X
LES ACTRICES DU XVIII* SIECLE
LA
GUIMARD
D'APRÈS LES REGISTRES DES MENUS-PLAISIRS
DE LA BIBLIOTHÈQUE DE L'OPÉRA
LES CORRESPONDANCES DES ARCHIVES NATIONALES
LA COLLECTION D'AUTOGRAPHES MORISSON, ETC.
EDMOND DE GONCOURT
TROISIEME MILLE
PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
G. CHARPENTIER et E. FASQUELLE, éditeurs
11, RUE DE GRENELLE, 11
1893
LA GUIMARD
IL A ÉTÉ TIRÉ :
Chiquante exemplaires numérotés à la presse
sur papier de Hollande.
Prix : 7 fr.
EDMOND DE GONGOURT
LA
GUIMARD
D'APRÈS LES REGISTRES DES MENUS-PLAISIRS
BIBLIOTHÈQUE DE L'OPÉBA, ETC., ETC.
DEUXIEME MILLE
PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
G. CHARPENTIER & E. FASQUELLE, éo.teurs
11, RUE DE GRENELLE, 11
189 3
Tous droits réservés.
PRÉFACE
Un jour du xvin0 siècle, on se demandait
quelque part, le pourquoi toutes les dan-
seuses réussissent dans la galanterie, et ar-
rivent à l'Opéra dans un char doré, et le
pourquoi si peu de chanteuses font de
grandes fortunes, — et sans doute, il était
fait allusion à la fortune de cette danseuse
dont j'écris l'histoire, au luxe de cette im-
pure dépassant le luxe des courtisanes de
l'antiquité : Rhodope et Laïs, de cette impure
à l'hôtel coûtant le prix d'une pyramide, et
dont le théâtre de la ville et de la campagne
il PRÉFACE.
enlevait pour les plaisirs de sa société les
meilleurs acteurs aux trois théâtres de Paris
Et chacun donnait une raison à son tour,
et quand la question fut posée à d'Alcinbert,
le spirituel géomètre répondit : « C'est une
suite nécessaire des lois du mouvement! »
EDMOND DE GONCOURT.
Auteuil, octobre 1892.
LA GUIMARD
La danse française, cette danse, si goûtée au
siècle dernier par la société aristocratique de
France et d'Angleterre, compte d'illustres dan-
seuses; mais le nom d'aucune de ces femmes,
même de la Camargo, n'a eu, n'a laissé la re-
nommée retentissante qui s'est faite autour de
la Guimard : la Terpsichore du temps.
Un visage composé pour l'expression de la
tendresse et de la volupté, une taille moyenne
d'une extrême sveltesse, la taille et la physio-
nomie de la danseuse demi-caractère : c'est le
partage de la Guimard.
Moulée et dotée par les Grâces, la Guimard
esta l'Opéra, la Grâce du dix-huitième siècle,
i
2 LA GUIMARD.
ne recherchant pas les difficultés dans sa danse,
et dédaigneuse des temps sautilles, des pas ha-
chés, des trépignements accélérés, du feu des
battements1 , mais se dessinant dans une har-
monie intime de tous les mouvements, mais
se produisant et se montrant en la noblesse des
positions, en l'élégance des attitudes, avec ce
visage d'enjouement, et avec ce « souris »! qui,
selon l'expression du panégyriste de la dan-
seuse, vaut l'immortalité.
La danse de la Guimard, une danse aux ai-
mables abandons de corps, aux longs déploie-
ments, aux coquets effacements du buste, à
l'aisance de l'enchaînement des pas, à la liaison
des gestes avec l'expression de la figure : une
danse qui a l'aplomb, la fermeté, la précision,
la vitesse, et les parcours sinueux, et les replis
ondoyants, et les moelleux déhanchés, et les ar-
1 . Mme Lebrun dit de la Guimard : « Sa danse n'était qu'une
esquisse, elle ne faisait que de petits pas, mais avec des mou-
vements si gracieux, que le public la préférait à toute autre
danseuse. »
2. Guimard ou l'Art de la Danse pantomime, poème par
Duplain. A Londres et se trouve à Paris, chez Mérigot l'aîné,
boulevard Saint-Martin et tous les jours d'Opéra, sous le
vestibule. L'auteur du poème dit : « J'ai fait ce poème,
parce que j'ai cru la danse ime véritable déclamation, Mole
jouant Beverley, Guimard dansant Myrza, me touchent égale-
ment. »
LA GUIMARD. 3
rondissements de bras flatteurs \. Et dans cette
danse, des pauses, des repos, des hésitations
avec des pieds comme distraits, dont soudain
la danseuse sort et s'échappe par un élan, une
fuite, un pas hardi.
Mais la Guimard excelle surtout dans ces
ballets, où la pantomime apporte, pour ainsi
dire, de la spiritualité à la danse, et lui fait ex-
primer par l'éloquence de la physionomie, par
la magie des gestes, par le je ne sais quoi des
mouvements et des pas, l'état d:âme d'une
fillette s 'ouvrant à l'amour, ainsi que dans la
Chercheuse d'Esprit, qu'on pourrait appeler
de la danse psychique.
Puis encore la danseuse de la Chercheuse
d'Esprit a un talent chorégraphique tout spé-
cial, et n'appartenant qu'à elle : elle est par
excellence la danseuse du Ballet Anacréon-
tique.
Oui, dans ce ballet, aux tableaux dessinés
par le sentiment, à la danse toute de grâce
légère et de chaste volupté, et qui semble la
mise en scène mouvementée et gracieuse du
Plaisir délicat et de l'Amour ingénu, la Gui-
1. Le danseur Dupré disait : « Ce n'est pas encore assez de
bien danser avec les jambes, il faut encore savoir danser arec
les bras. »
4 LA GUIMARD.
mard est inimitable, et quand elle quitte le
théâtre, elle emporte avec elle un genre qui ne
revivra plus jamais sur les planches de l'Aca-
démie royale de musique1.
d. Lettres sur les Arts Imitateurs, par Noverre. A Paris,
ehez Léopold Collin, 1807.
II
D'après l'acte de baptême, annexé au brevet
de la pension accordée à la danseuse par le
roi Louis XY, Marie-Madeleine Guimard au-
rait été baptisée le 27 décembre 1743, jour de
sa naissance, et elle serait la fille de Fabien
Guimart (sic) inspecteur des manufactures des
toiles à Voiron, en Dauphiné, et de Marie-Anne
Bernard son épouse, demeurant rue de Bour-
bon1.
Cet acte de baptême met à néant une partie
du rapport de police de Marais, qui donne
pour son vrai nom à la danseuse, le nom de
Marie Morelle, et en fait la fille bâtarde d'un
1. Le parrain était Antoine de Sameron ; la marraine Marie-
Magdelaine Bernard. Extrait du registre des baptêmes de la
paroisse Bonne-Nouvelle de Paris. (Archives Nationales 0*677.)
Académie royale de musique au XVIIIe siècle, par E. Campar-
don. Paris, 1884.
1.
6 LA GUIMARD.
juif, nommé Bernard, mort au Châtelet, où il
aurait été détenu pour dettes pendant des
années, et d'une nommée Morelle, de bonne fa-
mille bourgeoise, que le juif avait débauchée
dans le temps, où il faisait une certaine figure
sur le pavé de Paris *.
Oui, la danseuse est bien la fille d'un nommé
Guimart, et sa mère s'appelle réellement Ber-
nard, et il n'y a de vrai dans le rapport du poli-
cier Marais, que sa bâtardise.
En effet l'extrait de baptême contient un
faux, la dame Bernard n'était pas l'épouse de
Fabien Guimart, ainsi que le prouve l'acte de
légitimation de la danseuse, acte de légitima-
tion sans doute consenti par le père, pour
assurer à sa fille sa succession, et que M. Cam-
pardon donne d'après les Archives Natio-
nales.
Dans cet acte, la demoiselle Marie-Madeleine
Guimard, faisant profession de la religion catho-
lique, apostolique, romaine, expose qu'elle est
née du commerce illégitime qu'eurent autrefois
le sieur Fabien Guimart, inspecteur des manu-
factures des toiles de Voiron, et de la défunte
Anne Bernard, ses père et mère, tous deux lors
1 La demoiselle Morelle, dite Guimard, danseuse. Rapport
de police de Marais, Revue rétrospective, vol. VIII.
LA GUIMARD. 7
libres et non mariés, mais que dans le malheur
de sa naissance, elle a eu le bonheur d'être
élevée avec beaucoup de soins, et qu'aujour-
d'hui son père désirant lui continuer les
marques de l'amitié et de la tendresse person-
nelle, qu'il a toujours eues pour elle, et vou-
lant lui assurer son état, a consenti, conjoin-
tement avec son frère, prêtre, chanoine du
diocèse d'Orléans, à lui accorder les lettres de
légitimation, à l'effet d'effacer la tache de sa
naissance, et de la faire jouir des privilèges et
avantages des enfants légitimes.
Et Louis XV, par sa grâce spéciale, pleine
puissance et autorité royale, légitimant ladite
demoiselle Guimard, « du litre de légitime l'a-
vons décorée et décorons », dit-il, — et dans la
belle langue autoritaire de l'ancienne monar-
chie, il continue ainsi :
« Voulons et nous plaît, qu'en tous actes,
tant en jugement que dehors et en toutes occa-
sions, elle puisse prendre et porter le nom de
Marie-Madeleine Guimard et qu'elle soit tenue,
censée et réputée, comme nous la tenons, cen-
sons et réputons légitime, qu'aucun défaut ne
lui soit reproché sur sa naissance, et qu'elle
jouisse, en ladite qualité, des mêmes honneurs,
prérogatives, droits, privilèges, franchises et
8 LA GUIMARD.
avantages, dont jouissent et doivent jouir nos
autres sujets légitimes.
Toutefois ce réveil de la paternité chez l'in-
specteur des toiles de "N oiroD n'avait eu lieu
qu'en décembre 17ti.v;. Était-ce no remords tar-
dif de l'abandon de son enfant, aux approches
de la mort? Car dans les années de l'enfance
de la petite Marie-Madeleine, et aussi dans les
années de l'apprentissage de son métier, nous
ne trouvons aucune trace de ce père, et de
l'occupation aimante qu'il devait avoir de sa
fille.
Et ma foi. l'on est tenté d'ajouter une cer-
taine créance au rapport de Marais, quand il
affirme que l'éducation chorégraphique de la
jeune Guimard a été faite, surtout, grâce aux
secours, que la mère avait su adroitement tirer
de M. d'Harnoncourt et du président de Saint-
Lubin. tous deux connus pour être des édu-
cateurs des jeunesses à talent, tous deux, de
ces vieux débauchés, se préparant, avec des
soins paternels, des maîtresses dans de petites
filles, et qu'un auteur du dix-huitième siècle
compare aux jardiniers hâtant ai serre chaude
le céleri.
« Toute jeunette encore. Madeleine Guimard,
dit la Police dévoilée, avait trop de grâce dans
LA Gl'IMARD. 9
ce qu'elle disait, pour qu'on ne fût pas tenté de
voir, si elle en mettrait autant dans ce qu'elle
ferait '. » Et le on désigne spécialement M. le
président de Saint-Lubin.
1. La. police de Paris dévoilée, par Pierre Manuel. L'an
second de la Liberté.
III
En ces années, il y avait un corps de ballet
attaché à la Gomédie-Française, et indépen-
damment des ballets d'intermèdes ou diver-
tissements, les deux ballets de la Mort d'Or-
phée ou les Fêtes de Bacchus, ballet héroïque
(6 juin 1759), et Yertumne et Pomone, ballet
pantomime (30 avril 1760), avaient un succès
comparable aux ballets les plus suivis de l'Aca-
démie royale de musique.
Or donc, en vertu de la double protection
de M. d'Harnoncourt et du président de Saint-
Lubin, la fillette de quinze à seize ans entrait,
en 1758, dans le corps de ballet '.
L'on ignore le chiffre de son traitement. Les
archives de la Comédie-Française font seule-
ment mention d'une gratification de cent livres
1. En effet, Mlle Guimard, alors âgée de seize ans, figure
LA GUIMARD. 11
qu'elle reçoit en l'année 1760-4761, et con-
servent cette curieuse lettre de sa besoigneuse
comme première danseuse dans VÉtat actuel de la musique
de la Chambre du Roi et des trois spectacles de Paris.
Mais donnons cet état, où parmi les danseurs nous allons
trouver son premier amant :
État des personnes qui composent le Ballet
de la Comédie-Françoise.
Directeur
M. de Bel court.
Compositeur de musique
M. Girault.
Répétiteur
M. De hault.
Maître de ballet
M. ***
Premiers danseurs
Messieurs
Premières danseuses
Mesdemoiselles '
Alard, nie du Jour près Saint-Eustache. Guimard, rue du Jour près
Saint-Eustache.
Danseurs figurants
Messieurs
Gougi, Desprée, Martin, Biot, Léger, Papillon,
Grangée, Antoine, Rivière.
Danseuses figurantes
Mesdemoiselles
Figurantes surnuméraires
Mesdemoiselles
L'orchestre était ainsi composé : les Violons étaient MM. Branche,
Blondeau, Noël, Milandre, Gérard ; les Violoncelles : MM. Patouard,
Descombes, Conrad ; le Basson : M. Dupré ; les Hautbois : MM. Ma-
dron, Beraud ; les Cors de Chasse : MM. Froment, Hébert ; le Tim-
balier : Soret.
12 LA GUIMARD.
mère, très pressée d'argent, à propos d'un re-
tard d'une quinzaine de jours dans le paiement
des appointements de sa fille.
« A Messieurs les Comédiens Français
du Faubourg Saint- Germain, en leur
hôtel à Paris.
« Messieurs et dames,
« Je ne sais par quelle raison l'on refuse de
payer à Mademoiselle Guimard, à l'échéance
de son mois. Son engagement est du premier
avril, et le sieur Baron vient de me dire qu'il
n'avait ordre de payer que le quatorze de ce
mois. Mes facultées (sic) ne me permettent pas
d'attendre davantage. J'ai besoin d'argent. Fai-
tes-moi le plaisir d'ordonner qu'on m'en donne,
sans quoi, il ne me serait pas possible de per-
mettre que ma fille danse, étant obligée de faire
des avances, toutes les fois qu'elle vient au thé-
âtre. J'ai l'honneur d'être très parfaitement
« Messieurs et dames, votre très humble,
obéissante servante.
« La veuve Guimard.
« 6 mai 1760. »
IV
De la toute jeune danseuse, de la fillette de
quinze à seize ans, voici le portrait que nous
donne le policier Marais, en octobre 1760 :
« Bien faite, et déjà en possession de la plus
jolie gorge du monde, d'une figure assez bien,
sans être jolie, l'œil fripon, — et portée au plai-
sir1. »
Et portée aux amourettes, car au mois de
septembre 1760, en dépit de la surveillance de
sa mère, qui « a eu toujours une grande atten-
tion pour l'accompagner jusque dans les cou-
lisses » — c'est sa mère, qui parle ici, — et en
dépit de la surveillance de la sœur de sa mère,
sa tante Levray, la jeune coryphée est en cor-
1 . La demoiselle Morelle, dite Guimard, danseuse, entretenue
nouvellement par M. Bertin, trésorier des parties casuelles.
Rapport de Marais, publié dans le vol. VIII de la Revue ré-
trospective.
2
14 LA GUIMARD.
respondance amoureuse avec le danseur Léger,
ci-devant danseur à la Comédie-Française et
actuellement danseur à l'Opéra. Oui, l'amou-
reux danseur s'était introduit chez la veuve
Guimard ' et lui avait fait une vingtaine de vi-
sites, sous le prétexte de lui demander sa pro-
tection pour danser seul avec sa fille, quand,
un jour, la mère mise au fait de la correspon-
dance existant entre le danseur et l'adolescente,
l'avait congédié dans l'intérêt de la réputation
de sa fille.
Or, sur ces entrefaites, il était arrivé, et la
chose remontait à dix-huit mois, il était arrivé
que la veuve Guimard retirait chez elle la Ber-
nard, sa belle-sœur que son frère venait d'épou-
ser, et que le danseur Léger avait l'art de si bien
gagner à sa passion, qu'elle se chargeait de ses
lettres pour sa nièce, et triomphait même des
hésitations de la jeune fille pour y répondre de
nouveau. Et si bien, elle en triomphait au bout
de quelque temps, qu'une lettre de la jeune
Guimard, surprise par sa mère, lui révélait tout
l'empire qu'avait le danseur Léger sur l'esprit
de sa fille.
1. La Bernard prend une qualification fausse. Elle n'est pas
l'épouse de Fabien Bernard qui vit encore et qui lui survivra,
car elle meurt le 23 septembre 1761, une année après sa plainte.
LA GUIMARD. 15
Mais la Bernard ne s'était pas contentée
d'être l'entremetteuse de sa nièce. La veuve
Guimard apprenait, après le renvoi de sa belle-
sœur de chez elle, que la méchante femme
avait débité à des personnes de considération,
« qu'elle était une malheureuse, rendant sa fille
la plus misérable créature, qu'elle l'avait vou-
lu faire violer, la tenant elle-même pour cela,
et d'autres semblables horreurs ». Et la fille,
interrogée par la mère, répondait qu'elle n'a-
vait pas connaissance de ces horribles calom-
nies, mais qu'il était vrai que sa tante lui avait
trouvé un moyen sûr de la faire sortir de chez
sa mère, pourvu qu'elle ne la démenlît pas.
Et à la fin de sa plainte1, la veuve Guimard
déclare que le danseur Léger, exaspéré de ne
pouvoir exécuter les vues criminelles qu'il a
sur sa fille, ne cesse de les poursuivre, elle et
sa sœur Mme Levray, de les poursuivre de sa
colère partout et à la Comédie-Française,
chaque fois que sa fille y danse, et qu'il est ar-
rivé plusieurs fois à la comparante d'être in-
sultée par des fiacres, qu'elle est obligée de
1. Plainte rendue par la mère de MUe Guimard danseuse à
la Comédie Française, contre un sieur Léger qu'elle accusait de
vouloir séduire sa fille. Les comédiens du roi de la troupe
française, par Emile Campardon. Champion, 1879.
16 LA GUIMARD.
prendre, lorsqu'elles sortent tard de la Comé-
die-Française et qu'elle a lieu de présumer, que
c'est le dit Léger qui les fait insulter.
Et la comparante affirme : que la veille, sa
belle-sœur Levray ayant conduit à la Comédie-
Française sa fille, qu'elle ne pouvait ce jour
accompagner, quelques moments auparavant
que le ballet fût commencé, la dame Levray
dans le foyer où l'avait fait descendre sa fille,
ayant vu le dit Léger, lui avait dit : « Il faut
nous retirer, puisque le ballet n'est pas prêt à
être dansé. » — Sur quoi. Léger lui avait de-
mandé, si c'était lui qui était la cause pourquoi
elles se retiraient, elle lui a répondu que oui;
que là-dessus il avait quitté la place, mais était
presque aussitôt revenu, et voyant les deux
femmes rentrer dans les coulisses, au moment
où elles sortaient du foyer, le dit Léger, à haute
voix, a traité la dame Levray de « salope » et
d'indigne créature, et autres sottises, ajoutant
que si elle n'était point à la Comédie, il lui
donnerait « cent coups de pieds dans le cul, » ce
qui a été entendu par plusieurs personnes qui
étaient là, qu'elle a prises à témoin.
La plainte se termine par cette phrase :
« Et comme la comparante a grand intérêt à
faire cesser les odieuses calomnies de la dame
LA GUIMARD. 17
Bernard, sa belle-sœur, et d'arrêter les pour-
suites criminelles du dit Léger, au sujet de sa
fille, dont il pourrait abuser de sa jeunesse et
de son peu d'expérience... elle a été conseillée
de se retirer par devant nous, pour nous faire
la présente déclaration et nous rendre plainte.
« Signé : M. A. Bernard; Leblanc1. »
La suite et le dénouement de cette amourette,
nous les trouvons dans le Gazetier cuirassé,
qui dit, à quelques années de là, en parlant de
la Guimard : « De toutes les filles qui dansent
à l'Opéra, on ne trouve que la seule mademoi-
selle Guimard qui n'a pas commencé par un
laquais, un soldat, ou un perruquier; c'est au
danseur Léger (qui a eu l'indiscrétion de le
dire) qu'elle doit ses premières leçons, et un
enfant, dont elle a accouché dans un grenier, au
milieu de l'hiver, sans feu et sans courte-pointe
de dentelle. »
Dans une note, où Théveneau de Morande
constate qu'elle a maintenant un suisse, un hôtel,
six chevaux, autant de domestiques, le pam-
phlétaire affirme qu'elle s'est vue réduite à se
1. La plainte de la mère de Guimard est du 5 septembre,
1760.
1S LA GUIMARD.
chauffer tout naturellement avec de l'amour,
pendant les deux hivers qu'elle a vécu avec le
danseur Léger.
Et I'Arnoldiaxa confirme le fait, disant : « Ce
fut au danseur Léger, que M1Ie G dut son pre-
mier pas, et un enfant dont elle accoucha dans
un grenier, au milieu de l'hiver, sans feu et sans
linge.
Premier amour, auquel fait encore allusion,
dans ses Statuts pour ï Opéra, le poète Barthe,
disant à ce sujet :
Que celles qui, pour prix de leurs heureux travaux,
Jouissent à vingt ans d'une honnête opulence,
Ont un hôtel et des chevaux,
Se rappellent parfois leur première indigence
Et leur petit grenier et leur lit sans rideaux.
Leur défendons, en conséquence,
De regarder avec pitié
Celle qui s'en retourne à pié;
Pauvre enfant dont l'innocence
N'a pas encore réussi,
Mais qui, grâce à la danse,
Fera son chemin aussi.
Or la veuve Guimard était-elle une aussi fa-
rouche gardienne de l'honneur de sa fille, quand
l'amoureux n'était pas un pauvre diable de dan-
seur? Il ne le semble vraiment pas, d'après le
texte de ce rapport de la police déjà cité, et qui
LA GUIMARD. 19
est delà même année, et presque du même mois
que la plainte.
« Jusqu'à présent on a toujours vu sa mère
(la mère Guimard) la tenir de fort court, en ne
négligeant pas cependant de la faire paraître
aux foyers du spectacle, pour y faire quelques
dupes. Il ne s'était encore présenté personne qui
voulût parler clair; mais on sait pertinemment,
quoique cela se dise tout bas, que M. Bertin,
trésorier des parties casuelles, s'en est chargé,
et lui a fait meubler très proprement un appar-
tement près de la Comédie, sans que la demoi-
selle Hus, actrice du même théâtre, qu'il entre-
tient à gros frais, depuis plusieurs années, en
ait aucune connaissance. Les méchants qui se
plaisent dans les brouilleries de ces sortes de pe-
tits ménages clandestins, attendent avec satis-
faction, le moment où la demoiselle Hus sera
instruite du nouveau goût de son Plutus. On
la connaît très violente, fort méchante, et l'on
croit qu'il passera de très mauvais moments,
ainsi que la demoiselle Guimard; mais heureu-
sement cette dernière a une mère qui n'en-
tend pas raillerie, et qui pourra bien ne pas
respecter la figure de cette nouvelle Médée. »
Marais ajoute :
20 LA GUIMARD.
« On assure que, sans les soins de lanière, la
demoiselle Guimard aurait certainement laissé
cueillir sa première fleur à un jeune danseur
Prévost d'Hyacinthe1, ci-devant maître des bal-
lets, qui lui a montré longtemps, lequel est
d'une fort jolie figure, et dont on la sait amou-
reuse folie. A présent que la fortune a changé
de face, elle pourra satisfaire son goût et son
ambition. M. Bertin ne gène pas trop ses maî-
tresses, et elles ont été toutes dans l'usage de
guerluchonner ; d'ailleurs la chère mère qui a
été elle-même susceptible d'amour, deviendra
sans doute traitable pour se conserver une fille
qui fait toute sa ressource. »
1. Il y a bien certainement une erreur de nom dans le rap-
port de Marais, et le premier amant de la Caiimard est incon-
testablement le sieur Léger, qui figure comme danseur figu-
rant dans les artistes composant le ballet de la Comédie
Françoise.
L'année suivante, en 1761, la jeune danseuse
de la Comédie-Française, que le policier Marais
appelle dans son rapport : « une des premières
danseuses dans le genre des grâces », était en-
gagée à l'Opéra et signait l'engagement que
voici :
« Je soussignée , âgée de
m'engage envers l'Académie
Royale de Musique, pour
tant sur son théâtre que sur celui de la Cour,
même les jours extraordinaires, à me rendre
exactement à toutes les répétitions, aux jours
et heures qui me seront indiqués, soir et ma-
tin, indistinctement, sans pouvoir, pour rai-
son de ce, exiger aucune rétribution particu-
lière, le présent engagement fait moyennant la
somme de
d'appointements et de
22 LA GUIMARD.
gratification annuelle qui commenceront à cou-
rir du , me sou-
mettant à tout ce qui est prescrit par les ordon-
nances et règlements royaux, concernant le
service de la dite Académie.
« Fait à Paris, ce mil cept cent1 . »
Or, MUe Allard ayant fait une chute, et s'étant
blessée au pied, MIlc Guimard débutait, le 9 mai
1762, dans le rôle de Terpsichore, du prologue
des Fêtes Grecques et Romaines, et au dire du
Mercure de France, était reçue, et doublait cette
entrée avec beaucoup d'agrément.
Les Mémoires secrets constatent le grand
succès de la débutante, vantent sa légèreté, et
ne lui reprochent guère que de manquer « de
grâces plus arrondies » dans certaines parties
du rôle.
1. L'engagement que je donne est à la date de 1781, mais il
ne doit être qu'une l'épétition de l'engagement des années qui
précèdent. (Bibliothèque de l'Opéra. Registre des Menus Plai-
sirs, année 1781.)
VI
Mlle Guimard ne se trouve pas portée sur le
catalogue de l'Opéra en 1761, ni même en 1762,
dans les Spectacles de Paris, mais en 1763, cet
almanach des Spectacles la fait figurer à la danse
comme danseuse seule, en double et figurante
entre Mlle Dumonceau et Peslin.
MUe Guimard a au-dessus d'elle, comme dan-
seuses seules, Mlles Lany, Lyonnais, Yestris,
Allard.
Elle a au-dessous d'elle, parmi les danseuses
figurantes, Mlles Demiré, Rey, Basse, Saron, Saint-
Martin, Petitot, et parmi les surnuméraires,
Mlles Dornet-Lozange, Buard, Siane Yillette,
Cornu, Daché, Lacour, Martaise, Contât, Bous-
carelle, Coustou.
Elle danse avec les danseurs Lany, Vestris,
Laval, Lyonnais, Gardel, Grosset, Dauberval,
etc., etc.
24 LA GUIMARD.
Dans les opéras, où il y a de la danse, elle
danse en compagnie des chanteuses Chevalier,
Sophie Arnould, Durancy, des chanteurs Gelin
Larivée, Pillot, etc.
Le chef d'orchestre est Berton, et le violon
pour les répëtitions de danse, est M. Paris.
Enfin, pour compléter le tableau de l'orga-
nisation de l'Académie Royale de Musique,
nommons les directeurs qui sont, pour l'heure,
Rebel et Francœur.
Et voici la liste des contrôleurs, commis-
employés pour le service de ladite Académie :
Joli veau, secrétaire perpétuel de V Académie
et inspecteur au Magasin.
Girault, machiniste.
Boquet, dessinateur des habits.
Bourbon, garde-magasin général, à l'Aca-
démie.
Delaistre, maître-tailleur d'habits à V Aca-
démie.
Duplessis, inspecteur des commis de la salle et
contrôleur à la porte.
De la Porte, receveur au bureau des balcons et
des loges.
Le Fèvre, receveur au bureau du parterre.
Bourque, chargé du recouvrement des loges
louées à l'année, receveur au bureau des supplé-
LA GUIMARD. 25
ments et contrôleur des places dans la salle.
Le Loutre, pour placer à ï amphithéâtre .
JHoubant et la demoiselle Le Loutre pour pla-
cer aux premières loges.
La demoiselle Morizot, la demoiselle Dun
pour placer aux secondes loges.
Bouteillier et la demoiselle Bulle, pour pla-
cer aux loges louées à l'année dans la partie du
théâtre et au cintre.
Il faut s' adresser pour louer les loges à l'Opéra,
chez M. de La Vorte, maître parfumeur, vis-à-
vis le café de Dupuis.
Et l'état de l'Opéra de 1763 se termine par
cette note : « La garde de l'Opéra est composée
de quarante hommes du régiment des gardes
françaises, y compris deux sergents et quatre
caporaux. Elle est commandée par MM. De-
brousset et La Garenne, sergents-majors. Pour
les jours de bal, elle est augmentée de vingt
hommes. »
Dans un rare petit livre, publié en 1759, et
intitulé : Etat actuel de la musique de la cham-
bre du Roy et des trois spectacles de Paris.
Contenant les noms et demeures de toutes les per-
sonnes qui y sont attachées... je trouve cette im-
mense liste des marchands et ouvriers « four-
3
26 LA GUIMARD.
nissant et travaillant pour l'Opéra » : Berthelin
de Neuville, chandelier, rue Saint -Honoré,
Garibi, serrurier, rue Niçoise, LecuxQr. plumas-
sier, rue de Grenelle-Honoré, Buiïault, marchand
de soierie, rue Saint-Honoré, Celet, marchand de
galons, rue Saint-Denis, Lebrun, cordonnier, rue
Pavée -Saint- Sauveur , Feret, marchand gazier,
rue Saint-Dénis. La dame La Porte, pour les
gants, rue Saint-Honoré, Berton, pour les toiles,
rubans et merceries, rue aux Fers. Xotrelle,
perruquier, place du Carrousel, Ponthieu, lus-
trier, place Dauphine; Ducreux, pour les mas-
ques. Pont Xotre-Dame.
Ce Du Creux semble avoir été remplacé plus
tard par un sieur Bignon, auquel succédait un
sieur Halle, dont je possède une charmante
adresse, aux montants faits de deux corps de
femmes nues jusqu'à la ceinture, soutenant une
draperie, entourée, sous une tête de Momus,
d'une guirlande de masques.
On lit sur cette adresse :
A LA FOLIE
HALLE
Dit Mercier
« Peintre et modeleur, successeur du S. Bigxox
Md, fabricant de casques et de masques des Menus
LA GU1MARD. 27
Plaisirs du Roi, de l'Opéra et des autres specta-
cles, tient toutes sortes de casques grecs et romains
et dans tous les genres et autres accessoires pour
le théâtre, comme cabochons de toute forme et de
toute grandeur pour faire des coiffures. Frontons
de Diable pour Furies, Mascarons deLijon, épau-
lettes, caducées, marotes, carquois d amours et de
sauvages. Flambeaux d amour et de furies. Ser-
pens de toute grosseur. Têtes d animaux en tout
genre pour les pantomimes, Boucliers de toute
forme et trophées et tout ce qui peut servir aux
spectacles. De plus, entreprend le décor en carton
pour le théâtre, appartements et boudoirs, comme
figures, chapiteaux, corniches, cariatides et au-
tres. Von trouve dans son magasin toutes sortes
de masques fins de Venise de la première qualité,
tant doublés en soie qu'en batiste pour les bals,
toutes sortes de masques pour le théâtre. Masques
de velours pour les traîneaux, pour les chimistes,
pour poudrer dun nouveau goût, ainsi que des
masques communs à différents prix. Fait des en-
vois en province.
« Rue de V arbre-Sec, 19, au troisième.
« Paris. »
VII
En ces années des débuts de la Guimard à
l'Opéra, les rapports de police nous renseignent
sur la continuation des amours passagères et
vénales de la danseuse.
En septembre 1763, elle est quittée par le
comte de Boutourlin, ambassadeur de Russie en
Espagne, qui pendant un séjour à Paris, après
avoir vécu quelque temps avec elle, l'abandonne
complètement pour la demoiselle Lafond, de la
Comédie italienne. Mais presque aussitôt, elle
est reprise par le comte de Rochefort, qui après
avoir payé les dettes de la petite Colette des Ita-
liens, se met avec MUe Guimard, en débutant
par le don d'une paire de boucles d'oreilles et
d'un collier de diamants du plus grand prix1.
1. Journal des Inspecteurs de M. de Sartines. Dentu, 1863.
LA GUIMARD. 29
Une liaison plus durable s'était formée, en ces
temps, entre la danseuse et le fermier général
artiste, à la tête fine, aimable, intelligente, éveil-
lée, que Ton voit gravée en tête d'un des plus
beaux livres illustrés du dix-huitième siècle, et
qui porte pour titre : Choix de chansons, mises en
musique par M. de la Borde, premier valet de
chambre ordinaire dît Roi, gouvernenr du Lou-
vre. Et Jean Benjamin de La Borde, célèbre par
ces deux vers de Voltaire :
Avec tous les talens le destin l'a fait naître
11 l'ait tous les plaisirs de la société.
était devenu un des amants en titre de la
Guimard.
De cette liaison entre le premier valet de
chambre du Roi et la danseuse, naissait en avril
4763, une fille, baptisée comme de père et
mère inconnus, mais dont le père réclamait la
paternité, en octobre 1770, affirmant que cette
fille était bien sa propre fille, la fille naturelle de
Jean Benjamin de La Borde, premier valet de
chambre du Roi, et de la demoiselle Guimard,
qui l'avaient élevée comme telle, et l'avaient
reconnue par un acte passé devant notaires, le
17 septembre 1770, par lequel ils consentent à
3.
30 LA GUIMARD.
la légitimation, et deux notables attestent
qu'elle est leur fille, et qu'ils lui ont donné, en
cette qualité, l'éducation convenable1...
I. Lettre de légitimation en faveur de la demoiselle Marie
Madeleine Guimard, fille naturelle de Mllc Guimard et de Jean
Benjamin de Laborde. (1770, octobre.) L Académie Royale de
Musique au xvmc siècle, parE. Campardon, Bcrgcr-Lcvrault,
1884, 1" vol.
VIII
L'année qui suit son début, Mlle Guimard ob-
tient un vrai succès aux spectacles de la Cour.
En effet le Mercure de France nous apprend
que « ce jeune sujet, déjà connu et applaudi sur
les théâtres de Paris, a donné devant la cour, à
Fontainebleau, dans l'opéra de Castor et Pollux,
des preuves agréables de ses progrès, et parti-
culièrement dans les ballets de cet opéra, où
elle dansait plusieurs pas de deux » .
Tous les ans Mlle Guimard s'empare un peu
plus du public de Paris et de la cour. Et le Mer-
cure de France imprime encore, à la date d'avril
1764, que Mlle Guimard « qui a profité avec
succès des circonstances qui l'ont mise à portée
de paraître, et qui n'en plaît que davantage au
public, a chanté et joué le rôle de la statue dans
Pygmalion, et qu'elle s'est acquittée de cet em-
ploi avec grâce, et qu'elle a été fort applaudie.
32 LA GUIMARD.
Enfin, en juillet de la même année, le Mercure
témoigne de ce que le zèle infatigable de MUe Gui-
mard et son assiduité au service du spectacle,
en font une des danseuses paraissant le plus
souvent en scène.
IX
En janvier 1766, à une des représentations
des Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, que l'on
donnait les jeudis, Mlle Guimard était renversée
par une pièce de décoration, qui lui tombait sur
un bras, en le fracturant. Mais la fracture était
simple, et Guérin, le chirurgien des mousque-
taires, se trouvant à l'Opéra, ce soir-là, faisait
sur place la réduction de la fracture, sans que
la courageuse nymphe poussât un cri1.
Et depuis son accident2 qui n'avait laissé
d'inquiétude à personne, chaque fois que la dan-
1. Mémoires secrets, vol. II. — Mercure de France, février
1766.
2. Castil-Blaze, dans son Académie Impériale de Musique ,
avance qu'une messe fat dite à Notre-Dame, pour le bras cassé
de MUe Guimard. — Sophie Arnould qui trouvait à Mlle Gui-
mard plus de grâce que do vrai talent de danseuse, dit plai-
samment : « Pauvre Guimard, si elle ne s'était cassé qu'une
jambe, ça ne l'empêcherait pas de danser! »
34 LA GUIMARD.
seuse se montrait au spectacle, le bras en écharpe,
elle y recevait les témoignages les plus flat-
teurs de l'intérêt du public1.
Enfin, à sa réapparition, au mois d'octobre
1766, le Mercure de France imprimait :
« Mlle Guimard, si agréable au public avant son
accident, paraît avoir acquis de nouvelles grâces
et de nouvelles perfections dans la reprise des
Fêtes lyriques. »
1. Mercure, mars 1766.
X
Au dix-huitième siècle, il existe un sultan
de l'Opéra, dont la loge est un sérail, toujours
remplie de vieilles danseuses retraitées et pen-
sionnées par lui1, de danseuses en exercice, de
danseuses seules, de danseuses en double, de
danseuses figurantes, de danseuses surnumé-
raires. Ce sultan, c'est le maréchal prince de
Soubise.
Une tradition veut que le charmant dessin
de Moreau, qui a pour titre : la Petite loge du
Monument du costume, représente le prince, dans
ce seigneur, le dos tourné à la lumière de la
salle, le bras sur l'appui de velours, la lor-
gnette à la main, et auquel est présentée une
débutante par une mère vraie ou fausse 2 qui la
1. Correspondance secrète, vol. VII.
2. A propos des mères d'actrices de l'Opéra, citons ce pas-
sage du Gazetier cuirassé : « Il y a une école à l'Académie
36 LA GUIMARD.
pousse parla taille vers l'altesse, — la débutante
encore toute montée sur ses pointes, encore
tout envolée dans sa robe aérienne de Bocquet,
et faisant un rond de bras, pendant que le
prince lui prend légèrement le menton, et lui
ramage quelque galant compliment.
Eh bien, en l'année 1768, le prince maréchal
de Soubise est l' entreteneur officiel, à deux
mille écus par mois, de Mlle Guimard, et fait
vivre, en ce temps, la danseuse dans un luxe
qui dépasse, pour la richesse des équipages, et
des toilettes et des ameublements, le luxe de la
Deschamps, un luxe qui jusque-là n'avait pas
été égalé. Puis il ne faut pas oublier que M. de
La Borde, l'amant de cœur, est un fermier
général, et que, d'une manière plus discrète,
il contribue à la dépense de la femme aimée,
au moins tout autant que le prince, qu'on ap-
pelle, Y amant honoraire, tandis qu'on nomme
le fermier général, Y amant utile.
Or donc, MUe Guimard a trois soupers par
semaine : un premier souper composé des
royale de musique, où les douairières de l'Opéra instruisent
les élèves à rougir par règles, à crier sans douleurs, et à ex-
primer le sentiment par cadînces, c'est par ce moyen et la
pommade astringente de du Lac, que la mère de Mlle Grandi
(qui se dit sa tante) a vendu tant de fois l'innocence de sa fille,
après y avoir retouché. »
LA GUIMARD. 37
plus grands seigneurs de la cour et de toutes
sortes de gens de considération; un second
souper qui était une réunion d'auteurs, d'ar-
tistes, de savants, car déjà autour de l'Opéra,
qui commence à jouir d'une célébrité, en quel-
que sorte rivale du salon de Mme Geoffrin, il
s'est élevé une cour de gens à talent et de phi-
losophes beaux esprits ; enfin un troisième sou-
per, « une véritable orgie, dit Bachaumont, où
étaient invitées les filles les plus séduisantes,
les plus lascives, et où la luxure et la débauche
étaient portées à leur comble ] » .
Mais qu'est-ce ces trois soupers, auprès des
spectacles magnifiques, que la Guimard donne à
sa superbe maison de campagne de Pantin : ces
spectacles pour lesquels Collé semble unique-
ment faire son théâtre de société ; Carmontelle
écrire ses proverbes; de La Borde composer sa
musique. Ces spectacles, où tout le Paris aristo-
crate du temps, y compris les princes du sang,
brigue l'honneur d'être admis. Car, aux années
qui vont suivre, on parle d'aller à Pantin
comme d'aller à Versailles*.
1. Mémoires secrets, vol. III.
2. Le Gazetier cuirassé ou Anecdotes scandaleuses de la Cour
de France, 1771."
XI
Pendant les grands froids de janvier 1 768,
en cette année, où l'hiver fut très dur pour
les pauvres gens, M110 Guimard demandait à
Soubise de lui donner, au lieu du bijou qu'il
avait l'habitude de lui offrir, tous les ans,
ses étrennes en argent. Soubise lui envoyait
6 000 livres.
En possession de cette somme, Mlle Guimard
se mettait en marche, et seule, et sans domes-
tique, montait tous les quatrièmes étages de
son quartier, visitant les mansardes, s'infor-
mant de tous ceux qui souffraient des rigueurs
de la saison, donnant à chaque famille indi-
gente, de quoi se nourrir, se chauffer, se vêtir
même, dépensant ainsi ses six mille francs
d'étrennes, et au delà1.
1. Correspondance de Grimm, vol. VIII. — Le Gazetier cui-
rassé àxt : « MUe Guimard visite les malades, leur porte de l'ar-
LA GUIMARD. 39
Il est vrai que le sceptique Grimm, qui ra-
conte ce grand et bel acte de charité, cherche,
à la fin de son récit, à diminuer les largesses
de l'aumône, en disant qu'il n'y a de certain
dans ce qui fait le bruit de tout Paris que ceci :
c'est que le laquais de la Guimard ne s'étant
pas. trouvé à son service après l'Opéra, elle
voulut le gronder, qu'il s'excusa en déclarant
sa mère fort malade, et dans une affreuse mi-
sère par le froid qu'il faisait, et sur cela, la
compatissante Guimard avait ordonné de la
conduire chez sa mère, qu'elle avait secourue
avec beaucoup de soins, pendant toute sa ma-
ladie.
Mais les 6 000 francs de charités de la Gui-
mard ont pour eux le témoignage universel, le
témoignage des Mémoires secrets1, le témoi-
gnage même d'une rare gravure du temps,
gent, ensevelit les morts, etc., et il ajoute méchamment :
Mlle Guimard est reçue dame de charité de sa paroisse, et se
trouve très bien de sa pieuse récolte, qui a été cette année très
abondante. On croit que les aumônes lui rendent le double de
ses faveurs. »
1. Les Mémoires secrets, attribuent une autre source aux
6 000 livres, que la Correspondance de Grimm. — Cette actrice,
très célèbre par ses talents, ayant eu un rendez-vous, dans un
faubourg isolé avec un homme, dont la robe exigeait le plus
grand mystère, a eu l'occasion d'y voir la misère, la douleur,
et le désespoir dans le peuple de ce canton, à l'occasion des
froids excessifs. Ses entrailles ont été émues d'un pareil spec-
40 LA GUIMARD.
^ans date, et sans nom de dessinateur et de
graveur, portant pour titre :
TERPSIGHORE CHARITABLE
ou
MADEMOISELLE GUIMARD
Visitant les Pauvres
En cette gravure, on voit, dans un grenier,
s'avancer vers un vieillard couché sur un gra-
bat, une jeune femme encapuchonnée dans
une calèche, et suivie d'une troupe d'amours,
aux ailes frétillantes, portant des pains, des
bouillons, des bouteilles de vin. Au-dessous
on lit :
Guimard, vos pas vifs et savans
Peignent les ris et la décence.
Vous triomphez dans tous les temps
Par l'amour et la bienfaisance.
A table, en un souper d'amis,
Votre gaîté franche et [tiquante
Prodigue mille traits exquis
D'une saillie étincelante.
Et vous savez parmi ces jeux,
Le matin, en robbe commune,
Conduisant les amours joyeux,
tacle, et des deux mille écus, fruit de son iniquité, elle en a
distribué elle-même une partie, et porté le surplus au curé de
Saint-Roch pour le même iisage.
LA GUIMARD. 41
Aller visiter l'infortuné,
Au fond d'un réduit ténébreux.
Mais la charité de la Guimard ne devait pas
être obscurément célébrée par ces vers d'ima-
gerie, mis au bas d'une estampe, elle devait ve-
nir à nous, elle devait nous être révélée par
cette pimpante poésie de Marmontel, cette
poésie de libre penseur, que se rappellera un
jour Béranger :
Est-il bien vrai, jeune et belle damnée,
Que, du théâtre embelli par tes pas,
Tu vas chercher dans de froids galetas
L'humanité plaintive abandonnée?
Que cette main, qu'on baise nuit et jour,
Verse en secret les tributs de l'amour
Sur l'indigence, à languir condamnée?
Oui, cette Hébé, de roses couronnée,
Qu'environnait un essaim d'étourdis,
En sœur du pot, s'en va dans un taudis
Te soulager, famille infortunée!
Elle est pour toi l'Ange du Paradis,
Et tu la crois au moins prédestinée.
Au lieu des Jeux, des Amours et des Ris,
Qui voltigeaient sous ses riches lambris,
Quelle est sa cour? Des marmots en guenille.
Un bon vieillard, une mère, une fille !
A ses genoux, je les vois attendris,
Les yeux en pleurs, je crois tous les entendre
Bénir le ciel, qui te fit belle et tendre !
4.
42 LA GUIMARD.
Tendre, oui, Guimard, sans tes jolis péchés,
Cent malheureux expiraient dans les larmes,
Et leur salut est le prix de tes charmes.
Oh! que du ciel les desseins sont cachés!
Rien n'est si beau que de vivre en hermite.
Chacun le dit. Cependant, il est clair
Que si Guimard eût été carmélite,
Ces malheureux seraient morts en hiver.
