Skip to main content

Full text of "Jean Jaques Rousseau, citoyen de Genève, a Christophe de Beaumont, Archevêque de Paris .."

See other formats


'•ri 


Nr 


^ 


\  '^^:^ 


.4.^<-     I    lllil      V 


4' 


JEAN  JAQUES  ROUSSEAU,. 

CITOTEN  DE    GENÈFE, 
A 

CHRISTOPHE  DE  BEAUMONT,. 

Archevêque  de  Farts ,  Bue  de  S'.  Cloudy 
Pair  de  France ,  Commandeur  de 
rOrdre  du  S',  Efprît  y  Frovifeur 
de  Sorbonney.  iSc 

Da  veniam  fl  quid  liberius  dixi,  non  ad  con-* 
nimeliam  tuam,  fed  ad  defenfionem  meam, 
Prsfumiî  enim  de  gravitate  &  pmdentiâ  tua, 
quia  potes  confiderare  quantam.  mihi  res- 
pondendi  neceOîtatem  impofueris. 

Jug.  Epift,  22'àad  Pàfcentr 


^  ®^ 

jê    j^  M  S  7  E  n  D  ^  M, 

fiiez    MARC     MICHEL     R  B  Y, 

MDCCIJS:  IIJ, 


A    R    R    E    s    T 

DE    LA    COUR 

DE  PARLEMENT, 

QUI  condamne  un  Imprimé  ayant  psur  titre  ^  Emile, 
ou  de  l'Education  ;  par  J.  J.  Roufifeau ,  impri- 
mé  à  la  Haye....  m.  dcc.  lxii.  à  être  lacéré  ^ 
hrûlé  par  l'Exécuteur  de  la  haute  Jujlice. 

EXTRAIT  DES  REGISTRES  DV  PARLEMENr, 

Du  9  Juin  1752, 

V-vE  jour,  les  Gens  du  Roi  font  entrés ,  & 
Me.  Orner -Joly  de  Fleury,  Avocat  dudic  Sei- 
gneur Roi ,  portant  la  parole,   ont  dit  : 

Qu'ils  déféroiel]t  à  la  Cour  un  Imprimé  en 
quatre  volumes  în-oQavo  ,  intitulé:  Emile,  ou 
de  r  Education  f  par  J^.  J,  RouJJeaUy  Citoyen  de 
Genève  y  dit  Imprimé ,  à  la  Haye  en  M.  DCC.  LXIL 

Que  cet  ouvrage  ne  paroît  compofé  que  dans 
la  vue  de  ramener  tout  à  la  Religion  naturclU, 
&  que  l'Auteur  s'occupe  dans  le  plan  de  l'Edu- 
cation qu'il  prétend  donner  à  fon  Elevé ,  à  dé- 
velopper ce  fyflême  criminel. 

Qu'il  ne  prétend  inilruire  cet  Elevé  que  d'a- 
près la  nature  qui  efl  fon  unique  guide,  pour 
former  en  lui  l'homme  moral;  qu'il  regarde  tou- 
tes les  Religions  comme  également  bonnes  & 
comme  pouvant  toutes  avoir  leurs  raifons  darfâ 


lî     A  R  R  E  s  T    D  E    L  A    C  O  U  R 

le  climat,   dans  le  Gouvernement,   dans  le  gé 


nie  du  peuple,  ou  dans  quelqu' autre  caufe  lo- 
cale qui  rend  l'une  préférable  à  l'autre,  félon 
1^3  tems  &  les  lieux. 

Qu'il  borne  l'homme  aux  connoiiïances  que 
rinltinft  porte  à  chercher  ,  ilate  les  paflîons 
comme  les  principaux  inflrumens  de  notre  con- 
fervation  ,  avance  qu'on  p.cut  être  fauve  fans 
croire  en  Dieu ,  parce  qu'il  admet  une  ignoran- 
ce invincible  de  la  Divinité  qui  peut  excufer 
l'homme;. que  félon  fes  principes,  la  feule rai- 
fon  cil  juge  dans  le  choix  d'une  Religion  ,  laif- 
fant  à  fa  difpofition  la  nature  du  culte  que 
l'homme  doit  rendre  à  l'Etre  fuprêrac  que  cet 
Auteur  croit  honorer,  en  parlant  avec  impiété 
du  culte  extérieur  qu'il  a  établi  dans  la  Reli- 
gion ,  ou  que  TEglife  a  prefcrit  fous  ladireclion 
de  l'Efprit-Saint  qui  la  gouverne. 

Que  conféquemment  à  ce  fyfteme,  de  n'ad- 
mettre que  la  religion  naturelle,  quelle  quelJe 
foit  chez  les  difFérens  peuples,  il  ofe  eîTayer 
de  détruire  la  vérité  de  l'Ecriture  Sainte  &  des 
Prophéties ,  la  certitude  des  miracles  énoncé? 
dans  les  Livres  Saints ,  l'infaillibilité  de  la  ré- 
vélation, l'autorité  de  lEglife,  &  que  ramenant 
tout  à  cette  Religion  naturelle,  dans  laquelle  il 
n'admet  qu'un  culte  &  des  loix  arbitraires ,  il 
entreprend  de  juftifier  non-feuIcment  toutes  les 
Religions,  prétendent  qu'on  s'y  fauve  in diftinc- 
tement,  mus  laême  l'inâdelité  ôc  la  léilûaRce 


DE     P  A  H  L  E  IM  E    N  T.      m 

^s  tout  homme  à  qui  l'on  voudroit  prouver  la 
divinité  de  Jéfus-Chrift  &  l'exiftence  de  laReli. 
gion  Chrétienne ,  qui  feule  a  Dieu  pour  auteur , 
&  à  regard  de  laquelle  il  porte  le  blafphême 
juCques  à  la  donner  pour  ridicule,  pourcpntra- 
di6]:oire,&  à  infpirer  une  indifférence  facrilège 
pour  fes  myfteres  &  pour  fes  dogmes  qu'il  vou- 
droit pouvoir  anéantir. 

Que  tels  font  les  principes  impies  &  détefta- 
bles  que  fe  propofe  d'établir  dans  fon  Ouvrage 
cet  Ecrivain  qui  foumet  la  Religion  à  l'examen 
de  la  raifon  ,  qui  n'établit  qu'une  foi  purement 
humaine ,  &  qui  n'admet  de  vérités  &  de  dog- 
mes en  matière  de  Religion ,  qu'autant  qu'il 
piaît  à  l'efprit  livré  à  fes  propres  lumières,  ou 
plutôt  à  fes  égaremens,  de  les  recevoir  ou  de 
les  rejetter. 

Qu'à  ces  impiétés  il  ajoute  des  détails  indé- 
cens,  des  explications  qui  bleiïent  labienféance 
&  la  pudeur ,  des  propofîtions  qui  tendent  à 
donner  un  caraflere  faux  &  odieux  à  l'autorité 
fouveraine,  à  détruire  le  principe  deTobéiiTan- 
ce  qui  lui  efl  due ,  &  à  afFoiblir  le  refpect  & 
l'amour  des  peuples  pour  leurs  Rois. 

Qu'ils  croyent  que  ces  traits  fafîjfent  pour 
donner  à  la  Cour  une  idée  de  l'Ouvrage  qu'ils 
lui  dénoncent  ;  que  les  maximes  qui  y  font  ré- 
pandues forment  par  leur  réunion  un  fyfleme 
chimérique,  aufîî  impraticable  dans  fon  exécu- 
tion ,  qu'abfurde  &  condamnable  dans  fon  pro* 


tr     ARRESTDELACOUR 

>et.  Que  fer  oient  d'ailleurs  des  Sujets  élevés 
dans  de  pareilles  maximes ,  finon  des  hommes 
|:>rcoccupc's  du  fepticifme  &  de  h  tolérance,  a- 
bandonnés  à  leurs  pallions,  livrés  aux  plaifirs 
des  fcns,  concentrés  en  eux-mêmes  par  l'amour 
propre,  qui  ne  connoitroient  d'autre  voix  que 
celle  de  ia  nature ,  &  qui  au  noble  defir  de  ia 
folide  gloire,  fubflitueroient  la  pernicieufe  ma- 
nie de  la  (îîigularité?  Quel>  règles  pour  les 
mœurs  î  Quels  hommes  pour  la  Religion  &  pour 
l'Etat,  que  des  enfans  élevés  dans  des  principes 
<3ui  font  également  horreur  au  Chrétien  &  au 
Citoyen! 

Que  l'Auteur  de  ce  Livre  n'ayant  point  craint 
de  fe  nommer  lui  même,  ue  fçauroit  être  trop 
promptement  pourfuivi  ;  qu'il  cil  important, 
puifquil  s'efl  fait  connoître,  que  la  Jullice  fc 
mette  à  portée  de  faire  un  exemple  tant  fur  l'Au- 
teur que  fur  ceux  qu'on  pourra  découvrir  avoir 
concouru  foit  à  l'imprefllon  ,  foit  àladillribution 
d'un  pareil  Ouvrage  digne  comme  eux  de  toute 
fti  févérité. 

Que  c'eft  l'objet  des  Conclurions  par  écrit 
qu'ils  laiiTent  à  la  Cour  avec  un  Exemplaire  du 
Livre  ;  &  fc  font  les  Gens  du  Roi  retirés. 

Eux  retirés  : 

Vu  le  Livre  en  quatre  Tomes  in-S*".  intitulé: 
Emile,  ou  de  i  Education  »  par  y.  J.  Roujfcau, 
Ci^ojcndc  Csucvs.  Sunabilibusa^iîrocamusmalis  ; 


DE    PARLEMENT.         f 

ipCaque  nos  in  reclum,  natura  genitos ,  fi  eraeiï^ 
dari  velimus  juvat.  Senec.  de  Ira,  Lib.  XL  cap^ 
XIII.  tom.  1 ,  2  ,  j  ^i  4..  A  la  Hays ,  chezjsars' 
Néanlme^  Libraire  y  avec  Privilège  de  Nos  Seigneurs' 
les  Etats  de  Hollande  (^  IVejlfrife,  Conclu  fions- 
du  Procureur  Général  du  Roi  ;  oui  le  Rapport; 
de  M^  Pierre-François  Lcnoir,  Confeilier;.  la 
matière  mîfe  en  délibération  : 

LA  COUR  ordoiine  que  ledit  Livre  impri- 
mé, fera  lacéré  ôcbrûlé  en  la  Cour  duPabis,  au;, 
pied  du  grand  Efcali-er  d'icelui ,.  par  l'Exécuteur 
de  îâ  Hau-te-Jufiice  ;  enjoint  à  tous  ceux  qui  ea? 
ont  des  Exemplaires ,  de  les  apporter  au  Greffe; 
de  la"  Cour,  pour  y  être  fupprimés;  fait  très- 
exprelTes  inhibitions- &  defenfes  à  tous  Libraires 
d'imprimer,  vendre  &  débiter  ledit  Livre,  & 
à  tous  Colporteurs ,  Diftributeurs-  ou  autres  ds 
le  colporter  ou  di'ftribuer,  à' peine  d'être  pour- 
fuivis  extraordinairenvent ,  &  punis  fuivant  la; 
rigueur  des  Ordonnances.  Ordonne  qu'à  la  Re- 
quête du  Procureur  Généra!  du  Roi ,  il  fera  in- 
formé pardevant  le  Confeiller-Raporteur  ,  pour 
les  Témoins  qui  fe  trouveront  à  Paris ,  &  par- 
devant  les  Lieutenans  Criminels  des  Bailliages 
&..  Sénéchauflees  du  RefTort ,.  pour  les  Témoins 
qui  feroient  hors  de  ladite  Vilk,  contre  les 
Auteur,  Imprimeurs  ou  Diffcributeurs  dudit  Li- 
vre; pour,  les  informations  faites ,  rapportées 
&  communiquées  au  Procureur  Général  du  Roi,.. 
4tre  par  Lui  requis  6:  par  1ï  Cour  ordonné  ce 


VI  ARREST  DE  LA  COUR  DE  PARLEAT, 

qu'il  cppartieadra  ;  &  cependant  ordonne  que- 
le  nomme  J.  J.  RoulTeau ,  dénommé  auFrontil^ 
pice  dudic  Livre,  fera  pris  cv  appréhendé  au 
corps,  tc  amené  es  Prifons  de  la  Conciergerie 
du  Palais,  pour  être  oui  &  interrogé  pardevant 
ledit  Confeiller- Raporteur,  fur  les  faits  dudic 
Livre,  &  répondre  aux  Conckifions  quclePro- 
cureur  Général  entend  prendre  contre  lui  ;  & 
ou  ledit  J.  J.  RoufTeau  ne  pourroit  être  pris  & 
appréhendé,  après  perquifition  faite  de  fa  per- 
fonne,  alîigné  à  quinzaine,  fes  biens  fains  & 
annotés,  oc  à  iceux  Commiilaircs  établis ,  juf- 
qu'à  ce  quil  ait  obéi  fuivanc  l'Ordonnance;  &■ 
à  cet  effet  ordonne  qu'un  Exemplaire  dudit  Li- 
vre fera  dépofé  au  Greffe  dé  la  Cour ,  pour 
fervir  â  l'inflruflion  du  Procès.  Ordonne  en 
outre  que  le  préfent  Arrêt  fera  impfimé,  publié 
&.  affiché  par-tout  où  bcfoin  fera.  Fait  en  Par- 
lement, le  9  Juin  mil  fept  cent  foixante  -  deux» 

Signé,   DUFRANC. 

Et  le  Vendredi  il  Juin  1762  ,  ledit  Ecrit  vien» 
tienne  ci  -  dejjus  a  été  lacéré  ^  brûlé  au  pied  du 
grand  EJcalier  du  Palais  ^  par  VErécutcur  de  la 
Haute  Juftice  ,  en  préfence  de  vici  Etienne  •  Dago- 
lert  Tjabeau  ,  l'un  des  trois  principau':  Commis  pour 
la  Grand'  Chambre,   ajfifté  de  deux  lluijjiers  de  la 

Cour,  Signé,   YSABEAU. 

A*PAR1S,   chez   P.   G.  Simon,   Imprimeur  du 

Parlement,  rue  de  h  Harpe,  à  illcrcule. 
1:62. 


MANDEMENT 

DE     MONSEIGNEUR 

L'ARCHEVÊQUE 

DE    PARIS, 

PORTANT  condamnr.tion  d'un  Livre  qui  a 
pour  titre  :  Emile  ,  ou  de  V Education  ,pary,  y, 
Roujfeau,  Citoyen  de  Genève.  A  Amllerdara^ 
chez  Jean  Néaulme,  Libraire,   1762. 

Christophe  de  beaumont,   pnr  la 

Miféricorde  Divine,  ôc  par  la  grâce  du  ^ainC 
Siège  Apoftolique ,  Archevêque  de  Paris ,  Duc 
de  Saint  Cloud,  Pair  de  France  ,  Comman- 
deur de  l'Ordre  du  Saint  Efprit,  Provifeur  de 
Sorbonne,  &c.  A  tous  les  Fidèles  de  notre 
Diocefe  :  Salut  et  Be'njI  diction. 

Saint  Paul  a  prédit ,  mes  très- chers  Frè- 
res ,  qu'il  vi  en  droit  des  jours  périlleux  ou  il  > 
nuroît  des  gens  amateurs  d'eux-mêmes ,  fiers,  Ju- 
perhss  ,  hlafpbémateurs  ,  impies  ^  calomniateurs^ 
enflés  d'orgueil,  amateurs  des  '-j-duptés  plutôt  qne 
de  Dieu;  des  hommes  d'un  efprit  corrompu  £f  per- 
vertis  dans  la  Foi.  (a)  Et  dans  quels  temps  mal- 
heureux   cette  prédiftion   s'efl-elle  accomplie 

(a)  In  nodlïîmls  diebu^  inftabunt  tcmpora  periculofa  ; 
erunr  homines  feipfos  amantes...  clati,  luperbi,  blafphe- 
mi...  fcôicfti...  ciiminàtores  ..  ti?ra;di  &  voluptatum  ama- 
tores  magis  quam  Dei..  hcmines  coiiupii  rnenic  2c  iC« 
psobi  ciica  fideni.  2.  T///7.  t.  3.  -c.  i.  4.  ï. 

*  4- 


TBï  -MANDEMENT. 

plus  à  la  lettre  que  dans  les  nôtres!  L'incrcf- 
duiité  enhardie,  par  toutes  les  paffîons  ,  le 
pré  fente  fous  toutes  les  formes ,  afin  de  fe  pro- 
poïtionner,  en  quelque  forte  y  à  tous  les  âges, 
à  tous  les  caraéleres ,  à  tous  les  états.  Tantôt  » 
pour  s'inlinuer  dans  des  efprits  qu'elle  trouvée 
déjà  enfcrcelés  par  la  bagatelle  ,  Çb)  elle  emprun- 
te un  llyle  léger,  agréable  &  frivole  :  de-làr 
ta-nt  de  Romans  également  obfcènes  &  impies , 
dont  le  but  eft  d'amufer  l'imagination ,  pour 
•féduire  l'efprit  &  corrompre  le  cœur.  Tantôt, 
afFeftant  un  air  de  profondeur  &  de  fubi imité. 
dansies  vues,  elle  feint  de  remonter  aux  pre- 
Bîiers  principes  de  nos  connoiffances ,  &  pré- 
tend s'en  autorifer,  pour  fecouer  un  joug  qui» 
félon  elle,  deshonore  l'humanité,  la  Divinité 
même.  Tantôt  elle  déclame  en  furieufe  contre 
le  zèle  de  la  Religion,  &  prêche  la  toléranca. 
imiverfelle  avec  emportement.  Tantôt  enfin, 
leuniHant  tous  ces  divers  langages ,  elle  mêle 
le  féritux  à  Tenjoueraent ,  des  maximes  pures 
à  d^s  obfcénités  ,  de  grandes  vérités  à  de  gran- 
des erreurs,  la  Foi  au  blafphême;  elle  entre- 
prend, en  un  mot,  d'accorder  la  lumière  avec 
les  ténèbres,  Jefus-ChrilLavec  Bélial.  Et  tel 
cil  fpjcialement,  M.  T.  C.  F.,  l'objet  qu'on  pa- 
ïoît  s'être  propofé  dans  un  Ouvrage  récent,, 
qui  a  pour  titre;  EMILE  ou  de  l'Education. 
Du  fein  de  l'erreur,  il  s'eft  élevé  un  homme 
(t)  fiAfcinatio  Bugaciiatis  obrcuiat.  bona.Srt/.  c  4.  v.  iz.. 


M  A  N  13  2  M  E  ^  T;.  m 

piciîi  du  langage  de  h  Philofophie,  fans  être' 
Véritablement  Fhilofophe  :  efiM-it  doué  d'une 
multitude  de  connoriTa-nces  qui  ne  l'ont  pas-' 
éclairé ,  &  qui  ont-  répandu  des-  ténèbres  dans- 
ks  autres  efprits  :  c'à\a6tere  livré  aux  parado- 
xes d'opinions  &  de  conduite;  alliant  la  fim* 
plicité  de5  mreurs^  avec  le  fafte  des  penfées  ; 
le  zèle"  des  maximes  antiques  avec  la  fureur 
d'établir  der.  nouveautés  ,  l'obfcurité  de  la  re* 
traite  avec  le  defir  d'être  connu  de  tout  le- 
monde  :  on  l'a  vu  invectiver  ,  contre  les  fcien- 
ces  qu'il  cultivoit;  préconifer  l'excellence  de 
î'ÎLvangilc,  dont  il  détrtiifoit  les  dogmes  ;  pein-- 
dre  la  beauté  des  vertus  qu'il  étcig-noit  darvS' 
l'amc  de  Çqs  Lccleurs.  Il  s'eft  fait  le  Précep- 
teur du  genre  humain  pour  le  tromper,  la  Mo- 
niteur public  pour  égarer  tout  le  monde,  PO^ 
racle  du  fiecle  pour  achever  de  le  perdre.  Dant 
un  Ouvrage  fur  l'inégalité  des  conditions ,-  il 
avoit  abaiiTé  l'homm.e  jufqu'au  rang  des^  bêtes  ;: 
dans  une  autre  prodidion  plus  récente,  il  a- 
voit-  infinué  le  poifon  de  la  volupté  en  paroi f*- 
fant  le  profcrire:  dans  celui-ci,  il  s'empare 
des  premiers  momens  de  l'homme,  afin  d'éta- 
blir  l'empire  de  l'irréligion. 

Quelle  er.trcprlfe,  M.  T.  G.  F.!  Téducation^ 
de  la  jeujieflfe  eft"  un  des  objets  les  plus  im^ 
pcvrtants  de  la  folUcitudè&du  7>el&  des  PafVeursv. 
Nous  favons  que,  pour  réformer  le  monde, 
autant  que  le  permetteiu  la  foiblelTe  6c  la.  cor- 


X  ]\i  A  N  D  E  ^î  E  N  T. 

i-uption  de  notre  nature,  il  fuffiroit  d'obfcrver 
fous  la  direction  &  l'impreflion  de  la  grâce  les' 
premiers  rayons  de  la  raifon  humaine,  de  les 
•faifir  avec  foin  &  de  les  diriger  vers  la  route 
qui  conduit  à  la  vérité.  Par-là  ces  cfprits ,  en- 
core exempts  de  préjugés  ,  feroient  pour  tou- 
jours en  garde  contre  l'erreur;  ces  cœurs,  en- 
core exempts  de  grandes  paHions,  prendroicnt 
les  impreiîîons  de  toutes  les  vertus.  Mais  à 
qui  convient-il  mieux  qu'à  nous  &  à  nos  Coo- 
pérateurs  dans  le  faint  Miniilerc ,  de  veiller 
ainfi  fur  les  premiers  moments  de  la  jeuncfle 
Chrétienne;  de  lui  dillribuer  le  lait  fpiritucl 
de  la  Religion  ,  afin  quHl  crcljje  pour  le  Jnlut;  (c) 
de  préparer  de  bonne  heure,  par  de  lalutaires 
leçons ,  des  Adorateurs  fincercs  au  vrai  Dieu  ,  des 
Sujets  fidèles  au  Souverain,  des  Hommes  dignes 
d'être  la  reiïburce  &  l'ornement  de  la  Patrie? 

