• métier de chevalerie, qui n'a jamais, dans un
• combat guerrier, gouverné un cheval , tiré une
« épée, brandi une lance, ou soulevé un bouclier,
■ peut-il concevoir de triompher là où a été pris le
« roi de France, et où a succombé la chevalerie
« françai.se? Quelle est donc cette téméraire con-
• fiance qu il a de conquérir puissamment les pro-
■ viuces d'outre-mer, qu'il n'a pas même su conser-
■ verquand il les possédait? » Alors ils retournèrent
dans leurs logis, ne lui épargnant pas des injures
pleines d'indignation, et assurant que cet homme
n'était né que pour tirer de l'argent, vider leurs
coffres, et les endetter toujours davantage.
La séance ayant donc été levée au milieu de l'in-
dignation du roi , du clergé et des seigneurs, le roi
«'nta&>H <ltnis bon ca>ur la colère et la haine, croyant
346! HENRI 111.
que toutes ces actious et toutes ces paroles, dictées par
un sentiment de malveillance et de haine contre lui,
lui donnaient sujet de mal agir à son tour. Aussi, de-
venu incorrigible, se proposa-t-il de tourner tout
autour du projet qu'il avait conçu, jusqu'à ce qu'il
trouvât l'occasion favorable de le mettre à exécution.
Vers le même temps, pendant que le seigneur roi
prolongeait son séjour à Londres, Isabelle, comtesse
d'Arondel, veuve du comte d'Arondel Hugues, et cou-
sine du même roi, se présenta à lui, dans sa chambre,
pour obtenir une audience avantageuse, au sujet du
droit qu'elle possédait sur une certaine garde. Le roi
lui montra d'abord un visage serein, mais bientôt la
rudoya par de dures paroles , et refusa d'écouter fa-
vorablement une seule des demandes de la comtesse;
car le roi revendiquait pour lui la garde ' de la même
garde , à raison d'une petite portion de cette garde
qui appartenait audit roi. Aussi la comtesse, toute
femme qu'elle était, répondit avec une intrépidité
digne d'un homme : « 0 seigneur roi, pourquoi dé-
« tournes-tu ta face de la justice? Déjà on ne peut
« obtenir dans ta cour ce qui est juste. Tu es établi
M comme médiateur entre le Seigneur ot nous, mais
« tu ne gouvernes sainement ni nous ni toi-même,
« et tu n'as pas craint de troubler maintes fois l'église,
« comme elle Ta éprouvé non-seulement présente-
«( ment, mais encore depuis longtemps. Déplus, tu
« ne redoutes ni ne rougis d'opprimer sous toute
* Cujuidam. Non» liinu cjusdem.
ANNÉE 4252. 347
« espère de prétextes les nobles du royaume. » En
entendant ces paroles, le roi se mil à rider son nez
et à se moquer; puis il dit, en élevant la voix : « Qu'est
'. cela, dame comtesse? les seigneurs d'Angleterre
• (ont-ils fait une charte et sont-ils convenus avec toi
" que lu leur servirais d'avocat et d'interprète , loi
i< qui parles si bien? » Alors, la comtesse, toute jeune
qu'elle était, lui répondit avec une mûre sagesse :
« îNullement, seigneur; les grands de ton royaume
« ne m'ont point donné de charte ; mais c'est bien
« toi qui en as octroyé une, celle qu'avait rédigée ton
• père, qui as juré de 1 observer fidèlement et irréfra-
« gablement, qui as maintes fois extorqué de l'argent
« à teB féaux, en promettant de l'observer et de main-
u tenir leurs libertés, tandis que toujours tu t'es mon-
» tré le transgresseur impudenl de ces libertés. Où
« sont les libertés d Angleterre, lantde fois mises en
« écrit, tant de fois octroyées, tant defois rachetées?
« Aussi, tons les indigènes, tous tes sujets naturels,
a tous tes féaux, et moi qui ne suis qu'une femme ,
• nous en appelons contre toi au tribunal du juge
« terrible. Le ciel et la terre porteront témoignage
« pour nous, parce que tu nous traites par trop injus-
• teraent, malgré notre innocence ; que le Seigneur
■ Dieu des vengeances nous venge. » A ces mots, le
roi , couvert de confusion, garda le silence, parce
qu'il savait, par le témoignage de sa propre con-
science , que la comtesse ne s écartait pas du sentier
de la vérité ; puis il dit : « Ne me demandes-tu pas une
« grèce , parce que tu et sia cousine ? » Mais elle :
548 HENRI III.
« Depuis que tu m'as dénié ce que le droit demande,
« comment puis-je espérer que tu voudrais accorder
« une faveur à mes prières? Mais j'en appelle devant
« la face du Christ contre ceux qui te servent de con-
« seillers, qui te fascinent et te montent la léte, et
« qui te détournent du chemin de la vérité , n^ayant
« seulement en vue que leurs propres intérêts.» Le roi
ne put rien répondre à cette réprimande polie. Alors la
comtesse, sans avoir reçu ni demandé son congé, re-
tourna chez elle, après avoir envainsuhi de grandes
fatigues et fait des frais coûteux. Quant au roi, persévé-
ranldans son obstination incorrigible, il ne fut rame-
né ni par ces paroles ni par d'autres conseils sa! u taires.
Le seigneur roi, ayant donc convoqué de nouveau
ses seigneurs, qui, comme nous l'avons déjà dit,
avaient résisté à ses premières exigences , leur de-
manda ce qu'il fallait faire relativement à la Gascogne.
Les seigneurs lui répondirent : « Que le comte de
« Leicester Simon ait cherché à dompter les re-
ft belles envers le roi , il n'y a pas lieu de s'en élon-
« ner ni de s'en affliger, surtout parce que ces Gas-
« cons sont gens mal famés qui t'ont trahi , toi leur
« seigneur, quand tu te réfugiais vers eux avec con-
« fiance, et qui t'ont ap[)auvri par tous les moyens
« possibles. Ce qui a fait quo tu es revenu de là sans
« gloire et pauvre, au dommage et à l'opprobre de
« tous les Anglais. En outre, la plupart des (îascons
« sont des brigands et des larrons, qui dv|)ouillent
« sur les routes les pèlerins et les marchands , et qui
« trouvent un refuge daus une ancienne caverne de
ANNÉE 4252. 549
« vuleui*$, à Ai{{remont , au milieu de montagnes
• inaccessibles qu'ils ont encore fortifiées par desre-
« tranchenienls. H ne s'en faut plus que de quelques
« années, à savoir de trois et demie , pour que le
« comte, aux termes de ta charte , arrive à la lin du
« temps de son gouvernement dans cette province.
« Aussi bien, nous ne sommes pas pleinement in-
« slruits du dernier état des choses, puisque nous
« sommes séparés de la Gascogne par un vaste in-
« tervalle de terre et de mer; et nous ne pouvons
« répondre d'une manière certaine sur ce qui estin-
M certain pour nous. » Mais il déplut fort au roi que
les soigneurs, en excusant ainsi le comte, seinblni-
sent le condamner lui-même : car il se proposait
d'en agir plus durement encore avec lui , de le faire
déclarer traître, juger comme tel et priver de son
héritage. Ce que le comte, tout éloigné qu'il était,
n'ignorait nullement. Aussi répondit-il à ceux qui
lui rapportaient cette nouvelle : « Je sais fort bien
« qu'il voudrait me dépouiller pour enrichir de mon
« comté quelque homme de Provence ou de Poitou. »
L'assemblée lut donc rompue, non sans que le roi
ne gardât une rancune violente, tant aux seigneurs
quaux prélats, et il songea à appeler un légat qui
forçât leclerjje, en vertu de l'autorité apostolique, à
fournir la contribution qu'il demandait , bien que ce
dût être uu lourd tribut et une servitude nouvelle et
intolérable pour Téglise. C'est ainsi que les maux
menaçaient de s'accunmler aux maux. Les prélats et
les seigneurs, ayant donc engraissé les Caursins, les
SSO HENRI HI.
juifs et les autres prêteurs d'argent , se retirèreut les
coffres vides, fort chagrins et fort besoigoeux.
Vers le même temps , le maître de THôpital de
Jérusalem, séant eu la maison deClerkenwell, et qui
avait attendu en paix qu'il trouvât un moment de
loisir favorable pour s'entretenir avec le roi , vint se
plaindre à lui d'une injure manifeste qu'il avait souf-
ferte, et lui présenta des chartes de protection sit^nées
par les rois ses prédécesseurs et par lui-même. Alors
le roi, élevant la voix, répondit avec colère, après
avoir prononcé son grand juron : « Vous autres pré-
« lats et religieux , et vous surtout, Templierset Hos-
« pitaliers, vous avez tant de libertés et de chartes,
« que vos possessions superllues vous rendent or-
« gueilleux , et que cet orgueil vous mène à la folie.
« 11 faut donc révoquer prudemment ce qui a été
« octroyé imprudemment, et réunir avec sagesse ce
« qui a été inconsidérément dispersé. » Puis il ajouta :
« Est-ce que le seigneur pape ne revient pas parfois
« et même maintes fois sur ses actes? Ne casse-t-il
« pas des chartes précédemment accordées en y mct-
« tant une barrière par la clause nonosbtant? De
« môme, moi aussi, je briserai cette charte et les
« autres chartes (pie mes prédécesseurs et moi avons
a témérairement accordées. » Mais le maître de
THôpital, que Ton appelle prieur, ne craignit pas
de lui répondre en relevant la tête : « Qu'est cela?
«que dis-tu, seigneur roi? Dieu nous garde que
« cette parole outrageante et absurde soit répétée par
« ta bouche. Tant que lu observeras la justice, tu
ANNé£ 4i52. SM
<« pourras être roi , et tu cesseras d« l'être aussitôt
« que tu la violeras. » Aussitôt le roi l'eprit sans me-
surer ses paroles: • Que voulez-vous «lire par là,
« vous auli*es Anglais? Avez-vous I intention de me
« précipiter du trône, comme vous avez fait jadis à
« mon père, et de me tuer après m'avoir délrôné?i
Vers le même temps, Gfollroi de Lanjjeley, che-
valier, qui avait opprimé oulre mesure ceux qu'il avait
pu faire tomber dans ses piéjjes, perdit la garde des
forêts, et fut envoyé en Ecosse pour faire jMirlie du
couseil de la reine d'Ecosse, iille du seigneur roi. Sa
destitution et son éloignement comblèrent de joie un
grand nombre d'Anglais. Le seigneur Regnauld de
Moliun fut mis à sa place.
Le même Geoffroi, par ordre du roi d'Angleterre,
fut donc établi Tun des gardiens de la reine d Ecosse ;
mais les seigneurs d Ecosse ne voulurent pas tolérer
plus longtemps ses violences , et le privèrent de sa
rliarge. Alors il s attacha au service d'ÉtIouard , et
duns cette nouvelle fonction suscita beaucoup d'en-
nemis , tant au seigneur roi qu'à Edouard. Ce Geof-
froi avait été nourri par Hobert Passelèvc, à qui il
devait son avancement; mais le nourrisson supplanta
le nourricier, et, une bus en haul, renversa celui qui
Tavait élevé.
A la même époque, quelques Arméniens, dont
I un était le frère de ce saint homme qui mourut à
Saint Yves , et dont il a été question plus haut , vin-
rent à Saint-Albans pour y prier. En effet, la pâleur
de Ifurs visages, la longueur de leurs barbes, Taus-
552 HENRI III.
térjtéde leur vie, ténioigDaient de leur sainteté et de
leurs mœurs sévères. Or ces Arméniens, qui parais-
saient gens dignes de foi, répondirent véridiquement
aux questions qui leur furent faites; à savoir que , par
la vengeance de Dieu plutôt que par celle des hommes,
les Tartares avaient été affaiblis, massacrés , vaincus,
et forcés de retourner dans leurs premières demeures,
tant par la division sanglante qui s'était mise entre
eux , que par les glaives de leurs adversaires. Or les
Occidentaux peuvent être sûrs que jamais extermina-
tion plus formidable ne menaça le monde. Us assu-
raient de plus savoir, à n'en pas douter, que ce Jo-
seph, qui avait vu le Christ sur le point dêlre crucifié,
et qui attendait le jour où il doit nous juger tous, vi-
vait encore selon son habitude : et c'est là une des
choses merveilleuses de ce monde et une grande
preuve de la foi chrétienne. La terre des mêmes Ar-
méniens est éloignée de Jérusalem , à ce qu'ils disent ,
de trente journées de marche, et les extrémités de
leur pays touclient aux premières contrées do l'Inde,
qui a été dévastée en grande partie par les Tartares.
11 faut savoir que l'arche de Noé sost arrêtée duns
cette Arménie, ainsi qu'il est écrit: et ce (|u'il y a
d'admirable, c'est qu'elle subsiste encore; mais
comme elle est placée sur le sommet de deux mon-
tagnes très-éicvées, où habitentune mullilr-dc de ser-
pents venimeux et de dragons, personne ne pentar-
river jusqu'à elle. Or c'est Dieu qui le veut, alin que
les hommes, ne parvenant pas jusqu'à l'arche, ne
lu mettent pas en pièces pour en emporter des uior-
ANNÉE ^252. 555
ceaux , et qu'en restant ainsi indestructible par la
clémence de Dieu, elle perpétue dans la mémoire des
hommes le souvenir de l'extermination générale du
monde et du sacrifice expialoire qui l'a suivie.
Vers le même temps , non loin de Leicester, à
Grobi , manoir du comte de Winchester, mourut la
comtesse, femme du même comte, encore dans la
première jeunesse. De cette femme, fille du comte
d'Héreford, le même comte n'avait pas eu d'enfant.
De même, sa première épouse précédemment morte,
fille d'Alain de Galloway, ne lui avait pas donné de
postérité , si ce n'est une postérité féminine. Or, la
susdite comtesse, dont il a d'abord été question,
mourut le ^5 avaut les calendes de novembre, et fut
enterrée à Brakley où l'autre épouse du même comte
avait été aussi ensevelie ; car cette maison avait été
fondée par les anciens comtes de Winchester. C'est
à cause de tous ces motifs que le même comte choisit
Brakley pour le lieu de sa sépulture. Et sans tarder
il épousa une autre femme, espérant encore mériter
du Seigneur la faveur de procréer un fils.
Les chrétiens prisonniers sont helacués par le
SOUDAN DE BaBYLONE. — LeS OSSEMENTS DE GUILLAUME
LoNCL'E-EpÉE SONT APPORTÉS A AcRE. — GUILLAUME DE
Valence et Geoffkoi de Lusignan insultent et mal-
traitent LES serviteurs DE l'ÉVÊQUE d'ÉlY ET DE l'aBBÉ
DE Saint- Albans. — Accusation portée contre Robert
DE LA Ho. — Le procurateur des évoques d'Angleterre
fait be&trcindre le droit de irocir\tion de l'arche-
vu. 25
554 HENRI III.
vÊQCE. — Vers le même temps, les messagers du roi
de France parcourant librement, avec la permission
du Soudan, toute Tétendue de la terre soumise au
Soudan de Babylone , recherchèrent en quels lieux
étaient incarcérés les chrétiens. Ceux qui se trou-
vaient entre les mains dudit Soudan furent relâchés
et mis en liberté. Ceux qui étaient prisonniers d^au-
tres Sarrasins, lesquels avaient le soudan pour sei-
gneur, furent délivrés sous de légères conditions. Or,
le très-pieux roi de France fournit abondamment à
leurs rançons sur ses aumônes.
Un jour le soudan de Babylone dit aux messagers
qui avaient été envoyés à cet effet : « Je m'étonne
« que vous autres chrétiens , qui vénérez les osse-
« ments des morts, vous ne vous inquiétiez pas des
« ossements du très-illustre et très-noble Guillaume
« à qui vous donnez le surnom de Longue-Épée.
« Or, on nous raconte à nous et à d'autres, au sujet
« de ces ossements, des choses surprenantes, peut-
« être ne sont-ce que des bagatelles ; à savoir que
« dans les ténèbres de la nuit, des visions apparais-
« sent sur sa tombe, et que ceux qui y ont invoqué
« le Dieu du susdit Guillaume, ont éprouvé une foule
« de bienfaits célestes. C'est pourquoi nous avons
«I fuit ensevelir honorablement le corps de ce guer-
« ricrtué dans la guerre, à cause de rexcellence de
« son courage et de l'illustration de sa naissance. »
Alors les messagers, se parlant les uns aux autres,
dirent: « Comment pouvons-nous être les délrac-
M leur» de <'et Anglais, puisque les Sarrasins eux-
ANNEE 4232. 5S5
A mêmes ne peuvent nier la noblesse dudit Guii-
« laume ? » C'est pourquoi ils demandèrentqu'on leur
donnât ses os, ee que le Soudan leur accorda volontiers.
Les messagers traînant donc avec eux une multitude
d'esclaves délivrés, et rapportant aussi les os dudit
Guillaume, re\inrent à Acre, et les ossements sus-
dits furent ensevelis avec respect dans l'église de la
Sainte-Croix.
A la même époque, Guillaume de Valence, fi*ère
utérin du roi, partit de sa maison qui est dans le
château d'Hartfurd, et malgré Tédit du seigneur roi,
promulgué récemment sur l'avis commun du par-
lement, pénétra violemment dans les bois réservés de
Tévêque d'Ély (ce qu'on appelle vulgairement parc)
auprès de son manoir de Hatfeld, et là se mit à
chasser sans la permission de personne, contre la loi
de l'état et contre l'honneur de courtoisie. Cela fait,
il se dirigea vers le manoir dudit évéque. Mais comme
il avait soif et qu il n'y trouvait à boire que de la cer-
voise, il brisa violemment avec grand tumulle les portes
du cellier qui étaient fortes et barricadées, en faisant
un bruit affreux et malhonnête, en jurant, en mau-
dissant la cervoise et tous ceux qui l'avaient brassée,
fit arracher les robinets des tonneaux, et répandit à
grands flots un vin exquis; puis, après en iivoir bu
à sa sufii^ance, il ordonna qu'on en distribuai, sans
aucun respect, h ses garçons et à tous ceux qui en
voulurent, comme si c'eût été de l'eau ou la plus mé-
chante des cer\olses. Cependant, en enteniianl le tu-
multe que causaient les coups de maillets qui ser-
556 nETNRI W.
vaienl à briser les portes, et les clameurs poussées
par ces effraeteurs, le serfjent du manoir accourut
pour réprimer leurs violences et pour leur tlislrihuer
de bon gré autant de \in qu'ils voudraient; mais
accueilli par des huées et par des outrages, il n'é-
chappa qu'à grand'peine aux mains violentes de ces
furieux. Lorsque tous se furent enivrés jusqu'à en
voipir, ils s'en allèrent avec force railleries et éclats
de rire, laissant le vin se perdre et se répandre, et
sans se soucier de boucher ou non les tonneaux avec
les robinets. Après leur départ, le serviteur qu'on
appelle le sergent du manoir, s'approcha et trouva
les portes brisées comme si elles eussent été enfon-
cées à la guerre, et le vin coulant abondamment sur
le pavé du cellier. Il se hâta donc de faire boucher
les tonneaux et réparer les portes. Quand cette vio-
lence eut été annoncée à l'éveque, il répondit en pal-
liant sous un visage serein la douleur qu'il ressen-
tait de cette injure : « Qu'était-il nécessaire de piller
« et de voler ce qu'on leur eût distribué de bonne
« grâce, civilement et abondamment, s'ils l'eussent
« demandé? Maudits soient donc tous ces rois ou
« plutôt tous ces tyrans dans un seul royaume ! » Or,
il est constant qu'un envahisseur si violent et si im-
pudent des biens ecclésiastiques était tombé de fait
dans les liens de la sentence d'excommunidîlion.
Le troisième jour suivant, Geoflroi de Lusignan,
frère du susdit Guillaume, se proposant d'aller loger
h Saint- Albans dans le monastère, fit prendre les de-
vants à son maréchal pour nller annoncer son nrri-
ANNEE 4252. 557
vée. Lorsque cet ollicier lut arrivé à la porlc de la
cour du monastère, il se mit à dire sans saluer le
portier : « Voici venir mon seigneur qui est proche
« et qui veut loger ici. Où coucliera-t-il? — Où il
« lui plaira, » reprit le portier. Alors le maréchal :
« Il ne couchera pas ailleurs que dans le palais royal,
« qu on appelle rbôlel du roi, car il est issu desan^;
« royal. —Qu'il en soit ainsi, seijjneur, dit le por-
« tier; toutefois la coutume chez nous est que ceux
« qui veulent loger ici, demandent Thospitalité
« comme un don charitable et non impérieusement;
« car celle maison-ci est une maison de charité. »
Mais le maréchal, regardant le portier de travers et
avec un œil irrité, s'écria : « Quelles bagatelles nous
« contes-tu là? Où est la marescliaucie pour faire re-
« poser nos chevaux? » On lui montra alors un vaste
logis qui servait d'écurie , et où trois cents chevaux
environ pouvaient se reposer à l'aise. Or, ce jour-là
étaient venus à Saint-Albans des hommes de bien
tant religieux que séculiers qui y avaient reyu l'hos-
pitalité après avoir été restaurés, et dont les chevaux
étaient couchés après avoir reçu leur nourriture,
lorsque le maréchal susdit, entrant arrogamment
dans récurie, s'emporta violennnent en voyant les^
lieux occupés par les chevaux et les palefreniers.
Aussitôt il s'élança, brisa les licous, fit fuir par «es
menaces orgueilleuses les palefreniers aussi bien que
les chevaux, et ne leur permit pas même de se cachçr
dans aucun coin de cette maison qui était très-vaste.
Ce|K>ndant il fallut que l'abbé de Saint-Albans sup-
358 HENRI III.
portât patiemment tout cela, ainsi que l'évêque qui
avait souffert l'outrage que nous venons de raconter,
surtout puisque les Anglais efféminés se laissent fou-
ler aux pieds, tandis que les étrangers prédominent.
Sous un roi tyran, tout est réuni au haut d'une pente
glissante, et exposé à la chute et à la ruine.
Cette même année, tandis que s'écoulait le cours
de ces jours-là et que [s'approchait] la fête des apôtres
Simon et Jude, époque du déclin des années du sei-
gneur roi Henri troisième \ un certain chevalier ès-
lettres ^, Robert de la Ho, à qui le roi avait confié la
* Limes annorum. Nous donnons le sens probable.
* Miles litteralus (texte hic). Plus haut armiger UtteratuSy désigne
l'homme qui veut assassiner Henri III à Woodstok. (4258. Votj. pag.
367 du 4' Tol.) Ces deux passages prouvent que dès lu première moitié
du treizième siècle, on avait pris Tbabitude de désigner ainsi un nouvel
ordre de chevaliers, connus aussi sous le nom de milites justitiœ, mi-
lites clerici. Dans l'origine les fonctions de guerrier et de juge n'étaient
point séparées, comme nous l'apprend Yves de Chartres, et les romans
provençaux parlent fréquemment de braves chevaliers qui sont aussi de
bons légistes. Mais plus tard, les chevaliers d'armes abandonnèrent lo
soin de la justice, soit h ceux d'entre eux que la modicité de leur fortune
ou la faibirase du leur tempérament obligeait do renoncer aux exercices
militaires, soit aux clercs qui n'étaient point engagés dans les ordres,
soit h une nouvelle classe d'hommes qui commençait à s'élever et h qui
s^applique plus particulièrement l'expressiou do Matt. Pdris. Lacurnc
de Sainte-Palaye pense que ces chevaliers ès-lois, désignés par les histo-
riens modernes sous le nom de légistes, u'eurcnt d'abord que les vête-
ments et la parure des chevaliers en armes, et ne jouirent que plus tard
de tous le» hoinieurs cl prérogatives attnrliés h ce dernier titre. 1,'écar-
late, par exemple, était réservée aux chevaliers en armes et aux chevaliers
en lettre», et l'habit de chevalier, porté par un clerc, ne l'ompéohait pas
do jouir des immunités de ciéricalurc. D'ailleurs, on avait pour ces deux
genres de chevalerie un respect presque égal, cl l'empereur Charles IV,
ANNÉE 4252. 559
iulelle des juifs el [la garde] de son sceau en ce qui les
concerne dans son échiquier, fut accusé grièvement
devant le roi, et on lui reprocha d'avoir opprimé un
innocent, le fils d'un chevalier, au moyen d'une
charte fausse et scellée du sceau dont le même Ro-
bert était porteur et gardien à titre de justicier des
juifs. Aussi fut-il arrêté ignominieusement et jeté
dans une étroite prison. Ainsi se renouvela le scan-
dale de diffamation dont Tannée précédente Philippe
Luvel, qui était alors justicier des juifs, avait été la
vielime, étant tombé »lans les pièges des juifs per-
fides; mais maintenant, grâce à son habileté, il avait
été élevé à la garde du trésor royal. Voilà comment,-
en effet,
La puissance divine se joue des choses humaines.
Enfin, grâce à riuterveulion des amis de Robert,
la malice des juifs fut découverte ; Robert lut mis en
liberté et son innocence fut prou^ée, mais non sans
jeine. Toutefois il fut déposé de son bailliage, et paya
publiquement quatre marcs d'or au moins.
Vei-s le même temps, maître Jean, procurateur gé-
néral des évêques d'Angleterre, soutint leur requête
en cour romaine, contre l archevé(|ue de Canlorbéry,
qui exigeait la visitation de toute l'Angleterre, à la
vexation intolérable de l'église anglicane. Or, maître
«o «Uiiauit l*acmU4e à Barlbole, suivait sans doute Peiemplc de plu-
■irun roU t^mi Favaieot |irrc^dé. [Voy. sur cette intéressante ({ueslioii
ir* eoatioaateurf del'y/istoirf /i(fer(iir<>, loni. xvi,e( partitulièrenient
SAlirrs-PAlaVK, Méiié, »ur 1\mi: chtval.^ v* partie, notes 21 et 32,
iV* prti*. pag. 29i noU 15.)
560 HElNRI m.
Jean, pour résister à une pareille oppression, donna
six mille marcs au seigneur pape. Ce qui fit que la
visitation de rarchevèque, qui exigeait visitation plé-
nière, fut restreinte, et il fut stipulé qu'il ne visite-
rait aucune église paroissiale, à moins qu'il ne fût
appelé par le recteur du lieu, mais seulement les
églises conventuelles non exemptes, et que, dans ce
cas, il ne devait pas recevoir, à titre de procuration,
plus de quatre marcs en tout. On pourra s'instruire
plus au long des détails de cette affaire, par les let-
tres du seigneur pape, qui sont rapportées au livre
des Additamenta*. Or, quiconque voudra scruter soi-
gneusement les intentions des cœurs, pourra com-
prendre parfaitement, dansées lettres, de quelle ma-
nière les évêques chérissent les religieux du royaume,
et surtout les religieux exempts'^; mais Dieu, irrité,
veut que ce fléau de division, qui engendrera la
discorde, s'étende généralement sur les prélat^
comme sur les laïques.
Albert, notaire du pape, se rend en Angleterre.
— Il s'occupe de s'enrichir. — Arrivée de l'archevê-
que de Cantorbéry en Angleterre. — Discorde entre
l'archevêque et l'élu a Winchester. — Violences
exercées par les parents d'Athelmar sur la personne
d'Eustache de Lynn. — Plaintes portées a l'arche-
vêque DE Cantorbéry. — L'archevêque se rend a
• Foy. l'addition XXIV n la fin du volume.
' Celte phraïc lemblc faire alluiion à la dccrétalo que nous donuoiiw
•ou* le o« XXVilf .
ANNÉE 425S. 564
OxFOBU.— Il y rK0Mi3LGi}£ la sentence d'excommcnica-
TioN conTBE LES DÉLINQUANTS. — Vers la léle de saint
Martin, arriva en Angleterre maître Albert, notaire
(lu seigneur pape, lequel était déjà venu, il y avait
lieux ans, à Tépoque où le roi de France se prépa-
rait à passer la mer, pour défendre au roi d'Angle-
terre, «le la part du seigneur pape, d'infester en
aucune façon les terres du roi de France qui allait
combattre pour Dieu. La cause de ce nouveau voyage
fut ignorée do plusieurs, dans le principe; mais bien-
tôt, au moyen des œuvres, on en connut la cause par
les effets. Or, le seigneur pape, sachant que le comte
Kicliard, frère du seigneur roi, abondait en trésors
|>ar-dessus tous les seigneurs d'Occident, et ne s'in-
quiétant pas des sources d'où provenait cet argent,
avait conçu le projet fort adroit de Télire et de l'ap-
peler au royaume d Apulie, de Sicile etdeCalabre,
pour que le comte, faisant la guerre au nom du
pape, dépensât son argent dans les chances douteuses
de Mars, exposât sa personne aux périls, conquît
tous ces pays, au grand profit de la cour romaine, et
lui entassât des trésors en se ruinant lui-même. Le
pape se fondait en cela sur cette tentation du grand
sophiste : « Je le donnerai tout cela, si tu veux tom-
l>er à genoux et m'adorer ; » car il savait que le comte
était gonflé insatiablemont d'une hydropisie cupide,
et désirait les dignités temporelles. Tel était donc
Tappât qu'il avait mis au bout de son hameçon re-
courbé, pour le rendre appétissant, et croyant y
prendre le comte plus facilement. Aloi-s se découvrit
S«8 HENRI III.
le motif mystérieux de tous les honneurs que le sei-
gneur pape avait jadis rendus à Lyon au comte Ri-
chard, alors qu'il Tavait fait asseoir adroitement à ses
côtés, et l'avait accueilli avec un empressement qui
avait causé Tadmiration de tous. Toutefois, la plupart
des hommes ne pensaient pas que le comte cédât eu
aucune façon aux promesses du pape, parce qu'il n'é-
tait nullement sain et bien portant de corps, parce
qu'il n'était ni brave ni exercé au métier des armes,
parce qu'il devait regarder comme déshonorant de
supplanter son neveu Henri, enfin parce qu'il n'est
point d'un homme sage de quitter le certain pour
Tincertain. Mais le seigneur pape ne regardait pas
tout cela comme des inconvénients, et trouvait qu'on
devait passer par-dessus ces obstacles. Or, il faut
savoir que le jour même où le comte Richard fes-
toyait avec le pape, le roi de France fut pris par un
triste coup de la fortune. C'est le comte lui-même
qui me l'a affirmé à poi qui écris cçs choses.
Comme, selon le prpverbp, c,'esl foliq c]e pfier
quand on s'oublie en prjant, et qu'en travaillant aux
intérêts d'antrui il ne faut pqs néglige^ les siens,
maître Albert, qui séjournait à Londres, jusqu à ce
que le conite, qui avnit demandé un délai pour f4-
fléchir, lui eût donné une réponse certaine aux pro-
positions <lu scignour |)iJpc, s'adressa, pendant ce
temps, ù plusieurs prélats d Angleterre, demandant
à Tun un palefroi, à Taulrc un bénéfice ecclésiasti-
que, et leur faisant savoir qu'il ne refuserait nullc-
ineat tous les autres dons qu'ils voudraient lui offrir
ANNÉE 4252. 5«5
gracieusement, afin qu'il ne parût pas méprisé. Ce
qui fit qu'en cette occasion il réussit à obtenir , en
vue de charité, de labbé de Saint-Albaiis, entre
.nitres, un palefroi et un bénéfice ecclésiastique, à
savoir cette espèce de bénéfice que les Romains ont
coutume de lever sur la chambre d'un prélat quel-
conque : ce qui revient à peu près au môme.
A l'octave du bienheureux Martin, Tarchevéque.
de Canlorbérv Boniface aborda en Anj'leterre, et son
arrivée ne réjouit absolument personne, mais fut
plutôt, nous le disons h regret, un sujet de trouble.
En effet, tous en général et chacun en particulier, se
remettaient en mémoire la conduite désordonnée et
cruelle qu'il avait tenue à Londres, quand il y avait
exigé des religieux le droit de les visiter; combien, en
outre, il avait appauvri maintes lois le royaume et
Péglise, eu extorquant maintenant onze mille marcs,
et récemment six mille marcs, sous prétexte de sa vi-
sitation tyrannique; comment aussi il avait appauvri
la noble église deCantorbéry, que tant de saints pré-
lats avaient gouvernée , faisant couper les bois, et
foulant aux pieds le couvent; comment enfin il avait
conféré à des étrangers, sans exception, les riches
revenus qui étaient devenus vacants depuis sa pro-
motion. Aussi croyait-on que l'édifice élevé sur ces
fondations marécageuses serait peu solide; mais il
faut laisser cela à la disposition du Très-Haut.
Cette même année, avant Toctave de saint Martin,
un certiiii prêtre, en vertu de l'autorité de l'élu ^
Winchester, s'empara de la garde d'un certain ho-
U4 . HENRI m.
pitalsituédans [le faubourg deJSoutvvaik, qui lait no-
toirement partie de l'évêché de Winchester. Or, selon
la coutume des habitants, on appel le prieur le gardien
de cet établissement de charité, dont la fondation
remonte au bienheureux Thomas, martyr. iVIais maî-
tre Eustache de Lynn , official de Tarchevéque de Can-
torbéry, voyant qu'en cette affaire on avait dérogé à
son droit, parce qu'on aurait dû requérir son assen-
timent à raison du patronat, formalité qui avait été
dédaigneusement omise, avertit par trois fois le sus-
dit prêtre de se retirer, puisque son entrée dans
cette garde était injurieuse et présomptueuse. Mais
ce prêtre, que Ton appelle prieur, refusa de le faire,
et se maintint dans sa possession. Alors Tofficial le lit
excommunier pour cause de résistance. Le susdit
prieur n'en persista pas moins quarante jours dans
son excommunication, ne cessant de proférer des
menaces et des injures. L'official, ne pouvant donc
supporter un pareil orgueil, ordonna qu'on Tarrê-
lAt comme rebelle. A cette nouvelle, le prieur, se re-
vêlant de ses habits sacerdotaux, se réfugia dans
Téglise. Mais les officiers qui avaient été envoyés pour
le prendre, ne Tcpargnerent pas pour cela, parce
qu'il avait méprisé les clefs de Téglisc, étant excom-
munié. L'official donna ordre qu'on le nicnâl à
Maidestone, manoir de l'archevêque, pour y être
gardé jusqu'à ce qu'on eût décidé ce qu'on ferait en
celte affaire ; car on disait quo l'archevêque n'était
pas loin.
En apprenant cela, l'élu à Winchester fut saisi de
ANNÉE 4252. 365
colère, autrement qu'il ne convenait; et comme s'il
eût éprouvé une grande injure, qui entraînât déshon-
neur, il alla se plaindre amèrement à ses frères.
Encouragé par leur aide et leur conseil, il rassembla
une troupe de chevaliers et d'hommes d'armes,
suivis d'une compagnie non petite, et il les cbai^ea
de chercher et de saisir les auteurs de cette violence.
Ceux-ci, étant partis avec impétuosité et tumulte,
comme s'il s'agissait d'une expédition guerrière, se
rendirent à Soutwark, croyant les y trouver encore.
Mais n'ayant trouvé personne, après avoir fouillé par-
tout, ils coururent rapidement, et sans tarder, à
Maidestone, pour délivrer puissamment le prieur
qu'on y retenait prisonnier. Ils brisèrent de force
tout ce qui les arrêtait, cherchèrent dans les lieux
les plus secrets, et ne trouvant pas celui qu'ils vou-
laient, parce qu'on le tenait caché, demandèrent du
feu pour tout réiluire en cendres. Après avoir commis
beaucoup de désordres en ce lieu, et n'avoir pas
trouvé ce qu'ils étaient venus chercher, ils apprirent,
par le rapport d'un dénonciateur, que l'official qu'ils
cherchaient s'était retiré à Lambeth, près de Lon-
dres. Ils y volèrent aussitôt en foule, soulevèrent les
portes hors de leurs gonds ou les brisèrent, entrè-
rent tumultueusement, se jetèrent tout à coup, avant
Theure du dîner, sur l'official qui ne s'attendait à
rien de pareil, Tenlraînèreut insolemment et à main
armée, le mirent sur un cheval, comme le plus vil
des êtres pris en flagrant délit de vol, pour le con-
duire où ils voulaient, sans môme lui permettre de
816 HENRI III.
prendre les rênes en main et de guider le cheval.
0 présomption téméraire! ô irrévérence inexcusa-
ble, de faire subir un traitement si ignominieux et
si pénible à un homme aussi respectable, aussi versé
dans les lettres, aussi remarquablement fameux, et
qui représentait la personne derarcheveque! Déplus,
ils accablèrent d'outrages et traitèrent inhumaine-
ment le chapelain qui desservait la chapelle, et qui
embrassait comme refuge la pointe de l'autel, portant
ainsi des mains sacrilèges sur les choses ecclésiasti-
ques. Quant à maître Henri de Gant, en entendant
ce tumulte, il fut saisi d'un effroi qui aurait pu être
ressenti par 1 homme le plus ferme, et s'échappa en
prenant adroitement la fuite, pour ne pas tomber
entre les mains de ceux qui en voulaient à sa vie. Ils
, traînèrent donc l'official par la bride de son cheval
jusqu'à Fernham, lui faisant subir tout ce que la co-
lère, ou plutôt la fureur, leur conseillait, et le retin-
rent do force, malgré lui, jusqu'à ce qu'ils fussent
assurés qu'on leur rendrait le prieur qui avait été
arrêté. Enfin on le laissa aller, mais en le chassant et
en Taccablant des traitements les plus ignominieux.
L'official, se réjouissant encore dans son malheur
d'avoir échappé à ces mains crochues et rapaces, cou-
rut à j)ied, tout vieux qu'il était, jusqu'à Walerle,
maison de Cisterciens, sans oser regarder derrière
lui, de peur d'être changé en statue. Les moines, en
le voyant, lui demandèrent avec étonnement quel
événement Tamenait ainsi vers eux, seul et fugitif.
Il reçut en ce lieu des consolations et put y respirer.
4252. 867
Cependaii \m gens de Parcheveque, qui avaient
souffert une si grande injure, vinrent porter à l'ar-
clievèque Irès-griève plainte d une audace si témé-
raire, avec des larmes et des soupirs, faisant le mal
plus grand elexagéranl routrage. Aussi Tarclieveque,
irrité plus qu'on ne peut dire, s écria : « Ce sont
u là de tristes nouvelles à notre arrivée. » Ayanldonc
pris avec lui lesévéques deChiccster et de Hereford,
il partit pour Londres; puis lui-même et les deux
evéques susdits, revêtus de leui*s habits ponliOcaux,
en présence d'une foule innombrable, qu'ils avaient
fait convoquer pour cela, par la voix du héraut, dans
I église de sainte Marie-des-Arcs, en octroyant à ceux
qui viendraient une indulgence de trente jours, ex-
communièrent horriblement et solennellement tous
les auteurs et fauteurs de cette témérité, à l'excep-
lion seulement du seigneur roi, de la reine et de
leurs enfants, du comte Richard, de la comtesse sa
lemme et de leurs enfants. L archevêque écrivit de
plus à tousles évêq ues ses su ffra gants, leur enjoignant
lormellement, en vertu de Tobédieuce dont ils
étaient tenus et liés envers Téglise de Cai>torbéry,
de (aire la même chose dans leurs églises, chaque
jour de dimanche et fête. De son côté, I élu à Win-
chester manda sur-le-champ au doyen de Soutvvark
et à quelques autres de sa juridiction de résister en
(ace audit archevêque, et de déclarer publiquement
que celle sentence était absolument nulle, qu'elle
était \aine et frivole, et que le délit sur lequel elle se
fondait était une excuse de renard ; mais les gens de
568 HENRI III.
l'archevêque en appelèrent au souverain pontife sur
celte injure et le scandale qui en était résulté. Ce-
pendant il y avait plusieurs personnes qui, sans
favoriser l'un ou Tautredes deux partis, disaient que
l'archevêque avait évidemment fait tort à Télu. En
effet, pour faire cesser toute querelle de celle nature,
il avait été décidé qu'un arrangement aurait lieu,
par lequel toute la maison susdite serait soumise à la
disposition de Tévêque de Winchester, nonobstant
le titre de patronat, et que celui-ci paierait alors
trois sols par an en reconnaissance. C'est ainsi que
l'un et l'autre se diffamèrent et encoururent le re-
proche de violence injurieuse, tandis que les citoyens
de Londres , se souvenant de l'arrogance et de la
cruauté que l'archevêque avait déployées à Londres,
rappelaient les nombreuses extorsions d'argent qu'il
avait commises, les violences du roi pour le fa ire nom-
mer archevêque, et la manière irrégulière dont il
conférait les bénéfices vacants. D'une autre part, les
gens du roi, à savoir les Poitevins, outre qu'on leur
reprochait la perfidie qui leur est naturelle, étaient
accablés d'autres injures, comme c'est l'usage dans
le colère ; et parmi les citoyens qui entendaient cela,
il y en avait beaucoup qui souhaitaient que ceux-ci
cassassent la tête à ceux-là, et que les autres éventras-
sent le reste. Aussi, comme il est écrit : «Malheur à
ceux par qui vient le scandale,» les deux partis étaient
en danger à cause du scandale ignominieux (jui
s'était élevé. C est ainsi que gens du roi contre
gens de la reine, Poitevins contre Provençaux, eni-
ANNEE 4252. 569
vrés qu'ils étaient de ieui'S vastes possessions, se
décliaînaieot les uns contre les autres pendant le
sommeil desmalbeureux Angolais, oomme s'ils eom-
hattaieut pour savoir auquel des deux partis devait
rester la supériorité dans le royaume, à Texelusion
des indigènes. Cependant la voix commune condam-
nait plutôt les Poitevins, parce que l'élu s'était élevé
contre son supérieur, en dépassant orgueilleusement
toute mesure et en se fiant dans le roi son frère, qui
lavait créé, comme Dieu le sait; de plus, on lui en
voulait surtout de ce que le Poitou avait été perdu
par la trahison de son père.
Cependant Tarcheveque Boniface, entassant sous la
cendre le feu de la colère qu'il avait conçue, et persévé-
rant dans son ressentiment, à l'instigation de maître
Ëustacbe, qui, étant le plus lésé et le plus mécontent
dans cette affaire, le poussait à la vengeance, se mit
promptementen route pourOxford , aCn d'y convoquer
I uuivei'sité des écoliers qui se rendent en ce lieu des
diversespartiesdu monde pour y étudier, et de donner
en public tous les détails d'un attentat si impie,
pensant bien que les rapports des écoliers feraient par-
venir dans les contrées même fort éloignées la con-
naissance d'une pareille énormité. Lorsque, arrivant
à Oxford, il s'approcha de la ville, une foule innom-
brable de clercs, revêtus de leurs plus beaux habits^ et
montés sur des chevaux bien harnachés, allèrent à
sa rencontre et Paccueillirent avec respect, ainsi
(ju'il convenait vis-à-vis d'un archevêque, du primat
de toute TAnglolerre, et d'un homme trèsillnslre
vu. 24
370 HENRI m.
par sa naissance ; ils applaudirent à son arrivée, lui
iirent honneur, et lui fournirent d'abondantes pro-
visions en vivres et en boissons. Aussi, lorsque Par-
chevêque et tous ses Provençaux, clercs ou préten-
dus tels, eurent examiné la civiiitédes clercs d'Oxford,
la gravité de leurs gestes, le bel arrangement de leurs
habits, la sévérité de leurs mœurs, ils furent forcés
d'avouer que funiversité d'Oxford méritait d'être
comparée à celle de Paris.
Or, le lendemain de la fêle du bienheureux Nico-
las, en présence de tous les clercs, qu'il avait fait
rassembler à cet effet au signal de la cloche com-
mune, il lit raconter publiquement la témérité pré-
somptueuse et la téméraire présomption de Télu à
Winchester, qui , ainsi que ses frères et complices ,
lirait son audace de sa confiance dans le roi ; il fit
aussi publier expressén)ent les noms des transgres-
seurs, et renouvela la sentence susdite, qui est con-
signée plus pleinement dans les lettres que le même
archevêque jugea à propos d adresser à tous les
évêques ses suflragants; les noms des transgresseurs
y sont contenus tout au long. Celui qui désirera les
connaître n'a qu'à consulter le livre des Additamenta\
qui est déposé à Sumt-Albans, et qui lui donnera
tous les détails d^'sirnbles sur cette allaire. Or, il est
constant pour tous en général, et pour chacun en
particulier, que l'élu et ses frères ont été lés autours
de cette lîution.
* Vvy. l'addition XW k la lin du Tulumr.
ANNEE 4252 571
Mort de BLi?(CHE , reine de France. — Immensesrevenls
DF Jean Ma>8el. — L'ÉvÊQCE DE Lincoln paitcalcolerles
REVENUS DES ÉTRANGERS EN ANGLETERRE, —Le ROI MET LES
GARENNES EN VENTE.— VEXATIONS EXERCÉES CONTRE PLU-
SIEURS MONASTÈRES. — Coup d'oeil sur l'année 1252.—
Vers le même temps, c'est-à-dire le premierdimanche
de l'Avent du Seigneur, et le premier jour du mois,
mourut la dame des dames de ce monde, à savoir
Blanche, mère du roi de France, gardienne, tutrice
et reine de France, atin que notre Seigneur Jésus-
Cliristarrivanl,sa dévouée servanleallât respectueuse-
ment à sa rencontre. Ce qui anticipa cette mort dé-
plorable et funeste pour les Français, ce furent les
chagrins multipliés de ladite reine Blanche : à savoir
la mort de son mari le roi Louis, qui était venue por-
ter le deuil dans sa très-gracieuse jeunesse ; le far-
deau fort inquiétant du royaume de France qui était
retombé sur elle ; la faiblesse maladive de son fils ;
ensuite la croisade qu'il avait voulu entreprendre,
et son départ pour un pèlerinage dont il ne revien-
drait pas; puis sa capture si déplorable pour toute
la chrétienté; la fuite honteuse de Kobert, comte
d'Artois, qui avait trouvé dansles eaux une fin lamen-
table; en outre la maladie incurable d'Alphonse ,
comte de Poitiers, etenfince qui luiavaitété annoncé
que son fils aîné, c'est-à-dire le roi de France, com-
battant pour Dieu en Terre-Sainte, se proposait d'y
séjourner tout le reste de sa vie et d'y mourir, en
changeant ainsi, par un heureux commerce, son
royaume terrestre pour le royaume des cieux. Aussi
572 HENRI III.
la très-noble dame Blanche, mère des princes susdits,
languissait désolée et morte d'avance, se voyant privée
de ces chers gages. Quand elle sentit que la mort était
proche, elle fit choix, pour le lieu delà sépulture de
son corps, de la maison de religieuses à Pontoise,
qu'elle avait magnifiquement fondée et construite.
Avant de mourir, elle avait pris le voile et avait fait
profession de religieuse'. On lui mit sur la tête la
couronne par-dessus le voile, on la revêtit de ses
habits royaux, et on l'ensevelit dans cet appareil,
comme il convenait. C'est ainsi que la magnanime
Blanche, femme par son sexe, mais homme par sa
fermeté, et qui méritait d'être comparée à Sémira-
mis, dit adieu au siècle, laissant le royaume de France
dépourvu de toute consolation.
Dans le cours de cette même année, Jean Mansel,
qui était le principal conseiller du seigneur roi, vit
la fortune lui sourire, et s'enrichit tellement en re-
venus, que son revenu annuel , en y comprenant les
sept cents marcs qu'il y avait ajoutés nouvellement,
s'élevait en tout à quatre mille marcs. Or, de noire
temps, aucun clerc n'arriva h une si grande opulence.
Cependant ceux qui connaissent les choses qui sont
de Dieu , s'étonnaient avec stupeur qu'un hoqfime
' L« tombeau de Blnnchn fut placn au milieu du chœur qyec une Ggure
en cuivre cl une épitapbc, dont le» troi» derniers ver» confirment le récit
de IVfHlt. HAfia :
Tandem it Ckrittn rrrtu dnnatil tn ùto
CujUM lerta malii viguit gent Franca tub alit ,
Tu9la fritu, lalii, jacet hir pauper monialit.
ANNEE 4252. m
viu8si circonspect n eût pas craint de prendre sur lui
la charge de tant d'âmes, et de s'enga{jer par cela
méiue à rendre compte do toutes ces âmes au sou-
verain juge ; mais , pour que ce qui est écrit soit vé-
rifié, il y a beaucoup de gens qui savent beaucoup de
choses et qui ne se connaissent pas eux-mômes à fond.
Cette même année, Tavarice des Romains se donna
si libre carrière et s'éleva à un tel point, que Tévéque
de Lincoln Kobert s'en émut et (it faire par ses
clercs Teiamen et le calcul exact des provenances
conférées à des étrangers en Angleterre. Or, on
trouva et on établit véridiquement que le présent
pape, c'est-à-dire Innocent IV, avait plus appauvri
léglise universelle que tous ses prédécesseurs en-
semble , à partir des premiers temps de la papauté.
Les revenus des clercs étrangers, introduits par lui
en Angleterre, et enrichis par l'église romaine, s'é-
levaient à plus de soixante-dix mille marcs. Les re-
venus nets du roi ne s'élèvent pas au tiers de celte
somme*.
Cette même année le roi, comprenant que les dis-
sensions suscitées entre les seigneurs, à cause de leurs
garennes, fournissaientde grands, mais honteux pro-
fits à son trésor, par les forfaitures qu'ils encou-
raient, fit proclamer, par la voix du héraut, dans les
lieux publics, c'est-à-dire dans les marchés, que celui
qui dénrarait avoir une garenne n'avait qu'à lui en
adresser la demande, et qu'il serait favorablement
écouté, moyennant une certaine somme. Plusieurs
* yo$. U p«6e n du VI* Tolumc.
S74 HENRI III.
profitèrent de cette faculté, et ainsi dépérirent les
droits de beaucoup de personnes, droits octroyés et
confirmés par d antiques chartes et par Tusage. Aussi
l'abbé et le couvent de Waredon, croyant qu'il leur
serait utile d'avoir une garenne, parce que les offi-
ciers des seifjneurs leurs voisins brisaient leurs haies,
parcouraient leurs champs ensemencés, en y foulant
tout aux pieds, et accablaient de coups et de paroles
oulrageantes les frères cultivateurs et gardiens , ob-
tinrent du roi le droit de garenne, à prix d'argent.
Mais Guillaume de Beauchamp , prétendant qu'on
avait dérogé à son droit en cela , prit et pourchassa
leurs troupeaux , massacra , blessa et endommagea
de toutes façons les frères qui en étaient gardiens.
Or il avait appris par les instigations de son épouse
(car il était marié) à attaquer les religieux plutôt que
les chevaliers , lui qui déjà , pendant un espace de
douze ans , avait fatigué sans relâche les chanoines
de Newenham, se montrant aussi dur que la pierre
pour ceux dont il aurait dû être le patron. Sembla-
blemcnt, Pierre de Savoie, à qui l'intime familiarité
du roi fournissait les cornes de la présomption , sans
craindre de troubler les bienfaits des anciens sei-
gneurs, et de violer l'ordre établi, ne cessa, pendant
dix années de suite , de fatiguer par ses persécutions
la sainte maison de Gyrivaux * , de l'ordre de Cî-
teaux, située dans les pays du nord de l'Angleterre,
* Eo fraiiçaii du tempi Jorvaulx {Morth-Riding). On «e rnppellc l«
gaiaiK pritiur Ayinrr, <l.iii« le rumaii do Wnllcr Scolt, Ivanlinë.
ANNEE 4252. 275
el fondée luaguiliquenieut par uos pieux ancêtres.
Or, le roi, qui voyait loul cela avec des yeux de conni-
venoe, laissait ces attentats impunis; niais permettre
c'est consentir , et ceux qui commettent de pareils
excès sont menacés plus sévèrement de la vengeance
divine.
Ainsi se passa cette année, médiocrement féconde
eu fruits de la terre et en fruits des arbres , et fâ-
cheuse par la mortalité qui se jela sur les bestiaux.
Elle fut, aiin de résumer en peu de mois l'état des
choses, une année de troubles pour tout le genre hu-
main. Or, il est évident que la cause de celte [)ertur-
bation parmi les Orientaux fut la malheureuse cap-
ture du roi de France. Tel on voit un os jeté au milieu
de chiens affamés; chacun d'eux s'efforce de le saisir :
dans leur ardeur, ils se jettent les uns sur les autres^
se mordent mutuelKment pour avoir l'os, et se
rongent sans que l'os soit rongé. L'empire périclitait
comme un vaisseau sans gouvernail. Le royaume de
France , privé de ses chefs , de ses barons, de ses ar-
mes, de ses trésors, ne s'était jamais vu à un tel
point de désolation. L'Angleterre, foulée aux pieds
par les étrangers , courbée sous plusieurs maîtres,
dépourvue de la dilection sincère de son roi, réduite
enfin à la pire des conditions, gisait inconsolable"
ment désespérée; et, ce qui est plus fâcheux encore,
une haioe empoisonnée entre l'église et le peuplt>
prenait chaque jour de nouveaux accroissements.
Lt ROI ckLhBui i \Vi.ni:hp.ster i-ks fêtes m: Noel.
376 HENRI III.
— Canonisation de Pierre, de l'ordre des Prêcheurs.
— Les Romains élisent Brancaléon poor sénateur. —
Les habitants de Winchester envoient au roi des
présents magnifiques. — Réconciliation d'Athelmar
et de Boniface. — Vaines promesses du roi. — Dé-
part DE MAITRE AlBERT. LeS JUIFS SONT CHASSÉS DU
ROYAUME DE FRANCE. — MoRT DE l'aBBÉ DE SaiNT-
AuGUSTiN. — L'an du Seigneur -1255, qui est la trente-
•septième du règne du seigneur roi Henri troisième,
le même roi se trouva dans la ville de Winchester, à
Noël, et y célébra magnifiquement les fêtes de la nais-
sance du Seigneur.
A cette époque , arrivèrent les messagers du sei-
gneur roi et de quelques autres seigneurs d'Angle-
terre, annonçant qu'un certain frère de l'ordre des
Prêcheurs, nommé Pierre, pendant qu'il prêchait à
Milan et reprochait sans faiblesse aux Milanais leurs
vices et leurs erreurs, ou plutôt leurs hérésies, avait
été massacré secrètement par eux, pour avoir défendu
la vérité , et avait gagné le martyre , en récompense
de son courage. Or, pour que la lumière sereine de
la vérité ne fût pas cachée longtemps sous le bois-
seau , le Seigneur le glorifia sur-le-champ par des
miracles éclatants , et le seigneur pape, instruit plei"
nement de cela, le canonisa magnifiquement.
