Skip to main content

Full text of "Histoire naturelle et moralle des Indes, tant orientalles qu'occidentalles : où il est traittʹe des choses remarquables du ciel, des elemens, metaux, plantes & animaux qui sont propres de ce païs : ensemble des mœurs, ceremonies, loix, gouuernemens & guerres des mesmes Indiens"

See other formats


•r* 


T> 


**<K  I 


<fWÊ   ' 


1363 


1 


\ 


s 


jgm 


L 


\ 


■-"•v... 


IF 


»*9 


u 


t'n,M3 


(  ÛVO 


di^jbMff^^^ 


/i/H»rri 


HISTOIRE 

NATVRELLE 

ET     MO  P.  ALLE 

des  Indes,  tant  Orientalles 
qu'Occidentalles. 

Où  il  efi  traitté  des  chofcs  remarquables  du  Cielt  des 
Elemcns  }7Metaux  y  "Plant  es  &  minimaux  qui  font 
propres  de  ce  pais.  Enfcmble  des  mœurs  t  cérémonies^ 
loix  igouuernemens3  &  guerres  des  mefmes  Indiens. 

Compofec en Caftillan par  Ioseph  acosta, 
&  traduite  en  François  par  Robert 
'  Regnault  Cauxois. 

Dernière  édition ,  reueuè  &  corrigée  de  nouueau. 


& 


a-  tt~c  t-ttstt 


A    PARIS, 

Chez  Marc   O  r  r  y  ,  rué*  fainû  laques, 

au  Lyon  Rampant. 

M.    DCVJ. 


<\ 


AV  ROY   TRES- 

CHRESTIEN  DE  FR.ANCE 

ET    DE    V  AV  AKKE,    HENRY 

1 1 1 1.  de  ce  nom. 
IRE, 

Cet  admirable  &  inuimible  guerrier 
Alexandre  >  iadu  Roy  des  Macédo- 
niens ,  qui  par  fa  Valeur  Ç>"  beureufe 
fortune rangea  fous  [on  pomoir toutes  les  prouin~ 
ces  de  Grèce,  auparavant  désunies  en  plufieurs 
Cantons  &*  Républiques  5  puis  pafîanrla  mer  de 
l'autre  cojié ,  fubiugua  le  très  grande?*  très -opu- 
lent Royaume  des  Perles^  ç£n  de  là  continuant  plus 
outre  ,fît  retentir [es  armes  iufques  bien  aUant  de- 
dans F  Inde  Orient  aile ,  borne  de  fes  defîeins ,  &* 
pour  lors  la  pins  renommée  Çp*  plus  heureufe  ré- 
gion de  la  terre.    Entre  mille  grandes  &  belles 
affections  qui  loge  oient  en  fon  ame  gêner eufe  & 
guerrière ,  auoit  cejle-cy ,quil  deCiroit  Ç<7»  de  "vain- 
cre 0*  fut  monter  ton*  les  autres,  non  point  feu- 
lement en  Valeur  &  réputation  d'armes  ,  mais 
4ufù  enfeauoir  &*  cognoifiance  des  chofes:  &* 

a  ij 


EPISTR  E 
fur  tout  ,  des  terres  C*  régions  ejlranges.  De 
telle  façon  ,  qu'il faifoit curieufement recherher, 
(&*  a  quelque  'prix  que  te  fuft  )  tous  lis  li- 
ures  rares  &>  exquis  qu  on  pouuoitrecouunr  de 
fon  temps.  Et  luy  encor  fort  teune ,  comn£  les 
uémbaffadeurs  de  Perfe  furent  ""venus  "Vn  tour 
deuers  fon  père ,  il  les  enquit  fi  particulièrement 
de  ht  nature ,  grandeur  &*  fituation  du  Royau- 
me de  Perfe ,  des  ailles ,  fleuues ,  &  montagnes 
dkeluy  i  mefrne  des  moeurs  du  peuple  ,  &*ie  la 
gendarmerie ,  quil  apprit  par  leur  bouche  tott  ce 
qu'ils  auoient  enhur  Royaume  de  plusgranl  &• 
déplus  fgnalé.  Vont  ilfceut  bien  faire  fon  profit 
par  après  y  &*  ne  ceffa  iamais  depuis ,  iujques  à  ce 
quil  eut  conquis  ce  grand  &fion fjant  Empir  :  de 
forte  quon  pourrott  dire  auec  raifon,que  lespiopos 
&  aducrtiffcmanf  da  cas  ^Amba^adeHvs  firent 
comme  la  première  eflincelle,  ou  caufe  des  grandes 
'ViSioires  &  heureux  fucceT^qui  luy  arriuerent  de- 
puis. Vequoy  me  refjouuenant ,  S  I  R  E  5  &>  de 
la  comparai/on  que  plufieurs  font  auiourdhiy  de 
fa  Valeur, clémence ,  &*  bonne  fortune  a  la  "Vi/lre^ 
'Voire  de  plufieurs  autres  dons  &*  "Vertus  htroï- 
ques  j  dont  il  efioit  doué ,  qui  "Vous  font  pctràlle- 
ment  c  ommun  es  :  Outre  ce  que  tous  deux  puifans 
<&  redoute^  Princes  ejïesyffus  (  quoy  qu'a  di- 
uersfiedes)  <£~\n  me/me  efloc  de  noble ffe ,  ^  rate 


A  V  ROY. 
de  Hercules ,  luy  par  Caranws,  &  Ifom  ,  S  i  r  e, 
^4r  Charlemagne  3  ^»i  Çuiuant  les  anciens  tefmoi- 
gnages ,  ew  e/toit  aufii  défendu  y&  de  la  race  du- 
quel vous  efles  extratâi  par  le  Roy  faintt  Loysy 
&>  les  autres  Rois  de  France  Vos  predeceffeurs, 
iffus  de  la  race  du  mejme  Charlemagne  parjexe  fé- 
minin :  le  me  fuis  enhardy  de  traduire  en  langue 
Francoife  t H ifloire  Naturelle  &*  Moralle  des 
Indes Orientalles  ,nouuellement  compofee  enCa- 
fiillan  par  ïofeph  ^Acofla ,  homme  certainement 
doEle  Cp*fort  curieux ,  pour  la  prefenter  aux  pieds 
de  "ïoflre  Majeflé  ,  fows  effoir  que  ce  luy feroit 
chofe  agréable  pour  la  deleftable  Variété  &  hou- 
ueauté  des  chofe  s  qui  y  font  contenues  :  Comme  ie 
croy  qu'Alexandre  mefmel'orroit fort  Volontiers 
filViuoit  en  ce  prefent  fiecle  ;  luy  qui  tant  de  fois 
defon  temps  defira  qu'il ju/î  encor  Vn  autre  mon- 
de ,  afin  iauoir  Vnplus  large  champ  d'exercer  fes 
proiiefes.  Et  ce  qui  plm  ma  incité  de  ï  entrepren- 
dre ,  a  efïê  que  les  EffagnoU  3  jaloux  &*  enuieux 
de  ce  bien  y  ay  ans  fait  bruflerpar  EdiEl  public  {com- 
me on  ma  aduerty  puis  quelque  temps  )  tom  les 
exemplaires  de  cejle  H  ifloire ,  afin  denpriuer  les 
autres  nations ,  &  leur  celer  la  tognoifance  des 
Indes;  ïay  penfé que  ie  ferou  faute  fi  ie  laifois 
perdre  a  la  France  {ficurieufe  deschofès  rares  &> 
belles)  Vnfi  riche  ioyau}&*  Vne  fi  gentille  H  i- 

â  îij 


E  PI  S  TRE 

Jloire ,  que  ï  Jà  utheur  a  t  ompofee ,  la  plus  gra  n<£ 

part  à  l/eucd'œil ,  &*  furies  mefmes  lieux  ,  d "V/; 

tel  ordre  &*briefueté \qu  auec bonne  raifon  il  peut 

cjlrc  appelle  F  Hérodote  &le  phne  de  te  monde 

nouuellement  àefcotiuert.   Bref  ie  peux  dire  de  ce 

Cajliiïan  ,  S  I  R  E  ,  que  c  efï  ~\>n  prifonnier  d  entre 

"V os  ennemis ,  lequel  i  ay  fur  pris  en  fa  terre  ,  luy 

ayant  appris  tellement  quellemcnt  noflre  langue 

françoi/e  pour  "Vous  le  rrej 'enter ,  afin  qu'il  ~\om 

conduife  <&>  face  ~)>oir  toutes  les  fingularite^  p-lm 

exouifes  de  ce  noautau  monde ,  fans  crainte  & 

danrer  de  naufrape.  Que  fi 3  comme  Alexandre 

fouuerain  d~\ne  pytnde  région  de  /'  Europe  en  la 

partie  d Orient^  alioulu  tourner fc s  deffeins  fur 

l'Inde  Orientale  :  *Ainfi  ~yomy  Sire,  iffu  de  fa 

mefme  race ,  &  comme  luy  Prince  &  poffejfeur 

triomphant  d  ~Vn  vranà  (3>  fîoriffiwt  Royaume  de 

l'Europe  en  la  partie  a \  Occident \\ueillc\aufi  ~Voir 

<&>  regarder  de  plus  près  ces  Indes  Occident aile s , 

e  ne  or  plus  riches  &  renommées  à prefent  que  ne 

jurent  ont  les  Orientales  :  cefluy-cy  mefme  "Vous y 

feruira  de  guide  Ç£>  de  très- fidèle  e  fanon  y  pourrons 

dduertir  des  ports ,  ailles  &  montagnes  diceluy, 

Çy*  de  tordre  <&>  nature  du  peuple  ;  dont  il  ~V  ous 

dira  d 'auantage  que  ne  firent  onc  les  ^Ambajia- 

deurs  de  P  erfe  au  Roy  Alexandre,   il  plaira  donc 

a  "yojlre  Majeflé,  Sire,  recevoir  de  bonne  part 


A  V    ROY. 
cethrefor  ejlnnger ,  cjue  Ttous  offre  /'"y»  de'ïês 
humbles  &*  fidèles  fûbreéîx ,  pour  tefmo'unitve  du 
feruïce  qùil  Ifaus  doit,  &*  Trous  a  Troué  pour  tome 
fit  Trie. 


Du  Haufc  de  Grâce,  le  premier 
Décembre,  1597. 


Voftre  tres-humble  8c  tres- 
obcilTam  fubiecl;  &  feruiteur, 


Robert  regnavld. 


ADVERTISSEMENT 

DE        L'AVTHEVR 
dUX  LocîeuYs. 


Lvsiëvrs  autheurs  ont efcrit 
des  liures,  &des  narrations  , du 
nouucau  monde  &des  Indes  Oc- 
cidentales, efqaels  ilsdcfcriuenc 
les  chofes  nouuelles  ,  &  eftran^ 
ges  ,  que  l'on  a  defcouuertes  en 
ces  parties  là,les  a&es,  &  les  aduentures  des  Efpa- 
gnols  qui  les  ont  conqueftees  &  peuplées.  Mais 
iufques  à  prefent  ie  n'ay  veu  aucun  autheur  ,  qui 
traicte  ,  Se  déclare  les  caufes ,  &  raifons ,  de  telles 
nouucautés ,  Se  merueilîes  de  nature ,  ny  mefmes 
qui  en  face  aucun  difeours  Se  recerchc.  le  n'ay 
point  veu  aufîi  Hure  qui  face  mention  des  belles, 
Se  hiftoires  des  mefmes  Indiens  anciens  ,  &  natu- 
rels habitans  du  nouueau  monde.  A  la  vérité  ces 
deux  chofes  font  allez  difficiles,  la  première  d'au- 
tant que  font  œuures  dénature,  quifortcnt,& 
font  contraires  à  la  philofophie  ancienne  receuë 
&  pratiquée ,  comme  de  n^onftrer  que  la  région 
qu'ils  appellentTorride,  eft  fort  humide,  &  en 
plusieurs  endroits  fort  temperee,&  qu'il  pleut  en 
icellc quand  le  Soleil  en  eftplus  proche ,  &  autres 
femblables  chofes.Car  ceux  qui  ont  efcrit  des  In- 
des Occidentales3n'ont  pas  faitprofeffion  de  tant 


de  philofophie ,  voire  la  plus  part  d'iceux  efcri- 
uains  ne  fe  font  pas  apperceus  de  telle  chofe.  La 
féconde  eft,  qu'elle  traicte  desbeftes,  «Schiftoire 
propre  des  Indies,  laquellechofe  requeroit  beau- 
coup de  communication  &  de  progrés  dans  le 
pays  auec  les  mefmes  Indiens  :  ce  que  la  plus  part 
de  ceux  qui  ont  trai&é  des  Indes,  n'ont  peu  faire, 
ou  pour  n'entendre  leur  langue ,  ou  pour  ne  vou- 
loir rechercher  leurs  antiquitez,  tellement  qu'ils 
fefont  contentez  de  racôcer  quelque  chofe  d'eux 
qui  eftoitle plus comm  m&fuperficiel.  Defiranc 
doncauoir  quelque  plus  particulière  cognoiflan- 
ce  de  leurs  chofès ,  i'ay  fait  diligence  de  m'infor- 
mer  des  hommes  les  plus  expérimentés,  &  verfez 
en  ces  matières ,  pour  tirer ,  &  recueillir  de  leurs 
difeours  &  relations ,  ce  qui  m'a  femble  fuffire 
pour  donner  cognoiiTance  des  faidts  &couftumes 
de  ces  peuples. Et  en  ce  qui  eft  du  naturel  du  pays, 
&  de  leurs  proprietez,  iel'ay  apprins  parl'expe- 
riencede  plufieurs  amis  ,'&  par  la  diligence  que 
i'ay  faite  de  chercher,  diicourir,&  conférer  auec 
perfonnes  ïàges  ÔV  expérimentez.  Il  me  femble 
mefme  qu'en  ce  faifànt,  il  feprefente  quelques 
aduertiffements,  qui  pourront  feruir  8c  profiter  à 
d'autres  efprits  meilleurs,  afin  de  chercher  la  vé- 
rité, ou  de  paffer  plus  outre,  en  trouuant agréa- 
ble ce  qu'ils  trouueront  cy  dedans.  Ainfi  com- 
bien que  le nouueau monde, n'eft plus nouueau, 
mais  vieil,  veu  le  beaucoup  que  l'on  a  eferit  d*ice- 
luy,  ceneantmoins  cefte  hiftoire  pourra  eftre  te- 
nue en  quelque  façô  pour  nouuelle,  d'autSt  qu'el- 
le eft  en  partie  hiftoire,  &  en  partie philofophie, 
&  non  feulement,  d'autant  que  ce  font  œuures  de 


nature, niais  aufïï  celles  du  libéral  arbitre,quifont 
lesfaicl:s,&  couftumes  deshommes,  cequima 
donné  occafion  de  luy  donner  nom  d'Hiftoirc 
NaturellecV  Moralle  des  Indes ,  comprenant  ces 
deuxehofes.  Il  eft.  fait  mention  ez  deux  premiers 
liures,de  ce  qui  touche  le  cicl,temperature,  &  ha- 
bitation de  ce  monde ,  lefquels  Hures  i'auois  pre- 
mièrement eferits  en  Latin ,  ôc  maintenant  les  ay 
traduirsvfantplusdelalicenced'authenr,  quede 
l'obligation  d'interprète  ,  pour  m'accommoder 
mieux  à  ceux  pour  qui  elle  efteferite  en  vulgaire. 
Es  deux  hures  fumas  eft  traiebé  ce  qui  touche  ces 
Eléments  de  mixtes  naturels  ,  cjui  font  métaux, 
plates  &  animaux ,  &  ce  qui  fcmble  remarquable 
aux  Indes,  le  refte  des  Hures difeourant  ce  que  i'ay 
peu  difeourir  au  certain,  &  ce  qui  m'a  femblé  di- 
gne de  mémoire  des  hommes  de  leurs  belles,  (  ie 
veuxdiredesmefmes  Indiens)  deleurs  ceremo- 
nies,couftumes,gouuernement,guerres  &  aduen- 
tures.  Il  fera  dit  en  la  mefmehi(loire,commei'ay 
peu  apprédre,  &  cognoiftre,lcs  beftes  des  anciens 
Indiens,  veu  qu'ils  n'auoient  aucune  eferiture ,  ny 
characterc,comme  nous  auôs,ce  qui  n'eft  pas  peu 
d'induftric  d'auoir  peu  conferuer  leurs  antiquirez 
fans  l'viàge  des  lettres.  En  fin  l'intention  de  ce  tra- 
uaileft  afinqu  ayant  la  cognoiflance  desœuures 
naturelles ,  que  le  fage  autheur  de  toute  la  nature 
a  faites ,  l'on  loiie  &  glorifie  le  haut  Dieu ,  qui  eft 
merueilleux  en  tout.   Et  qu'ayant  cognoilfmce 
des  coudâmes  &  chofes  des  Indiens  ,  l'on  leur 
aide  plus  facilement  à  future  ,  &perfeuererenla 
haute  vocation  du  S.  Euangilc,àlacognoifIincc 
de  laquelle  le  feigneur  a  voulu  amener  cefte  natia 


Ci  aueuglec  en  ces  derniers  fïecles.  Outre  toutes 
ces  choies,  vn  chacun  pourra  mefme  tirer  pour 
foy  quelque  fruict ,  attendu  que  le  fage  tiretouA 
ionrs  quelque  chofe  de  bon  de  quelque  petit  fu- 
jed  que  ce  puilTe  eftrc ,  comme  Ton  peut  tirer  des 
pins  vils  Se  petits  animaux  vne  grande  philofo- 
phie.llrefte  feulement  d'aduertir  le  ledeur  ,  que 
les  deux  premiers  liures  de  celle  Hiftoire,  oudif- 
cours,  ontefté  efciitseîtamauPeru  ,  &  les  autres 
cinq  depuis  cnEuropeJ'ob^diencem'ayant  com- 
mandé de  retourner  par  deçà:  ainfi  les  vns  parlent 
des  chofes  des  Indes  comme  de  chofes  prefen- 
tes,&les  autres  comme  de  chofes  abfcntes.  C'efl: 
pourquoy  il  m'a  femblé  bon  d'aduertir  le  Le&eur 
de  cecyy  afin  quecefte  diuerfité  de  parler  ne  luy 
foitennuyeufe. 


IN     HISTORIAM     INDIA- 

RVM    NATVR.ALEM    A    IoSEPHO 

Acofta  Hifpanico  fcrmone  compila- 
tam ,  nuper  à  Rôbeirto  Reginaldo  Gai- 
lice  redditam. 

*Aà  LeStorem. 

Iluftrarenouosretinérecupidinemundos, 
Lataque  fi  Pelagilittoranoiïecupis: 
Huccurfusdifponetuos,nonnaufealaedet, 

Necftomachusciuem  te  vetet  efle  maris. 
Nil  opus  eft  veio ,  rimas  (arcire  carinis, 

Auc  Magnetiaca pixide,nil  opus  eft. 
Alcer  Tiphys  adeft ,  extremas  ire  per  oras 

Edocet,  Se  populos ,  iam  breuiore  via; 
Sidéra  fub  terris  veteri  non  cognita  feclo, 

Ortaquein  occiduo  liminefigna,  refert. 
Tcmperiem  Zona: ,  que  non  habitabilis  ante 

ludicio  veterum ,  tune  habitata  tamen: 
Noueris  in  curfu  quo  figno  vtatur ,  &  aura, 

Vcndicet  atque  fibi  quidquid  vterque  polus. 
Noueris  Se  montes.  Germanique ora  Typhœi 

Igniuoma ,  &  pifees ,  flumina  magna ,  lacus, 
Templa  facerdotes,  veriqueimitamina  cultus, 

ChrifticolûmritusvtcoluiflTe  putes. 
Annales,  faftôfque  libros,  elemenràque,  régna, 

Impcrium ,  reges ,  pradia ,  magna ,  duces. 
Terra  ferax  gemmis ,  fuluôque  referta  métallo, 

Se  peregrina  tibi  confpicienda  dabit. 
Deniqj,  quod  luftris ,  Se  fumptibus  haufit  Ibcrus, 

Bisquartopoterisparcus  adiré  die. 

Anxonivs    Bondor. 


AD    ROBERTVM    REGINAL- 

D  V  M      TKADVCTOREM, 

Efigramm*. 

TEFrancifcisalicquem  nobis  ediditvrbs,qu« 
Vellcnj  montis  nominc,nomen  habet. 
Betica  (  dcmirans  genium  )  mucare  loquclam 

Inftidt  ,  vt  potius  dicerec  effe  fuum. 
Ipfe  tamen  patrie  reducem  te  reddis  ,& ,  illa 

Quae  iecreca  cupit,cogniciorafacis. 
Non  ce  pœniteat  ranci ,  Reginaldc,  laboris, 
Hoc  tibi  nam  pacriat  pignus  amoris  eritî 
Parua  vidcre putas  vi&oiem  ptacmia rcgem 
Henricumj&facrasconteruinemanus? 
Qui  gracuspatriaîjtumrcgi,  dcferit auras, 
Rcctiùsille  fuo  munerefunctusabit. 

Antonivs    Bondor. 


tAdcnndemde  iriferiptienchbri. 

ECquid  id  ?  in  prima  promittit  fronte  libellus 
Indos  eos  occiduôfque  fimul. 
Actamen  hcf  perias,  cantummodo  decegit  oras, 

Nulla  ferc  coi  eft  mentio  fa<Sta  foli 
Hoc ,  Rcginalde ,  typis  debetur ,  non  ruus  error. 

(  Error  fi  fueric  confpiciendus  ibi.  ) 
Occidwus  nobis,  aliis oriturus habetur 
Phœbus  :  nilprius  cft ,  pofteriufve  globo. 
Ant.     Sondor-. 


M.     CHARLES     REGNAVLD, 

A  Robert  Regnavld  son 
Frcrc,fur  la  traduction  de  l'Hiftoire  Na- 
turelle dc$  Indes  Occidentales. 

Sonnet. 


ON  dit  qtt^ta  iadis  J\oy  des  Scythes^Colchoys, 
<A  qui  la  toijon  d'or  auoit  ijlé  donnée, 
Tour  y»  g<*ge  fatal  de  fa  yie  honorée, 
La  faifott  d'yn  grand  [oing  ,  garder  dedans  yn  bois. 

Vn  dragon  cr  deux  bœufs  ,  de  qui  l'horrible  y»ps 
J{emploit  tout  ïair  de  flamme , en  defendoient  l'entrec: 
Trîats  Iafon  ncantmoms  ,  afiifté  de  ~hîcdct, 
La  prit ,  &  là  fit  voir  à  [on  Prince  Grégeois, 

^Ainf  fais  tu,  Bjgnauld;  car  malgré  les  excès 
Des  foldats  Efpagnols  ,  qui  en  gardent  accès, 
Malgré  tout  leurs  canons  ,  G"  leur  naualle  armée, 

Tu  fats  yoir  aux  François  ces  trefors  retenu 
Et  du  riche  Veru  les  fecrets  incognut 
Bref,  d'yn  autre  Colchos  la  toifon  defiree. 


A    M.     REGNAVLD    SVR    LA 

VERSION       DE        L'HISTOIRE 

des    Indes   de  l'Efpagnol   de  Iofcph 
Acofta. 


S 


O    N    N    E    T. 


POlycletc  imager  burinait  yn  yiftge 
S t  bien  après  le  yifque  nature  auett  peur 
Qj*cllefemblajl  auoir  fur  l'image  trompeur 
Elle  mefme  imité  les  traicls  de  fm  ouuragc. 

Triais  le  feul  Hyponie  entre  ceux  de  fon  aage 
'Mcfprifa  cejl  ouurter  ,  dejireux  que  T honneur 
D'yn  tableau  qu'il  offroit  retournaji  au  donneur, 
*Hon  k  tart  que  fon  eufl  admiré  dUuantage. 

*Ainfi  tout  Efpagnol  qui  y  erra  que  tes  doigts 
Ont  d'yn  traicî  fi  dtuin  fan  *Aco(la  François, 
Qui  deuancé  par  toy  ne  fait  plus  que  te  fuiure: 

Craindra  que  ton  labeur  foit  du  fien  le  tombeau. 
Ton  renom  fm  oubly  3fa  cendre  ton  flambeau, 
Trira  que  ton  pnceau  ne  nous  change  fon  Hure. 

F.     l'iPARMïNTIEK. 


EXTRAICT   DV    PRIVÏ- 

LEGE     DV     ROY. 


A  r  grâce  &  priuilege  du  Roy ,  il  eu  permis 
à  Robert  Regnauld  de  faire  imprimer  par 
tel  Libraire  oulmprimeurque  bon  luy  femblc- 
ra,  fon  Hiftoirc  Naturelle  &  Moralie  des  Indes, 
traduite  de  Caûillan  en  François ,  &  ce  pour  l'ef- 
pace  &  terme  de  dix  années  :  &  defenles  font  fai- 
tes à  tous  Libraires  &  Imprimeurs  de  n'impri- 
mer ou  faire  imprimer  ledit  Liure  fans  le  con- 
fentement  de  OrrV,  fur  peine  de  cinquante 
efeus  d'amende ,  &  de  confifeation  des  exemplai- 
res qui  l'en  trouueront  imprimez.  Et  ledit  Ro- 
bert Regnauld  a  choifi  6c  tranfporté  Ton  priuile- 
ge à  Marc  O  r  r  y  ,  marchand  Libraire  à  Pa- 
ris, pourle  temps  de  dix  ans.  Donné  le  premier 
Décembre ,  mil  cinq  cens  quatre  vingts  dix-fept. 
Et  de  noftre  règne  le  huicliefmc.  Signé,  Henry. 
Et  plus  bas ,  P  o  t  i  e  R.  Et  feellé  en  cire  jaulne 
fur  fïmple  queue. 


LIVRE    PREMIER 

DE     L'HISTOIRE    NATV- 

RELLE     ET     MORALE     DES 

Indes  j  tant  Orientales 
qu'Occidentales. 

De  t opinion  que  quelques  <Autheurs  ont  eue  tien  fan  s 

que  le  Ciel  ne  feftendojt  iufqucs  an 

nouueau  Monde» 

CHAPITRE      PREMIER. 

Es  anciens  onc  efté  iî eflon* 
gnez  de  penfer  qu'il  y  eut  peuple 
ou  nation  habitante  en  ceftuy 
nouueau  monde  ,  que  plufieurs 
meimed'entr'eux  n'ont  peu  l'ima- 
giner que  de  ce  cofté-cy  y  eut  feu- 
lement terre  :  &  qui  plus  eft  digne  de  merueille, 
fen  font  trouué  aucuns  qui  ont  nié  tout  ouuerte- 
mentquele  ciel  que  nous  y  voyons  à  prcfent,y 
peuft  eftre.Car  iaçoit  que  la  plus  grand  parr,voirç 
les  plus  renommez  entre  les  Philoiopnesaayenc 
bien  recogneu  que  le  ciel  eftoit  tout  rond  (  com- 
me en  effect  il  l'eft  )&  que  par  ce  moyen  il  en  tou- 
roit  &  ceignoic  toute  la  terre,  l'enferrant  &  com- 
prenant dedans  foy  :  Neantmoins  plusieurs  du 
nombre  mefmc  des  Docteurs  iacrez3deplus  gran- 

A 


HISTOIRE  NATVRELLE 
de  authorité,  ont  eu  fur  ce  poinct  différentes  opi- 
nions: f  imaginans  la  fabricque  de  cet  Vniuers ,  à 
lafaçon  d'vne  maifon  en  laquelle  le  toicl  qui  la 
couure,circuit  &c  f'eltend  tant  feulemët  en  la  par- 
tie d'enhaut  >  8c  non  pas  par  tomes  les  autres  par- 
ties: alleguans  pour  leur  raifon  que  la  terre  au z re- 
nient demeureroit  fuf  pendue  au  milieu  de  l'air. 
Cequileur  fembloit  chofe  du  tout  hors  d'appa- 
rence :&  tout  ainii  que  l'on  voiden  tout  bafti- 
ment  le  fondement  8c  l'aQîete  fi  tuez  d'vne  part, 
&  le  toi&  8c  couuerture  d'vne  autre  oppofite  8c 
contraire,  ainfi  qu'en  ce  grand  édifice  de  l'Vni- 
uers  ,  tout  le  Ciel  demeurait  en  la  partie  den- 
haut,  &  la  terre  en  la  partie  d'embas.  Le  glorieux 
chfyfojî.  Chryfoftome,  comme  hommequi  feftplus  oc- 
bom.  14.  CUpé  en  l'eftude  des  lettres  iacrees,  que  non  pas 
V-*»       *  r  > j»l •  :     r._Li_    la-,  j.  -£a. 


Cr 


tl>ijî.  ad 
Hebr. 


Heh.  S. 


aux  feiences  d'humanité  ,  fcmble  eftre  de  celte 
opinion,  quand  il  fe  riden  fes  Commentaires lur 
l'Epiftreaux  Hebrieux ,  de  ceux-  là  qui  afferment 
la  rotondité  du  ciel.  Et  femble  que  la  iaincte  Ef- 
criture  ne  vueille  fignifîcr  autre  chofe ,  appellant 
le  ciel,  tabernacle,  ou  taudis,  faict  de  la  main  de 
Dieu.  Et  fur  ce  fubiect  il  palîe  plus  outre,  diiant, 

ho  6  ^ue  cc  cllu  ^e  meat  &  chemine  n'eu;  pas  le  Ciel, 
JnCen&ma\s  que  ceftle  Soleil,  la  Lune,  &  les  eftoilles 
hom.i  1.  quife  meuuent  au  Ciel.  En  la  façon  que  les  pa(- 
ad  pop.  iereaux  6c  autres  oifeaux  fe  meuuent  parmy  l'air, 
AntiQ$.  toutau  contraire  de  ce  quclesPhiloiophespen- 
fént,qu'ils  fe  tournent  auec  le  mefme  Ciel ,  corn- 
.  ,  me  les  bras  d'vne  rou"é,auec  la  mefme roue. Théo- 
rheop  m  doret  autheur  fort  graue  luit  en  cette  opinion, 
c.  s.  ad  Chryfoïtbme,  &  Théophile  aufîî ,  félon  qu'il  a  de 
n<h.      couftumc,prefque  en  toutes  chofes.Mais  Lacfcan- 


DES    INDES.       LIV.    t.  % 

ceFirmian,  deuant  tous  les  de  llufdits,  ayant  la  £*#•&&.  ji 
mefme  opinion  ,  Te  moque  des  Peripateticiens  &^"»»-«»/N 
Académiques,  qui  donnent  vue  figure  ronde  au/4^" z+> 
Ciel:  conftituans  la  terre  au  milieu  du  monde: 
pour-autant  que  ce  luy  fcmble  chofe  ridicule, 
que  la  terre  demeure  fuipenduë  en  l'air,  comme 
il  e(l  deuant  dit.  Par  laquelle  fienne  opinion,  il  fê 
conforme  à  celle  d'Epicure,qui  tient,  que  de  l'au- 
tre part  de  la  terre  il  n'y  a  autre  chofe  qu'vnChaos 
ou  abyfme  infini.   Et  femble  mefme  que  fainct 
Hieroime  f'approche  aucunement  de  cefte  opi- 
nion ,  eicriuant  lur  l'epiftre  aux  Ephefiens  en  ces   'f™,'^ 
termes  :  Le  iJbtlo/opbc  naturel  par  fa  contemplation  pe  /  xMi.4 
netre  lufqucs  aubaut  du  Ciel  ,&  de  l'autre  part  il  trouuc 
"vn  grand  y  ut  de,  aux  profonds  &  abyfmesde  la  terre. 
L'on  ditauiïïqueProcopeafrcrme  (cequeien'ay 
veu  toutesfois  )  fur  le  Hure  du  Genefe,  que  l'opi- 
nion d' Ariftote  touchantla  figure,&  mounement  sixtmst- 
circulaire  du  Ciel  eft  contraire  &  répugnant  à  hnenfisl-5' 
faincbeEfcriture.    Mais  quoy  que  difent  &tien-  '  ,otm 
nenciadelius  tous  les  anciens,  il  ne  l'en  faut  ei- 
mouuoir.  Pource  qu'il  eft  tout  cogneu&approu- 
uc  qu'ils  ne  Ce  font  pas  tant  fouciez  des  feiences  ôc 
demonftrations  de  philofophie:pourautant  qu'ils 
fefoiit  occupez  à  d'autres   de  bien  plus  grande 
importance.   Mais  ce  qui  plus  eft  à  efmerueiller, 
eft  que  faind  Auguftin  mefme,  tantverfé  en  tou-^-(r  j  1 
tes  les  fcien  ces  naturelles,  voire  fort  docte  en  l'A-  deGen.ad 
û.rologie,&  Phyiique,neantmoins  demeure  touf-  lit.e.?. 
iours  en  doute,fans  fe  pouuoir  refoudre,  fi  le  Ciel 
circuit  la  terre  de  toutes  parts,  on  non.  Que  me  fou- ^ufu^' 
cw-ie  (difoit-il)  que  nous  penftons  que  le  Ciel,  comme       * 
y  ne  boule  enferre  enfoy  U  terre  de  toutes  pam^àt  icelle 

Bij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
au  milieu  du  monde  ,  comme  au  pejoton  de  fil  le  fondreaur 
m  que  nom  difios  qu'il  rieftpas  ainjï,  mais  que  le  ciel  cou- 
urclatcrre par  vnepartfeulcmcntjoHt ainfiquvn  grand 
plat  qui  efipar  le  dcjjkt.  Au  mefme  lieu  que  delfus,il 
fembledcmonftrer,  voire  dit  clairement  qu'il  n'y 
a  démonstration  certaine,  pour  affermer  la  figure 
ronde  du  ciel,  mais  feulement  de  (impies  conie- 
dures.  Efquels  lieux  alléguez,  <5c  en  d'autres  en- 
droicts  melmes  ils  tiennent  pour  choie  douteufe 
le  mouuement  circulaire  du  ciel.  Neantmoins 
on  ne  (è  doit  offenfer,ny  auoir  en  moindre  eîlime 
lesDodeurs^delafainclie  Eglifc,  iî  en  quelques 
poiners  delà  Phiiofophiejé  feienecs  naturelles 
ils  ont  eu  différente  opinion  à  ce  qui  eft  tenu  (Se 
receu  pour  bonne  plulofophie  :  veu  qne  toute 
leur  eftudea  eux  de  cognoiftre ,  prefeher  Se  feruir 
le  Créateur  de  toutes  chofes ,  en  quoy  ils  ont  efté 
cxcellens,&  comme  ayas  bien  employé  leur  eftu- 
de  en  chofe  plus  importante,  c'eftpeudechofeen 
eux  de  n'auoir  cogneu  toutes  les  particularitcz 
•concernantes  les  créatures.  Mais  bien  d'auantage 
font  à  reprendre  les  Philosophes  vains  de  ce  (îe- 
cle,qui  attaignans  iufquesà  lacognoilîànce  de 
l'eftre ,  &  ordre  des  créatures  du  cours  Ôc  mouue- 
mentdescicux  ,ne  font  pas  paruenus  (mai-heu- 
reux qu'ils  font  )  à  cognoiftre  le  Créateur  detou- 
Sép.  ij-  tcsles  chofes.  Et  f'empefchans  du  tout  en  fèsœu- 
Hom.  i.  lires, n'ont  pointmonté  par  leurs  imaginations 
iufquesà  cognoittrel'autheur  fouuerain  d'icclles, 
ainfï  que  nous  enfeigne  la  fàincte  Efcriture  :  ou 
bien  fils  l'on  t  cogneu}ne  l'ont  point  féru  i  &  glo- 
rifié comme  ils  deuoiét  ;  auenglez  de  leurs  inuen- 
tionsj  dequoy  les  accule  &  reprend  l'Apoftre. 


DES    INDES.       11 V.    I.  3 

Que  le  Ciel eft  rond  de  toutes  parts ,  fc  mouudnt 
enfon  tour  de  foy-meftne. 

€  h  A  P.    il. 

R  venans  ànoftre  fubie&jiln'yapoint  dep/nMrvfc 
doute  que  l'opinion  qu'ont  eu  Ariftote  Ôc  itpUcit. 
les  autres  Peripatetictens  auec  les  Stoiques  (que^*      ,fc 
la  figure  du  Cieleftoit  ronde,  &femouuoitcir-  c  *' 
culairement  enfon  tour)  eft  fi  parfaitement  véri- 
table que  nous,  qui  fommes  &  viuonsà  prefène 
au  Peru,  le  voyons  de  nos  propres  yeux.  En  quoy 
l'expérience  doit  valoir  d'auantage  que  toute  au- 
tre demonftration  philofophique,  d'autant  que 
pour  faire  cognoiftre  que  le  ciel  eft  toutrond ,  & 
qu'il  comprend  &c  circuit  en  foy  la  terre  de  tous 
co(lez,&  pour  en  efclaircir  tout  le  doute  que  l'on 
enpourroitauoir,ilfufn*tqueiayeveu&cotem- 
plé  en  ceftui  noftre  hemifphere  la  partie  &.regior» 
du  ciel ,  qui  tourne  autour  de  cefte  terre ,  laquelle 
n'a  efté  cogneuë  des  anciens,  ou  bien  d'auoirveu, 
ôc  remarqué  (  comme  i'ay  fait)  les  deux  pôles ,  cC- 
quelslecielle  tourne,  comme  dans  les  fiches.  le 
dy  IcpoleArétique  ou  Septentrional  que  voyenc 
ccu  x  de  l'Europe ,  ôc  l'autre  Antarticque  ou  Mé- 
ridional (  duquel  faincl:  Auguftin  eft  en  doute  )  ôc  Jfuglfà 
lequel  nous  changeons  ôc  prenons  pourleNort  *-"eGen- 
icy  au  Peru ,  ayans  palîc  la  ligne  equinoétiale.  Il  aQ  >t'ca' 
fuffit  finalement  que  i'aye  couru  par  nauigation 
plusdefeptantedegrez  du  Nortau  Sud,fçauoir 
quarante  d'vncofté  de  la  ligne,  &  vingt-trois  de 
l'autre.   Laiiïànt  quant  à  prcfentleteimoignage 
des  autres  qui  ont  beaucoup  plus  nauige  que 

A  iij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
moy,  &  en  plus  grande  hauteur ,  eftans  paruenus 
prefque  iufques  à  feptatite  dcgrez  au  Sud.  Qui  di- 
ra que  la  nauireappellee  Vi6toire,-digne  certaine- 
ment de  perpétuelle  mémoire  ,  n'aye  gaigné  le 
prix  &  le  triomphe  d'auoir  le  mieux  dcfcouuert 
&circuy  la  rondeur  de  la  terre,  mefme  le  Chaos 
vain&levuide  infiny,  que  les  anciens  Philofo- 
phes  difoienteftre  au  dellbus  de  la  terre,  ayant 
fait  tout  le  tour  du  monde ,  Se  circuy  l'immenfité 
du  grand  Océan  ?  Qui  eft  donc  celuy  qui  ne  reco- 
gnoiftra  par -celle  nauigation  que  toute  la  gran- 
deur de  la  terre  ,  quoy  qu'elle  puilTe  cftre  plus 
grande  qu'on  ne  la  depeintpas,  ne  foitfubiec"re 
aux  pieds  d'vn  homme,  puis  qu  illapeutmefu- 
rerî  Ainfi,  fans  aucun  doute  le  Ciel  ell  défigure 
ronde  &  parfaite.  Et  la  terre  aufTïfembraiïant& 
ioignantauecl'eauëfaitvn  globe,  ou  boule  ronde 
compofeedecesdeuxelcmens,ayans  leurs  bor- 
nes &  limites  dans  leur  propre  rondeur  &  gran- 
deur. Ce  qui  fe  peutfunHfammcnt  piouucr,&  de- 
monftrerparraifons  de  Philofophie  &  Aftrolo- 
gie,Iai(îànt  arrière  les  fubtiles définitions  qu'on 
peutalleguer  communément,  Que  au  corps  le 
plus  parfait  (qui  eft  le  ciel)fe  doit  attribuer  la  plus 
parfaite  figure ,  qui  eft  fans  doute  la  figure  ronde. 
Duquel  encore  ,  le  mouuemenc-  circulaire  ne 
pourroit  eftre  ferme  &c  cfgal  en  foy  ,  fil  auoit 
quelque  coing,  ou  deftour  en  quelque  part,ou  fil 
eftoit  tortu(comme  il  le  faudroit  dire  par  necefïï- 
té)fi  le  Soleil ,  la  Lune,  &  les  eftoilles'ne  faifoient 
le  tour,&:  circuilïbient  tout  le  monde.  Mais  fans 
confiderer  toutes  ces  raifons , il  me  femble  que  la 
Lune  feule  eftfiiffifaine,  en  ce  cas.  comme  vn 


DESINDE  S.       IIV.    I.  4 

fidèle  tefmoing  du  Ciel  mefme  :  veu  que  Ton  ecli- 
pfeaduient  feulement,  lorsque  la  rondeur  delà 
rerre  f  oppofe  diamétralement  entre  elle  &  le  S  o  - 
leil ,  &  par  ce  moyen  empefche  que  les  rayons  du 
Soleil  ne  donnent  fur  icelle.  Ce  qui  ne  pourroic 
certainement  aduenir,  fi  la  terre  n'eftoit  au  mi- 
lieu du  monde  ,  circuite  Se  entourée  de  tout  le 
Ciel.  Il  y  en  a  eu  aucuns  qui  ont  doute  iufques  *t*g»P- 
là,filarefplendeur  qui  eu:  en  laLune,luy  eftoit'/'-I09;.„ 
communiquée  de  la  lumière  du  Soleil.  Maisc'eft 
par  trop  douter ,  puis  qu  il  ne  le  peut  trouuer  au- 


tre caufe  raifonnable  des  Eclipfes,du  plain,  Se 
quartiers  de  la  Lune,  que  la  communication  de 
larefplendeur  &  lumière  qui  procède  du  Soleil. 
Audi  fi  nous  voulons  diligemment  rechercher 
cefte  matière  ,  nous  trouuerons  que  l'obfcuritê 
de  la  nuict  n'eft  cauiee  d'autre  chofe  que  de  l'om- 
bre que  fait  la  terre,  empefehant  laclartédu  So- 
leil de  paffer  de  l'autre  codé  du  Ciel ,  où  il  ne  jet- 
te fes  rais.  Si  doncileftainfi  que  le  Soleil  n'ou- 
trepaflTepointj&ne  iette  Ces  rais  fur  l'autre  par- 
tie de  la  terre,  ains  feulement  fe  deftourne  àfon 
Coucher, faifantefehine  à  la  terre,  parvn  tour- 
noyement  (ce  que  par  force  fera  contraint  d'ac- 
corder celuy  ,  qui  voudra  nier  la  rotondité  du 
Ciel,  puis  qu'à  leur  dire  le  Ciel  comme  vn  plat 
feulement  couure  la  face  de  la  terre.)  Il  f  enfuie 
clairement  que  Ton  ne  pourra  remarquer  la 
différence  que  nous  voyoï.s  eftre  entre  Itsiours 
«Scies  nuicts,  lefquels  en  quelques  régions  fonc 
courts  &  longs  félon  les  faifons,&  en  d'autres ^,-  ^ 
perpétuellement  efgaux.  Ce  que  faincl:  Augu-^Gf».*iii 
ftinefcritauxliures  dcCenef.adliteram.  QuzVQr*Ut.c.i<*.± 

A  iiij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
pourrabien  comprendre  les  oppoiitions,coniiei'-* 
lîons,efleuations,defcentes,&:  tous  antres  afpects 
Se  difpoiitions  des  planettes  &  eftoilles,  quand 
nous  cognoiftrons  qu'elles  fe  meuuent,  Se  que 
neantmoins  le  Ciel  demeure  ftabie  Se  immobile. 
Chofequimefembleblen  aifeeà  entendre,  &  le 
fera  à  tout  autre,  m'eftant  permis  de  feindre  ce 
qui  me  vient  en  la  phantafîe.  Car  fi  nous  pofons 
le  cas  que  chaque  eftoille&planettefoitvn  corps 
en  foy,&  qu'elle  (bit  démenée  Se  conduite  par  vu 

DtfM.14.  Ange,  enla façon  que  fut  porté  Habacuc  en  Ba- 
bylone:  Qmferaie  vous  prie  celuy  tant  aueqglé, 
qui  ne  voye  bien  que  tous  les  afpects  d  iuers  qu'on 
void  apparoir  aux  planettes  &:  eftoilles ,  peuuent 
procéder  de  ladiuerlité  dumouuement  que  ce- 
luy  qui  les  mené  Se  condm  t,leur  donne  volontai- 
rement? Cependant  l'on  ne  peut  dire  auecraifon, 
que  cède  efpace  Se  région  par  où  l'on  feint  que 
marchent  &  roulent  continuellement  leseftoil- 
les,ne  foit  élémentaire  &  corruptible ,  puis  qu'il 
fediuiie  &  fepare  quand  elles  paiîentjefquelles 
certainement  ne  palfent  pas  par  vn  lieu  vuide. 
Que  (1  la  région  en  laquelle  les  eftoilles  Se  planet- 
tesiemeuuent,  eft  corruptible, par  raifondonc 
les  eftoilles  Se  planettes  le  doiuent  eftrc  elles  mef- 
mesde  leur  propre  nature,  Se  par  confequentfe 
doiuent  changer,  altérer,  Se  hnablement  pren- 
dre fin.  Pource  que  naturellement  le  contenu  n'eft 
)as  plus  durable  que  le  contenant.  Or  dire  que 
les  corps  celeftes  foient  corruptibles,  cela  ne  f  ac- 
cordepointauec  ce  que  l'Efcriture  dit  au  Pialme, 

Tfl\  8  Q¥e  ^ÎCU  ^es  fif  Pour  toufiours.    Etencore  moins  fe 
rapporte  à  l'ordre  Se  conferuation  de  cet  vniuers. 


r 

le 


DES     INDES.       LIV.    I.  f 

ïcdy  d'auantage  pour  confermer  cefte  tenté,  que 
ce  qui  fe  meut ,  font  les  mefmes  deux ,  &  en  iceux 
les  eftoilles  cheminent  en  tournoyant.  Chofe  que 
nouspouuons  cognoiftreauec  les  yeux,  puis  que 
nous  voyons  que  non  feulement  leseftoilies  Te 
meuuent,  mais  auflî  les  régions  8c  parties  entières 
du  Ciel.  Ieneparle  point  feulement  des  parties 
luyfantes  8c  refplendilïàntes,  corne  celle  que  l'on 
appelle lavoyeîaictee,  quelecommunappellelc 
chemin  S.  Iacquesj  mais  ie  dy  cela  d'auantage, 
pour  les  autres  parties  noires  8c  obfcures  qui  font 
au  Ciel.  Pource  que  nous  y  voyons  realemenc 
comme  des  taches  8c  obfcuritez  qui  font  fort  ma- 
nife(tes,lefquelles  ien'ay  point  fouuenanceauoir 
iamais  veu  en  Europe,  mais  au  Peru ,  en  cet  autre 
hemilphere  ie  lesayveuës  plufîeursfois  fort  ap- 
parentes. Ces  taches  font  de  la  couleur  8c  forme 
delà  portion  de  laLuneeclipfee,  &luyre(Tem- 
blent  en  noirceur  &obfcuritc.  Elles  marchent 
attachées  aux  mefmes  eftoilles,  8c  toujours  d'vne 
mefmc  teneur  8c  figure ,  comme  nous  l'auons  co- 
gneu  8c  remarqué  par  expérience  tres-claire.Par- 
auéture  cela  femblera  à  quelques-vns  chofe  noiw 
uelle,&pourroient  demander  d'où  procède  tel 
genre  de  taches  au  ciel-,  iene  puis  certes  refpon- 
dre autre  chofe  pour  l'heure,  finon  que,  comme 
difentles  Philofbphes ,  que  la  voye  la&ee  efl:  co- 
pofee  des  parties  du  ciel  les  plus  denfes  &efpef- 
fts ,  8c  qui  pour  cefte  caufe  rcçoiuent  plus  grande 
lumière:  ainfî  par  contraire  raifon  il  y  a  d'autres 
parties  fort  rares,deliees,&  tranfparentes,iefquel- 
les  pour  receuoir moindre  lumière ,  femblet  plus 
noires  8c  obfcures.  Que  cecy  en  foit  la  yrayerai- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
fon  ou  non,  (ic  n'en  peux  rien  affermer  de  certain) 
fi  eft-  il  pourtant  véritable,  que  félon  la  figure  que 
ces  taches  ont  au  Ciel ,  elles  fe  meuucnt  auec  vue 
nie  fine  proportion  quant  &  leurs  eftoilles  ,  fan* 
aucunement  fefeparer  d'elles.  Qui  eft  vue  expé- 
rience certaine  &  remarquée  par  piufieurs  fois 
tout  exprés.  Il  f'enfuit  de  tout  ce  que  nous  auons 
dit,que  fans  doute  le  Ciel  contient  en  foy  de  tou- 
tes parts  la  terre,  tournoyant  continuellement  a 
l'entour  d'icelle ,  fans  que  l'ou  puifîe  plus  propo- 
fer  queftion  là  deiïus. 


Que  lafaincle  Efcriture  nous  enfeigne  que  ta  ta 

(fi  an  milieu  du  monde. 


rt 


Hejler  t] 
iap.i.i. 
7.11.18 
t ftl  91-7 

23.59.97 

ïcclefi 


C  H  A  P.     III. 

îOmbien  qu'il  femble  à  Procope,  à  Gaze, 


GJ^ia  &à  aucuns  autres  de  fon  opinion  ,  que  ce 
foit  contreueniràla  faincte  Efcriture,  défigurer 
'  la  terre  au  milieu  du  monde .  &  de  due  que  le  ciel 
,  eft  tout  rond  :  fieft-ce  qu'à  la  vérité  cefte  doctrine 
•  non  feulement  ne  luy  eft  point  contraire,  mais 
auiîï  fc  trouue  du  tout  conforme  à  ce  qu'elle  nous 
en  enfeigne.  Carlailfant  à  part  les  termes  dont 
vfclamefme  Efcriture  en  plusieurs  endroicxs:  La 
rondeur  de  U  terre ,  (  Se  ce  qu'en  autre  endroit  elle 
dit,  que  tout  ce'qui  eft  corporel,  eft  circuit  ôc  en- 
touré du  ciel,&  comme  embraJU delà rondeur  )  à 
tout  le  moins  ne  peut-on  nier  que  lepaifage  de 
l'Ecclefiaftene  foit  fort  clair,  où  il  eft  dit:  Le  So- 
leil naifi,  fe  couche,  &  retourne  en  fon  mefme  lieu  :  &  iw 
recommençant  ànaifire}  il  prend  fon  chemin  parlemi- 
dy  fe.tonrnant  iufqucs  au  Septentrion  -,  cet  efùrit  c-hcwi- 


DES     INDES.       L  I  V.    I.  6 

necircuifjant  àl'entour  toutes  ebofes ,  &  f'en  retournes 
fon  mcfme  endroit.  En  ce  lieu  la  paraphrafe  Se  expo- 
fîtionde  Grégoire  Neocefarien  ou  Nazianzene 
die:  Le  Soleil  ayant  cour»  toute  Lierre,  s'enreuient  com- 
me en  tortrnoy.tnt  iupjues  à  fon  mcfme  poinFf  &  terme. 
Ce  que  die  Salomon  interprété  par  Grégoire,  ne 
pourroit  certainement  eftre  vray ,  fi  quelque  par- 
tie de  la  terre  delaifîbit  d'eftre  circuite  du  Ciel.  Ec 
ainfi  l'entend  fainct  Hierofme  efcriuanc  fur  l'epi- 
ftreaux  Ephefiens}de  cefte  maxiitït'.LapUts  commu-    tetj'"{' 
ne  opinion  afferme  (  Je  conformant  mec  tEtcleJtdfh)  que  ' 
le  ciel  cji  rond fe  monuant  en  circuit  à  la  manière  d'vne 
boule.  Et  eft  chofe  certaine  que  aucune  figure  ron- 
de ne  tient  ny  latitude  ny  longitude,  ny  hauteur 
ny profondeur,  pource  qu'en  toutes  ces  parties 
elle  eft  efgale  Se  pareille.  Par  cela  iï  appert  félon 
fainct  Hierofme  ,  que  ceux  qui  tiennent  que  le 
Ciel  eft  rond,  non  feulement  ne  font  pas  contrai- 
res à  la  faincte  Efcriture,  ains  au  contraire  fc  con- 
forment à  icelle  ,  attendu  principalement  que 
fainct  Bafi  le  &;  fainct  Ambroife  qui  l'imite  oidi-     „  , 
nairement  aux  iiures  appeliez  Hexameron  ,  fe/fI>^„ 
trouuent  vn  peu  douteux  en  ce  poinct.  En  finxam.pre- 
toutesfois  ils  reuiennent  à  concéder  la  rondeur/'e/',*?,,• 
de  ce  monde.   Il  eft  vray  que  fainct  Ambroife  ne 
demeure  point  d'accord  de  cefte  quinteflènce,  ofmlr.1. 
qu'Aiiftoteattribuë  au  ciel.  Et  certainement  c'eft  IO*     " 
chofe  belle  de  voir  auec  quelle  grâce  Se  quel  ftyle  * 
accomply  la  faincte  Efcriture  traicte  delafitua- 
tion  de  la  terre  &de  fa  fermeté,  pourcaufèr  en 
nous  vne  grande  admiration  ,  Se  non  moindre 
contentement  fur   l'ineffable   puiffance  Se  fà- 
gellè  du  Créateur.  D'autant  que  en  va  endroit 


I 


T/al.74 


*#mbr.ï 
6. 


J#5.9.l6 

Heb>;  1 


•Aug.ïn 


HISTOIRE     NATVRELL! 
ITicu  nous  réfère  que  ça  eftéluy  quiaeftably  les 
colomnes  qui  iouftiennen t  la  terre ,  nous  donnât 
à  entendre,  comme  bien  l'explique: S.  Ambroife, 
-quele  poids immerlfe  de  toute  la  terre  eft  foufte- 
'  nu  par  les  mains  cuidiuin  pouuoir.  LafainCte  Ef- 
critureadecouftumedelesappellerainfi  ,  &yicr 
de  celle  phrafe,  les  nommant  colomnes  du  ciel  8c 
delà  terre,  nô  point  celles  de  l'autre  At!as,qu'ont 
feint  les  Poètes ,  mais  celles  propres  de  la  parole 
éternelle  de  Dieu,  qui  par  fa  vertu  fou  (lient  les 
deux  &  la  terre.    D'auantagelafaincTe  Éfcnture 
'  en  autrelieu  nous  demonftre  comme  h.  terre ,  ou 
grande  partie  d'icelle,  eft  ioin£te&  enuironnee 
de  l'élément  de  l'eau,  difànt  généralement  que 
Dieu  mit  la  terre  fur  les  eaux.  Et  en  autre  endroit, 
qu'il  fonda  la  rondeur  de  la  terre  fur  la  mer.  Et 
encore  que  fain<ft  Auguftin  n'accorde  pas  que  de 
■  et  partage  (comme de  fentence  de  foy  )  l'on  puillè 
inférer  que  la  terre  &  l'eau  face  vn  globe  au  milieu 
du  mende,  prétendant  pat  ce  moyen  donner  au- 
tre expofition  à  ces  paroles  du  Pfalme.  Ceneanr- 
moins  il  eft  tout  certain  ,  que  ce  qui  eft  porté  en 
cesparoles  du  Pfalme,nous  veut  donner  à  enten- 
dre qu'il  n'y  a d'occafion  d'imaginer  autre  ciment 
ouliaifon  à  la  terre, que  l'élément  de  l'eau,  lequel, 
quoy  qu'il  foit  facile  8c  muable,  neantmoins  fou- 
tlient  &  enceint  celle  grande  machine  de  la  terre. 
Cequiaeftétait  par  la  fagcfïedu  très-grand  Ar- 
chitecte. L'on  dit  quela  terre  eft  fondée  &  baftie 
iur  les  eaux,&  fur  la  mer.  Mais  au  contraire  la  ter- 
re eft  pluftoft  au  dellbus  de  l'eau,  que  non  pas  def- 
fus,ponrce  que  félon  l'imagination  &  iugement 
commun  .ce  oui  eft  de  l'autre  coftèdelaterreque 


DES    INDES.      Ll  V.    I.  y 

nous  habitons,  femblceftre  au  dellbus  de  La  terre, 
&parmefme  moyen  les  eaux  8c  la  mer  qui  cei- 
gnent la  terre  de  l'ancre  parc ,  font  au  defTous,  8c  la 
terre  au  délias.  Neantmoins  la  vérité  eft  feule- 
ment, que  ce  qui  proprement  eft  en  bas,eft  ce  qui 
eft  coufiours  plus  au  milieu  de  l'Vniuers  :  mais  la 
(aincte  Efcricure  i'accornmodeànoftre  façon  d'i- 
maginer &  parler.  Quelqu'vn  pourra  demander, 
puis  que  la  terre  eft  eftablie  fur  les  eaux  (comme 
dit  lafainéte  Efcriture)  furquoy  lonteftabliesles 
mefmes eaux, ou  quel  appuy  les  fouftient?  Et  lî 
tant  eft  que  la  terre  &l'eauë  foncvne  boule  ron- 
de, où  fepeut  fouftenir  toute  ceftehornble  ma- 
chine? A  cela  refpond  en  aune  endroit  la  faincte 
Efcriture,  nous  donnant  bien  plus  grande  admi- 
ration delapuiflancedu  Créateur:  Etdicces  pro- 
pos: La  tèrrefejhnd'vers  <Aquilonfur  yn  yuide,  &  de-  l°b*  16. 
meure  pendue  fur  rien.  Ce  que  certes  eft  très-bien 
dit,  pource  que  realement  il  iemble  que  cefte  ma- 
chine de  la  terre  8c  de  la  mer  eft  affife  fur  rien, 
quand  on  la  dépeint  droit  au  milieu  de  l'air,  com- 
me en  vérité  elle  y  eft.  Mais  cefte  merueille  que 
les  hommes  admirent  tant ,  Dieu  ne  l'a-il  pas  luy- 
mef  me  efclarcie,  demandant  au  mefme  lob  en  ces 
termes:  Dy  moy  ji  tufeais  qui  aietté  le  plomb  on  la  ligne  p/al.  $S. 
pour  la  fabrique  du  monde,  &  au  ce  quel  ciment  ontefic 
af?tsc3r  iointls [es  fondemens ?  Finalement,  afin  de 
nous  faire  entendre  la  trace  8c  modelle  de  ce  mer- 
ueilleux  édifice  du  monde,  le  Prophète  Dauid  ac- 
couftumé  de  chanter  &  louer  les  œuures  diuines, 
dit  fort  bien  en  vnPfalme  compofé  fur  cefte  ma- 
tière en  ces  propos,  Toy  qui  as  fondé la  terre  fur  la  pfal.ioy. 
tncfmeJiabUité 'û  fa  met c fans  qu'elfe  ehancellejiy  tour- 


T/al.  1 03 


HISTOIRE  NATVRELLi 
ne  d'rn  cosié  ny  d'autre  ,  pour  toujours  eir  a  iàmAtSt 
Voulant  dire  la  cau(e  pourquoy  la  terre  eftant 
aiîîfeau  milieu  de  l'air  ne  tombe,  ni  ne  chancelle 
d'vn  codé  ny  d'autre ,  eft  ,  pource  que  de  la  nature 
elle  a  des  fondemensalîeurez3qmluy  ont  elle  don- 
nez par  Ton  très-  fage  Créateur  :  afin  que  de  ioy- 
meimeelle  fefouu\ienne,iànsauoirbe(oin  d'au- 
tres appuis,  ou  (oullenement.  Donc  en  cet  en- 
droit (e  trompe  l'imagination  humaine,  cherchât 
d'autres  fondemcnsàla  terre,  que  les  fufdits  :  ôc 
vient  leur  tau  te  de  meiurer  les  choies  diuines ,  à  la 
iaçon  des  humaines.  Ainfi  ne  doit  on  craindre, 
que  quelque  grande  ôc  pefàfîtc  queiemble  cefte 
machine  de  la  terre  luipédu'é  en  l'air:qu'elle  puiiîe 
tomber,ou  contourner  l'en  dellusdciloubs  :  nous 
eftans  afièurez  iur  ce  point,  parce  que  le  mefme 
Pialmedit,que  pour iamais elle  ne  le  renueriera. 
Certes  auec  raifon  Dauid  après  auoir  contemple 
&•  chanté  l'eftat  de  fi  merueilleufes  ceuures  du 
Seigneur  ,  ne  celle  de  ie  refiouyr  auec  luy  en 
icelles ,  diiant  :  0  combien  les  (eûmes  dnSetzneur font 
^grandies  6r  accreu.es,  il  appert  bien  nue  toutes  font  /or- 
ties de  fon  feanoir.  Et  en  vérité  fi  ie  dois  raconter 
ce  qui fe  pail'e  fur  cepropos:  ie  dy  que  fouu en- 
tes foi  s  que  l'ay  voyagé  ,  pallànt  les  grands  gol- 
phes  de  l'océan,  &  cheminant  par  les  autres  ré- 
gions de  terres  fi  eftranges  ,  m'arreftant  à  con- 
templer &  confiderer  la  grandeur  de  ces  ceu- 
ures du  Seigneur,  ie  fentois  vn  admirable  con- 
tentement de  celle  fouueraine  fagelle  ôc  gran- 
deur du  Créateur ,  qui  reluit  encesmcfmes  œu- 
ures  ,  en  comparaifon  defquelles  ,  tous  les  pa- 
lais, chafteaux  ,  &baftimens  des  Roys,  enfem- 


DES      INDES.       I  I  V.    I. 


8 


de  toutes  les  inuen  rions  nui 


;fembl< 


inaaiiM 

peu,  voire  choies  balïès  8c  viles,  au  reipectd  îcel- 
les.  O  combien  de  fois  me  venoic  en  la  penfèe,  8c 
enlabouchecepailagcdu  Pieaume,qui  ditainfi: 
Grande  récréation m'anc^donnc Seigneur ,  par  vos  au-. 
ures,  cjrnc  cejferay  de  merejtouyr  en  la  contemplation 
des  œuures  de  vos  mains.  Rcalement  8c  de  faict ,  les 
crûmes  diuines  ont  ne  içay  quelle  grâce  &  vertu 
cachée  8c  (ecrette,  qui  combien  qu'elles  foient 
côtemplees  plufieurs  8c  diuerfes  fois,  neantmoins 
caufent  toufiours  vn  nouueau  gouft  8c  contente- 
ment: au  contraire  les  œuures  humaines, encor 
qu'elles  foyent  conftrui&esauec  vn  exquis  artifi- 
ce, toutesfois  ellans  veuëslouuent,ne  font  plus 
eftimees,au  contraire  deuiennentennuyeufes,foit 
queceioyent  iardinistres  plaifans  , ou  palais,  ou 
temples  magnifiquement  baftis,foit  Pyramides 
de  fuperbe  édifice,  ioit  peinclure^fculptures,  ou 
pierres  d'exquife  inuention  8c  Iabeur,quoy  qu'el- 
les foyent  douées  de  toutes  les  beautez  qu'il  eft 
poffiblc:  toufiours  c'eft  chofe  certaine  qu'en  les 
contemplant  deux  ou  trois  fois  auecattétion,  les 
yeuxie  diuertifient  toft  de  cefteveuëà  vneautrt, 
eftans  incontinent  foulez  d'icelles.  Mais  fi  auec 
attention  vous  cofiderez  la  mer,  ou  quelque  hau- 
te montagne,  yflànce  hors  la  plaine  d'vneellran- 
ge  hauteur  ,  ou  les  champs  reueilus  de  leur  na- 
turelle verdure  ,  8c  de  belles  fleurs,  ou  bien  le 
cours  furieux  de  quelque  fleuue,  qui  (ans  cefler 
bat  continuellement  les  rochers  en  bruyant;  fi- 
nalement ,  quelques  œuures  de  nature  que  ce 
foyent,  quoy  qu'elles  foyent  contemplées  plu- 
fieurs fois,  touiiours  caufent  nouclle  récréation, 


HISTOIRE     NATVRiLtE 
&  iamais  ne  l'ennuyé  la  veuë.  Ce  qui  reflemble 
vn  banquet  magnifique  &  abondantdeladiuine 
fageilè,  qui  fans  iamais  ennuyer ,  cauie  touiiours 
nouuelle  confideration. 


Contenant  h  refyonfe  à  ce  qui  çB  allégué  de  lafatmie 
rjcrtture  contre  la  rondeur  delà,  terre. 

c  H  A  P.    I  I  II. 

Evenant  donc  à  la  figure  du  Ciel,  ie  ne 
^itfçay  de  quelle  ar.thoritc  de  la  iaincte  Eicri-"" 
ture  on  ait  peu  tirer  qu'elle  ne  foie  pas  ronde ,  ny 
ion  mouuement circulaire ,  pource  que  ie  ne  voy 

Hehr.%.  point  que  ce  que  S.  Paul  appelle  le  Ciel  taberna- 
cle, ou  taudis ,  que  Dieu  a  eftably  &  non  point 
l'homme,  puiiîecftrcappliquéàcepropos.  Car 
quoy  qu'il  nous  dife  qu'il  eft  fait  par  Dieu,l'on  ne 
doit  pour  cela  entedre  que  lcCiel  tout  ainfi  com- 
me vn  toict,  couure  la  terre,d'vne  part  feulement, 
ny  meimequeleCieJ  ioitbafty  iansfemouuoir, 
comme  il  iemble  que  quelques- vns  l'ont  voulu 
donnera  entendre.  L'Apoftreence  lieu  traictoit 
dé  la  conformité  du  tabernacle  ancien  delaloy, 
difant  là  delîus  que  le  tabernacle  de  la  loy  nou- 
uelle de  grâce  eft  le  Ciel,auquel  eft  entré  le  grand 
Preftre lefus- Chrift  vne fois,  par  ion  lang ,  Se  de 
là  ('entend  qu'il  y  a  autant  de  prééminence  du 
nouueau  tabernacle  au  vieil ,  comme  il  y  a  diffé- 
rence d'entre  l'autheur  du  nouueau,  qui  eft  Dieu, 
&  cil  du  vieil  qui  a  efté  l'homme ,  encor  qu'il  ioit 
vray  que  le  vieil  tabernacle  fut  auffi  bien  bafti  par 
la  fagefle  cU  Dieu  qui  l'enieigna  à  Ton  ouurier  Be- 

F      3  '*  feleel:&  ne  cioit-on  penfer  que  ces  comparai  fons, 

paraboles 


DES    INDES.    L  IV.    ï.  9 

paraboles  &  allégories  fepuillent  rapporter  en 
tout  &  par  tout  à  ce  à  quoy  elles  font  accommo- 
dées ,.  comme  le  hier -heureux  Chryfoftome  a  c^ryffl' 
bien  feeu  dire  à  ce  propos.  L'autre authorité  que  mii>t*P 
rapporte  S.  Auguftin  alléguée  d'aucuns  ,  pour 
monftrcr  que  le  Ciel  n'eft  pas  rond,e(l  telle  en  di- 
fant ,  Le  Ciels  eBend comme  vne  peau.  Dont  ils  con-  pfal  it  j» 
cluent  qu'il  n'eft  pas  rond ,  mais  plat  en  la  partie 
d'euhaut.  A  quoy  rcfpond  fort  bien  &  fort  fami- 
lièrement lcmefme  S;  Docteur, mais  donnant 
•à  entendre  que  ce  pallàgedu  Pfalmifte,  ne  parle 
ny  s'entend  propremet  de  la  figure  du  Ciel,  mais  jfngufi.%: 
dit  cela  feulcmen  t ,  afin  de  nous  demonftrer  aucc  ^  Gtn-  *& 
quelle  facilite  Dieu  baftit  vn  Ciel  fi  grand,  ne  luy lfttr'  *'  *"- 
ayant  efté  non  plus  difficile  de  baftir  vne  iiim- 
mcnfecouuerture,  comme  eftleCiel,qu'ilferoic 
à  nous  de  defpioyer  vne  peau  double  ,  ou  bien 

f>rctcndant  le  Pfalmifte  nous  donnera  entendre 
a  grande  majefté  de  Dicu^uquel  le  Ciel  fert,qui 
eft  M  beau  &  iî  grand ,  de  mefme  façon  que  nous 
feruent  les  tentes  ou  çouucrtures  aux  champs. 
Ce  qui  aefté  fort  bien  déclaré  parvn  Poëte,di- 
fant:  Le  taudis  du  clair  Ciel.  Melme  le  paflage  d'I- 
faye  qui  dit,  Le  Cielmefert  de  chaire,  &  la  terre  etef-  ifa,  i&* 
cabeau pour  mes  pieds.  Que  Ci  nous  cnfuiuons  l'er- 
reur des  Anthropomorphites,  qui  attribuoient 
des  membres  corporels  à  Dieu  félon  fadiuinité, 
nous  aurions  occafion  furie  dernier  palîàge  de 
rechercher  comment  il  feroit  poflïble  que  la 
terre  fuft  l'efcabeau  des  pieds  de  Dieu,&  comme 
le  mefme  Dieu  pourroit  tenir  fes  pieds  d'vnc 
partie  &  d'autre ,  &  plufieurs  telles  tout  à  l'en- 
îour,  puis  qu'il  eft  ençout&par  tout  le  monde, 

B 


HISTOIRE     NATVREILE 

qui  feroit  chofc  vaine  &  totalement  ridicule .  Il 

faut  donc  conclure  qu'aux  fàincles  Eicritures 

nous  ne  deuons  pas  fuiure  la  lettre  qui  tue" ,  mais 

l>C*rm.  z.  l'e/prit  qUi  viuifie,comme  dit  fa  in  et  Paul. 


De  U façon  &  figure  du  Ciel  dit  nnuneau  monde  - 
C  H  A  P.     V. 

«K^  Lvsievrs  en  Europe  demandent  quelle 
^1^  eft  la  façon  8c  figure  de  ce  Ciel  qui  eu  en  la 
partiedu  Sud,  pource  qu'il  ne  l'en  peut  trouuer 
chofe  certaine  aux  limes  des  anciens,  lefquels 
encor  qu'ils  accordent  y  auoir  vu  Ciel  en  cette 
autrepart  du  monde,  ce  neantmoins  n'ont  peu 
atteindre  iufquesàlacognoiiîance  de  la  façon  8c 
Tlin.bb.6.  figure  ,  qûoy  qu'à  la  vérité  ilï  facent  mention 
f«f>.zz.  d'vnebelle  &  grande  eftoille  qui  ievoid  en  ces 
parties  cy,  laquelle  ils  appellent  Canopus.Ceux 
qui  de  nouucau  ont  nauigéen  ces  parties,  ont 
accouftumé  d'eicrire  &  raconter  chofes  gran- 
des de  ce  Ciel ,  à  fçauoir  qu'il  eft  fort  rciplen- 
diflant ,  y  ayant  grand  nombre  de  belles  cftoil- 
les.Et  en  efrect  les  chofes  qui  viennent  de  loing, 
fedeferiuent  ordinairement  auec  augmentation. 
Mais  il  me  femble  tout  au  contraire  ,  tenant 
pour  certain  qu'en  noftre  codé  du  Nort  il  y  a 
plus  grand  nombre  d'eftoilles ,  8c  de  plus  illuftre 
grandeur  ?  ne  fe  voyant  point  par  deçà  eftoilles 
qui  excédent  la  Pouffiniere ,  ny  le  Chariot.  Il  eft 
bienvrayquela  Croifeededeça  eft  fort  belle  & 
aggreable  à  voir.  N  o>us  appelions  Croilee ,  qua- 
tre eftoilles  notables  8c  apparentes ,  qui  font  en- 


DES     INDES.      Ll  V.    I.  IO 

tre  elles  vne  forme  de  croix,aiïîfes  efgalement  8c 
auec  proporticn.  Les  ignoranscroyent  que  cefte 
croilee  eft  le  Pôle  du  Sud  -,  d'autant  qu'ils  voyent 
les  mariniers  prendre  leur  hauteur  par  icelle, 
comme  nous  anons  icy  accouftumé  de  la  pren- 
dre par  le  Nort.  Mais  ils  fe  crompen'e.  Et  la  rai- 
fonpourquoy  les  mariniers  le  font  de  cefte  fa- 
çon ,  eft ,  pource  que  de  ce  collé  du  Sud  il  n'y  a 
aucune  eftoi lie  fixe  qui  matquc le  Pôle, comme 
A  iioftre  Pôle  le  tait  l'elloilleduNort.  Etainfnls 
prennent  leur  hauteur  par  l'eftoille  du  pied  de  la 
Croifee,  diftantedu  vray  &  fixe  Pôle  Antarcti- 
que, de  trente  degrez,  comme  de  là  l'eftoille  du 
Nort  eft  diftante  du  pôle  Arctique  de  trois  de- 
grez, ou  peu  d'auantage.  Et  ainii  il  eft  plus  diffi- 
cile de  prendre  la  hauteur  en  ces  parties,  pour- 
ce  que  ladite  eftoille  du  pied  de  la  Croilee  doit 
eftre  droite  ,  ce  qui  aduient  feulement  en  vne 
heure  de  la  nuict.quicft  en  diuerles  parties  de 
l'an, en  différentes  heures,  &  bien  fouuent  en 
toute  la  nuiet  ne  femonftre,  qui  eft  chofefort 
mal  commode  pour  prendre  la  hauteur.  Par  ain- 
ii  les  plus  experts  pilotes  ne  fe  foucient  de  la 
Croifee.prenans  la  hauteur  du  Soleil  par  l'Aftro- 
iabe,  par  lequel  ils  cognoiflent  la  hauteur  où  ils 
fetrouuent.  En  quoy  communément  les  Por- 
tugais font  plus  experts  ,  comme  nation  quia 
grand  difeours  en  l'art  de  nauiger  fur  toutes 
les  autres  nations.  Il  y  a  aufïî  de  cefte  partie  du. 
Sud  d'autres  eftoilles,  qui  en  quelque  façon  ref- 
fcmblentà  celles  du  Nort.  Ce  qu'ils  appellent 
la  voye  lactée ,  feftend  beaucoup  ,  &  eft  fort 
rcfplendiflant  en  cecofté  du  Sudsfe  voyant  en 

Bij        - 


I 


HISTOIRE  NATVR.ELLE 
icellc ,  ces  taches  noires  tant  admirables ,  des- 
quelles cy-deuant  nous  auons  fait  mentiô.  Pour 
les  autres  patticularitez ,  d'autres  les  diront  auec 
plus  grande  curiofitè ,  &  nous  fuffit  pour  l'heure 
de  ce  qu  auons  dit. 

Qtiiiy  a  terre  &  mer  fouis  les  deux  pôles. 
c  h  A  P.     VI. 

gEncnouseft  point  peu  de  chofè  faite  d*e- 
Ë  ftre  fortis  decefte  matière,  auec  cefte  co- 
gnoiuance&refolution  qu'il  y  a  vn  Ciel  en  ces 
parties  des  Indes,  quilescouure,  comme  à  ceux 
d>Europe,d'Afie,&  Afriquc.Etno'fertcc  poincl; 
queiquesfois  contre  beaucoup  d'Efpagnols ,  qui 
par  deçà  foufpircnt  pour  leur  Efpagne,  ne  fça- 
chansdequoy  parler  que  de  leur  pays,  lefquels 
fcfinerueillentjVoire  fe  fafchent  contre  nous  au- 
tres, eftimansque  nous  auons  oublié ,  &  faifons 
Deudecasde  noftre  patrie.  Aufquels  nous  refpô- 
dons,  que  pour  cela  le  defîrde  retourner  en  Ef- 
pagne ne  nous  trauaille  point.  Pource  que  nous 
trouuons  que  nous  iommes  auilî  proches  du  ciel 
eftansau  Peru,  comme  nous  en  fouîmes  eftans 
en  Erpagne  :  comme  dit  fort  bien  faincl  Hieroi- 
meclctiuant à  Pauline,  feauoir  que  la  porte  du 
Ciel  eftauffi  proche  de  Bretagne  comme  de  Hie- 
rufâlem.Mais  encor  que  le  Ciel  circuife  le  mon- 
de de  tous  coftez  ,  il  ne  faut  pas  pour  cela  penler, 
que  necelîàirement  il  y  ait  terre  de  tous  coftez  du 
monde.  Car  eftant  ainflqueles  deux  Elemens 
de  la  terre  &  l'eauë  compofènt  vn  globe  ou  bou- 
le ronde,  félon  que  la  plus-part,  &  les  plus  re- 


DES    ÏNDES.      L1V.    î.  II 

nommez  autheurs  des  anciens  l'ont  tenu  (à  ce 
que  rapporte  Plutarque)  &  comme  on  le  prouue  ^u^re.l. 
par  demonftrations  très-certaines  l'on  pourroit   ,^.     M 
con  lecturer,  que  la  mer  o  ccupaft  toute  celte  par-  &u, 
tiequieft  foubs  le  Pôle  Antartiqueou  Sud,  de 
telle  façon  qu'il  ne  reftaft  aucune  place  en  ces 
parties  pour  la  terre;  félon  que  S.Auguftin  re- 
prend fort  doctement  contre  ceux  qui  tiennent 
les  Antipodes  ,difant,  queencor  que  l'on  face 
preuue,&que  l'on  croye  que  le  monde  ioit  de 
figure  ronde,  comme  vne  boule,  il  ne  fan;  infé- 
rer de  cela ,  que  en  cède  autre  partie  du  monde,îa 
terre  foit  def  couuerte  &  sas  eauë.  Et  fans  doubte 
S.  Auguftin  dit  fort  bien  en  ce  poinct,  ce  néant-  AuwftX 
moins  le  contraire  de  ce  ne  fe  prouue,  &  ne  s'en-  I^•»<c',,♦*• 
fuit  non  plus  fçauoir  qu'il  y  aye  terre defeouner-  c' 9' 
te  au  Pôle  Antartique.  Ce' que  l'expérience  nous 
a  ja  monftrê  à  veuë  d'œil  eftreainfi  comme  en  ef- 
fecfcill'eft.  Car  iaçoit  que  la  plus  grande  partie 
du  monde ,  qui  eft  foubs  le  Pôle  Antartique,  foit 
occupée  de  la  mer  ;  ce  neantmoins  elle  ne  l'eft 
pas  entièrement  :  Mais  y  a  terre,  de  forte  qu'eu 
toutes  les  parties  du  monde,  la  terre  &  l'eaué/è 
vont  embraifans  Tvn  l'aurrc,  qui  eft  véritable- 
ment vne  chofe  pour  nous  faireadmirer  &  glo- 
rifier l'art  du  fouuerain  créateur.  Nousfçauons 
donc  par  la  (àincl:eElcriture,queau  commence-  Gène.  î. 
ment  du  monde  les  eaux  furent  aifemblees,  &fe 
joignirent  en  vn  endroit ,  tellement  que  la  terre  t 

demeura  defcouuerte.  D'auantage  la  mefme  £f- 
criturefain&e  nous  en  feigne,  que  ces  alïèmble- 
mens  d'eaux  s'appellerent  mer,  &: comme  elles 
foncplufieurs,  il  eft  de  neceflitéqu'ilyait  plu- 

B  iij 


HISTOIRE  MATVRELLE 
/leurs  mers.  Ec  non  feulement  e(l  celte  diuerfitc 
des  mers  en  la  mer  Méditerranée,  lesvnes  i'ap- 
peilans  Euxine,les  autres  Calpie,autre  Erythrée, 
ou  rouge , autre  Perfique ,  autre  d'Italie ,  & ainfi 
plufieurs  autres.  Mais  auffi  bien  au  grand  Océan 
que  l'Eicriture  iaincle  a  accouflumé  d'appeller 
abylme,  encore  que  realcraewt  Se  en  vérité  ce  ne 
foit  qu'vne  mer ,  mais  en  plufieurs  Se  différentes 
manieresxommeaureipectdetoutle  Peru  &  de 
toute  l'Amérique ,  ils  appellent  l'vnelamer  du 
Nort,  Se  l'autre  lamer  du  Sud.  En  l'Inde  Orien- 
tale l'vne  l'appelle  lamer  d'Inde,  &  l'autre  de  la 
Chine.  Et  ay  remarqué  tant  en  cequei'ay  nauige 
moy-mefmequepar  la  relation  des  autres,  que 
lardais  la  mer  ne  (eleparede  la  terre  de  plus  de 
milheuës.  Etquoy  que  fe  puilïeeftcndic  la  gran- 
deur de  l'Océan  ,  fi  eft-ce  qu'il  n'outre- palîè  ia- 
mais  celle  mefure.  Iene  veux  pas  pour  cela  dire 
que  l'on  ne  nauige  plus  de  mil  lieues  de  la  mer 
Occane:qui  leroit  contre  la  vérité,  puis  que  nous 
fçauons  que  lesnauires  de  Portugal  ont  nauige 
quatre  fois  autant ,  voire  d'auantage,  que  tout  le 
monde  en  rond  le  peut  nauigcr  par  mer ,  comme 
en  ce  temps  nous  l'auons  délia  veu,lans  que  plus 
on  en  puiiîe  douter. Mais  ce  que  ie  dy  Se  afferme, 
eft  que  en  ce  qui  eftauiourd'nuy  deieouuert ,  au- 
cune terre  n'eft  diftante  &:  eflongnee  par  ligne  di- 
recte de  l'autre  terre  ferme,  ou  Ifles,  qui  luy  loict 
plus  proches ,  au  plus  que  de  mil  lieues  ,  Se  que 
par  ai n fi  entre  deux  terres,il  n'y  a  point  plus  gra- 
de cfpace  de  mer:le  prenat  par  les  parties  des  ter- 
res plus  proches  les  vues  des  autres.  Pource  que 
delà  fin  de  l'Europe  ou  de  l'Afrique  Se  de  Jeui. 


DES      INDES.       IIV.    I.  Il 

cofté,les  Canaricsjlcs  Açores,  les  Ifles  du  Cap  de 
vert,&  les  autres  qui  font  en  ce  pareilles,  ne  font 
diftantes  de  plus  de  crois  cens  lieues  ,  ou  cinq  ces 
de  la  terre  fer  me.  Defchtes  Ifles  prenant  Ton  cours 
vers  les  Indes  Occidëtales,  à  peine  y  a-il  neuf  ces 
lieues,  iufques  aux  Ifles  S. Dominique  ,  les  Vier- 
ges, la  bien-heureufe  &  les  autres ,  &c  les  mefmes 
Ifles  vont  courat  par  leur  ordre,  iufques  aux  Ifles 
de  Barlouéte,quifont,Cubà,E(paignolla,  &  Bo- 
riquen  ;  D'icelles  iufqu'à  la  terre  ferme  à  peine  y 
a- il  deux  cens  ou  trois  cens  lieu'ës,&:  en  l'endroit 
le  plus  proche  beaucoup  moins.  La  terre  ferme 
court  vn  efpaceinfiny,depuis  la  terre  de  la  Flori- 
de,iufqu'à  la  terre  des  Patagos,  &  de  l'autre  codé 
du  Sud,  depuis  le  deftroit  de  Magellan  mfqu'au 
Cap  de  M6doce,court  vne  terre  tres-lôgue,  mais 
nô  beaucoup  largeicar  le  plus  large  gift  le  trauers 
duPeru,  quieftdiftanteduBrefil  d'enuiron  mil 
lieues.  En  cefte  meime  mer  du  Sud,encor  qu'5  ne 
fçache  récotrer  la  fin,  en  tirât  vers  le  Ponât,neat- 
moins  il  y  a  peu  de  temps  que  l'on  defcouurit  les 
Ifles  , qu'ils  ont  appellees  deSalomon,  qui  font 
plufîeurs  &  grades,  diftantes  du  Peru  corne  huict 
ces  lieues.  Et  pour  ce  que  l'on  obferue,&  fetrou- 
ueainfi,quelà,oùil  y  a  plufîeurs  ôc  grandes  Ifles, 
la  terre  ferme  en  eft  peu  eflongnee  :  delàviëtque 
plufîeurs ,  8c  moy-mefme  auec  eux  ,  ayons  opi- 
nion, qu'il  y  a  quelque  grande  terre  ferme  pro- 
che defdkes  Ifles  de  Salomon,laquelle  rcfpond  à 
noftre  Amérique ,  du  cofté  du  Ponant  ;  de  feroit 
pofîible  qu'elle  couruft  par  la  hauteur  du  Sud, 
iufques  au  deftroit  de  Magellan.  On  tient  quela 
neuue  Guinée  eft  vne  terre  ferme,  &  quelques, 

B  îiij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
doues  la  peignét  fort  près  des  Iflcs  de  Salomon: 
De  forte,  que  c'eft  chofevray-femblable  de  dire 
qu'il  y  a  encore  vne  bonne  partie  du  monde  à 
dcfcouurir,puis  qu'auiourd'huy  lesnoftres  na- 
liigent  en  celle  mer  du  Sud ,  iufques  à  la  Chine  & 
Philippines,  &difons  que  pour  aller  du  Peruen 
ces  parties  la ,  qu'ils  paûient  vne  plus  longue  mer 
que  non  pas  allant  d'Efpaigne  au  mefmc  Peru. 
D'auantage  l'on  cognoift  que  c'eft  par  le  tant  fi- 
gnalé  deftroit  de  Magellan  ,  que  ces  deux  mers  fe 
joignent ,  &  continuent l'vne  auec  l'autre,  (ie dy 
JamerduSudaucclamerduNort  )  par  la  partie 
du  Pôle  Antarctique  qui  cft  en  hauteur  de  cin- 
quante &  vn  degré.  Mais  c'eft  vne  belle  &  gran- 
de queftion  ,  où  plu  fleurs  fe  font  employez ,  lça- 
uoirfl  ces  deux  mers  fejoignent,  &  continuent 
auflî  bien  du  cofté  duNort.   Maisie  n'ay  point 
cognoilfance  ,  que  iufques  auiourd'huy  aucun 
aye  peu  attaindreà  ce  poinct,  fi  ce  n'eft  leulemet, 
par  ne  (çay  quels  indices ,  &  coniec"fcures.  Qnel- 
ques-vns  afferment  qu'il  y  a  vn  autre  deftroit, 
fousleHortà  roppofite  deceluy  de  Magellan: 
Toutcsfois  pour  noftre  fuiect ,  il  faffit  de  fçauoir 
maintenant  au  vray  qu'il  y  ait  terre  de  ce  cofté 
du  Sud ,  &  que  c'eft  vne  terre  aufïï  grande  com- 
me toute  l'Europe,  l'Afie,&  l'Afiique  meime, 
queàtouslesdeux  Pôles  du  monde, l'on  trouue 
■&  rencontre  terre ,  &  mer,  embraflees  l'vne  auec 
l'autre.  Enquoy  les  anciens  ont  peu  entrer  en 
doubte  &  le  contre-dire  par  faute  d'expérience. 


DES    INDES.       II V.     I.  IJ   . 

Tour  repronuer  l'opinion  deLafianccqui  tient 
qu'il  n'y  a  point  d'antipodes. 

C  H  A  P.    VII. 

£î$WVis  donc  que  c'eft  chofecogneuë,qu'iIya 
ï\Éï  terreau  collé  du  Sud  ,  ou  Pôle  Autarcique: 
refte  maintenant  de  voir  s'il  y  a  des  hommes  ha- 
bitans  en  icelle,quia  efté  au  temps  paflé,vne 
queftion  fort  debatuë.  Ladance  Firmian  &  S.  uft.L  7. 
Auguftin  femocqueutde  ceux  qui  afferment  les  mftttJi- 
Antipodes  (qui  vaut  autant  à  dire commc,hom-  "j^f  |i 
mes  qui  ont  leurs  pieds  au  contraire  des  noftres)  ^^MMJ 
Mais  encor  que  ces  deux  autheurs  s'accordét  en  te  c.  9. 
cède  moquerie,  ceneantmoins  aux  raiforts, & 
motifs  de  leur  opinion,  font  fort  différents  l'vn 
derautrejCommeilseftoieiHfortdiuersd'efpric, 
Se  d'entendement.  Ladtance  fuit  le  vulgaire,efti- 
mant  choie  ridicule  de  dire ,  que  le  ciel  eft  formé 
en  rond  &  circuit  :  6Vque  laterrefoitau  milieu 
enuironnee  &  enclofe  d'iceluy  comme  vne  pe» 
lotte.  Et  pource  il  elcrit  en  ces  termes. Quelle  rai- 
J on  y  ail  à  ce  que  quelques  uns  -veulent  dire,  qu'il  y  a  des 
antipodes,  qui  ont  leurs  pas  contraires  aux  noftrest 
Eft-tl  pofiblc,qu  d  y  ait  hommes  fi  lourds,^  figroftiers, 
ijui  croyent,qudy  ait  vn peuple,  ou  nation  cheminant  les 
pieds  en  baut,&  la  tefte en  bas,&  que  les  chufes,mu  font 
tcy  afiifcs  ,<&  arre fiées  et  vne  façon  f oient  de  cefte  autre 
part  pendant  es,  ç>r  renuerfecs  au  contraire  :  que  les  a?~ 
bres,&  les  crains  croiffent  là  contre  bas,&  que  la  plnye^ 
la  neige,<&  hgrefle  tombent,  &  s'efcoulcnt  de  tcri  e  con~ 
tremont  ?  Puis  après  quelques  autres  propos  le 
mefmt  Laitance  tient  ces  propos  :  L 'opinion  G" 


HISTOIRE  NATVRELLE 
imagination^  que  quclques-yns  ont  eue  cfiimmsle  Ciel 
rond}a  cftélacaufe  dr  le  motif d'mucntcr  ces  antipode.; 
fufpcndus  en  l'air ,  par  ainfi  te  ne  fuis  que  dire  de  tels 
'Philofophcs  ,  fin  on  que  ayansmne  fois  erré,  ils  pour  fui- 
uent,  &sobftinent  toujioursen  leur  opinion  ,  fedcjfcn- 
dans  les  vns  les  autres.  Iufques  icy  font  les  propos 
de  Lactance.  Mais  quoy  qu'il  die ,  nous  autres, 
qui  pour  leprefent  eftans  au  Peru,  habitons  la 
partie  du  monde  contraireà  l'An"e,&:  fommes 
leurs  Antipodes  (ainfiqueles  Cofmographes 
renfeignent)  ne  nous  voyons  pas  cheminans 
fufpendus  en  l'air ,  la  tefte  en  bas ,  ny  les  pieds  en 
haut.  Certainement  c'eft  choie  merueilleufe  de 
confiderer  que  refpnt&  entendement  humain 
nepeutattaindre  &  paruenir  à  la  vérité,  fans  vfer 
d'imagination  :  &  d'autre  part ,  qu'il  luy  eft  im- 
poffible ,  qu'il  n'erre, &  ne  faille,  fil  0  en  veut  to- 
talement abftenir.  Nousnepouuons  compren- 
dre que  le  Ciel  foit  rond,commeil  l'eft,  &  que  la 
terre  foit  au  milieu  ,  fans  l'imagination.  Mais  fi 
celte  me/me  imagination  n'eftoit  corrigée,  Se  re- 
formée par  la  raifon  ,  &:  que  nous  l'enfumi  fiions 
du  tout,  en  fin  nous  nous  trouuerions  trompez. 
D'où  nous  pouuons  conclure  vne  expérience 
apeurée ,  que  en  nos  âmes ,  il  y  a  vne  certaine  lu- 
mière du  ciel,  par  laquelle  nous  voyons  &  iu- 
geons,  voire  les  mefm es  images,  &:  formes  inte- 
rieures,qui  fe  preientent  à  notis,pour  les  cognoi- 
ftre,&parceftemefmelumiet-e,nousapprouuÔs, 
&reicttos  cc,quc  l'imagination  nous  repreiente. 
Et  de  là  voit-  on  clairement  comme  l'ame  ratio- 
nelle  eft  par  deflus  toute la  nature  corporelle,  Se 
comme  la  force ,  &  vigueur  éternelle  de  la  vérité 


DES    INDES.    II V.    T.  14 

prefide  au  plus  emineiu  heu  de  l'homme:mefme 
l'on  recognoit  facilement,  corne  cefte  lumière  Ci 
pure.eft  participante^  procède  de  celle  premiè- 
re Se  grande  lumiere:que  qui  ne  (çait  cela,ou  qui 
en  eften  doubte,  nous  pouuons  dire  de luy  qu'il 
ignore,ou  doubte  f'ilelt  homme,ou  non.Ainfi  fi 
nous  dénudons  à  noftrc  imagination  ,  ce  qui  luy 
femble  de  la  rondeur  du  Ciel ,  à  la  vérité  elle  ne 
nous  relpondra  autre  choie,  (mon  que  ce  que  die 
le  mefme  Lactance,fçauoir  que,  fi  le  Ciel  eft  rod, 
le  Soleil,&  les  efloilles  deuroiét  tober  lors  qu'ils 
ie  mouuent,&  qu'ils  changent  de  place,&  Pefle- 
uent  en  tirant  au  midy.  Tout  de  meime  que  fi  la 
terre  eftoic  pendue  en  l'ailles  homes  qui  habirec 
en  l'autre  partie  d'icclle,doiuent  cheminer  les 
pieds  en  haut,  Se  la  telle  en  bas ,  Se  que  les  pluyes 
ne  tobent  point  d'enhaut ,  mais  coulét  de  bas  en 
amont:&  plufieurs  autres  monilruofitez  ridicu- 
les. Mais  fi  l'on  conlultc  la  force  de  la  raifon,elle 
terapeudecas  de  toutes  ces  peintures  vaines,  Se 
fera  qu'on  n'efeoutera,  non  plus  l'imagination, 
qu'vne  vieille  folle.  Mais  auec  cède  Tienne  graui- 
té,&  intégrité  iefpodraîa-raiion,quec'erl  vue  er- 
reur fort  grande  de  fabriquer  en  noftreimagina- 
tiô.tout  le  mode  en  la  façon  d'vne  maifon,en  luy 
dônat  pour  fodemét  la  terre,&  le  Ciel  pour  toiefc 
Se  couucrture.  Et  dira  d'auancage  que  c5me  aux 
animaux,  la  tefteeflla  partie  la  plus  haute,  &  la 
plus  efleuee(bieque  tous  les  animaux  n'ayet  pas 
la  tefte pofee  en  mefme  fituatiô,les  vns  l'ayans  au 
plus  hautjComel'homqles  autres  trauerfâtes,cô- 
me  les  brebis;les  autres  au  milieu  comme  les  ieC- 
ches  Se.  araignees)ainfi  le  cicl,en  quelque  endroit 


■ 


HISTOIRE   NATVREUE 
qu'il  foit,  eu  toufiours  en  haut,&  la  terre  ne  plus 
ne  moins  ,  en  quelque  endroit  qu'elle  foit  de- 
meure toufiours  enbas.Parquoy  eftantainfîque 
•    noftre  imagination ,  eft  fondée  fur  le  temps,  ôc  le 
lieu,  lefquels  elle  ne  peut  pasmefme  compren- 
dre ôc  conçcuoir  vniueFiellement,mais  feulle- 
menten  particulier:  Il  s'enfuit  que  quand  on  la 
vetuefleuer,  à  la  considération  des  chofes,'qui 
excédents  furpallent  le  temps  &  lieu  ,quiluy 
font  cogneus,  aufîi  toftelle  defchct&  ne  peut 
bonnement  fubfifter,fi  la  raifort  ne  la  fouftient  Ôc 
foufleile ,  &c  elle  ne  peut  bonnement  fe  tenir  en 
pied.  De mefme nous voyons,que furie  difeours 
de  la  création  du  monde,  noftre  imagination  ex 
trauague  pour  chercher  vn  temps,  anant  la  créa- 
tion d'iceluy,  &  pour  fe  baftir  le  monde ,  elle  re- 
marque vn  lieu.   Mais  elle  ne  parle  pas  outre  à 
confiderer ,  que  le  monde  pouuoit  eftre  fait  d'v- 
ne autre  façon.  Comme  ainlî  foit  nsantmoins 
que  la  raifon  nous  apprend  qu'il  n'y  a  point  eu 
temps,  auant  qu'il  y  ait  eu  mouuemcnt, duquel 
le  temps  eft  la  mefure3&  qu'il  n'y  a  eu  aucun  lieu, 
auparauantl'vniuers,  qui  comprend  &  contient 
en  foy  tout  lieu.  Enquoy  l'excellent  Philofophe 
jlrifii.ie  Ariftote  fatisfait  clairement,  &  en  peu  de  paro- 
€<tl  c  3.  jes  a  l'argument  que  l'on  fait  contre  le  lieu  de  la 
terre,  s'aydant  de noftre mefme  vfage  d'imagi- 
ner, quand  il  dit  (&auec  vérité)  Que  ait  monde,  ce 
mefme  heu  delà  terre^ectau  )mheu,&  en  bas,&  qttetat 
plus  y  ne  chefe  eft  au  yndieu^ant  plus  eft  elle  en  bas.  La- 
quelle reiponce  ayant  efté  alléguée  ôc  mife  en 
auant  par  LadtanceFirmian,luy-mefmeneant- 
moins  palîe  fans  la  debatre  Ôc  confuter  d'aucune 


DES    INDES.       LIV.    I.  If. 

raifon ,  Ce  paiïànc  de  dire  qu'il  ne  fe.  peutarrefter, 
pour  traidter,&auancer  d'autres  chofes. 


D c la  eaujc ,  pourquoy  fam cl  ^dugnftm 
a  nié  les  ^Antipodes. 

C  H  A  P.     VIII. 

£j3S$  A  rai  (on  ,  quiameu  S.  Auguftindenierles 
ÇÏMit  Antipodes,a  efté  bien  autre,  que  celle  preal- 
leguee  ,  comme  eftant  d'vn  entendement  plus  (u. 
blime.  Pource  que  la  raifon,qu'auons  déduite  cy 
deuant,  (quieft  que  les  Antipodes  chemineroicc 
au  reuers,)eft  deftruicte  par  le  mefme  S.  Docteur 
en  Ton  liure  des  prédications,  par  ces  paroles. 
L  es  anciens  tiennet,  que  U  terre  de  tous  cofke^eft  en  bas  jj#g.  UL 
CT  le  Ciel  par  dejfusipourraifon  dequoyles  ^Antipodes  Cattgoria- 
qu'ils dtfent,  cheminer  au  cotraire  de  nous,ont  de  mefme  rum  c'  1  °* 
nous  Je  Ciel  an  deffns  de  leurs  tefies.  Puis  donc  que  S. 
Auguftin  a recogneu  celaainfi,u*  vray- femblable 
de  conforme  à  bonne  Philolophic ,  quelle  fera  la 
raifon  dirons  nous,  pour  laquelle  vn  perfonnage 
Il  docte  &  Ci  lumfant  que  luy,ait  eflé  poufsé  d'en- 
fuiure  l'opinion  contraire?  Pour  certain,  qu'il  en 
a  tire  le  motif  &c  la  caufe,  des  entrailles  delà  fa- 
crée  Théologie ,  félon  laquelle ,  les  lettres  diui- 
nes  nous  enfeignent,  que  tous  les  hommes  du 
monde  defeendent  d'vn  premier  homme,  qui  fut 
Adam.  Et  de  dire  que  les  hommes  eu  lient  peu 
pafferau  nouueau  monde, trauerfants  le  grand 
Océan,  cela  fembleroit  incroyable,  &  vn  pur 
menfonge.  Et  à  la  vérité  Ci  le  fuccez,&  expérien- 
ce de  ce,que  nous  auons  veu  en  nos  fïecles  ,  ne 
nous  euft  efclarcis  fur  ce  poind,  l'on  euft  tenu 


I.ib.  \6.c 
9- 


I 


HISTOIRE     KATVRELLT, 
iufques  à  maintenat  celle  raifon  pour  bône.Mais 
encore  qucnous  içachionsquecerle  raifon  n'efl 
pertinete,ny  veritable3ce  neâtmoins  voulcs  nous 
bien  y  douer  refpôle ,  en  déclarât  de  quelle  raçon 
&:  par  quel  chemin  le  premier  lignage  des  homes 
peut  palier  icy:c6mèt,&  par  quel  endroit  ils  vin- 
drenc  pour  peupler  cv  habiter  ces  Indes. Or  pour 
ce  que  par  cy-  apres  nous  traicleros  ce  fujeâ  fort 
iuccincremct,il  fera  bô  d'eiuêdre  pour  le  p relent 
ce  que  le  fainct  docleurAuguftin  dilputelur  celle 
matiere3aux.liuresdelacité  deDicu3diiantainiI: 
Ce  nef  peint  chofe  que  l'on  doiuç  croire  ce  que  quelques- 
■y  v  s  affirment  qui!  y  a  des  ^Antipodes,  c'efll  dire  des 
hommes  qui  habitent  de  l'antre  partie  de  la  terre ,  en  la 
région  defquels  le  Soleil fe  leue  lors  &aU  temps  qu'ilfe 
couche  en  la  noftre,  Csr  que  leurs  pas  (ont  au  rebours ,  & 
au  contraire  des  noflres  ,puis  qu'ils  né  l afferment  point 
par  reuelation  certaine  qu'ils  en  ayent,rnais  feulent  et  par 
vn  difcours  de  'Philo f opine  qu'ils  font, par  lequels  ils  con- 
cluent que  la  terre  efl  an  t  au  milieu  du  monde  de  tout  es 
parts  enuironnee ,  &  couucrte  efgaleineut  du  ciel,  necef- 
j'a  -renient  dt  it  eftre  le  plus  bas  lieu  celuy ,  ^qm  lé  plus  cB 
au  milieu  du  inonde. 'Put  s  aptes  il  continue  en  ces  termes, 
la  (aincîc  Efcriture  rierrejiïfc  trope  en  aucune  manière, 
la  y  ente  de  laquelle  eftfibien  approuvée  en  ce  quellepro- 
pofc,dcs  chofes  qui  font  paffees:pour-autant  que  ce  qu'elle 
a  prophetij % dcuoir  aduenir,  ejl  de  point  en  point  arnué: 
Chine  nous  le  yoyos.Et  ejl  chofe  hors  de  toute  apparecc  de 
dire,  que  les  homes  ayentpeu  paffer  de  ce  contient  uy  en 
l'autre  noutteau  mode,  &  trauerfer  ceflcimmenfité de  la 
mer  Oceanespuis  nue  d'ailleurs  ilfc  troitue  impofstble  que 
les  homes  ayet  pafféen  ces  parties  là,  eflat  chofe  certaine^ 
que  tous  homes  defeendet  de  ce  premier  home,  Enquoy 


DES    INDE  S.       Il  V.     I.  16 

l'on  recognoit  que  toute  la  difficulté  que  S.  Au- 
guftin  y  trouue  n'a  point  efté  autrc,que  l'incôpa- 
rablegrâdeur  de  ce  largeOcean.  S. Grégoire  Na-  *wv"' 
zianzene,aeu lamefme opinion,a(feurant(côme  T^^*. 
choie  fans  doute,)  quepatséledeftroitdeGibal-  num, 
tar,  il  eftimpolïiblenauiger  plus  outre  :  &fur  ce 
fujecteferiten  vne.henncepiftre.  le  m  accorde  bien 
anec  le  due  de  Virulare  qui  dit  quepajjé  Cadi^Ja  mer  cfi 
innaui^ablc  aux  hommes.  Et  luy  melme  en  l'oraifon 
funèbre,  qu'il  feit  pour  S.  Baille  dit.  Qu'il  n'a  efté 
permis  à  aucun  nauv.>\it  la  mer /le  f^er  le  deftroit  deCi- 
baltar.  Et  eft  véritable  quecepalîagede  Pindare, 
o  ù  il  di  t,  0  h  il  eft  di  fendu  aux  f âge  s  &~  aux  fols  dcfça- 
uoir  ce  nui  cjr  plus  outre,  que  le  deftroit  de  Gibaltar>a. 
efteprinsiSc  receupourprouerbe.  Auiïi  voyons 
nous  par  l'origine  de  ceprouerbecobien  les  an- 
cies  fe  font  fichez  Se  arrêtiez  obftinémët  fur  cefte 
opinion,  corne auffi  par  les  hures  des  Poètes ,  des 
hiftoriographes<3cCofmographesanciens,queIa 
fin  &  borne  de  la  terre  a  elle  mife  en  Cadiz  d'Ef- 
pagne,oùils  fabriquât  les  colones  d'Hercules,là 
ils  bornée  les  rins&  limites  de  l'EmpireRomain, 
là  ils  depeignet  les  limites  du  monde.  Et  non  feu- 
lemétles  lettres  prophanes  en  parlët  de  cefte  fa- 
çon,maisaulîl  les  fainclesEfcritures  pour  racco- 
moder  à  noftrelagage,difans  que,£  edià ^d'^Augth- 
fie  Ce  far  fut  publié, afin  quetout  letnondefut  enregifiré: 
&  d'Alexâdre  [cGiâd^quilc/tëditfon  Empire  tufqucs 
aux  fins  cjr  limites  de  la  terre.  E  t  en  autre  endroit  ils 
dilenc  que  l'Euangile  a  fructifié  &  cru  en  tout  le 
mode y 'muer fel.  Car  la/àincte  Elcriturepar  vn  ftyle 
qui  luy  eft  cômun ,  appelle  tout  le  monde  ce,  qui 
cft  la  plus  grande  parcied'ieeluy,  &qui  iufques 


MM 


HISTOIRE  NATVRELLÏ 
auiourd'huya  eftédefcouuert  frcogneu.  Et; ont 
ignore  les  anciens ,  que  la  mer  de  l'Jnde  Orienta- 
le,ny  cette  autre  l'Occidentale,  peuft  élire  naui- 
gee,cn  quoyilsfelbnt  generalLment  accordez. 
flw.f.i.  Pour  rai fou  dequoy,  Pline  efeript  «comme  choie 
cd/>.  67.  certaine,que  les  mers  qui  font  entre  deux  terres, 
nous  oftent  l'entière  moytié  delà  terre  habita- 
ble:pource(dit-il)qued'icy  nous  ne  pouuons  al- 
ler là  ,  ny  de  là  non  plus  venir  icy. Et  finalement, 
Tulle,  Macrobe,  Pomponie  Me!e,&  les  anciens 
efctiuains  ont  cefte  meime  opinion. 

T— ■— ——————————  "         -     ' 

Del' opinion  d'.Ariftot e  touchant  le nouueau monde fâ 
ce  cim  la  deceupour  le  luyfiure  nier. 

c  H  a  P.   1  x. 

PVtre  toutes  lesraifons  lufdites,ilyenaeu 
vne  autre,  pour  laquelle  melme  les  anciens 
furent  elmeuz  à  croire  qu'il  eftoitimpolîiblc  aux 
hommesde  pall'eren  ce  nouueau  monde.  C'eft 
qu'ils  tenoyent,  que  outre  limmenfué  &  gran- 
deur de  l'Océan, la  chaleur  de  la  région,  que  l'on 
appelle  Torride  ou  bn.-flee,  eiloit  cuit  exceflïue, 
quelle  ne  pouuoit  permettre  aux  hommes, quel- 
ques hazardeux  ëc  laborieux  qu'ils  fuirent ,  de  la 
palier,  ny  par  mer,  ny  par  terre  ,  pourtrauerier 
d'vn  Pôle  à  l'autre.  Car  iaçoit  que  ces  Philofo- 
phes  ayét  eux  m efmes  affermé,  que  la  terre  eftoit 
ronde  (  comme  en  effeci  elle  i'eft  )  Si  que  fous  les 
deuxPoles  y  a  terre  habitablc:ce  neantmoins  ont 
ils  mefeogneu ,  que  la  région  comprenante  tout 
ce  qui  eft  entre  les  deux  Tropiques(quieltlaplus 
grande  des  cinq  Zones  ou  régions,  par  lefquelles 

les 


I 


DES    INDES.       LIV.    I.  1J 

les  Cofmographes  ,  &  Aftrologues  diuifcnc  le 
monde  )  peut  eftre  habitée  de  l'humain  lignage. 
La  rai  (on  qu'ils  donnoient  pour  fouftenir  que 
celle  Zone  torride  eftoit  inhabitable,eftoit  à  cau- 
fe  de  l'ardeur  du  Soleiljequel  fait  (on  cours  droi- 
tement  par  delïus  celle  région  ,8c  C'en  approche 
défi  près  qu'elle  en  eft  totalement  embrafee,& 
par  confequent  luy  caufe  vn  défaut  d'çauës  &  de 
pafturages.   De  celle  opinion  a  efté  Ariftote,le-  J*r*ft-  *• 
quel  encore  qu'il  fut  grand  Philofophe,  néant-  *Me*a!'h' 
moins!  elt  trompe  en  cet  endroit,  pour  1  elclar-    r 
ciflement  dequoy  il  (era  bon  de  direct  remar-    • 
quer  les  poinctsouil  a  bien  di!couru,&  les  au- 
tres où  il  a  failly.  Ce  Philofophe  donc  met  en 
auant  vnedifpute  fur  lèvent  Méridional,  ou  du 
Sud ,  à  fçauoir  fi  nous  deuons  croire ,  qu'il  pren- 
ne (a  naiflance  du  midy ,  ou  bien  de  l'autre  Polc 
contraire  au  N  ort ,  &c  eferit  en  ces  termes .   La 
raifon  nous  enfeigne,quela  latitude  &  largeur  de  la  ter- 
re habitable,  eft  bornée  &  déterminée ,  &  néanmoins 
tonte  cefte  terre  habitable  ne  peut  eftre  conjointe  &  con- 
tinuée l'y  ne  à  l'autre.  Pour-autant  que  la  région  du  mi- 
lieu eft  trvpintempcree  :  car  il  eft  ce>  tain  qu'en  fa  longi-^ 
tude  ,qui  eft  d'Orient  au  vonant,iln'y  a  forntde  trop 
grand  froid,  ny  d'exccfiue  chaleur,  mais  il  eft  en  fa  lati- 
tude &  hauteur ,  qui  cftd'vn  Poleà  la  ligne  Equinottia- 
le.  Et par-awft pourroit-on  cheminer  &  trauerfer  toute 
la  terre  en  fa  longitude,  fi  la  grandeur  de  la  mer,  laquelle 
conioint  les  terres  cnfemblcment ,  ne  donnoit  emùefche- 
ment.  Iufques  icy  il  n'y  a  rien  à  contredire  en  ce 
que  dit  Anftote,&  a  fort  bonne  raifon  dédire 
que  la  terre  par  fa  longitude ,  qui  eft  d'Orient  ati 
Ponant, court  plusvniemenc,  &  eft  toufiours 


HISTOIRE  NATVRELLE 
plus  commode  à  la  vie  &  habitation  humaine, 
que  non  pas  par  fa  latitude,  qui  eftdu  Norc  au 
Midy.  Ce  qui  eft  véritable  non  feulement  pour 
cefteraifonmfdited'Ariftote,  àfçauoirpour  ce 
qu'il  y  a  vne  mefme  ôc  toufiours  iemblable  tem- 
pérance du  ciel  de  l'Orient  au  Ponant:  attendu 
qu  elle  eft  efgalement  diftante ,  ôc  du  froid  fcp- 
tcntrional,  ôc  de  la  chaleur  du  Midy  :  Maisaufîï 
pour  vne  autre  raiion ,  qui  eft  qu'en  allât  ôc  che- 
minant toufiours  en  longitude  l'on  trouue  & 
apperçoit-on  les  iours  ôc  les  nuicts  fuccedans 
les  vns  aux  autres  alternatiuement.  Ce  qui  ne 
peut  eftreen  allant  par  la  iatitudcd'autat  que  par 
neceffité  il  (croit  befoin  darriuer  iufques  à  cefte 
région  Poiacque,  en  laquelle  il  y  anuicr.  conti- 
nuelle de  fix  mois,choie  grandement  incommo- 
de pour  la  vie  humaine.  Le  Philofophe  parle  plus 
outre,reprenant  les  Géographes,  qui defcriuoiér 
la  terre  en  fon  temps,&  dit  ainfi  :  L'on  peut  bien  co- 
gnotftre  ce  que  ïay  dit  par  les  chemins  que  l'on  peut  faire 
far  terre,  <&  p-ar  les  nauigations  maritimes.  Car  il  y  a 
grande  différence  entre  la  longitude  &  la  latitude,  d  au- 
tant que  lefyacc  &  interuallc  qui  eft  depuis  les  coloni- 
ales a' Hercules, ou  deflroit  de  Cibaltar ,  iufques  a  l'Inde 
Orient  aie, excède  de  la  proportion  de  plus  de  cinq  a  trois, 
celle  qui  eft  depuis  î  Ethiopie  iufques  au  lac  "Mcotis  çj- 
derniers  confns  deScythie  :  ce  qui  eft  approuué parle 
compte  des  tournées  des  chemins  &  de  la  nauigatio,  que 
vous  fçauons  à prefeut par  la  mefme  expérience.  D'autre 
part  nom  auons  aujîi  cognoiffanec  de  la  terre  Jjabi  table, 
iufques  aux  parties  d'icelle  qui  font  inhabitables.  Et 
certes  en  cepoinct  Ton  doit  pardonner  à  Arifto- 
te ,  puis  que  de  fon  temps  l'on  n'auoit  point  en- 


I 


DES    INDES.       LIV.     I.  I# 

core  defcouuert  plus  outre  que  la  première  É- 
thiopie  appellee  extérieure,  qui  cft  ioignant  l'A- 
rabie ,  &  l'Afrique  ;  &  que  l'autre  Ethiopie  inté- 
rieure a efté  totalement  incogneu'è  de fon  temps; 
mefme  toute  celle  grande  terre  que  nous  appel- 
ions auiourd'huy  la  terre  de  Prete-Ian.  Comme 
aufîï  n'ont  point  eu  cognoillancedurefte  de  la 
terre  qui  gift  fous  l'Equiuoxe ,  &  va  courant  iuf- 
ques  à  outrepaiîer  le  Tropique  de  Capricorne, 
pour  f  arrefter  au  Cap  de  bonne  efperance,fi  bien 
cogneu  &  renommé  par  la  nauigation  des  Por- 
tugais, que  fi  l'on  mefure  la  terre  depuis  ce  Cap 
iufques  à  la  Scythie  &  Tartarie ,  il  n'y  a  point  de 
doute  que  cette  efpacc  &  latitude  Te  trouuera 
aiiffi  grande  comme  l'efpace  &  la  longitude ,  qui 
eft  depuis  Gibaltar  iufques  à  l'Inde  Orientale. 
C'eft  choie  certaine  que  les  anciens  n'ont  point 
cogneu  lescommencemens&  fources  du  Nil, 
ny  la  fin  de  l'Ethiopie,  &  pour  cela  Lucain  re- 
prend la  curiofité  de  Iules  Cefar ,  de  vouloir  re- 
chercher &  enquerirla  fource du  Nil ,  difànt  par 
ces  vers: 

Que  tcfert-il  Romain  de  prendre  tant  de  peines 
*A  rechercher  du  "Hil  les  jour  ces  &  fontaines'* 
Et  le  mefme  Poète  parlant  auec  le  Nil,dit: 
Tuis  que  ta  prime  fource  cft  fi cachée  encoret 
Que  qui  tu  fois., o  N/7,  tout  tVniucr s  ignore. 
Mais  par  la  fain&e  Efcriture  mefme  l'on  peut 
entendre  que  celle  terre  eft  habitable.  Car  fi  elle 
ne  l'eftoit,le  Prophète  Sophonias  ne  diroitpar- 
lant  de  ces  nations  appcllees  à  l'Euangile  ,  Les 
fils  de  mes  difperfe\  (  ainfî  appelle-il  les  Apoftres) 
ip  apportèrent  desprefens  déplus  outre  que  les  riuages 

C  ij 


LuC4tt.to] 

Thtrfal. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
et  Ethiopie.  Neantmoins,  comme  il  a  efté  d  it,il  eft 
raifonnable  de  pardonner  au  Philoiophe,  d'a- 
uoir  creu  les  hiftoricns,  &  Cofmographes  de  fon 
temps.  Pourluiuons  donc  maintenant  &  exami- 
Sofh.t-yt.  nons  ce  qui  ('enfuit  du  mefme  Ariftote  :  V  ne  par- 
tie du  monde  (  dit-il  )  qui  esl  la  feptentrionalefituee  au 
'Kort^out  rc  la  Zone  tcmperee,cfl  inhabitable  pour  l'excès 
de  froidure:  l'autre  partie,  qui  eft au  midyfde  mcfmenc 
peut  ejire  habitée  outre  le  Tropique  ,  pour  l'excefsiue 
chaleur  qui  y  eH.  Tsiats  les  parues  du  monde  font  ejr  ^i- 
fent outre lTndc>d'yn(oPié,&  lescolomnes  d'Hercules 
de  t  autre,  pour  certain  ne  fe  peuuent  joindre,  ç-r  con- 
tinuer l'y  ne  a  l'autre:  de  telle  façon  que  toute  la  terre 
habitable  fe  tienne  en  ru  feul  continent  a  caufe  de  la  mer 
quilesfepare.  En  ce  dernier  poinct  il  dit  la  vérité, 
puis  ilpourfuit  touchant  l'autre  partie  du  mon- 
de ,  &  dit  :  llcBncccffaircquc  la  terre  aye  me  fine  pro- 
portion, aucefon  Tôle  .Jntartiquequc  ccsle  noHre  par- 
tie habitable  a  aucc  le  fictif  qui  es~i  le  "Rort,  <&  n'y  a  point 
de  doute  que  en  l'autre  monde  toutes  chefes  doiucnt  eflre 
disfofees  comme  en  ccsluy-cy ,  fpectalcment  en  la  naif- 
fance  &  ordre  des  yents.  Et  après  auoir  mis  en  auan  t 
d'autre  raifons ,  hors  de  propos,  conclud  le  mef- 
me Ariftote  difant  :  Kous  datons  donc  confffcr  par 
necefiite,que  leMendional  est  le  7ncfme  yent  qui  fou  ffle, 
&  procède  de  cesle  région  embrafec  de  chaleur  :  laquelle 
région  pour  cs~lre  fort  proche  du  Soleil,  défaut  &  man- 
que d'caux,&- de  paflurages.Qc.cy  eft  l'opinion  d'A- 
riftote,  &  à  la  vérité,  l'humaine  conjecture  à  grad 
peine  a  peu  palier  plus  outre.  D'où  fouuentesfois 
ie  vien  à  confiderer  ,  (par  vne  contemplation 
Chreftienne)  combien  débile,  &  petite  a  efté  la 
Philofonhjç  des  iages  de  ce  fîçcle.en  la  recherche 


DES     INDES.      LI  V.    I.  19 

des  chofesdiuines,  puifque  mcfme  aux  chofes 
humaines ,  où  ils  iemblenc  fi  bien  verfez  ,  ils  ont 
maintefois  erré.  Ariftote  eft  d'opinion  8c  afferme 
que  la  terre  habitable  au  Pôle  Antarctique  eu 
longitude  eft  trcs-grande  ,  qui  eft  d'Orient  au 
Ponant ,  8c  qu'en  latitude  du  Pôle  Antarctique  à 
la  ligne  equinoctial  elle  eft  très-petite.  Ce  qui  eft 
fi  contraire  à  la  vérité,  que  toute  l'habitation 
prefque,qui  eft  en  ce  codé  du  Pple  Antarctique, 
a  fa  fituation  en  la  latitude ,  (  i'entens  du  Pôle  ala 
ligne,)  &  en  la  longitude  d'Orient  au  Ponant  eft 
tant  petite,  que  la  latitude  l'excède  trois  parts» 
voire  d'auantage.  L'autre  opinion  eft, qu'il  affer- 
me que  la  région  du  milieu  eft  du  tout  înhabita- 
ble,pour  eftre  fouz  la  Zone  Torride  embrafee  de 
l'exceffiue  chaleur  que  luycauiela  prochainetc 
du  Soleil  ,  &  par  cefteraifon  n'a  point  d'eaux,  ny 
depafturages.  Cequi  eft  au(Tî  tout  au  contraire, 
d'autant  que  la  plus  grande  part  de  ce  nouueau 
monde  eft  fituee  entre  les  deux  Tropiques  fouz 
la  mcfme  Zone  Torride:  Et  neantmoins  fe  trou- 
uefort  peuplee,&  habitée  d'hommes, &  d'autres 
fortes  d'animaux ,  eftant  la  région  la  plus  abon- 
dante de  toutl'vniuers  en  eauës  &  pafturages  :  8c 
qui  plus  eft  fort  tempérée  en  la  plus  grande  par- 
tie. Ce  que  la  volonté  de  Dieu  a  difpofé  de  telle 
façon ,  afin  de  monftrer  comme  melmc  aux  cho- 
fes naturelles  il  a  renuersé  8c  confondu  la  (âge (Te 
decefiecle.  En  refolution  il  faut  croire  que  la 
Zone  Torride  eft  fort  bien  peuplée  &  habitée, 
quoyqueles  ancies  l'ayent  tenu  pour  chofeim- 
poffible.  Mais  l'autre  Zone  ou  région ,  qui  eft 
entre  laTorride  8c  la  Zone  du  Pôle  Antarctique, 

C  iij 


HISTOIRE  NATVREL  LE 
encore  qu'en  fon  alîîctc  elle  foie  fort  commode 
pour  la  vie  humaine,  ce  neantmoins  eft  peu  peu- 
plée Se  habitée,  puis  que  l'on  ne  cognoift  autre 
habitation  en  icelle  que  le  royaume  de  Chillc, 
&  vue  petite  portion  joignant  le  Cap  de  bonne 
Efperance.  Le  refte  eft  occupé  de  la  mer  Oceane, 
bien  que  plufieurs  foient  d'opinion  (laquelle  ie 
veux  bien  enfuiure  de  ma  part)  qu'il  y  a  beau- 
coup dauantage^c  terre  non  encore  dcfcouucr- 
te ,  laquelle  doit  eftre  terre  ferme  à  l'oppofite  du 
royaumede  Chillc,  qui  va  courant  plus  outre, 
que  le  cercle  ou  Tropique  de  Capricorne.  Que 
ril  y  en  a,  fans  doute  ce  doit  eftre  vne  terre  d'ex- 
cellente température  ,  pour  eftre  au  milieu  des 
dcuxextremitez,&  fitueeen  mefrne  climat  que 
lameilleure  région  de  l'Europe.  Et  pour  cefte 
confîderation  eft  fort  bonne  la  conjecture  d'A- 
riftote  :  mais  parlant  de  ce  qui  eft  auiourd'huy 
defcouuert,cc  qui  eft  en  celle  Zone  eft  peu  de 
choie,  en  comparai fon  de  la  grande  efpace  de 
terre  habitée  eftenduc  fouz  la  Zone  Torride. 


Que  Time  Cries  anciens  ont  eultntefmc 
opinion  qu'^Arislote. 

chap.     x. 

&&  'Opinion fufdicte  d' Ariftote a  efté  fuy uie  Se 
Ttin.hb.i.  Sais?  tenue"  par  Pline ,  qui  dit  ain.fi  :  La  tempera- 
(•  68.       turc  de  la  région  du  milieu  du  monde,  par  où  &;\ 


1  endroit  de  laquelle  continuellement  chemine 
le  Soleil  5  eft  embrazee  &-  bruflee  comme  d'vn 
feuprochain,  îoiguant  icelle  région  du  milieu. 


DES    I  NDES.    LIV. .  I.  20 

Il  y  en  a  deux  autres  aux  deux  codez,  qui  pour 
eftre entre l'ardeur  de  celle  Torride,&  le  froid 
cruel  des  deux  autres  extrêmes ,  font  fort  tempé- 
rées ,  &  ne  peuuent  auoir  communication  les 
vues  auec  les  autres,  à  caufede  l'ardeur  exceiïï- 
ue  du  Ciel .  Qui  a  efté  la  mefme  opinion  des 
anciens  généralement  défaite  par  le  Poe" te, en 
ces  vers  : 

Tout  le  Ciel  cfl  circuit  de  cinq  Zones,  dont  tvne 
Que  Vhebus  ardtoufioursd'vne  braife  importune, 
Hjndla  terre  au  dejfous  toutereuge  et  ardeur. 
Et  le  mefme  Poëte  en  autre  lieu: 

Oye^  fi quelque gent  habite  en  celle  part. 
Qui  fous  la  large  7.onc  a  (on  quartier  à  part -, 
Qt<e  pbebus  au  milieu  des  quatre  autres  allume. 
Et  vn  autre  Poète  dit  plus  clairement, 
ilyafurlatcrrc  autant  de  relions 
Comme  au  etel  qu'on  diuife  en  ces  cinq  portions. 
Dont  celle  du  milieu ,  par  l'ardeur  excitée, 
Des  chauds  rais  du  Soleil  efl  toute  inhabitée. 
Les  anciens  ont  fonde  leur  opinion  commune 
furvneraifon  ,  qui  leur  a  femblé  certaine,  &  in- 
expugnable. Car  voyans  quêtant  plus  vne  ré- 
gion approchent  du  midy ,  tant  plus  elle  eftoic 
chaude ,  (  laquelle  preuue  eft  fi  certaine  en  ces 
régions ,  que  pour  cefte  mefme  raifon,  en  la  Pror 
uince  d'Italiela  Pouilleeft  plus  chaude,  que  la 
Tofcane,  ScenEfpaigne,  l'Andalufie  plus  que 
laBifcaye:  chofe  fi  apparente,  que  iaçoit  qu'ir 
n'y  ait  point  de  différence  entre  l'vne&  l'autre 
de  plus  de  huictdcgrez,  8c  encore  moins,  on 
voitquel'vneeft  fort  chaude,  &  l'autre  au  con- 
traire a  bien  froide,)  de  là  ils  infer  oient  que  la 

C  iiij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
région  fiproohe  dumidy  ayant  le  Soleil  droit 
pour  Zénith,  necellàirement  deuoit  eftre  con- 
tinuellement embrafee de  chaleur.  Ilsvoyoient 
d'auantage,que  toutes  les  diuerfitezdesfaifons 
de  l'année  ,  du  Printemps ,  de  l'Efté,de  l'Autone, 
ôc  de  l'Hyuer,eftoient  caufees  de  l'aprochement, 
ôc  efloignement  du  Soleil.    Voyans  auflî  que, 
combien  qu'ils  fuirent  fort  efloignez  du  Tropi- 
que ,  par  où  chemine  le  Soleil  en  Efté ,  ce  neant- 
moins  lors  qu'il  s'approchoit  d'eux,  en  la  mefme 
faifon  ils  fentoicnt  de  terribles  chaleurs ,  ôc  de  là 
ils  iugeoient  que  fi  'ils  euffent  eu  le  Soleil  fi  pro- 
che d'eux,  qu'il  cheminaft  au  dellus  de  leurs  te- 
lles, &  tout  le  long  de  la  nuée,  la  chaleur  feroit 
tantinfupportablc3que  fans  doute  elle  confume- 
roit&:  emoraferoit  les  hommes  par  Ton  excez. 
C'a  efté  la  melme  raifon ,  qui  a  efineu  les  anciens 
i.  croire  que  la  région  du  milieu  n'eftoit  point 
habitable ,  ôc  pour  cela  l'appellcrent  ils  la  Zone 
bruilante.  Et  à  la  vérité ,  h  l'expérience  oculaire, 
que  nous  en  auons ,  ne  nous  euft  elclarcis  fur  ce 
poinct,  nous  dirions  auiourd'huy ,  que  cefte  rai- 
ion  eftoit  fortperemptoire  ôc  Mathématicien- 
ne, d'où  nous  pouuons  voir, combien  foibleeft 
noftre  entendement,  pour  comprendre  feuleméc 
ces  chofes  naturelles  -,  Mais  ores  que  nous  pou- 
Uons  dire  qu'il  eft  efcheu  au  grand  heur  ôc  félici- 
té de  noftre  fiecle  ,d'auoir  la  congnoifiance  de 
ces  deux  grandes  merueilles,à  fçauoirque  l'on 
peut  fort  facilemëtnauiger  la  grande  mer  Ocea- 
ne  ,  ôc  que  fouz  la  Zone  Torride  les  hommes 
iouviFcnt  d'vnCiel  fort  tempéré.  (Chofeque  les 
ancien*  n'ont  peu  iamais  croire.)  De  la  dernière 


DES    INDES.    LIV.    T.  21 

de  ces  deux  merueilles,tou<;hant  la  qualité  &  ha- 
bitation de  la  Zone  Torride  ,  nous  en  traiterons 
auec  l'ayde  de  Dieu  fort  amplement  au  liure  en- 
fumant. Et  par  ce  melembleconuenablededif- 
courir  en  ce  liurc  de  l'autre ,  qui  eft  de  la  manière 
denauiger  l'Océan, d'autant  que  cela' nous  im- 
porte beaucoup  pour  le  fubject  de  ceft  œuure. 
Mais  auat  que  de  venir  à  ce  poinct,  il  fera  bon  de. 
dire  ce  que  les  anciens  ont  tenu  de  ces  nouueaux 
hommes ,  que  nous  appcllo  ns  Indiens. 

Que  l'on  trouue  quelque  co^noiffimeedece  nouueau 
monde  dedans  les  hures  des  anciens. 

C  II  A  P.     XI. 

<$n  Eprenant  doneques  ce  qui  a  efté  mis  en  auat 
si*&cy  deiïus,  il  faut  nécessairement  conclure, 
ou  que  les  anciens  ontereu,  qu'il  n'y  auoit  hom-  piutarc  j, 
mes  par  delà  le  Tropique  de  Cancer  (comme  S.  depUatU 
Auguftin,  Se  Laitance  l'ont  tenu)  ouquefily  en/'^-c-^- 
auoitjàtoutlemoins  ilsn'habitoient  pas  entre 
les  deux  Tropiques  (  ainfi  que  l'ont  affermé  Ari- 
ftote,  Se  Pline,  Se  deuant  eux  le  Philofophe  Par- 
menides)dont  le  contraire  cftafTezprouué  cy- 
deuant, tant  pour  l'vn  que  pour  l'autre.  Mais  ce- 
pendant, plufieurs  par  curiofité  pourroient  de- 
mander, ii  les  anciens  n'ont  eu  aucune  cognoil- 
iànce  de  cette  verité,qui  nous  eft  à  prefent  fi  cl  ai- 
re Se  fi  notoire  :  D'autant  qu'à  la  vérité  cela  fem- 
ble  vne  chofe  fort  eftrange ,  que  ce  nouueau  mo- 
de eftant  fi  grand  ,  comme  nous  le  voyons  ocu- 
lairement ,  ait  efté  neantmoins  incogneu  des  an- 
ciens par  tant  de  ficelés  pallez.    D'où  quelques- 


HISTOIRE    NATVRELLE 
vns  auiourd'huy  ..pretendans  amoindrir  en  cefë 
endroit  la  félicité  de  noftreiîecle,&  la  gloire  de 
noftre  nation  ,  {'efforcent  de  monftrer  que  ce 
nouueau  monde  a  efté  congneudes  anciens.  Et 
de  faict  l'on  ne  peut  pas  n  i  cr,qu'il  n'y  en  ait  quel- 
ques apparences.  Sainct  Hicrofmeefcriuant  lur 
n'ier.  fuper  TEpiftre  aux  Ephefiens  èh.^uecraijon  nous  recher- 
f.zadEph.  cJ)ons  ce  que  y  eut  dire  l\ApoHrc,  en  ces  paroles  qshl 
dit.  Vousaue1^  cheminé îm  temps  félon  le  cours  de  ce 
monde,  fçauoir  (i  d' auanture  il nousveut faire  entcndrcy 
audy  ait  vn  autre  fîecle,  qui  ne  fort,  ny  def pende  point 
de  ce  monde ,  nuis  d'autres  mondes  defqucls  efcrtt  Clé- 
ment enfon  eptjfre,  T  Océan ,  &  les  mondes  qui  font  par 
de-la  l'Océan.  Ce  font  les  termes  de  S.  Hierofme. 
Mais  à  la  vérité  ie  ne  peux  trouuer,quelle  Epiftrc 
foitcellcdeS.Clemëtque,citefaincT:  Hierofme: 
ireantmoinsians  douteiccroy,  qucS.Clemétl'a 
efcritc,puifque  S.  Hierofme  Tamis  en  auant.  Ei? 
auecraifondit  S.  Clément ,  que  par  de  là  la  mer 
Oceaiie,ily  a  vn  autre  monde,  voire  plufieurs 
mondes ,  comme  c'eft  la  venté ,  puifque  il  y  a  fi 
grande  diftanec  d'vn  nouueau  monde  à  l'autre 
nouueau  monde,  (l'entes  dire  du  Peru  &  des  In- 
des OccidctaleSjàla  Chine  &  Indes  Orientales.) 
plmlib.i.  D'auantage,  Pline  quia  eue  fi  diligent  recher- 
«.  67.       cheur  des  chofes  eurages,&  admirables,  rappor- 
te en  fou  hiftoire  naturelle, que  Hannon  capi- 
taine Carthaginois,  nauiga  par  l'Océan  depuis 
le  dedroit  de  Gibaltar  ,  coftoyant  toufiours  la 
terre  iniques  aux  confins  d'Arabie ,  8c  qu'il  laifîa. 
par  elerit  cefte  fiene  nauigation.  Que  fil  cftainfï 
comme  Plinel'efcrit,  ilfeofuitque  Hannon  na- 
uiga autant  j  comme  nauigent  auioutd'huy  Les 


DES     INDES.      L1V.    h 


11 


Portugais  ,  trauerfàns  deux  fois  pardelîoubs  l'e- 
quinoxe,qui  eft  vne  chofe  efpouuentablc.  Et  qui 
pi  us  eft  le  mefmePline  rapporte  deCorneleNep- 
ueu  auteur  fort  graue,&dit  que  le  mefrîic  chemin 
a  efté  nauigé  par  vn  autre  homme  appelle  Euda- 
xiuSjtoutesfois  par  chemins  contraires:  d'autant 
que  ccft  Eudaxius  fumant  le  Roy  des  Latyres, 
fortit  par  la  mer  rouge  dans  l'Océan,  &  en  tour- 
noyant paruintiufquesau'deftroitdeGibaltarrce 
quelemefmeGornele  Nepiteu  afferme  eft re  ad- 
uenujde  Ton  temps.  Comme  auflï  d'autres  au- 
teurs graues  efcriuenc ,  qu'vnc  nauire  de  Cartha- 
ginois pouiïee  par  la  force  des  vensdansla  mer 
Oceane,arriua  en  vne  terre ,  qui  iufqucs  à  ce  teps 
n'auoit  efté  cogneu"ë,&:qu'eftant  de  retour  à  Car- 
thage.donnavn  grand  defir  &  cnuieaux  Cartha- 
ginois de  defcouurir  &  peupler  ccfte  terre.  Ce 
que  voyant  le  Sénat,  par  vn  rigoureux  décret  dé- 
fendit telle  nauigation ,  craignant  qu'auec  le  dé- 
fi r  de  nouuelles  terres ,  l'on  delailfaft  à  aimer  Ton 
pays.  De  tout  cecy  l'on  peut  tirer  que  les  anciens 
ont  eu  quelque  cognoiiîancedunouueau  mon- 
de, encore  que  parlant  de  noftre  Amérique  ÔC 
de  toute  cefte  Inde  Occidentale  ,  à  peine  en 
trouue-1'on  chofe  certaine  es  liures  des  Efcri- 
uains anciens.  Mais  de  l'Inde  Orientale, ie dis 
qu'il  y  en  a  allez  ample  mention  ,  non  feule- 
ment de  celle  de  par-delà ,  mais  auiïï  de  celle  de 
par-decà,  qui  anciennement  eftoit  la  plus  efloi- 
gnee ,  pource  que  l'on  y  alloit  par  contraire  che- 
min ,  que  celuy  qu'on  fait  auiourd'uy ,  Pour- 
quoy  n'eft-il  pas  ailé  de  trouner  aux  liures  an- 
ciens Malacà  qu'ils  appclloicnc  le  doré  Cher- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
fonefe,  le  Cap  deComorni,  qui  Pappelloit  le 
Promontoire  de  Cori,&  la  grande  &  renommée 
IfledeSumatrc,tant  célébrée  par  l'ancien  nom 
de  TaprobaneîQue  dirons  nous  des  deux  Echio- 
pies ,  des  Brachmanes  ,  &  de  la  grande  terre  des 
Chinois?  qui  doute  que  aux  liurcs  des  anciens, il 
n'en  foit -fait mention  plusieurs  fois?  Mais  des 
Indes  Occidentales,nous  ne  trouuons point  de- 
Thajib.  6.  dans  Pline ,  que  en  cefte  nauigation  l'on  patfàft 
çaP'  "•  les  Ifles  Canaries  ,  qu'il  appelle  Fortunées  ,  la 
principale  defquelles  il  dit  auoir  efté  nommée 
Canari  e,pour  la  multitude  des  chiens  qui  eftoiec 
en  icelle.  Mais  à  peine  il  y  a  aucune  apparence 
aux  liures  anciens  de  la  nauigacion  ,  que  l'on  fait 
auiourd'huy  plus  outre  que  les  Canaries ,  par  le 
Golphequ'auec  fort  boneraifon  ils  appelloient 
grand.  Ce  neantmoins  beaucoup  ont  opinion 
que  Senequc  le  Tragique  a  prophetile  de  ces  In- 
des-Occidentales,  parce  oue  nous  lifons  en  fa 
tragédie  de  Medee  en  vers  Anapeftiques ,  quire- 
duicts  en  vers  François ,  difent  ainfî  : 
il  viendra  fur  le  dernier  aage 

Vn  ficelé  nouucau,  bien-heureux, 

Ou  noslre  Océan  fyacieux 

Lsîcndra  plus  loin?  (on  riua<?c. 
F  ne  grand  terre  fe  verra 

Kauigcant  ccBc  mer  profonde, 

Et  lors  vn  autre  nouueau  monde 

*Ahx  humains  f  defcouurira.  \ 

La  Tulle  par  tout  renommée 

'Pour  vn  bout  du  monde  eftonçné 

Tantofl après  ce  poinB  çaigné 

Sera  pour  yoijia  e  contrée* 


Senec.  in 
toted  ait. 
2.  in  fn. 


DES      INDES.       IIV.    I.  2| 

Cecy  raconte  Seneque  en  ces  vcrs,ôc  ne  polluons 
bonnement  nier  que  la  prenant  à  la  lettre,  la  pré- 
diction ne  fou  véritable.  .Car  il  Ton  compteles 
longues  années  qu'il  dit  ,  à  commencer  dés  le 
temps  du  Tragique, l'on  trouucraplus  dc*mil  8c 
quatre  cens  ans  pallez ,  &  fic'eftdcs  lctcmpsde 
Medee,  il  y  en  aura  plus  de  deux  milice  que  nous 
voyons  auiourd'huyà  veue  d'oeil  tellement  ac- 
comply,veu  qu'il  n'y  a  point  de  doute  que  l'on, 
n'aye  trouuc  Le  partage  de  l'Océan  fi  long  temps 
caché  ,  &c  que  l'on  a  defeounert  vne  grande  terre 
cVnouueau  monde  habiter, plus  grande  que  tout 
ce  continent  de  l'Europe  &  de  l'Afie.  Mais  ce 
que  l'on  peut  en  cela  raiionmibiemenc  dilputer 
eft,à  fçanoir  fi  Seneque  a  diet  cela  par  dmination, 
ou  fi  c'a  efté  poétiquement,  &  àlavolec.Etpour 
en  dire  mon  opinion,  iectoy  qu'il  l'a  pronofti- 
qué  auec  la  façon  de  deuiner  qu'ont  les  hommes 
iàges  &  aduiiez  :  attendu  qu'en  fou  temps  l'on 
entreprenoit  défia  de  nouuelles  nauigations,& 
voyages  par  mer.  Ilcognoillbit  bien  auflj  com- 
me Philofophe,qu'il  y  auoitvne  autre  terre  co- 
traire&  oppoiiteà  nous,  qui  efeoit  celle  qu'ils 
appellent  Antichthon.  Et  par  ce  rondement  il  a 
peuconfiderer  que  la  hardieire&  induftrie  des 
hommes  en  fin  pourroit  atteindre  iufques  là  que 
de  trauerler  la  mer  Oceanc ,  &c  l'ayant  trauerfee 
pourroientdefcouurirde  nouuelles  terres,  tScvri 
autre  monde:  attendu  que  du  temps  de  Seneque 
l'onaiioitcognoifiancedu  fuccezde  ce  naufrage 
que  Pline  raconte,  par  lequel  on  oafïa  le  grand 
Océan.  Ce  qui  appert  auoircfléle  motif  de  la 
Prophétie  de  Seneque ,  comme  il  le  donne  à  en- 


HISTOIRE    KATVRULB 
tendre  par  les  vers  cy  deuant  récitez  :  après  Ie£ 
quels  ayant  acheué  d'eferire  le  foucy&  la  vie  peu 
malicieufe  des  anciens ,  il  fuit  ainfi: 

.Auionrctkuy  c'esî  vn  Mitre  temps, 
Car  la  mer  contente  ou  forcée, 
Se  voiddcïhardy  trauerfee, 
Qui  n'y  prend  que  du  pajfc-ttmps. 

Et  plus  bas  il  dit  ainfi  : 

Tout  batt eau  fans  craindre  naufrage 
Se  ictte  or  fur  la  haute  mer, 
Et  ja  le  bouillant  pafj'ager 
Tient  pour  brefvn  fi  long  voyage. 

ilriesl  plus  rien  à  dcfcouurir, 
JZy  lieux  qui  foyent  encor  a  prendre  : 
Celuy  là  nui  fie  y  eut  deffendre, 
D'vn  nouueau  mur  fedoit  cotiurir. 

Tout  ett  rentier  se  par  le  monde, 
Rjen  i\cft  en  fon  lien  demeuré, 
Bjen  fecret  ny  rien  d'à fleuré 
"H'ya  parmy  la  terre  ronde. 

On  voidque  le  chaud  Indien 
Boit  t.Araxeen  froideur  cxtrcfme, 
Et  ÏElbe&  le  \\htntout  demcfme, 
Laucnt  le  peuple  Ver  lien. 

Et  de  cette  tant  grande  hardieiïe  des  hommes 
Seneque  a  coniecfcurè  ce  qu'il  a  eferit,  comme 
le  dernier  poincl:  qui  doit  arriuer  difont  :  il  vien- 
dra fur  le  dernier  âge }  &c.  ainfi  qu'il  a  elle  mis  cy 
deifus. 


DES     INDES.      lîv.    I. 


H 


De  l'opinion  que  Vlaton  a  eue  des  Indes 
Occidentales. 

C  H  A  P.     XII. 

R  fi  quelqu'vn  a  trai&é  plus  particulière- 
$$.  ment  de  cefte  Inde  Occidentale,  que  l'hon- 
neur en  doit  efl  re  donné  à  Platon,  qui  en  fon  Ti- 
mee  dit  ainfi  :  En  ce  temps  l'on  ne  pouuoit  nauizer  ce 
Go!j>bc(i[c\uciid  delà  merAtlantique,quieft  l'O- 
ccan,qui  fe  rencontre  au  fortir  du  dcftroit  de  Gi- 
baltar)  pour  ce  que  le  pafiage  cfioit  clos  à  la  bouche  des 
colomncs d'Hercules,  (qui eft.  le  mefmedeftroit  de 
G 1  bal  car) .  Et  cefie  Ifle  cfioit  joincfe  en  ce  teps  a  la  bou- 
che jufdick,  &  cfioit  de  telle  grandeur ,  qu'elle  execdoit 
toute  l'./fjic  &  l '.Afrique  e??fc?nldcmet:&alorsil  y  auoit 
yn  pa^fage  pour  aller  de  ces  Ifles  à  d  autres,  &  de  ces  au- 
tres l  fi  es  l'on  alluit  à  U  terre  fermey  qui  eftoit  proche,  en- 
vironnée de  la  yraye  mer.  Cela  eft  raconté  parCritias 
en  Platon.  "Et  ceux  qui  fe  perluadet  que  cefte  nar- 
ration de  Platon  eft  vnevraye  hiftoirc  deduietc 
&  cdtenu'é  foui  ces  termes. d>  lent  que  cefte  gran- 
de Ifle appellee  Atlantique,  laquelleexcedoiten 
grandeur  l'Afrique &"  l'Aile  tout  enfemble,occu- 
poit  alors  la  plus  grande  part  de  la  mer  Oceane 
appellee  Atlantique,  que  les  Espagnols  nauigenc 
auiourd'huy,&:  que  les  autres  Ifles,  qu'il  diibic 
cftre  proches  de  celle  grande  ,  font  celles  que 
maintenant  nous  appelions  Ifles  de  Barlouante, 
à  ^çauoir  Cube  Efpagnolle ,  fai  r.ct  Iean  du  Port- 
riche  ,  Iamaique  ôc  autres  Ifles  de  cefte  con- 
trée :  mefme  que  la  terre  ferme  dont  il  fait  men- 
tion ,  eft  celle  qu'auioutd'huy  nous  appelions 


HISTOIRE  NATVRE1LE 
terre  ferme ,  à  fçauôir  le  Peru ,  8c  l'Amérique ,  & 
que  cède  vraye  mer ,  qu'il  dit ,  eft  joignant  icelle 
terre  ferme,  içauoir  la  mer  du  Sud,  qu'il  appelle 
vraye  mer,  pource  qu'en  comparaifon  de  fa  gran- 
deur ,  les  autres  mers  Mediteranees  ,  voire  la 
meime  Atlantique,  font  comme  petites  mers. 
Par  cela  à  la  vérité  ils  donnët  vne  interprétation 
fort  ingenieuic  &  artificieufe  à  ces  propos  de 
Platon.  Mais  fi  cette  interprétation  doit  eftre  te- 
nue pour  veritable,ou  non,i'ay  delibei é  l'efclair- 
cir  en  autre  lieu. 


Que  quelques -y ns  ont  eu  opinion  au  aux  lieux  dé 

lEfoiture  faincie ,  où  UeHfaiEl  mention 

d'Ophir i  on  le  doit  entendre  de 

noftrc  "Peru, 

CHAP.     XIII. 

^5  Velques-vns  ont  cefte opinion  qu'il  eft  fait 
*  S  mention  en  lafaincieEicntuc  de  cefte  In- 
de Occidentale,  prenans  la  régi  on  du  Peru  pour 
ceft  Ophir  tant  célébré  en  icelle.  Robert  Hftien- 
ne,  ou  pour  mieux  dire  François  Vatable ,  hom- 
me fort  versé  en  la  langue  Hébraïque  (comme 
i'ayouy  raconter  à  noftre  Précepteur  qui  fut  fon 
diiciplc)  dit  aux  annotations  fur  le  neufielme 
I»  $./.*/£.  chapitre  du troifiefme  linredesRoys,  quel'Ifie 
f-  9-         Efpagnolle,quetrouuaChriftoneColôb,eftoit 
celle  d'Ophir  ,  dont  Salomon  faifoit  apporter 
mappara-  quatre  cens  vingt ,  ou  quatre  cens  cinquante  ta - 
tuBtbu*    lents  d'or  tres-fin&  pur.  Pour  ce  que  l'or  de  Cu 

revit  tm-    ,  ,  .         T  1, 

phatee.  c  bao cluc Ies noftres apportent del  Eipagnolle,elt 
».    '        de  telle  façon  &  qualité.  Et  f  en  trouuent  encore 

plufieurs 


DES    INDES.      LIV.    I.  £J 

plufieurs  autres  qui  afferment  que  ceftuynoftrc 
Perueft  Ophir ,  deduifans  &;tirans  vn  nom  de 
l'autre ,  lefquels  croyent  que  des  lors  que  le  liurc 
de  Paralipomenon  fut  efent, l'on  appelloitPeru  i-PtraLfl 
comme  auiourd'huy  ils  fe  fondent  en  ce  que  la  î'*-eZ?m> 
faincte  Efcriture  rapporte  que  l'on  apportoit 
d'Ophir  de  l'or  très- pur,  &des  pierres  fort  pre- 
cieufes  auec  du  bois  qui  eftoit  fort  beau  &  fort 
rare:  lefquelles  chofes  font  abondantes  au  Pé- 
ril,comme  ils  difent.  Mais(àmonopinion)c'eft: 
choie  fort  efloignee  de  vérité,  que  le  Peru  foie 
O  phir  tant  célébré  par  les  lettres  facrees.  Car  ia- 
çoit  qu'en  ce  Peru  il  y  ait  allez  grande  abondan- 
ce d'or ,  ce  n'eft  pas  toutesfoisde  telle  façon  que 
l'on  ledoiueefgaler  à  la  renommée  des  richelîes 
qu'a  eue  anciennement  l'Inde  Orientale.  Iene 
trouue  point  qu'en  ce  Peru  il  y  ait  des  pierres  fi  i.  var.  8„ 
precieulcs,ny  de  bois  fi  exquis,  qu'on  n'en  ait  ia-  4-1^- ra- 
mais veu  defemblablesen  Hierufalem.  Car  en-  '"  *^e&  9' 
core  qu'il  y  ait  des  efmeraudes  exquifes ,  8c  quel- 
ques arbres  d'vn  bois  dur  &  aromatique  :  ce 
neantmoins  ie  n'y  trouue  point  chofe  digne  de 
telle  louange,  que  lafaincte  Efcriture  donne  à 
Ophir.  Mcfme  il  me  femble  qu'il  n'eft  pas  vray- 
femblable  que  Salomon  euft  lai fîé l'Inde  Orien- 
tale tres-nche  &  opulente,pour  enuoier  fes  flot- 
tes de  nauires  à  cefte  dernière  terre  :  que  fi  elles  y 
cftoient  venues  tant  de  fois,  (comme  il  eft  eferit) 
certainement  nous  trouuerions  plus  derefte& 
detefmoignage  d'icelles  que  nousn'auons  pas. 
Dauantage,  l'etymologie  du  nom  d'Ophir ,  &  le 
changement  ou  réduction  d'iceluy  au  nom  du 
Peru  j  me  femble  chofe  peu  confiderable ,  eftanc 

D 


I 

I 


HISTOIRE    KATVRELIE 
certain  que  le  nom  du  Peru  n'eft  pas  fort  anci  en, 
«y  commun  à  toute  celle  contrée.  L'on  a  eu  de 
couflume  ordinairement  en  ces  defcouuertures 
du nouueau monde  ,  de  donner  nom  aux  terres 
&ports  de  mer,  félon  l'occafion  qui  Ce  prefen- 
toit  alors  del'arriuee,  &croy  que  le  nom  du  Pe- 
ru  a  eftéain  Ci  trouué,&  mis  en  vfage.  Car  nous 
tenons  icy ,  que  le  nom  a  elle  donne  à  toute  celle 
terredu  Peru,  à  caufed'vn  fleuueainfi  appelle 
parles  naturels  du  pays,auquel  les  Efpagnols  ar- 
riuerent  quand  ils  firent  la  première  delcotiuer- 
tc.    Et  de  là  nous  difons  que  les  mefmes  Indiens 
naturels  du  Peru  ignorent,  Se  ne  Ce  feruent  aucu- 
nement de  ce  nom  &c  appellation  pourfignifier 
leur  terre.  Il  lemble  d'auantage  que  les  mefmes 
autheurs  veulent  dire  que  Sepher,  dénommée  en 
la  faincte  Efcriture,  cft  ce  qu'auiourd'huy  Ton 
appelle  les  Andes,  qui  font  des  montagnes  très- 
hautes  du  Peru.  Et  celle  reflemblance  des  mots 
&  appellations  n'eft  pas  chofe  furfifànte.    Car  (i 
cela  auoit  lieu  ,  nous  pourrions  auflï  bien  dire 
que  Iectan  eft  Iecfan,  mentionné  en  la  iainclc 
Efcriture.    AuiH  nous  ne  pointons  dire  que  les 
jeâanf-  noms  de  Tite  &c  Paul ,  de(quels  ont  vie  les  Rois 
husHeber.  jnqUas  fe  x:e  Peru  ,  (oient  'prouenus  des  Ro- 
lectan  fi-   malni,>°U  Cnreltiens  -,  d  autant  que  c  ell  vn  argu- 
Um  Aha-  ment  trop  foible  &  trop  léger ,  pour  tirer  con  - 
h*ex  ce-  clufion  de  chofes  fi  grandes.  L'on  voit  claire - 
titra  ce».  ment  que  c'eft  chofe  contraire  à  l'intention  de 
ZJ"  l'Efcriture  faincle,  ce  que  quelques- vns  ont  et- 

crit  que  Tharfls  &  Ophir  n'eftoient  en  vne  mef- 
me route  &  prouince,  en  conférant  le  chapitre 
.  vingt- deuxicfme  du  quatrieime  liuredesRois, 


DES    INDES.    L  IV.    I.  l6 

a.Uec  le  chapitre  vingtiefme  du  fecôd  liuredu  Pa- 
ralipomenon.  D'autant  que  ce  qui  eft  dit  au  li- 
uredes  Roys,  que  Iofaphatdrelîàvne  flotrede 
rauiresen  Afiongaber  pour  aller  quérir  de  l'or  à 
Ophir,  eft  aiiiîî  référé  au  Paralipomenon,  que 
celle  mefmc  flotte  fut  drelfee  pour  aller  à  Thar- 
fis.  D'où  l'on  peut  facilement  inger  qu'en  ces  li- 
ures  fufdits,  quand  l'Efcriture  parle  de  Tharlîs 
&  Ophir, elleentend  vue  mefme  chofe.   Quel- 
qu'vn  me  pourroit  demander  fur cecy,quelle ré- 
gion ou  nrouince  eftoit  ceft  Ophir,  oùalloitla 
flotte  de  Salomon ,  auec  les  mariniers  de  Hyram. 
Roy  de  Tyr&  de  Sidon,  pour  rapporter  dç.i'or,  î-R.^f-9. 
ik  où  prétendant  aller  la  flotte  du  Roy  Iofaphats  4>  ^' 
perit,&  fit  naufrage  en  Afiongaber ,  comme  rap- 
porte l'Efcriture.  En  cecy  iedis ,  que îe m'accor- 
de fort  volontairement  à  l'opinion  de  Iofephe, 
en  les  liures  des  Antiquitez,  où  il  ditquec'eft 
vne  prouince  de  l'Inde  Orientale ,  laquelle  fut 
fondée  par  ceft  Ophir,  fils  de  Ie^tan,duquel  il  eft 
faict  mention  au  Genefedixiefme,  &eitoit  celle  Gene^  l0' 
prouince  abondante  d'or  très-tin.  De  là  eft  venu 
que  l'on  célèbre  tant  l'ord'Ophir,  ou  d'Ophas, 
ou  félon  qu'aucuns  veulent  dire  que  ce  mot  d'O- 
brile,vaut  autant  comme  quidiroit  l'Ophiri- 
ze.  Pourceque  y  voyant  fept  fortes  tk  eipeces 
d'or  ,  (comme  réfère  faincl  Hierofme)  celuy 
d'Ophir  eftoit  tenu  pour  le  plus  fin  ,  comme  icy 
nous  louons  &eftimons  l'or  de  Valdiuia  ou  de 
Caranaya.  La  principale  raifon  qui  me  fait  croi- 
re qu'Ophir  eft  en  l'Inde  Orientale  ,6c  non  en 
cède  Occidentale  ,  eft  pource  que  la  flotte  de 
Salomon  ne  pouuoit  venir  icyfà,ns  palier  toute 


HISTOIRE  NATVRELLE 
i'Inde  Orientale,toute  la  Chine ,  8c  autre  grande 
cfpace  de  mer^  n'eftant  pas  vray-femblablc  qu'il* 
eullent  trauerfé  tout  le  monde  pour  venir  icy 
chercher  de  l'or,  principalement  eftant  cefte  ter- 
re de  telle  façon ,  que  l'on  n'en  peut  auoir  eu  co- 
gnoiiTance  par  aucun  voyage  de  terre ,  8c  mon- 
trerons après  que  les  anciens  n'auoient  cognoil- 
fancede  l'art  de  nauiger ,  dot  nous  vfons  auiour- 
d'huy,fans  lequel  ilsn'euiTent  peu  ^engouffrer 
&auancer  fiauant  dans  la  mer.  Finalement  en 
ces  chofes  quand  il  n'apparoift  indices  certains, 
mais  feulement  conic&ures  légères  ,  l'on  n'eft 
obligé  d'en  croire  dauantage  que  ce  qu'il  en  fem - 
bleàvn  chacun. 


Qucjîgnifiecn  U  faincieEfcriturc  Tbarfis 
ér  Opbir. 

CHAP.     XIII I. 

I  les  opinions  &  coniedures  d'vn  chacun 
doiuent  eftrereceuës  ,ic  tiens  quantàmoy 
qu'en  la  faindte  Efcriture  ces  mots  de  Tharfis&: 
Ophir,leplusfouuent  ne  lignifient  aucun  lieu 
déterminé,  mais  que  c'eft  vn  mot  &  lignification 
générale  aux  Hebrieux,  comme  en  noftre  vul- 
gaire ce  mot  des  Indes  nous  eft  gênerai  en  noftre 
vfage  &  façon  de  parler:  car  nous  entendons  par 
les  Indes  ,  des  terres  fort  riches ,  efloignees  8c 
eftranges  des  noftres.  Ainfi  nous  autres  Efpa- 
gnols  indifféremment  appelions  Indes  lePeru, 
le  Mexique,laChine,  Malaque,&leBre(il,&:de 
quelconques  parties  de  celles-cy  que  viennent 
lettres5  nous  difons  que  ce  font  lettres  des  Indes, 


DES    INDES.       LIV.     I.  1? 

cftans  ncantmoins  lcfdites  terres  8c  Royaumes 
de  grande  diftance  8c  diuerfité  entre  elles  i  iaçoit 
auiïï  qu'on  ne  puiflTe  nier,  que  le  nom  des  Indes 
l'entend  proprement  de  l'Inde  Orientale .  Ec 
pour  ce  que  anciennement  on  parloit  de  ces  In- 
des comme  d'vne  terre  fort  eflongnce,de  làeft 
venu ,  que  à  la  defcouuerture  de  ces  autres  terres, 
auflî  bien  efloignees,  a  l'on  donné  le  nom  des  In- 
des :  pour  eftre  diftantes  des  autres  ,  &  tenues 
comme  le  boutdumonde.  Etdemefmefaçonil 
me  femble ,  que  Tharfis  en  la  faincte  Efcriture  le 
plus  fouuent  ne  fignifie  ny  lieu ,  ny  partie  déter- 
minée ,  mais  feulement  des  régions  fort  eflon- 
gnees ,  Se  félon  l'opinion  du  peuple ,  fort  riches, 
&  fort  eflranges.Car  ce  que  Iofephe  8c  quelques- 
vns  veulent  dire,que  Tharfis  efl  Tarfo  félon  l'in-  tlieYon.aâ 
tendon  de l'Efcriturc,  il  me  femble auec  bonne  Xl4r"  'm 
raifonauoircflé  reprouuèparèfaincT:  Hierofme: 
non  feulement  d'autant  que  ces  deux  vocables 
{'  efcriuent  par  diûerfes  lettres,l'vn  auec  vne  afpi- 
ration,  8c  l'autre  fans  afpiration;mais  auffi,pour- 
ce  que  l'on  eferit  beaucoup  de  chofes  de  Tharfis, 
qui  nepeuuentpas  bienconuenirny  fc  rappor- 
ter à  Tarfo  cité  de  Cilicie.  Il  efl  bien  vray ,  que 
en  quelques  endroits  de  l'Efcriture ,  il  efl  dit  que 
Tharfis  efl  en  Cilicie.  Cequifetrouue  au  liure 
de  Iudith ,  quand  il  eft  parlé  d'Holofernes ,  du-  /»^-2- 
quel  il  efl  dit  qu'ayant  pafsé  les  limites  d'Alîyrie, 
il  paruint  iufques  aux  grands  monts  d'Ange,  (qui 
par  aduenture  efl  Taurus  )  lefquels  monts  font  à 
la  feneflrt  de  Cilicie ,  8c  qu'il  entra  en  tous  les  ,L<**  P  '"' 
chafleaux,  où  il  affembla  toutes  les  forces,  ayant 
deftruie  celle  tant  renommée  cité  de  Melothi, 

D  iij 


Theod.  in 
i .  loAn. 

Jlxtafmot. 
thid.  &  tn 
alphabeto 
appartins. 


Kieron.  ad 

Marcell. 


tfayx  6q. 


HISTOIRE    NATVRELLE 
defpouilla,  ôc  ruina  tous  les  fils  de  Tharfis  5c 
d'Ifraël,qui  eftoient joignant  le  de(ert,&  ceux  • 
qui  eftoient  au  midy,  vers  la  terre  de  Cellon  ,  & 
delàpairal'Euphrates  :mais  (comme  i'ay  dit)  ce 
quieftainfi  efcritde  Tharfis  ne  le  peut  accom- 
moder à  la  cite  deTarfo.  Theodoret&  autres 
fuiuas  l'interprétation  des  feptante  ,  en  quelques 
endroits  mettent  Tharfis  en  Afrique,voulans  di- 
re que  c'eftoit  la  ville  mefme ,  qui  anciennement 
Pappelloit  Carthage,  &auiourd'huy  Royaume 
de  Thunes, &  difent  que  c'eftoit  là  où  Ionas  vou- 
loit aller,  quand  I'Elcriture  rapporte  qu'il  i'en- 
fuyoit  du  Seigneur  en  Tharfis.  Autres  veulent  di- 
re ,  que  Tharfis  ell  vue  certaine  régi  on  des  Indes, 
comme  il  femble  que  fainct  Hierofme  ('y  vueillc 
incliner,  le  ne  veux  pas  à  prefent  debatre  ces  opi- 
nions, mais ie  veux  bien  dire ,  que  i'Efcriture  fur 
cède  matière  ne  fignifie  pas  toufiours  vne  région 
ou  partie  du  monde  certaine  &  déterminée.  Il  cil 
certain  que  les  Mages  ou   Roys  qui  vindrenc 
adorer  Iefus  Chrift  eftoient  d'Orient,  &  auflidit 
I'Efcriture ,  qu'ils  eftoient  de  Saba,  Epha,&  Ma- 
diem.  Et  quelques  hommes  doâres  font  d'opi- 
nion ,  qu'ils  eftoient  d'Ethiopie ,  d'Arabie ,  ôc  de 
Perfe.    Et  neantmoins  le  Pialmifte  ôc  l'Eglife 
chante  d'cuXiLes  ï{oys  cleï'htrfîs  df'jwrteront  des  />,' 
fens.N ous  nous  accordons  doncauec  faindl  Hie- 
rofme, que  Tharfis  eftvn  mot,  quia  plufieuis  Se 
diuerfes  lignifications  en  I'Efcriture,^  que  quel- 
quefois il  fignifie  la  pierre  Chryfolithc,ou  Iacin- 
the,tatoft  quelque  certaine  regio  des  Indes ,  tan- 
toft  la  mer  mefme ,  qui  eft  de  couleur  de  Iacinthe 
à  lareuerberation  du  Soleil.  Mais  auec  raifon  le 


DES    INDES.       t  IV.    I.  28 

mefme  faindt  Docteur  nie  que  Tharfis  foit  regio 
des  Indes,où  vouloir  fuir  louas, puis  que  parrant 
deloppé  ,illuy  eftoit  impoffibledenauiger  iuf- 
ques  es  Indes  paricellemcr.  Ponrce  que  Ioppé 
(  qu'auiourd'huy  nous  appelions  Iaffe  ,  n'eft  pas 
vnporr  de  la  mer  rouge,  laquelle  eft  jointe  anec 
la  merlndique  Orientale,  maisdela  mer  Medi- 
terranee,qui  n'a  point  d'ilTiic  parla  mer  Indique. 
D'où  il  appert  clairement,que  la  nauigation  que 
faifoitlaflotedeSalomon  partant  de  Aiîongaber 
(où  fc  perdirent  les  nauires  du  Roy  Iofaphat)  al- 
loit  par  la  mer  rouge  à  Tharfis  Se  Ophir,  ce  qui 
eftexprefsémentatteftcen  l'Efcriture.  Etaefté 
cefte  nauigation  fort  différente  de  celle  que  pre- 
tendoit  faire  louas  àTharfis,puifque  Afiongaber 
eftle  portd'vne  cite  d'Idumee,  aflife  fur  lede- 
ftroit,oLi  la  mer  rouge  fe  joint  auec  le  grâd  Ocea. 
De  ceft  Ophir  l'onapportoità  Salomon  de  l'or, 
derargét,dumorphie,desmonnes,&  coqs  d'In- 
de, &eftoit  leur  voyage  de  trois  ans,  toutes  les- 
quelles chofes  fans  doute  doiuent  eftrc  entêduës 
del'Inde  Orientale ,  qui  eft  féconde  Se  abondâte 
en  toutceqiiedetîus,ainii  que  Pline  l'enfeigne, 
ôz  que  nous  en  auons  à  prefent  certaine  cognoik 
fanec.  Denoftre  Peru  certainement  ils  n'euiïenc 
peu  apporter  du  morphie ,  d'autant  que  les  Ele- 
phansy  font  du  tout  incognens.  Mais  ils  enflent 
bien  peu  apporter  de  l'or,  de  l'argent,  &  de  fore 
plaifantes&  gentilles  monines.  Finablementil 
me  femble  que  TEfcriture  faincte  entend  com- 
munément par  ce  mot  de  Tharfis ,  ou  la  grande 
mer,  ou  des  régions  fort  eflongnees  &  eftran- 
ges.  Parainfiililippofe  que  les  Prophéties  qui 

D  iiij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
parlent  de  Tharfis  (  puifque  l'efprit  de  prophétie 
peut  tout  fçauoir)  fepeuuent  bien  fouuent  ac- 
comoder  aux  chofes  de  noftrc  nouueau  monde. 


C»iio  Bo- 
deriin.  m 
ept.ad  Phi- 
bppum  Ca- 
thol.  re^ern 

o 

in  s .  Com. 
foc.  Bibl.tn 
Marra*,  in 
Hitfa.  bift. 


Ludonicm 
leo  Attgtt- 
ftinian.  m 
comment. 
J»per  jîb- 
dia. 


De  la  Prophétie  d'^îbdias,  que  quelques-yns  interprè- 
tent cfire  des  Indes. 

CHAP.     XV. 

Lufieurs  difent  &  afferment,  qu'en  laiàin- 
^  tte  ticriturc  il  a  efté  prédit  bien  long  temps 
deuant,  que  ce  nouueau  monde  deuoit  eilre  con- 
ucrty  à  Iefus  Chrift  par  la  nation  Efpaignolle ,  & 
à  ce  propos  mettét  en  auant  ôc  expliquent  le  tex- 
te de  la  Prophétie  d'Abdias,qui  ditainfi  :  ^i  la 
tranfmigration  de  ceft  exercite  des  enfans  d'Ifrael  pofje  - 
dera  toutes  les  chofes  des  Chananees  iufqucs  en  Sarcptey 
&  la  tranfmigration  de  Hierufalcm,qui  eft  au  Bofphore, 
pofjcdcrales  cite%  du  midy ,  &  monteront  les  fauueurs 
au  mont  de  Sion  pour  tuger  le  mont  d'ïfau ,  &  fera  le 
ï{oyaume  pour  le  Seigneur.  Cecy  a  elle  mis  ainfi  en 
vulgaire  fuyuant  la  lettre.  Mais  les  autheurs  que 
i'encens,  en  l'Hebrieulifent  ainfi:  Et  la  ttanfmi- 
gratto  de  ceft  exercite  des  enfans  d'Ifrael  (qui  font  les) 
Cananeans iufques à  Zarphat  (qui  eft  France)  &la 
tranfmigration  de  lerufalem ,  qui  eft  en  Sapharad  (  en- 
tendez  pour  Efpaigne)  pojfedcr a  pour  héritage  les 
cite^  du  midy,  cjr  monteront  ceux  qui  procurent  Lfal- 
itation  au  mont  de  Sion ,  pour  tuger  le  mont  d'F.fau,  & 
fera  le  \\oyaumc  pom  le  Seigneur.  T  o  u  t  efo  i  s  au  eu  n  s 
d'eux  n'allèguent  fumfant  tefmoignagedes  an- 
ciens, nyrailon pertinente,  pour  monftierque 
Sapharad,quefainct  Hierofme  interprète  le  Bos- 
phore ou  deftroit  5  &:  les  feptante  Interprètes 


DES     INDES.      L  1  V.    I.  2.9 

l'Euphrate,  doiue  lignifier  I'Efpagne ,  que  leur 
feule  opinion.  Les  autres  allèguent  la  faraphra- 
fe  Chaldaïque,qui  eft  de  cède  opinion, &  mefme 
les  anciens  Rabis  qui  l'expliquent  de  cefte  façon, 
comme  aufîî  ils  expliquent  Zarphat  eftre  France 
(  que  noftre  vulgaire  &  les  feptantedifent  eftre 
Sarepte).  Et  lai  liant  cefte  difpute,  qui  appartient 
aux  gens  plus  de  loifïr,  quelle  neceffîté  y  a-il  de 
croire,  que  les  citez  de  î'Auftre ,  ou  de  Magcb 
(ainfiiqu'efcriuent  les  feptante)  foient  les  gens 
de  ce  nouueau  monde  ?  D'auantage ,  quel  befoin 
eft-il  de  croire,&  de  prendre  la  nation  Efpagnol- 
lepour  la tran (migration  de  Hierufalemen  Sa- 
pharad  ?  fi  ce  n'eft  que  nous  vueillions  prendre 
Hierufalem  fpirituellement,  &  que  pour  iceîle 
nous  entendions  l'Eghfe.  De  forte  que  par  la 
tranfmigration  de  Hierufalem  en  Sapharad,le 
(ainét  Efprit  nous  demoftre  les  enfans  de  la  fàin- 
cte  Eglifc,qui  habitent  aux  fins  de  la  terre,  &  aux 
nuages,  pource  cela  en  langue  Syriaque  eft  dicSb 

*Sapharad,&  fe  rapporte  bien  à  noftre  Efpagne, 
qui  félon  les  anciens  eft  la  fin  &  le  bout  de  la  ter- 
re,eftant  prefque  toute  enuironnee  de  la  mer.  Or 
parles  citez d'Auftre,ou  deSud,  l'on  peutenten- 
dre  ces  Indes:  attendu  que  la  plus  grande  part  de 
cenouueau monde  eftafïilean  midy  :&lameil- 

■  leure partie  duquel  regarde  le  Pôle  Antarctique. 
Ce  qui  0 enfuit  eft  facile  à  interpréter,  fçauoir 
ceux  qui  procurent  lu  faluation ,  montèrent  au  mont  de 
Sion  pour  iuger  le  mont  d'Efau  :  parce  qu'on  peut  di- 
re que  ceux  là  fe  retirent  à  la  doctrine,  ôc  au  fort 
delà  faincte  Eglife,  qui  prétendent  rompre  & 
diflïpcr  les  erreurs  profanes  des  gentils  3  car  cela 


Intcr 


HISTOIRE     NATVREI.il 
peut  cijfcrc  interprète  iuger  le  mont  d'Efau.  D'où 
ili?en'rai|hië,  qu'alors  le  Royaume  ne  fera  pour 
les  Efpagnols,ny  pour  ceux  d'Europe,mais  pour 
Iefus  Chrift  noftreSauueur.  Qui  conque  voudra 
expliquer  de  cefte  façon  la  Prophétie  d'Abdias, 
nedoiteftre  reprins  puisqu'il  eft  certain  que  le 
faincl  Efpnt  a  feeu  &  cogneu  tous  les  iecrets  lôg 
temps  au  parauan  t.  Et  femble  qu'il  y  a  grande  ap- 
parence de  croire  ,  qu'il  eft  faict  mention  en  la 
iaincte  Elcrituic  d'vne  affaire  de  telle  importan- 
ce,comme  eft  ladefcouuerture  des  Indes  &  nou- 
ueau  monde,  &  conuerfion  d'iceluy  en  la  fov. 
jfai.  1 8.    Iiaie  mefme  dit  ces  termes..^/;  les  ailles  des  nauires 
tuxta  70.  quivoxt idel 'autre  part d'Ethiopie.  Plufieurs  auteurs 
tres-doctes  déclarent  que  tout  ce  chapitre  eft  en  - 
tendu  des  Indes ,  &  le  mefme  Prophète  en  d'au- 
tre endroit  dit  ,  One  ceux  ejni  efchapertmt  a'Ifracl 
tront  fort loingà  TbarJîsÇjr  en  des 1 fus  fort  eflongnees, 
où  ils  coimcrtiront  au  Seigneur  plufieurs  &  dîner  fis  nx- 
thns.  Entre  lesquelles  il  nomme  la  Grèce ,  l'Ita- 
lie ,&  l'Afrique,  &  beaucoup  d'autres.  Ce  qui, 
fans  doute  ie  peut  bien  rapporter  à  la  conuerfion: 
de  ces  nations  des  Indes.  Car  eftant  choie  alïeti- 
a/4«/;.i4.  ree  que  l'Euangile  doit  eftre  prefehee  par  touc 
l'vniuers,  ainfiqueleSauueur  nous  l'a  promis,] 
&  qu'alors  viendra  la  fin  du  monde,  il  i'cniuit,^: 
ainfi  ledoit-on  entendre  ,  qu'en  toute i'eftendué 
du  mondeilyabeaucoupde  nations  à.qui  leiusj 
Chrift  n'a  efté  annonce.  Partant  nous  deuonsdej 
là  recueillir,  qu'il  eft  demeuré  grande  partie  duj 
mode  incogneuë  aux  anciens,  &  qu'auiourd'huyj 
il  y  en  a  encore  vue  bonne  partie  à  defcouuriru 


lfain66. 


DES     INDES.       LI  V.    ï. 


30 


far  nuel  moyen  ont  peu  arriuer  aux  Indes  les  premiers 
hommes,  &  qu'ils  n  y  font  arrme^  de  gret  & 
félon  leur  intention. 

c  H  A  P.      XVI 

p2ï5  Aintenant  ileft  temps  de  refpondreà  ceux 
gara  qui  difent  qu'il  n'y  a  point  d'Antipodes,  & 
quecefte  région  où  nousviuons,  ne  peut  eftre 
habitée.  L'immenfe  grandeur  de  l'Océan  ,  ef- 
pouuenta  tellemêt  fainct  Auguftin,  qu'il  ne  pou- 
tioit  penler  comment  Ielignage  humain  eufl  peu 
paiferàceftuy  noftrenouueau  monde.  Mais  puis 
qued'vnepart  nous  fçauos  de  certain  que  pailez 
font  plusieurs  ans, qu'il  y  a  des  hommes  habitans 
en  ces  parties  cy,  &  d'autre  part  ne  pouuons  nier 
ce  que  laiaincfce  Efcriturenousenfeigne  claire- 
ment, que  tous  les  humains  font  procédez  d'vn 
premier  homme  ,  que  fans  doute  ferons  con- 
traincts  de  croire  &  confelïer  que  les  hommes  fe- 
ront paffez  icy  de  l'Europe ,  de  l'Afie ,  ou  de  l'A- 
frique: toutesfoisce  pendant  il  nous  faut  recher- 
cher &  difeourir  par  quel  chemin  ils  y  ont  peu 
venir.  Il  n'eft  pas  vray-femblable  qu'il  y  ait  eu 
vneautrearchedeNoé,  en  laquelle  les  hommes 
puilïent  eftre  arriuez  aux  Indes,  &  moins  enco- 
reque  l'Ange  ait  tran {porté  les  premiers  hom- 
mes de  ce  nouueau  monde.attachez  &  fulpendns 
parlescheueux  ,  comme  il  feit  le  Prophète  Ha- 
bacuc,  car  nous  ne  traitons  pas  de  la  toute  puif- 
fance  de  Dieu  ,  mais  feulement  de  ce  qui  eft 
conforme  à  la  raifon  &  à  l'ordre  ôc  di  (ponc- 
tion des  chofes  humaines.  C'eil  pourquoy  ces 


HISTOIRE     NATVRELLE 
deux  chofes  doiuent  eftre  tenues  pour  admira- 
bles Se  dignes  de  merueille ,  voire  d'eftre  coptees 
entre  les  fecrets  de  Dieu.  L'vne  que  le  genre  hu- 
main ait  peu  pafTer  vue  h*  grande  trauerfe  de  mer, 
ôc  de  terre.  L'autre  que  y  ayant  icy  h*  grand  nom- 
bre de  peuple ,  ils  ayét  efté  neatmoins  incogneus 
partantdefiecles.  Pourcefte  caufe  ie  demande 
par  quelle  délibération ,  force  Se  induftrie ,  le  li- 
gnage des  Indiens  a  peu  palier  vne  II  large  mer,& 
Se  qui  ponuoit  eftre  l'inuenteur  à'vn  paiïage  il 
eftrange.  Véritablement  iel'ay  plufieurs  fois  re- 
cherché Se  ruminé  à  moy-mèfme ,  (comme  plu- 
fieurs autres  ont  fait,)  Se  iamais  n'ay  peu  trouuer 
chofe  qui  me  peuft  fatisfaire.  Toutes-fois  i'en 
veux  bien  dire  ce  que  i'en  ay  conceu  Se  qui  me 
vient  à  prefent  en  la  fantafie,  puis  que  les  tef- 
moins  me  manquent ,  lefquels  ie  peutle  fuinre  Se 
melaillerallcrparlefil  de  la  raifon  (quoy  qu'il 
foit  fort  délié  )  iufques  à  ce  qu'il  fe  difparoiflè  du 
tout  de  deuant  mes  yeux.  C'eîl  vne  chofe  certai- 
ne queles  premiers  homes  font  venus  en  la  ter- 
reduPeru  par  l'vnedeces  deux  manières,  fça- 
uoir  ou  par  terre,  ou  par  mer.   Que  fils  font  ve- 
nus par  lamer,ç'a  clic  ou  fortuitement  Se  par  ha- 
sard, ou  de  gré  &  propos  délibéré,  l'entenspar 
hazard  eftansiettez  par  quelque  orage  Se  force 
de  tourmente ,  comme  il  aduient  en  temps  rude, 
&:tempeftueux.  I'entens  aufîi  de  propos  délibé- 
ré qu'ils  euflentdrefsé  leur  nauigatiô,  pour  cher- 
cher Se  defcouurir  de  nouuelles  terres.  Outre  ces 
.  deux  manières,  ietrouue  qu'il  n'eft  point  pofïï- 
ble  d'en  trouuer  d'autres ,  il  nous  voulons  iuiure 
le  cours  des  chofes  humaines ,  Se  ne  nous  arrefter 


DES     INDES.       1IV.    I. 


3* 


à  fabriquer  des  fictions  Poétiques  &  fabuleufes. 
Car  il  ne  faut  pas  que  quelqu'un  fe  perfuade  de 
trouuer  vn  autre  Aigle,comme  celle  de  Ganime- 
de ,  ou  quelque  chenal  volant ,  comme  ccluy  de 
Perfeus,  qu'il  maintienne  auoir  apporté  les  pre- 
miers Indiens  par  l'air ,  ne  que  par  aducnture  ces 
premiers  hommes  fe  foient  feruis  de  poiiïbns, 
comme  Serenes ,  ou  Nicolas , pour  lesauoirpaf- 
fez  là.  Mais  détaillant arrière  ces  propos  de  men  - 
fonge  ,  &  dignes  de  rifee,  examinons  vn  peu  cha- 
cune de  ces  deux  manières  mifes  en  auant  :  atten- 
du que  cède  difpute  fera  plaifante  &  vtile .  Pre- 
mièrement il  me  femblequecene  feroicpas  cho- 
fe  rropeflongneede  raifon  dédire,  que  les  pre- 
miers &  anciés  peuples  de  ces  Indes  font  venus, 
ontdefcouuert,  &  peuplé  par  la  mefme  façon, 
que  nous  antres  à  prefent  y  venons  iournelle- 
ment,  à  fçauoir  part  l'art  de  nauiger,  Se  l'ayde  des 
pilotes  ,lcfquels  feconduifentpar  la  hauteur  &: 
cognoHîànce  du  Ciel,  &c  auec  l'induftrie  qu'ils 
on  t  de  chiïger  &  manier  les  voiles  félon  le  temps 
qui  fe  prefente.  Pourquoy  cela  ne  pourroit-il 
pas  bien  élire?  faut-il  croire  que  nous  fèuls  hom- 
mes, &  cnceftuy  noftre  fiecle,tant  feulement, 
ayons  comprins  Se  cogneu  l'art  de  n'auigerTO- 
cean?  Nous  voyons  que  de  ce  temps  mefmc,i'oii 
nauige  &trauerfe  encore  l'Océan  pour  defeou- 
urir  nouuelles  terres,  comme  peu  de  temps  y  a 
qu'AluaroMendana&:  fes  compagnons  ont  na- 
uige ,  eftans  partis  du  port  Lima ,  &  fuiuy  la  rou- 
te du  Ponant  pour  defcouurir  la  terre  qui  gifti 
l'Eft,  où  eft  le  Peru,  5c  au  bout  de  trois  mois,def- 
couurirent  les  Ifles ,  qu'ils  appelèrent  Ifles  de 


I 


HISTOIRE  KATVRELLF, 
Salomon.,  qui  font  pluficurs  &  fort  grandes.  Et 
y  a  grande  apparence  qu'elles  gifent  joignant  la 
nouuelle  Guynee:  ou  pour  le  moins  quelles  font 
fortproches  d'vneautre  terre  terme.  Et  encore 
auiourdhuy  parle  commandement  du  Roy,&: 
de  fon  conleil  l'on  délibère  d'apprelter  vne  nou- 
uelle armée  pour  aller  à  ces  Ifles.  Puis  donc  qu'il 
çft  ainfi ,  pourquoy  ne  dirons  nous  pas ,  que  les 
anciens audi  bien  n'aycntpeuauoirle  courage, 
&refolution  de  voyager  par  mer  à  mefme  déli- 
bération de  dcfcouurir  laterre,  qu'ils  appellent 
Antictthon,oppofite  A  la  leur,&  que  iclon  le  dii- 
coursdeleurphiîolophie,  deuoiteftreauecdei- 
fein  de  ne  fanefter  iufques  à  la  veuë  des  terres 
qu'ils  cherchoient?  Certainement  il  n'y  aaucu- 
ne  répugnance  ou  contrariété  que  ce  que  nous 
voyons  auiourd'huy  arriuer,  foit  ainli  ancienne- 
i.p.<r.î.".  ment  arriuc:  attendu  mefme  que  la  faincle  Efcri- 
j.Kfr.io.  ture  teûnoigne  que  Salomon  print  des  maiftres 
p;lo:esdeTyr&deSidon5  fort  adroits  Se  expé- 
rimentez à  la  mer ,  «Se  que  par  leur  industrie  ,  l'on 
feit  celle  nauigation  de  trois  ans.  A  quel  propos 
peu  fez  vous  quelle  remarque  l'art  des  mariniers, 
&  leur  feience ,  enfemble  leur  nauig  mon  ii  lon- 
gue de  trois  ans, finon  pour  nous  donner  à  enten- 
dre que  la  flotte  de  Salomon  ,  nauigeoit  le  grand 
Océan  î  II  y  en  a  beaucoup  qui  font  de  cefte  opi- 
niô,  aufquels  il  fembleqmc  faind  Augullin  auoic 
peu  deraifon  de  fcfpouuenter,&  elmerueiller 
delagrandeurde  l'Océan  puifqu  il  pouuoit  con- 
jecturer qu'il  n'eftoit  fi  difficile  à  nauigen,  veu 
ce  qui  e(t  rapporté  par  lanauigatio  de  Salomon. 
Mais  pour  dire  la  vérité  mon  opinion  cil  bien 


DES    INDES.       LIV.     I.  ^1 

aittre, &  ne  me  puis  perfuaderqueles  premiers 
Indiens  foientarriuez en  ce  nouucau  monde,  par 
vue  nauigationordonnee,&  faite  à  propos.  Mef- 
meiene  veux  pas  accorder  que  les  anciens  ayent 
cogneu  l'ait  «Se  indultric  de  nauiger  par  le  moyen 
duquel  les  homes  auiourd'huy  trauerfent  la  mer 
Oceanc  de  quelque  partie  que  ce  {oit  à  quelcon- 
que autre, qu'il  leur  prene  fantalîe.  Ce  qu'ils  font 
auec  vue  incroyable  viltelïè&  refolution,  atten- 
du que  ie  ne  trouue  en  toute  l'antiquité  aucun  re- 
lie ,  on  cèfmoignage  d'vne  choie  Ci  notable,  «Se  de 
il  grande  importance.  Et  ne  trouue  qu'aux  liures 
des  anciens  ioit  laite  aucune  mention  del'viage 
de  la  pierre  d' Aymant,  ne  de  l'Efguille  à  nauiger, 
voire ,  ne  croy-ic  point  qu'Us  en  ayent  eu  aucune 
cognoiilance.   Que  fl  l'on  ode  la  cognoillànce 
de  l'Efguille  à  nanigerjoncognoillra  facilement 
qu'il  elt  impoffible  qu'ils  ayent  trauerié  l'cften- 
duëdu  grand  Océan.  Ceux  qui  ontquelqueco- 
gnoiffance  de  la  mer,  entendent  bien  ce  que  dis. 
Pource  qu'il  elt  aulîî  facile  de  croire ,  que  les  ma- 
riniers eitans  en  pleine  mer  puiiïènt  drefler  la 
piouë  delanauire,  où  ils  voudront,  fi  l'Efguille 
de  nauiger  leur  derfaut  ,  comme  de  penfer  que 
l'aueugie  puitîèmonftrerauecle  doigt  ce  qui  ett 
proche  ou  ce  qui  elt  eflogné  en  quelque  endroit. 
Eteft  vne  choie  eimerueillable  que  les  anciens 
ayent  ignoré  par  tant  de  temps  vne  fi  excellente 
propriété  de  la  pierre  d'aymant ,  <3c  quelle  ait 
ertédeicouuerte(Ss:cogneiie  parIesmodernes.il  Ww.fiM. 
appert  bien  quelesanciens  ontignoré  ceftepro-  c'  y'& 
pnetc,  en  ceque  Pline,  qui  elt  n  curieux  hilto^  ï.&i,yt 
t\z\\àz%  chofes  naturelles,  ncantmoins  parlant  y.ç.  4. 


HISTOIRE     NATVRELLE 
de  cède  pierre  d'Aymant,  ne  dit  aucune  chofe  de 
cette  venu  &  propriété,  qu'elle  a  de  faire  touf- 
iours  tourner  deuersle  Nort  lefer  qu'elle  aura 
touch  é ,  qui  eft  la  vertu  la  plus  admirable  qu'elle 
p»Vco.7.j.ak.  Anftote,Theophrafte,  Diofcoride,Lucrece 
'•  i°.       ny  aucuns  hiftoriens  ny  philofophes  naturels, 
tuent. 1.6.  quei'ay  veu  ,  n'en  font  aucune  mention,  encore 
qu'ils  traictent  de  la  pierre  d'Aymant.  Sainc-t  Au- 
jiug.  de    gn{tin  elcriuantd'autrepart  plufieurs  &  diuerles 
Ctmt.  p«.  p10prjetez     &  nierueilleufes  excellences  de  la 
muit  t  de   P,eirc  d'Aymataux  liures  de  la  cite  de  Dieu,  n'en 
Ttxtgnetc.    parle  nullement.  Et  eft  certain,  que  toutes  les 
merueilles  que  l'on  ccntedeceftepierrc,neiont 
rien  au  refp^cb  de  celle  propriété  fi  eftrâge,  qu'el- 
lea  de  regarder  toufïours au  Nort,quieftvn  grâd 
miracle  dénature.  Il  y  a  encore  vn  autre  aigu- 
Tlin.ï.  j.c.  jnent,  qui  eft  que  Pline  traictant  des  premiers 
inuenteursde  la  nauigation,c\:  racontant  tous 
lesinftrumens&  appareils, ne  parleaucunement 
cel'EfauiUeà  nar.iper,  nvdclanierrc  d'Aymant: 
mais  ie  dy  ieulement  que  l'art  de  recognoiftreies 
eftoilles  ;  a  efté  inuenté  des  Phéniciens.   Et  n'y  a 
point  de  doute ,  que  ce  que  les  anciens  ont  iceu 
ôVcogneu  de  l'art  de  nauiger,  n'eftoit  qu'au  re- 
gard des  eftoilles, &c  remarquas  les  riuages,  Caps, 
&  différences  des  terres.  Que  f'ils  fe  trouuoient 
fïauanten  haucemer,que  du  toutils  perdiiîent 
la  veuë  de  la  terre ,  ils  ne  (cauoient  en  quelle  part 
dreiTcr  la  proue*  par  autre  difeours ,  linon  parles 
eftoilles,  Soleil  &  la  Lune,  &  cela  leur  défaillant 
(  comme  il  aduient  en  temps  nébuleux ,  &  cou- 
uert,)  ilsfegouuernoientpar  la  qualité  du  vent, 
&  par  conieCtures  du  chemin  qu'ils  pouuoient 

auoir 


s  6 


DES      INDES.       LIV.    I.  53 

auoir fait, finalement  alloient  conduits  de  leur 
inftinct.  Comme  en  ces  Indes  les  Indiens  naui- 
gent  vn  long  chemin  de  mer  ,  conduits  feule- 
ment par  leur  induftrie  &  inftinct  naturel. Et  fert 
beaucoup  à  ce  fujet  ce  qu'eferit  Pline  des  infu- 
laircs  de  la  Taprobane  (qu'auiourd'huy  nous  ap- 
pelions Sumatra)  difant  en  cefte  façon,  lors  qu'il 
trai&ede  l'art  &  induftrie  dont  ils  vfoient  à  na- 
uiger.Owx  de  la  Taprobane  ne  voyent  point  le  "Kort,& 
pour  nauiger,  fupplecntà  ce  défaut ,  port  ans  auec  eux 
certains  petits  oipaux ,  lefquels  ilslaiffent  aller  fouuent, 
ç-r  comme  ces  petits  oifcaux  par  naturel  inft  mît  Dollent 
tonfiours  vers  la  terre ,  les  mariniers  dreffent  leur  proue 
à*  leur  fuite.  Qui  doute  donc  que  fils  euiïent  eu 
cognoillànce  de  l'Eiguille,  ils  ne  fefuiïent  aidez 
pour  guide  de  ces  petits  oiieauxpourdefcouurir 
la  terre?  Bref,  il  fufHtpourmonftrerquelcs  an- 
ciens n'ont  cogiaeu  ce  fecretdela  pierre  d'Ay- 
mant,deveoir  qu'àchofe  iîremarquable,iln'ya 
aucun  mot  ny  vocable  Latin  ,ny  Grec ,  ny  Hc- 
brieu  qui  luy  foi t  propre.  Car  vnechofe de  telle 
importance ,  n'euft  point  manqué  de  nom  en  cqs 
langues ,  {'ils  l'eulïent  cogneu.  De  là  vient  qu'au- 
iourd'huy les  Pilotes,  pour  faire  drefler  la  route, 
àceluy  qui  tient  le  gouuernail,  fc  feent  au  haut 
de  la  pouppe ,  qui  eft  afin  qu'il  puifle  de  cell  en- 
droit regarder  l'Eguille ,  là  où  anciennement  >  ils 
feoiët  en  la  prouë,pour  regarder  les  differeces  des 
terres&  des  mers,&:  duquel  lieu  ils  cômandoient 
au  gouuernail. Corne  auiourd'huy  l'on  vfe  enco- 
re a  l'entrer  ou  fortir  de  quelque  port  &  haure,& 
pour  ceftc'occaiion  les  Grecs  appelloiet  les  Pilo- 
tes Profitas,  pour  ce  qu'ils  fe  teno  ienc  en  la  prou'ù. 


HISTOIRE     NATVRELLE 

»  —  '  ■      ■  —  .. .— 

De  la  propriété '<&  vertu  admirable  de  la  pierre  â'^Ây 

inant ,  pvur  le  faicl  de  la  navigation/?  que  les 

anciens  n'en  ont  eu  cognoijpmce. 

C  H  A  P.     XVII» 


iq.  5- 


Arcequieitditcydclîus,  il  appert  quel'on 
^  doit  tenir  la  nauigation  des  Indes  fî  briefue 
8c  fi  certaine  que  nous  l'auons  delapicrre  d'Ay- 
mant.  Comme  auiourd'huy  nous  voyons  plu- 
sieurs hommes  qui  ont  voyagé  de  LifDonne  à 
Goa,de  Seuille  à  M  exicque,  à  Panama,&  en  tou- 
te cefteautre  merduSud,  iufquesàla  Chine  8c 
au  deftroit  de  Magellan  ,  &:  ce  au  fil  facilement  & 
certainement,  comme  le  laboureur  peut  aller  de 
la  métairie  en  la  ville.  Nous  auons  veuaufîl  des 
hommes  qui  ont  faict  quinze  voyages  aux  Indes, 
voire  dix-huict,&  auons  entendu  parler  d'aucuns 
anciens  lefquels  outrait  plus  de  vingt  voyages, 
paflins  8c  repalïans  la  largeur  de  ce  grandOccan. 
aufquels  ils  n'ont  apperceu  aucuns  reftes  ny  ap- 
parences de  ceux  qui  auoient  pafsé  ny  rencontré 
voyageurs  à  qui  demander  le  chemin.  Car  (com- 
me dit  le  Sage)  la  nauire  coupe  l'eau  Se  Tes  ondes, 
fans  laitier  vertiges  par  où  elle  palTe  ,  ny  faire 
chemin  dans  les  ondes .  Mais  par  la  vertu  & 
propriété  de  la  pierre  d' Aymant ,  il  fe  faicl  en  ceft 
Océan  comme  vn  chemin  tracé  8c  defcouuert, 
le  très-haut  Créateur  dé  toutes  chofes  luy  ayant 
communiqué  telle  vertu ,  que  par  Ton  attouche- 
ment au  fer ,  il  luy  communique  cefte  propriété, 
d'auoir  fon.  rnouuement  8c  regard  vers  le  Nort, 


E>  ES     ÎNDÊS.      LI  V.    t.'  34 

Fans  y  faillir  en  quelque  partie  du  monde  que  ce 
puilleeftre.  Quelques-vns  recherchent  quelle  eft 
lacaufede  celte  propriété  merueilleufe,  &  veu- 
lent dire,  &  f  imaginer  le  ne  fçay  quelle  fympa- 
thie  :  mais  quant  àmoy,ic  prends  plus  deplaifir 
&:  de  contentement  confiderantfesmerueilles,  i 
loiier  la  grandeur  &  pouuoirduTout-puihrantJ& 
me  rehouyren  la  contemplation  dzies  œuures 
admirables,  «ScàdireauccSalomon,  parlant  fur  sap.  14; 
ce  propos  :  0  Père,  duquel  la  Trouidencc  ^ouuerncejr 
maintient  vn  bois,  luy  donnant  vn  chemin  ajjcuré fur  la 
mer-,  C  au  milieu  des  bondtffantes  ondes, pour  montrer 
vue  de  tnef me  façon  tu  pourrons  fauucr  &  deliurer  l' hom- 
me de  tout  péril  &  naufrage^  encor  qu'il  fut  fans  nature 
au  milieu  de  la  mer.  Mais  d'autant  que  tes  œuures  font 
pleines  defageffe,  les  hommes  mettet  gr  hasardent  leurs 
-ries  fur  yn  peu  de  bois,  &  pour  trauerfer  la  ?ner,s'cfcha- 
pent  <&fc  laijfent  aller  en  -vn  bateau.  Et  fur  ce  mefme 
propos  le  PfalmifteditiGwc^w  mont ent fur  mer  ffaliaSi 
en  des  v.auires  ,  &  qui  font  leurs  affaires  en  tratierfant 
les  eaux,  font  ceux  qui  au  profond  de  la  mer  ont  y  eu  les 
œuures  du  Seigneur,ejrfes  mer  titilles.  Et  à  la  vérité  ce 
n'eftpas  vnc  des  moindres  merueillesde  Dieu, 
que  la  force  d'vne  pierre  fi  petite  commande  à 
la  mer,  &  cotraigne  l'aby  fme  infiny  de  luy  obeyr 
&:  future  (on  commandement.  Maispour-antant 
que  c'eft  choie  qui  fe  void  tous  les  lours  ,  8c 
femblefi  facile,  les  hommes  ne  fen  efmcrueil- 
lent  point ,  &  ne  fe  fouuiennent  pas  d'y  pren- 
dre garde  :&  d'autant  que  cefte  libéralité  elt  tel- 
le, les  ignorans  pour  cela  en  font  moins  d'eftat. 
Neantmoins  ceux  qui  le  veulent  confiderer  de 
prés ,  font  conduits  par  la  raifonà  bénir  la  fà- 


HISTOIRE     NATVRELLI 
geflTe  de  Dieu ,  Se  luy  rendre  grâces  d'vn  fi  grand 
Bénéfice.  Eftant  donc  ordonné  du  Ciel,  que  ces 
nations  des  Indes  qui  tant  de  temps  ont  efté  ca- 
chées fafient  cogneuës  Se  dcfcouuertes ,  &  que 
celle  route  fut  hantée  Se  frequentee,afin  que  tant 
d'ames  vin  (lent  à  la  cognoilîance  de  IefusChrift, 
&gaigna(Ient  lcfalut  éternel,  il  a  efté  pourueu 
de  guide  allcuree  pour  ceux  qui  font  ce  chemin, 
/çauoir  rEfguille  de  nauiger  ,  Se  la  vertu  de  la 
pierre  d' Aymant.  On  ne  peut  fçauoir  au  certain, 
depuis  quel  temps  ceft  v(age&  art  de  nauiger  a 
efte  pourueu  de  guide  afîèurec  pour  ceux  qui  font 
ce  chemin,  fçauoir  rEfguille  de  nauiger,  Se  la 
vertu  de  la  pierre  d' Aymant.  On  ne  peut  fçauoir 
au  certain ,  depuis  quel  temps  ceft  vfage  Se  art  de 
nauiger  a  efté  mis  en  lumière:  mais  quant  à  moy, 
ie  tiens  pour  certain,  qu'il  n'eft  pas  fort  ancien, 
d'autan1:  que  outre  les  raifons  def duites  au  chapi- 
tre precedetjie  n'ay  leu  en  aucun  autheur  ancien, 
traittant  des  horloges ,  qu'il  foit  faid  aucune 
mention  de  la  pierre  d' Aymant.  Et  neantmoins 
il  eft  certain  que  le  principal  Se  plus  necelïàire  in- 
ftrument  des  cadrans  au  Soleil ,  dont  nous  vfons 
auiourd'huy ,  eft  Tefguille  de  fer  touchée  de  la 
pierre  d' Aymant.  Quelques  autheurs  approuuez 
efcriuenten  l'hiftoire  des  Indes  Orientales, que 
lu.t  tf/zt.  jc  premier  qui  commença  à  dcfcouunrce  fecret 
flin.U.c  fur  mer,  fut  VafcodeGama,  lequel  a  la  hauteur 
71.&IA.  de  Mozambique  rencontra  certains  mariniers 
•j.cap.ylt.  Mores, qui  vioientde  rEfguille  de  nauiger,  Se 
Otpnuide  quepar  le  moyen  d'icelle  Efsuille  il  nauigea  ces 
tmmtai    mers  :  toutcsfois  ils  n  efcriuent  point  de  qui  ils 
lib,  1.      anoient  appnns  ceft  artifice  :  ôc  quelqucs-vne 


li.lUe 


DES    INDES.    II V.    I.  3f 

d'entre' eux  mefmes  font  de  noftre  opinion,  qui 
eft  que  les  anciens  ont  ignoré  ce  fecret.  D'auan- 
tage  ie  diray  vne  autre  &  plus  grande  mcrueillc 
de  l'Efguille  denauire,que  Ton  pourroit  tenir 
pour  incroyable ,  fi  l'on  ne  l'auoit  veu  &  cogneu 
par  expérience  fi  alïèuree  &  manifefte.  Le  fer  tou- 
ché &  frotte  de  la  pierre  d'Aymantpar  la  partie 
d'icelle  pierre ,  qui  en  fa  naifïànce  regarde  le  Sud 
ouMidy,a  cède  vertu  de  fe  tourner  &  incliner 
toufiours  &en  tous  lieux  vers  le  contraire,  qui 
eft  le  Nort  :  toutesfois  en  tous  lieux  il  ne  le  re- 
garde pas  directement ,  mais  y  a  certains  poinéls 
&  climats ,  où  il  regarde  droitement  le  Nort  & 
fyarreftcîmais  pafiant  ou  changeant  de  ce  cli- 
mat ,  il  coftoye  vn  peu,  ou  à  l'Orient  ou  Ponant, 
tant  plus  qu'il  fe  va  efloignant  de  ce  climat ,  c'eft 
ce  que  les  mariniers  appellent  nordefter,  ou  nor- 
toefter.  Nordefter,  vaut  autant  à  dire  comme  co- 
ftoyer,f  inclinant  au  Leuant,&  nortoefter  fin- 
clinant  au  Ponant.  Et  eft  chofe  de  telle  confe- 
quence,&  qui  importe  tant  de  fçauoir  celle  de- 
clinaifon  ,  &;  coftoyement  de  l'Élguille,  que  fi 
l'on  n'y  penfoit  &  regardoit  de  près,  (quoy  qu'el- 
le ioit petite)  ronfefgareroitmerueilleufement 
enlanauigation  ,  &arriueroit  l'on  en  autre  lieu 
que  celuy  où  l'on  pretendoit  aller.  Vn  iour  vu 
pilote  Portugais  fort  expérimenté  me  difoit  qu'il 
y  auoit  quatre  poin&s  en  tout  le  monde,  ou  l'Ef- 
guille  fe  dreflbit  au  Nort ,  &me  Iecontoit  par 
leurs  noms ,  que  ie  n'ay  retenus ,  vn  d'iceux  eft  la 
hauteur  de  ï'Ifie  de  la  corne  en  la  Tiercycre,ou 
Alçores ,  qui  eft  chofe  fort  cogneuë  à  tous  ;  mais 
tirant  outre  de  là.à  plus  de  hauteur ,  il  nortoefte* 

E  iij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
qui  eft  à  dire  décliner  au  couchant.  Mais  tirant 
au  contraire  à  moins  de  hauteur,  vers  l'Equino- 
«ftial ,  il  nordefte,  qui  eft  incliner  à  l'Orient.  Les 
maiftresen  ceft  art  pourrontenieignerde  com- 
bien ,  Se  iufcjues  où  :  de  ma  part  ie  demandcrois 
volontiers  aux  bachelliers  qui  prefumentfçauoic 
tout  ce  qui  eft ,  qu'ils  me  diiîènt  la  caufe  de  ceft 
cfrect ,  Se  pour  quelle  raif  on  vn  peu  de  fer  frotte 
à  la  pierre  d'Aymant  reçoit  tant  de  vertu  que  de 
regarder  toujours  au  Nort:  mais  encor  auec  tel- 
le dextérité ,  qu'il cognoit  les  climats  Se  diueties 
iîtuacions  du  monde  ,  &  où  il  fedoit  ficher  Se 
dre(ïer,où  l'incliner  envn  cofté  ou  en  l'autre, 
auffi  bien  qu'aucun  Philofophe  &Cofmographc 
qui  foit.  Que  fi  ne  pouuons  bonnement  defeou- 
urir  la  caufe&  laraifon  de  ces  chofesque  nous 
voyons  mutuellement  à  l'œil ,  qui  fans  doute  ie- 
roiét  fort  difficiles  à  croire,fi  nous  ne  les  voyons 
ainfi  ouuertement  :  Certes  l'on  cognoit  bien  par 
là  noftre  folie  Se  vanité,  de  nous  vouloir  faire  iu- 
ges ,  Se  alîubiectir  à  noftre  raifon  &  difeours  les 
choies diuines  &fouueraines.  Ceft  pourquoy  il 
vaut  mieux, comme  dit  Grégoire  Théologien, 
«que  laraifon  fafuiettiilè  à  la  foy ,  puifque  en  fa 
maifon  mefme  elle  ne  fe  peut  pas  bie  gouucrner. 
Mais  cecy  nous  doit  fufHre ,  retournons  à  noftre 
propos,  &  concluons  quel'vfagede  l'Eiguilleà 
nauiger  n'a  point  efté  cogneuë  des  anciens ,  d'où 
l'on  peut  refoudre  qu'il  leur  a  efté  impoiîible  de 
faire  voyage  de  propos  délibéré ,  partans  de  l'au- 
tre monde  pour  venir  en  ceftuy-cy  par  T  Océan. 


DES     INDES.       II V.    I. 


3<? 


auquel  eft  rc [pondu  a  ceux  qui  di[ent  qu'au  t  emps 

paffê comme  auiour d 'buy  l'on  a  nauwé 

fur  l'Océan. 

CHAT.      XV III. 

^  E  que  Ton  allègue  au  contraire  de  ce  qui  a 
efté  dict,que  laflotte  de  Salomon  nauigeoit 
en  trois  ans ,  n'eft  pas  preuue  furfifante ,  puis  que 
les  faindes  Efcritures  n'afferment  pas  exprefsé- 
ment  que  ce  voyage  duraft  trois  ans ,  mais  bien 
qu'il  fe  faifoit  vne  fois  en  trois  ans.  Et  encore 
que  nous  accordions  que  la  nauigation  duraft 
trois  ans,  il  pouuoi  t  eftre,  comme  il  eft  plus  vray- 
iemblable  ,  que  cefte  flotte  nauigeant  vers  l'Inde 
Orientale ,  fut  retardée  de  fa  route  pour  la  diuer- 
litèdes  ports  &  régions  qu'ellealloitrecognoif- 
fant  :  comme  auiourd'huy  en  toute  la  mer  du* 
Sud ,  L'on  nauige  depuis  Chile  iufques  à  la  neuue 
Efpagne,  laquelle  nauigation  encor  qu'elle  foit 
plus  certaine,  neantmoins  elle  eftbien.plus  lon- 
gue à  caufe  de  ce  tournoyement  qu'elle  eft  con- 
trainte de  faireparles  coftes,&  le  retardement 
qu'elle  peut  auoir  en  diuers  ports.  Et  à  la  vérité  ie 
ne  trouue  point  es  liures  des  anciens  qu'ils  fe 
foient  beaucoup  aduancez&  engolphez  en  l'O- 
céan ,  Se  ne  peux  croire ,  que  ce  qu'ils  en  ont  na- 
uige ait  efté  autrement  que  de  la  façon  qu'on  na- 
uige encor  auiourd'huy  en  la  mer  Méditerra- 
née. Qui  donne  occafion  aux  hommes  doÇtes 
de  croire  ,  qu'anciennement  l'on  ne  nauigeoit 
point  fans  rames,  d'autant  que  l'on  alloit  touf-. 
iours  coitoyautla  terrej&femblequel'Efcriture  un. 

E  iiij 


10. 


HISTOIRE   NÀTVRELLE 
fain&e  le  vneille  ainfi  donner  à  entendre ,  quand 
elle  parle  de  cefte  fameufe  nauigation  du  Pro- 
phète lonas,  où  il  eft  did  que  les  mariniers  eîlans 
forcez  du  temps ,  ramèrent  à  teçre. 


One  l'on  peut  conieBurer  que  les  premiers  pcupleurx 

des  Indes  y  font  drnue^  par  tourmente  & 

contre  leur  -volonté. 


c  h  A  P.    Xi  x. 


Yant  monîlré  qu'il  n'y  a  point  d'apparen- 
ce de  croire  que  les  premiers  habitans  des 
Indes  y  foient  venus  de  propos  délibéré,  il  l'en-, 
fuit  donc  que  ('ils  y  font  venus  par  mer,  c'a  efté 
par  cas  fortuit  &  par  force  de  tourmente ,  ce  qui 
n'eft  pas  incroyable,  quelque  grandeque  foitla 
mer  Oceane,  puis  qu'il  en  eft  autant  aduenu  de 
noftre  temps  :  lors  que  ce  marinier  (duquel  nous 
ignoros  encore  le  nom,afin  qu'vn  ceuure  (i  grand 
Ôc  fi  important  ne  t'attribue  point  à  d'autre  au- 
theur  qu'à  Dieu  )  ayat  par  vn  terrible  &  mauuais 
temps  recogneu  ce nouueau  monde,  laifiapour 
paye  de  fon  logis,  oùiH'auoitreceu,à  Chrifto- 
fle  Colon ,  la  cognoiflance  d'vne  fi  grande  chofe. 
Ainfi  a-il  peu  arriuer ,  que  quelques  hommes  de 
l'Europe  ou  Afrique, au  temps  pafséayent  efté 
efté  poullezparla  force  du  vent,&  iettezà  des 
terres  iucogneucs  par  de-là  la  mer  Oceane.   Qui 
eft-ce  qui  ne  fçait  point  queplufieurs  ,  ou  la  plus 
grande  part  des  régions  que  l'on  a  defcouuertes 
en  ce  nouueau  monde ,  a  efté  par  ce  moyen ,  def- 
quelles  l'on  doit  pluftoft  attribuer  la'Hefcouuer-!- 
turc  à  la  violence  des  temps  &  orages ,  que  non 


DES    INDES.       LI  V.     I.  37 

pasàrefpric&induftrie  de  ceux  qui  les  ont  def- 
couuei'tes?  Et  afin  que  l'on  recognoiflTequecen'a 
pas  cfté  de  noftre  temps  feulemét  que  Ton  afaicl: 
&entrcprins  de  tels  voyages,  pour  la  grandeur 
de  nos  nauires,  valeur  &hardiefledenos  hom- 
mes,on  peut  voir  dedans  Pline,  que  plusieurs  des  PtinJi' 
anciens  ontfaidtde  femblables  voyages.  Il  dit^"6 
donc  de  celle  façon  :  L'on  raconte  que  Catus  Ccfar  fis 
d'^AuzuBc ,  cftant  en  charge  fur  la  mer  d\drabre ,  l'on 
yetd&  recognent  des  pièces  &  refles  de  nauires  Efpa- 
gnols,  qui  y  auoient  pery.   Et  dit  après  :  ~Kcpos  raconte 
du  circuit  Septentrional,quc  l'on  apport a  à  QUtntus  ~Me- 
tellut  Celer  compagnon  au  confulat  de  Catus  ^Affranius 
(  eHant  alors  iceluy  Tvletcllus Proconfnl  en  Gaule,  cer- 
tains indiens  nui  auoient  efte  prefente^par  leI{oy  de 
Suéde ,  hfquels  Indiens  nauigeans  de  l'Inde  pour  leur 
commerce,  furent  iette\  en  Germanie  par  la  force  des 
tempcsles.  Pour  certain  fi  Pline  dit  vérité, les  Por-  fUn.Ub.S. 
tugaisnenauigent  point  auiourd'huy  d'auanta-  eaP-12^ 
ge  que  firent  ceux  là  en  ces  deux  naufrages ,  l'vn 
depuis  l'Efpagne  iufques  en  la  mer  Rouge,  8c 
l'autre  depuis  l'Inde  Orientale  iufques  en  Alle- 
magne. Lemefme  autheur  eferit en vn autre  li-  . 
ure ,  qu'vn  feruiteur  d'Annius  Plocanius ,  qui  te- 
noit  la  ferme  des  droits  de  la  mer  Rouge,  naui- 
geant  la  route  d'Arabie,furuint  des  vêts  du  Nort 
furieux ,  tellement  qu'en  quinze  iours  il  paiïa  la 
Carmanie,iufques  à  recognoiftre  Hippures,port 
de  la  Taprobane,qu'auiourd'huy  nous  appelions 
Samatre.Mefme  l'on  raconte  d'vn  nauire  de  Car- 
thaginois,qui  de  la  mer  de  Mauritanie,fut  poufsé 
d'vn  vent  de  bize,  iufques  à  laveuëdu  nouueau 
monde.  Ce  qui  n'eft  pas  chofe  nouuelleà  ceux 


HISTOIRE  NATVRULE 
quiont  quelque  expérience  de  la  mer,  d'enten- 
dre que  quelquefois  vne  tempefte  dure  fi  long 
temps  &obftinément,  fans  appaifer  fa  fureur.  Il 
m'eftaduenu  allant  aux  Indes,  que  partant  des 
Canaries ,  i'ay  defcouuert  &  apperceu  en  quinze 
ioursla  première  terre  peuplée  des  Efpagnols.Et 
fans  doute,ce  voyage  endetté  plus  bref,  h  les  ma- 
riniers euffent  appareillez  toutes  leurs  voiles, à 
la  bize  qui  couroit.  Ainfî  me  femble-il  chofe 
vray-femblable,  qu'au  temps pafsé  les  hommes 
foient  armiez  aux  Indes,  contre  leur  intention, 
pouffez  <$c  vaincus  de  la  fureur  des  vents.  Ils  font 
au  Pcru  grande  mention  de  quelques  Geans  qui 
ont  efté  en  ces  quartiers ,  les  os  defquels  fe  voyét 
en  cor  auiourd'huy  en  Manta  &z  port  vieil,  d'vne 
grandeur  enorme,&  à  leur  proportionnes  hom- 
mes deuoient  eftre  trois  fois  plus  grands  que  les 
Indiens  d'auiourd'huy .  Ils  racontent  que  ces 
Geans vindrentpar  mer,  fk  foifoient  la  guerre  i 
ceux  du  pays  ,  qu'ils  battirent  de  fomptueux  édi- 
fices,  dont- ils  mondrent  encor  auiourd'huy  vu 
puits  fait  de  pierres  de  grand  valeur.  Ils  difent 
d'auantage  ,  que  ces  hommes  commettans  pé- 
chez énormes ,  &  fpecialement  cil  contre  natu- 
re,furent  embrafez  &  confumez  du  feu  qui  vint 
du  ciçI.Mcfme  raconte  que  les  Indiens  d'Yca,  & 
d'Arica,  qu'ils fouloient  anciennement  natiiger 
fort  loin  à  des  Mes  du  Couchant ,  8c  faifoient 
leur  nauigation  en  des  cuirs  de  loup  marin  en- 
flez. De  façon  qu'il  n'y  a  point  faute  de  tefmoi- 
gnages  pour  monftrcrque  l'on  ait  nauigéla  mer 
du  Sud  deuant  que  les  Efpaguolsy  vinfTent.  Ainfî 
pouuons-nouspcnfer,quc  le  nouncaa  monde  a 


DES    INDES.    L  I  V.    I,  38 

commencé  d'eftre  habité  par  des  hommes  qui  y 
ont  elle  iettez  par  la  tempefte  des  vents,  ôc  la  for- 
ce du  Nort,  comme  finalement  on  l'a  veuëdef- 
couuerte  en  noftre  temps.  Il  eft  ainfi  (chofe  bien 
confiderable)  que  les  œuures  de  nature  de  gran- 
de importance ,  pour  la  plus  grand  part ,  ont  efté 
trouuees  fortuitement ,  fans  y  penfer,  5c  non  pas 
par  l'indullrie  «5c  diligence  humaine.  La  plus- 
part  des  herbes  medecinales  ,  des  pierres ,  des 
plantes ,  des  métaux ,  des  perles,  de  l'or ,  aymant, 
ambre,  diamant,  &  la  plus-part  dechofes  fem- 
blables,&  leurs proprietez  &vertus  font  pluftoft 
venues  en  la  cognoiirance  des  hommes  par  acci- 
dent que  par  art,  Se  par  leur  induftrie.  Afin  que 
Ton  voye  que  la  gloire  ôc  louange  de  telles  mer- 
ueillcs ,  fe  doit  pluftoft  attribuer  à  laprouidence 
du  Créateur ,  que  non  pas  à  l'entendement  hu- 
main :  pour-autant  que  ce  qui  nous  iemble  arri- 
uer  fortuitement ,  procède  toufiours  de  l'ordon- 
nance &  difpofition  de  Dieu,qui  fait  toutes  cho- 
ies auecraifon. 


One  nexntmoins  tout  ce  qui  a,  efté  dit  cy  deffus  eft  plus 
yray-fcmblablede  penfer,  que  les  premiers  peu- 
pleurs  des  Indes  y  font  -venus  far  terre. 

CHAP.     XX. 

»ft3  E  conclus  donc  qu'il  eft  bien  vray-fembla- 
SiUS  ble  de  penfer  que  les  premiers,  qui  arriue- 
rent  aux  Indes  ,  fuft  par  naufrage  &  tempefte  de 
mer  :  mais  il  fe  prefente  fur  ce  pointfc  vne  diffi- 
culté ,  qui  me  trauaille  beaucoup  ,  qui  eft 
qu  encor  que  nous  accordions  ,  que  les  pre- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
micrs  hommes  foient  venus  à  des  terres  fïefloi- 
gnees ,  que  celles-cy ,  8c  que  les  natio-ns  que  nous 
voyons  icy  foient  forties  d'eux ,  &  fe  foient  telle- 
ment multipliez  qu'ils  font  à  prefent.  Neant- 
moins  ie  ne  me  puis  imaginer  par  quel  moyen, 
ny  de  quelle  façon  les  belles  &  animaux ,  dont  il 
ietrouue  grande  abondanceaux  Indes,  yayent 
peu  arriuer ,  n'eftant  pas  croyable  que  Ton  les  aie 
embarquez  &  portez  par  mer.  La  raifon  pour  la- 
quelle nous  fommes  contraints  de  dire,  que  les 
premiers  hommesdes  Indes  font  venus  de  l'Eu- 
rope ou  de  l' Afie,  eft  pour  ne  contredire  à  la  fàin- 

fenef.  7.  fte  Efcriture ,  qui  nous  enfeigne  clairement  que 
tous  les  hommes  fontfortis  d'Adam:  Par  ainfî 
nous  ne  pouuons  donner  autre  origine  aux  hom- 
mes qui  font  es  Indes;  veu  que  la  mefme  Efcritu- 
re nous dit,que  toutes  les beftes &animaux  delà 
terre  périrent,  fin  on  cellc^qui  furent  referuees 
en  l'Arche  de  Noc  pour  la  multiplication  &en- 
ttetien  de  leur  efpcce.De  façon  que  nous  deuons 
necefïairement  référer  la  multiplication  de  tous 
les  animaux  fufditsàceuxqui  fortirentde  l'Ar- 
che de  Noé  aux  monts  d' Araraat  où  elle  Parrefta, 
&  par  ce  moyen  nous  deuons  rechercher, tant 
pour  les  hommes  que  pour  les  belles  ,  lechemm 
par  lequel  ils  font  partez  du  vieil  monde  au  nou- 

•*"&jL.  ueau.  Sainct  Aueuftin  traictant cefte  queftion, 

16.  de  a-  „         .r  o  1  > 

mt.  t.  7.  Poul'  quelle  railon  i  on  trouue  en  certaines  Ifles 
des  loups ,  des  tygres ,  &  autres  belles  rauiflantes 
qui  n'apportent  aucun  profit  aux  hommes,  veu 
qu'il  n'y  a  point  de  doute  queleselephans,  chc- 
uaux, bœufs,  chiens  Se  autres  animaux  dont  fe 
icruent  les  hommes,y  ont  efte  portez  tout  exprès 


dis  indes.     tir.  i.'         35 

en  des  nauires,comme  nous  voyons  auiourd'huy 
que  l'on  les  porte  depuis  l'Oricc  iufques  en  l'Eu- 
rope^ de  l'Europe  au  Peru,  encor  que  les  voya- 
ges en  foient  fi  longs.  Et  par  quel  moyen  ces  ani- 
maux qui  font  de  nul  profit  ,  au  contraire  font 
dommageables,  comme  les  loups,  &  autres  de 
telle  nature  farouche,ay  en  t  peu  parler  aux  Indes, 
fupposé  (corne  il  eft  certain)  que  le  Déluge  noya 
toute  la  terre. Sur  lequel  traicté,ce  docte  &  fainct 
homme  eflaye  à  fe  demeflcr  de  ces  difhcultez,di- 
iant,  qu'ils  peurent  parTer  à  nage  en  ces  Iflcs  ;  ou 
quequelqu'vn  les  y  a  portez  exprès  pour  le  dzC- 
duit  de  la  chalîè.  Ou  bien  que  par  la  volonté  de 
Dieu ,  ils  euiîent  efté  créez  tout  de  nouueau  de  la 
terre,  en  la  mefine  forte  Se  manière  de  la  premiè- 
re création,  quand  Dieudift  :  Que  la  terre  produife  Gentf-  u 
tout  animal  y  iiunt  en  fin  genre,  animaux ,  reptiles  & 
bejles  fauuaçes  des  champs  félon  leur  efpece.  Mais  il 
nous  voulons  appliquer  cette  folution  à  noftre 
propos ,  la  chofe  en  demeurera  plus  ambarafsec; 
car  commençant  au  dernier  point,  il  n'eft  pas 
vray-  femblable ,  félon  l'ordre  de  nature ,  ny  n'eft 
pas  choie  conforme  à  l'ordre  du  gouuernement 
que  Dieu  a  eftably  ,  que  les  animaux  parfaits, 
comme  les  Iy  ons,les  tygres  &  les  loups ,  f  engen- 
drent de  la  terre,  fans  leur  génération, comme 
l'on  voit  que  les  rats,  les  grenouilles ,  les  abeilles 
Se  tous  autres  animaux  imparfai&s  f  engendrent 
communcment.D'auantagejà  quel  propos  efl-ce 
que  l'Efcriture  dit,&  répète  tant  de  fois;  Tu  pren- 
dras de  tous  les  animaux  <&  oifeaux  du  Cielfept  &fept3  &»*/>  7- 
mafles  &  femelles >a  fin  que  leur  génération  p  entretien- 
ne fur  U  terre ,  iî  tels  animaux  après  le  Déluge  de- 


HISTOIRE     NATVRELLE 
uoicnc  eftre  créez  derechef  par  vne  nouuellc  ma- 
nière de  création,  (ans  la  conjonction  dn  malle 
ôc  femelle  ?  Etlurcepourroitcncor  fe  faire  vne 
autre  queflion  :  Pourquoy  tels  animaux  naiilans 
de  la  terre  (félon  cefte  opinion)  il  n'y  en  a  pas 
aufïî  bien  en  toutes  les  autres  parties  de  la  terre 
ferme,  &  es  autres  Ifles  :  puifque  nous  ne  deuons 
pas  confiderer  l'ordre  naturel  de  la  génération^ 
mais  feulement  la  libéralité  du  Créateur.  D'au- 
tre-part que  l'on  ait  pa(sé  quelques-vns  de  ces 
animaux  ^ourledefduit  de  la  chaire  (quieft  Ion 
autre  refolution)  ie  ne  le  veux  pns  tenir  du  tout 
pour  chofe  incroyable  :  d'autât  que  nous  voyons 
lbuuentcsfois  que  les  Princes  ôc  grads  Seigneurs 
tiennent  ôc  nourrilïènt  en  leurs  cages  ,  pour  leur 
plai(ïr&  grandeur  tant  feulement, des  lyonSjdcs 
ours  <Sc  ancres  bettes  fauuages,  principalement 
quand  elles  font  amenées  de  terres  lointaines: 
mais  de  dire  cela  des  loups  ,  renards  Se  autres 
animaux  qui  n'apportent  aucun  profit ,  ôc  qui 
n'ont  rien  de  rare  ny  de  bon  que  de  faire  domma- 
ge au  beftial  ;  ôc  de  dire  auiïi  qu'ils  ont  prins  la 
peine  de  lesapporter  par  mer  pour  la  cha(îe:  cer- 
tainement c'en:  choie  qui  n'a  point  de  raifon. 
Qui  ell-ce  qui  pourra  penfer  qu'en  vne  nauiga- 
tion  fi  longue  &  infinie  il  y  ait  eu  des  hommes 
qui  ayent  prins  la  peine  de  porter  au  Pcru  des  re- 
nards, principalement  de  ceux  qu'ils  appellent 
Anas  ,  qui  eft  vne  efpece  des  plus  ords  ôc  in- 
fects que  i'aye  iamais  veu  ?  Qui  voudra  dire  aufîî 
qu'ils  y  ayent  apporté  des  tygres  ôc  des  lyons? 
certainement  c'eft  chofe  digne  de  rifee  ôc  mo- 
querie, de  le  vouloir  penfer.  Car  c'eîteit  aifez 


DES    INDES.       tiy.    I.  40 

voire  beaucoup  aux  hommes  ,  poufïèz  malgré 
eux  par  1  orage  8c  la  tempeftc  en  vn  fi  lointain 
8c  incogneu  voyage  ,  de  pouuoir  efchapper  du 
danger  de  la  mer  leurs  propos  vies,  iàns  l'amu- 
ferà  porter  des  renards  8c  des  loups ,  8c  les  nour- 
rir par  la  mer.  Si  donc  ces  animaux  fonc  venus 
par  mer ,  il  faut  croire  que  ça  elle  à  nage  :  ce  qui 
le  peut  faire  en  quelques  Ifles,  peu  dînantes  8c 
etloignees  des  autres ,  ou  de  la  terre  ferme  :  com- 
me on  ne  le  peut  nier  ,  veu  l'expérience  certaine 
que  nous  en  auons ,  &  que  nous  voyons  que  ces 
animaux  cdans  prêtiez  nagent  iour&  nuict  fans 
fe  lali'er,  &  en  fin  ils  i'efchappent  de  la  façon. 
Mais  cela  t'entend  en  de  petits  golphes  8c  tra- 
uerfes,pourcc  qu'en  noftre  Océan  l'on  fe  mo- 
queroitde  tels  nageurs  :  veu  que  les  aifles  fail- 
lent  aux  oifeaux,  metmes  de  grand  vol  ,  fur  le 
paifage  d\n  tî  grand  abyfme.  Et  combien  qu'il 
ietrouue  bien  des  petits  oifeaux  qui  volent  plus 
de  cent  lieu'cSjCommc  nous  l'auons  veu  plufieurs 
fois  en  voyageant,  toutesfois  c'eft  choie  impof- 
fible  aux  oiieaux  ,  à  tout  le  moins  fort  difficile, 
de  pouuoir  palier  toute  la  mer  Oceane.  Or  tour 
ce  que  nous  auons  dit  cy  dellus  eftant  véritable, 
par  quelle  part  ferons-nous  le  chemin  à  ces  be- 
fles  fauuages&aux  oyhllons  pour  les  pafferaux 
Indes,  8c  comment  dirons-nous  qu'ils  fontpaf- 
fez  d'vn  monde  à  l'autre  ?  le  coniecture  donc  par 
le  difeours  que  i'ay  fait  >  que  le  nouueau  monde, 
que  nous  appelions  Indes,  n'eft  point  du  tout 
diuifényfeparéde  l'au  tre  monde  j  &  pour  en  di- 
re mon  opinion,  il  y  a  ja  fort  long  temps  que  i'ay 
penfe  que  l'vne  8c  l'autre  terre  fe  joignent  & 


HISTOIRE  NÀTVRELLE 
continuent  en  quelque  part,  ou  à  toutlemoinS 
fauoifinent  <k  approchent  de  bien  pies.  Et  tou- 
tesfoisencor  iuiquesà  prefent  n'y  a  aucune  cer- 
titude du  contraire  :  pour  autant  que  vers  le  Pô- 
le Arctique,  que  nous  appelions  le  Nort;  toute 
la  longitude  de  la  terre  n'eft  pas  deicouuerte  & 
cogneue" ,  ôcy  en  a  plusieurs  qui  afferment  qu'au 
deilus  de  la  Floride  ,  Peftend  au  Septentrion  vue 
terre  fort  large ,  qu'ils  dilent  fe  venir  rendre  iuf- 
ques à  la  mer  Scytique  ou  Germanique.  D'antres 
adiouftent  qu'il  y  a  eu  vn  nauire  qui  nauigeant  en 
ces  parties,  raconte  auoir  veula  code  de  Baca- 
leos ,  qui  f'eftend  quafï  iufques  aux  fins  de  l'Eu- 
rope. D'auantage  ronnefçaitnon  plus  iufques 
où  feflend  la  terre  qui  court  au  demis- du  Cap  de 
MendoceenlamerduSud,finon  que  l'on  dit  que 
c'eft  vue  terre  fort  grande  8c  qui  court  vne  lon- 
gueur infinie;  &c  retournât  à  l'autre  Pôle  du  Sud, 
il  n'y  a  pas  homme  qui  fçache  où  farrefte  la  terre 
quieftde  l'autre  cofté  du  deflroitde  Magellan. 
Vn  nauire  de  l'Euefquede  Plailancequi  paiTalc 
deftroit,raconte  n'auoir  perdu  la  veuë  de  la  terre; 
lemefmedit,  Hernande  Lamer  pilote, qui  par 
tourmente  palfa  deux  ou  trois  degrezau  delîus 
dudit  dellroit.  Ainfi  n'y  a-il  raifon  ny  expérience 
qui  contredife  mon  imagination  ou  opinion: 
Sçauoireft  que  toute  la  terre  le  joint  &  continue 
en  quelque  endroit ,  ou  à  tout  le  moins  qu'elle 
l'approche  fort  l'vnede  l'autre.  Sicelacft  vray, 
comme  en  effecT;  il  y  a  de  l'apparence ,  la  relponic 
eft  aifee  au  doute  fi  difficile  que  nous  auions  pro- 
pofé ,  comment peurent  pafTer  aux  Indes  les  pre- 
miers peupleursd'iceiles  :  pour  ce  que  l'on  doit 

croire 


DES    INDES.      LIV.     I.  41 

croire  qu'ils  ne  peuuent  pas  tant  y  eftre  venus 
nauigcans  par  la  mer  ,  comme  cheminans  par 
terre,&  auroient  peu  faire  ce  chemin  fans  y  pen- 
fèr,en  changeans  peu  à  peu  leurs  terres  ôc  habita- 
tions. Les  vns  defquelspeuplansles  terres  qu'ils 
rencontroienc,  lesautresen  cherchant  d'autres 
nouuelles  ,  vindrent  en  fin  par  la  longueur  du 
temps  à  remplir  &c  peupler  les  terres  des  Indes 
Jetant  de  nations,  gens  &  langues  que  nous  y 
voyons. 

De  quelle  façon  &  marnerc  les  animaux  &  befiiaux 
domeftiques  pajftrcnt  atifiC  Indes, 

C  H  A  P.     XX!. 

