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JEAN JAQUES ROUSSEAU,.
CITOTEN DE GENÈFE,
A
CHRISTOPHE DE BEAUMONT,.
Archevêque de Farts , Bue de S'. Cloudy
Pair de France , Commandeur de
rOrdre du S', Efprît y Frovifeur
de Sorbonney. iSc
Da veniam fl quid liberius dixi, non ad con-*
nimeliam tuam, fed ad defenfionem meam,
Prsfumiî enim de gravitate & pmdentiâ tua,
quia potes confiderare quantam. mihi res-
pondendi neceOîtatem impofueris.
Jug. Epift, 22'àad Pàfcentr
^ ®^
jê j^ M S 7 E n D ^ M,
fiiez MARC MICHEL R B Y,
MDCCIJS: IIJ,
A R R E s T
DE LA COUR
DE PARLEMENT,
QUI condamne un Imprimé ayant psur titre ^ Emile,
ou de l'Education ; par J. J. Roufifeau , impri-
mé à la Haye.... m. dcc. lxii. à être lacéré ^
hrûlé par l'Exécuteur de la haute Jujlice.
EXTRAIT DES REGISTRES DV PARLEMENr,
Du 9 Juin 1752,
V-vE jour, les Gens du Roi font entrés , &
Me. Orner -Joly de Fleury, Avocat dudic Sei-
gneur Roi , portant la parole, ont dit :
Qu'ils déféroiel]t à la Cour un Imprimé en
quatre volumes în-oQavo , intitulé: Emile, ou
de r Education f par J^. J, RouJJeaUy Citoyen de
Genève y dit Imprimé , à la Haye en M. DCC. LXIL
Que cet ouvrage ne paroît compofé que dans
la vue de ramener tout à la Religion naturclU,
& que l'Auteur s'occupe dans le plan de l'Edu-
cation qu'il prétend donner à fon Elevé , à dé-
velopper ce fyflême criminel.
Qu'il ne prétend inilruire cet Elevé que d'a-
près la nature qui efl fon unique guide, pour
former en lui l'homme moral; qu'il regarde tou-
tes les Religions comme également bonnes &
comme pouvant toutes avoir leurs raifons darfâ
lî A R R E s T D E L A C O U R
le climat, dans le Gouvernement, dans le gé
nie du peuple, ou dans quelqu' autre caufe lo-
cale qui rend l'une préférable à l'autre, félon
1^3 tems & les lieux.
Qu'il borne l'homme aux connoiiïances que
rinltinft porte à chercher , ilate les paflîons
comme les principaux inflrumens de notre con-
fervation , avance qu'on p.cut être fauve fans
croire en Dieu , parce qu'il admet une ignoran-
ce invincible de la Divinité qui peut excufer
l'homme;. que félon fes principes, la feule rai-
fon cil juge dans le choix d'une Religion , laif-
fant à fa difpofition la nature du culte que
l'homme doit rendre à l'Etre fuprêrac que cet
Auteur croit honorer, en parlant avec impiété
du culte extérieur qu'il a établi dans la Reli-
gion , ou que TEglife a prefcrit fous ladireclion
de l'Efprit-Saint qui la gouverne.
Que conféquemment à ce fyfteme, de n'ad-
mettre que la religion naturelle, quelle quelJe
foit chez les difFérens peuples, il ofe eîTayer
de détruire la vérité de l'Ecriture Sainte & des
Prophéties , la certitude des miracles énoncé?
dans les Livres Saints , l'infaillibilité de la ré-
vélation, l'autorité de lEglife, & que ramenant
tout à cette Religion naturelle, dans laquelle il
n'admet qu'un culte & des loix arbitraires , il
entreprend de juftifier non-feuIcment toutes les
Religions, prétendent qu'on s'y fauve in diftinc-
tement, mus laême l'inâdelité ôc la léilûaRce
DE P A H L E IM E N T. m
^s tout homme à qui l'on voudroit prouver la
divinité de Jéfus-Chrift & l'exiftence de laReli.
gion Chrétienne , qui feule a Dieu pour auteur ,
& à regard de laquelle il porte le blafphême
juCques à la donner pour ridicule, pourcpntra-
di6]:oire,& à infpirer une indifférence facrilège
pour fes myfteres & pour fes dogmes qu'il vou-
droit pouvoir anéantir.
Que tels font les principes impies & détefta-
bles que fe propofe d'établir dans fon Ouvrage
cet Ecrivain qui foumet la Religion à l'examen
de la raifon , qui n'établit qu'une foi purement
humaine , & qui n'admet de vérités & de dog-
mes en matière de Religion , qu'autant qu'il
piaît à l'efprit livré à fes propres lumières, ou
plutôt à fes égaremens, de les recevoir ou de
les rejetter.
Qu'à ces impiétés il ajoute des détails indé-
cens, des explications qui bleiïent labienféance
& la pudeur , des propofîtions qui tendent à
donner un caraflere faux & odieux à l'autorité
fouveraine, à détruire le principe deTobéiiTan-
ce qui lui efl due , & à afFoiblir le refpect &
l'amour des peuples pour leurs Rois.
Qu'ils croyent que ces traits fafîjfent pour
donner à la Cour une idée de l'Ouvrage qu'ils
lui dénoncent ; que les maximes qui y font ré-
pandues forment par leur réunion un fyfleme
chimérique, aufîî impraticable dans fon exécu-
tion , qu'abfurde & condamnable dans fon pro*
tr ARRESTDELACOUR
>et. Que fer oient d'ailleurs des Sujets élevés
dans de pareilles maximes , finon des hommes
|:>rcoccupc's du fepticifme & de h tolérance, a-
bandonnés à leurs pallions, livrés aux plaifirs
des fcns, concentrés en eux-mêmes par l'amour
propre, qui ne connoitroient d'autre voix que
celle de ia nature , & qui au noble defir de ia
folide gloire, fubflitueroient la pernicieufe ma-
nie de la (îîigularité? Quel> règles pour les
mœurs î Quels hommes pour la Religion & pour
l'Etat, que des enfans élevés dans des principes
<3ui font également horreur au Chrétien & au
Citoyen!
Que l'Auteur de ce Livre n'ayant point craint
de fe nommer lui même, ue fçauroit être trop
promptement pourfuivi ; qu'il cil important,
puifquil s'efl fait connoître, que la Jullice fc
mette à portée de faire un exemple tant fur l'Au-
teur que fur ceux qu'on pourra découvrir avoir
concouru foit à l'imprefllon , foit àladillribution
d'un pareil Ouvrage digne comme eux de toute
fti févérité.
Que c'eft l'objet des Conclurions par écrit
qu'ils laiiTent à la Cour avec un Exemplaire du
Livre ; & fc font les Gens du Roi retirés.
Eux retirés :
Vu le Livre en quatre Tomes in-S*". intitulé:
Emile, ou de i Education » par y. J. Roujfcau,
Ci^ojcndc Csucvs. Sunabilibusa^iîrocamusmalis ;
DE PARLEMENT. f
ipCaque nos in reclum, natura genitos , fi eraeiï^
dari velimus juvat. Senec. de Ira, Lib. XL cap^
XIII. tom. 1 , 2 , j ^i 4.. A la Hays , chezjsars'
Néanlme^ Libraire y avec Privilège de Nos Seigneurs'
les Etats de Hollande (^ IVejlfrife, Conclu fions-
du Procureur Général du Roi ; oui le Rapport;
de M^ Pierre-François Lcnoir, Confeilier;. la
matière mîfe en délibération :
LA COUR ordoiine que ledit Livre impri-
mé, fera lacéré ôcbrûlé en la Cour duPabis, au;,
pied du grand Efcali-er d'icelui ,. par l'Exécuteur
de îâ Hau-te-Jufiice ; enjoint à tous ceux qui ea?
ont des Exemplaires , de les apporter au Greffe;
de la" Cour, pour y être fupprimés; fait très-
exprelTes inhibitions- & defenfes à tous Libraires
d'imprimer, vendre & débiter ledit Livre, &
à tous Colporteurs , Diftributeurs- ou autres ds
le colporter ou di'ftribuer, à' peine d'être pour-
fuivis extraordinairenvent , & punis fuivant la;
rigueur des Ordonnances. Ordonne qu'à la Re-
quête du Procureur Généra! du Roi , il fera in-
formé pardevant le Confeiller-Raporteur , pour
les Témoins qui fe trouveront à Paris , & par-
devant les Lieutenans Criminels des Bailliages
&.. Sénéchauflees du RefTort ,. pour les Témoins
qui feroient hors de ladite Vilk, contre les
Auteur, Imprimeurs ou Diffcributeurs dudit Li-
vre; pour, les informations faites , rapportées
& communiquées au Procureur Général du Roi,..
4tre par Lui requis 6: par 1ï Cour ordonné ce
VI ARREST DE LA COUR DE PARLEAT,
qu'il cppartieadra ; & cependant ordonne que-
le nomme J. J. RoulTeau , dénommé auFrontil^
pice dudic Livre, fera pris cv appréhendé au
corps, tc amené es Prifons de la Conciergerie
du Palais, pour être oui & interrogé pardevant
ledit Confeiller- Raporteur, fur les faits dudic
Livre, & répondre aux Conckifions quclePro-
cureur Général entend prendre contre lui ; &
ou ledit J. J. RoufTeau ne pourroit être pris &
appréhendé, après perquifition faite de fa per-
fonne, alîigné à quinzaine, fes biens fains &
annotés, oc à iceux Commiilaircs établis , juf-
qu'à ce quil ait obéi fuivanc l'Ordonnance; &■
à cet effet ordonne qu'un Exemplaire dudit Li-
vre fera dépofé au Greffe dé la Cour , pour
fervir â l'inflruflion du Procès. Ordonne en
outre que le préfent Arrêt fera impfimé, publié
&. affiché par-tout où bcfoin fera. Fait en Par-
lement, le 9 Juin mil fept cent foixante - deux»
Signé, DUFRANC.
Et le Vendredi il Juin 1762 , ledit Ecrit vien»
tienne ci - dejjus a été lacéré ^ brûlé au pied du
grand EJcalier du Palais ^ par VErécutcur de la
Haute Juftice , en préfence de vici Etienne • Dago-
lert Tjabeau , l'un des trois principau': Commis pour
la Grand' Chambre, ajfifté de deux lluijjiers de la
Cour, Signé, YSABEAU.
A*PAR1S, chez P. G. Simon, Imprimeur du
Parlement, rue de h Harpe, à illcrcule.
1:62.
MANDEMENT
DE MONSEIGNEUR
L'ARCHEVÊQUE
DE PARIS,
PORTANT condamnr.tion d'un Livre qui a
pour titre : Emile , ou de V Education ,pary, y,
Roujfeau, Citoyen de Genève. A Amllerdara^
chez Jean Néaulme, Libraire, 1762.
Christophe de beaumont, pnr la
Miféricorde Divine, ôc par la grâce du ^ainC
Siège Apoftolique , Archevêque de Paris , Duc
de Saint Cloud, Pair de France , Comman-
deur de l'Ordre du Saint Efprit, Provifeur de
Sorbonne, &c. A tous les Fidèles de notre
Diocefe : Salut et Be'njI diction.
Saint Paul a prédit , mes très- chers Frè-
res , qu'il vi en droit des jours périlleux ou il >
nuroît des gens amateurs d'eux-mêmes , fiers, Ju-
perhss , hlafpbémateurs , impies ^ calomniateurs^
enflés d'orgueil, amateurs des '-j-duptés plutôt qne
de Dieu; des hommes d'un efprit corrompu £f per-
vertis dans la Foi. (a) Et dans quels temps mal-
heureux cette prédiftion s'efl-elle accomplie
(a) In nodlïîmls diebu^ inftabunt tcmpora periculofa ;
erunr homines feipfos amantes... clati, luperbi, blafphe-
mi... fcôicfti... ciiminàtores .. ti?ra;di & voluptatum ama-
tores magis quam Dei.. hcmines coiiupii rnenic 2c iC«
psobi ciica fideni. 2. T///7. t. 3. -c. i. 4. ï.
* 4-
TBï -MANDEMENT.
plus à la lettre que dans les nôtres! L'incrcf-
duiité enhardie, par toutes les paffîons , le
pré fente fous toutes les formes , afin de fe pro-
poïtionner, en quelque forte y à tous les âges,
à tous les caraéleres , à tous les états. Tantôt »
pour s'inlinuer dans des efprits qu'elle trouvée
déjà enfcrcelés par la bagatelle , Çb) elle emprun-
te un llyle léger, agréable & frivole : de-làr
ta-nt de Romans également obfcènes & impies ,
dont le but eft d'amufer l'imagination , pour
•féduire l'efprit & corrompre le cœur. Tantôt,
afFeftant un air de profondeur & de fubi imité.
dansies vues, elle feint de remonter aux pre-
Bîiers principes de nos connoiffances , & pré-
tend s'en autorifer, pour fecouer un joug qui»
félon elle, deshonore l'humanité, la Divinité
même. Tantôt elle déclame en furieufe contre
le zèle de la Religion, & prêche la toléranca.
imiverfelle avec emportement. Tantôt enfin,
leuniHant tous ces divers langages , elle mêle
le féritux à Tenjoueraent , des maximes pures
à d^s obfcénités , de grandes vérités à de gran-
des erreurs, la Foi au blafphême; elle entre-
prend, en un mot, d'accorder la lumière avec
les ténèbres, Jefus-ChrilLavec Bélial. Et tel
cil fpjcialement, M. T. C. F., l'objet qu'on pa-
ïoît s'être propofé dans un Ouvrage récent,,
qui a pour titre; EMILE ou de l'Education.
Du fein de l'erreur, il s'eft élevé un homme
(t) fiAfcinatio Bugaciiatis obrcuiat. bona.Srt/. c 4. v. iz..
M A N 13 2 M E ^ T;. m
piciîi du langage de h Philofophie, fans être'
Véritablement Fhilofophe : efiM-it doué d'une
multitude de connoriTa-nces qui ne l'ont pas-'
éclairé , & qui ont- répandu des- ténèbres dans-
ks autres efprits : c'à\a6tere livré aux parado-
xes d'opinions & de conduite; alliant la fim*
plicité de5 mreurs^ avec le fafte des penfées ;
le zèle" des maximes antiques avec la fureur
d'établir der. nouveautés , l'obfcurité de la re*
traite avec le defir d'être connu de tout le-
monde : on l'a vu invectiver , contre les fcien-
ces qu'il cultivoit; préconifer l'excellence de
î'ÎLvangilc, dont il détrtiifoit les dogmes ; pein--
dre la beauté des vertus qu'il étcig-noit darvS'
l'amc de Çqs Lccleurs. Il s'eft fait le Précep-
teur du genre humain pour le tromper, la Mo-
niteur public pour égarer tout le monde, PO^
racle du fiecle pour achever de le perdre. Dant
un Ouvrage fur l'inégalité des conditions ,- il
avoit abaiiTé l'homm.e jufqu'au rang des^ bêtes ;:
dans une autre prodidion plus récente, il a-
voit- infinué le poifon de la volupté en paroi f*-
fant le profcrire: dans celui-ci, il s'empare
des premiers momens de l'homme, afin d'éta-
blir l'empire de l'irréligion.
Quelle er.trcprlfe, M. T. G. F.! Téducation^
de la jeujieflfe eft" un des objets les plus im^
pcvrtants de la folUcitudè&du 7>el& des PafVeursv.
Nous favons que, pour réformer le monde,
autant que le permetteiu la foiblelTe 6c la. cor-
X ]\i A N D E ^î E N T.
i-uption de notre nature, il fuffiroit d'obfcrver
fous la direction & l'impreflion de la grâce les'
premiers rayons de la raifon humaine, de les
•faifir avec foin & de les diriger vers la route
qui conduit à la vérité. Par-là ces cfprits , en-
core exempts de préjugés , feroient pour tou-
jours en garde contre l'erreur; ces cœurs, en-
core exempts de grandes paHions, prendroicnt
les impreiîîons de toutes les vertus. Mais à
qui convient-il mieux qu'à nous & à nos Coo-
pérateurs dans le faint Miniilerc , de veiller
ainfi fur les premiers moments de la jeuncfle
Chrétienne; de lui dillribuer le lait fpiritucl
de la Religion , afin quHl crcljje pour le Jnlut; (c)
de préparer de bonne heure, par de lalutaires
leçons , des Adorateurs fincercs au vrai Dieu , des
Sujets fidèles au Souverain, des Hommes dignes
d'être la reiïburce & l'ornement de la Patrie?
Or , M. T. C. F. l'Auteur d'E^iLâ propolo
\m plan d'éducation qui , loin de s'accorder a-
V€C le Chrifrianifme, n'eO: pas même propre à
former des Citoyens , ni des Hommes. Sous le
vain prétexte de rendre l'homme à lui-même,
& de faire de fon élevé Péleve de la nature,
il mec en principe une AfTertion démentie,
non-feulement par la Religion, mais encore
par l'expérience de tous les Peuples, & de tous
les temps. Pofo?is, dit-il , pour maxime incontej-
(♦) Sicut modo geniti Infantes, raiionabilc fine dolo
Itc coucupilcite : ut in eo cielcaus in laiucem. i.P^r.c. 2.
M A N D E M E K T. xi
tâhli y ojie les premiers mouvemens de la. naturs
Joui tiujours droits : il n'y a point de peî'verfité o-»
rïginelle dans le c(tur humain, A ce langage on
ne reconnolc point la do'ctrine des faintcs E-
Giitures & de l'EgUR', toiichanc la révolution
qui • s'efl faite dans notre nature. On perd de
vue le rayon de lumière qui nous fait connoî-
tre le myflere de notre propre ,cœur. Oui,,
M. T. C. F, il le trouve en nous un mélange
frappant de grandeur & de bafTefTe, d'ardeur
pour la vérité & dégoût pour Terreur, d'in-
clination pour la vertu & de penchant pour Iq
vice: étonnant contraflc, qui, en déconcertant
la Philoiophie Payenne, la laifTe errer dans de
vaines fpéculations ! contraft'e dont la révéla-
tion nous découvre la fource dans la chute dé-
plorable de notre premier Père! L'homme fe-
fent entraîné par une pente funefle, & com-
ment fe roidiroit-il contre elle, fi Ton enfance
n'étoit dirigée par des Maîtres pleins» de vertu,
de iagelle, de vigilance; & 11, durant tout le
cours de fa vie, il ne faifoit lui-même, fous
la protection, & avec les grâces de fon Dieu,
des efforts puifTants k continuels? Hélas! M.
T. C. F. malgré les principes de l'éducation la
plus faine & la plus vertueufe ; m.algré les pro-
anefTes les plus magniriques de la Religion, 6c
les menaces les plus terribles, les écarts de la
jçunelTe ne font encore que trop fréquents,
trop multipliés; dans quelles erreurs^ dans quel*
-^ 6
în M A N' D K M- E- N" T,.
excès , abandonnée à elle-même, ne fe précipite-
jroit-clle donc pas ? C'cll: un tondent qui fe débor-
de malgré les digues puilTantes- qu'on lui avois
©ppofées : que feroi^ce donc fi nul- obflacle ne
fufpendoit Tes flots, & ne rompoic Tes efforts?
L'Auteur d'EMiLE , qui ne reconnoîD aucune
Religion, indique néanmoins,, fans y penfer,
la voie qui conduit infailliblement à la vraie
Religion. Nous , dit-il , qui ne voulons rien doii-
ner à Vauîoriîi ; nous , qui ne 'venions rien enfei-
gner , à ncîre Emile, qu'il ne pût comprendre d s
lui-même par tout pays,, dans quelle Religion Vêle'
ierons-7ious ? à quelle S'-eSle aggrdgejvns noiis l'Eleie
de la rMure ? Nous ne Vaggrég^rons^ ni à celle-ci y
ni à celle là ; nous le mettro:is &n état de choifir celle
eii le meilleur v.Jage de la raijon doii le cenduirc.
Plût à Dieu , M. T. C. F. que cet objet eût été
bien rtmplii Si l'Autcureut réellement mis fc%
Elevi en itaî de cbdiftr, entr-e toutes les Religions,
ctlls où- le Tneiileur ufage de laraifon doit condui*
re t ii ^^'^û^ imnianquablement préparé aux le>
çons du ChrJtianifine. Car,. M. T. C. F. la
lumière naturelle conduit à- U liiiniere évaugé-
lique; & le culte Chrétien eft euentiellement
un culte raifomiahle. (^d) En effet, fi le. meilUiit
vfage de notre raijon ne dcvoit pas nous condui?
re 2 la révélation chrétienne, notre Foi feroit
■v-aln^ ,. nos efpéranccs feroient chimériques^
^îiiis comiiient ce meilleur ufage de "la raifon
• («y Swnvioftabile obfçtj^uiiijn vcûiuai, T{6m^ c li. v.' ^
51 A N D E M E N T. mt
ffous. conduit il au bien ineftimable de la Foi ,-
& delà au terme précieuK du falut? C'eft â la
ïaifon elle-même qu« nous en appelions. Dès-
qu'on reconnoît un Dieu, il ne s'agit plus que--
de fçavoir s'il a daigné parler aux hommes ,
autrement que par les imprefîions &e h nature;-
11 faut donc examiner fi; les faits, qui confia-
tent la révélation , ne font pas fupérieurs à
tous les efforts de la chicannc la plus artifi*
Gieufe. Cent fois l'incrédulité a tâché de les
détruire ces faits , ou au moins d'en affoibli?
les preuves; & cent fois fa critique a été con*
vaincue d'impuilïance.Dieu , par la révélation,
s'eft rendu témoignage à lui- même; & ce té-
moignage eu évidemment très-digne de foi. (e)
Que refte-t-il donc à l'homme qui fait îe meil^
leur ujage de fa rai/on, fmon d'acquiefcer à es
témoignage ? CcH votre grâce . ô mon Dieu 1:
qui confomme cette œuvre de lumière; c'eft
elle qui détermine la volonté , qui forme l'a^
me chrétienne; mais le développement des
preuves, & la force des motifs, ont préalable-
ment occupé, épuré la raifon ; & c'eft dans
ce travail, auffi noble qu'indifpenfable, que
confifte ce meilleur ufage de la raifon y dont l'Au-
teur d'EMiLE entreprend de parler fansen avoir
une notion fixe & véritable.
Pour trouver la jsunefTe plus docile aux le-
çons qu'il lui prépare, cet Auteur veut qu'elle
(*; TcfUmonia îaa cicdibilia faaa funt mmls» RCaL
xir M A N D E M E N T.
foit dénuée de tout principe de Religion. Et
voilà pourquoi, félon, lui, counoîtr^ le bien ^
Ig'mal, Jentir la raifoii.dçs devoirs de l'hovime ,.
nejl pas l'affaire a un enfant... y aimerais autant,
ajoute-t-il , exiger quun enfant eût cinq pieds de-
haut y que du jugement à dix ans.
Sans .doute, M. T. C. F. que le jugement
humain a fes progrès , ce ne le forme que par
degrés. Mais s'enfuit-il donc qu'à l'âge de dix.
ans un enfant ne connoifTe. point la différence
du bien & du mai, qu'il confonde la fagelTe
avec la folie, la bon-té avec la barbarie, la.
yertu avec le vice ? Quoi ! à cet âge il ne fen-
tira pas qu'obéir à fon père eft un bien.: qu2
lui défobéir eft.un mal! Le. prétendre, M. T.-
e. F. c'ell calomnier la nature humaine,, en
lui attribuant une ftupidité qu'elle n'a point.
,, Tout enfant qui croit en Dieu, dit encore
j, cet -Auteur , efl: Idolâtre ou Antropomorphite."
Mais s'il eft Idolâtre, il croit donc plufîeurs
Dieux; il attribue donc la nature divine à des
fimulacres infenfibles ? S'il n'efl qu'Antropo-
morphite,cn reconnoiiïant le vrai Dieu, il lui
donne un corps. Or on ne peut fuppofer ni Tuiî^
ni l'autre dans un enfant qui a reçu une édu-
cation chrétienne. Que fi l'éducation a été vi-
cicufe à cet égard, il eft fouverainement injuf-
tc d'imputer à la Religion ce qui n'eft que la
faute de ceux qui l'enfeignent mal. Au furplus,
Tàge de dix ans n'eft point l'âge d'un PhilofO-
51 A N D E M E N T. XT
phc! un enfant, quoique bicvi inftrult, peut-
s'expliquer maf; mais en lui inculquant que la
Divinité n'eft rien de ce qui tombe, ou de ce
qui peut tomber fous les lens; que c'efl une
Intelligence infinie, qui douée d'une PuifTance-
fuprême , exécute tout ce qui lui pKiît, on lut-
donne de Dieu une notion affortie à la portée
de fon jugement. Il n'ell pas douteux- qu'urr
Athée, par fes Sophifmes, viendra facilement.
à bout de troubler les idées de ce jeune Cro^
yant : mais toute l'adrelTe du Sophifte ne fera-
certainement pas que cet enfant, lorfqu'il croit
cri Dieu, foie Idolâtreoii Antropomorphite;c'eû-'d-di^
re, qu'il ne croyc que l'exillence d'une chimerec
L'Auteur Va plus loin, M. T. C. F. il n'ac-
corde pas même a un jeune hmme de quinze ans ^.
la capacité de croire en Dieu, L'homme ne fçau-
ra donc pas même à cet âge, s'il y a un Dieu,,
ou s'il n'y en a point : toute ia nature aura^
beau annoncer la gloire de fon Créateur, il
n'entendra rien à Ton langage! II exifléra, "fan»
fçavoir a quoi il doit fon cxiflenee! Et ce fera
la faine raifon elle-même qui le plongera dans
ces ténèbres! C'eft ainfi, M. T. C. F, que l'a-
veugle iir.piété vcudroit pouvoir obfcurcir de
fes noires vapeurs, le fiambeau que la Religion
préfente à tous les âges de la vie humaine. Saint
Auguftin raifonnoit bien fur d'autres principes,
quand il difoit, en parlant des premières an-
nées de fa jeunelTc. ^, Je tombai dùi ce tempS'
Xyî m a N D E jM E N t.
,, là, Seigneur, entre les mains de quelque?"*-
y, uns de ceux qui onc foin de vous invoquer ;■
„ & je compris par ce qu'ih me difoient d*
y, vous, & félon les idées- que j'étois capable
„ de m'en former à cet âge-là, que vous étiez
„ quelque chofe de grand, & qu'encore que
,, vous fafîîez invifible, & hors de la porcce-
yy. de nos fens, vous pouviez nous exaucer &■
„ nous fecourir. Aullî commençai-je dès moiï
„ enfance à vous prier, & vous regarder corn-
„ me mon recours & mon appui; & à mefure-
„ que ma langue fe dérrouoit , j'employois feS'
„ premiers mouvements à vous invoquer".-
{Ub. I. Confejjf. Cbap. ix.)
Continuons, M. T. C. F. de relever les pa-
radoxes étranges de l'Auteur d'EMïLE. Après^
avoir réduit les jeunes gens à une ignorance fi
profonde par rapport aux attributs (Scauxdroirs
de la Divinité, leur accordera- 1- il du moins l'a^
vantage de fc connoître eux-mêmes ? Sçauront--
ils fi leur ame ell une fubftance abfolumentdif-
tinguée de la matière? ou fe regarderont-ils^
comme des êtres purement matériels & foumis
aux feules loix du Méchanifme ? L'Auteur dE-
MILE doute qu'à dix-huit ans-, il foit encore,
temps que fon Elevé apprenne s'il a une ame r
il penfe que, s'il rapprend pîutât y il court r if"
que (le ne U fpvoir jamais, ne veut-il pas da
moins que la jeuncfTe foit fufceptible delacon-
jioiirance de fcs devoirs? non. A l'en cioire-^
MANDEMENT. xvn
U n'y a que des objets ph'jfiques qui puijfent inté-
rejjer les enfans , fur-tout ceux dont on n'a pas e-
veillé la vanité , èf qu'on n'a pas corrompus d'à*
vance par le poifon de l opinion» Il veut, en con-
féquence , que tous les foins de la première é-
ducation foient appliqués à ce qu'il y a dans
l'homme de matériel & de terreftre : Exercez^
dit-il, Jon corps, fes organes, fes Jens y Jes for^
ces; mais tenez Jon ame oifive y autant qu'il Je
pourra, C'eft que cette oifiveté lui a parue né-
cefTuire pour difpofer l'ame aux erreurs qu'il fe
propofoit de lui inculquer. Mais ne vouloir
cnfeigner la fagelTe â l'homme que dans le temps-
où il fera dominé par la fougue des paiïions
naiffantes, n'eft-ce pas la lui préfenter dans le
delTein qu'il la rejette ?
' Qu'une femblable éducation , M. T. C. F. ^
cfl: oppofée à celle que prefcrivent,. de concert ,
la vraie Religion & la faine raifon ? toutes deu^
veulent qu'un Maître fage & vigilant épie, en
quelque forte dans fon Elevé les premières lueurs
de l'intelligence, pour l'occuper des attraits de
la vérité > les premiers mouvemens du cœur,
pour le fixer par les charmes de la vertu. Com-
bien en effet n'eft-fl pas plus avantageux de pré-
venir les obflacles, que d'avoir à les furmon-
ter? Combien n'eft-il pas à craindre que fî les.
imprelîîons du vice précèdent les leçons de la
vertu,, l'homme parvenu à un certain âge, ne
manque de courage , ou de volonté, pour réfîfter
xriii M A X D E IM Ë N T.
au vicç? Une hcureufe expérience ne prouve-r-
eîle pus tous les jours, qu'après les déréglemens
d'une jeuneûe imprudente & emportée, on re-
vient entin aux bons principes qu'on a reçus-
dans l'enfance?
Au relie, 2'd. T. C. F., ne foyons point fur-
pris que l'Auteur d'EMiLE remette à un temps
fi reculé h.connoilTance de l'exillence de Dieu .
il ne la croit pas néceiTaire au falut. Il efi clair,
dit-il par l'organe d'un perfonnage chiaiér-ique,
il ejl clair que tel homme par-uenu juf^uà h '•cieil-
lejje , fans croire en. Dieu , ne fera pas pour cela
•prl'ué de fa pnfsnce dans V autre, fi f on aveuglement
n'a point été volontaire , ^ je dis qu'il ne l'ejîpas
toujours. Remarquez-, M. T. C. F. qu'il ne s'a-
git point ici d'un homme qui feroit dépourvu
.«îl^.Tunige'dé "fa j-aifon,. mais uniquement do ce*
lyi dont la rai fon ne fei jit point aidée de l'in-
ftru6lion. Or, une telle prétention efl fonve*
rainement abfarde,fur tout dans le Ij/ftême d'un
JEcrivain qui foutient que la raifon eft abfolu*
ment faine. Saint Paul aiTure, qu'entre les Pni-
Igfophes Payens, plufieurs font parvenus, par
les fdiles forces dec la raifon, à h connoiflance
du tf ai Dieu. C^ qui peut 'être connu de Dieu y
dit cet Apôtre, leur a été ma7nfefté y Dieu h leur
à'jant fait connoître : la confi aération des cbofes qui
ont été faites dés la sréation du monde leur ayant
rendu vifthle ce qtU efl in^ifible en Dieu , fa puif-
fêHce même éternelle, ^ fa divinité , en forte qui-h
M A t^ D 2 M Ë N T, xtx
font Jam excufi ; puifqît," ayant connu Dieu , ils n(^
l'ont point glorifié comim Dieu, ^ nu hii ont point
rendu grâces; mais ils Je font perdus dans la vanité
de leur raifannemcnt, £f hiir efprit injenjé a été oh-
fctirci : en Je difant fages , ih font devenus fous (f)..
Or, fi tel a été le crime de ces hommes ,
lci>.ucis bien qLi'aîrujcttis par les préjugés de leur
éducation au culte des Idoles , n'ont pas laifTé
d'atteindre à la connoifTance de Dieu : comment
ceux qui n'ont point de pareils obftacles à vain-
cre , feroient-îls innocents 6^ jufles , au point de
mériter de jouir delà préfence de Dieu dans l'au"
trc' vie : Comment feroient-iîs excufables (avee
une raifon faine telle que l'Auteur la fuppofe)'
d'avoir joui durant cette vie du grand fpeftaelG^
de la nature, & d'avoir cependant méconnu 'ce-
lui qui l*ti créée, qui la conferve & la gouverne 1-
Le même Ecrivain , M. T. C. F. embrafTe ou-
vertement le Scepticifme, par rapport à la créa-
tion & à l'unité de Dieu. Je fçais , fait-il dire
encore au perfonnage fuppofé qui lui fert d'or-'
gaiîe , je fçais que le monde efl gouverné par une'
volonté puijjante ^ fage ; je le vois , ou plutôt je:
le fensj £ff cela m'importe à fç avoir: mais ce mê*
(f) Quod notum eft Dei manifeftum eft in illls : Deus
enim illis manifeitavit. Invilibilia enimipfius, à creaturl,
miir,di,per ea qux faÛa iunt inr^llecta confpiciuntur :
ltra[>irt:ina quoquc cins virtus & divinitas , ira ut fint in-
excufabiles j quia cum cognovifieut Deiim, non ficuc
Deum glorificaverunt , aut giatliis egeruiu;.rcd evanu-mn:
in cogitatiombus fuis , 2c obfcuïamm elt infipiens cor eo-
lumj dicciues enim it ciïb fapicrites» ftulti fadi fiait»
"îyj/*;, f. I. y, xp, Zi.
ïx M A N I> E M E N r,
me m9nde ejî-îl éternel , ou créé ? T a-î il wt prhi^
cips unique des cbofes?Ten a-t il deux ou plufieurSy
^ quelle ejl leur nature? je n'en f;ais rien , cj* que
m'importe? .„.„ je renmce à des queftions oijtujes
qui peuvent inquiéter mon amour propre , mais qui
font inutiles h ma conduite, ^fupérieursà ma raifon.
Que veut donc dire cet Auteur téméraire? Il
croit que le monde cft gouverné p-ar une vo-
lonté puifTance & fage : il avoue que cela lui
importe à fçavoir; & cependant, il ne /çaîtàit-
il , s'il n'y a qu'un Je ul principe des ch^fes^ ou s'il
y en a pîufieurs; & il prétend qu'il lui Importe
peu de le fçavoir. S'il y a une volonté puilTantc
& fage qui gouverne le monde, eft-il conceva*
ble qu'elle ne foit pas l'unique principe des cho-
fes ? Et peut -il être plus important de fçavoir
l'un que l'autre? Quel langage contradiftoire !
Il ne fçait quelle efi la nature de Dieu, & biei-
t6t apurés il reconnoît que cet Etre fuprême eft
doué d'intelligence, de p-uiffance, de volonté
& de bonté; n'eft-cc donc pas là avoir une idée
de la nature divine? L'unité de Dieu luiparoît
une queflion oifeufe & fupéricure à fa raifon ,
comme fi la multiplicité des Dieux n'étoit pas
la plus grande de toutes les abfurdités. La plu-
ralité des Dieux , dit énergiquement Tcrtullien ,
*Dcuse/î une nullité de Dieu *, admettre un Dieu,
uni ma- c'^^ admettre un Etre fuprême & indépendant
nuruhc, a4.iquel tous les autres Etres foient fubordonné?,
xte ve-
tas tto- n impliciue donc qu'il y art plufieurs Dieux.
M A N D E M E N T. xxi
ÎI n'cft pas étonnant, M. T. C. F. qu'un hom- /Ira pro-
Tne qui donne dans de pareils écarts touchant ^"^'•*^''*
la Divinité, s'élève contre la Religion qu'Ellenon unus
nous a révélée. A l'entendre toutes les révéla- ^^ ' "^^^
lions en général nt font que dégrader Dieu, en^^f^i- ^d^
lui donnaîit des pajfîons humaines. Loin d'éclaircir y^j,^^^/'
les notions du grand Etre , pour fuit il , je vois que ^''^' ï» -
les dogmes particuliers les embro^iilletit ; que Uin
ie les ennoblir , ils les avilijjent ; quaux myjîeres
inancevables qui les environnent , ils ajoutent des
contradîSlions abfurdcs, C'ell bien plutôt à cet Au-
teur, M. T. C. F. qu'on peut reprocher l'in-
eonféquenee & l'abfurdité. C'ell: bien lui qui .
dégrade Dieu , qui embrouille , & qui avilit les
notions du grand Etre , pulCqu'il attaque dircc-
tement fon eflence, en révoquant en doute fon
Unité.
