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Full text of "Guillaume de Rubrouck"

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832.246 



r 



r.lUl.lOllILCjLK i'Uih.MAl.K LI.ZKVIUILNNK 

Xlll 



GUlLLAUxME DE RUBROUCK 



I'.iULIUTHhyLK <iUlt.N I ALL-. Ll-ZKV lUILNNh 

XUl 



GUILLAUME DE RUBROUCK 




LE rUV, IMPRIMERIE >I -P. MARCHESSOU 



Wi V\^^^^ ^i, ,. '.-... -r. v_ . V 



GUILLAUME 



DE RUBROUCK 



AMBASSADEUR DE SAINT LOUIS EN ORIENT 



REGIT DE SON VOYAGE 



TRAD U IT DE ^'ORIGINAL LATIN ET AN NOTE 



par 



LOUIS DE BACKER 




PARIS 
ERNEST LEROUX, EDITEUR 

LIBRAIRE DE LA SOCIETE ASIATIQUE DE PARIS 

DE l'ecole des langues orientales vivantes, etc. 

28, RUE BONAPARTE, 28 



1877 







u^ 



Le Secretaire perpdtuel de TAcaddmie des Ins- 
criptions et Belles- Lettres a M. Louis de Backer : 



T^aris, le 5 decembre i866. 

^Monsieur, 

UQ4cadetnie a entendu avec beaucoup 
d' inter et la lecture de votre lettre du 14 
novembre dernier, dans laquelle vous lui 
faites part de vos conjectures sur le lieu 
de naissance de Guillaume de ^Hubruquis 
ou de ^B^brouck, 

L'Q^cademie me charge de vous titans'- 
mettre ses remer dements. 

Q^greei^ etc. 

GUIGNIAUT. 



NOTICE 



SUR 



GUILLA.UME DE RUBROUCK 



NOTICE 



sun 



GUILLAUME DE RUBROUCK 



%j\/\/\/\r\jsj\/\f 



SAINT LOUIS — ROBERT D ARTOIS 
LES FRANCISCAINS — LES CROISADES 



u mois de juin 1237, le roi saint 
Louis, se trouvant au chateau 

deCompiegne, voulut, avantde 

partir pour la Palestine, executer une 
des clauses du testament de son pere ^ 




I. In nomine sanctae et individuae Trinitaiis, 
amen. Ludovicus, Dei gratia, Rex Francorum, 
omnibus ad g[Uos liiterae presentes pervinerent : 
Salutera. Cupienies successor! Regni nostri modis 
omnibus in posterum providere ne tranquillitas 
ejusdem regni posslt in posterum perturbari; dc 



— IV — 



11 erigea laterre d'Artoisen comte et Tas- 
signa a son frere Robert, avec Saint- 
Omer, Aire, Hesdin, Bapaume et Lens. 
Mais les trois dernieres villes ne pou- 
vaient lui appartenir qu'apres le deces de 
la reine Blanche. EUes avaient ete cons- 
tituees en dot a la fille d'Alphonse dc 
Castille, et provenaient d'Isabelle dc 
Hainaut qui les donna a la France en 
montant sur le tronc de Philippe-Au- 
guste ^ 



tola terra quam possidemus et omnibus mobili- 
bus nostris, sani et incolumes. Deo dante, a quo 
bona cuncta procedunt, anno Dominicae Incarna- 
lionis M.cc.xxv, mense Junii, disposuimus in 
hunc modum ; Volumus siquidem et ordina- 
mus quod fiiius noster secundus natu habeat 
totam terram Atrebaiesii in foedis et domaniis, 
et lotam aliam terram quam ex parte matris 
nostre Elisabeth possidemus, salvo' dotalicio ma- 
tris sue, si superviveret. Quod si idem qui Atre- 
batesium tenebit, sine herede decederet, volumus 
quod tola terra Attrebatesii, et alia terra quam 
teneret, ad ftlium nostrum, Regni nostri succes- 
sorem libere et integre redeat. Collection des 
ordonnances des Rois de France^ in-f". 

I. In nomine sanctae et individuae Trinitatis, 
amen. Ludovicus, Dei gratia Francorum Rex, no- 
tum facimus, quod cum clarae memoriae genitor 
noster Ludovicus, rex Francorum illustris, in tes- 
tamento suo ordinaverit, et pro parte haereditatis 
assignaverit charissimo fratri nostro Roberto, 
terram Atrebatesii (ciuam idem genitor noster ex 
parte mairis suae haoebat), Atrebatum, Sanctum 
Audomarum et Ariam, cum peitinentiis eorum- 



V — 



L'annee suivante, ce magnifique do- 
maine s'etendit jusqu'a la mer, par 
Tadjonction du comte de Boulogne qui 
forma une partie de la dot de Mahaut, 
la fille ainee du due de Brabant et de 



dem ct post decessum charissimae dominae et 
matris nostrae Blanchae, reginae Francorum illus- 
tris, Hesidinum, Bapalmam et Lensium, cum 
eorum pertinentiis, quae eadem domina mater 
nostra lenebat nomine dotalitii ex parte Isabellae 
reginae, aviae nostrae moventia ; Nos sinceritatem 
dileclionis, quam ad eundem fratrem nostrum 
habemus, volentes per exhibitionem operis osten- 
dere, volumus, et eidem fratri nostro, per prac- 
sentem chartam concedimus totam terram prae- 
dictam, salvis feudis et elemosynis quae tenebuntur 
et reddentur, sicut tempore genitoris nostri, sibi 
et haeredibus suis jure naereditario possidendam ; 
ita c^uod tam illam terram Atrebati, Sancti Audo- 
mari et Arise, quam antea tenebamus, quam 
illam, quam domina mater nostra nomine dota- 
litii possidebat, cum eo jure quod eadem domina 
niater nostra in emptione habebat quam apud 
villanas fecerat, sitas in feodo Lensii, tanquam 

hereditatem suam habeat ct possideat, etc ' 

Quod ut perpetuae stabilitatis robur oblineat, 
praesentem paginam sigilli nostri authoritate, et 
kegii nominis charactere inferiiis connotato feci- 
mus conformari. Actum apud Compendium, anno 
Incarnationis dominicae I237, mense Junio, regni 
vero nostri anno xi, astantibus in palatio nostro, 
quorum nomina supposita sunt et si^na. Dapifero 
nuUo. Signum Roberti, Buticularii. Camerario 
nullo. Signum Amalrici Constabularii. Data va- 
cante Cancellaria. (Signe) Louis. — a Au moyen 
de quoi, dit d'Oude^crst, ledict Robert fut le 
premier conte d'Ariois.w — Chroniques et annales 
de FlandreSj in -4**, ipyi, p, 181. 



— VI — 



Basse- Lorraine. La reine Blanche avait, 
des 1234, recherche la main de cette 
belle princesse pour son fils Robert; 
mais le mariage ne put eire celebre que 
le 14 juin 1238. 

Ce jour-la, la ville deCompiegne etait 
en fete. 

Apres avoir assiste a la benediction 
nuptiale dans Teglise de Tabbaye de 
Saint-Corneille , deux mille chevaliers 
bannerets se livrerent efi la pt^airie^ 
comme dit Philippe Mouskes % a des 
combats a la barriere, a des joutes, a des 
pas d'armes, a des danses, et Blanche 
de Castille, Marguerite de Provence et 
la nouvelle comiesse d'Artois distribue- 
rent elles-memes les prix aux heureux 
vainqueurs ^. Le lendemain, dans cette 
meme eglise de Saint-Corneille, le roi 
de France confera Tordre de la Cosse 



1 . • Messire Robert frere al roy 

Prinst a done fame et grand conroy, 
La fille estoit al due de Louvain 
Et ot Ariois et Sainct-Omer. 
Moult haultement et grant feste 

A Compiegne en la prairie 

Moult et grant bacelaire. 

2. Les proems- verbaux de ces tournois existent 
encore. Le marquis de Villeneuve-Trans, Hist, 
de saint Louis, in-8*, iSSg. 



— VII 



de genet ' au comte d'Artois et a cent 
quarante gentilshommes. 

Depuis Tors, Robert se montra cons- 
tamment le feal chevalierx du Roi , son 
suzerain. II Taccompagna en Terre- 
Sainte et combattit en heros a la tete de 
ses vassaux, Robert de Wavrin, Henri 
de Crequi, Baudouin de Henin-Lie- 
tard, Roger de Halewyn, Nicolas de 



I. « Le genSt porte petites feuilles vertes de 
peu de duree et la fleur jaune, avec des cosses ou 
des gousses longuettes qui fleurissent au prin- 
temps et en Tautomne. Le roi saint Louis choisit 
cet arbrisseau pour embl^meet pour a me d'icelle 
ces deux mots, Exaltat humiles^ le tenant pour 
symbole de Thumilite. 

« Le collier de cet ordre de la Cosse de genet 
etait compose de cosses de genet ^maillees, 
entrelacdes de fleurs de lys d'or, cnferm^es dans 
des losanges a jour, emailldes de blanc, enchai- 
ndes et au bas une croix florencde. Le roi saint 
Louis refut le premier cet ordre de la main 
de Gauthier TArchev^que de Sens. Les cheva- 
liers de cet ordre portaient la cotte de damas 
blanc au chapperon violet. 

a Robert d Artois recut cet ordre en Teglise 
abbatiale de Saint-Cor'neille de Compie^ne, le 
lendemain du mariage dudit comte d'Artois, avec 
Mahaut, fille du due de Brabant. A cette solennite 
assista toute la noblesse de France, deux mille che- 
valiers bannerets, avec leurs servents et valets de 
pied, en si grand nombre que I'empereur Frederic 
ne se rendit pas a Vaucouleurs, marches et fron- 
ti^res de la France et de la Lorraine, de crainte 
des Francais. » — Favin, Theatre d*lionneur et 
de clievaterie, liv. Ill, in-4% 1620, p. 583. 



VIII 



Mailly, le comte d'Hesdin, le baron 
d'Auchy, Jean de Neele, Jean de Beau- 
fort, Eudes de Montreuil. Mais accable 
sous le nombre des Sarrazins, il tomba, 
mortellement blesse , le 2 fevrier 1 249 , 
a Tage de trente-trois ans, dans une 
des rues barricadees de Mansurah, au 
milieu des ennemis qu'il avait terras- 
ses de sa propre main. Sa mort fut un 
deuil public '. 

Pendant que les croisades atiiraient 
la noblesse francaise vers TOrient, saint 
Francois d'Assise et ses disciples re- 
muaient les classes populaires en hono- 
rant en elles la pauvrete et la faisant 
honorer par elles ; ils leur enseignaient 
ainsi de s'estimer elles-memes et leur 
procuraient les moyens de s'organiser 
et d'arriver insensiblement a Temanci- 
pation politique. On vit alors TArtois et 
la Flandrc se couvrir de monasteres dc 



I. a Robert I, fr^re de saint Louis, fut, a I'age 
de trente-trois ans, victime de son ardeur pour 
la croisade. Intrdpide a franchir le passage du 
Thains, il ^lait dans la Massoure. Les Sarrazins, 
apr^s leur ralliement, I'environnerent; il tomba 
crible de coups le 2 fevrier 1249. Son corps resta 
sur un tas d'ennemis qu'il avait tues. II emporta 
les regrets de tout le mondc. » — Hennebert, Hist. 
f;enerale d*Artois, Saint-Onner, 1789. T. I, 
p. 119. 



— IX 



Jacobins etdeFrercsmincurs ^ Jean de 
Sainte-AIdegonde, seigneur de Noir- 
carmes, en fonda un de chartreux a 
Longuenesse, aux portes de Saini-Omer, 
avec le consentement de I'eveque de 
Therouanne et de Tabbe de Saint-Ber- 
tin 2. 

Si ces moines renoncaient au monde, 
ils n^avaient point etouffe en eux le sen- 
timent du patriotisme. S'ils prechaient 
la guerre sainte, la guerre de la civilisa- 
tion contre la barbaric, ils s'cnrolaient 
de leurs personnes sous la banniere 
francaise de Jean de Beaufort, et, a 
cette'meme journee de la Mansurah, ils 
se sont conduits avec tant de bravoure 
que le roi demanda a leur chef comment 
ils s'appelaient. Beaufort, nc pouvant 
se rappeler le nom de leur ordre, re- 
pondit a saint Louis que c'etaient dcs 
moines « lies de cordcs ». Et depuis ce 



1. « Et environ ce mesme temps (i233), s'eJi- 
fierent par tout le pays de Flandre plusieurs 
cloisires et monasteres de Jacobins, iVeres mi- 
neurs, de grises soeuis et de beghinages, le tout 
moyennant I'ayde et consentement qu'a ccs fins 
y donnait la contesse Jehenne de Flandre. » — 
Pierre d'Oudegherst, Les clironiqms et annales 
de Flandre^ ^'^~4,°' 1571. 

2. GuiLLAUME uAziiT, H'lst. ecclcsiast. des Pjys- 
Bas, in-4*, 1614, Arras, p. 292. 



— X — 



temps, dit Dom Devienne, on s'accou- 
tuma a appeler « cordeliers » les reli- 
gieux de saint Francois '. Parmi ces 
cordeliers se trouvait Guillaume de Ru- 
brouck, plus connu sous le nom latinise 
de Rubruquis ^. 
D'ou vient ce nom ? 



1. Don Devienne, Histoire dArtois, in-8», Saint- 
Omer, 1789. t. I, p. 147. 

2. Pacquot, M^moires litt<$raires des Pays-Bas, 
t. I, p. 2 1 3. V* Guillaume de Rubruquis, — Ber- 
geron, Relation du voyage faict Tan i253 en Tar- 
larie par F. Guillaume de Rubriquis, 1634. — 
Voyage remarquable de Guillaume de Rubruquis , 
etc., Leyde, 1706. 



•S<i>^£<^^>H<i>3*e<8^»3-«^^>3-f<8^e^^^ 



LE VILLAGE DE RUBROUCK 



A' 



rextremite septentrionale de la Fran- 
ce , vers la mer , le village de Ru- 
brouck etale ses maisons bien propret- 
tes, au milieu d'une plaine verdoyante 
qui s^etend entre la colline de Watten, 
ou fut enseveli Thierry d' Alsace; le 
Ravensberg ou s^eleva, en 1194, Tab- 
baye de la oienheureuse Marie de Hou- 
tove; le Balenberg, dont le nom a 
conserve Tempreinte du paganisme ger- 
manique, et le Mont-Cassel ou Tauteur 
de TAnacharsis francais s'est eerie dans 
son enthousiasme : « O Jenny, que la 
nature est belle ici ' ! » 



I. II parait qu*avant de se tracer ses li mites ac- 
tueliesj la mer baigna, pendant des siecles, la 
chaine des collines que nous avons cities a 
cette page, et qui ne sont autres que d'anciennes 
dunes, selon I'abbd Mann. « L'on voit partout, 
dit-il, que cette d^vation de terrain n^est pas 



— XII — 

Ces collines sont couvertes d^excel- 
lents herbages que paissent de gras 
troupeaux. De leur sommet, Toeil de- 
couvre, par un soleil d'ete, avec de lar- 
ges bouquets d'arbres, de vastes champs 

comme les montagnes ordinaires, dont la declivitd 
s'etend commun^ment a quelques lieues dans le 
pays; ici le changement est subit et I'ascente 
commence lout d'un coup, comme on le voii pres- 
que partout aux bords de la mer. Ce qui peut 
encore servir a faire connailre I'ancienne cote ele- 
vde, c*est la grande difference qui se trouve enlre 
Je terrain qui est dans I'interieur de cette cote et 
celui qui est entre elle et la cote nouvelle, Tun 
etant sablonneux ou mardcageux, I'autre eleve, 
pierreux et inegal. » Suivant I'opinion du meme 
auteur^ adoptee par MM. Belpair et Schayes, 
« Tancienne cote de la Belgique commencait entre 
Calais et Boulogne, passait sur la droite de Gui- 
nes et d'Ardres par le mont de Ruminghem jus- 
qu'a Watten ou, du temps de C^sar et jusqu'au 
x* siecle, il y avail un golfe qui s'etendait jusqu'a 
Sairt-Omer, Blandecques et Wisernes. De Watten, 
la cote se dirigeait sur Cassel par Ravensberg, 
Balenberg, Domberg; ensuiie elle passait par 
Eecke,Catsberg,Cainber^, Locre, Swartsberg, mont 
Kemel, Witschate, Messine, Rosenberg, La Hultc 
JMsque vers Warneion. De la, cotoyani la gauche 
de la Lys, elle s'etendait par Houthem jusqu'a 
Vilvorde, oil il doit y avoir eu un golfe. et jus- 
qu'a Bruxelles par 1 allee Verte. w V. Memoire 
sur Vancien e:at de la Flandre maritime^ p. 74, 
par I'abbe Mann. — Meinoive sur ies cliangements 
de la cote depuis Boulogne jusqu'a Anvers, par 
Belpair, ingcnieur; insere dans les nouveaux 
xndmoires dc I'Academie royale de Belgique, Bru- 
xelles, in-4". — Les Pays-Eas avani et durant 
la domination romaine, t. I, p. 32 3, par Schayes. 



— XITI — 



emailles de fleurs; puis au loin, a Tocci- 
dcnt, les landes aitristees de TArtois qui 
se perdent dans un horizon de pourpre; 
et Toreille attentive n'entend que le ga- 
zouillement des oiseaux caches sous la 
feuillec et le murmure du vent qui sc 
mele, le soir, a la voix argentine des do- 
chettes de VAngelus. Ce n'est pas ici 
que Ruysdacl aurait pu accomplir le 
nniracle de nous interesser avec un pay- 
sage qui contient un seul arbre, ou un 
pauvre buisson, ou un pont de bois a 
demi ruine *. 

Au xni^ siecle, le village de Ru- 
brouck etait sous la juridiction spiri- 
tuelle de Teveque de Therouanne 2, et 
il s'y trouvait des fiefs qui mouvaient 



1. MoNTEGUT, Les Pays-Bas. 

2. Adam, eveque dc la Morinie , declare que Jean 
Mor, tils de Lambert Mor de Rubrouc, et Beatrix, 
SI femme, ont reconnu en sa presence avoir 
donne a I'e'glise de Waiten leurcomte {i-i-z'j), 

Cartulaire de l'abbaye de Watten, dans les 
Annales du comite flamand de France^ t. V, 
p. 33 1. 

1275. — Lettres par lesquelles Tofficial du 
siege vacant de Terouane fait connailre que Mar- 
guerite, veuve de Thomas d'Estaires, remariee a 
Lietard de Ne^jlles, a dec'are avoir vendu a Guy, 
comte de Flandre, la moitie d'unc rente annuelle 
de 33 mesures d'avoine qui lui appartenait dans 
la paroisse dj Rubrouck (Rubruck). 

baron de S^-Ghnois. — Invciitaire analytique 




— XIV — 



du senechal de Saint-Omer. Un de ces 
fiefs, qui avait rang de comte, apparte- 
nait a Jean Mor, fils de Jean Mor de 
Rubrouck. Le premier en fit le trans- 
port, avec les terres et tous les droits 
de justice qui y etaient attaches, a I'e- 
glise de Watten. L'eveque de la Mori- 
nie approuva cette cession en 1227. 
Vingt-cinq ans auparavant, Wautier 
de Rubrouck avait fait pareille donation 
a la meme eglise, et en 1260, maitre 
Jean de Rubrouck , doyen de Peglise 
Sainte-Walburgea Furnes ', legua une 
rente annuelle de cent sols de Flandre 
en faveur d'un clerc,natif de Rubrouck, 
pour raider a faire des etudes de theo- 
logie. 

A I'epoque des croisades et au temps 
de saint Louis, il y avait done a Ru- 
brouck une famille qui portait le nom 
de ce village de France. Des charies 
authentiques constatent son existence 2. 



des chartes des comies de Flandre, in-4«, Gand, 
1843, p. 61. 

1. Chef-lieu d*un arrondissement de la Flandre 
occidentale en Belgique. 

2. Annales du comit^ flamand de France, t. V, 
p. 33r. — Cartulaire de Vabbaye de Watten: 

i25o. — Actum anno Domini m.cc.l., mense 
Januario. — Maitre Jean de Rubrouc, doyen 



— XV — 



Guillaume de Rubrouck etait peut-etre 
le frere du doyen de Sainte-Walburge. 
Mais comme les ecrivains qui ont parle 
de lui avaient deguis6 son nom de fa- 
mille sous celui de Rubniquis, on 
ignora longtemps le nom de son pays 
natal. Pits crut que c'etait TAngle- 
terre; Sweertius, Francisque Michel et 
Wright, le Brabant; Valere Andre, la 
Belgique. Pacc^uot, Michaud, le baron 
de Saint-Genois et le marquis de Vil- 
leneuve font naitre le ministre de 



de r^glise de Sainte-Walburge a Furnes, l^gue 
une rente annuelle de cent sols de Flandre en fa- 
veur d'un clerc pauvre qui se destine aux Etu- 
des th^ologiques. 

— Jean de Rubrouc est cite dans une autre 
charte de 1262, feria sexta ante Letare Jerusalem. 

1227. — Adam, eveque de la Morinie, declare 
que Jean Mor, fils de Lambert Mor de Rubrouc^ 
et Beatrix t sa femme, ont reconnu en sa presence 
avoir donn^ k I'^glise de Watten leur comt^, avec 
60 mesures de terre sur laquelle est situee une 
cour, ainsi que tous les droits de justice qui y sont 
attaches. 

Dans une autre charte, sans dale, est cit^ un 
autre Jean de Rubrouck, dit Brune, qui fait une 
donation identique en faveur d*un clerc natif de 
Rubrouc. 

En 1202, Wautier de Rubrouc signe a Ravens- 
bergh, dans la maison de la dame du lieu, mhve 
de Willaume Brohon, seigneur de Ravensbergh, 
un aicte de donation au pn^dt et aux chanoines 
de Watten. 



— XVI — 



saint Louis a Ruysbroek, en Brabant; 
Vivien de Saint-Martin le dit originaire 
de la Flandre; Hakluyt et Purchas 
soutiennent qu'il est Francais, mais 
sans indiquer Tendroit ou il a vu le 
jour ^ 

Or, le plus ancien des manuscrits de 



I . Pits, Relationum historicarum de rebus an- 
glicis etc. fPaivis, in-4% 1619. 

SwKERTius, Athence Belj^icce^ 1628, in-f". p. 3i7 : 
« Guilielmus Ruysbrokius, Brabantus, ordinis 
a minorum et histpricus. w 

Valere Andre, p. 333, Bibliotheca belgica. 
Louvain, in-4", 1643. 

Vossius, Hist, latin. ^ liv. II, c. 58, p. 474, 
2' ddit. 

Wadding, Scripiores ord. viinorum, p. i56. 

OuDiN, III, p. 448, 449, Commentarius de 
scriptoribus Ecclesice antiquis etc., in-f*, 1722. 

Biographie universelle de Mictiaud, p. 21, 
torn. XXXVII, Paris, gr. in-8*, ddit. Desplaces. 

Baron de Saint-Genois. Bullet, de I academ. 
roy, de Belgique, an ne'e 184G. 

Hakluyt, liichard. — Texte anglais : « Les 
« principales navigations et decouvertes et les 
« princij5aux voyages et tratics de la nation an- 
tt giaise par terfe et parmer, aux pays de la terre 
u ks plus eloigntEs et les plus recules. » 3 vol. 
in-f*. Londres, 1698, i59q, 1600. T. II. 

Purchas, Samuel. — Hakluytus Posthumus or 

Purchas his Pflgrims; Coniaining a history of the 

World in the voyages and land irapels by en- 

glishmen and others, etc. Londres, 1623-1626, 

5 vol. in-f'. 

Francisq.ue Michel et Wright. — Recueil de 
voyages et de memoires^ public par la Societe de 



— XVII — 



la relation du voyage du celebre fran- 
ciscain, public par la Societede geogra- 
phie de Paris, porte son nom ecrit de 
cette maniere : Rubruk. D'autres ma- 
nuscrits ont Riibrock et Riibriic. Au 
moyen age, la voyelle ii sonnait on en 
flamand. C'est pourquoi « Rubruk » a 
ete ecrit, dans la suite des siecles, « Ru- 
brouk » ou a Rubrouck, » et ce nom est 
celui d'une commune francaise du can- 
ton de Cassel, dans le departement du 
Nord, mais d'une commune ou Ton a 
toujours parle le flamand et ou cette 
langue s'est maintenue. 

Nous pouvons done afBrmer, avec 
M. Wallon ', que notre cordelier etait 
d'origine francaise, mais nous ne pou- 
vons pas, avec le savant academicien, 
Tappeler Ruysbroek, parce que ce nom 
est celui d'un village de Belgique, ou 
naquit en 1294 le moine Jean de Ruys- 



geographie de Paris^ Paris, in-4*, iSSg. T. IV, 
p. 2o5. 

Marquis de Villeneuve, Histoire de saint 
Louis, 3 vol. in-8'. Paris, i836. 

Vivien DE Saint-Martin, Hist, des decouvertes 
des nations europeennes, in-8°. Paris, 1845. T. II, 
p. 493 : Le franciscain flamand Ruysbroek ou 
Rubruquis. 

I. Saint Louis et son temps, in-8*, 1875. T. I, 
p. 449. 



XVIII — 



broeck, qui s'est rendu celebre par une 
vie austere et des ecrits ascetiques K 



I . PACQ.UOT, Memoir es pour servir a Vhistoire 
litteraire des Pays-Bas^ i763, t. I, p. 2o3. 

Ernest Hello, Rusbroek Vadmirable^ in-32*. 
Paris, 1869. — Le journal VUnivers^ du 8 fe- 
vrier 1869. — En 1867, j*avais entretenu TAca- 
demie dcs Inscriptions et Belles-lettres de mes 
recherches sur le lieu de naissance de Guillaume 
de Rubruquis, A cette occasion, M. d'Avezac, 
membre de Tinstitut, m'a fait Thonneur de m*e- 
crire la lettre suivante : 

« Paris, ce 20 septembre 1868. 

tt Monsieur, 

a Mes sympathies ^taient tout acquises au sa- 
<( vant arch^ologue, soigneux des gloires natio- 
« nales, qui se montrait ddsireux d*appuyer de 
tt temoignages expliciteSj puises dans les docu- 
w ments anciens, la qualit^ deFrancais quiappar- 
a tient au celfebre cordelier Guillaume de Ru- 
tt bruk, Tenvoy^ du roi de France vers le qaan 
a Mangou en i253. Hakluyt (1600) et Purchas 
tt (1625), qui les premiers ont publid et traduit 
tt sa relation, avaient justement proclam^ cette 
tt nationality, dans TintituM latin comme dans 
« I'intitul^ anglais (Gallic Frenchman) de leurs 
tt publications; ce n'est que post^rieurement et 
tt fort a la l^g^re que, sur une simple ressem- 
tt blance du nom de Rubruk avec celui de Ruys- 
« broek en Brabant, on a dnoncd et v€^€x.6 que le 
« frere Guillaume dtait Braban^on, sans tenir 
tt compte des indices intrins^ques seffids dans la 
tt relation meme. 

tt Vous avez bien voulu, Monsieur, me mander 
« que Texistence d'une famille de Rubruk est 



— XIX — 

a constatee par de nombreuses chartes, notam- 
a ment dans le cartulaire de Watten : permettez- 
tt moi de vous demander sur ce point, au lieu 
« d une pure ^nonciation, une citation precise de 
cc ces chartes, par designation expresse des d^- 
tt pdls d'archives oil elJes existent aujourd'hui, 
a des dates de temps et de lieu, des personnages 
u mentionnds et sommairement du sujet de cha- 
a que acte » 

ci d'Avezac. » 






Caracorum au bourg de Saint-Denis et 
il mentionne le Grand-Pont, qui est le 
Pont-au-Changc en face du Chatelet. II 
doit meme avoir ete a la cour de 
France, puisqu'il a connu M. de Beau- 
niont, marechal et chambellan de 
France. Aussi, a Constantinople, est-il 
admis aupres de Pempereur, Baudouin 
de Hainaut. II pent done se faire que 
Guillaume de Kubrouck ait accompa- 
gne saint Louis en Palestine, ou bien 
Robert d'Artois dans le voisinage du- 
quel etait le lieu de sa naissance, mais 
enclave dans le domaine du comte de 
Flandre '. Peut-etre a-t-il pris part a la 



« I . Assez tost apres le trespas de Loys de France, 
diet de Montpcnsier, madame Jehenne contesse 
de Flandre, practiq«ia plusieurs journ^es, et com- 
munications pour trouver quelque ouverture de 
paix, entre le nouvel roys Louys, et la reyne 
Blanche sa m^re, avec les nobles de France 
d'une part, et Ferrant conte de Flandre, et la 
contesse Jehenne d'autre. Laquelle contesse be- 
soingna, et diligenta de sorte, qu'apres divers par- 
lements, fut Enablement con^eu un traite de la 
maniere qui s'ensuyt : « Premiers que ledict 
a conte Ferrant et sa femme s'obligeront par 
« eux, et Jeurs successeurs a perp^tuite, parde- 
a vant le Pape de ne jamais eux sustraire de la 
« feault^ et hommage du Roy de France : a peine 
w que s*ils le faisoient, les evesques de Laon et 
u de Senlis, pourroyenl en dedens quarante jours 
u apres meiire Tinterdict en Flandre, .sans en 



— XXIII — 



bataille delaMansurah, avec ses freres de 
Tordre de saint Francois, sous la ban- 
niere et les ordres de Jean de BeaufFort ? 

Quoi qu'il en soit, c'est a Saint- Jean - 
d'Acre que le roi de France confie au 
frere Guillaume ses lettres pour Sar- 
tach, qui campait aiors a trois journees 
en deca du Volga, et c'est a Saint-Jean- 
d'Acre que le cordelier s'embarque 
pour s'acquitter de sa mission. 

Rubrouck nous a laisse sur les peu- 
ples qu'il a visites les notions les plus 



c( faire relaxation jusques k ce qu'ils eussent 
u amende leur mesus et meffaict, que jamais 
tt plus le conte Ferrant en sa personne, ne s'es- 
« leveroit centre le roy, la royne ne ses succes- 
a seurs roys de France, et ne se substraheroit 
M de leur obdissance, ni du service qu'il est 
« obleg^ leur faire, tant et sy longuement, que 
« le roy luy feroit raison en la court des Pairs... » 
a Ce fut faict a Melun en Tan mil deux cens 
<( vinst et cine au mois d^april. » 

« Madame Marguerite contesse de Flandre et 
d'Hainault et Guillaume de Dompierre son fils 
ain^, se transport^rent vers I'an mil deux cens 
quarante quatre, en la ville de Paris , vers le 
roy saint Louys, pour luy faire hommage de 
la cont6 de Flandre. En quoy ledict roy leuf 
fit du commencement beauco'.^p de de dimculte, 
touteffois les receut enfin a faire ledict hommage, 
mais ce fut moyennant le serment, quMls firent 
sur les sainctes Evangiles, d'entretenir la paix 
faicte en Tan mil deux cens vingt cine , qu'on 
appelle la paix de Melun. » Oudegherst, Chro- 
nique de Flandre^ in-4% 1571, p. 177 et 186. 



— XXIV — 



precises, et il nous fait connaitre en 
meme temps sa personne, les opinions 
qu'il a soutenues sur Torigine du monde 
et Tame des betes, et ses idees sur les 
hommes et les choses des pays qu'il a 
parcourus. Mais ce qu'il y a surtout de 
remarquable, c'est sa theorie sur ie 
droit de propriete ct le fait de la guerre. 

Rubrouck rapporte * que les Orien- 
taux ne s'accusaient point du peche de 
larcin, parce qu'ils ne pouvaient vivre 
sans voler, leurs seigneurs les privant 
de nourriture et devetements. Lemoine, 
emu detant de durete et de si cruelles 
injustices dont ils avaient a souffrir, ne 
leur denia pas le droit de s'approprier, 
sur les biens du maitre, tout ce qui etait 
necessaire a leur existence, et il s'enga- 
gea meme a soutenir cette these devam 
leur souverain, Mangou-Khan. 

Or, en Asie, au xiu® siecle, le khan, 
representant TEtat, etait seul proprie- 
taire du sol. Mais il est certain que le 
droit de propriete ne lui avait ete ac- 
corde que pour en faire usage au profit 
de tous ses sujets. Le khan manquait 



r. P. 340 de I'ediiion de la Societc de geogra 
phie de Paris. 



— XXV — 



done au plus imperieux de ses devoirs 
s*il meconnaissait cette obligation, et 
Rubrouck se rappelant ces paroles de 
la Genese : « Je vous ai donne toutes 
« les herbes qui portent leur graine et 
« tous les arbres qui renferment en eux 
m leur semence, chacun selon son cs- 
(( pece, afin qu'ils vous servent de 
cc nourriture (ch. i, 19), » Rubrouck 
pouvait done ne pas qualifier de peche 
ie vol commis dans de telles circons- 
tances. Pour lui, il suffisait de vivre 
pour avoir le droit de vivre. II etait 
done criminel, le pouvoir qui derobait 
Talimcnt necessaire a la vie d'un eire 
humain. <( En elFet, dit un publiciste, 
la famille d'unc part, la proprieie d'au- 
trc part, sont les deux cellules, les deux 
ovaires. Tun physiologique, Pautre eco- 
nomique, de tout organisme, de tout 
mouvement de la vie soeiale... La fa- 
mille et la propriete, ainsi que les lois 
qui president a la formation de ces deux 
faits primordiaux et gencriques, sont 
done anterieures et superieures a toutes 
lois et a tous faits poliiiques contingents 
et volontaires, quels qu'ils soient ' ». 

I. Vindividualiime, in-16. Paris, 1873. 



— XXVI — 



Quant a la guerre, Rubrouck par- 
donne aux soloats d'y prendre part, 
lorsqu'elle est dirigee centre les infideles 
ou les mecreants. « Mais, dit-il, je leur 
« ai defendu energiquement de marcher 
« centre les Chretiens et de leur faire le 
« moindre tort. Je leur ai conseille de 
« soufFrir plutot la niort, parce qu'ils 
« seraient martyrs, » et il ajouta que si 
quelqu'un lui reprochait son opinion sur 
ce point, il irait la soutenir devant 
Mangou-Khan lui-meme ^ 

Rubrouck admet done la guerre 
comme un fait selon la nature de 
rhomme, mais il ne Tadmet qu'autant 
qu'elle soit juste et legitime. S'il ne 



t. Celte these du franciscain de Rubrouck a 
cte reprise et soutenue, en 1876, par un membre 
de la Chambre des communes d'Angleterre. 
M. Parnell a prononce a Dublin, dans un meeting 
fenian, un discours oil se trouve, d'apres la ver- 
sion du FreemavCs Journalf le passage suivant : 

« II y a 5o,ooo Irlandais dans rarmec britanni- 
« nique en ce moment meme ou un nuage de 
« guerre delate en Orient, — ou TAngleterre a 
u manifest^ le dessein de soutenir Ti^lamisme, de 
« soutenir le Croissant contre la Croix. J*espere 
a qu*aucun Irlandais n'oubliera les traditions du 
u passd, le respect de soi-meme et de sa religion ; 
tt )*espere qu'aucun Irlandais n*oubliera sa patrie 
u au point d'aider I'Angleterre dans sa tentative 
« ndfaste. » Motiiteur universel du mardi 11 juil- 
let 1876. 



XXVII 



trouve pas cette condition absolue dans 
cette etrange juridiction du meurtre, ii 
condamne la guerre, parce qu'il se rap- 
pelle ces iois de Moise consignees dans 
rExode : cc Vous ne tuerez point (ch. 
XX, 1 3); »... « Si un homme tue son 
« prochain avec un dessein forme et 
« rayant recherche, vous i'arracherez 
« de mon autei pour le faire mourir 
a (ch. XXI, 14). » Mais la guerre contre 
les Chretiens est une guerre injuste et 
iflipie, et Rubrouck fait defense expresse 
d'y prendre part, parce que pour lui le 
Chretien de TOrient est « 1 innocent et le 
juste », et qu'il est dit au meme livre de 
I'Exode : « Vous ne ferez point mourir 
c( rinnocentet le juste (ch. xxiii, 7). » 

L'envoye de saint Louis en Tartarie 
n'etait pas seulement un esprit droit et 
eclaire, il etait encore un grand carac- 
tere. Un faux ermite avait fait accroire 
a Mangou-Khan qu'il serait le maitre 
de la France et du monde s'il se faisait 
Chretien, et lorsque Rubrouck alia le 
visiter, le solitaire le pria de tenir au 
prince tartare le meme langage. 
« Frere », lui repondit le franciscain, 
« je lui conseillerai volontiers de se faire 
« Chretien, car je suis venu pour cela, et 
t* je donnerai ce conseil a 1 univers en- 



— XXVIII 



tier. Je lui ferai entrevoir aussi la joie 
qu'en eprouveront les Francais et le 
Pape, et lui promettrai qu'ils le tien- 
dront pour frere et ami; mais qu'ils 
deviendront ses esclaves et lui paie- 
ront tribut, je ne le dirai jamais, parce 
que je parlerais contre ma con- 
science. » 
Guillaume de Rubrouck revint-il en 
France apres avoir accompli la mission 
que Louis IX lui avait confieePOn Ti- 
gnore. Le celebre franciscain le desirait, 
et il supplia le roi de soUiciter pour lui 
cette faveur de son provincial. Mais rien 
ne nous apprend qu*il lui fut permis de 
revoir sa patrie, et si nous avons pu 
montrer son berceau, nous n'avons pas 
eu le bonheur de decouvrir sa tombe. 
Les uns croient que Guillaume de Ru- 
brouck est mort au convent de Saint- 
Jean d'Acre en 1266, d'autres qu*il vi- 
vait encore en 1 298, et qu'il etait age de 
vingt-trois ans quand le roi de France 
fit appel a son devouement ct a son pa- 
triotisme. 



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VOYAGE 

DE 

GUILLAUME DE RUBROUCK 

EN ORIENT 



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VOYAGE 



DE 



GUILLAUME DE RUBROUCK 



EN ORIENT 




;u tr^s-excellent seigneur et tr^s-chre- 
tien Louis, par la grdce de Dieu il- 
lustre roi des Francs, Guillaume de 
Rubrouck, minime de Tordre des Freres 
mineurs, salut, et qu'il triomphe toujours 
dans le Christ. II est ecrit du sage dans VEc- 
clesiaste : « 11 ira dans la terre des nations 
« etrangdres, et essaiera du bien et du mal 
« en toutes choses. » J'ai fait ainsi, mon 
seigneur roi, mais comme un sage et non 
comme un insense. Or, beaucoup agissent 
comme le sage, mais non sagement, mais 
plutdt comme des insenses, et je crains 
d'etre de leur nombre. Cependant je ferai 
ce que vous m'avez ordonne lorscjue j'eus 



— 4 — 

pris congd de vous ; je vous ecrirai tout ce 
que j'ai vu chez les Tartares. Vous m'avez 
recommande meme de ne pas redouter de 
vous eiinuyer par de longues lettres. J'u- 
serai de cette tolerance avec tout le respect 
et la veneration qui vous sont dus, parce 
que je ne saurais employer un langage di- 
gne d'une aussi grande majeste. 

Que votre sainte Majeste sache done 
qu'en I'an du Seigneur mil deux cent cin- 
quante-trois, aux nones de mai, nous som- 
mes entres dans la mer de Pont \ qu'on 
appelle vulgairement mer Majeure (mer 
Majour par les Bulgares). Cette mer a 
mille quatre cent milles en longueur, au 
dire des marchands, et elle est comme se- 
paree en deux parties. Vers le milieu sont 
deux provinces, Tune au nord et I'autre 
au midi. Cellela, qui est nommee Sinopo- 
lis ^, est une forteresse et un port du sou- 
dan de Turquie; celle-ci est une province 
que les Latins nomment maintenant Cas- 
saria, c'cst a-dire Cesaree '^. 11 y a aussi 
des promontoires qui s'avancent dans la 
mer, du cote de Sinopolis, vers le midi. II 
y a trois cents milles entre Sinopolis et la 
lerre de Cesaree; de sorte qu'il y a soi- 
xantc dix milles de ces points a Constan- 
tinople en longueur ec en largeur, et 
soixante-dix vers i'orient, cu se trouve 
riberie qui est une province de Georgie 4. 

Nous parvinmes d la province de Casa- 
rie oil de Cesaree, qui forme un triangle, 



— 5 — 

ay ant k Touest la ville appelee Kersona 5, 
oCi saint Clement a et^ martyrise. Et na- 
viguant en vue de cette viile, nous aper- 
cumes une ile oCi se trouve une eglise 
qu'on dit avoir ete construite par les an- 
ges. Au milieu, vers la pointe meridionale 
du triangle, est la ville de Soldaia 6, qui 
regarde Sinopolis de cote. C'est par la que 
passent tous les marchands venant de Tur- 
quie qui veulent gagner le Nord, et ceux 
qui viennent de Russie et des pays du 
Nord pour se rendre en Turquie. Les uns 
y portent des grisets et d'autres peaux 
precieuses ; les autres, des toiles de coton 
ou de Bombax 7, des draps de sole et des 
epices aromalisees. A Test de cette pro- 
vince est la ville de Matriga ^, oU le Ta- 
nais 9 se decharge dans la mer de Pont, 
ayant k son embouchure douze milles de 
largeur. Gar le fleuve, avant d'entrer dans 
la mer de Pont, est vers le Nord comme 
une autre mer ayant soixante-dix milles 
en largeur et en longueur, et jamais plus 
de six pas de profondeur, de sorte que les 
grands vaisseaux ne peuvent y entrer; 
mais les marchands qui se rendent de 
Constantinople k Matriga envoient leurs 
barques jusqu'au fleuve du Tanais, pour 
acheter du poisson sec , c'est-a-dire de 
I'esturgeon et de la barbue, avec quantite 
d autres poissons. 

Cette province de Cesaree a Irois cotes 
baignes par la mer , savoir : Touest, ou 



— 6 -— 

est Kersona, la ville de Clement; au midi, 
oti est la ville de Soldaia, vers laquelle 
nous nous dirigeames et qui est la pointe 
du pays, et h I'est, oU est Matriga, Tem- 
bouchure du Tanais. Au-del^ est le Si- 
chie '*^, qui n'obeit pas aux Tartares. En- 
suite, vers le sud, est Trebizonde '^ qui a 
un seigneur particulier, nomme Guy; il 
est de la race des empereurs de Constanti- 
nople et obeit aux Tartares. Puis Sinopo- 
lis, soumise au soudan de Turquie, qui 
leur obeit aussi. Puis la terre d'Eusta- 
che'2^ c[ont le fils se nomme Ascar, du 
nom de son aieul maternel, et qui est in- 
dependant. De I'embouchure du Tanais k 
Touest jusqu au Danube vers Constanti- 
nople, la Valachie*^, qui est le pays d'As- 
san, et la Bulgarie mineure'4 jusqu'^ la 
Slavonie. Toute cette contree paie tribut 
aux Tartares ; et meme dans les dernieres 
annees, outre le tribut convenu, les do- 
minateurs ont pris par chaque maison 
une hache et tout le ble qu'ils ont pu trou- 
ver. Nous arrivdmes k Soldaia le douze des 
kalendes de juin (le 21 mai). Nous y 
avions ete precedes par des marchands de 
Constantinople qui avaient de]k fait cou- 
rir le bruit que des ambassadeurs de la 
Terre-Sainte allaient se rendre aupr^s de 
Sartach '5. Cependant j'avais dit publi- 
quement, le dimanche des Rameaux, dans 
leglise de Sainte-Sophie , que je netais 
envoye ni par vous ni par personne, mais 



- 7 — 

que ) allais precher chez les mecreants se- 
lon la r^gle de notre ordre. Arrive dans 
cette ville de Soldaia, les marchands me 
donnerent le conseil de parler avec pru- 
dence, parce qu'ils avaient annonce que 
j'etais ambassadeur ; et si je disais le con- 
traire, on pourrait m'empecher de pour- 
suivre mon chemin. Alors je parlai ainsi 
aux capitaines de la ville, ou plut6t k leurs 
lieutenants , parce que les capitaines 
etaient alles, pendant I'hiver, porter le tri- 
but a Baton et qu'ils n'etaient pas encore 
de retour : « Nous avons entendu dire en 
Terre-Sainte que votre seigneur Sartach 
etait Chretien, et tous les Chretiens sen 
sont tr^s-r^jouis, et surtout le seigneur des 
Francs, le roi tr^s-chrdtien, qui est venu 
dans la Palestine et combat les Sarrazins 
pour arracher les lieux saints de leurs 
mains. Je veux done me rendre aupr^s de 
Sartach, et lui porter des lettres clu roi, 
mon maitre, dans lesquelles il Tentretient 
des int^rets de toute la chretiente. » Et ils 
nous accueillirent favorablement et nous 
donndrent Thospitalite dans Teglise epis- 
copale. Et Tev^que de cette eglise, qui 
avait ete recu par Sartach, m'en dit beau- 
coup de bien; ce que je n'ai pas constate 
dans la suite. 

Alors, ils nous donnerent k choisir en- 
tre des chariots atteles de boeufs pour 
transporter notre bagage, ou bien des che- 
vaux comme sommiers; et les marchands 



— 8 — 

de Constantinople me conseill^rent de ne 
pas accepter les chariots, mais plutot d'en 
acheter qui fussent couverts, pareils k 
ceux avec lesquels les Russes transpor- 
tent leurs fourrures; dans ces chariots 
j'enfermerais tout ce dont je n'aurais pas 
journellement besoin. Que si j'acceptais 
les betes de somme, ii me faudrait les 
charger et d^charger dans chaque au- 
berge *^, et de plus marcher h pas lents a 
cote des boeufs. Je suivis leur conseil, qui 
n'etait pas bon cependant, parce que je 
mis deux mois k aller chez Sartach, tan- 
dis qu'un seul m'aurait suffi si j'avais eu 
des cnevaux. 

A Constantinople, j'avais pris avec 
moi des fruits et du vin muscat et du bis- 
cuit delicat, d'apr^s le conseil des mar- 
chands, pour les ofFrir aux chefs de la ville, 
et cela dans Tespoir qu'ils rendraient notre 
voyage plus facile, parce qu'ils ne voient 

f)as de Don ceil ceux qui viennent ^ eux 
es mains vides. N'ayanl pas rencontre la 
les capitaines de la ville, je deposai mes 
provisions dans un chariot, parce qu'on 
m'affirma que je ferais chose agreable k 
Sartach si je pouvais faire parvenir ces 
presents jusqu a lui. 

Nous nous mimes done en route vers 
les kalendes de juin (le i*''" juin) avec qua- 
tre chariots couverts, et deux autres qu'on 
nous avait donnes pour transporter les 
matelas {lectiscrinia) qui devaient nous 



— 9 - 

servir k reposer la nuit. Nous reclames en- 
core cinq chevaux de selle, parce que 
notre caravarie se composait de cinq per- 
son nes, moi, mon compagnon frere Bar- 
tholomee de Gremone, et Gosset ou Gossel 
porteur des presents, et un homme de 
Dieu, un Turcoman qui nous servit d'in- 
terprete; plus, un jeune homme, nomme 
Nicolas, que j'avais achet^ de nos aumo- 
nes. On nous donna aussi deux hommes 
pour conduire nos chariots et garder nos 
boeufs et nos chevaux. 

Or, il y a sur cette mer des promontoi- 
res trds-eleves depuis Kersona jusqu'sl 
Tembouchure du Tanais. et quarante cha- 
teaux entre Kersona et Soldaia. Dans 
chacun de ces chateaux on parle une lan- 
gue particuliere. J'y ai vu aussi beaucoup 
de Goths, dontl'idiome est le teutonique »^. 

Ayant passe les montagnes du Nord, 
on trouve une belle foret dans une plaine 
traversee de ruisseaux et ou jaillissent des 
sources d'eau vive, et apr^s cette fontaine, 
il y a une vaste etendue de terre ; il a fallu 
cinq jours pour la traverser et atteindre 
I'exlremite septentrionale de cette pro- 
vince. La mer enserre cette terre k Test et 
k Touest, et la fait ressembler k un large 
foss^. 

Les Comaux '7 s'etaient fixes dans cette 
plaine avant la venue des Tartares, et 
avaient force les villes et les chateaux k 
leur payer tribut ; et lorsqu'ils furent ex- 



— 10 — 

pulses par ceux-ci , ils envahirent cette 
province en si grand nombre qu'ils attei- 
gnirent les rivages de la mer et que les 
vivants mangdrent les mourants, au rap- 
port d'un marchand qui pretend avoir vu 
cela. Les vivants d^voraient et dechiraient 
k belles dents les chairs crues des morts, 
comme les chiens des cadavres. 

A I'extremite de cette province se voient 
beaucoup de grands lacs; sur leurs rives 
il y a des salines naturelles, dont I'eau, 
d^s qu'elle entre dans le lac, s epaissit en 
sel et se durcit comme de la glace, et Ba- 
tou et Sartach retirent de ces salines de 
gros revenus, parce que de toute la Russie 
on y vient chercher du sel, et pour chaque 
chariot charge, on donne deux pidces de 
toile de coton qui valent une demi-yper- 
pdre '8. La, viennent aussi par mer beau- 
coup de navires pour s'approvisionner de 
sel ; ils paient un tribut proportionne k la 
cargaison. 

Apr^s avoir quitte Solda'ia, nous ren- 
contrames au bout de trois jours les Tar- 
tares, et il me semblait que j'entrais dans 
un autre si^cle. Je vous decrirai leur vie 
et leurs moeurs comme je pourrai. 




lb^^W^(^^(fiV^e^e^'5=r4 







LES TART A RES 



I 



Ls n'ont aucune residence rixe et ignorent 
oCi ils seront le lendemain. lis se par- 
tagent la Scythie, qui s'etend du Danube 
^ rextreme Orient (oti le soleil se l^ve), et 
chaque capitaine, selon qu'il a plus ou 
moins d'hommes sous son commande- 
ment, salt les limites de ses pdturages et 
oU 11 doit mener paitre ses troupeaux en 
hiver et en dte, au printemps et en au- 
tomne. 

Car, en hiver, ils descendent vers des 
r^ions plus chaudes, situees au sud ; en 
dte, ils remontent vers des climats plus 
froids, au nord ; en hiver, lorsqu'il y a de 
la neige, ils se tiennenc dans les pliturages 
depourvus d'eau,parce que la neige leur 
en tient lieu. Les maisons dans lesquelles ils 
dorment, ils les construisent sur des roues, 
avec des baguettes entrelacees qui conver- 
gent toutes en haut, de mani^re k former 
une esp^ce de cheminee, qu'ils recouvrent 



— 12 — 

d'un feutre blanc. lis enduisent tr^s- 
souvent ce feutre de chaux ou terra blan- 
che et de- poudre d'os, afin que le tout 
resplendisse davantage. Cependant ils em- 
ploient aussi quelquefois le noir, et pei- 
gnent de couleurs varices le sommet de la 
cheminee. lis suspendent egalement de- 
vant la porte une peau chatoyante. Ce feu- 
tre est couvert de peintures qui represen- 
tent des vignes et des arbres, des oiseaux 
et des quadrup^des. Et ils font ces maisons 
si grandes, qu elles ont parfois trente pieds 
en largeur. Car j'en ai mesure, moi-meme, 
une qui avait bien vingt pieds de distance 
entre les roues d'un cliariot, et quand la 
maison etait sur le chariot, elle depassait 
bien chaque roue de cinq pieds au moins. 
J*ai compte, atteles ^ un seul chariot, 
vingt deux boeufs trainant une maison, 
onze qui marchaient en ligne, parall^le- 
ment k la largeur du chariot et k onze au- 
tres boeufs qui les precedaient. L'essieu 
du chariot etait grand comme un mat de 
navire. Un seul homme se tient k la porte 
de la maison sur le chariot, et excite les 
boeufs. lis font, en outre, des coffres carres 
avec de Tosier entrelac^, leur donnent la 
forme d'une grande arche, y pratiquent k 
un des bouts une petite porte, recouvrent 
ensuite cette caisse d'un feutre noir, enduit 
de suif ou de lait de brebis, afin d'empe- 
cher la pluie d'y pen^trer, et la decorent 
de broderies ou de peintures. Dans ces 



— i3 — 

cofires, ils ddposent tous leurs ustensiles et 
leurs objets les plus precieux ; puis ils les 
attachent solidement, avec des cordes, sur 
des chariots eleves que trainent des cha- 
meaux, afin qu'ils puissent traverser des 
fleuves. Ces coffres ne sont jamais descen- 
dus des chariots. Quand les Tartares s'ar- 
retent quelque part, ils tournent toujours 
la porte de leurs maisons vers le midi, et 
rangent autour les chariots avec les coffres 
92I et li, ^ un demi jet de pierre les uns des 
autres, de sorte que la maison se trouve 
entre deux rangs de chariots comme entre 
deux murs. Les femmes se font elles-me- 
mes de si beaux chariots, que je ne saurais 
les decrire; je devrais les depeindre, et je 
vous les depeindrais tous » si je savais 
peindre. Un riche Moal ou Tartare a bien 
cent k deux cents chariots avec des coffres. 
Batou a vingt-six femmes, dont chacune a 
une grande maison , suivie de plusieurs 
autres petites, qui sont comme des appar- 
tements particuliers qu'habitent les ser- 
vantes, et k chacune de ces maisons appar- 
tiennent deux cents chariots. Quand on 
s'arrete, la premiere femme fait placer sa 
cour du cote ouest et ainsi de suite, de ma- 
ni^re que la derni^re femme aura la sienne 
k Test. — L'espace reserve entre la cour 
d'une femme et celle d'une autre est d'un 
jet de pierre. La cour d'un riche Moal ap- 
paraitra done comme une grande ville, 
quoiqu'il y ait peu d'hommes. La moindre 



— 14 — 

de ses femmes conduira vingt k trente cha- 
riots, car le pays n'est pas accidente. Les 
chariots, avec leurs boeufs ou leurs cha- 
meaux, sont lies k la file. Tun apr^s I'au- 
tre ; une femme monte le premier chariot 
et tous les autres suivent du m^me pas. 
S'ils ont un passage difficile k traverser, 
on ddlie les chariots et chacun passe isole- 
ment. On marche done lentement, comme 
peut marcher un mouton ou un boeuf. 