^Es  fîgnes  Se  arguments  qui  feprefententà 
S38  ceux  qui  font  curieux  d'examiner  la  façon 
&  manière  des  Indiens  aident  beaucoup  à  iou- 
ftenir  l'opinion  fufdite  :  pour-aucant  que  l'on  ne 
trouue  point  d'hommes  habitans  es  ides,  qui 
font  beaucoup  cfloignees  de  la  terre  ferme,  ou 
des  autres  ifles ,  comme  la  Bermude,  dont  la  rai- 
foneft,  pource  que  les  anciens  ne  nauigeoient 
qu'aux  coftes  prochaines  ,  &  toujours  à  veu'c  de 
terre.  Surquoy  l'on  rapporte  qu'il  ne  Perl  trouue 
en  aucune  partie  des  Indes  de  grands  nauires  qui 
fuil'ent  capables  de  palier  telsgolphes ,  mais  feu- 
lement y  a-l'on paiïé des  Balfas  , Barquettes ,  ou 
Canoës,  qui  toutes  font  moindres  que  Chalop- 

ÎicSjdefquelles  fortes  de  vaiïïcaux  feulemét  vfent 
es  Indiens ,  aucc  lcfquels  ils  ne  pourroient  fen- 
golpher  en  vne  fî  grande  trauerie ,  fans  vn  mani- 
fefte  danger  de  naufrage ,  &  orej  qu'ils  euflen  t  eu 

F 


HISTOIRE     NATVRËLLE 
des  nauires  fiiffifans,  ils  ne  fçauoient  l'art  del'ef- 
guilIe,Aftrolabe,ou  cadran.  Quef'ilseufîentefté 
hulc-b  oudix  iours  fans  voir  la  terre,  ileftoit  im~ 
poiïible  qu'ils  ne  feperdillent,  fans  pouuoirre- 
cognoiftre  où  ils  eu  lien  telle.  Nous  recognoif- 
fons  plufieurs  Mes  fort  peuplées  d'Indiens,  Se 
leur  nauigation  fort  vfitée  ,  mais  c'eftoit  celle 
qu'ils  pouuoient  faire  en  Canoës  <Se  Barquettes 
fans  l'Efguille de  nauiger.  Quand  les  Indiens  du 
Peru  qui  demeuroient  cnTorr.bes,veirent  la  pre- 
mière fois  nos  nauires  Efpagnols  qui  nauigeoict 
au  Peru, &  recogneurent  la  grandeur  des  voiles 
tendus,&  du  corps  des  nauires,demeurerent  fort 
eftonnez,&  nepouuansfeperfuaderqne  ce  fuf- 
fent  nauires ,  pour  n'en  auoir  iamais  veu  de  telle 
forme  &  grandeur,  i'imaginoient  que  cefullent 
des  rochers.  Mais  voyans  qu'ils  aduançoient  (an  s 
Renfoncer, demeuroient  tous  rauis&tranfpor- 
tez  d'efpouuentement  -,  iufques  à  ce  que  regardas 
déplus  près,  ils  recogneurent  des  hommes  bar- 
bus qui  cheminoient  en  iceux ,  qu'ils  eftimerent 
alors  deuoir  eftre  quelques  Dieux,ou  gés  du  ciel. 
D'où  il  appert  combien  c'eftoit  choie  incogneue 
aux  Indiens  d'auoir  de  grands  nauires.   Il  y  a  cn- 
corvne  autre  rai  fou  qui  nous  fait  croire,  Se  te- 
nir pluftoftl'opinion  fufdite,  fçauoir  que  ces  ani- 
maux dtfquels  nous  difons  qu'il  n'eft  pas  croya- 
ble qu'ils  ayent  elle  embarquez  par  aucuns  hom  - 
mes, pour  porter  es  Indes ,  ne  fe  tiennent  qu'en  la 
terre  ferme,&  non  point  aux  Ifles  qui  font  à  qua- 
tre iournées  de  terre  ferme.  I'ay  fait  celle  recer- 
che  pour  faire  preuuc  de  cecy ,  d'autant  qu'il  m'a 
fembJé  que  c'eftoit  vnpoinctdegcandeimpor- 


DES    I  N  DES.    L  IV.    T.  42 

tance,  pour  me  refondre  en  l'opinion  que  l'ay 
dite  ,  que  la  terre  des  Indes ,  d'Europe,  d'Ade  8c 
d'Afrique  ont  quelque  communication  eniem- 
ble,ou  à  tout  le  moins  qu'elles  ('approchent  fore 
par  quelque  partie.  Il  y  a  en  l'Amérique  &  Peru 
beaucoup  de  befles  fau Liages ,  comme  des  Lyons 
(encor  qu'ils  ne  (oient  (emblablesen  grandeur, 
fierté,  nyenlamelme  couleur  de  roux,  aux  re- 
nommez Lyons  de  l'Afrique.)  llyaaufîîgrancl 
nombre  de  Tygres  qui  font  fort  cruels  ,  &  plus 
communément  aux  Indiens  ,  que  non  pas  aux 
Efpagnols.  Il  y  a  auiïî  des  Ours,  non  pas  toutes- 
fois  en  fort  grande  abondance.  Des  Sangliers  & 
des  Renards  vu  nombre  inrïny.  Neantmoins  fi 
nous  voulons  chercher  de  toutes  ces  e(peces  d'a- 
nimaux en  Lille  de  Cuba,EipagnolIe ,  lamaique, 
la  Marguerite,  ou  la  Dominicque,il  ne  l'en  trou- 
ueraaucuns.  Tcliementque  el'diteslflcs  ,quoy 
qu'elles  fu  lient fertiles  &  de  grande  eftenduë,il 
n'y  auoit  aucune  forte  d'animaux  de  feruice, 
quand  les  Efpagnols  y  ajriuerent:  mais  à  prefent 
y  a  fi  grand  nombre  ce  troupeaux  de  Cheuaux, 
Bœufs,  Vaches,  Chiens  &  Pourceaux,  qui  ont 
multiplie  dételle  façon ,  que  ja  les  troupeaux  de 
Vaches  n'ont  plus  de  maiftre  afleuré ,  mais  ap- 
partiennent au  premier  qui  lestuë,  6ciarticre, 
foit  en  la  montagne  ou  aux  champs:  ce  que  les 
infulaires  font  feulement  pour  auoi.r  le  cuir, 
dont  ils  font  grand  trafic,  lailîans  perdre  la  chair, 
/ans  la  manger.  Les  chiens  y  ont  tellement  mul- 
tiplié, qu'ils  marchent  en  troupes,  &  endom- 
magent fort  le  beftail  ,  &c  font  autant  de  def- 
gaft  que  des  Loups,  cmieftvne  grande incom- 

Fij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
moditêen  ces  Ifles  là.  Il  n'y  a  pas  feulement  faute 
de  beftes  fauuages  en  ces  Ifles,  mais  en  la  plus 
grand  part,  d'oifeaux  &  oifillons.  Pour  les  perro- 
quets,il  y  en  abeaucoup  qui  ont  vn  grand  vol,& 
vont  par  bandes  >  mais  il  y  en  a  peu ,  comme  i'ay 
dit,  ôc  d'autres  fortes  d'oHeanx,  Deperdrixilne 
me  fouuient point  d'y  enauoir  veu  ,  ny  entendu 
qu'il  y  enayecommeau  Peru.  Aufîipeu  y  a-il  de 
ces  beftes  qu'ils  appellent  au  Peru  Guancos  ôc 
Vicunas,  qui  font  comme  Chieures  fauuages, 
fortviftes,  en  l'eftomac  dcfquelles  fe  trouue  la 
pierre  Bezaar,  que  plufieùrs  cftimentde  grand 
prix,  &fen  trouue quelquesfois  d'aufîi  grofles 
qu'vn  œuf  de  poulie,  voire  la  moitié  d'auantage. 
Ils  n'ont  non  plus  d'autre  forte  de  beftial,  que  de 
ceux-là  que  nous  appelions  moutons  d'Inde,le£- 
quels  outre  la  laine  &  la  chair,  de  laquelle  ils  fe 
nourriflent&:  feveftent,  lenrferuent  d'afnes,  Se 
de  voitures  à  porter  charge,  lis  portent  la  moitié 
de  la  charge  d'vne  mule,  &  font  de  peu  de  frais  à 
leurs  maiftres,pource  qu'ils  n'ont befoinny de 
ferrures,ny  de  bas ,  nyd'auoine  pour  leur  vuire, 
nyen  fin  d'autre  hamois  }  d'autant  que  détour 
celailsenfontpourueus  dénature,  qui  a  voulu 
en  ce  fauorifer  ces  pauures  Indiens.  De  tous  ces 
animaux ,  &  de  plufieùrs  autres  fortes  dont  ie  fe- 
ray  mention  en  Ion  lieu  ,  la  terre  ferme  des  Indes 
«ft  fort  abondante  &  remplie.  Mais  il  ne  f'en 
trouue  aux  Ifles  que  ceux  que  les  Efpagnols  y 
ont  apportez.  Il  eft  bien  vray  qu'vn  de  nos  frères 
veid  vn  iour  vn  Tygre  en  vne  ifle,comme  il  nous 
«  raconté  furie  propos  d'vne  fienne  pérégrina- 
tion &  naufrage.  Mais  interrogé  combien  cède 


DES     INDES.      Ll  V.    I.  43 

Ifle  eftoit  efloignee  de  terre  ferme  ,  refpondit 
comme  de  fîx  à  huict  lieu'ës  pour  le  plus:  laquelle 
trauerfe  de  mer  les  Tygres  peuuent  aifément  pal- 
fer  à  nage.  L'on  peut  inférer  par  ces  argumens  8c 
autres  femblables  ,  que  les  premiers  Indiens  ont 
palTépourpeupler  ces  Indes  plus  par  le  chemin 
de  terre ,  que  de  la  mer  -,  ou  fil  y  a  eu  nauigation, 
qu'elle  n'a  efté  ny  grande  ny  difficile:  pource  que 
c'eft  chofe  indubitable  qu'vn  monde  doit  eftre 
ioint  &  continué  auec  l'autre,  ou  à  tout  le  moins 
eftre  en  quelque  endroit  fort  proche  l'vn  de 
Vautre. 


Que  le  lignage  des  Indiens  ncjl point  pufié pur  l'ifle 
atlantique  ,  comme  quelque s-yns 
/'imaginent. 

CHAP.     XXII. 

fcYftL y  en a quelques-vns qui fuiuans l'opinion  sap.c.iz¥ 
fafâde  Platon,mentionneecy-deiïus,difent  que 
ces  gens  là  partirent  de  l'Europe,  ou  d'Afrique, 
pour  aller  en  celle  tant  fameufe  8c  renommée 
Ifle  Atlantique y8c  de  làpailcrent  d'Ifle  en  autre, 
iulques  à  paruenir  à  la  terre  ferme  des  Indes:pour 
ce  que  le  Crifias  de  Platon  en  fon  Timec ,  en  dis- 
court de  cette  façon. Car  (1  l'ille  Atlantique  eftoit 
aufli  grande  comme  toute  l' Afie  8c  l'Afrique  en- 
femblCjOU  bien  encor  plus  grande ,  comme  veut 
dire  Platon ,  elle  deuroit  par  neceflitè  compren  - 
dretout  l'Océan  Atlantique,  &  paruenir  pref- 
que  iufques  aux  Mes  du  nouueau  monde.  Et  dit 
dauantage  Platon ,  que  par  vu  grand  &eftrange 
déluge  ton  iflc  Atlantique  fe  noya  -,  8c  par  ce 

Fiij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
moyen  rendit  cefte  mer  innauigable,  pour  la  grif- 
fe abondance  des  bancs,  rochers,  8c  impetuofnc 
des  vagues  qui  y  eftoicnt  encore  de  ion.  temps. 
Mais  qu'en  fin  les  ruines  de  cefte  iile noyée,  ie 
railirent  &  rendirent  cefte  mer  nauigable.  Cecy 
aefté  fort  curieuiement  rraicVc  Se  diicouru  par 
aucuns  hommes  do&es  8c  de  bon  entendement, 
8c  neantmoins  eftant  de  prés  confideré,à  vray  di- 
re fe  trouuent  choies  ridicules ,  qui  rellemblenc 
plus  les  fables  ou  contes  d'Ouide,qu'vne  hiftoire 
ouph.ilofo.Dhie  disme  cl'eftremifeen  auant.  La 
plus-part  des  interprètes  &c  exporteurs  de  Pla- 
ton afferment  que  c'eft  vue  vraye  hiftoire  tout  ce 
que  Ci ifias  raconte  de  l'eftrange  origine  del'ifle 
Atlantique,  de  fa  grandeur  8c  proiperité  ,  des 
guerres  qu'ils  ont  eues,  contre  ceux  dé  l'Europe, 
8c  pluiieurs  au  très  chofes.  Ce  qui  fait  croire  da- 
uantage  que c'eft  hiftoire  vraye,  font  les  paroles 
deCiiiias  ,  que  Platon  introduit  en  ion  Timee, 
diiantque  le  fujetqu'ilveut  trai&cr  eftde  cho- 
fes eftranges ,  mais  qui  iont  neantmoins  vérita- 
bles. Lesautres  dilciples  de  Platon  confiderans 
quecedifcoursaplus  d'apparence  de  fable, que 
non  pas  d'hiftoire,difent,queron  doit  entendre 
cela  par  allégorie  ,  &c  queç'aeftc  l'intention  de 
leurdiuin  Philofophe.  Decefte  opinion  eftPro- 
cle,  ex  Porphyre,  voirez) rigene  ,  lefquelsefti- 
ment  tant  les  eferits  de  Platon  ,  que  quand  ils  en 
parlent  ,  il  lemble  que  -ce  foient  les  liures  de 
Moyfe,ou  d'Eidras,  8c  là  où  il  leurièmble  que 
les  eferits  de  Platon  ne  font  pas  vrais  femblables, 
difent  qu'on  les  doit  entendre  en  iens  allégorie 
ccmyitic.  Mais  pour  dire  la  vente,  îeneporte 


DES     INDES.       LIV.    I.  44 

point  tant  de  refped  à  l'authorité  u*e  Plato,quoy 
qu'ils  l'appellent  diuin,qu'il  me  femble  tron  dif- 
ficile de  croire  qu'il  au  peu  efcrire  ces  choies  de 
Fifle  Atlantique  pour  vne  vraye  hiftoire  ,  lcf^» 
quelles  pour  cela  ne  lailïent  point  d'eftre  de  pu- 
res fables:veu  qu'il  confetfe  ne  l'auoir  appris  que 
deCritiasquieftoit  petit  enfant,  &  entre  autres 
chanfons  chantoit  celle  de  l'iflc  Atlantique. 
Quoy  que  c'en  foit ,  que  Platon  l'ait  efcrit  pour 
hiltoire  ou  pour  fable ,  quant  à  moy  ic  croy  que 
tout  ce  qu'il  a  efcrit  de  cefte  iile,commcnçant  au 
Dialogue  du  Timce,  Ôc  pourfuiuant  à  celuy  de 
Critias,  ne  peut  eftre  tenu  pour  chofe  vraye,  fi- 
non  entre  les  enfans  &  les  vieilles.  Qui  ne  tien- 
dra pour  fable ,  de  dire  que  Neptune  ("énamoura 
de  Clyté,  &  eut  d'elle  cinq  fois  des  gémeaux  d'v- 
ne  ventrée,  &  que  d'vne  montagne  il  tira  trois 
pellotes  rondes  de  mer ,  &  deux  de  terre,  qui  fe 
reflembloient  fi  bien,  que  l'on  euft  dit  quelles 
euflent  efté  faites  toutes  en  vn  tour?  Que  dirons- 
nous  dauantagë  de  ce  Temple  de  mil  pas  de  16g, 
&  de  cinq  cents  de  large  ,  duquel  les  parois  par 
dehors eftoient  toutes  couuertes  d'argent,  tout 
le  lambris  d'or,  &  le  dedans  d'yuoirc  cifelé  &  en- 
trelafle  d'or,d'argent,  &de  perles  ?  En  fin  parlant 
defaruinefînale,ilconcludainfi  au  Timee:  En 
yn  tour  &  vnenwcl  fur  tant  un  grand  etelure ,  par  te  ■ 
quel  tous  nos  foicLtts  furent  engloutis à  monceaux  cl  in  s 
lit  terre ,  &  de  cejîc  façon  rifle  .Atlantique  eftant  fub- 
mergée  disparut  en  la  mer.  Pour  certain  ce  fut  bien 
à  propos  que  cefte  ifle  difparut  Ci  (ubitement, 
veu  qu'elle  eftoitplus  grande  que  l'A  fie  &  l'A- 
frique enfemble  ,  &  qu'elle  eftoit  faicte  par 

F  iiij 


Tlin.l.  s  ■ 
6.c,j  i. 


HISTOIRE  NATVR.ILLI 
enchantement.  C'eft  chofe  aufïï  de  mefme  fort  à. 
proposée  dire  que  les  ruines  de  cefte  Ifle  li  gran- 
de fc  voyent  au  fonds  de  la  mer ,  &  que  ceux  qui 
les  v.oyent,qni  font  les  mariniers,nc  peuuent  na- 
uigerpar  là.  Puis  il  adioufte:  Vour  cefte catrfctxpjues 
dmourcThuy  ccjle  mer  nefe  nauige  point,  ny  nef  eut  cftre 
nduigee  pour  rdifon  dit  Iahc  /jnipeuapeu  s'eft formé  en 
cefte  ifle  fttbmcrçcc ,  le  demanderois  volontiers 
quelle  mer  a  peu  engloutir  vne  telle  infinité  de 
terre,  quieftoit  plus  grande  que  toute  l'Aile  & 
l'Afrique enfemble,  fk  qui  fe  conflnoitiufques 
a\ix  Indes.  &  encore  l'engloutir  dételle  façon, 
qu'il  n'en  foit  demeuré  à  prefent  aucuns  reftes 
ny  apparences  quelconque:  veu  qu'il  eft  tout  co- 
gneu&efprouuéque  les  mariniers  ne  trouuent 
aucun  fond  (quoy  que  longue  foit  leur  fonde)  en 
la  mer  on  ils  difent  auoir  eflé  cefte  ifle.  Toutes- 
fois  ce  pourra  fembler  chofe  indifere^  &  efloi- 
gnee  de  raifon ,  de  vouloir  difputer  ferieufement 
les  chofes  qui  ont  efté  racontées  par  paire-  temps 
feulement,  ou  bien  fi  l'on  doit  auoir  tant  de  re- 
fped à l'authorité de  Platon  (comme  il  eft  bien 
raifonnable)  on  les  doit  pluftoft  entendre  pour 
fignifier  Simplement  comme  en  peinture  la  pro- 
spérité d'vne  ville,&:quant  &  quant  fa  perdition , 
Car  l'argument  qu'ils  font  pour  prouucr  que 
réellement  8c  de  faict  cefte  Ifle  Atlantique  ait 
efté,  difans  que  la  mer  en  ces  parties  là  retient  en- 
cor  auiourd'huy  ce  nom  d'Atlantique,  eft  de  peu 
d'importance,vcu  que  uoas  fçauons  que  le  mont 
Atlas ,  duquel  Pline  dit  cefte  mer  auoir  prins  forx 
nom.eft  aux  confins  de  la  mer  de  Mauritanie.  Et 
n*  le  fncfmc  Pline  raconte  que  joignant  le  mont 


DES    INDES.      tIV.    I.  45 

fufdit  il  y  a  vne  Me  nommée  Atiantique,qu'il  die 
cftrc  fort  petite  &  de  fort  peu  de  valeur. 

Que  loptnion  de  plufienrs  qui  afferment  que  U 

première  race  des  Indiens  vint  des  Iuifs9 

rieB  point  véritable. 

c  H  A  P.    XXI  II. 

(ÏSS  Aintenant  que  nous  auons  monftrê 
tSfcfi  qu'il  n'eft  point  vray-femblable  que  les  pre- 
miers Indiens  ayent  palfé  aux  Indes  parl'Ifle  At- 
lantique ,  il  y  en  a  d'autres  qui  difent  &  ont  opi- 
nion que  ce  fut  par  ce  chemin  dont  purle  Efdras       -  i 
au  liure  quatrieime ,  difant  ainfî  :  Et  pour  ce  que  tu, 
veids  qu'il  afjèmbloit  y  ne  autre  troupe  &  multitude 
d'hommes  patjibles  ,'tufçauras  que  ceux-là  font  les  dix 
tributs  qui  furent  mcne\  encaptiuité an  temps  dul{py 
0\ee  que  Salman^ar  E^oy  des  ^Affy.'iens  mena  prifon- 
viers,  ejr  les  paffa  de  l antre  part  du  fleuue,  &  furent 
transport  e\  en  y  ne  autre  terre.  Ils  arrejiereut  &  refo- 
lurent  erttr'eux  de  laijfcr  U  f*i!*itude  des  Gentils,®*  de 
pajfer  en  autre  région  plus  efloignce ,  où  iamais  les  hu- 
mains ri  habitèrent, afin  ae  garder  leur  loy  qu'ils  riauoiet 
peu  conferueren  leur  terre;  ilspUfferent  donc  par  les  che- 
mins eflroits  du fleuue  Euphrate:  car  alors  Dieu  monftra 
fes  menteilles  en  leur  endroit,  arreflant  le  cours  du  fleuue 
iufques a  ce  qu'ils  euffent  pafie ',  d'autant  queie  chemin 
pour  aller  en  cefte  région  efioit  très-long ,  &  d'vn  an  &* 
demy,&  s'appelle  cefte  région  Jtrfitretk,  ^Alors  ils  y  de- 
meurerent  iufques  aux  derniers  temps .    Maintenant 
quand  ils  rommencerent  à  reuenir ,  le  Tout-puiffant  re- 
tiendra derechef  vne  autre  fois  le cours  du fleuue,  afin 
yuilspuiffcntfafjcr  3  &  put  cefte  uufe  tu  as  yen  cesle 


HISTOIRE  NATVRULÏ 
multitude rfwc/tt/.v.  Quelques- vns  veulent  accom- 
moder cefte  eferiture  d'Efdras  aux  Indiens,  di- 
fàns  qu'ils  furent  conduits  de  Dieu  où  iamais 
n'habita  genre  humain ,  ôc  que  la  terre  où  ilsde- 
meurcrent  eft  fi  efloignée ,  qu'il  y  a  vn  an  ôc  de- 
my  de  chemin  pour  y  aller,  eftant  çefte  nation 
naturellement  paifible,  ôc  qu'il  y  a  de  grands  in- 
dices ôc  argumens  entre  le  vulgaire  de  ces  In- 
diens, pour  faire  croire*  qu'ils  defeendent  de  la 
race  des  Iuifs ,  d'autant  que  l'on  les  voit  commu- 
nément efchars,rabaillez ,  cérémonieux ,  ôc  fub- 
tils en  menfenge.  Et  difent  dauantage  que  leurs 
habits  rcilèmblent  fort  à  ceux  dont  vfoient  les 
Iuifs ,  pource  qu'ils  portent  vne  tunique  ou  che- 
mifolle,&:vn  manteau  brodé  tout  autour,  vont 
les  pieds  nuds  ,  ou  feulement  auec  des  femelles 
attachées  de  courroyes  fur  le  pied ,  qu'ils  appel- 
lent Ojotas.  Et  difent  qu'il  appert  par  leurs  hi- 
ftoires ,  comme  auflî  par  les  anciennes  peintures 
qui  les  reprefentent  en  celle  façon,  que  cet  ha- 
bit eftoit  l'ancien  veftement  des  Hebrieux  ,  ôc 
que  ces  deux  fortes  d'habits  dont  les  Indiens 
vfent  tant  feulement,  eftoient  ceux  dont  vfoit 
Samfon ,  que  l'Efcriture  appelle  Tirn/cam^  ôc  Sin- 
doncm,  qui  eft  le  mefme  que  les  Indiens  appellent 
chemifolle  ôc  manteau.  Mais  toutes  ces  conie- 
ctures  font  légères  ,  3c  pluftoft  contr'eux,  que 
pour  eux:  car  nous  fçauos  bien  que  les  Hebrieux 
vfoient  de  lettres,  ôc  il  n'y  en  a  aucune  apparen- 
ce entre  les  Indiens.  Les  autres  eftoient  fort  amis 
de  l'argent,  &  ccux-cy  n'en  ont  poiut  de  cure. 
Les  Iuifs  f'ils  n'eftoient  circoncis  ne  feftime- 
roiçntpas  Iuifs ,  ôc  les  Indiens  au  contraire  ne  le 


DE  S    IND  ES.       LIV.    I.  46 

font  ny  peu  ny  point,  &iamais  n'ont  vie  de  céré- 
monie qui  en  approche,  comme  plufïeurs  des 
Orientaux.  Mais  quelle  apparence  y  a-ildecon- 
iechirer  cecy,  veu  que  les  Iuifs  l'ont  tant  diligens 
àconferuer  leur  langue  &  leurs  antiquitez,  de 
forte  qu'en  toutes  les  parties  du  monde  où.  ils 
font  ,  ils  différent  8c  les  cognoift-on  toufiours 
d'auec  les  autres  ,  8c  neantmoins  qu'aux  Indes 
feulement  ilsayent  oublié  leur  lignage ,  leur  loy, 
■    leurs  ceremonies,leur  Meti  e,&  finalement  tout 
leur  Iudaifme  ?  En  ce  qu'ils  difent  que  les  In- 
diens font  efchars,rabaiirez3fuperftitieux&fub- 
tiis  en  menfonge:  pour  le  premier  c'eft  chofe  qui 
n'eft  point  commune  à  tous:  car  il  y  a  des  nations 
en  tre  ces  Barbares  exemptes  de  ces  vices.  Il  y  en 
a  d'autres  généreux  8c  hardis ,  il  y  en  a  auflî  de 
groiïiers&fort  lourds  d'entendement.    Quant 
aux  cérémonies  &  fliperftitions ,  les  Gentils  en 
ont  toufiours  fort  vfe.    De  leur  façon  d'habits, 
comme  il  a  elle  deferit  cy-deuant,  ils  en  vfent 
ainfi,pourceque  c'eft  le  plus  fïmple  8c  naturel  du 
monde,  fans  artifice,  &quiprefqueaeftc  com- 
mun non  feulementaux  Hebrieux,  mais  à  tou- 
tes les  autres  nations.    Veumefmequei'hiftoire 
d'Efdras  (fi  nous  deuonsadioufterfoyaux  Efcri- 
tures apocryphes)  eftplus  contraire, qu'elle  ne 
fe  rapporte  à  leur  intention.  Car  il  dit  en  ce  paf- 
iàge,que  les  dix  tributs  fefloignerent  de  la  mul- 
titude des  Gentils,  pour  garder  leur  foy  &:  céré- 
monies, &  l'on  voit  que  les  Indiens  font  addon- 
nez  à  toutes  les  idolâtries  du  monde.  Et  ceux  qui 
ont  cefte  opinion  melme  voyent  bien  fi  les  en- 
trées du  fleuue  Euphrate  vont  iufques  aux  Indes, 


HISTOIRE  NATVRELLê 
&fileftnece(Taireaux  Indiens  de  repafTer  parla» 
commeileftditauIicupreallegué.Outreceicne 
voy  point  comme  ils  fe  puiffent  nommer  pacifi- 
ques, veu qu'ils  fe  font  continuellement  guer- 
royez les  vus  les  autres.  Enconclufionienc  voy 
point  que  l'Euphrate  de  l'apocryphe  Efdrasfoit 
vn  palTage  plus  propre  pour  allerau  nouueau 
monde,  que  l'enchantée  ôc  fabuleufe  Ifle  Atlan- 
tique de  Platon. 


Vour  quelle  rai  fan  l'on  ne  peut  bien  tronner- 
torigfne  des  Indiens. 

CHAP.     XXIII  i. 

gVgLefl  plus  aile  de  réfuter  ôc  contredire  les. 
&Uu  faulfes  opinions  mifes en auantiur l'origine 
des  Indiens,  que  non  pas  d'en  dire  tScarrefter  vne 
refolution  certaine  8c  véritable:  pour-  au  tat  qu'il 
n'y  a  aucune,  eferiture  entre  les  Indiens,  ny mé- 
moires certaines  de  leurs  fondateurs;&  que  mef- 
me  il  n'eft  fait  aucune  mention  de  ce  nouueau 
monde  es  liures  de  ceux  qui  ont  eu  cognoiflànce 
des  lettres  :  nos  anciens  ont  tenu  qu'en  ces  par- 
ties là  n'y  auoit  ny  hommes ,  ny  terre,  ny  ciel.  A 
•raifon  dequoy  celuy-là  fembleroit  fort  témérai- 
re Ôc  prefomptueux  qui  penferoit  deicouurir  Ôc 
monftrer  la  première  origine  des  Indiens ,  ôc  des 
premiers  hommes  qui  ont  peuplé  les  Indes.  Mais 
nous  pouuons  de  loing  donner  iugement,  par  le 
difeours  que  nous  auonsmisen  auantcy-delîus, 
que  cepeuplc  des  Indes  eft  venu,  faduançant  peu 
a  peu  iufques  à  ce  qu'il  foit  arriuc  au  nouueau 
monde ,  ôc  ce  par  l'aide  ôc  le  moyen  de  la  conti- 


DÈS      INDES.       LIV.    ï.  47 

nuité  ou  voifinage  des  terres  ,  ou  bien  par  quel- 
que nauigation.    Ce  qui  me  fembleauoirellé  le 
moyen  par  lequel  ils  y  font  venus  ,  8c  non  pas 
qu'ils  ayent  fait  armée  pour  y  aller  depropos  dé- 
libéré, ny  qu'il  leurfoit  arriué  aucun  naufrage, 
ou  tempefte  qui  les  y  ait  portez  :  combien  qu'en 
quelque  partie  des  Indes  aucunes  deceschofes 
puiiïent  eftrearriuees,  d'autant  que  ces  régions 
eftans  C\  grandes  qu'elles  comprennent  en  elles 
des  nations  fans  nombre,  nous  pouuons  croire 
que  les  vns  y  font  venus  pour  peupler  d'vne  for- 
te,©^ les  autres  d'vne  autre  façon.   Mais  en  fin  ic 
me  refous  à  ce  poinct ,  que  la  vraye  8c  principale 
caufe&  moyen  de  peupler  les  Indes,  a  efté  pour- 
ce  que  les  terres  8c  limites  d'icellesfeioignoienc 
&continuoient  en  quelques  extremitez  du  mo- 
de, ou  qu'à  tout  le  moins  elles  cftoient  fort  pro- 
ches.   Etcroy  qu'il  n'y  a  pas  plufïeurs  milliers 
d'années  que  les  hommes  habitent  ce  nouueau 
monde, &  Indes  Occidentales,  mefme  que  las 
premiers  hommes  qui  y  entrèrent,  8c  eftoient 
pluftoft  libmmes  fauuages,&  cha  (leurs,  que  non 
pas  efleuez  8c  nourris  en  Republique  ciuile  Se 
policée,  &  qu'ils  arriuerentau  nouueau  monde 
pluftoft  f eftans  perdus  de  leur  terre,  ou  fy  eftans 
trouuezen  trop  grand  nombre,  8c  en  necefïïtc 
d'en  chercher  vue  autre,  laquelle  ayant  trouuée, 
ils  commencèrent  peu  à  peu  à  la  peupler,  n'ayans 
point  d'autre  loy,qu'vn  peu  d'inftincl  naturel,  8c 
encor  fort  obfcur ,  8c  pour  le  plus  quelques  cou- 
ftumes  qui  leur  font  demeurées  deleur  première 
patrie. Et  bien  qu'ils  fuilent  fortis  de  terres  poli- 
cées &  bien  gouuernées,ûeft-ce  qu'il  n'efltpas 


I 


HISTOIRE     NATVRELLE 
incroyable  de  penfer  qu'ils  eu  (Fcnc  oublie  le  tout 

Four  lalôgneurdu  tcpSj&lepeud'vfâgejvctique 
On  fçait  qu'en  Efpagne  &  en  Italie  mefme ,  Ton 
trouuedes  côpagnies  d'homes  qui  n'en  ont  rien 
que  la  figure  &  gefte  leulemet ,  d'où  l'on  peut  cô- 
iechuerque  de  la  Façon,  les  mœurs  barbarefqucs 
ik  inciuils  font  venus  en  ce  nouuean  monde. 

De  ce  que  les  Indiens  racontent  de  leur  vrtgine. 
c  II  a  p.    XXV. 

E  n'eft  pas  choie  de  grade  importace  de  fça- 
uoir  ce  que  les  me!  mes  Iridiés  ont  accoutu- 
mé de  raconter  de  leur  commencemet  6coriginc, 
veu  qu'ils  rellemblet  plus  leurs  longes  que  vrayes 
hiftoires.  Ils  Font  entr'eux  grade  mentiôd'vn  dé- 
luge adueeu  en  leurs  pays,  mais  l'on  ne  peut  pas 
bie  iuger  fi  ce  déluge  ell  l'vniuerfel, dot  parle  1  ' Xi i - 
cri  ture,ou  fi  ça  elle  quelque  autre  déluge,  ouin- 
ondatio  particulière  des  régions  où  ils  font.  Au- 
cuns hommes  experts  dilent  que  l'on  voit  en  ce! 
payslàpluficurs  notables  apparecesde  quelque 
grande  mondatio,&  luis  de  l'opinion  de  ceux  qui 
penient  que  les  veftiges  &  marques  qu'il  y  a  de  ce 
déluge, ne  font  deceluydeNoé,  mais  de  quelque 
autre  particulier,  comme  de  celuy  que  raconte 
Platô,  ou  celuy  que  les  Poètes  chantent  de  Deu- 
caliô.  Quoy  qu'il  en loit, les  Indiens  difentque 
tous  les  hommes  Furet  noyez  en  ce  déluge ,  6V  ra- 
content que  du  grand  lac  Titicaca  fortit  vn  V  ira- 
cocha  qui  i'arreftaen  Tiaguanaco,  où  l'on  voit 
auiourd  huy  des  ruines  &  veftiges  d'anciens  édi- 
fices Fort  eu.ranges,6c  de  là  vint  à  Cufco  :  ainfi  re- 
Commença  le  genre  humain  à  le  multiplier,  lis; 


DES    INDES.       LIY.     I.  48 

monftrcnt  en  ce  mefme  lac  vn  petit  iflet,  où  ils 
feignent  que  le  Soleil  fe  cacha  8c  C'y  conlerua  :  8c 
pour  cède  raifon  ils  luy  faifoient  de  grands  facri- 
nces  en  ce  lieu,  non  feulement  de  brebis, mais 
d'hommes  mefmes.  D'autres  racontent  que  fix 
ou  ne  fçay  quel  nombre  d'hommes  fortirentd'v- 
neccrtainecauerneparvne  feneftre,  qui  donnè- 
rent commencement  à  la  multiplication  des  ho- 
mes ,  8c  à  celle  occafîon  les  appellent  Pacaritam- 
po.  C'eft  pourquoy  ils  font  d'opinion  que  les 
Tamboseftla  racela plus  anciéne des  hommes. 
Ils  difentqueMango  Capa,  lequel  ils  recognoif- 
fent  pour  fondateur  8c  chef  des  Ingas ,  eftoit  iffil 
de  cefte  race  là3&:qiie  de  luy  fortirent  deux  famil- 
les ôc  lignages,  l'vn  de  Hauan  Cufco,  8c  l'autre  de 
Vrni  Cufco.  Ils  difentdauantage  que  quand  les 
rois  Ingas  entreprenoient  guerre  &conque(loiéc 
diuerfes  prouinces,ils  donnoient  couleur  8c  pre- 
noiet  prétexte  de  leur  entreprife ,  difans  que  tout 
le  monde  les  deuoit  recognoiftre,  pour-autant 
que  tout  le  monde  f  eftoit  renouuellé  de  leur  ra- 
ce &  de  leur  patrie;  &  mefme  que  la  vraye  Reli- 
gion leur  auoit  efté  reuclée  du  ciel.  Mais  que  fert 
d'en  dire  dauantage,  veu  que  toutyeft plein  de 
menfonge  &  de  vanité  ,  ôcdu  tout  efloigné  de 
raifon?  Quelques  hommes  db&esefcriuent,  que 
tout  ce  dont  les  Iridiés  font  mention,&:  n* eft  plus 
ancien  que  de  quatre  cens  ans  ,  &  tout  ce  qu'ils 
difenc  du  parauant  n'eft  qu'vne  confufion  em- 
brouillée de  (ï  obfcures  ténèbres,  qu'on  n'y  peut 
trouuer  aucune  vérité.  Ce  qui  ne  doitfembler 
elttange,  d'autant  que  les  Iiures  & eteritures  leur 
defailïen  t ,  au  lieu  defquelles  ils  fe  feruent  de  leur 


jia.ij. 


Gin.ie. 


HISTOIRE  NÀTVRELLE 
conte  de  leurs  Quipocamayos,qui  leur  eft  partî- 
culier.Par  lequel  conte  tout  ce  qu'ils  peuuêt  rap- 
porter ne  peut  cîlreplus  long  que  de  quatre  cens 
ans.  M'informantdiligëment  d'eux, pour  fçauoir 
de  quelle  teiLS,&  de  quelle  nation  ils  paflçret  au- 
tresfois,làoù  ils  font  &c  viuent  à  prefent,  ie  les  ay 
trouuéfi  elloignez  de  pouuoir  donner  raifon  de 
cela,  qu'ils  tiennet  pour  certain  qu'ils  font  créez 
de  leur  première  origine  en  ce  nouucau  mode  où 
ils  habitent.  Mais  nous  leur  auonsofté  cet  erreur 
par  noftre  foy,qui  nous  enfeigne  que  tous  les  ho- 
mes procèdent  d'vn  premier  home.  Il  y  a  grande 
conieChire&  fort  apparente,  que  ces  homes  par 
longue  efpace  de  temps,n'ont  point  eu  de  rois  ny 
de  republiques,mais  qu'ils  viuoient  par  troupes, 
comme  font  auiourd'huy  ceux  de  la  Floride ,  de 
ChiriqnanaSjdu  Brefil ,  &  plufieurs  autres  natios 
qui  n'ont  aucuns  rois  alîèurez ,  fînon  felôl'occa- 
iion  qui  ('offre  ou  en  paix  ou  en  guerre  qu'ils  efli- 
fent  leurs  capitaines  comme  illeurplaift.  Mais 
quelques  homes  furpaflans  les  autres  en  force  & 
industrie,  auecle  tempscommenceretàfeigneu- 
rter  cvcommander,comefitancienuemétNem- 
brotrpuis  croiiïant  peu  à  peu  font  venus  à  fonder 
les  royaumes  du  Peru  &de  Mexique,que  nos  !?£■ 
pagnols  trouuerent,&  comblé  qu'ils  fuilcnt  bar- 
bares s  furpalïoient  neantmoins  de  beaucoup  les 
autres  Indiens.  Voila  comment  la  raifon  fufdite 
nousdemonftre,quela  race  des  Indiens  a  com- 
mécé  a  multiplier  pour  la  plus  grad  part  d'homes 
iauuages  &  fugitifs.  Ce  qui  doit  fuffire  touchant 
l'origine  des  gens  dotnousparlos,laifTantleiur- 
piusquadi'on  traitera  icurhutoiieplusàloifir. 

LIVRE 


LIVRE    SECOND 

DE  L'HISTOIRE    NATV- 

RELLE     ET     MORALE 

des  Indes. 

O  ne  ce  ricft  pas  hors  de  propos  ,  mais  necejjaire ,  de 
truffer  de  la  nature  de  lEqumoxc. 

CHAPITRE     PREMIER. 

Ovr  bien  comprendre  les  cho- 
ies des  Indes ,  il  eft  necelîàirc  de 
cognoiftre  la  nature  8c  difpofî- 
tion  de  cette  région ,  que  les  an- 
ciens appelloient  Zone  Torride, 
&latenoient  pour  inhabitable, 
veu  que  la  plus  grand'  part  de  ce  nouueau  mondç 
que  Ton  a  dernièrement  defcouuert,  gifl  &  eft  (ï- 
tué  fouz  celle  région  du  milieu  du  ciel.  Etmç 
femble  chofe  fort  à  propos,  ce  que  quelques-vns. 
difentqucia  cognoiilànce  des  choies  des  Indes 
dépend  de  bien  entendre  la  nature  de l'Equino- 
xe  :  d'autant  que  la  différence  qu'il  y  a  prefquc 
entre  l'vn  &  l'autre  monde,  procède  des  proprie- 
tez  de  cet  equinoxe.  Et  faut  noter  que  tout  ecc 
cfpace  qui  eft  entre  les  deux  tropiques,  fe  doit  te- 
nir 8c  entendre  proprement  pour  cefte  ligne  du 
milieu,qui  eft rÊquinoxe,ainil  appellée ,  pource 
que  le  Soleil  faifant  fou  cours  en  icellc ,  rend  par 

G 


I 


HISTOIRE  HATVRELLE 
tout  le  monde  les  iours  &  les  nuidh  cfgaux;  mef- 
mes  que  ceux  qui  habitent  audeflouz  d'icelle, 
iouyffent  tout  le  long  de  l'année  de  celle  mefme 
efgalitcdesiours&desnuicls.  Or  en  cefte  ligne 
equinoxiale,nous  trouuos  tant  d'admirable  pro- 
prietez ,  que  c'eft  aucc  bonne  raifon  que  l'enten- 
dement humain  fe  refueille  &  trauaillepouren 
rechercher  les  caufes,  n'eftant  point  tant  efmeu  à 
ce  par  la  doctrine  des  anciens  Philofophes,que 
par  la  mefme  raifon  &  certaine  expérience. 

four  quelle  raifon  les  anciens  unt  tenu  nue  lu  Zone 

Torridepour  certain  eft  oit  inhabitable. 

c  H  A  P    II. 

Echerchant  à  preset  ce  (iijed  dés  fon 
commencement,  aucun  ne  pourra  nier  ce 
que  nous  voyons  clairement,  que  le  Soleil  en 
l'approchant  efchauffe  ,  Se  refroidit  en  fefloi- 
pnant.  Tefmoins  en  font  les  iours  &  les  nui  et  s, 
tefmoinsrHyuer&i'Efté,  la  variété  defqucis  Se 
le  froid  &  le  chaud  eft  cauié  par  rapprochement 
&  efloigncment  du  Soleil.  D'autre-part  il  eftauiîi 
certain  que  plus  le  Soleil  f  approche  &  iette  (es 
rayons  directement,  plus  la  terre  eft  arfe  Se  em- 
braféexe  qu'on  void  clairement  en  la  chaleur  du 
Midy,&enlaforcede  l'Efté.  D'où  l'on  peut  iu- 
ger(àcequ'ilmefemble)  que  tant  plus  vnc  terre 
eft  efloignée  du  cours  du  Soleil,  tant  plus  eft- elle 
froide.  Ainfî  nous  expérimentons  que  les  terres 
Se  régions  qui  Rapprochent  d'auantagedu  Septé- 
trion  ou  Nort,font  les  plus  froides ,  Se  au  côtrai 
re  celles  qui  T'approchent  du  Zodiaque ,  où  che- 
mine le  Soieifietrouuenties  plus  chaudes.  Pour 
cefte  caufe l'Ethiopie  furpalfc  l'Afrique  &  Barba- 


DES    INDES.    LIV.    II.  50 

rie  en  chaleur,  la  Barbarie  furpalfc  l'Andalouzie, 
l' Andalouzie ,  Caftille  Se  Arragon  j  &c  Caftille  Se 
Arragon  furpadent  aufîi  la  Bikaye  &  la  France. 
Et  d'autant  plus  qu'elles  font  Septentrionales, 
d'autant  moins  font-elles  chaudes:  par  confe- 
quent  celles  qui  Rapprochent  le  plus  du  Soleil, & 
font  plus  à  plomb  frapées  de  Tes  rayons, fe  reflfen- 
tent  dauanrage  de  la  chaleur  du  Soleil.  Quelques 
vns  mettent  en  auantvne  autre  raifou  à  cette  fin, 
qui  eft  que  le  mouuemen t  du  ciel  eft  fort  foudain 
&  léger  deuers  les  Tropiques;mais  qu'à  l'endroit 
des  Pôles  au  contraire  il  eft  fort  lent  de  pefant: 
d'où  ils  concluent  que  la  région  que  le  Zodiaque 
circuit  &  contient  eft  embrazée  de  chaleur  pour 
trois  caufes  Se  raifons,  l'vne  pour  le  voifinage  du 
Soleil, l'autre  pour  receuoir  direclemet  fes  rayos, 
latroificfme,pourcc  qu'elle  participe&fe relient 
aucunement  de  ce  plus  vifte&  foudain  mouue- 
ment  du  ciel.Voila  ce  que  la  raifon  &  le  difeours 
nous  enfeignet,touchant  la  caufe  du  froid  &  cha- 
leur des  regios  de  la  terre.  Mais  que  dirons  nous 
des  deux  autres  qualitez,qui  font  l'humidité  &:  la 
fecherelfe?  tout  le  mefme.  Car  la  fechcrcflc  fem- 
ble  eftre  caufée  par  l'approchement  du  Soleil ,  de 
l'humidité  de  fon  efloignement,  d'autantquela 
nui&eftantplus  froide  que  le  iour,  eft  aulli  plus 
humide ,  &  le  iour  eft  plus  fec ,  comme  eftant  le 
plus  chaud.  L'Hyuer  pendant  que  le  Soleil  eft 
plus  efloigné,  fe  void  plus  froid  &  plus  pluuicux, 
& l'Efté  au  c5traire,auquel  le  Solei left  plus  pro- 
che,certainemft  eft  plus  chaud  &  plus  fec.  Pour- 
ce  que  tout  ain  fi  que  le  feu  a  la  propriété  de  cuire 
&  de  brufler,aum  l'a-il  pareillement  de  deflecher 

Gij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
l'humidité. Confiderans  donc  cequedefïus,Ari- 
ftote  &  les  autres  Philofophes  attribuent  à  la  ré- 
gion du  Midy,  qu'ils  appellent  Torride ,  vnc  ex- 
ceffiue  chaleur ,  & vnefechereire  tout  cniemble. 
C'eft  pourquoy  ils  difent  que  cette  région  eftoit 
merueilleufement  embrafée&:  dcfcchee:  &que 
par  confequét  elle  n'auoit  point  d'eaux  ny  depa- 
fturages,  caule  pour  laquelle  elle  deuoit  eftre  par 
necelîïté  fort  contraire  &  fort  incommode  à  la 
vie  humaine. 


Que  U  Zone  Torride  efh  fort  bumtdc ,  contre 
lopmion  des  anciens. 

CHAP.     III. 

tr%tâ)  O  v  t  ce  que  nous  auons  propofé  cy-delîus, 
^t&femble  certainement  élire  vray  &  bien  à 
propos,  &c  neantmoins  la  conclufion  qu'ils  en 
veulent  tirer  fe  trouuc  apertement  faillie, d'au- 
tant que  la  région  du  Midy,qu'ils  appellent  Tor- 
ridc,eft  peuplée  &  habitée  d'hommes  realement, 
Çc  de  fai&;&  nous  mefmes  y  auons  demeuré  long 
temps  :aufli  eft  -elle fort  commode,  plaiiante&r 
agréable.  Si  donc  il  cft  ainfi,  comme  on  ne  le  peut 
nier ,  que  d'vne  propofition  véritable  ,  l'on  ne 
peut  tirer  vne  conclufion  fauîfe,&  que  neant- 
moins cefte  conclufion  foit  faulfe,  comme  elle 
l'eft,il  nous  eft  befoin  de  retourner  arrière  par  les 
mefmes pas, pour  confiderer  &  regarder vn peu 
de  plus  prés  cefte  propofition,  &  d'où  procède 
l'erreur  &  la  faute.  Nous  dirons  donc  première- 
ment quelle  eft  la  vérité,  félon  que  l'expérience 
ccnaine  nous  le  môftrc,  puis  après  nous  leprou- 


DES     INDES.      L1V.    II.  f  I 

serons  (combien  quefoit  chofe  fort  difficile)  8c 
mettrons  peine  d'en  donner  la  raifon,  fuiuant  les 
termes  de  Philofophie.  Le  dernier  poinct  que 
nous  auonspropofécy-delïus,  que  la  fcchereiîè 
eft  plus  grade  lors  que  le  Soleil  eft  plus  prochain 
de  la  terre,  iemble  chofe  certaine  8c  véritable ,  8c , 
ne  l'eft  pas  toutcsfois,an  contraire  eft  totalement 
faulfe.  Car  il  n'y  a  iamais  plus  grande  abondance 
de  pluyes  en  la  Zone  Torridc,  que  lors  que  le  So- 
leil pafTe  par  delïus  ,  &  en  eft  fort  proche.    C'eft 
certainement  chofe  admirable,  &  digne  d'eftre 
rcmarquée,que  l'air  eft  plus  fcrain,&  fans  pluyes, 
fouz  cefte  Zone  Torride,  lors  que  le  Soleil  en  eft 
plus  efloigné,  &au  contraire,  qu'il  y  a  plus  de 
pluyes ,  de  neiges ,  8c  de  brouillas  au  temps  que 
le  Soleil  en  eft  plus  proche.Ceux  qui  n'ont  point 
efté  en  ce  nouueau  monde,  parauanturctiendrot 
cecy  pour  chofe  incroyable,  8c  femblera  eftrange 
mefmt  à  ceux  qui  y  ont  efté,  fils  n'y  ont  prins 
garde: mais  les  vns  &les  autres  fy  accorderont 
volontiers ,  en  remarquant  l'expérience  certaine 
de  ce  qui  a  efté  dit  en  ce  codé  du  Peru ,  qui  regar- 
de le  Pôle  du  Sud  ou  Antarctique,  le  Soleil  en  eft: 
plus  efloigné,  lors&  au  mefme  temps  qu'il  eft: 
plus  prochain  de  l'Europe  ,  à  fçauoir  en  May, 
Iuin,Tuillet,&  Aouft,qu  il  fait  fon  cours  au  Tro- 
pique de  Cancer,  durant  lefquels  mois,  au  Peru  y 
a vnc grande  ferenité  &c  tranquillité  de  l'air, & 
n'y  tombent  alors  aucunes  neiges, ny pluyes. 
Tous  les  fleuucs  &  riuieres  y  diminuent  fort ,  8c 
quelques-vnsy  tarifent  du  tout  :  Mais  comme 
l'année  faduarice ,  &  que  le  S  oleil  f  approche  du 
Tropique  de  Capricorne,  alors  commencent  les 

Giij 


I 

I 


HISTOIRE     MATVRELLE 
eaux,pluyes,neiges,&:  fe  font  les  grandes  crcu'ês 
des  riuieres,  qui  eft  depuis  O&obrc  ,iufques  en 
Décembre ,  puis  après  le  Soleil  fe  retirant  du  Ca- 

Î>ricorne,  lors  que  Tes  rais  donnent  droitemét  fur 
es  tc^cs  de  ceux  du  Peru,  c'eft  alors  que  la  force 
&  fureur  des  eauëseft  grande,  c'eft  le  temosdes 
pluyes,neiges,&  grands  defbordcmens  dzs  riuie- 
res,qui  eft  en  la  mefme  faifon  de  l'armée,  qu'il  y  a 
plus  grande  chaleur,  fçauoir  depuis  Ianuieriuf- 
quesàlamy-Mars.  Et  eft  chofefivraye&  fîcer- 
taine,que  perfonne  ne  le  peut  contredire.  Et  tout 
le  contraire  alors  fe  rencontre  es  régions  du  Pôle 
Arctrque,outre  l"Equinoxe,ce  qui  procède  d'vnc 
mefme  raifon.  Mais  voyons  maintenant  de  la 
température  de  Panama,  &  de  toute  celle  cofte, 
tant  de  la  neufue  Efpagne,des  Ifles  de  Barlouent, 
deCuba,Efpagnolle&  Iamaique,deSainâ:Iean 
de  Port- riche,  nous  trouuerons  fans  faute  que 
depuislecommencementdeNouembreiufques 
en  Auril,ilsy  ont  l'air  &  le  ciel  fort  clair  &  fort 
ferein,  dont  la  raifon  eft,  pour- autant  que  le  So- 
leil partant  par  TEquinoxe,  pour  aller  au  Tropi- 
que  de  Capricorne ,  il  fe  va  efloignant  de  ces  ré- 
gions ,  plus  qu'en  autre  faifon  de  l'année  :  Et  au 
contraire  ils  y  ont  de  grofïespluyes,  Se  de  fort 
grands  rauages d'eaux, quand  le  Soleil  retourne 
vers  elles ,  &c  qu'il  en  eft  plus  proche,  qui  eft  de- 
puis Iuiniufques  en  Septembre,  pource  qu'alors 
les  rayons  donnent  plus  fort  fur  eux.  On  void 
aduenirle  femblable  en  l'Inde  Orientale,  com- 
me nous  l'apprenons  iournellemcnt  parles  let- 
tres qui  en  viennent.  Par  ainfi  c'eft  vue  règle  ge- 
nerale(bieu  qu'en  aucuns  lieux  ily  ait  exception) 


DIS      INDES.       II V.    II.  52. 

qu'en  la  région  du  Midy ,  ou  de  la  Zone  Torride, 
qui  eft  vue  mefmc  chofe,  l'air  y  eft  plus  ferain,  & 
y  a  plus  de  fechcreire  alors  que  le  Soleil  en  eft 
plusefloigné:  &au  contraire,  que  quand  il  feu 
approche,  il  y  a  plus  de  pluyes&  de  l'humidité, 
&  tout  ainn"  comme  le  Soleil  Paduance  ou  fc  rc~ 
tire  peu  ou  plus,ain  fi  la  terre  abonde  ou  manque 
d'eaux  ou  d'humidité. 


Qu'aux  régions  qut  font  hors  des  Tropiques,  il  y  4,  plus 

d'eaux ,  lors  que  le  Soleil  en  eH  plus  efloigne 

tout  au  contraire  de  ce  qui  ejl  fou\  la, 

Zone  Torridc. 

c  h  A  P.  III  1. 

fg  S  régions  qui  font  hors  les  Tropiques  ,  l'on 
.§  voidtoutle  contraire  de  ce  qui  eft  dit  cy- 
deiïus;  pource  que  la  pluye  fe  mefle  auec  le  froid, 
&  la  fccherelfe  auec  la  chaleur ,  ce  qui  eft  fort  bie 
cogneu  en  toute  l' Europe  Se  en  tout  le  vieil  mon- 
de,comme  on  le  void  de  mcfme  façon  en  tout  ce 
nouueau.  Dont  eft  tefmoin  tout  le  royaume  de 
Chillé ,  qui  pour  eftre  dehors  le  Tropique  de  Ca- 
pricorne,&  en  mefme  hauteur  que  l'Efpagne ,  eft 
ïiibiectaux  mefmesloixdel'Hyuer  &  de  l'Efté, 
excepté  que  l'Hyuer  eft  là  quand  l'Efté  eft  en  Ef- 
pagne,  d'autant  qu'ils  font  en  diuers  Pôles.  Par 
ainu*  quand  le  froid  eft  en  ces  prouinces  ,  les 
eaux  y  font  en  fort  grande  abondance,  qui  eft 
quand  le  Soleil  l'en  efloignele  plus,  depuis  le 
commencement  d'Auril ,  iufques  à  la  fin  de  Se- 
ptembre. Finalement  la  difpofitiondes  fàifons 
y  eft  telle  qu'en  Europe  ,  fçauoir  que  la  cha- 
leur &  fechcreiFe  y  viennent  quand  le  Soleil 

G  iiij 


I 

I 


HISTOIRE  N  A  T  V  RELIE 
y  retourne.De  là  vient  que  ce  royaume  de  Chillc 
approche  plus  de  la  température  de  l'Europe, 
qu'aucun  autre  des  Indes,  tant  aux fruicts de  la 
terre ,  qu'en  la  difpofition  du  corps  Se  de  rcfprit 
des  hommes  .  Ce  qu'ils  difent  cftre  de  la  mcîme 
façon  en  céfte  partie  de  terre,  qui  eft  deuant  l'E- 
thiopie intérieure  ,  laqnellcfe  va  eflargiiîant  en 
façon  de  pointe,  iufquesauCapdebonnc  Efpe- 
rance.  Ce  qu'ils  tiennent  pourvrayecaufe  des 
inondations  du  Nil ,  qui  font  en  Efté ,  defquelles 
les  anciens  ont  tant  difpu  té  :  d'autant  qu'en  celle 
région  là  i'Hyuer&:  les  pluyes  y  commencent  au 
mois  d'Auril ,  quand  le  Soleil  palïe  défia  le  ligne 
d'Aries.  Et  ces  eaux  qui  en  partie  procèdent  des 
neiges,  ôc  en  partie  des  pluyes, faflemblêt  &:  font 
de  grands  lacs  &eftangs  ,  defqucls  procède  par 
bonne  ôc  vraye  Géographie  le  fleuue  du  Nil.  Et 
par  ce  moyen  va  peu  à  peu  eflargilïant  fon  cours, 
iufquesàce  qu'après  auoir  couru  vnlong  che- 
min,il  vient  finalement  au  temps  de  l'Efté  inon- 
der l'Egypte,  qui  femble  choie  contre  nature,  Se 
neantmoins  eft  chofe  qui  l'y  rapporte.  Car  au 
mcfme  temps  qu'il  eft  Efté  en  Egypte,  fîtuéeau 
■rropiquede  Cancer, l'Hyuer  eft  aux  fources  du 
Nil,qui  eft  en  l'autre  Tropique  de  Capricorne.  Il 
y  a  en  l'Amérique  vue  autre  &  femblable  inon- 
dation que  celle  du  Nil,  auParaguey,  ou  autre- 
ment riuicrc  delà  Platte  (qui  vaut  autant  à  dire 
comme  riuierc  d'argent)  lequel  tous  les  ansrece- 
uantvne  infinité  d'eaux  qui  tombent  des  monta- 
gnes du  Peru  ,  vient  à  (e  defborder  il  terrible- 
ment de  Ion  cours ,  Se  va  gaignant  tellement  cc- 
(!e région yqusles  habitans  font  contraints  du- 


DES  INDES.      IIV.    II.  53 

rant  ces  mois  là  de  fe  retirer  &  fe  tenir  en  des  Bar- 
ques&  Canoës,  &  de  quitter  l'habitation  de  la 
terre. 


Qu'entre  les  deux  Tropiques enEfié ',  ou  temps  de 
chédeur ,  cji  lafajfon  où  il  y  a  plus  grande 
tbonddnce  de  pluyes ,  aucc  vn  d if- 
cours  de  l'Hyuer  &  de  l'Ejlé. 

c  H  A  P.    v. 

gfà  O  v  r  refolution ,  l'Efté  eft  toufiours  fuiuy 
I&£  &  accompagné  de  chaleur  8c  defecherefîè 
es  deux  régions  ou  zones  tempérées,  &  l'Hyuer 
auflî  de  froidure  &  d'humidité:  Mais  en  la  Zone 
Torridelesfufdites  qualitez  nefe  trouuctpoint 
enfemble  de  la  mefme  faço,d'autatque  lespluyes 
y  fuiuent  la  chaleur, &  le  froid  y  eft  accompagne 
defechereflè^  d'vnairfërain.  l'entends  parle 
froid  le  défaut  de  chaleur  exceflîue  ,  d'où  vient 
que  l'Hyuer  fe  prend  en  noftre  Europe  pour  le 
froid,  &  le  temps  pluuieux  &  Efté  pour  le  temps 
de  chaleur  Se  ferenitè  de  l'air.  N  os  Efpagnols  qut 
fontauPcru&  enlaneufue  Efpagne,voyans  que 
ces  deux  qualitez  ne  fctrouuoient  point  enfem- 
ble comme  elles  font  en  Efpagne,  appellét  l'Hy- 
uer la  faifon  en  laquelle  il  y  a  beaucoup  d'eaux  & 
de  pliiyes,&  i'Efté3celle  où  il  y  en  a  peu,ou  point. 
En  quoy  ils  fe  trompent  euidemn.ét,  quoy  qu'ils 
vueillent  dire  par  vue  rcigle  commune  que  l'Efté 
eft  aux  montagnes  du  Peru,  depuis  le  moisd'A- 
uril ,  iufques  en  Septembre,  pour- autant  que  les 
pluyes  cefient  en  ce  temps  là,  &  que  l'Hyuer  eft 
depuis  le  mois  de  Septembre  iufques  au  mois 


I 


HISTOIRE  NATVRELLE 
d'  Auril,pourcc  qu'alors  elles  y  reuiennent,&:  par 
ainfi  il  eft  Hyuer  ôd'Eftéau  Peru,lors  &au  mef- 
me temps  qu'il  l'eft  eu  Efpagne.  De  forte  que 
quand  le  Soleil  chemine  an  demis  de  leurtefte, 
alors  ils  croyent  que  c'eft  le  fond  de  1  Hyuer, 
pou  rce  qu'il  y  a  plu  s  grande  abondacedepluyes. 
Mais  c'eft  chofe  digne  de  rifee,comme  venant  de 
gens  ignorans  Se  fans  lettres  :  car  tout  ainfi  com- 
me la  diuerfitc  quieft  entre  le  iour  &  lanuid, 
procède  de  la  prefencc  ou  abfence  du  foleil,  en 
noftre  hemifphere ,  félonie  mouuementdu  pre- 
mier mobile  s  qui  eft  la  caufe  du  iour  &dela 
nuicl,  ainfi  la  différence  que  nous  voyons  entre 
l'Hy  uer  &  l'Efté ,  procède  de  rapprochement  ou 
eflongncment  du  Soleil,  félon  le  mouuemcnt  du 
mefme  Soleil,quien  eft  la  propre  caufe.  Donc- 
quesàvray  dire ,  il  eft  l'Eftc  lors  que  le  Soleil  eft; 
plus  proche ,  &  Hyuer  quand  il  eft  le  plus  elîon- 
gné.  La  chaleur,le  froid, &  toute  autre  tempéra- 
ture font  cauieesparneceflicé  de  rapprochement 
ouefloignement  du  Soleil  :  maislepleuuoir& 
non  pleuuoir ,  qui  eftl'humidité  telafechereilè, 
ne  l'en  enfuiuent  pas  necclfairement.  C'eft  pour- 
quoyileftaifédeiuger  (ourrecefte  opinion  vul- 
gairc)qu'au  Perul'Hyuer  eftferain,&  saspluyes, 
&  que  l'Efté  y  eftpluuieux,  &  non  pas  au  con- 
traire,commeplufieurs  penfent  que  l'Hyuer  foit 
chaud,  &  l'Eftc  foit  froid.  Ils  tombent  en  la  mef- 
me erreur  fur  la  differéce  qu'ils  font  entre  la  plai- 
ne &  les  montagnes  du  Peru,difans  que  quand  il 
eft  Efté  en  la  montagne ,  IHyuer  eft  en  la  plaine, 
qui  eft  en  Auril,MayïIuin>luillct,&:  Aouft:pour- 
cc  qu'alors  l'air  eft  fort  clair  &feraincn  la  mon- 


DES   INDES.       IIV.    II,  54 

tagne  ,  fans  ancu  nés  pitres  ny  bruines  ,  &ence 
temps  là  neantmoins  on  void  ordinairement  en 
la  plaine  des  brouillars  qu'ils  appellent  guariia, 
qui  eft  comme  vne  rofee  fort  douce,  de  laquelle 
eft couuertle  Soleil.  Mais  l'Hyuer  &  l'Eftc,com- 
me  il  eft  dit,  font  caufez  de  rapprochement  &, 
efloignement  du  Soleil.  Puis  donc  qu'il  eft  ainfi 
qu'en  tout  le  Peru,  tant  en  la  montagne  comme 
en  la  plaincje  Soleil  f  en  approche&  efloigne  en 
vn  mefme  temps:  il  n'y  a  donc  point  de'  raifon  de 
dire,que  quand  il  eft  Efté  en  vne  partie ,  l'Hyuer 
Toit  en  vne  autre.  Toutesfois  c'eftehofede  peu 
d'importance  de  debatre  fur  lafignificationdes. 
mots,  qu'ils  l'appellent  comme  ils  voudront,  & 
difent  qu'il  foit  Efté  quand  il  ne  pleut  point,  en- 
core qu'il  face  dauantage  de  chaleur.  Mais  ce  où 
l'on  doit  auoir  plus  d'eïgard,eft  à  la  vérité  du  fub- 
iect  qui  eft  déclaré,  à  feauoir  que  la  fecherefle  ou 
défaut  de  pluyes  ne  font  pas  toufiours  en  plus 
grande  abondance  quand  le  Soleil  f  approche  le 
plus,ainfi  que  l'on  void  en  la  Zone  Torride. 


Que  la  Zone  Torrtde  abonde  en  eauë  &j>aj}uragesy 

con  tre  ?  opinion  d'^Anfiote,  qui  a  mit  en 

auant  le  etntraire. 


VI. 


CHAP. 

Ar  le  difeours  précèdent  Ton  peut  facile- 
ment entendre  que  la  Zone  Torride  n'eft 
feche,  mais  abondante  en  grande  quatité  d'eaux, 
ce  qui  eft  tellement  vray  ,  qu  elle  furpafle  les 
autres  régions  du  monde  en  abondance  d'eaux, 


HISTOIRE  NÀTVRELLE 
d'eaux,fi  ce  n'eft  en  quelques  endroits  où  il  y  a  des 
fablons  ou  terres  defertes,  côme  l'on  trouue  mei- 
rrièés  autres  parties  dumonae.  Q^ant  eft  pour 
les  eaux  du  Ciel,  Ton  a  défia  môftrc  qu'il  y  a  gran- 
de abondance  de  pluyes,neiges  &  grcflcs,qui  fpe* 
cialcrnent  abondent  en  la  prouincedu  Perutmais 
pour  les  eaux  de  la  terrc,comrne  font  riuicres,fô- 
raines ,  ruifleaux,  puits,  torreiis  &  lacs ,  ie  n'en  ay 
rien  dit  iufques  icy ,  toutesfois  eftant  chofe  ordi- 
naire que  les  eaux  d'embas  fe  rapportent  à  celles 
d'enhaut ,  l'on  doit  entendre  qu'il  ne  peut  y  en 
auoir  faute.  Etdevrayilya  vue  telle  &  fi  grande 
abondance  de  fources  &  de  fontaines ,  qu'il  ne  fe 
peut  trouucr  lieu,  regiô  ou  cotree  dans  tout  le  re- 
fte  du  mode,où  il  y  ait  tat  de  lacs,marefcages,&  fi 
grandes  riuieres.Car  la  plus  grande  partie  de  l'A- 
rtetique  eft  prefque  inhabitable  pour  cette  trop 
grande  abondance  d'eaux ,  d'autant  que  les  riuic- 
res  enflées  de  grandes  pluyesdei'Efté,  (ortentà 
tous  coups  de  leur  lid;  auec  telle  furie  qu'elles  ro- 
pent  tout  ce  qu'elles  rencontrent  ;&nepeut  on 
cheminer  en  plufieurs  cndroits,à  caufe  de  la  boiie 
&  fange  des  marefeages  &  vallons.  A  ceftcoccafï5 
ceux  qui  demeurent  ioignant  le  Paraguey,duquel 
nous  auons  cydeiïusfait  mention  ,preuoyansIa 
crue  du  flcuueauant  qu'elle  aduienne,  fe  mettent 
en  leurs  Canoës  auec  leurs  meubles  &  hardes ,  & 
prefque  par  l'cfpace  de  trois  mois ,  ils  garantiflent 
leurs  vies  &  moyens  en  nageât.  Puis  après  le  fleu- 
ue  retournant  enfon  lift,  ilsreuienncnt  en  leurs 
màifons  co»mëdeuant,encor  toutes  moittes&r 
dégoûtantes  de  l'inondation.  Et  enY-cc  fleuue  de 
telle  grandeur,crueie  Niîje  ÇJangej&ifcuphratCa 


DES    INDES.       Lî  V.     II.  5  f 

f'ilseftoient  amaflez  enfemblc,  ne  le  pourraient 
pas  efgallerà  beaucoup  prcs.  Mais  que  dirôs  nous 
de  la  grande  riuiere  de  laMagdalaine,qui  s'engol-. 
phe  en  la  mer  encre  fainétc  Marrhe  &  Carthage- 
ne,&  ett  appellée  aucebonne  railon,grande  rime- 
re?Nauigea  t  en  ces  parties  là,  i'eftois  efmerueillé, 
comme  Ion  eaue,qui  eft  tres-claire,  demeuroit  ôc 
s'eteouloit  dans  la  mer  plus  de  dix  lieues  auanr, 
ayant  en  fa  largeur  deux  lieues  &  d'auantage,fans 
qu'elle  fe  mefhft,  ny  peuft  cftre  vaincue  des  va- 
gues impetueufes  de  la  mer  Oceane.  Qne  s'il  faut 
parler  dauantage  des  fleuues,  ce  grand  rleuue  ap- 
pelle par  les  vus  la  riuiere  des  Amazones ,  par  les 
autres,Maranou,&  par  les  autres,  riuiere  d  Orei- 
lana,  laquelle  nos  Eipagnols  nauigerent  lors  de 
\  leurs  defcouuertes  ,  doit  efteindre  la  renommée 
de  tous  les  autres.  Et  à  la  vérité  ie  fuis  en  doute  fi 
ie  le  dois  appeller  ou  riuiere,oumer.Il fluê  depuis 
les  montaignesdu  Peru,defquellesil  reçoitvne 
abondâce  infinie  d'eaux,  de  pluyes,&  de  riuieres, 
qu'il  va  recueillant  &  attirant  à  foy ,  puis  palîant 
les  grandes  campagnes  &  plaines  de  Pautitijdu 
Dorado,&d©5  Amazones,  vienten  fin  s'embou- 
cher dans  l'Océan ,  prefque  à  trauers  des  1  fies  de 
la  Margueri  te,&  de  la  Trinité.ll  a  fa  couche  fi  lar- 
ge &  fi  fpacieufe,  principalement  au  dernier  tiers 
de  la  longueur, qu'il  contiet  au  milieu  de  foy  phi- 
jfieurs  &  grandes  Ifles  :  Et  ce  qui  femblc  incroya- 
lble,quand  on  le  nauige  par  le  milieu  ,  l'on  ne  voit 
[queduCiel&del'eauë.  On  dit  bien  d'auantage, 
<jue  de  ce  milieu  l'on  ne  peut  pas  voir ,  ny  defeou- 
urirà  l'oeil  plu/ieurs  grandes  &  hautes  môtagncs 
qui  fon t  à  Ton  nuage,  à  caute  de  fa  grande  largeur. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
Nous  auons  apprins  de  bonne  parc  la  grandeur 
&  largeur  efmerueillable  de  ce  flcuue  (qui  doit 
bien  ce  me  femble  mériter  le  nom  d'Empereur 
êc  Monarque  des  fleuues)  qui  fut  par  le  rapport 
d'vn  frère  cîenoftrecompagnie,lequel  eftantieu- 
ne  pour  lors, le  nauigea  en  la  compagnie  de  Pier- 
re d'Orfua,  auec  lequel  il  fe  trouuaà  toutes  les 
aduantures  de  cède  eu: range  entrée  &defcouuer- 
te,  &  aux  (éditions  8c  pernicieux  actes  de  ce  mef- 
chant  Diego  d'Aquirrejd'où  Dieu  luy  fit  la  grâce 
de  fortir  tk  en  eftre  deliuré,  pour  le  mettre  de  na- 
ître compagnie.  Telles  donc  (ont  les  riuieres  qui 
font  en  la  région  qu'ils  appellent  ZoneTorride, 
&  la  région  feche&  brufiée,  en  laquelle  Ariftote 
6c  les  anciens  difen  t  qu'il  n'y  a  poinc  d'eaux  ny  de 
pafturages.  Mais  d'autant  que  i'ay  fait  mention 
du  fleuue  Maronnon  ,  afin  de  monftrer  l'abon- 
dance des  eaux  qui  font  en  la  Torride,ilncfera 
mal  à  propos  de  toucher  quelque  chofe  de  ce 
grandlac,qu'ils  appellent  Titicaca,qui  eft  au  mi- 
lieudelaprouince  de  Collao.  Ilya  plus  de  dix 
fleuues,  fort  grands,  qui  fe  perdent  en  entrant 
dans  ce  lac,  8c  ncâtmoins  n'a  pour  fa  vuidequ'vn 
fcul  couran td'ean'è qui  eft  petit ,  bien  qu'on  dife 
qu'il  eft  tics- profond,  &  de  telle  façon,  qu'il  eft 
impofliblcd'y  baftir  ou  faire  pont,  pour  la  pro- 
fondeur de  foneau"é,&  qu'on  ne  le  peut  non  plus 
pairer  par  bateaux ,  pour  la  grande  roideur  &:  ra- 
pidité du  courant.  L'onlcpalle  par  vn  gentil  8c  ' 
remarquable  artifice,  propre  8c  particulier  aux 
Indiens,  qui  eft  auec  vn  pou  t  de  paillc,posé  fur  la 
mefmeeauë  ,  lequel  d'autant  qu'il  eft  faitd'vne 
matière  il  légère  ne  Renfonce  point,&  neacmoins 


DES    INDES.       LIV.     II.  j£ 

cft  ce  pafTage  fort  feur  &  fort  aifé.Celac  conticnc 
prefque  quatre  vingts  lieues,  trente  cinq  en  fa 
longueur,&quinzelieuèsaupIuslarge.IIyaplu- 
fieurs  Ifles  qui  anciennement  eftoient  habitées  Se 
cultiuées,maisauiourd'huy  elles  font  defertes.  Il 
produit  vne  grande  abondance  de  ioncs ,  que  les 
Indiens  appellent  Totora ,  duquel  ils  fe  feruent 
en  mille  vfàgcs.  Car  il  fert  de  mangcaillc  aux 
pourceaux ,  aux  cheuaux ,  Se  aux  hommes  mêlâ- 
mes. Ils  en  font  des  mailons,  du  feu,  Se  des  bar- 
ques. Bref  les  Vros  trouuent  en  ceftuy  leur  To- 
tora, touteedontils  ontdebefoing;  &fontces 
Vros  vn  peuple  fi  brutal  «Se  fi  lourd,  qu'eux  me£ 
mes  ne  i'eftiment  pas  hommes.  On  raconte  d'eux 
qu'eftans  interrogez  de  quelle  nation  ils  eftoient, 
ils  refpondirent  qu'ils  n'eftoient  pas  hommes, 
mais  Vros  ,  comme  fi  c'eftoit  quelque  genre  d'a- 
nimaux. Il  f'eft  trouué  des  villages  entiers  des 
Vros, habituez  en  ce  lac  feulement  dans  leurs  ba- 
teaux de  Totora ,  lefquels  font  liez  enfemble,  8c 
arrêtiez  à  quelque  roche,  Se  bien  fouuent  chan- 
ger) t  ainfi  de  lieu  à  autrc,tout  le  village  enfemble. 
Parainfi  qui  voudroit  auiourd'huy  les  chercher 
où  ils  eftoient  hier,  on  n'y  trouueroit  aucun  re- 
lie ny  apparece  d'eux  ny  de  leur  village.  Le  cours 
&  vuide  de  ce  grand  lac  ayant  couru  cnuiron  cin- 
quante lieues ,  fait  encor  vn  autre  lac ,  moindre 
toutesfois  que  le  premier,  qu'ils  appellent  de  Pa- 
rya  ,  Se  contient  aufîî  en  foy  quelques  Miettes, 
mais  l'on  n'y  voitaucuue  ilfue.  Quelqucs-vni 
penfent  qu'il  court  dcflbuz  terre,&  qu'il  va  don- 
ner en  la  mer  du  Sud,  mettant  en  auant  à  cefte  fin 
qu'il  y  a  vn  bras  de  fleuue  que  l'on  vend  naiftre 


HISTOIRE  NATVRELLE 
Se  entrer  en  la  mer  fore  proche  du  riuage ,  fans  en 
coonoiftre  l'origine.  Au  contraire  iecroy  que  les 
eaux  de  ce  lac  le  rcibluct  8c  dilîipent  dans  le  meï- 
mc  lac,  par  l'ardeur  &  chaleur  du  Soleil.  Ce  dif- 
coursmeicmble  fufhfant,  pour  monftrer  qu'à 
tort  les  anciens  ont  tenu  la  région  du  milieu  in- 
habitable par  faute  d'eaux  ,  d'autant  qu'il  y  en  a 
grande  abondance  &  du  ciel  Ôc  de  la  terre. 

Trait!  ant  la  raifon  pourquoy  le  Soleil  hors  des  Tropi- 
ques entendre  plus  grande  quantité  a  édités  quand  il 
eftplustjloigné,  &  pourquoy  oh  contraire  au  dedan  ■ 
d'iceux  il  engendre  moins  quand  il  en  efl  plus  proche. 

CHAP.      VII. 

*!t§§5  E  n  s  a  n  t  plufieurs  fois  à  part  moy  d'où 
t|^î>  pouuoitprocedcr  que  l'Equinoxeeft  fi  hu- 
midCjCommci'ay  dit,  pour  réfuter  l'opinion  des 
anciens, ie  n'en  trouue  point  d'autre  caufe,que  la 
grande  force  du  Soleil  en  ces  parties  là  ,  paria- 
quelle  il  efleuc  &  attire  à  foy  vne  grandeabon- 
dance  de  vapeur  de  tout  l'Océan,  qui  en  cet  en- 
droit eft  fort  grand  &c  fort  eftendu,  &  ayant  tiré  à 
foy  celle  grande  abondance  de  vapeurs ,  aufîï  toit 
les  rcfoult  &  conuertit en  pluyes,&  eft:  approuué 
parplufieurs  experieces  certaines  que  ccspluyes 
Se  torrents  celeftes  prouiennent  des  plus  grandes 
chaleurs  du  Soleil.  Premierement,commenous 
auonsjaditcy-deuant,il  pleut  en  ces  pays  là  au 
temps  que  le  Soleil  iette  fes  rayons  directement 
fur  la  terre ,  ôc  qu'en  ce  faifant  il  a  plus  de  force: 
mais  quand  le  Soleil  C'en  efloigne ,  la  chaleur  fe 
tempère,  &  alors  il  n'y  tombe  point  depluye. 

D'où 


DES     INDES.      Ll  V.    II.  ^j 

D'où  l'on  pcuc  bien  inférer  que  la  force  8c  ardeur 
dit  Soleil  eft  cequi  caufe les pluyes en  telles  re- 
lions. Audi  l'on  obferue,  tantauPeru,  neufue 
Éfpagne,  qu'en  toute  la  Torride,  que  les  pluyes  y 
viennentordiuairementapres  Midy,lorsqueles 
rayons  du  Soleil  font  au  poinct  de  leur  plus  grad' 
force,  &  que  c'eftchofc  rare  devoirpleuuoir  au 
matin.  C'eft  pourquoy  les  voyageurs  y  preuoyet, 
&  commencent  leur  iournée  de  grand  matin,afin 
de  l'acheuer ,  &  fc  repofer  à  Midy ,  pource  qu'ils 
tiennent  qu'ordinairement  il  y  pleut  après  Mi- 
dy. Ceux  qui  ont  hanté  &  cheminé  par  ce  pays 
là,en  peuuent  parler  fufhfamment:  car  mefmes  il 
y  en  a  aucuns  qui  y  ayans  fait  quelque  refidcnce, 
difcntquela  plus  grande  abondance  des  pluyes 
cft  quand  la  Lune  eft  en  fon  pleimencor  que  pour 
dire  la  vtrité ,  ie  n'en  ay  peu  faire  preuue  fuffifan- 
te,bien  que  i'y  aye  prins  garde  quelquesfois.Da- 
uantage  les  iours  ,  l'an  8c  les  mois  donnent  à  en- 
tendre la  vérité  de  ce  que  dclïus  ,  fçauoir  qu'eu  la 
Torride  rexccfïiue  chaleur  du  Soleil  caufe  les 
pluyes.  L'expérience  nous  enfeigne  le  me/me 
aux  chofes  artificielles, comme  aux  alambics,auf- 
qucls  on  diftille  les  eauës  des  herbes  ou  des  fleurs: 
car  la  véhémence  du  feu  enferre  ôc  contraint, 
poulie  8c  efleue  en  haut  vue  abondance  de  va- 
peurs, lesquelles eftans  preuves,  &ne  trouuans 
ilïuëjfont  conuerties  en  liqueur  8c  en  eaux.  L'on 
void  tout  le  mefme  en  i'or  8c  en  l'argent  que  l'on 
tire  &  affine  par  le  vif  argent,  d'autant  que  fi  le 
feu  eft  lent  &  petit,  l'on  netirequafi  rien  du  vif 
argent,  mais  fil  eft  afpreôc  violent  ,  ileuaporc 
beaucoup  le  vif  argent ,  lequel  fc  rencontrant  en 

H 


HISTOIRE    NATVRELLE 
haut  contre  le  chapiteau  (qu'ils  appellct)  le  tour- 
nent incontinent  en  liqueur,  &  commence  à  dé- 
goûter en  bas.    Ainfi  la  grand'  ardeur  du  Soleil 
produit  ces  deux  erTe&s,quand  elle  trouue  matiè- 
re difpofée,qui  eft  de  leuer  les  vapeurs'en  haut,  de 
l'autre  de  les  relondre  incontinent,  Se  les  tour- 
ner en  liqueur,  lorsqu'il  y  a  quelque  obftacle, 
pour  les  confumer  &  refoudre.Etbien  qu'il  fem- 
blequecefoientchofes  contraires  qu'vn  mefme 
Soleil  dans  laZoneTorridc  eftant  proche caufe 
les  pluyes ,  &;  que  hors  la  Torride  eftant  elîoigné, 
il  caufe  vn  mcfme  efrecl:  :  fi  eft- ce  que  tout  bien 
confideré,il  nel'eft  pas  réellement  Se  de  fai6t.Mil 
efFecls  es  chofes  naturelles  procèdent  de  choies 
contraires  par  vn  moyen  diuers.  Nous  mettons 
fecher  le  linge  au  feu&  à  l'air,  defquelsneant- 
moins  l'vn  efchaufre,&  l'autre  refroidit.  Les  pa- 
ttes font  fechees  Se  endurcies  par  le  Soleil&par 
la  gelée.  L'exercice  modéré  prouoque  le  dormir, 
fil  eft  trop  violent ,  il  i'empefche  :  il  l'on  met  du 
bois  aufeu, finalement  il  f  efteint,  C\  l'on  y  en  met 
beaucoup,  &  trop,  il  fefteint  auffi  :  car  la  feule 
proportion  l'entretient  &  le  fait  durer.  Pour  bien 
voirvnechofe,  elle  ne  doit  cftrcny  trop  proche 
des  yeux,ny  trop  loin,mais  en  diftance  raifonna- 
ble&proportionnée:  eftanttrop  efloignéd'vne 
chofcl'onenperdlaveu'è  ,  Se  trop  proche auflï, 
nelapeut  voir.    Si  les  rayons  du  Soleil  font  foi- 
bles  ,  ils  n'attirent  pas  les  bruines  des  riuicres; 
fils  font  violents,  auiîitoft  qu'il  a  attiré  les  va- 
peurs, il  les  refout  Se  confommè,  mais  la  cha- 
leur modérée  les  attire  Stconfcrue.  Pour  cette 
raifon  les  vapeurs  ne  f'eficuentpoinc  commune- 


DES    INDES.    L  I  V.    II.  58 

mentdenuict,  ny  à  midy,maisau  matin,  quand 
leSoIeil  commence  àentrer  enfa  force.  Surce 
fubiect  il  y  a  mil  exemples  de  chofes  naturelles, 
que  l'on  void  procéder  fouuent  de  chofes  con- 
traires, qui  doit  faire  que  nous  ne  nous  deuons 
pasefmerueiller  fi  le  Soleil  pour  eftrc  fort  pro- 
che engendre  les  pluyes  ;  &  qu'il  en  fait  tout  au- 
tant eftant  fort  efloigné,  mais  qu'eftant  Ton  ap- 
prochement  modéré  &  proportionné  ,  il  n'en 
produit  ny  caufe aucunement.  Cependant  il  re- 
lie encor  vn  poinct  que  l'on  peut  demader,  pour 
quelle  raifon  en  la  Zone  Torridc  rapproche- 
ment du  foleil  caufe  les  pluyes  ,  &c  hors  d'icelle 
fonteaufées  par  fon  efloignement.  A  ce  que  ie 
puisiuger,  la  raifon  eft,  que  hors  des  Tropiques 
en  Hyuer ,  le  foleil  n'a  point  tant  de  force ,  qu'il 
foitfuffifantpourconfumer  les  vapeurs  qui  fefc 
leuent  de  la  terre  &:  de  la  mer. Car  ces  vapeurs  f*a- 
maflent  en  grande  abondance  en  la  région  froide 
de  l'air,  où  elles  font  congelées  &efpainfîes  par 
la  grande  froideur ,  puis  après  eftanspretïces,  fc 
refoluent  &c  conuertifTent  en  eau.  C'cft  pour- 
quoy  en  ce  temps  d'Hyuer,quele Soleil  eft  plus 
cfloigné  ,  que  les  iours  font  courts ,  &  les  nuiéts 
plus  longues,  la  chaleur  du  Soleil  a  peu  de  force, 
mais  quand  le  Soleil  f  approche  de  ceux  qui  font 
hors  des  Tropiques,  qui  eft  au  temps  d'Efté  ,  la 
force  du  Soleil  eft  défia  telle,  qu'elle  efleue  les 
vapeurs,&  tout  enfemble  les  confomme,  les  dif- 
fipc&refoult:  caria  chaleur  &  la  longueur  des 
iours  font  caufées  par  rapprochement  du  So- 
leil. Mais  au  dedans  des  Tropiques,  en  la  région 
Torride,  refloignement  du  Soleil  a  tout  autant 

Hij 


HISTOIRE  NATVREL  LE 
d'efrect  que  le  plus  grand  approchement  qui  foie 
aux  régions  defdits  Tropiques.  Au  moyen  de- 
quoy  il  ne  pleut  pas  en  laTorride  alors  que  le 
Soleil  eft  efloigné ,  non  plus  que  hors  les  Tropi  - 
ques  quand 'le  Soleil  eft  plus  proche  ,  d'autant 
qu'en  cet  approchement  &efloignement,  le  So- 
leil demeure  toufiours  en  vne  mefme  diftance, 
d'où  procède  vn  mefme  efrecl:  de  ferenité.  Mais 
quand  le  f  oleil  cft  au  période  de  fa  force  en  la  Zo- 
ne Torride,  Ôc  qu'il  jette  Tes  rayons  directement 
fur  la  telle  des  habitans,  il  n'y  a  ny  ferenité  ny  (e~ 
cherelfe,  comme  il  (emblequ'ildeu'roityauoir. 
Mais  pluftoft  de  grandes  Se  eftranges  pluyes,dau- 
tant  que  par  la  force  excciTme  de  fa  chaleu  r ,  il  at- 
tire &:  efleue  prefque  en  vn  inftant  vne  grande 
abondancede  vapeurs  de  la  terre,&  mer  Oceanc, 
lefquelles  foire  fi  efpaiiîès  &cnfi  grande  abon- 
dance, que  le  vent  ne  lespovmant  diffiperny  re- 
foudre facilement ,  elles  viennent  à  (e  fondre  en 
eau  ,  qui  eau  le  les  pluyes  Ç\  froides  &  en  f  grande 
abondance,  car  la  grande  véhémence  delà  cha- 
leur peut  attirer  en  peu  de  temps  beaucoup  de 
vapeurs,  lefquelles  elle  ne  peutïï  toft  conkimer 
&  refoudre,  &  eftans  attirées  Se  ailèmblées ,  par- 
leur grande  abondance  fe  fondent  &  tournent  en 
eau.  Ce  que  l'on  cognoiûra  fort  bien  par  cetexé- 
pledomeftique&  familier.  Quand  l'on  met  ro- 
ftirvn  morceau  de  porc,  de  mouton,  ou  de  veau, 
file  feu  eft  violent,  Se  la  viande  en  foitfort  pro- 
che, nous  voyons  que  la  graille  fe  fond  toft  &  dé- 
goûte en  bas,  qui  vient  de  ce  que  la  grande  cha- 
leur attire  8c  efleue  cet  humeur  Se  graille  de  la 
chair,&  oour  eftre  en  grande  abôdance  ne  la  oeiu 


DES    INDtiS.       LIV.     U.  "59 

refoudre,  &ainfi  diftille  &  tombe  d'auantage. 
Mais  quand  le  feu  eft  modéré ,  ôc  ce  que  Ton  ro- 
ftiteftendiftance  proportionnée,  nous  voyons 
que  la  chair  le  roftit  propremet,fans  que  la  graif- 
fe  diftille  trop  à  coup,pource  que  la  chaleur  mo- 
dérée attire  l'humidité,  qu'elle  confomme&  re- 
fout  en  vu  inftant.  C'eft  pourquoy  les  cuifiniers 
font  le  feu  modéré,  &n'en  approchent  la  viande 
ny  trop  prés  ny  trop  loing,  de  peur  qu'elle  ne  fe 
fonde.  On  le  peut  voir  par  vne  autre  expérience 
aux  chandelles  de  fuif  &  de  cire ,  car  fi  la  meiche 
en  eft  groife ,  elle  fait  fondre&  découler  le  fuif  ôc 
la  cire:pource  que  la  chaleur  ne  peut  conlommer 
ce  qui  fefleue  d'humeur  :  mais  a  la  flame  eft  pro- 
portionnée^ cire  ne  fe  fond  ny  découle, pource 
que  la  flame  va  confommat  peu  à  peu  ce  qui  f'ef- 
leue.Cc  qui  me  femble  la  vraye  raifon  pourquoy 
en  1'  Equinoxe,&  en  la  Torride  la  grand'  force  de 
la  chaleur  caufe  lespluycs,lefquellesen  d'autres 
régions  font  caufées  par  la  foiblelïe  ôc  peu  de 
chaleur. 


Comment  l'on  doit  entendre  ce  qui  aefle  dit 
cy-de(]us  de  U  Zone  Torride. 


CHAP.    VIII. 


*&5'Il  eft  ainfi  qu'es  choies  naturelles &phy- 
$®5fiques  l'on  ne  doit  rechercher  de  règle  in- 
faillible ôc  mathématique ,  mars  ce  qui  eft  ordi- 
naire ,  ôc  ce  qu'on  void  par  expérience ,  qui  eft  la 
plus  parfaite  règle,  il  faut  croire  que  ce  que  nous 
auons  dit,  qu'il  y  a  plus  d'humidité  en  la  Torride 
qu'aux  autres  régions  ,  ôc  qu'en  icelle  il  ne  pleut 

H  iij 


HISTOIRE  NATVRELIE 
point  lors  que  le  Soleil  en  eft  plus  proche,fe  doit 
prendre  Se  entendrede  mefme:  &  de  vray  ceit 
bien  ce  qui  eft  le  plus  commun  &  le  plus  ordi- 
naire. Mais  ce  n'eft  pas  pour  empefeher  les  exce- 
ptions que  nature  a  voulu  mettre  à  cette  règle, 
rendant  quelques  régions  de  la  Torridc  extrê- 
mement feciies.  Ce  qu'on  raconte  de  l'Ethiopie, 
&nousl'auons  veuen  vne  grande  partie  du  Pe- 
ru,où  toute  la  terre  ou  cofte,  qu'ils  appellet  Piai  - 
nes,manquent  de  pluyes,voire  d'eaux  de  la  terre, 
excepté  quelques  vallées  où  il  y  a  des  eaux  de  ri  - 
uieresquidefeendent  des  montagnes, le furplus 
fbntfablons&  terres  fteriles  „  oùàgrand  peine 
Ton  trouuedes  fontaines  ,  mais  bien  quelques 
puits  très-profonds.  Mais  nous  dirons  (Dieu  ai- 
dant )  en  fon  lieu ,  quelle  eft  la  caufe  pourquoy  il 
ne  pleut  point  en  ces  plaines  (  chofe  que  plu- 
sieurs demandent)  car  à  prefent  ie  prétends  de 
monftrer  feulement  qu'il  y  a  plufieurs  exceptiôs 
aux  règles  naturelles ,  d'où  vient  qu'il  peut  adue- 
nir  en  quelque  partie  de  la  Torride,qu'il  ne  pleut 
pas  lors  que  le  Soleil  eft  plus  proche,  mais  quand 
il  eft  plus  efloigné.Bien  que  iufques  auiourd'huy 
ie  ne  Paye  veuny  entendu,  toutesfoisfily  en  a, 
on  le  doit  attribuer  à  laqualité  particulière  de  la 
terre  :  mais  auffi  quelquesfois  fil  aduicntle  con- 
traire,i'ondoitauoirefgard  qu'en  ces  chofes  na- 
turelles il  aduient  plufieurs  contrarictez&  em- 
pefchcmens ,  par  fefqueis  elles  fe  changent  &  dé- 
font les  vnes  les  autres.  Pour  exemple,  il  peut 
eftrcquele  Soleil  caufera  les  pluyes,  &  que  le 
vent  les  empefchera-,011  bien  les  rendra  plus  abo- 
yantes qu'elles  n'ont  accouftamé  d'eftre.    Les 


DES     INDES.       LIV.    II.  6"0 

vents  ont  leurs  proprietez  Se  diners  commence- 
mcns,  par  lefquels  ils  opèrent  de  différents  ef- 
fe&s,  qui  font  le  plus  fouuent  contraires  à  ce  que 
l'ordre  Se la  faifon  requièrent.  Puis  donc  qu'en 
chacun  endroit  l'on  void  arriuer  de  grandes  va- 
netez  en  l'année ,  qui  prouiennent  de  ladiuerfitc 
des  mouuemens  Se  afpects  des  planettes ,  ce  n'eft 
point  chofe  mal  à  propos  de  dire  qu'en  la  Zone 
Torride  l'on  peut  voir  &  remarquer  quelques 
chofes  contraires  à  ce  que  nous  auons  expéri- 
menté. Mais  pour  refolution,ce  que  nous  auons 
conclu  eftvne  vérité  bien  certaine  &  expérimen- 
tée ,  à  fçauoir  la  grande  fecherelïe  que  les  anciens 
ont  penfc  eftre  en  la  région  du  milieu  ,quc  nous 
appellos  Torride,n'y  cftre  point  du  tout,&  qu'au 
contraire  il  y  abeaucoup  d'humidité,  Se  quelcs 
pluyes  y  font  alors  que  le  foleil  en  eftplus  proche 


QjicLi  Torride  ri cfi  point  cxcefîiuewent  chaude, 
mats  pluftofl  modérée. 

c  H   A   P.    IX. 

fr|>3  V  s q_v  es  icy  nous  auons  traitte  de  l'hu- 
Wfii  midicé  de  la  Zone  Torride,  maintenante 
fera  bô  de  parler  de  deux  autres  qualitez,qui  font 
le  chaud  &  le  froid.  N ous  auons  demonitre  fur  le 
cômencement  de  ce  difcours,comme  les  anciens 
ont  tenu  que  la  Zone  Torride  eftoù  chaude  Se  fe- 
che  exceffiuemët,ce  qui  n'eft  pas  ainfi  toutesfois; 
car  elle  eft  chaude  &  humide ,  Se  en  la  plus  grand' 
partie  fa  chaleur  n'eft  pas  excefïïue ,  mais  pluftoft 
tëperéc.  Ce  que  l'on  ti  endroit  pour  in  croyable,  ft 

H  iiij 


•HISTOIRE  NÀTVRELLE 
nous  ne  l' allions  aifez  expérimenté.  Quand  ie 
nalTay  aux  Indes  (  ie  diray  ce  qui  m'arriiia  )  ayau  c 
feu  ce  que  les  Poètes  &:  Philofophes  difent  de  la 
Zone  Torride,  ie  me  perfuadois  qu'arriuât  à  TE  - 
quinoxe,  ie  ne  pourrois  y  fupporter  cefte  exceflï- 
uc  chaleur.  Mais  il  m'aduint  tout  au  contraire, 
car  au  temps  que  i'y  paiïay  ,qui  fut  alors  que  le 
Soleil  y  eftoit  pour  Zenith ,  eftant  entré  au  ligne 
d'Anes,  à  fçauoir  au  mois  de  Mars ,  i'y'fènty  fi 
grand  froid,  quei'eftois  contraint  me  mettre  au 
Soleil  pour  m'efehauffer  :  que  pouuois  ie  moins 
faire  alors ,  que.de  me  ri  re  Se  me  moquer  des  mé- 
téores d'Ariftote ,  &  de  fa  Philofophie  ,  voyant 
qu'au  lieu ,  &en  la  faifon  que  tout  y  deuoit  eftre 
embrazé  de  chaleur  fuiuat  les  règles,  moy  &  tous 
mes  compagnons  allions  froid  ?  il  n'y  a  à  la  vérité 
région  au  monde  plus  douce  ny  tempérée  que 
fousl'Equinoxe,  combien  quelle  ne  (oit  pas  en 
tous  endroits  d'efgale  ou  femblabte  températu- 
re,*^ qu'il  y  ait  beaucoup  dedinei-fitez.  La  Zone 
Torride  en  quelques  endroits  eft  fort  tempérée, 
corne  en  Quitto,&;  aux  plaines  du  Peru,  en  quel- 
ques endroits  fort  froide,  comme  en  Potozi,  ôc 
aux  autres  fort  chaude,  comme  en  l'Ethiopie, 
Brefil,  8c  aux  Mollucques.  Celle  diuerfité  donc 
nous  eftant  certaine ,  &  toute  cogneuè,  nous  de 
uons  par  force  recercher  vne  autre  caufe  du  froid 
&  du  chaud ,  que  les  rayons  du  Soleil  y  font  nai- 
ftre,veu  qu'en  vne  mefme  faifon  de  l'année,  &  en 
lieux  qui  font  d'vne  mefme  hauteur  &  diftance 
du  Pôle  &de  l'Equinoxe,  on  y  retronuevnefi 
grande  diuedué,  que  les  vus  font  embrazezde 
chaleur ,  les  autres  de  froidure  ,&  les  autres  fe 


DES   INDES.       1  IV.    II.  6l 

trounent  tempérez  d'vne  chaleur  modérée.  Pla- 
ton met  (a  tant  renommée  Ifle  Atlantique  fouz  vlat-  '" 
la  Zone  Torride,  puis  dit  qu'en  certain  temps  de  in'T.^ 
%ijjanée  elle  auoit  le  Soleil  pour  Zenith,  &  neant- 
moins  qu'elle  eftoit  fort  temperée,fortabondan-  fUa.iib.  6. 
te, «&  fort  riche.  Pline  dit  que  Taprobane,  (qu'ils  caf.iz. 
appellent  auiourd'huy  Samatre)  eftfouzl'Equi- 
noxe.cornme  en  efleételley  cft,  efcriuant  qu'elle 
n'eft  pas  feulement  riche  &heureufe,  mais  aufîi 
peuplée  d'hommes  &c  d'animaux.  D'où  l'on  peut 
facilement  cognoiftre,  qu'encor  que  les  anciens 
ayent  tenu  la  chaleur  de  la  Torride  infupporta- 
ble  ,  ncantmoins  ils  pouuoient  bien  entendre 
qu'elle  ne  l'eftoit  pas  tant  comme  ils  difoient.Le 
très- excellent  Aftrologue  Se  Cofmographe Pto- 
ioméc&i'iniignePhilofophe  Se  médecin  Aui- 
cenne  en  eurent  meilleure  refolution,eftans  tous 
deux  d'opinion  que  fous  l'Equinoxe  y  auoît  de 
fort  commodes  habitations. 


Que  la  chaleur  de  la  Torride  efi  tempérée,  pour 

l'abondance  des  pluye  r  ,  &  pour  U 

briefucté  des  tours. 

C  H  A  P.     X. 

E  p  v  i  s  que  le  nouueau  monde  a  efté  def- 
couuert,  l'on  a  cogneu  Se  fans  doute,  ce  que 
les  derniers  autheurs  ont  tenu  véritable.  Mais 
c'eft  choie  naturelle,  que  quand  quelque  choie 
qui  cft  hors  de  noftre  opinion  nous  vient  àeftre 
cogneuë  par  l'expérience,  nous  voulonsinconti- 
nent  en  rechercher  la  caufe.C'eft  pourqu^y  nous 
défiions  fçauoir  pour  quelle  caufe  la  région  de 


HISTOIRE  NATVRELLE 
laquelle  le  Soleil  eft  plus  proche,  n'eft  pas  feule- 
ment tempérée,  mais  eft  froide  en  piufieurs  en- 
droits. Confiderant  cefte  matière  généralement, 
ie  trouue  deux  caufes  générales ,  pour  rendre  ce- 
tte région  tempérée,  l'vne  eft  celle-cy  deuant  dé- 
clarée ,  d'autant  que  cefte  région  eft  fort  humide, 
&fubiecT:eaux  pluyes,&  n'y  a  point  de  doute  que 
lapluyenerafraifchiiFe,  pource  quel'efleuement 
dereau'ceft  de  Ton  naturel  froid  :  &  encor  que 
l'eauë  par  la  force  du  feu  f  efchauffe  ,  ce  neant- 
moinsnelaiiîèpasde  tempérer  l'ardeur  ,  caufée 
des  rayons  du  Soleil  purement.  Ce  qu'on  void 
par  expérience  en  l'Arabie  interieure,laquelle  eft 
embrazée  du  Soleil ,  pour  n'y  auoir  aucunes 
pluyesqui  tempèrent  fa  furie.Lcs  nuages  &  brui- 
nes empefchentqueles  rayons  du  Soleil  n'offen- 
fènt  tant,&  les  pluyes  qui  procedét  d'icelles  mef- 
mes,rafraifchiirent  l'air  &  la  terre,&  l'hume&ent 
'  aufïi ,  quelque  chaude  qu'elle  puifTè  eftre.  L'on 
bonl'eauede  la  pluye,  8c  elleefi.anchela  foif,  co- 
melesnoftres  l'ont  bien  efprouué  ,  ayans  faute 
d'eauë  pour  boire.  Dcfortcqueiaraifon  &  l'ex- 
périence nous  enfeigne  que  la  pluye  de  foy  ap- 
paifè  la  chaleur,&  par  ce  moyen  ayant  ja  monftré 
commela  Zone  Torride  eft  fort  pluuieufe ,  il  ap- 
pert aufïi  qu'il  y  a  en  icelle  chofe  qui  peut  rendre 
fà  chaleur  tempérée.  A  cecy  l'en  diray  encor  vnc 
autre  raifon  qui  mérite  bien  qu'on  entende ,  non 
feulement  pour  cefte  matière  ,  mais  aufïi  pour 
piufieurs  autres.  Car  pour  iedireenpcu  depa- 
roles,Ie  Soleil  quoy  qu'il  loir  fort  chaud  &  bruf- 
lant  en  l'Equinoxe,  ce  neantmoins  c'eft  pour  peu 
de  temps  >  de  forte  que  la  chaleur  du  iour  y  eftant 


D  ES    I  NDES.       LI  V.     II.  6 2. 

plus  briefue  &  de  moindre  durée,  ne  fait  pas  tant 
aembrazement.    Ce  qu'il  conuient  déclarer  Se 
entendre  plus  particulièrement.    Ceux  qui  font 
verfez  à  la  cognoilïance  de  la  Sphère,  enfeignent 
fort  bien  ,  que  d'autant  plus  que  le  Zodiaque  eft 
oblique&traucrfant  fur  noftre  hemifphere,d'au- 
tant  plus  les  iours  &  lesnuicts  font  inégaux;   ÔC 
au  contraire  où  la  Sphère  eft  droite,  Se  lesfïgnes 
montent  droicrement,  lesiours  &  les  nuicls  y 
fonteigaux.    C'eft  pourquoyen  toute  la  région 
qui  eft  entre  les  deux  Tropiques  ,  il  y  a  moins 
d'inégalité  aux  iours  &  aux  nuich,  que  hors  d'i- 
ceux,&  plus  l'on  approche  de  laligne  ,  moinsy 
trouue-on  d'inegalitéjce  quenousauons  expéri- 
menté en  ces  parties.  Ceux  de  Quitto  ,  pourec 
qu'ils  fontau  deiïbus  delaligne,  n'ontpointen 
toute  Tannée  lesiours  nyles  nuicls  plus  courts 
en  vne  laifon  qu'en  l'autre  ,  mais  y  font  conti- 
nuellement cfgaux.  Ceux  de  Lyma,pource  qu'ils 
font  diftans  de  la  ligne  prefque  de  douze  degrez, 
apperçoiuent  quelque  différence  entrelcsiours 
&  les  nuicts ,  mais  c'eft  fort  peu ,  d'autant  qu'en 
Décembre  Se  en  Ianuier  les  iours  y  croiuent  d'v- 
neheure,oupeumoins.  Ceux  dePotoziy  reco- 
gnoilfent  beaucoup  plus  de  différence, tant  l'Hy- 
uer  que  l'Efté ,  pource  qu'ils  font  prefque  fouz  le 
Tropique.    Mais  ceux  qui  font  du  tout  hors  des 
Tropiques,  remarquent  d'autant  plus  labriefue- 
té  des  iours  de  l'Hyuer ,  Se  lalongueur de  ceux  de 
l'Efté  ,  qu'ils  font efloignez  de  laligne,  &rfont 
proches  du  Pôle  j  commeTon  void  qu'en  Alle- 
magne Se  en  Angleterre  les  iours  font  plus  longs 
en  Hfté  qu'en  Italie  Se  Eipasne.  C'eft  chofe  qui 


HISTOIRE  NATVRELLE 
fe  void ,  que  la  Sphère  enfeigne ,  &  l'expérience  le 
monftre  clairement.  Il  faut  adioufter  vne  autre 
propofition,qui  eft  auflï  vraye,  &  bien  considéra- 
ble, pour  tous  les  efFedsde  la  nature,  fçauoir  la 
perfeuerance  Se  continuation  de  fa  caufe  efficien- 
te à  opérer  ôc  agir.Celafuppofé,  fi  l'on  me  demâ- 
de,  pourquoy  en  l'Equinoxe  il  n'y  a  point  défi 
violentes  chaleurs  en  Efté ,  qu'il  y  a  en  quelques 
autres  régions,  (comme  en  Andeluzie  es  mois  de 
Iuillet&  Aou(t)iertfp5dray  pourcequeles  iours 
d'Efté  font  plus  longs  en  Andeluzie ,  &  les  nuids 
y  font  plus  courtes,  &  le  iour  comme  chaud  qu'il 
eft  enflame  Se  caufe  la  chaleur,  la  nuid  aufli  com- 
me froiôe&  humide  donne  du  rafraichiiremcnt. 
Suyûantquoyau  Pcru  il  n'y  a  point  tant  de  cha- 
leur, pource  que  les  iours  d'Efté  n'y  font  pas  fi 
mngs,ny  les  nuids  fi  courtes,qui  caufe  que  la  cha- 
leur du  iour  eft:  beaucoup  tempérée  par  lafraif- 
cneurde  la  nuid.  Mais  là  où  les  iours  font  de 
quinze  ou  feize  heures ,  par  raifon  il  doit  y  auoir 
plus  de  chalettr,que  là  où  ils  ne  font  que  de  douze 
ou  de  treize, Ôc  où  il  en  demeure  autant  de  la  nuid 
pour  rafraichiflement.  Et  bien  que  la  Zone  Tor- 
ride  foit  plus  proche  du  Soleil,  que  toutes  les  au- 
tres régions,  fi  eft-ce  toutesfois  que  la  chaleur  du 
Soleil  n'y  demeure  pas  fi  lôg  temps:  car  c'eft  cho  - 
fe  naturelle  qu'vn  feu  encor  qu'il  foit  petit ,  fil 
perfeucre,efchauffe  d'auantage  qu'vn  plus  grand 
qui  durera  peu,  principalement  fil  y  furuient  du 
rafraifehiffement.  Qui  voudra  mettre  donc  ces 
deux  proprictez  de  la  Torride  en  vne  balace,fça- 
uoir  quelle  eft  pluspluuieufe  au  temps  de  fa  plus 
graflde  chaleur,&que  les  iours  y  font  plus  courts. 


DES     INDES.      LIV.    II.  6$ 

on  pourra  bien  parauanturc  trouuer  qu'elles  fe- 
ront efgalles  à  ces  deux  autres  contrairesrqui  font 
que  le  Soleil  y  eftplus  proche  Se  plus  droit  qu'es 
autres  régions ,  à  tout  le  moins  que  l'on  n'y  reco- 
anoiftra  pas  beaucoup  d'auamage. 

Qu'ily  a  d'autres  raiforts  outre  les  defelutttes  cy  defftts* 

qui  monftrent  que  la  Torride  cft  tcmperéc,princi- 

palement  en  la  co.fi e  delà  mer  Oceane. 

CHAP.      XI. 

i  S  t  a  n  t  chofe  refoluë  que  les  deux  proprie- 


H*tezfufdi£esfont  communes  &vniuerfelles 
à  toute  la  région  Torride,  &  qu'en  icelle  néant- 
moins  il  fc  trouue  aucuns  lieux  fort  chauds,  &  les 
autres  où  ily  a  fort  grand  froid:Brefla  températu- 
re n'y  eft  efgalle  en  tous  lieux ,  mais  en  vn  mefme 
climatjvne  partie  eft  chaude,i'autre  foide,  &  l'au- 
tre tempérée  tout  en  vn  mcfme-tcmps.-nous  fom- 
mes  côtraints  de  rechercher  d'autres  raifons,d'où 
procède  cède  grande,  diuerfité  qui  fe  trouue  ainiî 
en  la  Torride.  Difcourrant  doneques  fur  cette 
queftion  ,  i'en  trouue  trois  eau fes  apparentes  & 
certaines, &  vnequatriefme  plusobicure&  ca- 
chée. Les  caufes  apparentes  &  certaines  font, la 
première  l'Océan,  la  féconde  l'afliete  &  fituation 
de  la  terre ,  &  la  troifiefme  le  naturel  ôc  propriété 
de  plusieurs  &  diuers  vents.Outre  ces  trois  que  ic 
tics  pour  manifeftesjiecroyqu'ily  en  a  vue  autre 
quatriefme,  cachée  &  moins  apparente,  qui  eft la 
propriété  de  la  mefme  terre  habitée  ,&  la  parti- 
culière influence  de  fon  Ciel.  Qui  voudra  eonfî- 
derer  de  près  les  caufes  &  raifons  générales  cy 


I 


HISTOIRE  NATVREI.  LE 
defilis  defduites,on  trouuera  qu'elles  ne  font  fnf- 
fifaratespourlarefolution  totale  de  cefte matiè- 
re,, veu  ce  qui  ardue  iournellemét  en  diuers  lieux 
del'Equinoxe.  Manomotapa,  &grandeparric 
du  royaume  de  Prece  ,Ian  ,  fontfituezdeirous  la 
ligne.oufortproches.efquelles  régions  ils  endu- 
rent de  terribles  chaleurs,  &y  naiifent  les  hom- 
mes tous  noirs.  Ce  qui  n'eft  pas  feulement  en  ces 
parties  de  terre  ferme ,  efloignées  de  la  mer,  mais 
auiîîeneft-ildemefmeés  ifles  enuironneesdela 
mer'.  L'ifle  de  (aindt  Thomas  eftfouz la  ligne,  les 
ifles  de  Cap  de  vert  en  font  prochaines,  3c  en  IV- 
ne  5c  en  l'autre  y  régnent  de  furieufes  chaleurs,& 
y  fout  mefmes  tous  les  hommes  noirs.  Soubsla 
mefme  ligne  ,  ou  bien  proche  d'icelle  ,  giftvne 
partie  du  Peru,  &du  nouueau  royaume  deGre- 
nade,qui  neantmoins  font  terres  fort  tempérées, 
déclinantes  pluftoft  à  froidure ,  que  no  pas  à  cha- 
leur, «Scies  hommes  qui  habitent  en  icelle  font 
blancs.  La  terre  du  Brefil  eft  en  la  mefme  diftanec 
de  la  ligne  que  le  Peru ,  ôc  neantmoins  le  Breiîl  ôc 
toute  celle  cofte  eft  extrêmement  chaude,encore 
qu'elle  foit  en  la  mer  duNort,&  l'autre  cofte  du 
Peru  qui  eft  en  la  mer  du  Sud ,  eft  fort  tempérée, 
le  di?  donc  que  qui  voudra  confiderer  ces  diffé- 
rences^'donner  laraifond'icelles,ne  fe pourra 
contenter  des  générales cy-delîus traitées, pour 
déclarer  comme  la  Torride  peut  eftrevne  terre 
tempérée.  Entre  les  caufës  Ôc  raifons  fpeciales, 
i'ay  mis  pour  la  première  la  mer,  pource  que  (ans 
doute  fon  voifinage  aide  à  tempérer,  ôc  refroi- 
dir la  ckaltur.    Car  combien  que  fon  eauë  foie 


D  ES     IN  DES.      L  1  V.    II.  64 

î allée,  cllceft  touliours  eau  toutesfois ,  &  l'eau  de 
la  nature  eit  froide,  &  fi  encore  eft  remarquable 
que  pour  la  profondité  de  l'Oceâ ,  l'eau  n'en  peuc 
cltrecfchauiïee  parla  chaleur  du  Soleil,  comme 
les  eaux  des  riuieres.Finablement  tout  ainfi  com- 
me le  Tel  nitre(quoy  qu'il  foie  du  natureldu  fel  )  a 
la  propriété  de  refroidir  l'eaue:  ainfi  voyons  nous 
par  expérience  en  quelques  ports  &  haures  que 
l'eau  de  la  mer  y  rafraifehit,  ce  que  nous  auôs  veu 
en  celuy  de  Callao  ,  où  l'on  mettoit  rafraifehir 
l'eaue  ou  vin  pour  boire  dedans  des  cruches  ou 
flafcons  mifes  en  la  mer. D'où  l'on  peut  fans  dou- 
te recognoiftre  que  rOceanacefte  propriété  de 
tempérer  &  rafraifehir i'exeefiîue chaleur.  Pour 
cefte  occafionl'on  relent  dauantage  la  chaleur 
en  la  terre,qu'enlamer,<vtfmy/wn£*tf,&  commu- 
nément les  terres  fituees  fur  la  marine,  font  plus 
fraifehes  que  celles  qui  en  font  efloignees  ctte- 
ris pan bus  y  comme  i'ay  di£t.  .Ainfi  la  plus  grande 
partie  du  nouueau  monde  eftant  fort  proche  de 
la  mer  Oceane,  nous  pouuons  direauecraifon, 
encor  qu'il  foit  foubs  laTorcidc ,  qu'il  reçoit  de 
la  mer  vn  grand  bénéfice ,  pour  tempérer  fa  cha- 
leur. 


Que  les  plus  boittes  terres  font  les  plus  froides, 
&  quelle  en  eïï  la  raifon. 


C  H  A  P.   XII. 


A 1  s  Ci  nous  voulôs  encor  recercher  particu- 
lièrement, nous  trouueros  qu'en  toute  cefte 
terre  il  n'y  a  pas  vne  chaleur  toulcmct  égalcquoy 


HISTOIRE  NATVRELLE 
qu'clle.foit  en  pareille  diftancedelamer  ,  ôcen 
intime  degré ,  veu  qu'en  quelques  parties  d'icellc 
il  y  a  beaucoup  de  chaleur,  &en  d'autres  y  en  a 
tore  peu.  Il  n'y  a  point  de  doute  que  la  caufe  de 
cecy  ne  foit ,  pour-  autant  que  l'vne  eft  plus  balle., 
Se  que  l'autre  eft  plus  haute  &  plus  efleuée,  d'où 
vient  que  l'vne  eft  chaude, &  l'autre  hoide.  C'eft 
choie  certaine  quele  fommet  des  montagnes  eft 
plus  rroid  que  le  Diofond  des  vallées,  ce  qui  ne 
procède  point  feulement  de  ce  queles  rayons  du 
Soleil  ont  plus  de  repcrcuflion  aux  lieux  bas  Ôc 
proronds ,  encor  qu'il  en  foit  vnc  grande  raiion, 
mais  il  y  en  a  vue  autre,  qui  eft  que  la  région  de 
l'air  eft  plus  froide  ,  d'autant  plus  qu'elle  eft  han- 
te &:  elloignée  delà  terre.  Les  plaines  de  Collao 
au  Peru,&  de  Popajan  en  la  neufue  Efpagne,  font 
prenne  (uihfante  de  eccy.  Car  (ans  doute,  toutes 
ces  par  tic  s  font  terres  hautes,  &  pour  cefteraifon 
aumiont-elles froides,  combien  qu'elles  (oient 
toutes  emuronnées  de  hauts  pics  de  montagnes 
fortexpoiées  aux  rayons  du  Soleil.  Mais  fi  nous 
demandons  pourquoyau  Peru  &:eulaneurueE(- 
pagne ,  les  plaines  de  la  cofte  font  terres  chaudes, 
&:les  plaines  delà  melmc  terre  du  Peru  &:  de  la 
neufue  Efpagne  (ontau  contraire  terres  froides, 
A  la  vérité  ie  ne  voy  point  qu'il  leh  puiiïe  donner 
autre  laifon,  finon  quelcsvnes  font  en  terre  bal- 
féales  autres  en  terre  haute.  L'expérience  nous 
enleigne  que  la  moyenne  région  de  l'air  eft  plus 
froide  que  l'inférieure  :  ôc  pource  tant  plus  les 
montagnes  l'approchent  d'icelle  région  moyen- 
ne, tant  plus  elles  font  froidçs  ,  couuertes  de  nei- 
ge>  &  dé  gelées.  La  raifon  meirne  C'y  accorde, 

pource 


DESINDE  3.       tIV.    II.  6j 

pouf  ce  que  f'il  y  a  vnc  fpherc  ou  région  du  feu, 
commeAriftote  8c  les  autres  Philofophcs  difent, 
la  région  moyenne  de  l'air  doit  eftre  plus  froide 
par  antiperiftafe,la  froidure  eftant  repouurce,&  fè 
reilerrant  en  icelle,comme  en  temps  d'Efté  nous 
voyons  aux  puits  qui  ontdclaprofondité.  Pour 
celle  occafion,  les  Philofophes  afferment  que  les 
deux  extrêmes  régions  de  l'air,  celle  d'enhaut ,  5c 
celle  d'embas  font  les  plus  chaudes,  &  la  moyen- 
ne plus  froide.  Que  ril  eft  ainfi,  comme  de  faict 
l'expérience  lemonftre,nous  en  tirerons encor 
vn argument &raifon  remarquable,  pourmon- 
ftrer  que  la  Torride  eft  tempérée.  Sçauoir  que  la 
plus  grande  partie  des  Indes  eft  vne  terre  haute, 
remplie  de  beaucoup  de  montagnes,qui  par  leur 
voihnage  rafraifchiilent  les  terres  prochaines. 
L'on  void  continuellement  es  fommets  des  mo- 
tagnes  dont  ie  parle ,  de  la  neige ,  de  la  grefle ,  Se 
des  eauës  toutes  glacées ,  &  le  froid  qu'il  y  fait  eft 
Ci  afpre,  que  l'herbe  en  eft  toute  grefillonncc,teL 
iement  que  les  hommes  8c  cheuaux  cheminans 
par  là,y  font  tous  engourdis  de  froid. Cccy,com- 
mc  i'ay  deiîa  dit,eft  en  la  Zone  Torride,  8c  aduiét 
Ieplusfouuent  quand  ils  ont  le  Soleil  pour  Ze- 
nith. AinfïelVcechofe  notoire  8c  conforme  à  la 
raifon ,  que  les  montagnes  font  plus  froides  que 
ne  font  les  vallées  5c  les  plaines,  d'autant  qu'elles 
participent  de  la  région  moyenne  de  l'air ,  qui  eft 
très-froide.  Or  la  caufcpourquoy  la  regio  moyc- 
ne  de  l'air  eft  plus  froide,  aeftcmefmc  dite  cy- 
deuant,qui  eft  que  la  région  de  l'air  prochaine  de 
l'exhalation  ignée ,  laquelle  (  félon  Ariftote  )  eft 
furlafphcre  de  l'air ,  repoulTe  5c  reiette  arrière 

I 


HISTOIRE  NATVREI,  LE 
toute  la  froidure,laquelle  fe  retire  8c  referre  en  la 
moyenne  région  de  l'air  par  antiperiftafe,  com- 
me parlet  les  Philofophes.  En  après  fi  quelqu'vn 
me  demande  ôc  veut  interroger  de  cède  façon, fil 
eftainfi  que  l'air  foit  chaud  &  humide,  comme 

jnfi.Ma.  ticnt  ariftote  ^  &  comme  l'on  dit  communémët, 
d'où  procède  ce  froid  qui  fe  retire  en  la  moyenne 
région  de  l'air,puis  qu'il  ne  peut  venir  de  la  fphe- 
redufeu?  Car  fil  procède  de  l'eau  ou  delà  terre, 
par  cette  raifon  la  balfe  regio  de  l'air  deuroi  t  eftre 
plus  froide  que  celle  du  milieu.  Certes  à  refpon- 
dreauvraycequei'enpenfe  ,  ieconreflèray  que 
cet  argument  ôc  obiectio  m'cft  tant  difficile ,  que 
iefuisprefqueèdifpofé  de  future  l'opinion  de  ceux 
qui  reprouuent  les  qualité/,  fymboles  &  diilym 
boles  que  met  Ariftote  aux  éléments, difanc que 
ce  font  imaginations,  lefquels  pour  celte  occa- 
fion  tiennent  que  l'air  de  (on  naturel  eft  froid ,  Ôc 
à  cède  fin  ils  fe  fe'ruen t  de  plufieurs  arguments  ôc 
raifons  ,  du  nombre  delquels  nousenpropole- 
ronsvnalTez vulgaire &cogneu,lailIans  les  au- 
tres à  part,  fçauoir  qués iours  caniculaires  nous 
auonsaccoiiftumé  nous  donner  de  l'air  auec  vn 
efuentail ,  ôc  trouuons  qu'il  nous  rafraifchit  :  de 
forte  que  ces  Aut heurs  afferment  que  la  chaleur 
n'en:  vue  propriété  particulière  d'aucun  autre  élé- 
ment que  du  feul  feu ,  qui  eft  efpars  ôc  mcflé  par- 
i^lè   l  my  toutes^escrio^es  (  félon  que  le  grand Denys 

herar.  nousenfeigne  )  mais  qu'il  foit  ainfi ,  ou  qu'il  en 
foit  autrement  (carie  ne  veux  pas  contredire  à 
Ariftote,  fi  ce  n'eft  en  chofc  fort  certaine  )  en  fin 
ils  faccordét  tous  que  la  moyenne  région  del'air 
eft  plus  froide  que  la  plus  bafîè  prochaine  à  la  ter- 


D  ES    INDES.    *  LIV.     II.  66 

re , comme  mefme l'expérience lemonftre , puis 
qu'en  cède  région  du  milieu  les  neiges,les  grefles, 
frimats  Se  autres  indices  d'extrême  froid  f'engen- 
drent.Or  donc  la  région  du  milieu  qu'ils appellët 
Torride ,  ayant  d'vn  codé  la  mer ,  Se  de  l'autre  les 
hautes  môtagncs,  l'on  doit  tenir  cela  pour  eau  Tes 
furfifantes  pour  teperer  Se  rafraifehir  là  chaleur.  . 


Que  les  yenrs  froids  font  la  principale  caufe  de 
)  ctulrc  la  Tsrride  tempérée. 

CHAP.      XIII. 

fà-^  A  température  de  cefte  région fe doit prin- 
Èfeï  cipalemei\t  attribuer  à  la  propriété  du  vent 
qui  court  en  cefte  terre  là ,  lequel  eft  fort  frais  Se 
gracieux.  La  prouidence  du  grand  Dieu, créateur 
de  toutes  choies ,  a.eftc  telle,qu'il  a  ordonné  qu'il 
yeuftdesvents  mcrueilleufement  frais  en  la  ré- 
gion où  le  foleil  fait  fon  cours  (qui  femble  deuoir 
eftre  du  toutembrazee)  afin  que  par  leur  fraif- 
cheur  l'exceQîue  chaleur  du  Soleil  fuft,  tempérée. 
Et  ne  font  pas  ceux-là  trop  eiloignezd-apparence 
de  raifon ,  qui  ont  eu  opinion  que  le  Paradis  ter- 
reftre  eftoit  fouz  l'Equinoxe  ,  f'ils  ne  fe  fuirent 
trompez  eux-mefmes  fur  la  caulè  de  leur  opinio, 
en  ce  qu'ils  difoient  que  l'égalité  des  iours  Se  des 
jiuicTis  eftoit  feule  iufnfànte  caufe  de  rendre  cefte 
Zone  tempérée,  à  laquelle  opinio  toutesfois  plu- 
iieursautresont  elle  contraires ,  dunombredek 
quelsaefté  lePoëte  renomngé,difànt: 
— —  £r  celle  région 
S'cmhrazf  incejjkmment  aux  chaleureux  rayonr 
Mu  S  vieil  qui  d'tllec  tamais  nefe  retire. 


I 


HISTOIRE     NATVRELLE 
Doncques  la  fraifcheur  de  la  nuict  n'eft  pas  cel- 
le, quelle  foit  feule  fuflîfànce  pour  modérer  & 
corriger  de  fiafprcs&:  furieufes  ardeuns  du  So- 
leil, mais  pluftofteefte  Torride  reçoit  vne  fi  dou- 
ce température  parle  bénéfice  de  l'air  frais  &rgra 
cieux,de  telle  forte  que  combien  qu'elle  ait  elle 
tenue  des  anciens,  plus  embrazcequ'vne  four- 
naife  ardente,  &  ceux  qui  l'habitent  à  prefent ,  la 
tiennent  pour  vn  Printemps  délicieux  :  il  appert 
par  argument  &  raifons  fort  euidentes,  que  la 
caufe  de  cecy  gift  principalement  en  la  qualité 
du  vent. Nous  voyons  en  vn  mefme  climat  quel- 
ques régions  &  villes  mefmes  plus  chaudes  les 
vues  que  les  autres,  pource  feulemct  qu'ils  fe  rei- 
fentent  moins  des  vents  qui  rafraifchiifent.   De 
mefme  en  e(l-  il  en  d'autres  terres,  où  le  vent  ne 
court  point,lefquelles  font  toutes  embrazees  co- 
rne vn  fourneau,  &  yeft-on  fi  fatigue  de  la  cha- 
leur, que  d'y  eftre,  c'eft  autant  que  de  f  è  voir  dans 
viie  f  our.naife.  Il  y  a  beaucoup  de  ces  bourgades, 
&  de  ces  terres  au  Brefil,  en  Ethiopie,&  au  Para- 
guay, comme  chacun  fçait:&  ce  qui  eft  plus  con- 
sidérable, c'eft.  que  l'on  void  ces  différences  non 
feulement  parmy  les  terres,  mais  aufîi  en  la  mer; 
ilyadesmersoùl'on  fent  beaucoup  de  chaleur, 
comme  ils  racontent  de  celle  de  Mozambique, 
&c  Ormus ,  &  en  l'Orient ,  Se  de  la  mer  de  Pana- 
ma, en  Occident  (laquelle  pour  cefte  occafion 
engendre  &  produit  en  foy  des  Cayamans)  com- 
me aufîi  en  la  mer  du  Brefil.  Il  y  a  d'autres  mers, 
voire  en  mefme  degte  de  hauteur,  fort  froides, 
comme  en  celle  du  Peru,  en  laquelle  nous  euf- 
îueï fruid,  comme i'ay  raconté cy- delïtts ,  quand. 


■■HHBB^H 


DES      INDES.       LI  V.    I  I.  6j 

nouslanauigcafmes  la  première  fois,  qui  eftoic 
en  Mars,  &  au  temps  que  le  Soleil  cheminoir  par 
dellus.  A  la  vérité  en  ce  continent,  où  la  terre  & 
l'eau  font  de  mefme  forte,  Ton  ne  peut  imaginer 
autre  occafion  de  fi  grande  différence,  (mon  la 
propriété  du  vent  qui  les  rafraifchit.    Que  fi  Ton 
veutdeprésaduiferà  cefte  confideratioduvent, 
dont  nous  auons  parlé,  l'on  pourra  refoudre  plu- 
fieurs  doutes  qu'aucuns  mettent  en  auant,  &  qui 
fembîent  chofes  eftrangcs  &  merueilleufes ,  fça- 
uoir  pourquoy  le  foleil  donnant  de  fes  rais  fur  la 
région  Torride,&:  particulièrement  au  Peru,voi- 
rc  beaucoup  plus  violemment  qu'il  ne  fait  pas  en 
Efpagne  es iours caniculaires,  neantmoins  l'on 
refifte  à  fà  chaleur  auec  vne  fort  légère  couuertu- 
re,fi  bien  qu'au  couuert  d'vne  natte  ou  d'vn  (im- 
pie toict  de  paille ,  l'on  eft  mieux  contregardé  de 
la  chaleur ,  que  l'on  n'eft  pas  en  Efpagne  deifouz 
vn  toict  de  bois,  &c  mefme  d'vne  voûte  de  pierre. 
Dauantage  pourquoy  les  nuicts  d'Efté  ne  font 
chaudes  ny  ennuieufes  au  Peru,comme  en  Efpa- 
gne ?  Pourquoy  aux  plus  hauts  fomraets  des  mo- 
tagnes,&  mefrne  entre  les  monceaux  de  neige ,  il 
y  faitquelquesfoisde  grandes  &in(upportab!es 
chaleurs.  Pourquoy  en  toute  la  prouince  de  Co- 
lao,quand  l'on  fe  trouue  à  l'ombrage  quelque  pe- 
tit qu'il  puiffe  eftrcj'on  y  fent  du  froid,mais  quad 
l'on  vient  à  en  fortir  aux  rayons  du  foleil,  incon- 
tinent l'on  vient  à  y  fentic  vne  exceflîue  chaleur. 
Pourquoy  toute  la  cofte  du  Peru  eftant  pleine  de 
fablons,  neantmoins  fe  trouue  fort  tempérée ,  &: 
pourquoy  Potozi  diftant  delà  cité  d'Argent  tant 
feulement  de  dix  huict  licuës,&  en  vn  mefme  de- 

Iiij 


I 


HISTOIRE  NATVREUE 
gré",  eft  toutesfois  cie  fi  différente  température, 
que  le  pays  eftant  tres-froid  ,  il  eftitenle&  (ce  à 
merueilles:au  contraire  la  ville  d'Argent  eft  tem- 
pérée, déclinant  à  la  chaleur ,  8c  a  vn  terroir  fort 
gracieux  8c  fertile. Ccft  donc  pour  certain  le  vent 
qui  principalement  caufe  toutes  ceseftrangesdi- 
perutez:  car  fans  le  bénéfice  du  vent  frais,i'ardcur 
du  Soleil  eft  telle ,  qu'encor  que  ce  fou  au  milieu 
des  neiges,elle  brufle  8c  embraze,  mais  aufîî  quâd 
la  frai  fcheur  de  l'air  remet ,  aufli  toll  tonte  la  cha- 
leur i'appaife,  quelque  grande  qu'elle  foit  :  8c  où 
ce  vent  frais  eft  ordinaire,^:  règne  fouuent,il  em- 
pefche  que  les  vapeurs  terreftres&  groiïiercs  que 
exhale  la  terre,  ne  feioignent ,  ôccaufentvne  pe- 
lante 8c  ennuyeufe  chaleur ,  dont  le  contraire  ad- 
uienten  Europe,  dautant  que  par  l'exhalation  de 
ces  vapeurs,  la  terre  demeure  comme  brulleedu 
Soleil  du  iour,qui  eft  caufe  que  les  nuictsy  (ont  (1 
chaudes  &  ennuyeufes,  tellement  qu'il  femble 
plufieurs  fois  que  l'air  forte  comme  d'vne  four- 
naife. Pour  celte  mefmeraifon,auPeruceftefraif. 
cheur  du  vent  cauie  que  par  le  moyen  de  quelque 
petit  ombrageau  coucher  &declin  du  SoleiI,l'on 
y  eftarfezfraifchement  :  au  contraire  en  Europe 
le  temps  le  plus  doux  8c  plus  agréable  en  Efté  eft 
le  matin  ,  éWefoireft  le  plus  froid,  &  le  plus  en- 
nuyeux. Mais  au  Pcru,en  tout  l'Equinoxe  il  n'en 
eft  pas  de  mefme,  d'autât  que  tous  les  matins  que 
lèvent  delamery  celle,  &  que  le  Soleil  y  com- 
mence à  jetter  Tes  rayons ,  pour  cefte  raifon  l'on  y 
fenc  la  plus  grande  chaleur  aux  matins, iufques  au 
retour  duditven^qu'ils  appellent  autremét,  Ma- 
rceau vent  de  la  mer,  qui  fait  qu'on  commence 


DES  INDES.  L  I  V.  II.  *  6"8 
à  fentir  le  froid.  Nous  auons  expérimente  tout 
cecy  du  temps  que  nous  eftions  aux  Iiles  qu'ils 
appellent  de  Barlouate,  où  au  matin  nous  fuyons 
de  chaud  ,&àmidy  nous  Tentions  vnbon  frais, 
pource  que  la  bize  ordinaire,  qui  eft  vn  vent  frais 
ôc  gracieux  y  fouftle  alors. 


Que  ceux  qui  habitent  fou^  l'Equmoxe  yiucnt 
cïvm-  vie  fort  douce  & dclicieufe. 


c  H  A  P.   XII  II. 

«££1  ceux  qui  ont  eu  opinion  que  le  Paradis 
Wfâ  terreftreeftoiten  l'Equinoxe/efuirentcon- 
duitspar  cedifeours  ,encor  nefembleroient-ils 
point  eftre  du  tout  hors  du  chemin.  Non  que  ie 
vueille  refoudre  que  le  Paradis  délicieux  dont 
parle  TEfcritureJoit  en  ce  lieu  làjd'autant  que  ce 
feroit  témérité  de  l'affermer  pour  chofe  certaine-, 
mais  ie  dis  que  fi  l'on  peut  dire  qu'il  y  ait  quel- 
que Paradis  en  la  terre  ,  ce  doit  eftre  en  heu  où 
l'on  ioiiiftd'vne  température  fort  tranquille  & 
fort  douce.  Car  il  n'y  a  chofe  fi  fafcheufe  &  répu- 
gnante a  la  vie  humaine,que  de  viure  fous  vn  ciel 
ou  vn  air  contraire ,  ennuyeux  Se  maladif,  com- 
me il  n'eft  chofe  plus  agréable  que  dcioiiir  d'vn 
ciel  &  d'vn  air  qui  foit  fain ,  doux ,  fubtil  &  gra  - 
cieux.  Il  eft  certain  que  nous  ne  participas  point 
d'aucun  des  elemens,ny  n'en  auons  l'vfage  fi  fou- 
uenten  l'intérieur  du  corps,  que  nous  auons  de 
l'air.  C'eft  celuy  qui  enuironne  nos  corps  de 
toutes  parts  s  qui  nous  entre  iufques  dans  les 

ï  iiij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
entrailles ,  &  à  chaque  moment  nous  va  vifitant 
le  cœur,auquel  il  imprime  Tes  proprietez.  Si  l'air 
eft  tant  (bit  peu  corrompu,il  caufe  la  more: f' il  eft 
pur&falubre,  il  augmente  les  forces.   Finable- 
ment  nous  pouuons  dire  que  l'air  feul  eft  toute  la 
vie  des  hommes,  de  force  que  combien  que  Ton 
aye  des  biens  &des  richeiles  ,  il  eft- ce  que  file 
Ciel  eft  fafcheux&mallain,  l'on  ne  peut  viureà 
l'aife,ny  auecdu  contentement.  Mais  ii  l'air  Se  le 
Ciel  eft  falubre,  gracieux&  plaifimt,  encor  que 
Ton  n'ait  d'autres  richeiles,  ne  laille  de  donner 
du  contentement  ôc  du  plaiflr.    Confiderant  à 
part  moy  l'aggreable  température  de  plusieurs 
terres  des  Indes,où  l'on  ne  feait  que  c  eft  de  l'Hy- 
ucr,qui  par  Ton  froid  gelc  &  eftraint,ny  de  l'Efté, 
qui  ennuyé  par  Tes  chaleurs,  mais  auec  vne  natte, 
l'on  fe  guarantit  de  quelque  iniure  du  temps  que 
ce  foit,&  où  il  eft  à  peine  befoin  de  changer  d'ha- 
bit en  toute  l'année:  le  dis  certes  que  confiderant 
cela  plufieurs  fois ,  ie  trouue  &c  me  (emble  encor 
auiourd'huy  que  fi  les  hommes  fe  vouloiet  vain- 
cre eux-mefmes,  Se  fe  deiîier  des  lacs  que  la  cupi- 
dité leur  drefle  ,  fedefiftans  de  plufieurs  inutiles 
&  pernicieux  defleins,fans  doute  qu'ils  pourroiët 
viure  aux  Indes  fort  doucement  &  heureufemêt: 
car  ce  que  les  autres  Poètes  chantent  des  champs 
Eli fées,&  de  la  fameufeTempéjOu  ce  que  Platon 
râeonte,ou  feint  de  Ton  Iile  AtlantiquejCertes  les 
homes  les  trouueroiét  en  ces  terres ,  fi  d'vn  cœur 
généreux  ils  aimoient  mieux  eftre  feigneursde 
leur  argen  t,&  de  leur  couoitifè,  que  d'en  demeu- 
rer efclaues  comme  ils  font.   Ce  que  nous  auons 
traicléiufquesicyfuitîra  touchât  iesqiiaiicçzde 


DES    INDES.    L  IV.    II.  &9 

rÈquinoxc ,  du  froid  ,  chaud ,  fechereiTe,  pluycs, 
&  des  caufes  de  fà  température.  Le  difcourscn 
particulier  des  diuerfitez  des  vents,eaux,des  ter- 
res, des  métaux,  plantes  &  animaux  qui  y  font, 
6c  dont  y  a  aux  Indes  grande  abondance  ,  reftera 
pour  d'autres  liures ,  car  la  difficulté  de  ce  qui  eft 
traitté en  ce(luy-cy,quoy  qu'au bref,leferapara- 
uanturetrouuer  plus  long  qu'il  n'elt. 


AD  VERTISSEMENT 

AV      LECTEVR. 

LElc&eur  doit  eftrcaduerty  que  l'efcri- 
uy  les  deux  liurcs  precedens  en  Latin, 
lors  que  i'eftois  au  Peru,&:pource  parlent 
ils  des  chofes  des  Indes ,  comme  de  chofes 
prefentes.  Depuis  eiîant  venu  en  Efpagne, 
mefcmbla  bon  de  les  traduire  en  langue 
vulgaire ,  Se  ne  voulus  changer  la  façon  de 
parler  qui  y  eltoit  couchée:  mais  aux  cinq 
ïiuresfuiuans  3  parce  que  ie  tes  ay  faits  en 
Europe,  i'ay  cité  contraint  de  changer  la 
façon  de  parler,  &de  traitter  en  iceuxles 
chofes  des  Indes,  comme  terres  &c  chofes 
abfentcs  :  Se  parce  que  celte  diuerfité  de 
parler  pourroit  aucc  raifon  ofîcnferlc  le- 
cteur, il  m'a  femblé  bon  l'aducrtir  de  ceci. 


yù 


LIVRE  TROISIEME 

DE   L'HISTOIRE    NATV- 

REL  L  E     ET     MORALE 

des  Indes. 

Que  tbiftoirc  naturelle  des  Indes  eji 
plaifantc  &  agréable. 

CHAPITRE      PREMIER. 

O  v  t  e  hiftoire  naturelle,  de  foy  eft 
agréable,  8c  mefme  eftvtile,  &  de 
grand  profit  àceux  qui  veulent  elle- 
uer  le  lir  dif  cours,  &  contemplation 
en  haut,cn  ce  qu'elle  les  excite  à  glo- 
rifier l'Autheur  de  toute  la  nature ,  comme  nous 
voyons  que  font  les  iages  &  fàin&s  perfonnages,  vfal.ioh 
principalemet  Dauiden  plufieurs  &diuers  Pfeau-  Mf.9i« 
mes',  où  il  célèbre  l'excellence  des  œuures  de  9t-  l8s- 
Dicu.Et  lob  auiîitraittat  des  fecretsduCreateur, 
où  le  mefme  Seigneur  refpond  à  lob  fiample-  Iob'lZ^ 

i~   ;  •  r      i    •        i>  i  r         39-40.4I. 

ment:  Celuy  qui  le  plairad  entendre  les  vrayes 
œuutes  de  cède  nature  fidiuerfe&  11  abondante, 
aura  vrayemet  le plaifir  &  conten temen t  de  Thi- 
ftoire,&:plus  encor  quand  il  cognoiftra  que  ce  ne 
fqnc  point  /impies  ceuures  des  hommes  â  mais 


HISTOIRE  NATVRELLE 
du  Créateur  mefme ,  &  qu'il  paiïera  plus  outre, 
&  paruiédra  à  côprendre  les  caufes  naturelles  de 
Ces  œuures ,  il  fera  occupé  en  vn  vray  exercice  de 
Philofophie.  Mais  qui  efleucra  plus  haut  fà  con- 
fideratioivcgardant  au  grand  6c  premier  Archi- 
tecte de  toutes  cesmerueilles ,  cognoiftra  lafa- 
pience  ôc  grandeur  infinie  d'iceluy,  pourrons  di- 
re qu'il  traitera  vne  excellente  Théologie^  par 
ainfîlanarratiô  des  chofes  naturelles  peutbeau- 
coup  fèruir  pour  plufieurs  bonnes  confideratios, 
combien  que  la  foiblefTe  &  débilité  de  plufieurs 
appétits  ait  accouftumé  ordinairement  de  farre- 
fter  au  moins  profitable,qui  eft  le  defir  de  fçauoir 
chofes  nouuelles ,  appelle  curiofité.  Le  diicours 
&  hiftoire  des  chofes  naturelles  des  Indes ,  outre 
le  commun  contentement  qu'il  donne,il  en  a  en- 
core vne  autre ,  qui  eft  de  traitter  de  chofes  efloi- 
gnees,laplus-part  defquelles  ont  efte  incogneues 
aux  plus  excellens  autheurs  de  relleprofefuo  qui 
ayent  efté  entre  les  anciens.  Que  fil  ralloit  eferire 
ces  chofes  naturelles  des  Indes  aufîï  amplement 
comme  elles  le  requièrent  bien  ,eftans  chofes  fi 
remarquables ,  ic  ne  doute  pas  qu'on  n'en  peuft 
faire  des  ceuures  qui  ne  fcroiêt  pas  moindres  que 
celles  de  Pline,Theophrafte  &  Ariftote.  Mais  ie 
ne  me  repute  point  a(rezfuffifant,&(encor  que  ie 
lefuire)ceneleroitmon  intention  ,  ne  tendant  à 
autre  fin  que  de  remarquer  quelques  chofes  na- 
turelles que  i'ay  veuës  6c  cogneues  eftant  aux  In- 
des, ou  bien  que  i'ay  entendues  de  perfonnes  di- 
gnes de  foy defquelles  me  femblent  eftre  rares ,  &c 
peu  cogneues  en  l'Europe.  A  raifondequoy  ie 
pafTeray  fuccin&ement  fur  beaucoup  d'icelles, 


DES     INDES.      Ll  V.    III.  J\ 

tint  pource  quelles  font  ja  efcrites  par  d'autres, 
ou  bien  quelles  requièrent  dauantage  d'cfclair- 
cilïement  «Se  de  difeours,  que  ce  que  ic  leur  pour- 
vois donner. 


D  es  yents ,  de  leurs  différences ,  propriété^ 
<dr  caufes  en  gencr*!. 

CHAP.    II. 

£V£3  Y  ant  traitté  aux  deux  liuresprccedcnsce 
UtfÈ  qui  concerne  le  Ciel,&  l'habitation  des  In.' 
des  en  gênerai ,  il  nous  conuient  parler  des  trois 
e!emens3rair,reau  &  la  terre,  Se  de  leurs  compo- 
fez,qui  font  les  métaux,  plantes  8c  animaux  :  car 
pour  le  regard  du  feUjie  ne  voy  chofefpecialeaux 
Indes  qui  ne  foit  es  autres  régions  ,  fi  quelqu'vn 
ne  vouloit  dire  que  lafaçô  de  tirer  du  feu  en  frot- 
tant-deux  battons  l'vn  contre  l'autre,  comme  en 
vfent  quelques  Indiens,  de  cuire  quelque  chofê 
en  des  courges,  yjettantvne  pierre  ardente  ,  Se 
d'autres  cho fes  femblables  fullent  à  remarquer, 
aufîî  en  ay-ie  eferit  ce  que  l'on  en  pouuoit  dire. 
Maisde  ceux  qui -font  aux  Vulcans  ou  bouches 
de  feu  des  Indes ,  dignes  certainement  de  remar- 
que,i'en  diray  à  leur  ordre  en  traittat  deladiuer- 
/ité  des  terres,  efquclles  Ton  trouue  ces  feux  ou 
Vulcans.  Parquoy  pour  commencer  par  les  vêts, 
ie  diray  premieremet  que  c'eft  à  bonne  caufe  que 
Salomon,entre  les  grandes  feiences  que  Dieu  luy 
auoit  données ,  eftime  beaucoup  la  cognoiflance 
delà  force  des  vents  ,  &  de  leurs  proprictez  cer- 
tainement admirables:  pource  quelesvns  font 
pluuieuxy&  les  autres  fecs,Ies  vns  maladifs,&  les 


HISTOIREi  NATVRELLE 
autres  fains,les  vns  çhauds,&  les  autres  froids,les 
vns  doux  Se  gracieux  ,  Se  les  autres  rudes  Se  tem- 
pcftueux,les  vns  Llcriles,&:  les-autres  fertiles,auec 
vne  infinité  d'autres  différences.  Il  y  a  des  vents 
qui  courent  en  certaines  régions ,  Se  (ont  comme 
feigneurs  d'icellcs ,  (ans  fourfrir  l'entrée  ou  corn  - 
munication  de  leurs  contraires.  En  d'autres  par- 
ties ils  fouftlent  de  telle  façon,que  tantoLt  ils  font 
vainqueurs, Se  tan toft  font  vaincus ,  Se  bien  fou- 
uent  il  y  a  des  vents  diuers  Se  contraires ,  lefquels 
courent  enfemble  tout  en  vn  mefme  temps,diui  - 
fans  le  chemin  entr'eux ,  i&  quelquesfois  les  vns 
fou  filent  en  haut  d'vne  façon,  Se  les  autres  par  le 
bas  d'vne  autre,  quelquesfois  le  rencontrent  vie  - 
lem  ment  les  vns  les  au  très, qui  fait  courir  d'e  gra- 
des fortunes  à  ceux  qui  font  lors  fur  mer.  Ilya 
des  vents  qui  aident  à  la  génération  des  animaux, 
&  d'autres  qui  l'empefchent5&;y  (ont  contraires. 
Ilya  vn  certain  vent  de  telle  propriété,  que  quad 
if  (bulïle  en  quelque  connee,  il  y  fait  pîeuuoir 
des  pulccs ,  non  point  par  manière  de  dire ,  mais 
en  h  grande  abondance,  qu'ils  en'  troublent  &: 
obfcurci  lient  l'air ,  &  en  couurcnt  tout  le  riuage 
de  la  mer  ,  &  en  d'autres  endroits  ilfaitpleuuoir 
dcspetitscrapaux. 

Ces  diucrhtez.  Se  d'autres  qui  font  allez  co- 
gneuës,  f'attribuent  communément  au  lieu  par 
où  patient  ces  vents,  pource  qu'ils  difentque  de 
ces  lieux  ils  prennet  leurs  qualicez  d'eftre  froids, 
chauds,  fecs  ,  ou  humides,  maladifs  ou  fains,ôv 
ainfi  de  tout  lerefte,  ce  qui  eft  en  partie  véritable, 
&  ne  le  peut-on  nier  ,  d'autant  qu'en  peu  de  di- 
fiance  l'on  void  en  vn  mefme  vent  beaucoup  de 


D  ES     IN  DES.       Ll  V.    III.  J2. 

diuerfitez.  Pour  exemple,  en  Efpagne  le  Solanus 
ouvenede  Leuanc  eft  communément  chaud  & 
ennuyeux;en  Murcia  c'eft  le  plus  frais  &  plus  fain 
qui  y  foit,pource  qu'il  patle  par  ces  vergers,&  ce- 
lle Ci  large  campagne  qu'on  void  allez  fraifehe. En 
Carthagene  ,  qui  n 'eft  guère  eiloigneedelà  ,  le 
mefme  vent  eft  ennuyeux  &  mal  foin.  Le  Meri- 
dional,que  ceux  de  la  mer  Oceane  appellent  Sud, 
<k  ceux  de  la  mer  Méditerranée  Meziozorne, 
communément  eft  pluuieux  &  molefte  ,  &enla 
mefme  ville  que  ie  dis, eft  fain  &  gracieux.  Pline 
raconte  qu'en  Afrique  il  pleut  du  ventdeNort, 
Se  que  le  vent  deMidyyeft  ierain.  Qui  voudra 
donc  confiderer  de  près  ce  que  Tay  dit  de  ces  vêts, 
il  pourra  bien  comprendre  qu'en  peu  dediftance 
&  efpace  de  terre  ou  de  mer  ,  vn  mefme  vent  a 
plufieurs  &  diuerfes  proprietez,  voire  quelques- 
rois  toutes  contraires.  D'où  l'on  peut  inférer 
qu'il  tire  &  acquiert  fa  propriété  ôc  qualité  du 
lieu  par  où  il  pallè.  Ce  qni  eft  vray  de  telle  façon, 
que  l'on  ne  peut  pas  toutesfois  dire  infaillible- 
mer  que  ce  foit  la  (èule  &c  principale  caufe  des  di- 
uerfitez &proprietez  des  vents.  Car  c'eft  chôfc 
que  l'on  apperçoi  t  Se  recognoift  fort  bien ,  qu'en 
vne  région  qui  contienne  cinquate  lieues  de  cir- 
cuit ,  ie  le  mets  ainfî  pour  exemple,  le  vent  qui 
fouffle  d'vn  cofté  eft  chaud  &  humide  ,  &■  celuy 
qui  (buffle  d'vn  autre,eft  froid  &  fec.  Toutesfois 
cefte  diuerfité  ne  fetrouuc  point  es  lieux  par  où 
il  paire,  qui  me  fait  dire  pluftoft  que  les  vêts  d'eux 
mefmes  apportent  quant  8c  eux  ces  qualitez; 
d'où  vient  que  l'on  leur  approprie  les  noms  de 
ces  qualitez.  Pour  exemple,!  on  attribué  au  yent 


HISTOIRE  NATVRELLE 
de  Septentrion,  autrement  appelle  Oerço  ,  ou 
Nort,  la  propriété  d'eftre  froid  &  fec ,  Ôc  de  con- 
iommer  les  bruines.  A  ion  contraire, qui  eft  le 
vent  de  Mtdy ,  Leuechc  ou  Sud,  eft  aufïï  attribué 
tout  le  contrai re,qui  eft  d'eftre  humide  ôc  chaud, 
Ôc  d'engendrer  des  brouillats,  Cecy  donceftant 
gênerai  &  communion  doit  rechercher  vne  au- 
tre caufe  vniuerfelle,  pour  donner  raifon  de  ces 
effedls,&  ne  fiiffit  pas  dédire  que  les  lieux  par  où 
ils  paiïent  leur  donner  ces  proprietez  qu'ils  ont, 
puis  que  paiïàns  par  de  mefmes  lieux  ,  onvoid 
qu'ils  ontaperterr.ee  effecls  tous  contraires.  Tel- 
lement que  nous  deuons  confelTer  par  force,  que 
la  région  du  Ciel  où  ils  Tournent ,  leur  donne  ces 
proprietez  &  qnalitez.  Comme  le  Septentrional 
defoy  eft  froid,  pource qu'il  procède  duNort, 
qui  eft  la  région  plus  efloignee  du  Soleil.  Le  Sud 
qui  (buffle  du  Midy  eft  chaud ,  ôc  pource  que  la 
chaleur  de  foy  attire  les  vapeurs,il  eft  aulli  humi- 
de,&  pluuieux:au  côtrairc  le  N  or  t  eft  fec  Ôc  fub- 
til,d'autant  qu'il  ne  lailFe  efpaifïïr  les  vapeurs  ,&: 
de  cefte  façon  l'on  peut  difeourir  des  autres  vêts, 
leur  attribuans  les  proprietez  des  régions  de  l'air 
«Toùilsfoufflent.  Mais  confiderant  cela  de  plus 
pres,cefte  raifon  encorne  me  peut  fatisfairc.Par- 
quoy  ie  veux  demandcr,quc  fait  la  région  de  l'air 
par  où  paiïent  ces  vents ,  il  elle  ne  leur  attribue 
point  fa  qualité.  Ielc  dy ,  pour- autant  qu'en  Al- 
lemagne le  Méridional  eft  chaud  ôc  pluuicux ,  6c 
en  Afrique  le  Nort  eft  froid  &fec.  Neantmoins 
il  eft  tres-cerrain  que  de  quelconque  région  d'Al- 
lemagne où  l'engendre  le  Sud.doit  eftre  plus  froi- 
de qu  aucune  d'Afrique  où  f  engendre  le  Mort. 

Que 


DES     INDES.       LIT.    I  II.  73 

Que  fil  eft  ainil  doncques,pour  quelle  raifon  eft- 
ce  que  le  Nort  eft  plus  froid  en  Aftique,que  n'eu: 
le  Sud  en  Allemagne,  veu  qu'il  procède  d'vne  ré- 
gion pluschaudejL'on  me  pourra  refpondre  que 
c'eft  à  eau  le  qu'il  fouftle  du  Nort  qui  eft  froid, 
mais  cela  n'eft  pas  chofe  furHfante  ny  véritable: 
car  f'il  eftoit  ainfi,lors  que  le  Septentrional  fouf- 
fle  en  Afrique  ,  il  deuroit  aufïï  courir  Se  conti- 
nuer fonmouuement  en  toute  la  région  iufques 
au  Nort  :  ce  qui  n'eft  pas  toutesfois,  carenvn 
mclme  téps  il  court  des  vents  de  N  ort  fort  froids 
es  terres  qui  font  en  moins  de  degrez,&  des  vents 
d'embas,  qui  font  fort  chauds  es  terres  fîtueesen 
plus  de  degrcZjCe  qui  eft  tout  certain,couûumicr 
&  notoire. D'où  Ton  peut,à  mon  iugemenr,infc- 
rer  que  ce  n'eft  pas  raifon  pertinente  de  dire ,  que 
les  lieux  par  où  patient  les  vents  leur  donnent  ces 
qualitcz,ny  mcfmc  qu'ils  fontdiuerfîfiez,pource 
qu'ils  foufflent  de  diùerfes  régions  de  l'air ,  encor 
que  l'vn  &  l'autre  en  foit  quelque  raifon,comme 
i'ay  dit. Mars  il  eft  befoin  de  l'enquérir  plus  auanc 
pour  fçauoir  quelle  eft  la  vraye  ôc  originelle  cau- 
fe  de  ces  différences  fi  eftranges  qu'on  void  entre 
les  vcnrs.Ie  n'en  peux  imaginer  à"autre,iînon  que 
la  mefmc  eau fc  efficiente  qui  produit  &  faitnai- 
ftre  les  vents  ,  leur  donne  &  imprime  quant  & 
quant  ceftepremiere&:  originelle  propriété. Car 
àla  vérité,  la  matière  de  laquelle  les  vents  font 
formez  (  qui  n'eft  autre  choie  félon  Ariftote,  que 
l'exhalation  des  éléments  intérieurs  )  peut  bien 
caufer  en  erfed  vnc  grande  partie  de  cette  diuer- 
fîté,pour  eftre  plus  grotte,  plus  fubrilc,plus  feche 
ou  plus  humide.    Mais  ce  n'eft  pas  pourtant  vne 

K 


HISTOIRE     NATVRELLE 
raifon  pertinente,  veu  que  nous  voyons  en  vne 
mefme  région  où  les  vapeurs  Se  exhalations  font 
d'vne  mefme  forte  &  qualité  qu'il  l'y  cfleuedes 
vents  Se  erTects  tous  contraires.  Parquoy  Ton  en 
doit  référer  la  caufe  à  l'efficient  fupeneur  &  ccle- 
{le,quidoiteftrele  Soleil,  Se  au  mouucment  Se 
influence  des  cieux  ,  lefquels  par  leurs  mouue- 
mcntscoiuraires donnent  &caufcnt  dediuerfes 
influences.  Mais  les  principes  de  ces  mouuemens 
&  influences  font  fi  obfcurs  «Se  cachez  aux  hom- 
mcs,&  d'ailleurs  Ci  puiilans  Se  de  fi  grande  effica- 
ce, quelefàind  Prophète  Dauid en  efprit pro- 
phétique, Se  le  Prophète  Hieremie  celebrans  les 
Tfal.itf.c  grandeurs  du  Seigneur,  en  parlent  ainli ,  Quipro 
Hier.  io.  JCYfventos dethefiHYis fuis ,  qui  tire  les  vents  de  fes 
threfors.  A  la  vérité  ces  principes  Se  commence- 
mens  font  des  threfors  bien  riches  Se  bien  ca- 
chez :  car  l'Autheur  de  toutes  chofes  les  tient  en 
fa  main  &:enfapuiliance,  quand  il  luy  plaid  les 
tire  Se  les  met  dehors  pour  le  bië  ou  pour  le  ch;i- 
ftiement  des  hommes ,  Se  enuoye  tel  vent  qu'il 
vcut,nonpasenlafaçondecet  Eolus,  lequel  les 
Poètes  ontfollement  feint  auoirlachargede  te- 
nir les  vents  arreftez  &  enfermez  dansvn  antre, 
tout  ainfi  que  des  beftes  fàuuages.Nous  ne  voyos 
point  le  commencement  de  ces  vents,  &  nefea- 
uons  non  plus  combien  ilsdoiuent  durer,  d'où 
ils  procedent,ny  iufques  où  ils  doiuct  aller.  Mais 
nous  voyons  &cognoitfons  fore  bien  les  diuers 
erïecT:s&  opérations  qu'ils  font,  ainfï  que  la  fu- 
premeverité,  autheur  de  toutes  chofes  nous  la 
apprins,diiant:S/w7>#j-  vbi  vultfpirat:&  yocem  eius 
imisfâ nefàsyndcyenit uaî qtà  y  «dit*  L'efprit  ou 


D  ES    1  NDES.       L1V,    Ilî.  74 

vent  (buffle  où  bon  luyfemble,  5c  bic  que  tu  fen- 
te (on  (oufflement,  tù  ne  fçais  pas  toutesfois  d'où 
il  procède,  ny  iulques  où  îldoitarritver:  afin  de 
nous  enfeigner,  que  comprenans  fi  peu  es  chofes 
qui  nous  font  prefentes  Se  communes ,  nous  ne 
deuonspaspnefumerd'entendr»ccquieft  Ci  haut 
&  fi  caché ,  que  les  caufes  Se  motifs  du  S.  Efprit. 
C'eft  pourquoy  il  lu  Ait  que  nous  cognoiflîôsfcs 
opérations  &  efr"e&s,lefquets  nous  font  furhfàm- 
nicnt  defcouuerts  en  iagran  deur  6c  perfeeti on,&r 
d'auoir  en  gênerai  philofophé ce  pendes  vents  & 
des  caufes  de  leurs  differences,proprietez  Se  opé- 
rations que  nous  auôs  réduites  en  trois,  qui  font 
le  lieu  par  où  ils  paffent,  les  regiôsoù  ils  ioufîl6ts 
Se  la  vertu  cekfte,principe  Se  motif  des  vents. 

D'auc  unes  propriété*  de  yen  ts  qui  courent 
41*  nouHe>u'.  monde, 

C   H   A  P.    III. 

g 'Est  vnc  queftion  fort  difputee  par  Arifto-  Jfrft.±. 
te,  fçauoir  Ci  lèvent  Auftcr,  que  nous  appel-  *ftt.€.$. 
tons  Abreguo  ou  Sud ,  (buffle  depuis  le  Pôle  An- 
tarcHque,ou  bien  tant  feulement  depuis  l'Equi- 
noxe&  Midy  ,  qui  eu;  proprement  demander  Ci 
par  delà  l'Equinoxe  il  a  &  retient  auffilamcfme 
qualité  de  chaud  Se  pluuicux  que  nous  voyons 
icy.  C'eft  vn  poinct  fur  lequel  on  peut,  non  fans 
raiion,  entrer  en  doute.  Car  bien  qu'il  paife  l'E- 
quinoxe, il  ne  laifTe  pa"s  toutesfois  d'eftre  vent 
d'AufterouSud,puis  qu'il  vient  du  mefmecoftc 
du  monde,  commelc  vent  dcNort  qui  court  du 
eoîté  contraire,  ne  laifle  pas  aufli  d'eftre Nort, 


HISTOIRE    NATVRELLE 
encor  qu'il  pa{fc  outre  laTorride  &  ligne  Eqiti- 
noxiale.    Et  fcmble  bien  par  cela  que  ces  deux 
vents  doiuent  retenir  leurs  premières  proprie- 
tez;l'vn  d'eftre  chaud  &  humide,  &  l'autre  troid 
ôc  (ec,l:Aufter  de  caufer  les  bruines  &  des  pluyes 
&  le  Boree  ou  Nort  de  les  confommer,  ôc  de  ren- 
dre le  Ciel  ferain  Ôc  tranquille.   Toutesfois  Ari- 
ftote  l'encline  à  la  contraire  opinion,  pour-au- 
tant  qu'en  Europe  le  Nort  eft  froid  ,  pourec  qu'il 
vient  du  Pôle,  région  extrêmement  froide,  &  le 
Sud  au  contraire  eft  chaud  ,  pource  qu'il  vient  du 
Midi,qui  eft  aufîi  la  région  que  le  feleil  efchauffe 
dauantage.  Par  cefte  raifon  donc  il  faudroit  croi- 
re que  l'Auftcr  feroit  froid  à  ccuxquihabitenc 
l'autre  partie  de  la  ligne^que  le  Nort  leur  feroit 
chaud:  carences  parties  l'Aufter  vient  du  Pôle, 
&  le  Nort  vient  du  Midy.  Et  combien  qu'il  fem- 
ble  par  cefte  raifon  que  l'Aufter  ou  Sud  doiuc 
eftre  plus  froid  par  delà  que  n'eftpas  le  Nort  par 
deçà ,  attendu  que  Ton  tient  la  région  du  pôle  du 
Sud  plus  froide  que  celle  du  pôle  du  N  or  t ,  à  eau- 
fe  que  le  foleil  demeure  fept  iours  dauantage  par 
an  au  Tropique  de  Cancer,  qu'il  ne  fait  pas  au 
Tropique  de  Capricorne,  comme  il  appert  par 
lesEquinoxes  ôc  folftices  qu'il  fait  es  deux  cer- 
cles. En  quoy  il  fembleque  la  nature  ait  voulu 
monftrcr  la  prééminence  ôc  excellence  que  cefte 
moi&ié  du  monde  qui  eft  au  Nort  a  fur  l'autre 
moidiéquicftauSudj  d'où  il  femble  qu'il  y  ait 
raifon  de  croire  que  ces  qualitez  des  vents  fe  cha- 
gent  en  paflTant  la  ligne  :  mais  à  la  vérité  il  n'en  eft 
pas  ainûjà  ce  que  i'.ay  peu  comprendre  par  l'expé- 
rience de  quelques  années;  que  i'ay  elle  en  ces  par- 


DES    INDES.    L  IV.    Il  I.  75 

tics  des  Indes ,  qui  gifent  au  Sud  del'autre  cofte 
de  {aligne.  Il  eftbien'vray  que  le  vent  duNort 
n'eft  pas  fi  communément  froid  Se  ierein  parde- 
làjcomme  il  eft  icy .  En  quelques  endroits  du  Pe- 
ru,comme  en  Lyma,&  aux  plaines,  ils  experimé- 
tent  que  le  N  ort  leur  eft  maladif  &  ennuyeux ,  Se 
par  toute  oefte  cofte ,  qui  dure  plus  de  cinq  cents 
lieues, ils  tiennent  le  Sud  pour  vn  ventfain  Se 
frais  ,&  qui  plus  eft  tres-ferain  &  gracieux  •  mef- 
mes  que  iamais  il  n'en  pleut,tout  au  contraire  de 
ce  que  nous  voyons  en  Europe ,  Se  en  cefte  partie 
de  la  ligne.Toutcsfois  ce  qui  eft  en  la  cofte  du  Pe- 
ru,n'eftpas  vne  règle  générale,  maispluftoft  vue 
exception,&  vne  mecueille  de  nature,de  ne  pleu- 
uoir  iamais  en  cefte  cofte- là,&  qu'ii  y  règne  touf- 
iours  vn  mefme  vent,  fans  donner  lieu  à  lbn  con- 
traire,dequoy  nous  dirons  après  ce  qu'il  nous  en 
femblera.  Maintenant  demeurons  àcepoinct, 
que  le  Nort  n'a  point  de  l'autre  coftédclaligne 
les  proprietez  que  l'Aufter  a  par  deçà ,  encor  que 
tous  deux  foufflent  du  Midy  à  des  régions  Se  par- 
ties du  monde  oppofites&:  contraires.  Car  ce 
n'eft  pas  rcigle  générale  par  delà,  que  le  Nort  foit 
chaud  ny  pluuieux,commc  l'Aufter  l'eft  par  deçà: 
au  contraire  il  pleut  làauiïi  bien  lorsque  noftre 
Auftery  regne,commei'on  void  en  toute  la  Sier- 
re  ou  montagne  du  Peru,  en  Chillé,  Se  en  la  terre 
de  Gongo,  qui  eft  de  l'autre  cofté  de  la  ligne  ,  & 
bien  aduancee  en  la  mer.  Et  en  Potozi  mefme,  le 
vent  qu'ils  appellent  Tomahani,  (qui  eft  noftre 
Nort,  fi  i'ay  Sonne  mémoire)  eft  extrêmement 
froid)fce,&:  mal  plaifânt ,  comme  il  nous  tft  par- 
decà.  Il  eft  vray  que  ce  n'eft  pas  chofe  couftumie- 

K  iij 


I 


HISTOIRE  NATVRELLE 
re  par  delà,  que  ceNorc  difîïpe  les  nuages  com- 
me icy:  au  contraire  (fiie  ne  me  trompe)  il  caufe 
fouuentcsfois  de  la  pluye.Et  n'y  apoint  de  doute 
que  les  vents  ne  tirent  Se  n'emprumtent  cefte 
grande  diuerfité  d'effects  contraires  des  lieux  p.nr 
où  ils pailcnt,  cardes  prochaines  régions  d'où  ils 
naifFent,  comme  chaque  iour  l'on  expérimente 
en  mil  endroits.  Mais  parlant  en  gênerai  delà 
qualité  des  vents,  Ton  doit  pluftoft  regarder  aux 
codes  &  parties  du  monde,  d'où  ils  naiilent  c\r 
procèdent ,  que  non  point  pour  eftre  du  cofté  de 
deçà  la  ligne,  ou  autrement ,  comme  il  me  fem- 
ble  que  le  Philofophc  en  a  eu  opinion.  Ces  vents 
capitaux ,  qui  font  le  Leuant  &  le  Ponant,  n'ont 
point  de  qualitez  Ci  vmuer (elles ,  ne  fi  communes 
en  ce  continent,  nyen  l'autre  comme  les  deux 
fufdits.  Le  Solanus  ou  Leuant  efticy  ordinaire  • 
ment  ennuyeux  Se  mal  fain  ,  Se  le  Ponant  ou  Zé- 
phyr? eft  plus  doux  &•  plus  fain.  Aux  Indes. 'y'  ci: 
toutelaTonide  ,  lèvent  d'Orient  qu'ilsappeU 
lent  brife ,  eft  au  contraire  d'icy  fort  tain  Se  déli- 
cieux. Du  Ponant  ie  n'eu  pourray  dire  chofecer- 
taineny  générale,  d'autant  qu'il  ne  fôuffiepoint 
du  tout,  ou  bien  fort  rarement  en  JaTorride,car 
en  tout  ce  que  l'on  nauige  entre  ces  deuxTropi- 
ques,le  vent  de  la  brife  y  eft  ordiuaire,mais  pour- 
ce  que  c'eftvne  des  merueilleufcs  œuures  déna- 
ture ,  il  fera  bon.  d'enentendte  la  caufe  &  l'ori- 
gine. 


DES     INDES.       Ll  V.    I  I  I. 


76 


Que les  brij es  courent  ton/tours  en  la  Torride,  &  hors 

d'iccUe  les  yents  d'abas  c-r  les  brifesy 

font  toufiours  ordinaires. 

c  h  A  p.   un. 

fà-ftj  E  chemin  delamern'eftpas  comme  celuy 
Ç&Si  de  la  terre,  pour  retourner  par  où  l'on  apaf- 
ié,ilyavn  mefmechemin,ditle  Philo(ophe,d'A- 
thenes  à  Thebes,que  de  Thebes  à  Athènes ,  mais 
iln'eftpasainfienlamer  ,  pourcequel'onvapar  luan  j 
vn  chemin, &  retourne- on  par  vu  autre.  Les  pre-  Gacos  m 
miersqui  defcouurirentles  Indes  Occidentales,  decada.i 
voire  Orientales,  trauaillerent  beaucoup,  Se  eu-  ^-4-<"-6- 
rent  de  grandes  difhcultez  à  trouuer  la  route,iu£*. 
ques  à  ce  que  l'expérience  maiftrelle  de  ces  le- 
crets,leurenft  en  feigne,  que  de  nauiger  par  l'O- 
céan, n'eft  pas  choie  femblable ,  que  de  palier  en 
Italie  par  la  mer  Méditerranée  ,  où  l'on  vareco- 
gnoiiïànt  au  retour  les  meimes  ports  ôc  caps 
qu'onaveusàraller,&:nefait  on  toufiours qu'at- 
tendre la  faueur  du  vent ,  qui  T'y  change  en  vn  in- 
ftant,&  encor  quand  il  leur  deraut,ils  ont  recours 
&  Te  feruent  fort  bien  de  la  rame,  &c  ainfi  vontSc 
viennent  les  galères  toufiours  en  coftoyant  la 
terre.  En  certains  endroits  de  la  mer  Oceane 
l'on  ne  doit  efperer  autre  vent  ,  que  celuy  qui 
court  ,  parce  que  ordinairement  il  y  dure  long 
temps  :  en  lin  celuy  qui  eft  bon  pour  aller,  ne  l'eft 
pas  pour  retourner  :  car  en  la  mer  outre  le  Tropi- 
que^ dedas  la  Torride,  les  vents  de  Leuanty  ré- 
gnent toufiours,  foufflant  continuellement,  (ans 
permettre  leurs  contraires  a  en  laquelle  région 

K  iiij 


HISTOIKE  NATVRULE 
y  a  cîeux  chofes  merucilleufes ,  l' vnc  qu'en  icelle, 
(qui  eft  laplus  grande  des  cinq ,  en  quoy  ils  diui- 
fent  le  monde)  régnent  les  vents  d'Orient  qu'ils 
appellent  Brifes,  fans  que  ceux  du  Ponant  &  Mi- 
dy  ,  qu'ils  appellent  vents  d'abas,  ayentlieu  de 
courir  en  aucune  (aifon  de  l'année.  L'autre  mer- 
ueille  eft  que  ces  brifes  ne  celïènt  iamais  de  fouf- 
fler,  ôc  le  plus  communément  es  lieux  qui  font 
plus  proches  de  la  ligne,  efquclsil  femble  que 
les  calmes  deuflent  eftreplusordinaires,d'autat 
que  c'eft  la  partie  du  monde  plus  fubictteà  l'ar- 
deur du  Solcil.Mais  c'eft  au  contraire,car  à  peine 
l'on  y  voit  des  calmes,&  fi  la  brifey  eft  beaucoup 
plus  froide,  &ydurepliis  long  temps:  ce  qui  a 
efterecogneuen  toutes  les  nauigations  des  In- 
des. Ceft  donc  là  l'occafion  pourquoy  la  nauiga- 
tion  que  l'on  fait  allant  d'Efpagnc  aux  Indes  Oc- 
cidentales ,  eft  plus  briefue  &  plus  facile,  voire 
plusafleurée  que  celle  que  l'on  faitau  retour  d'i- 
cellcsen  Efpagne.  Les  flottes  fortansdeSeuillc 
ont  le  plus  de  peine  &  de  difficulté  à  pafler&ar- 
riuer  iufquesaux  Canaries,  d'autant  que  ce  Gol- 
phe des  YegueSjOii  des  juments,eft  variable,  eftat 
batu  de plufieurs  Se  diuers  vents, mais  ayant  pa(ïc 
les  Canaries ,  elles  vont  baillàns  iufques  à  entrer 
en  la  Torride,ou ils  trouuent  incontinent  la  bri- 
iè,&  y  nauigent  vent  en  poupc,de  telle  forte,qu'à 
peine  eft  befoin  en  tout  le  voyage  de  toucher 
aux  voiles.  Pour  cefte  raifon  ils  appellerent  ce 
grand  Golphe,leGolphedes  Dames,pourfadou- 
ceur  &  lerenitc.  En  après  fuiuant  leur  route  elles 
arriuent  iufques  aux  Ifles  de  la  Dominique,Gua- 
delupe,  Dcuree,  Marigualante3&  les  autres,  qui 


DES     INDES.       1 IV.    III.  yj 

font  en  cet  endroit  comme  les  faux- bourgs  des 
Indes.  Là  les  flottes  fefcparent,&fediuifent,dot 
les  vus  (qui  vont  en  laneufue  Efpagne  )  tirent  à 
main  droite  pour  recognoiftrel'Efpagnolle,  & 
ayansrecognculc  Canfaind  Antoine,  donnent 
iufquesàfàinctlean  Dehu,leurferuanttoufiours 
la  mefme  brize.    Celles  de  terre  ferme  prennent 
la  main  gauche  ,  ôc  vont  recognoiftre  la  haute 
montagne  de  Tayrone  ,  puis  ayant  couché  en 
Carthagene,pa(fent  outre  a  Nobrededyos  ,d'où 
par  terre  l'on  va  à  Panama,  &  de  là  par  la  mer  du 
SudatiPeru.  Mais  lors  que  les  flottes  retournent 
en  Efpagne,  elles  font  leur  voyage  en  cède  façon. 
La  flotte  du  Peru  va  recognoiftre  le  Cap  fatncT: 
Antoine,  puis  entre  en  la  Hauane,  quieftvn  fort 
beau  port ,  de  l'ifle  de  Cube ,  &  celle  de  la  neufue 
Efpagne  vient  mefme  toucher  en  la  Hauane, 
eft£t  fortie  de  la  vray  e  Croix,ou  de  l'ifle  de  fainét 
Ican  Delua  :  toutesfois  ce  n'eft  fans  trauail,pour- 
ce  que  là  ordinairement  ventent  les  brifes,qui  eft 
vnvent  contraire  pour  aller  à  ce  port  de  la  Ha- 
uane.   Ces  flottes  eftans  iointes  pour  retourner 
en  Efpagne,  vont  chercher  leur  hauteur  hors  des 
Tropiques ,  où  incontinent  ils  trouucnt  des  vets 
dabas-,  qui  leur  feruent  iufques  à  la  veuë  des  Ifles 
des  Açores  ou  Tyerccres,  ôc  de  là  à  Seuille.  De 
forte  qu'ils  font  le  voyage  de  l'aller  en  peu  de 
hauteur ,  ne  f'efloignans  point  de  la  ligne  de  pins 
de  vingt  degrez,  qui  eft  ja  dans  les  Tropiques. 
Mais  le  retour  fe  fait  par  le  dehors  d'iccux  Tropi- 
ques en  vingt-huict  ou  trente  degrez  de  hauteur 
pour  le  moins,ce  qu'ils  font  pour  la  raifon  fufdi- 
te,  d'autant  que  dans  les  deux  Tropiques  conti- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
nuellementregnent  des  vents  d'Orient, lefqucls 
font  propres  pour  aller  d'Efpagne  aux  Indes  Oc- 
cidentales, pource  que  la  roijteeft  d'Orient  au 
Ponant,  &  hors  les  Tropiques  j,  qui  eft  en  vingt- 
trois  degrez  de  hauteur,ron  trouue  des  vents  d'a- 
bas ,  iefquels  font  plus  certains  Se  ordinaires  plus 
l'on  l'cflongne  de  la  ligne,  qui  (ont  propres  pour 
retourner  des  Indes  ,  d'autant  que  ce  Ton:  vents 
de  Midy  &  de  Ponant ,  qui  feruent  pour  courir  à 
l'Orient  &  au  Nort.  Lemefme  difeourseftaux 
nauigations  que  l'on  faitenla  merdu  Sud  allant 
de  la  neufue  Efpagne  &z  du  Peru,aux  Philippines, 
ou  à  la  Chine,  ôc  retournant  des  Philippines  ou 
Chine,à  la  neufue  Efpagne.car  cela  leur  eft  facile, 
pource  qu'ils  nauigenttoufiours  d'Orientau  Po- 
nant,prochedelaligne  ,  où  ils  trouaient  conti- 
nuellemctleventdcbrifequi  leur  donne  en  pou- 
pe. En  l'an  quatre  vingts  quatre,  fortitdeCallao 
enLyma,vn  nauire  pour  aller  aux  Philippines, 
lequel  courut  &nanigea  deux  nul  feptcet<  lieue.1; 
fansvoir  terre,  &  la  première  qu'il  defcouiritfut 
l'ifle  de  Lullbn ,  où  il  alloit  &  y  pr int  port ,  ayan  t 
fait  Ton  voyage  en  deux  mois,  fans  auoir  eu  aucu 
ncfaUtedc  vent ,  ny  foufFert  aucune  toumente, 
&c  fut  fa.  route  prefque  toufiours  fous  la  ligue: 
pource  que  de  Lyma  qui.  eft  à  douze  devrez  au 
Sud  il  vint  arriuer  à  Menilla ,  qui  eft  quaf:  autres 
tant  au  Nort.Le  mefme  licur  accompagiu  Alua- 
ro  de  Mandana ,  quand  il  fut  à  la  dcfcouuerte  des 
IflesappelléesdeSalomon,pourcequ'ileittouC 
iours  lèvent  en  poupe,  iufquesàla  veuëde  ces 
I fl es ;lefqu elles  doiuent  eftre  diftantes  dulicu  du 
Peru  doùiîs  forcirent  comme  mil  lieues,  ayan: 


DES    IND  ES.    LI  V.    III.  7& 

fait  fa  route  toujours  en  vne  mefme  hauteur  au 
Sud.  Le  retour  eft  comme  le  voyage  des  Indes  en 
£fp.igne,car  ceux  qui  retournent  des  Philippines 
ou  Chine  à  Mexique, afin  de  trouner  les  vêts  d'a- 
bas, montent  à  beaucoup  de  hauteur  ,iufques  à  fe 
mettre  au  droit  des  ifles  de  Iappon,&venant  à  re- 
cognoiftre les  Calliphornes, retournent  par  la  co- 
de de*laneufue  E(pagne,aupôrtd'Acapn!co,doù 
ilseftoient  partis.  De  forte  qu'il  eft  mefme  prou- 
uc  par  celle  nauigation  ,  que  d'Orient  au  Ponant 
l'on  nauige  fort  bien  dan  s  les  Tropiques, d'autant 
qu'ily  régnent  des  vents  Orientaux:mais  retour- 
nans  du  Ponant  en  Orient,  l'on  doit  chercher  les 
vents  dàbas  ou  du  Ponant  hors  des  Tropiques 
en  hautcur3de  vingt-fept  devrez.    Les  Portugais 
expérimentent  le  mefme  en  la nauigation  qu'ils 
font  à  l'Inde  d'Orient,bien  qu'au  rebours,pour- 
CC  qu'allât  de  Portugal,  le  voyage  eft  ennuyeux  8c 
de  trauaiLmais  le  retour  eft  plus  aifé ,  d'autat  qu'a 
l'aller  leur  route  eftdu  Ponant  à  l'Orient,  telle- 
ment qu'il  leur  conuict  monter  iniques  à  ce  qu'ils 
ayent  tronué  les  vents  gencraux,qu'ils  difent,  qui 
font  au  deiïus  de  vingt- fept  degré*.  Et  au  retour 
ils  recognoiflèntles  Tycrcieres ,  mais  c'eft  plus 
aiiémen t,pource  qu'ils  viennent  d'Oriet,en  quoi 
les  bnfeSjOuNortSjleurferuent.  Fitwlementles 
mariniers  tiennent  ja  pour  règle  &:  obferuation 
certaine,quedas  lesTropiquesregnet continuel- 
lement les  vents  de  Leuant,parquoyily  eft  tres- 
fxciledcnauigerauPonat.MaishorsiceuxTropi- 
ques,ily  a  en  quelques  faifons  desbrifes,  en  d'au- 
tres &  plus  ordinairemét  des  vêts  d'abas:  à  raifon 
dequoy  ceux  qui  rmuigent  du  Ponant  en  Orient 


HISTOIRE     NATVRELLI 

procurée  toufioursfortirdclaTorride,&  fc  met- 
tre en  hauteur  de  vingt- fept  degrez,  &  pour  cefte 
raifon  les  hommes  le  font  ja  hazardez  d'entre- 
prendre des  nauigations  cftranges,&  à  des  parties 
efloignees  &  incogneu'és. 

-.»    ■  "  T 

DcUdifferencedes  brifes  &  vent  d'àbaSy 
cnfcmble  des  autres  vents. 

CHAP.     V. 

:  I  en  que  ce  qui  a  elle  dit  cy-deifus  Toit  vne 
__!  choie fiapprouuee,&iivniuer(elle,  neant- 
moins  ilmerefte  toufioursvn  defird'enqucrirla 
caufe  de  ce  fecret ,  pourquoy  en  la  Torride  l'on 
nauige  toujours  d'Orient  en  Occident  auec  tel- 
le facilite,  &  non  pas  au  contraire  d'Occident  en 
Orient.  Quieftle  mefme,  que  fî  l'on  demandoit 
pourquoy  les  brifes  régnent  là,  ôc  non  les  vents 
d  abas,puis  que  félon  bonne  Philcfcphie ,  ce  qui 
cftperpetuel,vniuerfel&deparfoy  (comme  di- 
fentlcsPhilofophes)  doit  auoirvne  caufe  propre 
&  de  par  foy.  O  r  auant  que  de  m'arrefter  à  cefte 
queftion  qui  me  femble  remarquable  ,  il  fera  be- 
foing  de  déclarer  ce  que  nous  entendons  parles 
brifes  &  vêts  d*abas,à  caufe  que  cela  feruira  beau- 
coup pour  ce  fubied  ,  &  pour  plusieurs  autres 
chofes&  matières  des  vents  &:  nauigations.  Les 
pilotes  mettent  trente  deux  différences  de  vents, 
pource  que  pour  conduire  leur  prou'é  au  port  de- 
fîré,ilsont  de  befoin  faire  leur  conte  fort  pun- 
duallement  Se  le  plus  dftin&cment  &  au  menu 
qu'ils  peuuent ,  veu  que  pour  peu  qu'ils  tirafTent 
en  vn  codé  ou  à  l'autre ,  en  fin  de  leur  chemin ,  fe 


DES     INDES.       L IV.    III.  79 

trouueroient  beaucoup  efloignez  d'où  ils  penfe- 
roient  aller:  Ôc  ne  content  plus  de  trente-deur 
vents,  d'autant  que  ces  diuifionsfuffifent  *  &né 
pourroit-on  auoir  la  mémoire  pour  en  retenir 
dauantage.  Mais  à  la  rigueur  comme  ils  mettent 
trente-deux  vents,  l'on  en  pourroit  conter 64. 
iiS.&zjô.  finalement  aller  multipliant  ces  par- 
ties iufques  à  l'infiny.  Carie  lieu  où  fe  trouuc  le 
nauire  eftant  comme  le  centre,&  tout  hemifphe- 
reen  circonférence  ,qui  eft.ee  qui  empefchc  que 
l'on  nepuiire  conter  des  lignes  fans  nombre ,  lef- 
quelles  fortans  de  ce  trente ,  tirent  droit  à  ce  cer- 
cle lineai  en  tout  autant  de  parties,  qui  feront  au- 
tant de  vents  diuers,  puis  qu'ainfî  clique  le  vent 
qui  vient  de  toutes  les  parties  de  l'hemifphere,  & 
qu'on  le  peut  diuifer  en  autac  de  parties  que  nous 
voudrons  imaginer?  Toucesfois  lafagefle  des  ho- 
mes fe  conformant  à  la  fainéte  Efcriture ,  remar- 
que quatre  vents,qui  font  les  principaux  de  tous, 
&  comme  quatre  coings  de  l'Vniuers,  que  Ton 
ferme,  en  faifànt  vne  croix  auec  deux  lignes,  donc 
l'vnc  va  d'vn  Pôle  à  l'autre, &  l'autre  d'vn  equino- 
xe  à  l'autre,  &c  font  d'vn  cofté  le  N  ort,ou  Aquilo, 
Se  l'Auftcr  ou  vent  de  Midy,fon  contraire  :  &  de 
l'autre  cofté  l'Orient,qui  procède  d'où  fort  le  So- 
leil, &  le  Ponant  d'où  il  fc  couche.  Et  combien 
que  1* Efcriture  fain&c  parle  en  quelques  endroits 
d  autres  diuerfîtez  de  vents  ,  comme  de  l'Eurus, 
&  Aquilon,quc  ceux  de  la  mer  Oceane  appellent 
Nort-d'cft ,  &  ceux  de  la  mer  Méditerranée  Grc- 
gual ,  duquel  il  eft  fait  mention  en  la  nauigation 
defainct  Paul  s  fieft-ecque  la  mefmc  Efcriture 
iûin&c  rapporte  ces  quatre  cUiFcrenccs  remarqua^ 


HISTOIRE  NATVRELLE 
bles,quetoutlemondecoguoift,  qui  fonr,corrt- 
me  il  eft  dit,Scpcentnon,  Midy, Orient  &:  Ponâc. 
Mais  d'autant  que  l'on  trouue  trois différences 
aulcuer,c\.  naitlancedu  Soleil{doù  vient  le  nom 
d'Orient)  àfçauoir  les  deux  plus  grandes  dech- 
nailonsqu'iîaaccoullumé  défaire,  &  le  milieu 
d'icelles ,  ielon  qu'il  naift  en  diuers  lieux  en  Hy- 
ucr,  l'Eric  $C  en  celle  qui  tict  le  milieu  de  ces  deux 
iaiibns.  Pour  celle  raifon  l'on  conte  deux  autres 
vents  qui  font  l'Oient  d'Efté,&  l'Oriët  del/Hy- 
uer,&  par  confequent  deux  autres  Ponants  d  Hy- 
uer  cv  d'Eftê,  contraires  aux  deilufdits.  De  forts 
qu'il  y  ahuictvents,en  hui&poincls  notables  du 
ciel ,  qui  (ont  les  deux  pôles,  les  deux  equinoxes, 
les  deux  iolilices  ,  &  leurs  oppofites  aumefme 
cercle,  leiquels font appellezdediuers noms  8c 
appellations  en  chacun  lieu  de  la  mer  &  de  la  ter- 
re. Ceux  qui  nauigent  l'Océan  ont  accoullumc 
les  appcîler  ainfï.  ils  donnent  lenomdeNorc 
aux  vents  ioufrlans  de noftre  pôle ,  qui  retient  le 
meimenomdeNort,  &deNortdeft:  ccluyqui 
luy  eft  prochain,^  qui  vient  de  l'Oriéceftiual,  ils 
l'appellent  Eibceluy  qui  fort  du  vray  Oriét  equi- 
nocciaI,&  Su  eft  ccluyqui  vient  del'Oriccd'Hy- 
ucr.  Au  midy  ou  pôle  Antar&ique,ils  donncntle 
nom  de  Sud,cVàceluy  du  couchant  d'Hyuer,le 
nom  de  5uroeft,au  vray  couchant  cquinoccial,le 
nom  de  oeft,&:  au  couchant  d'E{tc,celuy  denort- 
oell.Ih  dmilent  entr'eux  le  relie  des  vents,&  leur 
donnent  les  noms,  félon  qu'ils  participée &:  l'ap- 
prochent des  autres,commenort  nortoeft,nort- 
noitdeft,eft  nortdelt,cftfucft,  fur  foroeft,  fufueft, 
oeft  furoeit,  oeft  nortoeft ,  de  forte  que  par  leurs 


DES      INDES.       I  IV.    II  I.  80 

dénominations  l'on  cognoift  d'où  ils  procèdent. 
En  la  mer  Méditerranée  encor  qu'ils  fuiuent  la 
mefme  diuifion9&  façon  de  conter,  neantmoins 
lis  leur  donnent  d'autres  noms  différents,  ils  ap- 
pellent le  Nort, Tramontane,  &  fon  contraire 
qui  cil  le  Sud,Mezoiorne,  ou  Midy ,  l'Eft  ils  l'ap- 
pellent Leuant,&  l'Oeil  Ponant,  8c  ceux  quitra- 
uerfent  ces  qua*rc,ils  les  nomment  ainfi  :  le  Sueft 
cftpar  euxditXirocquc,  ou  Xaloque,  &lon  op- 
police  qui  efl;  le  Nortoeftj  Mettrai,  ils  appellent 
£r3ec,ou  sresuaUc  nortdelh  &  le  furoeftibn  con- 
traire  leueiche,  lybiquc,  ou  afrriquain.  En  Latin 
les  quatrecogneus  font,Septcntrio,  Aufter,  Sub- 
foiaaus,Fauonius,&  les  entre-lalîez  font  Aquilo, 
Vulturnus,  ArnicuticvCorus.  Selon  Pline  Vul- 
turnus &£urus  font  vu  mcfme  vét,qui  ell  Iefueft, 
ouxaloque,  fauonius  eftlc  meime  que  l'oeftou. 
Ponant, Aquilo  &  Boreasle  mefmequenorcefl:, 
ou  grcgual,&  TraiT>ôtanc,rAfricus  &  lybique,cft 
ce  iuroeft  ou  leueiche ,  l'aufter  &  notus ,  eft  le  fod 
ou  midy,corus  &scphyrus,n'efl  autre  que  le  nor- 
toeft,oumeftral>&  à  fon  prochain  qui  eftnortdeft 
ou  grcgual,on  ne  Iuy  dôneautre  nom  que  Pheni- 
cic.  Quelques  autres  les  diuifentd'vnc  autre  ma- 
nière, mais  parce  que  ce  n 'eftpasàprefentnoftre 
intentiô  de  raconter  les  noms  Latins  8c  Grecs  de 
tous  les  vêts,  disôsfeulemet  qui  font  ceux  d'entre 
ces  vçts  que  nos  mariniers  de  lOcea  d'Inde  appel- 
lent Brifes,ck  vents  d  abas.I'ay  efte  fort  long  temps 
en  difficulté  fur  ces  noms ,  voyat  qu'ils  en  vfoient 
fore  differemmet,  iufques  à  ce  que  i'aye  recogneu 
que  ces  n#ms  font  plus  généraux,  que  propres 
&  particuliers.  Ils  appellent  brifes  ceuxquifer- 


I 


I 


HISTOIRE     NATVR.  ELLE 
ucnt  pour  aller  aux  Indes, &  qui  donnent  quafi  en 

f>oupe,lefquels  par  ce  moyen  comprennent  cous 
es  vents  Orientaux  ôc  ceux  qui  en  dépendent,  Ôc 
appellent  vents  d'àbas  ceux  qui  font  près  pour 
retourner  des  Indes, &  qui  fou  ment  depuis  le  Sud 
iufques  au  Ponant  eftiual,  de  manière  qu'ils  font 
comme  deux  cfcoiiades  des  vents  de  chacun  co- 
fté ,  les  Caporaux  defquellcs  font  d'vne  parc  le 
nortd'eft  ou  gregual,&  de  l'autre  le  Suroeft.  ou  le- 
uefche.  Mais  l'on  doit  entendre  que  du  nombre 
des  huict  vents  &c  différences  que  nous  auôs  cot- 
tez ,  il  y  en  a  cinq  qui  font  propres  pout  nauiger, 
ôc  non  point  les  trois  autres.   le  veux  dire  que 
quand  vn  nauire  nauige  en  lamcr ,  il  peut  aller  ôc 
faire  loncr  voyage  auec  l'vn  de  ces  cinq  vents,en- 
cor  qu'ils  neluy  feruent  pas  cfgaLlement ,  mais  il 
ne  fe  peut  pas  feruir  d'aucuns  des  trois ,  comme  (1 
le  nauire  va  au  Sud,  ilnauigeraaueclcNort,  le 
Nortd'eft,lcNorcoeit,&  auec  l'Eft,&l'Ocft:  Car 
ceux  des  coQ.ez(  feruent  également  pour  l'aller  ôc 
pour  le  venir.    Mais  du  Sud,ilnef'en  pourra  fer- 
uir,pource  qu'il  luy  eu.  directement  contraire,  ny 
de  fes  deux  collatéraux,  qui  fonr  Sucft  ôc  Suroeft, 
qui  eft  vne  chofe  fort  triuiale  &c  commune  à  ceux 
qui  nauigent.C'eft  pourquoy  il  n'eftoit  befoin  de 
le  déduire  icy,finon  pour  fignifier  que  les  vets  la- 
téraux du  vray  Orict  font  ceux  qui  cômunémcnc 
foufflêt  en  la  Torride,qu'ils  appellét  Brifes,&  les 
vents  de  Midy  déclinas  au  PonSt,qui  fetuét  pour 
nauiger  d'Occident  à  l'Orient ,  ne  font  point  or- 
dinaires en  laTorride,parquoy  l'on  les  va  ccrchcr 
hors  des  Tropiques,&  les  appellent  les  mariniers 
des  Indes  communément  vents  d'àbas. 

Quelle 


DES     INDES.       tlV.    III. 


8 


luette est  U  caufe  pourtjttoy  namgcwt  en  U  Torridc, 
l'on  y  trouue  toujours  des  vents  d'Orient, 

CHAP.    VI. 

I  s  o  n  s  maintenant  ce  qui  touche  la  que- 
&3  ftionpropoiée,  fçauoir,  quelle eit la  caufç 
pourquoy  l'on  nauige  bien  en  la  Torride  d'O- 
rient au  Ponât,&  non  pas  au  contraire.  Surquoy 
nous  deuons  preiuppoier  deux  fondemens  cer- 
tains. L'vn  eit  que  le  mouuemcnt  du  premier 
mobile,  qu'ils  appellent  rauiîîant  ,  oudiurnel, 
non  feulement  tire  &  efmeut  quant  &  luy  les 
Sphères  celcftes,  qui  luy  fontinfeneures^comme 
nous  le  voyons  chacun  iour  au  Soleil,  en  la  Lu- 
ne^ aux  Efl.oillcs,maisauiIi les  elcmens  partici- 
pent de  ce  mouuement  ,  entant  qu'ils  n'en  font 
point  empefehez.  La  terre  ne  Te  meut  pointa 
caufe  de  fa  grande  pefanteur ,  qui  la  rend  mobile, 
&  qu'elle  cft.  auilï  beaucoup  eiloignee  de  ce  pre- 
mier mobile.  L'élément  de  l'eau'ë  ne  le  meut  non 
plus  de  ce  mouuement  diurnel ,  d'autant  qu'il  eft 
joint  Âralfembléauec  la  terre,  &font  enlemble 
vue  Spherc,de  façon  que  la  terre  l'empefche  defc 
mouuoir  circulairemcnt  ,  mais  les  deux  autres 
elemens,  le  feu  &  l'air  font  plus  fubtils  &  plus 
proches  des  rcgiouscelefteSjd'où  vient  qu'ils  par- 
ticipent de  leur  mouuement,&  font  meus  &  agi- 
tez circulairemcnt,commelesmeuTi(Cs  corps  cc- 
leftes.  Pour  le  regard  du  feu,il  n'y  a  point  de  dou- 
te qu'il  n'ait  fa  Sphere,ainfi  qu'Ariltotc  &  les  au- 
tres Philofophes  l'ont  tenu:mais  pour  l'air  (  qui 
eft  lepoinâ  de  noUrc  fubiect  )  il  ell  très- certain 

L 


HISTOIRE     NATVREUE 
qu'il  fe  meut  d«  mouuement  diurnel,qui  eu  d'O- 
rient à  l'Occident,  ce  que  nous  voyons  claircm^c 
es  Comètes  qui  fe  meuuent  d'Orient  à  l'Occi- 
dent ,  montans ,  defeendans,  ôc  finalement  tour- 
noyans  en  noftre  hemifphcre ,  delà  meime  façon 
queleseaoilles  fe  meuuent  au  firmament.  Car 
autrement,ces  comètes  eftans  en  la  regiô  &Sphe- 
re  de  l'air  où  elles  f engendrent ,  apparoillent  & 
fe  confomment,  il  leur  feroit  impoflible  de  le 
mouuoir  circulairement  comme  ils  fe  meuuent, 
fi  l'élément  de  l'air  ou  ils  font ,  ne  fe  mouuoit  du 
mefme  mouuemcnt  du  premier  mobile.  Car  eftâs 
ces  comètes  d'vnematiere  enflamee, ,  par  ration 
deuroient  demeurer  arreftees  fans  fe  mouuoir 
circulairement ,  fi  la  Sphère  où  elles  font  demeu- 
roit  fans  fe  mouuoir ,  fi  ce  n'eu:  que  nous  feigmos 
que  quelque  Ange  ou  intelligence  chemine  auec 
la  Comète,  la  menant  circulairement.    En  l'an 
1577.  apparut cefte  merueilleufe  Comète  (de fi- 
gure reiîèmblant  vn  plumage  (depuis  l'horion 
prefque  iufqucs  à  lamoitié  du  ciel,&  dura  depuis 
le  premier  Nouembre  iufques  au  huidiefme  de 
Décembre,  iedis  depuis  le  premier  de  Nouem- 
bre,car  iacoit  qu'en  Eipagne  on  la  veid  &  remar- 
qua premièrement  au  9.  de  Nouembre  (fumant 
le  récit  des  Hiftoriens  de  ce  temps  )  neantmoins 
au  Peru ,  où  i'eftois  pour  lors,il  me  (ounient  bien 
que  nous  la  veifmes  &  remarquantes  hui£t  iours 
deuant,  &  tous'les  iours  enfuiuans.  Pour  la  cau- 
fe  de  ceae  diuerfité  ,  quelques-vns  la  pourront 
dire  particulièrement,  mais  ie  veux  dire  qu'en  ces 
quarante  iours  qu'elle  dura,  nous  remarquâmes 
tous,  tant  ceux  qui  iftoicht  en  Europe,  que  nous 


I 


DES    INDES.       LIV.    III.  8 1 

autres  aufîi  qui  eftions  alors  aux  Indes ,  qu'elle  fe 
mouuoit  chaque  iour  du  mouuement  vniuérfelj 
d'Orient  au  Ponant,comme  la  Lune  &  les  autres 
eftoilles.  D'où  il  appert  que  la  Sphère  de  l'air, 
eftant  fa  région  ,  il  huit  que  le  mefme  élément  fe 
meuue  de  celle  façon.  Nousrecogncufmesauffi, 
que  outre  ce  mouuement  vniuerfèî  elle  enauoit 
encorvn  autre  particulier,par  lequel  elle  femou- 
uoit  auec  les  planettes  d'Occident  en  Orient, car 
chaque  nuid elle  deuenoit  plus  Orientale , ainfî 
quefontlaLuneJe  Soleil  &l'Eftoille  de  Venus. 
Nous  remarquâmes  dauantage  vn  troifîefmc 
mouuement  particulier ,  dont  elle  fe  mouuoit  au 
Zodiaque  vers  le  Nort,  d'autât  que  patfees  quel- 
ques nui£ts,ellele  trouuoitplusconiointeauxfî- 
gnesSepcentrionaux.  Et  parauature  cela  fut  cau- 
fe  pourquoy  cefte  grade  comète  fut  pluftoft  vcu'é 
de  ceux  qui  efloient  plus  Meridionaux,comme  le 
font  ceux  du  Peru.  Et  d'autre- part  ceux  de  l'Eu- 
rope cÔmencerent  à  la  voir  plus  tard,à  caufe  que 
par  ce  troifîefme  monuementquei'aydit ,  elle 
ï'approchoit  plus  des  Septentrionaux.  Toutes- 
fois  vn  chacun  a  peu  remarquer  les  différences 
de  ce  mouuement  ,  de  façon  que  l'on  peut  bien 
voir,  queplufîeurs&diuers  corps ecleftes don- 
nent leur  impreflion  à  la  Sphère  de  l'air,  ainfî  eft- 
il  certain  que  l'air  fe  meut  du  mouuement  circu- 
laire du  ciel ,  d"Orient  au  Ponant,  qui  eft  le  pre- 
mier fondement  mis  en  auantcy-dcifus.  Le  fé- 
cond n'eft  pas  moins  certain  ny  notoire ,  qui  eft 
que  le  mouuement  de  l'air  aux  parties  qui  fonc 
fous  la  ligne,  ou  proches  d'icclle  ,  eft  tres-vi- 
fte  ,  &  léger  ,  &  d'autant  plus  qu'il  f'approche 


HISTOIRE  NATVRELLE 
dèl'Equinoxe,parconiequent  ce  mouuement  cil 
d'autant  plus  lent  &  pefantjqu'iU'efloignedela 
ligne  en  Rapprochant  des  pôles.  Laraifondece- 
cy  eft  manirefte,parce  que  le  mouuemet  du  corps 
celefte  eftant  la  caufe  efficiente  deccmouuemêc 
de  l'air,  il  doit  par  necefïicc  eftre  plus  prompt  «Se 
plus  léger  à  l'endroit  où  le  corps  celefte  a  ion 
mouuement  plus  vifte.  Or  de  vouloir  enfeigner 
laraifonpourquoy  leciela  vnplus  viftemouuc- 
ment  en  la  Tornde,  qui  eft  la  ligne  plus  qu'en  au- 
tre partie  du  ciel,  ce  leroit  peu  etUmer  les  hom- 
mes: puis  qu'il  eftaiié  de  voir  en  vue  roue'  que 
fon  mouuement  eft  plus  tardif  &  pefant  à  l'en- 
droit de  (a  plus  grande  circonférence,  qu'à  l'en- 
droit de  la  plus  petite,&qu'elle  acheue  fon  grand 
tour  au  mefmeefpace  de  temps,  que  la  moindre 
acheue  fon  petit.  De  ces  deux  fondemens  procè- 
de la  railon  pour  laquelle  ceux  qui  nauigétgrads 
Golphes  d'Orient  au  Ponant,trouuent  toullours 
vent  en  poupe,  ailans  en  peu  de  hauteur,  &  tant 
plus  ils  font  proches  de  l'Equinoxe ,  tat  plus  leur 
eft  certain  &  durable  le  vent.  Etau  contraire  na- 
uigeans  du  Ponant  à  l'Orient ,  ils  trouuent  touf- 
iours  ventenprou'è  Ôc  contraire:  pourcequele 
mouuement  tres-vifte  de  l'Equinoxe  tire  après 
foy  l'élément  de  l'air,  comme  il  fait  le  furplus  des 
Sphères  fuperieures.  Parainh  l'air  luittoufiours 
le  mouuement  du  iour  allant  d'Onët  au  Ponant, 
fans  iamais  varier,&  le  mouuement  de  l'air  vifte, 
amené  mefmc  après  loy  les  vapeurs  &  exhalatiôs 
quil'efleuentdelamer,  ce  qui  caufe  en  ces  par- 
tics  &  régions  vn  continuel  ventdebrife  ,  qui 
court  de  Leuant,!  e  Père  Alonfo  Sanchcz.aui  eft 


DESINDiES.    II  V.    HT.  83 

vn  religieux  de noftre  compagnie,  qui  a  voyagé 
en  l'Inde  Orientale  Se  Occidëtale,commc  hom- 
me ingénieux  Se  expérimenté,  difoit qu'en  naui- 
geant  deirous  la  ligne,ou  proche  d'icelle,  auec  vn 
temps  continu  Se  durable, il  luy  fembloi  t  que  c'e- 
ftoit  le  mefme  air,meu  du  ciel ,  qui  conduifoit  les 
nauires,&  n'eftoit  pas  proprement  vn  vent  ni  ex- 
halation ,  mais  cet  air  efmeu  du  cours  iournalier 
du  Soleil.  Pourpreuue  dequoy  il  mettoit  ena- 
uant,  que  le  temps  eft  toufiours  égal  &  femblable 
au  Golphe  des  Dames,  &  es  autres  grands  Gol- 
phes  que  l'on  nauigeenla  Torride.  Pourraifon 
dequoy  les  voiles  des  nauires  y  font  toufiours  de 
mefme  façon  fans  aucune  impetuofité  ,  Se  fans 
qu'il  foit  befoin  les  changer  prefqueen  tout  le 
chemin.  Que  fi  l'air  n'eftoit  émeu  du  ciel,il  pour- 
roit  quelquesfois  défaillir ,  quelquesfois  fe  chan- 
ger au  cotraire,&  quelquesfois  y  auroit  des  tour- 
mentes. Toutesfois  combien  que  cecy  foit  die 
doctement,  Tonne  peut  pas  nier  quecenefoic 
vent,&  qu'il  n'y  en  aye,  attendu  qu'il  y  a  des  va- 
peurs &  exhalations  de  la  mer,  Se  que  nous  voyôs 
quelquesfois  que  tantoft  la  brifeeft  plus  forte,  Se 
tantoftplus  froide  ,  &  remife  de  telle  façon ,  qu'il 
aduiét  quelquesfois  que  Ton  ne  peut  porter  tou- 
tes les  voiles.  L'on  doit  donc  entendre,  Se  eft  la 
vérité  que  l'air  efmeu  attire  quant  &foy  les  va- 
peurs qu'il  trouue,  d'autant  que  la  force  eft  gran- 
de,&qu'il  ne  trouue  point  de  refiftance,pour  rai- 
fon  dequoy  le  vent  d'Orient  Se  Ponant  eft  aulîi 
continuel  ôcprefque  toufiours  femblable  es  par- 
ties quifont  proches  de  la  ligne,  Se  prefqueen 
toute  la  Torride,  qui  eft  le  chemin  qui  fuit  le 

L  iij 


HISTOIRE     NATV  RELIE 

Soleil  entre  les  deux  cercles  du  Cancer  &:  duCa 
pricorne. 


Pourtjuoy  fort  ans  de  ld  Torride  m  plus  de  hattteu) , 
ton  troHucùhisfonucnt  des  yents  d'abas. 

chap.    VII. 

8sj& Vi  voudra  bien  regarder  de  prés  ce  qui  a 
fipaefté  dit,  pourra  aufïl  bien  entendre  qu'en  al- 
lant du  Ponant  à  l'Orient ,  en  hauteur  plus  outre 
que  les  Tropiques,  l'on  trouue  des  vents  d'abas, 
d'autant  que  le  mouuement  de  î'Equinoxe  eftant 
fivifte^ileft  caule  que  l'air  femeutdefiouz  lu v 
fuiuant  (on  mouuement,  qui  eft  d'Orient  au  Po- 
nant, attirant  quant  &(oy  les  vapeurs  qui  fefle- 
uent  de  la  mer,  de  forte  que  les  vapeurs  &exha* 
Lationsquii'eflcucntdescoftesdel'EquinoxejOu 
Torride,  venans  à  rencontrer  le  cours  Se  mouue  • 
ment  de  la  Zone,  font  contraintes  parla  reper- 
cuflion  de  retourner  quafi  au  contraire,  d'où  vié- 
nentles  vcntsd'àbas,  &Suroeft,  communs  &  (i 
ordinaires  en  ces  parties  là.  Tout  ainfi  que  nous 
voyons  au  cours  des  eaues,  lefquelles  Ci  elles  font 
rencontrées  d'autres  qui  foient  plus  fortes, re- 
tournent quafi  au  contraire.  Et  femble  qu'il  en 
ioit ainfi  des  vapeurs  Se  exhalations,  d'où  vient 
que  les  vents  fe  tournent  &  fefeparent  d'vne  part 
à  l'autre.  Ces  vents  d  abas  régnent  le  plus  cornu - 
nementen  la  moyene  hauteur,  qui  cftdeiy.à  37. 
degrez, combien  qu'ils  ne  foient  pas  fi  certains  Se 
li  réguliers  que  les  bnfes  le  font  en  peu  de  hau- 
teur. La  raiion  eftpource  que  les  vents  d'abas  ne 
fontpascaufesde  ce  mouuement  propre  &  égal 


DES    INDES.      L  I  y.     I  I  i.  84 

duciel,commelesbrifesle  font,  eftans proches 
de  la  ligne.  Mais,  comme  i'ay  dit,  ils  y  font  plus 
ordinaires  ,  ôc  bien  forment  plus  furieux  ôc  plus 
tempeftueux.  Mais  en  allant  en  plus  grande  hau- 
teur, comme  de  quarante  degrez,  ilyaauflî  peu 
d'affeuranec  es  vents  eu  la  mer ,  comme  en  la  ter- 
re, car tantolllcsBrifes ou  Nortsyfoufflent,  ôc 
tantoft  les  vents  d'àbas,  ou  Ponans,  d'où  viét  que 
les  nauigations  y  font  plus  incertaines  ôc  plus 
dangereu  fes. 


Des  exceptions  qu'il  y  a  en  la  règle  fufdite,  &  des 

yents  &  calmes  qu'il  y  a  en  la  mer 

&  en  la  terre. 

C  H  A  P.    VIII. 

S*^[  E  que  nousauons  dit  des  vents  qui  courent 
cS&S  ordinairement  dedans  ôc  dehors  la  Torride, 
fe  doit  entendre  en  la  haute  mer,  &  aux  grands 
Golphes  :  car  en  la  terre  c'eft  tout  autrement ,  en 
laquelle  l'on  trouue  de  toutes  fortes  de  vents,  à 
caufe  de  l'inégalité  qu'il  y  a  entre  les  montagnes 
ôc  les  vallées  ,1e  grand  nombre  des  riuieres  &  des 
lacs,&lesdiuerfes  fituations  despays,d'où  fefle- 
uetles  vapeurs groifes  Se  efpai(Tes,lefquellesfont 
efmeuës  de  l'vne  ou  de  l'autre  part,fclon  la  diuer- 
lî té  de  leur  origine ,  ôc  commencement ,  qui  fait 
ces  vents  diuers ,  fans  que  le  mouucment  de  l'air, 
caufé  du  ciel,  ait  tant  de  puiiïance  que  de  les  atti- 
rer^ mouuoir  quant  &  foy.  Etcefte  diuerfî- 
té  de  vents  ne  fe  trouue  point  feulement  en  la  ter- 
re,  mais  auffiéscoftesdela  mer,  qui  font  en  la 

L  iiij 


HISTOIRE  NATVRÉLLE 
Torride,  pourcc  qu'il  y  a  des  vents  forains  qui 
viennent  de  la  terre,  &  marins,  qui  foufflent  delà 
mer,  lefquels  vents  de  la  mer  font  ordinairement 
plus  fains,&  plus  gracieux  que  non  pas  ceux  de  la 
terre ,  lefquels  font  au  contraire  ennuyeux  6c  mal 
fains ,  bien  que  ce  foit  la  différence  des  codes  qui 
caufe  cette  diuerfité.  Communément  les  forains 
ou  terriens  foufflent  depuis  la  minuict,  îufques 
au  Soleil  leuant,&:  ceuxdeiamer  ,depuisque  le 
Soleil  commëce  à  f  efchaufrer,iufqucs  après  qu'il 
eft  couché.  Dequoy  lacaufe  eft  parauanture,que 
la  terre  comme  matière  plus  grofle ,  fume  dauan- 
tage  alors  que  la  flame  du  Soleil  ne  donne  plus 
deluis,toutainfi  que  le  bois  verd  ,  ou  mal  fec  fu- 
me dauantage en  efteignant  la  flame.  Mais  la  mer 
comme elleeft  compofee  départies  plus  fubciles^ 
n'engendre  point  de  fumées ,  fino  quand  l'on  l'ef- 
chaufferde  mefme  que  la  paille,ou  le  foing,eftan t 
humide  &  en  petite  quantité,  engendre  de  la  fu- 
mée quand  on  lesbrufle,  Se lors queia  flame cef- 
fe,la  fumée  défaut  tout  auflitoft.  Quoy  qu'il  en 
foit,  il  eft  certain  que  le  vent  de  la  terre  fouffle 
pluftoftlanuid,&  celuy  delà  mer  au  contraire 
durant  le  iour.  Tellemcntquetoutainiî  qu'il  y  a 
îouucntesfois  des  vents  contraires,  violents  Se 
tempeftueuxésroftesde  Iamer,ainfi  y  voit-on 
de  très-grands  calmes.  Quelques  hommeyfcrrt 
expérimentez  racontent  qu'ayans  nauigé  plu- 
fieurs  grandes  trauerfes  de  mer  fous  la  ligne,  ils 
n'yontneantmoins  iamaisvcu  de  calmes,  mais 
quetoutiourspeu  ou  beaucoup  l'on  y  fait  che- 
min à  caufe  de  l'air  efmeu  du  mounement  celefte, 
quifufficàconduirelanauiredonnant  en  poupe, 


DES    INDES,       LIV.    III.  8f 

comme  il  fait.  I'ay  défia  dit  comme  vnnauire  de 
Lyma  allantàManilla,  nauigea  Secourut  deux 
milfeptcëtslieu'ës5toufioursfouzlaligne,àtout 
le  moins  ntn  eftant  efloigné  que  de  douze  dc- 
grez,  &  ce  au  mois  de  Feurier  &  de  Mars ,  qui  eft 
lors  que  le  Soleil  y  eft  pour  Zenith,&  en  tout  cet 
efpacenetrouuerent  aucuns  calmes ,  maistouf- 
ioars  vn  vent  frais,tellement  qu'en  deux  mois  ils 
firét  ce  grand  voyage.  Mais  en  la  Torride,&  hors 
d'icellcî'onaaccouftumé  de  voir  de  grands  cal- 
mes es  coftes  où  arriuent  les  vapeurs  des  Ifles,  ou 
de  la  terre  ferme.  Ceft  pourquoy  les  tourbillons 
&  tempeftes ,  &  les  inefperees elmotionsde  l'air 
font  plus  certaines  &  ordinaires  aux  coftes  où  ar- 
riuent les  vapeurs  de  la  terre,  que  non  pas  en  la 
pleine  mer.I'entens  en  la  Torride,car  hors  d'icel- 
le  &  en  la  haute  mer  Ton  y  trouuc  des  calmes ,  8c 
des  tourbillons  de  vents.  Toutesfois  il  ne  laide 
pas  d'y  auoirquelquesfois  entre  les  deux  Tropi- 
qucSjVoire  en  la  mcfme  ligne. des  grands  vents  & 
despluyes  fubites,  encor  queccfoitbienauanc 
dans  la  mer,  car  pour  ce  faire  les  vapeurs  &  exha- 
lations de  la  mer  font  allez  fufHfantes ,  lefquelles 
f  efmouuans  aucunesfois  haftiucment  en  l'air, 
caufent  des  tonnerres  &  tourbillons,  mais  cela 
eft  plus  ordinaire  pres  de  la  terre ,  &  deflus  la  ter- 
re. Quand  ic  nauigeay  du  Pcru  enlancufue  Efpa- 
gne,  ie  rcmarquay  qu'en  to«t  le  temps  que  nous 
fufmcs  en  la  cofte  du  Pcru,noftre  voyage  fut  (co- 
rne toufiours  a  accouftume)  fort  doux  &c  facile ,  a. 
caufe  du  vent  de  Sud  qui  y  court ,  &  auec  lequel 
l'on  va  vent  en  poupe,  retournant  d'Efpagne  8c 
de  la  neufue  Efpagne.  Comme  nous  trauerfions 


I 


HISTOIRE  NATVRELLE 
le  GoIphe,&  allions  toufiours  auant  dans  la  mer, 
prefque  toufiours  fouz  la  ligne,  noustrouuafmes 
vn  temps  frais ,  paifible  8c  gracieux,  vent  en  pou- 
permais  arriuant  comme  proche  de  N  icaragua  8c 
de  toute  cède  code,  nous  eufmes  des  vents  con- 
traires aucc  grande  quantité  de  pluyes  8c  brouil- 
lées ,  qui  quelquesfois  bruyent  horriblement. 
Toute  ce(U  nauigation  fut  dans  laZoneTorri- 
de,car  de  douze  degrez  au  Sud  qu'cft  Lyma ,  nous 
nauigeafmesà  dix-fept,où  gift  Guatulco,  port  de 
laneufue  Efpagne ,  8c  croy  que  ceux  qui  auront 
prins  garde  aux  nauigations  qu'ils  ont  faites  dans 
laTorride,  trouuerontàpeu  prés  ce  que  l'en  ay 
dit ,  qui  fuffira  pour  la  raifon  des  vents  qui  régnée 
par  la  mer  en  la  Zone  Torride. 

D'aucuns  cjfecfs  merueïllcux  des  y  ent  s  qui  font  en 
quelques  endroits  des  Indes. 

C  H  A  P.     IX. 

gEferoit  chofe  fort  difficile  de  raconter  par 
le  menu  les  effects  admirables  que  caufent 
aucuns  vents  en  diueries  régions  du  monde,  & 
d'en  donner  la  raifon.  Ilyadcs  vents  qui  natu- 
rellement troublent  l'eau'é  de  la  mer ,  8c  la  rcndët 
verte  noire,&;  d'autres  qui  larendent  claire  com- 
me vn  miroir ,  les  vns  eigayent  8c  refiouyflTent  de 
foy,&  les  autres  apportent  de  l'cnnuy  8c  de  la  tri- 
ftelïè.  Ceux  qui  nournlfent  des  vers  a  foye ,  ont 
grad  foin  de  fermer  les  feneftres ,  lors  que  les  vêts 
dabas  foufïlent,  8c  de  les  ouurir  quand  leurs  con- 
traires courent, ayans  trouué  par  certaine  expé- 
rience que  leurs  vers  Te  meurent  ôc  diminuent 


D  ES     IN  D  E  S.       L  IV.     II  I.  8  6 

par  les  vns ,  fengrai lient  &  deuiennent  meilleurs 
parle  moyen  des  autres  :  &  qui  y  voudra  prendre 
garde  de  prés,il  pourra  remarquer  en  foy-mcfme, 
que  les  diuerfitez  des  vents  caufent  de  notables 
impreflions&:  changemens  en  ladifpofitiondes 
corps, principalement  aux  parties  dolentes  &  in- 
difpofees,&:  lors  qu'elles  font  plus  tendres  &de- 
biles.    L'Efcritureappellervnvent  bruflant,&    *   'c'l<* 
l'autre  vent  de  rofee  &  plein  de  douceur.  Etneft  /0&I7> 
paschofeefmerueillable  que  l'onapperçoiuc  de  ioatt.4. 
fi  notables  effe&s  des  vents  es  herbes, animaux,&  °fee  l  î- 
es  homes,  puis  que  l'on  encognoift  vifiblement  Dan-i* 
aufermcfme,  qui  eft  le  plus  dur  de  tous  les  mé- 
taux.   I'ayveu  des  grilles  de  fer  en  quelques  en- 
droits des  Indes,  de  telle  façon  moulues  ôc  con- 
fommees,qu'enles  prenant  entre  les  doigts,  elles 
fe  refoluoient  en  pouldre ,  comme  fi  c'euft  efté  du 
foin  ou  de  la  paille  feiche.    Ccquiprocede  tant 
feulemet  du  vent  qui  lecorrompt  du  tout,&  fans 
qu'on  le  puifle  empefeher.    Mais  Iaiffantà  part 
plufieurs  autres  grands  &  merueilleux  effe&Sji'en 
veux  feulement  raconter  deux.L'vn  defquels,en- 
cor  qu'il  caufe  des  douleurs  plus  grandes  que  la 
mefme  mort,n'apportepointdemal  ni  d'incom- 
modité dauatage,l'autre  deftruit  <5£  ode  la  vie  (ans 
le  fentir.  Le  mal  de  la  mer  dont  ceux-là  font  tra- 
uaillez,qui  commencent  à  nauiger,  eft  vnc  chofe 
fort  ordinaire,  &ncantmoinsfironignoroitfon 
naturel, qui  eft  tant  cogneu  à  tous  les  homes,  l'on 
penferoit  que  ce  fuft  le  mal  de  la  mott  de  la  façon 
qu'il  afflige  &  tourmetependât  le  teps  qu'il  dure 
par  le  vomiffement  d'eftomach,  douleurs  de  telle 
&  autres  mil  accides  fafcheux.  Mais  à  la  vérité  ce 


I 


HISTOIRE  NATVR.ELLE 
mal  fi  commun  &  Ç\  ordinaire  vient  aux  hommes 
pour  lanouueautéde  l'air  delà  mer.  Car  com- 
bien qu'il  foitvray  que  le  mouucmcntdu  nauire 
y  aide  beaucoup ,  en  ce  qu'il  f  efmeut  plus  ou 
moins  ,  &mefme  l'infection  &mauuaiie odeur 
deschofesdes  nauires.  Neantmoins  la  propre  Se 
naturelle  caufe  eft  l'air  &  les  vapeu  rs  de  là  mer,Ie~ 
quel  débilite  8c  trauaillc  tellement  le  corps  &  l'c- 
ftomach  qui  n'y  font  point  accouftumez  ,  qu'ils 
en  font  merueilleufement  efmeuz  8c  changez. 
Car  l'air  eft  l'clemcntpar  lequel  nous  viuons& 
refpiron  s,  l'attirant  dedans  nos  mcfmcs  entrail- 
les ,  lefquelles  nous  baignons  &c  arroufons  d'ice- 
Iuy  :  c'eft  pourquoy  il  n'y  a  choie  qui  altère  fi  toft 
&auec  tant  de  force,  que  le  changement  de  l'air 
que  nous  reipirons  ,  comme  l'on  void  en  ceux 
qui  meurent  de  pefte.  C'eft  chofeapprouuee  par 
plufieurs  expériences,  que  l'air  de  la  mer  eft  prin- 
cipal moteur  de  cefte  eftrange  indiipofition ,  l'v- 
ne  eft  que  quand  il  court  de  la  mer  vn  air  fort, 
nous  voyons  que  ceux  qui  font  en  terre  fe  fentenc 
du  mal  de  la  mer,comme  il  m'eft  aduenu  plufieurs 
fois.  Vne  autre  que  tant  plus  auant  Ton  entre 
dans  la  mer,  cVque  l'on  f'efloigne  de  terre,plus  on 
eft  atteint  &  eftourdy  décernai  :  vne  autre  qu'ai - 
lans  le  long  de  quelque  ifle,  8c  venans  par  après  à 
emboufeher  en  la  pleine  mer,l'on  y  trouue  en  cet 
endroit  l'air  plus  fort.  Encor  que  ie  ne  vueille 
pas  nier  que  le  m ouuement  8c  agitation  ne  puifle 
caufèr  ce  mal,puis  que  nous  voyons  des  hommes 
qui  en  font  épris ,  palTans  des  riuieres  en  des  bar- 
ques ,  8c  d'autres  qui  en  font  de  mefme  en  allant 
dans  des  chariots  ou  caroiïes ,  félon  les  diuetfcs 


D  ES     INDES.       Ll  V.    III.  87 

complexions  d'eftomacs  :  comme  au  contrairey 
en  a  d'autres,qui  pour  grofle  &  efmeuë  que  puifïc 
eftre  la  mer,ne  f  en  fentent  iamais.  Parquoy  c  eft. 
chofe  certaine  &  experimcntee,que  Tair  de  la  mec 
caufe  ordinairemet  cet  effect  en  ceux  qui  de  nou- 
ueau  entrent  fur  icelle.  I'ay  voulu  dire  tout  cecy, 
pour  déclarer  vn  eifect  eftrange  quiaduieuten 
certains  endroits  des  Indes,  où  l'air  &  le  vent  qui 
y  court  citourdit  les  hommes  ,  non  pas  moins, 
mais  dauantage  qu'en  la  mer.  Quelques-vnsle 
tiennent  pour  fable,dJautres  difent  que  c'eft  addi- 
tionne mapart  ie  diray  ce  qui  m'eft  aducnu.il  y  a 
au  Peru  vne  montagne  haute,qu  ils  appellent  Pa- 
nacaca,  &  ayant  ouy  dire  &  parler  du  changemëc 
qu'elle  caufoit  ,  i'allois  préparé  le  mieux  que  ic 
pouuois,  félon  renfeignementquc  donnentpar 
delà  ceux  qu'ils  appellent  Vaquianos  ou  experts: 
maisneantmoins  toute  ma  préparation  quand  ic 
vins  à  monter  les  efcalliers  qu'ils  appellent ,  qui 
eft  le  plus  haut  de  cefte  montagne,  iefusfubitc- 
mét  atteint  &  furprins  d'vn  mal  û"  mortel  ôc  eftra- 
ge  ,  queicfusprefqueiurlepoinctdc  melaiflcr 
choir  de  la  monture  en  terre:  «Scencor  que  nous 
fuflionsplufieurs  de  compagnie,  chacun  haftoic 
le  pas  ians  attendre  Ton  compagnon,  pour  fortir 
virement, de  ce  mauuais  palîage.  Mctrouuant 
donc  feul  auec  vn  ludion,  lequel  ic  priay  dem'ai- 
der  à  me  tenir  fur  1  a  monture,  ie  fus  cpns  de  telle 
douleur  de  fanglots  &  de  vomiûremens  ,  queie 
penlày  jetter  &■  rendre  l'ame.  D'autant  qu'a- 
près vomy  la  viande,  lesphlegmes  &la  colère, 
l  vne  jaulne  &  l'autre  vtrde,  ie  vins  iufqucs  à  jet- 
ter le  fang  de  la  violence  queic  fentoisen  Içfto- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
mach,iedis  en  tin, que  fi  cela  eut  duréji'euiTe  pen- 
sé certainement  erlrearriuèà  lamorr.  Mais  cela 
ne  dura  que  comme  trois  ou  quatre  heures ,  iuf- 
quesà  ce  que  nous  fuffiousdefeendus  bien  bas,& 
que  nous  fuflions  arnuez  en  vne  température 
plus  conucnable  au  naturel,  où  tous  nos  compa- 
gnons, qui  eltoyent  quatorze  ou  quinze,eltoy  eut 
tort  fatiguez  ,  quelques  vnscheminans  deman- 
doient  confeflion,  penfans  rcallement  mourir, 
lesautres  mettoyent  pied  à  terre,&  eftoyent  per- 
dus de  vomilïcment ,  &  de  force  d'aller  à  la  iellc, 
év  me  fut  dictqu'autrcsfois  quelques  vns  y  auoiec 
perdu  la  vie  de  ceft  accident.  le  veis  vn  homme 
qui  fe  defpitoit  contre  terre ,  s'elcriant  de  rage  Se 
douleur  queluy  auoit  caufélepairagede  Panaca- 
ca.  Mais  ordinairement  il  ne  fait  point  aucun 
dommage  qui  importe  ,  autre  que  ceflennuy& 
hifcheux  degoull  qu'il  donne  pendant  qu'il  dure, 
Se  n'c!i  pas  feulement  le  pas  delà  montagne  Pa- 
riacaca5qni  a  celle  propriete,maij  au  îfi  toute  celle 
chaîne  de  montagnes  qui  court  plus  de  cinq  cens 
lieues  de  long ,  Se  en  quelque  endroit  que  l'on  la 
palîe  ,  l'on  lent  celle  eftrange  in  température, 
combien  que  ce  foit  en  quelques  endroits  plus 
qu'es  autres, &  plus  à  ceux  qui  montent  du  codé 
de  la  mer  ,  qu'à  ceux  qui  viennent  du  codé  des 
plaines.  le  l'ay  paffee  mefme  outre  de  Pari3caca 
par  Lucanas  Se  Soras  ,  Se  en  autre  endroit  par 
Colleguas,&  en  autre  par  Cauanas,  finalement 
par  quatre  lieux  differens  en  diuerfes  allées  Se  ve- 
nues, Se  toufiours  en  cet  endroit  ay  fenty  l'altéra- 
tion Se  eftourdifl'ementquei'aydict,  encor  qu'en 
nui  endroit  ce  n'a  cfte1  tellement  qne  la  première 


DES    INDES.    LIV.    III.  88 

fois  en  Pariacaca,ce  quiaefté  expérimente  par 
tous  ceux  qui  y  ont  pallé.  Et  n'y  a  point  de  doute 
quelacaufedecefte  intemperature  ôc  rteftrange 
altération  eft  le  vent,  ou  l'air  qui  y  règne, pource 
que  tout  le  remède  (&  le  meilleur  qu'ils  y  trou- 
uent)eftdefeboufcher  tant  que  l'on  peut  le  nez, 
les  orcilles,&:  la  bouche,&de  ie eouurir  d'habits, 
ipccialementrcftomac,  d'autant  que  l'air  eft  (i 
liibtil  &  pénétrant,  qu'il  va  donner  iufques  aux 
entrailles  :  ôc  non  feulement  les  hommes  Tentent 
ceftealteration,mais  aufîi  les  beftes,qui  quelque- 
fois farreftent,  de  forte  qu'il  n'y  a  çfperôn  qui  les 
puilfe  faire  aduancer.  De  ma  partie  tiensquece 
lieu  eft  vu  des  plus  hauts  endroits  de  la  terre  qui 
foitaumende  :car  Tony  monte  vneefpacedef- 
mefuree ,  ôc  me  femble  que  la  montagne  Neuade 
d'Efpagne ,  les  Pyrénées  ôc  les  Alpes  d'Italie  font 
comme  maifons  communes  àl'endroit  des  hau- 
tes tours.  Parquoyiemcperfuade,  que  l'élément 
de  l'air  eft  eu  ce  lieu  là  fi  fubtil  ôc  Ci  délicat ,  qu'il 
ne  fe  proportionne  point  à. la refpirat ion  humai- 
ne, laquelle  le  requiert  plusgros  ôc  plus  tempéré, 
ôc  croy  que  c'eft  la  caufe  d'altérer  fi  fort  l'efto- 
mach,  &  troubler  toute  la  difpoiîtion.  Les  parta- 
ges des  montagnes  Neuades&  autres  de  l'Euro- 
pe que  i'ayveu'és ,  combien  que  l'air  y  foit  froid, 
Ôc  qu'il  trauaille  Ôc  contraigne  ceux  qui  y  partent 
defe  veftir,  neajitmoins  ce  froid  n'ofte  pas  l'ap- 
pétit de  manger ,  au  contraire  il  le  prouoque,ny 
ne  caufe  point  de  vomiflemeut  en  l'eftomach: 
mais  feulement  quelque  douleur  aux  pieds  ,  Se 
aux  mains.  Finalement  leur  opération  eft  exte- 
rieure,mais  cil  des  Indes  que  ie  dy,fan$  trauailler 


HISTOIRE  NATVRELLE 
ny  les  picds,ny  les  mains ,  ny  aucune  partie  exté- 
rieure, brouille  toutes  les  entrailles  au  dedans,  ôc 
ce  qui  eft  plus  admirable  ,  il  aduientau  mefmç 
endroit  que  le  Soleil  y  eft  chaud, qui  me  fait  croi- 
re que  le  mal  que  l'on  en  reçoit  vient  de  la  quali- 
té de  l'air  que  l'on  y  refpire,  d'autant  qu'il  eft  cres- 
fubtil&  tres-delicat  ,  ôc  que  fou  froid  n'eftpas 
tant  fenfible  comme  il  eft  pénétrant.  Toute  celle 
chailne  de  montagnes  cil  communément defer- 
te,fansaucuns  villages  ny  habitations  des  hom- 
mes ,  de  forte  qu'à  peine  l'on  y  trouue  des  petites 
maifo-ns  ou  retraites  pour  y  loger  les  pallans  de 
nui£t.  1 1  n'y  a  non  plus  d'animaux ,  ou  bons  ou 
mauuais,  Ci  ce  n'eft  quelques  Vicunos,  ni  font 
des  moutons  du  pays,  lefquelsont  vue  propriété 
eftrange  ôc  merueilleufe,  comme  ie  diray  en  ion 
lieu.  L'herbe  y  eft  fouuentcsfoisbruflee&  toute 
noire  de  l'air  que  ie  dis ,  &  ce  defert  dure  comme 
vingt-  cinq  à  tren  te  lieues  de  trauerfe,&  contient 
de  longueur,  comme  i'ay  dit,  plus  de  cinq  cents 
lieues,  llyad'autres  défères  oulieuxinhabitez, 
qu'ils  appellent  au  Peru  Punas  (pourparlcrdu 
fécond poinct  que  nous  auons  promis) où  la  qua- 
lité de  l'air  trenche  les  corps  &  la  vie  des  hômeSj 
fans  le  fentir.  Au  temps  pallc  les  Espagnols  chc- 
minoientdu  Peru  au  royaume  de  Chillc,  par  la 
montagne:  auiourd'huy  l'on  va  ordinairement 
parmer,  &  quelquesfois  lelongdelacofte  :  ôc 
combien  que  le  chemin  y  foit  ennuyeux  &  faf- 
cheux,il  n'y  a  pas  toucesfois  tant  de  danger  qu'en 
l'autre  chemin  de  la  montagne ,  où  il  y  a  des  plai  - 
ncs,au  partage  dcfquelles  plusieurs  hommes  font 
morts  &  péris,  &  d'autres  en  font  cfchapez  par 

grande 


DES      INDES.       LIV.    III.  $<? 

grande  aduanture,  dont  les  vus  font  demeurez 
ellropiez.  Il  court  en  cet  endroitvn  petit  air,  qui 
n'eft  pas  trop  fort  ny  violent ,  mais  il  pénètre  de 
telle  façon,  que  les  hommes  y  tombent  morts 
quafi  (ans  fefcntir,ou  bien  les  doigts  des  pieds  8c 
des  mains  y  demeurent  :  ce  qui  pourra  fembler 
chofe  fabuleufe  ,  8c  toutesfois  c'eft  chofe  vérita- 
ble.Iaycogneu  8c  long  temps  fréquenté  le  gêne- 
rai Hierofme  Co(tilla,ancien  peupleur  de  Cufco, 
qui  auoit  perdu  trois  ou  quatre  doigts  des  pieds, 
qui  luy  tombèrent  en  partant  lesdelèrtsde  Chil- 
lé, parce  qu'ils  auoient  eue  atteints ôc pénétrez 
de  ce  petit  air ,  &  quand  il  les  vint  à  regarder,  ils 
eftoient défia  tous  morts  ,  8c  temberentd'eux- 
mefmes  fans  luy  faire  aucune  douleur ,  tout  ainiî 
que  tombe  de  l'arbre  vne  pomme  gaftee.  Ce  capi- 
taine racontoit  que  d'vnc  bône  armée  qu'il  auoit 
conduite  8c  pallec  par  ce  lieu  les  années  précé- 
dentes ,  depuis  la  delcouuerte  de  ce  royaume  fai- 
te par  Almagro,  vne  grande  partie  des  hom  mes  y 
demeurèrent  morts, 8c  qu'il  y  vid  les  corps  eften- 
dusparmy  ledefert ,  fans  aucune mauuaife  odeur 
ny  corruption.  Adiouftant  dauantage  vne  chofe 
forteltrange,  qu'ils  y  trouuerentvn  ieune  garçon 
viuant,lequel  eftant  enquis  comme  il  auoit  vefeu 
en  ce  lieu ,  dit  qu'il  l'eftoit  caché  en  vne  petite  ca- 
uerne ,  d'où  il  fortoit ,  pour  couper  aucc  vn  petit 
couteau  de  la  chair  d'vu  chenal  more,  8c  qu'il  f'e- 
ftoitainfi  fubftanté  long  temps auec  ne  fçay  com- 
bien de  compagnons,  qui  fc  maintenoient  de  ce- 
fle  façon,  mais  que  défia  ils  y  eftoiet  tous  demeu- 
rez,l'vn  mourantauiourd'huy,  8c  demain  l'autre; 
difant  qu'il  ne  deiîroic  autre  choie  que  d  e  mourir 

M 


HISTOIRE  NÀTVREI.  LE 
là  aucc  les  autres,veu  qu'il  ne  fentoit  défia  plus  en 
luy  aucune  difpofition  pour  aller  en  vnaucre  en- 
droit, ny  pour  prendre  gouften  aucune  chofe. 
l'ay  entendu  le  mefme  d'autres,  &  particulière- 
ment d'vn  qui  eftoit  de  noftre  compagnie,  lequel 
pour  lors  eftant  feculier  auoit  paisé  par  cesde- 
ferts ,  &  cft  vne  chofe  merueilleufe  que  la  qualité 
de  cel\  air  froid ,  qui  tue"  &  conferue  aufli  tout  en- 
femble  les  corps  morts  fans  corruption.  le  l'ay 
aulîi  entendu  d'vn  vénérable  Religieux  de  l'ordre 
deSainct  Dominicque&  Prélat  d'icelle,  quil'a- 
uoit  veu  paiîant  par  ces  defer  ts,  Ôc  qui  plus  eft,mc 
conta  ,  qu'eûant  contrainct  d'y  palier  la  nuid, 
pour  federfendrc  ôc  rcmparer  contre  ce  vent  (À 
mortel  que  ic  dy  qui  court  en  ce  lie  J,ne  trouuant 
autre  choie  a  propos  ailèmbla  grande  quantité  de 
ces  corps  morts  qui  eftoient  là,&  Ht  d'iccux  com- 
me vne  muraille  (Scchcuet  de  lict,  de  cette  façon 
il  dormit,  les  morts  luy  donnans  la  vie.  Sans  dou- 
te c'cftvn  genre  de  froid  queceftuy-iàfi  pénétrât 
qu'il  efteint  la  chaleur  vitale  en  coupant  fon  in- 
fluence :  &  d'autant  qu'il  eft  auffi  tres-froid  il  ne 
corrompt  ny  done  putréfaction  aux  corps  morts;, 
parce  que  la  putréfaction  procède  de  chaleur  ôc 
d'humidité.  Quant  à  l'autre  forte  d'air  que  l'on 
oitrefonner  fouzla  terre ,  ôc  qui  caufe  des  trem- 
blemens,plus  aux  Indesqu'es  autres  régions,  i'en 
parlérayen  trai&ant  des  qualitezdela  terre  des 
Indes.  Maintenant  nous  nous  contenterons  de 
ce  qui  eft  die  des  vents  &  de  Tair&  paierons  à  ce 
qui  fe  prefente  du  fubiecT;  de  l'eauë. 


