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Full text of "La Guimard, d'après les registres des menu-plaisirs de la Bibliothèque de l'Opéra, etc., etc"

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X 


LES  ACTRICES  DU  XVIII*  SIECLE 


LA 


GUIMARD 

D'APRÈS  LES   REGISTRES   DES   MENUS-PLAISIRS 

DE  LA  BIBLIOTHÈQUE   DE  L'OPÉRA 

LES     CORRESPONDANCES      DES     ARCHIVES     NATIONALES 

LA  COLLECTION  D'AUTOGRAPHES  MORISSON,   ETC. 


EDMOND   DE  GONCOURT 


TROISIEME   MILLE 


PARIS 

BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER 

G.  CHARPENTIER  et  E.  FASQUELLE,  éditeurs 
11,   RUE  DE    GRENELLE,  11 

1893 


LA   GUIMARD 


IL    A    ÉTÉ    TIRÉ  : 

Chiquante  exemplaires  numérotés  à  la  presse 
sur  papier  de  Hollande. 

Prix  :  7  fr. 


EDMOND  DE    GONGOURT 


LA 


GUIMARD 


D'APRÈS  LES  REGISTRES  DES  MENUS-PLAISIRS 


BIBLIOTHÈQUE   DE    L'OPÉBA,    ETC.,    ETC. 


DEUXIEME    MILLE 


PARIS 

BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER 

G.    CHARPENTIER    &   E.    FASQUELLE,   éo.teurs 

11,     RUE    DE    GRENELLE,     11 
189  3 

Tous  droits  réservés. 


PRÉFACE 


Un  jour  du  xvin0  siècle,  on  se  demandait 
quelque  part,  le  pourquoi  toutes  les  dan- 
seuses réussissent  dans  la  galanterie,  et  ar- 
rivent à  l'Opéra  dans  un  char  doré,  et  le 
pourquoi  si  peu  de  chanteuses  font  de 
grandes  fortunes,  —  et  sans  doute,  il  était 
fait  allusion  à  la  fortune  de  cette  danseuse 
dont  j'écris  l'histoire,  au  luxe  de  cette  im- 
pure dépassant  le  luxe  des  courtisanes  de 
l'antiquité  :  Rhodope  et  Laïs,  de  cette  impure 
à  l'hôtel  coûtant  le  prix  d'une  pyramide,  et 
dont  le  théâtre  de  la  ville  et  de  la  campagne 


il  PRÉFACE. 

enlevait  pour  les  plaisirs  de  sa  société  les 
meilleurs  acteurs  aux  trois  théâtres  de  Paris 
Et  chacun  donnait  une  raison  à  son  tour, 
et  quand  la  question  fut  posée  à  d'Alcinbert, 
le  spirituel  géomètre  répondit  :  «  C'est  une 
suite  nécessaire  des  lois  du  mouvement!  » 

EDMOND    DE    GONCOURT. 


Auteuil,  octobre  1892. 


LA   GUIMARD 


La  danse  française,  cette  danse,  si  goûtée  au 
siècle  dernier  par  la  société  aristocratique  de 
France  et  d'Angleterre,  compte  d'illustres  dan- 
seuses; mais  le  nom  d'aucune  de  ces  femmes, 
même  de  la  Camargo,  n'a  eu,  n'a  laissé  la  re- 
nommée retentissante  qui  s'est  faite  autour  de 
la  Guimard  :  la  Terpsichore  du  temps. 

Un  visage  composé  pour  l'expression  de  la 
tendresse  et  de  la  volupté,  une  taille  moyenne 
d'une  extrême  sveltesse,  la  taille  et  la  physio- 
nomie de  la  danseuse  demi-caractère  :  c'est  le 
partage  de  la  Guimard. 

Moulée  et  dotée  par  les  Grâces,  la  Guimard 
esta  l'Opéra,  la  Grâce  du  dix-huitième  siècle, 

i 


2  LA   GUIMARD. 

ne  recherchant  pas  les  difficultés  dans  sa  danse, 
et  dédaigneuse  des  temps  sautilles,  des  pas  ha- 
chés, des  trépignements  accélérés,  du  feu  des 
battements1 ,  mais  se  dessinant  dans  une  har- 
monie intime  de  tous  les  mouvements,  mais 
se  produisant  et  se  montrant  en  la  noblesse  des 
positions,  en  l'élégance  des  attitudes,  avec  ce 
visage  d'enjouement,  et  avec  ce  «  souris  »!  qui, 
selon  l'expression  du  panégyriste  de  la  dan- 
seuse, vaut  l'immortalité. 

La  danse  de  la  Guimard,  une  danse  aux  ai- 
mables abandons  de  corps,  aux  longs  déploie- 
ments, aux  coquets  effacements  du  buste,  à 
l'aisance  de  l'enchaînement  des  pas,  à  la  liaison 
des  gestes  avec  l'expression  de  la  figure  :  une 
danse  qui  a  l'aplomb,  la  fermeté,  la  précision, 
la  vitesse,  et  les  parcours  sinueux,  et  les  replis 
ondoyants,  et  les  moelleux  déhanchés,  et  les  ar- 


1 .  Mme  Lebrun  dit  de  la  Guimard  :  «  Sa  danse  n'était  qu'une 
esquisse,  elle  ne  faisait  que  de  petits  pas,  mais  avec  des  mou- 
vements si  gracieux,  que  le  public  la  préférait  à  toute  autre 
danseuse. » 

2.  Guimard  ou  l'Art  de  la  Danse  pantomime,  poème  par 
Duplain.  A  Londres  et  se  trouve  à  Paris,  chez  Mérigot  l'aîné, 
boulevard  Saint-Martin  et  tous  les  jours  d'Opéra,  sous  le 
vestibule.  L'auteur  du  poème  dit  :  «  J'ai  fait  ce  poème, 
parce  que  j'ai  cru  la  danse  ime  véritable  déclamation,  Mole 
jouant  Beverley,  Guimard  dansant  Myrza,  me  touchent  égale- 
ment. » 


LA  GUIMARD.  3 

rondissements  de  bras  flatteurs  \.  Et  dans  cette 
danse,  des  pauses,  des  repos,  des  hésitations 
avec  des  pieds  comme  distraits,  dont  soudain 
la  danseuse  sort  et  s'échappe  par  un  élan,  une 
fuite,  un  pas  hardi. 

Mais  la  Guimard  excelle  surtout  dans  ces 
ballets,  où  la  pantomime  apporte,  pour  ainsi 
dire,  de  la  spiritualité  à  la  danse,  et  lui  fait  ex- 
primer par  l'éloquence  de  la  physionomie,  par 
la  magie  des  gestes,  par  le  je  ne  sais  quoi  des 
mouvements  et  des  pas,  l'état  d:âme  d'une 
fillette  s 'ouvrant  à  l'amour,  ainsi  que  dans  la 
Chercheuse  d'Esprit,  qu'on  pourrait  appeler 
de  la  danse  psychique. 

Puis  encore  la  danseuse  de  la  Chercheuse 
d'Esprit  a  un  talent  chorégraphique  tout  spé- 
cial, et  n'appartenant  qu'à  elle  :  elle  est  par 
excellence  la  danseuse  du  Ballet  Anacréon- 
tique. 

Oui,  dans  ce  ballet,  aux  tableaux  dessinés 
par  le  sentiment,  à  la  danse  toute  de  grâce 
légère  et  de  chaste  volupté,  et  qui  semble  la 
mise  en  scène  mouvementée  et  gracieuse  du 
Plaisir  délicat  et  de  l'Amour  ingénu,  la  Gui- 

1.  Le  danseur  Dupré  disait  :  «  Ce  n'est  pas  encore  assez  de 
bien  danser  avec  les  jambes,  il  faut  encore  savoir  danser  arec 
les  bras.  » 


4  LA   GUIMARD. 

mard  est  inimitable,  et  quand  elle  quitte  le 
théâtre,  elle  emporte  avec  elle  un  genre  qui  ne 
revivra  plus  jamais  sur  les  planches  de  l'Aca- 
démie royale  de  musique1. 

d.  Lettres  sur  les  Arts  Imitateurs,  par  Noverre.  A  Paris, 
ehez  Léopold  Collin,  1807. 


II 


D'après  l'acte  de  baptême,  annexé  au  brevet 
de  la  pension  accordée  à  la  danseuse  par  le 
roi  Louis  XY,  Marie-Madeleine  Guimard  au- 
rait été  baptisée  le  27  décembre  1743,  jour  de 
sa  naissance,  et  elle  serait  la  fille  de  Fabien 
Guimart  (sic)  inspecteur  des  manufactures  des 
toiles  à  Voiron,  en  Dauphiné,  et  de  Marie-Anne 
Bernard  son  épouse,  demeurant  rue  de  Bour- 
bon1. 

Cet  acte  de  baptême  met  à  néant  une  partie 
du  rapport  de  police  de  Marais,  qui  donne 
pour  son  vrai  nom  à  la  danseuse,  le  nom  de 
Marie  Morelle,  et  en  fait  la  fille  bâtarde  d'un 

1.  Le  parrain  était  Antoine  de  Sameron  ;  la  marraine  Marie- 
Magdelaine  Bernard.  Extrait  du  registre  des  baptêmes  de  la 
paroisse  Bonne-Nouvelle  de  Paris.  (Archives  Nationales  0*677.) 
Académie  royale  de  musique  au  XVIIIe  siècle,  par  E.  Campar- 
don.  Paris,  1884. 

1. 


6  LA    GUIMARD. 

juif,  nommé  Bernard,  mort  au  Châtelet,  où  il 
aurait  été  détenu  pour  dettes  pendant  des 
années,  et  d'une  nommée  Morelle,  de  bonne  fa- 
mille bourgeoise,  que  le  juif  avait  débauchée 
dans  le  temps,  où  il  faisait  une  certaine  figure 
sur  le  pavé  de  Paris  *. 

Oui,  la  danseuse  est  bien  la  fille  d'un  nommé 
Guimart,  et  sa  mère  s'appelle  réellement  Ber- 
nard, et  il  n'y  a  de  vrai  dans  le  rapport  du  poli- 
cier Marais,  que  sa  bâtardise. 

En  effet  l'extrait  de  baptême  contient  un 
faux,  la  dame  Bernard  n'était  pas  l'épouse  de 
Fabien  Guimart,  ainsi  que  le  prouve  l'acte  de 
légitimation  de  la  danseuse,  acte  de  légitima- 
tion sans  doute  consenti  par  le  père,  pour 
assurer  à  sa  fille  sa  succession,  et  que  M.  Cam- 
pardon  donne  d'après  les  Archives  Natio- 
nales. 

Dans  cet  acte,  la  demoiselle  Marie-Madeleine 
Guimard,  faisant  profession  de  la  religion  catho- 
lique, apostolique,  romaine,  expose  qu'elle  est 
née  du  commerce  illégitime  qu'eurent  autrefois 
le  sieur  Fabien  Guimart,  inspecteur  des  manu- 
factures des  toiles  de  Voiron,  et  de  la  défunte 
Anne  Bernard,  ses  père  et  mère,  tous  deux  lors 

1    La  demoiselle  Morelle,  dite  Guimard,  danseuse.  Rapport 
de  police  de  Marais,  Revue  rétrospective,  vol.  VIII. 


LA    GUIMARD.  7 

libres  et  non  mariés,  mais  que  dans  le  malheur 
de  sa  naissance,  elle  a  eu  le  bonheur  d'être 
élevée  avec  beaucoup  de  soins,  et  qu'aujour- 
d'hui son  père  désirant  lui  continuer  les 
marques  de  l'amitié  et  de  la  tendresse  person- 
nelle, qu'il  a  toujours  eues  pour  elle,  et  vou- 
lant lui  assurer  son  état,  a  consenti,  conjoin- 
tement avec  son  frère,  prêtre,  chanoine  du 
diocèse  d'Orléans,  à  lui  accorder  les  lettres  de 
légitimation,  à  l'effet  d'effacer  la  tache  de  sa 
naissance,  et  de  la  faire  jouir  des  privilèges  et 
avantages  des  enfants  légitimes. 

Et  Louis  XV,  par  sa  grâce  spéciale,  pleine 
puissance  et  autorité  royale,  légitimant  ladite 
demoiselle  Guimard,  «  du  litre  de  légitime  l'a- 
vons décorée  et  décorons  »,  dit-il,  —  et  dans  la 
belle  langue  autoritaire  de  l'ancienne  monar- 
chie, il  continue  ainsi  : 

«  Voulons  et  nous  plaît,  qu'en  tous  actes, 
tant  en  jugement  que  dehors  et  en  toutes  occa- 
sions, elle  puisse  prendre  et  porter  le  nom  de 
Marie-Madeleine  Guimard  et  qu'elle  soit  tenue, 
censée  et  réputée,  comme  nous  la  tenons,  cen- 
sons  et  réputons  légitime,  qu'aucun  défaut  ne 
lui  soit  reproché  sur  sa  naissance,  et  qu'elle 
jouisse,  en  ladite  qualité,  des  mêmes  honneurs, 
prérogatives,  droits,   privilèges,  franchises  et 


8  LA    GUIMARD. 

avantages,  dont  jouissent  et  doivent  jouir  nos 
autres  sujets  légitimes. 

Toutefois  ce  réveil  de  la  paternité  chez  l'in- 
specteur des  toiles  de  "N  oiroD  n'avait  eu  lieu 
qu'en  décembre  17ti.v;.  Était-ce  no  remords  tar- 
dif de  l'abandon  de  son  enfant,  aux  approches 
de  la  mort?  Car  dans  les  années  de  l'enfance 
de  la  petite  Marie-Madeleine,  et  aussi  dans  les 
années  de  l'apprentissage  de  son  métier,  nous 
ne  trouvons  aucune  trace  de  ce  père,  et  de 
l'occupation  aimante  qu'il  devait  avoir  de  sa 
fille. 

Et  ma  foi.  l'on  est  tenté  d'ajouter  une  cer- 
taine créance  au  rapport  de  Marais,  quand  il 
affirme  que  l'éducation  chorégraphique  de  la 
jeune  Guimard  a  été  faite,  surtout,  grâce  aux 
secours,  que  la  mère  avait  su  adroitement  tirer 
de  M.  d'Harnoncourt  et  du  président  de  Saint- 
Lubin.  tous  deux  connus  pour  être  des  édu- 
cateurs des  jeunesses  à  talent,  tous  deux,  de 
ces  vieux  débauchés,  se  préparant,  avec  des 
soins  paternels,  des  maîtresses  dans  de  petites 
filles,  et  qu'un  auteur  du  dix-huitième  siècle 
compare  aux  jardiniers  hâtant  ai  serre  chaude 
le  céleri. 

«  Toute  jeunette  encore.  Madeleine  Guimard, 
dit  la  Police  dévoilée,  avait  trop  de  grâce  dans 


LA    Gl'IMARD.  9 

ce  qu'elle  disait,  pour  qu'on  ne  fût  pas  tenté  de 
voir,  si  elle  en  mettrait  autant  dans  ce  qu'elle 
ferait  '.  »  Et  le  on  désigne  spécialement  M.  le 
président  de  Saint-Lubin. 

1.  La.  police  de  Paris  dévoilée,  par  Pierre  Manuel.  L'an 
second  de  la  Liberté. 


III 


En  ces  années,  il  y  avait  un  corps  de  ballet 
attaché  à  la  Gomédie-Française,  et  indépen- 
damment des  ballets  d'intermèdes  ou  diver- 
tissements, les  deux  ballets  de  la  Mort  d'Or- 
phée ou  les  Fêtes  de  Bacchus,  ballet  héroïque 
(6  juin  1759),  et  Yertumne  et  Pomone,  ballet 
pantomime  (30  avril  1760),  avaient  un  succès 
comparable  aux  ballets  les  plus  suivis  de  l'Aca- 
démie royale  de  musique. 

Or  donc,  en  vertu  de  la  double  protection 
de  M.  d'Harnoncourt  et  du  président  de  Saint- 
Lubin,  la  fillette  de  quinze  à  seize  ans  entrait, 
en  1758,  dans  le  corps  de  ballet  '. 

L'on  ignore  le  chiffre  de  son  traitement.  Les 
archives  de  la  Comédie-Française  font  seule- 
ment mention  d'une  gratification  de  cent  livres 

1.  En  effet,  Mlle  Guimard,  alors  âgée  de  seize  ans,  figure 


LA  GUIMARD.  11 

qu'elle   reçoit   en  l'année  1760-4761,  et  con- 
servent cette  curieuse  lettre  de  sa  besoigneuse 


comme  première  danseuse  dans  VÉtat  actuel  de  la  musique 
de  la  Chambre  du  Roi  et  des  trois  spectacles  de  Paris. 

Mais  donnons  cet  état,  où  parmi  les  danseurs  nous  allons 
trouver  son  premier  amant  : 

État  des  personnes  qui  composent  le  Ballet 
de  la  Comédie-Françoise. 

Directeur 

M.  de  Bel  court. 

Compositeur  de  musique 

M.  Girault. 

Répétiteur 
M.  De hault. 
Maître  de  ballet 

M.  *** 

Premiers  danseurs 

Messieurs 


Premières  danseuses 

Mesdemoiselles    ' 

Alard,  nie  du  Jour  près  Saint-Eustache.  Guimard,  rue  du  Jour  près 

Saint-Eustache. 

Danseurs  figurants 

Messieurs 

Gougi,  Desprée,   Martin,   Biot,  Léger,    Papillon, 

Grangée,   Antoine,  Rivière. 

Danseuses  figurantes 

Mesdemoiselles 


Figurantes  surnuméraires 
Mesdemoiselles 


L'orchestre  était  ainsi  composé  :  les  Violons  étaient  MM.  Branche, 
Blondeau,  Noël,  Milandre,  Gérard  ;  les  Violoncelles  :  MM.  Patouard, 
Descombes,  Conrad  ;  le  Basson  :  M.  Dupré  ;  les  Hautbois  :  MM.  Ma- 
dron,  Beraud  ;  les  Cors  de  Chasse  :  MM.  Froment,  Hébert  ;  le  Tim- 
balier :  Soret. 


12  LA    GUIMARD. 

mère,  très  pressée  d'argent,  à  propos  d'un  re- 
tard d'une  quinzaine  de  jours  dans  le  paiement 
des  appointements  de  sa  fille. 

«  A  Messieurs  les  Comédiens  Français 
du  Faubourg  Saint- Germain,  en  leur 
hôtel  à  Paris. 

«  Messieurs  et  dames, 

«  Je  ne  sais  par  quelle  raison  l'on  refuse  de 
payer  à  Mademoiselle  Guimard,  à  l'échéance 
de  son  mois.  Son  engagement  est  du  premier 
avril,  et  le  sieur  Baron  vient  de  me  dire  qu'il 
n'avait  ordre  de  payer  que  le  quatorze  de  ce 
mois.  Mes  facultées  (sic)  ne  me  permettent  pas 
d'attendre  davantage.  J'ai  besoin  d'argent.  Fai- 
tes-moi le  plaisir  d'ordonner  qu'on  m'en  donne, 
sans  quoi,  il  ne  me  serait  pas  possible  de  per- 
mettre que  ma  fille  danse,  étant  obligée  de  faire 
des  avances,  toutes  les  fois  qu'elle  vient  au  thé- 
âtre. J'ai  l'honneur  d'être  très  parfaitement 

«  Messieurs  et  dames,  votre  très  humble, 
obéissante  servante. 

«  La  veuve  Guimard. 

«  6  mai  1760.  » 


IV 


De  la  toute  jeune  danseuse,  de  la  fillette  de 
quinze  à  seize  ans,  voici  le  portrait  que  nous 
donne  le  policier  Marais,  en  octobre  1760  : 

«  Bien  faite,  et  déjà  en  possession  de  la  plus 
jolie  gorge  du  monde,  d'une  figure  assez  bien, 
sans  être  jolie,  l'œil  fripon,  —  et  portée  au  plai- 
sir1. » 

Et  portée  aux  amourettes,  car  au  mois  de 
septembre  1760,  en  dépit  de  la  surveillance  de 
sa  mère,  qui  «  a  eu  toujours  une  grande  atten- 
tion pour  l'accompagner  jusque  dans  les  cou- 
lisses »  —  c'est  sa  mère,  qui  parle  ici,  —  et  en 
dépit  de  la  surveillance  de  la  sœur  de  sa  mère, 
sa  tante  Levray,  la  jeune  coryphée  est  en  cor- 

1 .  La  demoiselle  Morelle,  dite  Guimard,  danseuse,  entretenue 
nouvellement  par  M.  Bertin,  trésorier  des  parties  casuelles. 
Rapport  de  Marais,  publié  dans  le  vol.  VIII  de  la  Revue  ré- 
trospective. 

2 


14  LA    GUIMARD. 

respondance  amoureuse  avec  le  danseur  Léger, 
ci-devant  danseur  à  la  Comédie-Française  et 
actuellement  danseur  à  l'Opéra.  Oui,  l'amou- 
reux danseur  s'était  introduit  chez  la  veuve 
Guimard  '  et  lui  avait  fait  une  vingtaine  de  vi- 
sites, sous  le  prétexte  de  lui  demander  sa  pro- 
tection pour  danser  seul  avec  sa  fille,  quand, 
un  jour,  la  mère  mise  au  fait  de  la  correspon- 
dance existant  entre  le  danseur  et  l'adolescente, 
l'avait  congédié  dans  l'intérêt  de  la  réputation 
de  sa  fille. 

Or,  sur  ces  entrefaites,  il  était  arrivé,  et  la 
chose  remontait  à  dix-huit  mois,  il  était  arrivé 
que  la  veuve  Guimard  retirait  chez  elle  la  Ber- 
nard, sa  belle-sœur  que  son  frère  venait  d'épou- 
ser, et  que  le  danseur  Léger  avait  l'art  de  si  bien 
gagner  à  sa  passion,  qu'elle  se  chargeait  de  ses 
lettres  pour  sa  nièce,  et  triomphait  même  des 
hésitations  de  la  jeune  fille  pour  y  répondre  de 
nouveau.  Et  si  bien,  elle  en  triomphait  au  bout 
de  quelque  temps,  qu'une  lettre  de  la  jeune 
Guimard,  surprise  par  sa  mère,  lui  révélait  tout 
l'empire  qu'avait  le  danseur  Léger  sur  l'esprit 
de  sa  fille. 

1.  La  Bernard  prend  une  qualification  fausse.  Elle  n'est  pas 
l'épouse  de  Fabien  Bernard  qui  vit  encore  et  qui  lui  survivra, 
car  elle  meurt  le  23  septembre  1761,  une  année  après  sa  plainte. 


LA    GUIMARD.  15 

Mais  la  Bernard  ne  s'était  pas  contentée 
d'être  l'entremetteuse  de  sa  nièce.  La  veuve 
Guimard  apprenait,  après  le  renvoi  de  sa  belle- 
sœur  de  chez  elle,  que  la  méchante  femme 
avait  débité  à  des  personnes  de  considération, 
«  qu'elle  était  une  malheureuse,  rendant  sa  fille 
la  plus  misérable  créature,  qu'elle  l'avait  vou- 
lu faire  violer,  la  tenant  elle-même  pour  cela, 
et  d'autres  semblables  horreurs  ».  Et  la  fille, 
interrogée  par  la  mère,  répondait  qu'elle  n'a- 
vait pas  connaissance  de  ces  horribles  calom- 
nies, mais  qu'il  était  vrai  que  sa  tante  lui  avait 
trouvé  un  moyen  sûr  de  la  faire  sortir  de  chez 
sa  mère,  pourvu  qu'elle  ne  la  démenlît  pas. 

Et  à  la  fin  de  sa  plainte1,  la  veuve  Guimard 
déclare  que  le  danseur  Léger,  exaspéré  de  ne 
pouvoir  exécuter  les  vues  criminelles  qu'il  a 
sur  sa  fille,  ne  cesse  de  les  poursuivre,  elle  et 
sa  sœur  Mme  Levray,  de  les  poursuivre  de  sa 
colère  partout  et  à  la  Comédie-Française, 
chaque  fois  que  sa  fille  y  danse,  et  qu'il  est  ar- 
rivé plusieurs  fois  à  la  comparante  d'être  in- 
sultée   par  des  fiacres,  qu'elle   est  obligée  de 


1.  Plainte  rendue  par  la  mère  de  MUe  Guimard  danseuse  à 
la  Comédie  Française,  contre  un  sieur  Léger  qu'elle  accusait  de 
vouloir  séduire  sa  fille.  Les  comédiens  du  roi  de  la  troupe 
française,  par  Emile  Campardon.  Champion,  1879. 


16  LA    GUIMARD. 

prendre,  lorsqu'elles  sortent  tard  de  la  Comé- 
die-Française et  qu'elle  a  lieu  de  présumer,  que 
c'est  le  dit  Léger  qui  les  fait  insulter. 

Et  la  comparante  affirme  :  que  la  veille,  sa 
belle-sœur  Levray  ayant  conduit  à  la  Comédie- 
Française  sa  fille,  qu'elle  ne  pouvait  ce  jour 
accompagner,  quelques  moments  auparavant 
que  le  ballet  fût  commencé,  la  dame  Levray 
dans  le  foyer  où  l'avait  fait  descendre  sa  fille, 
ayant  vu  le  dit  Léger,  lui  avait  dit  :  «  Il  faut 
nous  retirer,  puisque  le  ballet  n'est  pas  prêt  à 
être  dansé.  »  —  Sur  quoi.  Léger  lui  avait  de- 
mandé, si  c'était  lui  qui  était  la  cause  pourquoi 
elles  se  retiraient,  elle  lui  a  répondu  que  oui; 
que  là-dessus  il  avait  quitté  la  place,  mais  était 
presque  aussitôt  revenu,  et  voyant  les  deux 
femmes  rentrer  dans  les  coulisses,  au  moment 
où  elles  sortaient  du  foyer,  le  dit  Léger,  à  haute 
voix,  a  traité  la  dame  Levray  de  «  salope  »  et 
d'indigne  créature,  et  autres  sottises,  ajoutant 
que  si  elle  n'était  point  à  la  Comédie,  il  lui 
donnerait  «  cent  coups  de  pieds  dans  le  cul,  »  ce 
qui  a  été  entendu  par  plusieurs  personnes  qui 
étaient  là,  qu'elle  a  prises  à  témoin. 

La  plainte  se  termine  par  cette  phrase  : 
«  Et  comme  la  comparante  a  grand  intérêt  à 
faire  cesser  les  odieuses  calomnies  de  la  dame 


LA    GUIMARD.  17 

Bernard,  sa  belle-sœur,  et  d'arrêter  les  pour- 
suites criminelles  du  dit  Léger,  au  sujet  de  sa 
fille,  dont  il  pourrait  abuser  de  sa  jeunesse  et 
de  son  peu  d'expérience...  elle  a  été  conseillée 
de  se  retirer  par  devant  nous,  pour  nous  faire 
la  présente  déclaration  et  nous  rendre  plainte. 

«  Signé  :  M.  A.  Bernard;  Leblanc1.  » 


La  suite  et  le  dénouement  de  cette  amourette, 
nous  les  trouvons  dans  le  Gazetier  cuirassé, 
qui  dit,  à  quelques  années  de  là,  en  parlant  de 
la  Guimard  :  «  De  toutes  les  filles  qui  dansent 
à  l'Opéra,  on  ne  trouve  que  la  seule  mademoi- 
selle Guimard  qui  n'a  pas  commencé  par  un 
laquais,  un  soldat,  ou  un  perruquier;  c'est  au 
danseur  Léger  (qui  a  eu  l'indiscrétion  de  le 
dire)  qu'elle  doit  ses  premières  leçons,  et  un 
enfant,  dont  elle  a  accouché  dans  un  grenier,  au 
milieu  de  l'hiver,  sans  feu  et  sans  courte-pointe 
de  dentelle.  » 

Dans  une  note,  où  Théveneau  de  Morande 
constate  qu'elle  a  maintenant  un  suisse,  un  hôtel, 
six  chevaux,  autant  de  domestiques,  le  pam- 
phlétaire affirme  qu'elle  s'est  vue  réduite  à  se 

1.  La  plainte  de  la  mère  de  Guimard  est  du  5  septembre, 
1760. 


1S  LA   GUIMARD. 

chauffer  tout  naturellement  avec  de  l'amour, 
pendant  les  deux  hivers  qu'elle  a  vécu  avec  le 
danseur  Léger. 

Et  I'Arnoldiaxa  confirme  le  fait,  disant  :  «  Ce 
fut  au  danseur  Léger,  que  M1Ie  G dut  son  pre- 
mier pas,  et  un  enfant  dont  elle  accoucha  dans 
un  grenier,  au  milieu  de  l'hiver,  sans  feu  et  sans 
linge. 

Premier  amour,  auquel  fait  encore  allusion, 
dans  ses  Statuts  pour  ï Opéra,  le  poète  Barthe, 
disant  à  ce  sujet  : 

Que  celles  qui,  pour  prix  de  leurs  heureux  travaux, 
Jouissent  à  vingt  ans  d'une  honnête  opulence, 

Ont  un  hôtel  et  des  chevaux, 
Se  rappellent  parfois  leur  première  indigence 
Et  leur  petit  grenier  et  leur  lit  sans  rideaux. 

Leur  défendons,  en  conséquence, 

De  regarder  avec  pitié 

Celle  qui  s'en  retourne  à  pié; 

Pauvre  enfant  dont  l'innocence 

N'a  pas  encore  réussi, 

Mais  qui,  grâce  à  la  danse, 

Fera  son  chemin  aussi. 

Or  la  veuve  Guimard  était-elle  une  aussi  fa- 
rouche gardienne  de  l'honneur  de  sa  fille,  quand 
l'amoureux  n'était  pas  un  pauvre  diable  de  dan- 
seur? Il  ne  le  semble  vraiment  pas,  d'après  le 
texte  de  ce  rapport  de  la  police  déjà  cité,  et  qui 


LA    GUIMARD.  19 

est  delà  même  année,  et  presque  du  même  mois 
que  la  plainte. 

«  Jusqu'à  présent  on  a  toujours  vu  sa  mère 
(la  mère  Guimard)  la  tenir  de  fort  court,  en  ne 
négligeant  pas  cependant  de  la  faire  paraître 
aux  foyers  du  spectacle,  pour  y  faire  quelques 
dupes.  Il  ne  s'était  encore  présenté  personne  qui 
voulût  parler  clair;  mais  on  sait  pertinemment, 
quoique  cela  se  dise  tout  bas,  que  M.  Bertin, 
trésorier  des  parties  casuelles,  s'en  est  chargé, 
et  lui  a  fait  meubler  très  proprement  un  appar- 
tement près  de  la  Comédie,  sans  que  la  demoi- 
selle Hus,  actrice  du  même  théâtre,  qu'il  entre- 
tient à  gros  frais,  depuis  plusieurs  années,  en 
ait  aucune  connaissance.  Les  méchants  qui  se 
plaisent  dans  les  brouilleries  de  ces  sortes  de  pe- 
tits ménages  clandestins,  attendent  avec  satis- 
faction, le  moment  où  la  demoiselle  Hus  sera 
instruite  du  nouveau  goût  de  son  Plutus.  On 
la  connaît  très  violente,  fort  méchante,  et  l'on 
croit  qu'il  passera  de  très  mauvais  moments, 
ainsi  que  la  demoiselle  Guimard;  mais  heureu- 
sement cette  dernière  a  une  mère  qui  n'en- 
tend pas  raillerie,  et  qui  pourra  bien  ne  pas 
respecter  la  figure  de  cette  nouvelle  Médée.  » 

Marais  ajoute  : 


20  LA    GUIMARD. 

«  On  assure  que,  sans  les  soins  de  lanière,  la 
demoiselle  Guimard  aurait  certainement  laissé 
cueillir  sa  première  fleur  à  un  jeune  danseur 
Prévost  d'Hyacinthe1,  ci-devant  maître  des  bal- 
lets, qui  lui  a  montré  longtemps,  lequel  est 
d'une  fort  jolie  figure,  et  dont  on  la  sait  amou- 
reuse folie.  A  présent  que  la  fortune  a  changé 
de  face,  elle  pourra  satisfaire  son  goût  et  son 
ambition.  M.  Bertin  ne  gène  pas  trop  ses  maî- 
tresses, et  elles  ont  été  toutes  dans  l'usage  de 
guerluchonner  ;  d'ailleurs  la  chère  mère  qui  a 
été  elle-même  susceptible  d'amour,  deviendra 
sans  doute  traitable  pour  se  conserver  une  fille 
qui  fait  toute  sa  ressource.  » 

1.  Il  y  a  bien  certainement  une  erreur  de  nom  dans  le  rap- 
port de  Marais,  et  le  premier  amant  de  la  Caiimard  est  incon- 
testablement le  sieur  Léger,  qui  figure  comme  danseur  figu- 
rant dans  les  artistes  composant  le  ballet  de  la  Comédie 
Françoise. 


L'année  suivante,  en  1761,  la  jeune  danseuse 
de  la  Comédie-Française,  que  le  policier  Marais 
appelle  dans  son  rapport  :  «  une  des  premières 
danseuses  dans  le  genre  des  grâces  »,  était  en- 
gagée à  l'Opéra  et  signait  l'engagement  que 
voici  : 

«  Je  soussignée  ,  âgée  de 

m'engage  envers  l'Académie 
Royale  de  Musique,  pour 

tant  sur  son  théâtre  que  sur  celui  de  la  Cour, 
même  les  jours  extraordinaires,  à  me  rendre 
exactement  à  toutes  les  répétitions,  aux  jours 
et  heures  qui  me  seront  indiqués,  soir  et  ma- 
tin, indistinctement,  sans  pouvoir,  pour  rai- 
son de  ce,  exiger  aucune  rétribution  particu- 
lière, le  présent  engagement  fait  moyennant  la 
somme  de 
d'appointements  et  de 


22  LA   GUIMARD. 

gratification  annuelle  qui  commenceront  à  cou- 
rir du  ,  me  sou- 
mettant à  tout  ce  qui  est  prescrit  par  les  ordon- 
nances et  règlements  royaux,  concernant  le 
service  de  la  dite  Académie. 

«  Fait  à  Paris,  ce         mil  cept  cent1 .  » 

Or,  MUe  Allard  ayant  fait  une  chute,  et  s'étant 
blessée  au  pied,  MIlc  Guimard  débutait,  le  9  mai 
1762,  dans  le  rôle  de  Terpsichore,  du  prologue 
des  Fêtes  Grecques  et  Romaines,  et  au  dire  du 
Mercure  de  France,  était  reçue,  et  doublait  cette 
entrée  avec  beaucoup  d'agrément. 

Les  Mémoires  secrets  constatent  le  grand 
succès  de  la  débutante,  vantent  sa  légèreté,  et 
ne  lui  reprochent  guère  que  de  manquer  «  de 
grâces  plus  arrondies  »  dans  certaines  parties 
du  rôle. 


1.  L'engagement  que  je  donne  est  à  la  date  de  1781,  mais  il 
ne  doit  être  qu'une  l'épétition  de  l'engagement  des  années  qui 
précèdent.  (Bibliothèque  de  l'Opéra.  Registre  des  Menus  Plai- 
sirs, année  1781.) 


VI 


Mlle  Guimard  ne  se  trouve  pas  portée  sur  le 
catalogue  de  l'Opéra  en  1761,  ni  même  en  1762, 
dans  les  Spectacles  de  Paris,  mais  en  1763,  cet 
almanach  des  Spectacles  la  fait  figurer  à  la  danse 
comme  danseuse  seule,  en  double  et  figurante 
entre  Mlle  Dumonceau  et  Peslin. 

MUe  Guimard  a  au-dessus  d'elle,  comme  dan- 
seuses seules,  Mlles  Lany,  Lyonnais,  Yestris, 
Allard. 

Elle  a  au-dessous  d'elle,  parmi  les  danseuses 
figurantes,  Mlles  Demiré,  Rey,  Basse,  Saron,  Saint- 
Martin,  Petitot,  et  parmi  les  surnuméraires, 
Mlles  Dornet-Lozange,  Buard,  Siane  Yillette, 
Cornu,  Daché,  Lacour,  Martaise,  Contât,  Bous- 
carelle,  Coustou. 

Elle  danse  avec  les  danseurs  Lany,  Vestris, 
Laval,  Lyonnais,  Gardel,  Grosset,  Dauberval, 
etc.,  etc. 


24  LA    GUIMARD. 

Dans  les  opéras,  où  il  y  a  de  la  danse,  elle 
danse  en  compagnie  des  chanteuses  Chevalier, 
Sophie  Arnould,  Durancy,  des  chanteurs  Gelin 
Larivée,  Pillot,  etc. 

Le  chef  d'orchestre  est  Berton,  et  le  violon 
pour  les  répëtitions  de  danse,  est  M.  Paris. 

Enfin,  pour  compléter  le  tableau  de  l'orga- 
nisation de  l'Académie  Royale  de  Musique, 
nommons  les  directeurs  qui  sont,  pour  l'heure, 
Rebel  et  Francœur. 

Et  voici  la  liste  des  contrôleurs,  commis- 
employés  pour  le  service  de  ladite  Académie  : 

Joli  veau,  secrétaire  perpétuel  de  V  Académie 
et  inspecteur  au  Magasin. 

Girault,  machiniste. 

Boquet,  dessinateur  des  habits. 

Bourbon,  garde-magasin  général,  à  l'Aca- 
démie. 

Delaistre,  maître-tailleur  d'habits  à  V Aca- 
démie. 

Duplessis,  inspecteur  des  commis  de  la  salle  et 
contrôleur  à  la  porte. 

De  la  Porte,  receveur  au  bureau  des  balcons  et 
des  loges. 

Le  Fèvre,  receveur  au  bureau  du  parterre. 

Bourque,  chargé  du  recouvrement  des  loges 
louées  à  l'année,  receveur  au  bureau  des  supplé- 


LA   GUIMARD.  25 

ments  et  contrôleur  des  places  dans  la  salle. 

Le  Loutre,  pour  placer  à  ï amphithéâtre . 

JHoubant  et  la  demoiselle  Le  Loutre  pour  pla- 
cer aux  premières  loges. 

La  demoiselle  Morizot,  la  demoiselle  Dun 
pour  placer  aux  secondes  loges. 

Bouteillier  et  la  demoiselle  Bulle,  pour  pla- 
cer aux  loges  louées  à  l'année  dans  la  partie  du 
théâtre  et  au  cintre. 

Il  faut  s' adresser  pour  louer  les  loges  à  l'Opéra, 
chez  M.  de  La  Vorte,  maître  parfumeur,  vis-à- 
vis  le  café  de  Dupuis. 

Et  l'état  de  l'Opéra  de  1763  se  termine  par 
cette  note  :  «  La  garde  de  l'Opéra  est  composée 
de  quarante  hommes  du  régiment  des  gardes 
françaises,  y  compris  deux  sergents  et  quatre 
caporaux.  Elle  est  commandée  par  MM.  De- 
brousset  et  La  Garenne,  sergents-majors.  Pour 
les  jours  de  bal,  elle  est  augmentée  de  vingt 
hommes.  » 

Dans  un  rare  petit  livre,  publié  en  1759,  et 
intitulé  :  Etat  actuel  de  la  musique  de  la  cham- 
bre du  Roy  et  des  trois  spectacles  de  Paris. 
Contenant  les  noms  et  demeures  de  toutes  les  per- 
sonnes qui  y  sont  attachées...  je  trouve  cette  im- 
mense liste  des  marchands  et  ouvriers  «  four- 

3 


26  LA    GUIMARD. 

nissant  et  travaillant  pour  l'Opéra  »  :  Berthelin 
de  Neuville,  chandelier,  rue  Saint -Honoré, 
Garibi,  serrurier,  rue  Niçoise,  LecuxQr.  plumas- 
sier,  rue  de  Grenelle-Honoré,  Buiïault,  marchand 
de  soierie,  rue  Saint-Honoré,  Celet,  marchand  de 
galons,  rue  Saint-Denis,  Lebrun,  cordonnier,  rue 
Pavée  -Saint-  Sauveur ,  Feret,  marchand  gazier, 
rue  Saint-Dénis.  La  dame  La  Porte,  pour  les 
gants,  rue  Saint-Honoré,  Berton,  pour  les  toiles, 
rubans  et  merceries,  rue  aux  Fers.  Xotrelle, 
perruquier,  place  du  Carrousel,  Ponthieu,  lus- 
trier,  place  Dauphine;  Ducreux,  pour  les  mas- 
ques. Pont  Xotre-Dame. 

Ce  Du  Creux  semble  avoir  été  remplacé  plus 
tard  par  un  sieur  Bignon,  auquel  succédait  un 
sieur  Halle,  dont  je  possède  une  charmante 
adresse,  aux  montants  faits  de  deux  corps  de 
femmes  nues  jusqu'à  la  ceinture,  soutenant  une 
draperie,  entourée,  sous  une  tête  de  Momus, 
d'une  guirlande  de  masques. 

On  lit  sur  cette  adresse  : 

A  LA  FOLIE 

HALLE 

Dit  Mercier 

«  Peintre  et  modeleur,  successeur  du  S.  Bigxox 
Md,  fabricant  de  casques  et  de  masques  des  Menus 


LA   GU1MARD.  27 

Plaisirs  du  Roi,  de  l'Opéra  et  des  autres  specta- 
cles, tient  toutes  sortes  de  casques  grecs  et  romains 
et  dans  tous  les  genres  et  autres  accessoires  pour 
le  théâtre,  comme  cabochons  de  toute  forme  et  de 
toute  grandeur  pour  faire  des  coiffures.  Frontons 
de  Diable  pour  Furies,  Mascarons  deLijon,  épau- 
lettes,  caducées,  marotes,  carquois  d amours  et  de 
sauvages.  Flambeaux  d  amour  et  de  furies.  Ser- 
pens  de  toute  grosseur.  Têtes  d  animaux  en  tout 
genre  pour  les  pantomimes,  Boucliers  de  toute 
forme  et  trophées  et  tout  ce  qui  peut  servir  aux 
spectacles.  De  plus,  entreprend  le  décor  en  carton 
pour  le  théâtre,  appartements  et  boudoirs,  comme 
figures,  chapiteaux,  corniches,  cariatides  et  au- 
tres. Von  trouve  dans  son  magasin  toutes  sortes 
de  masques  fins  de  Venise  de  la  première  qualité, 
tant  doublés  en  soie  qu'en  batiste  pour  les  bals, 
toutes  sortes  de  masques  pour  le  théâtre.  Masques 
de  velours  pour  les  traîneaux,  pour  les  chimistes, 
pour  poudrer  dun  nouveau  goût,  ainsi  que  des 
masques  communs  à  différents  prix.  Fait  des  en- 
vois en  province. 

«  Rue  de  V arbre-Sec,  19,  au  troisième. 

«  Paris.  » 


VII 


En  ces  années  des  débuts  de  la  Guimard  à 
l'Opéra,  les  rapports  de  police  nous  renseignent 
sur  la  continuation  des  amours  passagères  et 
vénales  de  la  danseuse. 

En  septembre  1763,  elle  est  quittée  par  le 
comte  de  Boutourlin,  ambassadeur  de  Russie  en 
Espagne,  qui  pendant  un  séjour  à  Paris,  après 
avoir  vécu  quelque  temps  avec  elle,  l'abandonne 
complètement  pour  la  demoiselle  Lafond,  de  la 
Comédie  italienne.  Mais  presque  aussitôt,  elle 
est  reprise  par  le  comte  de  Rochefort,  qui  après 
avoir  payé  les  dettes  de  la  petite  Colette  des  Ita- 
liens, se  met  avec  MUe  Guimard,  en  débutant 
par  le  don  d'une  paire  de  boucles  d'oreilles  et 
d'un  collier  de  diamants  du  plus  grand  prix1. 

1.  Journal  des  Inspecteurs  de  M.  de  Sartines.  Dentu,  1863. 


LA    GUIMARD.  29 

Une  liaison  plus  durable  s'était  formée,  en  ces 
temps,  entre  la  danseuse  et  le  fermier  général 
artiste,  à  la  tête  fine,  aimable,  intelligente,  éveil- 
lée, que  Ton  voit  gravée  en  tête  d'un  des  plus 
beaux  livres  illustrés  du  dix-huitième  siècle,  et 
qui  porte  pour  titre  :  Choix  de  chansons,  mises  en 
musique  par  M.  de  la  Borde,  premier  valet  de 
chambre  ordinaire  dît  Roi,  gouvernenr  du  Lou- 
vre. Et  Jean  Benjamin  de  La  Borde,  célèbre  par 
ces  deux  vers  de  Voltaire  : 

Avec  tous  les  talens  le  destin  l'a  fait  naître 
11  l'ait  tous  les  plaisirs  de  la  société. 

était   devenu  un   des    amants  en  titre    de  la 
Guimard. 

De  cette  liaison  entre  le  premier  valet  de 
chambre  du  Roi  et  la  danseuse,  naissait  en  avril 
4763,  une  fille,  baptisée  comme  de  père  et 
mère  inconnus,  mais  dont  le  père  réclamait  la 
paternité,  en  octobre  1770,  affirmant  que  cette 
fille  était  bien  sa  propre  fille,  la  fille  naturelle  de 
Jean  Benjamin  de  La  Borde,  premier  valet  de 
chambre  du  Roi,  et  de  la  demoiselle  Guimard, 
qui  l'avaient  élevée  comme  telle,  et  l'avaient 
reconnue  par  un  acte  passé  devant  notaires,  le 
17  septembre  1770,  par  lequel  ils  consentent  à 

3. 


30  LA   GUIMARD. 

la  légitimation,  et  deux  notables  attestent 
qu'elle  est  leur  fille,  et  qu'ils  lui  ont  donné,  en 
cette  qualité,  l'éducation  convenable1... 

I.  Lettre  de  légitimation  en  faveur  de  la  demoiselle  Marie 
Madeleine  Guimard,  fille  naturelle  de  Mllc  Guimard  et  de  Jean 
Benjamin  de  Laborde.  (1770,  octobre.)  L  Académie  Royale  de 
Musique  au  xvmc  siècle,  parE.  Campardon,  Bcrgcr-Lcvrault, 
1884,  1"  vol. 


VIII 


L'année  qui  suit  son  début,  Mlle  Guimard  ob- 
tient un  vrai  succès  aux  spectacles  de  la  Cour. 

En  effet  le  Mercure  de  France  nous  apprend 
que  «  ce  jeune  sujet,  déjà  connu  et  applaudi  sur 
les  théâtres  de  Paris,  a  donné  devant  la  cour,  à 
Fontainebleau,  dans  l'opéra  de  Castor  et  Pollux, 
des  preuves  agréables  de  ses  progrès,  et  parti- 
culièrement dans  les  ballets  de  cet  opéra,  où 
elle  dansait  plusieurs  pas  de  deux  » . 

Tous  les  ans  Mlle  Guimard  s'empare  un  peu 
plus  du  public  de  Paris  et  de  la  cour.  Et  le  Mer- 
cure de  France  imprime  encore,  à  la  date  d'avril 
1764,  que  Mlle  Guimard  «  qui  a  profité  avec 
succès  des  circonstances  qui  l'ont  mise  à  portée 
de  paraître,  et  qui  n'en  plaît  que  davantage  au 
public,  a  chanté  et  joué  le  rôle  de  la  statue  dans 
Pygmalion,  et  qu'elle  s'est  acquittée  de  cet  em- 
ploi avec  grâce,  et  qu'elle  a  été  fort  applaudie. 


32  LA    GUIMARD. 

Enfin,  en  juillet  de  la  même  année,  le  Mercure 
témoigne  de  ce  que  le  zèle  infatigable  de  MUe  Gui- 
mard  et  son  assiduité  au  service  du  spectacle, 
en  font  une  des  danseuses  paraissant  le  plus 
souvent  en  scène. 


IX 


En  janvier  1766,  à  une  des  représentations 
des  Fêtes  de  l'Hymen  et  de  l'Amour,  que  l'on 
donnait  les  jeudis,  Mlle  Guimard  était  renversée 
par  une  pièce  de  décoration,  qui  lui  tombait  sur 
un  bras,  en  le  fracturant.  Mais  la  fracture  était 
simple,  et  Guérin,  le  chirurgien  des  mousque- 
taires, se  trouvant  à  l'Opéra,  ce  soir-là,  faisait 
sur  place  la  réduction  de  la  fracture,  sans  que 
la  courageuse  nymphe  poussât  un  cri1. 

Et  depuis  son  accident2  qui  n'avait  laissé 
d'inquiétude  à  personne,  chaque  fois  que  la  dan- 


1.  Mémoires  secrets,  vol.  II.  —  Mercure  de  France,  février 
1766. 

2.  Castil-Blaze,  dans  son  Académie  Impériale  de  Musique , 
avance  qu'une  messe  fat  dite  à  Notre-Dame,  pour  le  bras  cassé 
de  MUe  Guimard.  —  Sophie  Arnould  qui  trouvait  à  Mlle  Gui- 
mard plus  de  grâce  que  do  vrai  talent  de  danseuse,  dit  plai- 
samment :  «  Pauvre  Guimard,  si  elle  ne  s'était  cassé  qu'une 
jambe,  ça  ne  l'empêcherait  pas  de  danser!  » 


34  LA    GUIMARD. 

seuse  se  montrait  au  spectacle,  le  bras  en  écharpe, 
elle  y  recevait  les  témoignages  les  plus  flat- 
teurs de  l'intérêt  du  public1. 

Enfin,  à  sa  réapparition,  au  mois  d'octobre 
1766,  le  Mercure  de  France  imprimait  : 
«  Mlle  Guimard,  si  agréable  au  public  avant  son 
accident,  paraît  avoir  acquis  de  nouvelles  grâces 
et  de  nouvelles  perfections  dans  la  reprise  des 
Fêtes  lyriques.  » 

1.  Mercure,  mars  1766. 


X 


Au  dix-huitième  siècle,  il  existe  un  sultan 
de  l'Opéra,  dont  la  loge  est  un  sérail,  toujours 
remplie  de  vieilles  danseuses  retraitées  et  pen- 
sionnées par  lui1,  de  danseuses  en  exercice,  de 
danseuses  seules,  de  danseuses  en  double,  de 
danseuses  figurantes,  de  danseuses  surnumé- 
raires. Ce  sultan,  c'est  le  maréchal  prince  de 
Soubise. 

Une  tradition  veut  que  le  charmant  dessin 
de  Moreau,  qui  a  pour  titre  :  la  Petite  loge  du 
Monument  du  costume,  représente  le  prince,  dans 
ce  seigneur,  le  dos  tourné  à  la  lumière  de  la 
salle,  le  bras  sur  l'appui  de  velours,  la  lor- 
gnette à  la  main,  et  auquel  est  présentée  une 
débutante  par  une  mère  vraie  ou  fausse  2  qui  la 

1.  Correspondance  secrète,  vol.  VII. 

2.  A  propos  des  mères  d'actrices  de  l'Opéra,  citons  ce  pas- 
sage du  Gazetier  cuirassé   :  «  Il  y  a  une  école  à  l'Académie 


36  LA  GUIMARD. 

pousse  parla  taille  vers  l'altesse,  —  la  débutante 
encore  toute  montée  sur  ses  pointes,  encore 
tout  envolée  dans  sa  robe  aérienne  de  Bocquet, 
et  faisant  un  rond  de  bras,  pendant  que  le 
prince  lui  prend  légèrement  le  menton,  et  lui 
ramage  quelque  galant  compliment. 

Eh  bien,  en  l'année  1768,  le  prince  maréchal 
de  Soubise  est  l' entreteneur  officiel,  à  deux 
mille  écus  par  mois,  de  Mlle  Guimard,  et  fait 
vivre,  en  ce  temps,  la  danseuse  dans  un  luxe 
qui  dépasse,  pour  la  richesse  des  équipages,  et 
des  toilettes  et  des  ameublements,  le  luxe  de  la 
Deschamps,  un  luxe  qui  jusque-là  n'avait  pas 
été  égalé.  Puis  il  ne  faut  pas  oublier  que  M.  de 
La  Borde,  l'amant  de  cœur,  est  un  fermier 
général,  et  que,  d'une  manière  plus  discrète, 
il  contribue  à  la  dépense  de  la  femme  aimée, 
au  moins  tout  autant  que  le  prince,  qu'on  ap- 
pelle, Y  amant  honoraire,  tandis  qu'on  nomme 
le  fermier  général,  Y  amant  utile. 

Or  donc,  MUe  Guimard  a  trois  soupers  par 
semaine  :  un    premier    souper   composé    des 

royale  de  musique,  où  les  douairières  de  l'Opéra  instruisent 
les  élèves  à  rougir  par  règles,  à  crier  sans  douleurs,  et  à  ex- 
primer le  sentiment  par  cadînces,  c'est  par  ce  moyen  et  la 
pommade  astringente  de  du  Lac,  que  la  mère  de  Mlle  Grandi 
(qui  se  dit  sa  tante)  a  vendu  tant  de  fois  l'innocence  de  sa  fille, 
après  y  avoir  retouché.  » 


LA  GUIMARD.  37 

plus  grands  seigneurs  de  la  cour  et  de  toutes 
sortes  de  gens  de  considération;  un  second 
souper  qui  était  une  réunion  d'auteurs,  d'ar- 
tistes, de  savants,  car  déjà  autour  de  l'Opéra, 
qui  commence  à  jouir  d'une  célébrité,  en  quel- 
que sorte  rivale  du  salon  de  Mme  Geoffrin,  il 
s'est  élevé  une  cour  de  gens  à  talent  et  de  phi- 
losophes beaux  esprits  ;  enfin  un  troisième  sou- 
per, «  une  véritable  orgie,  dit  Bachaumont,  où 
étaient  invitées  les  filles  les  plus  séduisantes, 
les  plus  lascives,  et  où  la  luxure  et  la  débauche 
étaient  portées  à  leur  comble  ]  » . 

Mais  qu'est-ce  ces  trois  soupers,  auprès  des 
spectacles  magnifiques,  que  la  Guimard  donne  à 
sa  superbe  maison  de  campagne  de  Pantin  :  ces 
spectacles  pour  lesquels  Collé  semble  unique- 
ment faire  son  théâtre  de  société  ;  Carmontelle 
écrire  ses  proverbes;  de  La  Borde  composer  sa 
musique.  Ces  spectacles,  où  tout  le  Paris  aristo- 
crate du  temps,  y  compris  les  princes  du  sang, 
brigue  l'honneur  d'être  admis.  Car,  aux  années 
qui  vont  suivre,  on  parle  d'aller  à  Pantin 
comme  d'aller  à  Versailles*. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  III. 

2.  Le  Gazetier  cuirassé  ou  Anecdotes  scandaleuses  de  la  Cour 
de  France,  1771." 


XI 


Pendant  les  grands  froids  de  janvier  1 768, 
en  cette  année,  où  l'hiver  fut  très  dur  pour 
les  pauvres  gens,  M110  Guimard  demandait  à 
Soubise  de  lui  donner,  au  lieu  du  bijou  qu'il 
avait  l'habitude  de  lui  offrir,  tous  les  ans, 
ses  étrennes  en  argent.  Soubise  lui  envoyait 
6  000  livres. 

En  possession  de  cette  somme,  Mlle  Guimard 
se  mettait  en  marche,  et  seule,  et  sans  domes- 
tique, montait  tous  les  quatrièmes  étages  de 
son  quartier,  visitant  les  mansardes,  s'infor- 
mant  de  tous  ceux  qui  souffraient  des  rigueurs 
de  la  saison,  donnant  à  chaque  famille  indi- 
gente, de  quoi  se  nourrir,  se  chauffer,  se  vêtir 
même,  dépensant  ainsi  ses  six  mille  francs 
d'étrennes,  et  au  delà1. 

1.  Correspondance  de  Grimm,  vol.  VIII. —  Le  Gazetier  cui- 
rassé àxt  :  «  MUe  Guimard  visite  les  malades,  leur  porte  de  l'ar- 


LA   GUIMARD.  39 

Il  est  vrai  que  le  sceptique  Grimm,  qui  ra- 
conte ce  grand  et  bel  acte  de  charité,  cherche, 
à  la  fin  de  son  récit,  à  diminuer  les  largesses 
de  l'aumône,  en  disant  qu'il  n'y  a  de  certain 
dans  ce  qui  fait  le  bruit  de  tout  Paris  que  ceci  : 
c'est  que  le  laquais  de  la  Guimard  ne  s'étant 
pas.  trouvé  à  son  service  après  l'Opéra,  elle 
voulut  le  gronder,  qu'il  s'excusa  en  déclarant 
sa  mère  fort  malade,  et  dans  une  affreuse  mi- 
sère par  le  froid  qu'il  faisait,  et  sur  cela,  la 
compatissante  Guimard  avait  ordonné  de  la 
conduire  chez  sa  mère,  qu'elle  avait  secourue 
avec  beaucoup  de  soins,  pendant  toute  sa  ma- 
ladie. 

Mais  les  6  000  francs  de  charités  de  la  Gui- 
mard ont  pour  eux  le  témoignage  universel,  le 
témoignage  des  Mémoires  secrets1,  le  témoi- 
gnage même   d'une   rare   gravure    du  temps, 

gent,  ensevelit  les  morts,  etc.,  et  il  ajoute  méchamment  : 
Mlle  Guimard  est  reçue  dame  de  charité  de  sa  paroisse,  et  se 
trouve  très  bien  de  sa  pieuse  récolte,  qui  a  été  cette  année  très 
abondante.  On  croit  que  les  aumônes  lui  rendent  le  double  de 
ses  faveurs.  » 

1.  Les  Mémoires  secrets,  attribuent  une  autre  source  aux 
6  000  livres,  que  la  Correspondance  de  Grimm. —  Cette  actrice, 
très  célèbre  par  ses  talents,  ayant  eu  un  rendez-vous,  dans  un 
faubourg  isolé  avec  un  homme,  dont  la  robe  exigeait  le  plus 
grand  mystère,  a  eu  l'occasion  d'y  voir  la  misère,  la  douleur, 
et  le  désespoir  dans  le  peuple  de  ce  canton,  à  l'occasion  des 
froids  excessifs.  Ses  entrailles  ont  été  émues  d'un  pareil  spec- 


40  LA  GUIMARD. 

^ans  date,  et  sans  nom  de  dessinateur  et  de 
graveur,  portant  pour  titre  : 

TERPSIGHORE    CHARITABLE 

ou 
MADEMOISELLE    GUIMARD 

Visitant  les  Pauvres 

En  cette  gravure,  on  voit,  dans  un  grenier, 
s'avancer  vers  un  vieillard  couché  sur  un  gra- 
bat, une  jeune  femme  encapuchonnée  dans 
une  calèche,  et  suivie  d'une  troupe  d'amours, 
aux  ailes  frétillantes,  portant  des  pains,  des 
bouillons,  des  bouteilles  de  vin.  Au-dessous 
on  lit  : 

Guimard,  vos  pas  vifs  et  savans 
Peignent  les  ris  et  la  décence. 
Vous  triomphez  dans  tous  les  temps 
Par  l'amour  et  la  bienfaisance. 
A  table,  en  un  souper  d'amis, 
Votre  gaîté  franche  et  [tiquante 
Prodigue  mille  traits  exquis 
D'une  saillie  étincelante. 
Et  vous  savez  parmi  ces  jeux, 
Le  matin,  en  robbe  commune, 
Conduisant  les  amours  joyeux, 

tacle,  et  des  deux  mille  écus,  fruit  de  son  iniquité,  elle  en  a 
distribué  elle-même  une  partie,  et  porté  le  surplus  au  curé  de 
Saint-Roch  pour  le  même  iisage. 


LA  GUIMARD.  41 

Aller  visiter  l'infortuné, 

Au  fond  d'un  réduit  ténébreux. 


Mais  la  charité  de  la  Guimard  ne  devait  pas 
être  obscurément  célébrée  par  ces  vers  d'ima- 
gerie, mis  au  bas  d'une  estampe,  elle  devait  ve- 
nir à  nous,  elle  devait  nous  être  révélée  par 
cette  pimpante  poésie  de  Marmontel,  cette 
poésie  de  libre  penseur,  que  se  rappellera  un 
jour  Béranger  : 

Est-il  bien  vrai,  jeune  et  belle  damnée, 

Que,  du  théâtre  embelli  par  tes  pas, 

Tu  vas  chercher  dans  de  froids  galetas 

L'humanité  plaintive  abandonnée? 

Que  cette  main,  qu'on  baise  nuit  et  jour, 

Verse  en  secret  les  tributs  de  l'amour 

Sur  l'indigence,  à  languir  condamnée? 

Oui,  cette  Hébé,  de  roses  couronnée, 

Qu'environnait  un  essaim  d'étourdis, 

En  sœur  du  pot,  s'en  va  dans  un  taudis 

Te  soulager,  famille  infortunée! 

Elle  est  pour  toi  l'Ange  du  Paradis, 

Et  tu  la  crois  au  moins  prédestinée. 

Au  lieu  des  Jeux,  des  Amours  et  des  Ris, 

Qui  voltigeaient  sous  ses  riches  lambris, 

Quelle  est  sa  cour?  Des  marmots  en  guenille. 

Un  bon  vieillard,  une  mère,  une  fille  ! 

A  ses  genoux,  je  les  vois  attendris, 

Les  yeux  en  pleurs,  je  crois  tous  les  entendre 

Bénir  le  ciel,  qui  te  fit  belle  et  tendre  ! 

4. 


42  LA    GUIMARD. 

Tendre,  oui,  Guimard,  sans  tes  jolis  péchés, 

Cent  malheureux  expiraient  dans  les  larmes, 

Et  leur  salut  est  le  prix  de  tes  charmes. 