C'est donc ce cœur, si faible, si fragile,
Que pour exemple au prône on citera.
0 Charité! vertu de l'Évangile,
Quoi, ton modèle est donc à l'Opéra"?
Mais quel dommage hélas! dans la coulisse,
Ta vertu même est, dit-on, comme un vice.
Chère Guimard, ton curé te louera,
En te louant, il t'excommuniera;
A son diner, un dévot Moliniste,
Pour tous ses goûts indulgent moraliste,
Blâme les tiens, te damne en digérant,
Et jette à peine un œil indifférent
Sur le malheur d'un voisin janséniste.
Tu ne connais Molina, ni Quesnel,
Mais l'indigent, mais le faible pupile
Dans ton corset trouve un cœur maternel.
Ame céleste!... Et du ciel on t'exile!
Oui, de tes dons Dieu ne fait aucun cas!
Jamais au Ciel on ne monte en cadence!
Tu fais le bien, mais tu danses : tes pas
Sont applaudis, ainsi que tes appas.
Depuis David, Dieu ne veut pas qu'on danse;
Si tu mourais (car ce n'est plus le tems
Où le plaisir, rajeunissant les belles,
Leur assurait un éternel printems.
Les Grâces même aujourd'hui sont mortelles)
Si tu mourais, on verrait ton cercueil
LA GUIMARD. 43
Environné de mille Amours en deuil,
Pleurant leur mère; une foule attendrie
De malheureux, à qui tu rends la vie,
Suivraient aussi ce funèbre convoi.
Ni ton curé, ni même son vicaire,
Ni du bas chœur la troupe mercenaire,
Ne marcheraient en hurlant devant toi.
D'encens béni sans être parfumée,
Hors du bercail tu serais inhumée...
Mais pourquoi vais-je attrister tes plaisirs?
Aime et jouis! suis tes goûts, ton caprice,
De tes amans couronne les désirs;
Aux malheureux tends une main propice ;
Comme un ruisseau qui coule sur les fleurs,
Laisse couler ta brillante jeunesse!
Après avoir régné sur tous les cœurs,
A cinquante ans, un grand Carme, à confesse,
Fera ta paix. Un songe séduisant,
Une erreur tendre, une douce folie,
Peut s'effacer; mais jamais Dieu n'oublie
Qu'on fut sensible et qu'on fut bienfaisant l.
Il est incontestable que la danseuse est cha-
ritable, fastueusement charitable, charitable à
la façon d'une princesse. La Correspondance
secrète, à la date du 41 février 1784, qui chante
sa bienfaisance habituelle, bienfaisance autre-
ment éclairée que celle des grands seigneurs,
« donnant de l'argent aux curés pour leurs
dévotes » nous montre la Guimard distribuant
elle-même des comestibles aux pauvres.
1. L'Intermédiaire des chercheurs et curieux (10 juin 1883),
44 LA GUIMARD.
Et ce cœur pitoyable et cette main ouverte
de la danseuse, sont si connus à Paris, que ce
ne sont pas seulement des pauvres qui vont
frapper à la porte de l'hôtel de la Chaussée
d'Antin, mais bien de petits marchands sous
le coup d'une échéance, et même des joueurs
qui ne savent comment acquitter une dette.
L'on connaît le mot de la Guimard à un offi-
cier, lui empruntant cent louis pour payer une
dette de jeu, et qui se préparait à lui signer un
billet : « Monsieur, votre parole me suffît...
J'imagine qu'un officier aura au moins autant
de probité qu'une fille d'Opéra1. »
Enfin elle est si notoire, cette bienfaisance,
qu'elle désarme la plume des pamphlétaires, et
que Théveneau de Morande, si impitoyable
pour toutes les reines à l'heure de l'Opéra, ne
dévoile un peu de la vie intime de « la sœur de
miséricorde » qu'avec un certain respect pour
V humanité de la séduisante damnée, et qu'il
attribue au ressouvenir des années de misère,
•passées avec le danseur Léger. 2
1. Correspondance secrète, vol. II.
2. Gazetier cuirassé ou Anecdotes scandaleuses de la Cour
de France, 1171.
XII
Chez la danseuse, au cœur humain, à la
main ouverte, il persiste, ses vingt-cinq ans son-
nés,un côté gamin, qui se fait jour au carnaval
de cette année.
A un bal masqué du mois de février, Poinsinet
le mystifié légendaire du dix-huitième siècle,
Poinsinet Fauteur du triste opéra d'ERNELiNDE,
Poinsinet qui montrait à ce bal sa figure, non
dissimulée sous un masque, était assailli par
une troupe des demoiselles des quadrilles, à la
tête de laquelle était Mlle Guimard, un char-
mant petit essaim féminin , qui sans dire
gare, tombait à jolis coups de poing, et à qui
mieux mieux, sur l'infortuné poète. En vain le
battu, qui n'osait se revenger, demandait la
raison de la joyeuse peignée qu'il recevait :
« Pourquoi as-tu fait un si méchant opéra? »
lui criaient en chœur Guimard et les demoi-
46 LA GUIMARD.
selles du quadrille. Et les coups de pleuvoir
sur lui, comme la grêle, et le monde de s'at-
trouper, et de rire de la mésaventure du pauvre
diable, qui s'échappait houspillé, maudissant
l'honneur d'avoir un visage connu.
La vengeance de l'auteur ne se fit pas at-
tendre longtemps. La quinzaine n'était point
écoulée, qu'il paraissait une lettre en vers .
attaquant Marmontel, à propos de son épitre à
Mlle Guimard, et le plaisantant d'avoir loué
l'action de la demoiselle, comme une chose
extraordinaire, et qui n'était qu'une chose
commune à toutes les filles de son état, sus-
ceptibles d'humanité , tout autant que les
autres femmes1.
I. Métnoires secrets de la République des Lettres, vol. III.
XIII
La femme connue, la femme déjà presque
célèbre par l'esprit de sa danse, et la divul-
gation poétique de ses aumônes, obtenait en
cette même année 1768, un succès de publicité,
sur un terrain tout à fait étranger à la choré-
graphie et à la charité.
En cette promenade de Longchamps, des
mercredi, jeudi, vendredi de la Semaine Sainte,
bienavanl que les Cléophile et les Duthé y fas-
sent voir leurs carrosses de porcelaine, leurs
harnais de marcassite, leurs attelages à six
chevaux, en cette promenade, en ce défilé de la
haute impureté, devant tout Paris sorti de
chez lui, et répandu dans les Champs-Elysées et
le Bois de Boulogne, « Mlle Guimard se signalait
par la recherche et l'élégance de son char » .
Et le char de la belle damnée attirait surtout
48 LA GUIMARD.
l'attention du public, par l'ingéniosité des armes
parlantes, qu'elle s'était données pour ces trois
jours : un marc d'or d'où sortait un guy de
chêne, faisant le milieu d'un écusson, que
couronnaient les Amours, et auquel les Grâces
servaient de supports.
XIV
En cette année 1768, deux ballets représentés
à l'Académie royale de musique, mettaient en
pleine lumière le talent de MUe Guimard : c'était
le ballet de l'opéra de Dardanus (février 1768),
où la danse voluptueuse de Mlle Guimard était
célébrée par les gazettes du temps : c'était la
pastorale de Daphnis et Alcidamure (juin 1768)
où, dans le premier acte, MUe Guimard dansait
avec les demoiselles Peslin et Allard et les
sieurs Dauberval et Gardel, un pas de cinq,
disent les Mémoires secrets, d'une lubricité que
ne s'était point permise encore la pantomime,
et qui était accueillie par des transports indi-
cibles du public.
XY
Le jeudi 7 décembre 1768, le jour de la Vierge
la Partie de chasse de Henri IV était jouée sur
le théâtre de la Guimard, à Pantin.
Cette salle de théâtre, dont la description
n'existe nulle part, un curieux document manu-
scrit1 acheté au libraire Voisin -.Mémoire sur la
salle de spectacle de Mademoiselle Guimare (sic),
nous permet de la ramener à ses vraies propor-
tions.
La salle, — dit le mémoire, — est agréable,
mais d'une petitesse infinie. Elle se compose de
deux demi-ellipses. La demi-ellipse formant la
salle, prise de la cloison de l'orchestre jusqu'au
socle, portant les colonnes de l'entrée delà salle,
1. Un document tout aussi curieux, m'est échappé, il y a
des années, à une vente de Vignères : c'est un petit plan
gravé de ce théâtre, acheté par je ne sais qui, et qui ne se re-
trouve dans aucune des collections que je connais, et manque
au Cabinet des Estampes.
LA GUIMARD. 51
a dans sa longueur 157 pieds 9 pouces, et dans
sa largeur 21 pieds 8 pouces.
Les deux colonnes ioniques de l'entrée en-
ferment un péristyle de 2 pieds 10 pouces,
6 lignes de large, où l'on plaçait trois bancs
contenant 76 personnes, ayant des places de
2 pieds de large.
Dans l'enceinte de l'intérieur de la salle,
deux bancs très étroits, contenaient à la rigueur
39 personnes.
Sur les 7 bancs faisant face au théâtre, pou-
vaient s'asseoir 43 personnes.
Enfin, récapitulation faite des places, il n'y en
avait que pour 234 spectateurs, sans les loges.
Les loges prises dans les deux avant-corps
qui séparent les deux parties de l'ellipse, dont
la première forme la salle, et la seconde l'avant-
scène, étaient au nombre de trois de chaque
côté, — n'ayant guère que quatre pieds carrés
— l'une au niveau de l'orchestre, la seconde
au niveau du théâtre, et la troisième au niveau
de la galerie, qui est au-dessus du péristyle du
théâtre 1 .
l.Ce mémoire, date du 26 décembre 1773, au moment où la
Guimard abandonne son théâtre de Pantin, pour celui de la
Chaussée d'Antin, est rédigé par Piètre, l'architecte du duc
d'Orléans, qui avait eu un moment l'idée d'acheter la salle,
pour la transporter dans une de ses résidences de Paris ou
52 LA GUIMARD.
La scène, avec son rideau bleu, s'ouvrait,
entre deux colonnes corinthiennes, sur une ou-
verture simplement de 15 pieds 9 pouces,
et la salle avait en tout, comme hauteur, du
bas du plancher de l'orchestre au plafond,
22 pieds 14 pouces.
La représentation de la Partie de chasse de
Henri IV avait lieu, au milieu d'un concours de
monde prodigieux, — aussi prodigieux toute-
fois, que pouvait contenir la salle.
Le succès était si grand, que deux autres
représentations devaient être données, la veille
et le jour de Noël, mais ces représentations
étaient empêchées par une défense du maréchal
de Richelieu aux comédiens des deux troupes
du Roi, de jouer ailleurs que sur leur théâtre,
sans la permission de Sa Majesté. Et cette dé-
fense avait l'approbation du public, qui souffrait
des fréquentes absences des meilleurs acteurs
et de leur facilité à se consacrer à l'amusement
des particuliers, et notamment de Mlle Guimard,
contre laquelle on commençait à murmurer.
des environs de Paris, et le mémoire détourne le prince de
l'achat à cause de la difficulté de l'arrachement du plafond
marouflé sur des planches fendues, à cause de Ja restauration
en menuiserie, en sculpture, en dorure, des colonnes du pé-
ristyle et de la scène, et l'engage à donner de la salle seule-
ment 6 000 livres au lieu des 18 000 qui lui sont demandées.
LA GUIMARD. 53
D'après le Mémoire sur la salle de spectacle
de MUe Guimard, voici son théâtre de Pantin
retrouvé ! Pouvons-nous également reconsti-
tuer sa maison qui a disparu, et dont la place
même n'est plus même bien connue à Pantin?
Oui, peut-être, au moyen des deux salons,
dont les boiseries peintes ont été achetées en
1889, par Mrne Delizy, et mis en place dans sa
belle et artistique habitation : salons que la tra-
dition donne comme le grand et le petit salon de
la Guimard, et dont le luxe distingué de la déco-
ration vient appuyer la tradition, et semble por-
ter la signature de la danseuse, au renom d'élé-
gance dans les choses de son entour.
Mais entremêlons ma description de la des-
cription, que veut bienme faire très aimablement
Mme Delizy, de l'ancienne maison qui contenait
ces deux salons.
C'était au rez-de-chaussée, une pièce dallée
en marbre, qu'elle suppose être la salle àmanger,
puis le petit salon, un petit salon étroit sans pro-
fondeur n'ayant guère que la largeur d'un grand
corridor, ce salon décoré dans une voussure du
plafond de consoles enchevêtrées les unes dans
les autres, de pilastres cannelés, d'angles au
creux joliment arrondi, et à l'élégant contour-
nement rocailleux des chapiteaux : ces boiseries
54 LA GUIMARD.
peintes en marbre blanc grisâtre et contenant
six panneaux de différents formats d'un gris
légèrement bleuté, sur lequel sont peintes de
grêles arabesques, dans le genre de Salembier,
où sur des vases, en forme de carquois, sont des
fleurs et des fruits, et dont deux panneaux ont,
pour milieu, une femme au corps finissant
en une découpure chantournée, et qui porte sur
sa tète, une haute corbeille toute fleurie.
Deux dessus de portes peints en camaïeu,
représentent dans deux médaillons les tètes de
bronze d'Henri IV et de Sully, sur un fond jouant
le marbre blanc.
Le grand salon, au plafond sur lequel était
peint autrefois un aigle planant sur un nuage,
a la plus aimable décoration, et dans un goût
tout féminin.
Sous la. riche corniche, d'où tombent des
chutes en paquets de fleurs noués par des
entrelacs de rubans bleus, c'est sur un fond
crème un peu rosé, dans des compartiments de
formes toutes différentes , toutes diverses , en-
castrésdans des mouluresvert d'eau, — desmou-
lures de la couleur d'un treillage du dix-huitième
siècle, — des tiges de fleurs dans les grands pan-
neaux, des listels de fleurettes dans les petits
panneaux, peints de cette couleur tendre et
LA GUIMARD. 5a
agréablement conventionnelle de Pillement,
et couvrant les murs de roses, d'œillets, de tu-
lipes , de lilas , de toutes les couleurs riantes
de la flore, comme entrevues dans l'aube
d'un matin. Et l'originalité de cette décoration
est que dans le serpentement joliment tour-
menté des panneaux des glaces, aux endroits où
les moulures prennent un relief, et se détachent
en ronde-bosse, cette sculpture verte prend
l'aspect de jeunes ramilles d'arbustes, et c'est
au milieu des tortils de cette spirituelle végé-
tation, que dans les quatre trumeaux sculptés
des glaces, se voient dans le premier, une
cornemuse et une flûte, dans le second, un cha-
peau de paille de bergère et un râteau, dans le
troisième une hotte de fleurs et un arrosoir,
dans le quatrième deux colombes sur un car-
quois et une torche : tous ces objets et les roses
qui les enguirlandent teintés légèrement de
leur couleur naturelle. Oh, cette décoration est
vraiment charmante, et elle se complète par
une console, où au-dessous d'une bande de lau-
rier, se détache toute découpée, une guirlande
de fleurs, aux feuilles colorées du ton passé, du
ton effacé d'une feuille de rose, qu'on a laissée
pour la marque d'une page d'un livre, et qu'on
retrouve au bout de quelques semaines.
56 LA GUIMARD.
Au premier, me dit M"'e Delizy, se trouvaient
des chambres sans caractère, dont la première,
qui peut-être avait perdu sa décoration, était la
chambre de la Guimard, et où, particularité
curieuse, au fond d'une grande alcôve, il exis-
tait une étroite porte, donnant sur un tout
petit escalier dérobé, ouvrant dans le petit salon
du rez-de-chaussée — escalier dérobé, qui avait
tout l'air d'avoir été fait pour l'introduction ou
la disparition secrète d'un amant.
XVI
En cette année 1769, au mois de février,
était repris l'opéra ou plutôt la farce lyrique
du Mariage de Radegonde, qui se trouvait être un
très excellent cadre pour la danse de Dauberval,
n'étant ni la danse sérieuse et héroïque, ni
la danse de demi-caractère , mais une danse tri-
viale venant de Lany, qui dansait supérieure-
ment les pâtres, et qu'avait adoptée Dauberval,
lorsque son corps élégant et svelte, était devenu
musculeux. Cette danse de Dauberval se dé-
ployant au milieu d'une gaîté naïve, d'une réa-
lité comique, d'une mimique mouvementée et
actionnée, lorsqu'elle avait autour de Dauber-
val, la danseuse Peslin, et la danseuse Allard,—
cette mime inimitable, et la seule danseuse qui
composât elle-même ses entrées1, — cette danse
était la folie du jour.
1. Lettres sur les Arts imitateurs, par Noverre, vol. II.
58 LA GUIMARD.
Mllc Guimard eut le désir de s'essayer dans ce
genre, aux côtés de son amant, mais sa danse
fine, recherchée, précieuse, et sa figure un peu
minaudière, étaient trop disparates avec la fran-
chise de ces gambades, demandant des contor-
sions, des dislocations, auxquelles se refusaient
la fragilité, et les grâces apprêtées de la mo-
derne Terpsichore1.
1. Mémoires secrets de la République des Lettres, vol. IV.
XVII
Au mois de juillet 1769, se répandait dans
Paris, la nouvelle de la suspension des spec-
tacles de Pantin, en même temps que l'annonce
de la prochaine banqueroute de M1Ie Guimard.
On contait que M. de Soubise lui avait retiré
les 2000 écus, dont il la gratifiait chaque mois :
ce qui lui enlevait un revenu de 72 000 livres
de rentes fixes, indépendamment des cadeaux
particuliers; et l'on savait M. de La Borde ruiné,
et ne pouvant presque contribuer aux amuse-
ments de la danseuse, que par l'apport de sa
musiquette, et de son goût dans les choses d'art.
Aussi représentait-on Mlle Guimard tourmentée
par ses créanciers, au point de perdre la tête,
et ayant besoin de trouver plus de 400 000 li-
vres, pour faire face à ses engagements1.
1. Mémoires secrets, vol. IV.
60 LA GUIMARD.
Cette nouvelle, au mois de juillet, était le
bruit de Paris.
Deux mois après, au mois de septembre, que
s'était-il passé? On ne le saitpas! mais les affai-
res de la nymphe semblaient arrangées, et les
spectacles de Pantin avaient repris avec plus
de fureur que jamais.
Et sur le théâtre étaient jouées un certain
nombre de petite pièces gentillement immorales,
pour la représentation desquelles on se disputait
les loges grillées, où les honnêtes gens et les
gens d'église et les personnages graves, n'avaient
pas la crainte de se compromettre avec le public
de jolies filles et de jeunes étourdis.
Le succès de la saison était : La tête a per-
ruque1.
1. Mémoires secrets, vol. IV.
XVIII
La Guimard, jalouse des succès amoureux de
la Dervieux, jalouse de sa beauté célébrée par
Dorât, ne se contentait pas dans les discussions
qu'elle avait avec la moderne Hébé, de se per-
mettre contre elle les railleries les plus cruelles,
les sarcasmes les plus offensants. Un jour de
l'année 1770, parmi la petite cour de poétereaux
qu'elle avait autour d'elle, elle encourageait
l'un d'eux, le plus grossièrement et le plus
obscènement cynique, à mettre la sale méchan-
ceté de ses vers, au service de ses haineuses ran-
cunes, et Dieu sait quels abominables vers
c'étaient1.
1. Voici de cet engueulement lyrique, les seuls vers qu'on,
puisse donner, vers tirés des Mémoires secrets, vol. XIX :
J'suis un milord
Tout cousu d'or
Arrivant d'Angleterre
J' veux connaître le plus fameux B...
Hélas ! dites-moi dans lequel ?
Chez la Dervieux
Aux beaux yeux bleus,
Chez sa putain de mère.
62 LA GUIMARD.
Dans cette bataille entre ces grandes impures,
bataille qui tient un peu des engueulements des
filles des rues, la réponse de l'injuriée ne se
fit pas attendre, et vraiment la Dervieux eut la
main heureuse dans le choix qu'elle fit de son
vengeur lyrique, car il est impossible, on. va en
juger, d'imaginer une exécution plus impi-
toyable du physique et du moral de la Terpsi-
chore du dix-huitième siècle.
ÉPIÏRE A M«» DERVIEUX
à l'occasion des vers que
mi.le GUIMARD
avait fait faire contre elle.
Sur ton compte un mauvais fragment,
0 Dervieux, court en ce moment;
Crois-moi, ris d'une acre Furie,
Qui de ta douceur se prévaut;
Auprès d'elle, ton vrai défaut
Comment entrer
Se présenter?
Com' faire pour lui plaire ?
Encore mon ami si j'étois
Recommandé par quelque Anglois.
Non simplement
Beaucoup d'argent
A la fille, à la mère.
Sachez monsieur,
J'suis d'une grosseur
Qu'est très extraordinaire
Pour n' pas souffrir dans le plaisir.
LA GUIMARD. 63
Est de plaire, lorsqu'on l'oublie.
Monotone, et sans grand talent,
Ses pas ne sont que des grimaces,
Qu'un admirateur ignorant
Prend pour d'inimitables grâces.
Nymphe chantant à bon marché,
Sa voix qui sent la quarantaine,
Cette voix de chat écorché,
Ose parfois glacer la scène.
Actrice au pays des pantins,
Dévote et courant l'aventure,
Buvant du vin outre mesure.
Devant à Dieu comme à ses saints,
Elle se fait bâtir un temple.
Sur le fronton de son hôtel,
On mettra pour servir d'exemple
A la déesse de B...
Guimard en tout, n'est qu'artifice,
Et par dedans, et par dehors.
Otez-lui le fard, et le vice,
Elle n'a plus ni âme ni corps.
Je vais vous tracer son esquisse.
Je vous la peindrai dans son beau.
Elle a la taille de fuseau,
Les os plus pointus qu'un squelette,
Le teint couleur de noisette
Et l'œil percé comme un pourceau.
Ventre à plis, cœur de maquereuse
Gorge dont nature est bonteuse,
Sa peau n'est qu'un sec parchemin
Plus raboteuse que du chagrin,
Sa cuisse est flasque et héronière
Jambe taillée en échalas *
l. Dans un article du Démocrate, M. Henri Plattard, dit
64 LA GUIMARD.
Le genou gros sans être gras,
Tout son corps n'est qu'une salière.
Que vous dire du gagne-pain
Qui la rend si sotte et si fière!
On sait que ce n'est pas un nain,
Vieille boutique de tripière
Vaste océan, gouffre profond,
Les plongeurs les plus intrépides,
N'en peuvent atteindre le fond.
Hideux présent des Euménides,
Chemin des pleurs et des regrets
C'est le tonneau des Danaïdes,
Il ne se remplira jamais '.
avoir acheté un manuscrit d'une cinquantaine do feuillets, in-
titulé : Les maillots de Mlle Guimard, où l'auteur Bonneval
premier régisseur de l'Opéra, déclare que la danseuse ne pou-
vait utiliser ses maillots qu'une vingtaine de fois, au bout de
quoi, ils ne pouvaient plus mouler ses jambes maigres.
1. Les Mémoires secrets, disent à la date du 29 sep-
tembre : « Celte querelle occasionne une grande fermenta-
tion parmi les demoiselles de l'Opéra, et les amateurs de
ce spectacle prennent parti pour ou contre, suivant leurs
affections particulières. On ne sait comment finira cette divi-
sion qu'on traite fort gravement. Le sieur de La Borde surtout,
le directeur des spectacles de Mlle Guimard, est furieux do
voir ainsi dégrader la divinité qui reçoit ses hommages, et à
laquelle il fait construire le temple dont on parle.
XIX
Et deux mois après, en décembre, avant
que la fermentation produite par ces vers, dans
le monde des demoiselles d'Opéra fût éteinte,
avant que l'indignation du sacrilège commis à
l'endroit de sa divinité, fût calmée chez M. de
La Borde, la satire était suivie d'une cruelle
caricature.
L'image au-dessous de ce titre : « Concert a
trois » imprimé en très gros caractères, repré-
sentait groupés autour de la Guimard, tenant à
la main un papier de musique et se balançant
en cadence, représentait le grand entreteneur,
le prince de Soubise, jouant de la pochette;
le sous-entreteneur, le sieur de La Borde,
brandissant un bâton de mesure de chef d'or-
chestre; enfin, l'ami de cœur, en termes tech-
niques, le guerluchon, Dauberval, jouant du
cor de chasse l.
1. Mémoires secrets, vol. XIX.
66 LA GUIMARD.
Car, en ces années, la Guimard avait adjoint
à ses deux amants en titre, le beau danseur
Dauberval, qui joignait, dit Le Yol plus haut,
à la gaieté qu'il exprimait dans sa danse, une
douceur et une affabilité rares chez un homme
célèbre, et la brochure1 donne à la rupture de
la liaison, entre le danseur et la danseuse,
une raison bien honorable, pour le guerluchon
de la caricature. On y affirme que la Guimard,
ne pouvant plus procurer par elle-même de
plaisir au prince, recommençant la Pompa-
dour, avait fait de Pantin une sorte de temple
de l'Amour, où elle amenait à son amant les
beautés postulantes de l'Opéra, et que l'àme
délicate de Dauberval se refusa à partager les
largesses, qu'attiraient à la Guimard ses soins
généreux et peu jaloux.
Est-ce bien vrai? et la rupture ne vient-elle
pas plutôt de la passion que Dauberval prit
soudain pour Cécile ?
Le dessin original de cette caricature existe-
rait chez M. Lep rieur de Blainvilliers. Ce se-
rait, m'écrivait-il, il y a une dizaine d'années,
une petite miniature en forme de médaillon,
1. Le Vol plus haut ou l'Espion des principaux théâtres de
la Capitale. A Memphis, chez Sincère, libraire réfugié au Puits
de la Vérité, 1784.
LA GUIMARD. 67
mais, où le Dauberval de la gravure serait rem-
placé par un abbé, qu'une note manuscrite dé-
nommerait l'abbé de Jarente. Y a-t-il dans ce
dessin en couleur au bas duquel il est écrit en
gros caractères : Le concert a trois, y a-t-il là,
une substitution du troisième entreteneur de la
danseuse, remplaçant le guerluchon de la cari-
cature primitive, ou est-ce le dessin d'une autre
caricature qui n'aurait pas été gravée !
XX
Oui, à la dépensière danseuse ne suffisait plus
l'argent du prince de Soubiso, ne suffisait plus
l'argent du financier de La Borde, il lui avait
fallu l'argent simoniaque de l'évcque d'Orléans,
Monseigneur de Jarente, devenu son amant, et
un amant soumis à tous les caprices de Terpsi-
chore, et le prodigue fournisseur de tous ses
désirs.
Oh ! un illustre prélat qui avait fait la preuve
de onze degrés de noblesse, quand il avait reçu
cette croix de commandeur du Saint-Esprit,
que l'on voit sur son portrait, dessiné par
Gabriel de Saint-Aubin1, et un prélat qui n'a
rien de l'aspect d'un prêtre bombancier , vivant
dans les coulisses de l'Académie de Musique et
de Danse, mais un prélat à l'intelligente tête,
1. Portrait faisant l'en-tête d'un ouvrage inconnu, au bas du-
quel il y a : Gabriel de Saint-Aubi?i inv. — P.-L. Cor sculp.
LA GUIMARD. 69
sous le rouleau de ses cheveux poudrés, au vif
noir de l'œil, au grand nez aquilin, à la bouche
spirituelle, au menton charnu, au bas de la
figure seulement un peu matériel.
Et ce préJat était en possession de la feuille
des bénéfices, et de cette feuille de bénéfices, la
danseuse en avait fait, selon une expression du
temps, le fief de l'Opéra1 , disposant des nomi-
nations de toutes les vacances du clergé, de ce
riche et rente clergé d'alors, tout en mangeant
à belles dents dans ce plantureux patrimoine
1. L'espion anglais, dans son Dialogue entre M. le comte de
Lauraguais et MilordAUE'ye au sujet des filles les plus célèbres
de la capitale, dialogue se passant au Colisée, s'exprime ainsi
sur la danseuse et l'entreteneur :
MILORD.
Ah! Comte, quelle araignée.
LE COMTE.
Que dites-vous! Prosternez-vous plutôt. C'est Terpsichore elle-
même. C'est Mlle Guimard.
MILORD.
Ma foi, elle n'est bonne à voir qu'au théâtre.
LE COMTE.
Il ne faut pas disputer des goûts. C'est une de nos courtisanes, qui a
fait la plus grande fortune. Croyez qu'elle n'a pas de si mauvais aloi,
puisque l'Église en a voulu tâter, demandez à M. l'évêque d'Or-
léans.
MILORD.
M. de Jarente, ce prélat renommé pour ses dissolutions-, qui avait
la feuille des bénéfices.
LE COMTE.
Et c'est chez Mlle Guimard qu'on allait le payer.
70 LA GUIMARD.
français de Saint-Pierre. Et cela amenait le
joli mot de Sophie Arnould, faisant allusion à
la maigreur de la danseuse, et à la richesse
nourricière de cette feuille des bénéfices : « Je
ne conçois pas comment ce petit ver-à-soie
n'est pas plus gras... il vit sur une si bonne
feuille ! »
Mais indépendamment de ce que la danseuse
retire d'argent de cette feuille, pensez-vous à
son rôle comique de protectrice dans le choix
des élus, et voyez- vous l'antichambre d'une
coryphée de l'Opéra, égayée des joyeusetés de
ces demoiselles, toute pleine de personnages
ecclésiastiques, jeunes et vieux, sollicitant des
audiences, et un jour même, la Guimard ga-
gnée à son rôle, comme on allait lui présenter
un jeune abbé, demandant un bénéfice, du so-
pha, sur lequel elle était couchée indolemment,
la pécheresse apostolique jetait : « Cet homme
a-t-il des mœurs *? »
0 ironie des choses d'ici-bas. Il arriva que
Louis Sextus de Jarente de la Bruyère, aura le
bonheur de mourir avant la révolution, et qu'il
ne figurera pas dans le pamphlet de Dulaure
intitulé : Vie privée des ecclésiastiques, et qu'il
1. Arnoldiana.
LA GUIMARD. 71
sera prononcé sur son cercueil, le 28 mai 4789,
dans l'église royale de Saint-Aignan d'Orléans
une oraison funèbre, où Benoist Rozier, prêtre
chanoine de la dite église, rappelant les paroles
de saint Ambroise dans l'éloge de Valentinien,
pleurera l'amant de la Guimard, avec la désola-
tion de cette pieuse latinité :
Stent omnes , stent ignoti... omnes , tan-
qnam, parentem publicum, obiisse, domestico
fletu doloris, illacrymant, suaque omnes funera
dolent1.
1. Oraison funèbre de Sextus de Jarente de Labruyère ,
évégue d'Orléans, commandeur de l'ordre du Saint-Esprit.
XXI
A la fin de septembre 1770, après une sai-
son théâtrale, très courue, très suivie par les
grandes dames honnêtes en loges grillées, et par
les impures en loges ouvertes, avait lieu la clô-
ture du théâtre de Pantin, par un à-propos qu'il
est nécessaire de donner à peu près tout entier,
pour faire apprécier le ton polisson, et n'en dé-
plaise aux mânes de l'illustre public qui le fré-
quentait, le ton bêtement ordurier, certains
jours, de ce théâtre : à-propos, qui aurait été
commandé par M. de La Borde à Armand fils,
concierge de l'hôtel des Comédiens, et auteur
de quelques drames, avec la recommandation
de le faire aussi salé *, qu'il était possible.
ï. Mémoires secrets, vol. Y et XIX.
LA GUIMARD. 73;
« Messieurs,
« Autant que l'usage des choses de théâtre a
pu me donner de pratique : Non je mets la char-
rue devant les bœufs, Messieurs, je veux dire
autant que la pratique des choses de théâtre a
pu me donner d'usage, j'ai remarqué en général
j'ai même expérimenté que les clôtures sont bien
plus difficiles à faire que les ouvertures ; que le
moment où l'on rentre, a quelque chose de bien
plus gracieux, de plus agréable que le moment
où l'on sort, et que les actrices ne pourraient
jamais se consoler des regrets de la sortie, si
elles n'envisageaient l'espérance d'un bout de
rentrée. Ce discours tend à vous montrer d'un
clin d'œil, à vous exposer d'une manière qui
ne tombera pas en oreille d'âne, Messieurs, à
rapprocher enfin, par un trait insensible, les
avantages de la sortie d'avec ceux delà rentrée,
la clôture, enfin, de l'ouverture.
« Mais ne pensons point à l'ouverture, quand
nous sommes à la clôture, ne pensons pas au
commencement du roman, quand nous sommes
à la queue. C'est le plus difficile à écorcher,
Messieurs, on le sait, et c'est pour cela que je
rentre dans la matière de mon compliment, et
que j'en reviens à la clôture d'aujourd'hui, qui
i
74 LA GUIMARD.
fait le fond de mon sujet. Vous trouverez notre
clôture bien courte et bien petite, en comparai-
son des ouvertures si grandes, si brillantes,
Mesdames, dont nous vous sommes redevables.
Quelles obligations ne vous avons-nous pas,
pour les avoir soutenues ainsi agréables, dou-
ces et faciles, pour avoir écarté à propos ces
critiques, qui vilipendent sans cesse un acteur,
l'obligeant de se retirer la tête basse, et la queue
entre les jambes. Vous avez soutenu notre zèle,
suppléé à notre faiblesse, en nous prêtant géné-
reusement la main, pour nous dresser, selon vos
désirs, et nous avez mis par ce moyen, dans le
cas d'entrer en concurrence avec les sujets du
premier talent, qui marchent toujours la tète
levée, et auxquels on ne peut reprocher qu'un
peu trop de roideur, défaut dont ils se corrige-
ront aisément.
« Que dis-je, je m'aperçois que je m'allonge
un peu trop sur les efforts de nos acteurs, que
je pourrais m'étendre sur quelques-unes de nos
actrices. Mais ce n'est pas là le moment, je me
contenterai de vous dire, que si nous donnons
aujourd'hui quelque relâche à vos amusements
et à notre spectacle, c'est reculer pour mieux
sauter. Et, quoiqu'il ne soit pas permis à tout le
monde d'être heureux à la rentrée, c'est cepen-
LA GUIMARD. 75
dant sur elle que nous fondons toute notre espé-
rance, et voici quel en est le motif.
Air : Je suis gaillard.
Esope un jour avec raison disoit,
Qu'un arc
Cet à-propos faisait scandale dans Paris. Il de-
venait le sujet de conversations indignées, et
l'on s'étonnait que la police tolérât, qu'une fille
de spectacle fît prononcer un discours, aux allu-
sions si cochonnes, dans une représentation
ayant presque la publicité d'une représentation
publique *.
1. M. Begis, l'intelligent collectionneur de manuscrits, livres,
brochures, concernant les mœurs, possède un Théâtre d'A-
mour en quatre volumes, reliés en maroquin citron, provenant
des collections de Monmerqué et Hankey, qui passe pour le
théâtre de la Guimard.
Et voici le catalogue des pièces composant ce théâtre :
THÉÂTRE D'AMOUR
Composé
de pièces grecques, assyriennes
romaines et françaises.
A Amathonte
L'an
de notre planète
40-780
JUNON ET GANYMÈDE
Comédie erotique.
LA VIERGE DE BABYLONE
Comédie erotique.
76 LA GUIMARD.
CESAR ET LES DEUX VESTALES
Pièce erotique en un acte.
ANACRÉON
Pièce erotique.
DEUXIÈME PARTIE
HÉLOÏSE ET ABAILARD
Comédie erotique en un acte.
NINON ET LACHATRE
Scène erotique.
MINETTE ET FINETTE
ou les Épreuves d'Amour.
HÉLOÏSE
Pièce erotique.
TROISIÈME PARTIE
LE JUGEMENT DE PARIS
ou les trois dards.
QUATRIÈME PARTIE
OPUSCULES EROTIQUES
Dialogue erotique en seize couplets sur l'air de Myrza, avec
une ■pantomime voluptueuse.
A Paphos
L'an 40 000 du règne de l'Amour.
Chaque strophe de cette folie erotique forme un dialogue,
dont l'amant chante les deux premiers vers, et l'amante les
deux autres.
Les deux interlocuteurs furent dans l'origine Sophie Ar-
nould et un ehevalier de Malte, se disant issu du fameux Gra-
mont, dont tous les gens de goût savent par cœur les Mé-
moires. Le jeune G-ramont était beau comme l'amour. Arnould
qui, à ce que dit l'histoire du temps, n'eut jamais de pucelage,
s'avisa, pour le subjuguer, de s'en donner un.
La scène se passe au moment, où elle est surprise en sa bai-
LA GUIMARD. 77
gnoire, dans la fabrication de ce pucelage, par le jeune Gra-
mont.
LES TROIS JOUISSANCES
Récit erotique
Voici la préface du livre :
Toute l'antiquité a retenti des dialogues d'un amour plus
que libre qu'avait composé Elephantis, et dont les dernières
copies ont été probablement brûlées, lors de l'incendie de la Bi-
bliothèque de Ptolémée. Des peintres de renom avaient joint
à ces ouvrages licencieux des dessins, qui représentaient l'a-
mour sans voile, dans toutes les attitudes, que l'imagination la
plus hardie avait pu suggérer... C'est une pareille tradition qui
a pu faire naître, dans les âges modernes, les entretiens d"Aloysia
et les sonnets de l'Aretin...
Un prince étranger, homme très aimable, mais un peu blasé
sur les plaisirs que l'innocence apporte, avait un théâtre secret,
où il n'introduisait que des roués de sa petite cour et des
dames de qualité, dignes d'être des courtisanes. C'étaient les
saturnales de la Régence. On y jouait sans voile les priapées
de Pétrone et les orgies du Portier (des Chartreux). La licence
d'un grand festin lui donne la hardiesse de s'adresser à moi et
de me demander des conseils sur les moyens de jeter de l'in-
térêt dans cet odieux spectacle. J'eus la faiblesse de lui dire
que Socrate lui-même se serait prêté en ce genre aux folies
d'AIcibiade. De ce moment, il n'eut plus de secrets pour moi
et il m'invita avec toutes les grâces imaginables à épurer son
théâtre, de manière qu'un sage pût s'y rendre, même en loge
grillée...
Au fond, ce très précieux manuscrit, ce très curieux théâtre
n'a que la tradition pour être celui de la Guimard, et aucun
document ne vient à l'appui de cette tradition. Il est possible
qu'une ou deux pièces de ce recueil aient été jouées sur les
théâtres de Pantin et de la Chaussée d'Antin, mais c'est tout ce
qu'on peut supposer à la rigueur, devant le silence des Mémoires
secrets, qui donnent les titres d'un certain nombre de pièces,
Jouées sur les deux théâtres.
Puis Delisles de Salles, l'auteur de ce théâtre et de la pré-
face, n'est point le fournisseur de la Guimard, qui est Collé,
7.
18 LA GUIMARD.
et le prince dont il parle, est le prince d'Henin, l'amant de
Sophie Arnould, que l'on voit figurer dans une de ses scènes
erotiques. Or donc le Théâtre d'Amour ne me parait pas le
théâtre particulier de la Guimard, mais bien le théâtre secret
attitré, où en ses jours de libertinage d'esprit, un maître de
maison de la grande société allait puiser, pour une représen-
tation à huis clos.
XXII
La Cinquantaine, dont la musique était de
M. de La Borde, représentée au mois d'août
1771, n'avait aucun succès, et la chute de
l'opéra, attribuée à l'insignifiante musique du
compositeur, faisait réapparaître les pamphlets,
les quatrains injurieux, les mauvais petits vers,
contre le musicomane , qu'aucun insuccès ne
pouvait décourager. On ne lui pardonnait pas
surtout d'avoir menacé le chanteur Legros, se
refusant à chanter dans son opéra, de le faire
passer une cinquantaine au For-1'Evêque, et
dans les vers satiriques, dirigés contre le valet
de chambre du Roi, sa maîtresse avait sa part,
et la maigreur de la danseuse lui était de nou-
veau méchamment rappelée.
Après Rameau parait La Borde.
Quel compagnon! Miséricorde!
80 LA GUIMARD.
Laissez notre oreille en repos :
De vos talents faites-nous grâce;
De la Guimard allez compter les os,
Monsieur l'auteur, on vous le passe '
1. Mémoires secrets, vol. V-
XXIII
Le 27 avril 1772, le sieur Rebel, chevalier de
l'ordre du Roi, nommé Directeur général de
l'Académie royale de Musique, entrait en fonc-
tion, ayant sous ses ordres Dauvergne, et « pre-
nait le gouvernement de cette machine si difficile
à conduire ». 11 débutait par prononcer un dis-
cours, animé des meilleures intentions à l'égard
de ses administrés : ce qui leur était assez indif-
férent, mais ce qui ne l'était pas, c'est que les
douze mille livres du traitement du directeur
général, étaient prises sur les gratifications
générales, qu'on écornait de ceci, décela,, sur
iintel, sur une telle. Ce traitement d'un direc-
teur supplémentaire, qu'on faisait payer aux
artistes sur une partie de leurs émoluments, les
mettait dans une telle irritation, que nombre de
danseurs et de danseuses, entre autres MUe Gui-
mard, qui faisait son apprentissage de meneuse
82 LA GUIMARD.
de la cabale, menaçaient de quitter. Et elle par-
lait tout haut de se rendre avec Dauberval en
Russie, où on les demandait.
Quoique de « fortes têtes » s'occupassent de
remettre la paix dans le peuple lyrique, de jour
en jour, on était plus en guerre que jamais,
et cela finissait de la part des artistes, par la
demande « par huissier » de leur retraite. Et il
fallait qu'au mois de juin, le duc de la Vril-
lière, le secrétaire d'État, ayant le département
de Paris, et conséquemment la haute police de
l'Opéra, fit venir chez lui les principaux mu-
tins : Gardel, Dauberval, Peslin, Guimard, et
leur enjoignît de retirer sur-le-champ leurs
assignations aux directeurs, pour qu'ils eussent
à leur donner congé, les menaçant d'une pu-
nition exemplaire.
Ce quos ego1, disent les Mémoires secrets, a
tout fait rentrer dans l'ordre accoutumé.
1. Mémoires secrets, vol. V.
XXIV
L'intimité de Mlle Guimard, tout intermit-
tente qu'elle fût, avec le prince de Soubise,
capitaine des chasses, amenait en sa faveur
une grâce, bien anormale pour le temps.
En cette France d'alors, où la chasse était le
privilège exclusif de la noblesse, par la toute-
puissance du prince, à l'effet de fournir du
gibier à la table de la danseuse, un canton de
chasse était pris dans les Plaisirs du Roi1, et
donné à la châtelaine de Pantin, qui avait le
pouvoir en sa qualité de « nouvelle Diane » de
délivrer des permis de chasse aux danseurs,
chanteurs, choristes de l'Opéra : si bien que
c'était un spectacle, aussi curieux que surpre-
nant, de voir, la carnassière au dos et l'esco-
\ . Mémoires secrets, vol. VI.
84 LA UUIMARD.
pette à la main1, les Plaisirs, les Vents, les
Ondins, les Ris, les Tritons, les Signes du
Zodiaque, enfin tous les croquants de la figura-
tion de l'Académie lyrique, fusiller les perdrix,
les lièvres, les faisans de Sa Majesté, pour le
rôti des nymphes du magasin.
1. L'Académie Impériale de Musique, par Castil-Blazc.
XXV
L'ouverture du théâtre de Pantin a lieu, cet
été, par la représentation de la parade la plus
épicée de Vadé, par Madame Engueule, parade
suivie de la Fricassée, dansée par MUe Guimard
et Dauberval. Et un moment, les habitués du
théâtre de Pantin sont dans l'émoi que la police
n'interdise décidément le spectacle licencieux
de la danseuse.
Mais cette crainte ne dure qu'un temps
car au mois de septembre, la Vérité dans le
vin, ce chef-d'œuvre du théâtre grivois, y était
représenté, joué par trois acteurs de la Comé-
die-Française, Dugazon, Auger, Feuillié, aux-
quels les fêtes de la Vierge avaient donné la
liberté, et qui jouaient la pièce de Collé,
affirme Bachaumont, comme jamais on ne les
avait encore vu jouer. Et dans cette représen-
tation, ils étaient merveilleusement secondés
86 LA GUIMARD.
par MUe Lafond, danseuse de l'Opéra, et par la
maîtresse de la maison, dont la voix un peu
rauque — sépulcrale, disaient ses ennemis,
quand elle parlait, — perdait à ce qu'il paraît
son désagrément dans le chant, et y devenait
même assez agréable.
A cette représentation assistait le duc de
Chartres, mais incognito, et bon nombre de
femmes de la société, se croyant dissimulées
dans des loges grillées, mais bien vite déchif-
frées.
Et c'est un émerveillement parmi les fabri-
cateurs de Nouvelles à la main, que ces diver-
tissements ruineux de prince, donnés à Paris
par une danseuse, en même temps que la
reconnaissance de la gaieté, de l'entrain, du
franc rire, de ces libres et amusantes soirées,
où il n'y avait rien du sérieux, de la gêne, de
la contrainte caractéristiques, des fêtes des
Altesses1.
1. Mémoires secrets, vol. VI et vol. XXIV. Additions à l'au-
née 1711.
XXVI
En ce temps, Mlle Guimard avait la fantaisie
de se bâtir un hôtel.
Dans ce quartier des Porcherons, qui dans le
plan de Turgot de 1750, ne présente qu'une im-
mense plaine maraîchère, semée, à de grands in-
tervalles, de constructions rustiques et de bâti-
ments religieux, commence à s'élever, à vingt
ans de là, tout un quartier d'hôtels, appartenant
à la noblesse, à la robe, aux grandes impures.
