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r.lUl.lOllILCjLK i'Uih.MAl.K LI.ZKVIUILNNK
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GUlLLAUxME DE RUBROUCK
I'.iULIUTHhyLK <iUlt.N I ALL-. Ll-ZKV lUILNNh
XUl
GUILLAUME DE RUBROUCK
LE rUV, IMPRIMERIE >I -P. MARCHESSOU
Wi V\^^^^ ^i, ,. '.-... -r. v_ . V
GUILLAUME
DE RUBROUCK
AMBASSADEUR DE SAINT LOUIS EN ORIENT
REGIT DE SON VOYAGE
TRAD U IT DE ^'ORIGINAL LATIN ET AN NOTE
par
LOUIS DE BACKER
PARIS
ERNEST LEROUX, EDITEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIETE ASIATIQUE DE PARIS
DE l'ecole des langues orientales vivantes, etc.
28, RUE BONAPARTE, 28
1877
u^
Le Secretaire perpdtuel de TAcaddmie des Ins-
criptions et Belles- Lettres a M. Louis de Backer :
T^aris, le 5 decembre i866.
^Monsieur,
UQ4cadetnie a entendu avec beaucoup
d' inter et la lecture de votre lettre du 14
novembre dernier, dans laquelle vous lui
faites part de vos conjectures sur le lieu
de naissance de Guillaume de ^Hubruquis
ou de ^B^brouck,
L'Q^cademie me charge de vous titans'-
mettre ses remer dements.
Q^greei^ etc.
GUIGNIAUT.
NOTICE
SUR
GUILLA.UME DE RUBROUCK
NOTICE
sun
GUILLAUME DE RUBROUCK
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SAINT LOUIS — ROBERT D ARTOIS
LES FRANCISCAINS — LES CROISADES
u mois de juin 1237, le roi saint
Louis, se trouvant au chateau
deCompiegne, voulut, avantde
partir pour la Palestine, executer une
des clauses du testament de son pere ^
I. In nomine sanctae et individuae Trinitaiis,
amen. Ludovicus, Dei gratia, Rex Francorum,
omnibus ad g[Uos liiterae presentes pervinerent :
Salutera. Cupienies successor! Regni nostri modis
omnibus in posterum providere ne tranquillitas
ejusdem regni posslt in posterum perturbari; dc
— IV —
11 erigea laterre d'Artoisen comte et Tas-
signa a son frere Robert, avec Saint-
Omer, Aire, Hesdin, Bapaume et Lens.
Mais les trois dernieres villes ne pou-
vaient lui appartenir qu'apres le deces de
la reine Blanche. EUes avaient ete cons-
tituees en dot a la fille d'Alphonse dc
Castille, et provenaient d'Isabelle dc
Hainaut qui les donna a la France en
montant sur le tronc de Philippe-Au-
guste ^
tola terra quam possidemus et omnibus mobili-
bus nostris, sani et incolumes. Deo dante, a quo
bona cuncta procedunt, anno Dominicae Incarna-
lionis M.cc.xxv, mense Junii, disposuimus in
hunc modum ; Volumus siquidem et ordina-
mus quod fiiius noster secundus natu habeat
totam terram Atrebaiesii in foedis et domaniis,
et lotam aliam terram quam ex parte matris
nostre Elisabeth possidemus, salvo' dotalicio ma-
tris sue, si superviveret. Quod si idem qui Atre-
batesium tenebit, sine herede decederet, volumus
quod tola terra Attrebatesii, et alia terra quam
teneret, ad ftlium nostrum, Regni nostri succes-
sorem libere et integre redeat. Collection des
ordonnances des Rois de France^ in-f".
I. In nomine sanctae et individuae Trinitatis,
amen. Ludovicus, Dei gratia Francorum Rex, no-
tum facimus, quod cum clarae memoriae genitor
noster Ludovicus, rex Francorum illustris, in tes-
tamento suo ordinaverit, et pro parte haereditatis
assignaverit charissimo fratri nostro Roberto,
terram Atrebatesii (ciuam idem genitor noster ex
parte mairis suae haoebat), Atrebatum, Sanctum
Audomarum et Ariam, cum peitinentiis eorum-
V —
L'annee suivante, ce magnifique do-
maine s'etendit jusqu'a la mer, par
Tadjonction du comte de Boulogne qui
forma une partie de la dot de Mahaut,
la fille ainee du due de Brabant et de
dem ct post decessum charissimae dominae et
matris nostrae Blanchae, reginae Francorum illus-
tris, Hesidinum, Bapalmam et Lensium, cum
eorum pertinentiis, quae eadem domina mater
nostra lenebat nomine dotalitii ex parte Isabellae
reginae, aviae nostrae moventia ; Nos sinceritatem
dileclionis, quam ad eundem fratrem nostrum
habemus, volentes per exhibitionem operis osten-
dere, volumus, et eidem fratri nostro, per prac-
sentem chartam concedimus totam terram prae-
dictam, salvis feudis et elemosynis quae tenebuntur
et reddentur, sicut tempore genitoris nostri, sibi
et haeredibus suis jure naereditario possidendam ;
ita c^uod tam illam terram Atrebati, Sancti Audo-
mari et Arise, quam antea tenebamus, quam
illam, quam domina mater nostra nomine dota-
litii possidebat, cum eo jure quod eadem domina
niater nostra in emptione habebat quam apud
villanas fecerat, sitas in feodo Lensii, tanquam
hereditatem suam habeat ct possideat, etc '
Quod ut perpetuae stabilitatis robur oblineat,
praesentem paginam sigilli nostri authoritate, et
kegii nominis charactere inferiiis connotato feci-
mus conformari. Actum apud Compendium, anno
Incarnationis dominicae I237, mense Junio, regni
vero nostri anno xi, astantibus in palatio nostro,
quorum nomina supposita sunt et si^na. Dapifero
nuUo. Signum Roberti, Buticularii. Camerario
nullo. Signum Amalrici Constabularii. Data va-
cante Cancellaria. (Signe) Louis. — a Au moyen
de quoi, dit d'Oude^crst, ledict Robert fut le
premier conte d'Ariois.w — Chroniques et annales
de FlandreSj in -4**, ipyi, p, 181.
— VI —
Basse- Lorraine. La reine Blanche avait,
des 1234, recherche la main de cette
belle princesse pour son fils Robert;
mais le mariage ne put eire celebre que
le 14 juin 1238.
Ce jour-la, la ville deCompiegne etait
en fete.
Apres avoir assiste a la benediction
nuptiale dans Teglise de Tabbaye de
Saint-Corneille , deux mille chevaliers
bannerets se livrerent efi la pt^airie^
comme dit Philippe Mouskes % a des
combats a la barriere, a des joutes, a des
pas d'armes, a des danses, et Blanche
de Castille, Marguerite de Provence et
la nouvelle comiesse d'Artois distribue-
rent elles-memes les prix aux heureux
vainqueurs ^. Le lendemain, dans cette
meme eglise de Saint-Corneille, le roi
de France confera Tordre de la Cosse
1 . • Messire Robert frere al roy
Prinst a done fame et grand conroy,
La fille estoit al due de Louvain
Et ot Ariois et Sainct-Omer.
Moult haultement et grant feste
A Compiegne en la prairie
Moult et grant bacelaire.
2. Les proems- verbaux de ces tournois existent
encore. Le marquis de Villeneuve-Trans, Hist,
de saint Louis, in-8*, iSSg.
— VII
de genet ' au comte d'Artois et a cent
quarante gentilshommes.
Depuis Tors, Robert se montra cons-
tamment le feal chevalierx du Roi , son
suzerain. II Taccompagna en Terre-
Sainte et combattit en heros a la tete de
ses vassaux, Robert de Wavrin, Henri
de Crequi, Baudouin de Henin-Lie-
tard, Roger de Halewyn, Nicolas de
I. « Le genSt porte petites feuilles vertes de
peu de duree et la fleur jaune, avec des cosses ou
des gousses longuettes qui fleurissent au prin-
temps et en Tautomne. Le roi saint Louis choisit
cet arbrisseau pour embl^meet pour a me d'icelle
ces deux mots, Exaltat humiles^ le tenant pour
symbole de Thumilite.
« Le collier de cet ordre de la Cosse de genet
etait compose de cosses de genet ^maillees,
entrelacdes de fleurs de lys d'or, cnferm^es dans
des losanges a jour, emailldes de blanc, enchai-
ndes et au bas une croix florencde. Le roi saint
Louis refut le premier cet ordre de la main
de Gauthier TArchev^que de Sens. Les cheva-
liers de cet ordre portaient la cotte de damas
blanc au chapperon violet.
a Robert d Artois recut cet ordre en Teglise
abbatiale de Saint-Cor'neille de Compie^ne, le
lendemain du mariage dudit comte d'Artois, avec
Mahaut, fille du due de Brabant. A cette solennite
assista toute la noblesse de France, deux mille che-
valiers bannerets, avec leurs servents et valets de
pied, en si grand nombre que I'empereur Frederic
ne se rendit pas a Vaucouleurs, marches et fron-
ti^res de la France et de la Lorraine, de crainte
des Francais. » — Favin, Theatre d*lionneur et
de clievaterie, liv. Ill, in-4% 1620, p. 583.
VIII
Mailly, le comte d'Hesdin, le baron
d'Auchy, Jean de Neele, Jean de Beau-
fort, Eudes de Montreuil. Mais accable
sous le nombre des Sarrazins, il tomba,
mortellement blesse , le 2 fevrier 1 249 ,
a Tage de trente-trois ans, dans une
des rues barricadees de Mansurah, au
milieu des ennemis qu'il avait terras-
ses de sa propre main. Sa mort fut un
deuil public '.
Pendant que les croisades atiiraient
la noblesse francaise vers TOrient, saint
Francois d'Assise et ses disciples re-
muaient les classes populaires en hono-
rant en elles la pauvrete et la faisant
honorer par elles ; ils leur enseignaient
ainsi de s'estimer elles-memes et leur
procuraient les moyens de s'organiser
et d'arriver insensiblement a Temanci-
pation politique. On vit alors TArtois et
la Flandrc se couvrir de monasteres dc
I. a Robert I, fr^re de saint Louis, fut, a I'age
de trente-trois ans, victime de son ardeur pour
la croisade. Intrdpide a franchir le passage du
Thains, il ^lait dans la Massoure. Les Sarrazins,
apr^s leur ralliement, I'environnerent; il tomba
crible de coups le 2 fevrier 1249. Son corps resta
sur un tas d'ennemis qu'il avait tues. II emporta
les regrets de tout le mondc. » — Hennebert, Hist.
f;enerale d*Artois, Saint-Onner, 1789. T. I,
p. 119.
— IX
Jacobins etdeFrercsmincurs ^ Jean de
Sainte-AIdegonde, seigneur de Noir-
carmes, en fonda un de chartreux a
Longuenesse, aux portes de Saini-Omer,
avec le consentement de I'eveque de
Therouanne et de Tabbe de Saint-Ber-
tin 2.
Si ces moines renoncaient au monde,
ils n^avaient point etouffe en eux le sen-
timent du patriotisme. S'ils prechaient
la guerre sainte, la guerre de la civilisa-
tion contre la barbaric, ils s'cnrolaient
de leurs personnes sous la banniere
francaise de Jean de Beaufort, et, a
cette'meme journee de la Mansurah, ils
se sont conduits avec tant de bravoure
que le roi demanda a leur chef comment
ils s'appelaient. Beaufort, nc pouvant
se rappeler le nom de leur ordre, re-
pondit a saint Louis que c'etaient dcs
moines « lies de cordcs ». Et depuis ce
1. « Et environ ce mesme temps (i233), s'eJi-
fierent par tout le pays de Flandre plusieurs
cloisires et monasteres de Jacobins, iVeres mi-
neurs, de grises soeuis et de beghinages, le tout
moyennant I'ayde et consentement qu'a ccs fins
y donnait la contesse Jehenne de Flandre. » —
Pierre d'Oudegherst, Les clironiqms et annales
de Flandre^ ^'^~4,°' 1571.
2. GuiLLAUME uAziiT, H'lst. ecclcsiast. des Pjys-
Bas, in-4*, 1614, Arras, p. 292.
— X —
temps, dit Dom Devienne, on s'accou-
tuma a appeler « cordeliers » les reli-
gieux de saint Francois '. Parmi ces
cordeliers se trouvait Guillaume de Ru-
brouck, plus connu sous le nom latinise
de Rubruquis ^.
D'ou vient ce nom ?
1. Don Devienne, Histoire dArtois, in-8», Saint-
Omer, 1789. t. I, p. 147.
2. Pacquot, M^moires litt<$raires des Pays-Bas,
t. I, p. 2 1 3. V* Guillaume de Rubruquis, — Ber-
geron, Relation du voyage faict Tan i253 en Tar-
larie par F. Guillaume de Rubriquis, 1634. —
Voyage remarquable de Guillaume de Rubruquis ,
etc., Leyde, 1706.
•S<i>^£<^^>H<i>3*e<8^»3-«^^>3-f<8^e^^^
LE VILLAGE DE RUBROUCK
A'
rextremite septentrionale de la Fran-
ce , vers la mer , le village de Ru-
brouck etale ses maisons bien propret-
tes, au milieu d'une plaine verdoyante
qui s^etend entre la colline de Watten,
ou fut enseveli Thierry d' Alsace; le
Ravensberg ou s^eleva, en 1194, Tab-
baye de la oienheureuse Marie de Hou-
tove; le Balenberg, dont le nom a
conserve Tempreinte du paganisme ger-
manique, et le Mont-Cassel ou Tauteur
de TAnacharsis francais s'est eerie dans
son enthousiasme : « O Jenny, que la
nature est belle ici ' ! »
I. II parait qu*avant de se tracer ses li mites ac-
tueliesj la mer baigna, pendant des siecles, la
chaine des collines que nous avons cities a
cette page, et qui ne sont autres que d'anciennes
dunes, selon I'abbd Mann. « L'on voit partout,
dit-il, que cette d^vation de terrain n^est pas
— XII —
Ces collines sont couvertes d^excel-
lents herbages que paissent de gras
troupeaux. De leur sommet, Toeil de-
couvre, par un soleil d'ete, avec de lar-
ges bouquets d'arbres, de vastes champs
comme les montagnes ordinaires, dont la declivitd
s'etend commun^ment a quelques lieues dans le
pays; ici le changement est subit et I'ascente
commence lout d'un coup, comme on le voii pres-
que partout aux bords de la mer. Ce qui peut
encore servir a faire connailre I'ancienne cote ele-
vde, c*est la grande difference qui se trouve enlre
Je terrain qui est dans I'interieur de cette cote et
celui qui est entre elle et la cote nouvelle, Tun
etant sablonneux ou mardcageux, I'autre eleve,
pierreux et inegal. » Suivant I'opinion du meme
auteur^ adoptee par MM. Belpair et Schayes,
« Tancienne cote de la Belgique commencait entre
Calais et Boulogne, passait sur la droite de Gui-
nes et d'Ardres par le mont de Ruminghem jus-
qu'a Watten ou, du temps de C^sar et jusqu'au
x* siecle, il y avail un golfe qui s'etendait jusqu'a
Sairt-Omer, Blandecques et Wisernes. De Watten,
la cote se dirigeait sur Cassel par Ravensberg,
Balenberg, Domberg; ensuiie elle passait par
Eecke,Catsberg,Cainber^, Locre, Swartsberg, mont
Kemel, Witschate, Messine, Rosenberg, La Hultc
JMsque vers Warneion. De la, cotoyani la gauche
de la Lys, elle s'etendait par Houthem jusqu'a
Vilvorde, oil il doit y avoir eu un golfe. et jus-
qu'a Bruxelles par 1 allee Verte. w V. Memoire
sur Vancien e:at de la Flandre maritime^ p. 74,
par I'abbe Mann. — Meinoive sur ies cliangements
de la cote depuis Boulogne jusqu'a Anvers, par
Belpair, ingcnieur; insere dans les nouveaux
xndmoires dc I'Academie royale de Belgique, Bru-
xelles, in-4". — Les Pays-Eas avani et durant
la domination romaine, t. I, p. 32 3, par Schayes.
— XITI —
emailles de fleurs; puis au loin, a Tocci-
dcnt, les landes aitristees de TArtois qui
se perdent dans un horizon de pourpre;
et Toreille attentive n'entend que le ga-
zouillement des oiseaux caches sous la
feuillec et le murmure du vent qui sc
mele, le soir, a la voix argentine des do-
chettes de VAngelus. Ce n'est pas ici
que Ruysdacl aurait pu accomplir le
nniracle de nous interesser avec un pay-
sage qui contient un seul arbre, ou un
pauvre buisson, ou un pont de bois a
demi ruine *.
Au xni^ siecle, le village de Ru-
brouck etait sous la juridiction spiri-
tuelle de Teveque de Therouanne 2, et
il s'y trouvait des fiefs qui mouvaient
1. MoNTEGUT, Les Pays-Bas.
2. Adam, eveque dc la Morinie , declare que Jean
Mor, tils de Lambert Mor de Rubrouc, et Beatrix,
SI femme, ont reconnu en sa presence avoir
donne a I'e'glise de Waiten leurcomte {i-i-z'j),
Cartulaire de l'abbaye de Watten, dans les
Annales du comite flamand de France^ t. V,
p. 33 1.
1275. — Lettres par lesquelles Tofficial du
siege vacant de Terouane fait connailre que Mar-
guerite, veuve de Thomas d'Estaires, remariee a
Lietard de Ne^jlles, a dec'are avoir vendu a Guy,
comte de Flandre, la moitie d'unc rente annuelle
de 33 mesures d'avoine qui lui appartenait dans
la paroisse dj Rubrouck (Rubruck).
baron de S^-Ghnois. — Invciitaire analytique
— XIV —
du senechal de Saint-Omer. Un de ces
fiefs, qui avait rang de comte, apparte-
nait a Jean Mor, fils de Jean Mor de
Rubrouck. Le premier en fit le trans-
port, avec les terres et tous les droits
de justice qui y etaient attaches, a I'e-
glise de Watten. L'eveque de la Mori-
nie approuva cette cession en 1227.
Vingt-cinq ans auparavant, Wautier
de Rubrouck avait fait pareille donation
a la meme eglise, et en 1260, maitre
Jean de Rubrouck , doyen de Peglise
Sainte-Walburgea Furnes ', legua une
rente annuelle de cent sols de Flandre
en faveur d'un clerc,natif de Rubrouck,
pour raider a faire des etudes de theo-
logie.
A I'epoque des croisades et au temps
de saint Louis, il y avait done a Ru-
brouck une famille qui portait le nom
de ce village de France. Des charies
authentiques constatent son existence 2.
des chartes des comies de Flandre, in-4«, Gand,
1843, p. 61.
1. Chef-lieu d*un arrondissement de la Flandre
occidentale en Belgique.
2. Annales du comit^ flamand de France, t. V,
p. 33r. — Cartulaire de Vabbaye de Watten:
i25o. — Actum anno Domini m.cc.l., mense
Januario. — Maitre Jean de Rubrouc, doyen
— XV —
Guillaume de Rubrouck etait peut-etre
le frere du doyen de Sainte-Walburge.
Mais comme les ecrivains qui ont parle
de lui avaient deguis6 son nom de fa-
mille sous celui de Rubniquis, on
ignora longtemps le nom de son pays
natal. Pits crut que c'etait TAngle-
terre; Sweertius, Francisque Michel et
Wright, le Brabant; Valere Andre, la
Belgique. Pacc^uot, Michaud, le baron
de Saint-Genois et le marquis de Vil-
leneuve font naitre le ministre de
de r^glise de Sainte-Walburge a Furnes, l^gue
une rente annuelle de cent sols de Flandre en fa-
veur d'un clerc pauvre qui se destine aux Etu-
des th^ologiques.
— Jean de Rubrouc est cite dans une autre
charte de 1262, feria sexta ante Letare Jerusalem.
1227. — Adam, eveque de la Morinie, declare
que Jean Mor, fils de Lambert Mor de Rubrouc^
et Beatrix t sa femme, ont reconnu en sa presence
avoir donn^ k I'^glise de Watten leur comt^, avec
60 mesures de terre sur laquelle est situee une
cour, ainsi que tous les droits de justice qui y sont
attaches.
Dans une autre charte, sans dale, est cit^ un
autre Jean de Rubrouck, dit Brune, qui fait une
donation identique en faveur d*un clerc natif de
Rubrouc.
En 1202, Wautier de Rubrouc signe a Ravens-
bergh, dans la maison de la dame du lieu, mhve
de Willaume Brohon, seigneur de Ravensbergh,
un aicte de donation au pn^dt et aux chanoines
de Watten.
— XVI —
saint Louis a Ruysbroek, en Brabant;
Vivien de Saint-Martin le dit originaire
de la Flandre; Hakluyt et Purchas
soutiennent qu'il est Francais, mais
sans indiquer Tendroit ou il a vu le
jour ^
Or, le plus ancien des manuscrits de
I . Pits, Relationum historicarum de rebus an-
glicis etc. fPaivis, in-4% 1619.
SwKERTius, Athence Belj^icce^ 1628, in-f". p. 3i7 :
« Guilielmus Ruysbrokius, Brabantus, ordinis
a minorum et histpricus. w
Valere Andre, p. 333, Bibliotheca belgica.
Louvain, in-4", 1643.
Vossius, Hist, latin. ^ liv. II, c. 58, p. 474,
2' ddit.
Wadding, Scripiores ord. viinorum, p. i56.
OuDiN, III, p. 448, 449, Commentarius de
scriptoribus Ecclesice antiquis etc., in-f*, 1722.
Biographie universelle de Mictiaud, p. 21,
torn. XXXVII, Paris, gr. in-8*, ddit. Desplaces.
Baron de Saint-Genois. Bullet, de I academ.
roy, de Belgique, an ne'e 184G.
Hakluyt, liichard. — Texte anglais : « Les
« principales navigations et decouvertes et les
« princij5aux voyages et tratics de la nation an-
tt giaise par terfe et parmer, aux pays de la terre
u ks plus eloigntEs et les plus recules. » 3 vol.
in-f*. Londres, 1698, i59q, 1600. T. II.
Purchas, Samuel. — Hakluytus Posthumus or
Purchas his Pflgrims; Coniaining a history of the
World in the voyages and land irapels by en-
glishmen and others, etc. Londres, 1623-1626,
5 vol. in-f'.
Francisq.ue Michel et Wright. — Recueil de
voyages et de memoires^ public par la Societe de
— XVII —
la relation du voyage du celebre fran-
ciscain, public par la Societede geogra-
phie de Paris, porte son nom ecrit de
cette maniere : Rubruk. D'autres ma-
nuscrits ont Riibrock et Riibriic. Au
moyen age, la voyelle ii sonnait on en
flamand. C'est pourquoi « Rubruk » a
ete ecrit, dans la suite des siecles, « Ru-
brouk » ou a Rubrouck, » et ce nom est
celui d'une commune francaise du can-
ton de Cassel, dans le departement du
Nord, mais d'une commune ou Ton a
toujours parle le flamand et ou cette
langue s'est maintenue.
Nous pouvons done afBrmer, avec
M. Wallon ', que notre cordelier etait
d'origine francaise, mais nous ne pou-
vons pas, avec le savant academicien,
Tappeler Ruysbroek, parce que ce nom
est celui d'un village de Belgique, ou
naquit en 1294 le moine Jean de Ruys-
geographie de Paris^ Paris, in-4*, iSSg. T. IV,
p. 2o5.
Marquis de Villeneuve, Histoire de saint
Louis, 3 vol. in-8'. Paris, i836.
Vivien DE Saint-Martin, Hist, des decouvertes
des nations europeennes, in-8°. Paris, 1845. T. II,
p. 493 : Le franciscain flamand Ruysbroek ou
Rubruquis.
I. Saint Louis et son temps, in-8*, 1875. T. I,
p. 449.
XVIII —
broeck, qui s'est rendu celebre par une
vie austere et des ecrits ascetiques K
I . PACQ.UOT, Memoir es pour servir a Vhistoire
litteraire des Pays-Bas^ i763, t. I, p. 2o3.
Ernest Hello, Rusbroek Vadmirable^ in-32*.
Paris, 1869. — Le journal VUnivers^ du 8 fe-
vrier 1869. — En 1867, j*avais entretenu TAca-
demie dcs Inscriptions et Belles-lettres de mes
recherches sur le lieu de naissance de Guillaume
de Rubruquis, A cette occasion, M. d'Avezac,
membre de Tinstitut, m'a fait Thonneur de m*e-
crire la lettre suivante :
« Paris, ce 20 septembre 1868.
tt Monsieur,
a Mes sympathies ^taient tout acquises au sa-
<( vant arch^ologue, soigneux des gloires natio-
« nales, qui se montrait ddsireux d*appuyer de
tt temoignages expliciteSj puises dans les docu-
w ments anciens, la qualit^ deFrancais quiappar-
a tient au celfebre cordelier Guillaume de Ru-
tt bruk, Tenvoy^ du roi de France vers le qaan
a Mangou en i253. Hakluyt (1600) et Purchas
tt (1625), qui les premiers ont publid et traduit
tt sa relation, avaient justement proclam^ cette
tt nationality, dans TintituM latin comme dans
« I'intitul^ anglais (Gallic Frenchman) de leurs
tt publications; ce n'est que post^rieurement et
tt fort a la l^g^re que, sur une simple ressem-
tt blance du nom de Rubruk avec celui de Ruys-
« broek en Brabant, on a dnoncd et v€^€x.6 que le
« frere Guillaume dtait Braban^on, sans tenir
tt compte des indices intrins^ques seffids dans la
tt relation meme.
tt Vous avez bien voulu, Monsieur, me mander
« que Texistence d'une famille de Rubruk est
— XIX —
a constatee par de nombreuses chartes, notam-
a ment dans le cartulaire de Watten : permettez-
tt moi de vous demander sur ce point, au lieu
« d une pure ^nonciation, une citation precise de
cc ces chartes, par designation expresse des d^-
tt pdls d'archives oil elJes existent aujourd'hui,
a des dates de temps et de lieu, des personnages
u mentionnds et sommairement du sujet de cha-
a que acte »
ci d'Avezac. »
Caracorum au bourg de Saint-Denis et
il mentionne le Grand-Pont, qui est le
Pont-au-Changc en face du Chatelet. II
doit meme avoir ete a la cour de
France, puisqu'il a connu M. de Beau-
niont, marechal et chambellan de
France. Aussi, a Constantinople, est-il
admis aupres de Pempereur, Baudouin
de Hainaut. II pent done se faire que
Guillaume de Kubrouck ait accompa-
gne saint Louis en Palestine, ou bien
Robert d'Artois dans le voisinage du-
quel etait le lieu de sa naissance, mais
enclave dans le domaine du comte de
Flandre '. Peut-etre a-t-il pris part a la
« I . Assez tost apres le trespas de Loys de France,
diet de Montpcnsier, madame Jehenne contesse
de Flandre, practiq«ia plusieurs journ^es, et com-
munications pour trouver quelque ouverture de
paix, entre le nouvel roys Louys, et la reyne
Blanche sa m^re, avec les nobles de France
d'une part, et Ferrant conte de Flandre, et la
contesse Jehenne d'autre. Laquelle contesse be-
soingna, et diligenta de sorte, qu'apres divers par-
lements, fut Enablement con^eu un traite de la
maniere qui s'ensuyt : « Premiers que ledict
a conte Ferrant et sa femme s'obligeront par
« eux, et Jeurs successeurs a perp^tuite, parde-
a vant le Pape de ne jamais eux sustraire de la
« feault^ et hommage du Roy de France : a peine
w que s*ils le faisoient, les evesques de Laon et
u de Senlis, pourroyenl en dedens quarante jours
u apres meiire Tinterdict en Flandre, .sans en
— XXIII —
bataille delaMansurah, avec ses freres de
Tordre de saint Francois, sous la ban-
niere et les ordres de Jean de BeaufFort ?
Quoi qu'il en soit, c'est a Saint- Jean -
d'Acre que le roi de France confie au
frere Guillaume ses lettres pour Sar-
tach, qui campait aiors a trois journees
en deca du Volga, et c'est a Saint-Jean-
d'Acre que le cordelier s'embarque
pour s'acquitter de sa mission.
Rubrouck nous a laisse sur les peu-
ples qu'il a visites les notions les plus
c( faire relaxation jusques k ce qu'ils eussent
u amende leur mesus et meffaict, que jamais
tt plus le conte Ferrant en sa personne, ne s'es-
« leveroit centre le roy, la royne ne ses succes-
a seurs roys de France, et ne se substraheroit
M de leur obdissance, ni du service qu'il est
« obleg^ leur faire, tant et sy longuement, que
« le roy luy feroit raison en la court des Pairs... »
a Ce fut faict a Melun en Tan mil deux cens
<( vinst et cine au mois d^april. »
« Madame Marguerite contesse de Flandre et
d'Hainault et Guillaume de Dompierre son fils
ain^, se transport^rent vers I'an mil deux cens
quarante quatre, en la ville de Paris , vers le
roy saint Louys, pour luy faire hommage de
la cont6 de Flandre. En quoy ledict roy leuf
fit du commencement beauco'.^p de de dimculte,
touteffois les receut enfin a faire ledict hommage,
mais ce fut moyennant le serment, quMls firent
sur les sainctes Evangiles, d'entretenir la paix
faicte en Tan mil deux cens vingt cine , qu'on
appelle la paix de Melun. » Oudegherst, Chro-
nique de Flandre^ in-4% 1571, p. 177 et 186.
— XXIV —
precises, et il nous fait connaitre en
meme temps sa personne, les opinions
qu'il a soutenues sur Torigine du monde
et Tame des betes, et ses idees sur les
hommes et les choses des pays qu'il a
parcourus. Mais ce qu'il y a surtout de
remarquable, c'est sa theorie sur ie
droit de propriete ct le fait de la guerre.
Rubrouck rapporte * que les Orien-
taux ne s'accusaient point du peche de
larcin, parce qu'ils ne pouvaient vivre
sans voler, leurs seigneurs les privant
de nourriture et devetements. Lemoine,
emu detant de durete et de si cruelles
injustices dont ils avaient a souffrir, ne
leur denia pas le droit de s'approprier,
sur les biens du maitre, tout ce qui etait
necessaire a leur existence, et il s'enga-
gea meme a soutenir cette these devam
leur souverain, Mangou-Khan.
Or, en Asie, au xiu® siecle, le khan,
representant TEtat, etait seul proprie-
taire du sol. Mais il est certain que le
droit de propriete ne lui avait ete ac-
corde que pour en faire usage au profit
de tous ses sujets. Le khan manquait
r. P. 340 de I'ediiion de la Societc de geogra
phie de Paris.
— XXV —
done au plus imperieux de ses devoirs
s*il meconnaissait cette obligation, et
Rubrouck se rappelant ces paroles de
la Genese : « Je vous ai donne toutes
« les herbes qui portent leur graine et
« tous les arbres qui renferment en eux
m leur semence, chacun selon son cs-
(( pece, afin qu'ils vous servent de
cc nourriture (ch. i, 19), » Rubrouck
pouvait done ne pas qualifier de peche
ie vol commis dans de telles circons-
tances. Pour lui, il suffisait de vivre
pour avoir le droit de vivre. II etait
done criminel, le pouvoir qui derobait
Talimcnt necessaire a la vie d'un eire
humain. <( En elFet, dit un publiciste,
la famille d'unc part, la proprieie d'au-
trc part, sont les deux cellules, les deux
ovaires. Tun physiologique, Pautre eco-
nomique, de tout organisme, de tout
mouvement de la vie soeiale... La fa-
mille et la propriete, ainsi que les lois
qui president a la formation de ces deux
faits primordiaux et gencriques, sont
done anterieures et superieures a toutes
lois et a tous faits poliiiques contingents
et volontaires, quels qu'ils soient ' ».
I. Vindividualiime, in-16. Paris, 1873.
— XXVI —
Quant a la guerre, Rubrouck par-
donne aux soloats d'y prendre part,
lorsqu'elle est dirigee centre les infideles
ou les mecreants. « Mais, dit-il, je leur
« ai defendu energiquement de marcher
« centre les Chretiens et de leur faire le
« moindre tort. Je leur ai conseille de
« soufFrir plutot la niort, parce qu'ils
« seraient martyrs, » et il ajouta que si
quelqu'un lui reprochait son opinion sur
ce point, il irait la soutenir devant
Mangou-Khan lui-meme ^
Rubrouck admet done la guerre
comme un fait selon la nature de
rhomme, mais il ne Tadmet qu'autant
qu'elle soit juste et legitime. S'il ne
t. Celte these du franciscain de Rubrouck a
cte reprise et soutenue, en 1876, par un membre
de la Chambre des communes d'Angleterre.
M. Parnell a prononce a Dublin, dans un meeting
fenian, un discours oil se trouve, d'apres la ver-
sion du FreemavCs Journalf le passage suivant :
« II y a 5o,ooo Irlandais dans rarmec britanni-
« nique en ce moment meme ou un nuage de
« guerre delate en Orient, — ou TAngleterre a
u manifest^ le dessein de soutenir Ti^lamisme, de
« soutenir le Croissant contre la Croix. J*espere
a qu*aucun Irlandais n'oubliera les traditions du
u passd, le respect de soi-meme et de sa religion ;
tt )*espere qu'aucun Irlandais n*oubliera sa patrie
u au point d'aider I'Angleterre dans sa tentative
« ndfaste. » Motiiteur universel du mardi 11 juil-
let 1876.
XXVII
trouve pas cette condition absolue dans
cette etrange juridiction du meurtre, ii
condamne la guerre, parce qu'il se rap-
pelle ces iois de Moise consignees dans
rExode : cc Vous ne tuerez point (ch.
XX, 1 3); »... « Si un homme tue son
« prochain avec un dessein forme et
« rayant recherche, vous i'arracherez
« de mon autei pour le faire mourir
a (ch. XXI, 14). » Mais la guerre contre
les Chretiens est une guerre injuste et
iflipie, et Rubrouck fait defense expresse
d'y prendre part, parce que pour lui le
Chretien de TOrient est « 1 innocent et le
juste », et qu'il est dit au meme livre de
I'Exode : « Vous ne ferez point mourir
c( rinnocentet le juste (ch. xxiii, 7). »
L'envoye de saint Louis en Tartarie
n'etait pas seulement un esprit droit et
eclaire, il etait encore un grand carac-
tere. Un faux ermite avait fait accroire
a Mangou-Khan qu'il serait le maitre
de la France et du monde s'il se faisait
Chretien, et lorsque Rubrouck alia le
visiter, le solitaire le pria de tenir au
prince tartare le meme langage.
« Frere », lui repondit le franciscain,
« je lui conseillerai volontiers de se faire
« Chretien, car je suis venu pour cela, et
t* je donnerai ce conseil a 1 univers en-
— XXVIII
tier. Je lui ferai entrevoir aussi la joie
qu'en eprouveront les Francais et le
Pape, et lui promettrai qu'ils le tien-
dront pour frere et ami; mais qu'ils
deviendront ses esclaves et lui paie-
ront tribut, je ne le dirai jamais, parce
que je parlerais contre ma con-
science. »
Guillaume de Rubrouck revint-il en
France apres avoir accompli la mission
que Louis IX lui avait confieePOn Ti-
gnore. Le celebre franciscain le desirait,
et il supplia le roi de soUiciter pour lui
cette faveur de son provincial. Mais rien
ne nous apprend qu*il lui fut permis de
revoir sa patrie, et si nous avons pu
montrer son berceau, nous n'avons pas
eu le bonheur de decouvrir sa tombe.
Les uns croient que Guillaume de Ru-
brouck est mort au convent de Saint-
Jean d'Acre en 1266, d'autres qu*il vi-
vait encore en 1 298, et qu'il etait age de
vingt-trois ans quand le roi de France
fit appel a son devouement ct a son pa-
triotisme.
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VOYAGE
DE
GUILLAUME DE RUBROUCK
EN ORIENT
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VOYAGE
DE
GUILLAUME DE RUBROUCK
EN ORIENT
;u tr^s-excellent seigneur et tr^s-chre-
tien Louis, par la grdce de Dieu il-
lustre roi des Francs, Guillaume de
Rubrouck, minime de Tordre des Freres
mineurs, salut, et qu'il triomphe toujours
dans le Christ. II est ecrit du sage dans VEc-
clesiaste : « 11 ira dans la terre des nations
« etrangdres, et essaiera du bien et du mal
« en toutes choses. » J'ai fait ainsi, mon
seigneur roi, mais comme un sage et non
comme un insense. Or, beaucoup agissent
comme le sage, mais non sagement, mais
plutdt comme des insenses, et je crains
d'etre de leur nombre. Cependant je ferai
ce que vous m'avez ordonne lorscjue j'eus
— 4 —
pris congd de vous ; je vous ecrirai tout ce
que j'ai vu chez les Tartares. Vous m'avez
recommande meme de ne pas redouter de
vous eiinuyer par de longues lettres. J'u-
serai de cette tolerance avec tout le respect
et la veneration qui vous sont dus, parce
que je ne saurais employer un langage di-
gne d'une aussi grande majeste.
Que votre sainte Majeste sache done
qu'en I'an du Seigneur mil deux cent cin-
quante-trois, aux nones de mai, nous som-
mes entres dans la mer de Pont \ qu'on
appelle vulgairement mer Majeure (mer
Majour par les Bulgares). Cette mer a
mille quatre cent milles en longueur, au
dire des marchands, et elle est comme se-
paree en deux parties. Vers le milieu sont
deux provinces, Tune au nord et I'autre
au midi. Cellela, qui est nommee Sinopo-
lis ^, est une forteresse et un port du sou-
dan de Turquie; celle-ci est une province
que les Latins nomment maintenant Cas-
saria, c'cst a-dire Cesaree '^. 11 y a aussi
des promontoires qui s'avancent dans la
mer, du cote de Sinopolis, vers le midi. II
y a trois cents milles entre Sinopolis et la
lerre de Cesaree; de sorte qu'il y a soi-
xantc dix milles de ces points a Constan-
tinople en longueur ec en largeur, et
soixante-dix vers i'orient, cu se trouve
riberie qui est une province de Georgie 4.
Nous parvinmes d la province de Casa-
rie oil de Cesaree, qui forme un triangle,
— 5 —
ay ant k Touest la ville appelee Kersona 5,
oCi saint Clement a et^ martyrise. Et na-
viguant en vue de cette viile, nous aper-
cumes une ile oCi se trouve une eglise
qu'on dit avoir ete construite par les an-
ges. Au milieu, vers la pointe meridionale
du triangle, est la ville de Soldaia 6, qui
regarde Sinopolis de cote. C'est par la que
passent tous les marchands venant de Tur-
quie qui veulent gagner le Nord, et ceux
qui viennent de Russie et des pays du
Nord pour se rendre en Turquie. Les uns
y portent des grisets et d'autres peaux
precieuses ; les autres, des toiles de coton
ou de Bombax 7, des draps de sole et des
epices aromalisees. A Test de cette pro-
vince est la ville de Matriga ^, oU le Ta-
nais 9 se decharge dans la mer de Pont,
ayant k son embouchure douze milles de
largeur. Gar le fleuve, avant d'entrer dans
la mer de Pont, est vers le Nord comme
une autre mer ayant soixante-dix milles
en largeur et en longueur, et jamais plus
de six pas de profondeur, de sorte que les
grands vaisseaux ne peuvent y entrer;
mais les marchands qui se rendent de
Constantinople k Matriga envoient leurs
barques jusqu'au fleuve du Tanais, pour
acheter du poisson sec , c'est-a-dire de
I'esturgeon et de la barbue, avec quantite
d autres poissons.
Cette province de Cesaree a Irois cotes
baignes par la mer , savoir : Touest, ou
— 6 -—
est Kersona, la ville de Clement; au midi,
oti est la ville de Soldaia, vers laquelle
nous nous dirigeames et qui est la pointe
du pays, et h I'est, oU est Matriga, Tem-
bouchure du Tanais. Au-del^ est le Si-
chie '*^, qui n'obeit pas aux Tartares. En-
suite, vers le sud, est Trebizonde '^ qui a
un seigneur particulier, nomme Guy; il
est de la race des empereurs de Constanti-
nople et obeit aux Tartares. Puis Sinopo-
lis, soumise au soudan de Turquie, qui
leur obeit aussi. Puis la terre d'Eusta-
che'2^ c[ont le fils se nomme Ascar, du
nom de son aieul maternel, et qui est in-
dependant. De I'embouchure du Tanais k
Touest jusqu au Danube vers Constanti-
nople, la Valachie*^, qui est le pays d'As-
san, et la Bulgarie mineure'4 jusqu'^ la
Slavonie. Toute cette contree paie tribut
aux Tartares ; et meme dans les dernieres
annees, outre le tribut convenu, les do-
minateurs ont pris par chaque maison
une hache et tout le ble qu'ils ont pu trou-
ver. Nous arrivdmes k Soldaia le douze des
kalendes de juin (le 21 mai). Nous y
avions ete precedes par des marchands de
Constantinople qui avaient de]k fait cou-
rir le bruit que des ambassadeurs de la
Terre-Sainte allaient se rendre aupr^s de
Sartach '5. Cependant j'avais dit publi-
quement, le dimanche des Rameaux, dans
leglise de Sainte-Sophie , que je netais
envoye ni par vous ni par personne, mais
- 7 —
que ) allais precher chez les mecreants se-
lon la r^gle de notre ordre. Arrive dans
cette ville de Soldaia, les marchands me
donnerent le conseil de parler avec pru-
dence, parce qu'ils avaient annonce que
j'etais ambassadeur ; et si je disais le con-
traire, on pourrait m'empecher de pour-
suivre mon chemin. Alors je parlai ainsi
aux capitaines de la ville, ou plut6t k leurs
lieutenants , parce que les capitaines
etaient alles, pendant I'hiver, porter le tri-
but a Baton et qu'ils n'etaient pas encore
de retour : « Nous avons entendu dire en
Terre-Sainte que votre seigneur Sartach
etait Chretien, et tous les Chretiens sen
sont tr^s-r^jouis, et surtout le seigneur des
Francs, le roi tr^s-chrdtien, qui est venu
dans la Palestine et combat les Sarrazins
pour arracher les lieux saints de leurs
mains. Je veux done me rendre aupr^s de
Sartach, et lui porter des lettres clu roi,
mon maitre, dans lesquelles il Tentretient
des int^rets de toute la chretiente. » Et ils
nous accueillirent favorablement et nous
donndrent Thospitalite dans Teglise epis-
copale. Et Tev^que de cette eglise, qui
avait ete recu par Sartach, m'en dit beau-
coup de bien; ce que je n'ai pas constate
dans la suite.
Alors, ils nous donnerent k choisir en-
tre des chariots atteles de boeufs pour
transporter notre bagage, ou bien des che-
vaux comme sommiers; et les marchands
— 8 —
de Constantinople me conseill^rent de ne
pas accepter les chariots, mais plutot d'en
acheter qui fussent couverts, pareils k
ceux avec lesquels les Russes transpor-
tent leurs fourrures; dans ces chariots
j'enfermerais tout ce dont je n'aurais pas
journellement besoin. Que si j'acceptais
les betes de somme, ii me faudrait les
charger et d^charger dans chaque au-
berge *^, et de plus marcher h pas lents a
cote des boeufs. Je suivis leur conseil, qui
n'etait pas bon cependant, parce que je
mis deux mois k aller chez Sartach, tan-
dis qu'un seul m'aurait suffi si j'avais eu
des cnevaux.
A Constantinople, j'avais pris avec
moi des fruits et du vin muscat et du bis-
cuit delicat, d'apr^s le conseil des mar-
chands, pour les ofFrir aux chefs de la ville,
et cela dans Tespoir qu'ils rendraient notre
voyage plus facile, parce qu'ils ne voient
f)as de Don ceil ceux qui viennent ^ eux
es mains vides. N'ayanl pas rencontre la
les capitaines de la ville, je deposai mes
provisions dans un chariot, parce qu'on
m'affirma que je ferais chose agreable k
Sartach si je pouvais faire parvenir ces
presents jusqu a lui.
Nous nous mimes done en route vers
les kalendes de juin (le i*''" juin) avec qua-
tre chariots couverts, et deux autres qu'on
nous avait donnes pour transporter les
matelas {lectiscrinia) qui devaient nous
— 9 -
servir k reposer la nuit. Nous reclames en-
core cinq chevaux de selle, parce que
notre caravarie se composait de cinq per-
son nes, moi, mon compagnon frere Bar-
tholomee de Gremone, et Gosset ou Gossel
porteur des presents, et un homme de
Dieu, un Turcoman qui nous servit d'in-
terprete; plus, un jeune homme, nomme
Nicolas, que j'avais achet^ de nos aumo-
nes. On nous donna aussi deux hommes
pour conduire nos chariots et garder nos
boeufs et nos chevaux.
Or, il y a sur cette mer des promontoi-
res trds-eleves depuis Kersona jusqu'sl
Tembouchure du Tanais. et quarante cha-
teaux entre Kersona et Soldaia. Dans
chacun de ces chateaux on parle une lan-
gue particuliere. J'y ai vu aussi beaucoup
de Goths, dontl'idiome est le teutonique »^.
Ayant passe les montagnes du Nord,
on trouve une belle foret dans une plaine
traversee de ruisseaux et ou jaillissent des
sources d'eau vive, et apr^s cette fontaine,
il y a une vaste etendue de terre ; il a fallu
cinq jours pour la traverser et atteindre
I'exlremite septentrionale de cette pro-
vince. La mer enserre cette terre k Test et
k Touest, et la fait ressembler k un large
foss^.
Les Comaux '7 s'etaient fixes dans cette
plaine avant la venue des Tartares, et
avaient force les villes et les chateaux k
leur payer tribut ; et lorsqu'ils furent ex-
— 10 —
pulses par ceux-ci , ils envahirent cette
province en si grand nombre qu'ils attei-
gnirent les rivages de la mer et que les
vivants mangdrent les mourants, au rap-
port d'un marchand qui pretend avoir vu
cela. Les vivants d^voraient et dechiraient
k belles dents les chairs crues des morts,
comme les chiens des cadavres.
A I'extremite de cette province se voient
beaucoup de grands lacs; sur leurs rives
il y a des salines naturelles, dont I'eau,
d^s qu'elle entre dans le lac, s epaissit en
sel et se durcit comme de la glace, et Ba-
tou et Sartach retirent de ces salines de
gros revenus, parce que de toute la Russie
on y vient chercher du sel, et pour chaque
chariot charge, on donne deux pidces de
toile de coton qui valent une demi-yper-
pdre '8. La, viennent aussi par mer beau-
coup de navires pour s'approvisionner de
sel ; ils paient un tribut proportionne k la
cargaison.
Apr^s avoir quitte Solda'ia, nous ren-
contrames au bout de trois jours les Tar-
tares, et il me semblait que j'entrais dans
un autre si^cle. Je vous decrirai leur vie
et leurs moeurs comme je pourrai.
lb^^W^(^^(fiV^e^e^'5=r4
LES TART A RES
I
Ls n'ont aucune residence rixe et ignorent
oCi ils seront le lendemain. lis se par-
tagent la Scythie, qui s'etend du Danube
^ rextreme Orient (oti le soleil se l^ve), et
chaque capitaine, selon qu'il a plus ou
moins d'hommes sous son commande-
ment, salt les limites de ses pdturages et
oU 11 doit mener paitre ses troupeaux en
hiver et en dte, au printemps et en au-
tomne.
Car, en hiver, ils descendent vers des
r^ions plus chaudes, situees au sud ; en
dte, ils remontent vers des climats plus
froids, au nord ; en hiver, lorsqu'il y a de
la neige, ils se tiennenc dans les pliturages
depourvus d'eau,parce que la neige leur
en tient lieu. Les maisons dans lesquelles ils
dorment, ils les construisent sur des roues,
avec des baguettes entrelacees qui conver-
gent toutes en haut, de mani^re k former
une esp^ce de cheminee, qu'ils recouvrent
— 12 —
d'un feutre blanc. lis enduisent tr^s-
souvent ce feutre de chaux ou terra blan-
che et de- poudre d'os, afin que le tout
resplendisse davantage. Cependant ils em-
ploient aussi quelquefois le noir, et pei-
gnent de couleurs varices le sommet de la
cheminee. lis suspendent egalement de-
vant la porte une peau chatoyante. Ce feu-
tre est couvert de peintures qui represen-
tent des vignes et des arbres, des oiseaux
et des quadrup^des. Et ils font ces maisons
si grandes, qu elles ont parfois trente pieds
en largeur. Car j'en ai mesure, moi-meme,
une qui avait bien vingt pieds de distance
entre les roues d'un cliariot, et quand la
maison etait sur le chariot, elle depassait
bien chaque roue de cinq pieds au moins.
J*ai compte, atteles ^ un seul chariot,
vingt deux boeufs trainant une maison,
onze qui marchaient en ligne, parall^le-
ment k la largeur du chariot et k onze au-
tres boeufs qui les precedaient. L'essieu
du chariot etait grand comme un mat de
navire. Un seul homme se tient k la porte
de la maison sur le chariot, et excite les
boeufs. lis font, en outre, des coffres carres
avec de Tosier entrelac^, leur donnent la
forme d'une grande arche, y pratiquent k
un des bouts une petite porte, recouvrent
ensuite cette caisse d'un feutre noir, enduit
de suif ou de lait de brebis, afin d'empe-
cher la pluie d'y pen^trer, et la decorent
de broderies ou de peintures. Dans ces
— i3 —
cofires, ils ddposent tous leurs ustensiles et
leurs objets les plus precieux ; puis ils les
attachent solidement, avec des cordes, sur
des chariots eleves que trainent des cha-
meaux, afin qu'ils puissent traverser des
fleuves. Ces coffres ne sont jamais descen-
dus des chariots. Quand les Tartares s'ar-
retent quelque part, ils tournent toujours
la porte de leurs maisons vers le midi, et
rangent autour les chariots avec les coffres
92I et li, ^ un demi jet de pierre les uns des
autres, de sorte que la maison se trouve
entre deux rangs de chariots comme entre
deux murs. Les femmes se font elles-me-
mes de si beaux chariots, que je ne saurais
les decrire; je devrais les depeindre, et je
vous les depeindrais tous » si je savais
peindre. Un riche Moal ou Tartare a bien
cent k deux cents chariots avec des coffres.