Les messagers susdits rapportèrent en outre que ,
dans le mois d'août, les Romains s'étaient choisi
pour nouveau sénateur* un citoyen de Bologne,
* four coiiipli'ter oe «{ue nouii avoiu dojii dit h roccnsion des mots po-
ANNÉE <255. 577
nommé Brancaléon , homme juste , rigide , et versé
dans le droit, qui ne voulut, en aucune façon, con-
sentira Téleclion qu'on avait faite de lui , si les Ro-
mains ne lui donnaient sûreté de lui conserver pen-
dant trois ans le pouvoir sénatorial, contre les statuts
de la ville. H exigea de plus de chaque famille puis-
saute un otage de valeur, et de tous les citoyens, tant
qu ils étaient , le serment de lui obéir fidèlement ,
comme à leur sénateur. En effet, il connaissait Tin-
solence du peuple romain, qui se révoltait fréquem-
ment pour le moindre sujet, et qui se plaisait aux
séditions. Lorsqu'il eut donné son consentement et
qu'il fut reçu par les citoyens et par le peuple, on
lui imposa , comme condition inviolable , de gouver-
ner justement la ville et le peuple de la ville, ou de
ne retourner jamais à Bologne dans Tintégrité de son
corps. Aussitôt qu'il eut été investi du pouvoir sé-
natorial pour trois ans, il fit pendre aux fenêtres de
lestas et senator, nous renvoyons à Gibbon, cbap. 69, pag. (71, <ur
la oatore da contrat qui unissait réciproquement If gouverneur étranger
elkrépabliquq«'il venait administrer. (l'oiriACOPoSALViATldarsla
eoUar<ieodnpèrelld«fonso, etGlov. YillaM, Uv. v.) Lorsqu'un podestà
ott aoeapitano quittait ses fonelious, il devait rester quelque temps pour
répondre ie sa gestion devant des syndics uouunég ad hoc ; et pendant ce
leaps Ittot le monde avait le droit d'accuser le magistrat sortant. (Note
de M. LiBAlt Uiêt. des math., lom. n, pag. 47.) Gibbon fait aussi re-
■MTfMr^tM, s^il peut paraître étonnant qu'un historien anglaisait tiré
de roakli le oom et le mérite de BrancaliH)n, les pèlerinages et les solli-
citations de proe^ entretenaient des liaisons entre Rome et Saint-Albans,
el ifm U «brfé aafbts, ptaw 6é ressentiment, se réjouissait quand les
papas étoiflol hmiliét et opprimés. Au reste, Gibbon ajoute qu'un bio-
graphe dMaaorcot IV, dans la collection de Muratori, fait de ce sénateur
KÎbelin un portrait moins iarorakie que Matt. Paris.
378 HENRI III.
leurs châteaux quelques citoyens notés et de plus
convaincus d'homicide, et fit attacher quelques re-
belles à la potence.
Comme le roi devait donner un festin à l'occasion
de la susdite fête de Noël , les citoyens de Winchester
lui envoyèrent un présent en vivres et en boissons,
si magnifique qu'il pouvait exciter l'admiration de
tous les assistants. Mais le roi , pour leur témoigner
sa gratitude, les obligea à lui payer deux cents marcs
dans un bref délai , quoiqu'il fût né dans cette ville ,
et changea ainsi en lamentations lugubres les joies
de Noël. Le roi cependant, ne s'en inquiétant pas,
s'occupa de préparer de joyeux banquets. Mais comme
les joies de ce monde sont presque toujours mêlées de
nuages qui en troublent la sérénité , la sentence pro-
noncée par l'archevêque contre l'élu à Winchester
et contre tous ses fauteurs préoccupait quelque peu'
ledit élu , qui était Phôte du roi , parce qu'il n'avait
encore été ni absous ni reçu au baiser de paix, quoi-
que la paix fût sur le point de se conclure. Or, à l'oc-
tave de l'Epiphanie, par l'intervention active du roi
et de la reine, le roi agissant pour son frère l'élu , et
la reine pour son oncle l'archevêque , et cela avec
d'autant plus d'ardeur que Guillaume de Valence et
Jean de Warenne avaient pris pari, disait-on, à cette
violence, l'élu h Winchester fut pleinement et ami-
calement réconcilié avec l'archevêque, et admis au
baiser de paix. En elfet, il jura en public qu'il n'a-
' Utrumque. Noui propofonKfl traduisons ufcum^uc- Il est vrai qu'on
ftaicomprenArKutrumqueliospUcm , l'btMc qui reçoit et l'hrttcqui est rceii .
ANNÉE 4253. 379
vait jamais consenli à cette violence , ni ne sV était
complu, mais qu'elle avait été commise téméraire-
ment à son insu et malgré lui. Ainsi ledit élu fut ab-
sous , et, pour effacer toute trace de celte querelle ,
tous ceux qui avaient pris part à Toutra^je susdit
jouirent du bénéûee de la plus larf^e absolution. On
vit clairement, par la conclusion de celte affaire, où
toutes les injures susdites furent remises impuné-
ment, avec quel empressement les évéques et tous
les autres s'intéressèrent au rétablissement de la paix ;
et la ebose arriva ainsi, parce que le roi avait promis
de se montrer toujours favorable à tous ceux qui s'oc-
cuperaient de cette réconciliation , et de céder plei-
nement à tous leurs bons plaisirs. C'est pourquoi les
évoques recommencèrent à délibérer avec plus de
confiance sur Taffaire difficile dont il a été question,
à savoir sur la concession de la contribution susdite,
moyennant l'observation de la grande cbarte. Enfin,
après une longue discussion, ils décidèrent qu'ils ne
couseiitiraient point à une telle et si forte contribu-
tion , mais à quelque autre , et fourniraient aide effi-
cace et volontaire, si le roi voulait s'abstenir, comme
il 1 avait maintes fois promis, des injustices dont il
avait I babitude d'accabler l'église , et consentait à
suivre les pieux conseils de ses hommes naturels ; ce
qu'ils demandèrent avec instance, le roi répondit
favorablement à cela qu'ils n'avaient qu'à régler et à
écrire en secret, sur mûre délibération, les articles de
eurs griefs, quels qu'ils fussent, et que, de son côté, il
corrigerait cequi ^rail à corriger. On prit jour pour
380 HENRI 111.
la dénonciation de |ces griefs , afin que le roi , sur
l'avis commun , réformât heureusement tout ce qu'il
faudrait réformer. Ils conçurent donc de très-bonnes
espérances de voir le roi obtempérer à leurs désirs,
parce que, sur ses instantes sollicitations, ils avaient
remis toute offense , comme il a été dit , à son
frère l'élu à Winchester^ et avaient rétabli la paix ;
parce qu'il avait pris le signe de la croix, qui exige
l'humilité et la justice; parce qu'il était parvenu à un
âge plus mûr; parce qu'il pouvait être plus pleine-
ment instruit par l'exemple de son père; parce que
les malheurs arrivés récemment au roi de France de-
vaient lui enseigner sa conduite , et qu'enfin l'église
lui promettait assistance de bonne grâce. Or , quoi-
qu'il y eût beaucoup de motifs capables de le déter-
miner à faire avec faveur et empressement ce qu'on
lui demandait, il en est un que nous avons jugé à
propos d'insérer dans ce volume, comme le plus
fort. A l'époque où le bienheureux Edmond gouver-
nait l'église de Cantorbéry , une certaine contribu"
tion fut accordée au roi, selon son désir et sa de-
mande. Le môme roi jura, en étendant sa main droite
sur les très-saints et sacrés évangiles , et en tenailt
dans sa main gauche un cierge allumé, tandis que
l'archevêque lui dictait la formule du serment, qu'il
observerait désormais inviolablcmcnt ut sans détour
la charte octroyée tant de fois à ses féaux , et ne se
laisserait pas séduire par les tromperies ordinaires
de quelques méchants conseillers. Sembinblementun
grand nombre do prélats qui se trouvaient présents
à celle solennité excommunièrent , en tenant à la
main des cierges allumés, ainsi que l'archevêque sus-
dit ^ tous ceux qui violeraient cette charte et qui lui
donneraient de mauvaises interprétations. En ache-
vant de prononcer la sentence , tous les assistants et
le roi lui-même répétèrent, selon Tusage : « Qu'il en
«< soit ainsi , qu'il en soit ainsi ; » les cierges furent
rQQfttnés par terre et éteints ; et comme la fumée
fétide qui s'en exhalait pénétrait désagréablement
dans les yeux et dans les narines des assistants , Par-
chevêque s écria : « Qu'ainsi soient éteintes , soient
0 fumantes et fétides les âmes damnées de ceux qui
« violeront ladite charte ou lui donneront une inter-
« prétation mauvaise. » Alors tous, mais le roi plus
fréquemment et plus ardemment que les autres ,
crièrent: « Amen, amen, u Et ces choses se passèrent
dans la chapelle de Sainte-Catherine, à Westminster.
Toutefois le roi ne rasa point les hauts lieux, comme
on le lit dans l'Ancien Testament au sujet de certains
rois insensés. Bien plus , il leva de Targent, et dissipa
en prodigalités l'arjjent levé contre la décision com-
mune; il eo leva une seconde fois, et pendant cette
année qui s'écoule dans le temps présent. Mais cet
excès, ô douleur! parce qu'il se renouvelle fréquem-
ment, n'est plus considéré comme un grand mal.
Maître Albert qui, après avoir envoyé un message
au 6ei}jneur pape, avait attendu sa réponse, se h&ta,
ses coffres remplis , de s'en retourner. Or, le pape
n avait voulu en aucune façon aider de son trésor le
i-omte Kicbard , ou lui conférer des châteaux où il
582 HENRI III.
put trouver un refuge, ou lui livrer des otages qui pus-
sent lui servir de sûres garanties. Le comte, ajoutant
donc foi aux sages conseils et aux recommandations de
son ami Conrad, resta en paix. Mais le seigneur pape,
nepouvantdéterminerle comte, eutrecoursà d'autres
moyens de tromper, et chercha à circonvenir la sim-
plicité du frère dudit comte, c'est-à-dire du seigneur
roi d'Angleterre. Il réussit dans ce dessein, comme
on le verra dans ce qui suit.
A la même époque, arrivèrent de Terre-Sainte des
ordres du seigneur roi de France, portant que tous
les juifs seraient chassés du royaume de France et
condamnés à un exil éternel ; cette restriction cepen-
dant y était ajoutée : « mais que celui qui voudra res-
ter, qu'il soit négociant ou manœuvre, se livre à des
arts mécaniques. » En effet, les Sarrasins avaient fait
reproche audit roi de ce que nous chérissions ou
respections peu notre Seigneur Jésus-Christ, en souf-
frant que ceux qui l'avaient tué demeurassent parmi
nous. Or, les Caursins remplirent avec joie la place
et j'oftice des juifs qui s'exilaient,
Vers le même temps, l'abbé de Saint-Augustin
étant venu à mourir, le seigueur roi, pour faire voir
évidemment qu'il ne voulait en aucune façon obser-
ver lu charte souvent dite, fit piller jusqu'à exter-
mination les biens de cette église par ses satellites,
et enfreignant sans pudeur les autres articles de la-
dite charte, s'efforça de sévir contre les prélats, les
seigneurs et les bourgeois de Londres. Le couvent de
adite maison, saisi de consternation, se hôta d'élire
ANM 1. 4250. 585
sun précenleur pour abbé ulin de faire cesser ce fléau
(le rapine. Celui-ci, après avoir été élu, parvint à
peine à se procurer les choses nécessaires sur les
biens de son é[][lise, surtout lors({u'il eut conclu un
nccomniodement pécuniaire avec le roi. Les res-
sources de cette église se trouvant donc épuisées, les
moines purent a peine respirer pendant les cinq ans
qui suivirent.
DoMMiGE ET OPPRESSION DE L ÉGLISE DE SâINTE-MaRIE
D York. — Les Romains dévastent la ville de Tivoli.
— HiCUARD, COMTE DE GlOCESTER, EST FIANCÉ A LA NIECE
DE Uenri 111. — Déncment dl roi. — Le roi d'Es-
pagne REVENDIQCE LA GaSCOGNE. — ADOUCISSEMENT AP-
PORTÉ AUX VISITATIONS. — ToDRNOI CÉLÉRRÉ EN FrANCE
EN L HONNEUR DU MARIAGE PROJETÉ — VcPS le même
temps, Tabbé et le couvent de Téglise de Suinte-Ma-
rie, à York, épiouvèrenl grand dommage et flétris-
sure au sujet d'une certaine charte que les adversaires
d iceux, dont le principal était Jean le Français, clerc
de Téchiquier du roi. avaient jugée non valable. Or,
GO croit sans nul doute que le même Jean qui, né
dans le nord, désirait ardemment augmenter dans
cet> pays ses revenus avec les biens de Téglise susdite,
avait provoqué cette décision sans s'inquiéter du sa-
lut de son âme, tandis qu'il est écrit : « Malheur à
« Ibommc par qui tout scandale est causé, h Ils
furent doue forcés de payer au roi une somme d'ar-
gent considérable, perdirent de plus à perpétuité des
terres et des revenus opulents, el furent couverts
SS4 HENRI III.
d'une flétrissure indélébile. Les moines se trouvèrent
dispersés, et celte noble église, plongée dans la plus
grande confusion, sévit exposée au péril et à la ruine.
Le susdit Jean, persécuteur des églises, et que la ven-
geance de Dieu avait privé d'un œil pour ses précé-
dents mérites , fit éprouver de la même manière et
pour une cause semblable des dommages irréparables
à l'abbaye de Selby *.
A la même époque, les Romains, pour punir l'in-
solence et l'oi^ueil des habitants de Tivoli, dévas-
tèrent et ruinèrent misérablement leur ville. Les ci-
toyens furent forcés de se rendre à Rome, nus, sans
chaussures et enchaînés pour y demander merci, afin
d'obtenir la vie.
Cette même année, le roi, ce supplantateur cap-
tieux des Anglais indigènes, voulant que tous les
nobles de son royaume dégénérassent, «'opposant
pour leur ruine à la pure reproduction de la race an-
glaise, et cherchant à mélanger leur sang généreux
avec le sang des étrangers, qui n'est qu'une humeur
noire et fétide, vit avec peine que Richard, comte de
Glocester et sa progéniture ne s'étaient pas du moins
souillés à ce contact empoisonné. Or, le comte était
jeune encore, de bonne mine, éloquent, prudent,
versé dans les lois du pays, et enfin tel en tous points
que l'espérance de tous les nobles d'Angleterre était
déposée ajuste litre dans son sein, et qu'il s'était
concilié la faveur et l'amitié de Ions. Mais tous furent
* Kn york-Shirc, WonURidini!.
ANItRE 42SS. 385
trompés dans l'espoir qu'ils avaient conçu ; car une
avarice ignoble, lonfiteinps cachée, se lit jour tout à
coup et vint obscurcir énorinémenl la noblesse du
comte. Aussi le seigneur roi, flairant pour ainsi dire
sa cupidité (car le comte avait été en sa garde pen-
dant plusieurs années), lui dil : « Mon très-cher et
« aoié comte, je ne veux pas te cacher plus long-
• temps le secret de mon cœur. Je désire ardem-
• ment t'élever, t enrichir et t'agrandir en unissant
• par mariage ton fils aîné et légitime à la fille de
« Guy, comte d'Angouléme, mon frère utérin. De
« mon côté, par une largesse magnifique, je t'oc-
• In^rai cinq mille marcs, au moyen desquels ta
• bru pourra s'élever au faîte royal, comme il con-
« vient à une jeune fille issue de sang royal. » Aussi
le comte, stimulé par Tavarice qui seule entre tous
les f ices fléchit le genou devant les idoles, dégénéra
en eette occasion de la noblesse de ses ancêtres, et
aooaeDtit pour de Targent, comme s^il eût été un
courtier ou un usurier, à marier son héritier légitime
è one fille jeune d'âge, ou pour mieux dire encore
dans leniiBnce, qui manquait probablement de fidé-
liiéei de beauté, comme tout ce qui sort du Poitou,
et qui n'était alliée au noble sang des rois qu'à un
degré fort éloigné, collatéralement et occasionnelle-
ment. Comme le roi n'avait pas sous la main Par^i^ent
susdit, parce qu il avait coutume de dissiper les tré-
sors ravis çà et là, il supplia, mais impérieusement,
Tabbé de Saint-Albans, 1 abbé de Reading et Tabbé
de Waltliam de se porter garants pour la somme sus-
vu. 25
586 HENRI III.
dite vis-à-vis du conUe de Glocester , ce que ceux-ci
ne pouvaient ni ne devaient faire en aucune façon ;
car qui pourrait forcer le roi à payer si [par la suite]
il sY refusait ? Le roi, en outre, supplia instamment
les Templiers et les Hospitaliers de se charger du
fardeau de ladite obligation dont il était tenu envers
le comte susdit. Ceux-ci s'y étant formellement re-
fusés, assurant que la chose leur était tout à fait im-
possible, le roi, irrité, les accabla de menaces ter-
ribles, et, dans sa colère, dépouilla frère Roger,
Templier, de l'office d'aumônerie, ordonnant qu'on
le chassât de la cour ; et toutes les fois qu'il en trouva
l'occasion, il tendit aux Templiers et aux Hospita-
liers des pièges artificieux. Le roi, de plus, était
endetté du ne forte somme envers le comte de Lei-
cester Simon, pour la résignation de la charte que ce
dernier avait reçue du roi, et qui lui conférait la
garde de la Gascogne pendant cinq années.
Aussi le roi d'Espagne Alphonse , apprenant que
le comte de Leicester Simon avait quitté la Gasco-
gne, et avait résigné la charte qui lui en conférait
la garde, réclama sur-le-champ la Gascogne, et cela
avec d'autant plus de sécurité, que cette province
n'avait plus pour chef qu'un enfant, c'est-à-dire
Edouard , selon celle parole de Lucain :
• l/<i(;e (lu lyraii du Nil doit inspirer des soupçons : cnr In bonne Toi,
<■ pour élrn ferme, exige des années mûres. »
C'est pourquoi le roi susdit, considérant ces deux
occasions favorables, à savoir que lecomle, guerrier
ANNEE -1253. 587
redoutable, s'était retiré, et que la Gascogne était sous
\n domination d'un enfant, se concilia la faveur
du souverain pontife, et demanda qu'il lui fût per-
mis, sans offenser aucunement l'église, de revendi-
quer et de soumettre puissamment ce qui était à lui
en vertu de la donation du roi d'Angleterre Henri
second, donation qu'il prouvait par une charte dudit
roi, cooGrmée par les rois Richard et Jean. Aussi le
roi de Castille appela à lui un Gascon puissant et de
haute naissance, nommé Gaston, et quelques autres
seigneurs de cette terre : beaucoup des nobles de la
Gascogne s'altachèrent au roi d'Espagne, abandon-
nant ainsi le roi d Angleterre; et ce furent surtout les
riches qui avaient coutume d'envoyer leurs vins en
Angleterre pour y être vendus, et dont les vins étaient
retenus et pillés sans pudeur, au gré tyrannique du
roi d'Angleterre. Ce que voyant, les Bordelais, féaux
duseigneurroid'Angleterre, lui annoncèrenten toute
bâte que s'il ne venait puissamment et promptement
à leur secours, il perdrait, sans nul doute, toute la
Gascogne, et la verrait passer aux mains du roi de
Castille, qui revendiquait et espérait occuper toute
la province. En apprenant cela, le roi fut fâché et se
repentit du fond du cœur, mais trop tard, d'avoir
rappelé le comte Simon de la garde de la Gascogne.
Cependant le comte, pour se soustraire aux prières
qu*on aurait pu lui faire de revenir, se retira en
France, où les seigneurs du royaume de France l'au-
raient retenu volontiers, ayant dessein, dans leurs
intérêts et dans ceux du royaume désolé et grande-
388 HENRI III.
ment désespéré, à cause de Tabsence du roi et de la
mort de la reine Blanche, de le nommer leur séné-
chal parce qu'il était vaillant et féal. Ce que le comte
refusa expressément pour ne point paraître traître,
selon ce précepte de Tapôtre : « Abstenez-vous de
« toute apparence de mal.» Quant au comte Richard,
comme il avait été supplanté dans le gouvernement
de Oasco(Tne malgré les chartes qui le lui conféraient,
il considérait tout cela prudemment et en silence avec
des yeux de connivence.
Vers le même temps, le seigneur pape, pour satis-
faire les deux partis, régla et décida d'une manière
assez salutaire et tolerable que l'archevêque et les
autres prélats, à qui appartient la visitation, exer-
ceraient le droit de visitation dû et accoutumé; en
sorte toutefois que les visités ne seraient point grevés
par les procurations des visitants, et il taxa le prix de
chaque visitation en le limitant, comme sa lettre le
prouve au livre des Additamenta*.
Cette même année, vers le commencement du
printemps, le comte de (îlocester Uichard, et Guil-
laume de Valence, frère du roi, passèrent lamer
avec pompe et en grand appareil, pour mener à plein
effet et achèvement le mariage convenu entre Ui-
cbard, iils aîné du comte, et In fille du comte d'An-
goulémc, frère du roi. Ceux-ci, tout en étalant leurs
broderies, voulurent mériter dans In fleur de leur
âge le renom d'habileté en chevalerie, et dans un
« Voyez l'addiUoii XXtVd^ji cili^f.rt l'addilion XXVI h la fin du vo-
lume.
ANNÉE nS3 I8f
tournai livré en e« lieu, essayèrent avec une audace
téméraire leurs forces, leur intrépidité, etPagilitéde
leurs chevaux ; mais les Français, avec leur ot^ueil
naturel, s'indignant que ces jeunes fjensaiix cheveux
frisés etaux formes délicates eussent une présomption
si oulree4iidaute, lorsque nous lisons qu'Hector dit à
Paris :«Marsaime un guerrierendurci aux combats,»
lesreçurentavec vigueur, et après les avoir dépouillés
et renversés, ils les bàtonnèrent si bellement, qu'ils
eurent pendant longtemps besoin d'emplâtres et de
bains; toutefois ils méritèrent peu d'ôlre plaints, par-
ce qu'ils étaient partis pour conclure un mariage
odieux aux Anglais, en se glorifiant vainement et en-
flés d'une pompe orgueilleuse. A cette époque la lune
apparut quatre jours avant eelui où on devait fixer
son âge.
Lm BiilTANTS D6 LONDEES SONT FOACÉS DE tk\V.h AD
IM ONBaOVllE o'aROEKT, après avoir BATONNÉ SES SER-
VITEURS. — Proclamation podb la soketé du aoyalhe.
OliaAIUSAT10.> DINE MILICE COIIMINAJ4E. MoBT DE
Kiciar» de Witz, évéô*je DE Chicester. — Nou-
velle RÉVOLTE DES GaSCONS. — PlLLAGE DES BIENS DES
rAOVlES. — LlfEBTÉS ACCORDÉES A l'ÉGLISE DE VVaLTIIAM.
— Les Français demandent conseil et secoubs au
COMTE DE Leicester, et veulent l'investir de la
régence. — Vers le même temps, c'est-à-dire dans
la première quinzaine du carême, le roi, sur un léger
prétexte, imposa une contribution de mille marcs aux
citoyens de Londres, quo nous avons coutume d'aj)-
390
HENRI 111.
peler barons, à cause de la dignité de la ville et de
l'ancienne liberté des citoyens. Vers le même temps,
les jeunes gens de la ville de Londres, ayant fixé un
paon pour prix des jeux, essayèrent leurs forces et
l'agilité de leurs chevaux, dans la lice qu'on appelle
vulgairement Quintaine \ Mais quelques serviteurs
et pages de la maison du roi, lequel se trouvait alors
à Westminster, s'en indignèrent, se mirent à les in-
jurier, les traitant de rustres, de fariniers, et de sa-
vonniers, et se présentèrent pour lutter contre eux.
' Voici ce que dit Dacange sur ce jeu, désigné longtemps en Angle-
terre par l'expression Running ai the quinien . « La quintaine est une
« espèce de bust posé sur un poteau ob il tourne sur un pivot, en telle
« sorte que celui qui, avec la lance, n'adresse pas au milieu de la poi-
« triue, mais aux extrémités, le fait tourner; et comme il (le buste) tient
n dans la main droite un baston on une espée, et de la gauche un bou-
< clier, il en frappe celui qui a mal porté son coup. Cet exercice semble
« avoir été inventé pour ceux qui se servaient de la lance dans les jousles,
M qui estaient obligez d'en frapper entre les quatre membres, autrement
• ils estaient blâmez comme maladroits. » (Dissert, vil.) D'où l'on pour-
rait conclure que c'était un exercice réservé aux nobles , ce qui achève-
rait d'expliquer le fait dont il est ici question. La quintaine resta en usage
en France jusqu'au dix-septième siècle, et fut remplacée, dans les exer-
cices du manège, par la course au faquin et par les têtes; mais le mot
resta employé dans le beau langage du temps.
Et qui, depuis dix ans, jusqu'en ses derniers jours
A soutenu le prix en l'escrime d'amours
LaiM enfin de servir au peuple de quintaine, etc.
(Regnikr, satire XIH.)
Sc«rron s'eo sort dans un sens moins énergique.
Ses beaux yeux à lance* d'ébène
**' Sur les ceeur* courent la quintaine.
(RiCHRLRT, Diet, au mot Quintaiur.j
11
ANNEE ^255. ô'j\
Ceux de Londres les reçurent vigoureusement, et avec
des fragements de lunées battirent si fortement la
mesure sur leurs dos, que tous les gens du roi, cou-
verts de coups, rouges et noirs, furent jetés à bas de
leurs chevaux, et se sauvèrent à toutes jambes. Ils
vinrent donc trouver le roi les maiiisjointeset les yeux
en^ileurs, se plaignant à lui et le suppliant de ne pas
laisser un tel excès impuni. Le roi eut recours à son
moyen de vengeance ordinaire, qui était d'extorquer
aux habitants de Londres une grande sotnme d'ar-
gent.
Vers le même temps, c'est-à-dire pendant le ca-
rême, des bruits fûclieux se répandirent, à savoir que
les Gascons, devenus insolents à Tenvi, se disaient en
parlant de leur seigneur, le roi irAngleterre : « Nous
« ne voulons plus que celui-là règne sur nous; car
• c'est an homme d'iniquité qui n'observe ni ses
M promesses, ni ses serments, ni même la teneur des
■ chartes. » On apprit peu de jours après que la
Réole, Saint-Émilion et plusieurs autres châteaux de
Gascogne étaient pris et perdus, et qu'un grand
carnage d'hommes avait eu lieu. Aussi le roi, redou-
tant grandement que de telles pertes n'entraînassent
la ruine de la Gascogne tout entière, comme il était
arrivé naguère en Poitou, (surtout, puisque lesdiles
terres sont comme les remparts et les barrières de
tout le royaume d'Angleterre, décida et fit proclamer
géuéralement en Angleterre,) par la voix du héraut,
et cela par brefs envoyés dans chaque comté, que
selon r ancien usage, de^ armes seraient assignées
592 HEiNKl Hi.
convenablement aux citoyens, qu'elles seraient pas-
séesen revue*, et qu'on en tiendrait rôle; de telle sorte
qu'elles fussent sufBsantes et convenables, selon les
facultés de chacun ; que quiconque posséderait quinze
livrées de terre serait chevalier; qu'en outre, dans
chaque cité, aussi loin que s'étendrait la juridic-
tion' de ladite cité, des gardes seraient instituées
pour veiller la nuit, sous les yeux d'hommes discrets,
qui garderaient avec soin les rues, les places, les en-
trées et les sorties^. De plus, le roi, sur le conseil
des Savoyards, décida que si quelqu'un, en passant,
était dépouillé ou éprouvait dommage, d'une façon
ou d'une autre, de la part d'un brigand, ceux qui
étaient chargés en dernier ressort de la garde du
pays donneraient satisfaction convenable au lésé, et
lui restitueraient ce qu'il aurait perdu, selon la cou-
' Monstrareniur (texte hic) . Ducange etCarpentier donnent une foule
d^ exemples de monstrare pris dans ce sens . On disait en vieux français
montre pour revue, et on trouve en allemand Musterung.
* Possibilitas (texte hic). L'origine scoiastique de ce mot est évidente.
Le vicomte ou shérif d'une cité avait juridiction non-seulemeut sur la
cité, mais aussi sur les jardins et les faubourgs, ainsi que sur les cam-
pagnes, les bourgades et les villa jcs de la banlieue ; et ce qui constituait
la liberté de la cité, comme on disait en Angleterre, c'était d'être comté
intra se (Gloss, du texte), d'avoir juridiction séparée sur les citoyens et
la population dépendante, et de n'être pas soumise au vicomte du comté
dans lequel elle se trouvait. Les vicomtes que nous appellerons urbains,
avaient donc pouvoir de comté, posse romitatus^ dans la ville-comté
dont les juridictions, les limites cl les enceintes portoicnt le nom géné-
riqu<! il«> possihiliié.
' Voir V Aurtnrium <!»!« AâdHamcntn sous ce titre : Mandata de
juratis tid arma, ql lot notes qui accompagnent ce passage. Nous don-
ooqs ce document à In fin du Tolumr. loui le n" XWII.
M
ANNEE 4255. 395
tumede la Suvoie; que ceUe nécessité lesobli{/eraità
poursuivreles malfaiteurs, etàen purger le pays. Mais
la chose, selou Topinioa de plusieurs, ne pouvait se
faire en ce pays-ci connue eu Savoie; car il n'y a pas
en Savoie autant de routes de traverse, autant de
broussailles, autant de retraites, autant de forêts
qu en Augleterre : et les montagnes inaccessibles qui
hérissent le pays font qu'il n'y a de chemio ouvert
que la grande route commune, où les voleurs ne
peuveut m se cacher ni se sauver commodément,
ce qui permet de les prendre plus aisément; outre
cela, comment parvieodrail-ou à prouver ce qui se-
rait dit s'être passé sans témoins ? C'est pourquoi
les murmures qui s'élevèrent lirentdiiférer, ou pour
uiieux dire rendirent nulle Tekéeution de cette or-
donnance, surtout puisqu'une aussi grande permu-
tation daus la loi ne pouvait être établie valablemeut
MQ8 le commun assentiment du baronage.
Vers le même temps, c'est-à-dire le 4 avant les
Hlfiias d'avril, mourut Tévéque de Chicestcr, maître
Eichard deWilz, homme d'une érudition distinguée,
et dmie sainteté parfaite, jadis derc et conseilla
•péfâal du bienheureux Edmond, archievéque de
Caotorbér}', dont il s'efforçait de suivre les traces pas
à pas. Ledit Richard, qui avait été élevé à la dignité
d'evéque, non sans que le bienheureux Edmond ne
lui eût prédit sa grandeur future, se rendit à Pon-
Ijgny, è l'époque où ledit saint devait être transféré,
alio qu'un ami si s|>écial ne fût |>a8 absent d'une si
l»*lb' o\ 1,1 louable solennité. H avait été en effet
Ô9A HENRI III.
comme son serviteur et le confident de tous ses secrels;
et quand on lui faisait des questions à cet égard, il
y répondait hautement pour Tédification de tous.
Aussi le seigneur Matthieu Paris, moine de l'église de
Saint-Albans, instruit par les récits dudit Richard,
ainsi que par ceux de maître Roger Bacon, de
Tordre des Prêcheurs, a écrit la vie du susdit saint
Edmond, et a mis soigneusement en ordre ce qu^il
avait appris , sans nul doute, de gens dignes de foi.
Celui qui désire la connaître, pourra la trouver dans
l'église de Saint-Albans.
Vers la fête de saint ^Elphège, les traîtres du roi
en Gascogne, voyant que l'absence du comte Simon
et de tout autre guerrier puissant leur laissait libre
carrière pour se déchaîner et se livrer à leurs fu-
reurs, commencèrent à se mordre et à s'attaquer ré-
ciproquement, comme des bêles féroces et comme
des chevaux indomptés, à surprendre les châteaux
les uns des autres, à faire les hommes prisonniers,
et à réduire les édifices en cendres, après en avoir tué
les habitants. Le premier et le principal de ces rebelles
était Gaston, seigneur de Béarn et de Périgord,
homme souillé de plusieurs attentais, qui avait faussé
les serments prêtés au roi, b. qui le seigneur roi avait
épargné une condamnation, et qui cependant s'était
attaché au roi d'Espagne, pour nuire davantage au
roi d'Angleterre. Il dévastait donc une gronde partie
de la Gascogne, et animait los ennemis du roi contre
leur seigneur le roi d'Angleterre, en sorle que Bor-
deaux, qui fournissait orHinaireirïont des vivres à
%
ANNÉE 4253 595
toute la Gascogne, commençait lui-même à en man-
quer.
Vers le même temps, le roi encourut une haine
implacable et de formidables imprécations, tant de
la part des indigènes que des étrangers, pour des
motifs qui se multipliaient de jour en jour. En effet,
les vicomtes et les officiers royaux s'efforçaient
d'appauvrir, ou pour mieux dire de piller tous ceux
qu'ils pouvaient, sous des prétextes de pure invention,
et sans craindre de se charger de pareils péchés. Or,
il y avait alors en Angleterre plusieurs rois, unique-
ment occupés de rapines, qu'il serait, je crois, en-
nuveux et dangereux de nommer. Ils prenaient aux
pauvres, et principalement aux marchands, leurs che-
vaux, leurs chariots, leurs vins, leurs vivres, leurs
pièces d'étoffes, leur cire, enfin tous les objets de
première nécessité, les obligeaient même à transpor-
ter ces objets malgré eux dans des pays éloignés, sans
leur en fournir le prix ou leur en adresser le plus
mince remercîment. De plus, cherchant un nœud
dans le jonc, ils prétendaient trouver des fraudes
dans les mesures pour liquides et dans les aunes,
imposaient aux bourgs des amendes énormes sans
motif, et extorquaient de Targent aux innocents.
Let Gascons, qui avaient apporté des vins à vendre,
voyant qu on pillait leur marchandise sans la leur
payer, retournèrent sans argent dans leur pays, et
se plaignirent à tous les habitants de la Gascogne.
Ainsi le roi encourait l'indignation générale.
r.etle même année, c'est-à-dire à râquei>, le sei-
596 HENRI HI.
gneur roi octroya et confirma à l^abbé et au couvent
de Waltham, à cause de la religion de cette maison,
et de la généreuse etcharitable hospitalité qu'ony exer-
çait, la faculté suivante : à savoir que toutes les fois
qu'il arriverait que leur maison fût vacante, soit par
la résignation , soit par le décès de Tabbé , et fût
veuve de son pasteur, le couvent disposerait libre-
ment à sa volonté des biens de la maison, et aurait
pleine permission de disposer tant de la baronnie
que des possessions du même couvent; et il leur
donna à cet égard une charte en règle. Or, ils avaient
déjà obtenu cette faculté à une époque bien anté-
rieure; mais le roi, pour plus de sécurité, la leur
oclroya et confirma de nouveau. Il leur accorda en
outre deux marchés, et leur conféra quelques autres
bénéfices; mais toutcela, avec le contenu des chartes,
est rapporté plus au long dans le livre des Addita-
menta * .
Aux approches de la fête de Pâques, les seigneurs
frauçais, considérant que le royaume de France, dé-
pourvu de conseils, était en grand péril, à couse de
l'absence du roi qui combattait pour Dieu eu Terre-
Sainte, à cause de la mort de la dame reine Blanche,
à cause enfin de la perte des grands de France, qui
avaient succombé en Ïqrre-Sainte ; voyant, d'autre
part, que le comte de Leicester Simon était un homme
féal et magnifique, qui s'oflbi-çait do suivre en lout
les traces de son père, et qu'il se trouvait alors privé
' Oc docamrot ne i^eit point retrouva.
ANNÉE 4255. 597
de lu garde de la Gascogne, le sollicitèrent ardem-
ment de demeurer parmi eux, et d'être un des gar-
diens de la couronne et du royaume de France, pro-
mettant de le combler de justes honneurs, selon son
mérite. En effet ils savaient, à ce qu'ils prétendaient
du moins, qu'il chérissait depuis longtemps, du fond
du cœur, le royaume de Fronce, ainsi que son père
Simon, qui avait combattu pour Téglise contre les
Albigeois, et qu'il n'était pas étranger aux Français
par sa naissance. Les Français firent cette proposi-
tion au comte susdit, en lui envoyant par deux fois
des lettres et des députés solennels; mais le comte
refusa formellement, pour ne pas être regardé comme
un transfuge.
Les Romains rappellent le pape dans ledr ville. —
Grand parlement tend dans la quinzaine de Paqdes. —
Nodvellb confirmation de la grande charte. — Le
COMTE Simon est déposé de la garde de la Gascogne.
— Henri de Bath rentre a la cour. — Nouveaux
forestiers. — Miracles opérés sur le tombeau de
Richard, évéque de Chicester. — Jean Clippinge est
élu évéque de Chicester. — Visitation de l'ordre
Noir. — Vers le même temps, les Romains, ayant
envoyé des députés solennels au seigneur pape, Ini
demandèrent qu'il revînt à Rome, pour protéger son
troupeau comme un bon pasteur, et afin que Rome
se réjooit de la présence de son pontife, comme les
autres cités se réjouissent de la présence de lenr évé-
que, puisqu'on Tuppelait {>ontife romain. Or, il leur
598 HENRI III.
paraissait, et il devait iiatureiiement leur paraître
abusif, qu'entre toutes les cités, Rome seule, qui est
appelée la reine des cités, fût veuve pendant si long-
temps de son pontife, et du vivant de ce pontife ; car le
pape, occupé de tirer de l'argent à ceux qui venaient
vers lui, et toujours prêt à ouvrir son sein aux présents,
se montrait à peine à ceux d'en deçà des monts,
en allant et venant de côté et d'autre, sans se fixer
nulle part. Comme il différa de venir, les Romains
l'appelèrent de nouveau dans leur ville, comme pré-
cédemment, mais avec plus d'insistance, et en lui si-
gnifiant qu'il eût à venir alors ou jamais. Le pape,
voyantdoncqu'il était en péril, quitta Pérouseau mois
de mai : ce qui le décida , c'est que les Romains avaient
ordonné aux habitants de Pérouse de ne pas retenir le
pape plus longtemps, avec menace de les assiéger etde
les exterminer. 11 se rendit donc à Rome, mais avec
frayeur et en tremblant; car on lui avait glissé à l'o-
reille que les Romains, et même les Milanais, vou-
laient exiger de lui les sommes considérables qu'il
leur devait, et qu'ils avaient dépensées à attaquer
Frédéric, en protégeant les droits du pape et de l'é-
glise. Aussi le pape, quoiqu'il palliîl^t sa tristesse sous
un visage serein, rentra à Rome, le cœur plein d'in-
quiétude et d'effroi. Mais le sénateur et le peuple
romain le reçurent avec joie.
Dans la quinzaine de Pâques, au mois d'avril ,
toute la noblesse d'Angleterre, convoquée par édit
royal, se rassembla a Londres pour traiter, de con-
cert avec le roi, les importantes affaires de l'état.
ANNBE 4253. 599
Oulre les comtes et les barons en grand nombre ,
l'archevêque de Caulorbéry Boniface, et presque tous
les évêques d'Angleterre se trouvaient présents. Quant
à l'archevêque d'York, qui se dispensait autant qu'il
le pouvait d'assister aux assemblées du roi, ayant
éprouvé maintes fois par expérience qu'elles ne pro-
duisaient point de résultai, il s'excusa sur son éloi-
gnement et sur sa vieillesse. L'évêque de Chester, qui
était absent, allégua notoirement le mauvais état de
sa santé ; quant à l'évéché de Chicester, il était alors
vacant. Après qu'on se fut occupé longtemps et inuti-
lementde la grande exigence du roi, qui demandait
qu'on lui fournît pourson pèlerinage une très-grosse
somme d'ai*gent, et après force messages envoyés
de part et d'autre, avec consentement réciproque, il
advint que l'archevêque de Cantorbéry, les évêques
de Carlisle et de Salisbury, et l'élu à Winchester
furent envoyés nu roi, de la part des évêques et de
tous les prélats, à l'effet de l'exhorter et de le déter-
miner à permettre, comme il l'avait promis plusieurs
fois par serments solennels, que la sainte église jouît
de ses libertés, surtout au sujet des élections, en
quoi consiste principalement la liberté ecclésiasti-
que; car maintenant personne autre ne pouvait être
promu à aucune église cathédrale ou conventuelle,
que ceux que le roi y introduisait. Aussi les prélats
et leurs sujets tombaient en perdition, et les églises
étaient énormément endommagées. Les mandataires
devaient ajouter que, si le roi corrigeait cet abus et les
autres vices, conformément à la teneur de la grande
.;00 HENRI in.
charte des libertés, les évêques céderaient à sa de-
mande, dût-il leur en coûter beaucoup. Le roi leur
répondit : « Cela est vrai ; j'en suis fort peiné et je me
« repens grandement de l'avoir fait. Aussi faut-il
a s'occuper activement de corriger ces anciens abus
« dont vous parlez, et d'aviser aux moyens qu'ils ne
« se renouvellent plus à l'avenir. Servez-moi de
« coadjuteurs en cette affaire, de peur que ceux qui
« ont été promus de cette façon ne soient damnés
« eux et leurs sujets. Vous vous souvenez sans doute
« que c'est moi qui ai élevé à une si haute dignité
« Tarchevéque de Cantorbéry Boniface que voici, et
« toi aussi, Guillaume, évêque de Salisbury, que j'ai
« tiré de bien bas, toi qui me servais de copiste pour
« mes brefs royaux, et que je chargeais des juge-
« ments les plus scabreux, à titre de justicier et
« d'homme à gages. Et toi, Sylvestre, évêque de Car-
« lisle, qui as longtemps léché les miettes à la chan-
« cellerie, et qui as été le petit clerc de mes clercs,
« tu te rappelles comment je t'ai promu à Tépisco-
« pat, au mépris d'une foule de théologiens et de
« révérends personnages. Et toi aussi, mon frère
« Athelmar, tu n'ignores pas comment, malgré les
« moines cédant à la prière ou à la peur, je t'ai élevé
« au faîte de la noble église de Winchester, quand
« tu étais insuffisant en ôge et en science, et que tu
<« avais encore besoin d'un pédagogue. 11 est donc
(I avantageux en premier lieu, et principalement
« pour vous comme pour moi, que, touchés de repen-
« tir, vous résigniez ce que vons avez obtenu injuste-
•tk
ANNÉE 4255. 40^
« ment, de peur que vous ne soyez éternellement
<* damnés. Cet exempie servira à ma justificatiou, et
« m'apprendra, pour Favenir, à n'élever en dignité
o que des personnes qui en soient dignes. » Les dé-
putés, en entendant celte reprimai.de courtoise et
moqueuse à la fois, lui répondirent : « Seigneur roi,
« nous ne faisons pas mention du passé; mais nous
« portons la parole pour Paveuir. » Laissant donc de
côté ces paroles frivoles qui pouvaient engendrer des
disputes, ils traitèrent sérieusement cette importante
question. Enfin, après de longues et nombreuses
discussions , qui se prolongèrent pendant quinze
jours et plus, on décida, sur Tavis unanime de tous,
que le désir du roi, qui voulait parlir en pèlerinage,
ilésir pieux par cela même, ne serait pas complète-
ment frustré, mais que pourtant l'état de l'église et du
royaume ne subirait pas de grave dommage en cette
circonstance. On accorda donc au roi le dixième des
provenances ecclésiastiques, qu'ildevaitpercevoirlors-
qu'il se mettrait en route pour Jérusalem, et qui de-
vaitètre distribué en provisions de voyage sur le vu des
seigneurs, et cela pour trois ans, à l'effet de secourir la
Terre-Sainte contre les ennemis de Dieu. Les che-
valiers consentirent à un escuage pour cette année,
lequel escuage fut taxé à trois marcs par bouclier.
Le roi, de son côté, promit en bonne foi, et sans au-
cun détour, d'observer fidèlement la grande charte
et tous ses articles. Or, bien des années auparavant,
son père, le roi Jean , avait juré de Tobserver, et le
présent roi en avait fait autant en recevant la cou-
vu, 26
^02 HENRI m.
roDne, et plus tard maintes fois : ce qui était un
moyen d'extorquer de Targent en quantité. Or, se
trouvaient présenls en cette occasion parmi les pré-
lats rarchevêque deCantorbéry Boniface, lesévéques
de Londres, de Rochester, d'Ély, de Lincoln, de
Worcester, de Norwich, d'Héreford, de Salisbury,
de Balh, d'Exeter, de Carlisle, de Durham, de Saint-
David et l'élu à Winchester. L'évéque de Chicester
était mort récemment : celui de Chester s'était excusé
sur le mauvais état de sa santé, Tarchevêque d'York
sursa vieillesse et son éloignement. « Le troisième
jour de mai, dans la grande cour royale à Westmin-
ster, en présence et de l'aveu du seigneur Henri, par
la grâce de Dieu, illustre roi d'Angleterre, et des
seigneurs Ilichard, comte de Cornouailles, son frère,
Roger, comte de Norfolk et de Suffolk, maréchal
d'Angleterre, Henri, comte d'Héreford, Henri, comte
d'Oxford, Jean, comte de Warvick, et des autres
grands du royaume d'Angleterre, nous, Boniface,
par la miséricorde divine, archevêque de Cantorbéry,
primat de toute l'Angleterre, Foulques, évoque de
Londres, Henri , évêque d'Ely, Robert, évêque de
Lincoln, Gaultier, évêque de Worcester, Gaultier,
évêque de Norvich, Pierre, évêque d'Héreford, Guil-
laume, évêque de Salisbury, Gaultier, évêque de
Durham, Richard, évêque d'Exeter, Sylvestre, évê-
que de Carlisle, Guillaume, évêque de Balh, Lau-
rent, évêqne de Rochester, Thomas, évêque de Saint-
David, revêtus de nos hnhils pontificaux , tenant à In
main des cierges allumés, avons lancé solennellement
ANNEE 4255. 405
sentence d'exeommunicaliun cunlre les Iransgres-
seurs des libertés ecclésiastiques et des libertés ou
libres coutumes du royaume d'Angleterre, principa-
lement de celles qui sont contenues dans la charte
des libertés du royaume d'An^jleterre et dans h
charte des forêts (ces chartes sont rapportées dans
ce livre eu leur lieu, c'est-à-dire au temps du roi
Jeao et à Tépoque où il les octroya) ; ladite sentence
d'excommunication étant sous ta forme suivante :
« Par Tautorité du Dieu tout-puissaiil, du Fils et du
Saint-Esprit, de la glorieuse Marie, mère de Dieu et
toujours vierge, des bienheureux apôtres Pierre et
Paul, et de tous les apôtres, du bienheureux Thomas,
archevêque et martyr, et de tous les martyrs, du
bienheureux Edouard, roi d'Angleterre, et de tous
les confesseurs et vierges, et de tous les saints de Dieu,
nous excommunions, anathématisons et écartons du
seuil de la sainte mère Église, tous ceux qui, sciem-
ment et malicieusement, priveraient ou dépouille-
raient les églises de leur droit. Item, tous ceux qui,
par quelque moyen ou engin que ce soit, violeraient
témérairement, diminueraient ou changeraient se-
crètement ou publiquement, enactions, en paroles
et en intentions les libertés ecclésiastiques ou les an-
tiques coutumes approuvées du royaume, principa-
lement les libertés et les libres coutumes qui sont
contenues dans les chartes des libertés communes
d'Angleterre et des forêts, lesquelles chartes ont été
octroyées par le seigneur roi d'Angleterre, les arche-
vêques, évêques, et autres prélat'^ d'Angleterre, les
404 HENRI m,
comtes, barons, chevaliers et tenanciers libres, en
allant témôrairemenl à Tencontre d'icelles ou d'au-
cune d'icelles en quelque article quece soit. /<cm, tous
ceux qui promulgueraient quelque édit contre ces
chartes ou leurs statuts, qui maintiendraient ces edits,
qui introduiraient d'autres coutumes ou les conser-
veraient introduites; nous excommunions aussi les
copistes de ces statuts, leurs conseillers et exécuteurs,
et ceux qui oseraient juger conformément à ces sta-
tuts nouveaux. Que les personnes désignées plus
haut, toutes en général et chacune en particulier,
sachent qu'elles encourront cette sentence par le fait
même d'avoir commis sciemment quelqu'un des at-
tentats susdits; quant à ceux qui auront failli par
ignorance, si , étant avertis, ils ne se corrigent pas
dans la quinzaine à partir du moment de l'avertisse-
ment et ne donnent pas pleine satisfaction sur l'at-
tentat commis, et cela au gré des juges ordinaires,
qu'ils soient dès lors enveloppés danscette sentence.
Nous lions aussi, par la même sentence, tous ceux
qui oseraient troubler la paix du roi et du royaume.
Pour éterniser la mémoire de cette sentence, nous
avons jugé à propos d'apposer nos sceaux aux pré-
sentes. » On apporta au milieu de l'assemblée la
cliortedu roi Jean, que le roi Henri octroya de nou-
veau de sa pure volonté ; et il fit donner lecture des
libertés susdites. Tandis que le roi écoutait la susdite
sentence, il tenait sa main sur sa poitrine, et pré-
sentait un visage seriin, calme cl joyeux. Lorsqu'à
la fin les prélats jetèrent à terre les cierges éteints e(
i
KmÈE ^255. 403
iuiiiauls, el que tous répétèrent au son des cloches :
« Qu'aiusi soient éteintes et fument dans Tenfer les
« âmes de ceux qui encouiTont cette sentence, » le
roi s'écria : « Que Dieu me soit en aide. J'observe-
« rai fidèlement tous les articles de ces chartes dans
« leur intégrité, aussi bien que je suis homme, que
« je suis chrétien, que je suis chevalier, que je suis
« roi couronné et sacré. » Or, il faut savoir qu'au
moment où la sentence allait être prononcée, et où on
distribuait à tous des cierges allumés, on en offrit un
au roi ; mais que quand il Teut reçu, il ne voulut pas
tenir le cierge lui-même et le remit à un des prélats
en disant : « Il ne convient pas que je tienne ainsi un
« cierge, car je ne suis point prêtre. Le cœur fournit
«< un témoignage plus sûr; » et dès ce moment il
tint sa main appliquée sur sa poitrine jusqu'à ce que
la sentence fût entièrement terminée. L'évêque de
Lincoln Robert, préconisant toute cette affaire dans
son cœur, et craignant que le roi ne revînt sur ses
promesses, lit excommunier solennellement, aussitôt
après son retour dans son évéché, dans chaque église
paroissiale de son diocèse (et c^est à peine si Ton peut
les compter, tant le nombre en estgiand), tous ceux
et principalement les prêtres, qui porteraient atteinte
aux chartes susdites. En entendant cette sentence ,
les oreilles des auditeurs purent tinter et leurs cœurs
être saisis d'uli grand effroi.
L'assemblée ayant donc été levée, le roi, s'aban-
donnant aussitôt aux plus mauvais conseils, songea à
violer toutes les promesses susdites. En effet, ou lui
406 HENRI III.
disait qu'il ne serait plus roi ni même seigneur en
Angleterre, s'il observait les promesses susdites, et
que le roi Jean , son père, l'avait appris par expé-
rience, lui qui avait mieux aimé mourir que d'être
ainsi foulé aux pieds par ses sujets. Puis ces émis-
saires de Satan ajoutaient : « Ne vous inquiétez pas
n d'encourir celte sentence : pour cent ou deux cents
« livres vous serez absous par le pape qui, en vertu
« de la plénitude de son pouvoir, peut lier ou délier
« tout ce qu'il veut. Car un plus grand [que vous]
« n'a pas d'autorité sur un plus grand [que soiy.
« Vous obtiendrez pleinement le dixième qui pourra
« s'élever à plusieurs milliers de marcs ; et quand sur
« cette somme inestimable, vous aurez abandonné au
" seigneur pape une petite portion en diminution, il
« vous absoudra, quand bien même il auraitconfirmé
n la sentence, puisque c'est à celui-là à qui il ap-
fl partient d'établir qu'il appartient de révoquer;
« bien plus, pour une légère rétribution, il prolon-
« géra d'un an, peut-être de deux, le terme pendant
« lequel on doit vous fournir le dixième. » C'est ce
qui arriva plus tard, comme la suite du récit le mon-
trera. Vers le même temps, les Bordelais firent sa^
voir pour sûr au roi que, s'il ne venait prompte-
ment et puissamment en Gascogne, il perdrait tout
le pays. Ils lui avaient déjà mandé souvent la même
' Major enim in majorem non obiinet impcrium. Nous pensons
<|ii« ci'tl« plirasc signifie : fje$ évi^qnes agissant au nom de f église sont
au-drssun de vous; mais le pape est au-dessus des évoques. Le sens
fcriil ptiiK naturel en liiaitt mitwr <tu lieu <l<' nuijor.
ANNÉE 4253. 407
chose ; muis cette fois ce tut dans des termes iorinels,
ajoutant (ce qui éluit taux) que la tyrannie du comte
de Leicester Simon lui avait fait perdre beaucoup de
sujets et d'amis, sans doute parce qu'il avait soumis
à la domination du roi un bien plus ^rand nombre
de rebelles et d hommes puissants qu'il avait domp-
tés. Or, le roi, voulant plaire aux Gascons, leur lit
savoir que sans nul doute, si Dieu lui prêtait vie, il
se rendrait puissamment en Gascogne, pour leur
honneur et avantage. Il fît aussi publier en Gascogne,
par la voix du héraut, que personne désormais ne
devait se soumettre ou obéir au comte Simon, et fît
savoir à tous en général, et à chacun en particulier,
qu'il avait déposé le comte à cause des oppressions
dont on se plaignait, et qu'il avait racheté, non sans
payer une forte somme, la charte que ledit comte
avait obtenue de lui et qui lui conférait le gouverne-
ment de la Gascogne pour les trois ans qui devaient
suivre. Toutes ces nouvelles réjouirent fort les Gas-
cons. Alors apparut au grand jour la trahison qui
s'était tenue cachée; car du moment où l'on apprit
que sa domination avait expiré, ceux qui avaient feint
pour lui la plus vive amitié et qui s'étaient attachés
à sa fortune, devinrent ses plus grands ennemis.
Vers le même temps , Henri de Bath , oubliant ses
cicatrices, s'immisça de nouveau, de son plein gré,
dans les soucis de la cour; car celui que le monde
prend dans ses pièges ne s'en débarrasse qu'à graud'-
peine. Cette même année, Arnauld du Bois, cheva-
lier, fut établi grand forestier, à la place de Rober
408 HENRI HI.
Passelève, pour les contrées du midi de TAngleterre,
c'est-à-dire jusqu'au grand fleuve qu'on appelle la
Trent, et Jean de Lexinlou, chevalier, eut la même
charge , depuis le susdit fleuve jusqu'au royaume
d'Ecosse, à la place de Geoffroi de Langeley, qui,
l'année précédente, avait appauvri misérablement ,
sans justice et sans miséricorde , tous ceux des ha-
bitants de ces pays, qui étaient voisins des forêts.