Oh!  que  du  ciel  les  desseins  sont  cachés! 

Rien  n'est  si  beau  que  de  vivre  en  hermite. 

Chacun  le  dit.  Cependant,  il  est  clair 

Que  si  Guimard  eût  été  carmélite, 

Ces  malheureux  seraient  morts  en  hiver. 

C'est  donc  ce  cœur,  si  faible,  si  fragile, 

Que  pour  exemple  au  prône  on  citera. 

0  Charité!  vertu  de  l'Évangile, 

Quoi,  ton  modèle  est  donc  à  l'Opéra"? 

Mais  quel  dommage  hélas!  dans  la  coulisse, 

Ta  vertu  même  est,  dit-on,  comme  un  vice. 

Chère  Guimard,  ton  curé  te  louera, 

En  te  louant,  il  t'excommuniera; 

A  son  diner,  un  dévot  Moliniste, 

Pour  tous  ses  goûts  indulgent  moraliste, 

Blâme  les  tiens,  te  damne  en  digérant, 

Et  jette  à  peine  un  œil  indifférent 

Sur  le  malheur  d'un  voisin  janséniste. 

Tu  ne  connais  Molina,  ni  Quesnel, 

Mais  l'indigent,  mais  le  faible  pupile 

Dans  ton  corset  trouve  un  cœur  maternel. 

Ame  céleste!...  Et  du  ciel  on  t'exile! 

Oui,  de  tes  dons  Dieu  ne  fait  aucun  cas! 

Jamais  au  Ciel  on  ne  monte  en  cadence! 

Tu  fais  le  bien,  mais  tu  danses  :  tes  pas 

Sont  applaudis,  ainsi  que  tes  appas. 

Depuis  David,  Dieu  ne  veut  pas  qu'on  danse; 

Si  tu  mourais  (car  ce  n'est  plus  le  tems 

Où  le  plaisir,  rajeunissant  les  belles, 

Leur  assurait  un  éternel  printems. 

Les  Grâces  même  aujourd'hui  sont  mortelles) 

Si  tu  mourais,  on  verrait  ton  cercueil 


LA    GUIMARD.  43 

Environné  de  mille  Amours  en  deuil, 

Pleurant  leur  mère;  une  foule  attendrie 

De  malheureux,  à  qui  tu  rends  la  vie, 

Suivraient  aussi  ce  funèbre  convoi. 

Ni  ton  curé,  ni  même  son  vicaire, 

Ni  du  bas  chœur  la  troupe  mercenaire, 

Ne  marcheraient  en  hurlant  devant  toi. 

D'encens  béni  sans  être  parfumée, 

Hors  du  bercail  tu  serais  inhumée... 

Mais  pourquoi  vais-je  attrister  tes  plaisirs? 

Aime  et  jouis!  suis  tes  goûts,  ton  caprice, 

De  tes  amans  couronne  les  désirs; 

Aux  malheureux  tends  une  main  propice  ; 

Comme  un  ruisseau  qui  coule  sur  les  fleurs, 

Laisse  couler  ta  brillante  jeunesse! 

Après  avoir  régné  sur  tous  les  cœurs, 

A  cinquante  ans,  un  grand  Carme,  à  confesse, 

Fera  ta  paix.  Un  songe  séduisant, 

Une  erreur  tendre,  une  douce  folie, 

Peut  s'effacer;  mais  jamais  Dieu  n'oublie 

Qu'on  fut  sensible  et  qu'on  fut  bienfaisant l. 

Il  est  incontestable  que  la  danseuse  est  cha- 
ritable, fastueusement  charitable,  charitable  à 
la  façon  d'une  princesse.  La  Correspondance 
secrète,  à  la  date  du  41  février  1784,  qui  chante 
sa  bienfaisance  habituelle,  bienfaisance  autre- 
ment éclairée  que  celle  des  grands  seigneurs, 
«  donnant  de  l'argent  aux  curés  pour  leurs 
dévotes  »  nous  montre  la  Guimard  distribuant 
elle-même  des  comestibles  aux  pauvres. 

1.  L'Intermédiaire  des  chercheurs  et  curieux  (10  juin  1883), 


44  LA  GUIMARD. 

Et  ce  cœur  pitoyable  et  cette  main  ouverte 
de  la  danseuse,  sont  si  connus  à  Paris,  que  ce 
ne  sont  pas  seulement  des  pauvres  qui  vont 
frapper  à  la  porte  de  l'hôtel  de  la  Chaussée 
d'Antin,  mais  bien  de  petits  marchands  sous 
le  coup  d'une  échéance,  et  même  des  joueurs 
qui  ne  savent  comment  acquitter  une  dette. 
L'on  connaît  le  mot  de  la  Guimard  à  un  offi- 
cier, lui  empruntant  cent  louis  pour  payer  une 
dette  de  jeu,  et  qui  se  préparait  à  lui  signer  un 
billet  :  «  Monsieur,  votre  parole  me  suffît... 
J'imagine  qu'un  officier  aura  au  moins  autant 
de  probité  qu'une  fille  d'Opéra1.  » 

Enfin  elle  est  si  notoire,  cette  bienfaisance, 
qu'elle  désarme  la  plume  des  pamphlétaires,  et 
que  Théveneau  de  Morande,  si  impitoyable 
pour  toutes  les  reines  à  l'heure  de  l'Opéra,  ne 
dévoile  un  peu  de  la  vie  intime  de  «  la  sœur  de 
miséricorde  »  qu'avec  un  certain  respect  pour 
V humanité  de  la  séduisante  damnée,  et  qu'il 
attribue  au  ressouvenir  des  années  de  misère, 
•passées  avec  le  danseur  Léger. 2 

1.  Correspondance  secrète,  vol.  II. 

2.  Gazetier  cuirassé  ou  Anecdotes  scandaleuses  de  la  Cour 
de  France,  1171. 


XII 


Chez  la  danseuse,  au  cœur  humain,  à  la 
main  ouverte,  il  persiste,  ses  vingt-cinq  ans  son- 
nés,un  côté  gamin,  qui  se  fait  jour  au  carnaval 
de  cette  année. 

A  un  bal  masqué  du  mois  de  février,  Poinsinet 
le  mystifié  légendaire  du  dix-huitième  siècle, 
Poinsinet  Fauteur  du  triste  opéra  d'ERNELiNDE, 
Poinsinet  qui  montrait  à  ce  bal  sa  figure,  non 
dissimulée  sous  un  masque,  était  assailli  par 
une  troupe  des  demoiselles  des  quadrilles,  à  la 
tête  de  laquelle  était  Mlle  Guimard,  un  char- 
mant petit  essaim  féminin ,  qui  sans  dire 
gare,  tombait  à  jolis  coups  de  poing,  et  à  qui 
mieux  mieux,  sur  l'infortuné  poète.  En  vain  le 
battu,  qui  n'osait  se  revenger,  demandait  la 
raison  de  la  joyeuse  peignée  qu'il  recevait  : 
«  Pourquoi  as-tu  fait  un  si  méchant  opéra?  » 
lui  criaient  en  chœur  Guimard  et  les  demoi- 


46  LA   GUIMARD. 

selles  du  quadrille.  Et  les  coups  de  pleuvoir 
sur  lui,  comme  la  grêle,  et  le  monde  de  s'at- 
trouper, et  de  rire  de  la  mésaventure  du  pauvre 
diable,  qui  s'échappait  houspillé,  maudissant 
l'honneur  d'avoir  un  visage  connu. 

La  vengeance  de  l'auteur  ne  se  fit  pas  at- 
tendre longtemps.  La  quinzaine  n'était  point 
écoulée,  qu'il  paraissait  une  lettre  en  vers . 
attaquant  Marmontel,  à  propos  de  son  épitre  à 
Mlle  Guimard,  et  le  plaisantant  d'avoir  loué 
l'action  de  la  demoiselle,  comme  une  chose 
extraordinaire,  et  qui  n'était  qu'une  chose 
commune  à  toutes  les  filles  de  son  état,  sus- 
ceptibles d'humanité ,  tout  autant  que  les 
autres  femmes1. 

I.  Métnoires  secrets  de  la  République  des  Lettres,  vol.  III. 


XIII 


La  femme  connue,  la  femme  déjà  presque 
célèbre  par  l'esprit  de  sa  danse,  et  la  divul- 
gation poétique  de  ses  aumônes,  obtenait  en 
cette  même  année  1768,  un  succès  de  publicité, 
sur  un  terrain  tout  à  fait  étranger  à  la  choré- 
graphie et  à  la  charité. 

En  cette  promenade  de  Longchamps,  des 
mercredi,  jeudi,  vendredi  de  la  Semaine  Sainte, 
bienavanl  que  les  Cléophile  et  les  Duthé  y  fas- 
sent voir  leurs  carrosses  de  porcelaine,  leurs 
harnais  de  marcassite,  leurs  attelages  à  six 
chevaux,  en  cette  promenade,  en  ce  défilé  de  la 
haute  impureté,  devant  tout  Paris  sorti  de 
chez  lui,  et  répandu  dans  les  Champs-Elysées  et 
le  Bois  de  Boulogne,  «  Mlle  Guimard  se  signalait 
par  la  recherche  et  l'élégance  de  son  char  » . 

Et  le  char  de  la  belle  damnée  attirait  surtout 


48  LA   GUIMARD. 

l'attention  du  public,  par  l'ingéniosité  des  armes 
parlantes,  qu'elle  s'était  données  pour  ces  trois 
jours  :  un  marc  d'or  d'où  sortait  un  guy  de 
chêne,  faisant  le  milieu  d'un  écusson,  que 
couronnaient  les  Amours,  et  auquel  les  Grâces 
servaient  de  supports. 


XIV 


En  cette  année  1768,  deux  ballets  représentés 
à  l'Académie  royale  de  musique,  mettaient  en 
pleine  lumière  le  talent  de  MUe  Guimard  :  c'était 
le  ballet  de  l'opéra  de  Dardanus  (février  1768), 
où  la  danse  voluptueuse  de  Mlle  Guimard  était 
célébrée  par  les  gazettes  du  temps  :  c'était  la 
pastorale  de  Daphnis  et  Alcidamure  (juin  1768) 
où,  dans  le  premier  acte,  MUe  Guimard  dansait 
avec  les  demoiselles  Peslin  et  Allard  et  les 
sieurs  Dauberval  et  Gardel,  un  pas  de  cinq, 
disent  les  Mémoires  secrets,  d'une  lubricité  que 
ne  s'était  point  permise  encore  la  pantomime, 
et  qui  était  accueillie  par  des  transports  indi- 
cibles du  public. 


XY 


Le  jeudi  7  décembre  1768,  le  jour  de  la  Vierge 
la  Partie  de  chasse  de  Henri  IV  était  jouée  sur 
le  théâtre  de  la  Guimard,  à  Pantin. 

Cette  salle  de  théâtre,  dont  la  description 
n'existe  nulle  part,  un  curieux  document  manu- 
scrit1 acheté  au  libraire  Voisin  -.Mémoire  sur  la 
salle  de  spectacle  de  Mademoiselle  Guimare  (sic), 
nous  permet  de  la  ramener  à  ses  vraies  propor- 
tions. 

La  salle,  —  dit  le  mémoire,  —  est  agréable, 
mais  d'une  petitesse  infinie.  Elle  se  compose  de 
deux  demi-ellipses.  La  demi-ellipse  formant  la 
salle,  prise  de  la  cloison  de  l'orchestre  jusqu'au 
socle,  portant  les  colonnes  de  l'entrée  delà  salle, 

1.  Un  document  tout  aussi  curieux,  m'est  échappé,  il  y  a 
des  années,  à  une  vente  de  Vignères  :  c'est  un  petit  plan 
gravé  de  ce  théâtre,  acheté  par  je  ne  sais  qui,  et  qui  ne  se  re- 
trouve dans  aucune  des  collections  que  je  connais,  et  manque 
au  Cabinet  des  Estampes. 


LA    GUIMARD.  51 

a  dans  sa  longueur  157  pieds  9  pouces,  et  dans 
sa  largeur  21  pieds  8  pouces. 

Les  deux  colonnes  ioniques  de  l'entrée  en- 
ferment un  péristyle  de  2  pieds  10  pouces, 
6  lignes  de  large,  où  l'on  plaçait  trois  bancs 
contenant  76  personnes,  ayant  des  places  de 
2  pieds  de  large. 

Dans  l'enceinte  de  l'intérieur  de  la  salle, 
deux  bancs  très  étroits,  contenaient  à  la  rigueur 
39  personnes. 

Sur  les  7  bancs  faisant  face  au  théâtre,  pou- 
vaient s'asseoir  43  personnes. 

Enfin,  récapitulation  faite  des  places,  il  n'y  en 
avait  que  pour  234  spectateurs,  sans  les  loges. 

Les  loges  prises  dans  les  deux  avant-corps 
qui  séparent  les  deux  parties  de  l'ellipse,  dont 
la  première  forme  la  salle,  et  la  seconde  l'avant- 
scène,  étaient  au  nombre  de  trois  de  chaque 
côté,  —  n'ayant  guère  que  quatre  pieds  carrés 
—  l'une  au  niveau  de  l'orchestre,  la  seconde 
au  niveau  du  théâtre,  et  la  troisième  au  niveau 
de  la  galerie,  qui  est  au-dessus  du  péristyle  du 
théâtre 1 . 

l.Ce  mémoire,  date  du  26  décembre  1773,  au  moment  où  la 
Guimard  abandonne  son  théâtre  de  Pantin,  pour  celui  de  la 
Chaussée  d'Antin,  est  rédigé  par  Piètre,  l'architecte  du  duc 
d'Orléans,  qui  avait  eu  un  moment  l'idée  d'acheter  la  salle, 
pour  la  transporter  dans  une  de  ses  résidences  de  Paris  ou 


52  LA  GUIMARD. 

La  scène,  avec  son  rideau  bleu,  s'ouvrait, 
entre  deux  colonnes  corinthiennes,  sur  une  ou- 
verture simplement  de  15  pieds  9  pouces, 
et  la  salle  avait  en  tout,  comme  hauteur,  du 
bas  du  plancher  de  l'orchestre  au  plafond, 
22  pieds  14  pouces. 

La  représentation  de  la  Partie  de  chasse  de 
Henri  IV  avait  lieu,  au  milieu  d'un  concours  de 
monde  prodigieux,  —  aussi  prodigieux  toute- 
fois, que  pouvait  contenir  la  salle. 

Le  succès  était  si  grand,  que  deux  autres 
représentations  devaient  être  données,  la  veille 
et  le  jour  de  Noël,  mais  ces  représentations 
étaient  empêchées  par  une  défense  du  maréchal 
de  Richelieu  aux  comédiens  des  deux  troupes 
du  Roi,  de  jouer  ailleurs  que  sur  leur  théâtre, 
sans  la  permission  de  Sa  Majesté.  Et  cette  dé- 
fense avait  l'approbation  du  public,  qui  souffrait 
des  fréquentes  absences  des  meilleurs  acteurs 
et  de  leur  facilité  à  se  consacrer  à  l'amusement 
des  particuliers,  et  notamment  de  Mlle  Guimard, 
contre   laquelle  on  commençait  à  murmurer. 

des  environs  de  Paris,  et  le  mémoire  détourne  le  prince  de 
l'achat  à  cause  de  la  difficulté  de  l'arrachement  du  plafond 
marouflé  sur  des  planches  fendues,  à  cause  de  Ja  restauration 
en  menuiserie,  en  sculpture,  en  dorure,  des  colonnes  du  pé- 
ristyle et  de  la  scène,  et  l'engage  à  donner  de  la  salle  seule- 
ment 6  000  livres  au  lieu  des  18  000  qui  lui  sont  demandées. 


LA  GUIMARD.  53 

D'après  le  Mémoire  sur  la  salle  de  spectacle 
de  MUe  Guimard,  voici  son  théâtre  de  Pantin 
retrouvé  !  Pouvons-nous  également  reconsti- 
tuer sa  maison  qui  a  disparu,  et  dont  la  place 
même  n'est  plus  même  bien  connue  à  Pantin? 
Oui,  peut-être,  au  moyen  des  deux  salons, 
dont  les  boiseries  peintes  ont  été  achetées  en 
1889,  par  Mrne  Delizy,  et  mis  en  place  dans  sa 
belle  et  artistique  habitation  :  salons  que  la  tra- 
dition donne  comme  le  grand  et  le  petit  salon  de 
la  Guimard,  et  dont  le  luxe  distingué  de  la  déco- 
ration vient  appuyer  la  tradition,  et  semble  por- 
ter la  signature  de  la  danseuse,  au  renom  d'élé- 
gance dans  les  choses  de  son  entour. 

Mais  entremêlons  ma  description  de  la  des- 
cription, que  veut  bienme  faire  très  aimablement 
Mme  Delizy,  de  l'ancienne  maison  qui  contenait 
ces  deux  salons. 

C'était  au  rez-de-chaussée,  une  pièce  dallée 
en  marbre,  qu'elle  suppose  être  la  salle  àmanger, 
puis  le  petit  salon,  un  petit  salon  étroit  sans  pro- 
fondeur n'ayant  guère  que  la  largeur  d'un  grand 
corridor,  ce  salon  décoré  dans  une  voussure  du 
plafond  de  consoles  enchevêtrées  les  unes  dans 
les  autres,  de  pilastres  cannelés,  d'angles  au 
creux  joliment  arrondi,  et  à  l'élégant  contour- 
nement  rocailleux  des  chapiteaux  :  ces  boiseries 


54  LA    GUIMARD. 

peintes  en  marbre  blanc  grisâtre  et  contenant 
six  panneaux  de  différents  formats  d'un  gris 
légèrement  bleuté,  sur  lequel  sont  peintes  de 
grêles  arabesques,  dans  le  genre  de  Salembier, 
où  sur  des  vases,  en  forme  de  carquois,  sont  des 
fleurs  et  des  fruits,  et  dont  deux  panneaux  ont, 
pour  milieu,  une  femme  au  corps  finissant 
en  une  découpure  chantournée, et  qui  porte  sur 
sa  tète,  une  haute  corbeille  toute  fleurie. 

Deux  dessus  de  portes  peints  en  camaïeu, 
représentent  dans  deux  médaillons  les  tètes  de 
bronze  d'Henri  IV  et  de  Sully,  sur  un  fond  jouant 
le  marbre  blanc. 

Le  grand  salon,  au  plafond  sur  lequel  était 
peint  autrefois  un  aigle  planant  sur  un  nuage, 
a  la  plus  aimable  décoration,  et  dans  un  goût 
tout  féminin. 

Sous  la.  riche  corniche,  d'où  tombent  des 
chutes  en  paquets  de  fleurs  noués  par  des 
entrelacs  de  rubans  bleus,  c'est  sur  un  fond 
crème  un  peu  rosé,  dans  des  compartiments  de 
formes  toutes  différentes ,  toutes  diverses  ,  en- 
castrésdans  des  mouluresvert  d'eau, — desmou- 
lures de  la  couleur  d'un  treillage  du  dix-huitième 
siècle,  —  des  tiges  de  fleurs  dans  les  grands  pan- 
neaux, des  listels  de  fleurettes  dans  les  petits 
panneaux,  peints   de  cette   couleur   tendre   et 


LA   GUIMARD.  5a 

agréablement  conventionnelle  de  Pillement, 
et  couvrant  les  murs  de  roses,  d'œillets,  de  tu- 
lipes ,  de  lilas ,  de  toutes  les  couleurs  riantes 
de  la  flore,  comme  entrevues  dans  l'aube 
d'un  matin.  Et  l'originalité  de  cette  décoration 
est  que  dans  le  serpentement  joliment  tour- 
menté des  panneaux  des  glaces,  aux  endroits  où 
les  moulures  prennent  un  relief,  et  se  détachent 
en  ronde-bosse,  cette  sculpture  verte  prend 
l'aspect  de  jeunes  ramilles  d'arbustes,  et  c'est 
au  milieu  des  tortils  de  cette  spirituelle  végé- 
tation, que  dans  les  quatre  trumeaux  sculptés 
des  glaces,  se  voient  dans  le  premier,  une 
cornemuse  et  une  flûte,  dans  le  second,  un  cha- 
peau de  paille  de  bergère  et  un  râteau,  dans  le 
troisième  une  hotte  de  fleurs  et  un  arrosoir, 
dans  le  quatrième  deux  colombes  sur  un  car- 
quois et  une  torche  :  tous  ces  objets  et  les  roses 
qui  les  enguirlandent  teintés  légèrement  de 
leur  couleur  naturelle.  Oh,  cette  décoration  est 
vraiment  charmante,  et  elle  se  complète  par 
une  console,  où  au-dessous  d'une  bande  de  lau- 
rier, se  détache  toute  découpée,  une  guirlande 
de  fleurs,  aux  feuilles  colorées  du  ton  passé,  du 
ton  effacé  d'une  feuille  de  rose,  qu'on  a  laissée 
pour  la  marque  d'une  page  d'un  livre,  et  qu'on 
retrouve  au  bout  de  quelques  semaines. 


56  LA    GUIMARD. 

Au  premier,  me  dit  M"'e  Delizy,  se  trouvaient 
des  chambres  sans  caractère,  dont  la  première, 
qui  peut-être  avait  perdu  sa  décoration,  était  la 
chambre  de  la  Guimard,  et  où,  particularité 
curieuse,  au  fond  d'une  grande  alcôve,  il  exis- 
tait une  étroite  porte,  donnant  sur  un  tout 
petit  escalier  dérobé,  ouvrant  dans  le  petit  salon 
du  rez-de-chaussée  —  escalier  dérobé,  qui  avait 
tout  l'air  d'avoir  été  fait  pour  l'introduction  ou 
la  disparition  secrète  d'un  amant. 


XVI 


En  cette  année  1769,  au  mois  de  février, 
était  repris  l'opéra  ou  plutôt  la  farce  lyrique 
du  Mariage  de  Radegonde,  qui  se  trouvait  être  un 
très  excellent  cadre  pour  la  danse  de  Dauberval, 
n'étant  ni  la  danse  sérieuse  et  héroïque,  ni 
la  danse  de  demi-caractère ,  mais  une  danse  tri- 
viale venant  de  Lany,  qui  dansait  supérieure- 
ment les  pâtres,  et  qu'avait  adoptée  Dauberval, 
lorsque  son  corps  élégant  et  svelte,  était  devenu 
musculeux.  Cette  danse  de  Dauberval  se  dé- 
ployant au  milieu  d'une  gaîté  naïve,  d'une  réa- 
lité comique,  d'une  mimique  mouvementée  et 
actionnée,  lorsqu'elle  avait  autour  de  Dauber- 
val, la  danseuse  Peslin,  et  la  danseuse  Allard,— 
cette  mime  inimitable,  et  la  seule  danseuse  qui 
composât  elle-même  ses  entrées1,  — cette  danse 
était  la  folie  du  jour. 

1.  Lettres  sur  les  Arts  imitateurs,  par  Noverre,  vol.  II. 


58  LA  GUIMARD. 

Mllc  Guimard  eut  le  désir  de  s'essayer  dans  ce 
genre,  aux  côtés  de  son  amant,  mais  sa  danse 
fine,  recherchée,  précieuse,  et  sa  figure  un  peu 
minaudière,  étaient  trop  disparates  avec  la  fran- 
chise de  ces  gambades,  demandant  des  contor- 
sions, des  dislocations,  auxquelles  se  refusaient 
la  fragilité,  et  les  grâces  apprêtées  de  la  mo- 
derne Terpsichore1. 

1.  Mémoires  secrets  de  la  République  des  Lettres,  vol.  IV. 


XVII 


Au  mois  de  juillet  1769,  se  répandait  dans 
Paris,  la  nouvelle  de  la  suspension  des  spec- 
tacles de  Pantin,  en  même  temps  que  l'annonce 
de  la  prochaine  banqueroute  de  M1Ie  Guimard. 

On  contait  que  M.  de  Soubise  lui  avait  retiré 
les  2000  écus,  dont  il  la  gratifiait  chaque  mois  : 
ce  qui  lui  enlevait  un  revenu  de  72  000  livres 
de  rentes  fixes,  indépendamment  des  cadeaux 
particuliers;  et  l'on  savait  M.  de  La  Borde  ruiné, 
et  ne  pouvant  presque  contribuer  aux  amuse- 
ments de  la  danseuse,  que  par  l'apport  de  sa 
musiquette,  et  de  son  goût  dans  les  choses  d'art. 
Aussi  représentait-on  Mlle  Guimard  tourmentée 
par  ses  créanciers,  au  point  de  perdre  la  tête, 
et  ayant  besoin  de  trouver  plus  de  400  000  li- 
vres, pour  faire  face  à  ses  engagements1. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  IV. 


60  LA   GUIMARD. 

Cette  nouvelle,  au  mois  de  juillet,  était  le 
bruit  de  Paris. 

Deux  mois  après,  au  mois  de  septembre,  que 
s'était-il  passé?  On  ne  le  saitpas!  mais  les  affai- 
res de  la  nymphe  semblaient  arrangées,  et  les 
spectacles  de  Pantin  avaient  repris  avec  plus 
de  fureur  que  jamais. 

Et  sur  le  théâtre  étaient  jouées  un  certain 
nombre  de  petite  pièces  gentillement  immorales, 
pour  la  représentation  desquelles  on  se  disputait 
les  loges  grillées,  où  les  honnêtes  gens  et  les 
gens  d'église  et  les  personnages  graves,  n'avaient 
pas  la  crainte  de  se  compromettre  avec  le  public 
de  jolies  filles  et  de  jeunes  étourdis. 

Le  succès  de  la  saison  était  :  La  tête  a  per- 
ruque1. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  IV. 


XVIII 


La  Guimard,  jalouse  des  succès  amoureux  de 
la  Dervieux,  jalouse  de  sa  beauté  célébrée  par 
Dorât,  ne  se  contentait  pas  dans  les  discussions 
qu'elle  avait  avec  la  moderne  Hébé,  de  se  per- 
mettre contre  elle  les  railleries  les  plus  cruelles, 
les  sarcasmes  les  plus  offensants.  Un  jour  de 
l'année  1770,  parmi  la  petite  cour  de  poétereaux 
qu'elle  avait  autour  d'elle,  elle  encourageait 
l'un  d'eux,  le  plus  grossièrement  et  le  plus 
obscènement  cynique,  à  mettre  la  sale  méchan- 
ceté de  ses  vers,  au  service  de  ses  haineuses  ran- 
cunes, et  Dieu  sait  quels  abominables  vers 
c'étaient1. 

1.  Voici  de  cet  engueulement  lyrique,  les  seuls  vers  qu'on, 
puisse  donner,  vers  tirés  des  Mémoires  secrets,  vol.  XIX  : 

J'suis  un  milord 

Tout  cousu  d'or 

Arrivant  d'Angleterre 

J'  veux  connaître  le  plus  fameux  B... 

Hélas  !  dites-moi  dans  lequel  ? 

Chez  la  Dervieux 
Aux  beaux  yeux  bleus, 
Chez  sa  putain  de  mère. 


62  LA  GUIMARD. 

Dans  cette  bataille  entre  ces  grandes  impures, 
bataille  qui  tient  un  peu  des  engueulements  des 
filles  des  rues,  la  réponse  de  l'injuriée  ne  se 
fit  pas  attendre,  et  vraiment  la  Dervieux  eut  la 
main  heureuse  dans  le  choix  qu'elle  fit  de  son 
vengeur  lyrique,  car  il  est  impossible,  on.  va  en 
juger,  d'imaginer  une  exécution  plus  impi- 
toyable du  physique  et  du  moral  de  la  Terpsi- 
chore  du  dix-huitième  siècle. 

ÉPIÏRE  A   M«»   DERVIEUX 

à  l'occasion  des  vers  que 

mi.le     GUIMARD 

avait  fait  faire  contre  elle. 

Sur  ton  compte  un  mauvais  fragment, 
0  Dervieux,  court  en  ce  moment; 
Crois-moi,  ris  d'une  acre  Furie, 
Qui  de  ta  douceur  se  prévaut; 
Auprès  d'elle,  ton  vrai  défaut 


Comment  entrer 
Se  présenter? 
Com'  faire  pour  lui  plaire  ? 
Encore  mon  ami  si  j'étois 
Recommandé  par  quelque  Anglois. 

Non  simplement 
Beaucoup  d'argent 
A  la  fille,  à  la  mère. 

Sachez  monsieur, 
J'suis  d'une  grosseur 
Qu'est  très  extraordinaire 
Pour  n'  pas  souffrir  dans  le  plaisir. 


LA  GUIMARD.  63 

Est  de  plaire,  lorsqu'on  l'oublie. 
Monotone,  et  sans  grand  talent, 
Ses  pas  ne  sont  que  des  grimaces, 
Qu'un  admirateur  ignorant 
Prend  pour  d'inimitables  grâces. 
Nymphe  chantant  à  bon  marché, 
Sa  voix  qui  sent  la  quarantaine, 
Cette  voix  de  chat  écorché, 
Ose  parfois  glacer  la  scène. 
Actrice  au  pays  des  pantins, 
Dévote  et  courant  l'aventure, 
Buvant  du  vin  outre  mesure. 
Devant  à  Dieu  comme  à  ses  saints, 
Elle  se  fait  bâtir  un  temple. 
Sur  le  fronton  de  son  hôtel, 
On  mettra  pour  servir  d'exemple 
A  la  déesse  de  B... 
Guimard  en  tout,  n'est  qu'artifice, 
Et  par  dedans,  et  par  dehors. 
Otez-lui  le  fard,  et  le  vice, 
Elle  n'a  plus  ni  âme  ni  corps. 
Je  vais  vous  tracer  son  esquisse. 
Je  vous  la  peindrai  dans  son  beau. 
Elle  a  la  taille  de  fuseau, 
Les  os  plus  pointus  qu'un  squelette, 
Le  teint  couleur  de  noisette 
Et  l'œil  percé  comme  un  pourceau. 
Ventre  à  plis,  cœur  de  maquereuse 
Gorge  dont  nature  est  bonteuse, 
Sa  peau  n'est  qu'un  sec  parchemin 
Plus  raboteuse  que  du  chagrin, 
Sa  cuisse  est  flasque  et  héronière 
Jambe  taillée  en  échalas  * 

l.  Dans  un  article  du  Démocrate,   M.  Henri  Plattard,  dit 


64  LA  GUIMARD. 

Le  genou  gros  sans  être  gras, 
Tout  son  corps  n'est  qu'une  salière. 
Que  vous  dire  du  gagne-pain 
Qui  la  rend  si  sotte  et  si  fière! 
On  sait  que  ce  n'est  pas  un  nain, 
Vieille  boutique  de  tripière 
Vaste  océan,  gouffre  profond, 
Les  plongeurs  les  plus  intrépides, 
N'en  peuvent  atteindre  le  fond. 
Hideux  présent  des  Euménides, 
Chemin  des  pleurs  et  des  regrets 
C'est  le  tonneau  des  Danaïdes, 
Il  ne  se  remplira  jamais  '. 

avoir  acheté  un  manuscrit  d'une  cinquantaine  do  feuillets,  in- 
titulé :  Les  maillots  de  Mlle  Guimard,  où  l'auteur  Bonneval 
premier  régisseur  de  l'Opéra,  déclare  que  la  danseuse  ne  pou- 
vait  utiliser  ses  maillots  qu'une  vingtaine  de  fois,  au  bout  de 
quoi,  ils  ne  pouvaient  plus  mouler  ses  jambes  maigres. 

1.  Les  Mémoires  secrets,  disent  à  la  date  du  29  sep- 
tembre :  «  Celte  querelle  occasionne  une  grande  fermenta- 
tion parmi  les  demoiselles  de  l'Opéra,  et  les  amateurs  de 
ce  spectacle  prennent  parti  pour  ou  contre,  suivant  leurs 
affections  particulières.  On  ne  sait  comment  finira  cette  divi- 
sion qu'on  traite  fort  gravement.  Le  sieur  de  La  Borde  surtout, 
le  directeur  des  spectacles  de  Mlle  Guimard,  est  furieux  do 
voir  ainsi  dégrader  la  divinité  qui  reçoit  ses  hommages,  et  à 
laquelle  il  fait  construire  le  temple  dont  on  parle. 


XIX 


Et  deux  mois  après,  en  décembre,  avant 
que  la  fermentation  produite  par  ces  vers,  dans 
le  monde  des  demoiselles  d'Opéra  fût  éteinte, 
avant  que  l'indignation  du  sacrilège  commis  à 
l'endroit  de  sa  divinité,  fût  calmée  chez  M.  de 
La  Borde,  la  satire  était  suivie  d'une  cruelle 
caricature. 

L'image  au-dessous  de  ce  titre  :  «  Concert  a 
trois  »  imprimé  en  très  gros  caractères,  repré- 
sentait groupés  autour  de  la  Guimard,  tenant  à 
la  main  un  papier  de  musique  et  se  balançant 
en  cadence,  représentait  le  grand  entreteneur, 
le  prince  de  Soubise,  jouant  de  la  pochette; 
le  sous-entreteneur,  le  sieur  de  La  Borde, 
brandissant  un  bâton  de  mesure  de  chef  d'or- 
chestre; enfin,  l'ami  de  cœur,  en  termes  tech- 
niques, le  guerluchon,  Dauberval,  jouant  du 
cor  de  chasse  l. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XIX. 


66  LA   GUIMARD. 

Car,  en  ces  années,  la  Guimard  avait  adjoint 
à  ses  deux  amants  en  titre,  le  beau  danseur 
Dauberval,  qui  joignait,  dit  Le  Yol  plus  haut, 
à  la  gaieté  qu'il  exprimait  dans  sa  danse,  une 
douceur  et  une  affabilité  rares  chez  un  homme 
célèbre,  et  la  brochure1  donne  à  la  rupture  de 
la  liaison,  entre  le  danseur  et  la  danseuse, 
une  raison  bien  honorable,  pour  le  guerluchon 
de  la  caricature.  On  y  affirme  que  la  Guimard, 
ne  pouvant  plus  procurer  par  elle-même  de 
plaisir  au  prince,  recommençant  la  Pompa- 
dour,  avait  fait  de  Pantin  une  sorte  de  temple 
de  l'Amour,  où  elle  amenait  à  son  amant  les 
beautés  postulantes  de  l'Opéra,  et  que  l'àme 
délicate  de  Dauberval  se  refusa  à  partager  les 
largesses,  qu'attiraient  à  la  Guimard  ses  soins 
généreux  et  peu  jaloux. 

Est-ce  bien  vrai?  et  la  rupture  ne  vient-elle 
pas  plutôt  de  la  passion  que  Dauberval  prit 
soudain  pour  Cécile  ? 

Le  dessin  original  de  cette  caricature  existe- 
rait chez  M.  Lep rieur  de  Blainvilliers.  Ce  se- 
rait, m'écrivait-il,  il  y  a  une  dizaine  d'années, 
une  petite  miniature  en  forme  de  médaillon, 

1.  Le  Vol  plus  haut  ou  l'Espion  des  principaux  théâtres  de 
la  Capitale.  A  Memphis,  chez  Sincère,  libraire  réfugié  au  Puits 
de  la  Vérité,  1784. 


LA  GUIMARD.  67 

mais,  où  le  Dauberval  de  la  gravure  serait  rem- 
placé par  un  abbé,  qu'une  note  manuscrite  dé- 
nommerait l'abbé  de  Jarente.  Y  a-t-il  dans  ce 
dessin  en  couleur  au  bas  duquel  il  est  écrit  en 
gros  caractères  :  Le  concert  a  trois,  y  a-t-il  là, 
une  substitution  du  troisième  entreteneur  de  la 
danseuse,  remplaçant  le  guerluchon  de  la  cari- 
cature primitive,  ou  est-ce  le  dessin  d'une  autre 
caricature  qui  n'aurait  pas  été  gravée  ! 


XX 


Oui,  à  la  dépensière  danseuse  ne  suffisait  plus 
l'argent  du  prince  de  Soubiso,  ne  suffisait  plus 
l'argent  du  financier  de  La  Borde,  il  lui  avait 
fallu  l'argent  simoniaque  de  l'évcque  d'Orléans, 
Monseigneur  de  Jarente,  devenu  son  amant,  et 
un  amant  soumis  à  tous  les  caprices  de  Terpsi- 
chore,  et  le  prodigue  fournisseur  de  tous  ses 
désirs. 

Oh  !  un  illustre  prélat  qui  avait  fait  la  preuve 
de  onze  degrés  de  noblesse,  quand  il  avait  reçu 
cette  croix  de  commandeur  du  Saint-Esprit, 
que  l'on  voit  sur  son  portrait,  dessiné  par 
Gabriel  de  Saint-Aubin1,  et  un  prélat  qui  n'a 
rien  de  l'aspect  d'un  prêtre  bombancier ,  vivant 
dans  les  coulisses  de  l'Académie  de  Musique  et 
de  Danse,  mais  un  prélat  à  l'intelligente  tête, 

1.  Portrait  faisant  l'en-tête  d'un  ouvrage  inconnu,  au  bas  du- 
quel il  y  a  :  Gabriel  de  Saint-Aubi?i  inv.  —  P.-L.  Cor  sculp. 


LA    GUIMARD.  69 

sous  le  rouleau  de  ses  cheveux  poudrés,  au  vif 
noir  de  l'œil,  au  grand  nez  aquilin,  à  la  bouche 
spirituelle,  au  menton  charnu,  au  bas  de  la 
figure  seulement  un  peu  matériel. 

Et  ce  préJat  était  en  possession  de  la  feuille 
des  bénéfices,  et  de  cette  feuille  de  bénéfices,  la 
danseuse  en  avait  fait,  selon  une  expression  du 
temps,  le  fief  de  l'Opéra1  ,  disposant  des  nomi- 
nations de  toutes  les  vacances  du  clergé,  de  ce 
riche  et  rente  clergé  d'alors,  tout  en  mangeant 
à  belles  dents  dans  ce  plantureux  patrimoine 

1.  L'espion  anglais,  dans  son  Dialogue  entre  M.  le  comte  de 
Lauraguais  et  MilordAUE'ye  au  sujet  des  filles  les  plus  célèbres 
de  la  capitale,  dialogue  se  passant  au  Colisée,  s'exprime  ainsi 
sur  la  danseuse  et  l'entreteneur  : 

MILORD. 

Ah!  Comte,  quelle  araignée. 

LE    COMTE. 

Que  dites-vous!  Prosternez-vous  plutôt.  C'est  Terpsichore  elle- 
même.  C'est  Mlle  Guimard. 

MILORD. 

Ma  foi,  elle  n'est  bonne  à  voir  qu'au  théâtre. 

LE     COMTE. 

Il  ne  faut  pas  disputer  des  goûts.  C'est  une  de  nos  courtisanes,  qui  a 
fait  la  plus  grande  fortune.  Croyez  qu'elle  n'a  pas  de  si  mauvais  aloi, 
puisque  l'Église  en  a  voulu  tâter,  demandez  à  M.  l'évêque  d'Or- 
léans. 

MILORD. 

M.  de  Jarente,  ce  prélat  renommé  pour  ses  dissolutions-,  qui  avait 
la  feuille  des  bénéfices. 

LE     COMTE. 

Et  c'est  chez  Mlle  Guimard  qu'on  allait  le  payer. 


70  LA   GUIMARD. 

français  de  Saint-Pierre.  Et  cela  amenait  le 
joli  mot  de  Sophie  Arnould,  faisant  allusion  à 
la  maigreur  de  la  danseuse,  et  à  la  richesse 
nourricière  de  cette  feuille  des  bénéfices  :  «  Je 
ne  conçois  pas  comment  ce  petit  ver-à-soie 
n'est  pas  plus  gras...  il  vit  sur  une  si  bonne 
feuille  !  » 

Mais  indépendamment  de  ce  que  la  danseuse 
retire  d'argent  de  cette  feuille,  pensez-vous  à 
son  rôle  comique  de  protectrice  dans  le  choix 
des  élus,  et  voyez- vous  l'antichambre  d'une 
coryphée  de  l'Opéra,  égayée  des  joyeusetés  de 
ces  demoiselles,  toute  pleine  de  personnages 
ecclésiastiques,  jeunes  et  vieux,  sollicitant  des 
audiences,  et  un  jour  même,  la  Guimard  ga- 
gnée à  son  rôle,  comme  on  allait  lui  présenter 
un  jeune  abbé,  demandant  un  bénéfice,  du  so- 
pha,  sur  lequel  elle  était  couchée  indolemment, 
la  pécheresse  apostolique  jetait  :  «  Cet  homme 
a-t-il  des  mœurs  *?  » 

0  ironie  des  choses  d'ici-bas.  Il  arriva  que 
Louis  Sextus  de  Jarente  de  la  Bruyère,  aura  le 
bonheur  de  mourir  avant  la  révolution,  et  qu'il 
ne  figurera  pas  dans  le  pamphlet  de  Dulaure 
intitulé  :  Vie  privée  des  ecclésiastiques,  et  qu'il 

1.  Arnoldiana. 


LA    GUIMARD.  71 

sera  prononcé  sur  son  cercueil,  le  28  mai  4789, 
dans  l'église  royale  de  Saint-Aignan  d'Orléans 
une  oraison  funèbre,  où  Benoist  Rozier,  prêtre 
chanoine  de  la  dite  église,  rappelant  les  paroles 
de  saint  Ambroise  dans  l'éloge  de  Valentinien, 
pleurera  l'amant  de  la  Guimard,  avec  la  désola- 
tion de  cette  pieuse  latinité  : 

Stent  omnes ,  stent  ignoti...  omnes ,  tan- 
qnam,  parentem  publicum,  obiisse,  domestico 
fletu  doloris,  illacrymant,  suaque  omnes  funera 
dolent1. 

1.  Oraison  funèbre  de  Sextus  de  Jarente  de  Labruyère , 
évégue  d'Orléans,  commandeur  de  l'ordre  du  Saint-Esprit. 


XXI 


A  la  fin  de  septembre  1770,  après  une  sai- 
son théâtrale,  très  courue,  très  suivie  par  les 
grandes  dames  honnêtes  en  loges  grillées,  et  par 
les  impures  en  loges  ouvertes,  avait  lieu  la  clô- 
ture du  théâtre  de  Pantin,  par  un  à-propos  qu'il 
est  nécessaire  de  donner  à  peu  près  tout  entier, 
pour  faire  apprécier  le  ton  polisson,  et  n'en  dé- 
plaise aux  mânes  de  l'illustre  public  qui  le  fré- 
quentait, le  ton  bêtement  ordurier,  certains 
jours,  de  ce  théâtre  :  à-propos,  qui  aurait  été 
commandé  par  M.  de  La  Borde  à  Armand  fils, 
concierge  de  l'hôtel  des  Comédiens,  et  auteur 
de  quelques  drames,  avec  la  recommandation 
de  le  faire  aussi  salé  *,  qu'il  était  possible. 

ï.  Mémoires  secrets,  vol.  Y  et  XIX. 


LA   GUIMARD.  73; 

«  Messieurs, 

«  Autant  que  l'usage  des  choses  de  théâtre  a 
pu  me  donner  de  pratique  :  Non  je  mets  la  char- 
rue devant  les  bœufs,  Messieurs,  je  veux  dire 
autant  que  la  pratique  des  choses  de  théâtre  a 
pu  me  donner  d'usage,  j'ai  remarqué  en  général 
j'ai  même  expérimenté  que  les  clôtures  sont  bien 
plus  difficiles  à  faire  que  les  ouvertures  ;  que  le 
moment  où  l'on  rentre,  a  quelque  chose  de  bien 
plus  gracieux,  de  plus  agréable  que  le  moment 
où  l'on  sort,  et  que  les  actrices  ne  pourraient 
jamais  se  consoler  des  regrets  de  la  sortie,  si 
elles  n'envisageaient  l'espérance  d'un  bout  de 
rentrée.  Ce  discours  tend  à  vous  montrer  d'un 
clin  d'œil,  à  vous  exposer  d'une  manière  qui 
ne  tombera  pas  en  oreille  d'âne,  Messieurs,  à 
rapprocher  enfin,  par  un  trait  insensible,  les 
avantages  de  la  sortie  d'avec  ceux  delà  rentrée, 
la  clôture,  enfin,  de  l'ouverture. 

«  Mais  ne  pensons  point  à  l'ouverture,  quand 
nous  sommes  à  la  clôture,  ne  pensons  pas  au 
commencement  du  roman,  quand  nous  sommes 
à  la  queue.  C'est  le  plus  difficile  à  écorcher, 
Messieurs,  on  le  sait,  et  c'est  pour  cela  que  je 
rentre  dans  la  matière  de  mon  compliment,  et 
que  j'en  reviens  à  la  clôture  d'aujourd'hui,  qui 

i 


74  LA  GUIMARD. 

fait  le  fond  de  mon  sujet.  Vous  trouverez  notre 
clôture  bien  courte  et  bien  petite,  en  comparai- 
son des  ouvertures  si  grandes,  si  brillantes, 
Mesdames,  dont  nous  vous  sommes  redevables. 
Quelles  obligations  ne  vous  avons-nous  pas, 
pour  les  avoir  soutenues  ainsi  agréables,  dou- 
ces et  faciles,  pour  avoir  écarté  à  propos  ces 
critiques,  qui  vilipendent  sans  cesse  un  acteur, 
l'obligeant  de  se  retirer  la  tête  basse,  et  la  queue 
entre  les  jambes.  Vous  avez  soutenu  notre  zèle, 
suppléé  à  notre  faiblesse,  en  nous  prêtant  géné- 
reusement la  main,  pour  nous  dresser,  selon  vos 
désirs,  et  nous  avez  mis  par  ce  moyen,  dans  le 
cas  d'entrer  en  concurrence  avec  les  sujets  du 
premier  talent,  qui  marchent  toujours  la  tète 
levée,  et  auxquels  on  ne  peut  reprocher  qu'un 
peu  trop  de  roideur,  défaut  dont  ils  se  corrige- 
ront aisément. 

«  Que  dis-je,  je  m'aperçois  que  je  m'allonge 
un  peu  trop  sur  les  efforts  de  nos  acteurs,  que 
je  pourrais  m'étendre  sur  quelques-unes  de  nos 
actrices.  Mais  ce  n'est  pas  là  le  moment,  je  me 
contenterai  de  vous  dire,  que  si  nous  donnons 
aujourd'hui  quelque  relâche  à  vos  amusements 
et  à  notre  spectacle,  c'est  reculer  pour  mieux 
sauter.  Et,  quoiqu'il  ne  soit  pas  permis  à  tout  le 
monde  d'être  heureux  à  la  rentrée,  c'est  cepen- 


LA  GUIMARD.  75 

dant  sur  elle  que  nous  fondons  toute  notre  espé- 
rance, et  voici  quel  en  est  le  motif. 

Air  :  Je  suis  gaillard. 
Esope  un  jour  avec  raison  disoit, 
Qu'un  arc 


Cet  à-propos  faisait  scandale  dans  Paris.  Il  de- 
venait le  sujet  de  conversations  indignées,  et 
l'on  s'étonnait  que  la  police  tolérât,  qu'une  fille 
de  spectacle  fît  prononcer  un  discours,  aux  allu- 
sions si  cochonnes,  dans  une  représentation 
ayant  presque  la  publicité  d'une  représentation 
publique  *. 

1.  M.  Begis,  l'intelligent  collectionneur  de  manuscrits,  livres, 
brochures,  concernant  les  mœurs,  possède  un  Théâtre  d'A- 
mour en  quatre  volumes,  reliés  en  maroquin  citron,  provenant 
des  collections  de  Monmerqué  et  Hankey,  qui  passe  pour  le 
théâtre  de  la  Guimard. 

Et  voici  le  catalogue  des  pièces  composant  ce  théâtre  : 

THÉÂTRE     D'AMOUR 

Composé 

de  pièces  grecques,  assyriennes 

romaines  et  françaises. 

A  Amathonte 
L'an 

de  notre  planète 
40-780 

JUNON     ET     GANYMÈDE 

Comédie  erotique. 

LA     VIERGE     DE     BABYLONE 

Comédie  erotique. 


76  LA  GUIMARD. 

CESAR  ET  LES  DEUX  VESTALES 

Pièce  erotique  en  un  acte. 

ANACRÉON 

Pièce  erotique. 
DEUXIÈME    PARTIE 

HÉLOÏSE    ET     ABAILARD 

Comédie  erotique  en  un  acte. 

NINON     ET     LACHATRE 

Scène  erotique. 

MINETTE     ET     FINETTE 

ou  les  Épreuves  d'Amour. 

HÉLOÏSE 

Pièce  erotique. 
TROISIÈME   PARTIE 

LE     JUGEMENT     DE     PARIS 

ou  les  trois  dards. 
QUATRIÈME    PARTIE 

OPUSCULES     EROTIQUES 

Dialogue  erotique  en  seize  couplets  sur  l'air  de  Myrza,  avec 
une  ■pantomime  voluptueuse. 

A  Paphos 
L'an  40  000  du  règne  de  l'Amour. 

Chaque  strophe  de  cette  folie  erotique  forme  un  dialogue, 
dont  l'amant  chante  les  deux  premiers  vers,  et  l'amante  les 
deux  autres. 

Les  deux  interlocuteurs  furent  dans  l'origine  Sophie  Ar- 
nould  et  un  ehevalier  de  Malte,  se  disant  issu  du  fameux  Gra- 
mont,  dont  tous  les  gens  de  goût  savent  par  cœur  les  Mé- 
moires. Le  jeune  G-ramont  était  beau  comme  l'amour.  Arnould 
qui,  à  ce  que  dit  l'histoire  du  temps,  n'eut  jamais  de  pucelage, 
s'avisa,  pour  le  subjuguer,  de  s'en  donner  un. 

La  scène  se  passe  au  moment,  où  elle  est  surprise  en  sa  bai- 


LA    GUIMARD.  77 

gnoire,  dans  la  fabrication  de  ce  pucelage,  par  le  jeune  Gra- 
mont. 

LES      TROIS    JOUISSANCES 

Récit  erotique 

Voici  la  préface  du  livre  : 

Toute  l'antiquité  a  retenti  des  dialogues  d'un  amour  plus 
que  libre  qu'avait  composé  Elephantis,  et  dont  les  dernières 
copies  ont  été  probablement  brûlées,  lors  de  l'incendie  de  la  Bi- 
bliothèque de  Ptolémée.  Des  peintres  de  renom  avaient  joint 
à  ces  ouvrages  licencieux  des  dessins,  qui  représentaient  l'a- 
mour sans  voile,  dans  toutes  les  attitudes,  que  l'imagination  la 
plus  hardie  avait  pu  suggérer...  C'est  une  pareille  tradition  qui 
a  pu  faire  naître,  dans  les  âges  modernes,  les  entretiens  d"Aloysia 
et  les  sonnets  de  l'Aretin... 

Un  prince  étranger,  homme  très  aimable,  mais  un  peu  blasé 
sur  les  plaisirs  que  l'innocence  apporte,  avait  un  théâtre  secret, 
où  il  n'introduisait  que  des  roués  de  sa  petite  cour  et  des 
dames  de  qualité,  dignes  d'être  des  courtisanes.  C'étaient  les 
saturnales  de  la  Régence.  On  y  jouait  sans  voile  les  priapées 
de  Pétrone  et  les  orgies  du  Portier  (des  Chartreux).  La  licence 
d'un  grand  festin  lui  donne  la  hardiesse  de  s'adresser  à  moi  et 
de  me  demander  des  conseils  sur  les  moyens  de  jeter  de  l'in- 
térêt dans  cet  odieux  spectacle.  J'eus  la  faiblesse  de  lui  dire 
que  Socrate  lui-même  se  serait  prêté  en  ce  genre  aux  folies 
d'AIcibiade.  De  ce  moment,  il  n'eut  plus  de  secrets  pour  moi 
et  il  m'invita  avec  toutes  les  grâces  imaginables  à  épurer  son 
théâtre,  de  manière  qu'un  sage  pût  s'y  rendre,  même  en  loge 
grillée... 

Au  fond,  ce  très  précieux  manuscrit,  ce  très  curieux  théâtre 
n'a  que  la  tradition  pour  être  celui  de  la  Guimard,  et  aucun 
document  ne  vient  à  l'appui  de  cette  tradition.  Il  est  possible 
qu'une  ou  deux  pièces  de  ce  recueil  aient  été  jouées  sur  les 
théâtres  de  Pantin  et  de  la  Chaussée  d'Antin,  mais  c'est  tout  ce 
qu'on  peut  supposer  à  la  rigueur,  devant  le  silence  des  Mémoires 
secrets,  qui  donnent  les  titres  d'un  certain  nombre  de  pièces, 
Jouées  sur  les  deux  théâtres. 

Puis  Delisles  de  Salles,  l'auteur  de  ce  théâtre  et  de  la  pré- 
face, n'est  point  le  fournisseur  de  la  Guimard,  qui  est  Collé, 

7. 


18  LA    GUIMARD. 

et  le  prince  dont  il  parle,  est  le  prince  d'Henin,  l'amant  de 
Sophie  Arnould,  que  l'on  voit  figurer  dans  une  de  ses  scènes 
erotiques.  Or  donc  le  Théâtre  d'Amour  ne  me  parait  pas  le 
théâtre  particulier  de  la  Guimard,  mais  bien  le  théâtre  secret 
attitré,  où  en  ses  jours  de  libertinage  d'esprit,  un  maître  de 
maison  de  la  grande  société  allait  puiser,  pour  une  représen- 
tation à  huis  clos. 


XXII 


La  Cinquantaine,  dont  la  musique  était  de 
M.  de  La  Borde,  représentée  au  mois  d'août 
1771,  n'avait  aucun  succès,  et  la  chute  de 
l'opéra,  attribuée  à  l'insignifiante  musique  du 
compositeur,  faisait  réapparaître  les  pamphlets, 
les  quatrains  injurieux,  les  mauvais  petits  vers, 
contre  le  musicomane ,  qu'aucun  insuccès  ne 
pouvait  décourager.  On  ne  lui  pardonnait  pas 
surtout  d'avoir  menacé  le  chanteur  Legros,  se 
refusant  à  chanter  dans  son  opéra,  de  le  faire 
passer  une  cinquantaine  au  For-1'Evêque,  et 
dans  les  vers  satiriques,  dirigés  contre  le  valet 
de  chambre  du  Roi,  sa  maîtresse  avait  sa  part, 
et  la  maigreur  de  la  danseuse  lui  était  de  nou- 
veau méchamment  rappelée. 

Après  Rameau  parait  La  Borde. 
Quel  compagnon!  Miséricorde! 


80  LA    GUIMARD. 

Laissez  notre  oreille  en  repos  : 

De  vos  talents  faites-nous  grâce; 

De  la  Guimard  allez  compter  les  os, 

Monsieur  l'auteur,  on  vous  le  passe  ' 


1.  Mémoires  secrets,  vol.  V- 


XXIII 


Le  27  avril  1772,  le  sieur  Rebel,  chevalier  de 
l'ordre  du  Roi,  nommé  Directeur  général  de 
l'Académie  royale  de  Musique,  entrait  en  fonc- 
tion, ayant  sous  ses  ordres  Dauvergne,  et  «  pre- 
nait le  gouvernement  de  cette  machine  si  difficile 
à  conduire  ».  11  débutait  par  prononcer  un  dis- 
cours, animé  des  meilleures  intentions  à  l'égard 
de  ses  administrés  :  ce  qui  leur  était  assez  indif- 
férent, mais  ce  qui  ne  l'était  pas,  c'est  que  les 
douze  mille  livres  du  traitement  du  directeur 
général,  étaient  prises  sur  les  gratifications 
générales,  qu'on  écornait  de  ceci,  décela,,  sur 
iintel,  sur  une  telle.  Ce  traitement  d'un  direc- 
teur supplémentaire,  qu'on  faisait  payer  aux 
artistes  sur  une  partie  de  leurs  émoluments,  les 
mettait  dans  une  telle  irritation,  que  nombre  de 
danseurs  et  de  danseuses,  entre  autres  MUe  Gui- 
mard,  qui  faisait  son  apprentissage  de  meneuse 


82  LA    GUIMARD. 

de  la  cabale,  menaçaient  de  quitter.  Et  elle  par- 
lait tout  haut  de  se  rendre  avec  Dauberval  en 
Russie,  où  on  les  demandait. 

Quoique  de  «  fortes  têtes  »  s'occupassent  de 
remettre  la  paix  dans  le  peuple  lyrique,  de  jour 
en  jour,  on  était  plus  en  guerre  que  jamais, 
et  cela  finissait  de  la  part  des  artistes,  par  la 
demande  «  par  huissier  »  de  leur  retraite.  Et  il 
fallait  qu'au  mois  de  juin,  le  duc  de  la  Vril- 
lière,  le  secrétaire  d'État,  ayant  le  département 
de  Paris,  et  conséquemment  la  haute  police  de 
l'Opéra,  fit  venir  chez  lui  les  principaux  mu- 
tins :  Gardel,  Dauberval,  Peslin,  Guimard,  et 
leur  enjoignît  de  retirer  sur-le-champ  leurs 
assignations  aux  directeurs,  pour  qu'ils  eussent 
à  leur  donner  congé,  les  menaçant  d'une  pu- 
nition exemplaire. 

Ce  quos  ego1,  disent  les  Mémoires  secrets,  a 
tout  fait  rentrer  dans  l'ordre  accoutumé. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  V. 


XXIV 


L'intimité  de  Mlle  Guimard,  tout  intermit- 
tente qu'elle  fût,  avec  le  prince  de  Soubise, 
capitaine  des  chasses,  amenait  en  sa  faveur 
une  grâce,  bien  anormale  pour  le  temps. 

En  cette  France  d'alors,  où  la  chasse  était  le 
privilège  exclusif  de  la  noblesse,  par  la  toute- 
puissance  du  prince,  à  l'effet  de  fournir  du 
gibier  à  la  table  de  la  danseuse,  un  canton  de 
chasse  était  pris  dans  les  Plaisirs  du  Roi1,  et 
donné  à  la  châtelaine  de  Pantin,  qui  avait  le 
pouvoir  en  sa  qualité  de  «  nouvelle  Diane  »  de 
délivrer  des  permis  de  chasse  aux  danseurs, 
chanteurs,  choristes  de  l'Opéra  :  si  bien  que 
c'était  un  spectacle,  aussi  curieux  que  surpre- 
nant, de  voir,  la  carnassière  au  dos  et  l'esco- 

\ .  Mémoires  secrets,  vol.  VI. 


84  LA    UUIMARD. 

pette  à  la  main1,  les  Plaisirs,  les  Vents,  les 
Ondins,  les  Ris,  les  Tritons,  les  Signes  du 
Zodiaque,  enfin  tous  les  croquants  de  la  figura- 
tion de  l'Académie  lyrique,  fusiller  les  perdrix, 
les  lièvres,  les  faisans  de  Sa  Majesté,  pour  le 
rôti  des  nymphes  du  magasin. 

1.  L'Académie  Impériale  de  Musique,  par  Castil-Blazc. 


XXV 


L'ouverture  du  théâtre  de  Pantin  a  lieu,  cet 
été,  par  la  représentation  de  la  parade  la  plus 
épicée  de  Vadé,  par  Madame  Engueule,  parade 
suivie  de  la  Fricassée,  dansée  par  MUe  Guimard 
et  Dauberval.  Et  un  moment,  les  habitués  du 
théâtre  de  Pantin  sont  dans  l'émoi  que  la  police 
n'interdise  décidément  le  spectacle  licencieux 
de  la  danseuse. 

Mais  cette  crainte  ne  dure  qu'un  temps 
car  au  mois  de  septembre,  la  Vérité  dans  le 
vin,  ce  chef-d'œuvre  du  théâtre  grivois,  y  était 
représenté,  joué  par  trois  acteurs  de  la  Comé- 
die-Française, Dugazon,  Auger,  Feuillié,  aux- 
quels les  fêtes  de  la  Vierge  avaient  donné  la 
liberté,  et  qui  jouaient  la  pièce  de  Collé, 
affirme  Bachaumont,  comme  jamais  on  ne  les 
avait  encore  vu  jouer.  Et  dans  cette  représen- 
tation, ils  étaient  merveilleusement  secondés 


86  LA  GUIMARD. 

par  MUe  Lafond,  danseuse  de  l'Opéra,  et  par  la 
maîtresse  de  la  maison,  dont  la  voix  un  peu 
rauque  —  sépulcrale,  disaient  ses  ennemis, 
quand  elle  parlait, —  perdait  à  ce  qu'il  paraît 
son  désagrément  dans  le  chant,  et  y  devenait 
même  assez  agréable. 

A  cette  représentation  assistait  le  duc  de 
Chartres,  mais  incognito,  et  bon  nombre  de 
femmes  de  la  société,  se  croyant  dissimulées 
dans  des  loges  grillées,  mais  bien  vite  déchif- 
frées. 

Et  c'est  un  émerveillement  parmi  les  fabri- 
cateurs  de  Nouvelles  à  la  main,  que  ces  diver- 
tissements ruineux  de  prince,  donnés  à  Paris 
par  une  danseuse,  en  même  temps  que  la 
reconnaissance  de  la  gaieté,  de  l'entrain,  du 
franc  rire,  de  ces  libres  et  amusantes  soirées, 
où  il  n'y  avait  rien  du  sérieux,  de  la  gêne,  de 
la  contrainte  caractéristiques,  des  fêtes  des 
Altesses1. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  VI  et  vol.  XXIV.  Additions  à  l'au- 
née  1711. 


XXVI 


En  ce  temps,  Mlle  Guimard  avait  la  fantaisie 
de  se  bâtir  un  hôtel. 