Batou a vingt-six femmes, dont chacune a
une grande maison , suivie de plusieurs
autres petites, qui sont comme des appar-
tements particuliers qu'habitent les ser-
vantes, et k chacune de ces maisons appar-
tiennent deux cents chariots. Quand on
s'arrete, la premiere femme fait placer sa
cour du cote ouest et ainsi de suite, de ma-
ni^re que la derni^re femme aura la sienne
k Test. — L'espace reserve entre la cour
d'une femme et celle d'une autre est d'un
jet de pierre. La cour d'un riche Moal ap-
paraitra done comme une grande ville,
quoiqu'il y ait peu d'hommes. La moindre
— 14 —
de ses femmes conduira vingt k trente cha-
riots, car le pays n'est pas accidente. Les
chariots, avec leurs boeufs ou leurs cha-
meaux, sont lies k la file. Tun apr^s I'au-
tre ; une femme monte le premier chariot
et tous les autres suivent du m^me pas.
S'ils ont un passage difficile k traverser,
on ddlie les chariots et chacun passe isole-
ment. On marche done lentement, comme
peut marcher un mouton ou un boeuf.
Lorsque les maisons sont rangees, la
porte vers le midi, on met le lit du mai-
tre au nord. La place des femmes est
tou jours k Test , c'est-^-dire k la gauche
de Ja maison du maitre, lorsqu'etant
dans son lit il a la figure tournee vers le
midi. La pJace des hommes est k I'ouest,
c'est-^-dire k droite. Les hommes qui en-
trent dans la maison ne peuvent jamais
suspendre leurs carquois du cote des fem-
mes. Et au-dessus de la tete du maitre, il
y a toujours une image pareille k une
poupee ou k une statuette de feutre, qu'on
appelle le fr^re du maitre de la maison;.
une autre semblable est au-dessus de la
tete de la premiere femme, on I'appelle le
fr^re de la dame, et elle est attachee k la
muraille. Au-dessus de Tune ou de Tautre
des femmes, il y a une petite statuette qui
est comme la gardienne de toute la mai-
son. La maitresse du logis etend k sa
droite, au pied du lit place dans un en-
droit ^leve, une peau de chevre couverte
— i5 —
de laine ou d'autre mati^re, et pr^s de
celle-ci une autre petite statuette dont la
face est fixee sur les femmes et les servan-
tes. Prds de la porte, du c6t^ des femmes,
est encore une autre image avec un pis de
vache pour les femmes chargees de traire
les vaches; car c'est la besogne qui in-
combe aux femmes. Pr6s de la meme porte
et du c6t^ des hommes, est une autre sta-
tuette avec un pis de cavale, pour les hom-
mes charges de traire les cavales. Et lors-
qu'ils s'assemblent pour boire, ils aspergent
d'abord de leur boisson I'image qui est au-
dessus de la tete du maitre, ensuite les au-
tres images en suivant Tordre hierarchi-
que. Puis, un ministre sort de la maison
avec une coupe pleine d'un breuvage et
asperge trois fois vers le midi en flechis-
sant trois fois le genou, et cela pour reve-
rer le feu ; ensuile vers I'orient, pour reve-
rer Tair; ensuite vers I'occident, pour
reverer Teau; et enfin vers le nord, pour
honorer les morts.
Quand le maitre de la maison tient sa
coupe en main et s'apprete k boire, il verse
d'abord il terre une partie du liquide. S'il
veut boire etant k cheval, il en repand
d'abord sur le cou ou sur la criniere du
cheval. Ensuite, le ministre en repandra
aux quatre points cardinaux et regagnera
la maison, et deux serviteurs, munis cha-
cun d'une coupe et de sa patene, portent
k boire au maitre et k sa femme assise k
— lb —
ses cotes sur le lit. Et lorsqu*il a plusieurs
femmes, celle avec laquelle il a passe la
nuit se tient k ses cotes le jour, et il faut
que toutes les autrcs se rendent dans celte
maison pour boire, et 1^ se tiendra cour
plenidre en ce jour, et tous les presents
3ui sont ofTerts en ce jour son! deposes
ans les tresors ^q cette dame. A Tentree
de la maison, est place un banc oti se
trouvent des tasses et une outre pleine de
lait ou d'autre boisson .
En hiver, les Tartares font une tr^s-
bonne boisson avec du riz, du milet, du
froment et du miel, et elle est limpide
comme du vin, car le vin leur vienc d'as-
sez loin. En ^te, ils ne boivent cjue le
cosmos »9. Le cosmos se trouve toujours k
Tentree de la maison, ou se lient cons-
tamment un joueur de guitare. -Je n'ai
Eas vu 1^ nos cistres ni nos vielles, mais
eaucoup d'autres instruments que nous
ne connaissons pas. Et lorsque le maitre
de la maison commence k boire, un de
ses ministres s'ecrie k haute voix : « Ha I »
et le menestrier fait resonner aussitot sa
guitare ; et quand il y a grande fete, tous
applaudissent alors des mains et dansent
aux sons de la guitare, les hommes devant
le seigneur, les femmes devant la dame ;
et lorsque le seigneur a bu, le ministre
crie de nouveau et le joueur de guitare
se tait. Alors, hommes et femmes, tous
boivent tour ^ tour k Tenvi et quelquefois
— ^7
ils boivent d'une manidre fort degoutante
et gloutonne. Et quand ils veulent pro-
voquer quelqu*un k boire, ils le prennent
par Ics oreiiles et les tirent avec violence
pour lui dHater le gosier, et Ton applau-
dit et Ton danse devant lui. De meme,
quand on veut ofirir une grande fete k
^uelqu'un et lui temoigner une grande
joie, Tun prend la coupe pleine, et deux
autres se mettent k sa droite et k sa gau-
che, et ils viennent ainsi tous les trois en
chantant et en dansant vers celui k qui
ils veulent pr&enter la coupe, et ils chan-
tent et ils dansent devant lui ; et lorsque
celui-ci tend la main pour recevoir la
coupe, eux la retirent aussitot, et ils re-
commencent ce manege trois ou quatre fois,
lui presentant et retirant la coupe jusqu'^
ce qu'il ^prouve le besoin de boire; et
alors ils la lui abandonnent, et ils chantent
et ils applaudissent des mains et frappent
des pieds lant qu'il boit.
Vous saurez que les Tartares mangent
indiffiremment la chair de leurs animaux
morts ou tues, car il en meurt de leur
belle mort dans un si grand nombre de
troupeaux. Cependant, en ete, ils ne pren-
nent pas d autre nourriture que le cosmos.
Cette boisson est du lait de jument et ils
en font usage aussi longtemps qu'elle n'est
pas epuisee. Si alors il arrive qu'un che-
val ou qu*un boeuf meure, ils en coupent
les chairs par tranches et les font dessecher
— i8 —
en les exposant au soleil et au vent, et
celles-ci sans etre salees s^chent tres-bien
et ne repandent aucune odeur. Avec les
boyaux ils font des andouilles meilleures
que celles que Ton fait avec du pore, et
ils les mangent toutes fraiches. Le reste
des chairs est reserve pour Thiver.
Avec les peaux des boeufs, ils font des
outres, qu'ils dessechent admirablement ^
la fumee. Avec la partie posterieure de la
peau du cheval, ils font de trds-belles san-
dales. De la chair d'un mouton, ils nour-
rissent cinquante ^ cent hommes ; car ils
la coupent en petits morceaux dans une
dcuelle et Tassaisonnent de sel et d'eau; ils
ne connaissent point d'autre sauce; puis
avec la pointe du couteau ou de la four-
chette qu'ils approprient k cet effet, et
avec laquelle nous mangeons des poires et
des pommes cuites au vin, ils en presen-
tent une bouchee ou deux k chacun des
assistants, selon le nombre des convives.
Le maitre k qui on a presente, avant tout
autre, la chair de mouton, en prend d'a-
bord ce qui lui plait ; et s'il en donne un
morceau, il faut que celui qui Taccepte le
mange seul, et il n'est permis k personne
de lui en offrir ; et s'il ne peut le manger
en entier, il emporte le reste avec lui ou
le remet k son valet s'il est present, ou
bien le depose dans son captargac, c'est-^-
dire une bourse carree que les Tartares
ont communement avec eux pour toutes;
— 19 —
ces choses. Dans ce sac, ils jettent aussi les
OS qu'ils n'ont pas eu le temps de ronger,
mais qu'ils rongeront plus tard, et cela
afin qu'il ne se pcrde pas la moindre
parcelle de nourriture.
1
■a''
LE COSMOS
LEUR cosmos^ c'est-^ direlelaitdejument,
se fait de celte manidre. lis tendent
une corde k deux poteaux fiches en terre,
et k cette corde ils attachent les poulains
des juments qu'ils veulent traire. Les md-
res sont conduites ensuite auprds de leurs
poulains et se laissent alors traire sans dif-
ficuite. S*il en est une insoumise, un
homme prend un poulain et lui fait un
instant teter sa m^re, puis le retire et aus-
sitdt celui qui est charge de la traire le
remplace. Aprds avoir recueilli une grande
quantite de ce lait, qui est aussi doux que
celui de la vache, surtout quand il est
frais, ils le versent dans une outre im-
mense ou tout autre vase, et se mettent ^
le battre avec une pidce de bois preparee
pour cela, grosse a la partie inferieure
comme une tete humaine et creuse en de-
dans. Dds qu'ils le battent, il commence k
bouillon ner comme du vin nouveau, et ^
aigrir ou fermenter, et ils I'agitent jusqu'^
^^^^'^^^^^^^-^-^^^'^^
CE (lUI SE TROUVE EN TARTARIE
LEs grands ont leurs metairies au midi ,
dont ils retirent du mil et de la farine
pour I'hiver, Les pauvres s'en procurent en
echange de peaux et de moutons. Les
esclaves se remplissent le ventre d'eau sale
et ils s'en contentent. Mais ils prennent
des souris, dont il y a de nombreuses va-
ri^tes. Ils ne mangent pas les souris k lon-
gue queue, mais les donnent aux oiseaux.
Ils mangent des liroux et toutes sortes de
souris k courte queue. II y a aussi beau-
coup de marmotes, qu'ils appellent sogur;
I'hiver, elles se rassemblent dans un fosse
au nombre de vingt ou trcnte, et dorment
durant six mois; ils les prennent par
masse. II se trouve encore des cornils qui
ont une longue queue comme des chats, et
au sommet de cette queue, des polls noirs
et blancs. II y a egalement beaucoup d'au-
tres petites botes bonnes k manger, qu'ils
savent parfaitement distinguer. Je n'ai
point vu de cerfs, peu de li^vres, beaucoup
— 26 —
de gazelles. J'ai vu des dnes sauvages en
grande quantite, pareils k des mulcts. J'ai
vu une autre espece d'animal que les Tar-
tares nomment Arcal ou Artax, dont le
corps est comme celui du belier; ses cor-
nes recourbees sont d'un tel poids, qu'^
peine ai-je pu d'une main en soulever
deux, et ils font de ces comes de grandes
coupes k boire. Ils ont aussi des faucons,
des gerfaux et des cigognes par bandes.
Ils portent les oiseaux de proie sur la
main droite; ils mettent toujours au cou
du faucon une petite courroiequi lui pend
jusqu'au milieu de la poitrine, et au moyen
de laquelle, quand ils lachent le faucon
vers la proie, ils inclinent avec Ja main
gauche la tete et la poitrine de Toiseau,
afin qu'il ne soit pas enleve par le vent ni
emporte en haut. La chasse leur procure
done la plus grande partie de leur nourri-
ture.
!SS£l^iSS£5£^^
HABILLEMENTS
POUR ce qui est des vetements et du cos-
tume des Tartares, vous saurez que du
Catai et de la Perse et d'autres contrees du
midi et de Torient, les Tartares ont des
etoffes de soie et d'or, et des toiles de co-
ton, dont ils s*habillent en ete. De la Rus-
sie, du Moxel 22^ de la grande Bulgarie,
de Pascatir ou la grande Honerie et de
Kersis ^3^ qui sont des regions situees au
nord et couvertes de forets , et encore
d'autres pays septentrionaux, ils resolvent
toutes sortes de peaux precieuses, que je
n'ai Jamais vues dans notre patrie et dont
ils se vetissenten hiver. Dans cette saison,
ils portent toujours sur eux au moins deux
peaux ou pelisses, une dont Je poll est en
dedans, Tautre dont le poil est en dehors
contre le vent et la neige; et ces peaux
proviennent le plus souvent de loups, de
renards ou de paons (papionibus); et lors-
au'ils restent chez eux, its en ont une plus
elicate. Les peaux qui servent de man-
• — 23 —
teaux aux pauvres, sont de chiens ou de
chevres.
Quand ils se livrent k la chasse, ils se
rassemblent en grand nombre et envelop-
pent le territoire ou ils savent qu'il y a du
gibier, et s'approchent peu k peu jusqu'^
ce qu'ils Taient enferme comme dans un
cercle; ils lui lancent alors leurs fldches.
lis font aussi des hauts de cfaausses de ces
peaux. Les riches garnissent. leurs v^te-
ments d'etoupes de sole douce, l^g^re et
chaude ; les pauvres, de toile de coton et
de laine; pour cela, ils extraient les parties
les plus delicates d'une laine grossidre. De
celle-ci, ils font du feutre pour garnir
leurs maisons, leurs cofFres et leurs lits.
Ils font aussi des cordes avec de la laine
melangee d'un tiers de crins de cheval.
Avec le feutre, ils font encore des man-
teaux, des couvre-selles et des cappes con-
tre la pluie; de sorte qu'ils font un grand
usage de laine. Vous avez vu Thabille-
ment deshommes.
Les hommes se rasent le sommet de la
tete en carre et les deux cotes jusqu'aux
tempes; puis les tempes et le col jusqu'a la
cavite du cerveau, et le front jusqu'sl la
nuque, oti ils laissent une touffe de che-
veux qui viennent joindre les sourcils. Ils
ne degarnissent pas I'occiput, et, des che-
veux qui ornent celte partie de la tete, ils
font des moustaches qu'ils nouent et ra-
menent jusqu'aux oreilles.
^ 29 —
Les habillements des jeunes filles ne dif-
ferent pas de ceux des hommes, si ce n'est
qu'ils sont un peu plus longs. Mais le len-
demain de leur manage, elles se rasent les
cheveux depuis le milieu de la tete jus-
qu'au front, et portent une large tunique
comme le capuchon d'une religieuse, mais
un peu plus large et plus longue que cc-
Jui-ci, fendue par devant et attachee sous
le c6te droit ; car en ceci , les Tartares
ft'observent pas I'usage des Turcs ; ces der-
niers attachent toujours leur tunique k gau-
che, et ceux-1^ k droite.
En outre, les femmes ont un ornement
de tete qu'elles appellent bocca ou botta;
elles le font d'ecorce d'arbre ou de toute
autre mati^re, la plus Idgere qu'elles puis-
sent trouver. Cette coiffure est grosse et
ronde et pent tenir entre les deux mains;
elle est longue d'une coudee et davantage,
et carree par en haut comipe le chapiteau
d'une colonne. Elles recouvrent cet orne-
ment, qui est creux k Tinterieur, d'une
etoffe de sole precieuse et, sur cette esp^ce
de chapiteau, elles fixent des tuyaux de
f)lumes ou de Cannes leg^res, egalement de
a longueur d'une coudee et plus. Et dans
ces tuyaux, elles placent des plumes de
paon, et tout k f'entour des plumes de
queues de malart avec des pierres precieu-
ses. Les grandes dames mettent cet orne-
ment au sommet de la tete, et le serrent
au moyen d'une aumusse, qui a une ou-
- 32 -
destin^ k la recevoir est lave avec du brou
bouillant de la chaudiere, et apr^s, eiles Vy
reversent. Elles font aussi du feutre et en
recouvrent leurs maisons.
Les hommes font des arcs et des filches,
fabriquent des mors et des brides, des sei-
les de chevaux, charpentent des maisons
et des chariots, gardent les chevaux et
traient les juments, battent le lait pour en
faire du cosmos, c'est-^-dire du lait de ju-
ment, et font les outres oti ils I'enferment;
ils gardent aussi les chameaux et les char-
gent. Us mdnent paitre ensemble les brebis
et les ch^vres, et tantot les femmes, tantdt
les hommes les traient indifferemment.
Les peaux sont preparees avec du lait
caille et sale. Pour se laver les mains et la
tete, les Tartares s'emplissent la bouche
d'eau et la versent peu d peu sur leurs
mains et avec cette meme eau s'humec-
tent les cheveux et se lavent la tete.
fl"
i^M^i£.M.^t&M..^^OK&
MA RI AGES
POUR ce qui est du manage, vous saurez
que personne n'obtient femme s'il ne
Tach^te ; ce qui fait qu'il y a souvent beau-
coup de jeunes tilles ; car leurs parents les
gardent touiours jusqu'^ ce qu'ils les ven-
dent. Les lartares observent les degrds
de consanguinity, le premier et ledeuxieme
seulement, mais ils ne connaissent pas
ceux de I'affinite. Ils peuvent posseder a la
fois deux soeurs, ou les epouser successive-
ment. Parmi eux, nulle veuve ne se rema-
rie, par la raison qu'ils croient que toutes
les femmes qui les ont servis dans cette vie
les serviront dans lautre, et que chaque
veuve aprds la mort retournera k son pre-
mier mari. D'oti ce honteux usage que le
fils epouse quelquefois toutes les femmes
de son p^re, excepte sa propre m^re. En
effei, c'est une obligation pour le plus
jeune des fils de se charger de la famille du
p^re et de la mdre, d'oti cette autre obliga-
tion de pourvoir aux besoins de toutes les
-34-
femmes delaissees par son p^re, et, s'il le
veut, il use d*elles comme epouses, pjarce
que cela n'est pas repute comme injure,
elles rejoignent le p^re apr^s la mort ;
done, si quelqu'un est' tomb^ d'accord
avec le p6re d*une jeune fille, celui-ci ofFre
un banquet, et elle court se cacher chez ses
plus proches parents. Puis, le p^re dit :
« Voil^ ma fille, elle est k toi, tu peux t'en
« emparer partout oti tu la trouveras. »
Alors, il la cherche avec ses amis jus-
qu'^ ce qu'il la trouve, et il faut qu'il la
saisisse par la force et la conduise chez lui
presque malgrd elle.
es^^i^
JUSTICE
POUR ce qui est de leur justice, vous sau-
rez que lorsque deux' hommes se dis-
putent personne n'ose intervenir, meme le
p^re n'ose venir en aide k son fils; mais
ceiui qui succombe en appeile k la cour
du seigneur, et si, apr6s I'appel, queiqu'un
le louche, il est tue. Mais il faut que cela
se fasse promptement et sans deiai, et que
celui qui a souffert Tin jure soit emmene
comme prisonnier. La peine de mort n'est
prononce'e qu'autant que le coupable soit
pris en flagrant delit ou ait avoue son
crime. Mais s'il est accuse par la voix pu-
blique, on le met k la torture pour ob-
tenir son aveu. L'homicide et aussi I'adul-
t^re sont punis de mort, mais il faut que
Tadultdre ait ete commis avec une femme
qui ne soit pas de la domesticite du cou-
pable ; car il est permis de faire avec une
esclave ce qui plait au maitre. Ilspunissent
encore de mort Tauteur d'un vol enorme.
Pour le vol leger, comme celui d*un
— 36 —
mouton, pourvu que le coupable ne soit
pas pris en flagrant d^lit, ils le trappent
cruellement , et si on lui donne cent
coups, on se sert de cent batons. Je park
de ceux qui sont frappes par sentence de
la cour. Ceux qui se font passer pour am-
bassadeurs et ne le sont pas, sont mis a
mort. De meme, pour ceux qui se livrenc
aux sortileges, parce qu*on les conbidere
comme nuisibles.
FUNERAILLES
Ala mort de quelqu'un, les Tartares le
pleurent en poussant des hurlements,
et alors ils sont exempts toute Tannee de
payer tribut. Et si quelqu'un se trouve
present k la mort d'un jeune adulte, il
n'entrera plus le reste de I'annee au palais
du grand khan ; si c'est d'un petit enfant,
il n'y entrera qu'apres la prochaine lunai-
son. Si le defuntest de la noblesse, c'est-
^-dire de la race de Chingis qui fut I'au-
teur et le seigneur des Tartares, on place
sur la sepulture du defunt une des maisons
qui lui ont appartenu. On ne sait oii est la
sepulture de Chingis. Autour des cimetie-
res des nobles, il y a toujours une auberge
pour les gardiens des tombeaux. Je n'ai
pas appris qu'ils enterrent leurs niorts
avec leurs tresors. Les Comans elevent un
grand tertre sur leurs morts, et sur ce ter-
tre une statue la facetournee vers I'orient,
une coupe a la main, a la hauteur du
nombril. lis dressent aussi aux riches des
4*
N»^M«MV
— 38 —
pyramides ou petits ^ificcs pointus, et j ai
vu en certains endroits de grandes tours
faites de briques cuites, et, en d'autres,
des maisons de pierres, quoiqu'il ne se
trouve pas de pierres dans le pays.
J'ai vu dernidrement un tombeau, au-
tour duquel ils avaient suspendu k des per*
ches seize peaux de cheval, quatre a cna-
cun des points cardinaux du monde. lis y
avaient depose du cosmos afin que le mort
put boire, et de la viande afin qu'il ptit
manger, et cependanton disait de lui qu'il
avait ete baptise. J'ai vu d'autres sepul-
tures vers 1 orient; c'etaient de grandes
aires jonchees de pierres, les unes rondes,
les autres carrees, ensuite quatre pierres
longues dressees, aux quatre points car-
dinaux, autour de I'aire.
.^«^^«^^^^^.^^«^^«^^
MALADIES
LORSQUE quelqu'un est malade, il se met
dans son lit, et Ton expose un signal au-
dessus de sa maison, pour indiquer que \S^
il y a un maladc et que personne n'y pent
entrer; ce qui fait gue personne ne le vi-
site, si ce n est celui qui le sert.
Si quelqu'un des grands de la cour est
soufFrant, on place autour de sa demeure
des gardes qui veillent ^ ce que personne
n'en franchisse le seuil. Car on craint que
le vent ou quelque mauvais esprit n'y pe-
netre avec les visiteurs.
Chez les Tartares, les pretres sont les
devins.
"^^hsm
•^v-Kf^vVS^vK^v-K^v^^
»StVW>^<
cuRiosnt: des tar tares
OUANDnousentramcs parmi ces barbares,
il me semblait, ainsi que je I'ai dit plus
haut, que j'entrais dans un autre siecle.
lis nous entour^rent en restant k cheval,
aprds nous avoir iait attendre longtemps
a Tombre de nos chariots. La premiere
question qu'ils nous adresserent fut de sa-
voir si nous etions deja venus chez eux.
Sur notre reponse negative, ils nous de-
manddrent impudemment a manger. Nous
leur donnames du biscuit et du vin que
nous avions apportes avec nous de la ville,
et apr^s avoir bu une bouteille de vin, ils
en demand^rent une seconde, disant qu'un
homme n'entre jamais dans une maison
avec un seul pied; mais nous la refusames
en nous excusant sur notre faible approvi-
sionnement. Alors ils nous demanderent
d*oii nous venions et oti nous voulions al-
ler. Je leur repetai ce que j'ai dit plus
haut, a savoir que nous avions appris que
Sartach etait Chretien et que nous desirions
— 42 —
nous rendre aupres de lui, parce que j'a-
vais ^ lui remettre des lettres de vous. lis
demand^rent aussitot si je venais de ma
propre volonte ou si j'etais envoye. Je re-
pondis que personne ne me forcait d aller
vers lui et que si j'allais le trouver, c etait
ma volonte et aussi celle de mon supe-
rieur. Je me gardai bien de dire que j'etais
votre ambassadeur. Alors ils me demands-
rent ce qu'il y avait dans les chariots, si je
portais ^ Sartach de Tor ou de I'argent, ou
bien des vetements precieux. J*ai repondu
que Sartach verrait bien ce que nous lui
apportipns quand nous serions arrives prts
de lui et qu'ils n*avaient pas, eux, ^ se
preoccuper de cela ; je leur dis de me faire
conduire auprds de leur chef, et que, s'il le
voulait, il me ferait accompagner aupr^
de Sartach : sinon, que je men retourne-
rais.
Or, il y avait alors, dans cette province,
un gouverneur parent de Batou et qui se
nommait Scatatai ; le souverain de Cons-
tantinople lui avait adresse des lettres de
recommandation, par lesquelles il le priait
de me permettre de passer. Alors, ils con-
sentirent k nous fournir des chevaux et
des boeufs, et deux hommes pour les con-
duire ; et ceux qui nous avaient amenes
s'en retournerent.
Cependant, avant de nous donner tout
cela, ils nous firent longtemps attendre et
nous demandSrent du pain pour leurs pe-
-43-
tits enfants, et tout ce qu'ils voyaient en
possession de nos serviteurs, couteaux,
gants, bourses, aiguillettes, tout cela exci-
tait leur curiosite et ils voulaient I'avoir.
Je m'excusai de ne pouvoir satisfaire leurs
desirs, parce qu'il nous restait un long
chemin k parcourir et que nous ne pou-
vions pas nous priver encore de toutes les
choses necessaires k notre voyage. Alors
ils disaient que j'etais un mangeur insa-
tiable. II est vrai qu'ils nc nous derob^
rent rien ; mais ils demandent constam-
ment et impudemment, et ce que Ton
donne est perdu, car ils sont ingrats. lis se
disent les maitres du monde, et il leur
semble qu'on ne peut rien leur refuser, et
si on leur donne et qu'on ait jamais besoin
d'eux, ils s'acquittent tres-mal du service
qu'on leur demande.
Us nous donn^rent a boire de leur lait
de vache, dont ils avaient extrait le beurre
et qui etait tr^s-aigre. Us appellent ce lait,
dans leur langage, aira, aj^ra ou agra.
Enfin nous les quittdmes et il me semblait
que nous nous etions ecnappes des mains
des demons. Nous parvinmes le lendemain
chez leur chef.
Depuis que nous etions partis de Soldaia
pour nous rendre aupres de Sartach, c'est-
a-dire depuis deux mois, nous ne nous
etions jamais reposes dans une maison ni
sous une tente, mais toujours sous le ciel
ou sous nos chariots. Nous ne vimes ja-
— 44 —
mais une ville ni trace d*edifice rappelant
I'existence dune ville, mais nous vimcs
une multitude de tombeaux de Comans.
Un soir, notre serviteur, celui qui nous
conduisait, nous donna a boire du cosmos,
la nouveaute et I'etrangete de cette boisson
me lit tressaillir d'horreur. Cependant je
finis par la trouver douce ce qui est vrai.
-•^r-
k^^^^^k^^'i^^'k^k^'k^^
CAMPEMENT TARTARE
LE matin done nous rencontramesles cha-
riots de Scacatai charges de maisons,
et il me semblait que nous avions devant
nous une grande ville. Je fus etonne du
grand nombre de ses troupeaux de boeufs,
de chevaux et de moutons, et je ne vis que
peu de monde pour les conduire. C*est
pourquoi je demandai combien il avait
d'hommes avec lui, et Ton me repondit
qu'il n'en avait pas plus de cinquante et
que nous en avions vu la moitie dans une
autre station. Alors, I'un de ceux qui
etaient charges de nous accompagner me
dit qu'il fallait offrir quelque chose k Sca-
catai, et lui-meme nous fit arreter et nous
devanca pour aller annoncer notre arri-
vee. La troisi^me heure etait dej^passee;
ils depos^rent leurs maisons tout pr^s dun
ruisseau, et I'interprete du kh^n vint a
nous. En apprenant que nous n'etions ja-
mais venus chez les Tartares, il nous de-
manda aussiiot de la nourriture et nous
-46-
lui en donnames. II nous demanda aussi
quelques vetements, en recompense de ce
qu'il allait traduire nos paroles au maitre.
Nous nous en excusames. II voulut savoir
ce que nous portions h son maitre. Nous
sortimes une bouteille de vin et remplimes
un panier de biscuits, et un plateau de
pommes et d'autres fruits; mais cela nelui
plaisait pas parce que nous ne donnions pas
quelque etoffe precieuse. Nous nous avan-
c^mes cependant pleins de crainte etde res-
pect. Scacatai etait assis sur son lit, tenant
une guitare k la main, et sa femme etait
pr^s de lui ; en la voyant, nous crQmes en
verite qu'on lui avait coupe le nez, elle
ressemblait a un singe, car elle n'avait rien
entre les yeux, et k la place du nez elle
avait mis un onguent noir, et aussi sur les
sourcils ; ce qui etait k nos yeux le comble
de la laideur. Alors je lui parlai dans les
termes que je vous ai dits. II nous fallut
en effet toujours repeter la memc chose, et
nous avions ete prevenus par ceux qui
avaient ete recus k la cour du khan, que
nous ne devious jamais changer nos paro-
les. Je le priai aussi de vouloir bien accep-
ter un petit present de notre main, m'ex-
cusant de ce que , dtant moine , je ne
pouvais, sans desobeir k la r^gle de notre
ordre, posseder ni or, ni argent, ni habits
precieux. Je ne pouvais done lui offrir rien
de pareil, mais je le suppliai d'accepter
une portion de nos vivres en signe de be-
— 47 —
nediction. Alors il fit prendre ce que nous
lui offrions et le fit distribuer a ses hom-
ines qui setaient assembles pour boire. Je
lui remis aussi les lettres de I'empereur de
Constantinople. Cela fut dans Toctave de
I'Ascension. II les envoya aussitot k Sol-
da ia, pour les faire traduire, parce qu*elles
etaient en grec et qu'il n'avait aupr^s de
lui personne qui les comprit. II nous de-
manda aussi si nous voulions boire du
cosmos, c'est-^-dire du lait de jument, car
les Chretiens russes,grecs et alains ^5^ qui se
trouvent parmi les Tartares et veulent ob-
server fiddement leur loi, ne boivent pas
cela, persuades qu'ils feraient acte d abju-
ration en buvant le cosmos. Alors les pre-
tres les reconcilient avec le Christ comme
s'ils Tavaient renie. Je repondis done que
nous en avions suflBsamment, et que s'il
venait ^ nous manquer, nous boirions ce
qu'il nous presenterait. II nous demanda
aussi ce que contenaient les lettres que
vous envoyiez k Sartach. Je lui dis qu'elles
etaient closes, et qu'il ne s'y trouvait que
des paroles aimables et gracieuses. II nous
demanda encore ce que nous dirions k Sar-
tach. Je lui repondis : « Des paroles chre-
tiennes. » II nous reparlit qu'il voudrait
bien les entendre. Alors je lui exposal le
symbole de notre foi le mieux que je pus,
par mon interprdte qui n'etait pas eloquent
et dont I'intelligence etait peu developpee.
Nous ayant ecoute, 51 se tut et branla la
-48-
tete. Alors il chargea deux hommes de
veiller sur nous, d'avoir soin de nos che-
vaux et de nos boeufs, et de conduire nos
chariots jusqu'au retour de celui que le
khSn avait envoye s'enquerir du contenu
des lettres de Tempereur de Constantino-
ple, et nous, cheminant ainsi avec iui,
nous atteignimes le lendemain de la Pen-
tecote.
LES ALAINS
LA veille de la Pentecote vinrent ^ nous
quelques Alains , qu'on nomme Aas ou
Adas, Chretiens selon le rile grec, ayant
des pretres grecs et faisant usage de Tecri-
ture grecque. Toutefois, ils ne sont pas
schismatiques comme les Grecs, mais ont
de la veneration pour tout chretien sans
acception de personne, et ils nous apportd-
rent de la viande cuite, nous priant d'en
manger et de prier pour un de leurs
morts. Je dis alors que c'etait la veille
d'une grande solennite et qu'en ce jour il
ne nous etait pas permis de manger de la
viande. Puis, je leur expliquai cette solen-
nite. lis en furent tr^s-etonnes parce qu'ils
ignoraient tout ce qui a rapport au rite
chrdtien; ils n'en connaissaient que leseul
nom du Christ. lis nous demanderent
aussi, eux et beaucoup d'autres Chretiens,
Russes et Hongrois, s*ils pourront etre
sauves parce qu il leur faut boire du cos-
mos et manger de la chair de betes mortes
— 5o —
ou tudes par des Sarrazins et autres infide-
les, choses que les pretres grecs et russes
considerent eux-memes comme poUuees ou
consacrees aux idoles , et de plus parce
qu'ils ignoraient les jours de jeune et que,
s'ils les connaissaient, ils ne pourraient pas
les observer. Alors je les eclairai comme
je pus, les enseignant et les reconfortant
dans la foi. Nous gardames la viande qu'ils
nous avaient apportee jusqu'au jour de la
fete, car nous ne trouvames absolument
rien ni pour or ni pour argent, si ce n'est
pour des toiles ou pour d'autres etoffes, et
nous n*avions rien de tout cela en notre
possession. Quand nos serviteurs leur
montraient des iperp^res, ils les frottaient
entre les doigts et les portaient au nez
pour sentir si c'etait du cuivre. Ils ne nous
donnerent d'autre nourriture que du lait
de vache, tr^s-aigre et fetide. Dej^ le vin
nous faisait defaut, et les chevaux avaient
tellement trouble I'eau qu*elle n'etait pas
potable. Si nous n'avions eu du biscuit et
n'avions ete aides de la gr^ce de Dieu,
nous serions certainement morts de faim.
— -^^^I^o-
, C^DI c\DX C\D/ c\DX c\9 r c\DX ^
UN SARRAZIN
L
E jour de la Pentecdte, un Sarrazin vint
nous parler et nous lui exposdmes no-
tre croyance. Entendant de quel bienfait
est pour rhumanite la foi en Tlncarna-
tion, la resurrection des morts, le juge-
ment dernier, I'ablution des peches par le
bapteme, il nous dit qu'il voulait etre bap-
tist, et comme nous nous disposions h lui
administrer le sacrement du bapteme, il
sauta aussit6t ^ cheval disant qu'il allait
k sa maison demander I'avis de sa femme.
De retour le lendemain, 11 nous dlt que
pour rien au monde il n'oserait recevoir le
bapteme , parce qu'il ne pourrait plus
boire du cosn^os. Or, les Chretiens de cette
region disaient qu'aucun vrai chr^tien ne
devrait boire du cosmos, et que cependant
sans cette boisson, il n'est pas possible de
vivre dans cette solitude. 11 me fut impos-
sible de leur enlever cette opinion. Ce fait
vous fera comprendre combien les Tarta-
ressont encore eloign^s de notre religion,
— 52 —
k cause de cette opinion qui leur a ete
iransmise par des Russes, en grand nom-
bre parmi eux. Ce jour, S^acatai nous
donna un homme pour nous conduire jus-
qu'^ Sarlach, et deux autres hommes pour
nous accompagner jusqu'^i la station la
plus prochC) qui etait k cinq journees de
distance, au pas dont marchaient nos
boeufs. On nous donna encore une chdvre
f)Our notre nourriture, plusieurs outres de
ait de vache et un peu de cosmos, parce
que le Tartare considdre ce breuvage
comme precieux.
QQQQQ
LE KIPTCHAK
NOUS dirigeant done lout droit vers le
nord, il me semblait que nous traver-
s^mes une porte de I'enfer^s. Nos conduc-
teurs commencaient alors k nous piller au-
dacieusement , parce qu'ils nous voyaient
peu soigneux. Nous apercevant des larcins
qui venaient d'etre commis, nous devin-
mes plus circonspects. Enfin nous arriva-
mes aux confins de cette province qui est
termee par un fosse d'une mer k Tautre.
Audel^, nous trouvames ceux chez qui
nous allions et qui nous semblaient etre
tous couverts de Idpres, tant ils etaient hi-
deux. On avait place \k ces gens misera-
bles pour recevoir le tribut de ceux qui ve-
naient prendre du sel aux salines dont j'ai
parle plus haut. Decelte station, on nous
disait que nous avions encore k cheminer
durant quinze jours avant de rencontrer une
ame vivante. Nous bOmes du cosmos avec
eux et leur donnames un panier plein de
biscuits ; eux nous donn^rent en echange,
5»
- 54-
pour huit personnes et pour un si grand
voyage, une seule ch^vre et je ne sais com-
bien d'outres de lait de vache. Apr^s avoir
change de boeufs et de vaches, nous nous
mimes en route, et apr^s dix jours de mar-
che, nous arrivames ^ une autre station, et
n'y trouvames point d'eau, si ce n'est dans
des fosses creuses au milieu de vallees et
dans deux petits ruisseaux. Et nous conti-
nu^mes tout droit vers Torient, depuis que
nous avions quitte la province de Cesaree,
ayant la mer au midi et un vaste desert au
nord, lequel a bien dans certaines parties
trente journees d'etendue, et oti il ne S2
trouve ni foret, ni montagne, ni rocher,
mais de I'herbe en abondance. L^, les Co-
mans du Kiptchak ont Thabitude de faire
paitre leurs troupeaux. Les Teutons nom-
ment cette population des Valains, et leur
province, Valanie. Mais Isidore dit que
depuis le Tanai's jusqu'aux Meolides et au
Danube, elle s'appelle Alanie, et cette
terre, depuis le Danube jusqu'au Tanai's,
qui est la fronti^re de I'Asie et de I'Eu-
rope, un homme a cheval ne pourrait en
parcourir la longueur qu'en deux mois;
encore faut-il qu'il aille bon pas comme
les Tartares lorsqu'ils chevauchent. Toute
cette terre est habitee par les Comans du
Kiptchak, et depuis leTanais jusqu'^ I'Eti-
lia27, ilya bien dix grandes journees entre
ces deux fleuves. Au nord de cette pro-
vince est la Russie qui est partout cou-
— 55 —
verte de forets et s'etend depuis la Pologne
etia Hongrie jusqu'auTanai's. Les Tarta-
res I'ont ravagee de tous c6tes et la rava-
gent encore tous les jours, parce qu'ils pre-
f^rent les Sarrazins aux Russes qui sont
Chretiens, et quand ceux-ci ne peuvent
plus donner ni or ni argent, ils les emmd-
nent avec leurs enfants, comme des trou-
peaux, vers leurs deserts afin qu'ils y gar-
dent leurs animaux. Au-delS de la Russie,
vers le nord, est la Prusse, que les fr^res
de rOrdre teutonique ont derni^rement
subjuguee, et ils pourraient agir de meme
et avec autant de facilite a I'egard de la
Russie, s'ils le voulaient ; car si les Tarta-
res apprenaient que le souverain Pontife,
c'est-^~dire le Pape, faisait croiser contre
eux, ils fuiraient tous vers leurs deserts.
m-
^
On/fi
LE DESERT
NOUS nous dirigeames done vers I'orient,
ne voyant que le ciel et la terre , et
quelquefois k notre droite la mer qu'on
appelle la mer Tanais, et aussi Ics tom-
beaux des Comans qui nous apparurent k
deux lieues de loin, parce que c'est leur
coutume d'ensevelir tous les membres
d'une meme famille dans un meme en-
droit. Aussi longtemps que nous chemi-
names dans le desert, nous n'avions pas k
nous plaindre, mais quand nous .vinmes
aux logements des Comans, la parole ne
saurait exprimer nos souffrances. Notre
guide voulait que nous fissions un present
k chaquc chef que nous rencontrions et
nous ne pouvions satisfaire k de telles lar-
gesses. Tous les jours, nous etions huit
personnes vivant de notre pain, sans
compter les survenants qui tous voulaient
manger avec nous. Car nous etions cinq,
et ceux qui nous accompagnaient etaient
au nombre de trois, deux pour conduire
- 58 —
nos chariots et un pour nous guider jus-
qu a Sartach. La viande qu'on nous don-
nait etait insuffisante, et nous ne pumes
rien obtenir pour de I'argent. Aussi quand
nous nous assimes ^ Tombre sous nos cha-
riots, parce que la chaleur etait excessive,
les Tartares nous importunaient et nous
derangeaient constamment parce qu'ils
voulaient voir tout ce que nous avions avcc
nous. SUl leur prenait envie de se purger
le ventre, ils ne s'eloignaient guere de
nous; bien plus, ils faisaient leiirs ordures
en causant avec nous, et beaucoup d'au-
tres choses de'goutantes qui nous soule-
vaient le coeur. Ce qui m'affligeait le plus,
c'est que je ne pouvais leur adresser quel-
que parole d*edification ; mon interprete
me disait : a Vous ne me ferez pas precher
« aujourd*hui, parce que je ne saurais dire
« de telles paroles. » Et il disait vrai. Car
j*ai remarque, depuis que je comprends la
languc du pays, qu'il disait le contraire de
ce que j enoncais. Voyant alors I'inconve-
nient d'avoir un pareil truchement, je ju-
geai convenable de me taire. Nous chemi-
ndmes ainsi k grand'peine de station en
station, de mani^re que peu de jours
avant la fete de Marie-Magdeleine nous
parvinmes au grand fleuve du Tanais, qui
separe I'Asie de I'Europe, comme le fleuve
de I'Egypte, I'Asie de TAfrique. La, ou
nous nous arretamcs, Batou et Sartach
ont etabli, sur le bord oriental du Tana'ii,
- 59-
des Russes qui etaient charges de procu-
rer des bateaux aux marchands et aux
ambassadeurs, et de leur faire traverser le
fleuve. lis nous transporterent d'abord,
ensuite nos chariots en posant une roue
dans une barque, et Tautre dans une au-
tre ; ils attach^rent leurs barques les unes
aux autres, et nous passames k force de
rames. L^, notre guide se conduisit tres-
sottement. II croyait qu'on devait nous
fournir en cet endroit des chevaux et il
renvoya h leurs maitres les betes de somme
que nous avions cmmenees avec nous,
(^uand nous demandames aux Russes des
chevaux, ils nous repondirent que Baton
les avaient exemptes de cet impdt, et qu'ils
ne devaient que faire passer les voyageurs.
Meme les marchands leur payaient pour
cela un lourd tribut. Nous nous attarda-
mes done trois jours sur le bord du fleuve.
Le premier jour, ils nous offrirent un
grand poisson tout frais, qu'on nomme
barbote; le deuxidme jour, un pain desei-
gle et un peu de viande que le pourvoyeur
de ce bourg avait recueilli dans les mai-
sons ; et le troisi^me, du poisson sec qui se
trouve la en grande abondance. A cet en-
droit, le fleuve etait aussi large que la
Seine k Paris, et avant d'y arriver, nous
traversames beaucoup de belles rivieres,
remplies de poissons. Mais les Tartares ne
savent pas les pecher, k moins qu'ils ne
soient grands et qu'ils puissentles manger
— 6o —
comme une epaule de mouton. Ce fleuve
est rextremite orientale de la Russie, et il
prend sa source dans les Palus-Meotides
qui touchent, vers le nord, 4 I'Ocean. 11
coule vers le midi, alimentant une mer de
sept-cent milles d'etendue avant d'attein-
dre k la mer de Pont. Toutes les rivieres
que nous traversdmes vont aussi de ce
cote.
Sur la rive droite de ce fleuve, on voit
une immense foret ; du c6te nord, les Tar-
tares ne vont jamais au-dela, parce qu'a
Tapproche du mois d'aotit, ils commen-
cent ^ revenir au midi, de sorte qu'ils ont
une autre station vers le has, par oti les
ambassadeurs passent en hiver. Or, nous
etions dans une grande perplexite parce
que nous ne pouvions nous procurer, pour
de Targent, ni chevaux ni boeufs. Enfin,
apr^s que je leur eus demontre tout ce que
nous avions soufFert pour le bien commun
de tous les Chretiens, ils nous fournirent
des boeufs et des hommes; quant a nous,
nous dumes aller k pied. C'etait la saison
oCi Ton coupe les seigles. Le ble pousse dif-
ficilement dans ce pays; mais ils ont du
mil en grande abondance.
COIFFURES RUSSES
LEs femmes russcs se coiffent de la meme
mani^re que les ndtres; mais elles or-
nent leurs robes de vair ou de griset, de-
puis les pieds jasqu'aux genoux. Les hom-
ines portent des manteaux comme les
AUemands , mais ils ont sur la tete des
capuchons de feutre, droits et k longue
pointe. Nous allatnes done durant trois
jours sans rencontrer personne, et comme
nous etions tr^s-fatigues , et nos boeufs
aussi, et que nous ignorions oti nous ver-
rions des Tartares, voil^ tout k coup deux
chevaux qui courent k nous ; nous les re-
ctimes avec joie, et notre guide et notre in-
terprete les monterent pour aller k la de-
couverte de quelque habitation humaine.
Enfin, le quatri^me jour nous en apercu-
mes, et nous nous rejouimes comme des
naufrages touchant au port. Nous primes
alors des chevaux et des boeufs, et de sta-
tion en station nous parvinmes k la resi-
dence de Sartach, le deux des calendes
d'aout (le dernier jour de juillel).
AU~DELA DU TANAIS
LE pays au-del^ du Tana'is est magnifique,
et il est couvert de fleuves et de for^ts.
Au nord, il y a de tr^s-grands bois, qu'ha-
bitent deux espdces d'hommes : les
Moxel 28 qui n'ont aucune loi, de purs
pa'lens. Point de villes, mais des cabanes
au milieu des bois. Leur souverain et la
plupart d'entre eux ont ete tues en AUe-
magne; car les Tartares les y avaient ame-
nds, et cependant ils espdrent bien que Jes
Allemancls les delivreront du joug des
Tartares. Si un marchand se rend parmi
eux, il faut que celui chez qui il descend
E)ourvoie ^ tout ce dont il a besoin aussi
ongtemps qu'il reste avec lui. Si quel-
qu'un coucne avec la femme d'un autre,
celui-ci ne s'en preoccupe point, s'il ne le
voit de ses yeux. lis ne sont done pas ja-
loux. Les pores, le miel et la cire, les ri-
ches fourrures et les faucons abondent chez
eux.
Apres eux, sont d'autres peuples qu'on
-64-
appelle Merdas, que les Latins nomment
« Merdini 29 » et qui sont Sarrazins.
Apr^s eux, est le Volga, le plus grand
fleuve que j*aie jamais vu ; il vient du nord,
se dirigeant de la grande Bulgarie vers le
midi, et tombe dans un certain lac donl on
ne pourrait parcourir le circuit en moins
de quatre mois; j'en parlerai plus loin.
Done, ces deux fleuves, le Tanais et le
Volga, vers la region du nord que nous
traversdmes, ne sont distants I'un de Tau-
tre que I'espace de dix journees ; mais au
midi, ils sont bien plus dloignes, car le
Tana'is se jette dans la mer de Pont. Le
Volga forme le lac ou la mer que je viens
de citer, et ou se precipitent d'autres fleu-
ves en sortant de la Perse.
Nous etjmes au midi de treshautes
montagnes qu'habitent, sur les versants du
cote du desert, les Cherkis ^o et les Alaur,
ou Aas, des Chretiens qui combattent cha-
que jour contre les Tartares. Apr^s eux,
non loin de cette mer ou de ce lac du
Volga, sont quelques Sarrazins qu'on ap-
pelle Lesges ^i, qui sont de meme inde-
pendants. Enfin, se presente la Porte de
Fer32qu'AIexandre le Grand fit construire
pour empecher les Barbares d'entrer en
Perse, dont je vous entretiendrai dans la
suite, ayant traverse k mon retour ce pays
situe entre les deux fleuves. Les Comans
du Kiptchak Thabitaient avant qu'il ne
fut occupe par les Tartares.
^^^^^^^^^^^^^^
ENTREVUE AVEC SARTACH
NOUS trouvdmes done Sartach campe k
trois journees du Volga. Sa cour nous
a paru considerable ; il avail six femmes et
son fils aine en avait pr^s de lui deux ou
trois, et chacune d'elles menait un grand
train de maison et possedait bien deux
cents chariots. Or, notre guide s'adressa ^
un certain Nestorien, nomme Coiac, qui
(Stait un des grands de la cour. Celui-ci
nous fit aller tr^s-loin, vers un officier
nomm^ « Jamiam ». (On appelle ainsi
celui qui est charge de recevoir les ambas-
sadeurs.) Ce Coiac nous fit savoir qu'il
nous recevrait dans la soiree. Notre guide
nous demanda alors quel present nous lui
ferions et fut tr^s- scandalise d'apprendre
que nous n'avions rien k offrir.Nous nous
presentames k cet officier et restdmes de-
bout devant lui, et lui, il etait assis dans
sa gloire et jouait de la guitare, et Ton
dansait autour de lui. Alors, je lui exposal
combien nous vencrions son maitre, et
66
le priames de nous aider ^ lui laisser voir
nos lettres. Je m'excusai aussi de ce que
j'etais moine, n'ajant et ne recevant ni or,
ni argent, ni rien de precieux, excepte
quelques livres et une chapelle oti nous
servons Dieu. C'est pourquoi nous ne lui
ofFrions aucun present, ni k son maitre, car
ayant renonce ^ mon propre bien, je ne
pouvais elre porteur de celui des autres. II
repondit avec assez de bonte qu'il m'ap-
prouvait, puisqu'etant moine je tenais
mes voeux ; qu'ii n'avait pas besoin de ce qui
etait a nous et qu'il nous fournirait au
contraire ce dont nous pourrions avoir be-
soin. II nous fit asseoir et boire de son
lait. Puis, il nous demanda la benedic-
tion; ce que nous fimes. 11 nous demanda
qui etait le plus grand seigneur parmi les
Francais. Je lui dis : « L*empereur, s'il oc-
cupait son empire sans contestation. »
« Non, » reprit-il, « c'est le roi. » Car il
avait entendu parler de vous par Baudouin
de Hainaut 33. Je trouvai la aussi un com-
pagnon de David (un Templier), qui avait
ete en Chypre et lui avait raconte tout ce
qu'il avait vu.