Il a fcnti que la vérité de la Révélation chré-
tienne étoit prouvée par des faits ; mais les mi-
racles formant une des principales preuves de
cette révélation , & ces miracles nous ayant été
tranfmispar la voie des témoignages, il s'écrie:
Qjtoi ! toujours des témoignages humains ! toujours
des hommes qui me rapportent ce que d'autres bom»
vies ont rapporté? ^e d'hommes entre Dieu É?
«ioî / Pour que cette plainte fût fenfée , M. T. C. F.,
il faudroit pouvoir conclure que la Révélation
cil fauffe dès qu'elle n'a point été fïite â cha-
que homme en particulier ; il faudroit pouvoir
dire; Dieu nç peut exiger de moi que jecroye
ixn M A N D E M E N T.
ce qu'on m'alTure qu'il a dit , des que ce n'eft
pas directement à moi qu'il a addrefTé fa paro-
le. Mais n'cfl il donc pas une infin'té de faits,
même antérieurs à celui de la Révélation chré-
tie;nnc , dont il feroit abfurde de douter? Par
quelle autre voye que par celle des témoignages
humains, l'Auteur lui-même a-til donc connu
cette Sparte, cette Athene, cette Rome dont
il vante û fouvenc & avec tant d'aiTurance les
loix, les mœurs, & les héros? Que d'hommes
entre lui 6c les événemens qui concernent les o-
rigines à la fortune de ces anciennes Républi-
ques ! que d'hommes entre lui $: les HiHoriens
qui ont confervé la mémoire de ces événements!
Son Scepticifme n'eft donc ici fondé que fur
l'intérêt de fon incrédulité.
Ou un homme , ajoute - 1 - il plus loin , z-ienns
^wus tenir ce langage : Mortels , je z'ous annonce
■ les ijolontés du Très-Haut : reconnoljjez à ma '-coix
telui qui m'envoye. J'ordonne au Soleil de changer
Ja courfe y aux Etoiles déformer un autre arrange-
aient, aux Montagnes de s'applanir , aux Flots de
ïelez-cr f à la Tene de prendre un autre afpect : à
ces merveilles qui ne reconnoîtra pas à l'inftant le
Maître de la nature? Qui ne croiroit, M. T.
C. F. que celui qui s'exprime de la forte, ne
demande qu'à voir des miracles, pour être Chré-
tien ? Ecoutez toutefois ce qu'il ajoute : Refie
enfin, dit-il, Vexamen le plus important dans la.
Dùclrim annoncée.,^ Jprès avoir prouvé la Dtc-
MANDEMENT. xXriî
trine par le miracle , il faut prouver le miracle par
4a DcÙ^rine ..... Or ^ que faire en pareil cas? U»
ne feule chofe: revenir au. raifonjiement , ^ laijfer
l'i les miracles. Mieux eut- il valu n'y pas recourir,
-c'eil dire: qu'on me montre des miracles, &je
croirai : qu'on me montre des miracles , & je
refuferai encore de croire. Quelle inconféquen-
ce, quelle abfurdité î Mais apprenez donc une
bonne fois , M. T. C. F. que dans la queflion des
Miracles , on ne fe permet point le Sophifme re-
proché par l'Auteur du Livre de I'Edugation.
Quand une Doctrine eu reconnue vraie , divine,
fondée fur une révélation certaine, on s'en ferc
pour juger des miracles , c'eft-à-dire , pour re-
jetter les prétendus prodiges que des Im.pofteurs
voudroient oppofcr à cette Doélrine. Quand il
s'agit d'une Doctrine nouvelle qu'on annonce
comme émanée du fein de Dieu , les miracles
font produits en preuves; c'eft-à-dire,- que ce-
lui qui prend la qualité d'Envoyé du Très-Haut,
-confirme fa miflion , fa prédication par des mî'
laclesqui font le témoignage n^me de. la Divi-
nité. Ainfi laDoétrineÔL les miracles font des aiv
guments refpeftifs dont on fait ufage , félon les
divers points de vue où l'on fe place dans l'é^
tude&dans l'enfeignement de la Religion. Il ne
fe trouve là, ni abus du raifonnement , ni fo^
phifme ridicule, ni cercle vicieux. C'eft ce qu'on
a démontré cent fois ; &; il eft probable que
î'Auteur d'Emile n'ignore point ces démonfti^i^
xxiy M A N D E M E N T.
tion5 ; mais , dans le plan qu'il s'eft fait d'enve-
lopper de nuages toute Religion révélée, toute
opération furnaturelle , il nous impute maligne-
ment desprocédés qui deshonorent la rairon;il
nous r^pré fente comme des Enthoufiaftes , qu'un
faux zele aveugle au point de prouver deux prin-
cipes, l'un par l'autre, fans diverfité d'objets, ni
de méthode. Où eft donc , M. T. C. F. la bonne-
foi phiiofophique dont fe pare cet Ecrivain ?
On croiroic qu'après les plus grands efforts
pour décréditer les témoignages humains qui at-
tellent la Révélation chrétienne, le même Au-
teur y défère cependant de la manière la plus
pofitive, ia plus folemnelle. Il faut, pour vous
en convaincre, M. T. C. T. & en même -temps
pour vous édifier, mettre fous vos y^ux cet en»
droit de Ton Ouvrage : J'avoue que h majefté de
iEcriture 7n étonne; la fainteîé de l'Ecriture parle à
mori cœur. Voyez les livres des Fhilofophes ^ avec
toute leur pompe ; qu'ils font petits près celui-là , fe
peut - iî qu'un livre à la fois fi fuhlime ^ fi fimplt
hit V ouvrage des hommes'^ Se peut-il que celui dont
il fait Vhifloire , ne fuit qu'un homme lui - même ?
Efl-ce là le ton d'un enthoufiafte^ ou a un ambitieux
Se^aire ? Quelle douceur ! Quelle pureté dans fes
mœurs ! Quelle grâce touchante dans fes infime-
tions ! Quelle élévation dans fes maximes ! Quellt
profonde fageffe dans fes difcours ! Quelle préfence
iTefprit, quelle fineffe ^ quelle jufiejfe dans fes
tépmfes l Quel empire fur fes pajjions ! Oà 'efi
M A N D E M E N T. sxv
Vbûmme, où eft lefage qui fçaît agir ,fouffrir ^ moii^
rb- fam folbkjje , ^fans ôft entât Ion ? Oui , fi la
vie ^ la mort de Socrate font d'un Sage , la vie ^ la
viort de yéfits font d'un Dieu. Dirons-nous que rbif-
tolre de V Evangile e[l inventée à plaifir ?
Ce n'efi; pas ainfi qiCon invente , ^ les faits de So^
crate dont perfonne ne doute , font moins, attefiés
que ceux de Jéfiis-Cbrift Il feroit plus incon-
cevable que plufieurt bommes d'accord euffent fabri-
qué ce Livre y qu'il ne lefl quunfeul en ait fourni
le fujet. Jamais les auteurs Juifs n" euffent trouvé
ce ton, ni cette morale , Êf l'Evangile a des ca»
raSteres de vérité fi grands , fi frappans , fi par-
faitement i?iimitables i que VInventeur en feroit plus
étonnant que le Héros, 11 feroit difficile, M. T.
C. F. , de rendre un plus bel hommage à l'au-
thenticité de l'Evangile. Cependant l'Auteur ne
la reconnoît qu'en conféquence des témoignages
humains., Ce font toujours des hommes qui lui
rapportent ce que d'autres hommes ont rapporté.
Que d'hommes entre Dieu & lui! Le voilà donc
bien évidemment en contradiélion avec lui - mê-
me : le voilà confondu par fes propres aveux.
Par quel étrange aveuglement a-t-il donc pu a-
jouter , Avec tout cela ce même Evangile eft plein
de cbofes incroyables, de cbofes qui répugnent à la
la raifon , £f qu'il eft impof/îble à tout bomme fenfé
de concevoir^ ni d'admettre, Q^ie faire au milieu
de toutes ces contradiUions ; être toujours modefte ^
€irconfpe^ ... refpeUer enfilence ce qu'on ne ffau-
xx\T M A N D E M E N T.
foity ni rejetter, ni comprendre , ^ s'bumilîer dS"
■vant le grand Etre qui feul fçait la vérité. Voila
le Sce^ticîfme involontaire oit je fuis rejîé. Mais le
ScepticifmCjINI. T. C. F., peut-il donc être in-
volontaire, lorfqu'on refufe de fe foumettre à
la Dodtrine d'un Livre qui ne fçauroit être in-
Tenté par les hommes ? Lorfque ce Livre porte
des caraéleres de vérité ", fi grands , fî frap-
•pans, û parfaitement inimitables, que l'Inven-
teur en fcroit plus étonnant que le Héros V C'eft
bien ici qu'on peut dire que V iniquité a menti
contre elle-même (^).
Il femble,M. T. C. F., que cet Auteur n'a
rejette la Révélation que pour s'en tenir à la
Religion naturelle; Ce que Dieu veut qii un homme
fajje , dit-il , il ne le lui fait pas dire par un au-
tre homme , il le lui dit à lui-même, il l'écrit au
fond defon cmir. Quoi donc! Dieu n'a-t-il pas
écrit au fond de nos cœurs l'obligation de Ce
foumettre à lui , dès que nous fommes fûrs que
c'eft lui qui a parlé? Or, quelle certitude n'a«
vons-nous pas de fa divine parole ! Les faits de
Socrate dont perfonne ne doute font de l'aveu
même de l'Auteur d'K m île, moins atteftés que
ceux de Jéfus-Chrift. La Religion naturelle con-
duit donc elle-même à la Religion révélée. Mais
«ft-il bien certain qu'il admette même la Re-
ligion naturelle , ou que du moins il en recon-
noifTe la néceffité ? Non , M. T. C. F. Si je me
(l) Mcailia cft inlquitas iibi, Pfal* x6. v. u.
MANDEMENT. xxvix
mmpe , dit-il , c*ejl; de bonne -foi. Cela me Juffit ,
pour que mon erreur ^nême.ne mefoît pas imputée à
crime. Quand vous vous tromperiez de même , il y
aiiroit peu de mal à cela; c'eft-à-dire que, félon
lui , il fuffit de fe perfuader qu'on ell en poG-
felîîon de la vérité ; que cette perfuafîon , fût-
clle accompagnée des plus mondrûeufes erreurs,,
ne peut jamais être un fujet de reproche; qu'on
doit toujours regarder comme un homme fage^
& religieux, celui qui, adoptant les erreurs-
même de l'Athéifme , dira qu'il eft de bonne-
foi. Or, n'efl-ce pas là ouvrir la porte à toutes
les fuperftitions,à tous les fyftômes fanatiques,
à tous les délires de l'efprit humain? N'etl-ce
pas permettre qu'il y ait dans le monde autant
de Religions , de cultes divins , qu'on y compte
d'Habitans ? Ah ! M. T. C. F. , ne prenez poinc
le change fur ce point. La bonne-foi n'cfl: efti-
mable, que quand elle eft éclairée & docile. U
nous eft ordonné d'étudier notre Religion , &
de croire avec fimplicité. Nous avons pour ga>
rant des promeffes l'autorité de l'Eglife : appre-
nons à la bien connoitre,& jettons-nous enfui-
te dans fon fein. Alors nous pourrons compter
fur notre bonne-foi , vivre dans la paix , & at-
tendre , fans trouble, le moment de la lumière
éternelle.
Quelle infigne mauvaife foi n'éclate pas enco-
re dans la manière dont l'Incrédule, que nous
r.éfutons , fait raifonner le Chiécien & le Catho.
\Tiviii M A N D E M E N T.
lîr^ue! Quels difcoiirs pleins d'ineptie nepréfe"^
t-iî pas à l'un & à l'autre, pour les rendre mé-
prifablcs! Il imagine un Dialogue, entre un
Chrétien, qu'il traite dT;i//>îre ; & FlncréJulc-,
qu'il qualitîe de Raifoiiîieur; & voici comme il
fait parler le premier : La raifofi vous apireni
que le tout eft plus grand ^ue fa partie; mais moi,
je lous apprends de la part de Dieu quec'efi lapar-
tie qui eft plus grande que le tout; à quoi l'Incré-
dule répond : Et qui ttes-i'ous pour rrCojer dire que
Dieu Je contredit-, ^à qui croirai -je par t réfé-
rencent de lui qui m apprend par la raij'on des véri-
tés éternelles y ou de vous qui m'annoncez de fa part
une abjurditéf
Mais de quel front, M. T. C. F. ofc-t-oiî
prêter au Chrétien un pareil langage? Le Dieu
delà Raifon, difons-nous, efl r.um IcDieu de
la Révélation. La Raifon & la Révélation font
les deux organes par lefquels il lui a plu de fc
faire entendre aux hommes, foit pour les inftrui-
te de la vérité , foit pour leur intimer fes or-
dres. Si l'un de ces deux organes étoit oppofé
a l'autre , il eft conftant que Dieu feroit en con-
tradiction avec lui-même. JMais Dieu fe ctontre-
dit-il, parce quUl commande de croire des véri-
tés incompréhenfibles ? \^ous dites , ô Impies ,
que les Dogmes, que nous regardons comme
révélés , combattent les vérités éternelles : mais
îl ne fuffit pas de le dire. S'il vous étoit polTi-
blç de le prouver, il y a long-temps que vous
M A N D E M E N T,. xxix
Tauriez fait, & que vous auriez pouffé des criî
de victoire.
La mauvaife foi de l'Auteur d'Eî.iiLE, n'eftpas
moins révoltante dans le langage qu'il fait tenir
à un Catholique prétendu. Nos Catholiques, lui
fait -il dire, fo?it grand hruîc de V autorité de lE^
glife; mais que gagnent-ils a cela? S il leur faut
anaujji grand appareil de preuves pour établir cette
autorité j qu'aux autres SeQ^es pour établir direBt*
ment leur doBrine. L'Eglife décide que VEglife a
droit de décider : ne voilà î-il pas une autorité bien
prouvée ? Qui ne croiroit, M. T. C. F. , à enten-
dre cet Impofleur, que l'autorité de l'Eglifen'eft
prouvée que par Tes propres décifions,& qu'elle
procède ainu : Je décide que je fuis infallihle^ donc
je le fuis : imputation calomnieufe, M. T. C. F.
La conllitution du Chriftianifme , rEfprit de
l'Evangile, les erreurs même & la foibleile de
1 efprit humain , tendent à démontrer que TE-
glife, établie par Jefus - Chrift, eft une Eglife
infaillible. Nous aiTurons que, comm.e ce di-
vin Légiflateur a toujours enfeigné la vérité»
fon Eglife l'enfeigne auffî toujours. Nous prou-
vons donc l'autorité de l'Eglife , non par l'au-
torité de l'Eglife, mais par celle de Jéfus-Chrilt :
procédé non moins exa(5l , que celui qu'on nous
reproche efl: ridicule & infenfé.
Ce n'eil pas d'aujourd'hui, M. T. C. F. que
l'efpric d'irréligion efl un efprit d'indépendance
& de révolte. Et comment, en eiFet, ceshom-
'^* 3
XXX MANDE M E N T.
mes audacieux , qui refufent de fc foumettre à
Tautoiité de Dieu même, rerpeâ:eroient-iIs celle
des Rois qui font les images de Dieu , ou celle
des Magiftrats qui font les images des Rois?
Songe, dit l'Auteur d'EMiLE à fon^levc, qu'elle
(refpece humaine) ejl compofée ejfentîellement de
la coîleStion des peuples; que quand tous les Rois
e7i ferùient ités , il n'y paroitroît guères , ^ que les
chef es n'en iroient pas plus mal Toujours ^ dit-
il plus loin, /a multitude fera facrifiée au petit mm*
Ire, ^ l'intérêt puhlic à l'intérêt particulier: tou-
jours ces noms fpécieux de jujîice ^ de fuh ordina-
tion, Je rv iront d'inftrumens à la "oiolence , ^ d'ar*
mes à l'iniquité. D'où il fuit, continue -t -il , que
les ordres dijiîngués ,quife prétendent utiles aux au-
tres , ne font en effet utiles qu'à eux-mêmes aux dépens ^
ies autres. Far oit juger de la conji dération qui leur
eft due félon la juftice ^ la raifon? Ainfi donc,
M. T. C. F. , l'impiété ofe critiquer les intentions
de celui par qui régnent les Rois : (Jj) ainfi elle fe
plaît à empoifonner les fources de la félicité
publique, en foufHant des maximes qui ncten^
dent qu'à produire l'anarchie, & tous Icî mal-
heurs qui en font la fuite. Mais, que vous dit
la Religion? Craignez Dieu: refpeBez le Roi
(i) que tout homme foit fownis aux Puiffances fupé-
rieures : car il n'y a point de Puiffance qui ne vienns
de Dieu; ^ c'eft lui qui a établi toutes celles qui
(h) Per me reges rcgnact. Prov. e. i. i. ij.
■ ÎO Dcum ùmete ; ^^egtm honoiificaic. i. Tr.*, c 2, v, ir«
M A N D E M E N T. htki
font dans le monde, Qjiiconque réfifte donc aux Pnif-
Jane es i réfifte à V ordre de Dieu; ^ ceux qui y ré"
fftenty attirent la condamnation fur eux-môincsÇk),
Oui, M. T. C. F. dans, tout ce qui eil de
Tordre civil, vous devez obéir au Prince, & à
ceux qui exercent fon autorité , comme à Dieu
même. Les feuls intérêts de l'être fuprême
peuvent mettre des bornes à votre foumiiîîon ;
& fi on vouloit vous punir de votre fidélité à
fes ordres, vous devriez encore foufFrir avec
patience &; fans amrmure. Les Néron , les Do-
mitien eux-mêmes , qui aimèrent mieux être les
fléaux de la Terre, que les pères de leurs peu*
pies , n'étoient comptables qu'à Dieu de l'abus
de leur puilTance. Les Chrétiens, dit faint Au-
guilin , leur Ghéîjjoîent dans le temps à cauje du
Dieu de -V Eternité (l).
Nous ne vous avons expofé, M. T. C. F,
qu'une partie des impiétés contenues dans ce
Traité de TEducation : Ouvrage également di-
gne des Anathêmes de l'Eglife , & de la févé*
rite des Loix : & que faut-il de plus pour voua
en infpirer une jufte horreur v» Malheur à vous,
malheur à la Société , fi vos enfans étoient é*
kvés d'après les principes de l'Auteur d'EMiLE.
(t) Oranis anima poteftatîbus fuBIimioribus fnbdîtafîr ?
Bon eft enlm proteftas nifi à Deo : qua: autera funt , à
Deooîdinatac funt, îtaque , qui refiftlt poteftati , Dei or-
dinatioiû relulit. Qiii autem rellftunt ipii fîbi damnatio-
■nem acquinint. Ti^.n. c. 13. v. i. 2.
(/) Subditi erant propter Dominum aeternum, etiam
DomittO terapoiali. kA^i, Enarrat, in Pfai^ 124,
Tiri^ii m A N D E M E N T.
Comme il n'y a que la Religion qui nous air
appris à connoitre l'homme, fa grandeur, fa
mifere, fa deftinée future, il n'appartient auflî
qu'à elle feule de former fa raifon, de perfec-
tionner fes mœurs , de lui procurer un bonheur
folide dans cette vie & dans l'auti'e. Nous fça-
vonSjM. T. C. F. combien une éducation vrai-
ment chrétienne ell délicate & laborieufe ; que
de lumières & de prudence n'exige-t-elle pas !
Quel admirable mélange de douceur & de fer-
meté ! qu'elle fagacité pour fe proportionner à
la différence des conditions , des âges , des tem-
péramens & des caractères, fans s'écarter ja-
mais en rien des règles du devoir! quel zèle &
quelle patience pour faire fructifier, dans de
jeunes cœurs le germe précieux de l'innocence,
pour en déraciner, autant qu'il efl poffible,ces
penchans vicieux qui font les triiies effets de
notre corruption héréditaire; en un mot, pour
leur apprendre, fuivant la Morale de faintPaul,-
à vii:re en ce monde avec tempérance , félon la juj\
tice^ ^ avec 'piété, en attendant la béatitude qus
nms ejpérons, (ni) Nous difons donc, à tou$
ceux qui font chargés du foin également pé»
nible & honorable , d'élever la jeunefTe ; Plan-
tez & arrofez, dans la ferme efpérance que le
Seigneur, fécondant votre travail, donnera
(r/j) Erudiens nos, ut abnegantes impietatem & frcu-
laiia deûdeaa, fobriè 2c jurte Se pic vivamus in hoc f«>
culo expedanus beatam fpem. lit, t, i. v. li, 13,
MANDEMENT. xxxiii
raccroiûement ; infiftez à tembs ^ à contre-temps ,
félon le confeil du même Apôtre; ufez de répri-
mande , d'exhortation , de paroles fevsres , fans pet'
dre patîerve ^ fans cejjer dHnftruire ; (?i) fur-tout,
joignez l'exemple à i'inftrudion ; l'inftruftion
fans- l'exemple eft un opprobre pour celui qui
la donne, & un fujct de fcandiile nour celui
qai la reçoit. Q:!e le pieux & charitable Tobie
foit votre modelé; recommandez a'uec foin à vos
ev.fants , de faire des œuvres de juftice ^ des an»
mènes , de fe foire enir de Dieu, ^ de le bénir en
tout temps dans la vérité , £f de toutes leurs forces ; (o)
& votre pollérité, comme celle de ce faint Pa-
triarche; fera aimée de Dieu Êf des hommes (p).
Mais en quel temps l'éducatioîî doit-elle com-
mencer? Dès les premiers rayons de l'intelli-
gence: (k ces rayons font quelquefois préma-
xai'éis.Fofmez r enfant à V entrée de fa voye ^ dit le
Sage , dans fa vieillejfe même- il ne s'en écartera
point, (q) Tel eil en effet le cours ordinaire de
('0 Infta opportune, importuné: argue, obfccra, In»
crêpa iu omni paiieiitid Se doûrind. 2. r//,of. r, 4. v. 1.2.
{0) FiJiis veftiis m.indate ut faciant jùftitias ôc eieemo-
fm-âs , ut iint mernores Del & bened.cant eum in omni
tenipoie, in veiitate 5c in toiâ. virtiite fud. Tob. c» 14,
1/. 11. - .
(p) Omnis autem cognatio ejais ,.ôç omnis generatio e-
jus in bonâ vitâ & in fan£tà convcifatione perniiinfit, ita
ut acceptl elTer.t tam Deo, quam hominibus ôc tuudis
liabitatoribus fn terra. IbùL v. "17.
(7) Ad )lelc:ns juxta viam fuam , etiam cùm fcnueiiîa
non receàst ab eâ. Prev. c. zzr v^ 0^-^
xxsiv 2^1 A N D E :\I E N T.
la vie humaine : au milieu du délire des pa?-
fions, & dans le feia du libertinage, les prin-
cipes d'une éducation chrétienne iont ure lu-
mière qui fe ranime par intervalle pour décou-
vrir au pécheur toute l'horreur de l'abyme où
il eil plongé, &. lui en montrer les ifTues. Com-
bien , encore une fois , qui , après les écarts
d'une jeanelTe licentieufe , font rentrés , par-
Fimprelllon de cette lumière, dans les routes
de la fageUe, & ont honoré, par des vertu»
tardives, mais- fmceres , Thumanité, la Patrie.
& la Religion 1
Il nous refte Tén finiffant , M. T. C. F. , à vous
conjurer, par les entrailles de la mJféricorde
de Dieu , de vous attacher \nviolablement à cet-
te Religion fainte dans laquelle vous avez eu^
le bonheur d'être élevés; de vous foutenir con-
tre le débordement d'une Philofophieinfenfée,
qui ne fe propofe rien de moins que d'envahir
l'héritage de Jéfus Chrift , de rendre fes promef-
fes vaines , &; de le 4nettre au rang de ces Fon-
dateurs de Religion , dont la doctrine frivole
ou pernicieufe a prouvé Timpoiliure. La Fol
n'eft méprifée , abandonnée, infultée , que par
ceux qui ne la connoiiïent pas, ou dont elle
gène les défordres. Mais les portes de l'Enfer
ne prévaudront jamais contre elle. L'Eglife
Chrétienne & Citholiquc eft le commencement
de l'Empire éternel de Je fus - Chrift : Rien iz
INI A N D E ISÏ E N T. xxx^
f lus fort qu'elle, s'écrie faint Jean Damafcene >
c'ejlun rocher que les flots ne renverjenfpoint ; c^efl
une montagne que rien 7ie peut détruire (r).
A CES CAUSES, vu le Livre qui a pour titre:
Emile, ou de l'Education, par y, J. RouJJeaUy
titoyen de Genève. A Amflerdam, chez Jean
NéaiUme y Libraire, 1762. Après avoir pris l'a-
vis de plulîeurs perfonnes diflinguées par leur
piété & par leur fçavoir, le faint Nom de Dieu
invoqué, Nous condamnons ledit Livre, com-
me contenant une dodrine abominable, propre
à renverfer la Loi naturelle , & à détruire les
fondemens de la Religion Chrétienne; établif-
fant des maximes contraires à la Morale Evan-
jélique ; tendant à troubler la paix des Etats,
à révolter les Sujets contre l'autorité de leur
Souverain : comme contenant un très - grand
nombre de proportions refpeélivement faufles,
fcandaleufes , pleines de haine contre l'Eglife
& fes Miniftres, dérogeantes au refpeél ^\X à
i'Ecriture Sainte & à la Tradition de l'Eglife,
erronées, impies, bîafphémat cires & héréti-
ques. En conféquence Nous défendons très-ex-
prelTément à toutes perfonnes de notre Diocè-
fe de lire ou retenir ledit Livre, fous les pei-
nes de droit. Et fera notre préfent Mande-
()') Nihil Ecclefiâ valcntîus , rupe fortior éd.... fem-
pet viget} cur eam fcriptura montem appellavitî Utiquc
<îuia evciti non proteft, Damafc Tom, z, p. ^62^» 463.
XXXVI MANDE xM E N T,
ment lu au Prône des Meiïes Paroiiïïales des
Eglifes de la Ville,, Fauxbouigs & Diocéfe de
Paris, publié & affiché, p^r-tout où befoin fe-
ra. Donne' à Paris en notre Palais Archiépif-
copal, le vingtième jour d'Août mil fept cens
foixante-deux.
Sisné , >î< CHPJSTOPHE , Archer, de Paris.
PJR MONSEIGNEUR,
DE LA TOUCHE
J • P A R I S,
Chez C. F. SIMON, Imprimeur de la Reine
& de Monfeigneur l'Archevêque, rue
des Mathurins.
M. D C C. L X I I.
JP^EC PRIVILEGE DU ROL
JEAN JAQUES ROUSSEAU,
Citoyen de Genève ,
A
CHRISTOPHE DE BEAUMONT,
Archevêque de Paris.
jPourquoi faut- il , Mon feign eur , que j'aye
quelque chofe à vous dire? Quelle langue com-
mune pouvons-nous parler , comment pouvons-
nous nous entendre, 6c qu'y a-t-il entre vous
à. moi ?
Cependant, il faut vous répondre ; c'eft
vous-même qui m'y forcez. Si vous n'eufîîez at-
taqué que mon livre, je vous aurois laifTédire:
mais vous attaquez aufïï ma perfonne; &, plus
vous avez d'autorité parmi les hommes, moins
il m'efl permis de me taire, quand vous vou-
lez me deshonorer.
Je ne puis m'empêcher , en commençant cet^
te Lettre de réfléchir fur les bizarreries de ma
dcftinée. Elle en a qui n'ont été que pour moiT"
J'etois né avec quelque talent; le public
î'a jugé ainfi. Cependant j'ai pafTé ma jeunef-
fe dans une heureufe obfcurité, dont je ne
cherchois point à fortir. Si je Pavois cher-
ché , cela même eût été une bizarrerie que du-
rant tout le feu du premier âge je n'eufle pu
réuffir, & que j'eulTe trop réujCG dans la fuite,
A
1 LETTRE
quand ce feu commençoit à paffer. J'approchois
de ma quarantième année , & j'avois , au lieu
d'une fortune que j'ai toujours méprifée, &
d'un nom qu'on m'a fait payer fi cher, le re-
pos & des amis , les deux feuls biens dont mon
cœur foit avide. Une miférable queftion d'A-
cadémie m'agitant l'efprit malgré moi me jetta
dans un métier pour lequel je n'étois point fait;
un fuccès inattendu m'y montra des attraits qui
me féduifirent. Des foules d'adverfaircs m'at-
taquèrent fans m'entendre , avec une étour-
derie qui me donna de l'humeur, & avec un
orgueil qui m'en infpira peut-être. Je me
défendis, &, de difpute en difpute, je me
fentis engagé dans la carrière, prefque fans
y avoir penfé. Je me trouvai devenu, pour
ainfi dire , Auteur à l'âge où l'on ccITe de l'ê-
tre , & homme de Lettres par mon mépris mê-
me pour cet état. Dès-là, je fus dans le pu-
blic quelque chofc : mais aulTi le repos & les
amis difparurent. Quels maux ne fouftris-je
point avant de prendre une allîctte plus fixe &
des attachemens plus heureux ? il fallut dévorer
mes peines; il fallut qu'un peu de réputation
me tint lieu de tout. Si c'efl un dédomage-'
ment pour ceux qui font toujours loin d'eux-
mêmes , ce n'en fut jamais un pour moi.
Si j'eusse un moment compté fur un bien Ci
frivole , que j'aurois été promptement d éfabu-
iél Quelle incouilaace perpétuelle n'ai-jc pas
A M. DE BEAUMONT. %
éprouvée dans les jugemens du public fur mon
compte! J'étois trop loin de lui; ne me jugeant
que fur le caprice ou l'intérêt de ceux qui le
mènent, à peine deux jours de fuite avoit-il
pour moi les mêmes yeux. Tantôt j'étois uu
homme noir , & tantôt un ange de lumière. Je
me fuis vu dans la m,eme année vanté, fôté,
recherché, même à la Cour; puis in fuite, me-
nacé , détefté , maudit : Les foirs on m'atten-
doit pour m'alTaffiner dans les rues ; les matins
on m'annonçoit une lettre de cachet. Le bien
& le mal couloient à peu près de la même
fource; le tout me venoit pour des chanfons.
J'ai ECRIT fur divers fujets, mais toujours
dans les mêmes principes : toujours la même
morale, la môme croyance, les mômes maxi-
mes , & , fi l'on veut , les mêmes opinions. Ce-
pendant on a porté des jugemens oppofés de
mes livres, ou plutôt, de l'Auteur de mes lî-'
vres ; parce qu'on m'a jugé fur les matières que
j'ai traitées, bien plus que fur mes fentimens.
Après mon premier difcours , j'étois un homme
à paradoxes, qui fe faifoit un jeu de prouver
ce qu'il ne penfoi: pas : Après ma lettre fur ia
mufique françoife , j'étois l'ennemi déclaré de
la Nation; il s'en falloit peu qu'on ne m'y trai-
tât en confpirateur; On eut dit que le fort de
la Monarchie étoit attaché à la gloire de l'O-
péra; Après mon difcours fur l'inégalité, j'étois
athée 6c mifantrope: Après la lettre ù M. à'A-
A 2
t LETTRE
quand ce feu commençoit à palTer. J'approchois
de ma quarantième année , &. j'avois , au lieu
d'une fortune que j'ai toujours méprifée, &
d'un nom qu'on m'a fait payer fî cher, le re-
pos & des amis , les deux feuls biens dont mon
cœur foit avide. Une miférable queflion d'A-
cadémie m'agitant l'efprit malgré moi me jetta
dans un métier pour lequel je n'étois point fait;
un fuccès inattendu m'y montra des attraits qui
me féduifirent. Des foules d'adverfaircs m'at-
taquèrent fans m'entendre , avec une étour-
derie qui me donna de l'humeur, à. avec un
orgueil qui m'en infpira peut-être. Je me
défendis, &, de difpute en difpute, je me
fentis engngé dans la carrière, prefque fans
y avoir penfé. Je me trouvai devenu, pour
ainfi dire , Auteur à l'âge où l'on ccife de l'ê-
tre , & homme de Lettres par mon mépris mê-
me pour cet état. Dès-là, je fus dans le pu-
blic quelque chofc : mais auflî le repos & les
amis difparurent. Quels maux ne foufFris-je
point avant de prendre une aiîîctte plus fixe &
des attachemens plus heureux? 11 fallut dévorer
mes peines; il fallut qu'un peu de réputation
inc tint lieu de tout, Si c'eft un dédomage-'
Dient pour ceux qui font toujours loin d'eux-
mêmes , ce n'en fut jamais un pour moi.
Si j'eusse un moment compté fur un bien fi
frivole , que j'aurois été promptement défabu-
lé! Quelle incoûltaace perpétuelle n'ai-jc pas
A M. DE BEAUMONT. ^
éprouvée dans les jugemens du public fur mon
compte! J'étois trop loin de lui; ne me jugeant
que fur le caprice ou l'intérêt de ceux qui le
mènent, à peine deux jours de fuite avoit-il
pour moi les mêmes yeux. Tantôt j'étois un
homme noir, & tantôt un ange de lumière. Je
me fuis vu dans la môme année vanté, fêté,
recherché, même à la Cour; puis in fuite, me-
nacé , détefté , maudit : Les foirs on m/atten-
doit pour m'afTaffiner dans les rues ; les matins
on m'annonçoit une lettre de cachet. Le bien
& le mal couloient à peu près de la même
fource; le tout me venoit pour des chanfons.
J'ai ECRIT fur divers fujets , mais toujours
dans les mêmes principes : toujours la même
morale, la môme croyance, les mêmes maxi-
mes , &, Il l'on veut, les mêmes opinions. Ce-
pendant on a porté des jugemens oppofés de
mes livres, ou plutôt, de TAuteur de mes li-'
vres ; parce qu'on m'a jugé fur les matières que
j'ai traitées, bien plus que fur mes fentimens.
Après mon premier difcours , j'étois un homme
à paradoxes, qui fe faifoit un jeu de prouver
ce qu'il ne penfoit pas ; Après ma lettre fur ia
mufique françoife , j'étois l'ennemi déclaré de
la Nation; il s-' en falloit peu qu'on ne m'y trai-
tât en confpirateur; On eut dit que le fort de
la Monarchie étoit attaché à la gloire de l'O-
péra; Après mon difcours fur Tinégalité, j'étois
athée & mifantrope: Après la Ictue à M. d'A-
A 2
4: LETTRE
lemfeert , j'étois le défenfeur de la morale chré-
tienne: Après l'HéloïTe , j'étois tendre & dou-
cereux ; maintenant je fuis un impie; bientôt
peut-être ferai je un dévot.
Ainsi va flotant le fot public fur mon comp-
te, fâchant aufîî peu pourquoi il m'abhorre,
que pourquoi il m'aimoit auparavant. Pour
Baoi, je fuis toujours demeuré le même; plu«
ardent qu'éclairé dans mes recherches, mais
lincere en tout, même contre m.oi; fimple &
bon , mais fenfible & foible , faifant fouvent
le mal & toujours aimant le bien; lié par l'a-
mitié, jamais par les chofes, & tenant plus à
mes fcntimens qu'à mes intérêts ; n'exigeant
rien des hom.mcs & n'en voulant point dépen-
dre, ne cédant pas plus à leurs préjugés qu'à-
leurs volontés, & gardant la mienne aufîî li-
bre que ma raifon : craignant Dieu fans peur
de l'enfer, raifonant fur la Religion fans liber-
tinage, n'aimant ni l'impiété ni le fanatifme, *
mais haïlTant les intolérans encore plus que les
efprits-forts ; Ne voulant cacher mes façons de
pcnfer à perfonne, fans fard, fans artifice en'
Coûte chofc, difant mes fautes à mes amia.y
Ries fentimens à tout le monde , au public ft-s
vérités fans flaterie & fans fiel , & me fouciant
tout auflî peu de le fâcher que de lui plaire.
Voila mes crimes , & voila mes vertus.