Vers le même temps, le Seigneur opéra des mira-
cles manifestes dans l'église de Chicester sur la tombe
de saint Richard, évêque de Chicester, et alors apparut
clairement sa sainteté, qui était restée cachée. Car
lorsqu'il eut expiré et qu'on dépouilla son corps, selon
l'usage, pour le laver, on le trouva couvert d'un
cilice et serré de ceintures de fer.
A la même époque, les chanoines de Chicester,
ayant Dieu devant les yeux, élurent pour leur évêque
maître Jean Clippinge, chanoine de cette même
église.
Vers le même temps, le pape, préoccupé d'inten-
tions spécieuses, enjoignit aux évêques de visiter
chacun les abbés et les couvents institués dans leur
diocèse , leur ordonnant de les forcer, sous peine
d'excommunication, à observer certains articles mal-
séants de la règle de saint Benoit, lesquels ne font
point partie de la substance même de la règle, et que
les mêmes moines n'avaient pas coutume et n'avaient
pas fait vœu d'observer. Or, les moines de l'ordre
INoir, en France, voyant qu'ils étaient absolument dé-
pourvus de l'nppui royal, songèrent à se racheter et
ANNÉE ^255. 409
à obtenir la paix , pour ne pus être soumis à Tarbi-
trage des évoques, à qui les privilégiés surtout sont
odieux. Ayant donc donné au pape quatre mille livres
tournois, ils évitèrent ainsi les violences d'une pareille
tyrannie. Toute cette affaire est rapportée pleine-
ment, articles par articles, au livre des Additamenta*.
Quant à Tabbé et au couvent de Saint-Albans, ils en
appelèrent à la présence du seigneur pape, afin de ne
pas être visités par Tévéque de Lincoln , parce qu'a-
lors leurs privilèges seraient violés.
Le roi d Angleterre prépare une expédition en
Gascogne. — Guerre civile en Flandre. — L'arche-
VÊQOE de CaNTORBÉRY EXERCE LA VISITATION. RoGER
BiGOD, MARÉCHAL, REPREND SON ÉPOUSE QU'iL AVAIT RÉPU-
DIÉE. — Le ROI d'Angleterre passe en Gascogne. —
Mort de Thomas de Hartford , archidiacre de Nor-
thumberland. — Il est enterré dans la maison des
Carmes. — Miracles opérés sur son tombeau. — Quel-
que tempsaprès la tenue de l'assemblée susdite, c'est-
à-dire vers les calendes de juin, le roi, instruit de la
désolation de la Gascogne, lit sommer par un édit
royal, dans toute l'Angleterre, les chevaliei-s qui lui
devaient service militaire, comme devant partir puis-
samment, avec armes et chevaux, pour la Gascogne ,
exposée aux plus grands périls, afin de lui rendre la
paix, et de la faire rentrer sous sa souveraineté ; leur
' Fojf. TaddiUoo XXVUl à la On du volume. 11 est évident que dans
le ooinmefie«ineot de ce paragraphe, Matt. Péris fait allusion aui statuts
de Grégoirr l\, renouvelés par Innocent l\ . lesquels sont donnés sous
le n" XIX
-510 HENRI III.
enjoignant expressément de se trouver prêts et pré-
parés à Portsmouth, à Toclave de la Trinité, avec
toutes les provisions nécessaires pour passer la mer.
Sur ces entrefaites , il fit saisir violemment tous les
vaisseaux des marchands, tant d'outre-mer que d'en
deçà delà mer, et même des autres personnes, pour le
transporter en Gascogne, en sorte que ces vaisseaux,
de compte fait, s'élevaient à plus de mille. Mais les
capitaines et les gardiens de ces vaisseaux, contrariés
par les vents , prolongèrent inutilement leur séjour
dans le port pendant trois mois, non sans grand dom-
mage et grand ennui, afin que ce voyage parût évi-
demment dépourvu de la faveui' de Dieu. Le roi
ayant donc déjà dépensé son trésor en grande partie,
extorqua , surtout dans les pays voisins de Ports-
mouth, toute la substance qu'il put tirer des reli-
gieux, faisant passer çà et là des hommes et des che-
vaux , pour y séjourner, jusqu'à ce qu'un vent plus
favorable vînt à souffler. 11 écrivit au comte Richard
et à la reine, qu'il avaitélablis gardiens du royaume,
de lui réserver la garde de toute noble abbaye, et môme
de tout évéché qui deviendrait vacant , et ne craignit
pasd'infirmer plusieurs articles des chartes, pour l'ob-
servation desquelles une sentence si terrible avait été
prononcée dernièrement et môme récemment.
Cette môme année, un affreux carnage d'hommes,
de chevaux et de troupeaux , eut lieu dans les pays
voisins de la Flandre et de rAllemagne, au point que
plus de quarante mille hommes de guerre furent tués,
à ce qu on croit. De môme qu On lit que Troie fut
ANNEE 4253. Ài4
détruite avec ses habitants au sujet d'une femme; de
même, ce fut au sujet d'une femme, c'est-à-dire de la
comtesse de Flandre, que cet épouvantable massacre
fut commis, à ce qu'on prétend. Or, la cause et les dé-
tails de cette calamité irréparable sont consignés plus
pleinement dans le livre des Additamenta \ et sont
aussi rapportés plus au long dans ce qui suit. — Vers
le même temps, mourut Guillaume, évéque de Lan-
daff, dont une cécité de sept ans avait précédé la
mort.
Vers le même temps, l'arcLevêque Boniface, ayant
fait visitation à Feversham et à Rochester, visita les
chanoines de Saint -Paul et les autres maisons de
Londres. Il fut admis partout avec bienveillance , à
cause de la modération [qui lui était imposée]. Et il
agit ainsi prudemment, pour paraître faire acte et
prendre possession du droit de visitation.
Vers le même temps, le comte Roger Bigod, ma-
jt'chal d Angleterre, reprit salutairement la fille du
roi d'Ecosse [son épouse], qu'il avait précédemment
répudiée, séduit par de méchants conseils. Le juge-
ment de l'église le fit revenir à la raison , et instruit
de la vérité, il dit : « Puisque tel est le jugement de
tt l'église , j'accepte volontiers et en sûreté de con-
«• science ce mariage, qui d'abord avait été pour moi
• un sujet de scrupules et de doutes. » Or, on lui avait
jailis fait croire que des rapports de parenté existaient
«'litre lui et sa femme.
Vvy. Ta^ditioa XXIX à U liu du Tolume.
-i^2 HENRI HI.
Celle même année, le huit avant les ides d'août, le
roi, invité par un vent prospère, dit adieu à TAngle-
terre et se conOa à Neptune , après avoir établi gar-
diens du royaume le comte Richard et la reine , et
leur avoir remis en garde son fils aîné , Edouard. Il
s'embarqua dans Pile de Portsey, et son vaisseau était
accompagné de trois cents gros vaisseaux et d'une
flotte nombreuse de navires de toute grandeur. Le
jeune prince Edouard , sur lequel son père avait
pleuré, Tembrassant et le baisant à plusieurs reprises,
se tint sur le rivage, pleurant et sanglotant, et ne
voulut pas quitter la place, tant qu'il put apercevoir
les voiles gonûées de la flotte.
Cette même année, à l'octave de la Saint-Laurent,
mourut dans son archidiaconat, Thomas de Hartford,
archidiacre de Northumberland , frère du seigneur
abbé de Saint-Albans : sa fin fut sainte et bienheu-
reuse, et il s'était prémuni de tout ce qui est néces-
saire pour le saint passage d'un chrétien. Il avait été
jadis dans l'école le disciple du bienheureux Ed-
mond, archevêque de Canlorbéry, avait été ensuite
son ami intime, et, étant devenu tout à fait semblable
à lui, il cherchait à suivre ses traces pas à pas jusqu'à
la mort, ainsi qu'avait fait maître Richard, qui devint
plus tard évéqucdeChicester,et dont nous avons parlé.
Comme il avait été un homme abondant en biens',
mais aussi en bonnes œuvres, grand umi des pauvres.
' Fruyalin cl fruetuosut. Frugatis a ici un «ens aitcs fr<^(|iiciit nu
moyco i^t, mai* nppos«'> « ion accfptinn hnbitiipllo. Son rapitroclioincDi
I
ANNEE 4255. AiS
el |)i'incipalement cleà Prêcheurs et des Mineurs , il
légua son corps, quand il se vit près de mourir, à une
très-pauvre maison de frères du Mont-Carmel : ce qui.
tourna à leur grand honneur et avantage. Quand il
eut expiré, les assistants cherchèrent avec inquiétude
comment ils pourraient se procurer une tomhe en
pierre, sur laquelle ils désiraient faire graver le nom
de Thomas ; car en ce moment il était impossible d en
trou\er une dans le pays; mais voici qu'un prêtre,
nommé Thomas, homme bon et pieux, s'écria : a Ne
« soyez pas inquiets à cet égard ; car j'ai sous la main
« ce que vous cherchez, à savoir une tombe en pierre
•< marquée de mon nom, qui est le nom de Thomas,
« comme vous le désirez. Je l'avais fait faire pour y
« être enseveli, moi pécheur; mais aujourd'hui il en
<( a été disposé d'en haut autrement par le doigt de
<« Dieu, qui règle tout à sa volonté. Je la donne donc
« à notre saint archidiacre que voici, et il ne faut pas
« altérer Piuscription , aGn qu'il daigne me placer
« avec lui dans la demeure céleste. Quel hôte bien
« différent de moi citte maison de pierre va heu-
« reusement renfermer dans son sein! «En effet, les
fidèles serviteurs du Christ éprouvèrent des guérisons
miraculeuses de maladies sur la tombe du même
saint Thomas, archidiacre , comme Ta attesté, de la
manière la plus formelle, à celui qui écrit cette page,
le seigneur Jean de Lexinton, chevalier, homme de
de fruetuotus^ prit dans le «eni d'utile, en italien fructuoso, ne UÏMt
aurun doole à cet égard .
4^4 HENRI 111.
granti poids et de grande science. Noire Seigneur
Jésus-Christ, dont les témoignages sont entièrement
croyables , manifesta la sainteté de ce saint homme
par une foule de miracles éclatants. Aussi, en peu de
temps, par la fréquence et les bienfaits de ceux qui
venaient demander des consolations spirituelles et
corporelles, la cellule des frères susdits, prenant de
grands accroissements, mérita d'être appelée Cella
(prieuré). C'est pourquoi nous croyons indubitable-
ment que le saint archidiacre Thomas , ainsi que
Tévéque de Chicester Richard , quoiqu'ils ne soient
pas canonisés à Rome, sont allés rejoindre saint
Edmond , dont ils avaient été les amis spéciaux en
cette vie. Les miracles que le Seigneur a daigné opé-
rer par les mérites du bienheureux évoque, sont
rapportés dans les livres d'histoire de Saint-Albans,
à savoir, au livre de la vie de saint Edmond. Quant
aux bienfaits miraculeux que le Seigneur accorde à
ceux qui en ont besoin , par les mérites du susdit ar-
chidiacre Thomas, ils sont connus des susdits frères
du Mont-Carmel et des gens du pays. Nous croyons
donc que ces trois enfants de l'Angleterre, Edmond,
Richard et Thomas, confesseurs de Dieu , jouissent
de la gloire de la souveraine trinité.
Histoire tragique advenue fendant le séjour du ro
DE France a Césarée.— Le roi d'Angleterre débarque
A Bordeaux. — Soupçons des Français contre la fidé-
lité DES Poitevins. — Taudis que s'écoulaient les jours
que le seigneur roi de France passait sans gloire à
ANNÉE 4253. . 445
iorliGer Césarée, au temps de sa tribulation en Terre-
Sainte , et comme la famine se faisait cruellement
sentir, un de ses chevaliers, homme noble et vaillant,
et natif du royaume de France, vint trouver son sei-
gneur le roi et lui dit : « Messire roi, nous restons ici
« honteusement et inutilement; accorde -moi, s'il
« te plait, la permission de faire une course contre
« ceux des infidèles, avecqui lu n'as ni trêve ni amitié,
« et de conquérir sur eux quelque honneur, quelque
« avantage, et quelques vivres, dont nous avons grand
«c besoin, sauf la discipline militaire de notre armée;
■ car tu sais que tout ce qu'un chevalier obtient en
• avantage ou en renommée rejaillit plus abondam-
« ment sur son seigneur. » Le roi lui répondit avec
bouté : « Va donc, et que le Seigneur te ramène sain
« et sauf. » Ce chevalier, ayant donc pris avec lui une
troupe d'hommes d'armes, instruit et animé qu'il
était par l'exemple de Guillaume Longue-Epée, qui
avait fait une semblable course, ainsi qu'ilaété diten
son lieu, partit pour le pays des Sarrasins, qui avaient
nui avec le plus d'acharnement aux chrétiens, et les
ayant vigoureusement assaillis par un choc soudain,
les vainquit et les mit en désordre; puis il revint
triomphant avec gloire, et rapportant avec joie de
riches dépouilles. Ce que voyant, quelques envieux
et flatteurs parmi les conseillers du roi, lui dirent :
« Seigneur, ce chevalier s'est emparé de beaucoup
• d'argent; le bon droit veut que vous en réclamiez
«• et en possédiez une bonne [)art, vous qui en avez
• jà lK*8oin ; carc'ctit par votre bienveillance et faveur
Âiè HENRI m.
« qu'il a quitté secrètement l'armée contre Tédit gé-
« néral, commettant ainsi une violation téméraire. >»
Le chevalier, ayant donc été convoqué et provoqué
devant le roi, fut accusé amèrement par ses envieux,
et Ton décida qu'il octroyerait au seigneur roi la
meilleure partie de sa prise. Alors le chevalier:
« Seigneur, tout ce que j'ai est à toi, et moi-même je
« suis à toi; cependant il me paraît plus juste que ce-
« lui-là jouisse des biens obtenus, qui, pour les obte-
« nir, a exposé sa tête et sa vie. Or, je présume fort
« que ceux qui ont suscité ce projet, ce sont ces gens
« lâches et oisifs , qui te servent de chambriers et
« de conseillers, et qui, pour te plaire, te flattent
« et te caressent. » Aussitôt un de ceux qu'il ve-
nait de réprimander ainsi s'élança au milieu de
l'assemblée, et, transporté d'une bouillante colère, se
mit à l'accabler d'invectives, et à dire : « Toi qui
« dis cela, tu mens par le milieu de ta gueule fétide,
« en accusant de lâcheté et de trahison ceux qui
« vivent aux côtés du seigneur roi. » Puis il ajouta
qu'il était un mauvais chevalier, fugitif et vaincu;
ce qui se dit en langue française meschant, et ce qui
est le terme le plus offensant parmi eux. Mais en en-
tendant ces injures, un jeune chevalier, homme vail-
lant et intrépide, qui était fils du chevalier accusé,
s'avança à son tour, brûlant de fureur, et, pouvant à
peine se contenir de colère, s'écria d'une voix reten-
tissante : 0 Par la cervelle de Dieu, comment,
u homme lâche et dégénéré que tu es, as-lu osé pro-
« noncer de telles paroles, en présence et aux oreilles
ANNEE 1255. À41
« (le mon père? w Aussitôt, tirant le poi^rnnrd qu'il
portait, cVst-à-dirc sa dngue, il la lui plonjjoa dans
le ventre, et, se sauvant encore tou4 furieux, se retira
dans réfjlise pour y trouver un asile. Voyant cela,
le père fut saisi de douleur jusqu'à en mourir, e1
tombant aux pieds du roi, lui dit : «C'est maintenant,
« mon très-révérend seigneur, qu'il me faut éprou-
« ver votre clémence royale, et voir si vous daijjnerez
« pardonner à cetacte d'emportement. Pour moi, je
« suis prêt à me présenter au jugement de votre
« cour, et à obéir humblement au droit. » Alors le
roi reprit : « Trouve à cet égard des cautions conve-
« nables. » Mais tandis que le père était allé les
chercher, le fils fut aussitôt tiré hors de l'église par les
satellites du roi, et fut pendu sur-le-champ, sans ju-
gement delà cour. Quand le père, prêt à obéir en tout
au droit, revint avec des cautions, il aperçut son fils
pendu et déjà mort. Or, ses ennemis avaient ainsi
disposé les choses, pour que la vue du cadavre de son
fils accrût encore ses douleurs. Aussi, dans son an-
goisse, trembla-t-il de tous ses membres; et, pouvant
à peine ouvrir la bouche, il dit enfin : « Qu'est cela,
« messire roi? Tu as lait pendre mon fils sans juge-
« ment, ou du moins tu as permis avec des yeux de
V connivence qu'il fût pendu. Je suis père, et ne puis
« pasie cacher. Où est la révérence due à l'église? où
« est la justice de la cour de France? Tout ce qui
« m'appartient en France, par le droit de mes aïeux,
« l'hommage que je t'ai juré , et la prise que
a j'ai faite dernièrement avec mon épée, je te résigne
vn. 27
448 HENRI III.
« et t'abandonne tout. » Puis, sans qu'on pût s'y at-
tendre, il monta sur un cheval rapide, dont il pressa
la course à coups d'éperons, alla trouver un certain
Soudan, et lui raconta en détail tout ce qui s'était
passé. Celui-ci lui répondit : « Tu t'es réfugié vers
« moi, je ne te manquerai jamais : je t'ouvre le sein
« du reluge et de la protection. ))Dès lors ce cheva-
lier, s'étant joint à Tarméedes païens, devint un apos-
tat formidable, etpoursuivitardemmentsa vengeance,
suivant ce qui est écrit : «La colère, c'est le désir de
se venger.» Ayant donc changé son amitié en haine
intime, il causa des dommages inestimables au roi et
àson armée, et ne cessa point, jusqu'à ce qu'il eût tué
tous ceux qui avaient pendu son fils. Voilà comment
l'envie engendre la colère, et la colère fait naître
rhomicide. Or, une calamité toute semblable était
arrivée quarante ans auparavant, au sujet d'un cer-
tainTemplier, nomméFerrand, homme vaillant dans
les armes, et circonspect dans les conseils, qui avait
passé du côté des Sarrasins, à cause d'un cheval de
prix qu'on lui avait violemment enlevé. Ce transfuge
fit perdre d'abord Damietle aux chrétiens, et ensuite
leur enleva malheureusement tout honneur; mais
enfin, quand il les vil près d'être noyés, ses entrailles
s'émurent, et il les sauva de la mort, pour que la
faute d'un seul no letombAt pas sur tant de milliers
d'hommes.
Vers ce temps, après avoir attendu longtemps un
vent favorable, le roi s'embarqua; et, après avoir reçu
les embrassemeulb et les baisers de son père, Edouard
ANNÉE 4255. 449
revint vers sa mère, tandis que le roi traversait le dé-
troit à voiles déployées.
Vers r Assomption de la bienheureuse Vierge, le
roi aborda heureusement à Bordeaux; les habitants,
allant à sa rencontre, le reçurent avec respect, comme
il convenait; quanta ses ennemis, ou ils s enfuirent,
ou ils se retirèrent dans leurs châteaux, pour s'y dé-
fendre. Le roi donna ordre aussitôt qu'on mît le siège
devant I^ Kéole, où s'étaient enfermés la plupart des
|)arlisaos de Gaston, ses ennemis. Gaston se réfugia
vers le roi d'Espagne, dont il était devenu Tami et
l'allié, lui promettant la souveraineté de la Gascogne,
qui lui appartenait de droit, à ce qu'il disait. Ceux
qu'il avaitlaissés dans La Réole,ayantconfiance en cette
alliance, se défendirent vaillamment et avec courage.
, Cependant ceux qui tenaient les rênes du royaume
de France, apprenant que le roi d'Angleterre avait
abordé sain et sauf en Gascogne, et suspectant la per-
fidie des Poitevins, qu'ils avaient maintes fois éprou-
Tée. craignirent que ces mêmes Poitevins ne passas-
sent du côté du roi d'Angleterre, leur ancien et libé-
ral seigneur. Ils envoyèrent donc en Poitou une
troupe de chevaliers, et ne permirent pas aux Poi-
tevins de conserver la garde ou la souveraineté de
leurs châteaux et de leurs cités; c'est ainsi que, mal-
gré eux, les Poitevins restèrent fidèles, et ne purent
ni nuire au rovaume de France, ni être utiles au roi
d'Angleterre. Toutefois ils tendirent secrètement des
pièges aux talons des Anglais, comme on le verra plus
au long dans la suite.
4àO HENRI III.
Lettre courageose de l'évêqde de Lincoln au pape.
— Indignation dd pape a la lectdre de cette lettre.
— monificenge de robert de sothlndon. — mort de
Randlf, abbé DE Uamsey. — Inondations étonnantes
CAUSÉES PAR les pluies. SpLENDIDE CÉLÉBRATION DE LA
FÊTE DE SAINT EdOUARD. Le ROI RECOUVRE SES CHA-
TEAUX DE Gascogne.— Ala même époque, le seigneur
papelnnocentlVayantsigiiiGéetenjointjparunrescrit
apostolique, à l'évêque de Lincoln Robert, comme il
l'avait souvent ordonné à lui et aux autres prélats
d'Angleterre, de faire quelque chose qui paraissait à
l'évêque injuste etcontraireà la raison, celui-ci répon-
dit au pape en ces termes : « Salut. Que votre discré-
tion sache que j'obéis dévotement et respectueuse-
ment, avec une dévotion filiale , aux mandats apos-
toliques, et que, dans mon zèle pour l'honneur pater-
nel, je m'oppose et m'élève contre ceux qui se portent
pour adversaires des mandats apostoliques. En effet,
je suis tenu à ces deux choses par le mandat divin;
car les mandats apostoliques ne sont et ne peuvent
être que conformes et concordants avec la doctrine
apostolique et celle de notre Seigneur Jésus-Christ,
maître et seigneur des apôtres , dont le seigneur
pape, dans la hiérarchie de l'église, représente au plus
haut degré le type et la personne. Notre Seigneur
Jésus-Christ a dit : « Celui qui n'est pas avec moi est
« contre moi. » Or, la sainteté divinissime du siège
apostolique n'est point ni ne peut être contre lui.
La teneur de la lellrc susdite n'est donc point con-
forme à la sainteté apostolique, mais en diffère et
ANNÉE 4255. 421
s'en écarle grandement. D'abord l'accumulalion de
la clause Nonobstant, qui est dans cette lettre et dans
les lettres semblables répandues dans le monde de
tous côtés, sans qu'elle soit introduite par la nécessité
d'observer la loi naturelle, fait naître un cataclysme
d'inconstance, d'audace, d'insolence et d'impudeur;
on ment, on trompe; la confiance s'éteint; on n'ajoute
plus foi à personne ; et tous les vices qui en résultent,
vices qu'on ne peut compter, altèrent et troublent la
pureté de la religion chrétienne et la sécurité qui
doit régner dans les rapporlssociauxdes hommes. En
outre, depuis le péché de Lucifer (péché qui, à la fin
des siècles, sera aussi celui de l'Antéchrist, ce fils de
perdition, que le Seigneur tuera d'un souffle de sa
bouche), il n'y a pas ni ne peut y avoir de genre de péché
qui soit plus opposé et pi us con traire à ladoctrine apos-
tolique et évaugélique, plus odieux au Seigneur Jésus-
Christ, plus détestable et plus abominable, que de
mortifier et de perdre les âmes, en les frustrant de
l'office et du ministère des soins pastoraux. Or, se-
lon les témoignagnes les plus évidents de l'Écriture
sainte, ceux*là commettent notoirement ce péché
qui, investis du pouvoir des soins pastoraux, font
salaire avec le lait et la laine des brebis du Christ,
lesquelles devraient être vivifiées et sauvées par l'of-
fice et le ministère pastoral, et qui n'adniinistrent
pas ce qu'ils devraient administrer. En effet, ne point
administrer les secours pastoraux, c'est, au témoi-
gnage de 1 Écriture, tuer et perdre les brebis. Or,
ces deux genres de péchés sont très-mauvais, quoique
422 HENRI Hi.
d'une manière différente, et surpassent inestimable^
ment tout autre genre de péché : ce qui est manifeste,
en ce qu ils sont directement contraires aux deux
manières d'être susdites, lesquelles sont très bonnes,
quoique d'une manière différente et dissemblable;
car cela est très-mauvais, qui est contraire à ce qui
est très-bon. Quant à ce qui est de ceux qui pèchent
de celte manière, l'un de ces péchés est la mort de
la déité, laquelle est suressentiellement et surnatu-
rellement très-bonne; l'autre est la mort de la réfor-
mation ' et de la déification, laquelle, par une parti-
cipation gratifique du rayon divin, est essentiellement
et naturellement très-bonne. Aussi puisque, de même
que dans les biens la cause du bien est meilleure que
son effet, dans les maux également la cause du mal
est pire que son effet'', il est manifeste que ceux qui
introduisent dans l'église de Dieu ces très-mauvais
meurtriers de la réformation et de la déification des
brebis du Christsontpiresque ces très-mauvais meur-
triers eux-mêmes, sont plus près encore de Lucifer et
4 Deformniionis inleremplio. Malgré notre attentioa h tradairescru-
puleuscmont ce curieux monument de l^argumcntalion scolastiquo, nous M
avons dû l'aire subir à ce mot une légère variante; car on peut igno»
rer que dcforniaiio soit sourcul pris au moyen âge, par les écrivains
ecclésiastiques, dans le sens (lUnstruction morale. ( Voyez Cakpen-
TlER, nu mot dfformare.)
1 Kapin 'i'Iioyras p.iraphrase ainsi ce passage « Si, dans les productions
morales, la cause du bien est toujours meilleure que ses cfTets , il eu est
tout au contraire dans la propagation du vice, dont la source et Torigine
sont toujours pires que les désordres qui on procèdent. » À\i voniraire,
\\t«r. révi\>roiiurmpul. (Foi/, l'ubrégr de itUc leltro, Uist , (V AnijWt . ^
torn II n In fin.)
ANNEE 4255. 423
de l'Antéchrist, el dansce degré su[)érieur de méchan-
celé sont proportionnellement plus éloignés de l'être
surexcellent,eux qui, ayant reçu d'en haut, pour rédift-
eation et non pour la destruction, un pouvoir d'autant
plusg^randetd'autant plus divin, étaient d'autant plus
tenus d'exclureet d'exlirperde l'églisedeDieu ceslrès-
inauvais meurtriers. C'est pourquoi le très-saint siège
apostolique, à qui notre Seigneur Jésus-Christ, lesaint
dessaints, adonné un pouvoir de toute sorte, pourl'é-
dificatioD et non pour la destruction, au témoi-
gnage de l'apôtre, ne peut point recommander ou
enjoindre quelque chose qui penche vers le péché
susdit, si odieux, si détestable et si abominable au
Seigneur Jésus-Christ, ni tendre d'aucune façon
à quelque chose de semblable; car ce serait là évi-
defnment un abandon, une altération ou un abus
de son très-saint et très-plein pouvoir, et unéloigne-
ment absolu du trône de gloire de notre Seigneur
Jésus-Christ ; ce serait s'asseoir dans la chaire de pes
tilence et des peines de la géhenne, non loin des
deux princes des ténèbres que nous avons nommés
plus haut. Quiconque est soumis et fidèle au même
siège, par une obédience immaculée et sincère, et
qui n'est pas séparé par un schisme du corps du
Christ et du même saint sié<je, ne peut obtempérer
à de pareils mandats, injonctions ou efforts quel-
conques, de quelque part qu'ils émanent, et quand
bien même ils viendraient du pouvoir suprême
d'Angleterre; mais au contraire est dans Tobligatioa
424 HENRI HI.
d'y résisler et de s'y opposer de tout son pouvoir.
C'est poui' cela, révérends seigneurs, que moi, en
vertu de l'obédience et de la fidélité dues, dont je
suis tenu envers les deux pères du très-saint siège
apostolique, et en vertu du désir que j'ai de m'unir
avec lui dans le corps du Christ, je n'obéis pas, je
m'oppose et je résiste, mais en restant dans l'unité,
dans l'affection filiale et dans l'obédience, aux choses
qui sont contenues dans la lettre susdite, surtout par-
ceque ces injonctions, ainsi que je l'ait fait entendre,
penchent très-évidemment vers ce péché très-abomi-
nable à notre Seigneur Jésus-Christ, et très-perni-
cieux au genre humain, et sont tout à fait opposées
à la sainteté du siège apostolique, et contraires à la
foi catholique. Or, votre discrétion nepeutpas, à cause
de cela, statuer rien de dur contre moi, parce que
toute ma contradiction et opposition à cet égard
n'est ni contradiction, ni rébellion, mais affection
filiale due à mon père, en vertu du mandat divin, et
honneur rendu à vos personnes. Enfin, me résu-
mant en peu de mots, je dis que la sainteté du siège
apostolique nepeutquecequiestpour rédiHcation,et
non ce qui est pour la destruction ; car c'est là la
plénitude de la puissance, de tout pouvoir pour Té-
diGcation. Or, ces choses, que l'on appelle des provi-
sions, n'ont point pour but l'édification, mais la des-
tiuclion la plus manifesic; aussi le bienheureux
siège apostolique ne peut point lesavoir pour bonnes,
parcequ'elles outcté iiisj)irées|iar la chairetlesang.^
ANNEE 4255. 425
lesquels ne posséderont pas le royaume de Dieu, et
non poiul pnr le père de notre Seigneur Jésus Christ,
qui est auxcieux \ •
Lorsque cette lettre parvint à la connaissance du
seigneur pape, il put à peine contenir sa colère et son
indignation, et, jetant autour de lui des regards irri-
tés , il s'écria dans son orgueil : » Quel est donc ce
« vieux radoteur, ce sourd, cet inepte, qui, dans son
> audace, ou plutôt dans sa présomption , prétend
« juger nos actes? Par Pierre et Paul, si nous n'étions
« arrêté par notre générosité naturelle, je le précipi-
« terais dans une si grande confusion , qu'il devien-
a drait la fable, la stupeur, l'exemple et l'effroi du
« nionde entier. Est-ce que le roi d'Angleterre n'est
« pas notre vassal, ou pour mieux dire notre esclave,
« ei sur un geste de nous, ne peut-il pas l'empri-
a sonner et le réduire à l'ignominie? » Comme ces
paroles étaient prononcées au milieu des frères car-
dinaux, ils calmèrent à grand'peine l'emportement
du pape, en lui disant : « 11 ne serait point avanta-
u geux, seigneur, que nous prissions quelque mesure
« sévère contre cet évêque ; car pour avouer la vé-
• rite, ce qu'il dit là est juste. Nous ne pouvons le
« condamner. 11 est catholique, et même c'est un très-
« saint lionimc, plus religieux et plus saint que nous,
' Là querelle de Kobert GroM«-Téle avec le pape éelaU dès Tau 1250,
«i c'est à tort qoe pliuieurs ecrivaius la retardent de trois années. Ou-
din i-ii a rélikli la véritable date d'après des manuscrits où elle est po-
aitivement eiprimée. {Histoire littérairr de la France, loin, xvui,
P*B. 458.)
!26 HENRI HI.
« plus irréprochable et d'une vie plus irréprochable
« que nous ; au point que, parmi tous les prélats, il
« n'a point, à ce qu'on croit, de supérieur ni
« même d'égal. C'est une chose notoire pour l'uni-
« versalité du clergé en France et en Angleterre ;
« notre soulèvement contre lui ne prévaudrait pas.
n La vérité de cette lettre , qui peut-être a déjà été
« communiquée à plusieurs, pourrait irriter beau-
« coup de gens contre nous; car on le regarde comme
« un grand philosophe, instruit pleinement dans les
« lettres latines et grecques, zélé pour la justice , lec-
« teur dans les écoles de théologie, prédicateur de-
« vant le peuple, amateur de la chasteté, persécuteur
a des simoniaques. » Ainsi parlèrent le seigneur
Gilles l'Espagnol, cardinal, et les autres qui étaient
tourmentés par leur propre conscience, et ils conseil-
lèrent au seigneur pape de souffrir avec les yeux de
la connivence que cette affaire s'assoupît, de peur
qu'elle n'occasionnât scandale, surtout quand on
savait que la scission devait venir prochainement.
Cette même année , le seigneur Robert de Sothin-
don, clerc et conseiller spécial du seigneur roi, con-
sidérant les grandes dépenses que faisait la maison
de Saint-Albans , conféra à l'église de Saint-Albans ,
en vue de charité, l'église de Herteburn, dont il était
en pleine possession , pour qu'elle la possédât h ses
usages propres. H accorda un bienfait semblable à
Téglise de Saint-Martin-dc<la-Uataille*, en lui oc-
* Debello, en anglais moderne Hnltle. On snit quo. Uuillaumc-lu-
O^nqui-rani avait fondit ce monaitèrn iiii lieu intime où fl't^lnil livrée \t\
ANNÉE 42SS. 417
Iroyant l'église de lelelham (m), et^jratifiasemblable-
ment de Téglise de Hospinjre les frères de rilôpital
de Douvres. Or, les provenances du premier bénéfice
s'élèvent à une valeur de trois cents marcs ; celles du
second à ce!:t , celles du troisième à soixante marcs
annuellement. Et il conféra tout cela dans de pieuses
intentions, afin que, dans chacun des lieux susdits, on
pût exercer plus largement encore, tant envers les
personnes qu'envers les clievaux, le bienfait d'hospi-
talité.
La veille de TAssomption de la bienheureuse Ma-
rie, mourut le vénérable Ranulf, abbé de Ramsey,
laissant sa maison aux mains rapaces des gens du roi,
surtout à cette époque, qui était le temps de la mois-
son. Elle fut donc livrée en garde à un clerc de la
cour, nommé Eudes, dont je passe les actes sous si-
lence, de peur qu'ils ne parviennent aux oreilles des
médisants. Or, ceux qui étaient tenus d'être les gar-
diens et les tuteurs des pupilles, enlevèrent, au profit
des gardiens du royaume , des vases d'argent qui pe-
saient trente cinq marcs , des vins de choix , des che-
vaux^ le bétail des forêts, dépouillèrent l'église de ce^
richesses sans aucun respect, et, ce qui était plu9
odieux encore , extorquèrent une forte somme d'ar-
gent aux tenanciers de 1 abbaye. Quelques clercs du
roi , à savoir maître Nicolas de Plumtou et maître
Jean d'Irlande, furent aussi envoyés en cour romaine,
baUille d Hutiogf, et Pavait dédié à la sainte Trinité et k saint Martin,
patron des f^uerrier» de la Gaule. (Foy M. Aug. ThIBHRY, Hist. de
laCimq., loin. I, pa};. ."îiS .*>4i.)
428 HENRI HI.
pour faire annuler et casser toutes les susdites pro-
messes du roi , avec ordre de ne pas regarder aux
<lépenses pécuniaires, pourvu qu'ils menassent à bon
terme le projet et le désir du roi. Sur ces entrefaites,
Tévêque de Lincoln, qui avait deviné comme d'in-
spiration que le roi, guidé et séduit par de mauvais
conseils, violerait toutes ses promesses, fit excom-
munier, pendant toute cette année, dans toute l'é-
tendue de son diocèse, tous les infracteurs des sus-
dites chartes; car partout où il y avait des réunions
d'hommes , les clefs de l'église , oh douleur ! étaient
méprisées.
A cette même époque, arriva un fait digne d'ad-
miration et qui passa de bouche en bouche, à savoir
que, cette même année, après la grande et longue
sécheresse qui avait régné dans le printemps et dans
l'été, les fleuves sortirent de leurs lits à la fin de Tété
et dans l'automne, montèrent jusqu'à la hauteur des
collines, et renversèrent les habitations voisines. Puis,
vers la fin de l'automne , et après la fête de saint
Michel, à la suite de cette inondation, due à la grande
quantité des pluies, la sécheresse des fleuves devint
telle, les fontaines diminuèrent tellement, et l'eau se
trouva si rare, que ceux qui en avaient besoin pour
moudre portèrent leurs grains à moudre à environ
une journée de marche. Un semblable prodige arriva
dans toute la saison du printemps, contre les lois or-
dinaires de la saison; car, au temps de l'équinoxe,
comme tout est dons une température modérée, les;
élémontfi ont coutume do rester en paix.
ANNÉE ^255. 429
Une foule de prélats et de seigueurs s'étant ras-
semblée sur Tordre du roi, la fête de saint Edouard,
qui se trouve dans la quinzaine de la Saint-Michel ,
fut célébrée avec plusdema^jniticence que jamais, par
les soins empressés du comte Kiebardet delà reine.
A la fin de Tété de cette année, après de grands
travaux et des dépenses inutiles, le seigneur roi
d'Angleterre recouvra ses propres cbâteaux en Gas-
cogne, en accordant de bonnes conditions aux assié-
gés; et malgré lescbûtimenls qu'ils avaient mérités
de toutes façons, il ne leur causa pas grand tort ni
grand dommage, si ce n'est qu'ils virent et appri-
rent que leurs vignes étaient arrachées. Cependant ils
avaient lancé chaque jour sur l'armée du roi des
pierres meulières et des javelots d'une grandeur sur-
prenante, qui avaient tué beaucoup de monde, et
que l'on conservait pour les rapporter et les mon-
trer en Angleterre, comme des objets de curiosité.
Tandis que ces assiégés étaient serrés de près, ils
avaient envoyé secrètement et fréquemment des
députés au roi d'Espagne, pour que ledit roi d'Espa-
gne daignât les secourir comme étant ses féaux qu'on
assiégeait. Tout cela avait exagéré encore leurs fau-
tes et leurs méfaits. Or, quand ils sortirent de ces
cbâteaux, malgré eux et de force, conune prisonniers
duseigneur roi d'Angleterre, les frères utérins du roi
s'approchèrent et exigèrent qu'on leur remît ces cap-
tifs pour les traiter comme ils Tentendraient: préten-
tion qui fit naître la surprise et Tindignation chez la
plupart des amis du seigneur roi. Mais la miséri-
430 HENRI III.
corde du roi s'exerça enfaveur de ces ennemis mani-
festes, domptés avec tant de peine, et il les épargna,
oubliant ce précepte de l'Évangile : « Amenez ceux
qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, et tuez-
les devant moi *. » C'est ainsi que le roi, qui opprime
ses propres sujets et qui caresse les étrangers, perdit
beaucoup en renommée et en respect.
Ambassade dd roi d'Angleterre ad roi d'Espagne. —
Ravages des Sarrasins a Ptolemaïs. — Grande famine
DANS l'armée du ROI EN GASCOGNE. L'aBBÉ ET LE
COUVENT DE SaINT-AlBANS SONT LIBÉRÉS DE LA DETTE
CONTRACTÉE PAR RiCHARD DE OxHAlE. — EXTENSION DE
LA RENOMMÉE DU ROI d'EsPAGNE. CoNSEIL BIENVEILLANT
DU ROI d'Espagne au roi d'Angleterre. — Cependant
le roi, redoutant les fourberies des Gascons, et crai-
gnant qu'ils ne passassent du côté du très-puissant
roi d'Espagne, lui envoya des députés solennels, à
savoir l'évêque de Bath et le seigneur Jean Mansel ,
son clerc spécial, pour demander humblement son
alliance et son amitié, et lui proposer de consentir
bénévolement à l'union par mariage de sa sœur uté-
rine avec Edouard , fils aîné et légitime héritier du
seigneur roi d'Angleterre. Or, ledit seigneur roi d'An-
gleterre avait concédé la Gascogne à son fils susdit;
ce qui diil'ère peu de la concession faite ou à faire à
la sœur dudit roi d'Espagne, laquelle devait être
mariée à son fils Edouard. Les susdits députés pour-
• Quelle citation et quel regret? Matt. Péris semble ne sortir de sa
tnlt^rancc habituelle que pour s'associer À la baiiie nationale contre les
rangers.
^
ANNÉE 4255. 451
suivirent eflicacement cette affaire jusqu'à achève-
ment, non sans se donner beaucoup de peines et de
soucis, obtinrent la faveur et Tamitié du roi d'Espa-
gne, et rapportèrent une charte magnifique, dont le
sceau d'or pesait un marc d'argent, dans laquelle il
était inséré, en termes solennels, que le roi d'Espa-
gne déclarait renoncer à tous les droits qu'il avait
ou pouvait avoir sur la Gascogne, en vertu de la do-
nation du roi Henri second et de la confirmation de
cette donation par les rois Richard et Jean. De plus
l'habileté des députés, ou plutôt du seul Jean Mansel,
à ce que I on dit, obtint quelques libertés au profit
des pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques, par exem-
ple la permission de loger, selon leur bon plaisir,
dans les villes qui sont sous la domination du roi
d'I^spagne, et de se procurer librement des provi-
sions, sans en requérir leur hôte. Or, ledit roi de-
mandait qu'on lui procurât la présence d'Edouard ,
pour qu'il le vît, qu'il considérât sa bonne mine et
son savoir-faire, et qu'il lui ceignit le baudrier mili-
taire, avec tous les honneurs et toute la solennité qui
convenaient pour un jeune homme de si haute nais-
sance. Quand les députés eurent fait leur rapport au
seigneur roi d'Angleterre, il fut très-satisfait du ré-
sultat de cette affaire; toutefois il craignit grande-
ment d'envoyer son fils aîné et l'héritier de toutes
ses possessions au susdit roi d'Espagne, qui faisait
sou séjour dans des pays si éloignés, redoutant, et
non sans raison, que le roi d'Espagne, guidé et sé-
duit par la malignité et l'avarice, ne voulût tirer
parti d'un otage si important qu'on lui remettrait
452 HENRI Hi.
légère/lient. Maisie seigneur Jean Mansel ayant porté
témoignage de la féauté du roi d'Espagne, et ayant
affirmé qu'il était tout à fait incapable de commettre
ou de laisser commettre un pareil attentat, le sei-
gneur roi d'Angleterre conçut dès lors de meilleures
espérances, et goûta le projet d'envoyer avec con-
fiance en Espagne, non-seulement Edouard, mais
encore la reine : ce qui fut fait. Or, pendant tout le
temps de cette guerre, il arriva, sansy manquer ja-
mais, que si quelque Anglais commettait une faute,
il était puni outre mesure; si au contraire c'était un
étranger, on ne lui infligeait qu'un cbâtiment léger,
et souvent même on laissait sa faute impunie. Ce
que Ton remarquait^ et non sans raison.
Vers le même temps, quelques-uns des principaux
Sarrasins d'Orient se confédérèrent en haine et pour
la ruine des chrétiens. Aussi, faisant librement des
courses, ils arrivaient, sans trouver ni obstacle ni ré-
sistance, jusqu'aux portes d'Acre, pleins d'oi^ueil, et
commettant de grands ravages dans la campagne.
A la même époque, la famine fit de si grands pro-
grès dans l'armée du roi, en Gascogne, qu'une poule
se vendait six deniers sterling , une charge de fro-
ment vingt sols, un seticr de vin deux sols et plus,
un pain du poids d'une livre deux ou trois deniers;
en sorte qu'un chevalier à jeun pouvait à peine se
sustenter convenablement lui, son écuyer, son page'
et ses chevaux, avec deux sols d'argent [par jour.]
• Eti>ueru. Lu vAriaiitr iluniic gtrcione.
ANNEE 4255. 435
OUe même année, à savoir le ^0 avant les ca-
lendes de novembre, la charte obligatoire par laquelle
Tabbé el le couvent de Saint-Albans avaient pris Ten-
f;a{];emeut de répondre pour la dette de Kicbard de
Oxhaie, chevalier, fui retirée des mains d'Elie, juit
lie Londres, el mise hors de la caisse; et il fut pro-
i-iamé, dans Técole des juifs' à Londres, que le cou-
vent et Tabbé susdit étaient exempts de toute récla-
mation de la part des juifs, au sujet de toute dette
de cette espèce, depuis le commencement des siècles
jusqu'à présent, comme la quitlance obtenue d'eux
peut le prouver.
V^ers le même temps s'étendit la renommée du roi
d Espagne, niais non du roi [d'Angleterre]. Or, dans
ses chartes, le susdit roi s'intitule ainsi : « Alphonse,
parla grâce de Dieu, roi de Castille, de Léon, de
Galice, de Tolède, de Murcie, deCordoue et dcJaën. »>
Quant à la domination du roi d'Angleterre, elle fut
mutilée en grande partie; car il promit à son fils
rirlande et beaucoup d'autres possessions; mais cette
aifaire exigerait qu'on s'en occupât spécialement.
A la même époque, !<* roi d'Espagne, étantdevenn
le très-grand ami du seigneur roi d'Angleterre, s'af-
fligea, dans un esprit de bienveillance et de discré-
tion, de ce qu'il avait appris sur son caractère, et lui
lit savoir, par lellre, qu il devait suivre l'exemple des
Ikjiis rois el des bons princes, dont le titre d'hon-
neur était celui-ci, de toute antiquité : « Il sera un
' Schnifi juda^ruM . Cesl éTideiniiieut ce (jue iiouk enteuduui au-
jourd'hui p.;r stjuatjogue.
vu. 28
434 HENRI m.
agneiiu pour sos amis domestiques et pour ses com-
pagnons d'armes, et un lion pour les étrangers et
pour les rebelles. » Or, il lui rappelait ces paroles
pour qu'il s'y conformât et qu'il ne se montrât plus
l'oppresseur des siens, tandis qu'il accueillait et ali-
mentait les étrangers. Mais
A quui sert-ii de répandre des semences duns un terrain stérile?
r
Le roi d'Espagne a huit royaumes qui tiennent de
lui : la Castille, la Galice, Seville, Cordoue, Murcie
et Hispalis'. Tous ces pays sont soumis aux chrétiens.
11 a de plus pour tributaires deux rois Sarrasins ,
comme on le voit dans la charte octroyée nu sei-
gneur roi d'Angleterre.
I/ÉvÉQDE DE Lincoln Robert Grosse-Tête tombe
GRAVEMENT MALADE. SoN ENTRETIEN AVEC UN FRÈRE
PRÊCHEDR. — Il se PLllNT A SES CLERCS DES EXACTIONS
DE LA COUR ROMAINE. — RÉCAPITULATION DES VEXATIONS
ÉPROUVÉES PAR l'Église. — Mort de l'évêque. — Mélo-
* Nous ne cnnnaisson* yaad'Jlispalis auire que Seville, désignée ici
par Sybilln. Matl, Paris parle plus bnut des richesses de Sybilla. Or,
nous savons quUl y avail à Seville, du temps des Arabes, seize mille
métiers à soie ; mais elle dut déchoir, lorsque cent mille de ses habitants
l'abandonnf'rent plutôt que de vivre sous les lois des chrétiens. Pour
formerlosbuitroyaumes dont parle notre auteur, il faudrait donccompter,
comme plus haut, Léon, 'J'oli^dc et Ja^'n. Nous pensons même, en compa-
rant lei divers historiens, qu'on ne peut re^'urder le royaume de Murcio
comme faisant alors partie des états du roi de Castille. Ce royaume, ainsi
qae celui de Grenade, fondé en 1238 par Mohammcd-ben-Ahmar, con-
(erra longtemps encore sou existence propre eu payant tribut. {Voij. en
particulier JuiJN BlCLAND, Nht. dl-^tptigue, cbap. Vlll.)
A.NNKE 4250. 435
blE ENTENDUE DANS LES AlftS. — HhUIT SLHNATUREL DK
CLOCHES ET DE TROMPETTES QUI ANNONCE LA SAINTETÉ I)U
DÉFCNT. — Vers le même temps, pendant que les jours
caniculaires exerçaient leur mali|;ne influence, I é-
v^quede Lincoln Robert tomba {jravement malade,
dans son manoir de Bukedon. Il appela donc à lui
un certain frère de l'ordre des Prêcheurs, nommé
maître Jean de Saint-Gilles, lifibile dans Tort de la
médecine, lecteur en ihéologie, homme bien instruit
et qui instruisait bien les autres, pour recevoir de
lui consolation de corps et d'âme; car il pressentait
d'inspiration que Té^lise allait être troublée prochai-
nement par une tribulation que nous ne prévoyions
)Kis. Aussi il ordonna aux prêlres institués dans son
dioct'se de renouveler sans relâche la sentence d'ex-
Cfxmmunication contre tous les violateurs des gran-
des chartes des libertés du royaume, partout où ils
sauraient que les hommes devaient se rassembler.
Quelques courlisans. tant clercs que laïques, ré-
sistèrent insolemment à cette injonction, et acca-
blèrent les prêtres d'outrages. Or. nous savons que
ces gens-là sont, par le lait même, enveloppés dans
les liens de ranalhème. Un jour que l'évêque s'entre-
tenait avec frère Jean, le physicien susdit, et parlait
des actes du pape, il attaqua violemment les Prê-
cheurs, confrères dudit Jean, et les autres, et n'é-
pargna pas non plus les Mineurs, disant que si leur
onire i-tait établi salutairement dans une pauvreté
\olont)ire, qui est la pauvreté de I esprit, c était atin
qu'ils pussent plus librement, non point caresser les
a« HÇNRI Hi.
vices (ies puissants, mais les en reprendre fortement
avec raustérité qui convient à des censeurs ; car
Le voyageur qai n'a riea à perdre pourra chanter devant un voleur.
« Or, ajoutn l'évêque, comme toi, frère Jean, et
« vous autres Prêcheurs, ne reprenez pas audacieu-
« sèment les péchés des grands, et ne dévoilez pas
« leurs méfaits, je vous regarde comme des héréli-
« ques manifestes. » L'évêque insista : « Qu'entend-
« on par hérésie? donne-m'en la définition. » El
comme frère Jean hésitait, ne se souvenant pas de
Tauthentique raison de la chose et de la définition,
Tévéque reprit, en traduisant fidèlement de la langue
grecque en lalin : « L'hérésie, c'est une opinion
« choisie par le sentiment humain, contraire à l'E-
« criture sainte, enseignée publiquement, défendue
« opiniâtrement. » Or, hérésie en grec se traduit eu
latin par choix. L'évêque s'appuya donc de ce prin-
cipe pour attaquer les prélats, surtout romains, qui
confient le soin des âmes à leurs parents, gens indi-
gnes et insuffisants en âge et en science : « Donner
•' charge d'âmes à un jeune enfant, c'est là l'opinion
't de certain prélat, opinion choisie par le sentiment
N humain à cause de la chair ou des ail'ections ter-
« restres. Elle est contraire à l'Écriture sainte, qui
<4 défend que ceux-là soienl pasteurs, qui ne sont pas
<i c»f)ables de repousser les loups. Elle est enseignée
« publiquement, puisque l'on présente manifeste-
« ment, à cet égard, des chartes scellées ou avec
I' huiles: et elle est défendue opiniâtrement, puis-
« qui', si quelqu'un ])rétend s y opf)oser, il est sus-
ANNEE <255. 137
« pendu et exconuiiunié, et que Ton prêche, coin me
M sainte, la guerre contre lui. Celui à qui convient
« entièrement la définition de l'hérétique, esl liéré-
« tique. Mais tout fidèle est tenu de s'opposer à un
c hérétique, autant qu'il le peut. Aussi celui qui
« peut contredire un hérétique, et qui ne le contre-
« dit pas, pèche et parait être son fauteur, selon ce
« précepte de Grégoire: «Celui qui néglige de s'op-
« poser à un crime manifeste, n'est pas exempt du
« soupçon d'en être le com pi ice. «Ma is les frères, tant
a Mineurs que Prêcheurs, sont surtout tenus de
a s'opposera tout hérétique, puisque ces deux ordres
a ont reçu d'office la faculté de prêcher, et que leur
« pauvreté leur donne plus de liberté pour exercer
« cet office. Or, non-seulement ils pèchent, s'ils ne
« s'opposenl pas aux hérétiques, mais encore de-
« viennent leurs fauteurs; ainsi que l'a dit I apôtre
« aux Romains [chap. A.]* Non-seulement ceux qui
« font ces clioses, mais aussi ceux qui approuvent
« ceux qui les font, sont dignes de mort.» On peut
« donc en conclure que le pape, s'il ne renonce à
« cet abus, aussi bien que les t:usdils frères, s'ils ne
a se montrent jaloux d'éloigner un pareil héréti-
« que, sont dignes de mort, c'est-à-dire de la mort
a perpétuelle. Item, il y a une décrétule qui dit qu'en
« pareil cas, c'est-à-dire en cas d'hérésie, le pape
« |>eut et doit être mis en accusation. >*
Celait alors la troisième nuit avant la fête de
.saint Denis. Conune les nuits, à cette épo<|ue , du
rent fort longtemps. 1 évê<)u<> , accablé par la mala-
<58 HENIU lir.
die et par un ennui inortei , fit venir (|tieiqaes*un$
de ses clercs, pour qu'un entretien mutuel servît au
moins à le distraire. Alors Tévêque, se plaignant de
la perte des âmes que causait Tavarice de la cour ro-
maine, leur dit en soupirant : « Le Christ est venu
« dans le monde pour gagner les âmes; donc si
« quelqu'un ne craint point de perdre les âmes , ne
« peut-on pas l'appeler justement Antéchrist? Le
« Seigneur a créé le monde entier en six jours , mais
« pour réparer la faute de Thomme, il a travaillé
« plus de trente ans. Le destructeur des âmes ne
« doit-il dorjc pas être regardé comme l'ennemi de
« Dieu et comme l'Antéchrist! Le pape ne rougit pas
H d'annuler sans pudeur les privilèges des saints
« pontifes romains, ses prédécesseurs, en élevant la
« harrière du nonobstant : ce qui a lieu , non sans
« leur préjudice et leur injure manifeste; car ainsi
« il réprouve et détruit ce qu'ont édifié tant et de si
« saints personnages. N'est-ce pas là mépriser les
o saints? Aussi celui qui méprise sera justement mé-
« prisé, selon cette parole d'Isaïe : « Malheur à toi,
« qui dédaignes ; ne seras-tu pas dédaigné?» Or, qui
« conservera ses privilèges, h lui? Je sais bien que
« le pape, répondant à cela, défend ainsi son erreur,
<• en disant : «Un égal na pas de pouvoir sur son
<* égal. Or un pa])e ne peut , en aucune façon , me
<• tenir lié , moi qui suis pape aussi.» Je répondrai à
« cela , continu» l'évéque , qu'à mon avis, celui qui
« navigue sur les périls de ce monde et celui qui se
« réjouit •Ions la sécurité du port ne sont pas égaux.
ANNEE ^253.