Nous retournames ensuite k notre lo-
gement. Le lendemain, je lui fis remettre,
avec un cophin plein de biscuits, une
bouteille de vin de muscat, qui s'etait
parfaitement conserve durant un si long
voyage. Cela lui fit le plus grand plaisir,
et il retint ce soir-la nos serviteurs avec
-(>! -
lui. Le lendemain il me fit dire de me ren-
dre ^ la cour et d'apporter avec moi les
lettres du roi, ma cnapelle et mes livres,
parce que son maitre voulait les voir. Ce
que nous fimes; nous chargeames un cha-
riot de la chapelle et des livres, et un au-
tre de pain, de vin et de fruits. Alors, il
nous fit etaler les livres et les ornements
sacerdotaux, et nous Mmes entoures d'une
foule de Tartares ^ cheval, de Sarrazins et
de Chretiens. Apr^s avoir regarde tous ces
objets avec attention, il me demanda si je
voulais donner tout cela ^ son maitre.
Cette question m'etonna et me deplut. Je
repondis cependant en dissimulant mon
mecontentement : « Seigneur, nous vous
<c demandons quand votre maitre daignera
(c accepter ce pain, ce vin et ces fruits, non
« com me un present, car il n'a aucune
« valeur, mais comme une benediction,
« afin de ne pas venir ^ lui les mains vi-
« des. II verra lui-meme les lettres du roi
ff et par elles il verra pourquoi nous som-
<c mes venus ^ lui, et nous attendrons
<c alors ses ordres pour la direction de nos
« personnes et de nos affaires. Pour ce qui
« est de nos ornements sacerdotaux. ils
« sont sacres et il n'est permis qu'aux
« pr^tres de les toucher. » Alors il nous
dit de nous en revetir et de nous presenter
ainsi devant son maitre ; ce que nous ft-
mes. Or, etant revetu de ces precieux or-
nements, je posai sur ma poitiine un car-
/O
(( maitre puisse les voir sans retard et k
« son aise. »
Moi soup(jonnant aussitdt q^uelque mau-
vais dessein, je lui dis : « Seigneur, non-
et seulement nous vous laisserons sous
« votre garde ces deux chariots, mais en-
« core les deux autres que nous posse-
« dons. )) — « Non, dit-il, vous abandon-
« nerez ceux-1^ ; des autres, vous ferez
« ce que vous voudrez. » Je lui dis que
cela ne pouvait se faire ainsi, mais que
nous mettions le tout k sa disposition.
Alors, il nous demanda si nous voulions
demeurer dans ce pays. Je lui dis : a Si
<c vous avez bien compris les lettres du
« roi, mon maitre, vous pouvez savoir
« que telle est notre intention. » Puis, il
nous dit d'etre fort humbles et patients.
C'est ainsi que ce soir-U nous le quitta-
mes. Le lendemain matin, un pretre nes-
torien vint de sa part chercher les chariots
et nous les lui fimes remettre tous les qua-
tre. Et un frere de ce meme Coiac qui
nous avait rejoints separa nos effets de
tout ce que, la veille, nous avionsporte k la
cour et les prit comme s'ils avaient ete ii
lui, c'est-^-dire les livres et les ornements
sacerdotaux. Cependant Coiac nous avait
ordonne d'emporter les vetements avec les-
quels nous nous etions presentes devant
bartach, afin de nous en couvrir quand
nous serious devant Baton, s'il en etait
besoin. Toutefois ce pretre nous enleva
7^
tout cela de force, disant : « Vous avez
« porte tout cela h Sartach et maintenant
« vous voulez le porter k Batou ? » Et
comme je voulais lui en donner la raison,
il me repondit : « Plus un mot ; continuez
« votre chemin. » J'eus besoin alors de
patience, parce que nous n'avions pas ac-
ces aupres de Sartach et qu'il n'y avait
personne pour nous rendre justice Je crai-
gnais que mon interprete n'etit mal tra-
duit mes paroles, parce qu'il voulait que
je fisse present de ces choses k Sartach.
Mais ce fut une consolation pour moi,
lorsque Je pressentis leur cupiditd, de leur
soustraire la Bible et les Sentences et d'au-
tres livres que j'aimais le plus. Je n'osai
pas en faire autant pour le psautier de la
Heine parce qu*il etait trop remarque, k
cause de ses dorures et de ses enluminures.
Nous regagnames done notre logement
avec le restant de nos chariots. Alors ar-
riva celui qui etait charge de nous con-
duire aupres de Batou; il voulait nous
faire remettre de suite en route. Je lui dis
que pour aucun motif je n'emmenerais nos
chariots; ce qu'il rapporta k Coiac, et ce-
lui-ci ordonna de les laisser chez lui avec
un de nos serviteurs; ce que nous fimes.
O-0-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-OO-O-O-O
VISITE A BATOU-KHAN
Nous dirigeant ainsi vers rorient, nous
al lames trouver Batou et parvinmes
Je troisieme jour au Volga. En voyant ces
flots tumultueux, je m'etonnai de ce que
le Nord put produire une telle masse
d'eau. Avant de prendre conge de Sartach,
le meme Coiac nous dit avec d'autres ecri-
vains de la cour : « Gardez vous bien de
« dire que notre mailre est chretien. II
« n'est pas chretien, mais Moal; » parce
que le nom de la chretiente leur apparait
comme un nom de nation. L'orgueil de
cette race est tel, que tout en croyant au
Christ elle ne veut pas etre appelee chre-
tienne ni meme turtare, mais veut exalter
ce nom de Moal au-dessus de toute re-
nommee. Les Tartares furent une autre
nation dont je vais vous entretenir.
o
o
ooOoo
^^^»«^^^4H^^i^iF^i>^^t^^{^4H^^^^«^
LE CARACATAY 35
Au temps oti les Fran^ais prirent Antio-
che, le trone dans ces pays du Nord
eiait occupe par celui qu'on appelait Con-
Khan. Con etait son nom propre et Khan
le nom de sa dignite, synonyme de « De-
vin ». Tous les devins sont nommesA7iaw.
D'oti il suit que tous les princes sont nom-
mes « Khans », parce qu'ils gouvernent
les peuples par I'art de deviner.
On lit dans Thistoire d'Anlioche que les
Turcs envoyerent au roi Conkh^n du se-
cours contre les Francais, car les Turcs
etaient originaires de son pays. Ce Con
etait de Caracatay. Cara signitie « noir » ;
Catajr est le nom d*un pays, d oti Cara-
catay signifie « le noir de Catay ». Mais
il differe de celui des habitants de Catay,
qui sont k Torient sur les bords de
rOcean , dont je vous parlerai dans la
suite. Les Caracatay etaient des monta-
gnards, et habitaient des montagnes que
nous traversames. Dans une plaine situee
-76-
au milieu de ces montagnes, il y avait un
certain pasteur nestorien, qui regnait en
maitre souverain sur un peuple qu'on ap-
pelait Haiman ^6^ et qui ^tail chr^tien nes-
torien. Aprds la mort de Conkhan, ce nes-
torien se proclama roi et les nestoriens le
nommaient « le roi Jean ^7 », racontant
de lui des merveilles au-del^ de toute
vraisemblance. Les nestoriens qui vien-
nent de ces contrees exag^rent tout, faisant
grand bruit de rien. C est ainsi qu'on a dit
de Sartach qu*il etait chrdtien, et de Man-
goukhan et de Kenkhdn qu*ils ont plus
d'estime pour les Chretiens que pour tout
autre peuple, et cependant la verite est
qu*ils ne sont pas Chretiens. C'est ainsi
que s'est repandue la grande renommee du
roi Jean, et cependant j'ai traverse ses pa-
turages et personne ne le connaissait, ex-
cepte quelques nestoriens. Dans ses patu-
rages habitait Kenkhan , chez qui s*est
rendu frere Andre, et je suis passe par la a
mon retour. Ce Jean avait un frere, un
pasteur puissant, nomme Unc, distant des
montagnards du Caracatay k trois semai-
nes de marche, seigneur d'une petite ville
nommee Caracorum ^^, et regnant sur
un peuple qui a nom Crit ou Merkit ^9,
aussi Chretien nestorien. Mais ce petit sou-
verain renon^a au culte du Christ et se fit
idol^tre, s'entourant de pretres idolatres,
tons sorciers et adorateurs du demon. Au-
deU de ses paiurages, a une distance de
//
dix ou quinze journees, etaient ceux des
Moals, tous gens miserables, sans chef ni
loi, adonnes seulement aux sortileges et
aux dcvins, comme le sont tous ceux qui
habitent ces contr^es. Prds de ces Moals
etaient d'autres malheureux, nomm^s Jar-
cars. Le roi Jean mourut sans h^ritier;
son frdre Unc lui succ^da et se fit appeler
Khdn, et on lui envoya des troupeaux jus-
qu'aux confins des Moals.
En ce temps, Cyngis etait un ouvrier du
peuple moal et enlevait tout ce qu'il pou-
vait du betail de Unc-Kh^n, k tel point
que les bergers de celui-ci s'en plaignirent
a leur maitre. Alors, celui-ci assembla une
armee et se rendit avec elle dans le pays
des Moals pour s'emparer de ce Cyngis;
mais Cyngis s'enfuit chez les Tartares et
s'y caclia. Unc s'empara du butin des
Moals et des Tartares, puis s'en retourna.
Alors, Cyngis s'adressant k eux leur dit :
a Pourquoi sommes-nous sans chef? Nos
a voisins nous oppriment. » Et les Tarta-
res et les Moals le firent leur chef ct se
soumirent k lui. Ayant aussitot reuni une
armee, il se jeta sur cet Unc et le vainquit;
Unc-Khan s'enfuit au Cathay. Sa fiUe fut
faite prisonni^re et Cyngis la donna pour
epouse a un de ses fils, dont elle con<jut
celui qui regne maintenant, Mangou-
khan. Alors Cyngis envoya ses Tartares
guerroyer de tous cdtes; leur nom se re-
pandit et fut redoute, parce qu'on criait
-78-
partout : « Voil^ les Tartarcs. » Mais, h la
suite de guerres frequentes, presque tous
furent aneantis. Ce qui fait que les Moals
veulent aujourd'hui faire oublier ce nom
et le remplacer par celui qu'ils portent. La
terre d'oti ils sont sortis, et oti se trouve
encore la cour de Cyngis-Khan, est nom-
mee Onankerule (la Mandchourie). Mais
parce que Caracorum est le pays de leurs
premiers exploits, ils tiennent cette ville
pour leur residence royale et c'est 1^ qu'ils
precedent a lelection de leur Khan.
DEPART POUR LA COUR DE DATOU
POUR ce qui est de Sartach, est-il chretien
ou ne Test-il pas? Je ne saurais b
dire. Je sais pourtant qu'il ne veut pas
passer pour cnretien et li me semble plu-
tot qu'il se moque des Chretiens, car il se
tient sur le chemin de ces derniers, c'est-
^-dire des Russes, des Blaques (Valaques),
des Bulgares de la Bulgarie mineure, de
ceux de Soldaia, des Kerkis, des Alains,
qui tous doivent parser non loin de lui,
lorsqu'ils se rendent k la cour de son p6re.
S'ils lui portent des presents, il les en es-
time davantage. Cependant, si les Sarra-
zins lui en portent plus, ils sont expedies
bien plus promptement. Or, il a prds de
lui des pretres nestoriens qui frappent sur
une table et chantent leurs offices. II y a
un autre fr^re de Batou qu on nomme
lerra et qui a ses paturages aux environs
de la Porte de Fer. C'est le passage de
tous les Sarrazins qui se rendent de Perse
en Turquie, charges des piesents pour Bd-
— 82 —
grands et si feroces qu'ils saisissaient les
taureaux et tuaient les lions. Ce qui est
vrai, ainsi que je I'ai entendu dire, c'est
que sur le rivage de TOcdan septentrional,
• les chiens tirent les chariots comme des
boeufs, k cause de leur haute taille et de
leur force musculaire. Or, 1^ oti nous nous
arretames sur le Volga est une nouvelle
station creee par les Tartares de concert
avec les Russcs et les Sarrazins, qui font
passer les ambassadeurs se rendant a la
cour de Baton , ou en revenant , parce
qu*elle est etablie sur I'autre rive vers Test,
et ne depasse pas Tendroit ou nous nous
trouvions. Depuis Janvier jusqu'au mois
d'aout, Baton et tons les Tartares mon-
tent vers les regions froides, et en aout, ils
commencent a descendre. Nous nous em-
barquames. Depuis cette station jusqu*a la
cour de Baton, et depuis ce dernier point
jusqu'aux villes de la grande Bulgarie au
nord, il y a cinq journees. Et je me de-
mande comment le diable a pu porter Ih
la loi de Mahomet, car de la Porte de Fer
qui est I'extremite de la Perse, il faut plus
de trente jours pour traverser le desert, en
montant vers le Volga, jusqu'^ la Bulgarie
OLi il n'y a aucune ville, si ce n*est une bi-
coque aupres de laquelle le Volga se prcci-
pite dans la mer; et les Bulgares sont les
pires des Sarrazins, tenant plus fermement
a la loi de Mahomet que tons autrcs.
Quaiid done je vis la cour de Bdtou, je
— 83 —
fus ebahi, parce que toutes ses maisons
m'apparurent comme une grande ville
pleine de peuple et s'etendant en longueur
jusqu'a trois k quatre lieues. Et de meme
3ue le peuple d'lsrael savait de quel cote
u tabernacle il devait dresser ses tentes,
de meme les Tartares savent de quel c6t^
de la cour ils doivent se placer quand ils
arretent leurs maisons roulantes. D'oti la
cour est nommde, dans leur langue, orda;
ce qui signifie « le milieu », parce qu'elle
est toujonrs au milieu des hommes qui en
dependent. Cependant personne ne pent se
placer au midi, parce que de ce cote Vou-
vrent les portes de la cour. Mais k droite
et k gaucne, on s*etablit comme on veut,
selon le plus ou moins de place. Toutefois
il n'est pas permis de s'etaler en face de la
cour. Nous fumes done conduits d'abord
a un certain Sarrazin qui ne nous ofFrit
rien k manger.
-'•^^-^i^S)-'|,s>''^--
M
VISITE A BATOU
LE jour suivant, nous Wmes admis k la
cour. Batou avait fait mooter une
grande tente, parce que sa maison ne pou-
vait contenir tant d nommes et de femmes
qui etaient 1^ reunis. Notre guide nous
avertit de ne pas parler avant que Batou
nous le permit, et lorsque nous lui par-
lerons, d'etre brefs. II nous demanda aussi
si vous aviez dej^ envoye des ambassa-
deurs en Tartarie. Je lui dis" comment
vous en avez envoye k Chenkhan, et que
vous ne lui en eussiez pas envoye, ni ^ lui,
ni k Sartach, si vous n'aviez cru qu'ils fus-
sent Chretiens; j'ajoutai que vous n'agis-
siez pas ainsi par crainte, mais pour vous
rejouir avec eux.de ce qu'ils etaient Chre-
tiens. Alors il nous conduisit au pavilion
du Khan et nous prevint de ne pas toucher
les cordes de la tente, parce qu'elles sont
considerees comme le seuil de la maison.
Nous nous tfnmes 1^ pieds nus, revetus de
nos habits religieux, la tete decouverte, et
\
— 86 —
nous etions un grand spectacle a nos pro-
pres yeux. Fr^re Jean de Policarpe (Plan
de Carpin) avait ete 1^, mais il avait chan-
ge d'habit afin de ne pas etre conspue,
parce qu'il etait ambassadeur du Pape.
Nous fumes ensuite introduits jusqu au
milieu de la tente, et on ne nous imposa
[)oint Tobligation de saluer en flechissant
e genou, comme les ambassadeurs ont
coutume de faire.
Nous restames debout devant Batou le
temps de reciter le Miserere, et tous les as-
sistants gardaient un profond silence. B^-
tou etait assis sur un siege long et large
comme un lit, enti^rement dore, auquel
on arrivait par trois marches ; une dame
etait prds de lui. Les hommes etaient assis
c^ et 1^, k la droite et a la gauche de la
reine, parce que les femmes n'etaient pas
en assez grand nombre pour remplir un
des cotes de la tente; il n'y avait que celles
de Eatou. A I'entree se trouvait un banc
avec du cosmos et des vases d'or et d'ar-
gent, garnis de pierres precieuses. Batou
nous regarda avec curiosite et nous, lui,
et il me parut qu'il etait de la taille de Jean
de Beaumont, dont I'ame^epose en paix 4o.
Son visa'ge etait alors tout rouge. Enfin, il
m'ordonna de parler, et notre guide me
dit de parler a genoux. Je flechis un seul
genou comme pour un homme; il me fit
signe de plier les deux, ce que je fis, ne
voulant pas soulever de difficultes k ce su-
-8;-
jet. Alors il m'enjoignit de parler, et moi
peasant que je priais Dieu, parce que je
me trouvais -^ deux genoux, je commencai
mon discours par cette priere : « Seigneur,
« nous prions Dieu, de qui viennent tous
a les biens, de vous donner ceux de ia
cc terre, ensuite ceux du del, parce que
« sans ceux-ci les autres ne sent rien. »
Lui, il ecouta tr^s-attentivement, et j'ajou-
tai : « Vous savez certainement que vous
« n'obtiendrez pas les biens celestes si
c( vous ne devenez chretien. Car Dieu a
« dit : « Celui qui aura cru et aura etd
c( baptise sera sauve. Celui qui n'aura pas
« cru sera condamne. » A ces mots, il sou-
rit legdrement, et tous les Moals frapp^rent
des mains en se moquant de nous, et mon
interprete eut peur, lui qui craignait que
je ne dusse etre fortifie. Lorsque le silence
fut retabli, je dis : « Je suis venu trouver
a votre fils, parce que nous avions entendu
« dire qu*il etait chretien, et je lui ai ap-
« porte des lettres de la part de mon mai-
c( tre, le roi des Francs. C'est lui qui m'a
c( envoye ici vers vous. Vous devez «avoir
« pour quel motif. » Alors il me fit lever
et me demanda votre nom et le mien, et
celui de mes compagnons et de mon inter-
prete, et fit prendre note de nos reponses.
II demanda encore contre qui vous faisiez
la guerre, parce qu'il avait appris que vous
aviez quitte votre patrie avec une armee.
Je repondis : « Contre les Sarrazins qui
— 88 —
a violent la maison de Dieu a Jerusalem. »
II demanda encore si vous n'aviez ja-
mais envoy^ des ambassadeurs vers lui. —
« Vers vous? » aije dit, « jamais. » Alors
il nous fit asseoir et donner du lait a boire,
ce qui est considere com me une grande fa-
veur, lorsque quelqu'un boit du cosmos
avec lui dans sa maison. Et m'etant assis,
je fixai les yeux k terre ; il m*enjoignit de
dresser la t^te, car il voulait nous regarder
mieux,ou peut-etrepar superstition, parce
que, pour les Tartares, c'est mauvais au-
f;ure quand quelqu'un s'assied devant eux
es yeux baisses, comme s'il etait triste, et
surtout quand il appuie la machoire ou le
menton sur la main. Alors nous sortimes,
et peu apres notre guide vint nous trouver,
et en nous reconduisant k notre logement,
il me dit : « Le roi, votre maitre, desire
« que vous restiez dans ce pays; mais
c( Mtou ne pent vous accorder cela sans
cc I'assentiment de Mangoukhan. D'oti il
c( suit que vous et votre interprete irez
« trouver Mangoukhdn. Mais votre com-
et pagnon et une autre personne retourne-
tt ront k la cour de Sartach et y attendront
tt voire retour. » Alors mon interprete,
homme de Dieu, se mit k pleurer, se
croyant perdu ; mon compagnon se re-
cria, disant qu'il prefererait qu'on lui
coupat le cou plutot que de se separer de
moi ; et moi, je dis que je ne voulais pas
partir seul, et que nous avions besoin de
- Sg -
deux compagnons parce que s'il arrivait
qu'un des deux tombdt malade, I'autre ne
pourrait rester seul. II retourna lui-meme
k la cour et rapporta mes paroles k Ba-
tou. Celui ci dit alors : « Que les deux
« pretres et Tinterprdte partent seuls et
a que le clerc revienne chez Sartach. »
Notre guide nous communiqua ces paro-
les, et quand je voulus parler en faveur du
clerc ann qu'il pOt nous accompagner, il
reprit : « Ne parlez pas davantage, parce
a que BaJtou I'a decide, et moi , je n'ose-
a rais pas reparaitre k la cour. »
Le clerc uosset avait re^u de vous en
aumone vingt-six yperperes, pas davan-
tage, dont il en garda dix pour lui et son
domestique, et donna les seize autres k
rhomme de Dieu pour nous; et nous nous
separames ainsi les larmes dans les yeux,
lui s'en retournant k Sartach, et nous res-
tan t ici.
7*
^|e>^|^^|^<9|^<}$^^|B^^|<^^|^{>
DEPART
POUR LA COUR DE MANGOU-KHAN
LA vcille de TAssomption , notrc clerc
parvint k la cour de Sartach, et le
lendemain les pretres nestoriens se presen-
t^rent devant Sartach, revetus de nos or-
nements sacerdotaux. Nous fumes alors
conduits k un autre logement, oU nous
devions recevoir I'hospitalite, la nourri-
ture et des chevaux. Mais parce que nous
n'avions rien k donner^ I'hotelier. celui-ci
ne se comporta pas bien a notre egard.
Nous voyageames avec Biltou , et longe^-
mes avec nos chariots le Volga pendant
cinq semaines. Parfois mon compagnon
souffrait tellement de la faim, qu'il me di-
sait en pleurant : « II me semble que je
<c n'aurai jamais ^ manger. » Les provi-
sions suivent toujours la cour de Batou;
mais elles etaient si loin que nous ne pou-
vions nous en procurer, car il nous fallal t
alter ^ pied ^ cause du manque de che-
— 92 —
vaux. Enfin nous rencontrames quelques
Hongrois qui avaient ete clercs, dont un
savait encore des chants deglise par coeur.
Les autres Hongrois le regardaient comme
pretre et le chargeaient des fundrailles de
leurs morts. Un deuxi^me connaissaitpar-
faitement la grammaire, parce qu'il com-
prenait tout ce que nous lui disions en la-
tin, mais il ne savait nous repondre. lis
furent tous pour nous une grande consola-
tion, en nous apportant k boire du cosmos
et ^ manger de la viande. lis nous deman-
derent des livres et je fus fort attriste de ne
pouvoir leur en donner, parce que je ne
f)ossedais que la Bible et mon breviaire. Je
eur dis : « Apportez-nous du papier, et
(c j'ecrirai pour vous, tant que nous se-
tt rons ici. » Ce qu'ils firent et je leur ecri-
Yis les Heures de la sainle Vierge et TOf-
fice des morts. Un jour, un Coman vint
nous rejoindre et nous salua en disant en
latin : a Bonjour, messieurs. » Etonne, je
lui rendis son salut et lui demandai qui
lui avait appris ^ saluer ainsi. II repondit
que c'etaient nos freres, dont il avait recu
le bapteme. II ajouta que Baton I'avait
beaucoup questionne sur nous et qu'il lui
avait explique les regies de notre Ordre.
J*ai vu mtou courir k cheval avec sa
troupe, entoure de tous les chefs de fa-
mille. D'apr^s mes calculs, ils n'etaient
pas plus de cinq cents. Enfin, vers la fete
de I'Exaltation de la sainte Croix (14 sep-
-93-
tembre), courut k nous un riche Moal, dont
le p^re etait millenaire (chef de mille hom-
ines), ce qui est une haute dignite parmi
les T artares. II nous dit : « Je dois vous
a conduire aupres de Mangoukhan; il
« faut quatre mois pour y aller, et il fait
cc si froid 1^-bas, que la gelee fend les pier-
ce res et les arbres. Voyez si vous pourrez
« supporter le voyage. » Je lui r^pondis :
« J'esp^re qu'avec la grace de Dieu nous
a pourrons endurer ce que supportent les
cc autres hommes. » Alors il dit : cc Si
cc vous ne pouvez souffrir, Je vous laisse-
cc rai en chemin. » Je lui repondis : cc Cela
cc ne serait pas Juste, parce que nous n'y
a allons pas de notre propre gre, mais en-
cc voyes par votre maitre ; vous ne devez
cc done pas nous abandonner, puisque
cc nous vous sommes reccMnmandes. »
Alors, il nous dit : cc Tout ira bien. » En-
suite, il nous fit etaler tous nos ornements
et nos hardes, et ce qui lui parut le moins
necessaire, il le confia k la garde de notre
h6te. Le lendemain, on apporta k chacun
de nous un manteau de peau de mouton,
et des haut-de-chausses, des bottes, des au-
musses k la mode de leur pays, avec des
sandales ou socques de feutre et des au-
musses de peaux. Le surlendemain de
I'Exaltation de la sainte Croix, nous com-
mencames k chevaucher, nous trois avec
deux guides, et allames toujours vers To-
rient Jusqu'^ I'epoque de la fete de la
— 94 —
Toussaint. Dans tout ce pays et encore au-
del^, habitaient les Cangles, que Ton croit
issus des Comans. Au nord, nous eumes
la grande Bulgarie, et au midi la susdite
mer Caspienne.
Apr^s avoir marche douze Jours depuis
le Volga, nous nous trouvames aupres
d'un grand fleuve qu'on nomme Jagat 41,
qui descend du nord et du pays de Pasca-
tir et qui se precipite dans cette mer Cas-
pienne. L'idiome de Pascatir est le meme
que celui des Hongrois. Tous ses habitants
sont patres et n'ont aucune ville; ils con-
finent par I'ouest k la grande Bulgarie. De
ce pays vers Torient, de ce cote nord, il
n*y a plus aucune ville; de sorte que la
grande Bulgarie est la derniere region oti
il se trouve une ville. De ce pays de Pas-
catir sortirent les Huns, qui furent plus
lard les Hongrois, et ce pays est la grande
Bulgarie proprement dite. Isidore dit cjue
ces peuples franchirent avec leurs coursiers
rapides les barri^res qu' Alexandre avait
fait elever dans les rochers du Caucase
contre les nations barbares, de sorte qu'ils
exig^rent le tribut jusqu'en Egypte. lis
parvinrent meme en France oti ils ravage-
rent tout; leur puissance fut done plus
grande que celle des Tartares actuels.
Avec eux accoururent les Blacs (Vala-
ques), les Bulgares et les Vandales, car de
cette grande Bulgarie sortirent aussi les
Bulgares qui sont au-del^ du Danube, au-
— 9:> —
pres de Constantinople. Et pr^s de Pasca-
tir sont les lilacs, qui sent les memes que
les Blacs, parce que les Tartares ne savent
pas prononcer le B. De ceux-ci sont des-
cendus les habitants du pays d'Assan. On
appelle les uns et les autres lilacs. La Ian-
gue des Russes, des Polonais, des Bohe-
miens et des Slaves est la meme que celle
des Vandales, qui eurent tous k se demeler
avec les Huns, comme aujourd'hui on a ^
faire aux Tartares, que Dieu a suscites des
extremites de la terre, peuple insoumis et
race insensee, selon la parole du Seigneur,
a Je les provoquerai », dit-il de ceux qui
ne gardaient pas sa loi, a je les irriterai
tt contre celui qui n'est pas un peuple et
« contre la race folle 42 ». Ceci s'est ac-
compli ^ la lettre ^ I'egard de toutes les
nations qui n'ont pas observe la loi du
Christ.
Ce que j*ai dit de la terre de Pascalir, je
Tai su par Jes Freres precheurs qui sont
alles 1^ avant I'arrivee des Tartares, et de-
puis Jors, ceux-ci ont ete vaincus par leurs
voisins bulgares et sarrazins, et plusieurs
d'entre eux se sont faits sarrazins. On
pent savoir le reste par les chroniques,
parce qu'il est certain que ces provinces
depuis Constantinople , appelees aujour-
d'hui Bulgarie, Valachie, Slavonie, furent
autrefois des provinces de la Gr^ce; la
Hongrie avait ete d'abord la Pannonie.
P^NIBLE VOYAGE
NOUS chemin^mes done par le pajs des
Cangles de la fete de rExaltation de
la sainte Croix k celle de la Toussaint, et
la distance que nous parcourumes chaque
jour etait comme de Paris k Orleans, d'a-
pres ce que j'en puis juger, et parfois da-
vantage, lorsque nous avions de bons
chevaux. Car nous en changions tantot
deux et trois fois , tantot nous alHons
deux et trois fois sans rencontrer ame qui
vive, et alors il nous'fallait ralentir le pas.
Entre vingt k trente chevaux, on nous
donnait les pires, parce que nous etions
etrangers. Tout le monde avant nous pre-
nait les meilleurs. Cependant pour moi, on
gardait tou jours le plus fort, parce que j e-
tais tr^s-lourd ; mais de savoir s'il trottait
bien ou non, on ne s'inquietait gu6re, et
je n'osais me plaindre de ce que mon che-
val avait le pas dur; chacun dut accepter
son lot avec gaiete de coeur. De la pour
nous beaucoup de peines et de difFicult^s,
- 08 ~
parce que les chevaux etaient trds-fatigues
avant d'arriver a un lieu de repos, et il
nous fallut alors les exciter et les frapper,
quelquefois en changer, charger nos baga-
ges sur d'autres sommiers , quelquefois
monter '^ deux sur un meme cheval.
Ce que nous eumes ^ souffrirde la faim,
de la soif, du froid et de la fatigue, nul ne
saurait le dire; car on ne donne k manger
que vers le soir. Le matin, on nous verse
k boire un peu de millet; mais le soir on
nous servait de la viande, une epaule ou
des cotelettes de mouton et une certain e
3uantit^ de potage. Quand nous avions
u bouillon de viande k satiete, nous etions
bien restaures ; c'etait pour moi une bois-
son tres-agreable et tres-nourrissante. Le
vendredi je restais a Jeun jusqu'^ la nuit,
sans rien avaler, et alors il me fallait man-
ger avec douleur et chagrin des viandes k
moitie cuites et crues, parce que nous
manquions de materiaux pour faire du feu
quand nous campions dans les plaines ou
que nous descendions la nuit des monta-
gnes, ne pouvant ramasser la fiente des
boeufs ou des chevaux. Rarement trou-
vions-nous un autre combustible, si ce
n'est quelques epines. II y a bien c^ et la
une foret sur les bords des rivieres, mais
c'est rare. Au commencement, notre guide
nous dedaignait fort et etait comme hon-
teux d avoir a conduire des gens si misera-
—■ ()9 —
bles. Mais lorsqu'il nous eut mieux con-
nus, il nous conduisit au travers des cours
des riches Moals, et nous dumes prier pour
eux. De sorte que si j'avais eu un bon
drogman, j'avais la une belle occasion de
faire beaucoup de bien parmi eux.
Cinghis, le premier khan , avait eu qua-
tre jfils, dont sont sortis de nombreux des-
cendants qui tous ont de grandes cours,
qui se mulliplient tous les jours et peu-
plent ce vaste desert, etendu comme une
mer. Notre guide nous conduisait done au
milieu de la plupart de ces chefs, qui
s'etonn6rent de ce que nous ne voulions
pas recevoir ni or, ni argent, ni des vete-
ments precieux. lis nous demanderent des
nouvelles du souverain Pontife, s'il etait
aussi age qu'ils I'avaient entendu dire, car
on leur avait dit qu'il avait cinq cents ans.
Uss'enquirent aussi de la fertilite de notre
sol, si nous avions beaucoup de moutons,
de boeufs et de chevaux. Quant a I'Ocean,
ils ne purent jamais comprendre qu'il etait
sans fin et sans rivage.
La veille de la Toussaint, nous quitta-
mes la route de Test, parce que Ton com-
mencait deja ti descendre vers le sud, et
nous allames ainsi durant huit jours, par
de hautes montagnes, droit vers le sud.
Dans ce desert, je vis beaucoup d'anes
qu*on appelle culam, qui ressemblaient as-
sez k des mulets. Notre guide et ses com-
pagnons en poursuivirent quelques-un^>:
— lOO —
mais ils ne purent les atteindre ^ cause de
leur rapidite. Le septidme jour, vers le
sud, nous aperctames des monts d'une hau-
teur prodigieuse et nous entrdmes dans
une plaine sillonnee de ruisseaux comme
un jardin, et parcourOmes des terres en
parfaite culture. Dans I'octave de la Tous-
saint, nous nous trouvames dans une bour-
gade de Sarrazins nommee Kinchat, dont
le capitaine vint au-devant de notre guide,
avec de la cervoise et destasses; car c'est
Tusage parmi eux de sortir et d'aller avec
des vivres au-devant des envoyes de Batou
et de Mangoukhan.
En ce temps-la, on marchait sur la glace,
et dej^, depuis la fete de saint Michel, nous
avions eu de la gelee dans le desert. Je
m'enquisdu pays oil nous nous trouvions; .
mais parce que nous etions sur une autre
terre que la leur, ils ne surent nous en dire
le nom* si ce n'est celui de la ville, qui est
tres-petite. Un grand fleuve sortait des
monts, arrosait a leur guise tout le pays et
ne se jetait pas dans une mer, mais se re-
pandait dans les campagnes et les chan-
geait en marecages. Je vis 1^ des vignes et
bus deux fois de leur vin.
-Q/^i^^m^-
^^'t^^^^'SHk^^^'t^
LE CAUCASE
LE lendemain, nous parvinmes k une
autre station plus rapprochee des
montagnes; je demandai quelles elles
etaient, et je compris qu*elles devaient etre
le Caucase qui, de I'ouest a Test, touche k
Tune et a I'autre extremite de la mer. Je
m'enquis aussi de la ville de Talas, ou se
trouvaient des Teutons, esclaves de Bury.
Frere Andre m*en avait parle, et je m en
informal aussi a la cour de Sartach et de
Baton. Mais je n'ai rien pu savoir, si ce
n'est que leur maitre, Bury, avait ete tue
dans la circonstance que voici : Un jour,
ne trouvant pas de bons pdturages et etant
ivre, il parla a ses hommes de cette ma-
niere ; « Ne suis-je pas de la race de Cin-
« ghis-Khan aussi bien que Batou (il
« etait son neveu ou son frere) ? Pourquoi
« ne conduirais-je pas paitre mes trou-
ti peaux sur les rives du Volga aussi bien
cc que Baton? » Ces paroles furent rap-
portees k ce dernier. Alors Bdtou ecrivit
— 102 —
lui-meme aux hommes de Bury de lui
amener leur maitre charge de chaines, ce
qu'ils firent. Puis, Batou lui demanda s'il
avait profere de tels propos, et il ne le nia
point. Seulement il rejeta sa faute sur Te-
tat d'ivresse ou il se trouvait, parce qu'il est
d'usage, dans ce pays, d'excuser I'ivrogne-
rie. Kt Batou repondit : « Comment as-
« tu ose prononcer mon nom, etant ivre? »
Et il lui tit couper la tete.
Quant aux Teutons, je ne pus rien en
savoir jusqu*^ mon arrivee k la cour de
Mangou-Klian; mais 1^ oti je me trouvais,
j'appris que Talas etait dans les monta-
gnes, k six journees de 1^. Quand je vins
5 la cour de Mangou-Khan, on me dit que
lui-meme avait transporte ces Teutons,
avec la permission de Batou, k la distance
d'un mois de marche de Talas 43^ a une
certaine residence vers Test, nommee Bo-
lac, ou ils fouillent Tor et fabriquent des
armes; ce qui fit que je ne pus les voir ni
en allant, ni en retournant. Cependant, en
allant, je passai pr^s de cette ville, n'en
etant eloigne que de trois journees. Mais
je I'ignorais, et lors meme que je I'aurais
su, je n'aurais pu me detourner de ma
route.
Du logement dont je vous ai parle ,
nous allames vers I'orient ^ ces rponta-
gnes, et penetrames aussitot parmi les su-
jets de Mangou-Khan, qui de tons cotes
chantcrent et frapperent des mains devant
. — io3 —
notre guide, parce qu'il etait Tenvoye dc
Balou. G'est ainsi d'ailleurs qu'ils s'ho-
norent mutuellement, Ics sujets de Man-
gou, quand ils recoivent les ministres de
Batou ; et les suje\s de Batou, quand ils
recoivent les representants de Mangou-
Knan. Cependaht les hommes de Batou
passent pour etre superieurs et ne s'execu-
tent pas aussi aisement que les autres.
Peu de jours apres, nous entrames dans
les montagnes oti se tiennent ordinaire-
ment les Garacalay, et trouvames l^l un
grand fleuve qu'il nous fallut traverser en
bateau. Ensuite, nous entrames dans une
vallee oti nous vimes un chateau ruine,
dont les murs ne tenaient plus que par la
boue qui les couvrait. La campagne, au
milieu de laquelle il se trouvait, etait cul-
tivee. Puis, nous ap'ercumes une bonne
ville, qu'on nomme « Equius » et qu'ha-
bitaient des Sarrazins parlant le persique,
quoiqu'ils fussent tres-eloignes de la Perse.
Le jour suivant, ayant traverse ces colli-
des qui font partie d'une chaine de hautes
montagnes situees au midi, nous entrames
dans une belle plaine bornee par d'autres
montagnes k droite, et k gauche par une
mer ou plutot par un lac qui a vingt-cinq
journees de circuit. Toute cette plaine
etait sillonnee de ruisseaux dont les eaux
descendaient des monts et se jetaient dans
cette mer. L'etc nous retournames vers le
nord de cette mer, et la encore il y avait
— 104 —
de hautes montagnes. Dans cette plaine,
s*elevaient jadis de nombreuses bourgades,
mais elles ont ete d^truites pour la plu- *
part, parce qu'il y avait 1^ de ^ras patura-
ges et que les Tartares voulaient y con-
duire leurs troupeaux. Nous vimes 1^ une
grande ville nommee Cailac, oil il y avait
un marche frequente par une multitude de
niarchands. Nous nous y reposames pen-
dant douze jours, en attendant le secre-
taire de Baton qui devait etre adjoint k
notre guide pour traiter les affaires k la
cour de Mangou. On nommait ce pays
Organuni 44, et il y avait un langage et
une ecriture qui lui etaient particuliers ;
mais depuis peu , les Turcomans sen
etaient empares. Les Nestoriens de ces
contrees font usage de cet idiome et de
cette ecriture dans les ceremonies de leur
culte et pour ecrire des livres. C'est ce qui
fait qu'on les appelle « organa », parce
qu'ils sont d'excellents guitaristes ou orga-
nistes, si je dois croire ce qu'on m'a ra-
conte. C'est la que j'ai vu pour la pre-
miere fois des idolatres, dont vous saurez
qu'il y a de nombreuses sectes en Orient.
ozzorzo
nmmmmmmm
ENUMERATION
DKS StCTtS IDOLATRES. — BOCDDHISTES
CE sont d'abord les Jougoures 43 ^ dont
le pays touche k celui d'Organum,
au milieu des montagnes vers Test. Dans
toutes leurs villes, les Nestoriens et les
Safrazins se confondent, et eux-memes
sont entremeles. du cote de la Perse, dans
les villes des Sarrazins. Meme dans la ville
de Caala ou Cailac, il y avait trois tem-
ples d'idolatres, et j'entrai dans deux de
*ces edifices pour en voir les folies. Dans le
premier, je vis un idolatre qui avait une
petite croix faite avec de 1 encre sur la
main, ce qui me fit croire qu'il etait Chre-
tien, et encore parce qu'il me repondait
comme un chretien k toutes mes ques-
tions. Je lui demandai done : « Pourquoi
« n'avez-vous pas ici la croix et I'image
« de Jesus-Christ? » II me repondit : « Ce
« n*est pas Tusage. » J en conclus qu*ils
etaient Chretiens et quils omettaient ces
8
choses par ignorance. Cependant je vis,
derri^re un coffre qui leur tenait lieu d*au-
tel et sur lequel ils placaient des candela-
bres et faisaient des oblations, une certaine
figure ayant des ailes comme celles de
saint Michel et d'autres figures qui te-
naient les doigts cpmme les eveques lors-
cju'ils donnent la benediction. Ce soir-la,
je ne pus rien savoir parce que les Sarra-
zins les ^vitent tellement qu'ils ne veulent
pas meme en parler. Quand done je m'en-
querais aupres des Sarrazins du culte de
ces idol^tres, ils sen trouvaient scandali-
ses. Le lendemain , on etait aux calendes
et c'etait la paque des Sarrazins, je chan-
geai de logement et je m'installai aupres
d'un autre temple, car on reunit les am-
bassadeurs suivant leurs puissance et qua-
lites. Y etant entre, je trouvai des pretres
idolalres; car le premier jour du mois ils
ouvrent leurs temples, se couvrent de
leurs ornements sacerdotaux, offrent de
Tencens, montent les candelabres etcon-
sacrent les offrandes du peuple, c'est-i-dire
du pain et des fruits.
Je vous decrirai d'abord tous les rites de
ces idolatres, ensuite ceux des Jougoures
qui sont comme des sectes separees des au-
tres. Tous rcgardent le nord pour prier en
frappant des mains, se prosternant k terre,
en nechissant les genoux et reposant le
front sur les mains. De sorte que les Nes-
toriens de ces contrees nc joignent nuUc*
— 107 —
ment les mains pour prier, mais prient,
les mains etendues en avant de leur poi-
trine. Leurs temples sont orienles de Test
k Touesi, et du cote nord il y a une cham-
bre en saillie comme un choeur, ou bien
quelquefois, si Tedifice est carre, cette
chambre est au milieu. Au nord, cette
chambre est fermee au lieu du choeur. L^,
ils placent un coffre long et large comme
une table, et derriere ce coffre, du c6te
sud, ils placent leur principale idole que
j'ai vue a Caracorum aussi grande que la
statue de saint Christophe 46. (Un pretre
nestorien qui etait venu du Cathay m'a
dit que dans ce pays il y a une idole si
grande, qu on pent la voir ^ deux journees
de loin.) Autour de cette idole, on en
place d'autres qui sont toutes magnifique-
ment dorees. Sur ce coffre, qui est comme
une table, on met des candelabres et les
offrandes. Toutes les portes des temples
sont ouvertes au midi, contrairement k
Tusage des Sarrazins. 11 y a aussi de gran-
des cloches pareilles aux notres; c'est
pourquoi je pense que les Chretiens d'O-
rient n'ont pas voulu en avoir. Cependant
les Russes en ont et les Grecs de Gazalre
aussi.
^
COU VENTS DE BOUDDHISTES
DE memc, tous leurs pretres se rascnt la
tete et labarbe; ils sont vetus de jaune.
Du moment oil ils ont ete rases, ils doi-
vent rester chastes et vivre en commu-
naute au nombre de cent a deux cents.
Les jours oti ils vont au temple, ils met-
tent deux bancs et s'assoient k terre en
face du choeur, ayant des livres ^ la main
qu'ils deposent de temps en temps sur ces
bancs. Au temple, ils ont la tete decou-
verte, lisent tout bas et observent le si-
lence. De sorte qu'etant un jour entre dans
un de leurs temples de Caracorum, et les
trouvant ainsi assis, j'ai essaye de toutes
les manidres de les faire parler et je n'ai pu
y parvenir. Partout oU ils vont, ils ont
toujours dans les mains une certaine corde
(testam) de cent ou deux cents noeuds,
comme nous qui portons le chapelet (pa-
ter-noster), et ils r^p^tent constamment
ces mots : On man baccam, c'est-^-dire :
« Dieu, tu le connais. » S*il faut en croire
8»
— no —
celui des leurs qui me les a traduits, et au-
tant de fois cju ils rep^tent ces mots, au-
tant de fois ils esp^rent une recompense
de Dieu. Autour de leur temple, ils eta-
blissent toujours un beau parvis qu'ils en-
tourent d'une bonne muraille et dont la
porte se trouve au midi. C'est li qu'ils se
r^unissent pour causer. Au-dessus de celte
porte, ils aressent une longue perche qui
peut etre vue de toute la ville, et ^ ce signe
on reconnait que ce batiment est un tem-
ple des idoles. Cela est propre a tous les
idolatres. Quand done j'entrai dans ce tem-
ple, je trouvai les pretres assis ^ la porte
exterieure, et il me semblait qu'ils etaient
Fran^ais parce qu'ils avaient la barbe ra-
see. Us avaient sur la tete des tiares ou
mitres tartares. Tous les pretres des lou-
goures sont ainsi vetus : partout ou ils
vont, ils portent des tuniques jaunes assez
etroites, avec une ceinture par-dessus
comme les Francais. lis ont un manteau
sur I'epaule gauclie qui, devant, descend et
couvre la poi trine et qui, par derridre, s'e-
tend Jusqu'au cote droit, comme la chasu-
ble du diacre en temps de careme.
ECRITURE DBS TARTARES
LEs Tartares ont adopte Fecriture des
lougoures. Leurs lignes vont de haut
en bas et de gauche k droite, et ils lisent de
la meme maniere. Pour pratiquer leurs
sortileges, ils se servent beaucoup de cartes
et de caracteres, ce qui fait que Ton voit
beaucoup de lettres suspendues aux murs
de leurs temples. Mangou-Khan leur en-
voya des lettres ecrites en langue moale
avec des caracteres iougoures.
W#%S»r#%M#%W#W#%i«^%%^
CROYANCES DES TAR TARES
L
Es Tartares briilent leurs morts d'aprds
Tusage antique et en deposent les cen-
dres au haut d'une pyramide. Etant entre
dans le temple et ayant vu la foule de leurs
idoles grandes et petites, je m*assis k cote
des pretres et leur demandai ce qu'ils
croyaient de Dieu. lis me repondirent :
tt Nous ne croyons qu*en un seul Dieu. »
Je repris : « Croyez-vous qu'il soit un es-
« prit ou un corps visible? » lis me repon-
dirent : « Nous croyons qu'il est un es-
« prit. » Et moi : « Croyez-vous qu'il n*ait
a jamais pris une forme humaine? » lis
dirent : « Jamais. » — Alors moi : « Pour-
« quoi done , si vous croyez qu'il est un
« pur esprit, le representez-vous sous tant
a de figures corporelles? Puisque vous
« n'admettez pas qu'il.se soit fait homme,
« pourquoi le representez-vous sous une
« tigure humaine, et non sous celle de tout
« autre etre vivant? » lis me rdpondirent :
« Nous ne figurons pas Dieu sous ces ima-
— 114 —
« ges ; mais lorsqu'un richc meurt parmi
« nous, sa femme, son fils ou quelqu'un
a qui lui est cher fait faire son image, la
« place ici, et nous la venerons en me-
« moire de lui ». — Alors moi : a Vous
(( ne faites done cela que pour flatter et
« aduler les hommes? » — « Seulement, »
me repondirent-ils, « pour honorer leur
a m^moire. » — Puis,ils me demand^rent
comme en se moquant : « Oti est Dieu ? »
— Je leur repliquai : « Oti est votre ame ? »
— lis dirent : « Dans notre corps. » — Je
repris : « N'est-elle pas dans tout le corps
« et ne le dirige-t-elle pas entidrement, et
« pourtant on ne la voit pas ? Ainsi Dieu
« est partout et gouverne tout, et cepen-
(c dant il est invisible, parce qu'il est in-
a telligence et science. » — Comme je
voulais discuter davantage, mon interprete
elant fatigue se refusa a traduire mes pa-
roles et me fit taire.
Ces sectes-la sont mongoles ou tartares
quant k leur croyance en un seul Dieu ;
cependant ils font des figures de feutre qui
representent leurs morts et les revetent de
riches etoffes et les placent dans un ou
deux chariots; et ces chariots, personne
n'ose les toucher, car ils sont sous la garde
des devins qui sont leurs pretres. Je vous
en parlerai dans la suite. Ces devins ont
toujours leur demeure devant la cour de
Mangou et d'autres riches personnages,
car les pauvres n'en ont pas, a moins qu'ils
— 1 ID —
ne ^ient de la race de Chingis. Et quand
ils doivent voyager, ces devins marchent
devant les chariots, comme la colonne de
nuee devant les fils d'Israel, et choisissent
remplacement oti il faut camper; puis ils
dechargent leurs maisons, et toute la cour
les imite. Et si c'est un jour de fete, ou le
premier du mois, ils exposent ces images
en les etalant autour de leur maison. Alors
les Moals arrivent, entrent dans la maison
ct s'inclinent devant ces images et les
venerent. II n'est permis d aucun etranger
d'entrer dans cette maison. Une fois, je
voulus y penetrer et j'en fus violemment
repousse.
LES lOUGOURES
OR, ces lougoures, qui sont meles de
Chretiens et de Sarrazins, ont fini,
grace k nos controverses,par neplus croire
qu'fl un seul Dieu. lis habitent les villes
qui ob^irent les premieres a Chingis-
Khdn ; ce qui fit que celui-ci donna sa nlle
en mariage ^ leur roi. La ville de Caraco-
rum elle-meme est comprise dans leur ter-
ritoire, et toute la terre du roi ou du pr^-
tre Jean et de son fr^re Unc I'environne.