EKFiNlafl'é d'une vapeur ennivrante qui enfic
Êans rafîafier, excédé du tracas des oififs fur-»
A. M. DE BEAUMONT. ?
chargés de leur teins & prodigues du mien ,
foupirant après un repos fi cher à mon cœur
& 11 néceiTaire à mes maux , j'avois pofé la plu-
me avec joye. Content de ne l'avoir prife que
pour le bien de mes femblables , je ne leur de-
mandois pour prix de mon zèle que de me laif-
fer mourir en paix dans ma retraite, & de ne
m'y point faire de mal. J'avois tort ; des huif-
(iers font venus me l'apprendre , & c'cft à cet-
te époque, où j'efpérois qu'alloient finir les
ennuis de ma vie, qu'ont commencé mes plus
grands malheurs. Il y a déjà dans tout cela
quelques flngularités; ce n'eft' rien encore. Je
vous demande pardon, Monfeigneur, d'abufer
de votre patience : mais avant d'entrer dans ks
difcuffions que je dois avoir avec vous , il fauc
parler de ma (îruacion préfète , & des caufes
qui m'y ont réduit.
Un Genevois fait imprimer un Livre eu
Hollande , & par arrêt du Parlement de Paris ce
Livre eft brûlé fans refpeét pour le Souverain
dont il porte le privilège. Un Proteftant pro-
pofe en pays proteftant des objedions contre
l'Eglife Romaine > & il eft décrété par îe Par-
lement de Paris. Un Répiiblic^in fait dans une
République des objeétions contre l'P^tat monar-
chique , & il eft décrété par le Parlement de
Paris. 11 faut que le Parlement de Paris ait d'é-
tranges idées de fon empire, & qu'il fe croye
le légitime juge du genre humain»
A 3
6 LETTRE
Ce MEME Parlement , toujours fi foigneux
pour les François de l'ordre des procédures,
■]es néglige toutes dès qu'il s'agit d'un pauvre
Etranger. Sans favoir fi cet Etranger efl bien
l'Auteur du Livre qui porte fon nom, s'il le
leconnoit pour fien, fi c'efl lui qui l'a fait im-
priir.er ; fans égard pour fon trifiie état, fans
pitié pour les maux qu'il fouiFre, on commen-
■ce par le décréter de prife de corps ; on l'eût
arraché de fon lit pour le traîner dans les mê-
jî:es priions où pourriflent les fcélérats ; on l'eût
brûlé, peut-être même fans l'entendre, car qui
fait fi l'on eût pour fui vi plus régulièrement des
procédures fi violemment commencées & dont
on trouveroit à peine un autre exemple, mê-
me en pays d'Inquifition ? Ainfi c'efi: pour moi
Jfeul qu'un tribunal fi fage oublie fa fagefi^e; c'ell
contre moi feul , qui croyois y être aimé , que
ce peuple, qui vante fa douceur, s'arme de îa
plus étrange barbarie; c'ed ainfi qu'il juftifie la
préférence que je lui ai donnée fur tant d'aziles
que je pouvois choifir au même prix ! Je ne fai
comment cela s'accorde avec le droit des gens ;
mais jt fai bien qu'avec de pareilles procédures
la liberté de tout homme, & peut-être fa vie,
cfi: à la merci du premier Imprimeur.
Le, Citoyen de Genève ne doit rien à des
Mngifirats injuftes & incompétens, qui, fur un
réquifitoire calomnieux, ne le citent pas , mais
le décrètent. N'étant point fommé de coinparoi-
A M. DE BEAUMONT. 7
tre, il n'y eft point obligé. L'on n'employé con-
tre lui que la force , & il s'y fouflrait. Il fecoue
la poudre de fes fouliers , & fort de cette terre
hofpitaliere où l'ons'emprelTe d'opprimer le foi-
ble,& où l'on donne des fers à l'étranger avanc
de l'entendre, avant de favoir fi l'acte dont on
l'accufe eft punilTable, avant de favoir s'il Ta
commis.
Il abandonne en foupirant fa chère folitude.
Il n'a qu'un feul bien , ipais précieux, des amis ,
il les fuit. Dans fa foibleffe il fupporte un long
voyage; il arrive & croit refpirer dans une ter-
re de liberté ; il s'approche de fa Patrie , de
cette Patrie dont il s'eft tant vant&, qu'il a ché-
rie & honorée: L'efpoir d'y être accueilli le con-
fole de fes difgraces Que vais-je dire ? mon
cœur fe ferre , ma main tremble , la plume en
tombe; il faut fe taire , & ne pas imiter le cri-
me de Cam. Que ne puis-je dévorer en féçrec
la plus amere de mes douleurs !
Et pourquoi tout cela? Je ne dis pas, fur
quelle raifon ? mais, fur quel prétexte ? On ofe
m'accufer d'impiété ! fans fonger que le Livre
où l'on la cherche eft entre les mains èe touc
le monde. Que ne donneroit-on point pour pou-
voir fupprimer cette pièce juftificative, &dire
qu'elle contient tout ce qu'on a feint d'y trou-
ver ! Mais elle reftera , quoiqu'on fafTe ; & en
y cherchant les crimes reprochés à l'Auteur, h
poftérité n'y verra dans fes erreurs mêmes que
A 4
f LETTRE
les torts d'un ami de la vertu.
J'EVITERAI de parler de mes contemporains ;
je ne veux nuire à perfonne. Mais l'Athée Spi-
noza enfeignoit paifiblement fa doctrine; il fai-
foit fans obllacle imprimer fes Livres , on les=
débitoit publiquement; il vint en France, &.
il y fut bien reçu; tous les Etats lui étoicnt
ouverts , par - tout il trouvoit protection ou du
moins fureté ; les Princes lui rendoient des hon-
neurs , lui ofFroicnt des chaires ; il vécut .& mou-
rut tranquille , & même couûdéré. Aujour-
d'hui, dans le lîecle tant célébré de la philofo-
phic, delaraifon, de l'humanité ; pour avoir
propofé avec circonfpeflion, même avecrefpect
&; pour l'amour du genre humain , quelques
doutes fondés fur la gloire même de l'Etre fu-
prême, le défenfeur de la caufe de Dieu, flér
tri, profciit, pourfuivi d'Etat en Etat, d'azile
en azile, fans égard pour fon indigence, fans
pitié pour fes infirmités, avec un acharnemenc
que n'éprouva jamais aucun malfaiteur & qui
feroit barbare, même contre un homme en fan-
té , fc voit interdire le feu & l'eau dans l'Eu-
rope ^refque entière; on le chaffe du milieu des
bois ; il faut toute la fermeté d^m Protecteur il-
luftre & toute la bonté d'un Prince éclairé pour
le laiffer en paix au fein des montagnes. Il eût
paffé le refte de fes malheureux jours dans les
fers, il eût péri, peut-être, dans les fuppli-
€cs, fi, durant le premier vertige qui gagnoit
ks
A M. DE BEAUMONT. 9
les Gouvernemens , il fe fût trouvé à la merci
de ceux qui l'ont perfécuté.
Echappe' aux bourreaux il tombe dans les
mains des Prêtres ; ce n'eft pas là ce que je don-
ne pour étonnant rmais un homme vertueux qui
a Tame auflî noble que la naiflance , un illuilre
Archevêque qui devroit réprimer leur lâcheté,
l'autorife ; il n'a pas honte , lui qui devroit plain-
dre les opprimés, d'en accabler un dans le fort de
fes difgraces ; il lance, lui Prélat catholique un
Mandement contre un Auteur proteftant ; il monte
fur fon Tribunal pour examiner comme Juge la
doctrine particulière d'un hérétique; & , quoiqu'il
damne indiftinctement quiconque n'ell: pas de
fonEglife, fans permettre à l'accufé d'errer à fa
mode , il lui prcfcrit en quelque forte la route par
laquelle il doit aller en Enfer. Auflî-tôt le refte
de fon Clergé s'emprefle, s'évertue, s'acharne
autour d'un ennemi qu'il cïok terrafTé. Petits &
grands , tout s'en mêle; le dernier Cuillre vient
trancher du capable, il n'y a pas un fot en pe«
tit collet , pas un chétif habitué deParroilTe qui >
bravant à plaiiîr celui contre qui font réunis leur
Sénat & leur Evêque, ne veuille avoir la gloire
de lui porter le dernier coup de pied.
Tout cela, Monfeigneur, forme un con*
cours dont je fuis le feul exemple, & ce n'efl
pas tout Voici, peut-être, une des û-
tuations les plus difficiles de ma vie; ;Une dt
•elles où la vengeance & l'amovir-propre fon*
A 5
10 LETTRE
les plus aifos à fntisfnîre, & permettent Te
moins à rhomme julie d'être modéré. Dix
lignes feulement , & je couvre mes perfécu-
teurs d'un ridicule ineffaçable. Que le publrc
ne peut-il favoir deux anecdotes, fans que
je les dife! Que ne connoit-il ceux qui ont
médité ma ruine, & ce qu'ils ont fait pour l'exé-
cuter! Par quels méprifables infefles , par quels
ténébreux moyens il verroit s'mouvoir les
PuilTances! quels levains il verroit s'échauffer
par leur pourriture & mettre ie Parlement en
fermentation! Par quelle rifible caufe il verroit
les Etats de l'Europe fe liguer contre le fils d'un
horloger 1 Que je jouïrois avec plaifîr de fa fur-
prife, fi je pouvois n'en être pas l'inftrument!
Jusqu'ici ma plume, hardie à dire la vérité,
Biais pure de toute fatire,n'a jamais compromis
perfonne , elle a toujours refpeclé l'honneur des
autres, même en défendant le mien. Irois-je
en la quittant la fouiller de médifance, & la
teindre des noirceurs de mes ennemis? Non,
laifTons - leur l'avantage de porter leurs coups
dans les ténèbres. Pour moi, je ne veux me
défendre qu'ouvertement, & même je ne veux
que me défendre. 11 fuiEt pour cela de ce qui
eft fù du public, ou de ce qui peut l'être fans
que perfonne en foit otFcnfé.
UNi^ chofe étonnante de cette efpece,&:que
je puis dire-, efi de voir l'intrépide Chriflophe
^e Beavmgnt, qui ne fait plier fous aucune
A M. DE BEAUMONT. il
puifTance ni faire aucune paix avec les Janféni f-
t^s , devenir fans le favoir leur fatellite & l'iii-
ilrumenc de leur animofîté; de voir leur ennemi
, le plus irréconciliable févir contre moi pour a-
voir refufé d'embrafler leur parti , pour n'avoir
point voulu prendre la plume contre les Je fui-
I tes, que je n'aime pas , mais dont je n'ai point
à me plaindre , & que je vois opprimés. Dai-
gnez, Monfeigneur, jetter les yeux fur le Ci"
xieme Tome de la nouvelle Héloïfe, premiè-
re édition ; vous trouverez dans la note de la
page 13S (*) la véritable fource de tous mes
malheurs. J'ai prédit dans cette note (car je me
Hiêle auiîî quelquefois de prédire) qu'aufîî-tôt
que les Janfénilles feroient les maîtres, ils fe-
roient plus intolérans & plus durs que leurs en-
nemis. Je ne favois pas alors que ma propre
hifloire vérifieroit fî bien ma prédiétion. Le fil
de cette trame ne fer oit pas difEcile à fuivre à
qui fauroit comment mon Livre a été déféré. Je
n'en puis dire davantage fans en trop dire, mais
je pouvois au-moins vous apprendre par quelles
gens vous avez été conduit fans vous en douter.
Croira -T- ON que quand mon Livre n'eClt
point été déféré au Parlement, vous nereuiïîez
pas moins attaqué ? D'autres pourront le croire
ou le dire ; m.ais v-ous dont la confcience ne
fait point fouffrir le menfonge , vous ne le dl^
(♦) Page 2R2 de la noitvelle Edition falHint U Tcraf^
yi. des Oeuvres , note du Libraire.
A 6
12 LETTRE
rez pas. Mon difcours fur l'inégalité a couru
votre Diocèfe, &. vous n'avez point donné de
Mandement. Ma lettre à M. d'Alembcrt a cou-
ru votre Diocèfe, & vous n'avez point donne
de Mandement. La nouvelle Pléloïfe a couru
votre Diocèfe, & vous n'avez point donné de
Mandement. Cependant tous ces Livres, que
vous avez lus , puifque vous les jugez , refpi-
rent les mêmes maximes ; les mêmes manières
de penfer n'y font pas plus déguifées : Si lefu-
jet ne les a pas rendu fufceptibles du môme dé-
veloppement, elles gagnent en force ce qu'elles
perdent en étendue, & l'on y voit laprofefllon.
de foi de l'Auteur exprimée avec moins de ré-
ferve que celle du Vicaire Savoyard. Pourquoi
donc n'avez-vous rien dit alors? Monfeigneur,
votre troupeau vous étoit-il moins cher? Me
lifoit-il moins? Goutoit-il moins mes Livres?
Etoit il-moins cxpofé à l'erreur ? Non , mi.is it
n'y avoit point alors de Jéfuites à profcrire ;
des traîtres ne m'avoient point encore enlacé dans
leurs pièges; la note fatale n'étoit point connue
& quand elle le fut, le public avoit déjà donné
fon fufFrage au Livre , il étoit trop tard pour
faire du bruit. On aima mieux différer^ on at-
tendit l'occafion , on l'épia, on la faifit, on
s'en prévalut avec la fureur ordinaire aux dé-
vots ; on ne parloit que de chaînes & de bû-
chers; mon Livre étoit le Tocfin de l'Anarchie
& la Trompette de l'Acbéïfme; l'Auteur écoic
A M. DE BEAUMONT. tf
un monftre à étouffer, on s'étomioit qu'on l'eût
fi longtems laiffe vivre. Dans cette rage uni ver-
felle , vous eûtes honte de garder le fîlence r
vous aimâtes mieux faire un aéle de cruauté que
d'être accufé de manquer de zèle,&; fervirvos
ennemis que d'effuyer leurs reproches. Voila,.
Monfeigneur , convenez-en, le vrai motif de vo-
tre Mandement; & voila,, ce me femble , un
concours de faits affez finguliers pour donner à.
mon fort le nom de bizarre.
Il Y A longtems qu'on a fubflitué des bien-
féances d'état à la juftice. Je fai qu'il eft des
eir confiances malheiireufes qui forcent un hom^
me public à févir malgré lui contre un bon Ci-
toyen. Qui veut être modéré parmi des furieux
s'expofe à leur furie, & je comprends que dans
un déchainement pareil à celui dont je fuis la:
vidime , il faut hurler avec les Loups , ou rifquer
d'être dévoré. Je ne me plains donc pas que vous-
ayez donné un Mandement contre mon Livre ,>
mais je me plains que vous l'ayez donné contre
ma perfonne avec auffi peu d'honnêteté que de
vérité; je me plains qu'autorifant par votre pro*
pre langage celui que vous me reprochez d'a^
voir mis dans la bouche de l'infpiré, vousm'ao
câbliez d'injures qui, fans nuire à ma cnufe,at'-
taquent mon honneur ou plutôt le vôtre; je
me plains que de gayeté de cœur , fans raifon ,..
fans néceffité, fans refpeâ:,au moins pour mes
malheurs , vous m'outragiez d'un ton û peu di»
A 7
15 LETTRE
& l'ordre ; qu'il n'y a point de perverfité origi-
nelle dans le cœur humain, & que les premiers
mouvemens de la nature font toujours droits.
J'ai fait voir que l'unique pafîîon qui naifle avec
l'homme, favoir l'amour- propre, eft une paf-
fion indifférente en elle-même au bien & au
mal ; qu'elle ne devient bonne ou mauvaife que
par accident & félon les circonftances dans lef-
quelles elle fe développe. J'ai montré que tous
ifs vices qu'on impute au cœur humain ne lui
font point naturels; j'ai dit la manière dont ils
naiiTent; j'en ai, pour aînfi dire, fuivi la gé-
néalogie, & j'ai fait voir comment, par Talté-
ration fucceflîve de leur bonté originelle, les
hommes deviennent enfin ce qu'ils font.
J'ai encore expliqué ce que j'entendois par
cette bonté originelle qui ne fembie pas fe dé-
duire de TindifFércnce au bien & au mal natu-
relle à l'amour de foi. L'homme n'efl pas un
être firaple; il eft compofé de deux fubftances.
Si tout le monde ne convient pas de cela, nous
en convenons vous & moi , & j'ai tâché de le-
prouver aux autres. Cela prouvé , l'amour de
foi neft plus une paflîon fîmple; mais elle îi
deux principes , favoir , l'être intelligent & l'ê-
tre fenfitif , dont le bien-être n'eft pas le même.
L'appétit des fens tend à celui du corps, & l'a-
mour de l'ordre à celui de l'ame. Ce dernier
amour développé & rendu adif porte le nom
ée confciencei mais la confciencc ne fe déye-
A M. DE BEAUMONT; u
îoppe & n'agit qu'avec les lumières de l'honv-
me. Ce n'eft que par ees lumières qu'il par-
vient à connoiÈre l'ordre, & ce n'eft que quand
il le connoît que fa confcience îe porte à rai-
mer. L.2L confcience eft donc nulle dans l'hom-
me qui n'a rien comparé, & qui n'a point va
fes rapports. Dans cet état l'homme ne connoît
que lui; il ne voit fon bien-être oppofë ni con-
forme à celui de perfonne; il ne hait ni n'aime
ïien; borné au feul inftinfl: phyrique,il eft nul >
il eft bête; c^èïl ce que j'ai fait voir dans mon
difcours fur l'inégalité.
Quand, par un développement dont j'ai mon-
tré le progrès , les hommes commencent à jetter
les yeux fur leurs ferablablcs , ils commencent
-auiTiàvoir leurs rapports & les rapports des cho-
fes, à prendre des idées de convenance de jiiftl-
cc & d'ordre ; le beau iiiorai commence à leur
devenir fenfible & la confcience agit. Alors ils
ont des vertus, & s'ils ont auUî des vices c'eft
parce que leurs intérêts fe croifcnt &. que leur
ambition s'éveille, à m-efure que leurs lumières
s'étendent. Mais tant qu'il y a moins d'oppofî-
tion d'intérêts que de concours de lumières, les
hommes font elTentiellement bons» Voila le fé-
cond état.
Quand enfin tous les intérêts particuliers
agités s'entrechoquent, quand l'amour de fot
mis en fermentation devient amour-propre, que
l'opinion, rendant l'univeis entier nécelTaire à
i8 LETTRE
chaque homme, les rend tous ennemis nés les
uns des autres & fait que nul 'ne trouve fon
bien que dans le mal d'autrui ; Alors la con-
fcience , plus foible que. les paffions exaltées
eft étoufFée par elles , & ne refte plus dans la
bouche des hommes qu'un mot fait pour fe
tromper mutuellement. Chacun feint alors de
touloir facrifier fes intérêts à ceux du public,
& tous mentent. Nul ne veut le bien public
que quand il s'accorde avec le fien ; auflî cet
accord efl-il l'objet du vrai politique qui cher-
che à rendre les peuples heureux & bons.
JVIais c'efl ici que je commence à parler une
langue étrangère , aufîi peu connue des Lec-
teurs que de vous.
Voila , Monfeigneur , le troifierac & der-
nier terme, au delà duquel rien ne relie à fai-
re, & voila comment Thomme étant bon, les
hommes deviennent méchans. C'efl à chercher
comment il faudroit s'y prendre pour les empê-
cher de devenir tels, que j'ai confacré mon Li-
vre. Je n'ai pas affirmé que dans l'ordre actuel
la chofe fut absolument poffible; mais j'ai bien
affirmé & j'affirme encore , qu'il n'y a pour en
venir à bout d'autres moyens que ceux que j'ai
propo fés.
La-dessus vous dites que mon plan d'éduca-
tion, (^i) loin de s'accorder avec le Chriftianijme ,
n'eji pas même propre à faire des Citoyens ni dfs
(i) 2Iandtmtnt m-4 pag. 5. ÎQ douze p. x.
A M. DE BEAUMONT. 19
hommes; & votre unique preuve eft de m'oppo-
fer le péché originel. Monfeigneur, il n'y a
d'autre moyen de fe délivrer du péché originel
& de fes effets, que le baptême. D'où il fui-
vroit , félon vous , qu'il n'y auroit jamais eu de
Citoyens ni d'hommes que des Chrétiens. Ou
niez cette conféquence, ou convenez que vous
avez trop prouvé.
Vous tirez vos preuves de fi haut que vous
me forcez d'aller auflî chercher loin mes ré-
p on fes. D'abord il s'en faut bien , félon moi ,
que cette doctrine du péché originel, fujette à
des difficultés fi terribles, ne foit contenue dans
l'Ecriture ni fi clairement ni fi durement qu'il
a plu au rhéteur AuguHin & à nos Théologiens
de la bâtir; (Se le m.oyen de concevoir que Dieu
crée tant d'ames innocentes & pures , tout ex-
près pour les joindre à des corps coupables,
pour leur y faire contrarier la corruption mora-
le , & pour les condanner toutes à l'enfer , fans
autre crime que cette union qui efl: fon ouvra-
ge ? Je ne dirai pas fi (comme vous vous ea
vantez) vous éclaircifTez par ce fifi:ême le mifte-
Te de notre cœur, mais je vois que vous obf-
Gurciffez beaucoup la juftice & la bonté de l'E-
tre fuprême. Si vous levez une obje(!^ion, c'eft
pour en fubftituer de cent fois plus fortes.
Mais au fond que fait cette doétrine à l'Au-
teur d'Emile ? Quoi qu'il ait cru fon livre utile
au genre humain , c'ell à des Chrétiens qu'il l'a
fto LETTRE
deftioë; c'eft à des hommes lavés du péché ori-
iginel & de^ fes effets, du moins quant à l'ame ,
par le Sacrement établi pour cela. Selon cette
-même «doétrine, nous avons tous dans notre en-
fance recouvré l'innocence primitive; nous
fommes tous fortis du baptême aulîl fains de
'Cœur qu'Adam fortit de la main de Dieu. Nous
avons, diiez-vous, contracté de nouvelles fouil-
Uires : mais puifc^ue nous avons commencé par
en être délivrés, comment les avons-nous dere-
chef contraélécs ? le fang de Chrift n'cll-il donc
pas encore afTez fort pour effacer entièrement
la tache, ou bien feroit-elle un effet de la cor-
luption naturelle de notre chair; comme fi^
«Tïême indépendamment du péché originel , Dieu
nous -eût crées corrompus, .out exprès pour
■avoir le pîaifir de nous punir? Vous attribuez
ûu péché original les vices des peuples qu<î
vous avouez avoir été délivrés du péché origv-
ccl; puis vous me blâmez d'avoir donné une
autre origine à ces vices. Efl-11 jufte de me fai-
re un ciim^ de n'avoir pas auffi mal raifaniié
^ue vous?
On pourroit , il eft vrai , me dire que ces
effets que j'attribue au baptême (2) ne paroif-
(2) si l'on d'.foit , avec le Dofteur Thomas Burn;t,
nue la coriupcion & U moiia^ùe de ia tace humHoe>
luite du peclie d'Adam , fut un effet nniuiel du fiuit de'«
fendu; que cet aliment contenoii dei fucs venimeux qui
dér.xrjgeieBt toute l'économie animale , qui irritcient le»
fiifllons, qui Hlïoibiircnt rentendcment , 6c qui poitcrent
par tout les ptincipes du vice £< de la mon ; alors il iati-
A M. DE BEAUMONT. 2ï
fetit par nul figne extérieur ; qu'on ne voit pas
iei Chrétiens moins enclins au mal que les infii-
delies; au lieu que, félon moi, la malice infu-
fe du péché devrolt fe marquer dans ceux-ci
par des différences fenUbles. Avec les fecours
que vous avez dans la morale évangélique, ou-
tre le baptême ; tous les Chrétiens , pourfui-
vroit-on, devroient être des Anges; & les. inii-
delles, outre leur conruption originelle, livrés;
à leurs cultes erronés , devroient être des Dé-
mons. Je conçois que cette difficulté prefTée
pourroit devenir embarraffante : car que répon-
dre à ceux qui me feroienc voir que, relative-
ment au genre humain , l'effet de la rédemption
faite à fî haut prix , fe réduit à peu près à
îâen? :'
Mais, Monfeignear, outre que Je ne crois
point qu'en bonne Théologie on n'ait pas quel-
que expédient pour fortir de là; quand je con»*.
viendrois que le baptême ne remédie point à lé
corruption de notre nature , encore n'en au-
riez-vous pas raifonné plus foUdement. Nous
fommes, dites-vous, pécheurs à caufe du péché
de nôtre premier père; mais notre premier pè-
re pourquoi fut-il pécheur lui-même? Pourquoi'
droit convenir que la natare du remède devant fe rappor-
ter à celle du mal ,1e baptême devroit agir phyfiquement
fur le corps de l'homme , lui rendre la conttiturion qu'il'
avoir dans l'état d'innocence, ôc, finon l'immortalité qui
en dependoit , du moins tous lç« effçls moiaux de l'eco-
uomie animale xetablict
12 LETTRE
la même raifon par laquelle vous expliquerez
fon péché ne feroit-elle pas applicable à fes
defcendans fans le péché originel, & pourquoi
faut-il que nous imputions à Dieu une injuftice,
en nous rendant pécheurs & punilTables par le
vice de notre naiflance, tandis que notre pre-
mier père fut pécheur & puni comme nous
fans cela ? Le péché originel explique tout ex-
cepté fon principe , & c'eft ce principe qu'il
s'agit d'expliquer.
Vous avancez que, par mon principe à moi,
(3) !'<>" P^^^ d^ ^'"^ ^^ rayon de lumière qui nous
fait connoître le mîjlere de notre propre cœur; &
vous ne voyez pas que ce principe , bien plus
univerfel, éclaire même ^a faute du premier
homme, (4) que le votre laifle dans l'obfcurité.
(3) Mandement in-4 p. $. in-l2. p. xr.
(4) Regimber contre une def<;nfe inutile & arbitraire
cft un penchant naturel , mais qui, loin d'être vicieux ea
lui-même , eft conforme à l'ordre des choies & à la bonne
conftitution de l'homme ; puifqu'il ieroit hors d'état de
fe conferver, s'il n'avoit un amour très-vif pour lui même
& pour le maintien de tous fes droits, tels qu'il les a re-
çus de la nature. Celui qui pourroit tout ne voudroit que
ce qui lui feroit utilej mais un Etre foible dont la loi
leftreint & liraltç, encore le pouvoir perd une partie de
lui-même, Se re'clame en fon cœur ce qui lui el^ oré.
Xui faire un crime de cela feroit lui en faire un d'être
lui 5c non pas un autre i ce feroit vouloir en même tcms
qu'il fut & qu'il ne fut pas. Aufll l'ordre enfreint par
Adam me paroîit il moins une ve'ritabl? défenfe ou'rn a-
vis paternel } c'eft un avertiil'ement de s'abftenii d'nri finit
pernicieux qui donne la mort. Cette idée etl: afTuTément
plus conforme à celle qu'on d )it avo r de la bonté de
Dieu &c mîms au texte, vie laGcefe que c Uc qu'il plaît
aux Dodcurs de nous preiciiie: «ai quaot à la menace
A M. DE BEAUMONT. 2$
Vous ne favez voir que l'homme dans les mains
du Diable, & moi je vois comment il y eil: tom-
bé ; la caufe du mal eft, fclon vous, la nature
corrompue , & cette corruption môme eft un
mal dont il faloit chercher la caufe. L'homme
fut créé bon ; nous en convenons , je crois ,
tous les deux : Mais vous dites qu'il eft mé-
chant, parce qu'il a été méchant ; &moi je mon-
tre comment il a été méchant. Qui de nous , à
votre avis , remonte le^ mieux au principe ?
CgPENDi\NTvous ne laifTez pas de triompher
à votre aife, comme fi vous m'aviez terralTé.
Vous m'oppofez comme une objeftion infoluble
(5) ce mélange frappant de grandeur ^ de hafjef-
Je , d'ardeur pour la vérité^ de goût pour l'erreur ^
d'inclination pour la vertu ^p de penchant pour h
di la double mort, on a fait voir <^ue ce mot morte mo'
ritris n'a pas l'emphafe qu'ils lui prêtent, ôc n'eft qu'un
hebraïfme employé en d'autres endroits où cette emphafe
ne peut avoir lieu.
Il y a de plus , un motif fi naturel d'indulgence & de
commiferation dans la rufc du tentateur oc dans la réduc-
tion de la femme, qu'à confidérer dans toutes Çqs cir-»
conftances le pèche d'Adam, l'on n'y peut trouver qu'u-
ne faute des plus le'geres Cependant ftlon eux, quelle
effroyable punition'. 11 eft même impoflibled'enconccv'oir
une plus terrible; car quel châtiment eût pu porter Adaru
pour les plus grands crimes, que d'être condanne, lui
& toute fa race, à la mort en ce monde, & à palier l'e-
tcrnite dans l'autre dévore's dîs feux de l'enfer î tft-celà
la peine impofee par le Dieu de miféricortie à un pauvre'
malheureux pour s'être laifle tromper? Q.ue je hais la dc'-
courageante doftrine de nos durs Théclofjiens î 11 j'étois
un moment tenté de l'admettre, c'cil alors que jecioiiôis
blafphemer.
(sj Uandtment ^"4 p« C* in-i:. p. xi.
. . ■"■', ■ç^ :■'■
U LETTRE
vice, qui fe trouve en nous. Etonnant côntrajle^
ajoutez-vous , qui décsncerte la pbilofopbie payent
ns, £sP la laijfe errer dans de vaines Jpeeulatioiis l
Ce n'est pas une vaine fpéculation que la
Théorie de l'homme , lorfqu'elle fe fonde fur la
nature , qu'elle marche à l'appui des faits par des
conféquences bien liées, & qu'en nous menant
à la fource des paflîons , elle nous apprend à
régler leur cours. Que fi vous appeliez philofo-
phie payenne la profeUîon de foi du Vicaire
Savoyard, je ne puis répondre à cette imputa-
tion, parce que je n'y comprens rien (a); mais
}€ trouve plaifant que vous empruntiez prefque
fes propres termes, (6) pour dire qu'il n'expli-
que pas ce qu'il a le mierx expliqué.
Permettez, Monfeigneur, que je remette
fous vos yeux la conclufion que vous tirez d'u-
ne objeflion Ci bien difcutée, & fuccelîivement
toute la tirade qui s'y rapporte.
(7) Lbomme Je Jent entraîné par une pente fit*
nefte , Ê? comment fe rjidiroiî-il contre elle y ftfon
enfance nétoit dirigée par des maîtres pleins de ver»
tu , de fageffe , de vigilance , ^ fi, durant tout
U cours de fa vie il ne faifoit lui-même , fous la
protection c? û1/'«^ ^" grâces de fon Dieu , des efforts
-puiffans £? continuels ?
C'est-
{a) a moins qu'elle ne fe rapporte à Taccufjrtion que
m'intente M. de Bcaumont dans la fuite, d'arcir adnai*
piuficuis Dieux.
(6) Emile Tome HT. p. 68 & 69. prcnj. Editioa*
(7) Àîandtmtnt ia-^ p. t, in-iz. p. x:.
A M. DE BEAUMONT. 25
C'est -A - dire ; Nous voyons que les bemmesfont
mérbms , qiioiqiCinceJJamment tiraniiijés dès leur
enfance; Ji donc m ne les tirannijoit pas dès ce
tems-là, comment parviendr oit' on à les rendre fa ges^
piiîfque , même en les tîrannîfant fa?is cejfe , il eft
im^'Ojfible de les rendre tels ?
Nos ri^ifonnemens fur l'éducation pourront
devenir plus fenfibles , en les appliquant à un
autre fujet.
Supposons, Mon feigneur, que quelqu'un vint
tenir ce difcours aux hommes.
„ Vous vous tourmentez beaucoup pour chcr-
„ cher des Gouvernemens équitables & pour
,, vous donner de bonnes loix. Je vaispremié-
„ rement vous prouver que ce font vos Gouver-
„ nemens - mômes qui . font les maux auxquels
„ vous prétendez remédier par eux. Je vous
„ prouverai, de plus, qu'il eft impoffîbic que
„ votts ayez jamais ni de bonnes loix ni des
„ Gouvernemens équitables ; & je vais vous
,, montrer enfuite le vrai moyen de prévenir,
5, fans Gouvernemens & fans Loix, tous ces
„ maux dont vous vous plaignez. "
Supposons qu'il expliquât après cela fon fîfte-
me & propofât fon moyen prétendu. Je n'exa-
mine point fî ce fiftême feroit folide & ce mo-
yen praticable. S'il ne l'étoit pas, peut-être
fe contenteroiton d'enfermer l'Auteur avec les
foux , & Ton lui rendroit juftice : mais fi mal-
heureufement il l'étoit , ce feroit bien pis , &
B
t6 LETTRE
vous concevez, Monfeigncur, ou d'autres con-
cevronc pour vous, qu'il n'y auroit pas aiïez de
bûchers & de roues pour punir l'infortuné d'a-
voir eu raifon. Ce u'efl pas de cela qu'il s'a-
git ici.
Quel que fût le fort de cet homme, il eft
fur qu'un déluge d'écrits viendroit fondre fur
le fien. Il n'y auroit pas un Grimaud qui, pour
faire fa cour aux PuifTances , & tout fier d'im-
primer avec privilège du Roi, ne vint lancer
fur lui fa brochure & fes injures, & ne fe van-
tât d'avoir réduit au filence celui qui n'auroit
pas daigné répondre, ou qu'on auroit empêché
de parler. Mais ce n'cft pas encore de cela
qu'il s'agit.
Supposons , enfin , qu'un honme grave , &
qui auroit fon intérêt à la chofc, crût devoir
auffi faire comme ks autres , & parmi beaucoup
de déclamations & d'injures s'avifàt d'argumenter
ainfi. Quoi, malheureux l Z'ous voulez anéantir les
CoîivernemeTis ^ les Lqîx ? Tandis que les Gouver-
nemens ^ les Loix font le feul frein du vice ^ ^
ont bien de la peine encore à le contenir. Qrie fe-
rcit ■ ce , grand Dieu ! Si nous ne les avions plus f
Vous nous ôtez les gibets ^ les roues ; vous Vêulez
iîablir un brigandage public. Fous êtes un homme
nbominable.
Si ce pauvre homme ofoit parler, il diroit,
fans doute. „ Très-Excellent Seigneur, votre
A M. DE BEAUMONT. IT
'„ Gitindeiir fait une pétition de principe. Je ne
„ dis point qu'il ne faut pas réprimer le vice ,
„ mais je dis qu'il vaut mieux l'empêcher de
„ naître. Je veux pourvoir à l'infuffifance des
„ Loix, & vous m'alléguez Tinfuififance des
5, Loix. Vous m'accufez d'établir les abus, par*
„ ce qu'au lieu d'y remédier j'aime mieux qu'on
5, les prévienne. Quoi! s'il étoit un moyen de
„ vivre toujours en fanté, faudroit-il donc
„ le profcrire, de peur de rendre les méde-
j, cins oififs ? Votre Excellence veut toujours
5, voir des gibets & des roues , & moi je vou-
,5 drois ne plus voir de malfaiteurs : avec touc
,, le refpeft que je lui dois , je ne crois pas
„ être un homme abominable ".
Hélas ! M. T. C. F. malgré les principes de Vé»
ducaîion la plus faîne ^ la plus vertueufe; malgré
les promejjes les plus magnifiques de la Religion ^
les menaces les plus terribles , les écans de la jeu '
nejfe ne font encore que trop fréquens , trop mnlti*
plies. J'ai prouvé que cette éducation, qucvous \
appeliez la plus faine, étoit la plus infenfée, 1
que cette éducation , que vous appeliez la plus \
vertucufe , donnoit aux enfans tous leurs vices; '
j'ai prouvé que toute la gloire du paradis les
tentoit moins qu'un morceau de fucre , & qu'ils
craignoient beaucoup plus des'ennuye;- à Vêpres
que de brûler en enfer; j'ai prouvé que les é-
carts de la jeunefle qu'on fe plaint de ne poii-
voir réprimer par ces moyens , en étoicnt l'ovi-
S 2 ■
28 LETTRE-
vrage. Dcifis quelles erreurs, dans quels excèi, «.-
handonme à elle.même, ne Je précipiteroit-elle donc
pas ? La jeunelTe ne ségare jamais d'elle-même :
toutes fes erreurs lui viennent d'être mal condui-
te. Les camarades & les maîtrefles achèvent ce
qu'ont commencé les Prêtres & les Précepteurs;
j"ai prouvé cela. Cefl wi torrent qui Je dcborde
maigre les digues puijjanîes qu'mlui az'oit oppojees :
que Jeroit-ce donc fi nul chft.icle nt Jujpendoit Jcs
flots f ^ m rompait Jes efforts? Je pourrois dire :
cejî un torrent qui ren-'jerje Z'os îinpuijfantes digues
y brije tout. EiargiJJezJon lit ^ le laijjez courir
Jans ohflacle ; il ne fera jamais de mal. Mais j'ai
honte d'employer dans un fujet aufîî férieuxces
figures de Collège, que chacun applique à fa
fantaifîe, & qui ne prouvent rien d'aucun côté.