43Î)-
Admettons quo tout pape soit sauvé : loin de nous
de dire le contraire. Le Seigneur a dit : «Celui qui
est le plus petit dans le royaume des cieux est plus
grand que Jean-Baptiste, qui cependant n'a per-
sonne de plus grand que lui parmi les enfants des
femmes.» Donctoutpape, donneurouconBrmateur
de privilèges, n'est-il pas plus grand que ce pape
actuel? Sans nul doute, il me paraît plus grand ;
donc il a pouvoir sur plus petit que lui , et celui-ci
ne doit pas invalider les décisions de ses prédéces-
seui"s (?). Le pape ne dit-il pas, en parlant de la plu-
part de ses prédécesseurs : • Un tel ou un tel , de
pieuxsouvenir, notreprédécesseur. .. , » et fréquem-
ment aussi : « Nous qui marchons sur les traces de
notre saint prédécesseur...»? Pourquoi donc ceux
^ui suivent détruisent-ils les fondements que ceux
qui précèdent ont jetés? Plusieurs pontifes apostoli-
quesontconfirme toutprivilége accordépieusement
avanleux. Or, plusieurs pontifes sauvés par la grâce
divine ne sont-ils pas plus grands qu'un seul , dont
le salut est encore incertain? De plus, nos anciens
pères , les pontifes ajjostoliques , sont les plus an-
ciens dans le temps, et nous sommes tenus d'avoir
pour vénérables ceux que Tancienneté désigne à
notre respect. C'est ce que considérait parfaitement
saint Benoît , cet homme vénérable par sa vertu et
rempli, en composant sa rèjjle, de l'esprit de tous
les saints. H préfère ceux qui sont venus les pre-
miers, quels quails soient, aux personnes les plus
authentiques qui se présentent tardivement pour
440 HENRI 111.
• faire partie de Tordre , et veut qu'on regarde les
« plus anciens comme les plus vénérables. D'où vient
« donc cetteoutrageante témérité de révoquer et d'an-
« nulerles privilèges d'une foule de saints anciens?
« En outre , quoique plusieurs autres pontifes
« apostoliques aient affligé l'église, celui-ci l'a réduite
« en servitude plus durement que les autres, et a mul-
fl tiplié les inconvénients. En effet, les Caursins, ces
« usuriers manifestes, que de saints pères et docteurs,
« que nous avons vus et entendus, tels que ce maître
« illustre, prédicateur en France, l'abbé de Flaix de
H Tordre de Cîteaux, maître Jacques de Vitry, Tarche-
« véque de Cantorbéry Etienne, pendant son exil,
« maître Robert de Courçon, avaient chassés des pays
« deFrance par leurs prédications, ontéléexcitésà dé-
« vorer l'Angleterre, exempte jusqu'alors de ce fléau,
« par ce pape qui les a protégés après les avoir sus-
«« cités ; et si quelqu'un en murmure, il est accablé de
« soucis et de dommages , témoin Tévèque de Lon-
•« dres Roger. Le monde sait que l'usure est regardée
« comme détestable dans les deux Testaments, et est
« prohibée par Dieu ; et maintenant les marchands
« on les banquiers du seigneur pape, au grand mur-
« mure des juifs, exercent publiquement l'usure à
« Londreâ, machinent des vexations de toute espèce
« contre les personnes ecclésiastiques, et principale-
« ment les religieux, forçant ceux qui sont pressés
« par le besoin n mentir «l a apposer leurs sceaux à
« des écrits menteurs : ce qui est commettre crime
f d'idolAtrie et renier In vérité , qui est Dieu. En
ANNÉE 4255.
444
« vouiez-vous un exemple? J'emprunle pour un an
« [cenlj marcs que l'on mécompte comme s'ils fai-
n saient cent livres ; je suis forcé île rédiger et de signer
« un écrit par lequel je reconnais avoir reçu , à titre
« de prêt, cent livres, que je paierai à la (in de Tan-
• née. Or» s'ilarriveque je me procure dans un mois,
« ou même avant moins de temps, le principal de la
• somme, et que je veuille payer l'usurier papal, il ne
« recevra pas autre chose que les cent livres iulégrale-
« ment. N'est>ce pas là une condition plus dure que
« les conditions des juifs , puisque si vous apportez
« le principal de la dette à un juif, il le recevra vo-
• lontiers, et se contentera des intérêts mesurés au
« temps qui se sera écoulé depuis le prêt. En outre ,
« nous savons que le pape a enjoint aux frères Prê-
« chœurs et aux Mineurs d'assister les mourants, en
« lessollicitantvivementeten leur persuadant défaire
« leurs testaments pour l'avantage et le subside de la
« Terre-Sainte , et de prendre la croix , afin que si
« les malades viennent à convalescence, ilsleurarra-
« client leurs dernières ressources, ou que si les ma-
n lades meurent , ils en retirent ou en extorquent
« autant des exécuteurs testamentaires. Il vend aussi
« lescroisésà la rapacitédes personnes laïques, comme
■ jadis les juifs avaient coutume de vendre dans le
■ temple des brebis et des bœufs. Nous avons eu sous
■ les yeux une lettre du pape, dans laquelle nous avons
■ trouvé que ceux qui feraient leurs testaments , ou
" qui prendraient la croix, ou qui fourniraient sub-
'« side à la Terre-Sainte, recevraient des indulgences
442 HENRI III.
« en proportion de ce qu'ils auraient donné d'argent.
« Kn outre le pape, dans plusieurs de ses rescrits,
« a enjoint aux prélats de pourvoir d'un bénéfice
« ecclésiastique telle ou telle personne étrangère,
« absente et tout à fait indigne, qui . ne connaissant
'< ni les lettres ni la langue du pays, ne pouvait faire
« des prédications ni recevoir des confessions, et ne
« devait pas même résider dans son bénéfice , pour
« soulager les pauvres et pour accueillir les passants;
« en ajoutant que ce bénéfice devait être tel par son
« importance et par sa valeur qu'il plairait à la per-
« sonne. Itenij, nous savons que le seigneur pape a
« écrit à l'abbé de Saint-Albans de pourvoir d'un
« bénéfice convenable un certain Jean de Camezana,
« qu'il n'avait jamais vu. Peu de temps après, on
« pourvut cet homme d'une église qui valait annuel-
ce lement quarante marcs et plus; mais celui-ci,
« n'en étant pas content , se plaignit au pape. Le
« pape écrivit donc à Tabbé susdit de pourvoir ledit
« clerc d'un bénéfice plus opulent, et de réserver
« néanmoins la donation de la première église au
« même seigneur pape. Peu de jours après , deux
« personnes assez méprisables vinrent au monastère
(( dudit abbé, apportant des lettres du pape, dans le
« contenu desquelles il était dit que l'abbé devait oc-
(* troyer sur-le-champ, de la main à la main, et sans
a difficulté aucune, dix marcs aux nobles porteurs
« de ces lettres , qui en avaient besoin pour leurs af-
" faire» : comme ils se répandaient en paroles or-
« guejlleuscs et nienaçaiiles, l'abbé finit par payer.
ANNÉE (233. 445
tr Le pape, pour exlorquer spécieusement de l ar»jent,
« fait aussi ses tonloiers d\'iomnies saints el lettrés ,
<> quiont abandonné le siècle sans retour, atin d'imi-
« ter Dieu. Or, ceux-ci prennent malgré eux ce far-
« deau, pour ne point paraître désobéissants. C'est
« ainsi que de séculiers ils <ievieiinent plus séculiers
« encore, et qu'ils font mentir la grossièreté de leurs
.< habits* , puisque, sous Pextérieur de la pauvreté,
« habite Tesprit d'élévation. Comme un légat ne peut
• être envoyé en Angleterre que sur la demande du
« roi , le pape y envoie des légats déguisés et Irans-
« formés , qui , s'ils ne sont pas revêtus de robes
« rouges, n'en sont pas moins armés de grands
« pouvoirs ; et il n'est pas difficile d'en trouver des
« exemples; car la venue de ces envoyés est m fré-
<• qtiente, qu'il serait ennuyeux de vous les nommer
« tous. Au reste, ce quejen'avais jamaisvu, le pape,
" par faveur pour un séculier, permet que Ton ob-
" tienne un évéché, sans être pour cela évêque, mais
« seulement élu perpétuel, et en gardant même les
»< anciens revenus qu^on peut avoir ; ce qui revient
« à recueillir le lait et la laine des brebis, sans être
« chargé de chasAcr les loups. » Après avoir détesté
ces abus et d'aulres énormités, à savoir l'avarice de
toute es()èce . Iiisure, la smionie , les rapines, la
• VUitas tragulorum. Sans doute stragulorum : vélempiit qui sert
de manteau le jour et de couverture la nuit. Ou entendait aussi par
sliuijuluin, une étoffe rayée et travaillée en plusieurs couleurs. • Pan-
« iium struyutaium ntutinentem x\ royes. » (Dl'cakue, Gloss-)
Mais il est érident qu'il s'agit ici de l'étofTe la plus commune.
iiî HENRI m.
luxure et les débauches de tous genres, ia gourman-
dise , la recherche dans les habits , tous vices qui
régnent dans cette cour, et qui font qu'on peut dire
justement d'elle :
La terre entière ne suffit pas à son avarice ; toutes les courtisanes dn
monde ne suffisent pas à sa luxure;
l'évêque Robert poursuivit, en faisant effort sur lui-
même, et montra comment cettecour, qui espère que
le Jourdain coulera dans sa bouche, se tenait la gueule
béante, prête à engloutir les biens des intestats, et
même de ceux qui léguaient expressémentleurs biens,
et comment, pour arriver plus sûrement à ses fins,
elle entraînait dans ses rapines le roi, dont elle faisait
son complice. « L'église ne sera délivrée, ajouta-t-il,
« de la servitude d'%ypte, qu'à la pointe du glaive
« ensanglanté : ces maux sans doute sont encore le-
ft gers; mais dans peu detemps, c'est-à-dire danstrois
«< ans, des maux plus terribles arriveront.» Comme il
finissait de prononcer ces paroles prophétiques,
interrompues maintes fois par ses sanglots, ses
larmes et ses Foupirs, sa langue s'épaissit, l'haleine
lui manqua, et il perdit l'organe delà voix.
Le saint évéque de Lincoln, Robert second, quitta
donc ce monde qu'il n'avait jamais aimé, et où il
était en exil, et mourut à Bukedon, son manoir, la
nuit de la Saint-Denis. Pendant sa vie, il avait répri-
mandé publiquement le seigneur pape et le roi, cor-
rigé les prélats, réformé les moines, dirigé les prêtres,
Instruit les clercs, soulenu les écoliers, prêché devant
ANNEE 4253. 445
Iti peuple, persécuté les iuconliuenls, fuuillé avec soin
les divers écrils, et avait été le marteau et ie coii-
teinpteur des Romains. Il était libéral, prodigue,
courtois, };ai et affable à la table de la réfection cor-
porelle; mais à la table spirituelle, il se présentait
en pleurant et avec un cœur pieux et contrit. Il avait
};agné le respect de tous par sou zèle infatigable à
remplir les fonctions pontificales.
Lorsqu'il mourut, à savoir la nuit où il monta
vei*s le Seigneur, Foulques, évéque de Londres, en-
tendit au plus haut des airs un son très-doux, dont
la mélodie pouvait à juste titre récréer et charmer,
les oreilles et le cœur de celui qui Tenlendait. Aus-
sitôt, prêtant Toreille et écoutant avec attention, car
il n'était pus loin de Bukedon, il dit à ceux qui 1 ac-
compugnaieut : « Entendez-vous ce que j'entends? »>
Alors ceux-ci lui demandèrent : « Qu'entends-tu ,
• seigneur? — Un bruit qui est au-dessus des bruits
• humains, répondit l^êque : c'est comme le son
« d'une grande cloche, d'une cloche de monastère,
« qui serait balancée régulièrement dans les airs de
- la manière la plus agréable. »> Or, ceux-ci avouèrent
que, malgré toute leur attention, aucun son de cette
espèce ne parvenait à leurs oreilles. Alors l'évéque :
" Par la foi que je dois à saint Paul, je crois que le
« >éuérable évéque de Lincoln, notre père, notre
" frère et notre maitre, a passé de ce monde, et est
u déjà placé dans le royaume du ciel. Le bruit que
« je viens d'entendre en est pour moi le signe ma-
« nifesle. Au reste, ce n'est pas loin d'ici : infor-
446 HENRI III.
(( mons-auus-cn iiiconlinent. » El ilsrecoiuiurent et
apprirent, par les assertions de toute la maison, qu'à
cette môme heure l'évêque était sorti de cette vie.
Celui qui écrit ce livre tient ce fait merveilleux ou
plutôt ce miracle primitif du seigneur Jean Crachale,
clerc spécial de Tévéque, liomnie vénérable, et l'un
des plus considérés parmi tous les serviteurs de
Tévêque, lequel s'en est porté garanten le lui racon-
tant affirmativement.
Celte même nuit, quelques frères de l'ordre des
Mineurs, en se rendant à Bukedon, où demeurait
l'évêque de Lincoln Robert ( car il élail le père et le
consolateur des Prêcheurseldes Miikeurs), s'égarèrent
en traversant la forêt royale, qu'on appelle VVau-
berge, dont ils ignoraient les détours. En ce ntoment
ils eniendirent dans les airs un bruit de cloches très-
mélodieux, parmi lequel dominait un son fort doux,
nettement et clairement accentué, qui semblait de
beaucoup préférable au bruit qui l'avait précédé : ce
qui leur causa une grande surprise; car ils ne con-
naissaient dans les environsaucune église importante.
Au point du jour, après avoir erré longtemps et en
vain dans la forêt, ils renconlrèrentquelquesforestiers,
à qui l'un des frères demanda ce que signifiait ce
grand et solennel bruit de cloches qu'ils avaient en-
tendu du côté de Bukedon. Ceux-ci répondirent qu'ils
n'avaient entendu ni n'entendaient rien; et cepen-
dant ce bruit résonnait encore légèrement dans l'air.
Aussi les frères, de plus en plus étonnés, se dirigèrent
avec empressement versBukedfMi, el, y étant arrivés,
ANNÉE ^253. 447
ils apprirent que, dans cette même nuit et à cette
heure de la nuit où ils uvaient entendu dans l^air la-
dite mélodie, Tévéque Robert avait rendu son âme
bienheureuse.
Continuation de la famine en Gascogne. — Pbison-
MEBS MIS EN LIBERTÉ PAR LE ROI d'AnGLETEBRE. —
MOBT DE GtlLLACME DE VeSCY. — PONITION DE QUELQUES
CIIEVAUEBSDU COMTÉ DE ShBEWSBUBY. — SuCCÈS DES SaR-
BASLNS CONTRE LES CHRÉTIENS. — CoNQUÈTES DE CoNRAD,
FILS DE Frédéric. — Vers le même temps, en Gas-
cogne, la cherté des vivres s'accrut et s aggrava telle-
menl, qu'une charge de froment valait vingtsols, une
charge d'avoine dix sols, et que la viande et le poisson
se vendaient à un prix exorbitant, aussi bien que le
viii,'qui d ordinaire abonde en Gascogne. Aussi le
roi envoya en Angleterre le prieur de Newbury,
chanoine, et Roger Censeur, avec quelques autres,
ses féaux et conseillers, alin qu'ils rapportassent au
plus tôt ce qui était nécessaire à son armée. Ces dé-
putés étant venus a Londres, exigèrent des bourgeois
et des marchands de Londres une très-forte somme
«rargeut, avec laquelleils se procurèrent des armes, du
blé, des viandes salées, dont ils chargèrent plusieurs
vaisseaux, et ne se montrèrent ni paresseux, ni inac*
tils dans leurs exactions. Mais la cour du roi et
Parinée, semblables au gouffre insatiable de Carybde,
engloutirent presque toutes ces provisions.
En effet, le seigneur roi regardait TAngleterre
comme un puith intarissable, et comme une région
448 HENRI III.
destinée à payer pour les fautes et les excès de tous
les pays voisins et adjacents. C'est ainsi
Que les Grecs sont punis pour toutes les folies des rois.
Or, le roi, devenu comme un nouveau Lycurgue,
lit déraciner et arracher les vignes qui faisaient la
principale richesse des Gascons ses ennemis , et
Ht raser de fond en comble les châteaux et les mai-
sons. En apprenant ces ravages, les Gascons, indi-
gnés de ce genre de vengeance, regrettèrent la ma-
nière chevaleresque dont le comte de Leicester Simon
faisait la guerre , et regardèrent la destruction des
plants de vignes et Tincendie des maisons comme
une guerre de vieilles femmes et non d'hommes.
Après la prise des châteaux de La Réole etdeBazas\
ceux qui avaient été pris dans ces château^t, par la
peine et les dépenses des Anglais, furent remis libres
par le roi entre les mains de Pierre de Savoie et des
Poitevins, ses frères. Or, ces captifs, rendus à la li-
berté, se joignirent sur-le-ehamp aux ennemis du
roi.
L'Angleterre dépouillée de tous côtés de ses biens,
c'est-à-dire de ses armes, de ses provisions et de ses
trésors, était aussi privée du subside de ses nobles
chevaliers, ce qui est encore plus déplorable. En ef-
fet, après que le seigneur roi eut passé la mer, plu
sieurs doses chevaliers moururent; parmi eux, Guil-
• henagiut. Nous lisons et pntposons liesagius, qui se rapprot-lic J<-
notre înterpri^totion.
fi
ANNEE V255. 449
luunie de Vescy, chevalier, un des plus nobles barons
des pays du nord de l'Angleterre, alla où va toute
créature. Le roi aussitôt conféra à un étranger la
possession d'une garde si importante, non sans of-
fenser ses sujets naturels.
Vers le niénie temps, comme [dusieui's chevaliers
du comté de Shrewsbury, ou plutôt presque tous ceux
de ce pays n'avaient pas voulu courber le cou sous la
nouvelle constitution du seigneur roi, relative à la
prise et à la revue d'armes, ni consentira la restitu-
tion des objets dérobés, dont les voyageurs pouvaient
être dépouillés, ainsi que les Savoyards ont coutume
de le faire dans leur pays , ou leur imposa des
amendes exorbitantes, en sorte que pendant plusieurs
années ils purent à peine se procurer les choses né-
cessaii*esà leur entretien et à celui de leur maison, ou
fournir aux dépenses qu'exigeait la culture de leurs
terres.
Cette même année, à savoir le jour de la Tous-
saint, les plus fâcheuses nouvelles furent rapportées
au comte Richard, qui s'inquiétait plus que les autres
de Tétat de la Terre-Sainte. On lui dit qu'en signe
de la grande colère de Dif*u, les principaux des Sar-
rasins, c est-à-dire les soudans, avaient fait la paix
entre eux, et s^élaient confédérés pour la ruine des
chréiiens; qu'ils faisaient librement des courses dans
la Terre-Sainte; qu'ils s'emparaient, au gré de leurs
vœux et sans trouver d'obstacles, des possessions des
chrétiens; qu'ils avaient tout ravagé jusqu'aux portes
d'Acre, et même détruit dans la campagne quelques
vu. 29
450 HKNRI HI.
moulins appartenant aux habitants. Or, ils avaient
universellement conspiré pour assiéger Acre, prendre
le roi de France, à Topprobre ineffaçable de la chré-
tienté, et présenter leur captif à leur calife, qui est
pour eux comme pour nous le pape. Lorsque ces
nouvelles furent parvenues à la connaissance de plu-
sieurs, tous gémirent du fond du cœur, imputant
tous ces maux à Tavarice obstinée des Romains, qui
avaient repoussé insolemment Thumililéde Frédéric,
et avaient rejeté son offre, quand il promettaitde faire
restituer en paix tout ce que les chrétiens avaient pu
jamais posséder en Terre-Sainte; ne voulant pasqu'une
si grande conquête fût attribuée à Frédéric. Et ce
qu^il y a de plus lugubre, ils vendent aux laïques
les croisés fatigués et réduits à la mendicité, comme
jadis les Juifs, qui furent chassés |)ar le Seigneur,
vendaient dans le temple des brebis, des bœufs et
des colombes, ainsi que nous l'avons fait remarquer.
Cependant, par la volonté de Dieu, qui même danssa
colère se souvient de la miséricorde, quelques Sarra-
sins orientaux vinrent attaquer les terres de ceux qui
se déchaînaient contre nous, et qui furent alors for-
cés de se retirer en renonçant à leur projet.
A la même époque, Conrad, fils de Frédéric, pro-
speraitdansTApulieen haine du pape*. Les villes de
' Auwitôt après la mort de Frederic, le légat Gapoccio, devançant
peut-être les instructions d'Innocent IV, avait fait révolter les principales
villes de la terre de Labour. Conrad, qui était encore h Aujjsbouffj au
mois d'oelobre 4254, se rendit h Vérone, où il eut une entrevue avec Et-
jclino do Romnno eiilc li îilln s'rmbnrqucr & Pirano {PorittS P<S«tnV) ;
AWtE «255. «I
Capoue, do Naj)les, et d'autres encore, s'étaienl raii-
Ijées sous sa domination, elil eonlinuait lajjuerrequil
avait entreprise, écrasant un grand nombre de ses
adversaires. Or, il y avait un habitant et un indigène
de 06 pays, nommé Jean, dit le Maure, homme de
sang et couvert de crimes, qui savait capter la bien-
veillance des hommes parses (latteries adroites et ses
dehors d'amitié, et les empoisonnait; c'est ainsi que,
gagné à prix d argent, il avait déjà tué Frédéric, à ce
qu'on prétendait, et préparait à Conrad des pièges
mortels, mais cachés.
#
Discorde entre l'archevêque Bomface et le cha-
pitre DE Lincoln. — Uoniface se rend a Saint-Albans.
— Privilège acc(»idé par le pape a la maison de saint
Adgdstin a Cantorbéry. — La reine d'Angleterre ME1
AD monde une pille. — Le comte de Leicester va re-
joindre LE roi d'Angleterre en Guienne. — Troubles
DANS l'université DE Paris. — Vers le même temps,
au retour de I archevêque de Cantorbéry Boniface,
de la cérémonie des funérailles de Kobert, évéque de
Lincoln, unediscussion s'engagea entre lui et le chapitre
de Lincoln. En effet, I archevêque revend i(|uait de
droitcommun le pouvoir de conférer les prébendes et
les revenus dans Tévêché de Lincoln^enrabsenced'un
il débarqua à Sipooto au inuis de janvier 4252, ^ rendit à San Geruiano
au rooia d'août, et, dès le mois de 8e|ileinbre, atUit|u.i le comte d^Aquiiio
<t celui de Sora Riccardo, frère d'Iimoc^ol IV. Ciijioue capitula par l'iii-
flaeaee det familles de la l^eouessj et d'HIutli. Naples, a8«ié|j[ée au mois
de d«e«nbre, ue (ut prùe qu'au 10 octobre 425S. Ou sait le traitement
ncoureui qui fut iuiligé à cette ville. (VoiJ. M. LK Uuc UE LrvNES,
Vommeut. tur Matieo; Tabl. des %éjour$ et patatj. Xi l» Hi.)
452 HENKl 111.
pasteur; mais le doyen et le chapitre, s'appuyaut sur
un privilège spécial, etsurla coutume ancienneet ap-
prouvée, s'y opposaient. Maître Gaultier de Billes-
done, homme habile dans le droit, et digne de foi,
porta témoignage pour eux en énumérant trois églises
, qui avaient été conférées par le doyen, pendant la va-
cance du siège episcopal; beaucoup d'autres, qui
connaissaient et avaient vu le fait, s'en portèrent aussi
garants. L'archevêque, se fiant dans les pouvoirs mul-
tipliés dont il était investi, excommunia tous les
opposants; mais l'archidiacre de Lincoln, maître
Guillaume le Loup, homme habile dans le droit, élé-
gamment lettré, et jouissant d'une grande considéra-
tion, résista seul en face à l'archevêque, et en ap-
pela avec fermeté à la présence du souverain pontife,
pour le droit et la liberté de l'église. Aussi, commeil
s'opposa seul, ainsi qu'un mur, pour la possession et
la liberté de son église, il souffrit des tribulations
lamentables jusqu'à en mourir, comme on pourra le
voirdans la suite du récit. En effet, les chanoines, fa-
tigués des anciens procès qu'ils avaient poursuivis
inutilement, et ne voulant ni ne pouvant soutenir une
lutte incertaine contre un si redoutable adversaire ,
cédèrent, et en celant méritèrent le bénéfice d'abso-
lution. Mais l'archidiacre, restant ferme dans son
projet, chercha pendant ce temps des lieux de re-
traite. Enlin, croyant trouver un reluge assuré à Saint-
Edmond, parce que ce lieu et la terre de SaintAI-
bans servaient ordinairement de refuges protecteurs
aux affligés, il si; retira dans la ville de Saint-Edmond,
ANNEE 1255. 455
et se mit sous la protection du saint, après avoir lais-
sé, à tort ou à raison, s'écouler les quarante jours,
terme de la levée de la sentence. Cependant Tarchevê-
que Tv ayant poursuivi, il y trouva non pas l'asile du
refuge, mais la dureté d'une prison; et comme Tabbé
de Saint -Edmond ne pouvait ni le protéger ni le
garder, le susdit archidiacre se rendit à Rome, pauvre,
fugitif et exilé, afin de trouver au moins quelque
consolation de la part du seigneur pape. Or, le pape
ayant compassion et pitié de lui, et connaissant la
vérité, blâma la pusillanimité des chanoines et la ri-
gueur de l'archevêque, et louant au contraire la
fermeté de l'archidiacre, lui fournit un remède pa-
ternel. Mais tandis que l'archidiacre, concevant de
meilleures espérances, traversait les pays d'en deçà des
Alpes, en revenant de la cour romaine, il succomba
aux fatigui'S et aux chagrins qu'il avait éprouvés
en défendant la liberté de son église, et alla où va
toute créature; méritant d'être associé au bienheureux
Thomas, martyr, qui mourut pour une semblable
cause, mais qui, avant de mourir, avait souffert à ce
sujet une tribulation de près de trois ans.
Vers l'époque plus haut dite de cette année, l'ar-
chevêque de Cantorbéry Boniface, à son retour de la
cérémonie des funérailles du saint corps de l'évéque
deLincoln Robert, envoya demander à l'abbé deSaint-
Albans, par le monastère duquel il devait passer, l'hos-
pitalité, mais seulement pour le logis et en termes
humbles et modérés, craignant d'éprouver refus
d hospitalité pour cause d'exemption, comme la chose
A5* HENRI III,
luiétaitarrivéerécemmenlàBelvair;monastèredépen-
daut de Saint-Albans. Aussitôt Tabbéde Sainl-Albans
envoya à sa rencontre son archidiacre et quelques-uns
(Jes frères, s'excusant de ne pas yallerlui-mômesur sa
vieillesse et ses infirmités. Ils raccueillirentavec hon-
neur et révérence, nprès avoir reçu des lettres de lui,
par lesquelles il était dit quMl avait demandé Thospi-
talité à titre de charité, et il fut admis un certain jour
après Nones. L'archevêque ne voulut rien recevoir sur
les biens de la maison, quoiqu'on Ten sollicitât ar-
demment, et ne prit que les vivres et les boissons
qu'on lui offrit en présents; puis remerciant civile-
ment les frères de ce qu'il avait été reçu sous forme
de charité et d'hospitalité gratuite, il partit de grand
malin lejour de la Saint-Martin, sans être entré dans
le cloître ou dans l'église.
Le légat Othon, qui avait été comme un second
pape en Angleterre, s'était cependant conduit de la
même manière, et avait écrit des lettres par les-
quelles il demandait l'hospitalité à titre de charité;
mais l'évêque de Lincoln Robert, étant venu à Hart-
ford, ne voulut pas écrire de pareilles lettres; aussi
ne fut-il pas admis. Le lendemain il suspendit les
églises des séculiers d'Harllord; mais en ayant été
repris par le légat, il leva sur-le-champ la sentence
qu'il avait témérairement prononcée; car il avait
agi d'une façon contraire au bien.
i)ï\ à son relojir <le Saint-Albans, le même arche-
vêque reçut «les lettres du pap<>,qui lui étaient appor-
tées par un moine de Saint/Vugustin de Cantorhéry,
ANNEE ^255. 485
et qui lui interdisaient de troubler l'abbé ou le cou-
vent de cette maison, en les visitant, les suspendant ou
les eicoaimuuiant; ce qu'il avait Tintenlion de faire,
et avait déjà entrepris. A peine I archevêque eut-il lu
ces lettres, qu'il les lit jeter au leu. Vous pourrez les
trouver au livre i\es Additamenta * . Dès lors Tarclie-
véque et ceux qui lui avaient donné ce bun conseil
se félicitèrent grandement de s'être conduits paciti-
quement et avec moderation à Saint-Albans.
Vers le même temps, la reine d'Angleterre Alienor
donna au seigneur roi une fille dont elle accoucha à
Londres. L'archevêque imposa le nom et le sacrement
de baptême à cette enfant, qui fut appelée Catherine,
parce qu'elle était née et avait respiré l'air pour la
première fois le jour de sainte Catherine ^.
A celte époque , le comte de Leicester Simon ,
qu bn avait voulu nommer sénéchal de France ,
comme nous l'avons dit, à cause de sa féauté et de
son courage, mais qui n'avait pas voulu y consentir,
parce que personne ne peut servir convenablement
deux maîtres qui sont ennemis l'un de l'autre , vint
en Gascogne trouver le roi d'Angleterre, son sei-
gneur, et lui olfril avec empressentent ses services
pour dompter les rebelles ses ennemis. Or, les Gas-
cons craignaient le comte comme la foudre. Il arriva
• I otf. IWditioa XXX à U iio du volome.
* Celle princesse mourat jeune. l£lleriiteuterrée,aTevsesfrères Richard,
Jean, Guillaume el Henri, ausii morls en bas fige, dans la chapelle de
Sainl-Édouard et de Saint-Bennet à WestmiosUr. (THOMAS Mr LES,
l/sû*ii of huHour.\
456 HENIU III.
conduisant avec lui une chevalerie déiile qu'il avaii
levée à ses propres frais, et qu'il offrait d'entretenir
au bon plaisir du seigneur roi. Elle était composée
d'une multitude nombreuse de chevaliers et de ser-
gents. Or , l'esprit de charité et d'humilité qui se
met au-dessus des faiblesses de la condition hu-
maine avait inspiré au comte la pensée de rendre le
bien pour le mal et d'oublier les paroles impétueuses
de son seigneur le roi, qui jadis, dans le premier
emportement de la colère, s'était répandu contre lui
à Londres en injures imprévues prononcées publique-
ment contre toute convenance; mais de se remettre
plutôt en mémoire les bienfaits qu'il avait reçus du
même roi, quand le seigneur roi lui avait donné sa
sœur pour épouse, quand il lui avait concédé de
bonne grâce le comté de Leicester , quand enfin il
lui avait octrové en garde l'héritage de Gilbert de
Humfraville. Ce conseil qui lui avait été donné par
l'évêque de Lincoln llobert, pour lequel le comte
avait la plus vive amitié, comme étant son père con-
fesseur, tomba dans un cœur obéissant. De son côté,
le roi , admirant la conduite charitable du comte ,
l'accueillit avec de grands transports de joie. Aussi
les Gascons, qui sont les amis de la fortune, appre-
uanl que le roi d'Espagne s'était réconcilié de cœur
avec leur seigneur, le roi d'Angleterre, et que le
comte Simon était arrivé avec une compagnie et une
suite si formidable, s'humilièrent bon gré, mal gré.
Dès lors ils revinrent [pour ainsi dire] goutte à
goutte et se soumirent à la domination lé[;ilimc de
ANNÉE 4255 457
leur roi. Kn cet élat de choses, le seigneur roi se pro-
posa de retourner en Angleterre.
Vers le même temps, une grande querelle s'éleva
entre Tunivei-silé des écoliers de Paris et les frères
Prêcheurs qui étaient devenus si nombreux et si fiers
d'élre les confesseurs et les conseillers des rois, qu'ils
avaient refusé de se soumettre aux vieilles coutumes
et aux droits approuvés dont jouissaient les écoliers.
Les écoliers s'étant donc réunis, firent une collecte
entre eux et contribuèrent tous, à savoir chacun selon
son pouvoir. On préleva quelque chose sur toutes les
portions communes de la semaine ', et cette contri-
bution fut destinée à la cour romaine pour la bien
disposer en faveur de fa réclamation du clergé : ce
qui redoubla Taudace des frères susdits ; car ils
avaient à la cour romaine des amis très-inflneiits,
tels que le seigneur frère Hugues, de l'ordre des Prê-
cheurs. Le pape lui-même et beaucoup de puissants
personnages étaient pour eux.
Or, après qu'on eut dépensé beaucoup d'argent et
qu'on se fut donné beaucoup de peine de part et
d'autre, lu paix finit par être rétablie an moyen de
quelques changements introduits dans les coutumes
de Paris.
Le pape est forcé de quitteb Assise pour se rendre
A KoME. — Cupidité des Romains. —Tonnerre en hi-
* Communia hehdomadalis (texte hic). Cette façon de parier ^tait si
bien entrée dans le langage usuel, que l'on trouve souvent le root heb-
tloitmdinius (semainier) dans le m^roeseus qu« rellarius (cellcrier). On
appelait auaai r(imm«Ke«, !«• ofTniMiea qui étaient faite* aui é};lisea.
458 ilRNRI III.
VER. — Ceux qoe la famine avait chassés de la Héole
SONT exilés. — Débordement de Là mer et des fleuves.
— Miracles opérés d^ins l'église de Lincoln. — Cocp
d'oeil sur l'année ^1255. — Dans le cours des mêmes
jours, le seigneur pape était agité par de longues et
grandes tribulations; car, après qu il eut séjourné
quelque temps à Assise, on lui signifia de la part des
Romains, par des députés solennels qu'avaitenvoyés le
sénateur Brancaléon, et de la part de tous les citoyens
de Rome, qu'il eût à revenir sans tarder dans la ville
dont il devait être le pasteur et le pontife. On lui fit
aussi comprendre qu'on s'étonnait grandement qu'il
allât tantôt ici tantôt là , comme un fugitif et un va-
gabond, et qu'il laissât Rome privée de sa présence
pontificale, el ses brebis, dont il devait rendre un jour
un compte rigoureux au souverain juge, exposées
aux dents et aux griffes des loups, tandis que sa seule
occupation était d'amasser de l'arf^ent. De plus, le
sénateur et les citoyens de Rome enjoignirent aux
habitants d'Assise, avec menace de les exterminer
sans remède, de ne pas recevoir plus longtemps le
seigneur pape , que le monde regardait comme le
pontife de Rome et non comme celui de Lyon, de
Pérouse ou d'Anagni (car il s'était maintes fois caché
tantôt ici, tantôt là). Les habitants d'Assise étant donc
venus trouver le seigneur pape, lui exposèrent plei-
nement l'injonction qu'ils avaient reçue. Le pape
comprit alors qu'il lui fallait de toute nécessité re-
venir à Rome, de peur que les habitants d'Assise ne
fussent, ù leur tour, ext^^minés par la férocité des
ANNÉE 1255. 45»
Romains, comme Tavaient été ceox d'Ostie, de Porto,
de Tuseulum, d Albano. de Sabine, et récemment
ceux de Tivoli. Aussi le pape ayant fait préparer ses
bagages bon gré, malgré, se rendit à Rome en trem-
blant. Il y fut reçu avec honneur, comme il conve-
nait, par Tordre et la volonté du sénateur. Sur ces
entrefaites, Conrad, qui éluit comme une épine dans
Tceil du pape, avait pris, par terre et par mer, Na-
ples, cette cité qui avait été jadis le domicile spécial
de Virgile, et Tavait horriblement ravagée dans les
murailles intérieures et extérieures. Aussi Conrad ne
put jamais prospérer dans ses entreprises à cause de
la haine et des imprécations du peuple *.
Or, les Romains, ne voulant ni ne pouvant dissi-
muler plus longtemps leur cupidité, commencèrent
à adresser au pape des réclamations violentes, en
exigeant très-instamment de lui qu'il les dédomma-
geât de tous les torts et perles qu'ils avaient soufferts
p9r son absence, à savoir en fait de logis à louer, de
marchandises, d'usures, de revenus, de provisions
et d'autres proiils de tous genres. A cette nouvelle,
le pape gémit du fond du coeur, et, comprenant qu'il
était pris au piège, demanda conseil et consolation
* L«s hûtorîens annrent, en effet, que Conrad s'aliénait ses sujets par
son carvctère émet et ioâeul>le, et qu'il était jaloux de l'affection qu'on
témoignait « Manfred, dont la modération et l'adresse gagnaient tous 1m
oœun. Ue&igea même que son frère lui remit successivement les di-
ïerses seigneuries dont il avait ét^' inveali par Frédéric ; mais nous ne
trooToos pas que cette défiaiioe ait altéré le dévouement de Manfred.
460 HENRI III.
au sénateur. Le sénateur, par ses discours conci-
liants, apaisa la fureur du peuple en lui remontrant
quil était inhumain de troubler si grièvement leur
père et leur pasteur qu'ils avaient tous appelé en
paix pour la garde des âmes. Ainsi se calma la vio-
lence de cette tempête.
Cette même année, le lendemain de sainte Lucie,
les nuages firent tomber de la neige en abondance,
et le tonnerre en hiver annonça de fâcheux pronos-
tics.
A ce même temps de Tannée, tous ceux qui s'é-
taient trouvés à la Héole et dans les autres châteaux,
pendant que ces châteaux étaient pressés par un siège
et qui en avaient été chassés à Tépoque de la famine,
tant hommes que femmes, furent condamnés [par
le roi ?] à un exil perpétuel. Tous furent réduits à
errer et à mendier dans les pays voisins.
Cette même année aussi, la mer et les fleuves, dé-
passant maintes fois leurs limites accoutumées, cau-
sèrent sur leurs bords des dommages irréparables.
Chaque jour s'accumulaient miracles sur miracles
dans l'église de Lincoln. Par l'opération du Seigneur
et les mérites de Tévéque Robert, les autres saints
qui reposaient dans cette église, tels que saint Rémi
et saint Hugues, reçurent le pouvoir d'octroyer des
bienfaits aux fidèles, comme s'ils eussent été ranimés
et fléchis par les prières et les sollicitations. Que
personne ne s'en étonne, en se souvenant de cer-
taines violences exercées par le même évéque pen^
i
ANNÉE 425S. 464
(idiilsa vie, et qui sont consiguées dans ce livre. Il
i'bt vrai qu entre autres choses il avait vexé ses cha-
noines . c est-à-dire ceux de l'église de Lincoln, et
leur avait cause de grands dommages, quand il vou-
lait les visiter. De plus, le même Robert avait cou-
tume de fulminer terriblement contre les religieux
et plus terriblement encore contre les religieuses, par
suite d un zèle pieux, mais qui n'agissait peut-être
pas avec discernement. Je ne craindrai pas cependant
d'assurer avec conliance que ses vertus ont plu à Dieu ,
bien que ses emportements aient pu lui déplaire ; de
même que chez David et chez Pierre, je loue la dou-
ceur de David, tout en réprimandant sa trahison
envers Lrie son féal , et que je trouve belle la fermeté
de Pierre, tout en le blâmant d'avoir renié son
maitte par trois fois. Or, le premier a été trouvé
juste selon le cœur du Seigneur, et le second a été
établi prince des apôtres.
Ainsi se passa celte année, assez abondante en fruits
de la terre et des arbres, pour que la charge de fro-
ment descendit à trente deniers seulement. Mais si
l'on jouit des biens de la terre, la mer causa de
grands maux en dépassant ses limites, en se répan-
dant tout à coup comme une inondation, et en en-
traînant beaucoup d'hommes et de troupeaux. Si
cette inondation fût arrivée pendant la nuit, elle au-
rait encore produit beaucoup plus de désastres. Cette
année fut fataie à la Terre-Sainte, très-sanglante pour
la Flandre et pour les pays voisins, funeste et hon-
462 HENRI ill.
teuse puur la Frauce ; elle amena des embarras ei
des angoisses pour le pape et les gens du pape, et des
troubles pour l'Angleterre , et fit pencher vers leur
ruine les biens spirituels et temporels.
FIN DU TOME SEPTIEME.
ADDITIONS.
XIII.
Année 1250. — Voir la page 4 du volume.
Bref obtenc par l évêque de Lincoln. — « Inno-
cent, évêque, etc., à son vénérable frère l'évêque de
Lincoln, salut et bénédiction apostolique. Ta frater-
nité nous a fait savoir que quelques religieux entre-
prennent d'appliquer à leur» propres usages plusieurs
posses-sions et dîmes des églises, quoique le consen-
tement de Ion cbapitre n'ait point ratifié cette usur-
pation ; c'est pourquoi nous accordons à ta fraternité,
par Tautorilé des présentes, la faculté de pouvoir lé-
gitimement réformer les abus susdits, en réprimant
les contradicteurs par la censure ecclésiastique, no-
nobstaol tout appel. Donné à Lyon, le ^16 avant les
* alendes de juin, Tan sixième de notre pontificat '.»
' Datoi^alls: 4T mai 42<9.
464 ADDITIONS.
XIV.
Année 1230. — Voir les pages 44 et 297 du volume.
NOOVELLE DÉCRÉTALE d'InNOCENT IV, PAR l' AUTORITÉ
DE LAQUELLE BoNIFACE, ARCHEVÊQUE DE CaNTORBÉRY, PRÉ-
TENDAIT VISITER CEUX QUI ÉTAIENT A VISITER DANS SA PRO-
VINCE. — « L'église romaine, etc. Nous statuons que
tout archevêque, voulant visiter sa province, s'effor-
cera de visiter pleinement d'abord le chapitre de son
église, la cité [métropolitaine] et son diocèse propre.
11 ne devra pas s'appliquer seulement à la visitation
deséglises les plus importantes, mais encore des moins
importantes, ni seulement à la visitation des clercs,
mais encore des peuples. S'il ne peut point se rendre
commodément et sans difficulté à chacune des églises,
il s'appliquera à réunir de plusieurs lieux en une
seule congrégation les clercs et autres, pour que la
visitation d'iceux ne soit pas dédaignée. Ensuite,
qu'il lui soit permis d'exercer l'office de visitation
dans toute sa province, ou partie d'icelle, en visitant
librement les cités et les diocèses, les suffragants et
ceux qui leur sont soumis tant en églises catbédrales
qu'en autres églises, les monastères, les églises, et les
autres lieux rcligieuxet pieux, les clercset les peuples,
et de recevoir les procurations seulement des lieux vi-
sités; cependant, dès le moment où il aura commencé
h visiter quelqu'un des susdits diocèses, qu'il n'y re-
vienne ensuite en aucune façon sous |)rélexte de visita-
lion, soittju'ill'nitvisité en toutou on partie, avant que
i
ADDITIONS. 463
tuus les autres diocèses de la même province, et le
sien |>our la seconde fois, aient été visités en tout
ou eu partie, selon qu'il pourra intérieurement le
juger à propos, en sûreté de conscience. Que si par
hasard le même diocèse, ou quelque église qui s'y
trouve, a plus besoin de visitation que les autres,
qu'il interrompe alors la visitation des autres pour y
revenir, dans le cas où il en aura été requis par le
diocésain du lieu, et où il aura procédé sur Tavis et
avec l'assentiment de tous les évoques de la même
province, ou de la majeure partie d'iceux. Que les
susdits évêques se montrent bien disposés pour cela,
de peur que le salut des âmes ne soit négligé en
quelque façon. Si au contraire ils apportent malicieu-
sement quelque empêchement à cela, que l'arche-
vêque demande avec confiance la permission à cet
égard. Après qu'il aura visité une fois tous les dio-
cèses de sa province, qu'il lui soit ensuite permis
(quand toutefois il aura d'abord requis l'avis de ses
suffraganis, et qu il aura déclaré devant eu\ sa défi-
nition ' à cet égard, laquelle devra être rédigée par
* Le t«nne <le d^finilear avait une grande aaalogie avec celui de yui'^
tuteur, et indiquait également un oftice monastique. « Que chaque abbé
• ou prieur venant au chapitre |général| chaque aunée, emporte à son
• retour les définitions qui auront été publiées, et les fasse réciter deut
« lois par an dans ton chapitre, même au temps de la visitation. » Gré-
goire IX, Constit. up. iiro/ttini, pag. K57. Ces déiiniteurs paraissent
^tre des moines élut dans le chapitre (général pour avoir la haute main
dana le* élections dea supérieurs, et pour statuer et définir tout ce qui
tooebe k là discipline monastique. I. ^archevêque , comme visitateur,
use do droit d« délinition.
VU ."50
466 ADDITIONS.
écrit, afin qu'elle puisse' être connue des autres) de
réitérer'^ sa visitation dans la même manière, en obser-
vant les formes dont nous avons parlé plus haut. Si
Tassentiment des susdits suffragants n'intervient pas
eu cela, il devra toujours agir avec une précaution
telle, que dans les visitations postérieures il visite
(Pabord les églises, les clercs, et les peuples qui n'au-
ront pas été visités par lui dans les premières visita-
tions, à moins qu'il n'y en ait d'autres pour qui l'of-
fice de visitation soit plus opportun. Quand il se
mettra en devoir d'accomplir cet office, qu'il annonce
la parole de Dieu, qu'il s'enquière de la vie et de la
conduite des ministres des églises, de ceux qui sont
affectés au culte divin, et des autres personnes que
concerne ledit office; qu'il s'applique attentivement,
selon la prudence que Dieu lui aura concédée, sans
contradiction, et sans exiger aucun serment, à la cor-
rection d'iceux, au moyen d'avertissements salutaires,
tantôt légers, tantôt sévères. Si quelque accusation
infamante s'élève contre quelques-uns d'entre eux,
qu'il les dénonce, s'il le juge convenable, aux ordi-
naires desdilcs églises, afin que ceux-ci fassent une
enquête solennelle sur lesdites imputations. S'il
s'agit de crimes notoires qui n'aient pas besoin d'exa-
men, et à I occasion desquels la négligence des ordi-
naires puisse être justement réprimandée, qu'il les
corrige librement en U>ur infiigennt la peine qu'ils
4 l'Oiuit. Nous litoni po$liit.
• UeriUire. 'Sout\tton$reUeruri\
ADDITIONS. 467
aut'ODl méritée pour ce fait. Quant aux procurations,
qu il en reçoive; mais que ni lui ni aucune personne
de sou escorte ne reçoive d'argent à roccasion d'au-
cun office ou coutume, ou de toute autre façon, à
litre de procurations, lesquelles devront consister
on provisions de bouche, et être modérées. Qu'ils se
[{ardent en outre, lui et tous les siens, si un présent
quelconque ou d'une manière quelconque leur était
ainsi offert, de prendre sur eux de le recevoir: afin
qu'ils ne paraissent pas chercher ce qui est à eux,
mais seulement ce qui est à Jésus-Christ. Si quel-
qu'un ose aller à l'encontre, que celui qui aura reçu
le présent encoure une malédiction dontil ne pourra
jamais être relevé, que quand il aura restitué le
double. En effet, nous voulons qu'en fait de procu-
rations, toute fraude soit absolument évitée.
«Nous ordonnons aussi que la susdite forme de vi-
sitation soit observée pleinement par tous les évoques,
etâulres prélats, tant qu'ils sont, qui visitent, d'après
le droit ordinaire, ceux qui sont soumis à leur juri-
diction, sauf sur ce point les coutumes raisonnables
et approuvées des religieux, et les institutions régu-
lières. Il
\\
Année 1350. — Voir la pa^e ','i du volume.
KtfONSES UK LÉVÊQUF. DE LoNDRKS Al'X PRÉTENTIONS
i»E L ARCHEvé<jUE HoNiFACE. — (Extr. de \ Auct avium.)
— Quant à Taverlissement que le seigneur arche-
468 ^ ADDITIONS.
vôque a donné au seigneur évêque de Londres, de
révoquer le mandement adressé par lui au prieur de
la Sainte-Trinité, le seigneur évêque de Londres de-
mande que ce mandement lui soit présenté^ déclarant
que s'il y a dans ce mandement quelque chose qui
doive être corrigé ou révoqué, il est prêt à le faire,
autant qu'il pourra le faire selon le droit.
Le seigneur évêque de Londres demande que le
même archevêque, de concert avec lui, élise quatre
hommes probes, dignes de fois, et habiles dans le
droit, et que cesquatre', de concertavec un cinquième
communément élu, écoulent les raisons du seigneur
évêque, parlant pour lui et pour les sujets de son
église, ainsi que les raisons du seigneur^ archevêque
de Cantorbéry, touchant le fait de la visitation, pour
que l'affaire soit terminée en paix par eux, si la
chose est possible. Si ces arbitres ne s'accordent point
à une seule sentence, qu'ils consultent le seigneur
pape, et que sa décision définitive soit attendue.
Autre chose. Le seigneur évêque demande que le
seigneur archevêque révoque de fait ce qu'il a fait
de fait à l'égard de ses sentences, lesquelles avaient
été prévenues par appels légitimes ; que dans l'inter-
valle de ce temps il s'abstienne de poursuivre une vi-
sitation insolite ; qu'il lusse uneconvocation des frères
et de ses coévêques; qu'après qu'il aura recueilli
leur avis, et qu'il en aura délibéré avec eux, une ré-
solution soit prise sur ce qui devra être fait, selon la
' lp$e. NouR lisoni ipsi.
\
ADDITIONS. 469
justice, la paix et rhonuêlelé dudit archevêque, et de
ceux qui sont soumis à sa juridiction. Ledit évèque,
avec ceux qui lui sont soumis, promet d'accepter
la convention qui sera déterminée, et de l'observer
uniformément avec ses frères les coévêques. S'il ar-
rive qu^une dissension s'élève entre les évêques, il
s'engage pour sa part à adhérer à la majeure et à la
plus saine partie d'iceux.
Autre chose. Le seigneur évêque de Londres de-
mande que le seigneur archevêque, après avoir pro-
noncé la révocation de ses sentences, comme il a été
demandé plus haut, procède à la visitation du reste
des évêques de la province, comme il a fait pour la
visitation dudit évèque *, et renvoie en paix les sujets
du même évêque, jusqu'à ce que le seigneur pape,
ayant été consulté et ayant entendu et compris les
griefs des églises, décide expressément ce qu'il faut
faire finalement en de pareilles circonstances.
11 faut remarquer aussi que l'archevêque a refusé
formellement, tant à l'évêque qu'aux chanoines,
communication de son bref authentique.
XVI.
Année 1230. — Voir la page 71 de ce volume et la page 482 du
précédent.
Pouvoirs donnés a Bernard de Nympha, au sujet de
L'ARtiF.M i)F i.A fuoisADE ^. ( Exlr. de l Auctarium. ) —
ni visiUiuoite peisuita. Probablemt'iil de la personne (jUJ parle.
Sens obieur.
' Tout Uf* documents comprit tout ce naméro |M)rt«nt pour date i 247 :
470 ADDITIONS.
« Robert, par la grâce divine, évêqiie de Lincoln, à
ses chers fils en Jésus-Christ, tous les archidiacres
institués dans le diocèse de Lincoln, salut, grâce et
bénédiction. Nous avons reçu des lettres du seigneur
Jean Sarrasin, sous-diacre et chapelain du seigneur
pape et doyen de Wells, et de Bernard de Nympha,
écrivain du même seigneur pape, ainsi conçues:
«A leur révérend père et seigneur en Jésus-Christ,
Robert, par la grâce de Dieu, evéque de Lincoln, et
au discret homme, son officiai, Jean Sarrasin, sous-
diacre et chapelain du seigneur pape, doyen de
Wells, et Bernard de Nympha, écrivain du même
seigneur pape, salut avec dilection sincère. Sachez
qu'après les divers mandements du siège apostoli-
que, qui ont été adressés jusqu'ici à nous et aux au-
tres prélats du royaume d'Angleterre, au sujet de la
rédemption des vœux et d'autres choses dans le même
royaume, octroyées par le susdit saint-siège au no-
ble homme le seigneur Richard, comte de Cor-
nouailles, desquels mandements copie et teneur
vous ont été envoyées depuis longtemps, revêtues
de nos sceaux, et sont entre vos mains à notre con-
naissance; nous avons reçu dernièrement un man-
dement apost(>lique conçu en ces termes :
Bref authentique.
« Innocent, cvêque, serviteur desserviteursdeDieu,
mais nous avonf frétM noui conformer nu renvoi positif indiqua' par
Malt. Plrii.
ADDITIONS 471
à ses fliers fils Jean Sarrasin, son sous-diacre et son
oba|>elain, doyen de Wells, el a maître Bernard de
Nympha, son écrivain, demeurant tous deux en An-
{jleterre, salut et bénédiction apostolique. Il a été
eiposé par-devant nous, de la part de notre cher
fils le noble homme Richard, comte de Cornouailles,
(ju après les divers mandements octroyés au comte
susdit, par le siège apostolique dans le royaume
d'Angleterre, au sujet de la rédemption des vœux,
tant par nous que par notre |)rédécesseur le pape
Grégoire , d'heureuse souvenance , nous veuillions
trouver bon d'enjoindre par nos lettres, à toi notre
fils le doyen, à celui qui est dans le royaume susdit
le supérieur de Tordre de la Sainte-Trinité et des
Captifs, ainsi qu'à l'archidiacre de Barkshire, d'avoir
soin de procéder, dans l'affaire susdite, conformé-
ment à la teneur des premières lettres ; mais le sus-
dit archidiacre se trouvant hors du royaume, et s'ex-
cusant en totalité de suivre cette affaire, de plus le
même supérieur te confiant, à toi Bernard, notre fils,
ses pouvoirs en totalité pour celte affaire, nous vous
recommandons de nouveau de procéder sans délai
fâcheux à la même affaire, selon le contenu des
précédentes lettres. Donné à Lyoji, le 5 avant les
ides d'octobre, l'an (|uatrième de notre pontificat '.
«Comme donc nous voulons paraître des fils d'o-
bédience, comme nous le devons, que la nécessité
d'obéir nous est imposée et que la témérité de la
472 ADDITIONS.
résistance nous est interdite; comme surtout, outre
que nous sommes tenus à une obéissance spéciale en-
vers le susdit saint-siége, le mandement du roi,
aussi bitn que les sollicitations assidues du susdit
comte, nous excitent à la consommation et à Taccé-
lération de la susdite affaire; comme de plus nous
considérons que Ton pourra procéder dans la chose
susdite, par le moyen des ordinaires des lieux, plus
à propos et plus salutairement, sans scandale et sans
bruit, et avec la célérité désirable, nous avons ré-
solu, sur l'avis des prudents, et selon le souhait du
même comte, de les appeler à partager ce fardeau et
cette sollicitude, afin que par Taide de plusieurs, et
en nous adjoignant plusieurs avis, nous procédions
à ce qu'on doit faire en cette occasion avec assez de
régularité et de prudence, Dieu aidant, pour que
nous ne puissions pas être taxés, auprès du seigneur
pape, d'une désobéissance nuisible pour nous, ni
être accusés de négligence auprès du susdit seigneur
comte. Aussi nous enjoignons à votre discrétion ,
avec le respect que nous vous devons, en vertu de
l'obédience au nom de laquelle injonction nous est
faite, et nous vous commandons expressément, sous
peine d'interdit, en vertu de Tautorité dont nous
sommes revêtus sur ce point, de ci.ter péremptoire-
ment tous les archidiacres et leurs ofGciaux de la
ville et du diocèse de Lincoln, ainsi que les archi-
diacres des monaslcres, exempts et non exempts de
la même ville et du même diocèse, à comparaître
|)er8oiMiellement par-devant nous, dans Téglisc de
AUDITIONS. 47.-
Saint-Marliii-le-Graiid à Londres, le plus prochain
jour de lundi après l'Assomption de la bienheureuse
Marie, qui doit arriver bientôt, pour faire, à Tégard
de Texéculion des choses susdites, ce qui a été or-
donné et réglé par les prélats du même royaume.