C'est tout en haut de la rue de la Chaussée-
d'Antin, contre la barrière, l'hôtel bâti pour feu
Monsieur le président Hocquart, et qu'habite
son fils, le marquis de Montfermeil; ce sont,
rue Chantereine, l'hôtel Saint-Chamant, sur les
dessins de l'architecte Rougevin, et l'hôtel de
MUe Dervieux, sur les dessins de l'architecte
Brongniart; ce sont, rue de Provence, les hôtels
de Dreneuc, de Gouy d'Arcy, de Thun, de
88 LA GUIMARD.
Mme de Montess'on ; ce sont, en revenant à la rue
de la Chaussée-d'Antin, et en*descendant vers
le boulevard, l'hôtel de Balicourt, l'hôtel de
Montmorency qui fait l'angle de la rue Basse ;
ça va être, un peu plus loin dans la rue, à côté
de l'hôtel originairement construit pour
M. Necker, le Temple de Terpsichore l ou l'hôtel
de Mlle Guimard, un hôtel rival de l'hôtel de
Wu Dervieux, un hôtel élevé par Le Doux, ar-
chitecte du Roi, un hôtel que les souverains
étrangers, en leur séjour à Paris, iront visiter,
ainsi qu'ils vont visiter le pavillon des Lucien-
nes2.
Une charmante vue en couleur, à l'imitation
d'une gouache du temps3, nous a conservé la
vue de l'hôtel de Mlle Guimard. On voit la façade
du Temple de Terpsichore, dont le porche est
décoré de quatre colonnes, au-dessus desquelles
un groupe isolé représente Terpsichore, cou-
1 . Paris tel qu'il était avant la Révolution, par M. Thierry.
An quatrième de la République Française.
2. Les Mémoires secrets annoncent, à la date du 21 mai 1777,
que le comte de Falkenstein a été visiter le Temple de Terpsi-
chore.
3. Rare planche faisant partie d'une suite qui n'a pas été
terminée. Elle porte : Maison de Melle Guimard, bâtie par
M. le Doux. Prieur, f. 1791. Une réduction également en cou-
leur a été faite par Janinet sur un dessin de Durand, et publiée
sous le n° 27 dans une collection de vues de maisons de Paris,
par Esnauts et Rapilly.
LA GUIMARD. 89
ronnée par Apollon : groupe en pierre de Con-
flans, de 6 pieds de proportion, sculpté par
M. Le Comte, sculpteur du Roi. Et dans le cul-
de-four derrière les colonnes, on voit encore
le bas-relief de 22 pieds de longueur sur 4 de
hauteur, où Le Comte a exécuté le triomphe de
la Muse de la danse, la montrant sur un char,
tramée par des Amours, et précédée de Bac-
chantes et de Faunes, et suivie des Grâces de
la chorégraphie -.
Au bas de la planche en couleur représentant
la façade du coquet édifice, sont données deux
petites coupes intérieures, vous faisant pénétrer
dans l'intimité de la demeure.
L'une vous ouvre l'antichambre, et la salle à
manger, décorée de vasques aux eaux jaillis-
santes, portées par des groupes de naïades.
L'autre vous introduit dans la salle de spec-
tacle, cette salle aménagée au-dessus de la
porte, et qui pouvait contenir en son parquet,
en ses loges ouvertes ou grillées, cinq cents
personnes 2 ; cette salle au plafond peint par Ta-
raval, et qui était en petit la salle de Versailles3.
1. Paris tel qu'il était avant la Révolution, par Thierry.
2. Mémoires secrets, vol. VI.
3. L'ouvrage intitulé : Plans, coupes, élévations des plus
belles maisons et des hôtels construits à Paris et dans les en-
virons, publiés par Kraft architecte, et N. Ransonnette gra-
8.
90
LA GUIMARD.
Le petit palais bâti, paré, orné, sous la surveil-
lance amoureuse de La Borde, était un bijou
architectural, une merveille de goût décoratif.
« Figurez- vous, dit une brochure du temps '., figu-
veur, contient également une vue de la maison de Mlle Gui-
mard, et trois petits plans des divers étages, dont rénumération
des pièces donnera au lecteur une idée de l'importance de la
bâtisse.
Plan du fondement n° 1.
A. Escalier.
B. Passage.
C. Cuisine.
D. Lavoir.
E. Office.
F. Garde-manger.
G. Corridor du dégagement.
H. Pièce commune.
I. Caveau à vin.
K. Cave.
L. Pièce du dégagement pour lo
servico des offices.
■M. Escalier pour le servico.
N. Bûcher.
O. Cour.
P. Escalier pour le jardin.
Plan du rez-de-chaussée n° 2.
A. Cour.
B. Porche.
C. Escalier.
D. Antichambre.
E. Buffet.
F. Salle à manger.
G. Salon de compagnie.
H. Chambre à coucher.
I. Boudoir.
K. Cabinet.
L. Escalier pour le servico de
l'office.
M. Lieux à l'anglaise.
N. Dégagement.
O. Salle de bains.
P. Cabinet de bains.
Q. Cabinet de toilette.
Plan du premier étage n° 3.
A. Escalier.
B. Corridor du dégagement.
C. Antichambre commune.
D D. Chambre à coucher.
E. Salon commun.
F F. Boudoir.
F. Cabinet de toilette.
G. Lieux à l'anglaise.
H. Dégagements.
I. Escalier.
K. Chambre de femme de cham-
bre.
L. Garde-robe.
M. Chambre des domestiques.
N. Lanterne pour éclairer la salle
à manger.
O. Lanterne pour éclairer le buf-
fet.
1. Brochure citée dans la Correspondance secrète de Métra,
vol. VIII.
LA GUIMARD. 91
rez-vous l'assemblage heureux et le plus brillant
de tous les arts : ils se sont réunis ici pour se
surpasser. Les dehors sont charmants.
« L'architecte a eu dessein de représenter le
temple de Terpsichore dans la façade du côté
de l'entrée : on ne peut pas mieux réussir ou
mieux rencontrer.
« Dans un assez petit espace, cette jolie de-
meure offre toutes les commodités et tous les
agréments ; et ce qui n'est pas présenté par la
vérité, est suppléé par le prestige. Il n'y a pas
jusqu'au jardin, qui, quoique peu spacieux, ne
charme et n'étonne par son goût tout nouveau.
Les appartements semblent devoir à la magie
leurs divers agréments ; riches sans confusion et
galants sans indécence, ils offrent l'intérieur du
palais de l'Amour, embelli par les Grâces. La
chambre à coucher invite au repos, le salon au
plaisir, la salle à manger à la gaîté : les formes
en sont ingénieuses, sans qu'on ait eu recours à
ce contraste outré, dont on a abusé si souvent.
Une serre chaude comprise dans l'intérieur de
l'appartement y tient lieu, l'hiver, de jardin:
c'est le goût même qui l'a décorée. Le paysage y
est tendre, sans nuire à l'effet ; les treillages
sont soumis à la bonne architecture; les arabes-
ques n'y ont rien de chimérique, l'exécution de
92 LA GUIMARD.
toutes ces différentes merveilles paraît être l'ou-
vrage de la même main. Harmonie délicieuse
qui met le comble à l'éloge de l'architecte ;
parce qu'elle prouve qu'il a connu l'importance
du choix des artistes qui l'ont secondé et la né-
cessité de leur imprimer ses idées. Gn y voit un
petit appartement de bains, enchanteur et peut-
être unique par le style des ornements. On y
trouve aussi une petite salle de spectacle, que
l'on peut regarder comme un chef-d'œuvre dans
son genre. On ne comprend que difficilement,
comment l'architecte a pu trouver le lieu de la
scène, et celui que doivent occuper les specta-
teurs... »
A la décoration du Temple de Terpsichore, se
rattachent deux anecdotes, apportant deux cu-
rieux renseignements biographiques sur deux
grands peintres français du dix-huitième siècle,
d'humeur et de caractère différents.
Un jour que la danseuse examinait, où en
étaient travaux de son hôtel, elle remarquait la
tristesse d'un jeune homme peignant des ara-
besques, l'interrogeait, apprenait de lui que la
misère le forçant à gagner son pain, l'empêchait
de se livrer aux études nécessaires, pour concou-
rir avec succès pour le prix de Rome. Mlle Gui-
mard lui faisait quitter les travaux de l'hôtel, et
LA GUIMARD. 93
lui remettait, tous les mois deux cents livres,
permettant à l'élève de Vien de remporter le
prix. Ce peintre, c'était David.
L'autre peintre, c'est Fragonard. Les pan-
neaux du grand salon étaient entièrement cou-
verts de peintures, et le panneau principal offrait
la répétition en peinture de la sculpture de la
façade : la représentation de Mllc Guimard en
Terpsichore, et entourée des attributs qui pou-
vaient la caractériser « de la manière la plus
séduisante1 ».
L'architecte Le Doux avait choisi pour la réa-
lisation galante de l'allégorie, Honoré Frago-
nard. Mais cette fois il survenait une brouille, si
vive entre la danseuse et son peintre, qu'il était
renvoyé, et qu'un marché était passé avec un
autre artiste. Or un jour, Fragonard qui était
de sa nature un rieur, et qui resta toute sa vie
un farceur d'atelier, curieux de voir ce qu'était
devenue la peinture commencée par lui, entre
les mains de son successeur, trouvait le moyen
de s'introduire dans la maison, et de pénétrer
jusqu'au salon, sans rencontrer personne. Là, la
1. L'Académie de Musique, par Castil-Blaze, Paris, 1855.
Quelques anecdotiers font de David, en cette circonstance,
non un peintre d'arabesques, mais le prédécesseur de Fra-
gonard.
94 LA GUIMARD.
vue d'une palette dans un coin, lui donne l'idée
d'une spirituelle vengeance.
En quatre coups de pinceau, il efface le sou-
rire des lèvres de Terpsichore, qu'il charge de
colère et de fureur, et sans rien ôter à la res-
semblance de MUe Guimard, en fait une ïisi-
phone. Et le malheur veut, que le sacrilège
consommé, MlIe Guimard arrive avec des amis,
pour leur faire les honneurs de son portrait l.
1. Correspondance littéraire.
XXVII
L'anecdote est-elle vraie , j'en doute , et me
demande, si Grimm n'a pas été victime d'un ra-
contar d'atelier, car nous voilà chez M. Groult,
en présence de cette peinture, et rien dans la
figure ne trahit une retouche, et la Guimard de
là, apparaît avec le sourire bien fragonar disant
de Terpsichore.
Sous un ciel violàtre, comme transpercé
d'embrasements d'incendie — le ciel aimé de
Fragonard — et au fond duquel s'élève le lourd
colombier rustique des paysages de Boucher,
la Terpsichore du dix-huitième siècle est re-
présentée en bergère de l'Opéra.
Elle a sur la tête un chapeau de jardin, un
chapeau rose aux rubans envolés, un chapeau
de la forme la plus capricieusement gondolée,
contournant une chevelure à l'œil de poudre
imperceptible. Elle porte également un cor-
96 LA GUIMARD.
sage rose, auquel sont adaptées de bouffantes
et aériennes manches de gaze brochée, descen-
dant jusqu'aux coudes, et une guimpe, dont un
coin soulevé laisse à découvert le haut d'une
épaule nue. Le corsage est lacé sur une pièce
d'estomac bleu, qui devient, au-dessous de la
ceinture, la jupe de dessus aux trois retroussis
d'une polonaise, se gonflant sur le jupon rose
du dessous, et un tablier de la gaze brochée des
manches et de la guimpe, voltige autour de la
longuette et svelte femme, qui, une main sur le
cœur, soulève de l'autre ce tablier où sont deux
roses, dans l'esquisse d'un pas de danse.
Sous sa jupe, un carlin à l'œil allumé, au
petit mufle renfrogné, aux crocs colères, jappe,
jappe, jappe, aboyant contre un Amour blotti
dans un rosier, un Amour grassouillet, un
Amour aux ombres fauves et aux lumières pur-
purines de la chair, et qui est en train de viser
avec une flèche de son petit arc, le soulier de
satin blanc à la bouffette rose, le soulier vain-
queur des cœurs de la danseuse \
i. Le Figaro du lundi 8 août 1892 parlant de la vente de la
collection de chaussons de danseuses, faite par un vieux fidèle
de l'Opéra, le mois dernier, notait un lot, dans lequel se trou-
vait un chausson, qu'on disait avoir appartenu à la Guimard,
et qui se vendait 950 francs.
LA GUIMARD. 97
Cette peinture, au bas de laquelle sont jetées
une houlette et une musette, est une peinture
rapide, courante, décorative, où le peintre sans
grand souci de la ressemblance de la Guimard,
a peint le type de la danseuse, aux joues fardées,
au regard en coulisse, au sourire de la profes-
sion, mais avec toute l'habileté des grands dé-
corateurs du dix-huitième siècle, et dans une
harmonie de chair de pêche, et comme en la
douceur pour les étoffes, de couleurs joliment
passées et de nuances adorablement fausses.
XXVIII
L'ouverture, l'ouverture attendue du Temple
de Terpsichore, qui devait avoir lieu par la re1
présentation de la Partie de chasse de Henri IV,
et la Vérité dans le vin, était enfin annoncée
pour les premiers jours de décembre 1772 —
et c'était une fureur parmi toute la grande so-
ciété, pour se procurer des billets. L'on se ra-
contait que la représentation de la Partie de
chasse de Henri IV, qui devait être jouée par les
comédiens français, interdite d'abord par le
maréchal de Richelieu, d'accord avec les au-
tres gentilshommes de la Chambre, avait été
autorisée par Sa Majesté, annulant la décision
de Richelieu, par le crédit du sieur de la Porte
et du maréchal de Soubise, les deux tenants de
la danseuse.
Puis des difficultés avec l'archevêque de
Paris, amenaient un retard à l'ouverture du
LA GUIMARD. 99
théâtre, qui avait lieu seulement le 8 dé-
cembre. L'unique concession faite à l'arche-
vêché, était le remplacement de la Vérité dans
le vin, par une pantomime intitulée : Pygmalion,
une parade qui était la parodie du petit acte de
Collé1.
Et ce jour-là, il y avait dans « le Temple de
Terpsichore » une compagnie d'hommes de la
plus grande distinction, comptant deux princes
du sang : le duc de Chartres et le comte de
Lamarche, et en femmes, une assemblée de
filles du plus joli minois, toutes radieuses de
diamants 2 .
1. Correspondance de Grïmm. Garnier, frères, vol. I.
2. Mémoires secrets, année 1772. Une seconde représentation
devait avoir lieu sur le théâtre de la Guimard, le jeudi, veille
de Noël, mais cette fois l'archevêque obtenait gain de cause,
et la Guimard recevait la défense de jouer
XXIX
Au mois de juin 1773, ce prince de Soubise,
si traitable sur l'article de la jalousie, et qui
avait accepte jusque-là avec l'indifférence su-
perbe d'un mari du temps, le partage des
tendresses de la Guimard entre M. de La Borde et
Sa Grandeur sultanesque, était pris d'un sou-
dain accès de jalousie, et exigeait l'expulsion
de l'amant — de l'amant que sa qualité de fer-
mier général ne faisait pas précisément un
amant de cœur1 .
Paris s'étonna de cet accès de jalousie, chez
un homme, qui n'avait jamais été jaloux, et qui
surprenant une maîtresse aimée, dans les bras
du chevalier de Langeac, et se rendant à cette
définition de Sophie Arnould : « Monseigneur,
la sagesse d'une actrice n'est que l'art de bien
1. M. Deville dit que M. de La Borde s'était ruiné au ser-
vice de la Guimard.
LA GUIMARD. 101
fermer les portes l ! » continuait ses largesses
à l'infidèle. Aussi les mauvaises langues répan-
daient que la cause du congé ne pouvait se dire
qu'à l'oreille, et venait de ce qu'en langage du
dix-huitième siècle, M. de La Borde avait donné
une galanterie à la demoiselle Guimard, que
celle-ci l'avait procurée au maréchal prince de
Soubise , le maréchal à Mme la comtesse de
l'Hôpital, la comtesse à... Ici se perdait la ge-
nèse2.
A la suite de cette qnitterie de la danseuse,
ce pauvre M. de La Borde tombait dans une mé-
lancolie noire, que rien ne pouvait dissiper, ap-
pelant la fin de son service auprès du Roi — ce
qui devait arriver au mois de juillet — pour
quitter la France et courir l'Europe, afin d' ou-
blier l'infidèle. Et dans son désespoir amou-
reux, perdant le goût de tout ce qu'il aimait
avec passion, perdant ce goût de la musique
qui avait été l'amusement et l'occupation de
toute sa vie, il annonçait à ses amis, dans des
lettres désolées, l'intention d'y renoncer.
1. Arnoldiana, Paris, Gérard, 1813.
• 2. Mémoires secrets, vol. VII.
XXX
Bien certainement Jean Benjamin de La Borde
était une nature tendre.
11 fut un médiocre musicien, mais parce
qu'il fit de la méchante musique, ce n'est point
une raison, pour ne pas lui accorder les douces
et humaines qualités, qu'il avait.
Un biographe dit de lui :
<( Un grand nombre des contemporains de La
Borde, a pu ne voir en lui que le courtisan ai-
mable et dissipé, le possesseur de tous les ta-
lents agréables, l'amateur de tout ce qui peut
en rehausser l'éclat, et des jouissances frivoles,
enfin l'homme à grandes passions, et non
moins propre à les inspirer qu'à se laisser domi-
ner par elles. Nous avons dû en prendre une
idée bien différente, nous, dont les rapports avec
lui, ne nous l'ont présenté que sous l'aspect d'un
LA GUIMARD. 103
homme franc, loyal, modeste, généreux, bien-
faisant1. »
Oui, mais avant tout une nature tendre, un
tempérament passionné, un amoureux de la
femme, et qui le fut toute sa vie, et tout autant
plus tard d'une femme légitime, qu'il l'était alors
de la Guimard.
Et chez l'amant de la Guimard, qui écrivit
des Maximes et des Pensées, il n'est pas sans in-
térêt de chercher dans les « Maximes et les
Pensées » de l'écrivain, où toujours l'auteur se
confesse un peu, de chercher et de retrouver
l'amoureux qu'il fut.
Voici ces pensées :
« Vouloir qu'on soit amoureux avec raison,
c'est vouloir qu'on soit fou avec raison.
1. Jean Benjamin de La Borde, né le 5 septembre 1734,
était entré dans la finance, par l 'esprit de gratitude de son
père pour un état, auquel il avait dû le rétablissement de sa
fortune, ruinée par le système de Law, et était nommé en
1761, adjoint de son beau-frère M. de Marchais, dans le service
intime de Louis XV, dont il fut un des amis, si un roi pouvait
avoir des amis. Une existence, dit son biographe, souvent au-
bord de l'abîme, mais distraite par l'art, la littérature, le plai-
sir, et qui se termina par la guillotine.
Le biographe pour nous donner une idée de la douceur de
son caractère, et de l'inaltérabilité de son humeur, nous le
montre attaqué de coliques néphrétiques qui le faisaient souf-
frir des douleurs indicibles, et passant dans le bain des jour-
nées entières, environné de livres, avec toute la sérénité d'un
homme qui prendrait un bain par sensualité.
104 LA GUIMARD.
- Pourquoi rougir d'avouer qu'on s'est trompé?
N'est-ce pas déclarer qu'on est plus sage au-
jourd'hui qu'hier.
Une femme qui sait mal est moins suppor-
table, qu'une femme qui ne sait rien.
Le plaisir est comme une fleur, dont l'odeur
est délicate, et qu'il faut sentir légèrement, si
on veut toujours lui trouver le même parfum.
La plupart des femmes ressemblent à des
énigmes qui cessent de plaire, dès quelles sont
devinées.
Jamais une âme bien amoureuse n'est juste;
elle trouve son bonheur trop petit et son mal-
heur trop grand.
On prend de l'amour près d'une femme de
vingt ans, une de trente en donne.
Qui aime est bien plus heureux que d'être
aimé.
Qui veut être aimé sans aimer, ressemble à
celui qui veut allumer un flambeau avec une
torche éteinte. »
Et peut-être en ce mois de juin 1773, écrit-
il :
« On combat l'amour par la fuite et la colère
par le silence. »
Et peut-être plus tard, plus tard, écrira-t-il, en
pensant à la Guimard :
LA GUIMARD. 105
<( Les grandes passions qui s'affaiblissent,
sont semblables à des songes, dont l'idée s'efface
à mesure qu'on s'éveille1. »
1. Pensées et Maximes de J.-B de La Borde, précédées d'une
notice sur la vie et les ouvrages de ce littérateur. Paris, Lamy,
1802.
XXXI
Dans cette imagination de danseuse, cher-
cheuse et créatrice de plaisirs, joliment sensuels,
sur ses deux théâtres de Pantin et de la Chaus-
sée-d'Antin, dans cette imagination libertine
qui avait un moment la velléité de ressusciter
les Fêtes d'Adam, exécutées sous le Régent, au
château de Saint-Cloud1, dans cette imagina-
tion tombait, en l'année 1776, l'idée d'un pique-
nique, d'un pique-nique d'une immoralité scan-
daleuse, d'un pique-nique comme la société
française n'en avait point encore vu.
11 s'agissait d'un spectacle composé de La Co-
lonie et des Sabots, où MUeGuimard devait jouer,
Mlle Duthé danser, et où Mlle Dervieux s'était
chargée de la commande du repas chez un grand
traiteur du boulevard. Et la comédie, et le
1. L 'Académie Impériale de Musique, par Castil-Blaze,
Paris, ] 853.
LA GUIMARD. 107
souper auraient été suivis d'un bal, d'un jeu
d'enfer, et « de tout ce que pouvait accompa-
gner une pareille orgie ». La partie, d'abord
projetée pour le carnaval, avait été remise au
premier jeudi de carême, dans le but, disent les
Mémoires secrets, de rendre la partie plus célèbre
et plus singulière1.
Les souscripteurs étaient en nombre suffi-
sant2, le spectacle monté, le souper tout préparé,
quand arrivait sur les plaintes de l'archevêque
de Paris, un ordre du Roi qui défendait et le
spectacle, et le bal, et le souper ■ — ordre, que
l'influence sur son frère du comte d'Artois, qui
devait assister à la fête, en compagnie du duc
de Chartres, n'avait pas le pouvoir d'empêcher.
La déesse du Carême
Préparent un grand repas;
Par une rigueur extrême ;
La police ne veut pas
Qu'un teint si blême
Dans Paris, du Mardi gras
Soit l'emblème.
Dans la chanson, née du pique-nique défendu,
\ . Mémoires secrets, roi. IX.
2. Correspondance secrète, \o\. III. A la date du 19 mars 1776,
Mctra annonce soixante-cinq souscripteurs.
108 LA GUIMARD.
la maigreur de la Guimard était méchamment
rappelée en un couplet :
Le souper était honnête;
L'on pouvait aller après
En tête à tête ;
Et renoncer aux poulets
Pour une arête.
Un moment, le gouvernement eut peur que
la jeunesse folle qui avait souscrit, ne se livrât
à quelque coup de tête, et le commandant du
guet recevait l'ordre de garder les avenues du
traiteur, et d'empêcher qui que ce soit d'y
entrer.
Dans ces circonstances, MIle Dervieux prit le
meilleur parti qu'elle avait à prendre, elle fit
porter les victuailles du festin au curé de Saint-
Roch, pour être distribuées aux pauvres ma-
lades de la paroisse.
Et l'on nomma plaisamment ce repas : le
repas des Chevaliers de Saint-Louis, à cause
des cinq louis d'écot, que chacun payait *.
1. Mémoires secrets, vol. IX.
XXXII
Le théâtre de la Chaussée-d'Antin continua,
en dépit de l'archevêché et du parti dévot, à
avoir comme public, les princes du sang, les
grands seigneurs et les impures les plus en vue.
Et la parodie d'ERNELiNDE, la bouffonnerie en
vers, composée par le danseur Despréaux, déjà
l'ami intime de la danseuse, représentée en
septembre 1777, chez la Guimard eut ce suc-
cès extraordinaire. Un mois après, la parodie
était représentée où? devant la cour, à Choisy,
la veille du départ pour Fontainebleau, et le
jeune Roi, qui n'avait jusqu'alors encore témoi-
gné aucun goût bien vif de théâtre, y riait d'un
si gros rire, pendant les trois actes, qu'il don-
nait une pension au danseur1.
1. Mémoires secrets, vol. IX.
10
XXXIII
Un ballet, où la Guimard conquiert tous les
applaudissements, emporte tous les suffrages,
un ballet où la danseuse-pantomime fait, pour
ainsi dire, parler la danse : c'est le ballet de la
Chercheuse d'Esprit, représenté à la cour en
1777, à l'Académie Royale de Musique, en 1778.
LA CHERCHEUSE d'Esprit
BALLET-PANTOMIME
De la composition de M. Gardel i, maître des
ballets du Roy, en survivance ;
Représenté devant Leurs Majestés, à Choisy, à
Fontainebleau, en 1777,
Et par l'Académie Royale de musique,
Le dimanche 1er mars 1778.
A Paris.
De l'imprimerie de P. de Lormel.
LA GUIMARD, 111
Les personnages de ce ballet, tiré de l'opéra-
comique de Favart, sont :
Mme Madré, riche fermière MUe Allard.
M. Subtil, tabellion M. Despréaux.
M. Narquois, sçavant M. Gardel.
Nicette, fille de Mme Madré MUe Guimard.
Alain, fils de M. Subtil M. Gardel I.
L'Éveillé M. Dauberval.
Finette M11c Dorival.
Et voici les premières lignes de la brochure :
« Nicette paraît, en dansant un pas qui ca-
ractérisera sa simplicité. Le moindre bruit lui
porte ombrage, un rien l'attriste ou l'égaie.
<< M. Subtil la surprend à regarder ses doigts.
Elle est effrayée, en le voyant, mais il la ras-
sure, et profite du moment, où elle est seule
pour lui déclarer son amour. Nicette le regarde,
lui rit au nez. Elle veut se sauver ; il la retient.
« Mme Madré arrive, voit M. Subtil aux genoux
de Nicette, éclate de rire, lui demande s'il a
perdu l'esprit d'être amoureux d'une fille aussi
sotte. »
Mme Madré propose une transaction à M. Sub-
til, elle veut bien lui accorder Nicette, mais
elle épousera son fils, qui est apparu un mo-
112 LA GUIMARD.
ment, et qui a été accueilli par un sourire de
la fillette. Et on se prépare à chercher le notaire
pour dresser les contrats, et la mère envoie sa
fille chercher de l'esprit.
C'est alors que la pauvre Nicette aperçoit
M. Narquois, se promenant un livre à la main,
perdu dans la profondeur de ses réflexions, et
elle va à lui, avec la pensée que cet homme qui
passe pour un prodige de science, pourra peut-
être lui procurer de l'esprit. Elle l'aborde toute
tremblante, et après une belle révérence, lui
demande, si on peut avoir près de lui de l'esprit,
pour de l'argent.
Survient l'Eveillé, qui se montre tout prêt à
lui faire cadeau de tout l'esprit possible, quand
apparaît Finette, la sœur de Nicette, qui fait
entendre à l'Eveillé que c'est à elle seule, qu'il
en doit donner.
Et les deux amants se retrouvent, et sont
entre eux si embarrassés par leur naïveté, par
leur innocence, qu'ils songent à quitter leur
village, pour aller chercher de l'esprit à Paris,
quand Mme Madré engage Alain à prendre une
leçon d'elle, et s'agenouillant, elle lui présente
un ruban et lui prend la main pour la bai-
ser, l'engageant à répéter la chose près d'elle,
mais au lieu de lui obéir, sachant ce qu'il vou-
LA GUIMARD. 113
lait, Alain se sauve avec le bouquet et le ruban,
retrouver Nicette.
Nicette revenue, est en train de se mirer
dans une fontaine, devant laquelle elle arrange
son fichu et pose une fleur dans ses cheveux,
lorsqu'elle surprend un feint sommeil de sa
sœur Finette, étendue sur un banc de gazon,
pour se faire embrasser. Or, au moment où
paraît Alain avec le bouquet et le ruban, elle se
couche sur le banc, et fait semblant de dormir,
et comme il n'ose la réveiller, elle lui tend sa
main à baiser.
Un instant hésitant, enfin Alain s'agenouille,
lui met le ruban, lui attache le bouquet.
Et en cet instant, ainsi que le dit la bro-
chure :
<< Les deux amoureux semblent reprendre
un nouvel être, ils se livrent à leurs transports,
et leurs transports éclatent dans leurs yeux. »
Alors, Mme Madré d'entrer en fureur, et de sé-
parer les amoureux, mais bientôt tout s'apaise
de la plus charmante façon du monde, Nicette
épouse Alain, Finette épouse l'Éveillé, Mme Ma-
dré elle-même épouse M. Subtil, et les trois
mariages sont célébrés par des danses villa-
geoises.
10.
114 LA GUIMARD.
D'après l'exposition de ce ballet, on conçoit
la coquetterie jeunette et la naïveté malicieuse
qu'il fallait y apporter, et qu'apporta MUe Gui-
mard, qui deux ans auparavant, en son rôle de
la Capricieuse, dans les Caprices de Galathée1,
avait fait déjà pressentir la mime de l'ingénuité,
qu'elle était. Et là-dessus, c'est un concert
d'éloges dans toute la presse du temps.
Les Mémoires secrets constatent les applau-
dissements qui accueillent Guimard.
Les Affiches et Avis divers disent, en parlant
du jeu de Mlle Guimard « que la nature ne se
montre pas avec des grâces plus naïves et plus
attrayantes. »
Le Nouveau Spectateur, par Lefuel de Méri-
court, s'exprime ainsi : « La difficulté d'une pan-
tomime est de pouvoir exprimer par le moyen
des gestes, ce qui semble exiger le secours de
la parole. Il était diffiieile par exemple dans le
sujet de la Chercheuse d'esprit, de suppléer au
vers.
Allez chercher de l'esprit,
qui fait le nœud de la pièce, mais le jeu de la
1. Ballet où la Guimard avait eu le plus grand succès, au
théâtre de la Cour à Fontainebleau, le 20 novembre 1776.
LA GUIMARD. 115
Guimard ne laisse rien désirer, dans ce moment
intéressant. »
Le Mercure de France, imprime : « On ne peut
trop exalter le talent de JVIlle Guimard dans le
rôle de Nicette. Il faut la voir et convenir que
jamais on n'a rendu une niaise, en même temps
simple et maligne, avec plus de grâce, avec
plus de vérité et plus de nature, que cette char-
mante actrice-danseuse, qui, par son art, est
toujours ce qu'elle veut être.
Enfin, Grimm, dans la Correspondance litté-
raire, après avoir déclaré que le talent de la
Guimard, a su faire oublier tous les défauts du
ballet, louange la danseuse en ces termes : « Elle
a mis dans le rôle de Nicette une gradation
de nuances si fine, si juste, si délicate, si
piquante, que la poésie la plus ingénieuse ne
saurait rendre les mêmes caractères avec
plus d'esprit, de délicatesse, de vérité. Tous
ses pas, tous ses mouvements ont de la mol-
lesse et de l'harmonie, une entente et sûre
et pittoresque. Comme sa simplicité est naïve,
sans être niaise , comme sa grâce naturelle se
cache sans affectation, se développe par degrés,
et plaît sans se presser de plaire! Comme elle
s'anime aux doux rayons du sentiment. C'est
un bouton de rose qu'on voit éclore, échapper
116 LA GUIMARD.
doucement aux liens qui l'enveloppent, trem-
bler et s'épanouir. Nous n'avons rien vu clans
le genre d'imitation, de plus délicieux et de
plus parfait. »
XXXIV
A la direction de Berton, et de Buffault, le
marchand de soie, ayant pour enseigne : Aux
Traits galants, nommés commissaires du Roi,
avec pleine autorité sur les sujets de l'Académie
de musique et de danse, direction qui avait suc-
combé sous les dissensions intestines du tripot
lyrique, succédait, à Pâques de l'année 1778, la
direction du sieur de Vismes, nommé directeur
de l'Académie, à ses frais, risques et périls, et
qui déposait 500 000 livres dans la caisse de la
Ville de Paris, qui lui payait la rente, et se dé-
chargeait de tout, moyennant une subvention de
80 000 francs1.
Cette direction, annoncée comme devant faire
des merveilles, débutait par de petites innova-
tions dans la salle, que ne goûtait pas le public.
1. Mémoires secrets, vol. X.
118 LA GUIMARD.
Puis des réformes intérieures, comme la dimi-
nution des feux, indisposaient contre le nouveau
directeur, les coryphées de la danse et du chant,
qui se mettaient à entraver l'essor de ses projets,
avec l'appui, l'encouragement occulte de M. de
Yougny, cousin germain de Maure pas, le type
de l'amateur dilettante du temps, le protecteur
attitré des demoiselles du chant et de la danse,
et encore de M. de La Borde, l'entêté malheu-
reux compositeur, et le ci-devant amant de la
Guimard '.
Trois mois après l'installation de M. de Vis-
mes, on parlait des prises quotidiennes qu'il
avait, et avec les chanteurs et les danseurs, et
avec les gens de l'orchestre, et surtout avec les
demoiselles qui lui parlaient avec beaucoup
d'irrévérence, et on présageait qu'il lui serait
difficile de résister à cette ligue générale2.
Le mois suivant, au mois de juillet, il était
question de quelque chose de plus grave pour
de Yismes : le bruit courait que les fonds lui
manquaient, que Compain, valet de chambre
de la Reine, son croupier, le plus fort action-
naire de la Compagnie qui s'était engagée à lui
fournir des fonds, se dégoûtait de l'entreprise,
1. Mémoires secrets, vol. XI.
2. Ibid., toI. XII.
LA GUIMARD. 119
devant la défaveur que rencontrait son protégé
près de ses administrés et du public, et l'on pré-
sumait qu'il se servirait de son crédit auprès de
Sa Majesté, pour le remplacer par une com-
pagnie.
En décembre même, les insurgés de l'Opéra,
qui prenaient les noms et les qualifications des
insurgens de l'Amérique, parvenaient à effrayer
le directeur, et à le décider, à remettre la direc-
tion à Pâques, moyennant un traitement.
A ce moment, le chevalier de Saint-Georges,
l'escrimeur célèbre, Je violoniste, le composi-
teur même, appuyé par une société de capita-
listes, se mettait sur les rangs pour la direction,
mais Mlle Guimard et les autres adressaient un
placet à la Reine, pour lui représenter que leur
honneur ne leur permettait pas d'être soumises
à la direction d'un mulâtre. Et la direction du
mulâtre était à vau-l'eau, sur cette phrase de la
Guimard, colportée dans toute la grande société
de Paris : « Il faudrait d'abord y préparer le pu-
blic, en lui faisant voir Vénus négresse, débar-
bouillant l'Amour mulâtre1.»
Mais le Roi, un peu irrité de cette fermenta-
tion de l'Opéra, qui avait un contre-coup à la
1. Tablettes 'd'un gentilhomme sous Louis XV, par Charles
Maurice, 1864.
120 LA GUIMARD.
cour parmi les princes, les duchesses, les minis-
tres, prenant parti, les uns pour le directeur, les
autres pour les acteurs, avait une entrevue avec
Amelot, et lui demandait, si décidément le pu-
blic était content des innovations introduites
par le nouveau directeur. Le ministre répondait
que le public, d'abord hostile à de Vismes, com-
mençait à revenir sur son compte. Sur quoi, le Roi
s'écriait, avec ce mépris de l'homme de cour
du temps pour les gens de théâtre : « Eh bien!
qu'il reste, et qu'on ne me parle plus de cette
canaille-là! » Là-dessus, lettre ministérielle
d' Amelot à de Vismes, à l'effet d'être commu-
niquée à ses administrés, et à les faire rentrer
dans la subordination.
Mais l'apparente soumission des mutins de
l'Opéra ne fut pas longue, et leur calme apparent
cacha une conspiration secrète, et de nouvelles
combinaisons pour se débarrasser de leur direc-
teur, afin d'arriverj ce qui était leur ambition
depuis plusieurs années, — à se régir eux-
mêmes. Une idée qui leur avait été soufflée par
la Guimard, qui, sentant l'ascendant quelle
exerçait sur ses camarades, aurait été la vraie
directrice de l'Académie de musique. Et un mo-
ment le bruit courait de la retraite définitive de
de Vismes, découragé par la pusillanimité du
LA GUIMARD. 121
ministère, moyennant un pont d'or que lui fai-
saient les sujets de l'Opéra1.
Cela se passait l'année, où de Vismes était
rentré en grâce auprès du public, par son zèle,
par son activité, par la mise sur pied, en un
mois, de sept opéras, une année où il devenait
un personnage presque populaire, une année,
ou l'on baptisait une coiffure : Coiffure à la de
Vismes P une année où l'on reconnaissait que
c'était le personnage le plus propre à cette di-
rection, par son sang-froid unique, son insen-
sibilité et sa justice même envers les talents,
contre lesquels, il était obligé de sévir.
Alors, il y eut un retour de la cour, en faveur
de de Vismes, et le 21 février 1779, la Reine
honorait le vendredi, de sa présence à l'Opéra,
en compagnie de Madame, et de la comtesse
d'Artois. Une représentation, où il y avait dans
le parterre deux partis, l'un pour huer, l'autre
pour applaudir la Guimard, qui, manquant à
son serment avait bien voulu condescendre à
danser : représentation très commentée, où la
Reine, dont les bontés pour la danseuse étaient
connues, et qui l'encourageait volontiers de ses
1. Mémoires secrets, vol. XIII.
2. L'Académie Impériale de musique, par Castil Blaze, vol. I.
11
122 LA GUIMARD.
applaudissements, n'avait point battu des mains,
et l'on pensait que Compain, maintenant, tout
à fait content de la direction de son protégé,
avait voulu par ce blâme de la souveraine, punir
l'actrice !.
Enfin après bien des pourparlers et des tergi-
versations du ministère, de Vismes était main-
tenu comme directeur général de l'Opéra, sous
l'inspection de la Ville. Mais les mécontents
continuaient à se répandre en récriminations,
plus vives tous les jours, sur le despotisme
du sieur de Vismes, sur son ingratitude envers
ceux qui avaient fait son élévation, s'indignant
d'être menés par lui comme une brigade des
fermes, et l'accusant d'être un petit Machiavel,
qui les avait divisés par de sourdes menées, et
se plaignant d'être harassés d'études, de répé-
titions, et de ne recueillir de leur sueurs et de
leurs fatigues, que de X épuisement et de la mai-
greur.
Alors, quand on croyait tout fini, et les mutins
rentrés dans l'ordre, treize d'entre eux en-
voyaient leurs démissions, avec protestations
devant le notaire, et ne jouaient, au mois de
mars, Iphigénie, que par ordre2.. Sur ce, M. de
1. Mémoires secrets, vol. XIII.
2. Lettres sur les Arts imitateurs, par Noverre, vol. II.
LA GUIMARD. 123
Caumartin mandait devant lui les coryphées du
chant et de la danse, et annonçait le renvoi de
l'Opéra, de Mllc Duplan, même sans la pension de
1 500 livres, pour son insolence envers son chef,
et déclarait à Dauberval, qu'il était chassé, sans
retraite, avec injonction de continuer à danser
jusqu'à Pâques ; après quoi il y avait défense
pour lui de fréquenter le théâtre lyrique, même
en payant '.
Au fond, l'âme de la conspiration, c'était la
Guimard. Oui, c'était elle qui conduisait l'in-
trigue, avec l'adresse qu'on lui connaissait,
c'était elle qui empêchait les partis maladroi-
tement violents, c'était elle qui n'avait cessé de
répéter dans les réunions : « Surtout, mesdames
et messieurs, point de démissions combinées,
c'est ce qui a perdu le Parlement! »
Et c'était chez la danseuse qu'avait eu lieu,
écrit La Harpe2, l'assemblée nocturne, où avait
été prise la résolution de s'exposer à tout, plutôt
que d'obéir à de Vismes.
Enfin, à l'instigation de la Guimard, était
colporté, et même plus tard imprimé, un
pamphlet ridiculisant de Vismes, qui dans une
première lettre, datée du 27 avril 1779, se plai-
1. Mémoires secrets, vol. XIII.
2. Correspondance littéraire, vol. II.
124 LA GUIMARD.
gnait à M. de la Ferté, d'être le jouet des con-
versations de Paris, accusant un nommé Jabi-
neau, qui avait assisté à toutes les assemblées
tenues chez la Guimard, d'avoir composé ce
libelle. Et dans une autre lettre, datée du 30 avril,
de Yismes demande la suppression de ce pam-
phlet, soupçonnant cette fois l, comme l'auteur,
un nommé Dodé de Jousserand, connu dans
tout Paris pour un mauvais sujet, et qui se
fait un plaisir de faire la lecture de ce libelle
dans les cafés, et môme dans quelques maisons
particulières où il est admis2.
1. Daudé de Jossan, d'après les Mémoires secrets, un petit-
fils de la Lecouvreur qui, après s'être jeté dans toutes les in-
trigues, escroqué tant qu'il avait pu, sortait de la sphère des cour-
tisanes, pour se faufiler chez les grands, devenait le favori du
prince de Montbarey qui le faisait nommer syndic de la ville
de Strasbourg.
2. Archives Nationales. Carton 0I62.""> .
XXXV
La libelle signalé au ministre, une brochure
rarissime, a pour titre :
Lettres des Premiers Sujets de l'Académie
Royale de Musique et de Danse à M. Duval,
premier commis au café du Caveau, départe-
ment des Glaces. Et s'adressant à Messieurs les
Amateurs, Politiques, Littérateurs, Critiques et
Dégustateurs du café du Caveau.
Le libelle commence ainsi :
« Organes sacrés de la multitude, oracles du
bon goût, censeurs révérés, qui tenez en vos
mains la balance des jugements du public,
sages distributeurs de ses louanges ou de son
blâme, daignez nous prêter un moment d'atten-
tion. »
Et par la plume du pamphlétaire, les sujets
de l'Opéra exposent que leur cruel adversaire,
11.
126 LA GUIMARD.
le sieur de Vismes, a corrompu toutes les voix
de la Vérité, que les trompettes inférieures de
la Renommée, les gazettes étrangères, les petits
journaux, les petites nouvelles à la main font
métier de les calomnier à dire d'experts, qu'une
nuée de preneurs, d'aboyeurs stipendiés par des
gratis, sont arrivés à peindre le despote des
talents lyriques, comme un martyr de l'indisci-
pline de l'Opéra, et qu'ils en appellent du public
mal informé au public mieux informé.
Là-dessus est imaginé par l'auteur, un con-
seil drolatique, un conseil des plaisirs, nommé
au café du Caveau, où le président Gobemoka,
un fréquenteur du café, choisit pour commis-
saires de son tribunal, messire Craquet, un des
quarante pourvoyeurs des petits journaux,
deux des amateurs de la cheminée à gauche
du grand foyer de l'Opéra, deux assidus des
foyers de la Comédie française et italienne,
deux assesseurs de l'arbre de Cracovie, deux
familiers de la boutique de MUe Crosnier, et
quelques marguilliers de la première table du
coin du café Foy.
Alors commence le défilé des acteurs et des
actrices. C'est Le Gros, qui se plaint que M. de
Vismes veut les régenter comme des esclaves;
c'est Larrivée, qui déclare que lorsqu'il a vu
LA GUIMARD. 127
l'Académie devenir la proie de ce petit traitant,
il a songé à se retirer; c'est Dauberval, le boute-
feu, le promoteur de l'a querelle, le chef de
parti, qui énumère les vexations et les insultes
du fermier de leurs talents, lui reproche ses
hauteurs, ses caprices, ses injustices envers
Gluck et Grétry, lui reproche sa phrase con-
cernant les sujets actuels de l'Opéra, qu'ils
étaient de vieux chevaux dans son écurie, qu'il
réformerait au premier jour, lui reproche d'avoir
cabale, intrigué, semé la discorde et la division,
pour étendre son despotisme, lui reproche
d'avoir excité le ressentiment du gouverne-
ment, des gens puissants, qu'il se vante d'avoir
dans sa manche, pour leur attirer des punitions
non méritées.
A Dauberval succède Yestris, peint en son
amusant baragouin :
« Messioux, vous voyez devant vous oun
sujet qui sert depuis trente-oun ans l'Académie
royale de mousique et de danse, en qualité de
premier dansour; il ne s'est jamais vou, et ne
se verra peut-être jamais, oun homme conser-
ver si longtemps le bonhour de plaire au pou-
blic, dans oun genre, mais ce qui sera non
moins rare, c'est de voir oun petit souffisant,
tomber des noues comme une masse sur notre
128 LA GUIMARD.
tête, vouloir nous traiter comme des poulis-
sons. Par la chacoune de M. Le Breton, je ne
souffrirai pas une telle infamilé, et j'aimerai
mioux que moi et mon fils oussions les gambes
cassées, que de danser, pour faire oun tel
homme riche... » Et l'italianisant Vestris, est
remplacé par le zézaycur Noverre.