Or ,  M.  T.  C.  F.  l'Auteur  d'E^iLâ  propolo 
\m  plan  d'éducation  qui ,  loin  de  s'accorder  a- 
V€C  le  Chrifrianifme,  n'eO:  pas  même  propre  à 
former  des  Citoyens ,  ni  des  Hommes.  Sous  le 
vain  prétexte  de  rendre  l'homme  à  lui-même, 
&  de  faire  de  fon  élevé  Péleve  de  la  nature, 
il  mec  en  principe  une  AfTertion  démentie, 
non-feulement  par  la  Religion,  mais  encore 
par  l'expérience  de  tous  les  Peuples,  &  de  tous 
les  temps.    Pofo?is,   dit-il ,  pour  maxime  incontej- 

(♦)  Sicut  modo    geniti   Infantes,  raiionabilc  fine  dolo 
Itc  coucupilcite  :  ut  in  eo  cielcaus  in  laiucem.  i.P^r.c.  2. 


M  A  N  D  E  M  E  K  T.  xi 

tâhli  y  ojie  les  premiers  mouvemens  de  la.  naturs 
Joui  tiujours  droits  :  il  n'y  a  point  de  peî'verfité  o-» 
rïginelle  dans  le  c(tur  humain,  A  ce  langage  on 
ne  reconnolc  point  la  do'ctrine  des  faintcs  E- 
Giitures  &  de  l'EgUR',  toiichanc  la  révolution 
qui  •  s'efl  faite  dans  notre  nature.  On  perd  de 
vue  le  rayon  de  lumière  qui  nous  fait  connoî- 
tre  le  myflere  de  notre  propre  ,cœur.  Oui,, 
M.  T.  C.  F,  il  le  trouve  en  nous  un  mélange 
frappant  de  grandeur  &  de  bafTefTe,  d'ardeur 
pour  la  vérité  &  dégoût  pour  Terreur,  d'in- 
clination pour  la  vertu  &  de  penchant  pour  Iq 
vice:  étonnant  contraflc,  qui,  en  déconcertant 
la  Philoiophie  Payenne,  la  laifTe  errer  dans  de 
vaines  fpéculations  !  contraft'e  dont  la  révéla- 
tion nous  découvre  la  fource  dans  la  chute  dé- 
plorable de  notre  premier  Père!  L'homme  fe- 
fent  entraîné  par  une  pente  funefle,  &  com- 
ment fe  roidiroit-il  contre  elle,  fi  Ton  enfance 
n'étoit  dirigée  par  des  Maîtres  pleins»  de  vertu, 
de  iagelle,  de  vigilance;  &  11,  durant  tout  le 
cours  de  fa  vie,  il  ne  faifoit  lui-même,  fous 
la  protection,  &  avec  les  grâces  de  fon  Dieu, 
des  efforts  puifTants  k  continuels?  Hélas!  M. 
T.  C.  F.  malgré  les  principes  de  l'éducation  la 
plus  faine  &  la  plus  vertueufe  ;  m.algré  les  pro- 
anefTes  les  plus  magniriques  de  la  Religion,  6c 
les  menaces  les  plus  terribles,  les  écarts  de  la 
jçunelTe  ne  font  encore  que  trop  fréquents, 
trop  multipliés;  dans  quelles  erreurs^  dans  quel* 
-^  6 


în  M  A  N'  D  K  M-  E-  N"  T,. 

excès ,  abandonnée  à  elle-même,  ne  fe  précipite- 
jroit-clle  donc  pas  ?  C'cll:  un  tondent  qui  fe  débor- 
de malgré  les  digues  puilTantes-  qu'on  lui  avois 
©ppofées  :  que  feroi^ce  donc  fi  nul- obflacle  ne 
fufpendoit  Tes  flots,  &  ne  rompoic  Tes  efforts? 

L'Auteur  d'EMiLE ,  qui  ne  reconnoîD  aucune 

Religion,   indique  néanmoins,,  fans  y  penfer, 

la  voie   qui    conduit   infailliblement   à  la  vraie 

Religion.  Nous ,  dit-il ,   qui  ne  voulons  rien  doii- 

ner  à  Vauîoriîi  ;  nous ,    qui  ne  'venions  rien  enfei- 

gner ,  à  ncîre  Emile,   qu'il  ne  pût  comprendre  d  s 

lui-même  par  tout  pays,,  dans  quelle  Religion  Vêle' 

ierons-7ious  ?  à  quelle  S'-eSle  aggrdgejvns  noiis  l'Eleie 

de  la  rMure  ?  Nous  ne  Vaggrég^rons^   ni  à  celle-ci  y 

ni  à  celle  là  ;  nous  le  mettro:is  &n  état  de  choifir  celle 

eii  le  meilleur  v.Jage  de  la  raijon  doii  le  cenduirc. 

Plût  à  Dieu  ,  M.  T.  C.  F.  que  cet  objet  eût  été 

bien  rtmplii  Si  l'Autcureut  réellement  mis  fc% 

Elevi  en  itaî  de  cbdiftr,  entr-e  toutes  les  Religions, 

ctlls  où- le  Tneiileur  ufage  de  laraifon  doit  condui* 

re  t  ii   ^^'^û^  imnianquablement   préparé  aux  le> 

çons    du   ChrJtianifine.    Car,.  M.   T.   C.  F.  la 

lumière   naturelle  conduit  à-  U  liiiniere  évaugé- 

lique;  &  le    culte   Chrétien  eft  euentiellement 

un  culte  raifomiahle.  (^d)  En  effet,  fi  le.  meilUiit 

vfage  de  notre  raijon  ne  dcvoit  pas  nous  condui? 

re  2  la  révélation  chrétienne,   notre  Foi  feroit 

■v-aln^  ,.    nos    efpéranccs   feroient    chimériques^ 

^îiiis   comiiient  ce   meilleur  ufage   de  "la  raifon 

•    («y  Swnvioftabile  obfçtj^uiiijn  vcûiuai,  T{6m^  c  li.  v.'  ^ 


51  A  N  D  E  M  E  N  T.         mt 

ffous.  conduit  il  au  bien  ineftimable  de  la  Foi  ,- 
&  delà  au  terme  précieuK  du  falut?  C'eft  â  la 
ïaifon  elle-même  qu«  nous  en  appelions.  Dès- 
qu'on  reconnoît  un  Dieu,  il  ne  s'agit  plus  que-- 
de  fçavoir  s'il  a  daigné  parler  aux  hommes , 
autrement  que  par  les  imprefîions  &e  h  nature;- 
11  faut  donc  examiner  fi;  les  faits,  qui  confia- 
tent  la  révélation ,  ne  font  pas  fupérieurs  à 
tous  les  efforts  de  la  chicannc  la  plus  artifi* 
Gieufe.  Cent  fois  l'incrédulité  a  tâché  de  les 
détruire  ces  faits ,  ou  au  moins  d'en  affoibli? 
les  preuves;  &  cent  fois  fa  critique  a  été  con* 
vaincue  d'impuilïance.Dieu ,  par  la  révélation, 
s'eft  rendu  témoignage  à  lui- même;  &  ce  té- 
moignage eu  évidemment  très-digne  de  foi.  (e) 
Que  refte-t-il  donc  à  l'homme  qui  fait  îe  meil^ 
leur  ujage  de  fa  rai/on,  fmon  d'acquiefcer  à  es 
témoignage  ?  CcH  votre  grâce  .  ô  mon  Dieu  1: 
qui  confomme  cette  œuvre  de  lumière;  c'eft 
elle  qui  détermine  la  volonté ,  qui  forme  l'a^ 
me  chrétienne;  mais  le  développement  des 
preuves,  &  la  force  des  motifs,  ont  préalable- 
ment occupé,  épuré  la  raifon  ;  &  c'eft  dans 
ce  travail,  auffi  noble  qu'indifpenfable,  que 
confifte  ce  meilleur  ufage  de  la  raifon  y  dont  l'Au- 
teur d'EMiLE  entreprend  de  parler  fansen  avoir 
une  notion  fixe  &  véritable. 

Pour   trouver  la  jsunefTe  plus  docile  aux  le- 
çons qu'il  lui  prépare,  cet  Auteur  veut  qu'elle 
(*;  TcfUmonia  îaa  cicdibilia  faaa  funt  mmls»  RCaL 


xir  M  A  N  D  E  M  E  N  T. 

foit  dénuée  de  tout  principe  de  Religion.  Et 
voilà  pourquoi,  félon,  lui,  counoîtr^  le  bien  ^ 
Ig'mal,  Jentir  la  raifoii.dçs  devoirs  de  l'hovime  ,. 
nejl  pas  l'affaire  a  un  enfant...  y  aimerais  autant, 
ajoute-t-il ,  exiger  quun  enfant  eût  cinq  pieds  de- 
haut  y   que  du  jugement  à  dix  ans. 

Sans  .doute,  M.  T.  C.  F.  que  le  jugement 
humain  a  fes  progrès ,  ce  ne  le  forme  que  par 
degrés.  Mais  s'enfuit-il  donc  qu'à  l'âge  de  dix. 
ans  un  enfant  ne  connoifTe.  point  la  différence 
du  bien  &  du  mai,  qu'il  confonde  la  fagelTe 
avec  la  folie,  la  bon-té  avec  la  barbarie,  la. 
yertu  avec  le  vice  ?  Quoi  !  à  cet  âge  il  ne  fen- 
tira  pas  qu'obéir  à  fon  père  eft  un  bien.:  qu2 
lui  défobéir  eft.un  mal!  Le.  prétendre,  M.  T.- 
e.  F.  c'ell  calomnier  la  nature  humaine,,  en 
lui  attribuant  une  ftupidité  qu'elle  n'a  point. 

,,  Tout  enfant  qui  croit  en  Dieu,  dit  encore 
j,  cet  -Auteur ,  efl:  Idolâtre  ou  Antropomorphite." 
Mais  s'il  eft  Idolâtre,  il  croit  donc  plufîeurs 
Dieux;  il  attribue  donc  la  nature  divine  à  des 
fimulacres  infenfibles  ?  S'il  n'efl  qu'Antropo- 
morphite,cn  reconnoiiïant  le  vrai  Dieu,  il  lui 
donne  un  corps.  Or  on  ne  peut  fuppofer  ni  Tuiî^ 
ni  l'autre  dans  un  enfant  qui  a  reçu  une  édu- 
cation chrétienne.  Que  fi  l'éducation  a  été  vi- 
cicufe  à  cet  égard,  il  eft  fouverainement  injuf- 
tc  d'imputer  à  la  Religion  ce  qui  n'eft  que  la 
faute  de  ceux  qui  l'enfeignent  mal.  Au  furplus, 
Tàge   de  dix  ans  n'eft  point  l'âge  d'un  PhilofO- 


51  A  N  D  E  M  E  N  T.  XT 

phc!  un  enfant,  quoique  bicvi  inftrult,  peut- 
s'expliquer  maf;  mais  en  lui  inculquant  que  la 
Divinité  n'eft  rien  de  ce  qui  tombe,  ou  de  ce 
qui  peut  tomber  fous  les  lens;  que  c'efl  une 
Intelligence  infinie,  qui  douée  d'une  PuifTance- 
fuprême ,  exécute  tout  ce  qui  lui  pKiît,  on  lut- 
donne  de  Dieu  une  notion  affortie  à  la  portée 
de  fon  jugement.  Il  n'ell  pas  douteux-  qu'urr 
Athée,  par  fes  Sophifmes,  viendra  facilement. 
à  bout  de  troubler  les  idées  de  ce  jeune  Cro^ 
yant  :  mais  toute  l'adrelTe  du  Sophifte  ne  fera- 
certainement  pas  que  cet  enfant,  lorfqu'il  croit 
cri  Dieu,  foie  Idolâtreoii  Antropomorphite;c'eû-'d-di^ 
re,  qu'il  ne  croyc  que  l'exillence  d'une  chimerec 
L'Auteur  Va  plus  loin,  M.  T.  C.  F.  il  n'ac- 
corde  pas  même  a  un  jeune  hmme  de  quinze  ans  ^. 
la  capacité  de  croire  en  Dieu,  L'homme  ne  fçau- 
ra  donc  pas  même  à  cet  âge,  s'il  y  a  un  Dieu,, 
ou  s'il  n'y  en  a  point  :  toute  ia  nature  aura^ 
beau  annoncer  la  gloire  de  fon  Créateur,  il 
n'entendra  rien  à  Ton  langage!  II  exifléra,  "fan» 
fçavoir  a  quoi  il  doit  fon  cxiflenee!  Et  ce  fera 
la  faine  raifon  elle-même  qui  le  plongera  dans 
ces  ténèbres!  C'eft  ainfi,  M.  T.  C.  F,  que  l'a- 
veugle iir.piété  vcudroit  pouvoir  obfcurcir  de 
fes  noires  vapeurs,  le  fiambeau  que  la  Religion 
préfente  à  tous  les  âges  de  la  vie  humaine.  Saint 
Auguftin  raifonnoit  bien  fur  d'autres  principes, 
quand  il  difoit,  en  parlant  des  premières  an- 
nées de  fa  jeunelTc.  ^,  Je  tombai  dùi  ce  tempS' 


Xyî  m  a  N  D  E  jM  E  N  t. 

,,  là,  Seigneur,  entre  les  mains  de  quelque?"*- 
y,  uns  de  ceux  qui  onc  foin  de  vous  invoquer  ;■ 
„  &  je  compris  par  ce  qu'ih  me  difoient  d* 
y,  vous,  &  félon  les  idées- que  j'étois  capable 
„  de  m'en  former  à  cet  âge-là,  que  vous  étiez 
„  quelque  chofe  de  grand,  &  qu'encore  que 
,,  vous  fafîîez  invifible,  &  hors  de  la  porcce- 
yy.  de  nos  fens,  vous  pouviez  nous  exaucer  &■ 
„  nous  fecourir.  Aullî  commençai-je  dès  moiï 
„  enfance  à  vous  prier,  &  vous  regarder  corn- 
„  me  mon  recours  &  mon  appui;  &  à  mefure- 
„  que  ma  langue  fe  dérrouoit ,  j'employois  feS' 
„  premiers  mouvements  à  vous  invoquer".- 
{Ub.  I.  Confejjf.  Cbap.  ix.) 

Continuons,  M.  T.  C.  F.  de  relever  les  pa- 
radoxes étranges   de  l'Auteur  d'EMïLE.     Après^ 
avoir  réduit  les  jeunes  gens  à  une  ignorance  fi 
profonde  par  rapport  aux  attributs  (Scauxdroirs 
de  la  Divinité,  leur  accordera- 1- il  du  moins  l'a^ 
vantage  de  fc  connoître  eux-mêmes  ?  Sçauront-- 
ils  fi  leur  ame  ell  une  fubftance  abfolumentdif- 
tinguée   de  la  matière?  ou   fe   regarderont-ils^ 
comme  des  êtres  purement  matériels  &  foumis 
aux  feules  loix  du  Méchanifme  ?  L'Auteur  dE- 
MILE  doute  qu'à  dix-huit  ans-,  il  foit  encore, 
temps  que  fon  Elevé  apprenne  s'il  a  une  ame  r 
il  penfe   que,   s'il   rapprend  pîutât  y   il  court  r  if" 
que   (le  ne  U  fpvoir  jamais,   ne  veut-il  pas  da 
moins  que  la  jeuncfTe  foit  fufceptible  delacon- 
jioiirance  de  fcs  devoirs?  non.  A  l'en  cioire-^ 


MANDEMENT.         xvn 

U  n'y  a  que  des  objets  ph'jfiques  qui  puijfent  inté- 
rejjer  les  enfans ,  fur-tout  ceux  dont  on  n'a  pas  e- 
veillé  la  vanité ,  èf  qu'on  n'a  pas  corrompus  d'à* 
vance  par  le  poifon  de  l opinion»  Il  veut,  en  con- 
féquence ,  que  tous  les  foins  de  la  première  é- 
ducation  foient  appliqués  à  ce  qu'il  y  a  dans 
l'homme  de  matériel  &  de  terreftre  :  Exercez^ 
dit-il,  Jon  corps,  fes  organes,  fes  Jens y  Jes  for^ 
ces;  mais  tenez  Jon  ame  oifive y  autant  qu'il  Je 
pourra,  C'eft  que  cette  oifiveté  lui  a  parue  né- 
cefTuire  pour  difpofer  l'ame  aux  erreurs  qu'il  fe 
propofoit  de  lui  inculquer.  Mais  ne  vouloir 
cnfeigner  la  fagelTe  â  l'homme  que  dans  le  temps- 
où  il  fera  dominé  par  la  fougue  des  paiïions 
naiffantes,  n'eft-ce  pas  la  lui  préfenter  dans  le 
delTein  qu'il  la  rejette  ? 

'  Qu'une  femblable  éducation ,  M.  T.  C.  F.  ^ 
cfl:  oppofée  à  celle  que  prefcrivent,.  de  concert , 
la  vraie  Religion  &  la  faine  raifon  ?  toutes  deu^ 
veulent  qu'un  Maître  fage  &  vigilant  épie,  en 
quelque  forte  dans  fon  Elevé  les  premières  lueurs 
de  l'intelligence,  pour  l'occuper  des  attraits  de 
la  vérité >  les  premiers  mouvemens  du  cœur, 
pour  le  fixer  par  les  charmes  de  la  vertu.  Com- 
bien en  effet  n'eft-fl  pas  plus  avantageux  de  pré- 
venir les  obflacles,  que  d'avoir  à  les  furmon- 
ter?  Combien  n'eft-il  pas  à  craindre  que  fî  les. 
imprelîîons  du  vice  précèdent  les  leçons  de  la 
vertu,,  l'homme  parvenu  à  un  certain  âge,  ne 
manque  de  courage ,  ou  de  volonté,  pour  réfîfter 


xriii         M  A  X  D  E  IM  Ë  N  T. 

au  vicç?  Une  hcureufe  expérience  ne  prouve-r- 
eîle  pus  tous  les  jours,  qu'après  les  déréglemens 
d'une  jeuneûe  imprudente  &  emportée,  on  re- 
vient entin  aux  bons  principes  qu'on  a  reçus- 
dans  l'enfance? 

Au  relie,  2'd.  T.  C.  F.,  ne  foyons  point  fur- 
pris  que  l'Auteur  d'EMiLE  remette  à  un  temps 
fi  reculé  h.connoilTance  de  l'exillence  de  Dieu  . 
il  ne  la  croit  pas  néceiTaire  au  falut.  Il efi clair, 
dit-il  par  l'organe  d'un  perfonnage  chiaiér-ique, 
il  ejl  clair  que  tel  homme  par-uenu  juf^uà  h  '•cieil- 
lejje  ,  fans  croire  en.  Dieu ,  ne  fera  pas  pour  cela 
•prl'ué  de  fa  pnfsnce  dans  V  autre,  fi  f on  aveuglement 
n'a  point  été  volontaire ,  ^  je  dis  qu'il  ne  l'ejîpas 
toujours.  Remarquez-,  M.  T.  C.  F.  qu'il  ne  s'a- 
git point  ici  d'un  homme  qui  feroit  dépourvu 
.«îl^.Tunige'dé  "fa  j-aifon,.  mais  uniquement  do  ce* 
lyi  dont  la  rai fon  ne  fei  jit  point  aidée  de  l'in- 
ftru6lion.  Or,  une  telle  prétention  efl  fonve* 
rainement  abfarde,fur  tout  dans  le Ij/ftême d'un 
JEcrivain  qui  foutient  que  la  raifon  eft  abfolu* 
ment  faine.  Saint  Paul  aiTure,  qu'entre  les  Pni- 
Igfophes  Payens,  plufieurs  font  parvenus,  par 
les  fdiles  forces  dec la  raifon,  à  h  connoiflance 
du  tf ai  Dieu.  C^  qui  peut 'être  connu  de  Dieu  y 
dit  cet  Apôtre,  leur  a  été  ma7nfefté y  Dieu  h  leur 
à'jant  fait  connoître  :  la  confi aération  des  cbofes  qui 
ont  été  faites  dés  la  sréation  du  monde  leur  ayant 
rendu  vifthle  ce  qtU  efl  in^ifible  en  Dieu ,  fa  puif- 
fêHce  même  éternelle,   ^  fa  divinité ,  en  forte  qui-h 


M  A  t^  D  2  M  Ë  N  T,  xtx 

font  Jam  excufi  ;  puifqît," ayant  connu  Dieu ,  ils  n(^ 
l'ont  point  glorifié  comim  Dieu,  ^  nu  hii  ont  point 
rendu  grâces;  mais  ils  Je  font  perdus  dans  la  vanité 
de  leur  raifannemcnt,  £f  hiir  efprit  injenjé  a  été  oh- 
fctirci  :  en  Je  difant  fages ,  ih  font  devenus  fous  (f).. 