Lorsque les maisons sont rangees, la 
porte vers le midi, on met le lit du mai- 
tre au nord. La place des femmes est 
tou jours k Test , c'est-^-dire k la gauche 
de Ja maison du maitre, lorsqu'etant 
dans son lit il a la figure tournee vers le 
midi. La pJace des hommes est k I'ouest, 
c'est-^-dire k droite. Les hommes qui en- 
trent dans la maison ne peuvent jamais 
suspendre leurs carquois du cote des fem- 
mes. Et au-dessus de la tete du maitre, il 
y a toujours une image pareille k une 
poupee ou k une statuette de feutre, qu'on 
appelle le fr^re du maitre de la maison;. 
une autre semblable est au-dessus de la 
tete de la premiere femme, on I'appelle le 
fr^re de la dame, et elle est attachee k la 
muraille. Au-dessus de Tune ou de Tautre 
des femmes, il y a une petite statuette qui 
est comme la gardienne de toute la mai- 
son. La maitresse du logis etend k sa 
droite, au pied du lit place dans un en- 
droit ^leve, une peau de chevre couverte 



— i5 — 

de laine ou d'autre mati^re, et pr^s de 
celle-ci une autre petite statuette dont la 
face est fixee sur les femmes et les servan- 
tes. Prds de la porte, du c6t^ des femmes, 
est encore une autre image avec un pis de 
vache pour les femmes chargees de traire 
les vaches; car c'est la besogne qui in- 
combe aux femmes. Pr6s de la meme porte 
et du c6t^ des hommes, est une autre sta- 
tuette avec un pis de cavale, pour les hom- 
mes charges de traire les cavales. Et lors- 
qu'ils s'assemblent pour boire, ils aspergent 
d'abord de leur boisson I'image qui est au- 
dessus de la tete du maitre, ensuite les au- 
tres images en suivant Tordre hierarchi- 
que. Puis, un ministre sort de la maison 
avec une coupe pleine d'un breuvage et 
asperge trois fois vers le midi en flechis- 
sant trois fois le genou, et cela pour reve- 
rer le feu ; ensuile vers I'orient, pour reve- 
rer Tair; ensuite vers I'occident, pour 
reverer Teau; et enfin vers le nord, pour 
honorer les morts. 

Quand le maitre de la maison tient sa 
coupe en main et s'apprete k boire, il verse 
d'abord il terre une partie du liquide. S'il 
veut boire etant k cheval, il en repand 
d'abord sur le cou ou sur la criniere du 
cheval. Ensuite, le ministre en repandra 
aux quatre points cardinaux et regagnera 
la maison, et deux serviteurs, munis cha- 
cun d'une coupe et de sa patene, portent 
k boire au maitre et k sa femme assise k 



— lb — 

ses cotes sur le lit. Et lorsqu*il a plusieurs 
femmes, celle avec laquelle il a passe la 
nuit se tient k ses cotes le jour, et il faut 
que toutes les autrcs se rendent dans celte 
maison pour boire, et 1^ se tiendra cour 
plenidre en ce jour, et tous les presents 

3ui sont ofTerts en ce jour son! deposes 
ans les tresors ^q cette dame. A Tentree 
de la maison, est place un banc oti se 
trouvent des tasses et une outre pleine de 
lait ou d'autre boisson . 

En hiver, les Tartares font une tr^s- 
bonne boisson avec du riz, du milet, du 
froment et du miel, et elle est limpide 
comme du vin, car le vin leur vienc d'as- 
sez loin. En ^te, ils ne boivent cjue le 
cosmos »9. Le cosmos se trouve toujours k 
Tentree de la maison, ou se lient cons- 
tamment un joueur de guitare. -Je n'ai 

Eas vu 1^ nos cistres ni nos vielles, mais 
eaucoup d'autres instruments que nous 
ne connaissons pas. Et lorsque le maitre 
de la maison commence k boire, un de 
ses ministres s'ecrie k haute voix : « Ha I » 
et le menestrier fait resonner aussitot sa 
guitare ; et quand il y a grande fete, tous 
applaudissent alors des mains et dansent 
aux sons de la guitare, les hommes devant 
le seigneur, les femmes devant la dame ; 
et lorsque le seigneur a bu, le ministre 
crie de nouveau et le joueur de guitare 
se tait. Alors, hommes et femmes, tous 
boivent tour ^ tour k Tenvi et quelquefois 



— ^7 



ils boivent d'une manidre fort degoutante 
et gloutonne. Et quand ils veulent pro- 
voquer quelqu*un k boire, ils le prennent 
par Ics oreiiles et les tirent avec violence 
pour lui dHater le gosier, et Ton applau- 
dit et Ton danse devant lui. De meme, 
quand on veut ofirir une grande fete k 
^uelqu'un et lui temoigner une grande 
joie, Tun prend la coupe pleine, et deux 
autres se mettent k sa droite et k sa gau- 
che, et ils viennent ainsi tous les trois en 
chantant et en dansant vers celui k qui 
ils veulent pr&enter la coupe, et ils chan- 
tent et ils dansent devant lui ; et lorsque 
celui-ci tend la main pour recevoir la 
coupe, eux la retirent aussitot, et ils re- 
commencent ce manege trois ou quatre fois, 
lui presentant et retirant la coupe jusqu'^ 
ce qu'il ^prouve le besoin de boire; et 
alors ils la lui abandonnent, et ils chantent 
et ils applaudissent des mains et frappent 
des pieds lant qu'il boit. 

Vous saurez que les Tartares mangent 
indiffiremment la chair de leurs animaux 
morts ou tues, car il en meurt de leur 
belle mort dans un si grand nombre de 
troupeaux. Cependant, en ete, ils ne pren- 
nent pas d autre nourriture que le cosmos. 
Cette boisson est du lait de jument et ils 
en font usage aussi longtemps qu'elle n'est 
pas epuisee. Si alors il arrive qu'un che- 
val ou qu*un boeuf meure, ils en coupent 
les chairs par tranches et les font dessecher 



— i8 — 

en les exposant au soleil et au vent, et 
celles-ci sans etre salees s^chent tres-bien 
et ne repandent aucune odeur. Avec les 
boyaux ils font des andouilles meilleures 
que celles que Ton fait avec du pore, et 
ils les mangent toutes fraiches. Le reste 
des chairs est reserve pour Thiver. 

Avec les peaux des boeufs, ils font des 
outres, qu'ils dessechent admirablement ^ 
la fumee. Avec la partie posterieure de la 
peau du cheval, ils font de trds-belles san- 
dales. De la chair d'un mouton, ils nour- 
rissent cinquante ^ cent hommes ; car ils 
la coupent en petits morceaux dans une 
dcuelle et Tassaisonnent de sel et d'eau; ils 
ne connaissent point d'autre sauce; puis 
avec la pointe du couteau ou de la four- 
chette qu'ils approprient k cet effet, et 
avec laquelle nous mangeons des poires et 
des pommes cuites au vin, ils en presen- 
tent une bouchee ou deux k chacun des 
assistants, selon le nombre des convives. 
Le maitre k qui on a presente, avant tout 
autre, la chair de mouton, en prend d'a- 
bord ce qui lui plait ; et s'il en donne un 
morceau, il faut que celui qui Taccepte le 
mange seul, et il n'est permis k personne 
de lui en offrir ; et s'il ne peut le manger 
en entier, il emporte le reste avec lui ou 
le remet k son valet s'il est present, ou 
bien le depose dans son captargac, c'est-^- 
dire une bourse carree que les Tartares 
ont communement avec eux pour toutes; 



— 19 — 

ces choses. Dans ce sac, ils jettent aussi les 
OS qu'ils n'ont pas eu le temps de ronger, 
mais qu'ils rongeront plus tard, et cela 
afin qu'il ne se pcrde pas la moindre 
parcelle de nourriture. 



1 




■a'' 







LE COSMOS 



LEUR cosmos^ c'est-^ direlelaitdejument, 
se fait de celte manidre. lis tendent 
une corde k deux poteaux fiches en terre, 
et k cette corde ils attachent les poulains 
des juments qu'ils veulent traire. Les md- 
res sont conduites ensuite auprds de leurs 
poulains et se laissent alors traire sans dif- 
ficuite. S*il en est une insoumise, un 
homme prend un poulain et lui fait un 
instant teter sa m^re, puis le retire et aus- 
sitdt celui qui est charge de la traire le 
remplace. Aprds avoir recueilli une grande 
quantite de ce lait, qui est aussi doux que 
celui de la vache, surtout quand il est 
frais, ils le versent dans une outre im- 
mense ou tout autre vase, et se mettent ^ 
le battre avec une pidce de bois preparee 
pour cela, grosse a la partie inferieure 
comme une tete humaine et creuse en de- 
dans. Dds qu'ils le battent, il commence k 
bouillon ner comme du vin nouveau, et ^ 
aigrir ou fermenter, et ils I'agitent jusqu'^ 



^^^^'^^^^^^^-^-^^^'^^ 



CE (lUI SE TROUVE EN TARTARIE 



LEs grands ont leurs metairies au midi , 
dont ils retirent du mil et de la farine 
pour I'hiver, Les pauvres s'en procurent en 
echange de peaux et de moutons. Les 
esclaves se remplissent le ventre d'eau sale 
et ils s'en contentent. Mais ils prennent 
des souris, dont il y a de nombreuses va- 
ri^tes. Ils ne mangent pas les souris k lon- 
gue queue, mais les donnent aux oiseaux. 
Ils mangent des liroux et toutes sortes de 
souris k courte queue. II y a aussi beau- 
coup de marmotes, qu'ils appellent sogur; 
I'hiver, elles se rassemblent dans un fosse 
au nombre de vingt ou trcnte, et dorment 
durant six mois; ils les prennent par 
masse. II se trouve encore des cornils qui 
ont une longue queue comme des chats, et 
au sommet de cette queue, des polls noirs 
et blancs. II y a egalement beaucoup d'au- 
tres petites botes bonnes k manger, qu'ils 
savent parfaitement distinguer. Je n'ai 
point vu de cerfs, peu de li^vres, beaucoup 



— 26 — 

de gazelles. J'ai vu des dnes sauvages en 
grande quantite, pareils k des mulcts. J'ai 
vu une autre espece d'animal que les Tar- 
tares nomment Arcal ou Artax, dont le 
corps est comme celui du belier; ses cor- 
nes recourbees sont d'un tel poids, qu'^ 
peine ai-je pu d'une main en soulever 
deux, et ils font de ces comes de grandes 
coupes k boire. Ils ont aussi des faucons, 
des gerfaux et des cigognes par bandes. 
Ils portent les oiseaux de proie sur la 
main droite; ils mettent toujours au cou 
du faucon une petite courroiequi lui pend 
jusqu'au milieu de la poitrine, et au moyen 
de laquelle, quand ils lachent le faucon 
vers la proie, ils inclinent avec Ja main 
gauche la tete et la poitrine de Toiseau, 
afin qu'il ne soit pas enleve par le vent ni 
emporte en haut. La chasse leur procure 
done la plus grande partie de leur nourri- 
ture. 




!SS£l^iSS£5£^^ 



HABILLEMENTS 



POUR ce qui est des vetements et du cos- 
tume des Tartares, vous saurez que du 
Catai et de la Perse et d'autres contrees du 
midi et de Torient, les Tartares ont des 
etoffes de soie et d'or, et des toiles de co- 
ton, dont ils s*habillent en ete. De la Rus- 
sie, du Moxel 22^ de la grande Bulgarie, 
de Pascatir ou la grande Honerie et de 
Kersis ^3^ qui sont des regions situees au 
nord et couvertes de forets , et encore 
d'autres pays septentrionaux, ils resolvent 
toutes sortes de peaux precieuses, que je 
n'ai Jamais vues dans notre patrie et dont 
ils se vetissenten hiver. Dans cette saison, 
ils portent toujours sur eux au moins deux 
peaux ou pelisses, une dont Je poll est en 
dedans, Tautre dont le poil est en dehors 
contre le vent et la neige; et ces peaux 
proviennent le plus souvent de loups, de 
renards ou de paons (papionibus); et lors- 

au'ils restent chez eux, its en ont une plus 
elicate. Les peaux qui servent de man- 



• — 23 — 

teaux aux pauvres, sont de chiens ou de 
chevres. 

Quand ils se livrent k la chasse, ils se 
rassemblent en grand nombre et envelop- 
pent le territoire ou ils savent qu'il y a du 
gibier, et s'approchent peu k peu jusqu'^ 
ce qu'ils Taient enferme comme dans un 
cercle; ils lui lancent alors leurs fldches. 
lis font aussi des hauts de cfaausses de ces 
peaux. Les riches garnissent. leurs v^te- 
ments d'etoupes de sole douce, l^g^re et 
chaude ; les pauvres, de toile de coton et 
de laine; pour cela, ils extraient les parties 
les plus delicates d'une laine grossidre. De 
celle-ci, ils font du feutre pour garnir 
leurs maisons, leurs cofFres et leurs lits. 
Ils font aussi des cordes avec de la laine 
melangee d'un tiers de crins de cheval. 
Avec le feutre, ils font encore des man- 
teaux, des couvre-selles et des cappes con- 
tre la pluie; de sorte qu'ils font un grand 
usage de laine. Vous avez vu Thabille- 
ment deshommes. 

Les hommes se rasent le sommet de la 
tete en carre et les deux cotes jusqu'aux 
tempes; puis les tempes et le col jusqu'a la 
cavite du cerveau, et le front jusqu'sl la 
nuque, oti ils laissent une touffe de che- 
veux qui viennent joindre les sourcils. Ils 
ne degarnissent pas I'occiput, et, des che- 
veux qui ornent celte partie de la tete, ils 
font des moustaches qu'ils nouent et ra- 
menent jusqu'aux oreilles. 



^ 29 — 

Les habillements des jeunes filles ne dif- 
ferent pas de ceux des hommes, si ce n'est 
qu'ils sont un peu plus longs. Mais le len- 
demain de leur manage, elles se rasent les 
cheveux depuis le milieu de la tete jus- 
qu'au front, et portent une large tunique 
comme le capuchon d'une religieuse, mais 
un peu plus large et plus longue que cc- 
Jui-ci, fendue par devant et attachee sous 
le c6te droit ; car en ceci , les Tartares 
ft'observent pas I'usage des Turcs ; ces der- 
niers attachent toujours leur tunique k gau- 
che, et ceux-1^ k droite. 

En outre, les femmes ont un ornement 
de tete qu'elles appellent bocca ou botta; 
elles le font d'ecorce d'arbre ou de toute 
autre mati^re, la plus Idgere qu'elles puis- 
sent trouver. Cette coiffure est grosse et 
ronde et pent tenir entre les deux mains; 
elle est longue d'une coudee et davantage, 
et carree par en haut comipe le chapiteau 
d'une colonne. Elles recouvrent cet orne- 
ment, qui est creux k Tinterieur, d'une 
etoffe de sole precieuse et, sur cette esp^ce 
de chapiteau, elles fixent des tuyaux de 

f)lumes ou de Cannes leg^res, egalement de 
a longueur d'une coudee et plus. Et dans 
ces tuyaux, elles placent des plumes de 
paon, et tout k f'entour des plumes de 
queues de malart avec des pierres precieu- 
ses. Les grandes dames mettent cet orne- 
ment au sommet de la tete, et le serrent 
au moyen d'une aumusse, qui a une ou- 



- 32 - 

destin^ k la recevoir est lave avec du brou 
bouillant de la chaudiere, et apr^s, eiles Vy 
reversent. Elles font aussi du feutre et en 
recouvrent leurs maisons. 

Les hommes font des arcs et des filches, 
fabriquent des mors et des brides, des sei- 
les de chevaux, charpentent des maisons 
et des chariots, gardent les chevaux et 
traient les juments, battent le lait pour en 
faire du cosmos, c'est-^-dire du lait de ju- 
ment, et font les outres oti ils I'enferment; 
ils gardent aussi les chameaux et les char- 
gent. Us mdnent paitre ensemble les brebis 
et les ch^vres, et tantot les femmes, tantdt 
les hommes les traient indifferemment. 
Les peaux sont preparees avec du lait 
caille et sale. Pour se laver les mains et la 
tete, les Tartares s'emplissent la bouche 
d'eau et la versent peu d peu sur leurs 
mains et avec cette meme eau s'humec- 
tent les cheveux et se lavent la tete. 






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i^M^i£.M.^t&M..^^OK& 



MA RI AGES 



POUR ce qui est du manage, vous saurez 
que personne n'obtient femme s'il ne 
Tach^te ; ce qui fait qu'il y a souvent beau- 
coup de jeunes tilles ; car leurs parents les 
gardent touiours jusqu'^ ce qu'ils les ven- 
dent. Les lartares observent les degrds 
de consanguinity, le premier et ledeuxieme 
seulement, mais ils ne connaissent pas 
ceux de I'affinite. Ils peuvent posseder a la 
fois deux soeurs, ou les epouser successive- 
ment. Parmi eux, nulle veuve ne se rema- 
rie, par la raison qu'ils croient que toutes 
les femmes qui les ont servis dans cette vie 
les serviront dans lautre, et que chaque 
veuve aprds la mort retournera k son pre- 
mier mari. D'oti ce honteux usage que le 
fils epouse quelquefois toutes les femmes 
de son p^re, excepte sa propre m^re. En 
effei, c'est une obligation pour le plus 
jeune des fils de se charger de la famille du 
p^re et de la mdre, d'oti cette autre obliga- 
tion de pourvoir aux besoins de toutes les 



-34- 

femmes delaissees par son p^re, et, s'il le 
veut, il use d*elles comme epouses, pjarce 
que cela n'est pas repute comme injure, 
elles rejoignent le p^re apr^s la mort ; 
done, si quelqu'un est' tomb^ d'accord 
avec le p6re d*une jeune fille, celui-ci ofFre 
un banquet, et elle court se cacher chez ses 
plus proches parents. Puis, le p^re dit : 
« Voil^ ma fille, elle est k toi, tu peux t'en 
« emparer partout oti tu la trouveras. » 

Alors, il la cherche avec ses amis jus- 
qu'^ ce qu'il la trouve, et il faut qu'il la 
saisisse par la force et la conduise chez lui 
presque malgrd elle. 



es^^i^ 




JUSTICE 



POUR ce qui est de leur justice, vous sau- 
rez que lorsque deux' hommes se dis- 
putent personne n'ose intervenir, meme le 
p^re n'ose venir en aide k son fils; mais 
ceiui qui succombe en appeile k la cour 
du seigneur, et si, apr6s I'appel, queiqu'un 
le louche, il est tue. Mais il faut que cela 
se fasse promptement et sans deiai, et que 
celui qui a souffert Tin jure soit emmene 
comme prisonnier. La peine de mort n'est 
prononce'e qu'autant que le coupable soit 
pris en flagrant delit ou ait avoue son 
crime. Mais s'il est accuse par la voix pu- 
blique, on le met k la torture pour ob- 
tenir son aveu. L'homicide et aussi I'adul- 
t^re sont punis de mort, mais il faut que 
Tadultdre ait ete commis avec une femme 
qui ne soit pas de la domesticite du cou- 
pable ; car il est permis de faire avec une 
esclave ce qui plait au maitre. Ilspunissent 
encore de mort Tauteur d'un vol enorme. 
Pour le vol leger, comme celui d*un 



— 36 — 

mouton, pourvu que le coupable ne soit 
pas pris en flagrant d^lit, ils le trappent 
cruellement , et si on lui donne cent 
coups, on se sert de cent batons. Je park 
de ceux qui sont frappes par sentence de 
la cour. Ceux qui se font passer pour am- 
bassadeurs et ne le sont pas, sont mis a 
mort. De meme, pour ceux qui se livrenc 
aux sortileges, parce qu*on les conbidere 
comme nuisibles. 





FUNERAILLES 



Ala mort de quelqu'un, les Tartares le 
pleurent en poussant des hurlements, 
et alors ils sont exempts toute Tannee de 
payer tribut. Et si quelqu'un se trouve 
present k la mort d'un jeune adulte, il 
n'entrera plus le reste de I'annee au palais 
du grand khan ; si c'est d'un petit enfant, 
il n'y entrera qu'apres la prochaine lunai- 
son. Si le defuntest de la noblesse, c'est- 
^-dire de la race de Chingis qui fut I'au- 
teur et le seigneur des Tartares, on place 
sur la sepulture du defunt une des maisons 
qui lui ont appartenu. On ne sait oii est la 
sepulture de Chingis. Autour des cimetie- 
res des nobles, il y a toujours une auberge 
pour les gardiens des tombeaux. Je n'ai 
pas appris qu'ils enterrent leurs niorts 
avec leurs tresors. Les Comans elevent un 
grand tertre sur leurs morts, et sur ce ter- 
tre une statue la facetournee vers I'orient, 
une coupe a la main, a la hauteur du 
nombril. lis dressent aussi aux riches des 



4* 



N»^M«MV 



— 38 — 

pyramides ou petits ^ificcs pointus, et j ai 
vu en certains endroits de grandes tours 
faites de briques cuites, et, en d'autres, 
des maisons de pierres, quoiqu'il ne se 
trouve pas de pierres dans le pays. 

J'ai vu dernidrement un tombeau, au- 
tour duquel ils avaient suspendu k des per* 
ches seize peaux de cheval, quatre a cna- 
cun des points cardinaux du monde. lis y 
avaient depose du cosmos afin que le mort 
put boire, et de la viande afin qu'il ptit 
manger, et cependanton disait de lui qu'il 
avait ete baptise. J'ai vu d'autres sepul- 
tures vers 1 orient; c'etaient de grandes 
aires jonchees de pierres, les unes rondes, 
les autres carrees, ensuite quatre pierres 
longues dressees, aux quatre points car- 
dinaux, autour de I'aire. 




.^«^^«^^^^^.^^«^^«^^ 



MALADIES 



LORSQUE quelqu'un est malade, il se met 
dans son lit, et Ton expose un signal au- 
dessus de sa maison, pour indiquer que \S^ 
il y a un maladc et que personne n'y pent 
entrer; ce qui fait gue personne ne le vi- 
site, si ce n est celui qui le sert. 

Si quelqu'un des grands de la cour est 
soufFrant, on place autour de sa demeure 
des gardes qui veillent ^ ce que personne 
n'en franchisse le seuil. Car on craint que 
le vent ou quelque mauvais esprit n'y pe- 
netre avec les visiteurs. 

Chez les Tartares, les pretres sont les 
devins. 



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•^v-Kf^vVS^vK^v-K^v^^ 





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cuRiosnt: des tar tares 



OUANDnousentramcs parmi ces barbares, 
il me semblait, ainsi que je I'ai dit plus 
haut, que j'entrais dans un autre siecle. 
lis nous entour^rent en restant k cheval, 
aprds nous avoir iait attendre longtemps 
a Tombre de nos chariots. La premiere 
question qu'ils nous adresserent fut de sa- 
voir si nous etions deja venus chez eux. 
Sur notre reponse negative, ils nous de- 
manddrent impudemment a manger. Nous 
leur donnames du biscuit et du vin que 
nous avions apportes avec nous de la ville, 
et apr^s avoir bu une bouteille de vin, ils 
en demand^rent une seconde, disant qu'un 
homme n'entre jamais dans une maison 
avec un seul pied; mais nous la refusames 
en nous excusant sur notre faible approvi- 
sionnement. Alors ils nous demanderent 
d*oii nous venions et oti nous voulions al- 
ler. Je leur repetai ce que j'ai dit plus 
haut, a savoir que nous avions appris que 
Sartach etait Chretien et que nous desirions 



— 42 — 

nous rendre aupres de lui, parce que j'a- 
vais ^ lui remettre des lettres de vous. lis 
demand^rent aussitot si je venais de ma 
propre volonte ou si j'etais envoye. Je re- 
pondis que personne ne me forcait d aller 
vers lui et que si j'allais le trouver, c etait 
ma volonte et aussi celle de mon supe- 
rieur. Je me gardai bien de dire que j'etais 
votre ambassadeur. Alors ils me demands- 
rent ce qu'il y avait dans les chariots, si je 
portais ^ Sartach de Tor ou de I'argent, ou 
bien des vetements precieux. J*ai repondu 
que Sartach verrait bien ce que nous lui 
apportipns quand nous serions arrives prts 
de lui et qu'ils n*avaient pas, eux, ^ se 
preoccuper de cela ; je leur dis de me faire 
conduire auprds de leur chef, et que, s'il le 
voulait, il me ferait accompagner aupr^ 
de Sartach : sinon, que je men retourne- 
rais. 

Or, il y avait alors, dans cette province, 
un gouverneur parent de Batou et qui se 
nommait Scatatai ; le souverain de Cons- 
tantinople lui avait adresse des lettres de 
recommandation, par lesquelles il le priait 
de me permettre de passer. Alors, ils con- 
sentirent k nous fournir des chevaux et 
des boeufs, et deux hommes pour les con- 
duire ; et ceux qui nous avaient amenes 
s'en retournerent. 

Cependant, avant de nous donner tout 
cela, ils nous firent longtemps attendre et 
nous demandSrent du pain pour leurs pe- 



-43- 

tits enfants, et tout ce qu'ils voyaient en 
possession de nos serviteurs, couteaux, 
gants, bourses, aiguillettes, tout cela exci- 
tait leur curiosite et ils voulaient I'avoir. 
Je m'excusai de ne pouvoir satisfaire leurs 
desirs, parce qu'il nous restait un long 
chemin k parcourir et que nous ne pou- 
vions pas nous priver encore de toutes les 
choses necessaires k notre voyage. Alors 
ils disaient que j'etais un mangeur insa- 
tiable. II est vrai qu'ils nc nous derob^ 
rent rien ; mais ils demandent constam- 
ment et impudemment, et ce que Ton 
donne est perdu, car ils sont ingrats. lis se 
disent les maitres du monde, et il leur 
semble qu'on ne peut rien leur refuser, et 
si on leur donne et qu'on ait jamais besoin 
d'eux, ils s'acquittent tres-mal du service 
qu'on leur demande. 

Us nous donn^rent a boire de leur lait 
de vache, dont ils avaient extrait le beurre 
et qui etait tr^s-aigre. Us appellent ce lait, 
dans leur langage, aira, aj^ra ou agra. 
Enfin nous les quittdmes et il me semblait 
que nous nous etions ecnappes des mains 
des demons. Nous parvinmes le lendemain 
chez leur chef. 

Depuis que nous etions partis de Soldaia 
pour nous rendre aupres de Sartach, c'est- 
a-dire depuis deux mois, nous ne nous 
etions jamais reposes dans une maison ni 
sous une tente, mais toujours sous le ciel 
ou sous nos chariots. Nous ne vimes ja- 



— 44 — 

mais une ville ni trace d*edifice rappelant 
I'existence dune ville, mais nous vimcs 
une multitude de tombeaux de Comans. 
Un soir, notre serviteur, celui qui nous 
conduisait, nous donna a boire du cosmos, 
la nouveaute et I'etrangete de cette boisson 
me lit tressaillir d'horreur. Cependant je 
finis par la trouver douce ce qui est vrai. 



-•^r- 



k^^^^^k^^'i^^'k^k^'k^^ 



CAMPEMENT TARTARE 



LE matin done nous rencontramesles cha- 
riots de Scacatai charges de maisons, 
et il me semblait que nous avions devant 
nous une grande ville. Je fus etonne du 
grand nombre de ses troupeaux de boeufs, 
de chevaux et de moutons, et je ne vis que 
peu de monde pour les conduire. C*est 
pourquoi je demandai combien il avait 
d'hommes avec lui, et Ton me repondit 
qu'il n'en avait pas plus de cinquante et 
que nous en avions vu la moitie dans une 
autre station. Alors, I'un de ceux qui 
etaient charges de nous accompagner me 
dit qu'il fallait offrir quelque chose k Sca- 
catai, et lui-meme nous fit arreter et nous 
devanca pour aller annoncer notre arri- 
vee. La troisi^me heure etait dej^passee; 
ils depos^rent leurs maisons tout pr^s dun 
ruisseau, et I'interprete du kh^n vint a 
nous. En apprenant que nous n'etions ja- 
mais venus chez les Tartares, il nous de- 
manda aussiiot de la nourriture et nous 



-46- 

lui en donnames. II nous demanda aussi 
quelques vetements, en recompense de ce 
qu'il allait traduire nos paroles au maitre. 
Nous nous en excusames. II voulut savoir 
ce que nous portions h son maitre. Nous 
sortimes une bouteille de vin et remplimes 
un panier de biscuits, et un plateau de 
pommes et d'autres fruits; mais cela nelui 
plaisait pas parce que nous ne donnions pas 
quelque etoffe precieuse. Nous nous avan- 
c^mes cependant pleins de crainte etde res- 
pect. Scacatai etait assis sur son lit, tenant 
une guitare k la main, et sa femme etait 
pr^s de lui ; en la voyant, nous crQmes en 
verite qu'on lui avait coupe le nez, elle 
ressemblait a un singe, car elle n'avait rien 
entre les yeux, et k la place du nez elle 
avait mis un onguent noir, et aussi sur les 
sourcils ; ce qui etait k nos yeux le comble 
de la laideur. Alors je lui parlai dans les 
termes que je vous ai dits. II nous fallut 
en effet toujours repeter la memc chose, et 
nous avions ete prevenus par ceux qui 
avaient ete recus k la cour du khan, que 
nous ne devious jamais changer nos paro- 
les. Je le priai aussi de vouloir bien accep- 
ter un petit present de notre main, m'ex- 
cusant de ce que , dtant moine , je ne 
pouvais, sans desobeir k la r^gle de notre 
ordre, posseder ni or, ni argent, ni habits 
precieux. Je ne pouvais done lui offrir rien 
de pareil, mais je le suppliai d'accepter 
une portion de nos vivres en signe de be- 



— 47 — 

nediction. Alors il fit prendre ce que nous 
lui offrions et le fit distribuer a ses hom- 
ines qui setaient assembles pour boire. Je 
lui remis aussi les lettres de I'empereur de 
Constantinople. Cela fut dans Toctave de 
I'Ascension. II les envoya aussitot k Sol- 
da ia, pour les faire traduire, parce qu*elles 
etaient en grec et qu'il n'avait aupr^s de 
lui personne qui les comprit. II nous de- 
manda aussi si nous voulions boire du 
cosmos, c'est-^-dire du lait de jument, car 
les Chretiens russes,grecs et alains ^5^ qui se 
trouvent parmi les Tartares et veulent ob- 
server fiddement leur loi, ne boivent pas 
cela, persuades qu'ils feraient acte d abju- 
ration en buvant le cosmos. Alors les pre- 
tres les reconcilient avec le Christ comme 
s'ils Tavaient renie. Je repondis done que 
nous en avions suflBsamment, et que s'il 
venait ^ nous manquer, nous boirions ce 
qu'il nous presenterait. II nous demanda 
aussi ce que contenaient les lettres que 
vous envoyiez k Sartach. Je lui dis qu'elles 
etaient closes, et qu'il ne s'y trouvait que 
des paroles aimables et gracieuses. II nous 
demanda encore ce que nous dirions k Sar- 
tach. Je lui repondis : « Des paroles chre- 
tiennes. » II nous reparlit qu'il voudrait 
bien les entendre. Alors je lui exposal le 
symbole de notre foi le mieux que je pus, 
par mon interprdte qui n'etait pas eloquent 
et dont I'intelligence etait peu developpee. 
Nous ayant ecoute, 51 se tut et branla la 



-48- 

tete. Alors il chargea deux hommes de 
veiller sur nous, d'avoir soin de nos che- 
vaux et de nos boeufs, et de conduire nos 
chariots jusqu'au retour de celui que le 
khSn avait envoye s'enquerir du contenu 
des lettres de Tempereur de Constantino- 
ple, et nous, cheminant ainsi avec iui, 
nous atteignimes le lendemain de la Pen- 
tecote. 












LES ALAINS 



LA veille de la Pentecote vinrent ^ nous 
quelques Alains , qu'on nomme Aas ou 
Adas, Chretiens selon le rile grec, ayant 
des pretres grecs et faisant usage de Tecri- 
ture grecque. Toutefois, ils ne sont pas 
schismatiques comme les Grecs, mais ont 
de la veneration pour tout chretien sans 
acception de personne, et ils nous apportd- 
rent de la viande cuite, nous priant d'en 
manger et de prier pour un de leurs 
morts. Je dis alors que c'etait la veille 
d'une grande solennite et qu'en ce jour il 
ne nous etait pas permis de manger de la 
viande. Puis, je leur expliquai cette solen- 
nite. lis en furent tr^s-etonnes parce qu'ils 
ignoraient tout ce qui a rapport au rite 
chrdtien; ils n'en connaissaient que leseul 
nom du Christ. lis nous demanderent 
aussi, eux et beaucoup d'autres Chretiens, 
Russes et Hongrois, s*ils pourront etre 
sauves parce qu il leur faut boire du cos- 
mos et manger de la chair de betes mortes 



— 5o — 

ou tudes par des Sarrazins et autres infide- 
les, choses que les pretres grecs et russes 
considerent eux-memes comme poUuees ou 
consacrees aux idoles , et de plus parce 
qu'ils ignoraient les jours de jeune et que, 
s'ils les connaissaient, ils ne pourraient pas 
les observer. Alors je les eclairai comme 
je pus, les enseignant et les reconfortant 
dans la foi. Nous gardames la viande qu'ils 
nous avaient apportee jusqu'au jour de la 
fete, car nous ne trouvames absolument 
rien ni pour or ni pour argent, si ce n'est 
pour des toiles ou pour d'autres etoffes, et 
nous n*avions rien de tout cela en notre 
possession. Quand nos serviteurs leur 
montraient des iperp^res, ils les frottaient 
entre les doigts et les portaient au nez 
pour sentir si c'etait du cuivre. Ils ne nous 
donnerent d'autre nourriture que du lait 
de vache, tr^s-aigre et fetide. Dej^ le vin 
nous faisait defaut, et les chevaux avaient 
tellement trouble I'eau qu*elle n'etait pas 
potable. Si nous n'avions eu du biscuit et 
n'avions ete aides de la gr^ce de Dieu, 
nous serions certainement morts de faim. 



— -^^^I^o- 





, C^DI c\DX C\D/ c\DX c\9 r c\DX ^ 





UN SARRAZIN 



L 



E jour de la Pentecdte, un Sarrazin vint 
nous parler et nous lui exposdmes no- 
tre croyance. Entendant de quel bienfait 
est pour rhumanite la foi en Tlncarna- 
tion, la resurrection des morts, le juge- 
ment dernier, I'ablution des peches par le 
bapteme, il nous dit qu'il voulait etre bap- 
tist, et comme nous nous disposions h lui 
administrer le sacrement du bapteme, il 
sauta aussit6t ^ cheval disant qu'il allait 
k sa maison demander I'avis de sa femme. 
De retour le lendemain, 11 nous dlt que 
pour rien au monde il n'oserait recevoir le 
bapteme , parce qu'il ne pourrait plus 
boire du cosn^os. Or, les Chretiens de cette 
region disaient qu'aucun vrai chr^tien ne 
devrait boire du cosmos, et que cependant 
sans cette boisson, il n'est pas possible de 
vivre dans cette solitude. 11 me fut impos- 
sible de leur enlever cette opinion. Ce fait 
vous fera comprendre combien les Tarta- 
ressont encore eloign^s de notre religion, 



— 52 — 

k cause de cette opinion qui leur a ete 
iransmise par des Russes, en grand nom- 
bre parmi eux. Ce jour, S^acatai nous 
donna un homme pour nous conduire jus- 
qu'^ Sarlach, et deux autres hommes pour 
nous accompagner jusqu'^i la station la 
plus prochC) qui etait k cinq journees de 
distance, au pas dont marchaient nos 
boeufs. On nous donna encore une chdvre 

f)Our notre nourriture, plusieurs outres de 
ait de vache et un peu de cosmos, parce 
que le Tartare considdre ce breuvage 
comme precieux. 








QQQQQ 



LE KIPTCHAK 



NOUS dirigeant done lout droit vers le 
nord, il me semblait que nous traver- 
s^mes une porte de I'enfer^s. Nos conduc- 
teurs commencaient alors k nous piller au- 
dacieusement , parce qu'ils nous voyaient 
peu soigneux. Nous apercevant des larcins 
qui venaient d'etre commis, nous devin- 
mes plus circonspects. Enfin nous arriva- 
mes aux confins de cette province qui est 
termee par un fosse d'une mer k Tautre. 
Audel^, nous trouvames ceux chez qui 
nous allions et qui nous semblaient etre 
tous couverts de Idpres, tant ils etaient hi- 
deux. On avait place \k ces gens misera- 
bles pour recevoir le tribut de ceux qui ve- 
naient prendre du sel aux salines dont j'ai 
parle plus haut. Decelte station, on nous 
disait que nous avions encore k cheminer 
durant quinze jours avant de rencontrer une 
ame vivante. Nous bOmes du cosmos avec 
eux et leur donnames un panier plein de 
biscuits ; eux nous donn^rent en echange, 

5» 



- 54- 

pour huit personnes et pour un si grand 
voyage, une seule ch^vre et je ne sais com- 
bien d'outres de lait de vache. Apr^s avoir 
change de boeufs et de vaches, nous nous 
mimes en route, et apr^s dix jours de mar- 
che, nous arrivames ^ une autre station, et 
n'y trouvames point d'eau, si ce n'est dans 
des fosses creuses au milieu de vallees et 
dans deux petits ruisseaux. Et nous conti- 
nu^mes tout droit vers Torient, depuis que 
nous avions quitte la province de Cesaree, 
ayant la mer au midi et un vaste desert au 
nord, lequel a bien dans certaines parties 
trente journees d'etendue, et oti il ne S2 
trouve ni foret, ni montagne, ni rocher, 
mais de I'herbe en abondance. L^, les Co- 
mans du Kiptchak ont Thabitude de faire 
paitre leurs troupeaux. Les Teutons nom- 
ment cette population des Valains, et leur 
province, Valanie. Mais Isidore dit que 
depuis le Tanai's jusqu'aux Meolides et au 
Danube, elle s'appelle Alanie, et cette 
terre, depuis le Danube jusqu'au Tanai's, 
qui est la fronti^re de I'Asie et de I'Eu- 
rope, un homme a cheval ne pourrait en 
parcourir la longueur qu'en deux mois; 
encore faut-il qu'il aille bon pas comme 
les Tartares lorsqu'ils chevauchent. Toute 
cette terre est habitee par les Comans du 
Kiptchak, et depuis leTanais jusqu'^ I'Eti- 
lia27, ilya bien dix grandes journees entre 
ces deux fleuves. Au nord de cette pro- 
vince est la Russie qui est partout cou- 



— 55 — 

verte de forets et s'etend depuis la Pologne 
etia Hongrie jusqu'auTanai's. Les Tarta- 
res I'ont ravagee de tous c6tes et la rava- 
gent encore tous les jours, parce qu'ils pre- 
f^rent les Sarrazins aux Russes qui sont 
Chretiens, et quand ceux-ci ne peuvent 
plus donner ni or ni argent, ils les emmd- 
nent avec leurs enfants, comme des trou- 
peaux, vers leurs deserts afin qu'ils y gar- 
dent leurs animaux. Au-delS de la Russie, 
vers le nord, est la Prusse, que les fr^res 
de rOrdre teutonique ont derni^rement 
subjuguee, et ils pourraient agir de meme 
et avec autant de facilite a I'egard de la 
Russie, s'ils le voulaient ; car si les Tarta- 
res apprenaient que le souverain Pontife, 
c'est-^~dire le Pape, faisait croiser contre 
eux, ils fuiraient tous vers leurs deserts. 



m- 




^ 











On/fi 





LE DESERT 



NOUS nous dirigeames done vers I'orient, 
ne voyant que le ciel et la terre , et 
quelquefois k notre droite la mer qu'on 
appelle la mer Tanais, et aussi Ics tom- 
beaux des Comans qui nous apparurent k 
deux lieues de loin, parce que c'est leur 
coutume d'ensevelir tous les membres 
d'une meme famille dans un meme en- 
droit. Aussi longtemps que nous chemi- 
names dans le desert, nous n'avions pas k 
nous plaindre, mais quand nous .vinmes 
aux logements des Comans, la parole ne 
saurait exprimer nos souffrances. Notre 
guide voulait que nous fissions un present 
k chaquc chef que nous rencontrions et 
nous ne pouvions satisfaire k de telles lar- 
gesses. Tous les jours, nous etions huit 
personnes vivant de notre pain, sans 
compter les survenants qui tous voulaient 
manger avec nous. Car nous etions cinq, 
et ceux qui nous accompagnaient etaient 
au nombre de trois, deux pour conduire 



- 58 — 

nos chariots et un pour nous guider jus- 
qu a Sartach. La viande qu'on nous don- 
nait etait insuffisante, et nous ne pumes 
rien obtenir pour de I'argent. Aussi quand 
nous nous assimes ^ Tombre sous nos cha- 
riots, parce que la chaleur etait excessive, 
les Tartares nous importunaient et nous 
derangeaient constamment parce qu'ils 
voulaient voir tout ce que nous avions avcc 
nous. SUl leur prenait envie de se purger 
le ventre, ils ne s'eloignaient guere de 
nous; bien plus, ils faisaient leiirs ordures 
en causant avec nous, et beaucoup d'au- 
tres choses de'goutantes qui nous soule- 
vaient le coeur. Ce qui m'affligeait le plus, 
c'est que je ne pouvais leur adresser quel- 
que parole d*edification ; mon interprete 
me disait : a Vous ne me ferez pas precher 
« aujourd*hui, parce que je ne saurais dire 
« de telles paroles. » Et il disait vrai. Car 
j*ai remarque, depuis que je comprends la 
languc du pays, qu'il disait le contraire de 
ce que j enoncais. Voyant alors I'inconve- 
nient d'avoir un pareil truchement, je ju- 
geai convenable de me taire. Nous chemi- 
ndmes ainsi k grand'peine de station en 
station, de mani^re que peu de jours 
avant la fete de Marie-Magdeleine nous 
parvinmes au grand fleuve du Tanais, qui 
separe I'Asie de I'Europe, comme le fleuve 
de I'Egypte, I'Asie de TAfrique. La, ou 
nous nous arretamcs, Batou et Sartach 
ont etabli, sur le bord oriental du Tana'ii, 



- 59- 

des Russes qui etaient charges de procu- 
rer des bateaux aux marchands et aux 
ambassadeurs, et de leur faire traverser le 
fleuve. lis nous transporterent d'abord, 
ensuite nos chariots en posant une roue 
dans une barque, et Tautre dans une au- 
tre ; ils attach^rent leurs barques les unes 
aux autres, et nous passames k force de 
rames. L^, notre guide se conduisit tres- 
sottement. II croyait qu'on devait nous 
fournir en cet endroit des chevaux et il 
renvoya h leurs maitres les betes de somme 
que nous avions cmmenees avec nous, 
(^uand nous demandames aux Russes des 
chevaux, ils nous repondirent que Baton 
les avaient exemptes de cet impdt, et qu'ils 
ne devaient que faire passer les voyageurs. 
Meme les marchands leur payaient pour 
cela un lourd tribut. Nous nous attarda- 
mes done trois jours sur le bord du fleuve. 
Le premier jour, ils nous offrirent un 
grand poisson tout frais, qu'on nomme 
barbote; le deuxidme jour, un pain desei- 
gle et un peu de viande que le pourvoyeur 
de ce bourg avait recueilli dans les mai- 
sons ; et le troisi^me, du poisson sec qui se 
trouve la en grande abondance. A cet en- 
droit, le fleuve etait aussi large que la 
Seine k Paris, et avant d'y arriver, nous 
traversames beaucoup de belles rivieres, 
remplies de poissons. Mais les Tartares ne 
savent pas les pecher, k moins qu'ils ne 
soient grands et qu'ils puissentles manger 



— 6o — 

comme une epaule de mouton. Ce fleuve 
est rextremite orientale de la Russie, et il 
prend sa source dans les Palus-Meotides 
qui touchent, vers le nord, 4 I'Ocean. 11 
coule vers le midi, alimentant une mer de 
sept-cent milles d'etendue avant d'attein- 
dre k la mer de Pont. Toutes les rivieres 
que nous traversdmes vont aussi de ce 
cote. 

Sur la rive droite de ce fleuve, on voit 
une immense foret ; du c6te nord, les Tar- 
tares ne vont jamais au-dela, parce qu'a 
Tapproche du mois d'aotit, ils commen- 
cent ^ revenir au midi, de sorte qu'ils ont 
une autre station vers le has, par oti les 
ambassadeurs passent en hiver. Or, nous 
etions dans une grande perplexite parce 
que nous ne pouvions nous procurer, pour 
de Targent, ni chevaux ni boeufs. Enfin, 
apr^s que je leur eus demontre tout ce que 
nous avions soufFert pour le bien commun 
de tous les Chretiens, ils nous fournirent 
des boeufs et des hommes; quant a nous, 
nous dumes aller k pied. C'etait la saison 
oCi Ton coupe les seigles. Le ble pousse dif- 
ficilement dans ce pays; mais ils ont du 
mil en grande abondance. 



COIFFURES RUSSES 



LEs femmes russcs se coiffent de la meme 
mani^re que les ndtres; mais elles or- 
nent leurs robes de vair ou de griset, de- 
puis les pieds jasqu'aux genoux. Les hom- 
ines portent des manteaux comme les 
AUemands , mais ils ont sur la tete des 
capuchons de feutre, droits et k longue 
pointe. Nous allatnes done durant trois 
jours sans rencontrer personne, et comme 
nous etions tr^s-fatigues , et nos boeufs 
aussi, et que nous ignorions oti nous ver- 
rions des Tartares, voil^ tout k coup deux 
chevaux qui courent k nous ; nous les re- 
ctimes avec joie, et notre guide et notre in- 
terprete les monterent pour aller k la de- 
couverte de quelque habitation humaine. 
Enfin, le quatri^me jour nous en apercu- 
mes, et nous nous rejouimes comme des 
naufrages touchant au port. Nous primes 
alors des chevaux et des boeufs, et de sta- 
tion en station nous parvinmes k la resi- 
dence de Sartach, le deux des calendes 
d'aout (le dernier jour de juillel). 






AU~DELA DU TANAIS 



LE pays au-del^ du Tana'is est magnifique, 
et il est couvert de fleuves et de for^ts. 
Au nord, il y a de tr^s-grands bois, qu'ha- 
bitent deux espdces d'hommes : les 
Moxel 28 qui n'ont aucune loi, de purs 
pa'lens. Point de villes, mais des cabanes 
au milieu des bois. Leur souverain et la 
plupart d'entre eux ont ete tues en AUe- 
magne; car les Tartares les y avaient ame- 
nds, et cependant ils espdrent bien que Jes 
Allemancls les delivreront du joug des 
Tartares. Si un marchand se rend parmi 
eux, il faut que celui chez qui il descend 

E)ourvoie ^ tout ce dont il a besoin aussi 
ongtemps qu'il reste avec lui. Si quel- 
qu'un coucne avec la femme d'un autre, 
celui-ci ne s'en preoccupe point, s'il ne le 
voit de ses yeux. lis ne sont done pas ja- 
loux. Les pores, le miel et la cire, les ri- 
ches fourrures et les faucons abondent chez 
eux. 
Apres eux, sont d'autres peuples qu'on 



-64- 

appelle Merdas, que les Latins nomment 
« Merdini 29 » et qui sont Sarrazins. 
Apr^s eux, est le Volga, le plus grand 
fleuve que j*aie jamais vu ; il vient du nord, 
se dirigeant de la grande Bulgarie vers le 
midi, et tombe dans un certain lac donl on 
ne pourrait parcourir le circuit en moins 
de quatre mois; j'en parlerai plus loin. 

Done, ces deux fleuves, le Tanais et le 
Volga, vers la region du nord que nous 
traversdmes, ne sont distants I'un de Tau- 
tre que I'espace de dix journees ; mais au 
midi, ils sont bien plus dloignes, car le 
Tana'is se jette dans la mer de Pont. Le 
Volga forme le lac ou la mer que je viens 
de citer, et ou se precipitent d'autres fleu- 
ves en sortant de la Perse. 

Nous etjmes au midi de treshautes 
montagnes qu'habitent, sur les versants du 
cote du desert, les Cherkis ^o et les Alaur, 
ou Aas, des Chretiens qui combattent cha- 
que jour contre les Tartares. Apr^s eux, 
non loin de cette mer ou de ce lac du 
Volga, sont quelques Sarrazins qu'on ap- 
pelle Lesges ^i, qui sont de meme inde- 
pendants. Enfin, se presente la Porte de 
Fer32qu'AIexandre le Grand fit construire 
pour empecher les Barbares d'entrer en 
Perse, dont je vous entretiendrai dans la 
suite, ayant traverse k mon retour ce pays 
situe entre les deux fleuves. Les Comans 
du Kiptchak Thabitaient avant qu'il ne 
fut occupe par les Tartares. 



^^^^^^^^^^^^^^ 



ENTREVUE AVEC SARTACH 



NOUS trouvdmes done Sartach campe k 
trois journees du Volga. Sa cour nous 
a paru considerable ; il avail six femmes et 
son fils aine en avait pr^s de lui deux ou 
trois, et chacune d'elles menait un grand 
train de maison et possedait bien deux 
cents chariots. Or, notre guide s'adressa ^ 
un certain Nestorien, nomme Coiac, qui 
(Stait un des grands de la cour. Celui-ci 
nous fit aller tr^s-loin, vers un officier 
nomm^ « Jamiam ». (On appelle ainsi 
celui qui est charge de recevoir les ambas- 
sadeurs.) Ce Coiac nous fit savoir qu'il 
nous recevrait dans la soiree. Notre guide 
nous demanda alors quel present nous lui 
ferions et fut tr^s- scandalise d'apprendre 
que nous n'avions rien k offrir.Nous nous 
presentames k cet officier et restdmes de- 
bout devant lui, et lui, il etait assis dans 
sa gloire et jouait de la guitare, et Ton 
dansait autour de lui. Alors, je lui exposal 
combien nous vencrions son maitre, et 



66 



le priames de nous aider ^ lui laisser voir 
nos lettres. Je m'excusai aussi de ce que 
j'etais moine, n'ajant et ne recevant ni or, 
ni argent, ni rien de precieux, excepte 
quelques livres et une chapelle oti nous 
servons Dieu. C'est pourquoi nous ne lui 
ofFrions aucun present, ni k son maitre, car 
ayant renonce ^ mon propre bien, je ne 
pouvais elre porteur de celui des autres. II 
repondit avec assez de bonte qu'il m'ap- 
prouvait, puisqu'etant moine je tenais 
mes voeux ; qu'ii n'avait pas besoin de ce qui 
etait a nous et qu'il nous fournirait au 
contraire ce dont nous pourrions avoir be- 
soin. II nous fit asseoir et boire de son 
lait. Puis, il nous demanda la benedic- 
tion; ce que nous fimes. 11 nous demanda 
qui etait le plus grand seigneur parmi les 
Francais. Je lui dis : « L*empereur, s'il oc- 
cupait son empire sans contestation. » 
« Non, » reprit-il, « c'est le roi. » Car il 
avait entendu parler de vous par Baudouin 
de Hainaut 33. Je trouvai la aussi un com- 
pagnon de David (un Templier), qui avait 
ete en Chypre et lui avait raconte tout ce 
qu'il avait vu. 