Dans  ce  quartier  des  Porcherons,  qui  dans  le 
plan  de  Turgot  de  1750,  ne  présente  qu'une  im- 
mense plaine  maraîchère,  semée,  à  de  grands  in- 
tervalles, de  constructions  rustiques  et  de  bâti- 
ments religieux,  commence  à  s'élever,  à  vingt 
ans  de  là,  tout  un  quartier  d'hôtels,  appartenant 
à  la  noblesse,  à  la  robe,  aux  grandes  impures. 

C'est  tout  en  haut  de  la  rue  de  la  Chaussée- 
d'Antin,  contre  la  barrière,  l'hôtel  bâti  pour  feu 
Monsieur  le  président  Hocquart,  et  qu'habite 
son  fils,  le  marquis  de  Montfermeil;  ce  sont, 
rue  Chantereine,  l'hôtel  Saint-Chamant,  sur  les 
dessins  de  l'architecte  Rougevin,  et  l'hôtel  de 
MUe  Dervieux,  sur  les  dessins  de  l'architecte 
Brongniart;  ce  sont,  rue  de  Provence,  les  hôtels 
de   Dreneuc,  de  Gouy  d'Arcy,    de    Thun,   de 


88  LA    GUIMARD. 

Mme  de  Montess'on  ;  ce  sont,  en  revenant  à  la  rue 
de  la  Chaussée-d'Antin,  et  en*descendant  vers 
le  boulevard,  l'hôtel  de  Balicourt,  l'hôtel  de 
Montmorency  qui  fait  l'angle  de  la  rue  Basse  ; 
ça  va  être,  un  peu  plus  loin  dans  la  rue,  à  côté 
de  l'hôtel  originairement  construit  pour 
M.  Necker,  le  Temple  de  Terpsichore l  ou  l'hôtel 
de  Mlle  Guimard,  un  hôtel  rival  de  l'hôtel  de 
Wu  Dervieux,  un  hôtel  élevé  par  Le  Doux,  ar- 
chitecte du  Roi,  un  hôtel  que  les  souverains 
étrangers,  en  leur  séjour  à  Paris,  iront  visiter, 
ainsi  qu'ils  vont  visiter  le  pavillon  des  Lucien- 
nes2. 

Une  charmante  vue  en  couleur,  à  l'imitation 
d'une  gouache  du  temps3,  nous  a  conservé  la 
vue  de  l'hôtel  de  Mlle  Guimard.  On  voit  la  façade 
du  Temple  de  Terpsichore,  dont  le  porche  est 
décoré  de  quatre  colonnes,  au-dessus  desquelles 
un  groupe  isolé  représente  Terpsichore,  cou- 

1 .  Paris  tel  qu'il  était  avant  la  Révolution,  par  M.  Thierry. 
An  quatrième  de  la  République  Française. 

2.  Les  Mémoires  secrets  annoncent,  à  la  date  du  21  mai  1777, 
que  le  comte  de  Falkenstein  a  été  visiter  le  Temple  de  Terpsi- 
chore. 

3.  Rare  planche  faisant  partie  d'une  suite  qui  n'a  pas  été 
terminée.  Elle  porte  :  Maison  de  Melle  Guimard,  bâtie  par 
M.  le  Doux.  Prieur,  f.  1791.  Une  réduction  également  en  cou- 
leur a  été  faite  par  Janinet  sur  un  dessin  de  Durand,  et  publiée 
sous  le  n°  27  dans  une  collection  de  vues  de  maisons  de  Paris, 
par  Esnauts  et  Rapilly. 


LA  GUIMARD.  89 

ronnée  par  Apollon  :  groupe  en  pierre  de  Con- 
flans,  de  6  pieds  de  proportion,  sculpté  par 
M.  Le  Comte,  sculpteur  du  Roi.  Et  dans  le  cul- 
de-four  derrière  les  colonnes,  on  voit  encore 
le  bas-relief  de  22  pieds  de  longueur  sur  4  de 
hauteur,  où  Le  Comte  a  exécuté  le  triomphe  de 
la  Muse  de  la  danse,  la  montrant  sur  un  char, 
tramée  par  des  Amours,  et  précédée  de  Bac- 
chantes et  de  Faunes,  et  suivie  des  Grâces  de 
la  chorégraphie  -. 

Au  bas  de  la  planche  en  couleur  représentant 
la  façade  du  coquet  édifice,  sont  données  deux 
petites  coupes  intérieures,  vous  faisant  pénétrer 
dans  l'intimité  de  la  demeure. 

L'une  vous  ouvre  l'antichambre,  et  la  salle  à 
manger,  décorée  de  vasques  aux  eaux  jaillis- 
santes, portées  par  des  groupes  de  naïades. 

L'autre  vous  introduit  dans  la  salle  de  spec- 
tacle, cette  salle  aménagée  au-dessus  de  la 
porte,  et  qui  pouvait  contenir  en  son  parquet, 
en  ses  loges  ouvertes  ou  grillées,  cinq  cents 
personnes 2  ;  cette  salle  au  plafond  peint  par  Ta- 
raval,  et  qui  était  en  petit  la  salle  de  Versailles3. 

1.  Paris  tel  qu'il  était  avant  la  Révolution,  par  Thierry. 

2.  Mémoires  secrets,  vol.  VI. 

3.  L'ouvrage  intitulé  :  Plans,  coupes,  élévations  des  plus 
belles  maisons  et  des  hôtels  construits  à  Paris  et  dans  les  en- 
virons, publiés  par  Kraft  architecte,  et  N.  Ransonnette  gra- 

8. 


90 


LA   GUIMARD. 


Le  petit  palais  bâti,  paré,  orné,  sous  la  surveil- 
lance amoureuse  de  La  Borde,  était  un  bijou 
architectural,  une  merveille  de  goût  décoratif. 
«  Figurez- vous,  dit  une  brochure  du  temps  '.,  figu- 


veur,  contient  également  une  vue  de  la  maison  de  Mlle  Gui- 
mard,  et  trois  petits  plans  des  divers  étages,  dont  rénumération 
des  pièces  donnera  au  lecteur  une  idée  de  l'importance  de  la 
bâtisse. 

Plan  du  fondement  n°  1. 


A.  Escalier. 

B.  Passage. 

C.  Cuisine. 

D.  Lavoir. 

E.  Office. 

F.  Garde-manger. 

G.  Corridor  du  dégagement. 
H.  Pièce  commune. 


I.    Caveau  à  vin. 

K.  Cave. 

L.  Pièce  du  dégagement  pour  lo 

servico  des  offices. 
■M.  Escalier  pour  le  servico. 
N.  Bûcher. 
O.  Cour. 
P.  Escalier  pour  le  jardin. 


Plan  du  rez-de-chaussée  n°  2. 


A.  Cour. 

B.  Porche. 

C.  Escalier. 

D.  Antichambre. 

E.  Buffet. 

F.  Salle  à  manger. 

G.  Salon  de  compagnie. 
H.  Chambre  à  coucher. 
I.    Boudoir. 


K.  Cabinet. 

L.  Escalier  pour  le    servico   de 

l'office. 
M.  Lieux  à  l'anglaise. 
N.  Dégagement. 
O.  Salle  de  bains. 
P.  Cabinet  de  bains. 
Q.  Cabinet  de  toilette. 


Plan  du  premier  étage  n°  3. 


A.  Escalier. 

B.  Corridor  du  dégagement. 

C.  Antichambre  commune. 
D  D.  Chambre  à  coucher. 

E.  Salon  commun. 
F    F.  Boudoir. 

F.  Cabinet  de  toilette. 

G.  Lieux  à  l'anglaise. 
H.  Dégagements. 


I.    Escalier. 

K.  Chambre  de  femme  de  cham- 
bre. 

L.  Garde-robe. 

M.  Chambre  des  domestiques. 

N.  Lanterne  pour  éclairer  la  salle 
à  manger. 

O.  Lanterne  pour  éclairer  le  buf- 
fet. 


1.  Brochure  citée  dans  la  Correspondance  secrète  de  Métra, 
vol.  VIII. 


LA  GUIMARD.  91 

rez-vous  l'assemblage  heureux  et  le  plus  brillant 
de  tous  les  arts  :  ils  se  sont  réunis  ici  pour  se 
surpasser.  Les  dehors  sont  charmants. 

«  L'architecte  a  eu  dessein  de  représenter  le 
temple  de  Terpsichore  dans  la  façade  du  côté 
de  l'entrée  :  on  ne  peut  pas  mieux  réussir  ou 
mieux  rencontrer. 

«  Dans  un  assez  petit  espace,  cette  jolie  de- 
meure offre  toutes  les  commodités  et  tous  les 
agréments  ;  et  ce  qui  n'est  pas  présenté  par  la 
vérité,  est  suppléé  par  le  prestige.  Il  n'y  a  pas 
jusqu'au  jardin,  qui,  quoique  peu  spacieux,  ne 
charme  et  n'étonne  par  son  goût  tout  nouveau. 
Les  appartements  semblent  devoir  à  la  magie 
leurs  divers  agréments  ;  riches  sans  confusion  et 
galants  sans  indécence,  ils  offrent  l'intérieur  du 
palais  de  l'Amour,  embelli  par  les  Grâces.  La 
chambre  à  coucher  invite  au  repos,  le  salon  au 
plaisir,  la  salle  à  manger  à  la  gaîté  :  les  formes 
en  sont  ingénieuses,  sans  qu'on  ait  eu  recours  à 
ce  contraste  outré,  dont  on  a  abusé  si  souvent. 
Une  serre  chaude  comprise  dans  l'intérieur  de 
l'appartement  y  tient  lieu,  l'hiver,  de  jardin: 
c'est  le  goût  même  qui  l'a  décorée.  Le  paysage  y 
est  tendre,  sans  nuire  à  l'effet  ;  les  treillages 
sont  soumis  à  la  bonne  architecture;  les  arabes- 
ques n'y  ont  rien  de  chimérique,  l'exécution  de 


92  LA  GUIMARD. 

toutes  ces  différentes  merveilles  paraît  être  l'ou- 
vrage de  la  même  main.  Harmonie  délicieuse 
qui  met  le  comble  à  l'éloge  de  l'architecte  ; 
parce  qu'elle  prouve  qu'il  a  connu  l'importance 
du  choix  des  artistes  qui  l'ont  secondé  et  la  né- 
cessité de  leur  imprimer  ses  idées.  Gn  y  voit  un 
petit  appartement  de  bains,  enchanteur  et  peut- 
être  unique  par  le  style  des  ornements.  On  y 
trouve  aussi  une  petite  salle  de  spectacle,  que 
l'on  peut  regarder  comme  un  chef-d'œuvre  dans 
son  genre.  On  ne  comprend  que  difficilement, 
comment  l'architecte  a  pu  trouver  le  lieu  de  la 
scène,  et  celui  que  doivent  occuper  les  specta- 
teurs... » 

A  la  décoration  du  Temple  de  Terpsichore,  se 
rattachent  deux  anecdotes,  apportant  deux  cu- 
rieux renseignements  biographiques  sur  deux 
grands  peintres  français  du  dix-huitième  siècle, 
d'humeur  et  de  caractère  différents. 

Un  jour  que  la  danseuse  examinait,  où  en 
étaient  travaux  de  son  hôtel,  elle  remarquait  la 
tristesse  d'un  jeune  homme  peignant  des  ara- 
besques, l'interrogeait,  apprenait  de  lui  que  la 
misère  le  forçant  à  gagner  son  pain,  l'empêchait 
de  se  livrer  aux  études  nécessaires,  pour  concou- 
rir avec  succès  pour  le  prix  de  Rome.  Mlle  Gui- 
mard  lui  faisait  quitter  les  travaux  de  l'hôtel,  et 


LA  GUIMARD.  93 

lui  remettait,  tous  les  mois  deux  cents  livres, 
permettant  à  l'élève  de  Vien  de  remporter  le 
prix.  Ce  peintre,  c'était  David. 

L'autre  peintre,  c'est  Fragonard.  Les  pan- 
neaux du  grand  salon  étaient  entièrement  cou- 
verts de  peintures,  et  le  panneau  principal  offrait 
la  répétition  en  peinture  de  la  sculpture  de  la 
façade  :  la  représentation  de  Mllc  Guimard  en 
Terpsichore,  et  entourée  des  attributs  qui  pou- 
vaient la  caractériser  «  de  la  manière  la  plus 
séduisante1  ». 

L'architecte  Le  Doux  avait  choisi  pour  la  réa- 
lisation galante  de  l'allégorie,  Honoré  Frago- 
nard. Mais  cette  fois  il  survenait  une  brouille,  si 
vive  entre  la  danseuse  et  son  peintre,  qu'il  était 
renvoyé,  et  qu'un  marché  était  passé  avec  un 
autre  artiste.  Or  un  jour,  Fragonard  qui  était 
de  sa  nature  un  rieur,  et  qui  resta  toute  sa  vie 
un  farceur  d'atelier,  curieux  de  voir  ce  qu'était 
devenue  la  peinture  commencée  par  lui,  entre 
les  mains  de  son  successeur,  trouvait  le  moyen 
de  s'introduire  dans  la  maison,  et  de  pénétrer 
jusqu'au  salon,  sans  rencontrer  personne.  Là,  la 


1.  L'Académie  de  Musique,  par  Castil-Blaze,  Paris,  1855. 
Quelques  anecdotiers  font  de  David,  en  cette  circonstance, 
non  un  peintre  d'arabesques,  mais  le  prédécesseur  de  Fra- 
gonard. 


94  LA    GUIMARD. 

vue  d'une  palette  dans  un  coin,  lui  donne  l'idée 
d'une  spirituelle  vengeance. 

En  quatre  coups  de  pinceau,  il  efface  le  sou- 
rire des  lèvres  de  Terpsichore,  qu'il  charge  de 
colère  et  de  fureur,  et  sans  rien  ôter  à  la  res- 
semblance de  MUe  Guimard,  en  fait  une  ïisi- 
phone.  Et  le  malheur  veut,  que  le  sacrilège 
consommé,  MlIe  Guimard  arrive  avec  des  amis, 
pour  leur  faire  les  honneurs  de  son  portrait l. 

1.  Correspondance  littéraire. 


XXVII 


L'anecdote  est-elle  vraie ,  j'en  doute ,  et  me 
demande,  si  Grimm  n'a  pas  été  victime  d'un  ra- 
contar d'atelier,  car  nous  voilà  chez  M.  Groult, 
en  présence  de  cette  peinture,  et  rien  dans  la 
figure  ne  trahit  une  retouche,  et  la  Guimard  de 
là,  apparaît  avec  le  sourire  bien  fragonar disant 
de  Terpsichore. 

Sous  un  ciel  violàtre,  comme  transpercé 
d'embrasements  d'incendie  —  le  ciel  aimé  de 
Fragonard  —  et  au  fond  duquel  s'élève  le  lourd 
colombier  rustique  des  paysages  de  Boucher, 
la  Terpsichore  du  dix-huitième  siècle  est  re- 
présentée en  bergère  de  l'Opéra. 

Elle  a  sur  la  tête  un  chapeau  de  jardin,  un 
chapeau  rose  aux  rubans  envolés,  un  chapeau 
de  la  forme  la  plus  capricieusement  gondolée, 
contournant  une  chevelure  à  l'œil  de  poudre 
imperceptible.  Elle    porte  également  un  cor- 


96  LA  GUIMARD. 

sage  rose,  auquel  sont  adaptées  de  bouffantes 
et  aériennes  manches  de  gaze  brochée,  descen- 
dant jusqu'aux  coudes,  et  une  guimpe,  dont  un 
coin  soulevé  laisse  à  découvert  le  haut  d'une 
épaule  nue.  Le  corsage  est  lacé  sur  une  pièce 
d'estomac  bleu,  qui  devient,  au-dessous  de  la 
ceinture,  la  jupe  de  dessus  aux  trois  retroussis 
d'une  polonaise,  se  gonflant  sur  le  jupon  rose 
du  dessous,  et  un  tablier  de  la  gaze  brochée  des 
manches  et  de  la  guimpe,  voltige  autour  de  la 
longuette  et  svelte  femme,  qui,  une  main  sur  le 
cœur,  soulève  de  l'autre  ce  tablier  où  sont  deux 
roses,  dans  l'esquisse  d'un  pas  de  danse. 

Sous  sa  jupe,  un  carlin  à  l'œil  allumé,  au 
petit  mufle  renfrogné,  aux  crocs  colères,  jappe, 
jappe,  jappe,  aboyant  contre  un  Amour  blotti 
dans  un  rosier,  un  Amour  grassouillet,  un 
Amour  aux  ombres  fauves  et  aux  lumières  pur- 
purines de  la  chair,  et  qui  est  en  train  de  viser 
avec  une  flèche  de  son  petit  arc,  le  soulier  de 
satin  blanc  à  la  bouffette  rose,  le  soulier  vain- 
queur des  cœurs  de  la  danseuse  \ 


i.  Le  Figaro  du  lundi  8  août  1892  parlant  de  la  vente  de  la 
collection  de  chaussons  de  danseuses,  faite  par  un  vieux  fidèle 
de  l'Opéra,  le  mois  dernier,  notait  un  lot,  dans  lequel  se  trou- 
vait un  chausson,  qu'on  disait  avoir  appartenu  à  la  Guimard, 
et  qui  se  vendait  950  francs. 


LA  GUIMARD.  97 

Cette  peinture,  au  bas  de  laquelle  sont  jetées 
une  houlette  et  une  musette,  est  une  peinture 
rapide,  courante,  décorative,  où  le  peintre  sans 
grand  souci  de  la  ressemblance  de  la  Guimard, 
a  peint  le  type  de  la  danseuse,  aux  joues  fardées, 
au  regard  en  coulisse,  au  sourire  de  la  profes- 
sion, mais  avec  toute  l'habileté  des  grands  dé- 
corateurs du  dix-huitième  siècle,  et  dans  une 
harmonie  de  chair  de  pêche,  et  comme  en  la 
douceur  pour  les  étoffes,  de  couleurs  joliment 
passées  et  de  nuances  adorablement  fausses. 


XXVIII 


L'ouverture,  l'ouverture  attendue  du  Temple 
de  Terpsichore,  qui  devait  avoir  lieu  par  la  re1 
présentation  de  la  Partie  de  chasse  de  Henri  IV, 
et  la  Vérité  dans  le  vin,  était  enfin  annoncée 
pour  les  premiers  jours  de  décembre  1772  — 
et  c'était  une  fureur  parmi  toute  la  grande  so- 
ciété, pour  se  procurer  des  billets.  L'on  se  ra- 
contait que  la  représentation  de  la  Partie  de 
chasse  de  Henri  IV,  qui  devait  être  jouée  par  les 
comédiens  français,  interdite  d'abord  par  le 
maréchal  de  Richelieu,  d'accord  avec  les  au- 
tres gentilshommes  de  la  Chambre,  avait  été 
autorisée  par  Sa  Majesté,  annulant  la  décision 
de  Richelieu,  par  le  crédit  du  sieur  de  la  Porte 
et  du  maréchal  de  Soubise,  les  deux  tenants  de 
la  danseuse. 

Puis  des  difficultés  avec  l'archevêque  de 
Paris,  amenaient  un  retard  à  l'ouverture  du 


LA   GUIMARD.  99 

théâtre,  qui  avait  lieu  seulement  le  8  dé- 
cembre. L'unique  concession  faite  à  l'arche- 
vêché, était  le  remplacement  de  la  Vérité  dans 
le  vin,  par  une  pantomime  intitulée  :  Pygmalion, 
une  parade  qui  était  la  parodie  du  petit  acte  de 
Collé1. 

Et  ce  jour-là,  il  y  avait  dans  «  le  Temple  de 
Terpsichore  »  une  compagnie  d'hommes  de  la 
plus  grande  distinction,  comptant  deux  princes 
du  sang  :  le  duc  de  Chartres  et  le  comte  de 
Lamarche,  et  en  femmes,  une  assemblée  de 
filles  du  plus  joli  minois,  toutes  radieuses  de 
diamants  2  . 


1.  Correspondance  de  Grïmm.  Garnier,  frères,  vol.  I. 

2.  Mémoires  secrets,  année  1772.  Une  seconde  représentation 
devait  avoir  lieu  sur  le  théâtre  de  la  Guimard,  le  jeudi,  veille 
de  Noël,  mais  cette  fois  l'archevêque  obtenait  gain  de  cause, 
et  la  Guimard  recevait  la  défense  de  jouer 


XXIX 


Au  mois  de  juin  1773,  ce  prince  de  Soubise, 
si  traitable  sur  l'article  de  la  jalousie,  et  qui 
avait  accepte  jusque-là  avec  l'indifférence  su- 
perbe d'un  mari  du  temps,  le  partage  des 
tendresses  de  la  Guimard  entre  M.  de  La  Borde  et 
Sa  Grandeur  sultanesque,  était  pris  d'un  sou- 
dain accès  de  jalousie,  et  exigeait  l'expulsion 
de  l'amant  —  de  l'amant  que  sa  qualité  de  fer- 
mier général  ne  faisait  pas  précisément  un 
amant  de  cœur1  . 

Paris  s'étonna  de  cet  accès  de  jalousie,  chez 
un  homme,  qui  n'avait  jamais  été  jaloux,  et  qui 
surprenant  une  maîtresse  aimée,  dans  les  bras 
du  chevalier  de  Langeac,  et  se  rendant  à  cette 
définition  de  Sophie  Arnould  :  «  Monseigneur, 
la  sagesse  d'une  actrice  n'est  que  l'art  de  bien 

1.  M.  Deville  dit  que  M.  de  La  Borde  s'était  ruiné  au  ser- 
vice de  la  Guimard. 


LA   GUIMARD.  101 

fermer  les  portes  l  !  »  continuait  ses  largesses 
à  l'infidèle.  Aussi  les  mauvaises  langues  répan- 
daient que  la  cause  du  congé  ne  pouvait  se  dire 
qu'à  l'oreille,  et  venait  de  ce  qu'en  langage  du 
dix-huitième  siècle,  M.  de  La  Borde  avait  donné 
une  galanterie  à  la  demoiselle  Guimard,  que 
celle-ci  l'avait  procurée  au  maréchal  prince  de 
Soubise ,  le  maréchal  à  Mme  la  comtesse  de 
l'Hôpital,  la  comtesse  à...  Ici  se  perdait  la  ge- 
nèse2. 

A  la  suite  de  cette  qnitterie  de  la  danseuse, 
ce  pauvre  M.  de  La  Borde  tombait  dans  une  mé- 
lancolie noire,  que  rien  ne  pouvait  dissiper,  ap- 
pelant la  fin  de  son  service  auprès  du  Roi  —  ce 
qui  devait  arriver  au  mois  de  juillet  —  pour 
quitter  la  France  et  courir  l'Europe,  afin  d'  ou- 
blier l'infidèle.  Et  dans  son  désespoir  amou- 
reux, perdant  le  goût  de  tout  ce  qu'il  aimait 
avec  passion,  perdant  ce  goût  de  la  musique 
qui  avait  été  l'amusement  et  l'occupation  de 
toute  sa  vie,  il  annonçait  à  ses  amis,  dans  des 
lettres  désolées,  l'intention  d'y  renoncer. 

1.  Arnoldiana,  Paris,  Gérard,  1813. 
•  2.  Mémoires  secrets,  vol.  VII. 


XXX 


Bien  certainement  Jean  Benjamin  de  La  Borde 
était  une  nature  tendre. 

11  fut  un  médiocre  musicien,  mais  parce 
qu'il  fit  de  la  méchante  musique,  ce  n'est  point 
une  raison,  pour  ne  pas  lui  accorder  les  douces 
et  humaines  qualités,  qu'il  avait. 

Un  biographe  dit  de  lui  : 

<(  Un  grand  nombre  des  contemporains  de  La 
Borde,  a  pu  ne  voir  en  lui  que  le  courtisan  ai- 
mable et  dissipé,  le  possesseur  de  tous  les  ta- 
lents agréables,  l'amateur  de  tout  ce  qui  peut 
en  rehausser  l'éclat,  et  des  jouissances  frivoles, 
enfin  l'homme  à  grandes  passions,  et  non 
moins  propre  à  les  inspirer  qu'à  se  laisser  domi- 
ner par  elles.  Nous  avons  dû  en  prendre  une 
idée  bien  différente,  nous,  dont  les  rapports  avec 
lui,  ne  nous  l'ont  présenté  que  sous  l'aspect  d'un 


LA  GUIMARD.  103 

homme  franc,  loyal,  modeste,  généreux,  bien- 
faisant1. » 

Oui,  mais  avant  tout  une  nature  tendre,  un 
tempérament  passionné,  un  amoureux  de  la 
femme,  et  qui  le  fut  toute  sa  vie,  et  tout  autant 
plus  tard  d'une  femme  légitime,  qu'il  l'était  alors 
de  la  Guimard. 

Et  chez  l'amant  de  la  Guimard,  qui  écrivit 
des  Maximes  et  des  Pensées,  il  n'est  pas  sans  in- 
térêt de  chercher  dans  les  «  Maximes  et  les 
Pensées  »  de  l'écrivain,  où  toujours  l'auteur  se 
confesse  un  peu,  de  chercher  et  de  retrouver 
l'amoureux  qu'il  fut. 

Voici  ces  pensées  : 

«  Vouloir  qu'on  soit  amoureux  avec  raison, 
c'est  vouloir  qu'on  soit  fou  avec  raison. 

1.  Jean  Benjamin  de  La  Borde,  né  le  5  septembre  1734, 
était  entré  dans  la  finance,  par  l 'esprit  de  gratitude  de  son 
père  pour  un  état,  auquel  il  avait  dû  le  rétablissement  de  sa 
fortune,  ruinée  par  le  système  de  Law,  et  était  nommé  en 
1761,  adjoint  de  son  beau-frère  M.  de  Marchais,  dans  le  service 
intime  de  Louis  XV,  dont  il  fut  un  des  amis,  si  un  roi  pouvait 
avoir  des  amis.  Une  existence,  dit  son  biographe,  souvent  au- 
bord  de  l'abîme,  mais  distraite  par  l'art,  la  littérature,  le  plai- 
sir, et  qui  se  termina  par  la  guillotine. 

Le  biographe  pour  nous  donner  une  idée  de  la  douceur  de 
son  caractère,  et  de  l'inaltérabilité  de  son  humeur,  nous  le 
montre  attaqué  de  coliques  néphrétiques  qui  le  faisaient  souf- 
frir des  douleurs  indicibles,  et  passant  dans  le  bain  des  jour- 
nées entières,  environné  de  livres,  avec  toute  la  sérénité  d'un 
homme  qui  prendrait  un  bain  par  sensualité. 


104  LA   GUIMARD. 

-  Pourquoi  rougir  d'avouer  qu'on  s'est  trompé? 
N'est-ce  pas  déclarer  qu'on  est  plus  sage  au- 
jourd'hui qu'hier. 

Une  femme  qui  sait  mal  est  moins  suppor- 
table, qu'une  femme  qui  ne  sait  rien. 

Le  plaisir  est  comme  une  fleur,  dont  l'odeur 
est  délicate,  et  qu'il  faut  sentir  légèrement,  si 
on  veut  toujours  lui  trouver  le  même  parfum. 

La  plupart  des  femmes  ressemblent  à  des 
énigmes  qui  cessent  de  plaire,  dès  quelles  sont 
devinées. 

Jamais  une  âme  bien  amoureuse  n'est  juste; 
elle  trouve  son  bonheur  trop  petit  et  son  mal- 
heur trop  grand. 

On  prend  de  l'amour  près  d'une  femme  de 
vingt  ans,  une  de  trente  en  donne. 

Qui  aime  est  bien  plus  heureux  que  d'être 
aimé. 

Qui  veut  être  aimé  sans  aimer,  ressemble  à 
celui  qui  veut  allumer  un  flambeau  avec  une 
torche  éteinte.  » 

Et  peut-être  en  ce  mois  de  juin  1773,  écrit- 
il  : 

«  On  combat  l'amour  par  la  fuite  et  la  colère 
par  le  silence.  » 

Et  peut-être  plus  tard,  plus  tard,  écrira-t-il,  en 
pensant  à  la  Guimard  : 


LA    GUIMARD.  105 

<(  Les  grandes  passions  qui  s'affaiblissent, 
sont  semblables  à  des  songes,  dont  l'idée  s'efface 
à  mesure  qu'on  s'éveille1.  » 

1.  Pensées  et  Maximes  de  J.-B  de  La  Borde,  précédées  d'une 
notice  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  ce  littérateur.  Paris,  Lamy, 
1802. 


XXXI 


Dans  cette  imagination  de  danseuse,  cher- 
cheuse et  créatrice  de  plaisirs,  joliment  sensuels, 
sur  ses  deux  théâtres  de  Pantin  et  de  la  Chaus- 
sée-d'Antin,  dans  cette  imagination  libertine 
qui  avait  un  moment  la  velléité  de  ressusciter 
les  Fêtes  d'Adam,  exécutées  sous  le  Régent,  au 
château  de  Saint-Cloud1,  dans  cette  imagina- 
tion tombait,  en  l'année  1776,  l'idée  d'un  pique- 
nique,  d'un  pique-nique  d'une  immoralité  scan- 
daleuse, d'un  pique-nique  comme  la  société 
française  n'en  avait  point  encore  vu. 

11  s'agissait  d'un  spectacle  composé  de  La  Co- 
lonie et  des  Sabots,  où  MUeGuimard  devait  jouer, 
Mlle  Duthé  danser,  et  où  Mlle  Dervieux  s'était 
chargée  de  la  commande  du  repas  chez  un  grand 
traiteur  du  boulevard.  Et  la  comédie,    et  le 

1.   L 'Académie  Impériale  de  Musique,   par    Castil-Blaze, 
Paris,  ]  853. 


LA   GUIMARD.  107 

souper  auraient  été  suivis  d'un  bal,  d'un  jeu 
d'enfer,  et  «  de  tout  ce  que  pouvait  accompa- 
gner une  pareille  orgie  ».  La  partie,  d'abord 
projetée  pour  le  carnaval,  avait  été  remise  au 
premier  jeudi  de  carême,  dans  le  but,  disent  les 
Mémoires  secrets,  de  rendre  la  partie  plus  célèbre 
et  plus  singulière1. 

Les  souscripteurs  étaient  en  nombre  suffi- 
sant2, le  spectacle  monté,  le  souper  tout  préparé, 
quand  arrivait  sur  les  plaintes  de  l'archevêque 
de  Paris,  un  ordre  du  Roi  qui  défendait  et  le 
spectacle,  et  le  bal,  et  le  souper  ■ — ordre,  que 
l'influence  sur  son  frère  du  comte  d'Artois,  qui 
devait  assister  à  la  fête,  en  compagnie  du  duc 
de  Chartres,  n'avait  pas  le  pouvoir  d'empêcher. 

La  déesse  du  Carême 
Préparent  un  grand  repas; 
Par  une  rigueur  extrême  ; 
La  police  ne  veut  pas 

Qu'un  teint  si  blême 
Dans  Paris,  du  Mardi  gras 

Soit  l'emblème. 

Dans  la  chanson,  née  du  pique-nique  défendu, 


\ .  Mémoires  secrets,  roi.  IX. 

2.  Correspondance  secrète,  \o\.  III.  A  la  date  du  19  mars  1776, 
Mctra  annonce  soixante-cinq  souscripteurs. 


108  LA   GUIMARD. 

la  maigreur  de  la  Guimard  était  méchamment 
rappelée  en  un  couplet  : 


Le  souper  était  honnête; 
L'on  pouvait  aller  après 

En  tête  à  tête  ; 
Et  renoncer  aux  poulets 

Pour  une  arête. 


Un  moment,  le  gouvernement  eut  peur  que 
la  jeunesse  folle  qui  avait  souscrit,  ne  se  livrât 
à  quelque  coup  de  tête,  et  le  commandant  du 
guet  recevait  l'ordre  de  garder  les  avenues  du 
traiteur,  et  d'empêcher  qui  que  ce  soit  d'y 
entrer. 

Dans  ces  circonstances,  MIle  Dervieux  prit  le 
meilleur  parti  qu'elle  avait  à  prendre,  elle  fit 
porter  les  victuailles  du  festin  au  curé  de  Saint- 
Roch,  pour  être  distribuées  aux  pauvres  ma- 
lades de  la  paroisse. 

Et  l'on  nomma  plaisamment  ce  repas  :  le 
repas  des  Chevaliers  de  Saint-Louis,  à  cause 
des  cinq  louis  d'écot,  que  chacun  payait  *. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  IX. 


XXXII 


Le  théâtre  de  la  Chaussée-d'Antin  continua, 
en  dépit  de  l'archevêché  et  du  parti  dévot,  à 
avoir  comme  public,  les  princes  du  sang,  les 
grands  seigneurs  et  les  impures  les  plus  en  vue. 
Et  la  parodie  d'ERNELiNDE,  la  bouffonnerie  en 
vers,  composée  par  le  danseur  Despréaux,  déjà 
l'ami  intime  de  la  danseuse,  représentée  en 
septembre  1777,  chez  la  Guimard  eut  ce  suc- 
cès extraordinaire.  Un  mois  après,  la  parodie 
était  représentée  où?  devant  la  cour,  à  Choisy, 
la  veille  du  départ  pour  Fontainebleau,  et  le 
jeune  Roi,  qui  n'avait  jusqu'alors  encore  témoi- 
gné aucun  goût  bien  vif  de  théâtre,  y  riait  d'un 
si  gros  rire,  pendant  les  trois  actes,  qu'il  don- 
nait une  pension  au  danseur1. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  IX. 


10 


XXXIII 


Un  ballet,  où  la  Guimard  conquiert  tous  les 
applaudissements,  emporte  tous  les  suffrages, 
un  ballet  où  la  danseuse-pantomime  fait,  pour 
ainsi  dire,  parler  la  danse  :  c'est  le  ballet  de  la 
Chercheuse  d'Esprit,  représenté  à  la  cour  en 
1777,  à  l'Académie  Royale  de  Musique,  en  1778. 

LA   CHERCHEUSE    d'Esprit 

BALLET-PANTOMIME 

De  la  composition  de  M.  Gardel  i,  maître  des 

ballets  du  Roy,  en  survivance  ; 
Représenté  devant  Leurs  Majestés,  à  Choisy,  à 

Fontainebleau,  en  1777, 
Et  par  l'Académie  Royale  de  musique, 

Le  dimanche  1er  mars  1778. 

A  Paris. 
De  l'imprimerie  de  P.  de  Lormel. 


LA   GUIMARD,  111 

Les  personnages  de  ce  ballet,  tiré  de  l'opéra- 
comique  de  Favart,  sont  : 

Mme  Madré,  riche  fermière  MUe  Allard. 

M.  Subtil,  tabellion  M.  Despréaux. 

M.  Narquois,  sçavant  M.  Gardel. 

Nicette,  fille  de  Mme  Madré  MUe   Guimard. 

Alain,  fils  de  M.  Subtil  M.  Gardel  I. 

L'Éveillé  M.  Dauberval. 

Finette  M11c  Dorival. 

Et  voici  les  premières  lignes  de  la  brochure  : 

«  Nicette  paraît,  en  dansant  un  pas  qui  ca- 
ractérisera sa  simplicité.  Le  moindre  bruit  lui 
porte  ombrage,  un  rien  l'attriste  ou  l'égaie. 

<<  M.  Subtil  la  surprend  à  regarder  ses  doigts. 
Elle  est  effrayée,  en  le  voyant,  mais  il  la  ras- 
sure, et  profite  du  moment,  où  elle  est  seule 
pour  lui  déclarer  son  amour.  Nicette  le  regarde, 
lui  rit  au  nez.  Elle  veut  se  sauver  ;  il  la  retient. 

«  Mme  Madré  arrive,  voit  M.  Subtil  aux  genoux 
de  Nicette,  éclate  de  rire,  lui  demande  s'il  a 
perdu  l'esprit  d'être  amoureux  d'une  fille  aussi 
sotte.  » 

Mme  Madré  propose  une  transaction  à  M.  Sub- 
til, elle  veut  bien  lui  accorder  Nicette,  mais 
elle  épousera  son  fils,  qui  est  apparu  un  mo- 


112  LA    GUIMARD. 

ment,  et  qui  a  été  accueilli  par  un  sourire  de 
la  fillette.  Et  on  se  prépare  à  chercher  le  notaire 
pour  dresser  les  contrats,  et  la  mère  envoie  sa 
fille  chercher  de  l'esprit. 

C'est  alors  que  la  pauvre  Nicette  aperçoit 
M.  Narquois,  se  promenant  un  livre  à  la  main, 
perdu  dans  la  profondeur  de  ses  réflexions,  et 
elle  va  à  lui,  avec  la  pensée  que  cet  homme  qui 
passe  pour  un  prodige  de  science,  pourra  peut- 
être  lui  procurer  de  l'esprit.  Elle  l'aborde  toute 
tremblante,  et  après  une  belle  révérence,  lui 
demande,  si  on  peut  avoir  près  de  lui  de  l'esprit, 
pour  de  l'argent. 

Survient  l'Eveillé,  qui  se  montre  tout  prêt  à 
lui  faire  cadeau  de  tout  l'esprit  possible,  quand 
apparaît  Finette,  la  sœur  de  Nicette,  qui  fait 
entendre  à  l'Eveillé  que  c'est  à  elle  seule,  qu'il 
en  doit  donner. 

Et  les  deux  amants  se  retrouvent,  et  sont 
entre  eux  si  embarrassés  par  leur  naïveté,  par 
leur  innocence,  qu'ils  songent  à  quitter  leur 
village,  pour  aller  chercher  de  l'esprit  à  Paris, 
quand  Mme  Madré  engage  Alain  à  prendre  une 
leçon  d'elle,  et  s'agenouillant,  elle  lui  présente 
un  ruban  et  lui  prend  la  main  pour  la  bai- 
ser, l'engageant  à  répéter  la  chose  près  d'elle, 
mais  au  lieu  de  lui  obéir,  sachant  ce  qu'il  vou- 


LA    GUIMARD.  113 

lait,  Alain  se  sauve  avec  le  bouquet  et  le  ruban, 
retrouver  Nicette. 

Nicette  revenue,  est  en  train  de  se  mirer 
dans  une  fontaine,  devant  laquelle  elle  arrange 
son  fichu  et  pose  une  fleur  dans  ses  cheveux, 
lorsqu'elle  surprend  un  feint  sommeil  de  sa 
sœur  Finette,  étendue  sur  un  banc  de  gazon, 
pour  se  faire  embrasser.  Or,  au  moment  où 
paraît  Alain  avec  le  bouquet  et  le  ruban,  elle  se 
couche  sur  le  banc,  et  fait  semblant  de  dormir, 
et  comme  il  n'ose  la  réveiller,  elle  lui  tend  sa 
main  à  baiser. 

Un  instant  hésitant,  enfin  Alain  s'agenouille, 
lui  met  le  ruban,  lui  attache  le  bouquet. 

Et  en  cet  instant,  ainsi  que  le  dit  la  bro- 
chure : 

<<  Les  deux  amoureux  semblent  reprendre 
un  nouvel  être,  ils  se  livrent  à  leurs  transports, 
et  leurs  transports  éclatent  dans  leurs  yeux.  » 

Alors,  Mme  Madré  d'entrer  en  fureur,  et  de  sé- 
parer les  amoureux,  mais  bientôt  tout  s'apaise 
de  la  plus  charmante  façon  du  monde,  Nicette 
épouse  Alain,  Finette  épouse  l'Éveillé,  Mme  Ma- 
dré elle-même  épouse  M.  Subtil,  et  les  trois 
mariages  sont  célébrés  par  des  danses  villa- 
geoises. 

10. 


114  LA   GUIMARD. 

D'après  l'exposition  de  ce  ballet,  on  conçoit 
la  coquetterie  jeunette  et  la  naïveté  malicieuse 
qu'il  fallait  y  apporter,  et  qu'apporta  MUe  Gui- 
mard,  qui  deux  ans  auparavant,  en  son  rôle  de 
la  Capricieuse,  dans  les  Caprices  de  Galathée1, 
avait  fait  déjà  pressentir  la  mime  de  l'ingénuité, 
qu'elle  était.  Et  là-dessus,  c'est  un  concert 
d'éloges  dans  toute  la  presse  du  temps. 

Les  Mémoires  secrets  constatent  les  applau- 
dissements qui  accueillent  Guimard. 

Les  Affiches  et  Avis  divers  disent,  en  parlant 
du  jeu  de  Mlle  Guimard  «  que  la  nature  ne  se 
montre  pas  avec  des  grâces  plus  naïves  et  plus 
attrayantes.  » 

Le  Nouveau  Spectateur,  par  Lefuel  de  Méri- 
court,  s'exprime  ainsi  :  «  La  difficulté  d'une  pan- 
tomime est  de  pouvoir  exprimer  par  le  moyen 
des  gestes,  ce  qui  semble  exiger  le  secours  de 
la  parole.  Il  était  diffiieile  par  exemple  dans  le 
sujet  de  la  Chercheuse  d'esprit,  de  suppléer  au 
vers. 

Allez  chercher  de  l'esprit, 
qui  fait  le  nœud  de  la  pièce,  mais  le  jeu  de  la 


1.  Ballet  où  la  Guimard  avait  eu  le  plus  grand  succès,  au 
théâtre  de  la  Cour  à  Fontainebleau,  le  20  novembre  1776. 


LA   GUIMARD.  115 

Guimard  ne  laisse  rien  désirer,  dans  ce  moment 
intéressant.  » 

Le  Mercure  de  France,  imprime  :  «  On  ne  peut 
trop  exalter  le  talent  de  JVIlle  Guimard  dans  le 
rôle  de  Nicette.  Il  faut  la  voir  et  convenir  que 
jamais  on  n'a  rendu  une  niaise,  en  même  temps 
simple  et  maligne,  avec  plus  de  grâce,  avec 
plus  de  vérité  et  plus  de  nature,  que  cette  char- 
mante actrice-danseuse,  qui,  par  son  art,  est 
toujours  ce  qu'elle  veut  être. 

Enfin,  Grimm,  dans  la  Correspondance  litté- 
raire, après  avoir  déclaré  que  le  talent  de  la 
Guimard,  a  su  faire  oublier  tous  les  défauts  du 
ballet,  louange  la  danseuse  en  ces  termes  :  «  Elle 
a  mis  dans  le  rôle  de  Nicette  une  gradation 
de  nuances  si  fine,  si  juste,  si  délicate,  si 
piquante,  que  la  poésie  la  plus  ingénieuse  ne 
saurait  rendre  les  mêmes  caractères  avec 
plus  d'esprit,  de  délicatesse,  de  vérité.  Tous 
ses  pas,  tous  ses  mouvements  ont  de  la  mol- 
lesse et  de  l'harmonie,  une  entente  et  sûre 
et  pittoresque.  Comme  sa  simplicité  est  naïve, 
sans  être  niaise ,  comme  sa  grâce  naturelle  se 
cache  sans  affectation,  se  développe  par  degrés, 
et  plaît  sans  se  presser  de  plaire!  Comme  elle 
s'anime  aux  doux  rayons  du  sentiment.  C'est 
un  bouton  de  rose  qu'on  voit  éclore,  échapper 


116  LA   GUIMARD. 

doucement  aux  liens  qui  l'enveloppent,  trem- 
bler et  s'épanouir.  Nous  n'avons  rien  vu  clans 
le  genre  d'imitation,  de  plus  délicieux  et  de 
plus  parfait.  » 


XXXIV 


A  la  direction  de  Berton,  et  de  Buffault,  le 
marchand  de  soie,  ayant  pour  enseigne  :  Aux 
Traits  galants,  nommés  commissaires  du  Roi, 
avec  pleine  autorité  sur  les  sujets  de  l'Académie 
de  musique  et  de  danse,  direction  qui  avait  suc- 
combé sous  les  dissensions  intestines  du  tripot 
lyrique,  succédait,  à  Pâques  de  l'année  1778,  la 
direction  du  sieur  de  Vismes,  nommé  directeur 
de  l'Académie,  à  ses  frais,  risques  et  périls,  et 
qui  déposait  500  000  livres  dans  la  caisse  de  la 
Ville  de  Paris,  qui  lui  payait  la  rente,  et  se  dé- 
chargeait de  tout,  moyennant  une  subvention  de 
80  000  francs1. 

Cette  direction,  annoncée  comme  devant  faire 
des  merveilles,  débutait  par  de  petites  innova- 
tions dans  la  salle,  que  ne  goûtait  pas  le  public. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  X. 


118  LA   GUIMARD. 

Puis  des  réformes  intérieures,  comme  la  dimi- 
nution des  feux,  indisposaient  contre  le  nouveau 
directeur,  les  coryphées  de  la  danse  et  du  chant, 
qui  se  mettaient  à  entraver  l'essor  de  ses  projets, 
avec  l'appui,  l'encouragement  occulte  de  M.  de 
Yougny,  cousin  germain  de  Maure  pas,  le  type 
de  l'amateur  dilettante  du  temps,  le  protecteur 
attitré  des  demoiselles  du  chant  et  de  la  danse, 
et  encore  de  M.  de  La  Borde,  l'entêté  malheu- 
reux compositeur,  et  le  ci-devant  amant  de  la 
Guimard  '. 

Trois  mois  après  l'installation  de  M.  de  Vis- 
mes,  on  parlait  des  prises  quotidiennes  qu'il 
avait,  et  avec  les  chanteurs  et  les  danseurs,  et 
avec  les  gens  de  l'orchestre,  et  surtout  avec  les 
demoiselles  qui  lui  parlaient  avec  beaucoup 
d'irrévérence,  et  on  présageait  qu'il  lui  serait 
difficile  de  résister  à  cette  ligue  générale2. 

Le  mois  suivant,  au  mois  de  juillet,  il  était 
question  de  quelque  chose  de  plus  grave  pour 
de  Yismes  :  le  bruit  courait  que  les  fonds  lui 
manquaient,  que  Compain,  valet  de  chambre 
de  la  Reine,  son  croupier,  le  plus  fort  action- 
naire de  la  Compagnie  qui  s'était  engagée  à  lui 
fournir  des  fonds,  se  dégoûtait  de  l'entreprise, 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XI. 

2.  Ibid.,  toI.  XII. 


LA  GUIMARD.  119 

devant  la  défaveur  que  rencontrait  son  protégé 
près  de  ses  administrés  et  du  public,  et  l'on  pré- 
sumait qu'il  se  servirait  de  son  crédit  auprès  de 
Sa  Majesté,  pour  le  remplacer  par  une  com- 
pagnie. 

En  décembre  même,  les  insurgés  de  l'Opéra, 
qui  prenaient  les  noms  et  les  qualifications  des 
insurgens  de  l'Amérique,  parvenaient  à  effrayer 
le  directeur,  et  à  le  décider,  à  remettre  la  direc- 
tion à  Pâques,  moyennant  un  traitement. 

A  ce  moment,  le  chevalier  de  Saint-Georges, 
l'escrimeur  célèbre,  Je  violoniste,  le  composi- 
teur même,  appuyé  par  une  société  de  capita- 
listes, se  mettait  sur  les  rangs  pour  la  direction, 
mais  Mlle  Guimard  et  les  autres  adressaient  un 
placet  à  la  Reine,  pour  lui  représenter  que  leur 
honneur  ne  leur  permettait  pas  d'être  soumises 
à  la  direction  d'un  mulâtre.  Et  la  direction  du 
mulâtre  était  à  vau-l'eau,  sur  cette  phrase  de  la 
Guimard,  colportée  dans  toute  la  grande  société 
de  Paris  :  «  Il  faudrait  d'abord  y  préparer  le  pu- 
blic, en  lui  faisant  voir  Vénus  négresse,  débar- 
bouillant l'Amour  mulâtre1.» 

Mais  le  Roi,  un  peu  irrité  de  cette  fermenta- 
tion de  l'Opéra,  qui  avait  un  contre-coup  à  la 

1.  Tablettes 'd'un  gentilhomme  sous  Louis  XV,  par  Charles 
Maurice,  1864. 


120  LA   GUIMARD. 

cour  parmi  les  princes,  les  duchesses,  les  minis- 
tres, prenant  parti,  les  uns  pour  le  directeur,  les 
autres  pour  les  acteurs,  avait  une  entrevue  avec 
Amelot,  et  lui  demandait,  si  décidément  le  pu- 
blic était  content  des  innovations  introduites 
par  le  nouveau  directeur.  Le  ministre  répondait 
que  le  public,  d'abord  hostile  à  de  Vismes,  com- 
mençait à  revenir  sur  son  compte.  Sur  quoi, le  Roi 
s'écriait,  avec  ce  mépris  de  l'homme  de  cour 
du  temps  pour  les  gens  de  théâtre  :  «  Eh  bien! 
qu'il  reste,  et  qu'on  ne  me  parle  plus  de  cette 
canaille-là!  »  Là-dessus,  lettre  ministérielle 
d' Amelot  à  de  Vismes,  à  l'effet  d'être  commu- 
niquée à  ses  administrés,  et  à  les  faire  rentrer 
dans  la  subordination. 

Mais  l'apparente  soumission  des  mutins  de 
l'Opéra  ne  fut  pas  longue,  et  leur  calme  apparent 
cacha  une  conspiration  secrète,  et  de  nouvelles 
combinaisons  pour  se  débarrasser  de  leur  direc- 
teur, afin  d'arriverj  ce  qui  était  leur  ambition 
depuis  plusieurs  années,  —  à  se  régir  eux- 
mêmes.  Une  idée  qui  leur  avait  été  soufflée  par 
la  Guimard,  qui,  sentant  l'ascendant  quelle 
exerçait  sur  ses  camarades,  aurait  été  la  vraie 
directrice  de  l'Académie  de  musique.  Et  un  mo- 
ment le  bruit  courait  de  la  retraite  définitive  de 
de  Vismes,  découragé  par  la  pusillanimité  du 


LA  GUIMARD.  121 

ministère,  moyennant  un  pont  d'or  que  lui  fai- 
saient les  sujets  de  l'Opéra1. 

Cela  se  passait  l'année,  où  de  Vismes  était 
rentré  en  grâce  auprès  du  public,  par  son  zèle, 
par  son  activité,  par  la  mise  sur  pied,  en  un 
mois,  de  sept  opéras,  une  année  où  il  devenait 
un  personnage  presque  populaire,  une  année, 
ou  l'on  baptisait  une  coiffure  :  Coiffure  à  la  de 
Vismes  P  une  année  où  l'on  reconnaissait  que 
c'était  le  personnage  le  plus  propre  à  cette  di- 
rection, par  son  sang-froid  unique,  son  insen- 
sibilité et  sa  justice  même  envers  les  talents, 
contre  lesquels,  il  était  obligé  de  sévir. 

Alors,  il  y  eut  un  retour  de  la  cour,  en  faveur 
de  de  Vismes,  et  le  21  février  1779,  la  Reine 
honorait  le  vendredi,  de  sa  présence  à  l'Opéra, 
en  compagnie  de  Madame,  et  de  la  comtesse 
d'Artois.  Une  représentation,  où  il  y  avait  dans 
le  parterre  deux  partis,  l'un  pour  huer,  l'autre 
pour  applaudir  la  Guimard,  qui,  manquant  à 
son  serment  avait  bien  voulu  condescendre  à 
danser  :  représentation  très  commentée,  où  la 
Reine,  dont  les  bontés  pour  la  danseuse  étaient 
connues,  et  qui  l'encourageait  volontiers  de  ses 


1.  Mémoires  secrets,  vol.  XIII. 

2.  L'Académie  Impériale  de  musique,  par  Castil  Blaze,  vol.  I. 

11 


122  LA  GUIMARD. 

applaudissements,  n'avait  point  battu  des  mains, 
et  l'on  pensait  que  Compain,  maintenant,  tout 
à  fait  content  de  la  direction  de  son  protégé, 
avait  voulu  par  ce  blâme  de  la  souveraine,  punir 
l'actrice  !. 

Enfin  après  bien  des  pourparlers  et  des  tergi- 
versations du  ministère,  de  Vismes  était  main- 
tenu comme  directeur  général  de  l'Opéra,  sous 
l'inspection  de  la  Ville.  Mais  les  mécontents 
continuaient  à  se  répandre  en  récriminations, 
plus  vives  tous  les  jours,  sur  le  despotisme 
du  sieur  de  Vismes,  sur  son  ingratitude  envers 
ceux  qui  avaient  fait  son  élévation,  s'indignant 
d'être  menés  par  lui  comme  une  brigade  des 
fermes,  et  l'accusant  d'être  un  petit  Machiavel, 
qui  les  avait  divisés  par  de  sourdes  menées,  et 
se  plaignant  d'être  harassés  d'études,  de  répé- 
titions, et  de  ne  recueillir  de  leur  sueurs  et  de 
leurs  fatigues,  que  de  X épuisement  et  de  la  mai- 
greur. 

Alors,  quand  on  croyait  tout  fini,  et  les  mutins 
rentrés  dans  l'ordre,  treize  d'entre  eux  en- 
voyaient leurs  démissions,  avec  protestations 
devant  le  notaire,  et  ne  jouaient,  au  mois  de 
mars,  Iphigénie,  que  par  ordre2..  Sur  ce,  M.  de 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XIII. 

2.  Lettres  sur  les  Arts  imitateurs,  par  Noverre,  vol.  II. 


LA    GUIMARD.  123 

Caumartin  mandait  devant  lui  les  coryphées  du 
chant  et  de  la  danse,  et  annonçait  le  renvoi  de 
l'Opéra,  de  Mllc  Duplan,  même  sans  la  pension  de 
1  500  livres,  pour  son  insolence  envers  son  chef, 
et  déclarait  à  Dauberval,  qu'il  était  chassé,  sans 
retraite,  avec  injonction  de  continuer  à  danser 
jusqu'à  Pâques  ;  après  quoi  il  y  avait  défense 
pour  lui  de  fréquenter  le  théâtre  lyrique,  même 
en  payant  '. 

Au  fond,  l'âme  de  la  conspiration,  c'était  la 
Guimard.  Oui,  c'était  elle  qui  conduisait  l'in- 
trigue, avec  l'adresse  qu'on  lui  connaissait, 
c'était  elle  qui  empêchait  les  partis  maladroi- 
tement violents,  c'était  elle  qui  n'avait  cessé  de 
répéter  dans  les  réunions  :  «  Surtout,  mesdames 
et  messieurs,  point  de  démissions  combinées, 
c'est  ce  qui  a  perdu  le  Parlement!  » 

Et  c'était  chez  la  danseuse  qu'avait  eu  lieu, 
écrit  La  Harpe2,  l'assemblée  nocturne,  où  avait 
été  prise  la  résolution  de  s'exposer  à  tout,  plutôt 
que  d'obéir  à  de  Vismes. 

Enfin,  à  l'instigation  de  la  Guimard,  était 
colporté,  et  même  plus  tard  imprimé,  un 
pamphlet  ridiculisant  de  Vismes,  qui  dans  une 
première  lettre,  datée  du  27  avril  1779,  se  plai- 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XIII. 

2.  Correspondance  littéraire,  vol.  II. 


124  LA  GUIMARD. 

gnait  à  M.  de  la  Ferté,  d'être  le  jouet  des  con- 
versations de  Paris,  accusant  un  nommé  Jabi- 
neau,  qui  avait  assisté  à  toutes  les  assemblées 
tenues  chez  la  Guimard,  d'avoir  composé  ce 
libelle.  Et  dans  une  autre  lettre,  datée  du  30  avril, 
de  Yismes  demande  la  suppression  de  ce  pam- 
phlet, soupçonnant  cette  fois  l,  comme  l'auteur, 
un  nommé  Dodé  de  Jousserand,  connu  dans 
tout  Paris  pour  un  mauvais  sujet,  et  qui  se 
fait  un  plaisir  de  faire  la  lecture  de  ce  libelle 
dans  les  cafés,  et  môme  dans  quelques  maisons 
particulières  où  il  est  admis2. 

1.  Daudé  de  Jossan,  d'après  les  Mémoires  secrets,  un  petit- 
fils  de  la  Lecouvreur  qui,  après  s'être  jeté  dans  toutes  les  in- 
trigues, escroqué  tant  qu'il  avait  pu,  sortait  de  la  sphère  des  cour- 
tisanes, pour  se  faufiler  chez  les  grands,  devenait  le  favori  du 
prince  de  Montbarey  qui  le  faisait  nommer  syndic  de  la  ville 
de  Strasbourg. 

2.  Archives  Nationales.  Carton  0I62.""> . 


XXXV 


La  libelle  signalé  au  ministre,  une  brochure 
rarissime,  a  pour  titre  : 

Lettres  des  Premiers  Sujets  de  l'Académie 
Royale  de  Musique  et  de  Danse  à  M.  Duval, 
premier  commis  au  café  du  Caveau,  départe- 
ment des  Glaces.  Et  s'adressant  à  Messieurs  les 
Amateurs,  Politiques,  Littérateurs,  Critiques  et 
Dégustateurs  du  café  du  Caveau. 

Le  libelle  commence  ainsi  : 

«  Organes  sacrés  de  la  multitude,  oracles  du 
bon  goût,  censeurs  révérés,  qui  tenez  en  vos 
mains  la  balance  des  jugements  du  public, 
sages  distributeurs  de  ses  louanges  ou  de  son 
blâme,  daignez  nous  prêter  un  moment  d'atten- 
tion. » 

Et  par  la  plume  du  pamphlétaire,  les  sujets 
de  l'Opéra  exposent  que  leur  cruel  adversaire, 

11. 


126  LA   GUIMARD. 

le  sieur  de  Vismes,  a  corrompu  toutes  les  voix 
de  la  Vérité,  que  les  trompettes  inférieures  de 
la  Renommée,  les  gazettes  étrangères,  les  petits 
journaux,  les  petites  nouvelles  à  la  main  font 
métier  de  les  calomnier  à  dire  d'experts,  qu'une 
nuée  de  preneurs,  d'aboyeurs  stipendiés  par  des 
gratis,  sont  arrivés  à  peindre  le  despote  des 
talents  lyriques,  comme  un  martyr  de  l'indisci- 
pline de  l'Opéra,  et  qu'ils  en  appellent  du  public 
mal  informé  au  public  mieux  informé. 

Là-dessus  est  imaginé  par  l'auteur,  un  con- 
seil drolatique,  un  conseil  des  plaisirs,  nommé 
au  café  du  Caveau,  où  le  président  Gobemoka, 
un  fréquenteur  du  café,  choisit  pour  commis- 
saires de  son  tribunal,  messire  Craquet,  un  des 
quarante  pourvoyeurs  des  petits  journaux, 
deux  des  amateurs  de  la  cheminée  à  gauche 
du  grand  foyer  de  l'Opéra,  deux  assidus  des 
foyers  de  la  Comédie  française  et  italienne, 
deux  assesseurs  de  l'arbre  de  Cracovie,  deux 
familiers  de  la  boutique  de  MUe  Crosnier,  et 
quelques  marguilliers  de  la  première  table  du 
coin  du  café  Foy. 

Alors  commence  le  défilé  des  acteurs  et  des 
actrices.  C'est  Le  Gros,  qui  se  plaint  que  M.  de 
Vismes  veut  les  régenter  comme  des  esclaves; 
c'est  Larrivée,  qui  déclare  que  lorsqu'il  a  vu 


LA   GUIMARD.  127 

l'Académie  devenir  la  proie  de  ce  petit  traitant, 
il  a  songé  à  se  retirer;  c'est  Dauberval,  le  boute- 
feu,  le  promoteur  de  l'a  querelle,  le  chef  de 
parti,  qui  énumère  les  vexations  et  les  insultes 
du  fermier  de  leurs  talents,  lui  reproche  ses 
hauteurs,  ses  caprices,  ses  injustices  envers 
Gluck  et  Grétry,  lui  reproche  sa  phrase  con- 
cernant les  sujets  actuels  de  l'Opéra,  qu'ils 
étaient  de  vieux  chevaux  dans  son  écurie,  qu'il 
réformerait  au  premier  jour,  lui  reproche  d'avoir 
cabale,  intrigué,  semé  la  discorde  et  la  division, 
pour  étendre  son  despotisme,  lui  reproche 
d'avoir  excité  le  ressentiment  du  gouverne- 
ment, des  gens  puissants,  qu'il  se  vante  d'avoir 
dans  sa  manche,  pour  leur  attirer  des  punitions 
non  méritées. 

A  Dauberval  succède  Yestris,  peint  en  son 
amusant  baragouin  : 

«  Messioux,  vous  voyez  devant  vous  oun 
sujet  qui  sert  depuis  trente-oun  ans  l'Académie 
royale  de  mousique  et  de  danse,  en  qualité  de 
premier  dansour;  il  ne  s'est  jamais  vou,  et  ne 
se  verra  peut-être  jamais,  oun  homme  conser- 
ver si  longtemps  le  bonhour  de  plaire  au  pou- 
blic,  dans  oun  genre,  mais  ce  qui  sera  non 
moins  rare,  c'est  de  voir  oun  petit  souffisant, 
tomber  des  noues  comme  une  masse  sur  notre 


128  LA  GUIMARD. 

tête,  vouloir  nous  traiter  comme  des  poulis- 
sons.  Par  la  chacoune  de  M.  Le  Breton,  je  ne 
souffrirai  pas  une  telle  infamilé,  et  j'aimerai 
mioux  que  moi  et  mon  fils  oussions  les  gambes 
cassées,  que  de  danser,  pour  faire  oun  tel 
homme  riche...  »  Et  l'italianisant  Vestris,  est 
remplacé  par  le  zézaycur  Noverre. 