Or,  fi  tel  a  été  le  crime  de  ces  hommes , 
lci>.ucis  bien  qLi'aîrujcttis  par  les  préjugés  de  leur 
éducation  au  culte  des  Idoles ,  n'ont  pas  laifTé 
d'atteindre  à  la  connoifTance  de  Dieu  :  comment 
ceux  qui  n'ont  point  de  pareils  obftacles  à  vain- 
cre ,  feroient-îls  innocents  6^  jufles ,  au  point  de 
mériter  de  jouir  delà  préfence  de  Dieu  dans  l'au" 
trc'  vie  :  Comment  feroient-iîs  excufables  (avee 
une  raifon  faine  telle  que  l'Auteur  la  fuppofe)' 
d'avoir  joui  durant  cette  vie  du  grand  fpeftaelG^ 
de  la  nature,  &  d'avoir  cependant  méconnu 'ce- 
lui qui  l*ti  créée,  qui  la  conferve  &  la  gouverne  1- 

Le  même  Ecrivain  ,  M.  T.  C.  F.  embrafTe  ou- 
vertement le  Scepticifme,  par  rapport  à  la  créa- 
tion &  à  l'unité  de  Dieu.  Je  fçais ,  fait-il  dire 
encore  au  perfonnage  fuppofé  qui  lui  fert  d'or-' 
gaiîe  ,  je  fçais  que  le  monde  efl  gouverné  par  une' 
volonté  puijjante  ^  fage  ;  je  le  vois ,  ou  plutôt  je: 
le  fensj   £ff  cela  m'importe  à  fç avoir:  mais  ce  mê* 

(f)  Quod  notum  eft  Dei  manifeftum  eft  in  illls  :  Deus 
enim  illis  manifeitavit.  Invilibilia  enimipfius,  à  creaturl, 
miir,di,per  ea  qux  faÛa  iunt  inr^llecta  confpiciuntur  : 
ltra[>irt:ina  quoquc  cins  virtus  &  divinitas  ,  ira  ut  fint  in- 
excufabiles  j  quia  cum  cognovifieut  Deiim,  non  ficuc 
Deum  glorificaverunt ,  aut  giatliis  egeruiu;.rcd  evanu-mn: 
in  cogitatiombus  fuis ,  2c  obfcuïamm  elt  infipiens  cor  eo- 
lumj  dicciues  enim  it  ciïb  fapicrites»  ftulti  fadi  fiait» 

"îyj/*;,    f.    I.   y,    xp,  Zi. 


ïx  M  A  N  I>  E  M  E  N  r, 

me  m9nde  ejî-îl  éternel ,  ou  créé  ?  T  a-î  il  wt  prhi^ 
cips  unique  des  cbofes?Ten  a-t  il  deux  ou  plufieurSy 
^  quelle  ejl  leur  nature?  je  n'en  f;ais rien  ,  cj* que 
m'importe?  .„.„  je  renmce  à  des  queftions  oijtujes 
qui  peuvent  inquiéter  mon  amour  propre ,  mais  qui 
font  inutiles  h  ma  conduite,  ^fupérieursà  ma  raifon. 
Que  veut  donc  dire  cet  Auteur  téméraire?  Il 
croit  que  le  monde  cft  gouverné  p-ar  une  vo- 
lonté puifTance  &  fage  :  il  avoue  que  cela  lui 
importe  à  fçavoir;  &  cependant,  il  ne /çaîtàit- 
il ,  s'il  n'y  a  qu'un  Je ul  principe  des  ch^fes^  ou  s'il 
y  en  a  pîufieurs;  &  il  prétend  qu'il  lui  Importe 
peu  de  le  fçavoir.  S'il  y  a  une  volonté  puilTantc 
&  fage  qui  gouverne  le  monde,  eft-il  conceva* 
ble  qu'elle  ne  foit  pas  l'unique  principe  des  cho- 
fes  ?  Et  peut -il  être  plus  important  de  fçavoir 
l'un  que  l'autre?  Quel  langage  contradiftoire  ! 
Il  ne  fçait  quelle  efi  la  nature  de  Dieu,  &  biei- 
t6t  apurés  il  reconnoît  que  cet  Etre  fuprême  eft 
doué  d'intelligence,  de  p-uiffance,  de  volonté 
&  de  bonté;  n'eft-cc  donc  pas  là  avoir  une  idée 
de  la  nature  divine?  L'unité  de  Dieu  luiparoît 
une  queflion  oifeufe  &  fupéricure  à  fa  raifon  , 
comme  fi  la  multiplicité  des  Dieux  n'étoit  pas 
la  plus  grande  de  toutes  les  abfurdités.  La  plu- 
ralité des  Dieux  ,  dit  énergiquement  Tcrtullien  , 
*Dcuse/î  une  nullité  de  Dieu  *,  admettre  un  Dieu, 
uni  ma- c'^^   admettre  un  Etre  fuprême  &  indépendant 

nuruhc,  a4.iquel  tous  les  autres  Etres  foient  fubordonné?, 
xte  ve- 

tas  tto-  n  impliciue  donc  qu'il  y  art  plufieurs  Dieux. 


M  A  N  D  E  M  E  N  T.  xxi 

ÎI  n'cft  pas  étonnant, M.  T.  C.  F. qu'un hom- /Ira  pro- 
Tne    qui  donne   dans  de  pareils  écarts  touchant  ^"^'•*^''* 
la  Divinité,   s'élève  contre  la  Religion  qu'Ellenon  unus 
nous   a  révélée.    A  l'entendre  toutes  les  révéla- ^^  '  "^^^ 
lions   en   général  nt  font  que  dégrader  Dieu,   en^^f^i-    ^d^ 
lui  donnaîit  des  pajfîons  humaines.     Loin  d'éclaircir  y^j,^^^/' 
les  notions  du  grand  Etre  ,    pour  fuit  il ,  je  vois  que  ^''^'  ï»    - 
les  dogmes  particuliers  les  embro^iilletit  ;  que  Uin 
ie   les  ennoblir ,   ils  les  avilijjent  ;   quaux  myjîeres 
inancevables  qui  les  environnent ,    ils  ajoutent  des 
contradîSlions  abfurdcs,   C'ell  bien  plutôt  à  cet  Au- 
teur, M.  T.  C.  F.  qu'on  peut  reprocher  l'in- 
eonféquenee  &   l'abfurdité.     C'ell:  bien  lui  qui  . 
dégrade  Dieu  ,   qui  embrouille  ,  &  qui  avilit  les 
notions  du  grand  Etre ,  pulCqu'il  attaque  dircc- 
tement  fon  eflence,  en  révoquant  en  doute  fon 
Unité. 

Il  a  fcnti  que  la  vérité  de  la  Révélation  chré- 
tienne étoit  prouvée  par  des  faits  ;  mais  les  mi- 
racles formant  une  des  principales  preuves  de 
cette  révélation ,  &  ces  miracles  nous  ayant  été 
tranfmispar  la  voie  des  témoignages,  il  s'écrie: 
Qjtoi  !  toujours  des  témoignages  humains  !  toujours 
des  hommes  qui  me  rapportent  ce  que  d'autres  bom» 
vies  ont  rapporté?  ^e  d'hommes  entre  Dieu  É? 
«ioî  /  Pour  que  cette  plainte  fût  fenfée ,  M.  T.  C.  F., 
il  faudroit  pouvoir  conclure  que  la  Révélation 
cil  fauffe  dès  qu'elle  n'a  point  été  fïite  â  cha- 
que homme  en  particulier  ;  il  faudroit  pouvoir 
dire; Dieu  nç  peut  exiger  de  moi  que  jecroye 


ixn  M  A  N  D  E  M  E  N  T. 

ce  qu'on  m'alTure  qu'il  a  dit ,  des  que  ce  n'eft 
pas  directement  à  moi  qu'il  a  addrefTé  fa  paro- 
le. Mais  n'cfl  il  donc  pas  une  infin'té  de  faits, 
même  antérieurs  à  celui  de  la  Révélation  chré- 
tie;nnc ,  dont  il  feroit  abfurde  de  douter?  Par 
quelle  autre  voye  que  par  celle  des  témoignages 
humains,  l'Auteur  lui-même  a-til  donc  connu 
cette  Sparte,  cette  Athene,  cette  Rome  dont 
il  vante  û  fouvenc  &  avec  tant  d'aiTurance  les 
loix,  les  mœurs,  &  les  héros? Que  d'hommes 
entre  lui  6c  les  événemens  qui  concernent  les  o- 
rigines  à  la  fortune  de  ces  anciennes  Républi- 
ques !  que  d'hommes  entre  lui  $:  les  HiHoriens 
qui  ont  confervé  la  mémoire  de  ces  événements! 
Son  Scepticifme  n'eft  donc  ici  fondé  que  fur 
l'intérêt  de  fon  incrédulité. 

Ou  un  homme ,  ajoute  - 1  -  il  plus  loin  ,  z-ienns 
^wus   tenir  ce  langage  :  Mortels ,  je  z'ous  annonce 
■  les  ijolontés  du  Très-Haut  :  reconnoljjez  à  ma  '-coix 
telui  qui  m'envoye.  J'ordonne  au  Soleil  de  changer 
Ja  courfe  y   aux  Etoiles  déformer  un  autre  arrange- 
aient, aux  Montagnes  de  s'applanir ,   aux  Flots  de 
ïelez-cr  f  à  la  Tene  de  prendre  un  autre  afpect  :  à 
ces  merveilles  qui  ne  reconnoîtra  pas  à  l'inftant  le 
Maître  de   la  nature?  Qui   ne  croiroit,  M.  T. 
C.  F.  que  celui   qui  s'exprime  de  la  forte,   ne 
demande  qu'à  voir  des  miracles,  pour  être  Chré- 
tien ?  Ecoutez  toutefois  ce  qu'il  ajoute  :  Refie 
enfin,    dit-il,   Vexamen  le  plus  important  dans  la. 
Dùclrim  annoncée.,^  Jprès  avoir  prouvé  la  Dtc- 


MANDEMENT.  xXriî 

trine  par  le  miracle ,  il  faut  prouver  le  miracle  par 
4a  DcÙ^rine  .....  Or ^  que  faire  en  pareil  cas?  U» 
ne  feule  chofe:  revenir  au.  raifonjiement ,  ^  laijfer 
l'i  les  miracles.  Mieux  eut- il  valu  n'y  pas  recourir, 
-c'eil  dire:  qu'on  me  montre  des  miracles,  &je 
croirai  :   qu'on  me  montre  des  miracles ,   &  je 
refuferai  encore  de  croire.  Quelle  inconféquen- 
ce,   quelle  abfurdité  î  Mais  apprenez  donc  une 
bonne  fois  ,  M.  T.  C.  F.  que  dans  la  queflion  des 
Miracles ,  on  ne  fe  permet  point  le  Sophifme  re- 
proché  par  l'Auteur  du  Livre  de  I'Edugation. 
Quand  une  Doctrine  eu  reconnue  vraie ,  divine, 
fondée  fur  une  révélation  certaine,  on  s'en  ferc 
pour  juger  des  miracles ,  c'eft-à-dire ,   pour  re- 
jetter  les  prétendus  prodiges  que  des  Im.pofteurs 
voudroient  oppofcr  à  cette  Doélrine.  Quand  il 
s'agit  d'une  Doctrine  nouvelle  qu'on  annonce 
comme  émanée  du  fein  de  Dieu ,  les  miracles 
font  produits  en  preuves;  c'eft-à-dire,-  que  ce- 
lui qui  prend  la  qualité  d'Envoyé  du  Très-Haut, 
-confirme  fa  miflion ,  fa  prédication  par  des  mî' 
laclesqui  font  le  témoignage  n^me  de.  la  Divi- 
nité. Ainfi  laDoétrineÔL  les  miracles  font  des  aiv 
guments  refpeftifs  dont  on  fait  ufage ,  félon  les 
divers  points  de  vue  où  l'on  fe  place  dans  l'é^ 
tude&dans  l'enfeignement  de  la  Religion.  Il  ne 
fe  trouve  là,  ni  abus  du  raifonnement ,  ni  fo^ 
phifme  ridicule,  ni  cercle  vicieux.  C'eft  ce  qu'on 
a   démontré  cent  fois  ;    &;  il   eft  probable  que 
î'Auteur  d'Emile  n'ignore  point  ces  démonfti^i^ 


xxiy         M  A  N  D  E  M  E  N  T. 

tion5  ;  mais ,  dans  le  plan  qu'il  s'eft  fait  d'enve- 
lopper de  nuages  toute  Religion  révélée,  toute 
opération  furnaturelle ,  il  nous  impute  maligne- 
ment desprocédés  qui  deshonorent  la  rairon;il 
nous  r^pré fente  comme  des  Enthoufiaftes  ,  qu'un 
faux  zele  aveugle  au  point  de  prouver  deux  prin- 
cipes, l'un  par  l'autre,  fans  diverfité  d'objets,  ni 
de  méthode.  Où  eft  donc ,  M.  T.  C.  F.  la  bonne- 
foi  phiiofophique  dont  fe  pare  cet  Ecrivain  ? 

On  croiroic  qu'après  les  plus  grands  efforts 
pour  décréditer  les  témoignages  humains  qui  at- 
tellent la  Révélation  chrétienne,  le  même  Au- 
teur y  défère  cependant  de  la  manière  la  plus 
pofitive,  ia  plus  folemnelle.  Il  faut,  pour  vous 
en  convaincre,  M.  T.  C.  T.  &  en  même -temps 
pour  vous  édifier,  mettre  fous  vos  y^ux  cet  en» 
droit  de  Ton  Ouvrage  :  J'avoue  que  h  majefté  de 
iEcriture  7n  étonne;  la  fainteîé  de  l'Ecriture  parle  à 
mori  cœur.  Voyez  les  livres  des  Fhilofophes  ^  avec 
toute  leur  pompe  ;  qu'ils  font  petits  près  celui-là ,  fe 
peut  -  iî  qu'un  livre  à  la  fois  fi  fuhlime  ^  fi  fimplt 
hit  V  ouvrage  des  hommes'^  Se  peut-il  que  celui  dont 
il  fait  Vhifloire  ,  ne  fuit  qu'un  homme  lui  -  même  ? 
Efl-ce  là  le  ton  d'un  enthoufiafte^  ou  a  un  ambitieux 
Se^aire  ?  Quelle  douceur  !  Quelle  pureté  dans  fes 
mœurs  !  Quelle  grâce  touchante  dans  fes  infime- 
tions  !  Quelle  élévation  dans  fes  maximes  !  Quellt 
profonde  fageffe  dans  fes  difcours  !  Quelle  préfence 
iTefprit,  quelle  fineffe  ^  quelle  jufiejfe  dans  fes 
tépmfes  l    Quel  empire  fur  fes  pajjions  !  Oà  'efi 


M  A  N  D  E  M  E  N  T.  sxv 

Vbûmme,  où  eft  lefage  qui  fçaît  agir  ,fouffrir  ^  moii^ 

rb- fam  folbkjje  ,  ^fans  ôft  entât  Ion  ? Oui ,  fi  la 

vie  ^  la  mort  de  Socrate  font  d'un  Sage  ,  la  vie  ^  la 
viort  de  yéfits  font  d'un  Dieu.  Dirons-nous  que  rbif- 

tolre  de  V Evangile  e[l  inventée  à  plaifir  ? 

Ce  n'efi;  pas  ainfi  qiCon  invente  ,  ^  les  faits  de  So^ 
crate  dont  perfonne  ne  doute ,  font  moins,  attefiés 
que  ceux  de  Jéfiis-Cbrift Il  feroit  plus  incon- 
cevable que  plufieurt  bommes  d'accord  euffent  fabri- 
qué ce  Livre  y  qu'il  ne  lefl  quunfeul  en  ait  fourni 
le  fujet.  Jamais  les  auteurs  Juifs  n" euffent  trouvé 
ce  ton,  ni  cette  morale ,  Êf  l'Evangile  a  des  ca» 
raSteres  de  vérité  fi  grands ,  fi  frappans ,  fi  par- 
faitement i?iimitables  i  que  VInventeur  en  feroit  plus 
étonnant  que  le  Héros,  11  feroit  difficile,  M.  T. 
C.  F.  ,  de  rendre  un  plus  bel  hommage  à  l'au- 
thenticité de  l'Evangile.  Cependant  l'Auteur  ne 
la  reconnoît  qu'en  conféquence  des  témoignages 
humains.,  Ce  font  toujours  des  hommes  qui  lui 
rapportent  ce  que  d'autres  hommes  ont  rapporté. 
Que  d'hommes  entre  Dieu  &  lui!  Le  voilà  donc 
bien  évidemment  en  contradiélion  avec  lui  -  mê- 
me :  le  voilà  confondu  par  fes  propres  aveux. 
Par  quel  étrange  aveuglement  a-t-il  donc  pu  a- 
jouter ,  Avec  tout  cela  ce  même  Evangile  eft  plein 
de  cbofes  incroyables,  de  cbofes  qui  répugnent  à  la 
la  raifon ,  £f  qu'il  eft  impof/îble  à  tout  bomme  fenfé 
de  concevoir^  ni  d'admettre,  Q^ie  faire  au  milieu 
de  toutes  ces  contradiUions  ;  être  toujours  modefte  ^ 
€irconfpe^  ...  refpeUer  enfilence  ce  qu'on  ne  ffau- 


xx\T  M  A  N  D  E  M  E  N  T. 

foity  ni  rejetter,  ni  comprendre ,  ^  s'bumilîer  dS" 
■vant  le  grand  Etre  qui  feul  fçait  la  vérité.  Voila 
le  Sce^ticîfme  involontaire  oit  je  fuis  rejîé.  Mais  le 
ScepticifmCjINI.  T.  C.  F.,  peut-il  donc  être  in- 
volontaire, lorfqu'on  refufe  de  fe  foumettre  à 
la  Dodtrine  d'un  Livre  qui  ne  fçauroit  être  in- 
Tenté  par  les  hommes  ?  Lorfque  ce  Livre  porte 
des  caraéleres  de  vérité  ",  fi  grands ,  fî  frap- 
•pans,  û  parfaitement  inimitables,  que  l'Inven- 
teur en  fcroit  plus  étonnant  que  le  Héros  V  C'eft 
bien  ici  qu'on  peut  dire  que  V iniquité  a  menti 
contre  elle-même  (^). 

Il  femble,M.  T.  C.  F.,  que  cet  Auteur  n'a 
rejette  la  Révélation  que  pour  s'en  tenir  à  la 
Religion  naturelle;  Ce  que  Dieu  veut  qii  un  homme 
fajje  ,  dit-il ,  il  ne  le  lui  fait  pas  dire  par  un  au- 
tre homme ,  il  le  lui  dit  à  lui-même,  il  l'écrit  au 
fond  defon  cmir.  Quoi  donc!  Dieu  n'a-t-il  pas 
écrit  au  fond  de  nos  cœurs  l'obligation  de  Ce 
foumettre  à  lui ,  dès  que  nous  fommes  fûrs  que 
c'eft  lui  qui  a  parlé?  Or,  quelle  certitude  n'a« 
vons-nous  pas  de  fa  divine  parole  !  Les  faits  de 
Socrate  dont  perfonne  ne  doute  font  de  l'aveu 
même  de  l'Auteur  d'K  m  île,  moins  atteftés  que 
ceux  de  Jéfus-Chrift.  La  Religion  naturelle  con- 
duit  donc  elle-même  à  la  Religion  révélée.  Mais 
«ft-il  bien  certain  qu'il  admette  même  la  Re- 
ligion naturelle ,  ou  que  du  moins  il  en  recon- 
noifTe  la  néceffité  ?  Non ,  M.  T.  C.  F.  Si  je  me 
(l)  Mcailia  cft  inlquitas  iibi,  Pfal*  x6.  v.  u. 


MANDEMENT.         xxvix 

mmpe ,  dit-il ,  c*ejl;  de  bonne  -foi.  Cela  me  Juffit , 
pour  que  mon  erreur  ^nême.ne  mefoît  pas  imputée  à 
crime.  Quand  vous  vous  tromperiez  de  même ,  il  y 
aiiroit  peu  de  mal  à  cela;  c'eft-à-dire  que,  félon 
lui ,  il  fuffit  de  fe  perfuader  qu'on  ell  en  poG- 
felîîon  de  la  vérité  ;  que  cette  perfuafîon  ,  fût- 
clle  accompagnée  des  plus  mondrûeufes  erreurs,, 
ne  peut  jamais  être  un  fujet  de  reproche;  qu'on 
doit  toujours  regarder  comme  un  homme  fage^ 
&  religieux,  celui  qui,  adoptant  les  erreurs- 
même  de  l'Athéifme ,  dira  qu'il  eft  de  bonne- 
foi.  Or,  n'efl-ce  pas  là  ouvrir  la  porte  à  toutes 
les  fuperftitions,à  tous  les  fyftômes  fanatiques, 
à  tous  les  délires  de  l'efprit  humain?  N'etl-ce 
pas  permettre  qu'il  y  ait  dans  le  monde  autant 
de  Religions  ,  de  cultes  divins ,  qu'on  y  compte 
d'Habitans  ?  Ah  !  M.  T.  C.  F. ,  ne  prenez  poinc 
le  change  fur  ce  point.  La  bonne-foi  n'cfl:  efti- 
mable,  que  quand  elle  eft  éclairée  &  docile.  U 
nous  eft  ordonné  d'étudier  notre  Religion ,  & 
de  croire  avec  fimplicité.  Nous  avons  pour  ga> 
rant  des  promeffes  l'autorité  de  l'Eglife  :  appre- 
nons à  la  bien  connoitre,&  jettons-nous  enfui- 
te  dans  fon  fein.  Alors  nous  pourrons  compter 
fur  notre  bonne-foi ,  vivre  dans  la  paix  ,  &  at- 
tendre ,  fans  trouble,  le  moment  de  la  lumière 
éternelle. 

Quelle  infigne  mauvaife  foi  n'éclate  pas  enco- 
re dans  la  manière  dont  l'Incrédule,  que  nous 
r.éfutons ,  fait  raifonner  le  Chiécien  &  le  Catho. 