Nous retournames ensuite k notre lo- 
gement. Le lendemain, je lui fis remettre, 
avec un cophin plein de biscuits, une 
bouteille de vin de muscat, qui s'etait 
parfaitement conserve durant un si long 
voyage. Cela lui fit le plus grand plaisir, 
et il retint ce soir-la nos serviteurs avec 



-(>! - 

lui. Le lendemain il me fit dire de me ren- 
dre ^ la cour et d'apporter avec moi les 
lettres du roi, ma cnapelle et mes livres, 
parce que son maitre voulait les voir. Ce 
que nous fimes; nous chargeames un cha- 
riot de la chapelle et des livres, et un au- 
tre de pain, de vin et de fruits. Alors, il 
nous fit etaler les livres et les ornements 
sacerdotaux, et nous Mmes entoures d'une 
foule de Tartares ^ cheval, de Sarrazins et 
de Chretiens. Apr^s avoir regarde tous ces 
objets avec attention, il me demanda si je 
voulais donner tout cela ^ son maitre. 
Cette question m'etonna et me deplut. Je 
repondis cependant en dissimulant mon 
mecontentement : « Seigneur, nous vous 
<c demandons quand votre maitre daignera 
(c accepter ce pain, ce vin et ces fruits, non 
« com me un present, car il n'a aucune 
« valeur, mais comme une benediction, 
« afin de ne pas venir ^ lui les mains vi- 
« des. II verra lui-meme les lettres du roi 
ff et par elles il verra pourquoi nous som- 
<c mes venus ^ lui, et nous attendrons 
<c alors ses ordres pour la direction de nos 
« personnes et de nos affaires. Pour ce qui 
« est de nos ornements sacerdotaux. ils 
« sont sacres et il n'est permis qu'aux 
« pr^tres de les toucher. » Alors il nous 
dit de nous en revetir et de nous presenter 
ainsi devant son maitre ; ce que nous ft- 
mes. Or, etant revetu de ces precieux or- 
nements, je posai sur ma poitiine un car- 



/O 



(( maitre puisse les voir sans retard et k 
« son aise. » 

Moi soup(jonnant aussitdt q^uelque mau- 
vais dessein, je lui dis : « Seigneur, non- 
et seulement nous vous laisserons sous 
« votre garde ces deux chariots, mais en- 
« core les deux autres que nous posse- 
« dons. )) — « Non, dit-il, vous abandon- 
« nerez ceux-1^ ; des autres, vous ferez 
« ce que vous voudrez. » Je lui dis que 
cela ne pouvait se faire ainsi, mais que 
nous mettions le tout k sa disposition. 
Alors, il nous demanda si nous voulions 
demeurer dans ce pays. Je lui dis : a Si 
<c vous avez bien compris les lettres du 
« roi, mon maitre, vous pouvez savoir 
« que telle est notre intention. » Puis, il 
nous dit d'etre fort humbles et patients. 
C'est ainsi que ce soir-U nous le quitta- 
mes. Le lendemain matin, un pretre nes- 
torien vint de sa part chercher les chariots 
et nous les lui fimes remettre tous les qua- 
tre. Et un frere de ce meme Coiac qui 
nous avait rejoints separa nos effets de 
tout ce que, la veille, nous avionsporte k la 
cour et les prit comme s'ils avaient ete ii 
lui, c'est-^-dire les livres et les ornements 
sacerdotaux. Cependant Coiac nous avait 
ordonne d'emporter les vetements avec les- 
quels nous nous etions presentes devant 
bartach, afin de nous en couvrir quand 
nous serious devant Baton, s'il en etait 
besoin. Toutefois ce pretre nous enleva 



7^ 



tout cela de force, disant : « Vous avez 
« porte tout cela h Sartach et maintenant 
« vous voulez le porter k Batou ? » Et 
comme je voulais lui en donner la raison, 
il me repondit : « Plus un mot ; continuez 
« votre chemin. » J'eus besoin alors de 
patience, parce que nous n'avions pas ac- 
ces aupres de Sartach et qu'il n'y avait 
personne pour nous rendre justice Je crai- 
gnais que mon interprete n'etit mal tra- 
duit mes paroles, parce qu'il voulait que 
je fisse present de ces choses k Sartach. 
Mais ce fut une consolation pour moi, 
lorsque Je pressentis leur cupiditd, de leur 
soustraire la Bible et les Sentences et d'au- 
tres livres que j'aimais le plus. Je n'osai 
pas en faire autant pour le psautier de la 
Heine parce qu*il etait trop remarque, k 
cause de ses dorures et de ses enluminures. 
Nous regagnames done notre logement 
avec le restant de nos chariots. Alors ar- 
riva celui qui etait charge de nous con- 
duire aupres de Batou; il voulait nous 
faire remettre de suite en route. Je lui dis 
que pour aucun motif je n'emmenerais nos 
chariots; ce qu'il rapporta k Coiac, et ce- 
lui-ci ordonna de les laisser chez lui avec 
un de nos serviteurs; ce que nous fimes. 



O-0-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-OO-O-O-O 



VISITE A BATOU-KHAN 



Nous dirigeant ainsi vers rorient, nous 
al lames trouver Batou et parvinmes 
Je troisieme jour au Volga. En voyant ces 
flots tumultueux, je m'etonnai de ce que 
le Nord put produire une telle masse 
d'eau. Avant de prendre conge de Sartach, 
le meme Coiac nous dit avec d'autres ecri- 
vains de la cour : « Gardez vous bien de 
« dire que notre mailre est chretien. II 
« n'est pas chretien, mais Moal; » parce 
que le nom de la chretiente leur apparait 
comme un nom de nation. L'orgueil de 
cette race est tel, que tout en croyant au 
Christ elle ne veut pas etre appelee chre- 
tienne ni meme turtare, mais veut exalter 
ce nom de Moal au-dessus de toute re- 
nommee. Les Tartares furent une autre 
nation dont je vais vous entretenir. 



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^^^»«^^^4H^^i^iF^i>^^t^^{^4H^^^^«^ 



LE CARACATAY 35 



Au temps oti les Fran^ais prirent Antio- 
che, le trone dans ces pays du Nord 
eiait occupe par celui qu'on appelait Con- 
Khan. Con etait son nom propre et Khan 
le nom de sa dignite, synonyme de « De- 
vin ». Tous les devins sont nommesA7iaw. 
D'oti il suit que tous les princes sont nom- 
mes « Khans », parce qu'ils gouvernent 
les peuples par I'art de deviner. 

On lit dans Thistoire d'Anlioche que les 
Turcs envoyerent au roi Conkh^n du se- 
cours contre les Francais, car les Turcs 
etaient originaires de son pays. Ce Con 
etait de Caracatay. Cara signitie « noir » ; 
Catajr est le nom d*un pays, d oti Cara- 
catay signifie « le noir de Catay ». Mais 
il differe de celui des habitants de Catay, 
qui sont k Torient sur les bords de 
rOcean , dont je vous parlerai dans la 
suite. Les Caracatay etaient des monta- 
gnards, et habitaient des montagnes que 
nous traversames. Dans une plaine situee 



-76- 

au milieu de ces montagnes, il y avait un 
certain pasteur nestorien, qui regnait en 
maitre souverain sur un peuple qu'on ap- 
pelait Haiman ^6^ et qui ^tail chr^tien nes- 
torien. Aprds la mort de Conkhan, ce nes- 
torien se proclama roi et les nestoriens le 
nommaient « le roi Jean ^7 », racontant 
de lui des merveilles au-del^ de toute 
vraisemblance. Les nestoriens qui vien- 
nent de ces contrees exag^rent tout, faisant 
grand bruit de rien. C est ainsi qu'on a dit 
de Sartach qu*il etait chrdtien, et de Man- 
goukhan et de Kenkhdn qu*ils ont plus 
d'estime pour les Chretiens que pour tout 
autre peuple, et cependant la verite est 
qu*ils ne sont pas Chretiens. C'est ainsi 
que s'est repandue la grande renommee du 
roi Jean, et cependant j'ai traverse ses pa- 
turages et personne ne le connaissait, ex- 
cepte quelques nestoriens. Dans ses patu- 
rages habitait Kenkhan , chez qui s*est 
rendu frere Andre, et je suis passe par la a 
mon retour. Ce Jean avait un frere, un 
pasteur puissant, nomme Unc, distant des 
montagnards du Caracatay k trois semai- 
nes de marche, seigneur d'une petite ville 
nommee Caracorum ^^, et regnant sur 
un peuple qui a nom Crit ou Merkit ^9, 
aussi Chretien nestorien. Mais ce petit sou- 
verain renon^a au culte du Christ et se fit 
idol^tre, s'entourant de pretres idolatres, 
tons sorciers et adorateurs du demon. Au- 
deU de ses paiurages, a une distance de 



// 



dix ou quinze journees, etaient ceux des 
Moals, tous gens miserables, sans chef ni 
loi, adonnes seulement aux sortileges et 
aux dcvins, comme le sont tous ceux qui 
habitent ces contr^es. Prds de ces Moals 
etaient d'autres malheureux, nomm^s Jar- 
cars. Le roi Jean mourut sans h^ritier; 
son frdre Unc lui succ^da et se fit appeler 
Khdn, et on lui envoya des troupeaux jus- 
qu'aux confins des Moals. 

En ce temps, Cyngis etait un ouvrier du 
peuple moal et enlevait tout ce qu'il pou- 
vait du betail de Unc-Kh^n, k tel point 
que les bergers de celui-ci s'en plaignirent 
a leur maitre. Alors, celui-ci assembla une 
armee et se rendit avec elle dans le pays 
des Moals pour s'emparer de ce Cyngis; 
mais Cyngis s'enfuit chez les Tartares et 
s'y caclia. Unc s'empara du butin des 
Moals et des Tartares, puis s'en retourna. 
Alors, Cyngis s'adressant k eux leur dit : 
a Pourquoi sommes-nous sans chef? Nos 
a voisins nous oppriment. » Et les Tarta- 
res et les Moals le firent leur chef ct se 
soumirent k lui. Ayant aussitot reuni une 
armee, il se jeta sur cet Unc et le vainquit; 
Unc-Khan s'enfuit au Cathay. Sa fiUe fut 
faite prisonni^re et Cyngis la donna pour 
epouse a un de ses fils, dont elle con<jut 
celui qui regne maintenant, Mangou- 
khan. Alors Cyngis envoya ses Tartares 
guerroyer de tous cdtes; leur nom se re- 
pandit et fut redoute, parce qu'on criait 



-78- 

partout : « Voil^ les Tartarcs. » Mais, h la 
suite de guerres frequentes, presque tous 
furent aneantis. Ce qui fait que les Moals 
veulent aujourd'hui faire oublier ce nom 
et le remplacer par celui qu'ils portent. La 
terre d'oti ils sont sortis, et oti se trouve 
encore la cour de Cyngis-Khan, est nom- 
mee Onankerule (la Mandchourie). Mais 
parce que Caracorum est le pays de leurs 
premiers exploits, ils tiennent cette ville 
pour leur residence royale et c'est 1^ qu'ils 
precedent a lelection de leur Khan. 






DEPART POUR LA COUR DE DATOU 



POUR ce qui est de Sartach, est-il chretien 
ou ne Test-il pas? Je ne saurais b 
dire. Je sais pourtant qu'il ne veut pas 
passer pour cnretien et li me semble plu- 
tot qu'il se moque des Chretiens, car il se 
tient sur le chemin de ces derniers, c'est- 
^-dire des Russes, des Blaques (Valaques), 
des Bulgares de la Bulgarie mineure, de 
ceux de Soldaia, des Kerkis, des Alains, 
qui tous doivent parser non loin de lui, 
lorsqu'ils se rendent k la cour de son p6re. 
S'ils lui portent des presents, il les en es- 
time davantage. Cependant, si les Sarra- 
zins lui en portent plus, ils sont expedies 
bien plus promptement. Or, il a prds de 
lui des pretres nestoriens qui frappent sur 
une table et chantent leurs offices. II y a 
un autre fr^re de Batou qu on nomme 
lerra et qui a ses paturages aux environs 
de la Porte de Fer. C'est le passage de 
tous les Sarrazins qui se rendent de Perse 
en Turquie, charges des piesents pour Bd- 



— 82 — 

grands et si feroces qu'ils saisissaient les 
taureaux et tuaient les lions. Ce qui est 
vrai, ainsi que je I'ai entendu dire, c'est 
que sur le rivage de TOcdan septentrional, 
• les chiens tirent les chariots comme des 
boeufs, k cause de leur haute taille et de 
leur force musculaire. Or, 1^ oti nous nous 
arretames sur le Volga est une nouvelle 
station creee par les Tartares de concert 
avec les Russcs et les Sarrazins, qui font 
passer les ambassadeurs se rendant a la 
cour de Baton , ou en revenant , parce 
qu*elle est etablie sur I'autre rive vers Test, 
et ne depasse pas Tendroit ou nous nous 
trouvions. Depuis Janvier jusqu'au mois 
d'aout, Baton et tons les Tartares mon- 
tent vers les regions froides, et en aout, ils 
commencent a descendre. Nous nous em- 
barquames. Depuis cette station jusqu*a la 
cour de Baton, et depuis ce dernier point 
jusqu'aux villes de la grande Bulgarie au 
nord, il y a cinq journees. Et je me de- 
mande comment le diable a pu porter Ih 
la loi de Mahomet, car de la Porte de Fer 
qui est I'extremite de la Perse, il faut plus 
de trente jours pour traverser le desert, en 
montant vers le Volga, jusqu'^ la Bulgarie 
OLi il n'y a aucune ville, si ce n*est une bi- 
coque aupres de laquelle le Volga se prcci- 
pite dans la mer; et les Bulgares sont les 
pires des Sarrazins, tenant plus fermement 
a la loi de Mahomet que tons autrcs. 
Quaiid done je vis la cour de Bdtou, je 



— 83 — 

fus ebahi, parce que toutes ses maisons 
m'apparurent comme une grande ville 
pleine de peuple et s'etendant en longueur 
jusqu'a trois k quatre lieues. Et de meme 

3ue le peuple d'lsrael savait de quel cote 
u tabernacle il devait dresser ses tentes, 
de meme les Tartares savent de quel c6t^ 
de la cour ils doivent se placer quand ils 
arretent leurs maisons roulantes. D'oti la 
cour est nommde, dans leur langue, orda; 
ce qui signifie « le milieu », parce qu'elle 
est toujonrs au milieu des hommes qui en 
dependent. Cependant personne ne pent se 
placer au midi, parce que de ce cote Vou- 
vrent les portes de la cour. Mais k droite 
et k gaucne, on s*etablit comme on veut, 
selon le plus ou moins de place. Toutefois 
il n'est pas permis de s'etaler en face de la 
cour. Nous fumes done conduits d'abord 
a un certain Sarrazin qui ne nous ofFrit 
rien k manger. 



-'•^^-^i^S)-'|,s>''^-- 




M 



VISITE A BATOU 



LE jour suivant, nous Wmes admis k la 
cour. Batou avait fait mooter une 
grande tente, parce que sa maison ne pou- 
vait contenir tant d nommes et de femmes 
qui etaient 1^ reunis. Notre guide nous 
avertit de ne pas parler avant que Batou 
nous le permit, et lorsque nous lui par- 
lerons, d'etre brefs. II nous demanda aussi 
si vous aviez dej^ envoye des ambassa- 
deurs en Tartarie. Je lui dis" comment 
vous en avez envoye k Chenkhan, et que 
vous ne lui en eussiez pas envoye, ni ^ lui, 
ni k Sartach, si vous n'aviez cru qu'ils fus- 
sent Chretiens; j'ajoutai que vous n'agis- 
siez pas ainsi par crainte, mais pour vous 
rejouir avec eux.de ce qu'ils etaient Chre- 
tiens. Alors il nous conduisit au pavilion 
du Khan et nous prevint de ne pas toucher 
les cordes de la tente, parce qu'elles sont 
considerees comme le seuil de la maison. 
Nous nous tfnmes 1^ pieds nus, revetus de 
nos habits religieux, la tete decouverte, et 



\ 



— 86 — 

nous etions un grand spectacle a nos pro- 
pres yeux. Fr^re Jean de Policarpe (Plan 
de Carpin) avait ete 1^, mais il avait chan- 
ge d'habit afin de ne pas etre conspue, 
parce qu'il etait ambassadeur du Pape. 
Nous fumes ensuite introduits jusqu au 
milieu de la tente, et on ne nous imposa 

[)oint Tobligation de saluer en flechissant 
e genou, comme les ambassadeurs ont 
coutume de faire. 

Nous restames debout devant Batou le 
temps de reciter le Miserere, et tous les as- 
sistants gardaient un profond silence. B^- 
tou etait assis sur un siege long et large 
comme un lit, enti^rement dore, auquel 
on arrivait par trois marches ; une dame 
etait prds de lui. Les hommes etaient assis 
c^ et 1^, k la droite et a la gauche de la 
reine, parce que les femmes n'etaient pas 
en assez grand nombre pour remplir un 
des cotes de la tente; il n'y avait que celles 
de Eatou. A I'entree se trouvait un banc 
avec du cosmos et des vases d'or et d'ar- 
gent, garnis de pierres precieuses. Batou 
nous regarda avec curiosite et nous, lui, 
et il me parut qu'il etait de la taille de Jean 
de Beaumont, dont I'ame^epose en paix 4o. 
Son visa'ge etait alors tout rouge. Enfin, il 
m'ordonna de parler, et notre guide me 
dit de parler a genoux. Je flechis un seul 
genou comme pour un homme; il me fit 
signe de plier les deux, ce que je fis, ne 
voulant pas soulever de difficultes k ce su- 



-8;- 

jet. Alors il m'enjoignit de parler, et moi 
peasant que je priais Dieu, parce que je 
me trouvais -^ deux genoux, je commencai 
mon discours par cette priere : « Seigneur, 
« nous prions Dieu, de qui viennent tous 
a les biens, de vous donner ceux de ia 
cc terre, ensuite ceux du del, parce que 
« sans ceux-ci les autres ne sent rien. » 
Lui, il ecouta tr^s-attentivement, et j'ajou- 
tai : « Vous savez certainement que vous 
« n'obtiendrez pas les biens celestes si 
c( vous ne devenez chretien. Car Dieu a 
« dit : « Celui qui aura cru et aura etd 
c( baptise sera sauve. Celui qui n'aura pas 
« cru sera condamne. » A ces mots, il sou- 
rit legdrement, et tous les Moals frapp^rent 
des mains en se moquant de nous, et mon 
interprete eut peur, lui qui craignait que 
je ne dusse etre fortifie. Lorsque le silence 
fut retabli, je dis : « Je suis venu trouver 
a votre fils, parce que nous avions entendu 
« dire qu*il etait chretien, et je lui ai ap- 
« porte des lettres de la part de mon mai- 
c( tre, le roi des Francs. C'est lui qui m'a 
c( envoye ici vers vous. Vous devez «avoir 
« pour quel motif. » Alors il me fit lever 
et me demanda votre nom et le mien, et 
celui de mes compagnons et de mon inter- 
prete, et fit prendre note de nos reponses. 
II demanda encore contre qui vous faisiez 
la guerre, parce qu'il avait appris que vous 
aviez quitte votre patrie avec une armee. 
Je repondis : « Contre les Sarrazins qui 



— 88 — 

a violent la maison de Dieu a Jerusalem. » 
II demanda encore si vous n'aviez ja- 
mais envoy^ des ambassadeurs vers lui. — 
« Vers vous? » aije dit, « jamais. » Alors 
il nous fit asseoir et donner du lait a boire, 
ce qui est considere com me une grande fa- 
veur, lorsque quelqu'un boit du cosmos 
avec lui dans sa maison. Et m'etant assis, 
je fixai les yeux k terre ; il m*enjoignit de 
dresser la t^te, car il voulait nous regarder 
mieux,ou peut-etrepar superstition, parce 
que, pour les Tartares, c'est mauvais au- 

f;ure quand quelqu'un s'assied devant eux 
es yeux baisses, comme s'il etait triste, et 
surtout quand il appuie la machoire ou le 
menton sur la main. Alors nous sortimes, 
et peu apres notre guide vint nous trouver, 
et en nous reconduisant k notre logement, 
il me dit : « Le roi, votre maitre, desire 
« que vous restiez dans ce pays; mais 
c( Mtou ne pent vous accorder cela sans 
cc I'assentiment de Mangoukhan. D'oti il 
c( suit que vous et votre interprete irez 
« trouver Mangoukhdn. Mais votre com- 
et pagnon et une autre personne retourne- 
tt ront k la cour de Sartach et y attendront 
tt voire retour. » Alors mon interprete, 
homme de Dieu, se mit k pleurer, se 
croyant perdu ; mon compagnon se re- 
cria, disant qu'il prefererait qu'on lui 
coupat le cou plutot que de se separer de 
moi ; et moi, je dis que je ne voulais pas 
partir seul, et que nous avions besoin de 



- Sg - 

deux compagnons parce que s'il arrivait 
qu'un des deux tombdt malade, I'autre ne 
pourrait rester seul. II retourna lui-meme 
k la cour et rapporta mes paroles k Ba- 
tou. Celui ci dit alors : « Que les deux 
« pretres et Tinterprdte partent seuls et 
a que le clerc revienne chez Sartach. » 
Notre guide nous communiqua ces paro- 
les, et quand je voulus parler en faveur du 
clerc ann qu'il pOt nous accompagner, il 
reprit : « Ne parlez pas davantage, parce 
a que BaJtou I'a decide, et moi , je n'ose- 
a rais pas reparaitre k la cour. » 

Le clerc uosset avait re^u de vous en 
aumone vingt-six yperperes, pas davan- 
tage, dont il en garda dix pour lui et son 
domestique, et donna les seize autres k 
rhomme de Dieu pour nous; et nous nous 
separames ainsi les larmes dans les yeux, 
lui s'en retournant k Sartach, et nous res- 
tan t ici. 






7* 



^|e>^|^^|^<9|^<}$^^|B^^|<^^|^{> 



DEPART 

POUR LA COUR DE MANGOU-KHAN 



LA vcille de TAssomption , notrc clerc 
parvint k la cour de Sartach, et le 
lendemain les pretres nestoriens se presen- 
t^rent devant Sartach, revetus de nos or- 
nements sacerdotaux. Nous fumes alors 
conduits k un autre logement, oU nous 
devions recevoir I'hospitalite, la nourri- 
ture et des chevaux. Mais parce que nous 
n'avions rien k donner^ I'hotelier. celui-ci 
ne se comporta pas bien a notre egard. 
Nous voyageames avec Biltou , et longe^- 
mes avec nos chariots le Volga pendant 
cinq semaines. Parfois mon compagnon 
souffrait tellement de la faim, qu'il me di- 
sait en pleurant : « II me semble que je 
<c n'aurai jamais ^ manger. » Les provi- 
sions suivent toujours la cour de Batou; 
mais elles etaient si loin que nous ne pou- 
vions nous en procurer, car il nous fallal t 
alter ^ pied ^ cause du manque de che- 



— 92 — 

vaux. Enfin nous rencontrames quelques 
Hongrois qui avaient ete clercs, dont un 
savait encore des chants deglise par coeur. 
Les autres Hongrois le regardaient comme 
pretre et le chargeaient des fundrailles de 
leurs morts. Un deuxi^me connaissaitpar- 
faitement la grammaire, parce qu'il com- 
prenait tout ce que nous lui disions en la- 
tin, mais il ne savait nous repondre. lis 
furent tous pour nous une grande consola- 
tion, en nous apportant k boire du cosmos 
et ^ manger de la viande. lis nous deman- 
derent des livres et je fus fort attriste de ne 
pouvoir leur en donner, parce que je ne 

f)ossedais que la Bible et mon breviaire. Je 
eur dis : « Apportez-nous du papier, et 
(c j'ecrirai pour vous, tant que nous se- 
tt rons ici. » Ce qu'ils firent et je leur ecri- 
Yis les Heures de la sainle Vierge et TOf- 
fice des morts. Un jour, un Coman vint 
nous rejoindre et nous salua en disant en 
latin : a Bonjour, messieurs. » Etonne, je 
lui rendis son salut et lui demandai qui 
lui avait appris ^ saluer ainsi. II repondit 
que c'etaient nos freres, dont il avait recu 
le bapteme. II ajouta que Baton I'avait 
beaucoup questionne sur nous et qu'il lui 
avait explique les regies de notre Ordre. 

J*ai vu mtou courir k cheval avec sa 
troupe, entoure de tous les chefs de fa- 
mille. D'apr^s mes calculs, ils n'etaient 
pas plus de cinq cents. Enfin, vers la fete 
de I'Exaltation de la sainte Croix (14 sep- 



-93- 

tembre), courut k nous un riche Moal, dont 
le p^re etait millenaire (chef de mille hom- 
ines), ce qui est une haute dignite parmi 
les T artares. II nous dit : « Je dois vous 
a conduire aupres de Mangoukhan; il 
« faut quatre mois pour y aller, et il fait 
cc si froid 1^-bas, que la gelee fend les pier- 
ce res et les arbres. Voyez si vous pourrez 
« supporter le voyage. » Je lui r^pondis : 
« J'esp^re qu'avec la grace de Dieu nous 
a pourrons endurer ce que supportent les 
cc autres hommes. » Alors il dit : cc Si 
cc vous ne pouvez souffrir, Je vous laisse- 
cc rai en chemin. » Je lui repondis : cc Cela 
cc ne serait pas Juste, parce que nous n'y 
a allons pas de notre propre gre, mais en- 
cc voyes par votre maitre ; vous ne devez 
cc done pas nous abandonner, puisque 
cc nous vous sommes reccMnmandes. » 
Alors, il nous dit : cc Tout ira bien. » En- 
suite, il nous fit etaler tous nos ornements 
et nos hardes, et ce qui lui parut le moins 
necessaire, il le confia k la garde de notre 
h6te. Le lendemain, on apporta k chacun 
de nous un manteau de peau de mouton, 
et des haut-de-chausses, des bottes, des au- 
musses k la mode de leur pays, avec des 
sandales ou socques de feutre et des au- 
musses de peaux. Le surlendemain de 
I'Exaltation de la sainte Croix, nous com- 
mencames k chevaucher, nous trois avec 
deux guides, et allames toujours vers To- 
rient Jusqu'^ I'epoque de la fete de la 



— 94 — 

Toussaint. Dans tout ce pays et encore au- 
del^, habitaient les Cangles, que Ton croit 
issus des Comans. Au nord, nous eumes 
la grande Bulgarie, et au midi la susdite 
mer Caspienne. 

Apr^s avoir marche douze Jours depuis 
le Volga, nous nous trouvames aupres 
d'un grand fleuve qu'on nomme Jagat 41, 
qui descend du nord et du pays de Pasca- 
tir et qui se precipite dans cette mer Cas- 
pienne. L'idiome de Pascatir est le meme 
que celui des Hongrois. Tous ses habitants 
sont patres et n'ont aucune ville; ils con- 
finent par I'ouest k la grande Bulgarie. De 
ce pays vers Torient, de ce cote nord, il 
n*y a plus aucune ville; de sorte que la 
grande Bulgarie est la derniere region oti 
il se trouve une ville. De ce pays de Pas- 
catir sortirent les Huns, qui furent plus 
lard les Hongrois, et ce pays est la grande 
Bulgarie proprement dite. Isidore dit cjue 
ces peuples franchirent avec leurs coursiers 
rapides les barri^res qu' Alexandre avait 
fait elever dans les rochers du Caucase 
contre les nations barbares, de sorte qu'ils 
exig^rent le tribut jusqu'en Egypte. lis 
parvinrent meme en France oti ils ravage- 
rent tout; leur puissance fut done plus 
grande que celle des Tartares actuels. 
Avec eux accoururent les Blacs (Vala- 
ques), les Bulgares et les Vandales, car de 
cette grande Bulgarie sortirent aussi les 
Bulgares qui sont au-del^ du Danube, au- 



— 9:> — 

pres de Constantinople. Et pr^s de Pasca- 
tir sont les lilacs, qui sent les memes que 
les Blacs, parce que les Tartares ne savent 
pas prononcer le B. De ceux-ci sont des- 
cendus les habitants du pays d'Assan. On 
appelle les uns et les autres lilacs. La Ian- 
gue des Russes, des Polonais, des Bohe- 
miens et des Slaves est la meme que celle 
des Vandales, qui eurent tous k se demeler 
avec les Huns, comme aujourd'hui on a ^ 
faire aux Tartares, que Dieu a suscites des 
extremites de la terre, peuple insoumis et 
race insensee, selon la parole du Seigneur, 
a Je les provoquerai », dit-il de ceux qui 
ne gardaient pas sa loi, a je les irriterai 
tt contre celui qui n'est pas un peuple et 
« contre la race folle 42 ». Ceci s'est ac- 
compli ^ la lettre ^ I'egard de toutes les 
nations qui n'ont pas observe la loi du 
Christ. 

Ce que j*ai dit de la terre de Pascalir, je 
Tai su par Jes Freres precheurs qui sont 
alles 1^ avant I'arrivee des Tartares, et de- 
puis Jors, ceux-ci ont ete vaincus par leurs 
voisins bulgares et sarrazins, et plusieurs 
d'entre eux se sont faits sarrazins. On 
pent savoir le reste par les chroniques, 
parce qu'il est certain que ces provinces 
depuis Constantinople , appelees aujour- 
d'hui Bulgarie, Valachie, Slavonie, furent 
autrefois des provinces de la Gr^ce; la 
Hongrie avait ete d'abord la Pannonie. 



P^NIBLE VOYAGE 



NOUS chemin^mes done par le pajs des 
Cangles de la fete de rExaltation de 
la sainte Croix k celle de la Toussaint, et 
la distance que nous parcourumes chaque 
jour etait comme de Paris k Orleans, d'a- 
pres ce que j'en puis juger, et parfois da- 
vantage, lorsque nous avions de bons 
chevaux. Car nous en changions tantot 
deux et trois fois , tantot nous alHons 
deux et trois fois sans rencontrer ame qui 
vive, et alors il nous'fallait ralentir le pas. 
Entre vingt k trente chevaux, on nous 
donnait les pires, parce que nous etions 
etrangers. Tout le monde avant nous pre- 
nait les meilleurs. Cependant pour moi, on 
gardait tou jours le plus fort, parce que j e- 
tais tr^s-lourd ; mais de savoir s'il trottait 
bien ou non, on ne s'inquietait gu6re, et 
je n'osais me plaindre de ce que mon che- 
val avait le pas dur; chacun dut accepter 
son lot avec gaiete de coeur. De la pour 
nous beaucoup de peines et de difFicult^s, 



- 08 ~ 

parce que les chevaux etaient trds-fatigues 
avant d'arriver a un lieu de repos, et il 
nous fallut alors les exciter et les frapper, 
quelquefois en changer, charger nos baga- 
ges sur d'autres sommiers , quelquefois 
monter '^ deux sur un meme cheval. 

Ce que nous eumes ^ souffrirde la faim, 
de la soif, du froid et de la fatigue, nul ne 
saurait le dire; car on ne donne k manger 
que vers le soir. Le matin, on nous verse 
k boire un peu de millet; mais le soir on 
nous servait de la viande, une epaule ou 
des cotelettes de mouton et une certain e 

3uantit^ de potage. Quand nous avions 
u bouillon de viande k satiete, nous etions 
bien restaures ; c'etait pour moi une bois- 
son tres-agreable et tres-nourrissante. Le 
vendredi je restais a Jeun jusqu'^ la nuit, 
sans rien avaler, et alors il me fallait man- 
ger avec douleur et chagrin des viandes k 
moitie cuites et crues, parce que nous 
manquions de materiaux pour faire du feu 
quand nous campions dans les plaines ou 
que nous descendions la nuit des monta- 
gnes, ne pouvant ramasser la fiente des 
boeufs ou des chevaux. Rarement trou- 
vions-nous un autre combustible, si ce 
n'est quelques epines. II y a bien c^ et la 
une foret sur les bords des rivieres, mais 
c'est rare. Au commencement, notre guide 
nous dedaignait fort et etait comme hon- 
teux d avoir a conduire des gens si misera- 



—■ ()9 — 

bles. Mais lorsqu'il nous eut mieux con- 
nus, il nous conduisit au travers des cours 
des riches Moals, et nous dumes prier pour 
eux. De sorte que si j'avais eu un bon 
drogman, j'avais la une belle occasion de 
faire beaucoup de bien parmi eux. 

Cinghis, le premier khan , avait eu qua- 
tre jfils, dont sont sortis de nombreux des- 
cendants qui tous ont de grandes cours, 
qui se mulliplient tous les jours et peu- 
plent ce vaste desert, etendu comme une 
mer. Notre guide nous conduisait done au 
milieu de la plupart de ces chefs, qui 
s'etonn6rent de ce que nous ne voulions 
pas recevoir ni or, ni argent, ni des vete- 
ments precieux. lis nous demanderent des 
nouvelles du souverain Pontife, s'il etait 
aussi age qu'ils I'avaient entendu dire, car 
on leur avait dit qu'il avait cinq cents ans. 
Uss'enquirent aussi de la fertilite de notre 
sol, si nous avions beaucoup de moutons, 
de boeufs et de chevaux. Quant a I'Ocean, 
ils ne purent jamais comprendre qu'il etait 
sans fin et sans rivage. 

La veille de la Toussaint, nous quitta- 
mes la route de Test, parce que Ton com- 
mencait deja ti descendre vers le sud, et 
nous allames ainsi durant huit jours, par 
de hautes montagnes, droit vers le sud. 
Dans ce desert, je vis beaucoup d'anes 
qu*on appelle culam, qui ressemblaient as- 
sez k des mulets. Notre guide et ses com- 
pagnons en poursuivirent quelques-un^>: 



— lOO — 

mais ils ne purent les atteindre ^ cause de 
leur rapidite. Le septidme jour, vers le 
sud, nous aperctames des monts d'une hau- 
teur prodigieuse et nous entrdmes dans 
une plaine sillonnee de ruisseaux comme 
un jardin, et parcourOmes des terres en 
parfaite culture. Dans I'octave de la Tous- 
saint, nous nous trouvames dans une bour- 
gade de Sarrazins nommee Kinchat, dont 
le capitaine vint au-devant de notre guide, 
avec de la cervoise et destasses; car c'est 
Tusage parmi eux de sortir et d'aller avec 
des vivres au-devant des envoyes de Batou 
et de Mangoukhan. 

En ce temps-la, on marchait sur la glace, 
et dej^, depuis la fete de saint Michel, nous 
avions eu de la gelee dans le desert. Je 
m'enquisdu pays oil nous nous trouvions; . 
mais parce que nous etions sur une autre 
terre que la leur, ils ne surent nous en dire 
le nom* si ce n'est celui de la ville, qui est 
tres-petite. Un grand fleuve sortait des 
monts, arrosait a leur guise tout le pays et 
ne se jetait pas dans une mer, mais se re- 
pandait dans les campagnes et les chan- 
geait en marecages. Je vis 1^ des vignes et 
bus deux fois de leur vin. 



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LE CAUCASE 



LE lendemain, nous parvinmes k une 
autre station plus rapprochee des 
montagnes; je demandai quelles elles 
etaient, et je compris qu*elles devaient etre 
le Caucase qui, de I'ouest a Test, touche k 
Tune et a I'autre extremite de la mer. Je 
m'enquis aussi de la ville de Talas, ou se 
trouvaient des Teutons, esclaves de Bury. 
Frere Andre m*en avait parle, et je m en 
informal aussi a la cour de Sartach et de 
Baton. Mais je n'ai rien pu savoir, si ce 
n'est que leur maitre, Bury, avait ete tue 
dans la circonstance que voici : Un jour, 
ne trouvant pas de bons pdturages et etant 
ivre, il parla a ses hommes de cette ma- 
niere ; « Ne suis-je pas de la race de Cin- 
« ghis-Khan aussi bien que Batou (il 
« etait son neveu ou son frere) ? Pourquoi 
« ne conduirais-je pas paitre mes trou- 
ti peaux sur les rives du Volga aussi bien 
cc que Baton? » Ces paroles furent rap- 
portees k ce dernier. Alors Bdtou ecrivit 



— 102 — 

lui-meme aux hommes de Bury de lui 
amener leur maitre charge de chaines, ce 
qu'ils firent. Puis, Batou lui demanda s'il 
avait profere de tels propos, et il ne le nia 
point. Seulement il rejeta sa faute sur Te- 
tat d'ivresse ou il se trouvait, parce qu'il est 
d'usage, dans ce pays, d'excuser I'ivrogne- 
rie. Kt Batou repondit : « Comment as- 
« tu ose prononcer mon nom, etant ivre? » 
Et il lui tit couper la tete. 

Quant aux Teutons, je ne pus rien en 
savoir jusqu*^ mon arrivee k la cour de 
Mangou-Klian; mais 1^ oti je me trouvais, 
j'appris que Talas etait dans les monta- 
gnes, k six journees de 1^. Quand je vins 
5 la cour de Mangou-Khan, on me dit que 
lui-meme avait transporte ces Teutons, 
avec la permission de Batou, k la distance 
d'un mois de marche de Talas 43^ a une 
certaine residence vers Test, nommee Bo- 
lac, ou ils fouillent Tor et fabriquent des 
armes; ce qui fit que je ne pus les voir ni 
en allant, ni en retournant. Cependant, en 
allant, je passai pr^s de cette ville, n'en 
etant eloigne que de trois journees. Mais 
je I'ignorais, et lors meme que je I'aurais 
su, je n'aurais pu me detourner de ma 
route. 

Du logement dont je vous ai parle , 
nous allames vers I'orient ^ ces rponta- 
gnes, et penetrames aussitot parmi les su- 
jets de Mangou-Khan, qui de tons cotes 
chantcrent et frapperent des mains devant 



. — io3 — 

notre guide, parce qu'il etait Tenvoye dc 
Balou. G'est ainsi d'ailleurs qu'ils s'ho- 
norent mutuellement, Ics sujets de Man- 
gou, quand ils recoivent les ministres de 
Batou ; et les suje\s de Batou, quand ils 
recoivent les representants de Mangou- 
Knan. Cependaht les hommes de Batou 
passent pour etre superieurs et ne s'execu- 
tent pas aussi aisement que les autres. 

Peu de jours apres, nous entrames dans 
les montagnes oti se tiennent ordinaire- 
ment les Garacalay, et trouvames l^l un 
grand fleuve qu'il nous fallut traverser en 
bateau. Ensuite, nous entrames dans une 
vallee oti nous vimes un chateau ruine, 
dont les murs ne tenaient plus que par la 
boue qui les couvrait. La campagne, au 
milieu de laquelle il se trouvait, etait cul- 
tivee. Puis, nous ap'ercumes une bonne 
ville, qu'on nomme « Equius » et qu'ha- 
bitaient des Sarrazins parlant le persique, 
quoiqu'ils fussent tres-eloignes de la Perse. 
Le jour suivant, ayant traverse ces colli- 
des qui font partie d'une chaine de hautes 
montagnes situees au midi, nous entrames 
dans une belle plaine bornee par d'autres 
montagnes k droite, et k gauche par une 
mer ou plutot par un lac qui a vingt-cinq 
journees de circuit. Toute cette plaine 
etait sillonnee de ruisseaux dont les eaux 
descendaient des monts et se jetaient dans 
cette mer. L'etc nous retournames vers le 
nord de cette mer, et la encore il y avait 



— 104 — 

de hautes montagnes. Dans cette plaine, 
s*elevaient jadis de nombreuses bourgades, 
mais elles ont ete d^truites pour la plu- * 
part, parce qu'il y avait 1^ de ^ras patura- 
ges et que les Tartares voulaient y con- 
duire leurs troupeaux. Nous vimes 1^ une 
grande ville nommee Cailac, oil il y avait 
un marche frequente par une multitude de 
niarchands. Nous nous y reposames pen- 
dant douze jours, en attendant le secre- 
taire de Baton qui devait etre adjoint k 
notre guide pour traiter les affaires k la 
cour de Mangou. On nommait ce pays 
Organuni 44, et il y avait un langage et 
une ecriture qui lui etaient particuliers ; 
mais depuis peu , les Turcomans sen 
etaient empares. Les Nestoriens de ces 
contrees font usage de cet idiome et de 
cette ecriture dans les ceremonies de leur 
culte et pour ecrire des livres. C'est ce qui 
fait qu'on les appelle « organa », parce 
qu'ils sont d'excellents guitaristes ou orga- 
nistes, si je dois croire ce qu'on m'a ra- 
conte. C'est la que j'ai vu pour la pre- 
miere fois des idolatres, dont vous saurez 
qu'il y a de nombreuses sectes en Orient. 



ozzorzo 



nmmmmmmm 



ENUMERATION 

DKS StCTtS IDOLATRES. — BOCDDHISTES 



CE sont d'abord les Jougoures 43 ^ dont 
le pays touche k celui d'Organum, 
au milieu des montagnes vers Test. Dans 
toutes leurs villes, les Nestoriens et les 
Safrazins se confondent, et eux-memes 
sont entremeles. du cote de la Perse, dans 
les villes des Sarrazins. Meme dans la ville 
de Caala ou Cailac, il y avait trois tem- 
ples d'idolatres, et j'entrai dans deux de 
*ces edifices pour en voir les folies. Dans le 
premier, je vis un idolatre qui avait une 
petite croix faite avec de 1 encre sur la 
main, ce qui me fit croire qu'il etait Chre- 
tien, et encore parce qu'il me repondait 
comme un chretien k toutes mes ques- 
tions. Je lui demandai done : « Pourquoi 
« n'avez-vous pas ici la croix et I'image 
« de Jesus-Christ? » II me repondit : « Ce 
« n*est pas Tusage. » J en conclus qu*ils 
etaient Chretiens et quils omettaient ces 

8 



choses par ignorance. Cependant je vis, 
derri^re un coffre qui leur tenait lieu d*au- 
tel et sur lequel ils placaient des candela- 
bres et faisaient des oblations, une certaine 
figure ayant des ailes comme celles de 
saint Michel et d'autres figures qui te- 
naient les doigts cpmme les eveques lors- 
cju'ils donnent la benediction. Ce soir-la, 
je ne pus rien savoir parce que les Sarra- 
zins les ^vitent tellement qu'ils ne veulent 
pas meme en parler. Quand done je m'en- 
querais aupres des Sarrazins du culte de 
ces idol^tres, ils sen trouvaient scandali- 
ses. Le lendemain , on etait aux calendes 
et c'etait la paque des Sarrazins, je chan- 
geai de logement et je m'installai aupres 
d'un autre temple, car on reunit les am- 
bassadeurs suivant leurs puissance et qua- 
lites. Y etant entre, je trouvai des pretres 
idolalres; car le premier jour du mois ils 
ouvrent leurs temples, se couvrent de 
leurs ornements sacerdotaux, offrent de 
Tencens, montent les candelabres etcon- 
sacrent les offrandes du peuple, c'est-i-dire 
du pain et des fruits. 

Je vous decrirai d'abord tous les rites de 
ces idolatres, ensuite ceux des Jougoures 
qui sont comme des sectes separees des au- 
tres. Tous rcgardent le nord pour prier en 
frappant des mains, se prosternant k terre, 
en nechissant les genoux et reposant le 
front sur les mains. De sorte que les Nes- 
toriens de ces contrees nc joignent nuUc* 



— 107 — 

ment les mains pour prier, mais prient, 
les mains etendues en avant de leur poi- 
trine. Leurs temples sont orienles de Test 
k Touesi, et du cote nord il y a une cham- 
bre en saillie comme un choeur, ou bien 
quelquefois, si Tedifice est carre, cette 
chambre est au milieu. Au nord, cette 
chambre est fermee au lieu du choeur. L^, 
ils placent un coffre long et large comme 
une table, et derriere ce coffre, du c6te 
sud, ils placent leur principale idole que 
j'ai vue a Caracorum aussi grande que la 
statue de saint Christophe 46. (Un pretre 
nestorien qui etait venu du Cathay m'a 
dit que dans ce pays il y a une idole si 
grande, qu on pent la voir ^ deux journees 
de loin.) Autour de cette idole, on en 
place d'autres qui sont toutes magnifique- 
ment dorees. Sur ce coffre, qui est comme 
une table, on met des candelabres et les 
offrandes. Toutes les portes des temples 
sont ouvertes au midi, contrairement k 
Tusage des Sarrazins. 11 y a aussi de gran- 
des cloches pareilles aux notres; c'est 
pourquoi je pense que les Chretiens d'O- 
rient n'ont pas voulu en avoir. Cependant 
les Russes en ont et les Grecs de Gazalre 
aussi. 



^ 










COU VENTS DE BOUDDHISTES 



DE memc, tous leurs pretres se rascnt la 
tete et labarbe; ils sont vetus de jaune. 
Du moment oil ils ont ete rases, ils doi- 
vent rester chastes et vivre en commu- 
naute au nombre de cent a deux cents. 
Les jours oti ils vont au temple, ils met- 
tent deux bancs et s'assoient k terre en 
face du choeur, ayant des livres ^ la main 
qu'ils deposent de temps en temps sur ces 
bancs. Au temple, ils ont la tete decou- 
verte, lisent tout bas et observent le si- 
lence. De sorte qu'etant un jour entre dans 
un de leurs temples de Caracorum, et les 
trouvant ainsi assis, j'ai essaye de toutes 
les manidres de les faire parler et je n'ai pu 
y parvenir. Partout oU ils vont, ils ont 
toujours dans les mains une certaine corde 
(testam) de cent ou deux cents noeuds, 
comme nous qui portons le chapelet (pa- 
ter-noster), et ils r^p^tent constamment 
ces mots : On man baccam, c'est-^-dire : 
« Dieu, tu le connais. » S*il faut en croire 

8» 



— no — 

celui des leurs qui me les a traduits, et au- 
tant de fois cju ils rep^tent ces mots, au- 
tant de fois ils esp^rent une recompense 
de Dieu. Autour de leur temple, ils eta- 
blissent toujours un beau parvis qu'ils en- 
tourent d'une bonne muraille et dont la 
porte se trouve au midi. C'est li qu'ils se 
r^unissent pour causer. Au-dessus de celte 
porte, ils aressent une longue perche qui 
peut etre vue de toute la ville, et ^ ce signe 
on reconnait que ce batiment est un tem- 
ple des idoles. Cela est propre a tous les 
idolatres. Quand done j'entrai dans ce tem- 
ple, je trouvai les pretres assis ^ la porte 
exterieure, et il me semblait qu'ils etaient 
Fran^ais parce qu'ils avaient la barbe ra- 
see. Us avaient sur la tete des tiares ou 
mitres tartares. Tous les pretres des lou- 
goures sont ainsi vetus : partout ou ils 
vont, ils portent des tuniques jaunes assez 
etroites, avec une ceinture par-dessus 
comme les Francais. lis ont un manteau 
sur I'epaule gauclie qui, devant, descend et 
couvre la poi trine et qui, par derridre, s'e- 
tend Jusqu'au cote droit, comme la chasu- 
ble du diacre en temps de careme. 









ECRITURE DBS TARTARES 



LEs Tartares ont adopte Fecriture des 
lougoures. Leurs lignes vont de haut 
en bas et de gauche k droite, et ils lisent de 
la meme maniere. Pour pratiquer leurs 
sortileges, ils se servent beaucoup de cartes 
et de caracteres, ce qui fait que Ton voit 
beaucoup de lettres suspendues aux murs 
de leurs temples. Mangou-Khan leur en- 
voya des lettres ecrites en langue moale 
avec des caracteres iougoures. 




W#%S»r#%M#%W#W#%i«^%%^ 



CROYANCES DES TAR TARES 



L 



Es Tartares briilent leurs morts d'aprds 
Tusage antique et en deposent les cen- 
dres au haut d'une pyramide. Etant entre 
dans le temple et ayant vu la foule de leurs 
idoles grandes et petites, je m*assis k cote 
des pretres et leur demandai ce qu'ils 
croyaient de Dieu. lis me repondirent : 
tt Nous ne croyons qu*en un seul Dieu. » 
Je repris : « Croyez-vous qu'il soit un es- 
« prit ou un corps visible? » lis me repon- 
dirent : « Nous croyons qu'il est un es- 
« prit. » Et moi : « Croyez-vous qu'il n*ait 
a jamais pris une forme humaine? » lis 
dirent : « Jamais. » — Alors moi : « Pour- 
« quoi done , si vous croyez qu'il est un 
« pur esprit, le representez-vous sous tant 
a de figures corporelles? Puisque vous 
« n'admettez pas qu'il.se soit fait homme, 
« pourquoi le representez-vous sous une 
« tigure humaine, et non sous celle de tout 
« autre etre vivant? » lis me rdpondirent : 
« Nous ne figurons pas Dieu sous ces ima- 



— 114 — 

« ges ; mais lorsqu'un richc meurt parmi 
« nous, sa femme, son fils ou quelqu'un 
a qui lui est cher fait faire son image, la 
« place ici, et nous la venerons en me- 
« moire de lui ». — Alors moi : a Vous 
(( ne faites done cela que pour flatter et 
« aduler les hommes? » — « Seulement, » 
me repondirent-ils, « pour honorer leur 
a m^moire. » — Puis,ils me demand^rent 
comme en se moquant : « Oti est Dieu ? » 

— Je leur repliquai : « Oti est votre ame ? » 

— lis dirent : « Dans notre corps. » — Je 
repris : « N'est-elle pas dans tout le corps 
« et ne le dirige-t-elle pas entidrement, et 
« pourtant on ne la voit pas ? Ainsi Dieu 
« est partout et gouverne tout, et cepen- 
(c dant il est invisible, parce qu'il est in- 
a telligence et science. » — Comme je 
voulais discuter davantage, mon interprete 
elant fatigue se refusa a traduire mes pa- 
roles et me fit taire. 

Ces sectes-la sont mongoles ou tartares 
quant k leur croyance en un seul Dieu ; 
cependant ils font des figures de feutre qui 
representent leurs morts et les revetent de 
riches etoffes et les placent dans un ou 
deux chariots; et ces chariots, personne 
n'ose les toucher, car ils sont sous la garde 
des devins qui sont leurs pretres. Je vous 
en parlerai dans la suite. Ces devins ont 
toujours leur demeure devant la cour de 
Mangou et d'autres riches personnages, 
car les pauvres n'en ont pas, a moins qu'ils 



— 1 ID — 

ne ^ient de la race de Chingis. Et quand 
ils doivent voyager, ces devins marchent 
devant les chariots, comme la colonne de 
nuee devant les fils d'Israel, et choisissent 
remplacement oti il faut camper; puis ils 
dechargent leurs maisons, et toute la cour 
les imite. Et si c'est un jour de fete, ou le 
premier du mois, ils exposent ces images 
en les etalant autour de leur maison. Alors 
les Moals arrivent, entrent dans la maison 
ct s'inclinent devant ces images et les 
venerent. II n'est permis d aucun etranger 
d'entrer dans cette maison. Une fois, je 
voulus y penetrer et j'en fus violemment 
repousse. 