Sachez donc pour sûr, que quelque grand que soit
notre désir d'avoir de la déférence pour vous et pour
les vôtres, nous procéderons cependant contre les
rebelles et les résistants, autant qu'il sera permis
selon le droit et que nous le pourrons; pour vous,
ayez soin de nous informer, par vos lettres patentes,
au moyen du porteur des présentes, tant de la ci-
tation que vous aurez faite que du nom des per-
sonnes citées, faisant en sorte que celui de vous à qui
ce mandement aura été présenté le premier Texé-
cute sans aucun délai et sans même attendre son
collègue. Donné Tan de grâce ^247, le 2 avant les
noues de juin.
« * C'est pourquoi nous vous recommandons, en
vertu de l'obédience, et nous vous enjoignons fer-
mement, sous la peine susdite, de comparaître, tous
en général et chacun en particulier, avec vos offi-
ciaux, auxdits lieu et jour, selon le susdit mande-
ment, ptiur faire ce que le droit décidera, si vous
voulez éviter la peine susdite. Vous nous ferez savoir
par vos lettres patentes à quel jour et en quel lieu
vous aurez reçu ces lettres. Item, que dans chaque
paroisse de vos archidiaconats, quelques croisés di-
' La circulaire 4e Robert G roue-Téle reprend ici.
474 ADDITIONS.
giies de foi soient députés par vous, de concert avec
un prêtre, pour inscrire les noms des croisés mou-
rants, soit ceux qui sont déjà décédés, soit ceux qui
viendront à décéder, pour inscrire aussi combien
ceux-là auront promis ou légué au secours de la
Terre-Sainle, et quels auront été les exécuteurs. Que
Ton enjoigne aux exécuteurs d'avoir l'argent tout
prêt quand ils en seront requis ; que les relevés de
chaque paroisse soieut portés dans les chapitres des
doyens, par les recteurs ou les prêtres, avec le té-
moignage de quelques-uns ou de quelqu'un des croi-
sés; que le doyen, avec le témoignage de quelques-
uns qui devront être députés à cet égard, rédige tous
ces relevés en un seul relevé; qu'il y appose son
sceau avec les sceaux de ses collègues, et qu'il porte
ledit relevé à la maison des frères Prêcheurs ou
Mineurs qui auront prêché dans le même lieu.
Qu'aussitôt la collecte de l'argent provenant de là
soit faite sur le vu de celui qui aura prêché, ou de
celui que le prédicateur lui-même pourra appeler à
cet effet en chaque lieu ; qu'il soit déposé dans le lieu
saint, sous le sceau de celui qui aura prêché, et des
collecteurs, pour être remis à nous et au seigneur
évêque de Worcester, ou aux nôtres assignés à cet
effet, quand nous jugerons à propos de l'exiger.
Quant aux biens des croisés qui meurent sans testa-
ment, en ce qui touche la portion les concernant,
que cette portion soit réglée par les amis des défunts
et par les frères désignés pour prêcher au même
lieu, déserte qu'on assigne au secours de la Terre-
AUDITIONS. 475
Sainte autant qu on pourra le faire sans scandale,
afin que les défunts (?) obtiennent indulgence plé-
nière. Item, que tous les malades et les mourants
soient exhortés par les chapelains et par les autres
qui assisteront à la confection de leurs testaments,
à prendre la croix s'ils ne Tout pas encore prise , et
que ceux-là aussi bien queceux qui auront pris la croix
auparavant déclarent combien ils veulent donner
pour le secours de la Terre-Sainte; qu'on leur dise
expressément que s'ils donnent complètement selon
leurs facultés, ils obtiendront indulgence plénière;
que s'ils donnent moins, ils seront seulement parti-
cipants, à savoir selon la quantité du subside et la
vivacité de leur dévotion. Que nul cependant ne soit
forcé de contribuer au delà de sa volonté. Que tout
cela soit écrit et rapporté , de la manière plus haut
dite.
« Or, nous et le seigneur évêque de Worcester nous
enjoignons cela aux prêtres qui assisteront aux tes-
taments , par l'autorité apostolique, en vertu de l'o-
bédience et en rémission de leurs péchés , tant pour
eux que pour les autres. Vous aurez soin de nous
informer par vos lettres patentes de ce que vous au-
rez fait à cet égard , avant la fête de l'Assomption
de la bienheureuse Marie. Donné à Edeveton («»c),
dans le diocèse de Salisbury, aux calendes d'août,
Tan douzième de notre pontificat'.»
r août 4247. Hâtait, en effet, été coiuacrô au iiioiti de juÏQ
I23.>.
476 ADDITIONS.
Il faut savoir que cette même année , avant que
cette collecte odieuse eût commencé à être ainsi
faite, le comte Richard reçut vingt-cinq livres sur la
terre de Saint-AIbans, par les mains de Tarchidiacre
du même lieu.
XVII.
Année i2o0. — Voir la page 137 du volume.
Lettre apostolique réformant la sentence pronon-
cée CONTRE les chanoines DE SaINT-PaOL DE LoNDRES
PAR l'aRCHEVÊQDE DE CaNTORBÉRY, QCI VOULAIT LES VISI-
TER. — « Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de
Dieu, à ses chers fils les abbés de Saint-Albans el de
Waltham , et à Tarchidiacre de Saint-Albans du dio-
cèse de Lincoln et de Londres , salut et bénédiction
apostolique. Il a été exposé par-devant nous, de la part
de nos chers fils Henri, doyen; Pierre, archidiacre;
Robert , chantre ; maître Guillaume de Lichfield .
Guillaume la Faite et Robert, dit le Moine, les dessus
dits chanoines de Londres, que notre vénérable frère
l'archevêque de Cantorbéry s'étant rendu à Téglise
de Londres pour y exercer Toffice de visitation , et le
chapitre de celte même église ayant déclaré que lui
et cette église étaient libres et exempts de sa juridic-
tion, et ayant refusé pour cela d'admettre le même
archevêque à la visitation et de lui fournir le service
de procuration , le même archevêque , en vertu de
son autorité propre, a promulgué, 5 cause du dé-
lit du même chapitre, une sentence (rexcommuni-
AUDITIONS. 477
calion contre les personnes d'iceux ; et qu'ils ont
humblement demandé à entendre an moins la messe.
A quoi le susdit arcbevêqne a répondu contradicloi-
rement, que s'il avait prononcé cette sentence contre
eux , ce n'était poiut à cause du délit du chapitre ,
mais à cause du délit des susdits doyen et autres. La
forme de celte sentence a été lue en notre audience
et en celle de nos frères, et nous en avons fait insérer
la teneur dans les présenles , pour cautèle. En voici
les termes : » Que tous sachent tant qu'ils sont, que
« nous, Boniface, par la grâce de Dieu, archevêque
« de Cantorbçry, primat de toute l'Angleterre, après
« avoir visité les cités et les diocèses de Cantorbéry
«« et de Hocbesler, avons voulu visiter notre véné-
t* rable frère Tévêque de Londres, et sommes des cen-
H du pour visiter le chapitre de Téglise cathédrale
« de Saint-Paul de Londres. Nous avons averti de vive
« voix , et nous avons fait avertir maintes fois par
« d autres, le doyen et le chapitre de la susdite église
u cathédrale de Saint-Paul, de nous admettre avec
M respect comme leur métropolitain, selon la forme
« consacrée par le droit, pour exercer dans leur
« église TofGce de visitation; mais le doyen lui-même
« et le chapitre ont refusé de le faire en humanité,
« et ont déclaré de vive voix par-devant nous , qu'ils
« ne nous admettraient en aucune façon à exercer
« le susdit ofGce de visitation ; ils ont tenu fermées
« les portes du chœur et du chapitre, où nous vou-
« lions exposer manifestement la parole de Dieu, et
« nous ont empêché, de parole et de fait, de pou-
478 ADDITIONS.
H voir exercer le dû de notre office. Autant de temps
« que nous avons été présent de corps dans celte
« église de Saint-Paul , ils ont suspendu , au gré de
« leur volonté , l'usage des orgues ' qui servent à la
« louange divine, et cela à Tinjure manifeste et au
« grave préjudice de l'église de Canlorbéry, ainsi
« qu'au péril des âmes et au scandale de plusieurs.
« Nous donc qui ne voulons ni ne devons laisser im-
« punie une injure aussi manifeste, pour que lesau-
« très ne puisent pas dans cet exemple l'audace de
« résister semblablement; après avoir préalablement
« adressé admonition convenable ; considérant qu'ils
« nous ont repoussé avec tant de témérité et d'inhu-
« manité de l'exercice de l'office de visitation , et
« qu'ils n'ont point pris souci de nous obéir et de
« nous satisfaire sur ce point; nous excommunions
« par écrit et déclarons devoir être excommuniés
« publiquement par l'autorité de Dieu tout-puissant,
« des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et de notre
« très-bienheureux patron saint Thomas , martyr
« glorieux , Henri, doyen; Pierre, archidiacre; Ro-
« bert, chantre de Londres; maître Guillaume de
« Lichfield; Guillaume la Faite, et Robert , dit le
« Moine , les dessus dits chanoines de Londres , les-
' CVlail, en (Tfct, une insulte (fravc dans les mœurs du temps. Le
jea de l'orgue était considéré comme une partie si importante de roffiu;
divin, qu'on appelait du nom commun tVorgnnwn, la messe et les autres
cérémonies du culte. Organa resumere^ reprendre la célébration des
offioes; rontinuarr organadiviiiurum, In continuer, etc. (Foi/. Ckix-
l'KNTIEK, Suppléni. ad verh.)
ADDITIONS. 479
« quels se sont opposés irrévérencieusenteiit , et out
«• été présents, et qui évidemment et notoirement se
« sont rendus coupables envers nous d'opiniâtreté,
« de rébellion et de contradiction. Fait à Londres,
'< dans la susdite église de Saint-Paul, le jour de
«< mardi après T Ascension du Seigneur, Tau du même
• Seigneur ^250. »
Après donc que nous avons entendu et compris
jjleinemenl les choses qui nous ont été exposées des
deux côtés par les parties, nous , pesant avec Texa-
men perspicace de notre discrétion les paroles de la
sentence susdite , et voulant détruire, par le remède
d'un abrégé salutaire, le sujet d'une discussion pro- .
lixe à cet égard , qui ne pourrait que se prolonger au
<létrimeot des deux parties, nous décidons et décla-
rons, avec Tavis de nos susdits frères, que la susdite
sentence, qui a été notoirement prononcée contre les
sus.iits Henri , doyen ; Pierre , archidiacre; Robert,
chantre, et autres chanoines de Londres , en ce qui
touche le délit du susdit chapitre , doit être regardée
comme absolument nulle; qu'ils ne sont enveloppés
d'aucun lien par elle, et qu'ils ne doivent être, en
aucune façon, ni mal notés, ni évités, à cause de la
dénonciation d icelle. Quant à cela que le même ar-
chevêque exposi' qu'il a prononcé ladite sentence
contre eux , à cause du délit d'iceux , nous Pécoute-
rons à cet égard , selon qu'il sera de droit. C'est
pourquoi nous recommandons à votre discrétion ,
par ce rescrit apostolique, de faire casser absolument
les déclarations de la sentence siisdite que l'arche-
480 ADDITIONS.
vêque susdit, à ce qu'on assure, a fait prononcer
contre les susdits doyen et autres, en tant qu'ayant
été portée contre les susdits chanoines de Londres ,
à cause du délit du chapitre, en réprimant les con-
tradicteurs en vertu de notre autorité , nonobstant
toukappel. Si vous ne pouvez tous donner vos soins
à raccomplissement du susdit mandement, que deux
d'entre vous l'exécutent néanmoins. —Donné à Lyon,
le 5 avant les calendes d'octobre, l'an huitième de
notre pontificat '. »
XVIII.
Année 12o< . — Voir les pages 136, 169 du volume.
Lettres du maître de l'Hôpital. — « Au reli{{ieux,
illustre et prudent homme, son ami principal et très-
spécial frère Gaultier de Saint-Martin, de Tordre des
Prêcheurs, frère Guillaume de Châleauneuf , par la
grâce de Dieu , humble maître de l'Hôpital de Jéru-
salem, salut et dévouement entier à sa volonté. Kspé-
ranl que vous serez charmé d'apprendre des nou-
velles quelles qu'elles soient de la Terre-Sainte, nous
avons jugé à propos de vous faire savoir qu'après ce
désastre inexplicable que le seigneur roi de France,
vaincu et pris par les ennemis, a souffert en Egypte,
ainsi que toute l'armée chrétienne, le susdit roi, déli-
vré niiraculeusement par l'opération de la clémence
divine, est venu dans la ville d'Acre, avec ses frères
Al>DniONS. 481
1*1 quelques nubles |>rincesdont le Seigneur, au mo-
ment de la confusion , avail préservé la vie contre la
destruction. Comme il ne pouvait, sans dérogera la
sublimité royale, abandonner la terre de Syrie, dé-
pourvue de trêve, aux chances de lexterminalion, il a
renvoyé en France ses frères et tous les autres nobles,
pour y lever des secours, et s'est proposé de séjourner
ici jusqu'à ce que, par les subsides de sa nation et des
autres fidèles du Christ, il pût écraser Torgueil des
perfides, ou régler, pour la Terre-Sainte, un état
prospère par la médiation des trêves. Quoiqu'au mo-
ment où nous rédigeons les présentes , une grande
discorde existe entre les soudans d'Alep et de Baby-
lone, et puisse faire es[)érer que la conclusion d'une
trêve convenable devra intervenir, il ne nous paraît
pas cependant très-certain, à nous, qui avons éprouvé
les artifices des païens, que la chose puisse être ame-
née à Teffet souhaité par les instigations de quelques-
uns et de plusieurs qui s'entremettent pour la trêve.
Mais dans la suite du temps, quand les affaires seront
devenues plus claires, nous aurons soin d'informer
votre prudence des événements qui seront survenus.
Porlez-vous bien. •
Le même au même.
a Au religieuxethonorable homme, ami tres-clier et
s|iécial de l'Hôpital, frère Gaultier île Saint-Martin ,
de l'ordre de» Prêcheurs , frère Guillaume de Châ-
leanneuf, par la grâce de Dieu, huntble maître de
vn. 54
}82 ADDITIONS.
la sainte maison de 1 Hôpital de Jérusalem , et gar-
dien des pauvres du Christ, salut et volonté prête à
ses bons plaisirs. Comme nous avons appris que par
votre grâce vous avez toujours chéri siucèremenl la
maison et les frères de l'Hôpital, et que vous avez té-
moigné un empresseiv.ent fidèle pour leurs volontés,
nous en rendons à votre libéralité d'abondantes ac-
tions de grâces , vous faisant savoir que par cette
conduite vous nous avez faits vos débiteurs , nous et
tous les frères de l'Hôpital, et que vous nous trouverez
perpétuellement obligés à tout ce qui pourra être votre
bon plaisir. S'il vous est agréable de recevoir de nos
nouvelles, nous vous faisons savoir qu'après avoir
été délivrés de la prison des Babyloniens, par Tin-
tervenlion du seigneur roi de France, avec trente de
no» frères, d'autres religieux el beaucoup deséculiers,
nous sommes entrés, parla grâce de Dieu, dans la cité
d'Acre, le dix-septième jour du mois d'octobre, lais-
sant dans lu captivité d'Egypte une très-grande multi-
tude de fidèles, que nous espérons devoir être délivrés
très-prochainement avec l'aide -de Dieu. Une grande
discorde s'est élevée entre les soudans de Babylone
et d'Alep; ce qui nous donne lieu de penser en con-
fiance, que si un secours de chevalerie nous arrive des
pays d'oulre-mer, la condition de la Terre -Sainte
pourra être améliorée, et l'orgueil de nos ennemis
écrasé. Portez-vous bien . » A ces lettres étaient ap-
pendues deux bulles ou sceaux.
ADDITIONS. 4«5
XIX.
Année 1254. — Voir les pages 214 el 228 dn volume.
I.
StATOTS do pape (iRÉGOIRE IX SUR LA RÉFORMATION
DE l'OrDRE-NoIR , RENOUVELÉS PAR INNOCENT IV'. —
-1. Nous statuons, en preinier lieu, que tous les moi-
nes établis duns une abbaye, à l'exception des malades
* GDillaumc WaU , dans iioc note insérée à V Aurtarium (pag. t47
de notre édition), cherche à déterminer la place de cette addition et de
l'addition suirante. Sa discussion, asset obscure, n^a, selon nous, rien de
concluant, parce qu'il n'a pas examiné d'iissez près le teste de l'auteur.
Les abbés bénédictins, rassemblés à Londres, viennent de promulguer des
statuts applicables à toutes les communautt's de leur ordre eu Angle-
terre. Thibaut, prieur de Hurley, et Jacques, sous-prieur de Saint-Au-
i;4istin de Canturbéry, sont chargés, à titre de visiteurs, d'en prescrire
l'observation. De son côté, le pape, dans la même année 12<')1, reuou-
veile l'exemple de Grégoire IX qui, à l'assemblée de Londres «n 1258,
avait fait publier des statuts généraux par son légat Othon. Innocent IV
compose donc de nouvelles décrétâtes [novas rimposuit décrétâtes),
qui ont un caractère d'universalité, et désigne les évéquesdioct'-sains pour
veiller à leur exécution à titre de visiteurs et d'ordinaires. Aussi Matt.
Péris appelle-t-il utiles et nécessaires les statuts des abbés, tandis que
les statuts du pape sont loin d'obtenir son approbation. {Quosrtam ar-
tieulos leyulœ sancii Henedicti imfieriinentcs^ pag. 584 du texte.)
De même pour lui, les moines visiteurs sont des gens paciliques, les
évoques visiteurs presque des tyrans. A I époque de la vi^'itatton de Thi-
baut et de. Jac/|ue«, les décrétales du pape n'ont pas encore force de loi
«anonique. Mais l'année suivante, les évéques obtiennent droit de visite
avec procurations restreintes. (Voy. les additions XXIV et XXVI.) lu»
4 2.^1, l'fvéque de Lincoln prétend à visiter Saitil-Albans, et nous pen-
•oos qu'ici doivent se placer les réponses du couvent. La communauté,
pour prévenir la visite, répond que res statuts sont observés, sauf quel-
ques légère» etceplious, et pour éviter d'être pressée sur ce point, en
appelle au pape.
484 ADDITIONS.
et (les gardiens d'iceux, aussitôt qu'ils auront entendu
le son de la cloche, quitteront toutes leurs occupa-
tions , puisqu'ils doivent savoir que rien ne peut
passer avant le service ' divin, et se rendront à l'é-
glise avec Tempressement dû. Ils serviront Dieu dans
l'église avec crainte et révérence, et entendront, selon
la règle, le commencement, le milieu et la fin des
heures; ils offriront à Dieu le sacrifice de louange,
fruit de leurs lèvres, en pureté de conscience et en
dévotion de cœur.
Que chaque mois, dans les monastères , une con-
fession générale de tous les frères ait lieu ; que tous
et que chacun s'y soumettent shqs aucune excuse ;
que le premier dimanche du mois , les frères com-
munient avec le corps et le sang tie notre Seigneur
Jésus-Christ. Si quelqu'un, pour une cause quelcon-
que, juge à propos de s'en abstenir, qu'il ne diffère
point de déclarer cette cause à l'abbé propre, ou au
prieur, en l'absence de l'abbé, ou aux pénitenciers dé-
signés par l'abbé^, afin que par leur jugement, ou il
s'abstieime ou il vieune à la communion.
Que la rigueur de la disciplinesoit maintenuedans
le chapitre ; que le silence soit observé dans l'église,
dans le (rloîir<' , dans le irferloire et dans le dortoir.
' Diuoverunt. Noue lisons et traduisons divino noverunt.
> Los mois soulignes, soit vitriuiitos, soil additions, sont fournis par
une copie de ces mêmes statuts, remise sans doute au couvent de Sainl-
Albans avnni la visitation projetée par Pëv<?que do Lincoln, et cette copie
.intérieure difTire du rAlc présenté par IVvi^quo, comme l'indiquent évi-
drmnu-nl irit uioU tu mistio lulu'o ou siniplcmcnt tit HOSiro.
ADDITIONS. 485
On (livra iulli{]er aux transjjresseiirs le châtiinenl fix/*
|jai- les statuts réjjullers.
2. Qu'on fasse connaître Iréqueminenl et spécia-
lement, à tous ceux qui voudront entrer en religion,
ces trois principes : obéissance, continence, et vivre
sans avoir rien en propre; qu'on leur répèle que les
convers et les moines sont astreints à cela. Qu'on
leur dise expressément et spécialement qu'étant pla-
cés sous la direction de Tabbé et du prieur, ils ne
sont obli}{és nullement, jusqu'à leur entrée en reli-
}jion , envers le monastère , ni le monastère envers
eux*, et que jusqu'à la lin de l'année ils pourront
se retirer quittes envers ledit monastère, et ledit
monastère s'acquitter avec eux, si leurs mœurs ne
plaisent point à l'abbé et au couvent. Qu'on explique
auxnovic^s, avant de les admettre, ce qu'il y a <ledur
et de pénible; une fois admis, qu'on leur lise trois
fois dans l'année d'épreuve la règle de l'ordre dans
les termes fixés par le bienheureux Benoît. Qu'un
instructeur fidèle soit affecté aux novices ; qu aucune
administration ne leur soit absolument confiée jus-
qu'à ce qu'ils aient fait profession. L'année d'épreuve
étant donc accomplie, que les novices fassent aussitôt
profession et reçoivent la bénédiction. Si par hasard
ils ne le voulaient pas, qu'ils se retirent au plus vite.
— Que personne ne soit admis avant d'avoir atteint
la quinzième^ année de son âge, et qu'aucune pro-
< Le texte nous semble faotif. Nous donaous le sens probable.
' La variante donne dix-/lvt(ténie, ce. ({ui nous parait la bouuc le^ou.
C'est déjà UM dérogation aus statuts publia par le cardinal Olhun, les
486 ADDITIONS.
fessioii ne soil faite par ceux de cet âge qui seront
admis.
~'5. Que les prieurés, les doyennés, les prévôtés et
toutes les autres adminislrationssoient conférées f;ra-
tis , Stins aucune vénalité ni aucun pacte , et exclusi-
vement à des moines bons et habiles. Que les prieurés
conventuels ne soient pas conférés à d'autres qu'à des
prêtres , ou qu'à des personnes telles quelles soient pro-
mues dans l'année ; si elles ne sont point promues dans
l'année, quelles perdent ces prieurés. Si quelque moine
est convaincu d^ avoir donné ou promis quelque chose
pour pareil office, qu'il soit regardé comme simonia-
que, qu'il soit privé de l'office ainsi obtenu, et qu'il
n'obtienne jamais ni dignité ni honneur dans l'ordre.
Si le diocésain, les visitaleurs ou les définiteurs con-
çoivent à cet égard de fortes présomptions contre
quelqu'un , qu'ils le privent du prieuré ou de toute
administration obtenue ainsi. Que l'abbé qui aura
vendu un office soit puni comme simoniaque. Si quel-
qu'un demande, par Tinterventlon de personnes sé-
culières , qu'une obédience ou un prieuré lui soit
confié, qu'il ne l'obtienne jamais, et même qu'il
n'en obtienne pas un autre dans l'année.
Que les prieurs conventuels ne soient point desti-
tuésà moins de causeroisonnable, comme, par exem-
ple, s'ils sont ditapidatcurs de leur maison, s'ils sont
désobéissants et rebelles , s'ils passent pour inconti-
(|UcU lisent la probiilion n «lit-nuiif ans nu \A\\\> tât, cl la professiua r
vhigt ans ac<;oinplii.
ADDITIONS. 487
neiits ou pour in là mes, ou s'ils doivent élre promus
à une plus haute dijjiiilé , ou pour une autre cause
(rutilité manifeste. Nous voulons aussi que la même
chose soil observée à l'égard des prieurs inférieurs ,
qu'aucun prieur n'obtienne des lettres de coulirm.»-
lion par lesquelles il ne doive pas être p4'ivé de son
prieuré ou de son obédience ; si de pareilles lettres
ont été obtenues, qu'elles soient nulles de plein droit.
4. Nous défendons aussi lorniellement qu'aucun
moine ait plusieurs abbayes <»u prieurés, ou une ab
baye et un prieuré [à la lois], ni une part monacale
dans plusieurs monastères ; que celui qui aura une
administration dans Tabbaye n'en ait aucune à Tex-
térieur. à moins qu il n arrive que cette administra-
tion ne soit annexée à radmini>tration intérieure.
î). Qu'un seul moine ne demeure point dans un
prieuré ou dans une granjje; mais qu'on adjoign»' à
celui qui est seul un moine ou plusieurs moines pour
compagnons, selon que le comportent les facultés du
lieu ; autrement qu'il soit rappelé au cloître; qu'on
veille cependant à ce que les offices divins soient
célébrés honorablement dans le même lieu.
6. Lorsqu'un abbé voudra confier à quelqu'un des
frères un bailliage ou une prévôté, ou le soin de
quelques revenus, il ne fera point de ferme avec lui,
ni ne recevra de lui, ou ne lui demandera des cau-
tions. L'abbé enjoindra expressément à ceux qui se-
ront chargés de quelque administration, de ne mo-
lester personne, de n'élever de réclamation contre
|>crsonne. de n'opprimer pei'sonne par dcr. inju-lic<°s
488 ADDITIONS.
ou des exactions indues, de ne pas vendre plus cher
au terme, et de ne pas faire des contrats déslionnêtes.
7. Quant aux prieurs, aux obédienciers , aux
moines ayant administration temporelle, aux baillis
et aux prévôts, nous statuons que, s'ils tombent gra-
vement malades , ils résigneront et assigneront à
Tabbé leurs administrations et toutes choses qu'ils
pourront avoir provenant de là, après en avoir rendu
compte sans délai , et après confession préalable.
8. Quant à la qualité des mets et aux habits, nous
voulons qu'on observe ceci : à savoir que tous les
moines aient des habits du même vestiaire, et que
les plais qui ont coutume d'être servis dans les cham-
bres étant [désormais] complètement interdits, ils se
restaurent régulièrement dans le ijnême réfectoire ,
à la même cuisine , avec le même pain et la même
boisson ; sauf la pitance, qui a coutume d'être portée
à la grande table , pour une cause déterminée ; à
moins aussi que les moines ne mangent dans l'infir-
merie ou à part avec l'abbé. — Que l'abbé, cependant,
mange dans le réfectoire avec les moines^ à moins qu'il
ne change le lieu pour faire honneur à d'illustres hôtes.
Que depuis les ides de septembre jusqu'au com-
mencement du carême , les moines se restaurent à
none, selon la règle du bienheureux Benoît;— dans
les autres temps , sidon la même règle et avec cette
modération dans les mets qu'exige lu règle. Qu'ils se
contentent des pitances réglées, s'il arrive qu'on les
leur assigne ; que personne ne se fasse préparer ou
apporlor du dehors quelque chose do plus délicat.
l
ADDITIONS. 489
soit eu vivres, soit eu boisson, et qu'il ue reçoive pas
ce qu ou lui pié8euterait..Que tout ce qui sera pré-
senté soit porté devant celui qui préside au cou-
veut, et qu alors il dispose, soit des choses présen-
tées, soit des autres pitances, de telle laçon qu'il
réconforte la nature de ceux qui, étant déljcats ou dé-
biles, ne peuvent user commo<lénient des portions
coinniuues.
9. Que les uiuines ue se servent point, dans I in-
firmerie et le réfectoire, de coupes d'argent ou d'or,
ou même de coupes ayant un pied ou un cercle d'ar-
{jent ou d'or ; qu'il ne soit permis à personne de
porter ou d'avoir une ceinture ou uu couteau avec
des ornements d'or ou d'arjjent.
40. Que dans l'infirmerie personne ne mange de
chair, si ce n'est le moine ou le con vers qui sera ma-
lade, ou celui qui aura été envoyé à l'inlirmerie pour
débilité de corps.
Qu'aucun moine , en quelque lieu qu'il soit , soit
dans une maison de Tordre, soit au dehors, ne mange
de la viande, si ce n'est dans les cas exposés par la
règle.
Nous défendons expressément ces réfections de
chair, qu'il a été jusqu'ici d usage de prendre dans
certains monastères recommaudables [du reste], à
desé|>oques déterminées, et de même que nous in-
terdisons l'usage de la chair, de même nous prohi-
Ijons les farces de viandes hachées. Cependant »i le
cas de faiblesse oblige un abbé ou un moine à se nourrir
ib ihaii , fundaiif un voyayt ifuil aura tiUrrpiis, qu'il
490 ADDITIONS.
se détourne pour aller à la maison religieuse qu il trou-
vera dans le voisinage; autrement, qu'il pourvoie à sa
faiblesse de telle façon que sa nourriture ne puisse ni
offenser, ni scandaliser le prochain pour lequel est mort
le Seigneur Jésus-Christ.
Si quelqu'un prend sur lui de manger de la chair,
malgré la défense susdite , qu il soit soumis, la pre-
mière ou même la seconde fois, à la discipline régu-
lière. S'il pèche une troisième fois, qu'il jeûne au
pain et à l'eau la quatrième et la sixième férié
suivante. S'il a tourné la chose en coutume, et qu'il
ait refusé de se corriger après avoir été averti par le
diocésain ou par les visilateurs, qu'il soit privé du
droit d'administration.
A^. Nous ordonnons qu'on pourvoie aux frères
malades en fait de vivres, de lits, de serviteurs et
des autres choses nécessaires selon que le requiert
leur infirmité, et selon ce qui est contenu dans la
règle. Si l'inlirmier a été trouvé en défaut sur tout
cela, qu'il soit corrigé par l'abbé propre ou par le
prieur. Si c'est l'abbé ou le prieur [qui est en défaut],
qu'il soit puni d'une peine convenable.
i2. Nous voulons aussi qu'on pourvoie en temps
opportun, tant les moines que les convers, de vête-
ments et de chaussures selon la règle; et nous dé-
fendons expressément que de l'argent soit donné à
quelqu'un à cause de cela.
Que les moines sortent dehors en vêtements com-
muns et religieux aussi bien que dans le cloître ;
qu'ils 80 conduisent honnêtement, et ({u'ils ne s'en
ADDITIONS 4î»l
aillent pas sans capuchon et sans habit régulier;
qu ils iraient point «le chape de couleur, et qu'aucun
d'eux ne se permette de voyager à cheval avec une selle
plus somptueuse que la re[jle ne le permet, ou ornée
de clous formant une décoration superflue ; qu'ils ne
portent point d'éperons dorés ou argentés ; qu'ils
s'abstiennent absolument d'avoir aux freins des orne-
ments eu fer poli ; qu'ils n'aient ni gants à doigis sé-
parés, ni bottes à éperons, mais que tout moine clie-
vauckatU se serve de souliers attachés avec une courroie,
et qui soient ronds et non pointus.
Que personne, en quelque lieu que ce soit, né se
serve d'une tunique ou de vêtements de dessus en
burnei, ni d'autre étoffe, ni de peaux de bêtes fauves,
ni de chemises de lin, ni de linges; mais qu'ils dor-
ment avec vêlements et ceintures, selon qu'il est cou-
tume dans la règle; qu'ils n'aient point non plus
d'habits fendus par devant ou par derrière.
15. Qu'aucun prieur claustral ou autre moine ne
s'approprie ni chambre, ni chevaux, ni serviteurs, ni
harnais, ou n'en dispute I usage ; mais s'il faut qu'il
sorte par nécessité ou par utilité , qu'il soit pourvu
en toutes choses nécessaires par celui qui préside à la
communauté.
44. Nous ordoimons en outre que tous les abbés
et prieurs, avec l'avis de tous les frères dont ils sont
les chefs, ou de la majeure et de la plus saine partie
d'iceux, lorsqu'il s'agira de contracter ou de renou-
veler un emprunt, le fassent de telle sorte, que tous
sachent quelle est la s(»ninu>, à qu*'ls cteanciers et
492 ADDITIONS.
pour quels termes elle est due, à quels usages Tem-
prunt contracté a été appliqué.
Pour que Télat des maisons soit plus certainement
connu, les officiaux rendront compte raisonnablede
leurs ofûces tous les trois mois, par-devant Tabbé, ou
le prieur, s'il n'y a pas point là d'abbé, et par devant
les plus âgés de la communauté, en faisant le calcul
fidèle de toutes les dépenses et les recettes.
Que deux fois par an, à savoir aux calendes d'oc-
tobre, après la collection des fruits annuels, et aux
calendes d'avril, les abbés et les prieurs fassent con-
naître clairement létat de leurs maisons dans le cba-
pitre, ou par-devant les plus âgés, ou même par-de-
vant les visitateurs quand ils viendront; que l'abbé ,
que le prieur ou que le prévôt qui aura supprimé
frauduleusement des dettes importantes, dans les
comptes susdits, soit absolument privé de l'adminis-
tration qu'il avait obtenue.
Si un abbé ou un prieur a contracté un emprunt
sans le consentement du couvent, que le monastère n'y
soit pas tenu, à moins qu'il n'ait été prouvé que cet
emprunt a été appliqué à l'utilité do l'église.
Que le monastère ne soit pas obligé, par instrument
rédigé au sujet d'un emprunt contracté, si cet instrument
n'a pas été revêtu du sceau du chapitre.
15. Qu'aucun abbé ou prieur n'ose donner à des
personnes séculières un prieuré, ou une grange, ou
une pension, ou une prébende monacale; qu'il ne
vende, ne commue, ou n'aliène aucune pension ou
possession, ni ce n'est dans les cas dclroyéspar le droit;
ADDITIONS. 493
qu'il n'en fasse pas même donation; mais qu ii
sache que l'aliénation lui est complètement interdite.
40. Que les moines propriétaires soient excom-
muniés par leurs abbés, et si quelqu'un est reconnu
pour propriétaire au jour de la mort, qu'il soit privé
de la sépulture ecclésiastique, ou qu'il soit enterré
comme une personne du vul^jaire.
Que personne absolument n ait sans permission
un coffre avec clef, si ce n'est à raison d un office à
lui confié, et toutes les fois que l'abbé le demandera,
que la clef lui soit remise; s'il eu est autrement, que
le moine soit réputé propriétaire par cela même.
Que la sentence d'excommunication contre les
propriétaires soit publiée solennellement dans le
cbapitre une fois Tan, à savoir le dimanche des Ra-
meaux ; si après cela quelqu un a été trouvé ayant
quelque chose en propre, qu'il perde le bailliage
qu il pourrait avoir, et qu un autre biiilliage ne lui
soit pas confié dans 1 année, ni même désormais, à
moins qu'il u ait restitué ce qu'il avait en propre, et
qu il n'ait accompli pénitence convenable.
Que I abbé qui aura accordé sciemment quelque
chose en propre à un moine, ou qui aura négligé de
le punir, soit suspendu pour un temps. Or, nous
entendons par propre, selon la règle du bienheureux
Benoit, toute chose qui n étant le résultat ni d'un
prêt, ni d une location, ni d un dépôt, aura été reçue
par quelque moine ou convers que ce soit, en son
nom, et non point au nom du monastère; si ce n'est
avec licence spéciale de l'abbé ou du couvent, et dans
494 ADDITIONS.
les cas octroyés par le droit. S'il s'ajjit d'emprunt ,
qu'on n'aille point au delà de cette quantité, qui de-
vra, d'après notre volonté, être moflérée et taxée par
le chapitre et par Tabbé.
Que Tabbé lui-même donne à chacun, selon que
chacun aura besoin, de sorte qu'il n'y ait point ac-
ception de personnes, mais considération en faveur
des malades.
17. Nous défendons aussi expressément à tout
abbé de concéder des immeubles de son église à son
parent indigent ou non indigent, ni même de lui
donner des biens meubles, à moins qu'il ne lui fasse
quelque largesse modique à titre d'aun'ône. Que
celui qui aura pris sur lui de disposer des immeu-
bles, soit écarté de la même église; que les prieurs
et les officiaux, s'il est constant qu'ils aient commis
pareil délit, soient absolument éloignés de leurs ad-
ministrations, pour être punis, d'ailleurs, selon que
la nature de la faute l'exigera.
^8. Que la garde du cloître, du réfectoire, du
dortoir et du chœur, pendant que l'on chante l'of-
6ce, soit commise à des personnes désignées. Qu'il
ne soit permis à aucune femme d'entrer dans les
susdits lieux, ni dans le chœur pendant qu'on y
chante, si ce n'est par hasard, dans les consécrations
et indulgences des églises , à la fête principale de
l'église, et aux obsèques des njorls, occasions où
quelques femmes pourront passer par le cloître ou
par le chœur. Sont exceptées les nobles clamas qui
sont les patronnes du monastère, et les autres nobles
ADDITIONS. 4«5
(ianies à qui Ton ne pourrait refuser Tentrée sans
j;rave scandale. A icelles l'entrée pourra êlre octpoyée
par l'abbé ou par le prieur, à des heures et des
lemps fixés; sauf aussi les indulgences accordées ou
devant I être à cet égard, par le siège apostolique, à
des personnes déterminées.
Si 1 on est venu à Tencontre de la présente injonc-
tion , l'oflicial (»ar la porte duquel une femme sera
entrée, ainsi que I abbé ou le prieur qui aura or-
donne que cela se lasse, jeûnera un jour au pain et
à Peau pour chaque fois.
19. Que les abbés ou les prieurs, s'ils ont avec
eux des serviteurs séculiers chevauchant, de leur pro-
pre domestique ou du domestique commun, aient
soin d'avoir des gens mûrs et recommandables dont
le costume ne soit pas indécent.
Que ce lie soient ni deg jeunes gens, ni des nobles, ni
des parents à eux y ni des hommes revêtus d^ habits rayés,
ou ornés de boutons d argent, ou mi-partis, ou verts ou
rouges; qu'ils n'aient point, dans les maisons ou en pré-
sence des religieux, des chapelets de fleurs ou de feuilles;
qu'ils n'aient ni chiens, ni oiseaux de chasse, ni échi-
quiers, ni instruments de jeux de hasard, ni dés.
Nous voulons aussi et recommandons que dans
chaque monastère ou prieuré, Tabbé ou le prieur,
ou, sils manquent, les visitiiteurs, qui seront selon
le temps, re^jlent Ihospitalité selon les moyens des
lieux, |)Our que les aumônes soient faites; qu'un
logis déterminé soit consacré à recevoir les pauvres,
et les autres hôtes pauvres, avec un serviteur con-
41M» ADDITIONS.
veuable pour les servir. Si Thospitalité a élé refusée
à une personne en religion, que celui qui aura été
alors chargé d'exercer Thospilalité jeûne pendant
trois jours au pain et à Teau.
20. Nous défendons de plus, avec la menace de la
damnation éternelle, que les ()Ossessions ou revenus
affectés ou conférés à Taumône, à Thospitalité ou à
l'infirmerie, soient distraits des susdits usages. Si
pareille chose a été jusqu'ici entreprise, que Tabus
soit réformé et la coutume remise en son ancien
état. Si les abbés se permettent de contrevenir à cette
défense, qu'ils soient suspendus de l'administration
par lesvisitateurs 5 si ce sont des moines, qu'ils soient
suspendus par les abbés, et qu'ils restent suspendus,
selon la nature du délit, autant de temps qu'il sera
jugé convenable.
Comme aucune fraude ne doit se glisser dans les
aumônes dues aux pauvres, que personne ne fraude
l'aumône, soit dans ce qui lui est fourni à table,
soit en ce qui touche les vieux vêtements ou les
vieilles chaussures, quand il en reçoit de neuvesj
mais que tout cela soit remis entre les mainsde l'au-
mônier qui distribuera ces restes aux pauvres. Que
de nouveaux vêtements ne soient donnés à personne,
s'il ne rend pas en même lenips les vieux.
Nous défendons aussi expressément que l'on donne
aux moines libre permission de sortir, ni aux
claustraux la faculté de revoir les choses séculières,
bi CM n est dans de tiès-rares occasions, pour une
cause raisonnable, et pour un temps fort couri, et en
ADDITIONS. 49T
leur assignant pour les surveiller une compagnie
d'Iiommes mûrs. Qu'ils disent leurs heures en route,
et qu'on fournisse des livres à iceux. Que permis-
sion soit refusée à tout moine de s'entretenir avec
une femme, à moins que ce ne soit en présence de
deux ou trois témoins lionorablts.
Que tout moine qui fera séjour dans une abbaye,
ou dans un prieuré, soit soumis à la peine infligée
par la règle, s'il prend sur lui de sortir des clôtures
do la maison, sans la permission du supérieur.
Nous enjoignons aussi formellement aux moines
qui séjournent dans les prieurés extérieurs de se
conformer aux mœurs de leurs abbayes par la célé-
bration du service divin, Thonnéteté de leurs vête-
ments, et l'abstinence de nourriture, et de se coucher
avec leurs vêtements et leur ceinture, aussi bien que
les moines dans le dortoir de l'abbaye. Nous voulons
aussi que cela soit observé par tous ceux qui cou-
chent en dehors du dortoir.
Qu'aucun abbé, ou prieur, ou moine, ne se permette
d'avoir à demeure avec tut, soit dans l'intérieur, soit
en dehors de l'abbaye, aucun parent séculier.
Que les femmes ne soient admises personnelle-
ment en aucun lieu au service des moines.
24 . Enfin, comme les abbés et les prieurs ne doi-
vent ni courir ni vagabonder, nous voulons qu'ils
siègent dans le cloître avec les frères, qu'ils assistent
nnx offices divins, surtout aux veilles, au chapelet et
à liï collation, ainsi qu'aux autres offices avec les
VII }2
A98 ADDITIONS.
mêmes frères, à moins qu'ils n'en aient été empê-
chés par cause nécessaire, utile et honnête.
Qu'aucun ahbé ou moine ne mange ou ne passe
la nuit à une lieue près de son monasière, ou d'une
maison dépendante de son monastère, dans une mai-
son séculière.
22. An reste, comme dans beaucoup de monas-
tères la règle est comprise par un petit nombre
quand elle est lue, nous ordonnons que la lecture
de la lègle, qui est faite dans le chapitre, soit aussi-
tôt après reproduite en langue vulgaire*, h cause des
plus jeunes, par (u.lui qui tiendra le chapitre, ou par
tout autre qu'il jugera à propos d'en charger.
25. Quant aux montures des abbés, nous voulons
et enjoignons qtje la restriction suivante soit obser-
vée; à savoir qu'aucun abbé, pour ses familiers lui
faisant suite, n^ait pas plus de dix montures et de
dix chemises^ ; que chaque moine [faisant suite] porte
' E.rpOiiatur in vuUj ni, saiw autre indication. Je ne pense pas que
le sens soit : exposée publiquem nt. Ces mots, Us plus jeunes, in-
diquent ceux qui ne sont pas encore familiarisés avec la langue latine.
^ SuUus ubbus de familid mu ruutiuua ultra decern habeat equi-
taturut : et de iis quilibet monachus aliquem paniiumportet. Mous
adoptons pour cette phrase difiicile, à titre d'addition, la variante eqvi-
taturds vel caias, ci\ Visaiiicaraicis. (Sorte de vétemeni monastique,
rochet, aube, surcot, chinnsU; nul pans de cliiimsil. Rom. de Garin.
Voy. nccANOE et CarPENtiek, ramisa, ramisia, cumix.) Ce qui
nous a déterminé dans notre traduction, c'est que pauiius signiliait aussi
vêtement : es$e de puunis aUcujus, se disait des familiers à qui le sei-
gneur donnait lex hahits, et dans le liin(ja|;e usuel des églises, piluilUS
désignait qucIquefoiH rhommc lui-même : aliquos de Cdpiiulo, seu
de r/ior<j, sen de pimuis ecrlesifr (Uintotensis, «te. Les liitniersel
ADDITIONS. 499
un (le ces vêlements. Que les abbés moindres se
oontenleol d un moindre nombre de montures, selon
les facultés de leurs maisons.
24. Que tous les revenus de Tabbaye, tant ài\ chef
tjue des membres, soient rédijjés par écrit; que les
obvenlions qui ne sont point fixes soient estimées
iidèlfment, de sorte que Tabbé en ait un relevé par
devers lui, et le prieur un autre avec le couvent.
Que tous deux gardent ces écrits en lieu secret.
Nous décidons encore que si la pauvreté du lieu ,
ou le défaut de l'ordre , ou le châtiment d'un délit
exige que certains moines soient ôtés de leurs de-
meures propres , les abbés à qui ces personnes auront
été envoyées ne devront pas refuser de les recevoir
autant de temps que les visilateurs Pauront jugé con-
venable, à moins que ce ne soient des gens tels que
leur séjour ne puisse être toléré sans grave scandale.
Si les abbés se refusent à les recevoir, quoique le
pouvant, qu ils y soient forcés par les visilateurs.
Quant à la manière dont on doit procéder à l'éjjard
des personnes susdites, elle est contenue dans la con-
stitution promulguée par nous à ce sujet, et<]ue nous
avons jugé à propos d'insérer par précaution dans les
présents statuts. En voici la teneur :
matiniers et autres des draps de Véglise. (Carp., Pannus , 3.) Ce-
peniiaot, en •'en référant à un autre aeni de e«* mot, on pourrait corn
prendre auni : qu'un moine quelconque porte uu des ptnts du vitC'
metit de Vuhbé, ou niéme de la housse du cheval de Cuhhé ; car on
IrouTC, quoique rarement, camisïa avec celle signific-ilion, que 1» tour-
nure de la phraae ne rendrait pa* improbable.
500 ADDITIONS.
« Pour que les relig^ieux n'encourent pas détriment
de leur pro|)re saint, eu trouvant une occasion de
vagabonder, et que leur sang ne soit pas demandé
en compte aux mains des prélats, nous statuons que
les présidents, dans les chapitres qui devront être
célébrés aux termes des statuts du concile général ,
soit pères abbés, soit prieurs, s'enquerront soigneu-
sement chaque année des fugitifs et de ceux qui ont
été expulsés de leur onire : que, si ceux-là peuvent
être reçus dans leurs monastères selon Tordre régu-
lier, leurs abbés ou leurs prieurs, après admonition
préalable, seront forcés, par la censure ecclésiastique,
à les recevoir, sauf la discipline de Tordre. Si Tordre
réguli*^r ne le pornict pas, qu\)n pourvoie, en vertu
de notre autorité, à ce que les choses nécessaires à la
vie soient fournies à ceux-là dans des lieux convena-
bles dépendants des sus lits monastères, si la chose
peut se faire sans grave scandale; aulrenient, dans
d'autres maisons religieuses du même ordre , pour
qu'il» y fassent pénitence. Si cependant ils trouvent
désobéissants les fujplifs ou les expulsés dont il vient
d'être question , quils les excommunient , et qu'ils
les fussent déclarer publiquement excommuniés pnr
les prélats des rglises, autant de temps que ceux-là
négligeront de revenir humblement, d'après le man-
dat desdits présidents »
25. Nous voulons (|ue les nbbés, ou les prieurs qui
n ont point d'abbé propre dnns leurs églises, fussent
observer inviolnltlcmenl toutes les dispositions susdi-
tes dans leurs monastères, dans les oommuiiautés dé-
|)eiiclanles,lesubcdieiicrsetijulies lieux à euxsotiinis.
Qu'auUenieiil, les visilaleui's punisseiil régulièrement
les Iransgresseurs, el fassent observer les choses sus-
dites , sauf liéaninoins la règle du Lieiilieureux Be-
noît, qu ils devront avoir pour maître princfpal dans
lacorreclion et la réformation de Tordre.
Nous ordonnons même , en vertu de Tobédience ,
que Tabbé, ou le prieur, en cas d'absemede l'abbé,
fasse lire et expliquer soigneusement toutes les choses
susdites dans le chapitre, trois fois par an, à savoir,
dans les octaves des fêîes suivantes : la naissance du
Seigneur, la résurrection pascale et Tassomplion de
la bienheureuse Vierge.
Que Tahhé observe soigneusement toutes ces ciio-
ses , el (ju il les fasse observer soigneusement par les
irtjlres. Autrement , s'il a été trouvé négligent dans
leur observation , qu'il soit puni selon la nature de
sa transgression ou de sa négligence, de telle façon
que son châtiment serve d'exemple aux autres. S'il
arrive que, par l'exigence de ses fautes, un abbé soit
privé de l'administration, qu'aucune provision de re-
>enus en aucune manière n'ait lieu en sa faveur,
mais que Ton pourvoie plutôt à son âme, afin qu'il
fasse pénitence î-aluluirc (>es fautes commises.
Nous enjoignons aussi, sous menace du jugement
divin, aux abbés qui présideront, selon le temps, le
chapitre provincial , d'instituer dans ledit chapitre
provincial des visitateurs, hommes prudents, pré-
voyants et craignant Dieu , qui visitent dans l'année
toutes les abbayes el tous les prieurés n Vyant pas.
502 ADDITIONS,
d'abbés propres de la môme province, et qui procè-
dent, en fait de correclion et de reformation , selon
notre présente ordination , de telle sorte qu'ils laissent
sous leurs sceaux, à chaque monastère, le détail des
choses dont ils auront ordonné la correction, et qu'ils
remportent ce même relevé, pour le remettre, dans
le chapitre de l'année suivante, aux visitateurs qui
devront les remplacer. Par ainsi, toute désobéissance
ou transgression commise par les monastères sera
connue.
Que les visitateurs de chaque province nous récri-
vent de cinq ans en cinq ans, afin de nous instruire
de ce qu'ils auront réformé et de ce qu'ils auront éta-
bli pour être observé.
Qu'aucun homme donc, etc. Donné, etc.
11.
Réponses du colvent de Saint-Albans au sujet de
L OBSERVATION DE CES STATUTS. (Extrait de VAucia-
rium.)
A . Nous statuons enpremier lieu, etc. Ce premier statut
est observé ; car tous sont présents , à l'exception de
l'abbé, ainsi que de seschapelams et autres obédien-
ciers, occupés à Texercice de leurs ollices, —Item, que
la confession générale ait lieu , non-seulement tous
les mois, mais môme tous les jours, quand il sera
nécessaire. Toutes les autres dispositions contenues
au fiiônie statut sont observées selon la teneur d'ice-
lui.
I
ADDITIONS. 503
2. Qu'on fasse coimaUre, etc. Ce secoud statut est
observé en tous points dans l'église de Saint-Albans,
avec cette addition que les novices peuvent, sils le
veulent, faire profession av;inl Texjjiralion de la pro-
bation '.
3. Que les prieurés , etc. Ce Iroisiènje statut est
observé, et lous octroient son observation.
4. Ce statut est observe semblablement.
ri. Ce statut est observé, si ce n'est que dans une
petite île appelée Koket ' réside un seul moine, qui
est regardé comme un ermite; le lieu lui-même est
regardé comme un ermitage. H y a aussi un autre
solitaire dans une forêt.
0. Lorsqu un abbé, etc.
7. Quant aux frieurs, etc.
8. Quant à li qualité des mets, etc. Ces trois statuts
sont donnés pour être observés, le dernier avec ra-
doucissement qu il contient.
9. Que les moines ne se servent point, etc. Ce statut
ne peut être observé sans dommage dans son entier,
parce que plusieurs ont légué des coupes précieuses,
avec cercles et avec pieds, par des motifs de religion
* Celt» .iddilioii aous temhle uii moyen d'éluder I Vsprit du sUtut, qui dé-
roye lui-même, comme nous l'avoos remarqué, à celui de ltî58. Kn effet,
rintfotion formelle du pape est que Tannée de noviciat soit complète. Il
%tn\ prévrair aiiifi des ru-ux imprudents prononcés dans la première fer-
reuf in «êle. Miiis les réponses du couvent annoncent bien que les
motonoe veulent point accepter ces réformes sans restriction. Au reste,
U plupart de leurs objections paraissent fort sensées.
» C'est un rocher st< rile situé dans la mer, sur Ui côtes du Norlliura-
lierlaod, à environ sept lieues au nor I de Tynt-m <ulh.
504 ADDITIONS.
et d'honnêteté. Or, les briser serait rliose nuisible.
En effet, quelques-unes de ces coupes sont reliées de
cercles non pour ornement, mais pour rendre le
vase plus fort et plus commode ; par exemple, pour
que le bord de la coupe ne se fende pas de côté et
d'autre. Il faut savoir aussi qu'on ne permet point
dans le réfectoire l'usage d'une coupe à pied, si ce
n'est seulement à la grande table que nous appelons
le dais', et on ne l'y permettra pas non plus; mais
cette exception a lieu, parce que le pape Adrien a en-
voyéà l'abbéet au couvent de Saint-Albans une coupe
à pied que Ton garde encore avec respect en mémoire
de lui, et qu'il a recommandé qu'on se servît de cette
coupe dans le réfectoire en mémoire de lui. En outre,
il arrive fréquemment que les évêquesetlesabbés du
dehors mangent à cette table; or il est convenable
qu'onseserved'unepareillecoupe pourleur faire hon-
neur. Telle est aussi la décision qu'ont prise nos pieux
' De'.s (texte hic). Ducan|;e dit, à propos de ce mot : « C'est peut-tUre
1 la table au-dessus de laquelle était suspendu, comme au-dessus de la
'' plus honorable, un voile que Ton appelait dais. C'était Tusage pour
« les rois et pour les seijjneurs, et même, si je ne me trompe, pour les
<• abhé» dans les réfectoires de moines.» Cette table, plus élevée que les
antres, t'appelait Dn.<ii(m au réfectoire de Saiut-Germain-des-Prés. ( Voy.
ces deux mots et Dagus.) C'était sur le dais qu'on déposait les mets qui
devaient être distribués aux pauvres. Walter Scott rappelle Tusage du
dais dans IvauhoC, chap. m. « Le plancher, dans le quart de lu lon-
« gueur de cette aallc, dit-il, était plus élevé d'environ six pouces, et
'• cet espace, qu'on appelait le ^/«t.f, était réservé aux piincipaux membres
• delà famille et aux hùtes do distinction. A cet effet, une table riche-
H ment couverte d'un drap écarlatc était placée tranivcrialement sur
« rette estrade ou platc-fornie, etc. m
ADDITIONS. 505
Itères, eu cousidérniil tant rhonnétetéqiie I ulililé; el
ii leur paraissait que cela était licite, puisque saint
IJenoîl (lit dans la règle, que des choses de celte es-
pèce (ainsi que des choses bien plus importantes)
sont à la disposition de Tabbé, Même décision a été
prise à Tégard des souliers à courroies, puisque cela
tie fait point partie intégrante de la règle dont nous
il vous fait profession.