\Tiviii  M  A  N  D  E  M  E  N  T. 

lîr^ue!  Quels  difcoiirs  pleins  d'ineptie  nepréfe"^ 
t-iî  pas  à  l'un  &  à  l'autre,  pour  les  rendre  mé- 
prifablcs!  Il  imagine  un  Dialogue,  entre  un 
Chrétien,  qu'il  traite  dT;i//>îre  ;  &  FlncréJulc-, 
qu'il  qualitîe  de  Raifoiiîieur;  &  voici  comme  il 
fait  parler  le  premier  :  La  raifofi  vous  apireni 
que  le  tout  eft  plus  grand  ^ue  fa  partie;  mais  moi, 
je  lous  apprends  de  la  part  de  Dieu  quec'efi  lapar- 
tie  qui  eft  plus  grande  que  le  tout;  à  quoi  l'Incré- 
dule répond  :  Et  qui  ttes-i'ous  pour  rrCojer  dire  que 
Dieu  Je  contredit-,  ^à  qui  croirai -je  par  t  réfé- 
rencent de  lui  qui  m  apprend  par  la  raij'on  des  véri- 
tés éternelles  y  ou  de  vous  qui  m'annoncez  de  fa  part 
une  abjurditéf 

Mais  de  quel  front,  M.  T.  C.  F.  ofc-t-oiî 
prêter  au  Chrétien  un  pareil  langage?  Le  Dieu 
delà  Raifon,  difons-nous,  efl  r.um  IcDieu  de 
la  Révélation.  La  Raifon  &  la  Révélation  font 
les  deux  organes  par  lefquels  il  lui  a  plu  de  fc 
faire  entendre  aux  hommes,  foit  pour  les  inftrui- 
te  de  la  vérité ,  foit  pour  leur  intimer  fes  or- 
dres. Si  l'un  de  ces  deux  organes  étoit  oppofé 
a  l'autre ,  il  eft  conftant  que  Dieu  feroit  en  con- 
tradiction avec  lui-même.  JMais  Dieu  fe  ctontre- 
dit-il,  parce  quUl  commande  de  croire  des  véri- 
tés incompréhenfibles  ?  \^ous  dites ,  ô  Impies , 
que  les  Dogmes,  que  nous  regardons  comme 
révélés ,  combattent  les  vérités  éternelles  :  mais 
îl  ne  fuffit  pas  de  le  dire.  S'il  vous  étoit  polTi- 
blç  de  le  prouver,  il  y  a  long-temps  que  vous 


M  A  N  D  E  M  E  N  T,.         xxix 

Tauriez  fait,   &  que  vous  auriez  pouffé  des  criî 
de  victoire. 

La  mauvaife  foi  de  l'Auteur  d'Eî.iiLE,  n'eftpas 
moins  révoltante  dans  le  langage  qu'il  fait  tenir 
à  un  Catholique  prétendu.  Nos  Catholiques,  lui 
fait -il  dire,  fo?it  grand  hruîc  de  V  autorité  de  lE^ 
glife;  mais  que  gagnent-ils  a  cela?  S  il  leur  faut 
anaujji  grand  appareil  de  preuves  pour  établir  cette 
autorité  j  qu'aux  autres  SeQ^es  pour  établir  direBt* 
ment  leur  doBrine.  L'Eglife  décide  que  VEglife  a 
droit  de  décider  :  ne  voilà  î-il  pas  une  autorité  bien 
prouvée  ?  Qui  ne  croiroit,  M.  T.  C.  F. ,  à  enten- 
dre cet  Impofleur,  que  l'autorité  de  l'Eglifen'eft 
prouvée  que  par  Tes  propres  décifions,& qu'elle 
procède  ainu  :  Je  décide  que  je  fuis  infallihle^  donc 
je  le  fuis  :  imputation  calomnieufe,  M.  T.  C.  F. 
La  conllitution  du  Chriftianifme  ,  rEfprit  de 
l'Evangile,  les  erreurs  même  &  la  foibleile  de 
1  efprit  humain ,  tendent  à  démontrer  que  TE- 
glife,  établie  par  Jefus  -  Chrift,  eft  une  Eglife 
infaillible.  Nous  aiTurons  que,  comm.e  ce  di- 
vin Légiflateur  a  toujours  enfeigné  la  vérité» 
fon  Eglife  l'enfeigne  auffî  toujours.  Nous  prou- 
vons donc  l'autorité  de  l'Eglife ,  non  par  l'au- 
torité de  l'Eglife,  mais  par  celle  de  Jéfus-Chrilt  : 
procédé  non  moins  exa(5l ,  que  celui  qu'on  nous 
reproche  efl:  ridicule  &  infenfé. 

Ce  n'eil  pas  d'aujourd'hui,  M.  T.  C.  F.  que 
l'efpric  d'irréligion  efl  un  efprit  d'indépendance 
&  de  révolte.  Et  comment,  en  eiFet,  ceshom- 
'^*  3 


XXX  MANDE  M  E  N  T. 

mes  audacieux ,  qui  refufent  de  fc  foumettre  à 
Tautoiité  de  Dieu  même,  rerpeâ:eroient-iIs  celle 
des  Rois  qui  font  les  images  de  Dieu ,  ou  celle 
des  Magiftrats  qui  font  les  images  des  Rois? 
Songe,  dit  l'Auteur  d'EMiLE  à  fon^levc,  qu'elle 
(refpece  humaine)  ejl  compofée  ejfentîellement  de 

la  coîleStion  des  peuples; que  quand  tous  les  Rois 

e7i  ferùient  ités ,  il  n'y  paroitroît  guères ,  ^  que  les 
chef  es  n'en  iroient  pas  plus  mal Toujours  ^    dit- 
il  plus  loin, /a  multitude  fera  facrifiée  au  petit  mm* 
Ire,   ^  l'intérêt  puhlic  à  l'intérêt  particulier:  tou- 
jours ces  noms  fpécieux  de  jujîice  ^  de  fuh ordina- 
tion, Je  rv  iront  d'inftrumens  à  la  "oiolence ,   ^  d'ar* 
mes  à  l'iniquité.  D'où  il  fuit,  continue -t -il ,   que 
les  ordres  dijiîngués  ,quife  prétendent  utiles  aux  au- 
tres ,  ne  font  en  effet  utiles  qu'à  eux-mêmes  aux  dépens  ^ 
ies  autres.  Far  oit  juger  de  la  conji dération  qui  leur 
eft  due  félon  la  juftice  ^  la  raifon?    Ainfi  donc, 
M.  T.  C.  F. ,  l'impiété  ofe  critiquer  les  intentions 
de  celui  par  qui  régnent  les  Rois  :  (Jj)  ainfi  elle  fe 
plaît   à   empoifonner  les  fources   de  la  félicité 
publique,   en  foufHant  des  maximes  qui  ncten^ 
dent   qu'à  produire  l'anarchie,   &  tous  Icî  mal- 
heurs qui  en  font  la  fuite.   Mais,   que  vous  dit 

la  Religion?  Craignez  Dieu:  refpeBez  le  Roi 

(i)  que  tout  homme  foit  fownis  aux  Puiffances  fupé- 
rieures  :  car  il  n'y  a  point  de  Puiffance  qui  ne  vienns 
de  Dieu;   ^  c'eft  lui  qui  a  établi  toutes  celles  qui 

(h)  Per  me  reges  rcgnact.  Prov.  e.  i.  i.  ij. 
■  ÎO  Dcum  ùmete  ;  ^^egtm  honoiificaic.  i.  Tr.*,  c  2,  v,  ir« 


M  A  N  D  E  M  E  N  T.         htki 

font  dans  le  monde,  Qjiiconque  réfifte  donc  aux  Pnif- 
Jane  es  i  réfifte  à  V  ordre  de  Dieu;  ^  ceux  qui  y  ré" 
fftenty  attirent  la  condamnation  fur  eux-môincsÇk), 

Oui,  M.  T.  C.  F.  dans,  tout  ce  qui  eil  de 
Tordre  civil,  vous  devez  obéir  au  Prince,  &  à 
ceux  qui  exercent  fon  autorité ,  comme  à  Dieu 
même.  Les  feuls  intérêts  de  l'être  fuprême 
peuvent  mettre  des  bornes  à  votre  foumiiîîon  ; 
&  fi  on  vouloit  vous  punir  de  votre  fidélité  à 
fes  ordres,  vous  devriez  encore  foufFrir  avec 
patience  &;  fans  amrmure.  Les  Néron ,  les  Do- 
mitien  eux-mêmes ,  qui  aimèrent  mieux  être  les 
fléaux  de  la  Terre,  que  les  pères  de  leurs  peu* 
pies ,  n'étoient  comptables  qu'à  Dieu  de  l'abus 
de  leur  puilTance.  Les  Chrétiens,  dit  faint  Au- 
guilin  ,  leur  Ghéîjjoîent  dans  le  temps  à  cauje  du 
Dieu  de -V Eternité  (l). 

Nous  ne  vous  avons  expofé,  M.  T.  C.  F, 
qu'une  partie  des  impiétés  contenues  dans  ce 
Traité  de  TEducation  :  Ouvrage  également  di- 
gne des  Anathêmes  de  l'Eglife ,  &  de  la  févé* 
rite  des  Loix  :  &  que  faut-il  de  plus  pour  voua 
en  infpirer  une  jufte  horreur v» Malheur  à  vous, 
malheur  à  la  Société  ,  fi  vos  enfans  étoient  é* 
kvés  d'après  les  principes  de  l'Auteur  d'EMiLE. 

(t)  Oranis  anima  poteftatîbus  fuBIimioribus  fnbdîtafîr  ? 
Bon  eft  enlm  proteftas  nifi  à  Deo  :  qua:  autera  funt ,  à 
Deooîdinatac  funt,  îtaque  ,  qui  refiftlt  poteftati ,  Dei  or- 
dinatioiû  relulit.  Qiii  autem  rellftunt  ipii  fîbi  damnatio- 
■nem  acquinint.  Ti^.n.  c.  13.  v.  i.  2. 

(/)  Subditi  erant  propter   Dominum   aeternum,  etiam 
DomittO  terapoiali.  kA^i,  Enarrat,  in  Pfai^  124, 


Tiri^ii  m  A  N  D  E  M  E  N  T. 

Comme  il  n'y  a  que  la  Religion  qui  nous  air 
appris  à  connoitre  l'homme,  fa  grandeur,  fa 
mifere,  fa  deftinée  future,  il  n'appartient  auflî 
qu'à  elle  feule  de  former  fa  raifon,  de  perfec- 
tionner fes  mœurs ,  de  lui  procurer  un  bonheur 
folide  dans  cette  vie  &  dans  l'auti'e.  Nous  fça- 
vonSjM.  T.  C.  F.  combien  une  éducation  vrai- 
ment chrétienne  ell  délicate  &  laborieufe  ;  que 
de  lumières  &  de  prudence  n'exige-t-elle  pas  ! 
Quel  admirable  mélange  de  douceur  &  de  fer- 
meté !  qu'elle  fagacité  pour  fe  proportionner  à 
la  différence  des  conditions ,  des  âges ,  des  tem- 
péramens  &  des  caractères,  fans  s'écarter  ja- 
mais en  rien  des  règles  du  devoir!  quel  zèle  & 
quelle  patience  pour  faire  fructifier,  dans  de 
jeunes  cœurs  le  germe  précieux  de  l'innocence, 
pour  en  déraciner,  autant  qu'il  efl  poffible,ces 
penchans  vicieux  qui  font  les  triiies  effets  de 
notre  corruption  héréditaire;  en  un  mot,  pour 
leur  apprendre,  fuivant  la  Morale  de  faintPaul,- 
à  vii:re  en  ce  monde  avec  tempérance ,  félon  la  juj\ 
tice^  ^  avec  'piété,  en  attendant  la  béatitude  qus 
nms  ejpérons,  (ni)  Nous  difons  donc,  à  tou$ 
ceux  qui  font  chargés  du  foin  également  pé» 
nible  &  honorable ,  d'élever  la  jeunefTe  ;  Plan- 
tez &  arrofez,  dans  la  ferme  efpérance  que  le 
Seigneur,    fécondant   votre    travail,    donnera 

(r/j)  Erudiens  nos,  ut  abnegantes  impietatem  &  frcu- 
laiia  deûdeaa,  fobriè  2c  jurte  Se  pic  vivamus  in  hoc  f«> 
culo  expedanus  beatam  fpem.  lit,  t,  i.  v.  li,  13, 


MANDEMENT.  xxxiii 

raccroiûement  ;  infiftez  à  tembs  ^  à  contre-temps , 
félon  le  confeil  du  même  Apôtre;  ufez  de  répri- 
mande ,  d'exhortation ,  de  paroles  fevsres ,  fans  pet' 
dre  patîerve  ^  fans cejjer dHnftruire  ;  (?i)  fur-tout, 
joignez  l'exemple  à  i'inftrudion  ;  l'inftruftion 
fans-  l'exemple  eft  un  opprobre  pour  celui  qui 
la  donne,  &  un  fujct  de  fcandiile  nour  celui 
qai  la  reçoit.  Q:!e  le  pieux  &  charitable  Tobie 
foit  votre  modelé;  recommandez  a'uec foin  à  vos 
ev.fants ,  de  faire  des  œuvres  de  juftice  ^  des  an» 
mènes  ,  de  fe  foire enir  de  Dieu,  ^  de  le  bénir  en 
tout  temps  dans  la  vérité ,  £f  de  toutes  leurs  forces  ;  (o) 
&  votre  pollérité,  comme  celle  de  ce  faint  Pa- 
triarche; fera  aimée  de  Dieu  Êf  des  hommes  (p). 
Mais  en  quel  temps  l'éducatioîî  doit-elle  com- 
mencer? Dès  les  premiers  rayons  de  l'intelli- 
gence: (k  ces  rayons  font  quelquefois  préma- 
xai'éis.Fofmez  r enfant  à  V entrée  de  fa  voye  ^  dit  le 
Sage ,  dans  fa  vieillejfe  même-  il  ne  s'en  écartera 
point,  (q)  Tel  eil  en  effet  le  cours  ordinaire  de 


('0  Infta  opportune,  importuné:  argue,  obfccra,  In» 
crêpa  iu  omni  paiieiitid  Se  doûrind.  2.  r//,of.  r,  4.  v.  1.2. 

{0)  FiJiis  veftiis  m.indate  ut  faciant  jùftitias  ôc  eieemo- 
fm-âs ,  ut  iint  mernores  Del  &  bened.cant  eum  in  omni 
tenipoie,  in  veiitate  5c  in  toiâ.  virtiite  fud.  Tob.  c»  14, 
1/.  11.  - . 

(p)  Omnis  autem  cognatio  ejais  ,.ôç  omnis  generatio  e- 
jus  in  bonâ  vitâ  &  in  fan£tà  convcifatione  perniiinfit,  ita 
ut  acceptl  elTer.t  tam  Deo,  quam  hominibus  ôc  tuudis 
liabitatoribus  fn  terra.  IbùL  v.  "17. 

(7)  Ad  )lelc:ns  juxta  viam  fuam  ,  etiam  cùm  fcnueiiîa 
non  receàst  ab  eâ.  Prev.  c.  zzr  v^  0^-^ 


xxsiv  2^1  A  N  D  E  :\I  E  N  T. 

la  vie  humaine  :  au  milieu  du  délire  des  pa?- 
fions,  &  dans  le  feia  du  libertinage,  les  prin- 
cipes d'une  éducation  chrétienne  iont  ure  lu- 
mière qui  fe  ranime  par  intervalle  pour  décou- 
vrir au  pécheur  toute  l'horreur  de  l'abyme  où 
il  eil  plongé,  &.  lui  en  montrer  les  ifTues. Com- 
bien ,  encore  une  fois ,  qui ,  après  les  écarts 
d'une  jeanelTe  licentieufe ,  font  rentrés  ,  par- 
Fimprelllon  de  cette  lumière,  dans  les  routes 
de  la  fageUe,  &  ont  honoré,  par  des  vertu» 
tardives,  mais-  fmceres ,  Thumanité,  la  Patrie. 
&  la  Religion  1 

Il  nous  refte  Tén  finiffant ,  M.  T.  C.  F. ,  à  vous 
conjurer,  par  les  entrailles  de  la  mJféricorde 
de  Dieu  ,  de  vous  attacher  \nviolablement  à  cet- 
te Religion  fainte  dans  laquelle  vous  avez  eu^ 
le  bonheur  d'être  élevés;  de  vous  foutenir  con- 
tre le  débordement  d'une  Philofophieinfenfée, 
qui  ne  fe  propofe  rien  de  moins  que  d'envahir 
l'héritage  de  Jéfus  Chrift ,  de  rendre  fes  promef- 
fes  vaines ,  &;  de  le  4nettre  au  rang  de  ces  Fon- 
dateurs de  Religion ,  dont  la  doctrine  frivole 
ou  pernicieufe  a  prouvé  Timpoiliure.  La  Fol 
n'eft  méprifée ,  abandonnée,  infultée ,  que  par 
ceux  qui  ne  la  connoiiïent  pas,  ou  dont  elle 
gène  les  défordres.  Mais  les  portes  de  l'Enfer 
ne  prévaudront  jamais  contre  elle.  L'Eglife 
Chrétienne  &  Citholiquc  eft  le  commencement 
de  l'Empire  éternel   de  Je  fus  -  Chrift  :  Rien  iz 


INI  A  N  D  E  ISÏ  E  N  T.  xxx^ 

f  lus  fort  qu'elle,  s'écrie  faint  Jean  Damafcene  > 
c'ejlun  rocher  que  les  flots  ne  renverjenfpoint  ;  c^efl 
une  montagne  que  rien  7ie  peut  détruire  (r). 

A  CES  CAUSES,  vu  le  Livre  qui  a  pour  titre: 
Emile,  ou  de  l'Education,  par  y,  J.  RouJJeaUy 
titoyen  de  Genève.  A  Amflerdam,  chez  Jean 
NéaiUme y  Libraire,  1762.  Après  avoir  pris  l'a- 
vis de  plulîeurs  perfonnes  diflinguées  par  leur 
piété  &  par  leur  fçavoir,  le  faint  Nom  de  Dieu 
invoqué,  Nous  condamnons  ledit  Livre,  com- 
me contenant  une  dodrine  abominable,  propre 
à  renverfer  la  Loi  naturelle ,  &  à  détruire  les 
fondemens  de  la  Religion  Chrétienne;  établif- 
fant  des  maximes  contraires  à  la  Morale  Evan- 
jélique  ;  tendant  à  troubler  la  paix  des  Etats, 
à  révolter  les  Sujets  contre  l'autorité  de  leur 
Souverain  :  comme  contenant  un  très  -  grand 
nombre  de  proportions  refpeélivement  faufles, 
fcandaleufes ,  pleines  de  haine  contre  l'Eglife 
&  fes  Miniftres,  dérogeantes  au  refpeél  ^\X  à 
i'Ecriture  Sainte  &  à  la  Tradition  de  l'Eglife, 
erronées,  impies,  bîafphémat cires  &  héréti- 
ques. En  conféquence  Nous  défendons  très-ex- 
prelTément  à  toutes  perfonnes  de  notre  Diocè- 
fe  de  lire  ou  retenir  ledit  Livre,  fous  les  pei- 
nes de  droit.    Et  fera  notre  préfent    Mande- 

()')  Nihil  Ecclefiâ  valcntîus  ,  rupe  fortior  éd....  fem- 
pet  viget}  cur  eam  fcriptura  montem  appellavitî  Utiquc 
<îuia  evciti  non  proteft,  Damafc  Tom,  z,  p.  ^62^»  463. 


XXXVI  MANDE  xM  E  N  T, 

ment  lu  au  Prône  des  Meiïes  Paroiiïïales  des 
Eglifes  de  la  Ville,,  Fauxbouigs  &  Diocéfe  de 
Paris,  publié  &  affiché, p^r-tout  où  befoin  fe- 
ra. Donne'  à  Paris  en  notre  Palais  Archiépif- 
copal,  le  vingtième  jour  d'Août  mil  fept  cens 
foixante-deux. 

Sisné  ,  >î<  CHPJSTOPHE  ,  Archer,  de  Paris. 

PJR    MONSEIGNEUR, 

DE    LA  TOUCHE 

J  •  P  A  R  I  S, 

Chez    C.   F.   SIMON,   Imprimeur  de  la  Reine 

&  de  Monfeigneur  l'Archevêque,   rue 

des  Mathurins. 

M.     D   C    C.      L  X  I  I. 
JP^EC  PRIVILEGE    DU   ROL 


JEAN    JAQUES    ROUSSEAU, 

Citoyen  de  Genève , 
A 
CHRISTOPHE     DE     BEAUMONT, 

Archevêque  de  Paris. 

jPourquoi  faut- il ,  Mon  feign  eur ,  que  j'aye 
quelque  chofe  à  vous  dire? Quelle  langue  com- 
mune pouvons-nous  parler ,  comment  pouvons- 
nous  nous  entendre,  6c  qu'y  a-t-il  entre  vous 
à.  moi  ? 

Cependant,  il  faut  vous  répondre  ;  c'eft 
vous-même  qui  m'y  forcez.  Si  vous  n'eufîîez  at- 
taqué que  mon  livre,  je  vous  aurois  laifTédire: 
mais  vous  attaquez  aufïï  ma  perfonne;  &,  plus 
vous  avez  d'autorité  parmi  les  hommes,  moins 
il  m'efl  permis  de  me  taire,  quand  vous  vou- 
lez me  deshonorer. 