LES lOUGOURES 



OR, ces lougoures, qui sont meles de 
Chretiens et de Sarrazins, ont fini, 
grace k nos controverses,par neplus croire 
qu'fl un seul Dieu. lis habitent les villes 
qui ob^irent les premieres a Chingis- 
Khdn ; ce qui fit que celui-ci donna sa nlle 
en mariage ^ leur roi. La ville de Caraco- 
rum elle-meme est comprise dans leur ter- 
ritoire, et toute la terre du roi ou du pr^- 
tre Jean et de son fr^re Unc I'environne. 
Mais ceux-ci sont dans les paturages au 
nord, et les lougoures dans les montagnes 
au sud. Cest de 1^ que les Moajs ont 
adopte leurs lettres, car ils ecri vent beau - 
coup et presque tous les Nestoricns con- 
naissent leur ecriture. 




<) 






LE TANGUT 



APREs eux sont les habitants du Tangut 47, 
dissemines dans ces m^mes monta- 
gnes vers Test, hommes tr^s-forts qui pri- 
rent Chingis dans une bataille. Celui-ci, 
ayant ete mis en liberie aprds la conclusion 
de la paix, les subjugua k son tour. Ces 
populations du Tangut ont des boeufs tres- 
vigoureux, dont la queue, le ventre el le 
dos sont converts de polls, et dont les jam- 
bes sont plus courtes que celles des au- 
ires boeufs et I'instinct plus feroce. Ces 
animaux trainent les grandes maisons des 
Moals et portent des cornes minces, effi- 
lees, longues et pointues, de sorte qu'il 
faut loujours en couper les extremiles. La 
vache ne se laisse traire si on ne chante k 
cole d'elle. Ces betes liennent aussi de la 
nature du buffle, parce qu'elles se ruent 
sur loute personne vetue de rouge et veu- 
lent la tucr. 



— 'q)'^ — ■' 






LE THIBET 



PKEs d'eux, sont les Thibetains 48^ qui 
ont I'habitude de manger leurs pa- 
rents morts, pensant par esprit de piete ne 
pouvoir leur donner d'autre sepulture que 
celle de leurs entrailles. Cependant ils ont 
renonce k cet usage, parce que toute la na- 
tion les desapprouvait. Toutefois ils font 
encore de belles tasses avec les cranes de 
leurs parents, afin qu'en buvant en leur 
honneur ils ne les oublient pas aux jours 
de fete. Cela m'a ete raconte par quelqu'un 
qui Ta vu. Ils ont beaucoup d'or dans leur 
pays, et celui qui en a besoin fouille le sol 
jusqu'^ ce qu'il en trouve et cache le sur- 
plus dans la terre. Car s'il le deposait dans 
un tresor ou dans un cofFre, il craindrait 
que Dieu lui enlevat ce que le sol recele. 
Parmi les habitants de ces contrees, j'en ai 
vu quantite de difFormes. Ceux du Tangut 
sont bruns, et basanes. Les lougoures sont 
de petite taille, comme on Test dans notre 
pays. Parmi les lougoures, ont pris nais- 
sance Tidiome turc et le comanique. 



LES SOLANGUES 



APRKS les Thibetains sont les Lougas et 
lesSolangas 49^ dont j'ai vu, a la cour, 
des ambassadeurs qui avaient amend plus 
de dix grands chariots; chacun de ces vehi- 
cules etait trainepar six boeufs. Ces Lougas 
et Solangas sont de petite taille et basanes 
comme les Espagnols; lis portent destuni- 
ques comme celles des diacres, avec cette 
difference que les manches en sont plus 
etroites. lis ont sur la tete des mitres 
comme nos eveques ; seulement le c6te an- 
terieur en est un peu plus bas que le cote 
posterieur, et elles ne montent pas en 
pointe ; elles sont carrees. Elles sont faites 
de fils enduits d'une coUe noire et telle- 
ment luisante, qu'elle brille aux rayons 
du soleil comme un miroir ou un casque 
bien bruni. Autour des tempes, sont de 
longs bandeaux faits de la meme mati^re 
que la mitre et s'etendant au vent comme 
deux cornes qui sortent des tempes; et 
quand le vent les agite trop, on les replie et 
on les attache au haut de la mitre comme 



— 124 — 

une aureole autour de la lete, et cela fait 
un tres-bel ornement. 

Le principal ambassadeur, quand il ve- 
nait a la cour, avail toujours une table de 
dent d'elephant, de la longueur d'une cou- 
dee et de la largeur de la paume de la main ; 
elle etait tr^s-polie. Chaque fois qu'il s'a- 
dressait au khan ou k quelque grand per- 
sonnage, il avait constamment lesyeux nxes 
sur cette table et ne regardait jamais ni ^ 
droite ni a gauche, ni en face de son in- 
terlocuteur. Et en s'approchant ou en s'e- 
loignant du prince, il ne d^tournait pas les 
yeux de cette table. 





LES MOUNGS 



OUTRE tous ces peuples, il en est encore 
d'autres, d'apres ce que j'ai appris, 
que Ton appelle Mucs 5o^ qui ont des vil- 
les, mais pas de troupeaux en propriete 
privee. Cependant il en est de nombreux 
et de tr^s-grands dans leurs paturages et 
personne ne les garde, et si quelqu'un a 
besoin d'un animal, il gravit une coUine 
et crie, et toutes les betes qui entendent.ses 
cris s'approchent de lui et se laissent pren- 
dre comme si elles etaient apprivoisees. Et 
lorsqu'un ambassadeur ou un etranger ar- 
rive dans ce pays, on I'enferme dans une 
maison eton lui fournittout ce qui lui est 
necessaire, jusqu'a complete expedition 
des affaires, parce que, si un etranger cir- 
cLilait en toute liberte, ces animaux s'en- 
fuieraient k son odeur et redeviendraicnt 
sauvages. 



0* 



^>-^J|^-^§->-4^-|^-iJ-^>-4^- ^^'■ 



LE CATHAY OU LA CHINK 



Au dela est le grand Cathay dont les 
habitants etaient anciennement, je 
crois, les Seres. Car d'eux viennent les 
bons draps de soie ou seriques, ainsi nom- 
mes du nom du people, et ie peuple a recu 
le sien d'une de leurs villes. J'ai bien oui 
dire que dans ce pays il est une ville aux 
murailles d'argent et aux bastions d'or. 
Dans cette contree, il y a beaucoup de pro- 
vinces, dont quelquesunes n'obeissent pas 
aux Moals. Entre ceux-ci et la mer est 
rinde. Ces habitants du Cathay sont de 
petite taille et nasillent en parlant. Comme 
tous les Orientaux, ils ont en general de 
petits yeux. lis sont tres-bons ouvriers 
dans toutes sortes d'arts. Leurs medecins 
connaissent bien la vertu des herbes et les 
maladies par les pulsations du pouls, mais 
ils n'ont aucune connaissance des urines; 
c'est du moins ce que j'ai remarque. Beau- 
coup des leurs habitent Caracorum et exer- 
cent le meme etat que leurs p^res; il faut 



— 128 — 

que tous les iils continuent la profession 
paternelle. C'est pourquoi Timpot est le 
meme pour tous, car on paie chaque jour 
aux Moals milie cinq cents iascots ^i ou 
ieur valeur en cosmos ; c'est-a-dire quinze 
mille marcs, sans compter les draps de soie 
et les provisions de bouche, et ies services 
qu'ils recoivent. Tous ces peuples sont 
dissemines dans les montagnes du Cau- 
case, ou plut6t dans le nord de ces monta- 
gnes jusqu'^ rOcean oriental, au sud de 
cette Scythie qu'habitaient les Moals no- 
mades. Tous Ieur sont tribulaires; iis sont 
adonncs ^ Tidol^trie et racontent une foule 
de fables de leurs dieux, de la genealogie 
dc ces dieux et de certains hommes dei- 
fies, comme font nos poetes. Parmi eux sc 
trouvent des Nestoriens et des Sarrazins 
qui sont lenus comme etrangers jiisqu'au 
Cathay. Dans quinze villes du Cathay on 
voit des Nestoriens, et dans celle qu'on 
appelle Segin ^2, est Ieur eveque ; au del^, 
ce sont des idolatres purs. Les pretres des 
idoles de ces peuples portent de larges ca- 
puchons jaunes. S'il faut en croire ce (jue 
)'ai entendu dire, il y a aussi des ermites 
qui mdnent dans les bois et les montagnes 
une vie tr^s-austere. Les Nestoriens sont 
tr^s-ignorants. Cependant ils disent Ieur 
office et ont des livres sacres en syriaque, 
qu'ils ne comprennent pas; ce qui fait 
qu'ils chantent comme, chez nous, les 
moines qui ne savent rien de la gram- 



— 129 — 

maire : d'oti une grande corruption. lis 
sont surtout usuriers, ivrognes, et quel- 
ques-uns qui vivent avec les Tartares ont, 
comme eux, plusieurs femmes. Quand ils 
entrent k I'^glise, ils se lavent les parlies 
inferieures du corps comme les Sarrazins; 
ils ,«nangent de la viande le vendredi et 
liennent leurs banquets k la mani^re des 
Sarrazins. L'eveque visite rarement ces 
pays, peut-etre une seule fois en cinquante 
ans. Alors on fait ordonner pretres tous 
les petits enfants mdles, meme ceux qui 
sont encore au berceau, ce qui explique 
comment presque tous les hommes sont 
pretres. Ensuite ils se marient, ce qui est 
tout ^ fait contraire a I'enseignement des 
P6res, et ils sont bigames parce qu'apres 
la mort de leur premiere epouse, ils en 
prennent une secondc. lis sont aussi tous 
simoniaques, n'administrant aucun sacre- 
ment gratuitement. lis sont tr^sattentifs 
pour leurs femmes et leurs enfants, ce qui 
fait qu'ils sont plus occupes de gagner de 
I'argent que de propager la foi. 11 arrive 
de la que ceux d'entre eux qui eldvent les 
enfants des Moals nobles, tout en leur en- 
seignant I'Evangile et la foi, les eloignent 
cependant de la pratique des vertus chre- 
tiennes par le mauvais exemple de leurs 
moeurs et surtout par leur cupidite, parce 
que la vie des Moals euxmemes et des 
Tuinans, qui sont des idoldtres, est plus 
pure que celle de ces pretres. 



— i3o — 

Nous partimes de Cailac le jour de la 
Saint-Andr^ TSo novembre^ et arrivlLtnes 
a trois lieues de 1^ k une residence de Nes- 
toriens. Nous entrames dans leur eglise et 
chantames avec bonheur de notre voix la 
plus claire : « Salve Regina, » parce qu'il 
y avait longtemps que nous n avions vu 
d'eglise. Trois jours apr^s, nous fflmes 
aux confins de cette province et aux bords 
de cette mer qui nous parut aussi a^itee 
par les tempetes que I'Ocean, et au milieu 
de laquelle nous vimes une grande ile. 
Mon compagnon s'approcha du rivage et 
fit tremper dans Teau un linge pour la 
goilter ; elle etait un peu salee, mais pota- 
ble. Entre le sud et Test, il y avait une 
vallee entouree de hautes montagnes, et 
entre ces montagnes une autre mer ou lac, 
et un fleuve traversait cette vallee de Tune 
k I'autre mer. Le vent soufHait presque 
continuellement dans cette vallee et avec 
tant d'impetuosite que les voyageurs cou- 
rent risque d'etre precipites dans la mer. 
Nous traversames cependant cette gorge, 
nous dirigeant vers le nord par de hautes 
montagnes couvertes de neiges comme le 
reste du pays; de £orte que le jour de la 
Saint-Nicolas, nous commen^ames k ha- 
ter le pas, parce que nous ne trouvions 
plus d'autres habitants que les lam, c'est- 
^-dire des hommes places de journee en 
journee pour recevoir les ambassadeurs. 
En beaucoup d'endroits, au milieu des 



- i3r — 

montagnes, le chemin est penible et les 
paturages sont rares, de sorte qu'entre le 
jour et la nuit nous prenions deux iani; 
nous faisions de deux journdes une et 
nous marchions plus la nuit que le jour. 
Le froid ^tait 1^ des plus intenses; aussi 
nous couvrimes-nous de leurs manteaux 
de chevres, le poil en dedans. 

Le second dimanche (sabbato) de I'A- 
vent au soir (7 decembre), nous passames 
par un certain endroit au milieu de ro- 
chers escarpes, et notre guide me fit de- 
mander de dire quelque pridre qui piit 
chasser les demons, parce qu'en cet en- 
droit ils avaient I'habitude d'enlever les 
hommes, sans que Ton sut ce qu'il en ad- 
venait. Tantot ils derobaient un cheval et 
abandonnaient le cavalier; tantdt ils lui 
arrachaient les entrailles, laissant son sque- 
lette sur le cheval; et beaucoup d'autres 
choses de ce genre arrivaient \k. Alors, 
nous chant^mes k haute voix : « Credo in 
a unum Deum », et nous passalmes, avec 
la grace de Dieu, tous sains et saufs. Puis 
ils me pridrent de leur ecrire des cartes 
au'ils porteraient sur leur tete, et je leur 
dis : a Je vous enseignerai la parole que 
a vous porterez dans votre coeur et par 
« laquelle voire ^me et votre corps seront 
tt sauves pour Teternite. » Et comme je 
voulais toujours instruire, mon interpr^te 
s'y refusa. Toutefois j'ecrivis pour eux le 
Credo et le Pater, et dis : « Ici sont ecrits 



— l32 — 

< ce que rhomme doit croire de Dieu, et 
( la pri^re par laquelle on demande ^ Dieii 
( tout ce qui est ndcessaire a rhomme. 

< Croyez done fermement toot ce qui est 

< ici ecrit, meme sans le comprendre, et 

< demandez k Dieu qu*il vous fasse ce qui 
( est con ten u dans la priere ici ^crite, la- 

< quelle 11 enseigna lui-meme, de sa pro- 
' pre bouche, k ses disciples ; et j'espdre 

< qu'il vous sauvera. » Je ne pouvais taire 
davantage parce qu'il etait dangereux de 
parler de doctrine par I'intermediaire d'un 
interprete; c'etait meme chose impossible, 
parce qu'il etait tres ignorant. 

Nous entrames ensuite dans cette plaine 
oCi se tenait la cour de Ken-Khan. Cetait 
lepays des Naimans, qui etaient les vrais 
sujets du pretre Jean. Mais je n'ai vu sa 
cour qu'^ mon retour. Cependant je vous 
dirai ce qui lui advint de sa famille, de son 
his et de ses femmes. Ken -Khan mort. 
Baton voulut que Mangou le rempla^at 
dans sa dignite de Khan ; mais comment il 
mourut, je ne saurais rien dire de positif ^ 
cet egard. Frere Andre m'a dit qu'il perdit 
la vie a la suite d'une certaine medecine 
qui lui fut administree par ordre, croit-on, 
de Batou. Cependant on dit aussi autre 
chose. Ken-Kh^n avait lui-meme invite 
Baton k venir lui rendre hommage et 
Baton s'etait mis en marche avec un 
grand appareil de luxe, mais non sans 
avoir grand'peur, lui et tons ses gens II 



— .i3 3 — . 

envoya devant lui son frere, nommeSticha, 
aui, Jorsqu'il fut arrive aupr^s de Ken, se 
disposa k lui presenter sa coupe. Une que- 
relle s'eleva* aiors entre eux et ils s'entre- 
tu^rent. La veuve de Sticha nous retint 

[)endant deux jours chez elle afin que nous 
ui donnames la bendcfiction et priames 
pour elle. 

Done, Ken etant mort, Mangou fut elu 
par la volonte de Batou, et il etait dej^ 
elu lorsque frere Andre visita ces con trees. 
Ken avait un fr^re nomme Seremon, qui, 
d'apres le conseil de la veuve de K^n et de 
ses vassaux, alia avec grand apparat vers 
Mangou comme pour lui rendre hom- 
mage, mais en realite avec le projet de le 
tuer et d'aneantir toute sa cour. Et comme 
il n'etail plus eloigne de Mangou que 
d'une ou deux journees de marche, un de 
ses chariots se brisa et dut resier en che- 
min. Tandis que le conducteur s'efforcait 
de le reparer, survint un des hommes de 
Mangou qui I'aida dans son travail. Ce- 
lui-ci s'enquit tellement du but de leur 
voyage, que le charretier lui revela ce que 
Siremon proposait de faire. Puis, cet 
homme, se retirant d'un air d'indifference, 
saisit le meilleur cheval qu*il put trouver 
parmi tous les chevaux, courut nuit et 
jour, parvint a la cour de Mangou et lui 
annonca ce qu'il venait d'apprendre. Alors 
Mangou, ayant aussitdt convoque tous ses 
hommes, fit ranger tous ceux qui etaient 



- .34- 

armes en quatre cercles autour de sa cour, 
de sorte que personne ne put entrer. II en- 
voya les autres centre ce Siremon qui ne 
soupconnait pas que ses desseins fussent 
decou verts; ils s'empardrent de lui et Tem- 
mendrent ^ la cour avec tous les siens. 
Mangou lui reprocha son crime; Tautre 
avoua aussitut. Alors il fut tu^ et avec lui 
son ills aine Ken-Khan et trois cents des 
principaux parmi les Tartares. On envoya 
cliercher aussi les femmes, qui toates f u- 
rent fustigees avec des tisons ardents pour 
obtenir leur aveu ; et ayant avou^, elles 
furent toutes tuees. Le plus jeune des fils 
de Ken, qui ne pouvait avoir donn^ un 
conseil ni avoir connaissance de ce qui de- 
vait se commettre, eut la vie sauve, et on 
lui laissa la cour de son p^re avec toutes 
ses appendances et dependances. Nous pas- 
sames par Ik k notre retour, et mes guides, 
en allant ou revenant, n'osaient se diriger 
de ce cote ; car a la reine des nations ^tait 
« dans la tristesse et il n'y avait personne 
« pour la consoler. » (Lamentat. Jdremie, 
ch. i). 



->—♦<<»•-*- 




DEPART 
POUR l'audience de mangou-kh.vn 



Nous primes de nouveau le chemin des 
montagnes , nous dirigeant toujours 
vers le nord. Entin, le jour de la Saiiit- 
Etienne (26 decembre), nous entrames dans 
une plaine grande comme la mer ; car nous 
n'aperjumes plus la moindre coUine, et le 
lendemain, fete de saint Jean Tevangd- 
liste, nous parvinmes aupres du grand 
khSn. Lorsque nous etions k une distance 
de cinq journees de 1^, le mm, chez qui 
nous logions, voulait nous conduire par 
un chemin qui nous aurait fait faire un 
detour de plus de quinze jours. Et le mo- 
tif, si je I'ai bien compris, etait de nous 
faire passer par Onankerule (Onam che- 
rule), le veritable pays oti se tenait ordi- 
nairement la cour de Chingis-Khan ; d'au- 
tres disaient qu'ils voulaient prendre un 
plus long chemin pour mieux laisser appa- 
raitre la puissance de leur souverain. C'est 



— i36 — 

ainsi d'ailleurs qu'on a Thabitude d'agir 
a I'egard des voyageurs qui viennent de 
pays qui ne leur sont pas soumis, et c'est 
avec la plus grande aifficulte que notre 
guide obtint de suivre le droit chemin. 
Cette hesitation nous fit perdre une bonne 
partie de la journ^e, depuis la premiere 
jusqu'^ la troisi^me heure. 

Dans ce trajet, le secretaire que nous 
avions attendu k Cailac me dit que^ par les 
lettres de Batou qu'envoyait Mungou- 
Khan, vous demandiez k Sartach une ar- 
mee et des secours contre les Sarrazins. Je 
fus alors etonne et trouble, parce que je 
connaissais la teneur de vos lettres, et que 
je savais qu*il n'y etait pas fait mention de 
cela, si ce n'est que vous le priiez d'etre 
rami de tous les Chretiens, d*honorer la 
Croix et d'etre I'ennemi de tous les enne- 
mis de la Croix ; et encore, parce que les 
interprdtes etaient des Armeniens de la 
Grande Armenie, haissant beaucoup les 
Sarrazins, je craignais qu'ils n'eussent in- 
terprete quelque chose d'une mani^re nui- 
sible k ces derniers. Je gardai done pru- 
demment le silence, ne prof^rant pas un 
mot ni pour ni contre, car je ne voulais 
pas contredire aux paroles de Baton ni 
m'exposer k le calomnier sans une cause 
raisonnable. 

Nous arrivames done k la cour le jour 
que je viens de vous nommer. Une grande 
maison fut assignee k notre guide; k nous 



- .37- 

trois, un petit abri oti nous pumes k peine 
deposer nos hardes, ^tendre nos lits et 
faire un peu de feu. Notre guide fut 
trds-visite et on lui apporta de la cer- 
voise dans de longues bouteilles, etroi- 
tes par le haut. Je n'aurais pu en aucune 
facon distinguer cette boisson du meilleur 
vin d'Auxerre^ excepte seulement k Todeur 
qui n'etait pas celle du vin. Nous fiimes 
appeles et presses de questions sur le but 
de notre voyage. Je repondis : « Nous 
(( avons entendu dire que Sartach etait 
« Chretien; nous nous rendons aupres de 
« lui. Nous lui portons des lettres que lui 
« adresse le roi des Francs ; Sartach nous 
« a envoy^s k son pdre, son pere nous a 
cc envoyes ici. Lui-meme doit avoir ecrit 
« le motif de notre mission. » 

lis nous demanderent si vous vouliez 
etre en paix avec eux. Je repondis : « II a 
« ecrit des lettres k Sartach comme k un 
« Chretien, et s'il avait su qu'il ne fut pas 
(( Chretien, il ne lui aurait jamais expedie 
« des lettres. Quant k faire la paix, je vous 
« declare qu'il ne vous a jamais fait la 
(( moindre injure. S'il avait fait quelque 
« chose qui vous autorisat k lui declarer la 
« guerre, k lui ou k son peuple, il s'em- 
« presserait, en homme juste, de s'excuser 
c< et de vous demander la paix. Si vous, 
(c au contraire, vouliez sans raison lui 
<c faire la guerre, k lui ou k son peuple,* 
« j espere que Dieu qui est juste les aide- 



— i38 — 

« rait. » Et eux, toujours tr^s-etonn&, ils 
repetaient : « Pourquoi venez-vous , si 
(( vous ne venez pas faire la paix? » Car 
ils sont si orgueilleux qu'ils s'imaginent 
auc tout le monde les recherche pour leur 
demander ^ vivre en paix avec eux. Et ce- 
pendant, sf cela m'etait permis, je parcour- 
rais le monde k precher la guerre contre 
eux. Mais je ne voulais pas leur dire ouver- 
tement la cause de mon arrivde parmi eux, 
dans la crainte de fjrononcer une seule pa- 
role qui fut conlraire k ce que m'avait or- 
donne Baton. II me parut done suffisant 
de declarer que la cause de mon voyage 
ctait la mission que je tenais de Baton. 

Le jour suivant, nous fumes conduits k 
la cor.r, et je crus qu'il me serait accordc 
de marcher nu-pieds comme dans notrc 
pays; c'est pourquoi je deposai mes sanda- 
Ics. Ceux qui se rendent a la cour descen- 
dent de cheval a une portee de trait de la 
maison oti se tient le khan, et les chevaux 
restent 1^ avec les palefreniers charges de 
leur garde. Lorsque nous fumes descendus 
et que notre guide se rertdit k la residence 
du khan, il se trouva 1^ un gar^on hon- 
grois qui nous reconnut, ou plutot notre 
Ordre. Ceux qui nous entouraient nous re- 
gardaient avec des yeux ebahis, surtout 
parce que nous etions nu-pieds, et ils nous 
demandaicnt pourquoi nous faisions si peu 
dc cas de nos pieds. Get Hongrois leur en 



— i39 — 

expliqua la raison, en disant que c'etait 
une regie de notre Ordre. Alorsvintle pre- 
mier secretaire, qui ^tait un chretien nes- 
torien, par le conseil de qui tout se faisait 
a la cour; il nous observa attentivement, 
appela cet Hongrois et lui fit de nombreu- 
ses questions. Puis, on nous dit de rega- 
gner notre logement. 






UN MOINE ARMENIEN 



EN m'en retournant, j'aper<jus devant Tex- 
tremite orientale de la cour, a une dis- 
tance de deux traits de baliste, une maison 
sur laquelle etait une petite croix. Je m en 
rejouis fort, supposant qu'il y avait la quel- 
que vestige de christian isme. J'entrai avec 
confiance et trouvai un autel parfaitement 
orne ; sur une etoffe d'or, je vis brodees les 
images du Sauveur, de la sainte Vierge, de 
saint Jean-Baptiste et de deux anges, dont 
les lignes du corps et des vetements etaient 
dessinees par des perles (margaritis). II y 
avait aussi une grande croix d'argent, dont 
le milieu et les coins etaient garnisde pier- 
res precieuses, et beaucoup d'autres orne- 
ments ( philateria ) ; une lampe ^ huit 
branches et k huile brulait devant I'autel; 
et 1^ etait assis un moine armenien, noira- 
tre, maigre, vetu d'une tunique en forme 
de cilice, tres-rude jusqu'^ mi-jambes, 
ayant par-dessus un manteau noir fourre 
de laine (seta), et sous le cilice une cein- 



10 



— 142 — 

ture de fer. Aussitot apr6s notre entree, 
ct avant de saluer le moine, nous nous 
prosterndmes et chantames : « Ave Regina 
ccelorum, » et lui, s'dtant dress^, priaavec 
nous. Alors, Tayant salu^, nous nous as- 
simes i c6t6 de lui ; il avait un peu de feu 
dans un plateau (patella). Nous lui ra- 
contames la cause de notre arrivee, et il 
commen^a par nous encourager, disant 
que nous devions parler hardiment parce 
que nous etions les ambassadeurs de Dieu, 
qui est plus grand que tous les hommes. 

Ensuite, il nous apprit comment il etait 
venu dans ce pays, un mois seulement 
avant nous ; qu il avait €i€ ermite aux en- 
virons de Jerusalem et que Dieu lui avait 
apparu trois fois, lui ordonnant d'aller 
trouver le chef des Tartares. Et comme il 
differait d'obeir, Dieu le menaca la troi- 
sieme fois, et le faisant prosterner il lui dit 
qu'il mourrait s*il n'obeissait pas. II se de- 
cida enfin a exhorter Mangou-Kh^ln k se 
faire chr^tien, Tassurant que le monde en- 
tier lui serait soumis et que les Francs et 
le souverain Pontife lui seraient fiddles, et 
il me conseilla de lui repdter ces paroles. 
Alors je r^pondis : a Frdre, je lui dirai vo- 
« lontiers de se faire Chretien, car je suis 
« yenu pour cela, et je donnerai ce conseil 
« k tout le monde. Je lui ferai entrevoir 
« aussi toute la joie qu^en eprouveront les 
« F'rancs et le Pape, et lui promettrai 
'( qu'ils le regarderont pour frdre et ami; 



— 143 — 

« mais qu*ils deviendront ses esclaves et lui 
« paieront tribut, je ne le promettrai ja- 
« mais, parce que je parlerais centre ma 
cc conscience. » Alors le moine se tut, et 
nous allames a notre logement que je trou- 
vai froid, car nous n'avions rien mange 
de la journee. Nous fimes cuire un peu de 
viande et du mil dans de I'eau pour sou- 
per. Notre guide et ses compagnons s e- 
taient enivres a la cour, ne se preoccupant 
nullement de nous. 



0^3 



'>— ><o— ^^^-^ JV-v>^- 



UN HI/ER A CAR ACQ RUM 



1L y avait alors, chez Mangou-Khan, les 
ambassadeurs de Valzane que nous ne 
connaissions pas 53. Le lendemain, au 
point du jour, des hommes de la cour nous 
tirent lever en toute hate. Je m*en allai 
avec eux, nu-pieds, par un sentier ^troit, 
au logis de ces amoassadeurs, et ils leur 
demand^rent s'ils nous connaissaient. 
Alors un chevalier grec, reconnaissant 
rOrdre auquel j'appartiens, et aussi mon 
compagnon qu'il se rappelait avoir vu k la 
cour de Vastace avec frere Xhomas notre 
provincial, porta avec tous ses compa- 
gnons un excellent temoignage de nous 
tous. Us nous demanderent ensuite si vous 
etiez en paix ou en guerre avec Vastace. 
« Ni en paix ni en guerre, » repondis-je; 
et ils me dirent : « Comment cela peut-il 
« etre? » — « Votre pays et le ndtre, » re- 
pondis-je, « sont si eloignes Tun de I'autre, 
« qu'ils n'ont rien a demeler ensemble. » 
Puis, I'envoye de Vastace dit que c'etait la 

10* 



— 14^) — 

paix, men faisant garant (cautum). Je 
gardai le silence. 

Ce matin, j'eus les doigts de pieds geles, 
de sorte que je ne pus plus marcher sans 
sandales. Car le froid est tr^s-aigu dans ces 
contr^es, et lorsqu'il commence de geler, il 
n'y a pas d'interruption Jusqu'au mois de 
mai, et meme jusquau milieu de mai. 
Chaque matin, la gel6c ne cesse que par 
Tardeur des rayons du soleil. Mais, en hi- 
ver, elle dure toujours k cause du vent. Et 
si le vent soufflait 1^ en hiver comme chez 
nous, il ne serait pas possible de vivre; 
mais I'air y est toujours calme jusqu'en 
avril, et alors les vents se levent. Quand 
nous etions Ijl, vers Paques (avril 1254), il 
mourut une quantite de bestiaux, k cause 
du froid qui sevit avec le vent. II tombe 
peu de neige en hiver, mais, vers Paques, 
c'est-a-dire a la fin d'avril, il en tomba tel- 
lement que toutes les rues de Caracorum 
en furent pleines et qu*il fallut Tenlever 
au moyen de chariots. On nous apporta 
alors de la cour des manteaux et des pour- 
points de peaux de mouton et des sandales, 
que mon compagnon et mon trucheman 
recurent avec plaisir. Quant k moi, je ne 
crus pas devoir m'en servir parce que la 
pelisse que j'avais eue de Bcltou me suf- 
fisait. 



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AUDIENCE DE MANGOU-KHAN 



D 



ANs Toctave des saints Innocents 
(4 Janvier :255), nous fiimes con- 
duits k la cour, et des pretres nestoriens, 
dont je ne saurais dire s'ils etaient Chre- 
tiens, vinrent nous demander de quel cote 
nous nous tournions pour prier. Je repon- 
dis : a Vers I'orient. » Us nous adress^rent 
celte question, parce que nous nous dtions 
fait raser, d apres le conseil de notre guide, 
pour paraitre devant le khto selon 1 usa^e 
de notre patrie. Ce qui leur avait fait 
croire que nous etions tuinans, c'est-^- 
dire idolatres. lis nous firent aussi expli- 
quer quelques passages de la Bible, lis 
nous demanderent ensuite quel c^r^monial 
nous observerions devant le khan : serait- 
ce celui usite chez nous ou chez eux ? Je 
leur r^pondis : « Nous sommes pretres, 
« consacres au service de Dieu. Dans no- 
« tre pays, nos nobles maitres ne toldrent 
« pas que les pretres plient le genou de- 
tt vant eux, si ce n'est pour honorer Dieu. 



— 148 — 

« Nous venons de loin ; d abord, si vous 
a le permettez, nous chanterons des ac- 
« tions de graces k Dieu, gui nous a con- 
<i duits sains et saufs jusqu'ici et de si loin, 
<i puis nous ferons tout ce qui plaira k 
a votre maitre, excepte toutefois ce qui se- 
<( rait contraire au culte et k la gloire de 
a Dieu. » lis rentrdrent et rapportdrent 
nos paroles au khan, sur qui elles firent 
bonne impression. Etant arretes devant la 
porte dont on avait soulev^ le rideau de 
feutre, et comme on etait au temps de la 
Nativite, nous nous mimes k chanter : 



A soils ortu cavdinc 
Et usque terrce Umitem 
Cristum canamus principem 
Natum Maria Virgine. 



Lorsque nous eumes acheve cette hymne, 
nous fumes fouilles aux jambes, k la poi- 
trine, aux bras, afin de voir si nous ca- 
chions des couteaux. lis firent visiter aussi 
notre interprdte et le forc^rent d'dter sa 
ceinture a laquelle pendait son couteau et 
de la deposer entre les mains d'un huis- 
sier. Alors nous entrames et apercumes k 
I'entree un banc avec du cosmos ;'i Is y fi- 
rent arreter Tinterpr^te. Mais nous, ils 
nous firent asseoir sur un tabouret (scam- 
num), en face des dames. Toute la maison 
etait couverte d'un drap d'or. et dans un 
rechaud (arula), place au milieu, brulait 



— H9 — 

un feu alimente par des epines et des ra- 
cines (absinchii) d'alluine, qui croit en 
grande abondance dans ces regions, et en- 
core par de la fiente de boeufs. Le kh^n 
etait assis sur un lit, revetu d'une peau ta- 
chetee et tres-luisante, pareille k celle d*un 
veau marin ^+. C'est un homme-singe (ho- 
mo-simius), de taille moyenne, age de qua- 
rante-cinq ans ; aL ses cotes etait sa jeune 
femme, et une fiUe adulte, tr^s-laide, nom- 
mee Cirina, etait assise, avec d*autres pe- 
tits enfants, sur un lit place derridre celui 
de ses parents. Or, cette maison avait ap- 
partenu k une dame chretienne, que le 
khan avait beaucoup aim^e et dont il avait 
eu cette fille. II epousa cependant sa jeune 
femme, mais la Jeune fille est la dame de 
toute la cour qui avait ete sous les ordres 
de sa mere. Alors le khan nous fit deman- 
der ce que nous voulions boire, du vin ou 
de la terracine, qui est de la cervoise faite 
avec du riz, ou bien du caracosmos, qui 
est du lait pur de jument, ou bien dii ball, 
qui est un extrait de miel (hydromel?). On 
se sert de ces quatre boissons en hiver. A 
ces questions, je repondis : « ^figr^ctir, 
« nous ne sommes pas des hommes qui 
c( cherchons notre plaisir dans la boisson ; 
c( tout ce qui vous plaira nous convient. » 
11 nous fit alors verser de cette boisson 
faite de riz, limpide et douce comme du 
vin blanc, dont je bus quelques gouttes 
par simple politesse. Mais, ^ notre grand 



— ID2 — 

puis qu*il etdit en dtat d'ivresse, je ne le 
comprenais plus. II me semblait memo 
que Mangou-Kh^ln, lui aussi, etait un peu 
cnancelant. Cependant 11 m'a paru rd^ul- 
ter de sa reponse qu'il n'etait pas content 
de ce que noys dtions alles trouver Sartach 
avant lui. Voyant que mon interprdte me 
faisait defaut, je me tus «t le priai seule- 
ment de ne pas prendre en mauvaise part 
si je lui avals parle d'or et d argent. Je lui 
fis remarquer que je n'avSs pas parle de 
ces choses parce qu'iJ en manquait ou les 
desirait, mais parce que nous voulions 
rhonorer temporellement et spirituelle- 
ment. 

Puis, il nous fit lever et rasseoir, et peu 
apr^s, apres Tavoir salue, nous sortimes, 
et avec nous ses secretaires et son inter- 
pr^te, qui nourrit une de ses fiUes. lis nous 
adresserent de nombreuses questions, nous 
demandant s'il y avait en France beau- 
coup de moutons, de boeufs et de chevaux, 
comme s'ils avaient ete sur le point de 
faire invasion par mi nous et de semparer 
de tout cela. Et je dus me faire violence 
pour dissimuler mon indignation et ma 
colere. Je repondis : « II y a la bien dcs ri- 
ce chesses, que vous verrez si vous allcz 
<( par hasard par 1^1. » Ensuite ils charge- 
rent quelqu*un d'avoir soin de nous, et 
nous rejoignimes le moine. Et comme 
nous sortimes pour regagner notre loge- 
ment, le susdit interpr^te vint a nous et 



— i53 ~ 

nous dit : « Mangou-Khan a eu pilie de 
« vous et vous permet de demeurer 
<c ici pendant deux mois. Alors le froid 
« sera passe; il vous fait savoir en meme 
« temps qu'^ une dizaine de journees d*ici, 
c( il y a une bonne ville qu'on .appelle Ga- 
te racorum. Si vous voulez y aller, il vous 
c< fera administrer tout ce qui vous est ne- 
(( cessaire; si, au contraire, vous voulez 
« Tester ici, vous aurez aussi tout ce dont 
« vous aurez besoin. Toutefois il vous sera 
(c penible de chevaucher avec la cour. » Je 
lui repondis : c Que le Seigneur garde 
« Mangou-Khan et lui donne une vie 
« heureuse et longue! Nous avons rencon- 
c< tre ici un moine, que nous croyons etre 
cc un saint homme, venu dans ce pays par 
« la volonte de Dieu. C'est pourquoi nous 
<c demeurerons volontiers avec lui, parce 
« que nous sommes moines commeluiet 
« nous prierons ensemble pour la vie du 
« khan. » Alors I'interprdte s'en retourna 
silencieux. 



^ 



Xl-v^v^ 







RE TOUR DE L' AUDIENCE DU KHAN 



ET nous allames k notre grande maison 
que nous trouv^mes froide et sans 
moyen de faire du feu; j'etais k jeun et il 
faisait nuit. Alors, celui k qui nous avions 
ete recommandes nous procura du feu et 
un peu de nourriture. Notre guide re- 
tourna chez Baton, apr^s nous avoir de- 
mande un tapis que nous avions laisse par 
son ordre k la cour de Baton. Nous le lui 
accordames et il s'en alia en paix, nous de- 
mandant la main et pardon de nous avoir 
laisse soufiFrir la faim et la soif durant le 
voyage. Nous le lui pardonnames, lui de- 
mandant k notre tour, k lui et a tous les 
siens , de nous pardonner si nous leur 
avions montre le mauvais exemple. 

Une femme de Metz en Lorraine, nom- 
inee Pascha, et qui avait ete faite prison- 
niere en Hongrie, vint nous trouver et 
nous prepara un festin du mieux qu'elle 
put. Elle appartenait k la cour de cette 
dame qui etait chretienne et dont j'ai parle 



— 1 56 — 

plus haut ; elle nous raconta les privations 
inou'ies quelle eut k supporter avant d'etre 
attachee a la cour. Mais elle etait alors as- 
sez bien, car elle avait un jeune mari 
russe, qui I'avait rendue mere de trois 
beaux petits enfants et qui etait charpen- 
tier, ce qui est un bon etat chez les Tar- 
tarcs. 







S®2^!^^^^(gSr^^<y-® 








G UlLLA UME 



\ 



ORFEVRE DE PARTS A CAR AGO RUM 



ENTRE autrcs choses, elle nous apprit 
qu'il y avait ^ Caracorum un orfe- 
vre, nomme Guillaume et originaire de 
Paris ; son nom de famille est Buchier et 
celui de son pere, Laurent Buchier. Elle 
croit m^me qu'il a un frere qui demeure 
sur le grand Pont 55 et qui se nomme Ro- 
ger Buchier. Elle ajouta que cet orf^vre 
avait avec lui un jeune homme qu'il traitait 
comme son fils et qui etalt un excellent in- 
terprete. Mangou-Kh^n avait donne ^ ce 
maitre artisan trois cents iascots, c est-a- 
dire trois mille marcs, et cinquante ou- 
vriers pour fabriquer une oeuvre dart ; 
c'est pourquoi elle craignait qu'il ne put 
me confier son fils. A la cour, on lui avait 
dit : « Ceux qui viennent de votre pays 
« sont de braves gens, et Mangou-Khan 
« cause volontiers avec eux ; mais leur in- 
« terprdte ne vaut rien. w Ce qui explique 



- i58 — 

pourquoi elle se pr^occupait du notre. 
Alors j ecrivis k cet ort^vre pour lui an- 
noncer notre arrivde et Id prier de nous en- 
voyer son fils, si c'etait possible. II me re- 
pohdit que durant la presente lunaison il 
ne le pouvait pas, mais qu'^ la suivante 
il aurait achev^ son ouvrage et m*enverrait 
alors son fils. 

Nous demeurames Ik avec d'autres am- 
bassadeurs. Les ambassadeurs ne sont pas 
traites de la meme mani^re k la cour de 
Batou et k celle de MangouKhan. A la 
cour de Batou, un iam se tient du c6te oc- 
cidental et revolt tous ceux qui viennent 
de rOccident; il en est de meme pour tou- 
tes les autres parties du monde. Mais k la 
cour de Mangou , tous sont reunis sous un 
meme iam et peuvent se visiter mutuelle- 
ment et se parler. A la cour de Batou, 
ils ne se connaissent pas, et les uns ne sa- 
vent pas si les autres sont ambassadeurs, 
parce qu'ils ignorent leurs logements et 
qu'ils ne se voient qu*^ la cour. Et lors- 
que Tun estappele, Tautre pent ne pas le- 
tre ; car on ne va a la cour que lorsqu'on 
y est appele. Nous y rencontrames un 
Chretien de Damas, qui disait au'il etait 
venu de la part du sultan de Mont-Real 
et de Grac, pour offrir de payer tribut aux 
Tartares et demander leur amitie. 



iiimink^iinn^m mim 



LE CLERC THEODULE 



L*ANNEE qui preceda mon arrivde dans 
ces parages, il y avait ici eu un clerc 
d'Acre, qui se faisait nommer Raimond, 
mais dont le vrai nom etait Theodule. II 
avait voyage depuis Chypre de concert 
avec fr^re Andre: il alia avec lui jusqu'en 
Perse et s'y procura certaines orgues d Am- 
morique, et resta \t apres le depart du 
frere Andre. Lefr^re Andre une fois parti, 
il conlinua sa route avec ses orgues et par- ' 
vint ^ la cour de Mangou-Khan. CeJui-ci 
lui demanda pourquoi il etait venu. Theo- 
dule lui repondit qu'il etait venu avec un 
saint ev^cjue k qui Dieu avait remis des 
lettres ecrites du ciel en caract^res d^or et 
avait ordonne de les remettre au souve- 
rain des Tartares, qui devait letre de toute 
la terre. II dut en meme temps exhorter 
les populations k faire leur paix avec lui. 
Alors Mangou-Khan lui dit : « Si vous 
« m'apportez ces lettres qui viennent du 
« ciel et de votre Seigneur, vous etes le 



— !6o — 

« bien venu. » Theodule repondit qu'il 
avait ete charge de lettres, mais qu'elles se 
trouvaient avec ses autres hardes sur un 
cheval farouche qui s'etait echapp^ et en- 
fui par les forets et les montagnes, de sorte 
que tout etait perdu. Et en effet, de tels 
accidents arrivent frecjuemment. U faut 
done qu'un homme retienne toujours bien 
son cheval, lorscju'il en descend par n^ces- 
sit^. Mangou lui demanda alors le nom de 
cet eveque ; il repondit qu*ii s'appelait 
Oton. Puis, il dit qu'il etait de Damas et 
que maitre Guillaume ^lait clerc de mon- 
sieur le legat. Le khdn lui demanda encore 
de quel royaume il etait ; k quoi il repon- 
dit qu'il etait le sujet d*un certain roi des 
Francs, nomm^ Moler. Car il avait en- 
tendu parler de celui qui etait parvenu 
aux plames de la Manshura TMassoure), et 
il voulait faire accroire qu'il etait de vos 
sujets. Ensuite il ajouta que les Sarrazins 
s'etaient interposes entre les Francs et le 
khdn et barraient le passage pour arriver 
jusqu'A lui ; que si le chemin devenait li- 
bre, les Francs lui enverraient des am- 
bassadeurs pour faire alliance avec lui. 
Alors Mangou-Khan lui demanda s'il vou- 
lait conduire des ambassadeurs k ce roi et 
k cet eveque. II repondit que oui, meme 
au pape. Alors Mangou-Khan fit apporter 
un arc tr6s-fort que deux hommes pou- 
vaient i peine tendre, et deux filches (bou- 
stones) dont les tetes dtaient d'argent, 



— i6i — 

pleincs de trous, et qui siftlaient comme 
des flutes quand elles etaient lancees. II dit 
a un Moal qu'il chargea d'accompagner 
Theodule : « Tu iras k ce roi des Francs, 
a suivi de cet homme , et tu lui ofFri- 
« ras ces objets de ma part ; et s'il veut 
« vivre en paix avec nous, nous conquer- 
« rons le pays des Sarrazins jusqu'^ lui, 
« et nous c^derons le reste de la terre j us- 
ee qu'en Occident. Si non, tu nous rappor- 
« teras Tare et les filches, apr6s lui avoir 
c< dit qu'avec de tels arcs nous pouvons 
« atteindre au loin et frapper fort. » II fit 
alors sortir ce Theodule, dont I'interprdte 
etait le fils de maitre Guillaume. Ce jeune 
homme, avantenlendu Mangou-Khan, dit 
a ce Moal : « Tu iras avec cet homme; 
u observe bien le pays, les routes, les vil- 
« les, les forteresses, les hommes et leurs 
« armes. >• Puis il reprimanda Theodule, 
disant qu'il faisait mal de conduire des am- 
bassadeurs tartares uniquement charges 
d'espionner. Celui-ci repondit qu'il les 
conduirait par mer, de manidre qu'ils 
ignorassent d'oCi ils etaient venus et com- 
ment ils retourneraient. Mangou lui donna 
aussi sa bulle, c'est-^ dire une plaque d'or 
de la largeur d'une paume et de la lon- 
gueur d'une coudee, sur laquelle il avait 
ecrit ses ordres. Celui qui la porte pent de- 
mander ce qu'il veut et aussitot sa volonte 
est accomplie. C'est ainsi que Theodule 
parvint jusqu'd Vastace, voulant aller jus- 

ir 



— l62 — 

qu au pape pour le tromper comme il 
avait trompe Mangou-Kh^n. Vastace lui 
demanda alors s'il avait des lettres pour le 
papc, puisqu'il etait ambassadeur et charge 
d'accompagner des ambassadeurs. £t 
comme il ne voulait pas montrer ses let- 
tres, Vastace le fit saisir, le d^pouiller et le 
Jeter en prison. Quant ,k ce Moal, il fut 
atteint de maladie et mourut Ik, Vastace fit 
remettrela bulle d'or k Mangou Khdn lui- 
meme par les gens de ce Moal, que je ren- 
contrai k Arseroum ^^ k I'entree de la Tur- 
quie. J appris par eux ce qui etait arrive k 
ce pauvre Theodule. De tels imposteurs 
courent le monde et les Moals les mettent 
a mort quand ils peuvent les saisir. 



'OX^K^-^' 



LE MOINE SERGIUS 



MAIS la fete de I'Epiphanie etait proche, 
et le moine d'Armenie , nomme Ser- 
gius, m*avait dit qu'il bapliserait ce jour-1^ 
Mangou-Khan. Et moi je le priai de faire 
tout ce qui dependrait de lui afin que je 
pusse etre present k la ceremonie et en 
rcndre icmoignage. Ce qu'il me promit. 



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FESTIN CHEZ MANGOU-KHAN 



LE jour de la ceremonie, le moine ne 
me fit pas appeler ; mais k la sixieme 
heure je fus invite a la cour, et je vis le 
moine qui s'en retournait avec lespretres 
ct sa croix, et les pretres avec Tencensoir 
et le livre de I'Evangile. Car ce Jour-l& 
Mangou-Khan ofFrait un festin, et c est la 
coutume qu en ces jours, que ses devins di- 
sent fdries et quelques pretres nestoriens, 
sacres, le khan tienne cour plenidre. Alors 
les pretres Chretiens viennent les pre- 
miers en grand appareil, et prient pour lui 
et benissent sa coupe. Aprds leur depart, 
les pretres sarrazins arrivent et font de 
meme. Ensuite se presentent les pretres 
idolatres qui font la meme chose. Et le 
moine me dit que le souverain croyait seu- 
lement aux chrdtiens, mais qu'il veut que 
tout le monde prie pour lui. Le mome 
mentait, parce que le kh^n ne croit k per- 
sonne, comme vous Tapprendrez dans la 
suite. Tout le monde va a la cour comme 



— i66 — 

les mouches recherchent le miel, et tout le 
monde en sort satbfait s*imaginant qu'il a 
Tamitie du prince et on lui souhaite toutes 
les prosperites. 

Nous nous asslmes alors devant sa cour 
i une assez grande distance^ et on nous 
apporta k manger de la viande. Nous re- 
pondimes que nous ne mangerions pas la, 
et que si Ton voulait bien nous ofiFrir quel- 
que nourriture, nous Taccepterions dans 
notre logis. On nous dit alors : « Retour- 
« nez a votre logis, car vous n'avez ete ap- 
« les que pour manger. » Nous revinmes 
done avec le moine qui rougissait de son 
mensonge ; je ne voulus pas lui dire un 
mot de tout cela. Cependant des Nesto- 
riens s*efForc6rent de me persuader que le 
khan etait baptise. Je leur repondis que je 
n'en croyais rien et que je n en parlerais 
pas k d autres, parce que je n'avais rien 
vu. 

Nous parvinmes k notre logis qui etait 
froid et manquait de tout. On nous pour- 
vut de lits et de couvertures. On apporta 
aussi de quoi faire da feu et de la viande 
de mouton maigre, et en trop petite quan- 
tity pour nous trois et pour six jours ; on 
nous donna chaque jour une ecuelle de 
mil et un quart de cervoise de mil, et une 
chaudi^re avec son trepied pour cuire la 
viande. Celleci cuite, nous faisions cuire 
le mil dans le bouillon de la viande. Telle 
etait notre nourriture, et elle nous aurait 



— 167 — 

suffi si nous avions pu la manger en paix. 
Mais il y a U tant de pauvres qui meurent 
de faim, qu'iis se precipitaient sur nous en 
nous voyant preparer nos aliments et vou- 
laient les partager avec nous. J'eus la une 
preuve du martyre que subit la pauvrete. 



•o<e|{^-o— 







INSTALLATION 

A LA COUR OE MANGOU-KHAN 



COMME le froid commen(jait k sdvir, 
Mangou-Khan nous cnvoya trois 
manteaux de peaux de papions, dont le 
poil se trouvait k I'exterieur et que nous 
reclames avec actions de graces. On nous 
demanda aussi si nous avions suffisam- 
ment de la nourriture, k quoi je repondis 
que nous n'avions besoin que de peu de 
chose, mais que nous n'avions pas une 
maison convenable oti nous pussions prier 
pour Mang;ou-Khan. Notre logis, en effet, 
etait si petit qu'il etait impossible de nous 
y tenir debout et de lire dans nos livres 
quand il y avait du feu. Cette reponse fut 
rapportee au khan qui fit demander au 
moine s'il voulait nous recevoir chez lui ; 
k quoi celui-ci repondit qu*il nous rece- 
vrait avec plaisir. 

Depuis lors,on nous pourvut d'un meil- 
leur logement, et nous demeursimes avec 



— ijo — 



le moine en face de la cour, oti per son ne 
n'^tait log^, si ce n est nous et les devins 
tartares ; mais cux etaient plus pr^s et en 
face de la cour de la premiere des femmes 
du khan. Nous, au contraire, nous fOmes 
places k Texlremite opposee vers Test, de- 
vant la cour de la dernidre de ses femmes. 
C'dtait la veille de Toctave de TEpiphanie. 
Le lendemain, c'est^ dire dans I'octave de 
I'Epiphanie , tous les pretres nestoriens 
s'assembl^rent avant le jour dans leur cha- 
pelle, frapp^rent sur la table, chantdrent 
solennellement matines, se revetirent de 
leurs ornements et prepar^rent Tencensoir 
et Tencens. Et comnie ils attendaient ainsi 
sur le parvis del eglise,la premidrefemme, 
nommee Catota Caten ^7, entradanslacha- 
pelle avec plusieurs dames et son fils.aine, 
nomme Balcou , que suivaient quelques- 
uns de ses freres en bas age. lis se proster- 
n^rent tous, touchant la terre du front, k 
la maniere des Nestoriens; puis ils tou- 
cherent toutes les images de la main 
droite, la baisant toujours apr^s le tou- 
cher, et la donnant ensuite k tous les as- 
sistants. Tel est le ceremonial qu'obser- 
vent les Nestoriens quand ils entrent dans 
I'eglise. 