Au RESTE, quoique, félon vous les écarts
de la jeunefTe ne foient encore que trop fré-
quens, trop multipliés, à caufe delà pente de
l'homme au mal, il paroît qu'à tout prendre
vous n'êtes pas trop mécontent d'elle, que vous
vous complaifez affez dans l'éducation faine ùc
vertueufe que lui donnent actuellement vos maî-
tres pleins de vertus , de fageffe & de vigilance,
que félon vous, elle perdroit ber.ucoup à être
élevée d'une autre manière, & qu'au fond vous
ne penfez pas de ce fiecle la lie des fiecles tout
ie mal que vous affectez d'en dire à la tête de
vos Mandemcns.
]e conviens qu'il «ft fupperflu de chercher
A M. DE BEAUMONT, Z9
de nouveaux plans d'Education , quand on efl: fi
content de celle qui exifte : mais convenez auf-
fi , Monfeigneur, qu'en ceci vous n'êtes pas
difficile. Si vous eufTiez été aufîî coulant en ma-
tière de do6trine, votre Diocèfe eût été agité
de moins de troubles ; l'orage que vous avez
excité, ne fût point retombé fur les Jéfuites.; je
n'en aurois point été écrafé par compagnie à
vous fufTicz reflé plus tranquille , & moi aufîî.
Vous avouez que pour réformer le monde
autant que le permettent la foiblclTe, 6c, félon
vous, la corruption de notre nature, il fuffi-
roit d'obferver fous la direction & l'impreffion
de la grâce les premiers rayons de la raifon hu-
maine, de les faifîr avec foin,& de les dirigée
vers la route qui conduit à la vérité. (8) Par
là, continuez - vous , ces efprîts, encore exempts
de préjugés fer oient pour toujours en garde contre
V erreur ; ces cœurs encore exempts des grandes paf»
fions prendroîent les imprejfwns de toutes les vertus.
Nous fommes donc d'accord fur ce point, car
je n'ai pas dit autre chofc. Je n'ai pas ajou-
té , y^n conviens , qu'il fallût faire élever les
enfans par des Prêtres; môme je ne penfois pfPs
que cela fût néccffaire pour en faire des Cito-
yens & des hommes ; & cette erreur , fi c'en
efl une, commune à tant de Catholiques, n'cft
pas un fi grand crime à un Proteflant. Je n'e-
xamine pas fi dans votre pays les Prêtres eux-
(l) Mandement m-4. p. 5. in- 12. p. x.
B 3
3© LETTRE
mênies paflcnt pour de fi bons Citoyens; mais
comme l'éducation de la gén^lration préfente eft
leur ouvrage, c'ell entre vous d'un côté à. vos
anciens Mandemens de l'autre qu'il faut décider
lî leur lait fpirituel lui a û bien profité, s'il en
a fait de fi grands faints, (9) vrais adorateurs df
Lieu , & de fi grands hommes , digiies d'être la
reJJoiiTce cf l'ornement de la -patrie. Je puis ajou-
ter une obfervation qui devroit frapper tous les
"bons François, & vous-même comme tel; c'cft
que de tant de Rois qu'a eus votre Nation , le
meilleur eft le feul que n'ont point élevé les
Prêtres.
Mais qu'importe tout cela^puifque Je ne leur
ai point donné l'exclufion • qu'ils élèvent la jeu*
jQeiTe, s'ils en font capables; je ne m'y oppo-
fe pas; & ce que vous dites là-delTus (ic) ne
fait rien contre mon Livre. Prétendriez -vous^
<}uc mon plan fût mauvais , par cela feul qu'il
peut convenir à d'autres qu'aux. gens d'EgliCe?
Si l'homme eft bon par fa nature, comme je
crois l'avoir démontré ; il s'enfuit qu'il demeure
tel tant que rien d'étranger à lui ne raltere;&
fi les hommes font méchans , comme ils ont pris
peine à me l'apprendre; il s'enfuit que leur mé-
chanceté leur vient d'ailleurs; fermez donc l'en-
trée au vice, & le cœur humain fera toujours
bon. Sur ce principe^ j'établis l'éducation né-
(9) Mandimtnt ill-4* p. 5. in-12t p. X^
(10) IbiiL
7
A M. DE BEAUMONT. 31
* gatîve comme la meilleure ou plutôt la feuler
bonne; je fais voir comment toute éduGation
pofitive fuit, comme qu'on s'y prenne, une rou-
te oppofée à Ton but ;6l je montre comment on
tend au môme but,& comment an y arrive par
le chemin que j'ai tracé.
J'appelle éducation poGtive celle qui tend â
former l'efprit avant l'âge & à donnera l'enfant
la connoiffance des devoirs de l'homme:. J'ap-
pelle éducation négative celle qui tend à per-
feétionner les organes , infîrumens de nos coiï-
noiflances, avant de nous- donner ces conn^oiffank
ces & qui prépare à la raifon par l'exercice dcâ
fens. L'éducation négative n'eft pas oifîve , tane
s'en faut* Elle ne donne pa§ les vert-us,, m^aiâ
elle prévient les vices; elle n'apprend pas la vé-
rité, mais elle préferve de Terreur. EUedifpo-
fe l'enfant à tout ce qui peut le m^ener au vrai
quand il eft en état de l'entendre > & au bien
quand il eft en état de l'aimer^
Cette marche vous déplait & vous choque^
il eft aifé de voir pourquoi. Vous commencez;
par calomnier les intentioiis de celui quilapra-
pofe. Selon vous , cette oifiveté de l'ame m'«
paru néceflaire pour la difpofer aux erreurs que
je lui voulois inculquer.^ On ne fait pourtant
pas trop quelle erreur veut donner à fon élevé
celui qui ne lui apprend rien avec plus- do foin'
qu'à fcntir fon ignorance & à favoir qu'il ne'
fait rien. Vous convenez que le jug^sment a- fes-
B 4
32 LETTRE
progrès & ne fe forme que par dégrés. Miîs
s'enjiiit-il , (ii) ajoutez-vous , qiCà l'âge de dix
ans un enfant ne connoijje pas la différence du bien
£lf du mal i qu'il confonde ^a fcfgefj'e avec la folie ^
h lonté avec la barbarie , la z'erîu aiec le vice ?
Tont cela s'enfuit , fans doute , fi à cet âge le
jugement n'eft pas développé. ^:fo?/pourfuivez-
Tous , il ne fentira pas qu'obéir à fon père eft un
lien, quê lui drfobîir ejî un mal? Bien loin de
là; je foutiens qu'il fentira, au contraire, en
quittant le jeu pour aller étudier fa leçon, qu^o-
béir à fon père eft un mal , & que lui défobéir
cft un bien, en volant quelque fruit défendu.
II fentira aufîî , j'en conviens , que c'efl: un mal
d'être puni & un bien d'être récompenfé; &
c'eft dans la balance de ces biens & de ces maux
contradiéloires que fe règle fa prudence enfan-
tine. Je crois avoir démontré cela mille fois
dans mes deux premiers volumes, & furtout dans
le dialogue du maître & de l'enfant fur ce qm
eft mal (12). Pour vous , Monfeigneur, vous ré-
futez mes deux volumes en deux lignes , & les
voici. (13) Le prétendre y M. T. C. F. c'ejî ca-
lomnier la nature humaine , en lui attribuant une
fiupidité qu'elle n'a point. On ne fauroit employer
une réfutation plus tranchante, ni conçue en
moins de mots. Mais cette ignorance, qu'il vous
plaie
(ît) Mandtmtnt in-4. p. 7. in-12. p. XIV.
(li) Emile Tome 1. p. i8p.
(13J Mandtmeut in-4. p. 7« iû-l2. P» xiv,
A M. DE BEAUMONT. 33
plait d'appeller ftupidité, fe trouve conflammciiÊ
dans tout cfpdt gêné dans des organes impar-
faits, ou qui n'a pas été cultivé; c'eft une ob-
fervation facile à faire & feniîble à tout le mon-
de. Attribuer cette ignorance à la nature humai-
ne n'eft donc pas la caiomnicr, & c'efl vous
qui l'avez calomniée en lui imputant une mali-
gnité qu'elle n'a point.
Vous dites encore; (14) Ne vouloir eiifeîgner
i(i fagejjs à l homme que dans le tems qu'il fera do •
miné par la fougue des pajftons naijjcnites , rCeft-cs
pa.c la Uii prefeîiter dans le dejjein qu'il la rejette?
Voila derechef une intention que vous avez la
bonté de me prêter , & qu'affurément nul autre
que vous ne trouvera dans mon Livre. J'ai mon^
tré, premièrement, que celui qui fera élevé
comme je veux ne fera pas dominé par les paf-
fions dans le tems que vous dites. J'ai montré
encore comment les leçons de la fageiïc pou-
voient retarder le dévelopement àz ces mêmes
pafTions. Ce font les mauvais effets de votre é-
ëucation que vous imputez à la mienne, & vous
m'objectez les défauts que je vous apprens à
prévenir. Jufqu'à l'adolefcence j'ai garanti deg
paflîons le cœur de mon élevé, & quand elleg
font prêtes à naître, j'en recule encore le pro-
grès par des foins propres à les réprimer. Plu-
tôt, les leçons de la fageffe ne fignificnt rien
pour l'enfant, hors d'état d'y prendre inttrêt
(I4) MAnitmtm in-4. p. 9. in-12. p. xvi^
B 5
S4 LETTRE
& de les entendre; pîus tard, elles ne prenneiu
plus fur un cœur dcja livré aux paiTions. Ccft
au feul moment que j'ai choifi qu'elles font u-
tiles : (bit pour Tanner ou pour le diftraire; il
importe également qu'alors le jeune homme en
foit occupé.
Vous dites. (15) Four trouver la jeunejje plus
docile aux leçons qu'il lui prépare y cet Auteur -ceut
qu'elle foit denuie de tout principe de Religion. La^
laifon en efl Cmple; c'efl que je veux (qu'elle
ait une Religion, à. que je ne lui veux rien
apprendre dont Ton jugement ne foit en état de
fenrir la vérité. Mais moi, Monfeigneur , fi je
difois : Pour trouver la jeunejje plus docile aux le"
pns qu'oïl lui prépare , on a grand foin de la pren-
dre- cvant Vâgs de raifon, Ferois-je un raifonne-
ment plus mauvais que le vôtre ,.& feroit-ce un
préjugé bien favorable à ce que vous faites ap-
prendre aux enfans? Selon vous, je choifis l'a*
gc de raifon pour inculquer l'erreur, & vous,,
vous prévenez cet âge pour enfeignerla vérité.
Vous V0U5 preiTez d'inllruire l'enfant avant qu'il
puilTe difccrner le vrai du faux, & moi j'attends
pour le tromper qu'il foit en état de le connoî-
tre. Ce jugement cft-il naturel , & lequel paroit
chercher à féduire, de celui qui ne veut parler
^u'à des hommes, ou de celui- qui s'addrefTe
iox enfans?
Vous, me cenfurez d'avoir dit & montré que
(à>} Marédtntm in-4> p> 7. 'iSi-M p. xvfy
â M. HE' BEAUMONt;. 3^'
îfdut enfant qui croit en Dieu efl idolâtre du
antropomorphite,' & vous combattez cela' en
difant (r(5) qu'on ne peut fuppofer ni 1^'un^ ni
Fautrc d'un enfant qui a rcça une éducation
Chrétienne. Voila ce qui eft en queffîon ;- re(l,e
à voir la preuve. La mienne eft que rédutacio.n
la plus Chrétienne ne fauroit donner à l'enfant
Fentendement qu'il n'a pas, ni détacher fes idc'cs
des êtres matériels , au deffus defquels tant
d'hommes ne fauroient élever les leurs. J'en ap-
pelle, de plus , à l'expérience : j'exhorte- cha-
cun des lecteurs à confuîter fa mémoire^ & à
fe rappeller fi , lorfqu'il a cru en Dieu-' étani
enfant, il ne s'en eft pas toujours fait' quelqu.e
image. Quand vous lui dites que ladï-vimié n'ejï
rien de ce qui peut tomber fous les fms y ou Ton
efprit troublé n'entend rien, ou il entend qu'el-
le n'eflr rien. Quand vous lui parlez d'une îm'el'
Ugence infinie ^ il ne fait ce que c-eft qu'inteili-^
gence , & il fait encore moins ce que c'eft qu'^/î^
fini. Mais vous lui ferez répéter après vous les-
mots qu'il vous plaira de lui dire; vous- lui fe-
rez même ajouter, s'il le faut", qu'il les- cn*-
t-end; car cela ne coûte guère,. 6c il aime en-
core mieux dire qu'il les entend que d-^re-groiii
.dé ou- puni,- Tous les anciens ,• fans cxc^pttfr îes^
Juifs , fe font répréfeutë Dieu corpor-eî ,&coi4i
.bien dt Chrétiens , furtôut de Catholiquos ,.fone
fincorc aujourd'hui daîjs ce cas>là?Si vù^enfUn*-
(î*} M'c^ndemtnt in 4. p. T- îii-ri, p. xiVv
5<5 LETTRE
parlent comme des hommes, c'eft parce que Icî
hommes font encore cnfans. Voila pourquoi les
mifteres entaffés ne coûtent plus rien à perfonnc;
les termes en font tout auffi faciles à prononcer
que d'autres. Une des commodités duChriftianii-
me moderne eft de s'être fait un certain jargon
de mots fans idées , avec lefquels on fatisfait à
tout hors à la raifon.
Par l'examen de l'intelligence qui mené à la
connoilTance de Dieu, je trouve qu'il n'eft pas
laifonnable de croire cette connoilTance (17) roa-
jottiT nécejjaîre au faîut. Je cite en exemple les
infenfés, les enfarts , & je mets dans la même
claffe les hommes dont l'efprit n'a pas acquis af-
fez de lumières pour comprendre l'exiftence de
Dieu. Vous dites là- deffus ; (iS)7ie f oyons point
furpris qus V Auteur d'Emile remette à un te 711s fi
reculé la connoijjance de Vexifttnce de Dieu ; il ne
la croit pas néctjjaire au falut. Vous commencez,
pour rendre ma propofition plus dure, par fup-
primer charitablement le mot toujours ^ qui non
feulement la modifie, mais qui lui donne ua
autre fens, puifque félon ma phrafe cetce con-
jioilTance eft ordinairement nécedaire au falut;
& qu'elle ne le feroit jamais , félon la phrafe
ijuc vous me prêtez. Après cette petite falfid-
cation , vous pourfuivez ainfi :
5, Il est clair, " dit-il par l'organe d'un per-
formage chimérique ^ „ il eft clair que tel homme
(17) imllc Tom. lit p. 35 ii 353.
(;$J MAndfttHit ia'4. p. S» iû-U. p. XVH^
A M. DE BEAUMONT. 37
]y parvenu jufqu'à la vieilleiïe fans croire en
„ Dieu, ne fera pas pour cela privé de fa pré-
„ fence dans l'autre, " (vous avez omis le mot
de vie ) „ Si fon aveuglement n'a pas été volan-
„ taire, & je dis qu'il ne l'eft pas toujours."
Avant de tranfcrire ici votre remarque, per-
mettez que je faffe la mienne. C'efi: queceper-
fonnage prétendu chimérique , c'eft moi-même,
& non le Vicaire; que ce paffage que vous avez
cru être dans la profeflîon de foi n'y efl: point,
mais dans le corps même du Livre. Monfeigneur ,
vous lifez bien légèrement, vous citez bien né-
gligemment les Ecrits que vous flétriiTez fi dure-
ment; je trouve qu'un homme en place qui cen-
fure devroit mettre un peu plus d'examen dar^s
fes jugemens. Je reprends à préfcnt votre texte.
Remarquez, M. T. C. F. qiiil ne s' agît point ki
d'un homme qui fer oit dépourvu de Vufage de fa rai-
fon y mais uniquement de celui dont la raîfon ne fe-
rait point aidée de V infîrudiioh. Vous affirmez en-
fuite (19) quune telle prétei^tion efîfouverainement
abfurde. St. Paul affure qu'entre les Phîlofophes pa»
yens plufîeurs font parvenus par les feules forces de
la raifon à la connoîjfance du vrai Dieu; 6c»làdef-
fus vous tranfcrivez fon palTage.
Monseigneur , c'eft fauvent un petit mal de
ne pas entendre un Auteur qu'on lit, mais c'en
eft un grand quand on le réfute, & un très-grand
quand on le diffame. Or vous n'avez point en-
(i?) MAndemnt in-4. p. xo. in iz, p. xtiii,
B 7
3S L E T T R E
tendu le pafTage de mon Livre que vous atta-
quez ici, de même que beaucoup d'autres. Le
Lefteur jugera fi- c'eft ma faute ou la votre quand
j'aurai mis le pafTage entier fous {es yeux..
„ Nous tenons " (Les Réformés) „ que nul
^ enfant mort avant Tàge de raifon ne fcrapri*
^ vé du bonheur éternel. Les Catholiques cro-
„ yent la même chofe de tous les enfans qui
^ ont reçu le baptême, quoiqu'ils n'aient ja-
„ mais entendu parler de Dieu. Il y a donc des
y, cas où l'on peut être fauve fans croire en-
„ Dieu, & ces cas ont Heu, foit dans l'enfan-
„ ce, foit dans la démence, quand l'efprit hu«^
„ main eil incapable des opérations néceffaires
„ pour reconnokre la Divinité. Toute la difté-
^ rence que je vois ici entre vous &moieftque
„ vous prétendez que les enfans ont à fept ans
„ cette capacité, & que je ne la leur ai.:corde.
^ pas même à quinze. Que j'aye tort ou raifon,.
,, il ne s'agit pas ici d'un article de foi, mais
„ d'une fimple obfervation d'hiftoire naturelle..
„ Par le même principe , il ell clair que tel
„ homme , parvenu jufqu'à la vieillefle fans
^ croire en Dieu, ne fera pas pour cela grive
^ de fa préfence dans l'autre vie , û fon aveu-
„ glement n'a pas été volontaire ; & je dis qu'il
„ ne l'eft pas toujours. Vous en convenez pour
„ les infenfés qu'une maladie prive de leur^ fa-
^ cultes fpiii tu elles, mais non de leur qualité
„, d:hûiiiines, ni^ par confécijient,. du-d^oit aw}i-
A M. DE BEAUMONT. ^^
^^ Menfaits de leur créateur. Pourquoi donc
„ n'en pas convenir aufïï pour ceux qui, fé-
„ queftrés- de toute fociété dès leur enfance, au-
„ roient mené une vie abfolument fauvage, pri-
„ vés des lumières qu'on n'acquiert que dans
„ le commerce des hommes ? Car il efl d'une
„ impoflîbilité démontrée qu'un pareil fauvage
„ pût jamais élever Ces réflexions jufqu'à la
„ connoiffance du vrai Dieu. La raifon nous
„ dit qu'un homme n'eft punifTable que pour
„ les fautes de fa volonté , & qu'une ignoran-
„ ce invincible ne lui fauroit être imputée à
„ crime. D'où il fuit que devant la juftice éter-
„ nellc, tout homme qui croiroit s'il avoit les
„ lumières néceflaires efl réputé croire, & qu'il
„ n'y aura d'incrédules punis que ceux dont le
,, cœur fe ferme à la vérité." Emile T, IL pag^.
Voila mon pafTage entier, fur lequel votre
erreur faute aux yeux. Elle confîfle en ce que
vous avez entendu ou fait entendre que, félon-
moi, il falloit avoir été inflruit de l'exiflence de-
Dieu pour y croire. Ma penfée efl fort diffé»
rente. Je dis qu'il faut avoir l'entendemenr dé-
veloppé & l'efprit cultivé jufqu'à certain point
pour être en état de comprendre les preuves de
Texiflence de Dieu, & furtout pour les trou-
ver de foi -même fans en avoir jamais entendu.
parler. Je parle des hommes barbares ou fauva-
f,es^ vous m'alléguez de^ philofophes r je dis
40 L Ê T T K E
qu'il faut avoir acquis quelque philofophie pour
s'élever aux notions du vrai Dieu ; vous citez
Saint Paul qui reconnoît que quelques Philofo-
phes payens fe font élevés aux notions du vrai
Dieu : je dis que tel homme grolTier n'efl pas
toujours en état de fc former de lui-même une
idée jufte de la divinité; vous dites que les
hommes inftruits font en état de fe former une
idée jufte de la divinité; & fur cette unique
preuve, mon opinion vous paroît fouverainemeiit,
ahf'.irde. Quoi 1 parce qu'un Docteur en droit
doit favoir les loix de fon pays, efl-il abfurde
de fuppofcr qu'un enfant qui ne fçait pas lire a
pu les ignorer?
Quand un Auteur ne veut pas fe répéter
fans cefie, & qu'il a une fois établi clairement
fon fentiment fur une matière, il n'eft pas tenu
de rapporter toujours les mêmes preuves en rai-
fonnant fur le même fentiment. Ses Ecrits s ex-
pliquent alors les uns par les autres , & les der-
uiers , quand il a de la méthode, fuppofent tou-
jours les premiers. Voila ce que j'ai toujours
tâché de faire, & ce que j'ai fait, fur-to-ut,
dans l'occafion dont il s'agit.
Vous fuppofez, ainfi que ceux qui traîtcut
de ces matières , que l'homme apporte avec lui
fa raifon toute formée , & qu'il ne s'agit que
de la mettre en œuvre. Or cela n'eft pas vrai;
car l'une des acquifitions de l'homme , & même
des plus lentes, eft U raifon. L'homme apprend
A M. DE BEAUMONT. 4ï
à voir des yeux de l'efprit ainfi que des yeux
du corps; mais le premier apprenciffagc e(l bien
plus long que l'autre, parce que les rapports
des objets intellcauels ne fe mefurant pas com-
me rérendue, ne fe trouvent que par eftima-
tion, & que nos premiers b c foins , nos befoins
phyriques,ne nous rendent pas l'examen de ces
mêmes objets fi intéreffant. 11 faut apprendre à
voir deux objets à la fois ; il faut apprendre à
les comparer entre eux , il faut apprendre à
comparer les objets en grand nombre, à remon-
ter par dégrés aux caufes , à les fuivre dans
leurs effets ; il faut avoir combiné des infinités
de rapports pour acquérir des idées de conve-
nance, de proportion, d'harmonie & d'ordre.
L'homme qui , privé du fecours de fes fembla-
bles & fans CQiTQ oca\\yé de pourvoir à fes be-
foins, ell réduit en toute chofc à la feule mar-
che de fes propres idées, fait un progrès bien
lent de ce côté -là: il vieillit & meurt avant
d'être forti de l'enfance de la raifon. Pouvez-
vous croire de bonne foi que d'un million
d^hommcs élevés de cette manière, il y en eût
un feul qui vint à penfcr à Dieu?
L'ORDRE de l'Univers, tout admirable qu'il
eft,ne frappe pas également tous les yeux. Le
peuple y fait peu d'attention, manquant des
cannoilTances qui rendent cet ordre fenfible,&
n'ayant point appris à réfléchir fur ce qu'il ap-
pcrçoit. Ce n'eft ni endurcillement ni uiauvaifc
4t LETTRE
volonté; c'eft ignorance, engourdilTement d'es-
prit. La moindre méditation fatigue ces gens-
lî, comme le moindre travail des bras fatigue
un homme de cabinet, lis ont ouï parler dc3
œuvres de Dieu & des merveilles de la nature.
Ils répètent les mêmes mots fans y joindre les
mômes idées, & ils font peu touchés de tout
ce qui peut élever le fage à fon Créateur. Or
û parmi nous le peuple, à portée de tant d'ins-
irudions, cfl encore fi ftupide; que feront ces
pauvres gens abandonnés à eux-mêmes dès leur
enfance , & qui n'ont jamais rien appris d'au-
trui? Croyez- vous qu'un Caffre au un Lapon
philo fophe beaucoup fur la marche du monde
& fur la génération des chofes? Encore les
Lapons & les CafFres , vivant en corps de Na-
tions, ont-ils des multitudes d'idées acquifes &
communiquées, à l'aide defquelles ils acquiè-
rent quelques notions groffieres d'une divinité;
ils ont , en quelque façon, leur cathéchiTme:
mais l'homme fauvage errant feul dans les bois
n'en a point du taut. Cet homme n'exifte pas ,
direz-vous ; foit. Mais il peut exifler par fup-
pofition. Il exifle certainement des hommes qui
n'ont jamais eu d'entretien philofophique en
leur vie, ôc dont tout le tems fe confumc à
chercher leur nourriture , la dévorer, & dormir.
Que ferons- nous de ces hommes- là, des Eski-
maux, par exemple? En ferons-nous des Théo
lûgiCQS 'i
A -M, DE BEAUMONT. 43
Mon fentiment eft donc que l'efprit de l'hom-»
me, fans progrès, fans inftruftion, fans calxu-
re, & tel qu'il fort des mains de la nature,
n'eft pas en état de s'élever dé lui-même aux
fublimes notions de la divinité; mais que ces
notions fe préfentenc à nous à mefure que no-
tre efprit fc cultive; qu'aux yeux de tout hom-
me qui a penfé , qui a réfléchi , Dieu fe mani-
feftc dans fes ouvrages ; qu'il fe révèle aux gens
éclairés dans le fpeétacle de la nature; qu'il
faut , quand on a les yeux ouverts , les fermer
pour ne l'y pas voir; que tout philofophe athée
eft un raifonneur de mauvaife foi, ou que forï
orgueil aveugle; mais qu'aulïi tel homme ftupL-
de & greffier, quoique iîmple & v;rai, tel es-
prit fans erreur & fans vice, peut, par une
ignorance involontaire, ne pas remonter à l'Au-
teur de fon être, & ne pas concevoir ce qoe
c'cft que Dieu ; fans que cette ignorance le ren-
de puniffable d'un défaut auquel fon cœur n'a
point confenti. Celui - ci n'eft pas éclairé , &
l'autre refufe de l'être ; cela me paioît fort dlf^^
férent.
Appliquez à ce fcntîmciic vocre palfage de
Saint Paul , & vous verrez qu'au lieu de le com-
battre , il le favorife ; vous verrez que ce pas-
fage tombe uniquement fur ces fages prétendus
à qui ce qui peut être connu de Dieu a été manife$»
té , à qui la confidération des cbofes qui ont été fai-
tes dès la création du monde, a rendu vifiblc ce ^td
44 LETTRE
ejl învîjïble en Dieu^ mais qui ne rayant poifjt
glorifié ^ ne lui ayant point rendu grâces, fe font
perdus dans la vanité de leur raifonnement, & , ain-
û demeurés fans excufe, e?i fo dijaiit Jages , font
devenus fotix. La raifon fur laquelle l'Apotre re-
proche aux phiîofophes de n'avoir pas glorifié
le vrai Dieu, n'étant point applicable â ma fup-
■pofition, forme une induélion toute en ma fa-
veur; elle confirme ce que j'ai dit moi-même,
que tout (20) pbilojopbe qui ne croit pas , a tort ^
parce qiCih vft mal de la raifon qu'il a cultivée ^
^ qu'il eft en état d'entendre les vérités qu'il re-
jette; elle montre, enfin, par le paiTage même,
que vous ne m'avez point entendu; & quand
vous m'imputez d'avoir dit ce que je n'ai ni dit
ni penfé, favo-ir que l'on ne croit en Dieu que
fur l'autorité d'autrui(2i), vous avez tellement
tort, qu'au contraire je n'ai fait que diftinguer
les cas où l'on peut connoître Dieu par foi-
meme, & les cas où l'on ne le peut que par
le fecours d'autrui.
Au refle, quand vous auriez raifon dans cet-
te critique; quand vous auriez folidement ré-
futé mon opinion, il ne s'enfuivroit pas de ce-
la feul qu'elle fut fouverainement abfurdc, com-
(10) Emile T. II. pajj. 3J0.
(21) M. de Beaumont ne dit pas cela en propres ter-
mes i mais c'efl le feul fens laifonnable qu*on puilTe don-
rer à fon texte, appuyé du paflage de Saint Paul} & je
.ne puis répondre qu'à ce que j'cmens. {Vejrtf. ftn Mandt-
pêfiu in-4. /*j. 10.) in-jj. p. xvm, . '
A M. DE BEAUMONT. 45
me il vous plaît de la qualifier : on peut fe.
tromper fans tomber dans l'extravagance, &
toute erreur n'efl pas une abfurdité. Mon res-
pect pour vous me rendra moins prodigue d'é-
pithetes , & ce ne fera pas ma faute fi le Lec-
teur trouve à les placer.
Toujours avec l'arrangement de cenfurer fans
entendre, vous paffez d'une imputation grave
& fauffe cà une autre qui l'eft encore plus , & a*
près m'avoîr injuflement accufé de nier l'évi-
dence de la divinité, vous m'accufez plus in-
juflement d'en avoir révoqué l'unité en douce.
Vous faites plus.; vous prenez la peine d'entrer
là-deffus en difcuflîon, contre votre ordinaire,
& le fcul endroit de votre Maiidement où vous
ayez raifon, eft celui où vous réfutez une ex-
travagance que je n'ai pas dite.
Voici le palTage que vous attaquez , ou plu-
tôt votre pafTage où vous rapporcez le mien;
car il faut que le Ledeur me voye entre vos
mains,
„ (22) Je fais, ^' fait- il dire au perfouage fup*
pofé qui lui fert d'organe; „ je fais que le mon-
„ de eft gouverné par une volonté puiffante &
„ fage; je le vois, ou plutôt je le fens , & ce-
„ la m'importe à favoir; mais ce même monde'
„ eft-il éternel , ou créé ? Y a-t-il un principe'
jy unique des chofes ? Y en a-t-il deux ou plu.
(iz) Mandemm in -4, pag. lo. in -12, p. xix»
45 LETTRE
„ fleurs ,& quelle eft leur nature? Je n'en fais
„ rien , & que m'importe ? (23) je re-
„ nonce à des queflions oifeufes qui peuvent
„ inquietter mon amour-propre, mais qui font
„ inutiles à ma conduite & fupérieures à ma
„ raifon".
J'observe, en paflant, que voici la féconde
fois que vous qualifiez le Prêtre Savoyard de
perfonage chimérique ou fuppofé. Comment ô-
tes-vous inftruit de cela, je vous fupplie ? J'ai
affirmé ce que je favois j vous niez ce que vous
ne favez pas ; qui des deux eft le téméraire ?
On fait , j'en conviens , qu'il y a peu de Prêtres
qui eroyent en Dieu; mais encore n'eft-il pas
prouvé qu'il n'y en ait point du tout. Je ro^
prends votre texte.
(24) Que veut donc dire cet auteur témérai'
feV Vunité de Dieu lui paroît une que fî ion
tijeuje £? fupérieure à fa raifort , comme fi la mul-
tiplicité des Dieux ji'étoit pas la plus grande des ah»
furdités. „ La pluralité des Dieux *% dit énergie
^uement Tertullien , „ eft une nullité de Dieu , "
admettre un Dieu, c'efl admettre un Etre fuprême
fc? indépendant , auquel tous les auves Etres f oient
fubordennés (25). Il implique donc qu il y ait plu-
ftturs Dieux,
(23) Ces points îndiqurnt une lucune de deux lignes
tai IcfnucUcs le paffagc eft tempéré. Se qoe M. de Beau-
mont n a pas voulu tranfciire. Voyez,EmittT. 111. pag. 6i.
(24) M.indttr.ent ill - 4. pag. lU in -12. p. XX.
(ijj Tciiullicn fait jci un fophifQic «cs-faiiiUiei au»
A M. DE BEAUMONT. 47
Mais qui eft-ce qui dit qu'il y a plufieurs
Dieux? Ah, Monfeigneur ! vous voudriez bien
que j'eufTe diù de pareilles folies; vous n'auriez
furement pas pris la peine de faire un Mande-
ment contre moi.
Je ne fais ni pourquoi ni comment ce qui c(î
cfl, & bien d'autres qui fe piquent de le dire
ne le favent pas mieux que moi. Mais je vois
qu'il n'y a qu'une première caufe motrice , puis-
que tout concourt fenliblement aux mêmes fins,-
]e reconnois donc une volonté unique & fuprô-
mc qui dirige tçut, & une puilTance unique &
fuprôme qui exécute tout. J'attribue cette puis-
fance & cette volonté au même Etre, à caufè
de leur parfait accord qui fe conçoit mieux
dans un que dans deux, & parce qu'il ne faut
pas fans raifon multiplier les êtres ; car le mal
même que nous voyons n'eft point un mal ab-
folu , & , loin de combattre directement lé
bien, il concourt avec lui à l'harmonie uni-
verfelle-
Mais ce par quoi les chofés font, fe difîin-
gue très nettement fous deux idées ; favoir , lâ
chofe qui fait & la chofe qui eft faite; même
pères de TEglife. Il définît le mot Dîeti fcloft les Chré-
tiens, & puis il accufe les payens de contradiction, par-
ce que contre fa définition ils admettent plufieurs Dieux.
Ce n'étoit pas la peine de m'irrputer une erreur que ;e
n'ai pas commife , uniquement pouX cltex il J)OX$ de pi(>-.
Ëos ua fophifme de Tcituilieat
^ LETTRE
CCS deux idées ne fe réuniiïent pas dans te mê-
me être fans quelque effort d'efprit, & l'on ne
œnçoit guère une chofe qui agit , fans en fup-
pofer une autre far laquelle elle agit. De plus,
il eft certain que nous avons l'idée de deiir
fubftances diftinétes; favoir, Tefprit & la ma--
tiere; ce qui penfe, & ce qui eft étendu ; &
ces deux idées fe conçoivent très- bien l'une
fans Tautre.
Il y A donc deux manières de concevoir l'o-
rigine des chofes, favoir; ou dans deux caufcs
divcrfes, l'une vive & l'autre morte, l'une mo-
trice & l'autre mue, l'une aflive & l'autre pas-
iîve, l'une efBciente & l'autre inftrumentale ;
ou dans une caufe unique qui tire d'elle feule
tout ce qui eft, & tout ce qui fe fait. Cha-
cun de ces deux fentimens , débattus par les
métaphyficiens depuis tant de fiécles, n'en eft
pas devenu • plus croyable à la raifon hu-
maine: & (i l'exiftence éternelle & nécelTaire
de la matière a pour nous fes difScultés, fa
création n'en a pas de moindres; puifque tant
d'hommes & de philo fophes , qui dans tous
les tems ont médité fur ce fujet, ont tous una-
nimement rejette la poffibilité de la création ,
excepté peut- être un très- petit nombre qui pa^
loiflent avoir fincerement fournis leur raifon
à l'autorité ; fincérité que les motifs de leur-
intérêt, de leur fureté, de leur jtpos, len.
dciit
A M. DE BEAU MO NT. 4f
tient fort fufpede, &■ dont il fera toujours im-
polTible dé s'alTurer , tant que Ton rirqiiera>
quelque chofe à parler vrai.
Suppose' qu'il y ait un principe éferilel & u-
liique des chofes, ce principe étant fimple dans
fon eflence n'ell pas compofé de matière &
d*efprit,mais il eft matière ou efprit feulement.
Sur les raifons déduites par le Vicaire , il ne
fauroit concevoir que ce principe foit matière,
& s'il eft efprit, il ne fauroit concevoir que ;
par lui la matière ait reçu l'être; car il faa* j
droit pour cela concevoir la création; or l'idée-
de création , l'idée fous laquelle on conçoic
que par un fimple aéle de volonté rien de-
vient quelque chofe , eft , de toutes les i-
dées qui ne font pas clairement contradic-
toires, la moins compréhenfible à Tefprit hu-
maîn;
Arrête'' dès deux côtés par cej difficultés , le
bon Prêtre demeuré indécis, & ne fe tourmen-
te point d'un doute de pure fpécùîation ,- qui
n'influe en aucune manière fur fes devoirs en
ce monde ; car enfm qu« m'importe d'expliquer
Torigine des êtres, pourvûque je fâche coni-
ment ils fubfiftent, quelle place j'y dois rem^
pUr.& en vertu de quoi cette obl4g;idonmeft"
impofée 9-
50 LETTRE
Mais fuppofcr deux principes (26) cfcî
chofes , fuppofition qire pourtant le Vicaire
ne fait point, ce n'efl: pas pour cela fuppo-
fer deux Dieux; à moins que, comme les Ma-
nichéens , on ne fuppofe auiîî ees principes,
tous deux adifs; doétrine abfolument contrai-
re à celle du Vicaire, qui, ti'ès-pofitivement,
n'admet qu'une Intelligence première , qu'un
feu! principe aftif , & par conféquent qu'un
feul Dieu.