Je  ne  puis  m'empêcher ,  en  commençant  cet^ 
te  Lettre  de  réfléchir  fur  les  bizarreries  de  ma 
dcftinée.  Elle  en  a  qui  n'ont  été  que  pour  moiT" 

J'etois  né  avec  quelque  talent;  le  public 
î'a  jugé  ainfi.  Cependant  j'ai  pafTé  ma  jeunef- 
fe  dans  une  heureufe  obfcurité,  dont  je  ne 
cherchois  point  à  fortir.  Si  je  Pavois  cher- 
ché ,  cela  même  eût  été  une  bizarrerie  que  du- 
rant tout  le  feu  du  premier  âge  je  n'eufle  pu 
réuffir,  &  que  j'eulTe  trop  réujCG  dans  la  fuite, 
A 


1  LETTRE 

quand  ce  feu  commençoit  à  paffer.  J'approchois 
de  ma  quarantième  année ,  &  j'avois ,  au  lieu 
d'une  fortune  que  j'ai  toujours  méprifée,  & 
d'un  nom  qu'on  m'a  fait  payer  fi  cher,  le  re- 
pos &  des  amis ,  les  deux  feuls  biens  dont  mon 
cœur  foit  avide.  Une  miférable  queftion  d'A- 
cadémie m'agitant  l'efprit  malgré  moi  me  jetta 
dans  un  métier  pour  lequel  je  n'étois  point  fait; 
un  fuccès  inattendu  m'y  montra  des  attraits  qui 
me  féduifirent.  Des  foules  d'adverfaircs  m'at- 
taquèrent fans  m'entendre  ,  avec  une  étour- 
derie  qui  me  donna  de  l'humeur,  &  avec  un 
orgueil  qui  m'en  infpira  peut-être.  Je  me 
défendis,  &,  de  difpute  en  difpute,  je  me 
fentis  engagé  dans  la  carrière,  prefque  fans 
y  avoir  penfé.  Je  me  trouvai  devenu,  pour 
ainfi  dire ,  Auteur  à  l'âge  où  l'on  ccITe  de  l'ê- 
tre ,  &  homme  de  Lettres  par  mon  mépris  mê- 
me pour  cet  état.  Dès-là,  je  fus  dans  le  pu- 
blic quelque  chofc  :  mais  aulTi  le  repos  &  les 
amis  difparurent.  Quels  maux  ne  fouftris-je 
point  avant  de  prendre  une  allîctte  plus  fixe  & 
des  attachemens  plus  heureux  ?  il  fallut  dévorer 
mes  peines;  il  fallut  qu'un  peu  de  réputation 
me  tint  lieu  de  tout.  Si  c'efl  un  dédomage-' 
ment  pour  ceux  qui  font  toujours  loin  d'eux- 
mêmes  ,   ce  n'en  fut  jamais  un  pour  moi. 

Si  j'eusse  un  moment  compté  fur  un  bien  Ci 
frivole ,  que  j'aurois  été  promptement  d éfabu- 
iél  Quelle  incouilaace  perpétuelle  n'ai-jc  pas 


A    M.    DE    BEAUMONT.         % 

éprouvée  dans  les  jugemens  du  public  fur  mon 
compte!  J'étois  trop  loin  de  lui;  ne  me  jugeant 
que  fur  le  caprice  ou  l'intérêt  de  ceux  qui  le 
mènent,  à  peine  deux  jours  de  fuite  avoit-il 
pour  moi  les  mêmes  yeux.  Tantôt  j'étois  uu 
homme  noir ,  &  tantôt  un  ange  de  lumière.  Je 
me  fuis  vu  dans  la  m,eme  année  vanté,  fôté, 
recherché,  même  à  la  Cour;  puis  in  fuite,  me- 
nacé ,  détefté ,  maudit  :  Les  foirs  on  m'atten- 
doit  pour  m'alTaffiner  dans  les  rues  ;  les  matins 
on  m'annonçoit  une  lettre  de  cachet.  Le  bien 
&  le  mal  couloient  à  peu  près  de  la  même 
fource;  le  tout  me  venoit  pour  des  chanfons. 
J'ai  ECRIT  fur  divers  fujets,  mais  toujours 
dans  les  mêmes  principes  :  toujours  la  même 
morale,  la  môme  croyance,  les  mômes  maxi- 
mes ,  & ,  fi  l'on  veut ,  les  mêmes  opinions.  Ce- 
pendant on  a  porté  des  jugemens  oppofés  de 
mes  livres,  ou  plutôt,  de  l'Auteur  de  mes  lî-' 
vres  ;  parce  qu'on  m'a  jugé  fur  les  matières  que 
j'ai  traitées,  bien  plus  que  fur  mes  fentimens. 
Après  mon  premier  difcours ,  j'étois  un  homme 
à  paradoxes,  qui  fe  faifoit  un  jeu  de  prouver 
ce  qu'il  ne  penfoi:  pas  :  Après  ma  lettre  fur  ia 
mufique  françoife ,  j'étois  l'ennemi  déclaré  de 
la  Nation;  il  s'en  falloit  peu  qu'on  ne  m'y  trai- 
tât en  confpirateur;  On  eut  dit  que  le  fort  de 
la  Monarchie  étoit  attaché  à  la  gloire  de  l'O- 
péra; Après  mon  difcours  fur  l'inégalité,  j'étois 
athée  6c  mifantrope:  Après  la  lettre  ù  M.  à'A- 
A   2 


t  LETTRE 

quand  ce  feu  commençoit  à  palTer.  J'approchois 
de  ma  quarantième  année ,  &.  j'avois ,  au  lieu 
d'une  fortune  que  j'ai  toujours  méprifée,  & 
d'un  nom  qu'on  m'a  fait  payer  fî  cher,  le  re- 
pos &  des  amis ,  les  deux  feuls  biens  dont  mon 
cœur  foit  avide.  Une  miférable  queflion  d'A- 
cadémie m'agitant  l'efprit  malgré  moi  me  jetta 
dans  un  métier  pour  lequel  je  n'étois  point  fait; 
un  fuccès  inattendu  m'y  montra  des  attraits  qui 
me  féduifirent.  Des  foules  d'adverfaircs  m'at- 
taquèrent fans  m'entendre  ,  avec  une  étour- 
derie  qui  me  donna  de  l'humeur,  à.  avec  un 
orgueil  qui  m'en  infpira  peut-être.  Je  me 
défendis,  &,  de  difpute  en  difpute,  je  me 
fentis  engngé  dans  la  carrière,  prefque  fans 
y  avoir  penfé.  Je  me  trouvai  devenu,  pour 
ainfi  dire ,  Auteur  à  l'âge  où  l'on  ccife  de  l'ê- 
tre ,  &  homme  de  Lettres  par  mon  mépris  mê- 
me pour  cet  état.  Dès-là,  je  fus  dans  le  pu- 
blic quelque  chofc  :  mais  auflî  le  repos  &  les 
amis  difparurent.  Quels  maux  ne  foufFris-je 
point  avant  de  prendre  une  aiîîctte  plus  fixe  & 
des  attachemens  plus  heureux?  11  fallut  dévorer 
mes  peines;  il  fallut  qu'un  peu  de  réputation 
inc  tint  lieu  de  tout,  Si  c'eft  un  dédomage-' 
Dient  pour  ceux  qui  font  toujours  loin  d'eux- 
mêmes  ,   ce  n'en  fut  jamais  un  pour  moi. 

Si  j'eusse  un  moment  compté  fur  un  bien  fi 
frivole ,  que  j'aurois  été  promptement  défabu- 
lé!  Quelle  incoûltaace  perpétuelle  n'ai-jc  pas 


A    M.    DE    BEAUMONT.         ^ 

éprouvée  dans  les  jugemens  du  public  fur  mon 
compte!  J'étois  trop  loin  de  lui;  ne  me  jugeant 
que  fur  le  caprice  ou  l'intérêt  de  ceux  qui  le 
mènent,  à  peine  deux  jours  de  fuite  avoit-il 
pour  moi  les  mêmes  yeux.  Tantôt  j'étois  un 
homme  noir,  &  tantôt  un  ange  de  lumière.  Je 
me  fuis  vu  dans  la  môme  année  vanté,  fêté, 
recherché,  même  à  la  Cour;  puis  in  fuite,  me- 
nacé ,  détefté ,  maudit  :  Les  foirs  on  m/atten- 
doit  pour  m'afTaffiner  dans  les  rues  ;  les  matins 
on  m'annonçoit  une  lettre  de  cachet.  Le  bien 
&  le  mal  couloient  à  peu  près  de  la  même 
fource;  le  tout  me  venoit  pour  des  chanfons. 
J'ai  ECRIT  fur  divers  fujets ,  mais  toujours 
dans  les  mêmes  principes  :  toujours  la  même 
morale,  la  môme  croyance,  les  mêmes  maxi- 
mes ,  &,  Il  l'on  veut,  les  mêmes  opinions.  Ce- 
pendant on  a  porté  des  jugemens  oppofés  de 
mes  livres,  ou  plutôt,  de  TAuteur  de  mes  li-' 
vres  ;  parce  qu'on  m'a  jugé  fur  les  matières  que 
j'ai  traitées,  bien  plus  que  fur  mes  fentimens. 
Après  mon  premier  difcours ,  j'étois  un  homme 
à  paradoxes,  qui  fe  faifoit  un  jeu  de  prouver 
ce  qu'il  ne  penfoit  pas  ;  Après  ma  lettre  fur  ia 
mufique  françoife ,  j'étois  l'ennemi  déclaré  de 
la  Nation;  il  s-' en  falloit  peu  qu'on  ne  m'y  trai- 
tât en  confpirateur;  On  eut  dit  que  le  fort  de 
la  Monarchie  étoit  attaché  à  la  gloire  de  l'O- 
péra; Après  mon  difcours  fur  Tinégalité,  j'étois 
athée  &  mifantrope:  Après  la  Ictue  à  M.  d'A- 
A   2 


4:  LETTRE 

lemfeert ,  j'étois  le  défenfeur  de  la  morale  chré- 
tienne: Après  l'HéloïTe  ,  j'étois  tendre  &  dou- 
cereux ;  maintenant  je  fuis  un  impie;  bientôt 
peut-être  ferai  je  un  dévot. 

Ainsi  va  flotant  le  fot  public  fur  mon  comp- 
te,  fâchant  aufîî  peu  pourquoi  il  m'abhorre, 
que  pourquoi  il  m'aimoit  auparavant.  Pour 
Baoi,  je  fuis  toujours  demeuré  le  même;  plu« 
ardent  qu'éclairé  dans  mes  recherches,  mais 
lincere  en  tout,  même  contre  m.oi;  fimple  & 
bon ,  mais  fenfible  &  foible ,  faifant  fouvent 
le  mal  &  toujours  aimant  le  bien;  lié  par  l'a- 
mitié,  jamais  par  les  chofes,  &  tenant  plus  à 
mes  fcntimens  qu'à  mes  intérêts  ;  n'exigeant 
rien  des  hom.mcs  &  n'en  voulant  point  dépen- 
dre, ne  cédant  pas  plus  à  leurs  préjugés  qu'à- 
leurs  volontés,  &  gardant  la  mienne  aufîî  li- 
bre que  ma  raifon  :  craignant  Dieu  fans  peur 
de  l'enfer,  raifonant  fur  la  Religion  fans  liber- 
tinage, n'aimant  ni  l'impiété  ni  le  fanatifme,  * 
mais  haïlTant  les  intolérans  encore  plus  que  les 
efprits-forts  ;  Ne  voulant  cacher  mes  façons  de 
pcnfer  à  perfonne,  fans  fard,  fans  artifice  en' 
Coûte  chofc,  difant  mes  fautes  à  mes  amia.y 
Ries  fentimens  à  tout  le  monde ,  au  public  ft-s 
vérités  fans  flaterie  &  fans  fiel ,  &  me  fouciant 
tout  auflî  peu  de  le  fâcher  que  de  lui  plaire. 
Voila  mes  crimes ,  &  voila  mes  vertus. 

EKFiNlafl'é  d'une  vapeur  ennivrante  qui  enfic 
Êans  rafîafier,  excédé  du  tracas  des  oififs  fur-» 


A.    M.    DE    BEAUMONT.         ? 

chargés  de  leur  teins  &  prodigues  du  mien , 
foupirant  après  un  repos  fi  cher  à  mon  cœur 
&  11  néceiTaire  à  mes  maux ,  j'avois  pofé  la  plu- 
me avec  joye.  Content  de  ne  l'avoir  prife  que 
pour  le  bien  de  mes  femblables ,  je  ne  leur  de- 
mandois  pour  prix  de  mon  zèle  que  de  me  laif- 
fer  mourir  en  paix  dans  ma  retraite,  &  de  ne 
m'y  point  faire  de  mal.  J'avois  tort  ;  des  huif- 
(iers  font  venus  me  l'apprendre ,  &  c'cft  à  cet- 
te époque,  où  j'efpérois  qu'alloient  finir  les 
ennuis  de  ma  vie,  qu'ont  commencé  mes  plus 
grands  malheurs.  Il  y  a  déjà  dans  tout  cela 
quelques  flngularités;  ce  n'eft' rien  encore.  Je 
vous  demande  pardon,  Monfeigneur,  d'abufer 
de  votre  patience  :  mais  avant  d'entrer  dans  ks 
difcuffions  que  je  dois  avoir  avec  vous ,  il  fauc 
parler  de  ma  (îruacion  préfète ,  &  des  caufes 
qui  m'y  ont  réduit. 

Un  Genevois  fait  imprimer  un  Livre  eu 
Hollande ,  &  par  arrêt  du  Parlement  de  Paris  ce 
Livre  eft  brûlé  fans  refpeét  pour  le  Souverain 
dont  il  porte  le  privilège.  Un  Proteftant  pro- 
pofe  en  pays  proteftant  des  objedions  contre 
l'Eglife  Romaine  >  &  il  eft  décrété  par  îe  Par- 
lement de  Paris.  Un  Répiiblic^in  fait  dans  une 
République  des  objeétions  contre  l'P^tat  monar- 
chique ,  &  il  eft  décrété  par  le  Parlement  de 
Paris.  11  faut  que  le  Parlement  de  Paris  ait  d'é- 
tranges idées  de  fon  empire,  &  qu'il  fe  croye 
le  légitime  juge  du  genre  humain» 
A  3 


6  LETTRE 

Ce  MEME  Parlement ,  toujours  fi  foigneux 
pour  les  François  de  l'ordre  des  procédures, 
■]es  néglige  toutes  dès  qu'il  s'agit  d'un  pauvre 
Etranger.  Sans  favoir  fi  cet  Etranger  efl  bien 
l'Auteur  du  Livre  qui  porte  fon  nom,  s'il  le 
leconnoit  pour  fien,  fi  c'efl  lui  qui  l'a  fait  im- 
priir.er  ;  fans  égard  pour  fon  trifiie  état,  fans 
pitié  pour  les  maux  qu'il  fouiFre,  on  commen- 
■ce  par  le  décréter  de  prife  de  corps  ;  on  l'eût 
arraché  de  fon  lit  pour  le  traîner  dans  les  mê- 
jî:es  priions  où  pourriflent  les  fcélérats  ;  on  l'eût 
brûlé,  peut-être  même  fans  l'entendre,  car  qui 
fait  fi  l'on  eût  pour  fui  vi  plus  régulièrement  des 
procédures  fi  violemment  commencées  &  dont 
on  trouveroit  à  peine  un  autre  exemple,  mê- 
me  en  pays  d'Inquifition  ?  Ainfi  c'efi:  pour  moi 
Jfeul  qu'un  tribunal  fi  fage  oublie  fa  fagefi^e;  c'ell 
contre  moi  feul ,  qui  croyois  y  être  aimé ,  que 
ce  peuple,  qui  vante  fa  douceur,  s'arme  de  îa 
plus  étrange  barbarie;  c'ed  ainfi  qu'il  juftifie  la 
préférence  que  je  lui  ai  donnée  fur  tant  d'aziles 
que  je  pouvois  choifir  au  même  prix  !  Je  ne  fai 
comment  cela  s'accorde  avec  le  droit  des  gens  ; 
mais  jt  fai  bien  qu'avec  de  pareilles  procédures 
la  liberté  de  tout  homme,  &  peut-être  fa  vie, 
cfi:  à  la  merci  du  premier  Imprimeur. 

Le,  Citoyen  de  Genève  ne  doit  rien  à  des 
Mngifirats  injuftes  &  incompétens,  qui,  fur  un 
réquifitoire  calomnieux,  ne  le  citent  pas ,  mais 
le  décrètent.  N'étant  point  fommé  de  coinparoi- 


A    M.    DE    BEAUMONT.  7 

tre,  il  n'y  eft  point  obligé.  L'on  n'employé  con- 
tre lui  que  la  force ,  &  il  s'y  fouflrait.  Il  fecoue 
la  poudre  de  fes  fouliers ,  &  fort  de  cette  terre 
hofpitaliere  où  l'ons'emprelTe  d'opprimer  le  foi- 
ble,&  où  l'on  donne  des  fers  à  l'étranger  avanc 
de  l'entendre,  avant  de  favoir  fi  l'acte  dont  on 
l'accufe  eft  punilTable,  avant  de  favoir  s'il  Ta 
commis. 

Il  abandonne  en  foupirant  fa  chère  folitude. 
Il  n'a  qu'un  feul  bien  ,  ipais  précieux,  des  amis , 
il  les  fuit.  Dans  fa  foibleffe  il  fupporte  un  long 
voyage;  il  arrive  &  croit  refpirer  dans  une  ter- 
re de  liberté  ;  il  s'approche  de  fa  Patrie ,  de 
cette  Patrie  dont  il  s'eft  tant  vant&,  qu'il  a  ché- 
rie &  honorée:  L'efpoir  d'y  être  accueilli  le  con- 

fole  de  fes  difgraces Que  vais-je  dire  ?  mon 

cœur  fe  ferre ,  ma  main  tremble ,  la  plume  en 
tombe;  il  faut  fe  taire ,  &  ne  pas  imiter  le  cri- 
me de  Cam.  Que  ne  puis-je  dévorer  en  féçrec 
la  plus  amere  de  mes  douleurs  ! 

Et  pourquoi  tout  cela?  Je  ne  dis  pas,  fur 
quelle  raifon  ?  mais,  fur  quel  prétexte  ?  On  ofe 
m'accufer  d'impiété  !  fans  fonger  que  le  Livre 
où  l'on  la  cherche  eft  entre  les  mains  èe  touc 
le  monde.  Que  ne  donneroit-on  point  pour  pou- 
voir fupprimer  cette  pièce  juftificative,  &dire 
qu'elle  contient  tout  ce  qu'on  a  feint  d'y  trou- 
ver !  Mais  elle  reftera ,  quoiqu'on  fafTe  ;  &  en 
y  cherchant  les  crimes  reprochés  à  l'Auteur,  h 
poftérité  n'y  verra  dans  fes  erreurs  mêmes  que 
A  4 


f  LETTRE 

les  torts  d'un  ami  de  la  vertu. 

J'EVITERAI  de  parler  de  mes  contemporains  ; 
je  ne  veux  nuire  à  perfonne.  Mais  l'Athée  Spi- 
noza enfeignoit  paifiblement  fa  doctrine;  il  fai- 
foit  fans  obllacle  imprimer  fes  Livres ,  on  les= 
débitoit  publiquement;  il  vint  en  France,  &. 
il  y  fut  bien  reçu;  tous  les  Etats  lui  étoicnt 
ouverts ,  par  -  tout  il  trouvoit  protection  ou  du 
moins  fureté  ;  les  Princes  lui  rendoient  des  hon- 
neurs ,  lui  ofFroicnt  des  chaires  ;  il  vécut  .&  mou- 
rut tranquille  ,  &  même  couûdéré.  Aujour- 
d'hui, dans  le  lîecle  tant  célébré  de  la  philofo- 
phic,  delaraifon,  de  l'humanité  ;  pour  avoir 
propofé  avec  circonfpeflion,  même  avecrefpect 
&;  pour  l'amour  du  genre  humain ,  quelques 
doutes  fondés  fur  la  gloire  même  de  l'Etre  fu- 
prême,  le  défenfeur  de  la  caufe  de  Dieu,  flér 
tri,  profciit,  pourfuivi  d'Etat  en  Etat,  d'azile 
en  azile,  fans  égard  pour  fon  indigence,  fans 
pitié  pour  fes  infirmités,  avec  un  acharnemenc 
que  n'éprouva  jamais  aucun  malfaiteur  &  qui 
feroit  barbare,  même  contre  un  homme  en  fan- 
té  ,  fc  voit  interdire  le  feu  &  l'eau  dans  l'Eu- 
rope ^refque  entière;  on  le  chaffe  du  milieu  des 
bois  ;  il  faut  toute  la  fermeté  d^m  Protecteur  il- 
luftre  &  toute  la  bonté  d'un  Prince  éclairé  pour 
le  laiffer  en  paix  au  fein  des  montagnes.  Il  eût 
paffé  le  refte  de  fes  malheureux  jours  dans  les 
fers,  il  eût  péri,  peut-être,  dans  les  fuppli- 
€cs,  fi,  durant  le  premier  vertige  qui  gagnoit 

ks 


A    M.     DE    BEAUMONT.  9 

les  Gouvernemens ,   il  fe  fût  trouvé  à  la  merci 
de  ceux  qui  l'ont  perfécuté. 

Echappe'  aux  bourreaux  il  tombe  dans  les 
mains  des  Prêtres  ;  ce  n'eft  pas  là  ce  que  je  don- 
ne pour  étonnant  rmais  un  homme  vertueux  qui 
a  Tame  auflî  noble  que  la  naiflance ,  un  illuilre 
Archevêque  qui  devroit  réprimer  leur  lâcheté, 
l'autorife  ;  il  n'a  pas  honte ,  lui  qui  devroit  plain- 
dre les  opprimés,  d'en  accabler  un  dans  le  fort  de 
fes  difgraces  ;  il  lance,  lui  Prélat  catholique  un 
Mandement  contre  un  Auteur  proteftant  ;  il  monte 
fur  fon  Tribunal  pour  examiner  comme  Juge  la 
doctrine  particulière  d'un  hérétique;  & ,  quoiqu'il 
damne  indiftinctement  quiconque  n'ell:  pas  de 
fonEglife,  fans  permettre  à  l'accufé  d'errer  à  fa 
mode ,  il  lui  prcfcrit  en  quelque  forte  la  route  par 
laquelle  il  doit  aller  en  Enfer.  Auflî-tôt  le  refte 
de  fon  Clergé  s'emprefle,  s'évertue,  s'acharne 
autour  d'un  ennemi  qu'il  cïok  terrafTé.  Petits  & 
grands ,  tout  s'en  mêle;  le  dernier  Cuillre  vient 
trancher  du  capable,  il  n'y  a  pas  un  fot  en  pe« 
tit  collet ,  pas  un  chétif  habitué  deParroilTe  qui  > 
bravant  à  plaiiîr  celui  contre  qui  font  réunis  leur 
Sénat  &  leur  Evêque,  ne  veuille  avoir  la  gloire 
de  lui  porter  le  dernier  coup  de  pied. 