Alors, les pretres chant^rent longtemps 
en deposant I'encens dans la main de la 
reine, qui le placa sur le feu; puis, ils I'en- 
censerent. Enfin, le jour venu, elle ota sa 
coiffure, dite bocca, et je vis qu'elle etait 



J/I 



chauve; elle nous fit sortir et en m'en al- 
lant je remarquai qu'on lui apportait un 
vase d'argent. J 'ignore si elle a ete bapti- 
see ou non; mais je sais que les Nestoriens 
ne cddbrent pas la messe sous une tente ; 
il leur faut une eglise solide et non porta- 
tive. A Piques, je les ai vus bapiiser et 
consacrer les fonts baptismaux en grande 
solennit'i ; ce qu'ils ne firent pas au mo- 
ment dont je parle. Et comme nous entra- , 
mes dans notre maison, Mangou-Khjln 
vint lui-meme et entra dans cette eglise ou 
cet oratoire, et on lui apporta un lit d'or 
sur lequel il s'assit avec sa femme k I'oppo- 
site de I'autel. Ignorant Tarrivee de Man- 
gou, nous Wmes avertis de nous rendre k 
Teglise, et ceux qui se tenaient ^ la porte 
nous fouill^rent, dans la crainte que nous 
eussions des couteaux sur nous. Mais en 
entrant dans Toratoire, je ne portals que la 
Bible et mon breviaire. Je m'inclinai d'a- 
bord devant I'autel, ensuite devant le 
khan, et en passant nous nous tenions en- 
tre le moine et I'autel. Alors on nous fit 
chanter et entonner un psaume selon no- 
tre rite. Nous chantames cette prose : 
« Vent, Sancte Spiritus. » Le khan se fit 
apporter nos livres, la Bible et le breviaire, 
et nous demanda avec curiosite quel sens 
en avaient les images. Les Nestoriens re- 
pondirent ce qu'ils voulaient, parce que 
notre interprdte n'etait pas entre avec 
nous. Lorsque je m'eiais trouve la pre- 



— 172 — 



miere fois dcvant lui, j'avais aussi la Bi- 
ble qu'il se fit apporter et regarda long- 
temps. 

Puis il se retira, mais la reine resta et 
distribua des presents k tous les Chretiens 
qui etaient 1^. Au moine, elle donna un 
lascot, ainsi qu'^ Tarchidiacre des pretres. 
Devant nous, elle fit etendre un nassic, 
c'est-^ dire un drap large comme une 
, couverture de lit et trds-long ; plus un 
boucharan. Je ne crus pas devoir les ac- 
cepter et on les donna k Tinterpr^te qui 
garda Tun et porta Tautre (le nassic) k 
Chypre oti il le vendit quatre-vingts be- 
sans de Chypre; mais le voyage Tavait 
detdriore. On nous apporta ensuite k 
boire de la cervoise faite de riz et de vin 
rouge, comme du vin de la Rochelle, et 
du cosmos. Alors la reine, tenant k la 
main une coupe pleine, fiechit les ^enoux 
et nous demanda notre benediction, et 
tous les pretres chantaient k haute voix, 
tandis qu*elle vidait sa coupe. Lorsqu*une 
autre fois elle but encore, nous dumes 
chanter k notre tour. Quand tout le monde 
fut k peu pres ivre, on apporta de la 
viande de mouton qui fut aussitot devo- 
ree; aprds cela, du poisson, c*est-£l-dire des 
carpes sans sel et sans pain ; il me fallut 
en manger. C'est ainsi que I'on passa la 
journee jusqu'au soir. Et lorsque I'ivresse 
fit chanceler la reine elle-meme, elle 
monta dans son chariot, au milieu des 



- 173- 

chants et des hurlements des pretres, et 
elle suivit son chemin. 

Le dimanche suivant, le jour oti se lit 
levangile « Des noces ont et^ ceMbrees 
(c k Cana en Galilee » (2* dimanche aprds 
TEpiphanie), la fiUe du khan, dont la m^re 
etait chr^tienne, survint et fit de memo, 
toutefois sans une telle solennite; car elle 
ne donna point des presents, mais k boire 
seulement aux pretres jusqu'a les rendre 
ivres, et elle leur ofFrit k manger du mil frit. 

Avant le dimanche de la septuagesime, 
les Nestoriens jeunent pendant trois jours; 
ils les nomment le jeune de Jonas , preche 
par lui aux Ninivites. Les Armeniens jeu- 
nent alors cinq jours, et ils les nomment 
le jeune de saint Serkis qui est leur plus 
grand saint ; des Grecs pretendent qu'il a 
ete Canon, Les Nestoriens commencent 
leur jeune le mardi (tertiaferia), et le font 
cesser le jeudi (quintaferia) ; de sorte que, 
le vendredi (sexta feria), ils mangent de 
la viande. J'ai vu alors le chancelier, qui 
est le secretaire d*Etat, nomme Bulgai, 
leur faire apporter en ce temps de la viande 
le vendredi, et ils la benirent avec des ce- 
remonies solennelles , comme on benit 
TAgneau pascal. Mais lui, il n'en mangea 
point, et cela d'aprds le conseil de maitre 
Guillaume de Paris, qui le fre^uente 
beaucoup. Le moine luimeme enjoignit 
k Mangou de jetiner cette semaine; ce 
qu'il fit, ainsi que je Tai entendu dire. 



— '74 — 

C'est pourquoi la veille de la septuage- 
sime, quand les Armdniens cdl^brent la 
Paque, nous allames processionnellement 
k la residence de Mangou, et le moine et 
nous deux, ayant etd pr^alablement fouil- 
les de crainte que nous eussions des cou- 
teaux, nous fiimes introduits k Taudience 
dukh^n. 



tiY®gy®gy§^YWYMYMr§5 



OS BRULES 



ET comme nous entrions, sortit un in- 
dividu emportant des os depaules 
de mouton, tout carbonises, et j'etais tres- 
curieux de savoir ce qu'il voulait faire 
avec cela. Ayant demande plus tard ce 
quecela signifiait, j'appris qu'on n'entre- 
prenait rien d'important sans avoir au 
prealable consulte ces os ; et il n'est permis 
a personne d*entrer dans la demeure du 
khan, s'il n'a d'abord consulte ces os. 
C'est une maniere de devination : quand 
le khan veuc entreprendre quelque chose, 
il se fait apporter trois de ces os avant 
leur combustion et, les tenant entre les 
mains, il reflechit k ce qu'il veut faire; 
I'entreprendra-t il, ou ne I'entreprendra- 
t-il pas? Puis il remet ces os a un de scs 
gens pour les consumer. Pour cela, il y a 
pr^s de sa residence deux petites maisons 
dans lesquelles on brule cesos et oti Ton 
en a le plus grand soin. Une fois calcines, 
on les rapporte au khan qui regarde tres- 



-=- \j6 — 

attentivement si la chaleur du feu les a 
laisses intacts dans toute leur longueur. 
S'il en est ainsi, il juge qu'il peut donner 
suite ^ ses projets. ^i au contraire il y 
remarque la moindre fissure ou s'il s*en 
detache des eclats, il n'entreprend rien. 



■*<■■' ■><>• 4*|*»" 











f.^JP 




NOUVELLE AUDIENCE 

DE MANGOU-KHVN 



LORSQUE nous nous trouvames en la pre- 
sence du khdn, avertis k I'avance de ne 
pas toucher le seuil de la porte, les pretres 
ncstoriens lui apporlerent 1 encens, et lui, 
il en mit une parcelle dans I'encensoir, et 
ils I'encensdrent. Ensuite, ils chantdrent 
en benissant son breuvage; le moine en 
fit autant apres eux, et nous les imitames. 
Et comme il remarquait que nous tenions 
des Bibles devant nous, il se les fit appor- 
ter et les regarda trds-aitentivement. Apres 
qu'il eut bu et que le grand-pretre eut 
recu sa coupe, il la presenta aux autres 
pretres. Puis, nous sortimes; mon compa- 
gnon resta un peu en arri^re. Et cepen- 
dant lorsque nous ftimes dehors, mon 
compagnon en nous suivant se retourna 
vers le khan pour le saluer et heurta par 
hasard le seuil de la maison; et comme 
nous nous hations de gagner celle de Ba- 



12 



- .78- 

tou son tils, ceux qui etaienl charges de 
la garde du seuil saisirent mon compa- 
gnon et rempecherent de nous suivre; ils 
appelerent quelqu'un et lui ordonndrent 
dc le conduire chez Bulgai, qui est le 
premier secretaire de la cour et condamne 
les coupables k mort. Or, j'ignorais cela. 
Cependant, en me retournant et ne voyant 
pas venir mon compagnon, je pensai 
qu*on I'avait retcnu f)our lui donner des 
vetements plus legers ; car il etait si fai- 
ble et si charge de fourrures qu'il put a 
peine marcher. On appela alors noire in- 
terprete et on le fit asseoir a ses cotes. 
Nous, nous allames ^ la maison du fils 
aine du khan, qui a dej^ deux femmes^ 
et qui est loge a droite de la cour de son 
pere; des que celui-ci nous \it venir, il 
dcscendit du lit sur lequel il etait assis, se 
prosterna par terre, frappant la terre du 
from et adorant la croix. S'etant redresse, 
il la fit placer avec la plus grande venera- 
tion dans un endroit eleve sur un drap 
neuf et tout pres de lui. Son maitre est 
un certain pretre nestorien, nomme Da- 
vid, un veritable ivrogne qui lui donne 
des lecons. II nous fit alors asseoir et don- 
ner a boire aux pretres. II but a son tour 
apres avoir recu leur benediction. 

Nous allames ensuite a la cour de la 
seconde femme du khan. Son nom est Cota 
ct elle est idolatre; nous la trouvames ma- 
lade et couchee dans son lit. Le moine la 



— 179 — 

tit alors lever, et lui ordonna d'adorer la 
croix a genoux et en frappant la terre du 
front; lui, il se tenait debout avec la croix 
^ I'ouest de la maison, et elle, k Test. Puis, 
cela fait, ils changerent de place, et le 
moine alia avec sa croix a I'orient et elle 
a I'occident; et lui, il ordonna avec la 
memeaudace a cette femme si faible 
qu'elle pouvait k peine se tenir sur les 
pieds, de se prosterner de nouveau trois 
fois pour adorer la croix du cote de To- 
rient, d la manieredeschretiens; ce qu'elle 
lit encore. II lui dit aussi de faire le signe 
de la croix sur le front et la poitrine. En- 
suite elle se recoucha dans son lit, nous 
priames pour elle et nous nous dirigeamcs 
vers la troisieme residence oil se trouvait 
ordinairement une dame chretienne. Apres 
sa mort, lui avail succede une jeune tille 
qui, avec la fille de son maitre, nous recut 
avec plaisir *, et tons dans ce logis adore- 
rent devotement la croix, et on la posa 
sur un drap dc sole dans un endroit eleve. 
Puis on apporta de la viande, c'est-^-dire 
de la chair de mouton ; elle fut placee de- 
vant le maitre de sceans, et distribuee en- 
suite aux pretres. Le moine et moi, nous 
ne mangeames ni ne bumes point. Tout 
etant consomme, il nous fallut aller ^ la 
chambre de cette demoiselle Cherima, qui 
etait derri^re cette grande maison de sa 
m^re. A la vue de la croix, elle se jeta a 
terre et I'adora tres- devotement parce 



— i8o — 

qu'clle ctait trcseclairee dans sa religion 
et la pla^a dans un endroit 6lty6, sur un 
drap de sole, et tous les draps sur les- 
quelles avait repose la croix appartiorent 
au moine. Cette croix avait ^te apport^e 
par un certain Armenien qui dtait venu 
avec le moine, k ce qu'il disait, de Jerusa- 
lem; elle etait d'argent et pesait bien qua- 
tre marcs et avait quatre pierres prdcieuses 
^ ses angles et une au milieu. On n'y 
voyait pas I'image du Sauveur, parce que 
les Armenians et les Nestoriens sont hon- 
teux de voir le Christ attache k la croix. 
Le moine la presenta h Mangouqui lui de- 
manda ce qu'il desirait. Celui-ci repondit 
qu'il etait le fils d'un pretre armenien, 
dont les Sarrazins avaient detruit Teglise, 
et le pria de I'aider a la reconstruire. Man- 
gou lui ^demanda ensuite ^ quel prix il 
pourrait la faire reedifier, et il repondit 
pour deux cents iascots, c'est adire pour 
deux mille marcs. Et le khan ordonna de 
lui delivrer des leitres pour celui qui re- 
coit les impots en Perse et dans la grande 
Armenie, afin que ce dernier lui payat 
cette somme d'argent. Le moine portait 
cette croix partout avec lui, et les pretres 
voyant le benefice qu'elle lui rapportait, 
commenc^rent k en etre jaloux. 

Nous fumes done a la maison de cette 
demoiselle et elle fit les pretres copieuse- 
ment boire. De 1^ nous allames ^ la qua- 
tri^me demeure qui etait la derniere par Ife 



— i8i — 

nombre et la dignite; car le souverain en 
visitait peu la dame, et sa maison tombait 
de vetuste, et elle-meme etait peu agreable. 
Maisapres Paques, le kh^n lui fit faire une 
nouvelle residence et de nouveaux cha- 
riots. Celle-ci, comme la seconde femme, 
savait peu de choseou rien du christianisme; 
elle etait idolatre et consultait les devins. 
Toutefois, k notre entree elle adora la 
croix, comme le moine et les pretres le lui 
avaient enseigne. L^, les pretres burent 
de nouveau et nous revinmes ensuite k 
notre oraloire qui n'cn etait pas eloign^, 
accompagnes des pretres qui chantaient 
ou plutdt hurlaient, etant dans un etat 
d'lvresse ; ce qui dans ce pays n'est pas 
chos^ reprehensible, ni chez Thomme, ni 
chez la femme. Alors on amena mon com- 
pagnon, et le moine lui reprocha avec 
durete d'avoir touche le seuil. Le lende- 
main, arriva Bulgai, le grand justicier, et 
il s'enquit minutieusement si quelqu'un 
nous avait avertis de ne pas toucher le 
seuil, et Je repondis : « Seigneur, nous 
« n'avions pas d'interprete avec nous : 
« comment pouvions-nous comprendre? » 
Alors il lui pardonna. Je ne lui permis 
plus Jamais d'entrer dans une maison du 
khan. 



12' 




VI SITE AUX MALADES 



p 



iLus tard, il assura que celte dame 
Cocta, qui etait malade depuis le di- 
manche de la sexagesime, I'^tait davan- 
tage; elle allait mourir et les sortileges des 
idolatres ne pouvaient lui servir de rien. 
Mangou envoya alors demander au moine 
s'il pourrait faire quelque chose pour elle, 
et le moine lui repondit assez leg^rement 
qu'il livrerait sa tete au khan, s'il ne la 
guerissait pas. Apr^s cette reponse , le 
moine nous appela , nous exposa I'affaire 
en pleurant et nous supplia de prier avec 
lui toute la nuit, ce que nous fimes. Or, il 
avait une certaine racine qu'on appelle 
rhubarbe; il Ja reduisit en poudre et la 
posa dans de I'eau, avec une petite croix 
enrichie de I'image du Sauveur. II preten- 
dait savoir par elle si le malade devait 
guerir ou mourir. S'il devait echapper, 
/ elle adherait k sa poitrine comme y etant 
coUee; si au contraire il devait succom- 
ber, elle n'adherait pas. Pour moi, j'etais 



— i84 — 

convaincu que cette rhubarbe etait quel- 
que chose de sacre qu'il avait apporte de 
la terre sainte de Jerusalem. Et il donna k 
boire de cette eau k tous les malades, et ii 
devait necessairement arriver que leurs 
entrailles fussent singuli^rement tourmen- 
tees par un breuvage aussi amer. Aussi 
une telle perturbation du corps passa-t-elle 
pour un miracle. Pendant qu'il preparait 
ce remade, je lui dis de le faire avec de 
I'eau benite de I'eglise romaine, parce 
qu'elle a une grande vertu pour chasser 
les demons, et que nous avions compris 
que la princesse ^tait poss^ee du demon . 
A sa pri^re, nous lui fimes de Teau be- 
nite et le moine la mela k la rhubarbe et y 
fit tremper son crucifix toute la nuit. Je 
lui dis aussi que s'il etait pretre, le sacre- 
ment de TOrdre conferait le pouvoir 
d'exorciser. 11 me repondit qu'il n'avait 
jamais recu I'Ordre, qu'il etait meme il- 
lettrd, etant tisseur de toiles de sa profes- 
sion ; ainsi que je I'appris plus tard dans 
sa patrie en m'en retournant par 1^. 

Le lendemain done, nous nous rendi- 
mes chez la princesse malade, le moine et 
moi, et deux pretres nestoriens ; elie etait 
dans un petit appartement derriere sa de- 
meure principale. A notre entree, elle se 
dressa sur sa couche, adora la croix, la fit 
placer pres d'elle sur un drap de sole, but 
de I'eau benite melangee de rhubarbe et 
s'en lava la poitrine ; le moine me pria de 



— i85 — 

lire TEvangile sur clle. Je lis la Passion du 
Seigneur selon saint Jean. Entin, elle se 
rejouit se sentant mieux, et fit apporter 
quatre lascols d'argent, qu'elle placa d'a- 
bord aux pieds de la croix ; elle en donna 
un au moine et m'en presenta un autre 
que je ne voulus pas accepter. Alors le 
moine tendant la main le prit. Ensuile 
elle en donna un k chacun des pretres, de 
sorte qu'elle distribua ainsi la valeur dc 
quarante marcs. Elle fit alors apporter du 
vin, le donna k boire aux pretres, et moi, 
je dus boire trois fois de sa main en Thon- 
neur de la Trinite. Elle voulait aussi 
m'apprendre sa langue et riait de moi, 
parce que j'etais muet, n'ayant pas d'in- 
terprete avec moi. 

Le lendemain nous retournames chez la 
princesse, et Mangou-Khan, ayant appris 
que nous etions m, nous appela chez lui 
parce qu'il avait entendu dire que cettc 
dame etait mieux. Nous le trouvames avec 
quelques familiers absorbant de la terre 
liquide, c'est-^-dire un aliment pateux, 
pour se fortifier la tete, et devant lui gi- 
saient des os d epaules de mouton brules; 
il prit la croix dans la main. Mais je ne 
vis pas qu'il la baisat ou Tadorat ; il la re- 
gardait en demandant je ne sais quoi. 
Puis, le moine le pria de lui permettre 
de porter la croix au bout d'une lance, 
parce ^ue j'avais dit quelque chose de cela 
au moine, et Mangou repondit : « Portez- 



— i86 — 

<« la selon que vous le jugerez le plus con- 
M venable. » Ensuite, nous le saluslmes et 
nous nous rendimes chez la princesse, et 
la trouvames bien portante et enjou^^ et 
elle but encore de I'eau b^nite, et nous 
lumes la Passion sur elle. Ces mis^rables 
prelres ne lui avaient jamais rien appris 
de la foi, ni parle de se faire baptiser. Or, 
moi, je m'assis 1^ muet, ne pouvant rien 
dire, et elle m'enseignait encore sa langue. 
Les pretres ne la dissuadaient pas non 
plus d'avoir recours aux sortileges; car 
j'ai vu chez elle quatre epdes ^ moiti^ ti- 
roes du fourreau, une ^ la tete de son lit, 
Tautre k ses pieds, et les deux autres h 
chaque cote de la porte. J'y ai vu encore 
un calice d'argent, pareil h nos calices, 
qui avait peut-etre ete enleve dans quel 
que ^glise de la Hongrie. 11 ^tait plein de 
cendres et suspend u a la parol, et sur ces 
cendres etait une pierre noire, et les pre- 
tres ne lui avaient jamais dit que c etait 
mal. Au contraire eux-memes en font au- 
tant et I'enseignent par leur exemple. 

Pendant trois jours nous visitames la 
princesse, et la sante lui fut compl^tement 
rendue. Alors le moine fit une banniere 
couverte de croix et demanda une canne 
longue comme une lance, et nous portames 
la croix au bout de cette perche. J'hono- 
rais ce moine comme un eveque, parce 
qu'il savait I'idiome du pays. Cependant, 
il faisait beaucoup de choses qui ne me 



- i87 - 

plaisaient pas. Ainsi, il se fit faire un siege 
pliant, comme en ont ordinairement les 
eveques, et des gants et un chapeau de 
plumes de paon avec une croix aor des- 
sus : je n'approuvai que la croix. II avait 
les ongles ulcerees et les couvrait d'on- 
guent. Son langage etait celui d'un 
presomptueux. Les Nestoriens recitaient 
aussi des versets du psautier sur deux ba- 
guettes jointes, que cleux hommes tenaient 
entre les mains. Le moine etait present ^ 
tout cela, et il y avait en lui beaucoup 
d'autres choses ridicules et qui me deplai- 
saient. Cependant, nous ne I'abandonna- 
mes point a cause de la veneration que 
nous avions pour la croix. Nous la porta- 
mes tr^s-haut partout oil nous nous trou- 
vions, et en chantant : « Vexilla regis 
a prodeunt ; » de quoi les Sarrazins furent 
stupefaits. 



o: 



DE CARACORUM AU CATHAY 



DEPUis le jour ou nous fumes arrives ^ la 
cour de Mangou - Khan , ce prince 
n'alla que deux fois au midi et ilcommen- 
cait dej^ de retourner vers le nord , c'est- 
4-dire vers Caracorum. Pendant le voyage, 
je remarquai seulement ce dont m'avait 
parle, d Constantinople, Baudouin de Hai- 
naut qui avait ete par 1^; k savoir que 
Ton montait tou jours en marchant et que 
Ton ne descendait jamais. En effet, tous 
les fleuves se dirigeaient de Test k Touest, 
soit en droite ligne, soit autrement, c'est-S- 
dire en gagnant le midi ou le nord. J'in- 
terrogeai les pretres qui etaient venus du 
Cathay, et ils me dirent que de I'endroit 
oti je rencontrai Mangou - Khan jusqu'au 
Cathay, il y avait une distance de vingt 
journees. Entre le midi et Test jusqu*^ 
Onam-Kerule (Mancherule), le veritable 
pays des Moals, oti se trouve la cour de 
Chingis-Khdn, il y avait dix journees en 
droite ligne vers Test, et dans ces contrees 

i3 



— 190 — 

de Test il n'y a pas une ville. Cependant 
on rencontrait aes populations nommees 
Su-Moals^^, c'est - £l - dire « Moals des 
eaux »; car Su en lartare signifie « eau ». 
lis viventde lapeche et de la chasse, n'ayant 
aucun troupeau de boeufs ni de moutons. 
De meme, vers le nord, il n'y a pas de 
ville, mais des peuples pasteurs appeles 
Kerkis ^9. II s'y trouve aussi des Orengay, 
qui s'attachent, aux pieds, des os polis et 
glissent avec cela sur la glace ou sur la 
neige gelee, avec tant de rapidity qu'ils 
saisissent des oiseaux et des quadrup^des. 
II y a encore vers le nord d'autres peuples 
miserables qui s'y ^tendent aussi loin que 
le froid le permet, et atteignent vers I'ouest 
la terre de Pascatir ou la Grande-Hongrie 
dont je vous ai parle plus haut. On ignore 
les limites de ce coin du Nord k cause des 
grands froids, car il y a des monceaux de 
neige qui ne fondent jamais. Je m'infor- 
mai de Texistence de ces monstres ou de 
ces hommes monstrueux, mentionnes par 
Isidore et Solin. On me dit qu'on n'avait 
jamais rien vu de pareil et je fus tres- 
etonne de cette reponse. Tons ces peuples, 
quoique pauvres, doivent etre au service 
des Moals d'une maniere ou d'une autre ; 
car c'est un ordre de Chingis que personne 
ne soit exempt de travailler, k moins que 
la vieillesse ne s'y oppose. 



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ETRES DIFFORMES 



UNE fois, vint s'asseoir pr^s de moi un 
pr^tre du Cathay, revetu de drap 
rouge d'une couleur tres-belle, et je lui de- 
mandai d*oCi Ton tirait cette couleur. II 
me raconta que dans Test du Cathay il y a 
des rochers tres-eleves, oti vivent certaines 
creatures qui ont la forme humaine, ex- 
cepte les genoux qu elles ne peuvent plier. 
Aussi se meuvent- elles Je ne sais trop 
comment, en sautant. Leur taille ne de- 
passe pas une coudee, et tout leur corps 
est convert de polls. Ces etres habitent des 
caver nes inaccessibles. Les chasseurs leur 
apportent de la cervoise pour les enivrer ; 
ils font des trous dans les rochers en forme 
de vases et y versent de cetle cervoise. Le 
Cathay n'a pas de vin, mais on commence 
a y planter des vignes et on fait une bois- 
son avec du riz. 

Or, ces chasseurs se cachent et les fau- 
ves sortent de leurs cavernes, goiitent de 
cette cervoise et crient : (c Chin, chin, » 



— 192 — 

C'est de ce cri que ces animaux ont re^u 
leur denomination, car on les appelle 
« Chinchin. » Alors, ils s'assemblent en 
fouie, avaient ce breuvage, et s'^tant eni- 
vres, ils s endorment sur ces rochers. Puis, 
les chasseurs s'approchent et iient les pieds 
et les mains k ces endormis. Ensuite, ils 
leur ouvrent une veine du cou, en tirent 
trois ou quatre gouttes de sang, et apr^s 
ils lesrenvoientlibres. Ce sang, au rapport 
du pretre du Cathay, est excellent pour 
teindre en pourpre ou ecarlate. On me ra- 
conta aussi, — ce que je ne crois pas d'aii- 
leurs, — qu'au-del^ du Cathay il y a une 
province ou lout homme qui y entre ne 
vieillit plus, quel que soit son age. 

Le Cathay toucne a rOcean,et maitre 
Guillaume de Paris m'a dit qu'il a vu 1^ 
des emissaires de certains hommes qu*on 
appelle Taules et Manses ^^ ; ils habitent 
des lies entourees d'une mer couverte de 
glace en hiver, de sorte que les Tartares 
peuvent alors les envahir. Aussi offrirent- 
ils, afin de pouvoir vivre en paix, de leur 
payer annuellement trente fois deux milie 
tumen de iascots 6». 



jcO .^rvQW 




BILLETS DE BANCIUE 

KCRITURE DE LA CHIKK 



LA monnaie ordinaire du Cathay est une 
carte de colon (wambasio), de la lar- 
geur et de la longueur d'une paume, et sur 
laquelle on imprime des lignes semblables 
k celles du sceau de Mangou-Kh^n. Les 
Cathayens ecrivent avec un pinceau pareil 
k celui des peintres, et une seule figure 
comprend plusieurs lettres exprimant un 
seul mot. Les Thibetains ecrivent comme 
nous, de gauche a droite, et ont des carac- 
t^res tout k fait semblables aux notres. 
Ceux du Tangut ecrivent de droite k gau- 
che comme les Arabes et multiplient les 
lignes en montant. Les lougoures, ainsi 
que je I'ai dit ci - dessus, ecrivent de haut 
en bas. La monnaie ordinaire des Russes 
consiste en petites peaux varices, vertes et 
grises. . 

Quand nous arriv^mes chez le moine, il 
nous avertit chariiablement de nous abste- 



— '91 — 

nir de viande, mais il ajouta que notre do- 
mestique en mangerait avec les siens , et 
qu'il nous pourvoirait de farine, d*huile et 
de beurre. Nous nous conformdmes k ses 
d^sirs , quoique mon compagnon soufFrit 
beaucoup k cause de sa taiblesse. Notre 
nourriture fut done compos^e de mil et de 
beurre, soit une pdte cuite dans de I'eau 
avec du beurre ou du lait caill^, et de pain 
sans levain cuit sur du feu fait d'excre- 
ments de boeufs ou de chevaux. 



s^^s:^SJ^(k^2::^^ 




&WfY»We( 



LE JEUNE CHEZ LES TART A RES 



OR, Vint la quinquagesime qui est le 
premier jour du careme de tous les 
Orientaux, et Cotota, la plus grande des 
dames, jeiana avec ses femmes route cette 
semaine. Elle vjnt tous les Jours k notre 
oratoire et distribua d^s vivres auK pretres 
et aux autres Chretiens, qui accouraient en 
foule durant cette premiere semaine pour 
assister aux offices. Elle me donna, ainsi 
qu'a mon compagnon , une tunique et 
des haut-de-chausses de samir (samico) 
gris , fourres detoupes de laine, parce 
que mon compagnon s'etait plaint sou- 
vent du poids de ses peaux. Je les acceptai 
par compassion pour lui, tout en m'ex- 
cusant de ne pas porter de pareils vete- 
ments et je les donnai a mon interpr^te. 
Alors les huissiers de la cour, voyant que 
chaque jour une telle foule affluait k 1 e- 
glise, qui se trouvait dans les limites du 
domaine de la cour, envoydrcnt au moine 
un des leurs avec ordre de lui dire qu'ils 



— 196 — 

ne voulaient pas que tant de monde se 
presentat 1^^ en dedans des limites de la 
cour. Le moine lui repondit rudement; il 
voulait savoir s'ils transmettaient cet ordre 
de la part de Mangou, et les mena^ait de 
porter plain te centre eux k Mangou. Mais 
eux le previnrent et I'accuserent auprds du 
khan de ce qu'il parlait trop et assemblait 
trop de monde autour de sa personne. 

tSous idmes ensuite appel^s k la cour le 
dimanche de la quadragesime, et le moine 
fut honteusement fouill^ pour savoir s'il 
neportait point de couteau, eton le con- 
traignit de se d^chausser. Nous Wmes in- 
troduits aupr^s du kh^n ; il tenait k la 
main une ^paule de mouton brillee et la 
regardait tr^s-attentivement, comme s'il 
y lisait quelque chose. Puis, il reprimanda 
le moine et lui demanda pourquoi il par- 
lait tant aux hommes, lui qui ne devait 
que prier Dieu. Or, je me tenais en ar- 
riere, la tete decouverte. Le khan lui dit en- 
core : « Pourquoi ne vous decouvrez-vous 
(( pas, quand vous vous presentez devant 
<( moi, comme le fait ce Franc? » Et il me 
fit approcher. Le moine, bien confus, baissa 
son capuchon contrairement k I'usage des 
Grecs et des Armeniens ; et lorsque le 
khan lui eut adresse bien des reproches , 
nous nous retirames. Alors, le moine me 
pria de porter la croix jusqu'^ I'oratoire, 
parce qu'il ne voulait pas s'en charger lui- 
meme k cause de sa confusion, Quelque 



— 197 — 

temps apres, il se reconcilia avec le khan, 
lui promettant d'aller trouver le pape et 
de faire reconnaitre sa puissance par rou- 
tes les nations de TOccident. Au sortir de 
cette audience de Mangou et etant rentre 
k Toratoire, il me cjuestionna sur le pape. 
II me demanda si je croyais qu'il vouliit 
le recevoir s'il se presentait k lui de la part 
de Mangou, et lui fournir des chevaux 
jusqu'^ Saint-Jacques de Compostelle. II 
me demanda encore, en me parlant de 
vous, si je pensais que vous voulussiez en- 
voyer votre fils k Mangou. Je I'avertis 
alors de faire attention de ne pas promet- 
tre des choses fausses a Mangou, parce 
que le dernier mensonge serait pire que 
le premier, et que Dieu n'a pas besoin de 
nos mensonges. 




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DISCUSSIONS THEOLOGIQUES 



EN ce temps, surgit line difficulte en- 
tre le moine et un certain pretre, 
nomme Jonas, homme trds-instruit, dont 
le pere avait ete archidiacre, et que les 
autres pretres consideraient comme, leur 
maitre. Le moine soutenait que I'homme 
avait ete cree avant le paradis, et que c e- 
tait ecrit dans I'Evangile. Je fus alors ap- 
pele pour trancher la question. Moi, ne 
sachant pas sur quoi portait leur differend, 
je repondis que le paradis avait ete cree le 
troisieme jour, avec les autres arbres de 
la terre, et que I'homme Tavait ete le 
sixieme jour. Alors le moine dit : a Est-ce 
« que le diable n'a pas apporte, le pre- 
« mier jour, de la terre des quatre parties 
« du monde,et de ce limon n'a-t-iljpas fa- 
ce brique le corps humain, auquel Dieu a 
« souffle Tame? » En entendant cette he- 
resie du manicheisme, aussi publiquement 
soutenue et avec tant d'impudence, je le 
repris avec aigreur et lui dis de se meltre 



— 200 — 

le doigt sur la bouche, puisqu'il ignorait 
les saintes Ecritures, et d'eviter ainsi d'in- 
duire en erreur. Mais lui, il se moqua de 
moi parce que je ne savais pas sa langue. 
Alors je le quiitai et regagnai mon logis. 
Ensuite, les pretres et lui se rendirent 
processionnellement a la cour sans vn'y 
avoir invito, parce que le moine, depuis 
sa reprimande, ne me parlait plus et ne 
voulait plus m'emmener selon son habi- 
tude. Lorsqu'ils furent en presence de 
Mangou, le kh^n, ne me voyant point 
parmi eux, leur demanda oti j etais et 
pourquoi je ne me trouvais pas avec eux. 
Les pretres eurent peur et s'excuserent. lis 
me rapport^rent les paroles de Mangou et 
se plaignirent du moine. Aprds cela, le 
moine se reconcilia avec moi et moi avec 
lui, le priant de m aider a comprendre la 
langue du pays et lui promettant de Tai- 
der dans I'etude des Saintes- Ecritures ; 
car le fr^re qui est assiste d'un fr^re est 
comme une ville forte 62. 

La premiere semaine du jeune etant 
ecoulee, la princesse ne vint plus k notre 
oratoire et cessa de nous gratifier de mets 
et de cervoise selon son habitude. Le 
moine ne permettait pas qu'on nous en 
apportdt, parce que, disait-il, ils etaient 
prepares avec de la graisse de mouton. Or, 
il ne nous donnait pas d'huile, si ce n'est 
rarement. Nous n'avions done rien autre 
chose k manger que du pain cuit sous la 



— 201 — 

cendre et de la pate cuite a Teau pour 
faire du potage, et encore I'eau etait-ellc 
de la neige ou de la glace fondue; ce qui 
est une eau tr^s-mauvaise. Mon compa- 
gnon en fut tres-afflige. Je fis part de nos 
besoins ^ David lui-meme, le maitre du 
fils aine du khan, et il rapporta mes paro- 
les au souverain qui oraonna aussitot de 
nous servir du vin , de la farine et de 
I'huile. Les Nestoriens et les Armeniens 
ne mangent jamais du poisson pendant 
le careme. On nous servit done une outre 
de vin. Le moine disait qu'il ne mangeait 
que le dimanche. La princesse nous en- 
voya de la pate cuite avec du vin aigre 

f>our souper. Mais le moine avait pres de 
ui sous Tautel une corbeille avec des 
amandes, des raisins, des prunes s^ches 
et beaucoup d'autres fruits, dont il man- 
geait tous les jours quand il etait seul. 
Nous, nous ne mangions qu'une fois par 
jour et dans la plus grande tristesse ; car 
lorsqu'ils apprenaient que Mangou-Khan 
nous avait donne du vin, ils se ruaient 
sur nous impudemment et comme des 
chiens, ces pretres nestoriens qui chaque 
jour s'enivraient k la cour, et ces Moals et 
ces familiers du moine. Le moine lui- 
meme, lorsque quelqu'un venait le visiter 
et qu'il voulut lui donner k boire, en- 
voyait nous demander du vin. C'est pour- 
quoi ce vin nous etait plutot une cause 
d'affliction qu'une consolation, parce que 



— 202 — 



nous ne piames lui en refuser sans I'offen- 
ser. Si nous lui en donnions, il nous man- 
quait, et lorsqu'il nous manquait, nous 
n osions plus en demander a la cour. 



^ 






LA COUR DE MANGO U KHAN 



VERS la mi-careme, le iils de maitrc 
Guillaume (Torfevre) vint apporter 
une belle croix d'argent, faite k la mode 
de France, avec un christ en argent fixe 
dessus. Ce que voyant, les moines et les 
pretres Tenlev^rent, et le Jeune homnie 
devalt la presenter de la part de- son pa- 
tron k Bulgai lui-meme, qui est le premier 
secretaire de la cour. Je fus trds-scanda- 
lise d'apprendre cette nouvelle. Ce jeune 
homme d^clara aussi k Mangou-Khan que 
Touvrage qu'il lui avait commande etait 
acheve. Je vous en ai fait la description. 

Mangou a k Caracorum une grande 
cour sous les murs de la ville, close d'un 
mur de briques comme sont fermes chez 
nous les prieur^ des moines. L^, est 
un palais oti il donne un grand festin 
deux fois Tan, k Piques quand il passe 
par 1^, et en ete quand il en revient. Cette 
derni^re fete est la plus grande, parce 
qu'alors se rendent k sa cour tous les no- 



— 204 — 

bles qui en sont eloignes de plus de deux 
mois de distance, ct que le souverain leur 
distribue des vetements et des presents, et 
dtale avec ses largesses toute sa magnifi- 
cence. II y a la aussi beaucoup de maisons, 
longues comme des granges, dans lesquel- 
les sont enfermes ses vivres et ses tresors. 
A Tentree de ce grand palais, — car il nc 
conviendrait pas d y introduire des outres 
avec du lait ou autre breuvage, — maitre 
Guillaume de Paris pla(ja un grand arbre 
d'argent, au pied duquel sont quatre lions 
d'argent ayant un tuyau et vomissant tous 
du lait blanc de jument. Quatre tuyaux 
sont introduits dans Tarbre jusqu'^ son 
sommet, et de li, ils repandent leur li- 

3ueur par les gueules de serpents dores, 
ont les queues enlacent le tronc de I'ar- 
bre. L'un de ces canaux verse du vin, 
Tautre du caracosmos ou lait de jument 
purifie, un autre du boal ou de I'hydro- 
mel, un autre de la cervoise de riz ; et cha- 

3ue liqueur est recue au pied de I'arbre 
ans un vase special. Tout en haut, Tar- 
tiste avait pose un ange avec une trom- 
pette, et au-dessous de Tarbre, il avait 

Eratique une crypte dans laquelle un 
omme pouvait se cacher. Un conduit 
montait par le milieu de Tarbre jusqu'a 
range. II avait d'abord fait des soufBets, 
mais ils ne produisaient pas assez de vent. 
En dehors du palais, est une caverne oh 
Ton enferme les boissons et ou se tiennent 



— 205 — 

des employes prets a verser, aux premiers 
sons de la trompette de Tange. Et les 
branches de I'arbre sont d'argent, et les 
feuilles et les fruits aussi. Quand le chef 
des echansons manque de boisson, il crie 
k range de sonner de la trompette. Alors 
I'homme cache dans la crypte souffle dans 
le conduit qui aboutit k I'ange; I'ange 
met la trompette k la bouche et la trom- 
pette Sonne tr^s-fort au loin. A celte voix 
retentissante, les officiers qui sont dans 
la caverne versent chacun sa liqueur dans 
le tuyau dont il est charge, et les tuyaux 
la d^versent dans les vases deposes au pied 
de I'arbre, et alors les echansons y puisent 
de cette liqueur et en portent aux hommes 
et aux femmes du palais. Ce palais est 
comme une eglise, ayant une nef au mi- 
lieu et deux bas-c6tes s^pares de la nef par 
deux rangs de colonnes. Trois portes sont 
au midi, et devant la portedu milieu, ^I'in- 
terieur, est cet arbre. Le khan a son siege 
au nord sur une estrade, de mani^re k ^tre 
vu par tons, et on y monte par deux esca- 
liers : par I'un, on lui apporte sa nourri- 
ture et Ton descend par i autre. L'espace 
compris entre Tarbre et ces escaliers est 
vide, car 1^ se tiennent I'officier charge de 
presenter au khan les mets qu'il desire 
manger, et les ambassadeurs q[ui lui ap- 
portent des presents ; et lui, il est assis 
tout en haut, comme un dieu. A sa 
droite, c'est-a-dire a I'ouest, sont les horn- 



— 206 — 

mes, k sa gauche les femmes; car le pa- 
lais s etend en longueur du nord au sud. 
A droite, pres des colonnes, s'd^vent des 
gradins iexedrce) en forme d'amphith^^tre 
(solarii) oh se placent le fils et les fr^res 
du kh^n, et k gauche ses femmes et ses 
filles. Une seule femme est assise k ses c6- 
t^s, mais sur un si^e moins ^leve que le 
sien. 

Lorsque le souverain eut appris que 
maitre Guillaume avait termine son ou- 
vrage, il lui ordonna de le mettre en place 
et de I'jr bien fixer. Vers le dimanche de 
la Passion , Tartiste partit avec ses petites 
maisons ambulantes, laissant les grandcs 
derri^re lui. Le moine et nous, nous Tac- 
compagndmes et il nous gratifia d'une ou- 
tre de vin. 11 tra versa des montagnes oti 
recnaient un grand vent et un froid exces- 
sir, et oti il tombait de la neige en abon- 
dance. Aussi nous fit-il demander, au mi- 
lieu de la nuit, de prier Dieu afin qu'il 
temperat la rigueur de la saison, parce 
que toutes les betes du pays etaient en 
danger de mort, surtout celles qui etaient 
pleines et sur le point de mettre bas. Alors 
le moine lui envoya de I'encens, le reque- 
rant de le jeter lui-meme sur les charbons 
et de I'offrir h Dieu. Je ne sais s'il fit 
Tune et Tautre chose, mais Touragan qui 
durait depuis deux Jours se calma a I'ap- 
proche du troisi^me. 



\/\/\r\^\r^ 



c^^^ c>^i^ C>^^ 



CARACORUM 



LE dimanche des Rameaux. nous tou- 
chdmes k Caracorum. Aux premie- 
res lueurs du matin, nous b^nimes des 
rameaux oti la seve n'apparaissait pas en- 
core, et vers nones, ou la neuvi^me heure, 
nous entrames dans la ville, la croix haute 
et banni^re ddployee , en passant par le 
quartier des Sarrazins et leurs places pu- 
bliques, jusqu'^ I'eglise. Les Nestoriens 
vinrent en procession au-devant de nous. 
Entres dans Teglise, nous les trouvdmes 
prets ^ cdebrer la messe ; et celle-ci finie, 
lis communi^rent touset me demanderent 
si je voulais communier avec eux. Je leur 
repondis que j'avais dej^ bu et que le sa- 
crement ne pouvait etre recju qu'a jeun. 

La messe dite, le soir approchait et mai- 
tre Guillaume nous conduisit avec unc 
grande joie k sa maison pour souper avec 
lui. Sa femme etait fille d'un Lorrain et 
nde en Hongrie, elle parlait bien le fran- 
cais et la langue de Comanie. Nous ren- 



— 208 — 

contrames encore 1^ un autre Europ&n, 
nomme Basyle, fils d'un Anglais et n^ en 
Hongrie, et qui parlait les memes lan- 
gues. Le souper se passa dans une joie 
sincere, et les Tartares nous conduisirent 
apr^s au logis qu'ils nous avaient pre- 
pare, non loin de T^glise et de Toratoire 
du moine. Le lendemain, le kh^n entra 
dans son palais, et le moine, les pr^tres et 
moi, nous nous rendimes aupr^s de lui. 
On ne permit pas k mon compagnon de 
nous accompagner parce qu'il s'^tait une 
fois heurte au seuil de la porte. Quant k 
moi, j*h^itai longtemps; devais-je )r aller 
ou ne pas y aller? Si je me retirais des 
autres Chretiens, je craignais de causer du 
scandale, d'autant plus que le khan me 
desirait. Craignant d'un autre cot^ d em- 
p^cher le bien que j'esperais obtenir, je me 
d^cidai enfin ^ me rendre k la cour, quoi- 
que je la visse adonnee aux sortileges et k 
ridolatrie. Je ne fis que prier k haute voix 
pour toute I'Eglise et pour le khan lui- 
meme, afin que Dieu le dirigeat dans la 
voie du salut eternel. 

Nous entrames done dans cette cour 
qui est assez bien disposee et qui, I'ete, est 
arrosee par des canaux. Nous entrames 
ensuite dans le palais tout plein d'hommes 
et de femmes et nous nous tinmes devant 
le khan, ayant derri^re nous cet arbre qui 
occupait avec des vases la plus grande 
partie du palais. Les pretres avaient ap- 



— 209 — 

porte deux petits pains b^nits et des 
fruits dans un bassin et ils les lui pr^sen- 
t^rent aprds les avoir benits. Le sommelier 
les porta au khdn qui etait assis sur une 
estrade tr^s-elevee. Mangou mangea aus- 
sii6t un de ces pains et fit remettre I'autre 
k son fils et ^ un frere cadet, qui avait ^t^ 
elev^ par un pr^tre nestorien et savait 

Juelque chose de I'Evangile. Aussi me 
emanda-t-il ma Bible pour la voir. Apr^s 
les pr^tres, le moine dit sa pridre et moi 
aprds lui. Alors Mangou nous promit de 
venir le lendemain k leglise, qui est assez 
grande et belle, etant toute tendue de 
draps de soie brodes d'or. Mais le lende- 
main il continua sa route, se faisant ex- 
cuser auprds des pretres de ce qu*il n'osait 
venir k 1 eglise, parce qu'il avait appris 
qu'on y avait apporte des morts. Mais 
nous, nous restames avec le moine et les 
autres pretres de la cour d Caracorum 
pour y celebrer la fete de Piques. 



2X5 






LA FETE DE PAQ,UES A CARACORUM 



OR, le jeudi saint approchait et Paques 
aussi , et je n'avais point mes orne- 
ments sacerdotaux, et j'observais la mani^re 
deconsacrer des Nestoriens, et j'etais tres- 
anxieux. Recevrai-je le sacrement de leurs 
mains? ou consacrerai-je moi-meme dans 
leurs vetements, avec leur calice et sur 
leur autel? ou m'abstiendrai-je enti^re- 
ment de recevoir le sacrement? 11 y avait 
1^ une foule de chr^tiens hongrois, alains, 
russes, g^orgiens, armeniens, qui tous 
avaient ete prives du sacrement depuis 
leur captivite, parce que les Nestoriens ne 
voulaient pas les admeltre dans leur 
eglise, s'ils n'etaient pas baptises par eux. 
Cependant ces pretres ne nous firent au- 
cune objection 4 cet egard. Au contraire, 
ils reconnaissaient que I'Eglise romaine 
etait la tete de toutes les ^glises, et qu'ils 
devraient eux-memes recevoir leur patriar- 
che du pape si les chemins etaient pratica- 
bles. Et ils nous oflfrirent liberalement 



— 212 — 

leur sacrement et me firent placer a Ten- 
tree du choeur afin que je visse leur ma- 
ni^re de consacrer, et la veille de Paques, 
aupr^s des fonts baptismaux, afin que je 
pusse voir comment ils baptisent. lis pre- 
tendent qu'ils ont de cet onguent dont 
Marie-Magdeleine oignit les pieds du Sei- 
gneur et ils y versent de Thuile en quan- 
lite ^ale k celle enlevee, et ils y trempent 
leur pain. Or, tous les Orientaux mettent 
dans leur pain, au lieu de levain, soil de 
la graisse, soit du beurre, soit du suif fait 
de la queue de mouton, soit de I'huile. Ils 
disent aussi cju'ils ont de la farine dont 
fut fait le pain consacre par Notre-Sei- 
gneur, et ils en remettent autant qu'ils en 
enldvent. lis ont une chambre k c6te du 
choeur de I'eglise et un four oti ils font le 
pain qu'ils doivent consacrer avec un 
grand respect. Ils confectionnent done 
avec cette huile un pain de la largeur 
d'une main, qu'ils divisent d'abord en 
douze parties en souvenir des douze apo- 
tres. Ils subdivisent ensuite ces parties en 
autant de fragments qu'il y a de com- 
muniants ; le pretre depose le corps de 
Jesus-Christ dans la main de chacun 
d'eux, et chacun le re^oit avec une pro- 
fonde reverence et porte la main au som- 
met de la tete. Ces Chretiens et le moine 
lui-meme insist^rent et me prierent, au 
nom de Dieu, de vouloir bien celebrer les 
saints mystdres. Alors j'entendis leur con- 



— 2l3 — 

■f 

fession, comme je le pus, par un inter- 
prete, leur expliquant les dix commande- 
menis de Dieu et les sept peches capitaux, 
et tout ce qui est necessaire pour etre con- 
trit et absous. lis ne s'accusaient point du 
pech^ de larcin, disant qu'ils ne pouvaient 
vivre sans voler parce que leurs seigneurs 
les privaient de nourriture et de v^te- 
menls. Alors moi, en consideration de si 
injustes privations, je leur dis qu'ils pou- 
vaient s'approprier sur les biens de leurs 
maitres tout ce qui leur serait necessaire, 
et j'dtais pret k soutenir cette thdse de- 
vant Mangou-Khdn lui-meme. 11 y avait 
aussi des guerriers qui trouvaient une ex- 
cuse dans Tobligation oti ils etaient de 
devoir aller k la guerre sous peine d'etre 
tues. A ceux-1^1, je defendis energiquement 
de marcher contre les Chretiens et de leur 
faire le moindre tort, et leur dis de souffrir 
plutot la mort, car ils seraient martyres. 
J'ajoutai que si quelqu'un avait I'inten- 
tion de me reprocher une telle doctrine 
devant Mangou-Kh^n, j'etais tout pret k 
la precher devant lui ; car les Nestoriens 
de la cour etaient presents k mes enseigne- 
ments, et je soupconnais bien qu'ils les 
rapporteraient. 

Or, maitre Guillaume avait fait faire 
pour nous un fer pour y mouler des hos- 
ties et avait fait pour lui quelques orne- 
ments, car il etait un peu lettre et rem- 
plissait les fonctions de clerc k 1 eglise. II 



— 214 — 

avait fait faire aussi dans le style fran^ais 
une image de la sainte Vierge et sur ks 
panneaux de la cloison il sculpta avec 
talent des figures de I'Evangile. On lui 
doit une boite d 'argent pour y enfermer 
le corps du Christ et des reliques dans de 
petites cellules pratiquees k Tintdrieur. 
En fin, il avait construit un oratoire sur 
un chariot , parfaitement peint et ou 
etaient representees des scenes de THis- 
toire-Sainie. J'acceptai done ses ornements 
et les benis et nous fimes selon notre ma- 
ni6re de tres-belles hosties, et Jes Nesto- 
riens m'assign^rent leur baptistdre oti il y 
avait un autel. Leur patriarche leur avait 
envoys de Bagdad un cuir, quadrangu- 
laire comme un autel portatif, oint de 
creme, dont ils se servent au lieu de 
pierre consacree. Je celebrai done lamesse, 
le jeudi saint, avec leur calice d argent et 
leur patene, qui sont deux grands vases; 
de meme, le jour de Paques. Et nous 
donnames la communion au peuple, avec 
la benediction de Dieu, comme jeTespdre. 
Plus de soixante personnes furent bapti- 
sees, la veille de Paques, en tr6s-bon or- 
dre, et la joie parmi les Chretiens fut gene- 
ralement tr^s-grande. 



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MALADIE 



DE M° GUILLAUME ET D*UN PRlllTRE NESTORIEN 



IL arriva que maitre Guillaume tomba 
gravement malade. Et lorscju'il fut en 
convalescence , le moine le visira et lui 
donna k boire de la tisane de rhubarbe, de 
sorte qu'il faillit le tuer. Lorsque je fus 
le visiter k mon tour, Je le trouvai si 
abattu que je lui demandai ce qu'il avait 
bu ou mange. 11 me dit quelle potion le 
moine lui avait administrde, et qu'il en 
avait bu deux ecuelles bien pleines , 
croyant que c'etait de I'eau benite. Ayant 
rencontre le moine, je lui dis : « Conduis- 
« toi comme un ap6tre en faisant des mi- 
ce racles par la vertu de la pridre et du 
(( Saint-Esprit, ou bien sois un medecin 
« qui observe les regies de I'art de guerir. 
(• Tu donnes k boire k des hommes non 
a prepares une medecine a forte dose, 
« comme si c'etait quelque chose de con- 
« sacre; tu en serais tr^s-blame si cela 



— 2l6 — 

« dtait su du publu:. » Alors il commenca 
k avoir peur et & se mdfier de moi. 