DES    INDES.       LIV.    III. 


90 


De  l'Océan  qui  circuit  les  Indes  de  h  mer 
du  Kort  ey  celle  du  Sud. 

C  H  A  P.      X. 


gg«  Ntre  leseauës, lamer  Oceanealaprinci- 
ï'#ç&.  pauté. par  laquelle  les  Indes  ont  eftèdefcou- 
ucrtes,qui  toutes  font  enuironnées  d'elle  menue, 
carouccibntjiles  delamerOceane,ou  bien,  ter- 
re ferme,laquelle  mefme  en  quelque  part  qu'elle 
fîtrifTe  (Schadicue^ftcoufiours  bornée  de  cet  O- 
cean.  lufques  auiourd'huy  Ton  n'a  point  defeou- 
ucrtaunouueau  monde  aucune  mer  Méditerra- 
née comme  il  y  en  a  en  Europe',  Afie,  &  Afrique, 
efquelles  il  entre  quelque  bras  de  cette  grande 
mer,  &  font  des  mers  diftinctes  prenant  les  noms 
des  prouinces  &  terres  quelles  vont  baignant ,  & 
preique  toutes  les  mers  Mcditcrranees  fe  conti- 
nuent &ioignent  entre  eux  &auec  le  mefme  O- 
cean ,  par  le  deftroit  de  Gibaltar ,  que  les  anciens 
nommèrent  Colomnes  d'Hercules.  Combien 
que  la  mer  Rouge  eftant  feparée  de  ces  autres 
Mediterranees,entre  toute  feule  en  l'Océan  Indi- 
que ,  &  la  mer  Caipie  ne  fe  ioint  auec aucune  au- 
tre. Doncques  aux  Indes,  comme  i'ay  dir,l'on  ne 
trouue  point  d'autre  mer  que  cet  Océan  ,  lequel 
ilsdiuilent  en  deux,  l'vn  qu'il  appellent  mer  du 
Nort ,  ck  l'autre  mer  du  Sud ,  pource  que  la  terre 
des  Indes  Occidentalcs,quifutpremieremetdef- 
couuerte  par  l'Ocean^qui  arriuc  iufques  à  l'Efpa- 
gnc,eft  toute  fituee au  Nort  :  &  par  icelle  terre 
l'on  a  defcouuert  depuis  vne  mer  de  l'autre  cofté, 

M  i) 


HISTOIRE  NATYKELLE 
laquelle  ils  ont  appellée  mer  du  Sud  ,  d'autant 
qu'ils  defcendkent,  iufqucs  à  palier  la  ligne,  Se 
ayans  perdu  le  Nort  ou  pôle  Arctique ,  qu'ils  ap~ 
pellerent  Sud:  pour  cède  caufe  l'on  a  appelle  la 
mer  du  Sud  tout  cet  Ocean,qui  eft  de  l'autre  cofte 
des  Indes  Occidentales, encor  qu'vne  grand'  par- 
tie d'icelle  foit  fituee au  Nort ,  comme  l'eft  toute 
la  cofte  de  la  neufue  Efpagne  Nuaragna,  Guate- 
mala &  Panama.  L'on  dit  que  le  premier  defeou- 
ureur  de  cefte  mer  fut  vn  Blafconunes  de  Bilboa, 
&  qu'il  la  defcouurit  par  l'endroit  que  nous  ap- 
pelions auioutd'huy  terre  ferme,  ou  la  terre  fe- 
ftreffit,&  les  deux  mers  Rapprochent  de  fi  prés 
l'vne  de  l'autre  qu'il  n'y  a  que  fept  lieues  de  diftâ- 
ce.  Car  combien  que  l'on  en  chemine  dix- huict, 
de  Nombre  de  Dios  à  Panama ,  neantmoins  ceft 
en  tournoyant,  pour  chercher  la  commodité  du 
chemin, mais  tirant  par  la  droite  ligne  ,  1  vue  mer 
nefetrouueradiftante  de  l'autre  de  plus  que  l'ay 
dit.  Quelques  vns  ont  drfeouru  &  mis  en  auant 
de  rompre  le  chemin  de  fept  lieues,  afin  deioin- 
drevne mer auec l'autre,  pour  rendre  le  palïàge 
du  Pcru  plus  commode  &  plus  aifé, parce  que  ces 
dix-huic-t  lieues  de  terre  qu'il  y  a  entre  Nombre 
de  Dios  &  Panama,  emportent  plusdedefpenfe 
&detrauail  que  deux  mil  trois  cens  qu'il  y  a  de 
mer.  Surquoy  toutesfois  quelques-vns  ont  vou- 
lu dire  que  ceferoit  pour  noyer  la  terre,  difans 
qu'vne  mer  eft  plus  balle  que  l'autre.  Comme  au 
temps  paifé  l'on  trouue  par  les  hiftoires,que  pour 
lamefme  confideration  l'on  détailla  l'entreprifc 
de  vouloir  ioindre  Se  continuer  la  mer  Rouge 
auec  le  Niiadu  temps  du  Roy  Sefoftri»,  Se  depuis 


DE  S     I  ND  ES.       I  IV.    III.  91 

de  l'Empire  d'Otboman.  Mais  de  ma  part  ie  tiens 
teldifcoiiFS  ôc  proposition  pour  chofevaine,en- 
cor  que  cet  inconnenient  allégué  n'y  deuft  point 
efchoir,  lequel  aufli  ie  ne  veux  pas  tenir  pour  cer- 
tain,&  croy  qu'il  n'y  a  puiiîance  humaine  qui  fuft 
fufhfante  pour  rompre &abbatre ces  ties-fortes 
&  impénétrables  montagnes,  que  Dieu  a  mifes 
entre  les  deux  mers  ,  &  les  a  faites  de  roches  très- 
dures,afin  de  fouftenir  la  furie  des  deux  mers.  Et 
quand  bien  ce  feroit  chofepoiïiblcaux  hommes, 
il  me  femble  que  l'on  dcuroit  craindre  le  chaftie- 
menc  du  ciel ,  en  voulant  corriger  les  œuures  que 
le  Créateur  par  fa  grande  prouidence  a  ordon- 
nées &z  difpofées  en  la  fabrique  de  cetVniuers. 
Laitfant  donc  ce  difeours d'ouurir  la  terre,&:vnir 
les  deux  mers  enfemble,  il  y  en  a  vn  autre  moins 
téméraire,  mais  bien  difficile  &  dangereux  de  re- 
chercher ,  fi  ces  deux  grands  abyfmes  fe  ioignent 
en  quelque  partie  du  monde ,  qui  fut  l'entreprife 
de  Fernande  Magellan, gentil-homme  Portugais, 
duquel  la  grande  hardi  elle  &  confiance,  en  la  re- 
cherche de  ce  fubiedt ,  &  heureux  fuccés  qu'il  eut 
en  le  trouuant,  donnale nom  d'eternellememoi- 
re,à  ce  deftroit  que  iuftemet  Ton  appelle  du  nom 
defondefcouureur,  Magellan.  Duquel  deftroit 
nous  traitterons  quelque  peu ,  comme  d'vne  des 
grandes  merueilles  du  monde. Quelques-vns  ont 
creuque  ce  deftroit  que  Magellan  trouua  en  la 
mer  du  Sud,  n'eftoit  point,  ou  bien  qu'il  feftoic 
referré, comme  Dom  Alonfe  d'Arfilla  eicrit  en 
fonAuracane,  &  auiourd'huy  y  en  a  quidifenc 
qu'il  n'y  apointde  tel  deftroit,  mais  que  ce  font 
des  Ifles  entre  la  mer  &  la  terre,pource  quela  ter- 

M  îij 


I 


HISTOIRE  NÀTVRELLE 
re  ferme  prcd  fin  en  cet  endroit,  &  au  bout  d'icel- 
le  font  toutes ifles,  outre  lefquelles,rvne  mer  Te 
ioin£t  plainement  auec  l'autre, ou  pour  mieux  di- 
re eft  toute  vne  mefme  mer.  Maisà  la  verné  c'eft 
chofe  certaine  qu'il  y  avn  deftroit,  &delaterre 
fort  longue,  8c  fort  eftendu'é  d'vn  code  8c  d'autre, 
bien  que  l'on  n'ait  encore  peucognoiftreiufques 
oùfepeuteftendre  cela  qui  eft  de  l'autre  cofté  du 
deftroitauSud.  Apres  Magellan  pafla  le deftroit, 
vnenauiredel'Eucfqucdc  Plaifance,  Oom  Gui- 
ïieres ,  Caruaial,  de  laquelle  ils  difent  que  le  maft 
eft  encorà  Lynuà  l'entrée  du  Palais,  l'on  alla  de- 
puispar  le  cofté  duSud,  pour  defcouurir  ce  de- 
ftroit,par  le  commandement  de  Dom  Guarcia  de 
Mendoce,  qui  pour  lors  auoit  Le  gouvernement 
de  Chillé.  Suiuant  quoy,  le  Capitaine  Ladrillero 
le  trouua  8c  le  parla.  I'ay  leu  le  difeours  8c  la  nar- 
ration qu'il  en  a  faite ,  où  il  dit  qu'il  ne  fe  hazarda 
de  defembarquer  le  deftroit,  mais  qu'ayant  deHa 
recogneu  la  mer  du  N ort,il  rerournaarriere  pour 
l'afpreté  du  temps ,  &  que  l'Hyuer  eftoit  ja  entré, 
qui  caufoit  que  les  vagues  venans  du  Nort  eftoiet 
groiîes&bondiflàntes  ,  &  les  mers  toutes  efeu- 
mantes  de  furie.  De  noftrc  temps  François  Drach 
Anglois,a  paffé  ce  mefme  deftroit,  Depuis  luy  le 
capitaine  Sarmiento  le  palïaparlecoftéduSud, 
&  tout  dernièrement,  en  l'an  mil  cinq  cens  qua- 
tre vingts  8c  feptjd'autres  Anglois  l'ont  palïé,  par 
l'inftru&ion  qu'en  donna  Drach ,  lefquels  de  pre- 
fent  raudent  la  cofte  du  Peru  :  8c  pource  que  le 
rapport  qu'en  a  fait  le  maiftre  pilote,  qui  lepafla, 
enoïabîe,iei'infereray  icy. 


■  .-<% 


DES      INDES.       LI  V.    III. 


91 


Du  deftroit  de  Magellan ,  &r  comme  l'on  le 
pajfi  du  coftédu  Sud. 

CHAP.      XI. 

N  l'an  de  noftre  falut  mil  cinq  cents  foixan- 
ïSËÙl  ce  Se  dix-neuf,  ayant  François  Drach  pafle 
le  deftroit  de  Magellan, Ôc  couru  la  cofte  de  Chil- 
lé,&de  toutlePcru  ,  &  prins  le  nauirede  fainct 
lcan  d'Anthona ,  où  il  y  auoit  grande  quantité  de 
barres  d  argent,le  Viceroy  Dom  François  deTol- 
lcde ,  arma&  enuoya deux  bonnes  nauires ,  pour 
recognoiftre  le  deftroit,  allant  pour  capitaine  d'i- 
celleSjPierre  Sarmiento,  homme dodte  en  Aftro- 
logie.  Ils  fortirent  de  Callao  de  Lyma,  au  com- 
mencement d'Octobre,  &  pource  qu'en  cefte  co- 
fte il  court  vn  vent  contraire  qui  {buffle  toujours 
duSudjilsi'aduancerent  beaucoup  en  la  mer,  & 
ayans  nauigé  peu  plus  de  trente  iours  auec  vn 
temps fauorable,fe  trouuerentenla  hauteur  du 
deftroit.  Mais  d'autant  qu'il  eftfortdifficiledele 
recognoiftre,  ils  Rapprochèrent  de  terre,  où  ils 
entrèrent  en  vne  grande  Anfe ,  en  laquelleilya 
vn  Archipelague  d'ifles.  Sarmiento  Pobftinoit, 
que  là  eftoit  le  deftroit ,  ôc  tarda  plus  d'vn  mois  à 
le  chercher  par  diuers  endroits,  montant  fur  de 
très-hautes  montagnes  en  terre.  Mais  voyat  qu'il 
ne  le  trouuoit  point,à  larequefte  que  ceux  de  1  ar- 
mée luy  firent,  retournèrent  enfinàionir  en  la 
mer,  où  il  fit  largue.  Le  mefmeiour  furuintvn 
temps  alïèz  rude,auec  lequel  ils  coururent ,  &  au 
commencement  de  la  nui&veirent  ne  feu  de  la 
Capitaine^jquiauflitoftdiiparut, tellement  que 

M  iiij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
l'autre  nauire  ne  la  veid  iamais depuis.  Leioitr 
enluiuant  durant  toufîours  la  force  du  vent ,  qui 
eftoit  traueriain,ccux  de  la  capitaine recogneu- 
rentvneouuerturequefaifoit  la  terre,  &:trouue- 
rent  bon  de  C'y  retirer  à  l'abry ,  iniques  à  ce  que  la 
tempefte  fuft  appaifee.  Ce  qu'il  leur  lucceda  de 
telle  façon, qu'ayans  recogueu  l'ouuerture ils  vei- 
rentqu'ellealloit  de  plus  en  plus  entrant  dedans 
la  mer,&:  foupçonnâs  que  ce  fuft  le  deftroit  qu'ils 
cherchoient,prindrcnthauteurau  Soleil, oùils  le 
trouuerent  en  cinquanre  &  vn  degré  &"  dcmy,qui 
eftîa  propre  hauteur  du  deftroit  :  de  pourfaileu- 
rerdauantage,  mirent  le  brigantin  hors  ,  lequel 
ayant  couru  plufieurs  lieues  dans  cebrasdemer 
fans  en  voir  la  fin  ,  recognent  que  c'eftoit  là  le  de- 
ftroit. F.t  pourceqti  ils  auoient  ordre  de  le  palier, 
ils  laiiferent  vne  haute  croix  plantée  là, &  des  let- 
tres au  bas,afin  que  il  l'autre  nauire  arriuoi  t  îà,cl- 
leeuftnouuelles  de  la  capitaine,  &c  la  fuiuift.  Ils 
palîeren  t  donc  le  deftroit  en  temps  fauorable ,  Se 
Iansdiih"culté,oV{ortisen  la  merduNort,arriue- 
rent  en  ie  ne fçay  quelles  ifles,oùils  recueillirent 
dei'eatfè^&rierafrailchirent.  Dciàprindrentlcur 
route  au  cap  de  vert.  D'où  le  pilote  maieur  re- 
tourna au  Peru,  par  la  voye  de  Carthagene, &  de 
Panama,&  apporta  au  Viccroy  ledifcoursdude- 
ilroitj&detout  lefuccez,dontil  futrecompenfe 
ielon  le  bon  feruice  qu'il  auoit  tait.  Mais  le  capi- 
taine Pierre  Sarmiento,  du  Cap  de  vert  pallaen 
ScuilIe,enIamefmenanigation  qu'il  auoit  pafTé 
ledeftroit,&  futà'lacour,où  (amiieftélerecom- 
pcn{a,&àfoninftancc  fîtconv.m  :  J.rnct  dt  \rcC- 
tez  vnegtoircaL-mee,qri'ilenuoj  '   coudai- 


DES    INDES.    LIV.    III.  93 

tede  Diego  Florcz  de  Valdcz,  pour  peupler  &c 
fortifiercedeftroit.  Tou  ces  fois  cefte  armée  après 
diuers  fuccez,  fît  beaucoup  de  defpenfe&  allez 
peu  d'effed.  Reuenant  donc  à  l'autre  nauire  Vi- 
ce- Admirale,qui  alloit  en  Iacompagnie  de  la  ca- 
pitaine,rayancpcrdue,auecleTemporalquei'ay 
dir,elle  fe  mit  à  predre  la  mer  le  plus  qu'elle  peut, 
mais  comme  lèvent  eftoit  trauerfain,&:tempe- 
ftueux,  ils  cuiderent  certainement  périr,  de  forte 
qu'ils  fe  conférèrent  tous,fe  preparans  à  la  mort. 
La  tempefte  leur  continua  trois  iours  fans  fap- 
paifer,&  à  chaque  heure  ils  penfoientdeuoir  do- 
ner  en  terre,mais  il  leur  aduint  bien  au  contraire, 
car  ils  falloient  plus  efloignans  de  la  terre,  iuf- 
ques  à  la  fin  du  troifiefme  iour ,  que  la  tempefte 
f  appaifa,&  lors  prenans  hauteur ,  ils  fe  trouuerct 
en  cinquante  fix  degrez ,  toutesfois  voyant  qu'ils 
n'auoientdonnéau  trauers,&au  contraireils  e- 
ftoient  efloignez  de  la  terre,fe  trouuerent  tous  cC- 
merueillez.  D'où  ils  iugerent(comme  Hernande 
Lamero,pilote  de  ladite  nauire  me  le  conta)  que 
la  terre  qui  eft  de  l'autre  cofté  du  deftroit,comme 
nousallosparlamerdu  Sud,necouroit  pasmef- 
me  rumb  que  iufques  au  deftroit ,  mais  qu'elle  fè 
tournoit  vers  le  Leuan  t  :  car  autrement  c'çuft  efté 
chofe  impofliblejqu'ils  n'eu  fient  abordé  la  terre, 
ayans  couru  tant  ds  temps  pouffez  de  ce  traucr- 
fain,mais  ils  ne  pafferent  point  plus  outre,  &  ne 
veirent  non  plus  fi  la  terre  f  acheuoic  là  (ainfi  qnc 
quelques- vns  veulent  dire  )  que  c'eft  vue  ifle  que 
la  terre  de  l'autre  cofté  du  deftroit  ,  &  que  là  les 
deux  mers  de  Nort  8c  Sud  feioignent  enfembte, 
ou  fi  elle  alloit  courac  vers  J'Eft,  iufques  à  Icioiii- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
dreauec  la  terre  de  Vida,  qu'ils  appellent,qui  re- 
fpondauCap  de  bonne  efperance,  comme  c'eft 
l'opinion  d'autres.  La  vérité  de  cecyn'eftencor 
auiourd'huy  bien  cogneu'è5& ne  fecrouue aucun 
qui  aye  couru  cefte  terre.  Le  Viccroy  Dom  Mar- 
tin Henricquc,  me  dit,  qu'il  tenoit  pour  inuen- 
tion  del'Angloisle  bruit  qui  auoit  couru  ,  de  ce 
que cc^eftroitfaifoit incontinent  vncifle,  8c fe 
ioignoient  les  deux  mers  :  pource  qu'eftant  Vice- 
roydelaneufueEfpagne  i  il  auoit  diligemment 
examiné  le  pilote  Portugais  que  François  Drach 
ylailla,  &  neantmoins  n'auoit  aucunement  en- 
tendu telle  chofedeluy.Maisc'eftoitvn  vray  de- 
ftroit, &:  terre  ferme  des  deux  codez.  Retournant 
donc  ladite  Vice-admirale,  ils  recogneurentle 
deftroit,  comme  ledit  HernandeLamero  mera- 
conta,mais  par  vne  autre  bouche  ou  entrée  ,  qui 
eft  en  plus  de  hauteur ,  à  caufe  dej  certaine  grande 
ifle  qui  eft  à  l'emboucheure  du  deftroit  qu'ils  ap- 
pellet  la  Cloche, pour  la  forme  qu'elle  a. Et  com- 
me il  difoit,  il  le  voulut  palier  ,  mais  le  capitaine 
&  les  foldats  ne  le  voulurent  point  côfentir ,  leur 
fembloit  que  le  temps  eftoit  ja  bien  aduancé  ,  & 
qu'ils  couroiët  grand  danger:  par  ainu*  ils  retour- 
nèrent à  Chillè  Se  au  Peru,fans  l'auoir  pafle. 


Du  àeflroit  que  quclqnes-vns  afferment 
cjtre  en  U  Floride. 


CHAP.     XII. 


O  v  t  ainu"  comme  Magellan  trouua  ce  de- 
ftroit qui  eft  au  S  ud ,  il  y  en  a  eu  d'autres  qui 
ont  prétendu  defcouurir  vn autre  deftroit,  qu'ils 


DES    IND  ES.    LIV.    Il  I.  ^4 

difent  eftte  au  Nort,  &  l'imaginent  en  la  Floride, 
dont  la  code  court  de  telle  façon,quel'onne  fçait 
la  fin.    L'Adeiantade  Pierre  Melendez,  homme 
fçauant  Se  experimëté  en  la  mer,  afferme  que  c'en; 
chofe  certaine  qu'il  y  a  làvndeftroit  ,  &que  le 
Roy  luy  auoit  comandé  deIedefcouurir:en  quoy 
faire  il  monftroit  vn  très -grand  defir,  ilmettoit 
enauantces  taifons,pour  prouucrfon opinion, 
&di(oit  que  l'on  auoit  veu  en  la  mer  du  Nort,des 
reftes  de  nauircs  femblables  à  ceux  dontvfoiene 
îe$-Çhinois,ce  qui  euft  efté  impoiïible,fiîn'y  euft 
eu  palïàged'vne  mer  à  l'autre.  Etracoutoitmef- 
nie, qu'en  certaine  grande  bayc,quie(l  en  la  Flori- 
de laquelle  entre  trois  cens  lieues  dans  la  terre, 
l'onyvoiddes  balaines  en  certain  temps  de  l'an- 
nee,qui  viennent  del'autre  mer.  Apportant  outre 
ce  quelques  autres  indices,  concluoit  finalement 
que  c'eftoitchofecouenableà  lafagelfedu  Crea- 
teur,&  au  bel  ordre  de  la  natu  te ,  que  comme  il  y 
auoit  communication  Se  pafTagc  entre  les  deux 
mers  au  Pôle  Antarctique,  il  y  eneuftaufïï  tout 
demefmcau  Pôle  Arctique  ,  qui  cft  le  principal 
Pôle.  Quelques- vns  veulent  dite  que  Drach  a  eu 
cognoiirancedecedeftroit,  &  qu'il  a donné oc- 
cafion  de  le  iuger  ainfî,quand  il  pafla  lelong  de  la 
code  de  laneufue  Efpagne,  par  la  mer  du  Sud. 
Mefme  ion  a  opiniô  que  d'autres  Anglois  qui  ce- 
âe  année  1587.  prindrent  vne  nauire  venant  des 
Philippines,auec  grande  quantité  d'or ,  Se  autres 
richeucs,ayet aufïï  pafle  ce  deftroit.  Laquelle  pri~ 
le  ils  firent  ioignât  les  Calliphornes,que  les  naui- 
res  retournas  des  Philippines  Se  de  la  Chine  en  la 
neufue  E(pagne,ont  accouftumé  de  recognoiftre. 


I 


histoire    natvrelle 
L'on  affeure  que  comme  auiourd'huy  eft  grande 
la  hardi  elfe  des  hommes  ,  &  ledefir  de  trouuer 
nouucmx  moyens  de  f'agrandir  tel,qu'auant  peu 
d'annf.es  l'on  auradefcouuerc  ce  fecret.    Et  eft 
certe.«  ;  vne  chofe  digne  d'admiration, que  comme 
lesfeurmis  vonttouuours  fuiuant  le  chemin  & 
la  ce  ace  des  autres ,  aufîï  les  homes  en  la  cognoif- 
fam  ;e  &  recherche  des  cho fes  nouuellcs ,  ne  f  ar- 
reft.entiamaisiuiques  à  ce  qu'ils  ayent  atteint  le 
bu  tdefirépourlecontentement&  gloire  des  ho- 
m  es.    Et  la  haute  &  éternelle  fagelïc  du  Créateur 
G:  fert  de  celle  naturelle  curiofîté  des  hommes, 
f^our  communiquer  la  lumière  de  fonfaind  E- 
uangileauxpeuplesqui  toufioursviucntés  ténè- 
bres obfcures  de  leurs  erreurs.   Mais  en  fin  le  de- 
ftroit  du  Pôle  Arc~tique,f'ily  en  a,n'apoint  encor 
efté  defcouuert  iufques  auiourd'huy.  C'eft  pour- 
quoy  ce  ne  fera  point  chofe  hors  de  propos  de 
dire  ce  que  nous  ccgnoi'Jons  des  pamciuaritcz 
dudeftroit  Antar&ique  ,  ja defcouuert  &rece- 
gneu  par  le  rapport  de  ceux  qui  l'ont  veu&  re- 
marqué oculairement. 

Des  propriété^  du  d eftroit  de  Magellan. 

CHAP.     XIII. 

g  E  deftroit ,  comme  i'ay  dit ,  eft  à  cinquante 
degrez  iuftes  au  Sud,&y  a  d'vne  meren  l'au- 
tre l'efpace  de  quatre  vingts  .dix  ou  cent  lieues. 
Au  plus  eftroit  il  eft  d'vne  lieué ,  ou  quelque  peu 
moins,  auquel  lieuainfr*  eftroit  ils  pretendoient 
que  le  Roy  lift  baftir  vne  forterelTe  pour  défendre 
le  partage,  Le  fond  en  quelques  endroits  eft  fi  pro- 


DES     INDES.      Ll  V.    III..  p  f 

fond ,  qu'on  ncle  peut  fonder ,  &  en  d'autres  l'on 
trouue  fonds  à  dix-huic"t,  voire  à  quinze  brafïées. 
De  cent  lieues  qu'il  contient  de  longueur  de  IV- 
ne  mer  à  l'autre,  l'on  recognoift  clairement  que 
les  vagues  de  la  mer  du  Sud  courent  iufques  à  tre- 
telieuës,  ôc  les  autres  foixante& dix  lieues  font 
occupées  dzs  ondes  &dcs  flots  delà  mer  duNort. 
Mais  il  y  a  cède  différence  queles  trente  lieues 
du  coltéduSud  courent  entre  des  rochers  &:mo- 
tagnestres-hautes,  lesfommetsdefquelles  font 
continuellement couuer'ts  des  neiges ,  tellement 
qu'il  femble(àcaufe  de  leur  grade  hauteur)  qu'el- 
les feioigncntles  vues  auec  les  autres  ,cequitcd 
l'entrée  dudeftroit  du  codé  du  Sud  fi  difficile  à 
recognoiftre.  En  ces  trente  licuës  la  mer  y  eft  très- 
profonde,  fi  bien  qu'on  n'y  peut  trouuer  fonds, 
roiuesfbis  l'on  y  peut  amarer  les  nauires  en  terre, 
d'autant  que  le  riuage  y  eft  droit  ôc  coupé.  Mais 
aux  autres  foixante  &  dix  lieues  qui  viennent  de 
la  mer  du  N  ort ,  l'on  y  trouue  fonds ,  ôc  y  a  d'vn 
cofté&  d'autre  de  grandes  campagnes  qu'ils  ap- 
pellent Cauanas.  Plufieurs  grandes  riuieres  d'vne 
cauë  belle  ôc  claire  entrent  dans  ce  deftroit,  &  y  a 
ésenuironsd'iceluy  de  grandes  ôc  merueilleufcs 
forefts ,  où  l'on  trouue  quelques  arbres  d'vn  bois 
exquis  Se  de  bone  odeur,  lefquels  font  incogneus 
par  deçà  ;  dont  apportèrent  pour  monftre ceux 
qui  y  pafferent  du  Peru.  Il  7  a  de  grandes  prairies 
auant  dedans  la  terre,  &  y  a  plufieurs  ifies  qui  (c 
font  au  milieu  du  deftroit.  Les  Indiens  qui  habi- 
tent au  codé  du  Sud  font  petits  &  mcfchansxeux 
qui  habitent  du  collé  du  Nort,  font  grands  ÔC 
vaillaus,  ils  en  apportèrent  en  Efpagnc  quelques 


I 


HISTOIRE     NATVRELLE 
vns ,  qu'ils  prindrent.    Usy  trouuerent  des  mor- 
ceaux de  drap  bleu,  &  autres  enfeignes  ôc  apparc- 
cesque  quelques  hommes  de  l'turope  auoienc 

f>alle  pat  là. Les  Indiens  faluerent  les  noftres,auec 
enom  de  leius.lls  lont  bons  aixhers3&  vont  ve- 
ftus  de  peaux  de  belles  de  chafl'c ,  donc  il  y  en  a  là 
grande  abondace.  Les  eauës  du  deftroitcroilïent 
&decroilIent  comme  les  marées,  ôc  void  on  à 
l'œil  que  les  marées  d'vn  codé  viennent  de  la  mer 
du  Nort,&les  aucresdela  mer  du  Sud.  Au  lieu 
où  elles  fe  rencontrent,  lequel  comme  i'ay  dit,  eft 
à  trente  lieues  du  Sud,&:à  (oixate&dixdu  Nort, 
combien  qu'il  lemble  qu'il  deuil  y  auoir  plus  de 
danger  qu'en  tout  le  relie ,  neantmoins  quand  la 
nauiie  du  capitaine  Sarmiento,dont  i'ay  parlé  ci- 
delïïis ,  la  païîa ,  ils  n'eurent  point  degrand'  tour- 
mente ,  au  contraire  ili  y  trouuerent  beaucoup 
moins  de  difficulté  qu'ils  ne  penfoient,  parce  que 
alors  le  temps  eiloit  fort  doux  ôc  gracieux,  ôc  d'a- 
uantage  ics  vagues  de  la  mer  du  N  ort,  y  venoieut 
défia  tort  rompues ,  à  caufè  du  grâd  cfpace  de  foi- 
xante  ÔC  dix  lieues  qu'ils  cheminent ,  ôc  les  flots 
delà  mer  du  Sud  n'y  font  non  plus  furieux  à  cau- 
fe  de  la  profondeur  qui  eft  en  cet  endroit,  dedans 
laquelle  profondeur  ces  meimes  flots  fe  rompent 
ôc  fe  noyent.il  eft  bien  vray  qu'en  temps  d'Hyuer 
ledeftroit  eftinnauigeable  pour  les  tempcftescv 
ruries  des  mers  qui  y  iont  alors.  C'eft  pourquoy 
quelques  nauires  quiie  font  ingérez  de  palier  ce 
deftroitau  temps  d'Hyuer  fe  font  perdus.  Vu  feul 
nauire  L'a  paiîé  du  codé  du  Sud ,  qui  eft  la  capitai- 
ne que  i'ay  dite ,  &c  ay  efté  bien  amplement  infor- 
mé de  tout  ce  que  i'ay  die  par  le  pilote  d'iceluy 


DES     INDE  S.      Ll  V.    III.  96 

appelle  Hcmandc  Alonfe ,  Ôc  ay  veu  la  vraye  deC- 
cription  &cofte  du  deftroit  qu'ils  firent  &  tracè- 
rent en  lepailànt,  de  laquelle  ils  apportèrent  la 
copie  au  Roy  d'Efpagne,&  l'original  à  leur  Vice- 
roy  au  Peru. 


Du  flux  {?  reflux  de  lu.  mer  Occane  es  Indes. 
c  H  A  P.    XIII 1. 

N  des  admirables  feercts  de  nature  eft  le  flux 
&  reflux  de  la  mer,non  feulement  pour  cefte 
cftrangeproprieté,de  croiftrc&  defcroiftre}mais 
aufli  beaucoup  dauantage  pour  la  différence  qu'il 
y  a  en  cela  en  diuerftsmers,  voire  en  diuerfes  co- 
ftes  d'vne  mefme  mer.  1 1  y  a  des  mers  qui  n'ont  ne 
flux  ny  reflux  i  ou  rnel,com  me  l'on  void  en  la  Mé- 
diterranée intérieure  qui  eft  en  la  mer  Thyrrene, 
&toutesfois  il  y  a  flux  &  reflux  par  chaque  iour 
en  ia  mer  Méditerranée  fuperieurc  ,  qui  eft  celle 
de  Venife,  qui  donne  occafionà  bon  droict  de 
f'en  cfmeruciller ,  en  ce  que  toutes  ces  deux  mers 
cftans  Mediterranees,  &  celle  de  Venife  non  plus 
grande  que  l'autre;ii  eft- ce  qu'elle  a  du  flux  &c  re- 
flux comme  l'Océan ,  &  cefte  autre  mer  d'Italie 
n'en  a  point.  Il  fe  trouuc  quelques  mers  Medi- 
terranees ,  qui  manifeftement  croiiIent  ôc  dimi- 
nuent chaque  mois  ,  &  d'autres  qui  uecroifïcnc 
ny  au  iour,ny  au  mois.  Il  y  a  d'autres  mers  com- 
me l'Océan  d'Efpagne  ,  qui  ont  le  flux  &  reflux 
de  chaque  iour  ,  &  outre  ceftuy-làils  ont  aufli 
ecluy  de  chafquc  mois  qui  vient  deux  fois ,  à  fça- 
uoir  à  l'entrée  &  au  plein  de  la  Lune,  &  l'appel- 
lent grande  mer.    C)r  de  dire  qu'il  y  ait  quelque 


HISTOIRE    NATVRELLE 
mer ,  qui  aye  le  flux  &  reflux  de  chafque  iour ,  & 
n'aye  celuy  du  mois ,  ie  n'en  fçache  point .  C"cft 
choie  efuerueillable  ,  que  la  diuerhtc  que  l'on 
voidés  Indes  iur  ce  labiée!::  car  il  y  a  des  endroits 
où  la  merchaique  iour  monte  &  diminué  deux 
lieues ,  comme  i'onvoid  en  Panama  .Se  au  hauc 
de  l'eau  elle  monte  beaucoup  d'auantage,  il  y  en 
a  d'autres  où  elle  monte  &i'abaillè  fipeu,  qu'à 
peine  encognoifton  la  différence.  C'cft  l'ordi- 
naire de  la  mer  Oceaned'auoirfon  flux&:  reflux 
iournel,&:  ce  reflux  iournel  eft  deux  fois  au  iour 
naturel ,  &  faduance  toufiours  de  trois  quarts 
d'heure  en  vn  iour  pluftoft  qu'en  l'autre,  minant 
lemouuementdela  Lune.  Par  ainii  la  marée  n'eft 
iamaisen  vnemelme  heure  d'vn  iour,  qu'elle  eft 
en  celle  de  l'autre.  Quelques-vns  ont  voulu  dire 
que  ce  flux  Se  reflux  procedoit  du  mouucment 
local  del'cauë  de  la  mer,  de  forte  que  l'eau ë  qui 
vient  croillantenvn  cofté,  va decroiflant  en  l'au- 
tre qui  luy  eft  contraire,  tellement  qu'ileft  pleine 
merenvn  en»droicl  lorsque  la  mer  eft  balle  en  la 
partie  oppo(ite,tout  ainfique  l'onvoid  en  vne 
chaudière  pleine  d'eau'ë  que  l'on  remue,  quand 
elle  panche  d'vn  cofté  l'eau'é  augmente  ,.&  à  l'au- 
tre collé  elle  diminue.  Il  y  en  a  d'autres  qui  affer- 
ment que  la  mer  en  vn  mefme  temps  croift  en 
tous  endroits,  &en  vn  mefme  temps  elle  y  di- 
minue tout  ainfl  que  le  bouillon  d'vn  pot,lortant 
du  centre  fefted  à  tous  endroits ,  Se  quand  il  celle 
il  diminue'  aulîîde  toutes  parts.  Cefte  féconde 
opinion  eft  vraye ,  Se  la  peut-  on  tenir,  félon  mon 
iugement  ,  certaine  &  expérimentée  ,  non  pas 
tant  pour  les  raifons  que  les  Phiiofophes  en  don- 
nent 


DES     INDES.       L  IV.    III.  9J 

nenten  leurs  Météores,  que  pour  l'expérience 
certaine  que  l'on  en  a  peu  faire.  Car  pour  me  fà- 
tisfairedecepoinctcx:  queftion,iedemanday  fort 
paiticuliercmctaufufditpilote,commenteftoiét 
les  marées  qu'il  trouuaau  deftroit,  8c  fil  eftoit 
ainfi  que  les  marées  de  la  mer  du  Sud  decroiiïbict 
au  temps  quecellesdelamerduNortmontoiët. 
Et  au  contraire ,  pourquoy  cefte  demande  eftant 
véritable  ,  il  aduenoit  qite  le  croiftre  de  la  mer  en 
vn  endroit3efl;oit  deferoiftre  en  l'autre,  quieft-ce 
que  la  première  opinion  afferme.  Il  merefpon- 
dit  qu'il  n'en  eftoit  pas  ainli,mais  que  l'on  voyoit 
8c  recocmoilîoit  apertement  que  les  marées  de  la 
mer  du  Nort,&  celles  de  la  mer  du  Sud  croiilbiet 
en  hicfme  temps ,  tanç  que  les  vagues  d'vne  mer 
ferencontroientauee  celles  de  l'autre,  8c  qu'en 
vn  mefme  temps  auffi  elles  commençoienc  à  def- 
eroiftre chacune  en  la  mer  ,  difant  que  le  monter 
&c  defeendre  eftoit  chofe qu'ils  voyoient  chaque 
iour  ,  &  que  le  coup  &  le  rencontre  d'vn  flux  à 
l'autre  fe  faifoit  (comme  l'ay  dit)  aux  foixante  & 
dix  lieues  de  la  mer  du  Nort,  &  aux  trente  de  la 
mer  du  Sud.  D'où  l'on  peut  recueillir  manifeste- 
ment que  le  flux  8c  reflux  de  l'Océan  n'eft  pur 
mouuementlocal,maispluftoftvne altération  Se 
ferueur,  par  laquelle  realement  toutes  leseauës 
montent  (S&croilfent  tout  en  vn  mefme  temps,  &c 
en  autre  elles  f  abbaiiFent  8c  diminuent  ainfi  que 
le  bouillon  du  pot,dont  i'ay  parle  cy-deflus.Il  fç- 
roitimpoflible  de  comprendre  ce  poincl  par  ex- 
périence ,  fi  ce  n'eftoit  ence4eftroit  où  fe  ioint 
tout  l'Océan  d'vne  part  8c  d'autre,  car  il  n'y  a  que 
les  Anges  qui  le  pcullènt  voir  8c  recognoiftre  par 


HISTOIRE  NATVRILLE 
les  codes  oppofites,d'autant  que  les  homes  n'ont 
point  la  veuë  allez  lointaine,  ny  le  pied  aiïèz  ville 
&  léger  qu'il  feroit  de  befoin  pour  porter  les  yeux 
d'vn  codé  à  l'autre  en  fi  peu  de  temps  qu'vne  ma- 
rée donne  le  loifîr,  qui  Font  feulement  fîx  heur  es. 


De  diuers  poiffons ,  &  de  U  manière  de 
pefeber  des  Indiens. 

CHAP.     XV. 

Lya  en  l'Océan  des  Indes  vne innombra- 
ble multitude  de  poiflTons  ,  les  efpeces  & 
proprictez  defquels ,  le  feul  Créateur  peut  décla- 
rer. Il  y  en  a  plufieursqui  font  de  mefme  genre 
que  ceux  que  voyons  en  la  mer  de  rEurope,com- 
mc  font  faintes  &  allofes ,  qui  montent  de  la  mer 
aux  riuieres,dorades,  fardincs  &  plufieurs  autres. 
Il  y  en  a  d'autres ,  dont  ie  ne  nenfe  point  en  auoir 
veu  par  deçà  de  femblablcs ,  comme  ceux  qu'ils 
appellent  Cabrillas ,  qui  reiïèmblent  de  quelque 
enofe  les  truites,  &  les  appellent  en  la  neufue  Ei- 
pagne,bobos  ,  &  montent  delà  mer  aux  riuieres. 
le  n'ay  point  veu  par  delà  de  befugues,ny  de  trui- 
tes,encor  qu'ils  difent  qu'on  en  trouue  en  Chillc. 
De  Tonine  il  y  en  a  en  quelques  endroits  de  la 
cofte  du  Peru,mais  c'eft  fort  raremét,  &  font  d'o- 
pinion qu'à  certain  temps  ils  vont  frayer  au  de- 
ftroit  de  Magellâ, comme  ils  font  en  Efpagneau 

on 


deftroitdeGibaltar.  Et  pour  cède occafionl' 
en  trouue  dauantage  enlacoftedeChiilé,  com- 
blé que  celle  que  i'ay  veuë  pat  delà  n'eft  telle  que 
celles  d'Eipagne.  Aux  ifles  qu'ils  appellëc  de  Bar- 


DES     IN  DES.       LI  V.   ï  II.  9% 

louente,qui  font  Cube ,  faindt  Dominique,Port- 
riche&  Iamaique,ron  trouue  vnpoilîbn  qu'ils 
appellent  Manati ,  eflrange  efpece  de  poillon  ,  fi 
poilïbn  l'on  doit  appeller ,  vn  animal  qui  engen- 
dre Tes  petits  viuans,  &  a  des  mamelles  &  du  laid 
dont  il  les  nourrit ,  paiflant  l'herbe  aux  champs, 
mais  en  effedfc  il  habite  ordinairement  en  l'eaue, 
&pour  celle  occafion  ils  le  mangent  corne  poif- 
fon  ,  toutesfoislors  que  f  en  mangeay,qui  fut  à  S. 
Dominique  vn  iour  deVendredy,i'auois  quelque 
fcrupu!e,non  point  tant  pour  ce  qui  eft  dit,  com- 
me parce  qu'en  couleur  &faueur  il  eftdit  fembla- 
bleadesmorceaux.de Veau,  &  auflïeft-il grand 
&  delà  façon  d'vne  vache  par  la  partie  de  derriè- 
re. Des  Tiburons,&  de  leur  incroyable  voracité, 
ie  m'en  efmerueillay  auec  raifon,lors  queie  veids 
qued  vn  qu'ils  auoient  pnns ,  (au  port  quei'ay 
dit)  luy  tirèrent  du  petit  ventre  vn  grand  couteau 
de  boucher,vn  grand  haimdefer,&  vn  morceau 
de  la  tefte  d'vne  vache,  auec  fa  corne  entière ,  cn- 
cor  ne  fcay  h*  toutes  deux  y  eftoiet  point.  le  veids 
en  vne  anfe  que  fait  la  mer  où  l'on  auoit  pendu  en 
vn  pieu,  pour  palfe-temps  vn  quartier  de  cheual, 
qu'en  vn  moment  vne  compagnie  de  Tiburons 
vindrent  à  l'odeur,  où  afin  d'auoirplus  de  plaifîr, 
la  chair  du  cheual  ne  touchoit  pasen  l'eaue,  mais 
eftoit  eileueeen  l'air  ie  ne  fçay  combien  de  pal- 
mes ,  Se  cette  bande  de  poilïbns  cftoient  à  l'en  - 
tour,qui  fautoient,  ôc  d'vne  atteinte  en  l'air  cou- 
poient  chair  &  os,  &  d'vne  eftrange  vifteire,tellc- 
ment  qu'ils  decoupoiet  le  mefme  iaret  du  rouiîin 
comme  fî  c'euft  efté  vn  tronc  de  laictue ,  d'autant 
qu'ils  ont  les  dents  tranchantes  comme  rafoirs. 

N  i; 


HISTOIRE     NATVRELLE 
Il  y  a  des  petits  poilïbns  qu'ils  appellent  rambos, 
qui  ("attachent  à  ces  Tiburons ,  Se  lelquels  ils  ne 
peuuentchailer,&:fe  nourrirent  deccquiefcha- 
pe  par  les  codez  à  ces  Tiburons. Il  y  a  d'autres  pe- 
tits poilïbns  qu'ils  appellent  poilïbns  vollans, 
lefquelsl'on  trouue  dans  les  Tropiques  ,  Se  ne 
penfe  point  qu'il  y  en  ait  ailleurs:  ils  fontpour- 
fuiuis  par  les  Dorades ,  Se  pour  i'efchaper  d'icel- 
les  fautent  de  la  mer,&  vont  allez  1  oing  en  l'air,& 
pour  ccftecauie  les  appellent  poilïbns  vollans. Ils 
ont  des  aifles  comme  de  toille,ou  parchemin}qiu 
les  fouftiennent  quelque  temps  en  l'air.  Au  naui- 
re  où  i'alloisen  voila  ou  lauta  vn,que  ie  veids ,  Se 
remarquay  la  façon  que  iedy  desaiiles.il  eftfou- 
uent  fait  mention  es  hiftoires  des  Indes,  des  lé- 
zards, ou  caymans»  qu'ils  appellent,  &  font  de 
vray  ceux  que  Pline,  Se  les  anciens  appellent  cro- 
codiles :  on  les  trouue  es  codes  Se  riuiercs  chau- 
des ;  car  aux  codes  Se  riuicres  froides  il  ne  l'en 
trouue  point.  Cedpourquoyiln  y  en  a  point  en 
toute  la  code  du  Peru,  iulques  àPayra,  mais  de 
là  en  auant  l'on  en  trouue  ordinairement  es  ri- 
uieres.C'eft  vn  animal  tres-fier  Se  cruel,combien 
qu'il  foit  fort  lent  &pefant.  Il  faitfachalîe,&  va 
chercher  fa  proye  hors  dei'eau'è,&  ce  qu'il  y  pred 
vif,le  va  noyer  en  l'eauë,toutesfois  il  ne  le  mange 
point  que  hors  de  l'eauë, d'autant  qu'il  aie  gofier 
de  telle  façô^que  fil  y  entroit  de  l'eanë  il  fe  noye- 
roit facilement.  C'eft  vne chofe efmerueillable, 
que  le  combat  d'vn  caymantauec  letygre,dont 
il  y  enadetres-cruelsaux  Indes. Vn  religieux  des 
hoftres  me  racora  qu'il  auoit  veu  ces  belles  com- 
batte cruellement  l'vne  contre  l'autre  au  riuage 


DES    INDES.    LIV.    III.  <?  9 

de  la  mer.  Le  caymant  auec  fa  qucu'ë  donnoit  de 
fort  grands  coups  au  tygre,  Se  tafchoifrpar  /à  gra- 
de force  de  l'emporter  en  l'eauë  :  Se  le  tygre  auec 
fes  griffes  refiftoitau  caymant,  l'attirant  à  terre. 
En  fin  le  tygre  vainquit  &ouurit  le  iezard,ce  deut 
eilre  par  le  ventre ,  qu'il  a  fort  tendre  Se  fort  deli- 
cat,car  en  autre  partie  il  eft  fi  dur,  qu'il  n'y  a  lan- 
ce, voire  à  peine  arebufe  qui  le  puidepercer.  La 
victoire  qu'eut  vn  Indien  d'vn  autre  caymat,fut 
encor  plus  excellente:  le  caymant luyauoit em- 
porté vn  fien  petit  fils,  &  quant  &  quant  feftoit 
plongé  en  la  mer  ,  dont  l'Indien  efmeu  Se  cour- 
roucé,fe  jetta  incontinent  apres,auecvn  couteau 
en  la  main,  &  comme  ils  font  excellens  nageurs 
Se  plongeurs ,  §c  que  le  caymant  nage  toufidurs  à 
fleurd'eauëjilIeblelTaau  ventre  de  telle  façô,que 
le  caymant  fe  fentant  blelle,fortit  hors  au  riuage, 
&lafchale  petit  enfant  ja  mort.  Encor  plus  ef- 
merucillable  eft.  le  combat  que  les  Indiens  ont  a- 
ueclesbalaincs,  en  quoy  paroiilla grandeur  Se 
magnificence  du  Créateur,  de  donnera  vne  na- 
tion Ci  bafle.comme  font  les  Indiens,i'induft;rie  8c 
la  hardiefle  d'attaquer  la  plus  fierc&  plus  diffor- 
me beftequi  foit  en  l'Vniuers ,  Se  non  feulement 
delacombatrc  ,  mais auiïï  delà  vaincre  Se  d'en 
triompher  fi  gaillardement.  Confiderant  cela,  ie 
me  fuis  fouuenu  plufieurs  fois  du  paflage  du  Pial- 
mi(ïe,qui  dit  de  la  balaine  :  Drace  tftc^mmfonnufti 
ad  illudendum  et.    Quelle  plus  grande  moquerie 
peut-il  eftre,  que  ce  qu'vn  Indien  meine  vne  ba- 
laine auflï grande  quvne  montagne,  vaincue  Se 
attachée  auec  vne  corde?  La  façon  &  manière  dot 
vfenc  les  Indiens  de  la  Floride  (  félon  que  m'ont 

N  iij 


HISTOIRE    NATVREUE 
raconté  perfonnes  cxpertcs)pour  prendre  ces  ba- 
laines ,  deiquelles  y  a  grande  quantité,  eft  qu'ils  fe 
mettent  en  vne  canoë,  ou  barque ,  qui  eft  comme 
vne  efcorce ,  Se  en  nageant  Rapprochent  du  code 
delabalaine,  puis  d  vne  grande  dexreritéils  luy 
fautent  Se  montent  fur  le  col,&  là  fe  tient  comme 
à  cheual,  en  attendant  Ton  point,  puis  à  fa  com- 
modité met  vn  baftÔ  aigu  &  fort  qu'il  porte  auec 
foy,dans  la  feneftre  de  la  narine  de  la  balaine,i'ap- 
pellénarine, le  conduit  ou  permis  paroùrefpi- 
reut  les  balaines.  Incontinct  le  poulie  auan  t  auec 
vn  autre  bafton  bien  fort ,  cVle  fait  entrer  le  plus 
profondement  qu'il  peut.  Cependant  labalaine 
bat  furieufement  la  mer,  Se  efleue  des  montagnes 
d'eaue,  f enfonçant  dedans  d'vne-grandeviolen- 
ce,puisre(fort  incontinent ,  ne  fçachant  que  faire 
de  rage,  l'Indien  neantmoins  demeure  toufiours 
ferme  &afïïs  ,  &  pour  luy  payer  l'amende  de  ce 
mal,  luy  fiche  encor  vn  autre  pieu  fembiablecn 
l'autre  narine,  le  faifànt  entrer  de  telle  façon  qu'il 
l'eftoupe  du  tout,&  luy  ofte  la  refpiratio ,  Se  alors 
il  fe  remet  en  (a  canoë ,  qu'il  tient  attachée  au  co- 
fté  de  la  balaineauec  vne  corde,  puis  fe  retire  vers 
terre  ayant  premièrement  attaché  fa  corde  à  la 
balaine,  laquelle  il  va  filant  Sclafchant  fur  laba- 
laine ,  qui  cependant  quelle  trouue beaucoup 
d'eauë,faulte  d'vn  codé  Se  d'autre ,  comme  trou- 
blée de  douleur ,  Se  en  fin  f  approche  de  terre ,  où 
elle  demeure  incontinent  à  fec  ,  pour  la  grande 
enormité'de  fon  corps ,  fans  qu'elle  puilfe  plus  fe 
mouuoir,ny  fe  manier,  Se  lors  grad  nombre  d'In- 
diens viennent  trouuer  le  vainqueur,  pourcueil- 
lir  fes  defpouilles.    Ils  acheuent  de  la  tuer ,  la  de- 


DES    INDES.       I1V.    III.  100 

coupant ,  &  faifant  des  morceaux  de  fa  chair ,  qui 
eft  allez  mauuaife,lefquels  ils  fechentSc  pillent 
pour  en  f  lire  de  la  poudre,dont  ils  vfent  pour  via- 
de,qui  leur  dure  long  temps. En  quoy  eft  accom- 
pli ce  qui  eft  dit  en  vn  autre  Pfalme  de  la  mefme 
oalaine:  Dcdifli  cttm  efeum  populis  JEtbiopum.  L'ade- 
lantade  Pierre  Mendcs  racontoit  plufieurs  fois 
ccftepcfcherie,  de  laquelle  mefme  fait  mention 
Modardes  en  Ton  liure.  Il  y  a  vne  autre  pefcherie, 
dont  vfent  ordinairement  les  Indiens  en  la  mer, 
laquelle,  quoy  qu'elle  foit  moindre ,  ne  laifle  d'e- 
ftre  digne  de  raconter.  Ils  font  comme  des  fagots 
de  iong,ou  varig  fec,bien  liez,qu'ils  appellét  bal- 
fas,&  les  ayans  portez  fur  leurs  efpaules  iufques  à 
la  mer,les  y  jettent ,  &c  incontinent  ils  fe  mettent 
deflTus,  &ainfîa(Iïs  entrent  bien  auant  en  la  mer, 
voguans  auec  de  petites  cannes  d'vn  cofté  &  d'au- 
tre, ils  vont  vne  &  deux  lieues  en  haute  mer  pour 
pefcher,  portas  fur  ces  fagots  leurs  cordes  &  leurs 
rets,&  fe  fouftenans  fur  iceux,ils  iettet  leurs  rets, 
&  font  là  pefchans  la  plus  grade  partie  de  la  nuict, 
ou  du  iour,  iufques  à  ce  qu'ils  aycntemply  leur 
mefure,auec  lefquels  ils  retournent  fort  contens. 
Certes  ce  m 'eftoit  vne  grande  récréation  de  les 
voir  aller  pefcher  au  Callao  de  Lyma  ,  pource 
qu'ils  cftoient  grand  nombre,&  ainil  chacun  cher 
mlier ,  ou  allis,  coupant  les  ondes  de  la  mer  à  qui 
mieux  mieux,  lefqueiles  à  l'endroit  où ilspefchct 
font  grandes  &  furieufes,  reflembloient  les  Tri- 
tons, ou  Neptunes  qu'on  peint  delîus  l'eaue,  & 
eftans  arriuez  en  terre,tirent  leur  barque  de  l'eaue 
furie  dos,  laquelle  aufïï  toft  ils  défont  &eften- 
dent  furlcriuage,afîn  que  les  herbes  fe  fechent 

N  iiij 


HISTOIRE  NATVREILE 
&efgoutent.  Il  y  auoit  d'autres  Indiens  des  val- 
lées de  Yca,  qui  anoient  de  couftume d'aller  pef- 
cher  fur  des  aiirs  ou  peaux  de  loups  marins ,  en- 
flez &  pleins  de  vent  ,  &defois  à  autre  les  fou f- 
floient  comme  pelotes  de  vent,  de  peur  qu'elles 
ncfenfonfalTent.Au  valdeCanete,qu'ancienne- 
mcntilsappelloient  leGuarco,il  y  auoit  grand 
nombre  de pefcheurs  Indiens, mais  pource  qu'ils 
reiîfterent  àl'Ingua,  quand  il  fut  conquefter  celle 
terre,il  feignit  faire  paix  auec  eux-.c'eft  pourquoy 
afin  deluy  faire  fefte,  ils  ordonnèrent  vne  pefche 
fQ.lemnelledepluueurs  milliers  d'Indiens,  qui  en 
leurs  vailîeaux  de  ionc  entrèrent  en  la  mer ,  &  au 
retour  de  llngua,  qui  auoit  appareillé  quelques 
jfoldats  couuertSjfit  d'eux  vn  cruel  carnage,  ôc  de 
làdemeuracefteterretantdefpeuplée,  combien 
qu'elle  foit  fi  abondante  &  fertile.  le  vis  vne  au- 
tre façô  de  pefcher,  où  me  mena  le  Viceroy  Dom 
François  de Tollede ,  toutesfois  ce  n'eftoit  point 
en  la  mer  ,  mais  en  vne  riuiere  qu'ils  appellent 
Grande ,  en  la  prouinec  des  Charcas ,  où  des  In- 
diens Chiraquanas  le  plongeoient  en  l'eauë ,  & 
nageans  auec  vne  admirable  viftelïe  fuiuoient  les 
poiiïons,&  auec  des  darts  ou  harpons  qu'ils  por- 
toientenlamain  droite,  nageans  feulementauec 
la  gauche,  blellbient  le poiiïbn ,  &aintî  nauréle 
tiroientenhaut  ,  reiïemblans  en  cela  eftreplus 
poidons  qu'homes  déterre.  Mais  ores  que  nous 
fommes  fortis  delà  mer ,  venons  à  ces  autres  for- 
tes d'eauës  qui  relient  à  dire. 


DES      INDES.       II  V.    III. 


101 


Des  lacs  &  des  eftangs  que  ton  trouue  es  Indes. 
CHAP.      XVI. 

gAfâ  V  lieu  de  ce  que  la  mer  Méditerranée  eft  au 
ëç&5  vieil  monde,le  Créateur  a  pourueu  ce  nou- 
ueaudepluficurslacs,  dont  y  en  a  quelques-vns 
fi  grands,que l'on  peut propremet  appeller  mers: 
veuquel'Efcriture  appelle  ainficeluy  dePalefti- 
ne,qui  n'eft  pas  fi  grad  que  quelques-vns  de  ceux- 
cy.Le  plus  renommé  eft  celuy  de  Titicaca,qui  eft 
au  Peru  en  la  prouince  de  Collao,Iequel,  comme 
i'ay  dit  au  liure  précèdent,  contient  prefquc  qua- 
tre vingts  lieues  de  tour,  &  y  entrent  dix  ou  dou- 
ze grands  fleuues.    Il  y  a  quelque  temps  que  l'on 
commença  aie  nauiger  auecdes  barques  &  des 
nauires ,  8c  y  procédèrent  fi  mal ,  que  le  premier 
nauire  qui  y  entra  s'ouurit  d'vne  tempefte  qui 
f'efleua  en  ce  lac.  L'eaUë  n'eft  pas  totalemëtame- 
renyfalèe  comme  celle  de  la  mer,  mais  elle  eft  (î 
eipaific  qu'on  ne  la  peut  boire.  Deuxefpeces  de 
poifTons  l'engendrent  en  ce  lac  en  fort  grande a- 
Dondance,i'vn  defquels  ils  appellent  Suches,  qui 
eft  grand  &fâuoureux,  mais  flegmatique  &  mal 
/ain  i&  l'autre  Bogas,  qui  eft  plus  fain  y  combien 
qu'il  foit  petit  &  fort  efpineux.  Il  y  a  très  -grand 
nombre  de  canars  fàuuages  8c  de  cercereulles. 
Quand  les  Indiens  veulent  faire  fefte ,  ou  donner 
du  pafTe- temps  à  quelque  perfonnage  oui  pafTc le 
long  des  deux  riuages,qu'ils  appellent  Chucuyto 
Se  Omafuyojilsairemblent  vne  grande  quantité 
de  Canoës,  8c  vont  faifantvn  rond  pourfuiuans 
&  enterrant  les  canards  iufques  à  en  prendre  aucc 


I 


HISTOIRE  NATVR.ELLE 
les  mains  tant  qu'ils  veulent ,  Se  appellent  celle 
faconde  pefcher  Chaco.  Enl'vn&  en  l'autre ri- 
uagedecelacfont  les  meilleures  habitations  du 
Peru.  De  Ton  iiTue  il  naift  &  procède  vn  autre  lac 
plus  petit,encor  qu'il  (oit  bien  grand  ,  qu'ils  ap- 
pellent Paria,  au  riuage  duquel  y  a  grand  nombre 
debeftialjfpecialementdeporcSjquii'engraiiïent 
extrêmement  des  herbiers  qui  croilTent  en  ces  ri- 
uages.  Il  y  a  beaucoup  d'autres  lacs  aux  lieux 
hauts  de  la  montagne,  d'où  naiirentdesriuisres 
&  des  ruilleaux,  qui  viennent  delà enauatàeftre 
fort  grands  fleuues.  Au  chemin d'Arequippa à 
Collao,il  y  aau  haut  deux  beaux  lacs  d'vn  cofté  & 
d'autre  du  chemin:de  l'vn  fort  vn  ruiiïeau,qui  de- 
puis deuient  fleuue,&  fe  perd  à  la  mer  du  Sud. De 
l'autre,  ils  difcntquela  fameuferiuiered'Apori- 
ma  prend  Ton  origine ,  de  laquelle  l'on  dit  que  la 
renommée  riuierc  des  Amazones,  autrement  di- 
te de  Maragnon,procede  auec  fa  grande  quantité 
&alïèmbléed'eaues  quife  ioignentencesmon- 
tagnes.  C'eft  vne chofe  que  l'on  peut  fouuentes- 
fois  demander ,  d'où  vien  t  qu'il  y  a  tant  de  lacs  au 
hautdeces montagnes, efqucls il  n'entre  aucune 
riuiere,  mais  au  contraire  plusieurs  grands  ruik 
féaux  en  fortent ,  &  fi  n'apperçoit  on  point  que 
ces  lacs  diminuent  prefque  en  aucune  faifon  de 
l'année.  De  penfer  que  ces  lacs  ^engendrent  des 
neiges  fondues  oudcspluyes  du  ciel,  cela  ne  fa- 
tisfait  point  du  tout, car  il  y  en  a  pludeurs  de  ceux 
là  qui  n'ont  cefteaboadance  de  neiges  ny  tant  de 
pluyes,  &  fi  l'on  ne  i'apperçoic  point  qu'ils  dimi- 
nuent.  Ce  quifait  croire  que  ce  font  fourcesqni 
ynaiiienc  6tfour4cat  naturellement,  bien  qu'il 


. 


DES    TNDES.       tl  V.    III. 


IOi 


neloitpas 
les  pli 


mal 


prop 


os  de  croire 


qui 


les 


nei 


ges 


&  les  pluyes  y  peuuent  aider  en  quelques  faifons. 
Ces  lacs  font  fi  communs  aux  plus  hauts fom- 
mets  des  montagnes,  qua  peine  y  a  ilriuiere  fa- 
meufe  qui  ne  tire  Ton  origine  de  quclqu'vn  d'i- 
ceux.  Leur  eaue  eft  fort  nette  &  claire,&  C'y  en- 
gendre peu  de  poisons ,  encor  fi  peu  qu'il  y  en  a, 
eft  fort  menu  à  caufe  du  froid  qui  y  eft  continuel- 
lement :  combien  qu'il  y  ait  toutesfois  quelqucs- 
vnsde  ces  lacs  qui  font  véritablement  chauds, 
qui  eft  vne autre  mcrueilie.  Au  bout  de  la  vallée 
de  Tarapaya,  proche  de  P  tozi  ,  y  avnlac  de 
forme  rond, tel  qu'il  femble  auoir  eftè  fait  par 
compas ,  l'eaue  duquel  eft  tres-chaude ,  combien 
que  la  terre  en  foit  extrêmement  froide.  Ils  ont 
accouftumé  de  s'y  baigner  prés  duriuage,  d'au- 
tant qu'vn  peu  auant  l'on  ne  pourroitfouffrirla 
chaleur.  Au  milieu  de  ce  lac  y  a  vn  bouillon  de 
plus  de  vingt  pieds  en  quarré,qui  eft  fa  vraye  four 
ce  :  &  neantmoins  quo^  que  cefte  fource  en  foit 
ainfi  grande ,  iamais  on  ne  le  void  croiftre  en  au- 
cune façon,  &  femble  qu'il  s'exhale  de  foy-mef. 
me,ou  qu'il  ait  quelque  iiïue  cachée  &c  incognue. 
On  ne  le  void  non  plus  diminuer,  qui  eft  vne  au- 
tre merueille,  iaçoit  que  l'on  en  ait  tiré  vn  gros 
ruiiïeau  courant  pour  faire  moudre  certains  en- 
gins pour  le  métal,  veu  que  pour  la  grande  quan- 
tité de  l'eaue  qui  en  fort ,  par  raifon  il  deuroit  di- 
minuer. Or  lai  fiant  le  Peru,&  paflant  à  la  neufue 
Efpagnc,  les  lacs  qui  s'y  trouuët  ne  sot  pas  moins 
remarquableSjfpecialemct  ce  tant  fameux  de  Me- 
xique ,  auquel  l'on  trouue  de  deux  fortes  d'eaues, 
l'vnt  fallée  &  fcmblable  à  celle  de  la  mer ,  &  l'au- 
«  ;laire  &douce  à  caufe  des  riuicrcs  qui  y  entret. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
Au  milieu  de  ce  lac  y  avn  rocher  fort  plaifànt  & 
délicieux,  où  il  a  des  baings  d'eau'ë  chaude  qui  y 
fourdcnt,lefquelsils  eftiment  beaucoup  pour  la 
famé.  Il  y  a  des  iatdins  au  milieu  de  cclac,fondez 
&  portez  fur  l'eauëmefme,  oùl'onvoiddes  par- 
terres pleins  de  mille  fortes  d'herbes  &  de  fleurs, 
&  font  de  telle  façon  qu'on  ne  les  peut  bien  coin  - 
prendre  finon  en  les  voyant.  La  cité  de  Mexique 
eft  fondée  fur  ce  lac,encor  que  les  Efpagnols  aycc 
rcmply  de  terre  tout  le  lieu  de  afïïete  d'icelle,laif- 
fans  feulement  quelques  courans  d'eauë  grands 
&  petits  qui  entrent  Se  tournoyent  dansla  ville 
pourvoicîurer  ce  qu'ils  ont  de  befoin,  comme 
Dois,herbes,pierres,fruiclsdupays,&  tontes  au- 
tres chofes.  Quand  Cortes  conquefta  Mexique,il 
fit  faire  des  brigantins,  &depuis  luy  fcmbla  qu'il 
eftoit  plus  leur  de  ne  l'en  feruir  point.  C'eft  pour- 
quoy  ils  vfent  des  Canoës,dont  y  a  gtande  abon- 
dance. Il  y  a  en  ce  lac  beaucoup  de  poilibn  &  de 
viukr,  combien  que  ie  n'y  ay  pasveudepoilïbn 
deprix,toutesfois  ilsdifent  quelereuenu  de  ce 
lac  vaut  trois  cens  mille  ducats.  Il  y  a  plufîeurs 
autres  lacs  non  loin  delà,  d'où  l'on  porte  beau- 
coup dcpoitîbnà  Mexique.  Laprouincede  Me 
chouacan  eft  ainfi  appellée ,  pource  que  c'eft  vne 
prouince  abondante  en  poilîon.  Il  y  a  de  très- 
beaux  &  grands  lacs,  efquelsil  y  a  beaucoup  de 
poiflfon ,  &c  eft  cefte  terre  faine  &  fraifehe.  Il  y  a 
plufieurs  autres  lacs,  defquels  il  n'eft  pas  poflîblc 
Faire  mention,nylesfçauoirenparticulier:feule- 
mentl'on  peut  remarquer  par  ce  qui  en  a  cfté  dis- 
couru au  liure  précèdent,  que  fouz  la  Torride  il  y 
a  plus  grande  abondance  de  lacs  qu'en  autre  par- 


DES    INDES.       LIV.    III.  IO3 

tie  du  monde:  &ainfi  parce  que  nous  auonsdit 
cy-deMus ,  &  le  peu  que  nous  dirons  des  riuieres 
&  fonçâmes,  nous  mettons  fin  à  cette  matière 
d'eaues. 


Dcplitfieurs  &  Sua fes four  ces  &  fontaines. 

c  H  A  P.      XVII. 

?w<v  Lyaés  Indes  comme  es  autres  parties  du 
SM  monde  grande  diuerfité  de  fources ,  fontai- 
nes &riuieres  \  Se  quelques- vnes  de  proprietez 
ettranges.  En  Guancauelica  du  Peru  où  font  les 
mines  du  vif  argent ,  il  y  avne  fontaine  qui  jette 
l'eauë  chaude,  &  en  coulant  fon  eaue  fc  conuertic 
en  roche  ,  delaquelle  roche  ou  pierre,l'on  édifie 
qualï  toutes  les  maifons  du  bourg.  Cefte  pierre 
ell  molle  &  ailée  à  couper,  car  auecvn  fer  l'on  la 
coupe  &  tailleauffi  facilement  comme  fi  c'eftoit 
du  bois,&:  eft  légère  &  de  durée.  Si  quelques  ho- 
mes ou  animaux  boiuent  de  cefte  eauc ,  ils  meu- 
rent, d'autant  qu'elle  fecongele  dedans  leur  ven- 
tre^ py  conuertit  en  pierre,  pour  cefte  caufeen 
iov<.  morts  quelques  cheuaux. Comme  cefte  eaué 
fe  va  eouertifïànc  en  pierre,celle  qui  découle  bou- 
che le  chemin  au  refte ,  tellement  qu'elle  eft  con- 
trainte de  changer  (on  cours,&  pour  cefte  raifon 
elle  court  en  diuers  endroits,au  pris  que  va  croif- 
iàntla  roche.  En  la  pointe  ou  Cap  de  fain&e  Hé- 
lène, y  a  vncfource  ou  fontaine  de  betum,  qu'au 
Peru  ils  appellent  Coppey.Cedoit  eftre  vne  cho- 
fekmblabieàcequediti'Efcriture^ecevaliau- 
uageoùle  tronu oient  des  puits  de  betum.  Les 
mariniers  fc  feruent  de  cefte  fontaine  ,  ou  puits 


HISTOIRE  NATVRELLÈ 
de  Coppey,  pour  oindre  &poi(Ter leurs  cordages 
&  appareils,  pource  qu'elle  leur  fert  comme  la 
poix  8c  le  bray  en  Efpagne.  Lors  que  ie  nauigeois 
en  la  neufue  Efpagne,par  la  code  du  Peruje  pilo- 
te me  moftra  l'ifle  qu'ils  appellct  Tifle  des  Loups, 
où  il  y  a  vneaucre  fontaine  8c  puits  de  Coppey,ou 
betum,auec  lequel  mefmemét  ils  breent  les  cor- 
dages. Il  y  a  d'autres  fontaines  8c  fources  de  goul- 
tran,que  le  fufdit  pilote,  homme  excellent  en  (a 
vacation,me  dir  auoir  veues,&  qu'illuy  eftoit  ad- 
uenu  que  nauigcant  quelquesfois  par  cefte  code 
là ,  il  feftoit  trouué  lî  auant  en  la  mer ,  qu'il  auoit 
perdu  la  veue  de  terre,&:neatmoins  ilauoit  reco- 
gneu  par  l'odeur  du  Coppey  où  il  eftoit,au(Ii  cer- 
tamement,comme  s'il  euil  recogneu la  terre,  tel- 
le eft  l'odeur  qui  fort  continuellement  de  cefte 
fource.  Aux  baingSjqu'ils  appellent  les  baings  de 
l'Ingna,  y  a  vn  canal  d'eauequi  fort  toute  chaude 
&  bouillante,  &ioignant  icelle  y  en  avneautrc 
dont  l'eaue  eft  auiîi  froide  que  neige.  L'Inguaa- 
uoitaccouftumé  de  les  modérer  l'vneauec  l'au- 
tre ,  8c  eft  vne  chofe  remarquable  qu'il  y  ait  des 
fources  de  qualitez  Ci  contraires, qui  font  ex:  vien 
nent  ii  près  l'vne  de  l'autre.  Il  y  a  vn  nombre  infi- 
ni d'autres  fources  chaudes  ,  ipecialement  en  la 
prouince  des  Charcas ,  en  l'eau  defquelles  l'on  ne 
peut  endurer  8c  tenir  la  main  i'efpace  d'vn  >Aue 
lylaria.com.xwt  is  l'ay  veu  par  gageure.  En  vne  mé- 
tairie proche  de  Cufco  fourd  vne  fontaine  de  fel, 
qui  ainfi  comme  elle  va  courant ,  fe  va  conuertif- 
fant  en  fel,qui  eil  blanc,  &  bon  à  merueilles  :  que 
fi  elle  eftoit  en  autre  contrée,  ce  ne  feroit  petite 
richcire,toutesfois  ils  en  font  peu  d'eftat,pout  la- 


DES      INDES.       L  IV.    III.  1 04 

bondance  du  Tel  qu'il  y  a  là.  Les  eaues  qui  courent 
en  Guayaquil  qui  eft.au  Peru,  prefque  fous  lali- 
gneequinoxiale,font  tenues  pour  fàlutaires  pour 
le  mal  NcapolitaiiijCV autres  femblables.  Arai- 
fon  dequoy  l'on  y  vient  de  plufieurs  lieux  fort 
efloignezpoury  receuoirguavifon.  Etdifentque 
la  caufe  de  cela  eft.pource  qu'il  y  a  en  cefte  côtrée 
grande  abondance  de  racines' ',  qu'on  appelle  fàl- 
cepareille,  la  vertu  &  opération  de  laquelle  efl  fi 
cogneuç,&  qu'elle  communique  fa  propriété  aux 
eauxoùelleeftmife,  de  guarir  cefte  maladie. Bil- 
canota  eft  vne  montagne,  qui  félon  l'opinion  du 
commun, eft  au  plus  haut  lieu  du  Peru,lefommet 
de  laquelle  eft  tout  couuertdc  neige,  &  en  quel- 
quesendroits,  eil  noir  commecharbon.  llfort 
d'icelui  deux  fources  en  lieux  tout  contraires,qui 
deuiennent  incontinent  fort  grands  ruilîeaux,  & 
peu  à  peu  grads  fleuues,  l'vn  defquels  va  à  Collao 
dans  ce  grand  lac  Titicaca,  &  l'autre  va  aux  Lan- 
des,&  eft  celuy  qu'ils  appellent  Yucay,  qui  ie  ioi- 
gnant  auec  vn  autre,fort  à  la  mer  du  N  ort ,  ayant 
vn  cours  furieux  Se  impétueux. Cefte  foureequad 
elle  fort  de  la  roche  Bilcanota  que  i'ay  dit ,  eft  de 
la  mefme  forte  &  couleur  que  l'eau  de  lexiue,ayât 
la  couleur  cendrée ,  &  icttant  vne  fumée,comme 
de  chofe  bruflee,laquelle  court  ainfi  vn  long  teps 
iufqùesàce  que  la  multitude  des  eaux  qui  y  en- 
trent,luy  efteignent  ce  feu  &  fumée  qu'elle  tire 
defon  commencemet.  En  laneufue  Efpagnei'ay 
veu  vne  fource  corne  d'encre  quelque  peu  bleue, 
vne  autre  au  Peru  de  couleur  rouge  comme  fang, 
d'oft  ils  l'appellent  la  riuierc  rouge. 


HISTOIRE     NATVRELLE 


D  es  Ejuieres. 

C  H  A  P.    XVIII. 

Ntre  toutes  les  riuieres  non  feulemêt  des 
^i  Indes,niaisaufli  de  tout  le  monde  vnmerfel, 
le  fleuue  Maragnon  ,  ou  des  Amazones,  tient  la 
principauté,  duquel  nousauos  parlé  au  liure  pré- 
cèdent. Les  Efpagnolsl'ontplufieursfois  nauigé, 
pretendans  delcouurir  des  terres,  qui  fcio  le  bruit 
commun,  font  fort  riches ,  lpeciakment  celles 
qu'ils  appellent  de  Dorado,&;  Paytiti.  L'Adelen- 
tade  Iean  de  Sallines ,  fît  vne  entrée  mémorable, 
encorqu'ellefutdepeud'erïe&.  Il  y  a  vnpaifage 
qu'ils  appellent  le  Pongo  ,  qui  doit  eftrevn  des 
plus  dangereux  pas  de  tout  le  mondexar  la  rhue- 
re  eLtant  reierrée  en  cet  endroit,&:  contrainte  en- 
tre deux  roches  très-hautes  en  précipice,  vient  à 
tomber  droitemenr  du  haut  en  bas,auec  vne  gra- 
de roideur,  où  leaue  par  la cheute  qu'elle  fait  de 
fî  haut,fak  vn  boiiillon,  qu'il  (ennble  impoiîiblc 
de  le  palier  fans  fe  noyer.  Neantmoins  la  hardief- 
ie  des  hommes  a  bien  ofc  entreprendre-de  palier 
ce  pallage,pour  le  defir  de  ce  Dorado  tant  renom- 
mé.Ils  le  lai  lièrent  couler  du  haut  en  bas:poulTez 
de  la  roideur  ôc  du  courant  du  fleuue  ,  fe  tenans 
bien  aux  Canoës  ou  barques  où  ils  eftoient  :  & 
encor  quelles  fu  lient  renuerlées  iens-deflus-def- 
ious  en  tombant,&  eux  ôc  leurs  Canoës  i'enfon- 
calîent  enl'eauè,  neantmoins  parleur  force  ôc 
parleur  induftrieilsfercmettoiét  &recournoiët 
toujours  en  haut,  &  de  celle  façon  efchapa  toute 
l'armée,  excepté  quelque  peu  qui  fe  noyerenr. 

Et  ce 


DES    INDES.    L  IV.- III.  IOf 

Et  ce  qui  cft  plus  admirable,ils  {'y  comportèrent 
îîdextrement,  qu'ils  ne  perdirent  pasmeime  la 
munition  &  la  poudre  qu'ils  portoient.  Au  re- 
tour (  pource  qu'après  auoir  enduré  beaucoup  de 
t;auaux,&de  dangers,  ils  furent  contraints  en  fin 
de  retourner  par  ce  mefme  lieu  )  ilsmontergr  par. 
l'vne  de  ces  roches  très-hautes  auec  leurs  poi- 
gnards qu'ils  richoientenlaroche.  Le  capitaine 
Pierre  d'Oilua  fit  vue  autre  entrée  parlemefme 
fleuue,lequel  eftant  mort  iltr  ce  voyage,&  les  iol- 
datsf'eltans mutinez,  d'autres  capitaines  pour- 
fuiuirentl'entrcprinfe,pàr  le  bras  qui  vient  iuf- 
quesenlamerdu  Nort.  Vn  religieux  denoftre 
cépagmenous  difoit,qu'eftantfeculierilfetrou- 
ua  quafi  en  toute  cette  entreprife ,  Se  que  les  ma- 
rées montoient  bien  près  de  cent  lieues  à  mont 
le  rlcuue,&  qu'à  l'endroit  où  ilvafejetter  dans  la 
itier,qui  eft  quafi  fous  la  ligne,  ou  fort  proche  d'i- 
celle  ,ila(oixante  cVdix  lieues  d'emboucheure, 
chofe  incroyable,  &c  qui  excède  la  largeur  de  la 
mer  Méditerranée,  encor  qu'il  y  ait  quelques  au- 
tres qui  en  leurs  deicriptions  ne  luy  donnent  que 
vingt-cinq  ou  trente  lieues  d'embouchure.  Apres 
cède  riuierc, tient  lefecond  lieu  en  l'Vniuers  la 
riuiere de Plata,ou d'argent, qui  f'appelle  autre- 
ment le  Paraguey,  laquelle  court  des  montagnes 
du  Peru,&:  fe  va  perdre  en  la  mer,en  la  hauteur  de 
trente-cinq  degrez  au  Sud.  Elle  croi(t,comme  ils 
difcnt,en  la  mefme  façon  du  Nil,  mais  beaucoup 
dauantage  fanscomparaifon ,  &  rend  les  champs 
qu'elle  baigne  comme  vne  mer  par  Tefpace  de 
trois  mois ,  aptes  retourneà  fon  cours, où  les  na- 
tures montent  beaucoup  de  lieues  à  mont.  Il  y  a 

O 


HISTOIRE  NATVR.EI,  LE 
plufieurs  autres  fleunes  qui  ne  font  pas  toutesfois 
de  celle  grandeur,  &neantmoins  efgalent,  voire 
furpalïent  les  plus  grands  de  l'Europe,comme  ce- 
luy delà  Magdelaine,  proche  de  faincbe  Marthe, 
la  riuiere  Grande,&  celuy  d'Aluarado  en  la  near- 
ue  Efpagne,&  vn  nombre  infiny  d'autres.  Du  co- 
llé du  Sud  aux  montagnes  du  Pcru,Ies  fleuues  cô- 
munément  ne  font  pas  fi  grands  ,  pouice  qu'ils 
ont  peu  d'efpace  de  courir ,  8c  ne  peuuent  afîèm- 
bler  tant  d'eaux,  mais  ils  font  fort  roides ,  à  caufe 
qu'ils  tombent  de  la  montagne, &  ont  des  aualla- 
ges  8c  des  creuës  fubites:  àraifon  dequoy  ils  font 
fort  dangereux  ,  &ont  efté  caufe  que  plufieurs 
hommes  y  font  morts.  En  temps  de  chaleur  ils 
croisent  8c  fe  defbordent  le  plus.  I'ay  trauerfê 
vingt-feptriuieres  en  cette  code,  dont  ien'en  ay 
pas  palfé  vne  feule  à  gué.  Les  Indiens  vfent  de  mil 
artifices  pour  palier  les  riuicres.  En  quelques  en- 
droits ils  ont  vne  longue  c»rde  qui  trauerfed'vn 
cofté  à  l'autrc,&  en  icelle  pend  vn  panier  ou  cor- 
beille,dans  laquelle  fe  met  celuy  qui  veut  palier, 
&  alors  ils  Ietirentdu  riuageauec  vne  autre  cor- 
de, tellement  qu'il  pafie  dedans  cède  corbeille.  En 
d'autres  endroits  l'Indien  pafiècommeà  chenal 
fur  vnboteau  de  paille, &  derrière luy  celuy  qui 
veut pa(Ter,&  vogant  auec  vn  bout  d'aix,  pallc  de 
cefte  faço.  En  d'autres  endroits  ils  ont  vn  radeau 
de  courges  ou  citrouilles  ,  fur  lcfquelles  ils  met- 
tent les  hommes  ou  hardes  qu'ils  doiuent  palier, 
&  les  Indiens  liez  auec  des  cordes  vontnageans, 
8c  tirans  après  eux  ce  radeau  de  citrouilles ,  com- 
me des  cheuaux  tirent  vn  coche,ou  carofle;  d'au- 
tres vont  derrière  pouûans  les  citrouilles  pour 


DES    INDES.      ny.    m.  106 

leuraider.Palïez  qu'ils  font,ils  prennent  far  leurs 
eipaiillcs  leur  barque  de  citrouilles,^:  retournent 
à  nage ,  ce  qu'ils  font  en  la  tiuiere  de  la  Sainte  au 
Pcru.  Nous  pallafmes  celuy  d'Aluarado  en  la 
neufue  Efpagne,  (ur  vue  table,  que  les  Indiens 
portoient  fur  leurs  efpaules,&  quand  ils  perdoiëc 
terrc,ilsnageoient.  Ces  artifices  &  mil  autres, 
dont  ils  fe  ieruent  pour  palier  ainfi  les  riuicres, 
certainement  fontauoir  crainte  en  les  regardant 
&  contemplant,  en  ce  qu'ils  l'aident  de  moyens  fi. 
débiles  &  fragiles:  mais  n«antmoins  ils  font  ton; 
allcurez.  Ils  n'vicnt  point  d'autres-ponts  que  de 
crins  ou  de  paille.  Hyadefiaenqiielquesnuieres 
des  ponts  de  pierre ,  battis  par  la  dihgëce  de  quel- 
ques gouueri7eurs,mais  beaucoup  moins  qu'il  ne 
(croit  de  befoin  en  vne  terre ,  où  tant  d'hommes 
le  noyent  par  faute  d'iceux,cV:  laquelle  donne  tant 
de  deniers  ,  dcfqucls  non  feulement  l' Efpagne, 
mais  auflï  d'autres  royaumes  eftrangers  baftillenc 
de fuperbes  édifices.  Les  Indiens  tirent  &deri- 
ucntdesfleuues  qui  courent  des  montagnes  aux 
vallées  &  es  plaines  ,plufîeurs  &  grands  ruiileaux 
pour  arroufer  la  terre  ,  ce  qu'ils  ont  accouftumé 
de  faire  d'vnc  telle  induftne,  qu'il  n'y  en  a  pas 
demcilleurs  en  Murcia ,  ny  à  Milanmehnc  :  ce 
quicftauiïi  la  plus  grande  ôc  totale  richelle  des 
plaines  du  Pcru  ,  ôc  de  plufieurs  autres  parties 
des  Indes. 


O 


HISTOIRE     NATVRELLE 


De  Li  qualité  Je  Lt  rc  rre  des  Indes  en  gênerai. 

c  H  A  P.    XIX. 

^ra'ÛN  peut  cognoiftre  la  qualité  de  la  terre 
&s$?  des  Indes  en  la  plus  grand' part,  (puis  que 
c  etl  le  dernier  des  trois  clemens  delquels  nous 
auonspropofc  detraitter  enceliure)  par  ledif- 
cours  que  nous  auons  fait  au  liure  précèdent  de 
la  ZoneTorride,  veu  que  la  plus  grande  partie 
des  Indes  fe  trouue  fuuée  en  icclle.  Mais  pour  ce 
faire  entendre  plus  particulièrement,  i'ay  remar- 
qué trois  fortes  de  terre  en  ce  que  i'ay  cheminé 
par  ces  rcgions,dont  il  y  eu  a  vue  qui  e(l  balïe,vne 
autre  très  haute,  Se  l'autre  qui  tient  le  milieu  de 
ces  deux  extrcmitez.La  terre  baffe  ell  celle  qui  eu: 
en  la  code  de  la  mer ,  dont  il  l'en  trouue  par  tou- 
tes les  Indes,  Se  cft  ordinairement  fort  chaude  Se 
liumidc,qui  caufe  qu'elle  n'eft  pas  ti  faine, Se  qu'à 
prefent  on  la  voit  moinspeupleo,  combien  qu'au 
temps  palfé  elle  ait  elle  bien  peuplée  d'Indiens, 
comme  il  appert  par  les  hiftoires  de  la  neuhie  Ef- 
pagne  Se  du  Peru,  Se  Cy  conferuoient  &  viuoiét, 
entant  que  la  région  leur  eftoitnaturelie,comme 
ceux  qui  y  auoient  efté  engendrez.  Ilsyviuoient 
delapefchedelamer  &des  femences  qu'ils  fai- 
foient,  tirans  des  ruilleaux  des  riuieres  defquels 
ils  fc  feruoient  faute  de  pluye,d'autat  qu'ily  pleut 
fort  peu ,  Se  en  quelques  endroits  n'y  pleut  point 
du  tout.  Celle  terre  baffe  a  beaucoup  de  lieux  in- 
habitables ,  tant  à  caufe  des  fablons  qui  y  font 
dangereux ,  car  il  l'y  trouue  des  montagnesentie- 
res  de  ces  fablons ,  qu'à  caufe  dçs  mareleages  qui 


DES    ItfDES.       L  1  V.     III.  IO7 

fy  font  des  eauës  defcendans  des  montagnes,lef- 
quelles  ne  trouuans  point  d'iiTu'è  en  ces  terres 
plattes  ôcbafieslesnoyetudu  tout,&  les  rendent 
inutiles.  Et  à  1-a  vérité  la  plus  grande  paftiede 
toute  cefte  coftedelamer  eft  de  cefte  forte  es  In- 
des, principalement  du  coftedelamer  du  Sud. 
L'habitation  defquelles  codes  eft  à  prefent  fi.  di- 
minuée &mefprilec,que  des  trente  parts  du  peu- 
ple qui  y  habitoit,  les  vingt  neuf  y  défaillent,  & 
à  fon  opinion,  que  le  refte  des  Indiens  finira  auac 
peu  de  temps.  Plufieurs  félon  leurs  dinerlçs  opi- 
nions attribuent  cela  à  diueries  caufes ,  les  vns  au 
trop  grand  trauail  que  l'on  a  donné  à  ces  Indiës, 
les  autres  au  changement  8c  diuerfité  des  vian- 
des^ boire  dont  ils  vfent,depuis  qu'ils  commu- 
niquent auec  les  Efpagnols  ;  les  autres  au  trop 
grand  excès  de  boire,  &  autres  vices  qu'ils  ont. 
Quanta  moy  ie  croy  que  ce  defordre  eft  la  plus 
grande  caufe  de  leur  diminution,  8c  n'eft  pas  téps 
maintenant  d'en  difeourir  dauantage.  En  cefte 
terre  balle ,  (que  ie  dy  généralement  eftre  mal  fai- 
ne 8c  peu  conuenable  à  l'habitatiô  des  hommes) 
il  y  a  exception  en  quelques  endroits  qui  font  te- 
perez  8c  fertiles,  comme  la  plus  grand'  partie  des 
plaines  duPeru,  où  il  y  a  des  vallons  frais,  &  qui 
font  fort  fertiles.  La  plus  grande  partie  de  l'habi- 
tation delà  cofte  entretient  tout  le  commerce 
d'Efpagne  par  mer,  duquel  defpendtout  l'eftat 
des  Indes.  En  cefte  code  il  y  a  quelques  villes  af- 
fez, bien  peuplées,  comme  Lyma  &Truxilloau 
Peru, Panama  8c  Carthagene  en  la  terre  ferme ,  8c 
ésiflesfain6t  Dominique,Port-riche,&la  Haua- 
ne,  &  plufieurs  autres  villes  qui 


O 


»J 


I 


HISTOIRE     NATVRULÎ, 
que  celle-cy,comme  eft  la  vraye  Croix  en  la  neuf- 
ue  Efpagne ,  Yça ,  Aricgua,  &  autres  au  Peru^  &: 
rnefmes  les  ports  font  communément  habitez, 
combien  que  ce  foi  tariez  petitement.  La  féconde 
forte  de  terre  eft  au  contraire  fort  haute  ,  èVpar 
confequent  froide  Se  fechc,côme  toutes  les  mon- 
tagnes le  font  ordinairement.    Cède  terre  n'eft 
point  fertile  ny  plaifante ,  mais  elle  eft  fort  faine, 
qui  la  rend  peuplée  &  habitée.  Il  y  a  des  paftura- 
ges,^:  en  iceux  beaucoup  de  beftial,ce  qui  fuftan- 
te  en  la  plus  grand  part  la  vie  humaine ,  &  aucc  le 
beftialilsfuppleent  le  défaut  qu'ils  ont  de  bleds 
&  femenecs  par  leurs  trocs  &  efchanges.  Mais  ce 
qui  rend  encor  dauantage  ces  terres  habitées,  & 
quelqucs-vnes  fort  peuplées,  eft  la  richeiïedes 
mines^qui  fe  trcuuent  en  icelles,  pource  que  tout 
obéit  à  l'argent  &  à  l'or.    A  caufe  des  mines  il  y 
a  quelques  habitations  d'Efpagnols  &  d'Indiens, 
qui  fe  font  açcreuês  &  augmentées ,  comme  eft 
Potozi,&GuancauelicquaauPeru,&:Cacatev:as 
en  la  neufue  Efpasme.    Il  y  a  aufli  par  toutes  ces 
montagnes  degrandes  habitations  d'Indiens  qui 
auiourd'huyfe  maintiennent,voire  veut-on  dire 
qu'ils  vont  en  augmentant,  linon  que  letrauail 
des  mines  en  confirme  beaucoup, &  quelques  ma- 
ladies générales  en  ont  meimedeftruit  vue  gran- 
de partie,comme  le  Cocohltc,cn  la  neufue  Eipa- 
gne.     Tourosfoisl'onne  fapperçoit  pointqu'ils 
diminuent  beaucoup.  En  cefte  extrémité  de  terre 
haute, froide  &  feiche,  il  y  a  deux  comoditezque 
i'ay  dites  des  pafturagcs,<St  des  mincs,qui  recom- 
péient  bien  les  autres  deux  qui  font  es  terres  baf- 
fes de  la  code,  à  fçauoir  le  commerce  de  la  mer,  &c 


^m 


DES      INDES.       LIV.    III.  Io8 

la  fertilité  du  vin,  qui  ne  croift  qu'en  ces  terres 
fort  chaudes.  Entre  ces  deux  extrêmes  y  a  la  terre 
de  moyenne  hautcur,laquellecombié  qu'elle  foit 
en  quelques  endroits  plus  bafle  ou  plus  haute  IV- 
ne  que  l'autre ,  ce  neantmoins  elle  n'approche  ny 
de  la  chaleur  de  la  cofte,ny  de  I'intemperature  des 
montagnes.  En  cède  forte  de  terre  il  croift  beau- 
coup de  femences,de  froment,d'orge,&:  de  mays, 
lefquelles  ne  fe  trouuet  aucunemet  es  terres  hau- 
tes,mais  bien  aux  baffes:  il  y  a  mefme  abondance 
de  pafturages,de  beftial,de  frui&s,&  de  forefts  af- 
fez  verdoyantes.  Cefte  partie  eft  la  meilleure  ha- 
bitation destroispour  lafanté,&:  pour  larecrea- 
tio.  C'eftpourquoyauflïccquieftleplus  peuplé 
es  Indes,cft  de  cefte  qualité ,  ce  que  i'ay  remarqué 
forccurieufementenplufîeurs  chemins  &  voya- 
ges que  i'ay  faics,&  ay  trouué  pour  vrai,ce  que  les 
prouinces&  parties  mieux  peuplées  d'indies  font 
en  cefte  fituation.  Que  l'on  regarde  de  prés  en  la 
neufue Efpagne  (qui  eft  fans  doute  lameilleure 
prouince  que  le  Soleil  enuirone)  par  quelque  en- 
droit de  la  cofteque  l'o  y  entrej'on y  va  toufiours 
montat,&  encor  qu'apresauoir  monte  beaucoup 
l'on  commence  à  deicendre,toutesfois  c'eft  fort 
peu  ,  &  toufiours  la  terre  y  demeure  beaucoup 
plus  haute  que  celle  de  la  cofte.  Tout  le  terroir  de 
Mexique  eft  de  cefte  nature  &:  fituation, &  ce  qui 
eft  es  enuiros  du  Vulcan ,  qui  eft  la  meilleure  ter- 
re des  Indes,  comme  auflî  le  font  au  Peru,  Are- 
quipa,Guamangua,  &  Cufco,  combie  que  ce  foie 
l'vn  plus  que  l'autre.  Mais  en  fin  tout  y  eft  ter- 
re haute ,  encor  que  l'on  y  defeende  à  des  vallées 
profondes  >  &  que  l'on  monte  de  hautes  monta- 

O  iiij 


I 


HISTOIRE     NATVRELLE 
gnes  >  ils  en  difent  autant  de  Quito,  SaimStc  Foy, 
&  du  meilleur  du  nouucau  royaume.  Pour  refo- 
lution,  ie  croy  que  la  (agette  &  prouidence  du 
Créateur  a  pourueu  encecy  ,  &  voulu  pour  le 
mieux  ,  &  que  la  plus  grande  part  de  cefte  terre 
des  Indes  fuft  haute  &  eflenee  ,  afin  qu'elle  fuit 
d'vne  meilleure  température.  Car  eftant  balle, el- 
le euft  elle  fore  chaude  fouz  la  Zone  Torridc, 
principalement  eftantdiftante  cVefloigneede  la 
mer.  Auffi  toute  la  terre  que  i'ay  veuë  es  lndes,eft 
auoifinee  de  montagnes  d'vn  cofté ,  ou  de  1  autre, 
&  quelquefois  de  toutes  parcs.    Tellement  que 
i'ay  plusieurs  fois  dit  par  delà  que  iedefiroisme 
voir  en  vn  endroit  d'où  l'horifonfc  formait  &:  fi- 
nift  par  le  ciel,&  vnc  terre  eftendue&  vnie,com- 
me  l'on  void  en  Efpagne  en  mille  campagnes: 
toutesfoisie  n'ay  point  de  fouuenancc  d'auoir  ia- 
mais  veu  telles  veu*ës  aux  Indes ,  fuft  aux  ifies ,  ou 
en  la  terre  ferme ,  encor  que  i'y  aye  cheminé  plus 
de  fept  cens  lieues  en  longueur. Mais  comme  i'ay 
dit,lcvoifinage  des  montagnes  eft  fort  à  propos 
en  cède  région  ,  pour  tempérer  la  chaleur  du  So- 
leil. Par  ain  (i  tout  le  plus  habite  des  Indes  eft  de  la 
façon  quei'ay  dit  ,   Se  généralement  toute  cefte 
terre  eft  abondante  en  herbages,  pafturages  &fo- 
refts ,  au  contraire  de  ce  qu'Anftote  &  les  anciens 
ont  penfé.  De  forte  que  quand  l'on  va  de  l'Euro- 
pe aux  Indes,  l'on  f'elmeiueillc  de  voir  la  terre 
belle,ll verdoyante 8c pleine  defrifcades.Ncant- 
moins  cefte  règle  a  quelques  exceptions,  Se  prin- 
cipalement en  la  terre  du  Peru,  qui  eft  d'vn  natu- 
rel eftrange  entre  toutes  les  autres,  de  laquelle 


nous  dirons  maintenant. 


^^_ 


M^HH^H^IHi^MHiB^B^B 


DES     INDES.       L IV.    III. 


109 


Des  propriété^  de  h  terre  du  Veru. 

c  H  a  P.    xx. 

Kgg  Ovs  entendons  par  le  Peru  non  point  tou- 
cèjG  ce  ceftegrande  partiedu  monde,  qu'ils  ap- 
pellent l'Amérique,  puis  qu'en  icelle  eft  compris 
le  Bre(îl,le  royaume  de  Chillé,&  celuy  de  Grena- 
de, &  toutes  fois  aucun  d'iceux  royaumes  n'eft  le 
Peru,  mais  tant  feulement  cefte  partie  qui  gift  au 
cofté  chi  Sud,commençant  au  royaume  de  Quit- 
to,qui  eft  fouz  la  ligne,  Se  qui  va  courant  en  lon- 
gueur iufques  au  royaume  de  Chillé  ,  lequel  eft 
hors  les  Tropiques ,  qui  feroient  fix  cents  lieu'ës 
en  longueur  ,  Se  en  largeur  ne  contient  point  da- 
uantage  que  ce  que  comprennent  les  Indes, ou 
montagnes,qui  font  comme  cinquante  lieu'és  co- 
munes,encor  qu'en  quelques  endroits,  comme  à 
Chachapoyas,il  y  ait  dauantage.  Cefte  partie  du 
monde  que  Ton  appellu  Peru,  eft  fort  remarqua- 
ble,&  contient  en  foy  des  proprietezforteftran- 
ges,qui  font  qu'elle  (ert  d'exception  à  la  règle  gé- 
nérale des  Indes.  La  première  eft  qu'en  toute  la 
cofte  il  ne  fouftle  continuellement  qu'vn  feul 
vent,  qui  eft  le  Sud  ou  Suroeft ,  contraire  à  celuy 
quiaaccouftumé  de  courir  fous  IaTorride.  La 
féconde  eft  ,  qu'eftant  ce  ventde  fa  nature  le  plus 
violent,  tempeftueux&  maladif  de  tous,  neant- 
moins  il  eft  en  cefte  région  merueilleufemct  gra- 
cieux, fain,&  agreable,de  telle  façon  que  l'on  luy 
doit  attribuer  l'habitation  de  cefte  cofte,laquellc 
fans  doute  feroit  inhabitable  cVennuyeufe,à  cau- 
fedefachaleur,fiparfonfoufflementellen'eftoic 


HISTOIRE  MATVRELLE 
addoucie.La  troifiefme  eft  que  iamais  il  nepleut, 
tonne,neige,ny  grefle  en  toute  celle  code,  qui  eft 
vnechofe  digne  d'admiration. Quartement  à  peu 
de  diftance  delacofteil  pleut  &  neige  terrible- 
ment. Quintcment  il  y  a  deux  chaines  de  monta- 
gnes,qui  courent  l'vne  comme  l'autre ,  cV*  en  vue 
mefme  hauteur  du  Pôle ,  neantmoins  en  l'vney  a 
de  très-grandes  forefts,&  y  pleut  la  plus- part  de 
l'année,eftant  fort  chaude.  L'autre  tout  au  con- 
traire eft  toute  nue  &  defcouuerte,  &:  fort  froide, 
de  forte  que  l'Hyuerov  l'Eftèfont  départis  en  ces 
deux  montagnes,  &  lespluyes&ïa  (crenitémef- 
me.Or  afin  d'entendre  mieux  cecy,l'on  doit  con- 
fiderer  que  le  Peru  eft  diuifé  comme  en  trois  par- 
ties,longues  &eftroites,  qu'ils  appellent  Lanos, 
Sierras,&  Andes.  Les  Lanos  font  lacoftede  la 
mer,laSierra,(ont  toutes  montagnes,&quelques 
vallées,  &  les  Andes  font  montagnes  afpres  &c 
rudes.  Les  Lanos,  ou  codes  de  la  mer,ontquel- 
que  dix  lieues  de  large  ,  en  quelques  endroits 
moins ,  &  en  autres  quelque  peu  dauantage.  La 
Sierra  contient  comme  vingts  lieues  en  large ,  & 
les  Andes  autant,  tantoftplus,tantoft  moins.  Ils 
courent  en  leur  longueur  Nort  &Sud,&cn  leur 
largeur,  d'Orient  au  Ponant.  C'eftdonc  chofe 
merueilleufe  ,  qu'en  fi  peu  de  diftance,  comme 
font  cinquante  lieues  ,  eigalementefloigr.ees  de 
laligne,  &  Pôle,  y  ait  vne  fi  grande  dmeriît; ,  que 
en  vn  lieu  il  y  plcuue  prefque  toufiours,&  en  l'au- 
tre il  n'y  pleuuequafi  iamais.  Une  pleut  iamais 
en  ceftecofteou  Lanos,  encorqu'ily  tôbcquel- 
quesfois  vne  eauë menue,  qu'ils  appellen;  Gua- 
rua,t\:  en  Caltiilc  Molliiia, laquelle  qùelquesfbis 


DES    INDES.    LIV.    III.  IIO 

fefpaiflk  en  certaines  petites  goûtes  d'eauë  qui 
tombe ,  toutesfois  cen'eft  point  chofeennuyeu- 
fe,ny  telle,ou'il  loit  befoin  de  fe  couurir  poux  ce- 
la. Lescouuerturesy  font  de  nattes  auecvn  peu 
deteLTepardcïIus,&leureftchofefufhfante.Aux 
Andes  préfcjue  durant  toute  Tannée  il  y  pleut, 
combien  qu'il  y  ait  en  vn  temps  plus  de  ferenité 
qu'en  l'autre.  En  la  Sierra,quigift  au  milieu  des 
deux  extrêmes  ,  il  pleut  au  mefme  temps  qu'eu 
Elpagne  ,  qui  eft  depuis  Septembre  iufqnes  en 
Auril ,  mais  en  l'autre  îaifon  ,  le  temps  y  eft  plus 
ferai  n, qui  eft  quand  le  Soleil  en  eft  plus  efloigné, 
&  le  contraire  quand  il  en  eft  le  plus  proche,  de- 
quoy  nous  auons  allez  amplement  traitte  au  li- 
ure  précèdent.  Ce  qu'ils  appellent  Andes,  &  ce 
qu'ils  appellent  Sierra ,  font  deux  chaines  de  mo- 
tagnes  nes-hautes>qui  doiuent  courir  plus  de  mil 
lieuesà  veu'ë  l'vnedel'autre,  &  prefque  efgale- 
ment.  il  y  a  vn  nombre  infini  de  vieugnes,  qui 
nai lient  &  l'engendrent,  aux  Sierres  ,  qui  font 
proprement  comme  cheures  fauuages,fort  viftes 
8c  fort  agiles.  1 1  y  a  mefmes  de  ces  animaux  qu'ils 
appellent  Guanacos  &  Pacos  ,qui  font  des  mou- 
tons, qu'on  peut  aufîi  bien  dire  lesAfnesde  ce 
pays,dequoy  il  fera  traitte  en  fon  lieu:&aux  An- 
des fctrouuent  des  linges  fort  gentils  &  plaifàns, 
&des  perroquets  en  grande  quotité.  L'on  y  trou- 
ue aufîi  l'herbe,  ou  arbre  qu'ils  appellent  Coca, 
qui  eft  tant  eftimé  des  Indiens,  &c  la  traite  qu'on 
en  fait  y  vaut  beaucoup  d'argen  t.Ce  qu'ils  appcl- 
\  Ien  t  Sierre,fait  des  vallées  es  endroits  où  elle  rou- 
ure ,  qui  font  les  meilleures  habitations  du  Peru, 
comme  eft  la  vallée  de  Xauxa ,  Se  d'Andaguaylas, 


■ 

I 


HISTOIRE  NATVRELLE 
&  de  Yucay.  En  ces  vallées  il  croift  du  froument 
du  mays ,  &c  d'autres  forces  de  frui&s ,  toutesfois 
es  vnes  moins  qu'aux  autres  Plus  outre  que  la  ci- 
té de  Cufco  (qui  eftoic  anciennement  iacour  des 
Seigneurs  de  ces  royaumes)  lesdeuxehainesde 
mont.-jgnes  que  i'ay  ducs  fc  retirent  &  iejfloignët 
dauâtage  les  vnes  des  autres,  &  lai  (lent  au  milieu 
vue  plaine  &  large  campagne,  qu'ils  appellent  la 
prouincedeColl<,o,où  il  y  a  grand  nombre  de  ri- 
uieres,  &  beaucoup  d'herbages  &c  paft.  tirage  s  fer- 
tile^\  làeftanfîîle  grand  lac  de  Titicaca  :  mais 
encor  que  ce  ioit  terre  pleine,  &  à  la  mefme  hau- 
teur 5c  intemperature  que  la  Sicrre  ,  cV  qu'il  n'y 
ait  non  plus  d'arbres  ny  de  forefts,  toutesfois  le 
defantqu'ilsontdupain  y  cft  recompenfé  parles 
racinesqu'ils  femenc,lc(qnellesilsappelhnc  Pa- 
pas, &  croiiîent  dedans  la  terre.  Cefte  îacineeft  le 
manger  des  Indiens. Car  les  Techansck  nettoyans 
ils  en  font  ce  qu'ils  appellent  Chugno  ,  qui  e(t  le 
p«in  &c  nourriture  de  ces  prouinecs.  Il  y  a  mefme 
d'autres  racines  &  petites  herbes  qu'ils  mangent. 
C'eftvne  terre  faine, &  la  plus  peuplée  des  Indes, 
&  la  plus  riche  ,  pour  l'abondance  desbeftiaux 
qui  l'y  nourrirent,  tâcde  1  efpccemeimedeceux 
qui  font  en  Europc,come  brebis,  vaches,  &  che- 
ures ,  que  de  celles  du  pays  qu'ils  appellent  Gua 
nacos,&  Pacos,&:y  a  des  perdrix  allez  abondam- 
ment. Apres  la  prouinec  de  Collao  vient  celle  de 
Charcas,  oùilya  des  vallées  chaudes  de  grande 
fertilité, &  des  roches  tres-aipres ,  lefquelies  font 
fort  riches  de  mines, tellement  qu'en  nul  endroit 
du  monde  il  n'y  en  a  point  de  meilleures  ny  de 
plus  belles. 


■■■■■ 


DES    INDES.        LIV.     Il  I. 


III 


D(m  CMtfes  qu'ils  donne??  t  pournuoy  il  ne  pleut 
aux  lanos  ou  coftes  de  la  mer. 

CHAP.      XXI. 

^tt&'Avt  ant  quec'eft ebofe rare 8c extraordi- 
ïh&S  naire  qu'il  y  ait  quelque  terre  où  il  ne  pleu- 
ueiamais,ny  tonne,  les  hommes  défirent  natu- 
rellement feauoir  la  caufe  de  telle  nouueauté.  La 
rai(on  que  donnent  quelques  vns  quiontrecer- 
chc&conlîderécecy  de  pies,  eft  qu'il  ne  i'efleue 
en  cède  colle  des  vapeurs  aiïcz  groiles  Se  furlilan- 
tes  pour  engedrer  la  pluye  faute  de  matière  :  mais 
qu'il  y  a  feulement  d;5  vapeurs  petites  &legeres 
qui  ne  pcuuent  engendrer  autre  chofe  que  les 
broiiillats  Se  rofees  :  comme  nous  voyons  eu  Eu- 
rope qu'il  y  a  bien  fouuent  au  matin-dès  vapeurs 
qui  l'cfleuent  ,  lefquellesncleconuertiirentpas 
en  pluycs,  mais  feulement  en  broiiillats.  Ce  qui 
prouient  de  la  matière  qui  n'eft  point  a(Tez  grotte 
Se  fnffifance  pour  fe  tourner  en  pluye.  Et  difent 
que  la  caufe  pourquoy  cela ,  qui  n'aduient  qu'au - 
cuncsfoisen  Europe, arriue continuellement  en 
la  code  du  Peru  ,  eft  pource  que  cefte  région  eft: 
rres-feche  8c  ne  rend  point  de  groupes  vapeurs. 
Onrecognoift  fafechereilè  parle  grand  nombre 
defablonsquiyfont,  &  parce  que  l'on  n'y  trouue 
ny  puits  ny  fontaines  ,  finon  en  vne  très  grande 
profôditc  de  quinze  ftades(qui  eft:  la  hauteur  d'vn 
nomme,ou  plus)  8c  encor  eft-  ce  près  des  riuieres, 
l'eauè  dcfquelles  pénétrant  la  terre,  eft  caufe  que 
l'on  y  peut  faire  des  puits.  Tellement  que  l'on  a 
veu  par  expérience  que  le  cours  des  riuieres  eftap 


I 


HISTOIRE  NATVRELLE 
deftournè,les  puits  fe  font  taris  iufques  à  ce-  qu'el- 
les fulïent  retournées  en  leurs  cours  ordinaires, 
&  donnent  cefte  raifon  pour  caufe  matérielle  de 
cet  ettecb:  mais  pour  la  eau  fe  efficiente  ils  en  ont 
vue  autre  qui  n'eft  pas  moins  con(iderable,qui  eft 
quela  hauteur  exceffiue  de  la  lierre  ,  qui  court 
par  toute  la  cofte,  porte  abry  à  ces  lanos,de  tortc 
qu'elle  empefchc  qu'aucun  vent  n'v  fouffle  du 
codé  delà  terre,d  ce  n'eft  fi  haut  qu'il  foit  par  def- 
ius  les  croupes  de  ces  montagnes,  au  moyen  de- 
quoy  il  n'y  court  qu'vn  feul  vent,  qui  el\  ce!uy  de 
la  mer, lequel  ne  trouuanc  point  de  contraire ,  ne 
prciîe  ny  exprime  point  les  vapeurs  qui  f'efleuent 
pour  en  engendrer  la  pluye,de  manière  que  l'abr  y 
delaSierre  empefeheque  les  vapeurs  ne  fefpait- 
îiiïent,  &  fait  qu'elles  îeconuertilTent  toutes  en 
bruines.  Il  y  a  quelques  expériences  qui  fe  rap- 
portent à  ce  diicours, d'autant  qu'il  pleut  en  quel- 
ques collines  de  la  cofte  qui  ont  le  moins  d'abry, 
comme  font  les  roches  d'Atico  ,  &d'Arequipa: 
me/mes  qu'il  y  a  pieu  en  quelques  années  que  les 
Norts  ouBrifesy  foufïïoient,voire  pendant  tout 
le  temps  qu'ils  durèrent ,  comme  ilarriua  en  foi- 
xante&dix-huicl:  auxlanosdc  Trugillo  ,  où  il 
pleut  abondamment  ;  ce  qu'ils  n'auoient  point 
veu  plulîcursfieclesauparauant.  Dauantage,il 
pleut  en  la  mefme  cofte  es  lieux  où  lei  Brifes ,  ou 
Norts  font  ordinaires, comme  en  Guayaquil',  & 
es  lieux  où  la  terre  fe  haufle  beaucoup  ôc  fe  de? 
ûourne  de  l'ombrage  &  abry  des  montagnes, 
comme  en  ceux  qui  font  plus  outre  queAriqua. 
Quelques- vus  en  difeourent  de  celle  façon,  mai  s 
que  enacun  en  penfc  ce  qu'il  voudra:  c'eft  vue 


DES    INDES.      L1V.     III.  112 

choie  certaine  que  dcfccndantdelaSierreen  ces 
lanos  l'on  a  accouftumé  de  voir  comme  deux 
ciels, i'vn  clair  ôc  ferain  par  le  haut,  &  l'autre  ob- 
fçur,&  comme  vn  voile  gris  tendu  au  defïbusjqui 
cou ure  toute  la  code:  mais  encor  qu'il  n'y  pleuuc 
pss,  cefte  bruine  y  eftmeiueilleuiement  profita- 
ble pour  produire  de  l'herbe ,  &  pour  efleuer ,  ôc 
nourrir  les  iemenccs:car  encor  qu'ils ayentl'eaue' 
au  pied  tant  qu'ils  veulent  qu'ils  tirent  des  edags 
oulacs,  toutesfois  cède  humidité  du  ciclavne 
telle  vertu, que  cédant  de  tomber  fur  la  terre,  elle 
caule  vue  grande  incommodité  Ôc  diminution 
aux  grains  ôc  temences.  Etcequi  eftplusdigne 
d  Admiration,  les  iablonsfecs  &  dénies  par  cède 
rolee  ou  bruine  le  rcuedent  d'herbes  ôc  de  fleurs, 
qui  elt  vue  choie  plaifante  ôc  agréable  à  voir,  & 
de  grande  vtilité  pour  les  pafturagcs  du  beftial, 
comme  l'on  void  en  la  montagne,  qu'ils  appel- 
lent de  (àblon,prochede  la  cité  des  Rois. 


Dr  U  propriété  de  lu  neufue  £fpdgne3des 
{(les  cr  des  autres  terres. 

CHAP.    XXII. 

&>$$  A  neufue  Efpagne  furpafle  les  ancres  pro- 
ÇMil  uinecs  en  pa&urages ,  qui  caufe  qu'ily  a  vn 
nombre  infini  de  troupes  de  cheuaux,  vaches, 
brebis  ôc  autres  bediaux.  Elle  eft  fort  abondante 
enfrui&s,  ôc  en  toute  forte  degrain;  enfomme 
c'eft  la  terre  la  mieux  pourueuë,&  la  plus  accom- 
plie qui  (bit  es  Indes.  Toutcsfois  le  Peru  lafur- 
pallc  en  vne  choft,qui  cft  au  vin,pource  qu'il  y  en 


HISTOIRE    NATVRELLE 
croift  abondamment,&  de  bon,&  de  iour  en  ionr 
les  vignes  y  vont  mulciplianc  &  augmentant,  les- 
quelles croifTent  aux  vallées  fore  chaudes  où  il  y  a 
arrouiemcntd'eaucs.    Et  combien  qu'il  y  ait  des 
vignes  en  laneuhie  Efpagne,  toutes foi§ le  râifi a 
n'y  vient  point  en  la  maturité  propre  &conue- 
nable  pour  en  faire  du  vin.    La  came  eft  pourec 
qu'il  pleut  par  delà  en  luillet  de  Aouft  ,  qui  eft. 
quand  le  raifmmcurit  :   c'ell  pourqnoy  il  ne  pat- 
inent à  la  maturité.  Que  fi  par  curio  fi  té  l'on  vou- 
loitprendrela  peined'en  faire  du  vin,  il  lèroir  co- 
rne celuy  du  Geneuoisex:  de  Lombardie  ,  qui  ell 
fort  petite*:  fortalpre,  ayant vn  gouft  comme  de 
verdjus.   Les  ifies  qu'ils  appellent  de  Barlouente, 
qui  font  l'Eipagnole,  Cube,  Port-riche  &  autres 
en  ces  enuirons,  font  ornées  de  beaucoup  de  ver  - 
dure,&  pafturages ,  &  font  abondantes  en  berbal, 
içauoiï  eH  de  vaches,&  de  porcs,qui  y  font  ueue- 
nus  fumages.   Laricheflede  ces ifles font,  les en- 
gins  de  fiicre,&  les  cuirs.  Il  y  a  beaucoup  de  callè, 
nftulle,&  de  gingembre.   Et  ell  chofe  incroyable 
de  voir  le  grand  nombre  de  ces  marchandises  que 
l'on  enleue  en  vue  flotte  ,  n'eftant  quafi  pas  vray- 
femblable,  qu'en .toute  l'Europe  on  en  peufttant 
gafter.   Ils  en  enleuent  mefme  du  bois  de  qualité 
&  de  couleur  excellente,comme  rebene,&  autres 
qui  feruent  aux  édifices  &  menuyferie.   Il  en  y  a 
beaucoup  qu'Us  appellent,  lignum fanEium  ,  ou 
guayâc  propre  pour  guarir  la  verolle.  Toutes  ces 
ifles  &c  celles  qui  font  en  ces  enuirons  qui  font  en 
très-grand  nombre,ont  vn  très  beau  Si  très  plai- 
fant  re gard,pource  que  durant  toute  l'année  elles 
font  rcueftuës  d'herbes  &darbrcs3teiiernét  qu'ils 

nepeu- 


DES    INDES.       LIV.    III.  113 

nepcuuenc  diicerner  quand  il  eft  Automne,  ou 
Eftc ,  pour  la  continuelle  humidité  qui  y  eft  ioin- 
teauec  la  chaleur  de  la  Torride,  Se  combien  que 
cède  terre  Toit  de  tres-grâdc  eftenduë ,  il  y  a  neat- 
moins peu d  habitations,d'autantque delle-met 
me  elle  engendre  de  grands  Arcabutos,  qu'ils  ap- 
pellcnt,qui  (ont  des  bois,ou  taillis  fort  elpais  ,  Se 
qu'il  y  a  beaucoup  de  marefeages  &  bourbiers  es 
plaines.  Ils  donnent  vne autre  raifon  notable,  de 
ce  qu'elles  font  peu  habitées ,  qui  eft  d'autat  qu'il 
y  eft  reftéfort  peu  d'Indiens  naturels,par  l'incon- 
iideration  Se  defordre  d-es  premiers  conquefteurs 
oc  peupleurs;  parquoy  ils  le  feruent  la  plus  grand' 
part  de  Nègres  ,  mais  ils  couftent  cher,  à  caufe 
qu'ils  font  t'ont  propres  àcultiuer  la  terre.  Une 
croift  ny  pain  ,  ny  vin  en  ces  iiles ,  pource  que  la 
trop  grande  fertilité  Se  vice  de  la  terre  ne  les  laif- 
fegrener,  mais  elle  jette  le  tout  en  herbe  fort  in- 
également. Il  n'y  a  non  plus  d'oliuiers,au  moins 
ils  ne  portent  point  d'oliues,  mais  beaucoup  de 
fueilles  vertes,  &  plaçantes  à  la  veuë,  qui  toutes- 
fois  n'apportent  aucun  fruid.  Le  pain  dont  ils 
vient  eft  de  la  Cacaue ,  de  laquelle  nous  dirons  en 
ion  lieu.  Il  y  a  de  l'or  es  riuieres  de  ces  ifles ,  que 
quelques-vns  tircnt,mais  c'eft  en  petite  quantité, 
par  faute  de  naturels  qui  l'approntcnt.  I'ay  efté 
peu  moins  d'vn  an  en  ces  ifles,  &  à  ce  qui  m'a  elle 
raeoté  de  la  terre  ferme  des  Indes,où  ie  n'ay  point 
eftéjCommela  Floride,Nicaragua,Guatimalla,& 
autres,  i'ay  entendu  Se  apprins  qu'elle  eft  prefque 
de  cefte  qualité  que  i'ay  dite.  Toutesfois  ie  ne 
mets  les  choies  plus  particulières  de  nature,  qui 
iont  eu  ces  prouinces  déterre  ferme,  pour  n'en 

P 


HISTOIRE  NATVRELLE 
auoir  parfaite  cognoiflTance.  La  terre  qui  plusre£ 
fembleà  l'Efpagne ,  &c  aux  régions  de  l'Europe, 
en  toutes  les  Indes  Occidentales ,  eft  le  royaume 
de  Chillé  ,  qui  ell  hors  de  la  règle  générale  de  ces 
autres  régions, d'autant  qu'il  eft  iîtué  hors  laTor- 
ride  &  le  Tropique  de  Capricorne.  Cède  terre  de 
foy  eft  fraifchc  Se  fertile,  ôc  produit  de  toutes  les 
cfpeces  defiuictsqui  font  en  Efpagne,&rappor- 
teaufîîgrande nbondance depain  &-de vin,com- 
me  mefme  elle  abonde  enpafturages  ôc  beftial. 
Le  ciel  y  eft  fain&rferain,  entre  le  chaud  8c  le 
froid.  L'Hyuer  &c  l'Efté  y  eft  parfaitement,  ôc  C'y 
trouue  grade  quantité  d'or  qui  eft  tresfin.Neant- 
moins  cefte  terre  eft  panure  &  peu  peuplée ,  pour 
la  guerre  continuelle  que  les  Auracanes  ôc  leurs 
alliez  y  font,  d'autant  que  ce  (ont  des  Indiens  ro- 
buftcs,&  amis  de  leur  liberté. 

De  h  terre  inco^ncuc,  &  de  la  éiuérjit  éa  vh  ib'ttr 

entier  qui  eft  entre  les  Orientaux 

&  Occidentaux. 

C  H   A    P.    XXIII. 

Z&&  Lyade  grandes  coniedures  qu'en  la  Zone 
taJiM  tempérée ,  qui  eft  au  Pôle  Antarctique  ,  il  y 
ai  t  des  terres  grandes  ôc  fertiles ,  mais  iufques  au- 
îourd'huy  elles  ne  iontdefcouuertes  ,  &neco- 
gnoift-on  d'autres  terres  en  cefte  Zone ,  que  telle 
de  Chillé ,  ôc  quelque  partie  de  la  terre  qui  coure 
d'Ethiopieau  Cap  de  bonne  Efperance,  comme 
il  a  efte  dit  au  premier  Hure.  On  fçait  aufïi  peu  ('il 
y  a  habitation  aux  deux  autres  Zones  ou  Poles,& 
fila  terre  continue  &paruient  iufques  à  celle  du 
cofte  de  l'Autarcique  ou  Sud.    L'on  ne  cognoift 


DES      INDES.       L  IV.    III.  I14 

pas  mefme  la  terre  qui  gift  palle  le  deftroit  de  Ma- 
gellan ,  d'autan c  que  la  plus  grande  hauteurque 
l'on  acogneucd'iccllc  eft  decinquarc  fïxdegrez, 
ainfi  qu'il  eft  ditcy-deuant,  &du  codé  du  pôle 
Arctique  ou  Nort,n'en  fçait-on  non  plus  iniques 
où  va  la  terre ,  qui  court  pall'é  le  Cap  de  Mendo- 
çin&:lesCalliphornes,iiyles  bornes  &  fin  delà 
Floride  ,  6c  iulqucsoù  elle  peut  i'eftendrevers 
l'Occident.  Il  y  a  peu  de  temps  qwel'onadefcou- 
uert  vnenouuclleteire,  qu'ils  appellent  le  nou- 
11  eau  Mexique,  où  ils  diîe'nt  qu'il  y  a  beaucoup 
de  peuples  qui  parlent  la  langue  des  Mexiquains. 
Les  Philippines  6c  les  iflesiuiuanteSj  comme  ra- 
content aucuns  qui  le  içauent  par  expérience, 
courent  plus  de  neuf  cents  lieues  :  mais  de  trait- 
ter  deIaChine,Cochinchine  ,  &Syam,&  autres 
régions  qui  (ont  de  l'Inde  Orientale,  ce  feroit  co- 
tre mon.  intention  ,  qui  eft  feulement  de  ttaitter 
des  Occidentales.  L'on  necognoift  pas  mefme  la 
plus  grand  part  de  l'Amérique  qui  gift  entre  le 
Pcru&  le  Brcfil,  combien  que  de  toutes  parts 
l'on  en  cognoilîcles  bornes.Surquoy  il  y  adiuer- 
fes  •pinions  des  vns  6c  des  autres ,  qui  difent  que 
tout  eft  vne  terre  noy  ce,  pleine  de  lacs  8c  de  lieux 
aquatiques. D'autres  afferment  qu'il  y  a  de  grands 
&  fleuri iîan s  royaumes,  fimaginans  que  là  (ont 
le  Paytitijle  Dorado,&lesCefars  ,  où  ils  difent 
qu'il  y  a  des  chofes  merueillcufes.  I'ay  ouy  dire  à 
vndenoftre  compagnie,  homme  digne  de  foy, 
qu'ilyauoit  veu  de  grandes  habitations,  ôc  des 
chemins  autant  rompus  Se  battus  comme  fonc 
ceux  de  Salamanquea  Vailladolic,  ce  qu'il  veid 
alors  que  Pierre  d'Orfua  ,  ôc  depuis  luy  ceux 

pij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
quiluyfuccedercnt  firent  l'cncree&  defcouuer- 
te,  par  la  grande  nuiere  des  Amazones,  le(quels 
croyansque  leDorado  qu'ils  cherchoienteftoit 
plus  auant,ne  fe  foucieuent  de  peupler  là,«&  2pres 
demeurèrent  fans  le  Dorado  qu'ils  ne  trouuerenc 
point,  &fans  cef\c  grande  prouincequ'ilslaille- 
rent.  Devray  c'eftehofe  iufques  auiourd'huj  ca- 
chée, que  l'habitation  de  l'Amérique,  excepeé  les 
extremitez,qui  font  le  Peruje  Biefil ,  ik  l'endroit 
où  la  terre  commence  à  f'eftrefllr ,  qui  e(l  en  la  ri- 
uiere  d'argent ,  puis  Tucuman  ,  qui  fait  le  tour  à 
Chillèj&auxCbarcas.  Ilya  fort  pende  t?mps 
que  nous  auons  entendu  par  lettres  des  mûres 
qui  cheminent  en  faincte  Croix  dclaSierrc,que 
l'on  vadcfcouurant  de  grandes  prouinces  5c  ha- 
bitations qui  tombent  en  cette  partie ,  qui  cft  en- 
tre le  Bcefil  &  le  Peru.  Le  temps  les  defcouurira, 
eau  comme  la  diligence  &hardielïe  des  hommes 
eftauiourd'huy  grande  à  vouloir  circuir  lemon- 
de  d'vne  parc  ôc  d'autre ,  nous  pouuos  croire  que 
tout  ainfi  que  l'on  a  defcouuert  tout  ce  qui  eit 
cogneu  iufques  à  prclent ,  l'on  pourra  de  mefmc 
defcouurir  ce  qui  refte,afin  que  le  faind  Euiy gile 
foit  annoncé  àlVrauerfe-l  monde,  puis  que deha 
les  deux  couronnes  de  Portugal,  &  de  Caiille  fe 
font  rencontrées  par  l'Orient  ôc  par  le  Ponant, 
iufques  à  ioindre  leurs  defcouuertures  enfemble, 
qui  eftà  la  vérité  vnechofe  remarquable,  que  les 
vns  foient  paruenus  iufques  en  la  Chine ,  5c  Iap- 
pon  par  l'Orient,  ôc  les  autres  aux  Philippines, 
qui  font voifines  &  prefqne  continues  à. a Chi- 
ne,par  l'Occident.  Car  cfe  l'ifle  de  Lu(Tbn,qui  eft 
la  principale  des  Philippines  ,  où  eîllaciccdc 


DES    INDES.      LIV.     III.  Ilf 

Mammille,iufques  à  Macan,qui  eftl'ifle  de  Cau- 
ton,  il  n'y  a  que  quatre  vingts  ou  cent  lieues  de 
mer  entre  deux  ,  &:  trouue  chofe  merueilleufe, 
qu'encore  qu'il  y  ait  il  peu  de  diftancede  l'vn  à 
l'autre  jl  y  a  neatmoins,felon  leur  conte ,  vn  iour 
entier  de  différence  entr'eux>  de  forte  qu'il  eft  Di- 
manche à  Macan  ,  lors  qu'à  Mammilleileft  Sa- 
medy,&:  ainfi  du  relie.  Ceux  de  Macan  &  la  Chi- 
ne ont  vniouraduancé,  6V  ceux  des  Philippines 
en  ont  vn  retardé. Il  aduintau  Père  Allonlè  San- 
chés  j  duquclileft  fait  mention  cy-deuant,  que 
partant  des  Philippines  il  arriua  à  Macan  le deu- 
xiefmeiourdeMay  félon  fon  conte  ,  &voulant 
dire  l'office  de  fainct  Athanafe,uouua  qu'ils  cele- 
broient  lafefte  de  l'Inuention  fainde  Croix,par- 
cequ'ilscontoicnt  làletroifîefmede  May.  Illuy 
en  aduint  tout  autant  en  vn  autre  voyage  qu'il  fit 
par  delà.  Quelques- vns  ont  trouue  cède  varia- 
tion Ôc  diuerfité  eftrange ,  &  leur  femble  que  cela 
procède  de  la  faute  des  vns,  ou  des  autres,  ce  qui 
n'eft  pas  toutesfois:mais  eft  vn  conte  vray  &  bien 
obferué:car  fuiuant  la  différence  des  chemins  par 
oùdntefté  les  vns  &  les  autres,  il  faut  neceUai  re- 
ment dire,  que  quand  l'on  fe  rencontreon  doit 
auoirvn  iour  de  différence.  La  raifon  eft  pource 
que  nauigeat  d'Occident  à  l'OrientJ'on  va  tou£ 
ioursgaiguantleiour,  &  trouue  l'on  pluftoftle 
leuer  du  Soleil,  8c  au  contraire  ceux  qui  nauigenc 
d'Orientau Ponant  ,  vofïttoufiours  perdant  le 
iour,&fcn  retirent  arrière,  pourcequele  Soleil 
de  plus  en  plus  leur  va  leuant  plus  tard,&  comme 
plus  ils  vont  approchant  du  Leuant  ou  Ponant, 
plus  ils  ont  le  iour  toft  ou  tara.    Au  Peru,  quiet! 

Piij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
Occidcinal,aurefpectderEfpagnc,rony  dcmcu^ 
rc  de  plus  de  fix  heures  arrière:  de  façon  que  quad 
il  eft  midy  en  Efpagne ,  il  eu:  aube  ou  poincT:  du 
iour  au  Peru;  &  quand  l'aube  du  ionr  ell  pardeça, 
la  my-nuict  (etrouue  eurc  par  delà. I'ay  fait  preu- 
ue  certaine  de  cela  ,  par  la  computation  desccli- 
pfesdu  Soleil  &  de  la  Lune.  Maintenant  doc  que 
les  Portugais  ont  fait  leur  nauigaiion  d'Occident 
àl'Orient,&les  Caftillans d'Orient  enOccidenc, 
quand  ils  le  Survenus  à  iomdre  Se  rencontrer, 
quia  efté  aux  Philippines  fie  Macan,  lesvnsonc 
gaigné  douze  heures  d'aduance,  &  les  autres  en 
ont  perdu  tout  autant.     Par  ainfi  en  vn  mclme 
poinct&  en  vnmcfmc temps  ils  trouuent  la  dif- 
férence de  viugt  heures, qui  cft  vn  iour  entier.  Au 
moyen  dequoy  neceflairemenc  les  vns  font  au 
troificfmede  May  ,  quand  les  autres  content  le 
deuxiefme,&  quand  les  vns  îeufnentleSamedy 
Sainctjlcs  autres  mangent  de  la  cha  ir  pour  le  iour 
de  la  Refurrecfcion.  Que  li  nous  voulons  teindre 
qu'ils  palfalFent  plus  outre ,  tournoyas  encor  vue 
autre  fois  le  monde,  «Se  qu'ils  vlailentdu  mefmc 
conte,  quand  ils  retourneroient  à  le  ioindre  ils  fc 
trouucroient  au  (ÎI  bien  par  leur  mefme  conte  en 
deux  iours  de  diflferéce.  Car,  comme  i'ay  dit,ceux 
qui  vont  au  leuer  du  Soleil  vont  contant  le  iour 
pluftoft ,  comme  le  Soleil  leur  va  leuant  pluftoit, 
&  ceux  qui  vont  au  couchant  au  contraire  vont 
contant  le  iour  plus  tard,  d'autant  qu'il  leur  va 
fortant  plus  tard.  Finalement  la  diueriîtc  des  mi- 
dis fait  le  diuers  conte  des  iours.   Et  d'autant  que 
ceux  qui  vont  nauigeans  du  Leuant  au  Ponant, 
vont  changeant  leurs  midis  fans  le  fentir,  &  touC 


DES    INDES.       LIV.    III.  Il6 

icut's  neantmoins  pourfuiuem  le  mefme  conte 
où  ils  fe  trouuent  quand  ils  partent,il  eft neceiïài- 
requ'acheuant  le  circuit  du  monde  ils  trouuent 
fauce  à  leur  conte  d'vn  iour  entier. 


Des  Volcans  ou  bouches  de  feu, 

CHAP.     XXIIII. 

&r®  Ombien  que  l'on  trouue  en  d'autres  en- 
©fca  droits  des  bouches  de  feu,  comme  le  mont 
Atns.Sc  Vvefuuio,qu'auiourd'huy  ils  appellent 
le  mont  de  Soma,  neantmoins  c'eft  choie  remar- 
quable que  ce  qui  fe  trouue  es  Indes.  Ordinaire- 
ment ces  Volcans  font  rochers  ou  pics  de  mon- 
tagnes très-hautes  qui  Pefleuët  par  delîus  les  fom- 
mets  de  toutes  les  autres  montagnes.   Ils  ont  en 
leurs  fommitez  vn e planure,  &c  au  milieu  vne fo£ 
fe  ou  grande  bouche  qui  defeend  iufques  au  pro- 
fond ou  pied  d'icelle,qui  eft  chofeefpouuentable 
à  voir.  De  ces  bouches  il  fort  delà  fumee,&:quel- 
quesfois  du  feu. Il  y  en  a  quelques- vns  qui  jettent 
bien  peu  de  fumée,  &  prefque  n'ont  aucune  for- 
me de  VolcanSjComme  eft  celuy  d'Arequipa,  qui 
eft  d'vne  hauteur  defmefuree,  &  prefque  du  tout 
de  fable  qui  ne  fe  peut  monter  en  moins  de  deux 
iours,neantmoinsonn'yatrouuéaucun»apparé- 
ce  de  feu,mais  feulement  les  veftiges  de  quelques 
facrifices  quefaifoient  là  les  Indiens  lors  qu'ils 
eftoict  Gctils,&  quelque  peu  de  fumec  qu'il  ictte 
quelquesfois.I|e  Volcan  de  Mexique,qui  eft  pro- 
che du  bourg  des  Anges,eft  auffi  d'y  ne  hauteur  ad- 
mirable où  l'on  môte  trente  lieues  en  tournoyât. 

P  iiij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
De  ce  Volcan  fort  ,  non  pas  continucllcmcnr, 
mais  de  fois  à  autre ,  Se  prefquc  chaque  iour ,  vne 
groflTe  exhalation  Se  tourbillon  de  himee  qui  fort 
droit  en  haut  comme  vn  trait  d'arbalefte ,  qui  par 
après  fe  fait  femblableà  vn  très  grand  plumage 
iufqnes  â  ce  qu'il  celfe  du  tout ,  &  auiïi  toft  fe  re- 
foult  en  vne  nuée  noire  Se  obfcure.Plus  commu- 
nément elle  fort  au  matin  après  le  leucr  du  Soleil, 
&  au  foir  quand  il  fe  couche  ,  encor  que  l'en  ay 
veu  fortir  en  autres  heures. Il  fort  auffi quelques- 
fois  après  cède  fumée  beaucoup  de  cendres.  De 
feu  l'on  n'enaencorveu  fortir  iniques  à  prefent, 
toutesfois  Ton  a  crainte  qu'il  Ae  forte  Se  brufle  la 
terre  qui  eft  à  rentour,laquelle  eft  la  meilleure  de 
tout  le  royaume.  Et  tient-on  pour  certain  qu'il  y 
a  quelque  correfpondance  entre  ce  Volcan  &  la 
Sierre  deTlaxcah ,  qui  en  eft  allez  proche,  qui 
caufcles  tonnerres  Se  efclairs  fi  grands  que  l'on 
void&r  oit  ordinairement  en  ces  parties.  Quel- 
ques Efpagnols  ont  monté  en  ce  Volcan,lefquels 
ontrapportédelamine  ou  terre  du  foulfrepour 
faire  de  la  poudre.  Cortez  raconte  la  diligence 
qu'il  a  faite  pour  defcouurirce  qu'il  y  auoit  en  ce 
Volcan.  Les  Volcans  de  Guacimalla  four  plus  re- 
nommezjtant  pour  leur  grandeur  &hauteur,que 
les  nauigeans  en  la  mer  du  Sud  defcouurcnt  de 
fort  loin,que  pour  refpouuentement  Se  violence 
des  feux  qu'ils  jettent  de  i'oy.  Ilarriuaau23.de 
Décembre  de  l'an  parte  i^86.  que  toute  la  cité  de 
Guatimallaprefque  tomba  d'vn  tremblement  de 
terre,où  demeurèrent  mefmes  quelques  perfan- 
ncs.Uy  auoit  défia  Cix  mois  que  de  iour  &de  ntiicl: 
ie  Volcan  ne  ceuoic  de  jeteer  par  lclum,  Se  corn- 


DES     INDES.       1IV.    III.  117 

me  vomir  vn  fleuue  de  feu,  la  matière  duquel  to- 
bante  aux  coftez  du  Volcan,  feconuertilToit  en 
cendre  comme  terre  bruflee(cho(e  qui  furpafle  le 
hibernent humain  d'entendre  comme  ilpeut  ti- 
rer de  Ton  centre  tant  de  matières  qu'il  jettoic 
hors  de  foy  durant- ces  (îx  mois:  pource  qu'il  n'a- 
uoit  accoutumé  de  jerter  que  de  la  fumée,  Se  non 
pas  toujours ,  mais  qnelquesfois  de  petites  flam. 
mefehes.  Cela  me  fat  eferit  eftant  en  Mexique, 
parvn  Secrétaire  de  l'Audience  de  Guatimalk, 
home  digne  de  foy  ,  voire  n'auoitpaseucoralors 
celTé  ce  Volcan  de  jetter  ces  feux  queiedy.  Ces 
ans  paiïez  me  trouuant  en  Quitto  en  la  Cité  des 
Rois,  le  Volcan  qu'ils  ont  proche  jettoit  tant  de 
cédre^u'en  beaucoup  de  lieux  en  circuit  il  pleut 
tant  de  cendre,  qu'elle  obfcurciflbitla  lueur  du 
iour,&:  en  tomba  telleabondace  en  Quitto,  qu'il 
n'eftoitpoflible  de  cheminer  parles  rués.  L'on  a 
veu  d'autres  Volcans  qui  ne  jettent  ny  flamme  ny 
fumee,ny  cendre  mefme,mais  l'on  lesvoid  bruf- 
ler  au  fonds  d'vne  viue  flamme,  (ans  famortir  :  de 
telle  façoeftoiteeluy  qu'en  noftre  temps  vn  Pre- 
ftre  cupide  &auaricieux  fe  perfuadaquece  qu'il 
voyoitbruflant  eftoientmalfesd'or,  iugeant  en 
foy-mefme  que  cène  pouuoiteftre  autre  métal, 
ny  matière,  chofe  qui  depuis  tant  d'années  ardoit 
fans  fe  confommer ,  Se  eftant  en  cefte  pcrfuafîon, 
il  fit  de  certaines  chaudières  Se  chaînes,  auec  ne 
fçayquelinflrument  pour  cueillir  Se  retirer  l'or 
de  ce  puits  ou  Volcan  :  mais  le  feu  fe  moqua  de 
luy ,  pource  que  la  chai  ne  de  fer,  «Se  la  chaudière 
n'approchoientpaspluftoftdufeu,  qu'auflî  toft: 
elles  ne  le  defitfent  c^fullenc  coupées  comme  Ci 


HISTOIRE     NATVRELLE 
ceufteftcdeseftoupes.  Ceneantmoinson  me  die 
que  ce  perfonnage  i'obftinoit  toufiours ,  &  alloic 
recherchant  d'autres  inuentiôs  pour  tirer  &  pui- 
fer  cet  or  qu'il  imaginoir. 

Quelle  efi  la  caufcpourauoy  le  feu  &  lafumee  durent 
fi  long  temps  en  ces  Volcans. 

CHAP.      XXV. 

L  n'eft  ja  befoin  de  faire  mention  des  au- 
res  Volcans  ,  puis  que  par  les  delîufdits 
l'on  peut  entendre  ce  qui  en  eft,  toutesfoisc'eft 
choie  digne  de  rechercher  quelle  eftlacaufe  qui 
fait  durer  le  feu  &  lafumee  en  ces  Volcans:pour- 
ce  qu'il  fcmble  que  ce  foit  chofe  prodigieufe,voi 
re  qui  excède  le  cours  naturel  de  ietter  de  leur 
eftomach  tant  de  flammes  comme  ils  envomif- 
fent.  D'où  procède  cefte  maticre,qui  la  leur  don- 
ne,oucommeeft-elleengcndreeIàdedans?Quel- 
ques  vus  ont  eu  opinion  que  ces  Volcans  vont 
confommant  la  matière  intérieure  qu'ils  ont  de 
leur  naturc,&  croyent  pour  cefte  caufe  que  natu- 
rellement ils  prendront  fin,  quand  ils  aurot  con- 
fomtné  le  bois ,  par  manière  de  dire,qu'ils  ont  en 
eux.Suiuant  cefte  opinion,  l'on  voidauiourd'huy 
quelques  montagnes  ou  rochers,d'où  l'on  tire  de 
la  pierre  bruflee,  qui  eft  fort  légère ,  mais  fort  du- 
re ,  &  eft  excellente  à  faire  édifices  &  baftimens, 
comme  eelleque  l'on  apporte  en  Mexique  pour 
baftir.Et  en  effect  il  y  a  des  apparences  à  ce  qu'on 
dit,que  ces  montagnes  ou  rochers  onteu autres- 
fois  yri  feu  naturel,qui  Peft  efteint  après  la  matiè- 
re côfommce.Et  par  ainil  ces  pierres  font  demeu- 


DES     INDES.    L  IV.    Il  I.  II  8 

rces  bruflees  6c  pénétrées  du  feu  ,  comme  on  les 
void. Quant  cil  de  moy,ie  neveux  pas  contredire 
qu'il  ny  ait  euautresfois  du  feu,  ou  qu'c  ces  lieux 
au  temps  parTé  iln'yaiteudes  Volcans.  Mais  ce 
m'eft  choie  difficile  à  croire  qu'il  en  (oie  ainfide 
tous  les  Volcans,  veu  que  la  matière  qu'ils  met- 
tent hors,e(lqua(ï  infinie,  6c  qu'elle  ne  pourroit 
pluseftatîtamalieeenfemble,e(he  comprifedans 
celle concauité  mefme  dont  elle  fort.  Outre  cela 
il  y  a  des  Volcans}qui  eu  centaines, voire  milliers 
d'années ,  font  toujours  d'vne  mefme  façon  ,  jet- 
tans  continuellement  de  la  fumée,  du  feu,  &  delà 
cendre.  Pline hilloriographe  naturel  (lelonque 
réfère  l'autre  Pline  fo:i  nepueu)  recherchant  ce 
lecret pourvoir  commefe  pafï'oit  ceftearFairc ,  8c 
Rapprochant  de  trop  près  de  l'exhalation  du  feu 
de  l'vn  de  ces  Volcans,  mourut,  &  penfant  en  ve- 
nirà  bout  par  (a  diligence,  vint  à  bout  deia  vie. 
Pour  moy  fur  celle  confideration  iepenfe,  &e(l 
mon  opinion ,  que  comme  il  y  a  des  lieux  en  la 
terre  qui  ont  la  vertu  d'attirer  à  foy  la  matière  va- 
poreufe,  &delaconuertirjieneauc,qui  faut  les 
fontaines lefquelles  touliours  decoulent,&  touf- 
iours  ont  dequoy  découler ,  entaht  qu'elles  atti- 
rent à  foy  la  matière  de  l'eauc  :  aulîi  de  mefme  il  y 
adeslieuxquiontla  propriété  d'attirer  à  eux  les 
exhalations  chaudes  ,  &de  les  conuertiren  feu 
&en  fumec  ,  ôc  par  leur  force  6c  violence  iet- 
tent  mefme  d'autres  matières  efp ailles  qui  fe  rr- 
foluent  en  cendre,  en  pierre  de  ponce,  ou  autre 
matière femblable,& qui  eft  vnargument  iuffi- 
fant,qu'és  Volcans  cela  foie  ainfi,c'eft  qu'ils  iettet 
en  certain  temps  de  la  fumée,  non  pas  touliours, 


HISTOIRE  NATVRELLE 
&  e«  certain  temps  du  feja,&  non  tou(îours,qui 
eft  félon  qu'ils  ont  peu  attirer  à  foy  &  digérer, 
comme  les  fontaines  en  temps  d'Hyuer  abonder, 
&  en  Efté  diminuét,voire  quelques  vneslechenc 
du  tout  félon  la  force  &  vigueur  qu'elles  ont,  & 
félon  la  matière  qui  fe  prefente  :  ainfi  eft- il  de  ce 
qucces  Volcans  endiuers  temps  jettent  du  feu, 
plus  ou  moins.  Lesautres  diient  que  c'eft  le  feu 
d'enfer,&:  qu'il  fort  par  là  pour  feruir  d'aduertif- 
fement,afin  deconfiderer  par  là  ce  qui  eft  en  l'au- 
tre vie:mais  C\  Tenter,  comme  tiennent  les  Théo- 
logiens ,  eft  au  centre  de  la  terre,  laquelle  tient  de 
diamètre  plus  de  deux  mille  lieues  ,  l'on  ne  peut 
pas  iuger  que  ce  feu  foit  du  centre ,  dautant  plus 
que  le  feu  d'enfer,  félon  que  fainft  Bafile  &  aucres 
enfeignent,  eft  fort  différent  deceftuiquenous 
voyons,  pourcc  qu'il  eft  fans  lumière,  &  ard  & 
brufle fans comparaifon plus  quelenoftre.  Ainfi 
ie  conclus  que  ce  que  i'ay  dit  me  femble  plus  rai- 
fonnable. 

Des  tremblemens  de  terre. 

c  H AP.    XXVI. 

?/K$  Velques-vns  ont  peu fé  que  de  ces  Volcans 
fësâ  qui  font  es  Indes  procèdent  les  tremble- 
mens  de  terie,alïez  frequens  par  delà  :  mais  parce 
qu'ils  viennent  ordinairement  es  lieux  qui  font 
efloignez  de  ces  Volcans,  ce  n'en  peut  pas  eftre  la 
caufe  totale.  Il  eft  bien  vray  qu'ils  ont  certaine 
forme  &:  fympathieles  vnsauecles  autres:pour- 
ce  que  les  exhalations  chaudes  quifengendrent 
es  intimes  concauitez  de  la  terre,fcmblent  eftre  la 


(■■•■■■■■■■mi 


D  ES    I  ND  ES.    LI  V.    III.  119 

principale  matière  du  feu  dcces  Volcans,  par  les- 
quels mefmes  l'allume  vnc  autre  matière  plus 
grofTe,&  rend  ces  apparences  de  flamme  &  fumée 
qui  fortent.  Etcesmelmes  exhalations  ne  trou- 
uans  au  dedâs  de  la  terreaucune  forueaifee,  meu- 
uent  la  terre  pour  fortir  auccvne  grande  violen- 
ce, d'où  vient  le  bruit  horrible  qu'on  entend  au, 
deiFous  de  la  terre ,  Se  mefme  le  mouuement  de  la 
terre,  citant  agiteedecefte  brullanteexhalarion. 
Tout  ainfi  comme  la  poudre  à  canon  es  mines  & 
artifices,  eftant  toucn.ee  du  feu  rompt  les  roches 
8c  les  murailles  :  &  comme  la  chaftaignemife  au 
feu  fauce  &  fe  rompt  en  faillit  bruit ,  lors  qu'elle 
iette  ctehors  l'air  qui  eft  enferme  dedas  fou  efcor- 
ce,par  la  vigueur  du  feu.  Audi  le  plus  ordinaire- 
ment ces  trcmblcmens  de  terre  ontaccouftumé 
d'adueniraux endroits  maritimes,  qui  font  voi- 
lànsdel'eaue.  Comme  l'onvoid  en  l'Europe,  & 
aux  Indes,  que  les  bourgs  &villespluseiloignees 
de  la  mer  &  des  eaux  fentent  moins  cetrauail,& 
au  contraire  ceux  qui  font  es  ports  de  mer,  es  ri- 
uieres,és  coftes,&  es  lieux  qui  en  font  voilîns,  en- 
durent plus  celle  calamité,  lied  aduenuauPeru 
vne  chofe  merueilleufe,&  digne  de  noter,fçauoir 
qu'il  y  a  eu  des  tremblemes  de  terre  qui  ont  cou- 
ru depuis  Chillé ,  iufques  à  Qukto,  qui  font  plus 
de  cinq  cents  lieues  ,  iedy  des  plus  grandes  donc 
on  ait  ouy  parler ,  car  les  autres  moindres  y  font 
affez  ordinaires.  En  la  code  de  Chillé  (.ilneme 
fouuient  quelle  année)  fut  yn  tremblemetde  ter- 
re fi  terrible ,  qu'il  renuerfa  les  montagnes  entie- 
rcs,6c  par  ce  moyen  empcfcha  le  courant  des  fleu- 
ues,qu 'il  conuertit  en  lacs,  il  abbatit  des  villes,  Se 


HISTOIRE  NATVRELLE 
tua  grâd  nombre  d'hom  mes  jfailantfortir  la  mer 
de.fon  lieu  quelques  lieues  bien  auanc,  de  façon 
qu'elle tailla les  n  au  ires  à.ièc,bien  loing  de  la  rade 
ordinaire,  &  piulîeurs  ancres  choies  tnltes,  éVef- 
pouuantables.Etfi  bien  m'en  iouuienc,  ilsdifent 
que  le  trouble  &  efmocionqueficcecembleméc, 
courut  trois  cens  lieues,lc  long  de  la  code.  A  peu 
de  temps  de  là  .  qui  hit  l'an  de  quatre  vingts  deux, 
vint  le  tremblement  d'Arequipa,quiabbacic  & 
ruina  prcfquc  toute  celle  ville  là.  Du  depuis  en  l'a 
quatre  vintsfix,leneufie(me  de  Iuillec,aduintvn 
autre  tremblement  en  la  cité  des  Roy  s,  lequel  fé- 
lon qu'elcriuit  le  Viccroy  ,  auoit  couru  le  long 
de  la  code  cent  foixante&  dix  lieiies  ,  cVdetra- 
uers  dedanslaSierrecinquantelieiies.  Lamiferi- 
corde  du  Seigneur  fut  grande  en  ce  tremblement, 
de  prcuenirle  peuple  par  vn  grand  bruit,  qu'ils 
ouvrent  quelque  peu  deuant  le  tremblement,  6V 
comme  ad  oectis  par  les  expériences  payées,  in- 
continent le  mirent  en  lauuctc ,  (ortanc  es  rues, 
places  &  iardins  ,  finalement  es  lieux  deicou- 
uerts ,  par  ainfi  encor  qu'elle  ruina  beaucoup  la- 
dite ville, de  que  les  principaux  édifices  d'icelle 
tombèrent,  ou  furent  à  demy  ruinez, neantmoins 
on  dit  qu'il  n'y  demeura  que  quinze  ou  vingrper- 
fonnes  ieulement  de  tout  le  peuple.  Il  iîceu  la 
merlemeime  trouble  6V  mouucment  qu'auoit 
faict  celuy  de  C trille, qui  fut  incontinent  après 
le  tremblement  déterre  ,  (î  que  l'on  veid  la  mer 
fortit  funeufe  Se  bondiilante  de  fes  riuages,&  en- 
trer au  dedans  de  la  terre  prefque  deux  lieues 
auant:  car  elle  monta  plus  de  quatorze  brades ,  6V 
couuiic  toute  celte  plage,  tant  que  Ici  digues  & 


DES     INDES.       LIV.    III.  IXO 

pièces  de  bois  qui  eftoiéc  là ,  nageoient  en  l'eau'é. 
En  après  l'an  enfumant  ,  il  y  eue  c.ncor  vu  autre 
trcmblemét  de  terre  au  royaume  &"  cité  de  Quit- 
te, Se  femble  que  tous  ces  notables  tremblemens 
de  terre  en  cc(lecofte,ayent  fucccdc  les  vnsaux 
autres  par  ordre,  &  de  raid  elle  eft.  iubiecte  à  ces 
inconueniens.  C'eft  pourquoy  encor  qu'en  la  co- 
de du  Peru  ils  ne  (oient  tourmentez  du  Ciel,  des 
tonnerres  &  fondres,ils  ne  laiifent  pas  toutesfois 
d'auoir  de  la  crainte  ducofté  de  la  terre,  &ainii 
chacun  a  deuant  foyàveu'ê d'oeil  lés  hérauts  de  la 
diuine  iuHice,afin  de  craindre  Dieu.  Car,comme 
dicTEfçritiîré ,  tecit  bkcMt  timeatnr.   Retournant  Ecclefa. 
donc  à noftre propos,  iedy  que  les  lieux  mariti- 
mes lont  plus  fubiects à  ces  tremblemens,  dont 
la  eau  le  eft, comme  il  me  femble,  que  l'eau'é  bou- 
che &z  eftoupe  les  conduits  &c  ouucrtures  de  la 
terre,par  oùledeuroient  exhaler  &  forcir  les  ex- 
halations chaudes  qui  ('engendrent  en  icelle.  Et 
melmcquerhumiditéefpaiiïifsât  la  fjperhciede 
la  terrerait  que  les  fumées  &c  exhalations  chaudes 
ferederrent  &  fc  rencontrent  plus  violemment 
là  dedans,qui  par  après  viennet  à  rompre  en  Pen- 
flammant.     Quelques-vns  ont  obferué  que  tels 
tremblemés  de  terre  ont  accouftumé  de  i'cfmou- 
uoir,  lors  qu'il  vient  vn  temps  pluuieux  ,  aptes 
quelques  feches  années.  D'où  vient  que  l'ondi» 
quelestréblemcs  déterre  font  plus  rares  es  lieux 
où  il  y  agi  ad  nombre  &  quantité  de  puits,  cequi 
eftapprouué  par  l'expérience.  Ceux  delacitédc 
Mexiqueont  opinion  que  le  lac  fur  lequel  elle 
eftfituée,  caufeles  tremblemens  de  terre  qui  y 
furuienncnt,cncor  qu'ils  n'y  foienc  pas  beaucoup 


HISTOIRE     NATYRELLE 
violens  ,  &c'ell  chofe  certaine  que  les  villes  & 
prouinces  fiiueesanant  dedans  les  terres,  «Scqui 
font  plus  efîoignees  de  la  mer,  reçoiuent  quel- 
quefois de  grands  dommages  de  ces  cremblcmës, 
comme'acitéde  Chachapoyas  aux  Indes  ,&:  en 
Italie  celle  de  Ferrarc ,  encor  que  fur  cefubïecl  il 
femble  que  celle  cy  pour  eftre  voifine  d'vnc  ri- 
uiere,  6c  n'eftre  pas  auffî  fort  efloigneedela  mer 
Adriatique,  doiuepluftoftcftre  mifeaunombre 
des  villes  maritimes.  En  l'an  mil  cinq  cens  quatre 
vingts  &c  vn,en  Chuguiano ,  cite  du  Peru  ,  autre- 
ment appellée  la  Paix ,  arnua  vn  cas  fort  eftrange 
fur  ce  propos. c'eftqu'vn  bourg,appellé  Angoan- 
go, auquel  habitoient  pluiieuis  Indiens  enchan- 
teurs &  Idolâtres ,  tomba  inopinément  en  ruine, 
de  forte  que  vne  grande  parrie  de  ce  bourg  fut 
enleuée  Se  emportée,  dont  plusieurs  de  ces  In- 
diens furent  elloufez,&  ce  qui  femble  incroyable 
(neantmoins  attefté  par  pcr'onn.iges  dignes  de 
foy)la  terre  qui  fe  ruina  Se  qui  f  abbatitainiï,cou~ 
rut  &:c#ulamrlepays  l'efpace  d'vne  lieue  &  de- 
mie, comme  Ci  c'euft  eflé  de  feaue  ou  de  la  cire 
fondue  de  faço  qu'elle  boucha  &  remplit  vn  lac, 
&demeuraainiïeftenduc  parmy  toute  celte  con- 
trée. 


Comme  la  terre  &  la  merf'embraffent  l'vn  l'autre. 
CHAP.      XXV  II. 

Mfô'Acheueray  par  ceft.  élément  de  la  terre,  le 
joignant  auec  le  précèdent  de  i'caue,rordre 
&embra(rementdefquelseftdefoy  certainement 
admirable.  Ces  deux  éléments  ont  vne  mefme 

Sphère 


DES    INDE  S.    LIV.    UI.  m 

'Sphère  départie  cnir'eux,  8c  fevontembrairans 
&iccollans  en  miileraçôs&  manières.  Par  quel- 
ques endroits  l'eauë  combat  furieufement  later- 
re,comme  Ton  ennemie,  &  en  autres,  elle  la  vient 
euceindred'vnetaçon  toit  douce  &  amiable.  Il  y 
ades lieux oùlamer vient  entrer  dedansla  terre 
bien  allant ,  comme  venant  la  vifiter,&:  d'autres 
efquels  la  terre  le  recompenfe,  jettanten  la  mer 
les  caps ,  pointes ,  8c  langues  auaneces ,  qui  Vont 
pénétrant  iufques  aux  entrailles. En  quelques  en- 
droits l'vnelemét  i'acheue,&:  l'autre  le  commen- 
ce, fedonnant  place  peu  à  peu  l'vn  à  l'autre.  Aux 
autres  chaicuns  d'eux  (lors  qu'ils  le  ioignent)  ont 
vne  très- grande  protondeur ,  8c  efleuation,com- 
me  il  fe  trouue  des  ifles  en  la  mer  du  Sud ,  8c  mef- 
me  en  la  mer  du  Nortjdciquelles  les  nauires  l'ap- 
prochent tout  contre.  Et  quoy  qu'ils  y  jettent  la 
fonde  en  foixante  Se  dix  ôVquatre  vingts  braiïèes, 
fi  ell-  ce  qu'ils  n'y  trouuent  point  de  fonds.  Qui 
fait  iuger  que  ce  font  comme  des  pics  ou  pointes 
de  terre,  qui  montent  du,  profond,  8c  feilcuent 
en  haut,  choie  digne  de  grande  admiration.  Ace 
propos  me  dit  vn  pilote  fort  expérimenté, que  les 
Ifles  qu'ils  appellent  des  loups,  &  d'autres,  qui 
font  fur  le  commencement  de  la  cofte  de  la  neuf- 
ue  Efpagne,  qu'ils  appellent  des  Cocos,  eftoient 
de  celle  mefme  façon.  Dauantage,ilie  trouue  vn 
endroit  au  milieu  du  grand  Occa,  horsdelaveuë 
déterre  ,  Scefloigné  d'icellcde  pluficurs  lieues, 
auquel  l'on  void  comme  deux  tours,ou  pics,  d'v- 
ne  roche  fort  haut  efleuez ,  qui  fortent  du  milieu 
de  la  mer  ,  &:neantmoinsioignanticellel'onnc 
peut  trouuer  ny  fonds  ny  terre.   L'on  ne  peut 


* 


HISTOIRE  NATVRELLE 
cncor certainement  comprendre, ny  rccognoi- 
ftre  quelle  eft  la  forme  entière  &  parfaite  de  la 
terre  des  Indes,  poum'auoir  efté  les  extremitez 
d'icclies  du  tout  defcouuertes  iufqu'à  prefent. 
Neantmoins  nous  pouuons  dire  comme  à  tra- 
uers,  qu'elle  peut  eftre  comme  vn  cœur  auec  les 
poulmons.  Le  plus  large  de  ce  cœur  eft  du  Brelîl 
auPeru,  la  pointe  au  deftroit  de  Magellan,  &  le 
haut  où  il  facheue  eft  la  terre  fet me,&  de  là  com- 
mence le  continent  à  Peilargir  peu  àpeu,iufques 
à  arriuer  à  la  hauteur  de  la  Floride  ôc  terres  fupe- 
rieurcs,  qui  ne  (ont  cncor  bien  cogneuës.  L'on 
pourra  entendre  d'autres  particularitez  de  cefte 
terre  des  Indes  ,  par  les  commentaires  que  les  Es- 
pagnols ont  eferit  de  leur  fuccez  Se  defcouuertes, 
&c  entre  autre  de  la  pérégrination  que  iay  eferite, 
qui  à  la  vérité  eft  eftrange ,  Se  en  peut  dôner  beau- 
coup de  cognoillance,  ôc  eft  ce  qui  m'a  femblé 
fuffireà  pre(ent  pour  donner  quelque  intelligen- 
ce des  chofes  des  Indes,quant  aux  communs  elc- 
mens ,  defquels  toutes  les  parties  du  monde  font 
formées  &  compofees. 


HZ 


LIVRE   QVATRIE- 

ME   DE   L'HISTOIRE  NA- 

TVRELLE     ET     MORALE 

des  Indes. 

CHAPITRE      PREMIER. 

De  trois  genres  de  >nixtesiouco?pf>ofe%k ,  dont  ic 
dois  traitter  en  ceslc  biflotre. 

Yant  traittéau  liure  précèdent 
de  ce  qui  touche  les  elemens,  8c 
les  amples  des  Indes,  nous  par- 
lerons en  ce  prefent  liure  des 
mixtes  &:  des  compofez,  entant 
qu'il  nous  iemblera  conucnablc 
aufujecr.  dont  nous  voulons  traitter.  Et  com- 
bien qu'il  y  ait  beaucoup  d'autres  genres  diuers, 
nous  réduirons  toutesfois  cefte  matière  en  trois, 
qui  feront  les  metaux,lesplantes,&  les  animaux. 
Orlesmeraux  font  comme  des  plantes  couuer- 
tes  8c  cachées  dedans  les  entrailles  de  la  terre,  qui 
ont  quelque  relfemblanceentr'eux,  en  la  forme 
8c  manière  de  leur  production  :  d'autant  que  l'on 
voit  8c  recognoift  mefmc  entre  eux  des  rameaux, 
&  comme  vn  tronc,  duquel  ils  naiflent  8c  procè- 
dent, qui  font  las  grolfes  veines  &  les  moindres, 
tellement  qu'ils  ont  entr'eux  vne  lvailon  telle, 

Qjj 


HISTOIRE  NATVRELLE 
qu'il femble  proprement  que  ces  minéraux  croif- 
fent  à  la  façon  des  plantes.  Non  pas  qu'ils  ayent 
vncvrayevicvegetatiue  intérieure,  car  c'eft  cho- 
fe  qui  eft  feulement  propre  aux  vrayes  plantes, 
mais  ils  fc  produifent  aux  entrailles  de  la  terre, 
par  la  vertu,&:  la  force  du  Soleil,&  des  autres  pla- 
ncttes,&  dans  vnc  longue  efpace  de  temps  (evôc 
augmentanr,&prefque  multipliant  à  la  façon  des 
plantes.  Ettoutainfi  comme  les  métaux  font  des 
plantes  cachées  en  terre,  ainfi  pouuons  nous  dire 
que  les  mefmes  plantes  font  des  animaux  fixes  Se 
arrêtiez  en  vn  lieu,  la  vie  defqueïles  l'entretient 

f>ar  l'aliment  que  nature  leur  va  fournilïantdës 
eur  propre  naitïance.  Mais  les  animaux  iurpal- 
fent  les  plantes ,  en  ce  qu'ils  ont  vn  eftre  plus  par- 
fait, &delàaunî  ont  ils  befoin  d'vn aliment  Se 
nourriture  plus  parfaite.    Pour  lequel  chercher 
nature  leur  adonné  vn  mouuement  &  vn  fenti- 
meut,afin  de  le  defcouurir  Se  cognoiftre.  De  forte 
que  la  terre  rude  &  fterile  eft  comme  la  matière 
$c  aliment  des  métaux  ,  &  celle  qui  eft  fertile  & 
mieux  alîaifonnée,  la  nourriture  des  plantes.  Le« 
mefmes  plantes  leruent  d'aliment  aux  animaux-, 
&  les  plantes  &  animaux  tous  enfembie  (ont  l'a- 
liment des  hommes,  feruanc  toufiours  la  nature 
inférieure  à  l'entretien  Se  fuftentation  delafupe- 
rieure,&  la  moins  parfaite  fe  fubmettant  àlaplus 
parfaite.  D'oùl'on  peut  voir  combien  il  f  en  faut 
quei'or,rargcnt,&  les  autres  chofes  que  les  hom- 
mes eftiment  tant  par  leur  auarice,  foient  la  fin  & 
le  but  de  l'homme  auquel  il  doiue  tendre,  puis 
qu'ils  font  tant  dedegrez  plus  bas  enqualitéquc 
i  homme,  lequel  a  efte  crée  ôc  ordonné  pour  eftrc 


DES      INDES.       LIV.    II IJ.         I23 
fubiect  de  feruir  feulementau  Créateur  vniuerfel 
de  toutes  chofes,  comme  à  fa  propre  fin,  &fon 
parfait  repos:  &  auquel  homme,  toutes  les  autres 
chofes  de  ce  monde  n'ont  eftépropofeesou  de- 
laiiïees,  finon  pour  l'en  feruirà  gaigner  cefte  der- 
nière fin.  Qui  voudra  confîderer  les  chofes  créées 
8c  en  difcourir  félon  cefte  Philofophie, pourra 
certes  tirer  quelque  fruicl:  de  leur  cognoilïance 
&confideration,feferuantd'icelles,pourcognoi- 
ftre  8c  glorifier  leur  Authcur.  Mais  qui  fe  voudra 
aduâcer  plus  outre  à  la  cognoifTance  de  leurs  pro- 
prietcz  8c  vtili  tez,  8c  voudra  fe  rendre  curieux  de 
les  rechercher,  celuy-là  trouuera finalement  en 
ces  créatures  ce  que  le  fage  dit  yqu  ils  font  aux  pieds 
des  fols  <&  ignorons  ,  fçauoir  des  la-cs ,  8c  des  pièges  *"&' 1 4* 
où  ils  fe  precipitent,&  fe  perdent  iouriiellement. 
A  cefte  intentiÔ  donc,  8c  afin  que  le  Créateur  foit 
glorifié  en  les  créatures, ie  pretens  dire  en  ccliure 
quelques-  vues  des  chofl-s  dont  il  y  a  beaucoup  es 
Indes ,  digne  d'hiftoire ,  8c  d:eftre  racontées,  tou- 
chant les  métaux,  plantes  &  animaux,  qui  font 
propres  8c  particuliers  en  ces  parties.  Mais  d'au- 
tant que  ce  feroit  vne  ceuure  très-  grande ,  que  de 
traittercecy exactement,  8c  qui  requcrroitplus 
grand  fçauoir,  &  cognoiiïancc,  voire  beaucoup 
plus  de  loifir  que  ie  n'ay  pas,  ie  dis  que  feulement 
mon  intention  eft  de  traitter  fuccindtemet  quel- 
ques chofes  que  i'ay  comprifes  8c  remarquées 
tant  par  experience,q«e  par  le  rapport  de  gens  di- 
gnes d«  foy,touchat  ces  trois  chofes  que  i'ay  pro- 
pofeesjlaiflàntaux  autres  plus  curieux  8c  diligens 
de  pouuoir  traicter  plus  amplement  de  ce«  matiè- 
res» 


I 


HISTOIRE     NATVREI.LE 


De  l'abondance  &  ^andc  quantité  des  métaux 
qui  font  es  Indes  Occidentales. 


C  H  A  P.     II. 


fà&i  A  fagelfè  de  Dieu  a  créé  les  métaux  pour 
ÊÉfcâf  médecine  &:  pour  defenfe ,  pour  ornement 
Se pourinftrument  des  opérations  de  l'homme. 
Defquclles  quatre  chofes ,  l'on  peut  facilement 
donner  exemple,  mais  la  principale  fin  des  mé- 
taux, Se  la  dernière  d'icelles,  eft  pourec  que  la  vie 
humaine  n'a  pas  befoin  feulement  defe  (ultanter, 
comme  celle  des  animaux, mais  aufïi  de  trauailler 
Se  ouurer  (elon  la  rai  Ton  &:  capacité  que  luy  a 
donné  le  Créateur:  &ain(î  comme  l'entendemét 
humain  T'applique  à  diuers  arts&  facilitez,  ainfi 
le  mefmeautheur  adonné  ordre  qu'il  y  end  ma- 
tière Se  fubieér.  à  diuers  artifices  pour  la  confer- 
uation,  réparation  ,  feureté ,  ornement  Se  exalra- 
tion  de  les  œuures.  Doncques  la  dmerfité  des  mé- 
taux que  le  Créateur  a  en  ferrez  e'sarmaires  cVcô- 
cauitez  de  la  terre,  eit  telle  Se  fi  grande,  que  la  vie 
humaine  tire  profit  Se  commodité  de  chacun  d'i- 
ceux.  Des  vus  elle  fe  lerten  la  2uarifon  des  mala- 
dies,des  autres  pour  lesarmeures,  Se  pour  defen- 
fescontreles  ennemis;  les  vus  font  pour  l'orne- 
ment &  pareuredenospedonnes,&de  nos  mai - 
Ions,  Se  les  autres  (ont  propres  à  faire  des  vaif- 
feaux  Se  ferremens ,  auec  les  diuerfes  façons  d'in- 
ftrumens  que  l'induftrie  humaine  ainuenté  &mis 
en  vfage.  Mais  fur  tous  les  vfages  des  mctaux,qui 
forrtfîmples&  naturels,  la  communication  des 
hommes  en  a  trouué  vn,qui  efl  l'vfage  de  lamon- 


DES    INDES.       L IV.    III.  I  24 

lioye, laquelle,  comme  dit  le  Philofophe,eftla  ^^ 
mefuredetouteschofes.  Etcombienque  defoy  nthic.c^. 
ôc  naturellement  elle  nefoitqu'vne  feule chofe, 
neantmoins  en  valeur  ôc  eftimation  l'on  peut  di- 
re quelle eft toutes chofes.  La monnoye nous eft 
comme  viande,veftemcnt,maifon,  cheuauchure, 
Ôc  généralement  tout  ce  que  les  hommes  ont  de 
Hefoin.Par  ce  moyen  tout  obéit  à  la  monnoyc,& 
comme  dit  le  Sage,pour  faire  vneinuention,  que  Ecckf.io. 
vnc chofe  fuft  toutes ,  les  hÔmes  guidez  ou  pouf- 
fez d'vninftincl:  naturel,  efîeurentlachofe  plus 
durable  ôc  plus  maniable,qui  eft  le  metal,Sc  entre 
ces  métaux  voulurent  que  ceux- là  eulîent  la  pré- 
éminence en  cefteinuention  de  monnoye,  qui  de 
leur  naturel  eftoient  plus  durables  ôc  incorrupti- 
bles,! fcauoir  l'argent  ôc  l'or.  Lcfquels  non  feule- 
ment ont  efté  en  eftime  entre  les  Hebrieux,  Afly- 
riens, Grecs, Romains,  &:  autres  nations  de  l'Eu- 
rope ôc  d'Afie,  mais  aufC  entre  les  plus  efloignecs 
ôc  barbares  nations  del'Vniuers,comme  font  les 
Indiens,  tant  Orientaux  comme  Occidentaux, 
où  l'or  &  l'argent  eft.  tenu  en  aufîï  grand  prix  ôc 
eftime,l'employans  en  l'ouurage  de  leurs  temples 
ôc  palais ,  ôc  aux  veftemens  ôc  accouftremens  des 
rois,&  des  grands  feigneurs.  Mais  encor  que  l'on 
aittrouuéquclques^barbares  qui  nccognoiifoiët 
ny  l'or,ny  l'argent ,  comme  l'on  raconte  de  ceux 
de  Floride, qui  prenoient  lespoches  ôc  les  facs  où 
eftoit  l'argent,  lequel  ils  iettoient  &delai(ibienr 
efpars  parmy  la  terre,  comme  chofe  inutile.    Et 
Pline  mefme  recite  des  Babitacquesquiabhor- 
roient  l'or,&;  pour  cela  l'enfeuelilïoicnt,  afin  que 
persone  ne  f  en  peuft  feruir.  Toutcsfois  il  fe  trou- 

QJiij 


HISTOTRE  NATVKILLE 
ne  auiourd'huy  fort  peu  de  ces  Floridiens  &  Ha- 
bitaques,  &  grand  nombre  au  contraire  de  ceux 
qui  etliment ^  recherchent,  &  font  eftat  de  l'or.& 
de  l'argent,  (ans  qu'ils  ayentbeioing  de  l'appren- 
dre de  ceux  qui  y  vont  del'Europe.  Il  efl;  vray  que 
leur  auaricen'eft  point  paruenue  au  but  de  celles 
des  noftres ,  &  n'ont  pas  tant  idolâtre  l'or  &  l'ar- 
gent, quoy  qu'ils  fulîent  idolâtres ,  comme  quel- 
ques mauuais  Chreftiens ,  qui  ont  commis  plu- 
sieurs grands  excez  pour  l'or  &■  l'argent.  Neant- 
moins  c'eft  vue  chofe  fort  digne  de  considération 
qnela  fagefîedu  Seigneur  éternel  airainfi  voulu 
enrichir  les  terres  du  monde  plus  efloignees,  & 
qui  font  peuplées  d'hommes  moinsciuils  apo- 
litiques, qu'en  ces  lieux  là  il'  ait  mis  le  plus  grand 
nombre  de  mines  ,  Se  en  plus  grande  abondance 
queiamaisaitefté,  afin  d'inuiter  les  hommes  par 
tel  moyen  à  rechercher  ces  terres ,  &  les  pofleder: 
afin  auflîlur  cette  occafion,  de  communiquer  la 
religion  ,  8c  culture  du  vray  Dieu  à  ceux  qui  ne  le 
çognoiiïbient  point,  ("accompliiï'ant  en  celala 

E/tyey4.  prophétie d'Ifaye,difant que l'Eglifedeuoit eften- 
dre  fes  bornes  non  feulemét  à  la  dcxtre,mais  auiîî 
à  la  feneftre,qui  ^entend, comme  ditfàinct  Augu- 

~f»gl.x.Je  {lin,quel'Euangile  Ce  doit  eflareir  Sceftédrc  non 

coricord.  E  ■  r     \  ■   r  o 

r  lculementpar  ceux  qui  lincerement&rauecvne 

uanr.c. Jl.  r  •  <  r 

vrayeot  parfaite  chante  le  prefehent  &annon- 
cen  t,mais  aulîî  par  ceux  qui  l'annoncent, tendans 
à  fins  &  intentions  temporelles. D'où  nous  voyôs 
les  terres  des  Indes,  pour  cftre  plus  abondantes 
de  mines  &  de  richefles  eftrede  nollre  temps  les 
mieux  cultiuees  en  la  Religion  Chreftienne,  fai- 
clam  le  Seigneur  pour  les  nnsociiîteiuionsfou- 


DES    INDES.      LlV.     MU,  I  2,  f 

ucraines  de  nos  defirs  Se  inclinations.  Là  deffûs 
difoit  vn  homme  fage,que  ce  que  fait  vn  père  à  fa 
fille  pour  la  bien  marier ,  eft  de  luy  donner  beau- 
coup de  dot  &  de  moyes  en  mariage:  ce  que  Dieu 
a  fait  à cefte terre,  tant  afpre  &Iaborieuie,  luy 
donnant  de  grandes  richelfes  en'  (çs  mines,  afin 
que  par  ce  moyen  elle  trounaft  mieux  qui  la  vint 
rechercher.  Il  y  a  donc  aux  Indes  Occidentales 
grand  nombre  ôc  abondance  de  mines  de  toutes 
fortes  de  métaux, comme  de  cuiure,  de  fer,  de 
plomb, d'eftain, de  vif- argent,d'argent,  &d'or:& 
entre  toutes  les  régions  ik  parties  des  Indes  ,  les 
royaumes  du  Peru  font  ceux  qui  abondét  le  plus 
en  ces  metaux,fpecialcment  en  argent,  or,  &  vif- 
argent,  ou  mercure ,  8c  0 y  en  trouue  grand  nom- 
bre, pource  que  tous  lesioursrondefcouure  de 
nouuelles  mines.  Et  eft  chofe  fans  doute,  que  fé- 
lon la  qualité  de  la  tetre,  celles  qui  font  à  defeou- 
tirir ,  font  en  plus  grand  nombre,fàns  comparai- 
fon,que  celles  que  l'on  void  à  prefent  defcotiuer- 
tes:  voire  fembleque  toute  la  terre  eft  femee  de 
ces  métaux  plus  qu'aucune  autre  terre  qui  nous 
foit  à  prefent  cogneuè  au  monde,  ou  de  laquelle 
les  autheurs  anciens  ayent  fait  mention  par  le 
paife. 

De  la  qualité  &  future  de  U  terre  oit  fe  trouuent  les 

mctattxi<&  que  tous  ces  métaux  nefc  mettent  en 

ceume  es  Indes ,  &  comme  les  Indiens 

fc  feruoient  d'iceux. 

c  h  A  P.    III. 

fàfël  A  raifon  pourquoy  il  y  a  tant  de  richefTes 
£ÎSfdc  métaux  es  Indes,  fpecialcmentaux  Oc- 


HISTOIRE     NATVRIILE 

ciden taies  du  Peru,eft  comme  i'ay  dit,  la  volonté 

du  Créateur,  quia  departy  Tes  dons  comme  il  luy 

a  pleu.Mais  venant  à  la  raifon  naturelle  &  Philo- 

thilolib.î  (ophique,  ceft  choie  bien  vrayecequ'enaefcrit 

mund       Philon  ,  homme fage,di(ànt  que  l'or  , l'argent  &: 

metaiix  nai  lient  naturellement  aux  terres  plus 

fteriles  Se  infru&ueufes.    De  vray  nous  voyons 

qu'aux  terres  de  bonne  température ,  &  qui  font 

fertiles  d'herbes  Se  de  froids,  rarement  on  iamais 

on  n'y  rrouue  des  mines ,  pource  que  la  nature  fe 

contente  de  leur  donner  vigueur ,  pour  produire 

Eufeb.Ub. ]es  jfrui&S  les  plus  neceifaires  à  la  conlcruation 

8-  de  px  &entrenen  de  la  vie  des  animaux  &des  hommes. 

par.  Fuar.    .  .  •  r         r  r  r 

{  Au  contraire  aux  terres  qui  (ont  rortaipres,  lè- 

ches ,  Se  fteriles ,  comme  en  des  montagnes  très 
hautes ,  Se  en  des  roches  qui  font  afpres ,  &  d'vne 
température  fort  rude,  l'on  y  trouueles  mines 
d'argent,de  vif-argent,&del  or,  Se  toutes  ces  n- 
chelfes  (qui  font  venues  en  Efpagne,  depuis  que 
les  Indes  Occidentales  ont  efté  defcouuertes)ont 
efté  tirées  de  lieux  comme  cela,  qui  font  afpres, 
pénibles, defcouuerts  &  fteriles.  Toutesfois  le 
gouft  cîe  ceft  monnove  rend  ces  lieux  doux  &  ag- 
greablcs,voire  habitez  de  grand  nombrede  peu- 
ple.   Or  combien  qu'il  y  ait  aux  Indes  (comme 
i'ay  dit)plufiems  veines  &  mines  de  toutes  fortes 
de  métaux ,  toutesfois  ils  n'en  rirent  uy  feieruenc 
point  d'autres ,  que  des  mines  d'or  &  d'argent ,  Sc\ 
meime  de  vif-argent , d'autant  qu'il  eftneceiVairei 
our  tirer  Raffiner  l'or  &  l'argent.  Ils  yportencj 
eferd'Efpagne,&  delà  Chine. Quant  au  cuiurej 
les  indiens  en  ont  tiré  & 
fo 


l 


enœuurequelques- 
is,pourceqne  leurs  ferremëséV  armes  n'cftoiecl 


DES     INDES.       LIV.    I  I  1 1.  I2,£ 

point  ordinairement  de  fer,  maisdccuiure.   De- 
puis que  les  Efpagnols  tiennent  les  Indes,l'on  en 
a  tiré  fort  peu ,  8c  ne  prennent  point  la  peine  d'en 
recercherîes  mines, encor  qu'il  y  en  ait  plusieurs, 
pource  qu'ils  f  arreftent  à  la  recerche  des  métaux 
plus  riches  8c  précieux,  8c y  employ6t  leur  temps 
8c  leur  trauail.  Ils  fe  feruent  des  métaux  de  cuiure 
8c  fer ,  tant  feulement  de  ce  qu'on  leur  en  cnuoye 
d'Efpagne,  ou  bien  de  ce  qui  refte  de  raffinement 
de  l'or  &  l'argent.   L'on  ne  trouue  point  que  les 
Indiens  vfaflent  cy-deuantd'or,nyd'argent,ny 
d'autre  metail  pourmonnoye,  &pour  prix  des 
chofes  ,mais  feulementfen  feruoientpourorne- 
ment,comme  il  a  efté  dic,&  ainfi  il  y  en  auoit  gra- 
de fomme&  quantité  aux  temples,  palais  ,&  fe- 
pul  tures,auec  mil  genres  de  vafes  d'or  8c d'argent 
qu'ils  auoient.  Ils  ne  fe  feruoient  point  d'orny 
d'argent  pour  trafiquer  &acheter  ,  mais  chan- 
geoient  8c  troquoiet  des  chofes  aux  autres ,  com- 
me Homère  8c  Pline  racontent  des  anciens.  Ils  p'">M-53* 
auoient  quelques  autres  chofes  de  plus  grande  t,d^' 5' 
eftime,  qui  couroit  entre  eux  pour  prix,au  lieu  de 
monnoye,&iufquesauiourd  nui  court  cette  cou- 
ftume  entre  les  Indiens,commc  aux  prouinecs  de 
Mexique,ils  vient  au  lieudemonnoyc  du  Cacao, 
(quieft  vn  petit  fruict)  &auecicelt)y  achètent  ce 
qu'ils  veulent.    Au  Peru  ils  fe  feruent  du  Coca, 
pour  cette  mefme  fin,  quieft  vue  fueiilc  que  les 
Indiens  eftiment  beaucoup,  comme  au  Paraguey 
ils  ont  des  coings  de  fer  pour  monnoye,&'  du  co- 
fton  tilîu  en  faincle  Croix  de  la  Sierre.  Finalcmét 
la  manière  de  trafiquer  des  Indiens,  &  leur  ache- 
ter 8c  vendre ,  eftoit  d'efehanger  &  bailler  chofes 


HISTOIRE  NÀTVRELLE 
pour  chofes:  &bien  qu'il  y  eut  de  grands  mar- 
chez ,&  des  foires  fort  célèbres,  fi  eft-ce  qu'ils 
n'ont  eu  befoinnyneceflïtcdemonnoye,nyme£- 
medecourratiers,  pource  que  tous  cftoient  fort 
bien  appris,  à  fçauoir  combien  il  eftoit  befoin  de 
donner  d'vne  forte  de  marchandife  pour  vne,tant 
d'vne  autre.  Depuis  que  les  Efpagnolsy  font  en- 
trez, les  Indiens  fe  font  mefme  feruis  de  l'or  &  de 
l'argent  pour  acheter,  &au  commencement  n'y 
auoit  aucune  monnoye;  mais  l'argent  au  poids 
eftoit  leur  prix  &  leur  monnoye ,  commcl'on  ra- 
,-.  ,.,  conte  des  anciens  Romains. Du  depuis  pour  plus 
ii.cdM.  8ran"e  commodité, l  on  rorgeadcla  monnoye  en 
Mexique,&au  Peru  :  toutesfoisiufquesàprefent 
en  ces  Indes  Occidentales  l'on  n'abattu  aucune 
monnoye  de  cuiure  ou  autre  métal ,  mais  feule- 
ment d'argent, &  d'or:  pource  quelatichelled'i- 
celle  terre  n'a  admis  ny  receu  la  monnoye  qu'ils 
appellent  de  biIlon,ny  autres  genres  d'alloy,dont 
ils  vient  en  Italie, &:  aux  autres  prouinces  de  l'Eu- 
rope^  bien  qu'il  foit  vray  qu'en  quelques  ifles  des 
Indes, comme  fain& Dominique  &  Port- riche, 
ils  vfent  de  monnoye  de  cuiure  ,  qui  font  des 
quarts,  lefquels  ont  cours  feulement  en  ces  ifles, 
pource  qu'il  y  a  peu  d'argent  cVd'or.  le  dis  peu, 
encor  qu'il  y  en  ait  beaucoup  ,  toutesfois  il  n'y  a 
perlonne  qui  le  tire  ou  affine.  Mais  pource  que  la 
richeiïe  des  Indes,  Se  l'vfagedetrauailler  aux  mi- 
nes çonfifte en  or,argent,vif-argent,iediray  quel» 
que  chofe  de  ces  trois  métaux,  laifsat  pour  l'heu- 
re le  refte. 


H^^^^^^^^^^H9^^^^I^H^m 


DES     INDES.       tIV.    IIII. 


127 


De  l'or  que  l'on  tire  &  affine  es  Indes. 
CIIAP.     nu. 

Çjgl  O  r  entre  tous  les  métaux  a  eftétoufiours 
£fe>  eftimé  pour  le  plus  excellent ,  Se  auec  bonne 
rail  on  ,  d'autant  qu'il  eft  le  plus  durable  &  incor- 
ruptible de  tous  :  car  le  feu  quiconfume  cV  dimi- 
nue tous  les  autres, l'amende ,  &  le  rend  en  fa  per- 
fection. L'or  qui  a  parle  plufienrsfoisparlefeu 
demeure  en  facouleur,cres-fin  &  tres-pur,  lequel 
proprcmët  l'appelle,  (félon  que  Pline fht)Obrio- 
i o  ,  dequoy  fait  tant  de  mention  rEfcriture,&: 
l'vfage  qui  confomme  tous  les  autres  métaux 
(comme  dit  le  mefmc  Pline)  n'amoindrit  aucu- 
nement l'or,  6c  n'y  fait  aucun  dommage,  mefme 
il  ne  le  mange  ,ny  ne  fcnuieillit.  Et  bien  que  (a 
matière  &  ion  corps  foit  (i  ferme  Se  fi  folide  qu'il 
eft, il  fe  lailïeneantraoins  tellement  doubler  Se 
tirer,  que  c'çftchofemerueilleufe.  Les  batteurs 
d'or&  tireurs  fçauent  bien  la  force  qu'iladefe 
laiiîcr  fi  forcamenufer  fans  fe  rompre  iamais. 
vTouteslefquelleschofes  bien  confiderees,auec 
autres  excellentes  proprietez  qu'il  a ,  donneront 
à  entendre  aux  hommes  d'entendement,  pour- 
quoy  en  l'Eicriture  fain&e  la  Charité  faccom- 
pare  à  l'or.  Au  refte,  il  eft  peu  de  befoing  de 
raconter  Ces  excellences  ,  pour  le  faire  eftimer 
&:  rechercher.  Car  la  plus  grande  excellence 
qu'il  ait,  eft  d'eftreja  cogneu,  comme  il  l'eft  en- 
tre les  hommes,  pour  lafuprefme  puiflance  & 
grandeur  du  monde.  Venant  doncànoftrefujer, 
il  y  a  aux  Indes  grande  abondance  de  ce  métal, 


Vlin.  lib. 


11. 
Canj. 
Pfsl.67. 
Thren.4f. 


lob  18. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
&fçait-on  parles  hiftoires  certaines  que  les  ïn- 
guas  du  Peru  ne  fe  contentoient  pasd'auoir  de 
grands  Se  petits  vafes  d'or,dcs  cruches,  des  coup- 
pes,des  tailes,&  des  Haicons ,  voire  des  tinnes  ou 
grands  vailîeaux  :  mais  aufïï  en  auoient-ils  des 
chaires,desbrancarsou  lictieres  tout  d'or  maflïf: 
&  en  leurs  temples  auoient  mis  plufieursftatuès 
ôc  images  d'or  mafîif  ,  defquellesl'onen  trouue 
encoren  Mexiquequelques-vnes,mais  non  pas 
en  telle  quantité  que  quand  les  premiers  conque- 
fleurs  arriuerent  eu  l'vn  Se  en  l'autre  royaume; 
qui  y  trouuerent  de  grandes  richeifes,  Se  en  fuc 
encorfans  comparai/on  caché  dans  terre  beau- 
coup dauantage  par  les  indiens.  Ce  feroit  chofe 
qui  iembleroit  fabuleufe  de  raconter  qu'ils  ayenc 
fait  des  fers  àcheuaux  d'argent  à  faute  de  fer,  Se 
qu'ils  ayent  payé  trois  cents  efeus  d'vne  bouteil- 
le de  vin,&  autres  choies  cftranges  :  Se  toutesfois 
en  verité,clles  font  aduenuës ,  voire  $c  des  choies 
encor  plus  grandes. L'ou  tire  l'or  de  ces  parties  en 
trois  façons  Se  manières ,  ou  à  tout  le  moins  i'ay 
veu  vfer  de  ces  trois.  Car  il  fe  trouue  de  l'or  en 
paille ,  ou  pépin ,  de  l'or  en  poudre,  &  de  l'or  en 
pierre.  Ilsappellent  l'or  en  pepin,de  petits  mor- 
ceaux d'or  quife  trouuent  ainiî entiers ,  Se  fans 
meilange  d'autre  métal ,  lequel  n'abefoin  d'eftre 
fondu  ny  affiné  par  le  feu,&  les  appellent  pépins, 
poureequ'ordinaircmét  ce  (ont  petits  morceaux 
comme  pépins  ou  femenec  de  melons  &citrouil- 
les,&  celuy  dont  parle  lob, quand  il  dit ,  Icuetlltus 
Attmrn.  Combien  qu'ilarriuc  quelquesfois  qu'il  y 
an  a  de  plus  grands ,  Se  de  tels ,  que  i'en  ay  veu  qui 
peibientplufieursliurcs.  C'elt  î'excelience  &  la 


DES    INDES.       L  I  V.     IIII.  I  2,8 

grandeur dece  met;4  feul  (félon  que  Plineancer-P'",•flk•3, 
me)  de  fetrouuer  ainfipur  &parfait,chofe  qui04^'*" 
n'aduient  point  à  tous  autres  metauxjefquels  onc 
toufiours  de  l'efcume  ô\:du  terreftre,c\:  ont  de  be- 
foin  qu'on  les  affine  auec  le  feu.  I'ay  veu  mcfme 
de  l'argent  naturcl,en  façon 
iTieiine  il  y  en  a  d'autre  que  les  Indiens  appellent 
Papas, &  quelquefois  il  l'en  tronue  des  morceaux 
de  tout  pur  &  fin, en  façon  de  petites  racines  ron- 
des,ce  qui  efl.  rare  toutesfois  en  ce  métal  ,  mais  a f- 
fez  ordinaire  en  l'or.  Il  fe  trouue  peu  de  cet  or  en 
pépin ,  au  refpecl:  des  autres  eipeces.  Cet  oren 
pierre  eft  vne  veine  d'or  qui  naift  &  ^engendre 
dans  la  m.efme  pierre  ou  caillou ,  comme  i'ay  veu 
aux  m ines  de  Caruma  au  gouuerncment  de  Salli- 
nés,  des  pierres  fort  grandes  toutes  pénétrées  5c 
trauerfees  d'or.  D'autres  qui  eftoient  la  moitié 
d'or,&:  l'autre  moitié  de  pierre.  L'or  qui  eft  de  cè- 
de façon  fe  trouue  en  des  puits  ou  des  mines  qui 
ont  leurs  veines  comme  d'argent,  mais  ils  font 
trcs-difhcilesàtirer.  Agatarcbidesefcritauliure 
cinquiefme  de  la  mer  Erythrée  ou  Rouge  (ainfî 
raconte  Phocion  en  fa  Bibliothèque  )  la  façon  ôc 
manière  d'affiner  l'or  tiré  des  pierres ,  de  laquelle 
ontvfé  anciennement  les  Rois  d'Egypte,  &  eft 
vne  choie  admirable,  de  voir  comme  ce  qu'il  en 
eferit  relFemble  &  fe  rapporte  proprement  à  la 
façon  dont  l'on  vie  encor  maintenant  à  raffinée 
ces  métaux  d'or  &  d'argent. La  plus  grande  quan- 
tité u'or  que  l'on  tire  ôc  recueille  es  Indes  eft  de 
ecluy  qui  eft  en  poudre,  qui  fe  trouue  es  riuieres 
ou  es  lieux  3c  torrens  où  beaucoup  d'eau'cs  ont 
Plue,  d'au  tac  que  les  fleuues  des  Udcs  font  abow- 


HISTOIRE  NATVREI,  LE 
dans  en  cc&e  efpece  d'or.Comrns  les  anciens  ont 
célébré  pour  celte  occafion  leTage  en  Efpagne, 
le  Pa&ole  en  Afie,&  le  Gange  en  l'Inde  Orienta- 
le, ôt  appelloienti. tmenta  juri  t  ce  que  nous  au  très 
appelions  l'or  en  poudre ,  &  eltoit  la  plus  grande 
quantiré  del'oi  qui  (c  faifoit  à  piefentqueces  ta,-. 
cleures  ôc  poudies  qui  fetiouuoientésiiuieies. 
A  prefent  auxiflesde  Barloucnte,  Efpagnollc, 
Cube,&  Porc- riche  y  en  a  eu  ,  Ôcycn  aencorcn 
grand  abondance  es  riuieres ,  mais  on  en  rappor- 
te fort  peu  en  Efpagne,  par  faute  de  naturels  du 
pays,&:  pour  la  difficulté  qu'il  y  a  de  le  tirer.  Il  y 
en  a  grande  quantité  au  Royaume  de  Chillé,  de 
Quuto,&:au  nouueau  royaumede  Grenade.L'or 
le  plus  célébré  e(l  ceiuy  de  Caranaua  au  Peru ,  & 
ceiuy  de  Valdiniaen  Chillé,  d'autant  qu'il  vienc 
auec  l'alloy  ôc  perfe&ion ,  qui  font  vingt-trois 
quillats&demy,  voire quelqucsfois  plus.  L'on 
faite  lia  tau  m*  de  l'or  de  Verapua  pour  eftrc  très- 
fin. lis  apportent  meime  beaucoup  d'orà  Mexi- 
que des  Philippines  ôc  de  la  Chine,  raaiscom- 
munémétileft  foible&debasalloy.L'orie  trou- 
ue  meflé.ordinairement  ou  auec  l'argent  ou  auec 
"'  J'lccuiure.  Pline  dit  qu'il  n'y  a  aucun  or  où  il  n'y 
ait  quelque  peu  d  argent  ou  de  cuiure.  Mais  ce- 
iuy cjuied  meilé  d'argent  e(l  communément  de 
moins  de  quillats  que  ceiuy  qui  eft  méfié  de  cui- 
ure. S'vly  ala  cinquiefmepartie  d'argent,  Pline 
die  qu'il  l'appelle  proprement  elccïrui»,  quia  la 
propriété  de  reluire  plus  à  la  lumière  du  feu ,  que 
l'argent  fin, ny  l'or  fin.  Ceiuy  qui  eft  auec  le  cui- 
ure eft  ordinairement  du  plus  haut  alloy.On  raf- 
fine l'or  en  poudre  en  des  lauoirs  enieiauancen 

beaucoup 


M/M 


DES    INDES.       LIV.    II  II.  1 29 

beaucoup  d'eauë,  iufqucs  à  ce  que  le  Cable  tombe 
des  plateaux,  Ôc  l'or 'comme  le  plus  pelant  de- 
meure au  fonds.  L'on  l'affine  mefrneauee  du  vif- 
argent,  &  auec  de  l'eau'ë  forte,  pource  que  l'allun 
dont  on  fait  celle  eauè  ,  a  la  vertu  de  ieparer  l'or 
d'auec  l'ordure  ou  des  autres  métaux  Apres  qu'il 
ell  purifié  ôc  fondu  ils  en  font  des  briques  ou  pe- 
tites barres  pour  l'apporter  en  Efpagne  ?  pource 
qu'e liant  en  poudre  on  ne  le  pourroit  tirer  des 
Indes  ,  car  on  ne  le  peut  quinter,  marquer  ny  ef- 
fayer  qu'après  qu'il  eft  fondu.  Le  lufdit  hifterio-  Pli»- l&> 
graphe  raconte  que  l'Elpagne  fur  toutes  autres  33-M/M- 
prouinces  du  mode  eftoit  abondante  en  des  mé- 
taux d'or  Ôc  d'argent,  fpecialement  Gallice  ôc 
Portugal,  &  fur  tout  les  Allures,  d'où  il  raconte 
qu'on  apportoit  par  chacun  an  à  Rome  vingt 
mil liures d'or,  ôc  qu'il  ne  f'entrouueen  aucun 
autre  lieu  vne  telle  abondance.    Ce  qui  femble 
eftretefmoignéauliuredesMachabées,oùileft     M4, 8 
dit  entre  les  grades  richelïès  des  Romains,  qu'ils 
eurent  en  leur  puillance  les  métaux  d'or  ôc  d'ar- 
gent qui  font  en  Efpagne.  Auiourd'huy  ce  grand 
threfor  d'Efpagne  luy  vient  des  Indes,en  quoy  la 
diuine  prouidence  a  voulu  qu'aucuns  Royau- 
mes feruent  aux  autres ,  &leur  communiquent 
leurs  richelïès  afin  de  participer  de  leur  gouuer- 
nement  pour  le  bien  des  vns  ôc  des  autres,  en  fc 
communiquant  reciproquemet  les  biens  ôc  grâ- 
ces dont  ils  iouilTènt.  On  nepeutbienaprecier 
ny  eftimer  le  nombre  &  quantité  d'orque  l'on 
apporte  des  Indes ,  mais  l'on  peut  bien  affermer 
quec'eft  beaucoup  dauantage  que  ce  que  Pline 
raconte  qu'on  apportoit  chaque  an  d'Efpagne  à 

R 


,--:■ 


HISTOIRE  NATVRILLE 
Romc.Enlafloteoùievins,qui  fut  l'an  1587.  la 
dei  laration  de  la  terre  ferme  fut  de  douze  calions 
d'or,  defquels  chaque  cation,  pour  le  moins  pe- 
foit  quatre  arobes,qui  font  cent  limes  pétant:  ôc 
mil  cinquante  fix  marcs  de  la  neufue  Efpagne, 
qui  eftoit  tant  feulement  pour  le  Roy,lans  ce  qui 
vint  pour  les  marchands  &  particuliers  ,  eftant 
enregiftré,&  ce  qui  vint  non  enregistré  ,  comme 
Ton  en  apporte  beaucoup.  Cela  fufht  en  ce  qui 
touche  l'or  des  Indes  :  de  l'argent  nous  en  dirons 
maintenant. 


De  l'argent  des  Indes. 

c  h  A  P.    V. 

gag  O  v  s  lifons  au  Hure  de  lob  ces  paroles:ZV- 
ié&BÏgcnt  a  certains  commencemens  £r  racines  en  fa 
veines,  &  l'«r  a  [on  lieu  arrcjié où  il  s'engendre  &  s'ef 
paifiitjefer  en  fouifjantfe  tire  de  la  terre ,  &  la  pierre 
fondue  par  la  chaleur  fe  tourne  en  cuiure.  Par  cela  il 
déclare  en  peu  de  paroles  fort  fagementlespro- 
prietez  de  ces  métaux ,  largent  ,1'or,  le  fer ,  &  le 
cuiure.  Nous  auons  dit  quelque  chofe  des  lieux 
où  l'or  ^engendre  &  fe  congelé,  qui  font  des  fuf- 
dites  pierres  au  profond  des  montagnes  &  es  en- 
trailles de  la  terre  ou  de  l'arène  des  riuieres  ,&  es 
lieux  par  où  les  torrens  ont  patfe,ou  bie  aux  tres- 
hautes  montagnes  :lefquelles  poudres  d'or  def- 
cendent&fefcoulcnt  auecreaue'  quieftla  plus 
commune  opinion  que  l'on  tient  es  Indes.  D'où 
vient  que  plufieuis  du  vulgaire  croyent  que  le 
déluge  ayant  noyé  toute  la  terre  iufques  aux  plus 
hautes  montagnes,  a  efte  caufequ'à  prçfcnti'on 


DES      INDES.       LIV.    Mil.  im 

trouuecct  or  ésriuieres,  &: en  des  lieux  fi  éloi- 
gnez.Nous  dirons  maintenant  comme  l'on  de£ 

couure  les  mines  d'argent,de  leurs  vei^s,ràcinës 

ôc  commencemens,dont  parle  lob.     Et  diray  en 
premier  lieu  que  la  cauiepour  laquelle  Ton  don- 
ne le  (econd  lieu  à  l'argent  entre  ies  métaux,  eft 
poureequ'ilapprochede  l'or  plus  que  nul  autre 
d'iccux,  en  ce  qu'il  cil  plusduiable  ,   ôc  le  Lent 
moins  endômagé  du  feu',  (e  laillànc  aufïï  manier 
ôc  mettre  en  œuurc  plus  facilement  que  les  au- 
tres5voireil  fufpafle  l'or  en  la  clarté  ôc  iplédeur, 
&c  au  ion  qu'il  a  plus  clair  Ôc  plus  agréable  Caria 
couleur  eft  plus  conforme  ôc  reiîemblantelalu- 
micre,&  ton  l'on  eîl  plus  pénétrant,  plus  vif,  ôc 
plus  delica: .  Auiïi  y  a-il  certains  lieux  efqueL  ils 
eltiment  l'argent  d'auantage  que  non  pas  l'or. 
Toutesroisc'ett  vu  argument  ôc  fignepouriuoer 
que  l'or  eft  plus  précieux  de  tous  les  métaux ,  en 
ce  qu'il  fe  trouue  plus  rarement ,  ôc  que  la  nature 
ie  moftre  plus  efcharlê  à  le  produire  que  non  pas 
lesautres:encor  qu'ily  ait  des  terres(comme  l'on 
dit  de  la Chinc)eîquellcs  l'on  trouueplus  facile- 
ment de  l'or,que  de  l'argent  meime.   Toutefois 
c'eft  chofe  plus  commune  ôc  ordinaire ,  que  Ton 
trouueplus  facilement  &cn  plus  grande  abon- 
dance de  l'argent  que  de  l'or.  Le  Créateur  a  pour- 
ueu  les  Indes  Occidétales  d'vne  fi  grande  richef- 
le  d'argent,  que  tout  ce  quel'ou  void  es  hiftoires 
anciennes,  ôc  tout  ce  que  l'on  dit  des  argenteries 
ôc  minières  d'Eipagne  ôc  des  autres  prouinees, 
eft  beaucoup  moins  que  ce  que  l'on  void  en  ces 
parties  là.  Les  mines  d'argent  ie  trouuent  cômu- 
nément  es  montagnes  Ôc  roches  très- hautes, 

Rij 


;  HISTOIRE     NATVRELLE 

&  du  tout  delertes-,encores  qu'autres  fois  l'on  en 
ait,trouuéés  plaines  &  campagnes.  Ily  en  a  de 
deux  fortes  différentes,  les  vnes  qu'ils  appellent 
efgarees,&  les  autres  fixes  5c  arreftees.  Les  cfga- 
reesiont  des  morceaux  de  métal  qui  fetrouuent 
£  amalïez  en  quelques  endroits ,  lefquels  eftans  ti- 
rez &leuez,l'on  n'cntrouue  point  après  dauan- 
tage.  Mais  les  veines  fixes  font  celles  qui  en  pro- 
fondeur &c longueur  ont  vne  fuite  continue  en 
faconde  grandes  branches  &  rameaux  d'vn  ar- 
bre,  &  quand  l'on  en  a  trouuc  vne  d'icelles ,  l'on 
çntrouue  ordin;uremétplufieurs  autres  au  n-, ci- 
melieu.  Lafaçonde  purger  &  d'aifinc!  l'argent 
de  laquelle  ont  vfé  les  Indiens  eftoit  par  fondure, 
en  fondant  &  faifant  refoudre  cefte  malle  de  mé- 
tal par  le  feu  quiietteie  terreftre  d'vn  colU,  8c 
par  fa  force  fepare  l'argent  d'auec  le  plomb, le  - 
ftain  d'auec  le  cuiure  &  les  autres  métaux  qui  le 
trouuent  mêliez. A  cefte  fin  ils  failbient  &  baftif- 
foient  des  petits  fourneaux  en  lieux  où  lèvent 
iouffloit  le  plus  communément ,  &:  aucc  du  bois 
&  du  charbon  qu'ils  y  mettoient,  faifoicntleur 
artifice  &  leur  affinement,  Rappellent  au  Peru 
ces  fourneauxGuayras. Depuis  que  les  Efpagnols 
y  fontentrez,outre  cefte  façon  de  fondre  &  d'af- 
finer, dont  ilsvfcntencor  à  prefent,  ils  affinent 
aufîi  l'argent  aucc  du  vif- argent ,  &  en  tirent  d'a- 
uantage  par  ce  moyen,  que  non  pas  en  le  faifant 
fondre  &  l'affinant  par  le  feu.  Canlfctrouuedn 
métal  d'argent  que  l'on  ne  peur  affiner  ny  purger 
aucunementaueclefeu,  mais  feulement  aucc  le 
vif  argent.  Mais  cefte  forte  de  métal  cft  commu- 
ne ment  métal  pauure  fcfoible, qui  eftceiuy  cou- 


DES    INDES.    LIV.    III.  I  3  I 

tesfoisqui  fetrouue  en  plus  grandeabondance. 
Ils  appellent  panure  cehiy  qui  rend  &  donne  peu 
dargent,&  grande  quantité  de  metaly«&  celuy-là 
riche  au  contraire,qui  donne  &  rend  plus  grande 
quantité  d'argent.  Ceftvnc  chofemerueilleufe 
non  Seulement  de  cède  différence  Se  diucrfité 
qui  fetrouue  à  affiner  vn  métal  par  le  feu,  &  l'au- 
tre fans  feu,  auec  du  vif-argent,  mais  au  (II  dece 
qu'aucuns  de  ces  métaux  qui  l'affinent  au  feu  ne 
peuuent pas  bien eftre fondus  quand  lefeueneft 
allumé  auec  duvet  artificiel,comme  de  foufriets, 
mais  feulement  quand  il  eft  foufflé  &allumé  auec 
l'air  naturel  Se  le  vent  qui  court.  Et  d'autres  au 
contraire,  qui  font  plus  facilement  fondus  auec 
l'air  artificiel  des  ioufflets ,  que  non  pas  auec  l'air 
&  le  vent  naturel.  Le  métal  des  mines  de  Porco 
l'affine  facilement  auec  des  foufflets,  Se  celuy  des 
mines  de  Potozi  ne  peut  eftre  fôdu  auec  les  fouf- 
flets, mais  feulement  par  le  moyen  de  l'air  des 
Guayras,qui  font  de  petits  fourneaux  aux  codez 
des  montagnes,baftis  exprés  du  codé  du  vent ,  au 
dedans  defquels  ils  fondent  ce  metal:&  combien 
que  ce  foitchofe  difficile  de  donner  raifon  à  cè- 
de diuerfité,  toutesfois  elle  eft  toute  certaine  & 
approunec  par  la  longue  expérience.  Tellement 
quel'auaricicuxdefir  de  ce  métal  ranteftimédes 
hommes,  leur  a  fait  rechercher  mille  inuentions 
Se  gentils  artifices ,  d'aucuns  delquels  nous  feros 
mention  cy-apres.  Lesprincipaux  lieux  des  In- 
des où  l'on  tire  l'argent  ion t  la  neufue  F.  fpagne  Se 
le  Peru,  mais  les  mines  du  Peru  furpaiïent  de 
beaucoup  les  autres ,  Se  entre  toutes  les  autres  du 
monde  celles  de  Potozi , defquelles  nous  traitte- 

R  iij 


:--:•' 


HISTOIRE     NATVRELLE 
ronsvnpeuàloifir,  pource que  ce  iont  des  cho- 
fes  plus  eclebres  &  plus  remarquables  qui  foient 
es  Indes. 


De  la '  mont.izncou  colline  de  Voto^i, 
&■  cle  fa  defeo  intertitre. 

CHAP.     VI. 

fo££  A  montagne  ou  colline  de  Potozi  tantre- 
Éâ'nomrace  efthtuee  en  la  prouince  de  Char- 
cas  au  Royaume  duPeru,diftant  dei'Equinoxc 
vers  le  collé  du  Sud  ou  Pôle  Antarctique  de  it. 
degré  deux  tiers:  de  forte  qu'elle  tombe  fous  le 
Tropiqueaux  confins  de  laZoneTorride,&  tou- 
tesrois  cède  région  eft  extrêmement  froide,voire 
plus  que  n'eft  pas  Caftillc  la  Vieille  au  Royaume 
d.'Hfpagne,  &plusencor  que  la  Flandre  mefme, 
combien  que  par  raifon  elle  deufl:  eftre  chaude 
ou  tempérée,  eu  efgard  à  la  hauteur  8c  èGeuatiorj 
dupoleoù.  elleeft  (Ituec.  La  raifon  de  ceftefl  froi- 
de température  eft  que  celle  montagne  eft  fort  ef- 
leuee,&:  qu'elle  eft  agitée  &  hanteede  vents  qui 
iont  fort  froids  &  intemperez ,  fpecialementde 
celuy  qu'ils  appellent  Thomahaui,  qui  ell  impé- 
tueux &tres-froid.  Il  règne  ordinairement  es 
mois  de  Iuin,Iuillet,&  Aouft.  Le  fonds  ôc  terre 
de  celle  montagne  eft  fec,froid  Se  fort  mal  agrea- 
ble,voiredu  tout  fterile,  qui  n'engendre ny  pro- 
duit aucun  fruict ,  ny  herbe ,  ny  grain,  aufîï  eft-il 
naturellement  inhabitable  pour  i'intemperatu- 
renuciel,&la  flerilité  de  la  terre.  Mais  la  force 
de  l'argent  qui  attire  à  foy  l'aiiarice  &c  le  defîr  des 
autreschofes,apeupIéce(lc  montagne  plus  que 


DES    INDES.    LIV.    HT.  I  3  2. 

aucun  autrelieu  qui  foie  en  tous  ces  Royaumes, 
la  rendant  fi  abondante  de  toutes  (ortes  de  vian- 
des,qu'on  ne  peut  defirer  chofe  qui  ne  l'y  trouue* 
voire  en  grande  abondance:&  combien  qu'il  n'y 
ait  rien  qneeeque  Ton  y  apporte  par  voiture, 
neantmoins  les  places  y  (ont  fi  pleines  de  fruicts, 
conferues,vins  exquis,foyes ,  &  toutes  autres  de- 
lices,  au'il  ne  l'en  trouue  en  autre  endroitdauan- 
tage.  Cefte  montagne  eft  de  couleur  tirant  fur  le 
roux  &obfcur,&eft  fa  façon  d'vneaflez  agréable 
ren  contre  à  la  veu'c,reflcmblant  parfaitement  la 
forme  d'vn  pauillon  rond ,  ou  bien  d'vn  pain  de 
fucre.  Ellefefleue  ôc  furpafic  toutes  les  autres 
montagnes  &  collines  qui  font  àl'enuiron.  Le 
chemin  par  lequel  on  y  môteeft  fort  afpre&  fort 
roidc,encorqu'ony  aille  tout  à  chcual.  Elle  finit 
parle  haut  en  pointe  de  forme  ronde,  ôc  a  en  (on 
pied  vne  lieue  de  circuit.  Elle  contient  depuis  le 
fommetiufquesau  pied  mil  Gx  cents  vingt  qua- 
tre verges  communes  }  lefquelles  réduites  à  la 
mefure  des  lieues  d'Efpagne,  font  vn  quart  de 
lieue.  Au  pied  de  cefte  montagne  l'on  void  vne 
autre  petite  colline  qui  naift  d'icelle,  en  laquelle 
anciennement  il  y  a  eu  quelques  mines  de  ces 
métaux  efpartis  ôc  fans  fuite,  qui  fetrouuoient 
là  comme  en  desbourfes,  ôc  non  pas  en  des  vei- 
nes fixes  &continucs,&  neantmoins  elles  eftoiéc 
fort  riches,  encor  qu'elles  flirtent  en  petit  nom- 
bre. Ce  petit  roc  eftoit  appelle  des  Indiens, 
GuaynaPotozi  ,  qui  veut  dire  le  ieune  Potozi, 
au  pied  duquel  commence  l'habitation  des  Ef- 
pagnols&  Indiens,  qui  font  venus  à  la  richef- 
le  ôc  à  l'œuure  de  Potozi  :  laquelle  habitation 

R  iiij 


HISTOIRE  NATVREILE 
peut  contenir  quelque  deux  lieues  de  circuit  ,& 
toute  la  plus  grande  traicte&  commerce  qu'il  y 
ait  en  aucun  lieu  du  Peru,fe  fait  en  cède  habita- 
tion. Les  mines  de  cefte  montagne  n'ont  point 
eftéfoiiyesnydefcouueites  du  temps  des  Ingnas, 
qui  eftoientles  feignems  du  Pcru,  auparauâtque 
les  Efpagnols y  entraient  a  combien  qu'ils  ayent 
fouy  &  ouuert  les  mines  de  Porco,  alïez  proches 
dePotozi,  n'eneftant  diftantes  que  de  fix  lieues 
feulement.  La  caufe  en  pouuoit  eftrc  ,  faute  d'en 
auoir  eu  lacognoifTance,  combien  qu'aucuns  ra- 
content ie  ne  Içay  quelle  fable,  que  comme  on 
voulut  quelquesfois  ouurirces  mines ,  vne  voix 
fut  entendue,  qui  difoit  aux  Indiens  qu'ils  n'y 
touchaient  pas,  Se  que  cefte  montagne  eftoit  re- 
feruee pour  d'autres.  Dcvray  l'on  n'euft  aucune 
cognoi  fiance  de  Potozi,ny  de  fa  richefîe,que  iuC- 
ques  à  douze  ans  après  l'entrée  des  Efpagnols  au 
Peru,duquel  ladefcouuerturefcn  fît  en  cefte  fa- 
çon. Vn  Indien  appelle  Gualpa ,  de  la  nation  de 
Chumbibilca,qui  eft  vne  prouince  de  Cufco,al- 
lantvniouràla  chaiïè  Se  pourfuite  de  quelque 
venaifon  ,  Se  cheminant  vers  la  part  du  Ponant, 
où  la  befte  fc  retiroit%commenca  de  courir  à  mot 
le  roc,qui  pour  lors  eftoit  couuert,&  planté  pour 
la  plus-part  de  certains  arbres  qu'ils  appellent 
Quinua,  &debui{Tonsfortcfpais,  Se  comme  il 
fefleuoit  pour  moter  en  vn  partage ,  quelque  pe*i 
afpre  Se  difficile ,  fut  contraint  mettre  la  main  en 
vne  branche,  qui  fortoit  de  cefte  veine  d'vne  mi- 
ne d'argent  (à  laquelle  depuis  ils  ont  donné  le 
nom  de  riche)  qu'il  arracha,  &  apperceut  en  la 
folle  &  racine  d'icelle  le  métal,  qu'il  recogneut 


DES     INDES.       HV.    I  I  1 1.  133 

eftrefortboi-^paiTexperiencequ'ilauoitdeceux 
de  Porco  :  puis  ayant  trouué  en  terre  ,  joignant 
cefte  veine  quelques  morceaux  de  metal,qui  Pe- 
ftoienc  rompus  &  départis d'iceîle,fàns  toutes- 
fois  qu'on  les  peuft  bien  cognoiftre,  àcaufeque 
leur  couleur  eftoit  changée  &  gafteedu  Soleil  8c 
de  l'eaueVli  les  porta  à  Porco  efiayer  par  Guayras 
(qui  eftefprouuer  le  métal  par  le  feu)  &:ayantre- 
cogncu  par  là  fa  grande  richeiTe,  &  heureufe  for- 
tune, fouyflbic&  tiroit  fecretement  cette  veine 
fans  le  communiquer,  ou  en  parler  àperfonne, 
iufques  à  cequ'vn  Indien,nommé  Guanca,  natif 
de  la  vallée  de  Xaura,qui  eft  aux  limites  de  la  cité 
des  Rois,Iequel  demeurât  au  lieu  de  Porco ,  pro- 
che voifin  de  ce  Gualpa,  Chumbibilqua  fapper- 
ceutvniour  qu'il  faifoit  quelque  arïïnement,  8c 
qu'il  faifoit  de  plus  grands  fomons  8c  briques, 
que  celles  qu'on  faifoit  ordinairement  en   ces 
lieux,pourcemefme  qu'il  augmentoit  en  deipen- 
le  d'habits,  ayant  iufques  alors  vefcuafïez  pau- 
uremenc.  Pour  cède  occafion,  &quece  métal 
que  fon  voifin  aftinoit  &mettoit  en  œuure,cfl;oit 
différent  de  ceîuy  de  Porco,  ilpenfadcdeicou- 
urir  ce  fecret,  &  fit  tant  que  combien  que  l'autre 
tint  fon  affaire  feercte  autant  qu'il  luy  eftoit  pof. 
iible,neantmoins  par  importunité  fut  contraint 
de  le  mener  au  roc  de  Potozi,- ayant  défia  pa(îé 
deuxmoisenlaiouiiïancedeccriche  threfor.  Et 
lors  l'Indié  Gualpa  dit  à  Guanca  qu'il  print  pour 
là  part  vne  veine  qu'il  auoitdefcouuerte,laquelle 
eftoit  proche  delà  veine  riche  ,  &eft  celle  que 
l'on  appelleauiourd'huy  la  veine  de  Diego  Cen- 
teno,qui  n'eftok  pas  moins  riche }  mais  feulcmét 


.  -■:-■ 


HISTOIRE  KATVRELLE 
plus  dure  à  fouir,&  plus  difficile  à  tirer.  Parain/ï 
tout  d'vn  accord  partirent  entr'eux  le  roc  le  plus 
riche  du  monde.  Il  aduint  du  depuis  que  l'Indien 
Guanca  trouuanc  queique  difficulté  à  fouir  Se 
cauer  fa  mine,qui  cftoit  très  dure,&  l'autreGual- 
pa,neluy voulant  faire  partdela  Henné,  eurent 
débat  enfemble,  &  pourcefte  caufe  le  Guanca  de 
Xaura  irrité  de  cela,&  de  quelque  autre  ch  ofe,aI- 
ladefcouurircefte  affaire  à  (on  maiftre,  qui  f'ap- 
pelloitVuillarocl,  Efpagnol,qui  lorsrefidoit  en 
Porco.  Ce  Vuillaroel  en  voulant  cognoiftre  la 
verité,alla  en  Potozi ,  &  trouuant  la  richefle  que 
ion  Yanacona,ou  feruiteur  luy  auoit  dit, fit  enre- 
gistrer l'Indien  Guanca,  i'eftaquantauecluy  à  la 
fufdite  veine,qui  fut  dite  Centeno, ils  appellent 
cela  eftacquer,qui  vaut  autant  que  (ignaler  &  re- 
marquer pour  ioy la  mine,&  autant d'eipace  que 
laloy  concède  Se  permet  à  ceux  là  qui  trouuent 
vue  mine  ,  ou  bien  à  ceux  qui  la  foiiyiTent:au 
moyen  dequoy  après  l'auoir  monftree  Se  defeou- 
uertcàla  iuftice ,  ils  demeurèrent  feigneurs  de  la 
mine,  pour  la  fouyr&  en  tirer  l'argent,  comme 
de  leurpropre,en  payant-feulement  au  Roy  fou 
droictdecinquiefme.  De  forte  que  le  premier 
enregiftrerriêt  Se  déclaration  que  l'oh  fit  des  mi- 
nes de  Potozr,  fut  le  vingt  Se  vniefme  iourdu 
mois  d'Auril,dei'an  mil  cinq  cens  quaràte  cinq, 
au  territoire  de  Porco, par  lefdits  Villaroel  Efpa- 
gnol,&  Guanca  Indien.  Incontinentapresl'on 
defcouurir  vue  autre veinequ'ilsappellentveine 
d'eftain,qui  aeflé  tres-riche,quoy  que  rude  Se  la- 
borieufeà  y  trauaillcr ,  pour  élire  fon  métal auiïi 
dur  que  le  caillou.  Du  depuis  le  trentiefmeiour 


DES    INDES.       L1V.     I  I  1 1.         134 
d'Aouft ,  au  mcfme  an  de  quarante- cinq,  la  veine 
appellee  Mendiera,  fut  enregittree,qui  font  les 
quatre  principales  veines  dé  Potozi.Ils  difeut  de 
la veineriche, la  première  qui  fut  defcouucrte, 
que  Ton  métal  eftoit  hors  terre  la  hauteur  d'vne 
lance  en  façon  de  rochers,  foufleuant  la  fuperfî- 
cie  de  la  terre ,  comme  vue  crefte  de  trois  cents 
pieds  de  longueur,&  de  treze  de large,&  que  cela 
demeura  deleouucrt  ôc  defeharne  par  le  de  delu  - 
ge,ayantcefte  veine  comme  la  partie  la  plus  du- 
re, refifté  à  la  force  &impetuofué  des  eaues.  Son 
métal  elîok  fi  riche,  qu'il  y  auoitlamoitiéd'ar- 
gcnt,&:continua cefte  veine  en  fa  richelïe iufques 
à  cinquante  &foixan te  ftades  ,  à  la  hauteur  d'vn 
homme  deprofondeur,où  elle  vint  à  defaillir.De 
ceile  façon  furent  defcouuertcs  les  mines  de  Po- 
tozi  par  Iaprouidencediuinc,  laquelle  a  voulu 
pour  la  félicité  d'Efpagne,  que  la  plus  grande  ri- 
cheiîe  qu'on  fçache,&  qui  iamais ait  eftéau  mo- 
de,fult  cachée  pour  vu  temps,  pour  la  defeouurir 
au  temps  que  l'Empereur  Charles  le  Quint,  de 
glorieufe  mémoire,  tenoit l'Empire,  les  royau- 
mes d'Efpagne,&:  la  feigneuriedes  Indes .  Incon- 
tinent après  que  la  defcouuerture  dePotozifuc 
cogneuë  aux  royaumes  du  Peru ,  plufieurs  Efpa- 
gnoIs,ô\:  prefquc  la  plus-part  des  bourgeois  de  la 
cité  d'Argent,  quieftàdix-huiifHieuësde  Poto- 
zi,vindrent  pour  y  prendre  des  mines ,  melmesy 
vindrent  plufieurs  Indiés  de  dinerfesprouinces, 
&fpecialement  hs  Guayzadorcs  dePorco  ,  Il 
qu'en  bref  temps  ce  fut  la  meilleure  8c  plus  gran- 
de habitation  de  tout  le  royaume. 


-■;■■' 


HISTOIRE     NATVREl,  LE 


Tlin.îtb. 


Delà  ricbeffe  que  l'on  a  tirée  &  tire  chacun  tour  du 
roc  ou  montagne  de  Voto%i. 

c  n  a  p.  vu. 

rttt$  'A  y  efté  plufieurs  fois  en  doute  fil  fe  trou- 
W&l  uoit  aux  hiftoires  des  anciens  vne  fi  grande 
richefle  de  mines ,  comme  celles  que  nousauons 
veu'ésdenoftretempsau  Peru.  S'il  y  a  eu  iamais 
au  monde  des  mines  riches  &  renommées  pour 
cet  efFedl, ce  onrefté celles  d'Efpagne  ,  dont  les 
Carthaginois  ont  ioiii,&du  depuis  les  Romains: 
lefquelleSjCommei'ay  dit,  ne  font  pas  feulement 
eftimecs  &  renommées  par  les  liures  profanes, 
mais  aulïi  par  les  Efcritures  faincles.  Celuyqui 
plus  particulièrement  tait  mention  de  ces  mines, 
au  moins  que  i'aye  veu ,  eft  Pline ,  qui  eferit  ainfi. 
en  fon  hilloire  Naturelle:  Ilfe  tronuc  de  ï argent 
prcfquc  en  toutes  f  -minces ,  mais  celuy  d'Ffpagne  ejl  le 
meilleur  de  tous,  lequel  croift  &  s'entendre  en  vne  terre 
fivnle^iux  niontagnes  &  rochers ,  £r  est  chofe  certaine 
GJ'  infaillible  que  s  lieux  ou  l'on  a  ynefois  defcouucrt  au- 
cunes de  ces  "veines ,  il  y  en  a  d'autres  qui  n'en/ont  gue- 
rcs  efloignccs  :  ce  qui  Ce  trotiue  au  fit  piefquc  en  tous  au- 
tres wctaux\&  pour  cela  les  Grecs  (à  mon  aduts)  les  ap- 
pellerait métaux.  Cejî  r?ie  chofe  ejlrange,  que  les  puits 
ou  trou:- de  ces  mines  d Efpagnejefquels  on  commença  à 
four  du  temps  de  Hanmbaffevoycnt  encorà  prefent3 
^retiennent  enco)  les mefmes noms  de  ceux  quiksdcf- 
counrirent.  TLntrc ces  mines,celle que  dcfcouurit  Bebel- 
lo,  qui  en  relient  le  nom  encor  amourd'huy ,  fut  fort  re 
nommée./?  dit-on  an  elle  donnoit  &  rapportait  [i gran- 
de richeffe  à  fon  maifircHanmbal^  que  chaque  tour  l'on 


DES    INDES.       L1V.     II  II.  I  3  f 

fccuetlloit  trois  cens  hures  a-argent,  <&  mfques  à  main* 
tenant  on  atoujiours continué  de trauadler  à  ccslemi- 
m\d  ■  telle  for  te, qù  elle  efl  à  tnrjcnt  de  mtl  cmq  cents  pas 
de  profondeur ,  caueeen  la  montagne.  Defqucls  puits 
nea  Hmoinscefie  grande  profondeur  9  les  Gafcons  qmy 
trauaillent  tirent  l'eauè  qu'ils  y  trouuent  pour  les  affe- 
cbc>\£?  y  cauer  mieux  à  leur  aife  >  tout  durant  le  temps  Genehw- 
que  les  chandelles  £r  la  lumière  leur  durent  ^en  telle  abo  dusmchro 
dan  ce  qu'ilfem  lie  que  ceqùili  en  iett  ènt  fait  vnc  rime-  no2>raP'na' 
re.  Iufques  icy  lotit  les  paroles  de  Pline,  que  i'ay 
voulu  icy  reciter  de  mot  à  mot,  pour  contenter 
dauaniageceuxquientendëc  quec'ell  démines, 
voyant  que  la  mc;mediolc  qu'ils  expérimentent 
auiouid'huy  ,  a  efte  exercée  par  les  anciens.  Et 
certainement larichelfcde  celte  mined'Hanni- 
bal  aux  monts  Pyrenee^eRou  grande  &  bien  re- 
marcnable,laquelleles  Rorqams  poirederenc  ,y 
ayâs  connue  Ton  ouurage,iufques  au  téps  de  Pli- 
nc,qui  fut  comme  trois  cens  ans.  La  profonditc 
de  celte  mineeftoitde  mil  cinq  cens  pas,  quieft 
vn  mil  &  demy,&.  fut  fi  riche  au  commencemet, 
qu'elle  valloit  à  Ion  maiftre  par  chacun  iour  trois 
cens  liures, de  douze  onces  la  liure.  Mais  combié 
que  cède  richellè  ait  elle  grande ,  elle  n'approche 
neantmoins  a  celle  qui  de  noftre  temps  f'eftrc- 
trouuceen  Potôzi.  Car  comme  il  appert  par  les 
regiitres  delà  maifon  delà  contraclation  de  celle 
prouince,  &■  comme  pluficurs  hommes  anciens 
dignes  de  foy  l'attellent ,  au  temps  que  le  Licca- 
tie  Polio  gouuernoit  cède  prouince,  qui  fut  plu- 
fieurs  années  après  laddcouuertede  ceftemon- 
tagncl'on  enregiftroit&  tiroir  pourlacinquie£. 
me  chacun  Samedy  cent  cinquante  &  deux  cens 


-  --;•■' 


HISTOIRE     NATVRELLE 
milpezes ,  dontle  cinquiefmcrcuenoità  trente 
&  quarante  nui  pezes,&  pour  chacun  an  vn  mil- 
lion &  demy  on  peu  moins.  Tellement  que  fui- 
uant  ce  contej'on  tiro;  t  chaque  iour  de  cette  mi- 
ne comme  trente  mil  pezes,  dont  il  reuenoit  au 
Iloy  pour  la  cinéHiiefrne,  fix  mil  pezes  par  iour. 
Il  yaencor  vnechofe  à 'mettre  enauant,  pour 
montrer  la  nehelîe  de  Potozf,  que  le  conte  qui  a 
efte  fait  n'eft  feulemét  que  de  l'argent  qui  fe  mar- 
quoit&:  quintoit,  ckeftehofe  cogneuëau  Peru, 
que  Ton  a  vfélong  temps  en  ces  royaumes  d'ar- 
gent qu'ils*  appciioient  courant,  lequel  n'eucit 
marqué  ny  quinte. Et  tiennent  pour  certain  ceux 
qui  cognoillent  cGs  mines, qu'en  ce  temps  la  plus 
grandepartie  de  l'argent  que  l'on  tiroitdwPoto- 
zi  ne fe  quintoit  point,  éVeftoit  celuy  quiauoic 
cours  entre  les  Indiens,  &  beaucoup «ntre  les 
Efpaijnols,  comme  iel'ayvcu  continuer  iu  fanes 
à  mon  temps.  Par  cela  l'on  peut  bien  croire,  que 
le  tiers  de  la  richclle  dePotozi,  voire  la  moitié 
nefemanifei'oit  ,ny  ne  fe  quintoit  point.   Il  y  a 
encor  vne  autre  considération  plus  remarqua- 
ble, en  ce  que  Pline  met ,  que  l'on  auoit  fouy  mil 
cinq  cents  pas  en  celte  mine  deBabello,&  que 
toujours  l'on  trouuoit  de  l'eauë ,  qui  eft  ce  qui 
donne  le  plus  grand  empefehement  qui  foit  à  ti- 
rer le  métal  des  mines.  ,  Mais  en  celle  de  Potozi, 
encor  que  l'on  y  ait  fouy  &  caué  plus  de  deux 
cens  fta;ic;  ou  hauteurs  d'vn  homme  en  profon- 
deur, iamais  on  n'y  a  trouué  d'eanë  ,  qui  eil  le 
plus  grand  heur  de  cefte  montagne.  Maisquoy? 
les  mines  de  Porco,  dont  le  métal  eft  très- bon  Se 
tres-nche,  loin  auiourd'huy  deiaiiîëes  pour  l'in- 


DES  INDES.  II V.  III I.  I$6 
commodité  de  l'eau  qu'ils  y  ont  rencontrée  en  y 
fouillant:  pourceque  ce  font  deux  trauauxin- 
fupportablesen  recherchant  le  métal, decaucr& 
rompre  les  roches.&rd'en  tirer  l'eaue  tout  enfem- 
ble.Le  premier  defquels,àfçauoir  de  cauer  la  ro- 
che, donne  allez  de  peine,  voire  eft  trop  dur& 
trop  exceffif.  Finalementauiourd'huy  fa  Majefté 
reçoit  pour  Ton  quint  par  chacun  an  l'vn  portant 
l'aime, vn  million  de  l'argent  des  minesde  Poto- 
zi, fans  l'autre  richclîe  qui  luy  vient  de  vif- arget, 
&  autres  droicts  royaux  qui  e(l  vn  grand  threfor. 
Quelques  hommes  experts  ayans  fupputé  lts 
contcs,di(cntqneceqneronaapportéàquinter 
en  la  calfe ,  ou  douanede  Potozi ,  iufques  en  l'an 
mil  cinq  cens  quatre  vingts  cinq,  femoteàcenc 
millions  de  pezes  d'ellay,  dontehaque  peze  vaut 
treze  reaux  &  vn  quart ,  fans  conter  l'argentquc 
l'on  a  peu  tirer  fins  quinter,  &qui  a-^fte  quinte 
es  autres  calles  Royales ,  &  fans  l'argent  courant 
que  l'on  a  mis  en  ceuureau  pays ,  qui  n'eft  point 
quimc,quicft.  vue  chofe  innombrable,  combien 
que  les  premiers  regillres  des  quints  ne  foient 
pas  fi  clairemenr,ou  intelligiblement  efcrits,que 
font  ceux  d'auiourd'huy  :  pourec  qu'aux  com- 
mencemens,&  prcmicresdefcouuertes,  l'on  fai- 
foitlareceptepar  Romaines,  tant  eftoit  grande 
l'ahondace  qu'il  y  en  auoit.  Mais  par  les  mémoi- 
res &  recherches  que  fitleViceroy  DomFran- 
cifque  de  Tolledc ,  en  l'année  mil  cinq  cens  foi- 
xante  &  quatorze  fe  trouua  qu'il  y  auoic  foixante 
&feizemillions,iufquesen  ladite  année,  ôc  de- 
puis ledit  an  iufques  à  celui  de  quatrevingts  cinq 
incluiiucmcnt,  il  appert  par  les  regiftres  royaux 


.  --:•* 


HISTOIRE     NATVRELLE 
qu'il feft quinte  iufqucsà  trente-cinq  millions. 
L'onenuoyaau  Viceroy  ceconte  dePotozi,en 
l'anqnei'ay  dit,lorsquei'cftoisau  Peru,&:du  de- 
puis la  riçheiïe  qui  eft  venue  aux  flotes  du  Peru, 
eft  montée  à  beaucoup  dauantage.  En  la  fioteoù 
ie  vins,de  l'an  mil  etnq  cens  quatre  vingts  fept,il 
y  auoit  onze  millions  qui  vmdrent  aux  deux  flo- 
tes du  Peru  8c  Mexique,  dot  les  deux  tiers  eftoiet 
en  celle  du  Peru,  8c  y  en  auoit  preique  la  moitié 
pour  le  Roy.  I'ay  voulu  déduire cec.y  particuliè- 
rement, afin  de  faire  en  tendre  la  puillance  que  la 
diuineMajeftéavoulu  donner  au  Roy  d'Eipa- 
grie,  fur  les  chefs  defqucls  tant  de  couronnes  8c 
de  royaumes  ont  efté  ama(Iez,&  lefqucls  par  (pé- 
dale faneur  du  cielj,  ont  ioint  les  Indes  Orienta- 
les auecles  Occidentales  ,  enuironnans  tootlc 
monde  par  leur  puillance.  Ce  que  l'on  doit  croi- 
re eftre  ainfiarnuc  par  la  prouidence  de  noltre 
Dieu  ,  pour  le  bien  de  ces  peuples  qui  viuent  fi 
efloignez  de  leur  chef,qui  eft  le  Pontife  Romain, 
Vicaire  de  Chriftnoftre  Seigneur,  enlafoy  &o- 
beiifance  duquel ,  tant  feulement  Ton  peut  eftre 
faune,  8c  mefme  pour  la  defenfede  la  foy  Catho- 
lique 8c  de  l'Eglife  Romaine,  en  ces  parties,où  là 
vérité  eft  tant  oppugnee,  8c  pourfuiuie  des  héré- 
tiques. Et  puis  que  le  Seigneur  des  cieux,  qui  dÔ- 
ne  &  ofte  les  royaumes  à  qui  il  veut,&  comme  il 
luyplaift Ta ainfi ordonné,  nousledeuons  iup- 
plier  qu'il  luy  plaife  fauorifer  le  zèle  pieux  du 
Roy  Catholique,  luy  donnant  heureux  fuccez, 
Ôc  profper«  victoire  cotre  les  ennemis  delafain- 
clefoy,veu  qu'en  cefte  caufeil  gsfte  le  threfor  des 
Indes>qu  il  luy  a  dôné,voire  en  a  befoin  de  beau- 
coup 


DES    INDES.       LIV.    II  II.  137 

coup  dauantage.  Cependant  il  fufhtdauoir  fait 
cède  digrefïïon  pour  monftrec  les  richefîes  de 
Pocozi.  C'cllpourquoy  nous  revendrons  àdirc 
comme  l'on  trauailleés  mines,&  comme  l'on  af- 
fine les  mecauxqueronen  tire. 