^0. Que dans l'infirmerie, etc. Le statut est observé,
qui porte que des viandes broyées ne seront pas man-
gées dans le réfectoire; et cVsl là une ancienne cou-
tume usitée dans le même réfectoire.
M . ISous ordonnons qu'on pourvoie, etc. Ce statut est
observé, et on en octroie l'observation .
\2. Nous voulons aussi, etc. Ce statut est observé, si
ce D'est que les moines en voyage se servent de gants,
de peur que leurs mains avec lesquelles ils touchent
les objets qui sont à l'usage de l'autel ne soient
noircies par leurs chapes, qui sont noires; ce n'est
point par ornement, ni même pour ne point avoir
froid. Eu outre, d'après le mûr examen des pères, les
souliers à courroies ont été changés pour dessouliers
plus convenables, tant à cause de l'honnêteté, qu'afin
qu'on puisse se rendre au service divin avec plus de
promptitude el de facilité, en entendant le son de la
cloche, selon que Tenjoint le bienheureux Benoît
dans sa règle. 11 arrivait aussi fréquemment dans les
processions (occasions où il est de loule nécessité
que le couvent s'avance avec ordre el sans empêche-
ment) que les cordons de h chaussure de quelque
506 ADDITIONS.
frère, venant à se détacher el à se dénouer, embarras-
saient la marche du frère qui marchait derrière : ce
qui oblijjeait le couvent tout entier à s'arrêter^ jus-
qu'à ce que les cordons eussent été renoués, ce qui
d'ailleurs salissait ' les mains.
^5. Qu'aucun prieur^, etc. Ce statut est observé en
tous points.
14. Nous ordonnons en outre, etc. Ce statut est ob-
servé, si ce n'est que les obédienciers ne rendent
compte de leurs obédiences qu'une fois dans l'année,
à «avoir vers la fête de saint Michel, alors que les
fruits ont été levés; et il a été prouvé que c<da suffit.
Quant aux autres personnes qui sont établies en de
moindres offices, elles rendent compte non-seulement
pendant l'annécou pendant le mois, mais, bien plus,
de semaine en semaine, et quelquefois môme de jour
en jour.
-15. Qu'aucun abbé, etc. Ce statut est observé.
16. Que les moines propriétaires, etc. Ce statut est
observé selon la constitution de saint Benoît, du sei-
gneur pape et des pères.
17. Nous enjoignons aussi, etc. Nous observons ce
statut.
AS. Que la garde du cloître, etc. Ce statut doit être
observé; que Tabbô y veille.
^9. Que les abbés, etc. Que l'abbé veille en cela sur
lui-même.
* Manus fadttbaut. Ce ilci nier mol ii'esl dans iiucuii glussuiic. iNoiis
lifont rolonlicri ftt'ciscebnnl (tHro^tiiclir dt- lie, <lc lioui').
ADDITIONS. 507
20. Sous défendons de phis, etc. Ce s'alut esl ob-
servé.
21. Enfin, etc. Ce statut est observé.
22. Au reste, etc. Ce statut est observé.
25. Quant aux montures, etc. Que Tabbé veille à
lela.
24. Que tous les revenus, etc. Nous consentons à ce
(|ue celd soit observé.
25. Nous voulons que, etc. Toutes les dispositions sus-
dites, etc. Nous consentons é{Talement; nous étendons
le même consentement aux religieuses.
XX.
Minée ^ 231 . — Voir la page 253 de ce volume el la iMige 492 du
liTiicédeiU .
Statcts des abbés de l'ordre Noir. — A tous tant
«ju'ils sont, etc. — En vertu de l'office d'administra-
tion qui nous a été conféré, nous nous regardons
comme efficacemenl obligés à être tenus de recevoir
avec bienveillance les mandements de nos supérieurs,
et à les accomplir avec humilité, quand nous les
avons reçus. Comme donc, le jour de saint Matthieu,
Tan du Seigneur 12^9\ nous nous étions rassemblés,
* .Nous pro|iosou$ 1251 . L'iutroductiou de ces statuts semble, il est vrai,
auuoocvr pour date 4249, el le premier renvoi inditiué p^r !\Iatl. Paris
se trouve en effet daut celle auix'e. Mais plusieurs considerations nous
ontdécidéà ne donner cc'tte addition (|u'au second renvoi de. Mutt. l'âris,
r'etl-à-direàrauiièe I2.*)l . La vitilatiun de Thibaut etdeJac(|ue8 n'eut lieu
•|u'en 1251. ils firent lire dans le chapitre de SainUAlbans les nouveaux
Matuts. dont l'eiérution nVtait obligatoire que di ptiis pni de temps.
508 ADDITIONS.
de concert avec les vénérables pèies de noire ordre ,
à Oxford, pour y célébrer un concile général, et que
iiuit abbés de notre ordre seulement s'y trouvèrent
réunis, nous jugeâmes apropos, après mûre délibé-
ration, de proroger jusqu'au lendemain de la Saint-
Edouard , c'est-à-dire jusqu'au jour desainlCalixte,
pape ' , à cause de l'absence des prélats , le jour où
puisqu'ils n'avaient rrçu leur forme définitive qu'après avoir été discutés
dans plusieurs assemblées successives. Ce qui le prouve, c'est qu'à l'année
4249, Matt. Paris annonce que le statut relatif à la collecte qui doit
être dite pour le roi et la reine ne se trouve p.is parmi les statuts rédigés
à Berdmondsey , tandis qu'il se trouve mentionné à l'avant-dernier ali-
néa des statuts que nous traduisons sous le présent numéro. Guill. Wals,
à la remarque déjà citée, y voit un défaut de mémoire ; ce qui nous pa-
rait peu admissible. Sans doute il est difficile de concilier les faits :
Malt. Paris parle d'une assemblée h Berdmondsey, le 14 octobre 42i9,
et l'addition place cette même assemblée a Sa in te- M a rie deSouthwark,
Mais nous pensons que toute la difficulté vient de ce que les éditeurs,
trouvant la date omise ou effacée, ont ajouté légèrement l'indication
t2-i9, écrite d'ailleurs on chiffres modernes. Nous pensons que les fait»
peuvent être considérés comme il suit, si l'on admet notre correction
1251. l/assemblée tenue à Berdmondsey, et que iMatt. Paris rappelle
en disant sirut provisum fuit apud Sanctum Sahatorem LotidUii
iSaint-Sauvcar et Berdmondsey sont un seul et même lieu), pose les bases
de la réforme monastique. Elle s'ajourne ensuite au prochain chapitre
qui doit être tenu à Oxford, le jour de saint Matthieu (21 septembre)
l2.')l. Les abbés, n'étant pas en nombre, se réunissent, le 14 octobre de
la même année, à Sainte-Marie deSouthwark, et arrêtent définitivement
leurs statuts. Dans ce synode, les visi^ateurs désignés par l'assemblée
de Berdmondsey, et qui devaient d'abord se rendre à Sainl-Albans le 9
octobre, jour de la Saint-Denis, acceptent un délai jusqu'au premier di-
manche avant lu Toussaint. L'introduction est donc postérieure aux sta-
tuts, parmi lesquels il faut distinguer ceux qui appartiennent déjà à
l'.-issemblée de Berdmondiey et i-eux (|ni sont ajoutés |)ar rnsseinhiée de
Sainte- Marie.
14 nrlobre. 11 iiciagil donr p.ts de l.i fêle de s.tinl Kdouard-lv-Oon-
ADDITIONS. 509
devail être célébré ce chapitre , et nous tixânies le
lieu à Soulhwark, près de Londres, dans l'église de
la bienheureuse Marie. Lesvénérables pères de notre
ordre s'étant rassemblés à Soulhwark, selon que nous
le leur avions enjoint, pour traiter salutairement de
Tétat monastique; avec le commun assentiment des
abbés et des prieurs nous assistant, nous avons jugé
à propos , après avoir retranché quelques-uns des
statuts des chapitres précédents, et en avoir ajouté
d'autres, d'adopter une forme certaine, et de statuer
en ces termes les articles qui vont suivre, pour la
réformation de Tétat de notre ordre.
Avant tout, par Tinspiration de l'Esprit-Saint, il a
été statué que les abbés et les prieurs se conduisant
régulièrement, quant à l'extérieur et au genre de vie,
s'efforceraient d'assister d'une manière opportune
au chapitre et au cloître , pour entendre les confes-
sions et pour instruire les frères par la voie de l'exem-
ple, au chœur pour les offices divins, et au réfectoire
pour les consolations fraternelles, toutes les fois que
ni rinlirmité ou la faiblesse corporelle, ni Tutililé
de l'égiise, ni toute autre cause raisonnable ne ser-
virait d'empêchement; que les abbés et prieurs ne se
porteraient fidéjusseurs pour personne, et ne s'obli-
geraient par charte, ni eux ni leurs monastères,
pour qui que ce lût; qu'ils n'entreprendraient de rien
faire sur les t* rres ou les revenus du monastère qui
teueur, dont la fête m célébrait le 4 janvier, maia de celle d'oa autre mi
iaioo antérieur d^un siècle. Cette dernière enl habituellement appelée,
dans Malt. Pftria, la trauxlntiou de nnut Edouard.
510 ADDITIONS
fût contre riionnêtelé de la reli<;ion ou Tulilité de
leur nionaslèrc , ni de faire une perpétuelle aliéna-
tion ' , à la lésion manifeste dudit monastère; qu'ils
ne concéderaient à personne , sans le conseil et Tas-
sentiment de leur couvent, des terres coutumières
en liberté, des terres nouvelles en feudations, ou des
pensions héréditaires, ou des amorlissenrtents ; qu'ils
n'auraient point des serviteurs excédant, en nombre
ou en appareil, une honnête mesure, et d'où Tordre
monastique pût être en rien accusé de légèreté; que,
* L'aliénation des terres féodales aux gens de mainmorte étiit deve-
nue, au treizième siècle, d'un usage si général, qu'en Angleterre le par-
lement entreprit maintes fois de restreindre ces aliénations de tenures,
au moins jusqu'à concurrence des services dus aux seigneurs. ( Voy
aussi les articles 03 et 64 de la grande Gliarte. ) D'autre part, il
arrivait fréquemment que les seigneurs troublaient les ecclésiastiques
dans la libre possession de leurs acquêts , et voulaient les forcer à sVu
dessaisir. GVst ainsi que, sous saint Louis, les communautés sVtant
plaintes au pape Alexandre IV, obtinrent le droit d'acquérir en main-
morte, moyennant un tribut qui compensât le bénéfice qu'aurait produit
le droit de mutation, si les terres fussent restées dans le commerce ordi-
naire. rbilippe-Ie-IIardi, en 127.'>, et Cbarles-le Bel, en 1520, suivirent
ret exemple, et f.ivoriscrent les amortissements et les acquisitions de ro-
tures qui devaient tourner au prolitdu pouvoir royal. Aussi dans le p;i8sage
qui nous occupe, \oyon8 nous les abbés occupés drjà à se prémunir non
plus contre les réclamations des seigneurs, mais contre le morcellement
et l'aliénation des (erres dé mainmorte qu'ils avaient en leur possession.
(^01 In ce qui nous semble ressortir du passage entier, et surtout du mot
Itberalione.i, que nous traduisons paramoilisscments. Ce motadeilxsens
à-notrc avis : ou il signifie exemption du droit de mainmorte (dans le
scnJi de servitude de la glèbe) et reviendrait n affrnncliissemcnt des
hommes de poestc , ou il indique concession de terres à titre perpétuel
{lihrrnlio à atdurilafe). ("est ce dernier sens que nous adopterons ici.
],PH terres de mainmorte se divisent, parce que l'ambition des roturiers
suit le progrés Au commerce et des libertés municipales.
ADDITIONS. S H
quand des conlrats mutuels devraient être faits, les
prélats procéderaicnl de façon à faire connaître aux
frères qu'ils pourraient en instruire quelle serait la
somme d'argent, sur quelles sûretés (?)', à quelles
conditions el pour quels termes elle serait due; à
quels usajjes l'emprunt contracté serait appliqué. —
Si quelqu'un lait un contrat relatif à un emprunt,
sîins le consentement du chapitre, le monastère ne
sera nullement obligé, à moins qu'il ne soit prouvé
par hommes dignes de foi que ledit emprunt a été
appliqué à l'utilité manifeste du monastère. — Que
les prélats enjoignent aussi formellenient à ceux qui
seront institués dans les administrations de n'in-
(juiéter personne , de n'élever de réclamation contre
personne, de n'opprimer personne par des injustices
ou Jes exactions indues, de ne pas vendre plus cher
au terme, el de ne pas faire de contrats déshonnêtes.
Que tous les prélats, une fois l'an, donnent lecture,
en présence du couvent, de l'état de leur maison, et
que les obédienciers, en présence de 1 abbé ou du
prieur, quand il n'y a point d'abbé en propre, ainsi
que par-devant quelques-uns des plus discrets de la
maison convoqués à cet effet, rendent deux ou quatre
fois l'an, si faire se peut, des comptes fidèles de toutes
les recettes el de toutes les dépenses , afin qu'on
obtienne des renseignements certains sur l'amélio-
ration ou la détérioration du monastère.
Que le jeune d hiver, dejiuis la fête de Texaltation
de la Sainte-Croix ju^qu'à Pâques, soit observé ré-
' Cettificaliottibus, nous lirioiu \uluuliers rid-loi iius^ coiifornir-
ineiil au «Ulut i i de l'additiMn |»roc^denle.
5^2 , ADDITIONS.
gulièrement par tous, sauf dispense pour les faibles,
poui ceux qui auront été saignés ' (?), et pour ceux
qui portent le poids du jour et de la chaleur; laquelle
dispense pourra leur être octroyée par leurs prélats,
quand besoin sera.
Pour que les pauvres ne soient pas frustrés des
aumônes qui leur sont dues, il a été décidé que tout
ce qui doit être servi serait servi sans diminution
dans le réfectoire , dans Tinfirmerie, et partout ail-
leurs où les moines se restaurent; que tout le reste
de ce qui aurait élé servi serait donné en aumône ,
pour èlre distribué fidèlement aux pauvres par Tau-
mônier ; que ceux qui mangeraient raumône à leur
j)rofi(, sMs ne se corrigeaient pas après avoir été ré-
primandés une fois, deux fois, et trois fois dans le
chapitre, en présence de tous, jeûneraient pendant
trois jours de suite, au pain et à Peau , pour servir
d'exemple aux autres. — Pour que l'aumône soit plus
efficacement observée , les portes du cloître seront
fermées tant que le couvent sera à dîner ou à souper,
et on en interdira Taccès aux séculiers, si la disposi-
tion du lieu le permet. Les obédienciei*8 ne fourni-
ront pas à la subsistance de leurs serviteurs.
Quant à Tusage de la chair , il a élé ainsi réglé
que tous régulièrement devaient s'abstenir de chair,
en maintenant toutefois la modification de la décré-
tale : Cum ad monasticum..., etc. — Quant aux obé-
dienciers séjournant au dehors, et aux frères se trou-
vant en voyage pour les affaires de la maison , il a
' Miiiutii. Sitnguine e*i prohnM«mpiit •ou(-«nl«n(lu.
ADDITIONS. 515
élé sUilué que publiquement, en présence et dans la
eonvocaliou solennelle des séculiers, ils ne se nourri-
raient point de chairs, à moins d^une dispense, qui
pourra leurêtreoclroyéepar leur prélat, selon le lieu
et le temps, et dans les cas nécessaires, ainsi qu'il sera
avantageux, et d'après Texigence de chacun et la dis-
cipline de Tordre; mais que la faculté de manger de
la chair soit interdite complètement à ceux qui se-
ront négligents dans le service divin, qui seront dés-
obéissants, et qui troublerontia paix des frères; qu'on
ne leur accorde point facilement la permission de
sortir du monastère.
Que le silence, aux heures, lieux et temps fixés,
soit observé inviolablement par tous; que pendant
les conversations permises dans le cloître et ailleurs,
on s'abstienne de paroles déshonnétes, de discours
vaniteux et de médisances; que les contrevenants
soient soufnis à la discipline régulière. — Comme
quelques-uns après le dîner sont plus disposés à
dire ce qu'il ne faut pas dire, qu à dire ce qui pour-
rait édifier les auditeurs, il a été statué, afin d'aug-
menter le culte de la justice, qui est observé par le
silence, que la conversation qui a coutume d'avoir
lieu après le dîner dans quelques cloîtres serait
complètement interdite, et qu'à la place on s'occupe-
rait plus abondamment de repasser des méditations
et des lectures. Que l'on suspende aussi à l'avenir
la boisson dans le réfectoire, après la neuvième
heure en tenqjs d'été; qu'à ce nionient où le cou-
vent avait coutume d'aller au réfectoire, il revienne
VII. 55
5U ADDITIONS,
au cloître pour attendre, dans la contemplation, le
coup de cloches annonçant vêpres. — Il est décidé que
la cervoise, qui, depuis un temps ancien, était assi-
gnée pour ladite boisson, en certains lieux, sera
apportée dans le réfectoire, d'après le droit ordi-
naire, pour être affectée aux besoins des pauvres.
Que les moines ne soient point reçus à prix d'ar-
gent, et qu'ils n'aient point la faculté d'avoir un pé-
cule, si ce n'est pour administration qui leur aura
été con6ée. Que ceux qui auront un pécule en tout
autre cas soient séparés vivants de la communion
de l'autel. Quant à ceux qui, à l'extrémité, aurontété
trouvés avec un pécule , qu'il n'y ait point d'obla-
tion faite pour eux, et qu'ils ne reçoivent point la
sépulture parmi les frères.
Que chaque moine ne reste pas [seul] en chaque
lieu. — Que les moines n'écrivent point ou n'enlu-
minent point de livres, grands ou petits, sans la
permission de leur prélat, à moins que ces livres ne
doivent être appliqués à l'usage du monastère.
Que les novices soient surveillés avec garde vigi-
lanto et discrète; qu'ils ne soient pas librement mis
hors de garde ni promus à l'ordre du sacerdoce,
jusqu'à ce qu'ils soient versés dans les choses qui
regardent la discipline de l'ordre, lesquelles choses
ils sont tenus de savoir par cœur, selon la coutume
approuvée du monastère, et selon les statuts du con-
cile et la profession de la règle, et quand les prélats
le jugeront convenable. — Que les moines n'aient ni
coffre ni clef, cl qu'ils ne soient pas o(tu|u'!S à un
ADDITIONS. Sn
oHice extérieur; qu ils ne soient pas envoyés hors du
monastère, si ce n est pour nécessité ou utilité mani-
feste, et à moins qu'ils n aient vécu d'une manière
louable dans le cloître pendant deux ans aupara-
vant; excepté les vieillards et les personnes jjraves à
qui leur prélat pourra accorder dispense, quand il
le jugera bon.
Comme la confession contraire à Torgueil conserve
l'humilité et confère la grâce de pénitence, il a été
statué que les moines aussi bien que les novices se
confesseraient au moins une fois l'an à leur abbé,
sauf néanmoins les confessions privées qui doivent
être faites chaque jour sur les délits quotidiens; et
pour que ces confessions annuelles ne soient pas
empêchées, Tabbé devra se montrer prêt à les en-
tendre.
Que, dans tous les monastères, selon les facultés
du lieu, Phospitalité soil observée par tous, de toutes
les façons avec exactitude, et que le moine qui sera
désigné pour recevoir les holes soit diligent, sobre
et affable.
Que les lits des moines soient disposés de façon à
ce qu'on puisse les voir quand ils dorment. Que les
vêtements et les chaussures des moines soient expres-
sément réglés. Que les babils de dessus soient de
drap blanc ou noir ou de rousset, avec des peaux
d'agneaux^ blanches ou noires, des peaux de chats
sauvages* ou de renards, et que les chapes soient
* Murfirfjii ou mureletjlx, qui rli^sse les rats. Aussi (rouM*-inn «ou-
\(>nl et Xerme em|i|ny*^ pour di'tignpr les chats •ioinesliiiue*
5^ e» ADDITIONS,
noires. El que loiites ces choses soient données et re-
çues eu temps convenable et sans difficulté. Que le
camérier ne se permelte pas de donner des deniers,
ou quelque autre chose que ce soit, pour les choses
susdites ou autres appartenant aux usages monas-
tiques; qu'aucun moine ne prenne sur lui d'accep-
ter aucun changement en fait des susdits habits, si
ce n'est avec la permission de son prélat, et |)our
cause raisonnable, laquelle licence à cet égard aura
été demandée et octroyée précédemment ; de telle
sorte que, recevant de nouveaux habits selon la règle,
il donne les vieux aux pauvres, pour leur être distri-
bués fidèlement. —Que les selles et tous les harna-
chements qui conviennent aux montures soient
disposés de manière à ne pas offenser les yeux de
ceux qui les verraient.
Que le vagabondage des moines soit expressément
défendu. S'ils partent avec la permission de leur
prélat, pour les affaires de leur église ou pour quel-
que juste cause, qu'on pourvoie à ce qu'ils voyagent
avec des serviteurs d'un âge mûr, avec des montures
suffisantes, et un appareil honorable, selon les fa-
cultés de l'église, pour revenir au jour qui leur aura
été fixé par leur prélat, à moins qu'ils ne justifient
d'une cause valable de délai ultérieur. Afin que les
frères qui supportent le poids du jour et de la cha-
leur soient restaurés plus convenablement et plus
secrètement quand besoin sera, en vertu de la pro-
vision du prélat, on affectera à cela un lieu conve-
nable auprès de rinlirmerie, et quand ils s'y seront
ï
ADDITIONS. 517
refaits, ils se reuclronl avec empressement au cloître
et aux heures eauoniques. Lorsque le couvent jeûne,
tjue ceux-là dînent une fois, et qu'à la place du sou-
[ er ils soient servis plus abondamment au premier
dîner. Que le couvent assiste à collation et h com-
plies, excepté les faibles^ ceux qui auront été saignés,
et ceux à qui le prélat aura jugé à propos d'accorder
dispense. Que les contrevenants soient punis régu-
lièrement, et, s'ils ne se corrigent pas, que la faculté
de pareille dispense leur soit retirée. Qu'aucun sécu-
lier ne soit admis parmi les moines, avant le dîner
ou après, si ce n'est les serviteurs affectés à cela.
Que toute secularité en mets et en boissons soit
interdite dans le réfectoire. — Il a été statué et dé-
cidé de plus que tous les obédienciers et cloîtrés
assisteraient eu personne à collation et à complies
dans le couvent, à moins qu'une évidente nécessité
n existe, pour laquelle ils soient obligés de rester,
t't cela sur permission spéciale du prélat.
Qu'un gardien diligent et soigneux soit donné
aux frères malades, de peur qu'ils ne souffrent quel-
que détriment. Qu'aucun séculier ne se mêle aux
malades ni ne boive ou mange avec eux, excepté les
médecins et les serviteurs affectés à leur garde.
Qu aucun malade ne prenne pour lui un serviteur à
sa volonté, mais qu'il se contente des serviteurs qui
sont affectés à l'inlirmerie; que lesdits serviteurs ne
passent point la nuit hors de I infirmerie. S'il de-
vient nécessaire que quelque malade ait un serviteur
spéciii!. (ju'oii Txu (Ml assigne un qui soit sobre et
bU ADDITIONS,
incapable de troubler le repos des autres. Que le
prieur ou celui qui préside à Tordre, et le cellerier
intérieur, visite chaque jour les malades après les
messes privées, afin qu'ayant examiné Télat de cha-
cun, il fasse pourvoir convenablement selon que
chacun aura besoin. Que tous les malades, si faire se
peut, mangent communément à la même table, et
qu'aucun ne s'en dispense, s'il n'est retenu par une
trop mauvaise santé, et dans tel état qu'il ne puisse
s'en approcher sans scandale ou sans manifeste lé-
sion de corps. Quant à ceux cependant à qui l'on
devra de plus grands égards à cause de leurs mérites,
on aura pour eux de la déférence en ce point, selon
le lieu et le temps, ainsi que leur prélat le jugera le
plus avantageux à leur repos et à leur conservation.
Que, dans tous les monastères, la discipline de ré-
fection soit observée de telle sorte que, dans l'inté-
rieup, nul ne se restaure si ce n'est dans le réfectoire,
ou à la table de l'abbé, ou avec les autres, d'après le
commandement du supérieur, ou dans l'infirmerie
avec les malades, conformément à ce qui est contenu
au sujet du lieu de réfection dans ladécrétale: «Que
i'abbé ne pense pas, etc. »
Qu'aucun dépôt ne soit admis dans aucun monas-
tère, si ce n'est du consentement du prélat, et sur le
louable témoignage de trois frères.
Qu'aucun moine, obédiencier ou claustral, ne
donne ou ne reçoive (|uoi (|ue ce soit sans la permis-
sion de son supérieur. Que tous ceux qui auront fail
fruudt' ^p'atis reliitivemcnl nux i)i(;n^(lti inonuslcro,
ADDITIONS. S49
que tous les conspirateurs, les voleurs, les proprié>
taires, et tous ceux qui auront intenté faussement des
accusations contre autrui, soient déclarés publique-
ment excommuniés chaque année, à la seconde t'éric
de la première semaine de carême dans les chapitres,
par la voix de leurs prélats avec Tétole et le bâton
pastoral. On entend par conspirateurs tous ceux qui
se confédèrent entre eux pour la subversion de Tordre
ou des statuts [rédigés] salutairement par les chefs de
Tordre, ou pour la persécution de tout prélat, ou de tout
frère, tant par haine que par ambition, ou ceux qui
défendent malicieusement les autres conjurés. On en-
tend par propriétaires ceux qui possèdent pour eux,
sansqueleur prélateusoit informé, quelquechoseque
leur prélat ne leur a pas donné ou permis de posséder.
l*pur réprimer aussi la témérité de ceux qui sortent
[du monastère], il a été prudemment statué qu'une
fois sortis, ils seraient reçus au dernier rang quand ils
reviendraient; qu'ils resteraient dans le grade et le
rang où ils auraient été reçus; qu'ils n'auraient u-
cunement voixau chapitre, jusqu'à ce que leur prélat,
trouvant qu'ils aient donné satisfaction convenable,
jugeât à propos de leur accorder dispense. Que dans
le chapitre il y ail trois voix, à savoir : de celui qui
porte plainte, de celui qui répond, et de celui qui
juge*. Qu'on y traite fort brièvement des affaires cor-
porelles, afin que les affaires spirituelles soient trai-
ls chapitre esl ua triliunal. Pour y maiuleuir la gravité qui conrieiit,
\j parole n'est accoril(>cc|u^au demandeur, au défendeur et au jug*. C*e«t
du nioios aioai que noua iiiterprt'toni C4.*tle phr«se.
3^0 ADD1TI0?<S.
tees avec toute l'attention et ie succès qui leur sont
dusj que les perlurbateurs des chapitres, que les
désobéissants, que ceux qui se disputeront arrogam-
naent avec leurs prélats, soient sévèrement corrigés,
afin d'inspirer de la crainte aux autres ; que ceux qui
seront trouvés ou contumaces, ou incorrigibles, soient
chassés du monastère, comme la règle l'enjoint.
Que lesobédienciers retenus par une grave maladie
de corps, et se trouvant en péril de mort, résignent
sans délai, après avoir rendu compte, et a près confes-
sion préalable, leurs administrations et toutes choses
quelconques qu'ils ont, provenant desdites adminis-
trations, et à moins qu'une réunion excédant le
nombre de vingt [en ait ainsi décidé]*, qu'aucun
gardien de l'ordre ne soit chargé d'uneadministration
extérieure, par laquelle l'exécution de son oflice pour-
rait être empêchée. Que l'accès dans le cloître, après
le diner, soit complètement interdit aux femmes;
qu'elles ne soient en aucune façon admises au diner
en deçà des portes du monastère, si ce n'est sur la
permission de l'abbé, ou en sa présence; sauf la con-
sidération que l'on doit avoir à l'endroit des nobles
dames, selon le lieu, et selon le temps, ainsi que les
prélats le jugeront avantageux.
Il a été réglé, en outre, que tous les abbés, prieurs
et procurateurs se rendront au prochain chapitre
général, qui doit être célébré à Oxford, lejourdesnint
Matthieu, apôtre, l'an'...., avec leur habit régulier;
' TeiUs iuRuni|)k't. Jo ne puis n'poitilre Ju icns.
' l.» daU ««l «mil* ici ; il ni H»A |n'ol)al>lviiiant «lo iii()iiie sur la ma-
l
ADDITIONS. 521
qu'ils se montreront revêtus de leurs frocs, dans ce
même chapitre, aussi bien que s'ils étaient dans leurs
propre8cha|)ilres,etqu'ilss'yconduirontavec retenue,
tauten habit qu'en actes extérieurs, lia été réglé aussi
que si quelque affaire s'élève dans le royaume qui
puisse toucher tous lesprélatsdes monastères, quand
celte affaire sera parvenue à la connaissance des pré-
sidents, ils convoqueront les prélats, si faire se peut;
au cas contraire, ils convoqueront ceux qu'ils juge-
ront à propos de convoquer, selon la nature de l'af-
faire , afin que ce qui les intéresse tous soit traité par
tous ou par la plus saine partie d'iceux.
Qu il ne soit pas permis aux abbés ou aux prieurs
de rétablir ou de destituer les obédienciers dans leur
chambre, mais seulement dans le chapitre, lieu où
l on doit statuer sur eux; qu'ils ne confèrent point les
obédiences en vue de quelque affection spéciale, mais
qu'ils les contient à des moines discrets; que cependant
les obédiences ne soient conférées à personne à per-
pétuité; mais quand ils devront être écartés de leurs
obédiences pour juste cause, qu ils en soient écartés,
et que d'autres craignant Dieu soient mis à leur place.
Que l'église soit tenue propre, et que les ornements de
léglise soient aussi assez propres pour que celui qui
viendra accomplir le sacrifice de la louange divine
ne soit pas dégoûté par aucune saleté.
nuKrit au eomiMiiMinenl de cette additit^ii, là oh les éditeurs ont cru
rtmplir la lacooe eo mettant 4241). H est évident, par la date et le lieu,
4ue ce chapitre, qui doit être célèbre^ est bien celui que les abbéi in-
diqnent plus haut cunime nr TdTant pas été.
522 ADDITIONS.
Que le négoce ne soit pas exercé dans l'église, si
ce n'est au temps des foires. En entendant la cloche,
que tous se hâtent de venir à l'église, aux heures et
aux messes; qu'à toutes les messes et heures ils en-
tendent le commencement, le milieu et la lin , à
moins qu'un besoin pressant ne leur serve d'excuse,
et qu'ils ne trompent pas leurs supérieurs en disant
nécessaire ce qui ne Test pas, parce qu'ils se trom-
peraient ainsi eux-mêmes en face de celui qui juge et
qui connaît les pensées les plus secrètes. Ha été aussi
réglé, après mùredélibération,que, quand lechapitre
serait célébré, on dirait, le premier jour du chapitre,
une messe du S;iint-Esprit, pour le pontife romain et
la cour romaine, pour le roi d'Angleterre, la reine
et leurs héritiers, et pour les familiers de notre ordre ;
que, le second jour du chapitre, on dirait une messe
pour les fidèles défunts^ pour les âmes des rois d'An-
gleterre et des bienfaiteurs de notre ordre, et de tous
les frères de notre ordre défunts.
Qu'après le dernier chapitre célébré, et qu'après la
célébration de chaquechapitre général, enchaquecou-
venl de notre ordre, la célébration d'une messe solen-
nelleait lieu a ussilôlque faire se pourra dans le couvent,
pour tous les frères du chapitre défunts, et pour leurs
familiers; que chaque prêtre di*e une messe privée,
et que chaque religieux d'un ordre inférieur récite
un psautier. Que les moines ne soient pas grevés à
Tavenir au delà de leurs forces, à cause de la multi-
tude [d'occupulions] qui n coutume d'exisicr en cer-
tains lieux pur une sorte de singularité. Afin que la
AUDITIONS. 525
même observance el !e même ordre soient dans tous
les monastères, il a été communément statué que les
psaumes familiers ne seraient en aucune façon réci-
tés de jour en chapes après les heures canoniques, ni
les psaumes familiers, de nuit.
Il est enjoint aux visitateurs, en vertu de l'obé-
dience, et sous peine d'être suspendus de la célébra-
lion des mystères divins, de visiter, corriger et ré-
former tout ce qui sera à corriger, selon la forme du
concile général et de la décrétale : » Les choses qui in-
téressent I honneur de la religion, etc.»— Que ceux
qui ne voudront pas admettre la visitation soient
suspendus par les visitateurs, et, s'ils le demandent,
qu'ils soient absous par les mômes visitateurs, en don-
nant caution de se soumettre au jugement du cha-
pitre général , et d'admettre à l'avenir la visitation.
— Quant aux moines d'outre-mer, s'ils ne veulent pas
être visités par les visitateurs , qu'il leur soit enjoint
de se rendre au premier concile général qui doit être
célébré à Oxford, pour y alléguer les raisons par les-
quelles ils ne doivent pas être visités par les visitateurs.
Que lesdits visitateurs se gardent bien aussi que
les monastères à visiter soient grevés par des dépenses
superllues , à l'occasion de leur venue ; qu'ils veillent
à ce que tout soit fait avec mesure , et qu'ils s'effor-
cent d'accomplir leur office de telle sorte qu'ils re-
çoivent de Dieu une digne récompense pour leurs
travaux. Qu'ils craignent ausî«i , s'ils étaient négli-
gents , que le Seigneur des vengeances ne demande
i-oiiipte il leurs mains du sang des délinquants. Se-
524 ADDITIONS,
ront présidenls, dans le proclîain cliapilre, les abbés
de Saint-EdmoDd et de Glocesler, à Oxford, dans
l'église d'Oseney'.
11 a été statué, en outre, que, dans ebaque monas-
tère , chaque jour , à la niesse de la bienheureuse
Vierge Marie , une mention spéciale serait faite du
seigneur roi , de la reine et de leurs enfants , avec
cette oraison : « Dieu, dans la njain de qui^, etc. »
— Pour que les statuts susdits soient mieux obser-
vés , et pour que rien de ce qui y touche ne soit
omis, il a été réglé que les présents statuts, aussi
bien que les statuts du concile de Latran , et les con-
stitutions du pape Grégoire JX , concernant notre
ordre , seraient récités chaque année , dans chaque
couvent, à des jours fixes assignés à cela.
Ilem, puisque chaque monastère tire sa subsistance
des bienfaits et des aumônes des défunts, de peur
que les âmes des bienfaiteurs défunts ne soient pri-
vées des messes qui leur sont dues, par omission
et négligence, il a été statué que quiconque, se trou-
vant dans un couvent, se sera soustrait quatre jours
' Fondée en U29 p.ir Kobcrt, nevt-u de Henri I"'. (CamdeN, lirit.
Aiitiqua.)
' Nous avons indiqué, à la noie explicative qui se trouve en U-lit de
cette addition, l'inconséquence <i|ipar(>iile (|ui existe entre le texte de
Matlb. l'âris et le document .'iu(|url il renvoie, linppelons seulement que
rc itatut ipécial fut tri-t-probuLlunieiit inséré d'une nianiî'rc expresse
dans la seconde assemblée tenue à Saiute-Alurie de Soulhwurk et rendu
obligatoire a Saint-Aibnns, h l'époque de la visite de Thibaut et de
Jticques.
ADDITIONS. Stt
à la céiébratioo des mystères divins , sera seciète»
ment réprimandé sur ce point, le cinquième jour,
pur Tobbé ou par le prieur ; s'il ne se corrige pas ,
et s'il ne peut justiiier d'une cause raisonnable, il
sera dénoncé publiquement sur celle infraclion , le
jour suivant, dans le chapitre.
XXI.
Année 4252. — \ oir la page 301 du volume.
Bbdits soa l'état de la Terre-Sainte , répandcs en
Angleterre a la fête de la Nativité de saint Jean*
Baptiste. — « A son vénérable et cher ami en Jésus-
Christ, le frère Gaultier de Saint-Martin , frère Jo-
seph de Cancy , humble Irésorier de la sainte maison
de l'Hôpital de Jérusalem, à Acre, salul et succès
prospères au gré de ses vœux. Quant aux bruils ré-
pandus sur la Terre-Sainte , que votre dilection n'i-
gnore pas que I illustre roi de France , qui a déjà
accompli un séjour d une année à Césarée de Pules-
tine, la fait environner d'une enceinte de murs et de
fossés , et que cet ouvrage est presque complètement
achevé au njoment où nous écrivons les présentes.
Des députés onlété envoyés à plusieurs reprises, tant
de la part du Soudan d'Alep que de la part de ceux
qui paraissent présentement avoir la domination de
Babylone, au seigneur roi susdit, pour Iraiter de lu
conclusion des trêves , avec pouvoir de confirmer
les engagements mutuels : ledit roi n'a >oulu admet-
tre à aucune trêve ledit Soudan d'Alep, et enfin il a
526 ÂDDITIOINS.
conclu avec les Babyloniens , dans la semaine de Pâ-
ques dernièrement écoulée, une trêve pour quinze
ans, sur serment prêté corporellement de part et
d'autre , aux conditions qui suivent : Les susdits Ba-
byloniens restitueront au seigneur roi, outre le reste
des captifs chrétiens survivants qu'ils s'étaient enga-
gés à rendre dans l'autre traité , conclu quand ils te-
naient le roi prisonnier, toute la terre en deçà du
fleuve du Jourdain , par quelque Sarrasin qu'elle
soit occupée, à l'exception toutefois de Gazer , de Gi-
belet, du grand Gérinetde Daroun, qui, aux termes
de la trêve , resteront aux Babyloniens. 11 a été en
outre réglé que si les Babyloniens n'amenaient point
leur armée à Gazer avant le milieu du mois de mai,
après la date des présentes lettres, et si le roi , dans
l'espace du même temps, ne conduisait pas son ar-
mée de Césarée vers les pays de Joppé , la confédéra-
tion de ladite trêve serait nulle. A cetle nouvelle , le
Soudan d'Alep, adversaire manifeste des susdits Ba-
byloniens, et qui se trouvait à Damas au moment de
la conclusion de la trêve, s'avança' en occupant tout
le pays , jusqu'à un certain lieu qu'on appelle Casey
{8ic)f et qui est entre Gazer et Daroun, conduisant
contre les susdits Babyloniens douze mille combat-
tants, sans compter trois autres mille, qu'il attendait
et qui devaient arriver très-prochainement, pour être
joints aux autres susdits douze mille , tandis que
toutes les forces des susdits Babyloniens n'excédaient,
' J ai rrin|>ii ir.i iiiii- hriiiu' prnb.ibir.
ADDITIONS. 527
eii aucune façon , le nombre de six ou sept mille
hommes d'armes, dont ils avaient même obtenu de
détacher une partie vers le pays de Babylone, pour
défendre ladite terre contre les incursions des Bé-
douins et des autres indigènes. D'un autre côlé, l'ar-
mée dudit roi n'était pas assez considérable pour
qu'il pût porter secours avec opportunité aux susdits
Babyloniens, en cas de besoin, puisqu'il n'avait pas
tout à fait et n'amenait pas même uoloirement avec
lui , en y comptant les cent chevaliers dont il espé-
rait la venue, et cela tant en religieux qu'en sécu-
liers, douze cents cavaliers et quatre cents turco-
poles', cavaliers armés en guerre. Aussi nous et une
foule d'autres étions-nous grandement dans le doute
que la route put être ouverte aux susdits Babylo-
niens; et, par ainsi, la trêve susdite n'a obtenu au-
cune force. Déplus, nous voulons vous informer que
toute la terre habitée par les chrétiens, en deçà de la
mer, du côlé de l'Arménie, s'était trouvée dans un
étal tolerable , grâce à la trêve que le roi de la même
terre avait conclue avec le soudan d'iconium , mais
* Le« tareopolet, d'où a éU» formé le nom de turcopolier, étaient an-
cJeDoemeiit, au rapport de Guill de Tyr, des compagnies de cheraux-
h^er». L'origine de ce terme Tonait des Turcomans, qui iippelaieul eu
général Turcopoles les enfants nés d'une mere [jrecque et d'un père tur-
coman, et destinés à la milice. Le nom de Turcopolier fut depuis un titre
de dignité militaire dans le royaume de CLypre, d'où il était passé dan*
l'ordre de Saint-Jean. Mais les Hospitaliers ne s'en serraient que pour dé-
signer le colonel général de l'infanterie. (VerTOT, JJist. de Mnltt^, t. 1,
pag. 2fi6.| On donne |»our étymolo^ie « ce mot Turcs aehet^s ( ito'Xtw ),
ou Turr^ méli» /p<tulaiiis\
528 ADDITIONS,
que maintenant elle se trouve dans une pire condi-
tion et dans un pire état que nous ne Tavons jamais
vue. En effet, la terre d'Antioche, sur laquelle se sont
déchaînés avec férocité certains peuples perfides ,
nommés les Fercomans' , a été complètement dévas-
tée : ce qui met en grand péril la ville même d'An-
tioche , pour laquelle on redoute une perte très-
prochaine. Déjà même ses habitants l'abandonnent
et s'enfuient dans leur effroi. Une troupe de mille
hommes de cette exécrable nation s'est avancée jus-
qu'à mi lieu qu'on appelle Césarée-la-Grande, et a
planté ses tentes en cet endroit pour y demeurer.
Puis ces barbares, redoublant d'audace, ont parcouru
notre terre et celle des autres , du côté de Tripoli ,
ont incendié plusieurs villages, ont emmené avec eux
quatre mille têtes de gros bétail, nous appartenant,
puis sont retournés à Césarée , après avoir fait un
jrrand carnage de leurs ennemis, et en traînant avec
eux une multitude de captifs ^. Ils sont postés là,
* Lisez Turcomans. « Cil Turquenians sont une gcnt sauva{i[e, qui
« n^ont ne ville, ne chastiaux, ains sont les jors berberjips en tentes
« qu'ils ont de feutres, et ont hestes à grand foison... » ( GuiLL. TyrII
Co>TI.\. apud Martene ampliss- coll., tom. v.) Dans une note anté-
rieure uoui avons donné quelques détails sur res ancêtres de la nation ot-
tomane. Rappelons seulement que, vers 42^5, Krthogrul conduisit quatre
cents familles turques dans l'Asie-Mincurc, il arriva an moment où
Aladin, sultan scljounide d'Iconium, luttait avec peine contre une armée
de Mongol»; son arrivée décida la victoire en faveur d'Alndin qui l'établit
dans la fertile vallée de Sugut ou Surgut, où son tombeau est encore
Tobjet de la vénération des fidèles osmanlis. Les amours de son fils Os
man avec la belle Maidjaloun sont le po<*me épique de l'Orient au trei-
xiéme siècle.
Ils avaient massaer* la garnison d« Sidon au moment où saint Louis
fl
ADDITIONS. 52»
jusqu à ce qu'ils uieut détruit tout le pays, à moins
que Dieu ue nous vienne en aide. On croit même
que ces barbares marcheront contre nous comme
auxiliaires du Soudan dAlep, par l'instigation du-
quel toutes les dévastations susdites ont été commises.
Donné Ie2avanl les nonesde mai.)>Orces bruits furent
répandus à l'Assomption de la bienheureuse Marie.
XXII.
Année 4252. — Voir la page 311 du volume.
Lettre de créance adressée au pape Innocent podr
LE SEIGNEOR GoiLLACME DE SaINT-EdmOND , MOINE DE
Saint-Alrans. — « A leur très-saint père en Jésus-
Christ et à leur révérend seigneur Innocent, par la
grâce de Dieu, souverain pontife de la très-sainte et
sacrée église romaine, ses dévoués fils Tabbé et le
couvent de Saiiit-.Albans, baisement dévoué de ses
pieds bienheureux avec toute obédience et révérence.
Nous avons établi pour nos procurateurs , nos amés
en Jésus-Christ, frère Guillaume de Saint-Kdmond ,
moine de notre communauté, et le seigneur Guil-
laume de Saint Edouard, clerc, pour une affaire où
il s'agit d'impétration, de contradiction , de citation
en justice, et pour solliciter et obtenir de Votre Sain-
teté une grâce .spéciale ; et nous aurons pour valable
venait d'envoyer de» ouvrier* pour relever les forliGcations de la ville.
Let chevaliers frauçais parlireul aussitAt pour Césarëe ou Belinas, ce sai-
tirent de eelle ville abaodoDnée par les Turcomans, el la mirent au pil
lage. Mais les chevaliers Teutoniques (échouèrent au siège d'un château
filué parmi les pics du Liban, et Joinville courut risque du la vie eu
\uulant les dégager. ( Voy. M. MiCHAUD, Ui$i. de$ Cruisadef, toin. iv,
liv. M.t
vn. "i
550 ADDiriOiNS.
et pour agréable tout ce que les iitémes procurateurs,
ou celui des deux qui sera présent, selon le temps,
aura fait ou auront fait en notre nom. Que le Très-
Haut conserve le pontife de sa sainte église dans les
temps les plus éloignés.
" A lous ceux qui ces présentes lettres verront ,
Jean, par la permission divine, abbé de Saiut-Albans,
et 1 humble couvent du même lieu , au diocèse de
Lincoln, salutdans le Seigneur, bâchez tous, tanl que
que vous êtes , que nous avons créé , institué et or-
donné pour nos nonces et nos procurateurs, à Teffet
d^obtenir, de contredire et de choisir des juges dans
la cour du seigneur pape, ainsi que pour obtenir
une grâce spéciale du même seigiieur pape , notre
cher frère et collègue eu communauté, Guillaume de
Saint-Edmond et le seigneur Guillaume de Saiut-
Édouard , clerc. Nous leur donnons aussi à tous les
deux, ou à l'un des deux, plein et libre pouvoir, afin
d'expédier utilement, dans ladite cour, nos alfaires
et celles de notre église, de contracter des emprunts
envers les marchands qu'il leur [daira de choisir, jus-
qu'à la somme de cinquante marcs en sterlings bons,
neufs et loyaux. Pour plus grande sécurité de ladite
chose , nous consentons et nous nous engageons à
rendre cl à payer ledit argent emprunté, à ceux à qui
il aura été emprunté , avec toutes les stipulations et
conventions, selon qu il aura été convenu entre eux.
Selon que nos susdits procuruleurs auront promis,
on que Tun d'eux aura promis, en notre nom et au
nom de notre église, nous promettons aussi en tout et
1
AlUXTUAS. ÎUM
pour luul. De même, nous nous olili^jeous, nous dé-
clarons tenus, et jurons d'observer et d'accomplir les
conditions, dans la forme selon laquelle tous deux
auront promis, se seront obliges , se seront déclarés
tenus et auront juré, ou Tun d eux aura promis , se
sera oblijjé, se sera déclaré tenu et aura juré. Nous
aurons pour valable et pour ajjréable tout ce que
tous deux ou Tun des deux auront <>u aura juré à
propos de faire sur les choses susdites. En témoignage
de quoi nous avons scellé ces lettres de nos sceaux.
« Donné publiquement dans notre chapitre, qu
mois de septembre, Tan du Seigneur mil deux cent
cinquante-deux. »
XXUl.
Aunée 4252. — Voir la page 318 du volume.
Lettre do pape Innocent sub les oidinations des
DIGNITÉS. — «« Innocent IV, évéque, serviieur des ser-
viteurs de Dieu , ù ses vénérables frères , tous tant
qu'ils sont, les patriarches, archesêques et evèques,
et à ses chers tils les abbés, les prieurs et les autres
prélats, ainsi qu'aux chapitres, couvents et collèges
des églises , salut et bénédiction apostolique. Jadis,
la Uiiture des circonstances, qui, à cette époque, nous
indiquait le moyen le plus efficace pour réprimer la
méchanceté multipliée des hommes, et la sollicitation
importune de quelquf^^uns, ont obtenu de nous ce
que, par nos lettres, nous avons recommandé qu'on
fît en divers points à l'égard des arehe\échés ou des
évéci lés. des abbayes ou des prieurés ; mais considé-
rant quil v<!Ut mieux pourvoir les églises, surtout
S52 ADDITIONS,
quand il s'agit du gouvernement d'icelles , que \es
personnes, nous concédons, par l'autorité des pré-
senles, à ceux à qui appartient Télection, ou l'ordina-
tion, ou la collation, ou la provision de ces dignités,
libre pouvoir d'ordonner et de pourvoir canoni-
quement à toutes les dignités susdites ; nonobstant
toute lettre générale ou spéciale, sous quelque forme
de mots qu'elle soit écrite, obtenue ou même à obte-
nir du siège apostolique ou de ses légats au sujet des
promotions ou des provisions de qui que ce soit;
nonobstant aussi toute réserve, ou prohibition , ou
nomination faites ou à faire par l'autorité des mêmes
lettres, ou toute procédure commencée ou à com-
mencer à l'avenir d'après les mêmes lettres. Nous
voulons que toutes ces choses manquent de force ;
car nous déclarons nul et de nul effet tout ce qui a
a été fait ou sera préusurpé eu ce point par qui que
ce soit, à l'occasion de ces sortes de lettres, par la
teneur de notre concession dont s'agit , et par la li-
berté du droit ou de notre pouvoir ; levons les sen-
tences d'interdit, de suspension et d'excommunica-
tion, qui auraient pu être prononcées jusqu'ici, sous
prétexte de nos lettres , et considérons comme étant
complètement nulles celles qui pourraient être pro-
mulguées désormais. Néanmoins les défenses géné-
ralement laites par nous et nos légats, pour empê-
cher l'élection des prélats dans les églises des cités et
des dioceses rebelles à I église romaine, lorsqu'elles
viendront à v»(|uer, subsisteront dans toute leur
force. Donné à Férousc, le Ai) avant les calendes de
ADDITIONS. 55S
juin , Tau neuvième de notre ponlitical '. » — Celle
lettre fut publiée la même année, dans Toctave de lu
décollation de saint Jean.
XXIV.
Animée 1232. — Voir les pages 297, 360 du volume.
Lettbe do pape Innocent pocr restreindre les pro-
cciATiONS MAJEURES. — « Innocent IV, etc. Pour ser-
vir de mémoire et d'observance perpétuelle contre
les vexations qui sont imposées par les prélats à ceux
qui leur sont sountis dans les procurations qui sont
dues à raison de la visitation , les institutions cano-
niques ont pris des mesures sululaires contre la mul-
titude des montures et des escortes, contre la trop
grande abondance des festins, et contre les autres
superfluités , en statuant que la modération due de-
vait être observée, de telle sorte que les prélals n'ex-
cédassent pas, pur leurs exigences, le nombre fixé,
et que ceux qui leur étaient soumis ne fussent pas
grevés, en fournissant au delà du nécessaire. Mais
comme on entend encore une foule de plaintes au
sujet de ces sortes de procurations, nous qui voulons,
dans notre sollicitude pastorale, pourvoir de telle
façon à cet abus que toute occasion de vexation i-oit
détruite et que tout sujet d'injustice disparaisse ea-
tièrement, jious statuons, en vertu de Tautorité apo-
stolique, que les procurations, en fait de provisions
' Date Tulgaire, 22 mai I2.'i2. Cette indication positive suffit pour
prouTer que Guili. Wata a mal placé cette addition eu la rejetant à
l'année 4254 ; d'ailleun le rentoi de Matt. Péris est précis.
554 ADDITrONS.
de bouche el des autres choses nécessaires , seront
t'oufnies avec modération aux archevêques, évêques,
archidiacres et autres prélats visitant en personne,
par les éfjlises et les lieux visités; en sorte que ces
procurations en chaque lieu, ou le total des frais qui
seront faits en ces occasions, n'excèdent dans aucun
cas, selon notre estimation commune , la sonime ou
la valeur de quatre marcs d'argent. Nous décidons
cependant que , quant aux montures en plus ou en
moins, et quant au nombre des personnes qui devront
accompagner les prélats, aux termes du concile de
Latran , selon la plus ou moins grande élévation d'i-
ceux , les dépenses de ces sortes de procurations au-
ront lieu jusqu'à concurrence de cette sonjme , ou
en deçà, [à savoir jusqu'à quatre marcs], dans les
lieux où il est constant que la fertilité et Tabondance
des choses sont plus grandes ; mais là où les revenus
et les facultés ecclésiastiques sont moindres, on four-
nira moins pour lesdiles procurations, selon la plus
grande fréquence des besoins et la moins grande
abondance des provenances. S'il arrive qu^on four-
nisse davantage pour res sortes de procurations , que
les prélats qui auront reçu ces procurations immo-
dérées soient forcés de les restituer, pour Tutililé des
églises, à ceux dont ils les auront reçues, et que ceux
qui les auront fournies soient forcés de donner aux
pauvres, sur leurs biens propres, le double de ce qui
Vùvti été dépensé tin delô de In somme fixée plus haut.
Qu'ils soient néanmoins punis par une autre peine,
si la chose parait avantageuse , sauf toutefois aussi les
ADDinONS. 555
autres décisions, qui noloiremenl ont été générole-
n»eut prises à I egani de ces sortes de visitations ou
d'exactions, lesquelles subsistent toujours. Qu'aucun
honiine donc n'entrej)renne nl)solument, etc. »
XXV.
Année tio-2. — Voir la page 370 du volume.
Lbttbe sur l'injdre r.oMHisE A Lambetu, enveks l'ar-
chevêque DE (Iantoebéry, et maître Eustaciie de Lynn,
SON OFFICIAL. — «Lennenii du jjenre humain ne c^'sse
point, daus les temps où nous ^onlme8, de rechercher
subtilement les moyens de semer la zizanie dans Té-
glise de Dieu, pour que celte zizanie pullule et que.
par son épaisseur, elle étouffe dans le champ du Sei-
gneur la tranquillité de la paix et la suavité des ver-
tus. Il faut donc obvier par un prompt remède à ces
iirtilices tortueux, afin qu'on les arrête dans le prin-
cipe, de peur que si la maladie ne s au^jmente consi-
dérablement, il ne soit tropt rd pour y porter remède.