«  Messieurs,  z'ai  beaucoup  couru  le  monde; 
z'ai  eu  le  bonheur  de  paraître  devant  les  plus 
grands  Monarques,  et  la  consolation  de  mériter 
leurs  bontés,  et  leurs  suffrages.  Ze  croyais 
avoir  trouvé  un  asile  en  la  patrie  des  arts  et 
des  talents  agréables;  z'ai  rencontré  dans  mon 
semin  un  homme;  z'ai  ressautfé  un  serpent 
dans  mon  sein1,  ze  voulois  me  donner  et  à  mes 
camarades,  un  oblizé;  z'ai  eu  la  maladresse  de 
nous  donner  un  maître...  Ce  que  z'avance,  est 
connu  de  tout  le  monde;  c'est  moi  qui  menai 
M. de  VismeszèsMademoiselleGuimard...  Dans 
ce   temps-là  il  n'avoit  pas  les  mêmes  fasons 

1 .  Dans  ses  Lettres  sur  les  Arts  Imitateurs,  Xo  verre  reproche, 
tout  comme  Dauberval,  à  de  Vismes  d'avoir  semé  la  discorde  et 
la  division  parmi  les  sujets  de  l'Opéra.  Il  dit  :  «  Cet  ancien 
commis  principal  à  la  ferme  générale...  crut,  car  il  ne  doutait 
de  rien,  que  l'on  pouvait  conduire  l'Opéra  comme  une  brigade 
des  fermes,  et  il  se  trompa.  Il  s'imagina  qu'il  fallait  brouiller 
pour  régner,  et  ce  petit  Machiavel  médita  mal  ;  ses  petites 
tracasseries  furent  découvertes.  Les  sujets  divisés  par  de  sour- 
des menées  se  rapprochèrent  et  se  réunirent.  » 


LA  GUIMARD.  129 

qu'auzourd'hui,  il  n'avoit  pas  ze  beau  diamant 
qu'il  porte  au  doigt;  il  ne  parloit  pas  de  mettre 
tout  le  monde  au  For  l'Evêqué,  ou  dans  la  rue . . . 
En  revanze,  il  avoit  d'excellentes  Qualités,  il 
étoit  doux,  poli,  révérenzieux,  il  faisait  le  punch 
zès  cette  aimable  Demoiselle,  avec  un  zèle,  une 
perfection,  à  faire  tourner  la  tète.  Il  nous  la 
tourna,  car  nous  crûmes  que  le  garçon  cafetier 
serait  un  bon  administrateur  ;  nous  le  propo- 
sâmes, le  prônâmes,  le  poussâmes  :  mais  le 
faiseur  de  punch  a  voulu  nous  traiter,  comme 
des  citrons,  exprimer  notre  zus,  et  nous  zeter 
ensuite  comme  des  écorces.  » 

Enfin  sur  l'ordre  du  président,  l'huissier 
faisait  entrer  Mlic  Levasseur  et  M1Ie  Guimard, 
un  groupe,  où  la  majesté  de  la  chanteuse  était 
tempérée  par  les  charmes  si  touchants  de  la 
danseuse,  et  Mlle  Guimard,  une  main  dans  la 
main  de  Mlle  Levasseur,  et  l'autre  moelleuse- 
ment  levée  en  l'air,  prenait  la  parole  après  sa 
compagne. 

«  Vous  venez  d'entendre  Polymnie,  et  mes 
faibles  discours  n'ajouteront  rien  au  pathétique 
de  ses  raisons.  Les  mouvements  de  la  haine 
sont  trop  pénibles  pour  mon  cœur...  Je  n'aime 
à  me  livrer  qu'aux  douces  émotions  de  la  ten- 


130  LA   GUIMARD. 

drosse  et  de  l'amitié...  j'ose  dire  de  la  bienfai- 
sance; non  que  je  veuille  rappeler  ici  quelques 
actions  que  j'ai  toujours  cherché  à  dérober  au 
public;  mais  parce  que  le  même  homme  dont 
nous  avons  à  nous  plaindre,  doit  à  l'intérêt 
qu'il  a  su  me  surprendre,  d'occuper  aujourd'hui 
le  poste,  d'où  il  nous  insulte  et  nous  traite 
aussi  cruellement...  Oui,  messieurs,  c'est  moi, 
qui,  séduite  par  les  prétendus  malheurs  de 
M.  de  Yismes,  par  son  respect,  et  le  goût  in- 
vincible, qu'il  affectoit  pour  les  talens,  entraî- 
née parles  sollicitations  du  sieur  ?soverre,  qui 
ne  présageoit  sans  doute  point  l'usage  qu'il 
feroit  de  nos  bontés,  enrployoit  le  crédit  que  je 
pouvois  avoir,  pour  lui  faire  confier  l'adminis- 
tration de  l'Académie...  J'espérois  qu'il  trai- 
teroit  avec  décence  et  reconnoissance  ceux  qui 
le  feroient  vivre...  que  mettant  de  justes  bornes 
au  désir  du  gain,  il  se  feroit  un  devoir  d'en- 
courager les  talens,  surtout  ceux  qui  com- 
mencent, par  les  secours,  qui  leur  sont  si  né- 
cessaires... J'ai  gémi  souvent  de  voir  que  des 
sujets,  qui  avoient  le  bonheur  de  vous  plaire, 
et  de  vous  faire  concevoir  les  plus  favorables 
augures,  en  entrant  dans  la  carrière  du  chant 
ou  de  la  danse,  dont  les  pénibles  commence- 
ments avoient  besoin  d'être  aidés,  pour  ne  point 


LA  GUIMARD.  131 

lutter  à  la  fois  contre  les  difficultés  de  Fart  et 
les  tourmens  du  besoin,  en  sentissent  les  dures 
extrémités,  par  l'avarice  du  nouvel  entrepre- 
neur, qui  éludoit  de  tenir  aux  uns  ce  qu'il  avoit 
promis,  qui  refusoit  insolemment  aux  autres 
de  les  aider,  alors  je  me  suis  repentie  de  mon 
ouvrage,  j'ai  fait  des  vœux  avec  mes  cama- 
rades, pour  être  délivrée  de  l'homme,  qui 
m'avoit  si  cruellement  trompée...  Je  me  suis 
flattée  qu'en  lui  faisant  des  sacrifices,  en  lui 
procurant  un  gain,  sans  risques  et  sans  peine 
au  delà  de  ses  espérances,  il  préféreroit  une  re- 
traite lucrative  et  honorable,  aux  tourmens 
d'une  gestion  orageuse,  contrariée  par  tous  les 
sujets  qu'il  a  généralement  révoltés  par  ses 
manières  et  ses  procédés...  Mais  il  préfère 
rester,  messieurs,  et  ce  trait  seul  doit  fixer 
votre  opinion  sur  son  compte,  comme  il  a  dé- 
cidé la  mienne.  Quelle  àme  honnête  peut  pré- 
férer à  l'appât,  je  ne  dis  pas  d'un  gain  un  peu 
plus  considérable,  et  hasardé  comme  le  sien, 
mais  au  prix  d'une  fortune  conséquente,  une 
existence  pareille  à  celle  de  cet  administrateur. 
Quel  triste  métier  que  celui  de  fatiguer  sans 
cesse  les  supérieurs  par  des  plaintes,  d'attrister 
leur  indulgence,  en  sollicitant  des  châtiments, 
de -compromettre  leur  équité,  en  les  faisant  in- 


132  LA   GUIMARD. 

fliger  injustement,  de  ne  voir  que  des  gens 
mécontents,  de  vivre  au  milieu  des  murmures 
et  des  mépris!  L'imprudent  ne  sent  point  qu'il 
perdra  bientôt  le  peu  de  crédit  et  de  faveur 
qu'il  a  usurpé  sur  le  public;  il  est  impossible 
que  cette  mésintelligence,  cette  haine  insur- 
montable entre  l'administrateur  et  les  premiers 
talens  dont  il  a  besoin,  pour  continuer  de  vous 
plaire,  ne  nuise  pas  à  la  machine...  Alors, 
messieurs,  vos  plaisirs  seront  compromis,  et 
victimes,  à  votre  tour,  de  son  avidité  et  de  son 
obstination,  vous  lui  saurez  mauvais  gré  de  ne 
pas  vous  avoir  épargné  ces  désagréments,  en 
suivant  la  route  que  sa  délicatesse  devoit  lui 
prescrire...  Je  ne  puis  me  défendre,  messieurs, 
d'un  mouvement  d'indignation,  quand  je  songe 
que  tous  les  premiers  sujets,  que  vous  avez 
traités  jusqu'ici  avec  tant  de  distinction  et  de 
bonté,  sont  à  la  veille  de  perdre  une  faveur 
aussi  précieuse  pour  eux  que  la  vôtre,  par  les 
menées,  les  vengeances  d'un  homme,  que  j'ai 
emmené  là,  pour  notre  ruine,  et  que  moi- 
même,  qui  me  suis  fait  une  si  douce  habitude 
de  vos  suffrages,  qui  me  flattois  d'être  estimée 
et  désirée  par  vous,  qui  sur  la  foi  de  vos  ap- 
plaudissements, pcnsois  que  l'heure  de  la  re- 
traite n'étoit  point  encore  sonnée  pour  moi... 


LA  GUIMARD.  133 

je  serois  forcée  de  m'en  aller...  car  je  ne  puis 
séparer  ma  cause  de  celle  de  mes  camarades... 
et  ils  ne  peuvent  se  résoudre  à  servir  sous  lui... 
Dites,  messieurs,  m'en  irai-je  pour  M.  de  Vis- 
mes?  Le  préférez-vous  à  moi...  à  cette  Creuse, 
qui  a  eu  le  bonheur  de  vous  voir  les  rivaux  de 
Jason  ;  à  cette  petite  Chercheuse  d'esprit,  à  qui 
vous  vouliez  tous  en  vendre...  Je  ne  viendrai 
plus  à  la  fête  des  jeux  et  des  plaisirs,  enchaîner 
par  des  liens  de  fleurs,  les  héros  trop  sévères, 
et  leur  peindre  les  charmes  de  l'Amour... 
L'ombre  heureuse  des  Champs-Elysées  s'éva- 
nouira à  vos  yeux...  mais  semblable  à  Eury- 
dice, entraînée  par  une  force  irrésistible,  arra- 
chée de  votre  présence,  elle  tendra  les  bras 
vers  vous,  et  ses  derniers  regards  peindront  sa 
douleur  et  ses  regrets.  » 

Là,  la  brochure  représente  la  Guimard,  un 
sourire  enchanteur  aux  lèvres,  et  avec  des 
mains  suppliantes  dirigées  vers  ses  juges,  qui 
séduits  par  les  grâces  de  son  attitude,  courbés 
vers  elle,  et  les  bras  tendus  comme  pour  la 
retenir,  s'écrient  en  chœur  :  «  Non...  non... 
restez...  restez  »,  cela  pendant  que  le  président 
ému,  lui  dit  :  «  Nous  préserve  le  Ciel,  Made- 
moiselle, d'une  perte  que  j'oserai  appeler  irré- 
parable... Mais  vous  n'ignorez  pas  que  M.  de 

12 


134  LA  GUIMARD. 

Vismes  n'est  plus  que  directeur,  que  les  abus 
d'autorité,  s'il  étoit  tenté  d'en  commettre,  sont 
prévenus  par  celle  de  la  ville  qui  reprend  l'en- 
treprise de  ce  spectacle.  » 

—  Il  n'y  a  ni  pacte  ni  paix  à  faire  avec  le 
méchant,  reprenait  Mlle  Guimard,  et  nous  ne 
sommes  pas  même  persuadés  que  l'entreprise 
du  spectacle  de  l'Académie  Royale  soit  vérita- 
blement reprise  par  la  ville;  nous  craignons, 
et  M.  de  Yismes  lui-même  n'a  pas  peu  contri- 
bué par  ses  discours  à  fortifier  cette  opinion, 
que  les  surprises  qu'il  a  su  faire  à  la  religion 
des  premières  personnes,  n'aient  engagé  à  lui 
donner  cette  égide,  pour  le  mettre  à  couvert  de 
notre  ressentiment  et  des  effets  fâcheux,  qui 
pourroient  résulter  du  peu  de  considération 
qu'il  a  su  se  procurer.  Nous  pensons  qu'il  est 
toujours  l'administrateur,  le  directeur,  le  chef, 
le  despote  de  cette  machine  :  que  s'il  est  réelle- 
ment le  directeur  de  la  ville,  il  n'en  sera  que 
plus  redoutable,  parce  qu'il  cherchera  à  asso- 
cier à  ses  vengeances  ses  commettants,  qu'il 
donnera  une  espèce  de  sanction  à  ses  tyrannies, 
en  les  présentant  comme  des  ordres  émanés 
d'une  autorité  respectable,  que  placé  entre  la 
ville  et  nous,  il  interceptera  nos  plaintes... 
aigrira,  aliénera  les  chefs... Irons-nous  à  chaque 


LA  GUIMARD.  135 

instant  les  fatiguer  de  nos  griefs?  Pourrons- 
nous  donner  tort  à  leur  homme  de  confiance, 
sans  compromettre  encore  tout  le  bon  ordre  et 
fomenter  les  divisions? 

«  D'un  autre  côté,  le  déni  de  justice  n'ai- 
grira-t-il  pas  davantage  les  esprits?...  Il  faudra 
donc  les  secousses  de  l'autorité,  les  actes  de 
sévérité!...  Souvenez-vous  donc,  messieurs, 
que  nous  offrons  de  l'or,  à  M.  de  Vismes,  qu'il 
fait  un  marché  excellent;  de  quelle  impor- 
tance est-il  donc  pour  le  bien  public,  pour  le 
bon  ordre,  qu'il  soit  conservé  dans  ce  poste? 
Souffrez  que  je  revienne  encore,  messieurs,  au 
projet  de  nous  confier  notre  propre  adminis- 
tration... On  vous  a  suffisamment  prouvé  qu'il 
étoit  juste  de  nous  accorder  un  essai,  dont  nous 
avons  prévu  et  paré  tous  les  inconvénients... 
Je  me  fais  une  idée  charmante,  en  pensant  que 
la  générosité  et  la  bienfaisance  seront  substi- 
tuées à  l'avarice  et  à  la  dureté  :  les  premiers 
sujets  se  feroient  un  devoir  et  un  plaisir  d'en- 
courager, de  secourir  les  jeunes  talens.  Croyez, 
messieurs,  que  les  actes  de  délicatesse  et  de 
désintéressement  ne  nous  sont  pas  étrangers. 
J'ose  rappeler  le  zèle,  avec  lequel  les  sujets  de 
l'Académie  ont  cherché  à  manifester  leur  res- 
pect pour  une  souveraine  adorée,  et  leur  joie 


136  LA  OUIMARD. 

pour  un  événement  heureux,  en  se  modelant 
sur  les  actes  de  bienfaisance,  qui  avoient  servi 
d'interprète  à  l'allégresse  publique,  par  un 
projet  qui,  quoique  resté  en  partie  sans  exé- 
cution, n'a  pas  moins  été  honoré  de  l'appro- 
bation du  public.  Soyez  donc,  messieurs,  nos 
défenseurs,  nos  libérateurs...  et  que  les  pre- 
miers sujets  doivent  à  votre  justice  et  à  vos 
bontés,  la  restauration  de  la  liberté  d'une  Aca- 
démie royale,  qui,  par  son  essence  même, 
n'auroit  jamais  dû  connaître  de  tyran.  » 

Sur  une  interruption  dun  des  messieurs  du 
foyer  de  l'Opéra,  qui  lui  demandait,  si  on  pou- 
vait espérer  qu'une  république,  telle  que  celle 
de  l'Opéra,  administrée  par  ses  premiers  sujets, 
puisse  subsister,  sans  des  guerres  intestines, 
Guimard  répondait  : 

«  Vous  ne  me  refuserez  pas,  messieurs,  de 
convenir,  que  cette  république,  composée  de 
membres  si  prompts,  si  faciles  à  se  désunir,  à 
ce  qu'on  dit,  s'est  comportée  avec  assez  d'har- 
monie et  d'ensemble,  en  cette  circonstance  : 
cela  pourroit  donner  au  moins  quelques  pré- 
somptions en  notre  faveur.  Mais  ces  dangers 
même  ont  été  prévenus  et  prévus,  comme  j'ai 
eu  l'honneur  de  vous  le  dire  ;  nous  avons  éga- 
lement songé  dans  notre  plan  d'appeler  pour 


LA  GUIMARD.  137 

nous  seconder  des  personnes,  dont  le  zèle,  l'in- 
tégrité, l'intelligence  nous  étoient  connus,  qui 
avoient  fait  leurs  preuves,  à  qui  cette  admi- 
nistration étoit  familière.  M.  le  Breton,  connu 
et  estimé  de  la  ville,  sous  les  ordres  de  laquelle, 
il  a  longtemps  conduit  cette  machine,  à  la  sa- 
tisfaction de  tout  le  monde.  M.  de  Lassalle, 
dont  l'honnêteté  et  les  talens  sont  également 
reconnus  et  prouvés  par  dix  ans  de  services... 
Messieurs,  je  sais  bien  que  M.  de  Vismes,  crai- 
gnant des  concurrents,  a  cherché  à  les  noircir 
dans  l'esprit  de  leurs  protecteurs,  mais  le 
triomphe  de  la  calomnie  n'est  pas  de  durée, 
et  la  vérité  perce  tôt  ou  tard.  Je  n'abuserai  pas 
plus  longtemps  de  votre  complaisance,  j'en  ai 
dit  assez  pour  des  juges  éclairés  et  impar- 
tiaux, j'en  ai  dit  trop  pour  des  juges  préve- 
nus. » 

Puis  la  brochure  se  termine  par  un  arrêt,  dé- 
cidant que  le  sieur  de  Vismes  devait,  en  hon- 
neur et  conscience,  solliciter  sa  démission  de 
directeur  de  l'Académie  Royale  de  Danse  et  de 
Musique. 

Fait,  arrêté,  jugé  et  prononcé  au  café  du  Ca- 
veau, le  4  9  mars  1779.  Signé  :  Le  président  et 
conseillers  du  conseil  des  Plaisirs  :  Gobemoka, 
Bahis,   Tripleau  frères,  les  chevaliers  députés 

12. 


138  LA  GUIMARD. 

de  l'arbre  de  Cracovie,  Rondon,  Grasset,  dépu- 
tés du  café  de  Foy,  Miron,  Tour  dis,  députés  de  la 
boutique  de  Mademoiselle  Crosnier. 

DE   PAR   MESSEIGNEURS 

Duval 

Lecteur,  greffier  et  buvetier. 


XXXYI 


La  dotation  de  cent  jeunes  filles  par  la  ville 
de  Paris,  lors  de  Y  ouverture  du  ventre  de  Marie- 
Antoinette,  avait  donné  l'idée  à  l'Académie 
Royale  de  Musique,  de  doter  la  première  fille 
pauvre  à  marier,  qui  leur  serait  indiquée  par  la 
ville  :  la  Danse  et  le  Chant  souscrivant  pour 
trente  louis,  destinés  à  faire  les  frais  de  la  noce, 
et  du  banquet  commandé  au  Wauxhall  d'hiver. 
Et  dans  l'annonce,  qui  en  était  faite  dans  le 
Journal  de  Paris,  l'on  s'étendait  sur  la  curiosité 
de  cette  fête,  où  les  nouveaux  époux  et  leurs 
familles  seraient  servis  «  par  les  talents  et  les 
arts  agréables  »  et  l'on  annonçait  qu'une  sous- 
cription était  ouverte  chez  le  sieur  Rouen,  no- 
taire, où  les  amateurs  «trouveraient  un  billet 
contre  le  dépôt  d'un  louis  :  la  somme  provenant 
de  cette  souscription  devant  être  consacrée  à  la 
première  nourriture  de  l'enfant  des  deux  époux. 


140  LA  GUIMARD. 

La  dot  était  déposée  chez  Mlle  Guimard, 
nommée  trésorière  de  l'œuvre. 

Mais  voici  que  la  fête  imaginée  par  les  cory- 
phées de  la  danse  et  du  chant,  pour  l'heureux 
accouchement  de  la  Reine,  et  qui  devait  avoir 
lieu  au  Wauxhall  d'hiver,  était  empêchée  en 
vertu  d'ordres  supérieurs,  par  la  raison  pitoya- 
ble, disent  les  Mémoires  secrets,  que  cette  fête 
semblait  parodier  la  cour. 

Sur  cette  défense,  M1Ie  Guimard  faisait  trans- 
porter la  fête  chez  elle,  le  second  mercredi  du 
mois  de  février  1779,  et  la  fête  était  toute  pleine 
d'incidents  malheureux.  L'orchestre  de  l'Opéra, 
humilié  de  n'avoir  pas  été  appelé  à  la  bonne 
œuvre,  et  considérant  cette  exclusion  comme 
injurieuse,  refusait  de  jouer,  en  sorte  que  la 
Guimard  était  obligée  de  s'adresser  à  de  vul- 
gaires ménétriers.  Puis  au  milieu  du  repas,  on 
venait  signifier  une  lettre  de  cachet  aux  sieurs 
Dauberval  et  Vestris,  pour  se  rendre  au  For- 
l'Evêque  :  punition  amenée  par  leur  révolte 
contre  de  Vismes,  et  leur  refus  de  danser  dans 
le  ballet  d'ARMiDE,le  mardi  précédent. 

Gaétan  Yestris,  qui  était  présent  à  cette  exé- 
cution d'assez  mauvais  goût,  eut  des  adieux 
avec  son  fils,  grandement  comiques. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XIII. 


LA   GUIMARD.  141 

«  Allez,  Auguste,  —  lui  dit-il,  après  l'avoir 
tendrement  embrassé,  —  allez  en  prison. 
Voilà  le  plus  beau  jour  de  votre  vie...  Prenez 
mon  carrosse,  et  demandez  la  chambre  de  mon 
ami,  le  roi  de  Pologne...  Faites  grande  et  noble 
chère,  je  payerai  tout1.  » 

1 .  L'Académie  Impériale  de  Musique,  par  Castil-Elaze. 


XXXVII 


Dans  cette  année  1779,  il  était  fait  un  buste 
de  Mlle  Guimard,  qui  nous  donne  le  portrait  de 
l'illustre  danseuse,  à  l'âge  de  trente-cinq  ans, 
en  la  réalité  de  sa  ressemblance  :  un  buste  en 
marbre,  signé  :  Merchi,  F.,  1779  \ 

M1Ie  Guimard  a  un  front  bombé,  des  yeux 
grandement  fendus,  dont  les  coins  sont  un  rien 
retroussés,  un  petit  nez  à  la  courbure  aquiline, 
aux  narines  du  plus  délicat  dessin,  et  large- 
ment respirantes,  une  bouche  aux  lèvres 
minces,  minces,  mais  avec  le  gracieux  et  res- 
sautant  contour  d'un  arc,  un  menton  charnu 
terminé  par  un  méplat  sensuel.  C'est  un  visage 
ciselé,  dont  la  finesse  de  l'arête  du  profil  ne  se 
voit  tout  à  fait  bien  que  dans  la  glace,  où  il  est 
reflété  par  derrière;  c'est  une  toute  mignonne 
figure,  à  l'ovale  un  peu  court,  et  que  fait  pa- 

1.  Ce  charmant  buste  est  la  propriété  de  M.  Perrin. 


LA  GUIMARD.  143 

raître  encore  plus  ramassé,  l'échafaudage  de 
ses  cheveux  relevés,  où,  de  tout  en  haut,  des- 
cend sur  l'épaule  gauche,  un  brin  de  lierre  qui, 
passant  sous  la  chlamyde,  vient  mourir  sur  le 
plissé  de  la  chemise,  y  étalant  ses  baies  et  ses 
feuilles. 

Sous  la  tête,  se  dessine  un  petit  corps  maigre, 
aux  épaules  abattues,  à  l'attache  voluptueuse 
du  sein,  avec  son  petit  pli  triangulaire  sous  l'ais- 
selle, et  avec  encore  un  peu  de  cette  gorge,  que 
l'agent  de  police  Marais,  vantait  comme  la  plus 
jolie  gorge  du  monde,  alors  que  la  Guimard 
n'avait  que  quatorze  ans. 

Ce  buste,  disons-le,  en  sa  joliesse  sèchement 
nerveuse,  et  avec  ce  qu'il  y  a  dans  le  retroussis 
des  yeux,  dans  le  serpentement  pervers  de  la 
bouche,  semble  le  buste  du  Vice  —  du  vice  élé- 
gant, distingué,  aristocratique. 

Et  le  vrai  chantre  du  charme  de  la  femme, 
et  celui  qui  dira  le  mieux  l'effet  que  le  genre  de 
sa  beauté  produisait,  sera  son  mari,  dans  la 
chanson  :  Ce  qu'il  ne  faut  pas  dire,  dédiée  à 
Madeleine  G***. 

Du  bas  en  haut,  du  haut  en  bas, 

Madeleine  est  charmante; 
Ses  jolis  pieds,  ses  jolis  bras, 

En  elle  tout  enchante. 


144  LA    GUIMARD. 

Voyez  ses  yeux  voluptueux, 
Et  son  charmant  sourire. 
L'ensemble  est  parfait... 

Et  son  regard  fait 
Ce  qu'il  ne  faut  pas  dire. 

Voyez-la  jusqu'au  bout  des  doigts. 

C'est  une  miniature. 
Jolis  contours,  piquant  minois, 
Séduisante  tournure. 
Quels  mouvements, 
Pleins  d'agréments! 
A  chacun  elle  inspire 
Un  désir  ardent: 
Malgré  soi  l'on  sent... 
Ce  qu'il  ne  faut  pas  dire. 

Voyez-la  chercher  de  l'esprit, 

Voyez-la,  dans  Ninette, 
Comme  Lubin,  chacun  se  dit: 
Oh!  la  charmante  Annette! 
Pour  son  talent, 
Son  jeu  brillant, 
Tout  le  monde  l'admire, 
Et  pense  aussitôt 
A  chose  qu'il  faut... 
Oui,  qu'il  ne  faut  pas  dire. 


Merchi,  l'auteur  du  buste  de  l'illustre  dan- 
seuse, ce  sculpteur  tombé  dans  l'oubli,  semble 
avoir  été,  en  ces  années,  le  sculpteur  attitré 
des  grandes  impures.  Métra,  qui  va  le  visiter, 
en  avril  1781,  déclare  qu'il  a  trouvé,  dans  son 


LA    GUIMARD.  145 

atelier,  la  galerie  des  plus  jolies  coquines  de 
cette  fin  de  siècle  '.  Il  s'écrie  douloureusement  : 
«  N'appartient-il  donc  qu'au  vice  d'encourager 
les  arts?  »  s'indignant  de  ne  pas  trouver  dans 
cet  atelier,  une  seule  statue  lui  montrant  la  re- 
présentation d'une  femme  vertueuse,  et  il  sort, 
se  répétant  les  vers,  faits  sur  le  buste  de  MUe  Ar- 
nould,  en  1775  : 

Et  je  veux... 
Que  ce  buste  en  cent  lieux  figurant, 
Puisse  pour  quatre  sous,  hors  de  la  plâtrière, 
Passant  chez  nos  neveux,  du  marquis  au  bourgeois, 
Orner  en  même  temps  le  Musœum  des  rois, 

Et  le  portail  de  la  Salpêtrière. 

Or  donc,  à  deux  ans  de  date  du  modelage  du 
buste  de  MUe  Guimard,  le  sculpteur  Merchi,  qui 
avait  fait  aussi  les  bustes  des  danseuses  Théo- 
dore, Heinel,  Allard  et  Peslin,  avait  l'idée  pour 
la  décoration  des  boudoirs,  des  réduits  galants 
de  Paris,  d'ouvrir  une  souscription,  offrant  au 


1.  Correspondance  secrète,  vol.  XI.  —  Dans  le  volume  XX, 
à  la  date  du  12  février  1892,  on  lit  :  «  Les  amateurs  des  arts  et 
des  spectacles  s'empressent  de  se  pourvoir  d'une  collection 
précieuse  de  bustes,  que  vient  de  mettre  en  vente,  le  sieur 
Merchi,  sculpteur.  Ils  sont  au  nombre  de  quinze,  et  représentent 
MM.  Piccini,  Sacchini,  Legros,  Laine,  M11**  Beaumesnil, 
Girardin  cadette,  Guimard,  Heynel,  Théodore,  Allard, 
Peslin,  MM.  Vestris  père,  Nivelon,  Carlin,  Mme  Todi. 

13 


146  LA  GUIMARD. 

public  des  statuettes  en  talc,  soigneusement 
réparées,  sur  huit  pouces  de  hauteur,  des  cinq 
danseuses  :  M1Ie  Gaimard  esquissée  en  Terpsi- 
chore,  Mlle  Heinel  en  nymphe,  Mlle  Théodore  en 
bergère,  Mlles  Allard  et  Peslin  en  bacchantes1. 


1.  Mémoires  secrets,  vol.  XX.  —  Pour  ces  statuettes  offertes 
«  à  bon  marché  »  aux  amateurs  de  ballets,  mais  dont  je  n'ai 
jamais  rencontré  un  exemplaire,  un  amateur  fabriquait  les 
quatrains  suivants  : 

Grâce,  maintien,  taille  légère, 
Tout  ici  charme  le  regard  ; 
Est-ce  une  nympho,  une  bergère? 
Non  :  c'est  Tcrpsichoro  ou  Guimard. 

Dans  Heinel,  on  aime,  on  admire 
Et  les  grâces  et  la  beauté  : 
De  Vénus,  elle  a  le  sourire, 
Et  de  Junon  la  majesté. 

Qui  plaît  plus  dans  Théodore? 
Fraîcheur,  esprit,  grâce,  talent? 
C'est  mon  secret  qu'on  ignore; 
Mais  pour  charmer,  elle  en  a  cent 

Quelques  Bacchantes  par  leurs  armes 
Subjuguèrent  l'Inde  autrefois; 
Par  ses  talents  et  par  ses  charmes 
Allard  tient  Paris  sous  ses  lois. 


De  la  gai  té,  de  la  folie, 
Combien  Peslin  tient  de  pouvoir? 
Qui  la  voit  jamais  ne  l'oublie, 
Qui  s'en  souvient,  veut  la  revoir. 


XXXVIII 


Le  goût  de  la  Guimard  dans  ses  toilettes  de 
ville,  goût  que  consultait  Marie- Antoinette,  ainsi 
que  nous  l'apprend  la  Requête  des  demoiselles  de 
Paris  à  M.  de  Breteuil,  en  faisait  une  personne 
très  difficile  pour  ses  toilettes  de  théâtre.  On  ne 
lui  faisait  pas  accepter  le  premier  costume  venu 
sous  le  crayon  du  dessinateur,  et  coupé  par  le 
tailleur,  dans  des  étoffes  économiques,  choisies 
par  le  directeur.  Elle  voulait  du  recherché,  du 
distingué  dans  le  riche,  et  consentait  à  porter 
seulement  des  travestissements,  qui  conten- 
taient la  femme,  se  mettant  bien  à  la  ville.  Car,  la 
Guimard  baptisait  les  modes,  et  en  1771,  les  élé- 
gantes de  Paris  avaient  toutes  adopté  la  robe  à 
la  Guimard.  On  appelait  ainsi  une  robe  retrous- 
sée sur  un  jupon  d'une  autre  couleur,  et  agrémen- 
tée de  pompons  et  de  guirlandes  :  imitation  du 
costume  porté  par  MUe  Guimard,  dans  le  ballet 


148  LA    GUIMARD. 

de  Jason  et  Médée.  Et  le  public  savait  si  bien, 
qu'elle  avait  voix  consultative  aux  imaginations 
de  Bocquet,  et  aux  coupes  du  tailleur  Delaistre, 
que  dans  le  brouhaha  de  la  première  représen- 
tation de  la  Fête  de  Mirza,  au  lieu  de  demander 
Fauteur,  il  demandait  à  grands  cris  :  Le  tailleur  ! 
le  tailleur!  se  doutant  bien  que  dans  ce  salmi- 
gondis, le  charme  et  l'élégance,  tout  jà  [fait  re- 
marquables des  costumes,  étaient  dus  à  la  col- 
laboration de  celle,  que  Métra  appelle  :  la  déesse 
du  goût  ' . 

Mais  ce  goût  de  la  danseuse  coûtait  gros  à 
l'Académie  Royale  de  Musique.  L'on  se  rappelle 
la  phrase  du  paragraphe  qui  lui  est  consacré, 
dans  le  «  Tableau  des  Premiers  sujets  de  la 
danse  »  de  l'Opéra  en  1783  :  —  Elle  est  d'une 
dépense  énorme  pour  l'Opéra.  Et,  plus  tard, 
lorsqu'en  1791,  la  République  se  préoccupait, 
dans  un  livre,  de  la  réorganisation  des  théâ- 
tres, une  note  de  ce  livre  apprenait,  qu'en  l'an- 
née 1779,  MUe  Guimard  seule,  avait  coûté  en 
habits,  30 000  livres2. 

Et  encore  la  dépense  personnelle  de  la  pre- 
mière danseuse  de  l'Opéra,  n'était  pas  ce  qu'il 
y  a  de  plus  ruineux  pour  l'Opéra,  mais  elle  le 

1.  Correspondance  secrète,  vol.  IL 

2.  De  l'organisation  des  spectacles  de  Paris,  1791. 


LA   GUIMARD.  149 

devenait,  parce  que  les  autres  danseuses,  à 
l'exemple  de  MUo  Guimard,  exigeaient  des  habits 
et  des  renouvellements  fort  chers.  Et  quand  le 
directeur  s'y  refusait,  il  arrivait  ce  qui  arriva 
un  jour  à  MUe  Cécile,  ne  trouvant  pas  son  cos- 
tume aussi  galant  que  celui  de  Mlle  Guimard  : 
elle  refusa  de  danser,  et  se  fit  envoyer  au  For- 
l'Évêque1. 

Puis,  il  y  avait  quelque  chose  de  plus  grave 
dans  ces  relations  journalières  de  la  Guimard 
avec  les  tailleurs,  et  dans  les  complaisances 
qu'elle  trouvait  naturellement  chez  eux,  ces  re- 
lations assuraient  aux  tailleurs  une  protection, 
passionnée,  aveugle,  et  prête  à  entrer  à  leur  su- 
jet, en  conflit  avec  la  direction.  C'est  ainsi  qu'à 
la  fin  du  mois  d'avril  1781,  Guimard  et  Heinel 
prennent  parti,  pour  le  vieux  Delaistre,  «  entre- 
tiennent l'humeur  du  personnage  »,  l'encoura- 
gent dans  ses  prétentions,  le  confirment  dans 
l'idée  qu'il  n'est  pas  assez  récompensé  par  une 
pension  de  1  000  livres,  et  son  fils  pas  assez  ré- 
munéré par  un  traitement  de  1  200  livres,  l'en- 
couragent dans  le  cas,  où  l'on  n'accéderait  pas  à 
ces  exigences,  à  quitter  l'Opéra,  contrairement 
à  l'opinion  du  sage  et  raisonnable  Bocquet2,  et 

1.  Académie  Impériale  de  musique,  par  Castil-Blaze,  vol.  I. 

2.  Registres  des  Menus-Plaisirs,  vol.  I.  Archives  de  l'Opéra. 

13. 


150  LA  GUIMARD. 

passant  par-dessus  la  tête  de  M.  de  la  Ferté,  ces 
demoiselles  demandent  une  audience  au  minis- 
tre, pour  faire  valoir  les  droits  de  leur  protégé. 

A  quelques  jours  de  là,  le  10  mai,  devant 
l'esprit  insurrectionnel  qui  s'est  emparé  de 
toutes  les  danseuses,  excitées  par  la  Guimard, 
ce  pauvre  M.  de  la  Ferté  adresse  au  ministre  ce 
bout  de  lettre  éplorée  : 

«  ...  L'affaire  du  sieur  Delaistre  devient, 
de  moment  en  moment,  plus  embarrassante. 
Toutes  ces  femmes  se  sont  réunies  hier  pour 
solliciter  pour  lui  et  son  fils,  et  contre  l'admis- 
sion du  nommé  Sanctus,  comme  maître  tail- 
leur1. » 


1.  Un  mémoire  de  Dauvergne  très  hostile  à  la  Guimard, 
que  nous  donnons  plus  loin,  est  un  vrai  réquisitoire  contre  les 
Delaistre  père  et  fils. 

Il  commence  par  accuser  Dauberval,  'qui  est  extrêmement 
ami  avec  Delaistre  père,  de  faire  l'impossible  pour  conserver 
la  direction  des  magasins,  et  de  s'être  arrangé  avec  un  mar- 
chand, auquel  il  fait  avoir  une  commission  illimitée  de  fournis- 
seur de  l'Opéra,  et  qui  a  déjà  fourni  36  000  livres  de  marchan- 
dises, dont  la  moitié  ne  pourra  jamais  servir  à  cause  de  leur 
qualité  ou  de  leurs  couleurs  baroques.  Alors  on  est  obligé 
d'en  chercher  d'autres,  sous  le  prétexte  qu'elles  no  conviennent 
pas  aux  sujets.  Et  Delaistre  les  achète,  et  en  est  quitte,  pour 
dire,  que  c'est  par  l'ordre  de  Mlle  Guimard  qu'il  les  a  achetées. 

Et  Dauvergne  accuse  Delaistre,  avec  la  complicité  de  Dau- 
berval, de  faire  des  habits  pour  des  particuliers,  en  se  servant 
des  10  000  ou  15  000  livres  d'étoffes  de  marchandises  qu'il  a  sous 
la  main,  en  se  contentant  de  dire  qu'on  les  remplacera. 


XXXIX 


C'est  amusant  de  rechercher  les  toilettes  théâ- 
trales de  la  Guimard,  ces  costumes  faits  d'air 
tramé  et  de  paillettes  et  de  fanfreluches,  à  la 
résistance  d'une  bulle  de  savon,  ces  costumes 
éphémères  que,  certes,  les  contemporains  ne 
croyaient  pas  devoir  survivre  à  l'Opéra  qui  leur 
avait  donné  naissance  ;  c'est  amusant  de  les  re- 
chercher clans  ces  recueils  de  centaines  de  des- 
sins de  Bocquet 1  qui  sont  à  la  bibliothèque  de 


1.  Lire  ce  que  j'ai  déjà  écrit  sur  ces  dessins,  dans  Sophie 
Arnould  et  dans  la  Maison  d'un  artiste.  Dauvergne  dit  dans 
son  rapport  sur  l'Opéra  en  1788  :  «  Ce  Bocquet,  dessinateur 
des  habits,  honnête  homme  qui  fait  bien  sa  place.  »  Bocquet 
n'est  pas  qu'un  dessinateur  d'habits  d'opéras.  Dans  des  dessins 
au  bistre,  qui  pourraient  être  pris  pour  des  bistres  d'Eisen  ; 
il  est  un  artistique  imaginateur  d'objets  mobiliers.  C'est  ainsi 
que  nous  trouvons,  en  le  Recueil  du  cabinet  des  Estampes,  de 
charmants  projets  d'un  dessus  de  porte,  d'un  canapé,  et  d'un 
sopha  de  boudoir,  et  d'un  panneau  de  berbne,  exécutés  pour  le 
duc  d'Aumont. 


152  LA   GUIMARD. 

l'Opéra,  au  cabinet  des  Estampes,  dans  ma  col- 
lection, et  où  il  nous  est  donné  de  retrouver  en 
ces  craquetons  à  la  plume,  noyés  dans  le  nuage, 
d'une  eau  à  peine  colorée,  le  costume  du  pre- 
mier sujet  du  chant  ou  de  la  danse,  dans  tel  opé- 
ra, dans  tel  ballet,  un  peu  à  la  façon  dont 
on  retrouve  dans  une  tombe  du  passé,  de  vieilles 
étoffes  aux  couleurs  évanouies. 

Oh  !  les  galantes  et  naïves  images  vous  révé- 
lant si  bien,  comment  le  dix-huitième  siècle  tra- 
traduisait  les  Temps  fabuleux,  l'Antiquité,  les 
Terres  des  Pôles  et  de  l'Equateur,  et  l'Olympe, 
et  les  Champs-Elysées  et  le  Tartare.  et  tout  le 
peuple  fictif  des  allégories  morales,  avec  des 
cuirasses  en  moiré  d'acier;  avec  des  draperies 
écaillées  de  serpents;  avec  des  mantes  tigrées; 
avec  des  soubrevestes  de  peaux  de  léopard; 
avec  des  dolmans,  bordés  de  réseaux  frisés; 
avec  des  habits,  au  fond  couleur de  giroflée  ;  avec 
des  nuages  de  gaze  d'Italie,  à  la  garniture  de 
plumes  de  paon;  avec  des  barrières  de  feuilles 
de  roseaux,  de  coquillages,  de  coraux;  avec  des 
guirlandes  de  coquelicots,  de  barbeaux  et  de 
fleurs  de  bled;  et  avec  des  jupes  et  des  culottes 
couleur  de  chair  brûlée  ou  couleur  de  chair 
morte,  pour  les  divinités  infernales  et  les  génies 
malfaisants. 


LA  GUIMARD.  153 

Mais,  voici  dam-  les  recueils  de  l'Opéra,  un 
croqueton  à  la  plume  de  la  Guimard,  autour 
duquel  il  y  a  écrit,  de  la  main  de  Bocquet  : 


Fontainebleau,  1765. 


Sylvie. 
Les  grâces. 


Mlu  Guimard,  toute  blanche. 
Mlle  Petit  o t. 
Mlle  Gaudot. 

Pour  le  seul  opéra  de  Thésée,  existent  trois  cro- 
quis à  la  plume  des  costumes  de  MUe  Guimard. 
On  lit  sur  le  premier  : 

Thésée,  4e  acte,  Bergère. 
Reprise  1765. 

Mlle  Guimard.  Pas  de  deux  avec  M.  Gardel. 
Fond  blanc.  Draperie  blanche.  Nœuds  découpés. 
Bordé  de  chenille  rose.  Fleurs  de  toute  couleur. 

On  lit  sur  le  second  : 

Fontainebleau,  1765. 

Thésée. 
Prêtresse. 
Pas  seul. 
Mlle  Guimard. 
Tout  blanc,  argent,  perles  et  pierreries. 


154  LA   GUIMARD. 

On  lit  sur  le  troisième  : 

Fontainebleau,  1765. 

Thésée. 

Peuple,  5"  acte. 

Mlk '  Guimard  tout  blanc  et  argent.  Corps  glacé 
d'argent.  Petite  mante  de  gaze.  Jupe  blanche  or- 
née de  gaze  et  de  nœuds  argent. 

Il  est  encore,  dans  les  recueils  de  la  biblio- 
thèque de  l'Opéra,  un  croquis  à  la  plume  de 
M1Ie  Guimard,  en  son  costume  de  l'Opéra  de 
Zélindor,  avec  cette  indication  toujours  de  la 
main  de  Bocquet  : 

Zélindor,  1773. 

Nymphe  toute  claire.  Gaze  rose  et  beaucoup 
de  verdure. 

Enfin  l'Opéra  possède  deux  charmants  des- 
sins à  la  plume  rehaussés  d'aquarelle,  de  la  dan- 
seuse, dans  les  opéras  des  Fêtes  lyriques  et  du 
Carnaval  du  Parnasse. 

Le  premier,  légèrement  lavé  de  rose,  porte  en 
haut  et  en  bas  de  l'aquarellage  : 

Festes  lyriques, 

Aoust  1166. 

Mlh  Guimard.  Plaisir. 


LA  GUIMARD.  155 

Fond  rose  orné  d'argent  et  de  fleurs  de  toute 
couleur.  Jupe  tamponnée  de  gaze. 

L'autre  dessin,  légèrement  lavé  d'une  couleur 
comme  mordorée,  à  la  jupe  de  dessous  et  au  col- 
lier de  ruban,  porte  : 

Le  Carnaval  du  Parnasse, 

Juin  1767. 

Mlle  Guimard.  Pas  de  deux. 

Dans  ma  collection  de  dessins  de  Bocquet,  se 
trouvent  sept  dessins  de  costumes  de  la  Gui- 
mard, avec  le  nom  de  la  danseuse,  sous  le  des- 
sin de  la  main  de  Bocquet. 

Le  premier,  lavé  d'aquarelle,  représente 
Mllc  Guimard,  dans  le  rôle  d'Ariane,  de  l'opéra 
d'Azoj.AN  (1774).  Le  second  également  lavé  de 
couleur,  dans  les  Caractères  de  la  Folie,  où  elle 
dansait  un  pas  de  deux;  le  troisième,  rapide- 
ment jeté  à  la  plume,  dans  son  costume  &  Éthio- 
pienne de  l'opéra  de  Persée,  avec  au  bas  cette 
note  de  Bocquet:  Tout  argent;  le  quatrième  aussi 
croqué  à  lai  plume,  dans  l'opéra  d'ÉNÉE  et  La- 
vinie,  avec  cette  indication  au  bas  :  Jeux  et  plai- 
sirs, pas  de  deux.  Mlle  Guimard.  Blanc  argent, 
guirlandes  de  roses,  jupe  tamponnée.  Corps,  dra- 
peries d'argent,  manches  de  satin  blanc.  Dans  un 
cinquième    croquis    à  la  plume,    nous   avons 


156  LA   GUIMARD. 

M"e  Guimard,  en  guerrière,  dans  l'opéra  de  Tan- 
crêde,  où  elle  est  ainsi  vêtue  :  Une  cuirasse  moi- 
rée d'acier,  ornée  d argent,  le  haut  du  corps  et 
le  dolman  d'argent,  bordé  et  doublé  de  bleu. 
La  jupe  jaune  couverte  de  gaze  avec  des  festons 
au  bas  attachés,  formant  des  espèces  de  bran- 
debourgs. Amadis  jaune.  Dans  un  sixième  cro- 
quis à  la  plume,  c'est  dans  le  rôle  de  Creuse, 
de  l'opéra  d'IsMENiAs,  avec  au  bas  cette  descrip- 
tion du  costume  :  Fond  de  taffetas  blanc,  la  jupe 
couverte  en  gaze  d'argent.  La  seconde  jupe  très 
claire,  retroussée  avec  des  nœuds  de  diamants 
La  mante  des  deux  épaules  de  satin  blanc,  et  pa- 
raissant former  la  draperie,  imprimée  à  fleurs 
d'argent  avec  quelques  paillettes  parsemées  et 
bordée  de  franges  légères.  Beaucoup  de  pierreries 
sur  la  gorge,  des  glands  pendant  des  épaules  qui 
portent  la  mante.  Enfin  dans  un  septième  cro- 
quis à  la  plume,  lavé  d'encre  de  Chine,  —  c'est 
dans  l'opéra  de  Sylvie,  représenté  à  Fontaine- 
bleau, en  1765,  —  Mlle  Guimard  tenant  une  lance 
en  main  avec  au  bas  du  dessin,  cette  indication  : 
Sylvie,  Mlle  Guimard  l  Nymphe  de  Diane  :  fond 
blanc,  draperie  tigrée.  Petite  mante  de  gaze  par- 
courant sur  la  jupe.  Nœuds  de  satin  tigré!  Guir- 

1.  Le  nom  de  M"e  Guimard  a  été  substitué  au  nom  de  MmeVes- 
tris,  qui  a  été  rayé. 


LA  GUIMARD.  157 

landes  de  verdure.  La  draperie  doublée  chair, 
manches  courtes,  chaussure  blanche.  Guirlande 
de  verdure  pour  coêffer.  Trois  rosettes  tigrées. 

De  ces  croquis  de  costumes  de  Bocquet,  de 
ces  premières  idées,  jetées  au  courant  de  la 
plume,  et  balayées  du  lavage  de  colorations  ra- 
pides, il  est,  dans  un  format  plus  grand,  des 
répétitions  de  seconde  main,  aux  contours  lour- 
dement arrêtés,  au  coloris  de  l'imagerie,  aux 
deux  violentes  taches  de  rouge  sur  les  joues  : 
des  répétitions,  dont  je  connais  pour  quelques 
costumes,  2,  3,  4,  5  exemplaires,  des  répétitions 
destinées  sans  doute  au  costumier,  au  tailleur, 
au  coiffeur,  etc.  De  ces  grossières  traductions 
des  dessins  de  premier  coup,  du  dessina- 
teur d'habits  de  l'Académie  lyrique,  il  existe 
deux  volumes  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra,  où 
nous  trouvons  dans  le  rôle  d'Issé,  du  ballet  de 
Sylvie,  Mlle  Guimard  représentée  dans  un  cos- 
tume, traversé  de  guirlandes  de  violettes,  rele_ 
vées  de  nœuds  jaunes  ;  et  nous  trouvons  encore 
dans  un  autre  opéra,  non  désigné,  MUe  Guimard, 
habillée  d'une  robe  de  dessus  jaune,  tigrée  sur 
un  fond  blanc,  enfin  dans  le  rôle  d'un  Génie  Élé- 
mentaire, de  l'opéra  de  Zémire.et  Almasis,  dan- 
sant un  pas  de  deux,  sous  une  robe  toute  blan- 
che, traversée  de  guirlandes  de  mille  couleurs. 

14 


158  LA  GUIMARD. 

Dans  tous  ces  costumes  de  l'Opéra,  dessinés 
par  Bocquet,  réalisés  par  Delaistre  père  et  fils, 
et  sur  lesquels  on  connaît  l'influence  despotique 
du  goût  de  Mlle  Guimard,  il  n'y  a  ni  l'ambition 
de  rénovation,  ni  l'amour  de  la  couleur  locale, 
apportés  parla  Clairon  à  la  Comédie-Française, 
apportés  mémo  à  l'Opéra  par  la  chanteuse 
Saint-Huberty.  Il  y  a  seulement  une  remarque 
à  faire  sur  les  costumes  deMIle  Guimard  :  c'est 
que  dans  ce  temple  du  clinquant  et  de  l'oripeau 
voyant,  il  est  chez  la  grande  danseuse  un  goût 
de  simplicité,  une  recherche  de  la  luminosité 
claire,  une  prédilection  pour  le  blanc,  qu'indi- 
que la  répétition  des  mêmes  notules  au  bas  des 
costumes  de  Mlie  Guimard  :  Toute  blanche...  en 
blanc  glacé  d'argent...  toute  claire. 

La  danse,  il  faut  le  dire,  ne  peut  avoir  les 
exigences  historiques  de  la  tragédie  ou  du 
drame.  La  danseuse,  quel  que  soit  ce  qu'elle 
danse  :  une  nymphe,  une  guerrière,  une  bergère, 
un  plaisir,  —  est  toujours  un  être  gracieusement 
chimérique,  que  le  spectateur  s'imagine  volon- 
tiers se  mpuvoir  et  tourbillonner  dans  des  mi- 
lieux fantaisistes  et  pas  du  tout  réels . 

Puis  songe-t-on  à  ce  qu'était  l'Opéra  pour  la 
révolution  de  la  réalité  et  de  la  vérité,  ce  théâtre 
qui  au  milieu  du  dix-huitième  siècle,  avait  en- 


LA  GUIMARD.  159 

core  toutes  les  peines  à  abandonner  les  masques, 
oui,  les  masques  de  Faunes  d'un  brun  noirâtre, 
les  masques  des  Démons,  couleur  feu  et  argent, 
les  masques  des  Tritons,  couleur  vert  et  argent  : 
ce  théâtre,  où  les  Vents  dansaient  en  habits  de 
plumes,  des  soufflets  à  la  main,  des  moulins  sur 
la  tête;  ce  théâtre,  où  on  dansait  le  Monde,  avec 
une  coiffure  représentant  le  mont  Olympe,  avec 
un  vêtement  figurant  une  carte  de  géogra- 
phie, où  l'on  avait  Gallia  sur  le  cœur,  Germa- 
nia  sur  le  ventre,  et  Terra  Australis  incognito, 
sur  une  partie  moins  noble;  ce  théâtre,  où  on 
caractérisait  la  Musique  par  un  habit  rayé,  à 
plusieurs  portées,  chargé  de  croches  et  de  dou- 
bles croches,  et  par  une  coiffure  faite  avec  les 
clefs  de  G-ré-sol,  de  C -sol-ut  et  F-ut-fa;  ce  théâ- 
tre, où  le  Désespoir  était  dansé  par  Dauberval, 
dans  l'Opéra  deZoROASTRE,  en  culotte,  en  bas  et 
souliers  rouges,  et  le  Mensonge,  avec  une  jambe 
de  bois,  un  habillement  couvert  de  masques,  et 
une  lanterne  sourde  dans  la  main  du  danseur. 
Enfin  l'Opéra,  c'est  le  théâtre,  où  Noverre, 
faisant  représenter  en  1777,  —  oui  en  1777,  — 
le  ballet  des  Horaces,  ne  pouvait  obtenir  par  ses 
supplications,  que  les  Horaces  et  les  Curiaces 
missent  des  casques.  Horaces  et  Curiaces  s'obs- 
tinaient à  apparaître  au  public,  coiffés  de  cinq 


160  LA   GU1MARD. 

boucles  de  cheveux  de  chaque  côté,  poudrées  à 
blanc,  et  surmontées  d'un  toupet  très  exhaussé, 
qu'ils  proclamaient  le  toupet  à  la  grecque1. 


1.  Lettres  sur  les  arts  imitateurs,  par  Noverre,  Paris,  1807} 
vol.  I.  Noverre  affirme  qu'il  a  cherché,  autant  que  c'était  pos- 
sible à  l'Opéra,  à  remédier  aux  défauts  qui  régnaient  dans  cette 
partie  si  esssentiellc  à  l'illusion. 


XL 


JVllle  Guimard,  on  se  le  rappelle,  avait  eu,  en 
1763,  une  fille  de  M.  de  La  Borde,  que  le  père 
avait  légitimée  en  1770. 

Cette  Marie-Madeleine  Guimard  avait  à  peine 
quinze  ans  révolus,  que  sa  mère  songeait  à  la 
marier  à  Claude  Drais,  orfèvre-bijoutier,  établi 
sur  le  quai  des  Orfèvres. 

Et  le  4  mai  1778,  contrat  était  passé  devant 
Chavet,  notaire  à  Paris,  entre  Robert-Arnould- 
Claude  Drais  et  Marie-Madeleine  Guimard,  fille 
légitimée,  ayant  la  faculté  de  recueillir  toutes 
successions,  donations,  legs  et  autres  avantages 
qui  pourraient  lui  être  faits,  à  l'exception  uni- 
quement de  la  succession  dudit  sieur  La  Borde. 

Et  l'agrément  donné  par  le  père  et  la  mère  à 
ce  mariage  ;  voici  les  avantages  que  faisait 
Mlle  Guimard  à  sa  fille,  en  l'article  IV  de  ce 
contrat  de  mariage  : 


162  LA    GUIMARD. 

«  En  faveur  et  considération  dudit  mariage, 
la  dite  demoiselle  Guimard  mère  a  par  les  pré- 
sentes, donné  et  constitué  en  dot,  en  avance- 
ment d'hoirie  de  la  succession  future,  à  la  dite 
demoiselle,  future  épouse  sa  fille  et  au  dit  sieur 
futur  époux,  en  cas  de  prédécès  par  la  dite 
future  épouse  sans  enfants  ou  de  décès  des  dits 
enfants  sans  postérité,  la  somme  de  cent  vingt- 
cinq  mille  livres,  savoir  :  cent  mille  livres  en 
deniers  comptants ,  que  la  dite  demoiselle  Gui- 
mard s'engage  à  payer  en  écus  de  six  livres , 
pièces  et  monnaies  ayant  cours,  aux  dits  sieur 
et  demoiselle  futurs  époux,  dans  le  terme  et. 
espace  de  deux  années,  à  compter  de  ce  jour- 
d'hui,  et  vingt-cinq  mille  livres,  composées  d'un 
trousseau,  de  meubles  meublants,  diamants, 
bijoux,  et  habits,  linge,  hardes  et  dentelles,  à 
l'usage  de  la  dite  demoiselle  future  épouse,  des- 
quels meubles  meublants,  diamants,  bijoux  et 
habits,  linge,  hardes  et  dentelles,  le  dit  sieur 
futur  époux  reconnaît  être  en  possession,  et 
s'en  charge  envers  la  dite  demoiselle  future 
épouse. 

«  Plus  aussi  en  faveur  et  en  considération  du 
dit  mariage,  la  demoiselle  Guimard  mère,  fait 
et  institue  par  ces  présentes  pour  héritiers 
généraux  et  universels  en  tous  et  chacuns,  les 


LA  GUIMARD.  163 

biens  meubles  et  immeubles  réels  et  fictifs  qui 
se  trouveront  lui  appartenir  au  jour  de  son  dé- 
cès, ladite  demoiselle  future  épouse,  sa  fille, 
et  le  dit  futur  époux  en  cas  de  prédécès  par  la 
dite  future  épouse  sans  enfants,  et  de  décès 
desdits  enfants  sans  enfants,  sous  la  réserve 
expresse,  que  fait  la  dite  demoiselle  Guimard 
mère  d'une  somme  de  cent  cinquante  mille 
livres,  dont  la  dite  demoiselle  Guimard  mère 
pourra  disposer  en  faveur  de  qui  bon  lui  sem- 
blera, par  testament,  donation,  legs  ou  autre- 
ment mais  le  tout  ou  partie  de  la  dite  somme 
de  cent  cinquante  mille  livres  sera  compris  et 
dépendra  de  la  dite  institution  d'héritiers,  dans 
le  cas  où  la  dite  demoiselle  Guimard  mère  dé- 
céderait, sans  avoir  disposé  de  la  dite  somme 
de  cent  cinquante  mille  livres  en  tout  ou  en 
partie  1  !  » 

Triste  mariage,  que  ce  mariage,  célébré  au 
mois  de  mai  1778,  et  rompu  au  bout  d'un  an, 
par  la  mort  de  la  jeune  mariée,  ainsi  que  nous 
l'apprennent  les  Mémoires  secrets,  en  annonçant, 

1,  Extrait  du  contrat  de  mariage  de  Claude  Drais,  orfèvre- 
bijoutier,  et  de  Mlle  Marie-Madelaine  Guimard,  fille  naturelle 
de  Mllc  Guimard  et  de  Jean  Benjamin  de  La  Borde,  fermier  gé- 
néral (1778,  4  mai).  {L'Académie  Royale  de  musique  au 
XVIII*  siècle,  par  E.  Campardon,  Berger-Levrault,  1884, 
vol.  I.) 


164  LA   GUIMARD. 

à  la  date  du  22  novembre,  le  ballet  de  Mirza  et 
Lindor. 

«La  demoiselle  Guimard  qui  n'avait  pas  paru 
depuis  la  mort  de  sa  fille,  qu'elle  a  pleurée  long- 
temps, était  trop  nécessaire  à  ce  spectacle  pour 
s'y  refuser1.  » 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XIV. 


XLI 


Donc,  en  novembre  1779,  la  Guimard  faisait 
sa  rentrée  dans  le  ballet  de  Mirza  et  Lindor,  un 
ballet  ou  plutôt  une  pantomime  dansante,  où  au 
second  acte,  un  duel  mimé  avec  les  positions, 
les  attitudes,  les  voltes  d'une  passe  d'armes, 
mettait  chez  le  jeune  Yestrallard  et  Nivelon1, 
les  grâces  d'une  chorégraphie  spadassine.  Le 
ballet,  où  la  Guimard  se  montrait  plus  actrice 
que  danseuse,  n'avait  qu'un  très  médiocre  suc- 
cès, et  amenait  une  rupture  éclatante  entre 
Noverre  et  la  Guimard,  rendant  Noverre  respon- 
ponsable  de  la  chute  du  ballet  de  Gardel. 

Et  voici,  dans  un  mémoire  de  Noverre, 
adressé  à  M.  de  la  Ferté,  les  raisons  qui  auraient 
engagé  Mlle  Guimard  «  à  devenir  malhonnête, 
extravagante,  et  même  ridicule  »  .  Noverre  dit 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XIV. 