« Messieurs, z'ai beaucoup couru le monde;
z'ai eu le bonheur de paraître devant les plus
grands Monarques, et la consolation de mériter
leurs bontés, et leurs suffrages. Ze croyais
avoir trouvé un asile en la patrie des arts et
des talents agréables; z'ai rencontré dans mon
semin un homme; z'ai ressautfé un serpent
dans mon sein1, ze voulois me donner et à mes
camarades, un oblizé; z'ai eu la maladresse de
nous donner un maître... Ce que z'avance, est
connu de tout le monde; c'est moi qui menai
M. de VismeszèsMademoiselleGuimard... Dans
ce temps-là il n'avoit pas les mêmes fasons
1 . Dans ses Lettres sur les Arts Imitateurs, Xo verre reproche,
tout comme Dauberval, à de Vismes d'avoir semé la discorde et
la division parmi les sujets de l'Opéra. Il dit : « Cet ancien
commis principal à la ferme générale... crut, car il ne doutait
de rien, que l'on pouvait conduire l'Opéra comme une brigade
des fermes, et il se trompa. Il s'imagina qu'il fallait brouiller
pour régner, et ce petit Machiavel médita mal ; ses petites
tracasseries furent découvertes. Les sujets divisés par de sour-
des menées se rapprochèrent et se réunirent. »
LA GUIMARD. 129
qu'auzourd'hui, il n'avoit pas ze beau diamant
qu'il porte au doigt; il ne parloit pas de mettre
tout le monde au For l'Evêqué, ou dans la rue . . .
En revanze, il avoit d'excellentes Qualités, il
étoit doux, poli, révérenzieux, il faisait le punch
zès cette aimable Demoiselle, avec un zèle, une
perfection, à faire tourner la tète. Il nous la
tourna, car nous crûmes que le garçon cafetier
serait un bon administrateur ; nous le propo-
sâmes, le prônâmes, le poussâmes : mais le
faiseur de punch a voulu nous traiter, comme
des citrons, exprimer notre zus, et nous zeter
ensuite comme des écorces. »
Enfin sur l'ordre du président, l'huissier
faisait entrer Mlic Levasseur et M1Ie Guimard,
un groupe, où la majesté de la chanteuse était
tempérée par les charmes si touchants de la
danseuse, et Mlle Guimard, une main dans la
main de Mlle Levasseur, et l'autre moelleuse-
ment levée en l'air, prenait la parole après sa
compagne.
« Vous venez d'entendre Polymnie, et mes
faibles discours n'ajouteront rien au pathétique
de ses raisons. Les mouvements de la haine
sont trop pénibles pour mon cœur... Je n'aime
à me livrer qu'aux douces émotions de la ten-
130 LA GUIMARD.
drosse et de l'amitié... j'ose dire de la bienfai-
sance; non que je veuille rappeler ici quelques
actions que j'ai toujours cherché à dérober au
public; mais parce que le même homme dont
nous avons à nous plaindre, doit à l'intérêt
qu'il a su me surprendre, d'occuper aujourd'hui
le poste, d'où il nous insulte et nous traite
aussi cruellement... Oui, messieurs, c'est moi,
qui, séduite par les prétendus malheurs de
M. de Yismes, par son respect, et le goût in-
vincible, qu'il affectoit pour les talens, entraî-
née parles sollicitations du sieur ?soverre, qui
ne présageoit sans doute point l'usage qu'il
feroit de nos bontés, enrployoit le crédit que je
pouvois avoir, pour lui faire confier l'adminis-
tration de l'Académie... J'espérois qu'il trai-
teroit avec décence et reconnoissance ceux qui
le feroient vivre... que mettant de justes bornes
au désir du gain, il se feroit un devoir d'en-
courager les talens, surtout ceux qui com-
mencent, par les secours, qui leur sont si né-
cessaires... J'ai gémi souvent de voir que des
sujets, qui avoient le bonheur de vous plaire,
et de vous faire concevoir les plus favorables
augures, en entrant dans la carrière du chant
ou de la danse, dont les pénibles commence-
ments avoient besoin d'être aidés, pour ne point
LA GUIMARD. 131
lutter à la fois contre les difficultés de Fart et
les tourmens du besoin, en sentissent les dures
extrémités, par l'avarice du nouvel entrepre-
neur, qui éludoit de tenir aux uns ce qu'il avoit
promis, qui refusoit insolemment aux autres
de les aider, alors je me suis repentie de mon
ouvrage, j'ai fait des vœux avec mes cama-
rades, pour être délivrée de l'homme, qui
m'avoit si cruellement trompée... Je me suis
flattée qu'en lui faisant des sacrifices, en lui
procurant un gain, sans risques et sans peine
au delà de ses espérances, il préféreroit une re-
traite lucrative et honorable, aux tourmens
d'une gestion orageuse, contrariée par tous les
sujets qu'il a généralement révoltés par ses
manières et ses procédés... Mais il préfère
rester, messieurs, et ce trait seul doit fixer
votre opinion sur son compte, comme il a dé-
cidé la mienne. Quelle àme honnête peut pré-
férer à l'appât, je ne dis pas d'un gain un peu
plus considérable, et hasardé comme le sien,
mais au prix d'une fortune conséquente, une
existence pareille à celle de cet administrateur.
Quel triste métier que celui de fatiguer sans
cesse les supérieurs par des plaintes, d'attrister
leur indulgence, en sollicitant des châtiments,
de -compromettre leur équité, en les faisant in-
132 LA GUIMARD.
fliger injustement, de ne voir que des gens
mécontents, de vivre au milieu des murmures
et des mépris! L'imprudent ne sent point qu'il
perdra bientôt le peu de crédit et de faveur
qu'il a usurpé sur le public; il est impossible
que cette mésintelligence, cette haine insur-
montable entre l'administrateur et les premiers
talens dont il a besoin, pour continuer de vous
plaire, ne nuise pas à la machine... Alors,
messieurs, vos plaisirs seront compromis, et
victimes, à votre tour, de son avidité et de son
obstination, vous lui saurez mauvais gré de ne
pas vous avoir épargné ces désagréments, en
suivant la route que sa délicatesse devoit lui
prescrire... Je ne puis me défendre, messieurs,
d'un mouvement d'indignation, quand je songe
que tous les premiers sujets, que vous avez
traités jusqu'ici avec tant de distinction et de
bonté, sont à la veille de perdre une faveur
aussi précieuse pour eux que la vôtre, par les
menées, les vengeances d'un homme, que j'ai
emmené là, pour notre ruine, et que moi-
même, qui me suis fait une si douce habitude
de vos suffrages, qui me flattois d'être estimée
et désirée par vous, qui sur la foi de vos ap-
plaudissements, pcnsois que l'heure de la re-
traite n'étoit point encore sonnée pour moi...
LA GUIMARD. 133
je serois forcée de m'en aller... car je ne puis
séparer ma cause de celle de mes camarades...
et ils ne peuvent se résoudre à servir sous lui...
Dites, messieurs, m'en irai-je pour M. de Vis-
mes? Le préférez-vous à moi... à cette Creuse,
qui a eu le bonheur de vous voir les rivaux de
Jason ; à cette petite Chercheuse d'esprit, à qui
vous vouliez tous en vendre... Je ne viendrai
plus à la fête des jeux et des plaisirs, enchaîner
par des liens de fleurs, les héros trop sévères,
et leur peindre les charmes de l'Amour...
L'ombre heureuse des Champs-Elysées s'éva-
nouira à vos yeux... mais semblable à Eury-
dice, entraînée par une force irrésistible, arra-
chée de votre présence, elle tendra les bras
vers vous, et ses derniers regards peindront sa
douleur et ses regrets. »
Là, la brochure représente la Guimard, un
sourire enchanteur aux lèvres, et avec des
mains suppliantes dirigées vers ses juges, qui
séduits par les grâces de son attitude, courbés
vers elle, et les bras tendus comme pour la
retenir, s'écrient en chœur : « Non... non...
restez... restez », cela pendant que le président
ému, lui dit : « Nous préserve le Ciel, Made-
moiselle, d'une perte que j'oserai appeler irré-
parable... Mais vous n'ignorez pas que M. de
12
134 LA GUIMARD.
Vismes n'est plus que directeur, que les abus
d'autorité, s'il étoit tenté d'en commettre, sont
prévenus par celle de la ville qui reprend l'en-
treprise de ce spectacle. »
— Il n'y a ni pacte ni paix à faire avec le
méchant, reprenait Mlle Guimard, et nous ne
sommes pas même persuadés que l'entreprise
du spectacle de l'Académie Royale soit vérita-
blement reprise par la ville; nous craignons,
et M. de Yismes lui-même n'a pas peu contri-
bué par ses discours à fortifier cette opinion,
que les surprises qu'il a su faire à la religion
des premières personnes, n'aient engagé à lui
donner cette égide, pour le mettre à couvert de
notre ressentiment et des effets fâcheux, qui
pourroient résulter du peu de considération
qu'il a su se procurer. Nous pensons qu'il est
toujours l'administrateur, le directeur, le chef,
le despote de cette machine : que s'il est réelle-
ment le directeur de la ville, il n'en sera que
plus redoutable, parce qu'il cherchera à asso-
cier à ses vengeances ses commettants, qu'il
donnera une espèce de sanction à ses tyrannies,
en les présentant comme des ordres émanés
d'une autorité respectable, que placé entre la
ville et nous, il interceptera nos plaintes...
aigrira, aliénera les chefs... Irons-nous à chaque
LA GUIMARD. 135
instant les fatiguer de nos griefs? Pourrons-
nous donner tort à leur homme de confiance,
sans compromettre encore tout le bon ordre et
fomenter les divisions?
« D'un autre côté, le déni de justice n'ai-
grira-t-il pas davantage les esprits?... Il faudra
donc les secousses de l'autorité, les actes de
sévérité!... Souvenez-vous donc, messieurs,
que nous offrons de l'or, à M. de Vismes, qu'il
fait un marché excellent; de quelle impor-
tance est-il donc pour le bien public, pour le
bon ordre, qu'il soit conservé dans ce poste?
Souffrez que je revienne encore, messieurs, au
projet de nous confier notre propre adminis-
tration... On vous a suffisamment prouvé qu'il
étoit juste de nous accorder un essai, dont nous
avons prévu et paré tous les inconvénients...
Je me fais une idée charmante, en pensant que
la générosité et la bienfaisance seront substi-
tuées à l'avarice et à la dureté : les premiers
sujets se feroient un devoir et un plaisir d'en-
courager, de secourir les jeunes talens. Croyez,
messieurs, que les actes de délicatesse et de
désintéressement ne nous sont pas étrangers.
J'ose rappeler le zèle, avec lequel les sujets de
l'Académie ont cherché à manifester leur res-
pect pour une souveraine adorée, et leur joie
136 LA OUIMARD.
pour un événement heureux, en se modelant
sur les actes de bienfaisance, qui avoient servi
d'interprète à l'allégresse publique, par un
projet qui, quoique resté en partie sans exé-
cution, n'a pas moins été honoré de l'appro-
bation du public. Soyez donc, messieurs, nos
défenseurs, nos libérateurs... et que les pre-
miers sujets doivent à votre justice et à vos
bontés, la restauration de la liberté d'une Aca-
démie royale, qui, par son essence même,
n'auroit jamais dû connaître de tyran. »
Sur une interruption dun des messieurs du
foyer de l'Opéra, qui lui demandait, si on pou-
vait espérer qu'une république, telle que celle
de l'Opéra, administrée par ses premiers sujets,
puisse subsister, sans des guerres intestines,
Guimard répondait :
« Vous ne me refuserez pas, messieurs, de
convenir, que cette république, composée de
membres si prompts, si faciles à se désunir, à
ce qu'on dit, s'est comportée avec assez d'har-
monie et d'ensemble, en cette circonstance :
cela pourroit donner au moins quelques pré-
somptions en notre faveur. Mais ces dangers
même ont été prévenus et prévus, comme j'ai
eu l'honneur de vous le dire ; nous avons éga-
lement songé dans notre plan d'appeler pour
LA GUIMARD. 137
nous seconder des personnes, dont le zèle, l'in-
tégrité, l'intelligence nous étoient connus, qui
avoient fait leurs preuves, à qui cette admi-
nistration étoit familière. M. le Breton, connu
et estimé de la ville, sous les ordres de laquelle,
il a longtemps conduit cette machine, à la sa-
tisfaction de tout le monde. M. de Lassalle,
dont l'honnêteté et les talens sont également
reconnus et prouvés par dix ans de services...
Messieurs, je sais bien que M. de Vismes, crai-
gnant des concurrents, a cherché à les noircir
dans l'esprit de leurs protecteurs, mais le
triomphe de la calomnie n'est pas de durée,
et la vérité perce tôt ou tard. Je n'abuserai pas
plus longtemps de votre complaisance, j'en ai
dit assez pour des juges éclairés et impar-
tiaux, j'en ai dit trop pour des juges préve-
nus. »
Puis la brochure se termine par un arrêt, dé-
cidant que le sieur de Vismes devait, en hon-
neur et conscience, solliciter sa démission de
directeur de l'Académie Royale de Danse et de
Musique.
Fait, arrêté, jugé et prononcé au café du Ca-
veau, le 4 9 mars 1779. Signé : Le président et
conseillers du conseil des Plaisirs : Gobemoka,
Bahis, Tripleau frères, les chevaliers députés
12.
138 LA GUIMARD.
de l'arbre de Cracovie, Rondon, Grasset, dépu-
tés du café de Foy, Miron, Tour dis, députés de la
boutique de Mademoiselle Crosnier.
DE PAR MESSEIGNEURS
Duval
Lecteur, greffier et buvetier.
XXXYI
La dotation de cent jeunes filles par la ville
de Paris, lors de Y ouverture du ventre de Marie-
Antoinette, avait donné l'idée à l'Académie
Royale de Musique, de doter la première fille
pauvre à marier, qui leur serait indiquée par la
ville : la Danse et le Chant souscrivant pour
trente louis, destinés à faire les frais de la noce,
et du banquet commandé au Wauxhall d'hiver.
Et dans l'annonce, qui en était faite dans le
Journal de Paris, l'on s'étendait sur la curiosité
de cette fête, où les nouveaux époux et leurs
familles seraient servis « par les talents et les
arts agréables » et l'on annonçait qu'une sous-
cription était ouverte chez le sieur Rouen, no-
taire, où les amateurs «trouveraient un billet
contre le dépôt d'un louis : la somme provenant
de cette souscription devant être consacrée à la
première nourriture de l'enfant des deux époux.
140 LA GUIMARD.
La dot était déposée chez Mlle Guimard,
nommée trésorière de l'œuvre.
Mais voici que la fête imaginée par les cory-
phées de la danse et du chant, pour l'heureux
accouchement de la Reine, et qui devait avoir
lieu au Wauxhall d'hiver, était empêchée en
vertu d'ordres supérieurs, par la raison pitoya-
ble, disent les Mémoires secrets, que cette fête
semblait parodier la cour.
Sur cette défense, M1Ie Guimard faisait trans-
porter la fête chez elle, le second mercredi du
mois de février 1779, et la fête était toute pleine
d'incidents malheureux. L'orchestre de l'Opéra,
humilié de n'avoir pas été appelé à la bonne
œuvre, et considérant cette exclusion comme
injurieuse, refusait de jouer, en sorte que la
Guimard était obligée de s'adresser à de vul-
gaires ménétriers. Puis au milieu du repas, on
venait signifier une lettre de cachet aux sieurs
Dauberval et Vestris, pour se rendre au For-
l'Evêque : punition amenée par leur révolte
contre de Vismes, et leur refus de danser dans
le ballet d'ARMiDE,le mardi précédent.
Gaétan Yestris, qui était présent à cette exé-
cution d'assez mauvais goût, eut des adieux
avec son fils, grandement comiques.
1. Mémoires secrets, vol. XIII.
LA GUIMARD. 141
« Allez, Auguste, — lui dit-il, après l'avoir
tendrement embrassé, — allez en prison.
Voilà le plus beau jour de votre vie... Prenez
mon carrosse, et demandez la chambre de mon
ami, le roi de Pologne... Faites grande et noble
chère, je payerai tout1. »
1 . L'Académie Impériale de Musique, par Castil-Elaze.
XXXVII
Dans cette année 1779, il était fait un buste
de Mlle Guimard, qui nous donne le portrait de
l'illustre danseuse, à l'âge de trente-cinq ans,
en la réalité de sa ressemblance : un buste en
marbre, signé : Merchi, F., 1779 \
M1Ie Guimard a un front bombé, des yeux
grandement fendus, dont les coins sont un rien
retroussés, un petit nez à la courbure aquiline,
aux narines du plus délicat dessin, et large-
ment respirantes, une bouche aux lèvres
minces, minces, mais avec le gracieux et res-
sautant contour d'un arc, un menton charnu
terminé par un méplat sensuel. C'est un visage
ciselé, dont la finesse de l'arête du profil ne se
voit tout à fait bien que dans la glace, où il est
reflété par derrière; c'est une toute mignonne
figure, à l'ovale un peu court, et que fait pa-
1. Ce charmant buste est la propriété de M. Perrin.
LA GUIMARD. 143
raître encore plus ramassé, l'échafaudage de
ses cheveux relevés, où, de tout en haut, des-
cend sur l'épaule gauche, un brin de lierre qui,
passant sous la chlamyde, vient mourir sur le
plissé de la chemise, y étalant ses baies et ses
feuilles.
Sous la tête, se dessine un petit corps maigre,
aux épaules abattues, à l'attache voluptueuse
du sein, avec son petit pli triangulaire sous l'ais-
selle, et avec encore un peu de cette gorge, que
l'agent de police Marais, vantait comme la plus
jolie gorge du monde, alors que la Guimard
n'avait que quatorze ans.
Ce buste, disons-le, en sa joliesse sèchement
nerveuse, et avec ce qu'il y a dans le retroussis
des yeux, dans le serpentement pervers de la
bouche, semble le buste du Vice — du vice élé-
gant, distingué, aristocratique.
Et le vrai chantre du charme de la femme,
et celui qui dira le mieux l'effet que le genre de
sa beauté produisait, sera son mari, dans la
chanson : Ce qu'il ne faut pas dire, dédiée à
Madeleine G***.
Du bas en haut, du haut en bas,
Madeleine est charmante;
Ses jolis pieds, ses jolis bras,
En elle tout enchante.
144 LA GUIMARD.
Voyez ses yeux voluptueux,
Et son charmant sourire.
L'ensemble est parfait...
Et son regard fait
Ce qu'il ne faut pas dire.
Voyez-la jusqu'au bout des doigts.
C'est une miniature.
Jolis contours, piquant minois,
Séduisante tournure.
Quels mouvements,
Pleins d'agréments!
A chacun elle inspire
Un désir ardent:
Malgré soi l'on sent...
Ce qu'il ne faut pas dire.
Voyez-la chercher de l'esprit,
Voyez-la, dans Ninette,
Comme Lubin, chacun se dit:
Oh! la charmante Annette!
Pour son talent,
Son jeu brillant,
Tout le monde l'admire,
Et pense aussitôt
A chose qu'il faut...
Oui, qu'il ne faut pas dire.
Merchi, l'auteur du buste de l'illustre dan-
seuse, ce sculpteur tombé dans l'oubli, semble
avoir été, en ces années, le sculpteur attitré
des grandes impures. Métra, qui va le visiter,
en avril 1781, déclare qu'il a trouvé, dans son
LA GUIMARD. 145
atelier, la galerie des plus jolies coquines de
cette fin de siècle '. Il s'écrie douloureusement :
« N'appartient-il donc qu'au vice d'encourager
les arts? » s'indignant de ne pas trouver dans
cet atelier, une seule statue lui montrant la re-
présentation d'une femme vertueuse, et il sort,
se répétant les vers, faits sur le buste de MUe Ar-
nould, en 1775 :
Et je veux...
Que ce buste en cent lieux figurant,
Puisse pour quatre sous, hors de la plâtrière,
Passant chez nos neveux, du marquis au bourgeois,
Orner en même temps le Musœum des rois,
Et le portail de la Salpêtrière.
Or donc, à deux ans de date du modelage du
buste de MUe Guimard, le sculpteur Merchi, qui
avait fait aussi les bustes des danseuses Théo-
dore, Heinel, Allard et Peslin, avait l'idée pour
la décoration des boudoirs, des réduits galants
de Paris, d'ouvrir une souscription, offrant au
1. Correspondance secrète, vol. XI. — Dans le volume XX,
à la date du 12 février 1892, on lit : « Les amateurs des arts et
des spectacles s'empressent de se pourvoir d'une collection
précieuse de bustes, que vient de mettre en vente, le sieur
Merchi, sculpteur. Ils sont au nombre de quinze, et représentent
MM. Piccini, Sacchini, Legros, Laine, M11** Beaumesnil,
Girardin cadette, Guimard, Heynel, Théodore, Allard,
Peslin, MM. Vestris père, Nivelon, Carlin, Mme Todi.
13
146 LA GUIMARD.
public des statuettes en talc, soigneusement
réparées, sur huit pouces de hauteur, des cinq
danseuses : M1Ie Gaimard esquissée en Terpsi-
chore, Mlle Heinel en nymphe, Mlle Théodore en
bergère, Mlles Allard et Peslin en bacchantes1.
1. Mémoires secrets, vol. XX. — Pour ces statuettes offertes
« à bon marché » aux amateurs de ballets, mais dont je n'ai
jamais rencontré un exemplaire, un amateur fabriquait les
quatrains suivants :
Grâce, maintien, taille légère,
Tout ici charme le regard ;
Est-ce une nympho, une bergère?
Non : c'est Tcrpsichoro ou Guimard.
Dans Heinel, on aime, on admire
Et les grâces et la beauté :
De Vénus, elle a le sourire,
Et de Junon la majesté.
Qui plaît plus dans Théodore?
Fraîcheur, esprit, grâce, talent?
C'est mon secret qu'on ignore;
Mais pour charmer, elle en a cent
Quelques Bacchantes par leurs armes
Subjuguèrent l'Inde autrefois;
Par ses talents et par ses charmes
Allard tient Paris sous ses lois.
De la gai té, de la folie,
Combien Peslin tient de pouvoir?
Qui la voit jamais ne l'oublie,
Qui s'en souvient, veut la revoir.
XXXVIII
Le goût de la Guimard dans ses toilettes de
ville, goût que consultait Marie- Antoinette, ainsi
que nous l'apprend la Requête des demoiselles de
Paris à M. de Breteuil, en faisait une personne
très difficile pour ses toilettes de théâtre. On ne
lui faisait pas accepter le premier costume venu
sous le crayon du dessinateur, et coupé par le
tailleur, dans des étoffes économiques, choisies
par le directeur. Elle voulait du recherché, du
distingué dans le riche, et consentait à porter
seulement des travestissements, qui conten-
taient la femme, se mettant bien à la ville. Car, la
Guimard baptisait les modes, et en 1771, les élé-
gantes de Paris avaient toutes adopté la robe à
la Guimard. On appelait ainsi une robe retrous-
sée sur un jupon d'une autre couleur, et agrémen-
tée de pompons et de guirlandes : imitation du
costume porté par MUe Guimard, dans le ballet
148 LA GUIMARD.
de Jason et Médée. Et le public savait si bien,
qu'elle avait voix consultative aux imaginations
de Bocquet, et aux coupes du tailleur Delaistre,
que dans le brouhaha de la première représen-
tation de la Fête de Mirza, au lieu de demander
Fauteur, il demandait à grands cris : Le tailleur !
le tailleur! se doutant bien que dans ce salmi-
gondis, le charme et l'élégance, tout jà [fait re-
marquables des costumes, étaient dus à la col-
laboration de celle, que Métra appelle : la déesse
du goût ' .
Mais ce goût de la danseuse coûtait gros à
l'Académie Royale de Musique. L'on se rappelle
la phrase du paragraphe qui lui est consacré,
dans le « Tableau des Premiers sujets de la
danse » de l'Opéra en 1783 : — Elle est d'une
dépense énorme pour l'Opéra. Et, plus tard,
lorsqu'en 1791, la République se préoccupait,
dans un livre, de la réorganisation des théâ-
tres, une note de ce livre apprenait, qu'en l'an-
née 1779, MUe Guimard seule, avait coûté en
habits, 30 000 livres2.
Et encore la dépense personnelle de la pre-
mière danseuse de l'Opéra, n'était pas ce qu'il
y a de plus ruineux pour l'Opéra, mais elle le
1. Correspondance secrète, vol. IL
2. De l'organisation des spectacles de Paris, 1791.
LA GUIMARD. 149
devenait, parce que les autres danseuses, à
l'exemple de MUo Guimard, exigeaient des habits
et des renouvellements fort chers. Et quand le
directeur s'y refusait, il arrivait ce qui arriva
un jour à MUe Cécile, ne trouvant pas son cos-
tume aussi galant que celui de Mlle Guimard :
elle refusa de danser, et se fit envoyer au For-
l'Évêque1.
Puis, il y avait quelque chose de plus grave
dans ces relations journalières de la Guimard
avec les tailleurs, et dans les complaisances
qu'elle trouvait naturellement chez eux, ces re-
lations assuraient aux tailleurs une protection,
passionnée, aveugle, et prête à entrer à leur su-
jet, en conflit avec la direction. C'est ainsi qu'à
la fin du mois d'avril 1781, Guimard et Heinel
prennent parti, pour le vieux Delaistre, « entre-
tiennent l'humeur du personnage », l'encoura-
gent dans ses prétentions, le confirment dans
l'idée qu'il n'est pas assez récompensé par une
pension de 1 000 livres, et son fils pas assez ré-
munéré par un traitement de 1 200 livres, l'en-
couragent dans le cas, où l'on n'accéderait pas à
ces exigences, à quitter l'Opéra, contrairement
à l'opinion du sage et raisonnable Bocquet2, et
1. Académie Impériale de musique, par Castil-Blaze, vol. I.
2. Registres des Menus-Plaisirs, vol. I. Archives de l'Opéra.
13.
150 LA GUIMARD.
passant par-dessus la tête de M. de la Ferté, ces
demoiselles demandent une audience au minis-
tre, pour faire valoir les droits de leur protégé.
A quelques jours de là, le 10 mai, devant
l'esprit insurrectionnel qui s'est emparé de
toutes les danseuses, excitées par la Guimard,
ce pauvre M. de la Ferté adresse au ministre ce
bout de lettre éplorée :
« ... L'affaire du sieur Delaistre devient,
de moment en moment, plus embarrassante.
Toutes ces femmes se sont réunies hier pour
solliciter pour lui et son fils, et contre l'admis-
sion du nommé Sanctus, comme maître tail-
leur1. »
1. Un mémoire de Dauvergne très hostile à la Guimard,
que nous donnons plus loin, est un vrai réquisitoire contre les
Delaistre père et fils.
Il commence par accuser Dauberval, 'qui est extrêmement
ami avec Delaistre père, de faire l'impossible pour conserver
la direction des magasins, et de s'être arrangé avec un mar-
chand, auquel il fait avoir une commission illimitée de fournis-
seur de l'Opéra, et qui a déjà fourni 36 000 livres de marchan-
dises, dont la moitié ne pourra jamais servir à cause de leur
qualité ou de leurs couleurs baroques. Alors on est obligé
d'en chercher d'autres, sous le prétexte qu'elles no conviennent
pas aux sujets. Et Delaistre les achète, et en est quitte, pour
dire, que c'est par l'ordre de Mlle Guimard qu'il les a achetées.
Et Dauvergne accuse Delaistre, avec la complicité de Dau-
berval, de faire des habits pour des particuliers, en se servant
des 10 000 ou 15 000 livres d'étoffes de marchandises qu'il a sous
la main, en se contentant de dire qu'on les remplacera.
XXXIX
C'est amusant de rechercher les toilettes théâ-
trales de la Guimard, ces costumes faits d'air
tramé et de paillettes et de fanfreluches, à la
résistance d'une bulle de savon, ces costumes
éphémères que, certes, les contemporains ne
croyaient pas devoir survivre à l'Opéra qui leur
avait donné naissance ; c'est amusant de les re-
chercher clans ces recueils de centaines de des-
sins de Bocquet 1 qui sont à la bibliothèque de
1. Lire ce que j'ai déjà écrit sur ces dessins, dans Sophie
Arnould et dans la Maison d'un artiste. Dauvergne dit dans
son rapport sur l'Opéra en 1788 : « Ce Bocquet, dessinateur
des habits, honnête homme qui fait bien sa place. » Bocquet
n'est pas qu'un dessinateur d'habits d'opéras. Dans des dessins
au bistre, qui pourraient être pris pour des bistres d'Eisen ;
il est un artistique imaginateur d'objets mobiliers. C'est ainsi
que nous trouvons, en le Recueil du cabinet des Estampes, de
charmants projets d'un dessus de porte, d'un canapé, et d'un
sopha de boudoir, et d'un panneau de berbne, exécutés pour le
duc d'Aumont.
152 LA GUIMARD.
l'Opéra, au cabinet des Estampes, dans ma col-
lection, et où il nous est donné de retrouver en
ces craquetons à la plume, noyés dans le nuage,
d'une eau à peine colorée, le costume du pre-
mier sujet du chant ou de la danse, dans tel opé-
ra, dans tel ballet, un peu à la façon dont
on retrouve dans une tombe du passé, de vieilles
étoffes aux couleurs évanouies.
Oh ! les galantes et naïves images vous révé-
lant si bien, comment le dix-huitième siècle tra-
traduisait les Temps fabuleux, l'Antiquité, les
Terres des Pôles et de l'Equateur, et l'Olympe,
et les Champs-Elysées et le Tartare. et tout le
peuple fictif des allégories morales, avec des
cuirasses en moiré d'acier; avec des draperies
écaillées de serpents; avec des mantes tigrées;
avec des soubrevestes de peaux de léopard;
avec des dolmans, bordés de réseaux frisés;
avec des habits, au fond couleur de giroflée ; avec
des nuages de gaze d'Italie, à la garniture de
plumes de paon; avec des barrières de feuilles
de roseaux, de coquillages, de coraux; avec des
guirlandes de coquelicots, de barbeaux et de
fleurs de bled; et avec des jupes et des culottes
couleur de chair brûlée ou couleur de chair
morte, pour les divinités infernales et les génies
malfaisants.
LA GUIMARD. 153
Mais, voici dam- les recueils de l'Opéra, un
croqueton à la plume de la Guimard, autour
duquel il y a écrit, de la main de Bocquet :
Fontainebleau, 1765.
Sylvie.
Les grâces.
Mlu Guimard, toute blanche.
Mlle Petit o t.
Mlle Gaudot.
Pour le seul opéra de Thésée, existent trois cro-
quis à la plume des costumes de MUe Guimard.
On lit sur le premier :
Thésée, 4e acte, Bergère.
Reprise 1765.
Mlle Guimard. Pas de deux avec M. Gardel.
Fond blanc. Draperie blanche. Nœuds découpés.
Bordé de chenille rose. Fleurs de toute couleur.
On lit sur le second :
Fontainebleau, 1765.
Thésée.
Prêtresse.
Pas seul.
Mlle Guimard.
Tout blanc, argent, perles et pierreries.
154 LA GUIMARD.
On lit sur le troisième :
Fontainebleau, 1765.
Thésée.
Peuple, 5" acte.
Mlk ' Guimard tout blanc et argent. Corps glacé
d'argent. Petite mante de gaze. Jupe blanche or-
née de gaze et de nœuds argent.
Il est encore, dans les recueils de la biblio-
thèque de l'Opéra, un croquis à la plume de
M1Ie Guimard, en son costume de l'Opéra de
Zélindor, avec cette indication toujours de la
main de Bocquet :
Zélindor, 1773.
Nymphe toute claire. Gaze rose et beaucoup
de verdure.
Enfin l'Opéra possède deux charmants des-
sins à la plume rehaussés d'aquarelle, de la dan-
seuse, dans les opéras des Fêtes lyriques et du
Carnaval du Parnasse.
Le premier, légèrement lavé de rose, porte en
haut et en bas de l'aquarellage :
Festes lyriques,
Aoust 1166.
Mlh Guimard. Plaisir.
LA GUIMARD. 155
Fond rose orné d'argent et de fleurs de toute
couleur. Jupe tamponnée de gaze.
L'autre dessin, légèrement lavé d'une couleur
comme mordorée, à la jupe de dessous et au col-
lier de ruban, porte :
Le Carnaval du Parnasse,
Juin 1767.
Mlle Guimard. Pas de deux.
Dans ma collection de dessins de Bocquet, se
trouvent sept dessins de costumes de la Gui-
mard, avec le nom de la danseuse, sous le des-
sin de la main de Bocquet.
Le premier, lavé d'aquarelle, représente
Mllc Guimard, dans le rôle d'Ariane, de l'opéra
d'Azoj.AN (1774). Le second également lavé de
couleur, dans les Caractères de la Folie, où elle
dansait un pas de deux; le troisième, rapide-
ment jeté à la plume, dans son costume & Éthio-
pienne de l'opéra de Persée, avec au bas cette
note de Bocquet: Tout argent; le quatrième aussi
croqué à lai plume, dans l'opéra d'ÉNÉE et La-
vinie, avec cette indication au bas : Jeux et plai-
sirs, pas de deux. Mlle Guimard. Blanc argent,
guirlandes de roses, jupe tamponnée. Corps, dra-
peries d'argent, manches de satin blanc. Dans un
cinquième croquis à la plume, nous avons
156 LA GUIMARD.
M"e Guimard, en guerrière, dans l'opéra de Tan-
crêde, où elle est ainsi vêtue : Une cuirasse moi-
rée d'acier, ornée d argent, le haut du corps et
le dolman d'argent, bordé et doublé de bleu.
La jupe jaune couverte de gaze avec des festons
au bas attachés, formant des espèces de bran-
debourgs. Amadis jaune. Dans un sixième cro-
quis à la plume, c'est dans le rôle de Creuse,
de l'opéra d'IsMENiAs, avec au bas cette descrip-
tion du costume : Fond de taffetas blanc, la jupe
couverte en gaze d'argent. La seconde jupe très
claire, retroussée avec des nœuds de diamants
La mante des deux épaules de satin blanc, et pa-
raissant former la draperie, imprimée à fleurs
d'argent avec quelques paillettes parsemées et
bordée de franges légères. Beaucoup de pierreries
sur la gorge, des glands pendant des épaules qui
portent la mante. Enfin dans un septième cro-
quis à la plume, lavé d'encre de Chine, — c'est
dans l'opéra de Sylvie, représenté à Fontaine-
bleau, en 1765, — Mlle Guimard tenant une lance
en main avec au bas du dessin, cette indication :
Sylvie, Mlle Guimard l Nymphe de Diane : fond
blanc, draperie tigrée. Petite mante de gaze par-
courant sur la jupe. Nœuds de satin tigré! Guir-
1. Le nom de M"e Guimard a été substitué au nom de MmeVes-
tris, qui a été rayé.
LA GUIMARD. 157
landes de verdure. La draperie doublée chair,
manches courtes, chaussure blanche. Guirlande
de verdure pour coêffer. Trois rosettes tigrées.
De ces croquis de costumes de Bocquet, de
ces premières idées, jetées au courant de la
plume, et balayées du lavage de colorations ra-
pides, il est, dans un format plus grand, des
répétitions de seconde main, aux contours lour-
dement arrêtés, au coloris de l'imagerie, aux
deux violentes taches de rouge sur les joues :
des répétitions, dont je connais pour quelques
costumes, 2, 3, 4, 5 exemplaires, des répétitions
destinées sans doute au costumier, au tailleur,
au coiffeur, etc. De ces grossières traductions
des dessins de premier coup, du dessina-
teur d'habits de l'Académie lyrique, il existe
deux volumes à la Bibliothèque de l'Opéra, où
nous trouvons dans le rôle d'Issé, du ballet de
Sylvie, Mlle Guimard représentée dans un cos-
tume, traversé de guirlandes de violettes, rele_
vées de nœuds jaunes ; et nous trouvons encore
dans un autre opéra, non désigné, MUe Guimard,
habillée d'une robe de dessus jaune, tigrée sur
un fond blanc, enfin dans le rôle d'un Génie Élé-
mentaire, de l'opéra de Zémire.et Almasis, dan-
sant un pas de deux, sous une robe toute blan-
che, traversée de guirlandes de mille couleurs.
14
158 LA GUIMARD.
Dans tous ces costumes de l'Opéra, dessinés
par Bocquet, réalisés par Delaistre père et fils,
et sur lesquels on connaît l'influence despotique
du goût de Mlle Guimard, il n'y a ni l'ambition
de rénovation, ni l'amour de la couleur locale,
apportés parla Clairon à la Comédie-Française,
apportés mémo à l'Opéra par la chanteuse
Saint-Huberty. Il y a seulement une remarque
à faire sur les costumes deMIle Guimard : c'est
que dans ce temple du clinquant et de l'oripeau
voyant, il est chez la grande danseuse un goût
de simplicité, une recherche de la luminosité
claire, une prédilection pour le blanc, qu'indi-
que la répétition des mêmes notules au bas des
costumes de Mlie Guimard : Toute blanche... en
blanc glacé d'argent... toute claire.
La danse, il faut le dire, ne peut avoir les
exigences historiques de la tragédie ou du
drame. La danseuse, quel que soit ce qu'elle
danse : une nymphe, une guerrière, une bergère,
un plaisir, — est toujours un être gracieusement
chimérique, que le spectateur s'imagine volon-
tiers se mpuvoir et tourbillonner dans des mi-
lieux fantaisistes et pas du tout réels .
Puis songe-t-on à ce qu'était l'Opéra pour la
révolution de la réalité et de la vérité, ce théâtre
qui au milieu du dix-huitième siècle, avait en-
LA GUIMARD. 159
core toutes les peines à abandonner les masques,
oui, les masques de Faunes d'un brun noirâtre,
les masques des Démons, couleur feu et argent,
les masques des Tritons, couleur vert et argent :
ce théâtre, où les Vents dansaient en habits de
plumes, des soufflets à la main, des moulins sur
la tête; ce théâtre, où on dansait le Monde, avec
une coiffure représentant le mont Olympe, avec
un vêtement figurant une carte de géogra-
phie, où l'on avait Gallia sur le cœur, Germa-
nia sur le ventre, et Terra Australis incognito,
sur une partie moins noble; ce théâtre, où on
caractérisait la Musique par un habit rayé, à
plusieurs portées, chargé de croches et de dou-
bles croches, et par une coiffure faite avec les
clefs de G-ré-sol, de C -sol-ut et F-ut-fa; ce théâ-
tre, où le Désespoir était dansé par Dauberval,
dans l'Opéra deZoROASTRE, en culotte, en bas et
souliers rouges, et le Mensonge, avec une jambe
de bois, un habillement couvert de masques, et
une lanterne sourde dans la main du danseur.
Enfin l'Opéra, c'est le théâtre, où Noverre,
faisant représenter en 1777, — oui en 1777, —
le ballet des Horaces, ne pouvait obtenir par ses
supplications, que les Horaces et les Curiaces
missent des casques. Horaces et Curiaces s'obs-
tinaient à apparaître au public, coiffés de cinq
160 LA GU1MARD.
boucles de cheveux de chaque côté, poudrées à
blanc, et surmontées d'un toupet très exhaussé,
qu'ils proclamaient le toupet à la grecque1.
1. Lettres sur les arts imitateurs, par Noverre, Paris, 1807}
vol. I. Noverre affirme qu'il a cherché, autant que c'était pos-
sible à l'Opéra, à remédier aux défauts qui régnaient dans cette
partie si esssentiellc à l'illusion.
XL
JVllle Guimard, on se le rappelle, avait eu, en
1763, une fille de M. de La Borde, que le père
avait légitimée en 1770.
Cette Marie-Madeleine Guimard avait à peine
quinze ans révolus, que sa mère songeait à la
marier à Claude Drais, orfèvre-bijoutier, établi
sur le quai des Orfèvres.
Et le 4 mai 1778, contrat était passé devant
Chavet, notaire à Paris, entre Robert-Arnould-
Claude Drais et Marie-Madeleine Guimard, fille
légitimée, ayant la faculté de recueillir toutes
successions, donations, legs et autres avantages
qui pourraient lui être faits, à l'exception uni-
quement de la succession dudit sieur La Borde.
Et l'agrément donné par le père et la mère à
ce mariage ; voici les avantages que faisait
Mlle Guimard à sa fille, en l'article IV de ce
contrat de mariage :
162 LA GUIMARD.
« En faveur et considération dudit mariage,
la dite demoiselle Guimard mère a par les pré-
sentes, donné et constitué en dot, en avance-
ment d'hoirie de la succession future, à la dite
demoiselle, future épouse sa fille et au dit sieur
futur époux, en cas de prédécès par la dite
future épouse sans enfants ou de décès des dits
enfants sans postérité, la somme de cent vingt-
cinq mille livres, savoir : cent mille livres en
deniers comptants , que la dite demoiselle Gui-
mard s'engage à payer en écus de six livres ,
pièces et monnaies ayant cours, aux dits sieur
et demoiselle futurs époux, dans le terme et.
espace de deux années, à compter de ce jour-
d'hui, et vingt-cinq mille livres, composées d'un
trousseau, de meubles meublants, diamants,
bijoux, et habits, linge, hardes et dentelles, à
l'usage de la dite demoiselle future épouse, des-
quels meubles meublants, diamants, bijoux et
habits, linge, hardes et dentelles, le dit sieur
futur époux reconnaît être en possession, et
s'en charge envers la dite demoiselle future
épouse.
« Plus aussi en faveur et en considération du
dit mariage, la demoiselle Guimard mère, fait
et institue par ces présentes pour héritiers
généraux et universels en tous et chacuns, les
LA GUIMARD. 163
biens meubles et immeubles réels et fictifs qui
se trouveront lui appartenir au jour de son dé-
cès, ladite demoiselle future épouse, sa fille,
et le dit futur époux en cas de prédécès par la
dite future épouse sans enfants, et de décès
desdits enfants sans enfants, sous la réserve
expresse, que fait la dite demoiselle Guimard
mère d'une somme de cent cinquante mille
livres, dont la dite demoiselle Guimard mère
pourra disposer en faveur de qui bon lui sem-
blera, par testament, donation, legs ou autre-
ment mais le tout ou partie de la dite somme
de cent cinquante mille livres sera compris et
dépendra de la dite institution d'héritiers, dans
le cas où la dite demoiselle Guimard mère dé-
céderait, sans avoir disposé de la dite somme
de cent cinquante mille livres en tout ou en
partie 1 ! »
Triste mariage, que ce mariage, célébré au
mois de mai 1778, et rompu au bout d'un an,
par la mort de la jeune mariée, ainsi que nous
l'apprennent les Mémoires secrets, en annonçant,
1, Extrait du contrat de mariage de Claude Drais, orfèvre-
bijoutier, et de Mlle Marie-Madelaine Guimard, fille naturelle
de Mllc Guimard et de Jean Benjamin de La Borde, fermier gé-
néral (1778, 4 mai). {L'Académie Royale de musique au
XVIII* siècle, par E. Campardon, Berger-Levrault, 1884,
vol. I.)
164 LA GUIMARD.
à la date du 22 novembre, le ballet de Mirza et
Lindor.
«La demoiselle Guimard qui n'avait pas paru
depuis la mort de sa fille, qu'elle a pleurée long-
temps, était trop nécessaire à ce spectacle pour
s'y refuser1. »
1. Mémoires secrets, vol. XIV.
XLI
Donc, en novembre 1779, la Guimard faisait
sa rentrée dans le ballet de Mirza et Lindor, un
ballet ou plutôt une pantomime dansante, où au
second acte, un duel mimé avec les positions,
les attitudes, les voltes d'une passe d'armes,
mettait chez le jeune Yestrallard et Nivelon1,
les grâces d'une chorégraphie spadassine. Le
ballet, où la Guimard se montrait plus actrice
que danseuse, n'avait qu'un très médiocre suc-
cès, et amenait une rupture éclatante entre
Noverre et la Guimard, rendant Noverre respon-
ponsable de la chute du ballet de Gardel.
Et voici, dans un mémoire de Noverre,
adressé à M. de la Ferté, les raisons qui auraient
engagé Mlle Guimard « à devenir malhonnête,
extravagante, et même ridicule » . Noverre dit
1. Mémoires secrets, vol. XIV.
16(i LA Gl'IMARD.
que la chute de Mirza. de cette farce mons-
trueuse, qui n'avait plu, à Paris, qu'à l'abbé
Aubert, et qui n'avait eu d'autre approbation
que celle de Bret (le censeur de la pièce) a mis
M"6 Guimard au désespoir, et compromis son
goût et son esprit, et blessé son amour-propre.