IJonc, pour que Terreur soit corrigée par notre pru •
dene«, et pour que I excès soit réprimé, uous racon-
tous avec une vive affection à votre fraternité les faits
qui se sont passés à la dérision de Jésus-Christ, à l'op-
probre de l'église de Dieu, au scandale du clergé, et
a la rupture de la paix du royaume, faits qui sont
empreints d'une téméraire etatroce cruauté. Quelques
HU deBélial, oublieux de leur salut, prodigues de leur
renonmiée, et désireux de faii'e le mal, à savoir Phi-
lippe delà Forêt, sénéchal du seigneur élu à Winches-
ter, Guy Peverel, Gaultier de Kale, Guillaume <ie
556 ADDITIONS.
S'Earmuiid, Olivier, «lu lignage du seigneur Geoffroi
(le Lusignan , Guillaume de Saint-Léger, Robert Agoil-
luu, chevaliers, le prieur de Lusignan, avec un de ses
moines, Martin, arbalétrier, et Jean Picard, son frère,
Guillaume Gaucher, Etienne de Croindon, clercs du
susdit élu, et Guillaume, clerc, bailli du même élu,
ainsi que beaucoup d'autres dont nous ignorons les
noms, sont venus avec chevaux elarmes, et dans un es-
prit de fureur, à notre manoir de Lambeth, près de
Londres, pendant le jour avant l'heure du dîner, le di-
manche après la fêle de la Toussaint dernièrement
écoulée, alors que nous nous trouvions dans les pays
d'outre-mer, ont brisé les portes des bâtiments et de
la chapelle, y ont porté des mains sacrilèges sur
maître Eustache de Lynn , notre officiai , qui représente
notre personne, et sur notre prêtre, qui desservait Tof-
tice divin dans la chapelle des bienheureux Etienne
et Thomas, niartyrs, en outre sur quelques-uns de
nos hommes qui s'étaient retirés dans l'église parois-
siale du même lieu, et môme sur les choses sacrées
et autres qui se trouvaient dans ladite église, et dans
les chambres dudit manoir; ils se sont saisis dudit
officiai et des autres qui se trouvaient dans l'église,
après les avoir arrachés violemment de la pointe de
l'autel où ils s'étaient réfugiés; puis, à la dérision de
Dieu, à l'opprobre de l'ordre clérical, de nous et de
notre église, à la honte et au mépris de toute l'An-
gleterre, ils ont mis ledit officiai sans chape sur un
cheval à qui les rênes pendaient du cou, en ne per-
mellant pas à celui qui le monUiit de les tenir; ils ont
ADDITIONS. 537
fait marcher le prêtre à pied au milieu de la boue,
ainsi que les autres, eu les poussant et en les frappant,
et les ont ainsi conduits lionteusement en présence
du peuple à la maison de l'élu à Winchester, dans
Soulwark, où ils les ont retenus captifs. Ensuite ils
ont transféré de là , avec ignominie et violence, de jour
et de nuit, dans des lieux écartés à un mille de Fern-
ham, dans le districtdudil élu, le même officiai, et les
laïques pris dans Téglise de Lambeth, les y ont rete-
nus autant qu'il leur a plu, l'tenont emporté leurs
biens et les nôtres, dont ils s'étaient emparés à Lam-
beth. Comme donc, il est clair et de toute évidence
que tant et de si jurandes énormités, ainsi que plu-
sieurs autres ont été commises, non-seulement contre
nous et contre l'église de Cantorbéry, mais encore
contre Téglise universelle et le clergé de la province
de Cantorbéry, nous, considérant que les susdits mal-
faiteurs, pour avoir porté des mains violentes sur des
clercs, sont soumis au canon de la sentence déjà pro-
noncée; que, pour avoir violé les libertés et immunités
de Téglise, ils ont encouru la sentence d'excommu-
nication promulguée dans le concile d'Oiford contre
les malfaiteurs decette espèce; quede plus, comme ils
ont commis des sacrilèges multipliés dans les choses
susdites, et comme, avec une audace téméraire, ils
ont rompu la paii du seigneur roi et du royaume,
en employant la force et les armes, en dédaignant la
crainte de Dieu, et en abjurant tout respect pour le
prince, nous déclarons excommuniés en vertu de
lautorite du Dieu tout-puissaiil, Père, Fils et Sain^
558 ADDITIONS.
Esprit, de la bienheureuse Mtirie, ruère de Dieu, du
bienheureux martyr Thomas, de saint Edmond le
confesseur, et do tous les saints, ceux-là et tous ceux
qui les ont assistés dans le susdit maléfice, ainsi que
ceux qui leur ont fourni aide, autorisation , conseil
et assentiment; vous recommandant et vous enjoi-
gnant fermement, en vertu de Tobedience dont vous
êtes tenus envers Téoli^e de Cantorbéry, de déclarer
publiquement et solennellement excommuniés dans
votre église cathédrale les susdits malfaiteurs, de
les faire déclarer publiquement excommuniés dans
votre diocèse, au son des cloches, à la lueur des
cierges, chaque jour de dimanche et de fête, et d'or-
donner à tous de les éviter avec jjrand soin comme
des excommuniés. Au reste, comme les possessions
du voisin sont en danger quand la maison contiguë
est la proie des flammes, comme on doit justement
craindre que, si ces choses ont lieu impunément en
lieu verdoyant, pires choses encore ne soient com-
mises en lieu aride, puisque l'impunité nccordée à
un délit est une incitation à renouveler ce délit, nous
prions votre fraternité, en la quelle nous avons pleine
confiance dans le Seigneur, à cette fin que vous vous
souleviez vigoureusement avec nous, pour In maison
du Seigneur, contre ces méchants, que vous agissiez
de concert avec nous, et que vous nous fassiez savoir
par vos lettres comment il aura été procédé ultérieu-
rement dans cette affaire. Doimé à Croindon, le len-
demain de sainte <'atherine, Tan du Seigneur ^2.^12.
Cependant nous exceptons de cette dérlnralion \c sei-
\nniTIONS 5S9
«pieur roi, In (iame reine el leurs enfants, leseio^neiir
Kieliard. coinlede Cornouailles, el la dame comtesse,
son épouse. » L'évêque TÉly fit remettre à son archi-
diacre les lettres susdites, qui avaient été envoyées par
rarchevôque.
XXVI.
Année 1335. — Voir la page 588 du volume.
Lettre sur les procdrations des églises parois-
siales.— «Gaultier, par la {jrôce de Dieu, évêque de
Norwich , à son cher fils le doyen de Bingham (?) ,
salut, grâce et bénédiction. Nous avons reçu un man-
dement des vénérables pères Robert , évêque de Lin-
coln, Foulques, évêque de Londres. Guillaume,
évêque de Wells et de Bath , que nous vous faisons
passer pour que vous l'examiniez et le transcriviez.
Par la même autorité , nous vous recommandons et
enjoignons , à vous et à tous ceux qui sont soumis à
votre juridiction , en vertu de Tobédience et sous
peine de la contrainte canonique, de recevoir hono-
rablement les archidiacres , ou autres, à qui appar-.
tiendra notoirement l'office de visitation , loi*squ'ils
vien«lront vers vous pereonnellement pour vous visi-
ter avec le nombre de montures réglé dans la consti-
tution de Latran, et de leur fournir des provisions de
bouche ; jusqu'à la somme de sept sols et six deniei*s,
selon Testimation commune, ou rargent,s'ilsraiment
mieux. Sachez donc pour sûr que si vous payez plus,
.soit en argent, soit en provisions de bouche, ou si eux
reçoivent davantage, ou si vous leur fourniss<'Z quel-
540 ADDITIONS,
que chose à titre de visitation, sans qu'ils vousvisitenl,
nous punirons, selon la forme de la constitution [)lus
haut dite, tant les payeurs que les receveurs, soit par
nous, soit par les mêmes conservateurs plus haut dits.
Quant aux antres églises où, à cause de Tinsuffisance
des biens , ils avaient coutume de percevoir une
moindre quantité, qu'ils perçoivent comme par le
passé, jusqu'à ce que nous ayons réglé la chose autre-
ment, de concert avec eux. Pour nous, dans les lieux
que nous visiterons à l'avenir, avec la permission du
Seigneur, nous voulons nous contenter de provisions
de bouche, montant jusqu'à la somme de trenteetun
sols et dix deniers, selon l'estimation commune .
ou de l'argent comptant , et môme de moins , selon
les facultés du lieu. Donné à Londres, le 4 des nones
de février, l'an huitième de notre pontificat. »
xxvn.
Aimée 4235. — Voir la page 592 du volume.
Brefs dd roi ad sdjet des jurés aux armes. ( Extrait
del'Auctarium.) — Premier bref. — «Henri de Hathe-
lokeston, vicomte d'Essex et d'Hartford, aux baillis
des libertés de Saint-Albuns, salut. J'ai reçu un man-
dement du seigneur roi, ainsi conçu :
« Henri , par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre, etc. ,
au vicomte d'Essex et d'Harllord , salut. Sommez
par bons sommateurs tous les chevaliers et tous les
libres tenanciers des comtés susdits, quatre hommes
et le prévôt de cha(jue ville, amsi que douze loyaux
bourgeois de chaque bourg, do se trouver par-devant
ADDITIONS. Ui
notre anié et féal Henri de Coleville , aux jours et
aux lieux qu'il vous fera savoir, pour y apprendre
et exécuter notre conimandement. Fuites aussi venir
par-devant lui, aux mêmes jours et lieux , tous ceux
qui sont jurés ' aux armes et doivent Têtre, avec les
armes, pour le maniement desquelles ils sont jurés
et doivent létre , à l'effet d'entendre et d'exécuter
notre commandement. Et, pendant ce temps, en-
quérez-vous avec diligence de ceux qui ont fait, en
dernier lieu, perquisition des armes dans les comtés
susdits , de ceux qui ont prêté serment à cet égard
en dernier lieu, et de l'endroit où sont les rôles re-
latifs à cette perquisition et à ce serment. Soyez en
état de présenter ces rôles au susdit Henri, aux jours
et lieux susdits, et soyez vous-même, en propre per-
sonne , en ce lieu, à cette épo(|ue , pour accomplir
les choses que le mên>e Henri vous enjoindra de no-
tre pari. S il arrive que les baillis des libertés , qui
ont acte de renvoi ' de nos brefs, n'aient point exé-
* L'instilutioD ou plutôt ierenouvellemeutdecette garde de police, nout
parait une mesure utile, quoi qu'eu dise Matt. Paris qui l'attribue aux Pro-
vençaux, conseillers du roi (pag. 570 du texte). Ces jurait ad arma, sur
lesquels on trouve ici les détails les plus circondanciés, ne sont pas sans
analogie atec ce qu^on appela plus tard yeomanry, et ce qui était déjà
nommé en France le guet. 11 parait que cette milice était aussi destinée
a marcher à la guerre en cas urgent, puisque le comte de Leicester, me-
nace sérieusement après la l>ataille de Lewes, couToqoa, k titre d'ar>
rière-ban, les citoyens armés des villes municipales, et que les termes de
ton ordonnance rappellent celle de Henri III. (Voy. LiNGAHD et les au*
torités qu'il cite.)
* Hetuntum bretitim {return). Le bref émané du roi est adressé au
■bérif (vicomte), etjretourne au bailli. La même formalité s'appelait eu
542 AUDITIONS,
cuté noire présenl mandai, vous ne néglijjeiez pas
de pénétrer dans lesdiles libertés, pour y exécuter le
niênte mandat. Fait sous mes yeux, à Portsmouth,
le dix-huitième jour de juillet, Tan trente-septième
de noire règne. C est pourquoi je vous recommande
d'exécuter avec diligence le présent mandat, sous
peine de perdre la liberté de votre domaine. »
« Henri, par la grâce de Dieu, etc., àsonaméetléal
Henri de Coleville, salut. Sachez que nous vous avons
désigné, pour faire connaîlrt- les articles que nous
vous envoyons sous notre sceau, aux chevaliers, aux
hommes libres, et aux autres des comtés de Cam-
bridge , de Huntingdon , d Hartford et d 'Essex , lesquels
doivent venir devant vous, selon Tordre que nous
eu avons donné, aux jours et aux lieux que nous au-
rons fait savoir aux vicomtes des mêmes comtés,
afin de veiller à ce que ces articles soient fermement
observés pour la conservation de notre paix, afin de
vous assurer si chacun a les armes pour le maniement
desquelles il est juré ou doit l'être, et afin de punirde
la manière accoutumée tous ceux que vous aurez
trouvés, ou résistant, ou rebelles, ou négligents dans
les choses susdites. C'est pour cela que nous vous re-
commandons de vous trouver aux jours et aux lieux
que vous aurez jugé à propos de fixer dans les comtés
susdits, pour y faire les choses susdites, selon que
vous Taurez jugé le plus coivenable ; car nous mau-
dons à chaque vicomte des comtés susdits de i.-iire
France renvoi ; relûniu$ curUf. (I «y. Ducangb nt i;akpe>tiek,
aux raoU tontun ni rtloruus.)
AUl)^110^S. 545
venir «levant vous, aux joura el aux lieux que vous
leur aurez fail t>avoir, lous les chevaliers , les libres
teaauciers des conilés susdits, quatre hommes jet le
prévôt de chaque ville, douze loyaux bourgeois de
chaque bour^, et tous ceux qui sont jurés aux armes
el doi\eut Télre, avec les armes pour le maniement
desquelles ils sont jurés et doivent Tèlre, pour y ap-
prendre et luire les choses que vous leur enjoindrez
de notre part. Nous mandons aussi aux susdits vi-
comtesde se trouver, à cette époque, en leurs propres
persoimes, par-devant vous, avec les rôles de la dei^
nière perquisition des armes, faite dans les mêmes
comtés, pour exécuter ce que vous leurnurez enjoint
de notre part. S il arrive que les baillis des libertés,
qui ont acte de renvoi de nos brefs, n'aient point
exécuté en cette partie notre mandat, vous ne né^li>
gérez pas de pénétrer dans lesdiles libertés pour y
exécuter notre susiit mandat. Fait sous mes yeux, à
Porstmoulh, le viugtiéme jour de juillet, I an trente-
septième de notre règne. »
Autre Bref.
« Henri , par la grâce de Dieu , roi d'Angleterre, etc.,
il tel ou tel vicomte, salut. Sachez que, pour faire ob-
server fermement notre paix, il a été décidé, sur l'avis
de notre conseil , que des veilles auraient lieu dans
chaque cité, chaque bourg et dans toutes les autret
villes de votre comté, depuis le jour deTascension dii
Seigneur, jusqu'à la fêle de la Saint-Michel ; à savoir
que, dans chaque cité, six hommes, couverts de lem^s
544 ADDITIONS,
armes, Vacilleront à chaque porte ; dans chaque bourg,
douze hommes ; dans chaque ville entérine , six
hommes ou quatre homuies au moins , semblable-
ment couverts de leurs armes, selon le nombre des
habitants. Ils veilleront continuellemenl pendant
toute la nuit, depuis le coucher du soleil jusqu'à son
lever ; en sorte que si quelque étranger veut passer
au milieu d'eux, ils l'arrêteront jusqu'au matin.
Alors, si c'est un homme féal, il sera mis en liberté ;
si c'est un homme suspect, il sera livré au vicomte,
qui le recevra sans aucune difficulté ni délai , et le
gardera en lieu de sûreté ; mais s'il arrive que les
étrangers de cette espèce , passant par là , refusent de
se laisser arrêter, alors les susdites sentinelles pous-
seront contre eux de tous côtés le cri de hue hue *, et
les poursuivront avec toute la ville et les villes voisi-
nes, en poussant des clameurs et des cris de hue
hue de village en village , jusqu'à ce qu'ils soient
pris. Alors ils seront livrés au vicomte, comme il est
dit plus haut; eu sorte que personne, pour avoir man-
qué d'arrêter ou de prendre ainsi les étrangers, ne
< Hutesiunij Huesium. Cette ordonnance paraît renouvelëe de celle
de Gaillaume le Conquérant qni prescrivait k tout habitant des villes et
des bourgs d'Angleterre de traquer Thomme mis hors la loi, Thomme
des forêts, comme un loup, de te poursuivre de canton en canton, par la
hvée el par le cri^ hxj hue and cry. (Foj/.M. Aug. Thierry, liv. vi,
pag. 247. )0n disait en français, /lu, huyet, /mrie, /mtrie, d'ofi notre
mot ahuri. « Justice el jurisdiction... de heux brisée. » G'est-à-diro
d'infraction commise k la poursuite h cor el h cri. On trouve aussi liaha,
hahuy, hay. tu ii»a([c diuitoguo s'appelait pu INormniidic haro, rla-
mrur de haro. Mais ce ternie ne larda pus h Hm nslreint aux recours
en justice. {Voy. Cahpektieh, aux mots huesium, luiro.)
ADUriiONS. 845
se liielte dans le cas d'être oiolesté par le vicomte ou
par ses baillis. Que chaque cité, que chaque bourjj,
que chaque village soit préparé à faire chacune des
susdites veilles et poursuites avec assez de diligeuee ,
pour que nous ne devions pas punir grièvement ceux
qui seraient en défaut. Il a été décidé aussi que cba»
quevicomte,de concert avec deux chevaliers assignés
spécialement à cela , parcourrait son conité de hun-
dred en hundred , ainsi que les cités et les bourgs
du comté, et ferait comparaître devant lui, dans cha>
que hundred, cité et bourg, les citoyens, les bour-
geois, les libres tenanciers, les vilains et autres , de-
puis l'âge de quinze ans jusqii à râ|>e de soixante ans.
Les mêmes vicomtes et chevaliers les feront tous jurer
aux armes , selon la quantité de leurs terres et de
leurs biens chattels . à savoir, pour quinze livrées de
terre, une armure, un chapeau de fer, une épée, un
couteau et un cheval; pour dix livrées de terre, un
hauberget\ un chapeau de fer, une épée et un cou-
teau; pour cent souldées ' de terre , un pourpoint,
un chapeau de fer, une épée, une lance et un gou*
teau ; pour quarante souldées de terre et plus, jus-
qu'à cent souldées de terre, une épée, un arc, des
flèches et un couteau; que ceux qui ont moins de
< Gorgière, gorgerette. Ce n'est point la cuirasse ratière qu'exprime
le mot luriru .
* Rappelons, pour mémoire, que !• livrée (livrutu) était la portion de
terre qui rapportait une livre d'argent par an, et contenait quatre or-
^ng$ ou bovales : chaque bovate était de Ireiie acres , ee qui faisait cin-
quante-deux aères. La souldée, soudée, saudée, solée [sulidata) rappor-
tait aoouellemeal an sol d'argent. (Voy. DuCA!«GE.|
TU. 5o
516 ADDITIÔiSS.
quarante souldées de terre, soient jurés pour des
faux, des haches à longs manches, des couteaux et
autres menues armes. Quant aux chattels, pour des
chattels de soixante marcs, une armure, un chapeau
de fer, uneépée, un couteau et un cheval ; pour des
chattels de quarante * marcs, un hauberget, un cha-
peau de fer, une épée et un couteau ; pour des chat-
tels de vingt marcs , un pourpoint , un chapeau de
fer, une épée et un couteau ; pour des chattels de neuf
marcs, une épée , un couteau, un arc et des flèches;
pour des chattels de quarante souldées et au-dessus,
jusqu'à dix marcs, des faux, des haches à longs
manches et autres menues armes. En effet, que tous
ceux qui peuvent avoir des arcs et des flèches hors
des forêts les aient ; que ceux qui sont dans les forêts
aient des arcs et des traits. Que, dans chaque cité et
dans chaque bourg , les jurats aux armes se présen-
tent devant les maires de la ville, et devant les pré-
vôts et baillis des bourgs, là où il n'y a point de mai-
res. Que, dans chaque autre ville majeure, un ou
deux constables soient institués, selon le nombre des
habitants et selon la provision des susdits. Que, dans
chaque hundred, soit institué un constable capital,
au mandement duquel tous les jurais aux armes du
hundred se rassemblent, et que ces jurats lui obéis-
sent pour faire tout ce qui appartiendra à la conser-
vation de notre paix. Que chaque vicomte fasse crier
dans toutes lescitéH, tous les bourgs et tous les mar-
*-Sexaginta «it r^p^U. E^idemmtol quariraginia.
\
ADDITIOÎNS. 547
l'Iiés de son baiiliajje, défense à tous de se rassembler
|>uur faire tuuriiois de vilains à coups de masses ' ou
pour toute autre aventure. Que personne aussi ne
se montre en armes , à moins que ce ne soient gens
assignés spécialement à la garde de notre paix. Si
quelques-uns sont trouvés se promenant ainsi en ar-
nies , contre notre présente provision , qu'ils soient
arrêtés et livrés au vicomte. S'il arrive qu'ils ne se
laissent point arrêter, qu'alors les constables de cha-
que hundred el de chaque ville majeure, et tous au-
' Ad burdaudum. Ce terme élait usité pour désigner les tournois des
vilains qui se servaient de bâtous appelés burdons p ir Cbaucer dank son
tournoi de Tottenham 't;loss. du texte). Eu FraDce, les bâtons ou masses
destinées à cet usage étaient nommés bourdeaux, bordes, ou plutôt bou-
hours qui parait le terme consacré au treizième siècle, f Jceulx Jehan
et Girart prinrent chanMU d'eux uu blanc petit tilleul pelé pour en
behaurder /^un à (''autre et en eulx ainsi esbatant et bouliourdant
hrisérent plusieur$ tilleux l'un contre Vautre. » Comme dans le nord
de la France, cet tournois avaient lieu surtout le premier et le deuxième
dimanche de carême, le terme de bouhourdis servait de date. « Ce fut
• fait eo Tan de rincarnation Jbesu-Cbrist 1283, au mois de mars, le
« samedi prochain devant le bebourdidi. u (Chartul. de Corbie.) « Le
t juesdi devant le bouhourdiich. • {Hegi$t. de Vhotel de ville d' Abbe-
ville à Vcuihée 4290.) « Fait Fan del incarnation de nostre Seigneur
• 1282, le vendredi upres le bourboudich le moys de march. {Chartul.
de .\amur.) (Voy. Carfentier, gloss. Duhardium^ Bordai.) La tra-
duction latine de ce terme élait de lignis orditis. iDntniuira de lignix
orditix^ le dimanche du bois hourdis.\ Des combats de ce genre por-
taient à Lille le nom de IVspinelle, et les grands seigneurs, dit Ducauge,
ne dédaignaient pas de s'y trouver. « Ces jeux et ces tournois estoieni
• appelei du terme général do bouhourd, ainsi que Buzelius Ta rt'mar-
> que qui ajoute que quelques-uns on rapportent l'origine et l'institution
' au roi saint Ix>uys. • (Disserl. vu sur V Hist, dr saint Louis.) (Rap-
pelons enfin que bourdons était le nom général des bitons bénit que les
pèlerins emportaient a la croisade.
S48 ADDIUONS.
très, quels qu'ils soient, élèvent contre eux de tous
côtés le cri de hue hue, et les poursuivent de village
en village avec les villages voisins, jusqu'à ce qu'ils
soient pris et livrés au vicomte , comme il a été dit
plus haut. Or, toutes les lois qu'il arrivera qu ou
élève le cri de hue hue contre des perturbateurs
quelconques de notre paix, et contre des brigands et
uiallaiteurs dans les parcs ou les viviers, qu'aussitôt
le cri de hue hue soit poussé à cause d'eux, et qu'on
les poursuive jusqu'à ce qu'ils soient pris et livrés au
vicomte», ainsi qu'il a été dit plus haut pour les autres.
Que tous les vicomtes et leurs baillis, les constables,
les jurais aux armes, les citoyens , les bourgeois , les
tenanciers libres et les vilains , fassent telle poursuite
à l'égard des susdits malfaiteurs, de peur que ces
malfaiteurs ne s'échappent, et pour empêcher que,
dans le cas où ils échapperaient par la faute d'iceux,
ceux qui auraient été trouvés en défaut ne soient
grièvement punis. Auquel cas, qu'ils soient punis sur
l'avis de notre conseil, de telle façon que leur châti-
ment inspire de la crainte aux autres et leur enlève
sujet de tomber en faute. Que les vicomtes reçoivent
sans délai ni difficulté les suspects qui auront été ar-
rêtés de jour par quelques arrestations que ce soit ,
et qu'ils les gardent en lieu de sûreté, jusqu'à ce qu'ils
soient mis en liberté, d'après la loi de la terre. C'est
pourquoi , nous vous enjoignons , si vous tenez à
votre corps et à tous vos biens, d'accomplir avec di-
ligence loules les choses susdites, dans In forme pres-
crite, de concert avec nos améset féaux Henri, fils de
ADDITIOINS. 540
Bernard, et Pierre deGoldinloii, que nous vous avons
adjoints pour cela, de telle sorte que nous n'ayons pas
à vous demander un compte sévère, à vous et à eux,
dans le cas où vous et les susdits Henri et Pierre se-
riez en défaut pour cela. Fait sous les yeux de l'ar-
chevêque d'York à Westminster, le vingtième jour
de mai, l'an trente-sixième de notre rè^jne , à nous
Henri, fils du roi Jean. »
ABTICLES.
i . Que les veilles soient faites dans chaque ville,
comme elles ont coutume d'être faites, et par des
hommes preux et valides.
2. Que les poursuites de Huyet* aient lieu selon la
manière ancienne et due, eu sorleque les néglij|ents
et ceux qui ne voudront pas suivre le Huyet soient
pris comme étant les complices des malfaiteurs, et
soient livrés au vicomte. Que de plus, dans chaque
' C'est-à-dire le guet, de wactare, waiter^ gneiteTf d'où waUhman.
l\ ne paraît pasqu'eo France, au treizième tiécle, le guet eût le caractère
de généralité <]ue nons trouvons ici, quoiqu'il en soit fait mention dans
let ordonnances da Cbarlemagne, et même, à ce qu'on prétend, de Clo-
ture II. Sous saint Louis, le guet était organisé seulement à Paris, et son
commandant s'appelait gardien. Les communautés de métiers fournis-
saient chaque jour un certain nombre d'hommes uux ordres du prévôt de
Paris ; c'était le (juet assis, parce qu'il restait dans des corps de garde
fiua, et qu'on ne reqoérait son assistance qu'en ca« d'urgence. Le guet
royal, composé de soixante sergents entretenus aui frais du roi, était
chargé de faire les rondes. Le nombre des sergents fut porté à quatre-
vingU par Philippe le Bel. (Ordonnance sur le Cbâtelet, 1502.) {Voij.
l>L;tA*GE, Viqiliœ ; Salval, Antiq. de Paris ; Uelauarke, Traité
dépolie^: ViLLAHET, Uist. de France, tom. ix, pag.5<0.)
yirexium. Nousiitoni llutesium.
550 ADDITIONS,
ville, quatre hommes ou six, selon la quantité des
habitants, soient désignés pour faire suite de Huyet,
avec promptitude et persévérance, et pour poursuivre
les malfaiteurs, s'il en survient, et cela, en cas de be-
soin, avec arcs et flèches et autres armes légères, qui
doivent êtres affectées à la garde de toute la ville, et
qui doivent rester toujours pour les besoins de la sus-
dite ville; qu'outre ceux-là, deux hommes libres et
loyaux, plus puissants, qui leur soient supérieurs,
soient désignés dans chaque hundred, et qu'ils veil-
lent à ce que les veilles et les poursuites susdites se
lassent comme il doit.
5. Qu'aucun étranger ne soit reçu à loger, si ce
n'est de jour, et qu'il s'en aille au grand jour.
4. Qu'aucun étranger ne soit reçu dans les villages
de la campagne au delà d'un jour ou deux au plus, en
autre temps qu'à l'époque des moissons, à moins que
son hôte ne veuille répondre pour lui.
5. Si quelque malfaiteur, ou quelqu'un sur le.
quel on aurait de mauvais soupçons, est pris par les
sentinelles, ou par les autres féaux du seigneur roi ,
que le vicomte ou le bailli du hundred le reçoive
sans délai, ou sans récompense aucune.
C. Qu'il soit enjoint au maire et aux baillis de
chaque cité et de chaque bourg, dans le cas où quel-
que marchand ou étranger, portant 6p l'aqjent, leur
montrerait cet argent, et leur demanderait sauf-con-
duit, de lui fournir sauf-conduit à travers les mau-
vais pas et les lieux douteux. S'il arrive qu'il perde
qMpl(|nc «•lioso, soit par déf.iut de [sauf] conduit, soit
ADDITIONS. 55<
iJaiis la coiiiiuile d iceux, qu'où le lui restitue aux dé-
pens de la commune de ce bourg ou de cette cité.
xxvm.
Année lilS. — Voir la page 409 du volume.
DÉCRÉTALE DO PAPE INNOCENT IV POOR MODIFIER LE
PRIVILEGE D EXEMPTION '. — « Voulant que la liberté
octroyée à plusieurs, eu vertu du privilège d'exemp-
tion, soit conservée dans son intégrité, de telle façon
que les autres ue Tenfreignent pas, et que [les pri-
vilégiés] eux-mêmes ndcèdent pas ses limites, nous
déclarons d'une manière définitive et irréiragable
que, quelque étendue que soit la liberté dont les
exempts jouissent de cette façon, ils peuvent être ré-
gulièrement néanmoins cités par-devant leur ordi-
naire, à raison d un <lélit, ou d'un contrat, ou de
ractioii intentée contre eux; et l'ordinaire pourra
* Cette décrétale ne portant point de date, il est difficile de lui assi-
gner ta place Cxe. Toalefois Texamen attentif du teste suffit pour dé-
montrer que rarraogeinent de Guillaume Wats est fautif ici comme
ailleurs. Cet éditeur renvoie aux pa{;es o50, 5o2 du texte, qui corres-
pondent aux pages 244, 228 de ce volume. Or, il nous parait démontré
que par ces muta : qiuisdam uovas décrétâtes composuit, Matt. Paris
veut parler des nouveaux statuts de l'ordre Noir, traduits sous le u" XIX,
et non d'une seule décrétale. Celle-ci, au contraire, convient bien au pas-
sage auquel nous la rapportons. Matt. Péris s'y plaint de ce que le pape
favorise les prétentions des évéques. La décrétale restreint, en effet, les
droits des privilégiés dont il est bien question dans le texte, puii^qu'ou,
y voit que l'é^éque de Lincoln aspirait, eu vertu de ce titre, à visiter le
couvent de Saiut-Albans, qui tenait le premier rang parmi les monas-
tère* exempta. Tout nous semble doue autoriser la rectittcatiou qusootu.
propoMNii.
.V52 ADDITIONS,
poursuivre, comme le droit l'exige , jusqu'où s'é-
tend sa juridiction ' sur eux. Kst-ceàdire qu'ils soient
absolument privés en cela de l'avantage de leur li-
berté? non pas certes, puisque, dans le cas où le
délit aura été commis, le contrat stipulé ou le procès
intenté dans un lieu exetnpt, ils ne pourront en au-
cune façon être cités à cet égard devant leurs ordi-
naires ; ni être cités là où ils ont domicile, si le dé-
lit, ou le contrat, ou la chose liligieuse a eu lieu ail-
leurs, sous prétexte que le [susdit] domicile est lieu
diocésain. De même s'il arrive qu'ils soient cités là
où a eu lieu le* délit, ou le contrat, ou la chose liti-
gieuse, les ordinaires n'ont point ' pouvoir de les
renvoyer au lieu où ils ont domicile, ou de leur en-
joindre de répondre au susdit domicile ; sauf toute-
fois les autres cas, dans lesquels les statuts canoni-
ques ordonnent que les exempts soient soumis à la
juridiction des évéques. Nous décidons la même
chose à l'égard de ceux à qui il a été octroyé par le
privilège apostolique, de n'être tenus à répondre que
devant un seul juge à ceux qui se plaignent d'eux,
ainsi qji'a l'égard de ceux à qui le saint-siége aposto-
lique a accordé de ne pouvoir être ni interdits^ ni
suspendus, ni excommuniés par qui que ce soit :
comme, par exemple, une foule de communautés re-
ligieuses dont les privilèges contiennent qu'aucun
évéque ou archevêque ne pourra absolument exercer
' Jwutionem. Probablement jurteNcftoneni. Phrniie miitib'f .
* fi» phr«xe latine rsl inintelli|{iblft, si l'«in ne modifie la ponctuation
'ti ajoutant non k hahent.
A DOUIONS. 555
de poursuites contre les moines di celles, pour au-
cune cause qui rentre dans les cas susdits, quelque
part que soient ces moines; à moins que par hasard
les susdits moines n'aient été envoyés à des prieurés
de leurs monastères, lesquels prieurés se trouvent
soumis aux mêmes ordinaires, soit pour jjérer Tad-
ministratinu desdits prieurés, soit pour y résider à
titre de moines propres desdits lieux. Alors, en effet,
leurs ordinaires susdits pourront user licitement, en
ce qui rentrera dans les cas susdits, du droit de juri-
diction sur eux, à raison des mêmes prieurés, tant
qu'ils y demeureront, bien que ces moines puissent
librement être rappelés aux mêmes monastères, et
être reçus comme moines , tant desdits monastères
que desdits prieurés, puisqu'il n'y a point d'incon^é-
ui^tà ce qu'on ait place de moine des deux côtés,
dès qu'il estreconnu que Tun des deux monastères est
soumis à 1 autre ou eu dépend *. »
XXIX.
Année 48S5. Voir la page 414 du volume.
Carnage en pLANoaE. —{Extrait de l'Auctariutn.) -^
Vers ce temps, une dissension lamentable s'éleva
entre les Flamands, qu'on appelle les hommes d'A-
' Noof pUçooa M 4eroi«r lieu, à cause de sa loogaeur, le membre de
phrase iiicideut. mds cependant r«>pondre da sens. Tout ce passage ett
554 ADDITIONS.
vauterre, et les Français, qui sont voisins de ces
pays. En voici le sujet : Guillaume de Hollande, que
le seigneur pape avait réceiiunenl promu à la dignité
de roi d'Allemagne, du vivant même de Frédéric, ja-
dis empereur des Romains, haïssait la comtesse de
Flandre, Marguerite, dont toute la conduite méritait
évidemment cette haine, et qui était sœur de celte
autre comtesse, qui s'était souillée d'un parricide aux
yeux du monde entier, comme il a été dit plus haut
en temps et lieu. Or, le même Guillaume se voyant
déjà nommé roi d'Allemagne, et aspirant à de plus
grandes choses encore (car l'aide et le conseil elfi-
cacesdu seigneur pape lui donnaient d'orgueilleuses
espérances ), avait abandonné son héritage, à savoir
la Hollande et laZélande, à son plus jeune frère, nom-
mé Florent. Ladite comtesse Marguerite demanda à
ce dernier l'hommage qui lui était dû, disait-elle, à
raison de ces deux terres ; mais il reiusa constamment
de faire hoftimage pour la Zélande. C'est pour cela
que le même Guillaume fut cité à la cour de Flandre,
pour répondre de ce refus. Il s'y rendit en ei'lét pa-
cifiquement; mais ayant refusé de faire hommage, il
fut pris et retenu en prison pendant deux ans. Dans
la suite, ayant été délivré de sa prison par Jean d'A-
vesnes, fils aîné de ladite comtesse, qui avait pris
pour épouse la sœur dudit roi et de Florent, Guil-
laume, |)ar la médiation de ses cousins le duc de
Brahant, l'élu à Liège, et le comte Gaëler, forma une
confédération avec l'nrchovAquc de Cohtgne. le duc
de Limhourg. lecoml<'de('.l('ves, Iccomie (\c Mons, le
ADDITIONS. 95S-
comte (?)« (le Luxembourg, et d'autres seigneurs du
pays de Cologne. Tous s'élant donc ligués, se prépa-
rèrent à la guerre contre la comtesse susdite et contre
ses forces. A cette nouvelle, celle-ci appela à son se-
coui-s le comte de Bar, le comte de Saint-Paul, le
comte du Perche, le comte de Guines, avec leurs
communes. Quand ceux-ci eurent rassemblé de toutes
parts une anitée forte et uombreuse, ils vinrent avec
une flotte pour combattre contre leurs adversaires
susdils dans la Zélande, la susdite comtesse étant
restée dans ses élats. Or, ils avaient pour principal
chef Baudouin >, fils de la comtesse, et qui prenait le
titre de comte de Flandre. Cependant les susdits sei-
gneurs d'Allemagne, ayant eu connaissance de leur
arrivée hostile, avaient eu la précaution d'occuper
Tibe de Zélande avant l'arrivée d'iceux. Aussi au mo-
ment où les Français abordaient, sortaient à la hâte
de leurs vaisseaux, et étaient encore agités et ballottés
par les flots de la mer, leurs ennemis, bien préparés
et parfaitement armés de pied en cap, se présentèrent
subitement à eux, et, les attaquant par un choc im-
pétueux, reçurent à la pointe de Tépée les Français
surpris et fatigués de la mer. Après une bataille
acharnée et terrible, les Français furent réprimés et
repoussés; un grand carnage eut lieu ; il y eut beau-
coup de sang répandu; les Français furent tués en
' Génère t»i iocompréheotible. Noos lisons comité. ReinarquoDt
repeudantqur Henri de l.uiembour); avait épousé, en 1240, Mai^uerile,
tillf du comte de Bar.
^ C'e«l i>%idrnim<-iit de liiiv d<- Dampierre qu il s agit ici.
5W ADDITIONS.
majeure partie, el les Flamands aussi en bon nombre.
Or cet affreux massacre fut une perte funeste et ir-
réparable pour la chrélienté tout entière. Cependant, à
ce (ju'on prétend, Jean d'Avesnes épargna les Fla-
mands, dans l'espérance de recouvrer son héritage,
dont sa mère l'avait fait dépouiller par arrêt de la cour
de France. En cette occasion périrent d'une mort
lamentable le comte du Perche, le comtedeBar, et, à
ce qu'on croit, le comte de Saint-Paul. Dans le môme
combat, le comte deGuines fut fait prisonnier avec le
comte de Flandre, à ce qu'on prétend, et un autre
frère plus jeune dudit Baudouin, H n'échappa aucun
homme de race française, ni aucun de ceux qui ne
savaient pas la langue flamande*. Quand on ame-
nait des prisonniers, le susdit Jean et les siens les
examinaientl'un après l'autre dans la langue susdite;
s'ils ne parvenaient par leurs réponses à se soustraire
à la sentence capitale, ils étaient misérablement
égorgés sans distinction de condition. Or, on dit
qu'il périt en cette occasion treize mille hommes
d'armes, sans compter le populaire et les noyés, sans
compter aussi ceux qui auraient sans doute mieux
aimé succomber glorieusement dans la bataille, sa-
chant qu'ils pourriraient en prison, ou ne seraient ra-
chetés, eux et leurs amis, qu'à des conditions très-
onéreuses. Comme c'est l'ardeur des passions de Venus
et la détestable luxure d'une femme qui a suscité ce
désastre, Dieu vengeur a voulu que ce carnage dé-
' An manaere de Bra|;e8, en i.'S<>2, le* Flamands firent suliir In mémo
r preuve aox Fnn^n'u.
1
i
AUDI r IONS. 557
plorable dans tous le:» siècles eût lieu un jour de
Véuus, à savoir la sixième férié, quatrième jour de
juillet, l'an du Seiyneur 1255. Or, quoique TorigiDe
de C6 lu^jubre événement, qui provient de Tincouti-
ueuce d'une femme, ait précédé par anticipation dans
le temps, cependant comme on nous en a fait le
récit quaud déjà quelques années s'étaient écoulées,
nous avous exposé eo ce lieu plus clairement et plus
pleinement de nouveaux détails sur ce qui s'était
passé*.
XXX.
Année I2.^i3. Voir la page 455 da volume.
Obtentions de l'abbé et du cocvent de l'église de
SlINf-ADGCSTIN A CaNTORBÉRY, CONTRE LES PRÉTENTIONS
DE l'archevêque Boniface *. — « Innoceut , etc., aux
abbés de la Bataille et de Waltbam, dans les diocèses
' Ces faiU toot ooofirmés par Meyer, Ann. de Flandre, p. 77, édi-
tion 457 1 . Marguerite, ayaut rompu la trêve conclue à Anvers par la mé-
diation du ducde Brabant, envoya une armée en Zélande sous le comman-
deroeot de deui de ses lîls. Mais cette armée fut défaite par Florent dans
i'ite de Walcberen, près de West-Kapeile, le 4 juillet. Guy et Jean de
Dampierre furent pris avec les comtes de Bar et de Guines et deux cent
trente chevaliers, parmi lesquels Simon de iSesle-Clermout et Lrard de
Valéry. On fait monter k trente mille le nombre des morts. Marguerite
al«r« envoya um ambassade à Guillaume de Hollande. Irritée de sa ré-
ponse insultante, elle appela k son secours Charles d'Anjou et lui adjugea
le Hainaut.
* Fidèle à ses habitudes d'opposition, Matt. l'Aris ajoute eo note :
« Remarquez CturonsUince du pape quidé en tuut ceci pur Cava-
• rice. • Cea dcui lettres sont datées du 8 et du tti septembre 4'ia.l.
558 ADDtTIONS.
de Chichester et de Londres, salut et bénédiction
apostolique. Jadis comme il avait été rapporté à notre
audience que les abbés, les prieurs et les moines de
Saint-Benoît, dans la province dcCantorbéry, n'ob-
servaient pas les statuts rendus pour la réformation
dudit ordre, par notre prédécesseur le pape Grégoire,
d'heureuse souvenance, nousavions donné injonction
par nos lettres sous forme déterminée, à notre véné-
rable frère Tarchevêque de Cantorbéry, et à ses suf-
fra^ants,des'enquérir soigneusementde lavéritéà cet
égard, et de faire observer avec une diligence exacte
les susdits statuts, par toutes les personnes du même
ordreengénéral,exemptes ou nonexemptes,dans leurs
cités etdans leurs diocèses. Aujourd'hui, accédant aux
prières de nos chers tils l'abbé et le couvent du mo-
nastère de Saint-Augustin à Cantorbéry, dudil ordre
de Saint-Benoît, nous vous recommandons, en vertu
(le l'autorité des présentes, dans le cas où le même ar-
chevêque aurait promulgué contre le même abbé, ou
contre d'autres personnes du même monastère, ou
contre ledit monastère, par laulorilé des lettres sus-
dites, quelque sentence d'excommunication, de sus-
pension ou d'interdit, de les délier de ces sentences
en notre nom sans difficulté aucune, et de ne pas
permettre ({u'ils soient molestés par qui que ce soit,
sous prétextedcsniémesletlresou des mêmes sentences,
en réprimant par les censures de Tégliso apostolique,
nonobstant tout appel, ceux qui les molesteraient de
cette façon ; nonobstant aussi que quel(|ues-uns aient
obleim du siégi- apostolique, de ne pouvoir être ex-
communies, suspendus ou interdits sans un mande-
ment special de nous, qui fasse mot pour mot men-
liou pleine et expresse du privilège accordé. Que si
tous ne, etc. Donné à Assise, le C avant les ides de
septembre, lan onzième de noire pontifical. »
/lu/r^" /f/Zn. — B Innocent, elc... à larclievêque de
<!antorbéry , salut et bénédiction apostolique. Quoi-
que nous devions traiter favorablement le monastère
de Saint-Augustin à Cantorbéry, de l'ordre de Saint-
Benoît , par cela qu'il dépend de l'église romaine im-
médiatement, nous lui uvons voué dans le Seigneur
une affection encore plus spéciale , parce que, parmi
les autres monastères du même ordre, c'est chez lui,
à ce que nous avons appris, que l'observance régu-
lière et le bienfait de Ihospilalilé occupent le pre-
mier i*ang. Il esl vrai que jadis nous l avons donne
injonction, par nos lettres sous forme déterminée,
de faire observer avec une exacte diligence , par tou-
tes les personnes du même ordre en général, dans ta
cité et dans ton diocèse, les statuts rendus pour la
reformation dudit ortlre , par notre prédécesseur le
pape Grégoire , d'heureuse souvenance. Exécutant
sur ce point le mandement apostolique, en vertu de
l'autorité de ces lettres, tu as procédé, à ce que nous
savons , à un examen vigilant dans le niénie monas-
tère. Comme aujourd hui, sur les informations et les
témoignages de gens dignes de foi, nous avons la
meilleure opinion de la religion el de la vie des per-
sonnes du même monastère , et (jue nous avons en-
voyé Tfu'dre (le lever les seiiiem es que tu aurais pu
360
ADDITIONS.
avoir promulguées depuis lors contre les personnes
du monastère souvent dit , nous jugeons à propos de
prier inslamuaent ta fraternité , et de te recomman-
der, par ce rescrit apostolique, de ne pas molester
désormais les personnes dudit monastère , à Pocca-
sion des susdites lettres, mais, par déférence pour nous
et pour le saint-siége apostolique , de maintenir at-
tentivement dans leurs droits lesdites personnes et
ledit monastère , et de te montrer favorable et bien-
veillant envers elles , autant qu'il sera en toi, contre
les vexations d'autrui , de telle sorte que ta dévotion
à cet égard soit justement recommandable à nos
yeux. Donné à Assise , le >! 6 avant les calendes d\>c-
tobre. Tan onzième de notre pontificat.»
NOTES.
Note 1. Voir les pages 95, <07, 452 du volume.
Ducange, dans sa Dissertation XX sur l'Histoire de saint
Louis, s'efforce de faire concorder le récit de Joinville avec
celui de ^'att. Paris, au sujet de la rançon du roi de
France. I.a chose, à notre avis, est impossible : aussi la dis
cussion de Ducange est-elle fort incertaine. Sans prétendre
arriver à un résultat exact dans une des questions les plus
difficiles qui puissent se présenter au commentateur, nous
nous bornerons à signaler comme inconciliable la différence
qui existe entre les indications de Joinville et celles de Matt.
Paris.
Joinville raconte que le soudan ayant demandé un million
de besants d'or, qui valait cinq cent mille livres, Louis IX
consentit a payer cette somme, et que le vainqueur, charmé
de sa bonne grâce , rabattit cent mille livres ' . D'autre part,
' • Kt rapportèrent aa rey qo« se la royne voulait paier dit eenl mil
Vil. Sfi
5G2 NOTES.
saint Louis , dans la lettre qu'il écrivit lui-même en France^
au sujet de sa captivité et de sa délivrance, Vincent de Beau-
vais, Guillaume deNangis ^ et d'autres auteurs, donnent pour
somme huit cent mille besants d'or sarrasinois ; ce qui ne per-
met pas de douter que les quatre cent mille livres de Joinville
ne répondissent exactement aux huit cent mille besants d'or.
Makrisi parle également de quatre cent mille pièces d'or payées
en quittant Damiette, et qui, par conséquent, indiquent le pre-
mier paiement de deux cent mille livres.
Matt. Paris expose ainsi les faits : à la page 93, il parle de
cent mille livres d'or qui sont converties en autant de marcs
d'argent (page 97). Dans la lettre du chancelier, écrite au
comte de Cornouailles, nous lisons aussi (page 107) cent mille
marcs d'argent. Plus loin, à la page ^52, Matt. Paris, proba-
blement sur quelque indication nouvelle, donne soixante mille
livres d'or pur, et y ajoute comme appoint un nombre con-
sidérable, nnnurtis infini tus , de deniers tournois et parisis
Les rapports transmis en Occident par le cardinal Jean disent
expressément que le reste de la rançon ne fut pas payé. On y
lit cetti* phrase singulière : erat auleni snnima suce redemp-
tionis tnœstimabiiis , imo in deciiplo plus quant credebatur:
celnbnrur nnmque ,7if. soliitio desperaretvr. (Voy. la page 505
de ce volume.) Enfin la lettre adressée à l'évêque de Chiches-
ter (page 506) [confirme le non-paiement du reliquat, et ce reli-
quat montait, dit l'auteur de la lettre, à cinquante mille marcs
d'argent.
• betani dW qui valoienl cinq cent mil livres, que il dt'livreroit le
• roy Or li nirs dirr, list Icsouldiin, que jo li donne cent mil livres
« pour la n'iincoii |)aii>r et le roy leur devoit jurer aussi à leur faire
■ gré de deux cent mil livres avant que il parlisisl du tluai et deux cf nt
« millivresen Acre." (JoiNVilLE, édit de 17(H.) On commença h faire
l« paiement le <iuniedi ajtri's l'Ascension au matin, et le dimanche tout li-
jour jusqu'à la nuit, et on pesa l'arfjnnt (en deniers mnnnayrs dans des
balanr^s, dix imilc livres par dix mille bvres
' (.'édition de Nangis, |T«I, à la suite de Joinville, porte fnnlive-
mtui huil mil ; eVsl huit rntt mil qu'il faut lire.
NOTKS. SW
1/histoire des arclievéques de Brème et Sanut donnent éga-
lement une somme de cent mille marcs d'argent. Matthieu de
Westminster, copiant probablement Matt. Paris, dit que
toute la somme qui composa la rançon de saint Louis fut de
soixante mille livres d'or, et Meyer, dans ses Annales de
Flandre, évalue cette rançon à huit mille livres pesant d'or '.
Ducauge, prenant pour base de son calcul la livre à vingt
sols, admet que chaque besant d'or''' répondait à diii; sols d'ar-
gent, et il s'appuie sur un passaiie de Raymond d'Agiles, au-
teur du onzième siècle, en supposant une légère élévation dans
la valeur de la monnaie d'or des Sarrasins au temps de saint
Louis. Cette élévation n'a rien d'improbable , puisqu'elle est
justiûée par les faits; mais c« que nous rejetons entièrement,
c'est la conclusion qu'il en tire. • D'où il faut conclure, dit-il,
que les quatre cent mille livres faisaient en argent cent mille
marcs. » Et plus loin : « Il s'ensuit que chaque marc d'argent
valait alors huit besants en or et quatre livres ou quatre-
vingts sols en argent. »
Pour faire voir l'inexactitude de cette assertion *, il suffit
' • Otio millia pondo auri pro sud yuonnnque redeuifitume tex
« tolrit. » (Meter, pag. 76, édit. dt 1,T/1.)
* Le Dom d<> besant vient évidemment de la monnaie d'ur frappée par
lei empereurs bysantins. Leblanc {Traité hixtoriqup des mofiiiaies de
Freuicei pense qu'au treizième siècle on donnait à toutes les monnaies
d'or le nom ^^uérique de besant. Il parait cependant que les anciennes
monnaies d'or,appeléesspécialoment besants, avaient encore cours à o«tle
époque, puisqu'un arr^t du parlement, en 4282, évalue le besant à
huit sols, et uu compte des baillis, en 1297, à neuf sols. Mais comme il
s'agit dans Joinvilie de besants d'or sarrusit.ois, etque les monnaies
orientales étaient réputées pour leur pureté, on peut, avec Ducange, éva-
luer le besant à dix sols d'argent.
* bucange lui-même dans le passage que nous citons, se sent arrêté
par le manque de preuves ou plutôt par des preuves contraires. Pour
soutenir son hypothèse, il rappelle que les évaluations des marcii d'ur
tl (l'argent changeaient notablement non feulement tous les ans. mais
S64 NOTKS.
d'examiner ce qu'étaient, sous saint Louis, la livre de France
et le marc d'Angleterre. Car il est clair que Matt. Paris
veut parler de marcs sterling : et d'ailleurs,voulût-il parler du
marc de Tours, qui fournissait le plus à la taille, la difficulté
resterait la même.
La livre de poids devint livre de compte *, dès le moment
où tout ce qui valait vingt sols était appelé livre, et, depuis
Cbarlemagne, les marchés et contrats furent généralement
faits sur le pied de cette monnaie imaginaire, quoique les sols
eussent changé de poids etd'aloi. La première altération des
deniers d'argent date du règne de Philippe I*»^. Ils furent
frappés dans la proportion de deux tiers d'argent et un tiers
de cuivre. Sous Louis le Gros, en i 112, la monnaie courante
fut moitié cuivre, moitié argent fin, en sorte que de la livre
on tirait réellement quarante sols. L'altération ayant encore
augmenté sous Louis VII, l'usage s'introduisit de prendre pour
base de la taille le marc, pesant huit onces. Sous Philippe-
Auguste, le marc d'argent valut cinquante sol.s tournois '^, ou
même presque lous les mois. Mais il oublie (jue ces variations furent
très-faibles sous saint Louis, et que le marc ne monta à quatre livres que
sous Philippe le Bel, en d2U9.
' « La livre, dit M. Trouvé dans son Infrnductio» à l'hisloire de
Jacques Cœur, est une monnaie imnginaire qui doit son origine îi une
chose r/'olle. Ce fut sous Charlemapne que l'on commen<;a d'employer In
livre de compte valant vin|;t sols de douze deniers. L'arjjent étant do-
venu plus abondant en France par suite des conquLU'es de ce prince, on
tit faire des sols plus p(>sauts. On n'en tailla plus que vingt dans une
livre d'argent, et «ingt sols pesaient une livre de douze onces. Depuis
ce temps, le mot livre u toujours exprimé une sonune de vingt sols.
Ainsi la livre de compte est née de la livre do- poids, et toutes deux duns
le principe eurent une valeur é^ale. ».
* Kn i'iOT, un litre de rév<W|ue de Paris évalue cent marcs d'argent
a de-jf r^nts livret purisis. Ainsi le more d'argent valait quarante sols
pirisis ou cinquante- soU tournois, la monnaie pariais étant d'un quart
phi« forte que la monnaie tournois. (Sous saint Louis on ne comptait
lisbiluellemeiit qu • p;ir livre» et «ol» toiirnoin.) Même évnluntion en ii.'H,
deux livres dix sols 'monnaie de compte) ; sous saint Louis ,
cinquante-quatre sols six deniers, ou deux livres quatorze sois
six deniers; sous Philippe le Bel, le faux mohnaycnr , le marc
monta à quatre livres cinq sols en 1299, et à six livres cinq sols
en 1504. Louis X rétablit les monnaies au taux où elles étaient
sous saint Louis, et remit le marc d'or à trente- huit livres et le
marc d'argent à cinquante-quatre sois. Mais, sous Philippe de
Valois, le cuivreentrapour trois quarts dans la fabrication des
monnaies, et le surhaussement du marc s'accrut sans cesse
pendant les désastres des guerres contre les Anglais. L'affai-
blissement de la valeur intrinsèque de la livre continiia, et fut
porté au point que, de nos jours, vingt sous, qui avant Phi-
lippe l*' faisaient une livre réelle d'argent, n'e» forment plus
que la centième partie.
En Angleterre, au contraire, avant Edouard III ', la déno-
mination des espèces n'avait jamais été changée. Une livre
sterling était toujours une livrede poids, et pouvait valoir trois
livres sterling de la monnaie actuelle. Pendant le douzième et
le treizième siècles, les deniers sterling furent constamment
de même poids et de même aloi. Aussi saint Louis donna-t-il
eours aux sterlincs pour quatre deniers tournois, et sous Phi-
lippe le Bel ils étaient encore évalués au même prix. Ce qui éta-
blit la proportion de 1 à ^ entre la monnaie anglaise et la mon-
naie française de la même époque. Ainsi le marc poids sterling
faisant en Angleterre treize sols quatre deniers '*, valait en mon
roinine on peut le voir par le tfslament de Pliilippe- Aujuale : « î'»-
tj'tuii quinque v\iUin marrarum imjetAi ad (nutdrcghtta xil. Paris,
per marcain. » 'Leblanc, Traité d s moniHiies.)