Mais ceux-ci sont dans les paturages au
nord, et les lougoures dans les montagnes
au sud. Cest de 1^ que les Moajs ont
adopte leurs lettres, car ils ecri vent beau -
coup et presque tous les Nestoricns con-
naissent leur ecriture.
<)
LE TANGUT
APREs eux sont les habitants du Tangut 47,
dissemines dans ces m^mes monta-
gnes vers Test, hommes tr^s-forts qui pri-
rent Chingis dans une bataille. Celui-ci,
ayant ete mis en liberie aprds la conclusion
de la paix, les subjugua k son tour. Ces
populations du Tangut ont des boeufs tres-
vigoureux, dont la queue, le ventre el le
dos sont converts de polls, et dont les jam-
bes sont plus courtes que celles des au-
ires boeufs et I'instinct plus feroce. Ces
animaux trainent les grandes maisons des
Moals et portent des cornes minces, effi-
lees, longues et pointues, de sorte qu'il
faut loujours en couper les extremiles. La
vache ne se laisse traire si on ne chante k
cole d'elle. Ces betes liennent aussi de la
nature du buffle, parce qu'elles se ruent
sur loute personne vetue de rouge et veu-
lent la tucr.
— 'q)'^ — ■'
LE THIBET
PKEs d'eux, sont les Thibetains 48^ qui
ont I'habitude de manger leurs pa-
rents morts, pensant par esprit de piete ne
pouvoir leur donner d'autre sepulture que
celle de leurs entrailles. Cependant ils ont
renonce k cet usage, parce que toute la na-
tion les desapprouvait. Toutefois ils font
encore de belles tasses avec les cranes de
leurs parents, afin qu'en buvant en leur
honneur ils ne les oublient pas aux jours
de fete. Cela m'a ete raconte par quelqu'un
qui Ta vu. Ils ont beaucoup d'or dans leur
pays, et celui qui en a besoin fouille le sol
jusqu'^ ce qu'il en trouve et cache le sur-
plus dans la terre. Car s'il le deposait dans
un tresor ou dans un cofFre, il craindrait
que Dieu lui enlevat ce que le sol recele.
Parmi les habitants de ces contrees, j'en ai
vu quantite de difFormes. Ceux du Tangut
sont bruns, et basanes. Les lougoures sont
de petite taille, comme on Test dans notre
pays. Parmi les lougoures, ont pris nais-
sance Tidiome turc et le comanique.
LES SOLANGUES
APRKS les Thibetains sont les Lougas et
lesSolangas 49^ dont j'ai vu, a la cour,
des ambassadeurs qui avaient amend plus
de dix grands chariots; chacun de ces vehi-
cules etait trainepar six boeufs. Ces Lougas
et Solangas sont de petite taille et basanes
comme les Espagnols; lis portent destuni-
ques comme celles des diacres, avec cette
difference que les manches en sont plus
etroites. lis ont sur la tete des mitres
comme nos eveques ; seulement le c6te an-
terieur en est un peu plus bas que le cote
posterieur, et elles ne montent pas en
pointe ; elles sont carrees. Elles sont faites
de fils enduits d'une coUe noire et telle-
ment luisante, qu'elle brille aux rayons
du soleil comme un miroir ou un casque
bien bruni. Autour des tempes, sont de
longs bandeaux faits de la meme mati^re
que la mitre et s'etendant au vent comme
deux cornes qui sortent des tempes; et
quand le vent les agite trop, on les replie et
on les attache au haut de la mitre comme
— 124 —
une aureole autour de la lete, et cela fait
un tres-bel ornement.
Le principal ambassadeur, quand il ve-
nait a la cour, avail toujours une table de
dent d'elephant, de la longueur d'une cou-
dee et de la largeur de la paume de la main ;
elle etait tr^s-polie. Chaque fois qu'il s'a-
dressait au khan ou k quelque grand per-
sonnage, il avait constamment lesyeux nxes
sur cette table et ne regardait jamais ni ^
droite ni a gauche, ni en face de son in-
terlocuteur. Et en s'approchant ou en s'e-
loignant du prince, il ne d^tournait pas les
yeux de cette table.
LES MOUNGS
OUTRE tous ces peuples, il en est encore
d'autres, d'apres ce que j'ai appris,
que Ton appelle Mucs 5o^ qui ont des vil-
les, mais pas de troupeaux en propriete
privee. Cependant il en est de nombreux
et de tr^s-grands dans leurs paturages et
personne ne les garde, et si quelqu'un a
besoin d'un animal, il gravit une coUine
et crie, et toutes les betes qui entendent.ses
cris s'approchent de lui et se laissent pren-
dre comme si elles etaient apprivoisees. Et
lorsqu'un ambassadeur ou un etranger ar-
rive dans ce pays, on I'enferme dans une
maison eton lui fournittout ce qui lui est
necessaire, jusqu'a complete expedition
des affaires, parce que, si un etranger cir-
cLilait en toute liberte, ces animaux s'en-
fuieraient k son odeur et redeviendraicnt
sauvages.
0*
^>-^J|^-^§->-4^-|^-iJ-^>-4^- ^^'■
LE CATHAY OU LA CHINK
Au dela est le grand Cathay dont les
habitants etaient anciennement, je
crois, les Seres. Car d'eux viennent les
bons draps de soie ou seriques, ainsi nom-
mes du nom du people, et ie peuple a recu
le sien d'une de leurs villes. J'ai bien oui
dire que dans ce pays il est une ville aux
murailles d'argent et aux bastions d'or.
Dans cette contree, il y a beaucoup de pro-
vinces, dont quelquesunes n'obeissent pas
aux Moals. Entre ceux-ci et la mer est
rinde. Ces habitants du Cathay sont de
petite taille et nasillent en parlant. Comme
tous les Orientaux, ils ont en general de
petits yeux. lis sont tres-bons ouvriers
dans toutes sortes d'arts. Leurs medecins
connaissent bien la vertu des herbes et les
maladies par les pulsations du pouls, mais
ils n'ont aucune connaissance des urines;
c'est du moins ce que j'ai remarque. Beau-
coup des leurs habitent Caracorum et exer-
cent le meme etat que leurs p^res; il faut
— 128 —
que tous les iils continuent la profession
paternelle. C'est pourquoi Timpot est le
meme pour tous, car on paie chaque jour
aux Moals milie cinq cents iascots ^i ou
ieur valeur en cosmos ; c'est-a-dire quinze
mille marcs, sans compter les draps de soie
et les provisions de bouche, et ies services
qu'ils recoivent. Tous ces peuples sont
dissemines dans les montagnes du Cau-
case, ou plut6t dans le nord de ces monta-
gnes jusqu'^ rOcean oriental, au sud de
cette Scythie qu'habitaient les Moals no-
mades. Tous Ieur sont tribulaires; iis sont
adonncs ^ Tidol^trie et racontent une foule
de fables de leurs dieux, de la genealogie
dc ces dieux et de certains hommes dei-
fies, comme font nos poetes. Parmi eux sc
trouvent des Nestoriens et des Sarrazins
qui sont lenus comme etrangers jiisqu'au
Cathay. Dans quinze villes du Cathay on
voit des Nestoriens, et dans celle qu'on
appelle Segin ^2, est Ieur eveque ; au del^,
ce sont des idolatres purs. Les pretres des
idoles de ces peuples portent de larges ca-
puchons jaunes. S'il faut en croire ce (jue
)'ai entendu dire, il y a aussi des ermites
qui mdnent dans les bois et les montagnes
une vie tr^s-austere. Les Nestoriens sont
tr^s-ignorants. Cependant ils disent Ieur
office et ont des livres sacres en syriaque,
qu'ils ne comprennent pas; ce qui fait
qu'ils chantent comme, chez nous, les
moines qui ne savent rien de la gram-
— 129 —
maire : d'oti une grande corruption. lis
sont surtout usuriers, ivrognes, et quel-
ques-uns qui vivent avec les Tartares ont,
comme eux, plusieurs femmes. Quand ils
entrent k I'^glise, ils se lavent les parlies
inferieures du corps comme les Sarrazins;
ils ,«nangent de la viande le vendredi et
liennent leurs banquets k la mani^re des
Sarrazins. L'eveque visite rarement ces
pays, peut-etre une seule fois en cinquante
ans. Alors on fait ordonner pretres tous
les petits enfants mdles, meme ceux qui
sont encore au berceau, ce qui explique
comment presque tous les hommes sont
pretres. Ensuite ils se marient, ce qui est
tout ^ fait contraire a I'enseignement des
P6res, et ils sont bigames parce qu'apres
la mort de leur premiere epouse, ils en
prennent une secondc. lis sont aussi tous
simoniaques, n'administrant aucun sacre-
ment gratuitement. lis sont tr^sattentifs
pour leurs femmes et leurs enfants, ce qui
fait qu'ils sont plus occupes de gagner de
I'argent que de propager la foi. 11 arrive
de la que ceux d'entre eux qui eldvent les
enfants des Moals nobles, tout en leur en-
seignant I'Evangile et la foi, les eloignent
cependant de la pratique des vertus chre-
tiennes par le mauvais exemple de leurs
moeurs et surtout par leur cupidite, parce
que la vie des Moals euxmemes et des
Tuinans, qui sont des idoldtres, est plus
pure que celle de ces pretres.
— i3o —
Nous partimes de Cailac le jour de la
Saint-Andr^ TSo novembre^ et arrivlLtnes
a trois lieues de 1^ k une residence de Nes-
toriens. Nous entrames dans leur eglise et
chantames avec bonheur de notre voix la
plus claire : « Salve Regina, » parce qu'il
y avait longtemps que nous n avions vu
d'eglise. Trois jours apr^s, nous fflmes
aux confins de cette province et aux bords
de cette mer qui nous parut aussi a^itee
par les tempetes que I'Ocean, et au milieu
de laquelle nous vimes une grande ile.
Mon compagnon s'approcha du rivage et
fit tremper dans Teau un linge pour la
goilter ; elle etait un peu salee, mais pota-
ble. Entre le sud et Test, il y avait une
vallee entouree de hautes montagnes, et
entre ces montagnes une autre mer ou lac,
et un fleuve traversait cette vallee de Tune
k I'autre mer. Le vent soufHait presque
continuellement dans cette vallee et avec
tant d'impetuosite que les voyageurs cou-
rent risque d'etre precipites dans la mer.
Nous traversames cependant cette gorge,
nous dirigeant vers le nord par de hautes
montagnes couvertes de neiges comme le
reste du pays; de £orte que le jour de la
Saint-Nicolas, nous commen^ames k ha-
ter le pas, parce que nous ne trouvions
plus d'autres habitants que les lam, c'est-
^-dire des hommes places de journee en
journee pour recevoir les ambassadeurs.
En beaucoup d'endroits, au milieu des
- i3r —
montagnes, le chemin est penible et les
paturages sont rares, de sorte qu'entre le
jour et la nuit nous prenions deux iani;
nous faisions de deux journdes une et
nous marchions plus la nuit que le jour.
Le froid ^tait 1^ des plus intenses; aussi
nous couvrimes-nous de leurs manteaux
de chevres, le poil en dedans.
Le second dimanche (sabbato) de I'A-
vent au soir (7 decembre), nous passames
par un certain endroit au milieu de ro-
chers escarpes, et notre guide me fit de-
mander de dire quelque pridre qui piit
chasser les demons, parce qu'en cet en-
droit ils avaient I'habitude d'enlever les
hommes, sans que Ton sut ce qu'il en ad-
venait. Tantot ils derobaient un cheval et
abandonnaient le cavalier; tantdt ils lui
arrachaient les entrailles, laissant son sque-
lette sur le cheval; et beaucoup d'autres
choses de ce genre arrivaient \k. Alors,
nous chant^mes k haute voix : « Credo in
a unum Deum », et nous passalmes, avec
la grace de Dieu, tous sains et saufs. Puis
ils me pridrent de leur ecrire des cartes
au'ils porteraient sur leur tete, et je leur
dis : a Je vous enseignerai la parole que
a vous porterez dans votre coeur et par
« laquelle voire ^me et votre corps seront
tt sauves pour Teternite. » Et comme je
voulais toujours instruire, mon interpr^te
s'y refusa. Toutefois j'ecrivis pour eux le
Credo et le Pater, et dis : « Ici sont ecrits
— l32 —
< ce que rhomme doit croire de Dieu, et
( la pri^re par laquelle on demande ^ Dieii
( tout ce qui est ndcessaire a rhomme.
< Croyez done fermement toot ce qui est
< ici ecrit, meme sans le comprendre, et
< demandez k Dieu qu*il vous fasse ce qui
( est con ten u dans la priere ici ^crite, la-
< quelle 11 enseigna lui-meme, de sa pro-
' pre bouche, k ses disciples ; et j'espdre
< qu'il vous sauvera. » Je ne pouvais taire
davantage parce qu'il etait dangereux de
parler de doctrine par I'intermediaire d'un
interprete; c'etait meme chose impossible,
parce qu'il etait tres ignorant.
Nous entrames ensuite dans cette plaine
oCi se tenait la cour de Ken-Khan. Cetait
lepays des Naimans, qui etaient les vrais
sujets du pretre Jean. Mais je n'ai vu sa
cour qu'^ mon retour. Cependant je vous
dirai ce qui lui advint de sa famille, de son
his et de ses femmes. Ken -Khan mort.
Baton voulut que Mangou le rempla^at
dans sa dignite de Khan ; mais comment il
mourut, je ne saurais rien dire de positif ^
cet egard. Frere Andre m'a dit qu'il perdit
la vie a la suite d'une certaine medecine
qui lui fut administree par ordre, croit-on,
de Batou. Cependant on dit aussi autre
chose. Ken-Kh^n avait lui-meme invite
Baton k venir lui rendre hommage et
Baton s'etait mis en marche avec un
grand appareil de luxe, mais non sans
avoir grand'peur, lui et tons ses gens II
— .i3 3 — .
envoya devant lui son frere, nommeSticha,
aui, Jorsqu'il fut arrive aupr^s de Ken, se
disposa k lui presenter sa coupe. Une que-
relle s'eleva* aiors entre eux et ils s'entre-
tu^rent. La veuve de Sticha nous retint
[)endant deux jours chez elle afin que nous
ui donnames la bendcfiction et priames
pour elle.
Done, Ken etant mort, Mangou fut elu
par la volonte de Batou, et il etait dej^
elu lorsque frere Andre visita ces con trees.
Ken avait un fr^re nomme Seremon, qui,
d'apres le conseil de la veuve de K^n et de
ses vassaux, alia avec grand apparat vers
Mangou comme pour lui rendre hom-
mage, mais en realite avec le projet de le
tuer et d'aneantir toute sa cour. Et comme
il n'etail plus eloigne de Mangou que
d'une ou deux journees de marche, un de
ses chariots se brisa et dut resier en che-
min. Tandis que le conducteur s'efforcait
de le reparer, survint un des hommes de
Mangou qui I'aida dans son travail. Ce-
lui-ci s'enquit tellement du but de leur
voyage, que le charretier lui revela ce que
Siremon proposait de faire. Puis, cet
homme, se retirant d'un air d'indifference,
saisit le meilleur cheval qu*il put trouver
parmi tous les chevaux, courut nuit et
jour, parvint a la cour de Mangou et lui
annonca ce qu'il venait d'apprendre. Alors
Mangou, ayant aussitdt convoque tous ses
hommes, fit ranger tous ceux qui etaient
- .34-
armes en quatre cercles autour de sa cour,
de sorte que personne ne put entrer. II en-
voya les autres centre ce Siremon qui ne
soupconnait pas que ses desseins fussent
decou verts; ils s'empardrent de lui et Tem-
mendrent ^ la cour avec tous les siens.
Mangou lui reprocha son crime; Tautre
avoua aussitut. Alors il fut tu^ et avec lui
son ills aine Ken-Khan et trois cents des
principaux parmi les Tartares. On envoya
cliercher aussi les femmes, qui toates f u-
rent fustigees avec des tisons ardents pour
obtenir leur aveu ; et ayant avou^, elles
furent toutes tuees. Le plus jeune des fils
de Ken, qui ne pouvait avoir donn^ un
conseil ni avoir connaissance de ce qui de-
vait se commettre, eut la vie sauve, et on
lui laissa la cour de son p^re avec toutes
ses appendances et dependances. Nous pas-
sames par Ik k notre retour, et mes guides,
en allant ou revenant, n'osaient se diriger
de ce cote ; car a la reine des nations ^tait
« dans la tristesse et il n'y avait personne
« pour la consoler. » (Lamentat. Jdremie,
ch. i).
->—♦<<»•-*-
DEPART
POUR l'audience de mangou-kh.vn
Nous primes de nouveau le chemin des
montagnes , nous dirigeant toujours
vers le nord. Entin, le jour de la Saiiit-
Etienne (26 decembre), nous entrames dans
une plaine grande comme la mer ; car nous
n'aperjumes plus la moindre coUine, et le
lendemain, fete de saint Jean Tevangd-
liste, nous parvinmes aupres du grand
khSn. Lorsque nous etions k une distance
de cinq journees de 1^, le mm, chez qui
nous logions, voulait nous conduire par
un chemin qui nous aurait fait faire un
detour de plus de quinze jours. Et le mo-
tif, si je I'ai bien compris, etait de nous
faire passer par Onankerule (Onam che-
rule), le veritable pays oti se tenait ordi-
nairement la cour de Chingis-Khan ; d'au-
tres disaient qu'ils voulaient prendre un
plus long chemin pour mieux laisser appa-
raitre la puissance de leur souverain. C'est
— i36 —
ainsi d'ailleurs qu'on a Thabitude d'agir
a I'egard des voyageurs qui viennent de
pays qui ne leur sont pas soumis, et c'est
avec la plus grande aifficulte que notre
guide obtint de suivre le droit chemin.
Cette hesitation nous fit perdre une bonne
partie de la journ^e, depuis la premiere
jusqu'^ la troisi^me heure.
Dans ce trajet, le secretaire que nous
avions attendu k Cailac me dit que^ par les
lettres de Batou qu'envoyait Mungou-
Khan, vous demandiez k Sartach une ar-
mee et des secours contre les Sarrazins. Je
fus alors etonne et trouble, parce que je
connaissais la teneur de vos lettres, et que
je savais qu*il n'y etait pas fait mention de
cela, si ce n'est que vous le priiez d'etre
rami de tous les Chretiens, d*honorer la
Croix et d'etre I'ennemi de tous les enne-
mis de la Croix ; et encore, parce que les
interprdtes etaient des Armeniens de la
Grande Armenie, haissant beaucoup les
Sarrazins, je craignais qu'ils n'eussent in-
terprete quelque chose d'une mani^re nui-
sible k ces derniers. Je gardai done pru-
demment le silence, ne prof^rant pas un
mot ni pour ni contre, car je ne voulais
pas contredire aux paroles de Baton ni
m'exposer k le calomnier sans une cause
raisonnable.
Nous arrivames done k la cour le jour
que je viens de vous nommer. Une grande
maison fut assignee k notre guide; k nous
- .37-
trois, un petit abri oti nous pumes k peine
deposer nos hardes, ^tendre nos lits et
faire un peu de feu. Notre guide fut
trds-visite et on lui apporta de la cer-
voise dans de longues bouteilles, etroi-
tes par le haut. Je n'aurais pu en aucune
facon distinguer cette boisson du meilleur
vin d'Auxerre^ excepte seulement k Todeur
qui n'etait pas celle du vin. Nous fiimes
appeles et presses de questions sur le but
de notre voyage. Je repondis : « Nous
(( avons entendu dire que Sartach etait
« Chretien; nous nous rendons aupres de
« lui. Nous lui portons des lettres que lui
« adresse le roi des Francs ; Sartach nous
« a envoy^s k son pdre, son pere nous a
cc envoyes ici. Lui-meme doit avoir ecrit
« le motif de notre mission. »
lis nous demanderent si vous vouliez
etre en paix avec eux. Je repondis : « II a
« ecrit des lettres k Sartach comme k un
« Chretien, et s'il avait su qu'il ne fut pas
(( Chretien, il ne lui aurait jamais expedie
« des lettres. Quant k faire la paix, je vous
« declare qu'il ne vous a jamais fait la
(( moindre injure. S'il avait fait quelque
« chose qui vous autorisat k lui declarer la
« guerre, k lui ou k son peuple, il s'em-
« presserait, en homme juste, de s'excuser
c< et de vous demander la paix. Si vous,
(c au contraire, vouliez sans raison lui
<c faire la guerre, k lui ou k son peuple,*
« j espere que Dieu qui est juste les aide-
— i38 —
« rait. » Et eux, toujours tr^s-etonn&, ils
repetaient : « Pourquoi venez-vous , si
(( vous ne venez pas faire la paix? » Car
ils sont si orgueilleux qu'ils s'imaginent
auc tout le monde les recherche pour leur
demander ^ vivre en paix avec eux. Et ce-
pendant, sf cela m'etait permis, je parcour-
rais le monde k precher la guerre contre
eux. Mais je ne voulais pas leur dire ouver-
tement la cause de mon arrivde parmi eux,
dans la crainte de fjrononcer une seule pa-
role qui fut conlraire k ce que m'avait or-
donne Baton. II me parut done suffisant
de declarer que la cause de mon voyage
ctait la mission que je tenais de Baton.
Le jour suivant, nous fumes conduits k
la cor.r, et je crus qu'il me serait accordc
de marcher nu-pieds comme dans notrc
pays; c'est pourquoi je deposai mes sanda-
Ics. Ceux qui se rendent a la cour descen-
dent de cheval a une portee de trait de la
maison oti se tient le khan, et les chevaux
restent 1^ avec les palefreniers charges de
leur garde. Lorsque nous fumes descendus
et que notre guide se rertdit k la residence
du khan, il se trouva 1^ un gar^on hon-
grois qui nous reconnut, ou plutot notre
Ordre. Ceux qui nous entouraient nous re-
gardaient avec des yeux ebahis, surtout
parce que nous etions nu-pieds, et ils nous
demandaicnt pourquoi nous faisions si peu
dc cas de nos pieds. Get Hongrois leur en
— i39 —
expliqua la raison, en disant que c'etait
une regie de notre Ordre. Alorsvintle pre-
mier secretaire, qui ^tait un chretien nes-
torien, par le conseil de qui tout se faisait
a la cour; il nous observa attentivement,
appela cet Hongrois et lui fit de nombreu-
ses questions. Puis, on nous dit de rega-
gner notre logement.
UN MOINE ARMENIEN
EN m'en retournant, j'aper<jus devant Tex-
tremite orientale de la cour, a une dis-
tance de deux traits de baliste, une maison
sur laquelle etait une petite croix. Je m en
rejouis fort, supposant qu'il y avait la quel-
que vestige de christian isme. J'entrai avec
confiance et trouvai un autel parfaitement
orne ; sur une etoffe d'or, je vis brodees les
images du Sauveur, de la sainte Vierge, de
saint Jean-Baptiste et de deux anges, dont
les lignes du corps et des vetements etaient
dessinees par des perles (margaritis). II y
avait aussi une grande croix d'argent, dont
le milieu et les coins etaient garnisde pier-
res precieuses, et beaucoup d'autres orne-
ments ( philateria ) ; une lampe ^ huit
branches et k huile brulait devant I'autel;
et 1^ etait assis un moine armenien, noira-
tre, maigre, vetu d'une tunique en forme
de cilice, tres-rude jusqu'^ mi-jambes,
ayant par-dessus un manteau noir fourre
de laine (seta), et sous le cilice une cein-
10
— 142 —
ture de fer. Aussitot apr6s notre entree,
ct avant de saluer le moine, nous nous
prosterndmes et chantames : « Ave Regina
ccelorum, » et lui, s'dtant dress^, priaavec
nous. Alors, Tayant salu^, nous nous as-
simes i c6t6 de lui ; il avait un peu de feu
dans un plateau (patella). Nous lui ra-
contames la cause de notre arrivee, et il
commen^a par nous encourager, disant
que nous devions parler hardiment parce
que nous etions les ambassadeurs de Dieu,
qui est plus grand que tous les hommes.
Ensuite, il nous apprit comment il etait
venu dans ce pays, un mois seulement
avant nous ; qu il avait €i€ ermite aux en-
virons de Jerusalem et que Dieu lui avait
apparu trois fois, lui ordonnant d'aller
trouver le chef des Tartares. Et comme il
differait d'obeir, Dieu le menaca la troi-
sieme fois, et le faisant prosterner il lui dit
qu'il mourrait s*il n'obeissait pas. II se de-
cida enfin a exhorter Mangou-Kh^ln k se
faire chr^tien, Tassurant que le monde en-
tier lui serait soumis et que les Francs et
le souverain Pontife lui seraient fiddles, et
il me conseilla de lui repdter ces paroles.
Alors je r^pondis : a Frdre, je lui dirai vo-
« lontiers de se faire Chretien, car je suis
« yenu pour cela, et je donnerai ce conseil
« k tout le monde. Je lui ferai entrevoir
« aussi toute la joie qu^en eprouveront les
« F'rancs et le Pape, et lui promettrai
'( qu'ils le regarderont pour frdre et ami;
— 143 —
« mais qu*ils deviendront ses esclaves et lui
« paieront tribut, je ne le promettrai ja-
« mais, parce que je parlerais centre ma
cc conscience. » Alors le moine se tut, et
nous allames a notre logement que je trou-
vai froid, car nous n'avions rien mange
de la journee. Nous fimes cuire un peu de
viande et du mil dans de I'eau pour sou-
per. Notre guide et ses compagnons s e-
taient enivres a la cour, ne se preoccupant
nullement de nous.
0^3
'>— ><o— ^^^-^ JV-v>^-
UN HI/ER A CAR ACQ RUM
1L y avait alors, chez Mangou-Khan, les
ambassadeurs de Valzane que nous ne
connaissions pas 53. Le lendemain, au
point du jour, des hommes de la cour nous
tirent lever en toute hate. Je m*en allai
avec eux, nu-pieds, par un sentier ^troit,
au logis de ces amoassadeurs, et ils leur
demand^rent s'ils nous connaissaient.
Alors un chevalier grec, reconnaissant
rOrdre auquel j'appartiens, et aussi mon
compagnon qu'il se rappelait avoir vu k la
cour de Vastace avec frere Xhomas notre
provincial, porta avec tous ses compa-
gnons un excellent temoignage de nous
tous. Us nous demanderent ensuite si vous
etiez en paix ou en guerre avec Vastace.
« Ni en paix ni en guerre, » repondis-je;
et ils me dirent : « Comment cela peut-il
« etre? » — « Votre pays et le ndtre, » re-
pondis-je, « sont si eloignes Tun de I'autre,
« qu'ils n'ont rien a demeler ensemble. »
Puis, I'envoye de Vastace dit que c'etait la
10*
— 14^) —
paix, men faisant garant (cautum). Je
gardai le silence.
Ce matin, j'eus les doigts de pieds geles,
de sorte que je ne pus plus marcher sans
sandales. Car le froid est tr^s-aigu dans ces
contr^es, et lorsqu'il commence de geler, il
n'y a pas d'interruption Jusqu'au mois de
mai, et meme jusquau milieu de mai.
Chaque matin, la gel6c ne cesse que par
Tardeur des rayons du soleil. Mais, en hi-
ver, elle dure toujours k cause du vent. Et
si le vent soufflait 1^ en hiver comme chez
nous, il ne serait pas possible de vivre;
mais I'air y est toujours calme jusqu'en
avril, et alors les vents se levent. Quand
nous etions Ijl, vers Paques (avril 1254), il
mourut une quantite de bestiaux, k cause
du froid qui sevit avec le vent. II tombe
peu de neige en hiver, mais, vers Paques,
c'est-a-dire a la fin d'avril, il en tomba tel-
lement que toutes les rues de Caracorum
en furent pleines et qu*il fallut Tenlever
au moyen de chariots. On nous apporta
alors de la cour des manteaux et des pour-
points de peaux de mouton et des sandales,
que mon compagnon et mon trucheman
recurent avec plaisir. Quant k moi, je ne
crus pas devoir m'en servir parce que la
pelisse que j'avais eue de Bcltou me suf-
fisait.
■v/%yv/\/\/\yN/^ r\f\r\
op>i^7^^^0>a5>^^»^emi>^^^f^
AUDIENCE DE MANGOU-KHAN
D
ANs Toctave des saints Innocents
(4 Janvier :255), nous fiimes con-
duits k la cour, et des pretres nestoriens,
dont je ne saurais dire s'ils etaient Chre-
tiens, vinrent nous demander de quel cote
nous nous tournions pour prier. Je repon-
dis : a Vers I'orient. » Us nous adress^rent
celte question, parce que nous nous dtions
fait raser, d apres le conseil de notre guide,
pour paraitre devant le khto selon 1 usa^e
de notre patrie. Ce qui leur avait fait
croire que nous etions tuinans, c'est-^-
dire idolatres. lis nous firent aussi expli-
quer quelques passages de la Bible, lis
nous demanderent ensuite quel c^r^monial
nous observerions devant le khan : serait-
ce celui usite chez nous ou chez eux ? Je
leur r^pondis : « Nous sommes pretres,
« consacres au service de Dieu. Dans no-
« tre pays, nos nobles maitres ne toldrent
« pas que les pretres plient le genou de-
tt vant eux, si ce n'est pour honorer Dieu.
— 148 —
« Nous venons de loin ; d abord, si vous
a le permettez, nous chanterons des ac-
« tions de graces k Dieu, gui nous a con-
<i duits sains et saufs jusqu'ici et de si loin,
<i puis nous ferons tout ce qui plaira k
a votre maitre, excepte toutefois ce qui se-
<( rait contraire au culte et k la gloire de
a Dieu. » lis rentrdrent et rapportdrent
nos paroles au khan, sur qui elles firent
bonne impression. Etant arretes devant la
porte dont on avait soulev^ le rideau de
feutre, et comme on etait au temps de la
Nativite, nous nous mimes k chanter :
A soils ortu cavdinc
Et usque terrce Umitem
Cristum canamus principem
Natum Maria Virgine.
Lorsque nous eumes acheve cette hymne,
nous fumes fouilles aux jambes, k la poi-
trine, aux bras, afin de voir si nous ca-
chions des couteaux. lis firent visiter aussi
notre interprdte et le forc^rent d'dter sa
ceinture a laquelle pendait son couteau et
de la deposer entre les mains d'un huis-
sier. Alors nous entrames et apercumes k
I'entree un banc avec du cosmos ;'i Is y fi-
rent arreter Tinterpr^te. Mais nous, ils
nous firent asseoir sur un tabouret (scam-
num), en face des dames. Toute la maison
etait couverte d'un drap d'or. et dans un
rechaud (arula), place au milieu, brulait
— H9 —
un feu alimente par des epines et des ra-
cines (absinchii) d'alluine, qui croit en
grande abondance dans ces regions, et en-
core par de la fiente de boeufs. Le kh^n
etait assis sur un lit, revetu d'une peau ta-
chetee et tres-luisante, pareille k celle d*un
veau marin ^+. C'est un homme-singe (ho-
mo-simius), de taille moyenne, age de qua-
rante-cinq ans ; aL ses cotes etait sa jeune
femme, et une fiUe adulte, tr^s-laide, nom-
mee Cirina, etait assise, avec d*autres pe-
tits enfants, sur un lit place derridre celui
de ses parents. Or, cette maison avait ap-
partenu k une dame chretienne, que le
khan avait beaucoup aim^e et dont il avait
eu cette fille. II epousa cependant sa jeune
femme, mais la Jeune fille est la dame de
toute la cour qui avait ete sous les ordres
de sa mere. Alors le khan nous fit deman-
der ce que nous voulions boire, du vin ou
de la terracine, qui est de la cervoise faite
avec du riz, ou bien du caracosmos, qui
est du lait pur de jument, ou bien dii ball,
qui est un extrait de miel (hydromel?). On
se sert de ces quatre boissons en hiver. A
ces questions, je repondis : « ^figr^ctir,
« nous ne sommes pas des hommes qui
c( cherchons notre plaisir dans la boisson ;
c( tout ce qui vous plaira nous convient. »
11 nous fit alors verser de cette boisson
faite de riz, limpide et douce comme du
vin blanc, dont je bus quelques gouttes
par simple politesse. Mais, ^ notre grand
— ID2 —
puis qu*il etdit en dtat d'ivresse, je ne le
comprenais plus. II me semblait memo
que Mangou-Kh^ln, lui aussi, etait un peu
cnancelant. Cependant 11 m'a paru rd^ul-
ter de sa reponse qu'il n'etait pas content
de ce que noys dtions alles trouver Sartach
avant lui. Voyant que mon interprdte me
faisait defaut, je me tus «t le priai seule-
ment de ne pas prendre en mauvaise part
si je lui avals parle d'or et d argent. Je lui
fis remarquer que je n'avSs pas parle de
ces choses parce qu'iJ en manquait ou les
desirait, mais parce que nous voulions
rhonorer temporellement et spirituelle-
ment.
Puis, il nous fit lever et rasseoir, et peu
apr^s, apres Tavoir salue, nous sortimes,
et avec nous ses secretaires et son inter-
pr^te, qui nourrit une de ses fiUes. lis nous
adresserent de nombreuses questions, nous
demandant s'il y avait en France beau-
coup de moutons, de boeufs et de chevaux,
comme s'ils avaient ete sur le point de
faire invasion par mi nous et de semparer
de tout cela. Et je dus me faire violence
pour dissimuler mon indignation et ma
colere. Je repondis : « II y a la bien dcs ri-
ce chesses, que vous verrez si vous allcz
<( par hasard par 1^1. » Ensuite ils charge-
rent quelqu*un d'avoir soin de nous, et
nous rejoignimes le moine. Et comme
nous sortimes pour regagner notre loge-
ment, le susdit interpr^te vint a nous et
— i53 ~
nous dit : « Mangou-Khan a eu pilie de
« vous et vous permet de demeurer
<c ici pendant deux mois. Alors le froid
« sera passe; il vous fait savoir en meme
« temps qu'^ une dizaine de journees d*ici,
c( il y a une bonne ville qu'on .appelle Ga-
te racorum. Si vous voulez y aller, il vous
c< fera administrer tout ce qui vous est ne-
(( cessaire; si, au contraire, vous voulez
« Tester ici, vous aurez aussi tout ce dont
« vous aurez besoin. Toutefois il vous sera
(c penible de chevaucher avec la cour. » Je
lui repondis : c Que le Seigneur garde
« Mangou-Khan et lui donne une vie
« heureuse et longue! Nous avons rencon-
c< tre ici un moine, que nous croyons etre
cc un saint homme, venu dans ce pays par
« la volonte de Dieu. C'est pourquoi nous
<c demeurerons volontiers avec lui, parce
« que nous sommes moines commeluiet
« nous prierons ensemble pour la vie du
« khan. » Alors I'interprdte s'en retourna
silencieux.
^
Xl-v^v^
RE TOUR DE L' AUDIENCE DU KHAN
ET nous allames k notre grande maison
que nous trouv^mes froide et sans
moyen de faire du feu; j'etais k jeun et il
faisait nuit. Alors, celui k qui nous avions
ete recommandes nous procura du feu et
un peu de nourriture. Notre guide re-
tourna chez Baton, apr^s nous avoir de-
mande un tapis que nous avions laisse par
son ordre k la cour de Baton. Nous le lui
accordames et il s'en alia en paix, nous de-
mandant la main et pardon de nous avoir
laisse soufiFrir la faim et la soif durant le
voyage. Nous le lui pardonnames, lui de-
mandant k notre tour, k lui et a tous les
siens , de nous pardonner si nous leur
avions montre le mauvais exemple.
Une femme de Metz en Lorraine, nom-
inee Pascha, et qui avait ete faite prison-
niere en Hongrie, vint nous trouver et
nous prepara un festin du mieux qu'elle
put. Elle appartenait k la cour de cette
dame qui etait chretienne et dont j'ai parle
— 1 56 —
plus haut ; elle nous raconta les privations
inou'ies quelle eut k supporter avant d'etre
attachee a la cour. Mais elle etait alors as-
sez bien, car elle avait un jeune mari
russe, qui I'avait rendue mere de trois
beaux petits enfants et qui etait charpen-
tier, ce qui est un bon etat chez les Tar-
tarcs.
S®2^!^^^^(gSr^^<y-®
G UlLLA UME
\
ORFEVRE DE PARTS A CAR AGO RUM
ENTRE autrcs choses, elle nous apprit
qu'il y avait ^ Caracorum un orfe-
vre, nomme Guillaume et originaire de
Paris ; son nom de famille est Buchier et
celui de son pere, Laurent Buchier. Elle
croit m^me qu'il a un frere qui demeure
sur le grand Pont 55 et qui se nomme Ro-
ger Buchier. Elle ajouta que cet orf^vre
avait avec lui un jeune homme qu'il traitait
comme son fils et qui etalt un excellent in-
terprete. Mangou-Kh^n avait donne ^ ce
maitre artisan trois cents iascots, c est-a-
dire trois mille marcs, et cinquante ou-
vriers pour fabriquer une oeuvre dart ;
c'est pourquoi elle craignait qu'il ne put
me confier son fils. A la cour, on lui avait
dit : « Ceux qui viennent de votre pays
« sont de braves gens, et Mangou-Khan
« cause volontiers avec eux ; mais leur in-
« terprdte ne vaut rien. w Ce qui explique
- i58 —
pourquoi elle se pr^occupait du notre.
Alors j ecrivis k cet ort^vre pour lui an-
noncer notre arrivde et Id prier de nous en-
voyer son fils, si c'etait possible. II me re-
pohdit que durant la presente lunaison il
ne le pouvait pas, mais qu'^ la suivante
il aurait achev^ son ouvrage et m*enverrait
alors son fils.
Nous demeurames Ik avec d'autres am-
bassadeurs. Les ambassadeurs ne sont pas
traites de la meme mani^re k la cour de
Batou et k celle de MangouKhan. A la
cour de Batou, un iam se tient du c6te oc-
cidental et revolt tous ceux qui viennent
de rOccident; il en est de meme pour tou-
tes les autres parties du monde. Mais k la
cour de Mangou , tous sont reunis sous un
meme iam et peuvent se visiter mutuelle-
ment et se parler. A la cour de Batou,
ils ne se connaissent pas, et les uns ne sa-
vent pas si les autres sont ambassadeurs,
parce qu'ils ignorent leurs logements et
qu'ils ne se voient qu*^ la cour. Et lors-
que Tun estappele, Tautre pent ne pas le-
tre ; car on ne va a la cour que lorsqu'on
y est appele. Nous y rencontrames un
Chretien de Damas, qui disait au'il etait
venu de la part du sultan de Mont-Real
et de Grac, pour offrir de payer tribut aux
Tartares et demander leur amitie.
iiimink^iinn^m mim
LE CLERC THEODULE
L*ANNEE qui preceda mon arrivde dans
ces parages, il y avait ici eu un clerc
d'Acre, qui se faisait nommer Raimond,
mais dont le vrai nom etait Theodule. II
avait voyage depuis Chypre de concert
avec fr^re Andre: il alia avec lui jusqu'en
Perse et s'y procura certaines orgues d Am-
morique, et resta \t apres le depart du
frere Andre. Lefr^re Andre une fois parti,
il conlinua sa route avec ses orgues et par- '
vint ^ la cour de Mangou-Khan. CeJui-ci
lui demanda pourquoi il etait venu. Theo-
dule lui repondit qu'il etait venu avec un
saint ev^cjue k qui Dieu avait remis des
lettres ecrites du ciel en caract^res d^or et
avait ordonne de les remettre au souve-
rain des Tartares, qui devait letre de toute
la terre. II dut en meme temps exhorter
les populations k faire leur paix avec lui.
Alors Mangou-Khan lui dit : « Si vous
« m'apportez ces lettres qui viennent du
« ciel et de votre Seigneur, vous etes le
— !6o —
« bien venu. » Theodule repondit qu'il
avait ete charge de lettres, mais qu'elles se
trouvaient avec ses autres hardes sur un
cheval farouche qui s'etait echapp^ et en-
fui par les forets et les montagnes, de sorte
que tout etait perdu. Et en effet, de tels
accidents arrivent frecjuemment. U faut
done qu'un homme retienne toujours bien
son cheval, lorscju'il en descend par n^ces-
sit^. Mangou lui demanda alors le nom de
cet eveque ; il repondit qu*ii s'appelait
Oton. Puis, il dit qu'il etait de Damas et
que maitre Guillaume ^lait clerc de mon-
sieur le legat. Le khdn lui demanda encore
de quel royaume il etait ; k quoi il repon-
dit qu'il etait le sujet d*un certain roi des
Francs, nomm^ Moler. Car il avait en-
tendu parler de celui qui etait parvenu
aux plames de la Manshura TMassoure), et
il voulait faire accroire qu'il etait de vos
sujets. Ensuite il ajouta que les Sarrazins
s'etaient interposes entre les Francs et le
khdn et barraient le passage pour arriver
jusqu'A lui ; que si le chemin devenait li-
bre, les Francs lui enverraient des am-
bassadeurs pour faire alliance avec lui.
Alors Mangou-Khan lui demanda s'il vou-
lait conduire des ambassadeurs k ce roi et
k cet eveque. II repondit que oui, meme
au pape. Alors Mangou-Khan fit apporter
un arc tr6s-fort que deux hommes pou-
vaient i peine tendre, et deux filches (bou-
stones) dont les tetes dtaient d'argent,
— i6i —
pleincs de trous, et qui siftlaient comme
des flutes quand elles etaient lancees. II dit
a un Moal qu'il chargea d'accompagner
Theodule : « Tu iras k ce roi des Francs,
a suivi de cet homme , et tu lui ofFri-
« ras ces objets de ma part ; et s'il veut
« vivre en paix avec nous, nous conquer-
« rons le pays des Sarrazins jusqu'^ lui,
« et nous c^derons le reste de la terre j us-
ee qu'en Occident. Si non, tu nous rappor-
« teras Tare et les filches, apr6s lui avoir
c< dit qu'avec de tels arcs nous pouvons
« atteindre au loin et frapper fort. » II fit
alors sortir ce Theodule, dont I'interprdte
etait le fils de maitre Guillaume. Ce jeune
homme, avantenlendu Mangou-Khan, dit
a ce Moal : « Tu iras avec cet homme;
u observe bien le pays, les routes, les vil-
« les, les forteresses, les hommes et leurs
« armes. >• Puis il reprimanda Theodule,
disant qu'il faisait mal de conduire des am-
bassadeurs tartares uniquement charges
d'espionner. Celui-ci repondit qu'il les
conduirait par mer, de manidre qu'ils
ignorassent d'oCi ils etaient venus et com-
ment ils retourneraient. Mangou lui donna
aussi sa bulle, c'est-^ dire une plaque d'or
de la largeur d'une paume et de la lon-
gueur d'une coudee, sur laquelle il avait
ecrit ses ordres. Celui qui la porte pent de-
mander ce qu'il veut et aussitot sa volonte
est accomplie. C'est ainsi que Theodule
parvint jusqu'd Vastace, voulant aller jus-
ir
— l62 —
qu au pape pour le tromper comme il
avait trompe Mangou-Kh^n. Vastace lui
demanda alors s'il avait des lettres pour le
papc, puisqu'il etait ambassadeur et charge
d'accompagner des ambassadeurs. £t
comme il ne voulait pas montrer ses let-
tres, Vastace le fit saisir, le d^pouiller et le
Jeter en prison. Quant ,k ce Moal, il fut
atteint de maladie et mourut Ik, Vastace fit
remettrela bulle d'or k Mangou Khdn lui-
meme par les gens de ce Moal, que je ren-
contrai k Arseroum ^^ k I'entree de la Tur-
quie. J appris par eux ce qui etait arrive k
ce pauvre Theodule. De tels imposteurs
courent le monde et les Moals les mettent
a mort quand ils peuvent les saisir.
'OX^K^-^'
LE MOINE SERGIUS
MAIS la fete de I'Epiphanie etait proche,
et le moine d'Armenie , nomme Ser-
gius, m*avait dit qu'il bapliserait ce jour-1^
Mangou-Khan. Et moi je le priai de faire
tout ce qui dependrait de lui afin que je
pusse etre present k la ceremonie et en
rcndre icmoignage. Ce qu'il me promit.
-"•^r^
^ «f» 0^ ^ ^ 0^ 0^ 0^ «yi 1^ A^ 4^ «|a 4)*
FESTIN CHEZ MANGOU-KHAN
LE jour de la ceremonie, le moine ne
me fit pas appeler ; mais k la sixieme
heure je fus invite a la cour, et je vis le
moine qui s'en retournait avec lespretres
ct sa croix, et les pretres avec Tencensoir
et le livre de I'Evangile. Car ce Jour-l&
Mangou-Khan ofFrait un festin, et c est la
coutume qu en ces jours, que ses devins di-
sent fdries et quelques pretres nestoriens,
sacres, le khan tienne cour plenidre. Alors
les pretres Chretiens viennent les pre-
miers en grand appareil, et prient pour lui
et benissent sa coupe. Aprds leur depart,
les pretres sarrazins arrivent et font de
meme. Ensuite se presentent les pretres
idolatres qui font la meme chose. Et le
moine me dit que le souverain croyait seu-
lement aux chrdtiens, mais qu'il veut que
tout le monde prie pour lui. Le mome
mentait, parce que le kh^n ne croit k per-
sonne, comme vous Tapprendrez dans la
suite. Tout le monde va a la cour comme
— i66 —
les mouches recherchent le miel, et tout le
monde en sort satbfait s*imaginant qu'il a
Tamitie du prince et on lui souhaite toutes
les prosperites.
Nous nous asslmes alors devant sa cour
i une assez grande distance^ et on nous
apporta k manger de la viande. Nous re-
pondimes que nous ne mangerions pas la,
et que si Ton voulait bien nous ofiFrir quel-
que nourriture, nous Taccepterions dans
notre logis. On nous dit alors : « Retour-
« nez a votre logis, car vous n'avez ete ap-
« les que pour manger. » Nous revinmes
done avec le moine qui rougissait de son
mensonge ; je ne voulus pas lui dire un
mot de tout cela. Cependant des Nesto-
riens s*efForc6rent de me persuader que le
khan etait baptise. Je leur repondis que je
n'en croyais rien et que je n en parlerais
pas k d autres, parce que je n'avais rien
vu.
Nous parvinmes k notre logis qui etait
froid et manquait de tout. On nous pour-
vut de lits et de couvertures. On apporta
aussi de quoi faire da feu et de la viande
de mouton maigre, et en trop petite quan-
tity pour nous trois et pour six jours ; on
nous donna chaque jour une ecuelle de
mil et un quart de cervoise de mil, et une
chaudi^re avec son trepied pour cuire la
viande. Celleci cuite, nous faisions cuire
le mil dans le bouillon de la viande. Telle
etait notre nourriture, et elle nous aurait
— 167 —
suffi si nous avions pu la manger en paix.
Mais il y a U tant de pauvres qui meurent
de faim, qu'iis se precipitaient sur nous en
nous voyant preparer nos aliments et vou-
laient les partager avec nous. J'eus la une
preuve du martyre que subit la pauvrete.
•o<e|{^-o—
INSTALLATION
A LA COUR OE MANGOU-KHAN
COMME le froid commen(jait k sdvir,
Mangou-Khan nous cnvoya trois
manteaux de peaux de papions, dont le
poil se trouvait k I'exterieur et que nous
reclames avec actions de graces. On nous
demanda aussi si nous avions suffisam-
ment de la nourriture, k quoi je repondis
que nous n'avions besoin que de peu de
chose, mais que nous n'avions pas une
maison convenable oti nous pussions prier
pour Mang;ou-Khan. Notre logis, en effet,
etait si petit qu'il etait impossible de nous
y tenir debout et de lire dans nos livres
quand il y avait du feu. Cette reponse fut
rapportee au khan qui fit demander au
moine s'il voulait nous recevoir chez lui ;
k quoi celui-ci repondit qu*il nous rece-
vrait avec plaisir.
Depuis lors,on nous pourvut d'un meil-
leur logement, et nous demeursimes avec
— ijo —
le moine en face de la cour, oti per son ne
n'^tait log^, si ce n est nous et les devins
tartares ; mais cux etaient plus pr^s et en
face de la cour de la premiere des femmes
du khan. Nous, au contraire, nous fOmes
places k Texlremite opposee vers Test, de-
vant la cour de la dernidre de ses femmes.
C'dtait la veille de Toctave de TEpiphanie.
Le lendemain, c'est^ dire dans I'octave de
I'Epiphanie , tous les pretres nestoriens
s'assembl^rent avant le jour dans leur cha-
pelle, frapp^rent sur la table, chantdrent
solennellement matines, se revetirent de
leurs ornements et prepar^rent Tencensoir
et Tencens. Et comnie ils attendaient ainsi
sur le parvis del eglise,la premidrefemme,
nommee Catota Caten ^7, entradanslacha-
pelle avec plusieurs dames et son fils.aine,
nomme Balcou , que suivaient quelques-
uns de ses freres en bas age. lis se proster-
n^rent tous, touchant la terre du front, k
la maniere des Nestoriens; puis ils tou-
cherent toutes les images de la main
droite, la baisant toujours apr^s le tou-
cher, et la donnant ensuite k tous les as-
sistants. Tel est le ceremonial qu'obser-
vent les Nestoriens quand ils entrent dans
I'eglise.