« qui. insinue-t-il peu galamment, augmente
chez les femmes, en proportion de la décadence
de leurs charmes ou de leur talent. Il lui a
fallu une victime, et c'est sur lui qu'est tombé
son dépit. Elle s'est obstinée à croire qu'il avait
seul fomenté le bacchanal du jeudi gras. »
Noverre continue en ces termes : « La mé-
chanceté opère souvent en dehors de ses des-
seins. C'est ce qui est arrivé à la demoiselle
Guimard. Elle ne put déterminer ses camarades
à l'accompagner chez le ministre ; ils savoient
que ce n'étoit pas moi qui avoit composé la
Fête de Mirza, et que sa chute ne pouvoit m'ètre
imputée. Elle monta dans son char, et se pré-
senta à M. Amelot, comme une nouvelle An-
dromaque, qui pleure la défaite d'Hector. Cette
démarche ne put ébranler la justice de ce mi-
nistre. Son goût, et la renommée plus ba-
billarde et plus indiscrète encore que la demoi-
selle Guimard, avoient déjà fixé son opinion, et
il savoit que tout Paris, pour ainsi dire, s'étoit
LA GUIMAIID. 167
réuni pour proscrire un genre de spectacle, qui
dégrade la majesté de l'Opéra, qui éloigne cet
art de ses vrais principes, en le rapprochant des
caricatures du boulevard. »
« J'ajouterai même qu'il détruit l'Opéra et
que depuis que le sieur Gardel s'est emparé du
sceptre de Terpsichore, les fêtes et les ballets
attachés aux poèmes, sont sacrifiés impitoya-
blement à des pantomimes, dans lesquelles on
subtitue à l'exécution brillante, à la bonne grâce
et à l'harmonie des mouvements, des courses
vagues, des gestes insignificatifs, et une expres-
sion si faible et si monotone, qu'on a besoin du
secours du vaudeville pour lui prêter quelque in-
tention. Ce nouveau genre, si l'on peut lui don-
ner ce nom, n'a que l'avantage de pouvoir être
exécuté que par des gens qui ne sauroient
même pas danser, et j'ose avancer, Monsieur,
que tous les efforts d'un maître de ballets, qui
ne tendent pas à la perfection de la danse, sont-
des efforts inutiles, mais encore funestes à
l'Opéra. »
No verre ajoute que malgré la démarche de
Mlle Guimard, il ne peut vraiment se persuader
qu'elle lui attribue la chute de Mirza, mais que
l'animosité de la danseuse contre lui, vient
d'une autre cause, que son amour-propre n'ose
168 LA GUIMARD.
pas avouer. Elle vient cette animosité, de ce
que sur les instigations de la Guimard, instiga-
tions peut-être perfides, il a fait danser à la de-
moiselle Cécile, le rôle NAnnette, et que
quoique la chose ait été arrangée aux répéti-
tions, pour que la jeune danseuse eût tous les
désagréments possibles, il était arrivé que le
public avait trouvé à la nouvelle Annette, une
taille svelte, un visage de quinze ans, une ex-
pression naïve, et qu'elle avait été fort applau-
die. C'est là son crime près de la Guimard, et
peut-être un plus grand encore , c'est d'avoir
composé un ballet, pour les demoiselles Cécile
et Dorlé et de chercher à développer et mettre
en lumière les talents des seconds sujets '.
1. L'Académie royale de musùjue, par Campai-don, vol. II.
XLI1
Ces rivalités, ces jalousies, ces mésintelli-
gences entre tous les sujets du Tripot Lyrique,
ces compétitions haineuses de coryphées mâles
et femelles, coryphées de la danse ou du chant,
ce chronique rebellionnement des cabaleurs et
des mauvaises têtes à l'endroit d'un gouverne-
ment de l'Académie de musique, doublé de
l'ambition occulte de se gouverner eux-mêmes,
enfin la prétention avouée de la Guimard d'être
l'autorité suprême du lieu, d'être la vraie direc-
trice, mettaient ce petit monde en un état com-
plet & anarchie, constaté par la presse du temps.
13
XLIII
De cette anarchie, mieux qu'aucun gazctier,
qu'aucun nouvelliste, le directeur de l'Opéra,
lui-même, fait le tableau en une longue lettre,
qu'il intitule : Lettre en forme de mémoire,
adressé à M. de la Ferté, intendant des Menus,
par Antoine Dauvergne, dans laquelle il expose
la situation de l'Académie Royale de musique,
et les intrigues de quelques sujets du chant et
de la danse.
En cette lettre-mémoire, Antoine Dauvergne
expose que les premiers sujets de l'Opéra ne
veulent plus de directeur, ont l'ambition de se
régir eux-mêmes.
Il raconte qu'ils ont offert 200 000 livres à de
Vismes , pour qu'il se démît en leur faveur , et
quand ils ont vu qu'il s'obstinait dans sa direc-
tion, ils se sont mis à gaspiller, au point de
mettre leurs habits en morceaux devant lui; qu'ils
LA GUIMARD. 171
n'ont accepté le sieur Berton qu'à la condition
qu'il ne serait directeur que de nom, qu'il fe-
rait simplement les fonctions d'un homme d'af-
faires, qu'on le traiterait comme un camarade,
et comme il n'avait pas tenu parole, ils l'avaient
fait mourir de chagrin.
Dauvergne ajoute qu'enfin, après la mort de
Berton. les premiers sujets de l'Opéra conti-
nuaient à ne pas vouloir de directeur, ou s'ils
étaient forcés à en subir un. ils en voulaient un
qui fût absolument à leur dévotion, qui aurait
été, selon son expression, un vain fantôme et
comme il avait été nommé contre leur gré, ils
avaient tout fait pour le dégoûter, et le forcer
à se retirer.
Et Dauvergne fait les portraits des différents
agents de la cabale.
C'est Legros, qui ne lui pardonnera jamais
d'avoir procuré à l'Opéra, deux hautes-contre,
mettant l'Opéra en état de supporter son ab-
sence.
C'est Dauberval qu'il accuse de malversa-
tions dans la direction des magasins, et de con-
nivence dans les détournements avec un frère
de Larrivée.
C'est Larrivée qui crie sur les toits, que Dau-
vergne ne fait pas sa place comme il faut, qu'il
172 LA GUIMARD.
n'entend rien à son métier, vomissant, dans ses
fureurs bachiques, un tas d'injures contre tout
le monde. C'est encore Larrivée qu'il nous
montre, le jour de la mort de Durancy, disant
férocement : « Elle est morte, tant mieux, elle
nous coûtait plus d'argent qu'elle ne valait! »
C'est ce Larrivée, qui se fait bâtir une maison
de campagne, lui ayant coûté plus de 36 000 li-
vres, qui a une femme portant sur elle de 10 à
12 000 livres de diamants, et dont la table de
ménage coûte par mois, 1 200 livres : Larrivée,
tout perdu de dettes, et qui a besoin de devenir
directeur de l'Opéra, conjointement avec La
Salle, et par sa complaisance.
Au fond, c'est La Salle qui est la vraie bête
noire de Dauvergne, La Salle qui ne s'est pas
caché de lui dire, au début de sa direction :
« que s'il voulait être l'homme du ministre et de
M. de la Ferté, il n'auroit point la confiance et
l'amitié des acteurs. Et La Salle révoque sans
cesse les ordres que Dauvergne a donnés, an-
nonce des changements d'opéras, promet tel ou
tel rôle à tel ou tel sujet, sans le consulter,
et au dire de la lettre, dans les orgies qui se tien-
nent chez lui, cherche à soulever les esprits,
pousse les acteurs à secouer le joug « à envoyer
promener » tous ceux qui voudront fourrer le
LA GUIMARD. 173
nez dans les affaires l'Opéra, afin qu'ils puissent
devenir les maîtres, se gérer eux-mêmes, et que
le ministre ne se mêle de leurs affaires, que
comme les premiers gentilshommes se mêlent
de la Comédie-Française. Mais La Salle n'est à
proprement dire que l'âme damnée de la Gui-
mard, et la personne surtout visée dans la lettre
justificative de Dauvergne est la danseuse, ha-
bituée à se considérer comme la directrice, et
déjà flattée de ce titre par ses camarades. En-
tendez-le :
« Vous savez que... toutes les affaires de l'O-
péra, se traitent, dans des comités particuliers,
chez MUe Guimard, selon la volonté de cette de-
moiselle, ou les impulsions que la cabale, qui se.
réunit dans ce centre, lui fait prendre. C'est de
ce sanctuaire profane, ignorant en fait d'admi-
nistration, partial, injuste, où on ne connaît ni
lois ni bienséances, où rien n'est respecté, que
partent les ordres qui dirigent toutes les opéra-
tions d'un spectacle qui appartient au Roi, qui
intéresse toute la nation, et particulièrement
tanf de gens d'un mérite distingué, des auteurs,
des gens à talent, enfin d'où dépend l'existence
de 500 personnes, puisqu'on ne fait rien au co-
mité qui n'ait été décidé dans le comité parti-
culier, que tout est soumis à la décision de
15.
174 LA GUIMARD.
M"e Guimard, que rien ne se fait sans son atta-
che. C'est là, où abusant toujours de la portion
d'autorité qu'on a donnée à quelques-uns, et la
demoiselle Guimard, de la condescendance que
l'on a pour elle, on dispose du bien de tous, sans
précaution, sans ménagement, et avec profu-
sion, lorsqu'il s'agit de choses qui les regardent
particulièrement.
C'est ainsi que cela s'est fait pour le ballet de
la Fête de Mirza. C'est chez cette demoiselle,
qu'on a lu le programme de ce ballet. C'est elle,
qui a, pour ainsi dire, forcé M. Grétry à compro-
mettre sa réputation, en faisant trop prompte-
ment l'acte d'opéra qui y a été inséré, chose
plus malheureuse pour l'Opéra que pour lui,
parce que cela peut influencer sur le premier
ouvrage qu'il donnera. Si j'avais eu le pouvoir
de m'y opposer ou que j'eusse été consulté, cela
ne se serait pas fait, parce je sentais bien que la
position était désavantageuse, mais dans la po-
sition où je suis, je m'en serois bien gardé,
parce que Mlle Guimard y tenoit si fortement,
qu'elle répondit aune personne lui disant, avant
la représentation, que l'opinion publique n'étoit
pas en faveur de ce ballet « qu'elle n'écoutoit
point les propos, qu'elle attendoit les critiques
à la cinquantième représentation, et lorsqu'il
LA GUIMARD. 175
auroit rapporté cent mille francs de bénéfice.
Cela fait l'éloge de ses connaissances et de son
goût » . C'est encore chez elle, qu'on a fait ve-
nir Bocquet, qu'on a fait le programme des dé-
corations et des habits, et que l'on a commandé
le tout, sans qu'il y ait de devis arrêté au comité,
ni même présenté, sans que j'aie eu la moindre
connaissance avant la représentation, ni du bal-
let (car toutes les répétitions s'en sont faites
clandestinement) ni de l'acte avant les répéti-
tions, ni des dépenses énormes que l'on faisoit
pour cela1.
Plus loin Dauvergne se plaint, que la demoi-
selle Guimard ne veut pas être doublée dans les
ballets d'actions, et par conséquent lorsqu'elle
ne peut pas danser, il n'y a point de ballet; de
plus elle a proscrit ceux du sieur Noverre : non
seulement elle ne veut pas les danser, mais elle
ne veut pas que d'autres les dansent.
1. Dauvergne dit encore dans son mémoire : « On va dans la
loge de MUe Guimard, on y change le répertoire selon ses
volontés, et souvent sans que je m'en doute. » Et la loge de
MIle Guimard est tellement le lieu souverain de l'Opéra, que
dans une lettre du 30 janvier 1783, il écrit : « Il m'est re-
venu, messieurs, par trois personnes différentes, que l'on
s'était plaint dans la loge de Mlle Guimard, et en présence
de M. de Vougny, de dépenses considérables qu'occasionnait
M. Bocquet, tant en peintures de décoration qu'en habits, et
il est obligé de le défendre. »
176 LA GUIMARD.
Enfin à la fin de sa lettre, Dauvcrgne croit
devoir se disculper auprès de M. de la Fertéj dé
ne pas faire partie du monde qui fait visite, qui
rend ses devoirs à la danseuse.
<( Vous me faites quelques reproches de
n'avoir pas voulu me prêter à aller chez
M11'" Guimard. Si elle eût eu l'honnêteté de
m' engager elle-même, j'y aurois été volontiers,
mais j'avoue que j'aurois regardé comme une
bassesse indigne d'un homme en place, et offen-
sante pour les supérieurs de qui il les tient,
d'aller mendier son appui, sa protection... Mais
quand j aurois pu me prêter à m'aller mettre au
rang des très humbles serviteurs de son comité
particulier, quel bien en auroit-il résulté pour
la chose? C'est donc relativement à moi, que
vous avez la bonté de me témoigner des regrets
sur mon indocilité à me prêter à cette complai-
sance, dans la pensée qu'elle auroil pu me con-
cilier les esprits, et que j 'aurois pu m'en faire
des amis. Mais après avoir réfléchi sur le con-
seil que vous m'aviez donné, j'ai vu que je n'y
réussirais jamais , qu'il y avoit trop d'oppo-
sitions ; ne voulant point d'ailleurs me relâcher
sur mes principes pour entrer dans les cabales
et les complots de ce petit comité, et me prêter
à tout ce qui s'y faisoit contre les autres sujets,
LA GUIMARD. 177
je m'y serois fait mille tracasseries, où ils en
auroient traité particulièrement à mon insu,
pour que je ne pusse pas m'y opposer ou en
rendre compte. Cela seroit donc revenu abso-
lument au même, cette démarche n'auroit servi
qu'à m'attirer leur mépris, et celui des autres
sujets. J'en juge pour tous les propos qui se
tiennent sur cette société, et celui que me tint
un jour une des premières actrices : « Si vous
« aviez la bassesse, me dit-elle, de vous prêtera
« aller prendre les ordres de la Guimard dans sa
« loge, vous perdriez l'estime de tout l'Opéra, et
«même du public, car il n'y a personne qui ne
« trouve indécents et ridicules les tons, qu'elle
« se donne de gouverner l'Opéra! » Yoilà les
propos qu'on m'a tenus, plus d'une fois, et que
beaucoup de gens tiennent. Ne pensez pas que
cette demoiselle, et sa société composée de quel-
ques danseurs et du sieur La Salle, aient tant
de prépondérance dans la chose. Elle a perdu
celle, que lui avoit donnée son zèle apparent
pour le bien général, parce qu'ils ont vu qu'elle
en abusoit pour leur intérêt particulier, en
arrangeant toujours l'Opéra relativement à
leurs prétentions, pour devenir premiers ac-
teurs par leurs ballets d'actions. C'est par cette
raison que tous les premiers sujets ont tous re-
178 LA GUIMARD.
fusé de chanter l'acte d'opéra, inséré dans la
Fête de Mirza, parce qu'ils ont dit qu'ils ne vou-
loient pas devenir accessoires de la danse.
Quelques propos que s'est permis la demoiselle
(iiiimard, assaisonnés d'ordres, ont tellement
achevé d'indisposer les esprits, que si ellen'étoit
seulement soutenue dans ses prétentions, que
par ses camarades, elle rentieroit bientôt dans la
classe, où la place son talent, ce qui seroit fort
heureux : alors la paix et la tranquillité pour-
roient renaître à l'Opéra, car, sans avoir peut-
être l'intention de faire le mal, elle est cause de
tout le désordre, parce qu'elle est le soutien de
la cabale. Les acteurs aiment tant cette société,
que tout en se plaignant de la dépense qu'a
occasionnée le ballet nouveau qui leur enlève le
bénéfice de l'armée, et qu'ils soient furieux de
la manière dont cela s'est fait, ils ne sont pas
fâchés de sa chute et des humiliations qui l'ont
suivie, qui remettent la dame un peu plus à sa
place, et ils disent que si ce ballet avoit réussi,
avec la prépondérance qu'a déjà la dame, l'O-
péra étoit perdu1. »
1. Académie Royale de Musique, par Campardon. Voir l'ar-
ticle Dauverjme.
XLIV
Le 8 juin 1781, sans doute, à la suite du si-
mulacre du feu des Enfers, dans le 3e acte d'OR-
phée, l'Opéra prenait feu, heureusement après
la sortie des spectateurs, et heureusement en-
core, ne se communiquait pas au Palais-Royal.
Toutefois, trois tailleurs, six ouvriers machi-
nistes, le danseur Danguy sont brûlés, Beaupré,
le frère du célèbre danseur, se tue en sautant
du troisième étage. Mlle Guimard, déshabillée
et n'ayant pas encore sa chemise sur le corps,
étouffe dans sa loge, sans oser en sortir, quand
un machiniste vient à son secours, l'enveloppe
dans des rideaux, et l'emporte à travers des
tourbillons de fumée et de flammèches.
L'incendie de 1763 avait fait inventer par les
tailleurs et les couturières : la nuance tison; l'in-
cendie de 1 781 leur fit inventer : la nuance opéra-
brûlé l .
■ 1. Académie Impériale de Musique, par Castil-Blaze, vol, I,
XL Y
Sans un asile, sans un hangar, sans un toit
pour remiser ses divinités, dit M. Castil-Blaze,
l'Opéra restait sur le pavé soixante-six jours, et
jusqu'au mois d'octobre ne donnait que quel-
ques pauvres et étriquées représentations, dans
la salle des Menus.
Aussi chez tous et toutes, danseurs et dan-
seuses, chanteurs et chanteuses, qui ont reçu
l'ordre de ne pas s'éloigner de Paris, une ému-
lation à demander des congés, des retraites :
tous et toutes, l'esprit tourné vers les rivages de
la Grande-Bretagne et les guinées de Drury-
Lane.
Alors, sur les ordres du ministre qui a le dé-
partement de l'Opéra, c'est, jour et nuit, une
surveillance de la police, qui a l'œil sur Yestris,
sur Rousseau, sur Chéron, sur Lays, dont elle
saisit la malle au bureau de la diligence de Va-
LA GUIMARD. 181
lenciennes, au moment où le propriétaire de la
malle allait passer en Belgique, et auquel, pour
l'empêcher de recommencer, on fit signer cet
engagement d'honneur.
« Soumission.
« Je soussigné, François Lays, acteur de l'Aca-
démie Royale de Musique, promets et m'engage,
sous parole d'honneur, de ne point sortir de Pa-
ris, sans une permission expresse du ministre,
et jusqu'à l'expiration de mon engagement.
« A Paris, le 28 aoust 1781.
« Lays1. »
Nivelon, qui avait vainement demandé sa
retraite, étaitplus habile, lui, et trouvaitle moyen
en octobre de passer la frontière, comme déjà
l'avait passée, Rousseau, et c'est vraiment un
peu comique, la campagne menée par le minis-
tre des affaires étrangères et les agents diploma-
tiques de la France, pour obtenir l'extradition
du joli danseur.
D'abord lettre d'Amelot au comte de Yer-
1. Registres des Menus-Plaisirs de la Bibliothèque de l'O-
péra, vol. II.
16
182 LA GUIMARD.
gennes, l'informant que le sieur Nivelon, l'un
des premiers danseurs de l'Opéra, s'est évadé
pour aller en Angleterre, et le priant d'envoyer
une lettre qui autorise le ministre de France à
Bruxelles, à demander son arrestation et sa trans-
lation en France. Seconde lettre d'Amelot au
lieutenant de police, lui annonçant que Nivelon
est actuellement à Ostende, et lui transmettant
un passeport pour l'officier de police, chargé de
l'exécution des ordres du Roi, et deux missives
de M. de Vergennes, l'une adressée à M. de la
Greze chargé des affaires du Roi à Bruxelles, à la
fin qu'il requière le concours du gouvernement
des Pays-Bas autrichiens, pour l'exécution de la
commission de l'officier de police, une autre
adressée à M. Garnier, consul à Ostende, pour
aider cet officier, de ses conseils. Enfin nouvelle
lettre du lieutenant de police à Amelot, lui an-
nonçant qu'il vient de remettre à l'instant les
ordres au sieur Quidor, et qu'il est parti à cinq
heures et demie pour Ostende.
Quidor est l'agent de police, chargé des expé-
ditions dans le monde galant du haut trottoir.
C'est lui qui sermonne gentiment les actrices,
qu'il a la mission de conduire au For-1'Evêque,
c'est lui dont nous avons donné dans notre
Saint-Huberty, le rapport élégant, le rapport
LA GUIMARD. 183
talon rouge, sur l'arrestation de la danseuse
Théodore, au château de Poinchy1.
Voici quelques fragments de ce nouveau rap-
port du sieur Quidor, méritant d'être publié,
comme un document curieux, sur l'homme de
police de l'Opéra du xvme siècle.
«Aussitôt mon arrivée à Bruxelles, vendredi
matin, dit-il, je me suis rendu chez M. de la
Grèze, chargé des affaires de France, d'après
la lettre de M. de Yergennes et l'ordre dont
j'étais porteur, et que je lui ai communiqués. Il
a fait sur-le-champ un mémoire, qu'il a rendu
à M. le comte de Staremberg, avec l'attention
dont nous étions convenus, de ne point parler de
la qualité de Nivelon, ni du grief qui faisait
désirer sa capture, parce que le conseil s'était
refusé à une pareille demande contre le sieur
Rousseau, fugitif, au mois d'août dernier. »
Là-dessus , il arrivait une réponse du Con-
seil demandant des explications, demandant la
qualité de l'homme, le grief qu'on avait à lui
reprocher, et de quelle prison il sortait, et si sa
famille s'était jointe au ministre, pour demander
l'extradition, enfin un tas de détails, qui parais-
saient à Quidor un prétexte, pour donner à Ni-
velon le temps de s'embarquer.
1. Voir Madame Saint-Huberty, page 53.
18! LA GUIMAUD.
Tout de suite, il partait pour Ostende, où il
ne voulait pas être prévenu par Noverre, Gar-
del le jeune, la demoiselle Théodore, qui y
étaient attendus d'un instant à l'autre, et où
Nivelon pouvait s'embarquer, le jour même,
sur des paquebots flamands et anglais, partant à
toute heure, suivant le vent.
Son intention n'était pas de solliciter près du
bailli l'emprisonnement de Nivelon, mais seu-
lement, en attendant la décision du Conseil,
l'opposition à son embarquement, avec la de-
mande qu'il fût gardé à vue, à ses frais.
Ici laissons Quidor parler. « J'aurais eu gain
de cause, parce que resté seul dans une ville,
où il n'y a pas quatre Français, où tout se vend
au poids de l'or, et abandonné de ses camarades,
je lui aurais fait envisager d'un côté, l'affront de
se voir arrêter, après la réponse de Bruxelles,
que je lui aurais annoncée comme certaine par
l'influence de la France, puis conduit à Paris,
pour être détenu sfx mois en prison, au secret,
et traîné sur le théâtre, chaque jour ;de repré-
sentation. De l'autre côté, je lui aurais assuré
par écrit son pardon , avec l'espérance d'une
amélioration de sort, s'il consentait à revenir
volontairement en France, avec moi.
« J'ai lieu de présumer que ces deux tableaux,
LA GU1MARD. 185
présentés à propos, lui auraient fait prendre ce
second parti, malheureusement il était déjà en
Angleterre, depuis huit jours. C'est M. Vezelay,
dont les uns représentent Nivelon, comme le
fils naturel, les autres comme le giton, qui lui
a obtenu un passeport du ministre de la marine,
et qui l'a accompagné en Angleterre. Le finan-
cier lui a déjà assuré 6 000 livres de rente,
et promet de les doubler à sa majorité... »
Donc le ministre, et M. de la Ferté, etDauver-
gne passaient, toute cette fin d'année 1781, des
jours anxieux, craignant, à tout moment, d'ap-
prendre que la coryphée du chant ou de la danse,
une telle, ou le coryphée du chant ou de la
danse, un tel n'ait trompé la surveillance de la
police, et franchi la frontière belge. Et quoi-
que la fortune de Mlle Guimard la mît dans une
position, où selon l'expression de M. de la
Ferté « elle devait fort peu s'embarrasser de
l'Angleterre », il n'était rassuré qu'à demi, et
demandait au ministre de l'attacher, et de la
retenir par la perspective d'avantages et de
rémunérations.
16.
XLYI
A la fin de juillet, six semaines après l'in-
cendie de l'Opéra, l'architecte Lenoir avait pris
l'engagement, moyennant 200 000 livres, de
bâtir sur un terrain qui lui appartenait sur le
boulevard, près la porte Saint-Martin, une salle
provisoire, à quatre rangs de loges, et dans les
dimensions prescrites, s'engageant à la livrer,
entièrement terminée, de façon que le spectacle
y puisse être donné, le 5 octobre de la même
année1.
L'attente impatiente de l'ouverture du nouvel
Opéra était générale, et, le 6 octobre, le mi-
nistre écrivait à M. de la Ferté : « Où en est
notre salle? Prend-elle couleur? Et peut-on fixer
le jour où elle sera entièrement prête? J'avoue
que j'en ai chaque jour un redoublement d'im-
patience! »
1. Mémoires secrets, vol. VII.
LA GUIMARD. 187
Le ministre priait M. de la Ferté de donner
toute son attention, à ce qu'il soit apporté la
plus grande économie, pour l'ameublement de
l'Opéra, et celui des loges des acteurs et des ac-
trices. Et comme il connaissait les exigences de
Mlle Guimard,il voulait qu'il fût fait un état de
ce qui avait pu échapper à l'incendie de la loge
de Mlle Guimard, afin que les objets mobiliers du
petit foyer puissent être réemployés.
Et justement, dix jours avant l'ouverture de
l'Opéra du boulevard Saint-Martin1, qui n'avait
lieu que le 27 octobre, sa nouvelle loge, cette
loge quasi directoriale, et pour laquelle on
avait fait de grands frais2, Mllc Guimard la
trouvait trop grande, trop haute, demandait des
retranchements, prétendant qu'elle y gèlerait :
1. C'est la salle actuelle de la Porte-Saint-Martin, dont la
solidité était essayée, le 27 octobre, par 6 000 personnes, et
ou après le spectacle, il était fait, sur le théâtre, une distribu-
tion de pain et de vin, et où les poissardes avec les charbon-
niers formaient des danses et chantaient des chansons gri-
voises.
2. L'architecte Lenoir semble un architecte plein d'atten-
tion pour les femmes, il disait en effet, quelques jours avant
l'ouverture de l'Opéra, dans un mémoire qui avait la publicité
du journal :
« J'ai l'honneur de prévenir les dames que je n'ai point
employé de plâtre dans tout l'intérieur de la salle ; on voit les
bois à découvert : ils ont été lattes pour recevoir la toile
peinte qui en fait le fonds. »
188 LA GUIMARD.
demande à laquelle M. de la Ferlé prenait le
parti de ne pas répondre, assuré que le mi-
nistre n'approuverait pas cette augmentation
de dépense.
Mais avec la Guimard, il fallait toujours céder
et à quelques jours de là, le pauvre M. de la
Ferté était obligé d'écrire au ministre : « qu'on
ne pouvait refuser à MUe Guimard le petit entre-
sol qu'elle demande, et que cela n'occasionne-
rait pas beaucoup de dépense1 ».
i. Registres des Menus Plaisirs de la Bibliothèque de l'O-
péra, vol. 2.
XLVII
Tout, enfin, est un motif à disputes, à cha-
maillades, à altercations, entre le directeur et la
danseuse, et même les nominations qui sont
faites, en dehors de Dauvergne, à l'Académie de
Musique par le gouvernement.
S'agit-il, en cette année 1781, de donner du
pain à Suard, qui, se trouvant dans la position
la plus précaire, avait eu l'intelligence et l'ha-
bileté de persuader à Amelot, que depuis que
les auteurs étaient les maîtres de l'Académie
de Musique, cette république était devenue un
tripot, où le goût et les principes de l'art se per-
daient absolument, et qu'il était du plus grand
intérêt qu'on ôtât au comité le jugement des
ouvrages, et principalement des poèmes, et que
ce jugement il se le réservât, ou plutôt il le ré-
190 LA GUIMARD.
servàt audit Suard, moyennant un traitement
de 2 400 livres1.
Là-dessus, Guimard, forte de la mauvaise hu-
meur des auteurs, apprenant que la réception
des pièces faites, était regardée comme non ave-
nue, ainsi que le rang qui leur avait été donné
pour être jouées, Guimard se montrait, selon
l'expression de M. de la Ferté, fort estomaquée,
et devant la rumeur, qu'il sentait exciter par la
danseuse chez ses camarades, l'intendant des
Menus avouait au ministre, qu'il avait pris le
parti de dire : « que c'était l'ordre du Roy qui
avait jugé à propos d'attacher un censeur à l'O-
péra2 ».
1. Mémoires secrets, vol. XXI.
2. Archives de la Bibliothèque de l'Opéra, vol. I.
XLVIII
En ces premiers mois de Tan 1782, en ces ap-
proches de la nouvelle année théâtrale, la pen-
sée de Mlle Guimard semble entièrement tour-
née vers l'octroi d'un traitement égal au petit
Vestris, un traitement de 6 000 livres : trai-
tement dont l'obtention est, chez la danseuse,
encore plus une satisfaction de vanité, qu'une
satisfaction d'argent1 !
Elle intéresse à sa cause la Reine, qui, lors-
qu'il y a un ballet à la Cour, la demande tou-
jours expressément, quitte au directeur à faire
1 . Quand en 1772, à la suite d'un petit ballet donné par
Mme du Barry au Roi, la Guimard qui y avait dansé, est payée
de sa danse par une pension de 1 500 livres, les Mémoires
secrets disent : « Cette légère faveur a été acceptée à cause
de la main dont elle vient, car on "sent que ce n'est qu'une
goutte d'eau dans la mer; et les Mémoires volent le mot de
Sophie Arnould : « J'en ferai compliment à Guimard, voilà
« de quoi payer son moucheur de chandelle ! »
192 LA GUIMARD.
l'impossible pour s'en passer. Elle obtient donc
que la Reine veuille bien parler en sa faveur au
Roi, et solliciter ses bontés, et elle fait insister
par M. de la Ferté auprès du ministre, sur le
plaisir qu'elle fait et peut faire encore long-
temps au public, « vu son air de jeunesse au
théâtre et les bons services qu'elle a rendus
à la Ville et la Cour, depuis vingt ans... » et
lorsqu'elle s'aperçoit que la grâce traîne, elle
refuse de danser, si l'on ne termine pas son
affaire, en sorte que ce pauvre de la Ferté est
dans la nécessité de mander au ministre, qu'il
serait bon qu'il mette Sa Majesté, à même de le
faire promptement.
A cet appel, le ministre Amelot répond à
M. de la Ferté, à la date du 12 avril :
« J'ai rendu compte au Roi, monsieur, du dé-
sir que MUe Guimard avait d'obtenir une marque
particulière de ses bontés, en portant son trai-
tement à la somme de 6 000 livres. J'ai fait va-
loir avec plaisir les preuves de zèle qu'elle a
toujours données pour son service, tant à la
cour qu'à Paris. Sa Majesté ayant consenti à lui
compléter un traitement de 6 000 livres, je me
suis fait représenter les objets pour lesquels,
elle était employée dans les Etats du Roi, et je
l'ai trouvée portée pour 1 500 francs d^ne gra-
LA GUIMARD. 193
tification annuelle portée ci-devant sur les Etats
des Menus, et convertie depuis 1779, en une
pension sur le Trésor royal. Plus 2 000 francs
en qualité de première danseuse sur l'état de la
musique. A ces deux objets, Sa Majesté a con-
senti, pour compléter les 6 000 francs, d'ajouter
2 500 francs, qui lui seront payés annuellement
sur le Trésor royal. Je rends trop de justice à
la façon de penser de Mlle Guimard, pour n'être
pas persuadé qu'elle sentira tout le prix de cette
faveur, et qu'elle sera pour elle un motif de
continuer à donner des preuves de son zèle. »
A la suite de la lettre d'Amelot, on trouve
sur le registre faisant partie de la bibliothèque
de l'Opéra, la copie de la supplique de la dan-
seuse, datée du 21 avril :
« La Dllc Guimard, danseuse de V Opéra, sup-
plie Sa Majesté de lui accorder un traitement
particulier pareil à celui du jeune Vestris : c'est-
à-dire une gratification annuelle de deux mille
cinq cents livres.
« Les services assidus qu'elle a faits à la Cour
et à la Ville , depuis vingt ans , paroissent la
rendre susceptible de cette grâce.
« La Dlle Heynel avoit également obtenu du
feu Roi, un traitement particulier .
Et en marge il y a écrit : « Le bon du
17
194 LA GUIMARD.
Roi est déposé au bureau de M. Philidor. »
Sur cette supplique Amelot écrivait, le
22 avril, cette lettre à la danseuse :
« J'ai mis sous les yeux du Roi, mademoiselle,
le désir que vous aviez d'obtenir de ses bontés
un traitement, pareil à celui du sieur Vestris fils.
J'ai fait valoir, avec grand plaisir, le zèle dont
vous n'aviez cessé de donner des preuves dans
toutes les occasions. Sa Majesté a consenti à
vous accorder une gratification annuelle de
2 500, pour faire avec les 2 000, que vous avez,
comme première danseuse des ballets de la
cour, et les 1 500 francs de pension, dont vous
jouissez déjà, un traitement de 6 000 fr. Le Roi
s'est déterminé à vous accorder cette grâce, non
seulement pour récompenser vos bons services,
mais sur l'espérance que vous ne les discon-
tinuerez pas, tant à la Cour qu'à Paris. Vous
connaissez, mademoiselle, la sincérité de mes
sentiments pour vous. »
Mais cette lettre, M. de la Ferté ne la trans-
mettait pas, du moins tout de suite, à M1Ie Gui-
mard. Il demandait au ministre d'écrire à la
danseuse « de se rendre à ses ordres sans lui
dire pourquoi » et là, dans une conversation
ministérielle, de lui faire bien comprendre que
les 2 500 livres complétant à toujours son sort
LA GUIMARD. 195
de 6 000 livres, lui créaient une situation tout
autre que celle de Vestris, qui n'était qu'une si-
tuation précaire, et reposant seulement sur une
gratification sur simple ordonnance. M. de la
Ferté priait aussi le ministre de bien recom-
mander à Mlle Guimard de ne pas ébruiter cette
grâce, dont la divulgation pouvait exciter la
jalousie d'autres sujets, dont les talents pré-
cieux étaient indispensables à l'Opéra.
XLIX
Le grand événement parisien de la fin de
Tannée de 1782, est la serenissime ' banqueroute
du prince de Guéménée, dont la femme, gou-
vernante des Enfants de France, était la fille du
prince de Soubise : une banqueroute s'élevant
à plusieurs millions de rentes viagères, et qui
comptait trois mille créanciers, où il y avait
beaucoup de pauvres diables, nombre d'hommes
de lettres, de militaires retraités, de domes-
tiques.
Il se répandait alors dans le public, que devant
cette ruine de la fille du prince, la Guimard et
le bataillon des danseuses pensionnées par le
sultan de l'Opéra, ce petit monde pris d'un beau
mouvement de pitié pour les victimes de la ban-
queroute, avait dans une lettre, rédigée dans la
loge de la Guimard, renoncé à leurs pensions,
1. Expression du marquis de Villettc, citée par Chamfort.
LA GUIMARD. 197
en demandant qu'elles soient reversées sur les
créanciers du prince de Guéménée, et il y avait
dans le public une grande curiosité à se procu-
rer des copies de cette lettre.
Enfin des copies étaient distribuées parmi les
habitués de l'Opéra, et c'était pour eux une dé-
ception, car ils ne savaient trop si la lettre
n'était point ironique et l'œuvre d'un mystifica-
teur.
Du reste, donnons-la cette lettre !
Lettre de M11' Guimard, et autres dan&eases de
V Opéra, à M. le prince de Soubise.
« Monseigneur,
« Accoutumées, moi et mes camarades, à vous
posséder dans notre sein, chaque jour de repré-
sentation du Théâtre-Lyrique, nous avons ob-
servé avec le regret le plus amer, que vous
étiez sevré non seulement du plaisir du spec-
tacle, mais qu'aucune de nous n'avoit été ap-
pelée à ces petits soupers fréquents, où nous
avions tour à tour le bonheur de vous plaire et
de vous amuser. La renommée ne nous a que
trop instruites de la cause de votre solitude, et
de votre juste douleur. Nous avons craint jus-
qu'à présent de vous y troubler, faisant céder la
17.
198 LA GUIMARD.
sensibilité au respect, nous n'oserions même
encore rompre le silence, sans le motif pressant
auquel ne peut résister notre délicatesse. Nous
nous étions flattées, Monseigneur, que la ban-
queroute (car jl faut bien se servir d'un terme,
dont les foyers, les cercles, les gazettes, la
France et l'Europe entière retentissent), que la
banqueroute de M. le prince de Guéménée ne
seroit pas aussi énorme qu'on l'annonçoit, que
les sages précautions prises par le Roi pour
assurer aux réclamants les gages de leurs
créances, pour éviter les déprédations et les
frais plus funestes que la famine môme ne frus-
treroient pas l'attention générale ; mais le dés-
ordre est monté sans doute à un point si exces-
sif, qu'il ne reste aucun espoir. Nous en jugeons
par les sacrifices généreux auxquels à votre
exemple se résignent les principaux chefs de
votre illustre maison.
« Nous nous croirions coupables d'ingrati-
tude, si nous ne vous imitions, en secondant
votre humanité, si nous ne vous reportions les
pensions que nous a prodiguées votre muni-
ficence. Appliquez ces revenus, Monseigneur,
au soulagement de tant de militaires souffrants,
de tant de pauvres gens de lettres, de tant de
malheureux domestiques, que M. le prince de
LA GUIMARD. 199
Guéménée entraîne dans l'abime avec lui. Pour
nous, nous avons d'autres ressources, nous
n'aurons rien perdu, Monseigneur, si vous nous
conservez votre estime ; nous aurons même ga-
gné, si en refusant vos bienfaits, nous forçons
nos détracteurs à convenir que nous n'en étions
pas tout à fait indignes.
« Nous sommes avec un profond respect, etc. »
A la loge de M"0 Guimard, ce vendredi, 6 décembre 1782 l.
Du reste, ceux qui ont voulu donner la lettre
à la Guimard, et attribuer le ton d'ironie de la
missive au refroidissement de la danseuse avec
le prince, sont dans l'erreur. Si la Guimard
n'était plus la maîtresse du prince de Soubise,
pour perpétuer son empire sur le magnifique
seigneur, elle avait substitué à sa personne au-
près de son ancien amant, MUo Zacharie sa
nièce et son élève, un tendron de quinze ans. Et
le prince qu'on avait dit, après la banqueroute
de son gendre, ne mangeant et ne dormant plus,
s'était vile remis de sa douleur et de ses projets
de retranchements, dans les bras de la jeune
danseuse, à laquelle il donnait, disait-on, 2 000
écus par mois.
1. Mémoires secrets, vol. XXI.
A la date de l'année 1783, nous possédons un
curieux document critique sur le chant et la
danse de l'Opéra, rédigé par M. de la Ferté,
pour renseigner le ministre de la maison du Roi,
sur les talents, les défauts, les habitudes, les ca-
ractères, les exigences des sujets de l'Académie.
Pour la danse, après rémunération, chez les
danseurs, de Gardel aîné, maître de ballets, de
Gardel jeune, premier danseur sérieux, de Ves-
tris fils, premier danseur demi-caractère et
comique, de Nivelon premier danseur demi-
caractère, de M. Favre remplaçant le sieur
Garde! dans le genre sérieux, de MM. Laurent
et Lefèvre, danseurs comiques, de MM. Huard
et Frédéric danseurs en double, c'est rénumé-
ration des danseuses, à la tête desquelles M. de
la Ferté nous peint la Guimard, comme la
directrice occulte de l'Opéra.
LA GUIMARD. 201
DANSEUSES
DUe Guimard. — Première danseuse de demi-
caractère. Tout le monde connaît son talent, elle
a l'air encore très jeune au théâtre, si elle n'a
pas une grande exécution pour la danse, elle a
en récompense beaucoup de grâce, elle est très
bonne pour les ballets d'action et de panto-
mime, elle a beaucoup de zèle, et travaille
beaucoup, mais elle est d'une dépense immense
pour l'Opéra, où ses volontés sont suivies avec
autant de respect, que si elle en était directrice.
A son exemple, les autres danseuses exigent des
habits et des renouvellements fort chers.
Mlle Guimard ayant sçu qu'il avait été accordé
un traitement particulier de 4 800 francs au
sieur Yestris, a exigé la même chose ; il lui a été
accordé en faveur de ses anciens services.
Dlle Peslin. — Première danseuse comique;
elle est hors de combat, ce n'est que par com-
plaisance pour Mlles Saint-Huberty et Guimard,
qu'on l'a conservée depuis deux ans, mais elle
est prévenue qu'elle doit se retirer à Pasques
prochain.
DUe Dorival. — Premier remplacement dans
le demi-caractère. Elle a du talent, mais elle l'a
beaucoup négligé, pour ne s'occuper que de son
202 LA GUIMARD.
plaisir, cependant elle a plus travaillé depuis
quelque temps; c'est une mauvaise tète, elle a
beaucoup de caprices. Si elle veut travailler,
elle est faite pour remplacer la demoiselle Gui-
mard, surtout dans la pantomime.
DUc Dorlé. — Remplacement dans le genre
sérieux. C'est une danseuse remplie de bonne
volonté, qui travaille tous les jours j le sieur
Vestris est son maître. Mais elle est aujourd'hui
tout ce qu'elle sera jamais; elle sera toujours
utile dans la place de remplacement qu'elle
occupe, et même l'on croit pouvoir assurer
qu'elle y remplira bien son devoir, et même
avec quelque agrément vis-à-vis du public;
mais il seroit malheureux, que faute d'autres
sujets, l'on fût obligé de lui confier la première
place de première danseuse du genre sérieux.
DUe Dupré. — Danseuse de demi-caractère.
L'on a fait venir cette danseuse de Naples, où
elle occupait la première place; elle a beaucoup
réussi à l'Opéra, mais sa taille n'est pas très
avantageuse pour la première place du genre
sérieux où elle prétend. Elle est actuellement
absente pour aller remplir un engagement pour
le carnaval, qu'elle avoit à Milan, à Turin. Elle
doit revenir, on décidera à Pasques de son sort,
mais il seroit à désirer que l'on ne disposât pas
LA GUIMARD. 203
encore de la première place, et que l'on attendit
à l'année suivante, pour s'il ne se présenteroient
pas quelques sujets, qui auroient plus de dispo-
sitions pour remplir cette place.
Dllc Gervais. — Danseuse comique. La place
de la demoiselle Peslin lui est assurée pour
Pasques, et c'est justice : cette danseuse est
remplie de zèle, elle est infatigable, ne se refuse
à rien, et danse au besoin tout ce que l'on veut,
«t même plusieurs actes dans un Opéra.
LI
Au mois d'avril de cette année 1783, le mi-
nistre Amelot, étant désireux de retarder d'un
an, la retraite du chanteur Legros. M. de la
Ferté avait été assez habile pour faire écrire
une lettre par quelques membres du comité,
demandant à Legros de continuer ses services à
l'Opéra, en même temps qu'il faisait solliciter
parles signataires de cette lettre, son beau- frère,
Morel de Chefdeville, de vouloir bien assister à
rassemblée de tous les copartageants, convo-
qués par le ministre, pour s'occuper du départ
et de la rentrée de Legros, séance à la suite de
laquelle le ministre le faisait remercier d'avoir
péroré tant de mauvaises têtes1.
Or, à la nouvelle que le ministre, sur le désir
des camarades de Legros, avait décidé le chan-
1. L'Opéra secret au xvme siècle, par Adolphe-Jullien. Rou-
vcyrc, J8SC.
LA GUIMARD. 205
leur à faire encore l'essai de ses forces et de son
zèle pendant l'année, la Guimard se figurant que
le ministre avait l'idée de l'élever à la place de
directeur, et redoutant l'immixtion, dans le gou-
vernement de l'Opéra, de Morel de Chefdeville,
connu comme un parfait intrigant, et par là-
dessus se trouvant, dans le moment, très montée
contre Dauberval, maintenu, au prix de grands
sacrifices d'argent, par le ministre et l'intendant
des Menus, comme maître de ballets, malgré le
désir exprimé par lui de s'en aller, — la Gui-
mard menacée dans sa toute-puissance directo-
riale, écrivait le même jour à Monsieur de la
Ferté, cette lettre superbe.
« 16 avril 1 783.
« J'ai appris aujourd'hui, monsieur, des cho-
ses qui me paroissent si incroyables, que je ne
pourrai y ajouter foi, qu'autant que voudrez
bien me les certifier vous-même.
« Est-il vrai que vous voulez garder M. Legros
à l'Opéra, non pour chanter, mais pour en
faire un président de comité.
« Est-il pareillement vrai que vous gardez
M. Dauberval, en qualité de danseur et d'adjoint
aux ballets, avec un traitement de S 000 livres,
dont 3000, comme retraite de maître de ballets
18
206 LA GUIMARD.
et 1 500, comme inspecteur de l'École de la danse,
ce qui joint aux 1 500 livres de pension qu'il a
du Roi, lui fer oit un traitement de 9500 livres.
« Je le répète encore, je ne puis le croire. Je
vous ai toujours connu trop franc, et trop hon-
nête, pour qu'il soit possible, que vous soyez ca-
pable d'une injustice aussi grande envers des
gens honnêtes, et qui ont tout sacrifié pour bien
servir et contenter le public. D'ailleurs le projet
est si peu d'accord avec les principes de l'éco-
nomie, que vous n'avez cessé de nous prêcher, que
ce m'est encore une raison de plus de n'y pas
ajouter foi.
<( Car en seroit-ce une, de donner S 000 livres
à Dauberval, qui m'a dit, et qui dit à qui veut
ï entendre que, si on veut le garder à l'Opéra, il
prendra l'argent et ne fera rien (sur cet article
je le crois sincère!) En seroit-ce encore une de
garder M. Legros comme président? A quoi se-
r oit-il bon. Si ces projets viennent de Morel, ma
foi, Une lui font pas honneur.
« Et puis que deviendroit la promesse que
vous avez faite à Nivelon, et en général que de-
viendrait l'Opéra?
ce Vous vous trompez si vous croyez que les
sujets souffrent cette injustice! Je suis trop fran-
che pour ne pas vous avertir, et vous iï ignorez
LA GUIMARD. 207
pas que pour avoir un Opéra, il faut avoir des
sujets. Si messieurs Legros et Dauberval pensent
le faire aller à eux deux, je n'ai plus rien à ré-
pondre, car je doute fort qu'il y en ait d'autres
avec eux.