J'avoue bien que la création du monde étant
clairement énoncée dans nos traduélions de la
Gcncfë , la rejetter pofitivement féroit à cet é-
gard rejetter l'autorité , linon des Livres Sacrés ,
au moins des traduélions qu'on nous en don-
ne, & c'efl aufli ce qui tient le Vicaire dans un
doute qu'il n'auroit peut-être pas fans cette au-
torité : Car d'ailleurs la coexiftence des deux
Principes (27) femble expliquer mieux la confli-
(i6) Celui qui ne connoît que deux fuhftancffs, ne
peut non plus imaginer que deux principes , & le terme,
9H piti/tenTSy ajoute dans l'endroit cite, n'elt là qu'une
erpcce d'explctif, Icrvant tout- au- plus k faire cntend/c
que le nombre de ces principes n'importe pas plus ^
connoitre que leur nature.
; (17) 11 cft bon de remarquer que cette queflion de Vé-
ternitc de la matière, qui effarouche fi toit nos Ihe'o-
lojiiens , cffarouchoit allez peu les Tctes de l'Eglife,
Bioius éloignes dc^ fcutiaieas de Pliit&n. Sans pailci de
A M. DE BEAUMONT. st
tution de l'univers & lever des difficultés qu'on
a peine à refoudre fans elle, comme entre au-
tres celle de l'origine du mal. De plus , il fau-
droit entendre parfaitement l'Hébreu, & même
avoir été contemporain de Moïfe, pour favoir
certainement quel fens il a donné au mot qu'on
nous rend par le mot créa. Ce terme eft trop
philofophique pour avoir eu dans fon origine
l'acception connue & populaire que nous lui
donnons maintenant fur la foi de nos Doélears.
Cette acception a pu changer & tromper même
les Septante, déjà imbus des quelîions de U
philofophie grecque ; rien n'eft moins rare que
des mots dont le fens change par trait de temps.
& qui font attribuer aux anciens Auteurs qui
s'en font fervis, des idées qu'ils n'ont point
eues. Il eft très- douteux que le mot Grec ait
eu le fens qu'il nous plaît de lui donner, & il
eft très- certain que le mot Latin n'a point eu
ce même fens, puifque Lucrèce, qui nie for-
mellement la poffibilité de toute création , ne
laiffe pas d'employer fouvent le môme terme
pour exprimer la formation de l'Univers & de
fes parties. Enfin M, de Beaufobre a prou*
Juftîn martir, d'Orlgene, & d*iutre$ , Clc'ment Alexan»
drin prend fi bien l'affirmative dans fes Hypotipoles , c^ue
Photius veut a caufe de cela que ceLivie aie été falfihë.
Mais le même fentiment leparoit encore dans les Stroma-
tes,oîi Clément rapporte celui d'Heraclite fans Timprou-
ver. Ce Père , Livre V. tâche, à la vérité, d'établir un
feul principe , mais c'eft parce qu'il rcfufc cc aom à U
maticie, même en admettant fon éteinitCi
C 2
5î LETTRE
vé (28) que la notion de la création ne fe trou*
ve point dans l'ancienne Théologie judaïque , &
vous êtes trop inflruit , Monfcigneur, pour
ignorer que beaucoup d'hommes pleins de res-
peél pour nos Livres Sacrés ^n'ont cependant
point reconnu dans le récit de MoiTe rabfolue
création de TUnivcrs. Ainfi le Vicaire, à qui
le defpotirme des Théologiens n'en iiripofe pas,
peut très-bien, fans en être moins orthodoxe,
douter s'il y a deux principes éternels des cho-
fes, ou s'il n'y en a qu'un. C'eil: un débat pu-
rement grammatical ou philofophique, où la
^révélation n'entre pour rien.
Quoiqu'il en foit, ce n'cfl pas décela qu'il
s'agit entre nous,& fans foutenir les fentimens
du Vicaire, je n"ai rien à faire izi qu'a mon-
trer vos torts.
Or vous avez tort d'avancer que l'unité dî
Dieu me paroît une quodion oifeufe & fupé-
rieure à la raifon ; puifqiie dans l'Ecrit qus vous
cenfurez, cette unité eil: établie & foutenue par
le raifonnement ; & vous avez tort de vous é-
tayer d'un pafTage de Tertuiîien pour conclurre
contre moi qu'il implique qu'il y ait plufieurs
Dieux: car fans avoir bcfoin de TertuUien , je
conclu ds aufîî de mon côté qu'il implique q^i'il
y ait plufieurs Dieux.
V^ous avez tort de me qualiSer pour cela
(^t) Hiû. du Maaichéiline, T. II,
A M. DE BEAUMONT. n
d'x^uteur téméraire, puifqu'oii il n'y a point
d'alTenion il n'y a point de témérité. On nff
peut concevair qii''an Auteur foit un téméraire,
uniquement pour être moins hardi que vous.
Enfin vous avez tort de croire avoir Mené
juftiaé les dogmes particuliers qui donnem k
Dieu îes palïïons humaines , & qui, loin d'éclai.i'-
cir les notions du grand Etre, les embrouilîeiat
& les aviliffent , en m'accufant faulTement d'em-
brouiller & d'avilir moi-même ces notions ,.d'at^
taquer diredement l'eflencs divine, que je n'aî
point attaquée, & de révoquer en .doute Ton a»
nité , que je n'ai point révoquée en doute. Si
Je i'avois fait , que s'enfuivroit-il? Récriminer
n'efl: pas fe juftifier: mais celui qui, pour toa^
te défenfe, ne fait que récriminer à fauXy a
bien l'air d'être feul coupable,
La coxtkadiction que vous me reprochez
dans le même lieu efl tout aufli bien fondée
que la précédente accufation. Il ne fait ^ dites-
vous , quelle efl la nature de Dim, £f bientôt a-
près il recmnoît que cet Etrefuprême efl doué d'iri'
telligence , de puijjance , de volonté , ^ de honte ;.
n'efl ce donc pas-là avoir une idée de la nature divine?
Voici, Monfeigneur, là-deffus- ce que j'ai à
vous dircr
„ Dieu eft intelligent; mais comment l'efî-
„ il? L'homme efl intelligent quand il raifon-
„ ne, &; la fuprême intelligence n'a pas befoin:
„ de raifonner; il n'y a pour elle ni prém.ires,,
54 LETTRE
^, ni conréquences, il n'y a pas même de pn>
^ pofition ; elle eil purement intuitive y elle
„ voit également tout ce qUi eft & tout ce qui
„ peut être ; toutes les vérités ne font pour el-
„ le qu'une feule idée , comme tous les lieux
„ un féul point & tous les temps un feul mo-
y, ment. La puilTance humaine agit par des mo-
„ yens, la puiffance divine agit par elle-même r
„ Dieu peut parce qu'il veut, fa volonté fait
„ fon pouvoir. Dieu eft bon, rien n'eft plus
„ manifefte; mais la bonté dans l'homme eft
„ l'amour de Tes femblables, &la bonté de Dieu
„ eft l'amour de l'ordre; car c'eft par l'ordre
_,, qu'il maintient ce qui exifte, & lie chaque
„ partie avec le tout. Dieu eft Jufte , j'en fui*
„ convaincu; c'eft. une fuite de fa bonté; lln-
., juftice des hommes eft leur œuvre & non pas
^, la Tienne : le défordre moral qui dépofe con-
„ tre la providence aux yeux des pliilofophes,
^, ne fait que la démontrer aux miens. Mais la
,, juftice de l'homme eft de rendre à chacun ce
„ qui lui appartient , & la juftice de Dieu de
,, demander compte à chacun de ce qp'il lui a-
^ donné.
„ Que fi fe viens à découvrir fuccefïTvement
ces attributs dont je n'ai nulle idée abfolue,
c'eft par des conféqucnces forcées, c'eft par
le bon ufage de ma raifon: mais je les affir-
„ me fans les comprendre, & dans le fond,.
„ c'eft n'affirmer rien.. J'ai beau me dire, Dieu
A M. DE BEAUMONT. 5^
"y^ e(t ainfi; je le fens, je me le prouver jer
,., n'en conçois pas mkux comment Dieu peut
„ être ainfi.
„ Enfin plus je m'efforce de contempler forv
„ effence infinie, moins je la conçois; mais cl-
j^ le efl, cela me fufîk ; moins je la conço-is,,
„ plus je l'adore. Je m'humilie & lui dis r Etre-
^ des êtres , je fuis parce que tu es ; c'efi m'éle^
„ ver à ma lource que de te méditer fansceiTe.^
„ Le plus digne ufage de ma raifon ell de s'a-
,y néantir devant toi : c'eft mon raviiTement
„ d'efprit, c'efr le charme de ma foiWefTe de
„ me fentir accablé de ta grandeur. ""
Voila ma réponfe, & je la croîs péremptoî-
re. Faut-il vous dire , à préfent où je l'ai pri-
fe?' Je l'ai tirée mot-à-moc de l'eiKiroit même
que vous accu fez de contradicftion (29). Vous
en ufez comme tous mes adverfaires , qui , pour
Hie réfuter, ne font qu'écrire les objeftions que
je me fuis faites, & fupprimer mes folutions.-
La réponfe eft déjà toute prête ; c'eft l'ouvra-
ge qu'ils ont réfuté.
Nous avançons, Monfeigneur 5- vers les di^
cufîîons les plus importantes.
Apre s avoir attaqué mon Syft'ême & mon Li-
vre , vous attaquez aufïï ma Religion, & parce-'
que le Vicaire Catholique fait des objections con-
tre fon Eglife, vous cherchez à me faire pafTer
pour ennemi de la mienne; comme fi piopoferde*
(z^) Emile T. 111. pag. 94 & f:iivi-
c +
56 LETTRE
difEcultés fur un fcntiment, c'étoit y renoncer;
comme û toute connoifTance humaine n'avoit
pas les Tiennes; comme fî la Géométrie elle-
même n'en avoit pas , où que les Géomètres fe
iiircnt une loi de les taire pour ne pas nuire à
Ja certitude de leur art.
La ke'fokse que j'ai d'avance à vous faire cft
de vous déclarer avec ma franchife ordinaire
mes fentimens en matière de Religion, tels que
je les ai profeiTés dans tous mes Ecrits , & tels
<iu'ils ont toujours é:é dans ma bouche & dans
Bion cœur. Je vous dirai, déplus, pourquoi
j'ai publié la profLiîiun de foi du V'icaire, &
pourquoi, malgré tant de clameurs je la tiendrai
toujours pour TEcrit le meilleur & le plus uti-
je dans le fiécle où je l'ai publié. Les bûchers
ni les décrets re me feront point changer de
langage, les Théologiens en m'ordonant d'être
humble ne me feront point être faux, d: les
philofophcs en me taxant dhypocriSe ne me
feront point profeffer l'incrédulité. Je dirai ma
Jleligion , parce que j'en ai une, & je la dirai
hautement, parce que j'ai le courage de la di-
re, & qu'il fcroît à défirer pour le bien des
hommes que ce fût celle du genre humain.
MoNSEiGîfEUR , je fuis Chrétien, & fincere-
ment Chrétien , félon la doétrine de l'Evangile.
Je fuis Chrétien , non comme un difciple des
Prêtres , mais comme un difciple de Jefus-Chrift.
Mon Maître a peu fubtilifé fur le dogme , &
beau-
A M. DE BEAU-MONT. 5>?r
Beaucoup infîflé fur les devoirs; il prefccivoit
moins d'articles de foi que de bonnes œuvres;;
il n'ordonnoit de croire que ce qui écoit néces-
foire pour être bon ; quand il réfumoic la LoL
& les Prophètes, c'ctoit bien plus dans des ac-
tes de vertu que dans des formules de croyan^
ee (30) , & il m'a dit par lui-môme & par feâ.-
Apôtres que celui q.ui aime fon frère a. accoiiv
pli la Loi (31)..
Moi de mon côté,- très-convain-cu des véri^
tés clTencielles au Chriftianifme, lefquelles fer-
vent de fondement à toute bonne morale, cher-
chant au furplus à nourrir mon cœur de l'efpriî
de l'Evangile fans tourmenter ma raifon de ce
qui m'y paroît obfcur, enfin perfuadé que qui*
conque aime Dieu par deiTus toute chofe à {on'
prochain comme foi-mémej- eft un vrai Chré'--
tien, je m'efforce de l'être, lailTant à part tou-
tes ces fubtilicés de doctrine , tous ces impor-
tans- galimathias dont les Phariilens embrouily
lent nos devoirs & offusquent notre foi ; &
mettant avec Saint Paul la. foi- même au delTous^
de la charité (32).
Heureux- d'être né dans la Religion la plus
raifonnable & la plus fainte qui foit fur la ter-
re, je refte inviolablement attaché au culte de-
mes Pères: comme eux je prends TEcriture &
la raifon pour les uniques règles de ma croyaQ-
(îo) Matth. Vlî. 12. 00 Galat. V. i^-
Cîij i.Cor. XUI, 2. 13.
c s^
5» L E T T R E
ce; comme eux je récufe rautoiitë des Kom*
ir.es ^ & n'entends me foumettre à. leurs formu-
les qu'autant que j'en apperçois h vérité ; corn,
jne eux je me réunis de cœur avec les- vrais
feniteurs de Jefiis-Chrift & les vrais adorateurs-
^Dfeu^pour lui ofFi-ir dans la communion des
fdelles les hommages de Ton Eglife. Il m'eflr
conCoIant & doux d être compté parmi fes-mem-
"bres, de participer au culte public qu'ils ren-
dent à la divinité, & de me dire au milieu,
d'eux; je fuis avec mes frères.
Pe'xz'tîe' de reconnoiffance pour le digne
Pâfleur qui ^refiilant au torrent de l'exemple, &
jugeant dans la vérité,, n'a point exclus de l'E-
gllfe un défenfeur de la caufe de Dieu, je con-
fcrvtrai toute ma vie un tendre fouvenir de fa
charité vraiment Chrétienne. Je me ferai tou-
jours une gloire d'être compté dans fon Trou-
•peau , & j'efpere n'en point fcandalifèr les mem-
î>res ni par mes fentimens ni par ma conduite».
Mais- lorfque d'injuftes Prêtres, s'àrrogeant des;
ëroîis qu'ils n'ont pas, voudront fe faire les-
arbitres de ma croyance, & viendront me dire
STO^mment; rétraftez- vous^ déguifez- vous,,
expliquez ceci, défavouez cela; leurs hauteurs
ae m'en impoferont point ; ils ne me feront,
foint mentir pour être orthodoxe, ni dire pouc-
iJEUî plaire ce que je ne penfe pas. Que fî ma;
X téra-cité les o£^*enfe , ù. qu'ils veuillent, me re-
«aLciseî de XTî^ife^ je craindrai peii cecce me^.
A B: DR BEAU'MONT. 59
21"ace dont rexécution n'eft p-a? en leur pouvoir."
Ih ne m'empêcheront pas d'être uni de cœur a--
vec les fidelles ; ils ne m oteront pas- du^ rang'
des élus lî j'y fuis infca-it. lis peuvent m'en ô-
ter les confolatians dans cette vie, maî? non-
refpoir dans celle qui doit la fuivre, & c'ell
là que mon vœu le plus ardent & le plus fîncc-
re ell d'avoir Jefus-Chrift même pour arbitre d
pour Juge entre eux & moi.-
Tels fonr, Monfeigneur, mes vfaîà fenii-
mens, que je ne donne pour règle à perfoniie,
mais que je déclare être les miens, & qui res-
teront tels tant qu'il plaira, non aux hommes,
mais à Dieu, feu! maître de changer mon cœur
& ma raiion ; car aufîî longtems que je ferai ce
que je fuis à. que je penferai comme je penfe,
je parlerai comme je parle,- Bien différent, je
Tavoue-, dé, vos Chrétiens en effigie, toujours
prêts à croire ca qu'il faut croire ou à dire ce
qu'il faut dire pour leur intérêt ou pour leur
repos, & toujours fûrs^ d'être alFez bons- Chré-
tiens, pourvu qu'on ne brûle pas leurs Livres
& qu'ils ne foient pas décrétés; Ils vivent- en
gens perfuadès que non feuiement' il faut con*
feflTer tel & tel article, mais- que cela fùiHt pour
aller en paradis ; & moi je peafe , au contraire ,
que reffenciel de la Religion conflîle en prati-
que,que non feulement il faut être bomma dè-
bien , miféricordieux , humain , charitable ;•• mai^-
qiie quiconque ert vraiment tel en^ croit allez:
€5 LETTRE
pour ctre fauve. J'avoue , au rcfte , que leur
doctrine eil plus commode que la mienne , & qu'il
en coûte bien moins de fe mettre au nombre
des ridelles par des opinions que par des vertus.
Que fi j'ai du garder ces fentimens pour moi
feul , camma ils ne cefTent de le dire ; fi lorfque
i'iû eu le courage de les publier & de me noin-
Uîcr ^j'ai attaqué les Loix & troublé l'ordre pu-
blic, c'efl: ce que j'examinerai tout-à- l'heurs.
Mais qu'il me foit permi.>, au^paravant ,, de vous
fupplier, Monfeignear, vous 6c tous ceux qui
liront cet écrit ^d'ajouter quelque foi aux décla»
lations d'un ami de la vérité , & de ne pas imi-
ter ceux qui, faiss preuve^ fans vraifemblance^
& fur le feul témoignage de leur propre cœur ,
m'accufent d'athéisme & d irréligion contre des
protiefiations li pofitives & que rien de ma part
»'a jamais démenties. Je n'ai pas trop, ce me
femble , l'air d'un homme qui fe déguife , & il
n'eft pas aifé de voir quel intérêt jlaurois à me
dégiùfcr ainfi. L'on doit préfumer que celui qui
s'exprime fi librement fur ce qu'il ne croit pas,
eft fincere en ce qu'il dit croire, & quand fes
difcours, fa conduite & fes écrits font toujours
d'accord fur ce point , quiconque ofe affirmer
qu'il ment, & n'ell: pas un Dieu» ment infailli-
blement lui-mcme.
j£ n'ai pas toujours eu le bonheur de vivre
it'ul. J'ai fréquentjé des hommes de toute efpe-
c.e. l'ai vu des gens de tous les pauLi, des Cror-
A M. DE BEAUMONT. ôï
yîns de toutes les feftes , des efprits - forts de
tous les lîfl-ômes: j'ai vil des grands, des petits,
des libertins, des philofophes. J'ai eu des amis
fûrs & d'autres qui l'étoiem moins : j'ai été en.
vironné d'efpions , de malveuillans,. & le mon-
de eft plein de gens q.ui me haïllent à caufe du
mal qu'ils m'ont fait. Je les adjure tous , quels
qu'ils puiffent être, de déclarer au public câ
qu'ils favent de ma croyance en matière de Re^
ligion : fi dans le commerce le plus fuivi, fî dans
la plus étroite familiarité , û dans la gayeté des
repas , û dans les confidences du tête-à-tête ils
m'ont jamais trouvé différent de moi-même; fi
lorfqu'ils ont voulu difputer ou plaifanter, leurs
argumens ou leurs railleries m'ont un moment
ébranlé, s'ils m'ont furpris à varier dans mes
fentimens , fi dans le fecret de mon cœur ils en
ont pénétré que je cachois au public;, fi dans
quelque tems que ce foit ils ont trouvé en moi
une ombre de fauifeté ou d'hypocrifie , qu'ils
le difent, qu'ils révèlent tout, qu'ils me dévoi-
lent ; j'y confens, je les en prie, je les difpen-
fe du fecret de l'amitié ; qu'ils difent hautement ,
non ce qu'ils VGudroient que je fuffe, mais ce
qu'ils favent que je fuis ; qu'ils me jugent félon
leur confcience; je leur confie mon honneur
fans aaiiue,, & je promets de ne les point, re-
çu fer.
Que ceux qui m'acaifent d'être fans Religion
paice qiills ne conçoivent pas qu'on en puilTe
C 7
^ L E T T R E
avoir, une , s'accordent au moins s'ils peuveni-'
entre eux. Les uns ne trouvent dans mes Livres
qu'unSiftême d'athéirme, les autres difentquejc
rends gloire à Dieu dans mes Livres fans y croire
au fond de mon cœur. Ils taxent mes écrits
d'impiété & mes fentimens d'hypocrifîe. Mais fi
je prêche en public l'athéiTme, je ne fuis donc
pas un hypocrite , & fi j'affecte une foi que je
H'ai point,. je n'enfeigne donc pas l'impiété. En
entafTant des imputations contradiéloires la ca.
lomnie fe découvre elle-même; mais la maligni-
té eft aveugle, & la paillon ne raifonne pas.
Je n'ai ptis , il eft vrai , cette foi dont j'en-
tens fe vanter tant de gens d'une probité û mé-
diocre,. cette foi robufte qui ne doute jamais-
de rien, qui croit fans façon tout ce qu'on lui
pré fente à croire, & qui met à part ou diiîl*
mule les objections qu'elle ne fait pas réfoudre.
Je n'ai pas le bonheur devoir dans larévélation-
l'évidence qu'ils y trouvent, & fi je me déter-
mine pour elle,- c'eft parce que mon cœur m'y
porte, qu'elle n'a rien que de confolant pour
moi , & qu'à la rejetter les difficultés ne font
pas moindres ; mais ce n'eft pas parce que je la
vois démontrée, car très-fùrement elle nercft
pas à mes yeux. Je ne fuis pas même aOTez in-
ftruit à beaucoup près pour qu'une démonftra-
tion qui demande un fi profond favoir, foit ja-
mais à ma portée. N'eft-il pas plaifnnr que moi
qui propofe ouvertement mes objedions & mes
A M. DE BEAUMONT. 63.
doutes, ie fois rhypoerite,& que tous ces gens
fi déddéSvqui difent fans cefle croire fermement
ceci & cela, que ces gens iî fûrs de tout,- fans-
avoir pourtant de meilleures preuves que les
miennes, que ces gens , enfin , dont la plus part
ne font gueres plus favans que moi, & qui,,
fans lever mes difficultés , me reprochent de les
avoir proposes, foient les gens de bonne foi?'
Pourquoi ferois-je un hypocrite^. & que ga-
gnerois-je à l'être? J'ai attaqué tous lesintérêts^
particuliers, j'ai fufcité contre moi tous les par-
tis, je n'ai foutenu que la caufe de Dieu & de
rhumanité, & qui eft-ce qui s'en foucie?' Ce-
que j'en ai dit n'a pas même fait la moindre fen*
fation, & pas une ame ne m'en a fu gré. Sije.-
me fufTe ouvertement déclaré pour l'athéifme,,
les dévota ne m'auroient pas fait pis , & d'auf-
tTCs ennemis non moins dangereux ne me por-
t-eroient point leurs coups en fecret. Si je me
fbfTe ouvertement déclaré pour l'athéifme , les-
uns m'euffent attaqué avec plus de réferve en:
me voyant défendu par les autres, &, difpofé.
moi-même à la vengeance: mais un homme q\Vv.
craint Dieu n'eft guère à craindre; fon parti n'ell-
pas redoutable, il eft feul ou à peu près, &.
l'on eft fur de pouvoir lui faire- beaucoup de
mal avant qu'il fonge à le rendre. Si je me fuf-
fe. ouvertement déclaré pour l'athéifme ,. en me
féparant ainfî dé l'Eglife, j'aurois ôté tout d'un,
coup à fes Minif^res le moyen de me harcelicrr
6^ LETTRE
fans ceffe, & de me faire endurer toutes leirr-i
petites tirannies; Je n'aurois point efTuyé tant
d'ineptes cenfures, & au lieu de me blâmer Ci
tigrement d'avoir écrit il eût fallu me réfuter ,.
ce qui n'eft pas tout-à-fait fi facile. Enfin fi je
me fufle ouvertement déclaré pour L'achéifme
on eût d'abord un peu clabaudc; mais on m'eûc
bientôt lailTé en paix comme tous les autres ; l(i
peuple du Seigneur n'eût point pris infpeclion
fur moi ,. chacun n'eût point crû me faire grâ-
ce en ne me traitant pas en excommunié; &
j'eufle été quite-à-quite avec tout le monde: Le*
faintes en Ifrasl ne m'auroient point écrit des
Lettres anonymes ,&. leur charité ne fe fut point
exhalée en dévates injures ; elles n'eufient point
pris la peine de m'afTurer humblement que je^
tois un fcélérat, un monfhre exécrable, 6c que
le monde eût été trop heureux fi quelque bonne
ame eût pris le foin de m'étoufFer au berceau :
D'honnêtes gens, de leur c6té, me regardant
alors comme un réprouvé , ne fe tourmente.»
Toient &. ne me tourmenteroient point pour me
lamener dans la bonne voye; ils ne me tiraille-
Toient pas à droite & à gauche, ils ne m'étouf-
feroient pas fous le poids de leurs fermons , ils
ne me forccaoient pas de bénir leur zèlj en
DiaudilTant leur importunité, & de fentir avec
reconnoilTance qu'ils font appelles à me fair'j
périr d'ennui.
MoiisjuGiSEUA, fi je fuis un hy^ociite^ ]>-
A M. DE BEAUMONT. 65
fuis un fou; puifque, pour ce que je demande
aux hommes , c'eft une grande folie de fe met-
tre en fiaix de fauffeté; fi je fuis un hypocri-
te , je fuis un fot ; car il faut l'être beaucoup
pour ne pas voir que le chemin que j'ai pris ne
mène qu'à des malheurs dans cette vie , & que
quand j'y pourrois trouver quelque avantage,
je n'en puis profiter fans me démentir. Il efl:
vrai que j'y fuis à tems encore; je n'ai qu'à
vouloir un moment tromper les hommes; & je
mets à mes pieds tous mes ennemis. Je n'ai
point encore atteint la vieillefle; je puis avoir
longtems à foufFrir ; je puis voir changer dere-
chef le public fur mon compte: mais fi jamais
j'arrive aux honneurs & à la fortune ; par quel-
que route que j'y parvienne , ^ alors je ferai un
hypocrite; cela eft fur.
La gloire de l'ami de la vérité n'efl point
attachée à telle opinion plutôt qu'à telle autre ;
quoiqu'il dife, pourvu qu'il le penfe, il tend
à fon but. Celui qui n'a d'autre intérêt que d'ê-
tre vrai n'ell point tenté de mentir , & il n'y a
nul homme fenfé qui ne préfère le moyen le
plus fimple , quand il eft aufiî le plus fur. Mes
ennemis auront beau faire avec leurs injures;
ils ne m'ôteront point l'honneur d'être un
homme véridique en toute chofe, d'être le feul |
Auteur de mon fiécle & de beaucoup d'autres ]
qui aie. écrit de bonne foi, & qui n'ait dit que
ce qu'il a cru : ils pourront un moment fouillex
66 LETTRE
ma réputation à force de rumeurs & de calom-
nies ; mais elle en triomphera tôt ou tard; car
laniis qu'ils varieront dans leurs imputations
ridicules, je relierai toujours le mêmej & fans^
autre art que ma franchifc, j'ai dequoi les dé-
foler toujours-.
Mais cette franchi fe efl: déplacée avec le pu-
blic! Mais toute vérité n'eft pas bonne à di-
re! Mais bien que tous les gens fenfés penfent
comme vous , il n'eft pas bon que le vulgaire
penfe ainlîl Voila ce qu'on me crie de toutes
parts; voila, peut-être, ce que vous me diriez
vous même, (i nous étions tête-à-tête dans votre
Cabinet. Tels font les hommes. Ils changent de
langage comme d'habit ; ils ne difent la vérité
qu'en robe de chambre; en habit de parade ils
ne favent plus que mentir, & non feulement ils
font trompeurs & fourbes à la face du genre
humain , mais ils n'ont pas honte de punir con-
tre leur confcience quiconque ofe n'être pas
fourbe & trompeur public comme eux. Mais ce
principe efl: -il bien vrai que toute vérité n'efV
pas bonne à dire ? Quand il le feroit , s'enfai-
vroit-il que nulle erreur ne fût bonne à détruire,
& toutes les folies des hommes font-elles fi fain-
tes qu'il n'y en ait aucune qu'on ne doive ref-
peder ? Voila ce qu'il conviendroit d'examiner
avant de me donner pour loi une mnxime fuf-
pe6le & vague, qui, fût-elîe vraye en elle-mÀi*
me, peut pécher par fon application.
A M. DE BEAUMONT. 67
J'ai grande envie, Mon feigneur, de prendre
Ici ma méthode ordinaire, & de donner rhif-
toire de mes idées pour toute réponfe à mes
accufateurs. Je crois ne pouvoir mieux juftifier
tout ce que j'ai ofé dire, qu'en difant encore
tout ce que j'ai penfë.
Sitôt que je fus en état d'Gbferver les fiom^
mes, je les regardois faire, & je les écoutois
parler; puis^ voyant que leurs aétions ne ref-
fembloient point à leurs difcours , je cherchai
la raifon de cette diflemblance , & je trouvai
qu'être & paroître étant pour eux deux chofes-
auffi différentes qu'agir & parler, cette deuxiè-
me différence étoit la caufe de l'autre , & avoit
elle-même une caufe qui me refloit à chercher-
Je la trouvai dans notre ordre fociaî, qui,,
de tout point contraire à la nature que rien ne
détruit, la tirannife fans cefTe, & lui fait fans-
CQÏÏe réclamer fes droits. Je fui vis cette con tra-
dition dans fes conféquences , & je vis qu'elle
expliquoit feule tous les vices des hommes &
tous les maux de la fociété. D'oii je conclus
qu'il n'étoit pas néceflaire de fuppofer l'homme
méchant par fa nature , lorfqu'on pouvoit mar-
quer l'origine & le progrès de fa méchanceté,
€es réflexions me conduilîrent à de nouvelles-
recherches fur l'efprit humain confidéré dans
l'état civil, & je trouvai qu'alors le développe-
ment des lumières & des- vices fe faifoit tou*
jours en même raifon, non dans les individus».
58 LETTRE
iTiais dans les peuples; diftlnflion que j'ai tou-
jours foigneufcment faite, & qu'aucun de ceux
qui m'ont attaqué n'a jamais pu concevoir.
J'ai cherché la vérité dans les Livres ; je n'y
ai trouvé que le menfonge & l'erreur. J'aicon-
fuite les Auteurs; je n'ai trouvé que des Char-
latans qui fe font un jeu de tromper les hom-
mes, fans autre Loi que leur intérêt, fans aa-
tre Dieu que leur réputaticni ; prompts à décrier
les chefs qui ne les traitent pas â leur gré» plus
prompts à louer l'iniquité qui ks paye. En écou-
tant les gens à qui Ton permet de parler en pu-
blic, j'ai compris qu'ils n'ofent ou ne veulent
dire que ce qui convient à ceux qui commandent ,
& que payés par le fort poiu prêcher le foible,
ils ne favent parler au dernier que de fcs de-
voirs, & à l'autre que de fes droits. Toute l'in-
ftruélion pubMque tendra toujours au menfonge
tant que ceux qui la dirigent trouveront leur
intérêt à mentir , & c'efl pour eux feulement
que la vérité n'eft pas bonne à dire. Pourquoi
ferois-je le complice de ces gens-là ?
Il Y A des préjugés qu'il faut refpecler?
Cela peut êtr»; Mais c'eft quand d'ailleurs
tout eft dans l'ordre, & qu'on ne peut ôter ces
préjugés fans ôter auffi ce qui les rachette;
on lailTe alors le mal pour l'amour du bien.
Mais lorfque tel eft l'état des choies que plu*
rien ne fauroit changer qu'en mieux, les pré-
jugés font -ils 11 refpeclables qu'il faille Icur^
A M. DE BEAUMONT. 6^
facriticr la raifon , la vertu, la juftice, & touC
le bien que la vérité pourroit faire aux hom-
mes ? Pour moi, j'ai promis de la dire en
toute chofe utile, autant qu'il feroît en moi;
c'eft un engagement que j'ai dû remplir félon
mon talent , & que fûrement un autre ne remplira
pas à ma place , puifque chacun fe devant à tous ,
nul ne peut payer pour autrui. La divine véri'
té , dit Auguflin , n*efi ni à moi ni à vous ni à lui ,
mais à nous tous qu'elle appelle avec force à h pu-
blier de concert, fous peine d'être inutile à nouS'
mêmes fi nous ne la communiquons aux autres: car
quiconque s'approprie à luifeul un bien dont Dieu
veut que tous jouîffent, perd par cette ufurpation
ce qu'il dérobe au public ^ ^ ne trouve qu'erreur
sn lui-même , pour avoir trahi la vérité (o).
Les hommes ne doivent point être inftruitî
à demL S'ils doivent refter dans l'erreur, que
ne les laLflîez-vous dans l'ignorance? A quoi
bon tant d'Ecoles & d'Uni verfités pour ne leur
apprendre rien de ce qui leur importe à favoir?
Quel eft donc l'objet de vos Collèges, de vos
Académies, de tant de fondations favantes?;
Eft-ee de donner le change au Peuple, d'altérer
fa raifon d'avance, & de l'empôcher d'aller aa«
vraiV ProfelTeurs de menfonge, c'eft pour l'a- \
bufer que vous feignez de l'inlîruire, &, com-
me ces brigands qui mettent des fanaux fur dej
écueils , vous l'éclairez pour le perdre.
(0 Aug. confef» L. 3C11. c. zsr
70 LETTRE
Voila ce que je penfois en prenant la pîa*
ine , & en la quittant je n'ai pas lieu de chan"
ger de fentiment. J'ai toujours vu que l'inftruc
tion publique avoit deux défauts efTenciels qu'il
étoit impoffible d'en ôter. L'un eft la mauvaife
foi de ceux qui la donnent , & l'autre l'aveugle-
ment de ceux qui la reçoivent. Si des hommes
fans palïïons inftruifoient des hommes fans pré-
jugés, nos connoilTances relleroient plus bor*
nées mais plus fûres,& la raifon régneroit tou-
jours. Or, quoiqu'on fafle, l'intérêt des hommes
publics fera toujours le môme , mais les préjugés
du peuple n'ayant aucune bafe fixe font plus va-
riables; ils peuvent être altérés, changés, aug-
mentés ou diminués. C'eft donc de ce côté feul
que rinftrudion peut avoir quelque prîfe, &
c'eft-là que doit tendre l'ami de la vérité. Il
peut efpérer de rendre le peuple plus raifonna-
ble , mais non ceux qui le mènent plus honnê-
tes gens.
J'ai vu dans la Religion la même faufTeté
que dans la politique, & j'en ai été beaucoup
plus indigné : car le vice du Gouvernement ne
peut rendre les fujets malheureux que fur la
terre; mais qui fait jufqu'où les erreurs de la
confciencc peuvent nuire aux infortunés mor-
tels? J'ai vu qu'on avoic des profeflîons de foi,
des doétrines, des cultes qu'on fuivoit fans y
croire, & que rien de tout cela ne pénétrant ni
le ca;ur ni la raifon , n'inûuoit que trùs-peu fur
A M. DE BEAÛMONT. 71
la conduite. Monfeigneiir , il faut vous parler
fans détour. Le vrai Croyant ne peut s'accom-
moder de toutes ces fimagrées : il fent que l'hora-
jne eft un être intelligent auquel il faut un cul-
te raifonnable, & un être fociable auquel il faut
une morale faite pour l'humanité. Trouvons
premièrement ce culte & cette morale; cela fe-
ra de tous les hommes , & puis quand il faudra
des formules nationales , nous en examinerons
ks fondemens, les rapports, les convenances,
& après avoir dit ce qui eft de l'homme , nous
dirons en fuite ce qui eft du Citoyen. Ne faifons
pas, fur-tout, comme votre Monfîeur Joli de
Fleuri, qui, pour établir fon Janfénifme, veut
déraciner toute loi naturelle & toute obligation
qui lie entre eux les humains ; de forte que fé-
lon lui le Chrétien & l'Infidelle qui contraient
entre eux , ne font tenus à rien du tout l'un
envers l'autre; puifqu'il n'y a point de loi
commune à tous les deux.