16(i  LA  Gl'IMARD. 

que  la  chute  de  Mirza.  de  cette  farce  mons- 
trueuse, qui  n'avait  plu,  à  Paris,  qu'à  l'abbé 
Aubert,  et  qui  n'avait  eu  d'autre  approbation 
que  celle  de  Bret  (le  censeur  de  la  pièce)  a  mis 
M"6  Guimard  au  désespoir,  et  compromis  son 
goût  et  son  esprit,  et  blessé  son  amour-propre. 
«  qui.  insinue-t-il  peu  galamment,  augmente 
chez  les  femmes,  en  proportion  de  la  décadence 
de  leurs  charmes  ou  de  leur  talent.  Il  lui  a 
fallu  une  victime,  et  c'est  sur  lui  qu'est  tombé 
son  dépit.  Elle  s'est  obstinée  à  croire  qu'il  avait 
seul  fomenté  le  bacchanal  du  jeudi  gras.  » 

Noverre  continue  en  ces  termes  :  «  La  mé- 
chanceté opère  souvent  en  dehors  de  ses  des- 
seins. C'est  ce  qui  est  arrivé  à  la  demoiselle 
Guimard.  Elle  ne  put  déterminer  ses  camarades 
à  l'accompagner  chez  le  ministre  ;  ils  savoient 
que  ce  n'étoit  pas  moi  qui  avoit  composé  la 
Fête  de  Mirza,  et  que  sa  chute  ne  pouvoit  m'ètre 
imputée.  Elle  monta  dans  son  char,  et  se  pré- 
senta à  M.  Amelot,  comme  une  nouvelle  An- 
dromaque,  qui  pleure  la  défaite  d'Hector.  Cette 
démarche  ne  put  ébranler  la  justice  de  ce  mi- 
nistre. Son  goût,  et  la  renommée  plus  ba- 
billarde  et  plus  indiscrète  encore  que  la  demoi- 
selle Guimard,  avoient  déjà  fixé  son  opinion,  et 
il  savoit  que  tout  Paris,  pour  ainsi  dire,  s'étoit 


LA   GUIMAIID.  167 

réuni  pour  proscrire  un  genre  de  spectacle,  qui 
dégrade  la  majesté  de  l'Opéra,  qui  éloigne  cet 
art  de  ses  vrais  principes,  en  le  rapprochant  des 
caricatures  du  boulevard.  » 

«  J'ajouterai  même  qu'il  détruit  l'Opéra  et 
que  depuis  que  le  sieur  Gardel  s'est  emparé  du 
sceptre  de  Terpsichore,  les  fêtes  et  les  ballets 
attachés  aux  poèmes,  sont  sacrifiés  impitoya- 
blement à  des  pantomimes,  dans  lesquelles  on 
subtitue  à  l'exécution  brillante,  à  la  bonne  grâce 
et  à  l'harmonie  des  mouvements,  des  courses 
vagues,  des  gestes  insignificatifs,  et  une  expres- 
sion si  faible  et  si  monotone,  qu'on  a  besoin  du 
secours  du  vaudeville  pour  lui  prêter  quelque  in- 
tention. Ce  nouveau  genre,  si  l'on  peut  lui  don- 
ner ce  nom,  n'a  que  l'avantage  de  pouvoir  être 
exécuté  que  par  des  gens  qui  ne  sauroient 
même  pas  danser,  et  j'ose  avancer,  Monsieur, 
que  tous  les  efforts  d'un  maître  de  ballets,  qui 
ne  tendent  pas  à  la  perfection  de  la  danse,  sont- 
des  efforts  inutiles,  mais  encore  funestes  à 
l'Opéra.  » 

No  verre  ajoute  que  malgré  la  démarche  de 
Mlle  Guimard,  il  ne  peut  vraiment  se  persuader 
qu'elle  lui  attribue  la  chute  de  Mirza,  mais  que 
l'animosité  de  la  danseuse  contre  lui,  vient 
d'une  autre  cause,  que  son  amour-propre  n'ose 


168  LA    GUIMARD. 

pas  avouer.  Elle  vient  cette  animosité,  de  ce 
que  sur  les  instigations  de  la  Guimard,  instiga- 
tions peut-être  perfides,  il  a  fait  danser  à  la  de- 
moiselle Cécile,  le  rôle  NAnnette,  et  que 
quoique  la  chose  ait  été  arrangée  aux  répéti- 
tions, pour  que  la  jeune  danseuse  eût  tous  les 
désagréments  possibles,  il  était  arrivé  que  le 
public  avait  trouvé  à  la  nouvelle  Annette,  une 
taille  svelte,  un  visage  de  quinze  ans,  une  ex- 
pression naïve,  et  qu'elle  avait  été  fort  applau- 
die. C'est  là  son  crime  près  de  la  Guimard,  et 
peut-être  un  plus  grand  encore  ,  c'est  d'avoir 
composé  un  ballet,  pour  les  demoiselles  Cécile 
et  Dorlé  et  de  chercher  à  développer  et  mettre 
en  lumière  les  talents  des  seconds  sujets  '. 

1.  L'Académie  royale  de  musùjue,  par  Campai-don,  vol.  II. 


XLI1 


Ces  rivalités,  ces  jalousies,  ces  mésintelli- 
gences entre  tous  les  sujets  du  Tripot  Lyrique, 
ces  compétitions  haineuses  de  coryphées  mâles 
et  femelles,  coryphées  de  la  danse  ou  du  chant, 
ce  chronique  rebellionnement  des  cabaleurs  et 
des  mauvaises  têtes  à  l'endroit  d'un  gouverne- 
ment de  l'Académie  de  musique,  doublé  de 
l'ambition  occulte  de  se  gouverner  eux-mêmes, 
enfin  la  prétention  avouée  de  la  Guimard  d'être 
l'autorité  suprême  du  lieu,  d'être  la  vraie  direc- 
trice, mettaient  ce  petit  monde  en  un  état  com- 
plet &  anarchie,  constaté  par  la  presse  du  temps. 


13 


XLIII 


De  cette  anarchie,  mieux  qu'aucun  gazctier, 
qu'aucun  nouvelliste,  le  directeur  de  l'Opéra, 
lui-même,  fait  le  tableau  en  une  longue  lettre, 
qu'il  intitule  :  Lettre  en  forme  de  mémoire, 
adressé  à  M.  de  la  Ferté,  intendant  des  Menus, 
par  Antoine  Dauvergne,  dans  laquelle  il  expose 
la  situation  de  l'Académie  Royale  de  musique, 
et  les  intrigues  de  quelques  sujets  du  chant  et 
de  la  danse. 

En  cette  lettre-mémoire,  Antoine  Dauvergne 
expose  que  les  premiers  sujets  de  l'Opéra  ne 
veulent  plus  de  directeur,  ont  l'ambition  de  se 
régir  eux-mêmes. 

Il  raconte  qu'ils  ont  offert  200  000  livres  à  de 
Vismes ,  pour  qu'il  se  démît  en  leur  faveur ,  et 
quand  ils  ont  vu  qu'il  s'obstinait  dans  sa  direc- 
tion, ils  se  sont  mis  à  gaspiller,  au  point  de 
mettre  leurs  habits  en  morceaux  devant  lui;  qu'ils 


LA   GUIMARD.  171 

n'ont  accepté  le  sieur  Berton  qu'à  la  condition 
qu'il  ne  serait  directeur  que  de  nom,  qu'il  fe- 
rait simplement  les  fonctions  d'un  homme  d'af- 
faires, qu'on  le  traiterait  comme  un  camarade, 
et  comme  il  n'avait  pas  tenu  parole,  ils  l'avaient 
fait  mourir  de  chagrin. 

Dauvergne  ajoute  qu'enfin,  après  la  mort  de 
Berton.  les  premiers  sujets  de  l'Opéra  conti- 
nuaient à  ne  pas  vouloir  de  directeur,  ou  s'ils 
étaient  forcés  à  en  subir  un.  ils  en  voulaient  un 
qui  fût  absolument  à  leur  dévotion,  qui  aurait 
été,  selon  son  expression,  un  vain  fantôme  et 
comme  il  avait  été  nommé  contre  leur  gré,  ils 
avaient  tout  fait  pour  le  dégoûter,  et  le  forcer 
à  se  retirer. 

Et  Dauvergne  fait  les  portraits  des  différents 
agents  de  la  cabale. 

C'est  Legros,  qui  ne  lui  pardonnera  jamais 
d'avoir  procuré  à  l'Opéra,  deux  hautes-contre, 
mettant  l'Opéra  en  état  de  supporter  son  ab- 
sence. 

C'est  Dauberval  qu'il  accuse  de  malversa- 
tions dans  la  direction  des  magasins,  et  de  con- 
nivence dans  les  détournements  avec  un  frère 
de  Larrivée. 

C'est  Larrivée  qui  crie  sur  les  toits,  que  Dau- 
vergne ne  fait  pas  sa  place  comme  il  faut,  qu'il 


172  LA   GUIMARD. 

n'entend  rien  à  son  métier,  vomissant,  dans  ses 
fureurs  bachiques,  un  tas  d'injures  contre  tout 
le  monde.  C'est  encore  Larrivée  qu'il  nous 
montre,  le  jour  de  la  mort  de  Durancy,  disant 
férocement  :  «  Elle  est  morte,  tant  mieux,  elle 
nous  coûtait  plus  d'argent  qu'elle  ne  valait!  » 
C'est  ce  Larrivée,  qui  se  fait  bâtir  une  maison 
de  campagne,  lui  ayant  coûté  plus  de  36  000  li- 
vres, qui  a  une  femme  portant  sur  elle  de  10  à 
12  000  livres  de  diamants,  et  dont  la  table  de 
ménage  coûte  par  mois,  1  200  livres  :  Larrivée, 
tout  perdu  de  dettes,  et  qui  a  besoin  de  devenir 
directeur  de  l'Opéra,  conjointement  avec  La 
Salle,  et  par  sa  complaisance. 

Au  fond,  c'est  La  Salle  qui  est  la  vraie  bête 
noire  de  Dauvergne,  La  Salle  qui  ne  s'est  pas 
caché  de  lui  dire,  au  début  de  sa  direction  : 
«  que  s'il  voulait  être  l'homme  du  ministre  et  de 
M.  de  la  Ferté,  il  n'auroit  point  la  confiance  et 
l'amitié  des  acteurs.  Et  La  Salle  révoque  sans 
cesse  les  ordres  que  Dauvergne  a  donnés,  an- 
nonce des  changements  d'opéras,  promet  tel  ou 
tel  rôle  à  tel  ou  tel  sujet,  sans  le  consulter, 
et  au  dire  de  la  lettre,  dans  les  orgies  qui  se  tien- 
nent chez  lui,  cherche  à  soulever  les  esprits, 
pousse  les  acteurs  à  secouer  le  joug  «  à  envoyer 
promener  »  tous  ceux  qui  voudront  fourrer  le 


LA   GUIMARD.  173 

nez  dans  les  affaires  l'Opéra,  afin  qu'ils  puissent 
devenir  les  maîtres,  se  gérer  eux-mêmes,  et  que 
le  ministre  ne  se  mêle  de  leurs  affaires,  que 
comme  les  premiers  gentilshommes  se  mêlent 
de  la  Comédie-Française.  Mais  La  Salle  n'est  à 
proprement  dire  que  l'âme  damnée  de  la  Gui- 
mard,  et  la  personne  surtout  visée  dans  la  lettre 
justificative  de  Dauvergne  est  la  danseuse,  ha- 
bituée à  se  considérer  comme  la  directrice,  et 
déjà  flattée  de  ce  titre  par  ses  camarades.  En- 
tendez-le : 

«  Vous  savez  que...  toutes  les  affaires  de  l'O- 
péra, se  traitent,  dans  des  comités  particuliers, 
chez  MUe  Guimard,  selon  la  volonté  de  cette  de- 
moiselle, ou  les  impulsions  que  la  cabale,  qui  se. 
réunit  dans  ce  centre,  lui  fait  prendre.  C'est  de 
ce  sanctuaire  profane,  ignorant  en  fait  d'admi- 
nistration, partial,  injuste,  où  on  ne  connaît  ni 
lois  ni  bienséances,  où  rien  n'est  respecté,  que 
partent  les  ordres  qui  dirigent  toutes  les  opéra- 
tions d'un  spectacle  qui  appartient  au  Roi,  qui 
intéresse  toute  la  nation,  et  particulièrement 
tanf  de  gens  d'un  mérite  distingué,  des  auteurs, 
des  gens  à  talent,  enfin  d'où  dépend  l'existence 
de  500  personnes,  puisqu'on  ne  fait  rien  au  co- 
mité qui  n'ait  été  décidé  dans  le  comité  parti- 
culier, que  tout  est   soumis  à  la  décision  de 

15. 


174  LA  GUIMARD. 

M"e  Guimard,  que  rien  ne  se  fait  sans  son  atta- 
che. C'est  là,  où  abusant  toujours  de  la  portion 
d'autorité  qu'on  a  donnée  à  quelques-uns,  et  la 
demoiselle  Guimard,  de  la  condescendance  que 
l'on  a  pour  elle,  on  dispose  du  bien  de  tous,  sans 
précaution,  sans  ménagement,  et  avec  profu- 
sion, lorsqu'il  s'agit  de  choses  qui  les  regardent 
particulièrement. 

C'est  ainsi  que  cela  s'est  fait  pour  le  ballet  de 
la  Fête  de  Mirza.  C'est  chez  cette  demoiselle, 
qu'on  a  lu  le  programme  de  ce  ballet.  C'est  elle, 
qui  a,  pour  ainsi  dire,  forcé  M.  Grétry  à  compro- 
mettre sa  réputation,  en  faisant  trop  prompte- 
ment  l'acte  d'opéra  qui  y  a  été  inséré,  chose 
plus  malheureuse  pour  l'Opéra  que  pour  lui, 
parce  que  cela  peut  influencer  sur  le  premier 
ouvrage  qu'il  donnera.  Si  j'avais  eu  le  pouvoir 
de  m'y  opposer  ou  que  j'eusse  été  consulté,  cela 
ne  se  serait  pas  fait,  parce  je  sentais  bien  que  la 
position  était  désavantageuse,  mais  dans  la  po- 
sition où  je  suis,  je  m'en  serois  bien  gardé, 
parce  que  Mlle  Guimard  y  tenoit  si  fortement, 
qu'elle  répondit  aune  personne  lui  disant,  avant 
la  représentation,  que  l'opinion  publique  n'étoit 
pas  en  faveur  de  ce  ballet  «  qu'elle  n'écoutoit 
point  les  propos,  qu'elle  attendoit  les  critiques 
à  la  cinquantième  représentation,  et  lorsqu'il 


LA    GUIMARD.  175 

auroit  rapporté  cent  mille  francs  de  bénéfice. 
Cela  fait  l'éloge  de  ses  connaissances  et  de  son 
goût  »  .  C'est  encore  chez  elle,  qu'on  a  fait  ve- 
nir Bocquet,  qu'on  a  fait  le  programme  des  dé- 
corations et  des  habits,  et  que  l'on  a  commandé 
le  tout,  sans  qu'il  y  ait  de  devis  arrêté  au  comité, 
ni  même  présenté,  sans  que  j'aie  eu  la  moindre 
connaissance  avant  la  représentation,  ni  du  bal- 
let (car  toutes  les  répétitions  s'en  sont  faites 
clandestinement)  ni  de  l'acte  avant  les  répéti- 
tions, ni  des  dépenses  énormes  que  l'on  faisoit 
pour  cela1. 

Plus  loin  Dauvergne  se  plaint,  que  la  demoi- 
selle Guimard  ne  veut  pas  être  doublée  dans  les 
ballets  d'actions,  et  par  conséquent  lorsqu'elle 
ne  peut  pas  danser,  il  n'y  a  point  de  ballet;  de 
plus  elle  a  proscrit  ceux  du  sieur  Noverre  :  non 
seulement  elle  ne  veut  pas  les  danser,  mais  elle 
ne  veut  pas  que  d'autres  les  dansent. 

1.  Dauvergne  dit  encore  dans  son  mémoire  :  «  On  va  dans  la 
loge  de  MUe  Guimard,  on  y  change  le  répertoire  selon  ses 
volontés,  et  souvent  sans  que  je  m'en  doute.  »  Et  la  loge  de 
MIle  Guimard  est  tellement  le  lieu  souverain  de  l'Opéra,  que 
dans  une  lettre  du  30  janvier  1783,  il  écrit  :  «  Il  m'est  re- 
venu, messieurs,  par  trois  personnes  différentes,  que  l'on 
s'était  plaint  dans  la  loge  de  Mlle  Guimard,  et  en  présence 
de  M.  de  Vougny,  de  dépenses  considérables  qu'occasionnait 
M.  Bocquet,  tant  en  peintures  de  décoration  qu'en  habits,  et 
il  est  obligé  de  le  défendre.  » 


176  LA  GUIMARD. 

Enfin  à  la  fin  de  sa  lettre,  Dauvcrgne  croit 
devoir  se  disculper  auprès  de  M.  de  la  Fertéj  dé 
ne  pas  faire  partie  du  monde  qui  fait  visite,  qui 
rend  ses  devoirs  à  la  danseuse. 

<(  Vous  me  faites  quelques  reproches  de 
n'avoir  pas  voulu  me  prêter  à  aller  chez 
M11'"  Guimard.  Si  elle  eût  eu  l'honnêteté  de 
m' engager  elle-même,  j'y  aurois  été  volontiers, 
mais  j'avoue  que  j'aurois  regardé  comme  une 
bassesse  indigne  d'un  homme  en  place,  et  offen- 
sante pour  les  supérieurs  de  qui  il  les  tient, 
d'aller  mendier  son  appui,  sa  protection...  Mais 
quand  j  aurois  pu  me  prêter  à  m'aller  mettre  au 
rang  des  très  humbles  serviteurs  de  son  comité 
particulier,  quel  bien  en  auroit-il  résulté  pour 
la  chose?  C'est  donc  relativement  à  moi,  que 
vous  avez  la  bonté  de  me  témoigner  des  regrets 
sur  mon  indocilité  à  me  prêter  à  cette  complai- 
sance, dans  la  pensée  qu'elle  auroil  pu  me  con- 
cilier les  esprits,  et  que  j 'aurois  pu  m'en  faire 
des  amis.  Mais  après  avoir  réfléchi  sur  le  con- 
seil que  vous  m'aviez  donné,  j'ai  vu  que  je  n'y 
réussirais  jamais ,  qu'il  y  avoit  trop  d'oppo- 
sitions ;  ne  voulant  point  d'ailleurs  me  relâcher 
sur  mes  principes  pour  entrer  dans  les  cabales 
et  les  complots  de  ce  petit  comité,  et  me  prêter 
à  tout  ce  qui  s'y  faisoit  contre  les  autres  sujets, 


LA    GUIMARD.  177 

je  m'y  serois  fait  mille  tracasseries,  où  ils  en 
auroient  traité  particulièrement  à  mon  insu, 
pour  que  je  ne  pusse  pas  m'y  opposer  ou  en 
rendre  compte.  Cela  seroit  donc  revenu  abso- 
lument au  même,  cette  démarche  n'auroit  servi 
qu'à  m'attirer  leur  mépris,  et  celui  des  autres 
sujets.  J'en  juge  pour  tous  les  propos  qui  se 
tiennent  sur  cette  société,  et  celui  que  me  tint 
un  jour  une  des  premières  actrices  :  «  Si  vous 
«  aviez  la  bassesse,  me  dit-elle,  de  vous  prêtera 
«  aller  prendre  les  ordres  de  la  Guimard  dans  sa 
«  loge,  vous  perdriez  l'estime  de  tout  l'Opéra,  et 
«même  du  public,  car  il  n'y  a  personne  qui  ne 
«  trouve  indécents  et  ridicules  les  tons,  qu'elle 
«  se  donne  de  gouverner  l'Opéra!  »  Yoilà  les 
propos  qu'on  m'a  tenus,  plus  d'une  fois,  et  que 
beaucoup  de  gens  tiennent.  Ne  pensez  pas  que 
cette  demoiselle,  et  sa  société  composée  de  quel- 
ques danseurs  et  du  sieur  La  Salle,  aient  tant 
de  prépondérance  dans  la  chose.  Elle  a  perdu 
celle,  que  lui  avoit  donnée  son  zèle  apparent 
pour  le  bien  général,  parce  qu'ils  ont  vu  qu'elle 
en  abusoit  pour  leur  intérêt  particulier,  en 
arrangeant  toujours  l'Opéra  relativement  à 
leurs  prétentions,  pour  devenir  premiers  ac- 
teurs par  leurs  ballets  d'actions.  C'est  par  cette 
raison  que  tous  les  premiers  sujets  ont  tous  re- 


178  LA   GUIMARD. 

fusé  de  chanter  l'acte  d'opéra,  inséré  dans  la 
Fête  de  Mirza,  parce  qu'ils  ont  dit  qu'ils  ne  vou- 
loient  pas  devenir  accessoires  de  la  danse. 
Quelques  propos  que  s'est  permis  la  demoiselle 
(iiiimard,  assaisonnés  d'ordres,  ont  tellement 
achevé  d'indisposer  les  esprits,  que  si  ellen'étoit 
seulement  soutenue  dans  ses  prétentions,  que 
par  ses  camarades,  elle  rentieroit  bientôt  dans  la 
classe,  où  la  place  son  talent,  ce  qui  seroit  fort 
heureux  :  alors  la  paix  et  la  tranquillité  pour- 
roient  renaître  à  l'Opéra,  car,  sans  avoir  peut- 
être  l'intention  de  faire  le  mal,  elle  est  cause  de 
tout  le  désordre,  parce  qu'elle  est  le  soutien  de 
la  cabale.  Les  acteurs  aiment  tant  cette  société, 
que  tout  en  se  plaignant  de  la  dépense  qu'a 
occasionnée  le  ballet  nouveau  qui  leur  enlève  le 
bénéfice  de  l'armée,  et  qu'ils  soient  furieux  de 
la  manière  dont  cela  s'est  fait,  ils  ne  sont  pas 
fâchés  de  sa  chute  et  des  humiliations  qui  l'ont 
suivie,  qui  remettent  la  dame  un  peu  plus  à  sa 
place,  et  ils  disent  que  si  ce  ballet  avoit  réussi, 
avec  la  prépondérance  qu'a  déjà  la  dame,  l'O- 
péra étoit  perdu1.  » 

1.  Académie  Royale  de  Musique,  par  Campardon.  Voir  l'ar- 
ticle Dauverjme. 


XLIV 


Le  8  juin  1781,  sans  doute,  à  la  suite  du  si- 
mulacre du  feu  des  Enfers,  dans  le  3e  acte  d'OR- 
phée,  l'Opéra  prenait  feu,  heureusement  après 
la  sortie  des  spectateurs,  et  heureusement  en- 
core, ne  se  communiquait  pas  au  Palais-Royal. 
Toutefois,  trois  tailleurs,  six  ouvriers  machi- 
nistes, le  danseur  Danguy  sont  brûlés,  Beaupré, 
le  frère  du  célèbre  danseur,  se  tue  en  sautant 
du  troisième  étage.  Mlle  Guimard,  déshabillée 
et  n'ayant  pas  encore  sa  chemise  sur  le  corps, 
étouffe  dans  sa  loge,  sans  oser  en  sortir,  quand 
un  machiniste  vient  à  son  secours,  l'enveloppe 
dans  des  rideaux,  et  l'emporte  à  travers  des 
tourbillons  de  fumée  et  de  flammèches. 

L'incendie  de  1763  avait  fait  inventer  par  les 
tailleurs  et  les  couturières  :  la  nuance  tison;  l'in- 
cendie de  1 781  leur  fit  inventer  :  la  nuance  opéra- 
brûlé  l . 

■  1.  Académie  Impériale  de  Musique,  par  Castil-Blaze,  vol,  I, 


XL  Y 


Sans  un  asile,  sans  un  hangar,  sans  un  toit 
pour  remiser  ses  divinités,  dit  M.  Castil-Blaze, 
l'Opéra  restait  sur  le  pavé  soixante-six  jours,  et 
jusqu'au  mois  d'octobre  ne  donnait  que  quel- 
ques pauvres  et  étriquées  représentations,  dans 
la  salle  des  Menus. 

Aussi  chez  tous  et  toutes,  danseurs  et  dan- 
seuses, chanteurs  et  chanteuses,  qui  ont  reçu 
l'ordre  de  ne  pas  s'éloigner  de  Paris,  une  ému- 
lation à  demander  des  congés,  des  retraites  : 
tous  et  toutes,  l'esprit  tourné  vers  les  rivages  de 
la  Grande-Bretagne  et  les  guinées  de  Drury- 
Lane. 

Alors,  sur  les  ordres  du  ministre  qui  a  le  dé- 
partement de  l'Opéra,  c'est,  jour  et  nuit,  une 
surveillance  de  la  police,  qui  a  l'œil  sur  Yestris, 
sur  Rousseau,  sur  Chéron,  sur  Lays,  dont  elle 
saisit  la  malle  au  bureau  de  la  diligence  de  Va- 


LA   GUIMARD.  181 

lenciennes,  au  moment  où  le  propriétaire  de  la 
malle  allait  passer  en  Belgique,  et  auquel,  pour 
l'empêcher  de  recommencer,  on  fit  signer  cet 
engagement  d'honneur. 

«  Soumission. 

«  Je  soussigné,  François  Lays,  acteur  de  l'Aca- 
démie Royale  de  Musique,  promets  et  m'engage, 
sous  parole  d'honneur,  de  ne  point  sortir  de  Pa- 
ris, sans  une  permission  expresse  du  ministre, 
et  jusqu'à  l'expiration  de  mon  engagement. 

«  A  Paris,  le  28  aoust  1781. 

«  Lays1.  » 


Nivelon,  qui  avait  vainement  demandé  sa 
retraite,  étaitplus  habile,  lui,  et  trouvaitle  moyen 
en  octobre  de  passer  la  frontière,  comme  déjà 
l'avait  passée,  Rousseau,  et  c'est  vraiment  un 
peu  comique, la  campagne  menée  par  le  minis- 
tre des  affaires  étrangères  et  les  agents  diploma- 
tiques de  la  France,  pour  obtenir  l'extradition 
du  joli  danseur. 

D'abord  lettre  d'Amelot  au  comte  de  Yer- 

1.  Registres  des  Menus-Plaisirs  de  la  Bibliothèque  de  l'O- 
péra, vol.  II. 

16 


182  LA   GUIMARD. 

gennes,  l'informant  que  le  sieur  Nivelon,  l'un 
des  premiers  danseurs  de  l'Opéra,  s'est  évadé 
pour  aller  en  Angleterre,  et  le  priant  d'envoyer 
une  lettre  qui  autorise  le  ministre  de  France  à 
Bruxelles,  à  demander  son  arrestation  et  sa  trans- 
lation en  France.  Seconde  lettre  d'Amelot  au 
lieutenant  de  police,  lui  annonçant  que  Nivelon 
est  actuellement  à  Ostende,  et  lui  transmettant 
un  passeport  pour  l'officier  de  police,  chargé  de 
l'exécution  des  ordres  du  Roi,  et  deux  missives 
de  M.  de  Vergennes,  l'une  adressée  à  M.  de  la 
Greze  chargé  des  affaires  du  Roi  à  Bruxelles,  à  la 
fin  qu'il  requière  le  concours  du  gouvernement 
des  Pays-Bas  autrichiens,  pour  l'exécution  de  la 
commission  de  l'officier  de  police,  une  autre 
adressée  à  M.  Garnier,  consul  à  Ostende,  pour 
aider  cet  officier,  de  ses  conseils.  Enfin  nouvelle 
lettre  du  lieutenant  de  police  à  Amelot,  lui  an- 
nonçant qu'il  vient  de  remettre  à  l'instant  les 
ordres  au  sieur  Quidor,  et  qu'il  est  parti  à  cinq 
heures  et  demie  pour  Ostende. 

Quidor  est  l'agent  de  police,  chargé  des  expé- 
ditions dans  le  monde  galant  du  haut  trottoir. 
C'est  lui  qui  sermonne  gentiment  les  actrices, 
qu'il  a  la  mission  de  conduire  au  For-1'Evêque, 
c'est  lui  dont  nous  avons  donné  dans  notre 
Saint-Huberty,  le  rapport  élégant,  le  rapport 


LA  GUIMARD.  183 

talon  rouge,  sur  l'arrestation  de   la  danseuse 
Théodore,  au  château  de  Poinchy1. 

Voici  quelques  fragments  de  ce  nouveau  rap- 
port du  sieur  Quidor,  méritant  d'être  publié, 
comme  un  document  curieux,  sur  l'homme  de 
police  de  l'Opéra  du  xvme  siècle. 

«Aussitôt  mon  arrivée  à  Bruxelles,  vendredi 
matin,  dit-il,  je  me  suis  rendu  chez  M.  de  la 
Grèze,  chargé  des  affaires  de  France,  d'après 
la  lettre  de  M.  de  Yergennes  et  l'ordre  dont 
j'étais  porteur,  et  que  je  lui  ai  communiqués.  Il 
a  fait  sur-le-champ  un  mémoire,  qu'il  a  rendu 
à  M.  le  comte  de  Staremberg,  avec  l'attention 
dont  nous  étions  convenus,  de  ne  point  parler  de 
la  qualité  de  Nivelon,  ni  du  grief  qui  faisait 
désirer  sa  capture,  parce  que  le  conseil  s'était 
refusé  à  une  pareille  demande  contre  le  sieur 
Rousseau,  fugitif,  au  mois  d'août  dernier.  » 

Là-dessus ,  il  arrivait  une  réponse  du  Con- 
seil demandant  des  explications,  demandant  la 
qualité  de  l'homme,  le  grief  qu'on  avait  à  lui 
reprocher,  et  de  quelle  prison  il  sortait,  et  si  sa 
famille  s'était  jointe  au  ministre,  pour  demander 
l'extradition,  enfin  un  tas  de  détails,  qui  parais- 
saient à  Quidor  un  prétexte,  pour  donner  à  Ni- 
velon le  temps  de  s'embarquer. 

1.  Voir  Madame  Saint-Huberty,  page  53. 


18!  LA  GUIMAUD. 

Tout  de  suite,  il  partait  pour  Ostende,  où  il 
ne  voulait  pas  être  prévenu  par  Noverre,  Gar- 
del  le  jeune,  la  demoiselle  Théodore,  qui  y 
étaient  attendus  d'un  instant  à  l'autre,  et  où 
Nivelon  pouvait  s'embarquer,  le  jour  même, 
sur  des  paquebots  flamands  et  anglais,  partant  à 
toute  heure,  suivant  le  vent. 

Son  intention  n'était  pas  de  solliciter  près  du 
bailli  l'emprisonnement  de  Nivelon,  mais  seu- 
lement, en  attendant  la  décision  du  Conseil, 
l'opposition  à  son  embarquement,  avec  la  de- 
mande qu'il  fût  gardé  à  vue,  à  ses  frais. 

Ici  laissons  Quidor  parler.  «  J'aurais  eu  gain 
de  cause,  parce  que  resté  seul  dans  une  ville, 
où  il  n'y  a  pas  quatre  Français,  où  tout  se  vend 
au  poids  de  l'or,  et  abandonné  de  ses  camarades, 
je  lui  aurais  fait  envisager  d'un  côté,  l'affront  de 
se  voir  arrêter,  après  la  réponse  de  Bruxelles, 
que  je  lui  aurais  annoncée  comme  certaine  par 
l'influence  de  la  France,  puis  conduit  à  Paris, 
pour  être  détenu  sfx  mois  en  prison,  au  secret, 
et  traîné  sur  le  théâtre,  chaque  jour  ;de  repré- 
sentation. De  l'autre  côté,  je  lui  aurais  assuré 
par  écrit  son  pardon ,  avec  l'espérance  d'une 
amélioration  de  sort,  s'il  consentait  à  revenir 
volontairement  en  France,  avec  moi. 

«  J'ai  lieu  de  présumer  que  ces  deux  tableaux, 


LA  GU1MARD.  185 

présentés  à  propos,  lui  auraient  fait  prendre  ce 
second  parti,  malheureusement  il  était  déjà  en 
Angleterre,  depuis  huit  jours.  C'est  M.  Vezelay, 
dont  les  uns  représentent  Nivelon,  comme  le 
fils  naturel,  les  autres  comme  le  giton,  qui  lui 
a  obtenu  un  passeport  du  ministre  de  la  marine, 
et  qui  l'a  accompagné  en  Angleterre.  Le  finan- 
cier lui  a  déjà  assuré  6  000  livres  de  rente, 
et  promet  de  les  doubler  à  sa  majorité...  » 

Donc  le  ministre,  et  M.  de  la  Ferté,  etDauver- 
gne  passaient,  toute  cette  fin  d'année  1781,  des 
jours  anxieux,  craignant,  à  tout  moment,  d'ap- 
prendre que  la  coryphée  du  chant  ou  de  la  danse, 
une  telle,  ou  le  coryphée  du  chant  ou  de  la 
danse,  un  tel  n'ait  trompé  la  surveillance  de  la 
police,  et  franchi  la  frontière  belge.  Et  quoi- 
que la  fortune  de  Mlle  Guimard  la  mît  dans  une 
position,  où  selon  l'expression  de  M.  de  la 
Ferté  «  elle  devait  fort  peu  s'embarrasser  de 
l'Angleterre  »,  il  n'était  rassuré  qu'à  demi,  et 
demandait  au  ministre  de  l'attacher,  et  de  la 
retenir  par  la  perspective  d'avantages  et  de 
rémunérations. 


16. 


XLYI 


A  la  fin  de  juillet,  six  semaines  après  l'in- 
cendie de  l'Opéra,  l'architecte  Lenoir  avait  pris 
l'engagement,  moyennant  200  000  livres,  de 
bâtir  sur  un  terrain  qui  lui  appartenait  sur  le 
boulevard,  près  la  porte  Saint-Martin,  une  salle 
provisoire,  à  quatre  rangs  de  loges,  et  dans  les 
dimensions  prescrites,  s'engageant  à  la  livrer, 
entièrement  terminée,  de  façon  que  le  spectacle 
y  puisse  être  donné,  le  5  octobre  de  la  même 
année1. 

L'attente  impatiente  de  l'ouverture  du  nouvel 
Opéra  était  générale,  et,  le  6  octobre,  le  mi- 
nistre écrivait  à  M.  de  la  Ferté  :  «  Où  en  est 
notre  salle?  Prend-elle  couleur?  Et  peut-on  fixer 
le  jour  où  elle  sera  entièrement  prête?  J'avoue 
que  j'en  ai  chaque  jour  un  redoublement  d'im- 
patience! » 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  VII. 


LA    GUIMARD.  187 

Le  ministre  priait  M.  de  la  Ferté  de  donner 
toute  son  attention,  à  ce  qu'il  soit  apporté  la 
plus  grande  économie,  pour  l'ameublement  de 
l'Opéra,  et  celui  des  loges  des  acteurs  et  des  ac- 
trices. Et  comme  il  connaissait  les  exigences  de 
Mlle  Guimard,il  voulait  qu'il  fût  fait  un  état  de 
ce  qui  avait  pu  échapper  à  l'incendie  de  la  loge 
de  Mlle  Guimard,  afin  que  les  objets  mobiliers  du 
petit  foyer  puissent  être  réemployés. 

Et  justement,  dix  jours  avant  l'ouverture  de 
l'Opéra  du  boulevard  Saint-Martin1,  qui  n'avait 
lieu  que  le  27  octobre,  sa  nouvelle  loge,  cette 
loge  quasi  directoriale,  et  pour  laquelle  on 
avait  fait  de  grands  frais2,  Mllc  Guimard  la 
trouvait  trop  grande,  trop  haute,  demandait  des 
retranchements,  prétendant  qu'elle  y  gèlerait  : 


1.  C'est  la  salle  actuelle  de  la  Porte-Saint-Martin,  dont  la 
solidité  était  essayée,  le  27  octobre,  par  6  000  personnes,  et 
ou  après  le  spectacle,  il  était  fait,  sur  le  théâtre,  une  distribu- 
tion de  pain  et  de  vin,  et  où  les  poissardes  avec  les  charbon- 
niers formaient  des  danses  et  chantaient  des  chansons  gri- 
voises. 

2.  L'architecte  Lenoir  semble  un  architecte  plein  d'atten- 
tion pour  les  femmes,  il  disait  en  effet,  quelques  jours  avant 
l'ouverture  de  l'Opéra,  dans  un  mémoire  qui  avait  la  publicité 
du  journal  : 

«  J'ai  l'honneur  de  prévenir  les  dames  que  je  n'ai  point 
employé  de  plâtre  dans  tout  l'intérieur  de  la  salle  ;  on  voit  les 
bois  à  découvert  :  ils  ont  été  lattes  pour  recevoir  la  toile 
peinte  qui  en  fait  le  fonds.  » 


188  LA   GUIMARD. 

demande  à  laquelle  M.  de  la  Ferlé  prenait  le 
parti  de  ne  pas  répondre,  assuré  que  le  mi- 
nistre n'approuverait  pas  cette  augmentation 
de  dépense. 

Mais  avec  la  Guimard,  il  fallait  toujours  céder 
et  à  quelques  jours  de  là,  le  pauvre  M.  de  la 
Ferté  était  obligé  d'écrire  au  ministre  :  «  qu'on 
ne  pouvait  refuser  à  MUe  Guimard  le  petit  entre- 
sol qu'elle  demande,  et  que  cela  n'occasionne- 
rait pas  beaucoup  de  dépense1  ». 

i.  Registres  des  Menus  Plaisirs  de  la  Bibliothèque  de  l'O- 
péra, vol.  2. 


XLVII 


Tout,  enfin,  est  un  motif  à  disputes,  à  cha- 
maillades,  à  altercations,  entre  le  directeur  et  la 
danseuse,  et  même  les  nominations  qui  sont 
faites,  en  dehors  de  Dauvergne,  à  l'Académie  de 
Musique  par  le  gouvernement. 

S'agit-il,  en  cette  année  1781,  de  donner  du 
pain  à  Suard,  qui,  se  trouvant  dans  la  position 
la  plus  précaire,  avait  eu  l'intelligence  et  l'ha- 
bileté de  persuader  à  Amelot,  que  depuis  que 
les  auteurs  étaient  les  maîtres  de  l'Académie 
de  Musique,  cette  république  était  devenue  un 
tripot,  où  le  goût  et  les  principes  de  l'art  se  per- 
daient absolument,  et  qu'il  était  du  plus  grand 
intérêt  qu'on  ôtât  au  comité  le  jugement  des 
ouvrages,  et  principalement  des  poèmes,  et  que 
ce  jugement  il  se  le  réservât,  ou  plutôt  il  le  ré- 


190  LA  GUIMARD. 

servàt  audit  Suard,  moyennant  un  traitement 
de  2  400  livres1. 

Là-dessus,  Guimard,  forte  de  la  mauvaise  hu- 
meur des  auteurs,  apprenant  que  la  réception 
des  pièces  faites,  était  regardée  comme  non  ave- 
nue, ainsi  que  le  rang  qui  leur  avait  été  donné 
pour  être  jouées,  Guimard  se  montrait,  selon 
l'expression  de  M.  de  la  Ferté,  fort  estomaquée, 
et  devant  la  rumeur,  qu'il  sentait  exciter  par  la 
danseuse  chez  ses  camarades,  l'intendant  des 
Menus  avouait  au  ministre,  qu'il  avait  pris  le 
parti  de  dire  :  «  que  c'était  l'ordre  du  Roy  qui 
avait  jugé  à  propos  d'attacher  un  censeur  à  l'O- 
péra2 ». 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XXI. 

2.  Archives  de  la  Bibliothèque  de  l'Opéra,  vol.  I. 


XLVIII 


En  ces  premiers  mois  de  Tan  1782,  en  ces  ap- 
proches de  la  nouvelle  année  théâtrale,  la  pen- 
sée de  Mlle  Guimard  semble  entièrement  tour- 
née vers  l'octroi  d'un  traitement  égal  au  petit 
Vestris,  un  traitement  de  6  000  livres  :  trai- 
tement dont  l'obtention  est,  chez  la  danseuse, 
encore  plus  une  satisfaction  de  vanité,  qu'une 
satisfaction  d'argent1  ! 

Elle  intéresse  à  sa  cause  la  Reine,  qui,  lors- 
qu'il y  a  un  ballet  à  la  Cour,  la  demande  tou- 
jours expressément,  quitte  au  directeur  à  faire 


1 .  Quand  en  1772,  à  la  suite  d'un  petit  ballet  donné  par 
Mme  du  Barry  au  Roi,  la  Guimard  qui  y  avait  dansé,  est  payée 
de  sa  danse  par  une  pension  de  1 500  livres,  les  Mémoires 
secrets  disent  :  «  Cette  légère  faveur  a  été  acceptée  à  cause 
de  la  main  dont  elle  vient,  car  on  "sent  que  ce  n'est  qu'une 
goutte  d'eau  dans  la  mer;  et  les  Mémoires  volent  le  mot  de 
Sophie  Arnould  :  «  J'en  ferai  compliment  à  Guimard,  voilà 
«  de  quoi  payer  son  moucheur  de  chandelle  !  » 


192  LA  GUIMARD. 

l'impossible  pour  s'en  passer.  Elle  obtient  donc 
que  la  Reine  veuille  bien  parler  en  sa  faveur  au 
Roi,  et  solliciter  ses  bontés,  et  elle  fait  insister 
par  M.  de  la  Ferté  auprès  du  ministre,  sur  le 
plaisir  qu'elle  fait  et  peut  faire  encore  long- 
temps au  public,  «  vu  son  air  de  jeunesse  au 
théâtre  et  les  bons  services  qu'elle  a  rendus 
à  la  Ville  et  la  Cour,  depuis  vingt  ans...  »  et 
lorsqu'elle  s'aperçoit  que  la  grâce  traîne,  elle 
refuse  de  danser,  si  l'on  ne  termine  pas  son 
affaire,  en  sorte  que  ce  pauvre  de  la  Ferté  est 
dans  la  nécessité  de  mander  au  ministre,  qu'il 
serait  bon  qu'il  mette  Sa  Majesté,  à  même  de  le 
faire  promptement. 

A  cet  appel,  le  ministre  Amelot  répond  à 
M.  de  la  Ferté,  à  la  date  du  12  avril  : 

«  J'ai  rendu  compte  au  Roi,  monsieur,  du  dé- 
sir que  MUe  Guimard  avait  d'obtenir  une  marque 
particulière  de  ses  bontés,  en  portant  son  trai- 
tement à  la  somme  de  6  000  livres.  J'ai  fait  va- 
loir avec  plaisir  les  preuves  de  zèle  qu'elle  a 
toujours  données  pour  son  service,  tant  à  la 
cour  qu'à  Paris.  Sa  Majesté  ayant  consenti  à  lui 
compléter  un  traitement  de  6  000  livres,  je  me 
suis  fait  représenter  les  objets  pour  lesquels, 
elle  était  employée  dans  les  Etats  du  Roi,  et  je 
l'ai  trouvée  portée  pour  1  500  francs  d^ne  gra- 


LA   GUIMARD.  193 

tification  annuelle  portée  ci-devant  sur  les  Etats 
des  Menus,  et  convertie  depuis  1779,  en  une 
pension  sur  le  Trésor  royal.  Plus  2  000  francs 
en  qualité  de  première  danseuse  sur  l'état  de  la 
musique.  A  ces  deux  objets,  Sa  Majesté  a  con- 
senti, pour  compléter  les  6  000  francs,  d'ajouter 
2  500  francs,  qui  lui  seront  payés  annuellement 
sur  le  Trésor  royal.  Je  rends  trop  de  justice  à 
la  façon  de  penser  de  Mlle  Guimard,  pour  n'être 
pas  persuadé  qu'elle  sentira  tout  le  prix  de  cette 
faveur,  et  qu'elle  sera  pour  elle  un  motif  de 
continuer  à  donner  des  preuves  de  son  zèle.  » 

A  la  suite  de  la  lettre  d'Amelot,  on  trouve 
sur  le  registre  faisant  partie  de  la  bibliothèque 
de  l'Opéra,  la  copie  de  la  supplique  de  la  dan- 
seuse, datée  du  21  avril  : 

«  La  Dllc  Guimard,  danseuse  de  V Opéra,  sup- 
plie Sa  Majesté  de  lui  accorder  un  traitement 
particulier  pareil  à  celui  du  jeune  Vestris  :  c'est- 
à-dire  une  gratification  annuelle  de  deux  mille 
cinq  cents  livres. 

«  Les  services  assidus  qu'elle  a  faits  à  la  Cour 
et  à  la  Ville ,  depuis  vingt  ans ,  paroissent  la 
rendre  susceptible  de  cette  grâce. 

«  La  Dlle  Heynel  avoit  également  obtenu  du 
feu  Roi,  un  traitement  particulier . 

Et    en    marge   il  y  a  écrit  :   «  Le  bon  du 

17 


194  LA   GUIMARD. 

Roi  est  déposé  au  bureau  de  M.   Philidor.  » 
Sur   cette    supplique    Amelot    écrivait,    le 
22  avril,  cette  lettre  à  la  danseuse  : 

«  J'ai  mis  sous  les  yeux  du  Roi,  mademoiselle, 
le  désir  que  vous  aviez  d'obtenir  de  ses  bontés 
un  traitement,  pareil  à  celui  du  sieur  Vestris  fils. 
J'ai  fait  valoir,  avec  grand  plaisir,  le  zèle  dont 
vous  n'aviez  cessé  de  donner  des  preuves  dans 
toutes  les  occasions.  Sa  Majesté  a  consenti  à 
vous  accorder  une  gratification  annuelle  de 
2  500,  pour  faire  avec  les  2  000,  que  vous  avez, 
comme  première  danseuse  des  ballets  de  la 
cour,  et  les  1  500  francs  de  pension,  dont  vous 
jouissez  déjà,  un  traitement  de  6  000  fr.  Le  Roi 
s'est  déterminé  à  vous  accorder  cette  grâce,  non 
seulement  pour  récompenser  vos  bons  services, 
mais  sur  l'espérance  que  vous  ne  les  discon- 
tinuerez pas,  tant  à  la  Cour  qu'à  Paris.  Vous 
connaissez,  mademoiselle,  la  sincérité  de  mes 
sentiments  pour  vous.  » 

Mais  cette  lettre,  M.  de  la  Ferté  ne  la  trans- 
mettait pas,  du  moins  tout  de  suite,  à  M1Ie  Gui- 
mard.  Il  demandait  au  ministre  d'écrire  à  la 
danseuse  «  de  se  rendre  à  ses  ordres  sans  lui 
dire  pourquoi  »  et  là,  dans  une  conversation 
ministérielle,  de  lui  faire  bien  comprendre  que 
les  2  500  livres  complétant  à  toujours  son  sort 


LA  GUIMARD.  195 

de  6  000  livres,  lui  créaient  une  situation  tout 
autre  que  celle  de  Vestris,  qui  n'était  qu'une  si- 
tuation précaire,  et  reposant  seulement  sur  une 
gratification  sur  simple  ordonnance.  M.  de  la 
Ferté  priait  aussi  le  ministre  de  bien  recom- 
mander à  Mlle  Guimard  de  ne  pas  ébruiter  cette 
grâce,  dont  la  divulgation  pouvait  exciter  la 
jalousie  d'autres  sujets,  dont  les  talents  pré- 
cieux étaient  indispensables  à  l'Opéra. 


XLIX 


Le  grand  événement  parisien  de  la  fin  de 
Tannée  de  1782,  est  la  serenissime  '  banqueroute 
du  prince  de  Guéménée,  dont  la  femme,  gou- 
vernante des  Enfants  de  France,  était  la  fille  du 
prince  de  Soubise  :  une  banqueroute  s'élevant 
à  plusieurs  millions  de  rentes  viagères,  et  qui 
comptait  trois  mille  créanciers,  où  il  y  avait 
beaucoup  de  pauvres  diables,  nombre  d'hommes 
de  lettres,  de  militaires  retraités,  de  domes- 
tiques. 

Il  se  répandait  alors  dans  le  public,  que  devant 
cette  ruine  de  la  fille  du  prince,  la  Guimard  et 
le  bataillon  des  danseuses  pensionnées  par  le 
sultan  de  l'Opéra,  ce  petit  monde  pris  d'un  beau 
mouvement  de  pitié  pour  les  victimes  de  la  ban- 
queroute, avait  dans  une  lettre,  rédigée  dans  la 
loge  de  la  Guimard,  renoncé  à  leurs  pensions, 

1.  Expression  du  marquis  de  Villettc,  citée  par  Chamfort. 


LA  GUIMARD.  197 

en  demandant  qu'elles  soient  reversées  sur  les 
créanciers  du  prince  de  Guéménée,  et  il  y  avait 
dans  le  public  une  grande  curiosité  à  se  procu- 
rer des  copies  de  cette  lettre. 

Enfin  des  copies  étaient  distribuées  parmi  les 
habitués  de  l'Opéra,  et  c'était  pour  eux  une  dé- 
ception, car  ils  ne  savaient  trop  si  la  lettre 
n'était  point  ironique  et  l'œuvre  d'un  mystifica- 
teur. 

Du  reste,  donnons-la  cette  lettre  ! 

Lettre  de  M11'  Guimard,  et  autres  dan&eases  de 
V Opéra,  à  M.  le  prince  de  Soubise. 

«  Monseigneur, 

«  Accoutumées,  moi  et  mes  camarades,  à  vous 
posséder  dans  notre  sein,  chaque  jour  de  repré- 
sentation du  Théâtre-Lyrique,  nous  avons  ob- 
servé avec  le  regret  le  plus  amer,  que  vous 
étiez  sevré  non  seulement  du  plaisir  du  spec- 
tacle, mais  qu'aucune  de  nous  n'avoit  été  ap- 
pelée à  ces  petits  soupers  fréquents,  où  nous 
avions  tour  à  tour  le  bonheur  de  vous  plaire  et 
de  vous  amuser.  La  renommée  ne  nous  a  que 
trop  instruites  de  la  cause  de  votre  solitude,  et 
de  votre  juste  douleur.  Nous  avons  craint  jus- 
qu'à présent  de  vous  y  troubler,  faisant  céder  la 

17. 


198  LA    GUIMARD. 

sensibilité  au  respect,  nous  n'oserions  même 
encore  rompre  le  silence,  sans  le  motif  pressant 
auquel  ne  peut  résister  notre  délicatesse.  Nous 
nous  étions  flattées,  Monseigneur,  que  la  ban- 
queroute (car  jl  faut  bien  se  servir  d'un  terme, 
dont  les  foyers,  les  cercles,  les  gazettes,  la 
France  et  l'Europe  entière  retentissent),  que  la 
banqueroute  de  M.  le  prince  de  Guéménée  ne 
seroit  pas  aussi  énorme  qu'on  l'annonçoit,  que 
les  sages  précautions  prises  par  le  Roi  pour 
assurer  aux  réclamants  les  gages  de  leurs 
créances,  pour  éviter  les  déprédations  et  les 
frais  plus  funestes  que  la  famine  môme  ne  frus- 
treroient  pas  l'attention  générale  ;  mais  le  dés- 
ordre est  monté  sans  doute  à  un  point  si  exces- 
sif, qu'il  ne  reste  aucun  espoir.  Nous  en  jugeons 
par  les  sacrifices  généreux  auxquels  à  votre 
exemple  se  résignent  les  principaux  chefs  de 
votre  illustre  maison. 

«  Nous  nous  croirions  coupables  d'ingrati- 
tude, si  nous  ne  vous  imitions,  en  secondant 
votre  humanité,  si  nous  ne  vous  reportions  les 
pensions  que  nous  a  prodiguées  votre  muni- 
ficence. Appliquez  ces  revenus,  Monseigneur, 
au  soulagement  de  tant  de  militaires  souffrants, 
de  tant  de  pauvres  gens  de  lettres,  de  tant  de 
malheureux  domestiques,  que  M.  le  prince  de 


LA   GUIMARD.  199 

Guéménée  entraîne  dans  l'abime  avec  lui.  Pour 
nous,  nous  avons  d'autres  ressources,  nous 
n'aurons  rien  perdu,  Monseigneur,  si  vous  nous 
conservez  votre  estime  ;  nous  aurons  même  ga- 
gné, si  en  refusant  vos  bienfaits,  nous  forçons 
nos  détracteurs  à  convenir  que  nous  n'en  étions 
pas  tout  à  fait  indignes. 

«  Nous  sommes  avec  un  profond  respect,  etc.  » 

A  la  loge  de  M"0  Guimard,  ce  vendredi,  6  décembre  1782 l. 

Du  reste,  ceux  qui  ont  voulu  donner  la  lettre 
à  la  Guimard,  et  attribuer  le  ton  d'ironie  de  la 
missive  au  refroidissement  de  la  danseuse  avec 
le  prince,  sont  dans  l'erreur.  Si  la  Guimard 
n'était  plus  la  maîtresse  du  prince  de  Soubise, 
pour  perpétuer  son  empire  sur  le  magnifique 
seigneur,  elle  avait  substitué  à  sa  personne  au- 
près de  son  ancien  amant,  MUo  Zacharie  sa 
nièce  et  son  élève,  un  tendron  de  quinze  ans.  Et 
le  prince  qu'on  avait  dit,  après  la  banqueroute 
de  son  gendre,  ne  mangeant  et  ne  dormant  plus, 
s'était  vile  remis  de  sa  douleur  et  de  ses  projets 
de  retranchements,  dans  les  bras  de  la  jeune 
danseuse,  à  laquelle  il  donnait,  disait-on,  2  000 
écus  par  mois. 

1.  Mémoires  secrets,  vol.  XXI. 


A  la  date  de  l'année  1783,  nous  possédons  un 
curieux  document  critique  sur  le  chant  et  la 
danse  de  l'Opéra,  rédigé  par  M.  de  la  Ferté, 
pour  renseigner  le  ministre  de  la  maison  du  Roi, 
sur  les  talents,  les  défauts,  les  habitudes,  les  ca- 
ractères, les  exigences  des  sujets  de  l'Académie. 

Pour  la  danse,  après  rémunération,  chez  les 
danseurs,  de  Gardel  aîné,  maître  de  ballets,  de 
Gardel  jeune,  premier  danseur  sérieux,  de  Ves- 
tris  fils,  premier  danseur  demi-caractère  et 
comique,  de  Nivelon  premier  danseur  demi- 
caractère,  de  M.  Favre  remplaçant  le  sieur 
Garde!  dans  le  genre  sérieux,  de  MM.  Laurent 
et  Lefèvre,  danseurs  comiques,  de  MM.  Huard 
et  Frédéric  danseurs  en  double,  c'est  rénumé- 
ration des  danseuses,  à  la  tête  desquelles  M.  de 
la  Ferté  nous  peint  la  Guimard,  comme  la 
directrice  occulte  de  l'Opéra. 


LA   GUIMARD.  201 

DANSEUSES 

DUe  Guimard.  —  Première  danseuse  de  demi- 
caractère.  Tout  le  monde  connaît  son  talent,  elle 
a  l'air  encore  très  jeune  au  théâtre,  si  elle  n'a 
pas  une  grande  exécution  pour  la  danse,  elle  a 
en  récompense  beaucoup  de  grâce,  elle  est  très 
bonne  pour  les  ballets  d'action  et  de  panto- 
mime, elle  a  beaucoup  de  zèle,  et  travaille 
beaucoup,  mais  elle  est  d'une  dépense  immense 
pour  l'Opéra,  où  ses  volontés  sont  suivies  avec 
autant  de  respect,  que  si  elle  en  était  directrice. 
A  son  exemple, les  autres  danseuses  exigent  des 
habits  et  des  renouvellements  fort  chers. 
Mlle  Guimard  ayant  sçu  qu'il  avait  été  accordé 
un  traitement  particulier  de  4  800  francs  au 
sieur  Yestris,  a  exigé  la  même  chose  ;  il  lui  a  été 
accordé  en  faveur  de  ses  anciens  services. 

Dlle  Peslin.  —  Première  danseuse  comique; 
elle  est  hors  de  combat,  ce  n'est  que  par  com- 
plaisance pour  Mlles  Saint-Huberty  et  Guimard, 
qu'on  l'a  conservée  depuis  deux  ans,  mais  elle 
est  prévenue  qu'elle  doit  se  retirer  à  Pasques 
prochain. 

DUe  Dorival.  —  Premier  remplacement  dans 
le  demi-caractère.  Elle  a  du  talent,  mais  elle  l'a 
beaucoup  négligé,  pour  ne  s'occuper  que  de  son 


202  LA   GUIMARD. 

plaisir,  cependant  elle  a  plus  travaillé  depuis 
quelque  temps;  c'est  une  mauvaise  tète,  elle  a 
beaucoup  de  caprices.  Si  elle  veut  travailler, 
elle  est  faite  pour  remplacer  la  demoiselle  Gui- 
mard,  surtout  dans  la  pantomime. 

DUc  Dorlé.  —  Remplacement  dans  le  genre 
sérieux.  C'est  une  danseuse  remplie  de  bonne 
volonté,  qui  travaille  tous  les  jours  j  le  sieur 
Vestris  est  son  maître.  Mais  elle  est  aujourd'hui 
tout  ce  qu'elle  sera  jamais;  elle  sera  toujours 
utile  dans  la  place  de  remplacement  qu'elle 
occupe,  et  même  l'on  croit  pouvoir  assurer 
qu'elle  y  remplira  bien  son  devoir,  et  même 
avec  quelque  agrément  vis-à-vis  du  public; 
mais  il  seroit  malheureux,  que  faute  d'autres 
sujets,  l'on  fût  obligé  de  lui  confier  la  première 
place  de  première  danseuse  du  genre  sérieux. 

DUe  Dupré.  —  Danseuse  de  demi-caractère. 
L'on  a  fait  venir  cette  danseuse  de  Naples,  où 
elle  occupait  la  première  place;  elle  a  beaucoup 
réussi  à  l'Opéra,  mais  sa  taille  n'est  pas  très 
avantageuse  pour  la  première  place  du  genre 
sérieux  où  elle  prétend.  Elle  est  actuellement 
absente  pour  aller  remplir  un  engagement  pour 
le  carnaval,  qu'elle  avoit  à  Milan,  à  Turin.  Elle 
doit  revenir,  on  décidera  à  Pasques  de  son  sort, 
mais  il  seroit  à  désirer  que  l'on  ne  disposât  pas 


LA   GUIMARD.  203 

encore  de  la  première  place,  et  que  l'on  attendit 
à  l'année  suivante,  pour  s'il  ne  se  présenteroient 
pas  quelques  sujets,  qui  auroient  plus  de  dispo- 
sitions pour  remplir  cette  place. 

Dllc  Gervais.  — Danseuse  comique.  La  place 
de  la  demoiselle  Peslin  lui  est  assurée  pour 
Pasques,  et  c'est  justice  :  cette  danseuse  est 
remplie  de  zèle,  elle  est  infatigable,  ne  se  refuse 
à  rien,  et  danse  au  besoin  tout  ce  que  l'on  veut, 
«t  même  plusieurs  actes  dans  un  Opéra. 


LI 


Au  mois  d'avril  de  cette  année  1783,  le  mi- 
nistre Amelot,  étant  désireux  de  retarder  d'un 
an,  la  retraite  du  chanteur  Legros.  M.  de  la 
Ferté  avait  été  assez  habile  pour  faire  écrire 
une  lettre  par  quelques  membres  du  comité, 
demandant  à  Legros  de  continuer  ses  services  à 
l'Opéra,  en  même  temps  qu'il  faisait  solliciter 
parles  signataires  de  cette  lettre,  son  beau- frère, 
Morel  de  Chefdeville,  de  vouloir  bien  assister  à 
rassemblée  de  tous  les  copartageants,  convo- 
qués par  le  ministre,  pour  s'occuper  du  départ 
et  de  la  rentrée  de  Legros,  séance  à  la  suite  de 
laquelle  le  ministre  le  faisait  remercier  d'avoir 
péroré  tant  de  mauvaises  têtes1. 

Or,  à  la  nouvelle  que  le  ministre,  sur  le  désir 
des  camarades  de  Legros,  avait  décidé  le  chan- 

1.  L'Opéra  secret  au  xvme  siècle,  par  Adolphe-Jullien.  Rou- 
vcyrc,  J8SC. 


LA   GUIMARD.  205 

leur  à  faire  encore  l'essai  de  ses  forces  et  de  son 
zèle  pendant  l'année,  la  Guimard  se  figurant  que 
le  ministre  avait  l'idée  de  l'élever  à  la  place  de 
directeur,  et  redoutant  l'immixtion,  dans  le  gou- 
vernement de  l'Opéra,  de  Morel  de  Chefdeville, 
connu  comme  un  parfait  intrigant,  et  par  là- 
dessus  se  trouvant,  dans  le  moment,  très  montée 
contre  Dauberval,  maintenu,  au  prix  de  grands 
sacrifices  d'argent,  par  le  ministre  et  l'intendant 
des  Menus,  comme  maître  de  ballets,  malgré  le 
désir  exprimé  par  lui  de  s'en  aller,  —  la  Gui- 
mard menacée  dans  sa  toute-puissance  directo- 
riale, écrivait  le  même  jour  à  Monsieur  de  la 
Ferté,  cette  lettre  superbe. 

«   16  avril  1 783. 

«  J'ai  appris  aujourd'hui,  monsieur,  des  cho- 
ses qui  me  paroissent  si  incroyables,  que  je  ne 
pourrai  y  ajouter  foi,  qu'autant  que  voudrez 
bien  me  les  certifier  vous-même. 

«  Est-il  vrai  que  vous  voulez  garder  M.  Legros 
à  l'Opéra,  non  pour  chanter,  mais  pour  en 
faire  un  président  de  comité. 

«  Est-il  pareillement  vrai  que  vous  gardez 
M.  Dauberval,  en  qualité  de  danseur  et  d'adjoint 
aux  ballets,  avec  un  traitement  de  S  000  livres, 
dont  3000,  comme  retraite  de  maître  de  ballets 

18 


206  LA   GUIMARD. 

et  1 500,  comme  inspecteur  de  l'École  de  la  danse, 
ce  qui  joint  aux  1 500  livres  de  pension  qu'il  a 
du  Roi,  lui  fer  oit  un  traitement  de  9500  livres. 

«  Je  le  répète  encore,  je  ne  puis  le  croire.  Je 
vous  ai  toujours  connu  trop  franc,  et  trop  hon- 
nête, pour  qu'il  soit  possible,  que  vous  soyez  ca- 
pable d'une  injustice  aussi  grande  envers  des 
gens  honnêtes,  et  qui  ont  tout  sacrifié  pour  bien 
servir  et  contenter  le  public.  D'ailleurs  le  projet 
est  si  peu  d'accord  avec  les  principes  de  l'éco- 
nomie, que  vous  n'avez  cessé  de  nous  prêcher,  que 
ce  m'est  encore  une  raison  de  plus  de  n'y  pas 
ajouter  foi. 