Comme  ton  travaille  es  mines  de  Vuto?xi. 
c  H  A  P.    VIII. 


Bottius  àt 


Xrr^fj  O  e  c  e  fe  plaignant  du  premier  inuenteur  Bott"*s 
î&h  des  mines,  dit  tort  bien: 

H  eus  primus  t<tfuis  fuit  Ole, 

^Auri  qui  po?idcra  tefti. 

GemHafatte ,  hiterc  yolemes* 

Vrecio(<t  pericuU  fodit  ? 
Auec  raiton  il  les  appelle  precieux  danger,pour 
le  grand  trauail  &  péril  auec  lequel  l'on  tire  les    .    ,, 

1       U  n-  ni-       j-     fliaMb. 

metaux,que  les  hommes  eltiment  tant.  Pline  die  , 
qu'en  Italie  il  y  a  plusieurs  métaux,  mais  que  les  ' 
anciens  ne  voulurent  pas  permettre  d'ytrauail- 
ler,afin  de  conferuer  le  peuple.  Ils  apportoient 
ces  métaux  d'Efpagne ,  &  faifoient  trauaiilerles 
Espagnols  aux  mines,comme  tributaires.  L'efpa- 
gne  en  fait  auiourd'huy  tout  demefmeaux  In- 
des,en  ce  que  y  ayant  &  reftant  fans  doute  en  Ef- 
pagne  pluiieurs  mines  de  metaux,neantmoins  ils 
ne  les  veulent  pas  chercher,  ny  permettre  qu'on 
y  trauaille,  àcaufedesinconueniens  que  l'on  y 
void  chacun  iour  :mais  ils  les  font  apporter  des 
Indes,  où  on  les  tire  auec  beaucoup  de  trauail,  Se 
rifque.Ce  roc  de  Potozi  contient  en  foy,commc 
i'ay  dit,quatre  veines  principales,qui  font  la  vei- 
ne RichCjCcllc  de  Centcno,celle  d'Eftain3&  celle 

S 


HISTOIRE  NATVRELLE 
de  Mendieta.  Toutes  ces  veines  font  en  la  partie 
Orientale  delà  montagne,  comme regardans  le 
leuerdu  Soleil:  car  en  l'Occidentale  il  ne  fen 
trouue  aucune:  lefdites  veines  courent  Nort  & 
Sud, qui  eft  de  Poleen  Pôle.  Elles  ont  à  l'endroit 
le  plus  large fix  pieds,  8c  au  pluseftrcitvncpaul- 
me.  Il  y  en  a  d'autres  de  diuerfe  façon  qui  fortent 
d'icellcs  veines,  comme  les  grands  rameaux  des 
arbres  ont  de  couftume  d'en  produire  de  petits. 
Chaque  veine  a  diuerfes  mines ,  qui  font  parties 
ou  portions  d'elle-mcfme,  diftindtesôc  feparees 
entre  diuers  maiftres,  des  noms  defquels  elles 
font  ordinairement appcllees.  Lagrande  mine 
contient  quatre  vingts  verges ,  &  ne  peut  conte- 
nir dauantage  par  l'ordonnance,&:  la  moindre  en 
contient  quatre.  Toutes  ces  mines  font  auiour- 
d'huy  fort  profondes.  L'on  conte  en  la  veine  Ri- 
che foixante&  dix-huid  mines,  qui  font  pro- 
fondes de  quatre  vingts  &cent  itades,ou  hau- 
teurs d'hommes,voire  en  quelques  endroits  iui- 
ques  à  deux  cents.  L'on  conte  en  la  veine  de  Cen- 
teno  vingt-quatre  mines  ,  dont  quelques-vnes 
faduancent  iufquesà  feptante  ou  quatre  vingts 
ftades  de  profond  ,  &ainiî  des  autres  veines  de 
cefte  montagne.  L'on  inuenta  pour  remède  à  cè- 
de grande  pcofondité ,  des  mines  qu'ils  appellent 
foccabones,  qui  font  caucs  ou  mines  faites  au 
pied  de  la  montagne,  lefquelles  vonttrauerfant 
iufquesà  rencontrer  les  veines:  car  l'on  doit  en- 
tendre que  combien  que  les  veines  coutét  Nort, 
&Sud,  comme  ilaeftédit,  neantmoins  c'eft  en 
rabaiifant  depuis  le  fommet  iufques  au  pied  8c 
bas  de  la  montagne,  qui  fera  félon  qu'on  croit 


DES  INDES.  LI7.  III  T.  138 
par  conjecture  plus  de  douze  cens  ftades.  Et  à  ce 
conte  encor  que  les  mines  i'dïcndêt  en  telle  pro- 
fondeur^ refte  ncantmoms  encor  plus  de  fix  fois 
autan  t  d'efpace,  iuiqucs  à  leur  fonds  ôc  racine,la- 
quelle  félon  qu'ils  difent  doit  eftre  cres-riche& 
abondance,  comme  le  tronc  Se  lafource  de  tou- 
tes les  veines  :  combien  que  iufqu  auiourd'buy 
nous  ayons  veu  lecontrairepar  expérience,  car 
t.int  plus  haute  &  efleuee  etl  la  veine  à  la  fuperfi- 
cie  de  la  terre,  tan  r  plus  fe  trouue  riche,plus  aufïï 
qu'elle  va  en  profondeur ,  l'on  trouue  Ion  métal 
plus  panure,  &  moindre  d'alloy.  Cependant  ils 
inuenterent  les  Socéabons,  par  lefquels  on  entre 
Se  forr aifément, pour  trauailler aux  mines, auec 
moins  de  couft,de  peine  Se  de  danger.  Ils  ont 
huicl  pieds  de  largeur,  6c  vue  ftadede  hauteur,  6c 
les  ferment  auec  des  porres.  L'on  tire  par  iceux 
les  métaux  fort  facilement,en  payant  au  proprié- 
taire du  S  occabon1,  lecinquiefme  de  toutle mé- 
tal quel'on  tire  pariceluy.  Il  y  enadefianeuf  de 
faits,&  autres  que  Ion  a  commencé  a  faire.  L'on 
fut  vingt-neuf  ans  à  fairevnSocabon  ,  qu'ils  ap- 
pellent du  venin,  qui  va  fe  rendre  &  donner  à  la 
veine  riche,  ayat  efté  commencé  en  l'an  mil  cinq 
cents  cinquante,  l'vnziefme  année  delà  defeou- 
uerte,&  acheué  en  l'an  mil  cinq  ces  quatre  vingts 
cinq,rvnziefmed'Auril.CeSoccabon  rencontra 
la  veine  Richc,à  trëte-  cinq  ftadespres  de  fa  four- 
ce  ou  racine,  &y  auoit  de  là  où  il  rencontra  la 
veine  iuiques  au  fault&emboucheuredelami- 
ne,aiures  cent  &  trente-cinq  ftades. De  faço  qu'il 
falloit  delcendre  toute  cefte  profondité  pour 
trauailler  à  la  mine.  Tout  ce  Soccabon  contient 

Sij 


-ri 


HISTOIRE  NATVRELLE 
depuis  fon  ouuerturc ,  iufques  à  la  veine  de  Cru- 
iero,qu'ils  appellent,  deux  cents  cinquante  ver- 
ges,à  laquelle  œuure  turent  employez  les  vingt- 
neuf  ans  de  temps,  qui  ont  elle  dits,afin  que  l'on 
yoyele  grand  trauail  que  prennent  les  hommes 
pour  rechercher  l'argent  aux  entrailles  de  la  ter- 
re. Cependant  ils  trauaillent  en  ces  mines  en  cô- 
tinuelîes  ténèbres ,  &  obfcurité,  fansfçauoir  au- 
cunement quand  il  eftiour  ou  nuict.  Or  d'autant 
quecefont  lieux  quele  Soleil  ne  vifite  aucune- 
mental  n'y  a  pas  feulement  de  perpétuelles  tene- 
bies,maisauflly  faitvn  extrême  froid,&  y  court 
vn  air  fi  groffier,&  contraire  à  la  nature  &  difpo- 
fïtion  humaine,que  les  hommes  qui  y  entrent  de 
nouueau  fy  eftourdilîènc  comme  du  mal  de  la 
mec.  Ccquim'aduintà  moy-mefmeenvne  de 
ces  mines,où  ie  fend  douleur  de  cœur,&:  fanglots 
d'eftomach.  Ceux  qui  y  trauaillent  fe  feruent  de 
flambeaux  &  chancelles  pour  leur  efclairer,  en 
départant  le  labeur,  &  l'ouurage  de  telle  forte 
que  ceux  qui  trauaillent  le  iour,  y  repofent  la 
nuid,  &  les  autres  au  contraire  les  viennent  ef- 
chager,pour  trauailler  la  nuift  &  repofer  leiour. 
Le  mctaly  eft  communément  dur,  &  àceftecau- 
fe  ils  le  tirent  à  coups  de  marteaux,le  rompant  & 
efclatant  par  force ,  comme  il  c'eftoit  vn  caillou. 
Par  après  ils  montent  ce  métal  fur  leurs  efpaules, 
pardesefchellcs  à  trois  branches,  faites  de  cuir 
de  vache  retors,  comme  pièces  de  bois  qui  font 
trauerfees  défendions  de  bois:  de  forte  qu'en 
chacune  de  ces  elchelles  l'on  y  peut  monter  Se 
defeendre  tout  enfcmble.Ces  efchclies  font  lon- 
gues de  dix  ftades,  &  à  la  fin  d'icclies  cnrCcom- 


DES  INDES.  LIV.  1 1 1  I.  139 
mence  vne  autre  de  la  mefme  longueur,  comme- 
çant  &  finiiïant  chaque  efchelle  à  des  eftablies 
&  plates- formes  de  bois,  où  il  y  a  des  fieges,  & 
lieux  pour  fe  repofer ,  comme  galleries,  d'autant 
qu'il  y  a  plusieurs  de  ces  efchelles  à  monter  bout 
à  bout.Vn  homme  y  porte  ordinairement  fur  Tes 
efpaulesle  poids  de  deux  arrobes  de  métal,  aucc 
vne  toilie  attachée  en  façon  d'vne  hotte,&  y  rao 
tent  trois  à  trois.  Ccluy  qui  va  deuant  porte  vne 
chandelleattacheeàfon  poulce:  carcommeileft 
dit,  il  n'y  a  nulle  lumière  du  ciel ,  &  vont  fe  tenas 
à  Tefchelle  des  deux  mains  pour  monter  fi  gran- 
de efpace de  hauteur,  qui  furpalFecommunémét 
cent  cinquante  ftades  de  hauteur ,  chofe  effroya- 
ble,&  qui  donne  l'efpauuente  feulement  à  y  pen- 
fer,tant  eft.  grand  le  defir  d'argent,pour  la  recher- 
che duquel  les  hommes  endurent  tant  de  tra- 
uail.Et  certes  ce  n'eft  point  fans  raifon  que  Pline 
traittantdecefte  matière f exclame, &  ditainfi: 
TZous  entrons  iufqucs  aux  entrailles  de  la  terre ,  &  al-  p/<».  in 
Ions  pourfmuant  les  richeffesiufques  aux  lieux  des  (on-  f  '«m.  Ub. 
damne^.  Et  par  après  au  mefme  Hure  ,  il  ditainfi:  }J c'6' 
Ceux  qui  recherchent  les  métaux  font  les  œuures  plus 
que  de  geans  tfaifans  des  trous  &  ruetes  au  profond  de 
la  terre,  perçans  les  montagnes  fi  auant ,  &  fi  profondé- 
ment ,à  la  lueur  des  chandelles^où  le  mur  <&  U  nuicifont 
fembl allés ,  &  en  plufieursmois  ne  yoyent  aucun  iour, 
d'où  bicnfouticnt  il  aduicnt  que  les  parois  des  mines  fon- 
dent &  tombent ,  accahlans  deffoU7y  plnfieurs  des  mi- 
niers qui  y  trauaillent.Etèn  après  il  adioufte:  Ils  en- 
tament la  roche  dure  auec  des  marteaux  de  ferpefans 
cent  cinquante  hures ,  &  tirent  les  met  aux  fur  leurs  ef- 
p*ules,trauaillans  de  iour  &  de  nuiB,  les  vns  dcfquels 

S  iij 


.  --;^ 


HISTOIRE  N1TVR.UI.E 
baillent  leur  charge  aux  antres,  cjr  tout  cela  e(l  en  olfi  tt- 
nté spuis  que  les  derniers  feulement  voyent  la  lumière. 
^Anec  des  coings  de  fer  &  des  marteaux  ils  rompent  1rs 
cailloux ,  tant  durs  &  forts  qu'ils/oient ,  pource  que  la 
faim  de  l'argent  e(l  encorplus  afpre  &  plus  forte.  Cela 
cft  de  Pline ,  qui  encor  qu'il  parle  comme  hillo- 
riographe  d'alors ,  neantmoins  femble  prophète 
d'auiourd'huy.  Et  n'eu"  moindre  ce  que  Phocion 
d'Agatharchides  raconte  du  grad  trauailqu'en- 
duroienc  ceux  qu'ils  appclloicntChry dos, à  ti- 
rer l'or,  pource  que  comme  le  fufdit  autheur  dit, 
l'or  8c l'argent  donnent  autantdetrauailàle  ti- 
rer 8c  rechercher ,  comme  il  apporte  de  conten- 
tement eftant  polfedé. 

Comme  l'on  affine  le  métal  d'argent. 
CHAP.     IX. 

fôgl  Es  veines  que  i'ay  dit  où  Ton  trouue  l'ar- 
^Sfgent  ,  courent  ordinairement  entre  deux 
rochers  qu'ils  appellent  la  chaire,  dont  l'vn  d'i- 
ceuxaaccouftuméd'eftre  tres-dur  comme  cail- 
lou^ l'autre  mol  &  plus  facile  à  rompre.  Tout 
ce  métal  ne  fe  trouue  pas  toufiours  efgal  &d'vne 
mefmeyaleur.Carily  en  avnemefme  veine  d'v- 
ne  forte  fort  riche,  qu'ils  appellent  Caciii3,ou 
Tacana,d'où  l'on  tire  beaucoup  d'argent, &  l'au- 
tre eftpauure,  duquel  l'on  tire  peu  d'argent.  Le 
métal  le  plus  riche  de  Cède  montagne  eft  de  cou- 
leur d'ambre ,  8c  après  celuy  qui  tire  le  plus  fur  le 
noir.Ily  en  a  d'autre  qui  eft  comme  roux,d'autre 
femblable  à  la  couleur  de  cendre  :  en  fomme  de 
plusieurs  8c  diuers  couleurs,  &  fembie  à  ceux  qui 


DES    INDES.       LIY.    HIT.  1 40 

nelescognoiiïenc  point,  que  ce  foient  des  pier- 
res de  nulle  valeur.  Mais  les  miniers  cognoilTent 
incontinent  fa  qualité  &  (a  perfection,  par  cer- 
tains figues  Se  petites  veines  qu'ilsy  voyent.  On 
porte  tout  le  métal  que  l'on  tire  des  mines  fur  des 
moutons  du  Peru ,  qui  feruet  d'afnes  à  porter  aux 
moulins.  Le  métal  le  plus  riche  Raffine  en  le  fon- 
dant dedans  ces  petits  fourneaux  que  i'ay  dit, 
qu'ils  appellent  Guayras.  car  ceftuy  efl.  le  plus 
plombeux,  pour  raifondequoy  il.en  efl;  plus  fa- 
ci  le  à  fondre,  aufïï  pour  le  mieux  fondre,  les  In- 
diens y  jettent  ce  qu'ils  appellent  Soroche,  qui 
eftvn  métal  fort  plombeux  ,  &  le  métal  eftant  en 
ces  fourneaux ,  l'ordure  &  le  terreftre  par  la  force 
du  feu  demeure  en  bas ,  &c  le  plomb  &  l'argent  fe 
fondent,de  telle  façon  que  l'argent  ell  porté  na- 
geant furie  plomb  ,  iufques  à  ce  qu'il  fou  purifié, 
puis  après  ils  r'aSinent  encor  plufieurs  fois  cet 
argent  par  celle  manière  de  fondu re.   L'on  a  ac-. 
couftumé  de  tirer  d'vn  quintal  dénierai,  trente'!^, 
quarante,  voire  cinquante  pezes  d'argent, 8c  tou- ▼ 
tesfoisi'enay  veud'vne forte  que  l'on  me  raon- 
ftra  par  excellence,  duquel  l'on  tiroit  en  le  fai- 
fant  fondre  de  celle  façon  ,  deux  cents  ,  voire 
deux  cents  cinquante  pezes  d'argent  du  quintal, 
richetfe  vrayement  rare ,  &  prefque  incroyable, 
Cpar  le  feu  nous  n'en  auions  veu  l'expérience, 
mais  tels  métaux  font  fort  rares.  Lepauureme- 
taleftceluy  qui  d'vn  quintal  rend  deux  ou  trois, 
cinqoufix  pezes, ou  peu  d'auantage.    Ce  mé- 
tal ordinairement  n'eft;  point  plombeux,  mais 
eft  fec  :  c  eft  pourquoy  l'on  ne  le  peut  affiner  par 
lefeu.   Et  pour  cède raifon  ilyauoit  enPotozi 

S  itij 


--:* 


I 


HISTOIRE     N  AT  V  R  E  L  I.  E 
vnc  grande  quantité  de  ces  pauurcs  métaux ,  def- 
quels  l'on  nefaifoit  pas  grand  eftat,  Se  eftoient 
deiettez  comme  la  paille  &  comme  l'efcume  des 
bons  métaux ,  iufques  à  ce  que  Ton  mit  en  auant 
le  moyen  d'affiner  ânec  le  vif  argent,par  le  moyc 
duquel  cède  efeume  qu'ils  appelaient  Oquia- 
chefutdegrand  profit.  Car  levif  argent parvne 
eftrange&merueilleufe  propriété  purifie  Target, 
&:  eft  propre  pour  ces  métaux  qui  font  fecs  ôc 
pauures,efquelstoutesfoisilfeconfume  moins 
de  vif- argent  que  non  pas  es  riches  :  car  rant  plus 
ils  font  riches,pius  ont-ils  befoin  de  vif-argent. 
Auiourd'huy  la  façon  d'affiner,qui  eft  la  plus  co- 
mune  ôc  plus  exercée  en  Potozi,  eft  celle  qui  fe 
fait  par  le  vif-argët,comme  auflî  es  mines  de  Ca- 
catecas  ôc  autres  de  la  neufue  Efpagne.  Il  y  auoit 
anciennement  aux  flancs  ôc  aux  fommets  de  Po- 
tozi plus  de  fix  mil  Guayras ,  qui  font  ces  petits 
fourneaux  où  l'on  fond  le  métal ,  Iefquels  eftoiè'c 
t0  ofez  en  façon  de  luminaircs,tellemcnt  que  c'e- 
*ftoit  vn  plaifant  fpcctacle  de  les  voir  de'nuict ,  ôc 
jetter  la  lumière  n  loin  ,  qu'ils  fembloientn'eftre 
qu'vnbrafierou  flamedefeu.  Maisauiound'huy 
pour  le  plus  qu'on  y  en  trouue,  ceft  deux  mil, 
d'autant  que,  comme  i'ay  dit ,  ils  vfent  peu  de  la 
fonte,mais  affinent  auec  le  vif-argent ,  qui  eft  de 
plus  grand  profit.  Et  pourec  que  les  proprietez 
du vif.argentione<idrnirables,&:que  cefte  ma- 
nière d'affiner  l'argent  eft  fort  remarquable, ie 
traitteray  du  vif-argent,  de  Tes  mines  &ouurage, 
&  ce  qui  fcmblera  conuenable  à  ce  fujecl. 


DES    INDES.      II  V.     III  I. 


141 


Des  prof»  ictc?x  mcrueillcujcs  du  y  tf -argent, 

CHAP.     X. 

^^Evif-argetainfi  appelle  par  les  Latins,pour- 
WSi  ce  qu'il  coule  ôcCt  glifleviftementd'vn  lieu 
en  autre,  entre  tous  les  metanxa  degrandes  ôc 
merueilleufes  proprietez.Lapremiere,que  com- 
bien que  ce  foie  vn  vray  métal, fi  eft-ce  toutesfois 
qu'il  n'eft  pas  dur,&  Ci  n'a  point  de  forme  arreftee 
ny  de  confiftance  comme  les  autres  metaux,mais 
il  eft  liqnide  ôc  coulant ,  non  pas  comme  l'or  ôc 
l'argent  fondu,  ains  de  fa  propre  nature,combieu 
qu'il foitvne liqueur  , il  eftneantmoins  pluspe- 
fant  qu'aucun  autre  métal  :c  eft  pourquoy  tous 
les  autres  naget  delfus ,  ôc  ne  vont  pointau  fond, 
d'autant  qu'ils  font  plus  légers.  I'ay  veu  mettre 
en  vn  baril  de  vif- argent  deuxliures  de  fer,  lcf- 
queilesnagcoientdelTus  comme  fait  du  bois  ou 
du  liège  fur  l'eau'ë.  Pline  met  vne  exception  à  ce-  Tlia -M-3J 
la,di(àntquel'or  tant  feulement  C'y  enfonce ôcc'6' 
ne  nagepas  delfusne  n'en  ay  pas  veu  l'expérience, 
mais  parauanture  cela  procède  de  ce  que  le  vif- 
argent  naturellement  circuit  l'or&lecache  de- 
dans foy,  qui  eft  vne  des  plus  importantes  pro- 
prietez  qu'il  ait.  Car  il  T'attache  à  l'or  dvne  façon 
merueilleuie ,  le  cherche  ôc  le  va  trouuer  là  où  il 
lefent,  &  ce  non  feulement,  mais  aufïï  il  lenui- 
ronne  Se  le  ioint  de  telle  façon,  qu'il  le  defpouil-. 
le&  feparede  quelconque  métal  &  autre  corps 
oùilfoitmeflé.    Pourcefteraifon  ceux- là  pren- 
nent de  l'or  qui  fe  veulent  preferuer  dudomma- 
ge  ôc  des  incommoditez  du  vif  argent.  L'on  P eft 


-"}.*> 


HISTOIRE    NATVRELLE 
feruy  pour  donner  remède  à  ceux,  es  oreilles  des- 
quels on  auroit  mis  du  vif  argent  pour  les  faire 
mourir  fecretement,  de  certaines  petites  platines 
d'or  qu'on  leur  mettoit  es  oreilles,  à  caufede  la 
vertu  qu'a  J'or  d'attirer  le  mercure.    Et  par  après 
ils  tiroient  les  platines  toutes  blaches  du  vif  ar- 
gent qui  C'y  eftoit attaché.  Eftant  vniourà  Ma- 
drid allé  voir  les  ouurages  exquis  que  Iacomode 
Treço,  excellent  ouunerMilannoisfaifoit  pour 
faind  Laures  le  Royal,  il  aduin t  que  i e  m'y  trou- 
uay  le  iour  qu'ils  doroient  quelques  pièces  d'vn 
contre-table  qui  eftoient  de  bronze,  ce  qui  le  fait 
auec  vif-argent.  Et  d'autant  que  la  fumée  du  vif- 
argent  eft mortelle, il  me  dit  que  les  ouuriers  fe 
preferuoientdece  venin  en  prenant  vn  doublon 
d'or  roulé  qu'ils  aualoient,lequel  eftant  en  l'efto- 
mach  attiroit  à  foy  tout  le  vif-argent  qui  leur  en- 
troit  en  fumée  par  les  y  eux,par  les  oreilles,par  les 
narines,^  par  la  bouche,  &  par  ce  moyen  fega- 
rantifToient  du  dommage  du  vif-argent,  que  l'or 
attiroitainfi  en  l'eftomach ,  & iettoient  en  après 
le  tout  auec  les  exercmens ,  chofe  certes  digne 
d'admiration.    Apres  que  le  vif-argent  a  purifié 
l'or,&  qu'il  l'a  nettoyé  &  purgé  des  autres  mé- 
taux^ de  tout  rrieflange ,  il  eft  réparé  luy-mefme 
d'auec  l'or  fonamy  par  la  chaleur  du  feu  ,  lequel 
le  laiiî'e  du  tout  purifié  &  Tans  vif  argent.    Pline 
dit  que  par  certain  art  Se  inuentionl'on  feparoit 
l'or  d'auec  le  vif-argét ,  toutesfois  ic  ne  voy  point 
qu'auiourd'huy  l'on  vfedetel  art,  &  mefemblc 
que  les  anciens  n'ont  point  feeu  &  entendu  que 
l'argent  fe  peut  affiner  auec  du  vif-  argent,  qui  eft 
auiourd'huy  le  plus  grand  vfage  &  principal  pi  o- 


DES    INDES.       LIV.     IIII.  142 

fit  du  vif- argent,  pource  qu'il  dit  expreiïemenc 
que  le  vif-argent  ne  fe  îoint  àaucun  ancre  métal 
qu'à  l'or ,  &  lors  qu'il  fait  mention  d'affiner  l'ar- 
gent, il  ne  parle  feulement  que  de  la  manière  de 
fondre  ,  d'où  l'on  peut  inférer  que  les  anciens 
n'ont  point  cogneu  ceiecret.    A  la  vérité  iaçoit 
qu'entre  l'or  &  le  vif-argent  il  y  ait  vue  amitié  & 
iympathie  ,  neantmoins  là  où  le  vif-argent  ne 
trouue  point  d'or,  il  fe  va  rendre  à  l'argent,  &  fe 
ioint  auec  luy ,  bien  que  ce  ne  foit  pas  de  telle  fa- 
çon qu'il  fait  aucc  l'or.  Mais  en  fin  illenettoye,il 
le  fepare  d'aucc  la  terre,  le  cuiure  &  le  plomb, 
paimy  lcfquels  l'engendre  l'argent,làns  qu'il  foie 
beloin  de  feu  pour  le  raffiner  parfondure,  en- 
cor  qu'il  fe  faille  feruir  du  feu  pour  Iefeparer  d'a- 
uec  l'argent,  comme  iediray  cy-apres.  Le  vif-ar- 
gent ne  tient  conte  des  autres  métaux,  hor£mis 
l'or  &  l'argent  :  au  contraire  il  les  corrompt,  les 
parforce&Iesconfomme,  eV  les  va  fuyant  tant 
qu'il  peut.    Ce  qui  eftauffivnechofe admirable, 
ik  pour  cedecaufe  l'on  le  met  en  des  vafes  de  ter- 
re, ou  dans  des  peaux  d'animaux,  d'autant  que  lî 
on  le  met  dans  des  vaifleaux  de  cuiure ,  de  fer,  ou 
d'autre  métal,  auffi  toft  il  les  perce  &  corrompt, 
&  pénètre  auiu"  toute  autre  matic're.  C'eflpour- 
quoy  Pline  l'appelle  le  venin  de  toutes  choies, 
&  dit  qu'il  conlbmme  &  gaftetout.    L'on  trou- 
ue du  vif-arget  es  fepultures  des  hommes  morts, 
qui  après  auoir  conlommé  les  corps,  en  fort 
fort  net,  &  fort  entier.  Il  l'en  cft  mefme  trouue 
dans  les  o$&  mouelle  des  hommes  &c  des  ani- 
mauxjeiquels  l'ayant  receu  en  fumée  parla  bou- 
che &  par  les  narines ,  il  le  congelé  au  dedans, 


HISTOIRE  NATVRELLE 
&  leur  pénètre  ainfi  les  os.  Et  pource  c'eft  vnc 
chofe  fort  dangereufe  de  hanter  &  fréquenter 
aucc  vne  créature  fi  venimeufe  &  fi  mortelle.  Il  a 
aum"  vne  autre  propriété  de  courir  &  faire  cent 
mil  petites  goutes,defquelles  pour  petites  &  me- 
nues qu'elles  puiiïent  eftre,  il  ne  fen  perd  pas 
vne,  mais  vont  retournant  par  cyparlàfeioin- 
dreauec  leur  liqueur.  Etcftquafi  incorruptible, 
n'y  ay^nt  chofe  prefque  qui  le  puilîe  gafter ,  d'où 
vient  que  le  mefme  Pline  l'appelle  fueur  éter- 
nelle.Il  a  encer  vne  autre  propriété,  c'cft  que  co- 
bien  qu'il  foie  ccluy  qui  fepare  l'or  d'auec  le  cui- 
ure,&  de  tous  les  autres  métaux, neatmoins  ceux 
qui  veulent  dorer  ducuiure,  du  bronze  ou  de 
l'argent,  feferuent du  vif-argent!,  pour  eftre  le 
moyenneur  de  cet  aifemblement:  car  on  dore  les 
métaux  par  fon  aide.  Entre  toutes  les  merueilles 
de  cefte  eftrange liqueur,  celle  qui  m'a  femblc 
plus  digne  d'eftre  remarquée,  eft  que  combien 
-qu'il  foit  la  chofe  la  plus  pefante  du  môde,nean  t- 
moins  il fe tourne  totalement  en  la  chofe  plus 
légère  du  monde ,  qui  cft  la  fumée  par  laquelle  il 
monte  en  haut  ayant  efte  conuerty  en  icelle,au(îï 
toft  lamefme  fumee,qui  eft  vne  chofe  fi  legere,fe 
retourne  du  tout  en  vne  chofe  fi  pefante,  comme 
eft  la  propre  liqueur  du  vif- argent  :enquoy  ilfe 
refout  :  car  cefte  fumec  venat  à  rencotrer  en  haut 
le  métal  qui  cft  va  corps  dur  ,  oubienvenantà 
vne  région  froide,au(îi  toft  il  {'efpaiilît  &  fe  tour- 
ne en  vif-argent:  que  fi  l'on  luy  donne  vneautre 
fois  le  feu, tout  de  mefme  ilfe  retourne  en  fumée 
pour  ferefoudreencor  en  vif-argent.  Tranfmu- 
tation  vrayement  eftrange,  d'vne  chofe  fi  peian- 


DES    INDES.    LIV.    III.  I45 

te  en  choie  (I  légère, &  d'vne  fi  légère  en  vne  fi  pe- 
iante,ccque  l'on  peut  tenir  pour  chofcrare  en 
nature.  Et  pourcc  l'autheur  de  la  nature  eft  cligne 
d'eftre  glorifié  en  toutes  ces  tk  autres  eftranges 
propricrez  de  ce  métal ,  puis  que  toute  choie  en- 
gendrée obéit  prornpccmentà  Tes  loix  cachées 
&incoçneuës. 


Du  lieu  ou  l'on  trouue  le  vif-argent ,  &  comme 

l'on  di'fcouurit  ces  tres-ricbes  mmes 

en  Giuncauilc.i. 

C  H  A  P.     XI. 

to-jjj  E  vif- argent  fe  trouue  en  vne  manière  de 
Çgj&l  pierre,  laquelle  donne  &  apporte  auffi  tout 
cnfemble  ce  vcrmeillon  que  les  anciens  appelle- 
jzzntMimuW)  &encor  auiourd'huy  l'on  appelle 
les  images  decriftal  miniades,lefquels  sot  peints 
auecdu  vif-argent.  Les  anciens  ont  beaucoup 
fait  d'eftat  de  ce  w/>;;«w,ou  vermeillon,  le  tenant 
pour  vne  couleur  facrec,  comme  Pline  raconte,  t.*j,c.7 
difantqueles  Romains auoientaccouftumé d'en 
peindre  la  facedelupitcr,&  les  corps  de  ceux 
qui  triomphaient  en  Ethiopie,  mefmes  les  ido- 
les, &  les  gouuerneurs  aulîi  auoient  la  face  pein- 
te de  ce  mtnium.Et  que  ce  vermeillon  eûoit  telle- 
ment cftimé  à  Rome  (  lequel  on  y  portoit  feule- 
ment d'Efpagne,  où  il  y  auoit  beaucoup  de  puits 
&dcmiues  de  vif-argent,  qui  y  font  encor  au- 
iourd'huy )  que  les  Romains  ne  permettoiét  pas 
que  l'on  l'afrînaft&aecommodaâen  Efpagne,de 
peur  qu'ils  n'en  defrobalTent  quelque  chofe, 
mais  on  leportoit  à  Rome ,  feellé ,  tout  ainli  en 


-•;•> 


HISTOIRE  NATVRELLE 
pierre  comme  ils  le  tiroient  de  la  mine,puis  l'affi  - 
noient.  L'on  y  en  apportoit  par  chacun  an  de 
rElpaCTnc,fpecialenientde  l'Andaluzie ,  enuiron 
dix  mil  Hures,  que  les  Romains  eftimoientvne 
exceiïiue  richeile.  l'ay  rapporté  tout  cecy  de  cet 
Autheur,  afin  que  ceux  qui  voyent  auiourd'huy 
ce  qui  (epalîeau  Peru,  ayent  le  contentement  de 
feauoir  cequi  Pcftpaflc  anciennement  encre  les 
plus  puiiïans  ieigneurs  del'vniucrs.Ieledy  pour 
leslnguas,  Roysdu  Peru,Sc  pour  les  Indiens  na- 
turels d'iceluy,qui  trauaillerent  8c  rouyrent  long 
temps  es  mines  de  vif- argent,  îansfcauoircc-quc 
c'eftoicdu  vif-argêr,&fanslecognoi(he,  nj  (ans 
y  rechercher  autrechofeoue  le  cynabreou  ver- 
meillô,qu'ils  appellent  Limpi, lequel  ils  eftiment 
beaucoup ,  pour  ce  mefme  erre-ct  que  Pline  a  ra- 
conte des  Romains, &des  Ethiopiès,qui  eft  pour 
ie  peindre  8c  teindre  la  face  8c  le  corps  d'eux 
Scieurs  idoles,  ce  qui  a  efte  beaucoup  pratiqué 
par  les  Indiens,  ipeciaU-ment  quand  ils  alloient 
à  la  guerre,  &  en  vient  encor  auiourd'huy  quand 
ilsfont  quelques  dances  8c  feftes,  «Se  appellent; 
celafc  barbouiller,  pource  qu'il  leur  fembloit 
que  les  faces  8c  vilages  ainfi  barbouillez  efpou- 
uentoient  beaucoup ,  8c  auiourd'huy  le  tiennent 
pour  vn  ornement,  8c  mignardife.  Pour  cefte 
cauie  il  y  a  eu  d'eftranges  ouurages  de  mines, 
aux  montagnes  de  Guancanilca  ,  qui  font  au 
Peru,  proches  de  la  cité  de  Guamangua,  des- 
quelles ils  tiroient  ce  métal,  &eft  de  la  façon, 
que  fi  auiourd'huy  l'on  entre  par  les  caues  8c 
{becabons ,  que  les  Indiens  firent  de  ce  temps  là, 
les  hommes  i'y  perdent ,  6c  netrouucnc  point 


DES    INDES.    LIV.    III.  I44 

de  chemin  pour  en  iortir  :  mais  ils  ne  fc  fou- 
cioicnc  point  du  vif-argent,  qui  naturellement 
elt  en  la  mefme  matière,  ou  métal,  de  vermeil- 
Ion  ,  ny  ne  cognoilloient  point  qu'il  y  euft  au 
monde  de  telle  matière.  Les  Indiens  n'ont  pas 
elle  (èuls,  qui  ayent  ette  longtemps  fans  auoir 
cognoilîànce  de  cefte  richeiîe  ,  mais  auflï  les 
Elpagnols  ont  tflé  de  mefme,  iufques  à  ce  que 
en  l'an  mil  cinq  cens  foixante  iïx  ,  &  foixante 
iept,quele  Licentié  Caftrô  gouuernoit  au  Pe- 
ru  ,1'on  (ickouurir  Jcs  mines  de  vif-argent  ,  ce 
quiaduint  de  cette  façon.  Vn  homme  d'enten- 
dement, appelle  Hcnrïcque  Guarçes  ,  Portu- 
gais de  nation  ,  ayant  vn  morceau  de  ce  métal 
coloré,  que  i'ay  dit,  que  les  Indiens  appellent 
Limpi,auec  lequel  ils  le  peignent  le  vifage ,  com- 
meille  regardoit&  contemploit ,  cogneut  que 
c'eftoit  la  mefme  chofe  qu'en  Caftille  l'on  ap- 
pelloit  vermeillon.  Et  d'autant  qu'il  fçauoit 
bien  que  le  vermeillon  fe  tire  du  mefme  métal 
que  le  vif  argent,  il  couiectura  que  ces  mines 
deuoiemeftrc de  vif-argent,  &  fetranfporta  au 
lieu  d'où  l'on  tiroit  ce  métal ,  pour  en  faire  l'eflàr 
&  l'expérience. Ce  qu'il  trouua eftre ainfi,& ayant 
de  celte  façon  efte  defcouuertesles  mines  de  Pal- 
cas  au  terroir  de  Guamangua,ilyallagrad  nom- 
bre d'hommes  pour  tirer  le  vif-argent ,  &  delàle 
porter  à  Mexicque,  où  l'on  affine  l'argent  parle 
moyen  du  vif- argent,  dequoy  plufîeurs  fe  font 
enrichis. Celle  contrée  de  mines,qu'ils  appellent 
Guancauilca,d«s  lors  fs  peupla  cî'Efpagnols  & 
d'Indiens,  qui  y  arriuerent,  &  auiourd'huy  y  ar- 
riuenc  encor  pour  trauaiUer  à  l'ouurage  de  ces 


HISTOÎ^E  NATVRELLE 
mines  de  vif  argent,îefquelles  font  en  grand  no- 
bre&  fort  abondantes.  Mais  fur  toutes  ces  mi- 
nes,celle  qu'ils  appellent  d'Amador,de  Cabrera, 
autrement  des  Saints,  eft  belle  de  remarquable. 
C'eft  vn  rocher  de  pierre  très  dure,  toute  femec 
de  vir-argent,&  detellegrandeur  qu'elle  l'eftend 
plus  de  quatre  vingts  varresen  longueur,  &  qua- 
rante en  largeur  ,J«n  laquelle  mine  Ton  a  fait  plu- 
fieurs  puits  &  folles  de  foixante  Ôc  dix  ftadesde 
profondeur,delorte  que  plus  de  trois  cens  hom- 
mes y  peuuenttrauailler  tous  enfemblctant  eft 
grande  (a  capacité.  Celle  mine  fut  defcouucrcc 
par  vu  Indien  d'Amador  de  Cabrera,appellé  Na- 
uincopa ,  du  bourg  d'Acoria ,  &  la  fit  enregt tirer 
Amadordc  Cabrera  en  Ion  nom. Il  en  fut  en  pro- 
cez  contre  le  Procureur  fifcal, mais  par  arreftl'v- 
iufruict  luy  en  fut  adiugé,  comme  ayant  efté  le 
defcouureur.  Du  depuis  il  vendit  fon  droict  à  vn 
autre,  pour  le  prix  de  deux  cens  cinquante  mil 
ducats,&  par  après  ayant  opinion  qu'il  auoitefté 
trompé  en  celle  vente,  mit  enadtion  l'acheteur, 
pourec  qu'ils  difent  qu'elle  vaut  plus  de  cinq  ces 
mil  ducats,  voire  quclques-vns  tiennent  qu'elle 
vaut  bien  vn  million  d'or  :  choie  rare,  qu'il  y  ait 
vne  mine  de  telle  valeur  &  richeire!  Lors  que 
Dom  Francifquede  Tollede  gouuernoitau  Pe- 
ru,il  y  eut  vn  homme  qui  auoit  elle  en  Mexique, 
ôc  remarqué  comme  Ton  afrinoit  Targentauec  le 
mercure,appellé  Pero  Fernandes  de  Velafco,qui 
l'offrit  &f'ingera  d'affiner  &  de  tirer  l'argent  de 
Potozi,  auec  le  mercure ,  &  en  ayant  fait  prcuue 
en  l'an  mil  foixante  &  onze,  en  vint  à  fon  hon- 
neur, &lors  on  commença  eu  Potozi  à  affiner 

l'argent 


,  DES  INDES.  LIV.  1 1 1 1.  145 
l'argent  auec  le  vif- argent  que  l'on  y  portoit  de 
Guancauelicqua.qui  fut  vn  beau  remède  pour 
les  mines  :car  par  le  moyen  de  ce  vif-argent  l'on 
tira  vn  nombre  infini  d'argent  de  ces  métaux, 
dont  ils  ne  faifoient  point  d'eftat,  lefquels  ils ap- 
pelioient  racleures.  Car  comme  il  a  efté  dit,  le 
vif-argent  purifie  l'argent,  encor  qu'il foit  fec> 
paun  re,&  de  peu  d'alIoy,ce  que  l'on  ne  peut  faire 
en  le  raiiant  fondre  par  le  feu.  Le  Roy  Catholi- 
que tire  de  l'ouurage  des  mines  du  vif-argët,  fans 
couil  ny  riique aucune,  prcfque  quatre  cens  mil 
pezes  démine  ,  qui  font  de  quatorze  reauxeha- 
cun5oupeu  moins,outreledroidtquiluyreuienc 
en  Potozi ,  où  il  cil  employé,  qui  eft  vne  autre 
grande  richeiïè.  L'on  tire  chacun  an  l'vn  portant 
l'autre,  de  ces  mines  de  Guancauilca,  huicT:  mil 
quintaux  de  vif-argent,&  voire  dauantage. 


De  la  façon  de  tirer  le  vif-argent,  comme 
on  en  affine  l'argent. 


C  HAP.    XII. 

^g>  I  s  on  s  maintenant  comme  l'on  tirelevif- 
ti#5  argent,  &  comme  auec  luy  l'on  affine  l'ar- 
gent. L'on  prend  la  pierre  ou  metal,où  îè  trouue 
le  vif- argent,  laquelle  ils  mettent  au  feu  dedans 
des  pots  de  terre,bien  bouchez,  après  qu'ils  l'ont 
premièrement  pillée  &  moulue,  de  forte  que  ce 
métal  ou  pierre  venant  à  fe  fondre  par  la  chaleur 
du  feu,le  vif-argent  f  en  fepare,&  en  fort  en  exha- 
lation, &c  quelquesfois  mcfme  auec  la  fumée  du 
mefme  feu ,  iufques  à  ce  qu'il  rencontre  quelque 
ilfarrefte  &fecone«"" 


>rp< 


qui 


-•:<> 


HISTOIRE  NATVRELLE 
outre  en  haut  fans  rencontrer  aucun  corps  dur,  il 
va  à  mont  iulques  à  ce  qu'il  Toit  refroidy  ,  &  lors 
eftant  congelé  il  retombe  en  bas.  Quand  la  fon- 
dureeftacheuee,ils  detoupent  lespots&en  ti- 
rent le  metal,attendans  toutesfois  à  ce  faire  qu'il 
foitbien  rcfroidy,car  fil  y  reftoit  encor  quelque 
fumée  ou  vapeur ,  qui  rencontrait  les  perfonnes 
qui  les  deftoupent,ce  feroit  pour  les  faire  mourir 
ou  demeurer  perclus,  ou  à  tout  le  moins  pour  en 
pedre  les  dents%  Et  d'autant  que  i'onvfe&def- 
pend  vn  nombre  infiny  de  bois  pour  entretenir 
le  feu  à  fondre  les  métaux  jvn  meufnicr  nommé 
Rodrigo  de  Torres,trouua  vneinuention  tres- 
vtile ,  qui  fut  de  cueillir  d'vnc  certaine  paille  qui 
croift  par  toutes  ces  montagnes  du  Peru,  laquel- 
le ils  appellent  Ycho,  &  eft  comme  vne  efpece  de 
ionc  durauec  quoy  ils  font  du  feu.  C'eit  chofe 
merueilleufe ,  que  la  force  que  cefte  paille  a  pour 
fondre  ces  métaux ,  ce  qui  eft ,  comme  Pline  dit, 
qu'il  y  a  de  l'or  que  l'on  fond  plus  facilement  a- 
uec  la  flame  de  la  paille,que  non  pas  auec  vn  gros 
brafier,quoy  qu'il  foit  bien  ardant  &  enfiamé .  Ils 
mettent  le  vif-argent  ainfi  fondu  dans  des  peaux, 
d'autant  qu'il  fe  garde  fort  bien  dans  du  cuir,& 
de  cefte  façon  l'on  le  met  aux  magailns  du  Roy, 
d'où  l'on  le  tire  pour  le  porter  par  mer  à  Ariqua, 
puis  à  Potozi  par  terre ,  fur  les  moutons  du  pays. 
Ilfeconfume  ordinairement  chaque  an  en  Po- 
tozi ,  pour  l'affincment  des  métaux  enuiron  ilx 
ou  fept  mil  quintaux  de  vif-argent,  fans  ce  que 
l'on  tire  des  lames,  (qui  eft  le  terreftre ,  &  ordure 
des  premiers  lauoirs  des  métaux,  qui  fe  font  en 
des  chaudières.)  Lefquelles  lames  ils  bruïlcnt  & 


DES    INDES.      LIV.     II II, 


AG 


1   mettent  en  des  fourneaux  pour  en  tirer  le  vif-  ar- 
gent qui  demeure  en  icelles.    Et  y  a  plus  de  cin- 
quantede  ces  fourneaux  en  la  ville  de  Potozi,  8c 
en  Tarpaya.  La  quantité  des  métaux  que  l'on  af- 
fine (comme  quelques  hommes  expérimentez 
en  ont  fait  le  conte)  Te  peut  monter  à  plus  de 
trois  cens  mil  quintaux  paran,  des  lames  &ter- 
reftresdefquels  refondues  &r'afînees,  l'on  peut 
tirer  plus  de  deux  mil  quintaux  de  vif-argent. 
Or  l'on  doit  fçauoir  qu'il  y  adiuerfes  fortes  de 
métaux,  pouicc  qu'il  y  a  quelques  métaux  qui 
rendent  beaucoup  d'argent  &confommentpeu 
de  vif-argent,  &  d'autres  au  contraire  quicon- 
fomment  beaucoup  de  vif-argent  ,  8c  rendent 
peu  d'argent.    Il  y  en  a  d'autres  qui  enconfom- 
ment  beaucoup ,  8c  rendent  beaucoup  d'argent, 
8c  d'autres  qui  confomment  peu  de  vif  argent, 
8c  rendent  peu  d'argent:&  félon  que  les  hommes 
rencontrent  en  ces  métaux  ,ain(i  ils  enrichiffent 
&  appauuriiïent  en  leur  traitte.  Combien  que  le 
plus  ordinairement  il  arriue,  que  tout  ainfi  com- 
me le  métal  riche  donne  plus  d'argent,  aufli  il 
conlomme  beaucoup  plus  de  mercure,  8c  le  pau- 
ure  au  contraire  ainfi  qu'il  donne  peu  d'argent,  il 
conlommeauilï  peu  de  vif-argent.  L'onpille  ôc 
meut  premièrement  le  métal  fort  menu,  auec 
des  maires  8c  inftruments  qui  frappent  &  pillent 
cefte  pierre  comme  des  moulins  à- tan,  &eftant 
le  métal  bien  pillé,  ils  le  fafeent  en  des  facs  de 
cuiurc,  qui  font  8c  rendent  la  poudre  aulîîdef- 
liée  8c  menue,  comme  ceux  qui  font  faits  de  foye 
de  cheual ,  8c  fàfcent  ces  iacs ,  lors  qu'ils  fonc 
bien  accommodez  8c  entretenus ,  trente  quin- 


--;•> 


HISTOIRE  NATVRELLE 
taux  en  vn  iour  &  vne  nuict,puis  l'on  met  la  pou- 
dre de  ce  métal ,  eftat  falïee  en  des  calions  de  bui- 
trones ,  où.  ils  la  mortifient  &  degraillent  auec  de 
la  laulmeure,  mettante  chaque  cinquante  quin- 
taux de  poudre  cinq  quintauxJeiel,  &  font  cela, 
•pource  que  le  Tel  delgraillc  ce  métal ,  &  le  fepare 
d'auec  la  terre  ik  i'ordure<"ni'il  a ,  afin  que  le  vif- 
argent  recueille  plus  Facilement, &:  attire  l'argét. 
Apres  ils  mettent  du  vif-argent  envn  lin^e  de 
Hollande  cru,  &  le  prelïent  &  expriment  fur  le 
métal, lortant  le  vif  argent  comme  vne  ro(ee,  en 
tournant  &  méfiant  touilours  cependant  le  mé- 
tal,  afin  que  celle  rolee  de  vif-argentfe  commu- 
nique à  tout.  Auparauantqu'ilsfeu  lient  inuente 
les  buitronesdefeu,  l'on  amatïoit&paiftnlloit 
plufieurs&diuerfes  foisle  métal  auec  le"  vif- ar- 
gent,dans  de  grandes  auges,  6c  le  lailloientainfi 
pofer  quelques  iours,  puis  retournoient  aie  re- 
mefler&pmnirer  vne  autre  fois,iufques  à  ce  qu'ils 
penfoient  que  tout  le  vif  argent  eftouja incor- 
poré auec  l'argent ,  ce  qui  tardoit  vingt  iours  & 
plus,&  quand  il  tardoit  peu,c'eu:oit  comme  neuf 
iours .  Du  depuis  l'on  defcouurit,  (comme  le  de- 
iir  d'acquérir  eft  diligent)  que  pour  abbreger  le 
"tompSjlefeuyaidoit  beaucoup  pour caufer que 
îe  vif  argent  recueillie  pluftoft  l'argent  ,&ainli 
ils  inucutcrentles  buitrones  oùl'onmettoitdes 
calles  pour  mettre  le  métal,  auec  du  fel  Se  du  vif- 
argent,  Se  par  délions  mettoient  le  feu  petit  à  pe  - 
tit  en  des  fourneaux  faits  exprès  par  delîbus  ter- 
re, Se  en  l'efpace  de  cinq  ou  fix  iours  le  vif  argent 
incorpore  à  foy  l'argent,  puis  quand  ilscognoil- 
fent  que  1«  mercure  a  tait  fon  4cuoir  ,  fçautfic 


DES    INDES.      HT.     IIII.  1 47 

qu'il  a  du  tout  alïcmblé  l'argent ,  fans  lai  (fer  rien 
arriere,&  qu'il  ('en  eft  imbu,  comme  lait  l'efpon- 
gc  de  i'eau'éjl'incorporant  auec  foy  ,&  le  feparan  t 
de  la  terre,du  plomb  &  du  cuiure,auec  IefqUels  il 
{'engendre,  puis  ils  le  tirent  &feparentdume£ 
me  vif-argent.  Ce  qu'ils  font  en  cefte  maniere:ils 
mettent  le  métal  en  des  chaudières  &vaiffeaux 
pleins  d'eauë,  ouauec  des  moulinets  ou  roues, 
vont  tournant  tout  à  l'entour  le  métal,  comme 
quiferoit  delà  mouftarde,  cVlors  vafortant  la 
terre  &  ordure  du  métal,  auec  l'eauë  qui  court, 
&Targent&  vif-  argent,  comme  plus  peiants  de- 
meurent au  fond  de  la  chaudière ,  Se  le  métal  qui 
demeure  eft  comme  du  fabie  :  de  là  ils  le  tirent  8c 
portent  lauervneautre  fois  auec  de  grands  plats 
de  bois  en  des  cuues  pleines  d'eauë,  Se  làilsache- 
uent  de  faire  tomber  la  terre  ,  Iailîànt  l'argent  Se 
vif-arget  feuls.  Toutesfois  il  ne  lailfe  pas  de  cou- 
ler quelquesfois  vn  peu  d'argent  Se  vif-argent, 
au ec la  terre  Se  ordure, Se  eft  ce  qu'ils  appellent 
relaué,  lequel  ils  approfitent  par  après,  &  en  ti- 
rent ce  qu'il  refte.  Âpres  donc  que  l'argent  &  vif- 
argent  font  nets,  Se  qu'ils  commencent  à  reluire, 
à  caufe  qu'il  n'y  refte  plus  de  terre,  ils  prennent 
tout  ce  métal,  lequel  eftan  t  mis  dans  vn  linge,  ils 
le  preflTent  Se  expriment  très  fort,&  par  ce  moye 
iort  tout  le  vif-argent ,  qui  n'eft  point  incorporé 
auec  l'argent ,  Se  demeure  le  refte  fait  comme  vn 
pain  d'argent ,  Se  vif  argent, ainfi  que  demeure  le 
marc  des  amandes,  quad  elles  font  preffeespour 
faire  de  l'huile ,  Se  eftant  ainfi  bien  prelîc  Je  marc 
qui  demeure  contient  en  foy  feulement  la  iixief- 
me  partie  d'argent,  &lescinqautresdemercure. 

Tiij 


HISTOIRE     MATVRELLE 
Tellement  que  fil  relie  vn  marcdefoixanteli- 
urcs,les  dix  font  d'argent,  &  les  cinquante  de  vif- 
argent. De  ces  marcs  ils  font  des  pines,  qu'ils  ap- 
pellenr,ou  pommes  de  pin,  en  la  façon  de  pains 
de  lucre ,crcufes  par  dedans,  lefquelles  ils  font 
ordinairement  de  cent  liures  pelant  ,  puis  pour 
feparer  l'argent  d'auec  le  vif-argent,  les  mettent 
au  feu  violent,  où  ilsles  couurcnt  d'vnvaze  de 
terre,à  la  façon  d'vn  moule  à  faire  les  pains  de  fu- 
cre,  qui  font  comme  capuchons ,  &c  les  couurant 
de  charbon,leur  donnent  le  feu,  par  lequel  le  vif- 
argent  f  exhale  en  fumee,&  rencontrant  ce  capu- 
chon de  terre,  làf  efpaifïit  &  diftilleainfi  que  fait 
la  fumée  de  pot  au  couuercle ,  &  par  vn  canal  en 
façon  d'alambic,  l'on  reçoit  tout  le  vif- argent 
quifcdiftille,  demeurant  l'argent  feul,  lequel  ne 
ie  change  en  la  forme  &  figure,  mais  au  poids  il 
diminué  de  cinq  parts  moins  qu'auparauant ,  & 
demeure  crefpu  cVfpongieux,  quieftvnechofc 
digne  de  voir.   De  deux  de  ces  pines  l'on  fait  vnc 
barred'argent  du  poids  de  foixante-cinqoufoi- 
xante  fix  mars ,  &  de  cette  façon  ils  la  portent  ef- 
fayer,qutnter&  marquer.    L'argent  tiré  auec  le 
mercure,  eft  fi  fin ,  que  iamais  il  n'abaiiîe  de  deux 
mil  trois  cens  quatre  vingts  d'alloy,  &  eft  fi  ex- 
cellent, que  pour  le  mettre  en  ceuure  les  orfeu- 
uresontbefoinde  l'abbaiffer  d'alloy,  en  y  met- 
tant delà foulde  ou meflange, comme aufîi  l'on 
fait  es  maifons  de  la  monnaye,  où  l'argent  fe  met 
en  œuurc  fous  le  coing.  L'argent  endure  tous  ces 
tourments  &  martyrs  (fil  Faut  dire  ain  Ci  )  pour 
cftre  afEné:que  Ci  l'on  côfidere  bien,  c'eft  vn  amas 
tout  formé  où  l'on,  meut,  l'on  fàfTe,  l'on  paiftrie, 


DES    INDES.       LIV.    1 1 1 1.  I  48 

l'on  fait  le  leuain,&  l'on  cuit  l'argent:  outre  tout 
cela,l'on  le  laue,rclaue,  cuit,&  recuitjpaflant  par 
les  pillons,facs.auges3buytrones,  chaudières,  ba- 
toirs,prcfïbirs,  fours,&  finablemcntpar  l'eauë  & 
par  le  feu. le  dis  cecy,  pource  que  voyant  cet  arti- 
fice en  Potozi ,  ie  confiderois  cequeditl'Efcri- 
ture  des  iuft.es,  que  coUbit  eos^  &purgabït  quafiar- 
gentum  :  Et  ce  qu'elle  dit  en  autre  part  :  fient  argen- 
tin purgatum  terra purgatum  feptuplum.  Tellement 
que  pour  purifier  l'argent ,  l'affiner  &  le  nettoyer 
de  la  terre  &  pierre  où  il  T'engendre^'on  le  purge 
&  purifie  feptfois  :  car  en  efifecfcils  le  tourmentée 
&  parlent  par  les  mains  fept  fois ,  voire  dauanta- 
ge,iufques  à  ce  qu'il  demeure  pur  &  fin,ce  qui  eft 
de  mefme  en  ladoctrine  du  Seigneur,  &  doiuent 
eftre  telles,&  ainfi  purifiées  les  âmes  qui  doiuent 
participer  &ioiïir  de  fa  pureté  diuine. 


Des  engins  à  moudre  les  métaux  y&  de 
l'ejjay  de  l'argent. 


CHAP.     XIII. 


Ovr  conclure  cefte  matière,  &  fujecT:  de 
l'arget  6c  des  metaux,il  nous  refte  deux  cho- 
fes  à  dire ,  l'vne  defquclles  eft  de  traitter  des  en- 
gins &  moulins,&  l'autre  des  elTais.I'ay  défia  dit, 
comme  l'on  meut  le  metalpour  receuoir  le  vif- 
argent,laquelle  moulure  fe  fait  auec  diuers  in- 
ûrumes  &  engins,  les  vns  auec  des  cheuaux  com- 
me des  moulins  à  bras  ,  &  les  autres  comme 
moulins  à  eau'è ,  defquelles  deuxfortes  y  a  vne 
grande  quantité.  Mais  d'autant  que  l'eauë  qu'ils 

T  iiij 


il 


HISTOIRE  NATVRELLE 
ont  là  communément  n'eft  que  de  la  pluye,  il  n'y 
en  a  pas  fuftifamment  en  Potozi ,  qu'en  trois  ou 
quatre  mois, qui  font  en  Décembre,  Ianuier,  Fe- 
urier,pour  celle  occafion  ils  ont  fait  des  lacs  Se 
eftangs  qui  contiennent  de  circuit  comme  mil  &: 
fîx  cens  verbes.  Se  de  profondeur  trois  ftades .  il  v 
en  a  fept  auec  leurs  eiçlufes, tellement  que  quand 
il  eft  befoin  d'eauë,  l'on  leue  vneeiclufe  d'où  fort 
vn  ruiilèau  d'eauë,  lequelsils  referrent  aux  feftes. 
Et  quand  les  Lacs  Se  eftangs  fe  remplirent,  Se  que 
l'année  eft  abondante  en  pluyes,  le  moudre  y  du- 
re fix  ou  fept  mois,de  façon  que  mefme  pour  l'ar- 
gent les  hommes  défirent  Se  demandët  vne  bon- 
ne année  d'eaues  en  Potozi ,  comme  l'on  fait  aux 
autresendroitspourlepain.Ily  a  d'autres  engins 
enTarapaya,quieft  vne  vallée diftante trois  ou 
quatre  lieues  de  Potozi ,  où  il  court  vue  riuiere, 
comme  mefme  en  d'autres  endroits.  La  diuerfitc 
qui  eft  entre  ces  engins,  eft  que  les  vns  font  de  fix 
pillons, les  autres  de  douze,  Se  les  autres  de  qua- 
torze. L'on  meut  &  pille  le  métal  en  des  mortiers 
oùiour  Se  nuid  ils  trauaillent ,  &  de  là  l'on  porte 
cequieftmoulu  pourfaéeer.  Ily  a  auriuagedu 
jsuifleau  de  Potozi  quarante- hui&inftrumens  Se 
engensàcaucdehuicl:,dix&  douze  pillons,  Se 
quarte  autres  de  l'autre  coftè  ,  qu'ils  appellent 
Tanacognugno,  en  lavalieedcTarapaya,yena 
vingt- deux  tous  à  eauë, outre  lefquels  y  en  a  tren- 
te àcheual  en  Potozi,&  plufieursautres  en  d'au- 
tres endroits,  tant  a  efté  grand  &  eft  encor  le  defir 
&induftrie  de  tirer  l'argent  :  lequel  finalement 
eftcffayé&efprouuc  parles  maiftres  à  ce  depu-' 
tezpat  le  Roy  .Pour  donner  l'alloy  à  chaque  pie- 


DES     INDES.       1IV.    II  II.  I49 

ce  l'on  porte  les  barres  d'argent  i  l'elTàyeur ,  qui 
met  à  chacune  Ton  numéro ,  pource  que  Ton  luy 
en  porte  plu  (leurs  à  la  fois,  il  coupe  de  chacune 
vu  petit  morceau, lequel  il  poifeiuftement,  &  le 
metenvn  creufet, qui  eftvn  petit  vafe  fait  de  cè- 
dres dos  brûliez  &  battus,  puis  il  pofetous  ces 
erçulets  chacun  en  (on  ordre  au  fourneau  ,  leur 
donnant  le  feu  violent, lors  le  métal  fe  fondj&rce 
qui  eft  plomb  fe  refout  enfumée  ,&Iecuiure  & 
eftain  fedilîbluent,  demeurant  l'argent  très- fin 
de  couleur  de  feu:  &eft  vue  chofemerueilleufe, 
que  quand.il  eft  ainfi  r'afliné,  encor  qu'il  (oit  li- 
quide &  fondu, il  ne  f'efpand  point,quoy  que  l'on 
rennerfe  le  creufet  la  bouche  en  bas,  mais  ilde-^ 
meure  toujours  fixe,&  (ans  en  tomber  vne  gout- 
te. L'eflayeur  recognoift  en  la  couleur  Se  antres 
figues  quand  il  eft  affiné,  &  lors  il  tire  les  creuiets 
du  feu  ,  Se  repefe  délicatement  chaque  morceau, 
regarde  ce  qu'il  eft  diminué  deion  poids ,  pource 
que  celiiy  qui  eft  de  haute  loy  diminue  peu,&  ce- 
luy qui  eft  déballe  loy  beaucoup,  8c  ainfi  félon 
qu'il  eft  diminué  il  void  l'alloy  qu'il  tien*,  fuiuat 
quoy  il  marque  pundtualement  chaque  barre.  Le 
poids  évballancc  font  Ci  délicats,  Se  les  grains  (i 
menus, que  l'on  ne  les  peut  prendre  auec  la  main, 
mais  feulement  auec  des  pincettes,  Se  fait- l'on 
cet  efïày  à  lalumiere  de  la  chandelle,afin  qu'il  n'y 
ait  aucun  air  qui  lace  mouuoir  les  balances:  car 
de  cepeudefpedïeprix&  valeur  de  toutcla  bar- 
re.   C'eft  à  la  vérité  vne  chofe  délicate,  &:  qui  re- 
quiert vne  grande  dextérité ,  dequoy  mefmc  Pai-  pp/\<y . 
delafaincteEfcriturecn  diners endroits, partie  prom.17. 
pourdeclarer  dequellefaçon  Dieu  efprouue  les  17- 


-■;'\ 


Trott.i. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
fîens ,  &  pour  noter  &  remarquer  les  différences 
Hterem.6.  des  mérites  &  valeur  destines,  où  au  Prophète 
Hieremie  Dieu  donne  le  tiltre  d'elfayeur,  afin 
qu'il  cognoifle  &  déclare  ia  valeur  fpirituelle 
des  hommes  &  de  fesccuurcs,  qui  eft  vn  propre 
négoce  de  l'efprit  de  Dieu,  cftant  celuyquipefe 
l'efprit  des  hommes.  Nous  nous  contenterons 
de  ce  qui  eft  dit  fur  le  fuject  de  l'argen^metaux  & 
mines ,  &  paierons  aux  deux  autres  mixtes  pro- 
pofez,  qui  font  les  plantes  &  animaux. 


Des  Efmeraudcs. 
c  H  A  P.    XI  I  II. 

g#A  L  ne  fera  pas  hors  de  fujeâ  de  direquclquc 
«JUS  chofe  des  EfmeraudeSjtant  pource  que  c  eft 
vue  chofe  precieufe  comme  l'or  &  l'argent,donc 
nous  auons  traitté, que  pource  qu'ils  viennent  & 
prennent  leur  origine  mefme  des  mines  &des 
vUn.lib.  metaux,ainfi  que  raconte  Pline.  L'efmeraude  a 
37c-5-  efté  anciennement  en  grande  eftime  ,  comme  le 
mefme  autheur  eferit,  &  luy  donnoit-on  le  troi- 
fiefme  lieu  entre  les  ioyaux  &  pierres precieu- 
fes,  feauoir  après  le  diamant  &  la  perle.  Auiour- 
d'huy  l'on  n'eftimeplus  tant  l'efmeraude,  ny  la 
perle  ,  pour  la  grande  abondance  que  l'on  a  ap- 
portée des  Indes  de  ces  deux  fortes  de  pierres ,  & 
n'y  a  que  le  diamant  feul  qui  retienne  &  demeure 
en  fa  principauté ,  laquelle  on  ne  luy  peut  ofter. 
Apres  viennent  en  eftime  les  rubis  fins  8c  les  au- 
tres pierres,  que  l'on  tient  plus  precieufes  que 
les  eimeraudes.  Les  hommes  font  tan:  amis  des 


DES      INDES.       LIV.    IIII.         l^O 
fingularitcz  &  des  chofes  rares  ,  que  ce  qu'ils 
voyenteftre  commun  ils  ne  l'eftiment  plus. L'on 
raconte  d'vn  Efpaguol  qui  au  commencement 
de  la  defcouuerte  des  I  udes  fut  en  Italic,&  mon- 
ftra  à  vn  lapidaire  vue  efmeraude,auquel  deman- 
dant le  prix  d'icelle,  après  que  le  lapidaire  l'eut 
regardée  de  près  de  bien  confédérée  comme  elle 
eftoit  d'vne  excellente  qualité  8c  figure ,  re/pon- 
dit  qu'elle  valloit  cent  ducats.  Il  luy  en  monftra 
vne  autre  plus  grande  que  le  lapidaire  eftima 
trois  cents  ducats.  L'Efpagnol  cftantenyurc  de 
ces  proposée  mena  en  Ton  logis,  &  luy  en  mon- 
ftra vn  caflbn  tout  plein  :  lors  l'Italien  voyant  vn 
Ci  grand  nombre  de  ces  efmeraudes,dit;MÔn"eur, 
celles- là  vaudront  bien  vn  efeu  la  pièce.  Ileneft 
aduenu  autant  es  Indes  8c  enEfpagne,  que  ces 
pierres  ont  perdu  leur  valeur ,  pour  la  grande  ri- 
cheflTe&  abondance  d'icelles  qui  ("yen  efttrou- 
uee.    Pline  raconte  plusieurs  excellences  descf-  vlin.Ub. 
meraudes ,  entre  lefquelles  il  dit,qu'il  n'y  a  chofe  57*c.  5- 
plus  agréable  ny  plus  falubre  à  la  veuë,enquoy  il 
araifon.    Mais  ion  authorité  importe  peu,  pen- 
dant qu'il  y  en  aura  telle  abondance.  LctliaRo-  p  in-tb-9' 
maine,de  laquelle  il  raconte  qu'en  vn  fcofHon  8c 
veftement  brodé  de perles&cfmeraudes,elle em- 
ploya la  valeur  de  quatre  cens  mil  ducats ,  pour- 
roitauiourd'huy  auec  moins  dequarante  mil  en 
faire  deux  paires  tels  que  celuy-là.Il  C'en  eft  trou- 
uéendiuerfes  parties  des  Indes,  8c  les  Roys  de 
Mexique  les  eftimoient  beaucoup,voire  auoient 
açcouftumè  queiques-vns  de  fe  percer  les  narines 
8c  d'ymettre  vne  exccllete  eimeraude  Ils  les  met- 
toient  aux  vifages  de  leurs  idoles,  mais  le  lieu  où 


-tVj 


HISTOIRE     NATVRELLE 
Ton  en  a  trouuc  &c  C'en  trouue  encor  auiourd'huy 
plus  grande  abondance  ed  au  nouueàu  royaume 
de  Grenade, &:  au  Peru, proche  de  Manta,  8c  porc 
vieil.    Il  y  a  vers  ce  lieu  vn  terrouer  qu'ils  appel- 
lent terre  des  efmeraudes,  pour  la  cognoilïance 
que  l'on  a  qu'il  y  en  a  beaucoup,  encor  que  inf- 
cjues  auiourd'huy  l'on  n'apoint  conquefté  celle 
terre.   Les  efmeraudes  naiifent  en  des  pierres  en 
forme  de  cry (taux ,  &  les  ay  veues  en  la  melme 
pierre  ,  qu'ils  vont  comme  y  formant  vue  veine, 
Ôc  comme  il  (emble  fe  vôt  peu  à  peu  efpaiflilTant 
&  affinant.  Pourceque  i'en  veids  quelques-  vncs 
quieftoientmoitié  blanches, &  d'autres  ja  toutes 
vertes  &c  parfaites  du  tout,  l'en  ay  veu  quelques- 
vnes  de  la  grandeur  d'vne  noix,  &  fen  trouue  de 
plusgrandes:mais  ie  n'ay  point  fecu  qu'en  noftre 
temps  l'on  en  ait  trouuc  de  la  grandeur  &  figure 
du  plat  ou  ioyau  qu'ils  ont  à  Gennes,  qu'ils  efti- 
n.ct  auec  raifon  pour  ioyau  de  grand  prix,&:  non 
pas  pour  relique, puis  qu'il  n'apparoift  point  que 
cefoitvnerehque,mais  cft  le  contraire.  Neant- 
vl'm.Ub.    moins,fanscomparaifon,cequeTheophra(tera~ 
îj.cap.i.  conte  de  refmeraude,que  le  Roy  de  Babylone 
prefentaau  Roy  d'Egypte,furpa(Te  celle  de  Gen- 
nes. Or  elle  auoit  quatre  coudées  de  long,&  trois 
de  large,  Se  dit  qu'au  temple  de  Iupiter  il  y  auoit 
vue  elguille,ou  pyramide ,  faite  de  quatre  pierres 
d'efmeraudes,de  quarante  coudées  de  long,  &en 
quelquesendrons  de  quatre  coudées  de  large,  & 
de'deux  en  d'autres  endroits,  de  que  de  fon  temps 
il  y  auoit  à  Tyr,au  temple  d'Hercules,  vnpillier 
d'efmeraude.    Il  edoit  parauanture,  comme  dit 
Pline,de  pierre  verte,  qui  tiroitfur  l'eimeraude, 


MMgMK'v 


DES    INDES.    Lï  V.    III.  I  )I 

&  l'appelloicntefmeraude  faillie:  comme  quel- 
ques-vns  veulent  dire  que  certains  pilliers  qui 
font  en  l'Eglife  cathedrallede  Cordoiie,fontde 
pierre  d  ef  rtTeraude,&  y  (ont  depuis  le  temps  que 
elle  fut  mefquitte  des  roys  Miramamolins  Mo- 
res ,  qui  régnèrent  en  icelle.  En  la  flotte  de  mil 
cinq  cents  quatre  vingts  lept ,  en  laquclleie  vins 
des  Indes, ils  apportèrent  deux  calions  d'efmc- 
raudes,  dont  chacun  pefoit  pour  le  moins  quatre 
arrobes,  d'où  Ton  peut  voir  l'abondance  qu'il  y 
eu  a.  LEIcritnre  faincle  célèbre  les  efmeraudes, 
comme  ioyaux  fort  précieux  ,  on  la  mec  entre  les 
pierres  precieules,  que  le  grand  Pontife  portoit 
en  fonenhod, ou  pectoral ,  comme  celles  qui  or- 
noientlejmursdcîacelefte  Hieruialem. 


Exoi.zy. 
39- 


Des  V rrk s. 


CHAP.     xv. 


x?»\  Aintenajit  que  nous  traittonsdelaprinci- 
(H-*  pale  richeile  que  l'on  apporte  des  Indes,  il 
n'elt  pas  raiionnable  d'oublier  les  perles ,  que  les 
anciens  appelloient  marguarites ,  &c  eftoientaux 
premiers  temps  en  fi  grande  eftime, qu'il  n'appar- 
tenoit  qu'aux  perfonnes  royales  à  en  porter,mais 
auiourd'huy  ilyenatelleabondace,quelesNe- 
greilèsmefmes  en  portent  des  chaines.  Ellesfen- 
gendrent  es  couches  ou  huiftres  de  la  mer,  aucc 
leur  chair ,  &  m'eft  arriué  mangeant  des  huiftres, 
d'y  trouuer  des  perles  au  milieu.  Ces  huiftres  sot 
par  dedan  s  d'vne  couleur,comme  de  ciel,  fort  vi- 
ve: &  en  quelques  endroits  l'on  en  fait  des  cuil- 
lieres,  qu'ils  appellent  de  nacre.  Lespecles(font 


..-;•*/ 


HISTOIRE  NATVRïLLt 
de  très  différentes  rbrmes,cn  la  grandeur,  figure, 
couleur  &  poliiîeure,  comme  auflïen  leur  prix 
elles  différent  beaucoup.  Ils  appellent  lesvnes 
Aue  marias,  pour  eftre  comme  les  petits  grains 
du  chappelet,Ies  autres  patcnoftres,  parce  qu'el- 
les font  grolfes.  Peu  fouuent  l'on  en  trouue  deux 
qui  foient tout d'vnegradeur,  forme  &  couleur. 
Pour  cette  occatlon  les  Romains  (félon  qu'eferit 
Pline)lesappelloientVnions.  Quand  il  aduienc 
que  l'on  en  trouue  deux,  qui  ferelfemblcnt  du 
tout,ils  haulTent  beaucoup  de  prix,  fpecialement 
pour  des  pendants  d'oreiile.I'enay  veu  quelques 
paires  qu'ils  eftimoient  à  milliers  de  ducats,  en- 
cor  qu'elles  ne  flirtent  pas  de  la  valeur  des  deux 
perles  deClcopatra,deiquelles  Pline  raconte  que 
chacune  valloit  cent  mil  ducats,  auec  lefquelles 
cefte  folle  Roine  gaigna  la  gageure  qu'elle  auoit 
faite  contre  Marc  Antoine  degafter&defpen- 
feren  vn  fouper  plus  décent  mil ducats,d'autant 
que  fur  ledeUertellemit  vnedeces  perles  en  de 
fort  y  inaigre,  puis  après  la  perle  eftantdirtbute 
aueclevin-aigre,ellelabeut  ainfi.  llsdifencque 
l'autre  perle  fut  coupée  en  deux,  &mife au  Pan- 
théon de  Rome,  aux  pendants  d'oreille  delà  fta- 
tuc  de  Venus.  Efope  raconte  de  Clouis,fils  du  ba- 
fteleur  ou  comédien,  qu'en  vn  banquet  il  fit  pre- 
fenter  aux  conuiez  entre  les  autres  mets,  à  cha- 
cun vne  perle  riche,diflbulte  en  vinaigre , afin  de 
rendre  la  fefte  plus  magnifique.  Ce  font  eftédes 
folies  de  ce  temps  là,  mais  celles  d'auiourd'huy 
ne  font  pas  moindres,  attendu  que  nous  voyons 
non  feulement  les  chapeaux  Se  les  cordons,  mais 
aufïï  les  botines,  &  les  patins,dcs  femmes  de  baf- 


DES  INDES.  LIV.  III I.  If2 
fe  condition,  cftre  tous  femcz  &  brodez deper- 
les.  L'owpefche  des  perles  en  diuers  endroits 
des  Indes ,  mais  la  plus  grande  abondance  eft  en 
la  mer  du  Sud,  proche  du  Panama,  où  font  les 
ifles  qu'ils  appellent  pourcefteoccafion  lesifles 
des  perles.  Mais  l'on  en  tireauiourdhuy  enla 
mer  du  Nort  en  plus  grande  quantité  Se  de  meil- 
leures ,  qui  eft  proche  de  la  riuiere ,  qu'ils  appel- 
lent de  la  Hache.  leveidslà  comme  l'on  en  fai- 
foit  la  pefche,qui  fe  fai  t  auec  allez  de  couft ,  8c  de 
trauaildes  pauuresefclaucs,  lefquelsfe  plongent 
fix,  neuf,  voire  douze  brades  en  la  mer,  à  cher- 
cher les  huiftres,  lelquelles  ordinairement  font 
attachées  aux  rochers, &  grauier  de  la  mer.Ils  les 
arrachent  de  là,'&fen  chargent  pour rcuenir  fur 
l'eauë,  &  les  mettre  en  leurs  canoes,où  ils  les  ou- 
urent  après  pour  en  tirer  le  threfor  qu'ils  ont 
dedans.  L'eau'è  de  la  mer  eft  en  cet  endroit  tres- 
froide,  mais  encor  ce  leur  eft  beaucoup  plus  grad 
trauail  de  retenir  leur  haleine  quelquesfois  vn 
grand  quart  d'heure,  voire  demie  heure,  enfai- 
iàntleurpefche.  Etafin  que  ces  pauuresefclaues 
puifïent  mieux  retenir  leur  haleine ,  ils  leur  font 
manger  des  viandes  feches  ,  &  encor  en  petite 
quantité,  tellement  que  lauarice  leur  fait  faire 
cesabftinences  &:  continences  contre  leur  vo- 
lonté. L'on  met  des  perles  eu  œuure  en  diuerfes 
façons,&  les  perce-on  pour  faire  des  chaines ,  ôc 
y  en  a  ja  grand  abondâce  en  quelque  lieu  que  ce 
foir.  En  l'an  mil  cinq  cens  quatre  vingts  fept  ic 
veids  au  mémoire  de  ce  qui  venoit  es  Indes  pour 
leRoy,qu'il  y  auoiti8.  marcs  deperles,&  encore 
trois  caiîbns  dauantage.  Et  pour  les  particuliers, 


Ufci 


HISTOIRE    NATVRELLE 
ilyenauoit  mil  deux  cens  foixante,  &  quatre 
marcs ,  &:  outre  tout  cela  fept  fachets ,  qui  n'e- 
ftoient  point  pezez,ce  que  l'on  euft  tenu  en  autre 
temps  pour  fable. 


Du  Vain  des  Indes ,  c>:'  du  7\l.iyx. 
c  H  A  P.     XVI. 

n$T{)  Aiiuenant  pour  traitter  des  plantes, nous 
:£&£•:  commencerons  à  celles  qui  font  propres  Se 
particulières  es  Indes ,  &  puisapres  de  celles  qui 
ion  t  communes  aux  Indes,&  à  l'Europe.  Et  pour 
ce  que  les  plantes  omette  créées  principalement 
pour  l'entretien  de  i'homme,&  que  la  principale 
dont  il  prend  nourriture  eft  le  pain, il  fera  bon  de 
dire  quel  pain  îly  a  aux  Indes^ic  dequoy  ils  vfenc 
àfamed'iceluy.  Ils  ont  comme  nous  auonsicy, 
vu  nom  propre,  par  lequel  îlsdefigncnt  &  iigni- 
fientlcpains  qu'ils difent au  Peru ,  Tança, ôc  en 
d'autres  lieux  d'vne  autre  façon.  Mais  la  qualité 
&  fubftance  du  pain  dont  ils  vfoientaux  Indes, 
eftehofe  fort  différente  du  noftrc,pource  qu'il 
nefe  trouuequ'ily  cuit  aucun  genre  de  froment, 
ny  orge,ny  mil, ny  de  ces  autres  grains  dont  l'on 
fe  fert  en  Europe  à  faire  du  pain:au  lieu  de  cela  ils 
yfbient  d'autres  fortes  de  grains  &c  racines,  entre 
lcfquelslemaystientle  premier  lieu  ,&auec  rai- 
ion  le  grain  qu'ils  appellent  mays.que  l'on  ap- 
pelle en  Caftille  bled  d'Inde ,  &c  en  Italie  grain  de 
Turquie.  Etainiicommelefromenteille  plus 
commun  grain  pour  l'vfage  des  hommes,  es  ré- 
gions de  l'ancien  monde,  qui  font  Europe,  Afie, 
&  Afrique;  Ainfi  aux  endroits  du  nouueau  mon- 
de, le 


DES    INDES.     LIV.    IIII.  I  5  3 

<îe ,  le  grain  de  mays  eft  le  plus  commun ,  &  qui 
prefque  f'eft  trouue  en  tous  les  royaumes  des  In- 
des Occidentales,  comme  au  Peru,cn  laneufuc 
Efpagne,  au nouueau  royaume,  en  Guatimalla, 
en  Chilien  toute  la  terre  ferme  ferme.  le  ne 
trouue point  qu'anciennement  es  ifles de Barlo- 
uente,qui  font  Cubajfain&DominiqueJamayc- 
que,&  faind  Iean ,  ils  vfallent  du  mays  ;  amour- 
d'huy  ils  vfent  beaucoup  de  Yuca,&  Caçaui,de- 
quoy  nous  traitterons incontinent.  le  nepenfe 
point  que  le  grain  de  mays  foit  inférieur  au  fro- 
ment en  force  ny  en  fubftance,  mais  il  eft  plus 
chaud  &  plus  grofïicr,&  engendre  beaucoup  de 
fang,  d'où  vient  que  ceux  qui  n'y  font  point  ac- 
couftumez ,  f'ils  en  mangent  trop,ils  deuiennenc 
enflez  Se  rongneux.il  croift  en  des  cannes,ou  ro- 
feaux,  chacun  defquels  porte  vne  ou  deux  grap- 
pes, aufquelles  le  grain  eft  attaché  :&  combien 
que  le  grain  en  foit  alFez  gros,  Ci  eft-ce  qu'il  C'y  en 
trouue  en  grande  quantité ,  tellemct  qu'en  quel- 
ques grappes  i'ay  conté  fept  cents  grains.    Il  le 
faut  femer  à  la  main  vn  à  vn,&:  non  pas  efpars.  Il 
veut  la  terre  chaude  &  humide,  &  en  croift  en 
plufieurs  lieux  des  Indes  en  fort  grande  abon- 
dance. Et  n'eft  point  chofe  rare  en  ces  pays  de  re- 
cueillir trois  cents  fanegues  ou  mciures  d'vnc 
feule  de  femence.  Ilya  de  la  différence  entre  le 
mays,  comme  il  y  en  a  entre  le  froment  :  l'vn  eft 
gros  &  fort  nourriflant ,  &  l'autre  petit  &  fec, 
qu'ils  appellent  Moroche.  Les  fucilles  &  la  can- 
ne verjte  du  mays  eft  vn  manger  fort  propre  pour 
les  mulles&  pour  lescheuaux,  &l«ur  fertaufli 
de  paille  quand  elle  eft  fechc:  le  grain  en  eft  de 

V 


Mi 


HISTOIRE     NATVRE1LE 
plus  de  fubftance  &  nourriture  pour  les  cheuaux 
que  n'eft  pas  l'orge.    C'eft  pourquoy  ils  ont  ac- 
couftuméences  pays  défaire  boire  les  belles  a- 
uant  que  leur  donner  à  manger.  Car  C\  elles  beu- 
uoient  après,  ce  feroit  pour  les  faire  enfler ,  com- 
me elles  feroient  ayant  mangé  du  froment.   Le 
mays  eft  le  pain  des  I  ndes,&  le  mangent  commu- 
nément boiiilly  ainfi  en  grain  tout  chaud,&  l'ap- 
pellent Mote  ,  comme.les  Chinois  &  Iappons 
mefme  mangent  le  ris  cuit  auec  fon  eauë  chaude, 
quelqucsfois  le  mangent  rofty.  Il  y  a  du  mays  rod 
&  gros  comme  celuyde  Lucanas}queles  Efpa- 
gnols  mangent  rofty  comme  viande  delicieufe, 
ôc  a  meilleure  fàueur  que  les  buarben  fes  ou  pois 
roftis.il  y  a  vne  autre  façon  de  le  manger  plus  de- 
licieufe, qui  eftde  moudre  le  mays,  &  en  ayant 
amalféla  fleur ,  en  faire  de  petits  tourteaux  qu'ils 
mettent  au  feu ,  qu'on  a  accouftumé  de  pref  enter 
touschaudsàlatablc.    En  quelques  endroits  ils 
les  appellent  Arepas.  Ils  font  mefme  de  celle  pa- 
rle des  boulles  rondes,&  les  accouftrent  d'vne  fa- 
çon ,  qu'ils  durent  &feconferuent  long  temps, 
les  mangeans  comme  vn  mets  délicieux.  Ils  ont 
inuentéaux  Indes  (  pour  friandife&  délices)  vne 
certaine  façon  de  paftez  qu'ils  font  decefte  pafte 
&  fleur  auec  du  fiicre,  lefquels  ils  appellent  bif- 
cuits,&  mellindres.    Lcmaysne  fert  pas  feule- 
ment aux  Indiens  de  pain,mais  auflï  il  fert  de  vin: 
car  ils  en  font  leurboiiîbn,  de  laquelle  ils  Pcn- 
yurentpluftoft  que  devin  de  raifins.  Ils  font  ce 
vin  demays  en  diuerfes  façons,i'appellans  ait  Pe- 
ru  Acua ,  &  pour  le  nom  le  plus  commun  es  In- 
uCSjCIiicha.  Le  plus  fort  fc  fait  en  façon  de  cer  • 


■■■■■■HHHI 


DES    INDES.      LIV.     1 1 1 1.         I  54 
uoifc,mettant  tremper  premièrement  le  grain  de 
mays  iufquesàcequ'il  lecreue  ,  par  après  ils  le 
cuifent  d'v  ne  telle  façon,  &  deuient  fi  fort  qu'il 
en  faut  peu  pour  abbatre  fon  homme.  Ilsappel- 
Ientceftuy-îà  au  PeruSora,  &c  eft  vn  breuuage 
défendu  par  la  Loy ,  à  caufe  des  grands  inconue- 
niens  qui  en  prouiennent  enyurant  les  hommes. 
Mais  cefte  loy  y  eft.  mal  obferuee ,  d'autant  qu'ils 
ne  lai  lient  point  d'en  vfer,  ains  patfentles  nuicfcs 
&c  les  iours  entiers  à  en  boire  en  dancans  &  bal- 
lans.  Pline  raconte  que  cefte  façon  de  breuuage,  vjin  ^ 
qui  eftoit  de  grain  trempé  &  cuit  par  après  ,auec  l4.f.n. 
lequel  on  f  enyuroit,eftoit  anciennement  en  via- 
ge  en  Efpagne,  en  France  &  end'autresprouin- 
ces,  comme  auiourd'huy  en  Flandres  ils  vient  de 
laceruoifefaitede  grain  d'orge.    Il  y  a  vue  autre 
faço  de  faire  l' Acua  ouChicha,qui  eft  de  mafeher 
le  mays,  &  faire  du  leuain  de  ce  qui  a  cfté  ainfi 
mafché,apres  le  faire  bouillir ,  voire  eft  l'opinion 
des  Indiens,  que  pour  faire  de  bon  leuain  il  doit 
cftremafché  par  des  vieilles  pourries ,  ce  qui  faic 
mal  au  cœur  a  Fouit  feulement,  toutesfois  ils  ne 
laiiîènt  pas  de  le  boire.  La  façon  la  plus  nerte,  la 
plus  faine,  5c  qui  fait  moins  de  dommage  eft  de 
roftirce  mays, qui  eft  celle  dont  vient  les  Indiens 
les  plus  ciuiliiez ,  &  quelques  Efpagnols  mefme 
pour  medecinercar  en  cffecl:  ils  trouuent  que  c'eft 
yne  fort  falubre  boiiFon  pour  les  reins,  d'où  vient 
qu'es  I  ndes  à  peine  fetrouue-il  aucun  ^ui  fe  plai- 
gne de  ce  mal  de  reins ,  à  caufe  de  ce  qu'ils  boiucc 
de  ce  chicha.Les  Efpagnols  &Indiés  magét  pour 
friadii  c  ce  inays  boiiilly  ou  rofty ,  quâd  il  eft  ten- 
dre en  Cà  grappe  côme  laicfc,ils  le  mettent  au  poc, 

Vij 


r~JLL:<_. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
&en  fontdesfaulfes,quie(tvn  bon  manger.  Les 
rejettons  du  mays  font  fort  gras,  8c  feruent  au 
lieu  de  beurre  8c  d'huile,tellement  quele  mays  es 
Indes  fert  aux  hommes  Se  aux  belles  de  pain ,  de 
vin  &  d'huile.  Pour  celle  raifon  le  Viceroy  Dom 
Francifque  de  Tollede  difoit  que  lePeru  auoic 
deux  choies  riches ,  &  de  grande  nourri  tuie ,  qui 
cftoientlemays&lebeftialdupays.  A  la  vérité 
ilauoitraifon,  d'autant  que  ces  deux  choies  y 
feruent  de  mil.  le  demanderay  pluiloft  que  ie  ne 
refpondray,d'où  a  efté  porté  le  premier  mays  aux 
Indes ,  Se  pourquoy  ilsappelleten  Italie  ce  grain 
tant  profitable,  grain  de  Turquie  ?  Car  à  la  vérité 
icnctrouue  point  que  les  anciens  facent  men- 
tion de  ce  grain,  combien  que  le  mil  (  que  Pline 
eferit  cftre  venu  de  l'Inde  en  Italie,  y  auoitdix 
ans  lors  qu'il  efcriuoit  )  ait  quelque  rellem- 
blanccaueclemay*  ,  en  ce  qu'il  dit  que  c'eft.  vu 
grain  qui  naift  en  rofeau,  &  fe  couurc  de  (à  fueil- 
Ic,ayant  le  coupeau  comme  des  cheueux,&  en  ce 
qu'il e(l fertile.  Toutes  lefquelles  chofes  ne  fc 
rapportent  pas  au  mil.  Enfin  le  Créateur  ade- 
party&  donné  à  chaque  région  ce  qui  luycftoit 
necelîàire.  A  ce  continent  iïa  donné  le  froment, 
qui  eft  le  principal  entretenement  des  hommes, 
6c  au  continent  des  Indes  il  a  donné  le  mays,qui 
tient  le  fécond  lieu  après  le  froment,  pourl'en- 
tretenement  des  hommes  8z  des  animaux. 


DES      INDES.      LIV.    1 1 1 1. 


M5 


Des  Yucœs,  Cacaut,  Vitp&s,  Chtmes,  &  ait  B^ts. 

C  H  A  P.     XVII. 

N  quelques  endroits  des  Indes  l'on  vfed'vn 
S  genre  de  pain  qu'ils  appellent  Caçaui,  le- 
quel te  fait  d'vne  certaine  racine  qu'ils  appellent 
Yuca.  L'yuca  eft  vne  grade  8c  grotte  racine  qu'ils 
coupent  en  petits  morceaux,  la  râpent,  puis  la 
mettanscômecnvneprefle  ils  l'efpreignëtpour 
en  faire  vne  tourte  defliee  &  grande ,  de  la  forme 
prefque  d'vne  targue  ou  bouclier  de  More ,  puis 
après  ils  la  font  lécher ,  &  eft  le  pain  qu'ils  man- 
gent. C'eft  vne  chofe  fans  gouft ,  mais  qui  eft  fai- 
ne^ de  bone  nourriture.  Pour  cefte  raifon  nous 
diflons  (eftans  à  fàinct  Dominique  )  que  c'eftoit 
le  propre  manger  des  gourmads ,  car  l'on  en  peut 
manger  beaucoup, fans  craindre  quel'excez  en 
face  mal. Il  eft  befoin  d'humecter  la  Caçaue  pour 
la  manger,d'autant  qu'elle  eft  afprc,  &  l'humecte 
facilement,  aucc  de  l'eauë  ou  du  potage, où  elle 
eft  fort  bonne,  ponree  qu'elle  Penfle beaucoup, 
de  ainfiiîsenfontdes  capirotades.  Maisellefe 
trempe  mal  aifément  en  du  laid  ny  en  du  miel 
de  Canes,  ny  en  du  vin,  parce  que  les  liqueurs  ne 
la  peuuent  pénétrer,  comme  ils  font  le  pain  de 
froment. Il  y  a  de  cefte  Caçaue  l'vne  plus  délicate 
que  l'autre,  qui  eft  celle  que  l'on  fait  delà  fleur, 
qu'ils  appellét  xauxau,lâquelle  ils  eftiment  beau- 
coup en  ces  parties  là.  Quant  à  moy  i'eftimerois 
dauantage  vn  morceau depain  ,  quelque  dur  & 
noir  qu'il  peuft  eftre.  C'eft  chofe  merueilleufe 
que  le  fuc  oueau'c  qui  fort  de  cefte  racine,  lorf 

V  iij 


~-yV 


HISTOIRE  NATVRELI.E 
qu'ils  l'efpreignent  ainfi ,  8c  qu'ils  font  la  cacaue, 
eft  vn  venin  mortel,&fi  l'on  en  boitil  occit,mais 
1  e  marc  qui  en  relie  eft  vn  pain  8c  nourriture  fort 
faine,comme  nous  auons  dit.  Il  y  a  vn  autre  gen- 
re d'yuca  qu'ils  appellent  doux,  qui  n'a  pas  ce  ve- 
nin en  Ton  fuc,ceftuy -là  fe  mage  en  racine,bouil- 
ly  ourofty  ,&eft  vn  bon  manger.  La  Caçauc  le 
conferue  long  temps,aufli  la  porte- on  fur  mer  en 
lieudebifeuit.  Le  lieu  là  où  l'onvfedauantage 
de  ce  pain  eft  aux  ifles  qu'ils  appellent  de  Barlo- 
uente ,  lefquelles  font  (  comme  nous  auons  dit) 
fainct  Dominique,Cuba,Port-riche,Iamayque, 
ôc  quelques  autres  de  ces  enuirons:à  caufe  que  la 
terre  de  ces  Ifles  ne  rapporte  point  de  froment, 
ny  demays.  Car  lors  quej'ony  feme  du  froment, 
il  y  vient  bien,&  naift  quant  8c  quant  en  fort  bel- 
le verdure,  mais  c'eft  fi  inégalement  que  l'on  ne 
peut  le  recueillir,  pource  que  d'vne  mefme  fe- 
mence  &  en  vn  mefme  temps  i'vn  eft  en  tuyau,  ôc 
l'autre  en  efpy ,  8c  l'autre  qui  ne  fait  que  germer: 
l'vneft  grand,  &  l'autre  petit:  l'vn  n'eft  que  de 
l'herbe,  8c  l'autre  eft  défia  en  grain:  &  combien 
quel'on  y  ait  mené  des  laboureurs  pour  voir  fris 
ypourroientvferde  l'agriculture  du  bled  ,  fieft- 
ce  qu'ils  n'y  ont  trouué aucun  moyen  de  ce  faire, 
pour  la  qualité  de  la  «erre.  L'on  y  apporte  de  la 
farine  de  la  neufue  Eipagne  ou  des  Canaries ,  la- 
quelle eft  fi  humide  qu'à  peine  en  peut-on  faire 
du  pain  qui  foit profitable ,  8c  de  bon  gouft.  Les 
hofties  quand  nous  diiions  la  Méfie  feplioient, 
comme  i\  c'euft  efté  du  papier  mouillé ,•  ce  qui  eft 
caufé  par  l'extrême  humidité  8c  chaleur  qu'il  y  a 
fout  enfemble  en  celle  terre. Il  y  a  vn  autre  extre- 


DES    INDES.     LIV.    III I.  I  e  6 

me  &  contraire  à  ceftuy-cy,  qui  eft  qu'en  quel- 
ques endroits  des  Indes  il  n'y  croift  de  mays ,  ny 
de  froment,  comme  eft  le  haut  de  la  Sierre  du  Pe- 
ru,&  les  prouinces  qu'ils  appellent  de  Colao, 
qui  eft  la  plus  grande  partie  de  ce  royaume ,  où  la 
téperature  eft  fi  froide  &  fi  feche  qu'elle  ne  peut 
endurer  qu'il  y  croifie  du  froment  ny  du  mays,au 
lieu  dequoy  les  Indiens  vfent  d'vn  autre  genre  de 
racines  qu'ils  appellent  Papas ,  lefquelles  fout  de 
la  façon  de  turmes  de  terres  qui  font  petites  raci- 
nes^ jettent  bien  peu  defueilles.  Ils  cueillent 
ces  Papas ,  Se  les  lailîent  bien  fecher  au  Soleil, 
puis  les  pillans ,  en  font  ce  qu'ils  appellent  Chu- 
no,  qui  feconfcrueainfiplufieursiours,  &c  leur 
fèrt  de  pain. Il  y  a  en  ce  royaume  fort  grande  trai- 
te de  ce  Chuno,  pour  porrer  aux  mines  de  Poto- 
zi:  l'on  mange  mefme  ces  Papas  ainfi  fraifehes 
bouillies  ou  rofties ,  &c  des  efpeccs  d'icelles  y  en 
adeplusdoucc&  qui  croift  es  lieux  chauds,dont 
ils  font  certaines  faulfes  &  hachis  qu'ils  appel- 
lent Locro.    En  fin  ces  racines  font  tout  le  pain 
decefte  terre,  tellement  que  quand  l'année  en  eft 
bonne,ilsi7en  refiouiflenc  fort,pouree  que  allez 
fouuent elles  fe  gèlent  dedans  la  terre,  tant  eft 
grand  le  froid  &  intemperature  decefte  région. 
Ils  apportent  les  mais  des  vallées  ,  &  de  lacofte, 
ou  riue  de  la  mer,  Se  les  Efpagnols  qui  f  onefriads 
font  apporter  des  mefmes  lieux  de  la  farine  de 
bled,laquellefeconferue  bien  c^fenfaùdebon 
pain,à  caufeque  la  terre  eft  feche.En  d'autres  en- 
droits des  Indes ,  comme  es  ifles  Philippines ,  ils 
fc  feruët  de  ris  au  lieu  de  pain,  dot  il  y  en  croift  de 
fort  exquis,  &  en  grande  abondâce  en  toute  cefte 

V  iiij 


Mi 


HISTOIRE    NATVRELLE 
terre,&  en  la  Chine ,  où  il  eft  de  bonne  nourritu- 
rc,ilslecuifcntendespourcellaines,  6c  après  le 
méfient  tout  chaud  auec  Ton  cauë  parmyles  au- 
tres viandes:  ils  font  mefmede  ce  ris  en  beau- 
coup d'endroits  leur  vin ,  &  breuuage ,  le  faifan  c 
tremper,&:  puis  bouillir,  comme  l'on  fait  la  biè- 
re en  Flandres,  ou  l'Acua  au  Peru.   Le  ris  eft  vne 
viande  qui  n'eft  gueres  moins  commune,&  vni- 
uerfelleen  tout  le  monde  que  le  froment,  6c  le 
mays,&  parauantureencorl'eft-il  dauantage:car 
outre  ce  qu'ils  en  vfent  en  la  Chine,au  Iappon,és 
Philippines ,  &  en  la  plus  grande  partie  de  l'Inde 
Orientale,  c'eft  le  grain  qui  eft  le  plus  commun 
en  Afrique,  &  en  Ethiopie.  Le  ris  demade  beau- 
coup d,humidité,&  prefque  vne  terre  toute  rem- 
plie d'eau'é  ,  comme  vne  prairie.  En  Europe,au 
Peru,&  en  Mexique,  où  ils  ont  Pvfage  du  bled, 
l'on  mange  le  ris,pourvn  mets&  viande,&non 
cas  pour  pain ,  &  le  cuif  ent  auec  du  laicl ,  ou  du 
bouillon  du  pot,ou  d'vne  autre  manière.    Le  ris 
Ieplus  exquis  eft  celuy  qui  vient  des  Philippines 
&  de  la  Chine,comme  il  a  efté  ja  dit ,  6c  cecy  fuf- 
fife  pour  entendre  généralement  ce  que  l'on  ma- 
ge es  Indes  au  lieu  du  pain. 


De  diuerfes  racines  qui  croijfent  es  Indes. 

CHAP.      XVIII. 

5g  O  m  b  i  e  n  que  la  terre  de  deçà  foit  plus  a- 
&#k  bondante  6c  plus  fertile  en  fruicts  qui  croifl 
fent  fur  lr  terre ,  à  caufe  de  la  grande  diuerfité  des 
arbres  frui&iers  ,  6c  des  iardinages  que  nous 
auons  :  ncantmoins  quant  aux  racines  &  autres 


DES    INDES.       LIV.    II II.  I  57 

cnofes  croiflans  defîbuz  la  terre,  dont  l'on  vie 
pour  viande,  me  femble  qu'il  y  en  a  plus  grande 
abondance  par  delà.  Car  de  ces  efpeces  de  plan  - 
tes,nous  auons  bien  icy  véritablement  des  raues, 
des  naueaux,des  paftenades,des  chicorecs,des  ci- 
boules ,  des  aux,  &  quelques  autres  racines  pro- 
fitables :  mais  en  ce  pays  là  il  y  en  a  de  tant  diuer- 
fes  fortes,  queie  ne  les  pourray  conter.  Celles 
de/quelles  maintenant  il  me  fouuient,  outre  le 
Papas,qui  cft  le  principal ,  il  y  a  les  ocas,yanoco- 
cas,camotes,vatas,xiquimas,yuca,cochucho,ca- 
ui,totora ,  mani  ,  &  vne  infinité  d'autres  efpeces, 
comme  de  patattres,  lefquelles  on  mange  com- 
me vne  viande  délicate  &  fauoureufe.  L'on  a  de 
mefme  apporté  aux  Indes  des  racines  de  pardecà, 
lefquelles  ont  cela  de  plus,qu'elles  y  profitent  Se 
fructifient  dauantage  que  ne  font  pas  les  plantes 
des  Indes  quand  elles  font  apportées  en  Europe, 
lacaufeeneft,  comme  iecroy,  d'autant  que  par 
delà  il  y  a  plus  de  diuerfitez  de  température  que 
non  pas  par  deçà,  pour  raifon  dequoy  ileftaiie 
d'efleuer  &c  nourrir  les  plantes  en  ces  régions ,  ôc 
de  les  accommoder  à  la  température  quelles  re- 
quièrent. Etmefmeles  racines Sclesplantes  qui 
y  croiilèntjfansyauoirefté  portées,  y  font  meil- 
leures que  par  dcçàjcar  les  oignons,les  aulx,&  les 
paftenades  ne  font  pas  telles  en  Efpagne  qu'elles 
font  au  Peru  :  pour  les  naueaux,  ils  y  font  en  fi 
grande  abondance,  qu'ils  ont  augmenté  en  quel- 
ques endroits  de  telle  façon ,  que  l'on  m'a  affer- 
mé qu'ils  n'y  pouuoicnt  efpuifer  l'abondance,  & 
force  des  naueaux  qui  y  pulluloient  ainfi ,  pour  y 
femerdubled.  Nous  auons  veu  allez  de  fois  des 


~-yV 


HISTOIRE  NATVRELLE 
rauesplusgroflesquele  bras  d'vn homme,  fort 
tendres  &  de  bon  gouft,&  de  ces  racines  que  i'ay 
dites,quelques-vnesfei:uent  pour  viande  &Y  man- 
ger ordinairCjCÔme  les  camotes,lefquelles  eftans 
rofties,feruent  de  fruiét,ou  de  légumes.  Il  y  en  a 
d'autres  qui  leur  feruent  de  délices, comme  le  co- 
chucho,qui  e(l  vne  petite  racine  douce,que  quel- 
ques-vns  confident  pour  plus  grande  delicatelfe. 
Il  y  a  d'autres  racines  qui  font  propres  pour  ra- 
fraifchir,comme  la  xiquima ,  qui  eft.  d'vne  quali- 
té fort  froide  &  humide,  &  en  temps  d'Efté  ra- 
fraiiehit,  cv' eftanche  la  foif  :mais  les  papas  &les 
ocas  iont  les  principales  pour  lanourriture  &c 
fubftance.  Les  Indiens  efliment  l'ail  fur  toutes 
les  racines  de  l'Europe,  &  le  tiennent  pour  vn 
fruict  de  grande  efficace.  Enquoy  ils  n'ont  pas 
faute  de  rai  Ion  ,  pource  qu'il  leur  conforte  &  ei- 
chauffe  l'eftomachjà  caufe  qu'ils  le  mangent  d'vn 
appe<-iî.,&  ainfi  crud,  comme  iHbrt  delà  terre. 

De plufieursfortes  de  -verdures ,  &  légumes,  &  de  ceux 
qu'ils  appellent  concombres,  pi  nés  3ou  pommes  de  pin., 
pctitsfruich  de  Cbillc,  <y  des  prunes. 

CHAT.     XIX. 

ÇyKSVis  que  nous  auons  commencé  parles 
j&S  moindres  plantes  ,  ie  pourray  toucher  en 
peu  de  paroles  ce  qui  concerne  les  verdures  & 
les  porces,&  ce  quêtes  Latins  appellent  Arbuila, 
fans  toucher encor  lié  des  arbres.  Ily  aquclques 
genres  de  ces  atbr  idéaux ,  ou  verdures  aux  Indes, 
qui  lonr  de  fort  bongouft.  Les  premiers  Efpa- 
gnols  nommèrent  beaucoup  de  chofes  des  Indes 


■m* 


■Mai 


DES    INDES.       tir.    III I.         158 
des  noms  d'Efpagne,prins  des  chofesàquoyils 
rcllembloicnt  le  pluSjComrac  les  pincs, concom- 
bres^ les  prunes,combien  que  ce  fuirent  à  la  vé- 
rité des  fruiefo  diuers  &  fort  différents, (ans  com- 
parai (on, de  ceuxd'Efpagne,qui  Rappellent  ain  fi. 
Lespines  ou  pommes  de  pin  font  de  la  mefme 
façon  ôc  figure  extérieure  que  celle  de  Caftille: 
mais  au  dedans  elles  différent  du  tout  ,  pource 
qu'elles  n'ont  point  de  pignons  ,  ny  d'efcailles, 
mais  le  tout  y  eft  vne  chair,  que  l'on  peut  man- 
ger,qnand  l'efcorce  en  eft  dehors ,  &  eft  vn  fruict 
qui  a  l'odeur  fort  excellai  te, &"  eft  fort  fauoureux 
ôc  délicieux  au  gouft.il  eft  plein  de  fuc  ,  &  a  la  fa- 
neur d'aigre-doux,  ils  le  mangent  l'ayant  coupé 
en  morceaux ,  &  laifTé  tremper  quelque  temps 
eudel'eanë&  dufel.    Quelques-vnsdifent qu'il 
engendre  la  cholere,  &que  l'vfage  n'en  eft  pas 
tropfain.    Mais  ie  n'en  ay  point  veu aucune  ex- 
périence qui  le  puiffe  faire  croire.  Elles  naifTent 
vne  àvne,  comme  vne  canne  ou  tige  qui  fort 
d'entre  plufieursfueilleSjCommelelys,  combien 
qu'elle  foitvn  peu  plus  grande,  ôc  plus  grofTe. 
Le  haut  ôc  coupeau  de  chaque  canne  eft  la  pom- 
me, elle  croift  en  terres  chaudes  &  humides  ,  ôc 
les  meilleures  font  celles  desifles  de  Barlouentc. 
Il  n'en  croift  point  au  Peru,  mais  l'on  y  en  ap- 
porte des  Andes,  lefquellestoutesfois  ne  font  ny 
bonnes, ny  bien  meures.    L'on  prefenta  vne  de 
ces  pines  à  l'Empereur  Chailes,qui  dcuoit  auoir 
donné  beaucoup  depeine&  de  foucy  à  l'appor- 
ter des  Indes  ainfiauec  fa  plante:  caronnel'euft 
peu  autrement  apporter  :  toutesfois  il  n'en  vou- 
lut pas  efprouuer  le  gouft.  I'ay  veu  enlaneufue 


--:"*.► 


HISTOIRE     NATVRELLE 
Efpagnedelaconferue  de  ces  pines,  qui  eftoic 
fort  bonne.   Ceux  qu'ils  appellent  concombres 
ne  font  point  arbres  non  plus,  mais  feulement 
des  arbrilfeaux,  parce  qu'ils  n'ont  qu'vn  an  de 
durée.    Ils luy donnèrent  ce  nom,  pource  que 
quciqucs-vns  de  ces  frui£ts,&Iaplus  part,  font 
en  longueur  &  en  rondeur  femblables  aux  con- 
combre d'Efpagne,  mais  au  refte ils  font  beau- 
coup differens ,  parce  qu'ils  n'ont  pas  la  couleur 
verde,maisviolette,oujaulne,ou  blanche,  &ne 
font  point  cfpineux,ny  fcabreux ,  mais  fort  vms 
&  polis,  ayans  le  gouft  très-  différât  &  trop  meil- 
leur que  le  concombre  d'Efpagnc:  car  ils  ontvn 
aigre-doux  fort  fauoureux  quand  ils  font  meurs, 
combien  que  cefruiér  n'ait  pas  le  gouft  fi  aigre 
comme  la  pine.  Ils  iont  fort  frais, pleins  de  IUC>& 
defaciledigeftion,  &  en  temps  de  chaleurfonc 
propres  pour  rafraifehir.   L'on  en  ofte  l'efeorec 
qui  eft  blanche,  &  tout  ce  qui  refte  eft  chair.   Ils 
croiiTent  en  vue  terre  tempérée,  &  veulent  eftre 
arroufez:  &encorque  pour  lareflemblanceils 
les  appellent  concombres,  il  y  en  a  beaucoup 
ncantmoins  qui  font  ronds  du  tout,  &  d'autres 
de  différente  façon  ,  tellement  qu'ils  n'ont  pas 
mefme  la  figure  des  concombres.  Il  ne  me  fou- 
mçntpoint  auoirveu  de  cefte  forte  de  plante  en 
laneufue  Eipagnc,ny  aux  ifl.\s,mais  bien  aux  La- 
nos  du  Peru.     Ce  qu'ils  appellent  petit  fruict  de 
Chillé  cil  de  mefme  fort  plai  fant  à  manger,  Se  ti- 
re prefque  au  gouft  de  cerifes ,  mais  en  tout  lerc- 
fte  il  cft.  fort  different,d'autant  que  ce  n'eft  pas  vn 
aibrc,inais  vne  herbe ,  qui  croift  peu,  &  f'efpand 
fur  la  terre ,  jettant  ce  petit  fruict,qui  en  couleur 


DES     INDES.       LIV.    1 1 II.         159 
&"  crains  relïemblequafi&'  approche  des  meures 
quand  elles  fontblancheSjencoreàmeurirjbien 
que  ce  frnict.  foie  plus  rude  &  plus  grand  que  les 
meures.  Ilsdifetu  que  ce  petit  finict  fetrouue 
natmellem  en  taux  champs  de  Chillc,ou  l'y  en  ay 
veu.    L'on  la  (eme  de  plantes  &  de  branches  ,& 
croift  comme  vn  autre  arbrilîeau.  Ce  qu'ils  ap- 
pellent prunes,  font  véritablement  fruicts d'ar- 
bres ,  &'  ont  plus  de  reilemblance  que  les  autres 
aux  vrais  prunes. Il  y  en  a  de  diuerfes  fortes,dont 
ils  appellent  les  vues  prunes  de  nicaragua,qui 
font  fort  rouges  &  petites,  8c  ont  fort  peu  de 
chair  au  delUis  du  noyau  ,  mais  le  peu  qu'ils  tien- 
nent eft  d'vn  gouft  exquis3&d'vn  aigret  aufïi  bon 
ou  meilleur  que  celuy  des  ceriies.  L'on  eftime  ce 
fruict  eftre  fort  fain ,  qui  caufe  que  l'on  le  donne 
aux  maladeSjfpccialemcnt  pour  prouoquer  l'ap- 
pétit, ïl  y  en  a  d'autres  grandes  &  de  couleur  ob- 
feure ,  qui  ont  beaucoup  de  chair,  mais  c'eft  vn 
manger  grofîîer,&de  peu  de  gouft,qui  font  com- 
me Chauacanas,  lefquels  ont  chacun  deux  ou 
trois  petits  noyaux.    Or  pour  reuenir  aux  ver- 
dures &  porees,  ie  ne  trouue  point  que  les  Indics 
euGTcntdesiardinsde  diuerfes  plantes  &  porees, 
mais  qu'ils  cultiuoient  la  terre  en  quelques  en- 
droits feulemct  pour  les  légumes,  dont  ils  vfent, 
comme  ceux  qu'ils  appellent  Frifollcs  ôc  Palla- 
res, qui  leur  fert  comme icy  de  guarbences ,  feb- 
ues,oulentilles,(Sc  n'ay  point  recogneu  que  ceux 
cy  ny  autres  genres  de  légumes  d'Europe f  y  foiec 
trouuez  auant  que  les  Efpagnols  y  entraflent, 
leiquels  y  ont  porte  des  plantes  &  légumes  d'Ef- 
pague,quiy  croiflent  6c  multiplient  fort  bien, 


-•;•** 


HISTOIRE  NATVRELLE 
voire  en  quelques  endroits  ils  excédent  beau- 
coup la  fertilité  de  par  deçà.Comme  fi  nous  par- 
lions des  melons  qui  croi  lient  en  la  vallée  de  Yu- 
caau  Pei"u,de!quels  la  racine  fc  fait  tige ,  qui  dure 
plufieurs  annees,portant  chacune  des  melons,&: 
l'accommodent  comme  fi  c'eftoitvnarbre,  cho- 
fequeieneiçAchepoint  qui  foiten  nullepartie 
d'Elpagne.Mais  c'eftvneautremonftruofitcquc 
les  callabalïes  ou  citrouilles  des  Indes ,  en  la  gra- 
deur  qu'elles  on  t,comme  elles  croi(Ient,ipecia- 
lement  celles  qui  font  propres  &:  particulières 
du  pays,qu'ils  appellent  Capalios.  Lesquelles  ils 
mangent  le  plus  iouucntcnCarefme  ,  bouillies 
ou  accommodées  en  vue  autre  faulec.  Ilyamil 
différences  de  genres  de  callabaifes.-carquelques- 
vnes  font  tant  difl  ormes  pour  leur  gradeur,qu'ils 
tout  de  leur  efcorce,eftant  coupée  par  le  milieu 
&  nettoyée,  comme  des  paniers  où  ils  mettent 
toute  la  viande  pourvu  diiher.  Desautres  peti- 
tes ils  en  font  des  vales  pour  manger,  ou  boire 
dedans,  &  les  accommodent  fort  proprement, 
pour  pluiieurî  &  diu.^rs  vfages.  I'ay  dit  cecy  des 
petites  plantes,  nous  dirons  maintenat  des  gran- 
des,où  nous  parlerons  de  l'Axi ,  qui  neantmoins 
eil  encordes  petites. 

De  Ï^Axi  ou  poutre  d'Inde. 

GHAP.      XX. 

'iû  '®n na Pomc  trouué es  1  ndes Occidentales 


WÊt  aucune  efpiccrie  qui  leur  fnft  propre  &  par- 
ticulicre,commepoiure,clou,  canelle,  mufeade, 
ou  gingembre  :  iaccic  qu'vn  frere  de  noUre  corn- 


DES    INDES.       LIT.    II U*  1 6*0 

pagnie,  qui  a  voyagé  en  beaucoup  &diuers  en- 
droits, nous  ait  recité  qu'en  des  defertsde  Tille 
Iamaycque,ilauoittrouué  des  arbres  oùcroif- 
ioitdu  poinre.  1^4ais  i'onn'eft  point  encor  cer- 
tai  n  que  c'en  (oit,  &  n'y  a  point  meime  de  traittc 
de  ces  efpiceries  aux  Indes.  Le  gingembre  fut 
porté  de  l'Inde  à  l'Eipagnole,  &ya  multiplié  de 
telle  façon, que  l'on  ne  fçauroit  auiourd'huyque 
faire  du  grand  nombre  qu'il  y  en  a.  En  la  flotte  de 
l'année  mil  cinq  cens  quatre  vingts  fept,  l'on  ap- 
porta vingt- deux  mil  cinquante  trois  quintaux 
de  gingembre  à  Seuille  :  mais  l'efpiccrie  naturel- 
le que  Dieu  a  donné  aux  Indes  Occidentales  ,eft 
ce  que  nous  aopcllons  en  Caftille,  poiure  des  In- 
des,&  aux  Indes  Axi,  parvn  mot  gênerai ,  prtns 
de  la  première  terre  des  ifles  qu'ils  conquefte- 
rent.  lleftdit  en  langue  de  Cufco  Vchu  ,  &  en 
celle  de  Mexique  ,  'Chili.  Celle  plante  eft  défia 
fortcogneu'è,  parquoy  i'en  diray  !peude  chofe, 
feulement  l'on  doit  entendre  qu'anciennement 
entre  les  Indiens  elle  eftoit  fort  eftimee,  &en 
portoien  taux  endroits  où  elle  ne  croiiloit  point, 
comme  vne  marchandife  de  confequence.  Elle 
ne  creift  pas  es  terres  froides ,  comme  en  la  Sier- 
reduPeru:  mais  aux  vallées  chaudes,  oùellseft 
fouuent  arroufee.  Il  y  a  de  cet  Axi  de  diuerfes 
coulcurs^'vn  eft  vert  ,  rvnrouge  ,  &  l'autre  de 
couleur  jaulne,&  y  en  ad'vne  forte  de  fort  cau- 
ûique,  qu'ils  appellent  Caribe ,  qui  eft.  extrême- 
ment afpre  &  poignant ,  5c  d'autre  qui  n'a  point 
cefteafpreté ,  mais  au  côtraire  eft  fi  doux  que  l'on 
le  peut  manger  feul ,  comme  vn  autre  fruict.  Il  y 
en  à  qui  eft  fort  menu  &  odoriferât  en  la  bouche, 


HISTOIRE  NATVRELLE 
quafi  comme  d'odeur  demufc,  &  efttrcs-bon. 
Cequieftafpre&  poignant  en  cet  A  xi,  font  les 
veines  &  la  graine  feulement  :  car  le  relie  ncl'eft 
point,  attendu  qu'on  le  mange  vert  &  fec , entier 
&  broyé  au  pot,&  en  des  faulces,car  c'eft  la  prin- 
cipale iaulcc,&  toute  l'efpicerie  des  Indes.  Quad 
cet  axi  eft  prins  modérément ,  il  aide  &  conforte 
l'eftomach  pour  ladigeftiô  :  mais  fi  l'on  en  prend 
trop,il  a  de  mauuais  effects ,  pource  que  de  foy  il 
eft  fort  chaud,  fort  fumeux  ,&  fort  penetratif, 
d'où  vient  que  l'vfage  en  eft  preiudiciablc  à  la 
faute  des  ieunes  gens  ,  principalement  de  l'ame, 
d'autant  qu'il  prouoque  àla  fcnfualité ,  &  eft  vne 
chofe  eftrange,  que  combien  que  le  feu  &  la  cha- 
leur qui  eft  en  luy  foit  allez  cogncu'c* ,  par  l'expe- 
rieuce  que  tous  en  font,  veu  que  chacun  dit  qu'il 
brufle  en  !abouchc,&  en  l'eftomach ,  neâtmoins 
quelques-  vus,  voire  plu  (leurs  veulent  maintenir 
quelepoiure  d'Inde  n'eft  pas  chaud,  mais  qu'il 
cil  froid  &  bien  tempéré.  Mais  ie  leur  pourrois 
dire  qu'il  en  feroit  tout  autant  dupoiure,  encor 
qu'ils  m'amcnallent  toutes  les  expériences  qu'ils 
voudroient  de  l'vn  &  de  l'autre.  Toutesfois  c'eft 
vnemoquerie  de  dire  qu'il  n'eft  point  chaud,  veu 
qu'il  l'eft  extrêmement.  L'on  vfe  du  tel  pour  tem- 
pérer l'axi,  d'autant  qu'il  a  grandeforce  de  le  cor- 
ri"er,&  fe  modèrent  ain  fi  l'vn  l'autre,  par  la  con  - 
trarietéquieftentr'eux.  llsvfentaufli  de  Toma- 
tes, qui  font  froids  &  bien  fains.  Ccft  vn  genre 
de  grain  qui  eft  gros,&  plein  de  fuc ,  lequel  don- 
ne bon  gouft  à  la  (àulce,  ôc  font  bons  aulïi  à  man- 
ger .Il  fctrouue  de  ce  poiure  d'Inde  vniuerfelle- 
met  en  toutes  les  Indes,  ôc  Iilcs,  neufuc  Efpagne, 

Peru, 


DES      INDES.      LlV.    IIII.  l6l 

J?eru,&  en  tout  le  refte,  qui  eft  defcouucrt ,  telle  - 
ment  que  comme  le  mays  eft  legrain  le  plus  gê- 
nerai pour  le  pain,  ainfi  Taxi  eft  l'elpicericja  plus 
commune  pour  les  faulces. 


Du  flâne. 


CHAP.     XXI. 


En  a  nt  aux  grandes  plantes  ,  ou  aux  ar- 
bres,le  premier  des  Indes  duquel  il  eft  con- 
uenablè  parler  eft  le  Plane  ou  Platano,comme  le 
vulgaire  l'appelle.  I'ay  efté  quelque  temps  en 
doute  fi  le  plane,  que  les  anciens  ont  célébré,  & 
celuy  des  Indes  eftoit  vne  mefme  efpece  :  ceftuy- 
cy  bienconfideré,  &  ce  qu'ils  efcriuent  de  l'au- 
tre, il  n'y  a  point  de  doute  qu'ils  ne foient  de  di- 
uerks  efpeces.  La  caufe  pourquoy  les  Espagnols 
l'ont  appelle  plane  (  car  les  naturels  n'auoienc 
point  de  tel  nom  )  a  efté  comme  es  autres  arbres, 
pour-autant  qu'ils  ont  trouué  quelque  reifem- 
blance  de  l'vn  à  l'autre ,  en  la  mefme  façon  qu'ils 
ont  appelle  prunes, pines ,  amandes,  &  concom- 
bres,des  choies  fi  différentes  à  celles  qui  en  Ca- 
flille  font  appellees  de  ces  noms.  Lachofe  en 
quoy  ilmeiemble  qu'ils  trouuerent  plus  de  réf. 
femblancc  entre  ces  planes  dçs  Indes ,  &  les  pla- 
nes qu'ont  célébré  les  anciens,  a  efté  en  la  gran- 
deur des  fucilles  :  pource  que  ces  planes  les  ont 
très-grandes  &c  tres-fraifches,&:  les  anciens  les 
ont  tant  cftimez  aufli  pour  celle  grandeur ,  8c  et- 
ftc  fraifeheur  de  leurs  fucilles.  C'eft  aufli  vne  pla- 
te quia  befoing  de  beaucoup  d'eau'ë,  ôc  prelque 
continuellem«nt:ce  qui  f  accorde  auecl'Èfcritu- 

X 


--;"** 


HISTOIRE  NATVRELLE 
lccl.14.  re,qui  dit:  Comme  le  VUne  auprès  des  caux.  Mais  à  la 
vérité  il  n'y  a  non  plus  de  comparaifon  ny  de  ref- 
femblance  del'vne  à  l'autre,  non  plus  qu'il  y  a, 
comme  dit  le  prouerbe ,  de  l'œuf  àla  chaftaigne. 
Carpremieremétle  plane  ancien  ne  porte  point 
defruic-t,au  moins  ils  n'en faifoient  pointd'eftat, 
mais  la  principale  occafion  pourquoy  ils  l'efti- 
moient,eftoità  caufedefon  ombrage,parce  qu'il 
n'y  auoit  non  plus  de  foleil  deilous  vn  plane,qu'il 
y  a  delîous  vne  couuerture.  Au  contraire ,  la  rai- 
fon  pourquoy  l'on  le  doit  eftimer  en  quelque 
choie  es  Indes,  voire  en  faire  beaucoup  d:eftat,eft 
a  caufede  Ton  fruiét ,  qui  eft  très- bon ,  car  d'om- 
brage ils  n'en  ont  aucunement.  D'auantage ,  le 
plane  ancien  auoit  le  tronc  Ci  grand  ,  &  lesra- 
?lmMb.  i.  meaux  ^  cfpars,  que  Pline  raconte  d'vn  Licinius, 
m/m.  Capitaine  Romain, lequel  accompagné  dedix- 
huict  de  Ces  compagnons ,  print  fa  refeclion  fore 
ài'aife  dans  le  creux  d'vn  de  ces  planes.  Et  de 
l'Empereur  CaiusCaligula,qui  faiTit  luy  &vnze 
conuiez  fur  le  haut  des  rameaux  d'vne  autre  pla- 
ne ,  &  là  leur  fit  vn  fuperbe  banquet.  Les  planes 
des  Indes  n'ont  point  de  tels  crcux,troncs,  ny  ra- 
meaux. Il' dit  dauantage  que  les  anciens  planes 
croillbient  en  Italie  5c  en  Efpagne,combic qu'ils 
yeulîentefté  apportez  premièrement  de  Grèce, 
&auparauantdel'Aiie:  mais  les  planes  des  In- 
des ne croiflent  point  ny  en  Italie,  ny  en  Efpa- 
gne.  le  ày  qu'il  ny  croiflTent  point,car  encor  que 
l'onenaitveu  quelques  vns  à  Scuille  au  iardin 
du  Roy,ils  n'y  croiflent,&:  n'y  vallcnt  rien. Fina- 
lement la  chofeenquoy  ils  trouuent  de  la  re£- 
icmblance  entre  l'vn  &  l'autre  eu;  fort  différence. 


DES    INDES.     LI V.    II1I.  1 

Car  iaçoic  que  la  fueille  deccs  planes  anciens  fac 
grande ,  toutesfois  elle  n'eftoic  pas  telle.ny  fèm- 
blable  à  ceux  qui  fontésIndes,veu  que  Pline  l'ac-  ?■  * 
copare  à  la  fueille  d'vne  vigne,  ou  de  figuier.  Les 
fueilles  du  plane  desIndes  iont  d'vne  merueillcu- 
ie  grandeur ,  Se  font  prefque  iuftiiantes  pou  cou- 
urir  vn  homme  des  pieds  iulques  à  lateitc ,  telle- 
ment qu'aucun  nepeutmettreen  doute  qu'il  n'y 
ait  grande  différence  encre  l'vn  Se  l'autre.  Mais 
polè  le  cas  que  ce  plane  des  Indes  ioic  difTerëd  de 
l'ancien,  poar  celail  n'en  mérite  pas  moindre 
loiiange>mais  peut  eftre  encor  d'anantage,  à*  cau- 
fedesproprietez  rantvtiles  &profirahlesquila 
enluy.  C'cftvne  plante  qui  fait  vn  cep  dedans  la 
terre,duquel  forcent plufieurs  rejectonsdiucrscx: 
fepareZjlans  eftre  ioints  enfemble.  Ces  rejetions 
croillent  &  grom*(îcnt,faifanc  prefque  chacun  vn 
arbritieauàpart,&:  en  croilîant  ils  jettêt  ces  fueil- 
les qui  font  d'vn  verd  fin,&  li{Ië3&  delà  grandeur 
que  i'ay  dite. Quand  il  eu  creu,comme  de  la  hau- 
teur d'vne  ftade &  demie ,  ou  de  deux ,  il  jette  vu 
feul  rameau  ou  grappe  de  fruict,auquel  il  y  a  quel 
quesfois  grand  nombre  de  ce  fraict,  &  quelques- 
fois  moins.  l'en  ay  conté  en  quelques- vns  de  ces 
rameaux  trois  cens,donc  chacun  auoit  vne  paul- 
me  de  long,plus  ou  moins1,  Se  «doit  gros  comme 
de  deux  ou  trois  doigts,bicn  qu'il  y  ait  beaucoup 
de  différence  en  cela  ,  entre  les  vns  Se  les  autres. 
L'on  en  ofte  la  coque,ou  efeorce ,  tout  le  refte  eft 
vne  chair  ,  ounoyauferme  ,  &  tendre  ,  qui  eft 
bon  à  manger ,  fàin  &  de  bonne  nourriture.  Ce 
f  ruict  incline  vn  peu  plus  à  froideur  qu'à  chaleur. 
Ils  ont  accouftume  de  cueillir  les  rameaux  ,  ou 

Xij 


--:•*» 


HISTOIRE  NATVR.ELI,  E 
grappes  que  i'aydit,  eftans  verds,&  les  mettre 
en  des  vai fléaux  où  elles  fe  meuri  fient, eftans  bien 
couuertes,fpecialcment  quand  ily  ad'vne  cer- 
taine herbe  quifertà  cet  erFect  :  fi  Ton  les  laiile 
meurir  en  l'arbre  ,  ils  en  ont  meilleur  gouft,  & 
vne  odeur  très-bonne ,  comme  de  camoiilès ,  ou 
pommes  douces.  Ils  durent  prefque  tout  le  long 
del'annee,à  caufe  qu'il  y  a  toufiours  des  rejettons 
quinailîentdececep ,  tellement  que  quand  l'vn 
acheue ,  l'autre  commence  à  donner  fruiâ: ,  l'vn 
eft  à  demy  parcreu,&  l'autre  commence  à  jeteon 
ner  dcnouueaUjde  façon  que  lesvnsfuccedcnt 
aux  autres,  &  ainfi  y  a  toufiours  du  fruict  toute 
l'année  durant.  En  cueillant  la  grappe  ils  coupent 
lerejetton,  d'autant  qu'il  n'en  jette  point  plus 
d'vne,ny  plus  d'vne  fois ,  mais  comme  i'ay  dit,  le 
cep  demeure  &  rejette  continuellement  de  nou- 
ueauxrejettonsjiufquesàcequilfelallèj&vieil- 
lifle  du  tout.  Ce  plane  dure  quelques  années ,  & 
demande  beaucoup  d'humidité,  &  vne  terre  fore 
chaude.Ils  luy  mettent  de  la  cendre  au  pied,pour 
le  mieux  entretenir,  &  en  font  des  bocqueteaux 
fort  efpaix ,  qui  leur  font  de  grand  profit  &  reue- 
m^pourcequeceûlefruid  dont  l'on  vfeleplus 
es  Indes,  &c  y  eft  prefque  vniuerfellement  com- 
mun en  tous  endroits  ,iaçoit  qu'ils  difent  que 
fon  origine  foit  venue  de  l'Ethiopie. Et  à  la  venté 
les  Nègres  en  vfent  beaucoup ,  &  en  quelques 
endroits  Pcn  feruët  au  heu  de  pain ,  voire  en  font 
du  vin.  L'on  mange  ce  fruicl;  de  plane  tout  cru 
comme  vn  autre fruict,  Ton  le  roftit meime,&  en 
fait-on  plufieurs  fortes  de  potages ,  voire  des  cô- 
ferucs ,  8c  en  toutes  ces  chofes  il  Raccommode 


DES  INDES.  II V.  II II.  163 
fort  bien. Il  y  a  d'vne  eipecè  de  petits  planes  blacs 
&  fort  délicats, lefqueîs  ils  appellent  en  l'Efpa- 
gnolle  Dominiques.  Il  y  en  ad'autres  qui  font 
plus  forts  &  plus  gros,&  d'vne  couleur  rouge.  Il 
n'en  croift  point  en  la  terre  du  Peru,  mais  l'on  les 
y  apporte  des  Indcs,comme  à  Mcxique,de  Cuer- 
nauaca,&  des  autres  vallées.  En  la  terre  ferme  ôc 
en  quelques  iiles  y  a  de  grands  planares ,  qui  font 
comme  boqueteaux  fort  efpais.  Silaplatecftoit 
propre  pour  brufler,  c'euft  efte  la  plus  vtile  de 
toutes,  mais  elle  n'y  eft  aucunement  propre  :  car 
fàfocillcnyfes  rameaux  nepeuuent  brufler,  Se 
encor  moins  feruir  de  mefrain  ,  àcaufequç  c'eft 
vn  boismoiïelleux,  ôc  qui  n'a  point  de  force. 
NeantmoinsDom  Allonfe  Darzilla  (comme il 
dit)  fe  feruit  des  fueilles  feches  de  cet  arbre  pour 
efcrirevne  partie  de  l'Auracane  ,  &  à  la  vérité  à 
faute  de  papier  on  Pen  pourroit  feruir,veu  que  fa 
fueille  eft  de  la  largeur  d'vne  fueille  de  papier,  ou 
peu  moins,&  longue  de  quatre  fois  autant. 


Du  Cacao  &  de  la  Coca. 
c  HAP.    XXII. 

Mfffi  A  ç  o  1  t  que  le  plane  foit  le  plus  profitable, 
iPÏM  neantmoins  le  Cacao  eft  plus  eftimé  en  Me- 
xique,&  la  Coca  au  Peru  ,  efquels  deux  arbres  ils 
ont  beaucoup  de  fuperfticion.  Le  cacao  eft  vn 
fraie!  vn  peu  moindre  qu'amandes,&  toutesfois 
plus  gras,lequel  eftant  rofty,  n'a  pas  mauuaife  fa- 
ucur.ll  eft  tant  eftime  entre  les  Indiens,voire  en- 
tre les  Efpagnols,que  c'eft  vn  des  plus  riches,voi- 
replus  grands  commerces  de  la  neufue  Efpagne. 

X  iij 


I  -'.'V 


HISTOIRE     NATVRELLI 
Car  comme'c'eft  vn  fruicT:  fec  8c  qui  fe  garde  lo ng 
temps  fans  fe  corrompre,ils en  ameinent  des  na- 
uires  chargez  de  la  prouince  de  Guacimalla.     En 
Lan  parte  vn  coifaire  Anglois  brada  au  port  de 
Guatulco  en  la  neufue  Efpagne  plus  de  cent  mil 
chaînes  de  cacao.  L'on  f  en  fert  mefme  comme  de 
monn qye,  d'autant  qu'auec  cinq  cacaos  ils  achè- 
tent vue  chofe,auec  trente  vne  aurre,&  auec  cent 
vne autre,  fans  qu'il  y  aye  contradiétion  ,  Se  ont 
accouftumé  de  les  douer  pour  aumofne  aux  pau- 
urcs  qui  leur  demandent.  Le  principal  vfagede 
ce  cacao  eft  en  vn  breuuage  qu'ils  appellent  cho- 
cholaté,  dont  ils  font  grand  cas  en  ce  pays ,  folle- 
ment 8c  fans  raifon  ,  &fait  mal  au  cœur  à  ceux 
qui  n'y  font  point  accouftumez,  d'autant  qu'il  y 
avnecfcume&vn  boiiillon  au  haut  qui  eft  fort 
mal  agréable  pour  en  v(er ,  fi  l'on  n'y  a  beaucoup 
d'opinion.  Toutesfois  c'eft  vne  boiflon  fort  efti- 
mec  entre  les  Indiens,  de  laquelle  ils  traittenc  & 
feftoyent  les  Seigneurs  qui  viennent  ou  partent 
parleur  terre.    Les  Efpagnols  8c  les  Efpagnolies 
quifontjaaccouftumezaupays  ,  font  extrême 
ment  friands  decechocholaté.    Ils  difent  qu'ils 
font  ce  chocholaté  en  diuerfes façons  &quahtez, 
feauoir  l'vn  chaud,i'autrc  froid,  8c  l'autre  tempe- 
ré^  y  mettent  des  efpics  beaucoup  de  ce  chili. 
Mefiiies  ils  en  font  des  paftes ,  qu'ils  difent  eftre 
propres  pour  l'eftomach  ,  8c  contrelecatharre. 
Quoy  qu'i'len  foit  ,  ceux  qui  n'y  ont  point  efté 
nourris  n'en  font  pas  beaucoup  curieux.  L'arbre 
où  croift  ce  fruict  eft  d'vne  moyenne  grandeur, 
8c  d'vne  belle  façon  :  il  eft  fi  délicat  que  pour  gar- 
der que  le  Soleil  ne  le  bmfle  ils  plantent  auprès 


DES     INDES.      L  I  V.    I  1 1 1.         I  &\ 
de  luy  vn  autre  grand  arbre  qui  luy  fert  feule- 
ment d'ombrage,&:  l'appellent  la  mère  du  cacao. 
Ily  a  des  lieux  où  ils  font  ainfi  que  les  vignes  & 
lesoliuiersfonten  Efpagne.  Laprouincequien 
a  plus  grande  abondance  pour  le  commerce  &  la 
marchadife,eft  celle  de  Guatimalla.  lln'encroift 
pointau  Peru,maisily  croiftdelacoca  ,  qui  eft 
vue  autre  chofe  où  ils  ont  encor  vnc  autre  plus 
grande  fuperftition ,  qui  fcmble  eftre  chofe  fabu- 
leufe.  A  la  vérité  la  traitte  de  la  coca  en  Potozi  fe 
monteàplus  de  demy  million  de  pezes  par  cha- 
cun an,  d'autant  qu'on  y  en  vfe  quelques  quatre 
vingts  dix  ou  quatre  vingts  quinze  mille  corbeil- 
les par  an.  En  l'an  mil  cinq  cens  quatre  vingts  & 
trois  on  y  en  confomma  cent  mil.  Vue  corbeille 
de  coca  enCufco  vaut  deux  pezes  &  demy,  6c 
trois ,  &  en  Potozi  elle  vaut  tout  courant  quatre 
pezes  Sccinq  tomines,&  cinq  pezes  elfayez.C'eft 
l'efpcce  demarchandife  à  l'occafion  de  laquelle 
prefque  fe  font  tous  les  marchez  &  foires ,  parce 
que  c'eftvnemarchandife  dont  il  y  a  grande  ex- 
pédition. Lacocadonc  qu'ils eftiraent  tant, eft 
vne  petite  fucille  verde  qui  naift  endesarbrif- 
féaux  qui  font  comme  d'vne  brade  de  haut:  elle 
croift  en  des  terres  fort  chaudes  &  humides,  &c 
jette  cet  arbre  de  quatre  mois  en  quatre  mois  ce- 
tte fueille  qu'ils  appelletla  trefmitas  outremoy: 
elle  requiert  beaucoup  de  foin  à  la  cultiuer, pour- 
ce  qu'elle  eft  fort  delicate,&:  beaucoup  d'auanta- 
gcàlaconferuer,apres  qu'elle  eft  cueillie.    Ilsles 
mettent  par  ordre  en  des  corbeillons  longs  &e- 
ftroits,&  en  charger  les  moutôs  du  pays,qui  vont 
auec  cefte  marchandife  en  troupes  chargez  de 

X  iiij 


--;•*? 


HISTOIRE  NATVRELLE 
m;l  &  deux  mil,  voire  trois  mil  de  cescorbeil- 
lons.  On  l'apporte  le  plus  communément  des 
Andes  &c  vallées ,  efquelies  il  y  a  vue  chaleur  in- 
supportable, &  oùil  pleuttoufiourslaplus-part 
de  Tannée.  En  quoy  les  Indiens  endurentbeau- 
coup  de  trauail&,de  peine  pour  l'entretenir ,  &. 
bien  fouuét  plu  fieurs  y  perdët  la  vie,  parce  qu'ils 

fartcntdela  Sierre  &de  lieux  très- froids  pour 
aller  cultiuer  &c  recueillir  en  «es  Andes.  C'eft 
pourquoy  il  y  a  eu  de  grandes  difputes  &  diuerfi- 
té  d'opinions  entre  quelques  hommes  doctes  &c 
iages,àfçauoir  ftl  eltoit  plus  expédient  d'arra- 
cher tous  ces  arbres  de  coca,ou  de  les  lai{Ter,mais 
en  fin  ils  y  font  demeurez.  Les  Indiens  l'eftiment 
beaucoup  ,  &au  temps  des  Rois  Inguas il  n'e- 
floit  pas  licite  ny  permis  au  commun  peuple  d'v- 
fer  de  la  coca  fans  la  licence  du  gouuerneur .  L'v- 
fàge  en  eft  tel  qu'ils  le  portent  en  la  bouche ,  &  le 
mafehent,  fuccant  fans  toutesfois  l'aualler.  Ils 
difentqu'elle  leur  donne vn  grand  courage,  6c 
leur  eft  vne  finguliere  friandife.  Plufieurs  hom- 
mes graues  tiennentcelapourmperftitiô&cho- 
fe  de  pure  imagination.  De  ma  part,pour  dire  la 
vérité,  ie  me  perfuade  que  ce  n'eft  point  vne  pure 
imagination,  mais  au  contraire  i'entens  qu'elle 
opère  &  donne  force  Se  courage  aux  Indiens:car 
l'onenvoid  des  effecls,  qui  ne  peuuent  eftre  at- 
tribuez à  imaginatiô ,  comme  de  cheminer  quel- 
ques iournees  fans  manger  auecvne  poignée  de 
coca,&  autres  effects  iemblables.  La  faulfeauec 
laquelle  ils  mangent  ce  cocaluy  eftaffezconue- 
nable,  pourcequci'enay  goufté,  &a  comme  le 
gouftdeSumacq.    Les  Indiens  la  broyentauec 


DES    INDES.      LIV.     IIII.  I6"f 

delà  cendre  d'os  bruflez  8c  mis  en  poudre,  ou 
bien  auec  de  la  chaux,  comme  d'autres  difent  :  ce 
qui  leur  femble  fort  appetifïant  8c  debongouft, 
&c  difent  qu'il  leur  fait  vn  grand  profit.  Ils  y  em- 
ployent librement  leur  argent,  &  fenferuenten 
mefmcvfage  que  de  la  monnoye.  Encor  toutes 
ceschofesneferoient  point  mal  à  propos,  n'e- 
ftotentle  hazard  8c  rifque  qu'il  y  a  en  Ion  com- 
merce, 8c  àl'approfiter,en  quoy  tant  ces  gens 
font  occupez.  Les  Seigneurs  Inguas  violent  du 
coca  comme  de  chofe  royale  8c  friande ,  8c  eftoit 
la chofe  qu'ils  offroient  le  plus  fouuenten  leurs 
iacrifices,le  b  milans  en  l'honneur  de  leurs  idoles. 


Du  Martuy ,  du  Tftnaly  de  la  Cochenille , 
détenir ,&  du  Cotton. 


CHAP.     XXIII. 


E  maguey  eft  l'arbre  des  merueilles,  duquel 
les  Nouueaux  ou  Chapetones  (  comme  ils 
les  appellent  es  Indes*)  ont  accouftuméd'efcrire 
des  miracles,  en  ce  qu'il  donne  de  l'eauë,  du  vin, 
de  l'huile ,  du  vin-aigre ,  du  miel ,  du  firop,du  fil, 
descfguilles,6\:  mil  autres  chofes.  Ceft  vn  arbre 
queleî  Indiens  eftiment  beaucoup  en  Ianeufue 
Efpagnc,  8c  en  ont  ordinairement  en  leurs  habi- 
tations quelqu'vn  pour  entretenir  leur  vie.  II 
croiit&^ecultiuentaux  champs,  &  a  lesfucilles 
larges  Se  groflieres ,  au  bout  defquclles  il  y  a  vne 
pointe  forte  &  aiguë*  qui  fert  pour  attacher  com- 
me dcsefpingIes,ou  pour  coudre  comme  vne  e£- 
guille,  &c  tirent  aufli  de  cefte  fueille  comme  vh 
certain  fil,dontilsfefcrucnt.Ils  coupent  le  tronc 


HISTOIRE    NÀTVRELLE 
qui  eft  gros  quand  il  eft  encore  tendre,  &  demeu- 
re vne  grande  concauité,  par  laquelle  monte  la 
fubftance  de  la  racine,  &  eft  vne  liqueur  que  l'on 
boit  comme  de  l'eauëqui  eft  franche  &  douce. 
Cette  mefmeliqueur  eftant  cuite  fe  tourne  com- 
me vin,lequeldeuient  vin-aigre  le  laiïTantaigiir, 
&  en  le  fanant  bouillir  dauantage  il  deuiét  com- 
me du  miel,&  le  cuifant  à  dcmy ,  il  leur  fert  de  (1- 
rop,  qui  eft  allez  fain&debonne  faueur  ,  voire 
me  femble  meilleur  que  le  firop  de  raifins.  Voila 
comme  ils  font  cuire  &  fe  feruët  de  cefte  liqueur 
en diuerfes façons,  de  laquelle  ils  tirent  bonne 
quantitéjd'autant  qu'en  certaine  faifon  ils  tirent 
par  chaque  iour  quelques  pots  de  cefte  liqueur. 
Il  y  a  mefme  de  ces  arbres  au  Peru,  mais  ils  ne  les 
rendent  point  fi  profitables  comme  enlaneufue 
Efpagne.  Le  bois  de  cet  arbre  eft  creux  &  mol,& 
fert  pour  conleruer  le  feu,  pource  qu'il  le  retient 
comme  vne  mefche  darcbuze,&:  l'y  garde  long 
temps,  dont  i'ay  veu  que  les  Indiens  fen  feruoiët 
à  cet  cfteéfc.Le  tunal  eft  vn  autre  arbre  fameux-en 
la  netafue  Efpagne ,  fi  arbre  nous  dcuonsappeller 
vn  monceau  de  fueilles  amalTees  les  vnes  furies 
autres  ,  lequel  eft  de  la  plus  eftrange  facond'ar- 
bre  qui  foit.  Pource  qu'il  fort  de  terre  première- 
ment vne  fueille,&  d'icelle  vne  autre,&  de  cefte- 
cy  vneautre,  &  ainfi  vacroiflant  iufques  à  faper- 
fection  ,  finon  que  comme  fes  fueilles  vont  for- 
tantenhaut  &c  aux  collez,  celles  d'embas  f'en- 
groiTïfTent,  &  viennent  prefque  à  perdre  la  figure 
de  fueilles,en  faifant  vn  tronc  &  des  rameaux  qui 
font  afpres,efpineux  &  difformes,  d'où  vient 
qu'en  quelques  endroits  ils  l'appellent  chardon. 


DES     INDES.       LIV.    I  1 1 1.         I  66 
Il  y  a  des  chardons  ou  tunaux  fauuages  qui  ne 
portée  point  de  fruict,  ou  bien  il  eft  fortcfpineux 
&  fans  aucun  profit.  Il  y  a  meime  des  tunaux  do- 
meftiques  ,  qui  donnent  du  fruict  fort  eftimé  en- 
tre les  Indiens, qu'ils  appellent  Tunas ,  Se  fontde 
beaucoup  plusgrandes  que  les  prunes  de  frère,  8c 
ainfi  longues.    Ils  en  omirent  la  cocque,  qui  eft 
grade,  &  au  dedans  y  a  de  la  chair  ôc  des  petits 
grains  femblablcs  à  ceux  des  figues ,  qui  font  fort 
doux,&ont  vnbongouftjfpecialementlesb&n- 
ches,  lefquels  ontvne  certaine  odeur  fort  agrea- 
ble,mais  les  rouges  ne  font  pas  ordinairement  fî 
bons.  Il  y  a  vne  autre  forte  de  Tunaux,  lefquels 
ils  eftiment  beaucoup  dauantage,  encor  qu'ils  ne 
donnent  point  de  frui6l:,&  les  cultiuentaucc  vn 
grand  foin  &  diligence  :  Se  iaçoit  qu'ils  n'en  re- 
cueillent point  de  ce  fruicl: ,  neantmoins  ils  rap- 
portent vne  autre  commodité  &  profit  qui  eft  de 
la  graine  ,  d'autant  que  certains  petits  vers  naif- 
fentaux  fueilles  de  cetarbre  ,  quand  il  eft  bien 
cul  tiué,&  y  font  attachez,  couuerts  dVne  certai- 
ne petite  toile  déliée ,  lefquels  on  circuit  delica- 
tementj&eft  la  cochenille  des  Indes  tantrenom- 
mée,de  laquelle  l'on  teint  en  graine.    Ils  les  Iaif- 
fent  fecher,5c ainfi fecs  ilsles  apportent  en  Efpa- 
gne,qui  eft  vne groiïe&  riche  marchandife.  L'a- 
robe  de  ccftecochenille,ougraine,vaut)3lu  (leurs 
ducats.    On  en  apporta  en  la  flotte  de  l'an  mil 
cinq  cents  quatre  vingts  fept,  cinq  mil  iîx  cents 
ioixantedix-IeptarrQDes,qui  montoient  à  deux 
cents  quatre  vingts  trois  mil,  fept  cents  &  cin- 
quante pezes,&  ordinairement  il  en  vict  tous  les 
ans  vne  ferablablerichene.Ces  Tunaux  croifTent 


HISTOIRE    "MAT  VRILLE 
es  terres  tempérées  qui  déclinent  à  froideur.  Au 
Peru  il  n'y  en  croift  point  encor  iufques  à  pre- 
fent.l'en  ay  veu  quelques  plantes  en  Efpagne,qui 
ne  méritent  pas  toutesfois  d'en  faire  aucun  eftat. 
le  diray  au (îi quelque  chofedcl'Anir,  combien 
qu'il  ne  vient  pas  d'vn  arbre,  mais  d'vnc  herbe, 
parce  qu'il  fert  à  la  teinture  des  draps,&que  c'eft 
vnemarchandifequi  f'accommodeauec  la  grai- 
ne^ mefme  qu'il  croift  en  grande  quantité  en  la 
neufueEfpagne,  d'où  il  en  vint  en  la  flotte  que 
i'aydit,cinq  mil  deux  cents  foixatue&:  trois  aro- 
bes,ou  enuiron,quimontentautantdepezez.Le 
cotton  mefme  croift -en  des  petits  arbrilïeaux  ,  8c 
en  des  grands  arbres  qui  portent  commedespo- 
mettes ,  lefquels l'omirent  &  donnent  cefte  filaf- 
fc ,  ôc  après  l'auoir  cueillie  la  filent ,  8c  la  tirent 
pour  en  faire  des  eftoffes.    C'eft  vne  des  chofes 
qui  foit  es  Indes  de  plus  grand  profit,  8c  déplus 
d'vfage,car  il  leur  fert  de  lin,&  de  laine  pour  faire 
des  habits.  Il  croift  en  terre  chaudc,&  y  en  a  vue 
grande  quantité  es  vallées  &  code  du  Peru  ,en  la 
neufue Éfpagne, es  Philippines,  8c  en  la  Chine. 
Toutesfois  il  y  en  a  beaucoup  dauan  rage  qu'en 
aucun  lieu  queie  fçache,enlapronincede  Tucu- 
man,  en  celle  de  faindte  Croix  delà  Sierre,&  au 
Paraguey  .,  8c  leur  eft  le  cotton  le  principal  reue 
nu.  L'on  apporte  en  Efpagne  du  cotton  des  iiîe 
de  fainâ:  Dominique,  &  en  vint  l'anneequei'ay 
dit  foixante&  quatre  arrobes.  Aux  endroits  des 
Indes  où  errtift  le  cotton  ils  en  font  de  la  toile 
dont  les  homes  &  les  femmes  vfentleplus  com- 
mn:iément,mefmcs  en  font  leurs  feruiettesdeta- 
blcs,voire  des  voiles  de  nauire.  Ily  en  a  de  gros, 


es 


DIS    INDES.       LIV.    II  II.  l6j 

&  d'autre  qui  eft.  fin  &  délicat.  Ils  le  teignent  en 
diueifes  couleurs ,  comme  nous  faifons  les  draps 
de  laine  en  Europe. 


DesMamcycs  yGi(ayauos  &  fait  os. 

chap.    xxiiii. 

Es  plantes  dont  nous  auons  parlé  font  les 
plantes  les  plus  profitables  des  Indes,&  cel- 
les qui  (on  t  les  plus  neccifaires  pour  le  viureitou- 
tesfois  il  y  en  a  beaucoup  d'autres  qui  font  bon- 
nes à  manger,  entre  lefquelleslesmameyes  font 
eftimees ,  eftans  de  la  façon  des  grolîèspefches, 
voire  plus  grofles.Ils  ontvn  ou  deux  noyaux  de- 
dans ,  &  la  chair  quelque  peu  dure.  Il  y  en  a  qui 
font  doux,&  d'au  très  qui  font  aucunemet  aigres, 
ôc  ont  l'efcorce  forte  Induré.  On  fait  de  la  con- 
ieruedelachairdeccfruid,quireirembleau  co- 
tignac.  L'vfage  de  cèfruicl:  eftaflez  bon,&  encor 
meilleure  la  conieruc  que  l'on  en  fait.  Ils  croit 
fentes ifles  &  n'en ay  point veu au  Pcru.C'eftvn 
arbre  qui  eu  grand,  &  bien  fait ,  d'vn  alfez  beau 
fueillagc.  Les  Guayauos  font  d'autres  arbres  qui 
portent  communément  vn  mauuais  fruid,  plein 
de  pépins  afpres,&:  font  de  la  façon  de  petites  pô- 
mcs.  C'eft  vn  arbre  mal  eftimé  en  la  terre  ferme, 
&  aux  ifles ,  car  ils  difent  qu'il  a  l'odeur  comme 
de  punaifes.Le  gouft  &  faueur  de  ce  fruiéUft  fort 
grofIïer,&  fa  fubftance  mal  faine.  Il  y  a  en  faind 
Dominiquc,&  es  autres  ifles  des  montagnes  tou- 
tes pleines  de  ces  guayauos ,  ôc  difent  qu'il  n'y  a- 
uoit  point  de  telle  forte  d'arbres  auant  que  les 
EtpagnolsyarnuafTent,  mais  queL'onlopya  ap- 


..->  '*» 


HISTOIRE  NATVRELLE 
portez  de  ie  ne  fçay  où.  Cet  arbrca  multiplié  in- 
finiment,  parce  qu'il  n'y  a  aucun  animal  qui  en 
mange  les  pepins,ou  la  graine,d'où  vient  qu'eftas 
ainfi  femez  parmi  la  rerre,  comme  elle  eft  chaude 
&humide,ily  a  ainfi  multiplié.  Au  Peru  cet  ar- 
bre diffère  des  autres  guayauos  ,  pourcc  quelc 
fruiA  n'en  eft  point  rouge ,  mais  eft  blanc ,  &c  n'a 
aucune  mauuaife  ocîieur,  mais  eft  d'vn  fort  bon 
gou(l:&  de  quelconque  forte  de  guayauos  que  c  e 
foit,lefruicîen  eftauitï  bon  comme  le  meilleur 
d  Efpagne,fpeciaîemehtde  ceux  qu'ils  appellent 
guayauos  de  matos,&d'autres  petites guayauilies 
blanches. Ceft  vn  fruicl:  allez  lain,&  conuenable 
pour  l'eftomac ,  pourcc  qu'il  eft  de  forte  digeftiô, 
&  allez  froid:  les  Paltasau  contraire  font  chau- 
des &dehcates.LePaltoeftvn  arbre  grand  ôc  de 
beau  fuei'llage ,  qui  a  le  fraie!  comme  des  grottes 
poires:  il  a  dedans  vn  gros  noyau  ,  &  toutlercfte 
eft  vue  chair  mol!e,telîement  que  quand  ils  font 
bien  meurs ,  ils  font  comme  du  beurre,  8c  ont  le 
gouftdclicat.  Lespaltasiontgrandsau  Pcru,& 
ont  vneefcai!lefortdure,qneron  oeut  ofter  tou- 
te entierc.Cefrui  et  eft  en  Mexiquc,pour  la  plus- 
part  fort,  ayant  l'efcorce  deliee,qui  le  pelle  corn- 
medes  pommes. Ils  les  tiennent  pour  vne  viande 
laine,&  commei'ay  dit, quideclinequclquepeu 
à  chaleur.  Ces  mamaycs,guayauos,&paltos  font 
les  pefches,  les  pommes  &  les  poires  des  Indes, 
encorqueiedefiroispluftoft  celles  de  l'Europe. 
Mais  quelques  autres  par  l'vfage  ,  ou  peuteftre, 
par  affection,  pourront  cftimer  d'auantage  ceux- 
cy  des  Indes.  le  ne  doute  point  que  ceux  qui 
n'ont  point  veunygouftéde  ces  fruits,  pren- 


DES  INDES.  LIV.  1 1 1 1.  I  6*8 
dront  peudeplaifiràlirececy ,  voire felafleront 
de  l'ouyr,&  moy-  mefme  ie  m'en  lafle ,  qui  caiife 
que  i'abbregeray  en  racontant  quelques  autres 
fortes  de  fruids.  Car  ce  feroit  choie  impoflible 
de  pouuoir  traicter  de  tous. 


Du  Cbkoçapotc,  des ^AnnvnÂs  £r  des  Capelines. 

chap.    xxv. 

SgSVelques-vns  qui  ont  voulu  augmenter  les 
fës£$chofes des  Indes,  ont  mis  en  auant  qu'il  y 
auoitvnfruictquieftoitfembîable  au  cotignac, 
&  l'autre  qui  eftoit  comme  du  blanc  manger: 
pourec  que  lafaueur  leur  fèmbla  digne  de  ces 
noms.  Le  cotignac  ou  mermelade  (iiie  ne-me 
trompe)  eftoit  ce  qu'ilsappelloicntçapotes  ,  ou 
chicoçapotes,  qui  font  d'vn  gouft  fort  doux,  8c 
approchant  à  la  couleur  de  cotignac.  Quelques 
crollos,  (qui  eft  le  nom  dont  ils  appellent  les  Ef- 
pagnols  nais  aux  Indes  )  difenc  quecefrui&fur- 
palîeen  excellence  tous  les  frui&s  d'Efpagne. 
Toutesfois  ce  n'eft  mon  opinion ,  mais  ils  dif$nt 
qu'au  gouft.  principalement  il  furpafie  tous  les 
autres  frui&s,  où  ie  ne  me  veux  pas  arrefter  néan- 
moins, parce  que  celancle  mérite  pas.  Ces  chi- 
coçapotes, ou  capotes,  entre lefquels  ilyapeu 
de  difrerence,croi(lç:nt  es  lieux  chauds  delà  neuf- 
ueEfpagne,  &n'ay  point  cognoiiîance  qu'il  y 
ait  de  tel  fruicl  en  la  terre  ferme  du  Peru.  Pour  le 
blanc  manger  c'eft  l' Annone,  ou  guanauana,  qui 
croift  en  terre  ferme.  L'Annona  eft  de  la  façon, 
d'vnepoire  ,  Scainfi  quelque  peu  aiguë  &  ou- 
verte: tout  le  dedans  eft  tendre  Se  mol  comme 


HISTOIRE  NATVR.ELL! 
bcurrcs&  eft  blanc,doux  8c  dVn  gouft  fort  fauou- 
reux.  Ce  n'eftpas  manger  blanc  encor  qu'il  foie 
blanc  mâger,mftis  à  la  vérité  c'eft  beaucoup  aug- 
menté de  luy  donner  tel  nom,  bien  qu'il  foie  de- 
licat,&  d'vn  gouft  fauoureux  ,  &  quoy  que  félon 
le  iugement  d'aucuns  il  foit  tenu  pour  le  mei.ieur 
fruict  des  Indes,  ilaen  foy  vne  quantité  de  pé- 
pins noirs  ,&ies  meilleurs  que  i'ayevcu  a  efté  en 
ïaneufne  Efpagne,oùles  capoliescroillèntauiïî, 
qui  font  comm  e  des  cerifes,  8c  vn  noyau,  bié  que 
quelque  peu  plus  gros.  Mais  la  forme  &  figure  eft 
comme  de  cerifes,de  bonne  fàucur,ayatvn  doux- 
aigret  :maisien'ay  point  veu  de  capollies  enau- 
tte  contrée. 


De  plufieurs  fortes  de  frmHicrs,  des  Cocos,  des 

amendes ',  des  arides ,  &  des  amendes 

de  Cbachapoyas . 

CHAP.      XXVI. 

Çtffv*)  L  ne  feroit  pas  polîîble  de  raconter  tous  les 
2Ui!  fruids  &  arbres  des  Indes, attendu  que  ie  ne 
m'en  reiïbuuicns  pas  de  plufieurs ,  8c  qu'il  y  en  a 
encor  beaucoup  d'auantage  defquels  ie  n'ay  pas 
coLinoiflTance,  &me  femblechofeennuyeafcde 
parler  de  toutes,dont  il  me  fouuient.  Il  fe  trouue 
donc  d'autres  genres  de  fruictiers  8c  de  fruicts, 
plus  groiïîers,  comme  ceux  qu'ils  appellent  lu- 
cum'es,du  fruicl  defquels  ils  difent  par  prouerbe, 
quec'cft  vn  prix  diflîmulé,  comme1  les  guauas, 
pacayes,les  hobos,& les  noix  qu'ils  appelictem- 
prifonnees:  lefnuelsfruidtsfemblent  à  plufieurs 
efttedesnoùdelameûiie  eipeecque  font  celles 

d'Efpagne. 


DES    INDES.       II V.    II  II.  169 

d'Efpagne.  Voire  ils  difentqueiî  l'on  îestranf. 
plantoit  fouuent  d'vn  lieu  en  autre  ,  qu'ils  rap- 
porteroient  des  noix  toutes  femblables  à  celles 
d'Efpagne,  &  ce  qu'ils  donnent  ainfi  vnfruicT: 
iauuage&  (ïmalplailant ,  eft  à  caufe  qu'ils  font 
fauuages.  En  fin  l'on  doit  bien  confiderer  la  pro- 
uidence&fagelle  du  Créateur,  lequel  adeparty 
à  tant  de  diuerfes  parties  du  monde  telle  variété 
d'arbres  fruictiers,  le  tout  pour  le  feruicc  des  ho- 
mes qui  habitent  la  terre ,  &  eft  vne  chofe  admi- 
rable devoir  tant  de  différentes  formes ,  goufts, 
&c  eifects  du  toutincogneus  ,  &  dont  on  n'auoic 
'amaisouy  parler  au  monde  auparavant  la  def- 
couuerte des  Indes,  &defquelles  mefmePline, 
Diofcoride&  Theophrafte  ,  voire  les  plus  cu- 
rieux n'ont  eu  aucune  cognoi(Tanee,neantmoins 
toute  leur  recherche  Se  diligence.  Il  l'eft  trouué 
des  hommes  curieux  de  nottre  temps  qui  ont  cf- 
critquelques  traittez  de  ces  plantes  des  Indes, 
des  herbes ,  &  riuieres ,  &:  des  opérations  qu'ils 
ont  en  l'vfage  de  médecine ,  an  (quels  l'on  pourra 
recourir,  qui  en  voudra  auoir  pins  ample  co- 
gnoifïànce, parce  que  iepretendstraitter  feule- 
ment en  peu  de  mots  &  (uperfîciellemcnt  ce  qui 
me  viendra  en  la  mémoire,  touchant  ce  fujeft. 
Neaiumoins  il  ne  me  fcmblepas  bon  palier  fouz 
(ilence les  cocos, ou  palmes  des  Indes,  à  caufe 
d'vne  propriété  qu'ils  ont,qui  eft  fort  notable,& 
remarquable.  le  les  appelle  palmes,non  pas  pro- 
prement,ny  qu'ily  ait  des  dattes ,  mais  d'autant 
que  ce  font  arbres  femblables  aux  autres  palmes. 
Ils  font  hauts  &  forts  ,  &  plus  ils  montent  en 
haut,plus  vont-ils  jettans  des  rameaux  grands  Ôc 

Y 


..-'•■*» 


HISTOIRE     NATVRHLLE 
fort  eftendus.  Ces  palmes  ou  cocos  donnent  vn 
fruiét  qu'ils  appellent  aufïi  cocos,dequoy  ils  ont 
accouftumé  faire  des  vafes  pour  boire  ,  ôtdifenc 
qu'il  y  en  a  quelques-vns  qui  ont  vnevertu  & 
propriété  contre  le  poifon,  &  pour  guérir  le  mal 
dc]cofté.  Le  noyau  &  la  chair  d'iceux  (quand  il  eft 
cipoifïi&fec)eftbon  à  mager}&  approche  quel- 
que peu  du  gouft  de  chaftaignes  verdes. Quand  le 
coco  eft  en  l'arbre  encor  tendre,  tout  ce  qui  eft 
dedans  eft  comme  vn  laid  qu'ils  boiuent  par  de- 
liceSj&pour  rafraifehir  en  temps  de  chaleur.I'ay 
veu  de  ces  arbres  en  làinct  Iean  de  Port-  riche,  6c 
«utres  endroits  des  lndes,&m*en  dirent  vnecho- 
fe  remarquable,que  chaque  mois  ou  Lune  cet  ar- 
bre jette  vn  nouueau  rameau  de  ces  cocos  ^telle- 
ment qu'il  donne  du  fruicfc  douze  fois  par  an, 
comme  ce  qui  eft  eferit  en  l' Apocaly  p  fe ,  &  à  la 
vérité  il  me  femble  que  ce  fuft  de  mefme,  pourec 
que  tous  les  rameaux  font  d'aages  fort  différents, 
les  vns  commencent,  les  autres  font  défia  meurs, 
&  les  autres  lefontàdemy.  Ces  cocos  que  iedy 
font  ordinairement  de  la  figure  &  grofleur  d'vn 
petitmelon:  Ily  enadvne  autre  forte  qu'ils  ap- 
pellét  coquillos,qui  eft  vn  fruict  meilleur,dot  il  y 
enaenChillé.  Ils  font  quelque  peu  plus  petits 
que  noix,mais  vn  peuplus  ronds.  Il  y  a  vne  autre 
efpece  de  cocos  qui  ne  donnent  point  ce  noyau 
ainfi  cfpoifïi,  mais  ils  ont  dedans  vnequantité  de 
petits  frui6fcs  comme  amendes  ,  à  la^façon  des 
grains  de  grenade.    Ces  amendes  font  trois  fois 
aufîî  grandes  que  celles  de  Caftille,&  leur  rcfîem- 
blent  au  gouft ,  encor  qu'elles  foient  vn  peu  plus 
afpres,  &  font aufïi  humides  ôc  huiileufcs.  C'eft 


DES     INDES.     LIV.    III I.  170 

vn  allez  bon  manger,aufïï  ils  f  en  ferucnt  en  deli- 
ceSjfaute d'amendes, pour  faire  des  malfe- pains, 
&  autres  telles  chofes.   Ils  les  appellent  amendes 
des  Andes,  pource  que  ces  cocos  croisent  abon- 
damment es  Andes  du  Peru,&  font  fi  forts  8c  durs, 
que  pour  les  ouurir  il  eft  befoin  de  les  frapper  ru- 
dement auec  vue  groire  pierre.   Quand  ils  tom- 
bent de  l'arbre,  i'ils  rencontroiet  la  tefte  de  quel- 
qu'vn,iln'auroitja  befoin  d'aller  plus  loing.   Et 
femble  vue  chofe  incroyable  que  dedans  le  creux 
de  ces  cocos  qui  ne  ionepas  plus  grands  que  les 
autres» ou gueresdauantage,  il  y  a  neantmoins 
vne  telle  multitude  8c  quantité  de  ces  amandes. 
Mais  en  ce  qui  concerne  les  amendes ,  8c  tous  les 
autres  fruicts  femblables,  tous  les  arbres  doiuent 
ceder  aux  amendes  de  Chachapoyas,  lelquelles 
ie  ne  peux  autrement  appeller.    C'eft  lefruictle 
plus  délicat ,  friand  ,  8c  plus  fain  de  tout  tant  que 
i'ayeveués  Indes.  Voire  vn  docte  médecin affer- 
moit  qu'entre  tous  les  fonds  qui  font  es  Indes, 
ou  en  Efpagne ,  nul  n'approchoit  de  l'excellence 
de  ces  amendes. Il  y  en  a  d e  plus  grades  &;  déplus 
petites  que  celles  que  i'ay  dit  des  andes,mai$  tou- 
tes font  plus  grades  que  celles  de  Caftillc.  Elles 
font  fort  tedres  à  magcr,ont  beaucoup  de  fuc ,  8c 
de  fubftance,  8c  comme  onchieufes  8c  fort  agrea- 
bles,clles  croiflent  en  des  arbres  très-hauts,  8c  de 
gradfueillage.  Et  corne  c'eft  vne  chofe  precieufe, 
nature  aufïi  leur  a  donné  vne  bône  couuerture  Ôc 
defenfe,  veu  qu'elles  font  en  vne  efeorce  quelque 
peu  plus  grade  8c  plus  poignate  que  celle  des  cha- 
ftaignes,  toutefois  quad  cefte  efeorce  eft  /cche,i'o 
en  tire  facilemct  le  grain. Ils  racotec  que  lesfinges 

Yij 


."i**<4)B 


I 


HISTOIRE  NATVRÎLLI 
qui  fontfortfriandsde  cefruict,  &:  defquelsy  a 
vn  grand  nombre  en  Chachapoyasdu  Peru,(qui 
eftla  contrée  de  toutes  oùieîçache  qu'il  y  ait  de 
ces  arbres)  pour  ne  fe  piquer  en  l'efcorce,  &en 
tirer  l'amande,&  lesjettent  rudement  du  haut  de 
l'arbre  fur  les  pierres ,  &  les  ayansain  fi  rompues, 
les  acheuét  d'ouurir  pour  lesmâger  à  leur  plaifir. 

De  flufîenrs  &  diuérfes  fleurss&  de  quelques  arbres 

qui  donnent  feulement  de  U  fleur  ^  &  comme 

les  Indiens  en  yfent. 

CHAP.     XXVII. 

E  s  Indiens  font  fort  amis  des  fleurs,  &  en  la 
neufue  Eipagneplus  qu'en  autre  partie  du 
monde,  parquoy  ils  ont  accouftumé  défaire  plu- 
fieurs  fortes  de  bouquets,  qu'ils  appellent  là  fu- 
chilles,auec  vne  telle  variété  ôc  gentil  artifice, 
que  l'on  n'y  peut  riendefirerdauantage:  ils  ont 
vnecouftume  entr'eux  que  les  principaux  orfrét 
par  honneur  leurs  fuchilles  ou  bouquets  aux  fei- 
gneurs  &  à  leurs  ho(les,&  nous  en  donnoient  en 
telle  abondance  quand  nous  cheminions  par  ce- 
lle prouince,  que  nous  nefçauions  qu'en  faire, 
bien  qu'ils  fc  feruent  auiourd'huy  à  cet  efFect  des 
principales  fleurs  de  Caftille  ,  pource  qu'elles 
croiflent  là  mieux  qu'ici,commefont  les  œillets, 
rofes ,  iafmms,  violettes ,  rieurs  d'oranges,  &  les 
autres  fortes  de  fleurs  qu'ils  y  ont  portées  d'Efpa- 
gne,y  profitent  merueilleufement.  Les  rofiers  en 
quelques  endroits  y  croiffoient  trop  ,  tellement 
qu'ils  ne  donnoient  point  de  rofes.  Il  arriua  vu 
iourqu'vn  rofierfut  brufié  ,  ôc  les  rej citons  & 


DES    INDES.      L  I  V.     I  I II.         IJl 

fcyonsqui  jetterait  incontinent  portèrent  des 
rôles  en  abondance,  &  de  là  ilsapprindrentàles 
el monder  3  &c  en  oiter  le  bois  fuperfla ,  tellement 
qu'auiourd'huy  ils  donnent  des  rofes  fuffifam- 
ment.  Mais  outre  ces  iortes  de  fleurs  que  l'on  y  a 
portées  d'icy,  il  y  en  a  beaucoup  d'autres,  les 
noms  defqucllcs  ie  ne  peux  pas  dire,qui  font  rou- 
ges ,  jaulnes ,  bleues ,  violettes  &  blanches ,  auec 
mil  dirrcrences,lefquelles  les  Indiens  ont  accou- 
ftumé  de  porter  en  leurs  teftes,comme  vn  pluma- 
ge pourornement.lleftvrayqueplufieursdeces 
fleurs  n'ont  que  la  veuë,  pource  que  l'odeur  n'en 
eft  point  bonne,ou  elle  eft  gromere,ou  elles  n'en 
ont  point  du  tout,  encorqu'ily  en  ait  quelques- 
vnes  d'excellente  odeur.Comme  celles  qui  croif- 
fent  en  vn  arbre  qu'ils  appellent  floripondio,  ou 
porte  fleur,qui  ne  donne  aucun  fruicî,mais  por- 
te feulement  de  ces  fleurs  ,  lefquelles  font  plus 
grandes  que  fleurs  de  lys ,  ik  font  quali  en  forme 
de  clochetteSjtoutcs  blanches ,  &  ont  au  dedans 
des  petits  fillets  comme  l'on  void  au  lystii  ne  cef- 
ie  toute  l'année  de  produire  ces  fleurs,  l'odeur 
defquelles  eft  merucilleufement  douce  &  agréa- 
ble Spécialement  en  la  fraifeheur  du  matin.   Le 
Viceroy  Dom  Francifco  deTollede  cnuoya  de 
cesarbres  au  Roy  Dom  Philippe,  comme  vne 
chofe  digne  d'eftre  plantée  aux  iardins  royaux. 
En  la  neufue  Efpagne  les  Indiens  eftiment  beau- 
coup la  fleur  qu'ils  appellent  yolofuchil,  qui  fi- 
gnihe  fleur  de  cœur ,  pource  qu'elle  eft  de  la  mef- 
me  forme  d'vn  cœur,&  n'eft  pas  gueres  moindre. 
Ilya  mefme  vn  autre  grand  arbre  qui  portede 
cette  forte  de  flcurs,fans  porter  d'autre  fruicl:Jellc 

Y  iij 


HISTOIRE     NATVRELLE 

a.  vnc  odeur  qni  eft  forte,  &  comme  il  me  femble, 
trop  violente ,  à  d'autres  elle  leur  pourra  fembler 
agréable.    C'eft  vne  chofeaflez  cogneucque  la 
fleur  qu'ils  appellent  fleur  du  Soleil ,  à  la  figure 
du  Soleil,&  le  tourne  félon  le  mouuement  d'ice- 
luyàly  en  ad'autres  qu'ils  appellent  oeillets  d'In  - 
de,  lefquelsreiremblent  àvn  fin  velours  orangé 
&violet,  celles  là  n'ont  aucune  fenteurqui  foit 
d'eftime,mais  feulement  font  belles  à  la  veu'ë.Il  y 
a  d'autres  fleurs ,  qui  outre  la  beauté  de  la  veuë, 
combien  qu'elles  n'ayent  aucune  odeur,  ou  vne 
faueur  comme  celles  qui  reflcmblent  à  celle  du 
crelîon  allenois ,  que  fi  l'on  les  mangeoit  fans  les 
voir,l'on  neiugeroit  point  que  ce  fuft  autre  cho- 
fe.  Lafleurdegrenadille^ft  tenue  pour  chofe  re- 
marquable, &  difent  qu'elle  a  en  foy  les  marques 
8c  enfeignes  de  la  paflion,  &  que  l'on  y  remarque 
lesclouds,  lacolomne,  les  fouets,  la  couronne 
d'efpine,&  les  playes ,  en  quoy  ils  ne  font  pas  du 
tout  efl oignez  de  raifon,  iaçoitque  pour  y  trou- 
uer&  remarquer  toutes  ces  chofes  il  foit  befoin 
de  quelque  pieté  ,  qui  aide  à  en  faire  croire  vnc 
partie,  mais  elle  eft  fort  exquife,  &  très-  belle  à  la 
vcuë,encor  qu'elle  n'ay  e  point  d'odeur.  Le  fruicr. 
qu'ils  appellent  aufli  granadille,fc  mange,fe  boit, 
ou  pour  mieux  dire,fe  (ucce,  pourrafraifehir  :  ce 
fruict  eft  doux ,  &  félon  l'opinion  de  quelques- 
vns  ,  il  l'cft  par  trop.  Les  Indiens  ont  accouftumé 
en  leurs  feftes  &r  dances  de  porter  des  fleurs  en 
leurs  mains ,  ôc  les  Rois  &  Seigneurs  en  portent 
pour  la  magnificence.    Pour  cefte  occafion  l'on 
y  oid  des  peintures  de  leurs  anciens  ordinairemet 
auec  des  fleurs  en  la  main,  comme  Ton  void  îcy 


DES  INDES.  LIV.  1 1 1 1.  172. 
aucc  des  gands.il  me  femble en  auoir  allez  dit  fu r 
cequiconceme  les  fleurs.  L'onvfeaufïiàcetef- 
fect  du  bazilic  ,  encorque  ce  ne  foit  point  vnc 
fleur,mais  feulement  vne  hcrbe,&  ont  accouftu- 
mé  d'en  auoir  en  leurs  iardins,&  de  la  bien  culci- 
uer,mais  maintenant  ils  en  ont  fi  peudefoing, 
qu'il  n'eft  plus  auiourd'huy  bazilic,mais  c'eft  vne 
herbe  qui  croift  autour  des  eftangs. 


Du  Bttulme. 
CHAP.     XXVIII. 

•££  E  fouuerain  Créateur  n'a  pas  feulement  for- 
fâ  mé  les  plantes  pour  feruir de  viande,  mais 
aufïïpourla  récréation  &  pour  la  médecine  Se 
guanfeui  de  l'homme,  l'ay  dit  quelque  peu  de  cel- 
les qui  feruent  pour  la  nourriture,  qui  cft  le  prin- 
cipal :  Se  mefme  quelque  peu  de  celles  qui  fer- 
uent  de  récréation.  Il  refte  donc  maintenant  de 
traitter  de  celles  qui  font  propres  à  la  médecine, 
dont  ic  diray  aufli  quelque  peu  de  choie.  Et  en- 
cor  que  toutes  les  plantes  foient  medecinales 
quand  elles  font  bien  cogneuës  Se  bien  appli- 
quées, toutesfois  il  y  a  quelques  chofes  particu- 
lièrement,  que  l'on  void  notoirement  auoir  cfté 
ordonnées  du  Créateur  pour  la  médecine ,  Se 
pour  la  fàntédcs  hommes  :  comme  font  les  li- 
queurs,huilles ,  gommes  Se  rezines  qui  prouien- 
nent  de  diuerfes  plantes  Se  herbes ,  Se  qui  facile- 
ment demonftrct  à  l'expérience  à  quoy  elles  font 
propres.  Sur  toutes  ces  chofes  le  baufme  auec 
raiion  eft  renommé  pourfon  excellente  odeur, 

Y  iiij 


Tltn.hb. 

IZ.C.IJ. 


\Cant.  i . 


|  îtrah.Ub, 
16. 


[  Hm.lib. 
I  :  i  .c  if. 


HISTOIRE  NATVRELI,  E 
8c  beaucoup  dauantage  pour  l'exquis  efrecl;  qu'il 
a  de  curer  les  playes,&  autres  diuers  remèdes  que 
l'on  expérimente enluyfurlaguerifon  desmala- 
dies. Lebanfmequi  vient  des  IndesOccidentales 
n'eftpasdela  mefme  efpcce  que  le  vray  baufme 
quei'on  apporte  d'Alexandrie  ou  du  Caire.&qui 
anciennement  eftoit  en  Iudee,laquelleludee  (fé- 
lon que  Pline  eferit)  polîedoit  feule  au  monde 
cède  grandeur ,  iufques  à  ce  que  l'Empereur  Ve- 
fpafian  l'apporta  à  Rome  8c  en  Italie.  Ce  qui  me 
donne  occafion  de  dire  que  l'vne  liqueur  &c  l'au- 
tre ne  font  point  d'vne  mefmeefpece,c'eft  à  cau- 
fe  que  les  arbres  d'où  elles  fortent  font  entr'eux 
fort  différentes:  car  l'arbre  du  baufme  de  Palefti- 
ne  eftoit  petit ,  &  a  la  façon  de  vigne ,  comme  ra- 
conte Pline  pour  l'auoir  veu  ,  &  ceux  d'auiour- 
d'huy  qui  l'ont  veu  en  Orient  en  difent  autant. 
Comme  aufîî  la  fainetc  Efcricureappellelelieu 
ou  groflit  le  baufme  ,  vigne  d'Enguaddi ,  pour  la 
rciîemblancc  qu'il  aauec  les  vignes.  I'ay  veu  l'ar- 
bre d'où  fc  tire  le  baufme  des  Indes,  qui  eftauiîï 
grand  comme  vn  grenadier,  voire  approchant 
quelque  peu  de  fa  façon,  fi  i'ay  bonne  mémoire, 
n'ayant  rien  de  commun  auec  la  vigne,  combien 
queStrabonefcriue  quel'arbre  ancien  du  bauf- 
me eftoit  de  la  grandeur  des  grenadiers.  Mais  aux 
accidens  8c  operatios  ,ce  font  liqueurs  fort  fem- 
blables,  commeelles  le  font  en  leur  odeur  admi- 
rable, &  enlacure&guarilon  <\qs  playes,  en  la 
couleur&en  lafubftancc,  veu  qu'ils  racontent 
de  l'autre  baufme  qu'il  y  en  a  de  blac,  de  vermeil, 
deverd,  &denoir:  ce  que  l'on  voidaulîienceux 
des  Indes.  Et  tout  ainfi  qu'ils  tiroientlancien  en 


DES     INDES.       LIV.    II  II.         I75 

coupant  &incifàntrcfcorce,pour  en  faire  diftil- 
ler  celle  liqueur,ainii  en  font-ils  de  mefme  en  ce- 
Juy  des  Indes,  encorqu'il  diftilleen  plus  grande 
quantité.  Et  comme  en  cet  ancien  il  y  en  a  d'vne 
forte  qui  efl:  tout  pur,  lequel  ils  appellent  opo- 
bal(àmo,qui  eftla  propre  larme  qui  diftille,&vn 
au  tre  qui  n'eft  pas  (i  cxquisjequel  on  tire  du  bois 
de  l'efcorce&desfueilleseipraintcs  &  cuites  au 
feu,  lequel  ils  appellent  xylobaliami.  De  mefme 
audi  entre  lebaufme  des  Indes  ,  il  y  en  a  vn  pur 
qui  fort  ainfi  del'arbrej&d'autres  que  les  Indiens 
tirent  en  cuiiant  &e(preignant  les  fueilles  8c  le 
bois,  mefmes  ils  le  fophiftiquent  8c  augmentent 
aucc  d'autres  liqueurs,afin  qu'il  y  en  ait  dauanta- 
ge.  Et  n'eft  pas  fans  raifon  qu'ils  appellent  bauC- 
me ,  car  il  l'eft  véritablement ,  encor  qu'il  ne  foie 
pas  delamefmeefpecede  l'ancien,  8c  efl:  beau- 
coup eftimé  ,  &  le  feroit  d'auantage ,  fi  ce  qui  eft 
auiourd'huy  ésefmeraudes  n'y  eftoit,  àfçauoir 
d'eftre  à  prefent  en  grande  quantité.  Ce  qui  im- 
porte dauantage,  efl.  I' vfage  auquel  il  eft:  employé 
de  fèrnir  de  chrefme,  qui  eft  fi  neceflaire  en  la 
fàincte  Eglife,&  de  telle  veneration.ayant  décla- 
ré le  Siège  Apoftolique  que  l'on  face  le  Chrefme 
aux  Indes  auec  le  baufme ,  8c  que  l'on  en  vie  au 
Sacrement  de  Confirmation,&  aux  autres  Sacre- 
mens  dont  l'Egliievfe.  L'on  apporte,  lebaufme 
en  Efpagnedeianeufue  Efpagne  delaprouince 
de  Guatimalla,de  Chiappa,&:  d'autres  lieux  où  il 
abonde  dauantage ,  encor  que  le  plus  eftimé  foit 
celuy  qui  vient  de  l'ifle  de  Tollu,  qui  eft  en  la  ter- 
re ferme,  non  pas  loin  de  Carthagene.  Ce  bauf- 
me eft  blanc,&  communément  ils  tiennent  pour 


HISTOIRE      NATVRILLE 
Tlm.Ub.    pjus  parfajc  le  blanc  que  le  rouge ,  encor  que  Pli- 
2"c'1''   ne  donnelc  premier  lieu  au  vermeil,  le  fécond  au 
blanc,le  troifiefme  au  verd ,  &  le  dernier  au  noir: 
maisilfcmbleque  Strabon  eftimedanantagc  le 
baufme  blanc,comme  les  noftresl'eftiment.Mo- 
Strab  Ub    nar^cs  traitte  amplement  du  baufme  des  Indes 
ceovrath.  en  la  première  &  féconde  partie,  fpcciaîement  de 
ecluy  de  Carthagene  8c  de  Tollu,  qui  eft  tout  vu. 
Ien'ay  point  trouuc  que  les  Indiens  ancienne- 
ment eftimaffent  beaucoup  le  baufme,ny  meime 
l'employaient  en  vfage  d'importance,  encor  que 
Monardes  dife  que  les  indiens  curoient  auec  icc- 
luy  leurs  playes,&  que  de  là  l'apprindrent  les  Ei- 
pagnols. 


De  l'ambre ,  &  des  autres  hmlles ,  gommes,  & 
drogues  nue  l'on  apporte  des  Indes. 


CHAP.     XXIX. 


Près  le  Baufme ,  l'Ambre  tient  le  fécond 
lieu  :  c'eft  vue  autre  liqueur  qui  eft  aufli 
odoriférante  8c  medecinalle,  mais  pluselpaiife 
de  foy ,  qui  fe  tourne  &  fefpaiflit  en  vne  pafte  de 
complexion  chaude  &  de  bon  parfum ,  lequel  ils 
appliquent  aux  playes,bleiïeures  &  autres  necef- 
fîtez.Surquoyie  me  rapporte  aux  Medecins,fpe- 
cialement  au  docteur  Monardes,qui  à  la  premiè- 
re partie  a  eferit  de  celle  liqueur ,  8c  de  beaucoup 
d'autres  medecinalles,qui  viennét  des  Indes.  Cet 
Ambre  vient  mefme  delà  neufue  Efpagne,  la- 
quelle a  cet  aduantage  fur  les  autres  prouinces  en 
ces  gommeSjliqueurs  8c  fucs  d'arbres.  Qui  caufe 
qu'ils  ont  là  abondance  de  matières,  pour  le  par- 


mà 


3HC3II99I9I 


DES  INDES.  IIV.  II  II.  174 
fu m  ,  &c  pour  la  médecine,  comme  elt  l'Animé, 
qui  y  vient  en  grande  quantité,  le  Copal ,  oufu- 
chicopal,  qui  elt  vn  autre  genre,  commede  fto- 
rax,&  encens ,  qui  a  mefme d'excellentes  opéra- 
tions, &eftd'vne  très-  bonne  odeur,  propre  pour 
les  fu  (Fumigations.  Mefme  la  Tacamahaca,  Scia. 
Caranna,  qui  font  auffi  tort  medccinales. On  ap- 
porte de  celle  prouince  de  l'huile  d'afpic,  duquel 
les  médecins  &  peintres  feferuent  allez,  lesvns 
pour  leurs  emplaftres,  &les  autres  pour  vernir 
leurs  peintures.  L'on  apporre  mefine  pour  les 
medecins,la  cafte  ridule ,  laquelle  croift.  abôdam- 
înenten  S.Dominique.  Ceftvn  grand  arbre  qui 
porte  ces  cannes  comme  fon  frui&.L'on  apporta 
en  Iafloteoù  ie  vins  de  S.  Dominique  quarante- 
hui<5t  quintaux  de  calfe  fiftule.  La làlccpareille- 
n'eftpasmoins  cogneue'  pour  mille  remèdes,  à 
quoy  on  l'employé.  Il  en  vint  en  cède  flotte  cin- 
quante quintaux  de  la  mefme  ifle.il  y  a  beaucoup 
de  celle  falceparcille  au  Peru,  8c  de  fort  excellen- 
te en  la  prouince  de  Guayaquil,  qui  eftfousla 
ligne.  Plu  (leurs  fe  vont  faire  guarircn  celle  pro- 
uince ,  &  eft  l'opinion  de  quelques-vns ,  que  les 
feules  eaux  fimples  qu'ils  boiuét  leur  donnet  fan  - 
té,à  caufe  qu'elles  parlent  par  racines,  corne  nous 
auons  dit  cy  deflus,  d'où  elle  tire  fa^  vertu,  telle- 
m6t  que  pour  fuer  en  celle  terre,  il  n'eft  point  be- 
foin  de  beaucoup  de  couuerturc  ny  d'habits.  Le 
bois  de  guayac,  qu'ils  appellent  autrement  bois 
fain  t ,  ou  bois  des  Indes,  croift  en  abondance  aux 
mefmcsifles,&eft  auffi  pefant  que  le  fer,tejlemét 
qu'il  f  enfonfe  incotinct  en  l'eaué.  De  ceftuy^'on 
en  apporta  en  celle  flotte  trois  cents  cinquante 


HISTOIRE  NATVRELLE 
quintaux,&  en  euft-on  peu  apportervingt,voire 
cent  mil,  f'ily  auoit  diftribution  dcccbois.  Il 
vint  auiïi  en  la  mefme  flotte  ,  &delamefmeiilc, 
cent  trente  quintaux  de  bois  de  Bre(îl,qui  eftfi 
rouge,enflambé,&:  fi  cogneu,  ôc  dont  on  vfè  tant 
pour  les  teintures  &  autres  chofes.  Il  y  a  es  Indes 
vne  infinité  d'autres  bois  aromatiques,  gommes, 
huilles,&drogues,de  forte  qu'il  n'eft  pas  poffible 
de  les  pouuoir  tous  raconter,  &  eft  chofe  aufïï  de 
peu  d'importance  à  prefent.  le  diray  feulement 
qu'au  temps  des  rois  Inguas  de  Cufco,  &  des  rois 
Mexiquains,il  y  eut  beaucoup  de  grands  perfon- 
Jiages  experts  à  curer  &  medeciner  auec  les  fim- 
ples,&  faifoient  de  fort  belles curesjdautat  qu'ils 
auoientco^noilîàncedeplufieurs  vertus  &  pro- 
prietez  des  hcrbes,racines,bois  &des  plantes  qui 
croiiïent  par  delà ,  8c  don  t  les  anciens  d'Europe 
n'ont  eu  aucune  cognoilfance.  Il  y  a  de  ces  fim- 
ples  qui  font  propres  pour  purger,comme  les  ra- 
cines de  Mcchoaçan ,  les  pignons  delà  Punna,  la 
conferuedeGuanucquoJhuiledefiguierj&plu- 
fieurs  autres  chofes ,  lefquelles  eftans  bien  appli- 
quées &  en  temps,  ne  font  pas  (  comme  ils  tien- 
nent) de  moindre  efficace  que  les  drogues  qui 
viennent  d'Orient.  Ce  qui  fepeut  voir,  enlifant 
le  difeours  qu'en  fait  Monardes ,  en  la  première 
&  féconde  partie,  où  il  traitte  amplement  du  Ta- 
baco  ou  petum, duquel  l'on  a  fait  de  notables  ex- 
périences contre  le  venin.  Le  Tabacoeft  vnar- 
brifïeau  ou  plante aflez commune,  quiaen  foy 
neantmoins  des  rares  vertus,  comme  entr'autres 
de  feruir  de  contre  poifon ,  ainfi  que  pluficurs  & 
diucrfes  plantes,  parce  que  i'Autheur  de  toutes 


DES  INDES.  LIV.  IIII.  17c 
chofesadeparty  (es  vertus  comme  il  luyapleu, 
&  n'a  point  voulu  qu'aucune  chofe  nafquift  au 
monde  ocieufe.  Maisc'eftvn  autre  don  fouue- 
rainàrbommedelcs  cognoiftre  ,  &  enfçauoir 
vfercommeilconuient,  cequele  mefmcCrea- 
teur  concède  à  qui  il  luy  plaift.  Le  docteur  Fran- 
çois Hernandes  afaitvnbel  œuure  de  celle  ma- 
tière des  plates  des  Indes, liqueurs, &:  autres  cho- 
ies medecinaleS;  par  l'exprès  commandement  & 
commiffiô  de  fa  m  :jefté,  faifantpeindrs  &  pour- 
traire  au  naturel  toutes  les  plantes  des  Indes,  les- 
quelles, côme  ils  difent,  font  en  nombre  de  plus 
de  mil  deux  cents ,  &  difent  que  cet  œuure  a  cou- 
fté  plus  de  foixante  mil  ducats ,  duquel  œuure  le 
docteur  Nardus  Anthonius  médecin  Italien  a 
fait vn extrait  curieux, &c  renuoye  auiditsliures 
celuy  qui  voudra  plus  exactement  cognoiftre 
des  plantes  des  Indes  ,  principalement  pour  la 
médecine. 


/X".t  grandes fofefis  des  Indes  ydes  Cèdres tdes  Cciuas, 
&  autres  grands  arbres  qui  y  font. 

CHAP.     XXX. 

çflfrS  A  ço  1  t  que  dés  le  commencemêtdu  mon- 
£*?2  de  la  terre  a  produit  des  plantes  &  des  ar- 
bres par  le  commandement  du  Seigneur ,  neant- 
moins  elle  n'a  laiffé  d'en  produire  en  quelques 
lieux  plus  qu'es  autres ,  &  outre  les  plantes  &  les 
arbres  qui  par  l'indurtrie  des  hommes  ont  efte 
tranfplantees  Se  apportées  d'vn  lieu  en  autre ,  il  y 
en  a  encor  beaucoup  que  nature  a  produits  de 
foy-mefme.Ie  croy  que  de  cette  forte  il  y  en  a  da- 


e 


■ 

I 


HISTOIRE  NATYRELLE 
uantageau  nouucau  monde,  que  nous  appelions 
Indes,toit  en  nombre,ou  en  diuerlîtez  ,  que  non 
pas  au  vieil  monde,&  terres  de  l'Europe ,  de  l'A- 
îîe  ôc  Afrique.  La  raifon  cft.  pourec  que  les  Indes 
font  d'vne  température  chaude  ôc  humide,  com- 
me nous  auorïs  monftré  au  fécond  liure,  contre 
l'opinion  des  anciens ,  qui  caufe  quela  terre  pro- 
duit en  grande  abondance  vue  infinité  de  plantes 
fauuages  ôc  naturelles ,  d'où  vient  que  prelque  la 
plus  grande  partie  des  Indes  eft  inhabitable,  ôc 
qu'on  n'y  peut  cheminer ,  pour  les  bois  &  efpaif- 
fesforeftsquiy  font,  aufquellesl'cn  trauailleco- 
tinuellement  pour  les  abbatre.  Il  a  efté  befoin  Se 
necelîairepour  cheminer  par  quelques  endroits 
des  Indes,principalementaux  nouuclles  entrées, 
de  faire  le  chemin, en  coupant  lesarbres,  &  elTar- 
tant  lesbuillons,  de  farte  que  comme  nous  l'ef- 
criuent  quelques  religieux,  qui  l'ont  efprouuc,  il 
a  elle  telle  fois  qu'ils  n'ont  peu  cheminer  en  vu 
iour  plus  d'vne  lieuë.  Vn  de  nos  frères,  homme 
digne  de  foy  ,  nous  contoitquef'eftantefgarc  & 
perdu  dans  les  montagnes  ,  fans  fçanoir  quelle 
part,  ny  par  où  il  deuoit  aller ,  il  fe  trouua  dedans 
des  huilions  fieipais ,  qu'il  fut  contraint  de  che- 
miner fur  iceux  fans  mettre  les  pieds  en  terre,par 
refpacedeqninzeiours entiers  ,  ôc  que  pour  y 
voir  le  Soleil,  ôc  pour  remarquer  quelque  che- 
min en  cefteforeft.  fiefpaiiîe  &  pleine  de  bois,  il 
auoit  beloing  de  monter  au  coupeau  des  plus 
grandsarbres ,  pour  delà  defcouurirle  chemin. 
Quiliraledifcours  ttaittant  de  fon  voyage,  ôc 
combien  de  fois  il  feft  perdu  ôc  efgaré,  ôc  les  che- 
mins qu'ii  a  cheminez ,  les  eftranges  aduanturcs 


DES    INDES.       LIV.    1 1 1 1.  IjG 

quiluy  fontaduenucs,ceque  i'ay  efcrit  fuccin- 
cîement  ,  pourmefembler  chofe  digne  d'eftre 
fceu'ë,  &  qui  aura  quelque  peu  cheminé  par  les 
montagnes  des  Indes,encor  que  ce  ne  foient  que 
lesdix-huid  lieues  qu'il  y  a  de  Nom  de-Dieu  à 
Panama, pourra  bienpenfcrde  quelle  grandeur 
font  ces  forefts  des  Indes,de forte  que  n'ayant  au- 
cû  Hyuer  en  ces  parties  là  qui  face  fentir  le  froid, 
&  que  l'humidité  du  ciel  Se  de  la  terre  y  eft  fi  gra- 
quc,queles  montagnes  produifentvne infinité 
de  forefts,  &  la  campagne  qu'ils  appellentSaua- 
nas,vne infinité  d'herbe:  il  n'y  a  point  de  faute 
d herbe  pour  lëspafturages,de  mefrain  pour  les 
cdifices,ny  de  bois  à  faire  du  feu.  C'eftvnechofe 
impoflible dcpouuoirraçonter  les  différences  &c 
figures  de  tant  d'arbres  fauuages ,  dautant  que  de 
la  plus- part  l'on  n'en  fçait  pas  les  noms.  Les  cè- 
dres fi  eltimez  anciennement  font  là  fort  com- 
muns,pour  les  édifices  Se  pour  les  nauircs,&:  y  en 
adediuerfes  façons,  les  vus  blancs,  &  d'autres 
roux,qui  font  fort  odoriferans.  Il  y  a  vne  grande 
quatité  de  Lauriers  d'vn  plaifant  regard  aux  An- 
des du  Pcru.    Aux  montagnes  de  la  terre  ferme 
auxifles,en  Nicaragua,  &  en  laneufue  Efpagne. 
Corne  aufli  il  y  a  vne  infinité  de  Palmes,&:de  Cei- 
uas,dequoy  les  Indiés  font  leurs  canoës,  qui  font 
des  bateaux  faits  tout  d'vnepiece.  L'ô  apporta  en 
Efpagncdumefraindeboisfortexquisdela  Ha- 
uane,en  l'iile  de  Cube,  où  il  y  a  vne  infinité  de  sem- 
blables arbres, comme  font  iEbene,  le  Caouana, 
la  Grenadille,les  Cedrcs,&  autres  cfpeces,  que  ic 
ne  cognois  point. Il  y  amefme  de  grands  Pins  en 
lancufucElpagne,  encor  qu'ils  ne  foient  pas  6 


HISTOIRE     NATVRELLE 
forts  que  font  ceux  d'Efpagne.    Ils  ne  porterie 
point  de  pignôs, mais  pommes  vuides.  Les  chef- 
nes  qu'ils  appellent  de  Guayaquil,  eft vn  bois  ex- 
quis &  odoriférant, quand  on  le  taille ,  mefme  il 
y  a  des  cannes  &c  rofeaux  tres-hauts,des  rameaux 
Ôc  petites  cannes,  deiquels  ils  font  des  bouteilles 
ôc  cruches  pour puifer  dereauë,&  fen  feruent 
melme  en  leurs  baftimens.  llyaaulTi  le  bois  de 
manflc,dequoy  ils  font  des  arbres  Ôc  mafts  de  na- 
tures, &c  les  eftimencauffi  forts  comme  fi  c'eftoit 
du  fer.  Le  Molle  eftvn  arbre  debeaucoup  de  ver- 
tus ,  lequel  jette  des  petits  rameaux,  dont  les  In- 
diens font  du  vin,ils  l'appellent  e*n  Mexique,  ar- 
bre du  PerUjpourcc qu'il  eft  venu  de là,maisil en 
crojft  auilî  en  la  neufue  Efpagne  ,  &demeilleur 
queceluy  duPeru.    Il  y  a  mil  autres  lortes  d'ar- 
bres, dont  ce  feroit  vn  trauailfuperflud'en  trait- 
ter,  quclques-vnsdeces  arbres  lontd'vne  énor- 
me grandeur .  &  parlcray  leulemcnt  d'vn  qui  eft 
en  Tlaco  Chauoya,trois  lieues  de  Guaxaca,  en  ia 
neufuc  Efpagne.  Cetarbre  eftant  mefuré,fe trou- 
va feulement  en  vn  creux  auoir  par  dedans  neuf 
graças,&:  par  dehors  joignant  la  racine ,  feize,  ôc 
plus  haut  douze.    Cet  arbre  fut  frapé  de  foudre, 
depuis  le  hautiufquesaubas,au  droit  du  coeur, 
qui  fit  ce  creux  qui  y  eft.  Ils  difent  qu'auparauant 
que  le  tonnerre  fuft  tombe  deflus,  ileftoitluiE- 
jànt  pour  ombrager  mil  homes.  Ccftpourquoy 
ils  C'y  alïembloient  pour  faire  leurs  dances ,  bals 
Ôc  fupcrftitions  ;  neantmoins  il  refte  encor  de 
prefent  des  rameaux  ôc  dela'vcrdure,  mais  non 
pas  beaucoup.  Ils  ne fçauent quelle efpece dar- 
tre c'eft , finon  quils  difenc que  c'eft  vne efpece 

de  Cèdre. 


DES  INDfrS.  L1V.  IIII.  1 77 
de  Cèdre.  Ceux  qui  trouueront  cecy  eftrangeji- 
fent  ce  que  Pline  raconte  du|  Plane  de  Lydie  ,  le  vlin.Ub. 
creux  duquel  contenoit  quacre  vingts  3c  vn  pied,  l%t-1  • 
&:  reflembloit  pluftoft  vnc  cabane  ou  maifon, 
que  non  pas  creux  d'arbre^fon  branchage  vn  bois 
entier,  l'ombrage  duquel  couuroitvne  grande 
partie  de  la  campagne.  Par  ce  qui  eft  eferit  de  cet 
arbre ,  l'on  n'aura  point  tantd'occafîonde  fei- 
mcrueiller  du  Tiileran ,  qui  auoit  fa  maifon  8c 
meftierdansle  creux  d'vn  chaftaigaer.  Etd'vn 
autre  chaftaigner ,  fi  ce  n'eftoit  ceftuy-là  mefme, 
dedansle  creux  duquel  entroient  huidt  hommes 
àcheual ,  &  en  reilbrtoient  fans  f  incommoder 
les  vns  les  autres.  Les  Indiens  exerçoient  ordi- 
nairement leurs  idolâtries  en  ces  arbres  ainfi 
eftranges  &:  difformes,  ainii  que  faifoieut  mefme 
les  anciens  Gentils ,  comme  racontent  quelques 
autheurs  de  ce  temps. 


Des  pUnteseJr  fruiFHers  que  l'on  4  apporte^ 
de  l'Espagne  aux  Indes. 

c  hap.  xxxi. 

E  s  Indiens  ont  eu  plus  de  profit,  &  ont  efte 
J  mieux  recompeniez  es  plantes  que  l'on  y  a' 
portées  d'Efpagnc,  qu'en  autres  marchandiicsj 
pource  que  le  peu  qui  font  venues  des  Indes  en 
Efpagne,y  croiifent  peu ,  &  y  ont  mal  multiplié, 
&  au  contraire  le  grand  nombre  que  l'on  a  porte 
d'Efpagne  aux  Indes ,  y  vient  très-bien ,  8c  y  font 
grandement  multipliées.  le  ne  fçay  fi  nous  de- 
uons  dire  que  ce  foit  à  caufe  de  la  bonté  des  plan- 
tes, pour  donner  gloire  à  ce  qui  eft  d'icy ,  ou  bien 


HISTOIRE     NATURELLE 
fî  nous  dirons  que  c'eft  la  terre,  pour  ladonner  à 
ce  qui  eft  de  delà.  Final  émet  il  y  a  par  delà  de  tout 
ce  qui  feproduit  de  bon  en  Efpagne  &  en  quel- 
ques endroits  meilleur,  &  en  quelques  endroits 
pire,commelefroment,rorgc,les  porces  ou  ver- 
dure ,  &  toutes  fortes  de  légumes,  aufli  les  lai- 
éfcuës,  choux,  raues,oignons,  ail,  perfil,  naueaux, 
paftenàdes ,  berengencs ,  ou  pommes  d'Amour, 
fcariolles ,  betes ,  efpinars,  garuences ,  ou  pois, 
febues ,  lentilles ,  &  finalement  tout  ce  qui  croift 
par  deçà  de  domeftique,&  de  profit:  de  forte  que 
ceux  qui  y  ont  fait  voyage,  ont  cfté  curieux  d'y 
porter  des  femences  de  toutes  fortes ,  &  le  tout  y 
a  beaucoup  fructifié  encor  que  c'ait  efté  diuerfe- 
ment,  fçauoirauxvns  mieux, aux  autres  moins. 
Quant  aux  arbres, ceux  qui  plus  généralement 
&  plus  abondamment  ont  fructifié,  ont  efté  les 
orangers,Iimôniers,citronniers,  &  autres  fruicts 
de  cette  forte.    Il  y  a  défia  en  quelques  endroits 
comme  des  bois  ôc  des  forefts  d'orangers.Ce  que 
trouuant  cftrange ,  ie  demanday  qui  auoit  rem- 
ply  ces  champs  de  tant  d'orangers,  l'on  me  re- 
ipondit  que  cela  eftoit  aduenu  fortuitemet,  d'au  - 
tant  que  les  oranges eftans  tombées  à  terre, & 
pourries,  leur  femence  auoit  germé  ,  &  de  celles 
que  les  eauxauoient  emporté  en  diuers  endroits, 
venoient  à  naiftre  ces  bois  ainfi  efpais.Ce  qui  me 
femblavnebonneraifon.  Tayditque  c  eftoit  le 
fruicT;<jui. généralement  f'cft  plus  augmenté  es 
Indes,  pource  que  ie  n'ay  efté  en  nul  endroit  où  il 
n'y  ait  des  oranges,  d'autant  que  toutes  les  Indes 
fontvne  terre  chaude  &  humide,  qui  eft  ce  que 
requiert  cet  arbre.  Ils  ne  croili'ent  point  en  la 


DES    INDES.       L IV.    II  II.  I78 

Sierre ,  mais  Ton  les  y  apporte  des  vallées  ou  co- 
fte  delà  mer.  La  confèrue d'oranges  clofes  qu'ils 
font  es  ifles,  eft  la  meilleure  que  i'ay  veue"  par  de- 
çà, ny  par  delà  mefme.  Les  pefches,Ies  pretles  & 
abricots  y  ont  fort  multiplie ,  &  en  la  neufue  Es- 
pagne plus  qu'en  autre  endroit.  Il  croift  au  Peru 
fort  peu  de  ces  forefts  dcfrui<5ts,outre  les  pefches, 
&  encor  moins  es  ifles.  Il  y  croift  des  pommes  & 
des  poires,  mais  c'eft  aflez  moyennement,  il  y  a 
des  prunes  rarement ,  mais  des  figues  en  abon- 
dance, principalement  au  Peru.  Il  fc  trouue  des 
coings  en  toutes  les  contrées  des  Indes,  &  en  la 
neufue  Efpagnc,en  telle  abondance ,  qu'ils  nous 
en  donnoient  cinquante  à  choifir  pour  demie 
realle.  Il  y  a'affez  de  grenades  auiïi,  bien  que 
elles  ibient  toutes  douces ,  car  les  aigres  n'y  font 
point  bienvenues.  Ily  a  de  très-bons  mêlions 
en  quelques  endroits  du  Peru.  Les  cerifcs&:  les 
guignes  iufques  auiourd'huy  n'ont  point  encor 
bien  fructifié  es  Indes,  &croy  que  ce  n'eft  pas 
faute  de  température ,  pource  qu'il  y  en  a  de  tou- 
te* fortes,  mais  peut  eftre  faute  de  foing ,  ou  par- 
cequcl'on  n'a  pas  bien  rencontre  fa  températu- 
re. En  fin  ie  ne  trouue  point  que  par  delà  ils 
ayent  faute  d'aucun  frutet  délicieux.  Quant  aux 
frui&s  groflîerSjils  n'ont  point  de  beillottcs ,  ny 
de  chaftaignes,  &  n'ay  point  de  cognoiflance  que 
iufques  auiourd'huy  ily  en  aitereu.  Lesamen- 
desperoiflènt,  mais  c'eft  fort  peu.  L'on  y  porte 
d'Eipagne  pour  les  friands  ,  des  amendes  ,  des 
noix,  des  auellaines ,  &  n'ay  point  entendu  qu'il 
y  ait  desneffles  ,ny  des  cormes,  ce  qui  impor- 
te feu.    Me  femble  que  cecy  doitfuffire  pour 

Z  ij 


f<tA3a 


HISTOIRE  NATVR.ILLI 
faire  entendre  qu'il  n'y  manque  aucune  délice 
defrui&s.  Maintenant  difons  quelque  choie  des 
plantes  de  profit  que  l'on  y  a  portées  d'Efpagne, 
8c  acheuerons  ce  traitté  des  plantes,  qui  eft  délia 
ennuyeux. 

Des  YAifins,  vignes,  oïiucs ,  meures ,  & 
des  cannes  dufucre. 

CHAP.     XXXII. 

Çs¥*'Enten  s  parles  plantes  profitables  cel- 
SP&y  les  qui  outre  ce  que  1  on  en  mange  au  logis, 
apportent  de  l'argent  à  leur  maiftre.  La  principa- 
le defquelles  eft  la  vigne,  de  laquelle  vient  le  vin, 
le  vin-aigre ,  le  raifin  vert  ôc  fec,  le  verjus  &  le  fi- 
rop.Maislevin  eft  celuy  qui  vaut  le  mieux.  Il  ne 
croift  point  de  vin  ny  raifin  es  ifles  ny  terre  fer- 
me ,  mais  en  la  neufue  Efpagne  y  a  quelques  vi  - 
gnes  qui  portent  du  raifin,  toutesfois  l'on  n'en 
fait  point  de  vin.    Lacaufeen  doiteftre  pource 
que  le  raifin  ne  fe  meurit  pas  bien  à  caufe  des 
pluyes  qui  y  viennent  aux  mois  de  Iuillet  ôc 
Aouft,qui  les  empefehent  de  meurir  :  ils  f'enfer- 
uent  tant  feulement  pour  manger.   L'on  y  porte 
le  vin  d'Efpagne  &  des  Canaries,  comme  en  tout 
le  refte  des  Indes ,  referué  au  Peru  &  au  royaume 
deChillé,  où  il  y  a  des  vignes  qui  rapportent  de 
tres-bon  vin ,  icfquelles  vont  chaque  iour  croif- 
fànt  en  quantité ,  à  caufe  que  c'eft  vne  grande  ri- 
chefle«ncepays,&  en  bonté, parce  qu'auec  le 
temps  ils  deuiennent  plus  expérimentez  vigne- 
rons.kLes  vignes  du  Peru  fo  nt  communes  es  val- 
lées chaudes ,  où  il  y  a  des  eau'cs ,  &  ics  arroufeiu 


Ém 


DES      INDES.      LIV.    1 1 1 1.         I J9 
aueclamain  ,  pource  qu'il  n'y-  tombe  point  de 
pluyesduciel,  &aux  Lanos,  &enlaSierreellc 
n'y  vient  point  à  tem  ps.  Il  y  a  des  endroits  où  les 
vignes  ne  font  point  arroufcesny  du  ciel  ny  de  la 
terre,&  toiuesfois  elles  ne  lailfcnt  de  fructifier  en 
grande  abondance,comme  en  la  valléed'Yca ,  8c 
aux  folles  qu'ils  appellent  de  Villacuri ,  cfquels 
lieuxilfe  trouue  des  fo(Tez  ou  terres  enfoncées 
parmy  les  morts  fablons,lefquels  font  toute  l'an- 
née d'vne  incroyable  frai  fc  heur,  fan  s  qu'il  y  pleu- 
ueaucunement  en  quelque  faifon  que  ce  foit,  ny 
qu'il  y  ait  des  eauës  pour  les  arrouier  artificielle- 
ment. La  caufe  eft  parce  que  le  terrouer  eft  fpon- 
gicux ,  &  qu'il  fuccc  l'caue*  des  riuieres  qui  vien- 
nent de  la  Sierre ,  qui  humectent  ces  fablons ,  ou 
bienc'eft  l'humidité  delà  mer  (comme d'autres 
penfent)  laquelle  parlant  au  trauers  de  ce  fable, 
caufe  que  l'eauë  n'en  eft  pas  fterile  ny  inutile,  ain- 
fî  quclePhilofophel'enfeigne.  Les  vignes  y  ont 
tant  multiplié ,  qu'à  cefte  occafion  lés  difmes  des 
Eglifêsy  font  augmétés  de  cinq&fix  fois  au  dou- 
ble depuis  vingt  ans.  Les  vallées  plus  fertilles  de 
vignes  font  Victor ,  proche  d' Arequipa,  Yca,  au 
terrouer  de  Lyma,  &  Caraguato  ,au  terrouer  de 
Chuquiauo.Ilsportentcevin  àPotozi,Cufco& 
endiuers  endroics,ce  qui  eft  vn  grand  reuenu: 
car  auec  toute  l'abondance  qu'il  Vsen  a,  vne  bou- 
teille ou  arrobe  y  vaut  cinq  ou  fix  ducats,  que  Ci 
c'eftvind'Efpagne,  comme  on  yen  porte  com- 
munément aux  flottes,  il  en  vaut  dix  ou  douze. 
L'on  fait  du  vin  comme  celuy  d'Efpagneau  roy- 
aume de  Chillé ,  pource  que  c'cft  le  mefme  cli- 
mat,mais  il  fe  gafte  quand  l'on  l'apporte  au  Peru. 

Z  iij 


-  •;■**? 


HISTOIRE  NATVRELL'!' 
Ils  mangent  des  r&iûns  où  l'on  ne  peut  boire  de 
vin ,  &  eft  chofe  admirable  que  l'on  trouue  en  la 
cité  de  Cufco  des  rajlîns  frais  tout  le  long  de  l'an- 
nee,qui  vient(comme  ils  me  direntjde  ce  que  les 
vallées  produifent  du  fruict  en  diucrs  mois  de 
Tan,  foit  qu'ils  entent  les  vignes  en  diuerfes  (ài- 
fons,  ou  que  cefte  variété  vienne  de  la  qualité  de 
la  terre:  quoy  qu'il  en  foit,  c'eft  vne  chofe  certai- 
ne qu'il  y  a  quelques  valleesquiportctdufcuicl 
tout  le  long  de  l'année.  Si  quelqu'vn  f  efmerueil  ■ 
le  de  cecy,  il  fe  pourra  efmerueiller  dauantage  de 
ce  que  iediray,&  peut  eftrc  ne  le  croira  pas.  Il  y  a 
desarbresau  Peru,defquels  l'vne  moitié  donne 
du  fruict  fix  mois  durant,&  l'autre  moitié  en  do- 
neles  autres  fix  mois.  EnMalla,  qui  eft  treze 
lieues  diftante  de  la  cité  des  Rois,  y  a  vn  figuier, 
duquel  la  moitié  qui  eft  au  cofté  du  Sud,eft  verte, 
&  donne  du  fruict  vne  faifon  de  l'année,  fçauoir 
quand  il  eft  Efté  en  la  Sierre,  8c  l'autre  moitié  qui 
eft  vers  les  Lanos  du  cofté  de  la  mer ,  eft  verte ,  & 
donne  Ton  fruict:  en  l'autre  faifon  contraire,  quad 
il  eft  Efté  aux  Lanos. Ge  qui  prouient  de  la  variété 
de  la  température  &  de  L'air  qui  vient  d'vne  part 
ou  d'autre.  Le  reuenu  du  vin  qui  y  eft  n'eft  pas  pe- 
tit,maisil  ne  fort  point  de  la  prouince.  Mais  la 
foye  qui  fe  fait  en  la  neufue  Elpagne  fe  tranfpor- 
te  es  autres  royaumes,comme  au  Peru.  Il  n'y  en 
auoit pointai! temps  des  Indiens,  mais  l'onya 
porté  des  meuriersd'Efpagne,  Se  y  viennëtbien, 
principalement  en  la  prouince  qu'ils  appellent 
Miftccqua,où  il  y  a  des  vers  à  foye,&  mettent  en 
ceuure  la  foye  qu'ils  en  recueillent ,  dont  ils  font 
de  très- bon  tafetas.Toiuesfois  ils  n  en  ont  point 


DES     INDES.     LIV.    I  1 1  I.  l8o 

faitiufquesàprefentdedamas,  de  fatins,  nyde 
velours.  Le  fucre  eft.  vn  autre  reuenu  plus  grand, 
veu  que  non  feulement  on  en  confommeés  In- 
des,mais  aulïï  l'on  en  apporte  beaucoup  en  Eipa- 
gnc,car  les  cannes  croisent  fort  bien  en  diuerfes 
parties  des  Indes.  Ils  ont  bafty  leurs  engins  aux 
ifles,en  Mexique,au  Peru,  &  en  d'autres  endroits 
qui  leur  apportent  vn  fort  grand  reuenu. L'on  me 
dit  que  l'engin  à  fucre  de  Nafca  fouloit  valoir  de 
reuenu  plus  de  trente  mil  pezes  par  chacun  an. 
Celuy  de  Chicama,ioignant  Truxillo,eftoit  mef- 
me  d'vn  grand  reuenu,&  ceux  de  laneufue  Efpa- 
gne  auffi  ne  le  font  pas  moins  :  car  c'eft  vne  choie 
eftrange  que  ce  que  l'on  gafte  &  conforhmede 
fucre  es  Indes.  L'on  apporta  de  l'ifle  de  (aindlDo- 
minique  en  la  flotte  où  ie  vins ,  hui&  cens  quatre 
vingts  &  dix-huicT:  calions  de  fucrejefquels  cftas 
comme ic les veids  charger  en  Port- riche, cha*- 
que  cafTe  deuoit  eftre  à  mon  opinion  de  huicl:  ar- 
robespefant,qui  font  deux  cens.  Le  fucre  eft  lo 
principal  reuenu  de  ces  lfles,  tant  fe  font addon-. 
nez  les  hommes  à  l'appétit  des  chofes4ouces.  Il 
y  a  mefme  des  oliues  ôc  oliuiers  aux  Indes ,  ie  dy 
en  Mexique  &  au  Peru:  toutesfois  iln'y  a  point 
eu  encor  iufques  auiourd'huy  aucun  moulin  à;' 
huile,  &  nef  en  fait  point,  parce  qu'ils  confom- 
ment  toutes  les  oliues  à  manger,  ôc  les  accom- 
modent fort  bien:  ils  trouuent  que  pour  faire 
l'huile  le  couft  y  eft  plus  grand  que  le  profit.  C'eft 
pourquoy  l'on  y  porte  tout  l'huille  qu'il  y  a  d'Ef- 
pagne.  En  cet  endroit  i'acheueray  la  matière  des. 
plant  esj&  venons  aux  animaux  des  Indes. 

Z  iiij 


-1*® 


HISTOIRE     NATVRELLE 


Du  befiial  portant  laine ,  cjr  des  yacbes. 
ch  A  p.   xxxi  II. 

Jfë  Etrouuequ'ily  a  trois  fortes  d'animaux  es 
&>  Indes,  dont  les  vns  y  ont  efté  porter  d'Efpa- 
gne,  les  autres  font  de  la  mefmcefpecede  ceux 
quenousauons  en  Europe, &  toutesfois n'y  ont 
point  efté  portez  par  les  Efpagnols,&  les  autres 
font  animaux  propres  des  Indes,  &defquels  l'on 
ne  troïiue  point  en  Efpagne.De  la  première  forte 
font  les  brebis ,  vachcs,eheures,  porcs,  cheuaux, 
afnes,chiens,chats,&  autres  tels  animauxrcar  il  y 
en  a  es  Indes  de  toutes  ces  efpeces.  Le  menu  be- 
ftial  y  a  beaucoup  multiplié,que  fi  l'on  y  pouuoit 
approfiter  les  laines  pour  les  cnuoyeren  Europe, 
ceferoitvnedes  plus  grandes  richelïes  qu'ils  eu C- 
fènt  es  Indes:pource  que  les  troupeaux  de  brebis 
ont  la  vn  grand  nombre  de  pafturages ,  fans  que 
l'herbey  diminué  en  beaucoup  d'endroits.  Il  y  a 
au  Peru  Mie  telle  abondance  de  ces  pafturages  &: 
herbages  ,queperfohne  n'en  pofledeen  propre, 
mais  chacun  fait  paiftre  (es  troupeaux  où  il  veut. 
Pourcefteraifonily  a  communément  grande  a- 
bondance  de  chairs,  leïquelles  font  à  fort  bon 
marché  :mefme  les  autres  chofes  qui  procèdent 
des  brebis  ,  comme  le  laict.  &  le  fromage.  Ils  fu- 
rent vn  temps  qu'ils  laifferent  perdre  routes  les 
laines  jiùfques  à  ce  que  quelques- vns  fe  mirent  à 
les  me/nager  &  en  faire  des  draps  8c  couuertures, 
qui  a  efté  vngrad  fecours  pour  le  commun  peu- 
ple de  cefte  terre:  d'autant  que  le  drap  de  Caftille 
y  eft  fort  cher.Ily  a  pluiieurs  drapiets  drapansau 


DES    INDES.       IIV.    II  II.  l8l 

Peru ,  &  beaucoup  dauantage  en  la  neufue  Efpa- 
gne, encor  que  les  draps  que  Ton  y  porte  d'Efpa- 
gnefoient  beaucoup  meilleurs,  Toit  que  la  laine 
en  foit  plus  fine  ,ou  que  les  ouuriersfoicnc  plus 
experts.  Autresfois  ie  font  trouuez  des  hommes 
quipolfedoient  (oixance&dix  &  cent  mil  teftes 
de  brebis,  encor  qu'à  prefent  n'y  en  ait  gueres 
moins.    Que  il  c'eftoir  en  Europe  ,  ce  feroit  vne 
très-grande  richellè  ,   mais  en  ce  pays-là  ce  n'eft 
qu'vne  moyenne  richede.  En  plufieurs  endroits 
des  Indes,  &  croy  que  c'eft  en  la  plus  grand'  part, 
le  menu  beftial  ne  fructifie  &  n'y  profite  pas  bien 
à  caufe  que  l'herbe  eft  haute,&  la  terre  fi  vicieufe, 
qu'il  ri  y  peut  pas  bien  paiftre  comme  le  grand 
beftial.    C'eft  pourquoy  il  y  a  vneinnumerable 
multitude  de  vaches,  defquelles  y  a  de  deux  for- 
tes.  Les  vues  font  domeftiques ,  8c  qui  vont  en 
troupeaux,  comme  en  la  terre  deCharca,  &en 
autres  prouinces  du  Peru,commemefme en  tou- 
te la  neufue  Efpagne.  De  ces  vaches  domeftiques 
ils  f  en  feruent  <k  en  tirent  de  la  commodité  tout 
ainfi  qu'en  Efpagne, fçauoir  la  chair,le beurre,  les 
veaux,&  les  bceufspour  labourer  la  terre. L'autre 
forte  de  vaches  font  fauuages ,  qui  fe  tiennent  es 
montagnes  &forefts:  c'eft  pourquoy  on  ne  les 
dompte  point,  &  n'ont  aucun  maiftre  à  qui  elles 
foient  en  propre,  tant  pour  l'afpretc  &efpaifleur 
des  forefts,  que  pour  la  grande  multitude  qu'il  y 
ena:&  celuy  qui  le  premier  les  tuë,eneftle  mai- 
ftre,comme  d'vne  befte  de  chafiTe.Ces  vaches  fau- 
uages ont  tellement  multiplié  en  fainc~t  Domini- 
que^ en  d'autres  endroits  des  enuirons,qu'elles 
vontà  milliers  par  les  campagnes  &bois,n'ayans 


HISTOIRE     UATVRELLE 
aucun  maiftre  à  qui  elles  appartiennent.  L'on  fait 
la  chaflè  àcesbeftes,  pour  leur  cuir  tant  feule- 
ment ,  &  fortent  en  la  campagne  des  nègres  ou 
des  blancs  à  cheual,  aucc  leurs  coupe-iarefts,  qui 
courentles  taureaux  &  vaches  ,  ôc  quand  ils  les 
ont  frappez  Se  arreftez,ils  leur  appartiennent.  Ils 
les  efeorchent ,  &  en  portent  la  peau  en  leur  mai- 
fon,laiiîant  la  chair  perdue,  fans  qu'il  y  aitper- 
fonne  qui  la  prenne  ou  emporte,  à  caufede  l'a- 
bondance qu'il  y  en  a.  Tellement  qu'ils  m'ont 
attefté  en  cefte  ifle ,  qu'en  quelques  endroits  l'air 
l'y  eftoitcorrôpu,pour  l'abondance  de  ces  chairs 
empuanties. Le  cuir  que  l'on  apporte  en  Efpagne 
eft  vn  des  meilleurs  reuenus  des  lilcs,&de  la  neuf  - 
ue  Efpagne.  En  la  flotte  de  quatre  vingts  &fept, 
il  vint  de  faindt  Dominique  le  nombre  de  trente  - 
cinq  mil  quatre  cens  quarante  quatre  cuirs  de  va- 
ches ,  &  de  la  neufue  Efpagne  foixante  quatre 
mil  trois  cents  cinquante,qu'ils  eftimerent  à  qua- 
tre vingts  feize  mil  cinq  cens  trente  deuxpezes. 
De  forte  que  quand  l'on  defeharge  vne  de  ces 
flottes,  c'eft.  chofe  admirable  de  voir  la  riuiere  de 
Scuille,&ectarcenatoù  fe  defehargent  tant  de 
cuirs  &  demarchandife.    llyaaufïidescheures 
en  grand  nombre ,  le  principal  profit  dcfquolles 
eft  le  fuif,  outre  les  cabrits,le  lai&,&  autres  com- 
moditez  qu'on  en  tire  :  d'autant  que  les  riches  Se 
lespauuresfeferuentde  ce  fuif  pour  leur  efclai- 
rer,  car  comme  il  y  en  a  grande  quantité,  aufïïy 
cft-il  à  fort  bon  con  te,  Se  plus  que  l'huile  raefme. 
Il  eft  vray  que  tout  le  fuif  dont  ils  fe  feruentm'cft 
pas  feulement  de  celuy  des  nulles.  Ils  en  accom- 
modent les  marroquins  pour  la  chaulfeurejtou- 


DES    INDES.      LIV.     I  I  1 1.  lît 

tesfois  ic  n'ay  point  opinion  qu'ils  foient  fi  bons 
comme  ceux  que  Ton  y  porte  de  Caftille.    Les 
cheuaux  y  ont  multiplié  ,  &y  font  exquis  en 
beaucoup  d'endroits,  voire  en  la  plus-part  C'y  en 
trouue  des  races  d'aufïï  bos  comme  les  meilleurs 
d'Efpagne ,  tant  pour  courir  vue  carrière  &  pour 
parade,que  pour  le  trauail,&  pour  faire  chemin. 
C'eft  pourquoy  ils  fe  feruent  pour  beftes  de  loua- 
ge Se  pour  voyager,  le  plus  ordinairement  des 
cheuaux,  combien  qu'il  n'y  ait  pas  faute  de  mul- 
les,carily  en  a  beaucoup,  fpecialementés  lieux 
où  fe  font  les  voitures  par  terre,  comme  en  la  ter- 
re ferme.  Il  n'y  a  pas  vn  fi  grand  nombre  d'aines, 
auflî  ils  ne  l'en  feruent  gueres  à  cet  vfage,ny  pour 
le  trauail  &  feruice.  Des  chameaux  il  y  en  a  quel- 
que peu  ,  &en  ay  veu  au  Peru  qui  yauoient  efté 
portez  des  Canaries,  &  qui  y  auoient  multiplié, 
mais  allez  petitement.  En  fàinct  Dominique  les 
chiens  y  ont  multiplié  en  nombre,  8c  engran- 
deur,d'vne telle  façon,  que  c'eft  auiourd'huy  la 
playe  &  l'affliction  de  cefte  ifle.  Car  ils  mangent 
les  brebis,  &vont  en  troupes  par  les  champs. 
Ceux  qui  les  tuent  y  ont  vn  tel  falaire1,  que  ceux 
qui  tuent  les  loups  en  Efpagne.  Devrais  chiens, 
il  n'y  en  auoit  point  premièrement  es  Indes, 
mais  quelques  animaux  femblables  ides  petits 
chiens,  lefquels  les  Indiens  appellent  Alco,  c'eft 
pourquoy  ils  appellent  dumefine  nom  d'Alco 
les  chiens  que  l'on  y  a  portez  d'Efpagne,  à  cau- 
/èdcla  relïemblancc  qui  eft  entre  eux,  &fbnt 
les  Indiens  fi  amis  de  ces  petits  chiens,  qu'ils 
efpargneront  pluftoft  leur  manger  pour  leur 
donner.    Tellement  que  quand  ils  vont  par 


HISTOIRE     NATVRELLE 
pays,  ils  les  portent  aucc  eux  fur  leurs  efpaullcs, 
ou  en  leur  fein,&  quand  ils  font  malades  ils  tien- 
nent ces  petits  chies  auec  eux ,  ians  fe  feruir  d'eux 
en  autre  chofe  que  pour  l'amitié  &  compagnie. 


De  quelques  animaux  de  l'Europe  que  itsEJpagnâls 

trouucrent  es  Indes ,  &  covwicnt  ils 

peuuent  y  auoir  pafîè. 

CHAP.     XXXI  III. 