Je vois donc deux manières d'examiner & com-
parer les Religions diverfes; l'une félon le vrai
& le faux qui s'y trouvent , foit quant aux faits-
naturels ou furnaturels fur lefquels elles font
établies , foit quant aux notions que la raifon
nous donne de l'être fliprême & du culte qu'il
veut de nous : l'autre félon leurs effets tempo-
rels & moraux fur la terre, félon le bien ou
le mal qu'elles peuvent faire à la fociété & au
genre humain. II ne faut pas , pour empêcher
72 LETTRE
ce double examen, commencer par décider que
ces deux chofes vont toujours enfemble, & que
la Religion la plus vraye eft aufîî la plus focia*
le; c'eft précifcment ce qui eft en queftion; <S
il ne faut pas d'abord crier que celui qui traite
cette queftion eft un impie, un athée; puifque
autre chofe eft de croire, & autre chofe d'exa-
miner l'effet de ce que l'on croit.
Il paroît pourtant certain , je l'avoue , que
fi l'homme eft fait pour U fociété , la Religion
la plus vraye eft aulîi la plus fociale & la plus
humaine ; car Dieu veut que nous foyons tels
qu'il nous a faits , & s'il étoit vrai qu'il nous
eût fait méchans, ce feroit lui défobéir que de
vouloir celTer de l'être. De plus la Religion
confidérée comme une relation entre Dieu &
l'homme, ne peut aller à la gloire de Dieu que
par le bien-être de l'homme, puifque l'autre
terme de la relation qui eft Dieu , eft par fa
nature au deflus de tout ce que peut l'homme
pour ou contre IuL
Mais ce fentiment, tout probable qu'il eft,
eft fajet à de grandes difficultés , par l'hiftori-
que & les faits qui le contrarient. Les Juifs é-
toient les ennemis nés de tous les autres Peu-
pies , & ils commencèrent leur établilTement
par détruire fept nations , félon l'ordre exprès
qu'ils en avoient reçu: Tous les Chrétiens ont
eu des guerres de Religion , & la guerre eft
nuifible aiu hommes; tous les partis ont été
peffécu-
A M. DE BEAUMONT. 75
persécuteurs & perfécutcs , & la perfécution ell
nuifible aux hommes; pluîîeurs feétes vantent
le célibat , & le célibat eft lî nuifible (33) à l'ef-
pece humaine, que s'il étoit fuivi par tout, el-
le périroit. Si cela ne fait pas preuve pour dé-
cider , cela fait raifon pour examiner , & je ne
demandois autre chofe linon qu'on permit cec
examen.
Je ne dis ni ne penfe qu'il n'y ait aucune boa-
ne Religion fur la terre; mais je dis, & il eH
trop vrai, qu'il n'7 en a aucune parmi celles quC
font ou qui ont été dominantes, qui n'ait fait à
(33) La continence & h pureté ont kur ufagcmêmc
pour la population i il eft toujours beau defecommandcc
a foi-même, 6c l'e'tat de virgiràté eil par ces raifons trè^j-
digne d'eftimei mais il ne s'enCuit pas qu'il foit beau nt
bon ni louable de perfévéïer toute la vie dans cet état,
en oftenfant la nature & en trompactfadeftinaiion. L*oa
a plus di refpeâ: pour une jeune vierge nubile, que pour
une jeune femme j mais on en a plus pour une mère <<e
famille que pour une vieille fille , & cela me paroit très-
feufé. Comme on ne fe marie pas en naiffant, èc qu'il
n'eft pas même à propos de {c maiier fort jeune 5 la vir-
ginité' , que tous ont dû porter ôc honorer , a (a ne'cefiite',
fon milite', fon prix , & fa gloire i mais c'eft pour aller,
quand il convient , de'pofer toute fa pureté dans le maria-
ge. Quoi! difent-ils de leur air bêtement triomphant,
des célibataires prêche it le nœud conjugal î pourquoi
donc ne fe marient-ils pas ? Ah 1 pourquoi ? Parce qu'un
état fi faiot & fi doux en lui même eft devenu par vos
fottes inftitutions un état malheureux & ridicule, dans le-
quel il eft déformais prel'que impofliblc de vivre fans être
uu fripon ou un for. Sceptres de fer, loix inlenfées I c'elb
à vous que nous reprochons de n'avoir pu remplir nos
devoirs fur la terre, &: c'eft par nous que le cri de la ob-
ture s'élève contre votre barbarie. Comment ofcz-vous Jc
poufler jufqu'à nousi leprochei la mileiç où vous oottf
avci^ léciuits I
D
74 LETTRE
rhumanité des playes cruelles. Tous les partis
ont tourmenté leurs frères , tous ont offert à
Dieu des facrifices de fang humain. Quelle que
foit la fource de ces contradictions, elles
exiflent; eft-ce un crime de vouloir les ôter?
La charité n'eft point meurtrière. L'amour
•eu. prochain ne porte point à lemaflacrer. Ainfî
le zèle du falut des hommes n'eft point la eau-
fe des perfécutions; c'eft l'amour-propre & l'or-
gueil qui en eft la caufe. Moins un culte eftrai-
fonnable , plus on cherche à l'établir parlafor-
•ce: celui qui profeffe une doflrine infenfée ne
peut fouffrir qu'on ofe la voir telle qu'elle eft :
la raifon devient alors le plus grand des crimes;
à quelque prix que ce foit il faut l'ôter aux
autres, parce qu'on a honte d'en manquer à
leurs yeux. Aiofi l'intolérance & l'inconféquen-
ce ont la même fource. Il faut fans cefTe inti*
mider, effrayer les hommes. Si vous les livrez
un moment à leur raifon vous êtes perdus.
De cela feuljil fuit que c'eft un grand bien
à faire aux peuples dans ce délire, que de leur
apprendre à raifonncr fur la Religion : car c'eft
les rapprocher des devoirs de l'homme, c'eft
ôter le poignard à l'intolérance, c'eft rendre i
l'humanité tous fes droits. Mais il faut remon-
ter à des principes généraux & communs à tous
les hommes; car fi, voulant raifonner, vous
laiflez quelque prife à l'autorité des Prêtres,
vous rendez au fajiatiTme Ton arme, & vont
A M. DE' BEAUMONT. 75
lui fourmlTez dequoi devenir plus cruel.
Celui qui aime la paix ne doit point recou-
rir à des Livres ;c'eft le moyen de ne rien finir.
Les Livres font des fources de difputes intariiïa-
bles ; parcourez l'hiftoire des Peuples : ceux qui
n'ont point de Livres ne difputent point. Vou-
lez-vous affervir les hommes à des autorités hu-
maines ? L'un fera plus près , l'autre plus loin
de la preuve; ils en feront diverfement affec-
tés : avec la bonne foi la plus entière, avec le
meilleur jugement du monde, il eft impoiîîble
qu'ils foient jamais d'accord. N'argumentez point
(ut des argumens & ne vous fondez point fur
<les difeours. Le langage humain n'efl pas aûez
, clair. Dieu lui-même, s'il daignoit nous parler
dans nos langues , ne nous diroit rien fur quoi
Ton ne pût difputer.
Nos langues font l'ouvrage des hommes, &
les hommes font bornés. Nos langues font l'ou-
vrage des hommes, & les hommes font men-
teurs. Comme 11 n'y a point de vérité fî claire-
ment énoncée où l'on ne puifle trouver quelque
chicane à faire, il n'y a point de fi groiïier
menfonge qu'on ne puilTe étayer de quelqu*
faulTe raifon.
Supposons qu'un particulier vienne à minuit
nous crier qu'il eft jour ; on fe moquera de lui :
mais laiflez à ce particulier le tems & les mo-
yens de fe faire une feéle, tôt ou tard fes par-
.$ifans viendront à bout de vous prouver qu'il
D 2
7(S LETTRE
difoît vni. Car enfin , diront-ils , quand il a
prononcj qu'il étoit jour, il étoic jour en quel-
que lieu di la terre; rien n'efl: plus certain.
D'autres ayant établi qu'il y a toujours dans
l'air quelques particules de lumière, foutien-
<!ron£ qiî'en un autre fens encore , il efl très-
vrai qu'il en jour la nuit. Poarvû que des gens
fubtils s'en mêlent, bientôt on vous fera voir
le fûleil en plein minuit. Tout le monde ne fe
rendra pas à cette évidence. Il y aura des dé-
bats qui dégénéreront , félon i'ufage , en guer-
res & en cruautés. Les uns voudront -des expli-
cations, les autres n'en voudront point; Vun
voudra prendre la propofuion au figuré, l'autre
au propre. L'un dira; il a dit à minuit qu'il
étoit jour; & il étoit nuit: l'autre dira; il a dit
à minuit qu'il étoit jour, & il étoit jour. Cha-
cun taxera de mauvaife foi le parti contraire,
& n'y verra que des obftinés. On finira par fe
battre , fe maffacrer ; les flots de fang couleront
de toutes parts ; & fi la nouvelle fette eft eniin
viûorieufe, il refiera démontré qu'il efl jour
la nuit. C'efl ^ peu près l'hifloire de toutes les
querelles de Religion.
La plupart des cultes nouveaux s'élablifTent
par le fanatifme,& fe maintiennent par l'hypo-
crifie; de là vient qu'ils choquent la raifon &
ne mènent point à la vei-tu. L'enthoufiafme &
le délire ne raifonnent pas; tant qu'ils durent,
lOHt pafTe & Ton marchande peu far les dogmes:
A M. DE BEAUMONT, 77
Cela eft d'ailleurs fi commode ! la do6tnne coûts
fi peu à fuivre & la morale eoute tant à pratt*
quer , qu'en fe jettant du côté le plus facile , oa
lachette les bonnes œuvre* par le mérite d'une
grande foi. Mais quoiqu'on falTe , l^ fanatifme
eft un état de crife qui ne peut durer toujours*
11 a fes accès plus ou moins longs , plus ou
moins fréquens , & il a aufîî fes relâches ,• du-
rant lefquels on eft de fang froid. C'eft alors»
qu'en revenant fur foi-même, on eft tout furprig
de fe voir enchaîné par tant d'abfurditésv Ce*
pendant le culte eft réglé, les formes font pres-
crites, les loix font établies, les tranfgrefTeurî
font punis. Ira-t-on protefter feul contre tout
cela , recufer les Loix de fon pays , & renier
la Religion de fon père ? Qui l'oferoit ? On fe
foumet en filence, l'intérêt veut qu'on foit de
l'avis de celui dont on hérite. On fait done
comme les autres ; fauf à rire à fon aife en par-
tiailier de ce qu'on feint de refpeéler en pu-
blic. Voila, Mon fcigneur, comme penfe le gro^
des hommes dans la plupart des Religions^ &
furtout dans la vôtre ;& voila la clef des iiicon-
féquences qu'on remarque entre leur 'morale &
leurs actions. Leur croyance n'eft qu'apparence,
& leurs mœurs font comme leur foL
Pourquoi un homme a-t-il infpection fui f»
croyance d'un autre, & pourquoi l'Etat a-t -il
infpeétion fur celle des Citoyens ? Ceft parce
^u'on fuppofe que la Gi"oyance des hoiî^uies d4-
7S LETTRE
termine leur morale, &que des idées qu'ils ont
delà vie à venir dépend leur conduite en cellc?-
ei. Quand cela n'eft pas, qu'importe ce qu'ils
croyent, ou ce qu'ils font femblant de croire?
L'apparence de la Religion ne fut plus qu'à
les difpcnfer d'en avoir une.
Dans la fociété chacun eft en droit de s'in-
former û un autre fe croit obligé d'être jufle ,
& le Souverain eft en droit d'examiner les rai-
fons fur lesquelles chacun fonde cette obliga-
tion. De plus, les formes i:tationales doivent
être obfervées; c'eft fur quoi j'ai beaucoup in-
lîfté. Mais quant aux opinions qui ne tiennent
point à la morale, qui n'influent en aucune ma-
nière fur les aélions, Ôc qui ne tendent point
à tranfgrefrer les Loix , chacun n'a là-défFus que
'fon jugement pour maître, & nul n'a ni droit
ni intérêt de prefcrire à d'autres fa façon de
penfer. Si , par exemple, quelqu'un , même con-
ftitué en autorité, venoit me demander mon
fentiment fur la fameufe queftion de l'hypoftafe
dont la Bible ne dit pas un mot, mais pour la-
quelle tant de grands enfans ont tenu des Con-
ciles & tant d'hommes ont été tourmentés ; a-
près lui avoir dit que je ne l'entens point & ne
me foucie point de l'entendre, je le prierois le
plus honnêtement que je pourrois de fe mêler
de fes affaires, & s'il infiftoit, je le laifferois-là-.
Voila le feul principe fur lequel on puifTe
établir quelque chofe de fi:^c & d'équitabla fur
A M. DE BEAUMONT. 7^
les difputes de Religion; fans quoi , chacun po-
fant de fon côté ce qui efl en queftion , jamais
on ne conviendra de rien , l'on ne s'entendra
de la vie , & la Religion , qui devroit faire le'
bonheur des hommes, fera toujours leurs plu«
grands maux.
Mais plus les Religions vieilliffênt,' plus leur
objet fe perd de vue; les fubtilités fe multi^
plient, on veut tout expliquer, tout décider,
tout entendre; inceffamment la dOiftrlne ferafmc
& la morale dépérit toujours plus. AlTurément iî
y a loin de l'efprit du Deutéronome à l'efprit
du Talmud & de la Mifna, & de refprit de l'E-
vangile aux querelles fur la Conftitution ! Saine
Thomas demande (34) fi par la fuccefïïon des
tems les articles de foi fe font multipliés , & il
fe déclare pour l'affirmative. C'eft-à-dire que le*
dofleurs, renchériflant les uns fur les autres,
en favent plus que n'en ont dit tes Apôtres &
Jéfus-Chrift. Saint Paul avoue ne voir qu'obfca-
tément & ne connoître qu'en partie (35). VraU
ment nos Théologiens font bien plus avancés
que cela ; ils voyent tout , ils favent tout : ils
nous rendent clair ce qui efl obfcur dans l'H-
criture; ils prononcent fur ce qui étoit indécis ;
ils nous font fentir avec leur modeftie ordinai-
re que les Auteurs Sacrés avoient grand befoir>
de leur fecours pour fe faire entendre, & que
(34) Secunda fecmdx Sj**j^' /. ^rt. VII,
" (3î) 1. Cor. XIU. 5. 12.
D 4
lo LETTRE
le Saint Efprit n'eut pas m s'expliquer daire-
saent fans enx.
Quand on perd de vue les devoirs de Thoin-
3ne pour ne s'occuper que des opinions des Prê-
ires & de leurs frivoles difputes , on ne deman-
de plus d'un Chrétien s'il craint Dieu , mais s'il
«ft orthodoxe; on lui fait figner des formulaires
fur les queftions les plus inutiles & fouvent les
plus inintelligibles, & quand il a figné, tout
Ta bien ; Ton ne s'informe plus du refle. Pour«
^û qu'il n'aille pas fe faire pendre, il peut vi-
Tie au furplus comme il lui plaira ; fes mœurs
jie font rien à l'affaire, la dodrine efl en fûre-
îé. Quand la Religion en eft-là , quel bien fait-
«Ue à la fociété , de quel avantage ert-elle aux
hom.mes ? Elle ne fert qu'à exciter entre eux
des diffentions , des troubles , des guerres de
toute efpece; à les faire entre-égorger pour des
Xogogryphes : il vaudroit mieux alors n'avoir
point de Religion que d'en avoir une fi mal
entendue. Empêchons-la, s'il fe peut, de dé-
générer à ce point , & foyons fûrs , malgré les
bûchers & les chaînes, d'avoir bien mérité du
genre humain.
Supposons que, ks des querelles qui le dé-
chirent, il s'affemble pour les terminer & conve*
Dir d'une Religion commune à tous les Peu-
ples. Chacun commencera, cela eft fur, par
propoCer la feine comme la feule vraye , la
feule raifonnablj & démontrée, la feule agréa*
' ble
A M. DE BEAUMOiSrr. 85
ble à Dieu & utile aux hommes ; mnis fes^ preu*
vcs neirépondant pas là-defTus à fa perfLiaiTon ,,
du moins au gré des autres fcctes , cha ;ue- pr^rcl
n'aura de voir que la fienne ; tous les autres»
fc réuniront contre lui; cela n'efl pas moins (tir.-
La délibération fera le tour de cette manière^,
un feul propofant, & tous rejettant; cen-elïpas-
le moyen d'être d'accord. Il efî croyable' qu'a-
près bien du tems perdu d'ans ces altercations-
puériles , les hommes de fens chercheront dcîî^
moj^ens de conciliation. Ils propoferont, pour I
cela, de commencer par chaiTer tous les Thé- |
ologiens de l'aflemblée , & il ne leur fera pas^j
difficile de faire voir combien ce préliminaire' ^
efl indifpenfable. Cette bonne œuvre faite,, ils- ^
diront aux peuples r Tant que vous ne coiivienv
drez pas de quelque principe , il n'efl' pas poilî^
ble môme que vous vous- entendiez, & c'eft uui
argument qui n'a jamais convaincu perfonne que
de dire; vous avez tort, car j'ai raiCon.
„ Vous parlez de ce qui efl agréable à Dieu,-
„ Voila préeiféuient ce qui efl en queflion. Si
„ nous favions quel' culte lui efl le plus agréa-
„ ble, il n'y auroit plus- de difpate entre nous-.
„ Vous parlez aufîî de ce qui eit utile aux hom-
„ mes : C efl autre chofe; les hommes peuvent}
j, juger de: cela. Prenons donc cette utilité
„ pour règle, & puis établiffons la doctrine' qui
r, s'y rapporte le plusi Nous pourrons- efpérer
^ d'approcjicr ainfi de la vérité autant qu'il* efî;
B 5
22 LETTRE
., poinble à des hommes: car il eft à préfumer
„ que ce qui eft le plus utile aux créatures, eft
,, le plus agréable au Créateur.
„ Cherchons d'abord s'il y a quelque afHnité
,, naturelle entre nous , fi nous fommes quel-
„ que chofe les uns aux autres. Vousjaifs, que
,, pcnfez-vous fur l'origine du genre humain?
5, Nous penfons qu'il eft forti d'un même Père.
„ Et vous Chrétiens ? Nous penfons là deftli»
„ comme les Juifs. Et vous , Turcs ? Nous pen-
,, fons comme les Juifs &. les Chrétiens. Cela
„ eft déjà bon ; puifque les hommes font tous
,^ frères , ils doivent s'aimer comme tels.
„ Dites-nous maintenant de qui leur Perc
„ commun avoit reçu l'être? Car il ne s'étoit
„ pas fait tout feul. Du Créateur du Ciel & de
„ la terre. Juifs, Chrétiens &. Turcs font d'ac-
„ cord aufïï fur cela;c'eft encore un très-grand
,^ point. \
„ Et cet homme , ouvrage du Créateur, eft-
„ il un être fimple ou mixte ? Eft-il formé d'u-
y, ne fubftance unique, ou de plufieurs? Chré-
„ tiens, répondez. Il eft compofé de deux fub*
ftances, dont l'une eft mortelle, & dont l'au-
tre ne peut mourir. Et vous , Turcs ? Nous-
penfons de même. Et vous , Juifs ? Autrefois
/> „ nos idées là-deflus étoient fort confufes,
i y, comme les expreffions de nos Livres Sacrés r
t ,, mais les ElTéniens nous ont éclairés, & nous
V „ penfons encore fur ce point comme le«
r „ Chitticns. **
)•>
y>
A M. DE BEAUMONT. 8j
* En proce'dant ainfî d'interrogations en in-
terrogations , fur la providence divine, fur l'é-
conomie de la vic-à-venir , & fur toutes les quef-
tions eflencielles au bon ordre du genre hu-
main , CCS mêmes hommes ayant obtenu de tous
des réponfes prefque uniformes, leur diront :
(On fe fouviendra que les Théologiens n'y font
plus.) „ Mes amis dequoi vous tourmentez-
y, vous ? Vous voila tous d'accord fur ce qui
yy VOUS importe; quand vous différerez de fenti-
„ ment fur le refte , j'y vois peu d'inconvénient.
„ Formez de ce petit nombre d'articles une Re-
„ ligion univerfclle, qui foit, pour ainfî dire,
y, la Religion humaine & fociale, qiie tout hom-
5, me vivant en fociété foit obligé d'admettre.
„ Si quelqu'un dogmatife contre elle , qu'il foit
„ banni de la fociété, comme ennemi de fes
„ Loix fondamentales. Quant al^ refle fur quoi
„ vous n'êtes pas d'accord , formez chucun de
V, vos croyances particulières autant de Reli-
„ gions nationales , &; fuivez-les en fmcérité
„ de cœur. Mais n'allez point vous tourmcn-
„ tant pour les faire admettre aux autres Pe\i-
„ pies , & foyez affurés que Dieu n'exige pas-
j, cela. Car il efl aufîî injufte de vouloir le*
,j foumettre à vos opinions qu'à vos loix, &1&S'
3, miffionnaires ne me femblent gueres plus fa-
,j ges que les conquérans.
„ En suivant vos diverfes dodrines , ceffe^;
„ de vous les figurer fi démontrées que quicoa^
D 6
f4 LETTRE
„ que ne les voit pas telles foit coupable a vo3
„ yeux de mauvaife foi. Ne croyez point que
,, tous ceux qui péfent vos preuves & les re*
^, jettent, foient pour cela des obflinés que leur
„ incrédulité rende puniflables; ne croyez point
,, que la raifon, Taniour du vrai, la (încérité
^, foient pour vous feuts.. Quoiqu'on falTe^ on
„ fera toujours porté à traiter en ennemis ceux
„ qu'on acaifera de fc refufer à Tévidence^
„ On plaint l'erreur, mais on hait lopiniâtre-
„ té. Donnez la préférence à vos raifons,à la
„ bonne heure; mais fâchez que ceux qui ne
„ s'y rendent pas , ont les leurs.
„ Ho^'OilEZ e»- général tous les fondateurs
„ de vos cultes refpeétifs. Que chacun rende
„ au lien ce qu'il croit lui devoir, mais qu'il
„ ne ir.éprife point ceux des autres. Ils ont eu
„ de grands génies & de grandes vertus: cela
eft toujours eftimable. Ils fe font dits les En-
voyés de Dieu, cela peut être & n'ctre pas i
c'eft de quoi la pluralité ne fauroit juger
^, d'une manière uniforme, les preuves n'étant
^, pr.s également à fa portée.. Mais quand cela
,, ne fetoit pas , il ne faut point les traiter fî
^ légcrcment dimpofteurs. Qui fait jufqu'où'
y, les méditations continuelles fur la divinité ,.
y jufqu'oii renthoufiafme de la vertu ont pu ^
^ dans leurs fublimes âmes, troubler l'ordre
,; didactique & rampant des iUécs vulgaires?
j> Dans une trop grande élévation la tête toux-
..j^ ne> 'X l'on ne voie plus Ici thofea comme
>'
»
À M. DE BE^UMONT. B^
,, -elles fonu Socrate a cru avoir un efprit fa»-
„ milier, & Von n'a point ofé l'accu fer pour
„ cela d'être un fourbe. Traiterons -nous les
„ fondateurs des Peuples , les bienfaiteurs des na-
„ tions,. avec moins d'égards qu'un particulier ?"
,, Du RESTE , plus de difpute entre vous fur
^ la préférence de vos cultes, lis font tous^
„ bons,: lorfqu'ils font prefcrîts par les loix,
y, & que la Religion elTencielle s'y trouve; ils-
„ font mauvais quand elle ne s'y trouve pas,.
„ La forme du culte eftla police des Religions-
„ & non leur efîence , & c'eft au Souverain qu'il
^ appartient de régler la police dans fon pays. "'
J'ai penfé, Monfeigneur, que celui qui rai^
fonneroit ainfî ne feroit point un blafphéma-
teur, un impie; qu'il propoferoit un moyen de
paixjufte, raifonnable, utile aux hommes; &
que cela n'empôcheroit pas qu'il n'eût fa Reli-
gion' particulière ainfi que les autres, & qu'il
n'y fut tout auffî fincerement attaché. Le vrai-
Croyant , fâchant que l'infidèle efl auffî un hom-
me , & peut être un honnête homme , peut fans
crime s'intérelTer à fon fort. Qu'il empêche un
culte étranger de s'introduire dans fon pays,
cela efl Julie ; mais qu'il ne danne pas pour ce-
la ceux qui ne penfent pas comme lui; car qui-
conque prononce un jugement fi téméraire fe
rend l'ennemi du refte du genre humain,- J'en-
tends dire fans celle qu'il faut admettre la tolé-
tance civile , non la théologique ; je penfe tou:
D 7.
8(5 LETTRE
\ le contraire. Je crois qu'un homme de bfeîi ,'
( dans quelque Religion qu'il vive de bonne foi r
ipeut être fauve. Mais je ne crois pas pour ce-
la qu'on puilTe légitimement introduire en un-
: pays des Religions étrangères fans la permliTioii
du Souverain ; car û ce n'efl: pas direélement
défobéir à Dieu, c'eft défobéir aux Loix ; &
qui défobéit aux Loix défobéit à Dieu.
Quant aux Religions une fois établies ou to-
lérées dans un pays, je crois qu'il eft injufte &
barbare de les y détruire par la violence, & que
le Souverain fe fait tort à lui-même en maltrai-
tant leurs fedateurs. Il eu bien différent d'em-
braiïer une Religion nouvelle, ou de vivre dans
celle où l'on efl: né; le premier cas feul eft pu-
niflable. On ne doit ni laifler établir une diver-
fité de cultes , ni profcrire ceux qui font une
fois établis; car un fils n'a jamais tort de fui-
vre la Religion de fon père. La raifon de la
tranquillité publique efl toute contre les perfé-
cuteurs. La Religion n'excite jamais de troubles
dans un Etat que quand le parti dominant veut
tourmenter le parti foible, ou que le parti foi-
ble, intolérant par principe, ne peut vivre eiî
paix avec qui que ce foit. Mais tout culte légi-
time, c'eft-à-dire, tout culte où fe trouve la Re-
ligion elTencielle, &. dont, par conféqucnt, les
feélateurs ne demandent que d'être foufFerts &
vivre en paix , n'a jamais caufé ni révoltes ni
guerres ciriles, fi ce u'eft lorfqu'il a falu (^
A M. DE BEAUMONT. S7
défendre &: repouflTer les perfécuteurs. Jamais
les Proteftans n'ont pris les armes en France que
lorfqu'on les y a pourfiiivis. Si l'on eût pu fe
refoudre à les laifTer en paix, ils y feroient de-
meurés. Je conviens fans détour qu'à fa nai^-
fance la Religion réformée n'avoit pas droit de
s'établir en France, malgré les loix. Mais lors-
que, tranfïnife des Pères aux en fan s , cette Re-
ligion fut devenue celle d'une partie de la Na-
tion Fr an çoife , & que le Prince eût folennelle-
ment traité avec cette partie par l'Edit de Nan-
tes ; cet Edit devint un Contract inviolable, qui
ne pouvoit plus être annulé que du commun
confentement des deux parties, & depuis ce
tems , l'exercice de la Religion Proteflante eft j.
félon moi , légitime en France.
Quand il ne le feroit pas , il refEeroit tou^-
jours aux fujets l'alternative de fortir du Ro*.
yaume avec leurs biens, ou d'y refter fournis
au culte dominant. Mais les contraindre à res^
ter fans les vouloir tolérer , vouloir à la fois
qu'ils foient & qu'ils ne foient pas, les priver
même du droit de la nature, annuler leurs ma-
riages (3<^)., déclarer leurs enfans bâtards
(36) Dans un Arrêt du Parlement de Touloufe concer^
nant raflPairede l'infortuné Calas, oa reproche aux Pro-
tcftans de faire entre eux des mariages , 9«z,/</oh Its Pro-
%tjia.ns ne font que des ^cies civib , à" far conjéc^uent fournis
entièrement pour la forme ir les effets a la volonté' du T{oi.
Ainii de ce que, félon les Proteftans , le mariage cft
un a£te civil, il s'enfuit qu'ils f^nt obligés de fe foumet-
te à la volonté du j?woi , qui en fait un a^e de la ILc-
%9 LETTRE-
en ne difant que ce qui eft , j'en dirois trop;-!!
faut me taire.
Voicr du moins, ce que je puis dire. En
confîdérant la feule raifon d'Etat, peut-être a-t-
on bien fait d'ôter aux Proteftans François tous
leurs chefs : mais il falloit s'arrêter là. Les ma-
ximes politiques ont leurs applications & leurs
diftindions. Pour prévenir des diflentions qu'on
J3'a plus à craindre , on s'ôte des reûburces dont
en auroit grand befoin. Un parti qui n'a plus
ni Grands ni Noblefle à fa tête , quel mal peut-
il faire dans un Royaume tel que la France?
Examinez toutes vos précédentes guerres , ap-
pellées guerres de Religion ; vous trouverez
qu'il n'y en a pas une qui n'ait eu fa caufe à la
-Cour & dans les intérêt-s des Grands. Des in*
trigues de Cabinet brouilloient les affaires, &
puis les Chefs ameutoient les peuples au nom
de Dieu. Mais quelles intrigues , quelles caba-
les peuvent former des Marchands & des Fay-
llgîon Catholique. Les Protcflans, pour fe msrifr , foi.t
légitimement tenus de fe faire Cail.Oiicjues ; ntterclu que,
félon eux, 1: vr.iiùa^e eft un afte civil. T«.l!e eft la ma-
nière de tâifonner de xMeûîcurs du Parlement de Toulcufe,
La France eft un Royaume fi vafte, que les Trarçcis
fe font mis duns i'efpiit que le genre hi:main nr devolt
point avoir d'autres loix que les leurs. Leurs ParUmens
& leu:s TribuDai'X parciffert n'avoir aucune id-e du
Droit ratnrtl ni du Dioit des Gensj fit il eft a remr.r-
quer que dans tour ce grand Royaume ou font tant d'V^
lîiveifi'tes, tant de Collèges, rant d'Académies,. & cù
Ton enfeigne avec tant d'irnï^ortance tant d'inutilités , il
x.'y a pas une feule chaire de Droit naturel. C'eft li iVrl
peuple dî l'Europe qui iût legatdé ccue c'iude c<;mme
a*ecaai boiiue à licn.
A M. DE BEAUMONT. 89
fans ? Comment s'y prendront-ils pour rufciter
un parti dans un pays où l'on ne veut que des
Valets ou des Maîtres , & où l'égalité eft incon-
nue ou en horreur? Un marchand propofant
de lever des troupes peut fe faire écouter en
Angleterre, mais il fera toujours rire des Fran-
çois (37).
Si j'etois , Roi? Non: Minifîre? Encore
moins: mais homme puifTant en France, je di-
rois. Tout tend parmi nous aux emplois , aux
charges; tout veut achetter le droit de mal fai-
re : Paris & la Cour engouffrent tout. Laiiïbns
ces pauvres gens remplir le vuide des Provin-
ces ; qu'ils foient marchands , à. toujours mar-
chands; laboureurs, & toujours laboureurs. Ne
pouvant quitter leur état, ils .en tireront le
meilleur parti poffible;^ ils remplaceront les nô-
tres dans les conditions privées dont nous cher-
chons tous à fortir;^ ils feront valoir le com-
merce & l'agriailtiire que tout nous fait aban-
donner; ils alimenteront notre luxe; ils travail-
leront, & nous jouirons.
Si CE PROJET n'étoit pas plus équitable que
(37) Le feul cas qui force un peuple ainfî dénué de
Chefs à prendre les armes , c'eft quand , réduit au deses-
poir par les perfécuteuis , il voie qu'il r.e lui refte plus de
choix que dans la manière de périr. Telle fût, au com-
mencement de ce liécle la guerre des Camifards. Alots
on eft tout étonné de la force qu'un parti méprifé tire
de fon defefpoir : c'eft ce que jamais les perlecuteuis
H'ont lu calculer d'avance. Cependant de telles guerres
coûtent tant de fang qu'ils devioient bien y fonger avant
de ki rendre inéfitabies.
pa LETTRE
ceux qu'on fuit, il feroit du moins, plus hu-
main, & fûrcment il feroit plus utile. C'efl
moins la tirannie^ & c'efl moins l'ambition des
Chefs , que ce ne font leurs préjugés & leurs
courtes vues, qui font le malheur des Nations.
Je finirai par tranfcrire une efpece de dis-
cours , qui a quelque rapport à mon fujet , &
qui ne m'en écartera pas longtems.
■ Un Parsis de Suratte ayant époufé en fecreî
UBe Mufulmanne fut découveft , arrêté , &
ayant refufé d'embraffer le mahométifme, il fut
condanné à mort. Avant d'aller au fupplice, iî
parla ainfi à fes juges.
„ Quoi! vous voulez m'ôter la vie! Eh, de
,, quoi me punifTez-vous ? J'ai tranfgreffé ma;
„ loi plutôt que h votre: ma loi parle au cœur
„ & n'eft pas cruelle; mon crime a été puni
,j par le blâme de mes frères. Mais que vous
„ ai- je fait pour mériter de mourir? Je vous
„ ai traités comme ma famille, & je me fuis
„ choili une fœur parmi vous. Je l'ai laiflee libre
„ dans fa croyance , & elle a refpefté la mien--
,, ne pour fon propre intérêt. Borné fans re-
„ gret à elle feule ,, je l'ai honorée comme
„ l'inftrument du culte qu'exige l'Auteur de
„ mon être, j'ai payé par elle le tribut que
„* tout homme doit au genre humain : l'amour
„ me Ta donnée & la vertu me la rendoit che-
„ re, elle n'a point vécu dans la fervitude, el-
„ le a poflcdé fans p'artas.e le cœur de fon é;^
A M. DE B^AUMONT. ^t
,, poux; ma faute n'a pas inoins, fait fon bon-
„ heur que le mien.
^ Pour expier une faute fi pardonnable vou*
„ m'avez voulu rendre fourbe &memeur; vous
„ m'avez voulu forcer à profelTer vos fentimens-
„ fans les aimer &; fans y croire : comme fi le
;, transfuge de nos loix eût mérité de pafler
„ fous lés vôtres , vous m'avez fait opter entre
„ le parjure & la moit, & j'ai choifi, car je ne
„ veux pas vous tromper. Je meurs donc, pui&
„ qu'il le faut ; mais je meurs digne de revivre.
„ à d'animer un autre homme jufte. Je meurs
„ martir de ma Religion fans craindre d'entrer
„ après ma mort dans la votre. Puiiïai-jc re^
„ naître chez les Mufulmans pour leur appren-
„ dre à devenir humains, démens, équitables:.
„ car fervant le même Dieu que nous fervons ,.
„ puisqu'il n'y en a pas deux, vous vous a-.
„ veuglez dans votre zèle en tourmentant fes-
„ ferviteurs , & vous n'êtes cruels & fanguinai-
i, res que parce que vous êtes inconféquens.
5, Vous êtes des enfans , qui dans vos jeus-
„ ne favez" que faire du mal aux hommes. Vous-
5, vous croyez fav^ans , & vous ne favez riea-
,, de ce qui eft de Dieu. Vos dogmes récens..
„ font -ils convenables à celui qui eft, & qui.
„ veut être adoré de tous les tems? Peuples
,, nouveaux, comment ofez-vous parler de Re-
,, ligion devant nous ? Nos rîtes font auflî vieux
„ que les aftres : les premiers rayons du foleil
ÇÈ LETTRE
y, ont éclairé & reçii les hommages de nos Pc-
„ res. Le grand Zerduft a vu l'enfance du mon-
„ de; il a prédit & marqué Tordre de l'univers;
„ & vous, hommes d'hier, vous voulez être
,, nos prophètes '.Vingt ficelés avant Mahomet ,
„ avant la naiflance d'ifmaél & de Ton père,
- les Mages étoient antiques. Nos livres facrés
,, étoient déjà la Loi de l'Afie & du monde,
„ & trois grands Empires avoicnt faccclîivemen:
„ achevé leur long cours fous nos ancêtres,
„ avant que les vôtres fuffent fortis du néant.