<(  Car  en  seroit-ce  une,  de  donner  S  000  livres 
à  Dauberval,  qui  m'a  dit,  et  qui  dit  à  qui  veut 
ï entendre  que,  si  on  veut  le  garder  à  l'Opéra,  il 
prendra  l'argent  et  ne  fera  rien  (sur  cet  article 
je  le  crois  sincère!)  En  seroit-ce  encore  une  de 
garder  M.  Legros  comme  président?  A  quoi  se- 
r oit-il  bon.  Si  ces  projets  viennent  de  Morel,  ma 
foi,  Une  lui  font  pas  honneur. 

«  Et  puis  que  deviendroit  la  promesse  que 
vous  avez  faite  à  Nivelon,  et  en  général  que  de- 
viendrait l'Opéra? 

ce  Vous  vous  trompez  si  vous  croyez  que  les 
sujets  souffrent  cette  injustice!  Je  suis  trop  fran- 
che pour  ne  pas  vous  avertir,  et  vous  iï ignorez 


LA   GUIMARD.  207 

pas  que  pour  avoir  un  Opéra,  il  faut  avoir  des 
sujets.  Si  messieurs  Legros  et  Dauberval  pensent 
le  faire  aller  à  eux  deux,  je  n'ai  plus  rien  à  ré- 
pondre, car  je  doute  fort  qu'il  y  en  ait  d'autres 
avec  eux. 

«  Quant  à  moi,  monsieur,  si  votre  intention 
est  en  effet  d'exécuter  ce  projet,  j'ai  l'honneur  de 
vous  prévenir  de  ne  pas  compter  sur  moi  pour  la 
rentrée,  et  dès  aujourd'hui  je  demande  nia  re- 
traite. J'aime  la  tranquillité,  je  déteste  les  tripo- 
tages; je  viens  de  passer  une  année  avec  des  ca- 
marades honnêtes,  et  ne  veux  plus  me  trouver 
avec  ceux  qui  sont  aussi  méchants  que  faux  [ceci 
ne  regarde  pas  M.  Legros). 

«  D'après  cela,  monsieur,  je  vous  prie  de  vou- 
loir bien  me  donner  vos  dernières  intentions,  et 
si  elles  sont  telles  qu'on  me  les  a  assurées,  recevez 
ma  parole  que  je  ne  rentrerai  pas,  et  que  rien 
dans  le  monde  ne  me  fera  changer  de  façon  de 
penser.  Ayez-y  autant  de  confiance  que  j'en  ai 
eu  toujours  de  la  vôtre  l.  » 

Sur  la  communication  de  cette  lettre  au  mi- 
nistre, Amelot  écrivait,  deux  jours  après,  à 
M.  de  la  Ferté  : 

1.  Archives  Nationales  O1  637.  V Académie  Royale  de  Mu- 
sique, par  Campardon,  Berger-Levrault,  1884. 


208  LA   GUIMARD. 

«  Il  est  difficile,  monsieur,  d'écrire  une  lettre 
plus  ridicule  que  celle  que  vous  avez  reçue  de  la 
Guimard,  et  je  la  garde,  comme  le  chef-d'œuvre 
de  la  mutinerie.  Vous  avez  très  bien  fait  de  n'y 
pas  répondre,  si  je  la  vois,  je  me  bornerai  à  lui 
dire  très  sèchement,  que  si  elle  n'est  pas  con- 
tente, elle  peut  se  retirer.  Mais  je  n'entrerai  dans 
aucune  explication  avec  elle.  Je  veux  accoutu- 
mer tous  les  sujets  de  l'Opéra,  à  ne  se  mêler  que 
de  ce  qui  les  regarde.  Je  ne  leur  dois  d'ailleurs 
compte  d'aucun  des  arrangements,  que  je  juge  à 
propos  de  faire,  je  crois  que  vous  ferez  très  bien 
de  prendre  le  même  parti,  à  moins  de  circon- 
stances particulières. 

«  Je  parlerai  certainement  au  Roi,  dès  que 
j'en  trouverai  l'occasion,  mais  en  attendant  je 
suis  décidé  à  agir  vis-à-vis  des  mutins,  avec  la 
plus  grande  sévérité,  et  je  compte  bien  n'être 
pas  désapprouvé.  Je  vous  prie  instamment  de 
ne  pas  vous  tourmenter  de  toutes  ces  criaille- 
ries  ;  on  rendra  toujours  toute  justice  au  zèle  et 
au  désintéressement,  avec  lequel  vous  voulez 
bien  me  seconder  dans  cette  ennuyeuse  partie 
de  mon  administration,  et  j'espère  que  vous 
voudrez  bien  être  persuadé  de  toute  ma  recon- 
naissance... » 

Là-dessus,  le   ministre  signifiait  sa    volonté 


LA  GUIMARD.  209 

expresse  en  faveur  de  Legros,  et  une  assemblée 
générale  était  convoquée  par  ordre  du  ministre 
pour  le  lendemain  19  avril. 

Mais  l'assemblée  générale,  en  ayant  l'honneur 
de  supplier  très  humblement  le  ministre  de  ne 
pas  douter  de  sa  très  respectueuse  soumission, 
demandait  la  succession  de  Legros,  pour  Laine 
et  Rousseau,  et  une  réversibilité  de  pension  à 
la  femme  de  Legros.  Alors  étaient  convoqués,  de 
nouveau,  les  membres  de  l'assemblée  générale, 
pour  entendre,  le  22  avril,  les  réponses  du  mi- 
nistre. 

Et  ce  jour-là  même,  une  lettre  de  M.  de  la 
Ferté  nous  fait  un  tableau  de  l'irrévérencieuse 
et  ironique  soumission  de  la  Guimard  et  ses 
fidèles  aux  volontés  du  ministre. 

«  Monseigneur,  écrit  M.  de  la  Ferté,  vos  ré- 
ponses ont  été  lues,  ce  matin,  à  l'assemblée, 
Mlle  Guimard,  Saint-Huberty,  Nivelon,  et  quel- 
ques autres  se  sont  levés,  ont  fait  une  grande 
révérence,  sans  proférer  un  seul  mot,  et  succes- 
sivement tout  le  monde  s'en  est  allé.  Mlle  Gui- 
mard a  accaparé  Mme  de  Saint-Huberty,  qui  n'a 
pas  besoin  de  cela,  pour  être  une  mauvaise  tête; 
elle  a  eu  même  la  malhonnêteté  de  proposer  au 
sieur  La  Salle,  de  faire  une  délibération  pour 
chasser  M.  Morel,  du  Comité,  en  prétendant  qu'il 

18. 


210  LA   GUIMARD. 

était  cause  que  le  sieur  Legros  restoit.  Heureu- 
sement qu'elle  ne  l'avoit  dit  qu'à  La  Salle,  et 
bas;  il  lui  a  répondu  de  même,  en  lui  faisant 
sentir  l'inconséquence  de  sa  conduite.  C'est  sur 
cela  qu'elle  s'est  retirée,  sans  expliquer  rien, 
et  qu'elle  a  emmené  avec  elle  Mme  de  Saint- 
Huberty,  et  les  autres,  mais  il  faut  que  vous  pa- 
roissiez  ignorer  ce  nouveau  trait  d'audace.  Morel 
a  bien  fait  de  ne  pas  aller  à  cette  assemblée, 
dont  d'ailleurs  on  ne  l'avoit  pas  prévenu.  Sçavoir 
si  le  petit  comité  qui  doit  probablement  se  ras- 
sembler ce  soir  à  l'ordinaire,  chez  la  Guimard, 
quand  il  s'agit  de  s'ameuter,  ne  nous  fera  pas 
paroître  quelques  nouveautés  pour  demain,  car 
il  faut  s'attendre  à  tout.  » 


lu 


A  propos  de  l'hostilité,  déjà  ancienne,  de  la 
Guimard  contre  sa  personne,  Dauberval  s'était 
déjà  vu  forcé  d'écrire  au  ministre  : 

«  Mlles  Guimard  et  Heinel,  sont  persuadées, 
d'après  ce  que  vous  avez  daigné  leur  dire,  que 
j'ai  cherché  à  leur  faire  perdre  leur  état,  et 
comme  il  est  affreux  de  passer  à  leurs  yeux,  pour 
un  méchant  homme,  je  tombe  à  vos  pieds,  pour 
que  vous  ayez  la  bonté  d'ordonner  que  ceux  qui 
vous  ont  fait  ce  rapport  à  mon  sujet,  soient 
mis  en  votre  présence,  devant  moi  '..  » 

Au  fond,  en  ces  années,  l'hostilité  de  la  dan- 
seuse contre  son  ancien  amant,  me  semble 
receler  un  peu  de  la  petite  haine,  que  met  chez 
une  femme  contre  l'homme  qui  a  été  l'objet 
d'une  passion  passée,  finie,  usée,  une  nouvelle 

i.  Registres  des  Menus  Plaisirs.  Bibliothèque  de  l'Opéra, 
vol.  I. 


212  LA  GUIMARD. 

liaison,  et  surtout  lorsque  les  deux  hommes  se 
rencontrent  avec  la  femme,  dans  le  même 
milieu.  Que  l'on  remarque,  dans  la  lettre  de 
Guimard,  la  phrase  :  «  Et  puis,  que  deviendroit 
la  promesse  faite  à  Nivelon,  et  en  général  que 
deviendroit  l'Opéra  !  » 

Cette  phrase  qui  ne  dit  pas  grand'chose,  me 
semble  cependant  la  phrase  d'une  femme  pre- 
nant un  intérêt  tendre  à  son  protégé  !  Et  il  y  a 
bien  des  raisons  pour  qu'il  en  soit  ainsi. 

En  effet,  Nivelon,  c'est  l'homme,  on  se  le 
rappelle,  mis  en  vedette  par  son  évasion  de 
l'Opéra,  et  la  poursuite  de  l'agent  Quidor; 
Nivelon,  c'est  le  danseur  fait  à  peindre  l,  le  dan- 
seur doué  de  la  figure  la  plus  intéressante,  le 
danseur  aux  pas  moelleux  ;  Nivelon,  c'est 
l'homme  qu'on  s'arrache  et  qui  donne  égale- 
ment, et  dans  la  grisette,  et  dans  la  condition,  et 
dans  l'impure;  Nivelon,  c'est  le  vainqueur  des 
cœurs,  pour  lequel  l'amoureuse  et  dédaignée 
Cécile  avait  battu  la  Michelot2;  Nivelon,  c'est 
lui  encore,  le  héros  de  l'aventure  du  Bois  de 
Boulogne,  le  séducteur  à  la  minute  de  cette  fille 
du  monde,  soufflée  au  petit-maître,  auquel  elle 
avait  donné  rendez-vous,  aventure  qui  se  dé- 

l.Les  Arts  Imitateurs,  vol.  IL 
2.  Mémoires  secrets,  vol.  XL 


LA  GUIMARD.  213 

nouait  par  des  coups  de  canne  et  une  plainte 
chez  le  commissaire i. 

Or,  l'intérêt  tendre  de  la  Guimard  pour 
Nivelon,  devinable  dans  la  missive  superbe  de 
la  danseuse,  nous  le  trouvons  déjà  indiqué  au 
mois  de  janvier  de  cette  année,  dans  une  lettre 
de  M.  de  la  Ferté,  écrivant  au  ministre  : 
«  M1!6  Guimard  sort  de  chez  moi,  où  elle  était 
venue  pour  me  parler  de  Nivelon,  pour  lui  ob- 
tenir la  place  de  premier  sujet  à  l'Opéra,  avec 
vingt  mille  livres  sur  le  Roi,  afin  de  faire 
rompre  un  engagement  de  quatre  mois,  qu'il 
avait  avec  l'Angleterre.  »  Mlle  Guimard  trouvant 
la  proposition  toute  simple,  et  pressant  M.  de  la 
Ferté  d'écrire  à  ce  sujet  au  ministre,  et  déclarant 
que  c'était  un  sujet  très  essentiel  à  l'Opéra,  el 
qu'elle  ne  saurait  plus  avec  qui  danser,  et  lais- 
sant clairement  voir  à  M.  de  la  Ferté,  qu'elle 
aimait  beaucoup  mieux  danser  avec  Nivelon 
qu'avec  Yestris. 

Et  l'intérêt  tendre  de  la  Guimard,  plus  tard, 
nous  le  trouvons,  tout  à  fait  accusé,  dans  ses 
lettres  de  Londres,  à  ses  correspondants,  Perre- 
gaux,  de  la  Ferté,  Desentelles,  où  le  nom  de 

1.  Le  Vol  plus  haut  ou  l'Espion  des  principaux  théâtres  de 
la  Capitale.  Memphis,  chez  Sincère  réfugié  au  Puits  de  la  Vé- 
rité, 1784. 


214  LA   GUIMARD. 

l'homme  qu'elle  continue  à  protéger,  revient 
sans  cesse. 

Ici,  elle  demande  à  M.  de  la  Ferté,  de  le  gar- 
der, tout  le  mois  de  juin  1784,  parce  que,  indé- 
pendamment des  services  qu'il  lui  rend,  elle  a 
appris  que  quelques  mauvaises  têtes  de  la  cour 
avaient  l'intention  de  le  rosser.  (Est-ce  une  suite 
à  son  aventure  du  bois  de  Boulogne?)  Là,  dans 
une  autre  lettre  à  son  bon  petit  ami,  elle  se  porte 
maternellement  garant  de  l'assagissement  de 
Nivelon,  assurant  qu'il  se  met  à  la  raison*,  et 
toujours  tendrement,  il  est  parlé  de  lui  dans 
d'autres  lettres  encore. 

Enfin,  comme  le  plus  probant  témoignage 
d'une  liaison  entre  les  deux  coryphées  de  la 
danse  :  c'est  le  legs  du  voluptueux  buste  en 
marbre  de  la  Guimard,  qu'on  voyait  à  l'Opéra  : 
le  legs  qu'en  a  fait  Nivelon  par  son  testament. 

i.  Lettre  de  la  collection  du  catalogue  d'Henneville,  vendue 
le  23  février  1858. 


LUI 


Au  mois  d'août  1783,  ce  sont,  dans  les  habi- 
tués de  l'Opéra,  chez  les  assidus  du  ballet,  ce 
sont  de  terribles  alarmes.  MUe  Guimard  a  la 
petite  vérole,  et  l'on  s'entretient  à  la  Cour,  dans 
les  salons,  dans  les  cafés,  du  danger  de  cette 
maladie  chez  une  femme  de  quarante  ans,  et 
dont  l'état  et  l'existence  ne  promettent  pas  un 
sang  rebelle  à  la  maligne  influence. 

Les  amateurs  de  la  chorégraphie  ont  une 
autre  inquiétude.  Ils  craignent  que  les  prêtres  ne 
s'emparent  de  la  danseuse,  et  ne  la  déterminent 
à  quitter  le  théâtre.  Mais,  grâce  à  Dieu,  les  bul- 
letins sont  rassurants,  et  les  gens,  au  courant 
des  nouvelles  de  l'Opéra,  assurent  qu'il  n'est 
pas  encore  question  d'un  confesseur.  Enfin,  au 
bout  d'une  vingtaine  de  jours,  Paris  apprend 
la  convalescence  de  l'illustre  danseuse,  et  un 


216  LA  GUIMARD. 

Recueil  de  lettres  secrètes1,  que  je  possède,  nous 
apprend  que,  le  29  août,  une  fête  est  célébrée 
chez  MUe  Guimard,  pour  rendre  grâce  à  ses 
amants  du  soin  qu'ils  ont  pris  d'elle. 
Le  Recueil  des  lettres  secrètes  ajoute  : 
«  M.  de  la  Ferté  et  le  prince  de  Soubise  se 
sont  piqués  à  l'envi  d'être  plus  généreux  l'un 
que  l'autre.  La  convalescente  a  déclaré  que  l'in- 
tendant des  Menus  méritait  d'entrer  au  boudoir 
avant  son  rival,  et  que  par  reconnaissance,  elle 
lui  devait  sa  première  faveur.  » 

Je  ne  sais  quel  anecdotier  a  raconté,  qu'à  sa 
rentrée  à  l'Opéra,  dans  la  Chercheuse  d'esprit, 
comme  on  la  félicitait  des  très  légères  traces,  que 
le  mal  avait  laissées  sur  sa  figure,  un  brutal  qui 
sans  doute  avait  à  se  plaindre  de  la  danseuse, 
dit  assez  haut  pour  qu'elle  put  l'entendre  :  «  Par- 
bleu, ce  visage-là  ne  pouvait  être  marqué  de  pe- 
tite vérole,  on  ne  laboure  pas  sur  le  roc2!  » 


1.  On  lit,  d'une  écriture  du  temps,  en  tête  de  ce  recueil  : 
M.  Naigeon,  ami  de  Diderot,  tenait  ce  manuscrit  de  Grimm. 

2.  L'Académie  Impériale  de  Musique,  par  Castil-BIaze.  Pa- 
ris, 18o5. 


LIV 


Le  dicton  :  «  bête  comme  une  danseuse  »  ne 
s'applique  pas  à  la  Guimard.  Non,  elle  n'est  pas 
une  bête,  la  femme  qui  définit  ainsi  les  comé- 
dies de  Marivaux  :  «  C'est  le  cœur  dévoilé  par 
l'esprit  !  »  Marais  parlant  d'elle,  toute  jeunette, 
affirmait  qu'elle  avait  l'esprit  très  vif,  et  dans 
un  autre  rapport,  publié  par  La  Police  dévoilée, 
on  vantait  la  grâce  moqueuse  de  son  dire. 

Et  voici,  qu'une  lettre  de  la  danseuse  au  com- 
positeur Champein,  nous  est  un  témoignage  du 
gentil  badinage  de  cet  esprit,  de  l'aisance  avec 
laquelle  la  femme  se  tire  d'une  indiscrétion  mal- 
adroite d'ami,  de  l'aimable  malice  épistolaire, 
que  sa  plume  trouve  en  courant1.  Elle  est  vrai- 
ment amusante  cette  lettre  de  la  grande  et  vo- 

1 .  Le  Diable  Boiteux,  dans  les  quelques  lignes  nécrologiques 
qu'il  consacre  à  la  Guimard,  parle  de  ces'  «  naïvetés  spiri- 
tuelles ». 

19 


218  LA   GUIMARD. 

lage  impure,  avec  la  forme  humoristique  de 
son  couplet  sur  les  amours  éternelles,  avec  sa 
profession  de  foi  d'originalité  et  de  passion 
folle  de  l'extraordinaire. 

«  Je  suis  infiniment  sensible,  Monsieur,  à  la 
lettre  honnête,  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m  écrire,  mais  je  ne  sçais  trop  comment  je  dois 
vrcndre  les  remerciements  que  vous  me  faites, 
sur  ce  que  j'ai  dit  de  vous  à  M.  de  T***.  Dans 
tous  les  cas,  je  puis  vous  répondre  avec  assu- 
rance qu'il  n'y  a  pas  de  quoi1.  Ne  m'en  sachez 
pourtant  pas  mauvais  gré.  Je  suis  accoutumée  à 

\ .  Comme  toutes  les  lettres  de  femmes  du  temps,  femmes  de 
la  société  ou  d'ailleurs,  la  lettre  de  la  Guimard  est  sans  or- 
thographe. Elle  écrit  :  il  ni  a  pas  de  quoi,  —  c'eut  été'  d'omage, 
—  la  voix  s'enrouille,  etc.,  etc. 

Du  reste  pour  donner  une  idée  plus  complète  de  l'ortho- 
graphe de  la  danseuse,  en  voici  un  autre  échantillon  :  c'est 
un  reçu  au  comte  de  Robien  d'une  pension  de  cent  francs, 
qu'il  lui  faisait. 

Je  reconais  avoir  ce  jour  reçue  de  monsieur  le  comte  de 
Robien  la  somme  de  sent  livre,  pour  Vanée  échue  du  jour 
d'hier,  de  la  pension  qu'il  a  bien  voulu  me  faire  conjointement 
avec  ces  cohéritiers  dont  quittance  à  Renne  [Rennes)  ce 
2f  avril  1781. 

Renne  en  interligne  approuve  la  Guimar. 

Sur  la  même  feuille  est  un  reçu,  donné  à  MUc  de  Robien, 
de  la  somme  de  trente  et  une  livres  douze  sols  trois  deniers, 
auxquels  doit  s'adjoindre  la  somme  de  soixante-huit  livres, 
sept  sols  neuf  deniers,  que  doit  payer  M.  de  Bourgneuf  :  —  reçu 
du  22  avril  1784,  toujours  signé  :  Guimar. 


LA   GUIMARD.  219 

ne  rien  déguiser  de  ma  façon  de  penser,  c'est 
petit-être  une  mauvaise  habitude,  mais  j'y  suis 
attachée,  et  je  la  conserverai  principalement  avec 
lui.  Est-ce  ma  faute,  si  c'est  un  bavard?  Ai-je 
donc  tant  de  tort  de  me  plaindre,  de  l'indiscré- 
tion de  ces  vilains  hommes  ?  J'en  appelle  à  vous, 
n'est-il  pas  vrai,  que  si  vous  n'aviez  pas  eu  l'es- 
prit bienfait,  il  n'en  auroit  pas  fallu  davantage 
pour  nous  brouiller,  avant  même  de  nous  con- 
naître. En  vérité,  c'eût  été  dommage,  heureuse- 
ment qu'entre  roués,  on  prend  tout  en  bonne 
part,  voilà  ce  qui  me  rassure. 

«  Oui ,  f  ai  trouvé  le  nom  de  Franzel  charmant, 
lorsque  je  l'ai  entendu  prononcer.  Oui,  je  m'in- 
téresse à  elle,  mais  que  lui  sert  cet  intérêt,  puis- 
qu'elle ne  vous  en  inspire  plus!  Il  faut  convenir 
que  son  règne  n'a  pas  été  long,  et  vous  avez  beau 
dire,  vos  excuses  ne  sont  pas  recevablesl 

a  Ah  !  pourquoi,  s'il  vous  plaît,  ne  peut-on  pas 
toujours  s'aimer  et  se  le  dire!  Parce  que  la  voix 
s'enroue  à  force  de  le  répéter!  Vous  croyez  qu'on 
s'enrhume  moins  facilement,  en  le  disant,  tous 
les  jours,  ci  des  objets  différents.  Moi,  je  pense  le 
contraire,  par  la  raison  qu'il  faut  beaucoup  plus 
parler  pour  persuader ,  alors  qu'on  a  réussi. 
Tenez,  vous  avez  de  très  mauvais  principes,  ne 
vous  avisez  pas  de  les  donner  à  mon  frère,  car 


220  LA  GUIMARD. 

sur  ce  point  je  ne  plaisanterais  pas.  Écoutez, 
Monsieur,  de  bonne  foi,  il  vous  faudroit  faire  un 
grand  travail  pour  vous  réhabiliter  dans  mon 
esprit,  car  votre  vertu  est  bien  en  souffrance, 
je  suis  trop  franche  pour  vous  le  dissimuler. 
Avouez  que  voilà  une  plaisante  manière  de 
faire  connaissance  ensemble,  elle  me  plaît  assez  : 
j'aime T extraordinaire,  c'est  une  folie! 

«  Oui  M.  de  T...  me  fera  grand  plaisir  de 
vous  amener  chez  moi,  je  serai  très  aise  d'avoir 
votre  amitié,  car  je  vous  rends  bien  justice,  en 
vous  accusant  bien  d'être  un  amant  volage,  mais 
je  croirais  vous  faire  injure,  si  je  ne  vous  croyais 
pas  un  ami  fidèle. 

«  Je  suis  charmée  que  l'auteur  des  paroles  de 
Léonore  fasse  des  changements  à  cette  pièce,  en 
vérité  elle  en  a  le  plus  grand  besoin,  quant  à  ce 
qui  les  regarde.  Pour  vous,  Monsieur ,  je  ne  puis 
que  vous  renouveler  tous  mes  compliments,  et  ils 
sont  aussi  sincères  que  mérités. 

«  Je  suis  très  parfaitement,  monsieur,  votre 
très  humble  obéissante  servante. 

«  Guimard1.  )) 

Ce  3  septembre. 

Pour  M.  Champein. 

1.  Lettre  communiquée  par  M.  Hervey,  lettre  acquise  depuis 
la  vente  de  sa  première  collection,  et  adressée  au  compositeur 
Champein. 


LY 


Au  renouvellement  de  l'année  théâtrale  de 
1784,  le  bruit  s'est  répandu  dans  le  public  que 
la  danseuse  avait  l'intention  de  demander  sa 
retraite,  et  devant  l'émotion  que  cette  retraite 
met  dans  le  monde  lyrique,  pour  garder,  pour 
retenir  la  Terpsichore  de  l'Opéra,  M.  de  la  Ferté 
se  voit  obligé,  dans  cette  lettre,  d'appuyer  près 
du  ministre  la  demande  qu'elle  fait  d'une  aug- 
mentation de  mille  livres  pour  sa  pension  de 
retraite. 

«  Paris  ce  3  avril  1784. 

«  Monseigneur, 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  ci-joint  la 
copie  d'une  lettre  que  j 'ai  reçue  de  Mlle  Guimard i , 
et  qu'il  seroit  heureux  que  vous  eussiez  la  bonté 

1.  La  copie  de  la  lettre  de  M1'**  Guimard  n'est  plus  jointe  à 
la  lettre  de  M.  de  la  Ferté. 

19. 


222  LA  GUIMARD. 

de  parcourir,  pour  que  je  puisse  recevoir  vos 
derniers  ordres,  avant  votre  départ.  Il  paroit 
que  tout  le  monde  est  alarmé  de  la  crainte  de 
perdre  Mllc  Guimard.  M.  Lenoir,  chez  lequel 
je  viens  de  dîner,  m'en  a  même  parlé,  et  il  lui 
semblerait  juste  qu'on  lui  donnât  quelque  sa- 
tisfaction, en  lui  promettant  de  lui  accorder 
les  mille  livres  de  plus  de  pension,  qu'elle  de- 
mande pour  le  temps  de  sa  retraite,  mais  à 
condition  toutefois  qu'elle  n'en  parleroit  pas, 
pour  que  cela  ne  tirât  pas  à  conséquence.  Mais, 
il  faudroit  qu'elle  gardât  le  même  secret  que 
Mlle  Levasseur. 

«  Je  dois  aussi  avoir  l'honneur  de  vous  préve- 
nir, Monseigneur,  que  tous  les  premiers  sujets 
de  l'Opéra,  ont  été  chez  Mlle  Guimard,  pour  l'en- 
gager à  continuer  ses  services.  Enfin  je  viens 
de  découvrir  dans  la  visite  qu'elle  vient  de  me 
faire,  et  où  elle  n'a  mis  aucune  humeur,  qu'elle 
tient  à  cette  grâce,  moins  par  besoin  que  par 
amour-propre.  Je  ne  lui  ai  pas  caché  que  si  vous 
lui  accordiez  cette  grâce,  qui  pourroit  être  mo- 
tivée sur  ce  qu'elle  avoit  eu  le  bras  cassé,  il  y  a 
quelques  années  par  la  chute  d'une  décoration, 
ce  qui  en  rendroit  les  conséquences  moins  dan- 
gereuses, personne  n'ayant  à  alléguer  un  sem- 
blable motif.  Alors  vous  exigeriez  d'elle,  qu'elle 


LA   GUIMARD.  223 

mît  plus  d'économie  dans  les  dépenses  qu'elle 
occasionne  à  l'Opéra,  d'autant  mieux,  Monsei- 
gneur, que  vous  étiez  déterminé  à  ne  plus  laisser 
donner  à  l'avenir  que  très  rarement  des  ballets 
d'action,  quiavoient  occasionné,  depuis  plusieurs 
années ,  des  dépenses  presque  aussi  considérables 
que  la  mise  d'opéras  nouveaux.  Elle  m'a  promis, 
de  se  conformer  à  tout,  à  vos  volontés.  » 

Le  ministre  répondait  le  même  jour  à  M.  de 
la  Ferté,  que  quoique  «  une  faveur  accordée  à 
un  sujet  ouvre  la- porte  à  une  foule  de  préten- 
tions »,  en  considération  de  ses  longs  services, 
il  promettoit  de  lui  assurer,  lors  de  sa  retraite 
les  mille  livres  de  plus  de  pension  qu'elle  de- 
mande, mais  à  la  condition  qu'elle  garderoit  le 
plus  profond  secret  sur  cette  grâce. 


LVI 


Le  mardi,  2C>  juillet  1785,  était  donné,  à  l'O- 
péra, le  ballet  du  Premier  Navigateur  ou  le  pou- 
voir de  l'Amour. 

C'était  un  ballet  en  trois  actes,  où  Mlle  Gui- 
mard  jouait  le  rôle  de  Mélide,  un  rôle  dessiné 
spécialement  pour  elle,  et  de  la  composition  de 
Gardel  l'aîné,  son  compositeur  ordinaire,  et  qui 
avait  déjà  fait  les  grands  succès  de  la  danseuse, 
dans  les  ballets  de  Mirza,  de  la  Chercheuse  d'es- 
prit, de  NlNETTE  A  LA  COUR. 

Est-on  curieux  de  savoir  sur  quel  ton  lyrique 
parle  du  talent  de  la  danseuse,  l'auteur  des  Cos- 
tumes ET  ANNALES  DES  GRANDS  THÉÂTRES  DE  PARIS? 

«  Peintres,  poètes,  comédiens,  artistes  en 
tous  genres,  voulez- vous  connaître  le  goût  sur 
lequel  on  a  tant  disputé,  sans  jamais  pouvoir  le 
définir,  voyez  MUe  Guimard,  et  voyez-la  souvent 


LA  GUIMARD.  225 

dans  toutes  les  attitudes  et  tous  les  rôles  de  la 
danse,  et  vous  puiserez  dans  ses  moindres  mou- 
vements, le  goût,  sans  lequel  rien  ne  peut  être 
agréable.  Ce  goût,  désigné  chez  les  anciens, 
par  les  mots  lepos,  venustas,  que  les  langues 
modernes  ne  savent  point  traduire.  » 

Et  l'enthousiaste  compte  rendu  du  ballet  du 
Premier  navigateur,  est  illustré  d'un  de  ces  ai- 
mables lavis  en  couleur  de  Janinet,  à  l'imitation 
d'aquarelle,  où  nous  voyons  MUe  Guimard,  les 
cheveux  dénoués,  dans  une  tunique  blanche,  à 
l'envolée  derrière  elle  d'une  ceinture  bleue,  et 
battant,  désespérée,  la  grève  de  l'île  déserte, 
créée  par  l'inondation,  qu'ont  faite  soudaine- 
mentles  Dieux,  et  qu'entoure  de  toutes  parts  un 
Océan  à  perte  de  vue. 

L'auteur  affirme  dans  ce  compte  rendu,  que 
Mlle  Guimard,  qu'on  ne  peut  se  lasser  de  voir  et 
de  revoir,  réunit  les  talents  de  l'actrice  qui  sent 
et  exprime  toutes  les  passions,  à  ceux  de  la  dan- 
seuse la  plus  exercée,  disant  que  le  jeu  muet  de 
la  danseuse,  dans  le  moment,  où  le  pressenti- 
ment amoureux  l'avertissant  de  l'arrivée  de  son 
amant  Daphnis,  lui  remet  l'espérance  au  cœur, 
sans  qu'elle  puisse  savoir  ce  qui  l'a  fait  renaî- 
tre :  cette  espérance  est  une  de  ces  choses,  qu'il 
paraît  impossible  à  la  pantomime  de  peindre,  — 


226  LA  GUIMARD. 

et  que  cependant  Mlle  Guimard  exprime  avec  la 
plus  frappante  vérité. 

Puis  l'article  finit  par  ces  vers  de  Dorât,  tirés 
de  son  poème  de  la  Déclamation  théâtrale,  cé- 
lébrant la  danseuse  dans  le  Premier  navigateur  : 

Quelle  nymphe  légère,  à  mes  yeux  se  présente  ! 

Déesse,  elle  folâtre  et  n'est  point  imposante, 

Son  front  s'épanouit  avec  sérénité. 

Ses  cheveux  sont  flottants,  le  rire  est  sa  beauté. 

D'un  feston  de  jasmin,  sa  tête  est  couronnée, 

Et  sa  robe  voltige,  aux  vents  abandonnée. 

Mille  songes  légers  l'environnent  toujours; 

Plus  que  le  printemps  même,  elle  fait  les  beaux  jours. 

Des  matelots  joyeux,  rassemblés  auprès  d'elle 

Détonnent  à  sa  gloire  une  ronde  nouvelle, 

Et  de  jeunes  pasteurs,  désertant  les  hameaux, 

Viennent  la  saluer  aux  sons  des  chalumeaux. 

C'est  l'aimable  gaîté  :  qui  peut  la  méconnaître, 

Au  chagrin  qui  s'envole,  aux  jeux  qu'elle  fait  naître? 

Fille  de  l'innocence,  image  du  bonheur, 

Le  charme  qui  te  suit,  a  passé  dans  mon  cœur. 

Sur  ce  gazon  fleuri  qu'elle  a  choisi  pour  trône, 

Pasteurs,  exécutons  les  danses  qu'elle  ordonne, 

Fuyez,  arrêtez-vous,  suspendez  votre  ivresse; 

Comme  Guimard  enfin  appelez  les  désirs, 

Et  que  vos  pas  brillants  soient  le  vol  des  plaisirs. 

Le  ballet  du  Premier  navigateur,  sans  doute 
aux  grands  regrets  de  la  cour,  ne  pouvait  être 
joué  par  Mlle   Guimard  à  Fontainebleau,  Tau- 


LA  GUIMARD.  227 

tomne  suivant.  En  1855,  le  hasard  m'a  fait 
trouver  dans  la  bibliothèque  de  Saint-Marc,  à 
Venise,  un  recueil  de  Nouvelles  manuscrites1 
qui  annonce,  à  la  date  du  13  octobre  1785  : 

«  La  demoiselle  Guimard  s'étant  blessée, 
dimanche  dernier,  au  genou,  par  une  chute  dans 
un  escalier,  ne  sera  point  en  état  de  faire  bril- 
ler son  talent  pendant  les  voyages  de  la  cour.  » 

1.  Nouvelles  de  l'an  1785,  par  M.  Barth.  L'adresse  de  M.  Barth 
est  au  café  du  Caveau,  au  Palais-Royal. 


LVII 


Dans  rembarras  de  ses  affaires,  Mllc  Guimard 
songeait  à  se  défaire  de  son  hôtel  de  la  Chaussée- 
d'Antin,  et  avait  l'idée  originale  de  le  mettre  en 
loterie.  Elle  faisait  agir  de  puissants  amis  près 
du  gouvernement,  obtenait  sinon  l'autorisation 
officielle,  au  moins  que  les  ministres  ne  met- 
traient pas  d'opposition  à  cette  loterie  privée  *, 
et  aussitôt  faisait  imprimer  le  prospectus  que 
voici  : 

1.  Donnons  ici  la  lettre  adressée  par  le  ministre  de  Galonné 
au  lieutenant  de  police  de  Crosne  : 

«  Versailles,  le  19  mai  1786. 

«  On  ne  m'a  point  demandé,  Monsieur,  et  je  n'ai  pas  donné 
d'autorisation  pour  la  loterie  de  MUe  Guimard.  J'ai  seule- 
ment pu  dire,  quand  onm'en  a  parlé,  quejc  ne  m'y  opposcrois 
pas.  Il  me  semble  que  dans  l'état  actuel  des  choses,  il  y  auroit 
beaucoup  d'inconvénients  à  ne  pas  tolérer  le  tirage  qui  est 
annoncé,  tous  les  billets  étant  distribués,  et  n'y  ayant  eu  ni  ré- 
clamation, ni  aucune  défense,  soit  de  la  part  du  baron  de 
Breteuil,  soit  de  la  mienne.  » 


LA  GUIMARD.  229 

«  Prospectus  d'une  loterie  de  la  maison  de 
Mlle  Guimard,  dont  le  tirage  se  fera  publique- 
ment, le  premier  mai  1786,  dans  une  salle  de 
l'hôtel  des  Menus,  rue  Bergère,  en  présence  d'un 
officier  public l . 

«  Cette  maison  est  située  à  l'entrée  de  la 
chaussée  d'Antin,  et  consiste  en  un  bâtiment, 
entre  cour  et  jardin;  la  face  sur  la  cour  est  or- 
née d'un  péristyle  ;  le  rez-de-chaussée  qui  est 
élevé  de  huit  marches,  est  distribué  en  une  anti- 
chambre, salle  à  manger,  chambre  à  coucher, 
boudoir,  une  grande  pièce  éclairée  par  le  haut 
pouvant  servir  de  galerie  de  tableaux,  ca- 
binet de  toilette,  salle  de  bain,  etc.,  le  tout  très 
orné. 

«  Dans  le  comble  sont  aussi  de  petits  apparte- 
ments très  commodes  et  aussi  très  ornés. 

«  Un  bâtiment  sur  la  rue,  dans  lequel  sont  les 
écuries  et  remises,  et  au-dessus,  une  salle  de 
spectacle  avec  toutes  ses  décorations. 

«  Le  jardin  est  orné  de  berceaux  couverts. 
La  plupart  des  meubles  resteront  à  la  maison, 
étant  faits  pour  la  place.  » 

Décrivons  d'après  une  note  du  prospectus, 
ce  mobilier  :  un  mobilier  meublant,  estimé  à 

1 .  Les  Comédiens  du  Roi  de  la  Troupe  Françoise,  par  E.  Cam- 
pardon.  Champion,  1879. 

20 


230  LA  GUIMARD. 

27  532  livres,  un  riche  mobilier  courant  de  ta- 
pissier du  temps. 

C'est  la  salle  à  manger,  avec  ses  dix-huit 
sièges  en  velours  d'Utrecht  vert  et  blanc,  ses 
trois  tables  de  trente,  de  quinze,  de  dix  cou- 
verts. 

C'est  la  serre  chaude,  avec  ses  banquettes  de 
velours  d'Utrecht  vert,  et  ses  quatre  girandoles 
portées  par  des  figures  en  stuc,  montées  sur 
des  piédestaux  de  marbre  blanc. 

C'est  le  boudoir,  avec  ses  deux  canapés  et 
ses  deux  bergères  de  taffetas  vert.  La  Guimard 
aime  décidément  le  vert! 

C'est  la  chambre  à  coucher,  avec  ses  deux 
grands  tableaux  servant  de  tentures  (un  de  ces 
deux  tableaux  serait-il  le  tableau  de  la  Gui- 
mard, par  Fragonard,  possédé  par  M.  Groult), 
son  lit  à  niche,  ses  deux  tète-à-tête,  ses  six  fau- 
teuils à  carreaux,  son  écran  à  deux  feuilles  cou- 
vert de  damas  de  Gênes  cramoisi  et  blanc,  ses 
deux  girandoles  en  lys  d'or  moulu. 

C'est  la  salle  de  bains,  avec  la  niche  de  la 
baignoire  en  perse. 

C'est  le  cabinet  de  toilette,  avec  sa  tenture  en 
papier  lampas,  et  ses  six  cabriolets  couverts  de 
velours  cramoisi  et  blanc,  etc.,  etc.,  etc. 
Le  prospectus  continue  : 


LA   GUIMARD.  231 

«  La  loterie  sera  de  2  S00  billets  à  120  livres 
le  billet,  dont  un  seul  gagnant. 

«  Aussitôt  après  le  tirage  de  la  loterie,  MUe  Gui- 
mard  passera  le  contrat  de  vente  de  la  maison 
et  des  meubles,  au  profit  du  propriétaire  du  lot 
gagnant.  » 

Dans  un  second  prospectus,  l'on  disait  que 
l'accueil  favorable,  que  le  public  avait  fait  à 
cette  loterie,  dont  la  distribution  des  billets 
était  déjà  avancée,  engageait  Mllc  Guimard  à  le 
satisfaire,  sur  les  objets  qu'il  avait  pu  désirer. 

Répondant  à  la  demande  qui  lui  avait  été 
adressée,  sur  la  manière  dont  se  ferait  le  tirage, 
elle  annonçait  qu'il  y  aurait  deux  roues,  dans 
l'une  desquelles,  seraient  déposés  2o00  billets 
roulés,  et  un  timbré  :  Lot. 

Mlle  Guimard  déclarait  aussi  que,  par  un  ar- 
rangement avec  les  seigneurs,  dans  la  censive 
desquels  était  située  sa  maison,  le  gagnant 
n'aurait  à  payer  pour  ladite  vente  que  12  000  li- 
vres, et  que  la  maison  était  en  pleine  propriété, 
qu'il  n'y  avait  ni  bail  emphytéotique  ni  bail  à 
rente,  qu'elle  était  seulement  chargée  du  cens 
ordinaire. 

Le  tirage  de  la  loterie  qui  devait  avoir  [lieu, 


232  LA  GUIMARD. 

le  Ier  mai  1785,  retardé  par  des  circonstances 
particulières,  était  remis  au  lundi  22,  du  même 
mois. 

Ledit  jour,  en  présence  du  commissaire  de 
Serreau,  des  sieurs Devassis  et  Tartois,  tous  deux 
inspecteurs  de  la  loterie  royale  de  France,  en 
une  salle  pratiquée  en  forme  de  tente,  dans  le 
jardin  de  l'hôtel  des  Menus,  et  avec  l'assistance 
de  quatre  enfants  du  Saint-Esprit,  de  deux  par- 
ticuliers devant  annoncer  les  billets,  et  de  qua- 
tre tourneurs  de  roues,  sur  les  dix  heures  du 
matin,  devant  un  public  nombreux,  déjà  assem- 
blé, les  2  500  billets  numérotés  étaient  placés 
dansuneroue,  et  les  2  499  billets  en  blanc,  avec 
le  billet  portant  le  mot  :  Lot,  étaient  placés 
dans  l'autre. 

Mille  billets  avaient  été  tirés  sans  que  le  lot 
gagnant  fût  sorti,  et  comme  il  était  deux  heures, 
et  que  le  public  désirait  une  interruption,  les 
scellés  étaient  posés  sur  les  deux  roues.  Puis, 
à  quatre  heures,  ils  étaient  levés  sur  la  réquisi- 
tion de  Mlle  Guimard,  et  le  tirage  de  la  loterie 
repris. 

C'était  seulement  après  le  tirage  de  2  267  bil- 
lets tirés,  que  sortait  le  billet  gagnant,  le  bil- 
let 2 175. 

L'hôtel  de  Mlle  Guimard  était  gagné  par  la 


LA   GUIMARD.  233 

comtesse  de  Lau,  porteuse  d'un  seul  billet1,  qui 
revendait  l'hôtel  500  000  francs,  au  banquier 
Perregaux. 

Et  voici  le  fac-similé,  pour  ainsi  dire,  d'un  des 
billets  de  cette  curieuse  loterie  : 

Loterie  de  la  maison  de  Mademoiselle  Guimard, 
dont  le  tirage  se  fera  le  1er  mai  1786,  en  une 
salle  de  l'Hôtel  des  Menus,  sis  rue  Bergère. 
N°  deux  mil  vingt-six. 

Le  porteur  est  propriétaire  d'un  billet  de  ladite 
loterie,  pour  laquelle  il  a  payé  la  somme  de  cent 

VINGT  LIVRES. 

A  Paris,  ce  dix  février  mil  sept  cent  quatre- 
vingt-six. 

M1Ie  Guimard2. 


1.  Mémoires  secrets,  vol.  XXXII.  —  La  Guimard  n'ayant  pu 
se  pourvoir  d'un  nouvel  appartement,  demandait  au  gagnant 
de  ne  pas  entrer  dans  la  maison  en  juillet,  et  espérait  même 
de  son  honnêteté,  qu'il  lui  continuerait  la  jouissance  jus- 
qu'au ler  janvier  1787,  sans  exiger  de  loyer. 

2.  A  gauche  du  billet  existe  une  signature  illisible,  la  signa- 
ture du  propriétaire  du  billet,  ce  billet  portant  le  n°  2026,  et 
le  billet  portant  le  n°  2407  sont  conservés  à  la  Bibliothèque 
Nationale  L  27.  —  Un  autre  billet  a  passé,  le  15  octobre  1851,  à 
la  vente  d'autographes  de  Châteaugiron. 


20. 


LVIII 


En  1783,  M.  de  la  Ferté,  avons-nous  vu,  avait 
rédigé  pour  l'instruction  de  M.  de  Breteuil,  mi- 
nistre, de  la  maison  du  Roi,  un  rapport  sur  les 
sujets  du  chant  et  de  la  danse  de  l'Académie 
royale  de  musique;  en  1788  pour  l'instruction  de 
M.  de  Villedeuil,  succédant  à  M.  de  Breteuil, 
Dauvergne,  directeur  de  l'Opéra,  rédigeait  un 
autre  rapport.  Dans  celui-ci,  où  les  portraits 
touchent  parfois  au  libelle,  on  s'étonne  un  peu, 
en  dépit  de  tous  les  griefs  du  directeur  contre 
son  premier  sujet,  de  voir  la  parfaite  justice  ren- 
due par  Dauvergne,  aux  talents  de  la  Guimard. 

Premiers  sujets  de  la  danse1. 

Mlle  Guimard.  —  Cette  demoiselle  a  fait  un 
service  sans  exemple,  depuis  1761,  qu'elle^  est 

i.  Le  personnel  masculin  de  la  Danse  se  compose  alors,  en 


LA   GUIMARD.  235 

entrée  à  l'Opéra;  il  seroit  très  fâcheux  pour  le 
public  et  pour  l'Académie,  que  de  faux  conseils 
lui  fissent  perdre  le  mérite  d'une  considération, 
que  l'on  doit  à  ses  longs  services. 

M"e  Saulnier.  —  Belle  femme,  mais  médiocre 
danseuse,  pour  ne  rien  dire  de  plus. 

Mlle  Pérignon.  —  Excellente  danseuse  dans 
son  genre. 

Mlle  Langlois.  —  Actuellement  enceinte,  il  y 
a  tout  à  craindre  que  le  défaut  d'exercice  ne 
nuise  à  son  talent. 


Premiers  remplacements . 

MUe  Roze.  —  La  meilleure  danseuse  dans  le 
genre  noble  :  elle  se  rend  difficile  pour  le  ser- 
vice, par  les  mauvais  conseils  de  son  maître,  le 
sieur  Yestris  père. 

MIlc  Coulon.  —  Bonne  danseuse  dans  le  genre 
noble,  mais  froide  :  elle  a  cependant  beaucoup 
acquis  pendant  son  séjour  à  Londres.  Les  pro- 
grès sont  très  sensibles. 

Mlle  de  Ligny.  —  Danseuse  médiocre  qui,  mal- 

Premiee.s  Danseur.s,  de  Gardcl,  Vestris,  Nivelon;  en  Premiers 
Remplacements  de  MM.  Favre,  Laurent,  Frédérik,  Goyon, 
Huard,  Laborie,  Siville. 


236  LA  GUIMARD. 

gré  son  travail,  n'augmentera  pas  beaucoup 
son  talent. 

MUo  Zacharie.  —  Médiocre  danseuse  qui  res- 
tera telle  qu'elle  est. 

Mlle  Miller.  —  Excellente  danseuse,  quoique 
un  peu  froide,  elle  travaille  sans  relâche  à  deve- 
nir premier  sujet,  elle  ne  répugne  à  rien  pour  le 
bien  du  service. 

M1IeJL.AURE. —  Cette  jeune  fille  ne  fait  dans 
ce  moment  aucun  service,  pour  cause  de  mala- 
die de  femme,  il  faut  attendre  l'époque  pour  sa- 
voir ce  qu'elle  deviendra. 

Mlle  Trosche.  —  Jeune  danseuse  qui  travaille 
beaucoup  et  qui  double  la  demoiselle  Pérignon 
à  la  satisfaction  du  public1. 

1.  L'Opéra  secret  au  xvme  siècle,  par  Adolphe  Jullien. 


LIX 


En  ces  toutes  dernières  années  de  son  service 
à  l'Opéra,  la  Guimard  est  restée  la  personne  in- 
gouvernable, qu'elle  a  toujours  été,  n'en  fai- 
sant qu'à  sa  volonté,  n'obéissant  qu'à  ses  ca- 
prices, et  se  gabelant,  ainsi  qu'on  disait  autre- 
fois, des  tribulations  de  Dauvergne. 

Songe-t-il,  ce  pauvre  directeur,  à  donner  la 
Chercheuse  d'esprit,  une  semaine,  où  la  demoi- 
selle de  Pérignon  est  incommodée,  où  la  demoi- 
selle Langlois  est  prête  d'accoucher,  où  la  de- 
moiselle Zacharie  se  trouve  en  congé,  où  la 
demoiselle  Trosche  est  dans  son  lit,  à  la  suite 
d'une  entorse, — au  dernier  moment,  la  Guimard 
lui  envoie  dire  qu'elle  est  hors  d'état  de  danser. 

Une  autre  fois,  le  répertoire  arrêté  pour  la 
semaine,  la  Guimard  fait  prévenir,  qu'elle 
compte  se  purger  le  mardi,  et  qu'on  ait  à  chan- 
ger de  spectacle.  Et  cette  purgation  est  une  in- 


238  LA   GUIMARD. 

vention  de  la  danseuse  :  il  y  avait  tout  simple- 
ment une  partie  organisée  pour  aller  passer  le 
mardi,  le  mercredi, le  jeudi,  à  l'Hay.  «Voilà  le 
résultat  de  la  liaison  de  la  Guimard,  avec  toutes 
sortes  de  canailles,  »  écrit  Dauvergne '. 

1.  L'Opéra  secret  au  xvm«  siècle,  par  Adolphe  Jullicn. 


LX 


La  Guimard  vieillissait,  elle  avait  quarante 
ans,  elle  approchait  la  cinquantaine,  et,  sur  les 
planches  de  l'Opéra,  dans  sa  nuée  de  gaze,  elle 
continuait  à  être  Hébé,  elle  continuait  toujours 
à  être  la  déité  volante  de  la  jeunesse. 

On  s'étonnait  de  cette  conservation  à  la  Ninon, 
de  cette  conservation  qu'elle  partageait  avec 
un  seul  homme  du  siècle  :  le  maréchal  de  Riche- 
lieu. Le  secret  de  cette  éternelle  jeunesse,  Castil- 
Blaze  nous  le  dévoile,  sans  toutefois  nous  dire 
de  quel  livre  du  temps  ou  de  quel  contem- 
porain de  la  danseuse,  il  le  tient,  ce  miraculeux 
secre,t!  A  l'époque  de  ses  débuts,  Mlle  Guimard 
avait  fait  faire  un  portrait  d'elle,  et  maintenant, 
tous  les  matins,  dans  son  boudoir,  avec  une 
main  experte,  mélangeant  tous  les  pastels  du 
maquillage,  devant  son  miroir,  elle  refaisait  sur 
sa  figure  de  trente,  de  quarante,  de  cinquante 
ans,  le  portrait  qu'elle  avait  sous  les  yeux  :  — 
le  portrait  de  son  visage  de  vingt  ans. 


LXI 


La  Guimard  a  eu  plusieurs  années,  pendant 
l'été,  des  engagements  avec  l'Opéra  de  Lon- 
dres, d'où  elle  date  quelques  lettres  curieuses, 
presque,  les  seules  lettres  intimes,  que  l'on  ait 
d'elle. 

Et  voici  une  lettre,  adressée  au  banquier 
Perregaux,  —  qu'elle  appelle  familièrement 
mon  voisin,  —  où  elle  donne  des  détails  de  son 
engagement  à  650  guinées,  et  où  elle  traite 
de  coquins,  il  signor  Ravelli,   et  l'ami  Gallini. 

«  Le  20  juin  1784. 

«  Quoiqu'il  y  ait  bien  longtemps,  que  je  ne  me 
sois  rappelée  à  votre  souvenir,  mon  voisin,  il 
n'en  est  pas  moins  vrai,  que  vous  ri  avez  pas  cessé 
d'être  présent  au  mien,  et  que  mon  silence  envers 
vous,  ri  a  eu  d'autres  causes  quun  travail  forcé 
et  très  pénible,  pour  me  laisser  la  possibilité 


LA   GUIMARD.  241 

d'exécuter  ce  que  je  désirais  le  plus.  J'aime  à  me 
persuader  que  vous  rendes  assés  de  justice  à  votre 
voisine,  pour  être  bien  convaincu  de  cette  vérité! 
Ah!  mon  voisin!  en  quel  pays  suis-je  venue?  Je 
ne  me  plains  pas  des  habitants,  il  s  en  faut,  non, 
du  tout;  mais  les  Italiens?  Ah  les  coquins! 
L'Opéra  de  Londres  en  est  le  repaire,  à  com- 
mencer par  il  signor  Ravelli...  et  un  petit  brin, 
notre  ami  Gallini,  que  je  n' ai  cru  qu'une  bonne 
bête  jusqu'à  ce  moment,  mais  qui  vient  de  se 
déclarer  quelque  chose  déplus  :  voici  le  fait. 

«  Vous  scavés  que  l'Opéra  est  brûlé.  Donc  par 
cette  incendie,  cession  de  tous  engagements  :  telle 
est  la  clause  qu'ils  comportent;  le  mien  n'en  a 
pas  été  à  l'abri  plus  que  les  autres.  Ainsi  en 
regardant  les  fiâmes  qui  mettoient  le  théâtre  en 
cendre,  je  leurs  voyois  dévorer  les  335  guinées 
que  je  devois  recevoir,  à  l' expiration  de  mon  en- 
gagement, ayant  partagé  en  deux  payements,  les 
650,  je  leur  disois  adieu,  assès  tristement,  lors 
qu'on  vînt  m'apprendre  que  Gallini  s'étoit  ar- 
rangé avec  le  directeur  de  Covent-Garden,  qui 
précisément  venoit  d'entrer  en  vacances,  et  que 
le  reste  de  la  saison  se  finiroit  sur  ce  théâtre; 
alors  je  ne  mis  pas  en  doute  que  mon  engagement 
ne  fût  continué.  Sur  ces  entrefaites,  Gallini 
vint  chez  moi  pour  me  payer  les  825  guinées  qui 

21 


242  LA   GUIMARD. 

étoient  échues,  deux  jours  avant  l'incendie;  puis 
il  fit  le  pauvre,  connue  à  son  ordinaire,  et  me 
dit  qu'il  «toit  bien  malheureux,  qu'il  perdoit 
beaucoup  et  que  je  devrois  bien  faire  une  petite 
diminution  sur  le  restant  de  mon  engagement; 
le  voyant  si  bon  homme,  j'en  eus  pitié,  et  lui  dis 
que  je  me  chargerons  volontiers  de  la  dépense  de 
mes  habits;  cette  douce  proposition  chatouilla 
son  âme,  il  fut  très  satisfait,  me  prit  la  main,  en 
me  disant  que  fêtais  birn  honnête.  Il  y  avoit 
chez  moi,  cinq  personnes  présentes,  j'ai  donc  cru 
tout  arrangé:  mais  point  du  tout;  je  n'ai  plus 
revu  le  sieur  Gallini.  Il  signor  Ravelli  est  venu, 
en  sa  place,  me  dire  qu'il  nétoit  plus  régisseur, 
que  Gallini  était  un  gueux,  un  coquin,  duquel  il 
ne  voulait  plus  se  mêler;  puis  l'instant  d'après, 
il  m'offrit,  de  la  part  de  Gallini,  vingt-cinq 
louis  par  représentation  :  je  me  mis  à  rire,  et 
lui  répondis  que  j'étois  bien  étonnée  qu'il  se 
chargeât  encore  des  propositions  de  Gallini, 
puisqu'il  nétoit  plus  régisseur,  que  d'ailleurs  je 
me  tenois  à  mon  engagement.  Qu'a  fait  le  sieur 
Gallini,  il  a  donné  hier  des  ordres,  pour  que  l'on 
avertisse  tous  les  sujets,  de  se  trouver  ce  matin 
à  la  répétition,  excepté  moi  :  j'ai  appris  cela, 
et  ce  matin,  je  me  suis  rendue  à  la  répétition 
avec  deux  témoins  :  chose  que  m  avoient  conseillée 


LA   GUIMARD.  243 

l'avocat  elle  procureur  que  j'ai  consultés,  et  qui 
tous  deux,  ni1  ont  dit  que  mon  affaire  e'toit  'par- 
faitement bonne;  mais,  mon  voisin,  vous  auriez 
trop  ri,  si  vous  aviez  pu  voir  l'effet  qu'a  produit 
ma  présence.  Ravelli  en  est  devenu  tout  vert,  et 
Gallini  stupéfait,  ils  ont  cru  voir  tous  deux  la 
tête  de  Méduse.  Enfin,  le  dernier  a  pris  la  pa- 
role, et  a  dit  que  je  n'étois  plus  engagée,  mais 
sans  lui  répondre,  j'ai  demandé  par  quel  ballet 
on  commencer  oit  demain  !  Le  malheureux  a 
perdu  la  tète  tout  à  fait,  mais  n' osant  me  parler , 
il  a  pris  à  part  un  de  mes  témoins,  auquel  il  a 
offert  100  guinées  pour  moi  pour  les  représen- 
tations :  le  témoin  a  répondu  que  je  ne  voulois 
entendre  qu'à  la  validité  de  mon  engagement, 
que  je  m'étois  mis  en  règle  et  qu'il  seroit  forcé 
d'y  faire  honneur  :  la  répétition  a  été  renvoyée; 
et  à  peine  ai-je  été  de  retour  chez  moi,  que  j'ai 
reçu  une  nouvelle  ambassade  du  sieur  Gallini, 
et  de  nouvelles  propositio?is  auxquelles  je  n'ai 
pas  voulu  entendre...  Tout  le  monde  est  en  l'air 
pour  cette  affaire.  Demain,  on  dit  qu'il  y  aura  un 
sabbat  d'enfer  au  théâtre,  c'est  lord  Drumel  qui 
me  l'a  assuré  ainsi  que  milady  Jersey  ;  la  du- 
chesse Devonshire  est  partie  pour  la  France. 
J'en  suis  fâchée,  les  autres  dames  sont  à  la  cam- 
pagne, mais  il  reste  encore  assez  de  noblesse  à 


244  LA   GUIMARD. 

Londres,  pour  le  malheur  de  Gallini  :  je  vous 
ferai  part,  mon  voisin,  de  cette  grande  histoire. 

«  En  attendant,  je  vous  prie  de  vouloir  bien 
assurer  de  mon  respect  Mme  Perr égaux,  et  de  lui 
dire  que  j'ai  cherché  à  in  acquitter  de  ses  com- 
missions ;  je  lui  envoie  dans  cette  lettre  les  échan- 
tillons que  j'ai  trouvés,  mais  le  prix  est  infini- 
ment plus  considérable  quelle  ne  nïa  dit;  je  la 
prie  de  vouloir  bien  me  faire  passer  ses  intentions 
et  je  les  exécuterai  ponctuellement. 

«  Adieu,  mon  voisi?i,  vous  me  trouvères  bien 
bavarde,  mais  Vintérest  que  vous  voulès  bien  me 
témoigner,  m' encourage  à  vous  conter,  tout  ce 
qui  lui  est  relatif;  continués  moi  toujours  votre 
amitié  et  croyez  à  tout  le  plaisir  que  j'aurai  à  la 
cultiver. 

«  C'est  dans  ces  sentiments  que  je  ne  cesserai 
d'être 

«  Votre  très  humble,  obéissante  servante. 

«  Guimard. 
«  PallMallNe  10. 

«  Dans  les  échantillons  que  j' envoyé,  il  y  en  a 
deux  qui  ont  l'aune  de  France  l.  » 

1.  En  haut  de  la  4°  page,  est  écrit  de  la  main  de  Perre- 
gaux  :  ><  Lundy,  ce  23  juin  1784.  Lettre  autographique  signée, 
de  la  collection  de  M.  Dubrunfaut. 


LX1I 


Une  seconde  lettre  adressée,  je  crois  bien,  en 
1787 i  à  M.  de  la  Ferté,  nous  montre  la  dan- 
seuse dégoûtée  de  cette  Académie  royale  de  Mu- 
sique où,  selon  ses  expressions,  à  l'heure  pré- 
sente «  les  laquais  et  les  perruquiers  sont  juges 
des  talents  »  et  comme  elle  n'a  dû  ses  succès  qu'à 
la  bonne  compagnie,  ne  voulant  pas  devenir  la 
pâture  de  celle  qui  remplit  le  parterre,  elle 
songe  à  prendre  sa  retraite. 

«  Londres  %6  may. 

«  On  ne  fait  pas  toujours  ce  que  l'on  désire, 
mon  cher  petit  bon  ami,  et  j'en  ay  bien  la  preuve, 
puisque  malgré  celui  que  j'avois  de  vous  écrire, 
dès  mon  arrivée  à  Londres,  je  n'en  ay  pu  trouver 
le  moment.  Mais  l'amitié  est  indulgente,  et  je 

1.  Ou  1786,  si  on  s'en  rapporte  aux  25  ans  de  suffrage  dont 
elle  parle  de  sa  lettre. 

21. 


246  LA  GUIMARD. 

compte  trop  sur  la  vôtre,  pour  ne  pas  être  con- 
vaincue qu'elle  ne  vous  permettra  pas  d'être  in- 
juste envers  moi,  en  vous  laissant  prendre,  pour 
négligence,  une  impossibilité  réelle. 