Tout  cela,  Monfeigneur,  forme  un  con* 
cours   dont  je  fuis  le  feul  exemple,  &  ce  n'efl 

pas   tout  Voici,  peut-être,  une  des  û- 

tuations  les   plus  difficiles   de  ma  vie;  ;Une  dt 
•elles   où   la  vengeance  &  l'amovir-propre  fon* 
A  5 


10  LETTRE 

les  plus  aifos  à  fntisfnîre,  &  permettent  Te 
moins  à  rhomme  julie  d'être  modéré.  Dix 
lignes  feulement ,  &  je  couvre  mes  perfécu- 
teurs  d'un  ridicule  ineffaçable.  Que  le  publrc 
ne  peut-il  favoir  deux  anecdotes,  fans  que 
je  les  dife!  Que  ne  connoit-il  ceux  qui  ont 
médité  ma  ruine,  &  ce  qu'ils  ont  fait  pour  l'exé- 
cuter! Par  quels  méprifables  infefles ,  par  quels 
ténébreux  moyens  il  verroit  s'mouvoir  les 
PuilTances!  quels  levains  il  verroit  s'échauffer 
par  leur  pourriture  &  mettre  ie  Parlement  en 
fermentation!  Par  quelle  rifible  caufe  il  verroit 
les  Etats  de  l'Europe  fe  liguer  contre  le  fils  d'un 
horloger  1  Que  je  jouïrois  avec  plaifîr  de  fa  fur- 
prife,  fi  je  pouvois  n'en  être  pas  l'inftrument! 

Jusqu'ici  ma  plume,  hardie  à  dire  la  vérité, 
Biais  pure  de  toute  fatire,n'a  jamais  compromis 
perfonne ,  elle  a  toujours  refpeclé  l'honneur  des 
autres,  même  en  défendant  le  mien.  Irois-je 
en  la  quittant  la  fouiller  de  médifance,  &  la 
teindre  des  noirceurs  de  mes  ennemis?  Non, 
laifTons  -  leur  l'avantage  de  porter  leurs  coups 
dans  les  ténèbres.  Pour  moi,  je  ne  veux  me 
défendre  qu'ouvertement,  &  même  je  ne  veux 
que  me  défendre.  11  fuiEt  pour  cela  de  ce  qui 
eft  fù  du  public,  ou  de  ce  qui  peut  l'être  fans 
que  perfonne  en  foit  otFcnfé. 

UNi^  chofe  étonnante  de  cette  efpece,&:que 
je  puis  dire-,  efi  de  voir  l'intrépide  Chriflophe 
^e  Beavmgnt,   qui   ne   fait  plier   fous  aucune 


A     M.     DE    BEAUMONT.        il 

puifTance  ni  faire  aucune  paix  avec  les  Janféni f- 
t^s ,   devenir  fans  le  favoir  leur  fatellite  &  l'iii- 
ilrumenc  de  leur  animofîté;  de  voir  leur  ennemi 
,  le   plus  irréconciliable  févir  contre  moi  pour  a- 
voir  refufé  d'embrafler  leur  parti ,   pour  n'avoir 
point   voulu  prendre  la  plume  contre  les  Je  fui- 
I  tes,   que  je  n'aime  pas ,  mais  dont  je  n'ai  point 
à   me  plaindre ,   &  que  je  vois  opprimés.     Dai- 
gnez, Monfeigneur,    jetter  les  yeux  fur  le  Ci" 
xieme  Tome  de  la  nouvelle    Héloïfe,  premiè- 
re édition  ;  vous  trouverez   dans  la  note  de  la 
page    13S    (*)  la  véritable   fource  de  tous  mes 
malheurs.  J'ai  prédit  dans  cette  note  (car  je  me 
Hiêle   auiîî   quelquefois  de  prédire)   qu'aufîî-tôt 
que  les  Janfénilles  feroient  les  maîtres,  ils  fe- 
roient  plus  intolérans  &  plus  durs  que  leurs  en- 
nemis.   Je  ne  favois   pas  alors  que  ma  propre 
hifloire  vérifieroit  fî  bien  ma  prédiétion.    Le  fil 
de  cette  trame  ne  fer  oit  pas  difEcile  à  fuivre  à 
qui  fauroit  comment  mon  Livre  a  été  déféré.  Je 
n'en  puis  dire  davantage  fans  en  trop  dire,  mais 
je  pouvois  au-moins  vous  apprendre  par  quelles 
gens  vous  avez  été  conduit  fans  vous  en  douter. 
Croira -T- ON  que  quand   mon  Livre  n'eClt 
point  été  déféré  au  Parlement,  vous  nereuiïîez 
pas  moins  attaqué  ?  D'autres  pourront  le  croire 
ou   le  dire  ;   m.ais   v-ous   dont  la  confcience  ne 
fait  point  fouffrir  le  menfonge ,  vous  ne  le  dl^ 

(♦)  Page  2R2  de  la  noitvelle  Edition  falHint  U  Tcraf^ 
yi.  des  Oeuvres ,  note  du  Libraire. 

A  6 


12  LETTRE 

rez  pas.    Mon  difcours  fur  l'inégalité   a  couru 
votre  Diocèfe,   &.  vous  n'avez  point  donné  de 
Mandement.   Ma  lettre  à  M.  d'Alembcrt  a  cou- 
ru  votre  Diocèfe,   &  vous  n'avez  point  donne 
de   Mandement.    La   nouvelle  Pléloïfe  a  couru 
votre  Diocèfe,   &  vous  n'avez  point  donné  de 
Mandement.     Cependant  tous  ces  Livres,   que 
vous  avez  lus ,   puifque  vous  les  jugez ,  refpi- 
rent  les  mêmes  maximes  ;  les  mêmes  manières 
de  penfer  n'y  font  pas  plus  déguifées  :  Si  lefu- 
jet  ne  les  a  pas  rendu  fufceptibles  du  môme  dé- 
veloppement, elles  gagnent  en  force  ce  qu'elles 
perdent  en  étendue,  &  l'on  y  voit  laprofefllon. 
de  foi  de  l'Auteur  exprimée  avec  moins  de  ré- 
ferve  que  celle  du  Vicaire  Savoyard.    Pourquoi 
donc  n'avez-vous  rien  dit  alors?  Monfeigneur, 
votre  troupeau  vous  étoit-il  moins  cher?  Me 
lifoit-il  moins?  Goutoit-il  moins  mes  Livres? 
Etoit  il-moins  cxpofé  à  l'erreur  ?  Non  ,   mi.is  it 
n'y  avoit   point   alors   de  Jéfuites  à  profcrire  ; 
des  traîtres  ne  m'avoient  point  encore  enlacé  dans 
leurs  pièges;  la  note  fatale  n'étoit  point  connue 
&  quand  elle  le  fut,   le  public  avoit  déjà  donné 
fon  fufFrage  au  Livre ,  il  étoit  trop  tard  pour 
faire  du  bruit.   On  aima  mieux  différer^  on  at- 
tendit l'occafion  ,  on  l'épia,  on   la   faifit,   on 
s'en  prévalut  avec  la   fureur  ordinaire  aux  dé- 
vots ;   on   ne  parloit  que  de  chaînes  &  de  bû- 
chers; mon  Livre  étoit  le  Tocfin  de  l'Anarchie 
&  la  Trompette  de  l'Acbéïfme;  l'Auteur  écoic 


A    M.    DE    BEAUMONT.        tf 

un  monftre  à  étouffer,  on  s'étomioit  qu'on  l'eût 
fi  longtems  laiffe  vivre.  Dans  cette  rage  uni  ver- 
felle ,  vous  eûtes  honte  de  garder  le  fîlence  r 
vous  aimâtes  mieux  faire  un  aéle  de  cruauté  que 
d'être  accufé  de  manquer  de  zèle,&;  fervirvos 
ennemis  que  d'effuyer  leurs  reproches.  Voila,. 
Monfeigneur  ,  convenez-en,  le  vrai  motif  de  vo- 
tre Mandement;  &  voila,,  ce  me  femble ,  un 
concours  de  faits  affez  finguliers  pour  donner  à. 
mon  fort  le  nom  de  bizarre. 

Il  Y  A  longtems  qu'on  a  fubflitué  des  bien- 
féances  d'état  à  la  juftice.  Je  fai  qu'il  eft  des 
eir confiances  malheiireufes  qui  forcent  un  hom^ 
me  public  à  févir  malgré  lui  contre  un  bon  Ci- 
toyen. Qui  veut  être  modéré  parmi  des  furieux 
s'expofe  à  leur  furie,  &  je  comprends  que  dans 
un  déchainement  pareil  à  celui  dont  je  fuis  la: 
vidime ,  il  faut  hurler  avec  les  Loups ,  ou  rifquer 
d'être  dévoré.  Je  ne  me  plains  donc  pas  que  vous- 
ayez  donné  un  Mandement  contre  mon  Livre ,> 
mais  je  me  plains  que  vous  l'ayez  donné  contre 
ma  perfonne  avec  auffi  peu  d'honnêteté  que  de 
vérité;  je  me  plains  qu'autorifant  par  votre  pro* 
pre  langage  celui  que  vous  me  reprochez  d'a^ 
voir  mis  dans  la  bouche  de  l'infpiré,  vousm'ao 
câbliez  d'injures  qui,  fans  nuire  à  ma  cnufe,at'- 
taquent  mon  honneur  ou  plutôt  le  vôtre;  je 
me  plains  que  de  gayeté  de  cœur ,  fans  raifon ,.. 
fans  néceffité,  fans  refpeâ:,au  moins  pour  mes 
malheurs ,  vous  m'outragiez  d'un  ton  û  peu  di» 
A  7 


15  LETTRE 

&  l'ordre  ;  qu'il  n'y  a  point  de  perverfité  origi- 
nelle dans  le  cœur  humain,  &  que  les  premiers 
mouvemens  de  la  nature  font  toujours  droits. 
J'ai  fait  voir  que  l'unique  pafîîon  qui  naifle  avec 
l'homme,  favoir  l'amour- propre,  eft  une  paf- 
fion  indifférente  en  elle-même  au  bien  &  au 
mal  ;  qu'elle  ne  devient  bonne  ou  mauvaife  que 
par  accident  &  félon  les  circonftances  dans  lef- 
quelles  elle  fe  développe.  J'ai  montré  que  tous 
ifs  vices  qu'on  impute  au  cœur  humain  ne  lui 
font  point  naturels;  j'ai  dit  la  manière  dont  ils 
naiiTent;  j'en  ai,  pour  aînfi  dire,  fuivi  la  gé- 
néalogie, &  j'ai  fait  voir  comment,  par  Talté- 
ration  fucceflîve  de  leur  bonté  originelle,  les 
hommes  deviennent  enfin  ce  qu'ils  font. 

J'ai  encore  expliqué  ce  que  j'entendois  par 
cette  bonté  originelle  qui  ne  fembie  pas  fe  dé- 
duire de  TindifFércnce  au  bien  &  au  mal  natu- 
relle à  l'amour  de  foi.  L'homme  n'efl  pas  un 
être  firaple;  il  eft  compofé  de  deux  fubftances. 
Si  tout  le  monde  ne  convient  pas  de  cela, nous 
en  convenons  vous  &  moi ,  &  j'ai  tâché  de  le- 
prouver  aux  autres.  Cela  prouvé ,  l'amour  de 
foi  neft  plus  une  paflîon  fîmple;  mais  elle  îi 
deux  principes ,  favoir  ,  l'être  intelligent  &  l'ê- 
tre fenfitif ,  dont  le  bien-être  n'eft  pas  le  même. 
L'appétit  des  fens  tend  à  celui  du  corps,  &  l'a- 
mour de  l'ordre  à  celui  de  l'ame.  Ce  dernier 
amour  développé  &  rendu  adif  porte  le  nom 
ée  confciencei  mais  la  confciencc  ne  fe  déye- 


A     M.    DE     BEAUMONT;        u 

îoppe  &  n'agit  qu'avec  les  lumières  de  l'honv- 
me.  Ce  n'eft  que  par  ees  lumières  qu'il  par- 
vient à  connoiÈre  l'ordre,  &  ce  n'eft  que  quand 
il  le  connoît  que  fa  confcience  îe  porte  à  rai- 
mer.  L.2L  confcience  eft  donc  nulle  dans  l'hom- 
me qui  n'a  rien  comparé,  &  qui  n'a  point  va 
fes  rapports.  Dans  cet  état  l'homme  ne  connoît 
que  lui;  il  ne  voit  fon  bien-être  oppofë  ni  con- 
forme à  celui  de  perfonne;  il  ne  hait  ni  n'aime 
ïien;  borné  au  feul  inftinfl:  phyrique,il  eft  nul  > 
il  eft  bête;  c^èïl  ce  que  j'ai  fait  voir  dans  mon 
difcours  fur  l'inégalité. 

Quand,  par  un  développement  dont  j'ai  mon- 
tré le  progrès ,  les  hommes  commencent  à  jetter 
les  yeux  fur  leurs  ferablablcs ,  ils  commencent 
-auiTiàvoir  leurs  rapports  &  les  rapports  des  cho- 
fes, à  prendre  des  idées  de  convenance  de  jiiftl- 
cc  &  d'ordre  ;  le  beau  iiiorai  commence  à  leur 
devenir  fenfible  &  la  confcience  agit.  Alors  ils 
ont  des  vertus,  &  s'ils  ont  auUî  des  vices  c'eft 
parce  que  leurs  intérêts  fe  croifcnt  &.  que  leur 
ambition  s'éveille,  à  m-efure  que  leurs  lumières 
s'étendent.  Mais  tant  qu'il  y  a  moins  d'oppofî- 
tion  d'intérêts  que  de  concours  de  lumières,  les 
hommes  font  elTentiellement  bons»  Voila  le  fé- 
cond état. 

Quand  enfin  tous  les  intérêts  particuliers 
agités  s'entrechoquent,  quand  l'amour  de  fot 
mis  en  fermentation  devient  amour-propre,  que 
l'opinion,  rendant  l'univeis  entier  nécelTaire  à 


i8  LETTRE 

chaque  homme,  les  rend  tous  ennemis  nés  les 
uns  des  autres  &  fait  que  nul  'ne  trouve  fon 
bien  que  dans  le  mal  d'autrui  ;  Alors  la  con- 
fcience  ,  plus  foible  que. les  paffions  exaltées 
eft  étoufFée  par  elles  ,  &  ne  refte  plus  dans  la 
bouche  des  hommes  qu'un  mot  fait  pour  fe 
tromper  mutuellement.  Chacun  feint  alors  de 
touloir  facrifier  fes  intérêts  à  ceux  du  public, 
&  tous  mentent.  Nul  ne  veut  le  bien  public 
que  quand  il  s'accorde  avec  le  fien  ;  auflî  cet 
accord  efl-il  l'objet  du  vrai  politique  qui  cher- 
che à  rendre  les  peuples  heureux  &  bons. 
JVIais  c'efl  ici  que  je  commence  à  parler  une 
langue  étrangère  ,  aufîi  peu  connue  des  Lec- 
teurs que  de  vous. 

Voila  ,  Monfeigneur  ,  le  troifierac  &  der- 
nier terme,  au  delà  duquel  rien  ne  relie  à  fai- 
re, &  voila  comment  Thomme  étant  bon,  les 
hommes  deviennent  méchans.  C'efl  à  chercher 
comment  il  faudroit  s'y  prendre  pour  les  empê- 
cher de  devenir  tels,  que  j'ai  confacré  mon  Li- 
vre. Je  n'ai  pas  affirmé  que  dans  l'ordre  actuel 
la  chofe  fut  absolument  poffible;  mais  j'ai  bien 
affirmé  &  j'affirme  encore  ,  qu'il  n'y  a  pour  en 
venir  à  bout  d'autres  moyens  que  ceux  que  j'ai 
propo  fés. 

La-dessus  vous  dites  que  mon  plan  d'éduca- 
tion,   (^i)   loin  de  s'accorder  avec  le  Chriftianijme , 
n'eji  pas  même  propre  à  faire  des  Citoyens  ni  dfs 
(i)  2Iandtmtnt  m-4  pag.  5.  ÎQ  douze  p.  x. 


A     M.     DE    BEAUMONT.         19 

hommes;  &  votre  unique  preuve  eft  de  m'oppo- 
fer  le  péché  originel.  Monfeigneur,  il  n'y  a 
d'autre  moyen  de  fe  délivrer  du  péché  originel 
&  de  fes  effets,  que  le  baptême.  D'où  il  fui- 
vroit ,  félon  vous ,  qu'il  n'y  auroit  jamais  eu  de 
Citoyens  ni  d'hommes  que  des  Chrétiens.  Ou 
niez  cette  conféquence,  ou  convenez  que  vous 
avez   trop  prouvé. 

Vous  tirez  vos  preuves  de  fi  haut  que  vous 
me  forcez  d'aller  auflî  chercher  loin  mes  ré- 
p  on  fes.  D'abord  il  s'en  faut  bien ,  félon  moi , 
que  cette  doctrine  du  péché  originel,  fujette  à 
des  difficultés  fi  terribles,  ne  foit  contenue  dans 
l'Ecriture  ni  fi  clairement  ni  fi  durement  qu'il 
a  plu  au  rhéteur  AuguHin  &  à  nos  Théologiens 
de  la  bâtir;  (Se  le  m.oyen  de  concevoir  que  Dieu 
crée  tant  d'ames  innocentes  &  pures ,  tout  ex- 
près pour  les  joindre  à  des  corps  coupables, 
pour  leur  y  faire  contrarier  la  corruption  mora- 
le ,  &  pour  les  condanner  toutes  à  l'enfer ,  fans 
autre  crime  que  cette  union  qui  efl:  fon  ouvra- 
ge ?  Je  ne  dirai  pas  fi  (comme  vous  vous  ea 
vantez)  vous  éclaircifTez  par  ce  fifi:ême  le  mifte- 
Te  de  notre  cœur,  mais  je  vois  que  vous  obf- 
Gurciffez  beaucoup  la  juftice  &  la  bonté  de  l'E- 
tre fuprême.  Si  vous  levez  une  obje(!^ion,  c'eft 
pour  en  fubftituer  de  cent  fois  plus  fortes. 

Mais  au  fond  que  fait  cette  doétrine  à  l'Au- 
teur d'Emile  ?  Quoi  qu'il  ait  cru  fon  livre  utile 
au  genre  humain ,  c'ell  à  des  Chrétiens  qu'il  l'a 


fto  LETTRE 

deftioë;  c'eft  à  des  hommes  lavés  du  péché  ori- 
iginel  &  de^  fes  effets,  du  moins  quant  à  l'ame , 
par  le  Sacrement  établi  pour  cela.  Selon  cette 
-même  «doétrine,  nous  avons  tous  dans  notre  en- 
fance recouvré  l'innocence  primitive;  nous 
fommes  tous  fortis  du  baptême  aulîl  fains  de 
'Cœur  qu'Adam  fortit  de  la  main  de  Dieu.  Nous 
avons,  diiez-vous,  contracté  de  nouvelles  fouil- 
Uires  :  mais  puifc^ue  nous  avons  commencé  par 
en  être  délivrés,  comment  les  avons-nous  dere- 
chef contraélécs  ?  le  fang  de  Chrift  n'cll-il  donc 
pas  encore  afTez  fort  pour  effacer  entièrement 
la  tache,  ou  bien  feroit-elle  un  effet  de  la  cor- 
luption  naturelle  de  notre  chair;  comme  fi^ 
«Tïême  indépendamment  du  péché  originel ,  Dieu 
nous  -eût  crées  corrompus,  .out  exprès  pour 
■avoir  le  pîaifir  de  nous  punir?  Vous  attribuez 
ûu  péché  original  les  vices  des  peuples  qu<î 
vous  avouez  avoir  été  délivrés  du  péché  origv- 
ccl;  puis  vous  me  blâmez  d'avoir  donné  une 
autre  origine  à  ces  vices.  Efl-11  jufte  de  me  fai- 
re un  ciim^  de  n'avoir  pas  auffi  mal  raifaniié 
^ue  vous? 