„ Voyez, hommes prévenus, la différence
„ qui efl entre vous & nous. Vous vous dites
,, croyans, & vous vivez en barbares. Vos in-
„ ftitutions, vos loix, vos cultes, vos vertus
„ mêmes tourmentent Thomme & le dégradent.
j. Vous n'avez que de triftes devoirs à lui pres-
^ crire. Des jeiines , des privations , des com-
„ bats, des mutilations, des clôtures; vous ne
,y favez lui faire un devoir que de ce quf peut
„ Taffliger & le contraindre. Vous lui faites
„ haïr la vie & les moyens de la confcrver : vos
„ femmes font fans hommes, vos terres font
y, fans culture ; vous mangez les animaux &
„ vous maflacrez les humains ; vous aimez le
^ fang, les meurtres ; tous vos établiflcmens cho-»
^ quent la nature, aviliffent l'efpece humaine;
„ & , fous le double joug du Defpotifrac & du
„ fanatifme , vous l'écrafez de Ces Rois & de
« fes Dieux.
A M. DE BEAUMONT; 93
„ Pour nous, nous fommes des hommes de
paix, nous ne faifons ni ne voulons aucun
mal à rien de ce qui refpire, non pas même
à nos Tirans : nous leur cédons fans regret
le fruit de nos peines, contens de leur être
utiles & de remplir nos devoirs. Nos nom-
breux beftiaux couvrent vos pâturages ; les
arbres plantés par nos mains vous donnent
leurs fruits & leurs ombres ; vos terres que
nous cultivons vous nourriiTent par nos foins :
un peuple lîmple & doux multiplie fous vos
outrages , & tire pour vous la vie & l'abon-
dance du fein de la mère commune ou vous
„ ne favez rien trouver. Le foleil que nous
prenons à témoin de nos œuvres éclaire no-
tre patience & vos injuftices; il ne fe lève
„ point fans nous trouver occupés à bien fai-
re, & en fe couchant il nous ramené au fein
de nos familles nous préparer à de nouveaux
j, travaux.
„ Dieu feul fait la vérité. Si malgré tout
cela nous nous trompons dans notre culte,
il eft toujours peu croyable que nous fo-
yons condamnés à l'enfer , nous qui ne fai-
fons que du bien fur la terre, & que vous
foyez les élus de Dieu, vous qui n'y faites
que du mal. Quand nous ferions dans l'er-
„ reur, vous devriez la refpe«5ler pour votre
„ avantage. Notre piété vous engrailfj , & la
„ votre vous confumej nous réparons le mai
54 LETTRE
„ que vous fait une Religion. deftruftive. Cro-
„ yez-moi, lailTez-nous un culte qui vous eft
„ utile ; craignez qu'un jour nous n'adoptions
„ le votre: c'efl: le plus grand mai qui vous
„ puifTe arriver."
J'ai tâché, Monfeigncur , de vous faire en-
tendre dans quel efprit a été écrite la profes-
fion de foi du Vicaire Savoyard , & les confî-
dérations qui m'ont porté à la publier. Je vous
demande à préfent à quel égard vous pouvez
qualifier fa doctrine de bîafphématoire, d'im-
pie, d'abominable, & ce que vous y trouvez
■de fcandaleux & de pernicieux au genre hu-
main ? J'en dis autant à ceux qui m'accufent
d'avoir dit ce qu'il falloit taire & d'avoir vou-
lu troubler Tordre public; imputation vague &
-téméraire, avec laquelle ceux qui ont le moins
réfléchi fur ce qui ell utile ou nuifible, indis-
pofent d'un mot le public crédule contre un
Auteur bien intentionné. Eft-ce apprendre au
peuple à ne rien croire que le rappeller à h
véritable foi qu'il oublie? Kft-ce troubler Tor-
dre que renvoyer chacun aux loix de fon pays ?
Eft-ce anéantir tous les cultes que borner cha-
que peuple au fien? Eft-ce ôter celui qu'on a,
que ne vouloir pas qu'on en change? Eft-ce fe
jouer de toute Religion , que refpefter toutes
les Religions? Enfin ei^il donc fi eflenciel à
chacune de haïr les autres , que ,. cette haine
étée, tout foit ôté ?
A M. DE BEAUMONT. gs
Voila pourtant ce qu'on pcrTuade au Peuple
quand on veut lui faire prendre fon défenfeui!
en haine , & qu'on a la force en main. Mainte-
nant, hommes cruels, vos dqprets,vos bûchers,
vos mandemens, vos journaux le troublent & l'a-
bufent fur mon compte. Il me croit un mons-
tre fur la foi de vos clameurs ; mais vos cla-
meurs cefTeront enfin; mes écrits relieront mal-
gré vous pour votre honte. Les Chrétiens,
moins prévenus y chercheront avec furprife les
horreurs que vous prétendez y trouver; il n'y
verront, avec la morale de leur divin maître,
que des leçons de paix, de concorde & de cha-
lité. PuifFent-ils y apprendre à être plus juftes
que leurs Pères 1 PuilTent les vertus qu'ils y
auront prifes me venger un jour de vos malé-
dictions l
A l'égard des obje6lions fur les feéles parti-
•culieres dans lefqueiles l'univers eft divifé, que
iie puis-je leur donner aflez de force pour ren-
dre chacun moins entêté de la fienne & moins
ennemi des autres ; pour porter chaque homme
à l'indulgence , à la douceur , par cette confidé-
ration fi frappante & lî naturelle; que, s'il fût
né dans un autre pays, dans une autre feifle,
il prendroit infailliblement pour l'erreur ce qu'il
prend pour la vérité, & pour la vérité ce qu'il
prend pour l'erreur ! U importe tant aux hom-
mes de tenir moins aux opinions qui les divî-
fent qu'à celles qui les unilTent ! Et au contraire ,
pS LETTRE
négligeant ce qu'ils ont de commun , ils s'achar-
nent aux fentimens particuliers avec une efpece
de rage; ils tiennent d'autant plus à ces fentimens
qu'ils femblent moins raifonnables, & chacun
voudroit fuppléer à force de confiance à l'autorité
que la raifon refufe à fon parti. Ainfi, d'accord
au fond fur tout ce qui nous intéreOe, & dont on
ne tient aucun compte , on pafTe la vie à difputer ,
à chicaner, à tourmenter , à perfécuter , à fe bat-
tre, pour les chofes qu'on entend jamoins, &
qu'il eft le moins néceffaire d'entendre. On en-
taffe en vain décifions fur décifions; on plâtre
en vain leurs contradiftions d'un jargon inintel-
ligible; on trouve chaque jour de nouvelles
queflions à r^foudre, chaque Jour de nouveaux
fujets de querelles ; parce que chaque dodrine a
des branches infinies , & que chacun , entêté de
fa petite idée, croit effenciel ce qui ne l'eft
point, & néglige l'efTenciel véritable. Que fî
on leur propofe des objections qu'ils ne peuvent
réfoudre, ce qui, vu l'échafaudage de leurs doc-
trines, devient plus facile de jour en jour, ils
fe dépitent comme des enfans , & parce qu'ils
font plus attachés à leur parti qu'à la vérité, &
qu'ils ont plus d'orgueil que de bonne-foi, c'eft
fur ce qu'ils peuvent le moins prouver qu'ils
pardonnent le moins quelque doute.
Ma propre hiftoire caraftérife mieux qu'au-
cune autre le jugement qu'on doit porter des
Chrétiens d'aujourd'hui: mais comme elle en
' dit
II
A M. DE BEAUMONT. 9?
^it trop pour être crue, peut-être un jour fera-
t-clle porter un jugement tout contraire ; un joue
peut-être , ce qui fait aujourd'hui l'opprobre de
mes contemporains fera leur gloire, & les ûm-
pies qui liront mon Livre diront avec admira-
tion ; Quels tems angéliques ce dévoient être
que ceux où un tel livre a été brûlé comme im-
pie , & fon auteur pourfuivi comme un malfai-
teur ! fans doute alors tous les Ecrits refpiroient
la dévotion la plus fublime , & la terre étoit
couverte de faints !
Mais d'autres Livres demeureront. Onfaura> \
par exemple, que ce même fiécle a produit un 1
panégyrifte de la Saint Barthélemi; François,/
&, comme on peut bien croire, homme d'K- j
glife, fans que ni Parlement ni Prélat ait fongé \
même à lui chercher querelle. Alors , en corn- |
parant la morale des deux Livres & le tort des \
deux Auteurs, on pourra changer de langage; I
& tirer une autre conclufion. j
Les doétrines abominables font celles qui mè-
nent au crime, au meurtre, & qui font des fa-
natiques. Eh! qu'y a-t-il de plus abominable au
monde que de mettre rinjuftice & la viole nce-
en Siftême, & de les faire découler de la clé-
mence de Dieu? Je m'abftiendrai d'entrer ici
dans un parallèle qui pourvoit vous déplaire.
Convenez feulement, Monfeigneur, que "fi- la
France eût profelTé la Religion du Prêtre Sa-
voyard, cette Religion fî fimple ôl il pure, qui
E
f8 LETTRE
fait craindre Dieu & aimer les hommes , des
ficuvesde fung n'euITent point fî fouvcnt inondé
les champs François ; ce peuple fi doux & fi gai
n'eût point étonné les autres de fcs cruautés
dans tant de perfécutions &de mafl'acrcs , depuis
Mnquifition de Touloufe (38), jufqu'à la Saint
Barthélemi, & depuis les guerres des Albigeois
jufqu'aux Dragonades ; le Confeiller Anne du
Bourg n'eût point été pendu pour avoir opiné à
la douceur envers les Réformés ; les habitans de
Merindol & de Cabrieres n'euflTent point été mis
■Ji mort par arrêt du Parlement d'Aix, & fous
nos yeux l'innocent Calas torturé par les bour-
reaux n'eût point péri fur la roue. Revenons',
a préfent, Monfeigneur, à vos ccnfurcs & aux
jaifons fur lefquelles vous les fondez.
Ce Sont toujours des hommes , dit le Vicai-
re, qui nous atteftcnt la parole de Dieu, & qui
nous l'attcftent en des langues qui nous for.t in-
connues. Souvent, au contraire, nous aurions
/ (it) Il «ft Yial t\nt Doininîquc , faim Efpagnol , j eut
I grande paît. Le Saint, lelcn un ccrivain de fon oïdic,
«ut U charité, prêchant comte les Albigeois, des'adjoic-
éic de de'votcs pcifonncs, ïêlecs pour la foi, lefquelles
piiflcnt le foin d'extirper corporellcmcnt & par le gliiive
■latcrid les he'tetiquîs qu'il n'auioit pu vaincre avec le
jlaive de la parole de Dieu. Ob iArit^tn.i ^ prxdhdni centra
^Ibicnjis, in adjuterinm fumfit ^UMsH.rm dtiatAS fer/anasy
SnUnus pro fdtt <}Md (orperAliter iUtt Héfitita liéidu rM-
ttriaJi txfttgn«rtnt , tjaos ipfe ^ladh vtrbi Dii Amf^tAri mn
fojfft. Antonin. in Chron. F. 111. tir. 23. c. 14. 5. 2.
Cette chariic ne reffcmble guère à celle du Vicaiie ; aufS
a t-ellc un prix bien diftcicnr. L'une fait décréter U,
Ym\i% caAAoîfu <c«ix c^ la jp lofdTcnt.
A M. DE BEAUMONT. 99
:fi-and befoiii que Dieu nous attellâc la parole
des hommes ; il eft bien fur , au moins , qu'il
eût pu nous donner la Tienne, fans fe fervir
d'organes fi fufpecls. Le Vicaii:e fe plaint qu'il
faille tant de témoignages humains pour certi-
fier la parole divine: que d'hommes, dit-il, entre\
Dieu ^ moi (39) / f
Vous répondez. Pour que cette plainte fût feji'
Jée , M, T. €, F. , il faudrait pouvnr conclurre que
la Révélation eft faujje dès qu'elle n'a point été f ai--
te à chaque homme en particulier ; il faudrait poU'
voir dire : Dieu ne peut exiger de moi que je croys
ce qu'on m'ajfure qu'il a dit , dès que ce n'eft pas
dirediement à moi qu'il a addrejjé Ja parole (40^.
Et tout au contraire, cette plainte n'eft fen-'
fée qu'en admettant la vérité de la Révélation.
Car fi vous la fuppofez faufle , quelle plaintej
avez-vous à faire du moyen dont Dieu s'cftfer-.
vi, puifqu'il ne s'en eft fervi d'aucun? Vous
doit-il compte des tromperies d'un impofteur?
Quand vous vous laiffez duper , c'eft votre
faute & non pas la fîenne. Mais lorfque Dieu ,
maître du choix de fes moyens , en choifit par
préférence qui exigent de notre part tant de fa-'
voir & de fî profondes difcufîîons , le Vicaire
a-t-il tort de dire : „ Voyons toutefois ; exami-
„ nons , comparons , vérifions. O fi Dieu cùc
„ daigné me difpenfer de tout ce travail, Ten^
(39) Emile Tom. III. p, 141.
(40) Mandement in-4. p. iz. in-12. p. xxii
£ 2
ir>^ LETTRE
^, aurois-je frrvi de moins bon cœur ? (41) "
Monseigneur , votre mineure eft admirable.
Il faut la tranTcrire ici toute entière; j'aime
à rapporter vos propres termes; c'efl: ma plus
grande méchanceté.
Mais n'eft-il donc -pas une infinité de faits y mi-,
me (Ultérieurs à celui de la Rii'élation Chrétienne ,
dont il feroit ahfurde 4e douter? Par quelle autre
voye que celle des témoignages humains , routeur
lui-v:êm: a-t-il donc connu cette Sparte , cette Aihè-
ne , cette 'Rome dont il vante fi /cuvent ^ avec
tant d'ajjurance les loix , les mœurs , [j' les bcros ?
Otie d'hommes entre lui ^ les- Hifioriens qui ont
confervé la mémoire de ces éz-énemensi .
Si la matière étoit moins grave & que
j'eufTe moins de refpe(ft pour vous, cette ma-
nière de rai Tonner me fourniroit peut-être l'oc-
cafion d'égayer un peu mes Icfteurs; mais â
Dieu, ne plaife que j'oublie le ton qui convient
au fujet que je traite, & à l'homme à qui je
parle. Au rifque d'être plat dans ma réponfe,
il me fufîît de montrer que vous vous trompez.
Considérez donc, de grâce, qu'il eft tout-à-
fait dans l'ordre que des faits humains foicnt
atteftés par des témoignages humains, lis ne
peuvent l'être par nulle autre voye; je ne puis
favoir que Sparte & Rome ont exifté , que par-
ce que des Auteurs contemporains me le di-
fcnt, & entre moi & un autre homme qui a
(41) Emile, obi fup.
A M. DE BEAUMONT. xoi
▼écu loin de moi, il faut néceffairement des
intermédiaires; mais pourquoi en faut- il entre
Dieu & moi, & pourquoi en faut-il de 11 éloi-
gnés , qui en ont befoin de tant d'autres? Eli-
il limple, eft-il naturel que Dieu ait été chcr-
eher Moïfe pour parier à Jean Jaques RoufTcau ?
D'ailleurs nul n'efl obligé fous peine de
damnation de croire que Sparte ait exifté ; nul
pour en avoir douté ne fera dévoré des flam^
mes éternelles. Tout fait dont nous ne fommss
pas les témoins , n'eil établi pour nous que fur
des preuves morales, & toute preuve morale
eft fufceptible de plus & de moins. Croirai- je
que lajuftice divine me précipite à jamais dans
l'enfer, uniquement pour n'avoir pas fu mar-
quer bien exaclcment le point où une telle
pr-éuve devient invincible?
S'il y a dans le monde une hiftoire attcflée,
!
c'eft celle des Wampirs. Rien n'y manque :|
procès verbaux , certificats de Notables , de î
Chirurgiens, de Curés, de Adagidrats. La preu
ve juridique eft des plus complettes. Avec cela, ;
qui eft-ce qui croit aux Wampirs? Serons-nous I
tous damnés pour n'y avoir pas cru?
Quelque atteftés que foientvau gré même de
l'incrédule Ciceron, plufieurs des prodiîjes rap-
portés par Titc-Live,je les regarde comme au-
tant de fables , & fûrement je ne fuis pas le fcuï.
Mon expérience conftante & celle de tous les
hommes eft plus forte en ceci que le témoigm-^c
102 LETTRE
de quelques uns. Si Sparte & Rome ont été det
prodiges elles-mêmes, c'étoiciu des prodiges
dans le genre moral; & comme on s'abuferoit
enLaponic de fixer à quatre pieds la ftature na-
turelle de l'homme, on ne s'abuferoit pas moins
parmi nous de fixer la mefure des âmes humaines
fur celle des gens que l'on voit autour de foi.
Vous vous fouviendrcz, s'il vous plaît, que
je continue ici d'examiner vos raifonneijiens en
eux-mêm.es, fans foutenir ceux que vous atta-
quez. Après ce mémoratif néceffaire, je me
permettrai fur votre manière d'argumenter en-
core une fuppofitlon.
Un habitant de la rue S\ Jaques vient te-
nir ce difcours à Monfieur TArchevèque de
Paris. „ Monfeigneur, je fais que vous ne cro-
„ yez ni à la béatitude de Saint Jean de Paris»
„ ni aux miracles qu'il a plu à Dieu d'opérer
„ en public fur fa tombe, à la vue de la Vil-
„ le du monde la plus éclairée & la plus nom*
,, breufe. Mais je crois devoir vous attefter que
„ je Tiens de voir refifufciter le Saint en per-
„ fonne dans le lieu où fes os ont été dépofés. '•
L'iiom:me de la rue Saint Jaques ajoute à ce-
la le détail de toutes les circonftances qui peu-
vent frapper le fpeflateur d'un pareil fait. Je
fuis perfiiadé qu'à l'ouie de cette nouvelle, a*
vaut de vous expliquer fur la foi que vous y
ajoutez , vous commencerez par interroger ce-
lui qui l'attelle, fur fon état, fur fcs fentirnens,
fur fon ConfelTeur, fur d'autres articles fem-
A M. DE BEAUMONT. loj
blables; & lorfqu'à Ton air comme à fes dis-
cours vous aurez compris que c'eft un pauvre
Ouvrier, & que, n'ayant point à vous montrer
de billet de confeflîon , il vous confirmera dans
l'opinion qu'il efl Janfénifte; „Ah ah!" lui di-
rez-vous d'un air railleur; „ vous êtes convul-
„ fiohnaire, & vous avez vu refrufciter Saine
„ Paris ? Cela n'eft pas fort étonnant; voui
„ avez tant vu d'autres merveilles!"
Toujours dans ma fuppofition, fans doute il
infîftera: il vous dira qu'il n'a point vu feul le
miracle; qu'il avoit deux ou trois perfonnes a«
vec lui qui ont vu la même chore,^ que d'au-
tres à qui il l'a voulu raconter difent l'avoiv
auflî vu eux-mêmes. Là dcff.is vous demanderez
fi tous ces témoins étoient Janfénifles? ,,Oui,
„ Monfeigneur, " dîra-t-il; „ inais n'importe;
„ ils font en nombre fuffifant, gens de bonnes
^, mœurs , de bon fens , & non récufables ; la
„ preuve eft complette, & rien ne manque è
., notre déclaration pour conftater la vérité dii
„ fait. "
D'autres Evêques moins charitables enver-
raient chercher un CommilTaire & lui configne-
roient le bon homme honoré de la vifion glo-
lieufe, pour en aller rendre grâce à Dieu aux
petites-maifons. Pour vous , Monfeigneur, plus
humain, mais non plus crédtile , après une gra-
ve réprimande vous vous contenterez de lui
<^ire: „ Je fais que deux ou trois témoins, hon-
E 4
L
104. LETTRE
„ nêtes gens & de bon fens-, peuvent atteftcr
„ la vie ou la mort d un homme; mais je ne
„ fais pns encore combien il en faut pour con-
„ ftater la rcfurredion d'un Janfénifle. En at-
., tendant que je l'apprenne, allez, mon cn-
.., fant, tâcher de fortifier votre cerveau creux.
5, Je vous difpenfe du jeûne, & voila de quoi
., vous faire de bon bouillon. "
C'est à peu près, Ivlonfeigneur, ce que vous
diriez, & ce que diroit tout autre homme fage
à vôtre place. D'où je conciuds que, même fé-
lon vous, & félon tout autre homme fage, les
preuves morales fuiïïfantes pour conAnter les
faits qui font dans l'ordre des poiîibilités mo-
lales , ne fufBfcnt plus pour conflater des faits
d'un autre ordre, & purement furnaturcls : fur
tjuoi je vous lailTe juger vous-même de la jus-
iCile de votre comparaifon.
Voici pourtant la conclufion triomphante que
vous en tirez contre moi. Son fce^t ici/me nejl
é-ûnc ici fondé 'que fur rintérêù de fon incréduli-
le (42). Monfeigneur, fi jamais elle me procu-
le un Evéché de cent mille Livres de rentes ,
vous pourrez parler de i'intérct de mon incré-
dulités '
CoifTiNuox5 maintenant à vous tranfcrire,
en prena.it feulement la liberté de rcftituer aa
befoin les palTages de mon Livre que vous
nonquez.
„ Qu'uiT
f^) 2.iAndtm€nt in- +. pag. 12. in- 12. p. xxii*
A M. DE BKAUMO'N'f. t^^,
„ Qu'un- homme, ajoute t il plus loin, vienne
y, nous tenir ce langage: Mortels, je vous an-
5, nonce les volontés du Très-Haut ; reconnois-
„ fez à ma voix c^lui qui m'envoye; J'ordonne
„ au foleil de changer Ton cours, aux étoiles
,^ de former un autre arrangement, aux mon-
,^ tagncs de s'applanir, aux flots de s'élever,
,, à la terre de prendre im autre afl:>ecl: : à ces
,, merveilles qui ne reconnoîtra pas à l'inflanc
,^ le maître de la nature?*' Oiii ne croiroît, M.
T.C.F.y que celui qui s'exprime de la forte ne cls
mande qu'à voir des miracles pour être Chrétien ?
Bien plus que cela, Monfeigneur; puifque
je n'ai pas même befoin des miracles pour être
Chrétien.
Ecoutez^ toutefois^ ce qu'il' ajoute : „ Reftc enfin,.
3, dit-il, l'examen le plus important dans la
,v dodtrine annoncée; car puifque ceux qui di-
„ fent que Dieu fait ici-bas des miracles , pré-
„ tendent que le Diable les imite quelquefois,-
„ avec les prodiges les mieux confiâtes nous ne
„ fommes pas plus avancés qu'auparavant, <Sc
„, puifque les Magiciens de Pharaon ofoicnt, en'
,v préfence même de Moïfe, faire les- mômes fi^
,,. gnes qu'il faifoitpar l'ordre exprès deDieu,-
„ pourquoi- dans fon abftnce n'euQent-ils pas ,
„ aux mêmes titres, prétendu la même autori-
,y té? Ainfi donc, après avoir prouvé la doc-
,v trine par le miracle, il faut prouver le mi*
„. r^cle par la doctrine, do peur de pfendr^^
E 5-
105 LETTRE
^ l'œuvre du Djmon pour l'œuvre de Dieu (45).
,, Que faire en pareil cas pour éviter le dialè-
„ le? Une feule chofc; revenir au raifonne*
y, ment, &" laiiTer-là les miracles. Mieux eût
j, valu n'y pas recourir."
Cejî dire; qu'on me montre des miracles , ^
je croirai. Oui, Monfeigneur , c'efl dire; qu'on
me montre des miracles & je croirai aux mira-
cles. C'ejî dire ; qu'on me montre des miracles , ^
je refujerai encore de croire. Oui, Monfeigneur,
c'efl: dire, félon le précepte même de Mo'i-
fe (44) ; qu'on me montre des miracles , & je
refuferai encore de croire une doctrine abfurde
& déraifonnable qu'on voudroit étayer par eux^
Je croirois plutôt à la magie que de reconnoître
la voix de Dieu dans des kçons contre la raifon.
J'ai dit que c'étoit-là du bon fens le plus
iîmple , qu'on n'obfcurciroit qu'avec des dis-
tinfticns tout au moins très-fubtiles : c'efl: en-
core une de mes prédi(5lioDs ; en voici l'accom-
pliffement.
Quand une doEtrine eft reconnue vraye ^ dizi*
fjtf, fondée Jur une Révélation certaine ^ on s'en Jert
four juger des miracles, c'ejî-à-dire , p9ur rejetîer
les prétendus prodiges que des impofteurs poudroient
•ppojer à cette doctrine. Quand il s'agit d'une doç-
trine nowcelle qu'on annonce comme émanée du Je in
de Dieu y les miracles font produits en preuves;.
(43) J^ ^ui* force de confondre ici la cote avec le tex-
te , à i';mitation de M, de Beaumont. Le Leftcur pouir*
coniultei TuD 2c Tautie dans le Livic méiDC. T. ULpa^»
Î45 cr fuiv.
l^) Dcutcroo* Cl ZU||
A M. DE BEAIJMONT. r<37
$"ejl-à-dîre, que celui qui prend la qualité d'Envoyé
du Très-Haut f confirme fa Miffion , fa prédicatian
par des miracles qui font le témoignage même de la
divinité, Jinfi la doQrine ^ les miracles font des
argumens refpeUifs dont on fait ufage , félon les
divers points de vue oïl Von fe place dans l'étude ^
dans V enfeignement de la Religion. Il ne fe trouve
là , ni abus du raifonnement , ni fophifme ridicule^
ni cercle vicieux (45).
Le Lecteur en jugera. Pour moi je n'ajou-
terai pas un feul mot. J'ai quelquefois répon-
du ci-devant avec mes pacages ; mais c'eft avec
le votre que je veux vous répondre ici.
Oîi efl donc y M. T. C. F., la lonnefoiphilofi-
pbique dofitfe pare cet Ecrivain ?
Monseigneur , je ne me fuis jamais piqué
d'une bonne foi phiIofophique;car je n'en con-
nois pas de telle. Je n'ofe même plus trop
parler de la bonne-foi Chrétienne, depuis que
les foi-difans Chrétiens de nos jours trouvent fi
mauvais qu'on ne fupprime pas les objeélions
qui les embarralTent. Mais pour la bonne-foi
pure & (impie, je demande laquelle de la mien-
ne ou de la vôtre efl la plus facile à trouver ici?
Plus j'avance, plus les points à traiter de-
viennent intérelTans. Il faut donc continuer ^
vous tranfcrire. Je voudrois dans des difcus»
fions de cette importance ne pas omettre un dô
Yos mots.
(4J} ^^ndmfnt ia-4. pag. 13. Iii-ia, p. sxii2«
E 6
îo8 LETTRE
On croiroit qu'après les plus grands effort
;^our Uécnditer les témoignages humains qui attes"
te:a h TL-z'élatim Cbréiienne , le mcme Auteur y
défère cependant de la manière la [lus pojitive, la
$lus folemnelle.
On AUROiT raifon, fans doute, puifque je
tiens pour révélée toute doftrine où je rccon-
Bois l'efiorit de Dieu. II faut feulement ôter
l'amphibologie de votre phrafe ; car fi !e verbe
îélatif y défère fe rapportfe à la Révélation
Chrétienne, vous avez raifon ; mais^ s'il fe rap*
porte aux témoignages humains, vous avez tort.
%ioiqu:il en foit, je prends acte de votre té-
acoignage contre ceux qui ofeiit dire que je re-
jette toute révélation i comme fi c'étoit rejettes
«ne doctrine que de la reconnoître fujette à des
^fikultés infolubles à l'efprit humain; comme
fi. c'était la rejetcer que ne pas l'admettre fur Iç
«émoignage des hommes, lorfqu'on a d'autres
preuves équivalentes ou fupérieures qui dis-
yenfeat de celle-là? Il eft vrai que vous dites
ccndiiionnellement, on croiroit; mais on croiroitt
-Ignliie 071 croit f lorfque la raifon d'exception
jgour ne pas croire fe réduit à rien , comme- on
1 erra ci-après de la vôtre. Commençons par la
jïGUve; affirmative.
.• M' faut l-our '-jo'is en con'vaînsr; j M. T. G. F..
^ Sfkiréijme tems paur vous édifier, mettre fous vos.
'X^ux Cit. endroit de fon ouvrage. „ J'avoue que I^/
:^ siais^e des. E^iiuires m'étonne; h faiateté
A M. DE BEAUMONT. 109-
'„ dé l'Evangile (46) parle k mon cœur. Vo-
„ yez les Livres des Philofophcs, avec toute-
„ leur poinpe; qu'ils font petits près de celui-
^, là ! Se peut-il qu'un Livre à la fois 11 fubli>.
„ me & fi fimple foit l'ouvrage des hommes?
„ Se peut- il que celui dont- il fait l'hiftoire ne
„ foit qu'un homme lui-même ?Eft-ce là le ton
„ d'un enthoufialle ou d'un ambitieux feclaire?
„. Quelle douceur , quelle pureté, dans fes
„ mœurs ! Quelle grâce touchante dans fes in*
„ ftructtons ! quelle élévation dans fes maxi^
„ mes! quelle profonde fageûe dans fes dis^-
„ cours! quelle préfence d'efprit, quelle fineflb
„, & quelle juflefTe dans fes réponfes ! quel em^
j, pire fur fes pafllons ! Où ell l'homme, oii
„ eft le Sage qui fait agir, fouffrir & mourir
„ fans foiblelTe & fans oflentation (47) ? Quand
„ Platon peint fon Jufta imaginaire couvert de.
,, tout l'opprobre du crime, & digne de tous
y, les prix de la vertu, il peint trait pour trait
I (46) La négligence avec laquelle M. de Beaumont mo
. tianlcrit lui a fait faire ici deux changemens dans une
\ iit,ne. Il a mis ^ la majefié de [''Ecriture au lieu de, U ma'
\ jtjié des Ecritures j & il a mis , U Jainteté de l'Ecriture.
I au lieu de, /a fainteté de l^ Evangile. Ce n'eft pas, à la
vérité', m? faire dire àzs héiéfiesj mais c*elt me faire par-
Jer bien niaifement.
(47) Je remplis, félon ma cor^tume, les lacunes faites
T>ai M. de Beaumont} non qu'abfolument celles qu'il fait
ici foient infidieufes , comme en d'autres endroits} mais
parce que le défaut de fuite & de liaifon afloiblit le pas-
fage quand il eft tronqué j & auffi parce que mes peifé-
cuteuis fupprimant avec foin tout ce que j'ai dit de (i
bon cœur en faveur de la Religion , il cli bon 4e iç lé,
fablii à naçfuic t^wc roccafion s'en tiouve,
£7
HO LETTRE
„ Jéfus-Chrift : la refTemblance eft fî frappante
„ que tous les Pères l'ont fentie, & qu'il n'cft
„ pas pofTible de s'y tromper. Quels préjugés ,
y, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour
„ ofer comparer le fils de Sophronifque au fils
„ de Marie? Quelle diflance de l'un à l'autre l
„ Socrate mourant fans douleur, fans ignomi-
„ nie, foutint aifément jufqu'au bout fon per-
„ fonnage, & fi cette facile mort n'eût honoré
„ fa vie , on douteroit fi Socrate , avec tout
„ fon efprit, fut autre chofe qu'un Sophifl:e.
„ Il inventa, dit-on, la morale. D'autres avant
„ lui l'avoient mife en pratique; il ne fit que
„ dire ce qu'ils avoient fait, il ne fie que met-
„ tre en leçons leurs exemples. Ariftide avoic
,, été jufl:e avant que Socrate eûrdit ce que
^ c'écoit que juflice;Léonidas étoit mort pour
„ fon pays avant que Socrate eût fait un de-
„ voir d'aimer la patrie ; Sparte étoit fobre a-
„ vant que Socrate eût loué la fobriété ; avant
„ qu'il eût défini la vertu, Sparte abondoit en
y, hommes vertueux. Mais où Jéfus-avoit-il pris
,, parmi les fiens cette morale élevée & pure,
„ dont lui feul a donné les leçons & l'exem-
^ pie ? Du fein du plus furieux fanatifme 1»
^ plus haute fagefle fe fit entendre, & la fim-
„ plicité des plus héroïques vertus honora le
„ plus vil de tous les peuples. La mort de So-
„ crate philofophant tranquillement avec fes
„ amis eft la plus douce qu'on puilTe déûià ;,
A M. DE BEAUMONT. riî
celle de Jéfus expirant dans les tourmens>
injurié, raillé, maudit de tout un peuple^
eft la plus horrible qu'on puifTe craindre»
Socrate prenant la coupe empoifonnée bénit
celui qui la lai préfente & qui pleure. Jé-
fus, au milieu d'un fupp lice affreux, prie
pour fes bourreaux acharnés. Oui, fi la vie
& la mort de Socrate font d'un Sage, la vie
& la mort de Jéfus font d'un Dieu. Dirons-
nous que l'hiftoire de l'Evangile efl inventée
à plaifir. ? Non , ce n'eft pas ainfi qu'on in-
vente, & les faits de Socrate dont perfonne
ne doute font moins atteftés que ceux de
Jéfus-Chrift. Au fond c'eft reculer la difficul-
té fans h détruire. Il feroit plus inconceva-
ble que plufieurs hommes d'accord euflent
fabriqué ce Livre qu'il ne l'efl: qu'un feul en
ait fourni le fujet. Jamais des Auteurs Juifs
n'euifent trouvé ni ce ton ni cette morale,
& l'Evangile a des caraéleres de vérité fi
grands, fi frappans, fi parfaitement inimi-
tables que l'inventeur en feroit plus éton-
nant que le Héros (48). "
(49) // feroit difficile , M. T, C. F. , de ren-
dre un plus bel hommage à l'authenticité de l'E-
vangile, Je vous fais gré, Monfeigneur, de cet
aveu ; c'eil une injuftice que vous avez de-
moins que les autres. Venons maintenant à 1*
(48) Fmlle. T. HT. pag. 279 & fuiv.
(4SJ Mandemtnt jn-4 pag. 14. in-xz.p. xxr^
ÎI2 LETTRE
preuve négative qui vous fait dire on crdiroit ,
au lieu d'o/j croit.
Cependant VAutcur ne la croit qu'en conjé--
quence des témoignages humains. Vous vous
trompez , Monfeigneur ; je la reconnois en con-
féquence de TEvangile & de la fublimité que
j'y vois, fans qu'on me l'attelle. Je n'ai pas be-
foin qu'on m'affirme qu'il y a un Evangile lors-
que je le tiens. Ce font toujours des hommes qui
lui rapportent ce que d'autres hommes ont rapporté.
Et point du tout ; on ne me rapporte point que
l'Evangile exifte; je le vois de mes propres
yeux, & quand tout l'Univers me foutiendroir
qu'il n'exifte pas , je faurois très-bien que tout
l'univers ment, ou fe trompe, ^e d'hommes en-
tre Dieu ^ lui? Pas un feu). L'Evangile efl h
pièce qui décide , & cette pièce eil entre mes
mains. De quelque manière qu'elle y foit ve*
nue , &. quelque Auteur qui l'ait écrite , j'y re-
connois l'efprit divin : cela eft immédiat autant
qu'il peut 1 être ; il n'y a point dhommes entre
cette preuve & moi ; & dans le fens où il y en
auroit, l'hiflorique de ce Saint Livre, de fes
auteurs, du t^ms où il a été compofé, &c.
rentre d:ins les difcuflîons de critique où la
preuve morale eft admife. Telle efl: la réponfc
du Vicaire Savoyard.