« Quant à moi, monsieur, si votre intention
est en effet d'exécuter ce projet, j'ai l'honneur de
vous prévenir de ne pas compter sur moi pour la
rentrée, et dès aujourd'hui je demande nia re-
traite. J'aime la tranquillité, je déteste les tripo-
tages; je viens de passer une année avec des ca-
marades honnêtes, et ne veux plus me trouver
avec ceux qui sont aussi méchants que faux [ceci
ne regarde pas M. Legros).
« D'après cela, monsieur, je vous prie de vou-
loir bien me donner vos dernières intentions, et
si elles sont telles qu'on me les a assurées, recevez
ma parole que je ne rentrerai pas, et que rien
dans le monde ne me fera changer de façon de
penser. Ayez-y autant de confiance que j'en ai
eu toujours de la vôtre l. »
Sur la communication de cette lettre au mi-
nistre, Amelot écrivait, deux jours après, à
M. de la Ferté :
1. Archives Nationales O1 637. V Académie Royale de Mu-
sique, par Campardon, Berger-Levrault, 1884.
208 LA GUIMARD.
« Il est difficile, monsieur, d'écrire une lettre
plus ridicule que celle que vous avez reçue de la
Guimard, et je la garde, comme le chef-d'œuvre
de la mutinerie. Vous avez très bien fait de n'y
pas répondre, si je la vois, je me bornerai à lui
dire très sèchement, que si elle n'est pas con-
tente, elle peut se retirer. Mais je n'entrerai dans
aucune explication avec elle. Je veux accoutu-
mer tous les sujets de l'Opéra, à ne se mêler que
de ce qui les regarde. Je ne leur dois d'ailleurs
compte d'aucun des arrangements, que je juge à
propos de faire, je crois que vous ferez très bien
de prendre le même parti, à moins de circon-
stances particulières.
« Je parlerai certainement au Roi, dès que
j'en trouverai l'occasion, mais en attendant je
suis décidé à agir vis-à-vis des mutins, avec la
plus grande sévérité, et je compte bien n'être
pas désapprouvé. Je vous prie instamment de
ne pas vous tourmenter de toutes ces criaille-
ries ; on rendra toujours toute justice au zèle et
au désintéressement, avec lequel vous voulez
bien me seconder dans cette ennuyeuse partie
de mon administration, et j'espère que vous
voudrez bien être persuadé de toute ma recon-
naissance... »
Là-dessus, le ministre signifiait sa volonté
LA GUIMARD. 209
expresse en faveur de Legros, et une assemblée
générale était convoquée par ordre du ministre
pour le lendemain 19 avril.
Mais l'assemblée générale, en ayant l'honneur
de supplier très humblement le ministre de ne
pas douter de sa très respectueuse soumission,
demandait la succession de Legros, pour Laine
et Rousseau, et une réversibilité de pension à
la femme de Legros. Alors étaient convoqués, de
nouveau, les membres de l'assemblée générale,
pour entendre, le 22 avril, les réponses du mi-
nistre.
Et ce jour-là même, une lettre de M. de la
Ferté nous fait un tableau de l'irrévérencieuse
et ironique soumission de la Guimard et ses
fidèles aux volontés du ministre.
« Monseigneur, écrit M. de la Ferté, vos ré-
ponses ont été lues, ce matin, à l'assemblée,
Mlle Guimard, Saint-Huberty, Nivelon, et quel-
ques autres se sont levés, ont fait une grande
révérence, sans proférer un seul mot, et succes-
sivement tout le monde s'en est allé. Mlle Gui-
mard a accaparé Mme de Saint-Huberty, qui n'a
pas besoin de cela, pour être une mauvaise tête;
elle a eu même la malhonnêteté de proposer au
sieur La Salle, de faire une délibération pour
chasser M. Morel, du Comité, en prétendant qu'il
18.
210 LA GUIMARD.
était cause que le sieur Legros restoit. Heureu-
sement qu'elle ne l'avoit dit qu'à La Salle, et
bas; il lui a répondu de même, en lui faisant
sentir l'inconséquence de sa conduite. C'est sur
cela qu'elle s'est retirée, sans expliquer rien,
et qu'elle a emmené avec elle Mme de Saint-
Huberty, et les autres, mais il faut que vous pa-
roissiez ignorer ce nouveau trait d'audace. Morel
a bien fait de ne pas aller à cette assemblée,
dont d'ailleurs on ne l'avoit pas prévenu. Sçavoir
si le petit comité qui doit probablement se ras-
sembler ce soir à l'ordinaire, chez la Guimard,
quand il s'agit de s'ameuter, ne nous fera pas
paroître quelques nouveautés pour demain, car
il faut s'attendre à tout. »
lu
A propos de l'hostilité, déjà ancienne, de la
Guimard contre sa personne, Dauberval s'était
déjà vu forcé d'écrire au ministre :
« Mlles Guimard et Heinel, sont persuadées,
d'après ce que vous avez daigné leur dire, que
j'ai cherché à leur faire perdre leur état, et
comme il est affreux de passer à leurs yeux, pour
un méchant homme, je tombe à vos pieds, pour
que vous ayez la bonté d'ordonner que ceux qui
vous ont fait ce rapport à mon sujet, soient
mis en votre présence, devant moi '.. »
Au fond, en ces années, l'hostilité de la dan-
seuse contre son ancien amant, me semble
receler un peu de la petite haine, que met chez
une femme contre l'homme qui a été l'objet
d'une passion passée, finie, usée, une nouvelle
i. Registres des Menus Plaisirs. Bibliothèque de l'Opéra,
vol. I.
212 LA GUIMARD.
liaison, et surtout lorsque les deux hommes se
rencontrent avec la femme, dans le même
milieu. Que l'on remarque, dans la lettre de
Guimard, la phrase : « Et puis, que deviendroit
la promesse faite à Nivelon, et en général que
deviendroit l'Opéra ! »
Cette phrase qui ne dit pas grand'chose, me
semble cependant la phrase d'une femme pre-
nant un intérêt tendre à son protégé ! Et il y a
bien des raisons pour qu'il en soit ainsi.
En effet, Nivelon, c'est l'homme, on se le
rappelle, mis en vedette par son évasion de
l'Opéra, et la poursuite de l'agent Quidor;
Nivelon, c'est le danseur fait à peindre l, le dan-
seur doué de la figure la plus intéressante, le
danseur aux pas moelleux ; Nivelon, c'est
l'homme qu'on s'arrache et qui donne égale-
ment, et dans la grisette, et dans la condition, et
dans l'impure; Nivelon, c'est le vainqueur des
cœurs, pour lequel l'amoureuse et dédaignée
Cécile avait battu la Michelot2; Nivelon, c'est
lui encore, le héros de l'aventure du Bois de
Boulogne, le séducteur à la minute de cette fille
du monde, soufflée au petit-maître, auquel elle
avait donné rendez-vous, aventure qui se dé-
l.Les Arts Imitateurs, vol. IL
2. Mémoires secrets, vol. XL
LA GUIMARD. 213
nouait par des coups de canne et une plainte
chez le commissaire i.
Or, l'intérêt tendre de la Guimard pour
Nivelon, devinable dans la missive superbe de
la danseuse, nous le trouvons déjà indiqué au
mois de janvier de cette année, dans une lettre
de M. de la Ferté, écrivant au ministre :
« M1!6 Guimard sort de chez moi, où elle était
venue pour me parler de Nivelon, pour lui ob-
tenir la place de premier sujet à l'Opéra, avec
vingt mille livres sur le Roi, afin de faire
rompre un engagement de quatre mois, qu'il
avait avec l'Angleterre. » Mlle Guimard trouvant
la proposition toute simple, et pressant M. de la
Ferté d'écrire à ce sujet au ministre, et déclarant
que c'était un sujet très essentiel à l'Opéra, el
qu'elle ne saurait plus avec qui danser, et lais-
sant clairement voir à M. de la Ferté, qu'elle
aimait beaucoup mieux danser avec Nivelon
qu'avec Yestris.
Et l'intérêt tendre de la Guimard, plus tard,
nous le trouvons, tout à fait accusé, dans ses
lettres de Londres, à ses correspondants, Perre-
gaux, de la Ferté, Desentelles, où le nom de
1. Le Vol plus haut ou l'Espion des principaux théâtres de
la Capitale. Memphis, chez Sincère réfugié au Puits de la Vé-
rité, 1784.
214 LA GUIMARD.
l'homme qu'elle continue à protéger, revient
sans cesse.
Ici, elle demande à M. de la Ferté, de le gar-
der, tout le mois de juin 1784, parce que, indé-
pendamment des services qu'il lui rend, elle a
appris que quelques mauvaises têtes de la cour
avaient l'intention de le rosser. (Est-ce une suite
à son aventure du bois de Boulogne?) Là, dans
une autre lettre à son bon petit ami, elle se porte
maternellement garant de l'assagissement de
Nivelon, assurant qu'il se met à la raison*, et
toujours tendrement, il est parlé de lui dans
d'autres lettres encore.
Enfin, comme le plus probant témoignage
d'une liaison entre les deux coryphées de la
danse : c'est le legs du voluptueux buste en
marbre de la Guimard, qu'on voyait à l'Opéra :
le legs qu'en a fait Nivelon par son testament.
i. Lettre de la collection du catalogue d'Henneville, vendue
le 23 février 1858.
LUI
Au mois d'août 1783, ce sont, dans les habi-
tués de l'Opéra, chez les assidus du ballet, ce
sont de terribles alarmes. MUe Guimard a la
petite vérole, et l'on s'entretient à la Cour, dans
les salons, dans les cafés, du danger de cette
maladie chez une femme de quarante ans, et
dont l'état et l'existence ne promettent pas un
sang rebelle à la maligne influence.
Les amateurs de la chorégraphie ont une
autre inquiétude. Ils craignent que les prêtres ne
s'emparent de la danseuse, et ne la déterminent
à quitter le théâtre. Mais, grâce à Dieu, les bul-
letins sont rassurants, et les gens, au courant
des nouvelles de l'Opéra, assurent qu'il n'est
pas encore question d'un confesseur. Enfin, au
bout d'une vingtaine de jours, Paris apprend
la convalescence de l'illustre danseuse, et un
216 LA GUIMARD.
Recueil de lettres secrètes1, que je possède, nous
apprend que, le 29 août, une fête est célébrée
chez MUe Guimard, pour rendre grâce à ses
amants du soin qu'ils ont pris d'elle.
Le Recueil des lettres secrètes ajoute :
« M. de la Ferté et le prince de Soubise se
sont piqués à l'envi d'être plus généreux l'un
que l'autre. La convalescente a déclaré que l'in-
tendant des Menus méritait d'entrer au boudoir
avant son rival, et que par reconnaissance, elle
lui devait sa première faveur. »
Je ne sais quel anecdotier a raconté, qu'à sa
rentrée à l'Opéra, dans la Chercheuse d'esprit,
comme on la félicitait des très légères traces, que
le mal avait laissées sur sa figure, un brutal qui
sans doute avait à se plaindre de la danseuse,
dit assez haut pour qu'elle put l'entendre : « Par-
bleu, ce visage-là ne pouvait être marqué de pe-
tite vérole, on ne laboure pas sur le roc2! »
1. On lit, d'une écriture du temps, en tête de ce recueil :
M. Naigeon, ami de Diderot, tenait ce manuscrit de Grimm.
2. L'Académie Impériale de Musique, par Castil-BIaze. Pa-
ris, 18o5.
LIV
Le dicton : « bête comme une danseuse » ne
s'applique pas à la Guimard. Non, elle n'est pas
une bête, la femme qui définit ainsi les comé-
dies de Marivaux : « C'est le cœur dévoilé par
l'esprit ! » Marais parlant d'elle, toute jeunette,
affirmait qu'elle avait l'esprit très vif, et dans
un autre rapport, publié par La Police dévoilée,
on vantait la grâce moqueuse de son dire.
Et voici, qu'une lettre de la danseuse au com-
positeur Champein, nous est un témoignage du
gentil badinage de cet esprit, de l'aisance avec
laquelle la femme se tire d'une indiscrétion mal-
adroite d'ami, de l'aimable malice épistolaire,
que sa plume trouve en courant1. Elle est vrai-
ment amusante cette lettre de la grande et vo-
1 . Le Diable Boiteux, dans les quelques lignes nécrologiques
qu'il consacre à la Guimard, parle de ces' « naïvetés spiri-
tuelles ».
19
218 LA GUIMARD.
lage impure, avec la forme humoristique de
son couplet sur les amours éternelles, avec sa
profession de foi d'originalité et de passion
folle de l'extraordinaire.
« Je suis infiniment sensible, Monsieur, à la
lettre honnête, que vous m'avez fait l'honneur de
m écrire, mais je ne sçais trop comment je dois
vrcndre les remerciements que vous me faites,
sur ce que j'ai dit de vous à M. de T***. Dans
tous les cas, je puis vous répondre avec assu-
rance qu'il n'y a pas de quoi1. Ne m'en sachez
pourtant pas mauvais gré. Je suis accoutumée à
\ . Comme toutes les lettres de femmes du temps, femmes de
la société ou d'ailleurs, la lettre de la Guimard est sans or-
thographe. Elle écrit : il ni a pas de quoi, — c'eut été' d'omage,
— la voix s'enrouille, etc., etc.
Du reste pour donner une idée plus complète de l'ortho-
graphe de la danseuse, en voici un autre échantillon : c'est
un reçu au comte de Robien d'une pension de cent francs,
qu'il lui faisait.
Je reconais avoir ce jour reçue de monsieur le comte de
Robien la somme de sent livre, pour Vanée échue du jour
d'hier, de la pension qu'il a bien voulu me faire conjointement
avec ces cohéritiers dont quittance à Renne [Rennes) ce
2f avril 1781.
Renne en interligne approuve la Guimar.
Sur la même feuille est un reçu, donné à MUc de Robien,
de la somme de trente et une livres douze sols trois deniers,
auxquels doit s'adjoindre la somme de soixante-huit livres,
sept sols neuf deniers, que doit payer M. de Bourgneuf : — reçu
du 22 avril 1784, toujours signé : Guimar.
LA GUIMARD. 219
ne rien déguiser de ma façon de penser, c'est
petit-être une mauvaise habitude, mais j'y suis
attachée, et je la conserverai principalement avec
lui. Est-ce ma faute, si c'est un bavard? Ai-je
donc tant de tort de me plaindre, de l'indiscré-
tion de ces vilains hommes ? J'en appelle à vous,
n'est-il pas vrai, que si vous n'aviez pas eu l'es-
prit bienfait, il n'en auroit pas fallu davantage
pour nous brouiller, avant même de nous con-
naître. En vérité, c'eût été dommage, heureuse-
ment qu'entre roués, on prend tout en bonne
part, voilà ce qui me rassure.
« Oui , f ai trouvé le nom de Franzel charmant,
lorsque je l'ai entendu prononcer. Oui, je m'in-
téresse à elle, mais que lui sert cet intérêt, puis-
qu'elle ne vous en inspire plus! Il faut convenir
que son règne n'a pas été long, et vous avez beau
dire, vos excuses ne sont pas recevablesl
a Ah ! pourquoi, s'il vous plaît, ne peut-on pas
toujours s'aimer et se le dire! Parce que la voix
s'enroue à force de le répéter! Vous croyez qu'on
s'enrhume moins facilement, en le disant, tous
les jours, ci des objets différents. Moi, je pense le
contraire, par la raison qu'il faut beaucoup plus
parler pour persuader , alors qu'on a réussi.
Tenez, vous avez de très mauvais principes, ne
vous avisez pas de les donner à mon frère, car
220 LA GUIMARD.
sur ce point je ne plaisanterais pas. Écoutez,
Monsieur, de bonne foi, il vous faudroit faire un
grand travail pour vous réhabiliter dans mon
esprit, car votre vertu est bien en souffrance,
je suis trop franche pour vous le dissimuler.
Avouez que voilà une plaisante manière de
faire connaissance ensemble, elle me plaît assez :
j'aime T extraordinaire, c'est une folie!
« Oui M. de T... me fera grand plaisir de
vous amener chez moi, je serai très aise d'avoir
votre amitié, car je vous rends bien justice, en
vous accusant bien d'être un amant volage, mais
je croirais vous faire injure, si je ne vous croyais
pas un ami fidèle.
« Je suis charmée que l'auteur des paroles de
Léonore fasse des changements à cette pièce, en
vérité elle en a le plus grand besoin, quant à ce
qui les regarde. Pour vous, Monsieur , je ne puis
que vous renouveler tous mes compliments, et ils
sont aussi sincères que mérités.
« Je suis très parfaitement, monsieur, votre
très humble obéissante servante.
« Guimard1. ))
Ce 3 septembre.
Pour M. Champein.
1. Lettre communiquée par M. Hervey, lettre acquise depuis
la vente de sa première collection, et adressée au compositeur
Champein.
LY
Au renouvellement de l'année théâtrale de
1784, le bruit s'est répandu dans le public que
la danseuse avait l'intention de demander sa
retraite, et devant l'émotion que cette retraite
met dans le monde lyrique, pour garder, pour
retenir la Terpsichore de l'Opéra, M. de la Ferté
se voit obligé, dans cette lettre, d'appuyer près
du ministre la demande qu'elle fait d'une aug-
mentation de mille livres pour sa pension de
retraite.
« Paris ce 3 avril 1784.
« Monseigneur,
« J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint la
copie d'une lettre que j 'ai reçue de Mlle Guimard i ,
et qu'il seroit heureux que vous eussiez la bonté
1. La copie de la lettre de M1'** Guimard n'est plus jointe à
la lettre de M. de la Ferté.
19.
222 LA GUIMARD.
de parcourir, pour que je puisse recevoir vos
derniers ordres, avant votre départ. Il paroit
que tout le monde est alarmé de la crainte de
perdre Mllc Guimard. M. Lenoir, chez lequel
je viens de dîner, m'en a même parlé, et il lui
semblerait juste qu'on lui donnât quelque sa-
tisfaction, en lui promettant de lui accorder
les mille livres de plus de pension, qu'elle de-
mande pour le temps de sa retraite, mais à
condition toutefois qu'elle n'en parleroit pas,
pour que cela ne tirât pas à conséquence. Mais,
il faudroit qu'elle gardât le même secret que
Mlle Levasseur.
« Je dois aussi avoir l'honneur de vous préve-
nir, Monseigneur, que tous les premiers sujets
de l'Opéra, ont été chez Mlle Guimard, pour l'en-
gager à continuer ses services. Enfin je viens
de découvrir dans la visite qu'elle vient de me
faire, et où elle n'a mis aucune humeur, qu'elle
tient à cette grâce, moins par besoin que par
amour-propre. Je ne lui ai pas caché que si vous
lui accordiez cette grâce, qui pourroit être mo-
tivée sur ce qu'elle avoit eu le bras cassé, il y a
quelques années par la chute d'une décoration,
ce qui en rendroit les conséquences moins dan-
gereuses, personne n'ayant à alléguer un sem-
blable motif. Alors vous exigeriez d'elle, qu'elle
LA GUIMARD. 223
mît plus d'économie dans les dépenses qu'elle
occasionne à l'Opéra, d'autant mieux, Monsei-
gneur, que vous étiez déterminé à ne plus laisser
donner à l'avenir que très rarement des ballets
d'action, quiavoient occasionné, depuis plusieurs
années , des dépenses presque aussi considérables
que la mise d'opéras nouveaux. Elle m'a promis,
de se conformer à tout, à vos volontés. »
Le ministre répondait le même jour à M. de
la Ferté, que quoique « une faveur accordée à
un sujet ouvre la- porte à une foule de préten-
tions », en considération de ses longs services,
il promettoit de lui assurer, lors de sa retraite
les mille livres de plus de pension qu'elle de-
mande, mais à la condition qu'elle garderoit le
plus profond secret sur cette grâce.
LVI
Le mardi, 2C> juillet 1785, était donné, à l'O-
péra, le ballet du Premier Navigateur ou le pou-
voir de l'Amour.
C'était un ballet en trois actes, où Mlle Gui-
mard jouait le rôle de Mélide, un rôle dessiné
spécialement pour elle, et de la composition de
Gardel l'aîné, son compositeur ordinaire, et qui
avait déjà fait les grands succès de la danseuse,
dans les ballets de Mirza, de la Chercheuse d'es-
prit, de NlNETTE A LA COUR.
Est-on curieux de savoir sur quel ton lyrique
parle du talent de la danseuse, l'auteur des Cos-
tumes ET ANNALES DES GRANDS THÉÂTRES DE PARIS?
« Peintres, poètes, comédiens, artistes en
tous genres, voulez- vous connaître le goût sur
lequel on a tant disputé, sans jamais pouvoir le
définir, voyez MUe Guimard, et voyez-la souvent
LA GUIMARD. 225
dans toutes les attitudes et tous les rôles de la
danse, et vous puiserez dans ses moindres mou-
vements, le goût, sans lequel rien ne peut être
agréable. Ce goût, désigné chez les anciens,
par les mots lepos, venustas, que les langues
modernes ne savent point traduire. »
Et l'enthousiaste compte rendu du ballet du
Premier navigateur, est illustré d'un de ces ai-
mables lavis en couleur de Janinet, à l'imitation
d'aquarelle, où nous voyons MUe Guimard, les
cheveux dénoués, dans une tunique blanche, à
l'envolée derrière elle d'une ceinture bleue, et
battant, désespérée, la grève de l'île déserte,
créée par l'inondation, qu'ont faite soudaine-
mentles Dieux, et qu'entoure de toutes parts un
Océan à perte de vue.
L'auteur affirme dans ce compte rendu, que
Mlle Guimard, qu'on ne peut se lasser de voir et
de revoir, réunit les talents de l'actrice qui sent
et exprime toutes les passions, à ceux de la dan-
seuse la plus exercée, disant que le jeu muet de
la danseuse, dans le moment, où le pressenti-
ment amoureux l'avertissant de l'arrivée de son
amant Daphnis, lui remet l'espérance au cœur,
sans qu'elle puisse savoir ce qui l'a fait renaî-
tre : cette espérance est une de ces choses, qu'il
paraît impossible à la pantomime de peindre, —
226 LA GUIMARD.
et que cependant Mlle Guimard exprime avec la
plus frappante vérité.
Puis l'article finit par ces vers de Dorât, tirés
de son poème de la Déclamation théâtrale, cé-
lébrant la danseuse dans le Premier navigateur :
Quelle nymphe légère, à mes yeux se présente !
Déesse, elle folâtre et n'est point imposante,
Son front s'épanouit avec sérénité.
Ses cheveux sont flottants, le rire est sa beauté.
D'un feston de jasmin, sa tête est couronnée,
Et sa robe voltige, aux vents abandonnée.
Mille songes légers l'environnent toujours;
Plus que le printemps même, elle fait les beaux jours.
Des matelots joyeux, rassemblés auprès d'elle
Détonnent à sa gloire une ronde nouvelle,
Et de jeunes pasteurs, désertant les hameaux,
Viennent la saluer aux sons des chalumeaux.
C'est l'aimable gaîté : qui peut la méconnaître,
Au chagrin qui s'envole, aux jeux qu'elle fait naître?
Fille de l'innocence, image du bonheur,
Le charme qui te suit, a passé dans mon cœur.
Sur ce gazon fleuri qu'elle a choisi pour trône,
Pasteurs, exécutons les danses qu'elle ordonne,
Fuyez, arrêtez-vous, suspendez votre ivresse;
Comme Guimard enfin appelez les désirs,
Et que vos pas brillants soient le vol des plaisirs.
Le ballet du Premier navigateur, sans doute
aux grands regrets de la cour, ne pouvait être
joué par Mlle Guimard à Fontainebleau, Tau-
LA GUIMARD. 227
tomne suivant. En 1855, le hasard m'a fait
trouver dans la bibliothèque de Saint-Marc, à
Venise, un recueil de Nouvelles manuscrites1
qui annonce, à la date du 13 octobre 1785 :
« La demoiselle Guimard s'étant blessée,
dimanche dernier, au genou, par une chute dans
un escalier, ne sera point en état de faire bril-
ler son talent pendant les voyages de la cour. »
1. Nouvelles de l'an 1785, par M. Barth. L'adresse de M. Barth
est au café du Caveau, au Palais-Royal.
LVII
Dans rembarras de ses affaires, Mllc Guimard
songeait à se défaire de son hôtel de la Chaussée-
d'Antin, et avait l'idée originale de le mettre en
loterie. Elle faisait agir de puissants amis près
du gouvernement, obtenait sinon l'autorisation
officielle, au moins que les ministres ne met-
traient pas d'opposition à cette loterie privée *,
et aussitôt faisait imprimer le prospectus que
voici :
1. Donnons ici la lettre adressée par le ministre de Galonné
au lieutenant de police de Crosne :
« Versailles, le 19 mai 1786.
« On ne m'a point demandé, Monsieur, et je n'ai pas donné
d'autorisation pour la loterie de MUe Guimard. J'ai seule-
ment pu dire, quand onm'en a parlé, quejc ne m'y opposcrois
pas. Il me semble que dans l'état actuel des choses, il y auroit
beaucoup d'inconvénients à ne pas tolérer le tirage qui est
annoncé, tous les billets étant distribués, et n'y ayant eu ni ré-
clamation, ni aucune défense, soit de la part du baron de
Breteuil, soit de la mienne. »
LA GUIMARD. 229
« Prospectus d'une loterie de la maison de
Mlle Guimard, dont le tirage se fera publique-
ment, le premier mai 1786, dans une salle de
l'hôtel des Menus, rue Bergère, en présence d'un
officier public l .
« Cette maison est située à l'entrée de la
chaussée d'Antin, et consiste en un bâtiment,
entre cour et jardin; la face sur la cour est or-
née d'un péristyle ; le rez-de-chaussée qui est
élevé de huit marches, est distribué en une anti-
chambre, salle à manger, chambre à coucher,
boudoir, une grande pièce éclairée par le haut
pouvant servir de galerie de tableaux, ca-
binet de toilette, salle de bain, etc., le tout très
orné.
« Dans le comble sont aussi de petits apparte-
ments très commodes et aussi très ornés.
« Un bâtiment sur la rue, dans lequel sont les
écuries et remises, et au-dessus, une salle de
spectacle avec toutes ses décorations.
« Le jardin est orné de berceaux couverts.
La plupart des meubles resteront à la maison,
étant faits pour la place. »
Décrivons d'après une note du prospectus,
ce mobilier : un mobilier meublant, estimé à
1 . Les Comédiens du Roi de la Troupe Françoise, par E. Cam-
pardon. Champion, 1879.
20
230 LA GUIMARD.
27 532 livres, un riche mobilier courant de ta-
pissier du temps.
C'est la salle à manger, avec ses dix-huit
sièges en velours d'Utrecht vert et blanc, ses
trois tables de trente, de quinze, de dix cou-
verts.
C'est la serre chaude, avec ses banquettes de
velours d'Utrecht vert, et ses quatre girandoles
portées par des figures en stuc, montées sur
des piédestaux de marbre blanc.
C'est le boudoir, avec ses deux canapés et
ses deux bergères de taffetas vert. La Guimard
aime décidément le vert!
C'est la chambre à coucher, avec ses deux
grands tableaux servant de tentures (un de ces
deux tableaux serait-il le tableau de la Gui-
mard, par Fragonard, possédé par M. Groult),
son lit à niche, ses deux tète-à-tête, ses six fau-
teuils à carreaux, son écran à deux feuilles cou-
vert de damas de Gênes cramoisi et blanc, ses
deux girandoles en lys d'or moulu.
C'est la salle de bains, avec la niche de la
baignoire en perse.
C'est le cabinet de toilette, avec sa tenture en
papier lampas, et ses six cabriolets couverts de
velours cramoisi et blanc, etc., etc., etc.
Le prospectus continue :
LA GUIMARD. 231
« La loterie sera de 2 S00 billets à 120 livres
le billet, dont un seul gagnant.
« Aussitôt après le tirage de la loterie, MUe Gui-
mard passera le contrat de vente de la maison
et des meubles, au profit du propriétaire du lot
gagnant. »
Dans un second prospectus, l'on disait que
l'accueil favorable, que le public avait fait à
cette loterie, dont la distribution des billets
était déjà avancée, engageait Mllc Guimard à le
satisfaire, sur les objets qu'il avait pu désirer.
Répondant à la demande qui lui avait été
adressée, sur la manière dont se ferait le tirage,
elle annonçait qu'il y aurait deux roues, dans
l'une desquelles, seraient déposés 2o00 billets
roulés, et un timbré : Lot.
Mlle Guimard déclarait aussi que, par un ar-
rangement avec les seigneurs, dans la censive
desquels était située sa maison, le gagnant
n'aurait à payer pour ladite vente que 12 000 li-
vres, et que la maison était en pleine propriété,
qu'il n'y avait ni bail emphytéotique ni bail à
rente, qu'elle était seulement chargée du cens
ordinaire.
Le tirage de la loterie qui devait avoir [lieu,
232 LA GUIMARD.
le Ier mai 1785, retardé par des circonstances
particulières, était remis au lundi 22, du même
mois.
Ledit jour, en présence du commissaire de
Serreau, des sieurs Devassis et Tartois, tous deux
inspecteurs de la loterie royale de France, en
une salle pratiquée en forme de tente, dans le
jardin de l'hôtel des Menus, et avec l'assistance
de quatre enfants du Saint-Esprit, de deux par-
ticuliers devant annoncer les billets, et de qua-
tre tourneurs de roues, sur les dix heures du
matin, devant un public nombreux, déjà assem-
blé, les 2 500 billets numérotés étaient placés
dansuneroue, et les 2 499 billets en blanc, avec
le billet portant le mot : Lot, étaient placés
dans l'autre.
Mille billets avaient été tirés sans que le lot
gagnant fût sorti, et comme il était deux heures,
et que le public désirait une interruption, les
scellés étaient posés sur les deux roues. Puis,
à quatre heures, ils étaient levés sur la réquisi-
tion de Mlle Guimard, et le tirage de la loterie
repris.
C'était seulement après le tirage de 2 267 bil-
lets tirés, que sortait le billet gagnant, le bil-
let 2 175.
L'hôtel de Mlle Guimard était gagné par la
LA GUIMARD. 233
comtesse de Lau, porteuse d'un seul billet1, qui
revendait l'hôtel 500 000 francs, au banquier
Perregaux.
Et voici le fac-similé, pour ainsi dire, d'un des
billets de cette curieuse loterie :
Loterie de la maison de Mademoiselle Guimard,
dont le tirage se fera le 1er mai 1786, en une
salle de l'Hôtel des Menus, sis rue Bergère.
N° deux mil vingt-six.
Le porteur est propriétaire d'un billet de ladite
loterie, pour laquelle il a payé la somme de cent
VINGT LIVRES.
A Paris, ce dix février mil sept cent quatre-
vingt-six.
M1Ie Guimard2.
1. Mémoires secrets, vol. XXXII. — La Guimard n'ayant pu
se pourvoir d'un nouvel appartement, demandait au gagnant
de ne pas entrer dans la maison en juillet, et espérait même
de son honnêteté, qu'il lui continuerait la jouissance jus-
qu'au ler janvier 1787, sans exiger de loyer.
2. A gauche du billet existe une signature illisible, la signa-
ture du propriétaire du billet, ce billet portant le n° 2026, et
le billet portant le n° 2407 sont conservés à la Bibliothèque
Nationale L 27. — Un autre billet a passé, le 15 octobre 1851, à
la vente d'autographes de Châteaugiron.
20.
LVIII
En 1783, M. de la Ferté, avons-nous vu, avait
rédigé pour l'instruction de M. de Breteuil, mi-
nistre, de la maison du Roi, un rapport sur les
sujets du chant et de la danse de l'Académie
royale de musique; en 1788 pour l'instruction de
M. de Villedeuil, succédant à M. de Breteuil,
Dauvergne, directeur de l'Opéra, rédigeait un
autre rapport. Dans celui-ci, où les portraits
touchent parfois au libelle, on s'étonne un peu,
en dépit de tous les griefs du directeur contre
son premier sujet, de voir la parfaite justice ren-
due par Dauvergne, aux talents de la Guimard.
Premiers sujets de la danse1.
Mlle Guimard. — Cette demoiselle a fait un
service sans exemple, depuis 1761, qu'elle^ est
i. Le personnel masculin de la Danse se compose alors, en
LA GUIMARD. 235
entrée à l'Opéra; il seroit très fâcheux pour le
public et pour l'Académie, que de faux conseils
lui fissent perdre le mérite d'une considération,
que l'on doit à ses longs services.
M"e Saulnier. — Belle femme, mais médiocre
danseuse, pour ne rien dire de plus.
Mlle Pérignon. — Excellente danseuse dans
son genre.
Mlle Langlois. — Actuellement enceinte, il y
a tout à craindre que le défaut d'exercice ne
nuise à son talent.
Premiers remplacements .
MUe Roze. — La meilleure danseuse dans le
genre noble : elle se rend difficile pour le ser-
vice, par les mauvais conseils de son maître, le
sieur Yestris père.
MIlc Coulon. — Bonne danseuse dans le genre
noble, mais froide : elle a cependant beaucoup
acquis pendant son séjour à Londres. Les pro-
grès sont très sensibles.
Mlle de Ligny. — Danseuse médiocre qui, mal-
Premiee.s Danseur.s, de Gardcl, Vestris, Nivelon; en Premiers
Remplacements de MM. Favre, Laurent, Frédérik, Goyon,
Huard, Laborie, Siville.
236 LA GUIMARD.
gré son travail, n'augmentera pas beaucoup
son talent.
MUo Zacharie. — Médiocre danseuse qui res-
tera telle qu'elle est.
Mlle Miller. — Excellente danseuse, quoique
un peu froide, elle travaille sans relâche à deve-
nir premier sujet, elle ne répugne à rien pour le
bien du service.
M1IeJL.AURE. — Cette jeune fille ne fait dans
ce moment aucun service, pour cause de mala-
die de femme, il faut attendre l'époque pour sa-
voir ce qu'elle deviendra.
Mlle Trosche. — Jeune danseuse qui travaille
beaucoup et qui double la demoiselle Pérignon
à la satisfaction du public1.
1. L'Opéra secret au xvme siècle, par Adolphe Jullien.
LIX
En ces toutes dernières années de son service
à l'Opéra, la Guimard est restée la personne in-
gouvernable, qu'elle a toujours été, n'en fai-
sant qu'à sa volonté, n'obéissant qu'à ses ca-
prices, et se gabelant, ainsi qu'on disait autre-
fois, des tribulations de Dauvergne.
Songe-t-il, ce pauvre directeur, à donner la
Chercheuse d'esprit, une semaine, où la demoi-
selle de Pérignon est incommodée, où la demoi-
selle Langlois est prête d'accoucher, où la de-
moiselle Zacharie se trouve en congé, où la
demoiselle Trosche est dans son lit, à la suite
d'une entorse, — au dernier moment, la Guimard
lui envoie dire qu'elle est hors d'état de danser.
Une autre fois, le répertoire arrêté pour la
semaine, la Guimard fait prévenir, qu'elle
compte se purger le mardi, et qu'on ait à chan-
ger de spectacle. Et cette purgation est une in-
238 LA GUIMARD.
vention de la danseuse : il y avait tout simple-
ment une partie organisée pour aller passer le
mardi, le mercredi, le jeudi, à l'Hay. «Voilà le
résultat de la liaison de la Guimard, avec toutes
sortes de canailles, » écrit Dauvergne '.
1. L'Opéra secret au xvm« siècle, par Adolphe Jullicn.
LX
La Guimard vieillissait, elle avait quarante
ans, elle approchait la cinquantaine, et, sur les
planches de l'Opéra, dans sa nuée de gaze, elle
continuait à être Hébé, elle continuait toujours
à être la déité volante de la jeunesse.
On s'étonnait de cette conservation à la Ninon,
de cette conservation qu'elle partageait avec
un seul homme du siècle : le maréchal de Riche-
lieu. Le secret de cette éternelle jeunesse, Castil-
Blaze nous le dévoile, sans toutefois nous dire
de quel livre du temps ou de quel contem-
porain de la danseuse, il le tient, ce miraculeux
secre,t! A l'époque de ses débuts, Mlle Guimard
avait fait faire un portrait d'elle, et maintenant,
tous les matins, dans son boudoir, avec une
main experte, mélangeant tous les pastels du
maquillage, devant son miroir, elle refaisait sur
sa figure de trente, de quarante, de cinquante
ans, le portrait qu'elle avait sous les yeux : —
le portrait de son visage de vingt ans.
LXI
La Guimard a eu plusieurs années, pendant
l'été, des engagements avec l'Opéra de Lon-
dres, d'où elle date quelques lettres curieuses,
presque, les seules lettres intimes, que l'on ait
d'elle.
Et voici une lettre, adressée au banquier
Perregaux, — qu'elle appelle familièrement
mon voisin, — où elle donne des détails de son
engagement à 650 guinées, et où elle traite
de coquins, il signor Ravelli, et l'ami Gallini.
« Le 20 juin 1784.
« Quoiqu'il y ait bien longtemps, que je ne me
sois rappelée à votre souvenir, mon voisin, il
n'en est pas moins vrai, que vous ri avez pas cessé
d'être présent au mien, et que mon silence envers
vous, ri a eu d'autres causes quun travail forcé
et très pénible, pour me laisser la possibilité
LA GUIMARD. 241
d'exécuter ce que je désirais le plus. J'aime à me
persuader que vous rendes assés de justice à votre
voisine, pour être bien convaincu de cette vérité!
Ah! mon voisin! en quel pays suis-je venue? Je
ne me plains pas des habitants, il s en faut, non,
du tout; mais les Italiens? Ah les coquins!
L'Opéra de Londres en est le repaire, à com-
mencer par il signor Ravelli... et un petit brin,
notre ami Gallini, que je n' ai cru qu'une bonne
bête jusqu'à ce moment, mais qui vient de se
déclarer quelque chose déplus : voici le fait.
« Vous scavés que l'Opéra est brûlé. Donc par
cette incendie, cession de tous engagements : telle
est la clause qu'ils comportent; le mien n'en a
pas été à l'abri plus que les autres. Ainsi en
regardant les fiâmes qui mettoient le théâtre en
cendre, je leurs voyois dévorer les 335 guinées
que je devois recevoir, à l' expiration de mon en-
gagement, ayant partagé en deux payements, les
650, je leur disois adieu, assès tristement, lors
qu'on vînt m'apprendre que Gallini s'étoit ar-
rangé avec le directeur de Covent-Garden, qui
précisément venoit d'entrer en vacances, et que
le reste de la saison se finiroit sur ce théâtre;
alors je ne mis pas en doute que mon engagement
ne fût continué. Sur ces entrefaites, Gallini
vint chez moi pour me payer les 825 guinées qui
21
242 LA GUIMARD.
étoient échues, deux jours avant l'incendie; puis
il fit le pauvre, connue à son ordinaire, et me
dit qu'il «toit bien malheureux, qu'il perdoit
beaucoup et que je devrois bien faire une petite
diminution sur le restant de mon engagement;
le voyant si bon homme, j'en eus pitié, et lui dis
que je me chargerons volontiers de la dépense de
mes habits; cette douce proposition chatouilla
son âme, il fut très satisfait, me prit la main, en
me disant que fêtais birn honnête. Il y avoit
chez moi, cinq personnes présentes, j'ai donc cru
tout arrangé: mais point du tout; je n'ai plus
revu le sieur Gallini. Il signor Ravelli est venu,
en sa place, me dire qu'il nétoit plus régisseur,
que Gallini était un gueux, un coquin, duquel il
ne voulait plus se mêler; puis l'instant d'après,
il m'offrit, de la part de Gallini, vingt-cinq
louis par représentation : je me mis à rire, et
lui répondis que j'étois bien étonnée qu'il se
chargeât encore des propositions de Gallini,
puisqu'il nétoit plus régisseur, que d'ailleurs je
me tenois à mon engagement. Qu'a fait le sieur
Gallini, il a donné hier des ordres, pour que l'on
avertisse tous les sujets, de se trouver ce matin
à la répétition, excepté moi : j'ai appris cela,
et ce matin, je me suis rendue à la répétition
avec deux témoins : chose que m avoient conseillée
LA GUIMARD. 243
l'avocat elle procureur que j'ai consultés, et qui
tous deux, ni1 ont dit que mon affaire e'toit 'par-
faitement bonne; mais, mon voisin, vous auriez
trop ri, si vous aviez pu voir l'effet qu'a produit
ma présence. Ravelli en est devenu tout vert, et
Gallini stupéfait, ils ont cru voir tous deux la
tête de Méduse. Enfin, le dernier a pris la pa-
role, et a dit que je n'étois plus engagée, mais
sans lui répondre, j'ai demandé par quel ballet
on commencer oit demain ! Le malheureux a
perdu la tète tout à fait, mais n' osant me parler ,
il a pris à part un de mes témoins, auquel il a
offert 100 guinées pour moi pour les représen-
tations : le témoin a répondu que je ne voulois
entendre qu'à la validité de mon engagement,
que je m'étois mis en règle et qu'il seroit forcé
d'y faire honneur : la répétition a été renvoyée;
et à peine ai-je été de retour chez moi, que j'ai
reçu une nouvelle ambassade du sieur Gallini,
et de nouvelles propositio?is auxquelles je n'ai
pas voulu entendre... Tout le monde est en l'air
pour cette affaire. Demain, on dit qu'il y aura un
sabbat d'enfer au théâtre, c'est lord Drumel qui
me l'a assuré ainsi que milady Jersey ; la du-
chesse Devonshire est partie pour la France.
J'en suis fâchée, les autres dames sont à la cam-
pagne, mais il reste encore assez de noblesse à
244 LA GUIMARD.
Londres, pour le malheur de Gallini : je vous
ferai part, mon voisin, de cette grande histoire.
« En attendant, je vous prie de vouloir bien
assurer de mon respect Mme Perr égaux, et de lui
dire que j'ai cherché à in acquitter de ses com-
missions ; je lui envoie dans cette lettre les échan-
tillons que j'ai trouvés, mais le prix est infini-
ment plus considérable quelle ne nïa dit; je la
prie de vouloir bien me faire passer ses intentions
et je les exécuterai ponctuellement.
« Adieu, mon voisi?i, vous me trouvères bien
bavarde, mais Vintérest que vous voulès bien me
témoigner, m' encourage à vous conter, tout ce
qui lui est relatif; continués moi toujours votre
amitié et croyez à tout le plaisir que j'aurai à la
cultiver.
« C'est dans ces sentiments que je ne cesserai
d'être
« Votre très humble, obéissante servante.
« Guimard.
« PallMallNe 10.
« Dans les échantillons que j' envoyé, il y en a
deux qui ont l'aune de France l. »
1. En haut de la 4° page, est écrit de la main de Perre-
gaux : >< Lundy, ce 23 juin 1784. Lettre autographique signée,
de la collection de M. Dubrunfaut.
LX1I
Une seconde lettre adressée, je crois bien, en
1787 i à M. de la Ferté, nous montre la dan-
seuse dégoûtée de cette Académie royale de Mu-
sique où, selon ses expressions, à l'heure pré-
sente « les laquais et les perruquiers sont juges
des talents » et comme elle n'a dû ses succès qu'à
la bonne compagnie, ne voulant pas devenir la
pâture de celle qui remplit le parterre, elle
songe à prendre sa retraite.
« Londres %6 may.
« On ne fait pas toujours ce que l'on désire,
mon cher petit bon ami, et j'en ay bien la preuve,
puisque malgré celui que j'avois de vous écrire,
dès mon arrivée à Londres, je n'en ay pu trouver
le moment. Mais l'amitié est indulgente, et je
1. Ou 1786, si on s'en rapporte aux 25 ans de suffrage dont
elle parle de sa lettre.
21.
246 LA GUIMARD.
compte trop sur la vôtre, pour ne pas être con-
vaincue qu'elle ne vous permettra pas d'être in-
juste envers moi, en vous laissant prendre, pour
négligence, une impossibilité réelle.
« Depuis que je suis en cette ville, on ne m'a
pas encore laissé, un seul instant de libre, com-
blée des bontés de toutes les plus grandes dames,
et principalement de M"1" la duchesse de Devon-
shire. Je passe chez elle tout le temps, où je ne suis
pas employée au théâtre. En vérité, mon cher
petit bon ami, la manière dont on me reçoit par-
tout est si flatteuse, qu'elle pourvoit bien faive
tourner une tête moins sensée, que celle de votre
petite bonne amie , mais elle est d'une trop rare
bonté, pour n'être pas à l'abri de toute épreuve.
Vous allez en juger par les sages réflexions que
ses nouveaux succès lui ont fait faire, et dont
elle va vous faire part.