On  pourroit  ,   il  eft  vrai ,  me  dire  que  ces 
effets  que  j'attribue  au  baptême  (2)  ne  paroif- 

(2)  si  l'on  d'.foit  ,  avec  le  Dofteur  Thomas  Burn;t, 
nue  la  coriupcion  &  U  moiia^ùe  de  ia  tace  humHoe> 
luite  du  peclie  d'Adam  ,  fut  un  effet  nniuiel  du  fiuit  de'« 
fendu;  que  cet  aliment  contenoii  dei  fucs  venimeux  qui 
dér.xrjgeieBt  toute  l'économie  animale  ,  qui  irritcient  le» 
fiifllons,  qui  Hlïoibiircnt  rentendcment ,  6c  qui  poitcrent 
par  tout  les  ptincipes  du  vice  £<  de  la  mon  ;  alors  il  iati- 


A    M.    DE    BEAUMONT.        2ï 

fetit  par  nul  figne  extérieur  ;  qu'on  ne  voit  pas 
iei  Chrétiens  moins  enclins  au  mal  que  les  infii- 
delies;  au  lieu  que,  félon  moi,  la  malice  infu- 
fe  du  péché  devrolt  fe  marquer  dans  ceux-ci 
par  des  différences  fenUbles.  Avec  les  fecours 
que  vous  avez  dans  la  morale  évangélique,  ou- 
tre le  baptême  ;  tous  les  Chrétiens  ,  pourfui- 
vroit-on,  devroient  être  des  Anges;  &  les.  inii- 
delles,  outre  leur  conruption  originelle,  livrés; 
à  leurs  cultes  erronés ,  devroient  être  des  Dé- 
mons. Je  conçois  que  cette  difficulté  prefTée 
pourroit  devenir  embarraffante  :  car  que  répon- 
dre à  ceux  qui  me  feroienc  voir  que,  relative- 
ment au  genre  humain ,  l'effet  de  la  rédemption 
faite  à  fî  haut  prix  ,  fe  réduit  à  peu  près  à 
îâen?  :' 

Mais,  Monfeignear,  outre  que  Je  ne  crois 
point  qu'en  bonne  Théologie  on  n'ait  pas  quel- 
que expédient  pour  fortir  de  là;  quand  je  con»*. 
viendrois  que  le  baptême  ne  remédie  point  à  lé 
corruption  de  notre  nature  ,  encore  n'en  au- 
riez-vous  pas  raifonné  plus  foUdement.  Nous 
fommes,  dites-vous,  pécheurs  à  caufe  du  péché 
de  nôtre  premier  père;  mais  notre  premier  pè- 
re pourquoi  fut-il  pécheur  lui-même?  Pourquoi' 

droit  convenir  que  la  natare  du  remède  devant  fe  rappor- 
ter à  celle  du  mal  ,1e  baptême  devroit  agir  phyfiquement 
fur  le  corps  de  l'homme  ,  lui  rendre  la  conttiturion  qu'il' 
avoir  dans  l'état  d'innocence,  ôc,  finon  l'immortalité  qui 
en  dependoit ,  du  moins  tous  lç«  effçls  moiaux  de  l'eco- 
uomie  animale  xetablict 


12  LETTRE 

la  même  raifon  par  laquelle  vous  expliquerez 
fon  péché  ne  feroit-elle  pas  applicable  à  fes 
defcendans  fans  le  péché  originel,  &  pourquoi 
faut-il  que  nous  imputions  à  Dieu  une  injuftice, 
en  nous  rendant  pécheurs  &  punilTables  par  le 
vice  de  notre  naiflance,  tandis  que  notre  pre- 
mier père  fut  pécheur  &  puni  comme  nous 
fans  cela  ?  Le  péché  originel  explique  tout  ex- 
cepté fon  principe  ,  &  c'eft  ce  principe  qu'il 
s'agit  d'expliquer. 

Vous  avancez  que,  par  mon  principe  à  moi, 
(3)  !'<>"  P^^^  d^  ^'"^  ^^  rayon  de  lumière  qui  nous 
fait  connoître  le  mîjlere  de  notre  propre  cœur;  & 
vous  ne  voyez  pas  que  ce  principe ,  bien  plus 
univerfel,  éclaire  même  ^a  faute  du  premier 
homme,  (4)  que  le  votre  laifle  dans l'obfcurité. 

(3)  Mandement  in-4  p.  $.  in-l2.  p.  xr. 

(4)  Regimber  contre  une  def<;nfe  inutile  &  arbitraire 
cft  un  penchant  naturel ,  mais  qui,  loin  d'être  vicieux  ea 
lui-même  ,  eft  conforme  à  l'ordre  des  choies  &  à  la  bonne 
conftitution  de  l'homme  ;  puifqu'il  ieroit  hors  d'état  de 
fe  conferver,  s'il  n'avoit  un  amour  très-vif  pour  lui  même 
&  pour  le  maintien  de  tous  fes  droits,  tels  qu'il  les  a  re- 
çus de  la  nature.  Celui  qui  pourroit  tout  ne  voudroit  que 
ce  qui  lui  feroit  utilej  mais  un  Etre  foible  dont  la  loi 
leftreint  &  liraltç,  encore  le  pouvoir  perd  une  partie  de 
lui-même,  Se  re'clame  en  fon  cœur  ce  qui  lui  el^  oré. 
Xui  faire  un  crime  de  cela  feroit  lui  en  faire  un  d'être 
lui  5c  non  pas  un  autre  i  ce  feroit  vouloir  en  même  tcms 
qu'il  fut  &  qu'il  ne  fut  pas.  Aufll  l'ordre  enfreint  par 
Adam  me  paroîit  il  moins  une  ve'ritabl?  défenfe  ou'rn  a- 
vis  paternel }  c'eft  un  avertiil'ement  de  s'abftenii  d'nri  finit 
pernicieux  qui  donne  la  mort.  Cette  idée  etl:  afTuTément 
plus  conforme  à  celle  qu'on  d  )it  avo  r  de  la  bonté  de 
Dieu  &c  mîms  au  texte,  vie  laGcefe  que  c  Uc  qu'il  plaît 
aux   Dodcurs  de  nous  preiciiie:  «ai  quaot  à  la  menace 


A    M.    DE    BEAUMONT.         2$ 

Vous  ne  favez  voir  que  l'homme  dans  les  mains 
du  Diable, &  moi  je  vois  comment  il  y eil: tom- 
bé ;  la  caufe  du  mal  eft,  fclon  vous,  la  nature 
corrompue  ,  &  cette  corruption  môme  eft  un 
mal  dont  il  faloit  chercher  la  caufe.  L'homme 
fut  créé  bon  ;  nous  en  convenons ,  je  crois , 
tous  les  deux  :  Mais  vous  dites  qu'il  eft  mé- 
chant, parce  qu'il  a  été  méchant  ;  &moi  je  mon- 
tre comment  il  a  été  méchant.  Qui  de  nous ,  à 
votre  avis ,  remonte  le^  mieux  au  principe  ? 

CgPENDi\NTvous  ne  laifTez  pas  de  triompher 
à  votre  aife,  comme  fi  vous  m'aviez  terralTé. 
Vous  m'oppofez  comme  une  objeftion  infoluble 
(5)  ce  mélange  frappant  de  grandeur  ^  de  hafjef- 
Je ,  d'ardeur  pour  la  vérité^  de  goût  pour  l'erreur ^ 
d'inclination  pour  la  vertu  ^p  de  penchant  pour  h 

di  la  double  mort,  on  a  fait  voir  <^ue  ce  mot  morte  mo' 
ritris  n'a  pas  l'emphafe  qu'ils  lui  prêtent,  ôc  n'eft  qu'un 
hebraïfme  employé  en  d'autres  endroits  où  cette emphafe 
ne  peut  avoir  lieu. 

Il  y  a  de  plus  ,  un  motif  fi  naturel  d'indulgence  &  de 
commiferation  dans  la  rufc  du  tentateur  oc  dans  la  réduc- 
tion de  la  femme,  qu'à  confidérer  dans  toutes  Çqs  cir-» 
conftances  le  pèche  d'Adam,  l'on  n'y  peut  trouver  qu'u- 
ne faute  des  plus  le'geres  Cependant  ftlon  eux,  quelle 
effroyable  punition'.  11  eft  même  impoflibled'enconccv'oir 
une  plus  terrible;  car  quel  châtiment  eût  pu  porter  Adaru 
pour  les  plus  grands  crimes,  que  d'être  condanne,  lui 
&  toute  fa  race,  à  la  mort  en  ce  monde,  &  à  palier  l'e- 
tcrnite  dans  l'autre  dévore's  dîs  feux  de  l'enfer  î  tft-celà 
la  peine  impofee  par  le  Dieu  de  miféricortie  à  un  pauvre' 
malheureux  pour  s'être  laifle  tromper?  Q.ue  je  hais  la  dc'- 
courageante  doftrine  de  nos  durs  Théclofjiens  î  11  j'étois 
un  moment  tenté  de  l'admettre,  c'cil  alors  que  jecioiiôis 
blafphemer. 

(sj  Uandtment  ^"4  p«  C*  in-i:.  p.  xi. 
.   .  ■"■',  ■ç^  :■'■ 


U  LETTRE 

vice,  qui  fe  trouve  en  nous.  Etonnant  côntrajle^ 
ajoutez-vous ,  qui  décsncerte  la  pbilofopbie  payent 
ns,  £sP  la  laijfe  errer  dans  de  vaines  Jpeeulatioiis  l 

Ce  n'est  pas  une  vaine  fpéculation  que  la 
Théorie  de  l'homme ,  lorfqu'elle  fe  fonde  fur  la 
nature  ,  qu'elle  marche  à  l'appui  des  faits  par  des 
conféquences  bien  liées,  &  qu'en  nous  menant 
à  la  fource  des  paflîons ,  elle  nous  apprend  à 
régler  leur  cours.  Que  fi  vous  appeliez  philofo- 
phie  payenne  la  profeUîon  de  foi  du  Vicaire 
Savoyard,  je  ne  puis  répondre  à  cette  imputa- 
tion, parce  que  je  n'y  comprens  rien  (a);  mais 
}€  trouve  plaifant  que  vous  empruntiez  prefque 
fes  propres  termes,  (6)  pour  dire  qu'il  n'expli- 
que pas  ce  qu'il  a  le  mierx  expliqué. 

Permettez,  Monfeigneur,  que  je  remette 
fous  vos  yeux  la  conclufion  que  vous  tirez  d'u- 
ne objeflion  Ci  bien  difcutée,  &  fuccelîivement 
toute  la  tirade  qui  s'y  rapporte. 

(7)  Lbomme  Je  Jent  entraîné  par  une  pente  fit* 
nefte ,  Ê?  comment  fe  rjidiroiî-il  contre  elle  y  ftfon 
enfance  nétoit  dirigée  par  des  maîtres  pleins  de  ver» 
tu ,  de  fageffe ,  de  vigilance  ,  ^  fi,  durant  tout 
U  cours  de  fa  vie  il  ne  faifoit  lui-même ,  fous  la 
protection  c?  û1/'«^  ^"  grâces  de  fon Dieu ,  des  efforts 
-puiffans  £?  continuels  ? 

C'est- 

{a)  a  moins  qu'elle  ne  fe  rapporte  à  Taccufjrtion  que 
m'intente  M.  de  Bcaumont  dans  la  fuite,  d'arcir  adnai* 
piuficuis  Dieux. 

(6)  Emile  Tome  HT.  p.  68  &  69.  prcnj.  Editioa* 

(7)  Àîandtmtnt  ia-^  p.  t,  in-iz.   p.  x:. 


A    M.     DE     BEAUMONT.  25 

C'est -A  -  dire  ;  Nous  voyons  que  les  bemmesfont 
mérbms ,  qiioiqiCinceJJamment  tiraniiijés  dès  leur 
enfance;  Ji  donc  m  ne  les  tirannijoit  pas  dès  ce 
tems-là,  comment  parviendr oit' on  à  les  rendre  fa ges^ 
piiîfque  ,  même  en  les  tîrannîfant  fa?is  cejfe ,  il  eft 
im^'Ojfible  de  les  rendre  tels  ? 

Nos  ri^ifonnemens  fur  l'éducation  pourront 
devenir  plus  fenfibles ,  en  les  appliquant  à  un 
autre  fujet. 

Supposons, Mon feigneur,  que  quelqu'un  vint 
tenir  ce  difcours  aux  hommes. 

„  Vous  vous  tourmentez  beaucoup  pour  chcr- 
„  cher  des  Gouvernemens  équitables  &  pour 
,,  vous  donner  de  bonnes  loix.  Je  vaispremié- 
„  rement  vous  prouver  que  ce  font  vos  Gouver- 
„  nemens  -  mômes  qui .  font  les  maux  auxquels 
„  vous  prétendez  remédier  par  eux.  Je  vous 
„  prouverai,  de  plus,  qu'il  eft  impoffîbic  que 
„  votts  ayez  jamais  ni  de  bonnes  loix  ni  des 
„  Gouvernemens  équitables  ;  &  je  vais  vous 
,,  montrer  enfuite  le  vrai  moyen  de  prévenir, 
5,  fans  Gouvernemens  &  fans  Loix,  tous  ces 
„  maux  dont  vous  vous  plaignez.  " 

Supposons  qu'il  expliquât  après  cela  fon  fîfte- 
me  &  propofât  fon  moyen  prétendu.  Je  n'exa- 
mine point  fî  ce  fiftême  feroit  folide  &  ce  mo- 
yen praticable.  S'il  ne  l'étoit  pas,  peut-être 
fe  contenteroiton  d'enfermer  l'Auteur  avec  les 
foux ,  &  Ton  lui  rendroit  juftice  :  mais  fi  mal- 
heureufement  il  l'étoit ,  ce  feroit  bien  pis ,  & 
B 


t6  LETTRE 

vous  concevez,  Monfeigncur,  ou  d'autres  con- 
cevronc  pour  vous,  qu'il  n'y  auroit  pas  aiïez  de 
bûchers  &  de  roues  pour  punir  l'infortuné  d'a- 
voir eu  raifon.  Ce  u'efl  pas  de  cela  qu'il  s'a- 
git ici. 

Quel  que  fût  le  fort  de  cet  homme,  il  eft 
fur  qu'un  déluge  d'écrits  viendroit  fondre  fur 
le  fien.  Il  n'y  auroit  pas  un  Grimaud  qui, pour 
faire  fa  cour  aux  PuifTances ,  &  tout  fier  d'im- 
primer avec  privilège  du  Roi,  ne  vint  lancer 
fur  lui  fa  brochure  &  fes  injures,  &  ne  fe  van- 
tât d'avoir  réduit  au  filence  celui  qui  n'auroit 
pas  daigné  répondre,  ou  qu'on  auroit  empêché 
de  parler.  Mais  ce  n'cft  pas  encore  de  cela 
qu'il    s'agit. 

Supposons  ,  enfin ,  qu'un  honme  grave ,  & 
qui  auroit  fon  intérêt  à  la  chofc,  crût  devoir 
auffi  faire  comme  ks  autres ,  &  parmi  beaucoup 
de  déclamations  &  d'injures  s'avifàt  d'argumenter 
ainfi.  Quoi,  malheureux l  Z'ous  voulez  anéantir  les 
CoîivernemeTis  ^  les  Lqîx  ?  Tandis  que  les  Gouver- 
nemens  ^  les  Loix  font  le  feul  frein  du  vice  ^  ^ 
ont  bien  de  la  peine  encore  à  le  contenir.  Qrie  fe- 
rcit  ■  ce  ,  grand  Dieu  !  Si  nous  ne  les  avions  plus  f 
Vous  nous  ôtez  les  gibets  ^  les  roues  ;  vous  Vêulez 
iîablir  un  brigandage  public.  Fous  êtes  un  homme 
nbominable. 

Si  ce  pauvre  homme  ofoit  parler,  il  diroit, 
fans  doute.  „  Très-Excellent  Seigneur,  votre 


A    M.    DE     BEAUMONT.      IT 

'„  Gitindeiir  fait  une  pétition  de  principe.  Je  ne 
„  dis  point  qu'il  ne  faut  pas  réprimer  le  vice , 
„  mais  je  dis  qu'il  vaut  mieux  l'empêcher  de 
„  naître.  Je  veux  pourvoir  à  l'infuffifance  des 
„  Loix,  &  vous  m'alléguez  Tinfuififance  des 
5,  Loix.  Vous  m'accufez  d'établir  les  abus,  par* 
„  ce  qu'au  lieu  d'y  remédier  j'aime  mieux  qu'on 
5,  les  prévienne.  Quoi!  s'il  étoit  un  moyen  de 
„  vivre  toujours  en  fanté,  faudroit-il  donc 
„  le  profcrire,  de  peur  de  rendre  les  méde- 
j,  cins  oififs  ?  Votre  Excellence  veut  toujours 
5,  voir  des  gibets  &  des  roues ,  &  moi  je  vou- 
,5  drois  ne  plus  voir  de  malfaiteurs  :  avec  touc 
,,  le  refpeft  que  je  lui  dois ,  je  ne  crois  pas 
„  être  un  homme  abominable  ". 

Hélas  !  M.  T.  C.  F.  malgré  les  principes  de  Vé» 
ducaîion  la  plus  faîne  ^  la  plus  vertueufe;  malgré 
les  promejjes  les  plus  magnifiques  de  la  Religion  ^ 
les  menaces  les  plus  terribles ,   les  écans  de  la  jeu  ' 
nejfe  ne  font  encore  que  trop  fréquens ,  trop  mnlti* 
plies.  J'ai  prouvé  que  cette  éducation,  qucvous  \ 
appeliez  la  plus   faine,  étoit  la  plus  infenfée,  1 
que  cette  éducation ,  que  vous  appeliez  la  plus  \ 
vertucufe ,  donnoit  aux  enfans  tous  leurs  vices;  ' 
j'ai  prouvé   que  toute  la  gloire  du  paradis  les 
tentoit  moins  qu'un  morceau  de  fucre ,  &  qu'ils 
craignoient  beaucoup  plus  des'ennuye;- à  Vêpres 
que  de  brûler  en  enfer;  j'ai  prouvé  que  les  é- 
carts  de  la  jeunefle  qu'on  fe  plaint  de  ne  poii- 
voir  réprimer  par  ces  moyens ,  en  étoicnt  l'ovi- 

S    2  ■ 


28  LETTRE- 

vrage.  Dcifis  quelles  erreurs,  dans  quels  excèi,  «.- 
handonme  à  elle.même,  ne  Je  précipiteroit-elle  donc 
pas  ?  La  jeunelTe  ne  ségare  jamais  d'elle-même  : 
toutes  fes  erreurs  lui  viennent  d'être  mal  condui- 
te. Les  camarades  &  les  maîtrefles  achèvent  ce 
qu'ont  commencé  les  Prêtres  &  les  Précepteurs; 
j"ai  prouvé  cela.  Cefl  wi  torrent  qui  Je  dcborde 
maigre  les  digues  puijjanîes  qu'mlui  az'oit  oppojees  : 
que  Jeroit-ce  donc  fi  nul  chft.icle  nt  Jujpendoit  Jcs 
flots f  ^  m  rompait  Jes  efforts?  Je  pourrois  dire  : 
cejî  un  torrent  qui  ren-'jerje  Z'os  îinpuijfantes  digues 
y  brije  tout.  EiargiJJezJon  lit  ^  le  laijjez  courir 
Jans  ohflacle  ;  il  ne  fera  jamais  de  mal.  Mais  j'ai 
honte  d'employer  dans  un  fujet  aufîî  férieuxces 
figures  de  Collège,  que  chacun  applique  à  fa 
fantaifîe,  &  qui  ne  prouvent  rien  d'aucun  côté. 

Au  RESTE,  quoique,  félon  vous  les  écarts 
de  la  jeunefTe  ne  foient  encore  que  trop  fré- 
quens,  trop  multipliés,  à  caufe  delà  pente  de 
l'homme  au  mal,  il  paroît  qu'à  tout  prendre 
vous  n'êtes  pas  trop  mécontent  d'elle,  que  vous 
vous  complaifez  affez  dans  l'éducation  faine  ùc 
vertueufe  que  lui  donnent  actuellement  vos  maî- 
tres pleins  de  vertus ,  de  fageffe  &  de  vigilance, 
que  félon  vous,  elle  perdroit  ber.ucoup  à  être 
élevée  d'une  autre  manière,  &  qu'au  fond  vous 
ne  penfez  pas  de  ce  fiecle  la  lie  des  fiecles  tout 
ie  mal  que  vous  affectez  d'en  dire  à  la  tête  de 
vos  Mandemcns. 

]e  conviens  qu'il  «ft  fupperflu  de  chercher 


A    M.     DE    BEAUMONT,         Z9 

de  nouveaux  plans  d'Education  ,  quand  on  efl:  fi 
content  de  celle  qui  exifte  :  mais  convenez  auf- 
fi  ,  Monfeigneur,  qu'en  ceci  vous  n'êtes  pas 
difficile.  Si  vous  eufTiez  été  aufîî  coulant  en  ma- 
tière de  do6trine,  votre  Diocèfe  eût  été  agité 
de  moins  de  troubles  ;  l'orage  que  vous  avez 
excité,  ne  fût  point  retombé  fur  les  Jéfuites.;  je 
n'en  aurois  point  été  écrafé  par  compagnie  à 
vous  fufTicz  reflé  plus  tranquille ,  &  moi  aufîî. 

Vous  avouez  que  pour  réformer  le  monde 
autant  que  le  permettent  la  foiblclTe,  6c,  félon 
vous,  la  corruption  de  notre  nature,  il  fuffi- 
roit  d'obferver  fous  la  direction  &  l'impreffion 
de  la  grâce  les  premiers  rayons  de  la  raifon  hu- 
maine, de  les  faifîr  avec  foin,&  de  les  dirigée 
vers  la  route  qui  conduit  à  la  vérité.  (8)  Par 
là,  continuez  -  vous ,  ces  efprîts,  encore  exempts 
de  préjugés  fer  oient  pour  toujours  en  garde  contre 
V erreur  ;  ces  cœurs  encore  exempts  des  grandes  paf» 
fions  prendroîent  les  imprejfwns  de  toutes  les  vertus. 
Nous  fommes  donc  d'accord  fur  ce  point,  car 
je  n'ai  pas  dit  autre  chofc.  Je  n'ai  pas  ajou- 
té ,  y^n  conviens ,  qu'il  fallût  faire  élever  les 
enfans  par  des  Prêtres;  môme  je  ne  penfois  pfPs 
que  cela  fût  néccffaire  pour  en  faire  des  Cito- 
yens &  des  hommes  ;  &  cette  erreur ,  fi  c'en 
efl  une,  commune  à  tant  de  Catholiques,  n'cft 
pas  un  fi  grand  crime  à  un  Proteflant.  Je  n'e- 
xamine  pas  fi  dans  votre  pays  les  Prêtres  eux- 

(l)  Mandement  m-4.  p.  5.  in- 12.  p.  x. 