Le voila donc bien évidemment en contradi^ion
avec lui-même; le voila confondu par Jes propre:
ifiicux. Je vous laiffe jouïr de toute ma confa-
A M. DE BEAUMONT. 113
fion. Par quel étrange aveuglement at-il donc pu
ajouter? ,, Avec tout cela ce même Evangile eft
„ plein de chofes incroyables, de chofes qui
„ répugnent à la raifon , & qu'il ell impofïïble
„ à tout homme fenfé de concevoir ni d'admet-
„ tre. Que faire au^milieu de toutes ces con-
„ tradiflions? Etre toujours modefte &circonf-
„ pe<5l: ; refpecler en filence (50) ce qu'on ne
„ fauroit ni rejetter ni comprendre , & s'hu-
„ milier devant le grand Etre qui feul fait la
„ vérité. Voila le fcepticifme involontaire où
„ je fuis refté. '* Mais le Jceptkijme , M. T,
C. F. , peut-il donc être involontaire , lorfqu'on refuje
de Je Joumettre à la do£lri?ie d'un Livre qui ne fau-
roit être iîîventé par les hommes ? LorJqiLe ce Livre-.
porte des caractères de vérité fi grands , fi frappans ,
fi parfaitement inimitables, que l'inventeur enfe-
' (50) Pour que les hommes slmpofent ce refpeft Se ce
lilence, il faut que quelqu'un leur dife ujie fois les ral-
fons d'en ufer ainfi. Celui qui connoit ces raifons peut les
dire, mais ceux qui cenfurent & n'en difent point, pour-
loient fe taire. Parler au public avec franchife, avec ferme-
té', eft un droit commun à tous les hommes , & même un
devoir en toute choie utile : mais il n'eft gueies permis à
un particulier d'en cenfurer publiquement un autre : c'eft
s'attribuer une trop grande fupériorîté de veitus , de ta-
lens , de lumières. Voila pourquoi je ne me fuis jamais
ingéré de critiquer ni réprimander perfonne. J'ai dit a.
mon fîécle des vérités dures , mais je n'en ai dit à aucun
particulier, 8c s'il m'eft arrivé d'attaquer & nommer quel-
q^ues livres, je n'ai jamais parlé des Auteurs vivans qu'a-
vec toute forte de bienféance & d'égards. On voit com-
ment ils me les rendent. Il me femble que tous ces Alcf-
lieurs qui fe mettent fi fièrement en avant pour m'enfei-
gner l'humilité , trouvent la Icjon raeiliemc à donnez;
<q,u'à fuivte..
114 LETTRE
rtU plus étonnant que le Héros t Cejl bien ici qt/oft
f eut dire que Vinî^uiti a menti conife elle-même (^s ly
Monseigneur , vous me taxez d'iniquité fan»
fujet; Vous m'imputez fouvent des menfonge»
& vous nen rnontrcz aucun. Je m'împofe avec
vous une maxinK contraire, & j'ai qUrelquefoi»
lieu d'en ufer.
Le Scepticisme du Vicaire ell: involontaire
par la raifon même qui vous fait nier qu'il le
foir. Sur les foibles autorités ou'on veut don-
ner à TEvangile il le rejettcroit par les raifon»
déduites auparavant , û l'efprît divin qui brille
dans la morale & dans la doflrine de ce Livre
ne lui rendoit toute la force qui manque au té-
moignage des hommes fur un tel point. Il ad»
met donc ce Livre Sacré avec toutes les chofes
admirables qu'il renferme & que Tefprit humain
peut entendre; mais quant aux chofes incroya-
bles qu'il y trouve, le/quelles répugnent à fa rai'
fon^ ^ qu'il ejî tmpojjible à tout homme fenjé di
itncevoir ni d'admettre, il les reJpeUe en ftlenct
fans les comprendre ni Iss rejetter,^ s'humilie de^
vant le grand Etre qui feul fait la vérité. Tel eft
fon fcepticifme; & ce fccpticifme cft bien invo-
lontaire, puifqu'il eft fondé fur des preuves in-
vincibles de part & d'autre, qui forcent la rai-
fon de refter en fufpens. Ce fcepticifme eft ce-
lui de tout Chrétien raifonnable & de bonne
(51} MAnimtnt ia-4. p. 14. in II. p. XXYI,
A M. DE BEAUMONT. irs'
foi qui ne veut favoir des chofes du Ciel que
celles qu'il peut comprendre, celles qui impor-
tent à fa conduite, & qui rejette avec l'Apôtre
les qîieftions peufenfées, qui font fans inflruUion^'
^ qui n'engendrent que des cûmbùts. (52)
D'adord vous me faites rejetter la révélation
pour m'en tenir à la Religion naturelle, & pre-
mièrement , je n'ai point rejette la Révélation,
En fuite vous m'accufez de ne pas admettre même
la Religion îiaturelîe , ou du moins de n'en pas r«-
connoître la nécejjlté ; & votre unique preuve ell
dans le paflage fuivant que vous rapportez,
„ Si je me trompe, c'eft de bonne foi. Cela
„ fuffit (53) pour que mon erreur ne me foit
„ pas imputée à crime ; quand vous vous trompe-
„ riez de même, il yauroit peu de mal à cela.*^
Cefî à-dire, continuez-vous, que félon lui il fiiffit
de fe perfiiader qu'on efî en poffejjion de la vérité ; qus
cette perfuafîon, fût- elle accompagnée des plus mon*
fîrueufes erreurs , ne peut jamais être unfujet dé
reproche ; qu'on doit toujours regarder comme wi
homme fage ^ religieux , celui qui , adoptant les
erreurs mêmes de VAthéifme , dira qu'il efî de bon*
ne foi. Or n'eflce pas là ouvrir la porte à toutes
les fuperfîitions f à tous les flfiêmes fanatiques , à
tous les délires de lefprit humain'^ (54)
Pour vous, Monfeigneur, vous ne pourrez
(5-i) Timoth : C. II. v. 23.
(s 3) Emile Tom. 111. p. 21. M. d« Bcaumont a mis j
€eU me fujjir,
^54) Mandement in-4. p. ij. in-I2. p. xxViit
ii6 L E T T R E
pas dire ici comme le Vicaire; Si jsmetronipt^
c'eft de bonne foi: car c'eft bien évidemment à
delTcin qu'il vous plait de prendre le change &
de le donner à vos Lecteurs; c'efl ce que je
m'engage à prouver .fans réplique , & je m'y en-
gage ainfi d'avance, ann que vous y regardiez
de plus près.
La profession du Vicaire Savoyard eft com-
pofée de deux parties. La première , qui eft la
plus grande , la plus importante , la plus rem-
plie de vérités frapantes & neuves eft deftinée à
combattre le moderne matérialifme , à établir
l'exiftence de Dieu & la Religion naturelle avec
toute la force dont l'Auteur eft capable. De cel-
le-là, ni vous ni les Prêtres n'en parlez point;
parce qu'elle vous eft fort indifférente ,& qu'au
fon-d la caufe de Dieu ne vous touche gueres,
pourvu que celle du Clergé foit en fureté.
. La seconde, beaucoup plus courte, moins
régulière, moins approfondie, propofe des dou-
tes & des difficultés fur les révélations en géné-
ral , donnant pourtant à la notre fa véritable
certitude dans la pureté , la fainteté de fa doctri-
ne , & dans la fubliraité toute divine de celui
qui en fut l'Auteur. L'objet de cette féconde
partie eft de rendre chacun plus réfervé dans fi
Religion à taxer les autres de mauvaife foi dans
la leur, & de montrer que les preuves de cha-
cune ne font pas tellement démonftratives i
A M. DE BEAUMONT. 117
tous les yeux qu'il faille traiter en coupables
ceux qui n'y voyent pas la même clarté que
nous. Cette féconde partie écrite avec toute la
modeftie , avec tout le refpecl convenables, efc
la feule qui ait attire votre attention & celle
des Magiflrats. Vous n'avez eu que des bûchers
& des injures pour réfuter mes raifonnemens.
Vous avez vu le mal dans le doute de ce qui |
eil douteux; vous n'avez point vu le bien dans j
la preuve de ce qui efl viai. \
En effet , cette première partie , qui contient
ce qui efl: vraiment eiTenciel à la Religion , eft
décifive & dogmatique. L'Auteur ne balance
pas , n'héfite pas. Sa confcience & fa raifon le
déterminent d'une manière invincible. Il croit ,
il affirme : il efl fortement perfuadé.
Il commence l'autre au contraire par décfa-
rer que V examen qui lui refte à faire eft hîen diffé-
rent; qu'il n'y voit qu'embarras, mifiere y objcit-
rite; qu'il n'y porte qu incertitude ^ défiance; qu'il
n'y faut donner à fes dîfcours que l'autorité de la
raifon; qu'il ignore lui même s'il efl dans V erreur ^
£jf que toutes fes affirmations ne font ici que des raU
fous de douter, (55) Il propofe donc fes objections ,
fes difficultés, fes doutes. Il propofe aufïî fes
grandes & fortes raifons de croire^ & de toute
cette difcufîîon refaite la certitude des dogmes
elTcnciels & un ^ fcepticifme refpe(n:ueux fur les
autres. A la fin de cette féconde partie il infliU
(5 5) Kmile Tom. III. p 131*
«ts lettre
•de nouveau fur la circonfpeélion néceflaire ch
l'écoutant. Si j'étais plus fur de moi, j' aurais ,
dit-il, pris un ton dogm.iîique ^ décijif; m:i%s
je fuis homme, ignorant, fujet à l'erreur: que pou-
vais - je faire? Je "COUS ai ouvert mon cœur fam
refende; ce que je tiens pour fur , je vous l'ai don-
né pour tel : je vous ai donné mes doutes pour des
donnes y mts opinions pour des opinions-, je vous ai
dit mi*s raifons de douter ^ de croire. MaintenaJii
c'efi à vous de juger (56).
Lors donc que dans le même écrit Tauteur
dit; Si je me trompe , cefi de bonne -foi ; celafujffït
pour que mon erreur ne me foit pas imputée à crime ;
je demande à tout iefleur qui a le fens-commun
& quelque fincérité, li c'eft fur la première ou fur
la féconde partie que peut tomber ce foupçon
d'être dans l'erreur ; far celle où l'auteur affirme
ou fur celle où il balance? Si ce foupçon mar-
que la crainte de croire en Dieu mal- à -pro-
pos , ou celle d'avoir à tort des doutes fur la
Révélation ? Vous avez pris le premier parti
contre toute raifon , & dans le feul défir de me
rendre criminel ; je vous défie d'en donner au-
cun autre motif. Monfeigneur , où font, je ne
dis pas l'équité, la charité Chrétienne, mais le
bon fens & l'humanité ?
Quand vous auriez pu vous tromper fur l'ob-
jet de la crainte du Vicaire, le texte fcul que
vous rapportez vous eut défabufé malgré vous.
(i6) Ibid p. i5i.
A M. DE BEA UM ON T. irp
Car lorfqu'il ait; cela fuffit pour que mon erreur ]
fie mefeît pas imputée à crime , i! reeonnoîc qu'une \
pareille erreur pourroic être un crime, & que
ce crime lui pourroit êire imputé , s'il ne pro-
x:édoit pas de bonne foi : Mais quand il n'y au-
roit point de Dieu, où feroit le crime de croi-
re qu'il y en îi un? Et quand ce feroit un cri-
me, qui eft-ce qui le pourroit imputer? Li ■■
crainte d'être dans l'erreur ne peut donc ici
tomber fur la Religion naturelle, &ledifcours
du Vicaire feroit un vrai galimathias dans le
fens que vous lui prêtez. 11 eft donc impofîible
de déduire du paiTage que vous rapportez , que
je ii admets pas la Religion naturelle ou que je
n'en reconnois pas la ntcejfiîé; il efl encore im-
polîîble d'en déduire qu'o^ti dbive toujours, ce font
vos termes , regarder comme un homme fage ^re*
Ugieux celui qui, adoptant les erreurs de V Athéis-
me ^ dira qu'il ejî de honne foi ; & il ei1: même
impofïïble que vous ayez cru cette déduélion lé-
gitime. Si cela n'eft pas démontré, rien ne faii-
roit jamais l'être, ou il faut que je fois un in»
fenfé.
Pour montrer qu'on ne peut s'autorifcr d'u-
ne mifîîon divine pour débiter des abfurdités,
le Vicaire met aux prifes un Infpiré, qu'il vous
plait d'appeller chrétien, & un raifonneur, qu'il
vous plait d'appeller incrédule, & il les fait dif-
puter chacun dans leur langage , qu'il défaprou-
ye, & qui très - fùr^ment n'eft ni le iîen ni le
lao LETTRE
mien. (57) Là-delTus vous me taxez d'une înfi-
gne mauvaife foi , (58) & vous prouvez cela par
l'ineptie des difcours du premier. Mais fi ces
difcours font ineptes , à quoi donc lereconnoif-
fez-vous pour Chrétien? & fi le raifonneur ne
réfute que des inepties, quel droit avez -vous
de le taxer d'incrédulité? S'enfuit il des inep-
ties que débite un Infpiré que ce foit un catho-
lique, & de celles que réfute un raifonneur,
que ce foit un mécréant ? Vous auriez bien pu ,
Mon feigneur, vous difpenfer de vous reconnoî-
tre à un langage fi plein de bile & de déraifon;
car vous n'aviez pas encore donné votre Man-
dement.
Si la raifon ^ la Révélation étoîent oppofées Vu- "
ne à l'autre , il eji confiant , dites-vous , que Dieu
feroît en contradiction avec lui-même, (59). Voila
un grand aveu que vous nous faites là: car il
eft fur que Dieu ne fe contredit point. Vous di'
tes , i Impies , que les dogmes que nous regardons
comme révélés combattent les vérités éternelles : mais
il ne Juffit pas de le dire. J'en conviens ; tâchons
de faire plus.
Je suis fur que vous preffentez d'avance où
j'en vais venir. On voit que vous paQezfurcet
articl-e des mifteres comme fur des charbons ar-
dens; vous ofez à peine y pofer le pied. Vous
me forcez pourtant à vous arrêter un moment
dans
(î?) Emile Tom. m. p. ijT.
(sa) M indcr.'.ent iw-^. p. 15. in-12. p. xxviii.
Oi-i MMdtmmhx'^ ?• XJ I ^û, iu-ii. p. xxvixi* '
A M. DE BEAUMONT. 121
dans cette fituation douloureufe. J'aurai la dif-
crétion de rendre ce moment le plus court
qu'il fe pourra.
Vous conviendrez bien, je penfe, qu'une de
ces vérités éternelles qui fervent d'élémens à la
raifon eftque la partie ell moindre que le tout,
& c'eft pour avoir affirmé le contraire que l'Inf-
piré vous paroît tenir un difcours plein d'inep-
tie. Or félon vôtre do6lrine de la tranfubdaii-
tiation, lorfque Jéfus fit la dernière Cène avec
fes difciplcs 6c qu'ayant rompu le pain il donni
fon corps à chacun d'eux , il eft clair qu'il tint
fon corps entier dans fa m.ain , à: , s'il mangea
lui-même du pain confacré , comme il put le
faire, il mit fa tête dans fa bouche.
Voila donc bien clairement , bien précifé-
Hient la partie plus grande que le tout , & le
contenant moindre que le contenu. Que dites-
▼ous à cela, Monfeigneur? Pour moi , je ne
vois que M. le Chevalier de Caufans qui puilTe
vous tirer d'affaire.
Je Sais bien que vous avez encore lareflbur-
ce de Saint Auguftin , mais c'eft la même. Après
avoir entaffé fur la Trinité force difcours inin-
telligibles il convient qu'ils n'ont aucun fens; i
mais y dit naïvement ce Pcre de l'Eglife, on \
s'exprime ainfi , non pour dire quelque chofe , mais
pour ne pas rejîer muet {60),
{60) DiHum efl tarnen trcs ptr^onjt , non ut alîqutd tii"
tmfur , ftd ne îacemtfr, Aug. de Triait. L. V. c p.
n% LETTRE
Tout bien confîdéré , je crois, MonTef-
gneur, que le parti le plus fur que vous ayez i
prendre fur cet article & fur' beaucoup d'au-
tres , eft celui que vous avez pris avec M. de
Montazet, & par la même raifon.
Z.a mauvaife foi de routeur d'Emile rCeft pas
moins révoltante dans le langage qu'il fait tenir à
un Catholique prétendu. (6i) ,. Nos Catholiques ,'*
Sut fait -il dire, „ font grand bruit de Tauto-
3,, lité de l'Eglife : mais que gagnent-ils à cela,
„ s'il leur faut un auflî grand appareil de preu-
,, ves pour cette autorité qu'aux autres feifles
j, pour établir direélement leur doflrine? L'E-
^, gUfe décide que l'Eglife a droit de décider.
,, Ne voila-t-il pas une autorité bien prouvée?"
Ovj ne croiroit, M. T. C. F.^à entendre cet imtof-
teitr, que y autorité de l'Eglife n'efi prouvée que
farfes propres dècifions, ^ quelle procède ainft ;
je décide oue je fuis infaillible; donc je le fuis? im-
putation calomnieufe , M. T. C. F, Voila , Mon-
fei^Dcur , ce que vous affurez : il nous relie à
voij vos preuves. En attendant, oferiez-vous
biefi affirmer que les Théologiens Catholiques
n'ont jamais établi l'autorité de l'Eglife par
l'autori-té de l'Eglife , ut in fe virtualiter rcfle-
jfflw? S'ils l'ont fait, je ne les charge donc pas
d'une imputation calomnieufe.
(62) La confiitution du Chrifîîanifme , Vefprit
(«i) Manitmtnt in -4. p. I 5. iû-ï2. p. xsvw
^6t) Mékndtmtnf Ibid.
A M. DE BEAUMONT. ï±%
Ht r Evangile , tes eneurs mêmes ^ la foiblejfe de
yefprit humain tendent à démontrer que VEgliJe éta*
blie par Jéjus-Cbrift efi une Egîife infaillible.
Monfcîgneur, vous commencez, par nous pa-
ycr-là de mots qui ne nous donnent pas le chan*
ge : Les difcours vagues ne font jamais preuve »
& toutes ces chofes qui tendent à démontrer^
ne démontrent rien. Allons donc tout d'un cou]^
au corps de la démonflration : le voici.
Nous ajjûrons que comme ce divin Légijîaîeuf
a toujours enfeigné la vérité , fon Eglife l'enfeîgn$
aiifft touJQwrs (63).
Mais qui êtes -vous, vous qui nous affurer
cela pour toute preuve? Ne feriez-vous point
l'Eglife ou fes chefs? A vos manières d'argU'-
menter vous paroiffez compter beaucoup fur
l'alTiftance du Saint Efprit. Que dites -vous
donc, & qu'a dit l'Imp odeur ? De grtce, vo-
yez cela vous-mêmes ; car je n'ai pas le coura*
ge d'aller jufqu'au bout.
Je dois pourtant remarquer que toute la for-
ce de l'objeftion que vous attaquez fi bien , con-
fîfte dans cette phrafe que vous avez eu foin de
fupprimet à la fin du paflTage dont il s'agit. Sar*
tez de lài vous rentrez dans toutes nos dîjcnjjions (64),
En effet ,. quel eft ici le raifonnement <\\t
Vicaire? Pour choifir entre les Religions diver-
(63) Ibid : cet endroit mérite d'eue lu daas IcH^Acic*
Klcnt même.
(h; Emiie ToHit 13J. p. i6f.
f %
i?4 LETTRE
fcs, il faut, dit-il, de deux chofes l'une; ou en-
tendre les preuves de chaque Çtcïc & les com-
parer ; ou s'en rapporter à l'autorité de ceux
qui nous inftruifent. Or le premier moyen fup-
pofe des connoiflances que peu d'hommes font
CD état d'acquérir , & le fécond juflifie la cro-
yance de chacun dans quelque Reh^gion qu'il
Fiaifle. Il cite en exemple la Religion catholique
où l'on donne pour loi l'autorité de TEglife, &
il établit là-defTus ce fécond dilemme. Ou c'eft
l'Eglife qui s'attribue à elle-même cette autorité,
& qui dit; je décide que je fuis i?ifaillible ; donc
je le fuis: & alors elle tombe dans le fophifme
appelle cercle vicieux; Ou elle prouve qu'elle
a reçu cette autorité de Dieu ; & alors il lui
faut un auffi grand appareil de preuves pour
Biontrer qu'en effet elle a reçu cette autorité ,
qu'aux autres feftes pour établir direftement leur
^oftrine: Il n'y a donc rien à gagner pour la
facilité de l'inftruâion, & le peuple n'eft pas
.plus en état d'examiner les preuves de l'auto-
rité de l'Eglife chez les Catholiques, que la vé-
rité de la do^rine chez les Proteftans. Com-
•Hient donc fe déterminera- 1- il d'une manière
.laifonnable autrement que par l'autorité de ceux
qui l'inllruifent ? Mais alors le Turc fe déter-
-Diinera de même. En quoi le Turc eft-il plu«
coupable que nous ? Voila , Monfeigneur , le
't'aifonnement auquel vous n'avez pas répondu
A M. DE BËAUMONT. ilS
& auquel je doute qu'on puifTe répondre (55).
Votre franchife Epifcopale fe tire d'affaire eit
tronquant lepafTagede l'Auteur de mauvaife foi.
Grâce au Ciel j'ai fmi cette ennuyeuCe tâche.
J'ai fuivi pied-à-pied vos raifons, vos citations,
vos cenfures, & j'ai fait voir qu'autant de foij
que vous avez attaqué mon livre, autant d«
fois vous avez eu tort. Il refte le feul articla
du Gouvernement, dont je veux bien vous faire
grâce; très fur que quand celui qui gémit fur
les miferes dxi peuple, & qui les éprouve, eft
accufé par vous d'empoifonner les fources de
la félicité publique, il n'y a point de Lecteur
qui ne fente ce que vaut un pareil difcours. Si'
\e Traité du Contrat Social n'exiftoit pas , &
qu'il fallût prouver de nouveau les grandes vé-
rités que j'y développe, les complimens que
yous faites à mes dépens aux PuiiTances, fe-
roient un des faits que je citerois en preuve,
(6s) C'eft ici une de ces obje^îons terribles auxquel-
les ceux qni m'attaquent fe gardent bien de toucher. li
n*y a rien de fi commode que de repondre avec des in-
jures 6c de fiiintes de'clamations j on élude aifémcnt tout
ce qui cmbarrade. Aufli faut-il avouer qu'en fe chamail-
Jant entre eux les Tneologiens ont bien des rclTouroçs
qui leur manquent vis-à-vis des ignorans , ?c auxquelles
il^ faut alors fuppléer comme ils peuvent. Ils fe payent
icciproqueraent de mille fuppofirions gratuites qu'on
n'ofe récufer quand on n'a rien de mieux à donner foi-
même. Telle eft ici l'invention de je ne fais quelle foi-
infufe qu'ils obligent Dieu, pour les tirer d'affaire, de
tranfmettre du père à l'enfant. Mais ils réfcrvent ce jar-
gon pour difputer avec les Dofteursj s'ils s'en fcrvoicnt
avec nous autres profanes , ils auroient peur qu'on ne le
ïuoqrwt d'eux.
F 3
7te LETTRE
& le fort de l'Auteur en feroit un autre encore
plus frappant. Il ne me refte plus rien à dire
i cet égard ; mon feul exemple a tout dit , ôc
3a palfion de l'intërét particulier ne doit point
fouiller les vérités utiles. C'ell: le Décret contre
ma perfonne , c'ell mon Livre brûlé par le
bourreau, que je tranCuiets à la poftérité pour
fiieces juflificativcs r Mes fentimens font moins
bien établis par mes Ecrits que par mes malheurs^
Je VLEKs, Monfeigneur, de difcuter tout ce
que vous alléguez contre mon Li\Te. Je n'ai
pas laifTé paffer une de vos propofitions fans
examen ; j'ai fait voir que vous n'avez raiioii-
dans aucun point, & je n'ai pas peur qu'on rd-
fute mes preuves; elles font au-deflus de toute
réplique où règne le fcns commun.
Cependant quand j'aurois eu tort en quel-
ques endroits, quand j'aurois eu toujours toit,
quelle indulgence ne méritoit point un Livre
où l'on fent par-tout, même dans les erreurs.
Blême dans le mal qui peut y être, le fmcere
amoui du bien & le zèle de la vérité ? Un Li-
vre où l'Auteur , fi peu af&rmatif , fi peu d«^-
cifif, avertit fi Couvent fes ledeurs de fe déûer
^e fes idées , de pefer fes preuves , de ne leur
donner que l'autorité de la raifon ? Un Livre
qui ne refpirc que paix ,, douceur ,. patien-
ce , amour de l'ordre ,. obéiilànce aux Loix-
cn toute chofe,, & môme en matière de Re-
ligion ? Un Livre enfin où la caufe de la.
A M. DE BEAU M ont: 127
éivinité eft fi bien défendue, l'utilité de là Re^
ligion fi bien établie, où 'les mœurs font fi res-
peflées, oii l'arme du ridicule eH fi bien ôtée-^
au vice, où la méchanceté cil peinte fi peu'
fenfée, & la vertu fi aimable? Kh ! qUiind it
n'y auroit pas un mot de vérité dans cet ouvra-
ge , on en devroit honorer & chérir les rêve-
ries , comme les chimères les plus^ douces- qui
pulffent flatter & nourrir le cœur d'un homme-
de bieHc Oui, je ne crains point de k dire;"
î'il exifioit en Europe un feul gouvernemenf
vraiment éclairé , un gouvernement dont les
Vues fudent vraiment utiles d faines, il eût
rendu des honneurs publics à l'Auteur d'Emile 5.
il lui eût élevé des fi:atues. Je connoifTois trop'
les hommes pour attendre d'eux de la rêcôn-
noiffance; je ne les connoifibis pas afTez , je
l'avoue, pour en attendre ce qu'ils ont fait»
Apre's avoir prouvé que vous avez mal rai--
fonné dans vos cenfures , il me reiîe à prouver
que vous m'avez calomnié dans vos injures r
Mais puifque vous ne m'injuriez qu'en verta
des torts que vous m'imputez dans mon Livre,
montrer que mes prétendus torts ne font que
les vôtres , n'eft-ce pas dire alTez que les inju^
res qui les fuivent ne doivent pas- être pour'
moi. Vous chargez mon ouvrage des^ épithètes
les plus odieufcs , & mol je fuis un homme
abominable, un téméraire, un impie, un im-
î^oftcur. Charité Chrétienne , que vous avt;2
F 4
128 LETTRE
un étrange langage dans la bouche des Minfs-
tres de jéfus-Chrifl! '
Mais vous qui m'ofèz reprocher des biafphc--
mes, que faites-vous quand vous prenez les
Apôtres pour complices des propos ofFcnfans
qu'il vous plaît de tenir fr.r mon compte? A
vous entendre, on croiroit que Saint Paul m'a
fait l'honneur de fonger à moi, & de prédire
ma venue comme celle de TAntechrilL. Et conr-
ment l'a-t-il prédite, je vous prie? Le voici.
Qei^ le début de votre Mandement.
Saint Paul a prédit , 7nss très chers Frères,
qu'il viendroit des jours périlleux où il y auroit
des ge?is amateurs d'eux-mêmes , fiers, fuperbes,
hlafpbémateurs , impies , calomniateurs, enflés d'or-
gueil , amateurs des 'voluptés plutôt que de Dieu ;
des hommes d'un efprîî corrompu ^ perz-ertis dans
la foi ((56).
Je N£ contefîe alTurément pas que cette pré-
diction de Saint Paul ne foit très-bien accom-
plie; mais s'il eût prédit, au contraire, qull
vicndroit un tems où l'on ne verroit point de
ces gens-là » j'auroîs été, je l'avoue, beaucoup,
plus frappé de la prédiélion, & fur- tout de
raccomplilTement.
D'apre's une prophétie fi bien appliquée,
vous avez la bonté de faire de moi un portrait
dans lequel la gravité Epifcopale s'égaye à des
antithèfes, & où je me trouve un perfonnage
(€6) Mandimr.î in-4. pag. 4- in- 12. p. xviu
A M. DE BEAUMONT. I2Q
fort plaifant. Cet endroit, Monfeigneiir, m'a
paru le plus joli morceau de votre Mandement.
On ne fauroit faire une fatire plus agréable,
m diffamer un homme avec plus d'efprit.
Dufe'ji de Verrsur , (Il eft vrai que j'ai pas-
fé ma jeunefTe dans vôtre Eglife.) il s'eft élevé
(pas fort haut,) un homme plein du langage de la
phîlofophie y (comment prendrois-je un langage
que je n'entends point?) fans être véritablement
philofopbe : (Oh ! d'accord : je n^afpirai jamais à ce
titre, auquel je reconnois n'avoir aucun droit;-
& je n'y renonce affurément pas par modeftie.)
ejprît doué d'ime multitude de connoijjances (J'ai
appris à ignorer des multitudes de chofes que
je croyois favoir.) qui ne Vont pas éclairé y (elles
m'ont appris à ne pas penfer l'être.) ^ qui onù
répandu les ténèbres dans les autres efprits : (Les
ténèbres de l'ignorance valent mieux que îâ
fàulTe lumière de l'erreur.) caractère livré aux
paradoxes d'opinions £f de conduite ; (Y a-t-il beau^
coup à perdre à ne pas agir & penfer comme
tout le monde?) alliant h /implicite des mœurs
avec lefafiedespenfées;ÇLd.ûmp\iclté des mœurs
élève l'ame; quant au faffe de mes penfées , je
ne fais ce que c''cfî.) le zèle des maximes antiques
avec la fureur d'établir des iiouveautés ; (Rien de'
plus nouveau pour nous que des maximes anti-
ques : il n'y a poiîit à cela- d'alliage, & je n'y
ai point mis de fureur.) robfcurité de la retraite
(naec le défir d'être co7inu de tout le inonde : (Mon-
F 5
rso LETTRE
fcigneur, tous voila comme les faifcurs de R<3-
liians, qui devinent tout ce que leur Héros s
dit & penfé dans fa chambre. Si c'eft ce défir
qui m'a mis la plume à la main , expliquez
comment-il m'eft venu û tard , ou pourquoi j'ai-
tardé fi longtems à le fatisfaire?) On l'a au tV
'oeStiver contre les fcknces qu'H culti'VQif; (CcU
prouve que je n'imite pas vos gens de Lettres ,
& que dans mes écrits l'intérôc de h vérité
inarche avant- le mien.) préconijer l'excellence de
VEvangile , (toujours & avec le plus vrai zèle.)
dont il diltruifoit les dogmes ; (Non , niais j'en
prêchois la charité, bien détruite par les Prê-
tres.) peindre la beauté des vertus qu'il tteignuit
dans Vame de fes Le^eurs. (Ames honnêtes, eft-
il vrai que j'éteins en vous l'amour des vertus!)
Il s'eji fait le Précepteur du genre humain
pour le tromper, le Moniteur public pour égarer tout
le monde , V oracle du Jîécle peur achever de le per*
are, (Je viens d'examiner comment vous avez
prouvé tout cela.) Dans un ouvrage fur Vinégi-
iité des cênditîons, (Pourquoi des conditions? ce
n'eft là ni mon fujet ni mon titre.) il avoit rab»
laiffé l'homme juf qu'au rang des bêtes; (Lequel
de nous deux l'élève ou l'abbaifTc , dans l'alter-
native d'être bête ou méchant?) dans une autrs
prodiiSfion plus ncente il avoit infinué le poijon de
la volupté ; (Eh ! que ne puis-je aux horreurs
de la débauche fubUituer le charme de la vo*
Upté l Maii ralTuxez-vous, Monfeigneur; voi
A M. DE BEAUMONT. j$î
riètres font à l'épreuve de l'Héloifci ils ont
pour préfervatif rAloïfia. ) Dans celui-ci^ il
s'empare des premiers momens de l'homme afin d'é'
îablir Ç empire de Virréli^wh (Cette imputation
a déjà été examinée.)
Voila, Monfeigneur, comment vous me trai-
tez, & bien plus cruellement encore; moi que
TOUS ne connoiffez point, & que vous ne jugez
que fur des ouï dire. Eft-ce donc U la morale
de cet Evangile dont vous vous portez pour le
défenfeur ? Accordons que vous voulez pré-
ferver votre troupeau du poifon de mon Li-
vre; pourquoi des perfonnalités contre l'Au-
teur? J'ignore quel effet vous attendez d'une
conduite fi peu chrétienne, mais je fais que
défendre fa Religion par de telles armes , c'eil
la rendre fort fufpefte aux gens de biea.
Cependant c'eft moi que vous appeliez té*
méraire. Eh! commenr ai-jc mérité ce nom,-
en ne propofant que des doutes , & même avec"
tant de réferve;en n'avançant que des raifons,.
& môme avec tant de refpeft, en n'attaquant
perfonne, en ne nommant perfonne? Et vous ,
Monfeigneur, comment ofez-vous traiter ainfî
celui dont vous parlez avec fî peu de juflice
& de bienféance , avec li peu d'égard, avec-
tjant de légèreté ?
Vous me traitez d'impie ; & de quelle impié-
té pouvcz-vous m'accufer, moi qui jamais n'ai
parlé de l'Etre fupr^me que pour lui rendre U
132 LETTRE
gloire qni lui efl due, ni du prochain que pour
porter tout le inonda à Taiiner? Les impies
font ceux qui profanent indignement la caufe
de Dieu en la faifant fervîr aux pafîîons des
homme?. Les impies font ceux qui , s'ofant
porter pour interprètes de la divinité, pour ar-
bitres entre elle & les hommes, exigent pour
eux-mêmes les honneurs qui lui fonr dus. Les
impies font ceux qui s'arrogent le droit d'exer-
cer le pouvoir de Dieu fur la terre. & veulent
"ouvrir & fermer le Ciel à leur gré. Les im.pics
■font ceux qui font lire des Libelles dans les
Eglifes A cette idée horrible tout mon
fang s'allume, ce des ISrmes d'indignation cou-
lent de mes yeux. Prêtres du Dieu de paix,
vous lui rendrez compte un jour, n'en doutez
pas , de l'ufage que vous dfez faire de fa maifon.
Vous mp traitez dTmpofteur I & pourquoi ?
Dans votre manière de penfer, j'erre; mais où
eft mon impoflure? Raifonner & fe tromper ;
clî-ce en impofer ? Un fophifte même qui
trompe fans fc tromper n'eft pas un impofteur
encore, tnnt qu'il fe borne à l'autorité de la
raifon, quoiqu'il en abufe. Un impofteur veut
tue cru fur fa parole, il veut lui-même faire
autorité. Un impofl'eur eft un fourbe qui veut
en impofer aux autres pour fon profit, & où
efl: , je vous prie, mon profit dans cette af-
faire? Les impoltcurs font, félon Ulpien, ceux
q^ui font des prciligcs, des imprécations, des
A M. DE BEAUMGNT. 133
cxorcifmes : or afflirément je n'ai jamais rien
fait de tout cela.
Que vous difcourez à votre aife, vous au-
tres hommes conflitués en dignité ! Ne re-
connoiffant de droits que les vôtres , ni de
Loix que celles que vous impofez , loin de
vous faire un devoir d'être juftes , vous ne
vous croyez pas môme obligés' d'être humains.
Vous accablez fièrement le foible fans répon-
dre de vos iniquités à perfonne: les outrages
ne vous coûtent pas plus que les violences ;
fur les moindres convenances d'intérêt ou d'é-
tat, vous nous balayez devant vous comme la
pouflîere. Les uns décrètent & brûlent, les au-
tres diffament & deshonorent fans droit , fans
raifon, fans mépris, même fans colère , uni-
quement parce que cela les arrange, & que
l'infortuné fe trouve fur leur chemin. Quand
vous nous infultez impunément, il ne nous eft
pas même permis de nous plaindre, &; fi nous
montrons notre innocence & vos torts , on nous
accufe encore de vous manquer de reipeifl:.
Monseigneur , vous m'avez in fuite publi-
quement : Je viens de prouver que vous m'avez
calomnié. Si vous étiez un particulier comme
moi, que je pulTe vous citer devant un Tribu-
nal équitable , & que nous y comparuilîons tous
deux , moi avec mon Livre , & vous avec votre
Mandement; vous y feriez certainement décla-
ré coupable, & condamné à me faire une ré-
134 LETTRE A M. DE BEAUMONT.
paration auflTi publique que l'ofFcnfe l'a etc.
Mais vous tenez un rang où l'on efl: difpenfé
d'être ]ufte;& je ne fuis rien. Cependant, vous
qui profeflfez l'Evangile; vous Prélat fait pour
apprendre aux autres leur devoir, vous favez
le vôtre en pareil cas. Pour moi , j'ai fait le
mien, je n'ai plus rien à vous dire, & je me
tais.
Daignez, Monfeigneur, agréer mon pro-
fond refped.
A M6tiers le i8.
Novembre 1762.
J. J. ROUSSEAU,
^^o^^:)^'-^^:!^:^^
^^>
L
AVIS de r Imprimeur^
L'Auteur de cet Ouvrage ne s'étant pas trou-
vé à portée de revoir les épreuves , on
ne doit point lui attribuer les fautes qui
peuvent s'y être gliffées malgré tous iness
ioins pour U çorreélion.
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