«J'ai pensé que je ne pouvois profiter d'une cir-
constance plus favorable pour terminer brillam-
ment ma carrière théâtrale, et je vous crois trop
mon ami, pour ne pas approuver la résolution
que je prends de quitter l'Opéva. Vous n'ignovez
pas, que depuis quelque temps, il est devenu le
centre des cabales, par conséquent du mauvais
goût, les perruquiers, les laquais, sont devenus
les juges aes talents, les miens n'ont jamais dû
LA GUIMARD. 247
leurs succès qu'à la bonne compagnie, et je ne
veux pas risquer de devenir la pâture de celle
dont on remplit 'présentement le parterre. Il me
seroit trop dur, après vingt-cinq ans de suffrages
bien soutenus, définir par éprouver des désagré-
ments, et parmi mes chers camarades, j'en con-
nois qui sont remplis de bonnes volontés sur le
chapitre. Or, comme dans tous les temps, je n'ai
jamais cherché qu'à faireplaisir, je vais mettre
le comble à mes procédés pour eux, en donnant
ma démission. Disposés de ma place, mon ami,
mais si vous voulès écouter les conseils de rami-
fié, ne la donnés qu'au talent, et non à la pro-
tection ni au charlatanisme. Je vous le répète, il
est très dangereux de donner légèrement des pre-
mières places, attendu que l'on est plus maître de
les ôter aux sujets que Von a rendus possesseurs,
quand on finit par voir clairement qu'ils ne sont
en état de les remplir. Il faut encourager les
jeunes sujets, en les récompensant bien. Soyez li-
béral en argent, mais avare des premières places,
si vous voulez ne pas fermer la porte de l'Opéra
aux vrais talents qui pourr oient les mériter. Excu-
sez, mon ami, si je vous donne des conseils, mais
c'estmon amitié pour vous, qui me les dicte, ainsy
que le désir, que j'ay de ne pas voir détruire entiè-
rement la belle danse, que f ai vu exister à l'Opéra.
248 LA GUIMARD.
(( On m'a mandé que vous aviez suspendu l'ar-
rêt du conseil qui rétablissait les feux, j'en suis
vraiment fâchée; vous savez que je vous ay tou-
jours dit, qu'il n'y avoit que ce moyen de rétablir
le bon ordre dans le service de l'Opéra. On est
bien plus empressé à remplir son devoir, quand
1 intérêt y est attaché, et la certitude de toucher
son argent, tous les mois, sans nulle espèce de
conventions, rend bien des sujets, infiniment pa-
resseux. Je tiens toujours aux feux, sans eux, cela
ira toujours mal. J'ai encore une grâce à solli-
citer de votre amitié, mon ami, cest de permettre
à Nivelon, de rester â Londres jusqu'à la fin du
mois prochain. Indépendamment du service que
vous me rendrez; en me laissant ce danseur, vous
lui en rendrez aussi un bien grand, car il a paru
un libelle à Paris, et il est accusé d'y être pour
quelque chose. On m' a mandé, ainsi qu'à lui, qu'il
étoit attendu à Paris par plusieurs mauvaises tê-
tes de la cour, et qu'on vouloit le rosser. Ce seroit
une chose très fâcheuse pour lui, qui (j'en suis
persuadée) ne le mérite pas. Vous seul, mon ami,
pouvès le soustraire à cette mauvaise affaire, en
lui permettant de passer encore cinq semaines
à Londres. Dans cet intervalle, les têtes se calme-
ront, et à son retour on ne pensera plus au libelle.
Accordès-moi cette grâce, mon ami, j'en conser-
LA GUIMARD. 249
verai une bienvive reconnaisance , attendu qu'elle
m'arrangera aussi parfaitement, puisque je viens
de contracter, pour ces cinq dernières semaines,
un engagement de 650 guinées, qui joints aux
950 que f ai faites à mon bénéfice, me forment
une très jolie somme, à rapporter à Paris. Ce
voyage n'a pas été si bête, hein! qu'en pensès-
vous? Dame; ce n'est pas ma faute. Ils m 'aiment
à la folie, ces bons Anglais! Voilà ce que c'est
que le mérite!
« Ah ça, monsieur mon cher petit bon ami, ai-
mès-moi toujours bien, et autant que je vous aime
entendès-vous? Ecrivès-moi, je vous en prie, et
dites-moi que vous me laissés JSivelon. Vous nous
rendrez service à tous les deux, et vous êtes trop
obligeant pour refuser à votre petite bonne amie,
qui vous embrasse de tout son cœur.
« GUIMARD.
« Mes respects je vous prie à Mme de la Ferté
ainsi qu'à Mme Desentelles , sans m' oublier auprès
de son chaste époux.
« Mlle Saunière vous portera les commissions
dont Mlle de la Bourdonnais m'avait chargées
pour vous remettre.
« PallMall, n°10*. »
1. Collection d'autographes de M. Morrison à Londres.
LXIII
Une dernière lettre de l'ancienne collection
du baron de Trémont, adressée au banquier
Perregaux, le 16 avril 1789, dont nous ne pou-
vons, hélas, donner que l'extrait du catalogue,
nous représente la Guimard, vivant dans l'in-
timité des grandes dames anglaises, dans l'inti-
mité de la duchesse de Devonshire, cette fana-
tique de danse, qui commandait un ballet à
Vestris, et chez laquelle, dans la lettre adressée
à M. de la Ferté, quelques années avant, la
Guimard dit qu'elle passait tout le temps qu'elle
n'était pas au théâtre... Et la réputation de son
goût d'habillement fait de la danseuse française
une sorte d'ordonnatrice des modes de là-bas.
Voici l'extrait du catalogue de Trémont,
décembre 1859 :
« Curieuse lettre, sur son arrivée à Londres et
sur l'accueil gracieux et empressé qu'elle y a
LA GUIMARD. 25
reçu de toute la noblesse, et principalement de
la duchesse de Devonshire, qui est à la tête des
organisateurs du bal, devant être donné au
Grand-Théâtre. »
« Pour le bal il faut des habits, et les dames
anglaises sont aussi coquettes que les Françaises.
Donc au moment que je suis descendue de voiture,
à mon arrivée à Londres, j'ai été assommée de
marchandes de modes et de tailleurs, pour me
'prier de la part des dames de donner mes avis sur
leurs habits. Vous pensez bien que je n'ai pas
fait de façons... »
LXIV
Des voyages, des tournées de la Guimard en
Angleterre, il est resté un curieux, un étrange,
un macabre témoignage.
La maigreur de la danseuse, elle est attestée
par tous les écrivains contemporains1 qui ont
parlé d'elle.
Le Yol plcs haut nous apprend qu'elle était
maigre, longue, ressemblant pas mal à une arai-
gnée, et la diatribe en vers inspirée par la Der-
vieux, nous a renseigné surdsa cuisse héronnière
et sa jambe en échalas.
Cette maigreur, elle a fourni ses plus jolis
méchants mots à cette mauvaise langue de
Sophie Arnould, qui, devant une figuration de
la Guimard entre Vestris, et Dauberval laregar-
1. Le Vol plus haut ou YEspion des principaux théâtres de
la capitale. A Memphis, chez Sincère, réfugié au Puits de la
Vérité, 1784.
LA GUIMARD. 253
dant amoureusement, compare le trio, à deux
chiens qui se disputent un os1, et qui, un autre
jour, faisant allusion aux amours de Mgr de Ja-
rente, l'évêque d'Orléans, a le drolatique mot
sur la grasse feuille des bénéfices et le dessè-
chement de la danseuse2.
Oui, cette maigreur, c'est le refrain de toutes
les attaques contre la femme, et même parfois
le refrain des attaques contre ses amants, ainsi
que cela s'est fait, à propos de la Cinquantaine
de M. de La Borde3.
Avec le temps cette maigreur, hélas, semble
augmenter, et mériter à la courtisane, cepen-
dant toujours aimée, la dénomination du Sque-
lette des Grâces!
Eh bien, le témoignage du séjour de la Gui-
mard à Londres, nous vient d'une image
presque effrayante, où celle, qu'on appelle ana-
créontiquement squelette des Grâces, n'est plus
même cela, mais le squelette de la danseuse
d'une danse moyennageuse des Morts.
C'est une eau-forte coloriée, qui a pour
titre :
1. Correspondance secrète, t. II.
2. Arnoldiana ou Sophie Arnould et ses contemporains, par
l'auteur de Bievriana. Paris, 1813.
3. Mémoires secrets, vol. V.
22
254 LA GUIMARD.
The Celebraled Mademoiselle G = = rd or
Grimkard, from Pans.
Publ. bij th Hamphrey. Ma;/ 26 1787.
Dans cette eau-forte, sous une toque à plu-
mes bleu de ciel, une femme à la tète de mort
fardée, aux faux cheveux envolés, au cou ossifié,
soulevant en l'air, d'une jambe de phtisique, une
jupe rose, et toute ballante, et toute envolée,
fait dans le vide, des tours de bras, qui agitent,
à leurs bouts, des phalanges d'osselets, au lieu
de mains: — une danseuse, me rappelant le sque-
lette rocaille, au coude galamment appuyé sur
une console, qui est en tète des Etudes d'anato-
mie, à l'usage des peintres, par Monnet1.
1. Études d'anatomie par Monnet, gravées par Demarteau
(Recueil de planches gravées à l'imitation de la sanguine).
LXV
Le 14 août 1789, Marie-Madeleine Guimard,
alors âgée de 46 ans , épousait dans l'église
Sainte-Marie du Temple, Jean-Etienne Des-
preaux, né en 1758, et plus jeune de quinze ans
que sa femme.
Les deux époux, qui demeuraient sur le ter-
ritoire de Saint-Laurent, recevaient la bénédic-
tion nuptiale « après avoir renoncé à leur état »,
dit l'acte, que M. Jal a tenu entre ses mains1.
1 . Dictionnaire critique de Biographie et d'Histoire, par A. Jal.
Paris, Henri Pion, 1867. — Despréaux et la Guimard se trou-
vaient ensemble à Londres, au mois d'avril, car, le 15 avril 1789,
Despreaux — il a consigné cette date dans le recueil de ses
chansons manuscrites, conservées à la Bibliothèque de l'Opéra,
— composait sa chanson de Y Anti-anglomane, juste à la veille
du jour, où la Guimard écrivait la lettre à Perregaux, citée
plus haut.
LXV1
Donc, on vertu do cotte renonciation à son
état, faite à l'église, la carrière théâtrale de la
danseuse est terminée1, et c'est le moment de
donner les rôles dansants, créés par la ïerpsi-
chore du xvme siècle, de 1762 à 1788.
Rôles dansants créés par Mlle Giàmard
dans les opéras représentés à 1' Académie Royale
de Musique2.
• Les Fêtes Grecques et Romaines. — Ballet de
Fuzelier, musique de Colin de Blàmont, repris
en 1762 et en 1770 ; (rôle de Terpsichore).
La Guirlande. — Ballet de Marmontel, mu-
sique de Rameau, repris en 1762.
1. Les états mensuels de l'Opéra semblent indiquer que la
Guimard prend sa retraite, avant son mariage, au mois d'a-
vril 1789, au renouvellement de l'année théâtrale.
2. J'emprunte ce travail à l'intéressante notice, placée par
M. Campardon en tète de l'article de la Guimard, dans l'Aca-
démie Royale de Musique.
LA GUIMARD. 257
L'Opéra de société. — Ballet de Mondorge,
musique de Giraud, représenté en 1762.
Castor et Pollux. — Tragédie de Bernard,
musique de Rameau, reprise en 1764, 1772,
1773, 1778; (rôle d'une Ombre heureuse).
Les Fêtes d'Hébé ou les Talents Lyriques. —
Ballet de Mondorge, musique de Rameau, repris
en 1764; (rôle à'Egle', chanté et dansé).
Naïs . — Ballet de Cahusac, musique de Ra-
meau, repris en 1764 ; (rôle de Flore).
Tancrède. — Tragédie deDanchet, musique de
Campra, reprise en 1764; (rôle d'une Amazone).
Pigmalion. — Entrée du Triomphe des Arts.
Ballet de la Motte, musique de la Barre, retou-
chée par Ballot de Sovot et Rameau, repris en
1764 et en 1772; (rôle de la Statue animée).
Le Devin du village. — Intermède de Jean-Jac-
ques Rousseau, repris en 1765, 1772, 1782.
Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour. — Ballet
de Cahusac, musique de Rameau, repris en 1765 *.
Les Fêtes de Thalie. — Ballet de Lafont, mu-
sique de Mouret, repris en 1765 et en 1775.
Thésée. — Tragédie de Quinault, musique
de Lulli, reprise en 1765; (rôle d'une Bergère).
1. C'est en dansant dans ce ballet au mois de janvier 1766,
que Mlle Guimard eut le bras cassé par la chute d'une
décoration.
22.
258 LA GUIMARD.
Les Fêtes lyriques. — Fragments de divers
auteurs, repris en 1766.
Sylvie. — Ballet de Laujon, Berton et Trial,
représenté en 1770; (rôles d'une Nymphe et de
Vénus.)
La Turquie. — Acte de I'Europe Galante.
Ballet de la Motte, musique de Campra, repris
en 1766; frôle d'une Sultane).
Zelinpok, roi des Sylphes. — Ballet de Mon-
crif, musique de Rebel et Francœur, repris en
1766 et en 1773]; (rôle d'une Nymphe).
Le Carnaval du Parnasse. — Ballet de Fuze-
lier, musique de Mondonville, repris en 1767 et
en 1774; (rôle d'une Jardinière).
Le Feu et la Terre. — Acte des Eléments,
Ballet de Roy, musique de Destouches, repris
en 1767 et en 1773.
Ernellnde. — Tragédie de Poinsinet, musique
de Philidor, représentée en 1767.
Hippolyte et Aricie. — Tragédie de Pellegrin,
musique de Rameau, reprise en 1767 ; (rôle d'une
Bergère).
Theonis. — Pastorale de Poinsinet, musique
de Berton et de Trial, représentée en 1767.
Daphnis et Alcimadure. — Pastorale de Mon-
donville, reprise en 1768; (rôle d'une Chas-
seresse).
LA GUIMARD. 259
Dardanus. — Tragédie de laBruère, musique
de Rameau, reprise en 1768.
Titon et l'Aurore. — Pastorale de La Marre,
musique de Mondonville, reprise en 1768.
La Vénitienne. — Comédie de la Motte, musi-
que nouvelle de Dauvergne, repris en 1768.
Anacréon. — Ballet de Bernard, musique de
Rameau, repris en 1769; (rôle de Lycoris).
Les Amours de Radegonde. — Comédie de
Destouches, musique de Mouret, reprise en 1769.
Enée et Lavinie. — Tragédie de Fontenelle,
musique nouvelle de Dauvergne, reprise en
1769.
Erigone. — Acte des Fêtes de Paphos, ballet
de Voisenon, Collet et Labruère, musique de
Mondonville, repris en 1769.
Jason et Médée. — Ballet de Noverre, repré-
senté en 1770, repris en 1776; (rôle de Creuse).
Zaïs. — Ballet de Cahusac, musique de Ra-
meau, repris en 1769 et en 1770; (rôle de hu-
cinde) .
Zoroastre. — Tragédie de Cahusac, musique
de Rameau, repris en 1770.
Alcyone. — Tragédie de la Motte, musique de
Marais, reprise en 1771 ; (rôle de la Grande Prê-
tresse de Junon).
La Cinquantaine. — Pastorale de Desfon-
260 LA GUIMARD.
taines , musique do La Borde , représentée
en 1771.
La Sibylle. — Acte des Fêtes d'Euterpe, ballet
de Moncrif, musique de Dauvergne, repris en
1771.
Pyrame et Thisbé. — Tragédie de La Serre,
musique de Rebelet Francœur, reprise en 1771 ;
(rôle d'un Esprit aérien).
Adèle de Ponthieu. — Tragédie de Saint-
Marc, musique de Berton, reprise en 1772.
Aline, reine de Golconde. — Ballet de Sedaine,
musique de Monsigny, repris en 1772; (rôle
d'une Amante).
Eglé. — Ballet de Laujon, musique de de La
Garde, représenté en 1772.
Endymion. — Ballet de Gaétan Vestris, repré-
senté en 1773; (rôle de Diane).
Ismène. — Pastorale de Moncrif, musique de
Rebel et Francœur, reprise en 1773.
L'Union de l'Amour et des Arts. — Ballet de
Lemonnier, musique de Floquet, représenté en
1773.
Azolan. — Ballet de Le Monnier. musique de
Floquet, représenté en 1774; (rôle à" Ariane).
Iphigénte en Aulide. — Tragédie du bailli du
Roullet, musique, de Gluck, représentée en
1774.
LA GUIMARD. 261
Orphée. — Tragédie de Moline, musique de
Gluck, représentée en 1774.
Sabinus. — Tragédie de Chabanon, musique
de Gossec, représentée en 1774.
Alexis et Daphné. — Pastorale de Chabanon
musique de Gossec, représentée en 1775.
Géphale et Procris. — Tragédie de Marmon-
tel, musique de Grétry, représentée en 1775.
Cythère assiégée. — Ballet de Favart, musique
de Gluck, représenté en 1775.
Apelle et Campaspe. — Ballet de No verre,
représenté en 1776; (rôle de Campaspe).
Les Caprices de Galatée. — Ballet de No verre,
représenté en 1776, repris en 1780; (rôle de
Galatée).
Les Horaces. — Ballet de Noverre, repré-
senté en 1777.
Mirtil et Lycoris. — Pastorale de Bocquet et
Boutellier, musique de Desormery, représentée
en 1777.
La Chercheuse d'esprit. — Ballet de Gardel
aîné, représenté en 1778, repris en 1783; (rôle
deNicette, fille de Mme Madré).
Les Petits Biens. — Ballet de Noverre, re-
présenté en 1778; (rôle d'une Bergère).
Amadis. — Tragédie de Quinault, musique
nouvelle de Bach, reprise en 1779.
262 LA GU1MARD.
Echo et Narcisse. — Pastorale de Tschudy,
musique de Gluck, représentée en 1779; (rôle
de la Bergère).
Mirza et Lindor. — Ballet de Gardcl aîné, re-
présenté en 1779.
La Fête de Mirza. — Ballet de Gardcl aîné,
représenté en 1781.
Apollon et Daphné. — Ballet de Pitra, mu-
sique de Mayer, représenté en 1782; (rôle de
Terpsichore).
La Dourle Epreuve ou Collinette a la Cour.
— Opéra de Grétry, représenté en 1782 ; (rôle
d'une Paysanne).
L'Embarras des Richesses.' — Opéra de d'Alain-
val el Lourdet de Santerre, musique de Grétry,
représenté en 1782.
Thésée. — Tragédie de Quinault, musique
nouvelle de Piccini, reprise en 1782 et
1783.
Atys. — Tragédie de Quinault, musique nou-
velle de Piccini, reprise en 1783.
Péronne sauvée. — Opéra de Sauvigny, mu-
sique de Dezaides, représenté en 1783.
Renaud. — Tragédie de Lebœuf, musique de
Sacchinr, représentée en 1783; (rôle d'une Ber-
gère).
La Rosière. — Ballet de Gardel aîné, re-
LA GUIMARD. 263
présenté en 1783 ; (rôle de la Surveillante).
L'Oracle. — Ballet de Gardel aîné, représenté
en 1784 ; (rôle de Lucinde).
Tibulle. — Acte des Fêtes Grecques et Ro-
maines. — Ballet de Fuzelier, musique nouvelle
de Mlle Beaumesnil, repris en 1784.
Panurge dans l'Ile des Lanternes. — Opéra
du comte de Provence et Morel, musique de
Grétry, représenté en 1785.
Bizarre. — Opéra de Duplessis, musique de
Candeille, représenté en 1785.
Le Premier Navigateur ou le Pouvoir de
l'Amour. — Ballet de Gardel aîné, représenté
en 1785; (rôle de Mélité).
Rosine. — Opéra de Gersin, musique de Gos-
sec, représenté en 1786.
Les Sauvages. — Ballet des Frères Gardel,
représenté en 1786.
Alcindor. — Opéra de Rochon de Chabannes,
musique de Dezaides, représenté en 1787.
Le Coq du Village. — Ballet de Gardel aîné,
d'après Favart, représenté en 1787; (rôle de la
Maîtresse du Garçon).
Pénélope. — Tragédie de Marmontel, musique
de Piccini, reprise en 1787.
Armire et Evelina. — Tragédie de Guillard,
musique de Sacchini, reprise en 1788.
264 LA GUIMARD.
Le Déserteur. — Ballet de Gardel aîné, repré-
senté en 1788; (rôle de Louise).
La Toison d'or ou Médée a Colchos. — Tra-
gédie de Deriaux, musique de Vogel, reprise en
1788 *.
1. Joignons à la liste des rôles dansants de la Guimard, ses
rtats mensuels d'appointements, qu'a bien voulu relever pour
moi, M. Nuitter.
1763
Appoin- Gratin- Total,
tements. cations.
Avril Guimard pour mémoire — — —
May à décembre . . . . Signé : Guimard. 66'13«4d 16'13«4d 83'6'8
1764
Janvier | Siontf .• GuiMABD. 51.2.3 12.15.7 63.17.10
(23 premiers jours). ) J
1767
May Signé : Guimard. 208.6.8 il. 13.4 250
Octobre Signé : Guimard. — — —
1768
Avril Signé : Guimard. 250 250
May Signé : Guimard. — —
1769
Avril à décembre. . . . Signé : Guimard. — —
1770
Janvier 1 _. . _
(5 derniers jours). | SVne : Guimard. 41.13.4
Février à septembre . . Signé : Guimard. 250 250
Novembre-décembre . . Signé : Guimard. — —
1771
Janvier Signé : Guimard. 250
Février Signé : Guimard. —
Mars Signé : Guimard. —
1774
Avril à septembre . . . Signé : Guimard. —
Novembre-décembre . . Signé : Guimard. —
LA GUIMARD.
265
1775
Janvier à décembre . . Signé : Guimard. 250
1776
Janvier à mars Signé : Guimard. —
1778
Avril à juin Signé : Guimard. —
Juillet à décembre . . . Signé : Vestris pour Guimard.
(Vestris signe aussi pour MUc Hees'el.)
1778
Feux-
Avril (3 dern. représent.) Signé : Guimard. 3 feux à 33.6.8 100
May — Signé : Guimard. 17 — 566.13.4
Juin — Signé : Guimard. 10 — 333. 6.8
Juillet — Signé : Vestris. 12 — 400
Août — — 7 — 233. 6.8
Septembre — — 6 — 200
Octobre — — 15 — 500
Novembre — — 10 — 338
Décembre — — 12 — 400
1779
Appointements .
Janvier — Signé : Vestris. 250
Février — — —
Mars — — —
1779
Feux.
Janvier — Signé : Vestris. 10 fois 333. 6.8
Février — — 4 — 133. 6.8
Mars — — 9_300
1780
Appointements.
Avril à octobre .... Signé: Vestris.. 250
Novembre-décembre. . Signé : Gaixet. 250
1780
Jetons
des acteurs.
Avril Signé : Vestris. 16 jours à 18 228
May — 11 — 198
Juin _ 13 — 234
Juillet _ 10 — 180
Août — 6 — 108
Septembre — 12 21g
Novembre Sig-ne.-GAi.LET. 12 — 216
Décembre — 16 288
(Gat.let signe aussi pour M"°s Heynel, Allard. Peslin.)
23
266
LA GUIMARD.
1781
Janvier à dec
embre .
• Sigi
■ Sigi
lé: Gallet.
1781
lé : Gallet.
1781
té : Gallet.
1782
'ié : Gallet.
1782
lé : Gallet.
1783
né : Gallet.
1783
lé : Gallet.
Appointements.
250
Jetons
des acteurs.
8 jours
14 —
11 —
I —
11 —
3 —
Jetons
des acteurs.
4 jours
3 —
t —
13 —
10 —
Appointements-
250
Jetons
des acteurs.
II jours
10 —
6 —
10 —
2
7 —
9 —
9 —
10 —
9 —
9 —
11 —
Appointements.
250
Jetons.
10 jours
11 —
2 —
U4
252
Avril
198
18
May
198
54
72
■ Sigi
Sigt
. Sigt
Sigr
54
72
234
180
Janvier à décc
Février . . .
imbre . .
198
180
Mars. . . .
108
Avril
180
May
3fi
1?f>
Juillet ....
16i>
Octobre .
162
180
162
162
198
Janvier à décembre. .
Février
180
126
198
36
LA GUIMARD.
May Signé : Gallet. 12 jours
Juin — 8 —
Juillet — 7 —
Août — 1 —
Septembre — 0 —
Octobre — 0 —
Novembre — 0 —
Décembre — 9 —
1784
Appointements
Janvier à mars Signé : Gallet. 250
Appoin- Gratifi-
tements. cations.
Avril Signé : Gallet. 250 166.13.4
May à octobre Signé : Gallet. 250 333. 6.8
Les états de novembre et de décembre manquent.
1784
Jetons.
Janvier. , Signé : Gallet. 12 jours
Février — 12 —
Mars — 11 —
1783-84
Rouge et pommade.
Signé : Gallet. par an
1785
A.ppoin- Gratifi-
tements. cations.
Janvier à décembre . . Signé : Gallet. 250 333.6.8
1784-88
Rouge et pommade.
Signé : Gallet. pour l'année
Corps ou piqûres.
Signé : Gallet. pour l'année.
1786
{ Appoin- Gratifi-
tements. cations-
Janvier à mars Signé : Gallet. 250 333.6.8
May à septembre ... — — —
Novembre-décembre . . — — —
1785-86
Rouge et pommade. . . Signé: Gallet. pour l'année.
Corps — —
267
216
144
126
18
162
416.13,
583. 6.;
216
216
198
300
Total.
583.6.S
300
24
Total.
583.6.!
300
24
268 LA GUIMARD.
1787
Appoin- Grattû- Total,
tements. cations.
Janvier à avril Signé : Gallet. 250 333.6.8 583.6.8
Octobre — — — —
Novembre — — — —
1786-87
Rubans et pommade. . Signé : Gallet. pour l'année 300
Corps ou piqûres. . . . Sig n é : Gallet. — 21
1788
Appoin- Gratifi- Total,
tements. cations.
Janvier à may Signé : Gallet. 230 333. 6. X. 5*3.6.8
Juin-juillet Signé : H ainssijlin. — — —
Août-décembre Signé: Gallet. — — —
1787-88
Corps, pas d'émargement.
Ronge et pommade. . . 1" 3° 4e quartiers. Signé : Gallet. \ _-..
2e quartier. Signé : Hainsselin*. )
1789
Janvier Signé : Gallet. 250 333.6.8 583.6.8
Février — — — —
Mars — — — —
LXVII
Mlle Guimard, avons-nous dit plus haut, s'était
mariée, le 14 juillet 1789, dans l'église Sainte-
Marie du Temple, à Jean-Etienne Despréaux.
Or voici le contrat de mariage, dont j'ai eu la
bonne fortune de retrouver la minute, dans
l'étude de M. Gatine, le successeur de M. Du-
fouleur, le notaire, où le contrat avait été passé.
« Par devant les conseillers du Roi, notaires
au Chàtelet de Paris, soussignés :
« Furent présents :
« Sieur Jean-Etienne Despréaux, pension-
naire du Roy, majeur, fils de défunts, Sieur
Jean-François Despréaux et de Dame Marie-
Anne Darras, son épouse, demeurant à Paris,
rue d'Orléans, Porte Saint-Denis, paroisse Saint-
Laurent.
« Stipulant pour lui et en son nom.
« D'une part.
23.
270 LA GUIMARD.
« Et DUe Marie-Madeleine Guimard, fille ma-
jeure, pensionnaire du Roy demeurant à Paris,
susdite rue et paroisse.
« Stipulant pour elle et en son nom.
« D'autre part.
« Lesquels, pour raison de mariage, proposé
entre eux, dont la célébration se fera en face
d'église incessamment, sont convenus des trai-
tés, clauses, et conditions dudit mariage, de la
manière et ainsi qu'il suit :
ARTICLE PREMIER
« Les Sr et Dlle, futurs époux, seront com-
muns en tous biens, meubles et immeubles
qu'ils acquiéront pendant leur mariage confor-
mément à la coutume de Paris, par laquelle
leur future communauté sera régie.
ART. 2.
« Ne seront, néanmoins, lesdits Sr et D"e,
futurs époux, tenus des dettes et hypothèques
l'un de l'autre antérieures à la célébration de
leur mariage, s'il y en a, elles seront payées et
acquittées par celui qui les aura contractées, et
sur ses biens, sans que l'autre, ses biens, ni
ceux de la communauté n'en soient chargés.
LA GUIMARD. 271
ART. 3.
« Les biens dudit futur époux consistent :
« 1° Dans trois mille sept cents livres de pen-
sions, en plusieurs parties, sur le Trésor
Royal ;
« 2° Dans la somme de vingt-quatre mille
livres, tant en deniers comptants qu'en meubles
et effets mobiliers, habits, linges et hardes
à son usage, y compris les arrérages de ses
pensions échus jusqu'à ce jour : le tout pro-
venant de ses gains et épargnes, déduction faite
de ses dettes passives.
art. 4.
« Ceux de ladite DUe, future épouse, con-
sistent :
« 1° Dans douze mille livres de rente viagère
sans retenue, sur Mgr le duc d'Orléans.
« 2° Dans deux mille cent soixante livres de
rente viagère sur le Roy, nette d'imposition.
« 3° Dans six mille livres de pension, sur le
Trésor Royal.
« 4° Dans trois mille aussi de pension, sur la
caisse de l'Opéra.
« 5° Dans la somme de cent dix mille livres,
tant en deniers comptants qu'en meubles, effets
mobiliers, bijoux, habits, linge et hardes à son
272 LA CU1MA.RD.
usage, y compris les revenus de ses biens échus
jusqu'à ce jour, déduction pareillement faite de
ses dettes passées.
ART. 5.
« Des biens dudit Sr et Dlle, futurs époux, il
entrera de chaque côté, en ladite communauté,
jusqu'à concurrence de la somme de douze mille
livres, le surplus qui échoira et adviendra pen-
dant le mariage à chacun d'eux, tant en meubles
qu'immeubles par suite de donations, legs ou
autrement, lui sera et demeurera propre, comme
sien seulement.
ART. 6.
Ledil Sr. futur époux doue ladite future
épouse de 1 200 livres de rente de douaire pré-
tix. dont elle jouira, sans être tenue d'en faire
la demande en justice: le fond duquel douaire
sur le pied du denier vingt, sera propre aux
enfants qui naîtront du mariage.
art. 7.
« Le survivant aura et prendra par préciput
et avant partage des biens de la communauté,
tels des meubles d'iceux qu'il voudra, suivant
la prisée de l'inventaire qui en sera lors fait
jusqu'à la concurrence de la somme de dix mille
LA GUIMARD. 273
livres, ou ladite somme en deniers comptant, au
choix du survivant.
<( Et en outre ledit survivant aura et prendra
par augmentation dudit préciput savoir : si
c'est le futur époux qui survit, les habits, le
linge et hardes à son usage, ses dentelles et sa
bibliothèque, et si c'est ladite demoiselle future
épouse, aussi les habits, linge et hardes à son
usage, ses dentelles, sa toilette, et argenterie
d'icelle. à quelque somme que le tout puisse
monter.
art. 11.
« Il est convenu que le survivant desdits Sr
et Dlle futurs époux, demeurera propriétaire de
la totalité du bénéfice de ladite communauté,
sans que les héritiers, soit directs, soit collaté-
raux du prédécédé, y puissent prétendre aucun
droit.
art. 12.
« Il est pareillement convenu que ladite Dlle.
future épouse, continuera de toucher sur ses
simples quittances, et sans avoir besoin de l'au-
torisation dudit futur époux, ainsi qu'il y con
274 LA GUIMÂRD.
sent expressément, tels arrérages e'chus ou à
échoir des douze mille livres de rentes sur
M. le duc d'Orléans.
art. 13.
« En considération dudit mariage, lesdits Sr
et DUe, futurs époux, se font par ces présentes,
donation l'un à l'autre et au survivant d'eux, de
tous les biens généralement quelconques, qui se
trouveront dépendre de la succession du pré-
décédé, et en quoi le tout puisse consister.
« Ladite donation ainsi faite, soit qu'il y ait
des enfants ou non du futur mariage, et sauf
la légitime desdits enfants, dans le cas où ledit
futur époux recueillerait ladite donation en pro-
priété.
„ « Le tout ainsi arrêté et convenu entre les-
dites parties.
« Fait et passé à Paris, en la demeure sus-
dite de la demoiselle Guimard.
« L'an 1789, le 13e jour d'août. »
LXVIII
Les femmes de théâtre aiment le compagnon-
nage avec les hommes qui leur apportent l'é-
gayement, le rire, la distraction cocasse, avec
les hommes qui ont à toute heure, la pensée et
le mot drolatique : les femmes de théâtre affec-
tionnent naturellement les farceurs.
Sophie Arnould adora l'architecte Bellanger,
rien que pour son esprit d'atelier, et ce fut pour
cela seulement, que la Dervieux l'épousa. La
Guimard subit le même entraînement que ses
sœurs de l'Opéra, et chez elle un pareil genre de
fascination changea une passade — si même
une passade eut lieu avant le mariage — en d'é-
troits liens conjugaux.
Oui, le côté carnavalesque de l'esprit en joie
de Despréaux, dans ses parodies des opéras
d'ERNELiNDE, de Castor et Pollux, d'IraiGÈNiE,
de Pénélope devenue : Sy?icope, reine de Mie-
27G LA GUIMARD.
mac, ce côté qui laisse apercevoir clans l'homme
un plaisantin farce, et promettait dans un mari,
pour les jours noirs et mélancolieux, un ai-
mable boutTon d'intérieur, il faut supposer qu'il
fut un peu une des causes déterminantes de l'u-
nion indissoluble de la femme.
Puis Despréaux n'était pas seulement un
amuseur, par le tour de son esprit et l'entrain
de ses charges, il semble qu'il avait tous les
petits talents d'agréments, propres à assurer, à
perpétuité, l'affection d'une femme de plaisir,
dont la jeunesse était morte. Il était un chan-
sonnier, qui savait trouver un couplet pour le
dessert d'un anniversaire, il dessinotait, il était
un découpcur de silhouettes, à la façon du Ge-
nevois Hubert, pouvant, dans une soirée, au
bout de fins ciseaux, donner la portraiture amu-
sante des invités, hommes et femmes. Et, en
elTel, le profil qu'on a de lui, en tête de ses
Passe-Temps, ce profil au grand nez aquilin, au
menton sensuel, surmonté d'un amour bran-
dissant une marotte, et ayant pour légende :
« Chantez, dansez, amusez-vous» porte au bas :
Découpé par J.-E. Despréaux'1 .
1. Mes Passe-temps, chansons par Jean-Étienne Desprëaux,
ornés de gravures d'après les dessins de Moreau jeune, avec
les airs notés. A Paris, chez l'auteur, 1806.
LA GUIMARD. 277
Mais ce portrait physique et moral du dan-
seur, le voulez-vous détaillé, plus complet, allez
le chercher dans le recueil manuscrit de ses
chansons, conservé à la Bibliothèque de l'Opéra,
en cette pièce de vers, qui n'a pas été im-
primée.
Despréaux, après avoir dit qu'il descendait
du grand chapelain de saint Louis, se dépeint
en ces termes :
Il faut que je vous désigne
De ma taille la grandeur :
Cinq pieds, trois pouces, neuf lignes,
Voilà juste ma hauteur.
Large front, bouche moyenne,
Menton pointu, le nez long,
Les yeux gris, figure pleine,
Sourcils bruns, cheveux blonds,
Esprit vif, gai caractère,
Sans souci, de temps en temps,
Et surtout à faire
Usage de mes cinq sens.
Point de dévot, peu philosophe,
Estimant fort les savans;
En savoir, assez d'étoffe,
Pour rire des charlatans.
Et savez-vous, c'est curieux, quand et dans
quelles conditions c'a été écrit? lisez l'envoi :
24
LA GUIMARD.
Le tout, fait en ma demeure,
Pour me distraire l'esprit.
De nuit, à peu près une heure,
Crachant le sang, en mou lit.
Mois d'Avril, ce mardi seize,
Rue d'Orléans-Saint-Denis,
L'an sept cent quatre-vingt-treize
En la ville de Paris.
LXIX
Ce ménage de danseurs, mariés juste un mois
après la prise de la Bastille : le mari et la femme
ne dansant plus, — et l'ancienne propriétaire à
la Chaussée-d'Antin et à Pantin, en dépit des
rentes et pensions énoncées au contrat de ma-
riage, ne semblant avoir gardé pas grand'chose
de son opulence passée : ce ménage avait bien-
tôt à subir les réductions, les retranchements,
la ruine apportée par la Révolution à la fortune
des particuliers, pensionnés par l'Etat.
L'année n'était point écoulée, que le décret
du 10 juillet 1790, assimilait la retraite d'un
sujet retiré de l'Opéra, à la pension de l'ancien
régime, — d'ordinaire, une faveur, une grâce, une
prodigalité sans juste raison du pouvoir. Or,
cette pension de retraite de l'Opéra, qui était en
règle générale de 1 oOO francs pour quinze ans
de service, de 2 000 francs pour vingt ans de
280 LA GUIMARD.
service, de 2 500 francs pour vingt-cinq ans,
au lieu d'être une faveur, était une obligation
contractée par le gouvernement, et appuyée sur
une multitude d'arrêts et de règlements ', était
un contrat, était un droit.
Et très justement, les Observations pour les
Sujets retirés de l'Opéra s'exprimaient ainsi :
« Le gouvernement a dit à chaque sujet :
<( Votre talent est nécessaire à l'Opéra; je dé-
sire que vous vous y attachiez, et que vous y
fassiez quinze années de service. Pendant ces
quinze années de service, les appointements qui
vous seront donnés, ne pourront pas s'élever
au-dessus de la somme de trois mille livres, je
sens que cette somme est modique, et que vous
auriez le droit d'en prétendre une beaucoup
plus forte ; je sais aussi qu'il vous seroit facile
de vous procurer sur d'autres théâtres un sort
1. Dès 1713, un fonds de dix mille livres avait été réservé'
à l'effet de payer les retraites promises aux sujets de l'Opéra.
Et voici en quels termes, est conçu le règlement donné à Ver-
sailles, le 11 janvier de cette année.
Il sera fait un fonds de dix mille livres, pour les pensions
des acteurs et des actrices, et autres gens de musique et de
danse, et symphonistes de l'orchestre, qui après avoir servi
pendant quinze années, seront par leur âge ou leur infirmités,
hors d'état de continuer leurs services, savoir 1000 livres à
ceux où à celles qui ont 1 500 livres d'appointements, et la moi-
tié des appointements, à ceux ou à celles qui ont 1200 livres
et au-dessous, sans que le dit fonds puisse être augmenté, etc.
LA GUIMARD. 281
infiniment plus avantageux. Je ne me dissimule
donc pas que c'est un grand sacrifice que j'exige
de vous, mais en considération de ce sacrifice,
je vous assurerai, pour retraite, à dater du terme
de vos quinze années, époque où il vous sera,
en effet, libre de vous retirer, la moitié des ap-
pointements dont vous aurez joui pendant ce
temps-là. »
A propos de ces pensions de retraite des
acteurs et des actrices de l'Opéra, un livre qui
s'occupe des Moyens d'améliorer l'organisation
des spectacles de Paris par rapport au public et
aux acteurs, dans le but d'être utile à la muni-
cipalité, ce livre confesse que la danse a surtout
tous les droits à cette retraite, parce que si les
chanteurs français n'avaient de chances d'enga-
gement qu'en France, nos danseurs et nos dan-
seuses qui plaisent dans tout F Univers, auraient
pu trouver des conditions beaucoup plus bril-
lantes chez les autres nations.
Et les observations pour les sujets retirés de
l'Opéra, considérant cette retraite seulement
comme le payement d'une avance sur leurs tra-
vaux, et comme une juste indemnité, se termi-
naient ainsi :
« Et, croit-on, que s'ils n'avaient pas invaria-
blement compté sur ce secours, s'ils avaient pu
24.
282 LA GUIMARD.
penser qu'on leur disputeroit un jour une pro-
priété aussi sacrée, et qu'ils seroient exposés au
danger de se la voir ravir, la Guimard, les Vestris,
\esSai?it-Hube7'ti, et tant d'autres talents célèbres,
qui ont fait pendant si longtemps les délices de
la nation, et dont elle a conservé un si grand sou-
venir, eussent consenti à rester constamment at-
tachés àTOpéra, et se contenter d'appointements,
qui suffisaient à peine pour les faire vivre?
« Croit-on qu'ils eussent eu le courage de résis-
ter à toutes les offres séductrices qui leurétoient
faites de tant d'autres théâtres de l'Europe pour
les attirera l'étranger, et les enlèvera la France?
« Croit-on qu'ils eussent ainsi sacrifié les
années si brillantes de leur force et de leur jeu-
nesse, pour n'en retirer dans un âge plus avancé,
aucun avantage ? »
Mais en dépit de la justice de ces réclama-
tions, l'état des finances de la République fai-
sait que les 64 000 francs dépensions de retraite
des retraités de l'Opéra, étaient mal, puis pas
payés du tout, pendant certaines années de la
Révolution1.
1. Sur un papier payant un timbre de cinq sous, et, qui porte
en haut: Exercice 1791 : Musique du Roi et Département des
Menus-Plaisirs, Mlle Guimard, à la date du 27e jour d'octobre,
donne un reçu de 300 francs, pour ses appoiiitements de juillet.
LXX
Les Passe-Temps poétiques du mari de la Gui-
mard, dans la pièce intitulée : Mon emménage-
ment à Montmartre, nous apportent un curieux
renseignement sur le logis, où s'abrita, se cacha
un peu le ménage, pendant « les trois années de
la Terreur », un logis situé tout au haut de la
butte Montmartre, et auquel on parvenait par
un chemin si escarpé, que les patrouilles an-
thropophages1 négligeaient d'y monter.
Ecoutez le mari de la Guimard :
Un peu plus haut que les clochers,
Près de la céleste demeure,
Ma femme et moi sommes juchés,
On y monte en moins d'un quart d'heure :
Les habitants de ces cantons,
Ce sont simplement des ânons.
1. C'est ainsi, que Despréaux épithete ces patrouilles, dans
le manuscrit de ses chansons.
284 LA GUIMARD.
Des bourgs, des cités plus de mille.
Là, je découvre à l'horizon.
Au bord de Paris et des champs,
Avec mon aimable compagne,
Mon cœur goûte les agréments
De la ville et de la campagne :
Paisible du matin au soir,
Là, sous des voûtes de verdure,
En main, la bêche ou l'arrosoir,
Je tâche d'aider la nature (bis).
Et l'arrosoir et la bûche à la main, le ménage
reste en haut de la butte Montmartre, jusqu'en
1797, où dans une autre pièce : Les Contre-
temps, Despréaux s'excuse auprès de ses con-
frères des « Dîners du Vaudeville », de manquer
à. leur réunion, à cause de son déménagement.
LXXI
Au fond, le mari que s'était choisi MUa Gui-
mard, sous le coup de la cinquantaine, était un
gai optimiste, un philosophe couleur de rose,
ainsi qu'il se dénomme quelque part, un joyeux
qui se consolait des malheurs de sa patrie et
de ses infortunes particulières par la fabrication
de flons-flons, sur l'événement douloureux.
Il trouve que l'année 1794, est une année
faite pour chanter le soir, au dessert, et le voici,
qui, cette année-là, fonde les Dîners du Vaude-
ville.
En 1795, la dégringolade des assignats le
force à vendre une partie de ses livres, et c'est
pour lui l'occasion de lancer la chanson : Ma
Bibliothèque ou le Cauchemar.
Vers le même temps, le manque à peu près
de tout, même de la pudeur chez la femme, lui
fait faire la jolie chanson :
286 LA GUIMARD.
Grâce à la mode,
Un' chemis' suffit,
Un' chemis' suffit,
Ah que c'est commode.
Un' chemis' suffit,
C'est tout profit.
Car dans son genre, il n'est pas sans talent,
ce Jean-Etienne Despréaux. C'est un précurseur
de Béranger, de Béranger qui, ma foi, a pris au
danseur-chansonnier sa philosophie d'Ana-
créon, avec un peu du tour de ses vers.
Que le lecteur en juge par lui-même.
LA FIN DU MONDE
Tant que le soleil hrillera
Noire planète tournera:
On y verra mûrir des pommes,
On y verra croître des hommes,
Peu de bons, beaucoup de méchans,
Qui suivront toujours leurs penchans,
Pour s'étourdir sur les maux de ce monde,
Mes amis, buvons, buvons tous à la ronde,
Croyez-moi, buvons tous à la ronde.
Ce n'est pas seulement le tour qu'il vole, c'est
encore le refrain, ainsi que cet autre refrain
célèbre.
Eh ! zon, zon, zon...
Les expressions même, le jus de la treille,
LA GUIMARD. 287
la machine ronde, etc., etc., etc., tout le voca-
bulaire, toute la langue de Despréaux, Déranger
l'emprunte au pauvre diable.
Et, dès les premières années de la Révolution,
Despréaux a humanisé « le bon Dieu », tout
comme l'humanisera Béranger, quelques années
plus tard.
Mais où le plagiat est le plus transparent, c'est
dans la chanson de Béranger : Les deux Sœurs
de Charité, chanson dont l'inspiration pre-
mière a été fournie par la Guimard.
Pour sœur, Despréaux avait sœur Sainte-
Éléonore, religieuse au couvent de l'Adoration
perpétuelle du Saint-Sacrement, avait pour
femme, Mlle Guimard, et l'opposition de l'exis-
tence de ces deux êtres qu'il aimait, lui inspi-
rait : Les deux Madeleines, ou la chanson à
deux fins.
Un luth en main, à cette table,
Entre l'amour et l'amitié,
Je veux chanter la fête aimable,
De ma sœur et de ma moitié (bis) :
Toi, Magdeleine leur patronne,
Daigne seconder mes dessins!
Pour Terpsichore et pour la nonne
Il me faut chanson à deux fins (bis).