Alors, les pretres chant^rent longtemps
en deposant I'encens dans la main de la
reine, qui le placa sur le feu; puis, ils I'en-
censerent. Enfin, le jour venu, elle ota sa
coiffure, dite bocca, et je vis qu'elle etait
J/I
chauve; elle nous fit sortir et en m'en al-
lant je remarquai qu'on lui apportait un
vase d'argent. J 'ignore si elle a ete bapti-
see ou non; mais je sais que les Nestoriens
ne cddbrent pas la messe sous une tente ;
il leur faut une eglise solide et non porta-
tive. A Piques, je les ai vus bapiiser et
consacrer les fonts baptismaux en grande
solennit'i ; ce qu'ils ne firent pas au mo-
ment dont je parle. Et comme nous entra- ,
mes dans notre maison, Mangou-Khjln
vint lui-meme et entra dans cette eglise ou
cet oratoire, et on lui apporta un lit d'or
sur lequel il s'assit avec sa femme k I'oppo-
site de I'autel. Ignorant Tarrivee de Man-
gou, nous Wmes avertis de nous rendre k
Teglise, et ceux qui se tenaient ^ la porte
nous fouill^rent, dans la crainte que nous
eussions des couteaux sur nous. Mais en
entrant dans Toratoire, je ne portals que la
Bible et mon breviaire. Je m'inclinai d'a-
bord devant I'autel, ensuite devant le
khan, et en passant nous nous tenions en-
tre le moine et I'autel. Alors on nous fit
chanter et entonner un psaume selon no-
tre rite. Nous chantames cette prose :
« Vent, Sancte Spiritus. » Le khan se fit
apporter nos livres, la Bible et le breviaire,
et nous demanda avec curiosite quel sens
en avaient les images. Les Nestoriens re-
pondirent ce qu'ils voulaient, parce que
notre interprdte n'etait pas entre avec
nous. Lorsque je m'eiais trouve la pre-
— 172 —
miere fois dcvant lui, j'avais aussi la Bi-
ble qu'il se fit apporter et regarda long-
temps.
Puis il se retira, mais la reine resta et
distribua des presents k tous les Chretiens
qui etaient 1^. Au moine, elle donna un
lascot, ainsi qu'^ Tarchidiacre des pretres.
Devant nous, elle fit etendre un nassic,
c'est-^ dire un drap large comme une
, couverture de lit et trds-long ; plus un
boucharan. Je ne crus pas devoir les ac-
cepter et on les donna k Tinterpr^te qui
garda Tun et porta Tautre (le nassic) k
Chypre oti il le vendit quatre-vingts be-
sans de Chypre; mais le voyage Tavait
detdriore. On nous apporta ensuite k
boire de la cervoise faite de riz et de vin
rouge, comme du vin de la Rochelle, et
du cosmos. Alors la reine, tenant k la
main une coupe pleine, fiechit les ^enoux
et nous demanda notre benediction, et
tous les pretres chantaient k haute voix,
tandis qu*elle vidait sa coupe. Lorsqu*une
autre fois elle but encore, nous dumes
chanter k notre tour. Quand tout le monde
fut k peu pres ivre, on apporta de la
viande de mouton qui fut aussitot devo-
ree; aprds cela, du poisson, c*est-£l-dire des
carpes sans sel et sans pain ; il me fallut
en manger. C'est ainsi que I'on passa la
journee jusqu'au soir. Et lorsque I'ivresse
fit chanceler la reine elle-meme, elle
monta dans son chariot, au milieu des
- 173-
chants et des hurlements des pretres, et
elle suivit son chemin.
Le dimanche suivant, le jour oti se lit
levangile « Des noces ont et^ ceMbrees
(c k Cana en Galilee » (2* dimanche aprds
TEpiphanie), la fiUe du khan, dont la m^re
etait chr^tienne, survint et fit de memo,
toutefois sans une telle solennite; car elle
ne donna point des presents, mais k boire
seulement aux pretres jusqu'a les rendre
ivres, et elle leur ofFrit k manger du mil frit.
Avant le dimanche de la septuagesime,
les Nestoriens jeunent pendant trois jours;
ils les nomment le jeune de Jonas , preche
par lui aux Ninivites. Les Armeniens jeu-
nent alors cinq jours, et ils les nomment
le jeune de saint Serkis qui est leur plus
grand saint ; des Grecs pretendent qu'il a
ete Canon, Les Nestoriens commencent
leur jeune le mardi (tertiaferia), et le font
cesser le jeudi (quintaferia) ; de sorte que,
le vendredi (sexta feria), ils mangent de
la viande. J'ai vu alors le chancelier, qui
est le secretaire d*Etat, nomme Bulgai,
leur faire apporter en ce temps de la viande
le vendredi, et ils la benirent avec des ce-
remonies solennelles , comme on benit
TAgneau pascal. Mais lui, il n'en mangea
point, et cela d'aprds le conseil de maitre
Guillaume de Paris, qui le fre^uente
beaucoup. Le moine luimeme enjoignit
k Mangou de jetiner cette semaine; ce
qu'il fit, ainsi que je Tai entendu dire.
— '74 —
C'est pourquoi la veille de la septuage-
sime, quand les Armdniens cdl^brent la
Paque, nous allames processionnellement
k la residence de Mangou, et le moine et
nous deux, ayant etd pr^alablement fouil-
les de crainte que nous eussions des cou-
teaux, nous fiimes introduits k Taudience
dukh^n.
tiY®gy®gy§^YWYMYMr§5
OS BRULES
ET comme nous entrions, sortit un in-
dividu emportant des os depaules
de mouton, tout carbonises, et j'etais tres-
curieux de savoir ce qu'il voulait faire
avec cela. Ayant demande plus tard ce
quecela signifiait, j'appris qu'on n'entre-
prenait rien d'important sans avoir au
prealable consulte ces os ; et il n'est permis
a personne d*entrer dans la demeure du
khan, s'il n'a d'abord consulte ces os.
C'est une maniere de devination : quand
le khan veuc entreprendre quelque chose,
il se fait apporter trois de ces os avant
leur combustion et, les tenant entre les
mains, il reflechit k ce qu'il veut faire;
I'entreprendra-t il, ou ne I'entreprendra-
t-il pas? Puis il remet ces os a un de scs
gens pour les consumer. Pour cela, il y a
pr^s de sa residence deux petites maisons
dans lesquelles on brule cesos et oti Ton
en a le plus grand soin. Une fois calcines,
on les rapporte au khan qui regarde tres-
-=- \j6 —
attentivement si la chaleur du feu les a
laisses intacts dans toute leur longueur.
S'il en est ainsi, il juge qu'il peut donner
suite ^ ses projets. ^i au contraire il y
remarque la moindre fissure ou s'il s*en
detache des eclats, il n'entreprend rien.
■*<■■' ■><>• 4*|*»"
f.^JP
NOUVELLE AUDIENCE
DE MANGOU-KHVN
LORSQUE nous nous trouvames en la pre-
sence du khdn, avertis k I'avance de ne
pas toucher le seuil de la porte, les pretres
ncstoriens lui apporlerent 1 encens, et lui,
il en mit une parcelle dans I'encensoir, et
ils I'encensdrent. Ensuite, ils chantdrent
en benissant son breuvage; le moine en
fit autant apres eux, et nous les imitames.
Et comme il remarquait que nous tenions
des Bibles devant nous, il se les fit appor-
ter et les regarda trds-aitentivement. Apres
qu'il eut bu et que le grand-pretre eut
recu sa coupe, il la presenta aux autres
pretres. Puis, nous sortimes; mon compa-
gnon resta un peu en arri^re. Et cepen-
dant lorsque nous ftimes dehors, mon
compagnon en nous suivant se retourna
vers le khan pour le saluer et heurta par
hasard le seuil de la maison; et comme
nous nous hations de gagner celle de Ba-
12
- .78-
tou son tils, ceux qui etaienl charges de
la garde du seuil saisirent mon compa-
gnon et rempecherent de nous suivre; ils
appelerent quelqu'un et lui ordonndrent
dc le conduire chez Bulgai, qui est le
premier secretaire de la cour et condamne
les coupables k mort. Or, j'ignorais cela.
Cependant, en me retournant et ne voyant
pas venir mon compagnon, je pensai
qu*on I'avait retcnu f)our lui donner des
vetements plus legers ; car il etait si fai-
ble et si charge de fourrures qu'il put a
peine marcher. On appela alors noire in-
terprete et on le fit asseoir a ses cotes.
Nous, nous allames ^ la maison du fils
aine du khan, qui a dej^ deux femmes^
et qui est loge a droite de la cour de son
pere; des que celui-ci nous \it venir, il
dcscendit du lit sur lequel il etait assis, se
prosterna par terre, frappant la terre du
from et adorant la croix. S'etant redresse,
il la fit placer avec la plus grande venera-
tion dans un endroit eleve sur un drap
neuf et tout pres de lui. Son maitre est
un certain pretre nestorien, nomme Da-
vid, un veritable ivrogne qui lui donne
des lecons. II nous fit alors asseoir et don-
ner a boire aux pretres. II but a son tour
apres avoir recu leur benediction.
Nous allames ensuite a la cour de la
seconde femme du khan. Son nom est Cota
ct elle est idolatre; nous la trouvames ma-
lade et couchee dans son lit. Le moine la
— 179 —
tit alors lever, et lui ordonna d'adorer la
croix a genoux et en frappant la terre du
front; lui, il se tenait debout avec la croix
^ I'ouest de la maison, et elle, k Test. Puis,
cela fait, ils changerent de place, et le
moine alia avec sa croix a I'orient et elle
a I'occident; et lui, il ordonna avec la
memeaudace a cette femme si faible
qu'elle pouvait k peine se tenir sur les
pieds, de se prosterner de nouveau trois
fois pour adorer la croix du cote de To-
rient, d la manieredeschretiens; ce qu'elle
lit encore. II lui dit aussi de faire le signe
de la croix sur le front et la poitrine. En-
suite elle se recoucha dans son lit, nous
priames pour elle et nous nous dirigeamcs
vers la troisieme residence oil se trouvait
ordinairement une dame chretienne. Apres
sa mort, lui avail succede une jeune tille
qui, avec la fille de son maitre, nous recut
avec plaisir *, et tons dans ce logis adore-
rent devotement la croix, et on la posa
sur un drap dc sole dans un endroit eleve.
Puis on apporta de la viande, c'est-^-dire
de la chair de mouton ; elle fut placee de-
vant le maitre de sceans, et distribuee en-
suite aux pretres. Le moine et moi, nous
ne mangeames ni ne bumes point. Tout
etant consomme, il nous fallut aller ^ la
chambre de cette demoiselle Cherima, qui
etait derri^re cette grande maison de sa
m^re. A la vue de la croix, elle se jeta a
terre et I'adora tres- devotement parce
— i8o —
qu'clle ctait trcseclairee dans sa religion
et la pla^a dans un endroit 6lty6, sur un
drap de sole, et tous les draps sur les-
quelles avait repose la croix appartiorent
au moine. Cette croix avait ^te apport^e
par un certain Armenien qui dtait venu
avec le moine, k ce qu'il disait, de Jerusa-
lem; elle etait d'argent et pesait bien qua-
tre marcs et avait quatre pierres prdcieuses
^ ses angles et une au milieu. On n'y
voyait pas I'image du Sauveur, parce que
les Armenians et les Nestoriens sont hon-
teux de voir le Christ attache k la croix.
Le moine la presenta h Mangouqui lui de-
manda ce qu'il desirait. Celui-ci repondit
qu'il etait le fils d'un pretre armenien,
dont les Sarrazins avaient detruit Teglise,
et le pria de I'aider a la reconstruire. Man-
gou lui ^demanda ensuite ^ quel prix il
pourrait la faire reedifier, et il repondit
pour deux cents iascots, c'est adire pour
deux mille marcs. Et le khan ordonna de
lui delivrer des leitres pour celui qui re-
coit les impots en Perse et dans la grande
Armenie, afin que ce dernier lui payat
cette somme d'argent. Le moine portait
cette croix partout avec lui, et les pretres
voyant le benefice qu'elle lui rapportait,
commenc^rent k en etre jaloux.
Nous fumes done a la maison de cette
demoiselle et elle fit les pretres copieuse-
ment boire. De 1^ nous allames ^ la qua-
tri^me demeure qui etait la derniere par Ife
— i8i —
nombre et la dignite; car le souverain en
visitait peu la dame, et sa maison tombait
de vetuste, et elle-meme etait peu agreable.
Maisapres Paques, le kh^n lui fit faire une
nouvelle residence et de nouveaux cha-
riots. Celle-ci, comme la seconde femme,
savait peu de choseou rien du christianisme;
elle etait idolatre et consultait les devins.
Toutefois, k notre entree elle adora la
croix, comme le moine et les pretres le lui
avaient enseigne. L^, les pretres burent
de nouveau et nous revinmes ensuite k
notre oraloire qui n'cn etait pas eloign^,
accompagnes des pretres qui chantaient
ou plutdt hurlaient, etant dans un etat
d'lvresse ; ce qui dans ce pays n'est pas
chos^ reprehensible, ni chez Thomme, ni
chez la femme. Alors on amena mon com-
pagnon, et le moine lui reprocha avec
durete d'avoir touche le seuil. Le lende-
main, arriva Bulgai, le grand justicier, et
il s'enquit minutieusement si quelqu'un
nous avait avertis de ne pas toucher le
seuil, et Je repondis : « Seigneur, nous
« n'avions pas d'interprete avec nous :
« comment pouvions-nous comprendre? »
Alors il lui pardonna. Je ne lui permis
plus Jamais d'entrer dans une maison du
khan.
12'
VI SITE AUX MALADES
p
iLus tard, il assura que celte dame
Cocta, qui etait malade depuis le di-
manche de la sexagesime, I'^tait davan-
tage; elle allait mourir et les sortileges des
idolatres ne pouvaient lui servir de rien.
Mangou envoya alors demander au moine
s'il pourrait faire quelque chose pour elle,
et le moine lui repondit assez leg^rement
qu'il livrerait sa tete au khan, s'il ne la
guerissait pas. Apr^s cette reponse , le
moine nous appela , nous exposa I'affaire
en pleurant et nous supplia de prier avec
lui toute la nuit, ce que nous fimes. Or, il
avait une certaine racine qu'on appelle
rhubarbe; il Ja reduisit en poudre et la
posa dans de I'eau, avec une petite croix
enrichie de I'image du Sauveur. II preten-
dait savoir par elle si le malade devait
guerir ou mourir. S'il devait echapper,
/ elle adherait k sa poitrine comme y etant
coUee; si au contraire il devait succom-
ber, elle n'adherait pas. Pour moi, j'etais
— i84 —
convaincu que cette rhubarbe etait quel-
que chose de sacre qu'il avait apporte de
la terre sainte de Jerusalem. Et il donna k
boire de cette eau k tous les malades, et ii
devait necessairement arriver que leurs
entrailles fussent singuli^rement tourmen-
tees par un breuvage aussi amer. Aussi
une telle perturbation du corps passa-t-elle
pour un miracle. Pendant qu'il preparait
ce remade, je lui dis de le faire avec de
I'eau benite de I'eglise romaine, parce
qu'elle a une grande vertu pour chasser
les demons, et que nous avions compris
que la princesse ^tait poss^ee du demon .
A sa pri^re, nous lui fimes de Teau be-
nite et le moine la mela k la rhubarbe et y
fit tremper son crucifix toute la nuit. Je
lui dis aussi que s'il etait pretre, le sacre-
ment de TOrdre conferait le pouvoir
d'exorciser. 11 me repondit qu'il n'avait
jamais recu I'Ordre, qu'il etait meme il-
lettrd, etant tisseur de toiles de sa profes-
sion ; ainsi que je I'appris plus tard dans
sa patrie en m'en retournant par 1^.
Le lendemain done, nous nous rendi-
mes chez la princesse malade, le moine et
moi, et deux pretres nestoriens ; elie etait
dans un petit appartement derriere sa de-
meure principale. A notre entree, elle se
dressa sur sa couche, adora la croix, la fit
placer pres d'elle sur un drap de sole, but
de I'eau benite melangee de rhubarbe et
s'en lava la poitrine ; le moine me pria de
— i85 —
lire TEvangile sur clle. Je lis la Passion du
Seigneur selon saint Jean. Entin, elle se
rejouit se sentant mieux, et fit apporter
quatre lascols d'argent, qu'elle placa d'a-
bord aux pieds de la croix ; elle en donna
un au moine et m'en presenta un autre
que je ne voulus pas accepter. Alors le
moine tendant la main le prit. Ensuile
elle en donna un k chacun des pretres, de
sorte qu'elle distribua ainsi la valeur dc
quarante marcs. Elle fit alors apporter du
vin, le donna k boire aux pretres, et moi,
je dus boire trois fois de sa main en Thon-
neur de la Trinite. Elle voulait aussi
m'apprendre sa langue et riait de moi,
parce que j'etais muet, n'ayant pas d'in-
terprete avec moi.
Le lendemain nous retournames chez la
princesse, et Mangou-Khan, ayant appris
que nous etions m, nous appela chez lui
parce qu'il avait entendu dire que cettc
dame etait mieux. Nous le trouvames avec
quelques familiers absorbant de la terre
liquide, c'est-^-dire un aliment pateux,
pour se fortifier la tete, et devant lui gi-
saient des os d epaules de mouton brules;
il prit la croix dans la main. Mais je ne
vis pas qu'il la baisat ou Tadorat ; il la re-
gardait en demandant je ne sais quoi.
Puis, le moine le pria de lui permettre
de porter la croix au bout d'une lance,
parce ^ue j'avais dit quelque chose de cela
au moine, et Mangou repondit : « Portez-
— i86 —
<« la selon que vous le jugerez le plus con-
M venable. » Ensuite, nous le saluslmes et
nous nous rendimes chez la princesse, et
la trouvames bien portante et enjou^^ et
elle but encore de I'eau b^nite, et nous
lumes la Passion sur elle. Ces mis^rables
prelres ne lui avaient jamais rien appris
de la foi, ni parle de se faire baptiser. Or,
moi, je m'assis 1^ muet, ne pouvant rien
dire, et elle m'enseignait encore sa langue.
Les pretres ne la dissuadaient pas non
plus d'avoir recours aux sortileges; car
j'ai vu chez elle quatre epdes ^ moiti^ ti-
roes du fourreau, une ^ la tete de son lit,
Tautre k ses pieds, et les deux autres h
chaque cote de la porte. J'y ai vu encore
un calice d'argent, pareil h nos calices,
qui avait peut-etre ete enleve dans quel
que ^glise de la Hongrie. 11 ^tait plein de
cendres et suspend u a la parol, et sur ces
cendres etait une pierre noire, et les pre-
tres ne lui avaient jamais dit que c etait
mal. Au contraire eux-memes en font au-
tant et I'enseignent par leur exemple.
Pendant trois jours nous visitames la
princesse, et la sante lui fut compl^tement
rendue. Alors le moine fit une banniere
couverte de croix et demanda une canne
longue comme une lance, et nous portames
la croix au bout de cette perche. J'hono-
rais ce moine comme un eveque, parce
qu'il savait I'idiome du pays. Cependant,
il faisait beaucoup de choses qui ne me
- i87 -
plaisaient pas. Ainsi, il se fit faire un siege
pliant, comme en ont ordinairement les
eveques, et des gants et un chapeau de
plumes de paon avec une croix aor des-
sus : je n'approuvai que la croix. II avait
les ongles ulcerees et les couvrait d'on-
guent. Son langage etait celui d'un
presomptueux. Les Nestoriens recitaient
aussi des versets du psautier sur deux ba-
guettes jointes, que cleux hommes tenaient
entre les mains. Le moine etait present ^
tout cela, et il y avait en lui beaucoup
d'autres choses ridicules et qui me deplai-
saient. Cependant, nous ne I'abandonna-
mes point a cause de la veneration que
nous avions pour la croix. Nous la porta-
mes tr^s-haut partout oil nous nous trou-
vions, et en chantant : « Vexilla regis
a prodeunt ; » de quoi les Sarrazins furent
stupefaits.
o:
DE CARACORUM AU CATHAY
DEPUis le jour ou nous fumes arrives ^ la
cour de Mangou - Khan , ce prince
n'alla que deux fois au midi et ilcommen-
cait dej^ de retourner vers le nord , c'est-
4-dire vers Caracorum. Pendant le voyage,
je remarquai seulement ce dont m'avait
parle, d Constantinople, Baudouin de Hai-
naut qui avait ete par 1^; k savoir que
Ton montait tou jours en marchant et que
Ton ne descendait jamais. En effet, tous
les fleuves se dirigeaient de Test k Touest,
soit en droite ligne, soit autrement, c'est-S-
dire en gagnant le midi ou le nord. J'in-
terrogeai les pretres qui etaient venus du
Cathay, et ils me dirent que de I'endroit
oti je rencontrai Mangou - Khan jusqu'au
Cathay, il y avait une distance de vingt
journees. Entre le midi et Test jusqu*^
Onam-Kerule (Mancherule), le veritable
pays des Moals, oti se trouve la cour de
Chingis-Khdn, il y avait dix journees en
droite ligne vers Test, et dans ces contrees
i3
— 190 —
de Test il n'y a pas une ville. Cependant
on rencontrait aes populations nommees
Su-Moals^^, c'est - £l - dire « Moals des
eaux »; car Su en lartare signifie « eau ».
lis viventde lapeche et de la chasse, n'ayant
aucun troupeau de boeufs ni de moutons.
De meme, vers le nord, il n'y a pas de
ville, mais des peuples pasteurs appeles
Kerkis ^9. II s'y trouve aussi des Orengay,
qui s'attachent, aux pieds, des os polis et
glissent avec cela sur la glace ou sur la
neige gelee, avec tant de rapidity qu'ils
saisissent des oiseaux et des quadrup^des.
II y a encore vers le nord d'autres peuples
miserables qui s'y ^tendent aussi loin que
le froid le permet, et atteignent vers I'ouest
la terre de Pascatir ou la Grande-Hongrie
dont je vous ai parle plus haut. On ignore
les limites de ce coin du Nord k cause des
grands froids, car il y a des monceaux de
neige qui ne fondent jamais. Je m'infor-
mai de Texistence de ces monstres ou de
ces hommes monstrueux, mentionnes par
Isidore et Solin. On me dit qu'on n'avait
jamais rien vu de pareil et je fus tres-
etonne de cette reponse. Tons ces peuples,
quoique pauvres, doivent etre au service
des Moals d'une maniere ou d'une autre ;
car c'est un ordre de Chingis que personne
ne soit exempt de travailler, k moins que
la vieillesse ne s'y oppose.
k^\^^> w \^ V^ ^ W w w
(^ ($> (f^ ($) (^
ETRES DIFFORMES
UNE fois, vint s'asseoir pr^s de moi un
pr^tre du Cathay, revetu de drap
rouge d'une couleur tres-belle, et je lui de-
mandai d*oCi Ton tirait cette couleur. II
me raconta que dans Test du Cathay il y a
des rochers tres-eleves, oti vivent certaines
creatures qui ont la forme humaine, ex-
cepte les genoux qu elles ne peuvent plier.
Aussi se meuvent- elles Je ne sais trop
comment, en sautant. Leur taille ne de-
passe pas une coudee, et tout leur corps
est convert de polls. Ces etres habitent des
caver nes inaccessibles. Les chasseurs leur
apportent de la cervoise pour les enivrer ;
ils font des trous dans les rochers en forme
de vases et y versent de cetle cervoise. Le
Cathay n'a pas de vin, mais on commence
a y planter des vignes et on fait une bois-
son avec du riz.
Or, ces chasseurs se cachent et les fau-
ves sortent de leurs cavernes, goiitent de
cette cervoise et crient : (c Chin, chin, »
— 192 —
C'est de ce cri que ces animaux ont re^u
leur denomination, car on les appelle
« Chinchin. » Alors, ils s'assemblent en
fouie, avaient ce breuvage, et s'^tant eni-
vres, ils s endorment sur ces rochers. Puis,
les chasseurs s'approchent et iient les pieds
et les mains k ces endormis. Ensuite, ils
leur ouvrent une veine du cou, en tirent
trois ou quatre gouttes de sang, et apr^s
ils lesrenvoientlibres. Ce sang, au rapport
du pretre du Cathay, est excellent pour
teindre en pourpre ou ecarlate. On me ra-
conta aussi, — ce que je ne crois pas d'aii-
leurs, — qu'au-del^ du Cathay il y a une
province ou lout homme qui y entre ne
vieillit plus, quel que soit son age.
Le Cathay toucne a rOcean,et maitre
Guillaume de Paris m'a dit qu'il a vu 1^
des emissaires de certains hommes qu*on
appelle Taules et Manses ^^ ; ils habitent
des lies entourees d'une mer couverte de
glace en hiver, de sorte que les Tartares
peuvent alors les envahir. Aussi offrirent-
ils, afin de pouvoir vivre en paix, de leur
payer annuellement trente fois deux milie
tumen de iascots 6».
jcO .^rvQW
BILLETS DE BANCIUE
KCRITURE DE LA CHIKK
LA monnaie ordinaire du Cathay est une
carte de colon (wambasio), de la lar-
geur et de la longueur d'une paume, et sur
laquelle on imprime des lignes semblables
k celles du sceau de Mangou-Kh^n. Les
Cathayens ecrivent avec un pinceau pareil
k celui des peintres, et une seule figure
comprend plusieurs lettres exprimant un
seul mot. Les Thibetains ecrivent comme
nous, de gauche a droite, et ont des carac-
t^res tout k fait semblables aux notres.
Ceux du Tangut ecrivent de droite k gau-
che comme les Arabes et multiplient les
lignes en montant. Les lougoures, ainsi
que je I'ai dit ci - dessus, ecrivent de haut
en bas. La monnaie ordinaire des Russes
consiste en petites peaux varices, vertes et
grises. .
Quand nous arriv^mes chez le moine, il
nous avertit chariiablement de nous abste-
— '91 —
nir de viande, mais il ajouta que notre do-
mestique en mangerait avec les siens , et
qu'il nous pourvoirait de farine, d*huile et
de beurre. Nous nous conformdmes k ses
d^sirs , quoique mon compagnon soufFrit
beaucoup k cause de sa taiblesse. Notre
nourriture fut done compos^e de mil et de
beurre, soit une pdte cuite dans de I'eau
avec du beurre ou du lait caill^, et de pain
sans levain cuit sur du feu fait d'excre-
ments de boeufs ou de chevaux.
s^^s:^SJ^(k^2::^^
&WfY»We(
LE JEUNE CHEZ LES TART A RES
OR, Vint la quinquagesime qui est le
premier jour du careme de tous les
Orientaux, et Cotota, la plus grande des
dames, jeiana avec ses femmes route cette
semaine. Elle vjnt tous les Jours k notre
oratoire et distribua d^s vivres auK pretres
et aux autres Chretiens, qui accouraient en
foule durant cette premiere semaine pour
assister aux offices. Elle me donna, ainsi
qu'a mon compagnon , une tunique et
des haut-de-chausses de samir (samico)
gris , fourres detoupes de laine, parce
que mon compagnon s'etait plaint sou-
vent du poids de ses peaux. Je les acceptai
par compassion pour lui, tout en m'ex-
cusant de ne pas porter de pareils vete-
ments et je les donnai a mon interpr^te.
Alors les huissiers de la cour, voyant que
chaque jour une telle foule affluait k 1 e-
glise, qui se trouvait dans les limites du
domaine de la cour, envoydrcnt au moine
un des leurs avec ordre de lui dire qu'ils
— 196 —
ne voulaient pas que tant de monde se
presentat 1^^ en dedans des limites de la
cour. Le moine lui repondit rudement; il
voulait savoir s'ils transmettaient cet ordre
de la part de Mangou, et les mena^ait de
porter plain te centre eux k Mangou. Mais
eux le previnrent et I'accuserent auprds du
khan de ce qu'il parlait trop et assemblait
trop de monde autour de sa personne.
tSous idmes ensuite appel^s k la cour le
dimanche de la quadragesime, et le moine
fut honteusement fouill^ pour savoir s'il
neportait point de couteau, eton le con-
traignit de se d^chausser. Nous Wmes in-
troduits aupr^s du kh^n ; il tenait k la
main une ^paule de mouton brillee et la
regardait tr^s-attentivement, comme s'il
y lisait quelque chose. Puis, il reprimanda
le moine et lui demanda pourquoi il par-
lait tant aux hommes, lui qui ne devait
que prier Dieu. Or, je me tenais en ar-
riere, la tete decouverte. Le khan lui dit en-
core : « Pourquoi ne vous decouvrez-vous
(( pas, quand vous vous presentez devant
<( moi, comme le fait ce Franc? » Et il me
fit approcher. Le moine, bien confus, baissa
son capuchon contrairement k I'usage des
Grecs et des Armeniens ; et lorsque le
khan lui eut adresse bien des reproches ,
nous nous retirames. Alors, le moine me
pria de porter la croix jusqu'^ I'oratoire,
parce qu'il ne voulait pas s'en charger lui-
meme k cause de sa confusion, Quelque
— 197 —
temps apres, il se reconcilia avec le khan,
lui promettant d'aller trouver le pape et
de faire reconnaitre sa puissance par rou-
tes les nations de TOccident. Au sortir de
cette audience de Mangou et etant rentre
k Toratoire, il me cjuestionna sur le pape.
II me demanda si je croyais qu'il vouliit
le recevoir s'il se presentait k lui de la part
de Mangou, et lui fournir des chevaux
jusqu'^ Saint-Jacques de Compostelle. II
me demanda encore, en me parlant de
vous, si je pensais que vous voulussiez en-
voyer votre fils k Mangou. Je I'avertis
alors de faire attention de ne pas promet-
tre des choses fausses a Mangou, parce
que le dernier mensonge serait pire que
le premier, et que Dieu n'a pas besoin de
nos mensonges.
i3'
§wgwg»w^^
DISCUSSIONS THEOLOGIQUES
EN ce temps, surgit line difficulte en-
tre le moine et un certain pretre,
nomme Jonas, homme trds-instruit, dont
le pere avait ete archidiacre, et que les
autres pretres consideraient comme, leur
maitre. Le moine soutenait que I'homme
avait ete cree avant le paradis, et que c e-
tait ecrit dans I'Evangile. Je fus alors ap-
pele pour trancher la question. Moi, ne
sachant pas sur quoi portait leur differend,
je repondis que le paradis avait ete cree le
troisieme jour, avec les autres arbres de
la terre, et que I'homme Tavait ete le
sixieme jour. Alors le moine dit : a Est-ce
« que le diable n'a pas apporte, le pre-
« mier jour, de la terre des quatre parties
« du monde,et de ce limon n'a-t-iljpas fa-
ce brique le corps humain, auquel Dieu a
« souffle Tame? » En entendant cette he-
resie du manicheisme, aussi publiquement
soutenue et avec tant d'impudence, je le
repris avec aigreur et lui dis de se meltre
— 200 —
le doigt sur la bouche, puisqu'il ignorait
les saintes Ecritures, et d'eviter ainsi d'in-
duire en erreur. Mais lui, il se moqua de
moi parce que je ne savais pas sa langue.
Alors je le quiitai et regagnai mon logis.
Ensuite, les pretres et lui se rendirent
processionnellement a la cour sans vn'y
avoir invito, parce que le moine, depuis
sa reprimande, ne me parlait plus et ne
voulait plus m'emmener selon son habi-
tude. Lorsqu'ils furent en presence de
Mangou, le kh^n, ne me voyant point
parmi eux, leur demanda oti j etais et
pourquoi je ne me trouvais pas avec eux.
Les pretres eurent peur et s'excuserent. lis
me rapport^rent les paroles de Mangou et
se plaignirent du moine. Aprds cela, le
moine se reconcilia avec moi et moi avec
lui, le priant de m aider a comprendre la
langue du pays et lui promettant de Tai-
der dans I'etude des Saintes- Ecritures ;
car le fr^re qui est assiste d'un fr^re est
comme une ville forte 62.
La premiere semaine du jeune etant
ecoulee, la princesse ne vint plus k notre
oratoire et cessa de nous gratifier de mets
et de cervoise selon son habitude. Le
moine ne permettait pas qu'on nous en
apportdt, parce que, disait-il, ils etaient
prepares avec de la graisse de mouton. Or,
il ne nous donnait pas d'huile, si ce n'est
rarement. Nous n'avions done rien autre
chose k manger que du pain cuit sous la
— 201 —
cendre et de la pate cuite a Teau pour
faire du potage, et encore I'eau etait-ellc
de la neige ou de la glace fondue; ce qui
est une eau tr^s-mauvaise. Mon compa-
gnon en fut tres-afflige. Je fis part de nos
besoins ^ David lui-meme, le maitre du
fils aine du khan, et il rapporta mes paro-
les au souverain qui oraonna aussitot de
nous servir du vin , de la farine et de
I'huile. Les Nestoriens et les Armeniens
ne mangent jamais du poisson pendant
le careme. On nous servit done une outre
de vin. Le moine disait qu'il ne mangeait
que le dimanche. La princesse nous en-
voya de la pate cuite avec du vin aigre
f>our souper. Mais le moine avait pres de
ui sous Tautel une corbeille avec des
amandes, des raisins, des prunes s^ches
et beaucoup d'autres fruits, dont il man-
geait tous les jours quand il etait seul.
Nous, nous ne mangions qu'une fois par
jour et dans la plus grande tristesse ; car
lorsqu'ils apprenaient que Mangou-Khan
nous avait donne du vin, ils se ruaient
sur nous impudemment et comme des
chiens, ces pretres nestoriens qui chaque
jour s'enivraient k la cour, et ces Moals et
ces familiers du moine. Le moine lui-
meme, lorsque quelqu'un venait le visiter
et qu'il voulut lui donner k boire, en-
voyait nous demander du vin. C'est pour-
quoi ce vin nous etait plutot une cause
d'affliction qu'une consolation, parce que
— 202 —
nous ne piames lui en refuser sans I'offen-
ser. Si nous lui en donnions, il nous man-
quait, et lorsqu'il nous manquait, nous
n osions plus en demander a la cour.
^
LA COUR DE MANGO U KHAN
VERS la mi-careme, le iils de maitrc
Guillaume (Torfevre) vint apporter
une belle croix d'argent, faite k la mode
de France, avec un christ en argent fixe
dessus. Ce que voyant, les moines et les
pretres Tenlev^rent, et le Jeune homnie
devalt la presenter de la part de- son pa-
tron k Bulgai lui-meme, qui est le premier
secretaire de la cour. Je fus trds-scanda-
lise d'apprendre cette nouvelle. Ce jeune
homme d^clara aussi k Mangou-Khan que
Touvrage qu'il lui avait commande etait
acheve. Je vous en ai fait la description.
Mangou a k Caracorum une grande
cour sous les murs de la ville, close d'un
mur de briques comme sont fermes chez
nous les prieur^ des moines. L^, est
un palais oti il donne un grand festin
deux fois Tan, k Piques quand il passe
par 1^, et en ete quand il en revient. Cette
derni^re fete est la plus grande, parce
qu'alors se rendent k sa cour tous les no-
— 204 —
bles qui en sont eloignes de plus de deux
mois de distance, ct que le souverain leur
distribue des vetements et des presents, et
dtale avec ses largesses toute sa magnifi-
cence. II y a la aussi beaucoup de maisons,
longues comme des granges, dans lesquel-
les sont enfermes ses vivres et ses tresors.
A Tentree de ce grand palais, — car il nc
conviendrait pas d y introduire des outres
avec du lait ou autre breuvage, — maitre
Guillaume de Paris pla(ja un grand arbre
d'argent, au pied duquel sont quatre lions
d'argent ayant un tuyau et vomissant tous
du lait blanc de jument. Quatre tuyaux
sont introduits dans Tarbre jusqu'^ son
sommet, et de li, ils repandent leur li-
3ueur par les gueules de serpents dores,
ont les queues enlacent le tronc de I'ar-
bre. L'un de ces canaux verse du vin,
Tautre du caracosmos ou lait de jument
purifie, un autre du boal ou de I'hydro-
mel, un autre de la cervoise de riz ; et cha-
3ue liqueur est recue au pied de I'arbre
ans un vase special. Tout en haut, Tar-
tiste avait pose un ange avec une trom-
pette, et au-dessous de Tarbre, il avait
Eratique une crypte dans laquelle un
omme pouvait se cacher. Un conduit
montait par le milieu de Tarbre jusqu'a
range. II avait d'abord fait des soufBets,
mais ils ne produisaient pas assez de vent.
En dehors du palais, est une caverne oh
Ton enferme les boissons et ou se tiennent
— 205 —
des employes prets a verser, aux premiers
sons de la trompette de Tange. Et les
branches de I'arbre sont d'argent, et les
feuilles et les fruits aussi. Quand le chef
des echansons manque de boisson, il crie
k range de sonner de la trompette. Alors
I'homme cache dans la crypte souffle dans
le conduit qui aboutit k I'ange; I'ange
met la trompette k la bouche et la trom-
pette Sonne tr^s-fort au loin. A celte voix
retentissante, les officiers qui sont dans
la caverne versent chacun sa liqueur dans
le tuyau dont il est charge, et les tuyaux
la d^versent dans les vases deposes au pied
de I'arbre, et alors les echansons y puisent
de cette liqueur et en portent aux hommes
et aux femmes du palais. Ce palais est
comme une eglise, ayant une nef au mi-
lieu et deux bas-c6tes s^pares de la nef par
deux rangs de colonnes. Trois portes sont
au midi, et devant la portedu milieu, ^I'in-
terieur, est cet arbre. Le khan a son siege
au nord sur une estrade, de mani^re k ^tre
vu par tons, et on y monte par deux esca-
liers : par I'un, on lui apporte sa nourri-
ture et Ton descend par i autre. L'espace
compris entre Tarbre et ces escaliers est
vide, car 1^ se tiennent I'officier charge de
presenter au khan les mets qu'il desire
manger, et les ambassadeurs q[ui lui ap-
portent des presents ; et lui, il est assis
tout en haut, comme un dieu. A sa
droite, c'est-a-dire a I'ouest, sont les horn-
— 206 —
mes, k sa gauche les femmes; car le pa-
lais s etend en longueur du nord au sud.
A droite, pres des colonnes, s'd^vent des
gradins iexedrce) en forme d'amphith^^tre
(solarii) oh se placent le fils et les fr^res
du kh^n, et k gauche ses femmes et ses
filles. Une seule femme est assise k ses c6-
t^s, mais sur un si^e moins ^leve que le
sien.
Lorsque le souverain eut appris que
maitre Guillaume avait termine son ou-
vrage, il lui ordonna de le mettre en place
et de I'jr bien fixer. Vers le dimanche de
la Passion , Tartiste partit avec ses petites
maisons ambulantes, laissant les grandcs
derri^re lui. Le moine et nous, nous Tac-
compagndmes et il nous gratifia d'une ou-
tre de vin. 11 tra versa des montagnes oti
recnaient un grand vent et un froid exces-
sir, et oti il tombait de la neige en abon-
dance. Aussi nous fit-il demander, au mi-
lieu de la nuit, de prier Dieu afin qu'il
temperat la rigueur de la saison, parce
que toutes les betes du pays etaient en
danger de mort, surtout celles qui etaient
pleines et sur le point de mettre bas. Alors
le moine lui envoya de I'encens, le reque-
rant de le jeter lui-meme sur les charbons
et de I'offrir h Dieu. Je ne sais s'il fit
Tune et Tautre chose, mais Touragan qui
durait depuis deux Jours se calma a I'ap-
proche du troisi^me.
\/\/\r\^\r^
c^^^ c>^i^ C>^^
CARACORUM
LE dimanche des Rameaux. nous tou-
chdmes k Caracorum. Aux premie-
res lueurs du matin, nous b^nimes des
rameaux oti la seve n'apparaissait pas en-
core, et vers nones, ou la neuvi^me heure,
nous entrames dans la ville, la croix haute
et banni^re ddployee , en passant par le
quartier des Sarrazins et leurs places pu-
bliques, jusqu'^ I'eglise. Les Nestoriens
vinrent en procession au-devant de nous.
Entres dans Teglise, nous les trouvdmes
prets ^ cdebrer la messe ; et celle-ci finie,
lis communi^rent touset me demanderent
si je voulais communier avec eux. Je leur
repondis que j'avais dej^ bu et que le sa-
crement ne pouvait etre recju qu'a jeun.
La messe dite, le soir approchait et mai-
tre Guillaume nous conduisit avec unc
grande joie k sa maison pour souper avec
lui. Sa femme etait fille d'un Lorrain et
nde en Hongrie, elle parlait bien le fran-
cais et la langue de Comanie. Nous ren-
— 208 —
contrames encore 1^ un autre Europ&n,
nomme Basyle, fils d'un Anglais et n^ en
Hongrie, et qui parlait les memes lan-
gues. Le souper se passa dans une joie
sincere, et les Tartares nous conduisirent
apr^s au logis qu'ils nous avaient pre-
pare, non loin de T^glise et de Toratoire
du moine. Le lendemain, le kh^n entra
dans son palais, et le moine, les pr^tres et
moi, nous nous rendimes aupr^s de lui.
On ne permit pas k mon compagnon de
nous accompagner parce qu'il s'^tait une
fois heurte au seuil de la porte. Quant k
moi, j*h^itai longtemps; devais-je )r aller
ou ne pas y aller? Si je me retirais des
autres Chretiens, je craignais de causer du
scandale, d'autant plus que le khan me
desirait. Craignant d'un autre cot^ d em-
p^cher le bien que j'esperais obtenir, je me
d^cidai enfin ^ me rendre k la cour, quoi-
que je la visse adonnee aux sortileges et k
ridolatrie. Je ne fis que prier k haute voix
pour toute I'Eglise et pour le khan lui-
meme, afin que Dieu le dirigeat dans la
voie du salut eternel.
Nous entrames done dans cette cour
qui est assez bien disposee et qui, I'ete, est
arrosee par des canaux. Nous entrames
ensuite dans le palais tout plein d'hommes
et de femmes et nous nous tinmes devant
le khan, ayant derri^re nous cet arbre qui
occupait avec des vases la plus grande
partie du palais. Les pretres avaient ap-
— 209 —
porte deux petits pains b^nits et des
fruits dans un bassin et ils les lui pr^sen-
t^rent aprds les avoir benits. Le sommelier
les porta au khdn qui etait assis sur une
estrade tr^s-elevee. Mangou mangea aus-
sii6t un de ces pains et fit remettre I'autre
k son fils et ^ un frere cadet, qui avait ^t^
elev^ par un pr^tre nestorien et savait
Juelque chose de I'Evangile. Aussi me
emanda-t-il ma Bible pour la voir. Apr^s
les pr^tres, le moine dit sa pridre et moi
aprds lui. Alors Mangou nous promit de
venir le lendemain k leglise, qui est assez
grande et belle, etant toute tendue de
draps de soie brodes d'or. Mais le lende-
main il continua sa route, se faisant ex-
cuser auprds des pretres de ce qu*il n'osait
venir k 1 eglise, parce qu'il avait appris
qu'on y avait apporte des morts. Mais
nous, nous restames avec le moine et les
autres pretres de la cour d Caracorum
pour y celebrer la fete de Piques.
2X5
LA FETE DE PAQ,UES A CARACORUM
OR, le jeudi saint approchait et Paques
aussi , et je n'avais point mes orne-
ments sacerdotaux, et j'observais la mani^re
deconsacrer des Nestoriens, et j'etais tres-
anxieux. Recevrai-je le sacrement de leurs
mains? ou consacrerai-je moi-meme dans
leurs vetements, avec leur calice et sur
leur autel? ou m'abstiendrai-je enti^re-
ment de recevoir le sacrement? 11 y avait
1^ une foule de chr^tiens hongrois, alains,
russes, g^orgiens, armeniens, qui tous
avaient ete prives du sacrement depuis
leur captivite, parce que les Nestoriens ne
voulaient pas les admeltre dans leur
eglise, s'ils n'etaient pas baptises par eux.
Cependant ces pretres ne nous firent au-
cune objection 4 cet egard. Au contraire,
ils reconnaissaient que I'Eglise romaine
etait la tete de toutes les ^glises, et qu'ils
devraient eux-memes recevoir leur patriar-
che du pape si les chemins etaient pratica-
bles. Et ils nous oflfrirent liberalement
— 212 —
leur sacrement et me firent placer a Ten-
tree du choeur afin que je visse leur ma-
ni^re de consacrer, et la veille de Paques,
aupr^s des fonts baptismaux, afin que je
pusse voir comment ils baptisent. lis pre-
tendent qu'ils ont de cet onguent dont
Marie-Magdeleine oignit les pieds du Sei-
gneur et ils y versent de Thuile en quan-
lite ^ale k celle enlevee, et ils y trempent
leur pain. Or, tous les Orientaux mettent
dans leur pain, au lieu de levain, soil de
la graisse, soit du beurre, soit du suif fait
de la queue de mouton, soit de I'huile. Ils
disent aussi cju'ils ont de la farine dont
fut fait le pain consacre par Notre-Sei-
gneur, et ils en remettent autant qu'ils en
enldvent. lis ont une chambre k c6te du
choeur de I'eglise et un four oti ils font le
pain qu'ils doivent consacrer avec un
grand respect. Ils confectionnent done
avec cette huile un pain de la largeur
d'une main, qu'ils divisent d'abord en
douze parties en souvenir des douze apo-
tres. Ils subdivisent ensuite ces parties en
autant de fragments qu'il y a de com-
muniants ; le pretre depose le corps de
Jesus-Christ dans la main de chacun
d'eux, et chacun le re^oit avec une pro-
fonde reverence et porte la main au som-
met de la tete. Ces Chretiens et le moine
lui-meme insist^rent et me prierent, au
nom de Dieu, de vouloir bien celebrer les
saints mystdres. Alors j'entendis leur con-
— 2l3 —
■f
fession, comme je le pus, par un inter-
prete, leur expliquant les dix commande-
menis de Dieu et les sept peches capitaux,
et tout ce qui est necessaire pour etre con-
trit et absous. lis ne s'accusaient point du
pech^ de larcin, disant qu'ils ne pouvaient
vivre sans voler parce que leurs seigneurs
les privaient de nourriture et de v^te-
menls. Alors moi, en consideration de si
injustes privations, je leur dis qu'ils pou-
vaient s'approprier sur les biens de leurs
maitres tout ce qui leur serait necessaire,
et j'dtais pret k soutenir cette thdse de-
vant Mangou-Khdn lui-meme. 11 y avait
aussi des guerriers qui trouvaient une ex-
cuse dans Tobligation oti ils etaient de
devoir aller k la guerre sous peine d'etre
tues. A ceux-1^1, je defendis energiquement
de marcher contre les Chretiens et de leur
faire le moindre tort, et leur dis de souffrir
plutot la mort, car ils seraient martyres.
J'ajoutai que si quelqu'un avait I'inten-
tion de me reprocher une telle doctrine
devant Mangou-Kh^n, j'etais tout pret k
la precher devant lui ; car les Nestoriens
de la cour etaient presents k mes enseigne-
ments, et je soupconnais bien qu'ils les
rapporteraient.
Or, maitre Guillaume avait fait faire
pour nous un fer pour y mouler des hos-
ties et avait fait pour lui quelques orne-
ments, car il etait un peu lettre et rem-
plissait les fonctions de clerc k 1 eglise. II
— 214 —
avait fait faire aussi dans le style fran^ais
une image de la sainte Vierge et sur ks
panneaux de la cloison il sculpta avec
talent des figures de I'Evangile. On lui
doit une boite d 'argent pour y enfermer
le corps du Christ et des reliques dans de
petites cellules pratiquees k Tintdrieur.
En fin, il avait construit un oratoire sur
un chariot , parfaitement peint et ou
etaient representees des scenes de THis-
toire-Sainie. J'acceptai done ses ornements
et les benis et nous fimes selon notre ma-
ni6re de tres-belles hosties, et Jes Nesto-
riens m'assign^rent leur baptistdre oti il y
avait un autel. Leur patriarche leur avait
envoys de Bagdad un cuir, quadrangu-
laire comme un autel portatif, oint de
creme, dont ils se servent au lieu de
pierre consacree. Je celebrai done lamesse,
le jeudi saint, avec leur calice d argent et
leur patene, qui sont deux grands vases;
de meme, le jour de Paques. Et nous
donnames la communion au peuple, avec
la benediction de Dieu, comme jeTespdre.
Plus de soixante personnes furent bapti-
sees, la veille de Paques, en tr6s-bon or-
dre, et la joie parmi les Chretiens fut gene-
ralement tr^s-grande.
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MALADIE
DE M° GUILLAUME ET D*UN PRlllTRE NESTORIEN
IL arriva que maitre Guillaume tomba
gravement malade. Et lorscju'il fut en
convalescence , le moine le visira et lui
donna k boire de la tisane de rhubarbe, de
sorte qu'il faillit le tuer. Lorsque je fus
le visiter k mon tour, Je le trouvai si
abattu que je lui demandai ce qu'il avait
bu ou mange. 11 me dit quelle potion le
moine lui avait administrde, et qu'il en
avait bu deux ecuelles bien pleines ,
croyant que c'etait de I'eau benite. Ayant
rencontre le moine, je lui dis : « Conduis-
« toi comme un ap6tre en faisant des mi-
ce racles par la vertu de la pridre et du
(( Saint-Esprit, ou bien sois un medecin
« qui observe les regies de I'art de guerir.
(• Tu donnes k boire k des hommes non
a prepares une medecine a forte dose,
« comme si c'etait quelque chose de con-
« sacre; tu en serais tr^s-blame si cela
— 2l6 —
« dtait su du publu:. » Alors il commenca
k avoir peur et & se mdfier de moi.