En ce temps, le pr^tre qui passait pour 
Farchidiacre des Nestoriens tomba aussi 
malade, et ses amis envoydrent chercher 
un devin sarrazin, qui leur dit : a Un 
(( homme maigre, ne mangeant ni ne bu- 
(( vant pas, et ne dormant pas dans un 
« lit, s'est fdche contre lui. S'il pouvait 
« obtenir sa benediction, il pourrait gue- 
« rir. » On comprit qu'il etait question 
du moine et vers minuit la femme, la 
soeur et le fils du pretre vinrent prier le 
moine de donner sa benediction k ce ma- 
lade. On nous engagea meme k joindre 
nos pridres aux leurs. Alors, il nous dit k 
nous qui le suppliions : « Nevous occupez 
« pas de lui, parce que lui, avec trois au- 
« tres de ses pareils, avait forme le projet 
(( dialler k la cour et de persuader k Man- 
(c gou-Khan de nous chasser, vous et moi, 
c( de ce pays. » Or, une contestation s*e- 
tait elevee parmi eux parce que Mangou 
et ses femmes avaient envoye, la veille de 
Paques, quatre iascots et des draps de 
sole pour etre distribues entre le moine et 
les pretres, et qu'une des quatre pieces de 
monnaie etait fausse, etant en cuivre. Or, 
il parut aux pretres que le moine avait eu 
une part trop grande; il put done se faire 
que quelques-unes de leurs paroles lui eus- 
sent ete rap por tees. 

Au point du jour, j*allai trouver ce 




— 217 — 

pretre qui souffrait d'une douleur aigue 
au cote et crachait du sang; d'oti je con- 
clus cjue c'etait un aposWme. Alors je lui 
conseiUai de reconnaitre le pape comme 
le pere de lous les Chretiens, ce qu*il fit 
aussitot, promettant, si Dieu lui rendait 
la sante, d'aller baiser les pieds du souve- 
rain pontife, et de faire en sorte que le 
Saint- Pdre envoyat sa benediction k Man- 
gou-Khan. Je I'avertis aussi de restituer 
tout ce qui ne lui appartiendrait pas. II 
me dit qu'il n'avait rien qui appartint k 
autrui. Je lui parlai encore du sacrement 
de I'extreme-onction. II me repondit : 
« Ce n*est pas dans nos habitudes, et nos 
« pretres ne savent comment faire ; je 
« vous prie de faire comme vous le jugez 
« convenable. » Je lui parlai de plus de la 
confession, qui n'est pas en usage chez 
eux. II dit quelques mots k I'oreille d'un 
de ses compagnons.' Ensuite il se trouva 
mieux et me pria d aller chercher le moine. 
J*y fus. Le moine d'abord ne voulut pas 
venir; cependant cjuand il apprit qu'il 
allait mieux, iJ arnva avec sa croix, et 
moi je portai le ciboire de maitre Guil- 
laume, oti reposait le corps de Jesus- 
Christ que j'avais reserve le jour de Pa- 
ques a la priere de mon compatriote. 
Alors le mome commen^a de donner au 
malade des coups de pied, et il lui embras- 
sait ses pieds avec beaucoup d'humilitc. 
Je lui dis : « II est d*usage dans TEglise 

14* 



— 2l8 — 

(( romaine que les malades resolvent le 
(( corps de Jesus-Christ, comme un viati- 
(( aue et un fortifiant contre les embdches 
« de I'ennemi. Voici le corps du Christ 
« aue j'ai conserve le Jour de Piques. Tu 
<( dois le confesser et le demander. » Alors 
il dit avec une foi trds-vive : « Je le de- 
(c mande de tout mon coeur. » Lorsque 
j'eus decouvert Thostie, il dit avec une 
grande ferveur : « Je crois que c'est mon 
« Cr^ateur et mon Sauveur, qui m'a 
« donn^ la vie et qui me la rendra aprds 
« la mort au jour de la resurrection ^6- 
« n^rale. » Et ainsi il re^ut de mes mains 
le corps de J^sus- Christ que j'avais fait 
( confectum ) selon les prescriptions de 
rEglise romaine. Le moine resta avec lui 
et lui administra en mon absence je ne 
sais quelles potions. Le lendemain, le ma- 
lade ressentit toutes les douleurs de la 
mort. Alors moi, je pris de Thuile que les 
Nestoriens consideraient comme samte^ et 
je Ten oignis selon le rituel de TEglise, 
me conformant ainsi k la pri6re du mori- 
bond. (Je n'avais pas notre huile avec 
moi, parce que les pretres de Sartach 
avaient tout retenu.) Et comme nous re- 
commandions son ame d Dieu et que je 
voulusse assister k sa mort, le moine m'en- 
voya dire de men aller, parce que si je 
restais present, je ne pourrais plus me 
representer devant Mangou-Kh^in durant 
toute Tan nee. Scs amis que j'interrogeai 



I 



— 2 19 — 

sur ce point me dirent que c etait vrai et 
me conseillerent de me retirer afin de ne 
pas etre prive du bien que je poursuivais. 
Le malade mourut et le moine me dit : 
« Soyez sans inquietude; je Tai tue par 
(( mes pri^res. Lui seul ^tait instruit et 
« nous etait hostile. JLes autres ne savent 
« rien. Desormais, tous et Mangou-Khan 
« lui-meme seront k nos pieds. » Alors, 
ii me raconta la reponse du devin ; mais, 
incr^dule que j'etais, je m'enquis aupr^s 
des pretres, amis du defunt, si c etait vrai. 
lis me repondirent que c'etait bien ainsi, 
mais qu'ils ignoraient s'il en avait ^te pre- 
venu on non. J*appris ensuite que le 
moine fit venir dans sa chapelle le devin 
et sa femme, leur fit cribler une poudre et 
en tirer des predictions. U avait aussi avec 
lui un diacre russe qui I'aidait dans ce 
metier. Ayant eu connaissance de tout 
cela, j'eus horreur de sa folic et lui dis : 
« Frere, I'homme plein du Saint-Esprit 
« qui enseigne toutes choses, ne doit pas 
« consulter les devins, ni s'inspirer de 
« leurs reponses ; tout cela est detendu et 
« ils sont excommunies, ceux qui s'adon- 
« nent k de telles pratiques. » II m'affirma 
qu'il ne faisait rien de tout cela. Or, je 
ne pouvais pas le quitter, parce que je 
logeais chez lui par ordre de Mangou- 
Khan, et Je ne pouvais aller ailleurs sans 
son ordre special. 



J3QSw3QOya;J;^y3^y35^ya^^jS^j9j^^^^ 




ENCORE CARACORUM 



OUANT a la ville de Caracorum, vous 
saurez qu'^ Texception du palais du 
khan lui-meme, elle ne vaut pas le bourg 
de Saint- Denis, et le monaslere de Saint- 
Denis vaut deux fois plus que ce palais. 
II y a la deux quartiers, I'un des Sarrazins 
oti se trouvent les marches et oti abon- 
dent les marchands a cause de la cour qui 
en est peu eloignee, et aussi k cause de la 
multitude des ambassadeurs. L'autre 
quariier est celui des Cathayens qui sont 
tous des artisans. En dehors de ces palais, 
on voit de grands palais qui sont habites 
par les secretaires de la cour. II y a la 
douze temples consacres k des idoles de 
diverses nations, deux mosquees oti Ton 
observe la loi de Mahomet, et une eglise 
de Chretiens k I'extremite de la ville. — La 
ville est entouree d'une muraille de terre 
et clle a quatre portes. A Test, on vend 
le mil et d'aulres grains, du reste tres- 
rares ; ^ I'ouest, on vend les moutons et les 



( 



— 222 — 

# 

chdvres; au midi, les boeufs et les cha- 
riots; au nord, leschevaux. 

Avant suivi la cour, nous arrivdmes ici 
le dimanche avant I'Ascension. Le lende- 
main , nous Wmes appelespar Bulgai (qui 
est le premier secretaire d'Etat et le grand 
justicier), le moine et toute sa famille, et 
nous, et tous les ambassadeurs, et les 
etrangers qui tr^uentaient la maison du 
moine ; et nous tiimes appeles sdparement 
devant Bulgai, d'abord le moine, ensuite 
nous; et Ton nous demanda d'oti nous 
dtions, pourquoi nous etions venus et 
quels services nous sollicitions. Et Ton 
procedait k une enquete aussi minutieuse, 
parce qu'on avait rapport^ k Mangou- 
KhSn que quarante Assassins ^taient partis 
pour Tassassiner sous divers d^uise- 
ments.Vers ce meme temps, la dame, dont 
j'ai parle plus haut, retomba malade et en- 
voya cheicher le moine. Mais lui, ne vou- 
lant pas aller chez elle, repondit : « Elle 
« a dejd af)pele des idolatres, qu'ils la soi- 
<( gnent s'ils peuvent. Moi, je n'y vais 
« plus. » 

La veille de TAscension, nous parcou- 
rumes toutes les maisons du khan ; et je 
remarquai que lorsqu'il devait boire, on 
jetait aussi du cosmos sur ses idoles de 
feutre. Ge qui me tit dire au moine : 
(( Qu'y a-t-il de commun entre le Christ 
« et Belial? Quel rapport y a-t-il entre 
<( la croix et ces idoles? » 



— 223 — 

En outre, Mangou-Khan a huit frdres, 
trois uterins, et cinq consanguins ^^, II 
enVoya un de ses freres uterins au pays 
des Assassins, appele par ceux-ci Muli- 
bet 64, avec ordre de les tuer lous. Un 
autre vint en Perse, il y est de*^ entr^ et il 
entrera bientot, comme Ton croit, en 
Turquie et fera partir de 1^ une armee cen- 
tre Baldach et Vastace. II envoya un des 
autres au Cathay pour soumettre ceux qui 
ne reconnaissaient pas encore sa supre- 
matie. Tl retint pr^s de lui son plus jeune 
frere uterin, nomme Arabuccha, qui gou- 
verne la cour de leur mdre, une chretienne 
au service de laquelle est maitre Guil- 
laume. Un de ses freres consanguins avait 
fait celui-ci prisonnier en Hongrie, dans 
une viile nommde Belgrade, oil il y avait 
un eveque normand, de Belleville pres 
Rouen, avec un neveu de cet eveque que 
j'ai vu k Caracorum. II ceda maitre Guil- 
laume a la mere de Mangou, parce qu'elle 
tenait beaucoup k I'avoir. Apres sa mort, 
I'orfevre passa au service d'Arabuccha 
avec tous ceux qui appartenaient^ la cour 
de la defunte. Mangou-Khan le connut 
par cet Arabuccha et, lui ayant com- 
mande I'ouvrage dont j'ai parle plus haut, 
il lui fit remettre cent iascots, c'est-^-dire 
mille marcs. 

La veille de I'Ascension, Mangou-KhSn 
dit qu*il voulait aller k la cour de sa mdre 
et la visiter, parce qu'il n'etait pas loin 



— 224 — 

d*elle. Le moine dit qu'il voulait raccom- 
pagner et donner sa benediction k T^me 
de sa m^re. Cela plut au khdn. Le soir de 
r Ascension, Tdtat de la princesse empira 
et le chef des devins envoyaau moine Tor- 
dre de ne pas frapper la table. Le lende- 
main, comme la cour du khdn se retiraic, 
celle de la princesse demeura. Mais lors- 
que nous iHmes arrives ^ I'endroit oti la 
cour devait s'arr^ter, il fut ordonnd au 
moine de se retirer de la cour plus loin 
que de coutume; ce qu'il fit. Alors Ara- 
buccha courut au-devant de son frdre le 
khdn. Le moine et nous tous voyant que 
le khsin passerait ^ peu de distance de 
nous^ nous allames au-devant de lui avec 
la croix. Et lui nous reconnaissant, parce 
qu'il avait visite autrefois notre oratoire, 
tendit la main et nous donna la benedic- 
tion (fecit crucem) comme un eveque la 
donne. Puis, le moine monta k cheval et 
le suivit emportant des fruits avec lui. 
Mais Arabuccha mit pied k terre devant la 
cour de son fr^re et attendit qu'il fiit de 
retour de la chasse. Le moine y descendit 
aussi et lui presenta ses fruits qui furent 
acceptes. Deux grands de la cour du khan, 
deux Sarrazins, etaient assis pr^s de lui. 
Mais Arabuccha, sachant les differends qui 
separaient les Chretiens des Sarrazins, de- 
manda au moine s'il connaissait les deux 
Sarrazins. Le moine repondit : « Je les 
« connais, parce que ce sont des chiens : 



— 225 — 

(( pourquoi sont-ils pres de vous? » Et 
ceux-ci reprirent : « Pourquoi nous dites- 
« vous des injures, lorsque nous ne vous 
« parlous pas? » Le moine insista : « Cest 
(( vrai, » leur dit-il, « je dis que vous et 
a votre Mahomet vous ^tes d'affreux 
« chiens. » Alors ils se mirent k exhaler 
des blasphemes contre le Christ et Arabuc- 
cha les arreta, en disant : « Ne parlez pas 
a ainsi, parce que nous savons que Messie 
« est Dieu. » Et au m^me instant, il s'e- 
leva par toute la contree un si grand vent 
qu'on vit des demons la parcourir; peu 
aprds, la nouvelle se repandit que la prin- 
cesse etait morte. 

Le lendemain, Arabuccha s'en retourna 
a sa cour par un autre chemin que par ce- 
lui oil il etait venu ; car c'est une supersti- 
tion des Tartares de ne jamais revenir par 
le chemin par oil ils sont venus. Pour la 
meme raison, personne n'ose passer, ni k 
pied ni k cheval, par Tendroit oti la cour 
s'est arretee, tant qu'il reste, aprds son 
depart, quelque vestige du feu qui y a 
ete fait. Le meme, jour, plusieurs Sarra- 
zins rejoignirent le moine en route, le pro- 
voquant et se disputant avec lui. Comme 
il ne pouvait se defendre par le raisonne- 
ment et qu'eux se moquaient de lui, il 
voulut leur appliquer des coups d'un fouet 
quTl tenait k la main, et fit tant que ses 
paroles furent rapportees k la cour. Aussi 
nous fut-il enjoint de descendre avec les 

i5 



— 226 — 

autres ambassadeurs ailleurs que devant la 
cour, oil nous descendions selon notre ha- 
bitude. 

Or, j'esp^rais toujours que le roi d'Ar- 
menie serait arrive. II etait venu aussi, 
aux environs de Piques, quelqu'un de 
Bolach ^^, otx sont des Teutons qui ont 6te 
pour une grande part dans ma resolution 
d'aller ies trouver. Ce quelqu*un m'avait 
dit qu*un pr6tre teuton devait se rendre ^ 
la cour. A cause de cela, je n'osais jamais 
demander & Mangou si je devais rester ou 
partir. D^ le principe, il ne nous avait 
donn^ que la permission de demeurer deux 
mois dans ses terres, et depuis lors quatre 
mois etaient passes et bientdt le cinquidme. 
Car nous touchions k la fin de mai, et nous 
avions 6t6 Ik pendant Janvier, Kvrier, 
mars, avril et mai, Moi, n'entendant par- 
ler ni du roi ni de ce pretre, et craignant 
de devoir nous en retourner en hiver (nous 
en avions d^j^ ressenti Ies rigueurs), je 
fis demander k Mangou -Khan ce qu*il 
voulait faire de nous, parce que nous se- 
rious restes volontiers avec lui, si cela lui 
avait plu; mais s'il nous fallait partir, il 
vaudrait mieux que ce fut en dte. Aussit6t 
il me fit dire de ne pas m eloigner, parce 
quil desirait me parler le lendemain. Je 
repondis k Tinstant que s'il voulait me 
parler qu'il devait mander le fils de maitre 
Guiilaume, parce que mon inlerprdte 
(turgemanus, trucheman) etait peu capa- 



— 227 "~ 

ble. Or, celui qui m'adressait la parole 
etait Sarrazin et ambassadeur auprds de 
Vastace. Gagne par ses presents, il lui 
avait donne le conseil d envoyer des am- 
bassadeurs k Mangou-Khan. Pendant ces 
pourparlers, le lamps passerait, parce que 
Vastace croyait que les Tartares devaient 
aussitdt envahir ses terres. II envoya done 
des ambassadeurs, et aprds avoir appris 
par eux ce que c'etaient que les Tartares, 
il les dedaigna et ne voulut point faire la 
paix avec eux, et ils n'envahirent pas en- 
core ses terres. lis en furent empeches, tant 
qu'il osa se d^fendre ; car ils ne s emparent 
jamais d'un pays, si ce n'est par la ruse; et 
quand ils font la paix avec quelqu'un, ils 
profitent de cette paix pour Tan^antir. 

Ce Sarrazin se mit k s'informer du pape 
et du roi de France et de la route k suivre 
pour aller vers eux. Or, le moine m'aver- 
tit en secret de ne pas lui repondre, parce 
qu'il voulait procurer le moyen de leur en- 
voyer des ambassadeurs. Je me tus done, 
ne voulant pas lui repondre. Et il m'a- 
dressa je ne sais quelle parole injurieuse, 
pour laquelle on voulut le mettre en ac- 
cusation , ou le tuer ou le fouetter jus- 
qu'au sang ; mals je m'y opposai. 



? 



— 23o — 

r^pondirent : <c Nous avons envoys en 
« chercher un ; vous parlerez alors par son 
cf intermddiaire comme vous pourrez; 
c< nous vous comprendrons bien. » Et ils 
me press^rent de parler. Alors je dis : « A 
(( celui Squill a etedonne beaucoup, il sera 
(( demands beaucoup. De meme celui qui 
(c a recu beaucoup, devra aimer beaucoup 
« [Luc, ch. vii). » D'apr^s ces paroles divi- 
nes, je dis k Mangou-Khan « que Dieu lui 
c( a donne une grande puissance, et que 
a les richesses qu'il a revues, ce ne sont 
c( pas les idoles des tuinans qui les lui 
(( ont donndes, mais le Dieu tout-puissant 
(c qui a fait le ciel et la terre, dans k main 
c< duquel sont tous les royaumes, et qui 
c( transporte la domination d'une nation k 
i< Tautre k cause des peches des hommes, 
« C'est pourquoi, s'il aime Dieu, tout lui 
« reussira; smon, il saura qu'il devra 
« rendre comple Jusqu'au dernier qua- 
(f drat. )) Alors un des Sarrazins dit : 
a Est-il un homme qui n'aime pas Dieu ? » 
Je repondis : « Dieu dit : « Celui qui 
<( m'aime observe mes commandements ; 
« et celui qui ne m aime pas, n'observe 
« pas mes commandements. (Jean, 14). 
« Done, celui qui n 'observe pas les com- 
<c mandements de Dieu, n'aime pas 
« Dieu. » Alors le Sarrazin dit : « Avez- 
« vous ete dans le ciel pour connaitre 
w les commandements de Dieu? » — 
<f Non, » dis-je, « mais il les a transmis 



— 23l — 

(c du del aux hommes saints, et lui-meme 
« est descendu du ciel pour les enseigoer 
« k tous les hommes, et nous les avons 
« dans la Bible, et nous voyons, par les 
<( oeuvres des hommes, quand lis les otv 
« servent ou non. » Mais lui : « Voulez- 
« vous dire que Mangou-Khan ne suit 
<( pas les preceptes. de Dieu ? » Et moi : 
« L'interprete viendra, avez-vous dit; et 
« devant Mangou-Kh^n, s'il m'y auto- 
(f rise, je dirai quels sont les commande- 
« ments de Dieu, et lui-m^me jugera s'il 
(c les observe ou non. » On me quitta et 
Ton rapporta au khan que j'avais dit qu*il 
etait icioiatre ou tuinan et qu'il n'observait 
pas les commandements de Dieu. 

Le lendemain, le khan m'envoya ses se- 
cretaires qui me dirent : « Notre maitre 
a nous envoie vers vous et fait savoir que 
(( vous etes ici Chretiens, sarrazins et t ni- 
ce nans. Chacun de vous dit que sa loi est 
« la meilleure et que ses Ecritures, c'est-^- 
(f dire ses livres, sont les plus vrais. C'est 
« pourquoi il veut que, tous, vous vous 
« rassembliez dans le meme endroit^ et 
« que chacun ecrive ses articles de foi, 
« afin qu'il puisse connaitre la verite. » 
Alors je dis : « Beni soit Dieu qui a ins- 
« pire cette pens^e au khdn ! Mais nos 
« Ecritures enseignent que le serviteur de 
« Dieu ne doit pas disputer, mais etre 
f< doux envers tous. Je suis done pret k 
« rendre compte sans haine et sans crainte 



— 232 — 

« de la foi et des esperances des chretiens , 
(c k quiconque veut bien mlnterroger. » 
lis redig^rent ma r^ponse par ^rit et la 
rapport^rent au khln. II fut aussi or- 
donn^ aux Nestoriens d'^rire tout ce 
qu'ils voudraient dire, et il en fut de 
meme pour les Sarrazins et les tuinans. 
Le lendemain, les secretaires revinrent me 
trouver, disant : « Mangou-Khan veut 
« savoir pourquoi vous parcourez ces 
c< contr^s. » Je leur repondis : « II doit 
« savoir cela par les lettres de Batou. » 
Alors, eux : « Les lettres de Batou sont 
« perdues, et le kh^n a oublie ce que B^- 
« tou lui a ecrit, et il veut le savoir par 
« vous. » Plus rassure, je lui dis : « Le 
« devoir que nous impose notre religion 
« est de precher I'Evangile a tous les 
« hommes. Aussi, lorsque i'eus appris la 
« renommee de la race moale, j'eus le de- 
c< sir de venir ici, et, animd de ce desir, 
« j'appris que Sartach dtait Chretien. Je 
« dirigeai done mes pas vers lui. Et le roi 
« des Francs , mon maitre , lui a adresse 
« des lettres qui contiennent de bonnes 
« paroles, et entre autres choses il dit qui 
« nous sommes et le prie de nous permet- 
« tre de sejourner parmi les Moals. Lui 
« alors, il nous envoya k B^tou et Bd- 
« tou nous envoya k Mangou-Khan ; c'est 
« pourquoi nous I'avons prie et nous le 
« prions encore de nous permettre de 
« demeurer ici. « Les secretaires ecrivi- 



— 233 — 

rent tout cela et le lui rapporterent le len- 
demain. II m'envoya dire de nouveau : 
« Le khan comprend bien que vous n'a- 
cc vez pas de message pour lui, et que 
(( vous venez prier pour lui, comme d*au- 
<( tres pretres justes; mais il veut savoir si 
« des ambassadeurs sont venus de votre 
c^ part vers nous, ou si nous en avons en- 
« voye vers vous. » Je leur racontai alors 
tout ce que je savais de David et du frere 
Andre, et eux mirent tout cela par ecrit et 
le lui rapporterent. Alors, il me fit dire de 
nouveau : « Le khan, notre maitre, dit : 
(( Vous vous arretez ici longtemps; il veut 
(c que vous vous en retourniez chez vous 
<( et demande si vous voulez emmener ses 
<c ambassadeurs avec vous. » 

Je leur repondis : « Je n*oserais pas em- 
« mener ses ambassadeurs hors de ses ter- 
« res, parce cju'entre vous et nous il y a 
« des pays qui sont en guerre, des mers et 
« des montagnes; et moi je suis un pau- 
« vre moine; c'est pourquoi je n'ose- 
<c rais pas me charger d'eux dans mon 
« voyage. » Et eux, ayant mis tout cela 
par ecrit, ils s*en retourndrent. 

Vint la veille de la Pentecote. Les Nes- 
toriens ecrivirent I'histoire depuis la crea- 
tion du monde jusqu'^ la Passion du 
Christ, et depuis la Passion, ils dirent 
quelques mots de I'Ascension et de la re- 
surrection des morts et du jugement der- 
nier. II y avait bien la quelque chose a 



— 2 34 — 

reprendre, et je le leur d^montrai. Nous, 
nous ^crivimes le symbole de la messe : 
« Je crois en un seul Dieu. » Puis je leur 
demandai comment ils voulaient proc^- 
der. lis me rdpondirent qu*ils voulaient 
d'abord discuter avec les Sarrazins. Je 
leur fis observer que cela n'dtait pas bien, 
parce que les Sarrazins reconnaissent avec 
nous qu'il n*y a qu'un seul Dieu : « Vous 
« aurez done de ce c6td , dis- je , des auxi- 
« liaires contre les tuinans.D Ils acceptdrent 
mon observation. Puis je leur demandai 
s'ils savaient comment Tidol^trie avait pris 
naissance dans le monde, ils Tignoraient. 
Je le leur expliquai et ils dirent : « Vous 
« leur raconterez cela k eux-memes et 
« vous parlerez k notre place parce qu'il 
« est difficile de parler avec un inter- 
« prdte. » Je leur repondis : — « Voyez de 
« quelle mani^re vous vous coraporterez 
(( k leur egard. Moi, je soutiendrai la 
« cause des tuinans ; et vous, vous ddfen- 
<c drez celle des Chretiens. Supposez guc je 
<f sois de cette secte qui pretend qu'il n'y 
« a pas de Dieu ; prouvez que Dieu existe. 
« Car il est une secte qui affirme que 
c( toute ^me, que toute vertu residant en 
(c quelque chose que ce soit est le Dieu de 
« celte chose, et qu*il n'y a pas d'autre 
« Dieu. Et les Nestoriens ne surent rien 
« prouver, si ce n'est de repeter ce qui est 
« ecrit dans la Bible. » Je leur dis : « lis 
« ne croient pas a la Bible *, vous allegUQ^ 



— 235 — 

« rez une chose ct eux une autre. » Alors, 
je leur conseillai de me laisser en^a^er la 
discussion avec eux, parce que si j'etais 
vaincu, ils trouveraient encore raoyen de 

f)arler. lis acceptdrent. Done, ia veiile de 
a Pentecote, nous nous r^unimes dans 
notre oratoire et Mangou-Kii^n envoya 
trois secretaires comme arbitres, Tun 
Chretien, Tautre sarrazin et le troisidme 
tuinan; et Ton proclama ceci : « C'est 
« I'ordre de Mangou que personne ne 
« puisse dire que le commandement de 
(c Dieu est autre. II ordonne que per- 
(( Sonne ne se serve de paroles desagrda- 
« bles ou injurieuses pour son contradic- 
« teur, ni provoque un tumulte qui puisse 
i( empecher cette conference, sous peine 
« de mort. » Alors tons garderent le si- 
lence. Et il y avait la un peuple nom- 
breux, car chaque partie avait appele les 
plus savants de sa race, et beaucoup d'au- 
tres y assistaient. Alors les Chretiens me 
placerent au milieu et dirent aux tuinans 
de discuter avec moi. Mais eux, qui etaient 
la en foule, commenc^rent k murmurer 
contre Mangou-Khan, parce que jamais 
un khan n'avait tente de leur derober 
leurs secrets. lis m'opposerent done quel- 
qu'un qui etait venu du Calhay et avait 
un interprete. Or, Ic mien etait le fills de 
maitre Guillaume; il me dit : « Ami, si 
« vous n'etes pas fort, cherchez un plus 
« savant que vous. a Jc me tus. Alors, il 



— 236 — 

me demanda sur quoi je voulais discuter 
en premier lieu, soit sur Torigine du 
monde, soit sur le devenir des dmes aprds 
la mort. Je lui r^pondis : ct Ami, cela 
(c ne doit pas etre le commencement de 
a notre conference. Toutes choses ddcou- 
<c lent de Dieu, et Lui, il est la source et 
« le principe de toutes choses; nous de- 
c< vons commencer par parler de Dieu, 
(( dont vous n*avez pas la m^me id^e que 
« nous, et Mangou veut connaitre la 
« meilleure opinion sur lui. » Les arbi- 
tres jugdrent que cela dtait juste. 

II voulait entamer ces thdses, parce 
qu*ils les avaient mieux etudiees; car ils 
sont tous de Ther^ie des Manichdens, et 
croient qu*une moitie des choses est mau- 
vaise, et I'autre bonne, et qu*il y a au 
moins deux principes; et tous ils pensent 
que les dmes passent d'un corps dans un 
autre. Aussi le plus instruit des pretres 
parmi les Nestoriens me demanda si les 
ames des betes peuvent se refugier quelque 
part, sans etre contraintes d'etre en servi- 
tude apr^s leur mort. 

Pour confirmer cette erreur, ainsi que 
me Tapprit maitre Guillaume, on avait 
emmene du Cathay un enfant qui, d'apres 
les apparences, n'avait pas plus de trois 
ans. 11 avait cependant toute sa raison et 
on disait de lui qu'il avait d6]k change 
trois fois de corps, et il savait lire et 
ecrire. Je dis done a ce tuinan : « Nous, 



— 237 — 

« nous croyons fermement et de coeur, et 
tt nous amrmons par la bouche qu'il 
« existe un Dieu et qu'il n*y a qu'un seul 
« Dieu, un seul et d'une unite parfaite. 
i( A quoi croyez-vous? » Et il repondit : 
« Les imbeciles disent qu'il n'y a qu'un 
« Pieu, mais les sages soutiennent qu'il y 
« en a plusieurs. Dans votre pays, n'y a- 
« t-il pas plusieurs grands seigneurs, et 
« ici, un plus grand qui est Mangou- 
« Khan? 11 en est de meme des dieux, 
« parce qu'ils sont divers dans les diverses 
(( contrees. » Je repliquai : « Vous prenez 
« mal votre exemple; il ne peut pas y 
« avoir de similitude entre les hommes 
<( et Dieu: car de cette manidre tout 
« homme puissant dans son pays pourrait 
« etre appele dieu. » 

Et, comme je voulais detruire la com- 
paraison, il me prevint et me demanda : 
« Quel est done votre Dieu, dont vous 
« dices qu'il est unique?)) Je repondis : 
« Notre Dieu est tout-puissant, et il n'y 
(c en a pas d'autre que lui, et il n'a besoin 
« du secours de personne ; mais tous, nous 
« avons besoin de sa protection. II n'en 
« est pas ainsi des hommes. Personne ne 
c( peut tout faire k lui seul; c'est pour- 
« quoi il importe qu'il y ait plusieurs 
« maitres sur la terre, parce qu'un seul ne 
« peut tout gouverner. Notre Dieu sait 
« encore toutes choses , partant il n'a pas 
« pas besoin dc conseiller. Dc plus, toute 



— 238 — 

a science d^coule de lui. II est souveraine- 
« ment bon et il n'a pas besoin de nos 
« biens. De plus, nous vivons, nous nous 
« mouvons et nous sommes en lui. Tel 
(c est notre Dieu, et il ne faut pas en sup- 
<c poser un autre. » — « Non, » dit-il, 
« il n'en est pas ainsi. II est bien dans le 
« ciel un Dieu supreme, dont nous igno- 
« rons encore la nliation ; mais sous lui il 
u est dix autres dieux, et sous eux, un 
(( xlieu inferieui . Dans les pays de la 
(( terre, ils sont innombrables. » Comme 
il voulait broder 1^-dessus d autres fables, 
je lui demandai s'il croyait que ce Dieu 
supreme f6t tout-puissant» ou bien je I'in- 
terrogeai sur quelque autre dieu. 

Evitant de me repondre, il me demanda 
a son tour : « Si votre dieu est tel que 
« vous le dites, pourquoi a-t-il fait la 
i< moitie des choses creees mauvaise? d — 
« C'est faux, » lui dis-je; « celui qui a 
« fait le mal n'est pas Dieu. Et tout ce 
« qui est, est bon. » Tous les tuinans fu- 
rent etonnes de cette reponse, et ils Tins- 
crivirent comme fausse ou impossible. On 
me demanda alors : « D'oti vient done le 
« mal? » — « Vous posez la question de 
<i travers, » repondis-je. « Vous devez d*a- 
(( bord demander ce que c'est que le mal, 
« avant de chercher d'oii il vient. Mais 
« revenons k la premiere question : croyez- 
« vous qu'il existe un Dieu tout-puis- 
sant? tt je vous repondrai apres k tout 



— 239 — 

« ce que vous voudrez me demander. » 
Et il s'assit longtemps refusant de rdpon- 
dre, k tel point qu'il fallut que les secre- 
taires presents lui ordonnassent. au nom 
du khdn, de repondre. II repondit k la fin 
qu'il n'y avait point de Dieu tout-puis- 
sant. Alors tous les Sarrazins eclaterent 
de rire. 

Le silence etant retabli, je dis : « Done 
« aucun de vos dieux ne peut vous sauver 
« jamais, parce qu'il peut se presenter 
« un cas oti il n'en aurait pas le pouvoir. 
« En outre, personne ne peut servir deux 
« maitres; comment done pouvez-vous 
a servir tant de dieux dans le ciel et sur 
a la terre? » Les assistants lui dirent de 
repondre, mais il se tut. Et comme je 
voulais d^velopper devant tout Tauditoire 
les raisons de Tunit^ et de la trinite de 
Tessence divine, les Nestoriens du pays me 
dirent quecela suffisait, et qu'ils voulaient 
parler eux-m^mes. Je leur cedai alors la 
parole, et comme ils s appretaient k discu- 
ter avec les Sarrazins, ceux-ci repondi- 
rent : « Nous accordons que votre loi est 
« la vraie et que tout ce qui est con ten u 
« dans TEvangile est vrai; nous ne vou- 
« Ions done en aucune facon discuter avec 
a vous. » Et ils confessdrent que dans 
toutes leurs pri^res ils demanderont k 
Dieu de leur aceorder la grace de mourir 
de la mort des ehrdtiens. 

II y avait Ik un vieux pretre de la secle 



— 240 — 

des lougoures qui reconnaissent un seul 
Dieu et qui fabriquent cependant des ido- 
les. lis causdrent longtemps avec lui, ra- 
contant tout ce qui s'^tait passe jusqu'^ la 
venue de TAnteclirist dans le monde, et 
lui demontrant aussi ^ lui et aux Sarra- 
zins la Trinity par analogies. Tous ecou- 
lerent sans Clever la moindre objection. 
Cependant personne ne dit : « Je crois ; je 
« veux etre Chretien. » Ensuite, Nesto- 
riens et Sarrazins chantdrent ensemble k 
haute voix ; les luinans ne dirent mot, et 
tous burent ensuite copieusement. 

Le jour de la Pentec6te, Mangou-Khan 
me fit appeler et le tuinan avec qui j'a- 
vais discute ; et avant d'entrer, mon inter- 
prdte, le fils de maitre Guillaume, me dit 
qu'il nous faudra nous en retourner dans 
notre pays et que je ne devrai rien objecter, 
parce que c'etait chose decidee. Arrive de- 
vant le khdn, il me fallut fl^chir le genou 
et le tuinan aussi avec son interprete. Alors 
ilme dit : « Dites moi la verite; avez-vous 
« dit Tautre jour, quand j'eus envoys mes 
« secretaires auprds de vous, que j'dtais 
« tuinan ? » Je repondis : <c Seigneur, je 
« ne Tai pas dit; mais je vous r^pdterai 
(( mes paroles, si cela vous convient. » Je 
lui repetai alors ce que j'avais dit et il 
me rdpondit : « J'avais bien pense que 
« vous naviez pas profere ces paroles, 
« parce que vous ne pouviez pas parler 



— 241 — 

« ainsi ; c'est votre inlerpr^te qui les aura 
« mal interpr^tees. » Et il me tendit le 
b^ton sur lequel il s*appuyait, en me di- 
sant : « Ne craignez point. » Et moi, sou- 
riant, je lui dis tout bas : « Si j'avais peur, 
« je ne serais pas venu ici. » Et il de- 
manda k Tinterprete ce que j'avais dit, et 
celui-ci le lui rep^ta. Puis, il me lit sa 
profession de foi : « Nous, Moals, » dit-il, 
« nous croyons qu'il n*y a qu'un seul 
« Dieu, par qui nous vivons et par qui 
« nous mourrons, et nous avons pour lui 
« un coeur droit. » 

Alors je lui dis : « Que Dieu vous ac- 
« corde cette grdce, car sans elle vous ne 
« pouvez rien. » Et il demanda ceque j'a- 
vais dit, I'interpr^te le lui repeta, et le 
prince ajouta : « De meme que Dieu a 
« donne k la main plusieurs doigts, de 
(c meme il a donne aux hommes plusieurs 
« voies. Dieu vous a fait connaitre les 
« Ecritures-Saintes, et vous autres, chrd- 
« tiens, vous ne les observez pas. Vous n*y 
« trouvez pas que Tun doit blamer I'au- 
« tre, n'est-ce pas? » — « Non, seigneur, » 
dis-je ; « mais je vous ai declare d^s I'a- 
« bord que je ne voulais avoir de differend 
« avec qui que ce soit. » — « Je ne parle 
« pas, » dit-il, a pour vous. Pareillement, 
t< vous n y trouvez pas non plus qu'un 
« homme doit renier la justice pour de 
« I'argent. » -*- « Non, seigneur, » repon- 
dis-je. <( Et certes, je ne suis pas venu 



— 242 — 

« dans ces contr^s pour me procurer de 
« Targent; au contraire, j'ai refuse celui 
« qu'on voulait me donner. » Et il y avait 
1^ un secretaire qui attesta que j*avais re- 
fuse un iascot et des dtoffes de soie. « Je ne 
« park pas de cela, » dit-il. « Dieu vous a 
« donne un Testament et vous ne lesuivez 
« pas ; k nous, il nous a donn^ des devins, 
(( nous faisons ce au'ils disent et nous 
« vivons en paix. » 11 but, il me semble, 
au moins quatre fois avant d'achever ce 
dialogue. Et comme j'attendais qu'il vou- 
lut confesser encore quelque autre point 
de sa foi, il se mit i parler de mon retour, 
disant : « II y a longtemps que vous etes 
a ici; je veux que vous vous en alliez. 
(c Vous avez dit que vous nc voulez pas 
(( emmener mes ambassadeurs avec vous ; 
« voulez-vous vous charger de transmet* 
« tre mes paroles ou mes lettres? » Etdds 
lors je n'eus plus Toccasion ni le temps de 
lui expliquer la religion catholique. Car 
un homme ne pent parler devant lui aussi 
longtemps qu'il le desire, k moins qu'il ne 
soit ambassadeur ; mais un ambassadeur 
pent dire tout ce qu'il veut, et on lui de- 
mande toujours s'il a quelque chose A 
ajouter. Quant k moi, il ne me fut pas 
permis de parler davanlage, mais il me fal • 
lut I'ecouter et repondre k ses questions. 
Je lui repondis qu'il devait me faire com- 
prendre ses paroles et les rediger par ecril. 
Alors jc mc chargerais volontiers de les 



— 243 — 

transmettre selon mes moyens. II me de- 
manda ensuite si je voulais de Tor ou de 
I'argent ou de riches v^tements. Je lui dis : 
« Nous n'acceptons pas de telles choses ; ce- 
« pendant nous n'avons pas de quoi subve- 
(t nir aux frais du voyage, et sans votre aide, 
« nous ne pouvons sortir de vos domai- 
« nes. » Alors il me dit : « Je vous ferai 
« avoir tout ce qui vous est necessaire par 
c( tout mon empire; voulez-vous davan- 
« tage? » Je repondis : « Cela me suffit. » 
Puis, il me»demanda : « Jusqu'oti voulez- 
« vous etre conduit? » Je repondis : « Jus- 
« qu'au royaume d'Armenie s etend votre 
<i puissance; si je pouvais etre conduit 
<c jusque-l^, cela me suffirait. » II me dit : 
c( Je vous ferai conduire jusque-1^; en- 
<c suite, ayez soin de vous. » Et il ajouta : 
« II y a deux yeux dans une tele, et quoi- 
« qu'il y en ait deux, ils n'ont cependant 
« qu'une seule vue, et 011 Tun porte son 
(( regard, Tautre Ty porte aussi. Vous etes 
« venu de la part de Bdtou, il importe 
« que vous vous en retourniez vers lui. » 
Quand il eut fini, je lui demandai la per- 
mission de parler : « Parlez, » me dit-il, 
et je pris la parole : « Seigneur, nous ne 
« sommes pas des hommes de guerre. Nous 
« voulons que la puissance du monde ap- 
« partienneaceuxqui legouvernentavecle 
« plus de justice, selon la volonte de Dieu. 
« Notre devoir est d'instruire les hommes 
« ^ vivre selon la volonte de Dieu. C'est 



— 244 — 

(( pour cela que nous sommes venus dans 
« ces contrees, et nous y serions restes vo- 
ce lontiers, si cela vous avait plu. Mais s'il 
« vous convient que nous nous en aliions, 
« cela sera. Je retournerai et je me char- 
« gerai de vos leitres comme je pourrai et 
(( selon vos ordres. Mais je voudrais de- 
« mander a Votre Magnificence si, quand 
(« j'aurai port^ vos iettres, vous me permet- 
u trez de revenir ici, surtout parce que 
« vous avez k Bolac de pauvres sujets qui 
t< sont de notre langue, et qu'ils n'ont pas 
(t de pretre pour ies instruire dans leur re- 
« ligion, eux et leurs enfants; je vivrais 
a volontiers au milieu d'eux. » II me re- 
pondit : « Si vos maitres vous renvoient 
(( vers moi. » Je dis alors : « Seigneurs, je 
(( ne connais pas Ies desseins de mes mai- 
(( tres; mais j'ai recu d*eux rautorisation 
« d'aller partout 06 je voudrai, 1^ oti il 
<( serait necessaire de precher la parole de 
(( Dieu, et il me semble que cela est neces- 
« saire dans vos pays ; c'est pourquoi, si le 
« roi vous renvoie des ambassadeurs ou 
(( non et si vous le permettez , je revien- 
(( drai. » Alors il se tut et fut longtemps 
comme absorbe dans ses pensees, et Tinter- 
prdte me dit de ne pas parler davantage. 
Mais moi, anxieux, j'altendais toujours 
une reponse. Enfin, il me dit : « Vous de- 
« vez faire une longue route, reconfortez- 
« vous d'aliments, afin que vous puissiez 
u arriver dans votre pays en bonne sante. » 



— 245 — 

Et il me fit donner a boire. Puis il se re- 
tira et je ne le revis plus. Si j'avais eu le 

Kouvoir de faire des miracles, comme 
loi'se, peut-etre se serait-il humilie. 



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pretrb:s idolatres 



OR, les devins, ainsi qu'il I'a dit lui- 
m^me, sont leurs pretres, et tout ce 
qu'ils ordonnent de faire est execute H 
rinstant. Je vous dirai quel est leur minis- 
Idre, comme je le pourrai d'apr^s ce que 
maitre Guillaume et d'autres m'ont dit de 
vraisemblable. lis sont nombreux et ils ont 
un superieur, qui est comme un Pontife 
et qui a toujours sa maison en face de la 
demeure principale de Mangou-Kh^n, k la 
distance d'un jet de pierre. Sous sa garde 
sont, ainsi que je Tai dit^ les chariots qui 
portent leurs idoles. Les autres sont der- 
ridre la cour,aux places qui leur sont assi- 
gnees. Ces devins sont consultes des diverses 
parties du monde. Car quelques-uns d'en- 
tre eux sont verses dans I'astronomie, sur- 
tout leur chef, et ils predisent les eclipses 
du soleil et de la lune, et quand cela doit 
avoir lieu, toute la population leur fournit 
la nourriture, de sorte qu'ils ne doivent 
pas quitter leur maison. Et quand 1 eclipse 



— 248 — 

se fait, ils sonnent les cloches et frappent 
les tambours, en jetant de hauts cris; 
c'est alors un grand tapage. L'eclipse pas- 
see, ils se livrent i une joie demesuree et k 
des exces de boisson et de mangeaille. lis 
predisent les jours fastes et netastes pour 
toutes les circonstances de la vie. Aussi ne 
dcclare-t-on jamais la guerfe ni ne livre- 
t-on jamais bataille sans leur conseil, et il 
y a longtemps que les Tartares seraient re- 
tournes en Hongrie si leurs devins Ta- 
vaicnt permis Ceux-ci font passer au feu 
tout ce qui est envoye k la cour, et en ont 
pour cela une bonne part, lis purifient 
aussi par le feu tous les meubles delaisses 
par lesmorts. Lorsque quelqu*un meurt,on 
enleve tout ce qui lui a appartenu,et Ton ne 
permet a personne de la cour de toucher 
au moindre objet non puritie. C'est ce que 
j'ai observe a la cour de la princesse qui 
rendit le dernier soupir pendant que nous 
etions 1^, et c'est ce qui explique le double 
motif pour lequel on lit passer fr^re Andre 
et ses compagnons par le feu; d'abord 
parce qu'ils portaient des presents, ensuite 
parce que ces presents avaient appartenu a 
Ken-Khan, decede peu de temps aupara- 
vant. On n'en agit pas ainsi envers moi, 
parce que je ne portals rien. Si quelque 
animal ou quelque autre chose tombe k 
terre pendant la purification par le feu, 
cela devient la propriete des devins. 

Ces derniers ont aussi I'habitude de ras- 



— 249 — 

sembler, et de consacrer, le neuvieme jour 
de la lunaison de mai, routes les juments 
blanches du troupeau. Les pretres chrd- 
tiens doivent alors assister k cette ceremo- 
nie avec leur encensoir. lis repandent 
par terre leur cosmos nouvellement fait, 
et c*est grande fete ce jour-M, parce qu'ils 
disent qu'il« boivent pour la premiere 
fois du cosmos nouveau; comme cela se 
pratique chez nous en certains pays, k I'i- 
poque des vendanges le jour de la Saint- 
Barthelemy ou de la Saint-Sixte, et lors de 
la recolte des fruits , le jour de la Saint- 
Jacques et saint Christophe. Les devins 
sont encore appeles k la naissance d*un en- 
fant pour predire sa destinee et, lorsgue 
quelqu'un tombe malade, pout* juger si la 
maladie est naturelle ou le r^sultat d'un 
sort. 

La femme de Metz, dont je vous ai 
parle, m'a raconte k cet egard quelque 
chose de bien extraordinaire. 

Une fois, on avait fait present de four- 
rures trds-precieuses k la cour de sa mai- 
tresse. une chretienne, ainsi que je vous 
I'ai dej^ dit. Les devins les firent passer 
par le feu et en retinrent plus qu'il ne 
leur ^tait dO. Une femme, sous la garde 
de laquelle etait le tr^sor de cette dame, 
les en accusa devant elle, et celle - ci les 
en reprlmanda. Ensuite, il arriva que 
cette dame fut atteinte de maladie et souf- 
frit de douleurs subites par tous les mem- 

i6 




— - 25o — 

bres da corps. Les devins furent appel^, 
et se tenant assez ^oign^ ils ordonndrent 
k une des jeunes filles de poser la main 
sur le sidge de la souffrance et d enlever 
ce quelle trouverait. Alors, la jeune fille 
se leva, fit ce qu'on lui avait dit et trouva 
sous sa main un morceau de feutre ou 
quelque chose de semblable. lis lui ordon- 
ndrent de le mettre par terre, et i peine 
depos^, cette chose commen^a & ramper 
comme un animal vivant. On la mit dans 
Teau, elle devint comme une sangsue, et 
les devins dirent : « Madame, quelque 
« sort vous a ete jete et vous a blessee. » 
Et ils I'accus^rent, elle qui les avait ac- 
cuses, d^avoir derobe des fourrures. Con- 
duite hors du campement dans les 
champs, elle fut frappee k coups de bfttons 
pendant sept jours et on lui fit subir d'autces 
tourments pour lui arracher des aveux. Et 
pendant ces tortures la dame mourut, et 
sa servante, apprenant ce malheur, dit : 
« Je sais que ma maitresse est morte; 
« tuez-moi afin que je puisse laccompa- 
a gner, car je ne lui ai jamais fait de mai. » 
Et comme elle n'avouait rien, Mangou 
ordonna qu'elle v^cOt, et alors les devins 
accus^rent la nourrice de la fille de cette 
dame chretienne, et dont le mari etait un 
homme des plus honorables parmi les 
pretres nestoriens. Elle fut mende au sup- 
plice avec une de ses femmes pour faire 
I'aveu ; la servante avoua qti'elle avait ^le 



— 25l — 

envoyee par sa maitresse pour consulter un 
cheval. Celte femme reconnut qu*elleavait 
fait cela pour etre preferee par son maitre 
et en recevoir quelque bien-eire, rtiais 
mi'elle n'avait rien fait qui ptit lui nuire. 
On lui demanda si son mari avait eu con- 
naissance de ce fait. Elie Texcusa en di- 
sant qu'il avait brule les caract^res et les 
lettres qu'elle-meme avait faits. La nour- 
rice fut ensuite mise a mort, et Mangou 
envoya son mari, qui 6tait pretre, k son 
eveque, au Cathay, pour en etre jug^, quoi- 
qu'il ne ftit pas trouve coupable. 

Vers ce meme temps, il arriva que la 
premiere femme de Mangou-Khdn donna 
ie jour i un fils, et les devins furent appe- 
les pour predire la destinee de I'enfant; 
tous propnetis^rent un avenir fortune, 
disant qu'il vivrait longtemps et serait un 
grand prince. Peu de jours apr^s, cet en- 
fant etait mort. Alors, la mdre en furie aj)- 
pela les devins et leur dit : « Vous avez dit 
« que mon fils vivrait et le voil^ mort. » 
Ceux-ci lui repondirent : « Madame, nous 
« voyons la sorcidre, la nourrice de 
« Chirina, qui a ete tuee Tautre jour. 
« C'est elle qui a lue votre fils, et nous 
« avons vu quelle I'a emporte. » 

Or, la defunte avait laisse dans le cam- 
pement un fils et une fille dej^ adoles- 
cents, et la dame hors d elle les fit cher- 
cher et mettre k mort, le jeune fils par un 
homme, et la jeune fille par une femme, 



— 2D2 — 

pour se venger de la mort de son propre 
tils, que les devins av^ient dit avoir ete 
tue par leur m^re. Peu apres, le khdn fit 
un reve ; il reva de ces enfants, et de- 
manda ce qu'on en avait fait. Ses servi- 
teurs redoutaient de le lui dire, et lui, de 
plus en plus piqu^ par la curiosite, insista 
pour savoir oti ils etaient, parce que pen- 
dant la nuit ils lui avaient apparu en 
songe. Alors ils le lui dirent, et lui aussi- 
tot nt chercher son epouse et lui demanda 
pourquoi elle avait condamne une femme 
k mort ^ I'insu de son mari. II la fit en- 
fermer pendant sept jours dans une prison 
et defendit de lui donner la moindre nour- 
riture. II fit decapiter le Tartare qui avait 
tue le jeune horn me et suspendre sa lete 
au cou de la femme qui avait tue la jeune 
fille; ensuite il la fit battre avec des tisons 
ardents au milieu du camp, et enfin il or- 
donna qu'elle fut mise k mort. II aurait 
tue aussi sa femme s'il n'avait eu des en- 
fants d'elle ; mais elle quitta sa cour et n'y 
revint qu'apres une lunaison. 

Les devins troublent Fair par leurs in- 
cantations, et lorsque le froid est tres- in- 
tense, naturellement ils n'y peuvent rien ; 
ils en accusent alors quelques - uns du 
camp d'avoir provoque cette rigueur de la 
temperature et ceux-ci sont executes sans 
retard. 

Peu avant mon depart d'ici, une des 
concubines du khan etait malade et souf- 



— 2o:> 



frait beaucoup. Les devins prononc^rent 
quelques mots mysterieux sur une esclave 
d'origine teutonique, et celled s*endormit 
pendant trois jours. Lorsqu'elle se re- 
veilla, ils lui demand^rent ce qu'elle avait 
vu. Elle avait vu nombre de personnes; il 
leur parut qu'elles devaient bientdt mou- 
rir toutes, et parce qu'elle n'avait pas vu 
parmi elles leur maitresse, ils en conclu- 
rent qu'elle ne mourrait pas de cette ma- 
ladie. J'ai vu cette jeune fiUe, elle avait 
la tete encore tr^s-fatiguee de ce long 
sommeil. 

Quelques-uns de ces devins evoquent 
aussi les demons, lis reunissent, la nuit, 
dans leur maison ceux qui veulent avoir 
reponse du demon ; ils placent de la 
vlande cuite au milieu du cenacle , 
et le khan qui invoque commence par 
dire des paroles mysterieuses , et, tenant 
un tambourin a la main, le frappe for- 
tement contre terre. Enfin, il entre en 
furie et on le lie. Alors arrive le demon 
au milieu des ten^bres ; le khan lui donne 
cette viande a manger et lui dicte ses re- 
ponses. 

Une fois, ainsi que me Tapprit maitre 
Guillaume, un Hongrois se cacha dans la 
maison des devins^ et le demon qui se 
lenait sur le toit se plaignit de ce qu'il 
ne pouvait entrer, parce qu'il y avait 
un Chretien chez eux. A ce bruit, celui- 
ci se sauva parce qu'on commencait k 



— 254 — 

le rechercher. lis ont fait cela et beau 
coup d'autres choses , trop longues k rap- 
porter. 