3* 'Est  vne  chofe  certaine  que  Ton  a  porté 
$$9  d'Efpagne  tous  ces  animaux  dont  i:ay  parle, 
&  qu'il  n'y  en  auoit  point  es  Indes  quand  elles 
furent  premièrement  defcouuertes,  il  n'y  a  pas 
cent  ans:  car  outre  que  c'eft  vnc  chofe  qui  peut 
eftreapprouuec  par  destefmoins  qui  viuenten- 
cores,  c'en  eftvnepreuuefufïifante,  de  voir  que 
les  Indiens  n'ont  en  leur  langue  aucun  mot  pro- 
pre pour  fignificr  ces  animaux,  mais  ils  fe  feruent 
des  mefmcs  noms  Efpagnols /combien  qu'ils 
foient  corrompus  :  pour-autantquenecognoif-[ 
fans  noint  la  chofe,ils  prindrent  le  mot  commuai 
aux fièux  dont  ellcaiioitefté  apportée,  l'ay  trou- 
ué  ceftcreiglebonneppwrdifcerner  quelles  cho-l 
fesauoient  les  Indierîs  auparauant  que  les  Efpa^ 
gnolsyvinirentjCx:  celles  qu'ils  n'auoieutpointj 
car  .ils  donnoientvn  nom  à  celles  qu'ils  auoientJ 
&cogrioi{ïoient  défia,  &  ont  donné  des  nom/ 
noutiçaux  à  celles  qu'ils  ont  eu  denouueau  ,qul 
font  les  mefmcs  noms  F.fpagnols  le  plus  coni 
munément,  quoy  qu'ils  les  prononcent  à  leuj 
mode,  commeau  chenal ,  au  vin ,  &  au  fromenl 
L'on  y  trouua  des  animaux  de  la  mefme  efpccl 


DES    INDES.      tIV.    III I.        183 
de  ceux  que  nous  aiions  en  l' Europe:  (ans  qu'ils  y 
eulïcnt  eftc  portez  par  les  Efpagnols.    Il  y  a  des 
lyons,des  tygres,ouis,fangliers,  renards,  &  d'au- 
tres beftes  fieres  &  fauuages ,  dequoy  nous  auons 
propofé vn argument  au  premier  Hure,  fçauoir 
que  n'eftant  pas  vray-femblable  qu'ils  eullenc 
paiTé  aux  In  des  par  mer,  attédu  que  c'eft  vue  clio- 
îeimpoflible  depaller  l'Océan  à  nagc,&  feroit 
vne  folie  de  penfer  que  les  hommes  les  cullent 
embarquezauee  eux ,  il  fenfuit  que  ce  monde  fc 
continue"  en  quelque  endroit  aucc  l'autre  nou- 
ueau,  par  où  ces  animaux  peuuent  auoir  paiTé,  & 
peuplé  peu  à  peu  ce  nouueau  monde:  puis  que 
iuiuant  l'Efcriture  ces  animaux  iefauuerenc  en 
l'Arche  de  Noé,  Se  de  là  ils  ont  multiplié  au  mo-  ****** 
de.  Les  lyons  que  i'ay  veus  ne  font  rouges,&  n'ôt 
point  ces  crins,  aucc  lefquels  on  aaccouftumé  de 
les  peindre.  Us  font  gris,  &non  pas  fi  furieux 
comme  on  les  void  en  peinture.  Les  Indiens  ('a- 
maurènt&i7auremblent  pour  prendre  &  charter 
les  lyons,&  font  comme  vn  circuit,  qu'ils  appel- 
lent chaco,dont  ils  les  enuironnët,puis  les  tuenc 
à  coups  de  pierres ,  de  battons,  &  d'autres  inftru- 
mes.Ces  lyons  mefmes  ont  accouftumé  de  grim- 
per aux  arbres ,  où  eftans  montez ,  les  Indiens  les 
tuent auec  des  lances ,  ou  arbaleftes  ,&  plus faci- 
lemcn  t  auec  des  arebuzes.  Les  tygresy  font  plus 
furieux  &  plus  cruels  ,  &  ont  la  rencontre  plus 
dangereufe ,  à  caufe  qu'ils  feflancent  &  aflaillent 
en  trahifon.  Ils  font  tachetez, &  de  la  mefme  fa- 
çon que  les  hiftoriographes  les  peignent.I'ay  ouy 
quelqnesfois  conter  que  ces  tygres  eftoient  ani- 
mez contre  le? Indiens,  &  qu'ils  naifailloicnt 


HISTOIRE     NATVR.ELI,  E 
point  les  Efpagnols,ou  bien peu,&  qu'ils  alloiëc 
prendre  &choifirvn  Indien  au  milieu  des  Espa- 
gnols^ qu'ils  les  emportoienc.    Les  ours  qu'ils 
appellent  en  langue  de  Cufco,otoioncos,  font 
de  lamefmecfpece  que  ceux  d'icy  ,  &fe  terrif- 
ient.   L'onyvoid  peu  de  ruches,  poureeque  les 
rais  de  miel  qui  fonc  es  Indes  fe  trouuent  aux  ar- 
bres^ dellbus  la  terre,&  non  pas  aux  ruches,co- 
me  en  Caftille.Les  rais  de  miel  que  i'ay  veus  en  la 
prouince  de  Charcas ,  que  là  ils  appellent  le  chi- 
guanas,font  d'vne  couleur  grife,  ayans  peu  de 
nie  ,  &  rellemblent  plus  à  vne  paille  douce,  qu'à 
des  rais  de  miel. Ils  difent  queles  abeilles  font  pe- 
tites comme  mouches,  ôc  qu'elles  jettent  leur  ci- 
iain  delîouz  la  terre.  Le  miel  en  eft  afpre,&  noir, 
toutesfois  en  quelques  endroits  il  y  en  a  de  meil- 
leur, &  des  rayons  mieux  formez  ,  comme  en  la 
prouince  de Tucuman  enChillé,&  enCartha- 
gene.    le  n'ay  point  veu  ny  ouy  parler  qu'il  y  ait 
des  iangliers,mais  des  renards  ôc  autres  animaux 
qui  mangent  les  beftes,&  la  volaille,il  y  en  a  plus 
queleîj  pafteurs  ne  voudroict.Outre  ces  animaux 
qui  foiit  furieux  &  dommageables ,  il  y  en  a  d'au 
très  profirables,qui  n'y  ont  point  efté  portez  par 
les  Espagnols,  comme  font  les  cerfs,  ôc  autres, 
dontyena  grande  abondance 'en  toutes  les  fo-   , 
refis.  Mais  la  plus  grande  partie  eft  vne  venaifon 
fans  cornes,  à  tout  le  moins  ien'y  en  ay  point 
veu  d'autres ,  ny  ouy  parler  qu'on  y  en  ait  veu,  ôc 
tous  font  (ans  cornes,  comme  corcos.    Il  ne  me 
iemblçpas  difficile  de  croire:  mais  eft  prefquc 
certain  que  tous  ces  animaux  par  leur  lege:eté,& 
pour  élire  naturellement  fàuuages,  ayen;  pailc 


DIS  INDES.  LIV.  IIII.  1S4 
cl'vn  monde  à  l'autre  par  quelque  endroit  où  ils 
le  ioignent,puis  qu'aux  grandes  ifles&cfloignees 
de  la  terre  ferme ,  ie  n'ay  point  decognoiflance 
qu'il  C'y  en  trouue,  quoy  qtiei'aye  fait  recherche 
de  le  defcouurir. 


Des  oi  féaux  de  par  deçà  qui  font  h  Indes ,  & 
comment  ilspeuuent  y  auotrpajsè. 
c  h  a  P.  xxxv. 
Sj®  O  n  pourraplus  facilement  croire  qu'il  en 
m£l  foit  ainfi  des  oifeaux,  &  qu'il  y  en  a  de  la 
mcfmeefpccedeceux  depardeçà,  comme  font 
les  perdrix,les  tourtes ,  pigeons ,  ramiers ,  cailles 
&pluficurs&diuerfes  fortes  de  faucons,lcfquels 
l'on  enuoyedelaneurue  Efpagne  &  du  Pcru,  aux 
feigneutsd'Efpagne,  d'autant  qu'on  en  faitgran- 
de  ettime.  Il  y  a  mefme  dçs  hérons,  &  des  Algies 
dediuerfes  fortes,&  n'y  a  point  de  doute  que  ces 
efpeces  d'oifeaux  &  autres  femblables,  n'y  ayent 
paflfc  l?ien  pluftott  que  les  lyons ,  les  tygres,  Scies 
cerfs.  Il  fe  trouue  auflï  es  Indes  vn  grand  nombre 
de  perroquets ,  fpecialement  aux  Andes  du  Peru, 
&  csiflesde  Port- riche  &  fainti  Dominique,  où 
ils  vont  par  bandes ,  comme  font  les  pigeons  par 
deçà.  En  fin  les  oifeaux  aucc  leurs  aifles  vont  où 
ilj  vculent,&  certainement  pluficurs  efpeces  d'i- 
ceux  pourront  bien  palier  le  Golphe,  puis  que 
c'eft  chofe  certaine,comme  Pline  l'afferme,  qu'il  Piinj,yt 
y  en  a  beaucoup  qui  parlent  la  mer,&  vont  en  dçs  io.c.tj. 
régions  fort  eftranges,  combiequeien'aycpoint 
leu  qu'aucuns  oifeaux  parlent  au  vol  vn  fi  grand 
golphe  comme  eu.  celuy  de  la  mer  Oceanedes 
Indes.  Toutesfois  ne  le  tiens-iepas  pour  du  tout 


JrifUib 
\AeVart 
tmmal.c. 


Tlm.Ub. 


HISTOIRE     NÀTVR.ELI.E 
impoflible  ,  puis  que  l'opinion  commune  des 
mariniers  eft ,  qu'il  f  en  trouuc  deux  cents  lieues, 
voire  beaucoup  dauantagc  loing  de  la  terre,  ôc 
,    qnemefme,côme Anftote i'enfeigne , les oifcaux 
•    endurent  facilement  eftre  dans  l'eaue ,  d  autant 
6  qu'ils  ont  peu  de  refpiration5comme  nous  voyos 
aux  oifeaux  maritimes,  lefquels  fe  plongent  ôc 
ion  tvn  long  temps  dedans  l'cauë.  Ainfi  pourra- 
on  dire  quelesoifeaux  qui  fe  tronuent  à  prêtent 
en  la  terre  ferme,&  es  ifles  des  lndes,ont  peu  pal- 
fer  la  mer ,  le  delailïàns  en  des  Mettes ,  &  en  des 
terres  qu'ils  recognoilfent  par  vu  inftiruS  natu- 
rel (comme  Pline  racontede  quelques- vns)  ou 
'   parauanture  fêlai  flan  s  tomber  en  l'eaue,  quand 
ils  font  fatiguez  de  voiler,  &  après  reprenansle 
v  ol,qnand  ils  le  font  repofez  quelque  peu.  Quït 
au  x  oi  (eaux  que  l'on  void  es  Mes ,  efquelles  il  n  y 
a  point  d'animaux  terreftres,  ic  tiens  fans  doute 
qu'ils  y  ont  pâlie  par  vne  des  façosfufdites.  Mais 
pour  les  autres  oifeauxqui  fctrouuent  en  la  ter- 
re ferme,  principalement  ceux  qui  ont  vn  petit 
voI,il  eft  plus  aile  de  croire  qu'ils  y  ayent  efte  co- 
rne les  animaux  delà  terre ,  qui  font  delà  meimc 
efpecedeceux  d'Europe.  Car  il  y  a  aux  Indes  de 
grands  oifeaux  fort  pefans,  comme  les  Auftrii- 
chcs.dont  il  y  en  a  fort  au  Pem.lefquelles  ont  ac- 
couftumé  d'efpouuenter  quelquesfois  les  mou- 
tons du  pays  qui  vont  chargez.  Mais  laiiïant  ces 
oifeaux,  qui  fe  gouuc ment  d'eux-mefrnes ,  lans 
que  les  hommes  en  ayent  le  foing,  fi  ce  n'eu  pour 
la  chaire,  parlons  des  oifeaux  domeftiques.  le 
mefmerueilledes  poullcs,attédu  qu'il  y  enauoit 
aux  Indes  auantquelesEfpagnols  y  amusent, 

ce  qui 


DES  INDES.  IIV.  III I.  l8f 
ce  qui  eft  allez  prouué,parce  qu'elles  on  t  vn  nom 
propre  du  pays,&  appellent  la  poulie  Gualpa ,  &c 
leur  œuf  Ponto,&  ont  en  vfagele  melmeprouer- 
be  que  nous  auons  icy,dappeîler  poulie  vn  hom- 
me couard.  Ceux  qui  furent  à  la  dcfcouuertc  des 
iflesdeSalomon,  racontent  qu'ils  y  ont  vcu  des 
poulies  femblables  aux  noftres. L'on  peut  enten- 
dre quela  poulie  eftant  vn  oiieau  iidomcftique, 
ik  fi  profitable  comme  elle eft,  les  hommes  les  y 
ont  peu  porter  auec  eux ,  quand  ils  pailerent  d'vn 
lieu  en  autre,comme  nous  voyons  encor  auiour- 
d'huy,  &  que  les  Indiens  en  voyageant  por toienc 
leur  poulie,  ou  poullet  iur  la  charge  qu'ils  por- 
tent fur  leurs  efpaulles,  &  mefmes  les  portent  fa- 
cilement en  leurs  poulliers  ,  &  cages  de  jonc  3ou 
de  bob.  Finalement  il  y  a  es  Indes  beaucoup  d'e- 
Ipece  d'animaux,&  d'oifeaux  de  ceux  de  l'Europe 
quei'ay  dites,&dautres  fortes  que  d'autres  pour- 
ront raconter. 


Comme  ileHpofîiblequ'ily  ait  es  Indes  quelques 

fortes  d'animaux ,  dont  il  n'y  ait 
i,  point  ailleurs. 

CHAP.     XXXV I. 

Si 'Est  chofe  plus  difficile  de  monftrer  & 
iprouuerquel  commencement  ont  eu  plu- 
sieurs ôc  diueries  fortes  d'animaux  qui  fc  trou- 
uentés  Indes, de l'efpece  defquclsnous  n'auons 
point  en  ce  continent.  Car  il  le  Créateur  les  a 
produits  en  ces  parties ,  il  ne  faut  point  alléguer, 
nyauoir  recours  à  l'Arche  de  Noé,  &  n'eftoic 
poiu:  de  beibin  de  fauuer  alors  toutes  les  efpeces 

a 


HISTOIRE  NATVRELLE 
d'oifeaux&  animaux, fi  d'autres  deuoient  eftre 
créées  de  nouueau:  d'autre-parc  on  ne  pourroit 
pas  dire  que  le  monde  euft  efté  fait  &  acheué  es 
fix  iours  de  la  creationjf'il  y  euft  eu  encor  d'antres 
nouuelles  efpeces  à  former,  8c  principalemct  des 
animaux  parfaits  ,  &  non  moinsexcellents  que 
ceux  qui  nous  (ont  cogneus.Si  nous  difons  donc 
que  toutes  les  efpeces  d'animaux  furent  confer- 
uees  en  l'Arche  de  Noé  ,  il  f  enfuit  que  les  ani- 
maux ,  de  l'cfpece  defquels  il  ne  fen  trouuc  en 
d'autres  endroits  qu'es  Indes,yayent  parlé  de  ce 
continent, tout ainfi  comme  nous auons dit  des 
autres  animaux  qui  nous  font  cogneus.Ccla  fup- 
pofé,  ic demande  comme  il eft  pofîïble  qu'il  n'en 
foitrefté  par  deçà  aucun  deleurefpece,&  comme 
il  fen  trouue  feulemet  par  delà ,  où  ils  font  com- 
me voyagers  8c  étrangers.  C'eftàlaverité  vne 
queftion  qui  m'a  long  temps  tenu  en  perplexité, 
le  dy  pour  exemple,  fi  les  moutons  du  Peru,  8c 
ceux  qu'ils  appellent  Pacos,&:  Guanacos ,  ne  fe 
trouuent  point  en  d'autres  régions  du  monde, 
quilcs  a  portez  au  Peru,  ou  comment  y  ont- ils 
efté,  veu  qu'il  n'eft  demeuré  aucune  apparence, 
ny  refte  d'iccux  en  tout  ce  monde  ?  Que  Ci  ils  n'y 
ont  point  palféd'vne  autre  région,  commentfe 
font-ils  formez  8c  produits  par  delà  ?  Parauantu- 
rc  Dieu  a-  il  fait  vne  autre  nouuclle  création  d'a- 
nimaux ?  Ce  que  iedy  de  ces  Pacos  8c  Guanacos, 
ie  le  dy  de  mil  autres  différentes  efpeces  d'oifcaux 
&d'animauxdeforeft,qui  iamais  n'ont  efté  co- 
gncus,ny  de  figure,  ny  de  nom,&  defquels  il  n'eft 
fait  aucune  mention ,  foie  entre  les  Latins ,  foie 
encreles  Grccs5ou  quelques  autres  nations  de  ce 


DES    INDES.       IIV.    II II.  I$6 

monde.  Il  faut  donc  dire  que  combien  que  to  u  s 
les  animaux  ioient  fortis  de  l'Arche,  neancmoin  s 
par .vninftinct  naturel  &prouidenceduciel,  dî- 
ners genres  d'iceux  f'efpartirent  en  diucries  ré- 
gions, en  aucunes  defquellesilsfe  trouuerent  fi 
bien,  qu'ils  n'en  voulurent  point  partir:  ou  fris 
en  forment,  ne  fe  conferuerent,  ou^icn  en  fin  de 
temps  ils  perirenr  totalement ,  comme  l'on  void 
arriueren  beaucoup  déchoies:  car  fi  l'on  y  veut 
regarder  de  près, on  trouueraquece  n'eft  pas  tant 
feulement  vne  chofe  propre  &  particulière  es  In- 
des, mais  au0î  générale  en  beaucoup  d'autres  ré- 
gions &:prouinces  de  l'Afie,  d'Europe  &  d'Afri- 
que, efquellesl'on  dit  qu'il  y  a  certaines  efpeces 
d'animaux  qui  ne  fe  trouuent  point  en  d'autres 
régions,  au  moins  fil  f'en  trouue  ailleurs,  l'on 
recognoift.  qu'ils  y  ont  elle  portez  de  là.  Puis 
donc  que  ces  animaux  iont  fortis  de  l'Arche, 
comme  pour  exemple  ,  les  Elephans  que  Ton 
trouue  feulement  en  l'Inde  Orientalle,  ôc  de  là 
ic  font  communiquez  en  d'autres  régions ,  nous 
en  pourrions  dire  autant  de  ces  animaux  du  Pe~ 
ru,  &  des  autres  dzs  Indes,  qui  ne  (e  trouuent 
enautrepartiedumondc.  L'on  peut  bien  aufîï 
coniidcrcriurcefujet.,  fi  tels  animaux  différent 
enefpece,&  eilentiellemcntde  tous  les  autres, 
ou  fi  cefte  leur  différence  eft  accidentelle  ,  la- 
quelle peut  y  auoir  efté  caufee  par  diuers  acci- 
dentSjComme  nous  voyons  au  lignage  des  hom- 
mes, que  les  vns  font  blancs,  Ôc  les  autres  fon-t 
noirs,  lesvnsgeans,Ies  autres  nains,  &en  l'ef- 
pece  des  finges,  les  vns  n'ont  point  de  queue, 
&  les  autres  en  ont:  entre  les  moutons,  les  vns 

a  i) 


-  Mi 


HISTOIRE  NATVRELLE 
font  rez,&:  les  autres  velus,  les  vns  grâds  &  forts, 
qui  ont  le  colfort  lonç,  comme  ceux  du  Pcru ,  Se 
1  es  autres  foibles  Se  petits,  ayans  le  col  court  co- 
rne ceux  de  Caftille.  Mais  pour  en  parler  plus  fai- 
nement,  qui  voudra  par  cedifeours,  en  mettant 
feulement  ces  différences  accidentales,conferuer 
la  propagation  des  animaux  es  Indes,&  les  rédui- 
re à  ceux  d' Europe ,  predra  vne  charge,de  laquel- 
le il  pourra  mal-aifément  fortir  à  ion  honneur. 
Car  (1  nous  dcuonsiuger  les  cfpeces  d'animaux 
par  leurs  ptoprictez ,  ceux  des  Indes  font  il  diffé- 
rends ,  que  c'eft  appeller  l'œuf  chaftaigne ,  de  les 
vouloir  réduire  aux  efpeces  çognu'és  de  l'Europe. 

Des  oifeaux  qui  font  propres  es  Indes. 

CHAP.     XXXVII. 

*Y(*  Lyaaux  Indes  de  plusieurs  fortes  d'oifeaux 
SJfâ  remarquables, foit qu'ils foient delà  mefme 
efpece  de  ceux  d'icy,ou  autres  différents.  Ils  ap- 
portent delà  Chine  certains  oifeaux  qui  n'ont 
point  de  pieds  aucunement,&  tout  leur  corps  eft 
quafî  plume.  Ils  ne  f  aillent  point  en  terre,  mais 
ils  fe  pendent  aux  rameaux  par  des  fillets,  ou  plu- 
mes qu'ils  ont,  &ainfi  le  repofent  comme  des 
moufches,&  chofés  aériennes.  Au  Peru  il  y  a  des 
oifeaux  qu'ils  appellent  Tomineios,iîpetits,quc 
beaucoup  de  fois  i'ay  douté  les  voyant  voler  u 
c'el\oientabeilles,ou  papillons  :  mais  à  la  vérité 
ce  font  oifeaux.  Au  contraire  ceux  qu'ils  appel- 
lent condores,  y  font  d'vne  extrême  grandeur,  Se 
d'vnetelleforce,qucnon  feulement  ils  ouurent 
&  dcfpecent  vn  moutô.  Se  le  mangent,  maisaufïï 


DES     INDES.     LIV.    I  1 1  I.  187 

vn  veau  tout  entier. Ceux  qu'ils  appellent  Auras, 
Ôc  les  autres  poullazes  (lefquelles  ie  croy  quan  t  à 
moy  eftre  du  gère  des  corbeaux)  font  d'vne  eftra- 
ge  légèreté  ,  &  ont  la  veue"  fort  aiguë,  eftans  fort 
propres  pour  nettoyer  les  citez,  d'autant  qu'ils 
n'y  laillent aucunes  charongnes  ,  nychofes  mor- 
tes. Ils  partent  la  nuict  fur  les  arbres,  ou  fur  les  ro- 
chers, &  au  matin  ils  viennent  aux  citez  fe  met- 
tans  fur  le  fommet  des  plus  hauts  édifices,  d'où 
ilsefpient  &c  attendent  leurprife.    Leurspetits 
ont  le  plumage  blanc,  comme  l'on  raconte  des 
corbeaux,  &  changent  le  poil  en  noir. Les  guaca- 
mayac,  font  oifeaux  plus  grands  que  perroquets, 
&  leur  reifemblent  en  quelque  chofe,ils  font  efti- 
mez  pour  la  diuerfe  couleur  de  leur  plumage,qui 
eft  fort  beau,&  fort  agréable.  En  la  neufue  Efpa- 
gne  il  y  a  abondance  d'ôifeaux  ,d'vn  exceller  plu- 
mage, de  forte  qu'il  nefentrouue  point  en  Eu- 
rope qui  en  approchent ,  comme  l'on  peut  voir 
par  les  images  de  plumes  qu'ils  apportentde  là, 
ïefqueîs  auec  beaucoup  de  raifonfontprifez  8c 
eftimez,  donnans  occaliondefefmcruciller  que 
l'on  puiife  faire  auec  des  plumes  d'oifeaux  vne 
ceuuretî  délicate  &  fi  parfaitement  efgale,  qu'ils 
femblent  proprement  eftre  de  vrayes  couleurs  de 
peinturc,&  ont  vnœil&vn  regard  h*  gay,fivif,& 
h*  agréable,  que  le  peintre  n'en  peut  pas  faire  de  fi 
beaux  auec  fon  pinceau  &  Tes  couleurs. Quelques 
IndiëSjbons  ouuriers  &  experts  en  cet  art,  pour- 
trayent  de  ces  plumes,  &  représentent  parfaite- 
ment ce  qu'ils  voyent  peint  auec  le  pinceau,  de 
telle  façon  que  les  peintres  d'Efpagnc  n'ont  en 
ce  poin&aucunauantagefureux.  Le  précepteur 

a  ii) 


HISTOIRE  NATVRELLE 
du  Prince d'Efpagne  Dom  Philippe,  luy  donna 
crois  eftampes,ou  pourtraits  faits  de  plume,com- 
mepour  mettre  en  vn  breuiaire,  lcfqn elles  fou 
AltelFe  moftraau  roy  Dom  Philippe  noftre  (ïcur, 
Ton  père,  lefqnels  fà  majefté  contemplant  ,  &:  re- 
gardant de  près,  dit  qu'il  n'auoit  iamais  veu  en 
ccuurefi  petite vnechofe  de  iî  grande  perfe&ion 
8c  excellence.  Comme  on  eutvnic^urprefentéa 
IaSain6tetédeSixtecinquiefme,vn  autre  quarre 
plusgrand,oùeftoitpourtraitfaind  François, & 
qu'on  luy  euft  dit  que  les  Indiens  faifoient  cela 
de  plume,  il  le  voulut  efprouuer,  touchant  des 
doigts  le  tableau,pour  voir  fi  c'eftoit  plume,dau- 
tant  que  cela  luy  fembloit  chofe  merueilleufe 
d'eftre  fi  proprement  agencé,  que  la  veuë  ne  pou  - 
uoitiuger&dilcerner  fi  c'eftoient  couleurs  na- 
turelles de  plume ,  ou  Ci  elles  eftoient  artificielles 
de  pinceau.  C'eft  vne  chofe  fort  belle  que  les  rais 
&  regard  que  jette  vnvert,vn  orangé  comme  do- 
ré^ autres  couleurs  fines,  8c  vne  chofe  digne  de 
remarquer,  que  les  regardans  d'vne  autre  façon, 
on  les  void  comme  couleurs  mortes .  Ils  font  les 
meilleures  8c  plus  belles  images  de  plume ,  en  la 
prouince  de  Mechouacan,  &  au  bourg  de  Pafca- 
ro.  La  façon  eft  qu'auec  de  petites  pinces  délica- 
tes ils  arrachent  les  plumes  des  mefmcsoifeaux 
morts  ,  &auec  vne  colle  defliee  qu'ils  ont  ,  les 
vont  attachant  légèrement, Se  poliement.  Ils 
prennent  ces  plumes  fi  délicates,  8c  petites  de 
cesGifeaux,qu'iIsappellentau  Peru,Tomincios, 
ou  d'autres  femblables ,  qui  ont  de  tres-parfaites 
couleurs  en  leurs  plumes.  Les  Indiens  outre  ces 
images ,  fe  feiuoienc  des  plumes  en  beaucoup 


■ 


-TfBif'  i7'Êrrnfn*~~i  rr- 


DES      INDES.      LIV.    1 1 1  I.  l88 

d'autres  ouurages  fore  précieux  ,  fpccialemenc 
pour  l'ornement  des  rois  ôc  feigneurs  de  leurs 
temples  ôc  idoles.  Car  il  y  a  au fli  d'autres  grands 
oifeaux  qui  ont  des  plumes  excellentes ,  ôc  très- 
fines,  dequoy  ils  faifoient  des  pannaches  ,  Ôc 
plumages  bigarrez,  fpecialement  quand  ils  al- 
loient  en  guerre ,  les  enrichiflant  d'or  &  d'argenc 
fort  artificieufement  ,  qui  eftoit  vnc  chofe  de 
grand  prix.    Les  mefmes  oifeaux  y  font  encor 
auiourdhuy ,  mais  ils  n'en  font  pas  tant  curieux, 
ôc  n'en  font  plus  tant  de  pannaches,  ny  de  gcntil- 
lefles  comme  ils  foulaient.  Il  y  a  aux  Indes  d'au- 
tres oifeaux  du  tout  contraire  à  ceux- cy  défi  ri- 
che plumage ,  lefquels  outre  ce  qu'ils  font  laids, 
neferuent  d'autre  chofe  que  de  faire  de  la  fiente, 
&neatmoinsne  font-ils  pas  peut-  cftre  de  moin- 
dre profit.     I'ayconfideré  celam'efmerueillanc 
de  la  prouidence  du  Créateur,  qui  a  ainfi  or- 
donné que  les  autres  créatures  feruent  aux  hom- 
mes. En  quelques  Mes  ou  Phares  qui  font  joi- 
gnante cofteduPeru,  l'on  void  le  long  des  pics 
ôc  montagnes  toutes  blanches  ,  ôc  diroit-on  à 
les  voir  que  ce  feroit  de  la  neige  ,  ouque  tout  y 
eft  vne  terre  blanche,  mais  ce  font  des  monceaux 
de  la  fiente  de  ces  oifeaux  marins  qui  vont  là 
continuellement  fienter  ,  ôc  y  en  a  fi  grande  a- 
bondance  ,  qu'elle  fe  haulîe  plulieurs  aulnes, 
voire  plufîeurs  lances  en  haut  :  ce  qui  femble 
crnfe  fabuleufe  ,    Ils  vont  auec  des  bafteaux  à 
cei  iiles  ,  feulement  pour  charger  cède  fien- 
te ,  pource  qu'il  n'y  a  autre  fruict,  grand  ny 
pe:it  enicelles  :  ôc  eft  celle  fiente  fi  commode 
ôc  fi  profitable  ,  que  la  terre  qui  en  eft  fume© 

a  iiij 


-V'T 


I 


HISTOIRE  NATVRELLE 
rapporte  du  fruict  en  fort  grand'  abondance.  Ils 
appellent  cefteficnteguano,d'oùaprins  le  nom 
la  vallée  qu'ils  difentdelimaguana,  es  vallées  du 
Peru,  où  ils  fe  feruent  de  celle  fiente,  &eft  la  plus 
fertile  de  ce  terroir.  Les  coings ,  grenades,&:  au- 
tres fïuicts  y  excédent  en  grandeur  &  bonté  tous 
les  autres',  &difent  que  c'elt  pource  que  l'eauè 
auec  laquelle  ils  les  arroufent  palfe  par  de  la  ter- 
re fumée  de  cefte  fiente,  qui  eau  fêla  beauté  de  ce 
frui&.Tellementquecesoifeaux  n'ont  pas  feule- 
ment la  chair  pour  feruir  de  viande ,  le  char  pour 
la  récréation,  la  plume  pour  l'ornement  &gail- 
lardife,  mais  aufïï  leur  fiente  fert  pour  engrailFer 
la  terre.  Ce  qui  a  efté  ainfî  ordonné  par  le  Créa- 
teur fouuerain  pour  le  feruice  del'homme ,  afin 
qu'il  fc  relïbuuienne  derecognoiftre  &eftre  loyal 
à  celuy  duquel  tout  fon  bien  procède. 


Des  beftes  de  c baffe. 

CHAP.    XXXVIII. 

i  Vtre  les  animaux  de  charte  dont  nous  auons 
Ê3$parlc ,  qui  font  communs  es  Indes  &  à  l'Eu- 
rope ,  il  y  en  a  d'autres  qui  fe  trouuent  par  delà, 
dontie  ne  fçache  point  qu'il  y  en  aitpar  deçà,  fi- 
non  queparauantureilsy  ayenteftéapporcezde 
ces  parties  là.  Ils  appellent  Sainos,  des  animaux 
qui  iontfaitscommepetitsporcs ,  qui  ont  cefte 
çhofe  eftrange  d'auoir  le  nombril  foc  i'efchine  du 
dos. Ceux-là  vont  par  les  bois  en  troupes,ils  font 
cruels  fans  eftre  aucunement  craintifs,  au  con- 
traire ils  allàillet  &  ont  des  Brocs  comme  rafoirs, 
auec  lefquels  ils  font  de  dàngereuies  blelfeures  5c 


DES    INDES.      LIY.     II  II.  I S  9 

incifions,fi  ceux  qui  les  chatfent  ne  fe  mettent  en 
lieu  de  fauiie- garde.    Ceux  qui  les  chaiîent  pour 
les  tuer  plus  feurement  montent  en  des  arbres, où 
incontinent  les  fainos  ou  porcs  accourent  &ar- 
riuent  en  troupe  à  mordre  l'arbre  quand  ils  ne 
peuuent  nuire  à  l'homme,  ik  alors  du  haut  auec 
vue  lance  ils  ble(Tent&:  tuent  ceux  qu'ils  veulet. 
Ils  font  très  bons  à  mager,  mais  il  eft  befoin  aufïï 
toft  leur  ofter  6c  couper  ce  rond  qu'ils  ont  au 
nombril  de  l'efpine,  car  autrement  dans  vn  iour 
ilsfecorromproient.  Il  y  a  vue  autre  race  de  pe- 
tits animaux  qui  reffemblcnt  à  des  cochons  de 
laict,  &  les  appellent  Guadatinais.  le  doute  fil  y 
auoitaux  Indes auant  que  les  Efpagnols  yvinf- 
fent,desporcsdelamefmeefpece  de  ceuxd'Eu- 
rore,  damant  qu'en  la  defccuucrte  des  ifies  de 
Salomon,il  eft  dit  qu'ils  y  trouuerent  des  poulies 
ôc  des  porcs  d'Efpagne.    Mais  quoyquece  foit, 
c'eft  vue  chofe  certaine  que  ce  beftial  a  multiplié 
prefque  en  toutes  les  parties  des  Indes  fort  abo- 
damment.    Ils  en  mangent  la  chair  frai fche,  la 
tiennentaunrifaine&  bonne  comme  iic'eftoit  du 
mouton. comme  en  Carthageneen  quelques  en- 
droits ils  font  deuenus  fumages  &  cruels,  &  leur 
fait-on  la  chafïe  comme  à  des  (angliers,  ainfique 
i'on  void  en  faincT:  Dominique ,  &  es  autres  ifles 
où  le  beftial  f  eft  habitué  aux  forefts.En  quelques- 
endroits  ils  les  nourrilïen  t  auec  le  grain  de  mays, 
&ils  ^engrailFent  merneilleufement,  afin  d'en 
auoirlefain,dont  ils  vfent  à  faute  d'huile:  en  au- 
cuns lieux  l'on  en  fait  des  jambons,  comme  en 
ToIlucadelaneufueEfpagne,&enParia  du  Pe- 
•tu.  Retournant  donc  à  ces  animaux  de  pardelà, 


HISTOIRE     NATVRELLE 
toutainfî  comme  les  fainos  font  femblables  aux 
porcs,quoy qu'ils  foient  plus  petits:ainfi  les  dan- 
tes  refTemblctaux  petites  vaches,  combien  qu'ils 
reirembient  mieux  à  des  mulles  ,  pour  n'auoir 
point  de  cornes.   Le  cuirdecesanimauxeft  fort 
eftimé  pour  des  collets  8c  autres  couuertures,  ôc 
font  fi  durs  qu'ils  refiftent  à  quelque  coup  que  ce 
foit.    Etcomme  lesciantes  font  défendus  par  la 
force  &  dureté  de  leur  cuir,ceux  qu'ils  appellent 
armadillos  le  fontauffipar  la  multitude  des  ef- 
cailles  qu'ils  ont,lefquels  fouurent  &fe ferrent 
comme  ils  veulent  en  façon  de  cuiraife.  Ce  font 
des  petits  animaux  qui  vont  par  les  bois,lefquels 
ils  appellét  armadillos,à  caufe  de  la  defenfe  qu'ils 
ont  femettas  dans  leurs  coquilles  ,&lesdefcou- 
urantquand  ils  veulent.  I'enay  mangé,&nemc 
femble  pas  chofe  de  grand'  valeur  :  mais  la  chait 
des  yquanas  eft  vn  meilleur  manger,  combien 
qu'ils  foient  hideux  &  horribles  à  la  veué  :  car  ils 
reifemblent  aux  vrais  lézards  d'Efpagne,  encor 
qu'ils  foient  d'vn  genre  ambigu  &  douteux,dau- 
tan  t  qu'ils  vont  àl'eaue,&:  fortansen  terre  mon- 
tent aux  arbres  du  riuage  ,  8c  comme  ils  fe  jettent 
des  arbres  en  l'eaue ,  les  bateaux  fe  mettent  def- 
fouz  qui  les  recueillent  Les  chinchilles  eft  vn  au- 
tre genre  de  petits  animaux  comme  efcurieux.Ils 
ontvn  poil  merueilleufement  doux  &liifé  ,  8c 
porte  l'on  leurs  peaux  comme  vnechofeexquife 
&falutairepoutefchauncerreftomach&les  par- 
ties qui  ont  befoin  de  chaleur  modérée.  Us  font 
des  couuertures  8c  des  caftellongnes  dupoilde 
ces  chinchilles,  &  fe  trouuent  en  la  Sierrc  du 
ru,où  il  y  a  rnefme  vn  petit  animal  fort  commui 


DES    INDES.      LIV.     IIII.         1^0 
qu'ilsappellentcuyes,que  les  Indiens  cftimenc 
pourvn  très- bon  magery&ont  accoutlumé  d'of- 
frir fouuent  en  leurs  Sacrifices  ces  cuyes.   Ils  font 
comme  pecirs  connins ,  &  ont  leurs  creux  &:  ta- 
nières dans  la  terre ,  &  en  quelques  lieux  ont  mi- 
né toute  la  terre:les  vus  font  gris, les  autres  blûcs 
&  les  autres  meflcz.Il  y  a  d'autres  petits  animaux 
qu'ils  appellent  Vifcachas ,  qui  font  comme  des 
lieures  ,  combien  qu'ils  foient  plus  grands,  aux- 
quels ils  font  la  c!ïa(re,&  les  mangent.   Des  vrais 
lieures  il  y  en  a  allez  grand  nombre  pour  la  chaiïe 
en  quelques  endroits.  L'on  trouueauiïi  des  con- 
nins au  royaume  de  Qmtto,  mais  les  bons  y  fout 
venus  d'Efpagnc.  C'eftvn  autre  animal  eftrange, 
que celuy  lequel  pourfonexceiïiue  peiantcur& 
tardiueté  à  femouuoir,ils  appellent  Perico-lige- 
ro,ou  petit  Pierre  le  Leger.il  a  trois  ongles  à  cha- 
que main  ,  &  meut  fes  pieds  &  Ces  mains  comme 
par  compas,  6c  fort  pefamment ,  ôc  relîemble  de 
face  à  vne  guenon.    Ilavncry  hautain,il  monte 
aux  arbres,&:  mange  des  fourmis. 


DcsMicos  ou  Guenons  des  Indes. 
ch  a  p.  xxx  rx. 

Ar  toutes  les  montagnes  de  cesiflesde  la 
\£1  terre  ferme,  &  des  Andes  ,  ily  a  vn  nombre 
i  nfiny  de  Micos  ou  guenos  qui  font  de  la  race  des 
finges,mais  différents  en  cequ'ils  ont  vne  queue, 
voire  rbrtlogue,  Et  y  en  a  entr'eux  quelques  races 
qui  font  trois  fois  plus  grâds,voire  quatre  que  les 
ordinaires,lesvns  sot  du  tout  noirs,lesautres  buis 


HISTOIRE     NATVRELLE 
les  autres  gris,  Se  les  au  très  tachetez,  Se  méfiez. 
Leur  légèreté  &  leur  façon  de  faire  e'ft  admirable, 
pource  qu'il  femble  qu'ils  ayent  de  la  raifon  Se 
du  difeours  à  chemine*  par  les  arbres,  en  ce  qu'ils 
veulent  prefque  imiter  les  oifeaux.    En  allant  de 
Nom  de  Dieu  en  Panama,ieveidsenCapira  que 
vne  de  ces  guenons  fauta  d'vn  arbre  en  l'autre  qui 
eftoit  de  l'autre  cofté  delariuiere,  ce  qui  me  fit 
beaucoup  efmerueiller. Ils  fautent  où  ils  veulent, 
fentortillansla queue  en  vnebranchepour  Pef- 
branler,&  quand  ils  veulent  fauter  en  vnlieuef- 
ioignè,&  qu'ils  nepeuuentd'vn  faut  y  atteindre, 
ils  vfent  alors  d'vne  gentille  façon  ,  qui  eft.  qu'ils 
Rattachent  à  la  queue  les  vus  des  autres ,  Se  font 
par  ce  moyen  comme  vnc  chaine  de  pluiîeurs, 
puis  après  ils  l'eflancent  &  fe  jettent  auant ,  &  le 
premier  eftant  aidé  de  la  force  des  autres,  atteint 
où  il  veut,  Se  ('attache  en  vu  rameau ,  puis  il  aid  e 
Se  fouftient  tout  le  relie  iufqucs  à  ce  qu'ils  foient 
tous  paruenusattacheZjComei'ay  dit,  à  la  queue 
les  vns  des  autres.  Ce  feroic  chofe  longue  à  racô- 
ter  quelles  folies,  embufches&  trauerfes ,  &les 
jeux  &gaillardifes  qu'ils  font  quand  onlcsdref- 
fe:  lefquelles  ne  femblent  pas  venir  d'animaux 
brutaux ,  mais  d'vn  entendement  humain.    l'en 
veids  vn  en  Carthagene  en  la  maifon  du  Gouuer- 
neur,  tellement  dred'é,  que  les  chofes  qu'il  faiioiti 
fembloient  incroyables.  Ilsl'enuoyoicnt  àlata- 
uerne  pour  auoir  du  vin,  Se  îuy  mettoienten  vnej 
main  de  l'argent,  &  le  pot  en  l'autre,  &n'eftoitj 
paspoffible  de  luy  tirer  l'argent  de  la  main  iuf 
ques  à  ce  qu'on  luyeuft  doné  le  pot  plein  de  vin 
Si  les  enfans  le  rencontroientpar  la  rue ,  Se  qu'ils 


DIS    INDES.       LIV.    1 1  II.  15)1 

le  viniîent  agailer  ou  luy  jetter  des  pierres,il  mec- 
toit  bas  le  pot  d'vn  codé  &  fur  les  pierres,  ruanc 
de  fa  part  contre  les  enfans,iufqucs  à  ce  qu'il  euft 
afleuré  le  chemin  ,  puis  recournoit  à  porter  Ton 
pot  :  Ôc  qui  plus  eft,  encor  qu'il  fuft  bon  beuueur 
de  vin  (comme  plufieurs  fois  ie  luy  en  ay  veu  boi- 
re lors  que  Ion  maiftre  luy  en  jettoit  d'enhaut) 
neantmoins  il  n'y  euft  iamais  touché  qu'on  ne 
luy  en  euft  donné  congé,  Ilsmédirëtmefmeque 
î'il  voyoit  des  femmes  fardées ,  il  fc  jettoit  fur  el- 
les^ leur  tiroit  la  coiffeurc  ,  lesdefaccommo- 
dant  &  les  voulant  mordre.  Cecypouiraeftread- 
dition3pource  que  ie  nel'ay  point  veu:mais  ie  ne 
penie  point  qu'il  y  ait  animal  qui  plus  approche 
de  la  conuerfation  humaine  que  cefte  race  de 
guenons.  Ils  en  racontent  tant  dechofes,que  de 
peur  que  l'on  ne  penfe  que  i'adioufte  foy  à  des  fa- 
bles3ou  que  l'on  ne  les  tienne  pour  telles,ie  trou- 
ne  meilleur  de  biffer  ce  fujet ,  Se  conclure  cefte 
matière ,  en  beniffant  l'authcur  de  toutes  créatu- 
res ,  de  ce  qu'il  a  voulu  créer  vne  efpece  d'ani- 
maux feulement  pour  la  récréation  &  leplaifir 
des  hommes.  Quelques-vns  ont  cfcritque  l'on 
apportoit  ces  snicosou  guenons  à  Salomon  de 
l'Inde  Occidentale ,  mais  ie  croy  de  ma  part  que 
c'eftoitde  l'Orientale. 


Dcsyicugnes  &  Wugues  du  Veru. 

CHAP.     XL. 

SftgS  N  t  re  les  chofes  remarquables  des  Irudes 
êJ*S  eu  Peru  font  les  vieugnes  &  moutons  du 
pays  cu'ils  appellent,  qui  font  des  animaux  trai- 


HISTOIRE    NATV'RELLE 
diables, &  de  beaucoup  de  profit.    Les  vieugnes 
font  fauuages ,  &:  les  moutons  eft  vn  beftial  do- 
meftique.  Quelques- vns  ont  penfc  que  les  vieu- 
gnes (ontee  qu'Aii  tote,Pline  &  autres  aurheurs 
traittent,  quand  îisefcriuentde ce  qu'ils  appel- 
lent Capreas ,  qui  font  cheures  fauuages,  &  leur 
f>ortent  certainement  quelque  reUcmblàcepour 
a  legerecé  qu'ils  ont  à  aller  parles  bois&mon- 
tagnes,&  pour  rerTernblerainlî  en  quelque  choie 
aux  cheures,  mais  en  effecl:  elles  ne  font  point 
d'vne  melme  efpece  :  car  les  vieugnes  n'ont 
point  de  cornes, mais  celles  là  en  ont.  comme  A- 
nftote  raconte.    Cène  font  point  non  plus  les 
cheures  de  l'Inde  Orientale ,  de  l'efpece  desquels 
ils  tirent  les  pierres  de  bezaar  :  car  fils  font  de  ce 
genre,ceferoitvne  eipccediuerie  :  commeenla 
race  des  chiens  l'efpece  dumaftin  eft autre  que 
celle  du  leurier.    Les  vieugnes  du  Peru  ne  font 
pointaufllles  animaux  qui  portent  la  pierre  de 
bezaarenlaprouincedelaneufue  Efpagnc,  lef- 
quels  ils  appellent  là  bezaars ,  dautant  que  ceux- 
là  font  de  l'efpece  des  cerfs  &rvenaifon.  Neant- 
moinsie  nefçache  autre pardedumondeoùil y 
aye  de  ces  animaux  finon  au  Peru  &]en  Chillc, 
qui  (ont  prouinecs  îoignantes  l'vne  de  l'autre. 
Les  vieugnes  font  plus  grandes  que  les  cheures,  1 
ckpluspeutes  quejes  veaux. llsont  lepoil  tirant 
à  couleur  de  rofeicche,  quelque  peu  plus  claire; 
îlsn'ontpoint  decornes  comme  les  cerfs  &  ca-i 
preas.  Ils  paillent  Se  le  retirer  es  endroits  les  plus 
hautains  des  montagnes,qu'ilsappelIemPugnas.  I 
La  neige  ny  la  gelée  ne  les  offenie  point,  au  con- 
traire il  femblc  quelleles  recrée.  Ils  ?  ôt  en  trou-j 


DES     INDES.     LIV.    I  1 1 1.  19 Z 

pe,&  courent  tres-legerement.  Quand  ils  ren- 
contrent des  voyageans  ou  quelques  beftes,  ils 
fenfuyent  comme  beftes  fort  timides,&  enfuyat 
ils  chaflcntdeuant  eux  leurs  petits.  L'onnefap- 
perçoit  point  qu'ils  multiplient  beaucoup. C'eft 
pourquoy  les  Rois  Inguas  auoient  défendu  la 
châtie  des  vicugnes,fi  ce  n'eftoit  pour  leurs  fcftes, 
ôc  par  leur  commandement.  Quelques-vns  (e 
plaignët  que  depuis  que  les  Efpagnols  y  font  en- 
trez, Ton  a  donné  trop  de  licence  ila  chaifedes 
vicugnes ,  &  qu'ils  font  diminuez  pour  cette  oc- 
cafion.  La  manière  de  châtier  dont  les  Indiens 
vfent  eft  de  ce  chaco,qui  eft  qu'ils  l'amaflent plu- 
sieurs hommes  enfemble»  quelquefois  iufques  à 
mil  ou  trois  mil ,  voire  dauantage ,  &  entourant 
vn  grand  efpace  de  bois,  vont  châtiant  la  venai- 
fon,  iufques  à  ce  qu'ils  le  foient  ioin  ts  de  tous  co- 
ftez,parce  moyen  ils  le  prennent  d'ordinaire  de 
trois  a  quatre  cens  ou  enuiron,  &  lors  ils  pren- 
nent ce  qu'ils  veulent ,  lailîans  aller  le  refte,  (pe- 
cialemcnt  les  femelles  pour  la  multiplication. Ils 
ontaccouftumé  de  tondre  ces animaux,&de  faire 
de  leur  laine  des  couuertures  &  caftelognes  de 
gran  d  prix,pource  que  cette  laine  eft  comme  vne 
foye  blanche  qui  dure  long  temps ,  Se  comme  la 
couleur  eft  naturelle  ôc  non  point  de  teinture,el- 
le  eft  perpétuelle.  Les  eftoffes  faites  de  cette  laine 
font  fort  fraifches&  fort  bonnes  pour  le  temps 
de  chaleurs,  &  tiennent  qu'elles  font  profitables 
pour  l'inflammation  des  reins,  &  autres  parties 
temperans  la  chaleur  excefllue.  La  mefme  vertu  a 
cette  laine  quad  elle  eft  mife  en  des  matelas.  C'eft 
pourquoy  quelques-vns  en  vfent  à  celle fin,pou,r 


HISTOIRE    NATVRELII 
l'expérience  qu'ils  en  ont.  Ils  difent  danantage 
que  celle  laine  ou  couuerture  faite  d'icelie  eft  me- 
decinale  pour  d'autres  indilpofïtions  ,  comme 
pour  la  goutte:  toutesrois  ie  n'ay  pas  cognoifîan- 
ce  qu'on  en  ait  taie  aucune  expérience  certaine. 
La  chair  de  ces  vieugnes  n'eft  pas  bonne,  encor 
que  les  Indiens  la  mangent,  &  qu'ils  en  font  de  la 
ceci  ne  ou  chair  fechee',  pour  les  efrech  delà  mé- 
decine, le  diray  ce  que  i'ay  veu  cheminant  par  la 
Sierre  du  Peru,i  arriuay  en  vn  tambo  ou  hoftelle- 
nevn  loir,  eftant  affligé  d'vne  terrible  douleur 
des  yeux,  tellement  qu'il  me  fembioit  qu'ils  vou- 
loienciortir dehors  (qui  eftvn  accident  lequel 
ordinairement  aduient  en  ces  parties  là,  dautant 
que  l'on  paffedes  lieux couuerts  déneige  ,  qui 
cauie  cet  accident  en  les  regardant.)  Eftant donc 
couché  auec  telle  douleur  queie  perdois  prefque 
patience, arriua  vnelndicnnequi  medit  :  Pcre, 
mets  toy  cela  aux  yeux,&  tuièrasguary  :  c'eftoit 
vn  morceau  de  chair  de  vieugne  tuée  nouucilc- 
ment,&  encor  toute  hnglante.    l'viay  decette 
medecme,&  incontinent  cefte  douleur  happai  la, 
&pcu  de  temps  après  me  quitta  du  tout.    Outre 
les  chacosquei'ay  dit,qui  eft  la  façon  générale  &c 
plus  communedechalîèr  es  Indes,ils  ontaccou- 
ftumcd'en  vler  d'vne  autre  particulière  pour  les 
prendre ,  qui  eft ,  qu'en  approchant  allez  prés  ils 
jettent  des  cordeaux  auec  certains  plombs,  qui 
prennent  Scft  niellent  entre  leurs  pieds  ,  &les 
empefchët  qu'ils  ne  peuuent  courir ,  parce  moyé 
ils  prennent  la  vieugne.    La  principale raifon 
pourquoy  cet  animal  eft  eftimé  ,  eftàcaufe  des 
pierresdebezaar  qui  fe  trouuaccn  luy,defquclles 

nous] 


DES    INDES.      HV.    1 1 1 1.         193 

noustraitterons  cy-apres.  Ilya  vnautregenre 
d'animaux,  qu'ils  appellent  taruguas,  lcfquels 
aufiî  font  fauuages ,  ôc  font  plus  légers  que  les  vi- 
eugnes.  Ils  font  plus  grands  de  corps,  &  ontvne 
chaleur  pi  us  feche.  Ils  ont  les  oreilles  molles  ôc 
pendantes,  ôc  ne  marchët  point  en  troupes  com- 
me les  vieugnes,  à  tout  le  moins  ic  n'enay  point 
veu  que  de  lèules ,  ôc  communément  en  des  lieux 
très- hauts. L'on  tire  mefmedes  pierres  de  bezaar 
de  ces  tarugues ,  lefquelles  font  plus  grandes ,  ôc 
ont  plus  d'opération  ôc  de  vertu. 

Des  Vacos,  Guanacos  &  moutons  du  féru. 
c  H  AP.    XLI. 

frtfyS  L  n'yachofeauPeru  de  plus  grande  richeA 
i&M  ie  ôc  profit  que  le  beftial  du  pays ,  que  les 
noftres  appellent  moutons  des  Indes ,  ôc  les  In- 
diens en  lange  générale  l'appellent  Lama.  Car 
tout  bien  confideré  ,x'eft  l'animal  du  plus  grand 
profitj&de  la  moindre  defpenfe  de  tous  ceux  que 
l'on  cognoifle.  Ils  tirent  de  ce  beftial  la  viande  ôc 
le  veftement,comme  ils  font  des  brebis  en  Efpa- 
gne.  Dauantageils  en  tirent  la  commodité  de  la 
charge  &  de  la  voiture,  de  tout  ce  qu'ils  ont  de 
bcfoin,attendu  qu'il  leur  fert  à  porter  leurs  char- 
ges^ d'autre  coftè  il  n'eft  point  de  befoin  de  dc- 
ipendre  à  les  ferrer ,  ny  en  Telles  ou  en  bafts ,  ôc 
non  plus  en  auoinc:  mais  il  fert  fes  maiftres  gra- 
tuitement, fe  contentant  de  l'herbe  qu'il  trouuc 
parmy  les  champs  :  de  manière  que  Dieu  les  a 
pourueus  de  breois  ôc  de  iumens  en  vn  meime 
animal.    Et  comme  c'cftvnenanonpauure,ila 

b 


HISTOIRE     NATVREL'L  E 
voulu  auflï  les  exempter  en  ce  poinct  de  couft  Se 
de  deipenfe ,  pourec  qu'il  y  a  beaucoup  de  paftu- 
rages&  herbages  en  la  Sierre  ,  8c  cebeftial  n'a 
point  befoin  d'autre  coud.  Il  y  adeuxefpecesde 
ces  moutôs  ou  Lamas ,  les  vns  defquels  ils  appel- 
lent pacos  ou  moutons  porte-  laine ,  8c  les  autres 
font  rez  &  de  peu  de  laine,aufli  font  ils  meilleurs 
pour  la  charge:  ils  font  plus  grands  que  des  grads 
moutos,&:  moindres  que  des  veaux ,  8c  ont  le  col 
fort  Ion?  àla  femblance  d'vn  chameau,  dont  ils 
ont  bien  befoin  :  car  eftans  hauts  8c  efleuez  de 
corps,  ils  ont  befoin  d'vn  col  ainfi  long,  pour  ne 
femblerpoinc  difformes. Ils  font  de  diuerfes  cou- 
leursjes  vns  tout  blancs ,  les  autres  noirs,les  au- 
tres gris,&  les  autres  méfiez,  qu'ils  appellét  Mo- 
romoro. Les  Indiens  auoient  de  grandes  fuperfti- 
tions  à  choifir  ces  animaux  pour  les  fàcrifices ,  de. 
quelle  couleur  ils  dcuoient  eftre,  félon  la  diuerfi- 
,  té  des  faifons&  des  fàcrifices.  La  chair  en  eftbô- 
ne,encor  quelle  foit  dure ,  mais  celle  de  leurs  ai  - 
gneaux  eft  la  meilleure,  &la  plus  délicate  que  l'on 
fçauroit  manger,  toutesfois  l'on  n'en  confomme 
pas  beaucoup  à  manger ,  pource  que  le  principal 
iruid  8c  profit  qu'ils  rapportent  eft  la  laine  pour 
faire  les  draps ,  8c  le  feruicc  qu'ils  font  à  porter 
charge.  Les  Indiens  mettent  la  laine  en  œuure,  8c 
font  des  eftofes,  dont  ils  feveftent,  l'vne  qui  eft 
grofïîere&:  commune,  qu'ils  appellent  hanafea, 
8c  l'autre  fine  &delicate,qu'ils  appellent  Cumbi. 
De  ce  Cumbi  ils  font  des  tapis  de  tables,des  cou- 
uertures  ,  &  autres  ouurages  exquis ,  qui  font  de 
longue  durée,  8c  ont  vu  allez  beau  luftre ,  appro- 
chant comme  du  mifoye:  8c  ce  qu'ils  ont  de  fin- 


DES     INDES.     LIV.    III  t.  154 

gulier,  cft  leur  façon  detiftrela  laine,  d'autant 
qu'ils  font  à  deux  faces  tous  les  ouurages  qu'ils 
veulct ,  fans  que  l'on  voye  aucun  finit  ny  bout  en 
toute  vne  pièce.  L'Ingua  Roy  du  Peru  auoitdc 
grands  maiftres  ouuriers  à  faire  cefte  matière  de 
Cumbi,&  les  principaux  refidoient  au  quartier 
deCapachica,  ioignantlegrandlacdeTiticaca. 
Ils  teignent  celte  laine  de  diuerfes  couleurs  très- 
fines  ,  auec  plufieurs fortes  d'herbes ,  de  laquelle 
ils  font  beaucoup  de  dirïerens  ouurages ,  de  groC- 
fiers,ou  communs,&  de  fins.  Tous  les  Indiens  Se 
Indienncsytrauaillenten  laSierre,  ôc  ont  leurs 
melliers  en  leur  maifon,  fans  qu'ils  ayent  befoin 
d'acheter  ny  faire  faire  les  eftofes  qu'ils  vfenc 
chez  eux. Ils  font  de  la  chair  de  ce  beftial:  du  Cu£ 
charguijOii  chair  iechec,  qui  leur  dure  long  têps, 
&en  font  grand  eftime.  Ils  ont  accouftumé  de 
conduire  des  bandes  de  ces  moutons  ,  chargez 
comme  voituricrs,&  vont  en  vne  bande  trois 
cens  ou  cinq  cens ,  voire  mil  moutons  ,  lefquels 
portent  du  vin,  dumays,  du  coca  ,  du  chuno, 
du  vif  argent ,  ôc  toute  autre  forte  de  marchandi- 
fe,&  qui  plus  eft  de  l'argent,  la  meilleure  de  tou- 
tes. Car  l'on  porte  les  barres  d'argent  depuis  Po- 
tozi  iuiques  en  Ariqua ,  où  il  y  a  foixante  ôc  dix. 
lieues,  ôc  auoient  autresfois  accouftumé  de  les 
porter  à  Arfequippa  ,  qui  font  cent  cinquante 
îieuës .  le  me  fuis  beaucoup  de  fois  efmerueillc 
de  voir  ces  trouppes  de  moutons  chargez  de 
mil  ôc  deux  mil  barres  d'argent  ,  ôc  beaucoup 
d'auantage  ,  qui  font  plus  de  trois  cens  mil  du- 
cats, fans  autre  garde  nyefcorte  ,  que  quelques 
Indiens,  qui  feruent  feulement  pour  guider  les 


I 


HISTOIRE     NATVRELLE 
moutons,&:  les  charger  &:  dcfcharger,  ou  pour  le 
lus  quelque  Efpagnol ,   8c  dorment  ainfi  coures 
es  nuiâs  au  milieu  des  champs ,  fans  autre  garde 
que  cela  :  &  neantmoins  en  vn  fi  long  chemin,  Se 
aueclï  peu  de  garde  , l'on  ne  trouueiamais  qu'il  y 
ait  faute ,  ou  perte  d'aucune  chofe  fur  vn  fi  grand 
nombre  d'argent  ,  tant  eft  grande  lafeuretédcf- 
fous  laquelle  on  chemine  au  Peru.La  charge  que 
porte  ordinairemét  vn  de  ces  moutons,  eft;  com- 
me de  quatre  ou  fix  arrobes,  quand  le  voyage  eft 
long,  ils  ne  cheminent  par  iour  que  deux  ou  trois 
lieu'és,ou  quatre  pour  le  plus.    Les  moutonniers 
qu'ils  appellent,qui  font  ceux  qui  conduifent  les 
troupes  &  bandes,  ont  leurs  giftes  ôc  repaires  or- 
dinaires ,  qu'ils  cognoiflent  où  il  y  a  de  l'eauc ,  & 
des  pafturages ,  ôc  là  ils  defehargent  &  font  leurs 
tentes,yfai(ans  du  feu  Raccommodas  leur  man- 
ger^ ne  font  pas  trop  mal,  encore  que  ce  foie 
vne  façon  de  cheminer  alfez  flegmatique  &tar- 
diue.  Quand  il  n'y  a  point  plus  d'vnc  iournec  de 
chemin  à  faire ,  vndc  ces  moutons  porte  bien 
huicl:  arrobes  pefant ,  ôc  dauantage ,  ôc  chemine 
auec  fa  charge  vne  iournee  entière  de  huidtou 
dix  lieues ,  ainfi  qu'en  ont  vfé  de  pauures  foldats 
quicheminoient  parle  Pcru.    Toutccbeftial  le 
plaift  en  vn  air  froid ,  ôc  pour  cède  occafion  il  fe 
trouue  bien  en  la  Sierre,  ôc  meurt  aux  Lanos ,  à 
caufe  de  la  chaleur.  Il  arriue  quelquesfois  que  ce 
beftial  eft  toutcouuert  de  glace  &  de  gelec,  & 
neantmoins  demeure  fain,  &:  fe  porte  fort  bien. 
Les  moutons  rezfontplaifansàregarder,pource 
qu'ils  f  arreftent  au  chemin,&  hauffent  le  co^re- 
gardans  les  perfonnes  fort  attentiuemenc ,  Se  de- 


DES  INDES.  LIV.  I  1 1 1.  IQf 
meurent  làainfivne  longue  efpace de  temps  fans 
fe  mouuoir  ny  faire  femblant  de  crainte ,  ny  d'ef- 
pouuentement:ce  qui  donne  occafion  de  rire,  les 
voyant  ainfi  arreftez  ;  encor  que  quelquesfois  ils 
fefpouuentent  fubitement ,  8c  l'en  courent  auec 
la  charge,iufques  aux  plus  hauts  rochers.  De  fa- 
çon que  ne  les  pouuas  atteindre ,  on  eft  contraint 
de  lestucr,&tireràrarcbuze,de  peur  de  perdre 
les  barres  d'argent,  qu'ils  portent  quelquesfois. 
Les  Pacos  fe  fafchét  &z  Pobftinent  contre  la  char- 
ge.^ couchans  auecicelle,  fans  qu'on  les  puiiîe 
faire  releuer ,  mais  pluftoft  fe  lailTerôt  ils  couper 
en  mil  pièces  que  de  fc  mouuoir,  quand  ce  defpic 
leur  vient,d'où  eft  venu  le  prouerbe  qu'ils  ont  au 
Peru,de  dire  que  quelqu'vn  Petl  empacqné ,  pour 
fignifier qu'il  f'eftob{liné:dautantqueq;'and  ces 
animaux  fefafchent,c'eftauecexcez.  Le  remède 
que  les  Indiens  ont  al  ors,  eftdel,arrefl:er,&  faf- 
ieoir  auprès  du  Paco,&  luy  faire  beaucoup  de ca- 
reles,  iufques  à  ce  qu'il  ofte  fa  fafchcrie ,  ëc  qu'il 
fe  :cleue,&  aduient  quelquesfois  qu'ils  font  con- 
trantsd'attendredeux  ou  trois  heures,  iufquesà 
cequ'il  foitdcfcmpacqué  Se  defennuyé.  Il  leur 
vient  vn  mal  comme  de  la  galle,  qu'ils  appellent 
ca:ache,qui  les  fait  mourir  ordinairement.  Les 
anciens  auoient  en  ce  vn  remède,  d'enterrer  tou- 
te vifue  celle  qui  auoit  le  carache,  de  peur  qu'elle 
n'en  infe6taft  le  refte,pource  que  c'eft  vn  mal  fort 
coitagieux,&quivadel'vn  à  l'autre.  Vn  Indien 
qu.  aura  vn  ou  deux  de  ces  moutons  n'eft  pasre- 
pu:é  pauure,  carvnde  ces  moutons  de  la  terre 
vaut  fix  &  fept  pezes  ellàyez,  &  dauantage ,  félon 
ieemps&les  lieux. 

b  iij 


HISTOIRE     NATVRELLE 

Des  pierres  befaars. 
c  H  AP.    XL  1 1. 

A  pierre  befaar  fe  trouue  en  tous  ces  ani- 
maux,  que  nous  auons  dit  cy  delfus  ,  élire 
propres  Se  particuliers  du  Peru,  de  laquelle  qucl- 
quesautheurs  de  noftre  temps  ont  eferit  des  li- 
ures entiers ,  que  pourront  voir  ceux  qui  en  vou- 
dront auoir  plus  particulière  cognoiffance.  Pour 
le  fubiet  prefènt,  il  fuffira  de  dire  que  cefte  pierre 
qu'ils  appellent  bezaar,fe  trouue  en  l'eftomach 
&  ventre  de  ces  animaux,  quelquesfois  vne  feu- 
le ,  Se  quelquesfois  deux ,  Se  trois ,  Se  quatre.  El- 
les font  beaucoup  différentes  entre  elles  ,  en  la 
forme ,  en  la  grandeur ,  Se  en  la  couleur  :  d'autant 
que  les  vncs  font  petites  comme  auelincs  ,  &  en- 
cor  moindres, les  autres  font  comme  des  noix, 
les  autres  comme  des  œufs  de  pigeon,  Se  quel- 
ques vnes  auiïi  grandes  comme  vn  œuf  de  poul- 
ie, &  en  ay  veu  d'aucunes  de  la  grandeur  d'vnc 
orange:  en  la  forme  les  vnes  font  de  forme  ton- 
de ,  lesautres  d'oualle ,  les  autres  defaçon  delen- 
tille,  Se  de  plufieurs  autres  formes  .    Pour  leur 
couleur,  il  y  en  a  de  noires,  de  blanches  ,  de  gri- 
fes,  de  verd  brunes,d'autres  qui  font  comme  do- 
rées. Ce  n'eft  pas  vne  règle  certaine,que  de  regar- 
der la  couleur,  ny  la  figure  ,  pour  iuger  quelles 
font  les  meilleures ,  ou  les  plus  fines.  Toutes  ces 
pierres  font  formées  Se  compofees  de  diuerfes  m« 
nicques,  ou  pellicules,  Se  les  vnes  fur  lesautres. 
EnlaproUincedeXaura,  &  en  d'autres  prouin- 
ces  du  Paru ,  ion  trouue  de  ces  pierres  en  diuer- 


'^ÊÊêSêêÊê 


DES    INDES.      LIV.     1 1 1 1.  l$6 

fes  forces  d'animaux»  fiers  &  domeftiques ,  com- 
me es  Guanacos , es  Pacos,  es  Vicunes ,  8c  es  Ta- 
rugues,  d'autres  y  adiouftent  vne  autre  cfpece, 
qu'ils  difenteftrecheures  fauuages  ,  &  font  cel- 
les que  les  Indiens  appellent  Cypris.  Ces  autres 
fortes  d'animaux  font  fort  cogneuës  au  Peru ,  8c 
en  auons  défia  traitté  cy  delfus.  Les  Guanacos 
ou  moutons  du  pays,  8c  les  Pacos,  ont  commu- 
nément les  pierres  plus  petites  ,  8c  noirettes,& 
ne  font  pas  tant  eftimees,  ny  approuuees,  pour 
l'vfage  de  la  médecine.  On  tire  les  plus  grofles 
pierresdebezaar,des  vicunes,  &  font  grifes,  ou 
blanches,  ou  de  vcrdobfcur,lefquelles  font  te- 
nues pour  les  meilleures.  L'on  eftime  que  celles 
des  Tarugues  font  les  plus  excellentes,  dont  il  y 
en  a  quelques-vnes  bien  grolïes ,  elles  font  com- 
munément blancheSjtitans  fur  le  gris,&ont  leurs 
tuniques  8c  pellicules  communément  plus  grof- 
fts  8c  cfpaiffes  que  les  autres .  L'on  trouue  la 
pierre  bczaar  efgallement  autant  aux  mafles, 
qu'aux  femelles.  Tous  les  animaux  qui  l'engen- 
drent ,  ruminent ,  &:  ordinairement  paiiTent  pai- 
my  les  neiges  ,&  les  roches.  Les  Indiens  racon- 
tent de  tradition  &enfèignement  de  leurs  pères 
&  anciens  ,  qu'en  la  prouince  de  Xaura  ,  8c  en 
d'autres  prouinces  du  Peru  ,  il  y  a  plufieurs  her- 
bes &  animaux  venimeux  ,  lefquels  empoifon- 
ncntl'eauëj&lespafturages  ,  où  ils  bornent  8c 
mangct,&  où  ils  fleuret.  Defquelles  herbes  veni- 
roeufes  il  y  en  a  vne  qui  eft  fort  cogneuë  delavicu 
gneparvninftindnaturel,&  des  autres  animaux 
qai  engendrent  la  pierre  bezaar,  lefquels  magent 
celle  herbe,  &  par  le  moyé  d'icellc  ils  fe  preferuët 

h  iiij 


-  Iêêêé 


HISTOIRE    NATVKÏLLE 
du  poifon,  des  eaux  ôc  despafturages,'&  ainfi  di- 
fent-ilsquedecefte  herbe  fe  forme  en  leurefto- 
mach  celle  pierre  ,  d'où  elle'cire  route  la  vertu 
qu'elle  a  contre  le  peifon ,  ôc  Tes  autres  opéra  tios 
merueilleufes.    C'eft  l'opinion  &  tradition  des 
Indiens,  defcouuertepardcs  perfonnes  fort  ex- 
périmentez au  royaume  du  Peru ,  ce  qui  f'accor- 
riï». lib.     de auec la raifon,&  auec  ce  que  Pline  raconte  des 
lo.e.yi.  cheuresmontagneres,Iefquellcsfenourri{Ient&: 
paiflent  de  poifon,  fans  qu'il  leur  face  mal.    Les 
Indiens  interrogez  pourquoy  les  moutons,  les 
vaches,  cheures,  ôc  veaux ,  de  l'efpece  de  ceux  de 
Caftille ,  n'ont  pas  la  pierre  de  bezaar ,  veu  qu'i  is 
paillent  es  mefmes  roches  que  font  les  autres,  rc- 
îpondent  qu'ils  ne  croyent  pas  que  ces  fufdits 
animaux  de  Caftille  manget  cefte  herbe ,  ôc  qu'ils 
ontmefmetrouué  la  pierre  bezaar  en  des  Cerfs, 
ôc  des  Daims. Cela  femble  f'accorder  auec  ce  que 
nous  fçauons,  qu'en  la  neufue  Efpagne  il  fe  trou- 
ue  de  pierres  de  bezaar,combic  qu'il  n'y  ait  point 
devicugnes,dePacos,deTarugues,nyde  Guana- 
cos ,  mais  feulement  des  cerfs ,  en  quelques-vns 
defquels  l'on  trouue cefte  pierre.Le  principal  ef- 
fect  de  la  pierre  bezaar  eft,  contre  le  venin  ôc  ma- 
ladies venimeufes ,  encor  qu'il  y  ait  fur  ce  diuer- 
fes  opinions,  ôc  quelques-vns  tiennent  cela  pour 
moqucric>&  les  autres  en  font  des  miracles.  Co- 
rnent que  c'en  foit,  c'eft  vnc  chofe  certaine  qu'el- 
le eft  de  grande  opération  quand  elle  eft  appli- 
quées temps  d'vne  façon  conuenablc ,  ainfi  que 
les  herbes ,  ôc  à  des  perfonnes  capables  Ôc  difpo- 
fees  :  car  il  n'eft  pas  de  médecine  qui  gnarillè  in- 
failliblement coufionrs.  En  Efpagne  ôc  e.i  Italie 


^M 


DES    INDES.       LIV.    IIII.  197 

l'on  aveu  d'admirables  effects  decefte  pierre  co- 
tre le  Tauerdette^qui  eft  vne  efpece de  pefte,mais 
non  pas  cane  au  Pcru.  L'on  l'applique  pillée  8c 
mËfe  en  quelque  liqueur  qui  fepuiiTe  accommo- 
der pour  la  guerifondela  melancholie,  mal  ca- 
duc, Heures  peftilentieufes,&  pourplufieursfor- 
tesde  maladies.  Les  vnslaprennentaucc  duvin, 
les  autresauec  du  vin- aigre,  auec  eau'ë  dazahac, 
delanguedebœuf,debourraches,&  d'autres  for- 
tes, que  diront  les  médecins  &  apotiquaires.  La 
pierre  de  bezaar  n'a  aucune  faueur  propre ,  com- 
me mefme  le  dit  Rafis  Arabe.  L'on  en  a  veu  quel- 
ques expériences  remarquables  &n'yapoinrde 
doute  que  l'Autheur  de  tout  cet  Vniuers  n'ait 
donné  de  grandes  vertus  à  cette  pierre.  Les  pier- 
res de  bezaar  qui  viennent  de  l'Inde  Orientale, 
ont  le  premier  lieu  d'eflime  entre  ces  pierres,lef- 
quelles  font  de  couleur  oliuaftre,le  fécond  celles 
du  Peru,  de  le  troifiefme  celles  de  laneufue  Elpa- 
gne.  Depuis  que  l'on  a  commencé  de  faire  eftat 
de  ces  pierrcs,iîsdifentque,les  Indiens  en  ont  fo- 
phiftiqué,&  fait  d'artificielles,&:  plufîeurs  quand 
ilsvoyent  de  ces  pierres  plus  grandes  que  les  or- 
dinaires, croyent  que  ce  font  pierres  faulfcs,  8c 
vne  tromperie:  ncantmoins  il  y  en  a  de  grandes 
fort  fines, &depetites  qui  font  contrefaites. L'cf- 
preuue  8c  expérience  eft  le  meilleur  maiftre  de 
les  cognoiftre.  Vne  chofe  eft.  digne  d'admirer, 
qu'ils  naiflent&  fe  forment  fur  des  choies  fort 
cftrangcs,commefur  vn  fer  d'efguillette,  fur  vne 
efpingle,ou  fur  vne  bûchette ,  que  l'on  trouueau 
centre  de  la  pierre,  &pour  cela  ne  tiennent-ils 
pas  qu'elle  (bit  faulfe,  pource  qu'il  arriue  que 


il 


HISTOIRE  KATVRELLE 
l'animal  peut  auoirauallé  cela,  8c  que  la  pierre 
fe  caille  ,  &f'epaifïitlàdeurlis  ,  qui  va  croifïanî 
vne  coquille  l'vn  fur  l'autre ,  &  ainfî  l'augmente. 
le  veids  au  Peru  deux  pierres  fondées  &  formées 
fur  des  pignons  de  Caftille,  ce  qui  nous  fît  tous 
beaucoup  efmerueiller ,  pourcc  qu'en  tout  le  Pe- 
ru nous  n'auionspoint  veude  pignes,  ny  de  pi- 
gnons de  Caftille ,  f'ils  n'eftoient  apportez  d'Ef- 
pagne  ,  ce  qui  me  femblechofe  fort  extraordi- 
naire. Ce  peu  fufHfe,touchant  les  pierresbezaars. 
On  apporte  des  Indes  d'autres  pierres  medcci- 
nalles ,  comme  la  pierre  d'Hyiada,  ou  de  Rate,la 
pierre  de  fang ,  de  lai6t  ,  8c  de  mer  :  Celles  qu'ils 
appellent  Cornerinas,  pour  le  cœur,  defquelles 
il  n'eft  point  de  befoing  de  parler,  pourn'auoir 
rien  de  commun  à  la  matière  des  animaux  dont 
nous  auons  traitté.  Ce  qui  eft  dit ,  foit  pour  faire 
entendre  comme  le  grand  Maiftre  8c  Autheur 
tout-puifTant  de  l'vniuers ,  a  departy  Ces  dons ,  8c 
fecretsmerueillqux  à  toutes  les  parties  du  mon- 
de, pour  lefquels  il  doit  eftre  adoré  8c  glorifié  par 
tous  les  fiecle*  des fiecles.  Amen. 


298 


PROLOGVE 

DES       LIVRES 

SVYVANTS. 

A  Y  A  n  t  trait  te  ce  qui  concerne  l'biftoire  natu- 
_/~\  relie  des  Indes  ,  te  traitteray  cy  après  de  l'HiJloi- 
remoralle  ,c 'cfta  dire  des  coujlumes  ,  &  faits  des  In - 
dicns.  Car  après  le  Ciel,  la  température ,  laJituation,& 
les  qualité^  du  nouueau  monde ,  après  les  éléments  >  & 
les  mixtes,  ie  yeux  dire  les  métaux,  plantes  &  ani- 
maux ,  dequoy  nous  auons  parle  aux  Hures  precedens  ,  ce 
qui  s'ejl prefenté  :  L'ordre  &  raifon  nous  inuite  k  pour- 
future ,  &  entreprendre  le  traitté  des  hommes  qui  habi- 
tenr  au  nouueau  monde.  Cesl  pourquoy  ie  pretens  dire 
aux  Bures fuiuans ,  ce  qui  me  femblera  digne  d'eflre  re- 
cité  fur  ce  fuie  t.  Et  pour  ce  que  l'intention  de  ce  fie  hifioi- 
re  nefl  pat  feulement  pour  donner  cognoiffance  de  ce  qui 
fe  paffe  aux  Indes ,  mats  au  fi  pour  acheminer  cefle  co- 
anoifsace  aufruitl  que  l'on  peut  tirer d'icclle,  qui  e(l  d'ai- 
der a  ce  peuple  a.  faire  leur  falut ,  &  glorifier  le  Créateur 
&  I\edemptcur ,  qui  les  a  ttre^  des  ténèbres  trcf-obfcu- 
res  de  leur  infidélité ,  &  leur  a  communiqué  (admirable 
lumière  defon  Euangtlc .  Partant  premièrement  ie  di- 
ray  en  ces  liurcs  fuiuans  ,  ce  qui  touche  leur  religion^ 
ou  fuperïlition ,  leurs  couHumes ,  leurs  idolâtries ,  & 
leurs  facrifices  ,  puis  après  ce  qui  eB  de  leur  police  & 
çouuernemcnt  ,  de  leurs  loix  ,  coujlumes  &  de  leurs 
fateis .  Et  pourec  que  la  mémoire  s'efi  conferuee  en- 
tre la  nation  Mcxiquaine  ,  de  leurs  commencements , 


fucce fions,  guerres,  &  autres  ebofes  dignes  de  raconter 3 
outre  ce  qui  fera  traitte  au  Hure  Jixiefmc ,  t'en  ferayyn 
propre  &  particulier  difeours  au  liurcfcpticfmc,iufques 
k  monftrer  ladtfpoftion  &  augures  que  ces  nattons  eu- 
rent du  nouueau  }\oyaume de  Chrift ,  noflre  Seigneur, 
quife  dcuoit  ejicdrc  en  ces  terres ,  &  les fubiuguer  àfoy3 
comme  il  a  fait  en  tout  le  refle  du  monde  :  qui  à  la  yerii  é 
eflynechofe  digne  de  grande  confideration  devoir  com- 
me la  diuine  prouidence  a  ordonné  que  la  lumière  de  fa 
parole  trouuafl  entrée  aux  dernières  fins  &  bornes  de  la 
terre.  Ce  rieft  point  ebofe  quifoit  de  mon  projet,  d'eferire 
maintenant  ce  que  les  Efpagnols  ont  fait  en  ces  parties 
là ,  car  il  y  a  ajfe%  de  Hures  efcritsfur  cefle  m  atiere ,  er 
non  plus, ce  que  les  feruitcurs  du  Seigneur  y  ont  trauaillé 
Crfrutlifiè,dautant  que  cela  requiert  yné  autre  nouuel- 
le  diligence,  le  me  contenter  ayfeulement  de  mettre  celte 
histoire, ou  relation ,aux portes  de  l'Euangile,puis qu'el- 
lecfi  défia  toute  acheminée  a  faire  cognoiftre  les  ebofes 
naturelles  &  morales  des  Indes,  afin  que  lefpirituelfîT 
le  Cbr  iflianif me  y f oit  plante  &  augmente' ,  comme  ilcFl 
amplement  expliqué  aux  Hures  que  nous  auons  éprit,  de 
procurandalndiorum  falute.  Queftquelqu'ynfef- 
mcrueille  et  aucunes  façons  &  coujlumes  des  Indiens, 
ç£r  les  y  eut  mefprifcr  comme  idiots ,  ou  les  auoir  en  hor- 
reur, comme  gens  inhumains  &  diaboliques,  qu'il  pren- 
ne garde  £r  fefouuicnne  que  les  mefmes  ebofes ,  noire  de 
pires, ont  eslêycues  entre  les  Grecs  <&  les  Romains,  qui 
ont  commandé  à  tout  le  monde  :  comme  l'on  pourra  faci- 
lement entendre, non  feulement  de  nos  aut  heurs  ,Eufcbe 
de  Cefurec,Clemcnt  ^Alexandrin ,  Theodoret ,<& autres , 
mais  au/si  des  leurs  mefmes ,  comme  Vline,  Denys  Ha- 
lycarnaJJè,CVlutarque  :  car  le  prince  des  tenebra  eftant 


le  chef  de  toute  infidélité' ,ce  n'ett  pas  cbgfe  nouueile  de 
tYouuer  entre  les  infidèle  s  des  cruauté^ ,  des  immondi* 
ces,  & desfdies ^propres  &  conucnablcsayn  telmai- 
fire.Et  iaçott  que  les  anciens  Gentils  ayent  de  beaucoup 
furpaffe  ccux-ity  du  nouueau  monde  en  yaleur  déficience 
naturelle,  neantmoins  peut-on  remarquer  en  eux  plu- 
fieurs  cbojcs  dignes  de  mémoire.  Mais  enfin  le plits qu'il 
yaefi  comme  de  gens  barbares  s  lef quels  priue^  de  la  lu- 
nncrefupernaturelle ,  onteuaufsi  défaut  delà  fhilofo- 
phie  &  dt&rine  naturelle. 


lob.+x. 


If  a.  I 4. 


LIVRE    CINQVIE 

ME  DE   L'HISTOIRE  NA- 

TVRJELIE    ET    MORALE 

des  Indes. 

CHAPITRE     PREMIER. 

Que  l'orgueil  &  l'enuic  du  diable  a  eflé 
la  caufe  de  l 'idolâtrie. 

'O  r  g  v  e  1  l  &  la  prefomption  du 
diable  eft  fi  grande  ôc  G  obftinee,quc 
toujours  il  appete  &  ^efforce  de  le 
faire  honnorcr  pour  Dieu  ,  &'  tout 
&*fite?&Jgf&  ce  qU'il  peut  defrober  &  f'appro- 
prierde  ce  qui  appartient  autres  haut  Dieu,  il 
ne  cède  de  le  faire  aux  nations  aueuglesdu  mon- 
de, lefquelles  la  lumière,  &refplendeur  du  (aind 
Euangile, n'a? point  encor  efclaircies.  Nous  li- 
ions en  lob,  de  cet  orgueilleux  tyran  qu'il  met 
fes  yeux  au  plus  haut ,  &:  qu'entre  tous  les  fils  de 
l'orgueil  il  eft  le  Roy. Les  diuines  eferitures  nous 
enfeignent  fort  clairement  fes  mauuaifes  inten- 
tions, &latrahifon  il  outrecuidee  ,  par  laquelle 
il  a  prétendu  efgaller  fon  throfne  à  celuy  de  Dieu, 
icejuy  difant  en  Efaye  :  Tu  difois  en  toy-mejme  te  \ 
monteray  iufques  au  Ciel ,  grmettray  ma  chaire  fur 
tontes  les  eslotlles  du  Ciel ,  C  tetn'éjjèirray  aufommet 


mm 


DES    INDES.       LIV.    IIII.  20O 

du  firmament ,  &  au  cofîcry  d'^Aejuilon ,  te  pafjeray  la 
hauteur  des  nues ,  &  feray  fcmblable  au  Tves-baut.  Et 
en  Ezechiel  :  Ton  cœurs'csîefleué ',  &  tuai  dit ,  iefuis  ek< eh,i%. 
Dieu ,  &  me  fûts  afits  en  la  chaire  de  Dieu  au  milieu  de 
la  mer.  Ainfi  toufiours  perfide  Satan  à  ce  mef- 
chant  appétit  de  fe  faire  Dieu.  Et  combien  que  le 
iufte ,  ôc  feuere  chaftiment  du  très-haut  l'ait  defi- 
pouillé  de  toute  fa  pompe  ,  &  fa  beauté  ,  par  la- 
quelle il  feftoit  enorgueilly  ,  ayant  eux  traître 
comme  meritoit  fa  fclonnie  &  indifcretion,ainfî 
qu'il eft  efcritauxmefmesProphetesmeatmoins 
il  n'a  pas  diminué  d'vn  point  fa  mefchantecx:  pet 
uerfe intention,  laquelle  il  demonftre  par  tous 
les  moyens  qui  luy  font  poflibles  ,  comme  vn 
chien  enragé  ,  mordant  l'efpee  de  laquelle  l'on  le 
frappe.    Car  comme  il  eft  eferit ,  l'orgueil  de 
ceux  qui  hay  fient  Dieu,  continue  &  va  toufiours 
croitfànc  .  D'où  vient  le  perpétuel  ôc  eftrangc 
foucyquecet  en  nemy  de  Dieu  a  toufiours  eu  de 
fc  faire  adorer  des  homes,  inuentant  tantdegen- 
res  d'idolâtries ,  par  lefquellesila  tenu  fi  temps      * 
fubiettcla  plus  grande  partie  du  monde,  de  forte 
qu'à  peine  refte-  il  à  Dieu  vn  coing  de  fon  peuple 
d'Ifraël.   Et  depuis  que  le  fort  de  l'Euangilei'a^'11" 
vaincu  ôc  defarmé ,  Ôc  que  par  la  force  delà  croix, 
il  abrife  Ôc  ruiné  les  plus  importantes  ôc puifian- 
tes  places  de  fon  Royaume  par  fà  mefme  tyran- 
nie, il  a  commencé  d'afTaillir  les  peuples  ôc  na- 
tions les  plus  efloignees&  barbares,  l'efforçant 
deconferuerentreuxlafauire&menfongeredi- 
uinité,  laquelle  le  fils  de  Dieu  luyauoitofteeen 
fon  Eglife,l  enchaifnant  ôc  enfermant  comme  en 
vnc  cage ,  ou  prifon,  ain.fi  qu'vne  belle  furieufe 


ïoh.if- 


I 


Mat.  4. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
à  la  grande  confu  (ion ,  Strefiouiliancedes  fcrui- 
teurs  de  Dieu,  comme  il  le  lignifie  en  lob.  Mais 
en  fin  ores  que  l'idolâtrie  a  efté  extirpée  de  la 
meilleure  &  plus  notable  partie  du  monde,il  f'eft 
retiré  an  plus  efloigné,  &  aregnè  en  cefte  autre 
partie  du  monde,  laquelle  combien  qu'elle  foie 
beaucoup  inférieure  en  noblelïe,  ne  i'eft  pas  tou- 
tesfois  eu  grandeur  &  largeur.  Il  y  a  deux  caules 
&  motifs  principaux  pour  lefquels  le  diable fcft 
tant  eftudié  à  planter  l'idolâtrie  &c  toute  infidéli- 
té, de  relie  façon  qu'à  peine  l'on  trouue  aucune 
nation  où  il  n'y  ait  quelque  idolâtrie.  L'vne,eft 
fa  grande  préemption  &  orgueil ,  qui  cft  telle, 
que  qui  voudra  confiderer  comme  il  a  bien  ofé 
f  attaquer  au  mefme  Fils  de  Dieu&  vray  Dieu, 
en  luy  difant  effrontément  qu'il  fe  profternaft  dé- 
liant luy,&  qu'il  i'adoraft  ,  ce  qu'il  faifoit,  com- 
bien qu'il  ne  feeuft  pas  afleurcment  que  c'eftoit 
le  mefme  Dieu  ,  mais  pour  le  moins  ayant  quel- 
que opinion  qu'il  fuft  le  Fils  de  Dieu.  Cruel  cv' 
efpouuentable  orgueil  ,d'o(erainfi  indignement 
attaquer  fon  Dieu  !  certainement  celuy-là  ne 
tronuera  pas  beaucoup  cftrange  qu'il  fe  faceado- 
rer  comme  Dieu  par  des  nations  ignorantcsspuis 
qu'il  f'eft  voulu  faire  adorer  par  Dieu  mefne ,  en 
fediiant  Dieu,  bien  qu'il  foitvnc  fi  abominable 
ftdeteftablc créature.  L'antre caufe&  motif  de 
1  idolâtrie,  eft  la  haine  mortelle  &  inimitié  qu'il 
aconceue  pour  iamais  contre  les  hommes.  Car, 
comme  dit  le  Sauueur ,  dés  le  commencement  il 
a  efté  homicide ,  &  retient  cela  comme  vnc  con- 
dition &  propriété  infeparable  de  fa  mefehance- 
tc.  Et  pource  qu'il  fçai  t  que  le  plus  grand  mal- 
heur 


DES     INDES.       1IV.      V.  201 

heur  de  l'homme,  eft  d'adorer  la  créature  comme 
Dieu  ,  à  celle  occanonilnecciîe  d'inuenter  tou- 
tes fortes  d'idolâtries ,  pour  dcftruire  les  homes, 
&  les  rendre  ennemis  de  Dieu.  Il  y  a  deux  maux 
que  le  diable  fait  en  l'idolâtrie,  l'vn  qu'il  nie  fon 
Dieu  ,  fuiuaiuce  pallage,  Tuas delaijjé le  Dieu  qui 
t'a  crée.  Et  l'autre  qu'il  s'allubictift  à  vne  chofe 
plus  baffe  que  luy ,  pource  que  toutes  les  créatu- 
res font  inférieures  a  la  raifonnable  ,  &  lediable 
encor  qu'il  foit  fuperieur  de  l'homme  en  nature, 
neantmoinsen  eftat  il  eft  beaucoup inferieur,puis 
que  l'homme  en  cefte  vie  eft  capable  de  la  diuini- 
té  &  éternité.  Par  ce  moyen  Dieu  eft  des-honoré, 
&  l'homme  perdu  en  tous  endroits  par  l'idolâ- 
trie, dequoy  le  diable  fuperbe&  orgueilleux  eft 
fort  content. 


De ■plujîcws  fort  et d'idolâtries  desquelles  les 
Indiens  ont  vfe. 

c  h  AP.   II. 

'Idolâtrie,  dit  le  fainct  Efprit  par  le  Sage,  eft 
la  caufe,  le  commencement,  «5c  la  fin  de  tous  ^  4' 
maux,  pour  cefte  occasion  l'ennemy  des  hommes 
a  multiplié  tant  de  fortes  &  diuerfitez  d'idolâtrie 
que  ce  feroit  chofe  infiniede  les  conter  toutespar 
le  m:nu  ;  Toutesfois  on  pourra  réduire  toute  l'i- 
dolâtrie en  deux  chefs ,  l'vn  qui  eft  fur  les  chofes 
naturelles,  &  l'autre  fur  celles  qui  font  imagi- 
nées, &compofees  par  inuention  humaine  ;  La 
première  d'icelles  eft  diuifee  en  deux,  car  ou  la 
chofe  que  l'on  adore  eft  générale,  comme  le  So- 
leil, .a  Lune  ,1c  feu,  la  terre,  &  les  Elemens  :  ou 

c 


HISTOIRE  NATVRELLE 
clleeft  particulière,  comme  vne  certaine  riuiere, 
vnc fontaine, vn  arbre,  <3cvneforeft,  quand  ces 
chofes  ne  forit  point  adorées  généralement  en 
l'efpece  dont  elles  font  ,  mais  qu'elles  ionttant 
feulement  adorées  en  leur  particularité.  De  ce 
premier  genre  d'idolâtrie,  ils  ont  excefïïuement 
viéau  Peru,&  l'appellent  proprement  guaca.  Le 
fécond  genre  d'idolâtrie  qui  defpend  d'vneinue- 
tionou  fidtion  humaine,  Te  peut  mefmediuifer 
en  deux  fortes.  L'vne  qui  regarde  le  pur  art,&  în- 
uen  tion  humaine ,  comme  d'adorer  les  idoles, ou 
ies  fiatuës  d'or ,  de  bois ,  ou  de  pierre,de  Mercu- 
re ,  ou  de  Pallas ,  qui  ne  font  ny  n'ont  iamais  eftc 
rienautre  chofc  que  la  peinture  :  &  l'autre  qui 
concerne  ce  qui  reallement  a  efté,  &c  cil  verita 
blementquelquechofe,  mais  non  pas  tellequc 
ce  queTidolatric  qui  l'adore  en  feint ,  comme  les 
morts,  ouïes  chofes  qui  leur  font  propres,  que 
les  hommes  adorent  par  vanité  &flaterie.  De  for- 
te que  nous  les  reduifons  toutes  en  quatre  fortes 
d'idolâtrie,  dont  vient  les  infidelles  ,  de  toutes 
lcfquellesil  nous  côuiendra  dire  quelque  chofc. 


Que  les  Indiens  ont  quelque  cognoifptnce  de  Dieu. 

C  H  A  P.       III. 

N  premier  lieu,  jaçoit  que  les  ténèbres  de 
§£  l'infidélité  tiennent  l'entendement  de  ces 
nations  obfcurcy  ;  Toutesfois  en  beaucoup  de 
chofes,  la  lumière  de  la  vérité  &  de  laraifonne 
laiile  pasd'operer  quelque  peu  cri  eux.C'eft  pour- 
quoy  communément  ils  tiennent  ôc  recognoif- 
fcntvn  fupreme  Seigneur  &  auth'cur  de  toutes 


DES    INDES.       LIV.    V.  202 

chofes,  lequel  ceux  du  Peru  appelloicnt  viraco- 
cha,&  luy  donnoient  des  noms  de  grande  excel- 
lence, l'appcllans  Pachacamac ,  ou  Pachayacha- 
chic,qnieft  Créateur  du  Ciel  &  de  la  terre.  Et 
Vfapu,  qui  eft  admirable,  ik  autres  noms  fem- 
blables.  C'cft  cduyqu'ilsadoroient  ,  &  eftoitlc 
plus  grand  de  tous ,  lequel  ils  honnoroien  t  en  re- 
gardant au  Ciel.  On  en  peut  voir  autant  entre 
ceux  de  Mexique,  Se  auiourd'huy  entre  les  Chi- 
nois ,&  en  tousautresinfidelles.  Ce  qui  ferap- 
porte  fort  bien  à  ce  que  raconte  le  liure  des  Actes 
dcsApoùres,  que  S.  Paul  fe  trouua  en  Athènes,  ^#,17. 
où  il  veit  vn  autel  intitulé  ,  îgnoto  Deo  ,  au  Dieu 
incogneu,  d'oùl'Apoftre  pnnt  occasion  de  les 
preicher  leur  diiant,  Celtty  que  -vous  dutres  adoïc^ 
fans  le  cognoiflrc  ,eji  cchty  que  1e  prefebe.  De  mefme 
ceux  qui  prefehent  auiourd'huy  l'Euangile  aux 
Indiens  ne  trouucnt  pas  beaucoup  de  difficulté  à 
leurperfuader  qu'ilyavn  Dieu  lupreme  ôc  Sei-  • 
gneurde  toutes  chofes,&  que  ceftuy.làeft le  Dieu 
des  Chrefl.iens,&  le  vray  Dieu, combien  que  c'eft 
vne  chofe  qui  m'a  beaucoup  fait  efmerueillcr, 
que  iaçoit  qu'ils  eufïent  bien  celle  cognoiflance, 
ilsn'auoiét  point  neantmoins  de  nôpropre,pour 
nômerDieu  :  carfi  nous  voulons  rechercher  en 
langue  des  Indiens  vn  motquirefpodeàcenom 
de  Dieu,cÔmc  le  latin  Deu-s^è  grec  7"/>fur,rhebreu 
£/..'araJbic^//rf,ronn'en  trouueraaucunenlâgue 
de  -ufco,ny  sn  langue  de  Mexicque.  D'où  vient 
que  ceux  qui  preichent  ou  efcriuent  aux  Indiens 
vfest  de  noftrc  mefme  nom  Efpagnol  Dios,  f'ac- 
conodans  à  l'accent  ^prononciation  propre  des 
langues  Indiennes,qui  font  fort  différâtes. d'où  U 

cij 


HISTOIRE    NATVRELLE 
appert  le  peu  de  cognoilTance  qu'ils  auoientde 
Dieu, puis  qu'ils  ne  le  peuuent  pas  mefmes  nom- 
mer,  h  ce  n'eft  par  noftre  mefme  mot.  Toutes- 
fois  à  la  vérité ,  ils  ne  lailïbient  pas  d'en  auoir  vne 
cognoilTance  telle  quelle.  C'eft  pourquoy  ilsluy 
firent  au  Peru  vu  tres-riche  temple ,  qu'ils  appel- 
loient  la  Pachacamac,qui  eftoit  le  principal  San- 
ctuaire de  ce  royaume.  Et  comme  il  a  efté  dit  ,  ce 
mot  de  Pachacamac  vaut  autant  que  Créateur, 
combic  qu'eu  ce  temple  il  exerçalïènt  aufli  leurs 
idolâtries,  adorant  le  diable,  &les  figures.  Ils 
faifoient  mefme  des  facrifices  &  offrandes  au  vi- 
racocha,  quitenoitlelupremelieu,  entre  les  a- 
doratoires  que  les  Rois  Inguas  ont  eu. De  là  vint 
qu'ils appelloient  les  Efpagnols  viracochas,par- 
cequ'ils  auoient  opinion  qu'ils  eftoient  fils  du 
Ciel,  &  diuins ,  de  mefme  que  les  autres  attribuè- 
rent vne  deitc  à  Paul ,  &  à  Barnabe  ,  appellans 
l'vn  Iupitcr,  &  l'autre  Mercure, ainfi  ils  vouloiét 
leur  offrir  des  facrifices,  comme  à  des  Dieux  :  Se 
tout  de  mefme  que  les  Barbares  de  Melite  (  qui 
cft  Malthe)  voyans  que  la  vipère  ne  faifoit  point 
de  mal  à  l'Apoftre ,  l'appelloient  Dieu.  Donques 
comme  ainfi  foit  que  c'eft  vne  venté  conforme  a 
toutebonneraifon,  qu'ilyait  vn  fouuerain  Sei- 
plat.tn     gneur&  roy  du  Ciel,  lequel  les  gentils  auectou- 
r"",v/f".  tes  leurs  idolâtries  &  infidélité,  n'ont  pa*nie, 
timo  i       ainfiqueronvoitenlaphilofophieduTiméede 
methap.      Platon,  en  la  methaphyfique  d'Ariftote,  &en 
Trimeg.      l'./£fculape  de  Triimegifte  ,  comme  mefme  es 
Tirrumdt»   p0ëfies  d'Homère  &  Virgile.  Delà  vient  que  les 
&^c  *?'•  prédicateurs  euangeliques  n'ont  pas  beaucoup 
de  difficulté  à  planter  &  perfuader  cette  vérité 


Acl.  18. 


DES      INDES.      LIV.    V.  205 

d'vn  fuprefrne  Dieu,  quelques  barbares  &  be- 
Ltialles  que  foient  les  nations ,  aufquelles  ils  pref- 
chenc  Mais  ileftcies-diflicile  deleurdefraciner 
de  l'entendement  qu'il  n'y  ait  nul  autre  Dieu  ,  ny 
autre  deitéqu'vneieuie,&  que  toutes  les  autres 
choies  de  foy  n'ont  point  de  puiflànce  ny  d'eftre, 
ny  d'opération  qui  leur  foit  propre,  (înon  ce  que 
letres-grand  feul  Dieu  ôc  (cul  Seigneur  leur  do- 
nc, &c  leur  communique.  En  fin  il  eft  neceflaire 
de  leurperfuader  cela  par  tous  moyens  ,  en  re- 
prouuant  leurs  erreurs:  tant  en  ce  qu'ils  faillent 
vniuerfcllement  d'adorer  plus  d'vn  Dieu  ,  qu'en 
particulier  (  qui  eft  beaucoup  d'auantage  )  de  te- 
nir pour  dieux,&  de  demander  ayde&faueur  des 
autres  chofes  qui  ne  font  point  dieux,  5c  n'ont 
aucun  pouuoir ,  que  celuy  que  le  vray  Dieu  leur 
Seigneur  &  Créateur  leur  concède. 


Dnpr  entier  genre  de  l' idolâtrie ,  fur  lesebafes 
naturelles  ,&  ynuicrfelles. 

c  h  ap.    1 1 1 1. 

Près  le  Viracocha,  ou  le  fupreme  Dieu 
*2§  (le  plus fouucnt& communément  ,  entre 
tous  les  infidelles  )  cequ'ilsontadoré  &c  adorent 
eft  le  Soleil,  ôc après  les  autres  chofes  qui  font 
les  plus  remarquables  en  nature  celeftc  ou  élé- 
mentaire ,  comme  la  lune,  les  cftoilles ,  la  mer,& 
la  terre.  Les  guacas,ouadoratoires  que  les  Inguas 
feigncursdu  Peru  auoient  en  plus  grande  reùe- 
rence ,  après  le  viracocha  &  le  S  oleil,eftoit  le  to- 
ncrre,qu'ilsappelloientpar trois  diuers  noms, 
Chuquilla,Catuiila,&  Intiillapa.  S'imaginans 

c  iij 


HISTOIRE  NATVRELl E 
que  c'eftvn  homme  qui  eftaucielauec  vne  fon- 
de ,  8c  vne  malluë ,  8c  qu'il  eft  en  fa  puifïànce  de 
faire  plcuuoir,  grefler, tonner,  Se  tou  c  le  refte.qui 
appartient  à  la  région  de  l'air,  où  fe  créent  les 
nuages.  C'eftoitvn  guaca  (ainfi  appclloicnt-ils 
leurs  adoratoires  )  générale  à  tous  les  I  ndiens  du 
Pern,  &Iuy  oifroieutdiuerslacrirîces,  &en  Cuf- 
co,  qui  eftoit  la  cour  &c  ville  Metrapolitaiue ,  ils 
luy  facrifioientmefmedesenfîins  comme  au  So- 
leil. Ilsadoroient ces  trois  Viracocha,le  Soleil, 
&  le  tonnerre,  d'vne  autre  façon  que  tout  le  re- 
fte, ainlî  que  Polio  efcritl'auoirexperimenté^jui 
eftoitqu'ilsmettoicnt  comme  vn  gantelet  ,  ou 
bien  vn  gand  en  leurs  mains  ,  quand  ils  les  hauf- 
foient  pour  les  adorer  .  Ils  adoroient  mcfme  la 
terre, laquelle  ils  appelloient  Pachamama,à  la  fa- 
çon que  les  anciens  eclebroient  la  Décile  Tellus: 
&  la  mer  auflï,  qu'ils  appellent  Mamacocha,  co- 
rne les  anciens  adoroient  Thetis,  ou  Neptune. 
D'auantage ilsadoroient  l'arcdu  Ciel, &  eftoient 
les  armes  blafons  de  l'Ingua,auec  deux  couleu- 
urcseftenduësauxcoftez.  Entre  les  F.ftoillesco- 
munémenttousadoroiant celle  qu'ils  appellent 
Côlça,que  nous  appelions  par  deçà  les  Cabrillcs. 
Ils  attribuoient  à  diuerfes  eftoilles  diuers  offices, 
8c  ceux  qui  auoiétbefoinç  de  leur  faueut  les  ado- 
roient comme  les  Pafteurs  adoroient  &  ficri- 
fioientàvneeftoille  qu'ils  appelloient  Vrcuhil- 
lav  ,  qu'ils  difent  eftie  vn  mouton  deplufeurs 
couleurs  ,  ayant  le  foing  de  la  conferuatien  du 
beftiai,  3c  tient  l'on  que  c'eft  celle  que  les  Aftro- 
logucs  appellent  Tyra. Ces  Pafteurs  mefmesado- 
rçnt  deux  autres  Eftoillçs  qui  vont  &  cheminent. 


DES     INDES.      LIV.    V.  ZO4 

proches  d'icelles ,  lefquclles  ils  nomment  Catu- 
chillay  Se  Vrcuchillay,&  feign  ent  que  c'eft  vne 
brebis  &vn  aigncau. D'autres  adoroient  vnee- 
ftoillc  qu'ils  appellent  Machaçuay,  à  laquelle  ils 
attribuent  la  charge  &pui(Iànce  fur  les  ferpens 
Se  couleuures ,  pour  empéfeher  qu'ils  ne  leurfif- 
fent  mal.  Ils  attribuoient  la  puiflfance  d'vne autre 
eftoille  ,  qu'ils  appelloient  Chuquinchinchay, 
qui  vaut  autant  que  tygrefur  les  tygres ,  les  ours 
Se  les  lyonSj&ontcreu  généralement  que  de  tous 
les  animaux  qui  font  en  la  terre  ,  il  y  en  a  vn  feul 
au  Ciel  qui  leur  eftfemblable  ,  lequel  a  la  charge 
&  le  foin  de  leur  procréation  Se  augmentation. 
Etainfi  ils  remarquoient  Se  adoroientplufieurs 
&diuerfeseftoilles,  comme  celles  qu'ils  appel- 
loient Chacana,  Topatarca,  Mamana,Mirco, 
Miquiquiray,  Se  plufieurs  autres.  Tellemét  qu'il 
iemble  qu'ils  apprôchoient  aucunemét  des  pro- 
pofitionsdesldces  de  Platon.  Les  Mexiquains 
prefque  de  la  meime  façon,apres  le  fupreme  Dieu 
adoroient  le  Soleil. Cellpourquoy  ils  appelloiec 
Hernando  Cortez  (comme  il  l'efcriten  vne  let- 
tre enuoyee  à  l'Empereur  Charles  le  Quint)  fils 
du  Soleil5pour  fa  diligence  Se  courage  à  circuir  la 
terre.  Mais  ils  faifoient  la  plus  grande  adoration  à 
l'idole  appellec  Vitzilipuztli  ,  lequel  en  toute 
ceile  région  ils  appelloiêt  le  tout-puilïant  Se  Sei- 
gneur de  toutes  chofes. Pour  ceftecaufe lesMexi- 
quainsluy  battirent  vn  temple  le  plus  grand  ,  le 
plus  haut,  le  plus  beau,  &le  plus  magnifique  & 
fomptueux  de  tous.  La  fituation  Se  rorterelîe  du- 
quel le  peut  coniecturer  par  les  ruines  qui  en 
fo.it  demeurées  au  milieu  de  la  Cité  de  Mexique. 

c    iiij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
Mais  en  ceft  endroit  l'idolâtrie  des  Mexiquains 
a  efté  plus  pernicieufc  ôc  dommageable  que  celle 
deslnguas,  comme  Ton  verra  mieux  cy  après, 
d'autant  que  la  plus  grande  partie  de  leur  adora- 
tion ôc  idolâtrie foccupoit aux  idoles,&  non  pas 
aux  mefmes  chofes  naturelles,  combien  qu'ils 
attribuoientleseffects  naturels  aux  idoles,  com- 
me des  pluyes ,  de  la  multiplication  du  beftial,  de 
la  guerre,  de  la  génération,  ainfiquelcs  Grecs  ôc 
les  Latins  fe  font  forgez  des  idoles  de  Phœbus,de 
Mercure ,  de  Iupiter ,  de  Minerue  ôc  de  Mars.  En 
fin  qui  voudra  bien  condderer  cecy  de  près  tron- 
uera  que  la  façon  &  manière  dont  le  diable  a  vfé 
à  tromper  les  Indiens ,  eft  la  mefme  auec  laquelle 
il  a  trompé  5c  deceu  les  Grecs  ôc  Romains,  Se  les 
autres  anciens  Gentils  ,leur  faifant  entendre  que 
ces  créatures  remarquables ,  le  S  oleil ,  la  Lune , 
les  Eftoilles  ôc  les  Eléments ,  a.uoient  d'eux-  mef- 
mes le  propre  pouuoir  ôc  authorité  de  faire  du 
bien  ou  du  mal  aux  hommes  :  Et  combien  que 
Dieu  ait  crée  toutes  ces  chofes  pour  le  feruicede 
l'homme,  neantmoins  il  i?eft  tant  oublié  qu'il 
f  eft  voulu  efleuer  contre  luy.  Et  d'autre-  part  il  a 
recogncu&rfeft  aiïubiety  aux  créatures  qui  luy 
font  mefme  inferieures,cn  adorant  ôc  inuoquant 
fes propres œuureSj&lailîànt  d'adorer  Ôc  inuo- 
quer  le  Createur,come  le  propofe  fort  bien  lcSa- 
ge  par  ces  paroles:  Tous  les  homes  font  yains  &  abu- 
fb%  efnuels  la  ccgnoifïace  de  Dieu  nefe  trouue point  ^veu 
qu'ils  n'ont  pas  peu  cognoiftre  ecluy  qui  efi  par  les  chofes 
mefmes  qui  leur  fembloient  eflre  bonnes.  Etjaçoit  qu'ils 
contemplaient  fes  œuures ,  ils  n'ont  pas  tout  esf ois  at- 
teint iiifqnes  a  la  cognoifftnce  de  l'authcM  &  uuarier 


DES     INDES.      LIV.    V.  20$ 

(libelles:  mais  ils  ont  creu  que  le  feu,  le  yent3  l'air  agité, 
le  circuit  des  Efloilles ,  les  grandes  caués ,  le  S'olctl  &  la 
Lune  eftoient  Dieux  &  zpuuerneurs  du  monde ,  or  j-V- 
(Ut7s  redits  amoureux  de  la  beauté  de  telles  ebofes ,  il  leur 
fembloit  qu'ils  les  dénotent  efiimcr  comme  Dieux.  C'cfl 
raifort  qu'ils  conjiderent  de  combien  plus  beau  cft  leur 
('rat eur , puis  qucc'eH  celuy  qui  donne  les  béante^ ,  & 
qui  a  fait  ces  me/mes  chofes.  D'autre-part  s'ils  ont  eu  en 
admiration  Lpu/JJancc  &  les  effech  de  ces  ebofes ,  par 
n  elles  me  fines  ils  doutent  entendre  de  combien  doit  eftre 
plus  puiffant  qu'elles  toutes ,  celuy  qui  leur  a  donne  cefi 
cslre  qu'elles  ont  ,  pour  ce  que  l'on  peut  conieciurer  par  la 
beauté  &  grandeur  qu'ont  les  créatures ,  quel  doit  eslre 
le  Créât  eur  de  toutes  ces  ebofes .  Iufques  icy  font  les 
parojes  du  liure  de  Sapience,  defquelles  l'on  peut 
tirer  vn  bon  &  fort  argument ,  pour  conuaincre 
la  grande  tromperie  des  idolâtres  infidelles,  qui 
veulent  pluftoft  feruir&  reuerer  la  créature  que  le 
Créateur:  comme  iuftemcntl'Apoftre  les  reprëd.  ^om' l' 
Mais  d'autant  que  cecy  n'eft  point  du  prefent 
fubiecfc>&  qu'il  eft  fuffifàmmét  rapporté  aux  Ser- 
mons que  l'on  a  eferits  contre  les  erreurs  des  In- 
diês,il  fufht  quat  à  prefent  de  dire  qu'ils  adoroiét 
le  grad  Dieu,  &  leurs  Dieux  vains  &  rnenfongers 
toutdvnemefme  façon:  pourec  que  la  façon  de 
faire  o  rai  fon  au  Viracocha,au  Soleil, aux  Eftoil- 
les ,  &  au  refte  des  Guacas  ou  idoles ,  eftoit  d'ou- 
urir  les  mains  &  faire  certain  fon  aueclesleures, 
comme  de  perfonnes  qui  baifent,  &  de  demander 
ce  que  chacun  defiroit  en  leur  offrant  facrifice. 
Combien  qu'il  y  euft  grande  différence  cntrcles 
paroles  dont  ils  vfoient  pour  parler  auec  le  grand 
Ticciuiracocha,  auquel  ils  attribuoienc  princi- 


Job.il. 


ILom.i 


HISTOIRE  NATVRELLE 
palemetulepouuoir&  commandement  fur  tou- 
tes chofes  ,&  celles  dont  ils  vfoient  à  parler  aux 
autres  ,  lefquels  ils  n'adoroient  feulement  que 
chacun  en  famaifon  comme  Oicux  ouSeigneurs 
particuliers,  &difoient  qu'ils  eftoient  leurs  in- 
tercelleurs  enuersle  grand  Ticciuiracocha. Celle 
façon  d'adorer  ouurantles  mains,  Se  comme  en 
baifanr,aquelquechofedefemblableàcelleque 
lob  auoit  en  horreur,  comme  chofe  propre  des 
idolâtres ,  difant .  St  t'ay  baifé  mes  mains  attec  ma 
bouche  regardant  le  Soleil  quand  il  reluit ,  ou  la  Lune 
quand elle  eil  claire:  ce  qui  efi  ync  très-grande  hiiqui  - 
té t&  c  B  nier  le  Très-grand  Dieu. 


De  l'idolâtrie  dont  les  Indiens  vfcrcntfur  les 
chofes  particulières. 

chap.  v. 

_  E  diable  ne  P eft  pas  contenté  de  faire  que  les 
»»3?  aueugles  Indiens  adorallent  le  Soleil,  la  Lu- 
ne ,  les  Eftoilles ,  la  terre ,  la  mer  6c  plusieurs  au- 
tres choies  générales  en  la  nature  ;  mais  il  a  paire 
plus  outre  en  leur  donnant  pour  Dieu,&  les  aflTu 
jetifTans  à  des  chofes  balles  8c  petites,  &  la  plus 
grand'part  ordres  6c  infâmes.  L'on  ne  i'efpouue- 
tera  point  de  ceft  aueuglement  des  barbares ,  qui 
fe  voudra  fouuenir  de  ce  que  l' Apoftre  dit  des  Sa- 
ges &  des  Philofophes,qu'ayans  cogneu  Dieu  ils 
ne  leglorifierentpointny  ne  luyrendirent  grâces 
corne  à  leur  Dieu,  mais  qu'ils  feperdiret  en  leurs 
o  pi  nions  &pcnfecs,c\'  leur  cœuraefté  endurcy 
en  leur  folie,  &  ont  changé  la  gloiré&deitéde 
l'Eternel:  Dieu  à  des  fernblâccs  Se  figures  decho- 


DES     INDES.       IIV.    V.  206" 

fcs  caduques  8c  corruptibles  commes  d'hom- 
mes, d'oi  féaux  de  beftes  &:  de  ferpeus.  L'on  fçait 
allez  que  les  Egyptiens  adoroient  le  chien  d'O- 
firis,  la  vache  d'Ifis,  &  le  mouton  d'Ammomles 
Romains  adoroient  la  Deelîe  Februa,  desFie- 
ures,  &royeTarpeienne,&:  qu'Atenes  la  Sage 
adoroitle  Coq  &  le  Corbeau,  &femblables  au- 
tres vanitez  &c  moqueries  ,  dont  les  hiftoires  des 
anciens  Gentils  font  toutes  remplies.  Et  font 
tombez  les  hommes  en  vn  fi  grand  malheur, 
pour  n'auoir  voulu  s'abfubjetir  à  la  loyde  leur 
vray  Dieu &: Créateur,  comme  fainc-1:  Athanafe 
le  traicle  doctement  efcriuanc  contre  les  idolâ- 
tres. Mais  c'eft  vnechofe  merueilleufemente- 
urange,  queledesbordement&  perdition,  quia 
efté  en  cela  entre  les  Indiens,  fpecialement  du 
Périr,  car  ils  adoroient  les  nuieres,  les  fontaines, 
les  emboucheures  des  riuieres,  les  entrées  des 
montagnes,  les  roches  ou  grandes  pierres,  les 
collines,  les  fommets  des  montagnes  qu'ils  ap- 
pellent Apachitas,  Se  les  tiennent  pour  chofe  de 
grande  deuotion.  En  fin  ils  adoroient  toute  cho- 
ie en  nature,  qui  leur  fembloit  remarquable  Se 
différente  du  refte,commey  recognoiiïant  quel- 
que particulière  deité.  L'on  me  moftra  en  Ca- 
xamalca  de  la  Nafca  vne  colline  ,  ou  grand  tertre 
de  iable  qui  fut  le  principal  adoratoire  ,  ou 
Guaua  des  anciens.  le  leur  demandois  quelle 
diuinité  ils  y  trouuoient  ,  &  ils  me  refpondi- 
rent  qu'ils  l'adoroient  àcaufe  de   cefte   mer- 
ueille  qu'il  auoit  d'eftre  vn  tertre  de.fablc  tref- 
haut  au  milieu   des  montagnes  de  pierre  qui 
eftoient  tref  clpailTes.  Nous  eufmes  befoin  en 


HISTOIRE  NATVRELLE 
la  Cité  desRois  d'vn  grand  nombre  de  gros  bois, 
pour  fondre  vne  cloche  ,  &pource  l'on  coupa  vn 
grand  arbre  difforme,qui  pour  fa  grandeur  &fon 
antiquité  auoit  efté  long  temps  adoiatoire  ,  8c 
Guaca  des  Indiens.  Et  leur  fembloit  qu'il  y  auoit 
quelque  diuinité  en  tout  ce  qui  auoit  quelque 
choled'extraordinaire  &d'cftrange  en  fon  genre, 
iulquesàen  attribuer  autant  aux  petites  pierres 
&  métaux ,  voire  aux  racines  Se  aux  fruicts  de  la 
terre,  comme  aux  racines  qu'ils  appelloient  Pa- 
pas. Il  y  en  ad'vne  forte  eftrange  qu'ils  appeHoiêt 
Lalîahuas,icfquellesils  baiioient&lesadoroiét. 
Ilsadorent  aufïî  les  ours  , les  lyons,  les  tygres&r 
lescouleuurcs,  afin  qu'ils  ne  leur  facentaucun 
mal  ,&  tels  que  font  leurs  Dieux,  telles  &  aufîï 
plaifantes  font  les'  chofes  qu'ils  leur  offrent  en  les 
adorant,  llsomtaccouftumé  quand  ils  vont  par 
chemin  d'y  ietter  ou  aux  carrerours,aux  collines, 
&c  principalement  aux  fommets ,  qu'ils  appellent 
Apachittas,  des  vieux  fouliers,  des  plumes  ,  du 
Coca  mafché,  quieftvne  herbe  dont  ilsvfent 
beaucoup.  Et  quand  ils  n'ont  rien  dauantage,leur 
jettent  vne  pierre,  le  tout  en  offrande,  afin  qu'ils 
leslaiiïent  pafler,&  qu'ils  leur  donnent  bonnes 
forces ,  lefquelles  ils  difent  leur  augmenter  par 
ce  moyen ,  comme  il  eft  rapporte  en  vn  Concile 
onc'r  '  J~  prouincial  du  Peru.  C'eft  pourquoy  l'on  trouue 

mcnlts.i.      *■  îi  11 

p.i.cap.    en  .ces chemins degrands monceaux  decespier^ 

5><).  res  offertes,  <5:  des  autres  chofes  fufdites.De  fem- 

blable  folie  v  (oient  les  anciens,  dcfquels  :1  eft  die 

Treu.  17.    aux  Prouerbes  j  Comme  cclnyejui  offre  des  pierres  au 

monceau  de  Mercure,  uïnfiaue  celuy  qui  bono>c  les  fols: 

qui  eft  à  dire,  que  l'on  ne  tire  non  pius  defruift 


DES    INDES.      LIV.     V.  1QJ 

nyd'vtihtc  du  fécond  que  du  premier  :  pource 
que  le  Mercure  de  pierre  ne  recognoift  point 
l'offrande,  ny  le  fol  ne  peut  recognoiftre  Thon- 
neur  que  l'on  luy  fait.  Ils  vfoient  d'vne  autre  of- 
frande, non  moins  plaifance  &  ridicule,  qui  eft 
d'arracher  le  poil  des  fourcils ,  &les  offrir  au  So- 
leil 6v  aux  collines ,  aux  Apachitas ,  aux  vents  ou 
aux  chofes  qu'ils  craignent.   Tel  eft  le  malheui" 
auquel pluficurs  Indiens  ont  vefcu  &  viirent  en- 
cor  auiourd'huy  ,aufquels  le  diable  fait  en  tendre 
ce  qu'il  veut  comme  à  des  enfans ,  quelque  gran- 
de folie  que  ce  foit.  Ainfilainct  Chryfoftomeen 
vne  Homélie, accompare  les  Gentils  ,  mais  les 
feruiteurs  de  Dieu,  qui  trauaillentenleurenfei- 
gnement&  faluation,  nedoiuent  pas  mefprifer 
ces  folies  &  enfances  ,  puis  qu'elles  iuffifent  ,  à 
enlacer  ces  panures  abufez  à  vne  éternelle  perdi- 
tion ,ains  les  doiuentauec  bonnes  &  claires  rai- 
ions,  tirer d'vnc  ix  grande  ignorance:   Car  à  la 
vérité  c'eftehefe  confiderable,comme  ils  i'aiïub» 
iettiilentàccux  qui  leur  enfeignent  le  vray  che- 
min deraifon.il  n'y  a  chofe  entre  les  créatures 
plus  illuure  que  le  Soleil ,  <k  eft  celuy  lequel  tous 
les  Gentils  communément  adoroient.  Vn  capi- 
taine difcret.&  bon  Chreftien  me  contoit ,  qu'a- 
ucc  vne  bone  raifon  il  auoit  perfuadé  aux  Indiens 
que  le  Soleil  n'eftoit  pas  Dieu,  mais  feulement 
i  vnecreaturedeDieu,&futainfi.  Udemandaau 
Cacique  &  feigneur  principal  qu'il  luy  donnait 
vn  Indien  léger,  pourporter  vne  lettre ,  il  luy  en 
donna  vn,&:  le  capitaine  demanda  au  Cacique, 
dy  moy  qui  eft  le  Seigneur  &  le  principal ,  où  cetl 
Indien  qui  porte  la  lettre  fi  légèrement,  ou  toy 


HISTOIRE    NATVRELLE 
quil'enuoyeporter?  Le  Cacique  refpondir,  C'cfl: 
moyfans  doute,pource  que  ceftuy-là  ne  fait  autre 
chofe  que  ce  que  le  luy  commande.  Ainfi,  répli- 
qua le  capitaine,  en  eft  il  du  Soleil  que  nous 
voyons,  Si.  du  Créateur  de  toutes  choies,  d'au- 
tant que  le  Soleil  n'eft  point  d'auantage  qu'vn 
vailet  de  ce  Très  haut  Seigneur,qui  par  ion  com- 
mandement chemine  auec  telle  légèreté  fans  fe 
laflèr,portant  la  lumière  à  toutes  les  nations.  Ainil 
tu  vois  comme  c'eft  cotre  raifon  de  rendre  auSo^ 
leiU'honneurquieltdeu  au  Créateur  &  feigneur 
de  tout.  La  r.ùion  du  Capitaine  les  conteta  tous, 
&  dit  le  Cacique  &  les  Indiens  qui  eftoient  auec 
luy,  quec'eftoit  grande  vérité,  &  qu'ils  s'eftoienr 
beaucoup  rehoiiis  de  l'auoir  entendue.  L'on  ra- 
conte d'vn  des  Roys  Ipg.uas  homme  de  fort  iub- 
til  entendement,  lequel  voyant  comme  tousfes 
predecelîeursadoioient  le  Soleil,  dift  qu'il  ne  luy 
fembloit  point  que  le  Soleil  fuit  Dicu,nynele 
pouuoiteitre,pourccque  Dieu  eft  vn  grand  Sei- 
gneur, qui  auec  vn  grand  loifir&  repos  fait  fes 
ccuures,  &  que  le  Soleil  ne  celle  iamais  de  che- 
miner,difant  qu'vne  chofe  qui  trauailloit  tat, ne 
luy  pouuoit  femblereftre  Dieu,  en  quoyildift 
vérité. 

Ainfi  lors  que  l'on  vient  à  déclarer  aux  Indiens 
leurs  erreurs  &aueuglement  pardesraifons  dou- 
ces ôc  aifees  à  comprendre  ,  ils  font  inconcinent 
convaincus  .&  fe  rendent  admirablement  à  la 
vente. 


DES     INDES.      LIV.    V. 


208 


D'vn  autre  gendre  d'idolâtrie  fur  les  dcffun&s. 
c  h  A  P.      VI. 

jw&Lyavnautregenre  d'Idolâtrie  fort  differët 
2UM  des fuldits, donc  les  Gentils  ont  vfe  àl'oc- 
calion  de  leurs  defuncts ,  qu'ils  aimoient  &  efti- 
moient:&  iemblc  que  le  5agc  vuciile  donner  à 
entendre  que  le  commencement  de  l'idolâtrie 
ioit  procédé  de  là,  difant  ainii:  Le  commencement  de 
fornication  fut  par  la  réputation  des  idoles ,  &  cejle  in-    a?'  4" 
uention  cfi  ync totale  corruption  de  la  vie,  car  au  com- 
mencement du  monde  tl  n'y  a  point  eu  d'idoles ,  «31  en  la 
fin  n'y  en  aura  pour  toujours  à  jamais.    Mats  la  yanite 
&  ojjiuetédes  hommes  a  apporté  cefie  tnuention  au  mon- 
de yvoirc  peur  cefie  occafion  durent fi peuleur s  yic  s  ^pour- 
ce  cutlarriua  que  lepere portant  amèrement  la  mort  de 
fon  filsniifcrablc ,  fît  pour  fa  confolation  ynpourtrait  du 
dcfuntl ,  &  commença  k  l'honora'  &  adorer  corne  Dieu, 
leqvclpeu  attparauant  auoit  acbcuéfcs  tours  comme  hom- 
me mortel,  çjrpour  cejle  fin  ordonna  entre  fesferuiteurs 
q  tiotfa  mémoire  l'on  fit  des  deuotions  & facrifices.  Du 
depw  après  plnfieursiours  pafje1^  cefie  maudite  c»ufiu- 
me  tyant  eflé  authorifee  demeura  ceB  erreur  canon  fee 
pou; loy  ,  C  ainfi par  le  commandement  des  l\ots & 
tyrois  s  les  pourtraieis  &  les  idoles  cftoient  adore%. 
De  a  ywt  aujsi  que  ton  commença  à~  en  faire  autant 
auxtbfensy  ejr  ceux  que  l'on  ne pouuoit  adorer  en pref en- 
ce  ,  jour  cftrc  eflre  cfloiçne% ,  ils  les  adoraient  de  cefie  fa- 
çon es  faif oient  apporter  les  pourtraieis  des  B^ois  qu'ils 
youtnent  honorer  y fuppleant  par  ceHeinuention  l'absen- 
ce deeux  qu'ils  youloiet  adorer.  La  euriojitedes  excelles 
tiuuners  augmenta  cejle  inuenîion  d' idolâtrie  ^tellement 


.*»« 


HISTOIRE     NATVRELLE 
que  par  leur  art  cesflatuës furent  fi  élégantes ,  que  ceux 
quint f canotent  ce  que  c 'eftoit ,cfloient  prouoque^  à  les 
adorer,  d'autant  que  par  l'excellence  de  leur  art  yf reten- 
dons contenter  ccltty  qui  leur  badloit  a  faire,  ils  t  iraient 
des  portraits  &  peintures  beaucoup  plus  excellentes ,  ejr 
le  -vulgaire  conduit  de  l'apparence  &  vracc  de  ïouurage, 
~vint  a  tenir  cj"  cHimcr pour  Dieu  celuy  qui  peu  aupara- 
uant  auoit  efîè  honoré  corne  home.Et  cela  fut  l'erreur  mi* 
f  érable  des  hommes ,  qui  s'accommodans  ores  à  leur  afjc- 
tiion  &  fentiment,  ores  à  la  flatterie  de  leurs  ]\ois,yni- 
drent  a  imposer  aux  pierres  le  nom  incommunicable  de 
Dieu  ,  les adorans pour  Dieux.  Tout  cecy  eft  au  liure 
de  Sapicnce ,  qui  cft digne d'eftre  notte ,  Se  trou- 
ueront  au  pied  de  la  lettre  ceux  qui  feront  curieux 
recbercheurs  de  l'antiquité,  que  l'origine  de  l'i- 
dolâtrie ont  efté  ces  pourtraits&  (latues  des  de- 
-runcts,iedy  de  l'idolâtrie  ,  qui  eft  proprement 
d'adorer  les  idoles  &  images  :  car  il  n'eft  pas  cer- 
tain que  celV autre  idolâtrie  d'adorer  les  idoles  &c. 
images:-car  il  n'eft  pas  certain  que  cefte  autre  ido- 
lâtrie d'adorer  les  créatures,  comme  le  Soleil  ,&z 
la  milice  du  Ciel ,  ou  le  nombre  des  planettcs  Se 
eftoillcs ,  dequoy  il  eft  fait  mention  aux  Prophè- 
tes ,  ait  efte  depuis  l'idolâtrie  Se  les  ftatuës  :  com- 
bien que  (ans  doute  l'on  ait  fait  des  ftatues  &  ido- 
les en  l'honneur  du  Soleil ,  de  la  Lune  &  de  la 
terre.  Venant  à  nos  Indiens,  ils  vindrent  au  ib ai- 
mer de  l'idolâtrie  par  les  mefmes  voyes  quede- 
monftrel'Efcriture  .  Premièrement  ils  auoient 
foin  de  conferner  les  corps  de  leurs  Rois  &  Sei- 
gneurie*: demeuroient  entiers  (ans aucune  mau- 
uai(eodeur,&fe  corrompre  plus  de  deux  cens 
ans.  De  cefte  façon  eftoient  les  Rois  Inguas  au 

Cufco, 


H  te  rem. 10 


DES    INDES.      LIV.     V.  20p 

Cufco,chacun  en  fâ  chapelle  Se  adoratoire ,  donc 
le  Viceroy  Marquis  de  Canette,  pour  extirper 
l'idolâtrie ,  fit  tirer  Se  porter  en  la  cité  des  Rois 
trois  ou  quatre  Dieux,  qui  caufa  grande  admira- 
tion de  voir  ces  corps  morts  depuis  tant  d'années 
ii  beaux  Se  fi  entiers  qu'ils  eftoient.  Chacun  de 
ces  Rois  Inguas  laiiïoit  tous  les  threfors,moyens 
Se  reuenupour  entretenir  fon  adoratoire  où  l'on 
mettoit  fon  corps ,  Se y  auoit  beaucoup  de  mini- 
ilresauec  toute  la  famille,  qui  eftoient  dédiez  à 
ion  feruicc:  car  nul  Roy  fucceileur  n'vfurpoit  les 
thrcfors&  vaillellc  de  fon  predeceifeur,  mais  il 
enaiîembloittoutde  nouueau  pour  luy&pour 
fon  palais.  Ils  ne  fe  contentèrent  point  de  cefte 
idolâtrie  entiers  les  corps  des  defuncts,  mais  aufîï 
ils faifoient  leurs  ftatuës  &reprefentatiôs,&  cha- 
que roy  durant  fa  vie  fai foi t  faire  vne  idole  où  il 
elloit  reprefenté ,  laquelle  ils  appelloient  Guaoi- 
gui3qui  fignifie  frère  :  pource  que  l'on  deuoit  fai- 
re à  cefte  ftatuë  durât  lavie&îamortderingua, 
autant  d'honneur  Se  de  vénération  qu'àluy-mef- 
me:  ôc  portoient  cefte  ftatu'c  en  la  guerre  &  en 
proccfîion,pour  auoir  de  la  pluye  Se  du  bon  teps, 
Si  leur  faifoient  diuerfeJ  feftes,&  facrifices.  Il  y  a 
eu  beaucoup  de  ces  idoles  au  Cufco,&  en  fon  ter- 
ritoire :  toutesfois  l'on  die  à  prefent  que  cefte  fu- 
perftition  d'adorer  les  pierres  y  aceiFé  du  tout, 
ou  en  la  plus  grande  partie.  Apres  qu'on  les  eue 
defcouuertcs ,  par  la  diligence  du  licencié  Polio, 
&  fut  la  première  celle  d'Ineua  Rocha,chef  de  la 
partialité  ou  race  principale  de  HanamCufco, 
Se  :rouuc  l'on  de  cefte  façon  qu'entre  les  autres 
nauons  ils  auoieo t  en  grande  eftime  Se  rcucroic r 

d 


HISTOIRE    "NATVRELLE 
les  corps  de  leurs  predecefleurs ,  &  adoroient 
aufli  leurs  ftatues. 


Des  fupcrslitions  dont  ils  yfcjent  anec  les  morts, 
CHAP.      VII. 

Es  Indiens  du  peru  ont  creu  communc- 
'  ment  que  lésâmes  viuoient  après  cefte  vie, 
&  que  les  bonseftoientenla  gloire,  &  lcsmau- 
uaisenlapeine  :  tellement  qu'il  y  a  peu  de  diffi- 
culté à  leur  perfuader  tels  articles.  Mais  ils  ne 
font  pas  patuenus  mfquesau  point  de  recognoi- 
ftre  que  les  corps  deuoient  refufeiter  auec  lésa-. 
mes.  C'eftpourquoy  ilsemployoient  vneexcef- 
fiue  diligence,comme  il  a  efté  dit,  à  conferuer  les 
corps  lefquels  Us  honoroient  après  la  mort,  à  ce- 
fte fin  leurs  fuccefleurs  leur  bailloient  des  robes, 
&  leur  faifoient  des  faciifices:  fpecialement  les 
Rois  Inguas  en  leurs  enterremens  deuoient  eftre 
accompagnez  de  erand  nombre  de  feruiteurs  ite 
femmes  pour  Ion  ieruice  en  1  autre  vie.   parquoy 
le  iour  qu'il  decedoit  l'on  mettoit  à  mort  les  fem- 
mes qu'il  auoit  le  plus  aymees ,  fes  feruiteurs  & 
officiers ,  afin  qu'ils  l'allaficnt  feruiç  en  l'autre  vie. 
Quand  G  uanacapa  mourut,  qui  fut  pered'Ata- 
gualpa,au  temps  duquel  entrèrent  les  Efpagnols, 
l'on  mit  à  mort  mil  &  tant  de  perfonnes,  de  tous 
aages  &  conditions  pour  fon  ler.uice,&  pour  l:ac- 
compagner  en  l'autre  vie.  Ils  les  tuoient  après 
plufieurs  chanfons  &  yurongneries ,  &  ces  defti- 
nez  à  la  mort  fe  tenoient  bien  heureux. Ils  leur  ia- 
crifioient  plufieurs  autres  chofes,  fpecialement 
des  petits  enfans  ,  &de  leur  fane  faifoient  vnc 


DES    INDES.       LI V.    V.  Il  O 

j&yç  au  vifage  du  derTuncl:  d'vne  oreille  en  l'autre; 
Cefte  mefmc  Uiperftition,  ïk  inhumanité  de  tuer 
des  hommes  &.  des  femmes  pour  accompagner 
ckieruirledcfunct  en  l'autre  vie,aefté  lùiuie  d'au- 
tres ,  &  eftencor  à  prefent  vfitee  parmy  d'autres 
nations  barbares  ;  voire  comme  eferit  polio ,  elle 
a  elt  é  prefque  generalle  en  toutes  les  Indes. Le  vé- 
nérable Bedamefme  raconte  que  les  Anglois  au- 
parauantque  fe  conuertir  à  l'Euangile,  auoienc 
celle  melme  couftume  de  tuer  des  hommes  pour 
accompagner  &  feruir  les  de-ffunts.  L'on  raconte 
d'vn  portugais  qu'eftant  captif  entre  les  barbares, 
auoitreccu  vn  coup  de  flèche  j  dont  il  perdit  vn 
œil,&  comme  ils  le  voulurent  facnfier  vn  iour, 
pour  accompagner  vn  feigneur  deffuncT:  ,  il  ref- 
pondit  que  ceux  qui  demeuroient  en  l'autre  vie 
feroientpeu  d'eftat  dudefun£t.,iion  luydonnoit 
pour  compagnon  vn  homme  borgne  ,  &  qu'il 
eftoit  meilleur  luy  en  donner  vn  quieuftfes  deux 
yeux,  &  cefte  raifon  eftanttrouuee  bonne  par  les 
barbares,  fut  caufe  qu'ils  le  laifTcrent.  Outre  ce- 
fte fuperftition  de  facnfier  les  hommes  auxde- 
functs  ,  dont  l'on  n'vfe  qu'à  l'endroit  des  grands 
feigneurs,  iiy  enacuvne  autre  beaucoup  plus 
commune  &  générale  en  toutes  les  Indes,  qui 
euVde  mettre  à  boire  &  à  manger  fur  les  fe- 
pulrurcsdes  defun&s,  croyans  qu'ils  fe  nourrif- 
ioientdecela,quiamefme  efté  vn  erreur  entre 
les  anciens,  comme  eferit  S.  Auguftin.  Etpour 
cet  effed  de  leur  donner  à  manger  &  à  boire.  Au- 
iourd'huy  plufieurs  Indiens  infidelles  tirent  de 
terre  fecrettement  leurs  defun&s  des  cimetières, 
&  les  enterrent  en  des  collines,ou  en  des  paflages 

d  ij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
desmotagnes,oubien  en  leurs  propres  maifons. 
Usontmefmeaccouftumé  deleurmectrede l'ar- 
gent ôc  de  l'or  en  la  bouche,  aux  mains  ôc  au  (tin, 
ôc  de  les  reueftir  de  robbes  neufues ,  ôc  durables, 
doublées  &plieespar  dciïbuz  le  licl  mortuaire. 
Us  croyent  que  les  âmes  des  defuncls  vont  vaga- 
bondes ,  &  endurent  le  froid ,  la  foif,lafaim,  ôc  ic 
trauail  ;  ôc  par  celle  occafion  ils  font  leurs  anm- 
uerfaires,en  leur  portant  des  habits  ,  à  manger  Ôc 
à  boire.  Araifon  dequoyles  Prélats  en  leurs  fy- 
nodes  aduertilfent  fur  tout  que  les  Preftres  don- 
nent à  entendre  aux  Indiens  que  les  offrandes 
que  Ton  met  aux  Eglifes  fur  les  fepultures,  ne 
font  pas  le  manger  ny  boire  des  defuncts,  mais 
pour  les  pauurcs  ôc  pour  lesminiftres  ,  ôc  que 
Dieu  eftfeul  qui  fuûante  les  ames  en  l'autre  vie, 
puis  qu'ils  ne  mangent  ny  ne  boiucnt  aucune 
chofe  corporelle  ,  ôc  importe  beaucoup  qu'ils 
fçachent  bien  cela,  afin  qu'ils  ne  conucrtilTent 
cet  vfage  religieux  en  fuperftition  gentille ,  com- 
me le  font  plufieurs. 


De  U  façon  d'inhumer  les  defuntls  entre  les 
1\icxiqudins  &  autres  notions. 

C  H  A  P.    VIII. 

Yant  raconté  ce  que  plufieurs  nations  du 
Peru  ontfaitaueclesdefundtSjilncferamai 
à  propos  de  faire  mention  particulière  des  Mexi- 
quains  en  cet  endroit,  les  mortuaires  defqaeU 
eftoient  fort  folemnifez  ôc  pleins  de  grandes  fo- 
lies. Ceftoic  l'office  des  preftres  ôc  religieux  en 
Mexique  (  car  il  y  en  auoit  qui  viuoient  en  vne 


DE  S     I  ND  ES.        L  IV.    V.  211 

eftrange  obferuance,  comme  il  iera  dit  cy-  après) 
d*enterrer  les  morts ,  &  faire  leurs  obfeques.  Les 
Lieux  où  ils  les  enterroient eftoit  en  leurs  iardins, 
ôc  aux  courts  de  leurs  maifons  propres,  les  autres 
les  portoient  es  lieux  des  fàcrinces,qui  fefaifoiet 
es  montagnes  :  les  autres  les  brufloien  t,  &  après 
enterroient  les  cendres  en  leurs  temples  ,  &  les 
enterroient  tons  auec  tout  ce  qu'ilsauoient  d'ha- 
bits,de  pierres,  8c  de  ioyaux.  Ils  mettoict  les  cen- 
dres de  ceux  qu'ils  brufloient  en  des  pots,  &  auec 
icelles  les  ioyaux,pierres  &  afhquets  des  defuncts 
quelques  riches  &  précieux  qu'ils  fuffent.Ils  cha- 
toient les  ofHces  funèbres ,  comme  refpon fes ,  8c 
leuoient  les  corps  des  defuncts  beaucoup  de  fois, 
faifans  plufieurs  cérémonies.   En  ces  mortuaires 
ilsmangeoient  8c  beuuoicnt,  8c  Ci  c  eftoit  per- 
fonnes  de  qualité ,  l'on  y  donoit  des  habits  à  tous 
ceux  qui  eftoient  venus  à  l'enterrement.   Quand 
quelqu'vn  mouroit,  ils  lemettoienteftendu  en 
vne chambre,  iurquesàcequedetous  coftezles 
parens  8c amis  fufTent venus,  lefquelsapportoiéc 
des  prefensau  mort,&  le  faluoient  comme  fil 
euft  efté  en  vie.  Et  fi  c'eftoit  vu  roy ,  ou  feigneur 
dequelque  ville,  ils  luy  off  roiét  des  efclaues  pour 
eftremisàmortauecluy,afinde  l'aller feruir  en 
l'autre  monde.    Us  faifoient  mourir  aulîilepre- 
ftre  ou  chapellain  qu'il  auoit  (car  tous  les iei- 
gneursauoientvu  preftrequi  dans  leurs  maifons 
leur  adminiftroit  les  cérémonies,  &le  tuoient 
alors,  afin  qu'il  allaft  adminiftrer  fon  office  au 
mort.lls  tuoient  le  cuifinicr  ,1e  fommellier,  les 
nains,  &  les  boflus ,  dcfquels  ils  fe  feruoiét  beau- 
coup ,  &  ne  pardonnoient  pas  mefmes  aux  frères 


HISTOIRE  NATVRELI,  Br 
diidefunct,  qui  l'auoient  leplusferuy.  Carc'e- 
ftoitvne  grandeur  entre  les  feigneurs  de  feferuir 
de  leurs  frères  &  des  delïufdirs.  Finalement  ils 
tuoient  tous  ceux  de  fon  train  pour  aller  entrete- 
nir fa maifon  en  l'autre  monde  :  &de  peut  que  la 
pauureté  ne  les  vint  acu_*illir,ils  enrerroient  auec 
euxpluficursrichetres^'orjd'argë^de  pierreries, 
de  courtines  d'vn  ouurage  exquis,  de  bracelets 
d'or,  &  d'autres  riches  pièces.  Que  fris  bru  (loiët 
ledefunâ:;  ils  en  faifoient  autant  de  tous  fesfer- 
uiteurs  ,6V ornements  qu'ils  luy  bailloient  pour 
l'autre  monde  :  Puis  ils  ptenoient  toute  celle  cen- 
dre laquelle  ils  enterroient  auec  vne  grande  fo- 
lemnité.  Les  obfeques  duroient  dix  iours  auec 
des  chants  de  pleurs  &  de  lamentation  ,  &  les 
preftres  emportoient  les  defuncls  auec  tant  de  cé- 
rémonies, (félon  qu'on  lesenrequeroit)&en  (î 
grand  nombre  qu'on  ne  lespourroit  prefque  co- 
ter. Ils  mettoient  aux  Capitaines  &  Seigneurs 
leurs  marques  d'honneur  &  leurs  Trophées  ,  ie- 
Ion  leurs  entreprinfes&  la  valeur  qu'ils  auoient 
employée  aux  guerres  &  es  gouuernements.  Car 
pour  cefteffect  ils  auoient  des  blafons  &  armes 
particulières.  Ils  portoient  ces  marques  &  bla- 
fons au  lieu  où  il  defiroit  eftre  enterré  ,  ou 
brullé  ,  marchant  deuant  le  corps,  &  l'accom- 
pagnant comme  en  proceiïîon ,  où  les  preftres  & 
dignitez  du  Temple  allaient  auec  diuers  orne- 
ments &  appareils.  Les  vns  encenfans ,  les  autres 
chantans,&  lesautresfonnants  deftuftes  trilles, 
&  de  tambours,  ce  qui  augmentait  beaucoup  les 


qui 


pleurs  des  va  (Taux  &  parens.  Le  pieftrequifai- 
foit  l'office  eftoit  orné  des  marques  de  l'idole  que 


D  ES     INDES.       LIV.    V.  2,12, 

le  Seigneur  auoic  reprefenté  :  car  tous  les  Sei- 
gneurs reprefentoient  les  idoles,  &  en  prenoient 
le  nom  de  quclqu'vn ,  &  à  celle  occafion  cftoienc 
eftimcz&  honorez.  L'ordre  de  Cheualleriepor- 
toitordinairementces  marques  delfufdites.  Ce- 
luy  qu'ils  deuoient  brufler,  eftant  apporté  au  lieu 
à  ce  deftinéjilsl'enuironnoient  debois  de  pin, 
&  tout  ce  qui  eftoit  de  Ton  bagage  ,  puis  il  met- 
toient  le  feu  comme  i'ay  dit  cy  deiïus ,  l'augmen- 
tant toujours  auec  du  bois  gommeux ,  iuiques  à 
ce  que  le  toutfuftconuerty  en  cendre.  Inconti- 
nent fortoit  vn  pceftre  en  habit  &  ornement  de 
diable ,  ayant  des  bouches  à  toutes  les  iointures, 
&plufieurs  yeux  de  miroirs,  &tenoitvn  grand 
bafton,  auec  lequel  il  mefloit  toutes  les  cendres 
fort audacieufement &auec  vn  gefte  &vne  repre- 
fentation  fi  terrible  ,  qu'il  efpouuentoit  tous  les 
aiïiftans.  Quelqnesfois  ce  miniftre  auoit  d'autres 
habits  diffères ,  félon  qu'eftoit  la  qualitédu  mort. 
I'ay  fait  ceux  digreffion  des  obfeques  &  funérail- 
les fur  l'idolâtrie  &  fuperftition  qu'ils  auoiét  aux 
defun&s ,  maintenant  il  eft  raifonnable  de  re- 
tourner à  l'intention  principale ,  8c  d'acheuer  ce- 
fte matière. 


Du  quatrtt'fme  &  dernier  genre  d  idolâtrie  ,  dont  les 
ïndtens  ont  yfé,  spécialement  les  Mexiquaim, 
enuers  les  images  &  ftatuës, 

CHAP.        IX. 

5Ç55  Ombien  que  véritablement  Dieu  foitsran- 
Gg&  dément  offenfe  en  ces  idolâtries  fufdites,où 
l'on  adoroit  les  creatures,fi  eft-ce  que  le  S.  Efprit 

d  iiij 


rt-ii- 


ïfi.  44. 

\f1ier.lO< 
\fiaruc.6. 


ïftt  8. 


HISTOIRE  NATVRELLE 
reprouue&  condamne  encordauantagevnautje 
genre  d'idolatric,qui  eft  de  ceux  qui  adorent  feu- 
lement les  images  &  figures  faites  de  la  main  des 
hommes,  iefquelles  n'ont  autre  chofe  en  elles 
que  d'eftre  vn  bois ,  ou  pierre,ou  métal, &  la  figu- 
re que  Dieu  leur  a  voulu  donner.  C'eftpourqnoy 
le  Sage  parleainfi  de  telles  gens  :  ~Mal-bcureux font 
&  entre  les  morts  fe  peut  conter  tempérance  de  ceux  qui 
ont  appelle  les  œuures  des  mains  des  hommes  Dieux ;l 'or, 
t  argent  y  &  l'inuention  de  lafemblance  d'animaux ,  ou 
vne  pierre  inutile,  qui  n'a  rien  dauantage  que  d'eftre  y  ne 
antiquaille.  Et  pourfuit  diuinement  ces  propos  à 
l'encôtre  de  cet  erreur,&  folie  des  Gentils.  Com- 
me aufli  le  Prophète  Efaie,  le  prophète  Hiere- 
mie,  le  prophète  Baruc,&:  lefainct  Roy  Dauid, 
en  traittentamplement  :  &  eft  necelîaire  &  con- 
uenable  que  lcminiftredeChrift,qui  reprouue 
les  erreurs  de  ri4olatric,aye  bonne  veue ,  &  qu'il 
confiderc  bien  ces  partages  ,  &  les  raifonsque  le 
fàinclEfprit  touche  fi  viuemcnt  en  iceux,&  com- 
me toutes  fe  reduifent  en  vnc  brefue  fentence, 
que  met  enauant  le  prophète  Ofee:  Celuyquil'a 
fait  a  efté  vn  ouurtcry  parquoy  il  n'eft  point  Dieu.  Le 
y  eau  donc  de  Samarie ,  feruira  aux  toilles  et  araignées. 
Reuenant  donc  à  noftre  propos ,  il  y  a  eu  aux  In- 
des vne  grade  curiofité  de  faire  des  idoles  &  pein- 
tures de  diuerfes  formes,  &  de  diuerfes  matières, 
Iefquelles  ils  adoroient  pour  dieux ,  &  les  appel- 
aient au  Peru  guacas ,  eftans  ordinairement  des 
beftes  laides  &  difformes  ,  au  moins  celles  que 
i'ay veuës eftoient toutes ainfi.  le croy  certaine- 
ment que  le  diable,  en  l'honneur  duquel  l'on  fai- 
foic  ces  idoles,  prenoic  plaifirde  fe  faire  adorer 


DES     INDES.      II V.    V.  Il  $ 

en  Tes  dirformitez.  Et  à  la  vérité  il  fecrouuoit 
au  (Tique  le  diable  parloit&:  refpondoit  en  beau- 
coup de  cesguacas ,  ou  idoles  >  ôc  Tes  preftres  Se 
miniftres  venoient  àces  oracles  du  peredemen- 
fon^e>&  quel  il  eft,  tels  eftoient  Tes  confeils ,  ad- 
uis  3c  prophéties. C'a  efté  es  prouinces  de  la  neuf- 
ue  Eipagne,  en  Mexique  ,  Tetcwo,  Tlafcalla, 
Cholula,  &aux  parties  voifmes  de  ce  royaume, 
où  ce  genre  d'idolâtrie  a  efté  le  plus  practique 
qu'en  rojaume  du  monde.  Et  eft  vne  choie  pro- 
digieuie,d'ouir  conter  les  fuperftitions  qu'ils  ont 
eues  en  ccpoincl:  toutesfois  il  ne  fera  pas  mal- 
plaifant  d'en  raconter  quelque  chofe.  Le  princi- 
pal idole  de  Mexique  eftoit,comme  i'ay  dit,  Vit- 
zilipuztli.   C'eftoitvne  ftatue*  de  bois  caillée  en 
femblancc  d'vn  homme  aflis  envn  efeabeau  de 
couleur  d'azur,pofé  fur  vn  branquard,  de  chaque 
coing  duquel  fortoit  vn  bois,  ayant  la  forme  d'v- 
ne tefte  de (erpet.L'efcabeaudenotoit  qu'il eftoit 
afîïs  au  ciel:  cet  idole  auoit  tout  le  front  azuré,  Ôc 
eftoit  lié  par  deflus  le  nez  d'vne  bande  de  couleur 
d'azu^qui  prenoit  d'vne  oreille  à  l'autre.  Il  auoit 
fur  la tefte  vn  riche  plumage ,  en  façon  d'vn  bec 
de  petit  oifeau,qui  eftoit  couuert  par  le  haut  d'vn 
orhienbruny.    Jl  auoit  en  la  main  gauche  vne 
rondelle  blanche,  auec  cinq  formes  de  pommes 
de  pin ,  faites  de  plumes  blanches ,  qui  y  eftoient 
pofees  en  croix ,  &  du  haut  fortoit  vn  guaillardet 
d'or ,  ayant  aux  coftez  quatre  fagettes ,  lefquelles 
(au  dire  des  Mexiquains)  auoient  efté  enuoyees 
du  ciel ,  pour  faire  les  aCtes&proiieires  qui  fe  di- 
ront en  fon  lieu.  Il  auoit  en  lamaindextrcvn  ba- 
llon azuré,  qui  eftoit  taillé  en  façon  d'vne  cou- 


HISTOIRE    NATVRFLLE 
leuure  ondoyante.  Tout  cet  ornement  Se  le  refte 
qu'il auoit  portoit  fon  fens  ,  ainfique  le  decla- 
roientlesMexiquains.  Le  nomde  Vkzilipuztli, 
main  gauche  de  plume  reluifante.  Iediray  cya- 
pres  du  Temple  fuperbe,  des  facrifices ,  feftes ,  Se 
cérémonies  de  ce  grand  idole,  qui  font  choies  re- 
marquables. Mais  à  prêtent  il  fera  feule  ment  dit, 
que  cet  idole  veftu&  orné  richement  ,eftoit  mis 
en  vn  autel  fort  haut ,  en  vne  petite  pièce  ,  ou  en- 
caftillement ,  fort  couuerte  de  linceux,  de  ioyaux, 
déplumes  &  d'ornements  d'or  ,  auec  beaucoup 
de  rondeles  de  plumes,  les  plus  belles  &  plu  s  gen- 
tilles qu'ils  pouuoicnt  recouurer,  &  auoit  touf- 
iours  deuant  foy  vne  courtine ,  pour  plus  grande 
vénération.  Icignant  la  chambre  ou  chapelle  de 
cet  idole ,  il  y  auoit  vne  pièce  qui  eftoit  de  moin- 
dre ouurage,  &  non  pas  fi  bien  orncc,où  il  y  auoit 
vn  autre  idole  qu'ils  appelloient  Tlaloc.Ces  deux 
idoles  eftoient  toufiours  enfemble ,  pource  qu'ils 
les  reputoient  compagnons,  &  d'vne  efgale  puif- 
fance.  11  y  auoit  vn  autre  idole  en  Mexique  ,  fort 
eftimé ,  qui  eftoit  le  Dieu  de  pénitence  &  des  iu- 
bilez  &  pardons  des  péchez.  Ils  appelloient  ccft 
idole  Tezcallipula,  &  eftoit  fait  d'vne  pierre  fort 
reluifante  8c  noire ,  comme  layel ,  eftant  veftu  de 
quelques  gentils  affiquets  à  leur  mode.  Il  auoit 
des  pendants  d'oreilles  d'or  &  d'argent»  &  en  la 
leure  d'embas  vn  petit  canon  decryftal  ,  delà 
longueur  d'vn  xeme  ou  demy  pied  ,  dans  le- 
quel ils  mettoient  quelquefois  vne  plume  ver- 
te, &r  quelquesfois  vne  azurée,  qui  le  faifoitref- 
fembler  tantoft  vne    efmeraude  ,  tantoft  vne 
turquoife ,  il  auoit  les  cheueux  ceints  cV  ban- 
dez auec  vn  lifer  d'or  ,  beuny  ,au  bout  du- 


DES     INDES.       LIV.    V.  Il  4 

quuelpendoitvneoreilled'or   ,   auecdcux  bran- 
doons  de  fumées  peintes  en  icelle,  qui  fignifioient 
Ici  s  prières  des  affligez  &  péchez  qu'il  oyoit,quad 
ils  s  ferecommandoiëtàluy.  Emre  les  deux  oreil- 
lefispendoient  vn  nombre  depetits  hérons.  Il  a- 
uooit  vn  ioyau  pendu  au  col,  Ci  grand  qu'il  lny 
coouuroitreftomach.Aux  deux  bras  des  bracelets 
d'c'or  :  au  nombril  vne  riche  pierre  verte ,  &  en  la 
mnain  gauche  vn  efuentail  de  plumes  precieufes 
veertes,azurees,&  jaulnes,qui  fortoicntd'vncha- 
ftoon  d'or  reluifant,  &  fort  bruny ,  tellement  qu'il 
fer.mbloitquecefuftvn  miroir, qui fignifioit que 
deedans  ce  miroir  il  voyoit  tout  ce  qui  le  faifoit 
aui  monde,  llsappelloientce  miroir  ou  chafton 
d'cor  Itlacjieaya,  qui  vent  dire  Ton  regardoir.  Il 
ter.noit  en  la  main  dextre  quatre  fagettes  ,  quifi- 
gn.iifioicnt  le  ctaftiement  qu'il  donnoit  aux  mau- 
uanis.pour  les  péchez.  C'eft  pourquoy  c'eftoit  l'i- 
doDle  qu'ils  craignoientleplus  ,   de  peur  qu'il  ne 
defcfcouurift  leurs  fautes  &  deli&s.  Il  y  auoit  par- 
doDn  de  péchez  en  fa  fefte,  qui  fe  faifoit  de  quatre 
anas  en  quatre  ans, comme  il  fera  dit  cy-apres.    Ils 
ter.noient  ce  mefme  idole  Tezcatlipuca  pour  le 
dieeu  de  la  fechetelïe,  de  la  famine,  &  ft  crilité ,  Se 
detlapeftilence.Parquoy  ilslepeignoicntanflien 
vneeautreforme,àfçauoire{lant  afllsanec  beaU- 
coiupdemajefté,  fur  vn  efeabeau  entouré  d'vne 
coturtinc rouge,   peinte &elabouree de teftes  Se 
ose  de  morts.  En  la  main  gauche  il  auoit  vnc  ron- 
dellleaueceinqpineSj  ou  formes  de  pommes  de 
pim  faites  de  cotton,&  en  la  droite  vnc  dardille, 
cotmme  d'vn  gefte  menaiïanr,  Se  ayant  le  bras 
eft tendu,  comme  qui  lavoudroit  jctter,&  de  la 


HISTOIRE    NATVRELLE 
rondelle  fortoient  quatre fagettes.  Il  auoit  le  vi- 
fage  &:  apparence  de  courrouce,  &  décoléré,  le 
corps  oingt  tout  de  noir,  &  la  tefte  pleine  de  plu- 
mes de  cailles.  Usvfoientde  grandes  fuperftuiôs' 
enuerscetidole,  pour  la  grand  crainte  qu'ils  a- 
uoientdcluy.    En  Cholula,  qui  eftoit  vne  repu- 
bliqnede  Mexique,ils  adoroientvn  fameux  ido- 
lc,qui  eftoit  le  dieu  des  marchadifes,pource  qu'ils 
eftoient  grands  marchands, &  encor  auiourd'huy 
font  ils  fort  addonnez  au  commerce,  ils  l'appel- 
loient"Quctz3alcoalt.    Cet  idole  eftoit  en  vne 
grande  plaot,  en  vn  temple  fort  haut,&  auoit  au- 
tour de  luy  de  l'onde  l'argent,des  ioyaux,des  plu- 
mes fort  riches, &des  habits  de  diuerfes  couleurs. 
Il  auoit  le  corps  en  forme  d'homme. mais  le  vifa- 
ge  d'vn  petit  oifeau  auec  vn  bec  rouge, &  au  def- 
fils  vne  crefte,  pleine  de  verrues,  ayant  des  rangs 
de  dents ,  &  la  langue  qui  luy  fortoit  dehors.   Il 
portoit  fur  la  tefte  vne  mitre  pointu'ëde papier 
peint,  vnefaulxen  la  main  ,  &  beaucoup  d/afïi- 
qusts  d'oraux  iambes,&:  mil  autres  folles  inuen- 
tions,qui  tontes  auoient  leur  lignification, &  l'a- 
doroient  parce  qu'il  faifoit  riche  ceux  qu'il  vou- 
loit, comme  Memnon&  Plutus.  Et  àlaveritcce 
nom  que  les  Choluanos  donnoient  à  leur  dieu 
eftoit  bien  à  propos,  encor  qu'ils  ne  l'entendif- 
fentpas.   Ilsl'appelloient  Quetzaalcoalt,qui  li- 
gnifie coulenure  de  plume  riche,  car  tel  eft  le  dia- 
ble de  lauaiicc.  Ces  barbares  ne  fe  contentoienc 
point  d'auoir  des  dieux,  mais  aufïï ils  auoient  des 
deedes, comme  les  fables  des  po'ëtes  les  introaui- 
rent ,  &  I'aucugle  Gentilité  àcs  Grecs  &  des  Ro- 
mains lés  ont  vénérées.  La  principale  des  déciles 


DES      INDES.      L  I  Y.    V.  21$ 

qu'ils  adoroicnt,eftGitappellecTozi,quiveuc  di- 
re noftre  ayeullc,  laquelle ,  comme  racontent  les 
hiftoires  de  Mexique  ;  fut  fille  du  roy  de  Culgua- 
can,  qui  fut  lapremiere  qu'ils  efeorcherent  par  le 
commandement  de  Vitzilipuztli,laquelleilscô- 
iacrerent  de  cefte  façon,  pour  eftre  ia  iœur  ,  &  des 
lors  ils  commencèrent  à  efeorcher  les  hommes 
en  leurs  (acrifices,&deveftirlesviuansdes  peaux 
des  facrifiez ,  ayans  appris  que  leur  Dieu  fe  plai- 
foit  en  cela,  comme  mefme  d'arracher  le  cœur  de 
ceux  qu'ils  facriftoient,  ce  qu'ils  apptindrent  de 
leur  dieu  ,  lequel  tira  &  arracha  le  cœur  de  ceux 
qu'il  chaftia  en  Tulla ,  comme  il  fera  dit  en  ion 
lieu.   L'vnede  ces  dédies  qu'ils  adoroient  eut  vn 
fils  grand  chaueur,  que  ceux  de  Tlafcalla  depuis 
prindrent  pour  dieu ,  &  ceux-là  eiloient  le  party 
contraire  des  Mcxiquains,  auec  l'aide  defquels 
les  EfpagnolsgaigncrentleMexique.Laprouin- 
ce  de  Tlafcalla  eft  fort  propre  pour  la  chaire,&  le 
peuple  fort  addonnéàicclle.  C'eftpourquoy  ils 
Faifoient  vne  grand  fefte  à  cet  idole,  lequel  ils  pei- 
gnoient  d'vne  telle  forme,  qu'il  n'eft  jabefoin  de 
perdre  le  temps  àladefcrire.    Mais  la  fefte  qu'ils 
luy  faifoient  eftoitplaifante,.&  en  cefte  façon:  Ils 
fonnoient  vne  trompe  fur  l'aube  du  iour,  au  fon 
de  laquelle  ils  faiTembloicnt  tous  auec  leurs  arcs, 
flciches,filiets,&  autres  inftruments  de  chailè,  ôc 
aïloientauec  leur  idole  en  proceflïon,  fuiuis  d'vn. 
grand  nombre  dépeuple  avneSierre  haute, au 
fommet  de  laquelle  ilsauoient  drciPé  ôc  accom- 
modé vne  fucillec ,  ôc  au  milieu  vn  autel  très-  ri- 
chenent  orné,où  ils  mettoient  l'idolc.Ils  alloicc 
cheninans  auec  vn  grand  bruit  de  trompettes, 


HISTOIRE    NATVR.ELLE 
decorners,dcfleutes,&detambours,&pariief)us 
au  lien, ils  circuiffoient&enuironHoient  tous  les 
coftez  decefteSierreou  montagne,  où  ils  «net- 
toient le  feu  par  tous  les  endroits ,  au  moyen  de- 
quoy  fortoient  plufieurs  &diucrs  animaux, com- 
me cerfs,  cônils,  Heures,  renards  &lôups,ld  quels 
alloient  vers  le  fommet  fuyans  le  feu.   Ces  chaf- 
feurs  couroiét  après  auec  de  gtands  cris  &  bruits 
de  diucrs  inftrumcts,les chailans  iufques  au  fom- 
met deuanc  l'idole ,  où  arriuoit  vn  tel  nombre  de 
bettes  dechaile, en  fi  grad  prefle,  qu'elles  fautoict 
les  vues  (ur  les  autres,  fur  le  peuple,  &  fur  l'autel 
incfme,en  quoy  ils  prenoient  vn  grand  plaifir,  &: 
rehouiH'ince.  Alors  ils  prenoient  vn  grand  nom- 
bre de  ces  beftcs,&  iacrifioientdeuant  l'idole  les 
cerfs  &  grands  animaux,  leur  arrachant  le  cœur, 
aucciame(me  cérémonie  dont  ilsWoient  au  fa 
crifice  des  hommes:  c/qu'eftant  acheué ,  ils  pre- 
noient toute  celle  chalfe  furlenrsefpaules,&  fe 
retiroient  auec  leur  idole  de  la  mefmefaçô  qu'ils 
y  eftoient  venus,  &entroiét  en  la  cité  chargez  de 
toutes  ces  choies,  fort  reliouis,  auec  grand  nom- 
bre demuiïque,de  buccincs,&  de  tambours,  luf- 
que'  à  arriuer  au  temple  où  ils  mettoiét  leur  ido- 
le,auec grande  reuerence&folemnite.  Ilsalloiê'rj 
tous  accommoder  les  chairs  de  ce(lecha(ie,de 
quoyilsfai^pientvn  banqueta  tout  lepeuple,&r, 
après  ditner  faifoient  leurs  f  irces,rep  relentatiôs, 
cVdances  deuant  l'idole  Ils  auoient  vn  autre  grad  I 
nombre  d'idoles, de  dieux  &  deeffes,  mais  lesl 
principales  eftoient  en  la  nation  Mexiquaine;& 
aux  peuples  voifinSjainfi  qu'il  a  eue  dit. 


MM 


DES     INDES.      LIV.    V. 


116 


D'y  ne  ejlrange  façon  d'idolâtrie  pra&iquce 
entre  IcslMextquains. 

c  h  A  p.     x. 

|Omme  nous  auons  dit  que  les  rois  Inguas 
SduPerufirent  faire  à  leur  femblance  de  cer- 
taines ftatuesqu'ilsappelloient  leurs  guaoiquies, 
ou  frères,  &  Ieurfaifoient  porterautant  d'hon- 
neur qu'à  eux-mefmes  :  ainfi  en  ont  fait  les  Me- 
xiquains  de  leurs  dieux  ,  mais  ils  ont  paiîéplus 
outre,  pource  que  des  hommes  vifs]  ils  faifoient 
des  dieux,qui  eftoit  en  cefte  manière. Ils  prenoiét 
vn  captif,  tel  qu'ils  aduif oient  bon  eftre,  &aupa- 
rauant  que  de  le  facrifier  à  leurs  idoles,  luy  don- 
noientlemefmenom  de  l'idole  auquel  il  deuoit 
eftre facrifié  ,&leveftoiem  &ornoientdesmef- 
mes  ornemens  que  leur  idole ,  difans  qu'il  repre- 
lentoit  le  mefme  idole.  Et  pendant  tout  le  temps 
que duroit cefte  reprefentation  (qui eftoit  d'vn 
an  en  certaines feftes,  en  d'autres  de  fixmois^ 
en  d'autres  moins)  ils  l'adoroient  &  veneroienc 
de  lamefme  façon  que  le  propre  idole  :  cependac 
iImangeoit,beuuoit,&fereiiouiiTbit.  Quand  il 
alloit  par  les  rues,  le  peuple  fortoit  pour  l'adorer, 
&  tous  lu  y  offroiét  beaucoup  d'aumofncs ,  &  luy 
portoientles  enfans&les  malades,  afin  qu'il  les 
guarift  &  benift ,  &:  luy  IailToient  en  tout  faire  fa 
volonté,  fauf  qu'il  eftoit toufiours accompagne 
de  dix  ou  douze  hômes,de  peur  qu'il  ne  l'cnfuift. 
Et  luy  afin  que  l'on  luy  fift  rcueréce  par  où  il  paf- 
foit,  fonnoit  de  fois  à  d'autre  dvne  petite  fleute, 


HISTOIRE  NATVRELLE 
afin  que  le  peuple  f  appreftaft  pour  l'adorer.  La 
fefte  eftant  venue  ,  &  luy  eftant  bien  gras,  ils  Iç 
tuoient,l'ouuroient,&  le  mangeoien  t,  faifans  vu 
folemnel  facriftee  de  luy.  A  la  vérité  c'eftvne 
chofepitoyabledeconridererlafaçon  delaquel- 
le  Satan  tenoit  ces  gens  en  fapuilfance  ,  ôc  tient 
ciicorauiourd'huy  plufieurs  quifontdefembla- 
blescruautez  &  abominations, aux  defpens  des 
triftes  ames,&des  misérables  corps  de  ceux  qu'ils 
luy  offrent,  &  luy  le  moque  ôc  rit  de  la  bourde  ôc 
moquerie  qu'il  fait  aux  pauures  mal-  heureux,lef 
qucls  mentent  bien  par  leurs  péchez  que  le  très- 
haut  Dieu  lesdelailleen  lapuilfancedeleur  en- 
remy, qu'ils  ont  choid  pour  dieu  ôc  pour  fouftié. 
Mais  puis  que  i'ay  dit  ce  qui  fu oit -de  l'idolâtrie 
des  Indiens,  il  ('enfuit  que  nous  traittions  de  leur 
religion,  ou  pour  mieux  dire  fuperftition  ,  de  la- 
quelle ils  vient  en  leurs  facrifrees,  temples  &  cé- 
rémonies,&  ce  qui  touche  le  refte. 


Comme  le  diable  f'efi  efforcé  de  f'cfvalcr  à  Dieu f, 

ejr  de  luy  reffcmbler  aux  façons  defficïificcsi 

religion,  &  Sacremens. 

CHAP.     XI. 

gM§  Vant  que  de  venir  à  ce  pouict,  l'on  doit 
?£$£  confïderer  vnechofe,qui  eft  fort  digne  dç 
regarder  de  prés ,  qui  eft  que  comme  le  diable  par 
Ion  orgueil  a  prins  party  ôc  f'eft  rendu  contraire  à 
Dieu,  ce  que  noftrcDieu  par  fa  fagelîè  ordonne 
pour  Ton  honneur  ôc  ieruicc,  ôc  pour  le  bien  ôc 
falut  de  l'ho  mme,  le  diable  fefforce  de  l'imiter  ôc 
le  pcruertir,pour  cftre  honoré,&fairc  qucl'hom. 

meem 


DES    INDES.      II  V.     V.  217 

me  en  (bit  condamné.  Car  comme  nous  voyons 
que  le  grand  Dieuadesfacrifices.dcs  Pre(trcs>des 
Sacremens,  des  Religieux,  des  Prophètes ,  &  des 
gens  dédiez  à  ion  feruice  diuin  ,  &  fainctes  céré- 
monies, amfî  le  diable  a  (es  facnfices,preftres,fes 
façons  de Saciemens,fa  gen t  dediee ,  les  reclus  ik 
fain&etez  feintes ,  auecmille  fortes  de  faux  pro- 
phetes,tout  ce  qui  lcra  plaifant  d'entendre,eftant 
déclaré  en  particulier,^  non  point  de  petit  fruid 
pour  cclny  qui  fe  fouuiendra  comme  le  diable  eft 
leperedemenfonpe,  ainfi  que  la  vérité  le  dit  en  ' 
1  huangue^parquey  il  procure  vlurperpour  ioy 
lagloirede  Dieu,&  contrefaire  la  lumière  par  Oe&Éettt.j. 
ténèbres.  Les  enchanteurs  d'Egypte  enfeignez  de 
leurmaiftrcSatanas,  i'efrorçoient  de  fane  d'au- 
tres merueilles  femblables  à  celles  de  Moyfe  ôc 
d'Aaron,|8our  l'égaler  à  eux. Nous  lifons  au linre 
des  luges,  de  ce  Micas  preftre  du  vain  idole,  qui 
fefcruoit  melmedesWnemens  dontonv(oitau/w^  Ig 
Tabernacle  du  vray  Dieu,  comme  del'ephoddu 
Seraphin,&  des  autres  chofes.  Soit  que  ce  foit,  à 
peine  y  a-ilchofe  inftitueepar  Ieius-Çhriû:  no- 
ftre  Seigneur,en  la  loy  Euan^elique,que  le  diable 
ne  l'aye  fophiftiquee  en  quelque  façon ,  &  portée 
à  fa  gentilité,  comme  l'on  pourra  voir  en  lifant  ce 
que  nous  tenons  pour  certain ,  par  le  rapport  de 
gensdignes  de  foy,  des  couftumes  &  cérémonies 
des  Iridiés ,  defquelles  nous  traitterôs  en  ce  liure. 

Des  temples  qui  fe  font  trotme\  es  Indes. 

CHAP.     XII. 

sOmmençant  donc  par  les  Temples, 
v>  tout  ainfï  que  le  grand  Dieu  a  voulu  que 


HISTOIRE  NATVRFLIE 
l'onluy  dediaftvnemaifon,où  Ton  faind  nom 
fuft  honore,  ôc  qu'elle  fuft  particulieremêt  voiiee 
à  Ton  feruice;ainfi  le  diable  par  Tes  mefchantes  in- 
tentions perfuadaaux  infidèles  qu'ils  luy  filïent 
de  fuperbes  temples  ,ôc  des  particuliers  adora- 
toires  ôc  fanctuaires.En  chaque  prouince  du  Pe- 
ruilyauoitvn  principal  guaca,ou  maifon  d'a- 
doration, ôc  outre  icelle  y  en  auoit  vne  vniuerfel- 
le  par  tous  les  roiaumes  des  Inguas,entre  lefquel- 
les  il  y  en  a  eu  deux  fignalees,  ôc  remarquées, l'vne 
qu'ils appelloient  de  Pac hacama,  qui  eft  à  quatre 
lieues  de  Lyma,où  l'on  void  cncorauiourd'huy 
les  ruines  d'vn  très- ancien  Ôc  grand  édifice,  du- 
quel François  Pizarre  ôc  les  fiens  tirèrent  cède 
richefïe  infinie  des  vafes,&  des  cruches  d'or  Ôc 
d'argent  qu'ils  apportèrent  quand  ilsprindrent 
l'Ingua  Alragualpa.  Il  y  a  certains  mémoires  & 
difcoursquidiientqucle  diable  en  ce  teplepar- 
loit  visiblement,  ôc  donnoit  refponfes  par  Ton 
oracle,&:  que  quelquesfois  ils  voyoient  vne  cou- 
leuure  tachetée,  &  eft  vne  chofe  fort  commune 
&approuuee  es  Indes,  que  le  diable  parloir,  ôc 
refpondoitencesfaux  fanctuaires,en  trompant 
les  miferables.  Mais  là  où  l'Euangile  eft  enîré,  ôc 
là  où  l'on  a  efleué  le  fîgne  de  la  croix  ,  le  père  de 
menfonge  y  eft  deuenu  muet,  ainfi  que  Plutar- 
t>Ut  lib  ie  queeferit  de  fou  temps  :  Cur  cejjkuerit  Vytbyas  fon- 
Traâ.re.  dere  oracula.  Et  lÂincl  Iuftin  martyr  traide  am- 
iw/î./w^o.plementdecefilence  que  Chrift  impofaauxde- 
pro  chri'  mons,  qui  parloient  par  les  idoles,  comme  il 
auoitefté  beaucoup  auparauant  prophetifeenla 
dinine  Efcnture.  La  façon  qu'auoient  les  mini- 
ères infidèles  &  enchanteurs  de  confultec  leurs 


DES     INDES.      LIV.    V.  ZlS 

dieux,eftoit  comme  le  diable  les  enfeignoit.  C'e- 
ftoit  ordinairement  de  nui&,&  pour  le  faire  en- 
troient les  efpaules  tournées  vers  l'idole,  mar- 
chans  en  arrière ,  8c  plians  les  corps  en  inclinant 
la  tefte,&:  fe  mettoiét  en  vne  laide  pofturc,&ain(i 
ilslesconhiltoient.  Larefponfc  qu'ils  faifoient 
ordinairement  eftoit  en  manière  d'vn  fiftlement 
efpouuentable  ,  ou  comme  vn  grincement  qui 
leur  faiioit  horreur,&  tout  ce  dont  il  les  aduertif- 
foit,&leurcommandoit ,  eftoit  vn  achemine- 
ment à  leur  déception  &  perdition.  Maintenant 
l'ontrouuepeudeces  oracles, par  la  mifericor- 
de  de  Dieu,& grande  puiiïance de  Iefus  Chrift.  Il 
y  a  eu  au  Peru  vn  antre  temple  &  oratoire  plus 
eftimé,quifutenlacitéde  Cuico,où  eft  auiour- 
d'huy  le  monaftere  de  fainct  Dominique  :  8c  l'on 
peut  voir  que  c'a  efté  vne  œuure  fort  belle  8c  ma- 
gnifique par  le  paué,  8c  pierres  de  l'édifice  qui  re- 
lient encor  a-uiourd'huy.  Ce  temple  eftoit  com- 
me le  Panthéon  des  Romains,  en  cequ'il eftoit 
lamaifon  8c  demeure  de  tous  les  dieux  :  car  les 
roislnguas  mirent  en  iceluy  les  dieux  de  toutes 
les  nations  8c  prouinces  qu'ils  conqueftoient, 
ayant  chaque  idole  fon  lieu  particulier,  ou  ceux 
de  leur  prouince  les  venoient  adorer  auec  vne 
deipenfe  exceflîue  de  chofes  que  l'on  apportoi't 
pour  fonminiftere.  Et  par  cela  ils  auoient  opi- 
nion de  retenir  feurement  &endeuoirles  pro- 
uinces qu'ils  auoient  conqueftees,  tenans  leurs 
dieux  commeen  oftage.  En  cefte  mefme  maifon 
eftoit  le  Pinchao ,  qui  eftoit  vne  idole  du  Soleil, 
dctrcs-finor,ouuré  d'vne  grade  richelTcclepicr- 

ciJ 


.  HISTOIRE  "NATVRELLE 
reries,lequel  eftoit  pofc  vers  l'Orient, auec  vn  teî 
artifice,  que  le  Soleil  à  fonleueriettoit  les  rayons 
fur  luy,&"  comme  il  eftoit  de  tresfin  métal,  les  ra- 
yons reuerberoient,auec  telle  clarté,qu'il  retïem- 
bloitvn  autre  Soleil.  Lcslnguas  adoroient  ce- 
ftuy- là  pour  leur  Dieu  ,  &  le  Pachayacha,  qui  tî- 
gnifieleCreateurduciel.  Ilsdifentqu'aux  def- 
pouillesde  ce  temple  lî  riche,  vn  foldat  eut  pour 
/a  part  cette  trcs-bellc  planche  d'or  du  Soleil.  Et 
comme  le  jeu  eftoit  lors  de  faifon,  il  la  perdit  vne 
nuidt  en  jouant:  d'où  vintleprouerbequi  cft  au 
Peru,pour  les  grands  loueurs  ,difant  qu'ils  jouet 
le  Soleil  auant  qu'il  naître. 


Des  fupçrbes  temples  de  Mextque. 
CHAT.    XIII. 

tfGj,  A  fuperftition  des  Mexiquains  a  cfté  fans 
comparaifon  plus  grande  que  celle  de  ceux- 
cy  :  tant  en  leurs  cérémonies ,  comme  en  la  gran- 
deur de  leurs  temples  ,lefqucls  anciennement  les 
Efpagnôlsappelloierrt  de  ce  mot  Cu ,  lequel  mot 
peutauoireftéprinsdesinfulairesde  fainct  Do- 
minique ou  de  Cuba ,  comme  beaucoup  d'autres 
mots  qui  font  en  vfage,lcfquels  ne  font  ny  d'Ef- 
pagne,ny  d'autre  langue  dont  l'on  vfe  auiour- 
d'huy  es  Indes,  comme  font  Mays,  Chico,  Va- 
quiano,Chapeto,&  autres  fembîables.  Il  y  anoit 
doncen  Mexique  le  Cu,fi  fameux  templedeVit- 
zilipuztli ,  qui  auoit  vn  tour  &  circuit  fort  grad, 
&  faifoit  au  dedas  de  foy  vne  belle  court.  Il  eftoit 
tout  bafty  de  grandes  pierres  en  façon  de  couleu- 
ures  attachées  les  vues  aux  autres ,  &  pour  cela  le 


« 


m 


DES     INDES.       IIV.    V.      .       2 1  <? 
circuit  eftoit  appelle  Coatepandi, qui  veut  dire 
circuit  de  couleuures.  Sur chacun  des coupeaux 
des  chambres  Se  oratoires  où  eftoient  les  idoles  y 
auoit  vn  perrô  fort  ioly ,  ouuragé  de  petites  pier- 
res menues  noires  comme  du  geais  arrogées  d'vn 
bel  ordre, auec  le  champ  tout  releué  de  blanc  Se 
de  rouge,qui  rendoit  à  le  voir  d'embas  vne  gran- 
de clarté;  &c  au  deflus  du  perron  il  y  auoit  des  car- 
neaux  fort  mignonnement faits ,  ouuragez  com- 
me en  limaçons,&  auoit  pour  pied  &appuy  deux 
Indiens  de  pierre  aiïïs,  tenans  des  chandeliers  en 
leurs  mains, &:  d'iceux  fortoient  comme  des  croi- 
fons  rcueftus  auec  les  bouts  enrichis  déplumes 
jaulnes  &  vertes ,  Se  des  franges  longues  de  me(- 
me.  Au  dedans  du  circuitdecefte  cour  il  y  auoit 
plufïeurs  chambres  de  religieux,  &  d'autres  qui 
eftoient  au  delïùs  pour  les  Preftres  Se  Papes,  (car 
ainfî  ilsappclloient  les  fouuerains  Preftres  qui 
feruoient  à  l'idole.    Cefte  cour  eft  fi  grande  cç  il 
fpatieufe,  qnehuictoudix.rriilperfonnes}  dan- 
çoienten  rondfort  à l'aife,  Pentrctenas  les  mains 
les  vns  des  autres,  qui  eftoit  vne  couftume  dont 
ils  vfoient  en  ce  royaume,ce  qui  femble  chofe  in- 
croyable,   lly  auoit  quatre  portes  ou'entreesà 
l'Orient,au  Ponant,au  N  ort,&  au  Midy.  De  cha- 
cune de  ces  portes  fortoit  Se  commençoit  vne 
chauffée  fort  belle  de  deux  à  trois  lieues  de  long. 
Parquoy  il  y  auoit  au  milieu  du  lac  où  eftoit  fon- 
dée la  cité  de  Mexique  quatre  chaulées  en  croix 
fort  larges ,  qui  rembelïiilbient  beaucoup.    Sur 
chacun  portail  ou  entrée  il  f  auoit  vn  dieu  ou 
idole,  ayant  le  vifage  tourné  du  cofté  des  chauf- 
fées vis-à-vis  de  la  porte  de  ce  temple  de  Vitziîi- 

e  iij 


HISTOIRE     NÀTVRELLE 
puztli.  Il  y  auoic  traite  degrez  de  trente  bralfes 
de  long  ,  &eftoient  feparez  de  ce  circuit  de  la 
cour  par  vne  rue*  qui  eftoit  entr'eux.  Au  haut  de 
ces  degrez  il  y  auoit  vn  pourmenoir  de  trente 
pieds  de  large  tout  enduit  de  chaux,au  milieu  du- 
quel pourmenoir  fe  voyoit  vne  palhlFade  très- 
bien  faited'arbres  fort  hauts  plantez  de  rang  à 
vne  brade  l'vn  de  l'autre.  Ces  arbres  edoient  fort 
gros,&  tous  percez  de  petits  trous,depuis  le  pied 
iufques  au  coupeau ,  ôc  y  auoit  des  verges  trauer- 
fansd'vn  arbre  à  l'autre, aufquelles  eftoient  tra- 
uerfees&  enchaifnees  plusieurs  teftes  de  morts 
parles  temples.  En  chaque  vergeily  auoit  vingt 
telles ,  ôc  ces  rangs  de  teftes  continuoient  depuis 
le  basiufques  au  haut  des  arbres.  Cefte  pallitîàdc 
eftoit  iî  pleine  de  ces  telles  de  morts  depuis  vn 
bout  iufques  àrautre.quec'eftoitvnechofemer- 
ueilleufement  trifte  ôc  pleine  d'horreur.    Les  te- 
ftes çftoient  de  ceux  qu'ils  auoient  facrifiez ,  enr 
apres  qu'ils  eftoient  morts ,  8c  que  l'on  en  auoit 
mange  la  chair,la  telle  en  eftoit  apportée  &  bail 
lee  aux  miniftres  du  temple ,  qui  les  enchailnoict 
ainfi,  iufques  à  ce  qu'elles  tombaient  par  mor- 
ceaux ,&  auoient  le  foin  de  remplacer  celles  qui 
tomboient  par  d'autres  qu'ils  mettoient  en  leurs 
places.    Au  fommet  du  temple  il  y  auoit  deux 
pierres  ou  chapclles,&:en  icelleseftoientles  deux 
idoles  quei'ay  dites  de  Vitzilipuztli,&  fon  com- 
pagnon Tlalot.  Ces  chapelles  eftoient  taillées  Se 
cifelees  fort  artificieufement ,  &  fi  hautes  efle- 
uees,que  pour  y  monter  il  y  auoit  vn  efcalliet  de 
pierre  de  fîx  vingts  degrez.    Au  deuant  de  ces 
chambres  ou  chapelles  il  y  àuoic  vue  court  de 


DES    INDES.      LIV.     V.  220 

quarante  pieds  en  quatre ,  au  milieu  de  laquelle  il 
yauoic  vue  pierre  haute  de  cinq  paumes, qui  e- 
ftoit  verte  &  pointue  en  façon  de  piramide,  8c 
eftoit  là  pofee  pour  les  facrifiecs  des  hommes 
que  l'on  y  faifoit:  Car  vn  homme  eftanr  couché 
deiîiis  à  la  rëuerfc,  elle  luy  faifoit  ployer  le  corps, 
&  ainû  ils  l'ouuroient  8c  luy  liroient  le  cœur, 
comme  iediray  cy-apres.  Il  y  auoitenlacité  de 
Mexique  huid  ou  neuf  autres  temples  comme 
celuyque  i'aydit,  lefquels  eftoient  attachez  & 
continuez  les  vns  aux  autres  dansvn  grand  cir- 
cuit,&  auoient  leurs  degrez  particuliers,  leur 
court,  leurs  chambres  &  leurs  dortoirs.  Les  en- 
trées des  vns  «ftoient  au  Ponant,  des  autres  au 
Leuant,des  autres  au  Sud  ,  &  celles  des  autres  au 
Nort.Tous  ces  temples  eftoient  ingenieufemenc 
elabourez,&enceints de diuerfes façons  de  cré- 
neaux 8c  peintures ,  aucc  beaucoup  de  figures  de 
pierres,eftans  accompagnez&  fortifiez  de  grands 
8c  larges  efperons.  Ils  eftoient  dédiez  àdiuers 
dieux,mais  après  le  temple  de  Vitzilipuztti ,  fui- 
uoitceluy  dcTezcalipuca,  qui  eftoit  le  dieu  de 
pénitence  &  des  chaftiemens ,  fort  efleué  haut  8c 
fort  bienbafty.  Il  y  auoit  quatre  vingts  degrez 
pourymôter  :  au  haut  defquelsfe  faifoit  vne  pla- 
nure  ou  table  de  fix  vingts  pieds  delarge,  &ioi- 
gnanticellevne  falletapiilee  de  courtines  de  di- 
uerfes couleurs  &  ouurages:  la  porte  d'icelle  eftac 
baife  &  large,  toufiours  couuerte  dVn  voile,  8c 
n'y  auoit  que  les  preftres  feulement  qui  y  pou- 
uoient  entrer.  Tout  ce  temple  eftoit  elabouré  de 
diuerfes  tailles  8c  effigies  auec  vne  grande  curio- 

c  iiij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
fitc ,  d'autant  que  ces  deux  temples  eftoient  com  - 
me  le?  Eglifes  cathédrales, Se  le  refte  à  leur  refpect 
comme  parroilîes  &  hermitages  ,  Se  eftoient  fi 
fpacieux  Se  de  tant  de  chambres ,  qu'il  y  auoit  en 
iceux  les  minifteres ,  les  collèges ,  les  elcholes  Se 
les  maifons  des  preftres,  dot  ie  parleray  cy-apres. 
Cequieftdit  peutiuffire  pour  entendre  l'orgueil 
du  diable,  &  le  mal  heur  de  celle  mi  (érable  na- 
tion,qu'  auec  fi  grande  defpenfe  de  leurs  biens, de 
leurtrauail,  &de  leurs  vies  feruoient  ainfileur 
propre  ennemy  ,  qui  ne  pretendoic  d'eux  autre 
chefe  que  de  deftruireleurs  âmes,  «Se  coniommer 
les  corps.  Ncantmoins  ils  f  en  contentoient tort, 
ayans  opinion  en  leur  fi  grande  erreur,  que  c'e- 
ftoient  de  grands  Se  pui  flans  dieux  que  ceux  auf- 
qucls  ils  raifoient  ces  feruices. 

De?  Vrefires ,  &  de  leurs  offices. 

C  H  A  P.    X  I  II  I. 

'O  Ntrouue  entre  toutes  les  nations  du  mo- 
dedes  hommes  particulièrement  dédiez  au 
feruice  du  vray  Dieu, ou  de  celuy  qui  eft  faux,  lef- 
quelsferuentauxfacrifices,  Se  pour  déclarer  au 
peuple  ce  quelcursdieux  leur  commandent.  Il  y 
a  eu  au  Mexique  fur  ce  poinct  vne  eftrange  cu- 
riofïté  :  St  le  diable  voulant  contrefaire  l'vfage  de 
l'Eglifede  Dieu,  a  mis  en  l'ordre  de  cespreftres 
de  plus  grands  ou  fuperieurs,  &  de  moindres ,  les 
vns  comme  Acolytes,  Se  les  autres  comme  Leui- 
tes.  Et  ce  qui  m'a  plus  fait  efmerueiller ,  c'eft  que 
le  diable  a  voulu  vfurperpour  foy  le  feruice  de 
Chriftj  iufques  à  fe  feruir  du  m.efmg  nom  :  car  les 


^àâgjSBmaÊÉÊMi 


DES     INDES.      L  I  V.    V.  221 

Mexiquains  appelloicnt  leurs  grands  preftres  en 
leur  ancienne  langue  Papas,  comme  pour  ligni- 
fier Souuerains  Pontifes  ,ainfi  qu'il  appert  à  pre- 
fent  par  leurs  hiftoires.  Les  Preftres  de  Vitzili- 
puztli  fiiccedoient  par  lignages  de  certains  quar- 
tiers de  la  ville  débutez  à  cet  eflfeâ:,&  ceux  des  au- 
tres idoles  y  venoient  par  efleétio ,  ou  pour  auoir 
efté  offerts  au  temple  dés  leur  enfance.  Le  conti- 
nuel exercice  des  Preftres  eftoit  d'encenfer  les 
idoles, ce  qu'ils  faifoient  quatre  fois  durât  le  iour 
naturel.  La  première  à  l'aube  du  iour,la  féconde  à 
midy,la  troifiefme  au  Soleil  couchant,  Se  la  qua- 
triefmeà  minuict.  A  cefte  heure  de  minuid  Ce  le- 
uoient  toutes  lesdignitez  du  temple,  &  au  lieu 
de  cloches  ils  fonnoient  des  buccines,&  de  grads 
cornets,  &  les  autres  des  fleutes,&  fonnoictlong 
temps  vn  Ton  triftc,&:  après  auoir  ceux  le  fon,for« 
toit  le  femainier,veftu  d'vne  robbe  blanche  en  fa- 
çon de  Dalmatique,auecl'encenfoirenla  main, 
plein  debrafier  qu'il  prenoit  au  foyer,  bruflant 
continuellement  deuant  l'autel,  en  l'autre  main 
vne  bourfe  pleine  d'encens  ,  lequel  il  jettoicen 
l'encenfoir ,  Se  comme  il  entroit  au  lieu  où  eftoic 
ridole,il  encëfoit  auec  beaucoup  de  reuerencera- 
pres  il  prenoitvn  Iinge,duquel  il  nettoioit  l'autel 
&  les  courtines.  Cela  acheuc  ils  C'en  alloiét  tous 
enlemble  en  vne  chapelle ,  &  là  faifoient  certain 
genre  de  pénitence  fort  rigoureufe  &auftere,fe 
frappans  Se  tirans  du  fang,de  la  façon  que  iediray 
cy  après  au  Traitté  de  la  pénitence,  que  le  diable 
a  enfeignceaux  fiens,  ôc  ne  failloient  iamaisà  ces 
matinées  de  minuict.  Aucuns  autres  que  les  Pre- 
ftres ne  pouuoient  Ce  méfier  de  leurs  facrifices,  & 


HISTOIRE  NATVRELLE 
chacun  d'eux  fyeniployoit  félon  leur  dignité  Se 
degré.  Ils  prefehoient  mefme  le  peuple  en  certai- 
nes feftes ,  comme  nous  dirons,  quand  ie  traitre- 
rayd'icelies.IlsauoientduL'eiienUj&leurfaifoit- 
on  des  offrandes abondammët.  le  dirayey- après 
de  l'on&ion  dont  ils  vfoient  à  confacrer  les  Pre- 
ftres.  Au  Perules  preftreseftoient  fubftantez  Se 
entretenus  du  rcuenu  &  des  héritages  de  leur 
dieu, qu'ils  appelloient  Chacaras,lefquels  eftoiet 
en  grand  nombre,  Se  bien  riches. 

Des  monafleres  des  vierges  que  le  diable 
innenta  pour  fon  feruice. 

c  H  A  P.    xv. 

?Omme  laviereligieufe  (de  laquelle  plu- 
fieurs  feruiteurs  Se  feruantes  de  Dieu  ont 
iaitprofeflion  en  lafaincle  Eglife ,  à  l'imitation 
de  Iefus-Chrift  Se  de  Ces  fiinCts  Apoftres)  eft  vue 
chofe  fiagreableaux  yeux  de  la  diuine  Majefté, 
par  laquelle  fonfainct  nomeft  tant  honoré,  Se 
fon  Eglife  embellie:  Ainfîle  père  de  menfonge 
Peft  efforcé  de  l'imiter  Se  contrefaire  en  cela,  voi- 
re comme  debatre  aucc  Dieu  de  l'oblèruance  Se, 
aufterité  de  vie  de  Ces  miniftres.  Il  y  auoit  au  Peru 
plufiturs  monaftetes  de  vierges  (car  d'autre  qua-  \ 
lité  elles  n'y  eftoient  point  receucs)  &  pour  le 
moins  y  en  auoit  vn  en  chaque  prouince.  Il  yl 
auoit  en  ces  monafteres  deux  fortes  de  femmes,] 
les  vues  anciennes,  qu'ils  appelloient  Mamaco- 
mas,  pourl'inftrnction  Se  enfeignementdesieu-i 
nés  :5c  les  autres  eftoient  deieunes  filles  defti-j 
necs  la  pour  vn  certain  temps ,  puis  après  l'on  ksi 


DES    INDES.       LI  V.    V. 


Z  11 


tiroit  de  là  pour  leurs  Dieux,  ou  pour  l'Ingua.  y 
Usappelloientcefte  maifonoumonafteie  Aclla-' 
guagi,quieftàdiremaifondechoifies.  Chaque 
monaftere auoit  fou  vicaire  ou  gouuenieur  nom- 
me Appopanaca,  lequel attoit  la  puiflance  &  li- 
berté de  choifir  toures  celles  qu'il  vouloir  de 
quelque  qualité  qu'elles  fullent,  eftans  au  defTouz 
de  huict  ans,  fi  elles  leur  fembloient  de  bonne 
taille  Se  difpofition.Ces  fîUes  ainfi  enferrées  dans 
ces  monafteres  eftoient  endoctrinées  par  les  Ma- 
macomas  endiuerfes  chofes  necelfaires  pour  la 
vie  humaine,  &auxcouftumes  &ceremoniesde 
leurs  Dieux,  &parapresilsles  tiroieut  delàeftas 
audeiïus  de  quatorze  ans,&  lesenuoyoient  en  la 
courauec bonne  garde,  vne  partie  defquellese- 
ftoient  députées  pour  leruir  aux  Guacas&  fan- 
clruaires ,  con feruans  perpétuellement  leur  virgi- 
nité ,  ^ne  partie  pour  les  facnfices  ordinaires 
qu'ils  faifoient  de  pucelles,&  autres  facrifices  ex- 
traordinaires qui  fe  faifoient  pour  le  fàlut  ,  la 
mort, ou  les  guerres  de  l'Ingua,&  vne  partie  mef- 
me  pour  leruir  de  femmes  Se  de  concubines  à 
flngiia,  Se  à  d'autres  fiens  parens  Se  capitaines 
aulquelsillesdonnoit,qui  leur  eftoit  vne  grande 
&  honorable  recompenfe:  &cedepartement  fe 
faifoitpar  chacun  an.  Ces  monafteres  auoient 
6c  poiïedoient  en  propre  des  héritages ,  rentes 
Se reuenus  pourl'entrctien, nourricure  Se fuften- 
tation  de  ces  vierges  qui  y  eftoient  en  grand 
nombre.  Il  n'eftoit  point  licite  à  vn  père  de 
faire  refus  de  bailler  fes  filles  lors  que  l'Appo- 
panaca  les  demandoitpour  les  enferrer  &  met- 
tre en  ces  monafteres ,  voire  plufieurs  offroienx 


HISTOIRE  NATVRFT,  LE 
leurs  filles  de  leur  bonne  volonté,  leur  fcmblant 
que  c'eftoitvn  grand  mérite  pour  elles  d'eftrela- 
crifices  pour  l'îngua.  Si  l'on  trouuoit  que  quel- 
ques vns  de  ces  Mamacomas  ou  Aclias  euftfailly 
contre  Ton  honneur,  c'eftoit  vn  ineuitable  chafti- 
ment  de  les  enterrer  toutes  viues ,  ou  de  les  faire 
mourir  par  vn  autre  genre  Je  cruel  fupplicc.  Le 
diableaeumcfmeen  Mexique  la  façon  &  maniè- 
re de  rehgieufes,encor  que  leur  profellion  ne  fuft 
de  plus  d  vn  an  entier  &  cftoit  en  cefte  forte.  Au 
dedans  de  ce  grand  circuit  que  nous  auons  dit  cy 
deflus  ,  quieitoitau  temple  principal,  il  y  auoir 
deux  mailbns  comme  clauitrales  vis  à  vis  l'vnede 
rautrejl'vne  d'hommes  &  l'autres  de  femmes.  En 
celle  des  femmes  il  y  auoit  feulement  despucelles 
de  douze  à  treize  ans,lefquelles  ils  appelloient  les 
filles  de  pénitence;  Elles  eftoientautant  comme 
les  hommeSjViuoient  en  challeté  &  règle  comme 
pucelles,dedicesauferuicedeleur  Dieu. L'exerci- 
ce qu'elles auoienteftoiede nettoyer  &  bailler  le 
temple ,  &  apprefter  chaque  matin  à  manger  à  l'i- 
dole &  àfesminiftres  de  l'aumofneque  recueil - 
loîent  les  religieux.  La  viande  qu'ils  appredoient 
àHdoleeftoitdcs  petits  pains  en  figure  de  mains 
&  depieds,commedumaiie-pain,&appreitoiëc 
auec  ce  pain  de  certaines  faulfes  qu'ils  mettoient 
chaqueiourau  deuant  de  l'idole ,  &  les  preftres  le 
Daniel,^.  mançeoient  comme  ceux  de  B.ial,  que  conte  Da- 
niel. Ces  filles auoient  les  cheueux  coupez,  &  les 
lairtbiét  croiftre  par  après  iufqu'à  quelque  temps: 
ellesfeleuoientàminuicl  aux  matines  de  l'idole, 
qu'ils  celebroient  tous  les  iours,  faifans  lesmefc 
m  es  exercices  que  les  religieux  Ils  âuoieac  leurs 


DES      INDES.      LIV.    V.  223 

Abbefles  qui  les  occupoient  à  faire  des  toiles  de 
diuerfes  façons  pour  l'ornement  de  leurs  idoles 
&  des  temples.  Leur  habir  ordinaire  eftcit  tout 
blanc  (ans  aucun  ouurage  ny  couleur.  Elles  fai- 
foient  aufli  leurs  pénitences  à  minuicl,fe  facri- 
flansen  febleilant  elles meimes ,& feperçans  le 
bout  des  oreilles,  &  mcttasenleursioiieslefang 
qu'elles  en  tiroient,  &  par  après  felauoient  pour 
;  oftcrceiang  en  vn petit  eftangqui  eftoit dedans 
leur  monaitere.  Elles  viuoient  en  grande  honne- 
fteté&difcretid&s'ilfe  trouuoitque  quelquVne 
eutfailly,quoy  cjuecefuft  légèrement  inconti- 
nent elle  eftoitmife  à  mort  fansremi/Iïon,difants 
qu'elleauoitviplélamaifondeleur  Dieu.  Ils  te- 
uoient  pour  vn  augure  &  aduertiflemét  que  quel- 
qu'vn  de  ces  religieux  ou  religieufes  auoient  fait 
faute  quand  ils  voyoient  pafTer  quelque  ratou 
fouris  ,  ou  chauue-lburisenla  chappelledcleur 
idole,  ou  qu'ils  auoient  rongé  quelques  voiles: 
pour  ce  qu'ils  clifoientquc  le  rat  ouchauue-fouris 
nefefuft  point  hazardé  à  faire  vne  telle  indignité, 
ii quelque delicl:  n'euft.  précédé,  &deflorscom- 
mençoient  à  faire  inquifitiô  &  recherchedu  fait, 
puisayant  defcouuei  t  le  délinquant  ou  delinquâ- 
te,  de  quelque  qualité  qu'il  fuit  ,  incontinent  le 
faifoient  mourir.  En  cemonafteren'eftoientre- 
ceiies  que  les  filles  de  l'vn  des  fîx  quartiers  qui 
eftoient  nommez  pour  ceft  efïedt ,  &  duroit  cette 
profeffion , comme  il  a  eue  dit,  l'efpace  d'vn  an 
entier,pendant  lequel  Ieursperes  où  ellcsauoicnt 
fait  vœu  de  feruir  l'idole  en  cefte  façon,&  de  là  el- 
les iortoienr pour  fe  marier.  Ces  pucelles  de  Me-* 
xique  ,  &  encor  plus  celles  du  Peru  »  auoient 


HISTOIRE  NATVRELLE 
quelque  relfemblance  auec  les  vierges  Veftales 
de  Pvome ,  comme  racontent  les  hiftoires ,  afin 
que  l'on  entende  comme  le  diable  a  eu  le  defir 
d'cftrefcruy  de  gens  qui  gardent  virginité,  non 
pas  que  la  netteté  luy  agrée,  car  de  foy  il  eft  efprit 
immonde,  mais  pour  le  defir  qu'il  a  d'ofter  au 
grand  Dieu  félon  fon  pouuoir  cefte  gloire  de  fe 
ieruir  de  netteté  &  intégrité. 

Des  Dlonajlcres  de  ]\eligicux  que  le  diable 
a  riaient c\  pour  la  fnpcrjîition. 

CM  A  P.     XVI. 

^*On  cognoiltalfez  parles  lettres  des  Pères 
£fe  de  nollrc  compagnie , eferites  du  lappon,  le 
nombre  &  la  multitude  des  Religieux  qu'il  y  a  en 
ces  prouinces  ,  lefquels  ils  appellent  Boncos,  Se 
meime leurs  couftumes  ,{uperfti don  <8cmen fon- 
des. Quelques  pères  qui  ont  eftéen  cespaysra- 
contentdecesboi:cos,cV  religieux  de  la  Chine, 
diiàns  qu'il  y  en  a  de  plufieursordres,&dediucr- 
(es  fortes.que  les  vus  les  vindrent  voir  veftus  d'vn 
habit  blanc,  portans  des  bonnets,  Se  les  autres, 
d'vn  habit  noir ,  ians  cheueux  &  fans  bonnet ,  Se 
que  ces  religieux  ordinairement  font  peu  efti- 
mcz,&les  Mandarins,  ou  minillresdeiufticelesj 
foiiettent  comme  ils  font  le  refte  du  peuple.  Ils 
rbntprofefïïon  de  ne  point  manger  de  chair, nv 
de  poUfon,  ny  dechofe  aucune  ayant  vie,  ains 
feulement  du  ris ,  Se  des  herbes ,  mais  en  feeret  ils 
mangent  de  tout,&  font  pires  que  lecommun 
peuple.  Ilsdifentqueles  religieux  qui  font  en  la 
cour,  qui  eft  en  Paquiri,  fout  forceftimez.  Les 


jjmt 


mak"' 


DES     INDES.       tIV.    V.  214 

Mandarins  vont  ordinairement  fe  recréer  aux 
Narelles,ou  monafteres  de  ces  moines ,  &  en  re- 
tournent prefque  toujours  yures.  Ces  monafte- 
res font  ordinairement  hors  des  villes ,  Se  ont  de- 
dans leur  enclos  des  temples:  Toutesfois  ils  font 
peu  curieux  en  la  Chine  des  idoles,  ou  des  tem- 
ples, car  les  Mandarins  font  peu  d'eftat  des  ido- 
les, ôc  les  tiennent  pour  vue  chofe  vaine  &  digne 
de  ri  fee ,  voire  ne  croyent  pas  qu'il  y  aitau tre  vie 
ny  autre  Paradis  ,qued'eftreen  office  de  Manda- 
rin, ny  d'autre  enfer,  que  les  prifons  qu'ils  don- 
nent aux  delinquans.  Quant  au  vulgaire,  ils  ii- 
fent  qu'il  eft  necellaire  de  l'entretenir  par  l'ido- 
lâtrie, commemeimclePhilofophel'enfeigneà 
fesgouucrneurs.Etaeftéenl'Efcriturevneexcu- 
fe  que  donna  Aaron  de  l'idole  du  veau  qu'il  auoit  rfrifi.u. 
fait  faire. Neantmoins  les  Chinois  ont  accouftu-  MetaP^- 
sné  de  porter  aux  pouppesdeleurs  nauires,ende  xo  '*'" 
petites  chappelles  vue  pucelle  en  bolfe  affife 
en  fa  chaire  auec  deux  Chinois  au  deuant  d'elle 
agenouillez  en  façon  d'Anges,  &  y  ade  la  lumiè- 
re ardente  de  iour  ôc  denuict.  Etquandils  doi- 
uent  fairevoile,  ilsluy  font  plufieurs  facnfîces 
&  cérémonies ,  auec  vn  grand  bruit  de  tambours 
Se  de  cloches,  jettans  des  papiersbruflans  parla 
pouppe.  Venans  donc  aux  Religieux,  ie  ne  fça- 
che  point  qu'au  Peruily  ait  eu  maifon  propre 
d'hommes  retirez  outre  leurs  preftres  ,  &  for- 
ciers,  dont  y  en  a  vne  infinité.  Maisç'aeftéen 
Mexique  ,  où  il  fembleque  lediableaitmis  vne 
propre  obferuance:  Car  il  y  auoit  au  circuit  du 
grand  temple  deux  Monafteres ,  comme  i'ay  dit 
cy-deirusjl'vn  dépucelles,  dequoyi'ay  traitté, 


HISTOIRE     NATVRELLE 
&  l'autre  de  ieunes  hommes  reclus  de  dix-huicta 
vingt  ans,  lefquels  ils  appclloient  Religieux.    Ils 
portoient  vnecourône  en  la  telle  comme  les  frè- 
res de  par  deçà,  les  cheueux  vnpeu  plus  longs, 
quileurtomboientjiufquesàmoytiéderoreillc, 
excepté  que  au  derrière  de  la  cefte,  ils  les  lailïbien  t 
croiftre  quatre  doigts  de  large  qui  leur  defeen- 
doiétfurlescfpaulles,&  les  trouH'oient&accom- 
modoiét  par  trèfles. Ces  ieunes  gens  qui  feruoicc 
autempledeVitzilipuztli,  viuoicnten  pauureté, 
&  chafteté,  8c  failoient  l'office  de  Leuites ,  admi- 
niftransaux  preftres,  8c  dignitez  du  Temple,  l'en- 
cenioi^le'luminaire,  &  les  veftemens.  Ils  bal- 
lioient,  &  netcoyoïët  les  lieux  facrez,  apportas  du 
bois  afin  qu'il  brullaft  tôuhours,  aubrafier,  ou 
fouyerdu  Dieu  ,  qui  eftoic  comme  vnc  lampe  qui 
ardoir  continuellement  deuant  1  autel  del'idole. 
Outre  ces  ieunes  hommes  ,il  y  auoit  d'autres  pe- 
tits garçons  qui  eftoient comme  nouices,qui  fer- 
uoieutauxchofes  manuelles  ,  comme eftoit  d'ac- 
commoder le  Temple  de  rameaux,rofes,&ioncs, 
dôner  l'eauë  à  lauer  aux  preftres,  bailler  les  raioirs 
pourfacrifier,&  aller  auec  ceux  qui  demandoient 
l'aumofnepour  la  porter.    Tous  ceux  cyauoient 
leurs  fupericurs ,  qui  auoient  la  charge  &  le  com- 
mandement fur  eux  ;  3c  viuoientauec  vne  telle 
honnefte)té,que  quand  ils  fortoient  en  public ,  où 
il  y  auoit  des  femmes, ils  alloient  toufiours  les  te- 
lles fort  baillées,  les  yeux  en  terre  ,  fans  les  o/èq 
hauffèr  pour  les  regarder.    Ils  auoient  pour  vefi  ci- 
ment des  linceuxdered,  8c  leur  eftoitpermis  ùci 
fortir  par  la  Cité  quatre  à  quatre ,  cV  fix  à  lix  pou a 
aller  demander  l'aumouie  aux  quartiers.  Etquàdl 

l'ofl 


ygg. 


"Sâlâai 


DES      INDES.      LI V.    V.  21$ 

l'on  ne  leur  ladonnoit  ,  ilsauoienc  licence  d'al- 
ler aux  grains  des  champs,&  cueillir  les  efpics  de 
pain,ou  gi apetes  deMays  qu'ils  auoiët  de  befein, 
fans  que  le  maillre  en  olaft  parler ,  ny  les  empef- 
cher.   llsauoient  cette  licence  pour  ce  qu'ils  vi- 
uoienc  pauurement  ,  &  n'auoient  autre  reuenu 
que  l'aumofne.   Ils  ne  pouuoient  eftre  plus  de 
cinquante  ,  &  s'exerçoient  en  pénitence,  fe  le- 
uans  à  minuit  à  fonner  des  cornets  &  buccines, 
pourelueiller  le  peuple.  Ils  faifoient  chacun  leur 
quart  à  veiller  l'idole  j  de  peur  que  le  feu  de  de- 
uat  l'autel  ne  s'eftaignit.  Ils  adminiftroiet  en  l'en- 
cenioir  ,  auec  lequel  les  preftres  encenioient  l'i- 
dole à  minuit,  aumatin,àmidy,&aufoir.  Ils  e- 
(loiec  fort  fubietscV  obeillans  à  leurs  fuperieurs,& 
n'outrepafloient  pas  d'vn  poinet  ce  qu'ils  leur  cô- 
madoient.Et  après  qu'à  minuit  les  preftres  auoiéc 
achcué d'encenfer,ccux  cy  s'en  alloient  en  vn  lieu 
fecret&  efearté,  &.  facrifioient  fe  tiransdufang 
des  mollets  auec  des  pointes  dures  &  aiguës.  Ec 
de  ce  fang  qu'ils  titoient  ainli  ils  s'en  frottoienc 
les  templesjiufqucs  au  deflous  de  l'oreille,  &  ayâs 
acheuéees  facrifïces  ils  s'en  alloient  incontinent 
fe  lauer  en  vn  petit  eftang,  deftiné  à  cet  effed.Ces 
icunes  gens  ne  fe  oignoiet  point  d'aucun  betum, 
par  la  telle  ny  par  le  corps  ,  comme  faifoient  les 
preftres,  &  leurs  veftemens  eftoient  d'vne toile, 
qu'ils  font  làfortrude,&  blanche. Cet  exercice  & 
afpreté  des  pénitences  leur  duroit  vn  an  entier, 
|   auquel  ils  viuoientaueç  beaucoup  d'aufterité ,  & 
I    de  folitude.  C'eft  à  la  vérité  vne  chofe  eftrange, 
[   que  la  faulfe  opinion  de  religion,  a  tant  de  force  à 
I  l'endroit  de  ces  ieunes  hommes  &  filles  de  Mexi- 

( 


HISTOIRE  NATVRELLE 
que,  qu'ils  vont  feruans  le  diable  auec  tant  de  ri- 
gueur &  d'aufterité  :  ce  que  plufïeurs  de  nous  au- 
tresnefaifons  pas  au  ieruice  du  très  haut  Dieu, 
qui  eftvne  grand' honte  &  confufion  pour  ceux 
d'entreles  noftres  qui  le  glorifient  d'auoit  fait  vn 
bien  peu  de  pénitence,  combien  que  l'exercice 
de  ces  Mexiquains  n'eft  pas  perpétuel ,  mais  d'vn 
an  feulement,ce  qui  leur  eftoit  plus  tolerable. 

Des  pénitences,  &  de  l'auflcrite  dont  les  Indiens  ont 
yféà  la  perfuafion  du  diable. 

CHAP.     XVII. 

V  i  s  que  nous  fommes  venus  à  ce  poinct,il 
fera  bon, tant  pour  defcouurir  le  maudit  or- 
gueil de  Satan,  comme  pour  confondre  5c  ref- 
ueiller  quelque  peu  noftre  lafcheté  &  froideur  au 
feruice  du  grand  Dieu,  que  nous  difions  quelque 
chofe  des  rigueurs  &  pénitences  eftranges  que 
cefte  miferable  gent  faifoit  par  laperfualïon  du 
3'  e^'1  '  diable,  comme  les  faux  prophètes  de  Baal  qui  fe 
blefïbient&frapoient  auec  des  lancettes,&  fe  ti- 
roieraedu  fang,&  comme  ceux  qui  facrifioient 
?fal.  105.  Jeurs  fils  &  filles  au  faleBelphegor,&  lespalîoiét 
■4-R*g;-ii-  par  lefeujfelon  que  tefmoigncnt  les  diuines  let- 
tres :  car  Satan  a  toufiours  defiré  d'étiré  feruy  au 
grand  dommage  &  defpens  des  hommes.  Il  a  elle 
defîa.dit  comme  les  preftres  &c  religieux  de  Mexi- 
que fe  leuoientàminuict,  tk  ayans  encenfc  de- 
uantridolc,commedignitez  du  temple, ils  l'en 
alloientenvn  lieuaiïez  large  où  il  y  auoit  beau- 
coup de  cierges,  &  là  i'afïèoient ,  8c  prenans  cha- 
cun vne  pointe  demanguey,  qui  eft  comme  vue 


DES    INDES.       LIV.    V.  Il6 

alefne,ou  poinçon  aigu,  aueclefquellcs,  ou  aucc 
autres  forces  de  lancettes  ou  ra(birs  ils  fc  pei- 
gnoient  &  perçoicnt  le  mollet  des  jambes,  joi- 
gnant ToSjfe  tirans  beaucoup  de  iang.auec  lequel 
ilsi'oignoientparles  temples, &mettoiét  trem- 
per ces  pointes  ou  lancettes  dedans  le  relie  du 
iang,  puis  après  les  mettoient  aux  créneaux  de  la 
court  fichez  en  des  globes ,  ou  boulles  de  paille, 
afin  que  tous  veillent  &  cogneullcnt  la  pénitence 
qu'ils  fai (oient  pour  le  peuple.  Ilsielauent  Se 
nettoyétcefangen  vn  lac  député  pour  cet  erTect, 
qu'ils  appellent  Ezapangué ,  qui  ell  à  dire  eau'é  de 
iang  :  ôc  y  auoit  au  temple  vn  grand  nombre  de 
ces  pointes  &  lancettes,  parce  qu'ils  ncpouuoiec 
faire  feruir  vne  deux  fois.  Outre celaces  preftres 
tSc  religieux  faifoient  de  grands  ieulnes,  comme 
de  ieulner  cinq  &  dix  iours  fuiuans  deuant  qucl- 
qu'vne  de  leurs  grandes  telles,  &  leur  eiloient  ces 
iours  comme  nos  quatre  temps:  ils  gardoient  fi 
eftroitement  la  continence  ,  que  quelques- vns 
d'eux  pour  ne  tomber  en  quelque  (enfualité,  le 
fendoient  les  membres  virils  par  le  milieu,&  fai- 
foient mil  chofes ,  pour  fe  rendre  impui(Tans,afm 
de n'offenfer  point leursdieux.  Ils  nebeuuoienc 
point  de  vin,  &dormoicnt  fort  peu  ,  poureeque 
laplus-part  de  leurs  exercices  eiloient  de  nuict, 
ôc  commettoient  fur  eux-mefmes  de  grandes 
cruautez,  femartyrifans  pourlediable,  le  tout 
afin  qu'ils  fuMent  reputez  grands  ieufneurs  &  pe- 
nitens.  Ilsauoient  accouftumé  de  fe  discipliner 
auec  des  cordes  pleines  de  nœuds,  &  non  pas 
eux  feulement,  mais  encore  le  peuple  fai  foit  ce- 
,  lie  macération  &  fuftigationenla  procefliv"  & 


m 


HISTOIRE    KATVRELLE 
fefte,qu'ilsfaifoient  à  l'idole  Tezcalipuca,quei'ay 
ditcy  deifuseftrele  Dieu  de  pénitence.  Car  alors 
ils  portoient  tous  à  leurs  mains  des  cordes  neuf- 
uesdefil  demanguey  ,  d'vnebraffadclong  ,auec 
vn  nœud  au  bout  ,  &  d'icellesiis  fe  fuftigeoyenc 
s'en  donnans  de  grands  coups  par  les  elpaulles. 
Les  preftres  ieufnoycnt  cinq  iours  fuiuans ,  auant 
cefte  fefte,mangeans  vne  feule  fois  le  iour,&  fe  te- 
noiét  feparez  de  leurs  femmes,fans  lonir  du  tem- 
plc,pendant  ces  cinq  iours  lefoiïettans  rigoureu- 
sement auecles  ordres  fufdittcs.  Les  lettres  des 
pères  de  la  compagnie  de  Iefus,  qu'ils  ont  efentes 
des  Indes,traittent  amplement  despenitences,  8c 
excefliues  rigueurs, dont  vfent  les  Boncos  ,  encor 
que  le  tout  y  aiteftéfophiftiqué,&  qu'il  y  ait  plus 
d'apparence  que  de  vérité.  Au  Peru  pour  fblemni- 
fer  la  fefte  de  l'Yta ,  qui  eftoit  grande,  tout  le  peu- 
ple ieiffnoit  deux  iours,durant  lefquels  ils  ne  tou- 
choient  point  à  leurs  femmes ,  ny  ne  mangeoient 
aucune  viande  auec  du fel,&  d'ail,  ny  ncbeuuoiet 
point  de  Chica.Ilsvfoicnt  beaucoup  de  cefte  fa- 
çon de  ieuf  ner,  pour  certains  péchez  ,  ck  faifoient 
pénitence  en  fe  foiiettans  auec  des  orties  fort  af- 
pres.  Ettantoft  s'entrefrappans  plusieurs  coups 
par  les  efpaules  d'vne  certaine  pierre  en  quelques 
endroits. Cefte  gent  aueuglèe  par  la  periuafion  du 
Diable, fe  tranfportoit  en  des  Sierres ou  monta- 
gnes fort  afpres,  où  quelquesfois  ils  fe  facrifioient 
eux  mefmes/c  précipitas  du  haut  en  bas  de  quel- 
que haut  rocher,  qui  font  toutes  embufehes  de 
tromperies  de  celuy  qui  ne  defire  rien  tant ,  que  le 
dommage  &  perdition  des  hommes. 


DES     INDES.       1IV.    V. 


227 


Des  facrifices  que  les  Indiens  faifsient  m  dixblc^  & 
de  quelles  chofes. 

CHAP.    XVIII. 

('A  efté  en  l'abondance  &  diuerfité  d'offran- 
îdes  &  facrifices,  enlèignez  aux  infidelles 
pour  leur  idolâtrie ,  que  l'ennemy  de  Dieu  &  des 
hommes  a  plus  demonftré  Ton  aftuce  &  fa  mef- 
chanceté.  Et  comme ceffc  vnechofeconuenable, 
&proprcdelareligion,deconfommerlaiubftan* 
ce  des  creatures,au  feruice  &  à  l'hôneur  du  Crea- 
teur,qui  eft  le  lacrifice  :  ainfi  le  père  de  menfonge 
a  inuenté  de  Te  faire  offrir  &  facrifier.les  créatures 
de  Dieu, comme  à  Faucheur  Se  feigneur  d'icelles. 
Le  premier  genre  de  facrifices,  duquel  les  hom- 
mes ont  vfe,a  efté  fort  fimple.Car  Cain  offrit  des 
fruits  de  la  terre,  Se  Abeldu  meilleur  de  fonbe- 
ftail,ceque  firent  aufîi  depuis  Noé,  Abraham  ,&  Gentf.  15 
les  autres  Patriarches ,  iufqucs  à  ce  que  ceft  ample 
cérémonial  du  Leuitique,ait]eftc  donné  par  Moy- 
fe,auquelily  a  tant  de  fortes  &  différences  de  fa- 
crifices,pour  diuers  affaires,de  diuerfes  chofes,  Se 
auec  diuerfes  cérémonies.  De  la  mefme  façon  il 
s'eft  contenté  entre  quelques  nations  de  leur  en. 
fcigaet  qu'ils  luy  facrifiadent  de  ce  qu'ils  auoienc: 
mais  enuers  d'autres  il  a  pafi'é  fi  outre,en  leur  don- 
nant vne  multitude  decouftumes,  Se  deceremo- 
nieSjfur  les  facrifices, Se  tantd'obferuances,qu'el- 
les  font  cfmerueillables.  Et  femble  clairement, 
que  par  là  il  vueille  débattre ,  Se  s'efealler  à  la  loy 
ancienne,  &en  beaucoup  de  choies  vfurperfes 
propres  cérémonies.  Nous  pouuons  réduire  en 

f  iij 


aSaS*   &?*«? 


m 


HISTOIRE  NATVRELLE 
trois  genres  de  fàcrifices  tous  ceux  dont  vfent  les 
infidèles  ,les  vnesdes  choies  infenfibles,les  au- 
tres d'animaux, &  les  autres  d'hommes.  Ils  anoicc 
accouftuméau  Perudelàcrifier  du  Coca, qui  eft 
vne  herbe  qu'ils  eftiment  beaucoup,  Se  du  mays, 
qui  eft  leur  bled,  des  plumes  de  couleurs  ,  8c  du 
Chaquira,qu'ils  appellent  autrement  Viollo,des 
couches  ou  huiftres  de  mer ,  8c  quelques  foi  s  de 
l'or&:derargent,quieftoitaucune$foisen  figu- 
res de  petits  animaux.  Melmedelafineeftofrede 
Cumbi ,  du  bois  taillé ,  8c  odoriférant ,  &  le  plus 
ordinairement  du  fnif  bruflè.  ïls  faifoient  ces  of- 
frandes ou (acrifices  pourobtenir  desventspro- 
piecs ,  8c  vu  bon  temps ,  ou  pour  la  fanté  &  deli- 
urance  de  quelques  dangers  ou  malheurs.  Aufe- 
cod genre,  leur  ordinaire  facri  fice  eltoit  de  cuyes, 
qui  font  de  petits  animaux  comme  petits  con- 
nils,que  les  Indiens  mangent  ordinairement.  Et 
en  choies  d'importance,  ou  quand  c'eftoict  quel- 
ques perfonnes  riches, ils  offroient  des  Pacos, 
ou  moutons  du  pays ,  rez  ou  velus ,  &c  prenoient 
garde  fort  curieufementaunombre,aux  couleurs 
&au  temps.  Lafaçon  de  tuer  quelconque  vicli- 
me,  grande  ou  petite,  dont  vfoient  les  Indiens  fé- 
lon leurs  cérémonies  anciennes ,  eft  la  mefme  de 
laquelle  vientauiourd'huy  les  Mores, qu'ilsap 

f>elient  Alquiblé,  qui  eft  de  prendre  la  belle  fut 
e  bras  droit,  &luy  tourner  les  yeux  vers  le  So- 
leil, difanc  certaines  paroles,  félon  la  qualitéde 
la  victime  que  l'on  tué:  Car  fielleeftoitde  cou- 
leur, les  paroles  faddreiïoientauChuquilla,  Se 
Tonnerre,  afin  qu'il  n'y  euftdifette  d'eaux:  fï  el- 
le eltoit  blanche  ôc  ralç3ils  l'offraient  auSoleil 


DES      INDES.      LIV.    V.  21$ 

auec  certaines  paroles ,  fi  elle  eftoit  velue  ils  l'of- 
froienc  aufli  auec  d'autres ,  afin  qu'il  donnaft  fa 
lumière,  &fuft  propice  à  la  génération:  Ci  c'eftoic 
vn  guanaco  ,  qui  eft  de  couleur  grife  ,  ils  addref- 
foient lefacrificeau  Viracocha.  AuCufco  Ton 
tuoit&facrifioit  chacun  an  auec  cefte  cérémo- 
nie, vn  mouton  rezau  Soleil,&Ie  brufloientve- 
ftu  d'vnechemifollerouge,&  lors  qu'il  brufloir, 
ils  jettoient  au  feu  certains  petits  panniers  de  co- 
ca,qu'ils  appelloienc  Vilcaronca,  pour  lequel  fa- 
crifice  ils  auoient  des  hommes  députez  &  du  be  - 
ftail,qui  ne  feruoit  à  autre  chofe.  Ils  lacrifioient 
mefme  des  petits  oifeaux,  encor  que  celanefuft 
pas  Ci  fréquent  au  Peru  comme  en  Mexique,  ou 
le  facnfice  des  cailles  eftoit  fort  ordinaire.  Ceux 
du  Peru  facrifioient  des  oifeaux  de  la  Puna  (ainfi 
appellent-ils  le  defert  )  quand  ils  deuoient  aller  à 
laguerrepourfairediminuer  les  forces  des  Gua- 
cas  de  leurs  contraires.  Ilsappelloient  cesfacri- 
fices  Cuzcouicça,ou  Conteuicça ,  ou  Huallauic- 
ça,  ouSopauicça,&le  faifoienten  cefte  forme. 
Ils  prenoient  plufieurs  fortes  de  petits  oifeaux 
du  defert,  &  ailembloient  beaucoup  d'vnbois 
efpmeux,qu'ils  appellent  Yanlli,lequel  eftant  al- 
lumé,airembloient  ces  petits  oifeaux.  Cet  aiîem- 
blement  eftoit  appelle  Quico,  puis  les  jettoienc 
au  feu ,au tour  duquel  alloient  les  officiers  du  fa- 
crifice,  auec  certaines  pierres  rondes  &  cottel- 
lees,  où  eftoient  peintes  plufieurs  couleuures, 
lions , crapaux  ,  &  tygres,  proferans  ce  mot  V fa- 
chum,qui  fignifie  la  victoire  nous  foit  donnée,  Se 
autres  paroles.  En  quoy  ils  difoient  que  les  forces 
de  Guacas  de  leurs  ennemis  fe  perdoiet,&  tiroiét 

f  iiij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
certains  moutons  noirs,  qui  eftoient  enprifon 
quelques  iours  fans  manger,lefquels  ils  appelloict 
Vrca,&enlestuans,difoientccs  paroles,  comme 
les  cœurs  de  ces  animaux  font  arïoiblis^infi  fbiet 
affoiblis  nos  contraires  :  que  s'ils  voyoient  en  ces 
raoutons,qu'vne  certaine  chair  qui  eftoit  derriè- 
re le  coeur,  ne  fefuft  point  eôfommeeparlesieuf- 
nes&prifons  paiTees,ils  les  tenoiétpour  vnmau- 
uais  augure.  Ilsamenoienr  certains  chiens  noirs, 
qu'ils  appelloient  Appuros,&les  tuoient,lesieu 
tans  en  vnc  plaine  auec  certaines  cérémonies,  fai 
fans  manger  cefte  chair  à  quelques  fortes  d'hom- 
mes, lefquelsfacrificesilsfaifoient,  de  peur  que 
Mngua  ne  fuft  offenfc  auec  du  poifon ,  Se  pour  cet 
effet  ils  ieufnoient  depuis  le  matin  iufques  au  le- 
uer  des  eftoilles,&  lors  ils  fe  faoulIoient&  fe  hon- 
niffoient  à  la  façon  des  Mores.  Ce  facrificeleur 
eftoit  le  plus  côuenable,pour  f'oppofer  aux  Dieux 
de  leurs  contraires,  &  combien  que  pour  le  iour- 
d'huy  vne  grand'  partie  de  ces  coultumes  ayent 
ceux, les  guerres  ayans  prins  fin,  toutesfoisilen 
eft  demeuré  encor  quelques  reftes ,  pour  loccaiio 
desdifputes  particulières  ou  communes  desln- 
diens,ou  des  Caciques, ou  d'entre  les  villes.  Ils  fa- 
crifioient  &  offroient  aulîî  des  conches  de  la  mer, 
qu'ils  appellent  M  ollo,&  les  offroient  aux  fontai- 
nes &  foarces,difans  queles  conchgseftoient  fil- 
les de  la  mer,  mère  de  toutes  les  eaux. Ils  donnent 
à  ces  conches  des  nomsdiffercns,felôlacouleur} 
&  s'enfeructaudi  àdiuerfes  fins. Ils  en  vient  pref- 
que  en  toutes  fortes  de  facrifices,&  encorauiour- 
d'huy  quelques  vns  mettent  des  conches  pillées 
dedansleuL"Chica,parluperftition.  Finalement  il 


DES    INDES.       LIV.    V.  22? 

leur  fembloit  conuenable  d'offrir  facrifice  de  tout 
ce  qu'ils  femoient  &  efleuoient.Ily  auok  des  In- 
diens députez  pour  faire  ces  faciificeSjaux  fontai- 
nes,fources  &  ruilTeaux ,  qui  palîoient  par  les  vil- 
les^ ou  par  leurs  Chacias,  qui  font  leurs  meftai- 
ries,&lesfaiioient  ,  après  auoiracheué  leurs  fe- 
mailles,afin  qu'ils  ne  ce  (Ta  fient  de  courir,&  qu'ils 
arroufafîent  coufiours  leurs  héritages.  Les  for- 
ciersietroient  leur  fort  pour  cognoiftre  le  temps 
auquel  les  facrifices  fe  deuoient  faire  ,  lcfqucls 
eftâsacheuezj'onafîembloic  delacôtribution  du 
pcuple,ce  que  l'on  deuoit  facrifier,  &  les  bailloit- 
on  à  ceux  qui  auoient  la  charge  de  faire  ces  facrifi  - 
ces.  Ilslesfaifoientau  commencement  de  l'Hy- 
uer,quieft  lors  quelesfontaines,fources3&riuie- 
res  croifTent  pour  l'humidité  du  temps,&  eux  l'at- 
tribuoiet  àleurs  facrifices. Us  ne  facrifioiet  point 
aux  fotaines  &fources  des  deierts.Auioud'huy  de- 
meure encor  entre  eux  le  relpccl:  qu'ils  auoiet  aux 
fontaines,  fources,  eftangs,  ruiflfeaux,  ou  riuieres, 
qui  pafTent  par  les  villes,&  Chacras,  mefmes  auffi 
aux  fontaines  &  riuieresdes  defers.lls  font  parti- 
culière reuerenec  Se  vénération  à  la  rencontre  de 
deux  riuieres,&  là  fe  lauent  pour  la  fantc,s'oignas 
premièrement  auec  de  la  farine  de  mays,  ouauec 
autres  chofes  ,  en  y  adiouftanr  diuerfes  ceremo- 
nies,ce  qu'ils  font  mcfme  en  leurs  baings. 


Des  facrifices  d'hommes  qu  ils  faïf oient. 

CHAP.     XIX. 