En ce temps, le pr^tre qui passait pour
Farchidiacre des Nestoriens tomba aussi
malade, et ses amis envoydrent chercher
un devin sarrazin, qui leur dit : a Un
(( homme maigre, ne mangeant ni ne bu-
(( vant pas, et ne dormant pas dans un
« lit, s'est fdche contre lui. S'il pouvait
« obtenir sa benediction, il pourrait gue-
« rir. » On comprit qu'il etait question
du moine et vers minuit la femme, la
soeur et le fils du pretre vinrent prier le
moine de donner sa benediction k ce ma-
lade. On nous engagea meme k joindre
nos pridres aux leurs. Alors, il nous dit k
nous qui le suppliions : « Nevous occupez
« pas de lui, parce que lui, avec trois au-
« tres de ses pareils, avait forme le projet
(( dialler k la cour et de persuader k Man-
(c gou-Khan de nous chasser, vous et moi,
c( de ce pays. » Or, une contestation s*e-
tait elevee parmi eux parce que Mangou
et ses femmes avaient envoye, la veille de
Paques, quatre iascots et des draps de
sole pour etre distribues entre le moine et
les pretres, et qu'une des quatre pieces de
monnaie etait fausse, etant en cuivre. Or,
il parut aux pretres que le moine avait eu
une part trop grande; il put done se faire
que quelques-unes de leurs paroles lui eus-
sent ete rap por tees.
Au point du jour, j*allai trouver ce
— 217 —
pretre qui souffrait d'une douleur aigue
au cote et crachait du sang; d'oti je con-
clus cjue c'etait un aposWme. Alors je lui
conseiUai de reconnaitre le pape comme
le pere de lous les Chretiens, ce qu*il fit
aussitot, promettant, si Dieu lui rendait
la sante, d'aller baiser les pieds du souve-
rain pontife, et de faire en sorte que le
Saint- Pdre envoyat sa benediction k Man-
gou-Khan. Je I'avertis aussi de restituer
tout ce qui ne lui appartiendrait pas. II
me dit qu'il n'avait rien qui appartint k
autrui. Je lui parlai encore du sacrement
de I'extreme-onction. II me repondit :
« Ce n*est pas dans nos habitudes, et nos
« pretres ne savent comment faire ; je
« vous prie de faire comme vous le jugez
« convenable. » Je lui parlai de plus de la
confession, qui n'est pas en usage chez
eux. II dit quelques mots k I'oreille d'un
de ses compagnons.' Ensuite il se trouva
mieux et me pria d aller chercher le moine.
J*y fus. Le moine d'abord ne voulut pas
venir; cependant cjuand il apprit qu'il
allait mieux, iJ arnva avec sa croix, et
moi je portai le ciboire de maitre Guil-
laume, oti reposait le corps de Jesus-
Christ que j'avais reserve le jour de Pa-
ques a la priere de mon compatriote.
Alors le mome commen^a de donner au
malade des coups de pied, et il lui embras-
sait ses pieds avec beaucoup d'humilitc.
Je lui dis : « II est d*usage dans TEglise
14*
— 2l8 —
(( romaine que les malades resolvent le
(( corps de Jesus-Christ, comme un viati-
(( aue et un fortifiant contre les embdches
« de I'ennemi. Voici le corps du Christ
« aue j'ai conserve le Jour de Piques. Tu
<( dois le confesser et le demander. » Alors
il dit avec une foi trds-vive : « Je le de-
(c mande de tout mon coeur. » Lorsque
j'eus decouvert Thostie, il dit avec une
grande ferveur : « Je crois que c'est mon
« Cr^ateur et mon Sauveur, qui m'a
« donn^ la vie et qui me la rendra aprds
« la mort au jour de la resurrection ^6-
« n^rale. » Et ainsi il re^ut de mes mains
le corps de J^sus- Christ que j'avais fait
( confectum ) selon les prescriptions de
rEglise romaine. Le moine resta avec lui
et lui administra en mon absence je ne
sais quelles potions. Le lendemain, le ma-
lade ressentit toutes les douleurs de la
mort. Alors moi, je pris de Thuile que les
Nestoriens consideraient comme samte^ et
je Ten oignis selon le rituel de TEglise,
me conformant ainsi k la pri6re du mori-
bond. (Je n'avais pas notre huile avec
moi, parce que les pretres de Sartach
avaient tout retenu.) Et comme nous re-
commandions son ame d Dieu et que je
voulusse assister k sa mort, le moine m'en-
voya dire de men aller, parce que si je
restais present, je ne pourrais plus me
representer devant Mangou-Kh^in durant
toute Tan nee. Scs amis que j'interrogeai
I
— 2 19 —
sur ce point me dirent que c etait vrai et
me conseillerent de me retirer afin de ne
pas etre prive du bien que je poursuivais.
Le malade mourut et le moine me dit :
« Soyez sans inquietude; je Tai tue par
(( mes pri^res. Lui seul ^tait instruit et
« nous etait hostile. JLes autres ne savent
« rien. Desormais, tous et Mangou-Khan
« lui-meme seront k nos pieds. » Alors,
ii me raconta la reponse du devin ; mais,
incr^dule que j'etais, je m'enquis aupr^s
des pretres, amis du defunt, si c etait vrai.
lis me repondirent que c'etait bien ainsi,
mais qu'ils ignoraient s'il en avait ^te pre-
venu on non. J*appris ensuite que le
moine fit venir dans sa chapelle le devin
et sa femme, leur fit cribler une poudre et
en tirer des predictions. U avait aussi avec
lui un diacre russe qui I'aidait dans ce
metier. Ayant eu connaissance de tout
cela, j'eus horreur de sa folic et lui dis :
« Frere, I'homme plein du Saint-Esprit
« qui enseigne toutes choses, ne doit pas
« consulter les devins, ni s'inspirer de
« leurs reponses ; tout cela est detendu et
« ils sont excommunies, ceux qui s'adon-
« nent k de telles pratiques. » II m'affirma
qu'il ne faisait rien de tout cela. Or, je
ne pouvais pas le quitter, parce que je
logeais chez lui par ordre de Mangou-
Khan, et Je ne pouvais aller ailleurs sans
son ordre special.
J3QSw3QOya;J;^y3^y35^ya^^jS^j9j^^^^
ENCORE CARACORUM
OUANT a la ville de Caracorum, vous
saurez qu'^ Texception du palais du
khan lui-meme, elle ne vaut pas le bourg
de Saint- Denis, et le monaslere de Saint-
Denis vaut deux fois plus que ce palais.
II y a la deux quartiers, I'un des Sarrazins
oti se trouvent les marches et oti abon-
dent les marchands a cause de la cour qui
en est peu eloignee, et aussi k cause de la
multitude des ambassadeurs. L'autre
quariier est celui des Cathayens qui sont
tous des artisans. En dehors de ces palais,
on voit de grands palais qui sont habites
par les secretaires de la cour. II y a la
douze temples consacres k des idoles de
diverses nations, deux mosquees oti Ton
observe la loi de Mahomet, et une eglise
de Chretiens k I'extremite de la ville. — La
ville est entouree d'une muraille de terre
et clle a quatre portes. A Test, on vend
le mil et d'aulres grains, du reste tres-
rares ; ^ I'ouest, on vend les moutons et les
(
— 222 —
#
chdvres; au midi, les boeufs et les cha-
riots; au nord, leschevaux.
Avant suivi la cour, nous arrivdmes ici
le dimanche avant I'Ascension. Le lende-
main , nous Wmes appelespar Bulgai (qui
est le premier secretaire d'Etat et le grand
justicier), le moine et toute sa famille, et
nous, et tous les ambassadeurs, et les
etrangers qui tr^uentaient la maison du
moine ; et nous tiimes appeles sdparement
devant Bulgai, d'abord le moine, ensuite
nous; et Ton nous demanda d'oti nous
dtions, pourquoi nous etions venus et
quels services nous sollicitions. Et Ton
procedait k une enquete aussi minutieuse,
parce qu'on avait rapport^ k Mangou-
KhSn que quarante Assassins ^taient partis
pour Tassassiner sous divers d^uise-
ments.Vers ce meme temps, la dame, dont
j'ai parle plus haut, retomba malade et en-
voya cheicher le moine. Mais lui, ne vou-
lant pas aller chez elle, repondit : « Elle
« a dejd af)pele des idolatres, qu'ils la soi-
<( gnent s'ils peuvent. Moi, je n'y vais
« plus. »
La veille de TAscension, nous parcou-
rumes toutes les maisons du khan ; et je
remarquai que lorsqu'il devait boire, on
jetait aussi du cosmos sur ses idoles de
feutre. Ge qui me tit dire au moine :
(( Qu'y a-t-il de commun entre le Christ
« et Belial? Quel rapport y a-t-il entre
<( la croix et ces idoles? »
— 223 —
En outre, Mangou-Khan a huit frdres,
trois uterins, et cinq consanguins ^^, II
enVoya un de ses freres uterins au pays
des Assassins, appele par ceux-ci Muli-
bet 64, avec ordre de les tuer lous. Un
autre vint en Perse, il y est de*^ entr^ et il
entrera bientot, comme Ton croit, en
Turquie et fera partir de 1^ une armee cen-
tre Baldach et Vastace. II envoya un des
autres au Cathay pour soumettre ceux qui
ne reconnaissaient pas encore sa supre-
matie. Tl retint pr^s de lui son plus jeune
frere uterin, nomme Arabuccha, qui gou-
verne la cour de leur mdre, une chretienne
au service de laquelle est maitre Guil-
laume. Un de ses freres consanguins avait
fait celui-ci prisonnier en Hongrie, dans
une viile nommde Belgrade, oil il y avait
un eveque normand, de Belleville pres
Rouen, avec un neveu de cet eveque que
j'ai vu k Caracorum. II ceda maitre Guil-
laume a la mere de Mangou, parce qu'elle
tenait beaucoup k I'avoir. Apres sa mort,
I'orfevre passa au service d'Arabuccha
avec tous ceux qui appartenaient^ la cour
de la defunte. Mangou-Khan le connut
par cet Arabuccha et, lui ayant com-
mande I'ouvrage dont j'ai parle plus haut,
il lui fit remettre cent iascots, c'est-^-dire
mille marcs.
La veille de I'Ascension, Mangou-KhSn
dit qu*il voulait aller k la cour de sa mdre
et la visiter, parce qu'il n'etait pas loin
— 224 —
d*elle. Le moine dit qu'il voulait raccom-
pagner et donner sa benediction k T^me
de sa m^re. Cela plut au khdn. Le soir de
r Ascension, Tdtat de la princesse empira
et le chef des devins envoyaau moine Tor-
dre de ne pas frapper la table. Le lende-
main, comme la cour du khdn se retiraic,
celle de la princesse demeura. Mais lors-
que nous iHmes arrives ^ I'endroit oti la
cour devait s'arr^ter, il fut ordonnd au
moine de se retirer de la cour plus loin
que de coutume; ce qu'il fit. Alors Ara-
buccha courut au-devant de son frdre le
khdn. Le moine et nous tous voyant que
le khsin passerait ^ peu de distance de
nous^ nous allames au-devant de lui avec
la croix. Et lui nous reconnaissant, parce
qu'il avait visite autrefois notre oratoire,
tendit la main et nous donna la benedic-
tion (fecit crucem) comme un eveque la
donne. Puis, le moine monta k cheval et
le suivit emportant des fruits avec lui.
Mais Arabuccha mit pied k terre devant la
cour de son fr^re et attendit qu'il fiit de
retour de la chasse. Le moine y descendit
aussi et lui presenta ses fruits qui furent
acceptes. Deux grands de la cour du khan,
deux Sarrazins, etaient assis pr^s de lui.
Mais Arabuccha, sachant les differends qui
separaient les Chretiens des Sarrazins, de-
manda au moine s'il connaissait les deux
Sarrazins. Le moine repondit : « Je les
« connais, parce que ce sont des chiens :
— 225 —
(( pourquoi sont-ils pres de vous? » Et
ceux-ci reprirent : « Pourquoi nous dites-
« vous des injures, lorsque nous ne vous
« parlous pas? » Le moine insista : « Cest
(( vrai, » leur dit-il, « je dis que vous et
a votre Mahomet vous ^tes d'affreux
« chiens. » Alors ils se mirent k exhaler
des blasphemes contre le Christ et Arabuc-
cha les arreta, en disant : « Ne parlez pas
a ainsi, parce que nous savons que Messie
« est Dieu. » Et au m^me instant, il s'e-
leva par toute la contree un si grand vent
qu'on vit des demons la parcourir; peu
aprds, la nouvelle se repandit que la prin-
cesse etait morte.
Le lendemain, Arabuccha s'en retourna
a sa cour par un autre chemin que par ce-
lui oil il etait venu ; car c'est une supersti-
tion des Tartares de ne jamais revenir par
le chemin par oil ils sont venus. Pour la
meme raison, personne n'ose passer, ni k
pied ni k cheval, par Tendroit oti la cour
s'est arretee, tant qu'il reste, aprds son
depart, quelque vestige du feu qui y a
ete fait. Le meme, jour, plusieurs Sarra-
zins rejoignirent le moine en route, le pro-
voquant et se disputant avec lui. Comme
il ne pouvait se defendre par le raisonne-
ment et qu'eux se moquaient de lui, il
voulut leur appliquer des coups d'un fouet
quTl tenait k la main, et fit tant que ses
paroles furent rapportees k la cour. Aussi
nous fut-il enjoint de descendre avec les
i5
— 226 —
autres ambassadeurs ailleurs que devant la
cour, oil nous descendions selon notre ha-
bitude.
Or, j'esp^rais toujours que le roi d'Ar-
menie serait arrive. II etait venu aussi,
aux environs de Piques, quelqu'un de
Bolach ^^, otx sont des Teutons qui ont 6te
pour une grande part dans ma resolution
d'aller ies trouver. Ce quelqu*un m'avait
dit qu*un pr6tre teuton devait se rendre ^
la cour. A cause de cela, je n'osais jamais
demander & Mangou si je devais rester ou
partir. D^ le principe, il ne nous avait
donn^ que la permission de demeurer deux
mois dans ses terres, et depuis lors quatre
mois etaient passes et bientdt le cinquidme.
Car nous touchions k la fin de mai, et nous
avions 6t6 Ik pendant Janvier, Kvrier,
mars, avril et mai, Moi, n'entendant par-
ler ni du roi ni de ce pretre, et craignant
de devoir nous en retourner en hiver (nous
en avions d^j^ ressenti Ies rigueurs), je
fis demander k Mangou -Khan ce qu*il
voulait faire de nous, parce que nous se-
rious restes volontiers avec lui, si cela lui
avait plu; mais s'il nous fallait partir, il
vaudrait mieux que ce fut en dte. Aussit6t
il me fit dire de ne pas m eloigner, parce
quil desirait me parler le lendemain. Je
repondis k Tinstant que s'il voulait me
parler qu'il devait mander le fils de maitre
Guiilaume, parce que mon inlerprdte
(turgemanus, trucheman) etait peu capa-
— 227 "~
ble. Or, celui qui m'adressait la parole
etait Sarrazin et ambassadeur auprds de
Vastace. Gagne par ses presents, il lui
avait donne le conseil d envoyer des am-
bassadeurs k Mangou-Khan. Pendant ces
pourparlers, le lamps passerait, parce que
Vastace croyait que les Tartares devaient
aussitdt envahir ses terres. II envoya done
des ambassadeurs, et aprds avoir appris
par eux ce que c'etaient que les Tartares,
il les dedaigna et ne voulut point faire la
paix avec eux, et ils n'envahirent pas en-
core ses terres. lis en furent empeches, tant
qu'il osa se d^fendre ; car ils ne s emparent
jamais d'un pays, si ce n'est par la ruse; et
quand ils font la paix avec quelqu'un, ils
profitent de cette paix pour Tan^antir.
Ce Sarrazin se mit k s'informer du pape
et du roi de France et de la route k suivre
pour aller vers eux. Or, le moine m'aver-
tit en secret de ne pas lui repondre, parce
qu'il voulait procurer le moyen de leur en-
voyer des ambassadeurs. Je me tus done,
ne voulant pas lui repondre. Et il m'a-
dressa je ne sais quelle parole injurieuse,
pour laquelle on voulut le mettre en ac-
cusation , ou le tuer ou le fouetter jus-
qu'au sang ; mals je m'y opposai.
?
— 23o —
r^pondirent : <c Nous avons envoys en
« chercher un ; vous parlerez alors par son
cf intermddiaire comme vous pourrez;
c< nous vous comprendrons bien. » Et ils
me press^rent de parler. Alors je dis : « A
(( celui Squill a etedonne beaucoup, il sera
(( demands beaucoup. De meme celui qui
(c a recu beaucoup, devra aimer beaucoup
« [Luc, ch. vii). » D'apr^s ces paroles divi-
nes, je dis k Mangou-Khan « que Dieu lui
c( a donne une grande puissance, et que
a les richesses qu'il a revues, ce ne sont
c( pas les idoles des tuinans qui les lui
(( ont donndes, mais le Dieu tout-puissant
(c qui a fait le ciel et la terre, dans k main
c< duquel sont tous les royaumes, et qui
c( transporte la domination d'une nation k
i< Tautre k cause des peches des hommes,
« C'est pourquoi, s'il aime Dieu, tout lui
« reussira; smon, il saura qu'il devra
« rendre comple Jusqu'au dernier qua-
(f drat. )) Alors un des Sarrazins dit :
a Est-il un homme qui n'aime pas Dieu ? »
Je repondis : « Dieu dit : « Celui qui
<( m'aime observe mes commandements ;
« et celui qui ne m aime pas, n'observe
« pas mes commandements. (Jean, 14).
« Done, celui qui n 'observe pas les com-
<c mandements de Dieu, n'aime pas
« Dieu. » Alors le Sarrazin dit : « Avez-
« vous ete dans le ciel pour connaitre
w les commandements de Dieu? » —
<f Non, » dis-je, « mais il les a transmis
— 23l —
(c du del aux hommes saints, et lui-meme
« est descendu du ciel pour les enseigoer
« k tous les hommes, et nous les avons
« dans la Bible, et nous voyons, par les
<( oeuvres des hommes, quand lis les otv
« servent ou non. » Mais lui : « Voulez-
« vous dire que Mangou-Khan ne suit
<( pas les preceptes. de Dieu ? » Et moi :
« L'interprete viendra, avez-vous dit; et
« devant Mangou-Kh^n, s'il m'y auto-
(f rise, je dirai quels sont les commande-
« ments de Dieu, et lui-m^me jugera s'il
(c les observe ou non. » On me quitta et
Ton rapporta au khan que j'avais dit qu*il
etait icioiatre ou tuinan et qu'il n'observait
pas les commandements de Dieu.
Le lendemain, le khan m'envoya ses se-
cretaires qui me dirent : « Notre maitre
a nous envoie vers vous et fait savoir que
(( vous etes ici Chretiens, sarrazins et t ni-
ce nans. Chacun de vous dit que sa loi est
« la meilleure et que ses Ecritures, c'est-^-
(f dire ses livres, sont les plus vrais. C'est
« pourquoi il veut que, tous, vous vous
« rassembliez dans le meme endroit^ et
« que chacun ecrive ses articles de foi,
« afin qu'il puisse connaitre la verite. »
Alors je dis : « Beni soit Dieu qui a ins-
« pire cette pens^e au khdn ! Mais nos
« Ecritures enseignent que le serviteur de
« Dieu ne doit pas disputer, mais etre
f< doux envers tous. Je suis done pret k
« rendre compte sans haine et sans crainte
— 232 —
« de la foi et des esperances des chretiens ,
(c k quiconque veut bien mlnterroger. »
lis redig^rent ma r^ponse par ^rit et la
rapport^rent au khln. II fut aussi or-
donn^ aux Nestoriens d'^rire tout ce
qu'ils voudraient dire, et il en fut de
meme pour les Sarrazins et les tuinans.
Le lendemain, les secretaires revinrent me
trouver, disant : « Mangou-Khan veut
« savoir pourquoi vous parcourez ces
c< contr^s. » Je leur repondis : « II doit
« savoir cela par les lettres de Batou. »
Alors, eux : « Les lettres de Batou sont
« perdues, et le kh^n a oublie ce que B^-
« tou lui a ecrit, et il veut le savoir par
« vous. » Plus rassure, je lui dis : « Le
« devoir que nous impose notre religion
« est de precher I'Evangile a tous les
« hommes. Aussi, lorsque i'eus appris la
« renommee de la race moale, j'eus le de-
c< sir de venir ici, et, animd de ce desir,
« j'appris que Sartach dtait Chretien. Je
« dirigeai done mes pas vers lui. Et le roi
« des Francs , mon maitre , lui a adresse
« des lettres qui contiennent de bonnes
« paroles, et entre autres choses il dit qui
« nous sommes et le prie de nous permet-
« tre de sejourner parmi les Moals. Lui
« alors, il nous envoya k B^tou et Bd-
« tou nous envoya k Mangou-Khan ; c'est
« pourquoi nous I'avons prie et nous le
« prions encore de nous permettre de
« demeurer ici. « Les secretaires ecrivi-
— 233 —
rent tout cela et le lui rapporterent le len-
demain. II m'envoya dire de nouveau :
« Le khan comprend bien que vous n'a-
cc vez pas de message pour lui, et que
(( vous venez prier pour lui, comme d*au-
<( tres pretres justes; mais il veut savoir si
« des ambassadeurs sont venus de votre
c^ part vers nous, ou si nous en avons en-
« voye vers vous. » Je leur racontai alors
tout ce que je savais de David et du frere
Andre, et eux mirent tout cela par ecrit et
le lui rapporterent. Alors, il me fit dire de
nouveau : « Le khan, notre maitre, dit :
(( Vous vous arretez ici longtemps; il veut
(c que vous vous en retourniez chez vous
<( et demande si vous voulez emmener ses
<c ambassadeurs avec vous. »
Je leur repondis : « Je n*oserais pas em-
« mener ses ambassadeurs hors de ses ter-
« res, parce cju'entre vous et nous il y a
« des pays qui sont en guerre, des mers et
« des montagnes; et moi je suis un pau-
« vre moine; c'est pourquoi je n'ose-
<c rais pas me charger d'eux dans mon
« voyage. » Et eux, ayant mis tout cela
par ecrit, ils s*en retourndrent.
Vint la veille de la Pentecote. Les Nes-
toriens ecrivirent I'histoire depuis la crea-
tion du monde jusqu'^ la Passion du
Christ, et depuis la Passion, ils dirent
quelques mots de I'Ascension et de la re-
surrection des morts et du jugement der-
nier. II y avait bien la quelque chose a
— 2 34 —
reprendre, et je le leur d^montrai. Nous,
nous ^crivimes le symbole de la messe :
« Je crois en un seul Dieu. » Puis je leur
demandai comment ils voulaient proc^-
der. lis me rdpondirent qu*ils voulaient
d'abord discuter avec les Sarrazins. Je
leur fis observer que cela n'dtait pas bien,
parce que les Sarrazins reconnaissent avec
nous qu'il n*y a qu'un seul Dieu : « Vous
« aurez done de ce c6td , dis- je , des auxi-
« liaires contre les tuinans.D Ils acceptdrent
mon observation. Puis je leur demandai
s'ils savaient comment Tidol^trie avait pris
naissance dans le monde, ils Tignoraient.
Je le leur expliquai et ils dirent : « Vous
« leur raconterez cela k eux-memes et
« vous parlerez k notre place parce qu'il
« est difficile de parler avec un inter-
« prdte. » Je leur repondis : — « Voyez de
« quelle mani^re vous vous coraporterez
(( k leur egard. Moi, je soutiendrai la
« cause des tuinans ; et vous, vous ddfen-
<c drez celle des Chretiens. Supposez guc je
<f sois de cette secte qui pretend qu'il n'y
« a pas de Dieu ; prouvez que Dieu existe.
« Car il est une secte qui affirme que
c( toute ^me, que toute vertu residant en
(c quelque chose que ce soit est le Dieu de
« celte chose, et qu*il n'y a pas d'autre
« Dieu. Et les Nestoriens ne surent rien
« prouver, si ce n'est de repeter ce qui est
« ecrit dans la Bible. » Je leur dis : « lis
« ne croient pas a la Bible *, vous allegUQ^
— 235 —
« rez une chose ct eux une autre. » Alors,
je leur conseillai de me laisser en^a^er la
discussion avec eux, parce que si j'etais
vaincu, ils trouveraient encore raoyen de
f)arler. lis acceptdrent. Done, ia veiile de
a Pentecote, nous nous r^unimes dans
notre oratoire et Mangou-Kii^n envoya
trois secretaires comme arbitres, Tun
Chretien, Tautre sarrazin et le troisidme
tuinan; et Ton proclama ceci : « C'est
« I'ordre de Mangou que personne ne
« puisse dire que le commandement de
(c Dieu est autre. II ordonne que per-
(( Sonne ne se serve de paroles desagrda-
« bles ou injurieuses pour son contradic-
« teur, ni provoque un tumulte qui puisse
i( empecher cette conference, sous peine
« de mort. » Alors tons garderent le si-
lence. Et il y avait la un peuple nom-
breux, car chaque partie avait appele les
plus savants de sa race, et beaucoup d'au-
tres y assistaient. Alors les Chretiens me
placerent au milieu et dirent aux tuinans
de discuter avec moi. Mais eux, qui etaient
la en foule, commenc^rent k murmurer
contre Mangou-Khan, parce que jamais
un khan n'avait tente de leur derober
leurs secrets. lis m'opposerent done quel-
qu'un qui etait venu du Calhay et avait
un interprete. Or, Ic mien etait le fills de
maitre Guillaume; il me dit : « Ami, si
« vous n'etes pas fort, cherchez un plus
« savant que vous. a Jc me tus. Alors, il
— 236 —
me demanda sur quoi je voulais discuter
en premier lieu, soit sur Torigine du
monde, soit sur le devenir des dmes aprds
la mort. Je lui r^pondis : ct Ami, cela
(c ne doit pas etre le commencement de
a notre conference. Toutes choses ddcou-
<c lent de Dieu, et Lui, il est la source et
« le principe de toutes choses; nous de-
c< vons commencer par parler de Dieu,
(( dont vous n*avez pas la m^me id^e que
« nous, et Mangou veut connaitre la
« meilleure opinion sur lui. » Les arbi-
tres jugdrent que cela dtait juste.
II voulait entamer ces thdses, parce
qu*ils les avaient mieux etudiees; car ils
sont tous de Ther^ie des Manichdens, et
croient qu*une moitie des choses est mau-
vaise, et I'autre bonne, et qu*il y a au
moins deux principes; et tous ils pensent
que les dmes passent d'un corps dans un
autre. Aussi le plus instruit des pretres
parmi les Nestoriens me demanda si les
ames des betes peuvent se refugier quelque
part, sans etre contraintes d'etre en servi-
tude apr^s leur mort.
Pour confirmer cette erreur, ainsi que
me Tapprit maitre Guillaume, on avait
emmene du Cathay un enfant qui, d'apres
les apparences, n'avait pas plus de trois
ans. 11 avait cependant toute sa raison et
on disait de lui qu'il avait d6]k change
trois fois de corps, et il savait lire et
ecrire. Je dis done a ce tuinan : « Nous,
— 237 —
« nous croyons fermement et de coeur, et
tt nous amrmons par la bouche qu'il
« existe un Dieu et qu'il n*y a qu'un seul
« Dieu, un seul et d'une unite parfaite.
i( A quoi croyez-vous? » Et il repondit :
« Les imbeciles disent qu'il n'y a qu'un
« Pieu, mais les sages soutiennent qu'il y
« en a plusieurs. Dans votre pays, n'y a-
« t-il pas plusieurs grands seigneurs, et
« ici, un plus grand qui est Mangou-
« Khan? 11 en est de meme des dieux,
« parce qu'ils sont divers dans les diverses
(( contrees. » Je repliquai : « Vous prenez
« mal votre exemple; il ne peut pas y
« avoir de similitude entre les hommes
<( et Dieu: car de cette manidre tout
« homme puissant dans son pays pourrait
« etre appele dieu. »
Et, comme je voulais detruire la com-
paraison, il me prevint et me demanda :
« Quel est done votre Dieu, dont vous
« dices qu'il est unique?)) Je repondis :
« Notre Dieu est tout-puissant, et il n'y
(c en a pas d'autre que lui, et il n'a besoin
« du secours de personne ; mais tous, nous
« avons besoin de sa protection. II n'en
« est pas ainsi des hommes. Personne ne
c( peut tout faire k lui seul; c'est pour-
« quoi il importe qu'il y ait plusieurs
« maitres sur la terre, parce qu'un seul ne
« peut tout gouverner. Notre Dieu sait
« encore toutes choses , partant il n'a pas
« pas besoin dc conseiller. Dc plus, toute
— 238 —
a science d^coule de lui. II est souveraine-
« ment bon et il n'a pas besoin de nos
« biens. De plus, nous vivons, nous nous
« mouvons et nous sommes en lui. Tel
(c est notre Dieu, et il ne faut pas en sup-
<c poser un autre. » — « Non, » dit-il,
« il n'en est pas ainsi. II est bien dans le
« ciel un Dieu supreme, dont nous igno-
« rons encore la nliation ; mais sous lui il
u est dix autres dieux, et sous eux, un
(( xlieu inferieui . Dans les pays de la
(( terre, ils sont innombrables. » Comme
il voulait broder 1^-dessus d autres fables,
je lui demandai s'il croyait que ce Dieu
supreme f6t tout-puissant» ou bien je I'in-
terrogeai sur quelque autre dieu.
Evitant de me repondre, il me demanda
a son tour : « Si votre dieu est tel que
« vous le dites, pourquoi a-t-il fait la
i< moitie des choses creees mauvaise? d —
« C'est faux, » lui dis-je; « celui qui a
« fait le mal n'est pas Dieu. Et tout ce
« qui est, est bon. » Tous les tuinans fu-
rent etonnes de cette reponse, et ils Tins-
crivirent comme fausse ou impossible. On
me demanda alors : « D'oti vient done le
« mal? » — « Vous posez la question de
<i travers, » repondis-je. « Vous devez d*a-
(( bord demander ce que c'est que le mal,
« avant de chercher d'oii il vient. Mais
« revenons k la premiere question : croyez-
« vous qu'il existe un Dieu tout-puis-
sant? tt je vous repondrai apres k tout
— 239 —
« ce que vous voudrez me demander. »
Et il s'assit longtemps refusant de rdpon-
dre, k tel point qu'il fallut que les secre-
taires presents lui ordonnassent. au nom
du khdn, de repondre. II repondit k la fin
qu'il n'y avait point de Dieu tout-puis-
sant. Alors tous les Sarrazins eclaterent
de rire.
Le silence etant retabli, je dis : « Done
« aucun de vos dieux ne peut vous sauver
« jamais, parce qu'il peut se presenter
« un cas oti il n'en aurait pas le pouvoir.
« En outre, personne ne peut servir deux
« maitres; comment done pouvez-vous
a servir tant de dieux dans le ciel et sur
a la terre? » Les assistants lui dirent de
repondre, mais il se tut. Et comme je
voulais d^velopper devant tout Tauditoire
les raisons de Tunit^ et de la trinite de
Tessence divine, les Nestoriens du pays me
dirent quecela suffisait, et qu'ils voulaient
parler eux-m^mes. Je leur cedai alors la
parole, et comme ils s appretaient k discu-
ter avec les Sarrazins, ceux-ci repondi-
rent : « Nous accordons que votre loi est
« la vraie et que tout ce qui est con ten u
« dans TEvangile est vrai; nous ne vou-
« Ions done en aucune facon discuter avec
a vous. » Et ils confessdrent que dans
toutes leurs pri^res ils demanderont k
Dieu de leur aceorder la grace de mourir
de la mort des ehrdtiens.
II y avait Ik un vieux pretre de la secle
— 240 —
des lougoures qui reconnaissent un seul
Dieu et qui fabriquent cependant des ido-
les. lis causdrent longtemps avec lui, ra-
contant tout ce qui s'^tait passe jusqu'^ la
venue de TAnteclirist dans le monde, et
lui demontrant aussi ^ lui et aux Sarra-
zins la Trinity par analogies. Tous ecou-
lerent sans Clever la moindre objection.
Cependant personne ne dit : « Je crois ; je
« veux etre Chretien. » Ensuite, Nesto-
riens et Sarrazins chantdrent ensemble k
haute voix ; les luinans ne dirent mot, et
tous burent ensuite copieusement.
Le jour de la Pentec6te, Mangou-Khan
me fit appeler et le tuinan avec qui j'a-
vais discute ; et avant d'entrer, mon inter-
prdte, le fils de maitre Guillaume, me dit
qu'il nous faudra nous en retourner dans
notre pays et que je ne devrai rien objecter,
parce que c'etait chose decidee. Arrive de-
vant le khdn, il me fallut fl^chir le genou
et le tuinan aussi avec son interprete. Alors
ilme dit : « Dites moi la verite; avez-vous
« dit Tautre jour, quand j'eus envoys mes
« secretaires auprds de vous, que j'dtais
« tuinan ? » Je repondis : <c Seigneur, je
« ne Tai pas dit; mais je vous r^pdterai
(( mes paroles, si cela vous convient. » Je
lui repetai alors ce que j'avais dit et il
me rdpondit : « J'avais bien pense que
« vous naviez pas profere ces paroles,
« parce que vous ne pouviez pas parler
— 241 —
« ainsi ; c'est votre inlerpr^te qui les aura
« mal interpr^tees. » Et il me tendit le
b^ton sur lequel il s*appuyait, en me di-
sant : « Ne craignez point. » Et moi, sou-
riant, je lui dis tout bas : « Si j'avais peur,
« je ne serais pas venu ici. » Et il de-
manda k Tinterprete ce que j'avais dit, et
celui-ci le lui rep^ta. Puis, il me lit sa
profession de foi : « Nous, Moals, » dit-il,
« nous croyons qu'il n*y a qu'un seul
« Dieu, par qui nous vivons et par qui
« nous mourrons, et nous avons pour lui
« un coeur droit. »
Alors je lui dis : « Que Dieu vous ac-
« corde cette grdce, car sans elle vous ne
« pouvez rien. » Et il demanda ceque j'a-
vais dit, I'interpr^te le lui repeta, et le
prince ajouta : « De meme que Dieu a
« donne k la main plusieurs doigts, de
(c meme il a donne aux hommes plusieurs
« voies. Dieu vous a fait connaitre les
« Ecritures-Saintes, et vous autres, chrd-
« tiens, vous ne les observez pas. Vous n*y
« trouvez pas que Tun doit blamer I'au-
« tre, n'est-ce pas? » — « Non, seigneur, »
dis-je ; « mais je vous ai declare d^s I'a-
« bord que je ne voulais avoir de differend
« avec qui que ce soit. » — « Je ne parle
« pas, » dit-il, a pour vous. Pareillement,
t< vous n y trouvez pas non plus qu'un
« homme doit renier la justice pour de
« I'argent. » -*- « Non, seigneur, » repon-
dis-je. <( Et certes, je ne suis pas venu
— 242 —
« dans ces contr^s pour me procurer de
« Targent; au contraire, j'ai refuse celui
« qu'on voulait me donner. » Et il y avait
1^ un secretaire qui attesta que j*avais re-
fuse un iascot et des dtoffes de soie. « Je ne
« park pas de cela, » dit-il. « Dieu vous a
« donne un Testament et vous ne lesuivez
« pas ; k nous, il nous a donn^ des devins,
(( nous faisons ce au'ils disent et nous
« vivons en paix. » 11 but, il me semble,
au moins quatre fois avant d'achever ce
dialogue. Et comme j'attendais qu'il vou-
lut confesser encore quelque autre point
de sa foi, il se mit i parler de mon retour,
disant : « II y a longtemps que vous etes
a ici; je veux que vous vous en alliez.
(c Vous avez dit que vous nc voulez pas
(( emmener mes ambassadeurs avec vous ;
« voulez-vous vous charger de transmet*
« tre mes paroles ou mes lettres? » Etdds
lors je n'eus plus Toccasion ni le temps de
lui expliquer la religion catholique. Car
un homme ne pent parler devant lui aussi
longtemps qu'il le desire, k moins qu'il ne
soit ambassadeur ; mais un ambassadeur
pent dire tout ce qu'il veut, et on lui de-
mande toujours s'il a quelque chose A
ajouter. Quant k moi, il ne me fut pas
permis de parler davanlage, mais il me fal •
lut I'ecouter et repondre k ses questions.
Je lui repondis qu'il devait me faire com-
prendre ses paroles et les rediger par ecril.
Alors jc mc chargerais volontiers de les
— 243 —
transmettre selon mes moyens. II me de-
manda ensuite si je voulais de Tor ou de
I'argent ou de riches v^tements. Je lui dis :
« Nous n'acceptons pas de telles choses ; ce-
« pendant nous n'avons pas de quoi subve-
(t nir aux frais du voyage, et sans votre aide,
« nous ne pouvons sortir de vos domai-
« nes. » Alors il me dit : « Je vous ferai
« avoir tout ce qui vous est necessaire par
c( tout mon empire; voulez-vous davan-
« tage? » Je repondis : « Cela me suffit. »
Puis, il me»demanda : « Jusqu'oti voulez-
« vous etre conduit? » Je repondis : « Jus-
« qu'au royaume d'Armenie s etend votre
<i puissance; si je pouvais etre conduit
<c jusque-l^, cela me suffirait. » II me dit :
c( Je vous ferai conduire jusque-1^; en-
<c suite, ayez soin de vous. » Et il ajouta :
« II y a deux yeux dans une tele, et quoi-
« qu'il y en ait deux, ils n'ont cependant
« qu'une seule vue, et 011 Tun porte son
(( regard, Tautre Ty porte aussi. Vous etes
« venu de la part de Bdtou, il importe
« que vous vous en retourniez vers lui. »
Quand il eut fini, je lui demandai la per-
mission de parler : « Parlez, » me dit-il,
et je pris la parole : « Seigneur, nous ne
« sommes pas des hommes de guerre. Nous
« voulons que la puissance du monde ap-
« partienneaceuxqui legouvernentavecle
« plus de justice, selon la volonte de Dieu.
« Notre devoir est d'instruire les hommes
« ^ vivre selon la volonte de Dieu. C'est
— 244 —
(( pour cela que nous sommes venus dans
« ces contrees, et nous y serions restes vo-
ce lontiers, si cela vous avait plu. Mais s'il
« vous convient que nous nous en aliions,
« cela sera. Je retournerai et je me char-
« gerai de vos leitres comme je pourrai et
(( selon vos ordres. Mais je voudrais de-
« mander a Votre Magnificence si, quand
(« j'aurai port^ vos iettres, vous me permet-
u trez de revenir ici, surtout parce que
« vous avez k Bolac de pauvres sujets qui
t< sont de notre langue, et qu'ils n'ont pas
(t de pretre pour ies instruire dans leur re-
« ligion, eux et leurs enfants; je vivrais
a volontiers au milieu d'eux. » II me re-
pondit : « Si vos maitres vous renvoient
(( vers moi. » Je dis alors : « Seigneurs, je
(( ne connais pas Ies desseins de mes mai-
(( tres; mais j'ai recu d*eux rautorisation
« d'aller partout 06 je voudrai, 1^ oti il
<( serait necessaire de precher la parole de
(( Dieu, et il me semble que cela est neces-
« saire dans vos pays ; c'est pourquoi, si le
« roi vous renvoie des ambassadeurs ou
(( non et si vous le permettez , je revien-
(( drai. » Alors il se tut et fut longtemps
comme absorbe dans ses pensees, et Tinter-
prdte me dit de ne pas parler davantage.
Mais moi, anxieux, j'altendais toujours
une reponse. Enfin, il me dit : « Vous de-
« vez faire une longue route, reconfortez-
« vous d'aliments, afin que vous puissiez
u arriver dans votre pays en bonne sante. »
— 245 —
Et il me fit donner a boire. Puis il se re-
tira et je ne le revis plus. Si j'avais eu le
Kouvoir de faire des miracles, comme
loi'se, peut-etre se serait-il humilie.
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pretrb:s idolatres
OR, les devins, ainsi qu'il I'a dit lui-
m^me, sont leurs pretres, et tout ce
qu'ils ordonnent de faire est execute H
rinstant. Je vous dirai quel est leur minis-
Idre, comme je le pourrai d'apr^s ce que
maitre Guillaume et d'autres m'ont dit de
vraisemblable. lis sont nombreux et ils ont
un superieur, qui est comme un Pontife
et qui a toujours sa maison en face de la
demeure principale de Mangou-Kh^n, k la
distance d'un jet de pierre. Sous sa garde
sont, ainsi que je Tai dit^ les chariots qui
portent leurs idoles. Les autres sont der-
ridre la cour,aux places qui leur sont assi-
gnees. Ces devins sont consultes des diverses
parties du monde. Car quelques-uns d'en-
tre eux sont verses dans I'astronomie, sur-
tout leur chef, et ils predisent les eclipses
du soleil et de la lune, et quand cela doit
avoir lieu, toute la population leur fournit
la nourriture, de sorte qu'ils ne doivent
pas quitter leur maison. Et quand 1 eclipse
— 248 —
se fait, ils sonnent les cloches et frappent
les tambours, en jetant de hauts cris;
c'est alors un grand tapage. L'eclipse pas-
see, ils se livrent i une joie demesuree et k
des exces de boisson et de mangeaille. lis
predisent les jours fastes et netastes pour
toutes les circonstances de la vie. Aussi ne
dcclare-t-on jamais la guerfe ni ne livre-
t-on jamais bataille sans leur conseil, et il
y a longtemps que les Tartares seraient re-
tournes en Hongrie si leurs devins Ta-
vaicnt permis Ceux-ci font passer au feu
tout ce qui est envoye k la cour, et en ont
pour cela une bonne part, lis purifient
aussi par le feu tous les meubles delaisses
par lesmorts. Lorsque quelqu*un meurt,on
enleve tout ce qui lui a appartenu,et Ton ne
permet a personne de la cour de toucher
au moindre objet non puritie. C'est ce que
j'ai observe a la cour de la princesse qui
rendit le dernier soupir pendant que nous
etions 1^, et c'est ce qui explique le double
motif pour lequel on lit passer fr^re Andre
et ses compagnons par le feu; d'abord
parce qu'ils portaient des presents, ensuite
parce que ces presents avaient appartenu a
Ken-Khan, decede peu de temps aupara-
vant. On n'en agit pas ainsi envers moi,
parce que je ne portals rien. Si quelque
animal ou quelque autre chose tombe k
terre pendant la purification par le feu,
cela devient la propriete des devins.
Ces derniers ont aussi I'habitude de ras-
— 249 —
sembler, et de consacrer, le neuvieme jour
de la lunaison de mai, routes les juments
blanches du troupeau. Les pretres chrd-
tiens doivent alors assister k cette ceremo-
nie avec leur encensoir. lis repandent
par terre leur cosmos nouvellement fait,
et c*est grande fete ce jour-M, parce qu'ils
disent qu'il« boivent pour la premiere
fois du cosmos nouveau; comme cela se
pratique chez nous en certains pays, k I'i-
poque des vendanges le jour de la Saint-
Barthelemy ou de la Saint-Sixte, et lors de
la recolte des fruits , le jour de la Saint-
Jacques et saint Christophe. Les devins
sont encore appeles k la naissance d*un en-
fant pour predire sa destinee et, lorsgue
quelqu'un tombe malade, pout* juger si la
maladie est naturelle ou le r^sultat d'un
sort.
La femme de Metz, dont je vous ai
parle, m'a raconte k cet egard quelque
chose de bien extraordinaire.
Une fois, on avait fait present de four-
rures trds-precieuses k la cour de sa mai-
tresse. une chretienne, ainsi que je vous
I'ai dej^ dit. Les devins les firent passer
par le feu et en retinrent plus qu'il ne
leur ^tait dO. Une femme, sous la garde
de laquelle etait le tr^sor de cette dame,
les en accusa devant elle, et celle - ci les
en reprlmanda. Ensuite, il arriva que
cette dame fut atteinte de maladie et souf-
frit de douleurs subites par tous les mem-
i6
— - 25o —
bres da corps. Les devins furent appel^,
et se tenant assez ^oign^ ils ordonndrent
k une des jeunes filles de poser la main
sur le sidge de la souffrance et d enlever
ce quelle trouverait. Alors, la jeune fille
se leva, fit ce qu'on lui avait dit et trouva
sous sa main un morceau de feutre ou
quelque chose de semblable. lis lui ordon-
ndrent de le mettre par terre, et i peine
depos^, cette chose commen^a & ramper
comme un animal vivant. On la mit dans
Teau, elle devint comme une sangsue, et
les devins dirent : « Madame, quelque
« sort vous a ete jete et vous a blessee. »
Et ils I'accus^rent, elle qui les avait ac-
cuses, d^avoir derobe des fourrures. Con-
duite hors du campement dans les
champs, elle fut frappee k coups de bfttons
pendant sept jours et on lui fit subir d'autces
tourments pour lui arracher des aveux. Et
pendant ces tortures la dame mourut, et
sa servante, apprenant ce malheur, dit :
« Je sais que ma maitresse est morte;
« tuez-moi afin que je puisse laccompa-
a gner, car je ne lui ai jamais fait de mai. »
Et comme elle n'avouait rien, Mangou
ordonna qu'elle v^cOt, et alors les devins
accus^rent la nourrice de la fille de cette
dame chretienne, et dont le mari etait un
homme des plus honorables parmi les
pretres nestoriens. Elle fut mende au sup-
plice avec une de ses femmes pour faire
I'aveu ; la servante avoua qti'elle avait ^le
— 25l —
envoyee par sa maitresse pour consulter un
cheval. Celte femme reconnut qu*elleavait
fait cela pour etre preferee par son maitre
et en recevoir quelque bien-eire, rtiais
mi'elle n'avait rien fait qui ptit lui nuire.
On lui demanda si son mari avait eu con-
naissance de ce fait. Elie Texcusa en di-
sant qu'il avait brule les caract^res et les
lettres qu'elle-meme avait faits. La nour-
rice fut ensuite mise a mort, et Mangou
envoya son mari, qui 6tait pretre, k son
eveque, au Cathay, pour en etre jug^, quoi-
qu'il ne ftit pas trouve coupable.
Vers ce meme temps, il arriva que la
premiere femme de Mangou-Khdn donna
ie jour i un fils, et les devins furent appe-
les pour predire la destinee de I'enfant;
tous propnetis^rent un avenir fortune,
disant qu'il vivrait longtemps et serait un
grand prince. Peu de jours apr^s, cet en-
fant etait mort. Alors, la mdre en furie aj)-
pela les devins et leur dit : « Vous avez dit
« que mon fils vivrait et le voil^ mort. »
Ceux-ci lui repondirent : « Madame, nous
« voyons la sorcidre, la nourrice de
« Chirina, qui a ete tuee Tautre jour.
« C'est elle qui a lue votre fils, et nous
« avons vu quelle I'a emporte. »
Or, la defunte avait laisse dans le cam-
pement un fils et une fille dej^ adoles-
cents, et la dame hors d elle les fit cher-
cher et mettre k mort, le jeune fils par un
homme, et la jeune fille par une femme,
— 2D2 —
pour se venger de la mort de son propre
tils, que les devins av^ient dit avoir ete
tue par leur m^re. Peu apres, le khdn fit
un reve ; il reva de ces enfants, et de-
manda ce qu'on en avait fait. Ses servi-
teurs redoutaient de le lui dire, et lui, de
plus en plus piqu^ par la curiosite, insista
pour savoir oti ils etaient, parce que pen-
dant la nuit ils lui avaient apparu en
songe. Alors ils le lui dirent, et lui aussi-
tot nt chercher son epouse et lui demanda
pourquoi elle avait condamne une femme
k mort ^ I'insu de son mari. II la fit en-
fermer pendant sept jours dans une prison
et defendit de lui donner la moindre nour-
riture. II fit decapiter le Tartare qui avait
tue le jeune horn me et suspendre sa lete
au cou de la femme qui avait tue la jeune
fille; ensuite il la fit battre avec des tisons
ardents au milieu du camp, et enfin il or-
donna qu'elle fut mise k mort. II aurait
tue aussi sa femme s'il n'avait eu des en-
fants d'elle ; mais elle quitta sa cour et n'y
revint qu'apres une lunaison.
Les devins troublent Fair par leurs in-
cantations, et lorsque le froid est tres- in-
tense, naturellement ils n'y peuvent rien ;
ils en accusent alors quelques - uns du
camp d'avoir provoque cette rigueur de la
temperature et ceux-ci sont executes sans
retard.
Peu avant mon depart d'ici, une des
concubines du khan etait malade et souf-
— 2o:>
frait beaucoup. Les devins prononc^rent
quelques mots mysterieux sur une esclave
d'origine teutonique, et celled s*endormit
pendant trois jours. Lorsqu'elle se re-
veilla, ils lui demand^rent ce qu'elle avait
vu. Elle avait vu nombre de personnes; il
leur parut qu'elles devaient bientdt mou-
rir toutes, et parce qu'elle n'avait pas vu
parmi elles leur maitresse, ils en conclu-
rent qu'elle ne mourrait pas de cette ma-
ladie. J'ai vu cette jeune fiUe, elle avait
la tete encore tr^s-fatiguee de ce long
sommeil.
Quelques-uns de ces devins evoquent
aussi les demons, lis reunissent, la nuit,
dans leur maison ceux qui veulent avoir
reponse du demon ; ils placent de la
vlande cuite au milieu du cenacle ,
et le khan qui invoque commence par
dire des paroles mysterieuses , et, tenant
un tambourin a la main, le frappe for-
tement contre terre. Enfin, il entre en
furie et on le lie. Alors arrive le demon
au milieu des ten^bres ; le khan lui donne
cette viande a manger et lui dicte ses re-
ponses.