FETE A CARACORUM 



Apartir du jour de la Pentecote, on se 
mit k rediger les lettres qui devaient 
vous etre adressees. Pendant ce temps, 
maitre Guillaume retourna k Caracorum 
el organisa une grande fete dans Toctave 
de la Pentecote (25 juin 1254), et voulut 
que tous les ambassadeurs fussent presents 
le dernier jour. II nous envoya chercher 
aussi, mais j'etais alle k Teglise baptiser 
trois enfants d'un pauvre Allemand, que 
nous avions rencontre dans cette ville. 

A cette fete, maitre Guillaume fut le 
principal echanson, parce qu'il avait fait 
1 arbre qui versait k boire, et pauvres et 
riches chantaient et dansaient et battaient 
des mains en presence du khan . Alors le 
khdn se mit k leur parler : « J'ai eloigne, » 
dit-il, « mes frdres de moi et les ai en- 
« voyds au milieu des dangers dans des 
« terres lointaines. On verra maintenant 
« ce que vous ferez, quand je voudrai 
« vous charger de la mission de travailler 
« a Taugmentation de notre puissance. » 



— 256 — 

Pendant les quatre jours de fete, il chan- 
geait chaque jour de vetements, et tous ces 
vetements, depuis les chaussures jusqu'^ 
la tiare, etaient de la meme couleur. J'y 
ai vu a cette ^poque un ambassadeur du 
calife de Bagdad, qui se faisait porter k 
la cpur sur une litidre entre deux mules, 
et Ton m'a dit qu'il avait fait la paix avec 
les Tartares, a la condition de leur four- 
nir dix mille chevaux en temps de guerre. 
D'autres disaient au contraire que Man- 
gou ne ferait pas la paix s'ils ne detrui- 
saient leurs fortercsses. L'ambassadeur lui 
aurait repondu : « Quand vous aurez 
« arrache tous les sabots des pieds de 
« vos chevaux, nous demolirons toutes 
« nos forteresses. » J'ai vu aussi des am- 
bassadeurs d'un soudan de Tlnde, qui 
avait amene avec eux huit leopards et dix 
levriers; on les avait dresses ^setenir sur la 
croupe des chevaux, comme se tiennent 
des leopards. Quand je m'enquis de ce 
pays de I'lnde, on me montra Toccident. 
Et ces ambassadeurs retourndrent avec 
moi durant environ trois semaines tou- 
jours vers I'occident. J'ai vu encore 1^ des 
ambassadeurs du sultan deTurquie ; ilsap- 
portaient des dons precieux, et ils nousdi- 
rentQ'eTai entendu de mes propresoreilles) 
que leur maitre ne manquait ni d'or ni 
d'argent, mais d'hommes ; d'oti je con- 
clus qu'il demandait du secours en cas de 
guerre. 



•o^^->^^-o€^^€^0'^^ ^^-o-^^-o-^^^-o-^^-o- 



LETTRES 
DE MANGOU-KHAN A SAINT LOUIS 



LE jour dc la Saint -Jean, le khan tint 
grande fete et je comptai cent et cinq 
chariots charges de lait de jument et qua- 
tre-vingt-dix chevaux ; il en fut de meme 
le jour des Apotres Pierre et Paul. Enfin 
les lettres qu'il vous destinait etant ache- 
vees, on me fit appeler et on me les in» 
terpreta. En voici la teneur, telle que j'ai 
pu la comprendre par la traduction de 
I'interprete : 

<c L ordre eternel de Dieu est celui-ci : 
« dans le ciei, il n y a qu'un Dieu eter- 
<c nel ; sur la terre, il n'est d'autre maitre 
« que Cinghis-Khan, fils de Dieu et de 
(c Demugin Cingei, c'est-£l-dire le son du 
a fer. » (On appelle Cinghis, son du fer, 
parce qu'il fut autrefois forgeron ; et, pour 
flatter son orgueil, on le nomme « fils de 
Dieu ».) « Ceci est la parole qui vous est 
(( rapportee. Qui que nous soyons, Moals, 



— 258 — 

« Naimans, Merkits ou Mustelemans, 
« partout oil des oreilles peuvenl entendre, 
<' partout ou un cheval peut marcher, 1^ 
't vous la ferez entendre et comprendre. 
»< D6s qu'on aura entendu et compris mes 
« ordres, et qu'on voudra les croire et ne 
« pas nous faire la guerre, vous entendrez 
« et vous verrez des hommes ayant des 
« yeux et ne voyant pas, et lorsqu*ils vou- 
«« dront tenir quelque chose, ils seront 
" sans mains : ceci est Tordre eternel de 
« Dieu. Par la vertu ^ternelle de Dieu, 
(( par le grand monde des Moais, Tordre 
<( de Mangou-Khan est transmis au chef 
« des Francs, le roi Louis, et k tous les 
w autres seigneurs, et aux pretres, et au 
« grand sidcle des Francs, de comprendre 
^c nos paroles. Et Tordre du Dieu eternel 
« est devenu Tordre de Cinghis-Khan, et 
<c depuis Cinghis-Khan ni depuis d'autres 
:< apr^s lui, cet ordre n*est pas parvenu 
« jusqu'^ vous. Un certain David est alle 
(( chez vous avec la pretendue qualite 
i< d'ambassadeur, mais il mentait, et vous 
" avez envoyd avec lui des ambassadeurs 
« a Kenkhan. Puis, Kenkhan mourut et 
« vos ambassadeurs parvinrent k sa cour. 
<^ Camus, sa femme, vous envoya des 
(c etoffes de Nassic et des lettres. Je ne di- 
ce rai pas comment cette femme, plus vile 
« qu'un chien, a pu savoir les choses de 
c( la guerre et de la paix, apaiser un grand 
« si^cle et faire le bien. (Mangou lui- 



— 250 — 

meme m'a dit de sa propre bouche que 
Camus etait la pire des sorci^res et que, 
par ses sortileges, elle avait fait perir 
toute sa parent^). » Les deux moines qui 
« vinrent de votre part trouver Sartach, 
« Sartach les a envoyes k B^tou, et Ba- 
cc tou k nous, parce que Mangou-Khan 
(( est le plus grand dans le monde des 
« Moals. Et raaintenant, afin que votre 
« peuple, vos pretres et vos moines vecus- 
(( sent tons en paix et se rejouissent dans 
« leurs biens de ce que le commandement 
« de Dieu est observe parmi vous, nous 
« voulions vous envoyer avec vos pretres 
(c des ambassadeurs moals ; mais ils nous 
(c ont repondu qu'entre nous et vous, il 
« est des pays qui sont en guerre et beau- 
« coup d'hommes mdchants, et que les 
« chemins sont difficiles. Ils crai^naient 
« done de ne pas pouvoir conduire jus- 
« qu'il vous nos ambassadeurs sains et 
c( saufs; mais ils nous ont propose de 
a leur confier nos lettres contenant nos 
a ordres, et nous ont offert de les trans- 
« mettre au roi Louis lui-meme. C'est 
« pourquoi nous avons envoye nos am- 
« bassadeurs avec eux. Nous vous en- 
« voyons done I'ordre ecrit du Dieu eter- 
« nel, par vos susdits pretres, I'ordre du 
« Dieu eternel que nous vous faisons 
« com prendre. Et lorsque vous I'aurez 
« recu et que vous y aurez cru, si vous 
<t voulez nous obeir, vous nous enverrez 



— 262 — 

On nous lit tenir trois vetements ou tu- 
niques, el Ton nous dit : « Vous ne voulez 
« accepter ni or ni argent, et vous restez 
« loujours ici a prier pour lekhan. Lui, 
« il vous prie d'accepter au moins un slm - 
a pie vetement pour chacun de vous, atin 
« que vous ne vous en alliez point les 
« mains vides. » 11 nous fallut recevoir ces 
objets par respect pour lui, parce qil'ils 
sont mal vus ceux qui reFusent les pre- 
sents des Tartares. lis nous avaient fait 
demander ce que nous voulions et nous 
repondions toujours la meme chose, k sa- 
voir que les Chretiens meprisaient ces ido- 
latres qui ne recherchent rien autre que 
des presents. Et ils nous repondaient que 
nous etions des fous , parce que si le khan 
voulait leur donner loute sa cour, ils Tac- 
cepteraient volontierset ils agiraient sage- 
ment. Nous recumes done les vetements ct 
ils nous demand^rent dedire une priere pour 
le khan; ce que nous firaes et avec sa per- 
mission nous partimes pour Caracorum. 

II arriva, un jour que nous etions loin 
de la cour avec le moine et d'autres am- 
bassadeurs, que le moine frappa ^ coups 
redoubles sur une table et si violemment, 

f[ue Mangou-Khan entendit ce bruit et s'in- 
orma de ce qu'il signiiiait. On le lui dit; 
il voulut savoir pourquoi le moine avait 
ete eloigne de la cour. On lui repondit : 
(( parce que c'etait difficile de lui amener 
tt chaque jour k la cour des chevaux et des 



— 263 — 

« boeufs.j) Onajoutaqu'ilvalait mieuxque 
te religieux fut ^ Caracorum. tout presl'e- 
glise pour y prier. Alors le khan envoya 
lui dire que s'il voulait rester a Caraco- 
rum aupr^s de I'eglise, il ne manquerait 
de rien. Mais le moine repondit : « Je suis 
cc venu ici de la Terre-Sainte par ordre de 
« Dieu, et j'ai abandonne une ville oil il 
cc y a mille eglises meilleures que celle de 
cc Caracorum. S'il veut que je reste ici et 
cc prie pour lui, selon Tordre de Dieu, je 
cc resterai; sinon, je m'en irai vers le pays 
cc d'ou je suis venu. » Alors, le soir 
meme, on lui amena des boeufs et on les 
attela aux chariots, et le matin il fut re- 
conduit a Tendroit oil il avait I'habitude 
d'etre devant la cour. 

Peu avant notre depart, etait venu un 
moine nestorien qui passait pour un 
homme sage. Bulgai, le secretaire d'Etat, 
le fit placer devant la cour, et le khan lui 
envoya ses enfants afin qu'il les benit. 



^j-V^c- 



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RE TOUR 



NOUS arrivanies done a Caracorum , et 
comme nous etions dans la maison 
de maitre Guillaume, mon guide vint m'ap- 
porter dix iaecots. II en mit cinq dans la 
main de maitre Guillaume et lui dit de 
les depenser de la part du khan pour les 
besoins du frere; les cinq autres, il les 
donna ^ I'homme de Dieu, mon inter- 
prete, lui ordonnant de les depenser en 
voyage pour mes n^cessites propres. Mai- 
tre Guillaume leur avait parle ainsi a notre 
insu. Je tis aussitot vendre un de ces 
iascots et en distribuer le produit aux 
Chretiens pauvres qui etaient 1^ et avaient, 
tous, les yeux sur nous; nous en depensa- 
mes un second en achetant pour nous ce 
dont nous avions besoin, un habit ou autres 
choses. Avec le troisi^me, Thomme de 
Dieu acheta divers objets qui lui etaient 
utiles. Quant aux autres iascots, nous les 
depensames en route, parce que depuis 
notre entree en Perse, on ne nous donnait 



— i>66 — 

rien de ce qui nous dtait necessaire, ni 
en Tartaric non plus, et nous trouvions 
rarement quelque chose ^ acheter. 

Maitre GuiUaume, autrefois votrc 
bourgeois, vous envoie une ceinture or- 
nee d'une pierre pr^ieuse ; on la porte ici 
contre la foudre et le tonncrre. 11 vous 
salue infiniment, priant toujours pour 
vous. Pour lui, je ne saurais assez rendre 
graces ^ Dieu et k vous. Nous avons bap- 
tise la en tout six ames; et nous nous 
sommes separes avec des larmes dans les 
yeux, mon compagnon demeurant avec 
maitre Guillaume, raoi m'en allant seul 
avec mon interpr^te, raon guide et un 
serviteur qui avait ordre de recevoir pour 
nous un mouton en quatre jours. I^ous 
vtnmes done en deux mois et dix jours 
chez Baton. 

Pendant ce temps, nous ne vimes ja- 
mais une ville ni vestige d'aucune de- 
meure, excepte toutefois quelques tom- 
beaux et un village oti nous ne trouvames 
pas de pain k manger. Dans Tespace 
de ces deux mois et dix jours, nous ne 
nous sommes reposes qu'un seul jour, 
parce que nous ne pouvions pas avoir des 
chevaux. Nous sommes revenus en grande 
partie par les pays que nous avions deja 
parcourus, et encore par d'autres. Nous 
sommes venus en hiver et retournes en 
ete par les contr&s montagneuses et eloi- 
gnees du Nord. Mais , durant quinze 



— 267 — 

longs jours, il nous a fallu suivre les 
sinuosites d'un fleuve au milieu de monta- 
gnes oti nous ne vimes pas d 'herbage, si ce 
n'est sur les rives du fleuve. Quelquefois 
nous courQmes de grands dangers, ne 
voyant ame qui vive, manquant de vivres 
et ayant des chevaux fatigues. 

Apr^s avoir chevauche vingt jours, j'eus 
des nouvelles du roi d'Armenie. A la fin 
d'aout, il etait alle au devant de Sartach, 
qui se rendait chez Mangou-Khan avec ses 
iroupeaux de boeufs et de moutons, ses 
femmes et ses enfants. Quant a ses grandes 
maisons, elles dtaient restees entre I'Etilia 
ou le Volga et le Tanais. Je le saluai en 
disant que j'aurais demeure volontiers 
dans ses terres, mais que Mangou-Khan a 
voulu que je m'en retournasse et empor- 
tasse ses lettres. 11 se contenta de me 
repondre qu'il fallail executer la volonte 
de Mangou-Khan. Je m'informai de raes 
gens aupr^s de Coiac. lime repondit qu'ils 
etaient k la cour de Baton et tres-recom- 
mandes. Je reclamai ensuite nosornemcnls 
sacerdotaux et nos livres et il me dit : 
(( Vous ne les avez pas portes k Sartach. » 
— Je repris : « Je les ai portes k Sartach^ 
« mais je ne les lui ai pas donnes, comm.e 
vous savez .» Et je repetai ce que je lui 
avais dit quand il me pria de les donner d 
Sartach lui-meme. II me repondit : « Vous 
« dites vrai, et personne ne pent resister 
<f a la verite. J'ai depose moi-meme toutes 



— 268 — 

« vos affaires chez mon p6re qui reside S 
« Sarai , une ville neuve que Batou a 
a fait batir sur le Volga. Mais nos pretres 
« ont ici avec eux <juelques-uns de vos 
« ornements. » Je iui repondis : « S'il est 
<( Queique ornement qui vous plaise, gar- 
« dez-Ie, et rendez-moi seulement mes 
« iivres. » 11 me dit alors qu'il rapporte- 
rait mes paroles k Sartach lui-m^me. — 
« II faut, )> Iui dis-je, « que j'aie des let- 
« tres de vous k votre p^re, afin qu'ii me 
« rende tout ce qui m'appartient. » Or, 
on etait sur le point de partir et il me dit : 
« La cour des dames nous suit ici de prds ; 
« vous descendrez Ik et je vous enverrai 
cc par cet homme la reponse de Sartach. » 
Je craignais qu'il ne me trompat ; cepen- 
dant je nepouvais lutter avec Iui. Le soir, 
vint k moi cet homme qu'il m'avait mon- 
tre, m'apportant deux tuniques que je 
croyais etre une pidce de soie enti^re et 
non entamee, et il me dit : « Voici deux 
« tuniques; Sartach vous en donne une, 
« et I'autre, si vous le jugez convenable, 
« vous la remettrez de sa part au roi. » 
Je Iui repondis : « Moi, je ne me sers point 
« de tels vetements; je remettrai les deux 
« tuniques au roi comme hommage de votre 
« maitre. » — « Non, » me dit-il, « faites- 
<( en ce que bon vous semblera. » Or, il 
me plait de vous envoyer les deux tuniques 
et je vous les envoie par le porteur des 
presentes. II me donna aussi des lettres 



— 269 — 

pour son pere Coiac, afin qu'il me rendit 
tout ce qui etait k moi, parce qu'il n'avait 
besoin de rien qui m'appartint. 



(. ) 



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1 



©^•©^5(S;5§©^^'g;^:^^5gN^(^^y,-^ 



NOUVELLE VISITE A BATOU 



J'arrivai k la cour de Batou le meme jour 
que je I'avais quittee I'annee derni^re , 
c'est-£l-dire le deuxi^me apr^s TExaltation 
de la sainte Croix (14 septembre), et tout 
joyeux je retrouvai mes gens bien por- 
tants, quoiqu'ils eussent souffert des pri- 
vations sans nombre , ainsi que je I'appris 
de Cosset. Si ce n'eut ete du roi d*Arme- 
nie qui leur a procure des consolations et 
les a recommandes ^ Sartach, lis seraient 
perdus ; d'autant plus qu'ils croyaient que 
)e n'existais plus. Dej^ les Tartares leur 
avaient demande s'ils savaient garder les 
boeufs et traire les juments, car si je n'e- 
tais revenu , ils auraient ete reduits en ser- 
vitude. 

Apr^s cela, je fus appele devant Batou 
et il fit traduire pour moi les lettres que 
vous envoie Mangou-Khan. Car Mangou 
lui avait ecrit qu'il pouvait yajouter, chan- 
ger ou retrancher ce qui lui convenait. 
Alors il me dit : « Vous porlerez ces let- 



— 272 — 

« tres et les ferez comprendre. » 11 me de- 
manda aussi par quelle voie je voulais 
voyager, par mer ou par terre. Je lui re- 
pondis que la mer etait dqk fermee ^ cause 
deThiver ; il me fallait done m'en aller par 
terre. Or, je croyais que vous etiez encore 
en Syrie, et je me dirigeai vers la Perse. 
Mais si j'avais su que vous etiez dej^ parti 
pour la France, je serais alle par la Hon- 
grie et arrive plus t6t en France, en sui- 
vant des chemms moins penibles que par 
la Syrie. 

Nous voyageames done tout un mois 
avec Baton avant d'avoir un guide. Enfin 
on nous procura un lougoure qui, pen- 
sant c]ue je ne lui donnerais rien, quoique 
je lui eusse dit que je voulais aller tout 
droit en Armenie, se fit remettre des lettres 
qui lui enjoignissent de me conduire au 
sultan de Turquie, esperant recevoir de 
lui une recompense et gagner davantage 
en passant par cette contree. 




jTJf.li".^ 'VAjrT^ttli I, 






SARA ET SAMARKAND 



QuiNZE jours avant la Toussaint, je me 
mis en route pour Sarai 6^, me diri- 



r. 



geant droit vers le midi en descendant le 
Volga, qui se divise dans son cours en trois 
grands bras, dont chacun est deux fois 
lus large que le Nil ^ Damiette. Plus loin, 
e fleuve forme quatre bras de moindre 
largeur, de sorte que nous le travers^- 
mes en sept endroits par bateau. Sur le 
bras du milieu est la ville ouverte qu'on 
appelle Summerkeur ^7 et qui est entou- 
ree d'eau lorsque le fleuve deborde. Les 
Tartares Tassieg^rent pendant huit ans 
avant de pouvoir s'en emparer. Elle etait 
habitee par des Alains et des Sarrazins. 
Nous y trouvames un Teuton avec sa 
femme, un fort brave homme, chez qui de- 
meurait Gosset ; car Sartach I'avait envoye 
la pour en decharger sacour.Vers la Noel, 
Baton et Sartach se trouvent dans ces pa- 
rages : I'un, d'un c6te du fleuve, et Tautre, 



— 274 - 

de Taulre. On ne le passe que lorsqu'ilest 
pris par les places. 11 y a 1^ quantite d'her- 
bes, et les 1 artares se cachent dans les ro- 
seaux jusqu'^ la fontc des glaces. 

Apr^s la reception des lettres de Sar- 
tach, Coiac, le p^re, me rendit mes orne- 
ments, excepte trois aubes, un amict brode 
de soie , une etole , une ceinture , une 
tauaiole brodee d'or et un surplis. II me 
rendit aussi mes vases d'argent, ^ Texcep- 
tion d'un encensoir, et le vase qui con- 
tenait le saint - chreme , parce que ces 
objets avaient ^te emportes par les pre- 
tres qui etaient avec Sartach. Enfin, il me 
rendit encore mes livres, excepte le Psau- 
tier de la Reine qu'il retint avec ma per- 
mission; je n'ai pas pu le lui refuser, 
parce qu'il disait qu'il avait plu beaucoup 
k Sartach. II me ciemanda, dans le cas oti 
je reviendrais dans ces contrees, d'amener 
avec moi un homme sachant faire du par- 
chemin ; car il faisait construire, par ordre 
de Sartach, sur la rive occidentale du 
fleuve, une grande eglise et un nouveau 
manoir, et il disait qu'il voulait taire des 
livres k I'usage de Sartach. Cependant je 
sais que Sartach ne s'occupe pas de ces 
choses. 

Sarai et le palais de Batou sont situes 
sur la rive orientate du fleuve, et la vallee 
par oil coulent les eaux de ses divers bras a 
une largeur de plus de sept lieues, et il y a 
1^ abondance de poissons. Une bible en 



— : 275 — 

vers, un livre en arabe, de la valeur de 
trente besans , et plusieurs autres objets , 
tout cela fut perdu pour moi. 




rt 



:^@r)csx:^c^)C^c^)@x^xsxs)^sx^ 



LK PAYS DES ALAINS 



PRENANT ainsi conge de lui le jour de la 
Toussaint , et nous dirigeanl tou- 
jours vers le midi, nous atteignimes k la 
Saint-Martin aux montagnes des Alains. 
Pendant quinze jours, entre le camp de 
Baton et Sarai, nous ne rencontrames 
personne, si ce n'est un des fils de Baton 
qui le precedait avec ses faucons et ses 
nombreux fauconniers, et nous ne vimes 
qu'un pauvre petit village. Dans cet espace 
de temps ecoule depuis la Toussaint et 
sans rencontrer ame qui vive, nous couru- 
mes grand danger pendant un jour et une 
nuit jusqu'au lendemain k tierce, parce 
que nous etions privesd'eau. 

Les Alains de ces montagnes n'obeissent 
pas encore aux Tartares, de sorte qu'il fal- 
lait que, sur dix hommes de Sartach, deux 
fussent obliges d'en garder les gorges pour 
empecher ces montagnards d'enlever leurs 
bestiaux dans la plaine qui s'etend entre 
eux , les Alains et la Porte de Fer, et 



— 278 — 

dont la superficie a deux journdes de mar- 
che. L^ commence la plaine d*Arcax. 
Entre la mer et ces monts, il y a quel- 

aues Sarrazins, nommes Lesges, qui sont 
es montagnards independants des Tar- 
tares; de sorte que ceux-ci, qui sont au 
pied des monts des Alains , ont dd me 
donner vingt hommes pour nous conduire 
jusqu'^ la Porte de Fer. J 'en fus bien 
aise, parce que j'esperais les voir armds; 
car, malgre tout mon desir, je n'ai jamais 
pu voir leurs amies. 



^ 



? 



-^^^.^A^^(^4^&^--'^^ 



PORTE DE PER 



L 



ORSQUE nous fumes arrives au passage 
le plus dangereux , deux de ces vingt 
hommes avaient des haubergeons. Leur 
ayant demande d'oti ils les avaient eus, ils 
me dirent qu'ils les avaient pris sur les 
Alains qui sont de bons fabricants de ces 
objets et excellent k les forger. Je conclus 
de 1^ que les Tartares n'ont d'autres armes 
que des fldches, des arcs et des hoquetons. 
J*en ai vu couverts de lames de ter et de 
casques de fer de Perse, et j'en ai vu aussi 
deux qui s*etaient presenles ^ Mangou ve- 
tus de tuniques de cuir tr^s-dur, tres in- 
commodes et mal portees. 

Avant d'arriver k la Porte de Fer, nous 
vimes un chateau des Alains qui etait a 
Mangou-Khdn , car il a soumis tout ce 
pays-1^. Nous y trouvdmes d abord des 
vignes et bdmes du vin. Le jour sui- 
vant, nous entr^mes dans la Porte de 
Fer que fit construire Alexandre de Mace- 
doine, C'est une ville dont I'extrdmitc 



— 28o — 

orientale est sur le rivage de la mer. Entre 
la mer et les montagnes se trouve une pe- 
tite plaine par oti s'dtend la ville jusqu au 
sommet du mont qui la domine k I'occi- 
dent. 11 faut done de toute necessite tra- 
verser la ville en passant par une porte de 
fer qui est au milieu, parce que d'un cote 
il y a des monts inaccessibles, et de Tautre, 
la mer. De l^, le nom de « Porte de Fer » 
donne k cette ville, qui a plus d*un mille 
en longueur et, au sommet de la montagne, 
un chateau-fort; sa largeurest du jet d'une 
grande pierre. D*epaisses murailles sans 
tosses I'entourent, et ses tours sont b^ties 
de pierres enormes et polies ; mais les Tar- 
tares ont detruit les sommeis des tours et 
les contre-escarpes des murailles, en rasant 
les tours ^ la hauteur du mur. Autour de 
cette ville, le pays ressemblait autrefois a 
un paradis. 

A deux journees de 1^, nous vimes une 
autre ville, nommee Samaron ^8^ oti il y 
avait beaucoup de Juifs, et en la traver- 
sant nous apercumes ses murailles qui 
descendent de la montagne jusqu'a la 
mer. Nous quittames le, chemin qui les 
traverse et se dirige k Test vers la mer, et 
nous fimes I'ascension des montagnes vers 
le midi. 

Le lendemain, nous passames par une 
vallee, oti apparaissaient des vestiges 
de murailles qui allaient d'un mont k 
1 autre, et nul chemin ne menait k leur 



— 28r — 

sommet. Cetaient d'anciens remparts ele- 
ves du temps d'Alexandre pour arreter 
les populations feroces, c*est-^-dire les 
patres du desert, et les empecher d'entrer 
dans les villes et les terres culiivees. 11 
y a d*autres lieux fermes oti demeurent des 
Juifs; mais je ne puis vous en dire rien 
de certain, quoiqu'il y ait beaucoup de 
Juifs par toutes les villes de la Perse. 

Le jour suivant, nous entrdmes dans 
une grande ville nommee Samag ^9, et 
apres elle, le lendemain, dans une tres- 
grande plaine qu'on appelle Moan et 
qu'arrose le Cur 7°. Ce fleuve a donne 
son nom aux Curges que nous nommons 
Georgiens. II passe au milieu de Ti- 
flis 7», capitale des Georgiens, descend 
tout droit d'occident en orient vers la 
mer Caspienne, et nourrit d'excellents 
saumons. Nous trouvames encore des 
Tartares dans la plaine traversee par 
I'Araxe 72 qui descend tout droit de la 
grande Armenie entre le midi et I'occi- 
dent, et d'oti elle a pris le nom de terre 
d' Ararat, qui est 1' Armenie elle-meme 7^. 
C'est pourquoi il est dit, dans le livre 
des Rois, des fils de Senacherib, qu'apres 
avoir tue leur p^re ils s*enfuirent au pays 
des Armeniens et, dans Isa'ie, qu'ils s'en- 
fuirent dans la terre d'Ararat. 

A Touest de cette magnifique plaine 
est la Curgie (Georgie), ou avaient ete 
autrefois les Corasmins 74. Au pied des 



— 282 — 

montagnes, se trouve une grande ville 
nomme Gange 7^^ Tancienne capitale des 
Corasmins; elle empeche les Georgiens 
de descendre dans la plaine. 

Nous arrivames ensiiite A un pont de 
bateaux, que retenait une grande chaine 
de fer tendue en travers du fleuve, oti se 
jettent ^ la fois le Tur ou le Cur et I'A- 
raxe. Mais I'Araxe perd I^ son nom. 



^\^^yc 






6V^v3<S6^ j^BG/'J^G^JOG^v.VSG^^c G^y^Co) 



RUBROUCK QJUITTE VASIE 



N 



ous continudmes de monter le long 
de I'Araxe, dont le poete a dit : 

Pontem dcdignatur Araxes. 

(Eneid., 8.; 
(L*Araxe dedaigne les ponts). 

et nous laissames la Perse k notre gauche 
vers le midi, les monts Caspiens et la 
grande Georgie k notre droite vers I'ouest, 
en gagnant TAfrique entre le midi et 
Touesl. Nous traversdmes le campement 
de Batou, chef de I'armee, qui est J^ sur 
les bords de TAraxe, et qui s'est rendu 
maitresse des Georgiens, des Turcs et des 
Perses. 

II y a i Tauris 7^, en Perse, un autre 
prince charge du recouvrement des tributs 
et nomme Argon. Mangou-Kan les a 
rappeles tous les deux afin qu'ils c^dassent 
la place k son frdre qui venait dans ce 
pays. Or, ce pays que je vous ai decrit 



— 284 — 

n'est pas proprement la Perse: on Tappelle 
ordinairement I'Hyrcanie. Je fus trouver 
Batou dans son logement et il nous donna 
k boire du vin. Mais lui se mit k boire du 
cosmos, que j'aurais bu moi-meme de 
preference, s'il m*en avait offert. Toute- 
tois le vin etait bon, quoique nouveau, 
mais le cosmos exit ete preferable pour 
un homme altere et affame. 

Nous montames done le long de I'Araxe 
depuis la fete de saint Clement jusqu'au 
second dimanche du careme (mars i255), 
avant d'arriver k la source du fleuve. 
Au-del^ de la montagne 011 elle se trouve, 
est une bonne ville nommee Arseroum 77. 
qui appartient au sultan de Turquie, et 
pres de laquelle est la source de TEu- 
phrate, vers le nord, au pied des mon-/ 
tagnes de la Georgie. J'aurais ete la voir, 
mais il y avait tant de neige que per- 
sonne ne pouvait sorlir du sentier battu. 
De I'autre c6te des monts du Caucase, 
vers le midi, est la' source du Tigre 78. 

Quand nous quittames Batou, mon 
guide alia k Tauris pour parler k Ar- 
gon et emmena avec lui mon interprete. 
Mais Batou me fit conduire jusqua une 
ville appelee Naxua 79, qui a dte jadis la 
capitale d'un grand royaume, tr^s-grande 
et tres- belle ville. Les Tartares I'ont enti^- 
rement ruinee. II s'y trouvait huit cents 
eglises d'Armeniens; les Sarrazins ont 
detruit les autres et il n'y en a plus que 



— 285 — 

deux tres-petites. Je celebrai, dans Tune 
<l*elles, la Noel le mieux que je pus avec 
notre clerc. Le lendemain, le pretre qui 
desservait cette eglise mourut, et un 
eveque vint I'enterrer avec douze moines 
des montagnes; car tous les.eveques ar- 
meniens sont moines et grecs pour une 
grande partie. Get eveque me raconta 
que pr^s de 1^ etait une eglise, dans la- 
quelle avaient ete martyrises saint Barth^- 
lemy et aussi le bienheureux Judas Ta- 
dee; mais on ne pouvait y aller k cause 
des neiges. II me dit aussi que ses co- 
religionnaires ont deux propb^tes : le pre- 
mier est Methodius, martyr, qui etait de 
leur race et avait predit tout ce qui ar- 
riverait aux Ismaelites, prediction qui 
s'est accomplie dans la race des bar- 
razins. L'autre proph^te se nomme 
Acacron, qui, k sa mort, prophetisa que 
les Scythes sortiraient du Nord et sou- 
mettraient tous les pays de I'Orient, mais 
que Dieu ^pargnerait le royaume d'Orient 
pour leur livrer celui de 1 Occident. (Nos 
freres, les Francs, en bons catholiques, 
n'ajouteront pas foi k ces propheties.) 
lis conquerront les pays du nord au midi, 
viendront jusqu'^ Constantinople et en 
occuperont le port; un d'eux, qui sera 
surnomme le Sage, entrera dans la ville 
et , voyant les eglises et la liturgie de 
France, se fera baptiser et indiquera aux 
Francs les moyens d'aneantir les Tar- 

i8 



— 286 — 

tares et de tuer leur souverain. A cette 
merveille, Jes Francs qui seront au cen- 
tre du monde, c'est-a-dire a Jerusalem, 
se jetteront sar les Tartares qui seront 
sur leurs fronti^res; et avec I'aide de 
notre nation, c'est-£l-dire des Armeniens, 
ils les poursuivront, de sorte que le roi 
des Francs plantera son drapeau sur 
les murs de T auris en Perse, et alors se 
convertiront ^ la foi chretienne tous 
les Orientaux et toutes les nations in- 
credules, et dans le monde il y aura une 
paix si grande, que les vivants diront 
aux morts : « Malheur k vous, 6 infor- 
<( tun^s ! parce que vous n'avez pas vecu 
« jusqu'a ces temps! » 

J'avais d^j^ lu k Constantinople cette 
prophetie que les Armeniens de cette ville 
y avaient apportee, et je ne m'y etais pas 
arrete. Mais lorsquecet evequem'en parla, 
je m'en ressouvins et men preoccupai 
davantage. Dans toute I'Armenie, cette 
prophetie est crue comme Evangile. L'eve- 
que ajouta : « Comme les ames aux limbes 
« attendaient la venue du Christ pour en 
« etre delivrees, ainsi nous attendons 
« votre arrivee pour etre delivres de cette 
« servitude dans laquelle nous languissons 
a depuis si longtemps. » 

Aupres de cette ville de Naxua sont les 
monts sur lesquels on dit que se reposa 
TarchedeNoe; il y en a deux, Tun plus 
eleve que I'autre ; I'Araxe coule ^ leur 



— 287 — . 

pied, etil y a l^ une ville nommee Cema- 
vium 80. (Je nom qui signifie « huit, » lui 
a ete donne parce qu'elle fut bdtie sur la 
plus haute montagne par les huit person- 
nes qui sortirent de Tarche. Beaucoup de 
voyageurs ont tente de faire Tascension de 
cetle montagne, mais sans reussir. Get 
ev^que me dit encore qu'un moine avait 
eu un si violent ddsir de faire cette ascen- 
sion, qu'un ange lui apporta du bois de 
Tarche, en Jui disant de ne plus se tour- 
menter. Ce bois est conserve dans 1 eglise 
du convent, ainsi qu'on me I'a affirme. 

Cette montagne n'est pas si haute qu'elle 
le parail. La raison pour laquelle person ne 
ne pent en faire Tascension m'a et^ assez 
bien expliqude par un vieillard. Le nom 
de cetle montagne est Massis^ et dans la 
langue tartare il est du genre feminin. 
« Sur la Massis, » dit-il, « personne ne 
« pent monter, parce qu'elle est la mdre 
« du monde. » 

Dans cetle meme ville de Naxua, je ren- 
contrai fr^re Bernard Cathalan, de I'ordre 
des fr^res precheurs ; il avait demeure en 
Georgie avec un prieur du Saint-Sepulcre, 
qui est 1^ proprietaire d'un grand domaine. 
II avait appns tant soit peu le tartare et 
il allait avec un frdre de Hongrie k Tauris 
trouver Argon, pour lui demander la per- 
mission de se rendre aupr^s de Sartach. 
Arrives dans cette derni^re ville, ils ne pu- 
rent obtenir audience et le frere hongrois 



— 288 — 

retourna par Tiflis avec un domestique. 
Quant ^ frdre Bernard, il resta k Tauris 
avec un fr^re lai allemand, dont il ne 
comprenait pas la langue. 

Nous quittames Naxua dans I'octave de 
TEpiphanie, car nous avons du nous at- 
tarder longlemps k cause des neiges. Qua- 
tre jours aprds, nous parvinmes au pays 
de Sahensa, un Georgien tr^s-puissant 
autrefois, mais tributaire aujourd hui des 
Tartares qui detruisirent toutes ses forte- 
resses. Son p6re, nomme Zacharie, avait 
re^u ce pays des Armeniens en les arra- 
chant au joug des Sarrazins. II y a 1^ de 
tr6s-belles habitations de vrais Chretiens, 
qui ont des eglises comme il y en a en 
France. Chaque Armenien a, dans I'endroit 
le plus apparent de sa maison, une main 
de bois tenant une croix devant laquelle 
brule une lampe, et ce que nous faisons 
avec de feau benite pour chasser le mau- 
vais esprit, il le fait avec de I'encens. Car, 
tous les soirs, les Armeniens allument de 
i'encens et le portent aux angles.de la mai- 
son pour la preserver de toutes sortes 
d'ennemis. 

Je dinai avec Sahensa, et il me fit beau- 
coup d'amities, lui, sa femme et son fils 
Zacharie, un beau et excellent jeune 
homme, qui me pria, s'il se rendait aupres 
de vous, de vous le recommander afin que 
vous voulussiez bien le prendre k votre 
service. Car ce garcon souffre tellement de 



- 289 - 

la domination des Tartares que, quoiqu*il 
eut aboiidance de toutes choses, 11 aimerait 
mieux cependant errer sur la terre dtran- 
gere que se courber sous leur joug. En 
outre, les Armeniens disaient (lu'ils sont 
fils de TEglise romaine, et si le Pape leur 
envoyait quelques secours, lis soumet- 
traient k TEglise toutes les nations voisines. 
Quinze jours aprds avoir quitte la ville 
de ce Sahensa, nous touchdmes au pays 
du sultan de Turquie, le dimanche de 
careme, et le premier chateau fort que 
nous apercQmes-fut Marsengan ^i. Tous 
les habitants en etaient Chretiens : Arme- 
niens, Georgiens et Grecs; mais ils sont 
tous soumis aux Sarrazins. L^ le gouver- 
neur ou le chatelain me dit qu'il avait 
recu Tordre de refuser des vivres aux 
Francs et aux ambassadeurs du roi d'Ar- 
menie et de Vastace ; de sorte (jue depuis 
ce chateau, ou nous nous trouvions le di- 
manche de careme, jusqu'^ Chypre oti 
j'abordai huit jours avant la Saint-Jean, il 
nous fallut acheter nos aliments. Mon 
guide me fit avoir des chevaux ; il rece- 
vait de I'argent pour nous procurer des 
vivres et le mettait bel et bien dans sa po- * 
che. Quand il arrivait k quelque campe- 
ment, voyant un troupeau, il en enlevait 
un mouton par force et le donnait k man- 
ger k sa famille, et il s'etonnait de ce que 
je ne voulusse pas manger du produit de 
son vol. 



— 290 — 

Le jour de la Purification, je me trou- 
vai dans une ville nomm^ Aini ^2^ dans 
le domaine de Sahensa, dont la position 
est trds-fortifide. II y a 1^ mille eglises des 
Armeniens et deux synagogues de Sarra- 
zins. Les Tartares jr ont un bailli. lA 
vinrent me trouver cinq frdres precheurs, 
dont quatre etaient de la province de 
France et le cinqui^me s etait joint k eux 
en Syrie. lis navaient avec eux qu'un 
domestique malade qui savait le turc et un 
peu de fran^ais. lis etaient porteurs de let- 
tres du Pape pour Sartach, pour Mangou- 
Khdn et pour Buri, leltres sembiables k 
celles que vous m'avez donnees et par les- 
quelles il leur demandait de permettre £t 
ses moines de s'arreter dans leurs terres 
et d'y precher la parole de Dieu. Lorsque 
je leur eus raconte tout ce que j'avais vu 
et comment j 'avals ete renvoye, ils se diri- 
gerent du cote de Tiflis, oti ils ont des 
tr^res, pour les consulter sur ce qu'ils 
auraient k faire. Je leur dis c^u'avec ces 
lettres ils iraient oti ils voudraient, mais 
qu'ils auraient k se pourvoir de patience; 
je leur recommandai de bien se penetrer 
du but de leur voyage, parce que s'ils n*a- 
vaient pas d'autre mission que celle de 
precher, les Tartares n'auraient pas egard 
k eux, surtout s'ils n'avaient pas d'inter- 

f)rete. Ce qu'il advint k ces religieux, je 
'ignore. 
Nous atteignimes, le deuxidme diman- 



— 291 — 

che du careme la source de TAraxe, et, 
apres avoir franchi le sommet de la mon- 
tagne, nous parvinmes k I'Euphrate ^3 que 
nous descendimes en gagnant I'ouest jus- 
qu'^ un chateau appele Camalh ^4. La 
1 Euphrate coule au midi vers Alep ^^. 
Nous traversames le fleuve, en nous diri- 
geant vers Touest par de hautes monta- 
gnes couvertes de neige tres-epaisse. II 
y avait eu 1^, cette annee, un iremble- 
ment de terre si ^pouvantable que, dans 
la seule ville d'Arsengan, il perit dix mille 
personnes de distinction, sans compter les 
pauvres dont on ignorait les noms. Du- 
rant trois jours, tout en chevauchant, 
nous vimes combien le sol s'etait crevasse 
dans cette terrible commotion et comment 
les monceaux de terre qui s'etaient deta- 
ches des montagnes avaient comble les 
vallees; k tel point que, si le tremblement 
avait ete un peu plus fort, elle se serait ac- 
compile a la lettre, cette parole d'Isa'ie : 
« Toute vallee sera remplie, et toutes les 
« montagnes et les coUines seront abais- 
(( sees » (ch- 40). 

Nous passames par la vallee oti le sul- 
tan de Turquie fut vaincu par les Tarta- 
res. Vous dire comment il le fut, serait 
trop long. Mais un ami de mon guide, qui 
etait alors dans Tarmee tartare, a dit que 
celle-ci netait que de dix mille hommes 
en tout, et un Georgien, prisonnier du 
sultan, a dit que celui-ci avait avec lui 



— 292 — 

deux cent mille hommes, tons cavaliers. 
Cette plaine oti eut lieu la bataille, ou 
plutot cette defaite, fut changee en grand 
lac par un tremblement de terre, et mon 
coeur me disait que toute cette plaine s'e- 
tait ouverte pour recevoir le sang des Sar- 
razins. 

A Sebaste de I'Arm^nie mineure ^^^ 
nous arrivames dans la grande semaine. 
Nous y visit^mes la sepulture des qua- 
rante martyrs. II y a la aussi une eglise de 
saint Blaise, mais je ne pus my rendre 
parce qu'elle ^tait tout en haut dans une 
torteresse. Dans Toctave de Paques, nous 
vinmes k Cesaree de Cappadoce, oti 11 
y a une eglise de saint Basile le Grand. 

Quinze jours apr^s, nous entrames dans 
Iconium 87; -nous avions voyage ^ petites 
journees et nous nous etions reposes en 
beaucoup d'endroits parce que nous ne 
pouvions pas avoir toujours des chevaux. 
Mon guide agissait ainsi par calcul, se 
faisant payer tous les trois jours dans cha- 
que ville oti nous nous arreiions. J*en fus 
tr^s-afflige et n'osai me plaindre, parce 
qu'il pouvait me vendre, mescompagnons 
et moi, ou nous tuer, et il n'y aurait eu 
personne pour s'y opposer. 

Je trouvai k Iconium plusieurs Fran- 
cais, un marchand genois d'Acre, nomme 
Nicolas de Saint-Cyr, et un de ses compa- 
gnons de Venise, nomme Boniface de Mo- 
lendino, qui avaient emporte tout I'alun 



— 29^ — 

de Turquie, de sorte que le sultan ne put 
vendre quoi que ce till h personne, si ce 
n'est k eux deux; et eux en augment^rent 
tellement le prix, que ce qui valait quinze 
besans, fut vendu cinquante. 

Mon guide me presenta au sultan et le 
sultan me dit qu'il me fera tr^s-volontiers 
conduire jusqu'^ la mer d'Arm^nie pu de 
Cilie 88. Alors, le marchand genois dont 
j'ai parle^ sachant que les Sarrazins avaient 
peu de soin de moi et que j'etais tr^s-fati- 
gue de mon guide, qui m'ennuyait chaque 
jOur de ses reclamations et de ses exigen- 
ces, me fit accompagner jusqu'^ Court, 
port du roi d'Armenie. J'y arrival la veille 
de I'Ascension-et m'y reposai jusqu 'au len- 
demain de la Pentecote. J'appris alors que 
des ambassadeurs avaient ete,envoyes par 
le roi ^ son p6re. Je fis transporter par jner 
nos bagages k Acre, et moi je me rendis 
aussitot aupr^s du pdre du roi, pour sa- 
voir s'il avait recu quelque nouvelle de 
son fils. Je le trouvai k Asi avec tons ses 
enfants, excepte un, nomme Barusin, qui 
faisait construire un chateau-fort. 11 avait 
recu des ambassadeurs de son fils, qui lui 
avaient annonce qu'il retournait et que 
Mangou-Kh^n avait singuli^rement dimi- 
nue le tribut qu'il lui devait, et avait ac- 
corde le privilege de ne plus lui envoyer 
aucun ambassadeur. Sur ce, le royal 
vieillard, avec tous ses enfants et tout son 
peuple, celebra une grande fete. 



jjjoi, i^ ^^^ fi^ accompagner 
Qiiff^^. jfjer^^ ^^ port qu'on appelle 
fusq^'l.deli, /e fus k Chypre et trouvai 
^'''Lgjemon ministre ou provincial, qui 
' ^mt^cna ie m^me Jour ^ Antioche. L'e- 
^t^de ctttt ville est deplorable. Nous y 
Zss^tties la fete des ap6tres Pierre et 
^ui. De 1^, nous vinmes a Tripoli 90 oti 
ge tint un chapitre de notre Ordre, le jour 
de TAssomption de la sainte Vierge. Mon 
provincial decida que je choisirais le cou- 
vent d'Acre, ne me permettant pas de 
venir vous trouver et m'ordonnant de 
vous &rire ce que je voudrais par le por- 
teur des pr^sentes. Or, moi, n osant rien 
faire contre I'ob^dience, j'ai fait comme 
j*ai pu et je vous ai ecrit, demandant par- 
don k votre incomparable mansuetude, et 
de ce que j'aurais pu dire d*inconvenant, 
de trop ou pas assez, etant peu lettre et 
DuUement habitue k ecrire ae si longues 
histoires. Que la paix de Dieu qui sur- 
passe toute intelligence, garde votre eoeur 
et voire esprit. Je vous aurais vu volon- 
tiers et quelques amis particuliers que j'ai 
dans votre royaume. C'est pourquoi, si 
Votre Majeste n'y trouvait aucun incon- 
venient, j'oserais vous supplier d*ecrire k 
mon provincial de me laisser venir aupr^ 
de vous, k la condition de retourner sans 
retard en Terre- Sainte. 

(P. S.) De la Turquie, vous saurez que 
la dixieme partie des habitants n'est pas 



— 295 — 

sarrazine ; presque tous sont Armeniens 
et Grecs. Ce pays est gouverne par des en- 
ianjLs. Le sultan, qui fut vaincu par les 
Tartares, a une femme legitime qui est 
d'Iberie et dont ii a eu uii enfant bien 
chetif ; celui-ci sera sultan apres lui. II en 
a eu un autre d'une concubine grecque. 
qu'il a passee k un puissant amiral; il en 
eut un troisieme d'une femme turque, 
avec qui Turcs et Turcokmans s'etaient 
affilies pour conspirer contre la vie des en- 
fan ts des Chretiens. 

lis avaient resolu encore, ainsi que je 
I'appris, de detruire apres la victoire tou- 
tes les eglises et de tuer quiconque ne 
voudrait devenir Sarrazin ; mais ce fils fut 
vaincu et beaucoup des siens furent tues. 
II reunit son armee une seconde fois; mais 
alors il fut fait prisonnier et jete en pri- 
son. Pacaster, le lils de la femme grecque, 
obtint de son demi frere que celui-ci le 
laissat porter le sceptre de sultan, parcc 
que I'autre qui etait chez les Tartares etait 
d'une constitution delicate. Mais tous ses 
parents du cote maternel, Iberiens ou 
Georgiens, ont ete indignes de cette con- 
duite. De sorte qu'un enfant regne au- 
jourd'hui en Turquie, ayant peu de finan- 
ces, peu de soldats et beaucoup d'ennemis. 

Le fils de Vastace est faible et est en 
guerre avecle fils d'Assan, qui est aussi un 
enfant et sous la domination des Tartares; 
et si I'armee de I'Eglise devait entrer en 



— 29^ — 

Terre-Sainte, il serait done tr^s-facile de 
conqudrir tous-ces pays et de les traverser. 

Le roi de Hongrie n'a pas plus de trente 
mille soldats. De Cologne a Constantino- 
ple il n'y a pas plus de quarante journees 
de marche en chariot. De Constantinople, 
il n'y a pas autant de journees jusqu'au 
pays du roi d'Armdnie. Autrefois des 
nommes braves ont traverse ces contr&s 
(i!Oo) et y ont remporte des victoires, 
quoiqu'ils eussent eu de vaillants guerriers 
a combattre, dont Dieu a deiivre la terre. 

11 n'est pas necessaire de courir les dan- 
gers de la mer, ni d'etre ^ la merci des ma- 
rins ; ce qu'il faudrait payer pour armer 
des navires suffirait aux depenses du 
voyage par terre. Je vousdirai confidentiel- 
lement que si vos paysans, — je ne parle 
pas des rois ni des chevaliers, — voulaient 
marcher comme vont les rois des Tartares 
et se contenterde la nourriture de ces po- 
tentats, ils deviendraient les maitres du 
monde. 

II me parait inutile qu'un religieux 
comme moi, ou que des tr^res precheurs 
ailient desormais en Tartaric ; mais si le 
pape, qui est la tete de tous les Chretiens, 
voulait y envoyer d'une manidre convena- 
ble un ^veque et repondre k toutes les let- 
tres que le hk^n a dej^ trois fois adressees 
aux Francais (la premiere au pape In- 
nocent IV, d'heqreuse memoire, et la 
deuxi^me, a vous; la troisieme fois, par 



-- 297 — 

rintermediaire de David, qui vous a 
trompe, et enfin par moi), il pourrait dire 
au khan tout ce qu'il voudrait, et executer 
tout ce qui est contenu dans ses lettres. Le 
khan ecoute volontiers tout ce que dit un 
ambassadeur, et demande toujours s'il n'a 
rien k ajouter ; mais il importe que celui- 
ci ait un bon interprete et meme plusieurs, 
et de I'argent ^ depenser. etc. 




19 









/ 



NOTES 

HISTORIQUES ET GEOGRAPHIQUES 



I 






NOTES GHiOGRAPHIQUES 



POUR LE 



VOYAGE DE GUILLAUME DE RUBROUCK 

EN ORIENT 



Page 4, I. Cest le Pont-Euxin, aujourd'hui la 
mer Noire, nomm^e quelquefois au moyen age 
a mer Majour » et « mer Gregnor » par Marco 
Polo. Cette mer a donnd son nom k une contrde 
de I'Asie mineure et a Tancien royaume de Pont, 
dont Mithridate etait le roi. Elle est entre la pe- 
tite Tartarie et la Circassie au nord, la Gdorgie k 
Test, la Natolie au sud et la Turquie d'Europe a 
I'ouest. 

P. 4 , 2 . LisejjT : Celle-ci . qui est nommde 5i- 
nopolts. Cest aujourd'hui Sinope, ancienne et fa- 
meuse ville de la Natolie, a)rant plus de 60,000 
habitants , tr^s -forte par sa situation sur I'isthme 
d'une presqu'ile, ou il y a un bon port sur la mer. 
Noire. 

P. 4, 3. Lise:^ : Celle-la est une province que 
les Latins nomment maintenant Cassaria. Cest 
aujourd'hui la Crimee, province de la Russie. 



— 302 — 

p. 4,4. Province d'Asie qui fait partie de la 
Perse et de la Turquie asiatique, aux environs du 
Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne. 
Sa partie pccidentale comprend trois d^partements 
du cotd de la mer Noire ; ce sont : la Mingrdlie, 
rimirette et le Guriel dontse composait Tancienne 
Colchide. Sa partie orientale, qui est soumise au 
shah de Perse, comprend le Carduel au midi et le 
Caket au nord. Cest ce qu'on appelait autrefois 
riWrie asiatique. 