Que dans la balance céleste,
Un Dieu pèse erreurs et vertus,
288 LA GUIMARD.
Ma femme, il trouvera du reste,
Pour te mettre au rang des élus (bis) :
Si ma sœur Sainte-Éléonore,
Au fauteuil, parvient tout d'un trait,
Ma femme, sainte Terpsichore,
Au ciel, aura le tabouret (bis).
Sur la même idée Despréaux improvisait en-
core la chanson intitulée : Les Contrastes, dédiée
à sa sœur, une chanson qui devait presque four-
nir le texte de la chanson de Béranger.
Vous ne chantez qa' alléluia,
Ou bien d'autres saintes paroles,
Et moi danseur de l'Opéra,
Je ne fais que des cabrioles :
Vous étouffez tous vos désirs;
Nuit et jour, je ris, je badine ;
Je me donne tous les plaisirs,
Et vous la discipline (bis).
Vous faites maigre, je fais gras
Et j'évite la moindre peine ;
Vous avez caché vos appas
Sous une chemise de laine;
Je m'occupe des biens présens;
Et vous de la vie éternelle (bis);
Sans commettre la moindre erreur,
Vous allez souvent à confesse :
Moi, j'y vais rarement, ma sœur,
Et je pèche sans cesse (bis).
LXXII
En cette absence de documents intimes ou
autres, recueillis par un livre, une brochure,
un journal, une gazette, un papier scandaleux,
un imprimé quelconque, en ce silence, qui se
fait sur la fin de ces vies si trompettées autrefois,
par toutes les voix de la publicité, en cet ano-
nymat, pour ainsi dire, de leurs dernières an-
nées, l'existence des grands artistes lyriques et
dramatiques, en ce temps où l'Etat ne paye plus
ni pensions, ni retraites, ne se trahit auprès des
biographes, ne se livre guère que par un ren-
seignement qui est toujours le même : la de-
mande d'un secours ou d'une représentation à
leur bénéfice.
Et nous voyons l'ancienne propriétaire de
l'hôtel de la rue de la Chaussée-d'Antin, ré-
duite, près des bureaux, aux humbles et qué-
25
290 LA GUIMARD.
mandeuses sollicitations de la vieille Clairon,
de la vieille Sophie Arnould.
Or, voici la pétition qu'adresse, en mai 1798,
la Guimard, devenue femme Despréaux.
Au ministre de l'intérieur.
« Citoyen Ministre,
« La Guimard, femme Despréaux, ancienne
artiste de l'Opéra, qui jouissoit d'une fortune
assez considérable, tant en rente s qu'en pensions,
mais que les circonstances ont absolument rui-
née, avoit obtenu, pour la dédommager des per-
tes qu'elle a faites, une promesse du citoyen mi-
nistre Benezech, de deux représentations du
ballet de Ninette, dont la moitié de chaque re-
cette, franche de tout frais devoit être à son pro-
fit, et l'autre à celui des artistes de ce spectacle,
pour les indemniser de ce qui leur est dû, moyen-
nant qu'elle y rempliroit le principal rôle.
« Les ordres furent donnés. Tout fut promis et
arrêté par le comité de l'Opéra, d'après les lettres
du sieur Ginguené, mais rien ne fut exécuté, et
la citoyenne Guimard réclame depuis un an, ce
faible secours.
« Depuis le temps qu'on lui a fait cette pro-
messe, on a accordé la faveur qu'elle demande
LA. GUIMARD. 291
aux citoyens Vestris père, à Larivée, à la ci-
toyenne Allard, qui indépendamment de cette
grâce qu'ils ont obtenue, touchent sur la caisse
du théâtre des Arts, une somme annuelle, pour
les dédommager du défaut de payement de leurs
retraites.
« La citoyenne Guimard qui ne reçoit rien de
ses rentes, a cependant pour le moins autant de
droit qu'aucun autre, puisqu'elle a eu le bras
cassé, et qu'elle y a tenu la première place pen-
dant trente ans, avec la plus grande distinction.
La gêne, où elle se trouve ne lui permet pas d'at-
tendre plus longtemps. Elle vous supplie donc,
Citoyen ministre, si l'on croit que le ballet de
Ninette entraîne à trop de dépense, de vouloir
bien lui accorder deux demi-représentations,
pour lesquelles elle choisira, de concert avec le
citoyen Gardel, deux des anciens ballets qu'elle
a établis dans leur nouveauté, qui sont présen-
tement sur pied et qui n'occasionneront nulle
espèce de dépense1.
« Guimard, femme Despréaux. »
Cette pétition avait été précédée d'une lettre à
Ginguené, écrite quelques mois avant, d'une
1, La lettre porte en marge : 18 floréal. Bibliothèque de
l'Opéra.
292 LA GUIMARD.
lettre, à la date du 26 nivôse an VI (15 jan-
vier 1798), où elle lui rappelait qu'il lui avait
promis de s'occuper de son affaire auprès du
ministre, et lui demandait à le voir à ce sujet1.
Et l'Opéra possède une autre lettre de la Gui-
mard, datée du 22 nivôse de la même année
(11 janvier 1798), où mentionnant l'envoi
qu'elle fait du rapport du citoyen Mirbeck au
ministre, ainsi que de la lettre écrite à son
mari, elle termine par ces tristes lignes :
« Je vous proteste que mes besoins ne peuvent
être plus pressants. Je nai plus rien que des
créanciers qui me tourmentent, et dont plusieurs
ont déjà commencé à me refuser les choses de
première nécessité. Je puis en donner la preuve ,
si Von avait quelques doutes sur ma franchise.
«Votre concitoyenne,
« G., femme Despréaux. »
1. Ce 26 Nivôse an VI. (iS janvier 1798.)
Puis-je me flatter, citoyen, que vous ayez eu la bonté de vou
occuper de mon affaire auprès du ministre. Si vous avez bien
voulu ne pas la mettre en oubli, je dois être sans inquiétude
sur le succès. Veuillez, je vous en conjure, citoyen, ajouter à
toutes vos complaisances 'pour moi, celle de me faire un mot
de réponse à ce sujet, ou bien de me faire dire le jour, où je
LA GUIMARD. 293
pourvoi avoir l'honneur de me rendre chez vous. Je préférerois
le dernier, parce qu'il me procureroit le plaisir de vous voir, et
de vous renouveler les assurances de ma vive reconnaissance.
J'ai l'honneur d'être, citoyen,
Votre concitoyenne
G. Fmc Desprèaux.
Cette lettre adressée au citoyen Ginguené, Directeur géné-
ral de l'instruction publique, fait partie de ma collection
d'autographes.
25.
LXXIII
Le ménage fut-il heureux? Oui — du moins
a-t-on lieu de le croire d'après un témoignage,
qui n'a cependant rien d'officiel, — de l'heureux
mari.
Un jour d'autrefois, un jour d'ironie contre
les liens conjugaux, et d' 'alléluia en faveur des
amours libres, le chansonnier Despréaux avait
fait cette chanson :
Non, point de mariage,
Je ne suis pas si fou;
Le lien du ménage
Toujours fut un licou.
Toujours, toujours fut un licou.
Joyeux célibataires,
Suivez bien mes leçons,
Sachez que la gaité
Naît de la liberté ;
LA GUI MARD. 293
Un peu de braconnage,
Mais jamais d'esclavage;
Non, point de mariage,
Car les pauvres époux
Sont tous . . . oui tous. . .
Ce que sont, ce que sont les jaloux (bis).
Marié à la Guimard, le prôneur du célibat,
le chansonnier dénigreur du mariage, abjure
« ses manières de voir » de vieux garçon, et dit
en termes, tendres et reconnaissants, dans un
bouquet poétique, intitulé : Un bon Ménage, et
imprimé dix ans avant la mort de sa femme,
le vrai et profond bonheur, qu'il a trouvé dans
son union avec la danseuse :
Ah! mon dieu! combien j'étais fou!
Je redoutais le mariage;
Et j'avais lu, je ne sais où :
« Le bonheur n'est pas en ménage.
Erreur ! ta bonté, ta raison
M'ont enfin prouvé le contraire,
Et je vois, dans l'heureux garçon
L'heureux imaginaire (bis).
Magdelaine aime ma gaîté,
Et moi sa tournure m'enchante,
Elle fait ma félicité,
Elle est en vérité, charmante !
Elle prouve depuis vingt ans,
Par sa grâce qui m'est si chère,
296 LA GUIMARD.
Qu'on a l'art d'arrêter le temps,
Quand on a l'art de plaire (bis).
Et il dira dans le premier couplet :
Ovide a chanté VArt d'aimer,
Moi, je vais chanter l'art de plaire,
Il me suffira d'exprimer
Les charmes de ton caractère,
Et tes grâces et ta gaité,]
Qui font le bonheur de ma vie;
Oui, c'est la pure vérité,
J'adore mon amie.
LXXIV
L'Empire, la Restauration ne semblent pas
avoir ramené la fortune, même l'aisance chez
la Guimard, car deux ans avant sa mort, elle
adresse cette lettre à Desentelles pour obtenir
une position à son mari, parlant de la situation
cruelle du ménage, qui au lieu de payer ses an-
ciennes dettes, est obligé d'en contracter de
nouvelles.
« Pardon, mon cher Desentelles, de mon im-
portunité, mais la position dans laquelle nous
nous trouvons, m'en fait une nécessité. Je vous
prie donc, de me faire l'amitié de solliciter de
nouveau Son Excellence, monsieur le comte de
Beugnot, pour qu'il ait la bonté d'effectuer la
promesse qu'il a bien voulu vous faire, de s'inté-
resser à mon mari, pour lui faire rendre la pen-
sion qu'il réclame.
« Vous savez que c'est une récompense qui lui
298 LA GUIMARD.
fut accordée par Sa Majesté Louis XVI, comme
homme de lettres, pour les fêtes intérieures de ses
appartements. Vous n'ignorez pas non plus que
plusieurs de Messieurs les gentilshommes de la
Chambre, ainsi que M. le duc de Gramont, qui
ont joué des rôles dans quelques-unes de ses pe-
tites pièces, ont apostille son mémoire, comme
preuve de la justesse de sa réclamation. Voilà le
seul titre, que mon mari peut produire en ce mo-
ment : tout ayant été bouleversé dans la Révolu-
tion.
« Ce ri est donc pas un intrigant qui demande,
c'est un homme honnête, qui a été assez heureux
pour avoir obtenu la bienveillance de ses souve-
rains, et Sa Majesté Louis XVIII s'est si bien
ressouvenu de lui, que très récemment, se trou-
vant sur son passage, elle a quitté le bras du duc
d ' Aumont, pour s 'approcher de mon mari, et, avec
son extrême bonté, elle a daigné lui dire les
choses les plus flatteuses, ainsi que pour moi.
« La Révolution nous ayant enlevé toute notre
fortune, mon mari a été obligé de travailler de
nouveau, pour nous procurer une existence, —
que je croirais encore perdue, si je riavois toute
confiance dans la bonté et la justice de notre lé-
gitime et bien aimé souverain, que la providence
vient de nous rendre. Mais en attendant, je vous
LA GUIMARD. 299
prie en grâce, mon cher Desentelles, de me faire
l'amitié de rappeler mon mari, au souvenir du
ministre. Peignez-lui notre position, en vérité
nos besoins sont bien urgents, car il est bien cruel,
au lieu de payer ses anciennes dettes, d'être forcé
d'en contracter de nouvelles.
« Recevez, mon cher Desentelles, ï assurance
du sincère attachement de votre amie1.
« G. Fe Despréaux.
« Ce 19 octobre 1814. »
1. Lettre autographe signée. Collection Lajarriette.
LXXV
Le ménage Despréaux-Guimard, en ces der-
nières années, habitait rue de Ménars, en en-
trant par la rue de Richelieu, à droite, dans
la maison où se trouvait, en 1865, une Assu-
rance
Là, la Guimard continuait à voir, ainsi qu'a-
vant la Révolution, une assez nombreuse so-
ciété, et nécessairement la conversation des uns
et des autres ramenait toujours le souvenir des
triomphes de la danseuse à l'Opéra. Et chez
tous, c'était un regret qu'on n'eût pas une idée
de ce talent merveilleux, auquel avait applaudi
toute une génération, et c'était autour de la
femme une curiosité, presque indiscrète, de
quelque chose qui pût donner à son monde, un
rien du spectacle de la danse de la Terpsichore
de jadis. Enfin, « on arriva à cette flatteuse exi-
gence, que l'artiste septuagénaire assemblât,
LA GU1MARD. 301
sans se fatiguer, quelques pas » des ballets, où
elle avait eu le plus de succès. La Guimard re-
fusait mollement, se retranchant derrière son
âge, et la décrépitude de son vieux corps. Mais
Despréaux, cet éternel amuseur des gens, cet
imaginateur de machines divertissantes, fit dres-
ser dans son salon, un théâtre, dont le rideau
d'avant-scène ne laissait voir que le genou et les
jambes des acteurs. Et lui et sa femme, affublés
dans les parties visibles, au-dessous du rideau,
d'une tunique pailletée et de la chaussure tradi-
tionnelle, sauvant ainsi tout ce qu'il y avait de
vieux dans leur tête, dans leur torse, se mirent
à danser avec des jambes et des pieds qui sem-
blaient tout jeunes.
Les invités qui assistaient à cette représenta-
tion, restèrent sous le charme de cette espèce
de résurrection du talent de la vieille danseuse,
et Charles Maurice dit :
« Le pied, d'une extrême coquetterie, s'était
conservé souple et vigoureux; la jambe fine et
solide donnait à l'accentuation des pas, presque
toute la fermeté du jeune âge, et la correcte exé-
cution de l'ensemble, rappelait, de l'ancienne
école, ce qui aurait fait envie au goût moderne.
En un mot, ce spectacle était des plus sédui-
sants, en ce qu'il prêtait, par l'imagination, de
26
302 LA GUIMARD.
l'esprit à la danse visible, et du dramatique à la
pantomime qu'on ne voyait pas1. »
Le succès de cette représentation, Charles
Maurice le déclare prodigieux, et ce fut à qui
solliciterait des places pour les représentations
futures. Mais la santé de Mlle Guimard s'opposa
à ce qu'on y donnât suite, après cinq ou six soi-
rées.
Plus tard, plus tard, retirée tout à fait du
monde, devenue casanière, vivant au coin de
son feu, si par hasard quelqu'un mettait la con-
versation sur son glorieux passé à l'Opéra, la
Guimard amusait la petite société réunie autour
d'elle, avec quelque chose qu'elle tirait d'à côté
de son fauteuil, et qu'elle appelait son théâtre.
Ce théâtre, grand comme une petite caisse, —
la femme, qui avait eu le théâtre de Pantin et
de la Chaussée-d'Anlin, — le mettait entre ses
jambes, sur une chaufferette. Puis on la voyait
lier deux de ses doigts, se baisser, lever la toile,
annoncer un ballet quelconque, et par une mer-
veille de mémoire et d'agilité de main, danser,
avec ses deux doigts, tous les pas de ce ballet :
i. Extrait des Épaves de Charles Maurice. Paris, 1865, et
de la Revue Rétrospective, t. II, 1885.
LA GUIMARD. 303
— ses pas à elle, et les pas de celles qui l'a-
vaient précédée, et de celles qui l'avaient dou-
blée, — faisant dans cette originale et spirituelle
représentation, apprécier la supériorité de sa
danse.
Et après le premier ballet, un second, puis
un autre encore... la vieille Guimard. repas-
sant ses triomphes d'autrefois, oublieuse de
l'heure1.
1. Récit qni m'a été fait par M1"5 Bellangé. la femme du
notaire de MUe Guimard.
LXXVI
Le 4 mai 1816, mourait, à doux heures de
relevée , Marie-Madeleine Guimard , femme
Despréaux1.
La mort de l'illustre danseuse du dix-huitième
siècle passe presque inaperçue dans ce Paris de
la Restauration, qui semblait déjà avoir oublié
ses retentissants triomphes d'hier2. A peine les
journaux du temps la signalent-ils, par deux ou
i. Jal. Dictionnaire critique de biographie et d'histoire.
Pion. 1867.
2. A un ami qui lui demandait des renseignements sur sa
femme et sur l'Opéra — du temps qu'elle y dansait, — Des-
préaux écrivait, sept mois après la mort de son adorable amie,
cette longue lettre :
« Ce 2 Décembre 1819.
« Mon cher Desprez, ma tête fatiguée par le chagrin, va
vous donner quelques souvenirs de ce que vous désirez sur
les souvenirs de mon adorable ami».
« Je suis fermement persuadé que la danse théâtrale, a été
à son plus haut période, pendant les vingt dernières années
LA GUIMARD. 305
trois lignes nécrologiques, et je crois que le
plus grand éloge funèbre qui ait été fait de la
Terpsichore de l'Académie Royale de musique,
est celui, imprimé dans le Journal de Paris, du
7 mai:
avant la Révolution. La beauté de Vestris père, fait comm»
Apollon, et qu'on nommoit le dieu de la danse. Talent parfait
dans son genre qui n'étoit pas un sauteur. Son fils Auguste
Vestris, moins grand que son père, qui l'appeloit le diamant
de l'Opéra, étoit un des plus charmants danseurs que l'on
ait vu, après Dauberval, qui de tous avait le plus de talent
pour l'exécution et l'esprit de la danse en action.
« Gardel l'ainé était un des bons danseurs après Vestris le
père, Gardel actuel son frère a vraiment du talent.
« En femme, Mme Guimard Despreaux étoit supérieure à
toutes, parce que la nature l'avoit pétrie de grâce naturelle,
et on peut dire spirituelle. Elle n'avoit pas la taille de la
belle Heinel qui épousa le grand Vestris, mais sa charmante
structure rappeloit la Vénus de Médicis, que nous avons eue
pendant quelques années au Muséum à Paris. Mlle Allard
mère de Auguste Vestris étoit dans le genre demi caractère,
la danseuse la plus vive, la plus leste, et la plus charmante
qu'on ait vue. Il y en a eu plusieurs autres encore. Mais re-
venons à ce que vous désirez savoir sur la danse. Je vous
dirai que la danse actuelle ne ressemble en rien à celle que
j'ai vue depuis 1770 jusqu'à en 1790 ou 92. Le public ca-
naille à bonnet rouge qui s'est emparé du parterre, les dan-
seurs des boulevards, de Nicolet qui se sont introduit sur le
théâtre du Grand Opéra, ont fait oublier que la grâce étoit le
vernis du tableau mouvant de l'Opéra. Le talent de la danse
n'est point de savoir exécuter toutes sortes de pas en mesure
sur un rythme quelconque, le dernier des figurants les sait
exécuter : la vitesse n'est qu'un faible avantage.
« ... La simple exécution correcte et exécutée avec grâce
voilà ce qu'il faut : sauter très haut, est un pauvre talent. Le
26.
306 LA GUIMARD.
« La célèbre M118 Guimard, première dan-
seuse à l'Opéra, est morte samedi dernier à
boulevard et les danseurs italiens l'emportent. Laissons là
les burlesques, et parlons do la grâce dont les personnes de
notre âge ont encore le souvenir, en pensant à Mmc G d,
qui en ét'oit pétrie.
« Il y a trois sortes de grâce : la grâce de forme, la grâce
d'attitude, la irrâce de mouvement.
« La grâce de forme est donnée par la nature; elle est rare;
— celle d'attitude est un choix de positions du corps que le
bon goût choisit et enseigne; — celle de mouvement n'est pas
seulement, d'aller d'une attitude] à une autre, en suivant la
cadence de la musique, mais elle exige de l'expression d'après
le genre qu'on représente, surtout dans la danse terre-à-terre,
qui est bien différente de la danse sautée.
« C'est avez la danse terre-à-terre, que MUe G ila charmé
pendant plus de vingt-cinq ans, un public connoisseur, dans
les gavottes d'. I rmideet dans deux cents autres danses. Elle étoit
toujours nouvelle, je ne parle pas seulement des pieds, ils
sont peu en comparaison du charme du corps et de la tète.
C'est là qu'est la perfection du tableau. Elle jouait parfaitement
la comédie ainsi que l'opéra comique. Sa figure expressive
peignait aisément toutes les sensations qu'elle éprouvait ou
qu'elle était censée éprouver. Voilà pourquoi elle fut la plus
parfaite pantomime, dans Médée Jason, dans le ballet de Ni-
nette, clans Mijrza et beaucoup d'autres ballets. Elle fut tou-
jours parfaite, parce que la grâce ne l'a jamais quittée.
« Elle savait distinguer le trivial du vrai comique, et joi-
gnait au charme de la grâce et de l'harmonie du mouvement,
l'expression de la figure.
« Elle s'est plû à donnerdans les dernières années des leçons
de maintien, de grâce de danse, de pantomime, à MUe Gos-
selin. Elle l'aimait beaucoup, et n'approuvait pas le genre
actuel d'élever le pied aussi haut que la hanche. Ces mou-
vements outrés disloquent le corps et sont les ennemis de la
grâce. Ces sortes d'attitudes ne produisent d'autre effet que
d'étonner le parterre.
LA GUIMARD. 307
l'âge de soixante-quatorze ans1, à la suite d'une
maladie de quelques jours. Peu d'heures avant
sa mort, elle s'entretenait encore fort tranquil-
lement avec une dame de ses amies.
« L'esprit et les qualités aimables qui distin-
guaient Mrae Guimard-Despréaux, rendront son
souvenir éternellement cher à ses nombreux
amis. »
« Voici, mon cher Desprez, bien du gribouillage; par-
donnez-moi, j'ai un très grand mal de tète qui m'a empêché
de dormir
« Votre véritable ami,
« Despréaux. »
Cette lettre adressée à Després, sans doute le secrétaire
de Besenval, et pleine de fautes d'orthographe, de phrases
sans syntaxe, de répétitions, mais curieuse par les rensei-
gnements qu'elle donne sur la danseuse, appartient à
Mme Delizy.
1. Le Journal de Paris [vieillit M"0 Guimard d'une année
Elle meurt âgée de 73 ans.
ICONOGRAPHIE
LA GUIMARD
PEINTURES ALLÉGORIQUES — PORTRAITS A
L'HUILE — DESSINS DE COSTUMES — DESSINS
SATIRIQUES.
La peinture allégorique de la Guimard, déco-
rant, à la fin du xvnie siècle, l'hôtel de la Chaus-
sée-d'Antin, et qu'a eu le bonheur de retrouver
chez un architecte, M. Groult; la peinture re-
présentant la Terpsichore en bergère, son petit
pied vainqueur visé par la flèche d'un Amour;
la peinture longuement décrite par nous plus
haut, est jetée sur une toile, mesurant comme
hauteur : lm,92; comme largeur : lm,20.
J'ai vu, il y a quelques années, chez M. le
comte de la Beraudière, un portrait de la Gui-
mard, par Fragonard, un portrait présentant
310 LA GUIMARD.
une certaine similitude avec le buste Je Merchi,
qui est la seule représentation incontestable de
la danseuse.
Dans cette toile Mlle Guimard peinte jusqu'aux
genoux, se détache d'un mur de jardin, où court
au-dessus de sa tète un feuillage grimpant, et
elle a devant elle, un livre de musique entr'ou-
vert. où un rosier semble faire un signet avec
une <le -es brancbettes fleuries. Coiffée an haut
de ses cheveux poudrés, d'un bouquet de plumes
blanches, où se dresse une aigrette noire, au cou,
une de ces collerettes-fraises, mise à la mode
par Carie Yanloo, elle pince, assise, de la guitare,
dans ce joli mouvement de la tète un peu
abaissée à droite, avec l'élégant retournement
en l'air delà main gauche, tenant le manche en-
rubanné de l'instrument.
Ce tableau, qui ne figurait plus à la vente du
comte de la Beraudière. aurait été vendu par
l'entremise de M. Lacroix, le marchand d'es-
tampes, de douze à quinze mille francs, à un
amateur qui ne veut pas être nommé.
A la vente de Yalferdin, en 1880, passait sous
le n° 35 un portrait de la Guimard.
Elle est représentée, les mains appuyées sur
un rebord de terrasse, le torse élégamment en
LA GUIMARD. 311
retraite vu de trois quarts, la tête baissée à
droite, et ayant l'air de regarder au-dessous
d'elle.
Elle a ses cheveux relevés, sous la ruche
noire d'un toquet, surmonté de plumes blan-
ches, et son cou jaillit d'une large fraise
tuyautée, attachée à une chemisette voilant les
seins, sur lesquels passe l'échancrure d'une
robe de velours décolletée en carré.
Les deux mains ont l'air de chiffonner des
lettres, parmi lesquelles se voit un médaillon.
Ce sont les yeux grandement fendus, le petit
nez à la courbure aquiline, la bouche aux coins
retroussés, du portrait de la Beraudière et du
buste de Merchi.
Cette toile (H. 81, L. 64) à l'exécution rapide
des portraits de la galerie Lacaze, était vendue
à la vente Valferdin : 9 100 francs.
Sous la petite image en couleur de la Gui-
mard, dans le ballet du Navigateur, gravé par
Janinet, et donnée par les Costumes et Annales
des Grands Théâtres : le Dutertre pinxit, doit-il
faire supposer qu'il existe de cet artiste, un petit
portrait, peint à l'huile ou à la gouache en pied
de la danseuse?
312 LA GUIMARD.
Je ne veux pas ici cataloguer la centaine de
costumes de la Guimard, aquarelles ou croquis
à la plume, existant dans les recueils de la Bi-
bliothèque de l'Opéra, dans le recueil du Cabi-
net des Estampes, dans le recueil de ma col-
lection de dessins. Je renvoie au chapitre de ce
livre, où j'ai décrit les plus curieux, les plus
originaux.
L'aquarelle gouachée ou la miniature en
forme de médaillon du Concert a trois, différent
de la gravure, et où le danseur Dauberval est
remplacé par Mgr de Jarente évêque d'Orléans,
est possédée par M. le Prieur de Blainvilliers.
PORTRAITS GRAVÉS — COSTUMES GRAVES —
GRAVURES ÉPISODIQUES — GRAVURES SATI-
RIQUES — CARICATURES.
En ce temps, où toutes les célébrités du théâtre
ont des portraits au burin, à Feau-forte, à l'a-
quateinte, des portraits en noir, en bistre, en
couleur, il se trouve que cette femme qui a
rempli le siècle du bruit de ses talents, de ses
amours, de son luxe, n'a pas un portrait gravé
authentique, — un portrait avec son nom au bas.
LA GUIMARD. 313
Il faut dire toutefois, que dans le commerce
des estampes du xvme siècle, d'après une tradi-
tion, un portrait gravé par Basan, d'après une
peinture de Roslin, passe pour un portrait de la
Guimard.
Elle est représentée, dans ce burin, à mi-jam-
bes, vue de trois quarts, une couronne de roses
sur ses cheveux crespelés et se torsadant en
un repentir derrière la nuque, la poitrine et les
bras nus, un sein découvert, l'autre à demi re-
couvert par le remontage d'une tunique, re-
tenue par un ruban passant au-dessus de son
épaule, pendant que les mains de la danseuse
assise jouent avec une guirlande de fleurs.
Ce portrait gravé porte dans la marge :
Roslin Pinxit. Basan excudi.
LA FLORE DE L'OPÉRA
Se vend à Paris chez Basan, graveur, rue
Saint-Jacques.
Mais la femme représentée dans ce portrait,
me semble vraiment bien en chair, pour repré-
senter la maigre danseuse, et je serais tenté de
ne voir dans ce portrait qu'une allégorie.
Au fond, tant que ne sera pas gravé le buste
27
314 LA GU1MARD.
en marbre de Merchi appartenant à M. Perrin,
ou le buste en terre cuite, appartenant à Léon
Daudet, le seul portrait gravé authentique, de la
danseuse sera celui de la collection de la Berau-
dière, dont la gravure, faite ces dernières an-
nées, porte en bas :
MADEMOISELLE GUIMARD
Collection de Monsieur le Comte de la Beraudière
H. Fragonard Pinx. Ch. Courlry sculp.
Le portrait de la collection Yalferdin a été
photographié par Braun.
Aucun des costumes dessinés par Boquet, n'a
été gravé, mais les Costumes et Annales des
Grands Théâtres de Paris ont donné le costume
de la Guimard se détachant sur la mer, en robe
blanche à la ceinture bleue, les cheveux au
vent.
La gravure en couleur porte dans la marge :
Dutertre pinx. Janine t sculp.
MA DEMO IS ELLE G C /MA Ii D
Dans le ballet du Navigateur
Elle unit les vertus l'esprit et la bonté
A la grâce ptus'Jbelle encore que la beauté.
LA GUIMARD. 315
Une rare gravure à l' eau-forte de MIIe Guimard
de Lelu, la représente dans un groupe, où elle
figure avec Mlle Allard, aux côtés de Dau-
berval.
Au-dessous de cette eau-forte, on lit dans la
marge gravé à la pointe :
ATTITUDES DE DANSE EXÉCUTÉES
A L'OPÉRA PAR LE
Sr Doberval [sic] et Mlle Gw^sd et Allard en 1779.
Dessinées et gravées par Lelu peintre.
A Paris chez V auteur.
Rue du Faubourg-Monmartre , 17.
Parmi les gravures modernes, il existe deux
costumes de la Guimard.
L'un paru dans la Galerie Théâtrale, la repré-
sente en un costume épouvantable, dans la
Chercheuse d'Esprit.
Cette estampe porte en marge :
Dessiné par Cœurè Gravé par Prud'hon
Académie Royale Rôle de la Chercheuse
de musique d'Esprit
MADEMOISELLE GUIMARD
L'autre est une lithographie d'Hippolyte Le
Comte.
316 LA GUIMARD.
La lithographie signée : H L, porte dans
la marge :
MADEMOISELLE GUIMARD
Dans le ballet du Navigateur
J. lit h. de Delpech.
C'est une détestable copie de la gravure de
Janinet.
Dans les estampes épisodiques :
TERPSICHORE CHARITARLE
ou
MADEMOISELLE GUIMARD
Visitant les pauvres.
L'estampe représente une femme encapu-
chonnée, s'avançant vers un vieillard, couché
sur un grabat, et suivie d'Amours portant des
pains, des bouillons, des bouteilles de vin.
Estampe des plus rares, que je n'ai vue passer
qu'une fois à une vente de Vignères, et dont un
exemplaire existe à la Bibliothèque de l'Opéra.
Parmi les estampes satiriques, l'estampe re-
présentant, groupées autour de la Guimard, te-
LA GUIMARD. 311
nant un papier de musique à la main, ses deux
amants sérieux : le prince de Soubise et M. de
La Borde, et le greluchon Dauberval, estampe
au-dessous de laquelle se lit en gros caractères :
Concert a Trois.
Cette estampe que je n'ai jamais vue passer en
vente, a été recherchée par mon ami Georges
Duplessis, dans Y Enfer de la Bibliothèque na-
tionale, sans succès, et il m'est impossible de
donner les noms des dessinateurs et graveurs,
qui très probablement du reste, n'ont pas dû
signer.
Une caricature presque effrayante de la Gui-
mard, est cette eau-forte coloriée, publiée
en 1789, à Londres, où elle est représentée sous
la figure d'un squelette faisant des ronds de
jambe, habillée d'épouvantables oripeaux.
Elle porte en bas :
The celebrated Mademoiselle G — m = rd or
Grimhard from Paris.
Publ. by Hamphrey. May 26^, 1789.
Cette gravure rarissime me vient de la vente
de M. Hervey, cet aimable et intelligent An-
glais, qui avait réuni une collection si curieuse
d'autographes et d'estampes sur le théâtre.
27.
318 LA GUIMARD.
BUSTES. STATUETTES
Un buste bien authentique de la Guimard,
dont j'ai donné plus haut la description existe
chez M. Perrin.
Ce buste en marbre est signé : Merchi F.
1779.
Un autre buste de la Guimard se voyait autre-
fois au foyer de la danse à l'Opéra. Il a disparu,
lors de la Commune, et il ne reste de sa pré-
sence à l'Opéra, que la lettre de Duponchel,
à la date du 19 janvier 1838, dans laquelle il de-
mande au ministre l'autorisation d'accepter un
buste de Mlle Guimard, légué à l'Académie
royale de Musique, par le testament du dan-
seur Nivelon.
Et, à la date du 20 juin 1862, une lettre était
adressée à M. Alphonse Royer, directeur de l'O-
péra, par Gaétan Recours, notaire à Agen, de-
mandant à faire reproduire par la photographie
le buste de la Guimard, qui se trouve dans son
cabinet, buste dû au ciseau de Merchi, aïeul ma-
ternel du pétitionnaire.
La terre cuite du marbre de Merchi, provenant
d'un legs à Lockroy père, existe chez la fille de
Victor Hugo, chez Mme Léon Daudet. Une terre
LA GUIMARD. 319
cuite d'une grande finesse de travail mais d'une
pâte un peu sèche, à la cuisson dure, qui donne à
cette terre cuite originale, un peu l'aspect d'une
répétition industrielle du temps.
M. Edouard Lockroy, auquel j'ai demandé
des détails sur la provenance de ce buste, que
je savais venir de son père, n'a pu m'en donner
aucun. Il croit se rappeler seulement que c'est
un cadeau fait à un de ses oncles.
Maintenant la statuette de la Guimard, sta-
tuette en talc de 8 pouces de hauteur, proposée
en souscription en 1781, par le sculpteur du
charmant buste de la Guimard, pour orner les
boudoirs parisiens, en compagnie des sta-
tuettes d'Allard et Peslin, en bacchantes, de
Théodore, en bergère, d'Heinel, en nymphe,
a-t-elle été vraiment exécutée d'après l'esquisse
qui en aurait été faite. Je n'en sais rien, et j'en
doute, parce qu'il n'a jamais été fait mention
ni dans les catalogues, du dix-huitième siècle,
ni dans les catalogues du dix-neuvième, d'une
seule des statuettes en talc des cinq danseuses.
TABLE DES PARAGRAPHES
i
Pages.
La danse de la Guimard. — Son triomphe dans le
ballet anacréontique 1
II
Naissance de Marie-Madeleine Guimard, le 27 dé-
cembre 1743, et sa légitimation en 1765 5
III
Engagement de M Guimard dans le corps de ballet
delà Comédie-Française (avril 1758) 10
IV
La Guimard à la Comédie-Française. — Amourette
avec le danseur Léger (septembre 1760) 13
V
Début de MlIe Guimard à l'Opéra (mai 1762) .... 21
322 TABLE DES PARAGRAPHES.
VI
Pages.
État des personnes de la danse et du chant et des em-
ployés de l'Opéra en 1763 23
VII
Liaison de la Guimard avec Jean-Benjamin de La
Borde 28
VIII
Début aux spectacles de la Cour (1763). Son succès
dans la statue de Pigmalion 31
IX
La Guimard a le bras cassé par une pièce de décora-
tion (janvier 1766) 33
■
X
La Guimard entretenue par le maréchal de Soubisc. 35
XI
La charité de 6000 livres (janvier 1768) 38
XII
Poinsinet houspillé par la Guimard (5 février 1768). 45
XIII
M1Ie Guimard à Longchamps (fin mars 1768). ... 47
TABLE DES PARAGRAPHES. 323
XIV
Pages-
Les ballets des opéras deDARDANUS et de Daphnis et
Alcimadure (février et juin 1768) 49
XV
Représentation de la Partie de Chasse de Henri IV
vseptembre 1768). — Description de la salle de [spec-
tacle de Pantin, d'après le mémoire de l'architecte. —
Description de sa maison, et des boiseries peintes de
son petit et grand salon, mis en place dans la maison
de M^e Delizy 50
XVI
Échec de la Guimard, dans le Mariage de Radegonde
(février 1769) 57
XVII
Bruit de la banqueroute de la Guimard, puis reprise
des spectacles de Pantin (juillet-septembre 1769). . . 59
XVIII
Satire en vers, inspirée parla Dervieux contre la Gui-
mard (octobre 1770) 61
XIX
L'estampe du Concert à Trois (décembre 1770). —
La miniature de M. Le Prieur de Blainvilliers .... 65
324 TABLE DES PARAGRAPHES.
XX
Fages.
Mgr de Jarcntc cvêquc d'Orléans, entretenant la Gui-
mard avec la feuille des bénéfices . — Son portrait phy-
sique d'après le dessin de Gabriel de Saint-Aubin. —
Son oraison funèbre 68
XXI
Discours de clôture du théâtre de Pantin (27 dé-
cembre 1770) 72
XXII
La Cinquantaine (août 1771) 79
XXIII
Ameutement de la Guimard et de Dauberval contre
le Directeur de l'Opéra Rebel (avril-juin 1772) .... 8.1
XXIV
Les permis de chasse délivrés par la Guimard (août
1772) 83
XXV
Théâtre de Pantin, pendant l'automne de 1772 : Ma-
dame Engueule et la Vérité dans le Vin 83
XXVI
L'hôtel de la Guimard, rue de la Chaussée-d' Antin. —
Les peintures de Fragonard 87
TABLE DES PARAGRAPHES. 325
XXVII
Pages.
Description de la peinture de Fragonard qui repré-
sente la Guimard, faisant partie de la collection de
M. Groult 95
XXVIII
Ouverture du Temple de Terpsichore, par la représen-
tation de la Partie de Chasse de Henri IV et la paro-
die de Pygmalion (8 décembre 1772) 98
XXIX
Quitterie de la Borde par M»" Guimard (juin 1773). 100
XXX
Portrait moral de Jean-Benjamin de La Borde. — Ses
Maximes et Pensées sur F Amour 102
XXXI
Pique-nique défendu (mars 1776) 106
XXXII
Parodie d'ERNELiNDE sur le théâtre de la Chaussée-
dAntin et à Choisy (septembre et octobre 1777). . . . 109
XXXIII
La Chercheuse d'esprit (mars 1778) 110
28
326 TABLE DES PARAGRAPHES.
XXXIV
Pages.
Direction du sieur de Visraes, et ses démêlés avec les
coryphées de l'Opéra et la Guimard (avril 1779). ... 117
XXXV
Le libelle contre Devisme à l'instigation de Guimard
(19 mars 1779). : 125
XXXVI
Souscription de l'Académie de musique pour marier
une fille pauvre. Mlle Guimard nommée caissière de
l'œuvre, et le banquet de noces donné dans son hôtel
(février 1779) 139
XXXVII
Buste de la Guimard, exécuté par Merchi en 1779. — •
Caractère du charme de la Guimard. — La Chanson :
Ce qu'il ne faut pas dire. — Les statuettes en talc de
MUe Guimard, Heinel, Théodore, Allard, Pesliu ... 142
XXXVIII
Les toilettes de ville et de théâtre de la Guimard . . 147
XXXIX
Les croquis de costumes de Bocquet de la Guimard,
d'après le recueil de l'Opéra, du Cabinet des estampes,
et de ma collection de dessins 151
TABLE DES PARAGRAPHES. 327
XL
Pages-
Contrat de mariage, de la fille de la danseuse Marie-
Madeleine Guimard avec Drais orfèvre-bijoutier (4 mai
1778). — Sa mort dans l'été de 1779 161
XLI
Le ballet de Mirza et la rupture de Guimard avec
Noverre (novembre 1779) 165
XLII
Anarchie de l'Opéra 169
XLIII
Lettre-Mémoire de Dauvergne contre la cabale et la
Guimard (1781) 170
XLIV
Incendie de l'Opéra (8 juin 1781) 179
XLV
Les tentatives d'émigration en Angleterre des chan-
teurs et des danseurs de l'Opéra. — La poursuite de
Nivelon, en Hollande, par l'agent de police Quidor. —
Inquiétude de M. de la Ferté, à propos des dispositions
de M»e Guimard 180
XLVI
Ouverture du nouvel Opéra de la Porte Saint-Mar-
tin. — Plainte de la Guimard sur les dispositions de
sa loge (27 octobre 1781.) 186
328 TABLE DES PARAGRAPHES.
XLVII
Eages.
M"0 Guimard fort estomaquée de la nomination de
Suard, comme censeur de l'Opéra (1781) 189
XLVIII
Traitement de 6000 1. (avril 1782) 191
XLIX
Faillite de Guémenêe et lettre de la Guimard à Sou-
bise (décembre 1782) 196
L_
La danse à l'Opéra (1783) 200
LI
Lettre superbe de la Guimard à M. de la Perte
(16 avril 1783) 204
lu
Liaison présumable de la Guimard avec Nivelon . . 211
LUI
La petite vérole de Mlle Guimard (août 1783) .... 215
LIV
Lettre de la Guimard à Champein 217
LV
Crainte de la retraite de la Guimard (avril 1784) . . 221
TABLE DES PARAGRAPHES. 329
LVI
Pages,
Guimard dans le ballet du Premier navigateur
(26 juillet 1783) 224
LVII
Loterie de la maison de Mlle Guimard (1er mai 1786), 228
LVIII
État de l'Opéra en 1788 234
LIX
Les manques de service de la Guimard en 1788. . . 237
LX
Le refaçonnage de son visage parla Guimard pastel-
liste 239
LXI
Lettre de la Guimard à Perregaux sur son engage-
ment au théâtre de Londres moyennant 650 guinées, et
ses démêlés à la suite de l'incendie de l'Opéra, avecRa-
velli et Gallini 240
LXII
Lettre de la Guimard, adressée à M. de la Ferté le
26 mai 1787, où se plaignant que les juges des talents à
l'Opéra sont maintenant des laquais et des perruquiers,
elle songe à donner sa retraite. — Demande à M. de la
Ferté de lui laisser à Londres le danseur Nivelon jus-
qu'à la fin de juin 245
330 TABLE DES PARAGRAPHES.
LXIII
Pages .
Lettre à Perregaux du 16 avril 1789, lui parlant de
son intimité avec la duchesse de Devonshire, et des con-
sultations qu'on lui demande sur les habits des dames
françaises 250
LXIV
Maigreur de la Guimard. — La caricature anglaise
publiée à Londres par Humfrcy, à la suite de la tour-
née de la danseuse en Angleterre, en mai 1789 252
LXV
Mariage de la Guimard avec Despréaux (14 août 1789) 255
LXVI
Liste des rôles dansants, crées par Mlle Guimard,
dans les opéras, représentés à l'Académie Royale de
Musique '. 256
LXVII
Contrat de mariage de Mlle Guimard avec Jean-
Étienne Despréaux, pensionnaire du Roy 269
LXVIII
Les causes déterminantes du mariage de la Guimard. 275
LXIX
Les pensions de retraite de l'Opéra, mal ou pas payées
du tout (1790) . 279
TABLE DES PARAGRAPHES. 331
LXX
Pages
Emménagement du ménage à Montmartre, pendant
la Terreur 283
LXXI
Le chansonnier Jean-Étienne Despréaux, précurseur
de Béranger. — Guimard l'inspiratrice de la chanson :
Les deux sœurs de charité. . ■ 285
LXXII
Demande d'une représentation (1798) 289
LXXIII
Un bon ménage 294
LXXIV
Lettre de la Guimard demandant à Desentelles une
position pour son mari, en 1814 297
LXXV
Le dernier entrechat de la Guimard. — Lepetitthéâtre
de sa vieillesse (vers 1800) 300
LXXVI
Mort de la Guimard (4 mai 1816) 304
Iconographie de la Guimard 309
Pjris. — Typ. Chamerot et Renouard, 19, rue des Saints-Pères. — 29383
A
G. CHARPENTIER et E. FASQUELLE, Éditeurs
11, rue de Grenelle, Paris
Extrait du Catalogue de la BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIE
a 3 fr. 50 le volume
LES ACTRICES DU XVIIPE SIÈCU
Mil. LECOUVREUR — M,u CLAIRON
SOPHIE ARNOULD — M- SA I NT-H U BERTY - CAMARGO
LA GUIMARD - M1" CONTAT — M— FAVART
Parus :
SOPHIE ARNOULD — M« SAINT-HUBERTY
CLAIRON — LA GUIMARD
En préparation :
CAMARGO — Mlle LECOUVREUR
La collection, ainsi composée, comprend les deux plus illustres tragé-
diennes, les deux plus célèbres chanteuses, les deux plus triomphantes
danseuses, la plus renommée comédienne, la plus populaire actrice de
genre, et la biographie de ces huit femmes est presque l'histoire de
notre théâtre dramatique, comique, opéradique, ainsi qu'on disait au
siècle passé.
Ces biographies ont été et seront écrites à l'aide des lettres auto-
graphes, des actes de notaires, des pièces des archives privées et
publiques, documents qui permettent à un auteur de ce temps de
reconstituer l'existence de ces femmes d'un autre siècle, comme s'il
écrivait la vie de contemporaines qu'il aurait connues et fréquentées.
Et ces vies retentissantes avec leur entour de personnages émi-
nenls, avec les hauts et les bas de leur fortune, avec leurs amours
changeantes, avec leurs scandales, avec les procès-verbaux des com-
missaires du Châtelet, avec les rapports des inspecteurs de police, tout
nouvellement mis en lumière et introduits dans les études historiques,
ces vies ne sont pas que des biographies d'actrices : ce sont de grands
et intimes fragments de l'histoire des mœurs d'un temps.
Ici, M. Edmond de Goncourt fait un appel à tous les dévots du
XVIIIe siècle pour lui communiquer les documents ou biographiques ou
plastiques que les collectionneurs peuvent posséder sur M"e Lecouvreur,
sur la Camargo, sur MUe Contât, sur Mmc Favart: les biographies en
préparation.
Chaque volume formant un tout, et ne portant de titre général que
sur la couverture, peut être acheté séparément.
12756. — Imprimeries réunies, rue Mignon, 2, Paris.
i
' GETTY CENTER LIBRARY
3 3125 00606 4675
f
Â