Une fois, ainsi que me Tapprit maitre
Guillaume, un Hongrois se cacha dans la
maison des devins^ et le demon qui se
lenait sur le toit se plaignit de ce qu'il
ne pouvait entrer, parce qu'il y avait
un Chretien chez eux. A ce bruit, celui-
ci se sauva parce qu'on commencait k
— 254 —
le rechercher. lis ont fait cela et beau
coup d'autres choses , trop longues k rap-
porter.
FETE A CARACORUM
Apartir du jour de la Pentecote, on se
mit k rediger les lettres qui devaient
vous etre adressees. Pendant ce temps,
maitre Guillaume retourna k Caracorum
el organisa une grande fete dans Toctave
de la Pentecote (25 juin 1254), et voulut
que tous les ambassadeurs fussent presents
le dernier jour. II nous envoya chercher
aussi, mais j'etais alle k Teglise baptiser
trois enfants d'un pauvre Allemand, que
nous avions rencontre dans cette ville.
A cette fete, maitre Guillaume fut le
principal echanson, parce qu'il avait fait
1 arbre qui versait k boire, et pauvres et
riches chantaient et dansaient et battaient
des mains en presence du khan . Alors le
khdn se mit k leur parler : « J'ai eloigne, »
dit-il, « mes frdres de moi et les ai en-
« voyds au milieu des dangers dans des
« terres lointaines. On verra maintenant
« ce que vous ferez, quand je voudrai
« vous charger de la mission de travailler
« a Taugmentation de notre puissance. »
— 256 —
Pendant les quatre jours de fete, il chan-
geait chaque jour de vetements, et tous ces
vetements, depuis les chaussures jusqu'^
la tiare, etaient de la meme couleur. J'y
ai vu a cette ^poque un ambassadeur du
calife de Bagdad, qui se faisait porter k
la cpur sur une litidre entre deux mules,
et Ton m'a dit qu'il avait fait la paix avec
les Tartares, a la condition de leur four-
nir dix mille chevaux en temps de guerre.
D'autres disaient au contraire que Man-
gou ne ferait pas la paix s'ils ne detrui-
saient leurs fortercsses. L'ambassadeur lui
aurait repondu : « Quand vous aurez
« arrache tous les sabots des pieds de
« vos chevaux, nous demolirons toutes
« nos forteresses. » J'ai vu aussi des am-
bassadeurs d'un soudan de Tlnde, qui
avait amene avec eux huit leopards et dix
levriers; on les avait dresses ^setenir sur la
croupe des chevaux, comme se tiennent
des leopards. Quand je m'enquis de ce
pays de I'lnde, on me montra Toccident.
Et ces ambassadeurs retourndrent avec
moi durant environ trois semaines tou-
jours vers I'occident. J'ai vu encore 1^ des
ambassadeurs du sultan deTurquie ; ilsap-
portaient des dons precieux, et ils nousdi-
rentQ'eTai entendu de mes propresoreilles)
que leur maitre ne manquait ni d'or ni
d'argent, mais d'hommes ; d'oti je con-
clus qu'il demandait du secours en cas de
guerre.
•o^^->^^-o€^^€^0'^^ ^^-o-^^-o-^^^-o-^^-o-
LETTRES
DE MANGOU-KHAN A SAINT LOUIS
LE jour dc la Saint -Jean, le khan tint
grande fete et je comptai cent et cinq
chariots charges de lait de jument et qua-
tre-vingt-dix chevaux ; il en fut de meme
le jour des Apotres Pierre et Paul. Enfin
les lettres qu'il vous destinait etant ache-
vees, on me fit appeler et on me les in»
terpreta. En voici la teneur, telle que j'ai
pu la comprendre par la traduction de
I'interprete :
<c L ordre eternel de Dieu est celui-ci :
« dans le ciei, il n y a qu'un Dieu eter-
<c nel ; sur la terre, il n'est d'autre maitre
« que Cinghis-Khan, fils de Dieu et de
(c Demugin Cingei, c'est-£l-dire le son du
a fer. » (On appelle Cinghis, son du fer,
parce qu'il fut autrefois forgeron ; et, pour
flatter son orgueil, on le nomme « fils de
Dieu ».) « Ceci est la parole qui vous est
(( rapportee. Qui que nous soyons, Moals,
— 258 —
« Naimans, Merkits ou Mustelemans,
« partout oil des oreilles peuvenl entendre,
<' partout ou un cheval peut marcher, 1^
't vous la ferez entendre et comprendre.
»< D6s qu'on aura entendu et compris mes
« ordres, et qu'on voudra les croire et ne
« pas nous faire la guerre, vous entendrez
« et vous verrez des hommes ayant des
« yeux et ne voyant pas, et lorsqu*ils vou-
«« dront tenir quelque chose, ils seront
" sans mains : ceci est Tordre eternel de
« Dieu. Par la vertu ^ternelle de Dieu,
(( par le grand monde des Moais, Tordre
<( de Mangou-Khan est transmis au chef
« des Francs, le roi Louis, et k tous les
w autres seigneurs, et aux pretres, et au
« grand sidcle des Francs, de comprendre
^c nos paroles. Et Tordre du Dieu eternel
« est devenu Tordre de Cinghis-Khan, et
<c depuis Cinghis-Khan ni depuis d'autres
:< apr^s lui, cet ordre n*est pas parvenu
« jusqu'^ vous. Un certain David est alle
(( chez vous avec la pretendue qualite
i< d'ambassadeur, mais il mentait, et vous
" avez envoyd avec lui des ambassadeurs
« a Kenkhan. Puis, Kenkhan mourut et
« vos ambassadeurs parvinrent k sa cour.
<^ Camus, sa femme, vous envoya des
(c etoffes de Nassic et des lettres. Je ne di-
ce rai pas comment cette femme, plus vile
« qu'un chien, a pu savoir les choses de
c( la guerre et de la paix, apaiser un grand
« si^cle et faire le bien. (Mangou lui-
— 250 —
meme m'a dit de sa propre bouche que
Camus etait la pire des sorci^res et que,
par ses sortileges, elle avait fait perir
toute sa parent^). » Les deux moines qui
« vinrent de votre part trouver Sartach,
« Sartach les a envoyes k B^tou, et Ba-
cc tou k nous, parce que Mangou-Khan
(( est le plus grand dans le monde des
« Moals. Et raaintenant, afin que votre
« peuple, vos pretres et vos moines vecus-
(( sent tons en paix et se rejouissent dans
« leurs biens de ce que le commandement
« de Dieu est observe parmi vous, nous
« voulions vous envoyer avec vos pretres
(c des ambassadeurs moals ; mais ils nous
(c ont repondu qu'entre nous et vous, il
« est des pays qui sont en guerre et beau-
« coup d'hommes mdchants, et que les
« chemins sont difficiles. Ils crai^naient
« done de ne pas pouvoir conduire jus-
« qu'il vous nos ambassadeurs sains et
c( saufs; mais ils nous ont propose de
a leur confier nos lettres contenant nos
a ordres, et nous ont offert de les trans-
« mettre au roi Louis lui-meme. C'est
« pourquoi nous avons envoye nos am-
« bassadeurs avec eux. Nous vous en-
« voyons done I'ordre ecrit du Dieu eter-
« nel, par vos susdits pretres, I'ordre du
« Dieu eternel que nous vous faisons
« com prendre. Et lorsque vous I'aurez
« recu et que vous y aurez cru, si vous
<t voulez nous obeir, vous nous enverrez
— 262 —
On nous lit tenir trois vetements ou tu-
niques, el Ton nous dit : « Vous ne voulez
« accepter ni or ni argent, et vous restez
« loujours ici a prier pour lekhan. Lui,
« il vous prie d'accepter au moins un slm -
a pie vetement pour chacun de vous, atin
« que vous ne vous en alliez point les
« mains vides. » 11 nous fallut recevoir ces
objets par respect pour lui, parce qil'ils
sont mal vus ceux qui reFusent les pre-
sents des Tartares. lis nous avaient fait
demander ce que nous voulions et nous
repondions toujours la meme chose, k sa-
voir que les Chretiens meprisaient ces ido-
latres qui ne recherchent rien autre que
des presents. Et ils nous repondaient que
nous etions des fous , parce que si le khan
voulait leur donner loute sa cour, ils Tac-
cepteraient volontierset ils agiraient sage-
ment. Nous recumes done les vetements ct
ils nous demand^rent dedire une priere pour
le khan; ce que nous firaes et avec sa per-
mission nous partimes pour Caracorum.
II arriva, un jour que nous etions loin
de la cour avec le moine et d'autres am-
bassadeurs, que le moine frappa ^ coups
redoubles sur une table et si violemment,
f[ue Mangou-Khan entendit ce bruit et s'in-
orma de ce qu'il signiiiait. On le lui dit;
il voulut savoir pourquoi le moine avait
ete eloigne de la cour. On lui repondit :
(( parce que c'etait difficile de lui amener
tt chaque jour k la cour des chevaux et des
— 263 —
« boeufs.j) Onajoutaqu'ilvalait mieuxque
te religieux fut ^ Caracorum. tout presl'e-
glise pour y prier. Alors le khan envoya
lui dire que s'il voulait rester a Caraco-
rum aupr^s de I'eglise, il ne manquerait
de rien. Mais le moine repondit : « Je suis
cc venu ici de la Terre-Sainte par ordre de
« Dieu, et j'ai abandonne une ville oil il
cc y a mille eglises meilleures que celle de
cc Caracorum. S'il veut que je reste ici et
cc prie pour lui, selon Tordre de Dieu, je
cc resterai; sinon, je m'en irai vers le pays
cc d'ou je suis venu. » Alors, le soir
meme, on lui amena des boeufs et on les
attela aux chariots, et le matin il fut re-
conduit a Tendroit oil il avait I'habitude
d'etre devant la cour.
Peu avant notre depart, etait venu un
moine nestorien qui passait pour un
homme sage. Bulgai, le secretaire d'Etat,
le fit placer devant la cour, et le khan lui
envoya ses enfants afin qu'il les benit.
^j-V^c-
GVpC?\/X3\p6\/3G\pGV/0G\JoGV;CGVp6\^^
RE TOUR
NOUS arrivanies done a Caracorum , et
comme nous etions dans la maison
de maitre Guillaume, mon guide vint m'ap-
porter dix iaecots. II en mit cinq dans la
main de maitre Guillaume et lui dit de
les depenser de la part du khan pour les
besoins du frere; les cinq autres, il les
donna ^ I'homme de Dieu, mon inter-
prete, lui ordonnant de les depenser en
voyage pour mes n^cessites propres. Mai-
tre Guillaume leur avait parle ainsi a notre
insu. Je tis aussitot vendre un de ces
iascots et en distribuer le produit aux
Chretiens pauvres qui etaient 1^ et avaient,
tous, les yeux sur nous; nous en depensa-
mes un second en achetant pour nous ce
dont nous avions besoin, un habit ou autres
choses. Avec le troisi^me, Thomme de
Dieu acheta divers objets qui lui etaient
utiles. Quant aux autres iascots, nous les
depensames en route, parce que depuis
notre entree en Perse, on ne nous donnait
— i>66 —
rien de ce qui nous dtait necessaire, ni
en Tartaric non plus, et nous trouvions
rarement quelque chose ^ acheter.
Maitre GuiUaume, autrefois votrc
bourgeois, vous envoie une ceinture or-
nee d'une pierre pr^ieuse ; on la porte ici
contre la foudre et le tonncrre. 11 vous
salue infiniment, priant toujours pour
vous. Pour lui, je ne saurais assez rendre
graces ^ Dieu et k vous. Nous avons bap-
tise la en tout six ames; et nous nous
sommes separes avec des larmes dans les
yeux, mon compagnon demeurant avec
maitre Guillaume, raoi m'en allant seul
avec mon interpr^te, raon guide et un
serviteur qui avait ordre de recevoir pour
nous un mouton en quatre jours. I^ous
vtnmes done en deux mois et dix jours
chez Baton.
Pendant ce temps, nous ne vimes ja-
mais une ville ni vestige d'aucune de-
meure, excepte toutefois quelques tom-
beaux et un village oti nous ne trouvames
pas de pain k manger. Dans Tespace
de ces deux mois et dix jours, nous ne
nous sommes reposes qu'un seul jour,
parce que nous ne pouvions pas avoir des
chevaux. Nous sommes revenus en grande
partie par les pays que nous avions deja
parcourus, et encore par d'autres. Nous
sommes venus en hiver et retournes en
ete par les contr&s montagneuses et eloi-
gnees du Nord. Mais , durant quinze
— 267 —
longs jours, il nous a fallu suivre les
sinuosites d'un fleuve au milieu de monta-
gnes oti nous ne vimes pas d 'herbage, si ce
n'est sur les rives du fleuve. Quelquefois
nous courQmes de grands dangers, ne
voyant ame qui vive, manquant de vivres
et ayant des chevaux fatigues.
Apr^s avoir chevauche vingt jours, j'eus
des nouvelles du roi d'Armenie. A la fin
d'aout, il etait alle au devant de Sartach,
qui se rendait chez Mangou-Khan avec ses
iroupeaux de boeufs et de moutons, ses
femmes et ses enfants. Quant a ses grandes
maisons, elles dtaient restees entre I'Etilia
ou le Volga et le Tanais. Je le saluai en
disant que j'aurais demeure volontiers
dans ses terres, mais que Mangou-Khan a
voulu que je m'en retournasse et empor-
tasse ses lettres. 11 se contenta de me
repondre qu'il fallail executer la volonte
de Mangou-Khan. Je m'informai de raes
gens aupr^s de Coiac. lime repondit qu'ils
etaient k la cour de Baton et tres-recom-
mandes. Je reclamai ensuite nosornemcnls
sacerdotaux et nos livres et il me dit :
(( Vous ne les avez pas portes k Sartach. »
— Je repris : « Je les ai portes k Sartach^
« mais je ne les lui ai pas donnes, comm.e
vous savez .» Et je repetai ce que je lui
avais dit quand il me pria de les donner d
Sartach lui-meme. II me repondit : « Vous
« dites vrai, et personne ne pent resister
<f a la verite. J'ai depose moi-meme toutes
— 268 —
« vos affaires chez mon p6re qui reside S
« Sarai , une ville neuve que Batou a
a fait batir sur le Volga. Mais nos pretres
« ont ici avec eux <juelques-uns de vos
« ornements. » Je iui repondis : « S'il est
<( Queique ornement qui vous plaise, gar-
« dez-Ie, et rendez-moi seulement mes
« iivres. » 11 me dit alors qu'il rapporte-
rait mes paroles k Sartach lui-m^me. —
« II faut, )> Iui dis-je, « que j'aie des let-
« tres de vous k votre p^re, afin qu'ii me
« rende tout ce qui m'appartient. » Or,
on etait sur le point de partir et il me dit :
« La cour des dames nous suit ici de prds ;
« vous descendrez Ik et je vous enverrai
cc par cet homme la reponse de Sartach. »
Je craignais qu'il ne me trompat ; cepen-
dant je nepouvais lutter avec Iui. Le soir,
vint k moi cet homme qu'il m'avait mon-
tre, m'apportant deux tuniques que je
croyais etre une pidce de soie enti^re et
non entamee, et il me dit : « Voici deux
« tuniques; Sartach vous en donne une,
« et I'autre, si vous le jugez convenable,
« vous la remettrez de sa part au roi. »
Je Iui repondis : « Moi, je ne me sers point
« de tels vetements; je remettrai les deux
« tuniques au roi comme hommage de votre
« maitre. » — « Non, » me dit-il, « faites-
<( en ce que bon vous semblera. » Or, il
me plait de vous envoyer les deux tuniques
et je vous les envoie par le porteur des
presentes. II me donna aussi des lettres
— 269 —
pour son pere Coiac, afin qu'il me rendit
tout ce qui etait k moi, parce qu'il n'avait
besoin de rien qui m'appartint.
(. )
.7*
1
©^•©^5(S;5§©^^'g;^:^^5gN^(^^y,-^
NOUVELLE VISITE A BATOU
J'arrivai k la cour de Batou le meme jour
que je I'avais quittee I'annee derni^re ,
c'est-£l-dire le deuxi^me apr^s TExaltation
de la sainte Croix (14 septembre), et tout
joyeux je retrouvai mes gens bien por-
tants, quoiqu'ils eussent souffert des pri-
vations sans nombre , ainsi que je I'appris
de Cosset. Si ce n'eut ete du roi d*Arme-
nie qui leur a procure des consolations et
les a recommandes ^ Sartach, lis seraient
perdus ; d'autant plus qu'ils croyaient que
)e n'existais plus. Dej^ les Tartares leur
avaient demande s'ils savaient garder les
boeufs et traire les juments, car si je n'e-
tais revenu , ils auraient ete reduits en ser-
vitude.
Apr^s cela, je fus appele devant Batou
et il fit traduire pour moi les lettres que
vous envoie Mangou-Khan. Car Mangou
lui avait ecrit qu'il pouvait yajouter, chan-
ger ou retrancher ce qui lui convenait.
Alors il me dit : « Vous porlerez ces let-
— 272 —
« tres et les ferez comprendre. » 11 me de-
manda aussi par quelle voie je voulais
voyager, par mer ou par terre. Je lui re-
pondis que la mer etait dqk fermee ^ cause
deThiver ; il me fallait done m'en aller par
terre. Or, je croyais que vous etiez encore
en Syrie, et je me dirigeai vers la Perse.
Mais si j'avais su que vous etiez dej^ parti
pour la France, je serais alle par la Hon-
grie et arrive plus t6t en France, en sui-
vant des chemms moins penibles que par
la Syrie.
Nous voyageames done tout un mois
avec Baton avant d'avoir un guide. Enfin
on nous procura un lougoure qui, pen-
sant c]ue je ne lui donnerais rien, quoique
je lui eusse dit que je voulais aller tout
droit en Armenie, se fit remettre des lettres
qui lui enjoignissent de me conduire au
sultan de Turquie, esperant recevoir de
lui une recompense et gagner davantage
en passant par cette contree.
jTJf.li".^ 'VAjrT^ttli I,
SARA ET SAMARKAND
QuiNZE jours avant la Toussaint, je me
mis en route pour Sarai 6^, me diri-
r.
geant droit vers le midi en descendant le
Volga, qui se divise dans son cours en trois
grands bras, dont chacun est deux fois
lus large que le Nil ^ Damiette. Plus loin,
e fleuve forme quatre bras de moindre
largeur, de sorte que nous le travers^-
mes en sept endroits par bateau. Sur le
bras du milieu est la ville ouverte qu'on
appelle Summerkeur ^7 et qui est entou-
ree d'eau lorsque le fleuve deborde. Les
Tartares Tassieg^rent pendant huit ans
avant de pouvoir s'en emparer. Elle etait
habitee par des Alains et des Sarrazins.
Nous y trouvames un Teuton avec sa
femme, un fort brave homme, chez qui de-
meurait Gosset ; car Sartach I'avait envoye
la pour en decharger sacour.Vers la Noel,
Baton et Sartach se trouvent dans ces pa-
rages : I'un, d'un c6te du fleuve, et Tautre,
— 274 -
de Taulre. On ne le passe que lorsqu'ilest
pris par les places. 11 y a 1^ quantite d'her-
bes, et les 1 artares se cachent dans les ro-
seaux jusqu'^ la fontc des glaces.
Apr^s la reception des lettres de Sar-
tach, Coiac, le p^re, me rendit mes orne-
ments, excepte trois aubes, un amict brode
de soie , une etole , une ceinture , une
tauaiole brodee d'or et un surplis. II me
rendit aussi mes vases d'argent, ^ Texcep-
tion d'un encensoir, et le vase qui con-
tenait le saint - chreme , parce que ces
objets avaient ^te emportes par les pre-
tres qui etaient avec Sartach. Enfin, il me
rendit encore mes livres, excepte le Psau-
tier de la Reine qu'il retint avec ma per-
mission; je n'ai pas pu le lui refuser,
parce qu'il disait qu'il avait plu beaucoup
k Sartach. II me ciemanda, dans le cas oti
je reviendrais dans ces contrees, d'amener
avec moi un homme sachant faire du par-
chemin ; car il faisait construire, par ordre
de Sartach, sur la rive occidentale du
fleuve, une grande eglise et un nouveau
manoir, et il disait qu'il voulait taire des
livres k I'usage de Sartach. Cependant je
sais que Sartach ne s'occupe pas de ces
choses.
Sarai et le palais de Batou sont situes
sur la rive orientate du fleuve, et la vallee
par oil coulent les eaux de ses divers bras a
une largeur de plus de sept lieues, et il y a
1^ abondance de poissons. Une bible en
— : 275 —
vers, un livre en arabe, de la valeur de
trente besans , et plusieurs autres objets ,
tout cela fut perdu pour moi.
rt
:^@r)csx:^c^)C^c^)@x^xsxs)^sx^
LK PAYS DES ALAINS
PRENANT ainsi conge de lui le jour de la
Toussaint , et nous dirigeanl tou-
jours vers le midi, nous atteignimes k la
Saint-Martin aux montagnes des Alains.
Pendant quinze jours, entre le camp de
Baton et Sarai, nous ne rencontrames
personne, si ce n'est un des fils de Baton
qui le precedait avec ses faucons et ses
nombreux fauconniers, et nous ne vimes
qu'un pauvre petit village. Dans cet espace
de temps ecoule depuis la Toussaint et
sans rencontrer ame qui vive, nous couru-
mes grand danger pendant un jour et une
nuit jusqu'au lendemain k tierce, parce
que nous etions privesd'eau.
Les Alains de ces montagnes n'obeissent
pas encore aux Tartares, de sorte qu'il fal-
lait que, sur dix hommes de Sartach, deux
fussent obliges d'en garder les gorges pour
empecher ces montagnards d'enlever leurs
bestiaux dans la plaine qui s'etend entre
eux , les Alains et la Porte de Fer, et
— 278 —
dont la superficie a deux journdes de mar-
che. L^ commence la plaine d*Arcax.
Entre la mer et ces monts, il y a quel-
aues Sarrazins, nommes Lesges, qui sont
es montagnards independants des Tar-
tares; de sorte que ceux-ci, qui sont au
pied des monts des Alains , ont dd me
donner vingt hommes pour nous conduire
jusqu'^ la Porte de Fer. J 'en fus bien
aise, parce que j'esperais les voir armds;
car, malgre tout mon desir, je n'ai jamais
pu voir leurs amies.
^
?
-^^^.^A^^(^4^&^--'^^
PORTE DE PER
L
ORSQUE nous fumes arrives au passage
le plus dangereux , deux de ces vingt
hommes avaient des haubergeons. Leur
ayant demande d'oti ils les avaient eus, ils
me dirent qu'ils les avaient pris sur les
Alains qui sont de bons fabricants de ces
objets et excellent k les forger. Je conclus
de 1^ que les Tartares n'ont d'autres armes
que des fldches, des arcs et des hoquetons.
J*en ai vu couverts de lames de ter et de
casques de fer de Perse, et j'en ai vu aussi
deux qui s*etaient presenles ^ Mangou ve-
tus de tuniques de cuir tr^s-dur, tres in-
commodes et mal portees.
Avant d'arriver k la Porte de Fer, nous
vimes un chateau des Alains qui etait a
Mangou-Khdn , car il a soumis tout ce
pays-1^. Nous y trouvdmes d abord des
vignes et bdmes du vin. Le jour sui-
vant, nous entr^mes dans la Porte de
Fer que fit construire Alexandre de Mace-
doine, C'est une ville dont I'extrdmitc
— 28o —
orientale est sur le rivage de la mer. Entre
la mer et les montagnes se trouve une pe-
tite plaine par oti s'dtend la ville jusqu au
sommet du mont qui la domine k I'occi-
dent. 11 faut done de toute necessite tra-
verser la ville en passant par une porte de
fer qui est au milieu, parce que d'un cote
il y a des monts inaccessibles, et de Tautre,
la mer. De l^, le nom de « Porte de Fer »
donne k cette ville, qui a plus d*un mille
en longueur et, au sommet de la montagne,
un chateau-fort; sa largeurest du jet d'une
grande pierre. D*epaisses murailles sans
tosses I'entourent, et ses tours sont b^ties
de pierres enormes et polies ; mais les Tar-
tares ont detruit les sommeis des tours et
les contre-escarpes des murailles, en rasant
les tours ^ la hauteur du mur. Autour de
cette ville, le pays ressemblait autrefois a
un paradis.
A deux journees de 1^, nous vimes une
autre ville, nommee Samaron ^8^ oti il y
avait beaucoup de Juifs, et en la traver-
sant nous apercumes ses murailles qui
descendent de la montagne jusqu'a la
mer. Nous quittames le, chemin qui les
traverse et se dirige k Test vers la mer, et
nous fimes I'ascension des montagnes vers
le midi.
Le lendemain, nous passames par une
vallee, oti apparaissaient des vestiges
de murailles qui allaient d'un mont k
1 autre, et nul chemin ne menait k leur
— 28r —
sommet. Cetaient d'anciens remparts ele-
ves du temps d'Alexandre pour arreter
les populations feroces, c*est-^-dire les
patres du desert, et les empecher d'entrer
dans les villes et les terres culiivees. 11
y a d*autres lieux fermes oti demeurent des
Juifs; mais je ne puis vous en dire rien
de certain, quoiqu'il y ait beaucoup de
Juifs par toutes les villes de la Perse.
Le jour suivant, nous entrdmes dans
une grande ville nommee Samag ^9, et
apres elle, le lendemain, dans une tres-
grande plaine qu'on appelle Moan et
qu'arrose le Cur 7°. Ce fleuve a donne
son nom aux Curges que nous nommons
Georgiens. II passe au milieu de Ti-
flis 7», capitale des Georgiens, descend
tout droit d'occident en orient vers la
mer Caspienne, et nourrit d'excellents
saumons. Nous trouvames encore des
Tartares dans la plaine traversee par
I'Araxe 72 qui descend tout droit de la
grande Armenie entre le midi et I'occi-
dent, et d'oti elle a pris le nom de terre
d' Ararat, qui est 1' Armenie elle-meme 7^.
C'est pourquoi il est dit, dans le livre
des Rois, des fils de Senacherib, qu'apres
avoir tue leur p^re ils s*enfuirent au pays
des Armeniens et, dans Isa'ie, qu'ils s'en-
fuirent dans la terre d'Ararat.
A Touest de cette magnifique plaine
est la Curgie (Georgie), ou avaient ete
autrefois les Corasmins 74. Au pied des
— 282 —
montagnes, se trouve une grande ville
nomme Gange 7^^ Tancienne capitale des
Corasmins; elle empeche les Georgiens
de descendre dans la plaine.
Nous arrivames ensiiite A un pont de
bateaux, que retenait une grande chaine
de fer tendue en travers du fleuve, oti se
jettent ^ la fois le Tur ou le Cur et I'A-
raxe. Mais I'Araxe perd I^ son nom.
^\^^yc
6V^v3<S6^ j^BG/'J^G^JOG^v.VSG^^c G^y^Co)
RUBROUCK QJUITTE VASIE
N
ous continudmes de monter le long
de I'Araxe, dont le poete a dit :
Pontem dcdignatur Araxes.
(Eneid., 8.;
(L*Araxe dedaigne les ponts).
et nous laissames la Perse k notre gauche
vers le midi, les monts Caspiens et la
grande Georgie k notre droite vers I'ouest,
en gagnant TAfrique entre le midi et
Touesl. Nous traversdmes le campement
de Batou, chef de I'armee, qui est J^ sur
les bords de TAraxe, et qui s'est rendu
maitresse des Georgiens, des Turcs et des
Perses.
II y a i Tauris 7^, en Perse, un autre
prince charge du recouvrement des tributs
et nomme Argon. Mangou-Kan les a
rappeles tous les deux afin qu'ils c^dassent
la place k son frdre qui venait dans ce
pays. Or, ce pays que je vous ai decrit
— 284 —
n'est pas proprement la Perse: on Tappelle
ordinairement I'Hyrcanie. Je fus trouver
Batou dans son logement et il nous donna
k boire du vin. Mais lui se mit k boire du
cosmos, que j'aurais bu moi-meme de
preference, s'il m*en avait offert. Toute-
tois le vin etait bon, quoique nouveau,
mais le cosmos exit ete preferable pour
un homme altere et affame.
Nous montames done le long de I'Araxe
depuis la fete de saint Clement jusqu'au
second dimanche du careme (mars i255),
avant d'arriver k la source du fleuve.
Au-del^ de la montagne 011 elle se trouve,
est une bonne ville nommee Arseroum 77.
qui appartient au sultan de Turquie, et
pres de laquelle est la source de TEu-
phrate, vers le nord, au pied des mon-/
tagnes de la Georgie. J'aurais ete la voir,
mais il y avait tant de neige que per-
sonne ne pouvait sorlir du sentier battu.
De I'autre c6te des monts du Caucase,
vers le midi, est la' source du Tigre 78.
Quand nous quittames Batou, mon
guide alia k Tauris pour parler k Ar-
gon et emmena avec lui mon interprete.
Mais Batou me fit conduire jusqua une
ville appelee Naxua 79, qui a dte jadis la
capitale d'un grand royaume, tr^s-grande
et tres- belle ville. Les Tartares I'ont enti^-
rement ruinee. II s'y trouvait huit cents
eglises d'Armeniens; les Sarrazins ont
detruit les autres et il n'y en a plus que
— 285 —
deux tres-petites. Je celebrai, dans Tune
<l*elles, la Noel le mieux que je pus avec
notre clerc. Le lendemain, le pretre qui
desservait cette eglise mourut, et un
eveque vint I'enterrer avec douze moines
des montagnes; car tous les.eveques ar-
meniens sont moines et grecs pour une
grande partie. Get eveque me raconta
que pr^s de 1^ etait une eglise, dans la-
quelle avaient ete martyrises saint Barth^-
lemy et aussi le bienheureux Judas Ta-
dee; mais on ne pouvait y aller k cause
des neiges. II me dit aussi que ses co-
religionnaires ont deux propb^tes : le pre-
mier est Methodius, martyr, qui etait de
leur race et avait predit tout ce qui ar-
riverait aux Ismaelites, prediction qui
s'est accomplie dans la race des bar-
razins. L'autre proph^te se nomme
Acacron, qui, k sa mort, prophetisa que
les Scythes sortiraient du Nord et sou-
mettraient tous les pays de I'Orient, mais
que Dieu ^pargnerait le royaume d'Orient
pour leur livrer celui de 1 Occident. (Nos
freres, les Francs, en bons catholiques,
n'ajouteront pas foi k ces propheties.)
lis conquerront les pays du nord au midi,
viendront jusqu'^ Constantinople et en
occuperont le port; un d'eux, qui sera
surnomme le Sage, entrera dans la ville
et , voyant les eglises et la liturgie de
France, se fera baptiser et indiquera aux
Francs les moyens d'aneantir les Tar-
i8
— 286 —
tares et de tuer leur souverain. A cette
merveille, Jes Francs qui seront au cen-
tre du monde, c'est-a-dire a Jerusalem,
se jetteront sar les Tartares qui seront
sur leurs fronti^res; et avec I'aide de
notre nation, c'est-£l-dire des Armeniens,
ils les poursuivront, de sorte que le roi
des Francs plantera son drapeau sur
les murs de T auris en Perse, et alors se
convertiront ^ la foi chretienne tous
les Orientaux et toutes les nations in-
credules, et dans le monde il y aura une
paix si grande, que les vivants diront
aux morts : « Malheur k vous, 6 infor-
<( tun^s ! parce que vous n'avez pas vecu
« jusqu'a ces temps! »
J'avais d^j^ lu k Constantinople cette
prophetie que les Armeniens de cette ville
y avaient apportee, et je ne m'y etais pas
arrete. Mais lorsquecet evequem'en parla,
je m'en ressouvins et men preoccupai
davantage. Dans toute I'Armenie, cette
prophetie est crue comme Evangile. L'eve-
que ajouta : « Comme les ames aux limbes
« attendaient la venue du Christ pour en
« etre delivrees, ainsi nous attendons
« votre arrivee pour etre delivres de cette
« servitude dans laquelle nous languissons
a depuis si longtemps. »
Aupres de cette ville de Naxua sont les
monts sur lesquels on dit que se reposa
TarchedeNoe; il y en a deux, Tun plus
eleve que I'autre ; I'Araxe coule ^ leur
— 287 — .
pied, etil y a l^ une ville nommee Cema-
vium 80. (Je nom qui signifie « huit, » lui
a ete donne parce qu'elle fut bdtie sur la
plus haute montagne par les huit person-
nes qui sortirent de Tarche. Beaucoup de
voyageurs ont tente de faire Tascension de
cetle montagne, mais sans reussir. Get
ev^que me dit encore qu'un moine avait
eu un si violent ddsir de faire cette ascen-
sion, qu'un ange lui apporta du bois de
Tarche, en Jui disant de ne plus se tour-
menter. Ce bois est conserve dans 1 eglise
du convent, ainsi qu'on me I'a affirme.
Cette montagne n'est pas si haute qu'elle
le parail. La raison pour laquelle person ne
ne pent en faire Tascension m'a et^ assez
bien expliqude par un vieillard. Le nom
de cetle montagne est Massis^ et dans la
langue tartare il est du genre feminin.
« Sur la Massis, » dit-il, « personne ne
« pent monter, parce qu'elle est la mdre
« du monde. »
Dans cetle meme ville de Naxua, je ren-
contrai fr^re Bernard Cathalan, de I'ordre
des fr^res precheurs ; il avait demeure en
Georgie avec un prieur du Saint-Sepulcre,
qui est 1^ proprietaire d'un grand domaine.
II avait appns tant soit peu le tartare et
il allait avec un frdre de Hongrie k Tauris
trouver Argon, pour lui demander la per-
mission de se rendre aupr^s de Sartach.
Arrives dans cette derni^re ville, ils ne pu-
rent obtenir audience et le frere hongrois
— 288 —
retourna par Tiflis avec un domestique.
Quant ^ frdre Bernard, il resta k Tauris
avec un fr^re lai allemand, dont il ne
comprenait pas la langue.
Nous quittames Naxua dans I'octave de
TEpiphanie, car nous avons du nous at-
tarder longlemps k cause des neiges. Qua-
tre jours aprds, nous parvinmes au pays
de Sahensa, un Georgien tr^s-puissant
autrefois, mais tributaire aujourd hui des
Tartares qui detruisirent toutes ses forte-
resses. Son p6re, nomme Zacharie, avait
re^u ce pays des Armeniens en les arra-
chant au joug des Sarrazins. II y a 1^ de
tr6s-belles habitations de vrais Chretiens,
qui ont des eglises comme il y en a en
France. Chaque Armenien a, dans I'endroit
le plus apparent de sa maison, une main
de bois tenant une croix devant laquelle
brule une lampe, et ce que nous faisons
avec de feau benite pour chasser le mau-
vais esprit, il le fait avec de I'encens. Car,
tous les soirs, les Armeniens allument de
i'encens et le portent aux angles.de la mai-
son pour la preserver de toutes sortes
d'ennemis.
Je dinai avec Sahensa, et il me fit beau-
coup d'amities, lui, sa femme et son fils
Zacharie, un beau et excellent jeune
homme, qui me pria, s'il se rendait aupres
de vous, de vous le recommander afin que
vous voulussiez bien le prendre k votre
service. Car ce garcon souffre tellement de
- 289 -
la domination des Tartares que, quoiqu*il
eut aboiidance de toutes choses, 11 aimerait
mieux cependant errer sur la terre dtran-
gere que se courber sous leur joug. En
outre, les Armeniens disaient (lu'ils sont
fils de TEglise romaine, et si le Pape leur
envoyait quelques secours, lis soumet-
traient k TEglise toutes les nations voisines.
Quinze jours aprds avoir quitte la ville
de ce Sahensa, nous touchdmes au pays
du sultan de Turquie, le dimanche de
careme, et le premier chateau fort que
nous apercQmes-fut Marsengan ^i. Tous
les habitants en etaient Chretiens : Arme-
niens, Georgiens et Grecs; mais ils sont
tous soumis aux Sarrazins. L^ le gouver-
neur ou le chatelain me dit qu'il avait
recu Tordre de refuser des vivres aux
Francs et aux ambassadeurs du roi d'Ar-
menie et de Vastace ; de sorte (jue depuis
ce chateau, ou nous nous trouvions le di-
manche de careme, jusqu'^ Chypre oti
j'abordai huit jours avant la Saint-Jean, il
nous fallut acheter nos aliments. Mon
guide me fit avoir des chevaux ; il rece-
vait de I'argent pour nous procurer des
vivres et le mettait bel et bien dans sa po- *
che. Quand il arrivait k quelque campe-
ment, voyant un troupeau, il en enlevait
un mouton par force et le donnait k man-
ger k sa famille, et il s'etonnait de ce que
je ne voulusse pas manger du produit de
son vol.
— 290 —
Le jour de la Purification, je me trou-
vai dans une ville nomm^ Aini ^2^ dans
le domaine de Sahensa, dont la position
est trds-fortifide. II y a 1^ mille eglises des
Armeniens et deux synagogues de Sarra-
zins. Les Tartares jr ont un bailli. lA
vinrent me trouver cinq frdres precheurs,
dont quatre etaient de la province de
France et le cinqui^me s etait joint k eux
en Syrie. lis navaient avec eux qu'un
domestique malade qui savait le turc et un
peu de fran^ais. lis etaient porteurs de let-
tres du Pape pour Sartach, pour Mangou-
Khdn et pour Buri, leltres sembiables k
celles que vous m'avez donnees et par les-
quelles il leur demandait de permettre £t
ses moines de s'arreter dans leurs terres
et d'y precher la parole de Dieu. Lorsque
je leur eus raconte tout ce que j'avais vu
et comment j 'avals ete renvoye, ils se diri-
gerent du cote de Tiflis, oti ils ont des
tr^res, pour les consulter sur ce qu'ils
auraient k faire. Je leur dis c^u'avec ces
lettres ils iraient oti ils voudraient, mais
qu'ils auraient k se pourvoir de patience;
je leur recommandai de bien se penetrer
du but de leur voyage, parce que s'ils n*a-
vaient pas d'autre mission que celle de
precher, les Tartares n'auraient pas egard
k eux, surtout s'ils n'avaient pas d'inter-
f)rete. Ce qu'il advint k ces religieux, je
'ignore.
Nous atteignimes, le deuxidme diman-
— 291 —
che du careme la source de TAraxe, et,
apres avoir franchi le sommet de la mon-
tagne, nous parvinmes k I'Euphrate ^3 que
nous descendimes en gagnant I'ouest jus-
qu'^ un chateau appele Camalh ^4. La
1 Euphrate coule au midi vers Alep ^^.
Nous traversames le fleuve, en nous diri-
geant vers Touest par de hautes monta-
gnes couvertes de neige tres-epaisse. II
y avait eu 1^, cette annee, un iremble-
ment de terre si ^pouvantable que, dans
la seule ville d'Arsengan, il perit dix mille
personnes de distinction, sans compter les
pauvres dont on ignorait les noms. Du-
rant trois jours, tout en chevauchant,
nous vimes combien le sol s'etait crevasse
dans cette terrible commotion et comment
les monceaux de terre qui s'etaient deta-
ches des montagnes avaient comble les
vallees; k tel point que, si le tremblement
avait ete un peu plus fort, elle se serait ac-
compile a la lettre, cette parole d'Isa'ie :
« Toute vallee sera remplie, et toutes les
« montagnes et les coUines seront abais-
(( sees » (ch- 40).
Nous passames par la vallee oti le sul-
tan de Turquie fut vaincu par les Tarta-
res. Vous dire comment il le fut, serait
trop long. Mais un ami de mon guide, qui
etait alors dans Tarmee tartare, a dit que
celle-ci netait que de dix mille hommes
en tout, et un Georgien, prisonnier du
sultan, a dit que celui-ci avait avec lui
— 292 —
deux cent mille hommes, tons cavaliers.
Cette plaine oti eut lieu la bataille, ou
plutot cette defaite, fut changee en grand
lac par un tremblement de terre, et mon
coeur me disait que toute cette plaine s'e-
tait ouverte pour recevoir le sang des Sar-
razins.
A Sebaste de I'Arm^nie mineure ^^^
nous arrivames dans la grande semaine.
Nous y visit^mes la sepulture des qua-
rante martyrs. II y a la aussi une eglise de
saint Blaise, mais je ne pus my rendre
parce qu'elle ^tait tout en haut dans une
torteresse. Dans Toctave de Paques, nous
vinmes k Cesaree de Cappadoce, oti 11
y a une eglise de saint Basile le Grand.
Quinze jours apr^s, nous entrames dans
Iconium 87; -nous avions voyage ^ petites
journees et nous nous etions reposes en
beaucoup d'endroits parce que nous ne
pouvions pas avoir toujours des chevaux.
Mon guide agissait ainsi par calcul, se
faisant payer tous les trois jours dans cha-
que ville oti nous nous arreiions. J*en fus
tr^s-afflige et n'osai me plaindre, parce
qu'il pouvait me vendre, mescompagnons
et moi, ou nous tuer, et il n'y aurait eu
personne pour s'y opposer.
Je trouvai k Iconium plusieurs Fran-
cais, un marchand genois d'Acre, nomme
Nicolas de Saint-Cyr, et un de ses compa-
gnons de Venise, nomme Boniface de Mo-
lendino, qui avaient emporte tout I'alun
— 29^ —
de Turquie, de sorte que le sultan ne put
vendre quoi que ce till h personne, si ce
n'est k eux deux; et eux en augment^rent
tellement le prix, que ce qui valait quinze
besans, fut vendu cinquante.
Mon guide me presenta au sultan et le
sultan me dit qu'il me fera tr^s-volontiers
conduire jusqu'^ la mer d'Arm^nie pu de
Cilie 88. Alors, le marchand genois dont
j'ai parle^ sachant que les Sarrazins avaient
peu de soin de moi et que j'etais tr^s-fati-
gue de mon guide, qui m'ennuyait chaque
jOur de ses reclamations et de ses exigen-
ces, me fit accompagner jusqu'^ Court,
port du roi d'Armenie. J'y arrival la veille
de I'Ascension-et m'y reposai jusqu 'au len-
demain de la Pentecote. J'appris alors que
des ambassadeurs avaient ete,envoyes par
le roi ^ son p6re. Je fis transporter par jner
nos bagages k Acre, et moi je me rendis
aussitot aupr^s du pdre du roi, pour sa-
voir s'il avait recu quelque nouvelle de
son fils. Je le trouvai k Asi avec tons ses
enfants, excepte un, nomme Barusin, qui
faisait construire un chateau-fort. 11 avait
recu des ambassadeurs de son fils, qui lui
avaient annonce qu'il retournait et que
Mangou-Kh^n avait singuli^rement dimi-
nue le tribut qu'il lui devait, et avait ac-
corde le privilege de ne plus lui envoyer
aucun ambassadeur. Sur ce, le royal
vieillard, avec tous ses enfants et tout son
peuple, celebra une grande fete.
jjjoi, i^ ^^^ fi^ accompagner
Qiiff^^. jfjer^^ ^^ port qu'on appelle
fusq^'l.deli, /e fus k Chypre et trouvai
^'''Lgjemon ministre ou provincial, qui
' ^mt^cna ie m^me Jour ^ Antioche. L'e-
^t^de ctttt ville est deplorable. Nous y
Zss^tties la fete des ap6tres Pierre et
^ui. De 1^, nous vinmes a Tripoli 90 oti
ge tint un chapitre de notre Ordre, le jour
de TAssomption de la sainte Vierge. Mon
provincial decida que je choisirais le cou-
vent d'Acre, ne me permettant pas de
venir vous trouver et m'ordonnant de
vous &rire ce que je voudrais par le por-
teur des pr^sentes. Or, moi, n osant rien
faire contre I'ob^dience, j'ai fait comme
j*ai pu et je vous ai ecrit, demandant par-
don k votre incomparable mansuetude, et
de ce que j'aurais pu dire d*inconvenant,
de trop ou pas assez, etant peu lettre et
DuUement habitue k ecrire ae si longues
histoires. Que la paix de Dieu qui sur-
passe toute intelligence, garde votre eoeur
et voire esprit. Je vous aurais vu volon-
tiers et quelques amis particuliers que j'ai
dans votre royaume. C'est pourquoi, si
Votre Majeste n'y trouvait aucun incon-
venient, j'oserais vous supplier d*ecrire k
mon provincial de me laisser venir aupr^
de vous, k la condition de retourner sans
retard en Terre- Sainte.
(P. S.) De la Turquie, vous saurez que
la dixieme partie des habitants n'est pas
— 295 —
sarrazine ; presque tous sont Armeniens
et Grecs. Ce pays est gouverne par des en-
ianjLs. Le sultan, qui fut vaincu par les
Tartares, a une femme legitime qui est
d'Iberie et dont ii a eu uii enfant bien
chetif ; celui-ci sera sultan apres lui. II en
a eu un autre d'une concubine grecque.
qu'il a passee k un puissant amiral; il en
eut un troisieme d'une femme turque,
avec qui Turcs et Turcokmans s'etaient
affilies pour conspirer contre la vie des en-
fan ts des Chretiens.
lis avaient resolu encore, ainsi que je
I'appris, de detruire apres la victoire tou-
tes les eglises et de tuer quiconque ne
voudrait devenir Sarrazin ; mais ce fils fut
vaincu et beaucoup des siens furent tues.
II reunit son armee une seconde fois; mais
alors il fut fait prisonnier et jete en pri-
son. Pacaster, le lils de la femme grecque,
obtint de son demi frere que celui-ci le
laissat porter le sceptre de sultan, parcc
que I'autre qui etait chez les Tartares etait
d'une constitution delicate. Mais tous ses
parents du cote maternel, Iberiens ou
Georgiens, ont ete indignes de cette con-
duite. De sorte qu'un enfant regne au-
jourd'hui en Turquie, ayant peu de finan-
ces, peu de soldats et beaucoup d'ennemis.
Le fils de Vastace est faible et est en
guerre avecle fils d'Assan, qui est aussi un
enfant et sous la domination des Tartares;
et si I'armee de I'Eglise devait entrer en
— 29^ —
Terre-Sainte, il serait done tr^s-facile de
conqudrir tous-ces pays et de les traverser.
Le roi de Hongrie n'a pas plus de trente
mille soldats. De Cologne a Constantino-
ple il n'y a pas plus de quarante journees
de marche en chariot. De Constantinople,
il n'y a pas autant de journees jusqu'au
pays du roi d'Armdnie. Autrefois des
nommes braves ont traverse ces contr&s
(i!Oo) et y ont remporte des victoires,
quoiqu'ils eussent eu de vaillants guerriers
a combattre, dont Dieu a deiivre la terre.
11 n'est pas necessaire de courir les dan-
gers de la mer, ni d'etre ^ la merci des ma-
rins ; ce qu'il faudrait payer pour armer
des navires suffirait aux depenses du
voyage par terre. Je vousdirai confidentiel-
lement que si vos paysans, — je ne parle
pas des rois ni des chevaliers, — voulaient
marcher comme vont les rois des Tartares
et se contenterde la nourriture de ces po-
tentats, ils deviendraient les maitres du
monde.
II me parait inutile qu'un religieux
comme moi, ou que des tr^res precheurs
ailient desormais en Tartaric ; mais si le
pape, qui est la tete de tous les Chretiens,
voulait y envoyer d'une manidre convena-
ble un ^veque et repondre k toutes les let-
tres que le hk^n a dej^ trois fois adressees
aux Francais (la premiere au pape In-
nocent IV, d'heqreuse memoire, et la
deuxi^me, a vous; la troisieme fois, par
-- 297 —
rintermediaire de David, qui vous a
trompe, et enfin par moi), il pourrait dire
au khan tout ce qu'il voudrait, et executer
tout ce qui est contenu dans ses lettres. Le
khan ecoute volontiers tout ce que dit un
ambassadeur, et demande toujours s'il n'a
rien k ajouter ; mais il importe que celui-
ci ait un bon interprete et meme plusieurs,
et de I'argent ^ depenser. etc.
19
/
NOTES
HISTORIQUES ET GEOGRAPHIQUES
I
NOTES GHiOGRAPHIQUES
POUR LE
VOYAGE DE GUILLAUME DE RUBROUCK
EN ORIENT
Page 4, I. Cest le Pont-Euxin, aujourd'hui la
mer Noire, nomm^e quelquefois au moyen age
a mer Majour » et « mer Gregnor » par Marco
Polo. Cette mer a donnd son nom k une contrde
de I'Asie mineure et a Tancien royaume de Pont,
dont Mithridate etait le roi. Elle est entre la pe-
tite Tartarie et la Circassie au nord, la Gdorgie k
Test, la Natolie au sud et la Turquie d'Europe a
I'ouest.
P. 4 , 2 . LisejjT : Celle-ci . qui est nommde 5i-
nopolts. Cest aujourd'hui Sinope, ancienne et fa-
meuse ville de la Natolie, a)rant plus de 60,000
habitants , tr^s -forte par sa situation sur I'isthme
d'une presqu'ile, ou il y a un bon port sur la mer.
Noire.
P. 4, 3. Lise:^ : Celle-la est une province que
les Latins nomment maintenant Cassaria. Cest
aujourd'hui la Crimee, province de la Russie.
— 302 —
p. 4,4. Province d'Asie qui fait partie de la
Perse et de la Turquie asiatique, aux environs du
Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne.
Sa partie pccidentale comprend trois d^partements
du cotd de la mer Noire ; ce sont : la Mingrdlie,
rimirette et le Guriel dontse composait Tancienne
Colchide. Sa partie orientale, qui est soumise au
shah de Perse, comprend le Carduel au midi et le
Caket au nord. Cest ce qu'on appelait autrefois
riWrie asiatique.