&&  \  plus  pitoyable  mef-auanture  de  ce  pauurc 
^àpeuple,eftle  valîellagequilspaioient  audia- 


HISTOIRE  NATVR.ELLE 
ble,  luy  facrifiant  des  hommes, qui  font  les  ima- 
ges de  Dieu,  &:  ont  eftë  créez  pour  iouir  de  Dieu. 
En  beaucoup  de  nations  ils  auoientaccouftnrm- 
de  tuer  pour  accompagner  les  defuncts,  comme 
a  efté  dit  cy-defTu$,les  perfonnes  qui  leur  cttoien  t 
les  plusagreableSj&dequiilsimaginoient  qu'il 
fe  pourroient  mieux  feruir  en  l'autre  monde. 
Outre  cède  occafion ,  ils  auoien  t  accouftumé  au 
Peru  defacrifierdes  eufans  de  quatre  ou  fix  ans3 
iufquesàdix,&:  la  plus-part  de  ces  facriiïces  e- 
ftoient  pour  les  affaires  qui  importoient  àl'In- 
gua  ,  comme  en  les  maladies ,  pour  luy  enuoyet 
!anté,mcfme  quand  il  alloit  en  guerre,pour  la  vi- 
ctoire, Se  quand  ils  donnoient  au  nouueau  Ingua 
le  bourrelet,  quieftlaifeigoedu  Roy,  comme 
fonticy  le  feeptre  Se  la  couronne.  En  cefte  fo- 
lemuité  ils  facrihoient  le  nombre  de  deux  cents 
enfaus&^quarre  à  dix  ans, qui  eftoitvn  cruel  5c 
inhumain  fpectacle.  La  faço  de  les  facrifier  elloic 
de  les  noyer  &  enterrer  auec  certaines  reprefen- 
tations  Se  cérémonies ,  tantoft  ils  leur  coupoient 
latcfte,&'Poignoientauec  leur  fàngd'vneoreii- 
leen  l'autre.  Us  facrihoient mefme des  filles.du 
nombre  de  celles  qu'on  amenoit  àl'lngua,  des 
monafteres  dont  i'ay  traitté  cy-ddïus.  Il  y  auoir 
en  ce  cas  vn  abus  fort  grand  &  fort  gênerai,  qui 
eftoitque  fi  quelque  Indien  qualifié ,  ou  du  vul- 
gaire, eftoit  malades,  &  le  deuin  luy  difoit  que 
pour  certain  il  deuoit  mourir,  ils  facrihoient  au; 
Soleil ,  ou  au  Viracocha ,  fon  fils ,  le  priant  de  (e 
contenter d'iceluy,  Se  qu'il  nevouluft  ofter  la  vie, 
au  pere.  C'eft  vne  femblable  cruauté  à  celle  que 
iâppo^e  l'Efcriturc ,  dont  vfa  le  Rcy  de  Moab,; 


DES     INDES.      LIV.    V.  230 

en  facrifiant  Ton  fils  premier  né  fur  la  muraille ,  à  4-K.'£  î*  ' 
la  v»ei.i'ë  de  ceux  d'Kraël ,  aufquels  cet  acte  fembla 
fi  trille,  qu'ils  ne  voulurent  pasleprerTerd'auan- 
;age,  &ain(îi;en retournèrent  en  leurs  maifons. 
L'Eicriture  raconte  aufli  le  melmc  genre  de  fa- 
crifice  auoir  elle  en  v  fage  entre  les  nations  barba- 
res des  Cananeans&  Iebufeans,&:  les  autres  dont 
eferic  leliuredeSapience.  Ils  appellent  paix  de vi-  Saf>  lx 
toc  en  fi  grands  maux,  &fi  griefs,  comme  de[acrifîer  c.  1^. 
leurs  propres  fis ,  on  de  faire  a' autres  [acrifices  cache\y 
un  dcveiller toute lanuicî,  faifans  aHcs  défais  t&  ainji 
ils  71c  cardent  point  netteté  en  leur  vie ,  ny  en  leurs  ?na- 
riagesytnaisl'vnparenuie  ofle  la  vie  à  tautrey  l'autreluy 
0  fie  fa  femme ,  &  fort  contentement ,  <&  tout  y  efi  encon- 
fufion,  Icfan^,  l'homicide^  le  larcin,  la  tromperie ,  la  cor- 
ruption ,  l'infidélité ,  les  [éditions ,  les  pariuremens ,  les 
mutineries ,  l'oubltancedcDicn ,  la  contamination  des 
âmes  Je  changement  de  [exey&  de  naiffancejmconjlan- 
ce  des  mariages  >  le  defordre  de  l'adultcre,&  ordure.  Car 
f  idolâtrie  efi  vn  ahyfme  de  tous  maux.  Le  Sage  dit  ce- 
la de  ces  peuples  ,  defqucls  Dauid  fc  plaint,  que  Pfil  io$. 
ceuxd'Ifraelaprmndrent  telles  coultumes,  iuf- 
ques  à  facrifier  leurs  fils  &  filles,au  diable. Ce  que 
iamais  Dieu  n'a  voulu,  Scneluyapoint  ellcag- 
greable.  Car  comme  il  a  efté  autheur  de  la  vie ,  Se 
qu'il  a  fait  toutes  ces  autres  chofes  pour  la  com- 
modité de  rhomrrve,  il  ne  fe  plaid  point  que  les 
hommes  f'oftentlavieles  vnsaux  autres.  Bien 
que  le  Seigneur  ait  approuué  Se  accepté  lavo- 
lonté du  fidèle  Patriarche  Abraham,  il  ne  con- 
fentit  pas  pourtant  au  faict ,  qui  eftoit  de  couper 
la  telle  à  fon  fils.  En  quoy  l'on  void  la  malice  Se 
tyrannie  du  diable,  quia  voulu  en  cela  fnrpaiTer 


HISTOIRE  NATVRILLE 
Dieu, prenant  plaifir  d'eltre  adoré  auec  eflfuno  de 
fang  humain,5c  procurant  par  ce  moyen  la  perdi- 
tion des  ames  &  des  corps  enfemble5pour  la  hai- 
ne enragée  qu'il  porce  à  l:homme  ,  comme  Ton 
cruel  aduerfaire. 


Des  horribles facrific  es  d'hommes,  dont  yfoient  les 
Tâexiquains. 

CHAI».    XX. 

ÇV(5  A  ç  o  i  t  que  ceux  du  Pcru  ayét  furpade  ceux 
SJfâde  Mexique  en  l'occifion  &  facrificc  de  leurs 
enfans,  (car  ie  n'ay  point  leu  ny  entendu  que  les 
Mcxiquains  vfàtïent  de  tels  faciifices  )  toutesfois 
ceux  deMexique  les  ont  furpa(Iez,voirc  toutes  les 
nations  du  monde ,  au  grand  nombre  d'hommes 
qu'ils  facrifioient,  &  en  la  racon  horrible  qu'ils  le 
faifoict.Et  afin  que  l'on  voye  le  grand  malheur  en- 
quoy  le  diable  tenoit  ce  peuple  aueuglé ,  ie  racô- 
teray  par  le  menu  l'vfagc  &  façô  inhumaine  qu'ils 
auoient  en  cela,Premierementles  hommes  qu'ils 
facnfïoient,eftoientprms  en  guerre.  Et  ne  failoiét 
point  ces  folemnels  facri  tîccs  ,  fi  ce  n'eftoit  de  ca- 

f>tifs,de  forte  qu'il  femble  qu'en  cela  ils  ontfuyui 
e  ftile  des  anciens.  Car  ielô  que  veulent  dire  cer-  ! 
tains  Autheurs,pour  celte  occafion  ils  appelloict 
lefacrifice  vifltima  ,  d'autant  que  c'eftoit  dechofe 
vaincue  :  comme  mefme  ils  l'appelloicnt  hofltd 
quafiab  hoflc,  pource  que  c'eftoit  vne  offrande  fai  I 
te  de  leurs  ennemis, combien  que  l'on  ait  accom  - 
mode  ce  mot  à  toutes  fortes  de  facrifices.  A  la  vé- 
rité les  Mexiquains  ne  facrifioient  point  à  leurs1 
idoies  que  leurs  captifs,  <$cn'eitoicntics  ordinal- 


D  E   S    IN  D  ES.      LI  V.     V.  23  I 

res  guerres  qu'ils  faifoient,  que  pour  auoir  des  ca- 
ptifs pour  les  îacrifices.  C'cft  pourquoy  quand  les 
vns&  ks  autres  le  battoient,ilstafchoientdepie- 
drevifs  leurs  contraires  ,  &dene  les  tuer  point, 
pouriouyrde  leurs  facnfices.Eteeftefutlaraifon 
que  donna  Morecurhaau  Marquis  du  Val,  quind 
il  luy  dcmanda,pourquoy  eftant  fi  puiiîant,&ayât 
eonquefté  tant  de  Royaumes ,  il  n'auoit  pas  iub- 
iugé  la  prouince  de  Tlafcalla,  qui  eftoit  fi  proche. 
Motecuma  refpondità  cela,  que  pour  deux  cau- 
Ces  il  n'auoit  pas  eonquefté  cette  prouince,  com- 
bien qu'il  luy  euft  elle  fi  facile  s'ill'euft  voulu  en- 
treprédie.l'vne  pour  auoir  enquoy  exercer  la icu~ 
neil'e  Mexiquaine ,  de  peur  qu'elle  ne  fe  nourrift. 
en  oifiueté  &  delicateiie;&  l'autre  &  principale, 
qu'il  aueit  referuë  cette  prouince,pour  auoir  d'où 
tirer  des  captifs  pour  facrifier  à  leurs  Dieux. La  fa- 
çon donr  ils  vioientences  facrifiecs  eftoit  qu'ils 
atrembloiét  en  cette  palliftàdc  des  teftes  de  morts, 
qui  a  eftédittecy  dellus,  ceux  qui  deuoienteftre 
facnficz,&  faifoit  l'on  auec  eux  aux  pieds  de  cette 
palhfiade  vne  ceremonie,qui  eftoit  qu'ils  les  met- 
toient  tous  arrangez  au  pied  de  cefte  pallifïade 
auec  beaucoup  d'hommes  de  garde  qui  les  entou- 
roient, Incontinent fortoit vn  preftre vettu d'vne 
aube  courte  pleine  deflocquons  ou  houpetees 
parle  bas,  &  defeendoit  du  haut  du  temple  auec 
vne  idole  faiâe  de  patte  debled  &  mays  amalîc 
auec  miel,  qui  auoit  les  yeux  de  grains  de  voirre 
vert,  &  les  dents  de  grains  de  mays,  &  defeendoit 
auec  toute  la  viftefle  qu'il  pouuoitlesdegrezdu 
temple  en  bas  :  Se  montoit  par  dellus  vne  grande 
pierre  qui  eftoit  fichée  en  vne  forte  haute  terralTc 


^H 


HISTOIRE  NATVRILLE 
au  milieu  de  la  court.  Cette  pierre  fappelloic 
Quauxicalli,qui  veut  dire  la  pierre  de  l'Aiglc.ck  y 
montoiclepreftreparvn  petit  efcallier  qui  eftoit 
au  deuau  t  de  la  terralle,&  defeendoit  par  vu  autre 
qui  eftoit  en  l'autre  cofté,touf.outs  embrailànc 
ion  idole.  Puis  montoitau  lieu  où  eftoieut  ceux 
que  l'on  deuoit  facrifier,  &  depuis  vnbout  iuf- 
ques  à  l'autre  alloit  monftrant  cette  idole  à  vn 
chacun  d'eux  en  particulier,  leur  dilant  :  Ceftuy 
eftvoftre  dieu.  Etenacheuant  demonftrerde£- 
cendoit  par  l'autre  cofté  des  degrez  ,  &c  tons  ceux 
qui  deuoient mourir  l'en  alloienten  proceffion 
iufquesaulieu  où  ils  deuoient  ettre  facrifiez,  &c 
là  trouuoientapprettez  les  miniftres  qui  les  de- 
uoient lacrifier.  La  fncon  ordinaire  de  facrifier 
> 

eftoit  d'ouurir  l'eftomach  à  celuy  qu'ils  iacri- 
fioient,  après  luy  auoir  tiré  le  cœur  encor  àdemy 
vif,  ils  jettoient  l'homme  &  le  failoient  rouler 
par  les  degrez  du  temple,  lefquels  eftoient  tous 
baignez  &  fouillez  de  ce  fang.  Et  afin  de  le  faire 
entendre  plus  particulierement,fix  facrificateurs 
conftituez  en  cefte  dignité  ,  fortoient  au  lie*idu 
facrifice,  quatre  pour  tenir  les  mains  &  les  pieds 
de  celuy  que  l'on  deuoit  facrifier:  l'autre  pour  te- 
nir la  tefte ,  &  l'autre  pour  ouurir  l'eftomach ,  &c 
tirer  le  cœur  du  facrifié.  Ils  appelloient  ceux-là 
Chachalmua,quien  noftre  langag  vaut  autant 
queminiftre  de  chofe  facree.  C'eftoit  vne  dignité 
fuprefme  ëc  beaucoup  eftimee  eritr'eux ,  où  l'on 
hericoit  &  iucecdoit  comme  en  vne  chofe  de 
mayorafque  ou  fief.  Le  miniftre qui auoit  l'office 
de  tuer,qui  eftoit  le  fixiefme  d'iceux,eftoit  cftimé 
&  honoré  comme  fouuerain  preftre  &  Pontife,le 


mm 


DES    INDES.      LIV..V.  .  1$1 

nom  duquel  eftoit  différend,  félon  la  différence 
des  temps  &  folemnitez.Toutdemefmecftoienc 
leurs  habits  différends  quand  ils  fortoien  t  à  exer- 
cer leur  office, fclo  la  diuerfîté  de  temps.  Le  nom 
de  leur  dignité  elloit  Papa  &  Topilzin,lcur  habic 
8c  robe  eftoit  vne  courtine  rouge  en  façô  de  Dal- 
matiqueauec  des  honpesau  bas,  vne  couronne 
de  riches  plumes  verdes,  blanches  &  jaulneslur 
la  tefte,&  aux  oreilles  comme  des  pendants  d'or, 
aulquelsyauoic  des^pierres  vertes  enchalfecs,  8c 
au  deffous  de  la  leure  joignant  le  milieu  de  la  bar- 
beauoit  vne  pièce  comme  vn  petit  canon  d'vnc 
pieceazuree.    Ceslix  facrificateurs  venoientles 
vifages  &  les  maiiu  ointes  d'vn  noir  fort  luiiant. 
Les  cinq  autres  auoient  vne  cheueleure fort  crel- 
puë&entortilleeauecdeslifetsdecuir,  defquels 
ils  font  ceints  par  le  milieu  delà  telle  ,&  portans 
au  front  de  petites  rondelles  de  papier  peintes 
de  diuerfes  couleurs  ,  &  eftoient  veftus  d'vnc 
Dalmatique  blanche  ouureedc  noir.  Ilsrepre- 
fentoientauec  cet  ornement  la  mefme  figure  du 
diable:  de  forte  que  cela  donnoit  crainte  &  tre- 
meur  à  toutle  peuple  delesvoir  fortir  auec  vne 
fi  horrible  reprefentation.  Le  fouuerain  preftre 
portoit  en  la  main  vn  grand  coufteau  d'vn  cail- 
lou fort  large  8c  aigu,  vn  autre  preftre  portoit 
vn  collier  de  bois,  ouuré  en  façon  d'vne  cou- 
leuure.    Tous  fix  fe  mettoient  en  ordre  joi- 
gnant cefte  pierre  pyramidallc,  dclaqueilc  i'ay 
parle  cy-deuant  ,  eftant  vis  à  vis  de  la  porte 
de  la  chappelle  de  l'idole.  Celle  pierre  eftoit  fi 
pointue  ,  que  l'homme  qui  deuoit  eftre  facri- 
fic,eftanc  couché  deffusà  la  îemjerfc,  fe  plioic 


^H 


HISTOIRE  NATVRELLE 
de-  telle  façon  qu'en  luy  lailîantfeulemët  tomber 
le  coufteau  fur  l'eftomach,  fort  facilement  il  s'ou- 
uroit  pat  le  milieu.  Apres  que  ces  lacrifîcateurs 
eftoient  mis  en  ordre  ,  Ton  droit  tous  ceux  qui 
auoienc  efté  prins  es  guerres  ,  lesquels  deuoient 
eftrc  (acrifiez  eh  celte  fefte.  Etcftans  fortaccom- 

Î>agnezdhommespourla  garde  &  tousnuds^'on 
es  faifoic  monter  de  ranç  ces  larges  devrez  au  lieu 
où  eftoient  appareillez  les  miniftres  :  &  comme 
chacun  d'eux  venoiten  fon  ordre,les  fix  Sacrifica- 
teurs le  prenoientl'vn  par  vn  pied,  l'autre  par  vn 
autre  Tvn  par  vne  main, &  l'autre  par  l'autre  ,  &  le 
ieteoient  à  la  renuerle  fur  cefte  pierre  pointue,  où 
Iecinquiefme  de  ces  miniftres  luymettoit  le  col- 
lier de  bois  au  col,  &  le  grand  preftre  luy  ouuroit 
l'eftomachauec  le  coufteau  d'vne  eftrangeprom- 
ptitude&legereté,luy  arrachant  le  cœur  auec  les 
mainSj&lemonftroitainli  fumant  auSoleil,à qui 
il  offroit  cefte  chaleur  &  fumeédecœur,&  incô- 
tinent  fetournoit  vers  l'idole,  &  luy  iettoitau  vi- 
iage,  puis  ils  iettoient  le  corps  du  facrifié,  le  rou- 
lant par  les  degrez  du  temple  fort  facilemét,pour 
ce  que  la  pierre  eftoit  mile  fi  proche  des  degrez 
qu'il  n'y  auoitpas  deux  pieds  d'efpace  entre  la 
pierre  &  le  premier<degrc.;de  forte  que d'vn  fëul 
coup  de  pied  ils  iettoient  les  corps  du  haut  en  bas. 
De  cefte  façôilsfacrifioiétvnàvn  tous  ceux  qui  y 
eftoient  deftinez,cV  après  qu'ils  eftoient  morts, & 
que  l'on  auoit  ietté  les  corps  en  bas, leurs  maiftres* 
ouceuxquilesauoient  prins  les alloient  relcuer, 
&  les  emportaient,  puis  après  les  ayans  départis, 
entre  eux  ils  les  mangeoient  celebrans  leur  fefte; 
&folemnicc.  II  y  auoit  toufiours  pour  le  moins; 

quarante 


^^^H 


aofg. 


DES     INDES.       L1V.    V.  1$  3 

quarante  ou  cinquante  de  ces  facrifiez  ,  pource 
qu'il  y  auoitdcs  hommes  fort  adroits  à  les  pren- 
dre. Les  nations  circonuoifines  en  faifoientautat, 
iumans  les  M  exiqua'ins  en  leurs  couftumes  &  cé- 
rémonies furlefcruicedes  Dieux. 


D' vne  autre  forte  de  facrifiecs  d'bommes,dont 
■    yjbittit  les  THcxicjuains. 

C  H  A  P.    XXI. 

^f^Lyauoitvne  autre  forte  de  facrifices  qu'ils 
Sé&  failbient  en  diuerfes  fefles,  lefquels  ils  appel- 
loient  Racaxipe  V eliztli ,  qui  eft  autant  qu'efeor- 
chement  de pcrfbnncs. L'on  l'appelle  ainii,  pour- 
ce  qu'en  certaines  feues  ils  prenoient  vn  ou  plu- 
iieurs  eiclaucs  j  (eion  le  nombre  qu'ils  vouloient, 
&  après  l'auoir  efeorché  en  reueftoient  de  la  peau 
vn  homme  qui  eftoic  député  à  ceil  cffeôt.  Ceftuy- 
là  s'en  alioit  par  toutes  les  maifons  &  marchez  de 
la  Cité,  dançant&  ballant  ,  &  luy  deuoienttous 
offrir  quelque  chofe,&  Ci  quelqu  vn  ne  luyofFroit 
rien ,  il  le  frappoit  d'vn  coing  de  la  peau  au  vifage, 
le  fouillant  decefang  rigéquiy  eitoit.  Ceftcin- 
uentionduroitiufquesàce  que  le  cuir  fecorrorrt- 
pift3  pendant  lequel  temps  ceux  quialloienrainiî 
alîembloient  beaucoup  d'aumoîhes  qu'ilz  em- 
ployoiencauxchofesnecelîairespourlcferuicede 
leurs  Dieux.  En  beaucoup  de  ces  feftes  ils  faifoicc 
vn  deffy  entre  celuy  qui  iacrifioitj&celuy qui  de- 
uoiteftre  facrifié,  en  cefte  forme.  Ilsattachoient 
l'efclaue  par  vnpiedàvne  grande  roue  de  pierre, 
&  luy  bailloient  vne  efpee  ôc  vne  rondelle  aux 
mains  afin  qu'il  fe  deffendift;&  fortoitincôtinent; 


m 


HISTOIRE     NATVRELLE 
celuyqui  ledeuoit  facrifierarmé  d'vne  autre  ef- 
pee  &  rondelle:que fi  ccluy  qui  dcuoic  eftre  fàcri- 
fié  fc  deffendoit  vaillammenc  contre  l'autre ,  &c 
l'empefchGît,  il demeuroit exempt  &  deliurédu 
fàcrifice ,  acquérant  le  nom  de  Capitaine  fameux, 
&  comme  tel  eftoit  du  depuis  entendu  :  mais  s'il 
eftoit  vaincu  ils  le  facrifioient  en  la  mefme  pierre 
où  il  eftoit  attaché.  C'eftoit  vn  autre  genre  de  fà- 
crifice quand  ils  dedioient  quelque  efclaue  pour 
eftrela  reprefentation  de  l'idole,  &diioientque 
c'eftoit  fa  reffemblance.  Ils  donnoient  aux  pre- 
ftrespar  chacun  an  vn  efclaue,  afin  qu'il  n'y  euft 
iamais  faute  de  la  fëmblace  vifue  de l'idole.Et  in- 
continent qu'il  entroit  en  l'office  après  qu'il  eftoit 
bienlaué  ilsleveftoientde  tous  les  habits  cVor- 
nemens de  l'idole , luy  donnans  fon  mefme nom. 
Il  eftoit  toute  l'année  reueré  &  honoré  comme  le 
mefme  idole,  &auoittoufiours  auec  luy  douze 
hommes  de  garde,  de  peur  qu'il  ne  s'enfuift ,  auec 
laquelle  garde  l'on  le  laifïoit  aller  librement,  où  il 
vouloit.&  fi  d'auanture  il  s'enfuioit  ,1e  chef  de  la 
garde  eftoit  mis  en  fon  lieu,  pour  reprefenterl'i- 
dole,&apres  eftre  facrifié.Cet  Indien  auoit  le  plus 
honorable  logis  de  tout  le  Temple,  où  il  man- 
geoit  &  beuuoit,  &  où  tous  les  principaux  le  vc- 
noientferuir  &  honorer  >  luyapportans  à  man- 
ger ,  auec  Tordre  &  appareil  que  l'on  fait  aux 
grands.  Quad  il  fortoit  parmy  les  rues  de  la  Cite, 
ilalloit  fort  accompagné  de  feigneurs ,  &  portoit 
vne  petite  flufte  en  la  main ,  qu'il  touchait  de  foisj 
à autre,pour faire entedre quil pafîoit.  Et inc5ti-j 
nent  les  femmes  (ortoient  auec  leurs  petits  enfan* 
çn  leurs  bras ,  &  lesluyprefentoient,  lefaliuns 


DES     INDU.      LIV.    V.  234 

corne  Dieu. Tout  le  refte  du  peuple  en  faifoit  au- 
tantills  le  mettoiét  de  nuict  en  vnc  forteprîso3ou 
cage,de  peur  qu'il  ne  s'e  allaft,iufques  à  ce  que  ar- 
riuât  la  fefteils  le  facrifioientjCôme i'ay  dit  cy  def- 
fus. Par  ces  façons,  &  beaucoup  d'autres  le  diable 
abufoit ,  &  entretenoit  ces  pauures  miierables ,  Se 
eftbit  telle  la  multitude  de  ceux  quieftoict  facri- 
nezparcefte  infernalle  cruauté, qu'il  femble que 
ce  foitchofe  incroyable:  Car  ils  afferment  qu'il  y 
en  auoit  quelques  foisplus  de  cinq  mil,  &  que  tel 
iour  s'eft  paiîé ,  qu'ils  en  ont  facriné  plus  de  vinge 
milendiuers  endroits.Le  diable  vfoit,pour  entre, 
tenir  ceûe  tuerie  d'hômesjd'vneplaifante  &eftrâ- 
ge  inuention,  qui  eftoit ,  que  quand  il  plaifoit  aux 
preftres  de  Satâ,ils alloiét  aux  Rois,&  leur  decla- 
roient  corne  leurs  dieux  femouroient  de  faim,  & 
qu'ils  eullent  mémoire  d'eux. Incontinet  les  Rois 
s'appareilloict,&  aduertillbient  les  vns  les  autres» 
que  les  dieux  demandoient  à  mâger,partant  qu'ils 
commadaflem  au  peuple ,  de  fe  tenir  preft  d  venir 
à  la  guerre,&  ain  ii  le  peuple  allemblé>&  les  com- 
pagnies ordonnées  ils  fortoientaux  champs,  où 
ils  allèmbloien  t  leur  armée ,  &  toute  leur  difpute 
&  combat,  eftoit  de  fe  prendre  les  vns  les  autres 
pour  facrifkr,  tafehans  de  fe  faire  paroiftre  tant 
d'vncoftê  que  d'autre,  en  amenant  le  plus  de  ca- 
ptifs pour  le  facrifice  -,  tellement  qu'en  ces  batail- 
les,ils  tafehoient  plus  à  s'entre-prendre,qu'à  s'en- 
tretuer ,  pource  que  tout  leur  but  eftoit  d'amener 
des  hommes  vifs  ,  pour  donner  à  manger  à  leurs 
idoles ,  qui  eftoit  la  façon ,  par  laquelle  ils  appor- 
taient les  victimes  à  leurs  Dieux^  Et  doit-on  fça- 
uoir  qae  iamais  Roy  n'eftcùt  couronc,  qu'au  preal- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
lable  il  n'euft  fubiugué  quelque  prouincc  de  la- 
quelle il  amenaft  vn  grand  nôbre  de  captifs,  pour 
les  facrifices  de  leurs  dieux  ,  &  ainfi  par  tous 
moyens,  c'eftoit  choie  infinie,que  le fang  humain 
que  l'on  efpandoit  en  l'honneur  de  Satan. 

Comme  défia  les  Indiens  csioicnt  lajjc^  ,  &  nepoutment 
pins  fouffrir  la  cruauté  de  leurs  dieux. 

c  H  A  P.     XXII. 

ftg  L  V  s  i  e  v  r  s  de  ces  barbares  eftoient'dclia 
[|3  laffez&  ennuyez  d'vne  fi  excelhue  cruauté,  à 
efpandretantde  (ang  d'hommes,  &  du  tribut  li 
ennuyeux  d'ellre  touiiours  en  peine  de  gaignei 
des  captifs,  pour  lanouiiture  de  leurs  Dieux,  leur 
femblant  vne  chofe  infupportable.  Et  ncacmoins 
ils  ne  lailïbient  defuyure  6:  exécuter  leurs  rigou- 
reufes  loix,pour  la  grand'  crainte  que  les  minrilres 
des  idoles  leur  donnoient  de  leur  collé  ,  &  par  les 
rufc.saueclefquellesils  tcnoientce  peuple  en  er- 
reur;Mais  en  l'intérieur  ils  defiroient  allez  de  le 
voir  libre  d'vne  lipezante  charge.  Ltfut  vne  gran- 
de prouidence  de  Dieu,  que  les  premiers  cjuileur 
donnèrent  la  coçnoillance  de  la  loy  de  Chrift,  ics 
trouuallent  en  celte dilpontion  ;  pource  que  lans 
doute,  ce  leur  fcmblavne  bonne  loy ,  &  vn  bon 
Dieu,qui  vouloir  cllre  feruy  de  celle  façon. Sur  ce 
propos  me  côtoitvn  religieux  graueen  laneufue 
Efpagne,  que  quand  il  fut  en  ce  royaume  ilauoic 
demandé  àvn  ancien  Indien,  homme  de  qualité, 
comment  les  Indiens  auoient  fitollreceu  la  loy 
de  k(us-Chrift,&  laitier  la  leur,fans  faire  d'auan- 
tagcdepreuuc^'eirayjnydedifputefuricellcjcar 


D  ES     INDES.       LIV.    V.  235 

ilfembloic  qu'ils  s'eftoient  changez  fansyauoir 
eftcefmcus  par  raifonfuffiiante. L'Indien  reipon- 
dit;  Ne croy  point  père, que nousprenions  fiin- 
confîderement  la  loy  de  Chiift,  comme  tu  dis, 
pource  que  ie  t'appres,  que  nous  eftions  défia  laf- 
fez,  Se  mefeontens  des  chofes  que  les  idoles  nous 
commandoient,  &  que  nous  auions  défia  parlé  de 
les  lailîcr,&  de  prendre  vne  autre  loy.  Et  comme 
nous  trouuifmes  que  celle  que  vous  nous  pref- 
chiez,  n'auoit  point  de  cruautez,  &  qu'elle  nous 
eftoit  conuenable,iu(le,  &  bonne,  nous  entendif- 
mes.&  creufmes,que  c'eftoit  la  vraye  loy,  &ain(î 
nous  la  receufmes  fort  volontairement.Larefpo- 
ce  de  ceft  Indiep  s'accorde  bien  auec  ce  que  l'on 
lit  aux  premiers  difeours  que  Hernand  Cortés 
enuoya  à  l'EmpereurCharles  le  quint,où  il  racon- 
te, que  apres  auoir  conquefté  laCitédeMexic- 
que,eftant  en  Cuyoacan,  luy  vindrent  des  ambaf- 
fadeurs  de  la  republicque  Se  prouince  de  Mecho- 
achan  ,  demandans  qu'il  leur  enuoiaft  fa  loy  ,  Se 
qu'il  la  leur  apprilt  &  fift  entendre,  pour  autant 
qu'ils  pretendoient  de  laifler  la  leur  ,  qui  ne  leur 
fembloit  pas  bonne ,  ce  que  leur  accorda  Cortés, 
Se  auiourd'huy  font  les  meilleurs  Indiens,  Se  plus 
vrais  Chrefticnsquifoientenla  neufue  Efpagne. 
Les  Efpagnols  qui  virent  ces  cruels  facnhees 
d'hommes  ,  fe  déterminèrent  d'employer  toute 
leur  puilîance  à  deftruire  vn  fi  deteftable,&:  mau- 
dit carnage  d'liommes,&  d'autant  plus  qu'ils  vei- 
rent  vn  foîr  deuant  leurs  yeux  facrifier ,  foixante, 
ou  foixante  Se  dix  foldats  Efpagnols,  quiauoient 
efte  piins  en  vne  bataille,  qui  fe  donna  fur  la  con- 
quefté de  Mexicque  3  Se  vne  autre  fois  trouuercnt 


H 


HISTOIRE     NATVRELI,  E 
efcrit  de  charbon  ,  en  vne  chambre  en  Tezcu- 
fco  ,  ces  mots ,  Icy  fufi  prifonnicr  ,  v»  rc/  malheu- 
reux3  Mtec  fes  compagnons ,  ^«c  <mv  */i?  Te^cufeo  f.t- 
enfierent.  Il  aduint  mefme  à  ce  propos  ,  vn  cas 
fort  effrange,  &  neantmoins  véritable ,  ayant  edé 
rapporté  par  perfonnes  dignes  de  foy ,  &  fut  que 
les  Efpagnols  regardans  vn  fpectacle  de  ces  facri- 
fîces,  &  comme  ils  auoient  ouuert&  tiré  le  cœur 
àvn  ieune  homme  fort  difpos,  l'ayant  ietté,  & 
fait  rouler  du  haut  en  bas  des  degrez  comme 
eftoitleur  couftume  quand  il  vint  en  bas  dit  aux 
Espagnols  en  (a langue,  Cheualiiers  ils  m'ont  tué, 
cequiefmeut  grandement  les  noftres  d'horreur, 
&  de  pitié.  Etn'eft  point  chofe  incroyable,  que 
Galen  ny tl  eeftuy  là  ,  ayant  le  cœur  arraché  ,  ait  peu  parler, 
de  Htppoc.  attendu  que  Galien  raconte  qu'il  eft  arriuc  plu- 
es?* pi**™  /îeurs  fois  aux  facrifices  des  animaux ,  après  leur 
piactt.  c .4.  auo jr  tjr£  |e  cœur  se  ietté  fur  l'autel ,  que  les  ani- 
maux refpiroient  ,  voire  bramoient  &  cryoienc 
hautement  ,  mefme  couroient  quelque  temps. 
Laiflans  maintenant  celle  queftion  ,  comme  il 
foit  pofîïble  que  cela  puifleeftre  par  nature  ,  ie 
pourfuiuray  mon  intention ,  qui  eft  de  faire  voir, 
combien  ces  barbares  abhorroient  défia  cefte  in- 
fupportableferuitude  ,  qu'ils  auoiét  à  l'homicide 
infernal,  &  combien  grande  a  efté  la  mifericorde 
que  le  Seigneur  leur  a  faicte,  en  leur  communi- 
quant fa  loy  douce ,  &  du  tout  aggreable. 


^^^-^ 


mm 


DES    INDES.      LI  V.     V. 


23S 


Comme  le  diable  s'eft  efforcé  d'enfuyure,  &  de  con- 
t  trefaire  lesftcrements  de  lafain&c  Eglifc. 

CH  A  P.    XXV. 

5  E  qui  eft  le  plus  efmerueillable  de  l'cnuie 
<Sc  prefomption  de  Satan, eft  qu'il  ait  contre' 
fait  non  feulement  en  l'idolâtrie  &  facrifices,mais 
aufîïen  certaines  cérémonies,  noz  Sacrements, 
que  Iefus-Chrift  ,  noftre  Seigneur  à  inftituez, 
Se  defquels  vfe  la  fain&e  Eglife  ,  ayant  fpecial- 
ment  prétendu  imiter  en  quelque  façon  le  fà- 
crement  de  communion,  (qui  eft  le  plus  haut,  & 
leplusdiuindetous)  pour  le  grand  erreur  des  in» 
fidelles  qui  y  procedoient  de  ccfte  manière.  Au 
premier  moys  qu'au  Peru  ils  appellent  Raymé,  & 
refpond  à  noftre  Décembre  ,  fefaifoit  vnetres- 
folemnelle  fefte,appellee  Capacrayme,  &  en  icel- 
le fe  faifoient  beaucoup  de  facrifices,&  cérémo- 
nies, qui  duroient  plusieurs  iours,  pendant  les- 
quels nul  forain,  ou  eftranger  ne  fe  pouuoit  trou- 
uer  en  la  cour,  qui  eftoiten  Cufco.  Ces  iours 
eitants  paftcz,  ils  donnoient  congé  &  licence  aux 
eftrangcrs  d'entrer, afin  qu'ils  participaient  à  la 
fcfte ,  &  aux  facrifices ,  leur  communiant  en  cefte 
forme.  Les  Mamacomas  du  Soleil ,  qui  cftoient 
comme  religieufes  du  Soleil,  faifoient  de  petits 
pains  de  farine  de  Mays  ,  teinte  &  paiftrie  auee 
le  fang  des  moutons  blancs  qu'ils  facrifioient  ce 
iour  là ,  incontinent  ils  commandoient  que  tous 
les  forains  des  prouinces  entraient,  lefquclsfe 
mettoient  en  ordre,  &  les  preftres  quieftoient 
de  certain  lignage  3  defeendans  de  Liuquiyupan- 


HISTOIRE     NATVRLLE 
gui,donnoient  à  chacun  vn  morceau  de  css  petit3 
pains,  leur  disants  qu'ils  leur  donnoient  ces  riior- 
ceaux}  afin  qu'ils  fuiïcntconfedcrcz,  &  rnisauec 
l'In^ua,&  qu'ils  les  aduifoient,qu'ils  ne  diflenc  ny 
peniaflenc,nial  contre  l'Ingua,mais  qu'ils  luy  por- 
raflent  toufiours  bonne  affection  ,  poureeque  ce 
morceau  feroittefmoing  de  leur  intention,  &  vo- 
lonté,que  s'ils  faifoient  ce  qu'ils  dtbuoient,  il  les 
defcouuriroit,  &£eroit  contre  eux.  L'on  portoit 
ces  petits  pains  en  de  grands  plats  d'or,&  d'argër, 
qui  eftoiét  deftinez  pour  cet  effed ,  &  tous  rece- 
uoient ,  &  mançeoient  ces  morceaux  remercians 
infiniment  le  Soleil  d'vne  iï  grande  grâce  qu'il 
leur  faifoit,difans  des  paroles,&  faifans  des  fignes 
d'vn  grand  contetement  &  deuotion  :  Proteftans 
qu'en  leur  vie,  ils  ne  feroient,  ny  penferoient 
chofe  contre  le  Soleil, ny  contre l'Ingua,  &  qu'a- 
ueccefte  condition  ils  receuoientce  manger  du 
Soleil,  &  qae  ce  manger  demeureroit  en  leurs 
corps,  pour  tefmoignage  de  la  fidélité  qu'ils  gai  - 
doientau  Solcil,&àl'Ingualeur  Roy.Cefte façon 
de  communier  diaboliquement  fefaifoit  mefme 
au  dixiefme  mois  appelle  Coyarayme  ,  quieftok 
Septembre,en  la  feftefolemrielle,qu'ils  appellent 
Cy tua,  faifant la mefme cérémonie,  &  outre  ce- 
tte communion ,  (  s'il  eft  permis  d'vfer  de  ce  mot, 
en  chofe  diabolique)  qu'ils  faifoient  à  tous  ceux 
qui  venoient  de  dehors;ils  enuoioient  auiïi  de  ces 
pains,en  tous  les  guacas ,  fan&uaires  ou  idoles  de 
tout  le  royaume,  &  tout  en  vn  mefme  temps  s'y 
trouuoientdes  perfonnesde  tous  codez  >  qui  ve~ 
noient  exprès  pour  les  receuoir  ,aufquels  ilsdi- 
foienccnleur  baillant, que  le Sclciileurenuoioit 


DES    INDES.       LIV.    V.  237 

cela  en  fîgne  qu'il  vouloit  que  tous  le  veneraflent 
&  honora(rcnt,&  en  enuoyoiëtmefme  par  hon- 
neur aux  Caciques.  Quelcun  parauanture  tien- 
dra cecy  pour  fable  8c  inuention  ,  mais  pourtant 
c'eft  vnechofetres-veritable  ,que  depuis  Ingua 
Yupangi  (qnieftceluy  qui  a  fait  plus  deloix,de 
couftumes  &  cérémonies,  comme Numa à  Ro- 
me) dura  cède  manière  de  communion ,  iufques 
à  ce  que  l'Euangile  de  noftre  Seigneur  Iefus- 
Chrift  mit  hors  toutes  ces  fuperftitios,  leur  don- 
nant levray  manger  de  vie  qui  conferue&:  vnic 
lésâmes  auec  Dieu.  Qui  voudra  f'en  fatisfaire 
pl'us  amplement,  life  la  relation  que  le  licentié 
PoloefcriuitàrArcheuefque  des  Rois,  Dom  Ie- 
ronimo  de  Loay  fa ,  où  il  trouuera  cecy ,  &  beau- 
coup d'autres  chofes  qu'il  a  defcouuertes  8c  ap- 
prouuees  par  fa  grande  diligence. 


De  la  façon  que  le  diable  fefl  efforce  de  contrefaire  en 
Mexique  lafcfle  an  [aine 1  Sacrement  &  com- 
munion dont  yfc  la  [aincle  Eglifc. 

chAP.    xxiiii. 

5E  sera  chofe  encor  plus  efmerueillable 
43  d'ouir  parler  de  la  fefte  8z  folemnitéde  la 
communion, que  lemefmc  diable  prince  d'or- 
gueil ordonna  en  Mexique, laquelle  (bien qu'el- 
le foitvn  peu  longue)  il  ne  fera  mal  à  propos  de 
raconter,  félon  qu'elle  eft  eferiteparperfonnes 
dignes  de  foy.  Les  Mexiquainsfaifoientaumois 
de  May  leur  principale  fefte  de  leur  dieu  Vitzili- 
puztli,  &deux  iours  auparauant  cefte fefte,  ces 
HIlcs  dont  i'ay  parlé  cy  •  defTus.qui  eftoient  reclu- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
les  au  mefme  Temple,  &  eftoient comme reli  • 
gieufes,moulloient  vne  quantité  defemencede 
blettes  ,  auecdu  Maysrofty,  &  après  qu'il  eftoit 
moulu  le  paifti'iiïbient  5c  amafïbic-t  auec  du  miel, 
&faifoient  de  ceftepaftevn idole,  de  la  mefme 
grâdcur  qu'eftoit  celuy  de  bois,luy  mettas  au  lieu 
des  yeux,des  grains  de  verre  vert'azurez  ou  blacs, 
&  au  lieu  des  dcnts,des  grains  de  Mays,  affis  auec 
tout  l'ornement,  &  appareil  que  i'ay  dit  cy  defîus. 
Apres  qu'il  eftoit  du  toutacheué  ,  tous  les  Sei- 
gneurs venoient,&:luy  apportoient  vn  veftement 
exquis ,  &  riche ,  tout  femblable  à  celuy  de  l'ido 
le,duquelils  le  veftoient.  Et  après  l'auoir  ainfi  ve- 
ftu  6c  orné  ,  ils  l'alleoient  en  vn  efeabeau  azuré, 
&furvn  branchard  pour  le  porter  fur  lesefpau- 
les.  Le  matin  de  la  fefte  venu ,  vne  heure  auant  le 
iour  fortoient  toutes  ces  filles  veftues  deblanp, 
auec  des  ornements  tous  neufs,  lefquelleseftoict 
appellees  ce  iour  là  Sœur  du  Dieu  Vitzilipuztli. 
Elles  venoient  couronnées  de  guirlandes  de  mays 
rofty  Se  creuaffé ,  reflemblant  azahar  ou  fleur  d'o- 
renge,  &c  portoient  en  leur  col  de  grottes  chaifhes 
de  mefme,  qui  leur  palfoient  en  efcharpe,par  def- 
foubsle  bras  gauche.  Elles  eftoient  colorées  de 
vermeillon ,  par  les  ioiies ,  ôc  auoient  les  bras  de- 
puis les  couldes  iufques  aux  poings  couucrts  de 
plumes  rouges  de  perroquets,&  ainfi  ornées  elles 
prenoient  l'idole  fur  leurs  efpaulles ,  le  tirans ,  & 
portans  en  la  cour  où  eftoient  défia  tous  les  ieu- 
nes  hommes,  veftus  d'habits  faits  d'vn  redarti-i 
ficieux,  eftans  couronnez  de  la  mefme  façon  que; 
les  femmes.  Lors  que  ces  filles  fortoient  aues 
l'idole,  les  ieunes  hommes  s'approchoient  auec 


DES     INDES.     LIV.    V.  2$8 

beaucoup  dereuerence,&prenoientlalitiere,ou 
bracard,où  eftoit  l'idole  fur  leurs  efpaules,  la  por- 
tas au  pied  des  degrez  du  Temple,  où  touc  le  peu- 
ple s'humilioit,  &  prenant  de  la  terre  de  l'aire  ,  fe 
la  mettoit  furlatefte  ,  qui  eftoit  vne  cérémonie 
ordinaire,qu'ils  obferuoient  entre  eux ,  aux  prin- 
cipales feftes  de  leurs  dieux.Cefte  cérémonie  fai- 
te3tout  le  peuple  fortoit  en  proce(ïïon,auec  toute 
la  diligence  &  légèreté,  qui  leur  eftoit  pofîible, 
&  alloient  à  vne  montaigne,  qui  eftoit  à  vne  lieiie 
delà  Cité  de  Mexique  ,  appellee  Chapultepec, 
Se  là  faifoient  vne  ftation&  desfacrifices.  Incon- 
tinent ils  partoientde  làauec  la  mefme  diligen- 
ce,pour  aller  en  vn  lieu  proche  de  là ,  qu'ils  appel- 
aient At^lacuyauaya ,  où  ils  faifoient  la  féconde 
ftation  ,  &delà  alloient  en  vn  autre  bourg  vne 
lieuëplus  outre, qui  (e  dit  Cuyoaquan,  d'où  ils 
partoient,  retournans  en  la  cité  de  Mexique,  fans 
faire  aucune  autre  ftation.  Ils  faifoient  ce  che- 
min de  plus  de  quatre  lieues,  en  trois  ou  quatre 
heures,  &appelloient cette proceffion  ,  Y  payna 
Vitzilipuztli,qui  veut  dire  le  vifte,&  diligent  che- 
min de  Vitzilipuztli.  Arriuezaupieddes  degrez 
ils  mettoientbas  le  brancard  de  l'idole  ,  cVpre- 
noientde  groffes  cordes  qu'ils  attachoietaux  bras 
du  brancard,  puis  auec  beaucoup  de  diferetion  & 
de  reuerence,ils  montoient  la  litière  auec  l'idole, 
au  fommet  du  Temple,  les  vns  tirans  d'enhaut,3c 
les  autres  leur  aydans  d'embas  ,  cependant  l'on 
n'entedoit  retentir  que  le  fon  des  ftuftes,  des  buc- 
çines,descornets,&  des  tambours  quifonnoient. 
Ils  le  montoient  decefte  façon,  d'autant  que  les 
degrez  du  Temple  eftoient  fort  roides  &  eftroits, 


HISTOIRE    NATVRELLE 
&  l'efcallier  fort  large ,  tellement  qu'ils  n'y  pou- 
noient  monter  cefte  li&icre  fur  leurs  efpaules, 
Pendant  qu'ils  montoiet  cefte  idole ,  tout  le  peu- 
pleeftoit  en  la  court  auec  beaucoup  de  reueren- 
cc,&  de  crainte.  Apres  qu'il  eftoit  monté  iufques 
au  haut,  &  qu'on  l'auoit  mis  en  vne  petite  loge 
de  rofes,qu'ils  luytenoientappreft.ee ,  incontinct 
venoientlesieunes  hommes, lefquels  femoient 
8c  refpandoient  beaucoup  de  fleurs  dediuerfes 
couleurs,  dont  ils  remplilîoient  tout  le  temple 
dedans  8c  dehors.    Cela  fait  toutes  les  filles  for- 
toient  auec  l'ornement  fufdit ,  8c  apportoient  de 
leur  conuent  des  tronçons  ou  morceaux  depafte 
compofee  de  blettes,  &  demaysrofty ,  quieftoit 
delà mefme pafte dequoy  l'idole eftoit fait 8c cô- 

f>ofé,&:  eftoiét  en  forme  de  grands  os. Ils  les  bail- 
oientauxieunes  hommes,  lefquels  ils  portoient 
en  haut,les  m  et  tan  s  aux  pieds  de  l'idole ,  dont  ils 
rempli{îbienttoutlelieu,iufquesàcequ'iln'yen 
peuft  entrer  dauantage.   Ils  appelloient  les  tron- 
çons de  pafte,  les  os  &  chair  de  Vitzilipuztli.   Ec 
ayansainfi  eftendu  ces  os,au(ïï  toftvenoient  tous 
les  anciens  du  temple,  preftres,leuites ,  8c  tout  le 
reftedes  miniftres,  félon  leurs  dignitez  &anti- 
quirez  (car  il  y  auoit  entr'eux  furcepoinctvne 
belle  règle  8c  ordonnance,  8c  venoient  les  vns  a- 
pres  les  autres  auec  leurs  voiles  de  red ,  de  diuer- 
ies  couleurs  8c  ouurages, félon  la  dignité  8c  office 
d'vn  chacun,  ayans  des  guirlandes  en  leurs  teftes, j 
&dcs  chaines  de  fleurs  pendues  au  col.  Apresi 
euxvenoientlesdieux&deefles  qu'ils  adoroienc 
en  diuerfes  figures,veftus  delamefmeliuree,puis] 
fe  mettans  en  ordre  autour  de  ces  tronçons  &:< 


DESINDES.      LIV.     V.  Z}9 

morceaux  de  pafte,  faifoient  certaine  cérémonie 
en  chantant  &  ballant  fur  iceux.     An  moyen  de- 
quoy  ilsdemeuroient  bénits  Se  confacrezpour 
la  chair  Se  os  de  cède  idole.  La  cérémonie  &c  bé- 
nédiction de  ces  tronçons  de  pafte,  par  laquelle 
îlseftoient  tenus  Se  eftimez  pour  os  Cv  chair  de 
l'Idole,  eftantacheuee  ,  ils  honoroient  ces  mor- 
ceaux de  la  mcfme  manière  que  leur  dieu.    Puis 
iortoient  les  Sacrificateurs  qui  commenço'ent  le* 
facrifice  d'hommes,  en  la  façon  qu'il  a  eftc  dit  cy- 
deiiùs,&en(acrifioit-onen  ceioui  là  plus  grand 
nombre  qu'en  nulantre.pour-autantquec'eftok 
la  feftela  plus  lolemnelle  qu'ils  enflent.  Les  facri- 
fices  cftans  achez ,  fortoiët  tout  aufîi  toft  tous  les 
ieunes  hommes  &  filles  du  temple,  ornez  com- 
me il  a  eue  dit:&  après  i'eftre  mis  en  ordre  ScC'c- 
ftre  rangez  les  vns  vis-à-vis  des  autres,ils  balloict 
Se  dançoient  au  Ton  du  tambour  qu'on  leur  fon- 
noit  en  loiiange  de  la  folemnité  &de  l'idole  qu'ils 
celebroient.  Auquel  chant  tous  les  ieigneurs  an- 
ciens,&  les  plus  notablesleurrefpondoienr,  bal- 
lans  à  l'entour  d'iceux ,  &  faifans  vn  grand  cercle 
comme  ils  ont  de  couftume ,  demeuras  toufiours 
les  ieunes  hommes  &  filles  au  milieu.  A  ce  beau 
ipectaclc  venoit  toute  la  cité,  ôcauoit  vn  com- 
mandement fort  diligemment  obferuéen  celle 
terre,  que  le  iour  de  l'idole  Vitzilipuztli ,  ion  ne 
dcuoit  manger  autre  viande  que  cçfte  pafte  em- 
miellée dequoy  l'idole  eftoit  fait.  Et  cette  viande 
h  deuoit  manger  incontinent  au  poind  du  iour, 
8c  ne  deuoit- on  boire  d'eaue  ny  aucune  autre 
chofe  après  iufques  après  midy,  &tenoientque 
c  cftoit^vn  mauuais  augure, voire  facrilege  que 


HISTOIRE   NATVRELLE 
défaire  le  contraire:  maisapres  les  cérémonies 
acheuces  il  leur  eftoit  permis  de  manger  toute  au- 
tre choie.   Pendant  le  temps  de  cefte  cérémonie 
ils  cachoient  Peaiïe  aux  petits  enfans,adueniilans 
tous  ceux  qui  auoiec  l'vlagederaifondeneboire 
point  d'eaûe,que  s'ils  le  faifoiet,  l'ire  de  Dieu  vié- 
droitfureux,&  mourroient,ce  qu'ils  obferuoient 
fort  diligemment  &  rigoureufement.  Lescere- 
monies,bal  &  faciificesacheuez,  ils  s'en  alloient 
tous  defpoiiiller  ,  &  les  preftres  8c  dignitez  du 
temple  prenoient  l'idole  de  pafte,  lequel  ils  def- 
pouilloient  de  ces  ornemens  qu'il  auoit,  &  fai- 
îoient  plufieurs  morceaux ,  tant  de  ceft  idole  mef 
me  ,  que  de  ces  tronçons  qui  eftoient  confacrez, 
puis  après  il  lesdepartoient  au  peuple  en  forme 
de  Communion,  commençans  aux  plus  grands, 
&  continuans  aurefte,  tanthommes,  femmes, 
que  petits  enfans  ,  lefquels  les  receuoient  auec 
tant  de  pleurs ,  de  crainte  &  de  reuerence  ,  que 
c'eftoit  vne  chofe admirable,  difans  qu'ils  man- 
geoient  la  chair  &  les  os  de  Dieu,dequoy  ils  fe 
tenoient  indignes.  Ceux  qui  auoient  des  malades 
cndemandoientpoureux,&lcurportoientauec 
beaucoup  de  reuerence  &  vénération.  Tous  ceux 
qui  comniunioient  demeuroient  obligez  de  dô- 
ner  le  difme  de  celle  femence  ou  grain ,  dequoy 
eftoit  fait  l'idole.  Lafolemnitéde  la  Cômunion 
eftant  acheuee,vn  vieillard  eje  beaucoup  d'autho- 
rite1  montoit  furvn  lieu  eminent,  &  d'vne  voix 
haute  prefehoit  leur  loy  &  leurs  cérémonies.  Qui 
ne  s'eimerueillera  donc  que  le  diable  ait  eftè  iï 
curieux  de  fe  faire  adorer  ôcreceuoir  en  la  façon 
que  îesvs-Ckrist  noftre  Dieu  a  ordonné  & 


DES    INDES.       LIV.    V.  240 

enfeigné ,  Se  comme  la  faincte  Eglife  a  accouftu- 
mc^Par  cela  certes,  Ton  voie  clairement  vérifié  ce 
quia  eftépropoféau  commencement,  que  Satan 
tafche  &  s'efforce  tant  qu'il  peut  d'vfurper  Se  de 
defrober  pour  foy  l'honneur  &  feruice  qui  eft  deu 
à  Dieu  feul ,  encor  qu'il  y  méfie  toujours  ics  cru- 
autez&  ordures, pource que  c'eftvnefprit d'ho- 
micide Se  d'immondicité,&  père  de  menfonge. 


Des  Coîjfejjcars  &  de  lu  Confcfîion  dont 
y f oient  les  Indiens. 

CHAP.    XXV. 

fôjE  père  de  menfonge  a  voulu  mcfme  contre- 
i®fairelefacrementdeCôfeiïion,&  enfesido- 
latries  fe  faire  honorer  aucc des  cérémonies  fort 
femblables  à  l'vfage  des  fidèles.  Au  Peru  ils  auoiet 
opinion  ,  que  toutes  les  maladies  &  aduerfîtez 
leur  venoient  pour  les  péchez  qu'ils  auoient  faits, 
Se  pour  remède  ils  vfoient  de  facrifices ,  &  outre 
cela  fe  confefïbient  mcfme  verbalement  prefque 
en  toutes  lesprouinces  ,  Se  auoient  àa  confef- 
feurs  députez  pour  cet  e£fe<5t  ,  des  fuperieurs, 
Se  d'autres  quileureftoient inférieurs  :  cVyauoit 
des  péchez  referuezaufuperieur.  Ils  receuoient 
des  pénitences, voire  quelques  fois  tres-rigou- 
reufes:  &  principalement  quand  le  pécheur  eftoit 
quelque  pauurc  homme  ,  qui  n'auoit  que  don- 
ner au  Confefîcur,&  eftoit  cet  office  de  Confef. 
feur  mefme  exercé  par  les  femmes.  L'vfage  de  ces 
Confeffeurs  forciers  ,  qu'ils  appellent  Y  chuiri 
ou  Ychuri,  a  efte  leplusvniucrfèlés  prouinces 
de  Collafuio.  Ils  ont  vue  opinion  que  c'eft  vn 


HISTOIRE  NATVRELLE 
énorme  péché  d'en  celer  en  la  conreffion  quel- 
qu'vn  qu'ils  ayenc  commis.  Ec  les  Ychurisou 
Conrdleurs  defcouuroient  fi  l'on  leur  en  celoit 
par  des  forts,  ou  par  le  regard  delacourroye  de 
quelque  animal,  &  les  chaftioient  en  leur  donnât 
vn  nombre  de  coups  d'vnepierre  fur  les  efpauîes, 
iufquesàce  qu'ils  cuifènt  tout  defeouuert,  puis 
après  luy  donnoient  vnc  penuence,&  faifoient  le 
facrifice.  Ilsfeferuentmefmedecefteconfeflion 
quand  leurs  enfans, leurs  femmes, leurs  maris  ou 
leurs  Caciques  (ont  malades,  ou  qu'ils  font  en 
quelques  grands  trauaux.  Ec  quand  l'Ingua  eftoïc 
malade,toutes  les  protiinces  fe  confeiïoiét,  prin- 
cipalemct  ceux  de  la  prouince de  Collao. Les  co- 
feiieuis  eltoiêc  obligez  de  tenir  fecrettes  les  con- 
fefîïôs  qu'ils  receuoient,(ïnô  en  certains  cas  limi- 
tez. Les  péchez  defquels  principalement  ils  fecô- 
rcuoiét ,  eLloit  le  premier  de  tuer  l'vn  l'autre  hors 
la  guèrre:en  aptes  de  defrober,de  prendre  la  fem- 
me d'autruy ,  de  donner  du  poif on  ou  lorcellcrie 
pour  faire  mal,  Se  tenoient  pour  vn  grier  péché 
de  f'oublier  à  la  reuerence  de  leurs  guacas  ou  cha- 
pelles,de  ne  garder  point  les  feftes,  dédire  mal  de 
l'Ingua,  de  ne  luy  obeyr  point. Ils  ne  facculoient 
point  d'acles  &  péchez  intérieurs,  mais  félon  le 
rapport  de  quelques  preilrcs  ,  depuis  que  les 
Chreftiens  vindrentencepays  ,  ils  l'acculèrent 
aulïïà  leurs  Ychuris  &:  confelleurs  de  leurs  peïi- 
fees.  L'Ingua  ne  confelîoit  les  péchez  à  nul  hom- 
me,mais  feulement  au  Soleil,  afin  qu'il  les  dift  au 
Viracocha,  &  qu'il  les  luy  pardonnait.  Apres  que 
l'Ingua  f  eftoit  confelTé ,  il  faifoit  vn  certain  bain 
pouracheuer  de  fe  nettoyer  en  vneriniere  cou- 
rante. 


^K 


DES    INDES.      IIV.    V.  2.41 

rantc,difant  ces  paroles.Tayditmes  péchez  auSo* 
leil,toy  riuiere  recoy  les,  &  les  porte  à  la  mer ,  où 
i3maisilsnc  puifïènt  paroiftre.  Les  autres  qui  fe 
confeflbientvfoientmefmemctdecesbainsjauec 
certaines  cérémonies  fort  femblables  à  celles 
dont  les  Mores  vfent  auiourd'huy,  qu'ils  appel- 
lent Guadoy  ,  &  les  Indiens  les  appellent  Opacu- 
na.  Etquandilarriuoità  quelque  homme  que  Tes 
enfans  luy  mouroicnt,  il  eftoit  tenu  pour  vn  grâd 
pécheur,  &  luy  difoicnt  que  c'eftoit  pour  fes pé- 
chez que  le  fils  eftoit  mort  premier  que  le  père. 
C'eft  pourquoy  ceux  à  qui  cela  arriuoit  ,  après 
qu'ils  s'eftoient  confefTez,  ils  eftoient  baignez  en 
ce  bain  appelle  Opacuna  ,  comme  ilaeftéditcy 
dc(îus:puis  quelque  Indien  monftrueux ,  comiqe 
bolTu  $C  contrefait  de  nature,  les  venoit  fouetter 
âuec  certaines  orties.  Si  les  Sorciers  ou  enchan- 
teurs par  leurs  forts  ou  augures ,  afFermoient  que 
quelque  malade  deuoit  mourir,  le  malade  ne  fai- 
foit  point  de  difficulté  de  tuer  fon  propre  fils ,  en- 
cor  qu'il  n'en  euft  point  d'autres,  efperant  par  ce 
moyen  fe  fauuer  de  la  mort,  &  difan  t  qu'au  lieu  de 
luy  il  offroit  fon  fils  en  facrificc.Et  depuis  qu'il  y  a 
desChrcfliensen  celle  terre  ,  cefte  cruauté  a  efté 
encor  exercée  en  quelques  endroits.  C'eft  à  la  vé- 
rité vne  chofe  eftrange,  que  cefte  coufturae  de 
confcflèrles  péchez  fecrets,foit  demeurée  fi  long 
temps, &"de  faire  de  fi  rigoureufes  peniteces  qu'ils 
faifoient,comme  deieuner,de  donner  des  habits, 
de  i'orsdc  l'argent,de  demeureraux  montagnes,& 
de  receuoir  de  grands  coups  fur  les  efpaulles.  Les 
noftres  difent  qu'en  IaprouincedèChiquito,ils 
rencontrent  encor  auiourd'huy  cefte  pefte  de 

h 


HISTOIRE    NATVRELLE 

confeueurs,fou  Ychnris,  Se  que  beaucoup  de  ma- 
lades Te  retirent  vers  eux  :  mais  défia  par  la  grâce 
de  Dieu,ce  peuple  va  du  touts'efclairciffant&  re- 
cognoiflTant  YcncùSc  le  grand  bénéfice  de  noftre 
confeilioniàcramentale  ,  à  laquelle  ils  viennent 
auecvne  grande  deuotion.  Et  en  partie  cet  vfage 
paffé  leur  a  efté  permis  par  la  prouideuce  du  Sei- 
gneur ,  afin  que  la  confeflion  ne  leur  femblaft  dif- 
ficile. Par  ce  moyen  le  Seigneur  eft  en  tout  glori- 
fié ,  &  le  diable  moqueur, demeuré  moque.   Or 
d'autant  que  c'eftvnechofequi  touche  à  ce  pro- 
pos ,  ie  raconteray  icy  l'vfage  d'vne  eftrange  con- 
fefllon  que  le  diable  auoit  introduite  au  lappon, 
comme  il  appert  par  vne  lettre  venue  de  là,  qui 
ditainfi.  Il  y  a  en  Ocacades  roches  très  grandes, 
&  fi  hautes ,  qu'il  y  a  des  pics  en  icelles ,  de  plus  de 
deux  cens  braffes  de  haur.   Entre  ces  grands  ro- 
chcrsjil  y  a  vn  de  ces  pics ,  ou  pointes  qui  s'efleue 
fi  terriblement  haut ,  que  quand  les  Xamabuzis 
(qui  font  les  pèlerins)  le  regardent  feulement,  les 
membres  leur  en  tremblent ,  &  les  cheueux  s'en 
heriiïonnentjtant  eft  ce  lieu  terrible  &c  efpouuen- 
table.  Il  y  a  au  fommet  de  cefte  pointe  vne  gran- 
de verge  de  fer  de  trois  brades  de  long  ,  qui  y  eft 
pofeepar  vn  eftrange  artifice.    Au  boutdecefte 
verge  eft  attachée  vne  balance,  dont  les  efcaiîles 
font  fi  grandes, qu'en vned'icellesfc peut alTeoit 
vn  homme ,  &  les  Goquis ,  (  qui  font  des  diables 
en  figure  humaine)  commandent  qu'vn  de  ces,; 
pèlerins  y  entrent  les  vns  après  les  autres  ,  fans 
qu'il  en  refte  vn  feul,puis  auec  vn  .engin  &  infttu- 
mentqui  fe  rcmeiie  ,  moyennant  vne  roue,  ils 
fo lit  que  cette  vsfge  de  fer,  en  laquelle  la  balança 


DES     INDES.     LIV.    V.  242 

eftpenduë,fortedehors,&  demeure  toute  fufpen. 
duc  en  l'air,eltant  affis  l'vn  des  Xamabuxis  en  l'vn, 
des  plateaux  de  cefte  ballance.  Et  comme l'efcail- 
leoùeft  afïïs  l'homme,  n'apointde  contrepois  de 
l'autre  coltc,incontinent  elle  pend  en  bas,&  l'au- 
tre s'edeue  iufques  à  ce  qu'elle  rencontre  ôc  tou- 
che à  la  verge.  Alors  les  Goquisleur  difentduro- 
cher,qu'ils  le  confeflent,  &  dient  tous  les  péchez 
qu'ilsaurontcommis,dontilsfeiouuiendront,&: 
ce  à  haute  voix,  afin  que  tous  les  autres  qui  font  là 
le  puillent  oiiir.  Incontinent  il  commence  à  fe 
confeiïer ,  pendant  quoy  quelques  vns  des  affiftas 
ferient  despechez  qu'ils  oyent,&  les  autres  en 
gemiflent.  Et  à  chaque  pechc  qu'ils  difent,  l'autre 
efcailledela  ballance  bailTe  vnpeu,iu(quesàce 
que  finablcment  avant  dit  tous  ces  péchez  ,  la 
vuide  demeure  efgalle  à  l'autre,  où  eft  le  trifte  pé- 
nitent, puis  les  Goquis  refont  tourner  la  roue, 
&  retirent  vers  eux  la  verge  &  ballance  d'oùforc 
le  pèlerin ,  &  après  y  en  entre  vn  autre ,  iufques  à 
ce  que  tous  y  ayent  pa(ïc.  Vn  Iapponnois.çontoic 
celaapres  qu'il  fuft  Chrcfticn,  difant  qu'il  auoic 
efté  en  ce  pèlerinage,  &:  entre  en  la  ballance  fepe 
fois ,  où  publiquement  il  s'eftoit  confefle.  Il  cii- 
foit  mefme ,  que  fi  d*auanture  quelqu'vn  de  ceux 
qui  iont  mis  en  Ce  lieu ,  ne  raconte  lepeché,  com- 
me il  eft  pafle,  ou  qu'il  en  celle  quelqu'vn ,  l'ef- 
caille  de  la  ballance  vuide ,  ne  s'abbaifle  point ,  Se 
s'ils'obftine  après  qu'on  luyafait  inftance  de  fe 
côfefïer,  &nevueille  defcouurirtousfes  péchez, 
les  Boquisleiettent&fôt  cheoirduhautenbas, 
o,ù  en  vn  moment  il  eft  ropu  &  brifé  en  mille  pie- 
ces.Neantmoins  ce  Chreftien nommé  Iean nous 

h  g 


HISTOIRE  NATVREILE 
difoit,  qu'ordinairement  la  crainte  &  trcmeurde 
ce  lieu  eft  grande  à  tous  ceux  qui  s'y  mettent,  & 
le  danger  que  chacun  voit  à  l'œil ,  de  tomber  de  la 
ballance  ,  &  eftredefrompu&  brifc  en  bas,  qu'il 
aduient  fort  peu  fouuet  qu'il  y  enaye,  qui  nedef- 
couurent  tous  leurs  péchez.  Ce  lieu  eft  appelle 
d'vn  autre  nô  Sangenotocoro ,  qui  veut  due  lieu 
de  confeflion.  L'on  voit  bien  clairement  parce 
difeours,  comme  le  diable  a  pretedu  vfurper  pour 
foy  le  feruice  diuin,en  faifant  de  la  confeiîion  des 
pechez(laquellc  le  Sauueur  a  inftituee  pour  le  re- 
mède des  hommes  )  vne  fuperftirion  diabolique, 
pour  leur  grand  dommage  &  perdition.  Et  ne  l'a 
pas  fait  moins  à  l'endroit  de  la  Gentilité  du  Iap- 
pon,qu'à  l'endroit  de  celle  des  prouinecs  de  Col- 
lao  au  Peru. 


De  V abominable  onction  dont  yfotent  les  preftres 

"Mexiquaini  &  autres  nations ,  & 

de  leurs forttleges. 

CHAP.    XXVI. 

Ie  v  ordonna  en  la  loy  ancienne  la  façon 
^>  comme  Ton  deuoit  confacrer  la  perionne 
d'Aaron  &  les  autres  preftres  ,  &  en  la  loy  Euan- 
geliquenousauonsmefmelefaincfcChreime,  ôc 
onction, dequoy  l'on  vie  quand  l'on  nousfacre 
preftres  de  Chrift.  Ilyauoit  mefme  en  la  loy  an- 
cienne ,  vne  certaine  compohuon  odoriférante,, 
que  Dieu  deffendoit  d'employer  en  autre  chofe 
qu'au  feruice  diuin.  Le  diable  a  voulu  contrefaire 
toutes  ces  chofes  à  fa  façon,  comme  il  a  accouftu- 
fiK,ayant  inuété  à  celle  fin  des  chofes  fi  ordes,&  il 


EÏSSSSCSMi 


Ml 


DES      INDES.       tIV.    V.  24$ 

fales,qu'elles  momftr6t  allez  quel  en  eft  l'autheur. 
Les  preftres  des  idoles  enMexique  s'oignoicnt  en 
celle  manière.  Ils  s'oignoicnt  le  corps  depuis  les 
pieds  iufques  à  la  telle,  &  cous  les  cheueuxauffi, 
lefquels  leur  demeuroient  en  forme  de  trèfles  ref- 
femblausàdes  crins  decheual,«àcaufequ'ilsy  ap« 
pliquoientcefte  onction  humide  &  mouillée. Les 
chcueùxleurcroiiroienttellcmcntauec le  temps, 
qu'ils  leur  tomboienr  iufques  aux  iarets,fi  pelants 
qu'ils  leur  donnoiét  beaucoup  de  peine  àlespor- 
ter,car  ils  ne  les  coupoient,  ny  tondoient  point, 
iufques  à  ce  qu'ils  mourullent,ou  qu'on  les  en  di- 
fpenfaft  pour  leur  grande  vieillefle,  ou  bien  qu'on 
les  employai!;  aux  gouuernements&  autres  offi- 
ces honorables  en  la  republique. Ils  portoiÊt  leurs 
cheueleures  treflees  de  lîx  doigts  de  large  ,  &  fe 
noirciilbient  ôc  teignoient  auecde  la  fumée  de 
bois  de  pin,  ou  raifine ,  pource  que  de  toute  anti- 
quité entr'eux  c'a  elle  toufiours  vne  offrade  qu'ils 
faifoient  à  leurs  idoles.  Et  pour  cefte  occalîon  elle 
eftoit  fort  eftimee  &  reueree.  Ilseftoient  touf- 
iours noircis  de  cefte  teinture  ,  depuis  les  pieds 
iufques  à  la  telle,  Tellement  qu'ils  relïembloient  à 
des  Nègres  fort  reluifants ,  &  celle  là  eftoit  leur 
ordinaire  onctiô.Toutesfois  quand  ils  alloient  fa- 
crifier  &  «ncenfer  dedans  les  montaiçnes ,  ou  aux 
fommets  d'icelles,  cV  aux  cauernes  obfcures  &  te- 
nebreufeSjOÙ  eftoient  leurs  idolcs,il$  vfoiéc  d'vne 
autre  onction  fort  différente ,  faifans  dv  certaines 
cérémonies  pour  leur  ofter  lacrainte,  &  augmen- 
ter le  courage. Cefte  onction  fefaifoitauecdiuer- 
fesbeftiollesvenimeufcs,  comme  d'araignees,de 
feorpions ,  de  cloportes,  de  fallemandres &  de  vi- 

h  iij 


i  };,♦.-.**:.<;;■ 


1 


HISTOIRE  NATVRELI,  E 
pères  ,  lefquelles  les  garçons  des  Collèges  prc- 
noient  &  amalibient,àquoy  ils  eftoientfiadroits, 
qu'ils  en  eftoient  toujours  garnis,  quand  les  pre- 
ftresleuien  demandoient.  Le  principal  foin  g  & 
foucyde  ces  garçons,  eftoit  dallera  lachallede 
cesbeftiolles:  ques'ilsalloientautrepart ,  &c  que 
d'auanture  ils  rencontraient  quelqu'vne  de  ces 
beftiolles  ,  ilss'arreftoient  à  la  prendre,  auec  au- 
tant de  peine,  comme  fi  leur  propre  viceuftdei- 
pendu  de  cela.  A  raifon  dequoylcs  Indiens  ne 
craignoient  point  ordinairement  ces  beftiolles 
venimeufes,  n'en  failans  non  plus  d'eftatque  il 
elles  ne  l'eu0ent  point  efté,  d'au  tant  qu'ils  auoiéc 
tous  efté  nourris  en  cet  exercice.  Pour  faire  cet 
vnguent  de  ces  beftiolles,  ilslesprenoient  routes 
eniemble,&  les  brufloient  au  fouyer  du  Temple, 
qui  eftoit  deuant  l'autel,  iufques  à  ce  qu'elles  fuf- 
fent  réduites  en  cendre,  puis  les  mettoienten 
des  mortiers  auec  beaucoup  de  Tauaeo ,  ou  be- 
tum  ,  (  qui  eftvne  herbe  dont  cefte  nation  vfe 
pour  endormir  la  chair,  &  pour  ne  ientir  point  le 
trauail  )  auec  lequel  ils  mefloient  ces  cendres,qui 
leur  faifoit  perdre  la  force.  Ilsmettoientmefme 
auec  cefte  cendre  quelques  fcorpions,araignes& 
cloportes  viues,  meflans&amaflans  le  tout  en- 
femble ,  puis  ils  y*  mettoient  d'vne  (emence  toute 
monlluè,  qu'ils  appelloient  Ololuchqui,  dequoy 
les  Indiens  font  vn  breuuage  ,  pour  voiries  vi- 
ilons,  d'autant  que  l'effed  de  cefte  herbe  eft  d'o- 
fter&priuer  l'homme  du  fens.  Ils  moulloient 
mefme  auec  ces  cendres  des  vers  noirs  &  velus, 
defquels  le  poil  feulement  eft  venimeux,  Se  amaf- 
foiciit  tout  cela  enfemble  auec  du  noir ,  ou  fumée 


DES    INDES.      LIV.     V.  244 

de  rezine,  le  mettans  en  des  petits  pots  5  Iefquels 
ils pofoientdeuant leur  Dieu,  difansqucc'eftoit 
là  leur  viande.C'eft  pourquoy  ils  appelloient  cela 
mander  diuin.  Par  le  moyen  de  cet  oignement  ils 
deuenoi ent  forciers,  &  voyoient,  & parloient  au 
diable.  Les  preftres  eftans  barbouillez  de  cefte 
parte  perdoient  toute  crainte,  prenans  en  eux  vn 
efpric  de  cruauté.  A  raifondequoy  ils  tuoientles 
homes  aux  facrifices  fort  hardimet,&  alloient  de 
nuict  tous  feulsauxmontaignes  &;  dedans  les  ca- 
uernes  obfcures,mefprifansles  beftesfieres,&  te- 
nans  pour  certain  &  approuué ,  que  les  lions ,  ty- 
gres ,  ferpcns,  &  autres  beftesfurieufes  qui  s'en- 
gendrent aux  montagnes  Se  forefts  ,  s'enfuy- 
roient  d'eux,  par  la  vertu  de  ce  betum  de  leur 
Dieu.  Et  à  la  vérité ,  fi  ce  betum  ne  les  pouuoic 
faire  fuir  ,  c'eftoitchofe  fuffifante  pour  ce  faire, 
que  le  pourtrait  du  diable  enquoy  ils  eftoient 
transformez.  Ce  betum  feruoit  mefme  pour 
guarir  les  malades  &  les  enfans  ,  parquoy  tous 
l'appelloient  la  médecine  diuine ,  &  ainfl  de. tou- 
tes parts  venoient  ils  par  deuers  les  dignitez  & 
preftres,  comme  vers  leurs  Sauueurs ,  afin  qu'ils 
leur  appliquaient  la  médecine  diuine  ,&  lesoi- 
gnoient  d'icelle,  par  les  parties  deullantes.  Ils 
afferment  qu'Us  fentoienr  par  ce  moyen  vn  nota- 
ble allégement  ,  ce  qui  deuoit  eftreàcaufe  que 
Tauaco ,  &  Ololuchqui ,  ont  d'eux  mefmes  cefte 
propriété  d'endormir  la  chair  ,  eftans  appliquez 
en  façon  d'emplaftre  ,  ce  qu'ils  doiuent  opérer 
à  plus  forte  raifon  eftans  mêliez  auec  tels  poi- 
fons.  Et  pource  qu'il  leur  amortiffoit ,  &  appai- 
foic  la  douleur  ,  il  leur  fèmbloit  que  ce  fuft  vn 

h   iiij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
effeftdefanté,  &  de  vertu  diuine.Ccftpourquoy 
ils  accouroient  à  ces  prellres ,  comme  à  des  hom- 
mes (àincts ,  lefquels  entretenoient  en  cet  erreur, 
Se  esblouyilcmentlesignorans  -,  leuvperfuadans 
ce  qu'ils  vouloient  ,&  les  faiiansveniràleurs  mé- 
decines, &  cérémonies  diaboliques,  parce  qu'ils 
auoient  telle  authorité,  qu'il  fuffifoit  qu'ils  le  dif- 
fentpour  le  faire  tenir  commearticle  defoy.     Et 
ainfi  ils  faifoient  paimy  le  vulgaire  mille  luperfti- 
tions,  en  la  façon  d'offrir  l'encens,  en  la  façon  de 
leur  couper  lescheueux,  en  attachant  de  petites 
bûchettes  au  col,  &  des  filletsauec  des  petis  os  de 
couleuures,  leur  commandant  qu'ils  ie  baignaf- 
fent  à  certaine  heure,  qu'ils  veillaiïent  de  nui<5t  au 
fouyer,  depeurquelefeu  ne  s'eftaignift, qu'ils  ne 
mangeaffent  point  d'autre  pain  que  celuy  qui 
auoitefté  offert  à  leurs  dieux,  qu'ils ieretiraflenc 
en  leur  befoing  incontinent  pardeuers  les  for- 
ciers  ,  lefquels auec  certains  grains  iettoient  les 
forts  &deuinoient  ,  regardans  en  des  cuues,  &c 
poelles  pleines  d'eauë.    Lesforciers  &miniftres 
du  diable,  auoienc  accouitumèmefmedeemba- 
durnofer  beaucoup.  Et  eft  vnechofe  infinie  de  la 
grand' multitude  qu'il  y  a  eue  decesdeuins  ,  for- 
tilleges^enchanteurs,  deuineurs  ÔV  autres  fortes 
de  faux  prophètes.    Auiourd'huy  il  refte  encor 
de ceftepeftilence,  quoy  qu'ils  fc  tiennent  fecrets 
8c  couucrts  ,  n'ofansouuertementexercer  leurs 
facrileges,&  diaboliques  cérémonies,  &fuperfli- 
tions  ,  mais  leurs  abus  ôc  maléfices  font  defeou- 
uerts  plus  au  long  ,  &  particulièrement  aux  con- 
feiîîonnaires  faits  par  les  Prélats  du  Peru. Il  y  a  vu 
^eincdc  forders  ,  entre  les  Indiens  permis  par 


eësâSSigaesaiiÉi 


DES     INDES.       LIV.    V.  245" 

les  RoisInguas,qui  font  comme  deuins,  le{queis 
prennent  vne  telle  forme  &  figure  qu'ils  veulent, 
allans&  faifans  par  l'air  beaucoup  de  chemin  en 
fort  peu  de  remps,c\:  voyoien  tee  qui  fe  paflbit.  Ils 
parlent  auec  le  diable  ,  lequel  leur  rcfpondende 
certaines  pierres  ,  ou  autres  choies  qu'ils  vénè- 
rent beaucoup.    Ils  feruent  de  deuins  ,   &  pour 
direcequifepallèen  des  lieuxlesplus  efloignez, 
auant  que  la  nouuelle  en  vienne ,  ou  puiflè  venir. 
Comme  mefmeileftencor  arriué  depuis  que  les 
Efpagnoîs  y  font  qu'en  diftancedeplusde  deux 
ou  trois  cens  lieues,  l'on  a  fçeu  les  mutineries  ,  les 
batailles,  les  rebellions,  les  morts  ,  tant  des  ty- 
rans ,  comme  de  ceux  qui  eftoient  du  codé  du 
Roy ,  &  des  perfonnes  particulières ,  ce  que  l'on 
afçeudumefmeiour  ,  que  les  chofesarriucrent, 
ou  bien  le  iour  enfuyuant  ,  quieftoitchofeim- 
poiïîble  ,  félon  le  cours  de  nature.   Pour  faire 
cette  deuination,  ils  fe  mettent  en  vne  maifon 
fermée  par  dedans,  &  s'enyurent  iufques  à  perdre 
le  iugement ,  puis  vn  io^ir  après  ils  refpondcnt  à 
ce  que  Ton  leur  demande.    Quelques  vns  affer- 
ment qu'ils  vfent  de  certaines  onctions*  Les  In- 
diens difent,  que  les  vielles  exercent  ordinaire- 
ment cet  office  de  fortileges,  &  particulièrement 
celles  d'vne  prouince,  qu'ils  appellent  Coaillo, 
d'vne  autre  Ville,  appellee  Manchey,&:  de  la  pro- 
uince de  Guarochiri.  Iisenfeignent  mefme  où 
font  les  chofes  perdues  ôc  defrobees.  De  toutes 
ces  fortes  de  forciers  ,  il  y  en  a  eu  en  tous  en- 
droits, vers  lefquels  viennent  ordinairement  les 
Anaconas,&  Cyuas,  qui  feruent  aux  Efpagnoîs 
quand  ils  ont  perdu  quelque  chofe  de  leur  mai- 


M&n%âH«MS^ 


HISTOIRE    NATVRELLE 
ftre,  ou  qu'ils  défirent  fçauoir  quelque  fuccez  des 
chofes  pafiees,  ou  aduenir.Comme  quand  ils  de- 
scendent &  vont  aux  citez  des  Efpagnols  pour 
leurs  affaires  particulières,  ou  pour  les  publiques 
ils  leur  demandent  fi  leur  voyage  fe  portera  bien, 
f'ils  feront  malades,  fais  mourront  ou  retourne- 
ront fains,  fils  obtiendront  ce  qu'ils  prétendent: 
&leslorciers  oudeuincurs  refpondentouy ,  ou 
non ,  ayans  premièrement  parlé  auec  le  diable  en 
vn  lieu  obfcur,  de  manière  que  ces  Anaconas 
oyent  bien  le  fonde  la  voix,  mais  ils  nevoyent 
pasàqui  les  deuins  parlent,  ny  n'entendent  pas 
ce  qu'ils  diient.  Ils  font  mille  cérémonies  &  fa- 
crinces  pour  cet  effecl,  auec  lefquels  ils  inuoquét 
le  diable ,  ôc  f  enyurent  brauement.    Et  pour  ce 
faireils  vfent  particulièrement  d'vne  herbe  ap- 
pelleeVillea,  lefuc  de  laquelle  ils  mettent  de- 
dans le  Chica,ou  le  prennent  d'autre  façon.  L'on 
peutvoir  parcecy  combie  eft grand  lcmal-heur 
de  ceux  qui  ontpourmaiftrcslesminiftresdecc- 
luy-  là ,  duquel  l'office  eft  de  tromper.  Et  eft  vne 
chofe  approuuee  qu'il  n'y  a  rien  qui  empefche 
tant  les  Indiens  de  receuoir  la  foy  du  fainctEuan- 
gile,&:  de  perleuerer  en  icelle ,  que  la  communi- 
cation de  ces  forciers  qui  ontefté,&y  fontencor 
en  tres-2,rand  nombre ,  bien  que  par  la  grâce  du 
Seigneur  &c  dilic^ftce  des  Prélats  ,  &c  des  Preftres, 
ils  vont  diminuant,  &  ne  font  plus  fi  preiudicia- 
bles.   Quc4queS- vnsd'iceux  fefontconuertis,& 
ont  prefché  publiquement,  defcouurans&blaCj 
mans  eux  -mcfmes  leurs  erreurs  &  tromperies,  8c 
deciarans  leurs  finettes  &menteries,dequoy  on 
a  veu  fortir  de  grands  frui&s,  comme  mtfmc  nous 


DES     INDES.       LIV.    V.  246 

fçauons  par  les  lettres  du  Iappon  qu'il  en  eft  arti- 
uédemefmeences  parties,  le  tout  à  la  gloire  & 
honneur  de  noftre  Dieu  &  Seigneur. 

Des  autres  cérémonies  çjr  cotiftumes  des  Indiens 
qmfoTit  fcmblublcs  aux  noflrcs. 

C  H  A  P.    XXVII. 

^fôj  E  s  Indiens  ont  eu  vn  nombre  infiny  d'au- 
WîSZ  très  cérémonies  &  couftumes  ,  placeurs 
deiquelles  rellembloient  à  !a  loy  ancienne  de 
Moyle  ,  les  autres  à  celles  dont  vfent  les  Mores, 
&  les  autres  approchoient  delà  loy  Euangeli- 
que  ,  comme  les  baings,ou  Opacuna, qu'ils  ap- 
pellent,qui  eftoit  qu'ils  (elauoict  en  l'eauë  pour 
ie  nettoyer  de  leurs  péchez.  Les  Mcxiquainsa- 
tioienc  aufli  entr'eux  quelque  forte  de  baptefme, 
qu'ils  faifoient  auec  cérémonie ,  qui  eftoit  qu'ils 
incitaient  les  oreilles  &  le  membre  viril  aux  pe- 
tits enfans  nouueaux  nez,  contrefaifàns  aucu- 
nement la  circoncision  des  Iuifs.  Cefte  cérémo- 
nie fefaifoic  principalement  à  l'endroit  des  fils 
des  Rois,  &  des  Seigneurs.  Incontinent  après 
leur  naillance  les  Preftresles  lauoient.»  &  leur 
mettoient  vne  petite  efpee  à  la  main  droite ,  &  à 
la  gauche  vue  rondelle,&aux  enfans  du  commun 
&  vulgaire,  ils  leur  mettoient  les  marques  de 
leurs  offices,&r  aux  filles  des  inftrumens  à  filler,à 
tiltre,  &  à  trauailler  :  &  duroic  cefte  cérémonie 
quatre  iours,qui  fefaifoit  deuant  quelque  idole. 
Us  contractaient  leurs  mariages  à  leur  mode, 
dont  le  licencié  Polio  a  eferit  vn  traitté  tout 
entier,  &:  en  diray  cy-apres  quelque  chofe.En  au- 


HISTOIRE    NATURELLE 
très  chofes,mefmes  leurs  cérémonies  Sccouftii- 
mes  auoienc  quelque  apparence  de  raifon.  Les 
Mexiquains  fe  marioient  par  la  main  de  leurs 
preftres  en  cefte  façon.   L'efpoux  8c  efpoufe  fe 
mettoient  enfemble  deuant  le  preftre ,  lequel  les 
prenoitpar les  mains, 8c leur  demandoit  i'ils  fe 
vouloienemarier,  puisayantentendu  lavolontc 
de  cous  deux,  il  prenoit  vu  coing  du  voile,dont  la 
femme  auoit  la  tefte  couuerce ,  &  vn  autre  coing 
de  la  robbe  de  l'hom  me ,  lefquels  il  attachoit  en- 
iemble,faifan  t  vn  nœud ,  8c  les  menoit ainfi  atta- 
chez à  lamaifon  de  l'efpoufe,  où  il  y  auoit  vn 
foyer  allumé,  8c  lors  il  faifoit  faire  à  la  femme 
fept  toursàl'entd'urdecefoyer ,  puis  les  mariez 
fe  feoient  enfemble ,  &c  par  ce  moyen  eftoit  con- 
tracté leur  mariage.  Les  Mexiquains  eftoiét  tres- 
ialoux  de  l'intégrité  de  leurs  femmes  8c  efpoufes, 
tellement  que  {'ils  fapperceuoient  qu'elles  ne 
fufïent  telles  qu'elles  deuoient  eftre  (  ce  qu'ils  re  - 
cognoiiïoient  par  lignes  ou  par  paroles  eshon- 
tees)ils  le  faifoienc  incontinent  entendre  aux  pè- 
res 8c  païens  de  ces  femmes.à  leur  grand  honte  8c 
déshonneur  :  parce  qu'ils  n'auoient  pas  bien  pris 
girde  fur  elles.  Mais  ils  honoroient  8c  eftimoient 
beaucoup  celles  qui  conferuoient  leur  honne- 
fteré,  leur  failans  de  grandes  feftes,  &donnoient 
pluiïcurs  prefens  à  elle  &  à  fes  parens.  llsfaifoiét 
pour  cefte  occafion  de  grandes  offrandes  à  leurs 
dieux, <Sc  vn  banquet  folemnel  en  lamaifon  de 
la  femme,  8c  vn  autre  en  lamaifon  de  l'homme. 
Qjand  on  les  menoit  en  leur  maifon,  ils  met- 
toient  par  mémoire  tout  ce  que  l'homme  &  la 
femme  apportoient  enfemble  de  prouifions  de 


DES    INDES.       II  V.    V.  247 

maifon,de  terre,deioyaux&d'ornementsJequel 
memoirechaquc  pered'iceux  gardoitpardeuers 
luy,pource  que  fi  dauanturc  ils  venoientàfaire 
diuorec  (comme il  eftoit  ordinaire  entr'eux  )  ne 
ietrouuansbien  l'vn  auecraurre,  ils  partoienc 
Içurs  biens ,  ielon  que  chacun  d'eux  en  auoit  ap- 
porte, ayant  chacun  liberté,  en  tels  cas  ,de  le  re- 
marier auec  qui  bon  luy  fembleroit,&  bailloient 
les  filles  à  la  femme,&  à  l'homme  les  fils.  Ils  leur 
defendoient  expretfement  fur  peine  de  mort  de 
fe  remarier  enfemble,  ce  qu'ils  obferuoient  fort 
rigoureufement.  Et  iaçoit  qu'il  femblequeplu- 
fieursde  leurs  cérémonies  l'accordent  auec  les 
noftres  :  neantmoins  elles  font  fort  différentes 
pour  le  grand  me/lange  d'abomination  qui  y  eft 
toufiours.  C'cftvnechofe  commune  &  généra- 
le enicelle,  qu'il  y  a  ordinairement  vnc  de  ces 
trois  chofes,ou  delà  cruauté ,  ou  de  l'ordure ,  ou 
de  laparetfe:  car  toutes  leurs  cérémonies  eftoient 
cruelles  &  dommageables  ,  comme  de  tuer  les 
hommes,&  de  refpandre  le  fang-.ou  elles  eftoient 
ordes  &  (aies,  comme  déboire  ÔVde  manger  au 
nom  de  leurs  idoles,  &d'vrincr  mefme  en  leur 
honneur,  les  portans  fur  leurs efpaulles,  de  {"oin- 
dre &  barbouiller  f\  laidement,  &de  faire  mille 
autres  iortes  de  vilainies  qui  eftoient  pour  le 
moins  vaines  ou  ridicules  &  oifeufes ,  &  qui  ref- 
fèmbloient  plus  ceuures  d'en  fans  que  d'hommes. 
La  caufedecelaeftla  propre  condinôdel'efpric 
malin,  duquel  l'intention  eft  toufiours  drefTce  à 
faire  mal,prouoquant  les  hommes  à  des  homici- 
des cV  ordures,  ou  pour  lemoins  à  des  vanitez  8t 
occupationsiiautilcs.  Ce  qu'vn  chacun  peutafTez 


HISTOIRE  NATVRELLE 
bien  cognoiftre,en  confiderant  attentiuement 
les  actions  &  comportemcs  du  diable  à  l'endroit 
de  ceux  qu'il  va  deceuant.  Car  en  toutes  Tes  illu- 
fîonsl'onytrouue  touùours  méfiées  toutes,  ou 
quelqu'vne  de  ces  trois  chofes.  Les  Indiens  mef- 
me  depuis  qu'ils  ont  la  lumière  denoftrefoy  fe 
rient  tk  Te  moquent  des  folies  &c  inepties  efquel- 
les  leurs  dieux  les  tenoient  occupez ,  &  aufquels 
ils  feruoieu  t  auec  beaucoup  plus  de  crainte  qu'ils 
auoient  d'eux  qu'ils  ne  leur  fiiïent  du  mal,  en  ne 
leurobeylïànt  point  en  toutes  chofes,  que  non 
pas  pour  l'amour  qu'ils  leu  r  portoient  :  combien 
que  quelques- vns  ,  voire  en  grand  nombre,  vcf- 
quillent  trompez  6c  deccus  de  vaines  efperances 
de  biens  temporels  :  car  d'éternels  ils  n'en  auoiet 
point  cognoilïance.  Etcertainemétlàoùiapuif- 
fance  temporelle  fcft  plus  agrandie,  làf'eft  plus 
accrcuë  Se  augmentée  la  fuperftition.  Comme 
l'on  void  aux  royaumes  de  Mexique  6\:de  Cufco, 
où  c'eft  vne  choie  incroyable  que  le  nombre  des 
adoratoires  qu'ilyauoit  :  veu  que  dans  l'enclos 
de  la  cité  de  Mexique  il  y  en  auoitplus  de  trois 
cents. Mango-Ingua  Yupangui ,  entre  les  rois  de 
Cufco,aeftéceluy  qui  aie  plus  augmenté  le  fer- 
uicc  de  leurs  idoles,innen  tant  mille  diuerfitez  de 
facrifîces5feftes  &  cérémonies.  Autant  en  fit  en 
Mexique  le  roy  Tfcoalt,  qui  fut  le  quatriefme 
roy.  Ilyauoitaufîï  grand  nombre  de  fuperftitios 
&fàcrificesen  cesautresnations  d'Indiens,com- 
me  en  la  prouincede  Guatimalla,  aux  ifles,au 
nouueau  royaume,  en  la  prouincede  Chillé,  & 
aux  autres  qui  eftoient  comme  republiques  & 
cemmunautez.    Mais  ce  n'eftoit  rienaurefnecl; 


DES     INDES.      LIV.    V.  248 

de  Mexique  &  de  Cufco ,  où  Satan  eftoit  comme 
en  fa  Rome,&  en  fa  Hierufalé  ,  iufques  à  ce  qu'il 
aitefté  jette  dehors  contre  fa  volonté  ,  &  ait  efté 
pofee  &  colloquee  en  Ton  lieu  la  fain&e  croix, & 
que  le  royaume  de  Chrift  noftre  Dieu  ait  occupe 
celuy  que  le  tyran  auoit  vfurpé. 

De  quelques  feftes  célébrées  par  ceux  de  Cufco,  &  comme 

le  diable  avottlumcfme  timtcrlcmyfterc 

de  la.  tres-faincle  Trinité. 

chA*P.    xxviii. 

œOv  r  conclure  ce  qui  touche  la  religion,il 
i&î  reftededire  quelque  choie  desreftes&  io- 
icmnitezquecelebroientlcs  Indiens, lefquelles 
pource  qu'elles  fontdiuerfes,&en  grand  nom- 
bre, ne  pourront  pas  eftre  toutes  racontées.  Les 
InguasfeigneursduPcru  auoient  deux  fortes  de 
feftes,  les  vues  qui  eftoient  ordinaires,  &  qui  ef- 
cheoient  en  certains  mois  de  l'année ,  &  d'autres 
extraordinaires, qui fe  faifoienepourcaufes  oc- 
currentes  &  d'importance,  comme  quand  Ton 
couronnoit  quelque  nouueau  roy,  quand  l'on 
commençoit  quelque  guerre  d'i  m  portance,quad 
il  y  auoit  quelque  grande  neceflited'eauCjOU  de 
fechereiîe,ou  d'autres  chofesfemblables.  Pour 
les  feftes  ordinaires,  l'on  doit  entendre  que  cha- 
que mois  de  l'an  ils  faifoient  des  feftes  &  facrifi- 
cesdirTerents,&:encor  que  tous  eurent  celade 
femblable  que  l'on  y  offroit  cent  moutons ,  tou- 
tesfois  en  la  couleur  &  en  la  forme  les  mou- 
tonsdeuoient  eftre  fort  différents.  Au  premier 
mois  qu'ils  appellent  Raymc,  qui  cft  le  mois  de 


?SîF$S«»3«*?H?SW$¥ 


■i 


I 


HISTOIRE  NATVRELLE 
Décembre,  ils  faifoiet  la  première  fefte  qui  eftoîc 
laprincipale  de  toutes,  &c  pour  celle  occafion  ils 
l'appelloient  Capacrayme,qui  eft  à  dire ,  fefte  ri- 
che,ou  principale.  En  cefte  fefte  Ton  offroit  vn 
grand  nombre  de  moutons  &d'aigneauxen  fa- 
crifice,  <5cles  brufloit-on  auec  du  bois  taillé  & 
odoriférant,  puis  ils  faifoienr  apporter  de  l'or  &: 
de  l'argent  delTus  certains  moutons, &  mettoient 
les  trois  ftatnès  du  Soleil  ,&  les  trois  du  tonner- 
re,le  pere,le  fils,&  le  frère.  En  ces  ferles  l'on  dc- 
dioitlcsenfanslnguas,  en  leur  mettant  les  gua- 
casou  enfeignes,  &  leur  perçoient  les  oreilles, 
puis  quelque  vieillard  les  foiiettoitauec  des  fon- 
des, &  leur  oignoi  t  le  vi  fage  auec  du  fang ,  le  tout 
en  (îgne  qu'ils  deuoienc  eftre  cheualiers  loyaux 
de  l'Ingua.N  ul  eftranger  ne  pouuoit  eftre  en  Cu- 
feo  durant  ce  mois  &ccftc  fefte,  mais  fur  la  fin  ils 
y  entroient,&  leur  donnoit-on  alors  de  ces  mor- 
ceaux de  mays,  auec  du  fang  duiacrifice,  qu'ils 
mangeoient  en  figne  de  confédération  auec  l'in- 
gua,comme  il  a  eft  c  dit  ey-delïus.C'cft  vne  chofe 
eftrange  que  le  diable  félon  fa  mode  ait  mefme 
introduit  en  l'idolâtrie  vne  trinité,  car  les  trois 
ftatu'és  du  Soleil  eftoiet  appellees  Apomti,  Chu- 
riinti ,  Se  Intiquaoqui ,  qui  lignifie  le  père  &  fèi- 
gneur  Soleil,  le  fils  Soleil,  &:  le  frerc  Soleil,  de  la 
mefme  façon  ils  nommoient  les  trois  flatu'cs  de 
Chuquilla,qui  eft  le  dieu  qui  prefide  en  la  région 
de  l'air,  où  il  tonne,  pleut  &  neige.  Il  me  fouuiét 
qu'eftanten  Chuquifaca,  vn  Preftre  honorable 
me  monftra  vne  information  ,  que  i'euz  allez  log 
temps  entre  mes  mains,où  il  eftoit  prouué  qu'il  y 
auoic  vn  certain  guaca,ou  oratoire, où  les  Indiens 

adoroienc 


DES    INDES.      LIV.    V.  249 

adoroient  vnc  idole, nomme  Tangatanga,laqutl- 
le  ils  difoient  eftre  vne  en  trois,&  crois  en  vnc. Et 
comme  ce  preftre  eftoit  efmerueillé  de  ccla,ie  luy 
dy  que  le  diable  par  fon  infernal  8c  obftiné  or- 
gueil, par  lequel  il  pretéd  toujours  fe  faire  Dieu, 
defroboit  tout  ce  qu'il  pouuoic  de  la  vérité  ,  pour 
l'employer  à  Tes  menfonges,&  tromperies.  Reue- 
nans  doncauxfeftes  du  fécond  mois,qu'ils  appel- 
lent Camey,outre  les  facrifices  qu'ils  faifoient,ils 
iettoient  les  cendres  aualvnruilïeauallanscinq, 
ou  iix lieues  après  ,  auec  des  bourdons  ,  ou  ba- 
ttons ,  le  priant  qu'il  les  portaft  iufques  à  la  mer, 
pour-autantque  le  Viracochay  deuoit  receuoir 
ce  prefent.  Au  troifiefme ,  quatriefme ,  &  cin- 
quième mois,  ils  offroient  cent  moutons  noirs 
meflez,&  gris,auec  beaucoup  d'autres  choies  que 
ie  laide,  de  peur  d'eftre  ennuyeux.  Le  fïxiefme 
mois  s'appelle  Hatuncuzqui  Aymorcy,  quiref- 
pond  à  May  ,  auquel  l'on  fàcrifioit  cent  autres 
moutons  de  toutes  couleurs  ,  encefteLune,  ÔC 
mois,qui  eft  quand  l'on  apporte  le  May  des  châps 
en  la  maifQn,l'on  faifoitlafeftequieftencorau- 
iourd'huy  fort  en  vfage  entre  les  Indiens ,  &  l'ap- 
pellent Aymorey.  Cefte  feue  fe  fait  en  venant  de- 
puis laChacra,  ou  métairie  iufques  à  la  maifon, 
difans  certaines  chanfons  ,  où  ils  prient  que  le 
MayspuifFe  durer  long  temps,  &  l'appellent  Ma- 
macora.  Ils  prennent  certaine  portion  du  plus  fé- 
cond Mays ,  du  creu  de  leurs  métairies ,  lequel  ils 
mettent  en  vn  petit  grenier  qu'ils  appellent  Pir- 
ua  ,  auec  certaines  cérémonies  ,  veillants  trois 
nuicts  ,  &  mettent  ce  Mays  dans  les  plus  riches 
habits  qu'ils  ayen  t,  &  dés  qu'il  eft  ainii  enueloppc 


►«*?'>!*       WlWrVt&'t'ïi 


HISTOIRE    NATVRELLE 
&  accommodé  ,  ils  adorent  cède  Pirua  s  &  l'ont 
en  grande  vénération  ,  difans  que  c'eft  la  mère  du 
Mays  de  leurs  héritages ,  ôc  que  par  ce  moyen  le 
Mays  augmente,  &  fèconferue.  Encemoisils 
font  vn  facrifice  particulier^  les  forciers  deman- 
dent à  la  Pirua  fi  elle  a  de  la  force  aflez  pour  durer 
iufques  à  l'an  à  venir,  &  fi  elle  refpond  que  non, 
ils  portent  le  mais  brufler  à  la  métairie  ,  d'où  ils 
l'ont  apporté ,  félon  la  puifTance  d'vn  chacû,aprcs 
ils  font  vne  autre  Pirua,  auec  les  mefmes  cérémo- 
nies ,  difans  qu'ils  la  renouuellenr ,  afin  que  la  fe- 
menec  du  Mays  ne  perifle,&"  fi  elle  refpond  qu'el- 
le a  de  la  force  afîez  pour  durer  d'auantage,  ils  la 
laifTcnt  iufques  à  l'autre  année.  Ceftefottevanit» 
dure  iufques  auiourd'huy,  &  eft  fort  commune 
entre  les  Indiens,  d'auoir  ces  Piruas ,  &  faire  la  fe- 
fted'Amorey.Le  feptiefmc  mois  refpond  àluin, 
&  s'appelle  Aucaycuzqnilntiraymi,cniceluyils 
faifoicntlafefte,  appcllee  Intiraymi,  où  l'on  fa- 
crifioit  cent  moutons ,  guanacos ,  &  difoient  que 
c'eftoit  la  fefte  du  Soleil  ;  en  ce  mois  ils  faifoient 
vn  grand  nombre  de  ftatues  de  bois  de  quinua 
taille ,  toutes  veftues  de  précieux  habits,&  fe  fai- 
foit  le  bal  qu'ils  appelloicntCay®.  En  ceftefeftc 
l'on  efpandoit  beaucoup  de  fleurs  par  le  chemin, 
&  y  venoient  les  Indiens  fort  barbouillez ,  &  les 
feigneurs  y  eftoient  ornez  auec  de  petites  plati- 
nes d'or  à  la  barbe,  &ychantoient  tous,  &  doit- 
on  fçauoirquecefte  fefte  tombe  qwafiaumcfme 
temps  que  nous  autres  Chreftieas  faifbns  lafo- 
lemnitc  au  fàind  Sacrement ,  qui  luy  reflemblc 
en  quelque  chofe ,  pomme  aux  danecs,  chants  ÔC 
rcpiefencations.  Et  pour  cefte  raifon  il  y  acu ,  & 


DES    INDES.      LIV.     V.  2JO 

aencorentrc  les  Indiens  (  lefqucls  celebroienc 
vne  fefte  aucunement  femblablc  à  celle  que  nous 
celcbrons  du  fainct  Sacrement  )  beaucoup  de 
fuperftitions  à  célébrer  cefte  fefte  ancienne  de 
Tlntiraymi.Le  huicliefme  mois  eft appelle  Cha- 
hua  ,  Huarqui ,  auquel  ils  bmfloient  cent  au- 
tres moutons,  tous  gris  ,  de  couleur  de  Vizca- 
cha,  félon  Tordre  fufdits,  lequel  mois  refpond  à 
noftrc Iuillet.  Le ncufieime mois sappelloit Ya- 
paguis  ,  auquel  l'on  brufloit  cent  autres  mou- 
tons, de  couleur  de  chaftaigne,  &couppoit-on 
la  gorge  ,  &  bruiloit-on  auflî  mil  Cuyes  ,  afin 
que  la  gcllee,  nyl'eauë,  ny  l'air  ,  ny  le  Soleil  ne 
filïènr  aucun  mal  aux  métairies  ,  &  rcfpondcc 
mois  à  TAouft.  Le  dixiefme  mois  ,  s'appelloit 
Coyaraymi.auquel  Ton  brufloitcent  autres  mou- 
tons blancs,  qui eftoient velus.  En  ce  moisqui 
refpond  àScptembre  Ton  faifoit  la  fefte  appcllee 
Situa,  en  cefte  forme.  Ils  s'aflembioient  lepre- 
mier  iour  de  la  Lune ,  aUant  qu'elle  ieuaft.  JE t  en. 
la  voyant  ils  s'eferioient  hautement ,  portans  en 
leurs  mains  des  flambeaux  de  feu  ,  &  difàns ,  que 
le  mal  s'en  aille  dehors,  en  s'en tre-frappans  les 
vns  les  autres ,  auec  ces  flambeaux.  Ceux  qui  fai- 
foient  cela  s'appelloit  ut  Panconcos.  Et  après 
auoir  acheuc ,  s'en  allaient  en  baing  gênerai ,  aux 
ruilïeaux  &  aux  fontaines,  chacu  n  en  fon  propre 
cftang  ,  &  femettoientàboirequatreioursctu- 
rans.  En  ce  mois  les  Mamacomas  du  Soleil  fai- 
foient  grande  quantité  de  petits  pains  faits  au«c 
le  fang  des  facrifices,  &  en  donnoient  vn  morceau 
à  chacun  des  eftrangers  &  forains  ,mefmeilsen 
enuoy  oient  aux  Guacas  eftrangers  de  tsut  le  roy* 


HISTOIRE    NATVUELLE 

aume, &  à  plufieurs  Curacas ,  en  figne  de  cofede- 
ration>&:  loyauté  au  Soleil  &  à  l'Ingua ,  comme  il 
a  efté  ja  dit. Les  baings,  yurongneries ,  &  quelque 
reftes  de  celle  fefte  Situa,demeuret  encor  auiour- 
d'huy  en  quelques  endroits ,  auec  des  cérémonies 
quelque  peu  différentes  ,  ce  quieft  fecretement 
toutesfois,parce  que  ces  fe&çs  principales,  &  pu- 
bliques ont  cefte.  L'vnziefmemois,Homaraymi 
Punchaiquis  ,  auquel  ils  facrifioient  cent  autres 
moutons. Et  s'ils  auoient  faute  d'cau'è  pour[vn  re- 
mède, &  afin  de  faire  pleuuoir,  ilsmettoient  vu 
mouton  toutnoir,  attaché  au  milieu  d'vne  plai- 
ne efpandant  beaucoup  de  Chica  tout  autout  de 
luy,&  ne  luy  donnoïent  point  à  manger ,  iufques 
àjce  qu'il  pleuft,  ce  qui  eft  encor  pratiqué  auiour- 
d'huy  en  plufieursendreirs,  en  ce mefme  temps 
quieft  Octobre.  Ledouziefme,  &dcrniermois 
s  appelloit  Aymara,auquel l'on  facrifioit  cent  au^ 
très  moutons,  &faifoient  la  fefte appellee  Ray- 
micantara  Rayquis.  En  ce  mois  qui  refpond  à 
Nouembre ,  l'on  appareilloit  ce  qui  eûoit  necef- 
faire  pour  les  enfans  qui  fe  deuoien  t  faire  nouiecs 
le  mois  enfuiuant ,  &  les  enfans  auec  les  vieillards 
faifoient  vne  certaine  monftre  auec  quelques 
tours,  &  cefte  fefte eftoit appellee  Ituraymi,  la- 
quelle fe  fait  ordinairement  quand  il  pleut  trop, 
ou  trop  peu,  ou  qu'il  y  a  de  lapeftilence.  Entre  les 
feftes  extraordinaires ,  qui  y  eftoient  aulli  en  grad 
npmbre ,  la  plus  fameufe  eftoit  celle  qu'ils  appel- 
aient Ytu.  Cefte  fefte  Ytun'auoit  point  detéps 
nydefàifon  arreftee  autrement,  qu'en  temps  de 
nccefïîté.  Pourfe  préparera  icelle,  tout  le  peuple 
icuiaoÏL  deux  îoiiis  durant,  aufqucls  ils  ne  tsu- 


DES     INDES.      LIV.    V.  2fl 

choient  point  à  leurs  femmes ,  ny  ne  mangeoient 
point  tic  viande  auec  le  fel,ny  ail,&  ne  beuuoient 
point  de  Chica.  Tous  s'affcmbloient  en  vne  pla- 
ce ,  où  il  n'y  auoit  aucun  eftranger ,  ny  aucun  ani- 
mal ,  &  auoient  de  certains  habits  &  ornements, 
quifeulement  feruoient  pour  celle  fefte. Ils  mar- 
choientenproceflîon  fort  doucement,  les  teftes 
couuertes  de  leurs  voiles,  battans des  tambours 
fans  parler  l'vn  à  l'autre.  Cela  duroit  vn  iour  & 
vne  nuid ,  puis  le  iour  enfuyuant ,  ils  dançoient, 
&faifoient  bonne  chère,  par  deux  iours&deux 
nuicts  continuellement,  difans  que  leur  oraifon 
auoit  efté  acceptée.  Etencor  que  cette  fefte  ne  fe 
face  auiourd'huy  auec  toute  celle  cérémonie  an- 
cienne ,  fi  eft-eeque  communément  ils  en  font 
vne  autre ,  qui  eft  fort  femblable ,  laquelle  ils  ap- 
pellent Ayma,  auec  des  veftemens  ,  qui  feruent 
feulement  à  ceteffect ,  &  font  celle  manière  de 
proceflîon  auec  leurs  tambours,  ayans  aupara- 
uant  ieufnè,puis  après  fe  mettent  à  faire  bonne 
chère:  ce  qu'ils  ontdecouftume  de  faire  en  leurs 
vrgentes  neceflîtez.  Et  combien  que  les  Indiens 
ayent  delaille  en  public  defacnfier  desbeftes,  Se 
autres  chofes  qui  ne  fepeuuent  cacher  des  Efpa- 
gnols,  neantmoins  ils  fe  feruent  toufiours  de  plu- 
heurs  cérémonies  quiontleur  origine  de  ces  fc- 
ftes  &  fuperftitions  anciennes.  Car  ils  font  en- 
cor  auiourd'huy  couuertement  cède  fefte  de  l'Ytu 
auxdances  de  la  fefte  du  Sacrement ,  enfaifans 
les  dances  de  Lyamallamav  &  de  Guacon,&  d'au- 
tresfelon  leur  cérémonie  ancienne: à quoy l'on 
doit  bien  regarder  de  près.  L'on  a  fait  des  Trait- 
iez plus  amples  de  ce  qui  concerne  cefte  matière, 

i  ii; 


HISTOIRE  KATVRELLE 
pour  les  dieux,  où  il  eft  neceiraire  remarquer  les 
abus  &  fuperftitions  qu'auoient  les  Indiens  lors 
de  leur  gentilité,  afin  que  lcsPreftres&  Curez  y 
prennent  garde.  Suffife  donc  à  prefent  d'anoir 
traitté  de  l'exercice ,  auquel  le  diable  occupoit  fes 
deuots,afin  que  con  tre  fa  volonté  l'on  voy  c  la  dif- 
férence qu'il  y  a  delà  lumierie  aux  tencbies ,  &  de 
la  vérité  Chreftienne  au  menfonge  Gentil  ,  quoy 
que  l'ennemy  de  Dieu  &  des  hommes  ait  tafché 
auec  tous  [es  artifices  de  contrefaire  les  chofes  de 
Dieu. 


I 


De  Ufcfledu  lubilc  que celcbt -vient  les 
liîexiqudins. 

CHAP.    XXI  X. 

E  s  Mexiquains  n'ont  efté  moins  curieux  en 
leurs  feftes  &  foIemnitez,lefquelles  eftoient 
de  peu  de  defpencc  de  biens,  mais  d'vn  gi  ad  coud 
defanghumain.Nousauonscydeffuspailé  delà 
fefte  principale  de  Vitzilipuztli ,  après  laquelle  la 
fefte  de  Tezcalipuca  ,  eftoit  la  plus  folemnifcc. 
Ceftefeftc  tomboit  en  May,&  en  leur  Kalendrier 
ilslappelloientToxcolt,  elle efcheoic de  quatre 
ans  en  quatre  ans.auec  la  fefte  de  pcnitence,où  il  y 
auoitpîanicre  indulgence  &  pardon  des  péchez. 
En  ceiourils  facrifioientvncaptif,qui  auoit  lasc- 
blace  de  l'idole  Tezcalipuca,qui  eftoit  ledixneu- 
fiefmede  May.  En  laveille  deceftefefte,  les  Sei- 
gneurs venoient  au  Temple,  &apportoict  vn  ve- 
rtement neuf  femblable  à  celny  de  l'idole,  lequel 
les  preftrts  luy  veftoient.luy  âyans  premièrement 
oftè  les  autres  habits, Icfqucls  ils  gardoicut auec 


DES    INDES.       LIV.    V.  2  $2, 

autant  ou  plus  de  reuerence ,  que  nous  faifons  les 
ornemens.  Il  y  auoit  aux  coffres  de  l'idole plu- 
fteurs  ornemens,ioyaux,affiquets,&  autres  richcÊ- 
fes,de  bracelets,de  plumes  precieufes  ,quinefer- 
uoient  d'autre  chofeque  d'eftrelà,  &adoroienc 
tout  cela  comme  le  mefme  Dieu.  Outre  le  verte- 
ment auecWquelilsadoroient  l'idole  ce  iour-là, 
ilsluy  mettoiét  de  certaines  enfeignes  déplume, 
des  garde-foleils,des  ombrages, &  autres  chofes; 
l'ayans  ainfi  reueftu  &  ornc,ils  oftoientlacourti- 
neou  voile  de  la  porte,  afin  qu'il  fuftveu  de  tous, 
&  alors  fortoit  vne  des  dignitez  du  Temple,  veftu 
de  la  mefme  façon  que  l'idole,  portant  des  fleurs 
enlamain,  &  vne  petite  fleute  de  terre,  ayant  vn 
fonfortaigu,&  fe  tournant  du  cofté  de  l'Orient  il 
la  touchoit  ,  puis  retourné  vers  l'Occident  ,  le 
Nort&leSud,ilfaifoic  lefemblable.  Et  après 
auoir  ainfi  fonné. vers  les  quatre  parties  du  mon- 
de (  dénotant  quelesprefens&abfens  l'oyoient) 
il  mettoit  le  doigt  en  l'aire ,  &  cueillant  de  la  terre 
d'icelle,lamettoit  en  fa  bouche,  &rla  mangcoit 
en  fignc  d'adoration.  Autant  en  faifoient  tous 
ceux  qui  y  eftoient  p rcfens ,  &  en  pie urans  fe  pro- 
fternoient  inuoquans  l'obfcurité  de  la  nuid  & 
les  vents  ,  les  prians  qu'ils  nelesdelailîaflent  ny 
oublialîent  point  ,  ou  bien  qu'ils  leur  oftaflent 
la  vie  ,  pour  donner  fin  à  tant  de  trauaux  qu'ils 
cnduroient  en  icelle.  Les  larrons  ,  les  fornica- 
teurs,  les  homieides,&  tous  les  autres  delinquans 
auoient  grande  crainte  ôc  trifteffe  en  eux  pendant 
que  celte  fleute  fonnoit  :  tellement  que  quel- 
ques vns  ne  pouuoient  diflîmuler  ny  cacher  leurs 
deli&s.    Par  ce  moyen  tous  ceux-là  ne  deman- 

i   iiij 


%&&' 


HISTOIRE  NATVRELLE 
doicnt  autre  chofe  à  leur  Dieu,  finon que  leurs 
délices  ne  fuflentpointmanifefteZjefpanclans  be- 
aucoup de  larmes ,  &c  auec  vne  grande  repentan- 
ce  &  regret  offroient  quantité  d'encens  pourap- 
paiferleursdieux.Leshommescourageux&vatl- 
ians,&tous  les  vieux  foldatsqui  fuiuoientl'art 
militaire,en  oyant  celle  fleute  demandoientauec 
vne  grande  deuotionà  Dieu  le  Créateur,  au  Sei- 
gneur pour  lequel  nous  vinôs,  au  Soleil, &  à  d'au- 
tres leurs  Dieux,  qu'ils  leur  donnaient  victoire 
contre  leurs  ennemis,  &  des  forces  pour  prendre 
beaucoup  de  captifs,  afin  d'honorer  leurs  facrifi- 
ces.  La  cérémonie  fufditc Ce  faifoit  dix  iours  au- 
parauant  la  fefte  ,  pendant  lefquels  dix  iours  le 
preftre  fonnoit  cefte  fleute  ,  afin  que  tousfillènt 
cefte  adoration  de  manger  de  la  terre  ,  &  de  de- 
mander à  leur  idole  ce  qu'ils  voudroient,  &  fai- 
foient  chaque  iour  oraifon  les-yeux  hauiîez  au 
Cielaucc  des  foufpirs&  gemiffemens  ,  comme 
perfonnes  qui  fe  contriftoientde  leuts  fautes  & 
péchez.  Iaçoit  que  cefte  contrition  ne  fuftque 
pir  crainte  de  la  peine  corporelle  que  l'on  leur 
donnoit  Se  non  pas  pour  crainte  de  l'éternelle, 
parcequ'ilscroyoïentpourcertainqu'iln'yauoit 
point  de  peine  Ci  eftroite  en  l'autre  vie.  C'eft 
pourquoy  ils  s'offroient  à  la  mort  volontaire- 
ment, ayans  opinion  que  c'eftoit  à  tous  vn  re- 
pos alfeuré.  Le  premier  iour  de  la  fefte  de  cet 
idole  Tezcalipuca  eftant  venu  ,  tous  ceux  de  la 
Cité  s'ailembloient  en  vne  cour  pour  célébrer 
aufli  la  fefte  du  Kalendrier  ,  dont  nous  auons 
parlé  ,  qui  s'appelloit  Toxcoalth  ,  qui  fignifie 
chofe  feiche:  laquelle  fefte  ne  fe  faifeie  à  autre 


DES      INDES.      LIV.    V.  2,53 

fin,  que  pour  demander  de  l'eaué  en  la  façon  que 
nous  ancres  folemnifons  les  Rogations:  ôc  ainfi 
cefte  fefte eftoit  toufiours  en  May ,  qui  eft  le  teps 
que  l'on  a  plus  faute  d'eauës  en  ce  pays  là.    L'on 
commençoitàla  célébrer  le  neufiefme  de  May, 
finiiTantl»  dix-neufiefme.    Le  dernier  lourde  la 
fefte  au  matin  les  preftres  tiroienc  vnbranquart 
ou  litière  fort  bien  ornée  de  courtines,&  de  fan- 
dos  de  diuerfes  façons.  Ce  branquart  auoit  autat 
debras  obtenons  qu'il  y  auoit  deminiftresqui  le 
deuoient  porter:  tous  lefquels  fortoiét  barbouil- 
lez de  noir ,  les  cheueux  longs  trelfez  par  la  moi- 
tic  auec  des  lizets  blancs,  &  veftus  de  la  liuree  de 
l'idole.  DefTus  ce  branquart  ils  meteoient  le  per- 
fonnage  de  l'idole ,  député  pour  cefte  fefte,  qu'ils 
appclloient  femblance  du  Dieu  Tezcaiipuca ,  ôc 
le  prenans  fur  leurs  cfpaules  le  tiroient  en  public 
aupieddesdegrez,  &  incontinent  fortoient  les 
iennes  hommes, odes  filles  reclufes  de  ce  temple, 
portas  vnegrofie  corde  torfe  de  chaifnes  de  mays 
rofty,auec  laquelle  ils  enuironnoient  le  braquart 
Se  mettoient au  col  de  l'idole  vne  chaifnc  de  mef- 
me,  ôc  en  la  teftevne  guirlande.    Ilsappellent  la 
corde  toxcalt,  dénotant  la  fecherefle  &fterilitc 
du  temps.   Les  icunes  hommes  fortoient  entou- 
rez auec  des  courtines  de  red ,  des  guirlandes ,  ôc 
deschaifnesdemaysrofty.  Les  filles  eftoicntve- 
ftuës  d'habits  Se  ornements  tous  neufs,  portans 
au  col  des  chaifiies  de  mays  rofty ,  ôc  en  leurs  te- 
lles des  ty ares  faites  de  vergettes  toutes  couuer- 
tesdecemays.  Ils  auoient  les  pieds  couuerts  de 
plumes ,  &  les  bras  Ôc  iouës  colorées  de  fard.  Ils 
apportoient  aulïi  beaucoup  de  ce  mays  rofty ,  Ôc 


HISTOIRE  NATVR.ELI.  E 
les  principaux  fc  les  mettoient  à  la  tefte  &  au  col, 
prenans  des  rieurs  en  leurs  mains.  Apres  que  l'i- 
dole eftoit  mis  en  fon  branquart  &  luiere ,  ils  fe- 
moient  par  tout  autour  grande  quantité  de  ra- 
meaux de  manguey,  les  fueilles  duquel  font  lar 
ges  &  efpineufes.Ce  branquart  mis  fur  les  efpau- 
les  des  demifdits  religieux,ils  le  portoict  en  pro- 
ceflîon  pardedanslecircuitdela  court,  &deux 
preftresmarchoient  deuant  aueedesbrafiersou 
encenfoirs,encenfans  fort  fouuent  i'idole,&cha- 
quefois  qu'ils  mettoient  l'encens  ils  haulïbient 
le  bras  le  plus  haut  qu'ils  pouuoient  vers  l'idole, 
&versieSolcil,leurdifans  qu'ils  eilcualïènt  leurs 
oraifons  au  ciel,  comme  cette  fumée  f  eflcuoit  e» 
haut.  Alors  tout  le  peuple  qui  eftoit  en  la  court 
alloit&fetournoitenrond  vers  le  lieu  oùalloit 
l'idole,  portanstous  en  leurs  mains  des  cordes 
neufues  de  fil  de  manguey ,  d'vne  braffe  de  long 
ayans  vn  nœud  au  bout,&  auec  icelles  fe  difeipli  ■ 
noient,  fen  donnans  de  grands  coups  fur  les  ci- 
paules,delafaçôquel'onfedifcipline  icyleleu- 
dy  fain&.Toute  la  muraille  de  la  court  &  les  cré- 
neaux eftoient  pleins  de  rameaux  8c  de  fleurs ,  fi 
bien  ornez,  &  auec  telle  fraifeheur,  qu'ils  don- 
noientvngrandcontentement.Cefteprocefîïon 
eftantacheuce,  ils  rapportoient  l'idole  aulieu  où 
ilauoitaccouftuméd'eftrc:  puisapresvcnoitvne 
grande  multitude  de  peuple  auec  des  fleurs  ac- 
commodées de  diuerfes  façons,  dontilsremplif- 
foient  le  temple  &  toute  la  courr ,  de  forte  qu'il 
fcmbloitornementxl'oratoire.  Tout  celacftoit 
accommodé  &c  mis  en  ordre  par  les  mains  des 
preftres ,  les  ieuncs  hommes  du  temple  leur  bail- 


ci- 


DES     INDES.       LIV.    V.  254 

Iant,&  feruanc  ces  chofes  de  dehors.  La  chapel- 
le ou  chambre  de  l'idole  demeuroit  ce  iou'r  là 
dcfcouuerte  fans  y  mettre  le  voile.  Cela  faitcha- 
cun  venoit  offrir  des  courtines ,  des  fandaux ,  des 
pierres  precieufes,  des  ioyaux,  de  l'encens  ,  du 
boisgommeux,  desgrapes,  ouefplcs  de  mays, 
des  cailles,  Se  finablement  tout  ce  qu'ils  auoient 
accouftume  d'offrir  en  telles  folemnitez.  Quand 
ils  offroient  ces  cailles,  (qui  cftoit  l'offrande  des 
pauures)  ils  faifoienteefte cérémonie,  qu'ils  les 
bailloient  aux  preftres ,  lefquels  les  prenants,leur 
arrachoienc  la  tefte ,  &  auffi  toft  les  iettoient  aux 
pieds  de  l'autel,  où  ils  perdoient  leur  fang ,  &  au- 
tant en  faiforent  ils  des  autres  qu'ils  offroient. 
Chacun  offroit  félon  fonpouuoir,  d'autres  vian- 
des &  fruits,  lefquels  eftoiemt  aux  pieds  del'au- 
tel  des  miniftres  du  Temple ,  Se  eftoient  ceux  qui 
les  recucilloient,&lesportoienten  leurs  cham- 
bres. Cefte  iolcmnelle  offrande  faite  ,  le  peuple 
i*en  alloit  difner  chacun  en  Ton  bourg  Se  en  fa 
maifon  ,  lailTans  ainfi  lafefte  fufpendueiufqaes 
après  difner.  Pendant  ce  temps  les  ieunes  hom- 
mes Se  filles  du  Temple  ,auec  les  ornements  fuf- 
ditsfoccupoientàferuir  l'idole,  de  tout  ce  qui 
luy  eftoit  dédié  pour  fon  manger.  Laquelle  vian- 
de eftoit  apprellee  par  d'autres  femes  qui  auoient 
fait  vœu  de  f  occuper  ce  iour  la  à  faire  le  man- 
ger de  l'idole  ,  Se  d'y  feruir  tout  le  iour.  Ccflt 
pourquoy  toutes  celles  qui  auoient  fait  le  vœu 
venoientaapoinct  du  iour,  foffrans  aux  dépu- 
tez du  temple,  afin  qu'ils  leur  commandafTcnt  ce 
qu'elles  dcuoient  faire,  cVlaccompIiiToient  fort 
diligemment .  Elles  faifoient  Se  appreftoient 
tant  dç  diuerfïtcz&  inuentions  de  viandes  que 


HISTOIRE  NATVRELLE 
c'eftoitvnechofe  admirable.  Cette  viande  eftantr 
accommodée ,  &  l'heure  du  dilner  venue,  toutes 
ces  filles  fortoient  du  temple  en  proceflfion  cha- 
cune vn  petit  panier  depain  en  la  main,&  en  l'au- 
tre vn  plat  de  ces  viandes,&  marchoit  dcuant  el- 
les vn  vieillard,qui  feruoit  de  maiftre  d'hoitel ,  a^ 
uec  vn  habit  allez  plaifant.  Il  eftoit  veftu  d'vn  fur- 
plis  blanc  qui  luy  vcnoit  iufques  au  mollet  des 
jambes  ,iurvn  pourpoint  fans  manches  de  cuir 
rouge,à  h  façon  d'vne  tunique.  Il  portoit  des  aif- 
lesaulieude  manches,  d'où  fortoient  des  lifets 
larges ,  aufquels  pendoit  fur  le  milieu  des  efpaul- 
lesvnemoyënecallabalfe,oucitroiïille,qui  eftoit 
toute  remplie  &  couucrtede  fteurs,par  despetits 
trous  quiy  eftoiet ,  &  au  dedans  y  auoitplufieurs 
chofes  de  fuperfticion. Ce  vieillard  marchoit  ain- 
fi  accommode  deuant  l'appareil,  fort  humble ,  & 
trifte,  ayant  la  tcftebai(îee,&-  en  approchant  du 
Iicu,qui  eftoit  au  pied  des  degrez  ,  il  faifoit  vnc 
grande  humiliation  &  reuerence,  puis  fe  retirant 
d'vn  codé,  les  filles  fapprochoientauec  la  vian- 
de,  cV  l'alloient  prefenter  de  rang  &  par  ordre  le  s 
vnes  après  les  autres  auec  beaucoup  de  reueren- 
ce. Puis  ayans  prefente  toutes  ces  viandes,le  vieil- 
lard C'en  retournoit  comme  dcuant ,  &  remenoit 
les  filles  en  leur  conuent. Cela fait,lesicuncs  ho- 
mes &  miniftres  de  ce  temple  fortoient  ,  &  re- 
cueilloient  cefte  viande,  laquelle  ils  portoiet  aux 
chambres  des  dignitez  &  preftres  du  temple,lef- 
quels  auoient  ieufné  par  l'efpace  de  cinqiours, 
mangeans  feulement  vne  fois  le  iour,  &  {' eftoient 
abftenus  de  leurs  femmes  ,  fans  fortir  du  temjJIe 
durant  ces  cinq  icurs;pendât!efquelsils  fc  foiicfc» 


DES    INDES.       II V.    V.  l^ 

toient  rigoureufement  auec  des  cordes,  &  man- 
geoicnt  de  ccftc  viande  diuine  (ainii  l'appelloict- 
ils)  tout  ce  qu'ils  pouuoient,&  n'eftoit  licite  à  au- 
cun d'en  manger,fmon  à  eux.  Tout  le  peuple  ayât 
acheué  de  difner,fe  raflembloit  à  la  cour  pour  cé- 
lébrer &  voir  la  fin  de  la  fefte ,  où  ils  faifoien  t  ve- 
nir vn  captif  qui  par  l'efpaced'vn  anaroitrepre- 
fenté  l'idole ,  eftaut  veftu,orné  &  honoré  comme 
le  mefme  idole ,  &  luy  faifans  tous  reuerence,  le 
mettoient  entre  les  mains  des  facrificateurs, les- 
quels fe  prefentoien  t  au  mefme  temps,&  l'alloiét 
faifir  par  les  pieds  &  mains.   LePapaluy  fendoic 
ÔV  ouuroit  l'eftomach3luy  arrachant  le  cœur,  puis 
haufToit  la  main  tant  qu'il  pouuoit,  lemonftrant 
au  Soleil  &  àl'idole,commeiIaeftéditcy  -deuât. 
Ayans  ainfï  facrifié  celuy  qui reprefentoit l'idole, 
ils  f  en  alloi  ent  en  vn  lieu  confacré  &  député  pour 
ceteffeéT^oùariiuoient  les  ieunes  hommes  &  fil- 
les du  temple,  auec  les  ornemens  fufdits,lefquels 
eftans  mis  en  ordre  ,  dançoient&chantoient  à 
l'en  tour  des  tambours  Se  autres  inftrumcts ,  donc 
les  dignitez  du  temple  ioûoient  &  fonnoient. 
Puisvenoient  tous  les  feigneurs  ,  ayans  les  mef- 
mes  enfeignes  &  ornemens  que  les  ieunes  hom- 
mes 3lefquelsdançoient en  rond  autour  d'iceux. 
L'on  ne  tuoitpoint  ordinairement  en  ce  iour  d'au- 
tres hommes  que  le  facrifié ,  toutesfois  de  quatre 
ans  en  quatre  ans  feulemct  l'on  en  anoit  d'autres 
auec  luy ,  qui  eftoit  en  l'an  du  Iubilé  &  indulgen- 
ce planiere.  Apres  le  Soleil  couché,chacun  eitant 
content  de  fonner,de  manger  &de  boire,fes filles 
f'en  alloient  toutes  à  leur  conuent,  &  prenoient 
«le  grands  plats  de  terre» pleins  depaiapaiftryda 


^n 


Histoire    nàtvrelle 
miel ,  qui  eftoient  couuerts  de  petits  panniers 
ouurez  &  façonnez  de  teftes&  osde  mort,&  por- 
toientla  collation  à  l'idole  ,  monrans  iuiquesà 
la  cour  qui  eftoit  deuant  la  porte  de  l'Oratoire,& 
l'ayants  pofee  en  ceiieu,elles  delcendoientauec 
le  mefme  ordre  qu'elles  y  auoient  monté,  le  mai- 
ftre  d"hoftel  allant  toujours  deuanr.  Incontinen 
fortoienttous  les  ieunes  hommes  en  ordre  auec 
des  cannes  ou  roieaux  es  mains,  qui  commen- 
çoient  à  courir  au  hault  les  degrezdu  Temple,  à 
l'enuie  l'vn  de  l'autre,  pour  arriuer  les  premiers 
aux  plats  de  la  collation.  Cependant  les  dignité: 
remarquoientceluyquiarriuoitle  premier,  fe 
cond  ,  troi(iefme,&quatrieime,fans  faire  efta 
durefte.  Cefte  collation  eftoic  aufiï  toftenleuee 
par  ces  ieunes  hommes,  laquelle  ils  emportoien 
comme  grandes  reliques.  Cela  fait  les  quatre  qu 
premiers  eftoicntarriuez  eftoient  mis  au  milieu 
des  dignitez  &  anciens  du  temple ,  &  auec  beau- 
coup d'homreur  les  mettoient  en  leurs  chambres 
les  louans  &  leur  donnans  de  bons  ornemens,  &C 
delàenauant  eftoient  reuerez  &  honorez  com- 
me hommes  fignalez.La  prinfc  dé  cefte  collatio 
eftantacheuee,&  la  fefte  célébrée  auec  beaucoup 
de  refiouyflance  &  de  crierie,  ils  donnoiét  cong 
a  tous  ces  ieunes  hommes  &  filles  qui  auoien 
feruy  l'idole,  au  moyen  dequoy  il  C'en  alloient  le 
vns  après  les  autres  ,  au  temps  qu'elles  fortoient. 
Tous  les  petits  enfans  des  collèges  &  efcholei 
eftoient  à  la  porte  de  la  cour,  auec  des  pellottei 
de  ionc  &  d'herbes  aux  mains ,  lefquelles  ils  leui 
iettoient  fe  mocquans  &  rians  d'elles,comme  d< 
'perfonnes  qui  iè  retiraient  du  feruice  de  l'idole. 


i 


DES    INDES.       II V.    V.  Ij6 

ils  fortoient  ancc  liberté  de  difpofer  de  foy  à  leur 
volonté ,  &  auec  cela  prenoit  fin  la  fefte. 


De  Ufcjïe  des  "Marchands  que  ccîebr oient  ceux 
de  Cbolutecas. 

C  H  A  P.    XXX. 

Î^Ombien  que  i'ayeafiezcy-deflus  parlé  du 
feruicequelesMexiquains  faifoien  ta  leurs 
dieux, fi eft- ce  queie  dirayencor quelque chofe 
de  la  fefte  de  celuy  qu'ils  appelloient  Quetza- 
coaalt,qui  eftoit  le  dieu  des  riches, laquelle  fc  io- 
lemnifoitencefte  forme.  Quarante  iours  aupa- 
rauant  les  marchands  achctoientvnefclaue,bien 
fait ,  (ans  aucun  vice  ny  tache  ,  tant  de  maladie, 
comme  de  ble{îcure,lequel  ils  veftoient  des  orne- 
ments de  i'idole,afin  qu'il  le  reprefentaft  quaran- 
te iours.  Auantque  delcveftir  ils  le  punfioienc 
lelauantdeux  fois  en  vnlac,  qu'ils  appelloient 
lac  des  Dieux,  &  après  qu'il  eftoit  purifié ,  ils  le 
veftoient  de  mcfme  que  l'idole  eftoit  veftu.  Il 
eftoit  fortreueré  durant  quarante  iours,  à  caufe 
decequ'ilreprefentoit.  Ils  l'emprifonnoientde 
nuict  (comme  il  a  efté  ditcy  delfus  ,  )  de  peur 
qu'il  ne  f'enfuift&  le  matin  le  tiroient  delà  pri- 
fon ,  le  mettans  en  vn  lieu  eminent,  où  ils  lefer- 
uoient ,  en  luy  donnant  à  manger  des  viandes  ex- 
quifes .  Apres  qu'il  auoit  mangé  ils  luy  met  - 
toient  des  chaînes  de  fleurs  au  col,  &  beaucoup 
de  bouquets  aux  mains .  Il  auoit  fa  garde  fort 
accomplie, auec  beaucoup  de  peuple  qui  l'ac- 
compagnoit,  Se  alloitauec  luy  par  la  Cité .  Il 
alloit  chantant  &  dançant  par  coûtes  les  rues , 


sjtEjsjra     STO^ 


HISTOIRE  NATVRELLE 
afin  d'eftre  cogncu  pour  la  femblâce  de  leur  diew, 
&lors  qu'il  commençoit  à  chanter  ,  les  femmes 
&  petits  enfansfortoient  de  leurs  maifons  pour 
le  iàiiïer,&  luy  faire  leurs  offrandes  comme  à  leur 
dieu. Deux  vieillards  d'entre  les  diçnitez  du  tem- 
pie  venoieut  par  deuers  luy  neuf  io  jrs  aupaïauât 
la  fefte,  lefqueis  fhumiliansdeuantluy ,  luydi- 
foient  d'vne  voix  fort  humble, &  baflejSeigneur, 
tu  dois  fçauoir  que  d'icy  à  neuf  ioursi'acheuele 
trauaildedancer,&  de  chanter,  car  alors  tu  dois 
mourir:  &  il  deuoitrefpondre  quecefuft  àlabô- 
ne  heure.  Ils  appelloient  cefte  cérémonie  Neyo- 
lo  Maxildezth,  qui  veut  dire  l'adueniilTement ,  Se 
quand  ils  l'aduertiflbientjils  prenoient  garde  fort 
cntentiuementftlfecontnftcit point,  &  i'ildan- 
çoitauffiioyeufement  que  de  cou(lume,que  frl 
nelcfaifoit  auec  vne  telle  gaye té  qu'ils  deiiroiét, 
ilsfaifoient  vnefottefuperftitiôen  cefte  maniè- 
re. Ils  f'en  alloient  incontinent  prendre  lesra- 
foirs  des  facrifices  ,  lelquelsilslauoient,&  met- 
toient  du  fang  humain  qui  y  reftoitdesiacnfices 
pafTez  .•&deceslaueuresluy  faifoientvn  breuua- 
ge  meilé  aucc  vne  autre  liqueur  faite  de  cacao ,  5c 
luy  donnoient  àboire,&  difoientquecebreuua- 
ge  auoit  telle  operatio  en  luy,qinl  luy  feroit  per- 
dre la  mémoire  de  tout  ce  que  l'on  luy  auoit  dit, 
&  quecelalerendroitprefque  inlenfible,  &  rc- 
tourneroit  à  fon  chant  &  gayeté  ordinaire.  Ils  di- 
rent dauantage qu'il  i'offcoit  allègrement  à  mou- 
rir3eftantenchâtédecebreuuage.  Lacaufe  pour- 
quoy  ils  tafehoient  de  luy  ofter  cefte  triftefle, 
eftoit  pour  autant  qu'ils  tenoient  cela  pourvn 
mauuais  augure,  cepour  vnprcnofticq  de  quel- 
que 


DES     INDES.      LIV.    V.  Z^y 

que  grad  mal. Le  iour  de  la  fcfte  eftant  vcnu,aprcs 
luy  auoir  fait  beaucoup  d'honneur,  chante  la  mu- 
flque,&  Iuyauoir  prefenté  l'encens,  lesfaoifica- 
tcurs  (ur  la  minuict  le  prenoient  &  le  facrifloient 
à  la  faço  n  fufditc,faifans  offrande  defcn  cœur  à  la 
Lune,lequel  ils  iettoyent  après  contre  l'idole,laii- 
fant  tomber  le  corps  au  bas  des  degrez  duTem- 
p!e,où  ceux  qui  l'auoyent  offert  le  releuoient3qui 
cftoyenc  les  marchands  ,  defquels  eftoitlafeile. 
Puis  l'ayant  porté  en  lamaifon  du  plus  notable 
d'entr'eux ,  le  faifoient  apprefter  en  diuetfes  fàul- 
ces  ,  pour  célébrer  à  l'aube  du  iour  le  banquet  Se 
difné  delafefte  ,  ayans premièrement  donne  le 
bon- iour  à  l'idole,  auec  vn  petit  bal  qu'ils  faifoiéc 
pendant  que  l'aube  lortoit,&  que  l'on  accorrimo  - 
doit  le  facrifié.  En  après  tous  les  marchands  faf- 
iembloientà  cebanquet,  fpecialement  ceux  qui 
kuioient  le  commerce  de  vendre  ,  Se  acheter  des 
efclaues,  qui  auoiéc  en  charge  d'offrir  par  chacun 
anvnefclauepourlafemblacedeleurDieu.Cefte 
idole  eftoit  vn  des  plus  honorezde  cefte  terre,  co- 
rne i'ay  dit ,  c'eft  pourquoy  le  Temple  où  il  eftoit, 
eftoit  de  beaucoup  d'authoricé.  Il  y  auoit  foixan- 
te  degrez  pour  y  monter  ,  Se  audeffus  d'iceuxy 
auoit  vue  court  de  moyenne  largeur,  fort  propre- 
ment accomodee  &  plaftree,  au  milieu  de  laquel- 
le il  y  auoit  vne  grande  pièce  ronde,en  la  façon  de 
four,ayant  fon  entrée  bafle,&  eftroite,  tellement 
que  pour  y  entrer  il  falloit  le  baifler  bien  fort.  Ce 
Temple  auoit  fes  chambres,ou  chappelles,  com- 
me les  autres,où  il  y  auoit  des  conuëts  de  preftres, 
de  ieunes  hommes,de  filles,  &  d'enfans,  tomme  il 
aeftédit,&toutesfois  il  n'y  auoit  qu'vnfeul prè- 
le 


wwi 


HISTOIRE  NATVRELLE 
lire  qui  refidoir  continuellement  là,  &  efioit  co- 
rne fcmainier.Car  combien  qu'il  y  euft  en  chacun 
de  ces  Téples  trois  ou  quatre  Curez  &  dignitez, 
chacun  y  feruoit  fa  femaine,fans  en  fortir.  L'offi- 
ce du  femainier  du  Templé(apres  auoir  endoctri- 
né les  en  fans)  eftoit  de  battue  vn  grand  tambour 
tous  les  ioursà  l'heure  que  fe  couchoit  le  Soleil, 
pour  lamefmefinquenousauos  accouftuméde 
fonner  l'oraifon.Ce  tambour  eftoit  tel ,  que  1  o  en 
entendoit  le  Ton  enroué  de  toutes  les  parts  de  la 
Cité,  alors  vn  chacun  ferroit  fa  marchandifc,&  le 
retiroit  en  fa  maifon,&yauoitvn  fi  grand  filen 
ce,qu'il  fembloit  qu'il  n'y  euft  homme  viuant  dis 
la  ville. Au  matin,lors  que  l'aube  du  iour  commé- 
çoitàforrir,ilrecommëçoità  battre  ce  tambour, 
qui  eftoit  le  figne  que  le  iour  commençoit  ,  au 
moyen  dequoy  les voyagers&  forains  s'arrelloiët 
à  ce  lignai  pour  commencer  leurs  voyages,  pour 
ce  qu'il  n'eftoit  point  permis  iulquesàce  temps, 
de  fortir  de  la  cité.Il  y  auoit  en  ce  Temple  vnc 
court  de  moyenne  grandeur,  en  laquelle  l'on  fai- 
foitde  grandes  dances  ,  &  refiouiirances  ,  auec 
des  farces,ou  entre- mets,  le  iour  de  la  fefte  de  l'i- 
dole. Pour  lequel  effed  il  y  auoit  au  milieu  de 
cefte  court  vn  petit  théâtre  de  tiete  pieds  en  quar- 
ré,  fort  proprement  agence,  lequel  ils  Jiccommo  - 
doientdefueillagespourceiour,  auec  tout  l'arti- 
fice Se  gentillelle qu'il  eftoitpoilible,  eftantrout 
enuironné  d'arcades  de  diuerfes  fleurs ,  &  pluma- 
ges ,  &  y  tenoient  attachez  en  quelques  endroits 
beaucoup  de  petits  oifeaux,connils,&  autres  ani- 
maux paifibîes.  Apres  dilner  tout  le  peuple  ('af- 
fembîoitence  lieu  >  &  les  baftelleurs  feprefen- 


DES     INDES.      LIV.    V.  *}8 

toient,&  ioiïoict  des  farccs,les  vns  contrefaifoiéc 
les  fourds,&les  enrheumez,les  autres  les  boueux, 
lesaueugles,&  les  manchots,  lefquels  vcnoient 
demander  guarifon  à  l'idole.  Les  (ourds  refpon- 
doient  du  coq  à  l'a  (ne ,  les  enrheumez  toulîoient, 
les  boiteux  clochoient,racontans  leurs  miferes<Sc 
ennuis,  dequoy  ils  faiibient  beaucoup  rire  le  peu- 
ple,lcs  autres  fortoiënt  en  forme  de  beftiollcs ,  les 
vns  cftâs  veftus  comme  efcargots,les  autres  com- 
me crapaux ,  &  d'autres  comme  lezatds,puis  l'en- 
tre-rencontrans  racontoient  leurs  ofhccs  ,  8c 
(e  rctirans  chacun  de  (on  codé  ,  ils  touchoienc 
de  petites  n'eûtes, qui  eftoitchofeplaifaceàouyr. 
Ils  contrefaifoient  mefme  des  papillons,  &c  des 
petits.oifeauxdediuerfescouleurs,&eftoient  les 
enfans  du  Temple  qui  reprefentoient  ces  formes, 

fiuis  ils  montoient  en  vne  petite  foreft,  qui  eftoit 
à  plantée  expres,où  les  preftres  du  Temple  les  ti» 
roient  anec  des  farbacanes.  Et  cependant  ils  fe  di- 
foient  plufieursplaifans  propos,  les  vns  en  atta- 
quant^ les  autres  en  défendant,  dequoy  les  arti- 
ftanseftoientioyeufemententretenus.Cclaache- 
ué  ,  ils  faifoient  vn  baloumommerie,âuec  tous 
ces  perfonnages,  &  par  ce  moyen  s'acheuoit  la  fe- 
fte.Ce  qu'ils  auoientaccouftumé  de  faire  aux  plus 
principales  feftes. 


Qml  profit  l'on  peut  tirer  du  trait  té  des  /#> 
perftittons  des  Indes. 

C  H  AP.    XXXI. 

jgEqui  a  eftè  dit  fuffife  pour  entédre  le  foin&  la 
ipeine  que  les  Indiens  emploioient  à  feruir  & 

k    ij 


SW»«««?*5P;!*fK 


•  HISTOIRE  NATVRÉLLE 
honorer  leurs  idoles,&pour  mieux  dire  le  diable: 
car  ce  feroitvnechofe  infinie,  ôc  de  peu  de  profit 
de  vouloir  raconter  entièrement  cequis'ypaife, 
veu  mefme  qu'il  pourra  fembîer  à  quelques-vns 
qu'iln'eftoit  point  de  befoing  d'en  dire  tant  com- 
me ï'ay  fait  j  &  que  c'eft  perdre  le  temps  ,  comme 
l'on  fait  en  lifantles  contes  que  feignent  les  Ro- 
mas  de  Chcualerie.  Mais  Ci  ceux  quiont  cefte  opi- 
nion y  veulent  regarder  de  près,  ils trouueronc 
qu'il  y  a  grande  différence  entre  l'vn  &  l'autre  ,  & 
recognoiftront  que  ce  peut  eftre  vnechofe  vtile, 
pour  plufieursccnfiderationsd'auoirlacognoif- 
fance  des  couftùmes&  cérémonies  dont  vibient 
les  Indiens. Premieremet  cefte  cognoitîancen'eft; 
pas  feulement  vtile ,  mais  auffi  neceiïàire  aux  ter- 
res où  ils  ont  vfé  de  ces  fuperftitions ,  afin  que  les 
Chreftiéns,&  maiftres  de  l'a  loy  de  Chrift,fçachët 
les  erreurs  &  fuperftitions  des  anciens,  pour  voir 
fîleslndiésenvfentpointencorauiourd'huy  ou- 
uertcment,ou  couucrtemcnt.  Pour  cefte  occaiîo 
plufieurs  doctes  &fignalez  perfonnages  ont  eferit 
des  difco.urs  allez  amples  de  ce  qui  fen  eft  trouué, 
voire  les  Conciles  prouinciaux  ont  commandé 
ique  l'on  les  cfcriuc ,  &  imprime ,  comme  on  a  fait 
en  Lima,où  vn  difeours  a  efté  fait  plus  ample  que 
ce  qui  en  eft  icy  traitté.  C'eft  pour  quoy  c'eft  cho- 
fe  importante  pour  le  bien  des  Indiens  ,  que  les 
Efpagnolscftans  en  ces  parties  deslndes,ayentla 
cognoiflance  de  toutes  ces  chofes.  Cefte  narratiô 
mefme  peut  feruir  aux  Efpagnols  de  delà,&  a  tous 
autres  en  quelque  endroit  qu'ils  foient  pour  rc- 
mercierDieu  noftrc  Seigneur,&  luy  rendre  grâces 
infinies  d'vn  fi  grand  bien  que  cèruy  que  nous  a 


DES     INDES.       LIV.    V.  259 

departy,&  va  donnant  Ta  (àincle  Loy ,  laquelle  eft 
toute  nette,&  toute  profitable.  Ce  que  l'on  peut 
cognoiftre  en  la  comparant  auec  les  loix  de  Satan, 
où  tat  de  malheureux  ont  vefcu  fimiferables.  Elle 
peutmefmeferuirpourdefcouurir'l'orgueiljl'en- 
uie,les  tropeties,&  les  embufehes  du  diat>le,qu'il 
exerce  contre  ceux  qu'il  tien  t  captifs,veu  que  d'vn 
cofté  il  veut  imiter  Dieu,  &  faire  coparaifon  auec 
luy,&  fa  faincte  Loy,&  d'autre  cofté  il  entremefle 
en  Tes  actes  tant  de  vanitez,&  d'ordures,  &  de  cru- 
autez,  comme  celuy  qui  n'a  point  d'autre  exerci- 
ce que  de  fophiftiquer ,  &  corrompre  tout  ce  qui 
cft  bon.Finablement  qui  verra  les  ténèbres  &  l'a- 
ueuglement  auquel  tant  de  grandes  prouinces,& 
Royaumes  ont  vefcu  fi  longtemps  &  que  beau- 
coup de  peuples,voire  vne  grande  partie  du  mon- 
de,viuét  encor  deceus  de  femblables  tromperies, 
ne  pourra,  (f'il  a  le  cœur  Chreftien)  qu'il  ne  rende 
grâces  au  tref-haut  Dieu ,  pour  ceux  qu'il  appelle 
de  fi  grades  ténèbres  à  l'admirable  lumière  de  Ton 
Euangile  ,  fuppliant  l'immenfe  charité  du  Créa- 
teur qu'il  les  conferue,&  augmente  en  fa  cognoif- 
fance,&  en  fon  obeiiTance,3<r  que  de  mefme  aufîî 
il  fe  contrifte ,  pour  ceux  qui  toufiours  fuyuent  le 
chemin  de  perdition.  Et  qu'en  fin  il  fiipplie  le  Pè- 
re de  mifericorde  ,  qu'il  leur  defcouure  lesthrc- 
fors,&  richeflTcs  de  Ielus  Chriftjequel  auec  le  Pè- 
re,!^ le  S.Efpnt,  règne  par  tous  les  fiecles.  Amen. 


"i 


LIVRE    SIXIESME 

DE    L'HISTOIRE    N  A- 

TVREL1E    ET    MORALE 

des  In4es. 

CHAPITRE     PREMIER. 


Quel' opinion  de  ceux  là  cft  faulfe,qtti  tiennent  que 
les  Indiens  ont  faute  d'entendement. 

YANTÊtaittc  cy  dcuant de  la  re- 
ligion dont  vfoient  les  Indiens,  ie 
preteds  efcrire  en  ce  Hure  de  leurs 
coullumes,  police ,  &  gouuerne- 
ment,  pour  deux  fins  rl'vne,  afin 
d'ofter  la  fanKe  opinion  que  l'on  a 
communément  d'eux  qu'ils  font  hommes  gref- 
fiers &  brutaux,ou  qu'ils  ont  fi  peu  d'entendemét, 
qu'àpeine  méritent  ils  qu'on  die  qu'ils  en  ayent. 
D'où  vient  quel'on  leur  fait  plufieurs  excez  &  ou- 
trages en  fe  ieruans  d'eux  prefque  en  la  mefme  fa- 
çon,que  fi  c'eftoient  beftes brutes, &  les  reputans 
indignes  d'aucun  rcfpect ,  qui  eft  vn  fi  vulgaire,  & 
fi  pernicieux  erreur  (ainfi  que  le  fçauen  t  fort  bien 
ceux  qui  aucc  quelque  zèle  ,  &  considération  ont 
cheminé  parmy  eux  ,  &  quiontveu  &  cogneu 


DES    INDES.      LrfV.     V.  1 60 

leurs  fècrets,  &  confeils)&  cl'autre  part  le  peu  de 
cas  que  font  de  ces  Indiens  plufieurs  qui  penfenc 
fçauoir  beaucoup  ,  &  neantmoins  qui  font  ordi- 
nairement les  plusignorans  ,  cV  plus  prefom- 
ptueux  ,  que  ie  ne  voy  point  de  plus  beau  moyen 
pour  confondre  cette  pernicieule  opinion,  qu'en 
leurdeduifant  l'ordre  &  façon  de  viurequ'ilsa- 
uoientau temps  qu'ils viuoient  encorfoubsleur 
l0y,enlaquelle,combien  qu'ils  cuflent  beaucoup 
dechofes  barbares,  &  fans  fondement  ,  neant- 
moins ils  en  auoient  beaucoup  d'autres  dignes 
de  grande  admiration,par  lefquelles  l'on  peut  en- 
tendre qu'ils  ont  le  naturel  capable  de  receuoir 
toute  bonne  inftrudh'on ,  &  de  faid  ils  furpallenc 
en  quelques  chofes  plufieurs  de  nos  Republi- 
ques. Etn'eft  point  cnofe  demerueillequ'ilyaic 
eu  entr'eux  de  fi  grandes  &  fi  lourdes  fautes ,  veu 
qu'il  y  en  a  eu  aulîi  entre  les  plus  fameux  Legiila- 
teurs  &  Philofophes  (voire  ians  excepter  Lycur- 
ge  ny  Platô.)Et  entre  les  plus  fages  républiques, 
comme  ont  efté  la  Romaine  Se  l'Athénienne ,  où. 
l'on  peut  recognoiftre  des  chofes  fi  pleines  d'i- 
gnorance, &  fi  dignes  de  rifee,  qu'à  la  vérité  fi  les 
Républiques  des  Mexiquains  &  Inguas  euifenr. 
eftécogneuës  en  ce  temps  des  Romains,  &  des 
Grecs,leurs  loix  &  gouuernemens  eulTent  efté  be- 
aucoup eftimez  d'eux.  Mais  nousautresùprefent 
ne  confiderans  rien  de  cela,  y  entrons  par  l'efpee» 
fans  les  ouyr ,  ny  entendre ,  nous  perfuadans  que 
les  chofes  des  Indiens  ne  méritent  point  qu'on? 
en  face  eftime  autre  ,  que  comme  l'on  fait  d'vne 
venaifon  prinfeenlaforeft,  qui  ait  efté  amené© 
pour  noftrc  feruice  &  pafTe-cemps.  Les  hom- 

k  iiij 


■1 


HISTOIRE  NATVREILE 
mes  plus  profonds,  Se  plus  diligents ,  qui  ont  pé- 
nétré &  atteint  iufques  à  la  cognoilfance  de  leurs 
fecrets, couftumes  Se  gouueinemcntancien ,  en 
ont  bien  autre  opinion,  6V  Pefmct  ueilient  de  l'or- 
dre,*^ du  difeours  qui  a  efté  entre  eux.  Du  nom- 
bre defqùels  eft  Polo  Ondeguardo ,  lequel  ie  fuis 
communément  au  difeours  des  chofes  du  Per.u,& 
pour  celles  de  Mexique  lean  de  Toiiar ,  qui  auoic 
eu  vne  prébende  en  l'Eglife  de  Mexique,  &  au- 
iourd'huy  eft  religieux  de  noftre  compagnie  de 
Iefus,  lequel  par  le  commandement  du  Viceroy 
Dom  Martin  Enrriques ,  a  fait  vn  diligent  &  am- 
ple recueil  des  hiftoires  de  cefte nation,  &  plu- 
fïeurs  autres  graues  &  notables  perfonnages ,  lei- 
quels  tant  par  parole ,  que  par  eicrit ,  m'ont  fuffi- 
famment  informé  de  toutes  ces  chofes,  que  ie  ra- 
conte icy.  L'autre  fin  &  intention ,  &  le  bien  qui 
fe  peut  enfuiure  parla  cognoiflance  de  ces  loix, 
couftumes ,  &  police  des  Indiens ,  eft  afin  de  leur 
aider  ,6c  les  régir  par  les  mefmes  loix  6V  couftu- 
mes ,  attendu  qu'ils  doiuenteftregouuernez  fé- 
lon leurs  couftumes  &  priuileges  ,  entant  qu'ils 
ne  contreuiennent  à  la  Ioy  de  Chrift,  &  de  fa  fain  - 
de Eglife, qu'on  leur  doit  conferucr& entrete- 
nir, comme  leurs  loix  principales.  Car  l'igno- 
rance Ses  loix  &  couftumes  a  efté  caufe  que  l'on 
yacommisplufieurs  fautes  de  grande  importan- 
ce .-parce  que  les  iuges,  &  Gouuerneurs  ne  fça- 
uent  pas  bien  comment  ils  doiuent  donner  iuge- 
ment,  &  y  régir  leurs  fubie&s.  Et  que  outre  ce 
quec'eftleur  faire  vn  grand  tort, &  aller  contre 
raifon3ccnous  eft  choiepreiudiciableôV  domma- 
geable, pat  ce  que  de  là  ils  prennent  occafioa  de 


DES     INDES.     LIV.    VI.  l6l 

nous  abhorrer,  comme  gens  qui  en  tout  foitau 
bien  ou  au  mal ,  leur  auons  efté  &  fommes  touC- 
iours  contraires. 


De  lafupputat'ton  des  temps ,  &  du  Kalcndrter  du- 
quel yfoient  les  "Mexiaunins. 

CHAP.      IX. 

J5  Our  commencer donques  parladiun/ion& 
&£  fupputation  des  temps  que  les  Indiens  fai- 
foient  (  enquoy  certes  l'on  peut  recognoiftre  vn 
des  plus  grands  (ignés  de  leur  viuacité  &  bon 
entendement)  iediray  premièrement  de  quelle 
manière  les  Mexiquains  contoient  &  diuiloienc 
leur  année ,  de  leurs  mois, de  leur  Kalendrier,  de 
leurs  contes,  des  fiecles  &  des  aages.  Ils  diui- 
foienTï'an  en  dix-huid  mois ,  à  chacun  defquels 
ils  attribuoient  vingt  iours  ,  enquoy  les  trois 
cens  foixante iours  font  accomplis,  lans  com- 
prendre en  aucun  de  ces  mois  les  cinq  iours ,  qui 
reftentdufurplus,  failant  raccomplilTementde 
l'an  entier  .  Mais  ils  les  contoient  à  part,  &  les 
appelloientles  iours  de  rien  ,  durant  lefquelsle 
peuple  ne  faifoit aucune  chofe ,  &  n'alloient  pas 
meimes  en  leurs  temples  ,  mais  ils  foccupoient 
feulement  à  fevifiter  les  vns  les  autres  ,  perdans 
ainfï  le  temps ,  &  les  facrificateurs  du  temple  cef- 
foientaulTidefacrifier.  Apres  ces  cinq  iours  paf- 
fez  ,  ils  recommençoient  leur  conte  de  l'an  ,  du- 
quel le  premier  mois,&  le  commencement  eftoit 
en  Mars,  quand  les  fueillcs  commençoientàre- 
uerdir,  encor  qu'ils  prinlTent  trois  iours  du  mois 
de  Feurier  :  car  leur  premier  iour  de  l'an  eftoie 


Histoire    natvrelle 
comme  le  vingt -fixiefrnc  de  Feuricr,  ainfi  qu'il 
appert  par  leur  calendrier,  dedans  lequel  meime 
le  noftreeftcompris,  &  employé d'vn  fort  ingé- 
nieux artifice  ,&  fut  fait  pat  les  anciens  Indiens, 
qui  cogneurent  les  premiers  Efpagnols.  I'ay  veu 
ce  Kalendrier ,  &  l'ay  encor  en  ma  puiflance ,  qui 
mérite  bien  d'eftreveu,pour  entendre  le  dilcours 
&  l'induftrie  qu'auoient  les  Indiens  Mexiquains. 
Chacun  de  ccsdix-huiel  mois  auoitfon  propre 
nom,&  fa  propre  peinture  ,  qu'il  prenoit  com- 
munément delà  principale  feftequi  fefaifoiten 
ce  moiSjOudeladiuerfucdu  temps  que  Tan  cau- 
fe  en  iceux.  Ils  auoient  en  ce  Kalendrier  certains 
iours  marquez  &  deftinez  pour  leurs  feftes,  & 
contoientles  fepmainesdetrezeiours  ,  en  y  re- 
marquât les  iours  par  vn  zéro,  qu'ils  multiplioiet 
iufquesà  treze ,  &  incontinent  recommençoient 
à  contet  vn,deux,  &c.  Ils  remarquoient auflî  les 
années  de  ces  roués  par  quatre  fignes  ou  figures, 
attribuans  à  chacun  an  vn  figne ,  dont  l'vn  eftoit 
d'vne  maifon ,  l'autre  d'vn  connin ,  le  troiiielme 
d'vnroieau,  &Iequatriefmed'vn  caillou.  Ils  les 
peignoient  de  cefte  façon,  denotans  paricelles 
figures  l'an  qui  couroit,  difans  à  tant  de  maifons, 
ouatant  decaillous,  de  telle  roue  fucceda  telle 
chofe  :  car  l'on  doit  fçauoir  que  leur  roue,  qui  c< 
ftoit comme  vnfiecle,  contenoit  quatre  fepmai- 
nes  d'années,  eftant  chacune  fepmaine  de  treze 
ans',  quiaccomplitïoicntentoutcinquantedeux 
^ns.Ils  peignoient  au  milieu  de  cefte  roue  vn  So- 
leil,d'où  forroient  en  croix  quatre  bras  ou  lignes, 
iufques  à  la  circonférence  de  la  roue,  &faifoicnt 
leur  tour  en  telle  facô,quc  la  circonférence  eftoic 


DES    INDES.       LTV.    VI.  l62. 

dicifec  en  quatre  parties  egales,chacune  deiquel- 
les  auec  Ton  bras  ou  ligne ,  auoit  vue  couleur  par- 
ticulière ,  &  différente  des  autres ,  &c  eftoient  les 
quatre  couleurs  vert,azurc',rouge  &  jaulne.  Cha- 
que portion  de  ces  quatreauoit  treze  feparations 
qui  auoient  toutes  leurs  fignes  ou  figures  particu- 
lières, de  maifon,  ou  de  connin,ou  de  roleau ,  ou 
decaillous,  fignifiant  par  chaque  figne  v  ne  an- 
née ,  &  en  te{ledeceilgne,ilspeignoientce  qui 
rftoit  arriuc  cet  an  là.  C'eft  pourquoy  ie  veids  au 
Calendrierque  i'ay  dit ,  l'année  en  laquelle  les  Es- 
pagnols entrèrent  en  Mexique,  marquée  par  vne 
peinture  d'vn  homme  veftu  de  rouge, à  noftre 
mode,  car  tel  eftoit  l'habit  du  premier  Efpagnol 
qu'enuoya  Fernand  Cortés,  au  bout  de  cinquan- 
te deux  ans  que  le  fermoir  &c  accompliflbit  la 
roue.  Ils  vfoientd'vneplaifante  cérémonie,  qui 
eftoit  que  la  dernière  nuicl:  ils  rompoicnt  tous 
IesvafescV  vtenfiles  qu'ils  auoient,  &e(teignoiet 
tout  le  feu,  &  toutes  les  lumières,  difans  que  le 
monde  deuoit  prendre  fin  à  l'accompliiTement 
d'vne  de  ces  roues ,  &  que  d'auanrure  ce.pourroit 
eftrc  celle  où  ils  fe  trouuoient.  Car(difoient-ils) 
puis  que  le  monde  doit  alors  finir ,  qu'eil-il  plus 
de  beibin  d'apprefterde  viande, ny  démanger? 
C'eft  pourquoy  ils  n'auoient  plus  que  faire  de  va- 
fes,hy  de  feu.  Sur  cefte  opinion  ils  paiïbicnt  tou- 
te la  nuicl:  en  grande  crainte,difans  que  peut  eftrc 
il  ne  viendroit  plus  de  iour,  &  veilloient  tous 
fort  attentiuement  pour  voir  quand  le  iour  vien- 
droit.-mais  voyas  que  l'aube  commençait  à  poin- 
dre ,  incontinent  ils  bat toictpluficurs  tambours, 


HISTOIRE  NATVRELLE 
&  fonnoicnt  des  buccincs ,  des  fleutes ,  Se  autres 
inftrumens  de  refiouyfiance  8c  allegreffe,  diians 
que  défia  Dieu  leur  allongeoit  le  temps  d'vn  au- 
tre fiecle ,  qui  efloient  cinquante  deux  ans.  Eta- 
lors ils  recommençoient  vne autre  roué.  Ils pre- 
noienteu  cepremieriour  ,  &  commencement 
du  fiecle ,  du  feu  nouueau ,  &  achetoient  des  va- 
fcs&c  vtenfiles  neufs  pour  aprefter  la  viande  &: 
alloient  tous  quérir  ce  feu  nouueau  chez  le  grand 
Preftre  ,  ayans  fait  auparauant  vue  folemnellc 
proceflïon  d'aétion  de  grâces  pour  la  venue  du 
iour ,  Se  prolongation  d'vn  autre  fiecle.  Telle  e- 
ftoit  leur  façon  &  manière  de  conter  les  années, 
les  mois ,  les  fepmaines,  &  les  fiecles. 


Comment  les  Ejus  înguxs  conteient  les  ans ,    ' 
&  les  mois. 

CH  A  P.     III. 

g  Ombien  que  cefte  fupputation  des  temps, 
pratiquée  entre  les  Mexiquains  foit  allez  in- 
genieufe&  certaine  pour  des  hommes  quin'a- 
uoientaucunes  lettres,  toutesfois  ilmefemble 
qu'ils  ont  eu  faute  de  difeours  ,  &  de  confidera- 
tion ,  n'ayans  point  fondé  leur  conte  fur  le  cours 
de  laLune,ny  distribué  leurs  mois  félon  icelle. 
enquoy  certainement  ceux  du  Peru  les  ont  fur- 
paflez^  pource  qu'ils  partoient  leur  an  en  autant 
de  iours  parfaitement  accomplis ,  comme  nous  ; 
faifonsicy,&lediuifoienten  douze  mois  ou  Lu- 
nes, cfquels  ils  employ oient  &  confommoienc. 
les  vnze  iours  qui  reftent  delà  Lune  ,  ainfi  que 
l'eferit  Polo.  Pour  taire  ieur  conte  de  Lan  leur  & 


DES     INDES.    LIV.    VI.  lé  3 

certain  , ils  vfoient  de  cefte  indjuftrie, qu'aux  mo- 
tagnes  qui  eftoient  autour  de  la  Cité  de  Cufco 
(  oùfetenoitlacourdes  Rois  Inguas,  &c  le  plus 
grand  fancluairedes  Royaumes ,  comme  fi  nous 
di fions  vne autre  Rome)  il  y  auoit  douze  colom- 
nes  aflîfes  par  ordre  ,  en  telle  diftance  l'vnede 
l'autre  que  chaque  mois  vne  de  ces  colomnes  re- 
inarquoitleleuer&  coucher  du  Soleil.  Ils  les  ap- 
pelloient  Succanga ,  &  par  le  moyen  d'icelles  ils 
enfeignoient  Se  annonçoient les feftes ,  &  les  (ai- 
fons  propres  à  femer ,  à  recueillir  Se  à  faire  autres 
chofes.  Ils  faifoient  de  certains  facrifices  à  ces 
pilliersdu  Soleil,  fuiuant  leur  fuperftttion.  Cha- 
que mois  auoitfon  nom  propre  Se  fes  feftes  par- 
ticulières .  Ils  commençoient  l'an  par  Ianuier, 
comme  nous  autres  ,  mais  depuis  vn  Roylngua 
appelle  Pachàcuto,  qui  fignine  reformateur  du 
Temple ,  fit  commencer  leur  an  par  Décembre, 
à  caufe  (  comme  ie  coniechire)  qu'alors  le  Soleil 
commence  à  retourner  du  dernier  poincT:'  de  Ca- 
pricorne ,quiellle  Tropique  plus  proche  d'eux. 
Ienefçay  poin&quelesvns  ny  les  autres  ayant 
remarque  aucun  Bifexte ,  combien  que  quelques 
vns  dient  le  contraire.  Lcsfepmainesquecon- 
toientles  Mexiquair.»s  n'eftoient  pas  proprement 
fepmaines  ,  puis  qu'elles  n'eftoient  pas  de  fept 
iours  ,  aufli  les  Inguasn'en  firent  aucune  men- 
tion ,  ce  qui  n'eft  pas  de  merueille,  attendu  quel» 
rontedeiafepmaine  n'eft  pas  fondé  fur  le  cours 
du  Soleil,  comme  celuy  de  l'an  ,  ny  fur  le  cours 
de  la  Lune,  comme  celuy  des  mois  ,  mais  bien, 
entre  les  Hebrieux  eft  fondé  fur  la  création  du 
inonde ,  que  rapporte  Moyfe,  &eotreles  Grecs, 


3§^'Tiïv?w&pœv  f$$?V 


HISTOIRE  NATVRE  LL  E 
&  les  Latins ,  fur  le  nombre  des  fept  Planettes  du 
nom  defquellcs  mefme  les  ioursdela  fepmaine 
ont  prins  leur  nom.  Neantmoins  c'eftoit  beau- 
coup à  ces  I  nd  iens ,  eftans  hommes  fans  liures,&: 
fans  lettres  comme  ils  font ,  qu'ils  eullent  vn  an, 
des  iaifons&  des  feftesfibien  ordonnées,  com- 
me il  eft  dit  cy  delî'us. 

Que  l'on  71  a  point  troituc  aucune  nation  d'indiens 
rjHjvfaiï  de  lettres. 

C  H  A  P.    III. 

Çîfîl  E  s  lettres  furent  inuentees  pour  reprefen 
£$â<  ter&  fignifier  proprement  les  paroles  que 
nous  prononçons,  ainii  que  les  paroles  mefmes 
(félon  lePhilofophe)  lontles  figues  &  marques 
propres  des  conceptions  &  peniees  des  hommes 
Et  l  vn&  l'autre  (iedy  les  lettres  &  les  mots)  ont 
efté  ordonnez  pour  faire  entendre  les  chofes.   I  a 
voix  pour  ceux  qui  fontprefents,  ôc  les  lettres 
pour  les  abfens,&  pour  ceux  qui  font  avenir 
Les  fignes  &  marques  qui  ne  font  pas  propres 
pour  lignifier  les  paroles ,  mais  les  chofes  ne  peu 
tient  cftre  appeliez,  ny  ne  font  point àla  vérité 
desletties ,  encor  qu'ils  foient  eferits.  Car  l'on 
ne  peut  dire  qu'vne  image  du  Soleil  peint,  fo 
vneefcrituredu  S  oleil,mais  feulement  vue  pein- 
une: autant  en  eft  ildes  autres  fignes&  chara- 
deresqui  n'ont  aucune  refiemblance  à  la  choie, 
mais  qui  (eruenc  tant  feulement  de  mémoire:  ca 
celuyqui  lesinnenrane  les  ordonna  point  pou, 
fignifierdes  paroles  :  mais  feulement  pour  de: 
noter  vnechofe.  On  n'appelle  point  aufîi  ce< 
charac'tçres  lettres  njeferitures,  comme  de  fai 


■■ 


DES    INDES.       LIV.    VI.  164 

ils  ne  le  font  pas:rrais  pluftofl  des  chiffres  ou  me- 
moires,ainfi  que  font  ceux  dont  vient  les  Sphe- 
riftes  &  Aftrologues ,  pour  fignifier  diucrsfîgnes 
ouplanettesde  Mars,  de  Venus,  delupiter,&c. 
Tels  characleres  font  chiffres  &  non  pos lettres , 
pour-autantque quelque  nom  que  Marspuifïe 
auoir  en  Italien ,  en  François ,  en  Efpagnol,tou£. 
iours  ce  charactere  le  fignifle:  ce  qui  ne  le  trouuc 
point  es  lettres:  car  iaçoit  qu'elles  dénotent  les 
choies,  c'eft  par  le  moyen  des  paroles  :  D'où, 
vient  que  ceux  qui  n'en  fçauent  lalangueneles 
entendent  pas ,  comme  pour  exemple  le  Grec 
nyrHebrieu  ne  pourra  pas  comprendre  ce  que 
fignific  ce  mot  Sol  >  iaçoit  qu'ils  le  voyent  eferit, 
pource  qu'ils  ignorent  le  mot  Latin.  Tellement 
quel'efcriture&les  lettres  font  feulement  pra- 
tiquées par  ceux  qui  auec  ieellcs  fignifient  des 
mots  :  car  fi  immédiatement  elles  fignifient  les 
chofes  ,  elles  ne  font  plus  lettres  nyefcritures, 
mais  des  chiffres  &des  peintures  ,  dequoyl'on 
tire  deux  chofes  bien  notables.  L'vne  eftquela 
mémoire  des  hiftoires  &antiquitez  peut  demeu- 
rer aux  hommes  par  l'vne  de  ces  trois  manières, 
ou  par  les  lettres  ôc  efentures  ,  comme  il  aefte 
pratique  entre  les  Latins,les  Grecs.lcs  Hebrieux, 
&  beaucoup  d'autres  nations  ,  ou  par  peinture, 
comme  l'on  avfé  prefque  en  tout  le  monde  :  car 
il  eftditau  Conciledc  Nice  fécond  :  La  peinture 
tft-vn  hure  pour  les  idiots  qui  ne  fçuuent  lire  ,  ou  par 
chiffres  &characteres,  comme  le  chiffre  fignific 
le  nombre  de  cent  ,  de  mil  &  autres  fans  li- 
gnifier cette  parole  de  cent ,  ou  de  mil.  L'au- 
tre chofe  notable  que  l'on -en  peut  tirer  cft  celle 


HISTOIRE  NATVRELLE 
qui  ('eft.  propofee  en  ce  chapitre  ,  à  fçauoir  que 
nulle  nation  des  Indes  defcouuertes  de  noftre 
temps,  n'a  vfé  de  lettres  ny  deferiture,  mais  de 
deux  autres  manières ,  qui  en  font  images  &  figu- 
res. Ce  que  i'entens  dire  non  feulement  des  In- 
des ,duPeru  ,  cVdelaneufueEfpagne,  maisauffi 
du  lappon&r  de  la  Chine  .  Et  bien  que  ce  que  ie 
disparauenture  pourra  fembler  à  quelques-vns 
eftrefaux,  veu  qu'il  eft  rapporté  parlesdifcours 
qui  en  font  eferits ,  qu'il  y  a  de  fi  grandes  Librai- 
ries &vniuerfitez  en  la  Chine  &c  au  Iappon,  & 
qu'il  eft  fait  mention  de  leurs  Chapas  ,  lettres  & 
expéditions,  toutesfois ce  que  iedy  eft  chofe vé- 
ritable, ainfi qu'on  pourra  entendre  par  ledif- 
coursfuiuant. 


De  la  façon  des  lettres  &  des  Huns  dont     , 
yfoicnt  les  Chinois. 

chAP.    v. 

gv-(5  L  y  enaplufieurs  qui  penfent,  &  eft  bien 
i^M  la  plus  commune  opinion  que  les  efcritu'res 
dont  vient  les  Chinois  font  lettres  comme  celles 
dont  nousvfons  en  Europe,  &  que  par  icclles 
l'on  puiife  eferire  les  paroles  &  difeours  ,  &  que 
feulement  ilsdifferentdenoslettres&efcritures 
en  la  diuerfité  des  charadteres ,  comme  lés  Grecs 
différent  des  Latins,  &lesHebrieux  des  Chal- 
deàns.  Mais  il  n'en  eft  pas  ainfi ,  pource  qu'ils 
n'ont  point  d'Alphabet ,  ny  n'eferiuent  point  de 
lettres ,  mais  toute  leur  eferiture  n'eft  autre  cho- 
fe que  peindre  &  chiffrer,  &  leurs  lettres  ne  fï- 
givifient  point  des  parties  de  dictions  ,  comme 

font 


DES    INDES.     LIV.    VI.  26$ 

font  les  noftres,  mais  font  des  figures  8c  repre- 
fentations  des  chofes,  comme  du  Soleil ,  du  feu, 
d'vn  homme,  de  la  mer,  8c  des  autres  chofes.  Ce 
qui  apperc  etudemment ,  parce  que  leurs  écritu- 
res^ Chapas  font  entendues  d'eux  tous  ,  com- 
bien que  les  .langues  dont  parlent  les  Chinois, 
foienten  grand  nombre  ,  &  fort  différentes  en- 
ti.-'elles,enlamefmefaçon  que  nos  nombres  de 
chiffre  font  entendus  cfgalement  en  François,  en 
EfpagnoI,&  en  Arabie.  Car  celle  figure  8.  où  que 
cefoitfignifiehuid;,encor  que  le  François  ap- 
pelle ce  nombre  d'vne  façon ,  8c  l'Efpagnol  d'vne 
autre.  D'où  vient  que  les  chofes  eftans  de  foyin- 
numcrables,les  lettres  aufïî  ou  figures  don t  vfeoc 
les  Chinois,  pour  les  dénoter  font  prefquc  infi- 
nies :  tellement  que  celuy  qui  doit  lire  ou  eferire 
à  la  Chine  (comme  font  les  Mandarins)  doit  fça- 
uoir&  retenir  pour  le  moins  quatre  vingts  cinq 
mil  charafteres  ou  lettres,  3c  ceux  qui  font  par- 
faits en  cefte  lecture  en  fçauent  plus  de  fix  vingts 
mil.  Chofeprodigieufe  ôceftrange,  voire  qui  le- 
roîc  incroyable,!!  elle  n'eftoit  atteftee  par  des  per- 
sonnes dignes  de  foy ,  comme  les  Pères  de  noftrc 
compagnie ,  qui  font  là  continuellement,  appre- 
nans  leur  langue  «Scefcriturc,  &  y  a  plus  de  dix 
ans ,  que  de  nuid  8c  de  iour  ils  fcftudient  à  cecy> 
auecvn  perpétuel  trauail.Carla  charité  de  Chrift 
&>ie  dcfirdelafaluationdcsames  ,  furmonteen 
euxtoutcetrauail  &  difficulté  ,  qui  eft  la  raifort 
pour  laquelle  lés  hommes  lettrez  font  tant  efti- 
mczenlaChine,àcaufcdela  difficulté  qu'il  y  a 
aies  comprendre,  8c  ceux  là  feulement  ont  les 
offices  de  Mandarins  ,  Gouuerneurs ,  luges  & 


!ïfï«SSX 


Histoire  natvrelle 
Capitaines.  Pour  cette  occaficm  les  Pères  pren- 
nent beaucoup  de  peine  défaire  appredrcàleurs 
enfans  à  lire  &  efcrit  e.ll  y  a  grand  nombre  de  ces 
efcolliers  où  les  enfans  font  inftruits  ,  &  où  les 
maiftres  les  font  eftudier  de  iour,  &  le  père  de 
nui6t  en  la  maifon.  Tellement  qu'ils  leur  endom- 
magent beaucoup  les  yeux,  &  les  fouettent  fort 
fouuent  auec  des  rofeaux ,  bien  que  ce  ne  foi  t  pas 
de  ces  rigoureux,  defquels  ils  fouettent  les  mal- 
faiteurs. Ils  appellent  cela  la  langue  Mandarine, 
qui  a  befoi.n  de  l'aage  d'vn  homme  pour  eftre  cô- 
prinfe:&  doit-on  fçauoirqu'cncor  que  la  langue 
de  laquelle  parlent  les  Mandarins  (bit  particuliè- 
re &  différente  des  vulgaires,  lc-fquclles  fonten 
grand  nombre, &  qu'on  y  eftudiecorr  me  l'on  fait 
par  deçà  en  Latin  &  en  Gréé,  &  que  les  lettrez 
qui  font  pat  toute  la  Chine  la  fçauent  &  enten- 
dent tant  feulement  :  fi  cft-ce  toutesfois  que  tout 
ce  qui  eft  efcrit  en  icelle  eft  entendu  en  toutes  les 
langues  j  &  iaçoit  quelesprouincesnefentr'cn- 
tendent  point  de  parole  les  vues  les  autres,  tou- 
tesfois par  efcrit  ils  f'entr'entendcnt  l'vn  l'autre; 
car  il  n'y  aqu  vue  forte  de  figures  ou  characteres 
pour  toutes,  qui  lignifie  vnemefme  chofe,  mais 
non  pas  vnmefmemot  ny  prolation,  veu  que, 
comme  i'ay  dit ,  ils  font  feulement  pour  dénoter 
les  chofes ,  &non  pas  les  paroles  ,  comme  l'on 
peut  facilement  entendre  par  l'exemple  des  nom- 
bres de  chiffre.  C'cfl  pourquoy  ceux  du  lappon  &: 
les  Chinois  Iifent  ôc  entendent  fort  bien  lescf- 
critures  les  vns  des  autres  :  combien  que  ce  foiét 
des  nations,  &  des  langues  fort  différentes.  Que 
fils  parlaient  ce  qu'ils  Iifent  ou  «ferment,  ilsne 


DES    INDES.       IIV.    VI.  l66 

lepourroient  pas  entendre.  Telles  iont  donc  les 
lettres,  &  les  limes  dont  vfent  les  Chinois  fi  re- 
nommez au  monde.  Pour  faire  leurs  imprcilïons 
ils  grauent  vue  planche  des  figures  qu'ils  veulent 
imprimer  :Ptiis  en  eftampenc  autant  de  fueilles 
de  papier  qu'ils  veulent,  delà  melmc  façon  que 
l'on  fait  icy  les  peintures  qui  font  gtaueesendu 
cuiureou  du  bois.  Mais  quelque  homme  d'en- 
tendement pourra  demander  comment  ils  peu- 
uent  lignifier  leurs  conceptions  par  des  figures 
quiapprochent  ou  refiemhlent  à  la  chofe  qu'ils 
veulent  reprefenter,  comme  de  dire  que  le  Soleil 
elehanfre,  ou  qu'il  a  regarde  le  Soleil,  ou  que  le 
iour  eft  du  Soleil.  Finalement ,  comment  il  leur 
eft  polîibic  de  dénoter  par  de  me  fin  es  figures  les 
cas,lesconion&ions,&  les  articles  qui  font  en 
plufieurs  langues  &  eferitures.  lercfpondsà  cela 
qu'ils  distinguent  &  fignifient  cefte  variété  par 
certains  points  rayez  &  diipofitions  de  la  figure. 
Mais  il  cft.  difficile  d'entendre  comment  ils  peu- 
uent  eferire  en  leur  lague  des  noms  propres,  fpe- 
cialement  d'eftrangers ,  veu  que  cefontehofes 
que  iamais  ils  n'ont  veuës,  &  qu'ils  nepeuuent 
inuenter  des  figures  qui  leur  foient  propres.   l'en 
ay  voulu  faire  l'expérience  me  trouuant  en  Mexi- 
que auecdesChinois,&  leur  dy  qu'ils  efcriuiflenc 
en  leur  langue  cefte  propofition.  Iofcph  d'Acofta 
eft  venu  du  Peru,&  autres  femblables,  furquoy  le 
Chinois  futvn  long  temps  penfif,  mais  en  fin  il 
l'eicrit.Cc  que  d'autres  Chinois  lcurec  après,  bic 
qu'ils  variaiîentvnpeuen  lapronociation  du  no 
propre:  car  ils  vfent  de  ccft  artifice  pour  eferire  le 
nô  propre  qu'ils  cherchée  quelque  chofe  en  leur 

1  jj 


it&SîS    238S3P    &TœrWWt  ïysatf 


HISTOIRE  NATVRELLE 
langue  qui  aye  rcflemblance  à  ce  nom,&  mettent 
la  figure cie  cette chofe.  Et  comme  il  eft  difficile 
entre  tant  de  noms  propres,  de  leur  trouuerdes 
chofes  qui  leur  portent  reflemblance  en  lapro- 
lation  ;  auffi  leur  eft-ce  chofe  fort  difficile  &  fort 
laborieufed'eferire  tels  noms.  Sur  ce  propos  le 
père  Allonfe  Sanchez  nous  contoitquclors  qu'il 
eftoit  en  la  Chine,&  que  l'on  le  menoit  en  diuers 
Tribunaux,de  Mandarin  en  Mandarin,ilseftoict 
fort  long  temps  à  mettre  Ion  nom  par  elcrit  en 
leurs  Chapas,toutesfois  ils  l'efcriuoicntenfin, 
le  nommans  en  leur  façon ,  &  tellement  ridicule, 
qu'àpeincapprochoient-ilslenom,qni  eft  la  fa- 
çon des  lettres  Se  eferiturcs  dont  vfoient  les  Chi- 
nois. Celle  des  Iapponnois  en  approchoit  beau- 
coup, encor  qu'ils  afferment  que  les  feigneurs 
Iapponnois  qui  vindrent  en  Europe  cfcriuoient 
facilement  toutes  chofes  en  leur  langue,  quoy 
que  ce  fufïent  des  noms  propres  d'icy ,  mefme 
l'on  m'a  monftré  quelques  eferitures  d'eux  :  par- 
quoy  il  femble  qu'ils  doiuent  auoir  quelque  for- 
te de  lettres,  encor  que  la  plus  part  de  leurs  ef- 
eritures foient  par  chara&eres  de  figures,  comme 
il  a  efté  dit  des  Chinois. 


Des  efcbolles  &  vniueYfite^  de  h  Chine.  - 

chap.    Vi. 

E  s  Pères  de  la  Compagnie  difent  qu'ils 
n'ont  point  veu  en  la  Chine  de  grandes  ef. 
choles  bc  Vniuerfitez  de  Philofophie  &  autres 
feiences  naturelles,  &  croyet  qu'il  n'y  en  a  point: 
mais  que  toutelcur  eftudc  eft  en  la  langue  Man- 


DES     IN  DES.    L  IV.    VI.  16 J 

darinc,qui  eft  tres-ample  8c  tres-difficile,commc 
i'ay  dir,&  que  ce  qu'ils  eftudient  font  chofes  qui 
font  efcrites  en  cefte  Iangne,qui  font  des  hiftoires 
des  fectes  8c  opinions  des  loix  ciuiles,des  prouer- 
bes  moraux ,  des  fables ,  &c  plufieurs  aucres  telles 
compositions,  8c  ce  qui  en  defpend.Des  feienecs 
diuines  ils  n'en  ont  aucune  cognoiflance  ,  ny 
n'ont  autre  chofe  des  naturelles  que  quelques  pe- 
tits reftes  qu'ils  ont  en  des  propositions  efgarees, 
fans  art  8c  fans  méthode ,  félon  l'entendement  Se 
eftude  d'vn  chacun.  Pour  les  Mathématiques  ils 
ont  expérience  des  mouuemcns  celcftes  8c  des 
cftoiles,&pour  la  Médecine  ils  ont  cognoiflance 
des  herbes ,  par  le  moyen  defquelles  ils  gàri  fient 
plufieurs  maladies,&envfent  beaucoup.  Ils  eferi- 
uentauec  des  pinceaux,  &  ont  plufieurs  liuresef- 
crits  à  la  main, &d  autres  imprimez  qui  font  tous 
d'afTez  mauuaisordre.Ilsfont  grands  ioiieurs  de 
Comédies  :  ce  qu'ils  font  auecvn  grand  appareil 
de  théâtres,  veftemens, cloches,  tambours ,  8c  de 
voix,  félon  qu'il  eft  conuenable.  Quelques  pères 
racontent  y  auoir  veu  desComedies  qui  duroient 
dix  8c  douze  ioursaucc  leurs  nui&s  ,  fins  qu'il  y 
euft  faute  de  ioiïeurs  fur  le^heatre,  ny  dclpecla- 
teurs  pour  les  regarder.  Jfs  font  plufieurs  Scènes 
différentes,  cependant  que  lesvnsreprefentent, 
les  autres  dorment  ou  repaiflent.  Ils  traittent  or- 
dinairement en  ces  comédies  des  chofes  morales 
&  de  bon  exemple,  qui  font  neantmoinsentre- 
meflees  «le  chofes  gayes  8c  plaifantes.  Voila  en 
fomme  ce  que  les  noftres  racontent  des  lettres  8c 
exercices  de  ceux  delà  Chine  ,  où  l'on  ne  peut 
nier  qu'il  n'y  ait  beaucoup  d'entendemet,&  d'in- 


{&§&&&§&&    aâSSaSsE       ra^r     $?&?& 


HISTOIRE  NATVRELLE 
duftrie.  Mais  tout  cela  eft  de  peu  de  fubftance, 
pource  qu'en  erïecl  toute  la  fcience  des  Chinois 
tend  feulement  à  fçauoir  eferire  «5<r  lire  ,  &non 
point  d'auantage:  car  ils  ne  paruiemieiit  point 
es  feiences  plus  hautes ,  &  leur  eferire  &  lire  n'eft 
point  proprement  eferire  &  lire  ,  puisque  leurs 
lettres  ne  font  point  lettre"; ,  qui  puilîe  reprefen- 
ter  les  paroles,  mais  font  figures  dechofesinnu- 
merables  ,  iefquelles  ne  fe  peuuent  apprendre 
que  par  vn  bien  long  temps,  8c  auec  vn  trauail 
infiny.  Mais  en  fin  auec  tqutc  leur  fcience,  vn  In- 
dien du  Pecu  ou  Mexique  qui  a  apptms  à  lire& 
cfcrire,fçait  plus  que  le  plus  fage  Mandarin  d'en- 
tr'eux,  veu  que  l'Indien  auec  vingt  quatre  lettres 
qu'il  fçait,  efcrira&  lira  tous  les  mots  &c  paroles 
qui  font  au  monde,  &  le  Mandarin  auec  fes  cent 
millettres  aura  beaucoup  de  peine  pour  eferire 
quelque  nom  propre  de  Martin ,  ou  Allonfe ,  Se 
à  plus  forte  raifon  ne  pourra-il  pas  eferire  les 
nomsdeschofesqu'ijnecognoift  point.  Car  en 
fin  l'efcriturede  la  C^ine  n'eft  autre  chofe  qvt'v- 
nefaçon  de  peindre  ou  chiffrer. 

.  De  ht  façon  des  lettres  &  cfcriturcs  dont  ontrfé 
les  7\iexiqi*ains. 
c  h  A  P.  vit. 
£t£J'On  trouuequ'ilyacntreles  natipnsdela 
ïMSl  neufuc  Efpagne  vue  grand'  cognoiflTance  £c 
mémoire  de  l'antiquité.  C'eftpourquoy  recher- 
chant de  quelle  façon  les  Indiens  auoiçnt  con- 
(erué  leurs  hiftoires,&:  tant  de  particularitez,i'a- 
pris  qu'encor  qu'ils  ne  fulîentpoi'nt  fi  (ubtilsny 
fi  curieux  comme  font  les  Chinois  ôcïappoiiiiois 


DES    INDES.       LTV.    VI.  l6$ 

n*  eft- ce  qu'ils  auoiencentr'eux  quelque  forte  de 
lettres  &  deliuresparlefquelsils  conferuoientà 
leur  mode  les  choies  de  leurs  predcceiîeurs.  En  la, 
Prouince  de  Yu-latan,  où  eft  rEuefché  qu'ils  ap- 

fiellentde  Honduras, il  y  auoic  des  liures  de  fueil- 
cs  d'arbres  àleur  mode  ployez  &  efquarris  ,  ef- 
quels  les  iàges  Indiens  tenoient  comprifes  8c 
defduittesladiftribution  de  leurs  temps,  laco- 
gnoilîance  des  planettes  ,  des  animaux  &  des 
autres  chofes  naturelles,  auec  leurs antiquitez: 
chofepleinedegrandccuriolîté  8c  diligence.  Il 
fembla  à  quelque  Pédant  que  tout  cela  eftoit  vn 
enchantement &: art  de  Magie,  &fouftintobfti- 
nément  que  l'on  les  deuoit  brufler,de  forte  qu'ils 
furent  mis  au  feu.  Ce  que  du  depuis  non  feule- 
ment les  Indiens  recogneurét auoir  eux  mal  fait, 
maisaufli  les  Efpagnols  curieux  qui  deiîroicnt 
cognoiftre  les  fecrets  du  pays.  1 1  en  eft  arriuc  au- 
tant es  autres  chofes,  caries  noftres  penfansque 
le  toutfuftfupeiftition  ,ont  perdu  plufieurs  mé- 
moires des  chofes  anciennes  &facrees  qui  pou- 
uoient  beaucoup  profiter.  Cela  procède  d'vn  zè- 
le fol  8c  ignorant,qui  fans  fçauoir  ny  vouloir  en- 
tendre les  chofes  des  Indiens,  difent  (commea 
chargeclofe)  quecefont  toutes forcelleries  ,  & 
que  tous  les  Indiens  ne  font  que  des  yurongnes. 
qui  font  incapables  de  fçauoir  ny  d'apprendre  au- 
cune choie.  Car  ceux  qui  le  font  voulus  diligem- 
ment infermer  d'eux,  y  ont  trouué  beaucoup  de 
choies  dignes  de  confédération  .  Vn  de  noftrs 
compagnie  de  Iefus,  homme  fort  accort  8c  ex- 
perimcté.,airembla  en  la  Prouince  deMexique  les 
anciens  de  Tefcuco>de  Tulla,  8c  de  Mexique ,  &: 

liiij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
conféra  fort  amplement  aueceux,  lcfquels  luy 
monftrerentleursliures,  hiftoircs,  &c  calendriers 
quieftoientchofes  fort  clignes  de  voir,  pource 
qu'ils  auoient  leurs  figures  &  Hieroglifiques,par 
lefquellcs  ils  reprefentoient  les  chofes  en  cefte 
manière.  Celles  qui  auoient  forme  ou  figure 
eftoientrepiefentees  pu!  leurs  propres  images,  & 
celles  qui  n'en  auoient  point  eftoient  reprefen- 
tees  par  des  characteres  qui  les  fignifioient,&  par 
ce  moyen  ilsfiguroient,  &efcriuoient  ce  qu'ils 
vouloient.  Et  pour  remarquer  le  temps  auquel 
quelque  chofe  arriuoit  ,  ils  auoient  ces  roues 
peinteSjCarchacunc  d'iceiles  contenoit  vn  fiecle, 
qui  eîloit  cinquate  deux  ans,comme  a  efté  dit  cy- 
delTus,  8c  au  code  de  ces  roués,  ils  peignoiët  aucc 
ces  figures  &  characteres ,  à  l'endroit  de  l'année, 
les  chofes  mémorables  quiauenoient  en  icelle. 
Comme  ils  remarquèrent  l'annce  quelcsEfpa- 
gnols  entrèrent  en  leur  pays ,  en  peignant  vn  ho- 
me auec  vn  chapeau  Se  vue  iuppe  rouge ,  au  fîg::e 
du  rofeau  qui  couroitalors.Et  ainfi  des  autres  ac- 
cidens.  Mais  pource  que  leurs  eferitures  &  cha- 
racteres n'eftoient  pas  fi  fuffifans  comme  nos  1er- 
tres&efcritures  ,  ils  ne  pouuoicnt  exprimer  de  Ci 
prés  les  paroles,  ains  feulement  la  fubftancedcs 
conceptions.  Et  d'autant  qu'ils  auoient  accou- 
ftumè  de  raconter  par  cœur  des  difeours ,  &  dia- 
logues compofez  par  leurs  Orateurs ,  &  Rheto- 
riciens anciens,  &:  beaucoup  de  Chapasdrellcz 
parleurs  Poètes  (eequieftoie  impofîîble  d'ap- 
prendre par  les  Hieroglyphiques,&  chara&eres) 
les  Mexiquains  eftoient  fort  curieux  que  leurs 
enfans  apprinlfcnt  par  mémoire  ces  dialogues 


MMH^^M 


DES     INDES.       LIV.    VI.  26"9 

&  compositions.  A raifon dequoy ils auoientdes 
efcholes  &c  comme  des  colleges,ou  feminaires,où 
les  anciens  enfeignoientauxenfans  ces  oraifons, 
&  beaucoup  d'autres  choi es  ,  quifeconferuoient 
cntr'eux,par  la  tradition  des  vns  aux  autres,  aufli 
entièrement  comme  fi  elles  euifent  efté  couchées 
par  eferit.  Spécialement  les  nations  plus  renom- 
meesauoient  foing  que  leurs  enfans  (  qui  auoient 
inclination  pour  eftrerhetoriciens&  exercer  l'of- 
fice d'orateurs  )apprinffent  de  mot  à  mot  ces  ha- 
rangues. Tellement  que  quand  les  Efpagnols  vin- 
drent  en  leur  pays ,  &  qu'ils  leur  eurent  enfeigné 
à  lire  &  eferire  noftre  lettre,plufieurs  de  ces  Indiés 
efenuirent  alors  ces  harangues  ,  ainfi  que  letef- 
moignent  quelques  homes  graues  qui  iesleurent. 
Ce  qui  cftdit  poureeque  ceux  qui  liront  en  l'hi- 
iloire  Mexiquaine  de  tels  difeours  longs  &elc- 
gans,croiront  facilement  qu'ils  font  inuentez  des 
Efpagnols, &  non  pas  reallementprins,&  rappor- 
tez des  Indiens.  Maisenayantcogneulaverité 
certaine,ils  ne  tailleront  pas  dadioufterfoy,com» 
me  c'eft  la  raifon ,  à  leurs  hiftoires.  lUefcriuoient 
au  fii  ces  mefmcs  difeours,  à  leur  mode,  par  des 
images,&charac'teres,&ay  veupourmefatisfai- 
re  en  cet  endroit ,  les  oraifons  du  Vtternejier  ,  & 
.4uc7)1arùï,  Symbole,  &cofefîion  gcneralc,cfcri- 
tes  en  cefte  façon  d'Indiens. Etala  veritequicon- 
que  les  verrai  en  efmerueillera  :  car  pour  ngnifier 
ces  paroles ,  "Moy pécheur  me confeffe,  ilspcignoient 
vn  Indien  à  genoux  aux  pieds  d'vn  Religieux ,  co- 
rne qui  fe  confefie,&  puis  pour  celle  cy,  à  Dieu  tout 
puiflant  ,  ils  peignoient  trois  vifàges,auec leurs 
couronnes,en  façon  de  la  Trinité ,  &  à  UgUrictfi 


HISTOIRE  NATVR.ELI.  E 
'vicrzc'Mdrie  ,  ils  peignoicnc  vn  vifàge  de  noftre 
Dame,&  vn  demy  corps  de  petit  enfat,  &  a  feint! 
Vierre &faintl Vaul ,  des  telles  ,  auecdescouron- 
nes,&  vnc  clef,&  vne  efpcc ,  &  où  les  images  leur 
deffailloientjils  mettoient  des  chara£teres,côme, 
enauoyi'ttypecbéi&c.  D'où  l'on  peut  cognoiftrela 
viuacïté  de  l'entendement  de  ces  Indiens,puifque 
cefte façon d'efcrire  nos  oraifons,  Se  chofcsdela 
foy,  ne  leur  a  pas  efté  enfeignee  par  les  Efpagnols, 
ny  ne  l'eu  lient  peu  faire,  f'ils  n'eullent  eu  particu- 
lière conception,  de  ce  qu'on  leur  enfeignoir.l'ay 
veuau  Perula  confefîîô  de  tons  les  péchez  qu'vn 
Indien  apportoit  pour  fe  confellèr  ,  eferite  de  la 
mefme  forte  de  peintures,  &  decharactetes  ,  en 
peignant  chacun  des  dix  commandements  d'vne 
certaine  façon  ,  où  il  y  auoit  certaines  marques 
comme  chifTrcs,qui  eftoiet  les  pèche?,  qu'il  auoit 
faits  contre  ce  commandement.  Iene  doute  point 
que  fï  beaucoup  des  plus  habilles  Efpagnols 
eftoient  employez  à  faire  des  mémoires  de  cho- 
fes  femblables  par  leurs  images  &  marques,qu'eu 
vn  an  ils  n'y  pourroient  paruenir ,  non  pas  er* 
dix. 


Dcsregiflres,  âr  façon  de  conter  dontyfoient 
les  Indiens  du  Veru, 


C  HA  P.    VIII. 


rwg  Vparauant  que  les  Efpagnols  vinlTent  es  In- 
W&  des,ceuxdu  Perun'auoiét  aucune  forte  d'ef 
criture,fuft  par  lcctres,par  chara6teres,chirîres,oi 
hguresL,  comme  ceux  de  la  Chine  &  de  Mexique 
toutesfois  ils  ne  huilèrent  pas  de  conferoer  la  me» 


DES  INDES.  LIV.  VI,  27O 
moire  de  leurs  antiquitez,ny  de  retenir  l'ordre  de 
toutes  leurs  affaires  de  paix,  de  guerre , &  de  poli- 
ce,pourcequ'ilsont  eftéfortdiligensenla  tradi- 
tion des  vns  aux  autres ,  6V  les  ieunes  gens  appre- 
naient &gardoient  comme  chofe  facree  ce  que 
leurs fupericurs  leur  racontoient,&  l'cnfeignoiét 
aueele  mcfmcfoing  à  leurs  fucceileurs.  Outre 
cefte  diligence,  ils  (uppleoient  la  faute  d'eferitu- 
res  &  de  lettres, en  partie  par  la  peinture,  comme 
ceux  de  Mexique  (  combien  que  ceuxduPeru  y 
fuirent  fort  groffiersèV:  lourds  )  &  en  parties,  & 
le  plus  communément  par  des  quippos.Cesquip- 
pos  font  des  Mémoriaux,  ouregiftres,  qui  font 
faits  de  rameaux,  efquelsil  y  adiuers  nœuds  & 
diuerfes  couleurs ,  quifignifientdiuerfeschofes: 
'5c  eft  vue  chofe  cftrange  ,  que  ce  qu'ils  ont  expri- 
mé &  reprefenté  par  ce  moyen.  Car  les  quippos 
leur vadent autant ,  que  desliuresd'hifl:oires,de 
loix  ,  de  cérémonies  &■  des  contes  de  leurs  affai- 
res. Uyauoitdes  officiers  députez  pour  garder 
ess  Quippos  (  qu'auiourd'huy  ils  appellent  Qui- 
pocamayos  )  lefquels  eftoient  obligez  de  tenir 
&  rendre  conte  de  chaque  chofe  comme  les  Ta- 
bellions par  deçà.  C'eft  pourquoy  en  tout  l'on 
leur  adiouftoit  entière  foy  ,  &  créance,  car  félon 
diuerfes  fortes  d'affaires ,  comme  de  guerre,  de 
police,  de  tributs,  de  cérémonies,  &  de  terres, 
il  y  auoit  diuers  Quippos,  ou  rameaux,en  chacun 
defquels  il  y  auoit  tant  de  nœudspetits&  grands 
&defillets  attachez, les  vns  rouges,  les  autres 
verts ,  les  autres  azurez,  les  autres  blancs.  Et  fi- 
nalement, tantdediuerfîtcz,  que  tout  ainfî  que 
nous  autres,  tirons  vne  infinité  de  mots  de  vingt 


HISTOIRE    NATVRELLE 

quatre  lettres ,  en  lesaccommodans  en  diuerfes 
façons ,  ainfnls  tiroient  des  lignifications  innu- 
merables,de  leurs  nœuds  Se  diuerfes  couleurs. Ce 
qu'ils  font  d'vne  telle  façon  ,  qu'il  arriuc  amour- 
d'huy  au  Peru  que  quad  an  bout  de  deux  ou  trois 
anSjVncpmmilïaire  va  informer  la  vie  dequclqua 
officier  ,  que  les  Indiens  viennent  auec  leurs  me- 
nus contes  ôc  approuuez,  difans  qu'en  tel  bomg 
ilsluy  ont  baillé  tant  d'oeufs  lefquels  iln'apoinc 
payez ,  en  vne  telle  maifon  vne  poulie,  en  vne  au- 
tre  deux  faix  d'herbes  pour  fes  cheuaux  ,  &  qu'il 
n'a  payé  que  tant  d'argent ,  ôc  demeure  en  refte  de 
tan  t.  La  preuue  eftant  faite  fur  le  champ,auec  cette 
quantité  de  nœuds  &  depoignees  de  cordes ,  cela 
demeure,pour  tefmoignage,&  eferiture  certaine. 
Ievy  vne  poignée  de  ces  nllets  aufquels  vne  In- 
dienne portoit  efcritela  confefllon  générale  de 
toute  fa  vie,  &  pariceux  fç  confetfoit  corne  i'eufle 
peu  faire  en  du  papier  eferit ,  &  luy  demanday  ce 
que  c'eftoit ,  que  quelques  filez  qui  me  femblcrct 
quelque  peu  dirTerens,ellemediftque  c'eftoient 
certaines  circonstances  ,  que  le  péché  requeroit 
pour  eftre  entièrement  confeiTé.  Outre  ces  quip- 
posdefil,ils  ont  vne  autre  comme  manière  d'ef- 
crire  auec  de  petites  pierres,  par  le  moyë  desquel- 
les ils  apprennent  pun&uallement  les  paroles 
qu'ils  veulent  fçauoir  par  cœur.  Et  eftvnchofe 
plaifante  de  voir  les  vieillards  ôc  caducs  ,  auec  vne 
roiie  dz  petites  pierres,  apprendre  le  Tttcrnofler, 
auecvne  autre  l'^Aue  Maria, ,  ôc  auecvneautrcle 
Credo,  ô:  de  retenir  quelle  pierre  &  quittançai 
duS.Efpnt ,  &  laquelle  ,  fouffrit foubs  fonce Vilate . 
Ceftauiîi  vne  chofe  piaifante,de  les  voir  corriger 


DES     INDES.      IIV.    VI.  lyi 

quand  ilsfaillent ,  car  coûte  la  correction  ne  gift, 
qu'à  côtempler  leurs  petites  pierres,  &  feroit  vne 
de  ces  roues  fufrifantes  pour  me  faire  oublier  tout 
ce  que  ie  (çay  par  cœur.  Il  y  a  vn  grand  nombre 
de  ces  roues  aux  cimetières  des  Eglifes,pourceC 
efre&.Maisc'cftchofes  quifemble  enchantemët, 
de  voir  vne  autre  forte  de  Quipos,  qu'ils  font  de 
grains  de  mays.  Car  pour  faire  vn  conte  difficile, 
auquel  vn  bon  Arithméticien  feroit  bien  empef- 
ché  auecla  plume,  &c  pour  faire  vne  partion,  afin 
de  voir  combien  vn  chacun  doit  contribuer  ,  ils 
tirent  tan t  de  grains  d'vn  cofté,&  en  adiouflent 
tant  de  l'autre ,  auec  mil  autres  inuentions.  Ces 
.Indiens  prendront  leurs  grains ,  &  en  mettront 
cinq  d'vn  col^trois  d'vn  autre3&huicl:  en  vn  au- 
tre^ changeront  vn  grain  d'vn  coftc,&trois  d'vn 
autre  tellement  qu'ils  fortent auecleur  conte  cer- 
tain/ans faillir  d'vn  poinct.Etfe  mettent  pluftoft 
à  la  raifon  par  ces  Qwppos ,  fur  ce  qu'vn  chacun 
doit  payer ,  que  nous  ne  pourrions  faire  nous  au- 
tres auec  la  plume.  Par  cela  l'on  peutiugerf'ils 
ont  de  l'en  rendement,  &fî  ces  hommes  font  be- 
ftes.  De  ma  part  ie  tiens  pour  certain  qu'ils  nous 
furpailènt  es  chofes  où  ils  Rappliquent. 


De  l'ordre  que  les  Indiens  tenoient  en  leurs  eferitur  es, 

chAP.     IX. 

jMjg  L  fera  bon  dadioufter  icy  ce  que  nous  auons 
&4S  remarqué  tquchant  les  efcrituresdeslndics; 
car  leur  façon  n'eftoit  pas  d'eferire  auec  vne  ligne 
fuiuie,mais  du  haut  en  bas,ou  en  rond.Lcs  Latins 
&  Grecs  efcriuoient  du  cofté  gauche  au  droit, qui 


HISTOIRE  NATVRLLE 
cftlacommune,&  vulgaire  façon  dot  nous  vfons. 
LcsHebrieux  au  contraire  commcnçoientdcla 
droite  à  la  gauche ,  c'eft  pourquoy  leurs  liures  cô- 
mencent  où  les  n.o (1res  finilïcnt.  Les  Chinois  n'ef- 
criuentpasny  comme  les  Grèce  ,  ny  comme  les 
Hcbrieux,  mais  de  haut  en  bas ,  carcommeccnc 
font  pas  des  lettres,  mais  des  dictions  entières ,  & 
que  chaque  figure,ou  chara&ere  fignific  vnc  cho- 
ie ,  ils  n'ont  point  de  befoing  d'aflcmbler  les  par- 
ties des  vues  auec  les  autres  ,  cVainiïpcuuentils 
bien  eferire  du  haut  en  bas.  Ceux  de  Mexique 
pour  la  mcfme  rai  (on  n'eferiuoient  pas  en  ligne 
d'vn  code  à  l'autre ,  mais  au  rebours  des  Chinois 
commeneans  en  bas  montoiet  toufiours  en  haut. 
Ils  fc  ieruoientde  cefte  façon  d'eferire,  au  conte 
dss  iours  ,  &  du  relie  des  chofes  qu'ils  remar- 
quoient.  Combien  que  quand  ils  efcriuoient  en 
leurs  roiies,  ou  (ignés,  ils  commençoientdu  mi- 
lieu où  ils  peignoient  le  Soleil ,  &  de  làalloient 
moiitans  par  leurs  annees,iufques  au  tour ,  $c  cir- 
conférence de  la  roue.  Finablement  il  fe  trouue 
quatre  différentes  fortes  d'eferire ,  les  vus  efcriuas 
de  ladroire  a  lagauche  ,  les  autres  de  la  gaucheà 
ladroitte,lesvnsdehautenbas,&  les  autres  du 
bas  en  haut ,  enquoy  l'on  voit  la  diuerfitc  des  en- 
tendemens  humains. 


Comment  les  Indiens  enuojioent  leurs  mejjagirs. 

c  h  a  P.  x. 

Ovr  acheuer  la  façon  qu'ils  auoient  d'eferi 
;  re,quelquvn  pourra  douter  auec  raiion ,  coi 
ment  les  Rois  de  Mexique, &  du  Peru,  auoiét  co 


DES     INDES.       LIV.    VI.  IJl 

gnoiflance  de  tous  leurs  Royaumes  qui eftoient 
(\  grands,ou  de  quelle  façon  ils  pouuoientdefpef- 
cherles  affaires  qui  fe  prefentoient  en  leur  cour, 
veu  qu'ils  n'auoientrvfage  d'aucunes  lettres,  ny 
d'efcriremifïîucs.Surquoy  l'on  peut eftrefatisfait 
de  ce  doute  , quand  onfçauiaqucparparoles,par 
peintureSjOuparccsmcmotiaux,  îlscftoient  fore 
i ouuenr  aduertis  de  tout  ce  qui  fe  paflbit.  Pour 
cet  effecT:  il  y  auoit  des  hommes  fort  viftes ,  &  dii- 
pos,qui  feruoient  de  courrieis,pour  aller  &  venir, 
ielquelsils  nourrilïbient  en  cet  exercice  de  courir 
dés  leur  enfance,  &  prenaient  peine  qu'ils  fufTènc 
de  longue  haleine,  afin  qu'ils  peuflent  monter  en 
courant  vne  montaigneforthaute,  fans  fe  laiïer. 
C'eftpourquoy  en  Mexique  ils  donnoientle  prix 
aux  trois  ck  quatriefnK-spiemiers,quimontoient 
ces  grands  degrez  du  Temple,  comme  il  a  efte  dit 
au  liure  précèdent.  Et  en  Cuico,lors  que  fe  faifoit 
leur  iolemelle  feftede  Capacrayme,  lesnouices 
montoient  à  qui  mieux  mieux  le  roc  de  Yanacau- 
n,&  généralement  l'exercice  de  la  courfea  efte  & 
cft  encor  fort  en  vfage,  entre  les  Indiens.  Quand 
il  Ce  prefentoit  vne  affaire  d'importance,  ils  enuo- 
\oiét  dépeinte  aux  feigneurs  de  Mexique  la  chof« 
dont  ils  les  vouloient  informer,  ainfi  qu'ils  firent, 
alors  que  les  premiers  nauires  Efpagnols  parurct 
à  leur  veuç ,  &  lors  qu'ils  prindrent  Toponchan. 
Ils  eftoient  au  Puru  fort  curieux  des  courriers,  Ôç 
l'Ingua  en  auoit  par  toutfon  Royaume,  comme 
des  poûes  ordinaires,appellezChajfquis,defqucls 
fera  traitté  en  ion  lieu. 


HISTOIRE   NATV   RELIE 


De U  façon  de gouuernement ,  &  dcs}\pit 
qu'ont  eu  les  Indiens, 

CHAP.   XI. 

tf&  L  eftalTcz  expérimente  quelachofeenquoy 
les  Barbai  es  mon  tirent  plus  leur  barbarilme, 
eft  en  leur  gouvernements,  &  façon  de  Gomraan- 
dcr,pour  ce  que  tant  plus  les  hommes  approchét 
dclarailon,  tant  plus  leur  gouuernement  eft  hu- 
main ,  &  moins  infolent ,  &  les  Rois  &  feigneurs 
font  plus  traittables,&:  faccommodét  mieux  auec 
leurs  vallimx  ,  en  recognoiffants  qu'ils  leur  font 
efgaux  en  nature,  &  toutesfoisinferieurs  ,en  l'o- 
bligation d'auoirfoing  de  la  Republique.  Mais 
entre  les  Barbares,  tout  y  e-ft  contraire  ,  d'autant 
que  leur  gouueruement  eft  tyrannique,  &trait- 
tant  leurs  iubietts  comme  beftes ,  &  de  leur  part 
veulent  eftretraittcz  comme  Dieux.  Pourceftc 
occafion  plufieurs  peuples  &  nations  des  Indes 
n'ot  point  fouffert  de  Rois,  ny  de  feigneurs  abfo- 
lus,  &  fouuerains ,  mais  viuent  en  communauté, 
Si  créent  &  ordonnent  des  Capitaines,&  Princes 
pour  certaines  occafions  feulement ,  aufquelsils 
obeiflent  durant  le  temps  de  leur  charge,&  après 
ils  retournent  à  leurs  premiers  offices.  La  pius 
grande  partie  de  ce  nouucàu  monde  ,  où  il  n'y  a 
point  de  Royaumes  fondez',  ny  de  Republiques 
eftablies ,  ny  Princes,  on  RoïS  pet  petuels,  fe  gou- 
uernerent  decefte  façon  jiaçoit  qu'il  y  ait  quel- 
ques feigneurs  ôc  principaux  hommes',  qui  font 
efleuez  entre  le  vulgaire.Âinfî  eft  gouuernee  tou- 
te la  terre  de  Chillé  ,  en  laquelle  les  Auracanes, 

ceux 


DES      INDES.      LIV.    VI.  273 

ceux  de  Teucapel,&  autres3ontpar  tant  d'années 
refifté  cotre  les  Efpagnols.  Et  de  mefmeaufll  tout 
ic  nouueau  Royaume  de  Grenade,  celuy  de  Gua- 
timaHaJe?  { flesjtoute  la  Flonde,Ie  Breiil,  Lu(ron, 
&  d'autree  terres  de  grande  eftendûe  ,  excepté 
qu'en  plusieurs  de  ces  lieux  ils  y  font  encore  plus 
barbares,  veu qu'à  peine  y  recognoiiîent-ils  de 
chef,  mais  tous  commandent  &  gouuernent  en 
commun, ny  ayant  autre  choie  que  de  la  volonté, 
de  la  violence, de  i'indul].rie3&  du  defordre,telle- 
ment  que  celuy  qui  peut  d'auan  tage,  commande 
&  y  aleddfus.Ilya  en  l'IndeOricntale  de  grands 
Royaumes,bien  fondez,&  bien  ordonnez, côme 
e(t  celuy  deSian,celuydeBiinaga,&:  autres  ,  qui 
peuuent  aiTembler  &r  mettre  en  campagne  quand 
ils  veulent,  iufques  à  cent  &  deux  cens  mil  hom- 
mes.Comme  aulîl  leRoyaume  de  la  Chine,lequel 
en  grandeur  &pui  (lance  lurpaiFe  tous  les  autres, 
dont  les  Roys,fcibn  qu'ils  raconteront  duré  plus 
de  deux  mil  ans,pour  le  bel  ordre  &  gouuerneméc 
qu'ils  ont. Mais  en  l'Inde  Occidétale,l'on  y  a  feu- 
lement trouuè  deux  Royaumes.ou  Empires  fon- 
dez,quieuoiét  celuydesMexiquainsenlan-cufue 
Efpagne,&  celuy  des  Inguasau  Peru.Et  ne  pour- 
rois  pas  dire  facilement  lequel  des  deuxaeftele 
plus  puifT'ant  Royaume,  d'autant  que  Motecuma 
îurpalTbit  ceux  du  Peru  en  édifices,  &  en  la  gran- 
deur de  (a  cour.  Mais  les  Inguas  auffi  furpaflbienc 
les  Mexiquains  en  threfors ,  richeifes,  &  en  gran- 
deur de  prouinces.Pour  le  regard  de  l'antiquitc,le 
Royaume  des  Inguas  l'eft  d'auantage,bien  que  ce 
ne  foit  pas  de  beaucoup ,  Ôc  me  femble  qu'ils  oac 
efte  efgaux  en  fai&s  d  armes  a&  en  victoires,  C'eft 

m 


HISTOIRE     NATVREIIE 
vnc  chofe  certaine  que  ces  deux  Royaumes  ont 
de  beaucoup  excède  toucle  reftedes  feigneuries 
des  Indiens ,  defcouuertes  en  ce  nouueau  monde, 
tant  en  bon  ordre  &  police ,  qu'en  pouuoir  &  ri- 
cheiFe,&  beaucoup  d'auantageen  iuperftition  ôc 
feruicc  de  leurs  idolcs,ayans  plusieurs  chofesfem- 
blables  les  vnes  aux  autres.  Mais  en  vnechofeils 
eftoient  bien  differens ,  car  entre  les  Mexiquains 
lafucceflïon  du  Royaume  cftoit  par  efle&ion,  co- 
rne l'Empire  Romain ,  &  entre  ceux  du  Pcru  elle 
eftoit  hereditaire,&  fuyuoit  l'ordre  du  fang,com 
me  les  Royaumes  de  France,  &  d'Eipagne.    le 
traitteray  donc  cy  après  de  ces  deux  gouuerne 
ments,  (comme  de  la  chofe  principale  ,  &  plus 
cogneuë  d'entre  les  Indiens,)  entât  qu'il  me  fem- 
bleraeftre  propre  à  ce  fubiect,  laillàntplufieurs 
chofes  menues  &  prolixes ,  qui  ne  font  pas  d'im- 
portance. 

Dugouuerncment  des  l{oïs}Cr  Ingua,*  du  Vem. 

CHAP.     XII. 

'Ingva  qui  regnoit  au  Pcru.eftât  mort,  fon 
fils  légitime  luy  fuccedoit ,  cV  tenoient  pour 
tel ,  ecluy  qui  efloit  né  de  la  principale  femme  de 
l'Ingua,  laquelle  ils  appelloient  Coya.  Ce  qu'ils 
ont  oufiours  obfcrué,depuis  le  temps  d'vn  Ingua, 
appelle  Yupangui  ,qui  efpoufararceur.  Car  ces 
Rois  repuroienc  pour  honneur  ,  d'efp  ou  fer  leurs 
fœurs.Et  bien  qu'ils  eutfènt  d'autres  femmes ,  ou 
concubines,  toutesfois  lafucceflïon  du  Royau- 
me appartenoit  au  fils  de  la  Coya.  Ileftvrayque 
quand  le  Roy  auoit  vn  frère  légitime,  il  fuccedoit 
au  deuanc  du  fils,  &  près  luy  fon  nepueu,&  tils  du 


DES     INDES.      LIV.    VI.  274 

premier.  Les  Curacas&  Seigneurs gardoient  le 
mefme  ordre  de  fucceflïon  en  leurs  biens  &  offi- 
ces. Ecfaifoient  à  leur  mode  des  cérémonies  ,& 
obfequesexcefliuesaudefunct.llsobferuoiétvne 
couftume  véritablement  grande ,  &  magnifique, 
qu'vn  Roy  qui  entroit  au  Royaume  de  nouucau, 
n'hericoic  point  d'aucune  choie  des  meubles,vte- 
files,  &  threfors  de  (on  predeceiïeur  ,  mais  il  de- 
uoit  eftablir  fa  maifon  de  nouueau  ,  &  afîcmbler 
de  l'or  ,  de  l'argent  ,  &  les  autres  chofesquiluy 
efteicntneceilàiies  ,  fans  touchera  celuydude- 
tnncl,  qnieftoit  totalement  dédie'  pour  fonado- 
ratoirCjOuGuaca,  &  pour  l'entretien  delà  famil- 
le qu'il  lailîoit,  laquelle  auec  la  fuccefîion,  f'occu- 
poit  continuellement  aux  facrifices,  cérémonies, 
ck  feruice  du  Roy  mort.  Car  aufïi  toft  qu'il  cftoie 
mort,ils  le  tenoient  pour  Dieu,  &  auoit  les  facri- 
fices, ftatucs,  &  autres  choies  femblables.  Pour 
cette  occafion  il  y  auoit  au  Peru  vn  threforinfî- 
ny,car  vn  chacun  des  Inguas  Permit  efforcé  de  fai- 
re quefon  oratoire  &  threfor  furpaflaft  ecluy  de 
fts  predeceiTeurs.  La  marque,  ou  enfeigne  par 
laquelle  il  prenoit  la  polfeflion  du  Royaume, 
eftoitvn  bourrelet  rouge  ,  de  laine  plus  fine  que 
fbye,  lequel  iuypendoit  au  milieu  du  front,  n'y 
ayant  que  Hngua  feui  qui  le  pouuoic  porter, 
pour-autant  que  c'eftoit  comme  la  couronne,  & 
diadème  Royal.    Toutesfois  l'on  pouuoic  bien 

forter  vn  bourrelet  pendu  au  cofté  ,  proche  de 
oreille  ,  comme  quelques  feigneurs  en  por- 
toient  ,  mais!  Ingua  ièul  le  pouuoit  porter  au 
milieu  du  front.  Au  temps  qu'ils  prenoient  ce 
bourrelet,^  faifoicedes  feites  fort  folemncllesA 

m    ij 


HISTOIRE     NATVRELLE 
plufieurs  facrifices,auec  grande  quantité  de  vafes 
d'or,&  d'arget ,  grand  nombre  de  petites  formes, 
ob  images  de  brebis,faites  d'or  Si  d'argent ,  g;rand 
abondances  d'eitoffesde  Cumby  ,  bienelabou- 
rees,  define  ôede  moyenne  ,  plulieurs  conches 
de  mer  de  toutes  fortes ,  beaucoup  de  plumes  ri - 
ches,&  mil  moutons,  quideuoient  eftredediuer- 
ics  couleurs.  Puis'le  grand  preftre  pren-oit  vn  en- 
fant entre  Tes  mains ,  de  l'aage  de  fix  à  huicl  an?;& 
prononçoit ces  paroles ,  auec  les  autres  miniftres. 
parlantàla  llatue  du  Viracocha,  Seigneur  nous  t'of- 
frons cela,  afin  que  tu  nous  tiennes  en  repos ,  çj?  nom 
aides  en  nos  guerres  ,  conferuenosirc  fciçncur  l'higua 
en  fa  grander.r  ,  crejiat ,  qu'il  aille  totifiours  Augmen- 
tant ,  o~  luy  donne  beaucoup  de  featunr  afin  qu'il  nous 
gouucrne.  Il  le  trouuoit  des  hommes  de  tout  le 
Royaume, &  de  tous  les  Guacas,  &fancluairesà 
cette  cérémonie  ,  &  ferment.  Et  fans  doute  l'affe- 
ctiô  &  reuerence  que  ce  peuple  portoit  aux  Roys 
Inguas,eftoit  fort  grande, car  il  ne  fe  trouue  point 
que  iamaisaucun  des  liens  luy  ave  fait  trahifon, 
pour-autant  qu'ils  procedoienten  leur  gouver- 
nement, non  iculement  auec  vnepui fiance abi'o- 
liie,mais  aufïi  auec  vn  bon  ordre  &  iu{lice,ne  per- 
mettant  pas  qu'aucun  y  fuft  foulé.  L'Inguapofoic 
Ces  gouucrneurs  en  dmerfes  prouinces,  entre \cf~ 
quelslesvns  eftoient  fuperieurs,&  quinereco- 
gnoilïoient  autre  que  luy  ,  d'autres  qui  eftoient 
moindres ,  &z  d'autres  plus  particuliers ,  auec  vn  fi 
belordre,&  vne  telle  grauité,qn'ils  ne  f'enhardif- 
■foien t  pas  de  l'en  -yurer,  ny  deprendre  vn  efpy  de 
mays  de  leur  voiiîn.  Ces  Inguastenoiétpourma-. 
ximequilconuenoittouiiours  entretenir  les  In- 


DES     INDES.       IIV.    VI.  1J % 

diens  en  occupation, de  là- vient  que  nousvoyons 
encor  auiourd'huy  des  chauiïcesdes  chemins,  & 
des  œuures  d'vn  fort  orand  trauail ,  lefquels  ils  di~ 
fentauoirefte  faites  pour  exercer  les  Indiens,  de 
peurqu'ilsne demeuralîentoififs.  Quandilcon- 
queftoit  vne  prouinec  de  nouucau,il  auoir  accou  - 
ftutnéd'enuoycr  incontinent  la  plus  grande  part, 
&  les  principaux  des  naturels  de  ce  pays,  en  d'au- 
tres prouinces,ou  bien  en  facour,&  les  appellent 
auiourd'huy  au  Peru,  Mitimas.  Puis  au  lieu  d'i- 
ceux  ,  il  enuoyoit  d'autres  de  la  nation  de  Cufco, 
fpecialement  les  Oreiones,  quieftoienteomme 
Çheiulicrs  d'ancienne  maifon.  Ilschadioient  ri- 
goureufemctlescrimes;)&  delicfojc'efrpourquoy 
ceux  qui  ont  cogneu  quelque  chofe  de  cela  font 
bien  d'opinion  qu'il  n'y  peit  auoir  de  meilleur 
gouuernement  pourlcs Indiens  ,  nyplusatfeurc 
queceluydcslnguas. 


De  U  dijiribution  que  les  Ingtuv  faifoient  de 
leurs  y^fftux. 

CHAP.    XIII. 

Ovr  particularifer  d'auarage ce  que  i'ay  dit 
cydelIuSjl'on  doit  fçauoir  que  Iadiftributio 
quefaifoient  leslnguasde  leurs  val!aux,eftoit/i 
exacte  &  particulière,  qu'il  les  pouuoic  tous  gou- 
uemer  fort  facilement,  combien  que  fon  Royau- 
me fuft  de  mil  lieues  d'eft:enduë,car  ayant  coque  - 
fié  vne  prouince,il  reduifoit  incôtinent  les  Indics 
en  villes  &  communautés ,  lefquels  il  diuifoit  en 
bandes.Sur  chacune  dixaine  d'Indiens  il  en  com- 
mettait vn  pour  en  auoir  la  chargc,iur  chaque  ce- 

m   iij 


HrSTOIKS  NATVRELLE 
taine  vn  autre ,  fur  chaque  millier  vn  autre ,  &  fut 
dix  mil  hommes  vn  autre,  lequel  ils  appelloient 
HumOj  qui  eftoit  vne  des  grandes  charges ,  &  par 
deflustousccux-là^encorenchaqueprouinceily 
auoitvnGouuerneurdela  mai  fou  des  Inguas,au- 
qucl  tous  les  autres  obeiflbient,  &  luy  rendoient 
côte  tous  les  ans  par  le  menu  de  routcequi  eftoit 
arriué,à  fcauoir  de  ceux  qui  eftoient  nez  ,  de  ceux 
qui  eftoient  morts, des  troupeaux  &  des  femêces. 
Les  Gouuerneurs  fortoient  par  chacun  an  de  Cu- 
feo,  où  eftoit  la  cour  ,  &  y  retournoientpourla 
grande  fefte  du  Ray  me  ,  en  laquelle  ils  apportoiét 
tout  le  tribut  du  Royaume  à  la  cour  ,  &  n'y  pou 
uoient  Centrer  qu'à  cefte  condition.Tout  leRoy- 
aume  eftoit  diuifé  en  quatre  parties,  qu'ils  appel- 
loiétTahuantinfuyo,(çauoir  ChinchafuyOjCol- 
lafuyo,  Andefuyo  &  Condefuyo  ,  fuiuant  les  qua- 
tre chemins  qui  fortoient  de  Cufco  où  relidoit 
lacour,&fcfaifoientIes  alfemblecs  générales  du 
Royaume.  Ces  chemins  Scpreuinces  correfpon- 
dantesà  iceux  eftoient  vers  les  quatre  coings  du 
monde,Collafuyo  au  Sud.Chinchafuyo  au  Nort, 
Condefuyo  au  Ponant,&  Andefuyoau  Lcuat.En 
toutes  les  villes  &  bourgades  il.y  auoit  deux  fortes 
de  peuple  qui  eftoient  de  Hananfaya  &  Vrinfaya, 
qui  eft  comme  dirc,ccux  d'enhaut  &  ceux  d'em- 
bas.  Quand  l'on  commandoit  de  faire  quelque 
osuure,  ou  de  fournir  quelque  chofe  à  l'Ingua,  les 
officiers  fçauoient  aufEtoftde  combien  chaque 
prouince ,  ville  &  partialité  y  deuoit  contribuer, 
dot  le  departemét  ne  fe  faifoit  point  par  parts  ef- 
gales,mais  par  ce ttifati on, felo  la  qualité  ÔV  moiés 
du  pays.Tellemen  t  que  s'il  failoit  cueillir,par  ma- 
nière de  dire,ccnt  mil  fanegues  de  rnays,  l'on  fça- 


DES  INDES.  LU.  VI.  27 G 
uoitaufïïtoft  combien  il  falloir  qucchaquepro- 
uincecn  baillaft,fuft  ladixiefmepanie,lafeptief- 
rae  ou  la  cinquiefme. Autant  en  eftoitdes  villesôe 
bourgades,&  Aillos  ou  lignages.  Les  Quipoca- 
mayos ,  qui  eftoient  les  officiers  8c  intendans,  te- 
noicntlecontedetout  auec  leurs  filez  &  nœuds, 
fans  y  failIiraucunement,rapportanscequeron 
auoit  payé,  iufqucs  à  vne  poulie  &  vne  charge  de 
bois ,  &  en  vn  moment  voyoit-on  par  leurs  regi- 
stres ce  que  chacun  deuoit  payer. 

Des  édifices,  <&  façon  de  baftir  des  Incitas. 
CH  AP.   XII  11. 