P. 5, 5. Cest Sdbastopol en Crim^e. Mais des 
auteurs prdtendent que c*est a Ankara ou Angora, 
ancienne villc d'Asie, dans la Natolie. que saint 
Clement aurait 6i6 martyrise. D'abord son mar- 
tyre n'est pas certain, et s'il fallait traduire Ker- 
soita par « Angora », le recit de Rubrouck serait 
difficile a comprendre. Saint Paul parle de saint 
element dans son dpitre aux Philippiens: « Eiiani 
tt rogo , et te, Germane compar^ aajuva illas quce 
tt mecum laboraverunt in Evangelio cum die- 
« mente. » 

P. 5, 6. Soudak, ville de Crim^e, situde entre 
Cafia et le cap Inkermann Quelques-uns la pren- 
nent pour I'ancienne Lagyra que d*autres placent 
a Camba, petite ville situ^e, comme Soldala, sur 
la cdte de la mer Noire 

P. 5, 7. Cotone she Bombasio. Jacques de Vi- 
try (lib. i, c. 84. Necrolog. Ambian. Ecclesice) 
dit que certains arbustes produisent le bombax 
que les Franfais appellent « coton ». Ce produit 
tient, pour ainsi dire, le milieu entre la laine et le 
lin. V. DucANGE, V" Bombax el Wambax. 

P. 5, 8. Cetait anciennement une petite ville 
de la Sarmatie , en Asie , appelee primitivement 
Hermonassa. Ce n'est aujourd'hui qu'un village 
de la Circassie, situ^ sur la mer Noire, pres du 
d^troit de Caftk. 



— 3o3 — 

P. i), 5. Cest aujourd'hui le Don qui prend ta 
source a 2? lieucs au sud de Moscou, pies du lac 
J wan, coule du nord au sud et se jette dans la 
mer d'Azof , autrefois les Palus-Meotides , que 
Guillaume de Rubrouck ne distingue pas encore 
de la mer de Pont, car il consid^re ce que nous 
appelons aujourd'hui la mer d*Azof comme dtant 
le Don lui-m6me. 

P. 6, 9 Cest le pays des Ziques, peuple libre 
aux environs du Caucase. 

Plan du Carpin place au sud de la Comanie les 
Zikkes, branche occidentale des Tcherkesses, d6]k 
connus des anciens sous le nom de Zygiens ; 
Strabon les appelle indifferemment Zygoi ou 
Zygioi. D*AvEZAC, ^it. de Carpin. 

P 6, 10. Ce nom signifie « Table », k cause 
de sa figure. Cest une grande et celebre villeavec 
un port sur la mer Noire, au pied cl*une monta- 
gne de la Natolie. Elle a ^te bdtie par les Grecs et 
nommee Trapezus. Capitale d'un empire fondd 
par une branche des Comn^nes de Constantino^ 
pie. elle perdit ce rang lorsqu*elIe fut prise par 
Manomet H. 

P. 6, 1 1 . Probablement Arzengan, ville au sud 
de la mer Noire, dans la ^fatolie et sur TEu- 
phrate. k 40 lieues sud-ouest d'Erzeroum . 

P. 6, 12. Province de la Turquie d'Europe, 
borndc au nord par la Moldavie et la Transyl- 
vanie, k Test et au sud par le Danube, a Touest, 
par la Transylvanie. 

P. 6, 1 3, Province de la Turquie d'Europe, bor- 
nde au nord par la Valachie , k Test par la mer 
Noire , au sud par la Romanie , k Touest par la 
Servie. Sophie en est la capitale sur la riviere de 
Bojana. 



— :)04 — 

P. 6, 14. Prince tartare, fils de Batou, petit-fils 
de Genghis-Khan. 

P. 8, 1 5. II y a dans le texte herbergia^ et 
Joinville traduit ce mot par ttheberge », pavilion : 
« J*alai en sa heberge pour le veoir. » Herber- 
gidt dans le Glossarium theotiscum de Lepsius, 
est synonyme de castra. Dans le Roman de la 
guerre de Troyes^ a herberge » signifie « tente » : 

Quant des nez sont les gens issues, 
Et les herberges ont tendues. 

Dans le glossaire saxon de Somner, herbergia 
dquivaut a u station, demeure, mansio ». 

P. 0, 16. Le meme fait a ^t^ constat^, en 
1 534,' par Augier-Ghislain de Busbeke, ne en 
1 522 a Comines en Fiandre. et ambassadeur du 
roi de Hongrie a Constantinople : a La Cherso- 
nese taurique », dit-il, a est habitue par une race 
d'hommes dont j'ai souvent entendu dire que le 
langage, les mccurs et la physionomie accusent 
une ori^ine germanique. Le Tartare que j'ai in- 
vito a diner etait de haute taille et d'une simplicite 
ingdnue, de sortequ'on I'auraitpris pour un Fla- 
mand ou un Hollandais. Cetie race est belliqueuse, 
n'a pas de livres et fait prdceder en parlant tous 
les substantifs de Tarticle tho ou the. Le Tartare 
nommait le pain, comme en flamand, brod; mai- 
son, huys; ecurie, stal; vignoble, wyn^aert; 
pluie, re gen ; argent, silver; bid, horn; poisson, 
fisch; tete, hooft; yeux, oogen; dtoile, stern; so- 
leil, ^om; lune, maen; chariot, wagen; pom me, 
appel; venir, komen; chanter, siwg^ew. » Lettrcs 
du baron de Busbec. Paris, 174S. 

P. 9, 17. Le pays des Comans dtait situd au 
nord de la mer Noire et de la mer Caspienne ; ii 
a formd le gouvernement d' Astrakhan. Ii est ar- 
rosc par les quatre grands tleuves ; le Dnieper, le 
Don, le Volga ei le Jalk, 



— 3o5 — 

p. lo, 18. Monnaie d'argent, valant un i>eu 
plus de vingt-cinq centimes, en usage en Grece 
et en Syrie. 

P. 16, 19. Lait de jument. 

P. 23, 21. V. Marco Polo, liv. vii, ch. 47. 

P. 2^, 22. La Moska, qui se jette dans le Volga. 
Cette riviere passe a Moscou. 

P. 27, 23. Kirghi:{, dans le Kiptchak. Les Kir- 
ghis sont des Tartares inddpendants qui habitent 
le nord du lac Aral et de la mer Casplenne ; ils 
continent au gouvernement d'Orenbourg. 

P. 47, 25. Les Alains, d*origine scythique, ha- 
hitaient dans les environs du Caucase. lis avaient 
envahi TAsie avant le commencement du gua- 
trieme si^e, et, au cinquieme, T Europe meridio- 
nale. V. Alanie, dans mon livre sur V Extreme- 
Orient, 

P. b3, 26. NepasconfondreavecM Portedeferw. 

P. 54, 27. Le Volga, fleuve qui prend sa source 
dans la Russie d'Europe et se jette dans la mer 
Caspienne. 

P. 63, 28. Les Moscovites. 

P. 64, 20. Les Morduins, peuple tinnois, dont 
les descendants, repandus dans les gouvernemenis 
de Kasan, de Simbirsk, de Penza, de Saraiow, 
d'Astrkahan et d'Orenbourg, sont, de nos jours, 
encore ddsignes par les Russes sous leur nom de 
Mordvi. D'Avezac, edit^ de Plan du Car pin ^ p. 9*3. 

P. 64, 3o. Un voyageur moderne les decrit apeu 
pr^s comme Marco Polo : « Le domainedes Kirghiz 
est le plateau de Pamir, lequel, ayant pour con- 
irefort le Thibet, descend en penie au nord vers 

iq* 



< 



— 3o6 — 

Kokan, ayant les possessions chinoises k Test^ et 
Tapre contr^e qui alimente les rivieres de TOxus 
et du Sirr k Touest. Leur langage ne dift'^re pas, 
ou seulement a un faible degrd, de ceiui qui est 
parl^ a Koundouz. lis reconnaissent la suzerainete 
de Kokan et payent untributa son chef, mais avec 
la Chine et le Thibet ils sont constamment en 
guerre mortelle, ou, ce qui est la meme chose, ils 
volent tous les individusdel'uneet I'autre contree 
qui tombent sous leurs mains. » 

P. 64, 3 1. Peuple voisin du Dagestan, aux en- 
virons du Caucase. 

P. 6j., 32. La ville de Derbent. a Cette ville «, 
dit C. d'Ohsson, a garde le defile le plus fr^quente 
du Caucase, celui qui est formd par Textrdmite 
orientale de cette chaine et par le rivage de la mer 
Caspienne. EUe est assise, en partie, dans une 
petite plaine, au bord de cette mer; en partie, 
sur le penchant assez escarp^ d'une montagne que 
la citaaelle couronne. Ses murs, llanquds de tours, 
ont 120 piedsde haut et 9 pieds d'dpaisseur. Une 
porte de fer, qui defend au nord Tentr^e de 
cette ville, lui a fait donner le surnoni de Porte 
de Fer, Derbent signifie , en persan, defile et bar- 
Here. » (Voyage aAboul-el-Cassim^ p. 160.) 

P. 66, 33. Comte de Flandre et empereur de 
Constantinople. 

P. 68, 34. Mongols, Tartares. 

P. 75, 35. a Le Qara-Khithfiy », dit M. d'Ave- 
zac, a est bien connu par les r^cits Jes auteurs 
orientaux ; on sait que ce fut un Etat fond^ au 
xii« si^cle, a Toccident de leur ancienne patrie, 
par des rdfugies khitans qui avaient successive - 
ment dmigre, les uns. a la suite d'une insurrec- 
tion promptement reprimee , les autres pour 
echapper a la domination conquerante des Kins 
ou Tchourtches ; ils s'dtaient d*abord avancds vers 



— 3o7 — 

Jes froniieres des Qyrqyz, mais ils avaient etd re- 
pousses et s'^taient cantonnds sur les bords de la 
riviere Jymyl, et y avaient bati une ville. » (Edit, 
de Plan du Carpin^p. 120.) 

P. 76, 36. Plan du Carpin nomme ce peuplc 
Nayman. « Raschyd indique la position geogra- 
phiquedu territoire des ^«aImans », ditd'Ohsson, 
deins VHisioire des Mongols. « II comprenait dans 
son dtendue la chaine du grand Altai et les monts 
Caracouroum, ainsi que les monts Elouy Serass, 
le lac Ardisch Saissan , le cours du fleuve Ardisch, 
les nionts qui courent entre ce fleuve et le pays 
des Kirguises. 11 dtait borne au nord par ce der- 
nier pays , a Test par le territoire des Keraltes , 
au sud par TOuigourie , et k I'ouest par le pays 
des Cancalix. » 

P. 76, 37. Plus connu sous le nom de Pretrc 
Jean. V. men livre sur V Extreme-Orient. — 
V. Eclaircissements historiques sur le Pretre Jean^ 
p. 1 5 1, dans I'ddition de Plan du Carpin, par 
M. d*Avezac. 

P. 76, 38. Caracorum ou Kara-Koroum , ville 
situee au 49* parallele, au nord du desert de Gobi, 
au midi de la Selinga^ sur la rive septentrionale 
de rOrkhon, un des affluents de la Selinga, a 
Touest du pays des Mongols et a Test des monts 
Altai ou monts d'Or. V. mon livre V Extreme" 
Orient, art. « Caracorum », dans Tlndex gdogra- 
phique. 

P. 7G, 3q, Merkit ou Merkyt, ainsi orthogra- 
phic par les historiens musiilmans. et transcrit 
Mer^hed par M. Schmidt, d'apres le texte mongol 
de Sanang-Setsen, est le nom bien connu d'une 
puissante tribu qui habitait les rives de la Selen- 
kah et du lac Baikal, entre les Tar tares a Test et 
les Naymans a Kouest. D'Avezac. Edit, de Plan 
du Carpin, p. 137. 



— 3o8 — 

P. 86, 40. Chambrier de France, fils de Ma- 
ihieu, deuxieme du nom, comte de Beaumont-sur- 
Oise. et d'Alix de Beaumont, dame de la Queue. 
11 epousa Gertrude de Soissons , fiUe ainee de 
Raoul, comte de Soissons et d'Alix de Dreux ; en 
secondes noces, IsabcUe ou Elisabeth de Garlande, 
veuve de Guy le Bouteillier, seigneur d'Ermenon- 
ville el lille de Guillaume de Garlande, seigneur 
di Livry et d'Alix de Chatillon, dame de Clichy- 
la-Garenne. Anselme. Maison rqyale de France, 
t. VI, p. 397. 

P. 94, 41. Probablement la riviere OuraL 

P. ()Sj42, DeiUeronome, 32, 21.— Rom,, 10, 

ly. 

P. 102, 43. Sur Talas, v. Quatremere, Notices 
des maiiuscritSf t. XllI, p. 224a -zab. Note, in-4°. 
i838. Notice du Mesalek, 

P. 104, 44. S\xT Organunif v. d'AvEZAC (edit, de 
Plan du Carpin, p. in a 116), qui discute Topi- 
nion de M. de Froehn sur la synonimie geogra- 
phique d'Orna, d'Urgandsh, d'Ourghenj) et de 
Tana. 

P. io5, 45. « Au sud-ouest de la Tartarie, s'eten- 
dait le pays des Huiurs, dans lesquels il est aise 
de reconnaitre ces peuples ougf^ hours j de race 
turke, dont la civilisation, importee chez eux sans 
doute, avec I'alphabet et le cnristianisme , par les 
Nestoriens venus de Syrie, se repandit ensuite 
chez les Mongols, et enfin jusque chez les Mant- 
chous, dont Falphabet conserve encore des formes 
cjui trahissent leur origine syriaque. » D'Avezac, 
edit, de Plan du Carpin, p. 12b. 

P. 107, 46. Statue de Bouddha. 

P. 119, 47. Le Tangut^ pays situd a I'occident 
du HOf ou fleuve jaune de la Chine, u Le nom de 



— :)09 — 

TangUout w , dit Klaproth ( Journal asiaiique , 
t. XI, 462 et suiv.) , a est deriv^ de celui de la 

frande nation tubdtaine, appelde, dans les annales 
e la Chine, Thang-hiang. Cetaient des descen- 
dants des San-Miao, ou anciens habitants primi- 
tifs de la Chine, qui furent repousses par les Chi- 
nois dans les pays du lac de Khouknou-Noor et 
du Tubet oriental. Les Thang-hiang, ainsi que 
leurs parents, les Thang-tchang et les Pe-lang, 
se vantaient, comme tous les Tubetains. de des- 
cendre d'une grande esp^ce de singes, lis occu- 
perent primitivement le pays de Sy-tchi, situ^ a 
I'ouest du d^partement actuel de Lin-thao, de la 
province chinoise de Kan-su. Ce pays est traverse 
par le Houang-ho avant qu'il entre pour la pre- 
miere fois en Chine. » 

P. 121, 48. « Le pays des Thibdtains », dit un 
geographe arabe (Notices et extraits des manus- 
critSj t II, p. 41 o), ddcrit ainsi le Thibet : Ce pays, 
qui confine d'un cot^ a la Chine et de Tautre aux 
indes. a d'^tendue un mois de marche, et est 
rempli de villes et de villages ; le sang y est vif, et 
le peuple debauch^ et livre au plaisir. On y irouve 
des mines de soufre rouge et Tanimal qui produit 
le muse; celiii-ci ressemble^ la gazelle, mais il a 
deux dents comme celles du cochon ; c*est le meil- 
leur muse. » 

P. 12 3, 49. « Au nord-est, le pays des Tartares 
etait borne par le pays des Kitans et celui des So- 
Icingues ; les premiers sont d'origine inconnue, 
suivant Klaproth .. Les Solangues sont les habi- 
tants du nord de la Coree, appeles Solonghos par 
les Mongols, et dont le pays est nomme par Res- 
chyd-elOyn sous la forme Souldnkgald.n D'Ave- 
ZAC, edit, de Plan du Carping p. 12D. 

P. 125, 5o. Probablement « les Moungs , tribu 
nombreuse », dit M. Pauthier (^dit. de Marco 
Polo, p. 408), « rdpandue encore aujourd*hui dans 
la partie meridionale de la province chinoise du 



— 3io — 

Yun-nan, sur les frontieres du Thibet, dans Tem- 
pireBirman, a Siam etdans la partie septentrionalc 
de la Cochinchine. Les Moung ou Mong se sont 
rdpandus meme jusque dans le Pegou, qui est au- 
jourd'hui une possession anglaise,dont ils forment 
I'ancienne population, etdans les provincesdu Mar- 
taban. ils secionnenta eux-m6mes le nom deMon; 
mais leursvoisinslesappellent Zia/zew, «originaires 
de Ta-lir\, dans le Vun-nSn, ce qui constate 
pleinement leur identity. Leur langage differe com- 
pletement de celui des Birmans ct des Siamois. » 

P. 128, 5i. Dix marcs, monnaie equivalant a 
cinq francs. 

P. 128, 52. Peking. 

P. 104 et 1 36. Cailac, Coilac, Caalat. Cailat. 
C'est probablement la ville que Marco Polo 
nomme Calatuy. « Ce nom », dit M. Pauthier, 
« est vraisemblablement celui du lieu ou Dchin- 
ghis-Khan mourut, et que Thistoire mongole 
nomme « son camp de Caratouski », a 12 lieues 
environ de la ville cantonale actuelle du Kan- 
suhy nommd Thsing - choui, « eau pure », en 
mogol : Sari-gool, » 

P. 145, 53. Nom corrompu del'empereur grec 
Jean Vatale, gendre de I'empereur Theodore Las- 
cans. V. DucANGE, Families byiantines, 

P. 149, 54. Afarco PolOy liv. i, chap. 10. 

P. 167, 55. Le Pont au change. II y avait I^ 
des boutiques d*orf^vres. 

P. 162, 56. Erzeroum. 

P. 170, 57. Calen signifie « dame »; Coiota est 
le nom propre de la dame. 

F. 190, 58. XhovL'EL-CHAZYf Hist, genealog. 



— 3ii — 

des Tartares, p, 104; et dans Klaprotit, Mem. 
relatifs a I'Asie, t. 1, pp. 464, 465. — D'Ohsson, 
Hist, des Mongols, t. 1, not. 4, p. 427. — Ham- 
mer, Extraits de Raschid— Eddin. dans le Nouveau 
journal asiatique, t. IX, p. 522. — Aboul-el- 
Feda, Geographies dans la table du Turkestan, 
vers la fin. — Klaproth, dans le Noupeau jour- 
nal asistique, t. XIV, pp. 352, 353, et dans les 
Memoires relat. a VAsie, X. I, p. 471.— Remusat, 
Langues tartares^ p. 239. — Stralenbergh, 
Descrip de Vempire russien, t. II, pp. 175, 176. 
— D*Avezac, edit, de Plan du Carpin, in-4', p. 
1 36. 

P. 190, 59. Dans le Kiptchak. 

P. 192, 60. S'agirait-il ici des Esquimaux ( 
Witsen, dans son Noord en oost Tariaryen^ in-f", 
2" part., p. 67, dit qu*il a existd des relations en- 
tre les Mongols et le nord de rAmerique. V. no- 
tre livre VExtreme-Orient, p. 34. 

P. 192, 61. Le tumen est une monnaiequi vaut 
10,000 marcs d'argent. Dans Marco PolOy liv. 11, 
ch. 69, 11 vaut 80,000 florins d'or. 

P. 200, 62. Proverbes, 10. 

P. 22 3, 63. Mangou-Khan etait fils de Tuli- 
Khan et petit-fils de Cinghis-Khan. 

P, 223 , 64. Cest le pays que Marco Polo 
nomme Mulette, ou, dit-il, avait coutume de de- 
meurer le Vieux de la Montagne avec ses Assas- 
sins, « Le siege principal de ces redoutables sec- 
taires ^tait la forteresse d^Alamout, situee a 37" 
de latitude N. sur 48' environ de longitude E., et 
dont le nom signinc : le Nid de Vaigle. Ellc fut 
prise et en partie detruite par Houlagou , le 20 
decembre i256. w V. D'Hosson, Hist, des Mon- 
gols, t. Ill, p. 199. 



— ^12 — 

P. 226, 65. Nom d*une ville d^Egypte, a deux 
milles du Caire. 

P. 272, 66. Sard (Saral ou Saray\ ville sur le 
Volga, appelee autrefois Sarai, une des deux resi- 
dences principales des khans mongols du Kip- 
tchak, batie par Batou-Kbdn qui lui donna ce 
nom, signitiant u palais », en mongol. 

P. 272, 67. a Samarkand y ville tres-ancienne. 
C^tait la Marakanda des historiens grecs, ou, 
dans un banquet, Alexandre fit p^rir Clitus de sa 
propre main. Dans les premiers temps de la C9n- 




lamisme comme une ville sainte ; aucun souve- 
rain de Bokhara n'est consid^rd par les habitants 
du pays comme un legitime souverain, s'il ne 
possecle Samarkand. Elle ^tait la capitale de Ti- 
mour, dont on y voit le tombeau. Elle est bien 
ddchue depuis cette dpoque; quelques colleges et 
quelques autres ddinces existent encore, dont 
quelques-uns sont d'un beau genre d'architec- 
ture, entre autres celui qui ^tait originairement 
Tobservatoire du c^lebre astronome Ouloug-Beg. 
La fabrication du papier fut introduite en Eu- 
rope, de cette ville, a I'dpoque de la conquete des 
musulmans, vers 710 de notrc ere. » Pauthier, 
Edit, de Marco Polo ^ p. 137. 

P. 280, 68. Est-ce Samarah, ville batie, en 
834, par Motassen qui y fixa son sejour et la ren- 
dit la capitale de I'empire des Arabes? 

P. 281, 69. Samag. Est-ce Samachi, ville de 
Perse i 

P. 281, 70. Koura, fleuve de la Gdorgie, qui 
prend sa source au Caucase et se jette dans la 
mer Caspienne. C'est Tancien Cyrus, 



— 3i3 — 

P. 281, 71. « Tiflis, sur les rives de la Koura, 
date du cinquieme siecle de notre ere. Batie en 469 
par le roi Vaktang-Gougarslan (loup-lion), sous 
le nom de Tphilis (ville chaude), nom qui lui 
vient de ses eaux thermales; elle fut souvent ra- 
vagde par les guerre < et occupde par les musul- 
mans. Aga-Mohammed, khan de rerse, la ddtrui- 
sit enlierement en 1795. Elle renfermait alors une 
population d'environ 16,000 habitants. 

tt Tiflis compte aujourd*hui 72,000 ames. Elle 
a des places, des monuments, de larges rues, et 
presente le double aspect de la ville orientale et 
de la citd d'Occident. Sa situation n'est point heu- 
reuse : elle est assise au fond d'un entonnoir, au 
pied de monts arides qui contrasient avec la splen- 
dide verdure des montagnes. » De Villeneuve, 
la Georgie, p. 44. 

P. 281, 72. Riviere d'Asie qui prend sa source 
aux frontieres de la Turquie asiatique, du cot^ 
d'Assanld, traverse TArmenie, une partie de la 
Perse et se jette dans la Koura ou le Kur. 

P. 281. 73. Le pays des Turcomans, dont la 
partie occidentale appartient au Turc et Torieniale 
au Persan. Les anciens ArmtSniens sont Chretiens 
et passent pour de tres-habiles commerfants. 

P. 281, 74. « La Georgie, enclavde dans les ra- 
mifications du Caucase, est sdparee, au nord, de 
la Circassie, par la grande chaine caucasienne ; 
ses c6tes occidentales sont baigntJes par la mer 
Noire ; au sud, elle confine a TArmenie, et a Test 
au Dagesthan. Elle renfermait sept grandes pro- 
vinces : les trois royaumes de Kartnli ou Kar- 
thalini, ou Carduel, dont Tancienne capitale. 
Mtzkheth, a ete remplacee par Tiflis de Kaketie 
ou Kaketh ; Telaf en est la principale ville d'lme- 
r^thee, qui a pour capitale Kutals; et les souve- 
rainetes de Mingrelie, de Gourie , de Swaneth et 
de Saniketh. » De Villeneuve, la Georgie, p. 41, 



i 



mm 



— 3i4 — 

P. 2^2, 7 3. « A Testde la Comanic ctait le pays 
des Kangites^ que nos voyageurs traversfereni en- 
suite : c etait une contrde piate, remplie de la- 
gunes saldes et de marais, mais ddpourvue d*eau 
douce et n*ayant, par suite, que peu d*habitants; 
ceux-ci, comme les Comans, vivaient de leurs 
iroupeaux et couchai«nt sous des tentes, et comme 
eux aussi ils avaient ete en grande partle ddtruits 
ou expuls^s par les Tartares. Abou-el-GhSzy les 
mentionne sous le nom de Qanqlys, qui leur est 
aussi donn^ par Rubruk; rhistorien tartare ex- 
pose leur origine turke et Tetymologie de leur de- 
nomination, qu il fait venir de Qanq, un char a 
roues criaides; Constantin Porphyrog^nfete les 
appelle Kangar et les identifie aux Patzinakites, 
que les gdographes arabes appellent Bedindk, et 
les Turks, Petchneg. Anne Comn^ne dit ae ceux- 
ci qu'ils parlaient la meme langue que les Co- 
mans, et Rubruk dit express^ment que les Canglis 
faisaient partie des Comans. Klaproth ^nonce que 
plusieurs hordes des Noughays, reprdsentants ac- 
tuels des Petchneg, conservent encore le nom de 
Qanqly et font paitre leurs troupeaux sur les 
tcrres des anciens Comans. » D'Avezac, ^it. de 
Plan du Carpin, p. io3. 

P. 283, 76. Tauris, seconde ville de la Perse. 
Elle est grande, belle, bien peupl^e et tr^s-mar- 
chande. On y compte plus de 3oo,ooo habitants 
et il y a plusieurs mosqudes remarquables. Cette 
ville est Taboutissant des caravanes qui viennent 
de la Turquie. Fond6e en 791 par Zobeideh, 
I'emme du tameux khalife Haroun-al-Rf«chid, elle 
fut devastee par les Turks en i532. Elle est au- 
jourd*hui le chef-lieu de la province persane de 
rAzerbaidjan. 

P. 284, 77. Er:^e-Roum, pres la source de TEu- 
phrate, est une grande ville batie dans une plaine 
tres-fertile de la Turquie d'Asie. Elle a un cha- 
teau dont les murs, comme ceux de la ville^ sent 



— 3i5 — 

de boue sdcbde au soleil. Elle est, du c6tc nord, 
tortitide d'un precipice qui en empeche I'acces. 

P. 284, 78 Le Tigre prend sa source en Ar- 
menie, ii entre ensuite sous terre et, au nord de 
Diab^kir, il sort d*une caverne avec grand bruit 
et coule a Test du Diarbeck ou de la Mesopotamie. 

P. 284, 79. Naksivan, Nacchivan ou Nassivan, 
ville d*Arm^ie, capitale d*une province du meme 
nom, a 43 iieues S.-E. d*Ervian. Long. 64, 34; 
Jat. 38, 00. 

P. 287, 80. Ville d'Armdnie, k deux Iieues d'E- 
rivan. Cest probablement la ville ou fut baii le 
monastere d'Ecmiasin, le sdjour du patriarche des 
Armdniens de Perse. 

P. 289, 81. Marco Polo nomme cette ville Ar- 
senga, Cette ville est nommde en persan Ar;^en- 
gdn et en arabe Ar:^endjdn, « Nous arrivames a 
Arzendjan », dit Ibn-Batoutah, « qui est du nom- 
bre des villes du prince de \ Irak. Cest une citd 
grande et peuplee; la plupart de ses habitants 
sont des Armeniens et les musulmans y parlent la 
langue turque. ArdzendiSn possede aes marches 
bien disposes ; on y faorique de belles dtoft'es, 
qui sont appelees de son nom. II y a des mines de 
cuivre, etc. » Voyages, traduits par MM. Defre- 
MERY et Sanguinetti, t. 11, p. 293. 

P. 290, 82. Ville d'Armdnie. 

P. 291, 83. Fleuve qui a sa source dans les 
monta^nes d'Arm^nie, pres d'Erzeroum, et coule 
a Toccident du Diarbeck. 11 s'unitau Tigrea Corna 
ou Gorna, au-dessus de Bassora ou Basra, et se 
jette dans le golfe Persique au-dassous de cette 
ville. 

P. 291, 84. Cest probablement la ville que 
Marco Polo nomme Lamadi et que M. Pauthier 



— 3i6 — 

suppose cire Khoch-Abad, tiguree dans les Jtine- 
raires du voyage en Perse d'Adre Dupr^, entre 
le 28* et le I'q' degre de latitude nord, et entre le 
53« et le 54«'de longitude orientate , environ 80 
lieues au sud-ouest de Kerman, a Touest de la lon- 
gue chaine de montagncs qui sdparent le bassin 
du Kerman du Farsisian. 

P. 291, 85. Ville de Syrie, sur la riviere de 
Koeic. 

P. 292 , 86. La ville de Sivas , chef-lieu du 
gouverhement de ce nom dans la Turquie d*Asie. 
Cetie ville est Tancienne Sebaste d'Auguste. Elle 
souiint un si^e opiniatre conire les Romains et 
fut ddtruite par Tamerlan en 1400. 

P. 2Q2, 87. La ville de Koniah ou Kounieh, au 
sud de KaYsarieh dans la Turquie d* Asie. Au temps 
des croisades, elle ^tait la residence des princes 
turcs Seljoucides, et le pacha de la province de 
Karamanie y demeu rait dans une forteresse. Vivien 
de Saint-Martin dit qu*Iconium fut la capitale du 
royaume de Karaman. 

P. 293, 88. Probablement Vltch-ili^ nom que 
les Turcs donnent a la mer de Cilicie. 

P. 293, 89. Lay as ^ port de la Turquie d*Asie, 
sur le golfe d'Alexandrette. Des ruines font sup- 

{)oser que celte ville occupe Templacement de 
*ancienne Egee. 

P. 294, 00. TaraboloSj selon la prononciation 
turque ; ville de Svrie , a une demi-lieue de la 
mer, ceiebre dans rhistoire des croisades. 




INDEX ALPHABETIQUE 

DKS NOMS DES PKRSONNES F-T DE LIEUX 



I 



INDEX ALPHABETIQUE 



DES NOMS DES PERSONNES ET DE LIEUX 



f\, »/ *-V/ r\^\^\r 



Aas, 49. 

Acacron, 285. 

Acias, 49. 

Acre, 69, 292, 293, 
294. 

Adam (eveque), xiii. 

Afrique, 58, 283. 

Agneau pascal, 173. 

Aira, apra ou agra, 43. 

Alains, 49, 54, 79, 80, 

81, 273, 277, 278, 

279. 
Alanie, 54. 
Alaur, 64. 
Albania, 81. 



Alep, 29 c . 

Alexandre le Grand, 64, 
81, 94, 279, 281. 

AUemands, 61, 63, 255. 

Alphonse de Castille, 

IV. 

Anacharsis fran^ais, xi. 
Angleterre, xv, xxvi. 
Antechrist, 240. 
Antioche, 75, 294. 
Arabes, 193. 
Arabucha, 223, 224, 

225. 

Ararat, 281. 

Araxe, 281, 282, 283, 
284. 

Arcax, 278. 

Ardres, x. 



Q 



^20 — 



Argou, 283, 284, 287. 

Armenie, i63, 180, 243, 
267, 271, 272, 281, 
286, 292, 293, 296. 

Arm^niens, 68, 173, 
174, 180, 196, 201, 
284, 286, 288, 295. 

Arscngan, 291. 

Arserum, 162, 284. 

Artal ou Artax, 26. 

Artois, IV, viii. 

Ascar, 6. 

Asi, 293. 

Asie, XXI, XXIV, 54, 58. 

Assan (pays d'), 6, gS, 
295. 

Assassins, 81, 22 3. 

Auax, 294. 

Auchy, VIII. 

Auxerre, 137. 

Avezac (M. d*), xviii, 

XIX. 



Bagdad, 214, 2 56. 
Baldach, 2 2 3. 
Balenberg, xi, xii. 
Bapaune, iv. 
Barbares, 64. 



Bartholom^c de Od- 
mone, 9. 

Barusin, 293. 

Basse-Lorraine, vi. 

Basyle, 208. 

Batou, 7, 10, 42, 38, 
59, 70, 71, 73, 79, 
80, 81, 82, 85, 8b, 
91, 92, 100, 101, 
102, io3, 104, i32, 
i33, i36, i3», 146, 
i5i, i55, i58, 177, 
219, 232, 243, 236, 
261, 266, 267, 271, 
272, 276, 283, 284. 

Baudoin de Hainaut, 
xxii, 66, 189. 

Baudouin de Henin- 
Li^tard, vii. 

Beatrix de Rubrouck, 
xui. 

Beaumont ( mar^chal 
de), XXII. 

Belgique, xii, xv, xvir. 

Belgrade, 223. 

Belial, 222. 

Belleville, 223. 

Belpair, xii. 

Bergeron, x. 

Bible (la), 68, 71, 92, 
171, 177, 209, 23l. 
241. 

Billets de Ban que en 
Chine, 193. 

Blacs, 94. 



— 32 1 — 



Blanche (la reine), iv, 

Blandecques, xii. 

Blaques, 79, 

Bocca ou Botta, 29, 3o. 

Bocca (coiffure), 170. 

Bolac, 102, 226, 244. 

Bombax, 5. 

Boniface de Molendino, 
292. 

Boulogne (comtd de), v. 

Boulogne, xii. 

Bouddhistes, 109. 

Brabant, v, vii, xv, xvi, 
xviir. 

Bruxelles, xii. 

Buchier (L-aurent), 157. 

Bulgai, 173, 178, 2o3, 
222, 2bi, 263. 

Bulgares, 79, 94. 
Bulgarie, 27, 64, 80, 

82, 94> 9^- 
Bulgarie mineure, 6, 

79- 
Bury, 10 1, 290. 



Caala, io5. 

Cailac, 104, io3, i3o. 

Calais, xii. 



Camath, 291. 

Cana, 173. 

Cangles, 81, 94, 97. 

Cappadoce, 292. 

Captargac, 18. 

Caracatay, 75, io3. 

Caracorum, xxii, 76, 
78, 107, loq, X17, 

127, 145, 146, i57, 
189, 2o3, 207, 209, 
211, 221, 223, 2b5, 
262, 263. 265. 

Caracosmos, 22. 

Cassel, XII, xvii. 

Cathay. 77, 107, 127, 

128, 189, 191, 192, 

193, 221, 223, 235, 

236. 

Catota Caten, 170. 

Castberg, xii. 

Caucase, 94, 10 1, 284. 

C^sar, XII. 

C^sarie, 4, 5, 54, 292, 

Chatelet (le), xxii. 

Cheukhan, 85. 

Cherkis, 64. 

Cherima, 179. 

Chinchin,- 191, 192. 

Chine, 127, 193. 

Chirina, 25 1. 

Chypre, 66, x59, 172, 
289, 294. 



20 



— 322 — 



Cinghis, 37, 77, 78, 
99, loi, ii5, 117, 
1 19, i33, 189, 190, 
267, 258. 

Cocta, 1 83. 

Coiac, 65, 68, 69, 70, 
71, 73, 267, 269, 
274. 

Cologne, 296. 

Comanie, 207. 

Comans, 37, 44, 54,57, 
64, 92, 94. 

Comaux, 9. 

Compi^gne, iii, vi, vii. 

Compostelle, 107. 

Conkhan^ 75, 76. 

Constantinople, xxii, 5, 

6, 7> 47» 48» 95. 
189, 285, 286. 

Corasmins^ 281, 282. 
Cosmos, 21. 
Cota, 178. 
Cotota, 195. 
Court (port), 293. 
Crac, 1 58. 
Crit. 76. 

Croisades (les), in. 
Cur (fleuve), 281, 282. 
Curges, 281. 
Curgie, 281. 



Damiette, 273. 

David le Templier, 66, 
297. 

David, 178, 201. 

Damas, i58, 160. 

Danube, 6, f i, 54, 94. 

Demugin Cingei, 257. 

Don (le), fleuve, xxi. 

Domberg, xii. 

Dom Devienne, x. 



E 

Ecriture chinoise, 193. 

Ecriture-Sainte, 68. 

Eecke, xii. 

Egypte, 58, 81, 94, 
io3. 

Espagnols, 123. 

Etilia, fleuve, 54. 

Eudes de Montreuil , 

VXII. 

Euphrate, 284, 291. 
Europe, 54, 58. 
Europ^ens, 208. 
Eustache (terre d'), 6. 
Evangile (1'), 68. 



— 323 — 



Exode, xxvii. 
Extreme-Orient, ii. 



Flandre, v, viii, ix, xiv, 

XVI^ XXII, XXIII. 

Flandre maritime, xii. 

Franfais (Ics , 66, 7b, 
I JO, 296. 

France, iv, vii, xi, xiv, 
94, 227, 272, 288 
290. 

France (cour de), xxii. 

Franciscains (les), 111. 

Francisque Michel, xv, 

XVI. 

Franfois d' Assise, viii 

Francs, 7, 87, 1 37, 232.. 
258, 285. 

Francs (roi dcs), 160. 

Fr^dric(empereur),vii. 

Ferrant de Flandre , 
xxii. 

Frere Andre, 76, 81, 
loi, i32, i33. i59, 
233. 

Frere Bernard Catha- 
lan, 287, 288. 

Frere Thomas, 146. 

Freres mineurs, ix, 3. 

Fumes, xiv. 



a 

Galilee, 173. 

Gand, xiv. 

Gauthier , archeveque 
de Sens, vii. 

Gasarie, 4. 

Gazaire, 107. 

Genese, xxv. 

Gdorgie, 4, 283, 284, 
287. 

Gdorgiens, 281, 282, 
289, 2qi, 295. 

Gosset, 89, 271, 273. 

Goths, 9. 

Grande-Arm^nie, i36. 

Grande-Hongrie, iqo. 

Grand-Pont, xxii. 

Gr^ce, 95. 

Grecs, 49, 289, 295. 

Grecs, 107. 

Grecs, 173. 

Grecs, 196. 

Grice ou grius, 2 3. 

Griut, 3i. 

Guillaume de Ru - 
brouck, X, xv, xxi, 
XXII, XXIII, XXIV, xxv, 

XXVI , XXVII , XXVIII , 

3. 
Guillaume de Rubruk, 

XVIIl. 



— 324 — 



Guiiiaume de Rubru 
quis, X. xviii. 

Guiiiaume Gazet, ix. 

Guines, xii. 

Guy, 6. 



Haiman, 76. 

Hakluyt, xvi. 

Hello (Ernest), xviii. 

Hennebert, viii. 

Henri de Crdqui, vii 

Hesdin, iv, viii. 

Hongrie, 27, i53, i86, 
207, 2oHy 223, 248, 
272, 287, 296. 

Hongrois, 49, 80, 92, 

94» 9^> 1 38, I Mo, 
2b3. 

Houthem, xii. 

Huns, 94, 95. 



lagat (fleuve), 94. 
lam, I So. 
lamiam, 65. 
Iberiens, 295. 
Iconium, 292. 



lierra, 80. 

lilacs, q5. 

Inde, 127. 

Innocent IV (pape), 
296. 

lougoures, io5, io6« 
117, 121, 193. 

Iperp^res, 49. 

Isabelle de Hainaut, iv. 

Isidore, b4, 81, 190. 

Israel, 1x5. 



Jacobins, ix. 

Jean de Beaufort, viii, 

JX, XXIII. 

Jean de Neele, vm. 
Jean de Rubrouck, xiv. 
Jean de Ruysbroek y 

XVII. 

Jean de Sainte-Alde- 
gonde, IX. 

Jean (le roi), 76. 

Jean Mor, xiii, xiv. 

Jeanne de Flandre, ix, 

XXII. 

Jenny, xi. 

Jerusalem, 142, 184. 
Jdsus-Christ, xxi. 
Juifs, 280, 281. 



— 325 — 



K 

Ken-Khan, i32, i33, 
1 34, 248, 238. 

Keukhan, 76. 

Kersona, 5, 6, 9. 

Kerkis, 27, 79, 190. 

Kinchat, 100. 

Kiptchak, 53, 54, G4. 



La Hutte, xii. 

Lambert Mor (de Ru- 
brouck), XIII. 

Lens, IV. 

Lesges, ()4, 81, 278. 

Li^tard de N^Ues, xiii. 

Locre, xii, 12 3. 

Lorraine, vii, i55. 

Lorrains, 207. 

Lougas, 123. 

Louis IX, XXVIII. 

Lys (la), XII. 

M 

Mahaut de Brabant, v, 

VII 

Mahomet, 221, 223. 

Maitre Guillaume, i37, 
173, 192, 2o3, 204, 



206, 207, 2 1 3, 2 1 5. 
217, 22}, 226, 233, 
236, 253, 255, 565, 
266. 

Mandchourie, 78. 

Mangou -Khan , x viii , 
XXIV, xxvr, XXVII, 76, 
77,81,82,88,91,93. 



102 
ii3 
i35 

160 
164 

1-4 

i85 
197 
209 
218 
226 

23l 

237 
257 
267 



•I03, 104, III, 

i32, i33, i34, 
'1 36, 142, 143, 

i5o, IDI, l52, 

157, i58, i5q, 
161, 162, i63, 

169. «7i, I73, 
177, 180, i83, 

189, 193, 196, 

20b, 201, 20 3, 

2 1 3, 216, 217, 

219, 222, 223, 

227, 229, 2 3o, 
232, 235, 236, 
240, 247, 25 1, 
258, 259, 262, 
271, 279. 283, 
293. 



290 

Mann (rabb^), xi, xii. 

Manses, 192. 

Mansurah,viii,ix, xxiil 
160. 

Marguerite de Flandre, 
xxin. 

Marguerite de Pro - 
vence, vi. 

Marie de Houtove, xi. 

Marie-Magdelelne, 58. 

Marsengan, 289. 



20' 



MassLS. 287. 
Masaoure (la), viii. 
Malriga, 5, A. 

Mer Caspienne, 81, 04, 

i8[. 
Merdas, Merdini, 64. 
Merkiti, 76, aSS. 
Mer Majeure, 4. 

Metsine, xn. 

Methodius, 28S. 

Meu, i53, 249. 

Michaud, xv. 

Moals. i3. 68, 77, 78, 
93,99.115, 117,119, 
127, 128, 129, 161, 
■ 62, 1H9, iqo, 201, 
229, 341, 25<J, 261. 

Molse, uvii, 45. 
Moler, 16a. 
Mont-Catael, xi. 
Mont^ut; xiii. 
Muni-Kemel, iiu 
Monipensier, xm. 
Mont-R^l, i58. 
Monts Caspiens, 81 
■j.iii. 

Moungs, lib. 
Moxel, 27, 6'i. 



Muct, 1 1 5. 
Muluch, 81. 
Muatelemans, iSS. 

N 

Naimans, '^58. 

Nassk (drap), 1 jt. 

Naiua, 284, /86, 287. 

Nestoriens, 68, 104, 
lob, 106, 117, 128, 
170, 171, 173, 180, 
201, 207, III, 216, 
218, 232, 233, a3y, 

Nicolas, compagnon de 
Guilleume de Ru- 
brouck, 9. 

Nicolaa de Mailly, vni. 

Nicolas de Saint-Cyr, 

Nkosie, 124. 

Nil, 81. 273. 

Nijiivites, 173. 

Nord (le), 5, 75, 100, 

^.85. 
Nord (deparCement du). 



■327- 



Occident, i58, i6i , 

197, i85. 
Ocian, 60, 75. 81, 81, 

99, :a8. i3o. 
Onankerule, 78, i35, 

189. 
Ordre de la Cosse de 

genSl, VI. 
Ordre teutonique, 5i. 
Orengay, 190, 
Organam, 104. 
Orl&ns, 97. 
Orient, viri, xii, xivti 

3, 107, stJa. 
Orientaux, igS, m, 
Os biHlis. 175. 
Oion, 160, 
Oudeghersi, V, ;x, ixiii. 



Pacasier, 295, 
Pacquot, X, xv, iviii. 
Palestine, Xxi, xxil, in. 

Palus-Meotides, 54, 60, 

Pannonie, gS. 
Pape, 55, 86. 



f rIF 



Pascalir, 94, 95, igo. 
Passion (la), 69. 
Pays-Bas. ix, x, xn. 

Perse, 64, 79, 81, io3, 
loS. ibi, 180, a?!, 
^79- aSit !i83, 284. 

PilS, XV, IVI. 

Philippe- A uguste, iv. 
Philippe Mouskes. vi. 
Plan de Carpin, 86. 
Polonais, 95. 
Pont (le;, 60. 
Pont (le), 6'. 
Pont(merde;, 5. 
Pont-au-Changt, xxir. 
Porte deFer,64, 72,81. 
277, 278, 279. *«o. 
Prfitre Jean, 117, iSa. 
Prusse, 55. 
Psaulier de la Reine 



(le;, 
Purchas, ; 



174. 



Saint-Jacque$, 197. 
Saint-Jean-d'Acre, xxi 



Ruben de Wavrin, vci. 
Roger de Halewyn, vit, 
Rosenberg, xii. 

Rubrouck, xi, irir, xiv. 
Rubruck, XVII, xviir. 
Rubruquis, x, xv. 
Ruminghcn, xii. 
Russes, 49, 54, 55, iq, 

60, 6r, 79, Ho, 8i, 

lib, 107, 19J. 



Sahcnsa, 21*8,289, ^9°- 
Sainl-Bertln. is. 
Saint-Corneille, vi, vii. 
Saint-ChrisEophe, 106, 
Saint-Denis (ville il^), 

Sainte-Aldegondc, ix. 
Sain (-Francois, x. xti|[, 



>59. 
Saint-Omer, iv, vii, ix, 

Sttinl-Pire, 217. 

Sain (-Pierre ad Vin- 

cula, 69. 
Saint-Sepukre. 287. 
Sainte-Sophie. fi. 
Sainte-Walburge, xiv. 

Salve Regina, 68. 
narkhanil. 173. 
Samaron, zSo. 

Sarrazins, viii, xxi, 7, 
5i. 5S, 64, 79, 80, 

«^ H') SI" .„n i^X 



119, l36. 



107, 



317. i3o, 231, liq, 

273. 27B, 284, 288, 
289, 195. 
Sartach, xxin. 6. 7, K, 
10, 41, 42, 43, 47, 
58, 61. lb, 68, la. 
70. 73, 76, 80, 88, 
89, i36, i37, 2*9, 



— 329 



232, 259> 267, 268, 

273, 274, 277. 287, 
290. 

S^acatai, 45, 52. 

Schayes, xii. 

Scythes, 285. 

Scythie, 10, 128. 

Sdbaste, 292. 

Segin, 128. 

Seine (la), xxi, 59, 80. 

Sentences (les), 71. 

Seremon, i33. 

S^res, 127. 

Sergius moine, i63 

Serkis (saint), 173. 

Sinopolis, 4, 5, 6 

Sirsan (mer), 80. 

Slavonic, 6, 95. 

Sogur, 2 5. 

Soldala, 5, 6, 7, 9, 10, 

43, 47) 77- 
Solangues, 12 3. 

Solin, 190. 

Souverain Pontife, 99 

Sticha, 1 33. 

Summerkeur, 27?. 

Su-Moals, 190. 

Syrie, 81, 272, 290. 

Swartsberg, xii. 

Sweertius, xv, xvi. 



Tanais (le), 5. 6, 0, 
54, 55, 57, 58, 63, 
81, 267. 

Talas, 1 01. 

Tangut, 119, 121, 193. 

Tarlares, 4, 6, 10, 11, 
i3. 19, 22, 2?, 27, 
33. 37, 39, Ai, 45, 
47, 5 1, 52, 54, 55, 
59, 60. 61, 63, 64, 

67, 77* 78, 82. 83, 
93, 95, 104, III, 

129, i34, 142, J92, 

iq5, 208, 227, 248, 

252, 256, 262, 271, 

273, 2-7, 278, -179, 

280, 281, 284, 286, 

290, 291, 295. 296. 

Tartarie, xxvii, 2 5. 

Taules, 192. 

Tauris, 283, 287, 288. 

Terre-Sainte, vii, 6, 7, 
263, 294. 

Teutons, 54, loi, 102, 
226, 273. 

Thdodule, clerc, 159, 
160, 161. 

Th^rouanne, ix, xiii. 

Thibet, 121. 

Thibdtains, i23, 193. 

Thierry d* Alsace, xi. 

Thomas d'Estaires, xin, 

Tiflis, 288, 290* 



— 33o — 



Tigre, 284. 

Toussaint, 94. 

Tr^bizonde, 6. 

Tripoli, 294. 

Tuinans, 147. 

Tur, 282. 

Turcomans, 104, 295. 

Turcs, 75, 283, 295. 

Turquie. 5, 6, 79, 223, 
2 36, 272, 284, 289, 
291, 293, 294, 29S. 

U 

Unc, 76, 77. 



V'alachie, 6. 
Valains, 54- 
Valanie, 34. 
Valaques, 79, 94. 
Valere Andre, xv, xvi. 
Valzane, 143. 
Vandales, 04. 
Vastace, 227, 289, 295. 
Vaucouleurs, vii. 
Venise, 292. 



Vin de Champagne, 22. 
Vivien de Saint-Martin, 

XVI, XVII. 

Villeneuve ( marquis 
de), XV, XVII. 

Vilvorde, xii. 

Volga fie), XXI, xxiii. 
64, b3, 80, 81, 82, 
91,94, 95, IQI, 14!), 
161, 102, 223, 2b7, 

268. 

Vossius, XVI. 
W 



Wadding, xvi. 
Wallon (de I'lnstitut), 

XVII. 

Warneton, xii. 
Walten, xi, xiii, xiv, 

XIX. 

Wautier de Rubrouck, 

XIV. 

Willaume Brohon, xv. 
Wiser nes, xii. 
Witschate, xii. 
Wright, XV. 



, Zacharie, 288. 



r\f^ ^ /^.#\/\/\/V/X'\^VX/\/^^W 



TABLE DES MATIERES 



.1 



i' 



i 



if 



TABLE DES MATIERES 



* /V/vrw>/x/\/\^X 



Notice sur Guillaume de Rubrouck. — Saint 
Louis. — Robert d'Artois. — Les franciscains. 

— Les croisades iii 

Le village de Rubrouck xi 

Guillaume de Rubrouck xxi 

Voyage de Guillaume de Rubrouck en 

Orient 3 

Les Tartarcs ii 

Le Cosmos 21 

Ce qui se trouve en Tartarie 25 

Habillements 27 

Occupationa des femmes et des hommes en 

Tartarie 3 1 

Mariages 33 

Justice 33 

31 



— 334 — 

Funerailles ^1 

Maladies '^^ 

Curiosite des Tartares 4^ 

Campement tartare 4^ 

Les Alain s 49 

Un Sarrazjn 5i 

Le Kiptchak 53 

Le ddsert . . b-j 

Coiffures russes 6i 

Au-dela du Tanais 63 

Entrevue avec Sartach 63 

Visite a BStou-Khan 73 

Le Caracatay 75 

Depart pour la cour de Batou 79 

Visite a Batou 85 

Depart pour la cour de Mangou-Khan .... 91 

Penible voyage 99 

Le Caucase 101 

# 

Enumeration des sectes idolatres. — Boud- 

dhistes io5 

Couvents de bouddliistes *.,, 1 09 

Ecriture des Tartares 1 1 1 

Croyances des Tartares 1 1 3 

Les lougoures 117 

Le Tangut 119 

Le Thibet 121 

Les Solangues I23 

Les Moungs I25 

Le Cathay ou la Chine 127 

Ddpart pour I'audience de Mangou-Khan .. i35 



— 335 — 

Un moine Armdnien. 141 

Un hi ver k Caracorum 1 45 

Audience de Mangou-Khan 147 

Retour de Taudience du khan 1 33 

Guillaume, orf^vre de Paris, a Caracorum. iSy 

Le derc Theodule i Sg 

Le moine Sergius 1 63 

Festin chez Mangou-Khan i63 

Installation a la cour de Mangou-Khan 1 67 

Os bruMs 175 

Nouvelle audience de Mangou-Khan 177 

Visite aux malades i83 

De Caracorum au Cathay 189 

Billets de banque, ecriture de la Chine igS 

Le jeune chez les Tartares 195 

Discussions th^ologiques 1 99 

La cour de Mangou-KhSn 2o3 

Caracorum 207 

La fete de Paques a Caracorum 211 

Maladie de M" Guillaume et d'un pretre 

Nestorien 21 5 

Encore Caracorum 221 

Nouvelle audience de Mangou-Khan 229 

Pretres idolatres 247 

Fete a Caracorum 255 

Lettres de Mangou-Khan a saint Louis 257 

Retour. 2b3 

Nouvelle visite k Batou 271 

Sara et Samarkand. 27? 

Le pays des Alains 277