«  Depuis  que  je  suis  en  cette  ville,  on  ne  m'a 
pas  encore  laissé,  un  seul  instant  de  libre,  com- 
blée des  bontés  de  toutes  les  plus  grandes  dames, 
et  principalement  de  M"1"  la  duchesse  de  Devon- 
shire.  Je  passe  chez  elle  tout  le  temps,  où  je  ne  suis 
pas  employée  au  théâtre.  En  vérité,  mon  cher 
petit  bon  ami,  la  manière  dont  on  me  reçoit  par- 
tout est  si  flatteuse,  qu'elle  pourvoit  bien  faive 
tourner  une  tête  moins  sensée,  que  celle  de  votre 
petite  bonne  amie ,  mais  elle  est  d'une  trop  rare 
bonté,  pour  n'être  pas  à  l'abri  de  toute  épreuve. 
Vous  allez  en  juger  par  les  sages  réflexions  que 
ses  nouveaux  succès  lui  ont  fait  faire,  et  dont 
elle  va  vous  faire  part. 

«J'ai  pensé  que  je  ne  pouvois  profiter  d'une  cir- 
constance plus  favorable  pour  terminer  brillam- 
ment ma  carrière  théâtrale,  et  je  vous  crois  trop 
mon  ami,  pour  ne  pas  approuver  la  résolution 
que  je  prends  de  quitter  l'Opéva.  Vous  n'ignovez 
pas,  que  depuis  quelque  temps,  il  est  devenu  le 
centre  des  cabales,  par  conséquent  du  mauvais 
goût,  les  perruquiers,  les  laquais,  sont  devenus 
les  juges  aes  talents,  les  miens  n'ont  jamais  dû 


LA   GUIMARD.  247 

leurs  succès  qu'à  la  bonne  compagnie,  et  je  ne 
veux  pas  risquer  de  devenir  la  pâture  de  celle 
dont  on  remplit  'présentement  le  parterre.  Il  me 
seroit  trop  dur,  après  vingt-cinq  ans  de  suffrages 
bien  soutenus,  définir  par  éprouver  des  désagré- 
ments, et  parmi  mes  chers  camarades,  j'en  con- 
nois  qui  sont  remplis  de  bonnes  volontés  sur  le 
chapitre.  Or,  comme  dans  tous  les  temps,  je  n'ai 
jamais  cherché  qu'à  faireplaisir,  je  vais  mettre 
le  comble  à  mes  procédés  pour  eux,  en  donnant 
ma  démission.  Disposés  de  ma  place,  mon  ami, 
mais  si  vous  voulès  écouter  les  conseils  de  rami- 
fié, ne  la  donnés  qu'au  talent,  et  non  à  la  pro- 
tection ni  au  charlatanisme.  Je  vous  le  répète,  il 
est  très  dangereux  de  donner  légèrement  des  pre- 
mières places,  attendu  que  l'on  est  plus  maître  de 
les  ôter  aux  sujets  que  Von  a  rendus  possesseurs, 
quand  on  finit  par  voir  clairement  qu'ils  ne  sont 
en  état  de  les  remplir.  Il  faut  encourager  les 
jeunes  sujets,  en  les  récompensant  bien.  Soyez  li- 
béral en  argent,  mais  avare  des  premières  places, 
si  vous  voulez  ne  pas  fermer  la  porte  de  l'Opéra 
aux  vrais  talents  qui  pourr oient  les  mériter.  Excu- 
sez, mon  ami,  si  je  vous  donne  des  conseils,  mais 
c'estmon  amitié  pour  vous,  qui  me  les  dicte,  ainsy 
que  le  désir,  que  j'ay  de  ne  pas  voir  détruire  entiè- 
rement la  belle  danse,  que  f  ai  vu  exister  à  l'Opéra. 


248  LA   GUIMARD. 

((  On  m'a  mandé  que  vous  aviez  suspendu  l'ar- 
rêt du  conseil  qui  rétablissait  les  feux,  j'en  suis 
vraiment  fâchée;  vous  savez  que  je  vous  ay  tou- 
jours dit,  qu'il  n'y  avoit  que  ce  moyen  de  rétablir 
le  bon  ordre  dans  le  service  de  l'Opéra.  On  est 
bien  plus  empressé  à  remplir  son  devoir,  quand 
1  intérêt  y  est  attaché,  et  la  certitude  de  toucher 
son  argent,  tous  les  mois,  sans  nulle  espèce  de 
conventions,  rend  bien  des  sujets,  infiniment  pa- 
resseux. Je  tiens  toujours  aux  feux,  sans  eux,  cela 
ira  toujours  mal.  J'ai  encore  une  grâce  à  solli- 
citer de  votre  amitié,  mon  ami,  cest  de  permettre 
à  Nivelon,  de  rester  â  Londres  jusqu'à  la  fin  du 
mois  prochain.  Indépendamment  du  service  que 
vous  me  rendrez;  en  me  laissant  ce  danseur,  vous 
lui  en  rendrez  aussi  un  bien  grand,  car  il  a  paru 
un  libelle  à  Paris,  et  il  est  accusé  d'y  être  pour 
quelque  chose.  On  m' a  mandé,  ainsi  qu'à  lui,  qu'il 
étoit  attendu  à  Paris  par  plusieurs  mauvaises  tê- 
tes de  la  cour,  et  qu'on  vouloit  le  rosser.  Ce  seroit 
une  chose  très  fâcheuse  pour  lui,  qui  (j'en  suis 
persuadée)  ne  le  mérite  pas.  Vous  seul,  mon  ami, 
pouvès  le  soustraire  à  cette  mauvaise  affaire,  en 
lui  permettant  de  passer  encore  cinq  semaines 
à  Londres.  Dans  cet  intervalle,  les  têtes  se  calme- 
ront, et  à  son  retour  on  ne  pensera  plus  au  libelle. 
Accordès-moi  cette  grâce,  mon  ami,  j'en  conser- 


LA   GUIMARD.  249 

verai  une  bienvive  reconnaisance ,  attendu  qu'elle 
m'arrangera  aussi  parfaitement,  puisque  je  viens 
de  contracter,  pour  ces  cinq  dernières  semaines, 
un  engagement  de  650  guinées,  qui  joints  aux 
950  que  f  ai  faites  à  mon  bénéfice,  me  forment 
une  très  jolie  somme,  à  rapporter  à  Paris.  Ce 
voyage  n'a  pas  été  si  bête,  hein!  qu'en  pensès- 
vous?  Dame;  ce  n'est  pas  ma  faute.  Ils  m 'aiment 
à  la  folie,  ces  bons  Anglais!  Voilà  ce  que  c'est 
que  le  mérite! 

«  Ah  ça,  monsieur  mon  cher  petit  bon  ami,  ai- 
mès-moi toujours  bien,  et  autant  que  je  vous  aime 
entendès-vous?  Ecrivès-moi,  je  vous  en  prie,  et 
dites-moi  que  vous  me  laissés  JSivelon.  Vous  nous 
rendrez  service  à  tous  les  deux,  et  vous  êtes  trop 
obligeant  pour  refuser  à  votre  petite  bonne  amie, 
qui  vous  embrasse  de  tout  son  cœur. 

«  GUIMARD. 

«  Mes  respects  je  vous  prie  à  Mme  de  la  Ferté 
ainsi  qu'à  Mme  Desentelles ,  sans  m' oublier  auprès 
de  son  chaste  époux. 

«  Mlle  Saunière  vous  portera  les  commissions 
dont  Mlle  de  la  Bourdonnais  m'avait  chargées 

pour  vous  remettre. 

«  PallMall,  n°10*.  » 

1.  Collection  d'autographes  de  M.  Morrison  à  Londres. 


LXIII 


Une  dernière  lettre  de  l'ancienne  collection 
du  baron  de  Trémont,  adressée  au  banquier 
Perregaux,  le  16  avril  1789,  dont  nous  ne  pou- 
vons, hélas,  donner  que  l'extrait  du  catalogue, 
nous  représente  la  Guimard,  vivant  dans  l'in- 
timité des  grandes  dames  anglaises,  dans  l'inti- 
mité de  la  duchesse  de  Devonshire,  cette  fana- 
tique de  danse,  qui  commandait  un  ballet  à 
Vestris,  et  chez  laquelle,  dans  la  lettre  adressée 
à  M.  de  la  Ferté,  quelques  années  avant,  la 
Guimard  dit  qu'elle  passait  tout  le  temps  qu'elle 
n'était  pas  au  théâtre...  Et  la  réputation  de  son 
goût  d'habillement  fait  de  la  danseuse  française 
une  sorte  d'ordonnatrice  des  modes  de  là-bas. 

Voici    l'extrait   du  catalogue    de  Trémont, 
décembre  1859  : 

«  Curieuse  lettre,  sur  son  arrivée  à  Londres  et 
sur  l'accueil  gracieux  et  empressé  qu'elle  y  a 


LA   GUIMARD.  25 

reçu  de  toute  la  noblesse,  et  principalement  de 
la  duchesse  de  Devonshire,  qui  est  à  la  tête  des 
organisateurs  du  bal,  devant  être  donné  au 
Grand-Théâtre.  » 

«  Pour  le  bal  il  faut  des  habits,  et  les  dames 
anglaises  sont  aussi  coquettes  que  les  Françaises. 
Donc  au  moment  que  je  suis  descendue  de  voiture, 
à  mon  arrivée  à  Londres,  j'ai  été  assommée  de 
marchandes  de  modes  et  de  tailleurs,  pour  me 
'prier  de  la  part  des  dames  de  donner  mes  avis  sur 
leurs  habits.  Vous  pensez  bien  que  je  n'ai  pas 
fait  de  façons...  » 


LXIV 


Des  voyages,  des  tournées  de  la  Guimard  en 
Angleterre,  il  est  resté  un  curieux,  un  étrange, 
un  macabre  témoignage. 

La  maigreur  de  la  danseuse,  elle  est  attestée 
par  tous  les  écrivains  contemporains1  qui  ont 
parlé  d'elle. 

Le  Yol  plcs  haut  nous  apprend  qu'elle  était 
maigre,  longue,  ressemblant  pas  mal  à  une  arai- 
gnée, et  la  diatribe  en  vers  inspirée  par  la  Der- 
vieux,  nous  a  renseigné  surdsa  cuisse  héronnière 
et  sa  jambe  en  échalas. 

Cette  maigreur,  elle  a  fourni  ses  plus  jolis 
méchants  mots  à  cette  mauvaise  langue  de 
Sophie  Arnould,  qui,  devant  une  figuration  de 
la  Guimard  entre  Vestris,  et  Dauberval  laregar- 

1.  Le  Vol  plus  haut  ou  YEspion  des  principaux  théâtres  de 
la  capitale.  A  Memphis,  chez  Sincère,  réfugié  au  Puits  de  la 
Vérité,  1784. 


LA    GUIMARD.  253 

dant  amoureusement,  compare  le  trio,  à  deux 
chiens  qui  se  disputent  un  os1,  et  qui,  un  autre 
jour,  faisant  allusion  aux  amours  de  Mgr  de  Ja- 
rente,  l'évêque  d'Orléans,  a  le  drolatique  mot 
sur  la  grasse  feuille  des  bénéfices  et  le  dessè- 
chement de  la  danseuse2. 

Oui,  cette  maigreur,  c'est  le  refrain  de  toutes 
les  attaques  contre  la  femme,  et  même  parfois 
le  refrain  des  attaques  contre  ses  amants,  ainsi 
que  cela  s'est  fait,  à  propos  de  la  Cinquantaine 
de  M.  de  La  Borde3. 

Avec  le  temps  cette  maigreur,  hélas,  semble 
augmenter,  et  mériter  à  la  courtisane,  cepen- 
dant toujours  aimée,  la  dénomination  du  Sque- 
lette des  Grâces! 

Eh  bien,  le  témoignage  du  séjour  de  la  Gui- 
mard  à  Londres,  nous  vient  d'une  image 
presque  effrayante,  où  celle,  qu'on  appelle  ana- 
créontiquement  squelette  des  Grâces,  n'est  plus 
même  cela,  mais  le  squelette  de  la  danseuse 
d'une  danse  moyennageuse  des  Morts. 

C'est  une  eau-forte  coloriée,  qui  a  pour 
titre  : 


1.  Correspondance  secrète,  t.  II. 

2.  Arnoldiana  ou  Sophie  Arnould  et  ses  contemporains,  par 
l'auteur  de  Bievriana.  Paris,  1813. 

3.  Mémoires  secrets,  vol.  V. 

22 


254  LA   GUIMARD. 

The  Celebraled  Mademoiselle  G  =  =  rd  or 
Grimkard,  from  Pans. 

Publ.  bij  th  Hamphrey.  Ma;/  26  1787. 

Dans  cette  eau-forte,  sous  une  toque  à  plu- 
mes bleu  de  ciel,  une  femme  à  la  tète  de  mort 
fardée,  aux  faux  cheveux  envolés,  au  cou  ossifié, 
soulevant  en  l'air,  d'une  jambe  de  phtisique,  une 
jupe  rose,  et  toute  ballante,  et  toute  envolée, 
fait  dans  le  vide,  des  tours  de  bras,  qui  agitent, 
à  leurs  bouts,  des  phalanges  d'osselets,  au  lieu 
de  mains: — une  danseuse,  me  rappelant  le  sque- 
lette rocaille,  au  coude  galamment  appuyé  sur 
une  console,  qui  est  en  tète  des  Etudes  d'anato- 
mie,  à  l'usage  des  peintres,  par  Monnet1. 

1.  Études  d'anatomie  par  Monnet,  gravées  par  Demarteau 
(Recueil  de  planches  gravées  à  l'imitation  de  la  sanguine). 


LXV 


Le  14  août  1789,  Marie-Madeleine  Guimard, 
alors  âgée  de  46  ans ,  épousait  dans  l'église 
Sainte-Marie  du  Temple,  Jean-Etienne  Des- 
preaux,  né  en  1758,  et  plus  jeune  de  quinze  ans 
que  sa  femme. 

Les  deux  époux,  qui  demeuraient  sur  le  ter- 
ritoire de  Saint-Laurent,  recevaient  la  bénédic- 
tion nuptiale  «  après  avoir  renoncé  à  leur  état  », 
dit  l'acte,  que  M.  Jal  a  tenu  entre  ses  mains1. 

1 .  Dictionnaire  critique  de  Biographie  et  d'Histoire,  par  A.  Jal. 
Paris,  Henri  Pion,  1867.  —  Despréaux  et  la  Guimard  se  trou- 
vaient ensemble  à  Londres,  au  mois  d'avril,  car,  le  15  avril  1789, 
Despreaux  —  il  a  consigné  cette  date  dans  le  recueil  de  ses 
chansons  manuscrites,  conservées  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra, 
—  composait  sa  chanson  de  Y Anti-anglomane,  juste  à  la  veille 
du  jour,  où  la  Guimard  écrivait  la  lettre  à  Perregaux,  citée 
plus  haut. 


LXV1 


Donc,  on  vertu  do  cotte  renonciation  à  son 
état,  faite  à  l'église,  la  carrière  théâtrale  de  la 
danseuse  est  terminée1,  et  c'est  le  moment  de 
donner  les  rôles  dansants,  créés  par  la  ïerpsi- 
chore  du  xvme  siècle,  de  1762  à  1788. 

Rôles  dansants  créés  par  Mlle  Giàmard 

dans  les  opéras  représentés  à  1' Académie  Royale 
de  Musique2. 

•  Les  Fêtes  Grecques  et  Romaines.  —  Ballet  de 
Fuzelier,  musique  de  Colin  de  Blàmont,  repris 
en  1762  et  en  1770  ;  (rôle  de  Terpsichore). 

La  Guirlande.  —  Ballet  de  Marmontel,  mu- 
sique de  Rameau,  repris  en    1762. 

1.  Les  états  mensuels  de  l'Opéra  semblent  indiquer  que  la 
Guimard  prend  sa  retraite,  avant  son  mariage,  au  mois  d'a- 
vril 1789,  au  renouvellement  de  l'année  théâtrale. 

2.  J'emprunte  ce  travail  à  l'intéressante  notice,  placée  par 
M.  Campardon  en  tète  de  l'article  de  la  Guimard,  dans  l'Aca- 
démie Royale  de  Musique. 


LA  GUIMARD.  257 

L'Opéra  de  société.  —  Ballet  de  Mondorge, 
musique  de  Giraud,  représenté  en  1762. 

Castor  et  Pollux.  —  Tragédie  de  Bernard, 
musique  de  Rameau,  reprise  en  1764,  1772, 
1773,  1778;  (rôle  d'une  Ombre  heureuse). 

Les  Fêtes  d'Hébé  ou  les  Talents  Lyriques.  — 
Ballet  de  Mondorge,  musique  de  Rameau,  repris 
en  1764;  (rôle  à'Egle',  chanté  et  dansé). 

Naïs  .  —  Ballet  de  Cahusac,  musique  de  Ra- 
meau, repris  en  1764  ;  (rôle  de  Flore). 

Tancrède.  — Tragédie  deDanchet,  musique  de 
Campra,  reprise  en  1764;  (rôle  d'une  Amazone). 

Pigmalion.  —  Entrée  du  Triomphe  des  Arts. 
Ballet  de  la  Motte,  musique  de  la  Barre,  retou- 
chée par  Ballot  de  Sovot  et  Rameau,  repris  en 
1764  et  en  1772;  (rôle  de  la  Statue  animée). 

Le  Devin  du  village.  —  Intermède  de  Jean-Jac- 
ques Rousseau,  repris  en  1765,  1772,  1782. 

Les  Fêtes  de  l'Hymen  et  de  l'Amour.  —  Ballet 
de  Cahusac,  musique  de  Rameau,  repris  en  1765  *. 

Les  Fêtes  de  Thalie.  —  Ballet  de  Lafont,  mu- 
sique de  Mouret,  repris  en  1765  et  en  1775. 

Thésée.  —  Tragédie  de  Quinault,  musique 
de  Lulli,  reprise  en  1765;  (rôle  d'une  Bergère). 

1.  C'est  en  dansant  dans  ce  ballet  au  mois  de  janvier  1766, 
que  Mlle  Guimard  eut  le  bras  cassé  par  la  chute  d'une 
décoration. 

22. 


258  LA  GUIMARD. 

Les  Fêtes  lyriques.  —  Fragments  de  divers 
auteurs,  repris  en  1766. 

Sylvie.  —  Ballet  de  Laujon,  Berton  et  Trial, 
représenté  en  1770;  (rôles  d'une  Nymphe  et  de 
Vénus.) 

La  Turquie.  —  Acte  de  I'Europe  Galante. 
Ballet  de  la  Motte,  musique  de  Campra,  repris 
en  1766;  frôle  d'une  Sultane). 

Zelinpok,  roi  des  Sylphes.  —  Ballet  de  Mon- 
crif,  musique  de  Rebel  et  Francœur,  repris  en 
1766  et  en  1773];  (rôle  d'une  Nymphe). 

Le  Carnaval  du  Parnasse.  —  Ballet  de  Fuze- 
lier,  musique  de  Mondonville,  repris  en  1767  et 
en  1774;  (rôle  d'une  Jardinière). 

Le  Feu  et  la  Terre.  —  Acte  des  Eléments, 
Ballet  de  Roy,  musique  de  Destouches,  repris 
en  1767  et  en  1773. 

Ernellnde.  — Tragédie  de  Poinsinet,  musique 
de  Philidor,  représentée  en  1767. 

Hippolyte  et  Aricie.  —  Tragédie  de  Pellegrin, 
musique  de  Rameau,  reprise  en  1767  ;  (rôle  d'une 
Bergère). 

Theonis.  —  Pastorale  de  Poinsinet,  musique 
de  Berton  et  de  Trial,  représentée  en  1767. 

Daphnis  et  Alcimadure.  —  Pastorale  de  Mon- 
donville, reprise  en  1768;  (rôle  d'une  Chas- 
seresse). 


LA  GUIMARD.  259 

Dardanus.  — Tragédie  de  laBruère,  musique 
de  Rameau,  reprise  en  1768. 

Titon  et  l'Aurore.  —  Pastorale  de  La  Marre, 
musique  de  Mondonville,  reprise  en  1768. 

La  Vénitienne.  —  Comédie  de  la  Motte,  musi- 
que nouvelle  de  Dauvergne,  repris  en  1768. 

Anacréon.  —  Ballet  de  Bernard,  musique  de 
Rameau,  repris  en  1769;  (rôle  de  Lycoris). 

Les  Amours  de  Radegonde.  —  Comédie  de 
Destouches,  musique  de  Mouret,  reprise  en  1769. 

Enée  et  Lavinie.  —  Tragédie  de  Fontenelle, 
musique  nouvelle  de  Dauvergne,  reprise  en 
1769. 

Erigone.  —  Acte  des  Fêtes  de  Paphos,  ballet 
de  Voisenon,  Collet  et  Labruère,  musique  de 
Mondonville,  repris  en  1769. 

Jason  et  Médée.  —  Ballet  de  Noverre,  repré- 
senté en  1770,  repris  en  1776;  (rôle  de  Creuse). 

Zaïs.  —  Ballet  de  Cahusac,  musique  de  Ra- 
meau, repris  en  1769  et  en  1770;  (rôle  de  hu- 
cinde) . 

Zoroastre.  —  Tragédie  de  Cahusac,  musique 
de  Rameau,  repris  en  1770. 

Alcyone.  —  Tragédie  de  la  Motte,  musique  de 
Marais,  reprise  en  1771  ;  (rôle  de  la  Grande  Prê- 
tresse de  Junon). 

La   Cinquantaine.   —  Pastorale    de   Desfon- 


260  LA  GUIMARD. 

taines ,    musique    do    La  Borde ,    représentée 
en  1771. 

La  Sibylle.  — Acte  des  Fêtes  d'Euterpe,  ballet 
de  Moncrif,  musique  de  Dauvergne,  repris  en 
1771. 

Pyrame  et  Thisbé.  —  Tragédie  de  La  Serre, 
musique  de  Rebelet  Francœur,  reprise  en  1771  ; 
(rôle  d'un  Esprit  aérien). 

Adèle  de  Ponthieu.  —  Tragédie  de  Saint- 
Marc,  musique  de  Berton,  reprise  en  1772. 

Aline,  reine  de  Golconde.  —  Ballet  de  Sedaine, 
musique  de  Monsigny,  repris  en  1772;  (rôle 
d'une  Amante). 

Eglé.  —  Ballet  de  Laujon,  musique  de  de  La 
Garde,  représenté  en  1772. 

Endymion.  —  Ballet  de  Gaétan  Vestris,  repré- 
senté en  1773;  (rôle  de  Diane). 

Ismène.  —  Pastorale  de  Moncrif,  musique  de 
Rebel  et  Francœur,  reprise  en  1773. 

L'Union  de  l'Amour  et  des  Arts.  —  Ballet  de 
Lemonnier,  musique  de  Floquet,  représenté  en 
1773. 

Azolan.  —  Ballet  de  Le  Monnier.  musique  de 
Floquet,  représenté  en  1774;  (rôle  à" Ariane). 

Iphigénte  en  Aulide.  —  Tragédie  du  bailli  du 
Roullet,  musique,  de  Gluck,  représentée  en 
1774. 


LA  GUIMARD.  261 

Orphée.  —  Tragédie  de  Moline,  musique  de 
Gluck,  représentée  en  1774. 

Sabinus.  —  Tragédie  de  Chabanon,  musique 
de  Gossec,  représentée  en  1774. 

Alexis  et  Daphné.  —  Pastorale  de  Chabanon 
musique  de  Gossec,  représentée  en  1775. 

Géphale  et  Procris.  —  Tragédie  de  Marmon- 
tel,  musique  de  Grétry,  représentée  en  1775. 

Cythère  assiégée.  — Ballet  de  Favart,  musique 
de  Gluck,  représenté  en  1775. 

Apelle  et  Campaspe.  —  Ballet  de  No  verre, 
représenté  en  1776;  (rôle  de  Campaspe). 

Les  Caprices  de  Galatée. —  Ballet  de  No  verre, 
représenté  en  1776,  repris  en  1780;  (rôle  de 
Galatée). 

Les  Horaces.  —  Ballet  de  Noverre,  repré- 
senté en  1777. 

Mirtil  et  Lycoris.  — Pastorale  de  Bocquet  et 
Boutellier,  musique  de  Desormery,  représentée 
en  1777. 

La  Chercheuse  d'esprit.  —  Ballet  de  Gardel 
aîné,  représenté  en  1778,  repris  en  1783;  (rôle 
deNicette,  fille  de  Mme  Madré). 

Les  Petits  Biens.  —  Ballet  de  Noverre,  re- 
présenté en  1778;  (rôle  d'une  Bergère). 

Amadis.  —  Tragédie  de  Quinault,  musique 
nouvelle  de  Bach,  reprise  en  1779. 


262  LA  GU1MARD. 

Echo  et  Narcisse.  —  Pastorale  de  Tschudy, 
musique  de  Gluck,  représentée  en  1779;  (rôle 
de  la  Bergère). 

Mirza  et  Lindor.  —  Ballet  de  Gardcl  aîné,  re- 
présenté en  1779. 

La  Fête  de  Mirza.  —  Ballet  de  Gardcl  aîné, 
représenté  en  1781. 

Apollon  et  Daphné.  —  Ballet  de  Pitra,  mu- 
sique de  Mayer,  représenté  en  1782;  (rôle  de 
Terpsichore). 

La  Dourle  Epreuve  ou  Collinette  a  la  Cour. 
—  Opéra  de  Grétry,  représenté  en  1782  ;  (rôle 
d'une  Paysanne). 

L'Embarras  des  Richesses.' — Opéra  de  d'Alain- 
val  el  Lourdet  de  Santerre,  musique  de  Grétry, 
représenté  en  1782. 

Thésée.  —  Tragédie  de  Quinault,  musique 
nouvelle  de  Piccini,  reprise  en  1782  et 
1783. 

Atys.  —  Tragédie  de  Quinault,  musique  nou- 
velle de  Piccini,  reprise  en  1783. 

Péronne  sauvée.  —  Opéra  de  Sauvigny,  mu- 
sique de  Dezaides,  représenté  en  1783. 

Renaud.  —  Tragédie  de  Lebœuf,  musique  de 
Sacchinr,  représentée  en  1783;  (rôle  d'une  Ber- 
gère). 

La  Rosière.  —   Ballet  de  Gardel  aîné,  re- 


LA  GUIMARD.  263 

présenté  en  1783  ;    (rôle    de  la  Surveillante). 

L'Oracle.  —  Ballet  de  Gardel  aîné, représenté 
en  1784  ;  (rôle  de  Lucinde). 

Tibulle.  —  Acte  des  Fêtes  Grecques  et  Ro- 
maines. —  Ballet  de  Fuzelier,  musique  nouvelle 
de  Mlle  Beaumesnil,  repris  en  1784. 

Panurge  dans  l'Ile  des  Lanternes.  —  Opéra 
du  comte  de  Provence  et  Morel,  musique  de 
Grétry,  représenté  en  1785. 

Bizarre.  —  Opéra  de  Duplessis,  musique  de 
Candeille,  représenté  en  1785. 

Le  Premier  Navigateur  ou  le  Pouvoir  de 
l'Amour.  —  Ballet  de  Gardel  aîné,  représenté 
en  1785;  (rôle  de  Mélité). 

Rosine.  —  Opéra  de  Gersin,  musique  de  Gos- 
sec,  représenté  en  1786. 

Les  Sauvages.  —  Ballet  des  Frères  Gardel, 
représenté  en  1786. 

Alcindor. —  Opéra  de  Rochon  de  Chabannes, 
musique  de  Dezaides,  représenté  en  1787. 

Le  Coq  du  Village.  —  Ballet  de  Gardel  aîné, 
d'après  Favart,  représenté  en  1787;  (rôle  de  la 
Maîtresse  du  Garçon). 

Pénélope.  —  Tragédie  de  Marmontel,  musique 
de  Piccini,  reprise  en  1787. 

Armire  et  Evelina.  —  Tragédie  de  Guillard, 
musique  de  Sacchini,  reprise  en  1788. 


264  LA   GUIMARD. 

Le  Déserteur.  —  Ballet  de  Gardel  aîné,  repré- 
senté en  1788;  (rôle  de  Louise). 

La  Toison  d'or  ou  Médée  a  Colchos.  —  Tra- 
gédie de  Deriaux,  musique  de  Vogel,  reprise  en 
1788  *. 


1.  Joignons  à  la  liste  des  rôles  dansants  de  la  Guimard,  ses 
rtats  mensuels  d'appointements,  qu'a  bien  voulu  relever  pour 
moi,  M.  Nuitter. 

1763 

Appoin-        Gratin-       Total, 
tements.        cations. 

Avril Guimard  pour  mémoire  —  —  — 

May  à  décembre .   .   .  .     Signé  :  Guimard.  66'13«4d    16'13«4d    83'6'8 
1764 

Janvier  |  Siontf  .•  GuiMABD.    51.2.3      12.15.7    63.17.10 

(23  premiers  jours).       )       J 

1767 

May Signé  :  Guimard.  208.6.8      il. 13.4      250 

Octobre Signé  :  Guimard.      —  —  — 

1768 

Avril Signé  :  Guimard.     250  250 

May Signé  :  Guimard.      —  — 

1769 

Avril  à  décembre.   .   .   .     Signé  :  Guimard.       —  — 

1770 

Janvier  1    _.      .     _ 

(5  derniers  jours).       |   SVne  :  Guimard.  41.13.4 
Février  à  septembre  .   .     Signé  :  Guimard.      250  250 

Novembre-décembre  .   .     Signé  :  Guimard.      —  — 

1771 

Janvier Signé  :  Guimard.  250 

Février Signé  :  Guimard.  — 

Mars Signé  :  Guimard.  — 

1774 

Avril  à  septembre  .    .   .     Signé  :  Guimard.  — 

Novembre-décembre  .    .     Signé  :  Guimard.  — 


LA   GUIMARD. 


265 


1775 

Janvier  à  décembre  .    .     Signé  :  Guimard.  250 

1776 
Janvier  à  mars Signé  :  Guimard.  — 

1778 

Avril  à  juin Signé  :  Guimard.  — 

Juillet  à  décembre  .   .    .     Signé  :  Vestris  pour  Guimard. 
(Vestris  signe  aussi  pour  MUc  Hees'el.) 

1778 

Feux- 
Avril  (3  dern.  représent.)     Signé  :  Guimard.    3  feux  à  33.6.8  100 
May               —                      Signé  :  Guimard.  17    —  566.13.4 
Juin                —                      Signé  :  Guimard.  10    —  333.  6.8 
Juillet            —                      Signé  :  Vestris.    12    —  400 
Août               —                                   —                     7     —  233.  6.8 
Septembre     —                                 —                    6    —  200 
Octobre          —                                —                  15    —  500 
Novembre     —                                —                   10    —  338 
Décembre      —                                —                  12    —  400 

1779 

Appointements . 
Janvier  —  Signé  :  Vestris.  250 

Février  —  —  — 

Mars  —  —  — 

1779 

Feux. 
Janvier  —  Signé  :  Vestris.         10  fois  333.  6.8 

Février  —  —  4    —  133.  6.8 

Mars  —  —  9_300 

1780 

Appointements. 

Avril  à  octobre  ....     Signé:  Vestris..  250 

Novembre-décembre.    .     Signé  :  Gaixet.  250 

1780 

Jetons 
des  acteurs. 

Avril Signé  :  Vestris.  16  jours  à  18  228 

May —  11     —  198 

Juin _  13    —  234 

Juillet _  10    —  180 

Août —  6    —  108 

Septembre —  12    21g 

Novembre Sig-ne.-GAi.LET.  12    —  216 

Décembre —  16    288 

(Gat.let  signe  aussi  pour  M"°s  Heynel,  Allard.  Peslin.) 

23 


266 


LA  GUIMARD. 


1781 


Janvier  à  dec 

embre  . 

•     Sigi 

■    Sigi 

lé:  Gallet. 
1781 

lé  :  Gallet. 

1781 

té  :  Gallet. 

1782 

'ié  :  Gallet. 
1782 

lé  :  Gallet. 

1783 

né  :  Gallet. 
1783 
lé  :  Gallet. 

Appointements. 
250 

Jetons 

des  acteurs. 

8  jours 

14    — 

11    — 

I  — 
11     — 

3  — 

Jetons 
des  acteurs. 

4  jours 
3    — 

t    — 
13     — 
10     — 

Appointements- 
250 

Jetons 
des  acteurs. 

II  jours 
10    — 

6  — 
10    — 

2     

7  — 
9     — 
9     — 

10  — 
9     — 
9     — 

11  — 

Appointements. 
250 

Jetons. 

10  jours 

11  — 
2     — 

U4 
252 

Avril 

198 
18 

May 

198 
54 

72 

■    Sigi 
Sigt 

.    Sigt 
Sigr 

54 

72 
234 

180 

Janvier  à  décc 
Février    .    .    . 

imbre .    . 

198 
180 

Mars.   .       .   . 

108 

Avril 

180 

May 

3fi 

1?f> 

Juillet  .... 

16i> 

Octobre   . 

162 
180 
162 
162 

198 

Janvier  à  décembre.   . 
Février 

180 
126 

198 

36 

LA  GUIMARD. 

May Signé  :  Gallet.  12  jours 

Juin —  8  — 

Juillet —  7  — 

Août —  1  — 

Septembre —  0  — 

Octobre —  0  — 

Novembre —  0  — 

Décembre —  9  — 

1784 

Appointements 

Janvier  à  mars Signé  :  Gallet.  250 

Appoin-        Gratifi- 
tements.      cations. 

Avril Signé  :  Gallet.       250       166.13.4 

May  à  octobre Signé  :  Gallet.       250       333.  6.8 

Les  états  de  novembre  et  de  décembre  manquent. 

1784 

Jetons. 

Janvier.  , Signé  :  Gallet.  12  jours 

Février —  12    — 

Mars —  11    — 

1783-84 

Rouge  et  pommade. 

Signé  :  Gallet.  par  an 

1785 

A.ppoin-      Gratifi- 
tements.      cations. 

Janvier  à  décembre  .   .     Signé  :  Gallet.        250        333.6.8 

1784-88 

Rouge  et  pommade. 

Signé  :  Gallet.        pour  l'année 
Corps  ou  piqûres. 

Signé  :  Gallet.        pour  l'année. 

1786 

{  Appoin-       Gratifi- 
tements.      cations- 
Janvier  à  mars Signé  :  Gallet.       250       333.6.8 

May  à  septembre  ...  —  —  — 

Novembre-décembre  .   .  —  —  — 

1785-86 

Rouge  et  pommade.   .   .     Signé:  Gallet.        pour  l'année. 
Corps —  — 


267 

216 

144 

126 

18 


162 


416.13, 
583.  6.; 


216 
216 

198 


300 

Total. 
583.6.S 

300 
24 

Total. 
583.6.! 


300 
24 


268  LA   GUIMARD. 

1787 

Appoin-       Grattû-       Total, 
tements.      cations. 

Janvier  à  avril Signé  :  Gallet.       250       333.6.8       583.6.8 

Octobre —  —  —  — 

Novembre —  —  —  — 

1786-87 

Rubans  et  pommade.   .     Signé  :  Gallet.        pour  l'année        300 
Corps  ou  piqûres.   .   .   .     Sig n é  :  Gallet.  —  21 

1788 

Appoin-      Gratifi-        Total, 
tements.     cations. 

Janvier  à  may Signé  :  Gallet.       230       333. 6. X.      5*3.6.8 

Juin-juillet Signé  :  H ainssijlin.  —  —  — 

Août-décembre Signé:  Gallet.        —  —  — 

1787-88 

Corps,  pas  d'émargement. 
Ronge  et  pommade.   .   .     1"  3°  4e  quartiers.  Signé  :  Gallet.       \  _-.. 
2e  quartier.  Signé  :  Hainsselin*.  ) 

1789 

Janvier Signé  :  Gallet.       250        333.6.8       583.6.8 

Février —  —  —  — 

Mars —  —  —  — 


LXVII 


Mlle  Guimard,  avons-nous  dit  plus  haut,  s'était 
mariée,  le  14  juillet  1789,  dans  l'église  Sainte- 
Marie  du  Temple,  à  Jean-Etienne  Despréaux. 
Or  voici  le  contrat  de  mariage,  dont  j'ai  eu  la 
bonne  fortune  de  retrouver  la  minute,  dans 
l'étude  de  M.  Gatine,  le  successeur  de  M.  Du- 
fouleur,  le  notaire,  où  le  contrat  avait  été  passé. 

«  Par  devant  les  conseillers  du  Roi,  notaires 
au  Chàtelet  de  Paris,  soussignés  : 

«  Furent  présents  : 

«  Sieur  Jean-Etienne  Despréaux,  pension- 
naire du  Roy,  majeur,  fils  de  défunts,  Sieur 
Jean-François  Despréaux  et  de  Dame  Marie- 
Anne  Darras,  son  épouse,  demeurant  à  Paris, 
rue  d'Orléans,  Porte  Saint-Denis,  paroisse  Saint- 
Laurent. 

«  Stipulant  pour  lui  et  en  son  nom. 

«  D'une  part. 

23. 


270  LA   GUIMARD. 

«  Et  DUe  Marie-Madeleine  Guimard,  fille  ma- 
jeure, pensionnaire  du  Roy  demeurant  à  Paris, 
susdite  rue  et  paroisse. 

«  Stipulant  pour  elle  et  en  son  nom. 
«  D'autre  part. 

«  Lesquels,  pour  raison  de  mariage,  proposé 
entre  eux,  dont  la  célébration  se  fera  en  face 
d'église  incessamment,  sont  convenus  des  trai- 
tés, clauses,  et  conditions  dudit  mariage,  de  la 
manière  et  ainsi  qu'il  suit  : 

ARTICLE  PREMIER 

«  Les  Sr  et  Dlle,  futurs  époux,  seront  com- 
muns en  tous  biens,  meubles  et  immeubles 
qu'ils  acquiéront  pendant  leur  mariage  confor- 
mément à  la  coutume  de  Paris,  par  laquelle 
leur  future  communauté  sera  régie. 

ART.    2. 

«  Ne  seront,  néanmoins,  lesdits  Sr  et  D"e, 
futurs  époux,  tenus  des  dettes  et  hypothèques 
l'un  de  l'autre  antérieures  à  la  célébration  de 
leur  mariage,  s'il  y  en  a,  elles  seront  payées  et 
acquittées  par  celui  qui  les  aura  contractées,  et 
sur  ses  biens,  sans  que  l'autre,  ses  biens,  ni 
ceux  de  la  communauté  n'en  soient  chargés. 


LA  GUIMARD.  271 

ART.   3. 

«  Les  biens  dudit  futur  époux  consistent  : 
«  1°  Dans  trois  mille  sept  cents  livres  de  pen- 
sions,   en    plusieurs    parties,    sur    le    Trésor 
Royal  ; 

«  2°  Dans  la  somme  de  vingt-quatre  mille 
livres,  tant  en  deniers  comptants  qu'en  meubles 
et  effets  mobiliers,  habits,  linges  et  hardes 
à  son  usage,  y  compris  les  arrérages  de  ses 
pensions  échus  jusqu'à  ce  jour  :  le  tout  pro- 
venant de  ses  gains  et  épargnes,  déduction  faite 
de  ses  dettes  passives. 

art.  4. 

«  Ceux  de  ladite  DUe,  future  épouse,  con- 
sistent : 

«  1°  Dans  douze  mille  livres  de  rente  viagère 
sans  retenue,  sur  Mgr  le  duc  d'Orléans. 

«  2°  Dans  deux  mille  cent  soixante  livres  de 
rente  viagère  sur  le  Roy,  nette  d'imposition. 

«  3°  Dans  six  mille  livres  de  pension,  sur  le 
Trésor  Royal. 

«  4°  Dans  trois  mille  aussi  de  pension,  sur  la 
caisse  de  l'Opéra. 

«  5°  Dans  la  somme  de  cent  dix  mille  livres, 
tant  en  deniers  comptants  qu'en  meubles,  effets 
mobiliers,  bijoux,  habits,  linge  et  hardes  à  son 


272  LA   CU1MA.RD. 

usage,  y  compris  les  revenus  de  ses  biens  échus 
jusqu'à  ce  jour,  déduction  pareillement  faite  de 
ses  dettes  passées. 

ART.   5. 

«  Des  biens  dudit  Sr  et  Dlle,  futurs  époux,  il 
entrera  de  chaque  côté,  en  ladite  communauté, 
jusqu'à  concurrence  de  la  somme  de  douze  mille 
livres,  le  surplus  qui  échoira  et  adviendra  pen- 
dant le  mariage  à  chacun  d'eux,  tant  en  meubles 
qu'immeubles  par  suite  de  donations,  legs  ou 
autrement,  lui  sera  et  demeurera  propre,  comme 
sien  seulement. 

ART.   6. 

Ledil  Sr.  futur  époux  doue  ladite  future 
épouse  de  1  200  livres  de  rente  de  douaire  pré- 
tix.  dont  elle  jouira,  sans  être  tenue  d'en  faire 
la  demande  en  justice:  le  fond  duquel  douaire 
sur  le  pied  du  denier  vingt,  sera  propre  aux 
enfants  qui  naîtront  du  mariage. 

art.  7. 

«  Le  survivant  aura  et  prendra  par  préciput 
et  avant  partage  des  biens  de  la  communauté, 
tels  des  meubles  d'iceux  qu'il  voudra,  suivant 
la  prisée  de  l'inventaire  qui  en  sera  lors  fait 
jusqu'à  la  concurrence  de  la  somme  de  dix  mille 


LA    GUIMARD.  273 

livres,  ou  ladite  somme  en  deniers  comptant,  au 
choix  du  survivant. 

<(  Et  en  outre  ledit  survivant  aura  et  prendra 
par  augmentation  dudit  préciput  savoir  :  si 
c'est  le  futur  époux  qui  survit,  les  habits,  le 
linge  et  hardes  à  son  usage,  ses  dentelles  et  sa 
bibliothèque,  et  si  c'est  ladite  demoiselle  future 
épouse,  aussi  les  habits,  linge  et  hardes  à  son 
usage,  ses  dentelles,  sa  toilette,  et  argenterie 
d'icelle.  à  quelque  somme  que  le  tout  puisse 
monter. 


art.  11. 

«  Il  est  convenu  que  le  survivant  desdits  Sr 
et  Dlle  futurs  époux,  demeurera  propriétaire  de 
la  totalité  du  bénéfice  de  ladite  communauté, 
sans  que  les  héritiers,  soit  directs,  soit  collaté- 
raux du  prédécédé,  y  puissent  prétendre  aucun 
droit. 

art.  12. 

«  Il  est  pareillement  convenu  que  ladite  Dlle. 
future  épouse,  continuera  de  toucher  sur  ses 
simples  quittances,  et  sans  avoir  besoin  de  l'au- 
torisation dudit  futur  époux,  ainsi  qu'il  y  con 


274  LA   GUIMÂRD. 

sent  expressément,  tels  arrérages  e'chus  ou  à 
échoir  des  douze  mille  livres  de  rentes  sur 
M.  le  duc  d'Orléans. 

art.  13. 

«  En  considération  dudit  mariage,  lesdits  Sr 
et  DUe,  futurs  époux,  se  font  par  ces  présentes, 
donation  l'un  à  l'autre  et  au  survivant  d'eux,  de 
tous  les  biens  généralement  quelconques,  qui  se 
trouveront  dépendre  de  la  succession  du  pré- 
décédé, et  en  quoi  le  tout  puisse  consister. 

«  Ladite  donation  ainsi  faite,  soit  qu'il  y  ait 
des  enfants  ou  non  du  futur  mariage,  et  sauf 
la  légitime  desdits  enfants,  dans  le  cas  où  ledit 
futur  époux  recueillerait  ladite  donation  en  pro- 
priété. 

„  «  Le  tout  ainsi  arrêté  et  convenu  entre  les- 
dites  parties. 

«  Fait  et  passé  à  Paris,  en  la  demeure  sus- 
dite de  la  demoiselle  Guimard. 

«  L'an  1789,  le  13e  jour  d'août.  » 


LXVIII 


Les  femmes  de  théâtre  aiment  le  compagnon- 
nage avec  les  hommes  qui  leur  apportent  l'é- 
gayement,  le  rire,  la  distraction  cocasse,  avec 
les  hommes  qui  ont  à  toute  heure,  la  pensée  et 
le  mot  drolatique  :  les  femmes  de  théâtre  affec- 
tionnent naturellement  les  farceurs. 

Sophie  Arnould  adora  l'architecte  Bellanger, 
rien  que  pour  son  esprit  d'atelier,  et  ce  fut  pour 
cela  seulement,  que  la  Dervieux  l'épousa.  La 
Guimard  subit  le  même  entraînement  que  ses 
sœurs  de  l'Opéra,  et  chez  elle  un  pareil  genre  de 
fascination  changea  une  passade  —  si  même 
une  passade  eut  lieu  avant  le  mariage  —  en  d'é- 
troits liens  conjugaux. 

Oui,  le  côté  carnavalesque  de  l'esprit  en  joie 
de  Despréaux,  dans  ses  parodies  des  opéras 
d'ERNELiNDE,  de  Castor  et  Pollux,  d'IraiGÈNiE, 
de  Pénélope  devenue  :  Sy?icope,  reine  de  Mie- 


27G  LA   GUIMARD. 

mac,  ce  côté  qui  laisse  apercevoir  clans  l'homme 
un  plaisantin  farce,  et  promettait  dans  un  mari, 
pour  les  jours  noirs  et  mélancolieux,  un  ai- 
mable boutTon  d'intérieur,  il  faut  supposer  qu'il 
fut  un  peu  une  des  causes  déterminantes  de  l'u- 
nion indissoluble  de  la  femme. 

Puis  Despréaux  n'était  pas  seulement  un 
amuseur,  par  le  tour  de  son  esprit  et  l'entrain 
de  ses  charges,  il  semble  qu'il  avait  tous  les 
petits  talents  d'agréments,  propres  à  assurer,  à 
perpétuité,  l'affection  d'une  femme  de  plaisir, 
dont  la  jeunesse  était  morte.  Il  était  un  chan- 
sonnier, qui  savait  trouver  un  couplet  pour  le 
dessert  d'un  anniversaire,  il  dessinotait,  il  était 
un  découpcur  de  silhouettes,  à  la  façon  du  Ge- 
nevois Hubert,  pouvant,  dans  une  soirée,  au 
bout  de  fins  ciseaux,  donner  la  portraiture  amu- 
sante des  invités,  hommes  et  femmes.  Et,  en 
elTel,  le  profil  qu'on  a  de  lui,  en  tête  de  ses 
Passe-Temps,  ce  profil  au  grand  nez  aquilin,  au 
menton  sensuel,  surmonté  d'un  amour  bran- 
dissant une  marotte,  et  ayant  pour  légende  : 
«  Chantez,  dansez,  amusez-vous»  porte  au  bas  : 
Découpé  par  J.-E.  Despréaux'1 . 

1.  Mes  Passe-temps,  chansons  par  Jean-Étienne  Desprëaux, 
ornés  de  gravures  d'après  les  dessins  de  Moreau  jeune,  avec 
les  airs  notés.  A  Paris,  chez  l'auteur,  1806. 


LA  GUIMARD.  277 

Mais  ce  portrait  physique  et  moral  du  dan- 
seur, le  voulez-vous  détaillé,  plus  complet,  allez 
le  chercher  dans  le  recueil  manuscrit  de  ses 
chansons,  conservé  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra, 
en  cette  pièce  de  vers,  qui  n'a  pas  été  im- 
primée. 

Despréaux,  après  avoir  dit  qu'il  descendait 
du  grand  chapelain  de  saint  Louis,  se  dépeint 
en  ces  termes  : 


Il  faut  que  je  vous  désigne 

De  ma  taille  la  grandeur  : 

Cinq  pieds,  trois  pouces,  neuf  lignes, 

Voilà  juste  ma  hauteur. 

Large  front,  bouche  moyenne, 

Menton  pointu,  le  nez  long, 

Les  yeux  gris,  figure  pleine, 

Sourcils  bruns,  cheveux  blonds, 

Esprit  vif,  gai  caractère, 

Sans  souci,  de  temps  en  temps, 

Et  surtout  à  faire 
Usage  de  mes  cinq  sens. 
Point  de  dévot,  peu  philosophe, 
Estimant  fort  les  savans; 
En  savoir,  assez  d'étoffe, 
Pour  rire  des  charlatans. 


Et  savez-vous,  c'est  curieux,  quand  et  dans 
quelles  conditions  c'a  été  écrit?  lisez  l'envoi  : 

24 


LA   GUIMARD. 

Le  tout,  fait  en  ma  demeure, 
Pour  me  distraire  l'esprit. 
De  nuit,  à  peu  près  une  heure, 
Crachant  le  sang,  en  mou  lit. 

Mois  d'Avril,  ce  mardi  seize, 
Rue  d'Orléans-Saint-Denis, 

L'an  sept  cent  quatre-vingt-treize 
En  la  ville  de  Paris. 


LXIX 


Ce  ménage  de  danseurs,  mariés  juste  un  mois 
après  la  prise  de  la  Bastille  :  le  mari  et  la  femme 
ne  dansant  plus,  —  et  l'ancienne  propriétaire  à 
la  Chaussée-d'Antin  et  à  Pantin,  en  dépit  des 
rentes  et  pensions  énoncées  au  contrat  de  ma- 
riage, ne  semblant  avoir  gardé  pas  grand'chose 
de  son  opulence  passée  :  ce  ménage  avait  bien- 
tôt à  subir  les  réductions,  les  retranchements, 
la  ruine  apportée  par  la  Révolution  à  la  fortune 
des  particuliers,  pensionnés  par  l'Etat. 

L'année  n'était  point  écoulée,  que  le  décret 
du  10  juillet  1790,  assimilait  la  retraite  d'un 
sujet  retiré  de  l'Opéra,  à  la  pension  de  l'ancien 
régime, — d'ordinaire, une  faveur, une  grâce,  une 
prodigalité  sans  juste  raison  du  pouvoir.  Or, 
cette  pension  de  retraite  de  l'Opéra,  qui  était  en 
règle  générale  de  1  oOO  francs  pour  quinze  ans 
de  service,  de  2  000  francs  pour  vingt  ans  de 


280  LA  GUIMARD. 

service,  de  2  500  francs  pour  vingt-cinq  ans, 
au  lieu  d'être  une  faveur,  était  une  obligation 
contractée  par  le  gouvernement,  et  appuyée  sur 
une  multitude  d'arrêts  et  de  règlements  ',  était 
un  contrat,  était  un  droit. 

Et  très  justement,  les  Observations  pour  les 
Sujets  retirés  de  l'Opéra  s'exprimaient  ainsi  : 
«  Le  gouvernement  a  dit  à  chaque  sujet  : 
<(  Votre  talent  est  nécessaire  à  l'Opéra;  je  dé- 
sire que  vous  vous  y  attachiez,  et  que  vous  y 
fassiez  quinze  années  de  service.  Pendant  ces 
quinze  années  de  service,  les  appointements  qui 
vous  seront  donnés,  ne  pourront  pas  s'élever 
au-dessus  de  la  somme  de  trois  mille  livres,  je 
sens  que  cette  somme  est  modique,  et  que  vous 
auriez  le  droit  d'en  prétendre  une  beaucoup 
plus  forte  ;  je  sais  aussi  qu'il  vous  seroit  facile 
de  vous  procurer  sur  d'autres  théâtres  un  sort 

1.  Dès  1713,  un  fonds  de  dix  mille  livres  avait  été  réservé' 
à  l'effet  de  payer  les  retraites  promises  aux  sujets  de  l'Opéra. 
Et  voici  en  quels  termes,  est  conçu  le  règlement  donné  à  Ver- 
sailles, le  11  janvier  de  cette  année. 

Il  sera  fait  un  fonds  de  dix  mille  livres,  pour  les  pensions 
des  acteurs  et  des  actrices,  et  autres  gens  de  musique  et  de 
danse,  et  symphonistes  de  l'orchestre,  qui  après  avoir  servi 
pendant  quinze  années,  seront  par  leur  âge  ou  leur  infirmités, 
hors  d'état  de  continuer  leurs  services,  savoir  1000  livres  à 
ceux  où  à  celles  qui  ont  1  500  livres  d'appointements,  et  la  moi- 
tié des  appointements,  à  ceux  ou  à  celles  qui  ont  1200  livres 
et  au-dessous,  sans  que  le  dit  fonds  puisse  être  augmenté,  etc. 


LA   GUIMARD.  281 

infiniment  plus  avantageux.  Je  ne  me  dissimule 
donc  pas  que  c'est  un  grand  sacrifice  que  j'exige 
de  vous,  mais  en  considération  de  ce  sacrifice, 
je  vous  assurerai,  pour  retraite,  à  dater  du  terme 
de  vos  quinze  années,  époque  où  il  vous  sera, 
en  effet,  libre  de  vous  retirer,  la  moitié  des  ap- 
pointements dont  vous  aurez  joui  pendant  ce 
temps-là.  » 

A  propos  de  ces  pensions  de  retraite  des 
acteurs  et  des  actrices  de  l'Opéra,  un  livre  qui 
s'occupe  des  Moyens  d'améliorer  l'organisation 
des  spectacles  de  Paris  par  rapport  au  public  et 
aux  acteurs,  dans  le  but  d'être  utile  à  la  muni- 
cipalité, ce  livre  confesse  que  la  danse  a  surtout 
tous  les  droits  à  cette  retraite,  parce  que  si  les 
chanteurs  français  n'avaient  de  chances  d'enga- 
gement qu'en  France,  nos  danseurs  et  nos  dan- 
seuses qui  plaisent  dans  tout  F  Univers,  auraient 
pu  trouver  des  conditions  beaucoup  plus  bril- 
lantes chez  les  autres  nations. 

Et  les  observations  pour  les  sujets  retirés  de 
l'Opéra,  considérant  cette  retraite  seulement 
comme  le  payement  d'une  avance  sur  leurs  tra- 
vaux, et  comme  une  juste  indemnité,  se  termi- 
naient ainsi  : 

«  Et,  croit-on,  que  s'ils  n'avaient  pas  invaria- 
blement compté  sur  ce  secours,  s'ils  avaient  pu 

24. 


282  LA    GUIMARD. 

penser  qu'on  leur  disputeroit  un  jour  une  pro- 
priété aussi  sacrée,  et  qu'ils  seroient  exposés  au 
danger  de  se  la  voir  ravir,  la  Guimard,  les  Vestris, 
\esSai?it-Hube7'ti,  et  tant  d'autres  talents  célèbres, 
qui  ont  fait  pendant  si  longtemps  les  délices  de 
la  nation,  et  dont  elle  a  conservé  un  si  grand  sou- 
venir, eussent  consenti  à  rester  constamment  at- 
tachés àTOpéra,  et  se  contenter  d'appointements, 
qui  suffisaient  à  peine  pour  les  faire  vivre? 

«  Croit-on  qu'ils  eussent  eu  le  courage  de  résis- 
ter à  toutes  les  offres  séductrices  qui  leurétoient 
faites  de  tant  d'autres  théâtres  de  l'Europe  pour 
les  attirera  l'étranger,  et  les  enlèvera  la  France? 

«  Croit-on  qu'ils  eussent  ainsi  sacrifié  les 
années  si  brillantes  de  leur  force  et  de  leur  jeu- 
nesse, pour  n'en  retirer  dans  un  âge  plus  avancé, 
aucun  avantage  ?  » 

Mais  en  dépit  de  la  justice  de  ces  réclama- 
tions, l'état  des  finances  de  la  République  fai- 
sait que  les  64  000  francs  dépensions  de  retraite 
des  retraités  de  l'Opéra,  étaient  mal,  puis  pas 
payés  du  tout,  pendant  certaines  années  de  la 
Révolution1. 


1.  Sur  un  papier  payant  un  timbre  de  cinq  sous,  et,  qui  porte 
en  haut:  Exercice  1791  :  Musique  du  Roi  et  Département  des 
Menus-Plaisirs,  Mlle  Guimard,  à  la  date  du  27e  jour  d'octobre, 
donne  un  reçu  de  300  francs,  pour  ses  appoiiitements  de  juillet. 


LXX 


Les  Passe-Temps  poétiques  du  mari  de  la  Gui- 
mard,  dans  la  pièce  intitulée  :  Mon  emménage- 
ment à  Montmartre,  nous  apportent  un  curieux 
renseignement  sur  le  logis,  où  s'abrita,  se  cacha 
un  peu  le  ménage,  pendant  «  les  trois  années  de 
la  Terreur  »,  un  logis  situé  tout  au  haut  de  la 
butte  Montmartre,  et  auquel  on  parvenait  par 
un  chemin  si  escarpé,  que  les  patrouilles  an- 
thropophages1 négligeaient  d'y  monter. 

Ecoutez  le  mari  de  la  Guimard  : 

Un  peu  plus  haut  que  les  clochers, 

Près  de  la  céleste  demeure, 

Ma  femme  et  moi  sommes  juchés, 

On  y  monte  en  moins  d'un  quart  d'heure  : 

Les  habitants  de  ces  cantons, 

Ce  sont  simplement  des  ânons. 


1.  C'est  ainsi,  que  Despréaux  épithete  ces  patrouilles,  dans 
le  manuscrit  de  ses  chansons. 


284  LA  GUIMARD. 


Des  bourgs,  des  cités  plus  de  mille. 
Là,  je  découvre  à  l'horizon. 

Au  bord  de  Paris  et  des  champs, 
Avec  mon  aimable  compagne, 
Mon  cœur  goûte  les  agréments 
De  la  ville  et  de  la  campagne  : 
Paisible  du  matin  au  soir, 
Là,  sous  des  voûtes  de  verdure, 
En  main,  la  bêche  ou  l'arrosoir, 
Je  tâche  d'aider  la  nature  (bis). 

Et  l'arrosoir  et  la  bûche  à  la  main,  le  ménage 
reste  en  haut  de  la  butte  Montmartre,  jusqu'en 
1797,  où  dans  une  autre  pièce  :  Les  Contre- 
temps, Despréaux  s'excuse  auprès  de  ses  con- 
frères des  «  Dîners  du  Vaudeville  »,  de  manquer 
à. leur  réunion,  à  cause  de  son  déménagement. 


LXXI 


Au  fond,  le  mari  que  s'était  choisi  MUa  Gui- 
mard,  sous  le  coup  de  la  cinquantaine,  était  un 
gai  optimiste,  un  philosophe  couleur  de  rose, 
ainsi  qu'il  se  dénomme  quelque  part,  un  joyeux 
qui  se  consolait  des  malheurs  de  sa  patrie  et 
de  ses  infortunes  particulières  par  la  fabrication 
de  flons-flons,  sur  l'événement  douloureux. 

Il  trouve  que  l'année  1794,  est  une  année 
faite  pour  chanter  le  soir,  au  dessert,  et  le  voici, 
qui,  cette  année-là,  fonde  les  Dîners  du  Vaude- 
ville. 

En  1795,  la  dégringolade  des  assignats  le 
force  à  vendre  une  partie  de  ses  livres,  et  c'est 
pour  lui  l'occasion  de  lancer  la  chanson  :  Ma 
Bibliothèque  ou  le  Cauchemar. 

Vers  le  même  temps,  le  manque  à  peu  près 
de  tout,  même  de  la  pudeur  chez  la  femme,  lui 
fait  faire  la  jolie  chanson  : 


286  LA   GUIMARD. 

Grâce  à  la  mode, 
Un'  chemis'  suffit, 
Un'  chemis'  suffit, 
Ah  que  c'est  commode. 
Un'  chemis'  suffit, 
C'est  tout  profit. 

Car  dans  son  genre,  il  n'est  pas  sans  talent, 
ce  Jean-Etienne  Despréaux.  C'est  un  précurseur 
de  Béranger,  de  Béranger  qui,  ma  foi,  a  pris  au 
danseur-chansonnier  sa  philosophie  d'Ana- 
créon,  avec  un  peu  du  tour  de  ses  vers. 

Que  le  lecteur  en  juge  par  lui-même. 

LA     FIN     DU     MONDE 

Tant  que  le  soleil  hrillera 
Noire  planète  tournera: 
On  y  verra  mûrir  des  pommes, 
On  y  verra  croître  des  hommes, 
Peu  de  bons,  beaucoup  de  méchans, 
Qui  suivront  toujours  leurs  penchans, 
Pour  s'étourdir  sur  les  maux  de  ce  monde, 
Mes  amis,  buvons,  buvons  tous  à  la  ronde, 
Croyez-moi,  buvons  tous  à  la  ronde. 


Ce  n'est  pas  seulement  le  tour  qu'il  vole,  c'est 
encore  le  refrain,  ainsi  que  cet  autre  refrain 
célèbre. 

Eh  !  zon,  zon,  zon... 

Les  expressions  même,  le  jus  de  la  treille, 


LA   GUIMARD.  287 

la  machine  ronde,  etc.,  etc.,  etc.,  tout  le  voca- 
bulaire, toute  la  langue  de  Despréaux,  Déranger 
l'emprunte  au  pauvre  diable. 

Et,  dès  les  premières  années  de  la  Révolution, 
Despréaux  a  humanisé  «  le  bon  Dieu  »,  tout 
comme  l'humanisera  Béranger,  quelques  années 
plus  tard. 

Mais  où  le  plagiat  est  le  plus  transparent,  c'est 
dans  la  chanson  de  Béranger  :  Les  deux  Sœurs 
de  Charité,  chanson  dont  l'inspiration  pre- 
mière a  été  fournie  par  la  Guimard. 

Pour  sœur,  Despréaux  avait  sœur  Sainte- 
Éléonore,  religieuse  au  couvent  de  l'Adoration 
perpétuelle  du  Saint-Sacrement,  avait  pour 
femme,  Mlle  Guimard,  et  l'opposition  de  l'exis- 
tence de  ces  deux  êtres  qu'il  aimait,  lui  inspi- 
rait :  Les  deux  Madeleines,  ou  la  chanson  à 
deux  fins. 