Es  édifices  &baftimens  que  les  Inguasont 
fê&  faits,en  temples  8c  fortereifes,chemins,mai- 
fons  des  champs  8c  autres  femblables,qui  ont  efté 
en  grand  nombre  &  d'vnexceiîîftrauailjCormm: 
l'on  peut  voir  encorauiourd'huy  parles  ruines  & 
veftiges  qui  en  reftent ,  tant  en  Cufco  qu'en  Tya- 
guanaco,  Tabo  &  en  autres  cndroitSjOÙ  il  y  a  des 
pierres  d'vne  gradeur  demefuree:  de  forte  que  l'o 
ne  peut  penfer  comme  elles  furet couppees,  ame- 
nées &  a  (filles  au  lieu  où  elles  eftoient.  Ilvenoit 
vn  grand  nombre  de  peuple  de  toutes  les  prouin- 
ces  pour  trauailler  à  ces  édifices  &  fortereflTes  que 
l'Inguafaifoit  faire  en  Cufco  ,  ou  en  d'autres  par- 
ties de  fon  Royaume  :  d'autant  quelesouurages 
eftoient  eftranges,&  pour  efpouuenter  ceux  qui 
les  contemploient ,  ils  n'vfoient  point  de  mor- 
tier ou  cyment,  8c  n'auoient  point  de  fer  ny  d'a- 
cier pour  couper  8c  mettre  en  œuure  les  pierres. 
Ils  n'auoint non  plus  de  machines,n'y  d'autres  in- 
struments pour  les  apporter  :  &  toutesfois  ei- 

m    ni} 


HISTOIRE    NATVRELLE 

les  eftoient  fi  proprement  mifesen  ceuure,  qu'en 
beaucoup  d'endroits  à  peine  voyait-on  la  iointu- 
re  des  vnes  auec  les  autres  :  &  y  a  plufieurs  de  ces 
pierres  fi  grandes ,  commcil  eftdit,queceferoit 
vne  chofe  incroyable  fi  on  ne  les  voyoit.  le  mciu- 
ray  à  Tyaguanaco  vne  pierre  de  trête  huict  pieds 
delong,dedixhui£l  de  large,  &  fix  d'efpais.  Et  en 
la  muraille  é-*  lafortercfîede  Cufco  ,  quieftdc 
Moallô,ily  a  beaucoup  de  pierres  qui  font  encor 
d'vne  plus  eftrange  grandeur,  &  ce  qui  eft  plus  ef- 
merueillableeft  que  ces  pierres  n'elîas  point  tail- 
lées ny  efquatries  pour  ies  accommoder,  mais  au 
contraire  fort  ine^alles  les  vnes  auxaucres,  en  la 
forme  &  grandeur,  ncantmoinsilslesioignoient 
cVenchaltoient  les  vnesauecles  autres  , 'fans  ci- 
ment d'vne  façon  incroyable.  Tout  cela  fe  faifoit 
à  force  de  peuple,  3c  auec  vne  grande  patience 
à  y  trauailler.  Car  pour  enchafler  vne  pierre  auec 
l'autre  ,  félon  qu'elles  eftoient  adiuftecs ,  il  eftoit 
befoin  de  les  effàyer ,  Se  manier  plufieurs  fois,la 
plus-part  d'icelles  n'eftans  pas  efgales  ny  vnies. 
L'Ingua  ordonnoituar  chacun  an  le  nombre  du 
peuple  qui  denoic  venir  pour  trauailler  aux  pier- 
res &  édifices,  3c  en  faifoient  les  Indiens  le  dé- 
partement entre  eux  comme  des  autres  chofes, 
fans  qu'aucun  fuft  foulé.  Neantmoins  encoi: 
queces  édifices  fuifent  grands  ,  ils  eftoient  com- 
munément mal  ordonnez  &  incommodes,  3c 
prefque  comme  les  Mofqimtes  ou  édifices  des 
barbares.  Ils  n'ont  feeu  faire  d\u;cades  enleurs 
édifices  ny  de  ciment  pour  les  baftir.  Q_ujmel 
ils  veirent  drefier  des. arcs  deboisenla  nuiere 
deXaura  ,  8c  après  que  le  ponc  fut  acheué  qu'ils 


DES     INDES.     LIV.    VI.  ZJJ 

virent  rompre  le  bois  ,  tous  commencèrent 
à  fuir  s  penians  que  le  pont  qui  elloic  depier*- 
re  de  taille  deuft  tomber  à  l'inftant:  Se  comme  ils 
eurent  veu  qu'il  demeuroit  ferme ,  &  que  les  Es- 
pagnols marchoientdeflus,  le  Cacique  dit  à  (es 
compagnons  :  il  eft  bien  raifon  que  nous  fermons  à 
ceux  cy,qtd  femblcnt  bien  esîre  aîa  vérité  fils  du  Soleil. 
Les  ponts  qu'ils  faifoienteftoient  de  iancsrifius, 
qu'ilsattachoient  au  riuage  auec  defortpieux, 
d'autant  qu'ils  ne  ponuoient  faire  aucuns  ponts 
de  pierre  ny  de  bois.  Lepontquieftauiourd'huy 
au  coursdel'eauedu  grand  lac  de  Chiquitto  en 
Collao  eft  admirable: car  ce  bras  d'eau'è  eft  fi  pro- 
fond que  l'on  n'y  peut  all'eoir  aucun  fondement, 
Se  fi  large  qu'il  n'eft  pas  pofïible  d'y  faire  vne  ar- 
che qui  le  trauerfe  :  tellement  qu'il  eftoit  du  tout 
impoiîïble  d'y  faire  aucun  pont ,  fuft  de  pierre  ou 
de  bois.  Mais  l'entendement  &induftric  àcs  In- 
diens inuentalc  moyen  d'y  faire  vu  pont  a(Tcz 
ferme  ôcalfeu ré  ,eftant  fait  feulement  de  paille: 
chofequifemblefabuleufe,  Se  toutesfoisquieft 
véritable.  Car  comme  nous  auons  ditcy  dellus, 
ils  amaffen t  Se  attachent  enfemble  certaines  bot- 
tes de  ionces&  d'herbiers  qui  l'engendrent  au  lac 
qu'ils  appellent  Totora  :  Se  comme  c'eft  vue  mar 
tierc  fort  légère,  Se  qui  ne  Renfonce  point  en 
i'eauë,  ils  Jettent  dellus  vne  grande  quantité  de 
ioncs,  puis  ayans  arrefte  Se  attaché  ces  bottes 
d'herbiers  d'vn  cofté  Se  d'autre  de  la  riuiere  ,  les 
hommes  &  les  beftes  chargez  paflent  par  dellus 
fortàl'aife.  le  me  fuis  quelquesfois  efmcrueillc 
en  parlant  ce  pont  de  l'artifice  des  \  icnens  ,  veu 
que  d'vne  chofe  il  facile  Se  fi  commune  ils  font 


HISTOIRE    NATVRELLE 
vn  pont  meilleur  &  plus  aiïcuré  que  n'cft  pas  le 

f>ontdebatteauxdeSeuilleàTriane.  l'ay  mefurc 
alongueurdecepont  ,&  fi  bien  m'en  fouuient, 
il  eftoit  de  plus  de  trois  cens  pieds ,  &:difent  que 
laprofondité  de  ce  courant  eft  très-grande  ,  êc 
femble  par  deflus  que  l'cau'c  n  a  aucun  mouue- 
ment:  toutcsfois  ils  difent  qu'au  fonds  il  a  vn 
cours  furieux  &  violent.  Cecy  fufhfe pour  les 
édifices. 


Du  reuenu  de  l'îngux  ,  &  de  l'ordre  des  tributs 
quil impofvit  aux  Indiens . 
C  H  A  P.    XV. 

A  richefledcs  Inguas  eftoit  incomparable, 
car  bien  qu'aucun  Roy  n'heritaft  point  des 
moyens  &  threforsde  fon  predecctleur  ,  neant- 
moinsilsauoiët  à  leur  volonté  toutes  lesrichcf- 
fesqui  eftoient  en  leurs  Royaumes,  tant  d'ar- 
gent &  d'or ,  comme  d'eftofre ,  de  Cumbi  &  be- 
ftiaux  ,  enquoy  ils  eftoient  tres-abondans,  &  la 
plus  grande  richefle  de  toutes  eftoit  l'innumera- 
ble  multitude  de  vaflaux  qui  eftoienttous  occu- 
pez &  attentifs  à  ce  qui  plaifoitau  Roy.  Ilsap- 
portoict  de  chaque  Prouince  ce  qu'il  auoit  choi- 
fipour  fon  tribut.  LesChicasluyenuoyoientdu 
bois  odoriférant  &  riche;  les  Lucanas  des  bran- 
cars  pour  porter  fa  litière  j  les  Chumbilbicas  des 
«lanceurs ,  &  ainfi  tout  le  refte  des  Prouinces  luy 
enuoy  oit  de  ce  qu'ils  auoient  en  abondance,&  ce 
outre  le  tribut  gênerai  auquel  tous  contribuoict, 
Les  Indiens  qui  eftoient  nommez  pour  cet  efFcct, 
trauailloient  aux  mines  d'argct&cTor,qui  eftoict 
au  Peru  en  grande  abôdance,  lefquels  l'Ingua  en- 


DES    INDES.       LIV.    VI.  178 

tretenoit  de  ce  qu'ils  auoient  de  befoing  pour 
leurs  defpens,  &  tout  ce  qu'ils  tiroient  d'or  Se 
d'argenteftoit  pourluy.  Par  ce  moyen  il  y  a  eu  en 
ce  Royaume  de  fi  grands  chrefors,que  c'eft  l'opi- 
nion de  plufieursquece  qui  tôba  entre  les  mains 
des  Efpagnols,  combien  que  c'ait  efté  vn  grand 
nombre,  comme  nous  fçauons,n'eftoit  pas  la  di- 
xieime  partie  de  ce  que  les  Indiens  enfouyrent, 
cV  cachèrent,  fans  que  l'on  l'ayepeudefcouurir, 
neantmoins  toutes  les  diligences  que  l'auariccy 
aenfeigneespourcefaire.  Mais  laplusgranderi- 
ch^iTe  de  ces  barbares ,  eftoit  que  leurs  vaflaux  e- 
ftoien t  tous  leurs  cfclaues ,  du  trauail  defquels  ils 
ioujiîoientà  leurcontentement:  &ce qui  eft ad- 
mirable, ils  feferuoient  d'eux  d'vne  telle  façon, 
que  cela  ne  leur  eftoit  pas  feruitude,  mais  plultoft 
vne  vie  fort  delicieufe.  Or  pour  entendre  l'ordre 
àcs  tributs  que  les  Indiens  payoient  à  leurs  Sei- 
gneurs, l'on  doit  feauoir  que  lors  que  l'Ingua  cô- 
queftoit  quelques  villes,  il  en  diuifoit  toutes  les 
terres  en  trois  parties  ,  la  première  d'icelles  eftoit 
pour  la  religion  &  cérémonies,  de  telle  forte  que 
lePachayachaqui.qui  eftleCreateur,&  le  Soleil, 
le  Chnquilla,  qui  eftle  tonnerre,  le  Pachamama, 
&  les  morts,  &  autres  Guacas  &fanc"hiaireseu£- 
fènt  chacun  leurs  propres  terres,  &  Iefruiol:  des- 
quelles fe  gaftoit  ôc  confommoit  en  fàcrificcs,  & 
en  la  nourriture  des  miniftres  &  p  retires.  Car  ily 
auoit  des  Indiens  députez  pour  chaque  Guaca, 
Se  /ân&uairc  ,  &  la  plus  grande  partie  de  cercue- 
nu  fe  deipenfoit  cnCufco,où  eftoit  l'vniuerfel  & 
gênerai  fan<5fcuaire,&  l'autre  en  la  mcfmeville,où 
il  (è  cueilloir:  pourecquà  l'imitation  de  Cufco, 


HISTOIRE     NÀTVRELLE 
il  y  anoit  en  chaque  ville  des  Guacas  &  oratoires 
dumcfmeordre&aueclesmefmesfunctions,qvii 
eftoientferuisdelamefme  façon  &  cérémonies 
queceluy  de  Cufco,qui  eftvnechofe  admirable, 
&dontroneftbiëinformé,commei'on  l'atrou- 
uéen  plus  de  cent  villes,  &  quelques  vues  diftan- 
tes  deux  céts  lieues  de  Cufco.  Ce  que  l'on  femoic 
&  recueilloit  en  ces  terres, eftoit  mis  en  des  mai- 
fons  comme  dépositaires, bafties  pour  cet  effecl; 
&  eftoit  cela  vnegrande  partie  du  tribut  que  les 
Indiens  payoient.    le  ne  peux  dire  combien  fe 
montoitcefte  partie  ,  pource  qu'elle  eftoit  plus 
grande  en  des  endroits  qu'en  autres ,  &  en  quel- 
ques lieux  cftoitprefque  le  tout  ,  év'cefte  partie 
eftoit lapremiere  que  l'on  mettoit  à  profit.  La 
féconde  partie  des  terres  &  héritages  eftoit  pour 
l'Ingua,  de  laquelle  luy6c  fa  maifoneftoient  fub- 
ftantez,mcfmcs  Tes  pareus  ,  les  Seigneurs  ,  les 
garïiifons.&rfoldats.  C'eft  pourquoy  c'eftoit  la 
plusgrande  portion  de  ces  tributs ,  ainri  quil  ap- 
pert par  la  quantité  de  l'or ,  de  l'argent ,  &  autres 
tributs  qui  eftoicnt  es  mai  fons  à  ce  députées  ,lcf- 
quelles  font  plus  longues  &  plus  larges  que  cel- 
les où  l'on  garde  les  reuenus  des  Guacas.  L'on 
portoit  ce  tribut  fort  foigneufement  en  Cufco, 
ou  bien  es  lieux  où  il  en  eftoit  de  befoing  pour 
les  foldats ,  &  quand  il  y  en  auoit  quantité,  l'on 
legardoitdix&  douze  ans,  iufques  au  temps  de 
necefïité.  Les  Indiens  cultiuoient  Se  approfitoicc 
ces  terres  de  l'Ingua,  après  celles  des  Guacas,  pé- 
dant lequel  temps  ilsviuoient&eftoientnourris 
aux  defpens  de  l'Inana,  du  Soleil,  ou  des  Guacas, 
félon  les  terres  qu'ils  labouroient.  Mais  les  vieil» 


géss 


DES     IN  DES.    L  IV.    VI.  279 

lards,  les  femmes  8c  les  malades  eftoientreferuez 
&c  exempts  de  ce  tribut,  &  combien  que  ce  que 
l'on  recueilloit  en  ces  terres  fuftpouri'Ingua,ou 
pour  le  Soleil,  ou  Guàcas,  neantmoins  la  pro- 
priété en appartenoit aux  Indiens,  &  leurs  pre- 
deceileurs.  Latroifiefme  partie  des  terres  eftoic 
donnée  par  i'lngua,pourla  communauté,  &n'a- 
on  point  defeonuert  fi  cefte  portion  eftoit plus 
grande  ou  moindre  que  celle  de  l'Ingua  ou  Guà- 
cas :  toutesfois  il  eft  certain  que  l'on  auoitefgard 
icequ'cllefuftfurEfànte  pour  la  fuftentation  ôc 
nourriture  du  peuple.  Aucun  particulier  ne  pof- 
iedoit  choie  propre  de  cefte  troifieime  portion, 
ny  iamaisles  Indicn$n'enpolTederent,  fi  cen'e- 
ftok  par  grâce  fpecialle  de  l'Ingua,  ôc  toutesfois 
cela  ne  pouuoiteftre  engagé  ny  diuifé  entre  les 
héritiers.  L'on  departoit  par  chacun  an  ces  terres 
decommunaaté  en  baillant  à  vu  chacun  ce  qui 
luy  eftoic  de  beioing  pour  la  nourriture  de  fa  per- 
sonne, &  famille.  Par  ainfi  félon  qu'augmentoic 
ou  diminuoit  la  famille,  l'onhauitoit  ouretran- 
choic  la  part  :  car  il  y  auoit  des  mefures  détermi- 
nées pour  chaque  perfonne  .  Les  Indiens  ne 
payoient  point  de  tribut  de  ce  qui  leur  eftoit  de- 
party.  Car  tout  leur  tribut  eftoit  de  cukiuer  & 
main  tenir  en  bon  eftatles  terres  de  l'Ingua  ,  ôc 
des  Guacas,&  de  mettre  les  frui&s  d'icclles  aux 
depofitaires.  Quad  l'année  eftoit  fterilej'ondon- 
noit  de  ces  mefmes  fruicfcs  ainfi  referuez  aux  ne- 
cefîîteux, d'autant  qu'il  yen  auoit  touûours  do 
fuperabondant.L'Inguafaifoitladiftributiondu 
beftial  ainfi  que  des  terres ,  qui  eftoit  dele  conter 
&  diuiler ,  puis  ordonner  les  pafturagcs  Se  limi* 


HISTOIRE  NATVRULE 
tes  pourlebeftial  des  Guacas  ,  del'Ingua,  ôcdc 
chaque  ville.  C'eft  pourquoy  vnc  partie  du  reue- 
nvtelloit  pour  la  religion,vne  autre  pour  le  Roy, 
&:  l'autre  pour  les  meimes  Indiens. Lemefmcor- 
dre  eftoit  gardé  entre  les  challeurs,  n'eftant  per- 
mis d'enleuerny  de  tuer  des  femelles.  Les  trou- 
peaux des  Inguas  ôc  Çuacas,  eftoient  en  grand 
nombre,  &  fort  féconds,  pour  celle  caufe  Us  les 
appelloient  Capaellama ,  mais  ceux  du  commun 
&  public  edoient  en  petit  nombre  &  de  peu  de 
valeur ,  parquoy  ils  Iescippelloient  Bacchallama. 
L'Inguaprenoitvn  grand  foing  pour  laconier- 
uationdubeftial ,  d'autant  que  ceftoit,&  eft  en- 
cor  toute  la  richclledece  Royaume,  ôc  comme 
ilacfté  dit,ilsne  iacrifioient  point  de  femelles, 
ne  les  tuoientpoinr,*!y  ne  les  prenoient  à  la  chai- 
re. Si  la  clauellee  ou  rongne ,  qu'ils  appellent  ca- 
rache ,  venoit  à  quelque  befte ,  elle  deuoit  cftre  à 
l'inftant  enterrée  toute  vifue,  de  peur  qu'elle  ne 
baillait  le  mal  à  d'autres.  Ils  tondoient  lebeftial 
en  leur  faifon  ,  &  en  diftribuoient  à  vn  chacun 
pourfiller,  &:  cilhe  de  la  matière  &  eftophepour 
le  feruice  de  fa  famille,  y  ayant  des  vifiteurs  pour 
f'enquerir  ("ils  l'accompliflbient  ,  lefqueîs  cha- 
flioient  lesnegligens.  L'on  tiifoit  &  faifoitdcs 
ertofTes  de  lalainedubc{lialdel'Ingua,pr?iirluy 
ôc  peur  les  fiens  ,1'vnefort  fine,  &  a  deux  faces, 
qu'ils  appelloient  Cumbi ,  Se  l'autre  grofliere& 
moyenne,  qu'ils  appelloient  Abafca.  Il  n'yauoit 
aucun  nombrexle  ces  eftoffes  ou  habits  arrefté,(ï- 
non  ce  que  l'on  departoit  à  vn  chacun.  Lalaine 
qui  reftoiteften  nnfeaux  rrugafins ,  dequoy  les 
Espagnols  les  trouueren  teneur  tout  pleiusâ&  de 


DES    INDES.      LIV.    VI.  iSo 

toutes  les  autres  chofes  neceflaires  à  la  vie  hu- 
maine .  Il  y  aura  peu  d'hommes  d'entendement 
quinefoientcfmerucillezd'vn  fi  n o table ôc  bien 
ordonne gouuernement  ,  puis  que  les  Indiens, 
(  fans  cilre  religieux  ny  Chreftiens  )  gardoient  en 
leur  façon  celle  perfection,  de  ne  tenir  aucune 
chofè  en  propre,  &  de  pouruoir  à  toutes  leurs 
nece(îitez,entretenans  fi  abondamment  les  cho- 
fes de  la  religion, &  celles  de  leur  roy  ôc  feigneur. 


Desttrfs  &  offices  an  exerçoient  les  Indiens, 

c  h  A  P.  xvi. 

Es  Indiens  du  Peruauoientvne  perfection 
._.qui  eftoit  d'enfeigner  à  vn  chacun  des  petits 
enfans,  tous  les  arts  &  meftiers  qui  eftoientne- 
ceflaires  pour  la  vie  humaine  ,pource  qu'il  n'y  a- 
uoit  point  entr'eux  d'artifans  particuliers ,  com- 
me le  font  entre  nous  autres  les  coufturiers,  cor- 
donniers jtiiferans  &  autres ,  mais  tous  appre- 
noient  tout  ce  qu'ils  auoiêt  de  befoing  pour  leurt 
perfonnes  ôc  maifons ,  Ôc  fe  pouruoyoient  à  eux- 
mcfmes.Tous  fçauoict  tiftre  &  faire  leurs  habits, 
c'eft  pourquoy  l'Ingua  les  fournifsat  de  laine,leur 
donnoit  des  habits.  Tous  fçauoient  labourer  la 
terre,  ôc  rapprofîter,fans  loiier  d'autres  ouuriers. 
Tous  baftillbient  leurs  maifons,  ôc  les  femmes  e- 
ftoient  celles  qui  en  fçauoient  le  plus,  Iefquelloe 
n'eftoient  point  nourries  en  délices  ,  mais  fer- 
uoient  leurs  maris  fort  foigneufement.  Les  au- 
tres arts  ôc  meftiers  qui  n'eftoient  point  pour  les 
chofes  comunes  &  ordinaires  de  la  vie  humaine, 
auoiêt  leurs  propres  côpagnons&raanufeâeurs, 


-  HISTOIRE  NATVRELLE 
comme  elloicnt  les  orfcures ,  les  peintres  ,  les 
potiers  ,  les  barquetiers  ,  les  conteurs  ,  &  les 
ioiieursd'initruments.  Ilyauoit  aufîi  des  mef- 
m Ci  tiilcran's  &  architectes  pour  les  œuures  ex- 
quiies,de(quels  feieruoientles  Seigneurs;  mais 
le  commun  peuple,  comme  il  a  elle  dit  ,  auoit 
chez  luy  tout  ce  qui  luy  cftoit  de  befoing  pour  fa 
maiion  ,  ians  qu'il  luy  conuint  rien  acheter .  Ce 
qui  dure  encor  auiourd'huy ,  de  forte  que  nul  n'a 
befoingd'aucruy  pour  leschofes  neceilàirespour 
ia  perionne  &  pour  fa  maiion  ,  comme  eit  de 
chauileure,vellcment,  &  de  maiion,  de  femer, 
de  recueillir  ,&  de  faire  les  ferremens  &inltru- 
mensàcenecciraires.  Les  Indiens  imitent  prei- 
queen  cela  les  inftitutions  des  moines  anciens, 
defquelsii  eft  traittéen  la  vie  des  Pères.  A  la  vé- 
rité c'eftvn  peuple  peu  auare  cS^  peu  délicieux,  à 
i  .ni Ton  dequoy  ils  le  contentent  de  palfer  le  temps 
aflez  doucement ,  &c certes  i'ils  choiiitloient ce- 
ftefaçon  de  viure  pareflection ,  &  non  pas  par 
couftumeny  par  nature,  nous  dirons  que  ce  fc- 
roitvneviedegrand'  perfection,  veu  qu'elle  eft. 
allez  idoine  pour  reccuoir  la  doctrine  du  fainct 
Euangile,  iï  contraire  &  fi  ennemie  de  l'orgueil, 
de  l'auarice ,  de  la  volupté.  Mais  les  prédicateurs 
ne  donnent  pas  toufiours  bon  exemple  félon  la 
doctrine  qu'ils  prefehent  aux  Indiens.  C'eftvne 
chofe  remarquable,  que  combien  que  les  Indies 
foientfi  (impies  en  leur  mode  6c  habits ,  toutes- 
fois  l'on  y  voit  vnc  grande  diuerfité  entre  les  Pro- 
uin  ces,  fpecialement  en  leur  habit  detefte  :  car 
en  quelques  endroits  ils  portent  vn  long  ùiïu,du« 
quel  ils  font  piufieius  tours,  en  d'autres  vn  autre 

tiflu 


aiMÊaia 


DES^  INDES.    I1V.    VI.  1$1 

tifîu  large,  qui  ne  fait  qu'vn  tour ,  en  d'autrescô- 
mc  de  petits  mortiers  ou  chapeaux  :  en  quelques 
endroits  comme  cks  bônets  hauts  &  ronds,&  en 
d'au  très  comme  des  fonds  de  facs  ,  auec  mil  au- 
tres différences.  Ils  auoient  vne  loy  eftroitte  & 
inuiolable,  qu'aucun  ne  peuft  changer  la  mode 
Se  façon  d'habits  delà  Prouince ,  encor  qu'il  f'en 
allaftviure  en  vne  autre,  ce  queringuaeftimoic 
cftredegrar.de importance  pour  Tordre  ôc  bon 
gouuernement  de  fon  Royaume,  &  l'obferuenc 
encor  auiourd'huy,  bien  quecene  Toit  pas  auec 
vntel  (oin  qu'ils  auoientaccouftumé. 


Des  poftis  &■  Cbafqtus  dont  Icslngnas 
Jcfcruotcnt. 

C  H  A  P.    XVII. 

gtëg  L  y  auoic  vn  grad  nombre  de  polies  &  cour- 
&V2  riers  donc  l'Ingua  fe  feruoic  en  tout  Ton 
Royaume ,  lefquels  ils  appeliôient  Chafquis ,  ôc 
eftoient  ceux  qui  portaient  les  mandemens  aux 
Gouuerneurs  ,&  rapportoient  leurs  aduis  ôc  ad- 
uertiiïêmensàla  Cour.  Ces  Chafquis  cftoienc 
mis  &  pofez  à  chacune  courfe  qui  eftoit  à  lieu'è  ÔC 
demie  î'vne  de  l'autre  en  deux  petites  maiions,où 
ilseftoient  quatre  Indiens  ,  lefquels  on  y  coqi- 
mettoit  de  chaque  contrec,&  eftoienc  efchangez 
de  mois  en  mois.Ayansreccu  lepacquet  ou  mçf- 
fage,  ils  couroientde  toute  leur  force  fufquesa 
ce  qu'ils  l'euflenc  baillé  à  l'autre  Chaiqui ,  eftans 
toufiours  appareillez  &  au  guet  ceux  qui  deuoiéc 
courir,,  Ils  couroient  en  vn  iour  ôc  vne  nuiéfc  cin- 
quante lieues  ,  combien  que  la  plus-part  de  ce 


HISTOIRE  NATVRÇLLE 
pays-là  (bit  fore  afpre.  Ils  feruoientaulîi  pourap- 
portcrleschofcsqucringua  vouloit  auoir  pro- 
prement. C'eftpourquoy  il  y  auoir  toufioursen 
Cufcodupoiiron  de  mer ,  frais  de  deuxiowrs  ou 
peu  d'auantage,bien  qu'il  en  futl  efloigné  de  plus 
de  cent  lieu'és.  Depuis  que  les  Efpagnols  y  font 
entrez , l'on  a  encor  vfé  de  ces  Chafquis  aux  teps 
des  feditions ,  6c  en  eftoit  grand  befoing.  Le  Vi- 
ccroy  Dom  Martin  les  mit  ordinaires  à  quatre 
lieu'és  l'vn  de  l'autre,  pour  porter  Se  rapporter 
lesdepefches,quieft  vne choie  fort  necellahe  en 
ce  Royaume ,  encor  qu'ils  ne  courent  pas  auec  la 
légèreté  que  faifoient  les  anciens ,  &  qu'ils  ne 
foient  pasenfigrand  nombre  ,  neantmoins  ils 
font  bien  payez,  &  feruent  comme  les  ordinai- 
res d'Efpagne,oùl'on  donne  les  lettres  qu'ils  por- 
tent à  quatre  ou  cinq  lieues. 

De  la  iujiice ,  L  oix  &  peines  que  les  Ingua-s  ont  or- 
donne^  ,&de  leurs  mariages. 

C  H  A  P.    XVIII. 

O  vt  ainfi  comme  ceux  qui  faifoient  quel- 
que bon  feruice  en  guerre  ou  à  l'adminiftra- 
tion  de  la  Republique,  eftoient  lionnorez  &  re- 
compenfez de  charges  publiques,  de  terres  qui 
leur  eftoient  données  en  propre,  d'armes  &  mar- 
ques d'honneur ,  de  mariages  auec  femmes  du  li- 
gnage de  l'Ingua:  Ainfi  donnoien t- ils  de  feueres 
chaftimens  à  ceux  qui  eftoient  defobeyflans  & 
coulpables.  Ilspunilfoient  de  mort  les  homici- 
des, les  larcins,  les  adultères,  &  ceux  qui  com- 
mettoientincefteauecles  afeendans  ou  defeen- 
dans  en  droite  ligne,eftoient  audi  punis  de  mort. 


DES    INDES.       LIV.    VI.  2.8.1 

Mais  ils  ne  tenoient  point  pour  adultère  d'auoir 
plusieurs  femmes  ou  concubines,  &  elles  n'en- 
couroient  point  la  peine  de  mortpoureftretrou- 
uees  auec  d'autrcs,ains  feulement  celle  qui  eftoit 
la  vraye  &  légitime  efpoule  ,  auec  laquelle  pro- 
prement ils  contiacloient  mariage.  Car  ils  n'en 
auoient  point  plus  d'vne  ,  laquelle  ils  cfpoufoiëc 
&£  receuoient  auec  vue  particulière  lolemnitc  & 
cérémonie,  qui  elloit  que  l'efpoux  fe  tranipor- 
toit  à  la  maifon  d'clle,&:  de  là  la  menoit auec  luy, 
lny  ayant  premièrement  mis  au  pied  vne  ottoya. 
Ils  appellent  ottoya  la  chaulleure  dont  ils  vfent 
par  delà,  qui  eft  vn  cliaullon  ou  foulier  ouuerc 
comme  ceux  des  frères  de  S.  François.  Si  l'efpou- 
fe  eftoit  pucclle,  fon  ottoyaeitoitdelaine,mais  Ci 
ellenefeftoit  point,il  eftoit  fait  de  ionc.  Toutes 
les  autres  femmes  ou  concubines  du  mary  hono- 
roient  &  feruoien t  celle  là  comme  femme  legiti- 
me,qui  feule aufïï  après  ledecezdumary  portoit 
le  dueil  denoir,  refpaced'vnan  ,  &rne(emarioic 
point  qu'après  ce  tëpspatïé,  &eftoiccômunémët 
plus  ieuneq.uele  mary.  L'ingua  donnoit  de  fa 
main  cette  fémeà  fes  gouuerneurscV  capitaines, 
&les  gouuerneurs  cxrCaciques  afsébioièt  en  leurs 
villes  tous  lesieunes  hommes  êc  ieunes  filles  en 
vue  pIaCe,cx:  leur  donnoiët  à  chacun  fa  fémeauee 
la  cérémonie  fufdite,de  luy  chauffer  cet  ottoya,  5c 
de  cette  façôcontra&oiét  leurs  mariages. Si  cette 
femme  eftoit  trouuee  auec  vn  autre  que  le  mary, 
elle  eftoit  punie  de  njort,&  l'adultère  aufli,&  biè* 
que  le  mary  leur  pardonnait,  elles  ne  lairtbict  pas 
d'eftre  punies,  mais  elles  eftoienc  difpenfees  de  la 
mordis  donnoicc  vne  sëblablc peine  à  celuy  qui 

n  ij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
commettent  incefte  auec  fa  mere,ayeullc,  fille,ou 
petite  fille.  Car.il  n'eûoit  point  défendu  entr'eux 
defe  marier,  ny  de  concubiner  aucc  les  autres 
parentes,  maisle  premier  degré  feulement  eiloit 
derïendu.  Ils  ne  permettoient  point  aufli  que  le 
frereeuftcognoiflànceauec(afœur,cnquoy  ceux 
du  Peru  fe  trompoient  fort ,  croyans  que  les  ïn- 
guas&feigneurs  pouuoient  légitimement  con- 
tracter mariage  auec  leurs  feeurs,  voire  de  peie  ôc 
de  mère  :  car  à  la  vérité  il  a  toufiours  efté  tenu 
pour  illicite  entre  les  Indiens,  &  défendu  de  con- 
tracter au  premier  degré  :  ce  qui  dura  iufqucs  au 
temps  de  Topa  Ingua  Yupangui,  père  de  Guay- 
nacapa&  aycul  d'Atahualpa,au  temps  duquel 
les  Efpagnols  entrèrent  au  Peru,  pource  quece 
Topa  Ingua  Yupangui  fut  le  premier  qui  rompit 
cefte  couftume ,  &  fe  maria  auec  Mamaoello  fa 
fœur  du  codé  paternel,  &  ordonna  que  les  Sci- 
gneurslnguas  fe  peuvent  marier  auec  leurs  feeurs 
de  père  &  non  point  d'autres.  Ce  qu'il  fit  de  la 
part  :  &  de  ce  mariage  eut  pour  fils  Guaynacapa, 
&vne fille appellee  Coya  Cufîîllinay,  fc  Tentant 
proche  de  la  mort  il  commanda  que  (es  enfans  d.i 
perc&  demerefemariadentenlemble  ,  &  don- 
na permiffion  au  relie  des  principaux  de  fon 
Royaume  defe  pouuoir  marier  auec  leurs  fœurs 
de  perc.  Et  d'autant  que  ce  mariage  fut  illicite  ôc 
contre  la  loy  naturelle,  Dieu  voulut  mettre  fin 
au  Royaume  des  Inguas  ,  pendant  le  règne  de 
Guafcar  Ingua,  &  Atahualpa  Ingua ,  qui  eiloit  le 
fruicl:  procréé  de  ce  mariage.  Qui  voudra  plut 
exa&ement  entendre  la  façon  des  mariagcs.entre 
lesIndiensduPeiu,quilIifeie  Traictc  que  Polo 


'     DES     INDES.     LIV.    VI.  283 

en  a  efcritàl'inftâcedcDomHierofme  cîeLoai- 
fa  Archeuefquedes  Rois,  lequel  Polo  en  fie  vne 
fort curieufe recherche  ,  comme  il  a  fait  de  plu- 
sieurs autres  chofes  des  Indiens.  Ce  qui  importe 
bien  d'eftre  cogneu  pour  euiter  l'erreur  Ôc  incon- 
uenientoù  plufienrs  tombent,  qui  ne  fçachans 
quelle  femme  entre  les  Indiens,  eft  refpoufe  lé- 
gitime ou  la  concubine ,  fon  t  marier  l'Indien  ba- 
ptizcauec  fa  concubine,  en  lai  (Tant  là  la  légitime 
efpoufe.  Par  là  voit-on  aufïï  le  peu  de  raifon 
qu'ont  eu  quelques  vns  qui  ont  prétendu  dire 
que  l'on  deuoit  ratifier  le  mariage  de  ceux  qui  fe 
baptifoient,encor qu'ils fu  fient frère &fœur.Le  .  . 
contraire  a  efté  déterminé  par  le  Synode  prouin-  c°n". 
cial  de  Lyma,auec  beaucoup  de  raifon  :  puis  qu'il 
eft. ainfi qu'entre  les  Indiens  mefme  ce  mariage 
n'eftoitpas  légitime. 


De  t  origine  des  Initias  feigneurs  du  Vertf^ù1  de  leurs 
conqueslcs  ty  vitloires. 

c  H  A  P.      XIX. 

S8«  A  r.  le  commandement  de  la  majefté  Ca- 
<i£jL  tholiquedu  Roy  Dom  Philippe,  Ion  a  fait 
la  plus  diligente  &  exadte  recherche  qu'il  a  efté 
pofïïble de  l'origine,  couftume,  &  priuilegej  des 
lnguas,cequelonn'apeu  faire  (i  bien  comme 
l'oneuftdefiré,  àcaufequeces  Indiens n'auoienc 
point d'efentures  :  toutesfois  l'on  enarecouuré 
ce  que  i'en  diray  icy  par  leurs  quipos  &  regiftres, 
lefqueis  comme  i'ay  dit,leur  feruent  de  liurcs.En 
premier  lieu ,  il  n'y  auoit  point  anciennement  au 
Pcru  aucun  Royaume  ny  feigneur  à  qui  tous 

n  iij 


HISTOIRE    NATVRELLE 
obeyflentjmaiseftoieutcommunautez  ,  comme 
ilyaencorauiourd'huyau  Royaume  de  Chillc, 
&prefqucen  toutes  les  Prouinces  que  les  Efpa- 
gnolsontconquifes  en  ces  Indes  Occidentales, 
excepté  le  Royaume  de  Mexique.  Parquoy  l'on 
doit  fcauoir  qu'il  feft  trouuéaux  Indes  trois  gen- 
res de gouuernement  &  façon  de  viure.  Le  pre- 
mier, ôc  meilleur  a  efte  de  Royaume  ou  Monar- 
chie, comme  fut  celuy  des  Liguas,  &  celuy  de 
Motecuma,combien  qu'ils  fullcnt  en  la  plus  part 
tyranniques.  Le  fécond  efloit  de  communautez, 
ôùiisfcgouuernoientpari'aduis  ôc  authoritéde 
plu(ïeurs,qui  font  comme  confeillers.Ccux  là  en 
temps  de  guerreeflifoiët  vu  capitaine ,  à  qui  tou- 
tevnenationou  Prouinceobey(Ioit,&  en  temps 
de  paix  chaque  ville  ou  congrégation  fe  regilîoir, 
&  fegouuernoitfoy-  mefme,y  ayant  quelques  hc- 
mes  principaux  que  le  vulgaire  refpede,  &quel- 
quesfois,mais  peu  fûuuenr,aucuns  d'eux  i'adem- 
blent  pour  les  affaires  qui  font  d'importâce,afîn 
d'auiferce  qui  leur  eftconuenable.  Le  troiîîefme 
genre dcgouuernement  eft  du  toutbarbare,  qui 
eft  eompofe  d'Indiens  fans  Loyjans  Roy,&  fans 
lieu  arreité,  qui  vont  par  trouppes  comme  bçftes 
iauuages.  A  cequci'ay  peu  comprendre, les  pre- 
miers habicans  des  Indes  edoient  de  ce  genre,cô- 
mclefontencor  auiourd'huy  vne  grande  partie 
des BieHlliens, Chyraguanas,  ChunchoSjYfcay- 
cingss,  Pilcoçones,  &la  plusgrande  partie  des 
Floridiens,  Se  touslesChichimaquasen  laneuf- 
ue  Efpagne.  De  ce  genre  fe  forma  l'autre  forte  de 
gouuernement  en  commùuantez ,  par  l'induftrie 
&fçauoirde  quelques  principaux  d'entr'cux3eA 


DES    INDES.       LIV.    VI.  2,84 

quels  ily  a  quelque  peu  plus  d'ordre ,  Se  qui  tien- 
nentvnlieu  plusarrefté  ,  comme  lefontauiour- 
d'huy  ceux  d'Auracano,&  de  Teucapel  enChillé, 
&c'eftoientau  nouueau  Royaume  de  Grenade 
les  Mofcas  &  les  Ottomittes ,  en  la  neufue  Efpa- 
gne:&:en  tous  ceux- cy  il  y  a  moins  de  fierté  & 
beaucoup  plus  de  raifon  qu'es  autres.  De  ce  gen- 
re par  la  vaillantife&fçauoir  de  quelques  excel- 
iens  hommes  fortit  l'autre  gouuernement  plus 
puifîànt,quiinftitua  le  Royaume  Se  la  monar- 
chie, que  nous  trouuafmes  en  Mexique  Se  au  Pe- 
ru ,  pource  que  les  Inguas  mirent  toute  cefte  ter- 
re en  leur  fubiection,  Se  y  eftablirent  leurs  loix  Ôc 
gouuernements.  Il  fe  trouue  par  leurs  mémoires 
que  leur  règne  a  duré  plus  de  trois  cents  ans,mais 
n'a  pas  atteint  iufques  à  quatre  cents  ,  combien 
que  leur  feigneurie  ait  efti  vn  long  temps  fans  Pe- 
ftendre  plus  auant  que  cinq  ou  fix  lieues  autour 
de  Cufco.  Leur  commencement  Se originea  efte 
en  la  vallée  de  Cufco  ,  d'où  peu  à  peu  ils  conque- 
fterent  la  terre  que  noHs  appelions  Peru,&  panè- 
rent plus  outre  queQuitto,iufques  à  la  riuiere  de 
Pafto.vers  le  Nort^cVparuindrcnt  iufques  àChil- 
lé  vers  le  Sud,  qui  feroientprcfquemil  lieues  de 
long.  Il  ('eftendoiten  largeur  iuiquesàlamerdu 
Sud  qui  leureftau  Ponant,&iufquesauxgrandes 
câpagnes  qui  font  de  l'autre  part  de  la  chaîne  des 
Andes,  où.  1  o  voie  encor  auiourd'huy  le  chafteau 
qui  fe  nome  le  Pucara  del'Ingua,  qui  eft  vne  for- 
tçrefle  qu'il  fitbaftir  pour  defence  Se  frontière 
vers  l'Orient.  Les  Inguas  nefaduencerentpoinc 
plus  outre  de  cefte  part ,  pour  l'abondance  des 
«aux jmarefeages, lacs,  &  riuieres  qui  courent 

n    m  1 


HISTOIRE  NATVRELLE 
en  ces  lieu'és,de  forte  que  lalaïgeur  de  ce  Royau- 
me ne  feroitpas  droictementde  cent  lieues.  Ces 
Inguasfurparterent  tontes  les  autres  nations  de 
KAmcrique,  en  police  &gouuernemcnt)&  beau- 
coup d'auantage  en  valeur ,  &  en  armes ,  com- 
bien que  les  Canaris,  qui  efloient  leurs  mortels 
ennemis,&  qui  fauoriferent  les  Efpagnols,  n'ayét 
iamais  voulu  recognoiftreny  confeller  cetauan- 
tage  fur  eux,  de  telle  façon  que  fi  encor  auiour- 
d'huy  ils  viennctàtoberfurcedifcours  ,  &com- 
paraifons ,  8c  qu'ils  foient  vn  peu  inftiguez ,  8c  a- 
nimez,  ils  fencretueront  à  milliers  fur  cefteclif- 
pute ,  qui  font  les  plus  vaillans ,  ainfi  qu'il  eft  ar- 
riuéen  Culco.L'artifice&  coulcurdelaquellelcs 
I nguas  fe  feruoient  pour  concjuefter  &  fe  faire 
Seigneurs  de  toute  cède  terre,  fut  en  faignacque 
depuis  le  Déluge  vniuetfel,  duquel  tous  les  In- 
diens ont  cognoiffance, le  monde  auoit  eftére- 
ftauré'&  repeuplé  par  ces  Inguas  ,  &quefeptd 'i- 
ceuxfortirentdela  cauerne  de  Pacaricambo,  à 
raifondequoy  tout  le  refte  des  hommes  leur  de- 
uoienttnbut  6c'valfellage  ,  comme  à  leurs  pro- 
geniteurs  :  outre  cela  ils  di foient  ScarTermoient 
qu'eux  feuls  tenoict  la  vraye  religion,  &  fçauoict 
comment  Dieu  deuoiteftre  feruy  8c  honoré  ,  & 
que  pour  cède  occafion  ik  y  deuoient  inùVruire 
tous  les  hommes.  C'eftvnechofeinfinie  que  le 
fondoment  qu'ils  donnent  à  leurs  coudumes  8c 
cérémonies,  &  y  auoit  en  Cufco  plus  de  quatre 
cents  oratoires,  comme  en  vne  terpcfùndte,  8c 
tous  les  lieux  y  eftoient  replis  de  leurs  myfteres. 
Comme  ils  alloicnc  conqucftansles  Prouinces, 
auiîîailoict-iisincroduifa.nsles  mefmes  Guacas, 


DES     INDES.      LIV.    VI.  285 

&couftumes.  En  tout  ce  Royaume  leprincipal 
idole  qu'ils adoroicnt,eftoicnt  le  Viracocha,  Pa- 
chayachachic,qui  fignifie  Créateur  du  monde,  & 
après  luy  le  Soleil. C'eft  pourquoy  ils  difoi  en  t  que 
le  Soleil  receuoic  fa  vertu  &  foneftre  du  Crea- 
teur,ain  C\  que  les  autres  Guacas ,  &  qu'ils  eftoient 
intercefleurs  enuersluv. 


Dtt  premier  Ingua,  &  ciefesfuccejpurs. 
CHAP.     xx. 

£t£>J  E  premier  homme  que  les  Indiens  racontét 
£$&'  eftrelecommencementj&lepremierdesln- 
guas.fut  Mangocapa,duqnel  ils  feignent  qu'après 
le  déluge  îifortoit  de  lacauerne  ,  ou  feneftrede 
Tâbo,qni  eft  efloignee  d  e  Cu  feo,  enuiron  de  cinq 
oufix  lieues.  Ils  difentqueceftuy  là  donna  com- 
mencement à  deux  principaux  lignages,  &  famil- 
les d'Inguas ,  les  vns  defquels  furent  appeliez  Ha- 
nancufco,&  les  autres  Vrincufco.  Du  premier  li- 
gnage vindrent  les  Seigneurs  ,  qui  conquefterent 
&  gouucrneret  cefte  prouince,&le  premier  qu'ils 
font  chef,  &  fouche  du  Iknaçe  de  ces  Seigneurs 
queiedisjs'appelloit  Ingaroca  ,  lequel  fonda  vne 
famille,ou  Aillo^u'ils  appellent,  nommée  Viça- 
qniquirao.  Ceftuy  là  encor  qu'il  ne  fuft  pas  grand 
feigneurjleferuoitneantmoinsauecelelavaiflelle 
d'or,&  d'argent,&  ordonna  en  mourant,que  tout 
fon  trefor  fuft  deftinè  pour  le  feruice  de  sÔ  corps, 
&  pour  la  nourriture  de  fa  famille:  fon  fucceffeur 
en  fit  de  mefrae ,  &  fe  tourna  cefte  façon  de  faire, 
en  couftume  generale,comme  i  ay  dit,que  nul  In- 
gua  ne  peut  hériter  des  blés  &  maifon  de  fon  pre- 


HISTOIRE    NATVRELLE 
decefleur,mais  qu'il  fondait  vnenouuellemaifon. 
Au  temps  de  cet  Inguaroça,  les  Indiens  auoient 
desidolcsd'or,&:luy  fuccedaYaguarguaque,  ho- 
me délia  vieil ,  Se  diient  qu'il  eftoic  appelle  de  ce 
nom  là  ,  qui  (ïgnifie  larme  de  fang  ,  pour  ce  que 
ayant  efté  vue  fois  vaincu  s  &  prins  par  Ces  enne- 
mis', de  dueil  &  ennuy  il  en  pleura  du  fang.  Il  tut 
enterré  en  vn  bourg  appelle  Paullo  ,  qui  eft  au 
chemin  d'Omafuyo  ,  &  fonda  la  famille  appellee 
Aocaillipanaca.  A  ceftuy  fucceda  vn  fïen  fils  V  ira- 
cocha,  Ingua,  qui  fut  fort  riche,  &  fît  faire  beau- 
coup devaifleilcd'orj&d'argentiil  fondais  ligna- 
ge,ou  famille  de  Coccopanaca.  Gan/alles  Pizarre 
chercha  lecorps  de  ceftuy  cy ,  pour  la  renommée 
du  grand  threfor  qui  eftoit  enterré  auec  luy  ,  & 
après  auoirdonné  de  cruels  tourments  à  plusieurs 
Indiés,  en  fin  il  le  trouua  en  Xaquixaquana,  où  le 
mefme  Pizarre  fut  après  vaincu  en  bataille,  prins, 
&  fait  exécuter  par  le  prefident  Guafca.Gonfalles 
Pizarre  fit  brufler  le  corps  de  ce  Viracochalngua. 
&  les  Indiens  prindrent  depuis  fescendres  ,  lef- 
quelles  ils  mirent  en  vn  petit  vaze ,  6V  les  conlcr- 
uerent,y  faifans  de  grands  lacrifices,iu<qu'à  ce  que 
Polo  y  remedia,&  aux  autres  idolâtries  qu'ils  fiai- 
foient  fur  les  corps  des  autres  Inguas ,  lefquels 
auec  vne  admirable addreffe& diligence  ,  il  tira 
des  mains  des  Indicns5les  trouuans  fort  entiers, & 
fortembaufmez,enquoyilefteignit  vn  grand  no- 
bre  d'idolâtries  ,  qu'ils  y  faifoient.  Les  Indiens 
trouuctentmauuais,quecetIngua  PinritulaftVi- 
racocha ,  qui  eft  le  nom  de  leur  dieu  ,  &  luy  pour 
f'en  excu  il  r;  illeur  fit  entendre ,  que  le  mefme  Vi- 
racochaluy  eftoit  apparu  en  fange,  qui  luyauoit 


DES  INDES-  LTV.  VI.  286 
commande  de  prendre  Ion  nom.  A  ceftuy  fucceda 
Pachacuti  Ingua  Yupangui ,  qui  fut  fort  valeu- 
reux conquérant,  &  grand  politique,  inuenteur 
de  la  plus  grande  partie  des  coufturnes  ,  &  iupef- 
ftitions  de  leur  idolâtrie,  comme  ie  diray  inconti- 
nant. 


De  Pachacuti  Ingtta  Yupangui  3  ejr  de  ce  qui  adttint 
depuis  [on  temps  tufques  à  Guaynacapa. 

C  H  A  P.      XXI. 

ÇrK3  Aehaçuti  Ingua  Yupangui  reenafoixantec*: 
QZX  dix  ans,  &  conquefta  beaucoup  de  pays.  Le 
commencement  de  les  coquettes  fut  par  le  moyc 
cî'vn  lien  frère aifné,  qui  ayantduviuantde  fon 
petc  tenu  lafeigneurie,  &  de  ion  contentement 
raifoitlagucrre,futdefconfit  envne  bataillequ'il 
euft  contre  les  Changuas  ,  quieftla  nation  qui 
pollcdoit  la  vallée  d'Andaguayllas,  diftante  de 
trente  ou  quarante  lieues  de  Cufco,fur  le  che- 
min de  Lima.  Ceft aifné  ayant  ainfieftédefeon- 
fit,  le  retira  auec  peu  d'hommes  ,  ce  que  voyant 
fon  frère  puifné,  Ingua,  Yugangui,  pour fe faire 
fcignçur ,  inuenta  &  mit  en  auant ,  qu'vn  iour  luy 
eftanc  feul  &  ennuyé,le  Viracocha  créât  eur,auoit 
parlé  à  luy,  fe  plaignant  que  conbien  qu'il  fuft 
le  feigneurvniuerfel,  &  créateur  detoutéscho- 
fes  ,  &  qu'il  euft  fait  le  Ciel,  le  Soleil  ,lemonde 
&  les  hommes,  &  que  tout  fuft  fous  fa  puirîànce, 
toutesfois  ils  ne  luyrcndoient  robeiflànce  qu'ils 
deuoient  ,  au  contraire  ils  honoroient  &  ado- 
1  oient  efgalement  le  Soleil,  le  Tonnerre,laTer- 
re,&  les  autres  chofes  qui  n'auoient  aucune  autre 


HISTOIRE    NATVRULE 
vertu,que  celle  qu'il  leur  departoic  ôc  qu'il  luy  fai- 
foie  fçauoir,qu'au  Ciel  où  il  eftoit,l'on  l'appelloit 
Viracocha  Pachayachachic,  qui  fignifie  Créateur 
vniuerfel ,  8c  afin  que  les  Indiens  creulïènt  que 
c'eftoitchofevraye,qu'il  ne  doutait, bien  qu'il  fuft 
tout feul,de  Ieuec  des  homes  foubs  ce  tiltre ,  qu'il 
luy  donneroit  la  victoire  contre  les  Changuas, 
quoy  qu'ils fuflent pour  lors  victorieux,  &  en  fi 
grand  nombre ,  &  le  feroit  Seigneur  de  ces  Roy- 
aumes ,  pource  qu'il  luy  ennoyeroit  des  hommes 
quiluyaideroientiànsefhe  veus,&  fit  tanequefut 
celle  couleur  &fantaifie  ,  il  commença  d'affem- 
bler  vn  grad  nombre  de  peuple,  dont  il  drefTa  vne 
puilfante  armée ,  auec  laquelle  il  obtint  la  victoi- 
re, fefaifantfeigneurdn  Royaume  ,  oftantàfon 
pere,&àfonfrerelafeigneurie.  Puis  après  il  con- 
quefta,cVdefconfi*lesChanguas,&dcslorsilor- 
dôna  que  leVirachocha  feroit  tenu  pour  feigneur 
vniuerfel,  &  quelesftatuësdu  Soleil  &  du  Ton- 
nerre ,  luy  feroit  reuerence ,  &  honneur.   Des  ce 
temps  aulîi  l'on  commença  de  mettre  la  ftatu'é 
du  Virachocha  plus  haut  que  celle  du  Soleil,du 
Tonnerre,&dureftedcsGuacas.Etiaçoitquecec 
InguaYupanguieuftdonncdcs  métairies,  terres, 
&beftiauxau  Sôleil,auTonncrre,&  autres  Gua- 
cas,il  ne  dédia  toutesfois  aucune  chofe  aux  Vira- 
cocha,donnant  pour  raifon,qu'il  n'en  auoit  point 
de  befoing-par  ce  qu'il  eftoNit  ieigneur  vniuerlel,& 
créateur  de  toutes  chofes.  Il  déclara  à fes  foldats 
après  l'ctiere  victoire  desChâguas,que  ce  n'auoict 
point  efté  eux  qui  auoient  vaincu ,  mais  certains 
nommes  barbus  ,  que  le  Virachocaluy  auoit  en- 
uoyez ,  &  que  perfonne  ne  les  auoit  peu  voir  que 


DES  INDES.  tIV.  VI.  287 
luy  ,  lefqucls  du  depuis  s'eftoient  conuertis  en 
pierres ,  parquoy  il  côuanoit  les  chercher,  &  qu'il 
les  recognoiftroit  bien,&  par  ce  moyen  alFembla 
&  ramaifa  aux  montagnes  vne  grande  multitude 
de  pierves,qu'il  choifir,&  les  mie  pour  Guacas,le£- 
quels  ils  adoroiént  ,&  leur facrinoient,  ils  les  ap- 
pelèrent les  Pururaucas,  Se  les  portoient  en  la 
guerre  auec  grande  deuotion,tenans  pour  certain 
qu'ils  auoient  obtenu  la  victoire  par  leur  aide. 
L'imagination  &  fiction  de  cet  Ingua,euft  tant  de 
puiflance,que  par  ce  moyen  il  obtint  de  fort  bel- 
les vi&oirts.Ccftuy  fonda  la  famille  appellceYna- 
capanaca,&  fit  vnc  grade  ftatue  d'or,  qu'il  appella 
Indullapa,laquelieilmitenvnbrancardd'or,fort 
riche5cx:  de  grand  prix ,  duquel  or  les  Indies  prin- 
drent  beaucoup  pour  porter  à  XaxamaIca,pour  ta. 
liberté  &  raçôd'AtahulpajquandleMarquisFrâ- 
çois  Pizarre  le  tintprifonmer.  LeLicentiêPolo 
trouua en  Cufcodans (a  maifon ,  Tes  feruiteurs  Se 
Mamacomas,qui  feruoict  à  fa  mémoire, &  trouua 
que  le  corps  auoit  efté  tranfportc  de  Patalla&a ,  à 
Totocache,où  depuis  lesEipagnols  ont  fondeela 
paioilieS.  Blas.  Cecorps  eftoitfï  entier, &bien 
accommodc,auec  certain  betum ,  qu'il  fembloit 
eftretout  vif.  Il  auoit  les  yeux  faits  d'vne  petite 
toille  d'or,fi  proprement  agéeee,  qu'ils  fembloiet 
des  propres  yeux  naturels.  Il  auoitenlateftevn 
voup  de  pierre  qu'il euft  en  vne  guerre  ,  &  eftoit 
gris,&  chenu,fans  auoir  perdu  vn  feul  cheueu,  no 
plusqucf'ilnefuftmortquedeceiourlàmcfmc, 
combien  qu'il  y  euft  plus  de  (bixante  &  dixhui& 
ans  qu'il  eftoiedecedé.  LefufdictPoloenuoyacc 
corps  auec  ceux  de  quelques  autres  Inguas,  en  k 


HISTOIRE  NATVR.ELI,  E 
cité  de  Lirna,par  le  com  mandement  du  Viceroy, 
le  Marquis  de  Canette  ,  qui  eltoitchofe  fort  ne- 
celfaire,  pour  defrarinci"  l'idolâtrie  de  Culco  ,  & 
pkifieurs  El  pagnols  ont  veu  ce  corps, auec  les  au- 
tres en  i'hoipital  fàinct  AndréjCptfronda  ce  Mar- 
cjuiSjCombien  qu'ils  fu lient  délia  bié  gaftez.  Dora 
Philippe  Caritopa,quifutarriere -fils,ou  bilarrie- 
rc  fils  de  cet  Inçua,afTermoitque  les  richell'csque 
celuy  laifla  à  fa  famille, eftoict  grandes,&  qu'elles 
deuo*ëteftrcenlapui!fancedes  Yanaconas,Ama- 
ro&Toto,  oc  autres.  A  cet  InguafuccedaTopain- 
guaYupangui ,  auquel  vn fien  fils  appelle  de  mei- 
rne  nom  lucceda  ,  qui  fonda  la  famille  appellee 
Capac  Aillo. 


Lkt  plus  tn-and  &  plus  illujlçe  ïngua,  appelle 
Guaynackpa. 


CH  AP.    XXII. 


£W§  C  e  dernier  Ingua,fucceda  Guaynacapa,qui 
'iëQà  vaurautantàdirequeieune  homme,  riche 
&  valeureux,  &  fut  tel  à  la  vérité  plus  que  nul  de 
les  prcdcceUeurs ,  ny  de  l'es  luccefleuis.  Il  tue 
fort  prudent,  ôc  mit  vn  fort  bon  ordre,  par  tous 
les  endroits  de  fon  Royaume,  fut  homme  hardy 
cV  déterminé  ,  vaillant  &  fort  heureux  en  guerre. 
Parquoy  il  obrint  de  grandes  vi&oires  ,il  eftendic 
ion  Royaume  beaucoup  plus  que  tousfesprede- 
ceiTeutsenfêbien'auoient  rait,&  mourut  au  Roy- 
aume de  Qujtto,  qu'il  auoic  conquetlé  ,  eftant 
efloigné  de  ia  Cour  de  quatre  cens  lieues.  Les  in- 
diens l'ou.u  rirent  après  Ton  decez,&  enlaiderent 
le  coeur  &  ies  entrailles  en  Quicco,&  le  côips  fut 


DES     INDES.     LIV.    VI.  288 

apporté  en  Cufco  ,  lequel  fut  mis  au  renommé 
Temple  du  Soleil.    L'on  voit  encor  auiourd'huy 
plusieurs  édifices,  chauIîces3fortcreiïes,&  ceuures 
notables  de  ce  Roy  ,&  fonda  la  famille  de  Terne 
Bamba.  Ce  Guaynacapa  futadoré  des  fiens  pour 
Dieu,eitant  encor  en  vie ,  chofeque  les  vieillards 
airerment,&  qui  nePeftoicpointfaide  à  l'endroit 
d'aucun  de  fespredecelleurs. Quand  il  mourut,ils 
tuèrent  mil  per formes  de  (à  maifon  ,  pour  l'aller 
fecuit  en  l'autre  vie,  Icfquels  mouroientainfï  fort 
volontiers  ,  pour  aller  à  fon  ieruicc.    Tellemenc 
que  pluiîeurs  fofïroient  à  la  mort ,  pour  le  mefme 
cff.*ct,ourre  ceux  qui  y  cftoientdeftinez.  Eteftoit 
vne  cho(e  admirable ,  que  fa  richeflc&ibn  thre- 
for.   Et  d'autant  que  peu  de  temps  après  fa  mort, 
les  Efpagnols  y  encrèrent  ,  les  Indiens  prirent 
beaucoup  de  peine  pour  faire  difparoiftre  le  tout, 
combien  qu'il  y  en  eull  vne  grande  partie  qui  fut 
portée  à  Xamalca  ,  pour  la  rançon  de  Atahulpa 
ion  fils.    Quelques  hommes  dignes  defoy^frer- 
ment  qu'il  auoit  en  Cufco  plus  de  trois  cens  fils, 
&  arrière  fils.    Sa  mère  appellee  Mamaoello 
fut  entr'eux  fort  eûimec.    Polo  enuoya  en  Ly- 
ma  les  corps  d'icelle  ,  &  de  Guaynacapa  ,  fort 
bien  embaufmez,  &  defracina  vne  infinité  d'i- 
dolatrie,  que  l'on  faifoit  en  cet  endroit.  A  Guay- 
nacapa fucceda  en  Cufco  vnfien  fils  nommé  Ti- 
tocuiîigualpa  ,  qui  depuis  Pappella  Guafpar  In- 
gua  ,  fon  corps  fut  bruflépar  les  Capitaines  de 
Atahulpa  ,  qui  fut  aufli  fils  de  Guaynacapa,  & 
lequel  fe  rebella  en  Quitto  contre  Ion  feerc  ,  & 
marcha  contre  luy  auec  vne  puilTante  armée. 
Il  arriua  que  Quifquics  ôc  Chilicuchi ,  Capi* 


HISTOIRE  NATVRELLE 
tainesdc  Atahulpaprindrenc  Guafpat  Ingua,cn 
la  cité  de  Cufco,apres  qu'  il  eut  efté  receu  pour  feï~ 
gneur&  Roy  (carileftoitle  légitime  (uccefleur) 
ce  qui  caufàen  tout  Ton  Royaume  *n  grand  ducil, 
fpccialement  en  fa  Cour.  Et  comme  foufioursen 
leurs  neceiîitez  ils  auoient  recours  aux  facrifices, 
ne  fe  trouuaus  alors  allez  puillans  pour  mettre 
leur  feigneur  en  liberté,  tant  pour  les  forets  des 
Capitaines  qui  le  prindrët,  comme  pour  la  grofïe 
armée  qui  venoit  auec  Atahulpa ,  ils  délibérèrent 
(voire  quelques  vns  dilent  que  ce  fut  par  le  com- 
mandement de  cet  Ingua)dc  faire  vn  grand  &  fo- 
lcmnel  facrificeau  Viracocha  ,  Pachayachachic, 
qui  fi^nifie  créateur  vniuerfel,luy  demandant  que 
puisqu'ils  nepouuoient  deliurerleuricigneur,  il 
enuoyaftdu  Ciel  des  hommes  qui  ledehuraiient 
depnfon.  Et  comme  ils  eftoient  en  grande  efpe- 
rancefurceiacrifice,illeur  vintnouuellc,comme 
vn  certain  peuple  qui  eftoit  venu  par  mer, auoic 
mis  pied  à  terre  ,  &  ptins  piifonnier  Atahuïp33 
pour  celle  occafionils  appellerentles  Efpagnols 
Viracochas ,  croyans  qu'ils  eftoient  hommes  en- 
uoyez  de  Dieu,  tant  pourlepetitnombrequ'ils 
eftoient  à  prendre  Atahulpa  en  XaxamalcajCom- 
me  pour  ce  que  cela  aduint  incontinent  après 
leuriàcrificefufdit  fait  au  Virachocha.  Et  de  là 
vint  qu'ils  commencèrent  d'appeller  les  Efpa^ 
gnols  V iracochaSjComme ils  le  font  aniourd'huy. 
Ecàla'veritë>finous  leur  cuiïîons  donné  vnbon 
exemple,  &  tel  que  nous  deuions,  ces  Indiens 
auoient  bien  rencontré,  difans  que  c'eftoienc  ho- 
mes cnuoy ez  de  Dieu.  Et eft vne  chofe confïdcra- 
blc,quc  la  grandeur  5c  prouidenec  diuinc ,  côme 

Udifpofe. 


•  rnur  linM 


DES  INDES.  IIV.  VI.  289 
il  difpofa  l'entrée  des  noftres  auPeru,laquelle  euft 
eftc  impolîîble,  n'eulr  efté  ladiflenfiondesdeux 
frètes,  &  de  leurs  partifans,  &  l'opinion  fi  grande 
qu'ils eurét  des  ChreitienSjComme d'hommes  du 
Ciel,  obligez  certes  en  çaicrnant  la  terre  des  In- 
des  à  prendre  peine  de  faire  gaigner  beaucoup 
d'amesauCicl. 


D  es  derniers fucccflcur  s  des  In^uAs. 
ch  A  P.     XXIII. 

£ï£î  E  re^e  ^e  cciujeâ;  eft  allez  amplemec  traité 
Sfe  parlesaucheurs  Efpagnols  aux  hiftoiresdes 
lndes,&  d'autant  que  cela  elt  outre  laprefence  in- 
tention, iediiay  feulement  de  la  fuccefîion  qu'il 
y  eut  des  Inguas.  AtahulpaellantmortenXaxa- 
malca ,  &  Guafcar  en  Cufco ,  &  François  Pizarre 
auec  les  iienSjfeftant  emparé  du  Royaume,  Man- 
gocapa,fils  de  Guaynacapa,  les  afîïegea  en  Cufco, 
&c  les  tint  fort  preiïez,  mais  en  fin  il  quitta  tout 
lepays,cV  fe  retira  en  Vilca-bamba,auxmôtagnes 
efquelles  il  fe  maintint ,  à  caufe  de  l'afpreré  ,  ÔC 
difficile  accez  d'icelles,  &  là  demeurèrent  les  fuc- 
celïeurs  Inguas  ,  iufques  à  Amaro,qui  futprins  & 
exécuté  en  la  place  de  Cufco,auecvne  incroyable 
douleur,  &  regret  des  Indiens,  voyans  publique» 
ment  faire  iuftice  de  ecluy  qu'ils  tenoiet  pour  fsi- 
gneur.  Apres  celal'on  en  emprifonna  d'autres  du 
lignage  de  ces  Inguasji'ay  cogneu  Dom  Charles, 
petit  fils  de  Guaynacapa,  &  nlsdePolo,quifefic 
baptifer,  &  fauorifa  toufiours  les  Efpagnols  con- 
tre Mangocapa  fon  frère.  Lors  que  le  Marquis  de 
Canetregouuernoiten  ce  pays  ,  Sarritopaingua 


HISTOIRE  NATVRELLI 
fortitdc  Vilcabamba ,  Se  vint  foubsafleurance  à 
lacitcdesRoys,où  luy  fut  dônee  la  vallée  Yucay, 
&  d'autres  cho(es,à  quoy  fucceda  vne  fîenne  fille. 
"Voila  lafucceffionqui  eft  auiourd'huy  coc;neiïe 
de  cette  fi  grande  &c  riche  famille  des  In^uas  dei- 
quels  le  règne  dura  plus  de  trois  cens  ans ,  où  Ton 
conte  onzefucceflturs  en  ce  Royaume,  iuiques  à 
ce  qu'il  cefla  du  tout,en  l'autre  partiallitè  &  Vrin- 
cuico,quicommcaeftéditcydeiîus,  eut  Ton  ori- 
gine mefme  du  premier  Mangocapa  ,  l'on  conte 
nuict  fuccefleurs en  cefte manière. A  Mangocapa 
fucceda  Cinthoroca,  à  ceftny  Capac  Yupangui ,  à 
ceftuy  Lluqui Yupangui,  àceftuy  Maytacapaefte 
Tarcogumam,auquel  fucceda  vn  n'en  fils, qu'ils  ne 
nomment  point,à  ce  fils  fucceda  Dom  lean  Tam- 
bo  Maytapanaca.Celafuflife pour  l'origine  &iuc- 
ceffion  des  Inguas ,  qui  gouuernerent  la  terre  du 
Peru,auec  ce  qui  a  efté  dit  de  leurs  loix,gouueme- 
ment,&  manière  de  viure. 


De  U  manière  de  Vyepubltejue  quMtoient 
les  IttexiauAins . 

CHAP.    XXIII I. 

5  O  M  b  i  e  n  que  l'on  pourra  voir  par  l'hiftoire 
S  qui  fera  efente  du  Royaume,  îucceflîon,  & 
origine  des  Mexiquains,  leur  manière  de  Repu- 
blique &gouuernement,ficft-ce  toutesfoisque 
ie  diray  icy  fommairement  ce  qui  me  femblera 
plus  remarquable  en  gênerai,  dont  il  fera  cy  après 
plus  amplemct  difeouru  en  l'hiftoire. La  première 
chofe  par  laquelle  on  peut  iuger  que  legouuer- 
ncment  desMexiquains  a  efte  fore  politie,cft  l'or- 


DES     INDES.     IIV.    VI.  290 

drequ'ilsauoient  ,  &gardoient  inuiohblemenc 
d'eflire  vn  Roy.  Pour  ce  que  depuis  le  premier 
qu'ils  €urent,appellé  Acamapach,  iufques  au  der- 
nier qui  fut  Moçuma  ,  fécond  de  ce  nom>  il  n'y  en 
eutaucun  qui  vint  au  Royaume  par  droit  de  lue- 
ceilion  ,  ainsfeulementy  venoient par  vne  légiti- 
me nomination,  &  eflecrion.  Cefteefledionau 
commecement  eftoitaux  voix  du  commun,com- 
bien  que  les  principaux  fuflent  ceux  qui  condui- 
f  oient  l'affaire.  Du  depuis  au  temps  d'Yfcoalt 
quatrief  me  Roy  ,  par  le  conleil  &  ordre  d'vn  fage 
cV  valeureux  homme,  qu'ils auoient appelle Tla- 
cael,  il  y  eut  quatre  électeurs  certains  &  arrêtiez, 
ldqueîs  auec  deux  feignons ,  ou  Roys ,  fuje&sau 
Mcxiquain  ,  quieftoicntceluy  deTcfcaco,  &ce- 
luy  deTacuba,  -luoicnt  droit  défaire  cefte  efle~ 
dion.  lis  eïliioient  ordinairement  pour  Roys, 
dçs  ieunes  hommes,  pource  que  les  Roys  alloienC 
toujours  à  la  guerre,  Se  eftoitprefquelaprinci- 
palle  occafion  pourquoy  ils  les  vouloient.  C'eft 
pourquoy  ils  prenoienc garde  qu'ils  fuflent  pro- 
pres &  idoines  à  la  guerre  ,  &  qu'ils  prinflent 
plaifir  ,  &  iè  glorifiallènten  icelle.  Apresl'efle- 
dion  ils  faifoicnt  deux  manières  de  fcftes,Tvne 
en  prenant  poflefïïon  de  l'eitat  Royal ,  pour  la- 
quelle ils  alloient  au  Temple  ,  &  faifoient  de 
grandes  cérémonies,  &  facrifices  fur  le  brafiec 
appelle  diuin,  où  il  y  auoittoufioursdu  feude- 
uant  l'autel  de  l'idole  ,  &  après  quelques  rhe- 
toriciensqui  feftudioent  en  cela  ,  faifoientplu- 
fieurs  oraifons  &  harangues.  L'autre  fefte  &  la 
plus  folemnelle  ,  erloic  de  fon  couronnements 
pour  laquelle  il  deuoic  premièrement  vaincre  ea 

o    ij 


sgmemm 


HISTOIRE     NATVRELLE 
bataille,&  amener  vn  certain  nombre  de  captifs, 
quei'ondeuoitfacrifieràleursdicux.&entroiten 
triomphe  auec  vne  grande  pompe,luy  faifans  vue 
fclcmnclle  réception,  tant  ceux  du  Temple,  lef- 
quels  alloient  tous  en  proceffion  ,  touchans  & 
ioiians  de  plufieurs  fortes  d'inftrumens,&  cnccn- 
fans  &  chan  tans  comme  les  (eculiers,&  les  Cour- 
ti{àns,qui  fortoient  auec  leurs  jinuentions  à  rece- 
uoirleRoy  victorieux.  La  couronne  &enfeigne 
Royalle  eftoit  en  façon  de  mitre  pardeuant,  êi 
eftoit  par  derrière  couppee,  de  forte  qu'elle  n'e- 
ftoit  pas  toute  ronde,  car  le  deuâr  eftoit  plus  haut, 
Aralloiti^efleuant  comme  en  pointe.  Le  Roy  de 
Tefcuco  auoit  le  priuilege  de  couronner  de  fa 
main  le  Roy  de  Mexique.    Les  Mexiquainsont 
efté  fort  loyaux  &  obeiiîans  à  leurs  Roys  ,  &  ne  fe 
trouue  point  qu'ils  leucayent  fait  de  trahifon.Les 
hiftoires  racontent  feulement  j  qu'ils  tafeherent 
défaire  mourirparpoifon,  leur  Roy  appelle  Ti- 
cocic,  pour  auoir  efté  coiiard&  de  peu  d'effed. 
Mais  il  ne  fe  trouue  point  qu'il  y  ait  euenti'eux 
dediiTenfion,  &  partialitez  par  ambition,  com- 
bien que  ce  foit  chofe  allez  ordinaire  es  commu  - 
nautez:au  contraire  elles  racontent ,  comme  l'on 
verra  en  fon  lieu ,  qu'vn  homme  le  meilleur  des 
Mexiquains,  refufa  le  Royaume  ,  luy  fcmblant 
qu'il  eftoit  expédient  à  la  Republique  d'auoir  vn 
autre  Roy.    Au  commencement  que  les  Mexi- 
quains cftoient  encor  pauures ,  &  aflezpetits cô- 
pagnôs,les  Roys  cftoient  fort  modérez  à  leur  en- 
tretien, &  en  leur  cour,mais  comme  ils  augmen- 
tèrent en  pouuoir,ils  augmenteret  aufli  en  appa- 
reils &  en  magnifitcte,iufques  ï  paruenir  à  la  gra- 


DES      INDES.      LIV.    VI.  2-91 

deurde  Moteçuma,  lequel  quand  il  n'eiîfl  eu  au- 
tre chofe  que  la  maifon  des  animaux,  c'eftoit  vnc 
chofe  allez  fuperbe,&  telle  qu'ô  n'en  a  iamais  veu 
d'autre  femblable.  Car  il  y  auoiten  cefte Tienne 
maifon  de  toures  fortes  de  poilïbns  ,  d'oifeaux  de 
Xacamamas,&  de  beftes,comme  en  vneautte  ar- 
che de  Noé.  Pour  les  poiflos  de  mer  il  y  auûij:  des 
cftangs  d'eau'ë  fallee,&  pour  ceux  des  riuieres,  des 
cftagsd'eauë  douce.  Lesoifeauxdeproyeyauoiét 
leurs  viandes,&  les  beftes  ficres  au(n  en  fort  gran- 
de abondance,&  grand  nombre  d'Indiens  eftoict 
occupez  à  entretenir  ces  animaux.  Quad  il  voyoit 
qu'il  n'eftoit  paspofîîble  d'entretenir  ou  nourrir 
quelque  forte  depoilfo,  d'oifeaux,oudebeftefau- 
uage,il  en  faifoit  faire  l'image  Se  la  femblance  ri- 
chement taillée  en  des  pierres  precieufes  ,  en  ar- 
gct,  en  or,en  marbres  ou  en  pierre:&  pour  toutes 
fortes  d'entretiens ,  il  auoitdes  maifons  Se  palais 
diuers  ,  lesvnsdeplaifir,les  autres  de  dueil&tri- 
ftelîe,  cVles  autres  pour  y  traitter  les  affaires  du 
Royaume.il  y  auoiten  ces  palais  plu  fleurs  cham  - 
bres, félon  laqualité  des  feigneurs qui  le  feruoient 
auecvne  eftrange  ordre  &  diftindion. 


De  s  filtres  &  dignité^  qui  efloient  entre 
les  Mexiquains. 

c  H  A  p.     xx  v. 

EsMexiquains  ont  efté  fort  curieux  de  dé- 
partir les  grades  &  dignitez  entre  lesnobles 
&  les  feigneurs,afin  que  Ton  recogneuft  ceux  d  e- 
tr'cux  ,aufquelsl'on  deuoit  faire  plus  d'honneur. 
La  dignité  des  quatre  eflecteuis  ,  eftoit  celle  qui 

o  iij 


HISTOIRE      NATVRELI.  E 

e&oitlaplus  grande  &laplus  honorable,  après  le 
Roy,&leselîifoit-on  incontinent  après  l'ellediô 
du  Roy.  Ils  eftoient  ordinairement  frère  ou  fore 
prochesparens  du  Roy,&:  les  appclloient  Tlaco- 
hccalçalt,qui  lignifie  Prince  de  laces  .que  l'on  iette 
ou  darde,  qui  elt  vne  lorte  d'armes,  dont  ils  vloiet 
fouuent.  La  dignité  d'après  eftoit  celle  de  ceux 
qu'ils  appelloicnçTlacatecati, qui  elt  àdire,circo- 
cifeur&au. coupeurs  d'hommes.  La  rroillefmc  di- 
gnité citait  de  ceux  qu'ils  appelloipnt  Ezuahua- 
calr/q.uî  lignifie  efpandcur  de  fang  par  efgratigne- 
ment.  Tous  lefquels  .tiltres  &  dignitez  eftoieat 
exercez  des  hommes  de  guerre. Il  y  auoit  vn  autre 
quattiefme  intitulé  Tlilancalqu',  qui  vaut  autant 
à  dire,  que  feigneurde  la  maifon  noire,  ou  de  la 
noirceur,  à caufed'vn certain  encre,  duquel  les 
préfixes  foignoient,  6y  quiferuoitenlcurs  idolâ- 
tries., Toutes  ces  quatre  dignitez  eftoient  du  grâd 
confeil,fans  l'aduisdefquels  le  Roy  ne  faifoitny 
pouuoitfaireaucunechofed'importâce,&:  leRoy 
eftant  mort  l'on  en  deuoit  eflire  en  fa  place  vn  qui 
fuit  en  quclquvne  de, ces  quatre, dignitez.  Il  y 
auoit  aufli  outre  ceux  là  d'autres  confeib ,  &  au- 
dience ,  &  difent  quelques  vns  qu'il  y  en  auoit  au- 
tant comme  en  Elpagne,&  qu'ily  auoit  diuers  liè- 
ges Sciurildiclionsauec  leurs  confeillers  &'  alca- 
des de  cour,&  d'autres  qui  leur  eftoient  fouzmis, 
comme  corrigidors,alcades  maieurs,Lieutenans 
&  Alguafits  maicurs,  &  d'autres ,  qui  eftoient  en- 
cor  inférieurs  &  fouzmis  à  ceux-cyauecvnfort 
bel  ordre.  Tous  lefquels  defpandoient  des  quatre 
premiers  Princes  qui  affift oient  an  Roy.  Ces  qua- 
tre tant  feulement  auoient  Iaiurifdicrion  &puiC 


DES    INDES.     L1V.    VI.        1$2, 
lance  de  condamner  à  la  mort  »  &  lesautreslcur 
cnuoyoientdes  mémoires  des  fentences  qu'ils  do" 
noient  :  Au  moyen  dequoy  en  certain  temps  l'on 
faifoit  entendre  au  Roy  tout  ce  quifcpalTbit  en 
ion  Royaume.  Il  y  auoitmefme  vn  bon  ordre  & 
police  eftablie  fur  le  reuenu  du  Royaume:  car  il  y 
auoit  des  officiers  départis  par  toutes  les  prouin- 
ces,comme  des  Receueurs,  6c  Treforiers ,  qui  re- 
cueilloient  les  tributs  &  rentes  Royales.L'ô  por- 
toit  le  tribut  en  lacour  pour  le  moins  de  mois  en 
mois,  lequel  tribut  eftoit  de  tout  ce  qui  croift  & 
f*engendreen  la  terre ,  6c  en  la  mer  tant  de  loyaux- 
ôc  d'habits ,  que  de  viandes.  Ils  eftoient  fort  foi- 
gneux  de  mettre  vn  bon  ordre  en  ce  qui  touche 
leur  religion,  fuperftiuon  &:  idolâtries  :  &pour 
cefte  occasion  y  auoit  vn  grand  nombre  de  mini- 
ftres  qui  auoict  la  charge  d'enfeigner  au  peuple  les 
couftumes  &  cérémonies  de  leur  Loy.C'eft  pouc- 
quoy  fur  ce  qu'vn  preftre  Chreftié  vn  iour  le  plai- 
gnoit que  les  Indiens  n'eftoient  pas  bonsChre- 
fliens,&neprofitoientpointàlaloyde  Dieu:Vn 
vieillard  Indien  luy  refpondit  fort  àpropos  en  ces 
termes:  Que  les  prefircs  (dit-  il)  emploient  autant  de  foin 
&  de  diligence  a  faire  les  Indiens  Cbrejltens^  que  les  mi- 
niftres  des  idoles  emploient  a  enfermer  leurs  cérémonies: 
car  auec  la  moitié  du  foin  qu'ils  y  prendront  >tls  nous  ren- 
dront les  meilleurs  Cbreftiensdu  monde \pource  quela  loy 
de  lefus-Cbrifî  efi  beaucoup  meilleure:  mais  les  Indiens 
ne  îapprenent  point  a  faute  de  cens  qui  la  leur  enfei- 
gnent,  Enquoy  certainement  il  dift  veritè,à  noftre 
grand'honte  6c  confufion. 


ni) 


— mm  n 


Comment  les  TvlexifjUdins  fùfoient  U  guerre,  &  dé 
leurs  ordres  de  Chemllcïic . 

CH  A  p.  xxvr. 

Es  Mexiquains  donnoient  le  premier  lieu 
d'honneuràî'art  &profem"on  militaire.c'eft 
pourquoy  les  nobles  eftoient  les  principaux  fol- 
dats,  &  les  autres  qui  n 'eftoient  point  nobles  par 
la  valeur  &  reputatiôqu'ilsacqueroicten  guerre, 
parucnoientendesdignicezcV  honneurs:  de  for- 
te qu'ils  eftoient  tenus  pour  nobles.  Ils  donnoient 
de  belles  recompenfes  à  ceux  qui  auoient  fait  va- 
lcureufement,lefquels  iouilloient  de  priuileges 
quenul  antrenepouuoitauoir  :  cequiles  encou- 
rageoit  beaucoup.    Leurs  armes  eftoient  des  ra- 
foirs  de  caillous  aigus  &  trenchans  ,  qu'ils  met- 
toicntdesdeuxcoltczd'vn  ballon,  qui  eftoirvne 
armefifurieulè.qu'ilsaffermétquetl'vn  feulcoup 
ilscncoupoient  lecolàvncheual.   Ilsauoienr  de 
fortes  &  pelantes  mafïucs,  des  lances  en  façon  de 
piques, &  d'autres  façons  de  dards  à  ietter,  à  quoy 
ils  eftoient  fort  adroi  ts,&  faifoient  la  plus-part  de 
leur  combatauec  des  pierres. Ils  auoient  pour  ar- 
mes deffen  fines  de  petites  rondelles  ou  efeus  ,  & 
quelque  façon  dsfalladest^  morions  enuironnez 
déplumes.    Ils  fe  veftoient  de  peaux  detygresou 
Jyons,6V  d'autres  animaux  faunages.   Ilsvcnoicnt 
incontinent  aux  mains  auec  l'ennemy,  &  eftoient 
rort  exercez  à  courir  &  à  luter.     Car  lcurprinci- 
cipale  façon  de  vaincre  n'eftoit  pas  tant  en  tuant 
comme  en  prenant  des  captifs  ,  defquels  ilsfe 
lenioienc  en  leurs  Sacrifices ,  comme  il  a  elle  dit. 


DES      INDES.    LTV.    VI.  293 

Àloreçuma  mit  la  cheuaîleric  à  Ton  plus  haut 
poinct,en  instituant  certains  ordres  militaires, 
commede  commandeurs,  auec  certaines  mar- 
ques &:  en  feignes.  Les  plus  honnorables  d'entre 
les  Cheualierseftoient  ceux  qui  portoiet  lacou- 
ronne  de  leurs  cheueux  attachée  auec  vn  petitli- 
7.ct  rouge ,  &  auec  vn  riche  plumache ,  d'où  pen- 
doient  fur  leurs  efpaulles  des  rameaux  de  plumes, 
&  des  bourrelets  de  mefme.  Ils  portoient  autant 
de  ces  bourrelets  corne  ils  auoient  faitd'a&esfî- 
gnalez  en  guerre.  Le  Roy  mefme  eftoit  de  ceft  or- 
dre de  Cheuallerie  ,  comme  l'on  peut  voir  en 
Chapukcpec,oùeftoient  Moteçuma  &  fon  fils 
necouftrez  de  ces  façons  deplumaches,  taillez  en 
vne  roche,  qui  eftehofe  digne  de  voir.  Ilyauoit 
vn  autre  ordre  de  Cheuallerie,  qu'ils  appelloient 
les  lyons&:lestygres,lefquelse(loient  commu- 
nément les  plus  valureux,  &  qu'on  remarquoit 
le  plus  en  guerre ,  où  ils  alloient  portas  toujours 
leurs  marques  6c  armoiries.  Il  y  auoit  d'autres 
Cheualiers,  comme  les  Cheualiers  Gris,  qui  n'e- 
ftoient  en  telle  eftime  comme  ceux-cy,  lefquels 
auoient  les  cheueux  coupez  en  rond  pardedus 
l'oreille.  Ils  alloient  à  la  guerre  portans  demef- 
mes  marques  que  les  autres  Cheualiers,  toutes- 
fois  ils  n'eftoient  point  armez  que  iufques  àla 
ceinture,mais  les  plus  honorables  f'armoient  en- 
tièrement. Tous  les  Cheualiers  pouuoient  por- 
ter de  l'or  &  de  l'argent ,  &  fe  veftir  de  riche  cot- 
ron,feferuir  de  vafes  peints  Se  dorez,  &  porter 
des  fouliers  à  leur  modejmais  le  commun  peuple 
ne  pouuoit  fe  feruir  que  de  vafes  de  tette ,  neleur 
eftant  pas  permis  de  porter  des  fouliers  ,  &ne 


HISTOIRE  NATVRELLE 
pouuoientfeveftirquedeNequen  ,  qui  eft  vne 
matière  grofîïere.  Chacun  ordre  de  cesCheua- 
liersauoitfon  logis  au  Palais  ,  marqué  de  leurs 
marques,  le  premier  cftoit  appelle  le  logis  des 
Princes  ,  le  fécond  des  Aigles ,  le  troifielme  des 
Lyons&tygres,&  lequatiiefme  des  gris.  Les  au- 
tres officiers  communs  ,  eftoient  en  bas  ,  logez 
en  de  moindres  logis  :  &  G  quelqu'vn  le  logeoit 
horsdefonlieu,ilencouroit  peine  de  mort. 


Dugrand ordre  <&  d/li^cncenue  les  Tïiexiqudinscm* 
floyotcnt  à  nourrir  la  icunejft'. 

CHAP,     XXVIII. 

WjftjS  L  n'y  a  choPe  qui  m'aye  donné  plus  d'oecâ- 
&&&  fion  d'admirer ,  ny  quei'aye  trowuee  plus  di- 
gne de  louange  &  de  mémoire  que  Tordre  &  le 
foing  que  les  Mexiquains  auoient  à  nourrir  leurs 
enfans.  Car  ils  recognoilïoient  bien  que  toute  la 
bonne  efperanced'vne  Republique  ,  confifteen 
la  nourriture  ôc  inftitution  de  laieunelle ,  ce  que 
Platon  traicle  alïezamplement  en  fesliures,De 
legibus.  Etpourcefteoccafion  ils  i'eftudierent& 
prindrent  peine  d'efloigner  leurs  enfans  des  de- 
lices,  &  delà  liberté, qui  font  les  deux  pelles  de 
cetaage,en  lesoccïipans  en  des  exercices  hon- 
nettes  <3c  profitables.  Pour  cet  effect^ilyauoic 
aux  Temples  vne  maifon  particulière  d'enfans, 
comme  des  efcholles,  ou  collèges,  quieftoitfe- 
paree  de  celles  des  ieunes  hommes  ,  &  des  filles 
du  Temple,  dont  nous  auons  amplement  trai- 
cté  cy-deuant.Ily  auoiten  ces  efcholles  vn  grand 
nombre  d'enfans^, que  leurs  pères  y  menoicntvo- 


DES  -INDES.        LIV.    VI.  194 

lomairement,lefqi.icls  auoient  des  pédagogues 
&  niaiilrcs  qui  les  enfeignoient  en  tous  louables 
exercices,à.e,ure  bien  nourris  ,  porter  refpecl:  aux 
iupci  ie,urs,  à  feruir  ô$  à  obeyr,  leur  donnans  à  cè- 
de fin  certains  préceptes  &enfeignements.  Eta- 
frn  qu'ils  fu  lient aggreables aux  Seigneurs,ils leur 
app renoient  à  chanter &  àdançei',&lesdre(ïoiët 
aux  exercices  de  la  guerre s. qui  à  tirer  vne  flefche, 
vu  dard  ,  ou  baftonbru(léparlebout,&àbien 
manier  vnerpndelle&  vueefpee.  iLs-neleslaif- 
ioient  gueix&dormir,  aiin  qu'ils  f'accouftumaf- 
fen tau  trauail  dés  l'enfance,  Se  qu'ils  nefulïcnt 
point  hommes  dedelice-s.  Outre  lenombreco- 
mun  decesenfanSjily  auoit  aux  mefmes  collè- 
ges ci'autresenfans  des  Seigneurs ,  8c  nobles  ,lef- 
quelseftoient  plus  particulièrement  traictez. On. 
leur  portoit  leur  manger  &  ordinaire  de  leurs 
maifonSjiSc  eftoient  recommandez  à  des  vieil- 
lards Se  anciens,  pour anoir  efgard  fur  eux,  les- 
quels continuellement  les  admoneftoient  d'é- 
lire vertueux, de  viure  chaftement,  d'eftre  fobics 
au  manger ,, de  îeufner ,  Se  de  marcher  pofement, 
Se  auec  mefure.  Ils  auoient  accouftumé  de  les 
exercer  au  trauail ,  Se  en  des  exercices  laborieux: 
5cquand  ils  les  voyoietinftruits  en  tous  ces  exer- 
cices, ils  confideroientattentiuement  leur  incli^ 
nation  ,&  f'ils  en  voyoient  quelques  vns  auoir 
l'inclination  à  la  guerre,  après  qu'ils  auoient  at- 
teint l'aagefufhfant,  ils  reçherchoicnt  l'occafion 
de  les  efprouuer,en  les  enuoyant  à  la  guerre,  fous 
couleur  de  porter  des  vluies  &des  munitios  aux 
(bldats,afin  qu'ils  veifset  là  ce  qui  C'y  paffoit,&  le 
trauail  que  l'on  y  enduroit.  Et  afin  qu'ils  perdifset 


HISTOIRE     NÀTVRtLLE 
la  crainte,  ilsleschargeoientauiïidepefânts  fat- 
deaux, afin  que  monftrans  leur  courage  en  cela, 
ils  fiillent  plus  facilement  receusen  la  compagnie 
desfoldats.  Par  ce  moyen  il  auenoit  à  plusieurs 
d'aller  chargez  à  i'armee,&  retournerCapitaines 
auec  marques  d'honneur.  Quelques  vus  d'ic«ux 
fevouloient  tellement  faire  paroiftre  qu'ils  de- 
meuroient  prins  ou  morts  ,  Se  tenoienc  pour 
moins  honorable  de  demeurer  prifonniers.  Ceft 
pourquoy  ils  fe  faifoienc  plulioft  mettre  par  piè- 
ces que  de  tomber  ciptifs  cntrelesmains  de  leurs 
ennemis.  Voila  comment  les  en  fans  des  Nobles 
qui  auoient  l'inclination  à  la  guerre  y  eftoient 
employez.  Les  autres  qui  auoiet  leur  inclination 
aux  chofes  du  Temple,  6j  pour  le  dire,  ànoftre 
mode,àeftre  Ecclefîaftîqucs ,  après  qu'ils  auoiet 
atteint  l'aage  furhfant  ,eftoient  tirez  du  collège, 
Se  les  mettoit-on  au  logis  du  Temple,  qui  eftoit 
pour  les  Religieux,  Se  leur  donoit-on  alorslcurs 
ordres  Se  marques  d'Ecclefiaftiques.  Là  ils  auoiet 
leurs  prélats  Se  mafftres,  qui  leur  enfeignoient  ce 
qui  eftoit  de  la  profe(ïïon,où  ils  deuoient  demeu- 
rer ,y  ayans  efté  dédiez.  Ces  Mexiquainsprenoict 
vn  grand  foing  à  nourrir  les  enfans,  que  fiau- 
iourd'huyilsfuiuoient  encor  cet  ordre,  en  fon- 
dant des maifons&:  collèges, pour  l'inftrucîion 
delaieunefTe,  fans  doute  que  la  Chreftienté  fto- 
riroit  beaucoup  entre  les  I  ndiens.  Quelques  per- 
fonnes  pieufes  l'ont  Commencé ,  Se  le  Roy  Se  fon 
Confeil  l'ont  fauorifé,mais  d'autant  que  c'eft  vr.e 
chofe  où  il  n'y  a  point  de  profit ,  il  Pauance  bien 
peUj  Se  y  va-l'on  a  (fez  froidement.  Dieu  nous 
vueille  efclaircir  les  yeux ,  afin  que  nous  voyons 


DES     INDES.     LIV.    VI.  19$ 

quccelaeftànoftreconfufioiijveu  que  nous  au- 
tres Chreftiensnefaifons  point  cequclesenfans 
des  ténèbres  faifoient  à  leur  perdition  ,  enquoy 
n  ous  nous  oublions  de  noftre  deuoir. 


Desfifîesy  eir  dctnccs  des  Indtens. 

CHAP.    XXV  H  I. 

,'A  vt  a  nt  quec'eftvnechofequidefpend 
en  partie  du  bon  gouuerncment,  d'auoircn 
la  Republique  quelques  ieux&  recreations,quad 
il  en  eft  temps  ;  il  ne  fera  mal  à  propos  que  nous 
racontions  fur  celle  matière ,  ce  que  faifoient  les 
Indiens,  principalement  les  Mexiquains.  L'on 
n'a  point  defcouuert  es  Indes  aucune  nation  qui 
viue  en  communautcz,  qui  n'ait  (on  entretien  & 
(à  récréation ,  en  ieux,  dan  ces  ,  &  exercices  de 
plaiiir.  I'ay  vcuauPcrudesieux  qu'ils  faifoient 
en  façon  de  combat }  -auiquels  les  hommes  des 
deux  codez  fenflamboient  quelquesfois  d'vne    " 
telle  façon  que  bien  fonuét  leur  Paella  (qui  eftoit 
le  nom  de  cet  exercice)  venoit  à  eftre  dangereule. 
I'ay  veu  auilï  pluficurs  fortes  de  dançes  ,  efquel- 
les  ils  contre- faifoient,&  reprefentoient  certains 
meftiers&:  offices,comme  de  bergers,laboureurs, 
pefcheurs,  &  cha{reurs,&:  faifoient  ordinairemec 
toutes  ces  dançes  auec  vnfon&  vn  pas  fort  pe- 
lant &  fort  graue.  Il  y  auoit  d'autres  dançes  ôc 
maicarades,qu'iisappclloient  guacones,dont  les 
mafques&  les  gpftes  eftoient  pures  reprefenta- 
tionsdu  diable.  Il  y  auoit  mefme  des  hommes 
qui  dançoient  fur  les  eipaulles  les  vnsdes  autres 
en  la  façon  qu'ils  portent  en  Portugal,  ce  qu'ils 


■   s  mnn  i 


HISTOIRE  NATVRELLE 
appellent  les  Paellas. La  plus  grande  partie  de  ces 
dances  eftoient  fuperftitions  &  efpeces  d'idolâ- 
trie ,  pourçe  qu'ils  honoroienc  leurs  idoles  Se 
GuacMS  en  cefte  façon.  Pour  cefts  occafion  les 
Prélats  le  font  efforcez  de  leur  oller  le  plus  qu'ils 
ont  peu  de  ces  dances,  combien  qu'ils  les  laiiîenc 
àcaulequ'vncparrienefont  que  jeux  de  récréa- 
tion ,  <ar  rouuours  ils  dancenr ,  Se  ballentàleur 
mode.  Ils  vient  en  ces  dances  de  plulîeurs  fortes 
d'indrumês  jdont  les  vus  font  comme  Heures  ou 
petits  canons,  les  autres  comme  cornets  entor- 
tillez :  mais  communément  ris  y  chantent  tous  à 
la  voix, Sey  en  a  vu  ou  deux  qui  chantent  premiè- 
rement la  chan  Ion  ,  puis  tous  les  autres  luyrei- 
pondent.  Quelques  vues  deceschanionseft.oiét 
fortingenieufement  compofees,  Se  contenants 
des  hiltoires  :  d'autres  eftoient  pleines  de  fuper- 
ftitions ,  Se  les  autres  n'eftoient  que  pures  folies. 
Les  noftresquiconuedent  entr'eux  ,  ont  elfayé 
•S  de  mettre  les  choies  de  noftre  faincte  Foy  en  leur 
façon  dechant.  Ce  qui  a  afl'ez  bien  profité ,  d'au- 
tant qu'ils  emploient  lesiours  entiers  à  les  chan- 
ter Se  reciier,pout  le  grand  plaifir  Se  contente- 
ment qu'ils  prennent  a  ce  chant.  Ils  ont  mis  mef- 
mes  à  leur  langue  de  nos  compositions  demuli- 
que,commede  huidains,chanfons,é\:  rondeaux, 
lelquels  ils  ont  fort  proprement  tournez,  qui  eft 
à  la  vérité  vu  beau  Se  fort  neceiîaire  moyen  pour 
inftruircle  peuple.  Ils  appelloient  communé- 
ment au  Peru  des  dances  Tagui ,  es  autres  Pro- 
uinces  Areittos,  Se  en  Mexique  Mittotes.  Ec 
n'y  a  point  eu  en  aucun  autre  lieu  vnc  telle  cu- 
ripiicc  de  ces  icux  Se  dances ,  comme  en  laneufue 


DES    INDES.       IIV.    VI.  Z96 

Efpagne  ,  où  l'on  voie  encore  auiourd'huy  des 
Indiens  fi  braues  fauteurs ,  que  c'eft  vnechofè  ad- 
mirable. Lesvnsdancentfurvne  corde,  les  au- 
tres fur  vn  pieu  haut  &droict  en  mille  façons. 
Les  autres  auccla  plante  des  pieds  5c  desiarets, 
manient,  iettent  en  haut  &c  reçoiucnc  vn  tronc 
fort  pelant  :  ce  qui  femble  incroyable ,  fi  ce  n'eft; 
en  le  voyant.  Ils  font  plufieurs  autres  demonftra- 
tions  de  leur  grande  agilité,  en  fautant  ,  volti" 
géant, fatfant des fouples  lauts,tantoft  portans 
vn  grand  &  pefant  faix  ,  tantolt  endurans  des 
coups  qui  feroient  fuffifants  pour  rompre  du  fer. 
Mais  l'exercice  de  récréation  le  plusvfité  entre 
les  Mexiqu.iins,eft\lefolemnel  Mitotté  ,qui  efi: 
vne  forte  de  bal  qu'ils  eftimoient  fi,  braue  &  fi 
honorable,  que  le  Roy  mefmey  dançoit  quel- 
quesfois  ,  non  pas  toutesfois  par  force  ,  com- 
me le  Roy  Dom  Pedro  d'Atragon  ,  auec  le  Bar- 
bier de  Valence.  Ccbalou  Mittottéfefaifoic or- 
dinairement es  cours  du  Temple,  &  en  celles  des 
maifonsRoyalles,qui  eftoient  les  plus  fpacieu- 
ies.  Ils  pofoient  au  milieu  de  la  court  deuxdi- 
uersinftruments,  vnqui  eftoiten  façon  de  tam- 
bour, &  l'autre  en  façon  d'vn  baril  fait  tout  d'v- 
ne  pièce ,  &  creufé  par  dedans ,  lefquels  ils  mec- 
toientfurvne  figure  d'homme,  ou  d'animal,  ou 
dcfïus  vne  colomne  .  Ces  deux  inftrumens  e* 
ftoient  fi  bien  accordez  enfemblc, qu'ils  rendoict 
en  leur  Ion  vne afTczbône  harmonie,  &faifoienc 
auec  ces  inftrumens  plufieurs  &  diuerfes  fortes 
d'airs  &  de  chanfons.  Ils  chantoient  &  bail  oient 
cous  au  fon&  à  la  cadence  de  ces  inftrumens,d'vn 
ii  bel  ordre  &  dVn  fi  bel  accort ,  une  aux  voix 


iiiiiiiiiiiiiiiuiiiimiijliiiw 


HISTOIRE     NAT7RELLE 
qu'au  mouucment  des  pied*  ,  que  c'eftoit  vnc 
choie  plaifante  à  voir.  Ils  faifoienc  en  cesdanecs 
deux  cercles  ou  roues  ,  l'vn  deiquels  cftoit  au 
milieu, pioche  des  inftrumens,  auquel  les  an- 
ciens &  ieigneurs  chantoient  &  dançoient,  /ans 
prefque  fe  mouuoir  :  l'autre  eftoie  du  refte  du 
peuple  àl'entour,  allez  efloigné  du  premier,au- 
quel  ils  dançoient  deux  à  deux  plus  légèrement, 
&  faifoientdiuerfes  façons  de  pas,  nuec  certains 
fâuts  à  la  cadence.  Tous  lefquels  enlemble  fai- 
foientvn  fort  grand  cercle.  Ils  fe  veftoientpoui 
ces  daces  de  leurs  plus  précieux  habics  &  loyaux, 
félon  le  moyen  &pouuoird'vn  chacun,c(limans 
cela  vnechofe  fort  honorable  :  &  pour  celte  oc- 
cafion  ils  apprenoient  ces  dances  dés  leur  enfan- 
ce. Et  combien  que  la  plus  grande  part  d'icelles 
fefaifoient  à  l'honneur  de  leurs  idoles  ,  neant- 
moins  cela  m'eftoit  pas  d'inftitution ,  mais  com- 
me il  a  efté  dit,  c'eftoit  vne  récréation  ôc  paile- 
temps  pour  le  peuple.  C'ell  pourquoy  il  n'eit  pas 
propre  de  les  ofter  du  tout  aux  Indiens ,  mais  on 
doit  bien  prendre  garde  qu'ils  n'y  méfient  parmy 
quelques  fuperftitions.  I'ayveu  faire  ce  oal  eu 
Mitotté  en  la  court  de  l'Eglife  de  Topetzotlan, 
qui  cft  vn  bourg  à  lept  lieues  de  Mexique ,  &  me 
iembla  déilors  que  c'eftoitchofe  bonne  d'y  occu- 
per &  entretenir  les  Indiens  es  iours  de  feftes, 
puis  qu'ils  ont  befoin  de  quelque  récréation  :  ôc 
d'autant  plus  que  celle-là  eft  publique ,  &  fans  le 
preiudiced'autruy,ily  amoins  d'inconuenienc 
qu'en  d'autres  qu'ils  pourroient  faire  eux  feuls,  iî 
Ton  leur  ofloit  celles-là.  Ceft  pourquoy  il  faut 
conclure, iiuuantic  Confcildu  pape  Grégoire, 

que 


DES     INDES.    LIV.    VI.  Z$J 

que  c'eft  vnc  chofe  fort  propre  de  laUfer  aux  In- 
diens cequ'ils  ont  de  couftume  ôc  vfages  ,  pour- 
ucu  qu'ils  ne  foient  point  méfiez  de  leurs  erreurs 
anciens3&  de  faire  en  forte  que  ieursfeft.es  &  paf- 
fc- temps  l'acheminent  à  l'honneur  de  Dieu  te 
des  Saindts ,  defquels  ils  célèbrent  les  fefts.  Cecy 
pourra  fuffire  en  gênerai  des  moeurs  Sccouftu- 
mes  politiques  des  Mexiquains.  Etquantàleur 
origine ,  accroillement  &  Empire  3  d'autant  que 
c'eft  vne  matière  plus  ample  ,&:  qui  fera  belle  Se 
plaifante  d'entendre  des  fon  commencement, 
nous  en  traitterons  au  Hure  fuiuant. 


III J    l  I   I J  jiWiiMt 


LIVRE   SEPTIEME 

DE    L'HISTOIRE    N  A- 

TVRL1E    ET    MORALE 

des  Indes. 

Que  c'eft  y  ne  cbofe  ytïle  d'entendre  les  acJes  &r  geftes 

des  Indes  s  principalement  ceux  des 

l\iexicjuains. 


CHAPITRE    PREMIER. 

*f^\  Ovte  hiftoire  véritable  bien 
%^b  cfcriteeft  toufiours  profitable  au 
Lecteur.  Car  comme  dit  le  Sage: 
ê^£  Ce  qui  a  cflceft ,  &  ce  qui  fera ,  cji  ce 
(juta  ejiè.  Les  choies  humaines 
ont  entr'elles  beaucoup  de  relîemblance  ,  & 
les  vns  fe  font  fages ,  par  ce  qui  arriueaux  au- 
tres. Il  n'y  a  peuple  fi  barbare  qui  n'ait  en  foy 
quelque  chofe  de  bon  &  digne  de  louange  ,  ny 
République  fi  bien  ordonnée,  où  il  n'y  ait  quel- 
que chofe  à  reprendre.  C'eft  pourquoy  quand  il 
n'y  auroit  au  rc  ruiât  en  l'hiftoire  &  narration 
des  faits  des  Indiens,  que  cède  commune  vtilité 
d'eftre  vne  hiftoire  &  relation  des  chofes  ,  les- 
quelles en  effed  de  vérité  font  aduenuës,  elle  me 
rite  allez  d'eftre  receuë  comme  choie  vtile,  &  ne 
la  doit-on  pas  rcictter,  pourtant  fi  ce  (ont  choies 


^M 


DES    INDES.       IIV.    VII.  20  8 

des  Indiens.  Comme  nous  voyons  que  les  au- 
theurs  qui  traittent  des  ebofes  naturelles ,  eferi- 
uent  non  feulement  des  animaux  généreux,  des 
plantes  iignallees ,  &  des  pierres  precieufes ,  mais 
au (îî  des  animaux  vils,  des  herbes  communes,  àcs 
pierres  &' choies  vulgaires,  d'autant  qu'il  y  a  toui- 
îours  en  icellcs  quelques  proprietez  dignes  d'e- 
ftre  remarquées .  Ainiï  quand  il  n'y  auroitautre 
chofe  en  cecy  que  îe  traitte ,  que  d'eftre  vne  hi- 
itoirecV  non  point  des  fables  &  fictions,  c'eft 
touiiours  vn  iuject  qui  n'eft  pas  indigne  d'eftre  ef- 
crir  n y  d'élire  leu.  Il  y  a  encor  vne  autre  railon 
plus  particulière:  c'eft  que  l'on  doit  d'auantage 
eftimer  en  ceçy  cec]uieftdignedemcmoire,d'aU' 
rant  que  c'eft  vue  nation  peu  eftimee,  &  d'autant 
m  drue  que  c'eft  vne  matière  dirFcrcntede  celle  de 
noftre  Europe, comme  auilile  font  ces  nations: 
enquoy  nous  deuons  prendre  plus  deplaifir&de 
contentement  d'entendre  le  fond  dcleur  origine, 
leurfaçon  de  viurc,  leurs  heureufes  &  malheu- 
reufesaduentures.  Etn'eft  pas  cette  matière  feu- 
lement plaifante  &  aggrcablc ,  mais  auflï  eft  vtile 
&  profitable,  principalement  à  ceux  qui  ont  la 
charge  de  les  régir  &  gouuerner:  caria  coçnoif- 
iance  de  leurs  a£tes  inuite  a  doncr  crédit  aux  no- 
iîres,  &  enfeigne  en  partie  comment  ilsdoiuent 
cftretraittez,  voire  elleofte  beaucoup  du  com- 
mun &  fol  mefpris ,  auquel  ceux  de  l'Europe  les 
ont , ne  iugeans  pas  que  ces  peuples  ayent  aucu- 
ne chofe  de  raifon.  Car  certainement  on  ne  peut 
mieux  trouuer  refclarciflcmentdeceÛe  opinion, 
que  par  la  vraye  narration  des  faits  &  geft.es  de  ce 
peuple.  le  traifteray  doc  «use  l'ayde  du  Seigneur, 

P3j 


BBBBBMBHMi  WM 


■ 


HISTOIRE  NATURELLE 
leplusbriefuementqueiepourray,  de  l'origine, 
progrez,&  faits  notables  des  Mexiquains,  par 
où  l'on  pourra  cognoiftre  le  temps  &  ladifpofi- 
tion  quels  haut  Dieu  voulut  choifir  pour  en- 
uoyer  à  ces  nations  la  lumière  del'Euangilede 
Iefus  Chrift  Ton  fils  vniquenoftre  Seigneur  ,  le- 
quel icfupplie  acheminer  noftre  petit  trauail,  de 
forte  qu'il  puilfe  rciïffir  à  la  gloire  de  fa  diurne 
grandeur ,  &  à  quelque  vtilité  de  ces  peuples,auf 
quels  il  a  communiqué  la  faincle  loy  Euangeli- 
que. 

Des-ancicns  babitans  de  lancufue  Efpaçwe,  &  com- 
ment les  KaHdtiacasy  yiiidrent. 

c  h  a  p.    i  r. 

E  s  anciens  &  premiers  habitans  des  Pro  - 
uinces,que  nous  appelions  neufue  Efpagne, 
furent  des  hommes  fort  barbares  Se  fauuages,qui 
viuoient  ôc  f  entretenoient  feulement  de  la  chaf- 
fe.  A  celle  occafîoneftoient  appeliez  Chichime- 
quas.  Ilsnefemoient  nynecultiuoient  point  la 
terre,  &  ne  viuoient  point  enfemble  ,  d'autant 
quetout  leur  exercice  eftoitdechalfer  ,enquoy 
ils  eftoient  fort addroits.  Ils  habitoient  aux  plus 
afpres  lieux  des  montagnes  viuantsbeftiallemét 
fans  nulle  police,  &  alloient  tous  nuds.  Ils  fai- 
foientla  chade  aux  belles  roufles,  aux  Heures, 
connins,beliettes, taupes  ,  chats  launages  ,  & 
aux  oyfeaux  ,  voire  aux  belles  immondes ,  com- 
me aux  cojHleuures,lezards,locuftes,&  vers,dont 
ils  fenourriifoientauec  quelques  herbes  ôc  raci- 
nes. Ils  dormoiem  aux  montagnes,  en  de»  caucr- 


DES     INDES.     LIV.    VI.  199 

nés  ,  ôc  en  des  huilions:  &  les  femmes  mefmes  al- 
louent à  la  châtie  auec  leurs  maris,  lailTansleurs 
petits  en  fans  attachez  aux  rameaux  d'vn  arbre, 
dans  quelque  petit  pannierde  ionc,  qui  fe  paf- 
foient  d'eftre  allaitiez  iufques  à  ce  qu'elles  re- 
tournaient delà challe.  Ils  n'auoient aucuns  fu- 
peneursj&nerccognoiflbient ,  ny  n'adoroienc 
aucuns  dieux,  &  n'auoient  point  de  couftumes 
ny  de  religiô.  Ilyaencorauiourd'huy  en  laneuf- 
ue  Elpagne  de  celle  forte  de  gens  qui  viuentdc 
leur  arc  &  flefches ,  lefquels  lbnt  fort  domma- 
geables :pourautant  qu'ils  l'afTemblentpar  com- 
pagnies, pour  faire  quelque  mal  ou  vollerie,&: 
n'ont  peu  les  Efpagnols  par  force  ny  fi  nèfles ,  les 
réduire  à  quelque  police  Se  obeyllance.Car  com- 
me ils  n'ont  point  villes,  ny  de  refidences,  com- 
battre auec  eux,  eft  proprement  chalîer  aux  be- 
lles fauuages , qui  l'efeartent,  Ôc  fe  cachent  aux 
lieux  les  plus  afpres  ôc  couuerts  de  la  Syerre.  Tel- 
ie  eft  la  façô  de  viure  encor  auiourd'  huy  en  beau- 
coup de  Prouinces des  Indes  ,  ôc  eft  traitté  prin- 
cipalement de  celle  forte  d'Indiens,  aux  liurcs 
Deprocuranda  îndiorum  falute.  Au  lieu  où  il  eft  dit, 
qu'ils  ont  debefoing  d'eftre  contraints  ôc  alîu- 
jettis  par  quelque  force  honnefte,  &  qu'il  eft  ne- 
ceflaire  de  les  enfeigner  premièrement  à  cftre  ho- 
mes ,  puis  après  à  élire  Chreftiens.  L'on  veut  dire 
queceux  qu'ils  appellent  en  la  neufue  Efpagne, 
Ottomies,eftoient  de  celle  forte,  lefquels  corn- 
munementfontdepauures  Indiens  habitansen 
vne  terre  afpre  ôc  rude ,  ôc  neantmoins  font  en 
allez  grand  nombre ,  ôc  viuent  enfemble ,  ayants 
entr'eux  quelquepolice,  Ôc  ceux  qui  les  cognoif- 

P  jiJ 


HISTOIRE  NATVRILLE 
fènt,nelestrouuentpas  moins  idoines  &  capa- 
bles es  chofes  de  la  Chreftienté  que  les  autres, 
qui  font  plus  opulens  ,  6c  que  l'on  tient  pour 
mieux  policez.  Venans  donc  ànoftre  fujeft,  les 
ÇhichimecaSj&Ottomies,  qui  eftoient  les  pre- 
miers habitans  de  la  neufue  Èfpagne  ,  d'autant 
qu'ils  ne  femoient  ny  labouroient  la  terte,  laif- 
ièrent  le  meilleur  &  le  plus  fertile  de  cède  cotree 
(ans  le  peupler,  ce  que  les  nations  qui  vindrent 
de  dehors  occupèrent  ,  lefquels  ils  appelloient 
Nauatalcas^'autant  quec'eftoit  vue  nation  plus 
ciuile  &  plus  politique ,  &  lignifie  ce  mot ,  peu- 
ple qui  parle  bien  ,  au  refpecl  des  autres  nations 
barbares  &  fans  rai  (on.  Ces  féconds  peupleurs 
Nauatalcas,vindrent  desautres  terres  efloignees 
qui  gifent  vers  le  Nort,où  l'on  a  maintenant  def- 
couuert  vnR,oyaume,qu'iIs  appellent  le  nouneau 
Mexique.  Il  y  a  en  cefte  contrée  deux  Prouinces, 
l'vne  appellee  Aztlan ,  qui  veut  dire  lieu  de  hé- 
rons ,  l'autre  Tuculhuacan  ,  qui  fignifie  terre  de 
ceux  qui  ont  les  ayeuls  diuins.  Les  habitans  de 
ces  Prouinces  ont  leurs  maifons ,  leurs  terres  la- 
bourables ,  dieux ,  couftumes ,  de  cérémonies ,  a- 
uec  le  mefme  ord,re,&  police  que  les  Nauatalcas, 
&font  diuifez  en  fept  lignages  ou  nations  ,  & 
pourcequ'ilyavn  vfage  en  cefte  Prouince,  que 
chacun  de  ces  lignages  a  fon  lieu ,  Se  fon  territoi- 
re feparc,  les  Nauatlacas  peignent  leur  origine, 
&  premier  territoire  en  figure  de  cauetne,  &di- 
fent  qu'ils  fortirent  de  fept  cauernes  pour  venir 
peupler  la  terrede  Mexique,  dequoy  ils  font  me- 
tion  en  leur  hiftoire,  où  ils  peignent  feptcai 
tics  3  &  les  hommes  qui  en  fortent.  Par  la  fu^ 


DES    INDES.       LIV.    VII.  3OO 

cation  de  leurs  liurcs  ,  il  y  a  plus  de  huict  cens 
ans  que  cesNauatlacas  fortirent  de  leur  pay  s,qui 
fcroitlereduifàntànoftreconte  ,  l'année  de  no- 
ftre  Seigneur ,  huic~t  cens  vingt.  Quand  ils  partie 
rent  de  leur  pays  pour  venir  en  Mexique,  ils  tar- 
dèrent quatre  vingts  ans  en  chemin ,  &  la  caufe 
qu'ils  demeurèrent  fi  long  temps  en  leur  voyage, 
fut  que  leurs  dieux  ,  (  lefquels  ians  doute  eftoient 
diables ,  qui  parloient  vifiblement  à  eux)  leutfa- 
uoient  perfuadé  qu'ils  allaient  recherchants  de 
nouuelles  terres ,  qui  euflent  de  certains  lignes. 
C'eftpourquoyils  venoient  recognoiflans  toute 
la  terre,pour  rechercher  les  fignes  que  leurs  ido- 
les leur  auoien t  donné,&  es  lieux  qu'ils  trouuoiec 
de  bonne  habitation  ,  ils  peuploient  8c  labou- 
roient  la  terre,&xomme  ils  defcouuroient  touf- 
ioursde meilleures  contrces,ils  delaiflbient  cel- 
les qu'ils  auoient  ainfi  premièrement  peuplées,  y 
laiflans  ncatmoins  toufiours  quelques  vns,prin- 
cipalemëtles  vieillards  malades,&  fatiguez,me£ 
mcsyplaiuoient&  baftiflbient ,  dont  l'on  voit 
encor  auiourd'huy  des  reftes  par  le  chemin  qu'ils 
tindrcnt,&  employèrent  quatre  vingts  ans  en  ce- 
lle façon  de  cheminer  fi  à  loifir ,  ce  qu'ils  euflent 
peu  faire  en  vn  mois ,  par  ce  moyen  ils  entrèrent 
en  la  terre  de  Mexique,  en  l'année  de^neuf  cens 
deux,  félon  noftre  conte. 


Comment  lesfix  lignages  de  NauatLcM  peuplèrent 
la  terre  de  Mexique. 
c  H  a  P.     111. 
|  Es  fept  lignages  que  i'ay  dir,ne  fortirent  pas^ 
tous  cnfemble,  les  premiers  furet  les  Suchi- 

P    "*j 


■i 


SES  F 


HISTOIRE  NATVRELLE 
milcos,  qui  fignifie  gent  de  fcmences  de  fleurs. 
Ceux-là  peuplèrent  le  riuage  du  grand  lac  de  Me- 
xique,vers  le  Midy  ,  &  fondèrent  vne  cité  de 
leur  nom  &  plufieurs  bourgades.  Long  temps  a- 
presarriuerentceuxdu  fécond  lignage,  appeliez 
Chai  cas ,  qui  fignifie  gent  des  bouches ,  lefquels 
fondèrent  auflï  vne  autre  cite  de  leur  nom,  de- 
partans  leurs  limites  &  territoire  ,  auec  les  Su- 
chimilcos.  Les  troillefmes  furent  les  Tepanecas, 
qui  fignifie  gent  du  pont ,  lefquels  peuplèrent  le 
riuagedulac,  vers  l'Occident,  Se  faccreurent 
tellement  qu'ils  appellerent  le  chef  Se  metropo  - 
litainede  leur  ProuinceAzcapuzalco  ,qui  vaut 
autant  àdirc  que  fourmilière,  &furentvnlong 
temps  fort  puillants.  Apres  ceux-là  vindrent, 
ceux  qui  peuplèrent  Tezcuco,  qui  font  ceux  de 
Culhua,qui  veut  dire  gent  courbée,  pource  qu'en 
leur  pays  il  y  auoit  vne  motagne  fort  recou rbee. 
Etdeceftefaçonfutcelacenuironné  de  ces  qua- 
tre nations ,  peuplans  ceux-cy  de  l'Orient  ,  &  les 
Tepanecas  le  Norc.Ceux  de  Tezcuco  furent  efti- 
mez  fort  courtifans.  Car  leur  langue  Se  pronon- 
ciation eïl  fort  douce  Se  mignarde.  Apres  arriue- 
Fent  les  Tlalluicas ,  qui  fignifie  gent  de  la  Syerrc. 
Ceux-là  eftoiet  les  plus  rudes  Se  groffiers  de  tous, 
Se  comme  ils  trouuercnt  toutes  les  plaines  occu- 
pées autour  du  lac,  iufquesauxSyerres^,  ils  payè- 
rent de  l'autre  cofté  de  la  Sycrre,  où  ils  trouuercc 
vne  terre  fortfertile,fpacieufe,  Se  chaude ,  en  la- 
quelle ils  fondèrent  Se  peuplèrent  plufieurs  grads 
bourgs,appellans  la  Métropolitaine  de  leur  Pro- 
uinceQuahunachua,  qui  vaut  autant  à  dire  que 
lieu  où fonuela  voix  del'aigle,quenoftre vulgaire 


MflHM 


DES      IND  ES.      LI  V.    VII.  30I 

appelle, &  parcorruptiô,Quernauaca,  &  eftcefte 
prouin  ce  celle  que  l'ô  appelle  auiourd'huy  le  Mar- 
quizat.  Ceux  de  la  (ixielme  génération,  qui  font 
lesTlafcakecas  ,  qui  vaut  autant  à  dire  que  genc 
de  pain  ,  palîerent  la  Syerre  vers  l'Orient  trauer- 
lans  toute  la  Syerre  Menade,où  eft  le  fameux  Vul- 
câ,entre  Mexique  &  la  cité  des  Anges5où  il  trou  - 
uerent  debon  pays,  &  C'y  étendirent  bien  auanc 
plufieurs  édifices.  Ils  y  fondèrent  plufieurs  villes, 
&  citez:  dont  la  Métropolitaine  Pappclla  de  leur 
nomTlafcala.  Cefte-cyeft  la  nation  qui  fauorifa 
les  Efpagnols  à  leur  entrée ,  &  par  l'aydedefqucls 
ils  gagneret  ce  pays.,parquoy  îufques  auiourd'huy 
ils  ne  payent  point  de  tribut,  &  iouilïent  d'vne 
exemption  générale.  Lors  que  toutes  ces  nations 
peuplèrent  ces  pays,  les Chinchimecas, anciens 
habitans  ne  leur  firent  aucune  refiftance ,  mais  ils 
i'enfuioient,&  comme  tous  efpouuentez  ils  feca- 
choient  au  plus  couuert  des  rochers.   Mais  ceux 
qui  habitoientde  l'autre  codé  de  la  Sierre,  où  les 
Tlafcaltecas  fhabitucrent,  ne  permirent  point  ce 
qnelereftedcs  Chichimecas  auoient  permis  :  au 
contraire  ils  fe  mirent  en  deffence,pour  conferuer 
leur  pays,  &  comme  ils  eftoientgeans,  félon  que 
raconte  leur  hiftoire,ils  voulurent  ietter  par  force 
les  derniers  venus  ,  mais  ils  furent  vaincus  par  la 
rufe&  finefle  desTlafcaltecas,lefquels  feignhec  de 
faire  paix  aucc  eux,  puis  les  conuieret  en  vn  grand 
banquet,  &  lors  qu'ils  eftoient  occupez  à  leurs 
yurongneries,  il  y  eut  des  hommes  qui  ^uoiët  elle' 
mis  en  embufche  à.  cefte  fin ,  qui  leur  defroberent 
finement  leurs  armes,qui  eftoient  de  grades  maf- 
fuès ,  des  rondelles ,  tdes  efpees  de  bois,  &  autres 


HISTOIRE    NATVRBLLE 

telles  forces  d'armes.  Cel3  fait  ils  feietterentà 
l'impourucu  fur  eux,&  les  Chichimecas  fe  voulâs 
mettre  en  deffenfe ,  &  ne  tr  ouuans  point  leurs  ar- 
mes,s'enfuirét  aux  montagnes  &  forefts  prochai- 
nes,oùmettanslamainauxarbrcs5lcs  rompoient 
&arrachoient,  comme  fi  c'eufîentefté  fueillesde 
laictucs.  Mais  en  fin  comme  lesTlafcaltecasal- 
loient  armcZj&en  ordre  ils  defhrent  tous  les  geâs, 
fans  en  laitier  vn  feul  en  vie.  Ce  qu'ô  ne  doit  trou- 
uer  eftrangc ,  ny  pour  fable  de  ces  geans ,  car  on  y 
trouue  encor  auiourdhuy  des  os  d'homes  morts, 
d'vne  incroyable  grandeur.  Lors  que  i'eftois  en 
Mexique,  en  l'année  de  quatre  vingts  &  fix  ,  l'on- 
trouua  vn  de  ces  geans  enterré  en  vne  de  nos  me- 
tairies,que  nous  appelions  Iefus  du  Mont,duquel 
Ton  nous  apporta  vne  dent  à  voir ,  laquelle  fans  y 
adioufter ,  eftoit  auffi  grande  que  le  poignet  d'vn 
homme  &  félon  cefte  proportion  tout  le  refte,le- 
quelievey  ,  &m'efmerueillayde  cefte  difforme 
gradeur.  Les  Tlaical  tecas  donc  par  celle  victoire, 
demeurèrent  paifibles,&  tous  les  autres  lignages 
auflî.  Ces  fix  lignages  que  i'ay  dit,  conferuerent 
toufiours amitié entr'eux  , mariîs leurs enfans  les. 
vnsauee les  autres,  &departans  leurs  limicespai- 
fibiemet,  puis  s'eftudioient  par  vne  hônefte  emu- 
latiÔd>accroi{lre&  d'illuftrer  leur  republique. Les 
barbares  Chichimecas  voyans  ce  qui  paflbit ,  cô- 
mfccerent  deprehdre  quelque  police,&  à  fe  veûir, 
ayans  honte  de  ce  qu'auparauant,&  infques  alors 
ils  n'auoient  efte  hôteux,&  ayans  perdu  la  crainte 
parlacommunicationdecesautrespeuplcSjCom- 
mencerét  d'apprendre  d'eux  plufieurschofes>& 
faifoient  défia  leurs  maifbnnectes ,  ayans  quelque 


DES     INDES.    II  V.    V  II.  3  01 

police  &  gouuerncmct.  Ilsefleurentauilidesfei- 
gneur$,qu'ils  recognoiflbiwt  pour  chefs,&  fupe- 
rieurs.au  moyen  dequoy  ils fortircnt prefque en- 
tièrement de  cefte  vie  bcftialle,toutesfois  ils  reft- 
doient  toufîoursauxmotagnes,  8c  en  laSierrefe- 
parez  des  autres.Neantmoinsietiéspour  certain 
que  cefte  crainte  eft  prouenuë  des  autres  nations, 
&prouincesdes  Indes,  dont  les  premiers  furent 
hommes  fauuages,  lefquels  ne  viuâs  que  de  chatte 
entreient,penetrans  les  terres  8c  pays  fort  afpres, 
defcouurans  vn  nouueau  monde ,  8c  habitansen 
iceluy  prefque côme  belles  fauuages,  fans  toi&s, 
8c  fans  maifons ,  fans  terres  labourables ,  fans  be- 
ftial,fans  Roy,  loy,  ny  Dieu,  ny  raifon.Du  depuis 
quelques  autres  cherchans  de  meilleures  8c  nou- 
uellcs  terres,  peuplèrent  le  pays  fertile ,  introdui- 
fans  vn  ordre  politic,  &  quelque  façon  deRepu- 
blique ,  encor  quelle  fuft  fort  barbare.  Par  apres 
ces  mefme  homes,où  d'autres  nations,  qui  eurent 
plus  d'entendement  8c  d'induftriequeles  autres, 
Remployèrent  à  aiïubiectir  8c  opprimer  les  moins 
puitlans ,  iufques  à  fonder  dts  Royaumes ,  8c  des 
grands  Empires.  Ainfî  en  aduint  en  Mexique ,  au 
Petu,  8c  en  quelque  endroit  où  fe  trouuent  des  ci- 
tez ,&  des  Republiques  fondées  parmy  ces  Bar- 
bares. Ce  qui  me  confirme  en  mon  opinion ,  la- 
quelle i'ay  amplement  defduitc  au  premier  liure, 
que  les  premiers  habitans  des  Indes  Occidenta- 
les vindrent  par  terre,  8c  que  par  confequent,tou- 
tc  la  terre  des  Indes  fe  continue,  auec  celle  d'A- 
iîe,  d'Europe,  8c  d'Afrique,  &  le  nouueau  monde 
auec  le  vieil,  (côbienque  l'on  n'ait  encor  defeou- 
uerc  à  prefent  au^un  pays  qui  touche  8c  fe  ioigne 


HISTOIRE  NATVRELLE 
auec  les  autres  mondes  )  on  que  ('il  y  a  mer  entre 
de»x,elle  eft  eftroite,que  les  beftes  fieies  &  fauua- 
ges  la  peuuent  facilement  palier  à  nàgc,&  les  ho- 
mes en  de  mefehans  bafteaux.  Mais  lai'.làns  cefte 
philofophie  retournons  à  noftrehiftoire. 

De  Idfortie  des  Mexiquains ,  de  leur  chemin ,  &  du 
peuplement  de  ceux  de  jtfecbottdcan. 

ch  A  p.    i  III. 

*^>Rois  cens  deux  ans  après  que  les  fix  ligna- 
■Ê.AJâ»  ges  lufdits  furet  fortis  de  leur  pays  pour  peu- 
pler là  neuFue  Elpagne,  le  pays  eftant  délia  fort 
peuplé  &  reduic  à  quelque  forme  de  police ,  ceux 
de  là  feptiGlmc  cauerne ,  on  lignée ,  y  arriuerent, 
qui  eft  la  nation  Mexiquaine,laquelle  comme  les 
autres, fortit  de  la  prouince  de  Aztlan  &  Teuc.ul- 
huacan  ,  nation  politique,courtifane,  &  fortbel- 
liqueufe.  Ils  adoroient  l'idole  Vitziliputzli,  du- 
quel a  elle  fait  ample  mention  cy  deuant,cx:  le  dia- 
ble qui  eftoit  en  cet  idole  parloit  &  regifToit  allez 
facilement  cefte  nation.  Cefteidoledoncleurcô- 
manda  de  fbrtir  de  leur  pays,leur  promenât  qu'il 
les  feroit  Princes  &  feigneurs  de  toures  les  pro- 
uinces  qu'auoient  peuplé  les  autres  fixnationsj 
qu'il  leur  donneroit  vne  terre  fort  abondante  , 
beaucoup  d'or,d'argent,  de  pierres  precieufes ,  de 
plumes, Se  de  riches  mantes,(biuantquoy  ils  for- 
ment portans  auec  eux  leur  idole  dans  vn  coffre 
de  ionc,qui  eftoit  porté  par  quatre  des  principauj 
preftres,  aufquels  il  fe  communiquoit ,  &  leur  re- 
ueloit  en  fecret  le  fuccez  de  leur  chemin  &  voya 
ge ,  les  aduifant  de  ce  qui  leur  deuoit  aduenir. 


DES    INDES.      II V.    VII.        303 
leur  donnoit  mefmes  des  loix ,  &  leur  enfeignoit 
lescouftumes,ceremonies  ,  &facr ifices qu'ils  d e- 
uoientobfcruer.  Ilsn'aduançoientnynefemou- 
uoient  aucunement,  (ans  l'aduis  Se  commande- 
ment de  cet  idole.  Il  leur  difoit  quand  ils  deuoiét 
cheminer  ,  &  quand  en  queiquelieuiisdeuoient 
s'arrefter  ,  enquoyilsluyobeilioientdu  tout.  La 
premierechofe  qu'ils  faifoiët,où  que  ce  fuft  qu'ils 
arrîuaiïènt,  eftoit  d'édifier  vne  maifon,  ou  taber- 
nacle,pour  leur  faux  Dieu,  qu'ils  dreflbient  touf- 
iours  au  milieu  du  camp  ,  &  y  mettoient  l'arche 
furvn  autel  ^elamcfmefaçon  qu'on  en  vfe  en  la 
fain&e  Eglife  Chrcfticnne.   Cela  fait  ils  faifoient 
leurs  iemencesdepain  ,  &des  légumes  dont  ils 
vfoient  Se  eftoient  fi  addonnez  à  l'obeiffancede 
leurs  dieux,quei;il  leur  commandoit  de  recueillir 
ils  recueilloient,mais  s'il  leur  commandoit  de  1c- 
uerle  camp  ,  tout  demeuroit  là,  pour  femence& 
nourriture  des  vieillards  ,  malades  Se  fatiguez  , 
qu'ils  alloient  lailîans  à  tout  propos  de  lieu  en  au- 
trejafin  qu'ils  peuplaient.  Pretédansparce  moyé 
que  toute  la  terre  demeureroit  peuplée  deleur  na- 
tion.Cette  fortic  Se  peregrinatiô  des  Mexiquains, 
fembleraparauanturefemblable  à  la  fortie  d'Egy- 
pte^ au  chemin  que  firent  les  enfans  d'Ifrael,veu 
que  ceux  là  comme  ceux  cy, furent  adrrioneftez 
de  fortir,&  chercher  la  terre  de  promiiîion  ,  Se  les 
vns,&  les  autres  portoient  pour  guide  leur  Dieu, 
confultoicntiarche,&luy  faifoient  tabernacle,&: 
il  les  aduifoit ,  leurs  donnant  des  loix  &  des  céré- 
monies ;  Se  les  vns  ,  &les  autres confommerent 
vn  grand  nombre  d'années  fur  ce  voyage  de  leur 
terre  promife,où  l'on  recogaoift  delà  renemblan-» 


mmmm 


HISTOIRE     NATVRELI.  E 
cedepluficursautreschofes,en  ce  que  les  hiftoi- 
res  des  Mexiquains  racontent,&'  ce  que  la  diuine 
elcriture  rapporte  des  Iiraëiites.    Ecrans  doute 
ceftvne  choie  ventable,que  le  diable  prince  d'or- 
gueil,i3eft  efforcé  par  les  fupcrftitions  de  celle  na- 
tionale contrefaire  &enluiureceque  le  tref-haur, 
&  vray  Dieu  fit  auecfon  peuple.  Car  comme  il  a 
efté  traitté  cy  dellus,Satan  a  vne  çftrange  enuie  de 
fe  comparer  &  s'egaller  à  Dieu,  d'où  cet  ennemy 
mortel  a  prétendu  faulfement  vfurper  la  commu- 
nication3&  familiarité  qu'il  luyapleu  auoiraucc 
les  hommes.S'eft  il  iamais  veu  diable,qui  conuer - 
fait  ainfiauec  les  hommes,  côme ce  diable  Vitzi- 
lipuztli?L'on  peut  bien  voir  quel  il  eftoit,  parce 
que  l'on  n'a  iamais  veu,  nyouy  parler,  decouftu- 
mes  plus  iuperltiticufes  ,  ny  de  facriflces  plus 
cruels  &inhuroains,que  ceux  que  ceftuy  enftigua 
aux  liens.En  fin  elles  furent  inuentees  par  l'cnne- 
my  du  genre  humain.    Le  chef  6:  capitaine  que 
ceux  cyfuiuoient,auoit  nom  Mexi,d  oùvincpar 
après  le  nom  de  Mexique,&  celuy  de  fanatiô  Me- 
xiquaine.Cc  peuple  donecheminant  ainfî  à  loifir, 
comme  auoient  rait  les  lïx  autres  nations,peuplas 
&  cultiuâs  la  terre  en  diuers  endroits,dont  y  a  en- 
cor  auiourd'huy  des  appareces,&:  ruines ,  &  après 
auoir  enduré  beaucoup  de  trauaux  &  de  dangers, 
vindret  en  fin  arriuer  en  la  prouince  de  Mecnoa- 
can  ,  qui  vaut  autant  à  dire  que  terre  de  poilTbn, 
pour  ce  qu'il  y  en  agrand' abondance  en  de  beaux 
&  grands  lacs,où  fe  contentans  de  la  fituation ,  & 
fraifchenrdelatcrre,  ilss'y  voulurent repofer ÔC 
arrefter.  Toutesfois  ayans  confulté  leur  idole  fur 
ccpoittil,&  yoyiùi  qu'il  n'ea  eftoitpas  cctent,il 


DES  INDES.  LIV.  VII.  304 
luy  demanderct  qu'il  leur  permift  à  tout  le  moins 
d'y  laifTer  de  leurs  hommes^quipeuplalfent  vne  iî 
bonne  terre,ce  qu'il  lcuraccordajleurenfeignant 
le  moyen  commétilsleferoienr.  Qui  fut  comme 
les  hommes  &  les  femmes  feroiententrez  pour  fe 
ba+grierenvn  lac  fort  beau  ,  qui  s'appelloit  Paf- 
cuaro,  ceux  qui  refteroienc  en  terre  leur  defrobaf- 
fent  tous  leurs  habits,  &incontinentleuafTcntlc 
cap,&  s'en  allalTent  fans  faire  aucun  bruit.  Ce  qui 
fut  ainfi  fait ,  &  les  autres  qui  ne  oenfoient  en  la 
tromperie,  pour  le  contcntementqu'ils  prenoict 
àfe  baigner  ,  quand  ils  forment  &  fe  trouuerent 
deipouillcz  de  leurs  habits,&  ainfi  moquez  &  de- 
laillczde  leurs  compagnons,ils  demeurèrent  fort 
mal  contcs,&  indignez  de  cela,  de  farte  que  pour 
faire  demo.nftration  de  la  haine  qu'ils  conçeuf  enc 
contt*eux,ilsdifent  qu'ils changerentdc faconde 
viure,voire-de  langage.  A  tout  le  moins  c'eft:  vne 
choie  certaine,que  toufiours  les  Mechoacanes  ont 
cité  ennemis  des  Mexiquains,  c'eft  pourquoy  ils 
vindrent  congratuler  le  Marquis  de  Vallé,apres  la 
victoire  obtennë,quand  il  gagna  Mexique. 

De  ce  qui  arriua  en  lyîaîwdlc» ,  en  TuU, 
{?  en  Chdpidtepcc. 

C  H  A  P.     V. 

flflftg  L  y  a  de  Mexouacquan  en  Mexique,  plus  de 
SiS  cinquate  li  eues, &  fur  le  chemin  cft  Malinal- 
co,où  il  leur  aduint,  que  fesplaignans  à  leur  idole 
«Tvnefémc  tref-gradeforcierc,qui  venoiten  leur 
compagnie,  portant  le  nom  de  fœur  de  leur  Dieu, 
pource  que  auec  fes  mauuais  arts ,  elle  leur  faifoir 
<ie  grands  danuges^pre tendît  par  certains moy es 


HISTOIRE  NATVRELLE 
fe  faire  adorer  d'eux^côme  leur  deeflc:  l'idole par- 
laen  fongeà  l'vnde  ces  vieillards  quiportoient 
l'arche,  &  luy  commanda  que  de  fa  part  il  confo- 
îaft  le  peuple ,  ieur  faifant  de  nouueau  de  grandes 
promeiîes,&qu'iIslaifiaiîetcefteficnnefœur,auec 
la  famille,  comme  cruelle  &:  mauuaiie,enleuanc 
le cannp  de  nuict  en  grande  tîlence,  fans  lailîer  au- 
cune apparence  par  où  ils  alloient.Iis  le  fiiéc  ainfi, 
&  la  forciere  fe  trouuât  feule  auec  fa.  famille ,  de- 
laifïeede  la  façon  ,  peupla  là  vne  ville  qui  fut  ap- 
pellee  Malinalco ,  &  les  habitans  de  laquelle  font 
tenus  pour  de  grands  forciers  ,  eftans  iflusd'vne 
telle  mère. Les  Mexiquains,d'autat  qu'ils  s'efloiet 
beaucoup  diminuez  par  ces  diuifions,  &  pourie 
nombre  dès  malades  ,  &r  gens  fatiguez  qu'ils  al- 
loient  laiflans,  fe  voulurent  refaire ,  s'arreftans  en 
vn  lieu  appelle  Tula ,  qui  fignifie  lieu  de  ioncies. 
Là  leur  idole  leur  comanda  qu'ils  arreftafTent  vne 
grande  riuiere,afin  qu'elle  fe  refpandift  dedas  vne 
grande  plaine,&auec  le  moyc  qu'il  leur  enfeigna, 
ils  enuironnerétd'eaiievnecolliueappelleeCoa- 
tepec,&:  en  firent  vn  grand  lacjequelils  planteret 
ton t  à  l'entour  de  faux,  d'ormes ,  lapins ,  &  autres 
arbres.  Il  commença  à  s'y  engendrer  beaucoup  de 
poifïbn,&y  venir  plufieurs  oifeaux,  de  forte  qu'il 
s'y  fit  vn  lieu  délicieux. C'eft  pourquoy  l'afîîete  de 
ce lieu,leurfemblanr  allez  agréable,  &  eftanslaf- 
fez  de  tant  cheminer,  plufieurs  parlèrent  dépeu- 
pler là,&  nepafler  plus  outre,  dequoy  le  diable  fc 
fafchafort,&  menaçant  les  preftres  de  mort,  leur 
commanda  qu'ils  rémittent  la  riuiere  à  fon  cours. 
Et  leur  dit  qu'il  donneroit  cefte  nui6t  le  chaftimec 
àceuxquiauoienteftè  defbbeiflàns,,  tel  qu'ils  le 

meritoicnt. 


DES      INDES.      L  I  V.    VII.  30)' 

rneritoient.O,t  comme  le  mal  faire  eft  iï  propre  au 
diable,  &  que  là  milice  diuîne  permet  bien  louuct 
une  ceux  là  ioient  mis  entre  les  mains  d'vn  tel 
bourreau, qui  le  choiliùét  pour  leur  dieiuilarriua 
que  lut  la  minuiclilsoiiirent  en  certain  endroie 
du  camp  ,  vu  grand  bruit,  Se  au  matin  alrans  celle 
parc,  us  trouuerent  morts  ceux  qui  auoient  parlé 
de  demeurer  là.  La  façon  comme  ils  auoient  eue 
occis/utqu'Ôleurauoit  ouuertl'eftomach,  &  eu 
«uoiton  tiiélecceur.  Et  de  là  ce  bô  Dieu  enfeigna 
àçej  pauures  malheureux Jesfaçonsdcs  iacrifiecs 
qui  luy  ptâifojcnt,qùi  edoit  en  ouurât  l'euomach, 
qi,  leur  tirer  le  cœur,  ainfi  qu'ils  l'ont  depuis  prati- 
qué eu  leurs  horribles  lacrifices.  Ayans  veu  ce 
chaftiment  ainfi  rait ,  &  que  la  campagne  f'efloit 
defechee  ,  àcaufec]uelcIacs'eftoitvuide\ilscon- 
lultereiu  leur  dieu  de  ia  volomé,lequeIlcurcom- 
n.anda  de  palier  outre,cc  qu'ils  firent, &  peu  à  peu 
aduancerentjiufques  à  arriuer  à  Chapultepec,  à 
vne  lieue  de  Mexique, lieu  célèbre  pour  fa  récréa- 
tion^: fraifcheur.il s  fe  fortifièrent  en  ces  monta- 
gnes ,  pour  crainte  ;des  nations  qui  habitoienc 
ceûecontrecjlefqnelles  leur  elloient  toutes  con- 
traires ,  principalement  d'autant  qu'vn  nommé 
Copil ,  fils  de  celle  forciere  lailfce  en  Malinalco, 
auoit  blafmé ,  &  mal  parlé  des  Mexiquains.  Car 
ce  Copil,par  le  commandement  de  fa  mère,  quel- 
que temps  après  vintà  la  fuite  des  Mexiquains,cV 
s'efforça  d'inciter  contre  eux  les  Tapanecas,&  les 
autres  circonuifins ,  iuiques  aux  Chalchas,de  for- 
te qu'ils  vindrent  en  main  armée  pour  deftruire 
les  Mexiquains.  Le  Copil  cependant  femir  en 
vne  colline  qui  eft  au  milieu  du  lac  >  appellee 


R9SHHMMMMI 


HISTOIRE   NATVRELLE 
Acopilco,  attendant  ladeftruftionde  fes  enne- 
mis, &  eux  par  l'aduis  de  leur  idole  allèrent  con- 
tre luy,&  le  prenans  au  defpourucu  le  tuèrent ,  Se 
en  apportèrent  fe cœur  à  leur  dieu  ,  lequel  com- 
manda qu'on  le  iettaft  au  lac.  Et  feignent  que  de 
là  f'eft engendrée  vne  plante, appellee  Tunal ,  où 
du  depuis  fut  fondée  Mexique.  Ilsvindrentaux 
mains  ,  auec  lesChalcas,  Ôc  autres  nations,  & 
auoient  les  Mexiquains  efleu  pour  leur  capitaine, 
vn  vaillant  homme,  appellcVitziloniliti,quien 
vne  charge  fut  prins  &  tué  par  les  ennemis ,  mais 
pour  celales  Mexiquains  ne  perdirent  pas  coura- 
ge ,ains  combatans  valeureiement ,  malgré  leurs 
ennemis  rompirent  leurs  eicadrons,&men;ms  au 
milieu  &  corps  de  la  bataille  les  veillards,  fem- 
mes &  petits  enfans  ,  palferent  outre  iufques  à 
Atlacuyauaya,ville  desCulhuas,lefquels  ilstrou- 
uerent  folemnifans  vne  fefte  ,  auquel  Heu  ils  le 
fortifièrent.  Les  Chalcas  ny  les  autres  nations,  ne 
lesluiuirent  plus,  mais  eftans  defpitezde  fevoir 
deffaits  parvn  fi  petit nombrede gens  ,  eux  qui 
cftoient  en  fi  grande  multitude  ,  fe  retirèrent  en 
leurs  villes. 

De  la  guerre  ejue les Mexicjuatns  eurent  contre 
ceux  de  CulhuAcan. 

CHAP.     VI. 

Es  Mexiquains ,  par  le  confeil  de  l'idole  en- 
uoierent  leurs  meflagers,au  feigneur  de  Cul- 
huacan,  luy  demandans  vn  lieu  pour  habiter,  le- 
quel après  enauoir  communiqué  auec  les  liens 
leur  accorda  ie  lieu  de  Tiçaapan,qui  fignifie  eaucs 


DES  INDES.  LIV.  VII.  306 
blanches  ,  en  intention  qu'ils  fe  petfdiflTent ,  Se  y 
mouruflent  tous,  pouÇ  autant  qu  il  y  auoit[ence 
lieu  vn  grand  nombre  de  vipères,  de  couleuures, 
&  d'autres  animaux  venimeux,qui  fen  gcndroiét 
en  vne  colline  proche  de  là.  Mais  euxperfuadez, 
&enfeignezde  leur  diable,  receurenc  de  bonne 
volon  té ,  ce  qui  leur  fu  t  offert ,  &  adoucirent  par 
art  diabolique ,  tous  ces  animaux ,  fans  qu'ils  leur 
fiflTent  aucun  dommage,voire  les  conuertirenten 
viande,  &  en  mangeoient  à  leur  contentement  & 
appetit.Cc  que  voyant  le  Seigneur  de  Culhuacan, 
&  qu'ils  auoient  femé  &  cultiué  la  terre,il  fe  refo- 
lut  de  les  reccuoir  en  fa  cité,  &  de  contracter  ami- 
tié auec  eux.  Mais  le  dieu  que  les  Mexiquains 
adoroient  ,  (comme  il  a  accouftuméde  ne  faire 
aucun  bien  finonpouren  tirer  du  mal)  dift  à  fes 
preftres  ,  que  ce  n'eftoit  là  le  lieu  où  il  vouloit 
qu'ils  demeuralfent  ,  &  qu'ils  en  deuoientfortir 
en  faifant  la  guerre.  C'eft  pourquoy  ils  deuqient 
chercher  vne  femme,qu'ils  nommeroiét  la  deefle 
dedifcorde,&  pourtant  ils  aduiferent  d'enuoier 
demander  au  Roy  de  Culhuacan  fa  fille  ,  pour 
Roy  ne  des  Mexiquains,  &  m  ère  de  leurdieu,le- 
quel  receut  volontiers  cefte  ambalTàdc ,  &  incon- 
tinent leur  enuoya  fa  fille  bien  ornce&bienac- 
compagn  ce.  La  mefme  nuiâ:  qu'elle  arriua ,  par 
l'ordonnance  de  l'homicide  qu'ils  adoroient,  ils 
la  tuèrent  cruellement.  Et  après  l'auoir  efeor- 
chee  fort  proprement  comme  ils  fçauent  faire, 
ils  en  veftirent  de  la  peau,vn  ieune  homme, qu'ils 
couurirent  par  delîus  des  habillemens  d'elle  ,& 
de  cefte  façon  le  poferent  auprès  de  l'idole ,  le  de- 
dians  pour  dcefle  &  mère  de  leur  Dieu  ,  &  touf- 


HISTOIRE     NATVRELLE 
iours  depuis  l'adorerét,en  failans  vue  idole ,  qu'ils 
appelloicncToccy  ,  qui  v eut  dire  noftreayeule. 
Non  côntens  de  cefte  cruauté  ils  inuiterent  mali- 
cieufemenc  le  Roy  de  Culhuacan.pcrede  la  ieune 
ftlle,dc  venir  adorer  (a  fille,  qui  eltoit  défia  confa- 
cree  deeflTe  lequel  venant,aucc  de  grands  prefens 
&  bien  accompagné  des  liens  ,  tue  mené  en  vne 
chappclle fort  obicure,  où  eftoit  leur  idole  ,  afin 
qu'il,  offrit  lacrificeà  fa  fille,  quieftoiten  ce  lieu. 
Mais  il  arriua  que  l'encés,qui  eftoit  en  vn  brafier, 
ôc  foiïyer,  félon  leurcouftume,  s'alluma  de  forte 
que  par  cefte  clarté,  il  recogne  ut  le  poil  de  fa  fille, 
&  ayant  par  ce  moyen  dcfcouuert  la  cruauté,  &  la 
tromperie/ortitdelàs'efcriant  hautement,  puis 
auec  tous  fes  gens  frapa  finieufement  fur  les  Me 
xiquains,iufquesàlcs  faire  retirer  au  lac ,  tell  cm  et 
quepeu  s'en  fallut  qu'ils  ne  s'y  noyaiïcit.Les  Me- 
xiquainsfe  defTcndoicnt,  icttans  certaines  dardil- 
les,dont  ils  fefèruoient  àiagucirejdel.quelsilsof- 
fençoient  beaucoup  leuvs  ennemis. Mais  en  fin  ils 
gaignerent  terre,  &  delaiifans  ce  lieu  là  (en  allcrcc 
coftoyanslelac,fort  harafîez&  moui'lez,lcs ;  fem- 
mes &  petits  enfanspleurans  &  icttans  de  grands 
cnsconcr'eux  cV  contre  leur  dieu  ,  qui  les  auoic 
mis  en  telles  dcftrefiTcs.    Ils  furent  contrains  de 
palFervne  riuiere,qui  ne  le  pouuoit  gueyer,  c'eft 
pourquoyilss'aduiferentdefaicede  leurs  rondel- 
les^ de  ioncs  certains  petits  bateaux,  efqueis  ils 
palïerent.Puis  après  en  tournoyant,  eftans  partis 
de  Culhuacan,arriuercnt  à  Iztacalco,&finalemét 
au  lieu,  où  eft  auiourd'huy  l'Hermitefainct  An- 
thoineà  l'entrée  de  Mexique,&  au  quartier  qu'ils 
appellent  auiourd'huy  (aind  l'aul^pcndant  lequel 


DES  INDES.  L  IV.  VIT.  3  OJ 
temps  leur  idole  les  confoloit  en  leurs  trauaux,  6c 
les  animoic ,  leur  faifant promefles  de  grandes 
chofes. 


De  la  fondation  de  Mexique*.   • 

CH^P.    VII. 

fâtt  E  temps  eftant  défia  venu,que  le  père  de  me- 
GSâf  fongedeuo;taccôplirlapromeflequ'ilauoit 
faite  àfon  peuple  ,  lequel  ne  pouuoit  plus fuppor- 
ter  tant  de  tournoyement,  de  trauaux ,  &  de  dan- 
gers, aduint  que  quelques  vieillards  preftres  ,  ou 
iorciers,eftas  entrez  dans  vnlieu  plein  de  glaïeuls 
cfpais  rencontrèrent  vn  cours  d'eauë  fort  claire  & 
belle, qui fembloit argentée,  &  regardansàl'en- 
tour,veirent  que  les  arbres, le  pre,ks  poilfons,  6c 
tout  ce  qu'ils  regardoienteftoit  fort  blanc.  Eftans 
eimerueillez  de  cela, il  leur  fouuint  d'vne  prophé- 
tie de  leur  dieu  ,  par  laquelle  il  leur  auoit  donné 
cela  pour  fîgnal,  du  lieu  oùilsfedeuoient  repo- 
fer,&  fe  faire  Seigneurs  des  autres  nations.  Alors 
pleurans  de  ioye,retournerent  vers  le  peuple  auec 
ces  bonnes  nouuelles.  La  nuictenfuyuante  Vitzi- 
liruztîi  (7apparuten  fonge  à  vngreftrc  ancien  ,  & 
lu  y  di(t,quJils  cherchaient  en  ce  lac  vnTunal,qui 
naiiîoit  d'vne  pierre  (  qui  eftoit  à  ce  qu'il  luy  dift, 
1-e  lieu  mefme,  où  par  (on  commandement  ,  ils 
auoient  itté  lecceur  deCopil  rils  de  la  forcierc, 
leurennemy.)  Et  que  furceTunal,ils  verroient 
vn  aigle  fort  beau,  quifepaifïoitlà,   de  certains 
beaux  petits  oifeaux,&  que  quad  ils  verroiet  cela, 
qu'ils  creuffenc  que  c'eftoit  le  lieu  où  leur  cité  de- 
uoit  eftre  baftie  ,  laquelle  deuoit  furmenter  les 

q    iij 


HISTOIRE  NATVRILLE 
autres,  &  eftre  remarquable  au  monde.  Le  matin 
venu  le  vieillard  afTembla  tout  le  peuple,  depuis 
le  plus  grand ,  iufques  au  plus  petit,  &  leur  fie  vne 
longue  harangue,fur  le  fuject  de  la  grande  obliga- 
tion qu'ils  auoient  à  leur  dieu,&  de  la  reuelation, 
queluy  indigne  en  auoit  eue'  cette  nuic"ï,  concluît 
que  tous  deuoient  fe  mettre  à  rechercher  ce 
bien  heureux  qui  leur  eftoit  promis.  Ce  qui  cau- 
fa  telle  deuotion ,  &  allegrefle  à  tous,  que  fans  di- 
layer  ils  fe  mirent  incontinent  à  l'entreprife ,  &  fe 
diuifansen  bandes  commencèrent  à  rechercher, 
fuiuant  les  fîgnes  de  la  reuelation  ,  ie  lieu  deiïré. 
Parmy  l'efpaifleur  des  iôcs  &  glaieuls  de  ce  lac,  ils 
rencontrèrent  ce  iour  là  le  cours  d'eauë  du  iour  de 
deuant,  fort  différent  toutesfois  ,  d'autant  qu'il 
«'eftoit  pas  blanc ,  mais  vermeil  comme  fang,  le- 
quel fe  feparoit  en  deux  ruilfeaux,  dot  il  y  en  auoit 
vn  qui  eftoit  de  couleur  azurée  fort  obfcure,ce 
qui  les  fit  beaucoup  efmerueiller  ,  &  dénota  vn 
grand  myftere  à  ce  qu'ils  difoient.  En  fin  après 
auoir  beaucoup  cherché  ça  &  là,  apparut  leTu- 
nal ,  naiffant  d'vne  pierre ,  fur  lequel  il  y  auoit  vn 
Aigle  Royal, ayant  les  aifles  ouuertes  &  eften- 
dué's ,  tourne  deuers  le  Soleil ,  en  receuant  fa  cha- 
leur. Alentour  de  cet  aigle,  il  y  auoit  beaucoup 
de  plumes  riches blâches,  rouges,  jaulnes,  bleues, 
ôc  vertes,  de  la  mefme  forte  de  celles  dont  ils  font 
des  images,  lequelaigle  tenoit  en  fes  griffes  vn 
fort  bel  oyfeau.  Lefquels  le  veircnt,&  recogneu- 
rentquec'eftoit  le  lieu,  qui  leur  auoit  efté  prédit 
parloracle.ils  f'agenoiïillerent tous  faifans gran- 
de veneratiô  à  l'aigle,  laquelle  leur  inclina  la  tefte, 
en  regardant  de  tous  coftez.  Il  y  eutalors  de  gtads 


- 


DES     INDES.    LIV.    VII.  308 

cris  &  démonstrations,  &  actions  de  grâces  au 
createur,&  à  leur  grand  Dieu  Vitzilipuztli,qui  en 
tout  leur  eftoit  pere,&leur  auoit  toufiours  dit  vé- 
rité. Ils  appellerent  pour  cefte  occafion  la  cité 
qu'ils  fondèrent  là  Tenoxtiltan ,  qui  lignifie  Tu- 
nal  en  pierre ,  &  iufques  auiourdnuy  ils  portent 
en  leurs  armes  vn  aigle  fur  vn  Tunal  ,  aucc  vn  oi . 
feau  en  vne  griffe  ,  &  affis  de  l'autre  fur  vn  Tunal. 
Le  iour  fuiuant  par  la  commune  opinion  ils  firent 
vn  hermitage  ioignant  le  Tunal  de  l'aiglcafin  que 
l'arche  de  leur  dieu  y  repofàft  ,  iufques  à  ce  qu'ils 
euflentle  moyen  de  luy  faire  vn  fomptucux  tem- 
ple ,  cVainfi  firent  cet  hermitage  deguazons& 
de  mottes  qu'ils  couurirent  de  paille  ,  puis  a- 
pres  ayans  confultè  leur  dieu  ,  ils  délibérèrent 
d'acheter  de  leurs  voifins  de  la  pierre,  du  bois  & 
de  la  chaux,  en  troc  de  poifïbns  ,  de  grenouilles 
&  de  cheurettes ,  mefme  auffi  de  canards ,  poulies 
d'eauë,courlieux  &autres  diuers  genres  d'oifèaux 
marins.  Toutes  lefquelieschofesilspefchoient 
&  chaflbient  auec  grande  diligence  en  ce  lac ,  au- 
quel il  y  en  a  en  grande  abondan  ce.  Ils  alloient 
auec  ces  chofes  es  marchez  des  villes  &  citez  des 
Tapancquas,  &  de  ceux  de  Tezcuco  leur  circon- 
uoifins,  &auec  beaucoup  d'artifice  aflemblerent 
peu  à  peu  ce  qu'ils  auoient  de  befoing  pour  l'é- 
difice de  leur  cité  :  de  forte  qu'ils  battirent  de 
pierre  &  de  chauxvne  meilleure chappelle  pour 
leur  idoIc,&  s'employeret  à  remplir  auec  des  pio- 
ches &  du  bloc ,  vne  grande  partie  de  ce  lac.  Cela 
fait  l'idole  parla  vne  nuicl:  à  vn  de  Ces  preftres  en 
ces  termes  :  Dy  aux  Mexiquains  que  les  feigneurs 
fe  ditrifent  chacun  atteefes  parens  &  amis  ,&  qu'ils  fe 

Cj     iiij 


MHHHl 


BUS      msssss 


■ 


HISTOIRE  NATVUL'U 
feparent  en  quatre  quartiers  principaux  à  l'entour  de 
la  maifon  que  m'ayez  faite  pour  won  repos^  &  que  (ha  - 
que  quartier  édifie  enjbn  quartier  félon  fa  volonté.  C  e 
qui  fut  mis  en  exécution ,  &r  ceux  là  l'ont  les  qua- 
tre quartiers  principaux  de  Mexiquc,que  l'on  ap- 
pelle auiourd'huy  Sainâ  Ican  ,  Safnaé  Marie  la 
Ronde  ,  SainctPaul,  &.  Saincl  Sebaftien.  Apres 
celâtes  Mcxiquainscftâsainfidiiiifezcn  ces  qua- 
tre quartiers  ,  leur  Diçu  coMinanda  qu'ils  repar- 
tirent entt'cuxlcs  dieux  qu'il  leur  declâVêroît^  Se 
qu'ils  nommaient  à  chaque  quartier  principal 
des  quatre  d'autres  quartiers  particuliers  où.  leurs 
dieux  fullent  adorez.  Par  ai  n  ri  fous'enacun  de  ces 
quatre  quartiers  principaux  ily  en  auoit  plùiîcurs 
petits  qui  eftoient  comDrins  félon  le  nombre  des 
idoIeSjqueleur  dieu  leur  commanda  d'adorerjej- 
quels  ils  appellcrent  Calpultetco,  qui  vaut  autant 
à  dire  que  dieu  des  quartiers.  En  cefte  manière  la 
cité  de  Mexique  Tcnoxtiltan  fut  rondcc,&  vint  à 
grande  auïzmention. 

D  e  lafedttiondc  ceux  de  fin  clulro^cjr  duprunnr 
B^oiqueles  Mexiquatns  e(l:urcnt . 

c  h  A  P.  v  i  r  r. 

^  Este  diuifion  des  quartiers  eftantf.iiétc  en 
la  l'ordre  dcffufdit,  quelques  vieillards  &  an- 
ciens curent  opinion  qu'au  departemét  des  lieux, 
l'on  ne  leur  auoit  pas  porté  le  rcfpeir.  qu'ils  meri- 
toient,  pour  cède  occafîôn  eux  &  laursparens  fe 
mutincret  &  allèrent  rechercher  vne  nouuellc  re- 
iiuence:o\:  comme  ils  alloient  par  le  lac  ils  trouue- 
rent  vnc  petite  terre  ou  terràlîc  qu'ils  appellent 


DES      INDES.    LIV.    VII. 


309 


Tlotelolivoùilspeuplererir5luydonnanslenom 
de  Tlate'llulco ,  qui  e(l  à  dire  lieu  de  ter  rafle.  Ce- 
lafut  la  troifiefme  diuifion  des  Mexiquains ,  de- 
puis qu'ils  partirent  delenr  pays  :  celle  de  Me- 
chouacan  ayant  efté  la  premiere,&  celle  Maimal- 
co  laieconde.  Ceux-là  qui  (è  feparerent-&  l'en 
allèrent  en  Tlatellulcoéftoient  des  hommes  re- 
nommez &  d'vn  mauuais  naturel  :parainfiilse- 
xerçoient  entiers  les  Mexiquains  leursvotfins,  le 
pirevoifinagequ'ilspouuoient.  Ils  onteu  touf- 
iours  des  débats  contr'eux  ,  5c  iufques  àuiour- 
d'huy  durent encor  leurs  inimitiez  8c  liguesan- 
ciennes.  Voy'ans  donc  ceux  de  Tenoxtiltan ,  que 
ceux  de  Tlatellulco  leur  eftoientfort  contraires, 
Se  qu'ils  altoient  multiplians,  euret  crainte  qu'a- 
ucc  le  temps  ils  ne  vinlfent  aies  furmOnter,&  fur 
cetlarïaire  f'âfî'emblerent  en  confeil ,  où  ilsadui- 
ferent  qu'il  eitoitbon  d'eflirevn  Roy  ,  auquel  ils 
obeyflent  ,  &quifu(l  craint  de  leurs  ennemis, 
d'autant  que  par  ce  moyen  ils  feroient  plusvnis 
8c  plus  forts  entr  eux,  8c  les  ennemis  nefehazar- 
deroient  tant  en  leur  endroict.  Eftans  ja  délibé- 
rez d'eflirevn  Roy,ilsprindrent  vn  autre  aduis 
fort  vtile&  afleuré,de  ne  l'eflue  point  d'en tr'eux, 
poureuiter  les  diiîèntions,  8c  pour  gagner  auec 
le  nouueau  Roy  quelqu'vne  des  autres  nations 
voifîneSjdefquelles  ils  fe  voyoient  circuits,  8c  eux 
deftituez  de  tout  fecours.  Tout  confiderc  ,  tant 
pourappaifer  le  Roy  de  Culhuacan,  qu'ils  auoiêt 
grandement  offenfé  ,  ayans  tué&  efeorché  la  fil- 
le de  fon  predecefleur  ,  8c  luy  ayans  faitvne  fî 
lourde  moquerie,  commemefme  pour  auoirvn 
Roy  qui  fuft  de  leur  fàng  Mexiquain ,  delà  gène- 


1 


HISTOIRE     N:ATVRELI,  E 
ration  defquels  il  y  en  ai\oit  beaucoup  en  Cul- 
huacan  ,'  qui  y  reftoientencor  du  temps  qu'ils 
vefcurent  eh  paix  auec  eux ,  ils  arrêtèrent  defli- 
m         repour  Roy  vu  ieune  homme  appelle  Acama- 
pixtli ,  filsd'vn  grand  Prince  M  exiquain,&dV- 
ne  Dame  fille  du  Roy  de  Culhuacan.  Inconti- 
nent ils  luy  enuoycrent  Amballadeurs  auec  vn 
grand prefent  pour  demander  ceft  homme  ,  les- 
quels firent  leur  ambaiïade  en  ces  termes  :  Grand 
Seigneur  y  "Rous  autres  vos  vaffiux  &  ferutteurs  >  les 
"Mexiquains  mis  &  reffere^  dedans  les  herbiers  ejrre- 
feaux  du  foc ,  feuht  0r  de  lut  [fez;  de  toutes  les  nations  du 
monde  ;  mais  feulement  conduicis  &  acheminc\par  no  - 
slrcDieuauheu  oufommes ,  qui  tombe  en  la  iurifdi- 
Fiion  de  vos  limites  d'^îfcapufalco  &  de  Tefcuco  :  ores 
que  vous  nousaue^  permis  désire  &  de  demeurer  en 
iceluy ,  nous  ne  voulons  point  ny  ri  eft  pas  raisonnable  de 
viuxcfanscbcfcjr  fans  Seigneur  qui  nous  commande \ 
nous  corrige  <& gouuerne  ,  nous  injlruifant  en  n&Brc  fa- 
çon de  viure,  &  nous  deffende  de  nos  ennemis.  'Partant 
nous  venons  a  vous ,  feacbans  qu'en  voflre  Cour  &  mai- 
fon  il  y  a  des  enfans  de  noBre génération ,  apparente^  & 
allier,  auec  la  voflre  ,  qui  font  fovtis  de  nos  entrailles  & 
des  voflrcs ,  de  noflre  fan<^  &  du  voflre  ,  entre  lefqucls 
nous  auons  cognoifjance  d'vn  petit  fils  voftre&  noflre, 
appelle \sicamapixtli.Hous  vous fup piton  s  donques  vous 
nouslcdonnie^  pour  Seigneur  ,  lequel  nous  eflimerons 
comme  il  mente ,  puis  qu'il  efl  de  la  lignée  des  Seigneurs 
"Mexiquains ù4 des B^ois de  Culhuacan.  Le  Roy  ayant 
mis  l'affaire  en  délibération ,  ôc  trouuant  que  ce 
ne  luy  eftoit  point  chofe  mal  à  propos  de  Pallier 
auec  les  Mexiquains  qui  eftoient  vaillas,leur  ref- 
pondit  qu'ils  menaient  fon  pcîitfilsa  la  bonne 


DES    INDES.       LIV.    VII.  310 

heure,  combien  qu'il  adioufta  que  fï  c'euft  efté  v- 
ne  femme  qu'il  ne  leur  euft  pas  baillée ,  fignifiant 
l'acte  fi  énorme  raconté  cydeflus,  &  acheuafon 
difeours  en  difânt:  S'en  aille  mon  petit  fils ,  qu'il  férue 
vo  flre  Dieu,  &  foitfon  Lieutenant,  qu'il  régi fjè  &  gou- 
tter ne  les  créatures  de  celuypour  qui  nota  yiuos,feigneur 
de  la  nutcl,  du  iour,  <&  des  -vents ,  qu 'il  aille  &foit  fei- 
gneur  de  l'eauè  &  de  la  terre  ,  <&  qu'il  poffede  la  nation 
Tttcxiquatne ,  emmené^-  le  à  la  bonne  heure ,  &  *ye\  le 
foing  de  le  traitter  comme  fils  &  petit  fils  mien .     Les 
Mcxiquains  luy  rendirent  grâces,  Se  tout  enfern- 
ble  luy  demandèrent  qu'il  le  mariaft  de  fi  main,à 
raifon  dequoy  il  luy  donna  pour  femme  vne  Da- 
me des  plus  nobles  d'entr'eux.    Ils  menèrent  le 
nouueau  Roy  &la  Royne  auec  tout  l'honneur 
qui  leur  eftoit  poffible ,  &  leur  rirent  vne  folem- 
nelle  réception  ,  fortans  tous  iufques  aux  plus 
petits ,  à  voir  le  Roy ,  lequel  ils  menèrent  en  des 
Palais,  qui  pour  lors  eftoient  allez  pauures.  Et  les 
ayans  aUîs  en  leurs  throfncsRoyaux,incontinent 
fe  leua  vn  de  Tes  vieillards  &  Rhctoriciens  qu'ils 
eftimoient  beaucoup,  qui  leur  parla  en  cette  ma- 
n  i  ère  :  M  on  fils  ,feigneur  &  J{*y  noBre ,  tu  fois  le  bten 
■venu  a  ccîlc panure  maifon  &  Cité  ,  entre  ces  herbiers 
Cr  fanges  ou  tes  pauures  pères ,  ayculs  <&  par  eus  endu- 
rent ce  quefeait  le  Seigneur  des  chofes  créées.  Regarde 
fcigneur,quetu  -viens  icy  pour  eBre  ladeffence,  l'ombra- 
ge  &  l'abry  de  cefte  nation  "Mexiqutine ,  0e  pour  eflrc  la. 
reffemblance de nofire Dieu  VitTJdipwzfli ,  ïToccafion 
dequoy  le  commandement  &  iurifdiclion  t'eB  donné. 
Tufçais  que  nous  ne fommes  point  en  nofire  pays ,  puis 
que  la  terre  que  nous poffedons  auiouriïhuy  efteTautruy, 
&nefçano,s  ce  qui  fer  a  de  nom  demain  ou  yn  autre  tour: 


HSSSMB  HHBHHH 


■ 


HISTOIRE      NATVRELLE 
par  ainficonjidere  qtietu  nvyiens  point  pour  te  rcpofèï 
ny  recréer ,  nuits plujfofl pbàr  endurer  va  nouucau  tra- 
vail eh  vue  charge  fi  pefante ,  qui  te  doit 'toujtours faire 
irauadler-.ef'  .vit  efiiiuc  de  toute  cefle  multitude  qui  t'ejt 
tombée  en  fort ,  es  de  tout  ce  prit  pie  circonuoijin ,  lequel 
in  d'jil'S nu-tire  peine  de  h-  gratifier ,£■'  lefttdr  e  cotïtctis, 
pu:  s  que  tu  fiais  que  no}/ s  xi  iïorts  en  leur  y  terres ,  Ç?  de 
d.ms leurs'  limites.  Et  achcua  répétant  ces  mots:?"// 
fois  le  bien  venu  ,  ïôy  &  lit  /;  o\  ne  no'lre  tnaiftrefjea  et 
fitty  xonrcV\o*;aunie.Tz\\<:  fût  l'a  harangue  du  vieil- 
lard, lâ'q'uclle  (^  les  autres  harangues  que  celé 
brerit  l'es  Mexiqnaines}lesenransauoientaccou- 
{luméd'nprendre  p;ir  coeur ,  &  ainfi  fe  conferue- 
rent  par  tradition  ,  ex  y  en  a  quelques  vnés  d'i- 
cellès'qtiimcncct  bien  d'eftre  rapoi'tëes  en  leurs 
propres  termes-.  Le  Rôy  leur  refpondit  en  les  re- 
merciant, &  leur  offrant  fa  diligence,  A"  foucy  à 
les  défendre,  &  ton  ayde  en  tout  ce  qu'il  pour- 
roit.  En  après  ils  luy  rirent  le  fer m eiVt ',&  luy  mi- 
rent félon  leurmodela  couronne  Royale  fur  la 
t'eftc,qui  eft  femhiabl'c  à  la  couronne  de  l'aie} 
gneunede  Veniic.  Lé  nom  d'Acamixtli  premier 
Roy,  figni  fie  poignée  de  rofeaux:  c'eft  pourquoy 
ilsportenten  leurs  armes  vue  mairi  tenant  plu- 
fîcuis  fageues  de  ro'feau. 


De  tefîran^e  tribut  que  h  s  71  Icxiquains  payaient  a 
ceux  d\A\cap::7xa'uo.  ■ 

c  H  A  P.     IX. 

£r£tf  Es  Mexiquains  rencontrèrent  fi  bien  en 
C^â'l'eilecliondeleurnouueau  Roy,  qu'en  peu 
ce  temps  ils  commencèrent,}  prendre  forme  c 


u 


DES  INDES.  LIV.  VI.  .  3  I  1 
République,  6c  à  fe  faire  renommer  parmy  les 
étrangers,  à  caufe  dequoy  leurs  voifins  meuz 
d'ejnuje  &"  de  crainte  traiuerent  dclesfubiuguer, 
(pecia'emenr  les  Tapanecas ,  qui  auoient  pour 
Cité  Métropolitaine  Azcapuzalco ,  aufquelsles 
Mexiquains  payoiem  tribut  comme  hommes 
venus  de  dehors,  &  demeuransen  leur  terre:  car 
le  Roy  d'Azcapuzalco  craignant  leur  puilFance 
qui  alloitcroitîànt,  voulut  opprimer  les  Mexi- 
quains, ÔY  en  ayant  délibéré  auec  les  liens  enuoya 
dire  au  Roy  Acamixtli  que  c'eftoictrop  peu  de 
choie  que  le  tribut  ordinaire  qu'ils  luy  payoient, 
ik  que  de  Iàenauant  ils  luy  deuoient  aufïi  appor- 
ter des  fa  pins  Se  des  faux  pour  les  édifices  de  fa 
cité ,  &  outre  cela  qu'ils  luy  deuoient  faire  vn  îar- 
din  en  Teau'ë  ,  femé  dediuerlcs  herbes  cm  de  légu- 
mes, &  luy  deuoient  amener  pareaue,  ainu*  ac- 
commodé par  chacun  an  ,fansy  manquer  :  que 
Cils  y  failloient ,  il  les  declareroit  fes  ennemi  s,C\T 
les.raferoit  du  tout.  Les  Mexiquains  receurent 
beaucoup  d'ennuy  &  de  fafcherie  de  ce  comman- 
dement, tenant  pour  choie  impofïible  ce  qu'il 
leur  demandoit,  &  que  ce  n'eftoit  autre  chofe 
que  de  chercher  vue  occafion  pour  les  ruyner: 
mais  leur  Dieu  Vitzilipuzth  les  confola ,  ("appa- 
roiffantceftenuiclià  vn  vieillard,  auquel  il  com- 
manda qu'il  did  de  fa  part  au  Roy  Ton  fils  qu'il  ne 
fift  point  de  difficulté  d'accepter  le  tribut,&  qu'il 
leurayderoittScrendroit  le  tout  facile:  ccquiad- 
uint  depuis.  Car  edant  venu  le  temps  distribue, 
les  Mexiquains  portèrent  les  arbres  que  l'on  leur 
auoit  commandé ,  &  qui  pluseft,leiardinfaiten 
l'cau'ë ,  &  porté  en  icellc  a  auquel  y  auoit  beau- 


:    'HH   HH 


HISTOIRE  NATVRELLI 
coup  demays ,  qui  eft  leur  bled  défia  grenc  auec 
lesefpics.  Il  y  auoit  aufïïdu  chilli  ou  axi ,  des 
blettes,tomates3  frifolles,  chias,courges,&  beau- 
coup d'autres  choies  toutes  parcreuës  ô\renleur 
faifon.  Ceux  qui  n'ont  point  veu  lesiardinsqui 
fe  font  au  lac  en  Mexique  au  milieu  de  l'cauë ,  ne 
croiront,&  tiendront  pour  contes  ce  quei'efcris, 
ou  i'ils  le  croient ,  ils  diront  que  c'eft  vn  enchan- 
tement du  diable  qu'ils  adoroient .  Mais  reale- 
ment&  défait  ceftchofe  fort  faifable  ,  Scafon 
veu  plufieurs  fois  faire  de  ces  iardins  mouuans  en 
i'eauë.Carilsiettentdelaterre  deilus  du  ionc& 
du  glayeul,d'vne  telle  façon  qu'elle  ne  fe  défait 
point  en  l'eau'ë ,  &  fement  &  cultiuent  cette  ter- 
re: de  forte  que  le  grain  y  croift  Se  meurit  fort 
bien.  Puis  après  ilsTenleuentd  vn  lieu  en  autre. 
Mais  il  eft  bien  vray  que  de  faire  facilement  ce 
iardingrand,&  que  les  fruicts  y  croiflentbien, 
eft  chofe  qui  fait  iuger  qu'il  y  auoit  du  fait  de  Vit- 
zilipuztli,  lequel  ils  appellent  autrement  Patil- 
las ,  principalement  n'en  ayant  iamais  fait  ny  veu 
defemblables.  Le  Roy  d'Azcapuzalco  fefmer- 
ueilla beaucoup  quand  il  vcit  accomply  ce  qu'il 
auoit  tenu  pour  impofïible ,  Se  dift  aux  fiens  que 
ce  peuple  au  oit  vn  grand  Dieu  qui  leur  rendoie 
toutfacile,difantauxMexiquains  que  puisque 
leur  Dieu  leur  donnoit  toutes  choies  parfaites, 
qu'il  vouloit  que  l'année  enfuiuant  au  temps  du 
tribut ,  ilsluy  apportaient  dans  le  iardin  vne  ca- 
ne &vn  héron  auec  leurs  oeufs  couuez,  qui  de- 
uoient  eftre  de  telle  forte  qu'elles  efclouillent 
leurs  petits  en  arriuant ,  fans  y  faillir  aucune- 
ment, iur  peine  d'encourir  fon  indignation.  Les 


DES    INDES.       LIV.    VII.  $lt 

Mexiquains  furent  fore  troublez  &  triftes  d'vn  fi 
fuperbe  &difficile  commandement  qu'illeui;  fai- 
foit:  mais  leur  Dieu,  comme  il  auoit  accouftu- 
mc ,  les  conforta  de  nuict  par  vn  des  fiens,  &  leur 
dift  qu'il  prenoit  tout  cela  en  (à  charge ,  qu'ils  ne 
perdirent  point  courage,  mais  qu'ils creuflent 
pour  certain  qu'il  viendroit  vn  temps  que  les  Az- 
capuzalcospayeroientde  leurs  vies  cesdefîrsde 
nouueaux  tributs.  Le  temps  du  tribut  eftant  ve- 
nu ,  comme  les  Mexiquains  portoient  tout  ce 
que  l'on  leurauoitdemandcdeleurs  iardinages, 
l'on  trouuaparmy  les  ioncs  &  glayeuls  du  iar- 
ùin,fans  fçauoir  comme  ils  y  eftoient  demeurez, 
vnecane&  vn  héron  couuans  leurs  œufs,  &che- 
minans  ,arriucrentàAzcapuzalco,  où  inconti- 
nent leurs  œufs  furent  efclos.    DequoyleRoy 
d'Azcapuzalco  eftant  efmerueillé  outre  mefure, 
dift  derechef,  aux  fiens  que  ces  chofes  eftoient 
plus  qu'humaines ,  &  que  les  Mexiquains  com- 
mençoient  comme  pour  fe  faire  Seigneurs  de 
toutes  ces  Prouinccs .    Ncantmoins  iïdiminua 
aucunement  l'ordre  de  ce  tribut  ,  Se  les  Mexi- 
quains ,  pour  ne  fe  trouuer  aflez  puiffans  ,  endu- 
rèrent &  demeurèrent  en  cette  fubieéfcion  &  fer- 
uitude  l'efpacc  de  cinquante  ans .    En  ce  temps 
le  Roy  Acamapixtli  mourut  ,  ayant  augmente 
fa  Cité  de  Mexique  de  piufieurs  édifices,  rues, 
conduids  d'eauës,  &  de  grande  abondance  de 
munitions ,    Il  régna  en  paix  &  repos  quaran- 
te ans,  ayant  tounours  efté  zélateur  dubien& 
augmentation  de  fa  Republique  .    Comme  il 
cftoit  proche  de  fà  fin ,  il  fit  vne  ehofe  mémo* 
rable ,  qui  fut  qu'ayant  des  enfans  légitimes , 


HISTOIRE  .NATVmJiE 
aufquelsileuftpculailîerlafucceiTîonclu  Royau- 
me, loeantmoins  nele  voulut  pas  faire,  mais  au 
contraire,  il  dit  librement  à  la  Republique,que 
comme  ils  l'auoient  librement  efleu,  ainli  qu'ils 
efleulientceluy  qui  leur  (embleioit  cftre  le  plus 
propre  pourleur  bon  gouuernement,  les  admo- 
neftant  qu'en  ce  faifant  ils  eullcnt  efgard  au  bien 
de  la  Republique,  &  fe  monftran  t  taichc  de  ne  les 
lai  (1er  libres  du  tribut  &  fubie&ion  ,  trefpalfa, 
leurayant  recommandé  fa  femme  &  fesenfans, 
ôc  tailla  tout  Ton  peuple  defeonforté  pour  fa 
mort. 


Du  fécond  l{oi ,  &■  de  ce  qut  admu:  en 
jon  règne. 


CHAT.      x. 


£3-£j  E  s  obfeques  du  Roy  defuncl:  acheuces ,  les 
Ç*& anciens,  les  principaux  du  Royaume  ,  &c 
quelque  partie  du  peuple  f'alîêmblerent  pour  e(- 
lirevn  Roy,  où  le  plus  ancien  propola  la  necef 
(îté  en  laquelle  ils  eftoient,  &  qu'il  conuenoit  ef- 
hre pour  chef  de  leur  Cite  vnepeifonnc  quieuil 
pitié  des  vieillards  ,des  femmes  veufues  ,  £■:  des 
orphelins  ,  &quifuft  père  de  la  République, 
pource  qu'ils  deuoient  élire  les  plumes  de  fes  ail- 
les, les  fourcils  de  fes  yeux,  &  la  barbe  de  fou  vi 
iàge  :  qu'il  elloit  necefTaire  qu'il  fuft.  valeureux, 
pource  qu'ils  auoientbefoing  de  bien-toftfepre- 
ualoir  de  leurs  bras,  félon  que  leur  auoit  prophe- 
tifé  leur  Dieu.  Leurrefolution  en  fin  fut  d'eflire 
pour  Roy  vn  fils  du  prcdeceiîeur  ,  vfans  enuers 
luy  d'vn  aufïï  bon  ofuce ,  en  luy  donnant  Ton  fils 

pour 


DES     INDES.    I1V.    VII.  3  I  3 

pourfuccefTeur,  comme  il  fit  enuers  Ql  Répu- 
blique, fe  confiant  cnicelle.  Ce  ieune  homme 
f*apqelloit  Vitzilouitli ,  qui  fignifie  plume  riche, 
ils  luy  mirent  la  couronne  Royale  &  l'oignirent 
commeils  ont  accouftumé  de  faire  à  tous  leurs 
Rois, auecvne onction  qu'ils  appelloient  diui- 
ne,  d'autant  que  c'eftoit  la  mefmc  onction  ,  de 
laquelle  ils  oignoient  leur  idole.  Incontinent  vn 
Rhetoricien  fit  vne  élégante  harangue,  l'exhor- 
tant d'auoh  bon  courage  pour  les  tirer  des  tra- 
uaux ,  feruitude  &  mifere ,  efquelles  ils  viuoienr, 
eftas  opprimez  des  Azcapuzalcos,  &  icelleachc- 
uee  tous  luy  firent  l'hommage #:  la  recognoiiTàn- 
ce.  Ce  Roy  n'eftoit  point  marié  ,  &  Ton  Confeil 
fut  d'opinion  qu'il  ieroit  bon  de  le  marier  auec  la 
fille  du  Roy  d' Azcapuzalco ,  afin  de  l'auoir  pour 
amy ,  &  d'obtenir  par  cefte  alliance  quelque  di- 
minution de  la  pefante charge  des  tributs  qu'il 
leurimpofoit,  combien  qu'ils  eurent  quelque 
craindre  qu'il  ne  defdaignaft  de  leur  donner  (à  fil- 
le, à  caufe  qu'ils  eftoient  les  vaiïaux:  toutesfoislc 
Roy  d'Azcapuzalco  T'y  accorda, après  qu'ils  luy 
curent  demande  fort  humblement,  ôc  auec  des 
paroles  honneftes,  lequel  leur  donna  vne  fienne 
fille appellee  Ayanchigual,  laquelle  ils  menèrent 
auec  grande  fefte  &  renouyflancc  en  Mexique,& 
firent  la  cérémonie  Se  iolemnité  du  mariage ,  qui 
eftoit  d'attacher  &  noiier  vn  coing  du  manteau 
de  l'homme,  auec  vn  autredu  voile  delà  femme 
en  fîgne  de  lien  de  mariage.  Cefte  Royne  engen- 
dra vn  fils,  le  nom  duquel  ils  furent  demader  à  Ton 
ayeul,  le  Roy  d'Azcapuzalco,  &  jettans  les  forts 
comme  ils  auoient  accouftumé  ,  (pourec  qu'ils 

r 


HISTOIRE  NATVRHI,  E 
obfèruoient  fort  les  Augures  ,  principalement 
fur  le  nom  de  leurs  enfans)  il  voulut  que  fonpe- 
titiîls  fappellaftChimalpopoca,qui  fignifie  ron- 
delle qui  iette  fumée.  La  Royne  fa  fille  voyant  le 
contentement  que  le  Roy  d'Azcapuzalcomon- 
ftra  de  ce  petit  fils ,  print  de  là  occafion  de  luy  dé- 
nuder qu'il  luy  pleuft  de  foulager  les  Mexiquains 
de  la  charge  fi  pefante  des  tributs,puis  qu'il  auoit 
défia  vn  petit  fils  Mexiquain,  ce  que  le  Roy  fit 
de  bonne  volonté,  parle  Confeil  des  riens,  leur 
laiflànt  au  lieu  du  tribut  qu'ils  payoient  vne  fub- 
iection  de  luy  porter  chacun  an  vne  couple  de  ca- 
nards &  des  poiflons,  en  recognoillance  qu'ils  e- 
ftoient  fes  fubjedts ,  &  qu'ils  habitoient  en  fa  ter- 
re. Par  ce  moyen  les  Mexiquains  demeurerct  fort 
foulagezcVcontens  ,  mais  le  contentement  leur 
dura  bien  peu  ,  pource  que  la  Royne  leur  prote- 
ctrice mourut  peu  de  temps  après,  &"  l'année  en- 
fumante mourut  aufïi  le  Roy  de  Mexique,Vitzi- 
Iouitli,lailîant  fon  fils  Chimalpopoca,aagé  de  dix 
ans.  Il  régna  treizeans ,  &  mourut  aagé  de  trente 
ans , ou  peu  plus. Il  fut  tenu  pourvn  bon  Roy  & 
diligent  au  feruice  de  fes  dieux,defquels  ils  auoièc 
opinion  que  les  rois  eftoient les  rehTemblances,&: 
que  l'honneur  que  l'on  faifoit  à  leur  dieu  ,  fefai- 
foit  au  roy,qui  eftoit  fa  femblace.C'eft  pourquoy 
les  rois  ont  efté  fi  affectionnez  au  feruice  de  leurs 
dieux.  Ce  roy  fut  curieux  de  gaigner  les  volontez 
de  fes  voifins,  6c  de  trafiquer  auec  eux,  enquoy  il 
augmenta  fa  citc,faifant  que  les  liens  9 exerçaient 
en  ch'»fesdeguerre,parmy  le  lac  ,  préparants  & 
difpofans  les  homes,  pource  qu'ils  pretendoient 
obtenir,  comme  bien-tofl:  l'on  verra. 


DES    INDES.       LIV.    VII. 


3*4 


Du  troificfmc  J{oy  Cbimalpopsca ,  de  fa  cruelle  mi»t3 

eydc'îoccafion  de  ht  guerre  que  firent  les 

l)lexiquains. 

C   H  A  P.       XI. 

ft^Es  Mexiquains  pour  fuccefleur  du  Roy 
mort ,  efleurent  ion  fils  Chimalpopoca,par 
vnmeuraduis  &c délibération  commune,  encor 
qu'il  ne  futqu'vn  entant  de  dix  ans,  ayans  opinio 
qu'il  eftoit  touliours  neceflaire  de  conferuer  la 
grâce  du  roy  d'Azcapuzalco  ,  enfaifantfon  petit 
fils  roy.  Par  ainfi  ils  le  mirent  en  fon  throfne,  luy 
donnant  des  enfeignes  de  guerre  auecvnarc,  ôc 
desflefchesen  vnemain  ,  ôc  vneefpeederafoirs 
(dont  ils  ont  accouftuméd'vfer)  en  la  droicte,fi- 
gnifians  par  cela,  comme  ilsdifent,  que  par  les 
armes  ils  pretendoient  le  mettre  en  liberté.  Ceux 
de  Mexiqueauoient  grande  difette  d'eauë,  pour- 
ce  que  celle  dirlac  eftoit  bourbeufe&  fangeufe,& 
par  confèquent  mauuaifeà  boire,pour  à  quoy  re- 
médier, ils  firent  que  le  roy  enfant  enuoyaft  de- 
mander à  fon  ayeul3le  roy  d'Azcapuzalco ,  l'eauë 
de  la  motagne  de  Chapultepec,  qui  e(l  à  vne  lieue 
deMexique,commailaeftéditcy  dellus,ce  qu'ils 
obtindrent  facilement,&par  leur  diligence  firent 
vn  aqueduc,  de  fafcines,glayeul ,  ôc  gafoi^par  le- 
quel ils  firent  ven  ir  l'eauë  en  leur  cité.  Mais  d'au- 
tant que  la  cité  eftoit  fondée  fur  le  lac,&  que  l'a- 
queduc le  trauerfoit,il  fe  ropoit  en  beaucoup  d'é- 
droi ts,&  ne  pouuoiet  f'efiouir  de  l'eauë,  eôme  ils 
dcfiroiët  &  auoient  de  befoing.Sur  cefte  occaiio 


HISTOIRE     NATVRELLE 
foit qu'ils  la  recherchaient  tout  exprés  ,  pour 
quereller  les  Tapanecas ,  ou  fuft  qu'ils  {"cimcuÊ- 
fent  fur  peu  d'occafion;  en  fin  ils  enuoyerent  vne 
embatfadeau  Roy  d'Àzcapuzalco ,  fort  refolu'c, 
difans  qu'ils  ne  pouuoieut  t5accômoder  de  l'eauë, 
dont  il  leur  auoit  fait  grâce,  à  caufc  que  le  canal 
f'eftoit rompu  en  beaucoup  d'endroits,  partant 
luydcmandoient  qu'il  les  pourueuft  de  bois  ,  de 
chaux  &  de  pierre ,  Se  qu'il  leur  enuoyaft  Ces  ou- 
uriers ,  afin  que  par  leur  moyen  ils  fillent  vn  ca- 
nal de  pierre  &  de  chaux  qui  ne  Te  peuft  rompre. 
Ce  meffage  ne  pleut  gueres  au  Roy  ,  Se  encor 
moins  aux  fiens ,  leur  lcmblant  que  c'eftoit  vn 
meflage  outrecuidé ,  &  des  propos  fort  infolens, 
pour  des  valîaux  à  l'endroit  de  leur  Seigneur.  Les 
principaux  du  Confeil  doneques  eftans  indignez 
décela  ,difoientque  c'eftoit  défia  beaucoup  de 
hardiede  ,  puis  que  ne  fe  contentansdeeeque 
Ton  leurauoit  permis  de  demeurer  en  terre  d'au- 
truy,  Se  qu'on  leur  auoit  donné  de  l'eaue* ,  ils  vou- 
loient  d'auantage  que  Ton  les  allaft  feruir.  Quelle 
chofeeftoit  cela,&dequoy  prefumoitvnenatiô 
fugitiue& enferreeentre les  bourbiers,qu'ils leur 
feroient  bien  entendre  i'ils  eftoient  propres  pour 
eftre  ouuriers  ,  Se  que  leur  orgueil  fabbaifleroit, 
en  leur  oftant  la  terre  Se  la  vie.  Sur  ces  termes  & 
colère  ils  fortirentjlaillàns  le  Roy  ,  lequel  ils  a- 
uoientyn  peu  pour  fufped  ,  à  caufe  du  petit  fils. 
Eteuxfèparement  concilièrent  de  nouueau  ce 
qu'ils  deuoient  faire,  où  ils  délibérèrent  de  faire 
crier  publiquement  que  nul  Tapanecquaeuftà 
trai&er  ,  ny  faire  commerce  auec  aucun  Mexi- 
quain  ,  qu'ils  nallailcnt  en  leur  Cité ,  &nc  les 


DES     INDES.     LIV.    VII.  31? 

receuflentenlaleur,  fur  peine  de  la  vie.  Par  où 
l'on  peut  entendre  que  le  Roy  ne  commandoie 
pas aDiblucment  fur  ce  peuple,  &r  qu'il  gouuer- 
noit  plus  en  façon  de  Conful  ou  de  Duc ,  que  de 
Roy,combien  que  depuis  auec  la  puiflfance  f  aug- 
menta auflï  le  commandement  des  Rois,iufques 
à  deuenir  Tyrans  parfaicts ,  comme  l'on  verra 
aux  derniers  Rois.  Car  ça  efté  toufîours  vne  cho- 
fe  ordinaire  entre  les  barbares,  que  telle  qu'a  efté 
la  puifTance,  tel  a  efté  le  commandement ,  voire 
en  nos  hiftoires  d'Efpagne  fe  trouue  en  quelques 
Rois anciensla façon  de  régner, dont  cesTapa- 
necas  vferent.  Et  les  premiers  Rois  des  Romains 
furentdemefme,fauf que  Rome  ,des  Rois  dé- 
clina aux  confuls  Se  vn  fenat ,  iufques  à  ce  que  du 
depuis  elle  vint  à  la  puilTànce  des  Empereurs. 
Mais  ces  barbares  de  Rois  modérez  déclinèrent 
à  Tyrans.  Et  eftant  l'vn  &  l'autre  gouuernement, 
le  meilleur  &  plus  feur ,  cft  le  règne  modéré.  Or 
retournait* à noftre  hiftoirc,le  Roy  d'Azcapu- 
zalco  voyant  la  délibération  des  fiens ,  qui  eftoit 
de  tuer  les  Mexiquains,  les  pria  que  première- 
ment ils  defrobaffentfon  petit  fils  leieuneRoy, 
êc  après  qu'ils  fifTent  aux  Mexiquains  ce  qu'ils 
voudroient.  Prefquetousfaccordcrent  en  cela 
pour  donner  du  contentement  au  Roy,  &pour 
la  pitié  qu'ils  auoient  de  l'enfant,mais  deux  prin- 
cipaux y  contredirent  bien  fort  ,  affermansque 
c'eftoit  vn  mauuais  confeil,  poureeque  Chimal- 
popoca,  bien  qu'il  fuft  de fon  fang,eftoit  du  cofté 
de  la  mère,  &  que  le  cofté  du  père  deuoit  eftre 
préféré.  Parquoyils  conclurent  que  le  premier 
qu'il  conuenoit  tuer  >  eftoit  Chimalpopoca» 

ï  iij 


HISTOIKE  NATVRELLE 
Roy  de  Mexique ,  &  protefterent  d'ainfi  le  faire. 
Le  Roy  d' Azcapuzalco  fut  fi  fafché  de  celle  refi- 
ftance  qu'ils  luy  firent  ,  &  du  confeil  &  refolu- 
tionqu'iIsprindrent,quc  de  là  à  peu  de  temps, 
de  douleur  &  de  defpit  il  tomba  malade,  dont  il 
mourut.  Par  lamortduquelles  Tapanecas C'a.- 
cheuans  de  refoudre,  commirent  vne  grande  tra- 
hifon.  Car  vnenuiclle  ieuneRoyde  Mexique 
dormant  (ans  garde  &  fans  fe  douter  de  rien, ceux 
d'Azcapuzalco  entrèrent  en  fon  Palais  ,&  le  tuè- 
rent foudainement,f  en  retournans  fans  élire  ap- 
perceus.  Le  matin  venu  que  les  nobles  de  Mexi- 
que furent  faluerle  Roy  comme  ils  auoient  ac- 
coutumé, ils  le  trouuerent  mortauec  de  cruel- 
les blefleures,  ôc  lors  ils  feferierent ,  efleuans  vn 
pleur  qui  remplit  toutelacité,  &  tousaueuglez 
de  colère  fe  mirent  incontinent  en  armes  ,  pour 
venger  la  mort  de  leur  Roy.  Comme  ils  mar- 
choientdefiapleinsdefureur&fans  ordre,  leur 
lord t  au  denant  vn  des  principaux  Çheualiers 
des  leurs,  tafehant  de  les  appaifer  par  vne  fage  re- 
monftrance.  Quaïïe\vous  (dit-il)  oMcxiquainsjrc- 
pofa  vos  cœurs ,  regarde^  que  les  ebofes  qui  font  faites 
fans  confidcration ,  ne  font  pas  bien  conduittes,  n'y  n'ont 
pointde bon.  fucce^.  I{eprime7[ vofîre douleur ,  conjide- 
rans  qu'encor  que  vofîre  l{oy  foit  mort  ,  tilluflre  fang 
des  Mexiquains  n'eftpas  fîny  en  luy .  "Kous  auons  des 
en  fan  s  des  P^ois  dejfun&s ,  par  la  condmtte  defquelsfuc- 
cedans  au  T\oyaume%vous  fere-^  mieux  ce  que prétende^ 
ayans  vn  chef  qui  vous  guide  à  vojlrc  entreprife.U'aUe^ 
pas  ain(îaueuglc\ ,  déport  e^-vous ,  &  eflife^  premier e- 
ment  yn  V^oy ,  &  feigneur  quivous  guide ,  &  encoura- 
ge contre  vos  ennemis.  Cependant  aifsimu\c\  diferette- 


DES    INDES.       LIV.    VII.  3  I  6" 

mentyfaifans  les  obfeques  de  yoBre  ?\oy  mort, dont  y  eus 
yoye%  le  corps  prefent.  Car  par  cy  après  tlfe  trouuera  yne 
meilleure  occafion  d'en  faire  la,  y  engeance.  Par  ce  moy  e 
les  Mexiquains  ne  parlèrent  point  plus  outre ,  ôc 
farrefterent  pour  faire  les  obfeques  de  leur  Roy. 
Aquoy  ils  conuierent  les  feigneurs  de  Tefcuco,&: 
ceux  de  Culhuacan  ,  &  leur  racontèrent  l'adte  fi 
énorme  ôc  fi  cruel  que  les  Tapanecas  auoient  co- 
mis , les  inuitans  à  auoir  pitié  d'eux ,  &  à  ('indi- 
gner contre  leurs  ennemis  :  à  quoy  ilsadioufte- 
rent  que  c'eftoit  leur  intentionaVmourir  ou  de 
venger  vne  fi  grande  mefehanceté  ,  leurdeman- 
dans  qu'ils  ne  fauorifaflentle  party  fi  iniufte  de 
leurs  contraires,  &  que  de  leur  part  ils  ne  Iesre- 
queroient  point  qu'ils  leur  aydalfent  de  leurs  ar- 
mes, &  hommes, mais  feulement  qu'ils  fuflène 
attentifs  à  regarder  ce  qui  fe  paflTeroit,  Ôc  qu'ils 
defireroient  pour  leur  entretien  qu'ils  ne  leur 
bouchalïcnt  ny  empefehaftent  le  commerce ,  co- 
rne auoient  fait  les  Tapanecas.  A  ces  raifons  ceux 
deTefcuco,&  Culhuacan  ,  leur  demonftrcrent 
beaucoup  de  bonne  volonté,  &  qu'ils  en  eftoient 
fort  fatisfaits ,  leur  offrant  leurs  citez:  &  toutlc 
commerce  qu'ils  en  defireroient  ,  afin  qu'à  leur 
volonté  ils  fe  pourueuflent  de  prouifions  ôc  de 
munitions  par  terre,  &  par  eauë.  Apres  cela  ceux 
de  Mexique  les  prièrent  qu'ils  demeuraient  auec 
eux,&  affiftallent  à  l'efle&ion  du  Roy  qu'ils  vou- 
loient  faire  ce  qu'ils  accordèrent  auflî  pour  leur 
donner  contentement. 


rmj 


V"Wj3Wïï^i>3jî>ÎSi3S' 


■H-  ■■■■ 


HISTOIRE     NATYRELLE 

D«  quatrtefme  Ej>y  nommé I^coalt  t  &de  la  guerre 
contre  les  Tapanccas. 

c  H  a  p.  x  ir. 

3  Euxaui  fe  deuoiciu  trouuer  en  l'eflcdion, 
i  eftans  tous  aiïemblez ,  fe  leua  vn  vieillard, 
tenu  pour  vn  grand  orateur  ,  lequel  félon  que  ra- 
content les  hiltoires ,  parla  en  cefte  manière  :  La 
lumière  de  y  os  yeux yous  manque  o  "tAexïquains  ,  mais 
non  pas  celle  du  cœur ,  car  pofè  le  cas  que  yous  aue\  per- 
du celuy  qui  ettoit  la  lumière  £r  le  guide  de  cefle  Répu- 
blique Mexiquainc ,  celle  du  cœumeantmoms  yotts  eft 
demeurée  ,  pour  confiderer  que  s'ils  ont  tué  yn  homme y 
<£  autres [ont  demeure-^ après  luyqui  pourront  fupplcer 
fort  aduautageufement  la  faute  que  nous  auons  de  luy.La 
noblejfe  dc~Mextque  7}  csl  pas  finie  pour  cela  ,  ny  le  fan? 
%j>yal  ejleint.  Tourne^  les  yeux  &  regarde^  autour  de 
youst<&  yous  yerre^  la  Nobleffe  Mcxiquaine  mife  en  or- 
dre,non  point  ynaleuxjnan plufieurs &  excellens prin- 
ces, fils  du  ï\py  jlcamapaxtli  ,  noflre  yray  &  légitime 
feigneur.  ïcy  yous  pourrez  cbbijtr  à  y ofirc  volonté  ,  di- 
sant ie  yeux  ceHuy-cy,  W  non  cet  autre.  Que  fi  yous  a- 
ucT^pcrdu  ynpcrey  icy  i>ous  trouuere^pere  &  mcre.Fai- 
tes  ejlat ,  o  Mexiquains ,  que  le  Soleil  s'e.fl  cclipfé  &  ob- 
feureyfur  la  terre  pour  yn  peu  de  temps ,  &  qutncontt- 
nent  retournera  la  lumière  fur  icelle.Siuexique  a  efiéob' 
feurciepar  la  mort  de  yofire  J{oyy  forte  bien  tofi  le  Soleil, 

eflifc\  yn  autre  I\oy. l{rgM'^eK ^ *  1U*> &  f'*r  1U* yot4s 
iettere^lesycux  & enuers  qui  s  incline yoslre coeur,  car 
cefiuy-là  efi  celuy  que  yofire  dieu  VitzjUpu\th  a  éleu.Et 
dilatant  encor  ce  difeours ,  cet  orateur  acheuaau 
contencemetavn  chacun.  En  finpar  la  refolutio 


DES      INDES.      L  IV.    VII.  $1/ 

«le  ce  côfeil,fut  efleu  Roy  Ifcoalcqui  fignifie  cou- 
leuure  de  rafoirs,  lequel  eftoit  fils  du  premier  rojf 
Acamapixtlijqu'ilauoiteud'vnefienncefclaue.'ôC 
bien  qu'il  ne  fut  pas  légitimées  le  choifirét,pour- 
ce  qu'il  eftoit  plus  auantageuxque  lesaucres,  en 
moeurs,  valeur  &  magnanimité  de  courage.Tous 
montrèrent  qu'ils  en  eftoient  fort  contens,  oc  fur 
tous  ceux  de  Tefcuco  :  pour  autant  que  leur  Roy 
eftoit  marié  auecvne  fœurd'Ilcoalc.  Apres  que  ce 
Roy  fut  couronné  8c  mis  en  fon  fiege  Royal ,  fe 
leua  vn  autre  orateur  qui  traitta  de  l'obligatiô  que 
le  Roy  auoit  à  fa  Republique,  &  du  courage  qu'il 
deuoit  monftrer  aux  trauaux,  difant  en  autre  cho- 
fes  :  Regarde qu 'autour d'huy  nou4 fommes  dépendant  de 
toyyparauanturc  laifferas-tu  tomber  la  charge  qui  e(i  fur 
tes  es~paulles  ,  lai  fjerxs  tu  périr  le  vieillard  &  la  vieille, 
l  orphelin  &  laveufue  ?  *Aycs  pitié des  en  fans  qui  y  ont 
grapinant  parmy  l'aire ,  lefquels périront  Ji nos  ennemis 
nous  fur  montent.  Or  fus  donc  feigneur  commence  à  def- 
ployer &  ejiendre ton  manteau  ,  pour  prendre  fur  tes  ef~ 
paullestes  enfans  qui  font  les  pauures  &  commun  popu- 
laire Je  fquels  font  affeurc\del  ombrage  de  ton  manteau, 
&  en  lafraifeheur  de  ta  bénignité.    Continuant  fur 
ce  fujed  beaucoup  d'autres  paroles  ,  lefquelles 
(comme  en  fon  lieu  a  efte  dit)  ils  apprenoient  par 
cœur  ,  pour  l'exercice  de  leurs  enfans,&  après  les 
enfeignoien  t  comme  vne  leçon',  à  ceux  qui  com- 
mençoient  d'apprendre  cette  faculté  d'orateurs: 
Cependant  les  Tapanecas  eftoient  refolus  de  de- 
ftr  uire  la  nationMexiquaine,&  pour  cet  efFect,ils 
auoient  dreffé  beaucoup  d'appareils.  Parquoy  le 
nouueau  Roy  traitta  de  déclarer  la  guerre ,  &  ve- 
nir aux  mains ,  auec  ceux  qui  les  auoient  tellemct 


BBB 


HISTOIRE  NATVR.  ELLE 
offenfez.  Mais  le  commun  peuple  voyant  que 
leurs  contraires  les  furpaffoient  beau  coup  en  nô- 
bre  d'hommes ,  &  en  machines  de  guerre ,  eftans 
efoouuentezvindreritversleRoy,  bc  luy  deman- 
derentpar  importunité ,  qu'il  n'entreprinft  point 
vne  guerre  fi  dangereufe,  qui  feroitdeftruire  leur 
pauure  cité  &  nacion.  Surquoy  eftans  interrogez 
queladuisilconuenoitprendre,refpondnétque 
le  Roy  d'Azcapuzalco  eftoitfort  piroyable,que 
ils  luy  demandaient  paix,&  fofFriiïentleferuir 
en  les  tirant  hors  de  ces  glaieuls,&  qu'il  leur  don- 
nait jdes  maifons  &  des  terres  parmy  les  tiennes, 
afin  que  par  ce  moyen  ils  defpendi (lent  tous  d'vn 
feigneur.  Et  pour  obtenir  cecy  ils  portaient  leur 
dieu  en  fa  litière,  pourinterceiTeur.  La  clameur 
du  peuple  eut  tel  pouuoir,'principalemét  y  ayans 
quelques  nobles,  qui  approuuoient  leur  opinion, 
que  l'on  fit  incontinent  appeller  les  preftrcs  &  ap- 
prefter  la  litière ,  &  leur  dieu  ,  pour  faire  ce  voya- 
ge.Commecela s'appreftoit ,  &  que  tous  confen- 
toient  à  cet  accord  de  paix  ,  &de  s'altujecl:iraux 
Tapanecas,vnieune  homme  gaillard  ,&debon- 
neraçon,s'efleua  parmy  lepeuple,lequelauecvne 
fort  bonne  grâce ,  parla  ainfi  :  Qttefi-ce  cy ,  o  Trlext- 
qiuinsjJles'VQUsfols  y  comment  telle  coùardife  eft-ellc 
entrée  parmy  nous  ?  nous  deuon s  nous  aller  rendre  ainji 
aux *Arxcaf>w^alcos  ?  Puis  fe  tournant  vers  le  Roy, 
luy  dit  :  Comment fegneur,  permet  c%  y  ous  tcllccbofe'î 
parlc^  à  ce  peuple  ,  &  luy  dites  qu'il  laijfe  rechercher 
y n moyen,  pour noflre honneur ,  &  pournoftrc  deffenfe, 
CT  que  nous  ne  nous  mettions  point  fi  follement  &  fi 
honteufement  entre  les  mains  de  nos  ennemis.  Ce  ieu- 
ne  home  f'appclloit  Tlacaellcc,  nep  ucu  du  rnef- 


DES     INDES.    LIV.    VII.  31S 

nie  Roy,  &  fut  le  plus  valeureux  capitaine,  &  du 
plus  grand  confeil  que  iamais  les  Mexiquains  ont 
eu,  comme  cy  après  Ton  verra.  Animédonclf- 
coalt  ,  par  ce  que  Ton  nepueu  luy  auoit  di£r  fi 
prudemment,  retint  le  peuple,  en  difantqu'ils 
luy  laiflTaffent  premièrement  efprouuervn  autre 
meilleur  moyen.  Et  puis  fe  tournant  vers  la  no- 
blefledes  liens,  leur  àxvVous  esîcs  uy  tous  qui  efles 
mes  parens ,  <&  le  meilleur  de  Mexique ,  celuy  qui  dur* 
le  courage  de  porter  yn  meffage  aux  Tapanecas  ,  quilfe 
leue.  Eux  fe  regardans  les  vns  les  autres,  ne  fe  re- 
muoient  point ,  &  n'y  eut  aucun  qui  vouluft  s'of- 
frir au  coufteau.  Alors  ce  ieune  homme  Tlacael- 
lec  fe  leuant  s'offrit  à  y  aller ,  difant  que  puis  qu'il 
deuoit  mourir ,  qu'il  importoit  peu ,  que  ce  fuft 
auiourd'huy  ou  demain. Car  pour  quelle  occafion 
fe  deuoit  il  tant  conferuer  ?  qu'il  eftoit  toutpreft, 
&  qu'il  luy  commandaft  ce  qu'il  luy  plairoit.Et  ia- 
çoit  que  tous  iugeaifent  cet  acte  pour  vue  téméri- 
té,neantmoins  leRoy  fe  refolut  de  renuoyer,afin 
qu'il  cogneuftla  volonté  &  difpofition  du  Roy 
d'Azcapuzalco ,  &  de  Tes  hommes,  eftimant  qu'il 
eftoir  meilleur  d'aduanturer  la  vie  de  fon  nepueu, 
que  l'honneur  de  fa  Republique.  Tlacaellec  eftat 
apprefté,  print  fon  chemin  ,&paruenu  aux  gar- 
des qui  auoient  commandement  de  tuer  quel- 
conque Mexiquain  qui  vint  vers  eux ,  par  artifice 
ou  autrement,  leur  perfuada  qu'il  le  laiflaflent  en- 
trer vers  le  Roy ,  lequel  s'efmerilla  de  le  voir',  & 
ouyt  fon  ambaflTade ,  qui  eftoit  de  luy  demander 
paixfouz  honneftes  conditions,  lequel  refpon- 
dit  qu'il  le  communiqueroit  auec  les  fiens,&  qu'il 
retournait  l'autre  iour  pour  la  refponfe  :  lors 


!$&$£ 


WW^fWBBBBBBBBWBj      SES  5SS3 


HISTOIRE     NATVKELLE 
Tlacaellec  demanda  fcureté,mais  il  n'en  peut  ob- 
tenir d'autre, finon  qu'il  vfaft  de  fa  bonne  delige- 
Ce.  Auec  cela  il  retourna  en  Mexique,donnant  pa- 
role aux  gardes  de  retourner.  Le  Roy  de  Mexique 
le  remerciâtde  Ton  bon  courage, le  renuoya,pour 
auoir  la  reipôfe,&  luy  commâda ,  que  fi  elle  eftoit 
de  gucrre,qu'il dônaft  au  Roy  d'Afcapuzalco  cer- 
taines armes  pourfe  deffendre,  &  luy  oignift  & 
amplumaft  la  tefte,  comme  ils  faifoient  aux  hom- 
mes morts  ,  luy  difant  que  puis  qu'il  ne  vouloit 
point  la  paix  ,  qu'ils  luy  ofteroient  la  vie  &aux 
liens. Et  encerque  le  Roy  d'Azcapuzalco  eut  de- 
ûïè  la  paix,pour  eftre  de  bone  conditionnes  liens 
neantmoins  refguillonnerent  de  forte,  que  laref- 
ponfe  fut  de  guerre  declaree.Ce  qu'eftant  ouy  par 
leroefïager  ,  îlfift  tout  ce  que  fon  Royluyauoit 
commandé,declarant  par  cède  cérémonie, de  dô- 
ner  armes  ,  &  oindre  le  Roy  auec  l'on£tion  des 
morts,que  de  la  parc  de  fon  Roy  il  le  deffioit.Par- 
quoy  ayant  tout  acheué  ,  celuy  de  d'Azcapuzalco 
fêlai  (font  oindre  >&  emplumer,  donna  au  ména- 
ger en  payement  de  bonnes  armes, Ôc  ce  pendant 
faduifade  ne  retourner  point  par  la  porte  du  pa- 
lais, pource  que  plulîeursl'attendoientlàpour  le 
mettre  par  pièces, mais  qu'il  fortiftenfecretpat 
vne  petite  faulfe-porte qui  eftoit  ouuerte,  eu  vne 
des  cours  de  fon  palais.Ceieunehomele  fitainfi, 
&tournoyancpardes  chemins  cachez,  vint  à  fe 
mettre  en  fauueté,à  la  veue  des  gardes ,  &  4e  là  les 
derfia,di  (a.nt:Tapanecasy&  ^^capu^alcos^vo^  faites 
mal  -vofire  office  de  carder ,  Ççacbe^  donc  que  vous  dcue\ 
to*  mourir  y&  <ju  'il ne demeurera  ynTapaneca  en  yie.Cc 
pendant  les  gardes  le  ietterent  fur  luy,&fe  porta  fi 


DE5    INDU,       t  IV.   Vif.  %\f 

valeureufcment  en  leur  endroit,qu'il  en  tua  quel- 
ques- vus ,  &  voyant  qu'il  y  accouroit  beaucoup 
dépeuple,  fe  retira  gaillardement  à  fà  cité,  où  il 
orta  nouuelles  que  la  guerre  eftoit  déclarée  auec 
es  Tapanecas ,  &  qu'il  auoit  défie  leur  Roy. 


f« 


Delà  bataille  que  les~Mexiquains  donnèrent  aux 

Tapanecas,&  delà  «randevi&oire 

qu'ils  obtindrent. 

CH  A  P.    X  III. 

Edefi  entendu  par  le  vulgaire  de  Mexique, 
ils  vindrent  vers  le  Roy,  auec  leur  coiïardife 
accoutumée ,  luy  demander  congé  detfortir  de  fà 
cité,  tenans  pour  certain  leurperdition.  Le  Roy 
les  confola  &  anima  ,  leur  promettant  qu'il  leur 
donneroit  liberté,  en  furmontant  leur  ennemis, 
&  qu'ils  ne  doutailènt  point  d'eftre  vaincus.  Le 
peuple  tzp\iqua:Etfinousfommes  vaincus  ^que ferons 
nous^Sinous fommes  vaincus  (refpondit  le  Roy  )  des 
maintenant  nous  nous  obligeons  de  nous  mettre  en  vos 
mains 3afin  que vous  nousmcttic^àmorti&  magic\  nos 
chairs  en  des  plats  ,  &  que  vous  vous  vangic^  de  nous 
autres.llfera  donc  ainfi(dkent  ï\s)fîvous  perde^  la.  vi- 
Boire  ,  que  fi vous  l 'obtenez  ,  dés  maintenant  nous  nous 
offrons  i  efire  vos  t  ribut  aires ,  trauaiUer  tn  vos  maiftns, 
faire  vos femences^  porter  vos  armes  &  bagage  quand 
vous  ire%  à  la guerre^pottr  touJtourst&  à  iamats  nous  au- 
très  &  nos  defeendans.  Ces  accords  faicts  entre  le 
peuple  &  les  nobles(lefquelsils  accomplirent  de- 
puis de  gré  ou  par  force  entierement,comme  ils  le 
promirent)le  Roy  nomma  pour  fon  capitaine  gê- 
nerai Tlacaellec,  &  tout  le  camp  cftant  mis  en  or- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
dre,&  par  efcadrons,donna  les  charges  de  capitai- 
nes aux  plus  valeureux  de  £es  parais  6c  amis  :  puis 
Jeur  fit  vne  belle  harangue ,  par  laquelle  il  ks  ani- 
ma êc  leur  accreut  de  beaucoup  le  courage ,  qu'ils 
auoient  défia  bié  préparé,  &  ordôna  qu'ils  obeyf- 
fent  tous  au  commandement  du  gênerai  ,  qu'il 
auoit  eftably.  Lequel  lepara  (es  gens  en  deux ,  Se 
commanda  aux  plus  valeureux  Ôc  hardis  ,  qu'en  fa 
compagnie  ils  alïailli(TentIespremiers,&quetout 
le  refte  demeurait,  arrefté auec le  Roy  Ilcoalt,  iuf- 
ques  à  ce  qu'ils  vcilTent  les  premiers  donner  fur 
leur  ennemis.  Marchans  donc  en  ordre  ,  ils  fu- 
rent defcouuects  de  ceux  d'Azcapuzalco,lcfquels 
incontinent  fortirent  furieufement  de  leur  cité, 
portansde  grandes  richen,esd'or,dargent,&  d'ar- 
mes de  beaucoup  de  valeur  ,  comme  ceux  qui 
auoient  l'Empire  de  toute  cefte  contrée.  Ifcoalt 
donna  le  fignal  de  la  bataille,  auec  vn  petit  tam- 
bour qu'il  portoit  fur  (es  efpaules,  &  incontinent 
efleuerentvn  grand  cry,s'efcrians,  Mexique,  Me- 
xique ,  donnèrent  fur  les  Tapanecas:  &  bien  que 
les  Tapanecas  fuilènt  en  bien  plus  grand  nombre 
qu'eux  fans  comparaifon,toutesfoisiInelaiiTeréc 
de  les  rompre,&  les  firenc  retirer  en  leur  cité.  Puis 
venans  ceux  qui  eftoient  demeurez  derrière,  crias 
Tlacaellec,  victoire,  vi&oire,  tout  d'vn  coup  en- 
trèrent en  la  cité  ,  où  parle  commandement  du 
Roy,  ne  pardonnèrent  à  homme,  ny  vieillard, 
femme,ny  enfans.  Car  ils  les  mirent  tous  au  tren- 
chantde  l'efpee  ,  pillèrent  &  faccagerent  la  cité, 
quieftoit  très  riche.  Et  non  contens  décela,  ils 
fortirenràlapourfuite  de  ceux  qui  s'en  eftoient 
fuys&  retirez  en  i'aipretédes  Sierres  ou  monta- 


DES  INDES.  LIV.  VII.  $ZO 
gnes  qui  eftoient  proches  de  là ,  frapans  fur  iceux, 
dontils  firent  vnecruelleboucherie. Les  Tapane- 
cas  d'vne  montagne  où  ils  s'eftoient  retirez,iette- 
rent  les  armes,&  demandèrent  les  vies,s'ofFrans  à 
feruir  les  Mexiquains,leur  dôner  des  terres  ôc  des 
iardins3delapierre,dela  chaux  &  dumefrain  ,  ôc 
de  les  tenir  toufiours  pour  leurfeigneurs.  A  cefte 
occafion  Tlacaellec  fit  retirer  Tes  gens ,  Ôc  cefler  la 
baraillc,Ieur  donnant  les  vies  fouz  les  conditions 
delîufditeSjlcfquellesilsiurerentiolemnellemët. 
Puis  après  ils  retournèrent  à  Azcapuzalco,&auec 
leurs  defpoùilles  tort  riches  ôc  victorieufes  à  la 
cité  de  Mexique.  Leioureniuyuant,  le  Roy  fitaf- 
fembler  les  principaux, &le  peupie,aufquels  il  re- 
mit en  auant  l'accord  qu'auoit /ait  le  commun, 
leur  demanda  s'ils  eftoientcontens  d'y  perfifter3le 
commun  dit  qu'ils  l'auoiet  promis,  &  que  les  no- 
bles l'auoient  bien  mérité  ,  parquoy  ilseftoient 
contents  de  les  feruir  perpétuellement  :  dequoy 
ilsfirentvn  (ermentqu'iîs  ont  depuis  gardé  fans 
y  conireuenir.Cela  fai&Jfcoalt  retourna  à  Azca- 
puzalco,  cVparleconfeil  des  fiens  départit  tou- 
tes les  terres  des  vaincus  ,  ôc  leurs  biens  entre  les 
vainqueurs  :  la  principalle  partie  tomba  au  Roy  , 
puis  à  Tlacaellec,&  après  au  refte  des  nobles ,  felo 
qu'ils  s'eftoient  fignallez  en  la  guerre. Ils  donnerét 
mefme  des  terres  à  quelques  plébéiens ,  pour  s'e- 
ftre  portez  vaillamment,  aux  autres  distribuèrent 
du  pillage,&  en  firentpeu d'eftat,  comme  de  gens 
couards.  Ils  dellinerent  mefme  des  terres  en  com- 
mun pour  les  quartiers  de  Mexique,  &  à  chacun 
les  fiennes,afin  qu  auec  icellcs  ilsaidafsctaufcrui- 
ce  Ôc  facrifices  de  leurs  dieux.Ce  futl'ordre  qu'ils 


I 


HISTOIRE  NATURELLE 
gardèrent  toufiours  de  là  en  auant,audepartemëc 
des  terres  &  defpoiïilles  de  ceux  qu'ils  auoient 
vaincus  &  allujedtis.  Par  ce  moyen  ceux  d'Azca- 
puzalco  demeurèrent  fi  pauures .  qu'il  ne  leur  re- 
ftoitaucunes  terres  pour  labourer  ,  &  lepirefut 
que  l'on  leur  ofta  leur  Roy, &  le  pouuoir  d'en  eiîi- 
re  d'autres  que  celuy  de  Mexique. 

De  la  guerre  kj  victoire  que  les  Mexiquains  eurent 
contre  la  (ité  de  Cuyoacan . 

ch  a  P.  Xi  m. 

O  m  b  i  e  n  que  la  principale  cité  des  Tapa- 
nelcoasfuft  celle  de  Azcapuzalco,  toutefois 
ils  en  auoient  d'autres  qui  auoient  leurs  feigneurs 
particuliers,comme  Tacuba,&  Cuyoacan.j  Ceux 
là  ayans  veu  l'efchec  pafîe,  euiïent  bien  voulu  que 
ceuxd'Azcapuzalco  eufTent  rcnouuellé  la  guerre 
contre  les  Mexiquains,&  voyans  qu'ils  ne  iy  pre- 
paroientpoint ,  comme  vne  nation  du  tout  rom- 
pue &  défaite,  ceux  de  Cuyoacan  délibérèrent  de 
faire  à  part  foy  la  guerre,  pour  laquelle  ils  s'effor- 
cèrent d'inciter  les  autres  nations  circonuoifines. 
lefqueiles ne  voulurét point  fe  mouuoir,ny  que 
relier  les  Mexiquains.  Ce  pendant  croiflant  la 
hayne  &  enuie  de  leur  profperité,  ceux  de  Cuioa- 
can  commencèrent  à  mal  traicter  les  femmes,qui 
alloient  à  leurs  marchez,fe  moquans  d'elles,&  en 
faifans  autant  aux  hommes  fur  jefquelsilsauoiét  j 
ladomination.  Pour  laquelle  occafion  le  Roy  de  ™ 
Mexique  défendit  qu'aucun  des/ïens  n'allaften 
Cuyoacan,&  qu'ils  ne  receuifent  en  Mexique  au- 
cuns d'eux.  Ce^ui  donna  occafioa  à  ceux  de  Cu- 
yoacan 


DES     INDES.      L IV.    VII.  3  21 

yoacon  de  fe  refoudre  du  tout  à  la  guerre.  Mais 
premièrement  ils  les  voulurent  prouoquer  par 
quelque  honteufe  moquerie  ,  qui  Fut  de  les  con- 
uieren  vne  de  leurs  feftes  folemnelles  ,  où  après 
leurauoir  fait  vn  beau  banquet ,  &  lesauoirfe- 
ftoyezauec  vnegrandedanceàleurmode^lsleur 
cnuoyerent  pour  le  deflert  des  habits  de  femmes, 
&  lescontraignirétdelesve{lir,&  retourner ainil 
veftus  en  femmes  en  leur  cité  ,  leur  reprochans 
qu'ils  n'eftoict  que  des  couards,  &  des  effeminez, 
de  n'auoir  ofé  prendre  les  armes,  y  ayans  eftéafsez 
prouoquez.  Ceux  de  Mexique  difent,qu'en  recô- 
penfe  ils  leur  firent  vne  autre  lourde  moquerie,cn 
leur  mettant  aux  portes  de  leur  cité  de  Cuyoacan, 
certaines  chofes  quifumoient  ,  par  le  nom  des- 
quelles pluiieurs  femmes  auorterent,  &  plufîeurs 
tombèrent  malades.Enfinle  tout  vintiufquesau 
poinct  de  guerre  déclarée,  de  forte  qu'ils  le  don- 
nèrent vne  bataille,  où  ils  employèrent  toute  leur 
puifsâcc  de  part  &  d'autre,&  en  icëlle  Tlecaellec, 
par  fa  magnanimité  &  rufe  de  guerre,obtint  la  vi- 
ctoire.  Car  ayant  laifTc  le  Roy  Ifcoalt  combatant 
auec  ceux  de  Cuyoacan,Palla  mettre  en  embufea- 
de  auec  quelque  peu  de  vaillas  foldats,&  en  tour- 
noiant  leur  vint  donner  en  queue  ,  où  chargeant 
fur  cux,illesfît  retirer  en  leur  cite.  Mais  voyant 
qu'ils  pretendoient  fe  retirer  au  temple,qui  eftoit 
bien  fort,fe  ietta  fur  eux  accompagne  de  trois  va- 
leureux' foldats,&  leur  gaignale  deuat,fe  faifiiïant 
du  temple  où  il  mit  le  feu,  &  les  força  de  s'enfuir 
parmy  les  champs,  où  faifant  grand  efchec  fur  les 
vaincus,  les  fuiuirent  deux  lieues  dans  le  pays,iuk 
ques  à  vne  colline,où  les  vaincus  iettâs  les  armes, 

f 


HISTOIRE  NATVR.ELLE 
&croiians  les  bras  fe  rendirent  aux  Mexiquains, 
&  auee  beaucoup  de  larmes,leur  demanderetpar- 
don  de  l'outrecuidance  qu'ils  auoienteuëenles 
traidtant  comme  femmes,&  foffroiét  à  eftre  leurs 
efclaueSjiî  bien  qu'en  fin  les  Mexiquains  leur  par- 
donnerent.DeceftevicloiielesMexiquains  rem- 
portèrent de  très- riches  deipoiiilles  d'habus,d'ar- 
mes,de  l'or, de  l'argent ,  des  ioyaux  &  des  pluma- 
ches  riches,auec  vn  grand  nombre  de  captifs.  En 
celle  bataille  il  y  eut  trois  des  principaux  deCul- 
huacan qui  vindrentayder  aux  Mexiquains,pour 
gaigner  hôneur ,  lciquels  furent  remarquables  fur 
tous.  Et  du  depuis  eftans  recoçncuz  par  Tlacael- 
lec,&  ayans  fait  preuuede  leur  ridclitc,leur  donna 
les  deuifes  Mexiquaines,  &  les  eut  toujours  à  Ton 
cofte  où  ils  corabatirent  en  tous  lieux  valeureufc- 
ment.  L'onrecogneut  bien  quetoute  la  victoire 
dèbuoit  «lire  attribuée  au  général  ÔV  à  ces  trois. 
Car  entre  tant  de  captifs  qu'il  y  auoi  t,il  y  en  auoit 
les  deux  tiers  qui  futét  gaignez  p.ir  ces  quatre,  ce 
quifeprouua  facilement  par  larufe  dont  ils  vle- 
rentrcar  en  prenant  vn  captif,  incontinent  ils  luy 
coupoientvnpeudccheueux,&rlesbailloicntaux 
autres.  Ainfi  il  fe  trouua  que  ceux  qui  auoient  les 
cheueux  coupez  reuenoient  à  ce  nombre,  d'où  ils 
aquirent  vne  grande  réputation  &  renommée  de 
valeureux. Ils  furent  honorez  comme  vainqueurs, 
en  leur  donnant  de  bonnes  portions  de  defpoùil- 
les ,  ÔV  des  terres,  ainfi  que  les  Mexiquains  ont  de 
tout  temps  accouftumé  de  faire,  qui  donnoit  oc 
cafion  à  ceux  qui  combat  t  oient ,  de  Te  faire  renô 
mer,&  gaigner  de  la  réputation  aux  armes. 


DES    INDES.     LIV,    Vil.        322 


De  la  guerre  &  ytctoireeiuc  les  "Mexiauains 
eurent  contre  les  Suchtmilcos. 


CH  A  P.   xv. 

A  nation  desTapanecas  eftanc  fubiuguee,lcs 
Mexiquains  curent  occafîond'cn  faire autât 
aux  Suchiniilcos ,  leîqucls  comme  il  a  eftè  dit,  fu- 
rent les  premiers  de  ces  fept  caucines  ou  lignages 
qui  peuplèrent  celte  terre.  Les  Mexiquains  tou- 
teàfois  ne  recherchèrent  pas  l'occasion,  combien 
qu'ils  pouuoient  premmercomme  vainqueurs  de 
paflerplusoutre,maislcs  Suchimilcosles  eimeu- 
rent,  pour  leur  malheur,  comme  ilarriue  aux  ho- 
mes de  peu  de  lç.uioir,&qui  regardent  de  trop 
pres,leiquels  pournepreuoir  le  dommage  qu'ils 
imaginoyent,tombercnt  en  iceluy.LesSuchimiU 
cos  turent  d'opinio  que  pour  les  victoires  pafîees, 
les  Mexiquains  entrepredroient  de  les  alîùjeclir, 
&  dehbererét  entr'eux  ceft  affairc.Il  y  en  eut  quel- 
ques-vns  qui  dirent  qu'il  euft  efté  bon  dés  lorsde 
les  recognoiftrepour  fuperieurs,&  d'approuuet 
leur  bon  heur,neâtmoins  lecotrairefutrcfolu,& 
f'aduancerenrpour  leur  doner  bataille.  Ce  qu'en- 
tendu par  Ilcoalt  Roy  de  Mexique  ,  il  enuoya 
cotre  eux  fon  gênerai  Tlacacllec,auec  fon  armée, 
&  vindrent  à  donner  bataille  au  mefme  champ, 
qui  feparoient  leurs  limites,  lefquelles  deux  ar- 
mées eftoient  aflezefgales  en  hommes  &  en  ar- 
mes, mais  elles  furent  bien  diuerfes  en  l'ordre  & 
manière  de  combattre.  PourcequelesSuchimil- 
cos  chargèrent  tous  enfemblè  en  vn  môceau  fans 

f  u 


HISTOIRE  NATVREtLE 
ordre,  &  TIacacllec  diuifalesfiensparefcadrons 
auecvn  bclordre:par  ainfi  ils  rompirent  inconti- 
nent leurs  contraires,  les  rai  fans  retirer  en  leur 
citc,en  laquelle  ils  entrèrent  alors,  &  les  îuniiréc 
iufques  à  les  enfermer  au  temple,  où  ils  muent  le 
feu,  &  les  firent  fuir  aux  montagnes,  &  en  finies 
reduifirent  à  ce  poinct,qu'ils  le  rendirent  les  bras 
croifez.  Le  capitaine  TIacacllec  retournant  en 
grand  triomphe,  lespreftres  allèrent  au  deuantle 
receuoir  auec  leur  mufique  de  fleutes ,  en  eneen- 
iant  deuant  luy ,  les  capitaines  principaux  [ai  ans 
d'autres  cérémonies, &  môLhesd'allegrclîe,  qu'ils 
auoientaccouftumé  de  faire,  &  le  Roy  auec  eux, 
s'en  allèrent  tous  au  temple,  rendre  grâces  à  leur 
faux  dieu.  Car  lediableatoufioursefté  fort  defi- 
reux  decela,cV  de  s'attribuer  l'honneur  de  ce  qu'il 
n'a  point  mérité ,  attendu  que  c'eft  le  vray  Dieu, 
qui  donne  la  vicloire ,  &  qui  fait  régner  ceux  qu'il 
luy  plaift,&non  pas  luy.Le  ioureniuiuant  leRoy 
IfcoaltfutenlacitédeSuchimilco,  &là-fëfiftra- 
rer  Roy  des  Suchimilcos,cV  pour  les  côfoler ,  leur 
promitfairedu  bien, en  ligne  dequoy  il  leur  com- 
manda qu'ils  fiflènt  vnc  grande  chauflec ,  qui  tra- 
uerfaftde  Mexique  à  Suchimilco,  qui  font  quatre 
lieues,  afin  qu'il  y  eut  plus  de  commerce  excom- 
munication entr'eux.  Ce  que  rirent  les  Suchimil- 
cos,&  en  peu  de  temps  le  gouuernementdes  Me- 
xiquains  leur  fcmbla  lî  bon  ,  qu'ils  s'eftimerent 
heureux  d'auoir  chagé  de  Roy  &  de  Republique, 
&  quelques  circonuoifins  pouffez  d'enuie,  ou  de 
crainte  à  la  perdition, ne  furent  pas  faiéts  fages  du 
malheur  de  ces  autres, comme  ils  deuoicnt.Cuit- 
lauaca  eftoit  vnecité  dans  le  lac,  laquelle  (  encor 


DES     INDES.       LIV.    VII.  32$ 

que  le  nom  Se  habitatiô  foie  changée)  dure  encor. 
Ils  eftoiét  fort  adroits  à  nauiger  par  le  lac,&  pour- 
tant il  leur  fcmbla  qu'ils  pourroiet  endommager 
beaucoup  lesMexiquains  par  eauc.Ce  que  le  Roy 
ayant  entendu,il  eult  voulu  y  enuoyer  incontinét 
Ion  armée  pour  combatre  contr'eux:  mais  Tlaca- 
elleceftimant  peu  cefte  guerre,  &reputantchofe 
honteufe  de  mener  vne  armée  contre  ceux-là»  il 
s'offrit  de  les  vaincre auec  les  enfâs  feuls,  &  le  mit 
à  efrecb.il  l'en  alla  au  tcple,&  tira  du  conuent  ceux 
d'entre  les  enfans,  qu'il  trouua  propres  à  cet  affai- 
re, aagez  depuis  dix  ans  iufques  à  dix-  huict,  les- 
quels Içauoient  guider  Se  mener  des  bateaux  ou 
canoës ,  Se  leur  enfeigna  certaines  rules.    L'ordre 
qu'ils  tindrent  à  cefte  guerre  fut  qu'il  s'en  alla  en 
Cuitlauacaauccfesenfas,où  parfcsrufesil  prefîa 
fes  ennemis  en  telle  façon  qu'il  les  fitfuyr ,  éco- 
rne il  les  pourfuiuoit,  lefeigneuc  de  Cuitlauaca 
luy  vintaudeuant,  &fe  rendit,  luy,  la  cité,  Se  fon 
>peuple:par  cemoyêcellalapourfuite.  Les  enfans 
rctournerët  auec  beaucoup  de  defpoiiilles  Se  plu- 
fieurs  captifs  pour  leurs  facrifices,qui  furet  receuz 
folemnellement  auec  vne  grande  proceffion,  mu- 
(ique  Se  parfums,  &  allèrent  adorer  leurs  dieux  en 
prenant  de  la  terre  qu'ils  mangeoient  ,Se  fe  tirant 
du  fans  du  deuantdes  iambes  auec  les  lancettes 
des  preftres,&  faifan s  d'autres  hiperftitions  qu  ils 
auoient  accouftumé  de  faire  en  telles  folemnitez. 
Les  enfans  furent  fort  honorez  Se  encouragez, & 
le  Roy  les  ambrafla  &  baifa,  &  fes  parens  Se  alliez 
les  accompagnerét.  Le  bruit  de  cefte  victoire  cou- 
rut par  tout  le  pays,commeTlacaellecauoit  fub- 
iugue  la  cité  de  Cuitaluaca,auec  des  enfans,dot  la 

f  iij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
nouuelle  &  confideratiô  des  chofespaffees  ouuric 
lesyeuxàceuxdeTezcuco  ,  nation  principale  3c 
fort  accorte,  pour  leur  f.içon  de  viure.  Tellement 
que  le  Roy  deTezcucofutie  premier  qui  fut  d'o- 
pinion qu'ils  fedeuoientaflujecrar  au  Roy  de  Me- 
xique^ l'y  cormier  auec  fa  cùé.  Parquoy  de  lad- 
uis  de  fon  confeil ,  ils  enuoyeret  des  ambafladeurs 
bons  orateursauec  des  prefens  honorables  pour 
l'offrir  aux  Mcxiquains  comme  fuje&s,  Ieurde- 
mandans  paix  Se  amirie  :  cela  fut  accepté  graticu- 
fement,combien  que  par  le  confeil  de  Tiacaellec, 
pour  effectuer  cela ,  il  fît  vne  cérémonie  que  ceux 
deTezcucofortiroiéten  armes  anec  ceux  de  Me- 
que,&  qu'ils  fe  combatroient  &  rendroient  incô- 
tinét,quifut  vn  acte  &:  cérémonie  de  guerre,  fans 
qu'il  y  euft  aucun  fàng  rtfpldu  d'vne  part  ny  d'au- 
tre. Parquoy  le  Roy  de  Mexique  demeura  fouue- 
rainfeigneurdeTezcuco,3r  ne  leurofta  point  leur 
roy,maislefitde  fon  confeil  priué,tellercct  qu'ils 
fefont  tonfiours  confejruez  de  cette  façon  mfques 
au  temps  de  Meteçuma  fécond  ,  durant  le  règne 
duquclles  Efpagnols  y  entrèrent.  Ayans  aifujecty 
la  terre  &  lacitedeTezcuco,  Mexique  demeura 
d-imedetoutela  terre  &  des  villes  qui  font  à  l'en- 
tour du  lac  où  elle  e(l  fondée.  Ifcoaltayantdonc 
iouy  decefte profpcrké,  &  régné douzeans, mou- 
rut laiitant  le  Royaume  que  l'on  luy  auoit  donné, 
bien  augmenté  par  la  valeur  &  confeil  de  fon 
nepuen  Tlacaellec(comme  a  efte  raconté)  qui  fut 
d'aduis  6V  trouua  meilleur  que  l'on  cfleut  vn  aune 
Roy  que  luy,  comme  nous  dirons  cy  après. 