' l^ première innovatiou, dit M. Troiivé, viut de ce conqucrnut. La
pr. inièrc année de son règne, il lira de la livre de douze onc(>» vingt-
deui scliillinj^s (folidii, t'I »*pt a»» après, vin{jt-rinq. Henri V b.inssu
enrore davantage la dénouiinaliou, et frapp-i de« monnaies sur le pied de
trente fcbillings par livre pesant.
' l'ne ordonnance de Henri II, datée de ! 158, le prouve «'videmmcnt,
ou y lit : • Et illi qt i défient anjeniuia domino régi riddttnt pro
marca xiii soUdos et iiij det)ario$ $terUu<jt.mm de vimUxUa xei un
Xididos et Ul'l d^narios (uioneus-i:. » Li>lil.iiir, qui rapporte crtU- or-
566 NOTES.
naie française 35 sols 4 deniers'. Donc, que Matt. Paris parle
du marc sterling ou du^marc de Tours, cemarcne peut être éva-
lué qu'à 2 livres i5 sols 4 deniers, ou 2 livres ^4 sols 6 de-
niers au plus , d'après le prix du marc au temps de saint Louis.
La même disproportion se reproduit si l'on évalue les
+00,000 marcs de Matt. Paris et les 400,000 livres de Join-
ville en monnaie moderne. 1 00,000 marcs, calculés à 2 livres
sterling le marc, donnent 5,000,000 de francs. 400,000 livres
numéraires, calculées sur le taux actuel de 54 francs le marc,
donnent environ 9 millions de francs, qui est la somme admise
par les meilleurs historiens ' ; par conséquent ^ 00,000 marcs
ne répondront qu'à 270,000 livres à 54 sols le marc.
Tout en signalant cette différence qui nous paraît démon-
trée, nous croyons qu'il est difiicite d'en donner la raison , et
nousne le tenterons pas ici. Matt. Paris veut-il parler unique-
ment du premier paiement effectué, c'est-à-dire des 400,000 li-
vres de Joinville? Les 50,000 marcs désignés comme reste
ou moitié de la somme totale rendent cette supposition peu
probable. Indique-t-il une somme mensongère , inférieure à
celle qui avait été réellement stipulée? Le caractère de saint
Louis et les termes précis dont il se sert dans sa lettre officielle
ne peuvent laisser croire qu'il ait cherché à celer la véritable
somme de sa rançon , ainsi que semblerait l'insinuer la phrase
singulière que nous citons plus haut. Il faut donc s'en tenir
aux 400,(»00 livres, et penser que Matt. Paris a été induit en
erreur, .soit par des dires inexacts , soit par une évaluation
ëonuRiice, ajoute en note ; « Marra se prend ici pour lii livre «le inoii-
« naie (|ui avait cours CD petites espèces u Matt. Paris indique lui-même
Mtte différence de valeur entre la monnaie sterling et la monnaie tour-
nois. iVoy. en particulier la pafje .ViO du VI''' volume.)
' Fille.-iu de In (Jliaise évalue les (jiiutreaMil mille livres de Joinville h
liait millions de son temps. Il écrivait veiH iOS'>, et lu déiioininiilioii a
bien haassé depuis cette (^imkiuc. I.a valeur coin|inrative des espèces mon-
nayées sous Haint Louis cl de nos jours, porte à peu près la livre tour-
■oit à Tin|;t-dc\n francs.
NOÏKS. 567
fautive, quoiqu'on ait peine à comprendre comment il peut
s'éloigner autant de la vérité sur un point aussi essentiel.
Ici s'élèverait la question de savoir si les 100,000 livres
d'or' annoncées d abord par Matt. Paris répond;iient ati mil-
lion de besants d'or demandé primitivement par le soudan , et
si les 60,000 livris d'or dont il parle ensuite peuvent être rame
nées à i 00,000 marcs. Ducange ne s'engage pas dans cette
nouvelle discussion, et renvoie seulement à Budée {de nase) et
à Sirmond {Moles sur len capilnl. de Charles- le -Chauve). Il
faudrait d'abord connaître positivement ce que Matt. Paris
entend par livres d or ; et encore il est clair à la premiere vue
quon ne peut retrouver dans 100,000 livres d'or réduites à
60,000 la proportion de 500,000 livj-es d'argent réduites à
«00,000, et qu'ensuite 60,000 livres d'or dépassent de beau-
coup ^ 00,000 mares d'argent. Nous nous abstenons de pousser
plus loin des recherches qui sortent du cercle habituel de nos
études ; et d'ailleurs nous pensons qu'elles ne conduiraient
qu'a démontrer de nuyveau l'impossibilité de faire concorder
la' version de Matt. Paris avec celle du sire de Joinville.
Note U. Voiries pages 4S8, n4du volume.
Pertz, dans son grand recueil (3ionum. Gerni. Hislor.y
t. IV, p. 356, 557,) a collationué avec soin le testament de
' Quelque* auteurs ont pcosé qu'on u|ipelait livre d'or iion pas uue
livre (ie poids, mais une naonnaie ainsi a|>pelée parce qdVlIc valait vingt
sols; i-omine suus le roi Jean ou appela franc d'or uue monnaie d'or qui
\alail viugl sols ou uue livre, parce que Thabitude de compter par livres
devait son orijine aux Français. Mais Leblanc rejette cette opinioii et
tioutient que li\re d^or a toujours si^juiné livre de poids. On sait que de-
puis Charles le Chauve le rapport de l'or à l'argent fut de un à douze et
resta tel jusqu'à la fin du seizième siècle ; de sorte qu'en France et dans
Im pays voitios uu marc d'or monnaya en valait douze d'argent. La livre
d'or se taillait en soixante-douze sols d'or dont chacun valait quarante
deniers d'argent, en comptant par sol, den«i-«.ol et tiers de i»«>l.
NOTES.
l'empereur Frédéric II , et nous avons eu recours à son texte
pour traduire en entier cet important document.
« Au nom du Dieu éternel et de notre sauveur Jésus-Christ :
année mil deux cent cinquante de l'Incarnation, jour de samedi,
dix-septième jour du mois de décembre, neuvième indiction.
« La transgression imprudente du premier père a imposé
à la postérité une loi et condition telle , que ni les torrents
versés en châtiment par le déluge n'ont pu l'effacer, ni les
eaux si salutaires du magnifique baptême n'ont pu empêcher
qu'au moment fatal la faute de transgression transmise en
châtiment aux mortels , enveloppés dans les excès de leur vie
passée , ne subsistât comme la cicatrice après une blessure.
Nous donc, Frédéric, second, par la faveur de la clémence
divine empereur des Romains, toujours auguste, roi de Jéru-
salem et de Sicile , nous souvenant de la condition humaine
que la fragilité de nature accompagne toujours, voyant appro-
cher le terme de notre vie, mais conservant encore la parole
et l'intégrité de notre mémoire, malade de corps, sain d'esprit,
avons pourvu au salut de notre âme et avons jugé ix propos de
disposer de l'empire et de nos royaumes de telle façon qu'après
avoir subi la loi commune de l'humanité , nous paraissions
vivre encore et que toute matière de scandale comme d'indigna-
tion soit assoupie et enlevée entre nos lils, que nous avons pro-
duits par la clémence divine et que nous voulons, par notre
présente disposition, rendre satisfaits, sous peine de perdre
notre bénédiction.
u C'est pourquoi nous établissons notre cher iils Conrad ,
élu roi desRo nainset héritier du royaume de Jérusalem, pour
héritier dans l'empire et toutes choses autres, achetées ou ac-
quises d'une façon quelconque, et spécialement dans notre
royaume de Sicile. S'il arrive qu'il meure sans enfants, que
notre fils Henri lui succède ; si ce dernier meurt sans enfants, que
notre fils Manfred lui succède; mais lorsque Conrad résidera
en .Mlema^neou ailleurs hors du royaume, nous établissons
ledit Manfred bailli dudit Conrad en Italie, et spécialement
NOitS. 560
dans le royaume de Sicile , lui dooDaut plein pouvoir de faire
ce que notre personne pourrait faire si nous vivions ; à savoir,
de concéder terres, châteaux, ville», parentèles, dignités, béné-
tices, et toutes choses autres à sa disposition, excepté les anti-
ques domaines du royaume de Sicile ; voulant que Conrad et
Henri, nos susdits lîls, et leurs héritiers, tiennent et observent
pour bon et valable tout ce qu'il aura fait.
• lit-m y nous concédons et confirmons audit Manfred, notre
tils , la principauté de Tarente , à savoir depuis la porte de
Rosito jusqu'à la source du lleuve Bradano, avec les comtés
de Monte-Scaglioso, de Tricaricoet de Gravina, dans l'étendue
que ce dernier comté occupe depuis la terre maritime de Bari
jusqu'à Palignano; nous lui concédons également cette ville
a\ ec toutes les terres depuis Palignano sur toute la côte jusqu'à
ladite porte de Rosito , à savoir cités , châteaux et villes con-
tenues dans cet espace, avec toutes justices, dépendances et
juridictions quelles qu'elles soient, tant de la principauté sus-
dite, que des comtés susdits. Nous concédons aussi au même
la cité de Monte -Sant-Angelo avec tout son honneur, toutes
cités, châteaux et villes, terres, dépendances, justices et juri-
dictions , appartenant au même honneur, à savoir celles qui
sont de domaine à domaine et de service à service. Nous con-
cédons aussi et confirmons au même tout ce qui lui a été
concédé par Notre Majesté dans l'empire, en sorte toutefois
qu'il tienne et même reconnaisse tenir toutes ces choses
dudit Conrad ; auquel Manfred nous adjugeons même pour
ses dépenses dix mille onces d'or.
« Item^ nous statuons que Frédéric, notre petit-flls. ait les
duchés d'Autriche et de Styrie pour les tenir et reconnaître les
tenir du susdit Conrad ; auquel Frédéric nous adjugeons pour
ses dépenses dix mille onces d'or.
■ Iteiity nous statuons que Henri, notre flls, ait le royaume
d'Arles ou le royaume de Jérusalem, celui des deux que ledit
Conrad voudra que le susditHenri possède ; auquel Henri nous
adjugeons cent mille onces d'or pour ses dépenses.
570 NOTÉS.
« Item , nous statuons que cent mille onces d'or soient dé-
pensées pour le salut de notre âme , au secours de la ïerre-
Sainte , selon que l'ordonneront ledit Conrad et autres nobles
croisés.
« Item , nous statuons que tous les biens de la milice de la
maison du Temple que notre cour retient soient restitués aux
mêmes Templiers , à savoir ceux qu'ils doivent avoir de droit.
« Ilcm , nous statuons qu'on rende à toutes les éulises et;
maisons religieuses les biens d'ieelles et qu'elles jouissent de
la liberté accoutumée .
« liein , nous statuons que les hommes de notre royaunii*
soient libres et exempts de toutes collectes générales, comme
Is avaient coutumede l'être, au tempsdu roi Guillaume second,
notre cousin.
« Item , nous statuons que les comtes, barons, chevaliers et
autres feudataires du royaume jouissent de leurs droits et
juridiitions qu'ils avaient coutume d'avoir au temps du roi
Guillaume, dans les collectes et autres.
« Item, nous statuons que les églises de Luceria et de Sora
et celles qui auront pu être lésées par nos ofiiciaux soient re-
parées et rétablies.
« Item , nous statuons que la réunion tout entière de manses '
et de métairies que nous avons à Saint-Nicolas-sur-l'Aufide,
et toutes les provenances d'ieelles, soient affectées à la répara-
tion età l'achèvement du pont construit ou à construire en ce
lieu.
« Item , nous statuons que tous les captifs détenus dans
notre prison soient délivrés, n l'exception de ceux de l'empire
et du royaume qui ont été pris pour crime de trahison.
« liemy nous statuons que le susdit Manfred, notre fils,
< Tel rstdii rnoin» lu gens que Dumnijc, n propos de ce passuge m(*me,
donne i massaria, dont IVlynioloijic est évidetninent tnn.v.svi, m.inoir;
masserizid, le mobilier qui fynrnit le manoir. Mnysaiin nouxirmi*!^
«iirlont drfiign«>r une rirconurriplion t'ucilr.
NOTKS. r,74
|X)urYoie eo notre uum tous» ceux qui ont bien mérite de notre
famille, en terres, châteaux et villes, sauf le domaine de notre
royaume de Sicile, et que Conrad et Henri, nos susdits fils, et
leurs héritiers aient, pour bon et valable tout ce que le même
Manfred aura jugé à propos de faire à cet égard.
« Item , nous voulons et recommandons que nul des traîtres
du royaume n'os« en aucun temps revenir dans le royaume,
et que nul de leur race ne puisse succéder ; bien plus, que nos
héritiers soient tenus de tirer vengeance d'eux .
« Item y nous statuons qu'on paie nos dettes aux marchands
nos créanciers.
• Item , nous statuons qu'on rende à la très sainte 0t sacrée
église romaine, notre mere, tous ses droits, sauf en tout et
pour tout le droit et l'honneur de l'empire, de nos héritiers et
autres féaux , si l'église de son côté restitue les droits de
l'empire*.
« Item , nous statuons que s'il arrive que nous mourions
deja présente maladie, notre corps soit ; enseveli dans la
grande église de Palerme , où sont ensevelis les corps du divin
empereur Henri et de la divine impératrice Constance , nos
parents de vénérable mémoire; à laquelle église nous assi-
gnons cinq cents onces d'or pour le salut des âmes de nosdits
parents et de notre âme, par les mains de Bérard , vénérable
archevêque de Palerme, notre familier et notre féal : ladite
somme applicable à la réparation de ladite église.
« Nous voulons que toutes les choses susdites , qui sont
faites en présence dudit archevêque, de Bertold, margrave de
Hohenburg, notre cher cousin et familier ; de Richard , comte
< Cet article et le» deux autres relatifs aux captifs et aui traîtres,
proQTent, coutre Topiniou de ceux qui out vu une rétractatiou dans le
tesUmeat de Frédéric, que ce prince ne son^jeait nullement à revenir sur
les points etseuliels de sa conduite politique. Les restrictions apportées
à des coocrssions apparentes léguaient une çverrt inexpitble à la maison
d« Sous he.
572
NOIES.
de Caserta, notre cher gendre; de Pietro Ruffo de Calabre,
maître de notre maréehalat; de Richard de Montenigro, maître
justicier de notre grande cour ; de maître Jean d'Otrante ; de
Fulcone Ruffo ; de Jean de Ocrea; de maître Jean de Procida ,
de maître Robert de Palerme, juge de l'empire, du royaume de
Sicile et de notre grande cour ; de maître Nicolas de Brindes ,
tabellion public de l'empire et du royaume de Sicile, et notaire
de notre cour, nos féaux, que nous avons appelés à assister à
la présente disposition, soient observées fermement par le sus-
dit Conrad, notre fils et héritier, et autres successivement,
sous peine de perdre notre bénédiction ; qu'autrement ils ne
jouissent pas de notre héritage. Or, nous enjoignons à nos
féaux présents et futurs, sous le serment de fidélité par lequel
ils sont tenus envers nous et nos héritiers, de garder et obser-
ver toutes les choses susdites inviolablement.
« Nous avons ordonné que le présent testament et notre
dernière volonté auxquels nous voulons assurer force et fer-
meté, fussent écrits par le susdit maître Nicolas et munis de
notre propre main du saint signe de Ja croix , de notre sceau
et des suscri plions des témoins susdits.
« Fait à Florentino, dans la Capitanate, aux mois, jour et
indiction susdits, l'an trente-deuxième de notre empire, vinut-
huitième de notre royauté de Jérusalem, cinquante et unième
de notre royauté de Sicile.
« Moi, Frédéric second, par la faveur deJa clémence divine
empereur des Romains, toujours auguste, roi de Jérusalem et
de Sicile , dis et déclare que cela a été et est mon solennel
testament et ma dernière volonté. Cet acte a été écrit d'après
mou ordre, volonté et mandat , par la main de maître Nicolas
de Hrindcs , tabellion public de notre cour, et en présence des
témoins plus haut et plus bas mentionnés , nos féaux, que
nous avons mandés pour assister aux choses susdites; et en
foi des choses susdites avons souscrit de notre propre main
et scellé de notre sceau accoutumé imperial et royal.
« Moi, Bérard , archevêque de P.ilcrme, y appelé, ai n-ssistc
NOTES. 575
a toutes les choses susdites, ai souscrit mou nom de ma propre
maiu, et ai scellé du sceau impérial et royal.
•I Moi , margravede Hohenburg. {}ft-nic. formule).
« Moi, Richard, comte de Caserta. [Idem.)
• Moi, Ruffo de Calabre. [Idtm.)
1 Moi, maître Jean d'Utrante. {Idem.)
• Moi, Fulcone Ruffo. (/</em.)
• Moi, Jean de Ocrea. [Idem.)
• Moi, maître Jean de Procida. [Idem.)
• Moi , maître Robert de Palerme. {Idem.)
• Moi, Richard de Montenigro. maitre justicier de la cour
impériale et royale. [Idevi.)
• Moi, maitre Nicolas de Brindes, tabellion public de
l'empire et du royaume de Sicile , et notaire de la cour impé-
riale, appelé par le seigneur empereur pour rédiger son susdit
testament etsa dernière volonté, comme j'ai assisté aux choses
susdites, à toutes et à chacune, avec les susdits témoins, que je
les ai publiées et rédigées dans la présente forme publique , je
les ai aussi souscrites et scellées de ma suscription et de mon
sceau ordinaires et accoutumés.
> Signé Maître Nicolas ub Bbindes, notaire. ■»
Note m. Voir les pa^es 272, 275 du volume.
Tout le passage relatif à Jean de Basingestokes, ainsi que
lintercalationtrés-imiwrtantequi s'y rattache, présente d'as-
sez grandes difiicultes que nous ne pouvons espérer de résou-
dre. Nous nous bornons à traduire le texte avec autant d'exac-
titude que possible et à indiquer les deux principales questions
qui se présentent au commentateur ; ^•' Que faut-il entendre
par ces mots figuret numérales des Grecs? 2° Quel était exac-
tement ce système de notation ?
1* Fabricius. l'abbé Lebœuf, les continuateurs de l'Histoire
littéraire des Bénédictins et plusieurs autres écrivains attribuent
575 NOTES.
à Jean de Basingestokes l'honneur d'avoir introduit en Oc-
cident ( le texte dit en Angleterre) les figures des chiffres
grecs-, et ils s'appuient uniquement sur l'autorité de Matthieu
Paris. S'ils veulent parler du système de notation par lettres
usité chez les Grecs, nous partageons l'opinion deM.Ch.
Jourdain qui affirme que les chiffres grecs étaient connus long-
temps avant Basingestokes '. En examinant le traité de l'a-
nalyse des nombres, ouvrage attribué par les manuscrits à
différents auteurs, mais certainement écrit à 1 époque de la
deuxième croisade, c'est-à-dire de ^^47 à ^^49, il y trouve
une mention formelle des chiffres grecs et un tableau fort exact
de la combinaison des lettres grecques prises arithmétique-
ment. L'auteur du traité dit, il est vrai, qu on se servait ra-
rement de ces chiffres, tandis que les six lettres romaines
C, D, L, V, I, X étaient d'un usage général ; mais son témoi-
gnage n'en subsiste pas moins pour prouver que les lettres grec-
ques n'étaient point ignorées de son temps. Si d'ailleurs on
considère que ks figures rapportées d'Athènes par Basinges-
tokes n'ont aucun rapport avec la notation grecque, on verra
que les auteurs cités plus haut ou n'ont pas eu connaissance de
l'intercalation.ou ont mal interprété le passage de Matt. Paris
Il nous semble donc que par ligures numérales des Grecs
il faut entendre certains caractères conventionnels usités
chez les Grecs du Bas-Empire comme étant plus commodes
que les anciens chiffres; et par cette phrase du texte :;/r;-
qiias cliam figuras liltera' reprœsenlanlur, nous ne compre-
nons nullement une notation qui répond à 1r notation grecque
ou la représente, mais simplement différentes figures pou-
vant remplacer les lettres, soit romaines, soit grecques, qu'on
employait comme chiffres.
Il est possible d'ailliurs que Matthieu Paris, quoique fort
instruit pour le temps où il vivait, n'ait point connu les vé-
ritables chiffres grecs, et ait confondu avec eux le système
• Di.SfTt, 5ttr rétat de ht philos, nul. nu dcuiième fièelc, 1858.
DOl. 1.
NOTES. 575
tout particulier rapporté par l'ami de Robert Grosse-Téte.Ce
qui j)0urrait faire admettre cette supposition, c'est qu'en com-
parant cette notation nouvelle aux notations à lui connues, il
n'encitequedeux, la notation latiueou romaine et l'algorisme.
Ici s'élève la question de savoir de quel algorisme ou pour
mieux dir« algorithme, veut parler Matthieu Paris. C'est la
seule fols que ce mot se trouve dans son texte, et encore il
n'est accompagné d'aucune explication. iSous pensons qu'il
s'agit de l'arithmétique établie d'après les apices de Boëce et
l'abacus pythagoricien. M. Vincent, dans une note assez ré-
cente insérée au Journal des mathématiques, donne la figure
et les noms des neuf apices d'après deux anciens manu-
scrits de Cliartres et d'Arondel , et s'attache à prouver que
ces apices, dans lesquels il voit nos chiffres modernes, sont
d'origine liébraïque et chaldéenne. Sans entrer dans la dis-
cussion soulevée eiitre ^i. Chasies [Aperçu hist, sur les niéth.
m éjéotn.) et M. Libri, au sujet de l'origine de Tarithmé-
tlque de position, du calcul par colonnes, et du zéro, nous
ferons observer avec ce dernier savant, dont l'autorité est
d'un si grand poids en cette matière, que le système de nume-
ration arabe ou plutôt indienne fut apporté pour la première
fois en Occident par le Pisan Léonard Fibonacci au commen-
cementdu treizième siècle : ce qui conlirme l'opinion des conti-
nuateurs de l'Histoire littéraire, lesquels assurent qu'on n'en
trouve pas de monuments antérieurs à l'an i200^ et s'il est
impossible d'admettre que quelques docteurs précédents, en-
tre autres Gerbert, n'aient point connu les chiffres arabes, il
est certain qu'aucun traité sur l'arithmétique arabe n'avait
été écrit en latin et par un chrétien avant Fibonacci. (M. Libri.
Hut. rf<'*j/ui/h.en/la/û;,tom.ii,page24etsuiv.,notel,p.295
et suiv.) Or Fibonacci, au commencement de son traité del' a-
bacctu^ composé en 1 202, raconte qu'ayant voyagé en Egypte,
en Syrie, en Grèce, en Sicile et en Provence, après avoir appris
la méthode indienne qu'avaient adoptée les Arabes, il se per-
suada que cette méthode eait bien plus parfaite que les
57 fi NOTES.
méthodes usitées dans ces différentes contrées, et qu'ele était
même supérieure à l'algorithme et à la méthode de Pytha-
gore. Sed hoc lolum et algorismum atque Piclagorœ , quasi
trroremcomputav'i, respectu mod'ilndorum. Ce passage remar-
quable prouve qu'à cette époque le mot algorismus ne s'appli-
quait pas à notre système de numération , mais bien à cette
espèce de sténographie numérique que Boëce attribue aux
Pythagoriciens. Si maintenant on considère que Fibonacci,
de la mort duquel la date est incertaine , mourut évidemment
après ^ 228 , époque à laquelle il dédia la seconde édition de
son abaccus à Michel Scott , astrologue de Frédéric II, qu'il
termina sa vie dans l'obscurité en butte aux railleries de ses
concitoyens, que la diffusion des livres et des idées était
difficile au moyen âge, et qu'un système aussi savant deman-
dait du temps pour être compris, on nous accordera aisément
que Matt. Paris devait ignorer, en ^2ô2, les chiffres ou du
moins la numération des Arabes ', et qu'il appliquait le
mot algorismus au système d'abréviations des Pythagori-
' On uous objectera sans doute que l'Anglais Sarrobosco (Jean àc
Holywoodj, contemporain de Matt. Paris et professeur à Paris, contribua
à répandre la méthode de Fibonacci ; mais d'abord, comme Jordano ^e-
morario et comme Valla, il Pappeilc plutôt arithmétique indienne qu'al-
gorisme. D'ailleurs nous avons pour nous l'opinion de M. I.ibri qui
assure que pendant longtemps personne n'osa suivre Fibonacci dans la
route qu'il avait ouverte, cl que les principaux traités de mathématiques
du treizième siècle sont plutôt des traductions de l'arabe. {Uist. des
math., tom. ii, pag. {4 et suiv.) Guillaume de Lunis, Campanus de
Novaru appartiennent a la seconde moitié du treizième siècle, et si les
continuateurs de r//t.«/./t(/ér. parlentd'un traité anonyme de l'algorisme
arabe, écrit en langue vulgaire, il faut bien remarquer qu'ils le placent
ioui Philippe le Hardi. Enfin Matl. Paris parait avoir peu de goAt ou
plutôt de la répugnance pour l'étude des mathématique» venues par la
voie des Arabes, puisqu'il les place sur le même rang que la nécroman-
cie : Srient'uB uerrommitit'œ vel artis mnihematiraf secundum Irn-
ditiones obomiunhili'n^ Suirareui etc. {V»y. la page 78 du V* volume.}
N<1TES. 577
dens; système établi d'après les notes tironieunes , et sous
l'influeDce des doctrines kabbalistiques.
2* Abréger : telle fut. en effet, la tentative de la plupart
des peuples qui sentaient le besoin d'exprimer plus simplement
les nombres composés. Fibonacci assure que , dans toutes les
contrées qu'il a visitées, il a trouvé des méthodes abrégées de
numération , et que chaque peuple avait des abréviations dif-
férentes. Les Romains l'avaient essayé. Les Chinois, en modi-
fiant leur arithmétique , avaient employé des lignes droites ,
tantôt verticales, tantôt horizontales, suivant qu'ils voulaient
représenter des dizaines ou des unités : ce qui n'est pas sans
analogie avec le système de Basingestokes. En Grèce surtout
cette réforme a\ait été tentée. Archimede avait écrit son
trait« de Varénaire pour simplifier la numération. Apollonius
avait fait également un essai de ce genre, et les Grecs avaient
intercalé d'autres signes dans leur alphabet appliqué à la
numération. (Hift. des mathéni., tom. I, pag. -193, note.)
Quoique nous devions regretter que M. Libri ne s'explique
pas davantage sur ce point , il est permis de supposer que le
système qui nous occupe était un de ces systèmes abréviatifs,
et cela nous ramène à ce que nous avons dit plus haut.
On sait que le système décimal ne nous est pas arrivé avec
les chiffres indiens , comme le croit le vulgaire , et que , dans
presque tous les anciens systèmes d'arithmétique littérale, les
dix premieres lettres de l'alphabet exprimaient ordinairement
les dix premiers nombres, et que les autres lettres désignaient
successivement le» dizaines . les centaines , etc. Nous retrou-
vons ce procédé dans les figures retracées par Matt. Paris ,
lesquelles viennent confirmer cette observation de la science
moderne. Dans ce système d'angles, i correspond exactement
a iO, 2 à 20, 5 a 50, etc., la position de la ligne qui forme
angle faisant fonction de zéro. Nous signalons seulement deux
erreurs évidentes, dues sans aucun doute à l'inattention des
ropistes. Pour correspondre à 70 |^ , le signe 7 doit être
vu. 57
578 NOTES.
figuré J, et non J (voy. la page 272 du volume), et poar
correspondre à 9 sj, le signe 90 doit être figuré |/ , et
nonk^ . Ainsi , à notre sens , 77 doit être écrit 1 et 99 \y.
Quant aux deux signes ajoutés après 9, et désignés seulement
dans le texte par les mots qucisi cilrà, nous ne pouvons dé-
terminer leur signification ' , et si nous cherchons à expli-
quer comment dans ce système s'exprimait le nombre ^ 00 ,
nous sommes obligé de nous arrêter à -H 0. La principale dif-
ficulté consiste à savoir s'il y avait la même correspondance
entre les dizaines et les centaines qu'entre les unités et les
dizaines. Dans le silence de Matt. Paris, nous ne pousserons
pas plus loin les hypothèses. Il en devait cependant être ainsi,
puisque notre auteur dit qu'une seule figure représentait un
nombre quelconque ( quilibet numerus ). En tout cas , on voit
facilement combien cette notation singulière, bonne tout au
plus pour l'addition et la soustraction, était insuffisante pour
multiplier et pour diviser.
■ Le premier de ces signes I nous parait être simplement l'indica-
tion de la baguette perpendicalaire, stipes ; mais le second ainsi marqué
I exprime à notre avis le chiffre 400 par la jonction du signe 90 et
du signe 10, si toutefois l'on a ëgard h la correction que nous venons
d'indiquer. Il doit donc être écrit 1 , et de 100 à 109 la notation sera
facile en traçant de gauche i droite les signes déjà connus. Ainsi y^
ferait 109. Faisons remarquer on teimiuant que nous avons donné ces
figures telles qu'elles st- trouvent dniis notre texte, mais qu'il serait
plun exact de repréflenler uniqucmrnt drs angles sans aucun contour ui
addition.
NOTES. 579
Nous ne terminerons pas cette note, sans faire une dernière
remarque. Ce système de notation semble fondé sur les mêmes
principes que celui des francs-maçons : un même signe di-
versement varié, dont l'angle droit qui figure l'équerre est la
base et qui suit en croissant par dizaines les mêmes transmu-
tations. (Voy . Chéreau, Expl.de la croix philosophique, ^ 800.)
Nous sommes loin d'avancer que Jean de Basingestokes ait
été afiilié aux sociétés secrètes du moyen âge. L'explication
toute mystique, mais aussi toute chrétienne que donne
Matt. PAris du signe -^ (35) et du signe y" (53), ne permet
pas cette supposition. Cependant Jean a pu avoir connaissance
de ces signes sans en comprendre le sens hermétique et sans
y deviner l'influence de quelque société occulte ; ce qui ne
nous parait pas dénué de toute vraisemblance, surtout si
l'on songe « que les anciennes doctrines mystérieuses de la
Grèce se sont rencontrées de nouveau avec les spéculations
orientales , dont elles s'étaient détachées originairement. »
(Si, Matter, Hist. ait. du (fnosticisme ; t. I, p. ^7G.)
FIN DES NOTES.
TABLE DES MATIERES
CO>TENDES DAMS CE VOLUME.
SUITE DE HENRI 111.
Paget. Aun.
Le roi célèbre à Winchester les fêtes de Noël. — La com- 1250
tesse de Cornouailles met au monde un fils. — Mort de
Jérémie, conseiller du roi. — Punition de Gaultier de
ClifTord. — Paix entre l'abbé et le couvent de West-
minster — L'évéqoe de Lincoln fait citer les religieux de
spn diocèse. 1
Plusieurs seigneurs anglais accompagnent le comte Richard
en France. — L'évêque de Lincoln se rend à la cour ro-
maine.— Biens vendus pour subvenir aux frais de la
croisade. — Le pape rejette les offres de Frédéric IL —
Relevé de l'argent accordé à l'archevêque de Cantorbéry.
— Le roi demande aux citoyens de Londres pardon des
injustices qu'il a commises. — Il prend la croix avec une
foule de seigneurs. — Ardeur unanime des croisés. 4
Gaston deBéarn et les autres rebelles gascons se soumettent.
Clémence et faiblesse du roi. — Sortie des Français
contre les Sarrasins, à Dainiette. — Le Soudan offre des
conditions de paix. — Une foule de Français périssent par
le fer et la faim. — Apostasie de plusieurs d'entre eux. —
Mort du Soudan. — La fidélité de plusieurs chancelle. 14
Sévérité de l'évêque de Lincoln envers un officier du roi.
— Lettre du pape à ce sujet. — Le comte Richard revient
de la cour romaine. — Opinions diverses sur l'cnlrelien
du pape avec le comte Richard. — Le comte achète un
prieuré à l'abbé de Saint- l^enis. — Miracle du bras de
.')82 TABLE
Ann. Pages.
i250 saint Edmond. — Le roi fait restreindre la dépense de sa
maison. 21
Argent extorqué aux juifs. — Crime d'un juif de Waling-
ford. — Des justiciers sont envoyés pour examiner la for-
tune des juifs. — Mort d'un religieux arménien en An-
gleterre. — Grande somme d'argent envoyée au roi de
France. — Retour des seigneurs anglais. — Fausses ru-
meurs au sjuet de la croisade. 27
Accord au sujet de la présentation à l'église de Wengrave.
— L'archevêque Boniface se propose d'exercer son droit
de visitation. — Boniface tyrannise le clergé de Londres.
— Les chanoines de Saint-Barthélémy s'opposent à la vi-
site de l'archevêque. — Violences exercées par le prélat
et ses satellites. — Le roi refuse d'entendre les plaintes.
— Emeute à Londres. — Sentence d'excommunication.
— Boniface se prépare à aller à la cour romaine. 33
Lettre de l'évêque de Londres, qui demande conseil à
l'abbé de Saint-Albans. — Chapitre général des frères
Prêcheurs. — Agitation des citoyens de Londres. — Le
roi accorde de nouvelles chartes à l'abbé de Westminster.
— Privilège abusif octroyé par le roi à Geoffroi le Roux.
— Vaines réclamations de Matthieu Paris. — Le sceau
royal est confié à Guillaume de Kilkenny. — Le roi de
France se dirige vers le Caire. — Jalousie des Français
contre les Anglais. 42
Stratagème de Guillaume Longue-Épée. — Outragé par Ro-
bert d'Artois, il abandonne les Français. — Le roi défend
aux seigneurs anglais de partir pour Jérusalem, et fait
soigneusement garder les ports. — Le roi extorque de
l'argent de tous cotés. — Tyrannie de Geoffroi de Lan-
geley, inquisiteur des forêts. — L'archevêque de Cantor-
béry se rend à Rome. — Mort de Robert de Lexington. 50
Fausseté des bruits sur la prise du Caire. — Prise de Da-
mielte et origine des bruits précédents. — Retour de
(îuiliaume Longue-Épée. — Offres avantageuses du sou-
dan pour obtenir la paix. — Le soudan découvre la tra-
hison ourdie par un de ses officiers. — Prospérité des
affaires de Frédéric. — Bernard de Nympha lève de l'ar-
gent sur les croisés. 5U
Fâcheuses nouvelles venues de Terre-Sainte. — Injures du
DES MATIÈRES. 585
Pag. Ann.
comte d'Artois contre les Templiers et les Hospitaliers. — 1250
Réponse du grandmaiire des Templiers. — Altercation
de Guillaume Longue-Épée avec le comte d'Artois. —
Défaite et mort du comte d'Arlois à Mansoura. — Mort de
Gaillaume Longue-Épée. — Le roi Louis ranime ses sol-
dats. — Marche désastreuse des Français. 71
Déplorable défaite des Français. — Prise du roi de France.
— Gardiens laissés à Damielte et à la flotte. — Le roi de
France, prisonnier, refuse de rendre Damietle. — Les Sar-
rasins s'efforcent de s'emparer de Damiette par la ruse. —
Douleur des chrétiens à la nouvelle de la déroute. 86
Le roi de France rend Damiette aux Sarrasins pour sa dé-
livrance.— Le Soudan fait couper la tête aux chrétiens
de Damiette. — Le roi de France envoie défler le Soudan.
— Révolte des Sarrasins contre le Soudan. — Lettre adres-
sée au comte Richard. — Douleur des Français en appre-
nant la défaite des leurs. — Le roi de Castille prend la
croix. 96
Plaintes sur les extorsions d'argent. — Exemple remar-
quable d'une honteuse exaction, commise en France par
les agents du pape. —Grandeur d'âme de Tabbesse de
Lacock. — Morts diverses. — Les Sarrasins se préparent
à assiéger Acre. — Le roi envoie ses frères en France. —
Soulèvement et agitation extraordinaires de la mer. 109
Collation inique imposée par le pape au prieur de Binham.
— L'archevêque de Cantorbéry fait taire par la crainte la
voix des plaignants. — Mort de Guillaume, évëque de
Winchester. — Efforts du roi pour faire nommer son
frère Atbelmar à l'évèché de Winchester. — Discours
du roi au chapitre de Winchester. — Les moines de
Winchester sont forcés de prendre Atbelmar pour leur
évëque. 119
Le roi d'Angleterre se prépare à envoyer des députés au
pape. — Tristes réflexions sur l'état de l'Angleterre.—
Laurent de Saint-Martin élu à Rochester. — L'évéque de
Lincoln revient de Rome. — Les évèques d'Angleterre
s'opposent aux projets de l'archevêque de Cantorbéry.—
— Tremblement de terre daiis le comté de Hartford. —
L'archevêque de Canloii>éry apaise les plaintes des cha-
noines. 128
584 TABLE
Ann. Page*
1250 Innocent IV desire aller séjourner à Bordeaux. — Embar-
ras du roi — Le pape lève l'excommunication lancée
contre les chanoines de Londres. — Mort de Frédéric IL
— Vingt-cinq cinquantaines d'années écoulées depuis
l'an de grâce. — Résumé des faits principaux qui se sont
passés dans la dernière cinquantaine. 434
4251 Le roi célèbre à Winchester les fêtes de Noël. — Ton-
nerre pendant l'hiver. — Le roi ne distribue aucun pré-
sent. — Il fait restreindre les dépenses de sa table. — Les
captifs de l'empereur sont gardés avec plus de soin. —
Les fils et les amis de l'empereur se soulèvent contre le
pape. 149
Itiscorde entre les soudans d'Alep et de Babylone. — Pa-
tience du roi de France. — Guy, frère du roi d'Angleterre,
revient de Terre-Sainte. — Le roi enrichit ses frères. —
L'évèque de Londres jure de se soumettre à la provision
de l'archevêque. — Arrivée du pape à Pérouse. — Les
Vénitiens et autres tendent des embûches aux vaisseaux
français. — Confédération de plusieurs couvents. 155
Exploits du comte de Leicester en Gascogne. — Il se rend
en Angleterre pour se défendre contre ses accusateurs. —
Il retourne en Gascogne avec des aventuriers et des tré-
sors.— Le roi accorde, ;^dans une même affaire, des lettres
de protection aux deux parties.— Plusieurs chrétiens sont
délivrés des fers des Sarrasins. — Absolution du doyen
et des chanoines de Londres. — Réclamation inutile au
sujet de la part laissée à l'ancien évëque de Durham. 162
Accusations portées contre le justicier Henri de Bath. —
11 cherche à apaiser le roi par l'entremise du comte de
Cornouailles. — Relevé des dépenses du roi. — La com-
tesse d'Arondel fonde une abbaye de religieuses. — La
nouvelle de la mort de Frédéric II se répand dans l'Occi-
dent. — Testament de Frédéric. — Excommunication du
doyen et des chanoines de Londres.— Le comte Gaultier
de Brienne subit une mort glorieuse, à l'exemple du
prince d'Antioche, son parent. 168
Les forêts de l'archevêché de Canlorbéry sont mises en
coape. — Guerre entre les fils de Waldemar, roi de Da
ncmark- —Le comte de Leicester bat les Gascons.— Par-
lement tenu à Londres. - Irritation du roi contre Henri de
DKS MAIIKRES. 5X5
I'ag. Ann.
Balb. — Athelmarestcontirméà l'évècbede Winchester. 1251
— Mort de Guillaume de Canteloup. — Assemblée des
évoques d'Angleterre à Dunstable. 180
Visitation sévère de l'evêquede Lincoln. — Le pays de Galles
est soumis aux lois de l'Angleterre. — Confirmation des
élus à Winchester et à Rochester. — L'abbé de West-
minster passe la mer.— Désolation d'Antioche. — Lé doyen
de Londres se rend à la cour romaine. —Le roi comble
de jour en jour les étrangers d'amilié et de richesses. —
Mort du cardinal-évèque de Sabine. 487
Discorde entre Tabbé et le couvent de Westminster. — De-
putation du roi de Castille au roi d'Angleterre. — Lettre
injurieuse du pape. — Arrivée du roi à Saint-Albans. —
Mort misérable de Robert Chandos. — Mort pieuse de
Cécile de Sanford. 193
Le pape quitte Lyon. — 11 arrive sain et sauf à Milan et de
là à Péroose. — L'abbé de Westminster revient de la
cour romaine. — Le trésor envoyé au roi de France est
englouti dans les flots. — Déluge partiel dans la Frise.—
Henri de Rath rentre à la cour. — Retour de l'élu à Win-
chester. — Mort de Paulin-le-Poivre. 201
Arrivée de l'abbé de Cluny en Angleterre. — Translation
des restes d'anciens religieux à Saint-Albans. — Mort de
lîeofTroi Despencer. -Accusations contre les Caursins.—
Soulèvement des pastoureaux.— Leur séjour et leurs vio-
lences à Orléans. — Leur arrivée à Bourges et à Bor-
deaux.— Ils sont dispersés. — Mort de Job le Hongrois.
— Une autre de leurs bandes est exterminée. — Quelques
pastoureaux recrutés en Angleterre périssent à Montreuil.
— Relation de Thomas de Shirburn. 211
Damiette est rasée. — Nouvelles décréiales. — Apparition
d oiseaux surprenants en Angleterre. — Le pape absout
des seigneurs qu'il avait excommuniés- — Prise de Cas-
tillon en Gascogne. — L'évëque de Lincoln punit les in-
continents et poursuit ses réformes. — Nouvelles de la
Terre-Sainte. — Arrivée et dons du roi à Saint-Albans.
— Pluie abondante.- Yisilalion à. ''aint-Aibans. -L'abbé
de cette communauté élude ses promesses. 227
La haine du pape contre Conrad prive Louis IX du secours
des croisés. — «iravc acnisalion intentée à l'hilipix* Luvel.
586 TABLE
Ann. Pages.
1251 — Ijédicace de l'église de Hales. —Arrivée du comte de
Leicester avec Guy de Lusignan. — Grande tempête. —
Orage et inondation extraordinaire, — La reine d'Ecosse
retourne en France. — Tournoi célébré à Rochester. —
Coup d'œil sur l'année 1251. 234
1252 Le roi d'Angleterre célèbre à York les fêtes de Noël. — Le
roi d'Ecosse reçoit le baudrier militaire des mains du roi
d'Angleterre. — Il épouse sa fille Marguerite et lui fait
hommage. — Réclamation du comte-maréchal dans cette
circonstance. — Description du repas nuptial. 243
Célébration de la fête de saint Edouard à Londres. — Ré-
conciliation de Philippe Luvel avec le roi. — Gardiens
donnés à la reine d'Ecosse. — Vent Irès-vioIent. — L'é-
vêque de Rochester extorque aux bénéficiers de son dio-
cèse la cinquième partie de leurs revenus. — Mort de
Nicolas de Sanford. — Le pape engage le roi à accomplir
son vœu de pèlerinage. — Le pape fortifie son parti en
augmentant le nombre des cardinaux. — Premiers buffles
vus en Angleterre. 249
Les frères Mineurs refusent de recevoir du roi un présent
qu'il avait lui-même extorqué. — Graves accusations in-
tentées par les Gascons contre Simon, comte de Leicester.
— État étonnant de l'atmosphère. — Influence de ce chan-
gement sur la végétation.— Les bénéficiers refusent d'être
élevés au grade de prêtres. 256
Le roi fait convoquer les seigneurs croisés.— Projets de res-
titution annoncés par Louis IX. — Henri IHjure d'accom-
plir son pèlerinage en Terre-Sainte. — Le Soudan de-
mande la paix au roi de France. — Le roi se montre dur
pour SCS sujets, prodigue pour les étrangers. — Tentative
d'empoisonnement sur la personne de Conrad. — Périls du
comte de Leicester à Bordeaux. — Mort de maître Jean
de Basingeslokes. — Ses ouvrages. — Il rapporte en An-
gleterre les figures numérales des Grecs. 262
Deuxième et plus grave accusation contre le comte de Lei-
cester. — Le pays de Galles est soumis aux lois de l'An-
gleterre. — Les seigneurs de Gascogne viennent en
Angleterre pour se plaindre de la tyrannie du comte de
Leicester. — Nouvelle enquête.— Querelle «-ntre le roi
cl le comte. 27()
DES MAilEKËS. 587
Pages. Ann
Ketour sur les événements politiques qui ont amené les 1252
troubles de la Guyenne. —Le coiute Simon est fortement
accusé par les Gascons auprès du roi d'Angleterre. — Ré-
ponse du comte aux accusations intentées contre lui. —
Dommage considérable causé par le roi à l'abbé de Ram-
sey. — L'église de Saint-Edmond menacée d'une grande
perte.— Discussion élevée entre le roi et la reine au su-
jet de l'église de Flamsteed. — Mort de Robert Passeléve
et de Richard de Wendovre. 281
L'évèque de Lincoln obtient du pape le pouvoir d'instituer
des vicariats. — .Motifs qui mettent obstacle à la paix pro-
jetée entre le pape et Conrad. — L'archevêque de Cantor-
béry obtient la faculté d'exercer le droit de visitation. —
Un enfant guérit miraculeusement plusieurs malades. 293
Fin de la discorde entre le couvent et l'abbé de Westmins-
ter.— Privilège et charte accordés par le roi au couvent
de Westminster. — Colère du roi contre l'abbé de West-
minster.— Rumeurs sur l'état de la Terre-Sainte. — Nou-
velles plus agréables sur la Terre-Sainte. ^— Propositions
de paix entre le roi de France et le soudan du Caire. —
Murmures au sujet des conditions de la trêve. — Le roi de
France consent à la trêve. — Lettres au sujet de la trêve.
— Entrevue du roi de France avec le Soudan du Caire. 298
Mort d'Alphonse, roi d'E<pagne. — Alphonse, frère du roi
de France, est attaqué d'une maladie incurable. — Dou-
leur de Blanche, reine de France. — Guillaume de Saint-
Edmond, moine de Saint-Albans, est envoyé à la cour
romaine. — Le roi d'Angleterre renvoie le comte de Lei-
cester en Gascogne.— La Gascogne est conférée à Edouard,
fils aine du roi d'Angleterre. — Combat sanglant entre les
Gascons et le comte de Leicester. 308
L'Angleterre est horriblement maltraitée par les étran-
gers. — Entretien de Matthieu Paris et de Roger de Thur-
keby. — Grande chaleur et sécheresse pendant l'été. —
Réforme du pape. — Célébration, auprès de l'abbaye de
Walthen, d'un tournoi appelé tournoi de la Table-Ronde.
— Le roi d'.Angleterre se rend à Saint-Albans où il fait
plusieurs dons. —Mort de Guillaume de Ilaverhulle. 316
Sécheresse, mortalité, épizootie. - Dédicace de l'église d'Ély.
— Mort de Marguerite de Redviers. veuve de FaUaise. —
S8g
TABLE
Ann.
1252
Pages
Grand parleincul tenu à Londres. — L'évèque de Lincoln
dirige Topposilion. — Le roi irrité est apaisé par ses cour-
tisans.— Nouvelles propositions. — Réponse des prélats
à la demande du roi. — Henri III persiste dans son pro-
jet. — Réponse evasive des prélats. 323
Le roi distribue les revenus vacants à des gens indignes,
entre autres à son bouffon. — II cherche à triompher de
chacun des prélats, dans des entrevues particulières. —
Résistance de l'évèque d'Ély. — Réponse énergique de
l'élu à Winchester. — Les "habitants de Londres paient
vingt marcs d'or au roi. — Nouvelle vexation exercée
contre les habitants de Londres. 335
Souffrance des habitants de Londres à cause du mauvais
temps. — Nouvelles venues de Gascogne — Discussion à
ce sujet.— L'assemblée est levée au milieu de l'indignation
générale. — Isabelle, comtesse d'Arondel, vient deman-
der justice au roi. — Refus de celui-ci. — Paroles coura-
geuses de la comtesse. — Nouvelle discussion sur les af-
faires de Gascogne. — Dissolution du parlement.—
Plaintes du maître de l'Hôpital au roi. — Regnault de
Mohun est nommé gardien des forêts, à la place de Geof-
froi de Langeley. — Récits de quelques Arméniens. —
Mort de la comtesse de Winchester. 342
Les chrétiens prisonniers sont relâchés par le Soudan de
Babylone. — Les ossements de Guillaume Longue-Épée
sont apportés à Acre. — Guillaume de Valence et Geoffroi
de Lusignan insultent et maltraitent les serviteurs de l'é-
vèque d'Ély et de l'abbé de Saint-Albans. — Accusation
portée contre Robert de la Ho. — Le procurateur des
évèques d'Angleterre fait restreindre le droit de procu-
ration de l'archevêque. 353
Albert, notaire du pape, se rend en Angleterre. — Il s'oc-
cupe de s'enrichir. — Arrivée de l'archevêque de Cantor-
bt-ry en Angleterre.— Discorde entre l'archevêque et l'élu
à Winchester. — Violences exercées par les parents
d'Athelniar sur la personne d'Eustache de Lynn. —Plaintes
portées à l'archevêque de Cantorbéry. — L'archevêque se
rend à Oxford. — Il y promulgue la sentence d'excom-
munication contre les délinquanLs. 360
Mort de Blanche, reine de France.— Immenses rcv<>nus de
DES MATIKRES. 589
Pa};es. Ann.
Jean Hansel. — L'évéque de Lincoln Tait calculer les re- 1252
venus des étrangers en Angleterre. — Le roi met les ga-
rennes en vente. — Vexations exercées contre plusieurs
monastères. — Coup d'œil sur l'année 1252. 371
Le roi célèbre à Winchester les fêtes de Noël. — Canonisa- 1253
sion de Pierre, de l'ordre des Prêcheurs. — Les Romains
élisent Brancaléon pour sénateur. — Les habitants de Win-
chester envoient au roi des présents magniflques. — Ré-
conciliation d'Athelmar et de Boniface. — Vaines pro-
messes du roi. — Départ de maître Albert. — Les juifs
sont chassés du royaume de France. — Mort de l'abbé de
Saint-Augustin. 375
Dommage et oppression de l'église de Sainte-Marie d'York.
— Les Romains dévastent la ville de Tivoli. — Richard,
comte de Glocester, est fiancé à la nièce de Henri III. —
Dénùment do roi. — Le roi d'Espagne revendique la Gas
cogne. — Adoucissement apporté aux visitations. — Tour-
noi célébré en France en l'honneur du mariage projeté. 383
Les habitants de Londres sont forcés de payer au roi une
somme d'argent, après avoir bàtonné ses serviteurs. —
Proclamation pour la sûreté du royaume.— Organisation
d'une milice communale. — Mort de Richard de Witz,
evèque de Chichester. — Nouvelle révolte des Gascons. —
Pillage des biens des pauvres. — Libertés accordées à l'é-
glise de Waltham. — Les Français demandent conseil et
secours au comte de Leicester, et veulent l'investir de la
régence. 389
Les Romains rappellent le pape dans leur ville. — Grand
parlement tenu dans li quinzaine de Pâques. — Nouvelle
conGrmation de la grande charte. — Le comte Simon est
déposé de la garde de la Gascogne. — Henri de Balh rentre
à la cour. —Nouveaux forestiers.- Miracles opérés sur
le tombeau de Richard, évëque deChichester.— Jean Clip-
pinge est élu évéque de Chichester. - Visitation de l'ordre
Noir. 397
Le roi d'Angleterre prépare une ex[)edi(ion en Gascogne. —
Guerre civile en Flandre. — L'archevêque de Cantorbéry
exerce la visitation.— Roger Bigod, maréchal, reprend
son épouse qu il avait répudiée. Le roi d'Angleterre
passe en Gascogne. — Mort de Thomas do Hartford, archi-
390 TABLE
Ann. Pages.
1253 diacre de Northumberland . — Il est enterré dans la maison
des Carmes. — Miracles opérés sur son tombeau. 409
Histoire tragique advenue pendant le séjour du roi à Césa-
rée. — Le roi d'Angleterre débarque à Bordeaux. —
Soupçons des Français contre la fidélité des Poitevins. 414
Lettre courageuse de l'évêque de Lincoln au pape. — In-
dignation du pape à la lecture de cette lettre. — Munifi-
cence de Robert de Sothindon.— Mort de Ranulf, abbé
de Ramsey. — Inondations étonnantes causées par les
pluies. — Splendide célébration de la fête desaintÉdouard.
— Le roi recouvre ses châteaux de Gascogne. 420
Ambassade du roi d'Angleterre au roi d'Espagne. — Ravage
des Sarrasins à Ptolémaïs. — Grande famine dans l'armée
du roi en Gascogne. — L'abbé et le couvent de Saint-Al-
bans sont libérés de la dette contractée par Richard de
Oxhaie. — Extension de la renommée du roi d'Espagne.
— Conseil bienveillant du roi d'Espagne au roi d'Angle-
terre. 430
L'évêque de Lincoln Robert Grosse-Tête tombe gravement
malade. — Son entretien avec un frère Prêcheur. — Il se
plaint à ses clercs des exactions de la cour romaine. —
Récapitulation des vexations éprouvées par l'église. —
Mort de l'évêque. — Mélodie entendue dans les airs. —
Bruit surnaturel de cloches et de trompettes qui annonce
la sainteté du défunt. 434
Continuation de la famine en Gascogne. — Prisonniers rais
en liberté par le roi d'Angleterre. — Mort de Guillaume
de Vescy. — Punition de quelques chevaliers du comté de
Shrewsbury. — Succès des Sarrasins contre les chrétiens.
— Conquêtes de Conrad, fils de Frédéric 447
Discorde entre l'archevêque Boniface et le chapitre de Lin-
coln.— Boniface se rend à Saint-Albans. — Privilège ac-
cordé par le pape à la maison de Saint-Augustin à Can-
torbéry. — La reine d'Angleterre met au monde une fille.
— Le comte de Leicester va rejoindre le roi d'Angleterre
en Guyenne. — Troubles dans l'université de Paris. <54
Le pape est forcé de quitter Assise pour se rendre à Rome.
— Cupidité des Romains. — Tonnerre en hiver. — Ceux
que la famine avait chassés de La Rcole sont exilés. — Dé-
bordement de la mer cl des lleuves. — Miracles opérés
DES MATIERES. 591
Pages. Ann.
dans l'église de Lincoln. — Coup d'œil sur l'année 1253. 457 42j3
Additions. 463
Notes. 561
TaBLB des MATliSHSS. 581
FIN DR LA TABLB.
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