Un  luth  en  main,  à  cette  table, 

Entre  l'amour  et  l'amitié, 
Je  veux  chanter  la  fête  aimable, 
De  ma  sœur  et  de  ma  moitié  (bis)  : 
Toi,  Magdeleine  leur  patronne, 
Daigne  seconder  mes  dessins! 
Pour  Terpsichore  et  pour  la  nonne 
Il  me  faut  chanson  à  deux  fins  (bis). 

Que  dans  la  balance  céleste, 
Un  Dieu  pèse  erreurs  et  vertus, 


288  LA   GUIMARD. 

Ma  femme,  il  trouvera  du  reste, 
Pour  te  mettre  au  rang  des  élus  (bis)  : 

Si  ma  sœur  Sainte-Éléonore, 
Au  fauteuil,  parvient  tout  d'un  trait, 

Ma  femme,  sainte  Terpsichore, 

Au  ciel,  aura  le  tabouret  (bis). 

Sur  la  même  idée  Despréaux  improvisait  en- 
core la  chanson  intitulée  :  Les  Contrastes,  dédiée 
à  sa  sœur,  une  chanson  qui  devait  presque  four- 
nir le  texte  de  la  chanson  de  Béranger. 


Vous  ne  chantez  qa' alléluia, 
Ou  bien  d'autres  saintes  paroles, 
Et  moi  danseur  de  l'Opéra, 
Je  ne  fais  que  des  cabrioles  : 
Vous  étouffez  tous  vos  désirs; 
Nuit  et  jour,  je  ris,  je  badine  ; 
Je  me  donne  tous  les  plaisirs, 
Et  vous  la  discipline  (bis). 

Vous  faites  maigre,  je  fais  gras 
Et  j'évite  la  moindre  peine  ; 
Vous  avez  caché  vos  appas 
Sous  une  chemise  de  laine; 
Je  m'occupe  des  biens  présens; 
Et  vous  de  la  vie  éternelle  (bis); 

Sans  commettre  la  moindre  erreur, 
Vous  allez  souvent  à  confesse  : 

Moi,  j'y  vais  rarement,  ma  sœur, 
Et  je  pèche  sans  cesse  (bis). 


LXXII 


En  cette  absence  de  documents  intimes  ou 
autres,  recueillis  par  un  livre,  une  brochure, 
un  journal,  une  gazette,  un  papier  scandaleux, 
un  imprimé  quelconque,  en  ce  silence,  qui  se 
fait  sur  la  fin  de  ces  vies  si  trompettées  autrefois, 
par  toutes  les  voix  de  la  publicité,  en  cet  ano- 
nymat, pour  ainsi  dire,  de  leurs  dernières  an- 
nées, l'existence  des  grands  artistes  lyriques  et 
dramatiques,  en  ce  temps  où  l'Etat  ne  paye  plus 
ni  pensions,  ni  retraites,  ne  se  trahit  auprès  des 
biographes,  ne  se  livre  guère  que  par  un  ren- 
seignement qui  est  toujours  le  même  :  la  de- 
mande d'un  secours  ou  d'une  représentation  à 
leur  bénéfice. 

Et  nous  voyons  l'ancienne  propriétaire  de 
l'hôtel  de  la  rue  de  la  Chaussée-d'Antin,  ré- 
duite, près  des  bureaux,  aux  humbles  et  qué- 

25 


290  LA    GUIMARD. 

mandeuses  sollicitations  de  la  vieille  Clairon, 
de  la  vieille  Sophie  Arnould. 

Or,  voici  la  pétition  qu'adresse,  en  mai  1798, 
la  Guimard,  devenue  femme  Despréaux. 

Au  ministre  de  l'intérieur. 

«  Citoyen  Ministre, 

«  La  Guimard,  femme  Despréaux,  ancienne 
artiste  de  l'Opéra,  qui  jouissoit  d'une  fortune 
assez  considérable,  tant  en  rente  s  qu'en  pensions, 
mais  que  les  circonstances  ont  absolument  rui- 
née, avoit  obtenu,  pour  la  dédommager  des  per- 
tes qu'elle  a  faites,  une  promesse  du  citoyen  mi- 
nistre Benezech,  de  deux  représentations  du 
ballet  de  Ninette,  dont  la  moitié  de  chaque  re- 
cette, franche  de  tout  frais  devoit  être  à  son  pro- 
fit, et  l'autre  à  celui  des  artistes  de  ce  spectacle, 
pour  les  indemniser  de  ce  qui  leur  est  dû,  moyen- 
nant qu'elle  y  rempliroit  le  principal  rôle. 

«  Les  ordres  furent  donnés.  Tout  fut  promis  et 
arrêté  par  le  comité  de  l'Opéra,  d'après  les  lettres 
du  sieur  Ginguené,  mais  rien  ne  fut  exécuté,  et 
la  citoyenne  Guimard  réclame  depuis  un  an,  ce 
faible  secours. 

«  Depuis  le  temps  qu'on  lui  a  fait  cette  pro- 
messe, on  a  accordé  la  faveur  qu'elle  demande 


LA.  GUIMARD.  291 

aux  citoyens  Vestris  père,  à  Larivée,  à  la  ci- 
toyenne Allard,  qui  indépendamment  de  cette 
grâce  qu'ils  ont  obtenue,  touchent  sur  la  caisse 
du  théâtre  des  Arts,  une  somme  annuelle,  pour 
les  dédommager  du  défaut  de  payement  de  leurs 
retraites. 

«  La  citoyenne  Guimard  qui  ne  reçoit  rien  de 
ses  rentes,  a  cependant  pour  le  moins  autant  de 
droit  qu'aucun  autre,  puisqu'elle  a  eu  le  bras 
cassé,  et  qu'elle  y  a  tenu  la  première  place  pen- 
dant trente  ans,  avec  la  plus  grande  distinction. 
La  gêne,  où  elle  se  trouve  ne  lui  permet  pas  d'at- 
tendre plus  longtemps.  Elle  vous  supplie  donc, 
Citoyen  ministre,  si  l'on  croit  que  le  ballet  de 
Ninette  entraîne  à  trop  de  dépense,  de  vouloir 
bien  lui  accorder  deux  demi-représentations, 
pour  lesquelles  elle  choisira,  de  concert  avec  le 
citoyen  Gardel,  deux  des  anciens  ballets  qu'elle 
a  établis  dans  leur  nouveauté,  qui  sont  présen- 
tement sur  pied  et  qui  n'occasionneront  nulle 
espèce  de  dépense1. 

«  Guimard,  femme  Despréaux.  » 

Cette  pétition  avait  été  précédée  d'une  lettre  à 
Ginguené,  écrite  quelques  mois   avant,  d'une 

1,  La  lettre  porte  en  marge  :   18   floréal.  Bibliothèque  de 
l'Opéra. 


292  LA  GUIMARD. 

lettre,  à  la  date  du  26  nivôse  an  VI  (15  jan- 
vier 1798),  où  elle  lui  rappelait  qu'il  lui  avait 
promis  de  s'occuper  de  son  affaire  auprès  du 
ministre,  et  lui  demandait  à  le  voir  à  ce  sujet1. 
Et  l'Opéra  possède  une  autre  lettre  de  la  Gui- 
mard,  datée  du  22  nivôse  de  la  même  année 
(11  janvier  1798),  où  mentionnant  l'envoi 
qu'elle  fait  du  rapport  du  citoyen  Mirbeck  au 
ministre,  ainsi  que  de  la  lettre  écrite  à  son 
mari,  elle  termine  par  ces  tristes  lignes  : 


«  Je  vous  proteste  que  mes  besoins  ne  peuvent 
être  plus  pressants.  Je  nai  plus  rien  que  des 
créanciers  qui  me  tourmentent,  et  dont  plusieurs 
ont  déjà  commencé  à  me  refuser  les  choses  de 
première  nécessité.  Je  puis  en  donner  la  preuve , 
si  Von  avait  quelques  doutes  sur  ma  franchise. 

«Votre  concitoyenne, 

«  G.,  femme  Despréaux.  » 


1.  Ce  26  Nivôse  an  VI.  (iS  janvier  1798.) 

Puis-je  me  flatter,  citoyen,  que  vous  ayez  eu  la  bonté  de  vou 
occuper  de  mon  affaire  auprès  du  ministre.  Si  vous  avez  bien 
voulu  ne  pas  la  mettre  en  oubli,  je  dois  être  sans  inquiétude 
sur  le  succès.  Veuillez,  je  vous  en  conjure,  citoyen,  ajouter  à 
toutes  vos  complaisances  'pour  moi,  celle  de  me  faire  un  mot 
de  réponse  à  ce  sujet,  ou  bien  de  me  faire  dire  le  jour,  où  je 


LA   GUIMARD.  293 

pourvoi  avoir  l'honneur  de  me  rendre  chez  vous.  Je  préférerois 
le  dernier,  parce  qu'il  me  procureroit  le  plaisir  de  vous  voir,  et 
de  vous  renouveler  les  assurances  de  ma  vive  reconnaissance. 
J'ai  l'honneur  d'être,  citoyen, 
Votre  concitoyenne 

G.  Fmc  Desprèaux. 

Cette  lettre  adressée  au  citoyen  Ginguené,  Directeur  géné- 
ral de  l'instruction  publique,  fait  partie  de  ma  collection 
d'autographes. 


25. 


LXXIII 


Le  ménage  fut-il  heureux?  Oui  —  du  moins 
a-t-on  lieu  de  le  croire  d'après  un  témoignage, 
qui  n'a  cependant  rien  d'officiel,  —  de  l'heureux 
mari. 

Un  jour  d'autrefois,  un  jour  d'ironie  contre 
les  liens  conjugaux,  et  d' 'alléluia  en  faveur  des 
amours  libres,  le  chansonnier  Despréaux  avait 
fait  cette  chanson  : 

Non,  point  de  mariage, 
Je  ne  suis  pas  si  fou; 
Le  lien  du  ménage 
Toujours  fut  un  licou. 
Toujours,  toujours  fut  un  licou. 


Joyeux  célibataires, 
Suivez  bien  mes  leçons, 

Sachez  que  la  gaité 
Naît  de  la  liberté  ; 


LA   GUI  MARD.  293 

Un  peu  de  braconnage, 
Mais  jamais  d'esclavage; 
Non,  point  de  mariage, 
Car  les  pauvres  époux 
Sont  tous . . .  oui  tous. . . 
Ce  que  sont,  ce  que  sont  les  jaloux  (bis). 

Marié  à  la  Guimard,  le  prôneur  du  célibat, 
le  chansonnier  dénigreur  du  mariage,  abjure 
«  ses  manières  de  voir  »  de  vieux  garçon,  et  dit 
en  termes,  tendres  et  reconnaissants,  dans  un 
bouquet  poétique,  intitulé  :  Un  bon  Ménage,  et 
imprimé  dix  ans  avant  la  mort  de  sa  femme, 
le  vrai  et  profond  bonheur,  qu'il  a  trouvé  dans 
son  union  avec  la  danseuse  : 


Ah!  mon  dieu!  combien  j'étais  fou! 
Je  redoutais  le  mariage; 
Et  j'avais  lu,  je  ne  sais  où  : 
«  Le  bonheur  n'est  pas  en  ménage. 
Erreur  !  ta  bonté,  ta  raison 
M'ont  enfin  prouvé  le  contraire, 
Et  je  vois,  dans  l'heureux  garçon 
L'heureux  imaginaire  (bis). 

Magdelaine  aime  ma  gaîté, 

Et  moi  sa  tournure  m'enchante, 

Elle  fait  ma  félicité, 

Elle  est  en  vérité,  charmante  ! 

Elle  prouve  depuis  vingt  ans, 

Par  sa  grâce  qui  m'est  si  chère, 


296  LA   GUIMARD. 

Qu'on  a  l'art  d'arrêter  le  temps, 
Quand  on  a  l'art  de  plaire  (bis). 

Et  il  dira  dans  le  premier  couplet  : 

Ovide  a  chanté  VArt  d'aimer, 

Moi,  je  vais  chanter  l'art  de  plaire, 

Il  me  suffira  d'exprimer 

Les  charmes  de  ton  caractère, 

Et  tes  grâces  et  ta  gaité,] 

Qui  font  le  bonheur  de  ma  vie; 

Oui,  c'est  la  pure  vérité, 

J'adore  mon  amie. 


LXXIV 


L'Empire,  la  Restauration  ne  semblent  pas 
avoir  ramené  la  fortune,  même  l'aisance  chez 
la  Guimard,  car  deux  ans  avant  sa  mort,  elle 
adresse  cette  lettre  à  Desentelles  pour  obtenir 
une  position  à  son  mari,  parlant  de  la  situation 
cruelle  du  ménage,  qui  au  lieu  de  payer  ses  an- 
ciennes dettes,  est  obligé  d'en  contracter  de 
nouvelles. 

«  Pardon,  mon  cher  Desentelles,  de  mon  im- 
portunité,  mais  la  position  dans  laquelle  nous 
nous  trouvons,  m'en  fait  une  nécessité.  Je  vous 
prie  donc,  de  me  faire  l'amitié  de  solliciter  de 
nouveau  Son  Excellence,  monsieur  le  comte  de 
Beugnot,  pour  qu'il  ait  la  bonté  d'effectuer  la 
promesse  qu'il  a  bien  voulu  vous  faire,  de  s'inté- 
resser à  mon  mari,  pour  lui  faire  rendre  la  pen- 
sion qu'il  réclame. 

«  Vous  savez  que  c'est  une  récompense  qui  lui 


298  LA   GUIMARD. 

fut  accordée  par  Sa  Majesté  Louis  XVI,  comme 
homme  de  lettres,  pour  les  fêtes  intérieures  de  ses 
appartements.  Vous  n'ignorez  pas  non  plus  que 
plusieurs  de  Messieurs  les  gentilshommes  de  la 
Chambre,  ainsi  que  M.  le  duc  de  Gramont,  qui 
ont  joué  des  rôles  dans  quelques-unes  de  ses  pe- 
tites pièces,  ont  apostille  son  mémoire,  comme 
preuve  de  la  justesse  de  sa  réclamation.  Voilà  le 
seul  titre,  que  mon  mari  peut  produire  en  ce  mo- 
ment :  tout  ayant  été  bouleversé  dans  la  Révolu- 
tion. 

«  Ce  ri  est  donc  pas  un  intrigant  qui  demande, 
c'est  un  homme  honnête,  qui  a  été  assez  heureux 
pour  avoir  obtenu  la  bienveillance  de  ses  souve- 
rains, et  Sa  Majesté  Louis  XVIII  s'est  si  bien 
ressouvenu  de  lui,  que  très  récemment,  se  trou- 
vant sur  son  passage,  elle  a  quitté  le  bras  du  duc 
d ' Aumont, pour  s 'approcher  de  mon  mari,  et,  avec 
son  extrême  bonté,  elle  a  daigné  lui  dire  les 
choses  les  plus  flatteuses,  ainsi  que  pour  moi. 

«  La  Révolution  nous  ayant  enlevé  toute  notre 
fortune,  mon  mari  a  été  obligé  de  travailler  de 
nouveau,  pour  nous  procurer  une  existence,  — 
que  je  croirais  encore  perdue,  si  je  riavois  toute 
confiance  dans  la  bonté  et  la  justice  de  notre  lé- 
gitime et  bien  aimé  souverain,  que  la  providence 
vient  de  nous  rendre.  Mais  en  attendant,  je  vous 


LA    GUIMARD.  299 

prie  en  grâce,  mon  cher  Desentelles,  de  me  faire 
l'amitié  de  rappeler  mon  mari,  au  souvenir  du 
ministre.  Peignez-lui  notre  position,  en  vérité 
nos  besoins  sont  bien  urgents,  car  il  est  bien  cruel, 
au  lieu  de  payer  ses  anciennes  dettes,  d'être  forcé 
d'en  contracter  de  nouvelles. 

«  Recevez,  mon  cher  Desentelles,  ï assurance 
du  sincère  attachement  de  votre  amie1. 

«  G.  Fe  Despréaux. 

«  Ce  19  octobre  1814.  » 
1.  Lettre  autographe  signée.  Collection  Lajarriette. 


LXXV 


Le  ménage  Despréaux-Guimard,  en  ces  der- 
nières années,  habitait  rue  de  Ménars,  en  en- 
trant par  la  rue  de  Richelieu,  à  droite,  dans 
la  maison  où  se  trouvait,  en  1865,  une  Assu- 
rance 

Là,  la  Guimard  continuait  à  voir,  ainsi  qu'a- 
vant la  Révolution,  une  assez  nombreuse  so- 
ciété, et  nécessairement  la  conversation  des  uns 
et  des  autres  ramenait  toujours  le  souvenir  des 
triomphes  de  la  danseuse  à  l'Opéra.  Et  chez 
tous,  c'était  un  regret  qu'on  n'eût  pas  une  idée 
de  ce  talent  merveilleux,  auquel  avait  applaudi 
toute  une  génération,  et  c'était  autour  de  la 
femme  une  curiosité,  presque  indiscrète,  de 
quelque  chose  qui  pût  donner  à  son  monde,  un 
rien  du  spectacle  de  la  danse  de  la  Terpsichore 
de  jadis.  Enfin,  «  on  arriva  à  cette  flatteuse  exi- 
gence, que   l'artiste   septuagénaire  assemblât, 


LA  GU1MARD.  301 

sans  se  fatiguer,  quelques  pas  »  des  ballets,  où 
elle  avait  eu  le  plus  de  succès.  La  Guimard  re- 
fusait mollement,  se  retranchant  derrière  son 
âge,  et  la  décrépitude  de  son  vieux  corps.  Mais 
Despréaux,  cet  éternel  amuseur  des  gens,  cet 
imaginateur  de  machines  divertissantes,  fit  dres- 
ser dans  son  salon,  un  théâtre,  dont  le  rideau 
d'avant-scène  ne  laissait  voir  que  le  genou  et  les 
jambes  des  acteurs.  Et  lui  et  sa  femme,  affublés 
dans  les  parties  visibles,  au-dessous  du  rideau, 
d'une  tunique  pailletée  et  de  la  chaussure  tradi- 
tionnelle, sauvant  ainsi  tout  ce  qu'il  y  avait  de 
vieux  dans  leur  tête,  dans  leur  torse,  se  mirent 
à  danser  avec  des  jambes  et  des  pieds  qui  sem- 
blaient tout  jeunes. 

Les  invités  qui  assistaient  à  cette  représenta- 
tion, restèrent  sous  le  charme  de  cette  espèce 
de  résurrection  du  talent  de  la  vieille  danseuse, 
et  Charles  Maurice  dit  : 

«  Le  pied,  d'une  extrême  coquetterie,  s'était 
conservé  souple  et  vigoureux;  la  jambe  fine  et 
solide  donnait  à  l'accentuation  des  pas,  presque 
toute  la  fermeté  du  jeune  âge,  et  la  correcte  exé- 
cution de  l'ensemble,  rappelait,  de  l'ancienne 
école,  ce  qui  aurait  fait  envie  au  goût  moderne. 
En  un  mot,  ce  spectacle  était  des  plus  sédui- 
sants, en  ce  qu'il  prêtait,  par  l'imagination,  de 

26 


302  LA    GUIMARD. 

l'esprit  à  la  danse  visible,  et  du  dramatique  à  la 
pantomime  qu'on  ne  voyait  pas1.  » 

Le  succès  de  cette  représentation,  Charles 
Maurice  le  déclare  prodigieux,  et  ce  fut  à  qui 
solliciterait  des  places  pour  les  représentations 
futures.  Mais  la  santé  de  Mlle  Guimard  s'opposa 
à  ce  qu'on  y  donnât  suite,  après  cinq  ou  six  soi- 
rées. 


Plus  tard,  plus  tard,  retirée  tout  à  fait  du 
monde,  devenue  casanière,  vivant  au  coin  de 
son  feu,  si  par  hasard  quelqu'un  mettait  la  con- 
versation sur  son  glorieux  passé  à  l'Opéra,  la 
Guimard  amusait  la  petite  société  réunie  autour 
d'elle,  avec  quelque  chose  qu'elle  tirait  d'à  côté 
de  son  fauteuil,  et  qu'elle  appelait  son  théâtre. 
Ce  théâtre,  grand  comme  une  petite  caisse,  — 
la  femme,  qui  avait  eu  le  théâtre  de  Pantin  et 
de  la  Chaussée-d'Anlin,  —  le  mettait  entre  ses 
jambes,  sur  une  chaufferette.  Puis  on  la  voyait 
lier  deux  de  ses  doigts,  se  baisser,  lever  la  toile, 
annoncer  un  ballet  quelconque,  et  par  une  mer- 
veille de  mémoire  et  d'agilité  de  main,  danser, 
avec  ses  deux  doigts,  tous  les  pas  de  ce  ballet  : 

i.  Extrait  des  Épaves  de  Charles  Maurice.  Paris,  1865,  et 
de  la  Revue  Rétrospective,  t.  II,  1885. 


LA  GUIMARD.  303 

—  ses  pas  à  elle,  et  les  pas  de  celles  qui  l'a- 
vaient précédée,  et  de  celles  qui  l'avaient  dou- 
blée, —  faisant  dans  cette  originale  et  spirituelle 
représentation,  apprécier  la  supériorité  de  sa 
danse. 

Et  après  le  premier  ballet,  un  second,  puis 
un  autre  encore...  la  vieille  Guimard.  repas- 
sant ses  triomphes  d'autrefois,  oublieuse  de 
l'heure1. 


1.  Récit  qni  m'a  été  fait  par  M1"5  Bellangé.  la  femme  du 
notaire  de  MUe  Guimard. 


LXXVI 


Le  4  mai  1816,  mourait,  à  doux  heures  de 
relevée ,  Marie-Madeleine  Guimard ,  femme 
Despréaux1. 

La  mort  de  l'illustre  danseuse  du  dix-huitième 
siècle  passe  presque  inaperçue  dans  ce  Paris  de 
la  Restauration,  qui  semblait  déjà  avoir  oublié 
ses  retentissants  triomphes  d'hier2.  A  peine  les 
journaux  du  temps  la  signalent-ils,  par  deux  ou 

i.  Jal.  Dictionnaire  critique  de  biographie  et  d'histoire. 
Pion.  1867. 

2.  A  un  ami  qui  lui  demandait  des  renseignements  sur  sa 
femme  et  sur  l'Opéra  —  du  temps  qu'elle  y  dansait,  —  Des- 
préaux écrivait,  sept  mois  après  la  mort  de  son  adorable  amie, 
cette  longue  lettre  : 

«  Ce  2  Décembre  1819. 

«  Mon  cher  Desprez,  ma  tête  fatiguée  par  le  chagrin,  va 
vous  donner  quelques  souvenirs  de  ce  que  vous  désirez  sur 
les  souvenirs  de  mon  adorable  ami». 

«  Je  suis  fermement  persuadé  que  la  danse  théâtrale,  a  été 
à  son  plus  haut  période,  pendant  les  vingt  dernières  années 


LA  GUIMARD.  305 

trois  lignes  nécrologiques,  et  je  crois  que  le 
plus  grand  éloge  funèbre  qui  ait  été  fait  de  la 
Terpsichore  de  l'Académie  Royale  de  musique, 
est  celui,  imprimé  dans  le  Journal  de  Paris,  du 
7  mai: 


avant  la  Révolution.  La  beauté  de  Vestris  père,  fait  comm» 
Apollon,  et  qu'on  nommoit  le  dieu  de  la  danse.  Talent  parfait 
dans  son  genre  qui  n'étoit  pas  un  sauteur.  Son  fils  Auguste 
Vestris,  moins  grand  que  son  père,  qui  l'appeloit  le  diamant 
de  l'Opéra,  étoit  un  des  plus  charmants  danseurs  que  l'on 
ait  vu,  après  Dauberval,  qui  de  tous  avait  le  plus  de  talent 
pour  l'exécution  et  l'esprit  de  la  danse  en  action. 

«  Gardel  l'ainé  était  un  des  bons  danseurs  après  Vestris  le 
père,  Gardel  actuel  son  frère  a  vraiment  du  talent. 

«  En  femme,  Mme  Guimard  Despreaux  étoit  supérieure  à 
toutes,  parce  que  la  nature  l'avoit  pétrie  de  grâce  naturelle, 
et  on  peut  dire  spirituelle.  Elle  n'avoit  pas  la  taille  de  la 
belle  Heinel  qui  épousa  le  grand  Vestris,  mais  sa  charmante 
structure  rappeloit  la  Vénus  de  Médicis,  que  nous  avons  eue 
pendant  quelques  années  au  Muséum  à  Paris.  Mlle  Allard 
mère  de  Auguste  Vestris  étoit  dans  le  genre  demi  caractère, 
la  danseuse  la  plus  vive,  la  plus  leste,  et  la  plus  charmante 
qu'on  ait  vue.  Il  y  en  a  eu  plusieurs  autres  encore.  Mais  re- 
venons à  ce  que  vous  désirez  savoir  sur  la  danse.  Je  vous 
dirai  que  la  danse  actuelle  ne  ressemble  en  rien  à  celle  que 
j'ai  vue  depuis  1770  jusqu'à  en  1790  ou  92.  Le  public  ca- 
naille à  bonnet  rouge  qui  s'est  emparé  du  parterre,  les  dan- 
seurs des  boulevards,  de  Nicolet  qui  se  sont  introduit  sur  le 
théâtre  du  Grand  Opéra,  ont  fait  oublier  que  la  grâce  étoit  le 
vernis  du  tableau  mouvant  de  l'Opéra.  Le  talent  de  la  danse 
n'est  point  de  savoir  exécuter  toutes  sortes  de  pas  en  mesure 
sur  un  rythme  quelconque,  le  dernier  des  figurants  les  sait 
exécuter  :  la  vitesse  n'est  qu'un  faible  avantage. 

«  ...  La  simple  exécution  correcte  et  exécutée  avec  grâce 
voilà  ce  qu'il  faut  :  sauter  très  haut,  est  un  pauvre  talent.  Le 

26. 


306  LA   GUIMARD. 

«  La  célèbre   M118  Guimard,  première  dan- 
seuse à  l'Opéra,  est  morte  samedi  dernier  à 

boulevard  et  les  danseurs  italiens  l'emportent.  Laissons  là 
les  burlesques,  et  parlons  do  la  grâce  dont  les  personnes  de 

notre  âge  ont  encore  le  souvenir,  en  pensant  à  Mmc  G d, 

qui  en  ét'oit  pétrie. 

«  Il  y  a  trois  sortes  de  grâce  :  la  grâce  de  forme,  la  grâce 
d'attitude,  la  irrâce  de  mouvement. 

«  La  grâce  de  forme  est  donnée  par  la  nature;  elle  est  rare; 
—  celle  d'attitude  est  un  choix  de  positions  du  corps  que  le 
bon  goût  choisit  et  enseigne;  — celle  de  mouvement  n'est  pas 
seulement,  d'aller  d'une  attitude]  à  une  autre,  en  suivant  la 
cadence  de  la  musique,  mais  elle  exige  de  l'expression  d'après 
le  genre  qu'on  représente,  surtout  dans  la  danse  terre-à-terre, 
qui  est  bien  différente  de  la  danse  sautée. 

«  C'est  avez  la  danse  terre-à-terre,  que  MUe  G ila  charmé 

pendant  plus  de  vingt-cinq  ans,  un  public  connoisseur,  dans 
les  gavottes  d'.  I  rmideet  dans  deux  cents  autres  danses.  Elle  étoit 
toujours  nouvelle,  je  ne  parle  pas  seulement  des  pieds,  ils 
sont  peu  en  comparaison  du  charme  du  corps  et  de  la  tète. 
C'est  là  qu'est  la  perfection  du  tableau.  Elle  jouait  parfaitement 
la  comédie  ainsi  que  l'opéra  comique.  Sa  figure  expressive 
peignait  aisément  toutes  les  sensations  qu'elle  éprouvait  ou 
qu'elle  était  censée  éprouver.  Voilà  pourquoi  elle  fut  la  plus 
parfaite  pantomime,  dans  Médée  Jason,  dans  le  ballet  de  Ni- 
nette,  clans  Mijrza  et  beaucoup  d'autres  ballets.  Elle  fut  tou- 
jours parfaite,  parce  que  la  grâce  ne  l'a  jamais  quittée. 

«  Elle  savait  distinguer  le  trivial  du  vrai  comique,  et  joi- 
gnait au  charme  de  la  grâce  et  de  l'harmonie  du  mouvement, 
l'expression  de  la  figure. 

«  Elle  s'est  plû  à  donnerdans  les  dernières  années  des  leçons 
de  maintien,  de  grâce  de  danse,  de  pantomime,  à  MUe  Gos- 
selin.  Elle  l'aimait  beaucoup,  et  n'approuvait  pas  le  genre 
actuel  d'élever  le  pied  aussi  haut  que  la  hanche.  Ces  mou- 
vements outrés  disloquent  le  corps  et  sont  les  ennemis  de  la 
grâce.  Ces  sortes  d'attitudes  ne  produisent  d'autre  effet  que 
d'étonner  le  parterre. 


LA   GUIMARD.  307 

l'âge  de  soixante-quatorze  ans1,  à  la  suite  d'une 
maladie  de  quelques  jours.  Peu  d'heures  avant 
sa  mort,  elle  s'entretenait  encore  fort  tranquil- 
lement avec  une  dame  de  ses  amies. 

«  L'esprit  et  les  qualités  aimables  qui  distin- 
guaient Mrae  Guimard-Despréaux,  rendront  son 
souvenir  éternellement  cher  à  ses  nombreux 
amis.  » 


«  Voici,  mon  cher  Desprez,  bien  du  gribouillage;  par- 
donnez-moi, j'ai  un  très  grand  mal  de  tète  qui  m'a  empêché 
de  dormir 


«  Votre  véritable  ami, 
«  Despréaux.  » 

Cette  lettre  adressée  à  Després,  sans  doute  le  secrétaire 
de  Besenval,  et  pleine  de  fautes  d'orthographe,  de  phrases 
sans  syntaxe,  de  répétitions,  mais  curieuse  par  les  rensei- 
gnements qu'elle  donne  sur  la  danseuse,  appartient  à 
Mme  Delizy. 

1.  Le  Journal  de  Paris  [vieillit  M"0  Guimard  d'une  année 
Elle  meurt  âgée  de  73  ans. 


ICONOGRAPHIE 


LA  GUIMARD 


PEINTURES  ALLÉGORIQUES  —  PORTRAITS  A 
L'HUILE  —  DESSINS  DE  COSTUMES  —  DESSINS 
SATIRIQUES. 

La  peinture  allégorique  de  la  Guimard,  déco- 
rant, à  la  fin  du  xvnie  siècle,  l'hôtel  de  la  Chaus- 
sée-d'Antin,  et  qu'a  eu  le  bonheur  de  retrouver 
chez  un  architecte,  M.  Groult;  la  peinture  re- 
présentant la  Terpsichore  en  bergère,  son  petit 
pied  vainqueur  visé  par  la  flèche  d'un  Amour; 
la  peinture  longuement  décrite  par  nous  plus 
haut,  est  jetée  sur  une  toile,  mesurant  comme 
hauteur  :  lm,92;  comme  largeur  :  lm,20. 

J'ai  vu,  il  y  a  quelques  années,  chez  M.  le 
comte  de  la  Beraudière,  un  portrait  de  la  Gui- 
mard,  par  Fragonard,  un  portrait  présentant 


310  LA    GUIMARD. 

une  certaine  similitude  avec  le  buste  Je  Merchi, 
qui  est  la  seule  représentation  incontestable  de 
la  danseuse. 

Dans  cette  toile  Mlle  Guimard  peinte  jusqu'aux 
genoux,  se  détache  d'un  mur  de  jardin,  où  court 
au-dessus  de  sa  tète  un  feuillage  grimpant,  et 
elle  a  devant  elle,  un  livre  de  musique  entr'ou- 
vert.  où  un  rosier  semble  faire  un  signet  avec 
une  <le  -es  brancbettes  fleuries.  Coiffée  an  haut 
de  ses  cheveux  poudrés,  d'un  bouquet  de  plumes 
blanches,  où  se  dresse  une  aigrette  noire,  au  cou, 
une  de  ces  collerettes-fraises,  mise  à  la  mode 
par  Carie  Yanloo,  elle  pince,  assise,  de  la  guitare, 
dans  ce  joli  mouvement  de  la  tète  un  peu 
abaissée  à  droite,  avec  l'élégant  retournement 
en  l'air  delà  main  gauche,  tenant  le  manche  en- 
rubanné de  l'instrument. 

Ce  tableau,  qui  ne  figurait  plus  à  la  vente  du 
comte  de  la  Beraudière.  aurait  été  vendu  par 
l'entremise  de  M.  Lacroix,  le  marchand  d'es- 
tampes, de  douze  à  quinze  mille  francs,  à  un 
amateur  qui  ne  veut  pas  être  nommé. 

A  la  vente  de  Yalferdin,  en  1880,  passait  sous 
le  n°  35  un  portrait  de  la  Guimard. 

Elle  est  représentée,  les  mains  appuyées  sur 
un  rebord  de  terrasse,  le  torse  élégamment  en 


LA    GUIMARD.  311 

retraite  vu  de  trois  quarts,  la  tête  baissée  à 
droite,  et  ayant  l'air  de  regarder  au-dessous 
d'elle. 

Elle  a  ses  cheveux  relevés,  sous  la  ruche 
noire  d'un  toquet,  surmonté  de  plumes  blan- 
ches, et  son  cou  jaillit  d'une  large  fraise 
tuyautée,  attachée  à  une  chemisette  voilant  les 
seins,  sur  lesquels  passe  l'échancrure  d'une 
robe  de  velours  décolletée  en  carré. 

Les  deux  mains  ont  l'air  de  chiffonner  des 
lettres,  parmi  lesquelles  se  voit  un  médaillon. 
Ce  sont  les  yeux  grandement  fendus,  le  petit 
nez  à  la  courbure  aquiline,  la  bouche  aux  coins 
retroussés,  du  portrait  de  la  Beraudière  et  du 
buste  de  Merchi. 

Cette  toile  (H.  81,  L.  64)  à  l'exécution  rapide 
des  portraits  de  la  galerie  Lacaze,  était  vendue 
à  la  vente  Valferdin  :  9  100  francs. 


Sous  la  petite  image  en  couleur  de  la  Gui- 
mard,  dans  le  ballet  du  Navigateur,  gravé  par 
Janinet,  et  donnée  par  les  Costumes  et  Annales 
des  Grands  Théâtres  :  le  Dutertre  pinxit,  doit-il 
faire  supposer  qu'il  existe  de  cet  artiste,  un  petit 
portrait,  peint  à  l'huile  ou  à  la  gouache  en  pied 
de  la  danseuse? 


312  LA    GUIMARD. 

Je  ne  veux  pas  ici  cataloguer  la  centaine  de 
costumes  de  la  Guimard,  aquarelles  ou  croquis 
à  la  plume,  existant  dans  les  recueils  de  la  Bi- 
bliothèque de  l'Opéra,  dans  le  recueil  du  Cabi- 
net des  Estampes,  dans  le  recueil  de  ma  col- 
lection de  dessins.  Je  renvoie  au  chapitre  de  ce 
livre,  où  j'ai  décrit  les  plus  curieux,  les  plus 
originaux. 

L'aquarelle  gouachée  ou  la  miniature  en 
forme  de  médaillon  du  Concert  a  trois,  différent 
de  la  gravure,  et  où  le  danseur  Dauberval  est 
remplacé  par  Mgr  de  Jarente  évêque  d'Orléans, 
est  possédée  par  M.  le  Prieur  de  Blainvilliers. 


PORTRAITS  GRAVÉS  —  COSTUMES  GRAVES  — 
GRAVURES  ÉPISODIQUES  —  GRAVURES  SATI- 
RIQUES —  CARICATURES. 

En  ce  temps,  où  toutes  les  célébrités  du  théâtre 
ont  des  portraits  au  burin,  à  Feau-forte,  à  l'a- 
quateinte,  des  portraits  en  noir,  en  bistre,  en 
couleur,  il  se  trouve  que  cette  femme  qui  a 
rempli  le  siècle  du  bruit  de  ses  talents,  de  ses 
amours,  de  son  luxe,  n'a  pas  un  portrait  gravé 
authentique,  — un  portrait  avec  son  nom  au  bas. 


LA  GUIMARD.  313 

Il  faut  dire  toutefois,  que  dans  le  commerce 
des  estampes  du  xvme  siècle,  d'après  une  tradi- 
tion, un  portrait  gravé  par  Basan,  d'après  une 
peinture  de  Roslin,  passe  pour  un  portrait  de  la 
Guimard. 

Elle  est  représentée,  dans  ce  burin,  à  mi-jam- 
bes, vue  de  trois  quarts,  une  couronne  de  roses 
sur  ses  cheveux  crespelés  et  se  torsadant  en 
un  repentir  derrière  la  nuque,  la  poitrine  et  les 
bras  nus,  un  sein  découvert,  l'autre  à  demi  re- 
couvert par  le  remontage  d'une  tunique,  re- 
tenue par  un  ruban  passant  au-dessus  de  son 
épaule,  pendant  que  les  mains  de  la  danseuse 
assise  jouent  avec  une  guirlande  de  fleurs. 

Ce  portrait  gravé  porte  dans  la  marge  : 

Roslin  Pinxit.  Basan  excudi. 

LA     FLORE     DE     L'OPÉRA 

Se  vend  à  Paris  chez  Basan,  graveur,  rue 
Saint-Jacques. 

Mais  la  femme  représentée  dans  ce  portrait, 
me  semble  vraiment  bien  en  chair,  pour  repré- 
senter la  maigre  danseuse,  et  je  serais  tenté  de 
ne  voir  dans  ce  portrait  qu'une  allégorie. 

Au  fond,  tant  que  ne  sera  pas  gravé  le  buste 

27 


314  LA   GU1MARD. 

en  marbre  de  Merchi  appartenant  à  M.  Perrin, 
ou  le  buste  en  terre  cuite,  appartenant  à  Léon 
Daudet,  le  seul  portrait  gravé  authentique,  de  la 
danseuse  sera  celui  de  la  collection  de  la  Berau- 
dière,  dont  la  gravure,  faite  ces  dernières  an- 
nées, porte  en  bas  : 

MADEMOISELLE  GUIMARD 
Collection  de  Monsieur  le  Comte  de  la  Beraudière 

H.  Fragonard  Pinx.  Ch.  Courlry  sculp. 

Le  portrait  de  la  collection  Yalferdin  a  été 
photographié  par  Braun. 

Aucun  des  costumes  dessinés  par  Boquet,  n'a 
été  gravé,  mais  les  Costumes  et  Annales  des 
Grands  Théâtres  de  Paris  ont  donné  le  costume 
de  la  Guimard  se  détachant  sur  la  mer,  en  robe 
blanche  à  la  ceinture  bleue,  les  cheveux  au 
vent. 

La  gravure  en  couleur  porte  dans  la  marge  : 

Dutertre  pinx.  Janine t  sculp. 

MA  DEMO IS ELLE   G C /MA Ii D 
Dans  le  ballet  du  Navigateur 

Elle  unit  les  vertus  l'esprit  et  la  bonté 
A  la  grâce  ptus'Jbelle  encore  que  la  beauté. 


LA  GUIMARD.  315 

Une  rare  gravure  à  l' eau-forte  de  MIIe  Guimard 
de  Lelu,  la  représente  dans  un  groupe,  où  elle 
figure  avec  Mlle  Allard,  aux  côtés  de  Dau- 
berval. 

Au-dessous  de  cette  eau-forte,  on  lit  dans  la 
marge  gravé  à  la  pointe  : 

ATTITUDES  DE  DANSE  EXÉCUTÉES 
A  L'OPÉRA  PAR  LE 

Sr  Doberval  [sic]  et  Mlle  Gw^sd  et  Allard  en  1779. 

Dessinées  et  gravées  par  Lelu  peintre. 

A  Paris  chez  V auteur. 

Rue  du  Faubourg-Monmartre ,  17. 

Parmi  les  gravures  modernes,  il  existe  deux 
costumes  de  la  Guimard. 

L'un  paru  dans  la  Galerie  Théâtrale,  la  repré- 
sente en  un  costume  épouvantable,  dans  la 
Chercheuse  d'Esprit. 

Cette  estampe  porte  en  marge  : 

Dessiné  par  Cœurè  Gravé  par  Prud'hon 

Académie  Royale  Rôle  de  la  Chercheuse 

de  musique  d'Esprit 

MADEMOISELLE   GUIMARD 

L'autre  est  une  lithographie  d'Hippolyte  Le 
Comte. 


316  LA    GUIMARD. 


La  lithographie    signée  :  H   L,   porte    dans 
la  marge  : 

MADEMOISELLE   GUIMARD 

Dans  le  ballet  du  Navigateur 

J.  lit  h.  de  Delpech. 

C'est  une  détestable  copie  de  la  gravure  de 
Janinet. 

Dans  les  estampes  épisodiques  : 

TERPSICHORE   CHARITARLE 

ou 
MADEMOISELLE    GUIMARD 

Visitant  les  pauvres. 

L'estampe  représente  une  femme  encapu- 
chonnée, s'avançant  vers  un  vieillard,  couché 
sur  un  grabat,  et  suivie  d'Amours  portant  des 
pains,  des  bouillons,  des  bouteilles  de  vin. 

Estampe  des  plus  rares,  que  je  n'ai  vue  passer 
qu'une  fois  à  une  vente  de  Vignères,  et  dont  un 
exemplaire  existe  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra. 


Parmi  les  estampes  satiriques,  l'estampe  re- 
présentant, groupées  autour  de  la  Guimard,  te- 


LA   GUIMARD.  311 

nant  un  papier  de  musique  à  la  main,  ses  deux 
amants  sérieux  :  le  prince  de  Soubise  et  M.  de 
La  Borde,  et  le  greluchon  Dauberval,  estampe 
au-dessous  de  laquelle  se  lit  en  gros  caractères  : 
Concert  a  Trois. 

Cette  estampe  que  je  n'ai  jamais  vue  passer  en 
vente,  a  été  recherchée  par  mon  ami  Georges 
Duplessis,  dans  Y  Enfer  de  la  Bibliothèque  na- 
tionale, sans  succès,  et  il  m'est  impossible  de 
donner  les  noms  des  dessinateurs  et  graveurs, 
qui  très  probablement  du  reste,  n'ont  pas  dû 
signer. 

Une  caricature  presque  effrayante  de  la  Gui- 
mard,  est  cette  eau-forte  coloriée,  publiée 
en  1789,  à  Londres,  où  elle  est  représentée  sous 
la  figure  d'un  squelette  faisant  des  ronds  de 
jambe,  habillée  d'épouvantables  oripeaux. 

Elle  porte  en  bas  : 

The  celebrated  Mademoiselle  G  —  m  =  rd  or 
Grimhard  from  Paris. 

Publ.  by  Hamphrey.  May  26^,  1789. 

Cette  gravure  rarissime  me  vient  de  la  vente 
de  M.  Hervey,  cet  aimable  et  intelligent  An- 
glais, qui  avait  réuni  une  collection  si  curieuse 
d'autographes  et  d'estampes  sur  le  théâtre. 

27. 


318  LA   GUIMARD. 

BUSTES.   STATUETTES 

Un  buste  bien  authentique  de  la  Guimard, 
dont  j'ai  donné  plus  haut  la  description  existe 
chez  M.  Perrin. 

Ce  buste  en  marbre  est  signé  :  Merchi  F. 
1779. 

Un  autre  buste  de  la  Guimard  se  voyait  autre- 
fois au  foyer  de  la  danse  à  l'Opéra.  Il  a  disparu, 
lors  de  la  Commune,  et  il  ne  reste  de  sa  pré- 
sence à  l'Opéra,  que  la  lettre  de  Duponchel, 
à  la  date  du  19  janvier  1838,  dans  laquelle  il  de- 
mande au  ministre  l'autorisation  d'accepter  un 
buste  de  Mlle  Guimard,  légué  à  l'Académie 
royale  de  Musique,  par  le  testament  du  dan- 
seur Nivelon. 

Et,  à  la  date  du  20  juin  1862,  une  lettre  était 
adressée  à  M.  Alphonse  Royer,  directeur  de  l'O- 
péra, par  Gaétan  Recours,  notaire  à  Agen,  de- 
mandant à  faire  reproduire  par  la  photographie 
le  buste  de  la  Guimard,  qui  se  trouve  dans  son 
cabinet,  buste  dû  au  ciseau  de  Merchi,  aïeul  ma- 
ternel du  pétitionnaire. 

La  terre  cuite  du  marbre  de  Merchi,  provenant 
d'un  legs  à  Lockroy  père,  existe  chez  la  fille  de 
Victor  Hugo,  chez  Mme  Léon  Daudet.  Une  terre 


LA   GUIMARD.  319 

cuite  d'une  grande  finesse  de  travail  mais  d'une 
pâte  un  peu  sèche,  à  la  cuisson  dure,  qui  donne  à 
cette  terre  cuite  originale,  un  peu  l'aspect  d'une 
répétition  industrielle  du  temps. 

M.  Edouard  Lockroy,  auquel  j'ai  demandé 
des  détails  sur  la  provenance  de  ce  buste,  que 
je  savais  venir  de  son  père,  n'a  pu  m'en  donner 
aucun.  Il  croit  se  rappeler  seulement  que  c'est 
un  cadeau  fait  à  un  de  ses  oncles. 

Maintenant  la  statuette  de  la  Guimard,  sta- 
tuette en  talc  de  8  pouces  de  hauteur,  proposée 
en  souscription  en  1781,  par  le  sculpteur  du 
charmant  buste  de  la  Guimard,  pour  orner  les 
boudoirs  parisiens,  en  compagnie  des  sta- 
tuettes d'Allard  et  Peslin,  en  bacchantes,  de 
Théodore,  en  bergère,  d'Heinel,  en  nymphe, 
a-t-elle  été  vraiment  exécutée  d'après  l'esquisse 
qui  en  aurait  été  faite.  Je  n'en  sais  rien,  et  j'en 
doute,  parce  qu'il  n'a  jamais  été  fait  mention 
ni  dans  les  catalogues,  du  dix-huitième  siècle, 
ni  dans  les  catalogues  du  dix-neuvième,  d'une 
seule  des  statuettes  en  talc  des  cinq  danseuses. 


TABLE  DES  PARAGRAPHES 


i 

Pages. 

La  danse  de  la  Guimard.  —  Son  triomphe  dans  le 
ballet  anacréontique 1 

II 

Naissance  de  Marie-Madeleine    Guimard,  le  27  dé- 
cembre 1743,  et  sa  légitimation  en  1765 5 

III 

Engagement  de  M      Guimard  dans  le  corps  de  ballet 
delà  Comédie-Française  (avril  1758) 10 

IV 

La  Guimard  à  la  Comédie-Française.  —  Amourette 
avec  le  danseur  Léger  (septembre  1760) 13 

V 

Début  de  MlIe  Guimard  à  l'Opéra  (mai  1762)  ....  21 


322  TABLE    DES   PARAGRAPHES. 

VI 

Pages. 

État  des  personnes  de  la  danse  et  du  chant  et  des  em- 
ployés de  l'Opéra  en  1763 23 

VII 

Liaison  de  la  Guimard  avec  Jean-Benjamin  de  La 
Borde 28 

VIII 

Début  aux  spectacles  de  la  Cour  (1763).  Son  succès 
dans  la  statue  de  Pigmalion 31 

IX 

La  Guimard  a  le  bras  cassé  par  une  pièce  de  décora- 
tion (janvier  1766) 33 

■ 

X 

La  Guimard  entretenue  par  le  maréchal  de  Soubisc.        35 

XI 

La  charité  de  6000  livres  (janvier  1768) 38 

XII 

Poinsinet  houspillé  par  la  Guimard  (5  février  1768).         45 

XIII 
M1Ie  Guimard  à  Longchamps  (fin  mars  1768).    ...       47 


TABLE    DES    PARAGRAPHES.  323 

XIV 

Pages- 

Les  ballets  des  opéras  deDARDANUS  et  de  Daphnis  et 
Alcimadure  (février  et  juin  1768) 49 

XV 

Représentation  de  la  Partie  de  Chasse  de  Henri  IV 
vseptembre  1768).  —  Description  de  la  salle  de  [spec- 
tacle de  Pantin,  d'après  le  mémoire  de  l'architecte.  — 
Description  de  sa  maison,  et  des  boiseries  peintes  de 
son  petit  et  grand  salon,  mis  en  place  dans  la  maison 
de  M^e  Delizy 50 

XVI 

Échec  de  la  Guimard,  dans  le  Mariage  de  Radegonde 
(février  1769) 57 

XVII 

Bruit  de  la  banqueroute  de  la  Guimard,  puis  reprise 
des  spectacles  de  Pantin  (juillet-septembre  1769).    .   .         59 

XVIII 

Satire  en  vers,  inspirée  parla  Dervieux  contre  la  Gui- 
mard (octobre  1770) 61 


XIX 


L'estampe  du  Concert  à   Trois  (décembre  1770).  — 
La  miniature  de  M.  Le  Prieur  de  Blainvilliers    ....         65 


324  TABLE    DES    PARAGRAPHES. 

XX 


Fages. 


Mgr  de  Jarcntc  cvêquc  d'Orléans,  entretenant  la  Gui- 
mard  avec  la  feuille  des  bénéfices  .  —  Son  portrait  phy- 
sique d'après  le  dessin  de  Gabriel  de  Saint-Aubin.  — 
Son  oraison  funèbre 68 

XXI 

Discours  de   clôture  du   théâtre   de  Pantin  (27  dé- 
cembre 1770) 72 

XXII 

La  Cinquantaine  (août  1771) 79 

XXIII 

Ameutement  de  la  Guimard  et  de  Dauberval  contre 
le  Directeur  de  l'Opéra  Rebel  (avril-juin  1772)  ....         8.1 

XXIV 

Les  permis  de  chasse  délivrés  par  la  Guimard  (août 
1772) 83 

XXV 

Théâtre  de  Pantin,  pendant  l'automne  de  1772  :  Ma- 
dame Engueule  et  la  Vérité  dans  le  Vin 83 

XXVI 

L'hôtel  de  la  Guimard,  rue  de  la  Chaussée-d' Antin.  — 
Les  peintures  de  Fragonard 87 


TABLE    DES    PARAGRAPHES.  325 

XXVII 

Pages. 

Description  de  la  peinture  de  Fragonard  qui  repré- 
sente la  Guimard,  faisant  partie  de  la  collection  de 
M.  Groult 95 

XXVIII 

Ouverture  du  Temple  de  Terpsichore,  par  la  représen- 
tation de  la  Partie  de  Chasse  de  Henri  IV  et  la  paro- 
die de  Pygmalion  (8  décembre  1772) 98 

XXIX 

Quitterie  de  la  Borde  par  M»"  Guimard  (juin  1773).       100 

XXX 

Portrait  moral  de  Jean-Benjamin  de  La  Borde.  —  Ses 
Maximes  et  Pensées  sur  F  Amour 102 

XXXI 

Pique-nique  défendu  (mars  1776) 106 

XXXII 

Parodie  d'ERNELiNDE  sur  le  théâtre  de  la  Chaussée- 
dAntin  et  à  Choisy  (septembre  et  octobre  1777).   .    .    .       109 

XXXIII 

La  Chercheuse   d'esprit  (mars   1778) 110 

28 


326  TABLE    DES   PARAGRAPHES. 

XXXIV 

Pages. 

Direction  du  sieur  de  Visraes,  et  ses  démêlés  avec  les 
coryphées  de  l'Opéra  et  la  Guimard  (avril  1779).  ...       117 

XXXV 

Le  libelle  contre  Devisme  à  l'instigation  de  Guimard 
(19  mars  1779).  : 125 

XXXVI 

Souscription  de  l'Académie  de  musique  pour  marier 
une  fille  pauvre.  Mlle  Guimard  nommée  caissière  de 
l'œuvre,  et  le  banquet  de  noces  donné  dans  son  hôtel 
(février  1779) 139 

XXXVII 

Buste  de  la  Guimard,  exécuté  par  Merchi  en  1779.  — • 
Caractère  du  charme  de  la  Guimard.  —  La  Chanson  : 
Ce  qu'il  ne  faut  pas  dire.  —  Les  statuettes  en  talc  de 
MUe  Guimard,  Heinel,  Théodore,  Allard,  Pesliu  ...       142 

XXXVIII 

Les  toilettes  de  ville  et  de  théâtre  de  la  Guimard  .   .       147 

XXXIX 

Les  croquis  de  costumes  de  Bocquet  de  la  Guimard, 
d'après  le  recueil  de  l'Opéra,  du  Cabinet  des  estampes, 
et  de  ma  collection  de  dessins 151 


TABLE    DES   PARAGRAPHES.  327 

XL 

Pages- 
Contrat  de  mariage,  de  la  fille  de  la  danseuse  Marie- 
Madeleine  Guimard  avec  Drais  orfèvre-bijoutier  (4  mai 
1778).  —  Sa  mort  dans  l'été  de  1779 161 

XLI 

Le  ballet  de  Mirza  et  la  rupture  de  Guimard  avec 
Noverre  (novembre  1779) 165 

XLII 

Anarchie  de  l'Opéra 169 

XLIII 

Lettre-Mémoire  de  Dauvergne  contre  la  cabale  et  la 
Guimard  (1781) 170 

XLIV 

Incendie  de  l'Opéra  (8  juin  1781) 179 

XLV 

Les  tentatives  d'émigration  en  Angleterre  des  chan- 
teurs et  des  danseurs  de  l'Opéra.  —  La  poursuite  de 
Nivelon,  en  Hollande,  par  l'agent  de  police  Quidor.  — 
Inquiétude  de  M.  de  la  Ferté,  à  propos  des  dispositions 
de  M»e  Guimard 180 

XLVI 

Ouverture  du  nouvel  Opéra  de  la  Porte  Saint-Mar- 
tin. —  Plainte  de  la  Guimard  sur  les  dispositions  de 
sa  loge  (27  octobre  1781.) 186 


328  TABLE    DES    PARAGRAPHES. 

XLVII 

Eages. 

M"0  Guimard  fort  estomaquée  de  la  nomination  de 
Suard,  comme  censeur  de  l'Opéra  (1781) 189 

XLVIII 

Traitement  de  6000  1.  (avril  1782) 191 

XLIX 

Faillite  de  Guémenêe  et  lettre  de  la  Guimard  à  Sou- 
bise  (décembre  1782) 196 

L_ 

La  danse  à  l'Opéra  (1783) 200 

LI 

Lettre   superbe  de  la  Guimard  à   M.    de   la   Perte 
(16  avril  1783) 204 

lu 

Liaison  présumable  de  la  Guimard  avec  Nivelon  .   .       211 

LUI 

La  petite  vérole  de  Mlle  Guimard  (août  1783)  ....       215 

LIV 

Lettre  de  la  Guimard  à  Champein 217 

LV 

Crainte  de  la  retraite  de  la  Guimard  (avril  1784)  .   .       221 


TABLE    DES    PARAGRAPHES.  329 

LVI 

Pages, 

Guimard  dans  le  ballet  du  Premier  navigateur 
(26  juillet  1783) 224 

LVII 

Loterie  de  la  maison  de  Mlle  Guimard  (1er  mai  1786),      228 

LVIII 
État  de  l'Opéra  en  1788 234 

LIX 

Les  manques  de  service  de  la  Guimard  en  1788.   .   .      237 

LX 

Le  refaçonnage  de  son  visage  parla  Guimard  pastel- 
liste         239 

LXI 

Lettre  de  la  Guimard  à  Perregaux  sur  son  engage- 
ment au  théâtre  de  Londres  moyennant  650  guinées,  et 
ses  démêlés  à  la  suite  de  l'incendie  de  l'Opéra,  avecRa- 
velli  et  Gallini 240 

LXII 

Lettre  de  la  Guimard,  adressée  à  M.  de  la  Ferté  le 
26  mai  1787,  où  se  plaignant  que  les  juges  des  talents  à 
l'Opéra  sont  maintenant  des  laquais  et  des  perruquiers, 
elle  songe  à  donner  sa  retraite.  —  Demande  à  M.  de  la 
Ferté  de  lui  laisser  à  Londres  le  danseur  Nivelon  jus- 
qu'à la  fin  de  juin 245 


330  TABLE    DES    PARAGRAPHES. 

LXIII 

Pages . 

Lettre  à  Perregaux  du  16  avril  1789,  lui  parlant  de 
son  intimité  avec  la  duchesse  de  Devonshire,  et  des  con- 
sultations qu'on  lui  demande  sur  les  habits  des  dames 
françaises 250 

LXIV 

Maigreur  de  la  Guimard.  —  La  caricature  anglaise 
publiée  à  Londres  par  Humfrcy,  à  la  suite  de  la  tour- 
née de  la  danseuse  en  Angleterre,  en  mai  1789 252 

LXV 

Mariage  de  la  Guimard  avec  Despréaux  (14  août  1789)      255 

LXVI 

Liste  des  rôles  dansants,  crées  par  Mlle  Guimard, 
dans  les  opéras,  représentés  à  l'Académie  Royale  de 
Musique '. 256 

LXVII 

Contrat  de  mariage  de  Mlle  Guimard  avec  Jean- 
Étienne  Despréaux,  pensionnaire  du  Roy 269 

LXVIII 

Les  causes  déterminantes  du  mariage  de  la  Guimard.      275 

LXIX 

Les  pensions  de  retraite  de  l'Opéra,  mal  ou  pas  payées 
du  tout  (1790) .       279 


TABLE    DES    PARAGRAPHES.  331 

LXX 

Pages 

Emménagement  du  ménage  à  Montmartre,  pendant 
la  Terreur 283 

LXXI 

Le  chansonnier  Jean-Étienne  Despréaux,  précurseur 
de  Béranger. —  Guimard  l'inspiratrice  de  la  chanson  : 
Les  deux  sœurs  de  charité.    .  ■ 285 

LXXII 

Demande  d'une  représentation  (1798) 289 

LXXIII 
Un  bon  ménage 294 

LXXIV 

Lettre  de  la  Guimard  demandant  à  Desentelles  une 
position  pour  son  mari,  en  1814 297 

LXXV 

Le  dernier  entrechat  de  la  Guimard.  —  Lepetitthéâtre 
de  sa  vieillesse  (vers  1800) 300 

LXXVI 

Mort  de  la  Guimard  (4  mai  1816) 304 

Iconographie  de  la  Guimard 309 


Pjris.  —  Typ.  Chamerot  et  Renouard,  19,  rue  des  Saints-Pères.  —  29383 


A 

G.  CHARPENTIER  et  E.  FASQUELLE,  Éditeurs 
11,  rue  de  Grenelle,  Paris 
Extrait  du  Catalogue  de  la  BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIE 

a  3  fr.  50  le  volume 


LES  ACTRICES  DU  XVIIPE  SIÈCU 

Mil.  LECOUVREUR  —    M,u   CLAIRON 

SOPHIE  ARNOULD  —    M-  SA  I  NT-H  U  BERTY    -   CAMARGO 

LA    GUIMARD    -     M1"  CONTAT    —    M—    FAVART 

Parus  : 

SOPHIE  ARNOULD   —  M«  SAINT-HUBERTY 
CLAIRON   —    LA  GUIMARD 

En  préparation  : 
CAMARGO  —  Mlle  LECOUVREUR 


La  collection,  ainsi  composée,  comprend  les  deux  plus  illustres  tragé- 
diennes, les  deux  plus  célèbres  chanteuses,  les  deux  plus  triomphantes 
danseuses,  la  plus  renommée  comédienne,  la  plus  populaire  actrice  de 
genre,  et  la  biographie  de  ces  huit  femmes  est  presque  l'histoire  de 
notre  théâtre  dramatique,  comique,  opéradique,  ainsi  qu'on  disait  au 
siècle  passé. 

Ces  biographies  ont  été  et  seront  écrites  à  l'aide  des  lettres  auto- 
graphes, des  actes  de  notaires,  des  pièces  des  archives  privées  et 
publiques,  documents  qui  permettent  à  un  auteur  de  ce  temps  de 
reconstituer  l'existence  de  ces  femmes  d'un  autre  siècle,  comme  s'il 
écrivait  la  vie  de  contemporaines  qu'il  aurait  connues  et  fréquentées. 

Et  ces  vies  retentissantes  avec  leur  entour  de  personnages  émi- 
nenls,  avec  les  hauts  et  les  bas  de  leur  fortune,  avec  leurs  amours 
changeantes,  avec  leurs  scandales,  avec  les  procès-verbaux  des  com- 
missaires du  Châtelet,  avec  les  rapports  des  inspecteurs  de  police,  tout 
nouvellement  mis  en  lumière  et  introduits  dans  les  études  historiques, 
ces  vies  ne  sont  pas  que  des  biographies  d'actrices  :  ce  sont  de  grands 
et  intimes  fragments  de  l'histoire  des  mœurs  d'un  temps. 

Ici,  M.  Edmond  de  Goncourt  fait  un  appel  à  tous  les  dévots  du 
XVIIIe  siècle  pour  lui  communiquer  les  documents  ou  biographiques  ou 
plastiques  que  les  collectionneurs  peuvent  posséder  sur  M"e  Lecouvreur, 
sur  la  Camargo,  sur  MUe  Contât,  sur  Mmc  Favart:  les  biographies  en 
préparation. 

Chaque  volume  formant  un  tout,  et  ne  portant  de  titre  général  que 
sur  la  couverture,  peut  être  acheté  séparément. 


12756.  —  Imprimeries  réunies,  rue  Mignon,  2,  Paris. 


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