P. 5, 5. Cest Sdbastopol en Crim^e. Mais des
auteurs prdtendent que c*est a Ankara ou Angora,
ancienne villc d'Asie, dans la Natolie. que saint
Clement aurait 6i6 martyrise. D'abord son mar-
tyre n'est pas certain, et s'il fallait traduire Ker-
soita par « Angora », le recit de Rubrouck serait
difficile a comprendre. Saint Paul parle de saint
element dans son dpitre aux Philippiens: « Eiiani
tt rogo , et te, Germane compar^ aajuva illas quce
tt mecum laboraverunt in Evangelio cum die-
« mente. »
P. 5, 6. Soudak, ville de Crim^e, situde entre
Cafia et le cap Inkermann Quelques-uns la pren-
nent pour I'ancienne Lagyra que d*autres placent
a Camba, petite ville situ^e, comme Soldala, sur
la cdte de la mer Noire
P. 5, 7. Cotone she Bombasio. Jacques de Vi-
try (lib. i, c. 84. Necrolog. Ambian. Ecclesice)
dit que certains arbustes produisent le bombax
que les Franfais appellent « coton ». Ce produit
tient, pour ainsi dire, le milieu entre la laine et le
lin. V. DucANGE, V" Bombax el Wambax.
P. 5, 8. Cetait anciennement une petite ville
de la Sarmatie , en Asie , appelee primitivement
Hermonassa. Ce n'est aujourd'hui qu'un village
de la Circassie, situ^ sur la mer Noire, pres du
d^troit de Caftk.
— 3o3 —
P. i), 5. Cest aujourd'hui le Don qui prend ta
source a 2? lieucs au sud de Moscou, pies du lac
J wan, coule du nord au sud et se jette dans la
mer d'Azof , autrefois les Palus-Meotides , que
Guillaume de Rubrouck ne distingue pas encore
de la mer de Pont, car il consid^re ce que nous
appelons aujourd'hui la mer d*Azof comme dtant
le Don lui-m6me.
P. 6, 9 Cest le pays des Ziques, peuple libre
aux environs du Caucase.
Plan du Carpin place au sud de la Comanie les
Zikkes, branche occidentale des Tcherkesses, d6]k
connus des anciens sous le nom de Zygiens ;
Strabon les appelle indifferemment Zygoi ou
Zygioi. D*AvEZAC, ^it. de Carpin.
P 6, 10. Ce nom signifie « Table », k cause
de sa figure. Cest une grande et celebre villeavec
un port sur la mer Noire, au pied cl*une monta-
gne de la Natolie. Elle a ^te bdtie par les Grecs et
nommee Trapezus. Capitale d'un empire fondd
par une branche des Comn^nes de Constantino^
pie. elle perdit ce rang lorsqu*elIe fut prise par
Manomet H.
P. 6, 1 1 . Probablement Arzengan, ville au sud
de la mer Noire, dans la ^fatolie et sur TEu-
phrate. k 40 lieues sud-ouest d'Erzeroum .
P. 6, 12. Province de la Turquie d'Europe,
borndc au nord par la Moldavie et la Transyl-
vanie, k Test et au sud par le Danube, a Touest,
par la Transylvanie.
P. 6, 1 3, Province de la Turquie d'Europe, bor-
nde au nord par la Valachie , k Test par la mer
Noire , au sud par la Romanie , k Touest par la
Servie. Sophie en est la capitale sur la riviere de
Bojana.
— :)04 —
P. 6, 14. Prince tartare, fils de Batou, petit-fils
de Genghis-Khan.
P. 8, 1 5. II y a dans le texte herbergia^ et
Joinville traduit ce mot par ttheberge », pavilion :
« J*alai en sa heberge pour le veoir. » Herber-
gidt dans le Glossarium theotiscum de Lepsius,
est synonyme de castra. Dans le Roman de la
guerre de Troyes^ a herberge » signifie « tente » :
Quant des nez sont les gens issues,
Et les herberges ont tendues.
Dans le glossaire saxon de Somner, herbergia
dquivaut a u station, demeure, mansio ».
P. 0, 16. Le meme fait a ^t^ constat^, en
1 534,' par Augier-Ghislain de Busbeke, ne en
1 522 a Comines en Fiandre. et ambassadeur du
roi de Hongrie a Constantinople : a La Cherso-
nese taurique », dit-il, a est habitue par une race
d'hommes dont j'ai souvent entendu dire que le
langage, les mccurs et la physionomie accusent
une ori^ine germanique. Le Tartare que j'ai in-
vito a diner etait de haute taille et d'une simplicite
ingdnue, de sortequ'on I'auraitpris pour un Fla-
mand ou un Hollandais. Cetie race est belliqueuse,
n'a pas de livres et fait prdceder en parlant tous
les substantifs de Tarticle tho ou the. Le Tartare
nommait le pain, comme en flamand, brod; mai-
son, huys; ecurie, stal; vignoble, wyn^aert;
pluie, re gen ; argent, silver; bid, horn; poisson,
fisch; tete, hooft; yeux, oogen; dtoile, stern; so-
leil, ^om; lune, maen; chariot, wagen; pom me,
appel; venir, komen; chanter, siwg^ew. » Lettrcs
du baron de Busbec. Paris, 174S.
P. 9, 17. Le pays des Comans dtait situd au
nord de la mer Noire et de la mer Caspienne ; ii
a formd le gouvernement d' Astrakhan. Ii est ar-
rosc par les quatre grands tleuves ; le Dnieper, le
Don, le Volga ei le Jalk,
— 3o5 —
p. lo, 18. Monnaie d'argent, valant un i>eu
plus de vingt-cinq centimes, en usage en Grece
et en Syrie.
P. 16, 19. Lait de jument.
P. 23, 21. V. Marco Polo, liv. vii, ch. 47.
P. 2^, 22. La Moska, qui se jette dans le Volga.
Cette riviere passe a Moscou.
P. 27, 23. Kirghi:{, dans le Kiptchak. Les Kir-
ghis sont des Tartares inddpendants qui habitent
le nord du lac Aral et de la mer Casplenne ; ils
continent au gouvernement d'Orenbourg.
P. 47, 25. Les Alains, d*origine scythique, ha-
hitaient dans les environs du Caucase. lis avaient
envahi TAsie avant le commencement du gua-
trieme si^e, et, au cinquieme, T Europe meridio-
nale. V. Alanie, dans mon livre sur V Extreme-
Orient,
P. b3, 26. NepasconfondreavecM Portedeferw.
P. 54, 27. Le Volga, fleuve qui prend sa source
dans la Russie d'Europe et se jette dans la mer
Caspienne.
P. 63, 28. Les Moscovites.
P. 64, 20. Les Morduins, peuple tinnois, dont
les descendants, repandus dans les gouvernemenis
de Kasan, de Simbirsk, de Penza, de Saraiow,
d'Astrkahan et d'Orenbourg, sont, de nos jours,
encore ddsignes par les Russes sous leur nom de
Mordvi. D'Avezac, edit^ de Plan du Car pin ^ p. 9*3.
P. 64, 3o. Un voyageur moderne les decrit apeu
pr^s comme Marco Polo : « Le domainedes Kirghiz
est le plateau de Pamir, lequel, ayant pour con-
irefort le Thibet, descend en penie au nord vers
iq*
<
— 3o6 —
Kokan, ayant les possessions chinoises k Test^ et
Tapre contr^e qui alimente les rivieres de TOxus
et du Sirr k Touest. Leur langage ne dift'^re pas,
ou seulement a un faible degrd, de ceiui qui est
parl^ a Koundouz. lis reconnaissent la suzerainete
de Kokan et payent untributa son chef, mais avec
la Chine et le Thibet ils sont constamment en
guerre mortelle, ou, ce qui est la meme chose, ils
volent tous les individusdel'uneet I'autre contree
qui tombent sous leurs mains. »
P. 64, 3 1. Peuple voisin du Dagestan, aux en-
virons du Caucase.
P. 6j., 32. La ville de Derbent. a Cette ville «,
dit C. d'Ohsson, a garde le defile le plus fr^quente
du Caucase, celui qui est formd par Textrdmite
orientale de cette chaine et par le rivage de la mer
Caspienne. EUe est assise, en partie, dans une
petite plaine, au bord de cette mer; en partie,
sur le penchant assez escarp^ d'une montagne que
la citaaelle couronne. Ses murs, llanquds de tours,
ont 120 piedsde haut et 9 pieds d'dpaisseur. Une
porte de fer, qui defend au nord Tentr^e de
cette ville, lui a fait donner le surnoni de Porte
de Fer, Derbent signifie , en persan, defile et bar-
Here. » (Voyage aAboul-el-Cassim^ p. 160.)
P. 66, 33. Comte de Flandre et empereur de
Constantinople.
P. 68, 34. Mongols, Tartares.
P. 75, 35. a Le Qara-Khithfiy », dit M. d'Ave-
zac, a est bien connu par les r^cits Jes auteurs
orientaux ; on sait que ce fut un Etat fond^ au
xii« si^cle, a Toccident de leur ancienne patrie,
par des rdfugies khitans qui avaient successive -
ment dmigre, les uns. a la suite d'une insurrec-
tion promptement reprimee , les autres pour
echapper a la domination conquerante des Kins
ou Tchourtches ; ils s'dtaient d*abord avancds vers
— 3o7 —
Jes froniieres des Qyrqyz, mais ils avaient etd re-
pousses et s'^taient cantonnds sur les bords de la
riviere Jymyl, et y avaient bati une ville. » (Edit,
de Plan du Carpin^p. 120.)
P. 76, 36. Plan du Carpin nomme ce peuplc
Nayman. « Raschyd indique la position geogra-
phiquedu territoire des ^«aImans », ditd'Ohsson,
deins VHisioire des Mongols. « II comprenait dans
son dtendue la chaine du grand Altai et les monts
Caracouroum, ainsi que les monts Elouy Serass,
le lac Ardisch Saissan , le cours du fleuve Ardisch,
les nionts qui courent entre ce fleuve et le pays
des Kirguises. 11 dtait borne au nord par ce der-
nier pays , a Test par le territoire des Keraltes ,
au sud par TOuigourie , et k I'ouest par le pays
des Cancalix. »
P. 76, 37. Plus connu sous le nom de Pretrc
Jean. V. men livre sur V Extreme-Orient. —
V. Eclaircissements historiques sur le Pretre Jean^
p. 1 5 1, dans I'ddition de Plan du Carpin, par
M. d*Avezac.
P. 76, 38. Caracorum ou Kara-Koroum , ville
situee au 49* parallele, au nord du desert de Gobi,
au midi de la Selinga^ sur la rive septentrionale
de rOrkhon, un des affluents de la Selinga, a
Touest du pays des Mongols et a Test des monts
Altai ou monts d'Or. V. mon livre V Extreme"
Orient, art. « Caracorum », dans Tlndex gdogra-
phique.
P. 7G, 3q, Merkit ou Merkyt, ainsi orthogra-
phic par les historiens musiilmans. et transcrit
Mer^hed par M. Schmidt, d'apres le texte mongol
de Sanang-Setsen, est le nom bien connu d'une
puissante tribu qui habitait les rives de la Selen-
kah et du lac Baikal, entre les Tar tares a Test et
les Naymans a Kouest. D'Avezac. Edit, de Plan
du Carpin, p. 137.
— 3o8 —
P. 86, 40. Chambrier de France, fils de Ma-
ihieu, deuxieme du nom, comte de Beaumont-sur-
Oise. et d'Alix de Beaumont, dame de la Queue.
11 epousa Gertrude de Soissons , fiUe ainee de
Raoul, comte de Soissons et d'Alix de Dreux ; en
secondes noces, IsabcUe ou Elisabeth de Garlande,
veuve de Guy le Bouteillier, seigneur d'Ermenon-
ville el lille de Guillaume de Garlande, seigneur
di Livry et d'Alix de Chatillon, dame de Clichy-
la-Garenne. Anselme. Maison rqyale de France,
t. VI, p. 397.
P. 94, 41. Probablement la riviere OuraL
P. ()Sj42, DeiUeronome, 32, 21.— Rom,, 10,
ly.
P. 102, 43. Sur Talas, v. Quatremere, Notices
des maiiuscritSf t. XllI, p. 224a -zab. Note, in-4°.
i838. Notice du Mesalek,
P. 104, 44. S\xT Organunif v. d'AvEZAC (edit, de
Plan du Carpin, p. in a 116), qui discute Topi-
nion de M. de Froehn sur la synonimie geogra-
phique d'Orna, d'Urgandsh, d'Ourghenj) et de
Tana.
P. io5, 45. « Au sud-ouest de la Tartarie, s'eten-
dait le pays des Huiurs, dans lesquels il est aise
de reconnaitre ces peuples ougf^ hours j de race
turke, dont la civilisation, importee chez eux sans
doute, avec I'alphabet et le cnristianisme , par les
Nestoriens venus de Syrie, se repandit ensuite
chez les Mongols, et enfin jusque chez les Mant-
chous, dont Falphabet conserve encore des formes
cjui trahissent leur origine syriaque. » D'Avezac,
edit, de Plan du Carpin, p. 12b.
P. 107, 46. Statue de Bouddha.
P. 119, 47. Le Tangut^ pays situd a I'occident
du HOf ou fleuve jaune de la Chine, u Le nom de
— :)09 —
TangUout w , dit Klaproth ( Journal asiaiique ,
t. XI, 462 et suiv.) , a est deriv^ de celui de la
frande nation tubdtaine, appelde, dans les annales
e la Chine, Thang-hiang. Cetaient des descen-
dants des San-Miao, ou anciens habitants primi-
tifs de la Chine, qui furent repousses par les Chi-
nois dans les pays du lac de Khouknou-Noor et
du Tubet oriental. Les Thang-hiang, ainsi que
leurs parents, les Thang-tchang et les Pe-lang,
se vantaient, comme tous les Tubetains. de des-
cendre d'une grande esp^ce de singes, lis occu-
perent primitivement le pays de Sy-tchi, situ^ a
I'ouest du d^partement actuel de Lin-thao, de la
province chinoise de Kan-su. Ce pays est traverse
par le Houang-ho avant qu'il entre pour la pre-
miere fois en Chine. »
P. 121, 48. « Le pays des Thibdtains », dit un
geographe arabe (Notices et extraits des manus-
critSj t II, p. 41 o), ddcrit ainsi le Thibet : Ce pays,
qui confine d'un cot^ a la Chine et de Tautre aux
indes. a d'^tendue un mois de marche, et est
rempli de villes et de villages ; le sang y est vif, et
le peuple debauch^ et livre au plaisir. On y irouve
des mines de soufre rouge et Tanimal qui produit
le muse; celiii-ci ressemble^ la gazelle, mais il a
deux dents comme celles du cochon ; c*est le meil-
leur muse. »
P. 12 3, 49. « Au nord-est, le pays des Tartares
etait borne par le pays des Kitans et celui des So-
Icingues ; les premiers sont d'origine inconnue,
suivant Klaproth .. Les Solangues sont les habi-
tants du nord de la Coree, appeles Solonghos par
les Mongols, et dont le pays est nomme par Res-
chyd-elOyn sous la forme Souldnkgald.n D'Ave-
ZAC, edit, de Plan du Carping p. 12D.
P. 125, 5o. Probablement « les Moungs , tribu
nombreuse », dit M. Pauthier (^dit. de Marco
Polo, p. 408), « rdpandue encore aujourd*hui dans
la partie meridionale de la province chinoise du
— 3io —
Yun-nan, sur les frontieres du Thibet, dans Tem-
pireBirman, a Siam etdans la partie septentrionalc
de la Cochinchine. Les Moung ou Mong se sont
rdpandus meme jusque dans le Pegou, qui est au-
jourd'hui une possession anglaise,dont ils forment
I'ancienne population, etdans les provincesdu Mar-
taban. ils secionnenta eux-m6mes le nom deMon;
mais leursvoisinslesappellent Zia/zew, «originaires
de Ta-lir\, dans le Vun-nSn, ce qui constate
pleinement leur identity. Leur langage differe com-
pletement de celui des Birmans ct des Siamois. »
P. 128, 5i. Dix marcs, monnaie equivalant a
cinq francs.
P. 128, 52. Peking.
P. 104 et 1 36. Cailac, Coilac, Caalat. Cailat.
C'est probablement la ville que Marco Polo
nomme Calatuy. « Ce nom », dit M. Pauthier,
« est vraisemblablement celui du lieu ou Dchin-
ghis-Khan mourut, et que Thistoire mongole
nomme « son camp de Caratouski », a 12 lieues
environ de la ville cantonale actuelle du Kan-
suhy nommd Thsing - choui, « eau pure », en
mogol : Sari-gool, »
P. 145, 53. Nom corrompu del'empereur grec
Jean Vatale, gendre de I'empereur Theodore Las-
cans. V. DucANGE, Families byiantines,
P. 149, 54. Afarco PolOy liv. i, chap. 10.
P. 167, 55. Le Pont au change. II y avait I^
des boutiques d*orf^vres.
P. 162, 56. Erzeroum.
P. 170, 57. Calen signifie « dame »; Coiota est
le nom propre de la dame.
F. 190, 58. XhovL'EL-CHAZYf Hist, genealog.
— 3ii —
des Tartares, p, 104; et dans Klaprotit, Mem.
relatifs a I'Asie, t. 1, pp. 464, 465. — D'Ohsson,
Hist, des Mongols, t. 1, not. 4, p. 427. — Ham-
mer, Extraits de Raschid— Eddin. dans le Nouveau
journal asiatique, t. IX, p. 522. — Aboul-el-
Feda, Geographies dans la table du Turkestan,
vers la fin. — Klaproth, dans le Noupeau jour-
nal asistique, t. XIV, pp. 352, 353, et dans les
Memoires relat. a VAsie, X. I, p. 471.— Remusat,
Langues tartares^ p. 239. — Stralenbergh,
Descrip de Vempire russien, t. II, pp. 175, 176.
— D*Avezac, edit, de Plan du Carpin, in-4', p.
1 36.
P. 190, 59. Dans le Kiptchak.
P. 192, 60. S'agirait-il ici des Esquimaux (
Witsen, dans son Noord en oost Tariaryen^ in-f",
2" part., p. 67, dit qu*il a existd des relations en-
tre les Mongols et le nord de rAmerique. V. no-
tre livre VExtreme-Orient, p. 34.
P. 192, 61. Le tumen est une monnaiequi vaut
10,000 marcs d'argent. Dans Marco PolOy liv. 11,
ch. 69, 11 vaut 80,000 florins d'or.
P. 200, 62. Proverbes, 10.
P. 22 3, 63. Mangou-Khan etait fils de Tuli-
Khan et petit-fils de Cinghis-Khan.
P, 223 , 64. Cest le pays que Marco Polo
nomme Mulette, ou, dit-il, avait coutume de de-
meurer le Vieux de la Montagne avec ses Assas-
sins, « Le siege principal de ces redoutables sec-
taires ^tait la forteresse d^Alamout, situee a 37"
de latitude N. sur 48' environ de longitude E., et
dont le nom signinc : le Nid de Vaigle. Ellc fut
prise et en partie detruite par Houlagou , le 20
decembre i256. w V. D'Hosson, Hist, des Mon-
gols, t. Ill, p. 199.
— ^12 —
P. 226, 65. Nom d*une ville d^Egypte, a deux
milles du Caire.
P. 272, 66. Sard (Saral ou Saray\ ville sur le
Volga, appelee autrefois Sarai, une des deux resi-
dences principales des khans mongols du Kip-
tchak, batie par Batou-Kbdn qui lui donna ce
nom, signitiant u palais », en mongol.
P. 272, 67. a Samarkand y ville tres-ancienne.
C^tait la Marakanda des historiens grecs, ou,
dans un banquet, Alexandre fit p^rir Clitus de sa
propre main. Dans les premiers temps de la C9n-
lamisme comme une ville sainte ; aucun souve-
rain de Bokhara n'est consid^rd par les habitants
du pays comme un legitime souverain, s'il ne
possecle Samarkand. Elle ^tait la capitale de Ti-
mour, dont on y voit le tombeau. Elle est bien
ddchue depuis cette dpoque; quelques colleges et
quelques autres ddinces existent encore, dont
quelques-uns sont d'un beau genre d'architec-
ture, entre autres celui qui ^tait originairement
Tobservatoire du c^lebre astronome Ouloug-Beg.
La fabrication du papier fut introduite en Eu-
rope, de cette ville, a I'dpoque de la conquete des
musulmans, vers 710 de notrc ere. » Pauthier,
Edit, de Marco Polo ^ p. 137.
P. 280, 68. Est-ce Samarah, ville batie, en
834, par Motassen qui y fixa son sejour et la ren-
dit la capitale de I'empire des Arabes?
P. 281, 69. Samag. Est-ce Samachi, ville de
Perse i
P. 281, 70. Koura, fleuve de la Gdorgie, qui
prend sa source au Caucase et se jette dans la
mer Caspienne. C'est Tancien Cyrus,
— 3i3 —
P. 281, 71. « Tiflis, sur les rives de la Koura,
date du cinquieme siecle de notre ere. Batie en 469
par le roi Vaktang-Gougarslan (loup-lion), sous
le nom de Tphilis (ville chaude), nom qui lui
vient de ses eaux thermales; elle fut souvent ra-
vagde par les guerre < et occupde par les musul-
mans. Aga-Mohammed, khan de rerse, la ddtrui-
sit enlierement en 1795. Elle renfermait alors une
population d'environ 16,000 habitants.
tt Tiflis compte aujourd*hui 72,000 ames. Elle
a des places, des monuments, de larges rues, et
presente le double aspect de la ville orientale et
de la citd d'Occident. Sa situation n'est point heu-
reuse : elle est assise au fond d'un entonnoir, au
pied de monts arides qui contrasient avec la splen-
dide verdure des montagnes. » De Villeneuve,
la Georgie, p. 44.
P. 281, 72. Riviere d'Asie qui prend sa source
aux frontieres de la Turquie asiatique, du cot^
d'Assanld, traverse TArmenie, une partie de la
Perse et se jette dans la Koura ou le Kur.
P. 281. 73. Le pays des Turcomans, dont la
partie occidentale appartient au Turc et Torieniale
au Persan. Les anciens ArmtSniens sont Chretiens
et passent pour de tres-habiles commerfants.
P. 281, 74. « La Georgie, enclavde dans les ra-
mifications du Caucase, est sdparee, au nord, de
la Circassie, par la grande chaine caucasienne ;
ses c6tes occidentales sont baigntJes par la mer
Noire ; au sud, elle confine a TArmenie, et a Test
au Dagesthan. Elle renfermait sept grandes pro-
vinces : les trois royaumes de Kartnli ou Kar-
thalini, ou Carduel, dont Tancienne capitale.
Mtzkheth, a ete remplacee par Tiflis de Kaketie
ou Kaketh ; Telaf en est la principale ville d'lme-
r^thee, qui a pour capitale Kutals; et les souve-
rainetes de Mingrelie, de Gourie , de Swaneth et
de Saniketh. » De Villeneuve, la Georgie, p. 41,
i
mm
— 3i4 —
P. 2^2, 7 3. « A Testde la Comanic ctait le pays
des Kangites^ que nos voyageurs traversfereni en-
suite : c etait une contrde piate, remplie de la-
gunes saldes et de marais, mais ddpourvue d*eau
douce et n*ayant, par suite, que peu d*habitants;
ceux-ci, comme les Comans, vivaient de leurs
iroupeaux et couchai«nt sous des tentes, et comme
eux aussi ils avaient ete en grande partle ddtruits
ou expuls^s par les Tartares. Abou-el-GhSzy les
mentionne sous le nom de Qanqlys, qui leur est
aussi donn^ par Rubruk; rhistorien tartare ex-
pose leur origine turke et Tetymologie de leur de-
nomination, qu il fait venir de Qanq, un char a
roues criaides; Constantin Porphyrog^nfete les
appelle Kangar et les identifie aux Patzinakites,
que les gdographes arabes appellent Bedindk, et
les Turks, Petchneg. Anne Comn^ne dit ae ceux-
ci qu'ils parlaient la meme langue que les Co-
mans, et Rubruk dit express^ment que les Canglis
faisaient partie des Comans. Klaproth ^nonce que
plusieurs hordes des Noughays, reprdsentants ac-
tuels des Petchneg, conservent encore le nom de
Qanqly et font paitre leurs troupeaux sur les
tcrres des anciens Comans. » D'Avezac, ^it. de
Plan du Carpin, p. io3.
P. 283, 76. Tauris, seconde ville de la Perse.
Elle est grande, belle, bien peupl^e et tr^s-mar-
chande. On y compte plus de 3oo,ooo habitants
et il y a plusieurs mosqudes remarquables. Cette
ville est Taboutissant des caravanes qui viennent
de la Turquie. Fond6e en 791 par Zobeideh,
I'emme du tameux khalife Haroun-al-Rf«chid, elle
fut devastee par les Turks en i532. Elle est au-
jourd*hui le chef-lieu de la province persane de
rAzerbaidjan.
P. 284, 77. Er:^e-Roum, pres la source de TEu-
phrate, est une grande ville batie dans une plaine
tres-fertile de la Turquie d'Asie. Elle a un cha-
teau dont les murs, comme ceux de la ville^ sent
— 3i5 —
de boue sdcbde au soleil. Elle est, du c6tc nord,
tortitide d'un precipice qui en empeche I'acces.
P. 284, 78 Le Tigre prend sa source en Ar-
menie, ii entre ensuite sous terre et, au nord de
Diab^kir, il sort d*une caverne avec grand bruit
et coule a Test du Diarbeck ou de la Mesopotamie.
P. 284, 79. Naksivan, Nacchivan ou Nassivan,
ville d*Arm^ie, capitale d*une province du meme
nom, a 43 iieues S.-E. d*Ervian. Long. 64, 34;
Jat. 38, 00.
P. 287, 80. Ville d'Armdnie, k deux Iieues d'E-
rivan. Cest probablement la ville ou fut baii le
monastere d'Ecmiasin, le sdjour du patriarche des
Armdniens de Perse.
P. 289, 81. Marco Polo nomme cette ville Ar-
senga, Cette ville est nommde en persan Ar;^en-
gdn et en arabe Ar:^endjdn, « Nous arrivames a
Arzendjan », dit Ibn-Batoutah, « qui est du nom-
bre des villes du prince de \ Irak. Cest une citd
grande et peuplee; la plupart de ses habitants
sont des Armeniens et les musulmans y parlent la
langue turque. ArdzendiSn possede aes marches
bien disposes ; on y faorique de belles dtoft'es,
qui sont appelees de son nom. II y a des mines de
cuivre, etc. » Voyages, traduits par MM. Defre-
MERY et Sanguinetti, t. 11, p. 293.
P. 290, 82. Ville d'Armdnie.
P. 291, 83. Fleuve qui a sa source dans les
monta^nes d'Arm^nie, pres d'Erzeroum, et coule
a Toccident du Diarbeck. 11 s'unitau Tigrea Corna
ou Gorna, au-dessus de Bassora ou Basra, et se
jette dans le golfe Persique au-dassous de cette
ville.
P. 291, 84. Cest probablement la ville que
Marco Polo nomme Lamadi et que M. Pauthier
— 3i6 —
suppose cire Khoch-Abad, tiguree dans les Jtine-
raires du voyage en Perse d'Adre Dupr^, entre
le 28* et le I'q' degre de latitude nord, et entre le
53« et le 54«'de longitude orientate , environ 80
lieues au sud-ouest de Kerman, a Touest de la lon-
gue chaine de montagncs qui sdparent le bassin
du Kerman du Farsisian.
P. 291, 85. Ville de Syrie, sur la riviere de
Koeic.
P. 292 , 86. La ville de Sivas , chef-lieu du
gouverhement de ce nom dans la Turquie d*Asie.
Cetie ville est Tancienne Sebaste d'Auguste. Elle
souiint un si^e opiniatre conire les Romains et
fut ddtruite par Tamerlan en 1400.
P. 2Q2, 87. La ville de Koniah ou Kounieh, au
sud de KaYsarieh dans la Turquie d* Asie. Au temps
des croisades, elle ^tait la residence des princes
turcs Seljoucides, et le pacha de la province de
Karamanie y demeu rait dans une forteresse. Vivien
de Saint-Martin dit qu*Iconium fut la capitale du
royaume de Karaman.
P. 293, 88. Probablement Vltch-ili^ nom que
les Turcs donnent a la mer de Cilicie.
P. 293, 89. Lay as ^ port de la Turquie d*Asie,
sur le golfe d'Alexandrette. Des ruines font sup-
{)oser que celte ville occupe Templacement de
*ancienne Egee.
P. 294, 00. TaraboloSj selon la prononciation
turque ; ville de Svrie , a une demi-lieue de la
mer, ceiebre dans rhistoire des croisades.
INDEX ALPHABETIQUE
DKS NOMS DES PKRSONNES F-T DE LIEUX
I
INDEX ALPHABETIQUE
DES NOMS DES PERSONNES ET DE LIEUX
f\, »/ *-V/ r\^\^\r
Aas, 49.
Acacron, 285.
Acias, 49.
Acre, 69, 292, 293,
294.
Adam (eveque), xiii.
Afrique, 58, 283.
Agneau pascal, 173.
Aira, apra ou agra, 43.
Alains, 49, 54, 79, 80,
81, 273, 277, 278,
279.
Alanie, 54.
Alaur, 64.
Albania, 81.
Alep, 29 c .
Alexandre le Grand, 64,
81, 94, 279, 281.
AUemands, 61, 63, 255.
Alphonse de Castille,
IV.
Anacharsis fran^ais, xi.
Angleterre, xv, xxvi.
Antechrist, 240.
Antioche, 75, 294.
Arabes, 193.
Arabucha, 223, 224,
225.
Ararat, 281.
Araxe, 281, 282, 283,
284.
Arcax, 278.
Ardres, x.
Q
^20 —
Argou, 283, 284, 287.
Armenie, i63, 180, 243,
267, 271, 272, 281,
286, 292, 293, 296.
Arm^niens, 68, 173,
174, 180, 196, 201,
284, 286, 288, 295.
Arscngan, 291.
Arserum, 162, 284.
Artal ou Artax, 26.
Artois, IV, viii.
Ascar, 6.
Asi, 293.
Asie, XXI, XXIV, 54, 58.
Assan (pays d'), 6, gS,
295.
Assassins, 81, 22 3.
Auax, 294.
Auchy, VIII.
Auxerre, 137.
Avezac (M. d*), xviii,
XIX.
Bagdad, 214, 2 56.
Baldach, 2 2 3.
Balenberg, xi, xii.
Bapaune, iv.
Barbares, 64.
Bartholom^c de Od-
mone, 9.
Barusin, 293.
Basse-Lorraine, vi.
Basyle, 208.
Batou, 7, 10, 42, 38,
59, 70, 71, 73, 79,
80, 81, 82, 85, 8b,
91, 92, 100, 101,
102, io3, 104, i32,
i33, i36, i3», 146,
i5i, i55, i58, 177,
219, 232, 243, 236,
261, 266, 267, 271,
272, 276, 283, 284.
Baudoin de Hainaut,
xxii, 66, 189.
Baudouin de Henin-
Li^tard, vii.
Beatrix de Rubrouck,
xui.
Beaumont ( mar^chal
de), XXII.
Belgique, xii, xv, xvir.
Belgrade, 223.
Belial, 222.
Belleville, 223.
Belpair, xii.
Bergeron, x.
Bible (la), 68, 71, 92,
171, 177, 209, 23l.
241.
Billets de Ban que en
Chine, 193.
Blacs, 94.
— 32 1 —
Blanche (la reine), iv,
Blandecques, xii.
Blaques, 79,
Bocca ou Botta, 29, 3o.
Bocca (coiffure), 170.
Bolac, 102, 226, 244.
Bombax, 5.
Boniface de Molendino,
292.
Boulogne (comtd de), v.
Boulogne, xii.
Bouddhistes, 109.
Brabant, v, vii, xv, xvi,
xviir.
Bruxelles, xii.
Buchier (L-aurent), 157.
Bulgai, 173, 178, 2o3,
222, 2bi, 263.
Bulgares, 79, 94.
Bulgarie, 27, 64, 80,
82, 94> 9^-
Bulgarie mineure, 6,
79-
Bury, 10 1, 290.
Caala, io5.
Cailac, 104, io3, i3o.
Calais, xii.
Camath, 291.
Cana, 173.
Cangles, 81, 94, 97.
Cappadoce, 292.
Captargac, 18.
Caracatay, 75, io3.
Caracorum, xxii, 76,
78, 107, loq, X17,
127, 145, 146, i57,
189, 2o3, 207, 209,
211, 221, 223, 2b5,
262, 263. 265.
Caracosmos, 22.
Cassel, XII, xvii.
Cathay. 77, 107, 127,
128, 189, 191, 192,
193, 221, 223, 235,
236.
Catota Caten, 170.
Castberg, xii.
Caucase, 94, 10 1, 284.
C^sar, XII.
C^sarie, 4, 5, 54, 292,
Chatelet (le), xxii.
Cheukhan, 85.
Cherkis, 64.
Cherima, 179.
Chinchin,- 191, 192.
Chine, 127, 193.
Chirina, 25 1.
Chypre, 66, x59, 172,
289, 294.
20
— 322 —
Cinghis, 37, 77, 78,
99, loi, ii5, 117,
1 19, i33, 189, 190,
267, 258.
Cocta, 1 83.
Coiac, 65, 68, 69, 70,
71, 73, 267, 269,
274.
Cologne, 296.
Comanie, 207.
Comans, 37, 44, 54,57,
64, 92, 94.
Comaux, 9.
Compi^gne, iii, vi, vii.
Compostelle, 107.
Conkhan^ 75, 76.
Constantinople, xxii, 5,
6, 7> 47» 48» 95.
189, 285, 286.
Corasmins^ 281, 282.
Cosmos, 21.
Cota, 178.
Cotota, 195.
Court (port), 293.
Crac, 1 58.
Crit. 76.
Croisades (les), in.
Cur (fleuve), 281, 282.
Curges, 281.
Curgie, 281.
Damiette, 273.
David le Templier, 66,
297.
David, 178, 201.
Damas, i58, 160.
Danube, 6, f i, 54, 94.
Demugin Cingei, 257.
Don (le), fleuve, xxi.
Domberg, xii.
Dom Devienne, x.
E
Ecriture chinoise, 193.
Ecriture-Sainte, 68.
Eecke, xii.
Egypte, 58, 81, 94,
io3.
Espagnols, 123.
Etilia, fleuve, 54.
Eudes de Montreuil ,
VXII.
Euphrate, 284, 291.
Europe, 54, 58.
Europ^ens, 208.
Eustache (terre d'), 6.
Evangile (1'), 68.
— 323 —
Exode, xxvii.
Extreme-Orient, ii.
Flandre, v, viii, ix, xiv,
XVI^ XXII, XXIII.
Flandre maritime, xii.
Franfais (Ics , 66, 7b,
I JO, 296.
France, iv, vii, xi, xiv,
94, 227, 272, 288
290.
France (cour de), xxii.
Franciscains (les), 111.
Francisque Michel, xv,
XVI.
Franfois d' Assise, viii
Francs, 7, 87, 1 37, 232..
258, 285.
Francs (roi dcs), 160.
Fr^dric(empereur),vii.
Ferrant de Flandre ,
xxii.
Frere Andre, 76, 81,
loi, i32, i33. i59,
233.
Frere Bernard Catha-
lan, 287, 288.
Frere Thomas, 146.
Freres mineurs, ix, 3.
Fumes, xiv.
a
Galilee, 173.
Gand, xiv.
Gauthier , archeveque
de Sens, vii.
Gasarie, 4.
Gazaire, 107.
Genese, xxv.
Gdorgie, 4, 283, 284,
287.
Gdorgiens, 281, 282,
289, 2qi, 295.
Gosset, 89, 271, 273.
Goths, 9.
Grande-Arm^nie, i36.
Grande-Hongrie, iqo.
Grand-Pont, xxii.
Gr^ce, 95.
Grecs, 49, 289, 295.
Grecs, 107.
Grecs, 173.
Grecs, 196.
Grice ou grius, 2 3.
Griut, 3i.
Guillaume de Ru -
brouck, X, xv, xxi,
XXII, XXIII, XXIV, xxv,
XXVI , XXVII , XXVIII ,
3.
Guillaume de Rubruk,
XVIIl.
— 324 —
Guiiiaume de Rubru
quis, X. xviii.
Guiiiaume Gazet, ix.
Guines, xii.
Guy, 6.
Haiman, 76.
Hakluyt, xvi.
Hello (Ernest), xviii.
Hennebert, viii.
Henri de Crdqui, vii
Hesdin, iv, viii.
Hongrie, 27, i53, i86,
207, 2oHy 223, 248,
272, 287, 296.
Hongrois, 49, 80, 92,
94» 9^> 1 38, I Mo,
2b3.
Houthem, xii.
Huns, 94, 95.
lagat (fleuve), 94.
lam, I So.
lamiam, 65.
Iberiens, 295.
Iconium, 292.
lierra, 80.
lilacs, q5.
Inde, 127.
Innocent IV (pape),
296.
lougoures, io5, io6«
117, 121, 193.
Iperp^res, 49.
Isabelle de Hainaut, iv.
Isidore, b4, 81, 190.
Israel, 1x5.
Jacobins, ix.
Jean de Beaufort, viii,
JX, XXIII.
Jean de Neele, vm.
Jean de Rubrouck, xiv.
Jean de Ruysbroek y
XVII.
Jean de Sainte-Alde-
gonde, IX.
Jean (le roi), 76.
Jean Mor, xiii, xiv.
Jeanne de Flandre, ix,
XXII.
Jenny, xi.
Jerusalem, 142, 184.
Jdsus-Christ, xxi.
Juifs, 280, 281.
— 325 —
K
Ken-Khan, i32, i33,
1 34, 248, 238.
Keukhan, 76.
Kersona, 5, 6, 9.
Kerkis, 27, 79, 190.
Kinchat, 100.
Kiptchak, 53, 54, G4.
La Hutte, xii.
Lambert Mor (de Ru-
brouck), XIII.
Lens, IV.
Lesges, ()4, 81, 278.
Li^tard de N^Ues, xiii.
Locre, xii, 12 3.
Lorraine, vii, i55.
Lorrains, 207.
Lougas, 123.
Louis IX, XXVIII.
Lys (la), XII.
M
Mahaut de Brabant, v,
VII
Mahomet, 221, 223.
Maitre Guillaume, i37,
173, 192, 2o3, 204,
206, 207, 2 1 3, 2 1 5.
217, 22}, 226, 233,
236, 253, 255, 565,
266.
Mandchourie, 78.
Mangou -Khan , x viii ,
XXIV, xxvr, XXVII, 76,
77,81,82,88,91,93.
102
ii3
i35
160
164
1-4
i85
197
209
218
226
23l
237
257
267
•I03, 104, III,
i32, i33, i34,
'1 36, 142, 143,
i5o, IDI, l52,
157, i58, i5q,
161, 162, i63,
169. «7i, I73,
177, 180, i83,
189, 193, 196,
20b, 201, 20 3,
2 1 3, 216, 217,
219, 222, 223,
227, 229, 2 3o,
232, 235, 236,
240, 247, 25 1,
258, 259, 262,
271, 279. 283,
293.
290
Mann (rabb^), xi, xii.
Manses, 192.
Mansurah,viii,ix, xxiil
160.
Marguerite de Flandre,
xxin.
Marguerite de Pro -
vence, vi.
Marie de Houtove, xi.
Marie-Magdelelne, 58.
Marsengan, 289.
20'
MassLS. 287.
Masaoure (la), viii.
Malriga, 5, A.
Mer Caspienne, 81, 04,
i8[.
Merdas, Merdini, 64.
Merkiti, 76, aSS.
Mer Majeure, 4.
Metsine, xn.
Methodius, 28S.
Meu, i53, 249.
Michaud, xv.
Moals. i3. 68, 77, 78,
93,99.115, 117,119,
127, 128, 129, 161,
■ 62, 1H9, iqo, 201,
229, 341, 25<J, 261.
Molse, uvii, 45.
Moler, 16a.
Mont-Catael, xi.
Mont^ut; xiii.
Muni-Kemel, iiu
Monipensier, xm.
Mont-R^l, i58.
Monts Caspiens, 81
■j.iii.
Moungs, lib.
Moxel, 27, 6'i.
Muct, 1 1 5.
Muluch, 81.
Muatelemans, iSS.
N
Naimans, '^58.
Nassk (drap), 1 jt.
Naiua, 284, /86, 287.
Nestoriens, 68, 104,
lob, 106, 117, 128,
170, 171, 173, 180,
201, 207, III, 216,
218, 232, 233, a3y,
Nicolas, compagnon de
Guilleume de Ru-
brouck, 9.
Nicolaa de Mailly, vni.
Nicolas de Saint-Cyr,
Nkosie, 124.
Nil, 81. 273.
Nijiivites, 173.
Nord (le), 5, 75, 100,
^.85.
Nord (deparCement du).
■327-
Occident, i58, i6i ,
197, i85.
Ocian, 60, 75. 81, 81,
99, :a8. i3o.
Onankerule, 78, i35,
189.
Ordre de la Cosse de
genSl, VI.
Ordre teutonique, 5i.
Orengay, 190,
Organam, 104.
Orl&ns, 97.
Orient, viri, xii, xivti
3, 107, stJa.
Orientaux, igS, m,
Os biHlis. 175.
Oion, 160,
Oudeghersi, V, ;x, ixiii.
Pacasier, 295,
Pacquot, X, xv, iviii.
Palestine, Xxi, xxil, in.
Palus-Meotides, 54, 60,
Pannonie, gS.
Pape, 55, 86.
f rIF
Pascalir, 94, 95, igo.
Passion (la), 69.
Pays-Bas. ix, x, xn.
Perse, 64, 79, 81, io3,
loS. ibi, 180, a?!,
^79- aSit !i83, 284.
PilS, XV, IVI.
Philippe- A uguste, iv.
Philippe Mouskes. vi.
Plan de Carpin, 86.
Polonais, 95.
Pont (le;, 60.
Pont (le), 6'.
Pont(merde;, 5.
Pont-au-Changt, xxir.
Porte deFer,64, 72,81.
277, 278, 279. *«o.
Prfitre Jean, 117, iSa.
Prusse, 55.
Psaulier de la Reine
(le;,
Purchas, ;
174.
Saint-Jacque$, 197.
Saint-Jean-d'Acre, xxi
Ruben de Wavrin, vci.
Roger de Halewyn, vit,
Rosenberg, xii.
Rubrouck, xi, irir, xiv.
Rubruck, XVII, xviir.
Rubruquis, x, xv.
Ruminghcn, xii.
Russes, 49, 54, 55, iq,
60, 6r, 79, Ho, 8i,
lib, 107, 19J.
Sahcnsa, 21*8,289, ^9°-
Sainl-Bertln. is.
Saint-Corneille, vi, vii.
Saint-ChrisEophe, 106,
Saint-Denis (ville il^),
Sainte-Aldegondc, ix.
Sain (-Francois, x. xti|[,
>59.
Saint-Omer, iv, vii, ix,
Sttinl-Pire, 217.
Sain (-Pierre ad Vin-
cula, 69.
Saint-Sepukre. 287.
Sainte-Sophie. fi.
Sainte-Walburge, xiv.
Salve Regina, 68.
narkhanil. 173.
Samaron, zSo.
Sarrazins, viii, xxi, 7,
5i. 5S, 64, 79, 80,
«^ H') SI" .„n i^X
119, l36.
107,
317. i3o, 231, liq,
273. 27B, 284, 288,
289, 195.
Sartach, xxin. 6. 7, K,
10, 41, 42, 43, 47,
58, 61. lb, 68, la.
70. 73, 76, 80, 88,
89, i36, i37, 2*9,
— 329
232, 259> 267, 268,
273, 274, 277. 287,
290.
S^acatai, 45, 52.
Schayes, xii.
Scythes, 285.
Scythie, 10, 128.
Sdbaste, 292.
Segin, 128.
Seine (la), xxi, 59, 80.
Sentences (les), 71.
Seremon, i33.
S^res, 127.
Sergius moine, i63
Serkis (saint), 173.
Sinopolis, 4, 5, 6
Sirsan (mer), 80.
Slavonic, 6, 95.
Sogur, 2 5.
Soldala, 5, 6, 7, 9, 10,
43, 47) 77-
Solangues, 12 3.
Solin, 190.
Souverain Pontife, 99
Sticha, 1 33.
Summerkeur, 27?.
Su-Moals, 190.
Syrie, 81, 272, 290.
Swartsberg, xii.
Sweertius, xv, xvi.
Tanais (le), 5. 6, 0,
54, 55, 57, 58, 63,
81, 267.
Talas, 1 01.
Tangut, 119, 121, 193.
Tarlares, 4, 6, 10, 11,
i3. 19, 22, 2?, 27,
33. 37, 39, Ai, 45,
47, 5 1, 52, 54, 55,
59, 60. 61, 63, 64,
67, 77* 78, 82. 83,
93, 95, 104, III,
129, i34, 142, J92,
iq5, 208, 227, 248,
252, 256, 262, 271,
273, 2-7, 278, -179,
280, 281, 284, 286,
290, 291, 295. 296.
Tartarie, xxvii, 2 5.
Taules, 192.
Tauris, 283, 287, 288.
Terre-Sainte, vii, 6, 7,
263, 294.
Teutons, 54, loi, 102,
226, 273.
Thdodule, clerc, 159,
160, 161.
Th^rouanne, ix, xiii.
Thibet, 121.
Thibdtains, i23, 193.
Thierry d* Alsace, xi.
Thomas d'Estaires, xin,
Tiflis, 288, 290*
— 33o —
Tigre, 284.
Toussaint, 94.
Tr^bizonde, 6.
Tripoli, 294.
Tuinans, 147.
Tur, 282.
Turcomans, 104, 295.
Turcs, 75, 283, 295.
Turquie. 5, 6, 79, 223,
2 36, 272, 284, 289,
291, 293, 294, 29S.
U
Unc, 76, 77.
V'alachie, 6.
Valains, 54-
Valanie, 34.
Valaques, 79, 94.
Valere Andre, xv, xvi.
Valzane, 143.
Vandales, 04.
Vastace, 227, 289, 295.
Vaucouleurs, vii.
Venise, 292.
Vin de Champagne, 22.
Vivien de Saint-Martin,
XVI, XVII.
Villeneuve ( marquis
de), XV, XVII.
Vilvorde, xii.
Volga fie), XXI, xxiii.
64, b3, 80, 81, 82,
91,94, 95, IQI, 14!),
161, 102, 223, 2b7,
268.
Vossius, XVI.
W
Wadding, xvi.
Wallon (de I'lnstitut),
XVII.
Warneton, xii.
Walten, xi, xiii, xiv,
XIX.
Wautier de Rubrouck,
XIV.
Willaume Brohon, xv.
Wiser nes, xii.
Witschate, xii.
Wright, XV.
, Zacharie, 288.
r\f^ ^ /^.#\/\/\/V/X'\^VX/\/^^W
TABLE DES MATIERES
.1
i'
i
if
TABLE DES MATIERES
* /V/vrw>/x/\/\^X
Notice sur Guillaume de Rubrouck. — Saint
Louis. — Robert d'Artois. — Les franciscains.
— Les croisades iii
Le village de Rubrouck xi
Guillaume de Rubrouck xxi
Voyage de Guillaume de Rubrouck en
Orient 3
Les Tartarcs ii
Le Cosmos 21
Ce qui se trouve en Tartarie 25
Habillements 27
Occupationa des femmes et des hommes en
Tartarie 3 1
Mariages 33
Justice 33
31
— 334 —
Funerailles ^1
Maladies '^^
Curiosite des Tartares 4^
Campement tartare 4^
Les Alain s 49
Un Sarrazjn 5i
Le Kiptchak 53
Le ddsert . . b-j
Coiffures russes 6i
Au-dela du Tanais 63
Entrevue avec Sartach 63
Visite a BStou-Khan 73
Le Caracatay 75
Depart pour la cour de Batou 79
Visite a Batou 85
Depart pour la cour de Mangou-Khan .... 91
Penible voyage 99
Le Caucase 101
#
Enumeration des sectes idolatres. — Boud-
dhistes io5
Couvents de bouddliistes *.,, 1 09
Ecriture des Tartares 1 1 1
Croyances des Tartares 1 1 3
Les lougoures 117
Le Tangut 119
Le Thibet 121
Les Solangues I23
Les Moungs I25
Le Cathay ou la Chine 127
Ddpart pour I'audience de Mangou-Khan .. i35
— 335 —
Un moine Armdnien. 141
Un hi ver k Caracorum 1 45
Audience de Mangou-Khan 147
Retour de Taudience du khan 1 33
Guillaume, orf^vre de Paris, a Caracorum. iSy
Le derc Theodule i Sg
Le moine Sergius 1 63
Festin chez Mangou-Khan i63
Installation a la cour de Mangou-Khan 1 67
Os bruMs 175
Nouvelle audience de Mangou-Khan 177
Visite aux malades i83
De Caracorum au Cathay 189
Billets de banque, ecriture de la Chine igS
Le jeune chez les Tartares 195
Discussions th^ologiques 1 99
La cour de Mangou-KhSn 2o3
Caracorum 207
La fete de Paques a Caracorum 211
Maladie de M" Guillaume et d'un pretre
Nestorien 21 5
Encore Caracorum 221
Nouvelle audience de Mangou-Khan 229
Pretres idolatres 247
Fete a Caracorum 255
Lettres de Mangou-Khan a saint Louis 257
Retour. 2b3
Nouvelle visite k Batou 271
Sara et Samarkand. 27?
Le pays des Alains 277