DES     INDES.    LIV.    VII. 


3*4 


Du  cinqmcfme  Bjy  de  Mexique  appelle  Mote- 
fuma  premier  de  ce  nom. 


ch  a  p.  xvr. 


'  A  v  t  a  m  t  que  l'eflection  du  nouueau  Roy 
appartenoit  aux  quatre  eflele&curs  princi- 
paux (comme  il  a  cfté  die)  &  aueceuxau  Roy  de 
Tczcuco  &  au  Roy  de  Tacuba ,  par  fpecial  priui- 
lege,Xlacaelleca(rembla  ces&x  perfonnages,com- 
meceluy  quiauoitla  fouueraincauthorité,auf- 
quclsayans  propofe  l'affaire,  fut  efleu  Moteçu- 
nia  premier  de  ce  nom  ,  nepueudu  mefmeTla- 
caellec.  Son  eflection  fut  fort  agréable  à  tous,  à 
l'occafîon  dequoy  ils  firent  des  feftes  tres-folem- 
nelles  $c  plus  magnifiques  que  les  précédentes. 
Incontinent  qu'ils  l'eurent  efleu  ,  ils  le  menèrent 
auec  grande  compagnie  au  temple  ,  oudeuant  le 
foyer  diuin  qu'ils  appelloient ,  (  où  il  y  auoit  touf- 
iours  du  feu  iour  &  nuict)  le  mirent  en  vne  throf- 
ne  royal ,  le  reueftans  d'ornemens  royaux.  Et 
eftantlà,le  Royfe  tira  du  fang  des  oreilles  &c  des 
iarflbes,  auec  des  ongles  ou  grififesde  tigres,  qui 
eftqitle  facrifice,  auquel  le  diable  feplaifoitd'e- 
ftre  honore.  Les  preftres,  les  ancien  s  &  les  capi~ 
taines  luy  firent  leur  harangue  ,  lecongratulans 
tous  de  fon  eiledion.  Ils  auoieut  accouftumé  en 
telles  eileclions  de  faire  de  grands  banquets  Se 
des  danccs,où.ils  confommoient  beaucoup  de  lu- 
minaires. Du  temps  de  ce  Roy  fut  introduite  la 
çouftume  qu'ils  auoient  que  le  Roy  deuoit  aller 
en  perfonne  faire  la  guerre  à  quelque  prouin- 
cc,  d'où  il  amenaft  des  captifs  pour  fblemnifec 

f  iiij 


HISTOIRE  NATVUELLE 
lafeftedefon  couronnement,&  pour  les  folénels 
facrifices  de  ce  iour  là.  Pour  cefte  caufe  le  Roy 
Moteçumaalla  en  la  prouince  de  Chalco,  les  ha- 
bitans  de  laquelle  s'eftoient  déclarez  Ces  ennemis , 
où  ayant  combatuvaleureufemenc ,  il  amena  vn 
grand  nombre  de  captifs,defquels  il  offri t  &  célé- 
bra vn  notable  facrificc  le  iour  de  Ton  couronne- 
ment, combien  que  pour  lors  ilnefubiuguapas 
toutela  prouince  de  Chalco,d'autant  que  c'eftoit 
vne  nation  fort  belliqueufe.  Plufieurs  venoient  à 
ce  couronnement  de  diuerfes  prouinces  ,  tant 
proches  qu'efloignees  pour  voir  cefte  fcfte,en  la  - 
quelle  tous  ceux  qui  y  venoient  eftoient  abonda- 
ment  &  magnifîquemet  nourris  &  reueHus3prin- 
cipalement  les  pauures  ,  aufquels  l'on  donnoic 
des  habits  neufs.  Pour  celle  caufe  l'on  apportoit 
ce  iour  là  en  la  cité  les  tributs  du  Royauec  vnbel 
ordre  Se  appareil ,  qui  confiftoit  en  deseftoffes 
à  faire  des  habits  de  toutes  fortes,  du  Cacao,  de 
l'or ,  de  l'argent ,  de  riches  plumaches ,  de  grands 
fardeaux  de  cotton,delacides  concombres  ,  de 
plufieurs  fortes  de  légumes  ,  de  plusieurs  fortes 
depoiflonsdemer  ,  &deriuiere,  d'vnequanti- 
tede  frui6h,&  delà  venaifon  fans  nombre,  fans 
faire  compte  d'vn  nombreinfiny  de  prefents,que 
les  autres  Rois  &feigneursenuoioiet  au  nouueau 
Roy.  Tout  ce  tribut  marchoitde  rang  félon  les 

ftrouinces  ,  Se  au  deuant  les  maiftres  d'hoftel ,  Se 
esreceueurs  auec  diuerfes  marques  &  enfeignes 
d'vn  fort  bel  ordre  ,  tellement  que  c'eftoit  yne 
des  plus  belleschofes  de  la  fefte,  que  de  voir  l'en- 
trée des  tributs.  Le  Roy  eftant  couronne  ,  il 
s'emplya  à  conquefter  plufieurs  prouinces  ,  Se 


DES      INDES.    L  IV.    VII.  325 

d'autant  qu'il  eftoitf  vaillant  Se  vertueux  ,  il  al- 
la toufiours  augmentant  de  plus  en  plus  ,  &  fe 
leruoiten  toutes  fes  affaires  du  confeil&  del'in- 
duftriedefon  gênerai  Tlacaellec,  lequel  il  aima 
Se  eftima  toufiours  beaucoup,  comme  il  en  auoit 
auflï  bien  occafion.  La  guerre  où  il  ('occupa  le 
plus,  &  qui  luy  fut  plus  difficile  fut  celle  de  la 
pronineede  Chalco,en  laquelle  luy  aduint  de 
grades  chofes ,  dont  il  y  en  a  vne  entre  autres  fort 
remaiquable,qui  fut  que  les  Chalchas  ayas  prins 
en  guerre  vn  freredeMotecuma,ils  faduiferent 
de  le  créer  Se  cflire  pour  leur  Roy,parquoy  ils  luy 
firent  demander  fort  courtoifement  fil  vouloit 
accepter  cëfte  charge.  Il  leur  refpodit après  qu'ils 
l'en  eurent  fort4mportunc,&  qu'ils  y  perfiftoient 
toufiours ,  que  Ci  à  bon  efeient  ils  le  vouloient 
eflire  pour  Roy ,  qu'ils  plantaient  en  la  place  vn 
arbre  ou  pieu  fort  haut,  auquel  ils  fiflent  accom- 
moder Se  dreiTer  comme  vn  petit  théâtre  au  cou- 
peau  où  l'on  peuft  monter.  Les  Chalchas  pen- 
fansque  ce  fuft  quelque  cérémonie  pour  fe  faire 
dauantage  valoir,  le  mirent  incontinent  à  effecl:, 
Se  luy  afîemblant  tous  fes  Mexiquains  autour  du 
pieu,  monta  au  coupeau,  auec  vn  chapeau  de 
fleurs  en  fa  main:&  de  là  il  parlaaux  fiens  en  cefte 
façon.  0  valeureux  Mexiquains ,  ceux-cy  me  veulent 
cflircpour  leur  T^oy ,  mais  les  Dieux  ne  veulent  pas  per- 
mettre que  pour  cjlre  B^pyie  commette  aucune  trabifon 
contre  mon  pays ,  au  contraire ,  te  veux  que  vous  appre* 
nie^  de  moy, qu'il  contient  pluftqjt  endurer  la  mort ,  que 
d'aider  à  fes  ennemis  X)\fax\t  cela,  fe  iettadu  haut  en 
bas,febrifànt  en  mille  pièces, duquel  fpe&acle 
les  Chalchas  eurent  telle  horreur  &:deipit,qu'in. 


HISTOIRE  NATVRILLE 
continent  ils  fe  iettera  fut  les  M  cxiquains  >qu'ils 
mirent  tous  à  mort  à  coups  de  lances.comme  ho- 
mes qu'ils eftimcrenttrop hautains  ,  fuperbes& 
inexorables,difans  qu'ils  auoientlcs  cœurs  endia- 
blez.  IladuintqueîanuicT:  enfuiuancils  ouyrent 
deux  chathuants  qui cryoient  de  triftes  cris:  ce 
qu'ils  interprétèrent  pour  figue  malheureux  ,  8c 
pour  vn  prefage  de  leur  prochaine  deftruclion, 
comme  il  aduint:carle  Roy  Moteçuma  alla  en 

f)erfonnecontr'cuxauec  toute  Papuitfànccoù  il 
es  vainquit,  &  ruina  tout  leur  Royaume:  8c paf- 
fanroucrc!aS;crre  Mcnadc  ,i{ailatoufiourscon- 
queftantiufquesà  la  mer  du  Nort.  Puis  retour- 
nant vers  celles  du  Sud  il  gagna  &  aflujeclitplu- 
fîeursprouinccs  ,  tellement  qu'ilfe  fit  tres-puif- 
fant  Roy ,  le  tout  auec  l'aide  &  confeil  de  Tlaca- 
ellec,quia  prefque  conquis  tout  l'Empire  Mexi- 
quain.  Toutcsfoisilfut  d'opinion  (ce  qui  fut  ac- 
compfy)  que  l'on  neconqueftaft  point  la  prouin- 
cedeTlafcalIa  ,  afin  que  les  Mexiquains  euffent 
vne  frontière  d'ennemis  où  ils  exerçaffent  & 
tinfîent  toufiours  en  allarmc  la  ieunelfe  Mexi- 
q'uairrér»,  &  afin  mefme  qu'ils  euffent  quantité  de 
capeifs  pour  faire  lesfacrificesàleurs  idoles  ,  ef- 
quelscomme  il  a  efté  dit ,  ils  confommoient  vn 
grand  nombre  d'hom  mes  qui  deuoient  eftre  prins 
en  gucrrej&par  force.  L'honneur  fe  doit  attribuer 
à  ce  Moteçuma ,  ou  pour  mieux  dire  à  ce  Tlaca- 
ellcc  fon  gênerai ,  du  bel  ordre  &  poliecqui eftoit 
en  ce  Royaume  Mexiquain3commeauffidescon- 
ieiîs  ôc  belles  entreprifes  qui  l'y  font  exécutées, 
meimes  du  grand  nombre  des  luges  &magiftrats 
qui  y  eftoienc  autant  bien  ordonnez  qu'en  aucune 


DES    INDES.       L IV.    VII.  $l6 

Republique,  voire  qui  fuft  des  plus  florifïantes  de 
l'Europe.  Ce  mefme  Royaugmentabeaucoupla 
maifo n  Royalle,  ÔV: luy  donna  beaucoup  d'autho- 
rité,  ordonnant  plufieurs  &  diuers  officiers ,  def- 
Quelsilfe  feruoit  aucc  vn  grand  appareil  &  céré- 
monie. Il  ne  fut  pas  moins  remarquable  ,  tou- 
chant la deuotion&:  feruicedc  Ces  idoles,  d'au- 
tant qu'il  accreut  le  nombre  des  miniftres,  leur 
inflituant  de  nouuelles  cérémonies,  aufquelles 
il  portoit  vn  grand  refpedt  II  édifia  ce  grand  tem- 
ple dédié  à  leur  dieu  Vuzilipuztli,duquel  il  aefté 
fait  mention  en  l'autre  Hure.  Il  facrifiaenlade- 
dication  de  ce  temple  vn  grand  nombre  d'hom- 
mes qu'il  auoitprins  en  diuerfes  victoires.  Fina- 
lement iouylFant  de  fon  Empire  en  grande  pro- 
fperité  il  tombamalade  &c  mourut ,  ayant  régné 
vingt  hui&ans,  bien  autre  que  ne  futfonfuc- 
celïeurTicoçic,  qui  ne  luy  reflembla  ny  en  va- 
leur ny  en  bon-  heur. 


Comme  Tlacaellec rcfufa  d 'eîîrcT^oy,  &  detejle&ion 
&gefles  de  Tkoçtc. 

CHAP,     XVII. 


Es  quatre  députez  faflfemblerent  en  con- 
fèil  auec  les  feigneurs  de  Tezcuco  &  de  Ta- 
cuba,où  prefidoit  Tlaellec,&  procederët  à  Teflc- 
ctio  d'vn  Roy,cn  laquelle  Tlacaellec  fut  efleu  par 
toutes  les  voix,  côme  méritât  mieux  cefte  charge 
que  nul  autre.  Il  la  refufa  pourtat ,  leur  perfuadac 
par  raifonspertinentes,qu  ils  en  dcuoiët  eflirc  vn 


HISTOIRE     NATVRELI.  E 
autre,  pource  qu'il  difoit  qu'il  eftoit  meilleur  & 
plus  expédient  qu'vn  autre  luft  Roy  ,  &  queluy 
fuit  Ton  exécuteur  &  coadmteur, comme  il  auoic 
cfté  infques  nlors,quc  non  par,  de  le  charger  de 
tout,puifquc  fans  eftre  Roy  ,  il  ne  le  tenoit  pas 
moins  obligé  de  trauailler  pour  fa  République, 
quel'iU'edoit.C'eft  vnechofe fort  rare  de  refufer 
la  principauté  &  le  commandement,  6V  de  vou- 
loir bien  porter  la  peine  &  le  foucy,  fans  en  auoir 
l'honneur  &  la  puillànce.  Et  y  en  a  bien  peu  qui 
veulent  quitter  à  vn  autrela  puilFance  &  l'autho- 
rité  qu'ils  peuuent  fculemet  retenir  en  leur  main, 
encorque  ce  fuft.  choie  profitable  à  la  Republi- 
que. Ce  barbare  furpalîa  en  cela  les  plus  figes 
d'entreles  Grecs  cxles  Romains,  &eftvne  leçon 
qu'on  peutfaireà  Alexandre  «Se  à  Iules  Cefar,dcf 
quels  l'vn  eftimoit  peu  de  chofe  de  commander 
à  tout  vu  monde, &  fit  cruellement  perdre  lavie 
à  Tes  plus  chers  &  plus  fidèles  feruiteurs  ,  pour 
quelques  légers  foupçons,  qu'ils  vouloient  ré- 
gner: &  l'autre  fe  déclara  ennemy  de  fa  patrie, 
difant,que  Pil  eftoit  permis  à  l'homme  de  faire 
quelque  choie  contre  le  droit  &:  la  railon  ,  cede- 
uoit  eftre  pour  regnentclle  eft.  la  foif&le  defir 
queles  hommes  ont  décommander.    Bien  que 
ceft  acte  de  Tlacacllec  pouuoit  aufîi  procéder 
d'vne  trop  grande  confiance  de  foy,luy  Temblanc 
cjuefans  eftre  Roy  il  l'eftoit  allez,  veu  qu'il  com- 
mandoit  preique  aux  Rois,  &  eux  luv  permet- 
toient  porter  certaines  enfeignes ,  côme  vn  tiare, 
qu'il  leur  appartenoit  de  porter  feulement. N  eat- 
moinsect  ade  mérite  beaucoup  de  louange,  5c 
d'cftrebienccnfidcic  en  ce  qu'il  auoit  opinion 


DES     INDES.    LIV.    VII.  3 17 

de  pouuoir  dauantagc  aider  à  fa  Republique, 
eftant  fubiect  qu'eftant  fouuerain  Seigneur.  Ec 
tout  ainfi  qu'en  vne  comédie  ,  celuy  là  mérite 
plus  de  gloire,  qui  reprefente  le  perfonnagc  qui 
importe  le  plus ,  encor  qu'il  foit  d'vn  pafteur  ou 
d'vn  payfan  ,&  laillè  celuy  du  Roy  &  du  Capi- 
taine à  celuy  qui  le  Içait  faire.    Ainfi  en  bonne 
Philofophie, les  hommes  doiuent  auoir  efgard 
fur  tout  au  bien  public, &  Rappliquer  en  l'office 
&  eftat  qu'ils  entendent  le  mieux.    Mais  cède 
philofophie  eft  la  plus  cfloignee  de  ce  qui  fe  pra- 
tique auiourd'huy. Cependant  venons  à  noftrc 
diicours,&  dilons  qu'en  recompenfe  de  fa  mo- 
deftie,&  pour  le  refpect  que  ltiy  portoient  les 
efiedeurs  Mexiquains,  ils  demandèrent  à  Tla- 
caellec, que  puis  qu'il  ne  vouloir  tegner,qu'il  difl: 
celuy  qui  luy  fembIoitpropre,&  il  donna  fa  voix 
àvn  fils  du  Roy  defund,  qui  pour  lors  eftoit  en- 
cor  fort  ieuue,appellé  Ticoçic ,  furquoy  ils  répli- 
quèrent que  Tes  elpaules  eftoienc  bien  foibles 
pour  vn  fi  grand  fardeau.    Tlacaellec  refpondic 
que  les  Tiennes  cftoient- là  pour  luy  aider  à  porter 
la  charge, comme  il  auoit  faitauxdefunds.  Au 
moyen  dequoy  ils  prindrent  leur  refolution  ,  & 
fut  efieu  Ticoçic,  auquel  furent  faites  toutes  les 
cérémonies accouttumees.   Ils  luy  percèrent  la 
narine ,  &  pour  ornement  ils  y  mirent  vne  efme- 
raude,quieft  lacaufepourquoyauxliures  Mexi- 
quains ce  R  oy  eft  dénoté  par  la  narine  percée.  Il 
fut  fort  différent  de  fon  père  &  predeccfleur,ayât 
efté  remarqué  pour  homme  couard  &  peu  belli- 
queux.Il  allafairc  la  guerre  pour  fon  Couronne- 
ment en  vne  prouince  qui  reàoit rebellée, où  il 


HISTOIRE  NATVRELLE 
perdit  beaucoup  plus  des  liens,  qu'il  ne  printde 
captifs.  Neantmoins  il  retourna  ,  difant  qu'il  a- 
menoitle  nombre  des  captifs  qu'il  eftoit  requis 
pour  les  Sacrifices  de  leur  couronnement,  &  ainfi 
ilfuccouronnéauec  vne  grande  folemnité.  N4ais 
les  Mexiquains,mal  contais  d'auoirvn  Roy  fi 
peu  guerrier,  traittereat  de  luy  auancer  la  mort 
parpoifon.  Pour  celle  occafionil  ne  dura  point 
au  Royaume  plus  de  quatre  ans,  d'où  l'on  voie 
bien  que  lesenfans  ne  fuiuent  pas  toufiours  le 
iang&la  valeur  de  leurs  peres,  ôc  que  tant  plus 
grande  a  efté  la  gloire  despredecefleurs,  plus  abo- 
minable eft  la  lafeheté  Se  putîilanimite  de  ceux 
qui  leur  fuccedent  au  commandement  ,  &  non 
pas  au  mérite.  Mais  celle  perte  fut  bien  reftauree, 
parvn  frère  du  defunct,qui  eftoit  aufli  fils  du  grad 
Moteçuma ,  appelle  Axayaca ,  &  lequel  fut  efleu 
par  l'opinion  de  Tlacaellec,où  il  rencotra  mieux 
qu'auprecedent. 


De  la  mort  de  Tlacacllccy  &  des  acles  d'^Axayaca, 
7.  }\oy  des  Mextqudtns. 

c  H  a  p.  xviii. 

N  ce  temps  Tlacaellec  eftoit  defiafort  vieil, 
^|§&:àcaufedeiavieilleiie,roa  leportoit  en 
vne  chaire,  fur  les  efpauIes,pour  fc  trouuer  au 
confeil&  aux  affaires  qui  fe  prefentoient.  En  fin 
il  tomba  malade,où  le  nouueau  Roy,qui  n'eftoit 
pas encor couronné, le  vifitoit  fouuent,&  ref- 
pandoit  beaucoup  de  larmes ,  d'autant  qu'il  luy 
fembloit  qu'il  perdoit  en  luy  fon  pere,  &  le  perc 
de  la  patrie.    Tlacaellec  luy  recommanda  affe- 


DES     INDES.    L1V.    VII.  328 

ctueufementfes  cnfans, principalement  l'aifnc* 
qui  feftoit  môftré  valeureux  aux  guerres  paifeeSj 
le  Roy  luy  promit  de  l'auoir  pour  recommandé, 
&  pour  confoler  dauantage  le  vieillard,  il  luy 
donna  en  fa  prefencela  charge  &  les  enfeignes  de 
ion  Capitaine  gênerai,  auec  toutes  les  préémi- 
nences de  Ton  pere,dequoy  le  vieillard  demeura 
tellement  content,  que  fur  ce  contentement  il 
achcua  fes  iours.  Que  fils  ne  fuiïcnt  patfez  de 
ceftevie  en  l'autre,  ils  eu  fient  peu  fc  tenir  bien- 
heurcux,attendu  que  d'vne  fi  petite  ,  &  Ci  pau* 
ute  Citc,en  laquelle  il  nafquit.il  fît  &  eftablitpar 
ia  valeur  &  magnanimité  vn  fi  grand,  fî  riche, 
&fîpuifPant  Royaume.  Les  Mexiquains  luy  fi- 
rent des  obfequcs,  comme  au  fondateur  de  cet 
Empire, plus  iomptueufcs,&plus  magnifiques 
qu'ils  n'auoient  fait  à  aucun  des  Roys  predecef- 
feurs,&  incontinent  après  Axayaca,  pour  ap- 
paifer  le  dueil ,  que  tout  le  peuple  Mexiquain 
portoit  de  la  mort  de  fon  capitaine,  délibéra  de 
faire  le  voyage, comme  il  eftoitde  befoinpour 
fon  couronnement-  C'eft  pourquoy  il  mena 
fon  armée  auec  grande  diligence  en  la  prouince 
de  Tcquantepec  disante  de  Mexique  de  deux 
cents  lieues,  (Se  là  il  donna  la  bataille  àvn  puiC- 
fànc  exercice  &  nombre  infiny  d'hommes,  qui 
f'eftoient  aiTemblez,  tant  de  cette  prouince  com- 
me des  circonuoifines,  pour  foppofer  aux  Mexi- 
quains. Le  premier  de  fon  camp  qui  s'aduança, 
pour  fe  méfier  au  côbat,  fut  le  mefme  Roy  deffiat 
fes  ennemis ,  defquels  il  faignit  fuyr ,  lors  qu'ils  le 
chargcrentjiufques  à  les  attirer  en  vne  embufche, 
oùilyauoit  plufieurs  foldats  cachez  fouzde  la 


— — — 


HISTOIRE    NATVRELLE 
paille,  lefquels  forcirent  à  l'impourueu  ,&  ceux 
quialloient  fuyants  tournèrent  tefte,  tellement 
qu'ils  arrefterë1:  au  milieu  d'eux  ceux  de  Tequan- 
tepec,  &  les  chargèrent  fort  viuement,  en  faifant 
d'eux  vnecruelleboucherie.Etpourfuyuans  leur 
victoire,  ils  raferent  leur  Cité  &  leur  Temple, 
chaltierent  rigourcufement  tous  les  circonuoi- 
fins,puis  ils  tirèrent  outre,  &  fans  f'arrefter  aucu- 
nement, allèrent  conqueftansiufques  à  Guatul- 
co,qui  eft  vnportauiourd'huy  fortcogncuen  la 
mer  du  Sud.  Axayaca  retourna  de  ce  voyage  à 
Mexique  auec  de  grandes  defpoiiilles&  richef- 
ies,où  il  fut  honorablement  couronné  aueede 
fo  m  peu  eux  '&  magnifiques  appareils  de  iacrift- 
ces ,  de  tributs,  &  autres  chofes,où  plufieurs  vin- 
drent  voir  ion  courônement.Les  Roys  de  Mexi- 
que recêuoient  la  couronne  de  la  main  des  Roys 
de  Tezcuco,qui auoientccftepreeminence.il  fit 
beaucoup  d'autres  entreprinfes, où  il  obtint  de 
grandes  victoires,eftanttoufionrs  le  premier,qui 
conduifoit  ion  armée,  &rauaiiloit  les  ennemis, 
d'où  il  acquit  le  nom  de  très- valeureux  Capitai- 
ne:&  non  conrent  de  fnbiuguet  les  eftrangérs ,ii 
reprima  &  mit  le  frein  aux  fiens,  qui  f'eftoient 
rebéllez,ce  que  iamais  aucun  de  fes  predecclFcurs 
n'auoitpeu,ny  ofé  faire.  Nousauons  défia  dite/ 
deuant  comme  quelques  feditieux  f'eftoient  fe- 
parez  de  la  Republique  Mextquaine,  qui  fondè- 
rent vue  Cité  proche  de  Mexique,  laquelle  ils 
appelèrent  Tlatelulco,&  fut  à  l'endroit  où  eft 
auiourd'huy  S. lacques. Ceux-là Peftans  reuoltez 
tindrent  vn  party  àpart,&  faccreurcntcx: multi- 
plièrent beaucoup ,  ne  voulans  iamais  recognoi- 

ftreles 


lA-^S^-'—' 


DES    INDES.       LTV.    VII.  327 

ftreles  Seigneurs  de  Mexique, ny  leurprefter  o- 
beytïance.  Le  Roy  Axayaca  les  enuoyadonc  re- 
quérir qu'ils  ne  fulîènt  diuifez  ,  mais  que  puis 
qu'ils  eftoiétd'vn  melme  fang&vn  peuple,qu'ils 
feioignifîcnt&  rccogneuirent  le  Roy  de  Mexi- 
que. Surquoy  le  Seigneut  de  Tlateluico  fie  vnc 
refponce  pleine  de  grand  meipris  8c  orgueil ,  dé- 
fiant le  Roy  de  Mexique  à  combattre  en  duel,  8c 
incontinent  aflTcmbla  les  hommes,commandanr 
à  vne  partie  d'iceux  qu'ils  allaflent  fe  cacher  dans 
les  herbiers  du  lac,  afin  d'efUe  mieux  couuerts. 
Où  pour  fe  moquer  d'auantage  des  Mexiquains, 
il  leur  cômanda  prendre  des  figures  de  corbeaux, 
d'oyes ,  8c  d'autres  animaux ,  corne  des  grenouil- 
les, &  autres  femblables, penfans  parce  moyen 
furprendie  les  Mexiquains ,  lors  qu'ils  parTeroiët 
parles  chemins  &chaulïees  du  lac.  Ayant  enten- 
du le  défi  &  la  1  uze  de  Ion  contraire ,  il  partit  fon 
armée,  donnant  vne  partie  à  fon  gênerai  fils  de 
Tlacaellec,&  luy  commanda  de  rompre  &  de 
charger  furcefte  embuicade  du  lac,  luy  d'autre 
cofté ,  auec  le  refte  de  (es  gens  par  vn  chem  in  qui 
n'eftoit  point  hanté ,  s'alla  camper  deuant  Tlate- 
luico.Incontinent  il  fitappellerceluy  quilaiioit 
défié ,  afin  qu'il  accomplie  fa  parole  ,  8c  comme 
les  deux  Seigneurs  de  Mexique  8c  de  Tlateluico, 
faduanecrent  ,  ils  commandèrent  chacun  aux 
fiens,  qu'ils  ne  fe  remuaient  iufques  après  auoir 
veu  lequel  des  deux  feroit  le  vainqueur,  ce  qui 
fut  fait,  &  tout  auflï-toft  ces  deux  Seigneurs  vin- 
drentl'vn  contre  l'autre valeureufement,  où  ayas 
longuement  combattu,  en  fin  celuy  de  Tlatelui- 
co fut  contraint  tourner  les  elpaules,  d'autant 

c 


HISTOIRE  NATVRELLE 
que  celuy  de  Mexique  le  chargeoit  plus  furicufe- 
ment  qu'il  ne  pouuoitfupporter.  Ceux  de  Tla- 
telulco  voyans  fuir  leur  Capitaine,perdircc  cou- 
rage, &  tournèrent  auiïi  le  dos  :  mais  les  Mexi- 
quainslesluyuantsdeprésleschargerentfurieu- 
iement.  Neantmoins  le  Seigneur  de  Tlatelulco 
n'efchappa  pas  des  mains  d'Axayaca.  Car  le  pen- 
fântfauuer,  il  fe  retira  au  haut  du  temple  où  A- 
xayacalefuiuitdeprés,  qui  l'attaignit&lefaifit 
d'vne  grande  force,  puis  lejettadu  hautdu  Tem- 
ple en  bas,  &  fît  mettre  le  feu  puis  après  au  tem- 
ple, &  à  la  cité-  Cependant  quecelafepaiTbità 
Tlatelulco,  le  gênerai  Mexiquain  eïtoit  fortef 
chauifé  à  la  vengeance  de  ceux  quil'auoientpre- 
tendu  défaire  par  ruze ,  &  par  tromperie,&  après 
les  auoir  forcez  par  armes  de  fe  rendre ,  &  de  luy 
demander mifericorde,  le  gênerai  leur  dift  qu'il 
neleurpardonneroitpoint ,  que  premièrement 
ils  n'eulïènt  fait  les  offices  des  figures  qu'ils  re- 
prefentoient,  parquoy  il  vouloit  qu'ils  criaflent 
comme  les  grenouilles,&  les  corbeaux,&chacun 
félon  les  figures  qu'ils  auoient  p ri nfes,  d'autant 
qu'ils  n'auroient  point  de  compofition  qu'en  ce 
faifant.  Ce  qu'il  fift  pour  les  affronter  &  moquer 
de  leur  ruze.  La  crainte  &  neceffité  enfeigne  tou- 
tes chofes, tellement  qu'ils  chantèrent  &crierent 
auec  toutes  les  différences  de  voix  que  l'on  leur 
commanda,pour  auoir  leurs  vies  lauues ,  comblé 
qu'ils  fulTent  fort  defpitez  du  palTetemps  que 
leurs  ennemis  prenoiet  d'eux.  Iisdifent  queiuf- 
ques  auiourd'huy  durent  encor  les  brocards  des 
Mexiquains  enuers  les  Tlateluicos,  qui  le  portée 
impatiemment ,  lors  que  l'on  leur  ramentoit  ces 


DES    INDES.       LIV.    VII.  328 

chants  &  cris  d'animaux.  Le  Roy  Axayaca  prie 
plaifiràcefterifee,  5c  incontinent  après Fen  re- 
tournèrent en  Mexique  en  grande  refiouiiTance. 
CeRoy  fut  eftimé  pour  vn  des  meilleurs  qui avec 
commandé  en  Mexique.  Il  régna  vnze  ans,  &  ïuy 
fu  cceda  vn  qui  fut  beaucoup  moindre  que  luy  en 
valeur  &  vertus. 


Dcsfxicis  e-r  actes  d'^ut7xoly  8.  l{oy  deMexique. 
chAP.  xix. 
SRgJ  Ntreles  quatre  eile&eurs  de  Mexique,  qui 
B3$  comme  il  a  efté  dit,  auoient  le  droicl:  d'eflirc 
au  royaume  celny  qu'ilsvouloient,ily  enauoit 
vndoiié  de plulieurs  perfections,  nommé  Aut-, 
zol.  Ceftuy  fut  efleu  des  autres,  &  fut  cefte  cfle- 
dion  fort  aggreable  à  tout  le  peuple,  car  outre  ce 
qu'il  eftoit  fort  vaillant, tous  l'eftimoient cour- 
tois &officieux  enuers  vn  chacun,  qui  eft  vnc 
des  principales  conditions  requifes  à  ceux  qui 
gouuernent,pourfe  faire  aimer  Ôc  obéir. Or  pour 
célébrer  la  fefte  de  Ton  couronnement ,  il  faduifa 
de  faire  le  voyage ,  &  aller  chaftier  l'outrecuidan- 
ce de  ceux  de  Quaxulatlan,  prouince  fort  riche 
ôc  abondante,  qui  eft  auiourd'huy  la  principale 
-delaneufuetlpagnc.  Ceux-là  auoient  voile  les 
officiers  &c  maiftres  d'hollel  qui  apportoient  le 
tribut  à  Mexique,&  auec  cela  i'eftoient  rebellez. 
Il  eut  de  grandes  difficultez  à  réduire cefte  na- 
tion, pource  qu'ils  feftoient  mis  en  vn  lieu  où. 
vn  grand  bias  demerempefehoit  lepaflageaux 
Mexiquains.  Pour  lequel  trauerfer  Autzol  fie 
auec  vn  cftrangc  trauail  &  induftric  fonder  en 
reauë,comme  vne  îflette  de  fafeines ,  de  terre ,  ôc 


HISTOIRE  NATVRELI,  E 
autres  matériaux ,  par  le  moyen  duquel  ceuure  il 
peutluy&fes  gens  palier  vers  Tes  ennemis,&:  leur 
donner  bataille ,  où  illes  vainquit,  <k  chaftia à  fa 
volonté,  puis  l'en  retourna  à  Mexique  en  triom- 
phe, ik  auec  grandes  richefles  ,  pour  eftrc  cou- 
ronne Roy ,  ielon  leur  couuume.  Autzoi  eften- 
dit  fon  Royaume ,  par  plufieurs  conqueltes  qu'il 
fit,iufquesà  paruenir  à  Guatimalla  ,  qui  eft  à 
trois  cens  lieu'ès  de  Mexique.  Il  ne  fui  pas  moins 
libéral  que  vaillant:  car  lorsque  les  tribiusarri- 
uoient,  (lefquels  comme  il  a  elle  dit  ,  venoient 
auec  vn  grand  appareil  &  abondance)  ilfortoit 
de  fon  palais,  &  faifoit  atïembler  en  quelque  lieu 
toutlepeuple,puiscommandoitqueron  appor- 
tait là  tous  les  tributs,  lefquels  il  departoit  à  ceux 
qui  auoientneceflîté.  Ildonnoit  aux  pauures  des 
eftofres  à  faire  des  habits ,  des  viandes,&  4re  tout 
cequ'ilsauoientdebefoingen  grande  quantité, 
&  les  chofesdeprix,  comme  l'or,  l'argent,  les 
ioyaux,&  les  plumacheseftoient  départis  entre 
les  Capitaincs,foldats&  feruiteursdelamaifon, 
félon  le  mérite  d'vn  chacun.  Cet  Autzoi  fut  mel- 
me  grand  politic,&  fit  abbattre  les  édifices  mal 
ordonnez  ,  ôc  en  reedifier  de  nouueau  d'autres 
fortfomptueux.Illuy  femblaquelacité  de  Me- 
xique auoit  trop  peu  d'eauë  ,  &  que  le  laceftoit 
fort  bourbeux,  parquoyil  fe  délibéra  d'y  faire 
venir  vn  gros  cours  d'eauë ,  dont  fe  feruoiet  ceux 
de  Guyoacan.  A  cède  fin  il  fît  venir  vers  luy  le 
principaidecefte cité,  qui  eftoit  vn  fameux  for- 
cier,  &  luy  ayant  propoféfon  intention,  lefor- 
cierluydilt  qu'il  regardait  bien  ce  qu'il  faifoit, 
pource  que  cefte  affaire  eftoit  de  grande  difficulté 


DES     INDES.. LIV.    VII.  3*9 

&  qu'il  entendift,  que  fil  droit  ce  ruffèaudcfon 
cours  ordinaire,  &lcfaifoitalleren  Mexique,  il 
noyeroitlacité.  Il  fembla  au  Roy  que  ces  excu- 
fcs  n'eftoient  que  pour  euiterl'efFecl  de  Ton  deC- 
fcin , parquoy  en  eftantirritè  le  renuoya,&  quel- 
ques tours  après  enuoya  à  Cuyoacan  vn  preuoft 
pour  prendre  le  forcier  ,  lequel  ayant  entendu 
pour  quelle  occafîon  venoient  les  miniftres  du 
Roy ,  les  fit  entrer  en  fa  maifon ,  puis  Te  transfor- 
ma &  fe  prefenta  à  eux  en  forme  d'vn  aigle  terri- 
ble, dequoy  le  preuoft  &  Ces  gens  efpouuentez, 
C'en  retournèrent  fans  le  prendre.  Autzcl  irrite 
enrenuoyad'aurres,aulquels  il  feprefentaen  fi- 
gure d'vn  tigre  trcs-furieiix ,  &  ne  luy  oferent  no 
plus  toucher.  Les  troifie(mesyfurenr,&  letrou- 
uerent  en  forme  d'vn  ferpent  horrible  ,  dont  ils 
eurent  grande  frayeur.  LeRoyeimeud'auantage 
de  ces  façôs  de  faire,  enuoya  dire  à  ceux  de  Cuyo- 
acan ,  que  fils  ne  luy  amendent  le  lorcier  lié,  il 
feroitrafer  leur  cité:  pour  craincte  dequoy,  ou 
foit  que  luy  de  fa  volonté,  ou  foit  qu'il  y  euft  efté 
forcé  des  fiens,  en  fin  fêlai  (la  emmener  au  Roy, 
qui  le  fit  incontinent  eftrangler,  puis  après  il  ac- 
complit fon  dellein  ,faifant  cauervn  canal  ,  par 
où  cette  eauë  peut  couler  à  Mcxique,par  le  moyé 
duquel  il  fit  venir  vn  gros  cours  d'eauë  au  lac,  le- 
quel ils  conduirent  auec  de  grandes  cérémonies 
&  fuperftitions,oùily  auoitdes  preftres  qui  al  - 
loientencenfanslelongduriuage,  les  autres  fa- 
crifians  des  cailles  du  fangdefquelles  ils  oignoiet 
les  bords  du  canal ,  &  les  autres  fonnans  des  cor- 
nets accompagnoient  l'eauë  de  leur  mufique. 
Vndcs  principaux  alloit  veftu  d'vn  habit  delà 

t  iij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
façon  qu'ils  attribuoient  à  ladeeiîede  l'eaue,  & 
tous  la  faluoicntjluy  difant  qu'elle  fu  û  la  bien  ve- 
nue. Toutes  lefquelles  chofes  font  peintes  &  figu- 
rées es  annales  de  Mexique,  le  liure  defquelles  cfl: 
auiourd'huy  à  Rome,quia  eflémis  enlafacreeBi* 
bliotheque ,  ou  librairie  Vaticane  5  où  vn  pcre  de 
noftre  côpagnie  qui  eltott  venu  deMexique  le  vid, 
&  les  autres  hiftoires  lefquelles  il expliquoit ,  & 
faifoit  entendre  au  Bibliothécaire  de  fa  Saincteté, 
qui  fe  plaifoit  infiniment  d'entendre  ce  liure,  le- 
quel il  n'auoit  iamais  peu  comprendre-Finalemét 
l'eaue  fut  amenée  en  Mexique ,  mais  elle  yfourdit 
en  telle  abondance,  que  peu  f'en  falluft  qu'elle  ne 
noyaft  la  cité  comme  l'autreauoit  prédit^  en  ef- 
fectelle  ruina  vne  grande  partie  d'icelle,  àquoy 
incontinent  ils  remedierent,parrinduftried' Au  t- 
20I.  D'autant  qu'il  fit  faire  vn  canal  &,iiruë,  pour 
en  faire  couler  les  eaux,au  moyen  dequoy  il  repa- 
ra les  baftimens qui  eftoient  tombez  d'vn  o  mira- 
ge exquis,  eftans  au  parauant  de  mefchâs  édifices. 
Par  ainfi  il  laiifa  fa  cité  enuironnee  d'eau*é,comme 
vne  autre  Vcnifc ,  &  fort  bien  baftie.  Son  reçue 
dura  onze  ans  ,  qui  s'acheua  au  dernier  Se  plus 
^randfucceilcurdetousles  Mexiquains. 

De  l'cflecïion  dit  grand  Moteçuma  dernier  l{oy 
de  Mexique. 
c  H  A  P.     xx. 
KMfè  V  temps  que  les  Efpagnols  entrèrent  en  la 
?£&î  neufue  Elpagne,quifut  en  l'an  du  Seigneur 
mil  cinq  cens  dixhuict,  Moteçuma  fécond  de  ce 
nom,  &  dernier  Roy  des  Mexiquains,  iedyder- 
uicr,cariaçoit  que  ceux  deMjxiqueripres  fa  mort 


*cr*_WBw*  y 


DES      INDES.    L  IV.    VII.  tfO 

en  efleurencvn autre, voire  du  viuantmefme  de 
Moteçuma,quils  declarerct  ennemy  de  la  patrie, 
comme  1  o  verra  cy  après.  Mais  celuy  quiluy  fuc- 
ceda,&celuyqui  vint  captif  entre  les  mains  du 
Marquis  de  Vallé,n'eurent  que  le  nom  &  tiltre  de 
rois, d'autant  que  le  Royaume  eftoit  japrefquc 
tout  rendu  aux  Efpagnols. Tellement  qu'auecrai- 
fon  nous  cotons  Moteçuma,pour  le  dernierRoy, 
&  comme  tel  il  vint  au  période  de  lapuiffance&: 
gradcur  desMexiquains,ce  qui  eft  admirable  pour 
eftrearriuë  entrebarbares.  Aceftecaufe,&que  cel- 
le là  eftoit  la  faifon,  que  Dieu  auoit  choifie ,  pour 
enuoyer  la  cognoiifance  de  Ton  Euagile ,  &  règne 
de  Iefus-Chrift,  en  cefte  contrée  ie racoteray  plus 
diftin&ement  les  actes  de  Moteçuma,que  des  au- 
tres. Auparauant  qu'il  fuft  Roy,il  eftoit  de  Ton  na- 
turel fort  graue  ,  &  fort  pole,&  parloit  peu ,  telle- 
ment que  quand  il  opinoit  au  priuéconfeil,  où  il 
afïiftoit,  fes propos &difcours  faifoient  admirer 
vn  chacun,  fi  bien  que  deflors  il  eftoit  craint,  & 
refpecté.  Il  feretiroitordinairementenvne cha- 
pelle ,  qui  luy  eftoit  deftinee  au  Temple  de  Vitzi- 
lipuztli,où  ils  difoiént  que leuridole parloit  a* 
uecluy,&àcefteoccafioneftoiteftimé  fort  reli- 
gieux &  deuot.  Pour  fes  perfections  donc  ,  & 
pour  eftre  tres-noble,&  de  grand  courage,  fon  ef- 
ledtion  fut  briefue  &  facile,comme  d'vne  perfon- 
ne  fur  laquelle  tous  auoient  les  yeux  fichez,  pour 
eftre  digne  d'vne  telle  charge.  Ayant  entendu  fon 
efle&ion,  il  fe'cachaau  temple  en  cefte  chapelle, 
fuft.  qu'il  le  fift  par  difcours  ,  8c  qu'il  apprehen- 
daft  vne  charge  fi  ardue  &  difficile ,  comme  eftoit 
de  régir  vn  tel  peuple:  ou  fuft,  comme  ie  croy, 

t  iiij 


mm&tf^&m 


$m$m£Wmfc 


HISTOIRE    NATVREI.LE 
par  hypoctifie ,  $i  pour  monftrcr  qu'il  ne  defiroic 
en  rien  l'Empire.  En  fin  ils  le  trouuerent  là,  &le 
prindrent  &meneren  ta  fonconfiftoire, l'accom- 
pagnant au  se  toute  la  refiouifTince  qui  leur  fut 
poïfible.  Il  msrchoit  auecvne  telle  graukc,qn'ils 
difoienç  tous  que  le  nom  de  Moteçuma  luy 
conuenoit  fort  bien,  qui  vautautant  àdireque 
îeigneui-  courroucé.    Les  Eflecteurs  luy  firent 
vne  grande  reuerence  ,luy  failans  entendre  qu'il 
auoit,  eÛé  efleu.     De  là  il  fut  mené  deuant  le 
fouyerdes  Dieux, pour  encenier,  où  il  leur  offrit 
facrifices  en  fe  tirant  du  lang  des  oreilles  ,  & 
des  mollets  des  jambes,  félon  ïcurcouftume. 
Ils  le  reueftirent  de  les  ornements  Royaux,  & 
luyayans  percé  les  narines  par  le  cartilage,   ils 
y  pendirent  vnc  clmeraude  très  riche,  couftu- 
me  certes  barbare  eV  fakheufe  ,  maisledefir  de 
commander  empefche  de  fentir  telles  chofes. 
Apres  qu'il  fut  alîis  en  fon  throfne,   il  ouytles 
oraifonsS<:  harangues  que  l'on  luy  fit ,  lefquelies 
aufïî,  félon  qu'ils  auoient  accouftumé  ,  eftoient 
élégantes,  èVartificieufes.  Lapremiere  fut  pro- 
noncée parle  Roy  de  Tefcuco  ,  laquelle  ayant 
elle  conicruee  pour  la  fraifche  mémoire, &  eftanr 
bien  digne  d'eftre  ouy  e:ie  la  réfère ray  icy  de  mot 
à  mot,  &  dit  ainfi  :  La  concordance  &  vnité des  voix 
fur  ton  cflccium^  donne  a/Jc^  à  entendre  (très-  noble  ddo- 
Icfccnt)  le  grand  heur  que  tout  le  ]\oyaume  en  doit  rece- 
noii\tant  pour  auoir  meritê,&  eflédr^ne  que  tu  luy  com- 
manda ffc  s  que  pour  U  rcfiouyfjance  fi  générale  que  tous 
dtmonflrctyk  caufe  d"; celle.  Enquoy  a  Li  verit  è  ils  ont  bit 
delà  raifonuar  défia  l'Empire  de  Tvlcyiquefc  va  telinnet 
dilatant, »uc  peur  gouucrner  yn  mor.de^cmnu  il  ifi  ?  gH 


DES     INDES.       LIV.    VII.  $11 

porter  vnc  cbargefi pefaute ,  il  ri 'efl  pas  de  befoingdvne 
moindre  dexteru c ',&  magxdnimitésqued(  celle  oui  refi- 
dc  en  ton  ferme  &  -Valeureux  cœur,ny  d'un  entendement 
moins  repofé  &  dé  moindre  prudence  que  de  la  tienne.  le 
royey  recr,<rpoy  cUirement ,  que  le  Dieutout-puifjànt 
aime  cefle  ciré,  puis  qu'il  luy  a  donné  la  clart  é ,  de  choifir 
ce  qui  luy  eftott  convenable  .Car  qui  eft  celuy  qui  ne  croira 
qu'vn  Prince ,  qui  atteint  que  de  régner ,  auott  pénètre  les 
neuf  -voûtes  du  Ciel,  nedoiue  aufibien  obtenir  au- 
iourd'buy  les  chofes  qui  font  terriennes,  pourfecourirfon 
peuple,en  soldant  a,  cejle  fin  defon  entendement  fi  bon  & 
fi  fubtil  ,  yen  qu  ily  eji  obligé ,  par  le  deuoir  &  la  ebarge 
de  î{py}Qui  ne  croira  aufi}  que  le  grand  tour  avenue  tu  as 
tviifiours  -valeureusement  monjlré  en  affaires  d'impor- 
tance ,  ne  te  manquera  point  amour d'buy  es  ebofes  oit  tu 
en  as  tant  de  befoinp.  Oui  pensera  qu'en  yne  telle  -valeur 
puiffe  defallir  l'aide  &  lefecours  à  la  yeufue,&  à  torpbe- 
phelin}  Oui  nefepcrfaadera  que  l'Empire  Irlcxiquain  ne 
fait  paruenuaufommet  de  fonautboritê  3  puis  que  le  Sei- 
gneur des  ebofes  créées,  t'a  departy  y  ne  telle  &  fi  grande 
grâce ,  que  par  tonfetd  regard ,  tu  fais  efmerueiller  ceux 
qui  te  contemplent  :  V^efiouy  toy  donc ,  o  terre  beureufe  ,  À 
q  m  le  créateur  a  donne  yn  Vrince ,  qui  te  fera  yne  colom- 
ne  ferme ,  fur  laquelle  tu  feras  appuyée,  qui  fer  a  ton  père, 
cjr  ta  deffence,  duquel  tu  feras  fecourue  au  befoing  ,  qui 
fera  plus  que  frère  enuers  lesfiens,  par  pieté  &  fa  clémen- 
ce.  Tu  as  yn  Rj>y ,  qui  à  caufe  defon  cflat  nefe  donnera 
point  aux  délices ,  &  qui  ne  demeurera  point  ejlendu  en 
yn  Uci  occupé  en  yices,&  en paffetemps-.au  contraire ,  au 
milieu  defon  plus  doux  & plus profond fomme  ,fon  cœur 
treffaillira  ,  &  fe  refuetllcra,  pour  le foucy  qu'il  doit 
auoir  de  toy ,  &  ne  fentira point  legoufl  du  plus  fauou- 
rcux  mets  defon  difncr,ayant  l'efpmfufpendu  en  l'ima- 


HISTOIRE  NATVRELLE 
gination  de  ton  bien.  Dy  moy  donc  Royaume  bien  heu- 
reux Jiie  rî  typas  raifon  de  dire  que  tu  te  refiottiJfes3cy 
te  recrée  à  prefen  t,dauoir  trouué  vn  tel  F^ay  :  Et  toy  gé- 
néreux adolefcen  ty  &  trcf-puifjant  feigneur  nojire ,  4yes 
confiance  &  bon  courage^que  puifque  le  feigneur  des  cho- 
fes créées  t'a  donne' ccjie  chargeai  te  donera  aufit  laprou- 
ejfeja  magnanimité  requife  pour  l 'exercer ,  &  peux  bien 
efperer  ,quc  celuy  qui  an  temps pafse  a  y fé  de  fi grandes 
libéralité^  enuerstoy,  ne  te  déniera  point fes  plus  grands 
donsjuis  qu'il  t'a  mis  en  y  ne  charge  fi  grande,  de  laquel- 
le puifse tu  ioùir plufieurs annces.Le  Roy  Moteçuma 
fut  fort  ententif  à  ce  difeours ,  lequel  eftant  ache- 
ué,ils  difent  qu'il  fe  troubla  d'vne  telle  forte ,  que 
voulant  par  trois  fois  refpondre  il  ne  peut  parîei, 
eftant  vaincu  des  larmes  que  laife  &  le  contente- 
ment a  bien  fouuent  accouftumé  de  caufer,en  de- 
monftration  de  grande  humilitè.En  fin,eftantre- 
uenu  à foy,ildift  brefuement:  leferois  trop aueuglè, 
bon  T^oy  de  I 'e\cttcofi te  ne  cognoifsoisi&  entendois,quc 
les  chofes que  vous  m'aue\ditt es  ,  font  vnc  pure  faueur 
'  qu'il  vousplaifl  meprefler  ipuis  qu'entre  tant  d'hommes 
fi  nobles ,  &  fi  généreux ,  qWily  a  en  ce  Royaume ,  y  oui 
4uc?x  efleu  le  moins fuffifant ,  qui  cfi  moy  yzîr  àla  veritL 
ic  me fen  s  tellement  incapable  d'y  ne  charge  de  fi  grande 
importance  ,  queienc  fçay  que  faire,  autre  chofe  que  de 
fupplier  le  Créateur  des  chofes  créées ,qtf  il  me  fauorifc,& 
demande  à  tous  qu'ils  le  fupplient pour  moy.  Ces  paro- 
les dites  il  recommença  derechef  à  pleurer. 


ES    INDES.     LIV.    Vil.        332. 


Continent  "hlotccuma  ordonna  le  feruicede  funaiforiy 

&  de  la  guerre  qu'il  fit  pour  [on 

couronnement. 

CH  A  P.       XXI. 

|  E  l  v  y  là  qui  en  Ton  efle&io  fit  vne  telle  de- 
monftration  d'humilitc,&douceur,fe  voyât 
Roy  commeça  incontinent  à  d  efcouurir  fes  hau  - 
tespenfees.  La  première  fut  qu'il  commada  qu'il 
n'y  euft  aucun  Plebeian  qui  feruiftenfa  maifon, 
ny  euft  office  Royale,  ainfî que  fes  predecefleurs 
en  auoient  vfé  iufques  alors,  lefquels  il  blafma  de 
s'eftre  feruis  de  gens  de  balîe  condition  ,  &  vou- 
lut que  tous  les  (eigneursr&plusilluftresperfon- 
nages  de  Ton  Royaume ,  demeuraflent  en  fon  pa- 
lais,©^ exerça(let  les  offices  de  fa  cour  &  de  fa  mai- 
ion.  A  quoy  f'oppofavn  vieillard  de  grade  autho- 
ritc,qui  auoit  efté  fon  précepteur,  luy  difant  qu'il 
regardait  bien  à  ce  qu'il  faifoit,  &  qu'il  femettoit 
en  danger  d'vn  grand  inconuenient',  d'autant  que 
c  eftoit  feparer  de  foy  &  efloigner  tout  le  vulgaire, 
&  gent  populaire,tellement  qu'ils  ne  l'ofèroiét  rc- 
garder  en  la  face,(e  voyas  ainfi  reietez  deluy.il  ré- 
pliqua que  c'eftoit  ce  qu'il  entendoit  raire,&  qu'il 
n  e  permettroit  pas  que  les  Plebeiés  allaflcnt  ainfi 
mêliez  parmy  les  nobles,come  ils  auoientjàit  iuf- 
ques alors, difât  que  le  feruieequ'ils  faifoict  eftoit 
félon  leur  condition,  qui  caufoitque  les  Rois  ne 
gagnoiét  aucune  reputation,&  ainfi  demeura  fer- 
me en  fa  refolution.  Auflî  toft  il  fit  commander  à 
ceux  de  fon  confeil,qu'iIs  oftaflTent  tous  les  Plébé- 
iens des  offices  &  charges,  qu'ils  exerçoient ,  tant 


HISTOIRE  NATVRELLE 
en  fa  maifon  qu'en  fa  cour,  &:  qu'ils  en  pourtieuf- 
fenc  des  Cheualiers ,  ce  qui  fat  fait.  Apres  il  illa  en 
perfonne  à  l'entreprile  neccffaire  pourfon  cou- 
ronnement. En  ce  temps  Peftoit  reuolté  contre  la 
couronne  vnepuouince  fortefloignee,vcrslamer 
Occanedu  Nort  ,  où  il  mena  aucc  luy  la  fleur  de 
feshommes,fortleftes&  bien  accommodez.  Il  y 
ht  la  guerre,auec  vne  telle  valeur  &c  dexterité5qu'e 
fin  il  fubiugatoutelaprouince  ,  &  chaftiarigou- 
reuiement  les  rebelles ,  retonrnant  auec  vn  grand 
nombre  de  captifs  pour  les  facrifices,&  beaucoup 
d'autres defpoiiillcs.  Toutes  les  citezluy  firentde 
folenellcs  réceptions  à  fon  retour,  &  les  feigneurs 
d'icelles  luy  donnèrent  l'eaue  à  lauer,  luyfaifans 
offices  de  feruiceurs  ,  chofe  nonencorvfiteepar 
aucun  de  fes  predccclTeurs.  Telle  eftoit  la  crain- 
te cV  le  refpecl:  qu'ils  luy  portaient.  L'on  fit  en 
Mexique  les  feftes  de  (on  couronnement  auec  vn 
tel  appareil  de  dances,  comédies,  entremecs,  lu- 
minaires, &  inuentions  par  plufieurs  &  diuers 
jours  :  Etyarriuavnefigrande  richelïe  de  tributs 
apportes  de  tous  fes  Royaumes,  qu'il  y  vint  dzs 
eltrangersincogneusà  Mexique, &leursennemis 
mefmey  vindrenten  grand  nombre,en  habit  dif- 
fimulé,pourvoir  ces  feftes,  comme  ceux  de  Tlaf- 
ca)la,<!k  ceuv  de  Mcchouacan.  Ce  qu'ayant  efte 
defcouuertpar  Moteçuma  ,  il  commanda qu*on 
leslogeaft  &  traictaft  benignement,  &honora- 
blemenç ,  comme  fà  propre  perfonne.  Il  leur  fit 
mefinc  faire  de  belles  galleries  pareilles  aux  fien- 
nes,  defquelles  ils  peutfent  voir  &  contempler  les 
feftes.  Par  ainfi  ils  encroientde  nuid  en  ces  feftes». 
comme  le  Roy,faifans  leur  ieux  Se  mafearadss.  Ec 


t-f&ïSS. 


DES      INDES.      L  IV.    VII.  333 

pourcequci'ay  fait  mention  de  ces  prouinces,  il 
ne  fera  mal  à  propos  d'entendre ,  que  iamais  ceux 
de  Mechouacan,  de  Tlalcalla,  &  de  Tapeaca,ne  le 
voulurent  rendre  aux  Mexiquains  ,  maisau  con- 
traire combatirent  toujours  valeureufement  cô- 
ct'eux,  voire  quelquesfois  les  Mcchouacans  vain- 
quirent ceux  de  Mexique ,  comme firétauffi  ceux 
de  Tapeaca.  Auqucllicule  Marquis  DomFcr- 
nand  Cottes,apres  queluy  &les  Elpagnols  curée 
eftechalFezde  Mexique,  prétendit  fonder  la  pre- 
mière cite  d'Efpagnols,  qu'il  appella  fi  bien  m'en 
iouuient,  Segura  de  la  Frontière  ,  mais  cefte  peu- 
plade dura  peu  de  temps,  parce  que  ayant  depuis 
reconquefté  Mexique,  tous  les  Efpagnolsy  aile  " 
rent  habiter. En  tin  ceux  de  Tapeaca,de  Tlafcalla, 
&  de  Mechouacan  ont  toufioursefté  ennemis  des 
Mexqiuains ,  encor  que  Meteçuma  dift à  Cortes, 
qu'il  ne  les  auoit  pas  l'ubiuguez  tout  à  propos,afin 
dauoir  en  eux  vn  exercice  de  guerre  ,  Se  nombre 
de  captifs. 


Des  mœurs  ejr  grandeur  de  Ddotecuma. 

CH  A  P.    XXII. 

£|  E  Roy  s'adonna  à  fe  faire  refpe&er  ,  voire 
Sa  quafi adorer commeDieu.Nul  Plebeinnele 
poutioit  regarder  en  face,que»s'il  le  faifoir,il  eftoic 
puny  de  mort.  Une  mettoit  iamais  fes  pieds  en 
terre,  maiseftoittoufiours  porté  fur  les  elpaulle* 
de  quelques  feigneurs,&  s'il  défi  édoit,ils  luy  mec- 
toientde  riches  tapis,  fur  lefquels  ilmarchoit. 
Quand  il faifoit  quelque  voyage  ,  luy  &  lesfei- 
gneurs  de  fa  compagnie  ailoienc  comme  dansvn 


WMMMl^^M 


B 


HISTOIRE  NATVRELLE 
parc  ou  circuit  qui  eitoit  fait  tout  àpropos  ,  &  le 
refte  du  peuple  alloit  hors  du  parc ,  ï'enuironnant 
d'vn  coftè  &  d'autre.  Iamais  il  ne  veftoit  vn  habit 
deux  fois, ny  mangeoit,  nybeuuoiten  vn  vafeou 
plat  plus  d'vnefois,touty  deuoiteltre  touliours 
neuf,  &donnoità  fesferuiteurscequiluyauoit 
fetuy  vnefois,  de  façon  qu'ils  eftoient  ordinaire- 
ment riches  &  magnifiques.il  eftoitextrememer 
diligent  à  faire  obferuer  lesloix,&  quâd  il  retour- 
noit  victorieux  de  quelque  guerre,ilfaignoit  au- 
cunesfois  de  l'aller  esbatre ,  puis fe  deguifoit  pour 
voir  fi  les  fiens,  penfans  qu'il  ne  fuft  prefent ,  laif- 
foient&  obmettoicntà  faire  quelque  chofe  de  la 
iefte  ou  réception  :  que  fil  y  auoit  quelque  excez 
ou  quelque  défaut,  il  enfailoitlapunition  rigou- 
rcuument.ttafin  decognoiitre  mefme commet 

o 

fesminiftres  faifoient  leurs  offices,  il  fe  defguiloit 
bienfouuent,&enuoyoit  offrir  des  dons&  pre- 
fens  aux  luges, les  prouoquat  à  faire  quelque  cho- 
fe de  mal.  Que  s'ils  tomboient  en  faute,  ils  eftoiet 
incontinentpunis  de  mort  fans  remiffïon  ,  &  les 
faifoit  mourir,  fans  auoir  efgard  qu'ils  fullènt  fei- 
gneurs  ou  fes  parens,voire  de  Ces  propres  frères. Il 
conuerfoit&  lefamiliarifoitpeuaucclesfîens,&: 
peu  fouuent  fe  laiflbit  voir ,  eftant  ordinairemen  t 
retirépour  penfer  au  gouuernement  de  fon  Roy- 
aume. Outre  ce  qu'il  eftoit  grand  iufticier  &  fort 
braue,  il  fut  fort  belliqueux  &  bien  fortuné  ,  au 
moyen  dequoy  il  obtint  de  grandes  victoires  ,  &c 
paruint  à  cefte  grandeur  ,  quieftdefcrite  aux  ni* 
ftoires  d'Efpagne.  De  laquelle  il  me  femble  que  ce 
feroit  chofe  inutile  d'eferire  d'auantage:  feulemet 
i  aura  y  foin  de  réciter,  cy  après  ce  que  les  Iiures  & 


DES     INDES.    LIV.    VII.  334 

hiftoires  des  Indiés  racontent ,  &  dequoy  nos  ef- 
criuains  Efpagnols  ne  font  aucune  mentio ,  pour 
n'auoirfufhTamment  entendu  lesfecretsde  celte 
contrée,  qui  font  choies  fort  dignes  d'eftre  co- 
gneues,  comme  Ton  verra  cy  après. 


Des  préfaces  &  prodiges  effranges  quiadmndrcnt  en 
Mexique  auam  que  leur  Empire  print  fin. 

CH  A  P.    xxm. 

¥§Ombien  que  l'efcriture faincte nous def- 
&S  fende  d'adioufterfoy  aux augures&progno- 
ftications  vaines,&  que  S.  Hieroimenousaduer- 
tïflede  ne  craindre  point  les  fignes  du  Ciel  côme 
fondes  Gentils:  Ncantmoinslamefmeefcriture 
enfeigne,  que  les  fignes  môftrueux  Se  prodigieux, 
ne  font  pas  du  tout  à  meiprifer,&  que  bien  fouuéc 
ils  ont  accouftumé  de  précéder  quelques  change- 
mens  vniuerfelsJ&  les  chaftiments  que  Dieu  veut 
faire  ,  ainfi  que  le  remarque  fort  bien  Eufebc  de 
Cefaree  ,  d'autant  que  le  mefme  feigneur  du  ciel, 
&  de  la  terre  enuoye  de  els  prodiges  &  nouueau- 
tez  au  çiel,aux  elemens,auxanimaux,&  en  fes  au- 
tres creatures,afin  qu'en  partie  cela  férue  d'aduer- 
tiflemétaux  hommes,&  en  partie  qu'ils  foientvn 
commencement  de lapeine&  duchaftiment,par 
lapeur&l'eipouuenteraent  quilsapportent.il  eft 
eferit  au  fécond  liure  des  Machabees ,  qu'aupara-  x.Mach.$ 
uant  ce  grand  changement  &  perfecutiô  du  peu- 
ple d'lfraél,qui  fut  caufee  par  la  tyrannie  d' Antio- 
chusj'furnômé  Epiphanes ,  lequel  les  fainctes  let- 
tres appellct  racine  de  pechc,il  arriua  que  par  qua- 
rante jours  entiers  Ton  vidpar  tout  Hierufalem  i.uacA* 


Deut.  1 8. 


Hierof.io 


Lib.  9.  de 
demonft. 
Euang.de- 
monft.  L. 


s^.i-j. 


T— — — — ^^— 1 

HISTOIRE  NATVRELLE 
degrandseicadronsdecheualiersenl'airjlefquels 
auec  des  armes  doreesjeurs  lances  &  efcus,  &  fur 
des  cheuaux  furieux ,  ayants  leurs  efpees  tirées  le 
frappoient  &  oifenfoient,  efcarmouchanslcs  vns 
contre  les  autres ,  &  difent  que  ceux  de  Hierufa- 
lem  voyansccla,fup|p!ioienc  Dieu  qu'il  appaifaft 
(onire,&  que  ce?  prodiges  tournaient  en  bien.  Il 
eft  eferit  mcfme  au  liure  de  Sapience ,  que  quand 
Dieu  voulut  tirer  fon  peuple  d'Egypte  &  chaftier 
les  Egyptiens,  quelques vifions terribles  &:  ef- 
poupouuantables  s'apparurent  à  eux  ,  comme 
des  feux,  qui  furent  veuz  hors  heure  en  formes 
horribles.  ïofephe  au  bure  de  la  guerre  des  luifs, 
raconte  pluiïeurs  &  grands  prodiges  qui  précède  - 
rentladeftructiondeHierufalem  ,  &  la  dernière 
captiuité  de  fon  malheureux,peuple,queDieu  eut 
en  horreur  pour  iufteoccafion,  duquel  Eufebe  de 
Eufih.hb.  i  cefaree  &  les  autres  racontent  les  melmes  palFa- 
'  &es  »  authorifans  (es  prognoftics.  Les  Hiftoriens 

font  pleins  de  fcmblablcs  obferuations  aux  grâds 
changemensd'Eîtatsou  Republiques,côme  Paul 
Orofe  qui  en  raconteplufieurs,&  fans  doute  cette 
obferuation  n'eft  pas  vaine  ny  inutile  ;  car  iaçoit 
que  ce  foit  vanitc,voire  luperftition  deffendue  par 
la  loy  nodreDieu.de  croire  légèrement  à  ces  pro- 
gnoftics &  iîgnesjtoutesfoiséschofes  fort  gran- 
des, comme  es  changemens  de  nations  ,  Royau- 
mes &  loix  fort  notables:cen'eft  pas  chofe vaine, 
mais  bie  pluiloft  certaine  &  bien  affeuree  de  croi- 
re que  la  fageffe  du  Très  haut  ordonne  &  vueille 
permettre  ces  chofes ,  qui  donnent  quelque  nou- 
uellcoV  prefagedeeequidoit  arriuer ,  pourfer- 
uirjCommei'ayditjd'aduertiiremctauxviw,  &  de 

chaftiment 


r$m 


DES     INDES.      L IV.    VII.  335 

chaftiment  aux  autres,  &  à  tous  de  tefmoignagc 
que  le  Roy  des  Cieuxa  foucy  des  affaires  des  ho- 
mes ,   lequel  toutainfi  qu'il  a  ordonné  de  très- 
grands  &  cfpouuennbles  prefages  pour  le  plus 
grand  changement  du  monde,  qui  feraleiourdu 
iugement,ainfiluy  plaiit-ilde  donner  de  merueil- 
leux  prefages  pour  dénoter  d'autres  changemens 
moindres  en  diuers  endroits  du  monde ,  qui  font 
toutesfois  remarquables,  lefquels  il  dilpofe  félon 
la  loy  de  fon  éternelle  fageiïc.    L'on  doit  auflî  en- 
tendre ,  que  combien  que  le  diable  foit  père  de 
menfonge,neantmoins  le  Roy  de  gloire  luy  fait 
bien  fouuent  confeflei  la  vérité  contre  fa  volonté,  %tattlu  t. 
laquelle  il  a  déclarée  plufieurs  fois  de  pure  crain-  Lut.  4. 
tecomme  il  fit  au  defert  par  la  bouche  des  demo- 
niaques.criantquel  es  v  s  eftoitle  Savyevr, 
qui  eftoit  venu  pour  le  deftruire: Comme  il  fit  par 
laPythoni(fe,quidifoitqucPaulprefchoitlevray 
Dieu.Comme  quand  il f'apparut&  tourmenta  la  Aâ.iS, 
fëmedePilate,laquelleilfit  intercéder  pour  Ie- 
s  v  s,  homme  iufte.Et  comme  plufieurs  autres  hi- 
ftoires,outre  les  facrees,  rapportet  diuers  tefmoi- 
gnages  des  idoles ,  en  approbation  de  la  Religion 
Chreftienne,dequoy  Ladance,  Profpere,  &  au- 
tres font  mention.  Que  l'on  lifeEufebe  aux  liures 
desla  préparation  Euangelique ,  ôc  ceux  de  fa  De- 
monitration ,  où  il  eft  traidé  amplem  en  t  de  celle 
matiere.I'ay  dit  cecy  tout  à  ptopos ,  afin  qu'aucun 
ne  mefprife  ce  que  racontent  les  Hiftoires  &  An- 
nales des  Indiens  touchant  les  prefages  &  prodi- 
ges eftranges  qu'ils  eurent  de  la  prochaine  fin  $£ 
ruyne-de  leur  Royaume ,  &  du  Royaume  du  dia- 
ble qu'ils  adoroient  toutenfemble.  Lefquels  me 

u 


HISTOIRE     NATVRELLE 
jfcmblent  dignes  d'eftre  creus,&  que  l'on  y  adiou- 
ftefoy,  tant  pour  eftre  aduenusy  apeu  de  temps, 
&  que  la  mémoire  en  eft  encor  toute  fraiiche,que 
Douiceque  ceft  vnechofe  fortvray<  (emblable, 
quclc  diable  felamentaft  d  vn  fi  grand  change- 
ment,^' que  Dieu  parvn  mefm^n  oyen  comme- 
çaftà  chaftierles  idolâtres  Ci  cruels  &  abomina- 
bles. Ceft  pourquoy  ie  les  raconreray  icy  comme 
chofes  vrayes.    Il  aduint  donc  que  Moteçuma 
ayant  régné  plufieurs  années  en  grande  proiperi- 
té,&  tellement  efleué  en  fes  fantafies ,  qu'il  fefai- 
foit  feruir  ôc  craindre  ,  votre  adorer  comme  C'A 
euftefté  Dieir.le  feigneui  tout-puiflànt  commen- 
ça de  le chaftier&  del'aduertiraufïi,  permettanc 
que  les  mcfmes  diables  qu'il  adoroitluyannon- 
çartent  les  tnftesnouuelles  de  la  perdition  de  fon 
Royaume,  &  le  tourrnentalîent  par  des  progno- 
ftics  qui  n'auoient  iamais  efté  veuz,dequey  il  de- 
meurai! trifte&  fi  troublé  ,  qu'il  endeuinttout 
hors  de  fon  Tés. L'idole  de  ceux  de  CholloIa,qu'ils 
appelloient  Quetzacoalt,  annonça  qu'il  venoic 
vne  gent  eftrange  pourpoileder  (es  Royaumes. 
Le  Roy  de  Tezcuco,qui  eftoit  grand  magicien  & 
auoit  accord auec  le  diable  ,  vintvn  iour  vifiter 
Moteçuma  à  heure  extraordinaire,&l  arTeura  que 
fès  dieux  luy  auoientdit,quily  auoitdegrandes 
pettes  qui  fappreftoient  pour  luy&  pour  tout 
fon  Royaume.  Plufieurs  forciers  &:  enchanteurs 
luyenalloient  dire  autant,  entre  lefquelsilyen 
eut  vn  qui  luy  annonça  fort  particulièrement  ce 
qui  luy  aduint  du  depuis.  Et  comme  il  eftoit  auec 
luy  ,  l'aduertit  que  les  poulces  des  pieds  Ôc  des 
xnainsluy  dsffailloieiu.Mcte^uina  ennuyé  de  tel* 


»^^-nJ*  ***•■'  * 


DES      INDES.    L  IV.    VII.  ^6 

îcs  nouuelles  faifoic prcdre  tous  ces  forciers:mais 
incontinent  ils  difparoilïbicntenlaprifon  ,  de- 
quoy  il  prenoi  t  telle  rage,  que  ne  les  pouuat  tuer, 
il  faifoit  mourir  leurs  femmes  &c  leurs  enfans  ,  ôc 
deftruire  leurs  imitons  ik  leurs  moyens.  Or  fc 
voyant  importuné  &  agité  de  ces  aduertifTcméts, 
il  voulut  appaifei :  l'ire  de  les  dieux,  &pourcefte 
caufe  il  ('efforça  de  faire  apportcrvne  grade  pierre, 
pour  fur  îcclle  faire  de  grands  facrifices.  Pour  en 
venir  à  bout  il  enuoya  grand  nombre  de  peuple 
pour  l'amener  aueedes  engins  &  inftrumens,  les- 
quels ne  la  peurent  aucunement  mouuoir ,  bien 
que  l'y  eftansobftinezilsy  euilent  ropu  plufieurs 
engins.  Mais  comme  ils  perfeueroient  toufiours 
de  la  vouloir  enleuer  ,  ils  ouyrenn  vne  voix  ioi- 
gnant  la  pierre,  qui  diloit  qu'ils  ne  trauaillaflenc 
point  en  vain  ,  &  qu'ils  ne  la  pourroient  point 
enleucr,pource  que  le  Seigneur  des  chofes  créées 
ne  vouloir  plus  que  l'on  fill  ces  chofes  là.  Mote- 
çuma  ayant  entendu  cela,  commanda  que  l'on  fift 
les  facrifices  en  ce  lieu,  &  difent  que  la  voix  parla 
derechef  difant.Ne  yousay  ïepaf  dit  yque  ce  n'eji  point 
lavoloté du  feigneur  derebofes  crcces,que  ccUfefaJJet& 
afin  que  vous  croye^  qu'il  eji  ainfi^  te  me  Uijferay  porter 
quelque  peu  ,  puis  après  vou-s  ne  me  pourre^  mouuoir. 
Ce  quiaduintainîï ,  car  incontinent  ils  la  menè- 
rent quelque  peu  d'efpace ,  allez  facilement ,  puis 
après  ils  n'y  peurent  que  faire  iufquesà  ce  que  par 
beaucoup  de  prières,  elle  fe  tailla  porter  iulques  à 
l'entrée  de  la  cité  de  Mexique ,  où  fubitemen  t  elle 
tomba  dans  le  lac,&la  recherchans,ne  la  peurent 
retrouuer,  mais  fut  trouuee  depuis  au  me  (me  heu 
d'où  ils  l'auoieiu  tirce  ,  dequoy  ils  demeurèrent 


m 


HISTOIRE  NATVRELLE 
tous  confus,&  efpouucntez.  En  ce  mclme  temps 
apparut  au  ciel  vne  flambe  de  feu  tref-grande,  Ôc 
fort  luifanteen  façon  dédira mide,laquellecom- 
mençoit  à  apparoiftre  à  la  minuid,  &  alloit  touf- 
iours  montant,  iufquesau  matin  ieuer  du  Soleil, 
qu'elle  demeuroit  au  Midy  ,  où  elle  difparoiiroit. 
Elle  le  mon  lira  de  celle  façon  chafque  nuiâ  par 
l'efpace  d'vn  an  entier,&  toutes  les  fois  qu'elle  ap-r 
paroilïoit,le  peuple  iettoit  de  grands  cris,comme 
ils  auoienr  accoultumé,croyas  que  c'eftoit vn  pre- 
fage  de  grand  malheur. Il  aduint  mefme  que  le  feu 
fe  print  au  temple,  fans  qu'il  y  euft aucun  au  de- 
dans, ny  horsproche  d'iceluy,ny  qu'ily  fuft  tom- 
bé aucun  efclair  ny  tonnere.  Surquoy  les  gardes 
f'eftans  efcriecs,il  y  accourut  grand  nôbre  depeu- 

f»leauecdereauë,maisrien  ny  peutremedier,tel 
ementqu'ilfutdu  toutcon(ommé,&  difent  qu'il 
fembloit  que  le  feufortift  des  mefmes  pièces  de 
bois,&  qu'il  f'enflamboitd'auâtage  par  l'eauë  que 
l'on  y  iettoit. L'ôvidfortir  vne  Cornette  en  plein 
iour,qui  couroit  du  Ponant  vers  l'Orient,  iettant 
grande  quantité  d'eftincelles ,  6V  difent  que  fa  fi- 
gure eftoit  comme  d'vne  queue  fort  longue ,  ayat 
au  commencement  trois  teftes.  Le  grand  lac  qui 
eftoit  entre  Mexique, ôc  Tezcuco,fansqu'ily  euft 
aucun  vent,  &  fans  tremblement  de  terre  ou  au- 
cune autre  caufeapparan  te,  commença  foudaine- 
ment  à  bouillir,  &  creurent  tellement  cesbouil- 
lons,que  tous  les  edifices,qui  eftoient  proches  d'i- 
celle,tomberent  par  terre.  Ils  difent  que  l'on  ouit 
en  ce  temps  plufieurs  voix  comme  d'vne  femme 
angoilTee ,  qui  difoit  quelques  fois ,  o  mes  enfans  ja 
cji  yenu  le  temps  de  yojirc  deJirucHon  ,  &  d'autres  fois 


M 


Mi 


^j 


DES     INDES.    LIV.    VII.  337 

difoif.o  mes  cnfans^ou  yous  porteray-ie,  afin  que  "vout  ne 
-vous  achcute\dc  perdre du  touttll  apparut  mefme  di- 
uersmonftresauecdeux  teites,  qui  eftans  portez 
deuantleRoy  difparoilfoient  aullitoft.  Tous  ces 
monftres  furet  furpatfez  par  deux  autres  fort  eftra- 
ges,dont  l'vn  fut,que  les  pefcheurs  du  lac  prindret 
vn  oifeau  grand  comme  vne  grue,&  de  la  couleur 
mefme  ,  mais d'vneeftrange façon  ,  &nonia- 
mais  veiie.  Ils  le  portèrent  à  Moteçuma,ciui  pour 
lors  eftoït  au  palais  qu'ils  appelloient  depleur  ,  & 
de  dueil,lequel  eftoit  tout  tendu  de  noir:  d'autant 
que  côme  il  auoit  plufieurs  palais ,  pour  la  récréa- 
tion, il  en  auoit  aufli  plufieurs  pour  le  temps  d'af- 
fuclion,  dont  il  eftoit  alors  afifez  changée^  tour- 
menté ,  à  caufe  des  menaces  que  Tes  dieux  luy  fai- 
foient  j  par  de  fi  triftes  aduertifiTemens.    Les  pef- 
cheurs arriuerent  fur  le  poincl:  de  midy ,  &  mirent 
deuant  luy  cet  oifeau,  qui  auoit  au  faizde  latefte 
vne  choie  comme  luifante,è\:  tranfparente,en  fa- 
çon de  miroir,où  Moteçuma  veid  les  cieux^  &  les 
eftoilles  ,  dequoyildemouratouteftonné  ,  puis 
tournant  les  yeux  au  ciel ,  6V  ne  voyant  point  d'e- 
ftoilles,recommença  à  regarder  en  ce  miroir,où  il 
veid  qu'il  venoit  vn  peuple  en  guerre  deuersl'O- 
rient,&  qu'il  venoit  armé  combatant,&  tuant.  Il 
fit  appeller  fes  deuins,  &  pronoftiqueurs ,  dont  il 
en  auoit  vn  grâd  nobre,  lefquels  ayans  veu  toutes 
chofes,&ne  fçachans  donner  raifon  de  ce  qui  leur 
eftoit  demandé,incontinent  l'oifeau  difparut,tel- 
lement  qu'ils  ne  le  veirent  onques  depuis ,  dont 
Moteçuma  demeura  fort  trifte  ôc  defeonforté*. 
L'autreprodigequiluyaduint,  fut  qu'vn  labou- 
reur qui  auoit  le  renom  d'homme  de  bië ,  lçvint 

n  àij 


HISTOIRE    NATVR1LLE 
trouuer,&  luy  raconta  qu'eftant  1«  iour  de  deuant 
àfairelabourage,vn  grand  Aigle  vint  volant  vers 
luy,qui  leprint  en  Tes  grifFres,^  fans  le  bleflTer ,  le 
porta  vne  certaine  cauerne,où  il  le  lai  (^pronon- 
çant cetaigle  ces  paroles. 7Ve.r  -puiffant  feigneur ,  t'ay 
apporte  celuy  que  tu  m'as  commande.    Et  l'Indien  la- 
boureur regarda  de  tous  coftez  à  qui  il  parloir, 
maisilneveid  perfonne.  Alors  il  ouit  vne  voix 
quiluydit,cognois-tu  cet  homme,  que  tu  vois  là 
eftendn  en  terre,&  regardant  enicelleveid  vn  ho- 
me endormy&  fort  vaincu  du  fommeilaueclcs 
cnfcignesroyallcSjdes  fleurs  en  la  main,&  vn  ba- 
fton  defenteurs  &  parfum  ardant  comme  ils  ont 
accoutumé  d'vfer  en  ce  pays,  lequel  le  laboureur 
regardant  recogneut  que  c'eftoit  le  gradRoy  Mo- 
teçuma:parquoy ilrelpondit  incontinent,  après 
l'auoir  regardé  ,  grand  feigneur  cefluy-cy  reffembleà 
noflre  ï\oyTrloteçuma.  La  voix  recommença  à  dire, 
tu  dis  vrayyregarde quel il  eft,&  comme  tu  le  von  endor* 
my  ,  &  affoupy  fins  auoir  fotngdcsgrands  maux  &  de  a 
trauaux  qui  luy  font  prépare*,  il  e(l  maintenant  temps 
au  il  paye  le  grand  nobre  des  offenfes  qu'il  a  fait  es  a  dieu, 
&  qu'il  reçoiuelapetnede  [es  tyrannies,  &■  defon  grand 
orgueil ,  &■  neantmoinstu  y  ois  comme  il  a  fi  peu  defoucy 
de  cela,&  qu'il efi fi '  aueuçlè en  fes  mi  fer  es,  qu'il  n'a  défia 
plus  de  fentiment .  Triais  afin  que  tu  lepuifles  mieux  voir, 
pren  ce  baflon  defenteurs  qu'il  tient  ardant  en  fa  main, 
£7  luy  mets  contre  le  vifage ,  &  lors  tu  verras  qu'Une  le 
fentira  pas.  Le  paunre  laboureur  iv ofa approcher, 
ny  faire  ce  que  l'ô luy  difoit,pour  la  grand'  crain- 
te qu'ils  auoien  t  tous  de  ce  Roy ,  mais  la  voix  re- 
commença à  dire,  H'ayes  point  dccraintet  carie  fuis 
fans  tomparaifon  plus  que  ce  s\pyy  te  le  puis  defiruirc ,  & 


DES    INDES.    II V.    VII.  338 

le  défendre:  pdrtjuoy  fais  ce  que  te  te  comancie.Sur  ce  co- 
mandement  le  paifan  prend  cebafton  dvodeurs,dc 
la  main  du  Roy,&luy  mit  ardent  contre  le  nez, 
mais  il  ne  fe  mouua,ny  monftraaucun  fentiment. 
Cela  fait  la  voixluy  dift  que  puis  qu'il  voyoit,cô- 
bien  ceRov  eftoitendormy ,  qu'il  l'allaftreiueil- 
lcr,&  luy  racontaftcequ'ilauoitveu.Alorsraigle 
parle  mefme  commandement  repiintl'hommç 
en  fes  gn  ffesje  1  émettant  an  propre  lieu,  où  il  l'a- 
uoit  prins,&  pouraccompliirementdeccquiluy 
auoitefté  cl  t,  venoit-là  pour  l'en  aduertir.Ils  di- 
fent  qu'alors  Moteçumn  fe  regarda  au  vifage,& 
trouua  qu'il  l'an  oit  bruflé,ce  qu'il  n'auoit  tutques 
alors  fenty,dequoy  il  demeura  extrêmement  tri- 
fte  &  ennuyé.  Il  peut  eftre  que  ce  que  le  ruftique 
raconta  luy  e(loitarnué}en  imaginaire vifion  ,  & 
n'eft.  pas  incroyable  ,  que  Dieu  ordonna  par  le 
moyen d'vn  bon  Ange,  ou permift  par  le  moyen 
dumauuais,qu'on  donnaftceftaduertiirementau 
ruftique,pourlechaftimentdu  Roy,  quoy  qu'in- 
fideiletvcu  que  nous  liions  en  la  diuine  Efcriture, 
que  des  hommes  infidelles,&  pécheurs, ont  eu  de 
femblables apparitions,  &  rcuelations,  comme  D.j  % 
Nabuchodonofor,Balaam  &  la  Pythonifle  de  mm^  it. 
Saul.  Et  quand  quelque  chofe  de  ces  apparitions  3.^-1*. 
ne  feroit  arriuc  ti  exprelïement,  à  tout  le  moins  il 
il  eft  certain  que  Moteçumacut  beaucoup  de  gra- 
des triftelFes  &c  Fafcheries,pour  plufieurs  &  diuer- 
fcsrcuelations  qu'il  eut  ,  que fon  Royaume  &  là 
loy  fe  deuoiciu  bien  toit  acheuer. 


u    wj 


«H 


HISTOIRE     NATVRELLE 


De  U  nouuclle  ejue  Moteçuma  reccut  de  l'ariuce  des  Ef- 

pdgnols  eufd  terrcy  &  de  Ï^Ambajjade 

qutllcur  enttoya, 

CHAP.    XXII  II. 

£jjj3  Vquacorziefmeandu  règne  de  Motcçuma, 
E^îy  qui  fut  l'an  de  noftrc  Sauueur  mil  cinq  cens 
dix-lept,apparurentenlamerdu  Nottdes  natu- 
res^ des  hommes  defcendans,dequoy  les  fuje£ts 
de  Motcçuma  furent  beaucoup  efmerueillez ,  & 
voulans  s'enquérir,  &fe  fatisfaired'auantagequi 
ils  eftoient,  ils  furent  aux  nauires  dans  des  ca- 
no*ës,  portansplufieursrafraifchifTcmentsdevia- 
des ,  &  d'efto  ffes  à  faire  des  habits,  faignans de  les 
leur  aller  vendre.  LesEfpagnols  les  recueillirent 
en  leurs  nauires,  &  en  payemens  de  leurs  viandes, 
&  eftoffes  qui  leur  furent  aggreables,  ils  leur  don- 
nèrent des  chaines  de  pierres  fautes,  rouges,  azu- 
rées, vertes,  &  iaulnes ,  que  les  Indiens  croyoient 
eftre  pierres  precieufes.  Et  les  Efpagnols  s'infor- 
mans  qui  eftoit  leur  Roy,  &  de  fa  grande  puiflàn- 
ce,leur  donnerët  congé,  en  leur  diiant  qu'ils  por- 
taflfentees  pierres  à  leur  feigneur  ,  &  luydilFenc 
que  pour  leprefentils  ne  pouuoientl'allervoir, 
mais  qu'incontinent  ils  retourneroient  &  le  vifî- 
teroient.  Ceux  de  la  code  allèrent  incontinent  à 
Mexique auec  ce meifage ,  portans  la reprefen ta- 
lion de  tout  ce  qu'ils  auoient  veu  dépeinte  en  des 
«draps  qu'ils  auoiét,tant  des  nauires,des  hommes, 
que  des  pierres  qu'ils  leur  auoient  données.  Le 
Roy  Moteçuma  demeura  par  cemdïàge  fort  pé- 
fif,tV  leur  commanda  qu'ils  ne  le  diuulgaflènt,  & 


DES    INDES.       LTV.    VII.  339 

nelediiïent  à  perfonne.  Leiour enfuiuantilaf- 
femblafonconfeil,&  leur  ayant  moftré  les  draps, 
Se  les  chaines,mit  en  délibération  ce  qu'il  deuoic 
faire,  011  il  fut  refolu  de  donner  ordre  à  toutes  les 
codes  delà mer,que les  habitas  y  fufTentauguet, 
Se  que  quelque  chofequ'ils  veilïènc  ,  ils  en  adui- 
fafTent  incontinent  le  Roy.  L'année  enfuiuante, 
qui  fat  au  commencement  de  l'an  mil  cinq  cens 
dix-huiéfc,ilsveirent  paroiftrecnlamer  la  flotte 
oùeftoitle  Marquis  del  Vallé,Dô  FernandeCor- 
tes,auecfes  compagnons  ,  nouuelle  qui  troubla 
beaucoup  Moteçuma,&confultant  auec  les  fies, 
ils  dirent  tous  que  fans  faute  leur  ancien  8c  grand 
feigneur  Quetzalcoalt  eftoitvenu  ,  lequel  leur 
auoit  dit  qu'il  retourneroic  du  cofté  d'Orient,où. 
il  f  en  eftoit  allé.  Il  y  auoit  entre  les  Indiens  vne 
opinion  ,  qu'vn  grand  Prince  les  auoit  au  temps 
palfé  lai(Iez,&  promis  qu'il  rctourncroit,de  l'ori- 
gine Se  fondement  de  laquelle  opinion  fera  dit  en 
vn  autre  lieu.C'eft  pourquoy  ils  enuoycrent  cinq 
principaux  Amba(îadeurs,auec  des  prefes riches, 
pour  le  congratuler  de  fa  venue,  leur  difans  qu'ils 
içauoient  bien  que  leur  grand  feigneur  Quetzal- 
coalt venoitlà,  &quefon  feruiteur  Moteçuma 
l'enuoioitvifiter  ,  fe  tenant  pour  fon  feruiteur. 
Les  Efpagnols  entendiret  ce  meiïage  par  le  moyé 
de  Marina  Indienne  qu'ils  menoientaueceux  >  & 
fçauoit  la  langue  Mexiquaine,&  Fernande  Cor- 
tes,trouuant  que  c'eftoit  vne  bonne  occafio  pour 
leur  entrée,  commanda  que  l'on  luyornaft  fort 
bien  fachimbre,  Se  eftant  aflîs  auec  grade autho- 
rité.&ornementjfitentrerles  ambauadeurs,le£- 
quels  n'obmirent  rien  de  0  humilier ,  finon  de  la» 


Jt»m.n. 


HISTOIRE     NATVRULE 
dorer  pour  leur  Dieu.  Ils  luy  firent  leur  ambauV 
de,difans  que  Ton  feruiteurMoteçumarenuoioic 
vifiter ,  &  qu'il  tenoit  le  pays  en  Ton  nom ,  com- 
me Ton  lieutenant ,  qu'il  {çauoit  bien  que  c'elloic 
leTopilçin  ,qui  leurauq/it  eftcpromis,ily  auoit 
plufieursans,  lequel  Iesdeuoitvenirreuoir.  Par 
aind  qu'ils  luy  apportofent  les  habits  qu'il  auoit 
accouftumé  déporter,  quand  il  conuerfoitauec 
eux,le  fupplians  qu'il  les  receut  pouraggreables, 
en  luy  offrans  pluficurs  prefents  de  grande  va- 
leur. Cortes  refpondit  receuant  les  prefents, & 
donnant  à  entendre,  qu'il  efloit  celuy  qu'ils  di- 
foient ,  dequoy  ils  demeurèrent  fort  con tens ,  ôc 
fevoyans  recensa:  traitez  de  luyamiablemenc. 
(car  en  cela^ufli  bien  qu'es  autres  chofes  ,  ce  va- 
leureux capitainea  efté  digne  de  louange,  )  que  fi 
l'entreprinfe  euflf  paflTé  outre  ,  qui  eftoitdegai- 
gncrparamiticcepeuple  ,  il  fem  ble  qu'il  i'eftok 
offert  la  meilleure  occafio,que  l'on  pourroi  t  ima- 
giner,pourab(ÎLije6tircefteterreà  l'Euangilc  par 
paix ,  Se  paramitié  :  mais  les  péchez  de  ces  cruels 
homicides  &  efclaucsde  Satan,  vouloienteftre 
chafticzdu  ciel, comme  au (îî  ceux  de  plufieurs  Efc 
pagnols,qui  n'elloient  pas  en  petit  nombre.  Ainfi 
les  hauts  iugements  de  Dieu  difpoferent  lefalut 
de  ces  peuples,ayans  premièrement  retranché  les 
racines  endommagées^  comme  ditl'Apoftrc,  la 
mauuaiftié  &:  auenglement  des  vns,  futlafàluatio 
des  autres.  En  fin  le  iour  d'après l'Ambafladefuf- 
dite ,  tous  les  capitaines  Se  principaux  de  la  flote 
vindrent  djnsrAdmiralle,&  entendans  l'affai- 
re, Se  combien  ce  Royaume  de  Moteçuma  eftoic 
puiirant,&  riche  3  il  leur  fembla  que  c  eftoit  cho- 


MlflMHHi 


ï*££. 


DES    INDES.       LTV.    VII.  3  40 

fe  conuenable  d'obtenir  réputation  d'hommes 
braues  &  vaillans  enuers  ce  peuple ,  &  que  par  ce 
moyen  encorqu  ils  fuflentpeu,ilsferoict  craints, 
cVreceu;  en  Mexique.  A  certe  finilsdefcharge- 
rent  toute  l'artillerie  des  nauires  ,  &  comme  c'e- 
ftoit  chofe  qui  iamais  n'auoit  efté  ouye  par  les  In- 
diens, ils  demeurèrent  auflî  efpouuantez  que  fi  le 
ciel  fufl  tombé  fur  eux.  Apres  les  Efpagnols  (émi- 
rent aies  deffier  ,  afin  qu'ils  combattaient  auec 
eux,&  les  Indiens  ne  C'y  ofans  hazarder,  il  les  bat- 
tirent, &  mal  trottèrent  ,  leur  mpnftrans  leurs 
efpees, lances ,  pertuifanc*,  $c  autres  armes ,  donc 
ils  les  efpouuanterent  beaucoup. Les  pauures  In- 
diens furent  pour  cet  effed  fi  craintifs  &  efpou- 
uentez qu'ils  changèrent  d'opinion  ,  difansque 
leur  fcigneur  Topilcin  ne  venoit  point  en  cette 
troupe.  Mais  quec'etloicnt  quelques  dieux  leurs 
ennemis  qui  venoient  là  pour  les  deftruire.  Quad 
les  Ambaffadeurs  retournèrent  en  Mexique,Mo- 
teçuma  eftoit  en  la  maifon  de  l'audicnce,&  auant 
qu'ils  luydonnaflentl'ambafladeje  mal-  heureux 
commanda  dcfacrifier  en  fa  prefencevn  nombre 
d'hommes, puis  auec  lefangdes  facrirîezarrou- 
fer  les  amba(Iadeurs,pen(ant  par  cette  cérémonie 
(qu'il  auoient  accouftumé  défaire  en  dcfolem- 
nelles  ambalîàdes )  auoir  bonne  refponfe.  Mais 
ayant  entendu  le  rapport  &  informatiô  de  la  for- 
me des  nauires,  hommes,  &  armes,  il  demeura 
tout  confus  &  perplex:  puis  ayant  eu  confeillà 
de(Tus,netrouuaautremeilleurmoyen,  que  pro- 
curer d'empefeher  l'entrée  à  ces  eftrangers,par  les 
arts  magiqucs,&  coniurations.Ilsauoientaccou- 
ftumé  fouucncde  fe  feruir  de  ces  moyens  ,dau- 


HISTOIRE     NATVRELLE 

tantqu'ils  auoient  grande  communication  auec 
le  diable,  par  l'ayde  duquel  ils  obtenoient  quel* 
quesfois  des  effe&s  eftranges.Ils  affèroblerent  doc 
tous  les  forciers,magiciens,&ench;"ïteurs,  Scper- 
fuadez  de  Moteçumaprindrent  en  leur  charge  de 
faire  retourner  cesgens  là  à  leurs  pays.  Pour  cet 
efFect  ils  furent  en  certain  lieu  ,  qui  leur  fembla 
eftre  propre,pour  inuoquer  le  diables,  8c  exercer 
leurs  arts,chole  digne  de  confideration.  Ils  firent 
tout  ce  qu'ils  peurent,  &fceurent,  mais  voyans 
que  nulle  chofenepouuoit  empefeher  les  Chre- 
ftiens,ils  furent  vers  le  Roy .  luy  difans  que  ceux- 
là  eftoient  plus  qu'hommes ,  pource  que  rien  ne 
les  endommageoit,pour  toutes  leurs  coniuratiôs 
&  enchatements.  Alors  Moteçumafaduifad'vnc 
autre  rufe,quifut  que  feignant  d'eftre  fort  contét 
de  leur  venue  ,  ilenuoya  commander  à  tous  Tes 
Royanmes  qu'ils  feruiflent  ces  dieux  celeftes  qui 
eftoient  venus  en  leur  terre. Tout  le  peuple  cftoit 
en  grand  triftclle  &  furfaut,  &ven  oient  fouuent 
nouuellesque  les  Efpagnols  fenqueroient  fou- 
uent où  eftoit  le  Roy,  de  fa  faconde  viure,  de  fa 
maifon&defes  moyens.  Il  cftoit  extrêmement 
fafchédecela,&luyconfeilloient  les  fics,&  d'au- 
tres Negromanciens  qu'il  fe  cachaft ,  luy  offrans 
à  cefte  fin  de  le  mettre  en  lieu  ,  où  créature  ne  le 
pourroit  iamais  trouuer.  Celaluy  fembla chofe 
vile,parquoy  il  fe  détermina  à  les  attendre ,  encor 
que  ce  fuft  en  mourant.En  fin  il  fortit  de  Tes  mai- 
fbns  8c  palais  Royaux  pour  loger  en  d'autres ,  les 
laiflans  pour  loger  ces  dieux,  comme  ils  difoient. 


DES    INDES.       L  IV.    VII. 


341 


De  l'entrée  des  EfpAgnoîs  en  Mexique. 


c  H  a  p.  xxv. 


&v<5  E  nc  pretens  point  traitter  les  faicts  &  geftes 
SJkI  des  Efpagnolsqui  conquefterent  la  neufue 
Efpagne  ,  ny  les  aduentures  eftranges  qui  leur  ar- 
riuerenc  ,  ny  le  courage  Ôc  valeur  inuinciblede 
leurcapicaine  Dom  Fernande  Cortez, d'autant 
que  décela ilyabeaucoup  d'hiftoires&  relatiôs, 
comme  celles  que  le  mefme  Fernande  Cortez  ef- 
criuit  à lEmpereur  Charles  V.  bien  qu'elles  foiet 
d'vnftilerond&  alFezeiloigné  d'arrogance,  lef- 
quels  donnent  fufïïfànte  cognoiiîànce  de  ce  qui 
paira,en  quoy  il  fut  digne  de  perpétuelle  memoi- 
re:mais  feulement  pour  accomplir  mon  inten- 
tion,  il  refte  de  dire  ce  que  les  Indiens  racontent 
de  cet  affaire,  ce  qui  n'a  eftéiufquesauiourd'huy 
rédigé  par  eferit  en  noftre  vulgaire.  Moteçuma 
donc  ayant  entendu  les  victoires  du  capitaine  ,  & 
qu'il  venoit  f'aduançantpourfâconquefte,  qu'il 
faltoit  confédéré  &  ioint  auecceux  deTlafcalla 
fes  capitaux  ennemis,  &  auoitchaftié  rudement 
ceux  de  Chollola  fes  amis ,  Pimagina  de  le  trom- 
per ou  efprouuer,en  luy  enuoyant  vn  home prin- 
cipal,veftu  Se  accommodé  des  mefmes  ornemens 
&  enfeignes  Royales ,  qui  feignift  eftrc  Moteçu- 
ma,laquelle  fi ctiô ayant  eftcdefcouuerte  au  Mar- 
quis par  ceux  deTlafcalla  qui  l'accompagnoient, 
le  rcnuoya,apres  l'auoir  doucement  &  prudem- 
ment reprins  de  l'auoir  ainfî  voulu  tromper ,  de- 
quoy  Moteçuma  demeura  tellement  confus,  que 
pour  la  crainte  de  cela  il  retournai  fes  première* 


mê  ■■■m 


HISTOIRE  MATVRELLE 
imaginations  de  vouloir  faire  retirer  les  Chre- 
ftiens,par  le  moyen  &  inuocation  cies  enchan- 
teurs &  forciers.  Parquoy  il  alïcmbla  vn  plus 
grâd  nombre  d'iceux  qu'il  n'auoit  fait  la  premiè- 
re fois,  en  les  menaçant  que  s'ils  reroinnoicr  vers 
luy  (ans  accomplir  ion  commandement ,  il  n'en 
reichapperoitvn  feul,à  quuy  ils  promirent  d'ob- 
tempérer. Et  pour  ceft  erïect  tous  les  officiers  du 
diable  s'en  alleret  au  chemin  deChalco,qui  eftoic 
par  où  deuoient  palier  lesElpag!)ols,oùmontans 
au  faille  d'vnecollejleur  apparut  TezcalipucàjVn 
de  leurs  principaux  dieux,  comme  venant  deuers 
le  camp  des  Efpagnols,en  l'habit  de  Chalcas,  qui 
auoit  les  tetins  ceints  aucc  huid)  tours  d'vne  cor- 
de de ionc,ilvenoiccomrnehorsdefoy&  comme 
vn  hommcinfen(c&  ennyuré  de  rage  &  de  furie, 
Arriué  qu'il  fut  àl'efeadron  des  negromancit  s  5c 
forciers, il f'arrefta  &  leur  dift  en  grand  colère. 
"pourquoyvous  autres  reuene^-vous  icy  ,  qu'cft-ccquc 
Tsiotecuma  prêt ed faire  par  -voftrc  moyen  ?  ïlefi  s'efttr»p 
tard  adu/fé:car  défia  il  eft  déterminé \quc  l'on  luy  oflefon 
J{oyaume  <&{on  honneur \auec  tout  cetjutlpo/sedc,pour 
punition  des  grandes  tyrannies  au  ilacommijcs contre 
fes  yaJJ'auXyri ayant  pas gouuernè comme  fetgneur ,  mats 
comme  traijlre  &  tyran.  Les  enchanteurs  alors  oyas 
ces  paroles,cogneurent  que  c'eftoit  leur idole,6c 
s'humilians  deuant  luy,luy  battirent  à  l'inftant  au 
mefmelieu  vn  autel  depierre,qu'ilscouurirct  de 
fleurs  qu'ils  cueillirent  à  l'entour,luy  au  contraire 
ne faifant  point  d'eftat  de  ceschofes  cômença de- 
rechef à  les  tancer,difant  :  Quefles-vou-s  venu*  faire 
icy  traiflresjetoHrneT^retourner^  incontinent  &  regar- 
slcrTïîextque^fîn  que  nom  entendte^  ce  qui  don  aduenir 


DES    INDU.       LIV.    VII.         341 
d'elle. Et difenc  qu'ils fe  retournèrent  deuers  Me- 
xique pour  la  regarder3&  qu'ils  la  virent  bruflan- 
te&  touteenflâbeedeviuesflames.  Alors  le  dia- 
ble difparut,&  eux  n'ofans  palier  plus  outre ,  fitee 
fçauoir  cela  à  Motcçuma.Cc  qu'ayant  entcndu,il 
fut  vn  long  temps  fans  parler,regardant  penfif  en 
terre,  puis  dift,que  ferons  nous  donc,  files  dieux 
&  nos  amis  nous  delaiflent,  &  qu'au  contraire  ils 
aident  &  fauorifent  nos  enncmis?Ie  fuis  défia  rc- 
foluj&  nous  d  cuôs  rous  refoudre  à  ce  poinc"t,quc 
arriue  ce  qui  pourra  ai  riuer ,  nous  ne  deuôspoint 
fuir  ny  nous  cacher ,  ny  monftrer  aucun  figne  de 
coiiardife.ray  feulcmentpitiédesvieillards&  des 
petits enfans qui  n'oneny  piedsny  mainspourfe 
derTendre,&  difanteela  fctent,pource  qu'il  com- 
mençoit  à  fc  tranfporter  en  ex tafe.  En  fin  le  Mar- 
quis l'approchât  deMexique,Moteçuma  faduifa 
de  faire  de  neeeflîté  vertu  ,  &  fortit  pourlerece- 
uoir  comme  à  trois  ou  quatre  lieues  de  la  cité,al- 
lantd'vne  graue  majefté,porté  fur  les  efpaulles  de 
quatre  feigneurs,&  eftâc couuei  t d'vn  riche poel- 
led'or&deplumeries.  Lors  qu'ils  fentrerencon- 
trerent  Moteçuma  delcendit ,  &  tous  deux  fe  fa- 
luerentl'vn  l'autre  fort  courtoifement;  DoFer- 
nande  Cortez  luy  dift  qu'il  ne  fe  fouciaft  de  ric,& 
qu'il  n'eftoit  là  venu  pour  luy  ofter  fonRoyaume, 
ny  diminuer  sôauthorité.Moteçuma  logea  Cor- 
tez &  fes compagnons  enfon  palais  Royal,  qui 
cftoitforcmagninque,&  luy  f'c  alla  loger  end'au- 
tres  maifons  priuecs  qu'il  auoit.Lesfoldatds  def- 
chargerent  cette  nuicî  làl'artillerrepar  refiouik 
fance,dequoy  les  Indiens  Pefpouuanterent  bc- 
aucoup^n'eftans  pas  accouiiumcz  d'ouyr  vnc  ul« 


^■■■■■MMMiMMI 


HISTOIRE    NATVRELLE 
lemufique.    Leionr  enluiuant  Cortezfica(fem' 
bler  Moteçuma&  lcsfeigncurs  de  fa  cour  en  vne 
grande  fale,où  luy  eftantafïîs  en  vnehaute  chaire, 
leur  dift  qu'il  eftoit  fcruiteur  d'vn  grand  Prince 
qui  les  auoit  enuoyezen  ces  pays  pour  faire  de 
bonnes  œuuies,&  qu'ayant  trouué  en iccluy  ceux 
de  Tlafcalla  qui  eftoieiu  Tes  amis,  lefquels  fe  plai- 
gnoientfort  des  torts  &  griefs  que  ceux  de  Me- 
xique leur  faifoient  continuellement ,  à  cette  oc- 
canon  il  vouloit  entendre  lequel  d'entr'cuxauoit 
le  tort,  afin  de  les  appointer  enlemble ,  pour  de  là 
en  auant  ne  fe  trauailler  &  guerroyer  les  vnsles 
autres,  &  que  cependant  luy  &  l'es  frères  (  qui 
eftoientles  Efpagnols)  demeureroient toujours 
là  fans  le?  endômager,au  contraire  les  aidcroient 
en  ce  qu'ils  pourroient.  Il  mit  peine  de  faire  bien 
entendre  ce  difcours  à  tous,  feferuant  de  ces  in- 
terprètes &  truchements.  Ce  qu'entendu  parle 
Roy  &  les  autres  feigncurs  Mexiquains,ils  furent 
extrêmement  contcns,  &c  monftrercnt  grand  (i- 
gnes  d'amitié  à  Cortez  &  aux  liens. Plusieurs  font 
d'opinion  que  s'ils  euflent  fuiuy  l'affaire  comme 
ils  Pauoient  commencé  ceiour  là,  ils  euflent  peu 
facilement  ordôner  du  Roy  &  du  Royaume  pour 
leur  donner  la  loy  deChrift  fans  grande  effufîon 
de  fang.  Mais  les  iugements  de  Dieu  fontgrands, 
&  les  péchez  des  deux  parties  eftoient  en  grand 
nombre,parain(in'ayansfuiui  leur  pointe,!  affai- 
re fut  différé  ,  combien  qu'en  fin  Dieu  fitmiferi- 
cordeàceftcnation,luycommuniquantlalumie- 
redcfonfainct  Euangile,apresauoirfaitiugemc? 
ôc  punition  de  ceux  qui  le  mentoient ,  &  qui 
auoient  trop  énormément  offenf  é  la  diuine  reue- 

renec. 


DES    INDES.       LIV.    VII.  34$ 

ren  ce.  Tant  y  a  que  quelques  occafions  f'efmeu- 
renc ,  donc  plufieurs  plaintes ,  griefs  &  foupçons 
nafquirent  d'vn  codé  &  d'autre.  Ce  que  voyant 
Cortés,  &que  les  volontez  des  Indiens  com- 
mençoientà  (e  diftraire  d'eux,  il  luy  femblane-' 
cellaire  de  s'atleurer.en  mettant  la  main  fur  le  roy 
Moteçuma,  lequel  fut  faifi,  &  mis  les  fers  aux 
pieds,acte  certes  efpouuen  table  au  nhonde,&  qui 
eft  efgal  à  l'autre  fien,d'auoir  bruflé  {es  nauires, 
&  s'ettre  enclos  au  milieu  de  les  ennemis,  pour 
vaincre  ou  pour  mourir-  Le  pire  fut  que  à  caufe 
de  la  venue"  inopinée  d'vn  Pamphilo  Naruaes  en 
la -iw<*0»x,pour  altérer  &  mutiner  le  pays  fut  de 
befoin  que  Cortés  s'abfentali  de  Mexique  ,  ôc 
qu'illaiflaû.  lepauure  Moteçuma entreles  mains 
de fes compagnons,  qui  nauoienc  pasladifcre- 
tion  ny  la  modération  telle  que  luy;  par  ainfi  l'af- 
faire vint  à  telle  dillenfion,  qu'il  n'y  eut  plus  au- 
cun moyen  de  faire  paix. 


De  U  mort  de  Meteçuma  ,  &  fortte  des 
Efpagnols  de  Mexique. 

en  av.    xxv. 

Ors  que  Cortés  cftoit  abfent  de  Mexique, 
celuy  qui  eftoit  demeure  fon  lieutenant  fut 
d'opinion  de  donner  vn  rude  chaftiement  aux 
Mexiquains,  &  fit  tuer  vn  grand  nombre  delà 
noblefle  en  vn  bal  qu'ils  firent  au  palais,qui  fut  fi 
exceffif,que  tout  le  peuple  femutina,&  d'vnefu* 
rieuferage  prindrent  les  armes  pour  fe  venger  Se 
tuer  les  Efpagnols.  Par  ainfi  ilslesafliegerentau 
palais^es  preflans  de  fi  près,  que  le  dommage  que 


HISTOIRE  NATVRELLE 
les  Efpagnols  leur  faifoienede  leur  artillerie  &  de 
leurs  arbalcftcs  ,  ne  les  pouuoitdiftraire  ,ny  faire 
retirer  de  leur  entreprinfe,àquoy  ilsperfiftercnt 
par  plutieurs  iours,  leur  empefehas  les  viures,  fans 
permettre  qu'il  y  entrait  ou  fortitl  aucune  creatu 
re.  Ilsfebattoient  auec  des  pierres,  des  dards  à 
ictter,  à  leur  façon ,  des  efpeces  de  lances  qui  font 
comme  des  Seiches ,  où  il  y  a  quatre  ou  ?fix  raloirs 
très- aigus,  qui  font  telles  ,  que  les  hiftoiresra- 
cont, qu'en  ces  guerres vn  Indien  d'vn  coup  de 
ces rafoirs emporta  prefque  toutlecold'vn  che- 
ual,&  comme  ilscombattoientvn  îourcnccfte 
refolution  &  furie  ,  les  Eipagnoispour  les  taire 
celTer.flrentmonterMoreçuma  auec  vn  autre  des 
principaux  feigneurs  Mexiquains ,  au  haut  d'vne 
plattcformcdelamaifon,  couuerts  des  rondelles 
de  deux  foldats  qui  eftoient  auec  eux.  Les  Mexi 
quainsvoyansleur  Seigneur  Moteçuma,l'arrcfte- 
rent&  firent  grand  filence.  Alors  Motcçuma  leur 
fit  dire  parce  Seigneur  principal ,  qu'ils  fappai  - 
fafîcnt,&  qu'ils  ne  fillènt  la  guerre  aux  Efpagnols, 
puis  qu'ils  voyoient  ,  que  luy  eitant  pnionnier 
cela  ne  leur  pouuoitprofritcr.  Ce  qu'eftant  en- 
tendu par  vn  ieune  homme  appelle  Quicuxte- 
moc  ,  lequel  ils  parloient  dehad'eiîire  pour  leur 
Roy,  dit  à  haute  voix  à  Moteçuma,  qu'il  fe  reti- 
rait comme  vnvillain,  que  puis  qu'il  auoitefté  (i 
coiiard,que  de  fe  laiilèr  prendre.ils  ne  luy  deuoiét 
plus  obeyr,  mais  pluftoll  luy  donner  le  chaftie- 
ment  qu'il  meritoit  ,1'appellant  femme  pour  plus 
grande  ignominie,  &  commença  alors  à  enfon- 
cer fonarç,  &  à  tirer  contre  luy,  &  le  peuple  re- 
commença  à  ieiter  des  pierres,  cVpourfuiure  leur 


DES    INDES.       LIV.    VII.  344 

combat.  Plufieursdilent  qu'alors  MoteçumafuC 
trappe  d'vn  coup  de  pierre,dont  il  mourùtjes  In- 
diens de  Mexique  affei  ment  le  contraire  ,  mais 
qu'il  mourut  depuis  de  la  façon  queiediray  incô- 
tinent.  Aluaro&  le  relie  des  Elpagnols  levoyans 
iipreliez,enuoycrent  donner  aduis  au  Capitaine 
Coruz,  du  grand  dangei  où  ils  eftoienr,  lequel 
ayant  auec  vue-  merueilleufedexterité&  valeur, 
donne  ordic  en  l'affaire  de  Naruacs ,  &recueilly 
pour  iuy  la  plus  grade  partie  de  les  hommes,  vint 
à  grandes  ioumees  iecourir  lesfiensen  Mexique, 
où  attendant  le  temps  que  les  Indiens  fe  repo- 
ioient  (car  c'edoit  leurvfageen  la  guerre,  de  Te 
repofer  de  quatre  iours  en  quatre  iours  )  ilf'ad- 
uanc.i  vn  iour  par  grande  ruze&  magnanimité, 
tellement  que  luy  &  les  gens  entrèrent  au  Palais, 
où  les  Efpagnolsf'crloient  fortifiez,  parquoyils 
monftrerent  plufieurs  lignes  dere(iouillance,en 
defchavgeant  l'artillerie  :  mais  comme  la  rage  des 
Mexiquains  s'augmentoit,  &  qu'il  n'y  auoitniil 
moyen  de  les  appailcr,  mefmesquelesviuresleui: 
deffailloient  du  tout,  fans  qu'ils  euflent  efperance 
depouuoirplus  fedcffendre.le  capitaine Cortcz 
délibéra  de  forcir  vne  nuict  fans  bruit.  Parquoy 
ayant  faitdes  pots  de  bois ,  pour  palier  deuxgrâds 
courants  d'eaue  for  t  dangereux,  il  lortit  fur  la  mi- 
nuici  auec  tout  le  plus  grand  filence  qu'il  peut,  &c 
ayant  jàla  plus  part  de  (es  gens  palfé  le  premier 
pont ,  ils  furent  apperceus  d'vne  Indienne  auant 
que  de  palier  le  fécond,  qui  s'en  alla  criant  que 
leurs  ennemis  s'entuioient,  à  laquelle  voix  s'af- 
iembla,  &  accourut  tout  le  peuple  d'vne  terrible 
furie,  tellement  qucpallant  le  fécond  pont,  ils 

x  Y) 


m 


'MMMIHMP 


■ 


HISTOIRE    NATVRELLE 
furent  tellement  chargez  &  prenez,  qu'il  demeu- 
ra plus  de  trois  cents  hommes  morts  &.  bleffez 
en  vn  lieu ,  où  eft  auiourd'huy  vn  petit  hermita- 
ge,que  fort  mal  à  propos  Ton  appelle  auiourd'hui 
des  martyrs.Plufieurs  des  Espagnols  pour  confer- 
uer  l'or  &  lesioyaux  qu'ils  auoient  ne  peurent  ef- 
chaper,  &  d'autres  retardans  pour  le  recueillir,  & 
apporter,furét  prins  par  les  Mexiquains,&  cruel- 
lement fàcrifiez  deuant  leurs  idoles.    Les  Mexi- 
quains  trouuerent  le  roy  Motecuma  mort,  & 
blefle  comme  ils  difent  de  coups  depoignards, 
qui  eft  leur  opinion,  que  cefte  nuict  les  Eipagnols 
le  tuèrent  auec  d'autres  feigneurs.  Le  marquis  en 
la  relation  qu'il  enuoya  à  T  E  mpereur  du  au  con- 
traire ,  &  que  les  Mexiquains  luy  tuèrent  celle 
nui«5tvn  fils  de  Motecuma,  qu'il  emmenoit  auec 
d'autres  feigneurs  ,  difant  que  toute  la  ncheîîe 
d'or,pierres  &  d'argent  qu'ils  emportoient  tom- 
ba au  lac,  où  iamais  du  depuis  ne  parut.  Qupy 
qu'il  en  foit ,  Motecuma  finit  mifcrablement ,  & 
payaauiufte  iugementdu  Seigneur  des  deux  ce 
qu'il  meritoit,  pour  fon  grand  orgueil  &  tyran- 
nie:Car  fon  corps  eftant  venu  en  la  puiiTance  des 
Indiens ,  ils  ne  voulurent  luy  faire  les  obieques 
de  roy,non  pas  d'homme  commun , ains  le  jette- 
renc  par  grand  mefpris  &c  colère.    Vn  fien  ferui- 
teur  ayant  pitié  du  mal-heur  de  ce  roy,  qui  auoit 
eûé  auparauant  craint  &  adoré  comme  Dieu ,  luy 
fit  là  vn  feu,  &mit  ibs  cendres  où  il  peur,  envn 
lieu  affez  mefprilé.    Retournant  donc  aux  Espa- 
gnols qui  efchaperent ,  ils  furent  grandement  fa- 
tiguez Ôc  trauaillez,  pource  que  les  Indiens  les 
faillirent  obftinément  deux  ou  trois iours, fans 


mm^^ 


DES  INDES.  L  IV.  VII.  34  f 
les  laifler  repofer  vn  moment ,  &  alloient  fi  fati- 
guez àcaufe  du  peu  de  viures,  que  bien  peu  de 
grains  de  mays  eftoient  départis  entr'eux  pour 
leur  manger.  Les  relations  des  Efpagnols&  des 
Indiens  s'accordent,que  noftre  Seigneur  les  deli- 
ura  en  cet  endroit  miraculeufement  la  mère  de 
mifericorde,  &royne  des  deux,  Marie  les  défen- 
dant en  vne  montagnette  ,  où  à  trois  lieues  de 
Mexique  eft  auiourd'huy  fondée  vne  Eglife  en 
mémoire  de  cela,  auec  tiltre  de  noftre  Dame  de 
fecours.  Ils  fe  retirèrent  vers  leurs  anciens  amis  de 
Tlafcalla,  où  ils  fe  retirèrent  par  leur  aide,  &  par 
la  valeur  &  rufe  de  Fernande  Cortés,  puis  retour- 
nèrent faire  la  guerre  en  Mexique  par  eaué,&  par 
terre ,  auec  l'inuention  des  brigantins  qu'ils  mi- 
rct  dans  lelac,&  après  plufieurs  combats,  &  plus 
de  foixante  dangereufes  batailles,  ils  gaignecent 
du  tout  la  cité  de  Mexique  le  iour  de  fainct  Hip- 
poly te  trezieime  du  mois  d' Aouft,mil  cinq  cents 
vingt  &  vn.  Le  dernier  Roy  des  Mexiquains 
ayant  obftinémentfouftenu  la  guerre,  en  fin  fut 
prins  en  vne  grande  canoe,où  il  s'enfuyoit,lequel 
eftat  amené  auec  quelques  autres  des  principaux 
feigneurs  deuant  Fernande  Cortés,  le  roitelet 
d'vne  effrange  magnanimité  faccant  vne  dague 
s'approcha  de  Cortés,  &  luy  dit:  Iufjues  autour* 
d'buy  i'ay  fait  ce  que  i'ay  peu  pour  la  defenfc  des  miens  y 
maintenant  ie  ne  fuis  plus  obligé  à  faire  d'auantagcque 
de  te  donner  cejie  dague  pour  me  tucrd'icelle.  Certes 
luy  refpondit  qu'il  ne  le  vouloir  pas  tuer ,  &  que 
ce  n'auoit  point  efté  fon  intention  de  les  endom- 
mager, mais  que  leur  obftination  fi  folle  eftoit 
coulpable  de  tant  de  mal,&de  la  perfecuçiô  qu'ils 

x  iij 


HISTOIRE  NATVRELLE 
auoientfoufferte:  qu'ils  fçauoient  bien  combien 
de  fois  il  les  auoit  requis  de  paix,&  d'amitié,  puis 
commanda  qu'on  les  gardaft ,  &  qu'on  le  traictaft 
fort  bien  luy  &  lesautres,  qui  cftoient  cfchappez. 
Plufïeurs  chofes  aduindrenc  en  celle  conquête 
de  Mexique  eftrages&  admirables,  carie  ne  tiens 
pointpourmenfonge,nypouraddiuoncequedi- 
ientpluu"eurs,quie(criuentqueDieu  fauonfa l'af- 
faire des  Elpagnols  par  plufieurs  miracles,  d'au- 
tant qu'il  leur  eftoit  impolfiblc  de  vaincre  tant  de 
difficultez  ,  fans  la  faueur  du  ciel,  &  de  s'allujedir 
au  commencement  cefte  terre,auec  G  peu  d'hom- 
mes. Car  combien  que  nous  autres  fuffions  pé- 
cheurs, &  indignes  de  telle  faueur,  toutesfois  la 
caufedenoftre  Dieu, la  gloire  de  noftrcfoy,  lebie 
de  tant  de  milliersd'ames, comme  eftoient  ces  na- 
tions, que  le  feigncurauoitpredeftinees  ,  reque 
roientque  pour  paruenir  à  ce  changement  que 
nous  voyons  à  prefent  arriué  ,  il  y  furuint  des 
moyens  fupematurels ,  &c  propres  à  celuy  qui  ap- 
pelle à  la  cognoifîancede  luy  lesaueugles,  &  les 
prifonniers  ,  ÔY  leur  donne  la  lumière  &  liberté 
parfon  S.  Euangile,  &afin  quel'onpuilîc  mieux 
entendre  cecy  ,  &  y  adioufter  foy,ie  raconteray 
quelques  exemples  qui  me  femblent  à  propos  de 
cefte  htftohe. 


De  antiques  miracles  que  Dieu  a  )nonfire^  es  Indes 

en  faueur  de  la  foy  ,  [ans  le  mérite  de 

ceux  qui  les  firent. 


DES    INDES.    LI V.    VII. 


34  ^ 


CH  A  P.    XXVI  I. 


A 1  n  c  t  e  Croix  delaSyerreeft  vneprouin. 

ce  fort  grande,  &  fort  eflongnee ,  au  Royau- 
me du  Peru^qui  s'auoyfineauecdiuerfes  nations 
d'infidèles,  lefquels  n'ont  point  encor  la  lumière 
de  l'Euangile,  fi  depuis  le  temps  que  i'en  fuis  par 
tyjes  pères  de  noftrecompagnie,qui  font  là  pour 
cet  effet  ne  leur  ont  enfeigné.  Toutesfois  cefte 
prouincedefaincle  Croix  eftChieftienne,&:  y  a 
plusieurs  Efpagnols&  Indiens  baptifez  en  grand 
nombre.  La  façon  comment  le  Chnftianifmey 
entra  fut  telle.  Vn  foldatde  mauuaife  vie.refident 
en  la  ptouince  deCharchas  craignant  la  indice, 
qui  pour  Ces  delidts  le  recherchoit,ciura  bien  auat 
dans  lepays,&  fut  recueilly  gratieufemec  des  bar- 
baresde cefte contree,&  voyant  l'Efpagnol  qu'ils 
enduroient  alors  vne  grande  neceffite  par  faute 
d'eaue  ,  &  que  pour  faire  pleuuoir  ils  faifoient 
beaucoup  de  cérémonies  fuperftieufes  ,  comme 
ils  ontaccouftumé,  il  leur  dift  que  s'ils  vouloient 
faire  ce  qu'il  leur  diroit,  qu'incontinent  ils  au- 
roient  de  l'eauë  ,  ce  qu'ils  s'offrirent  de  faire  fort 
volontairement.  Alors  le  (oldat  fit  vne  grande 
Croix,  qu'il  planta  en  vn  lieu  eminentjeur  di- 
fant  qu'ils  fiflTent  là  leur  adoration  ,  &  qu'ils  de- 
mandaient de  l'auc ,  ce  qu'ils  firent.  Chofe  mer- 
ueilleufc  /  incontinent  tomba  de  l'eauë  fi  abon- 
damment ,  que  les  Indiens  prindrent  telle  deuo- 
tion  à  lafaincte  Croix,  qu'ils auoient recours  à 
icelle  ,  pour  toutes  leurs  necefîîtez  ,  &c  obte- 
noient  tout  ce  qu'ils  demandoient ,  tellement 

x     iiij 


■  M  I  STOIR.E  N  AT  VRELLE 
qu'ils  rompirent  leurs  idoles ,  &  commencèrent 
à  porteries  croix  pour  enfeignes>&  à  demander 
des  prédicateurs  qui  lesenfeignaflent&baptilâf- 
fent.  Pourcefteoccafiolaprouinceaeftéiufques 
auiourd'huyappelleeSaincteCroixdela  Sierre. 
Mais  afin  que  l'on  voyepar  qui  Dieufaifoit  ces 
merueilles,  il  ne  fera  mal  à  propos  de  dire  com- 
ment ce  foldat,  après  auoir  quelques  années  fait 
ces  miracles  d'Apoftre,  n'ayant  point  toutesfois 
amendé  fa  vie ,  fortit  de  la  prouince  des  Charcas, 
&  continuant  fes  mauuaifes  façons  de  faire,  fut 
mis  publiquementau  gibet  en  Pottofi.  Polo  qui 
le  cognoi{Toit,efcrit  tout  cecy  comme  chofe  no- 
toire^ qui arriua  de  fon  temps.  CabecadeVa- 
ça,qui  fut  depuis  gouuerneur  au  Paraguey,  eferit 
||  en  la  pérégrination  eft  range  qui  luy  aduint  en  la 

r  Floride ,  auec  deux  ou  trois  autres  compagnons, 

qui  relièrent  feulsd'vnearmee,  où  ils  paflerent 
dix  ans  auec  les  barbares  cheminas ,  &  penetrans 
iufques  à  la  mer  du  Sud ,  &  eft  autheur  digne  de 
foy,  que  les  barbares  les  forçans  de  guarir  certai- 
nes maladies,les  menaçans  que  fils  ne  le  faifoiét, 
qu'ils  leur  ofteroient  la  vie:  d'autre-part  ne  fça- 
chans  aucune  partie  de  médecine,  &n'ayans  au- 
cuns appareils  pour  l'exercer,  forcez  delanecef- 
ficé,  fe firent  médecins euangeliques,difans  les 
oraifonsderEglifej&faifanslefignedelacroix, 
au  moyen  dequoy  ils  guarirent  ces  malades. 
Pour  le  bruit  &  renommée  dequoy ,  ils  furent 
contraints  d'exercer  celle  office  par  toutes  les 
villes  où  ils  pallbient,  qui  furent  innumerables, 
enquoy  le  Seigneur  les  aida  miraculeufement, 


DES     INDES.    LIV.    VII.  347 

de  forte  qu'ils  eftoient  eux-mefmes  efmerueillez 
poureftre  de  vie  commune,  voire  l'vn  d'eux  vn 
nègre.    Lancero  eftoit  vn  ioldat  au  Peru,duquel 
Tonne  fçait  d'autres  mérites,  que  d'eftre  foldat: 
il  difoit  fur  les  playes  certainesbonnes  parolcs,& 
faifant  lefigne  de  la  croix  les  guarifïbit  inconti- 
nent, d'où  l'on  difoit  comme  par  prouerbe  le 
pfàlmede  Lancero.  Eftant  examiné  par  ceux  qui 
tiennent  rang  5c  ontauthorité  en  l'Eglife  ,  fon 
office  &fesœuures  furent  approuuccs.    Quel- 
ques perfonnes  dignes  de  foy  racontent,  &  l'ay 
ouy  dire  mefmes,qu'en  la  cité  de  Cufco,  Jors  que 
les  Efpagnols  y  eftoient  afïiegez  &  preffezdc  (î 
prés  ,  que  ians  l'aide  du  ciel  il  leur  eftoit  impoflï- 
ble  d'en  pouuoir  efchapper,  les  Indiens  jettoienc 
du  feu  fur  les  toi&s  des  maifons  où  feftoient  re- 
tirez les  Efpagnols  ,qui  eft  l'endroit  où  eft  au- 
îourd'huy  baftie  la  grand'  Eglife  :  &  bien  que  le 
toict  fuft  de  certaine  paille,  qu'ils  appellent  là 
chicho  ,  &  que  les  flambeaux  qu'ilsyjettoient 
defTus  eftoient  de  bois  de  pin  fortrameux&  fore 
gros,  toutesfoisiamais aucune chofè ne  printen 
feu  ,  ny  ne  fut  bruflee,  àcaufe  qu'il  y  auoit  vne 
Dame  en  haut  qui  efteignoit  le  feu  incontinent, 
Se  cela  fut  vifiblementapperceu  des  Indiens,  qui 
le  référèrent  du  depuis ,  en  eftans  fort  efmerueil- 
lez.    L'on  fçait  de  certain  par  les  relations  de 
plufieurs ,  &  par  les  hiftoires qui  en  font  eferites, 
qu'en  diuerfes  batailles  que  les  Efpagnols  eu- 
rent, tant  en  la  neufue  Efpagne  qu'au  Peru ,  les 
Indiens  contraires  vei  rent  en  l'air  vn  cheualicr, 
monté  fur  vn  cheual  blanc,  vne  efpee  en  la  mainf 
combatantpour  les  Efpsgnols,  d'où  eft  venue  la 


jl^_^jjjU 


HISTOIRE  NATVRELLE 
grande  vénération  qu'ils  portée  aux  Indes  au  glo- 
rieux Apoftrc  lainiîï  laques.  D'autresfois  ils  veirét 
en  quelques  batailles  l'image  de  noftte  Dame,  de 
laquelle  les  Chrefticns  ontreceu  en  ces  parties 
d'incomparables  faneurs,  &  bénéfices  .-que  fi  l'on 
racontoit  par  le  menu  toutes  les  œuuiesduciei 
commeclles  fontaduenuës,  ce  feroitvndifcouts 
fort  long.ll  fuffit  d'au oir  dit  cecy  à l'occafion  de  la 
grâce  que  la  Royne  de  gloire  fitaux  nollres,  lors 
qu'ils  eftoient  preHez  &  pourfuiuis  des  Mexi- 
quains,  ccquei'ay  mis  en  auantafin  de  faire  en- 
tendre ,  que  noftre  feigneur  a  eu  foucy  de  fauori- 
ferla  foy,&  religion  Chreilienne,defendantceux 
qui  la  tenoient,  encore  que  par  aduantureils  ne 
meritalîènt  pas  par  leurs  œuures,  de  relies  faueurs 
&  bénéfices  du  ciel.  C'cft  pourquoy  l'on  ne  doit 
pas  condamner  fi  abfolucmcnt  toutes  ces  chofes, 
des  premiers  côquerans  des  Indes, ainfi  que  quel- 
ques religienx,c\:  hommes  dodtes  ont  faid,par  vn 
bon  zèle  fans  doute, mois  par  trop  arTedté  ;  car  cô- 
bien  qu'en  la  plus  part  ils  furent  hommes  auares, 
afpres,&fort  ignoransde  la  façon  de  pioceder 
que  l'on  deuoitobfeiucr  entre  les  infidèles,  qui 
iamais  n'auoient  orïencélcs  Chrcfticns,  toutes- 
fois  l'on  ne  peut  pas  nier,  que  de  la  part  des  infidè- 
les, il  n'y  ait  eu  beaucoup  de  mauuaiftié  contre 
Dieu,  &  contre  les  noures ,  ce  qui  les  contraignit 
vzerde  rigueur ,  &dechauiement.  Et  ce  qui  eu: 
d'auantage,  le  Seigneur  de  tous,  encor  que  les  fi- 
dèles fulîent  pécheurs,  voulant  fauorilerlcurcau- 
ie  &  party ,  pour  le  bien  des  infidèles  mcfmes,qui 
depuis  fe  debuoient  conuertir  au  faincl;  Euangile 


i  -ï'àhs 


DES     INDES.       117.    VII.  348 

par  cefte  occafion  :  car  les  chemins  de  Dieu  font 
hauts,&  leurs  traces  merueiileufes. 


De  la  façon  que  h  duùne  prouidenee  d'tfpofa  les 

Indes ,  ùoury  donner  entrée  à  la  Ej- 

li'ion  Chrétienne. 

C  H  A  P.    XXVIII. 


&y<$  E  mettray  fin  à  cefte  hiftoire  des  Indes  de" 
îUcî  clarant  le  moyen  admirable  par  lequel  Dieu 
difpofa,  &  prépara  l'entrée  de  l'Euangile ,  en  icel- 
les,ce  que  l'on  doit  bien  confidere^afin  de  louer 
&  recognoiftrelaprouidcnce  &  bonté  du  Créa- 
teur. Chacun  pourra  entendre  par  la  relation,  & 
difeours que  i'ay  eicrit  en  ces liures ,  cantau  Peru, 
commeenlaneurueEfpagne  ,  lors  que  les  Chre- 
ftiensy  mirentpremirementlepied,  ces  Royau- 
mes &  Monarchies  eftoiêc  paruenuës  au  fommec, 
&periodede  Ieurpuiffance  ;  veuqueles  Inguas 
polîedoicnt  au  Peru  depuis  le  Royaume  de  Chil- 
\c  iufques  plus  outre  que  Quitto,qui  soc  mil  lieues 
de  pays  (iiiui.Eftans  fi  abondans  en  or  &argent,so- 
ptueux  feruices,  &  autres  chofes  que  rien  plus, 
comme  en  Mexique  Moteçuma  commandoitjde- 
puis  la  mer  Oceane,  duNort ,  iufques  à  la  mer  du 
^ud  s  eftantcraint,&  adoré  no  pas  comme  hom- 
me', mais  pluftoft  corne  Dieu:Ce  fut  alors  que  le 
très-haut  Seigncuriugea, que  cefte  pierre  de  Da- 
niel qui  rompit  les  Royaumes ,  &  Monarchies  du 
monde  rompift  auffi  ceux  de  cet  autre  nouueau 
monde.    Et  tout  ainfi  comme  la  loy  de  Chrift 


■■■m 


■ 


HISTOIRE     NATVUELLE 
vint  quand  la  Monarchie  Romaine  eftoit  parue- 
nue  à fonfommet,ain(î en  aduintil  es  Indes  Oc* 
cidcntales,  &  vrayemetapperçoit-onencelavne 
vrayeprouidence  du  Seigneur.  Car  n'y  ayantau 
monde,  c'eftà  dire  en  Europe,  qu'vn  chef  &  fei~ 
gneur  temporel  ,  ainfi  quelesfacrez  Docteurs  le 
rem  irquent,  cela  fut  caufe  que  l'Euangile  fe  peut 
facilement  communiquer  à  tant  de  peuples  8c 
natios,  ce  qui  eft  aufïiarriué  es  Indes  où/ayans  dô- 
né  la  coçnoiiïancc  de  Chrift  aux  chefs  &.  monar- 
ques  de  tant  de  Royaumes,  cela  fut  caufe  que  par 
après  plus  facilement  l'on  communiqua  l'Euan- 
gile  à  tout  le  peuple,  voire  y  a  icy  vne  chofe  parti- 
culière à  noter,que  comme  les  feigneurs  de  Mexi- 
que &  de  Culco,  alloient  conqueftansdenouuel- 
les  terres  ils  y  alloient  auiîîinrroduifans  leur  lan- 
gue, car  iaçoit  qu'il  y  euft  comme  il  y*  encorde 
prefent  vne  grande  diuerfite'  de  langues  particu- 
lières &propres,neantmoins  la  langue  courtifane 
de  Cufco  courut  &  court  encorauiourd'huy  plus 
de  mil  lieues,  Se  celle  de  Mexique ,  ne  f'eftendoit 
gueres  moins ,  ce  qui  n'a  pas  elle  de  petite  impor- 
tance, mais  a  beaucoup  profité  pour  faciliter  la 
prédication  en  ce  temps  que  lespredicateuas  n'ot 
pas  le  don  de  plufieurs  langues,  comme  ilsauoiét 
anciennement.  Qui  voudra  feauoir  quelle  ayde 
c'a  eftépour  la  prédication  Se  conuerfionde  ces 
peuples,quc  la  grandeur  de  ces  deux  Empires  que 
l'ay  dit,  pour  la  grande  difficulté  que  l'on  a  expé- 
rimentée ,  à  réduire  en  Chrift  les  Indiens,qui ne 
recognoilïoient  point vn  (eigncur,f'enailleenla 
Floride,au  Brefil,aux  Andes,&  en  plufieurs  autres 
endroits,oùpar  la  prédication  l'on  n'a  pas  faict  vn 


S^KSàssi?-  i^HSàîh. 


DES     INDES.     L IV.    VII.  349 

teleffeft  en  cinquante  ans,  côme  on  a  fait  au  Pe- 
ru,&  enlaneufue  fcipagneen  moins  de  cinq.  S'ils 
veulent  dire  que  la  richelFe  de  cefte  terre  en  a  efté 
caufe,ienelcniepas  du  tout,tourcsfois  ileftoit 
impoflîble  qu'il  y  euft  tant  de  richelle  ,  &  qu'ils 
l'eurent  peu  conferuer,s'il  n'y  cttft  eu  Monarchie. 
Cela  melme  eft  vn  acheminpmentde  Dieu, pour- 
ce  temps  cy,  auquel  les  prédicateurs  de  l'Euangile 
fontiirroids&  fipeuzdez,  qu'il  y  aye  des  mar- 
chands lefquels  auec  la  chaleut  de  l'auarice ,  &  le 
defir  du  commandement,  cherchent &dcfcou- 
urent  de  nouucaux  peuples,où  nous  pallions  auec 
noftre  marchandiie.  Car  comme  dit  S.  Auguftin,  jfur.U.  t. 
laprophetie  d'Efaye  eft  accomplie,  en  cequel'E-  <&«».£«£ 
glife  de  Chrift  l'eft  dilattee ,  non  feulement  en  la  c-  i6' 
dextre,  mais  auflî  en  la  feneftre ,  qui  eft  comme  il 
déclare  s'acctoiltre  par  des  moyens  humains,  & 
terriens,quel'onchercheplusordinairementque 
IefusChuft.  C'a  efté  aufïï  grande  prouidence  du 
Seigneur,  que  quand  les  premiers  Efpagnols  y  ar- 
riuerent,ils  trouuerent  de  l'aide  entre  les  mefmes 
Indiens,  à  caufe  de  leurs  partialitez  &  grandes  di- 
lutions. Cela  eft  tout  cogneu  auPeru,  que  la  diui- 
fion  d'entre  les  deux  frères  Atahulpa  ,  &  Guafca, 
eftât  nouuellemet  decedé  le  grand  Roy  Guanaca- 
pa  leur  pere,fuft  caufe  de  donner  l'entrée  au  Mar- 
quis Dom  Fraçois  Pizarre  &  aux  Efpagnols,d'au« 
tant  qu'vn  chacun  d'eux  defiroit  fon  alliance,  & 
qu'ils  eftoient  occupez  à  fe  faire  la  guerre  l'vn  à 
l'autre.   L'on  n'a  pas  moins  expérimenté  en  la 
neufue  Efpagne,  que  l'aide  de  ceux  de  laprouince 
de  Tlafcaîla  ,  à  caufe  de  la  perpétuelle  inimitié 
qu'ils  auoient  contre  les  Mexiquains,  caufa  au 


H 


H  ^H 


■ 


HMH 


HISTOIRE      NATVRELI.E 
Marquis  Fernande  Covtcz ,  &  aux  fiens  la  victoi- 
re,&  îeigneurie  deMexique,&  fans  eux  il  leur  euft 
elle  impoiïible  de  la  g.iigner,voire  feulement  de  Te 
mainteniraupavs.Ceux  là  fe  trompent  beaucoup 
quieltiment  peu  les  Indiens  ,  &  quiiugentquc 
par  l'auanrage  ,  que  les  Efpagnols  ont  fut  eux,  de 
leurs  perfonnes ,  chenaux  Se  armes  ofïeniiues ,  ce 
defTenimes,  ils  pourront  conquefter quelconque 
terre,  &  nation  d'Indiens.  Chillc  cft  encorlà,  ou 
pour  mieux  dire  Aranco,&  Teucapel,  qui  font 
deux  villes, fur  lefquelles  nos  Efpagnols  n'ont  pas 
fçeu  gaignervn  pied  de  terre,  combien  qu'ilyaye 
plus  de  vingt  cinq  ans,  qu'ils  y  font  la  guerre  fans 
l'y  eipargner.  Car  ces  barbares  ayansvne  fois  per- 
du la  crainte  des  cheuaux  &  des  arquebufes  ,  Ôc 
fçachans  que  l'Efpagnpl  combe  aum  bien  qu'vn 
autre , d'vn  coup  de  pierre  où  auec  vne  flefche,  ils 
fe  hafardent  ôc  entrent  dans  les  piques  ,  faifans 
leurs  entreprinfes.  Combien  d'années  y  a  il  que 
l'on  leue  des  hommes  en  la  netifueEfpagne',  que 
l'on  menecontre  les  Chychymequos,qui  font  vn 
petit  nombre  d'Indiens  tous  nuds  ,  armez  feule- 
ment de  leurs  arcs,  &  flcfches,toutesfoisiufques 
auiourd'huy  ils  n'ont  peu  eftre  vaincus ,  au  côtrai- 
tede  iour  eniour  ils  deuiennent plus  hazardeux 
ôc  déterminez. Mais  quedirons  nous  des  Chucos, 
des  Chyraguanas,  &  dcsPilcocones,  &  de  tous 
les  autres  peuples  dts  Andes  ?  toute  la  fleur  du 
Peru  n'y  a  elle  pas  efté,  menant  auec  foyfi  grand 
appareil  d'armes  &  hommes  comme  nousauons 
veu?que firçt  ils?auec  quel  profit  retournerec-ils^ 
Ils  en  reuindrét  certainement  bien  heureux  de  n'y 


^M 


aatmm 


DES      INDES.    LIV.    VII.  jjO 

auoir  laiiîc  la  vie  ,  y  ayans  perdu  leur  bagage  de 
prefque  cous  leurs  chenaux.  Qujaucnn  n'eftime 
pas,  qu'en  parlant  des  Indiens,  l'on  doiue  enten- 
dre des  hommes  de  rien  ,  mais  s'illepcnfe,  qu'il 
vienne,  &  en  race  l'efpicuue.  lien  faut  donc  at- 
tribuer la  gloire  à  qui  elle  appartient,  qui  eft  prin- 
cipallcmentà  Dieu  ,  de  à  ion  admirable difpoii- 
tion,  car  fi  Moteçumaen  Mexique, &l'Ingua nu 
Pcru  fe  fuflent  employez  à  refifter  aux  Espagnols, 
&  leur  empeicher  l'entrée  3  Cortez,&Pyzarrey 
eulVenc  peu  profité  ,  encor  qu'ils  fuiTent  excel- 
lents Capitaines,  d'auoir  mis  feulement  pied  en 
terre.  C'a  efté  mcfme  vn  grand  ayde  pour  faire 
reeeuoiraux  Indiens  la  loy  deChrilt  ,que  la  grad 
iujeâion  qu'ilsauoientà  leurs  Rois,&feigneurs, 
&  mefme  la  fujection,  &  feruitude  qu'ils  auoienc 
au  diable,  à  fes  tyrannies ,  &  à  fon  ioug  fi  pezant. 
Ce  fut  vne  excellente  difpofition  de  la  fapience 
diuine  ,  laquelle  tire  duprofit  dumalpour  vne 
bonne  fin;&  reçoit  fon  biédu  mal  d'autruy  qu'el- 
le n'a  pas  femé.  Il  cit  certain  qu'il  n'y  a  aucun  peu- 
ple des  Indes  Occidentales ,  qui  ait  efté  plus  idoi- 
ne à  l'Euangile ,  que  ceux  qui  ont  efté  chargez  de 
plus  grandes  charges ,  tant  de  tributs  &  feruiecs, 
c5medecouftumcs,&:vfagesfanguinolccs.  Tout 
ce  que  poftTederent  lesRoys  Mexiquains,  &  ceux 
du  Peru,e(l  auiourd'huy  le  plus  cultiué  de  IaChre- 
ftienté ,  &  où  il  y  a  moins  de  difficulté  an  gouuer- 
nement  ,  &"  police  Ecclefiaftique.  Les  Indiens 
eftoient  défia  fi  laiTez  d'endurer  le  iougtres-pe- 
fant,&  infupportable  des  loix  deSatan,dcs  facrifi- 
ces  &ccr  cmonies,dont  nous  auos  parle  cy-dellus, 


H!     m 


HISTOIRE  NATVRELI,  E 
qu'ils  confultoiét  entr'eux  de  chercher  vne  autre 
loy,&  vn  autre  Dieu, à  qui  ils  feruiffét.C'-eft  pour- 
quoyla  loyde  ChrilUeur  fembla,&  leur  iembîe 
encorauiourd'huyiufte, douce,  nette  , bonne ,& 
toute  pleine  de  biens.Et  cequieft  difficile  enno- 
ftreloy  ,  qui  eft  de  croire  Ges  myfteres  fi  hauts  Se 
fouuerains,a  efté  bien  facile  entre  eux,d'aiuât  que 
le  diable  leur  auoit  fait  corn  prendre  d'autres  cho- 
fgsplus  difficiles. Et  ces  mefmes  chofes  qu'il  auoit 
delrobees  de noftreloy  euangelique,comme  leur 
façon  de  communion,&  confellion,leuradoratiô 
de  trois  en  vn,  &  telles  autres  choies  femblables, 
îefquels  contre  la  volontcderennemy  oncayde 
à  faire  plus  facilcmét  receuoir  la  vérité  à  ceux  qui 
les  auoient  receus  en  la  raenterie.  Dieu  en  toutes 
fesceuureseft  fage,&  admirable, lequeliurmon- 
te  l'aduerfaire  auec  ks  propres  armes  ,  larrefte 
auec  fon  lacs,  &  fefgorge  auec  fa  propre  cfpee.Fi- 
nablemcntnoftre  Dieu,  (qui  auoitereé  ces  peu- 
ples,©^ qui  fembloit  fi  long  temps  les  auoir  mis  en 
oubly)quand  leur  heure  a  efté  venue  a  voulu  faire 
que  les  mefmes  diables  ennemis  des  homes  qu'ils 
tenoient  faulfement  pour  dieux  ,  donnaient  tef- 
moignage  contre  leur  volonté  de  fa  vraye  loy ,  du 
pouuoir  de  Chrift  &  du  triomphe  de  fa  Croix, 
ainfi  qu'il  appert  clairement  par  les  prcfagcs,pro- 
pheties,fignes,&  prodiges  cy  de(Tusracôtez,auec 
plusieurs  autres  qui  font  aduenus  en  diuecs  en- 
droits ,  &  que  les  mefmes  miniftres  de  fatan  ,  for- 
ciers,  magiciens ,  &  autres  Indiens  l'ont  confefle. 
Et  ne  peut-on  nier  (car  c'eft  choie  très-  euidente, 
&  notoire  par  tout  le  monde)  que  le  diable  n'ofe 
fiffler,&que  les  pratiques , oracles,  refponfes,& 

apparitions 


des  montagnes 
efloignez 


DES     INDES.    L  IV.    VII.  3JI 

apparitions  vifibles  ,  qui  eftoiént  fi  ordinaires 
en  coûte  cefte  infidélité,  ont  celle  es  lieux  où  le 
fignede  la  Croix  a  efté  plante,  où  il  y  a  des  Egli- 
ses, Ôc  où  l'on  a  confelîé  le  nom  de  Chrift.  Que 
i'il  y  aencor  auiourd'huy  quelque  fien  miniftre 
maudit,  qui  participe  encor  de  quelque  chofe  de 
cela,  ce  n'eft  que  dedans  les  cauernes,  fommets 
&  aux  lieux  cachez  &  du  tout 
du  nom  &  communion  des  Chre- 
ftiens.  Le  Seigneur  fouuerain  foit  bénit,  pour 
Ces  grandes  miièricordcs,  &  pour  la  gloire  de  fon 
fainct  nom:  &  à  la  vérité,  fi  Ton  gouuernoic& 
regiffoit  ce  peuple  ,  tant  temporellement  que 
fpirituellement,de  la  façon  que  porte  la  loyde 
lefus Chrift,  auec  vniougfi  doux,&  vne char- 
ge Ci  légère,  &  qu'on  ne  leur  donnaft  point  plus 
deppix  &  de  charge  que  ce  qu'ils  peuuent  por- 
ter, ainfi  qu'il  eft  porté  &c  commandé  par  les  pa- 
tentes du  bon  Empereur  de  bonne  mémoire,  & 
qu'auec  cela  ils  prinfTent  la  moitié  du  foucy  qu'ils 
employent  à  faire  profit  de  leurs  pauures  fueurs 
&trauaux,pour  leur  aider  à  leur  falut  ,  ce  feroit 
laChrcftienté  lapluspaifible&  heureufede  tout 
ie  monde.  Mais  nos  péchez  bienfouuent  font 
occafion  que  Dieu  ne  départ  pas  Ces  grâces  fi  a- 
bondamment  qu'il  feroit.  Toutesfoisiedy  vne 
chofe  qui  eft  v  raye ,  &  le  tiens  pour  certain,  que 
iaçoit  que  la  première  entrée  de  l'Euangile  en 
beaucoup  d'endroits  n'a  pas  efté  accompagnée 
defincerité,  Se  de  moyens  Chreftiens  defqucls 
on  fe  deuroit  feruir,  fi  eft-ce  que  la  bonté  de  Dieu 
a  tiré  du  bien  de  ce  mal,  &  a  fait  que  lafubiedion 

y 


'  /HISTOIRE  NATVRELLI 
des  Indiens,  leuraye  efté  vn  parfait  remède,  Se 
iàluation.  Que  l'on  confiderevn  peu  ce  que  de 
noftre  temps  Ton  a  de  nouueau  conuerty  en  la 
Chreftienté,  tant  en  Orient  qu'au  Ponant,  ôc 
combien  il  yaeu  entr'eux  peu  defeureté,&dc 
perfeuerance  en  lafoy  &  religion  Chreftienne, 
es  lieux  où  les  nouueauxconuertisont  eu  entiè- 
re liberté  de  diipofer  de  foy,  félon  leur  libéral 
arbitre.  La  Chrétienté  fans  doute  va  croiiTant 
&  augmentant ,  6V  rapporte  chaque  iour  plus  de 
fruict  entre  les  Indiens  aflubiectis ,  &  au  contrai- 
re va fe  diminuant,  &  menaçant  ruine  es  autres 
qui  ont  eu  des  commencemens  pins  heureux:  & 
encor  que  les  commencemens  ayent  efte  labo- 
rieux es  Indes  Occidentales,  toutesfoisle  Sei- 
gneur n'a  lailfé  d'enuoyer  incontinent  de  bons 
ouuriers  &  fidèles  miniftres  fiés,  hommes  faùicts 
&apoftoîiqucs,  comme  furent  frère  Martin  de 
Valence,  del'ordre  de  fainct  François  ;  frère  Do- 
minique de  Getanços,de  l'ordre  de  fainct  Domi- 
nique, frère  Iean  de  Roa,  del'ordre  de  fainct  Au- 
guftin ,  auec  d'autres  feruiteurs  du  Seigneur  y  qui 
ont  vefeu  fainctement ,  &  y  ont  ouuré  des  chofes 
plus  qu'humaines.  Des  Prélats  mefmes  fages ,  &c 
desPreftres  fort  faincts,  &  dignes  de  mémoire, 
defquels  nous  oyons  des  miracles  remarquables, 
&  propres  actes  d'Apoftres,voire  en  noftre  temps 
enauonscogneu  &  communiqué  de  celle  quali- 
té. Maispource  que  mon  intention  n'a  efté  plus 
outre  que  de  traitter  ce  qui  touche  l'hiftoire  pro- 
pre des  mefmes  Indiens,  &  de  venir  iufques  au 
temps  que  le  Père  de  noftre  Seigneur  IefusChrift 


DES     INDES.     L IV.    VII.  3J2, 

voulut  leur  communiquer  la  lumière  de  fa  paro- 
le, ie  ne pallcray  plus  outre,laiiranr pour  vn  autre 
temps  ,ou  pourvu  meilleur  entendement,  le  dif- 
cours  de  l'Euangiieaux  Indes  Occidentales,  fup- 
pliant  le  iouuerain  Seigneur  de  tous,  &  priant 
/es  feruitcurs  qu'ils  iupplient  humblement  fa  di- 
uinemajeux  qu'il  piaiieàfabontévifitetfouuent 
&  augmenter  par  les  dons  du  ciel,  la  nouuclle 
Chreftienté,que  les  derniers  fieclesontplantee 
aux  bornes  de  la  terre.  Soit  au  Roy  des  lîecles 
gloire,  honncur,&  empire  pour  toufiours&àia- 
mais.    Amen. 


F  I  N. 


y  >1 


OBI 


&?:?2 


- 


TABLE     DES      CHOSES 

PLVS      R  E  M  A  R  Q^V  A  B  L  £  S     CON- 

tenuè's  en  cette  Hiftoire  naturelle 
8>c  moralle  des  Indes. 


Bondance   d'eaux 
Tous   la    Zone 
Torride.       fol^.b 
Abfurditezdcl'Iile  At- 
lantique de  Platon. 

44'a  r 

Abus  des  Eipagnolsau 
Peru,  prenansl'Efté 
pourl'Hyuer.     53. a 

Acamapach      premier 
Roy  de  Mexique. 
29o.a 

Accord  fait  entre  le 
Roy  de  Mexique  & 
fon  peuple  deuant 
qu'entreprendre  vne 
guerre,  515?-» 

Acllaguagi  efpece  de 
monaftere  de  fem- 
mes. 2Z2.  a 

Actes  généreux  de  Fer- 
nande Cortés.  3i7«a 

Action  de  grâce  fol em. 


nelles  après  vne  vi- 
ctoire. 312. b 

Adoration  des  morts 
commencée  &  au- 
gmentée. *  501 

Adultères  punis  de 
mort.  281. a 

Agilité  des  guenons,,  Se 
de  leurs  traits  pres- 
que incroiables. 
190.  b 

l'Aigle  fur  vn  Tunal, 
armoiries  de  Mexi- 
que ,  &  pourquoy. 
307. b.  308. a 

l'Ail  fort eftimé des  In- 
diens. 157  .b 

l'Air  combien  neceflâi- 
reà  la  vie  de  l'hom- 
me. 68.aub 

l'Air  efmeu  de  mouuie-' 
ment  celefte  ,  fufrhc 
fous  la  ligneEquin  o- 
cti aile  pour  condiui- 


T  A  B 
re  vn  nauire.83.  a.84.b 
Alco  petits  chiens  doc 
les  Indiens  ont  vn 
foinincroiable.i82.a 
Ambafladeurs    arrofèz 
de  sag  humain. 340. a 
Amaro  Ingua  exécuté 
par   les     Efpagnols 
dans  Cufco.     289. a 
Ambre  efpece  de  gom- 
me medicinalle  ,  & 
odoriférante.  173.  b. 
i74.a 
Amandes  croiiïàns  das 
les  Cocos.       i6y.b. 
170.» 
Amandes    de   Chaca- 
poyas  tenues  pour  le 
plus  rare  fruict  qui 
foitau  monde.iyo.a 
les  Anciens  n'ont  peu 
faire  vn  voyage  de 
propos  delibere,fau- 
te  d'efguille.      3j.b 
les  Anciens  ne  naui- 
geoient  qu'auec  ra- 
mes. 36.a 
Anciens  do&eurs  plus 
ftudieux  des  fain&es 
lettres  que  des  demô 
ftrations  de  Philofo- 
phie.  i.b 
Animaux  venimeux  cô- 


L  E. 

uertispar  art  du  dia- 
ble, en  bonnenour- 
riture.  3o6.a 

Animaux  parfaits  ne 
peuuent  eftre  engen- 
drez commelesim- 
parfaits  félon  Tordre 
dénature.  39.  a 

plufieurs  elpeces  d'A- 
nimaux fe  troiruenc 
cz Indes ,  dont  il  n'y 
en  a  point  en  l'Euro  - 
pe.  iSj.b 

Annona  fruict  appelle 
par  les  Efpagnols 
blanc  manger  à  cau- 
fe  de  quelquerelïem- 
blance  168.  a.b 

l'An  des  Indiens  diuife 
endixhuict  mois. 
261.  a 
l'An  des  Perufiensplus 
parfait  &plus  appro- 
chant du  noftre  que 
celuy  des  Mexi- 
quains.  262. a 

Apopanaca  c'eftoit  le 
fuperintendant  des 
monafteres  des  fem- 
mes. 222. a 
Apachitas  fommets  de 
montagnes  adorez. 

a 


106.  a 


y  ») 


T  A  B 

Arbre  d'énorme  çran- 
dcur.       ijô.b.ijj.a. 

l'Arc  du  ciel  auec  deux 
couleuures  eftoient 
les  armes  de  l'Ingiu 
RoyduPcru.  203. b 

Arcades  aux  baftimens 
inconnues  aux  In- 
diens.  Z76.  a  b 

l'Argccpourquoyapres 
l'or  eftpriïcfur  cous 
les  autres  métaux. 
130. a 

l'Argent  plus  prife  en 
certains  endroitsque 
non  pas  l'or,      ijo.a 

l'Argent  plus  commun 
ordinairement  que 
l'or.  ibid. 

commet  on  affinelAr- 
gentparlefeu.i3o.b. 
ôc  comment  auec  le 
vifargent.  ibid. 
&14.7.JL  &b, 

diuerfes  fortes  d'Argét. 
i3?.b. 140.1 

efTayde  l'Argent  com- 
ment fe  fait.      i49.a 

Arittote  nonrefutépar 
Laitance  touchât  le 
lieu  delà  terre.  i4.b 

Armes  desMexiquains. 
iQi.b 


L  E. 

Armée  en  l'air  prefages 
d'vne  grande  ruine. 
334.  a.  b. 

Ait  militairefort  hono- 
re des  Mexiquains. 
291. b 

Art  de  recognoiftre  les 
cftoilles inuenté  par 
les  Phéniciens.  3  2.b 

chafque  Indien  fçauoit 
tous  les  Arts  necef- 
laires  à  la  vie  humai - 
ne,fans  qu'il  luy  fuft 
befoin  de  fe  ieruir 
d'autruy.        28o.a.b 

les  Afl:res  (elo  quelques 
Docteurs  de  l'Eglife 
femeuuetdeux-mef- 
mes.  i.b 

Auantage  que  lesChrc- 
ftiens eurent  aux  In- 
des pour  y  planter  la 
foy.  ^34-b 

S.  Auguftin doute  file 
ciel  circuit  la  terre 
de  toutes  parts.       2 

S.  Auguftin  beaucoup 
plus  fubtil  que  La- 
etanec.  i4-b 

Auftericez  exercées  par 
les  Mexiquains  pour 
conferuerlcurpndi- 
citc.  116.  a.  b 


- 


T  A  B 

cupide  Auarice  d'va 
certain  Preftre  pen- 
fant  tirer  de  l'or  d'vn 
Volcan.  117.  a 

Axi  efpiceric  d'Inde. 
159.5.160. a 

l' Aymant  trace  comme 
vn  chemin  en  l'eau. 
33.  b.  34.  a 

l' Aymar,  communique 
vne  vertu  au  fer  de 
regarder  toufiours 
vers  le  Nort.  33.a.b 

l'v  fage  de  la  pierre  d'Ay 
mant  à  nauigcrn'eft 
ancien.  35.a 

B 

BAlfoIemnclenMe- 
xique,où  le  Roy 
mefmc  daçoit.  196.3. 
Balance  terrible  où  le 
diable  faifoit  confef- 
fer  les  Iapponnois. 

333-a 

Balaine  comment prife 
par  les  Indiens  ,  & 
auec  quelle  induftrie 
99.  b.  100.  a.  comme 
ils  la  mandent,  ibid. 

Barques  des  Indiés,  ap- 
pellees  Canoës.  41. a 


L  E. 

Bataille  fans  efpandre 
fang,faite  feulement 
pour  cérémonie  à  la 
reddition  deTefcu- 
co.       .  32-3-b 

Baufme  de  PaJeftine  de 
celuy  des  Indes  fore 
difTerés.  i72.b.ilfert 
de  chrefmeés  Indes 
aux  Sacremés  de  Ba- 
ptefmcConfirmatio 
ôcautrcs.ibid.leblac 
meilleur  que  le  rou- 
ge. 173.  b 

Belle  occafion  aux  Ef- 
pagnols  d'aflùiectir 
les  Indiens  par  dou- 
ceur fi  leurs  péchez 
l'cuflènt  permis. i5fa 

Befaar  pierre  qui  fetrou 
ue  en  l'eftomac  de 
quelques  animaux  , 
treflbuueraine  con- 
tre le  poifon.  195.  b. 
d'où  elle  naift.2o6.b. 
comme  elles  l'appli- 
quent &  quelles  font 
les  plus  excellentes. 
157.  a.  furquoy  el- 
les fe  forment,  ibid. 

Beftial  foigneufement 
conferué  parles  In- 
guas.  179.  b 

y    "'j 


y:^i*rwwteJi 


^i'à'/iKi^fJ.  WV4K 


T  A  B 

Belles  fauuages  adorées 
par  les  Indiens  ,  & 
pourquoy.        206. b 

Betum  die  Coppey  en 
Indien.  103. a 

Bilïexte  incognu  auxln- 
diens.  263.3 

Bochas  &  Suches  poif- 
ions  fi^nallez  du  lac 
deTiticaca.  ioi.a,b 

Bonchos  religieux  du 
diable  éslndes.  i-^z.a 

Bourrelée  marque  du 
roylngua  côme  fout 
icy  îefceptre&lacou 
ronne.    ziy.b.iy^.b 

Bois  rares  5c  odoriferâs 
qui  naiilent  es  Indes. 
176. b 

Brancars  d'or  maiïïf. 
n7.b 

hs  Brifes  &  vents  d'a- 
bas  font  deux  noms 
généraux  qui  com- 
prennent les  vents 
d'vn  cofté  Se  d'au- 
tre. 80. b 

Bruine  fort  profitable 
aux  Lanos  du  Peru. 
iu.a 

C 

(■^Acao  fruicl  fort  e- 
->     ftimé  es  Indes> 


L  E. 

ôc  qui  fert  de  mon- 
noye.  163  .a.b 

Cacaui,  pain  faitd'vnc 
racine.  ij5.a 

Calabaliès  ou  citrouil- 
les d'Inde,  &  de  leur 
grandeur.         159-b 

Calcul  des  Indiens  fort 
ingénieux  Se  fort 
prompt.  27i.a 

Camey  fecodmois  des 
Indiens.  24,9.3 

Canards  en  grade  abo- 
dace  au  lacdeTki  ca- 
ca, &  comme  on  les 
chaire.  ioi.a.b 

Canes  de  fucre  deçrïd 
reuenu.  180. a 

Canopus  eftoilîcquife 
voidau  cieldunou- 
ueau  monde.       $>.b 

Cap  de  Comorni  au*, 
tresfois  appelle  le 
Promontoire  de  Co- 
ri.  22..  b 

les  Carthaginois  def- 
fendirent  de  naui- 
çer  aux  terres  inco- 
gneuc'Sj&pourquoy. 
22.a 

Caufès  des  inondatios 
du  Nil,  52. a.b 

Caufe  aflTeuree  de  l'H  y- 


T  A 
uer&deI'Efté.53.b. 

Caufe  des  trcmbiemës 
de  terre.     n8.b.n^. 

Caymas  ou  lefards,  ref- 
femblans  auxCroco- 
diles  dont  Pline  par- 
le. 5>8.b 

Cendre  iettee  en  abon- 
dance parles  Volcas. 
nS.b 

Cérémonie  Mexiquai- 
ne  de  fe  tirer  du  fang 
en  diuers  endroits. 

^  3i3,&53o.b 

Cérémonie  des  Indiés 
en  la  fepulture  des 
morts,     no.b.  211. a 

Cérémonies  quifefai- 
fbient  aux  facrifices 
des  hommes.  23o.b. 
131. 

Chachalmua  premiers 
Se  fuprefmes  Pre- 
ftres  ,  &  des  habits 
donts  ils  vfoient  aux 
facrifices.23i.b.  23i.a 

Charge  des  moutons 
d'Inde  combien  gra- 
de, &  quelles  iour- 
nces  ils  font  ainfi 
chargez.  194.  b 

Chafquis  polies  des  In- 


L  E. 
diens  qui  portoient 
les   nouuelles    par 
tout.187.  b.  de  leur 
eftabliflement.     281 

Chafîedes  Iyonsvfitce 
entre  les  Indiens. 
183.  a 

Chemin  des  Efpagnols 
pour  aller  aux  Indes, 
&  leur  retour.    j6.h 

Cheuauxbeaux&  forts 
fe  trouuent  es  Indes. 
182. 

Cheueux  des  preftres 
horriblement  longs 
&  oincts  de  refine. 

.  H3-a 

Chica  boifïbn  fort  bo- 

ne  pour  le  mal  de 

reis.  z54-a 

Chichimequas  anciens 
habitas  de  laneufuc 
Efpagne  ,  &  de  leur 
vie  barbare.     25?  8. b 

Chicocapote  fruit  ref- 
femblât  au  cotignac. 
i68.a 

Chiens  dangereux  Se 
auffi  pernicieux  que 
les  loups.         iSi.a 

Chiens  dangereux  en 
Mile  de  Cuba  Efpa- 
gnolle&autres.42.a 


c^y.yâ'.s 


•    T  A 

Chillé  Royaume  de 
mefme  température 
que  celuyd'Ëfpagne. 
51.  a 

Chinchilies  petits  ani- 
maux dot  la  peau  eft 
exquife.  189. b 

Chocholate  boifsôdes 
Indiens  dont  ils  font 
grand  cftat.       i^.b 

le  Ciel  eft  rôd&  fc  tour- 
ne  fur  les  deux  pôles. 
3.  a.  prpuueplus  par 
expérience  que  par 
dcmonftration.  ibid. 

le  Ciel  entoure  la  terre 
félon  les  eferkures. 
5.b.6.a 

le  Ciel  de  tous  coftés  eft 
en  haut.  i+.a.b 

le  Ciel  n'dîoignc  pas 
pi9  la  terre  dVn  cofte 
que  d'autre.       10. b 

Cinabre  ouvermeillon 
appelle  parleslndie> 
Lyrapi.  i-H-b 

Coca  fruiâ:  qui  fcruoiL 
demônoyeaux  Mc- 
xiquains.  116.1 

Coca  certaine  fueilie 
dont  les  Perufiensfe 
feruoient  pour  mon- 
noyé.  ibid. 


BLE. 

Coca  petite  fueilie  doc 
leslndiensfontgrad 
traffic.  171.  a.  il  en- 
courage &  renforce. 
164.  a 

Cocas  Palmes  desIndes 
&  de  leurs  rares pro- 
prietez.  i<pt>.b 

Cochenille  graine  qui 
croift  en  l'arbre  de 
Tunal.  16  6.a. 

Cœur  arraché  aux  ho- 
mes iacrifiez,&  d'où 
vient  laceremonie. 
305^ 

Collèges  de  Mexique 
ordonnez  pour  ap- 
prendre des  haran- 
gues bien  dittes  aux 
îeunescnfans.   169.  a 

Colomnes  d'Hercules 
limites  de  l'Empire 
Romain  &  du  m  on- 
de ancien.  i6.a 

Combat  du  Caymant 
&d'vn  Tigre.    5>8.b 

Combat  d'vn  Indien 
contre  vn  Caymant. 

Combien  de  contente- 
ment  apporte  la  con- 
templation des  «eu- 
ures  de  Dieu,  au  pris 


T  A 
de  celles  du  monde. 

7,8  . 
Combien   chaque   fa- 

medy  Pen-regilkoit 
d'argent  à  Pottozi, 
du  temps  du  gouuer- 
neur  Polio.  135. a. 
Polio.  ibid. 

Comédies  fort  freque- 
tes  à  la  Chine. 
267.  a 
les  Comètes  en  l'air  fe 
meuucnt     de    l'O- 
rient en  Occident. 
81.  b 
Communio  imiteepar 
les  efclaues  de  Satan. 
256^.239  b 
Comparaifon  familière 
pour  prouucr  l'effecl: 
naturel   des   pluyes 
en  la  Zone  Torride. 
58. b 
Comparaifon  du  Roy- 
aume  de    Mexique 
auec  celuy  du  Peru. 

Concile  de  Lyma  ropt 
le  mariage  fait  entre 
lefrerc&lafœur,  & 
pourquoy.        283^ 

Concombre    dinde. 


BLE. 

66.a.b 
Confefïîon  des  Indiens. 
240.  a.  b.  Tlngua  ne 
fe  confeflbic  point. 

240.  a 

péchez  dontfe  Confef- 
foient  les  Indiens. 
24.0.  b.  bain  après  la 
Confelïiô  de  l'Inçua 

241.  a 

Confitcor  ,  comment  fe 
peuteferire  eneferi- 
ture  de  Mexique. 

le  Conte  des  Indiens 
dont   ils  fé  feruent 
pour  lettres  ne  peut 
aller  plus  outre  que 
quatre  cens  ans. 
48.a.b 
le  Cotton  croift  es  ar- 
bres.   i<j6.b.    ilfert 
pour  faire  de  la  toille 
ibid. 
Corps  mort  extrême- 
ment bien  conferué. 
287-a 
Couronne  de  Mexique 
femblable  à  celle  de 
la  Seigneurie  deVe- 
nife*  510.  a 

Couronement  desRois 


imlfiHffiHliili  HHHi 


T  A  B 
de  Mexique  fait  en 
grande  folemnité,&: 
auec  effufion  d'vnc 
infinité  de  fan  2  hu- 
main.  314.^0 

Courriers  desIndes  fort 
viftes,  bie  que  ce  fuf- 
fent  piétons.  271.  a. 
&281. 

Coya,principalle  fem- 
me del'Inguajde  la- 
quelle le  nls  fucce- 
doit  au  Royaume, 
mais  après  l'oncle 
feulement.  273.  b. 
274.»  ^ 

auant  la  Création  il  n'y 
auoit  ny  temps  ny 
lieu  ,chofe  difficile  à 
l'imagination.    14-b 

il  n'y  a  point  eu  dcCrea 
tion  depuis  la  pre- 
mière. 39.  a 

Crimes  punis  de  mort 
parleslndiens.28i.b 
282. a 

Croifee  eftoille  nota- 
ble dunouueau  ciel. 
9.b 

Cruauté  des  Indiens  en 
leurs  facnfices.   ii5.a 

Cruautez  exécrables  en 
la  tune  à  es  hommes. 


LE. 

131.231.233. 

Cruelleceremonie:  d'ar- 
rofer  les  ammafïa- 
deursdefang  ,  pen- 
fant  pour  cela  îauoir 
meilleure  refpconfe. 
151. 

Cu,giandtcple  de  Me- 
xique,&defesfiingu- 
laritez.  218. 

Cugno  certain  paiinde 
quelques  Indiëisfait 
de  racines.       mo.b 

Cufchargui    eft      vne 
chair    fechee   «dont 
vfentleslndienss. 
194.  a 

Cufco  ancienne  hiabi- 
tation  des  Rois  ede  ce 
payslà,  nio.  b 

D 

DAnfes  &  récréa- 
tions publuquer. 
neceiïaircs  ento>utes 
republiques.    2co3.b 

Dantes  animaux  fàiuua- 
ges,  prefque  femibla- 
blesàdes  muletas, 8c 
de  leurs  cuirs.i8<9.a.b 

Déluge  allégué  pair  les 
Indiens  ,  dont  il  fe 
void  quelque  aippa- 
aence.  447  .b 


M 


TA  B 

Dent  de  Géant  dvne 
énorme  grandeur. 
301. b 

Département  des  ter- 
res    d'Azcapuzalco 
après  Ta  victoire  ob- 
tenue par  ifcoalt. 
3io.b.3zi.a 

Defcouuerte  des  Indes 
Occidentales  pro- 
phetifee  parSeneque 
2.1. b 

Defcouuertes  de  nou- 
uelles  terres  ,  faictes 
plus  par  tempefte 
qu'autrement.  j6.b. 

37.  a 

Dcilcin  de  faucheur. 
70. b 

Deltroit  de  Magellan 
defcouuert  par  vn 
gentilhomme  Por- 
tugais, qui  portoit  le 
mefmenom.       91.  a 

DeftroitduPoleArdi- 
que,qu'on  s'imagine 
en  la  Floride,  no  en- 
core recognu.    94.  a 

Deltroit  deGibaltar  ap- 
pelle anciennement 
Colomnes  d'Hercu- 
les. 00. a 

habitas  d'autour  le  De- 


L  E. 

droit  de  Magellan, 
quels  &c  comment 
veftus.       94.b.  95#a 

le  Diable  ialoux  contre 
Dieu,  hait  les  homes 
à  rnort.2oo.b.Idola- 
trie  diuifee  en  plu- 
fieurs  chefs.  20i.a.b 

le  Diableparloit  ésGua 
cas  deslndiens.2i2,b 
117.  b 

Différence  de  lettres 
peintures  &  chara- 
deres.    263^.164. a 

Difficulté  de  fçauoir 
d'où  font  venus  les 
Indies ,  à  caufe  qu'ils 
n'ôt  point vfédelet- 
tres.  4<5.b.47.a 

Difcoursde  la  defcou- 
uerte du  Magellapar 
Sarmiento.       92.95 

Diuifion  du  Peru  ésLa- 
nos ,  Sierras ,  &  An- 
des. 109.  b 

Durillon  du  peuple  275. 
276. 

Diuiilon  de  la  ville  de 
Mexique  en  4.  quar- 
tiers, fai&parlecô- 
mandement  de  leur 
dieu.  }o8.b 

Commet  fc  diuifoient 


l^AffjSn>  i'ii'j.<:!,L,.A'-'1j 


T  A 
les  terres  coqueftces 
par  les  Inguas. 
Z7  8.a.b 

Diuinations  exercées 
par  les  Indiens  ,  & 
commet. 24.3.  b.244 

Diuorces  pratiquez 
entre  IesMtxiquains 
&  comment.  243.  b 

Diuorces  pratiquez 
entre  IcsMcxiquains 
&  comment.    247. a 

les  S.  Docteurs  non  à 
reprendre  pour  eftre 
«Jifïercns  enopinios 
Philofophiques.  2.b 

Dorado  grade  terre  in, 
cognuc.  114. b 

le  DrachAnçlois  deno- 
ftretéps  apaflelede- 
ftroit  de  Magellan, 
&  d'autres  depuis 
luy.  5)1. b. 92. a 

E  . 

EAuëde  merrefiaif- 
chit,bien  qu'elle 
Toit  iallee.  64.a 
Eaues  deGuayaguiltres 
fouucraines  pour  le 
mal  Napolitain. 
i04>a 
EclipfcdclaLunepreu- 
ue  certaine  delà  ron- 


B  L  E. 

deurduciel.         4. a 

Effects  naturels  procé- 
dez de  caufes  toutes 
contraires. 56. b.  57.a 

les  Elcmens  participent 
mefmes  du  mouue- 
métdu  premier  mo- 
bile. '  81. a 

Enrans  lacrifiez  au  So- 
leil.     231.236.  b.  293. 

Enfans  de  l'Ingua  dé- 
diez pour  eftre  che- 
ualiers.  248^ 

Entrée  des  Efpagnols 
en  la  neufue  Efpagnc 
tut  l'an  15 18.     32p. b 

Entrée  de  Cortez  en 
Mexique.         342-0 

Erreur  des  Antropo- 
morphites.  92 

Erreurs  de  l'imagina- 
tion. 13 

partage.  d'Efaye  expli- 
qué pour  l'amplifi- 
cation del'Euan?,ile. 
124. b 

Efchellesde  cuir  de  va- 
che pour  moter  hors 
des  mines.         138. b 

hiftoire  d'Efdras  apo- 
cryphe. 46. b 

les  Electeurs  du  Roy 
de  Mexique  efloienc 


T  A  B 
ordinairemct  fes  pa- 
rens.  291. b 

Eflection  des  Roys  de 
Mexique,  &  des  fe- 
ftcs  qui  fefaifoientà 
leur  eftablilîement. 
290^.291. a 

Ellection   du  premier 
Roy  de  Mexique. 
310. a 

1  Efctiture  des  Chinois 
eftoit  du  haut  en  bas, 
ôc  celle  des  Mexi- 
quains  du  bas  en 
hauc.  271.  b 

es  Efcritures  fain#es 
faut  fuiure  l'efpiit 
qui  viuiîie,  nô  la  let- 
tre que  eue.  $>.b 

l'Efmcraude  ancienne- 
met  plus  prilé  qu'au- 
iourd'huy.     149. a. b 

rare  ioyau  d'vn  plat  d'zC 
meraude  qu'ils  ont  à 
Gennes.  150. b 

les  Mexiquains  fç  per- 
çoient   les  narines  , 

•  pour  y  pendre  des 
Efmeraudes.      150.  a 

l'Efpagnol  chafque  an 
l'vn  portant  l'autre 
tirevn  million  d'ar- 
gët  dePottozi.i3<$.a 


LE. 

Efpagnols  naiz  aux  In- 
des appeliez  Crol- 
los.  i68.a 

Efpagnols  tenus  pour 
dieux.      44.b.34-o.a 

Efpagnols  appeliez  des 
Indiés  Vnacocasen- 
fâsdedieu,&  àquel- 
leoccafion.      288. b 

l'Efguille  feulguidedu 
nauire.  32.a 

trois  fortes  d'Eftoffes 
faite  delaine.279.b 
280. a 

Eftoilles  adorées  desin- 
diens pour  diuerfes 
raifons.  205.b.2O4.a 

Eftrançe  différence  de 
deux  regios  proches, 
dont  l'vn  fait  le  Di- 
manche quad  l'autre 
faitleSamedy.ii5.a. 
ibid.b 

l'Euangile  enfeigné  aux 
Indies  lors  qu'ils  ont 
efté  plus  puiiïknSjCO- 
me  il  fut  aux  Ro- 
mains, leur  Empire 
eftant  à  fon  plus  haut 
période.  348^ 

Euangile  accreu  à  dex- 
tre&àfeneftre,que 
fignifie.  349,a 


■■■■■■■■■■■I 


T  A  B 
Exercices  aufquels  on 
apprenoit  la  ieunef- 
fe.  25J4.  a 

Explication  d'vn  parta- 
ge deS.  Paulallegué 
contre  la  rotondité 
du  ciel.  8.b 

Explication  du  Pfalme 
105 .  fur  le  mefme  iu- 
je<5t.  9.  a 

F 

FAmiliereraisopour 
prouueràvn  In- 
dic  que  le  Soleil  neft 
point  Dieu.  207. a.b 

Fertilité  infertiles  des 
Iiles  de  la  neufue  Ef- 
pagne.  113.  a 

Fersdecheual  d'argent 
àfautedefer.    117. b 

Fefte  de  marchandsac- 
compagnee  de  diuer- 
fes  fortes  de  icux. 

tfjtf.157.1j*. 

Fefte  de  l'idole  Tlafcal 
la.  215 

Fefte  pour  demander 
de  l'eau.  251.  b 

Feftes  ordinaires  ^ex- 
traordinaires des  In- 
diens. 26z.a.Feftes  de 
chafquemois.  250.3 

Feuille  du  plane  mer- 


L  E. 

ueilleufement  gran- 
de. 162. a 

Feuille  de  planepropre " 
àeferire.  16$. a 

Feu  tiré  de  deuxfrnftôs 
frottez  l'vn  contre 
l'autre  par  les  Indies. 

7if 

Feu  d'enfer  fort  différée 

dunoftre.         118.  b 

Feudu  ciel  qui  con sôma 
quelques  Geas  pour 
leurs  péchez.     37.  b 

Fontaine  m  erueilleufe, 
iettant  l'eau  chaude 
qui  fe  conuertit  en 
rocher.  103.  a 

Figuer  admirable  dont 
la  moitié  porte  fruit 
en  vne  faifon,&  l'au- 
tre partie  en  L'autre. 
i79.b 

Fille  du  Roy  de  Chul- 
huacâ»  maflacree  par 
les  Indiens ,  qui  fut. 
occafion  de  guerre. 
306.  b 

Fleuuedela  Magdelai- 
ne  ,  appelle  grande 
riuiere  ,  entre  fort 
auant  dans  la  mer 
fans  mefler  fon  eau. 

embou- 


TAB 
emboucheuredu  Fleu- 
ue  desAmazonesJar- 
gedefoixante  &  dix 
lieues.  105.  a 

grads  Fleutiesje  moin- 
dre ilupafsât  les  plus 
grands  de  l'Europe, 
îbid.  &b. 

les  Fleurs  de  l'Europe 
viennent  mieux  aux 
Indes  qu'icymefme. 
170. b 

les  Floridiens  ont  efté 
fans  cognoillàncedc 
l'or.  124. a 

leFlux&  reflux  n'eil  pas 
mouuement  local  , 
mais  vne  altération 
<k  ferueur  des  eaux. 
97.» 

diuerfîtéde  Flux  &  re- 
flux des  mers.     96.  a 

Fontaine  de  betû.  103. a 

Fontaine  de  Tel  en  Cuf- 
co.  103. b 

Foreft  horriblement  ef- 
paiiïes  éslndes.  175-b 

Foreft  d'orangers  es  In- 
des. i77.b.  178.  a.  les 
cerifes  ont  peu  pro- 
fité aux  Indes  ,  & 
pourquoy.        178. a 

Forme  de  ce  qui  eft  def- 


LE. 

couuert  en  la  terre 
duPeru.  121.  b 

Fracois  Hernandes  au- 
éteùr  d'vn  raieliure, 
où  toutes  les  plantes 
racines  ,  &  liqueurs 
medicinallcsdes  In- 
des sot  pourtraicles. 

Froidure    de  la  Zone 
Torride qui  rend  ai- 
^  2nc  de  moquerie  l'o- 
pinion d'Aiiftote. 
6o.b 

Fruicts  d'Europe  qui 
ont  tresbien  multi- 
plié es  Indes.    i77-b 


GEans  arriuez  an- 
ciennement au 
Peru.  37-b 

Gommes  &  huilles  mc- 
dicinalles&  odorifé- 
rantes auec  leurs  nos 
173^.174.. 
GonzallésPiZarre  vain, 
eu  &  derTaid,  où  fon 
auarice  luy  auoit  fait 
commettre  tant  de 
cruautez  fur  les  In- 
diens. 285. b 
z 


■'"irvfvrtr^  ^^M 


■■ 


T  A  B 

Gouuerneurs  des  pro- 
uinees  commet  efta- 
blisparleslnguas. 

^274.b 

Guacas  ou  fànâuaires 
fort  bien  entretenus. 
278b 

Guaca  adoracoire  des 
Indiens.  205. a 

Guaneos  &   Occunas 
cheures  fàuuages. 
42. b  * 

Guayac  appelle  ligtium 
fanffum.  m.b 

Guayaquil,  chefhe  d'In 
de  fort  odoriférant. 
176.  b 

Guayauos  fruict  d'Inde 
aflezbon.         167.  a 

Guaynacapa  grâd  &  va- 
leureux Ingua,&  de 
fàvie.  287.  b. 288. a. 
il  fut  adoré  comme 
Dieu  eftant  encore 
en  vie.  ibid. 

Guayras  ,  fourneaux 
pour  affiner.  140.  b 

Guerres  des  Mcxiquaïs 
le  plus  fouucnt  n'e- 
ftoient  qu'affin  de 
prendre  des  captifs 
pour  ficrifier.  230.  b. 
23i.a.234.a. 


L  E. 


H 


HAbit  de  tefte  fort 
diuersendiuer- 
fesprouincesdes  In- 
des. 280.  b.  2S1.  a.  vn 
Indien  ne  pouuoit 
changer  l'habit  de  fa 
prouince  ,  encore 
qu'il  s'en  allaftviure 
en  vne  autre,     ibid. 

Harangue  des  Mexi- 
quains  au  roy  de  Cul 
huacan,  demandans 
fon  petit  fils  pour 
roy.  319b 

Harague  d'vn  vieillard 
faite  à  Acamapixtli, 
premier  roy  de  Me- 
xique. 3io.a.b 

Harangue  d'vn  Cheua- 
lier  Mexiquain,pour 
retenir  le  peuple  ir- 
rité du  cruel  mafia  - 
cre  de  leur  roy.  3 15.  b 
316.  a 

Harague  d'vn  vieillard 
Mexiquain  pour  l'ef- 
le&ion  d'vn  roy  nou- 
ueau.  31^.  b 

Harangue  du  Roy  de 
Tcfcuco  faite  à  Mo- 
teçuma  fur  fon  éle- 
ction.      330.b.35i.a 


T  A  B 

Hardiefle  merueilleufe 
des  hommes  au  paf- 
fage  de  Ponge  1 04..D 

Hatuncufqui  Aymorey 
fixiefme  mois  des  In- 
diens refpondant  à 
May.  H9-a 

Hiftoire  Indienne  non 
à  meiprifer,  &  pour- 
quoy.      ijy.b.iyS.a. 

Hiftoire  de  Mexique 
mife  pour  fingulari- 
cé  en  laBibliotheque 
du  Vatican.     325?.  b 

Hiftoire   de  Mexique 
commet  compofee. 
269. 

Hommes&  femmes  fa- 
crifiez  à  la  mort  des 
Inguas  pour  les  aller 
feruir  en  l'autre  vie. 
209.210. 

Hommes  faicts  dieux, 
puis  facrifiez.  2  i-f.a.b 

Hommes  facrifiez  raa- 
gez  par  les  Preftres. 
231.  b 

Humeur  des  Iuifs  con- 
traire à  celle  des  In- 
diens.       4£.  b.46.a 

Hypocrifie  de  Mote- 
çuma  dernier  roy  de 
Mexique.  3  30.  a 


L  E. 


IAloufie  des  Indiens 
les  vns  contre  les 
autres  pour  le  renom 
de  vaillantife.  284.  b 

Iardins  portez  fur  l'eau 
au  milieu  d'vnlac. 
102. b 

Iardins  faicts  fur  l'eau 
d'vn  merueilleux  ar- 
tifice, &  quifepeU' 
uent  mouuoir  emme- 
ner où  on  veut. 
311. b 

Idole  porté  par  quatre 
preftres,  pour  con- 
duice,lors  que  lesMe- 
xiquains  cerchoienc 
vne  meilleure  terre, 
comme  d'autres  en- 
fans  d'Ifrael.  303.  b. 

3°3-a 

Idoles  des  Roys  Inguas 
reuerees  comme  eux 
mefme$.  2i5 

leunenVfort  foigneufe- 
m  et  inftruite  en  Me- 
xique. 25>4.a.b 

Ieufnesdes  Indiens  do- 
uant la  fefte  d'Y  ta. 
il  G.  b 

zij 


T  A  B 

Icufnes  des  Indiens  fe 
faifoiécfans  toucher 
à  leurs  fcmmcs^o.b 
zji.a 

Ignorance  doctrine  des 
Philofophes  ancies. 

Imagination  vieille  fol- 
le. 13.  b.  14.  a 

Immortalité  de  lame 
creue"  par  leslndiens. 
209.  b 

Indes,que  fignifie,  &  ce 
qu'entendons  par  vn 
telmot.      lô.b.iy.z 

l'Inde  Occidcntalle  a 
eftépour  la  plufpart 
gouuernee  par  le  peu 
pie  ,  êc  n'y  a  eu  en 
tout  que  deux  Roy- 
aumes. 273. a.b 

Indes  comment  fe  font 
peu  peupler,  ^j.z. 
comment  a  efté  pof- 
fïbledç  paflTeres  In- 
des. 3o.b 

*cs  Indes  font  terres  lai- 
des richçmct  dotées 
de  Dieu ,  poureftre 
mariées  à  l'Euangile. 
125.  a 

Indiésfort  peudefircux 
de  l'argent.  124.126^ 


L  E. 

leslndiens  ont  vefeu  en 
trouppes  fans  Répu- 
blique, comme  font 
ceux  de  la  Floride, 
du  Brefil  &  autres. 
48.  b 

Indiens  braues  nageurs. 
100.  b 

leslndiens  en  toutes  fe- 
ftes  portent  des  bou- 
quets. i7i.a 

leslndiens  n'ont  point 
eu  de  mot  propre 
pour  direDieu.ioz.a 

les  Indiens  (ont  déplus 
çrand  entendement 
qu'on  ne  les  eftime. 
26o.a 

comment  les  Indiens 
peuuenr  defigner  les 
noms  propres  auec 
leurs  charaderes. 
266. a 

Inguas  Roys  du  Peru 
adorez  après  leur 
mort.  zoo.a 

leslnguas  eftoientmer- 
ueilleufementrefpe- 
dez  du  peuple  ,  & 
pourquoy.  281. b. 
28i.a 

le  règne  des  Inguas  a 
duré  plus  de  trois 


TA 
cens  ans.         2.84-a 

les  Inguas  efpoufoient 
leurs  fœurs.  273.  b 
ils  n'heritoiet  point 
des  meubles  de  leurs 
predecefleurs,  mais 
faifoient  vn  mefna- 
ge  nouueau.i74.a.&: 
z85-a.b 

Inondatio  duNi!,cho- 
fe  naturelle  ,  quoy 
qu'elle  femble  con- 
tre nature.         52.D 

Intégrité  des  femmes 
fort  honorée  desMe 
xiquains.  24-6.a 

Inuentios  fuperftitieu- 
fes  de  Yupangui  In- 
gua,pour  auoir  occa- 
iion  d'ôfterle  Roy- 
aume à  fon  père  &  à 
Ton  frère.         286. b 

Ioncs  appeliez  Totora 
par  les  Indiens.  82. a 

Ioiier  le  Soleil  autant 
qu'il  naifle,  Prouer- 
be,&:d'oùileftvenu. 
2i8.a.b 

Iours  &  nuicts  efgaux 
toute  l'année  fous 
l'Equinoxe.    45?.a.b 

Iours  d'Efté  fort  courts 
au  Peru.  62  .b 


B  LE. 

cinq  Iours  de  Tannée 
fuperflus  ,  aufquels 
les  Indiens  ne  fai- 
foient rien.        26'i.a 

Ifle  de  Sumatre  ,  célé- 
brée fous  le  nom  de 
Tabrobanè.       22.  a 

Ifle  Atlantique  de  Pla- 
ton ,  où  elle  fe  peut 
prendre.  '  24.a 

Mile  Atlantique  de  Pla- 
ton n'eft  qu'vne  pu- 
re fable  ,  qùôy  qu'il 
femblel'auoir  deferi- 
te  comme  véritable. 
44-a 

Ifle  de  fafeines  faite 
auec  vn  travail  excef- 
fif  pour  palier  vne  ar- 
mée fur  mer.  328. a.b 

Ifles  fortunées  pour- 
quoy  appellees  Ca- 
naries. 22.b 

Iuftice  par  qui  exercée 
en  Mexique;  29i.b 
292. a 

luftice  fort  exatle  de 
Motecuma    dernier 

* 

Roy  de  Mexique. 

333- b 

L 

LAc   trefehaud   a» 
milieu  d'vnctet- 
z   iij 


■ 


■■■I 


■■■ 


T  A  B 

rc  froide.  102. a 

Lac  de  Mexique  ayant 
de  deux  fortes  d'eau, 
ibid. 

rcuenu  du  lac  de  Mexi- 
que, ibid.b 

grads  Lacs  au  haut  des 
montagnes,  &d'où 
ilsnaiffent.  ioi.b. 
101. a 

Laitance  fe  rit  de  l'opi- 
nion des  Peripatcti- 
eiens -touchât  le  cieh 
ï. a 

LacHce  réfuté  touchât 
les  Antipodes.  i4.a.b 

Langue  Mandarine  eft 
referiture  des  Indies 
qui  n'eft  que  par  cha- 
racteres.  265. b 

les  Legiflateurs  les  plus 
fameux  ont  erré.260. a 

Libéralités  d' Autzol,8. 
roy  de  Mexique.     34 

Liures  des  Indies  com- 
ment peutient  eftre 
faits  fans  lettres.  265. 
b.  i66.a 

Lyonsdu  Perufortdif- 
femblables  à  ceux 
d'Affrique         42.a 

Lyons  gris  8c  fans  crins 
183.3 


L  E. 

M 

MAgievainecontre 
lesChreftiens. 
340.3.  b.  341. 

Maifon  admirable  ,  rc- 
plie  de  toutes  fortes 
d'animaux  ,  comme 
vne  féconde  arche  de 
Noc.  291.  a 

Malaca  autresfois  ap- 
pelle le  doré  Cher- 
fonefe.  22.a.  b 

Mamacoroas  eftoient 
lesanciénes  &  com- 
me mères  des  filles 
renfermées.  211. b 
222  a 

Mameyes  fruit  refïem- 
blant  auxpcfches. 
167. a.  à  quoyil  fert. 
ibid. 

Manari  moftrueux  poif 
fon  qui  paift  aux 
champs.  98.  a.  ilref- 
séblefort  eftre  chair 
lors  qu'on  en  man- 
ge. 5>8.a 

Mandarins  officiers  In- 
diens, auec  combien 
de  difficulté  fe  peu- 
uent  rendre  capables 
de  tels  eftats.     265.3 

Mango  Capa  premier 


TABLE. 


In 


gin 


&  ce 


qu 


ils 


feignent  deluy.  ^8.a 
*S5-a 

Martguey  arbre  de  mer- 
ueilles.iéj.a.  comblé 
de  chofes  il  fournit. 
127. a 

Mariage  illicite  des  In- 
guas  auec  leur  fœur. 
281.  b 

Mariages  des  Indiens, 
&  comment  ils  fe  cé- 
lébraient.       246.  b 

Mariages  entre  les  In- 
diens défendus  feu- 
lement au  premier 
degré.  282.  b 

Marque  certaine  pour 
diicerner  ce  quia  e- 
ûé  porté  aux  Indes 
depuis  qu'elles  font 
defcouuertes ,  &  dôt 
il  n'y  en  auoitpoint 
auparauant.       183. a 

Marques  de  quelques 
nauigations  des  an- 
ciens. 36^.37 

le  Matin  plus  aggrcable 
en  Europe,  &leplus 
ennuyeux  auPeru. 
6j.  b. 

Matines  de  minuit  pra- 
tiquées par  les  mini- 


ftresdu  diable.  22i.a 
b. 

Mays  bled  d'Inde.  152. b. 
comme  ils  le  man- 
gent. 153.  a.  comme 
ils  f'en  feruent  à  faire 
leurboillbn.  ijj.b. 
154.* 

le  Mays  &lebeftail  fer- 
uent de  mille  chofes 
aux  Indes.         ibid. 

Mechoacanes  ennemis 
des  Mexiquains  ,  & 
pourquoy.  303  ,b. 
504.3. 

Médecins  fort  experts 
autresfois  es  Indes. 
i74.b 

la  Mer  aux  anciens  te, 
nuë  pour  non  naui- 
geable  outre  le  de- 
ftroitdeGibaltar. 
16.  a 

le  Mal  qu'on  endure  fur 
mer,d'où  caufé.86.  a.b 

Mer  Oceane  Princelle 
des  eaux.  po.a 

Mers  chaudes,  &  d'au- 
tres froides.       66. b 

deux  grandes  Mers  pro- 
ches de  fept  lieues. 
90.  b.    prefomptu- 
eux  defleing  de  les 
t  iiij 


^VK^^>%fâWi*^V^>„i'M';!-'^ 


■ 


T  A  B 
faireioindre.     ibid. 

diuerfité  des  Mers,  n.b 

iamais  laMer  ne  s'efloi- 
gne  de  la  cerre  de  plus 
de  mille  lieiics.    ibid. 

Mefna^e    des  Indiens 
pour  la   draperie. 
i94.a 

Métal  pauure ,  &  métal 
riche  quels.  150.  b. 
131. a 

le  Métal  plus  il  cft  pro- 
che de  la  fuperfkie 
de  la  terre,  plus  il  cft 
riche  :8c  plus  profôd 
il  eft,  au  contraire. 
138. a 

les  Métaux  pourquoy 
créez.  123. b 

les  Métaux  ne  Ce  trou- 
«ent  qu'en  terres  dé- 
nies ,  &  pourquoy. 
125.  b 

l'eau  empefche  fort  la 
traicte  des  Métaux. 
i35.b.ï36.a 

Mcuriers  platezparles 
Efpagnols  enlaneu- 
ue  Efpagne  ont  mer- 
neilleufèmcnt  profi- 
té pour  les  vers  de 
(oye.  i79-b 

Mexichef  des  peuples 


L  E. 

qui  vindrent  peupler 
la  Mexique  ,  duquel 
ils  ont  tiré  leur  nom. 
303.  b 

Mexique  ville  fondée 
fur  vn  lac.         101. b 

Miel  d'Inde  fort  afpre, 
&r  comme  il  naift. 
135. b 

les   Minéraux  imitent 
les  plantes  en  leur 
façon  de  croiftre. 
121. a.b 

Mines  efgarees:d'autres 
fixes.  130.  b 

richeffe  de  quelques  Mi 
nés    anciennes    qui 
n'approch  ?  pourtant 
à  celle  de  Pocozi. 
i55.a 

trauail  trop  exceflif  de* 
Mines.  138. b 

Mines  de  vif  argent  en 
Efpagne.  H?*3, 

Moquerie plaifante  des 
Mexiquains  contre 
lesjTlatelulcos  après 
les  auoir  vaincus. 

327.b 

Moines  de  Mexique, de 
leur  vertement,  offi- 
ce ,  &  difeipline. 
n^.a.b 


T  A 
Moys  des  Indiens  de 

vingts  ioucs.    261. a. 
Moulins  i  moudre  les 

métaux.  14.8. a 

Monde  nouueau  félon 

les  anciens  inhabita- 

ble.i.a.imacnné  d'eux 

o 

comme  vne  maifon 
couuerte  du  ciel, 
ibidem. 

grande  partie  du  Mon- 
de encore  à  defcou- 
urir.  n.b 

Mônoye  mefure  de  tou 
teschofes.         iz^.a. 

la  Mort  eftoit  la  puni- 
tion des  filles  refer- 
rees  qui  failloient. 
223a 

Xlort  volotaire  de  plu- 
sieurs Indiens  pour 
aller  feruir leurs  rois 
en  l'autre  monde. 

Mort  de  Chimalpopo- 
caicune  RoydeMe- 
xiquetue'traiftreufe- 
ment  par  les  Tapa- 
necas.  315.  a.b 

Mort  de  Moteçuma 
dernier  Roy  de  Me- 
xique. 344-a.b 

Moutons  au  Peru  fer- 


B  L  E. 

uans  d'ames  à  por- 
ter des  charges  42.  b 

Mourons  d'Indes  pro- 
fitables fur  tous  au- 
tres animaux.    193. b 

troupes  de  Moutons 
chargez  de  diuerfes 
marchandifes ,  ainfi 
que  des  mulets.i94.a 

Moyenne  regio  de  l'air 
plus  froide,  &  pour- 
quoy.  6$.z 

N 

NArinc  percée  à  vn 
Mexiquain,pour 
y  pendre  vne  efme- 
raude.      327^.330. b 

laNature  inférieure  fert 
roufiours  d'entretien 
à  lafuperieure.  122. b 

Nauatalcas  peuples  qui 
policerent  la  neufue 
Efpagne.  29 9 >.b 

Nauire  appclleeVicioi- 
refit  tout  le  tour  de 
la  terre.  j.b 

Nauigario  auiourd'huy 
fort  facile.  33. b 

Nauigation  deSalomo 
quelle  peut  eftre. 
3<î.a 


v^s  ^H 


T  A  B 

Nauires  Efpagnols  te- 
nus des  Indienspour 
rochers  à  la  première 
veiie.  41. b 

N  eufue  Efpagne  q uelle 
m. 

le  Nkre  refroidit  l'eau. 
64.  a 

Noblefle  Mexiquaine 
mailacree  en  vn  bal 
par  les  Efpagnols. 

343 

Noix  desIndes  fort  mal 
plaifantes  ,  font  ap- 
pelles par  les  In- 
diens empoifonnees. 
i68.b 

Nortventfec  &  froid. 

75-a 

Noftre  Dame  fecourt 
les  Efpagnols  pour- 
fuiuis  des  Indiens. 

345 -a 

Nordeftcr  que  fignifie, 
&  Nortoefter.     tf.a. 

Nouueau  monde  pref- 
que  tout  fitué  fous 
la  Zone  Torride. 
49.  a 

au  Nouueau  monde  ne 
feft  point  defcou- 
ucrt  de  mer  Médi- 
terranée. 90. a 


L  E. 

Nuidts  d'Efté  fort  fraif- 
chcs  au  Peru  au  ref- 
pecl:  de  celles  de  l'Eu, 
rope.  6y.  b 

Nuicî:  de  fix  mois  en  la 
région  Polaque.  17. a 

la  Nuictcomment  cau- 
fee.  4. a 

O 

OBie&ion     contre 
Arilîotefansfo- 
lution.  6$.b 

Occafion  de  guerre  en- 
tre les  Tapanecas  & 
Mexiquains.     3H-b 

l' Océan  aux  Jndes  eft 
diuifc  en  la  mer  du 
Nort  &  la  mer  du 
Sud.  90. a. 

Oignement  don  t  vfoiet 
les  Indiens  pour  fe 
rendre  capables  de 
parler  au  diable. 
143.  b.  244.  a.  ce 
mefme  oignement 
armoit  de  cruauté 
les  Preftres,  &  leur 
faifoit  perdre  toute 
crainte.  ibid. 

On&io  de  Vitzilouitli 
fécond  Roy  de  Me- 


TABLE. 


xiquc.  313. a 

Onguent  fait  depetites 

beftes  dont  les  Pre- 

ftres  Indiens  eftoient 

oings.  M3-b 

Ophir    eft    en   l'Inde 

Orientale.  z6.z 

Opinion  d'aucuns  que 

le  Paradis   terreftre 

eft  fous  l'Equinoxe, 

non  (ans  raifon.66.a. 

68.  a 
l'Or  fe  trouue  en  trois 

façons, en  paille,  en 

pépins,  &  en  pierre. 

118.4 
l  Or   de  Carauana   le 

plus  célèbre  du  Peru. 

ibid.b 
l'Or  &  l'argent  eftimé 

par  tout  le  monde. 

114* 
l'Or&  l'arçrent  ne  fer- 

o 

uoit  aux  Indiens  que 

d'ornement.     126.  a 
les  Indicsn'vfent  point 

d'autre       monnoye 

que  d'Or  &  d'argent 

126. b 
l'Or    pourquoy    prift 

fur  tous  les  métaux. 

uy.a 
l'Or  &  l'argent  en  natu- 


turc,combien  de  de* 
grez  au  deflous  de 
l'homme.  22.b.u$.a 

comme  on  rafine  l'Or 
en  poudre.  128.D. 
129.  a 

d'Orient  au  Ponant  fur 
mer  on  a  toufîours 
le  vent  en  poupe,  du 
Ponant  à  l'Orient  au 
contraire  ,  &  pour- 
quoy. 82.b 

Ordres  diflferens  des 
Preftres  deMexique, 
&de  leur  office  ordi- 
naire. 116.3. 

Ordres  de  laCheualle- 
rie  Mexiquaine  ,  Ôc 
des  marques  qu'ils 
auoient.  293 

les  Oyfeaux  endurent 
facilemet  de  demeu- 
rer das  l'eau,&  pour- 
quoy. i84«a 

Oyieaux  merueilleufe- 
ment  petits  &  d'au- 
tres merueilleufemét 
grands.    i86.b.i87.a 

Oyieaux  extrêmement 
bien  variez  en  cou- 
leurs. i87.a 
images  de  plumes  d'Oy 
féaux  faits  d'vn  artifi- 


'.nk?<.-         txfiri-f  ^^H 


TAB 
ce'admirablc.  i87-a.b 

Oyfeaux  laids  à  mer- 
ucille,  mais  fort  pro- 
fitables pour  leur 
fiente,  iSS.a.b 

Oyfiueté  chafTee  corne 
fort  dangereufe  par 
les  Inguas,pour  con- 
tenir plusfacilement 
le  peuple.         -*74-b 


PAchacamac     grand 
San&uaire  des  In- 
diens. 2oi.b 

Paios  animaux  opinia- 
ftres ,  &  comme  on 
lesgouueme.    195.  a 

Pain  de  Mays  que  les 
Prcftrcs  donnoient 
folemnellement  aux 
eftrahgers ,  image  de 
la  Communion. 
2}6.a.b 

Palais  diuers  de  récréa- 
tion &  d'afflidtion. 
3^7- a 

PalIifTade  horrible  tou- 
te de  'telle  de  morts. 
219.  b 

Papas  racines  dot  quel- 
ques Indiens  font  de 


L  E. 
certain    pain   qu'ils 
appellent  Cugno. 
no.b 

Papas  cfpccc  de  pain. 

1)6.3. 

Papas     en     Mexique 
eftoictles  fouuerains 
Preftres  des  idoles, 
ncj.a.no.a 

Paraçuey  fteuue  de  l'A- 
menque  inonde  co- 
rne le  Nil.  $i.b 

Paraguey  fieuue  grand 
àmeruciile.        54-b 

Palfage  de  Pariacaca 
fort  dangereux  pour 
le  mal  que  le  vent  y 
fait  endurer.      87. a 

Pariacaca  vn  dts  plus 
hauts  endroits  de  la 
terre.  88. a 

Parole  d'vn  homme  qui 
auoit  défia  le  cœur 
arraché.  *35«b 

Patte  de  Mays  appellee 
par  les  Indiens  chair 
de  leur  dieu  Vitzili- 
puzli.238.b.cefte  pa- 
tte deuoit  eftre  man- 
gée au  point  du  iour, 
&  eftoit  défendu  de 
ne  manger  rien  autre 
chofe  iufques  après 


T  A  B 
midy.  z39-a 

Pafturages  communs 
es  Indes  qui  rendent 
toutes  chairs  à  bon 
marché.  iSo.b 

Paltas  fruict  délicat  & 
boàl'eftomac.i57.b 

Peintureliuredes  idiots 
264, a 

Pénitences  enioincles 
parlcscôfcfleurs  In- 
diens. 241^ 

les  Perdrix  ne  fe  voyent 
point  au  Peru.  4i.b 

vn  Perc  perdantfes en- 
fans  eftoit  tenu  pour 
grad  pecheur.z40.b. 
241.il  tuoit  (es  enfas 
pourfefauuerla  vie. 
ibid. 

Pericoligero  ,  animal 
fort  pe/ànt.       150. a 

la  Perle  anciennement 
plus  prifee  qu'auiour 
d'huy.iji.b.  combien 
l'abondance  rend  les 
choies  viles.    149.  b 

les  Perles  l'engendrent 
dans  les  huiftres. 
151.  a.b 

Perles  de  diueries  for- 
tes, ibid. 

Perroquets  qui  vôt  par 


L  E. 

bande.  42.b 

Perroquets  volants  par 
bandes  comme  pi- 
geons. 184.8. 

Peru  abondant  en  vin. 
ii2. a.b 

Peru  abondant  en  mi- 
nes d'or  &  d'argent 
plus  que  toute  autre 
terres  des  Indes.i25.a 

Peru  quelle  partie  du 
monde  c'eft.      io$).a 

le  Peru,  no  deriué  d'vn 
fleuue  du  pays,  non 
pasd'Ophir  comme 
quelques  vnseftimet 

Perufiens  fort  foigneux 
d'entretenir  &  con- 
feruer  leur  hiftoire 
par  traditio,  fans  let- 
tres ,  ny  characteres. 
269.^.270.  a 

le  trauail  excefîîf  qu'il, 
y  a  à  Pefcher  les  p  er- 
les.  152.8 

plaifante  façon  de  Pef- 
cher des  Indies.  yj.b 
100. a 

Pierres  fupeftitieufe- 
m  et  offertes  aux  paf- 
fagespour  auoir  beau 
chemin.         206.  b 


.;),^;^9^£- 


fewy'^f*' 


T  A  B 

Pierre  qui  fe  taille  & 
coupe  côme  bois.103. 

Pierres  my  or  &  my- 
pierres.  n8.a 

Pierres  fignificatiues 
auec  lefquelles  les 
Indiens  apprennent 
quelque  chofè  par 
cœur,      ijo.b.zji.z 

Pierres  d'vne  merueil- 
leufe  grandeur,  &  de 
l'artifice  des  Indiens 
àlesioindre  en  leurs 
baftimens  fans  ci- 
ment. 276. a.b 

Pilotes  pourquoy  au- 
iourd'huy  font  aiîis 
fur  la  poupe,  &  non 
pas  fur  la  proue  com- 
me ancicnnemët.33.a 

Pines  ou  pommes  de 
pain  d'Inde.      158. a 

Pinchao  idole  du  So- 
leil ,  &  de  l'artifice 
dotileftoitpoie.218 

la  Plane  produit  fruicT: 
toute  l'annce.   i6z.b 

reiîemblance  &  diflèm- 
blâce  des  Planes  des 
Indes  aux  Planes  an- 
ciens, iôi.a.b 

Planètes  ne  fe  mcuuent 
4'eux  mefmes  en  vn 


L  E. 

corps  corruptible.4.,5 
nos  Plantes  pourquoy 
profitent  mieux  aux 
Indes, que  celles  de 
de  là  en  Europe. 
i;7.a.  b 
Plébéiens  exclus  du  fer- 
uicedu  Roy  ,  &  de 
tout  office  public, 
parMoteçuma  5 jz.a. 
ils  n'ofoient  regar- 
der le  Roy  en  Face 
fur  peine  de  mort. 

533. 
pline  meurt  en  vne  trop 

curieufe  recherche. 

n8.a 

Pluyes  caufees  par  la 
chaleur  en  la  Torri- 
de.  ^  53 

il  ne  Pleut,  neige,  tone, 
ny  ne  grefle  iamais 
au  Pcru.  jo$>.b 

Plufieurs  chofes  rares 
en  nature  cogniies 
plus  par  hazard  que 
par  industrie.      38.3 

Portions  vollans.    5)8. b 

le  Pôle  du  Sud  n'eft 
marqué  d'aucune 
eftoille  fixe.        io.a 

Pôles  Arâiquc  &  An 
taréJiquei.a.ceftuy-' 


T  A 
cy  reuoqué  en  cloute 
par  S.  Auguftin.ibid. 

aux  deux  pôles  il  y  a  ter- 
re &  mer.  13. a 

pongo  partage  des  plus 
dangereux  du  mon- 
de fur  le  flcuue  des 
Amazones.     104.  b 

pôtde  padle  fort  alleu- 
ré  pour  palFervn  cou- 
rait d'eau  rapide.  55.  b 

plailant  rraict  d'vn  por- 
tugais ,  par  lequel  il 
s'exempta  d'eftie  fa- 
crifie.  210.  a 

portugais  fort  experts 
enl'artdcnauiger.io.a 

pottozi  montagneeele- 
bre  pour  les  riches 
mines.i;i.b. commet 
fes mines  furent  def- 
çouucrtescV:  enregi- 
ftrees.  154-a 

poulies  trouuees  aux  In 
des  à  la  ddeouuerte, 
le/quelles  ils  appel- 
JoiétGualpa,cV  leuts 
œufs  ponto.  184, 185 

prefages    roenaçans   la 
ruinedes  eftats  ne  sot 
point  à  mefprifer  co- 
rne choies  vaines. 
3$  4.0.335  .a 

preftres  comme  aumof- 


B  L  E. 

niers  près  de  chaque 
feigneur  Indien.  211 

preftres  des  idoles  co- 
rnet côfultoicc  leurs 
dieux.      2i7.b.2i8.a 

Prétexte  des  Inguas 
pour  agradir  leur  fei- 
gncurie,futleur  rcli- 
giô  qu'ils  dilDÏentla 
meilleure.       2g4-b 

principes  des  vents in- 
finiment cac.iez  aux 
hommes.  73 

procédions  des  Indiens 
237.^238. a 

proceflïon  penicentiel- 
lefai&epourobtenir 
pardo  des  pechez.235 

prodiges  horribles  ôc 
en  grand  n  ombre  ar- 
ri  u  ez  deuantla  ruine 
de  Mexique.      337. 

rrofits  qui  fepeuucc  ti- 
rer de  la  lecture  de 
ces  exécrables  fuper- 
ftiôs  Indiennes.  259 

propriété  plus  rare  de 
l'aimant  ignorée  des 
anciens.  32. a 

Piouinceproch;deMe 
xi  que  lairtee  fans  co- 
que ft  er,pour  exercer 
toufiours  la  leuneflc 
à  la  guerre, 8c  pour 


iy.^ï'/, 


T  A  B 
auoir  aufli  où  pren- 
dre des  captifs  pour 
facrifier.  3  25.  b. 326a 

Ptolomee&  Auicenne 
ont  tenu  la  Torride 
fort  habitable.    61. a 

Punas  defert  du  Peru, 
oùi'air  tue  les  hom- 
mes &  les  animaux 
mcfme.  89.  b 

Pyramide  de  feu  appa- 
rue au  ciel  Teipace 
d'vn  an  deuant  la  rui- 
ne de  l'Empire  Mexi 
cjuain.  336. 

cl. 

QValitez,  fvmboles 
&  difîymboles 
impreuuees.      68. b 

Quantité  d'or  qui  vient 
tous  les  ans  desIndes 
en  Efpagne.        11.9 

Quatre  principales  vei- 
nes à  Potozi,  &leur 
profondité.        i37.a 

Quetzaalcoalt  dieu  des 
marchands,  &  où  il 
eftoit  adoré.     2i4.b 

Quipos  ,  rameaux  fèr- 
uans  comme  de  regi- 
stres pout  mémoire 


LE. 

de  ce  qui  Ce  patlbit  au 
Peru.  27o.a 

R 

RAcinesqui  Tôt  fort 
profitables  es  In- 
des. i56.bij  7 

Racines  adorées  parles 
Indiens.  106.3. 

noftre  Raiion  içiioran- 
te  mefme  es  chofes 
naturelles.  35. b 

Raymé  premier  mois 
deslndiésj&fc  rap- 
porte au  mois  deDe- 
cembre.  248 

Regiôs  fort  delicieuies 
des  Indes.  6S 

Relions    fouz  l'Equi- 

°*      c 

noxerort  tempérées. 

6o.b 

k  Religion  feruoit  aux 
Indiens  de  prétexte 
pour  faire  la  guerre, 

/    48. 

Remède  contre  le  châ- 
gement  que  caufelc 
vent  en  Pariacaca. 
87.  b 

Rencontre  de  deux  ri- 

uieres   des  Indiens 

par  vn  particulier  re- 

fpecl:. 


T  A 

fpect.  229. a 

Richeffe  de  quelques 
ides  de  la  neufue  Ef- 
pagne.  112. b 

Richcllc  incroyable  ..tes 
Peiufiens  lois  qu'ils 
furent  prins  par  les 
Elpa^nols.        278.3 

Ris  fort  commun  es  In- 
des. 156. a 

Riuiere  des  Amazones 
nomee  diuerfemét. 
55. a. dicte  monarque 
des  fleuues.       ibid. 

Riuieres  admirables  en 
la  Torride.        )<f.b 

Riuieie  des  Amazones, 
dite  Maraçnion.ioi.b 

Roies  commet  venues 
es  Indes.  170.^171. a 

Rotondité  du  Ciel  in- 
cogneu'ë  à  quelques 
Docteurs  de  l'Edife. 
1.  &2.  de  meime  le 
mouuement.     ibid. 

Roué'  des  Indiens  où 
eftoict  marquées  les 
années.  261.  b.  leur 
opiniô  que  le  mode 
deuoic  finir  à  la  fin 
de  cette  Roue.  262. a 

Royauté'  refufec  par  vn 
Mexiquain ,  qui  aima 


BLE. 

mieux  fe  précipiter 
cruellemëtàlamort.. 
3M- 

Rois  des  Indiens  tenus 
pour  femblances  des 
Dieux.  313. b 

Ruine    efmerueillablc 
d'vn  gros  bourg  plein 
d'enchanteurs.  120. b 
S 

SAcrifices  des  hom- 
mes comment  fe 
faifoient.     220.3.231 
Sacrifices  diuersquefai 
loicc  les  Indics  pour 
diuerfes  occaiions. 

228.b 

Sacrifices  fort  couftu- 
miecs  aux  Indiens  en 
leurs  neccflitez.  288 

Sageiîc  dcceiïecle  foi- 
bie  éschofesdiuines 
&mefme  es  humai- 
nes. 19 

Sainos  effranges  ani- 
maux de  challe,  6c 
comme  on  les  peut 
tuer.        i88.b.i8.9.a 

Salcepareille ,  herbe  fa- 
lutaire  pour  le  mai 
deNaples.       104.3 

Sciences  cogneuës  des 


Chinois. 
Aa 


2^. 


T  A  B 

la  Seicherefle  ne  fuit 
pas  la  proximité  du 
Soleil.  51.  a 

Sam&eCroixdela  Sier 
re,prouince  deChar- 
cas,  comment  con- 
uertieàlafoy.    54.6. 

Singeries  du  diable  à 
l'imitation  deleius- 
Chrift.  217. a 

Soccobones  dextreme'c 
inuentees  pour  tirer 
le  métal  plus  facile- 
ment. 138 

Soing  incroyable  des 
Mexiquains  à  faire 
apprendre  à  leurs  en- 
fans  leurs  idolâtres 
cérémonies.     191.  a 

Solanusvent  deLeuat. 
75.  b 

le  Soleil  plus  il  eft  pro- 
che de  nous,  plus  il 
efchauffe&brufle. 
49.  b 

cotraires  effects  du  So- 
leil enlaZoneTor- 
ride  ,  &  aux  terres 
hors  les  Tropiques. 
p.a 

la  grande  force  du  So- 
leil caufe  l'humidité 
/bus  l'Equinoxc.j^.b 


L  E. 

Soleil  adore  fort  corn- 
munémet  pat  les  In- 
diens. i°5« 

S  orciere  foeur  de  l'idole 
qui  fonda  la  ville  de 
Malinalco ,  où  n'y  a 
rien  que  des  forciers. 
zOif.a 

effects  admirables  d'vn 
Sorcier.  529-  a 

Sorciers  en  srand nom- 
bre,&del'empelche- 
ment  qu'ils  ont  don- 
ne à  l'amplification 
del'Euangile.  245-b 

Source  du  Nil  recher- 
chée par  Cefar.       iS 

Source  comme  bleue, 
autre  rouge  comme 
fàng  104 

Sources  chaude  &  frui- 
dc  l'vnc contre  l'au- 
tre aux  bains  de  l'In- 
gua.         jço3.b.i04.a 

Suj  dt  du  quatriefme  li- 
ure.  i*3-a 

Succhiles  bouquets  des 
Indiens.  170.  b.i7i.a 
ils  en  (ont  fott  ama- 
teurs ,  &  en  offrent 
parhoneurauxgrads 
&àleurshoftes.ibid- 

Superftitions  faites  à  la 


T  A  B 

conduite  d'vneeaue 
au  trauers  de  Mexi- 
que. 329. a 
T 

TAbaco ,  arbrifïeau 
qui  porte  vncon- 
trepoifon.        174..  b 

Taches  noires  en  la 
voye  Lactée  du  cofté 
du  Sud.  io.a.b 

Tharfis  en  quelques  en 
droits  fignifie  lapier- 
feChryiolite  ou  Ia- 
einthe,autresfois  la 
mer  qui  eft  de  cette 
couleur  à  la  reuerbe- 
ratiô  du  Soleil.  27. b 

Tharfis  en  TEfcriture 
n'eftpas  Tharfo  ville 
deCilicie.  17. a 

Tharfis  Se  Ophir, mots 
généraux  en  la  fàin- 
d:e  Efcriture.     iS.b 

Tharfis  5c  Ophir  ente- 
dus  pour  vne  mefme 
prouince  en  l'Efcri- 
ture.  16. a. 

Tlafcaltecas  fixiéme  ce- 
heration  des  Naua- 
talcas,  &  fut  celle  qui 
donna  entrée  aux  Es- 
pagnols .  301.  a.  com- 
ment ils  vainquirent 


L  E. 

lesgeansdelaSierre. 
ibid. 

Tlacaellec  le  plus  vail- 
lant Capitaine  que 
ayent  eu  les  Mexi- 
quains.  Se  de  fa  belle 
refolution.318.  b.  fa 
valeur  &  fa  rufe  guer 
riere  cotre  les  Cuyo- 
cans.        310.^311. a 

deffi  de  Tlacaellec  fait 
au  roy  d'Afcapuzal- 
co.3i8.a.  &b.fafub- 
tilité  pour  remar- 
quer le  nombre  des 
prifonniers  qu'il  a- 
uoit  pris.  511.  b.  fa 
conquefte  d'vne  vil- 
le auec  des  enfans 
feulement.  311.  b. 
comment  ilrefufala 
couronne.        ji6.b 

Tembos  félon  l'opinio 
des  Indics,  race  plus 
ancienne  des  hom- 
mes. 48. a 

Trafficdes  Indiens  n'e- 
ftoitqu'efchage  fans 
argent.  126 

Tauaco  herbe  qui  en- 
dorrla  chair.    24$-° 

Température  toute  cô- 
traire  en  moins  de 
A   ij 


»^.<.y'.ç».j''joxt'^ji 


TA 

cinquante  lieues. 
109. b.  no.a 

Temple  de  Cufco  fem- 
blablc  au  Panthéon 
de  Rome.  218. a 

lieux  maritimes  plus 
fubie&s  aux  Trem- 
blemês,&  pourquoi. 
215. a 

tremblemens  de  Terre 
fort  cftranges.      214 

la  Terre  comment  fou- 
ftenue.  6.b 

la  Terre  du  Pôle  Antar- 
ctique n'eft  pas  toute 
couucrte  d'eaux,  ir.b 

la  Terre  en  la  longitude 
eft  toufîours  de  fem- 
blable  température, 
mais  en  fa  latitude 
non.  17. a 

Terre  d'excellete  tem- 
pérature encores  à 
dcfcouurir.         19b 

la  Terre  auec  l'eau  fait 
vn  globe.  60. b 

le  continent  des  Terres 
Te  ioint  en  quelque 
endroit,  ou  pour  le 
moins  s'auoiiîne  de 
fort  près.  40. a 

Terres  encores  à  def- 
couurir.  ibid.  b 


BLE. 

ifles  fort  efloignees  de 
la  Terre  ferme  ,  ne 
font  point  habitées. 
41. a 

Terres  du  Preftre-Ian 
fort  chaudes.      63. b 

Terres  encores  inco- 
gneues.      n?.b.ii4.a 

Tezcallipuca,  Dieu  des 
jubilez  de  Mexique, 
&  defesornemens. 
213. b. 

Tiburon  poiflbn  mer- 
ueilleulement  gour 
mand.  98a 

Ticicaca,  lac  d'efmer- 
ueillable  grandeur. 
84.  b 

Trinité  imitée  par  le 
diable,*&  adorée  par 
les  Indiens  en  trois 
ftatucs  du  Soleil.  248 
249. 

la  Torride  peuplée  Se 
d'agréable  demeure, 
contre  l'opinion  des 
Philofophes.     50.  b 

laTorride  pourquoi  té- 
peree.    6i.6$.8c66.a. 

en  la  Torride  l'on  naui- 
ge  facilemet  de  l'O- 
rient en  Occident, 
non  au  contraire ,  &c 


T  A 

pourquoy.  78.  b 

qu'en  la  Torride  mefmc 
la  proximité  du  So- 
leil ne  caufe  pas  touf 
iours  cane  d'humidi- 
tez.  59.  b 

la  Torridc  fort  habitée. 

19. 
quelques  endroits  de  la 
Torride  extrememec 
fecs,bien  quelerefte 
foit  fort  humide.  58 
qui  a  mculesancicsde 
croire  la  Torride  in- 
habitable. 10 
la  Torride  eflpluuieufe 
lors  que  le  Soleil  en 
elt  plus  proche.       58 
Trois  fortes  d'animaux 
qui  fc  trouuent  es 
Indes.                   20 
Trois  fortes  de  terres 
es  Indes.  106.  b. leurs 
qualitez.          107.  a 
Tozi,  principale  deeiïe 
desMexiquains.215. 
Trois  chofes  ordinaire, 
met  meflees  en  tou- 
tes les   cérémonies 
des  Indiens.     247. a 
Trois  çeres  de  çouuer- 

nemens  reconnus  es 
o 


Indes. 


285.b 


B  L  E. 
Tuual,  arbre  d'eftrange 
forme.    i6^.htid6.x. 
de  combien  de  fortes 
il  y  en  a.  ibid. 

Tygres  au  Peru  plus 
cruels  enuersles  In- 
diens que  les  Efpa- 
gnols.  42. a 

Tygres  peuuent  palier 
fept  &  hui£t  lieues 
de  mer  à  nage.    43.  a 
Tygres  furieux  contre 
les  Indiens,non  con- 
tre les  Efpagnols.  183 
V 

VAches  recherchées 
feulementpourle 
cuir.  42.a 

Vaches  domeftiques  5c 
fauuages,  181.  a.  de 
ces  Vaches  fauuages 
Ce  tire  vn  grand  reue- 
nu  en  cuirs,      ibid.b 

troupeaux  de  Vaches 
fans  maiftre  es  iHc$ 
de  Cuba,  Iamaiquc, 
&  autres.  41.  a 

Valeurs  des  Indics.349. 

Vallées  plus  chaudes 
que  les  montagnes, 
&  pourquoy.     6^..b 

Vallées ,  meilleures  ha- 
bitations du  Petu. 


•6/,#>&>i>ti---à'i<ï'Jn&i 


T  A  B 
no.a.b. 
Variété  de  température 
des  terres  Equino- 
ctiales.  63.  b 

Vents  d'abas  contraires 
aux  versàfoye.  85. b 
Ventdagereux  qui  tue 
&conlerueIcs  corps 
fans  corruptiô.89.a.b 
le  Vent  du  Ponant  ne 
fournie  point  en  la 
Torride.  75.  b 

Vents  appeliez  brifes 
en  la  Torride  vicnnét 
d'Orient.  76. a 

quatre  Vents   princi- 
paux. 79. a 
huict   Vents  en  huicb 
poinc"ts  notables  du 
ciel  A  leurs  noms. 
75).b 
les  Vents  de  terre  en  la 
Torride  foufflét  plu - 
ftoftde  nuidt  que  de 
iour,&  ceux  de  mer 
âucontraire,&pour- 
c|uoy.  84«b 
le  Vent  cotrôpt  mefmc 
lefet.  8tf.a 
propriété  d'vnVctit  qui 
fourAît  fait  pleuùoir 
des  pulces.         71. b 
le  Vent  du  Sud  rend  la 


L  £. 

cofte  du  Peru  habita- 
ble. 109 
vn  mefme  Vent  f'ac- 
quiert  diuerfes  pro- 
prictez  félon  le  lieu 
où  il  court.         7%, a 
diuers  Vents  cnla  terre 
de  la  Torride.        84 
trente  deux  Vêts  pofei 
par  les  pilotes.    79.a 
trois  principales  caufes 
de  la  différence  &di- 
uerfes  proprietez  des 
Vents.  74 
eilranges  diuerfitez  de 
température  caufees 
par  les  Vents.       67 
Victoire  des  Mexiquaxs 
fur  les  Tapanecas. 
310. a 
Vicugnes  ,   efpece  de 
moutons  fauuages. 
191. a.  &b.  Vertu  de 
leur  laine.  191.  a.  leur 
chair  eft  fort  'fouuc - 
raine  pout  le  mal  des 
yeux.                ibid. 
le  Vif-afgent  fuie  les 
autres  métaux,  horf- 
rhis  l'or  8c  l'argent. 
IcVif- argent  fe  tout- 
ne  en  fumee,fe  tour- 
né en  vif-argent.  141 


■ 


T  A  B 

le  Vif-argent  5c  lç  Ver- 
meillon  naiirent  en 
vne  mefme  pierre, 
ibid.b 

le  Vif-argent  vray  mé- 
tal ,  &  plus  pefant 
que  tous  autres. 143.4 

propriété  merucillcufe 
du  Vif  argétàieioin 
dre  autour  de  l'or. 
141.  a.  combien  l'Es- 
pagnol tare  des  mi- 
nes du  Vif- argent. 
14.4.  b.  145. a 

Vignes  fansfruictcnla 
neufue  Efpagne.    ni 

Vignes  du  Peru  &  de 
Chillé  portent  de 
tres-bonvin.    178.  b 

Vignes  de  la  vallée  d'Y- 
ca  qui  viennent  fans 
élire  iamais  arrofecs 
d'aucune  pluye  ,  & 
comment  il  fe  peut 
faire.  179  a 

Vignes  qui  portét  fruit 
tous  les  mois  de  l'an- 
née, ibid.b 

pourquoy  l'on  ne  fait 
point  de  Vin  durai- 
fin  qui  croift  en  la 
neufue  Efpagne. 
J7*.a 


L  E. 

Viracocha,nom  que  les 
Indiens  donnoient 
au  dieu  fupreme,  a- 
uec  d'autres  excel- 
lents &  fîgnificatifs 
d'vn  grand  pouuoir. 
zoi.b.202.a 

Vitzilipuztli  principa- 
le idole  de  Mexique, 
&  de  tous  Tes  orne- 
mens.  2l?.b 

Viurcs  pofez  au  tom- 
beau des  morts  pour 
les  nourrir  après  leur 
mort.  210 

Voix  entendue  prefa- 
geatlaruinede  Mo- 
teçuma.  336.» 

Voracité  desTiburons. 
<>8.a 

Volcan  de  Guatinda 
plus  admirable  que 
tout  autre,  116 

matière  qui  entretient 
les  Volcans.       118.  b 

Voyage  d'Haimo  Car- 
thaginois admirable 
en  ion  temps,    n.b. 

Voye  La&ee,  appellec 
chemin  S. laques.  5.» 

Vros  peuples  brutaux 
qui  ne  f'eftiraent  pas 
hommes.  56.» 


•?&&; H 


TAB 
Vtilitc  de  route  hiftoi- 
re  naturelle.  70 

X 

XAmabroispelerins 
côtraints  de  cou- 
fefler  leurs  péchez 
iur  vneiochc.241.  b 

Y 
Ca&  Arica,  &  leur 


Y 


façon  de  nauiçer 
en  des  cuirs.       37.  b 

Yen  grande  felte  des  In- 
diens qu'ils  raifoient 
en  neceflite  ,  &  des 
préparatifs  à  icelle. 
150. b 

Yupangui  Ingua  a  eflc 


L  E. 

en  Mexique  commet 
vn    autre   Numa  à  i 
Rome  ,  pour  l'efta- 
bliffement  des  ioix, 
237.0.  £247.  b. 
Z 

ZEphyre  vent  doux 
&  fain.  75. b 

Zone  Torride  aux  an- 
ciens inhabitable,  & 
les  raifonjpourquoy. 
i7.a 
la  Zone  Torride  en  des 
endroits   tempérée, 
en  d'autres  rroide,en 
d'autreschaude.éc.b 
61.  a. 


ï    I    N. 


•■i>.ù14'J>*'; 


*  Il 


MMMI 


INDE?