B   3 


3©  LETTRE 

mênies  paflcnt  pour  de  fi  bons  Citoyens;  mais 
comme  l'éducation  de  la  gén^lration  préfente  eft 
leur  ouvrage,  c'ell  entre  vous  d'un  côté  à.  vos 
anciens  Mandemens  de  l'autre  qu'il  faut  décider 
lî  leur  lait  fpirituel  lui  a  û  bien  profité,  s'il  en 
a  fait  de  fi  grands  faints,  (9)  vrais  adorateurs  df 
Lieu ,  &  de  fi  grands  hommes ,  digiies  d'être  la 
reJJoiiTce  cf  l'ornement  de  la -patrie.  Je  puis  ajou- 
ter une  obfervation  qui  devroit  frapper  tous  les 
"bons  François,  &  vous-même  comme  tel;  c'cft 
que  de  tant  de  Rois  qu'a  eus  votre  Nation ,  le 
meilleur  eft  le  feul  que  n'ont  point  élevé  les 
Prêtres. 

Mais  qu'importe  tout  cela^puifque  Je  ne  leur 
ai  point  donné  l'exclufion  •  qu'ils  élèvent  la  jeu* 
jQeiTe,  s'ils  en  font  capables;  je  ne  m'y  oppo- 
fe  pas;  &  ce  que  vous  dites  là-delTus  (ic)  ne 
fait  rien  contre  mon  Livre.  Prétendriez -vous^ 
<}uc  mon  plan  fût  mauvais ,  par  cela  feul  qu'il 
peut    convenir  à  d'autres  qu'aux. gens  d'EgliCe? 

Si  l'homme  eft  bon  par  fa  nature,  comme  je 
crois  l'avoir  démontré  ;  il  s'enfuit  qu'il  demeure 
tel  tant  que  rien  d'étranger  à  lui  ne  raltere;& 
fi  les  hommes  font  méchans  ,  comme  ils  ont  pris 
peine  à  me  l'apprendre;  il  s'enfuit  que  leur  mé- 
chanceté leur  vient  d'ailleurs;  fermez  donc  l'en- 
trée au  vice,  &  le  cœur  humain  fera  toujours 
bon.    Sur  ce  principe^  j'établis  l'éducation  né- 

(9)  Mandimtnt  ill-4*  p.  5.  in-12t  p.  X^ 

(10)  IbiiL 


7 


A    M.    DE    BEAUMONT.        31 

*  gatîve  comme  la  meilleure  ou  plutôt  la  feuler 
bonne;  je  fais  voir  comment  toute  éduGation 
pofitive  fuit,  comme  qu'on  s'y  prenne,  une  rou- 
te oppofée  à  Ton  but  ;6l  je  montre  comment  on 
tend  au  môme  but,&  comment  an  y  arrive  par 
le  chemin  que  j'ai  tracé. 

J'appelle  éducation  poGtive  celle  qui  tend  â 
former  l'efprit  avant  l'âge  &  à  donnera  l'enfant 
la  connoiffance  des  devoirs  de  l'homme:.  J'ap- 
pelle éducation  négative  celle  qui  tend  à  per- 
feétionner  les  organes ,  infîrumens  de  nos  coiï- 
noiflances,  avant  de  nous-  donner  ces  conn^oiffank 
ces  &  qui  prépare  à  la  raifon  par  l'exercice  dcâ 
fens.  L'éducation  négative  n'eft  pas  oifîve ,  tane 
s'en  faut*  Elle  ne  donne  pa§  les  vert-us,,  m^aiâ 
elle  prévient  les  vices;  elle  n'apprend  pas  la  vé- 
rité, mais  elle  préferve  de  Terreur.  EUedifpo- 
fe  l'enfant  à  tout  ce  qui  peut  le  m^ener  au  vrai 
quand  il  eft  en  état  de  l'entendre >  &  au  bien 
quand  il  eft  en  état  de  l'aimer^ 

Cette  marche  vous  déplait  &  vous  choque^ 
il  eft  aifé  de  voir  pourquoi.  Vous  commencez; 
par  calomnier  les  intentioiis  de  celui  quilapra- 
pofe.  Selon  vous ,  cette  oifiveté  de  l'ame  m'« 
paru  néceflaire  pour  la  difpofer  aux  erreurs  que 
je  lui  voulois  inculquer.^  On  ne  fait  pourtant 
pas  trop  quelle  erreur  veut  donner  à  fon  élevé 
celui  qui  ne  lui  apprend  rien  avec  plus-  do  foin' 
qu'à  fcntir  fon  ignorance  &  à  favoir  qu'il  ne' 
fait  rien.  Vous  convenez  que  le  jug^sment  a-  fes- 
B  4 


32  LETTRE 

progrès  &  ne  fe  forme  que  par  dégrés.  Miîs 
s'enjiiit-il ,  (ii)  ajoutez-vous  ,  qiCà  l'âge  de  dix 
ans  un  enfant  ne  connoijje  pas  la  différence  du  bien 
£lf  du  mal  i  qu'il  confonde  ^a  fcfgefj'e  avec  la  folie  ^ 
h  lonté  avec  la  barbarie ,  la  z'erîu  aiec  le  vice  ? 
Tont  cela  s'enfuit ,  fans  doute ,  fi  à  cet  âge  le 
jugement  n'eft  pas  développé.  ^:fo?/pourfuivez- 
Tous ,  il  ne  fentira  pas  qu'obéir  à  fon  père  eft  un 
lien,  quê  lui  drfobîir  ejî  un  mal?  Bien  loin  de 
là;  je  foutiens  qu'il  fentira,  au  contraire,  en 
quittant  le  jeu  pour  aller  étudier  fa  leçon,  qu^o- 
béir  à  fon  père  eft  un  mal ,  &  que  lui  défobéir 
cft  un  bien,  en  volant  quelque  fruit  défendu. 
II  fentira  aufîî ,  j'en  conviens ,  que  c'efl:  un  mal 
d'être  puni  &  un  bien  d'être  récompenfé;  & 
c'eft  dans  la  balance  de  ces  biens  &  de  ces  maux 
contradiéloires  que  fe  règle  fa  prudence  enfan- 
tine. Je  crois  avoir  démontré  cela  mille  fois 
dans  mes  deux  premiers  volumes,  &  furtout  dans 
le  dialogue  du  maître  &  de  l'enfant  fur  ce  qm 
eft  mal  (12).  Pour  vous ,  Monfeigneur,  vous  ré- 
futez mes  deux  volumes  en  deux  lignes ,  &  les 
voici.  (13)  Le  prétendre  y  M.  T.  C.  F.  c'ejî  ca- 
lomnier la  nature  humaine ,  en  lui  attribuant  une 
fiupidité  qu'elle  n'a  point.  On  ne  fauroit  employer 
une  réfutation  plus  tranchante,  ni  conçue  en 
moins  de  mots.   Mais  cette  ignorance,  qu'il  vous 

plaie 

(ît)    Mandtmtnt  in-4.  p.  7.  in-12.  p.  XIV. 

(li)    Emile  Tome  1.  p.  i8p. 

(13J  Mandtmeut  in-4.  p.  7«  iû-l2.  P»  xiv, 


A  M.  DE  BEAUMONT.  33 
plait  d'appeller  ftupidité,  fe  trouve  conflammciiÊ 
dans  tout  cfpdt  gêné  dans  des  organes  impar- 
faits, ou  qui  n'a  pas  été  cultivé;  c'eft  une  ob- 
fervation  facile  à  faire  &  feniîble  à  tout  le  mon- 
de. Attribuer  cette  ignorance  à  la  nature  humai- 
ne n'eft  donc  pas  la  caiomnicr,  &  c'efl  vous 
qui  l'avez  calomniée  en  lui  imputant  une  mali- 
gnité qu'elle  n'a  point. 

Vous  dites  encore;  (14)  Ne  vouloir  eiifeîgner 
i(i  fagejjs  à  l  homme  que  dans  le  tems  qu'il  fera  do  • 
miné  par  la  fougue  des  pajftons  naijjcnites ,  rCeft-cs 
pa.c  la  Uii  prefeîiter  dans  le  dejjein  qu'il  la  rejette? 
Voila  derechef  une  intention  que  vous  avez  la 
bonté  de  me  prêter ,  &  qu'affurément  nul  autre 
que  vous  ne  trouvera  dans  mon  Livre.  J'ai  mon^ 
tré,  premièrement,  que  celui  qui  fera  élevé 
comme  je  veux  ne  fera  pas  dominé  par  les  paf- 
fions  dans  le  tems  que  vous  dites.  J'ai  montré 
encore  comment  les  leçons  de  la  fageiïc  pou- 
voient  retarder  le  dévelopement  àz  ces  mêmes 
pafTions.  Ce  font  les  mauvais  effets  de  votre  é- 
ëucation  que  vous  imputez  à  la  mienne,  &  vous 
m'objectez  les  défauts  que  je  vous  apprens  à 
prévenir.  Jufqu'à  l'adolefcence  j'ai  garanti  deg 
paflîons  le  cœur  de  mon  élevé,  &  quand  elleg 
font  prêtes  à  naître,  j'en  recule  encore  le  pro- 
grès par  des  foins  propres  à  les  réprimer.  Plu- 
tôt, les  leçons  de  la  fageffe  ne  fignificnt  rien 
pour  l'enfant,  hors  d'état  d'y  prendre  inttrêt 
(I4)  MAnitmtm  in-4.  p.  9.  in-12.  p.  xvi^ 
B   5 


S4  LETTRE 

&  de  les  entendre;  pîus  tard,  elles  ne  prenneiu 
plus  fur  un  cœur  dcja  livré  aux  paiTions.  Ccft 
au  feul  moment  que  j'ai  choifi  qu'elles  font  u- 
tiles  :  (bit  pour  Tanner  ou  pour  le  diftraire;  il 
importe  également  qu'alors  le  jeune  homme  en 
foit  occupé. 

Vous  dites.  (15)  Four  trouver  la  jeunejje  plus 
docile  aux  leçons  qu'il  lui  prépare  y  cet  Auteur  -ceut 
qu'elle  foit  denuie  de  tout  principe  de  Religion.  La^ 
laifon  en  efl  Cmple;  c'efl  que  je  veux  (qu'elle 
ait  une  Religion,  à.  que  je  ne  lui  veux  rien 
apprendre  dont  Ton  jugement  ne  foit  en  état  de 
fenrir  la  vérité.  Mais  moi,  Monfeigneur  ,  fi  je 
difois  :  Pour  trouver  la  jeunejje  plus  docile  aux  le" 
pns  qu'oïl  lui  prépare ,  on  a  grand  foin  de  la  pren- 
dre- cvant  Vâgs  de  raifon,  Ferois-je  un  raifonne- 
ment  plus  mauvais  que  le  vôtre  ,.&  feroit-ce  un 
préjugé  bien  favorable  à  ce  que  vous  faites  ap- 
prendre aux  enfans?  Selon  vous,  je  choifis  l'a* 
gc  de  raifon  pour  inculquer  l'erreur,  &  vous,, 
vous  prévenez  cet  âge  pour  enfeignerla  vérité. 
Vous  V0U5  preiTez  d'inllruire  l'enfant  avant  qu'il 
puilTe  difccrner  le  vrai  du  faux,  &  moi  j'attends 
pour  le  tromper  qu'il  foit  en  état  de  le  connoî- 
tre.  Ce  jugement  cft-il  naturel ,  &  lequel  paroit 
chercher  à  féduire,  de  celui  qui  ne  veut  parler 
^u'à  des  hommes,  ou  de  celui-  qui  s'addrefTe 
iox  enfans? 

Vous,  me  cenfurez  d'avoir  dit  &  montré  que 

(à>}  Marédtntm  in-4>  p>  7.  'iSi-M  p.  xvfy 


â    M.    HE'    BEAUMONt;.        3^' 

îfdut  enfant   qui   croit  en  Dieu  efl  idolâtre  du 
antropomorphite,'  &    vous   combattez    cela'  en 
difant  (r(5)  qu'on  ne  peut  fuppofer  ni  1^'un^  ni 
Fautrc  d'un  enfant  qui   a  rcça  une  éducation 
Chrétienne.  Voila  ce  qui  eft  en  queffîon  ;-  re(l,e 
à  voir  la  preuve.  La  mienne  eft  que  rédutacio.n 
la  plus  Chrétienne  ne  fauroit  donner  à  l'enfant 
Fentendement  qu'il  n'a  pas, ni  détacher  fes  idc'cs 
des    êtres  matériels  ,    au    deffus  defquels    tant 
d'hommes  ne  fauroient  élever  les  leurs.  J'en  ap- 
pelle,   de   plus ,   à  l'expérience  :  j'exhorte-  cha- 
cun  des  lecteurs   à  confuîter  fa  mémoire^  &  à 
fe   rappeller  fi ,   lorfqu'il  a  cru  en  Dieu-'  étani 
enfant,   il  ne  s'en  eft  pas  toujours  fait' quelqu.e 
image.  Quand  vous  lui  dites  que  ladï-vimié  n'ejï 
rien  de   ce  qui  peut  tomber  fous  les  fms  y  ou  Ton 
efprit  troublé  n'entend  rien,  ou  il  entend  qu'el- 
le n'eflr  rien.  Quand  vous  lui  parlez  d'une  îm'el' 
Ugence  infinie ^   il  ne  fait  ce  que  c-eft  qu'inteili-^ 
gence ,   &  il  fait  encore  moins  ce  que  c'eft  qu'^/î^ 
fini.  Mais  vous  lui  ferez  répéter  après  vous  les- 
mots  qu'il  vous  plaira  de  lui  dire;  vous- lui  fe- 
rez  même  ajouter,  s'il  le  faut",   qu'il  les-  cn*- 
t-end;  car  cela  ne  coûte  guère,.  6c  il  aime  en- 
core mieux  dire  qu'il  les  entend  que  d-^re-groiii 
.dé  ou- puni,-  Tous  les  anciens  ,•  fans  cxc^pttfr  îes^ 
Juifs ,   fe  font  répréfeutë Dieu  corpor-eî  ,&coi4i 
.bien  dt  Chrétiens ,  furtôut  de  Catholiquos  ,.fone 
fincorc  aujourd'hui  daîjs  ce  cas>là?Si  vù^enfUn*- 

(î*}  M'c^ndemtnt  in  4.  p.  T-  îii-ri,  p.  xiVv 


5<5  LETTRE 

parlent  comme  des  hommes,  c'eft  parce  que  Icî 
hommes  font  encore  cnfans.  Voila  pourquoi  les 
mifteres  entaffés  ne  coûtent  plus  rien  à  perfonnc; 
les  termes  en  font  tout  auffi  faciles  à  prononcer 
que  d'autres.  Une  des  commodités  duChriftianii- 
me  moderne  eft  de  s'être  fait  un  certain  jargon 
de  mots  fans  idées ,  avec  lefquels  on  fatisfait  à 
tout  hors  à  la  raifon. 

Par  l'examen  de  l'intelligence  qui  mené  à  la 
connoilTance  de  Dieu,  je  trouve  qu'il  n'eft  pas 
laifonnable  de  croire  cette  connoilTance  (17)  roa- 
jottiT  nécejjaîre  au  faîut.  Je  cite  en  exemple  les 
infenfés,  les  enfarts ,  &  je  mets  dans  la  même 
claffe  les  hommes  dont  l'efprit  n'a  pas  acquis  af- 
fez  de  lumières  pour  comprendre  l'exiftence  de 
Dieu.  Vous  dites  là- deffus  ;  (iS)7ie  f oyons  point 
furpris  qus  V Auteur  d'Emile  remette  à  un  te 711s  fi 
reculé  la  connoijjance  de  Vexifttnce  de  Dieu  ;  il  ne 
la  croit  pas  néctjjaire  au  falut.  Vous  commencez, 
pour  rendre  ma  propofition  plus  dure,  par  fup- 
primer  charitablement  le  mot  toujours  ^  qui  non 
feulement  la  modifie,  mais  qui  lui  donne  ua 
autre  fens,  puifque  félon  ma  phrafe  cetce  con- 
jioilTance  eft  ordinairement  nécedaire  au  falut; 
&  qu'elle  ne  le  feroit  jamais ,  félon  la  phrafe 
ijuc  vous  me  prêtez.  Après  cette  petite  falfid- 
cation ,  vous  pourfuivez  ainfi  : 

5,  Il  est  clair,  "  dit-il  par  l'organe  d'un  per- 
formage  chimérique ^  „  il  eft  clair  que  tel  homme 

(17)  imllc  Tom.  lit  p.  35  ii  353. 

(;$J  MAndfttHit  ia'4.  p.  S»  iû-U.  p.  XVH^ 


A    M.     DE    BEAUMONT.       37 

]y  parvenu  jufqu'à  la  vieilleiïe  fans  croire  en 
„  Dieu,  ne  fera  pas  pour  cela  privé  de  fa  pré- 
„  fence  dans  l'autre,  "  (vous  avez  omis  le  mot 
de  vie  )  „  Si  fon  aveuglement  n'a  pas  été  volan- 
„  taire,   &  je  dis  qu'il  ne  l'eft  pas  toujours." 

Avant  de  tranfcrire  ici  votre  remarque,  per- 
mettez que  je  faffe  la  mienne.  C'efi:  queceper- 
fonnage  prétendu  chimérique ,  c'eft  moi-même, 
&  non  le  Vicaire;  que  ce  paffage  que  vous  avez 
cru  être  dans  la  profeflîon  de  foi  n'y  efl:  point, 
mais  dans  le  corps  même  du  Livre.  Monfeigneur , 
vous  lifez  bien  légèrement,  vous  citez  bien  né- 
gligemment les  Ecrits  que  vous  flétriiTez  fi  dure- 
ment; je  trouve  qu'un  homme  en  place  qui  cen- 
fure  devroit  mettre  un  peu  plus  d'examen  dar^s 
fes  jugemens.  Je  reprends  à  préfcnt  votre  texte. 

Remarquez,  M.  T.  C.  F.  qiiil  ne  s' agît  point  ki 
d'un  homme  qui  fer  oit  dépourvu  de  Vufage  de  fa  rai- 
fon  y  mais  uniquement  de  celui  dont  la  raîfon  ne  fe- 
rait point  aidée  de  V infîrudiioh.  Vous  affirmez  en- 
fuite  (19)  quune  telle  prétei^tion  efîfouverainement 
abfurde.  St.  Paul  affure  qu'entre  les  Phîlofophes  pa» 
yens  plufîeurs  font  parvenus  par  les  feules  forces  de 
la  raifon  à  la  connoîjfance  du  vrai  Dieu;  6c»làdef- 
fus  vous  tranfcrivez  fon  palTage. 

Monseigneur  ,  c'eft  fauvent  un  petit  mal  de 

ne  pas  entendre  un  Auteur  qu'on  lit,  mais  c'en 

eft  un  grand  quand  on  le  réfute,  &  un  très-grand 

quand  on  le  diffame.  Or  vous  n'avez  point  en- 

(i?)  MAndemnt  in-4.  p.  xo.  in  iz,  p.  xtiii, 

B  7 


3S  L     E     T     T     R     E 

tendu  le  pafTage  de  mon  Livre  que  vous  atta- 
quez ici,  de  même  que  beaucoup  d'autres.  Le 
Lefteur  jugera  fi- c'eft  ma  faute  ou  la  votre  quand 
j'aurai  mis  le  pafTage  entier  fous  {es  yeux.. 

„  Nous  tenons  "  (Les  Réformés)  „  que  nul 
^  enfant  mort  avant  Tàge  de  raifon  ne  fcrapri* 
^  vé  du  bonheur  éternel.  Les  Catholiques  cro- 
„  yent  la  même  chofe  de  tous  les  enfans  qui 
^  ont  reçu  le  baptême,  quoiqu'ils  n'aient  ja- 
„  mais  entendu  parler  de  Dieu.  Il  y  a  donc  des 
y,  cas  où  l'on  peut  être  fauve  fans  croire  en- 
„  Dieu,  &  ces  cas  ont  Heu,  foit  dans  l'enfan- 
„  ce,  foit  dans  la  démence,  quand  l'efprit  hu«^ 
„  main  eil  incapable  des  opérations  néceffaires 
„  pour  reconnokre  la  Divinité.  Toute  la  difté- 
^  rence  que  je  vois  ici  entre  vous  &moieftque 
„  vous  prétendez  que  les  enfans  ont  à  fept  ans 
„  cette  capacité,  &  que  je  ne  la  leur  ai.:corde. 
^  pas  même  à  quinze.  Que  j'aye  tort  ou  raifon,. 
,,  il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  article  de  foi,  mais 
„   d'une  fimple  obfervation  d'hiftoire  naturelle.. 

„  Par  le  même  principe ,  il  ell  clair  que  tel 
„  homme  ,  parvenu  jufqu'à  la  vieillefle  fans 
^  croire  en  Dieu,  ne  fera  pas  pour  cela  grive 
^  de  fa  préfence  dans  l'autre  vie ,  û  fon  aveu- 
„  glement  n'a  pas  été  volontaire  ;  &  je  dis  qu'il 
„  ne  l'eft  pas  toujours.  Vous  en  convenez  pour 
„  les  infenfés  qu'une  maladie  prive  de  leur^  fa- 
^  cultes  fpiii  tu  elles,  mais  non  de  leur  qualité 
„,  d:hûiiiines,  ni^  par  confécijient,.  du-d^oit  aw}i- 


A    M.    DE    BEAUMONT.        ^^ 

^^  Menfaits  de  leur  créateur.    Pourquoi   donc 

„  n'en  pas  convenir  aufïï  pour  ceux  qui,   fé- 

„  queftrés- de  toute  fociété  dès  leur  enfance,  au- 

„  roient  mené  une  vie  abfolument  fauvage,  pri- 

„  vés   des  lumières  qu'on  n'acquiert  que  dans 

„  le  commerce  des  hommes  ?  Car  il  efl  d'une 

„  impoflîbilité  démontrée  qu'un  pareil  fauvage 

„  pût  jamais    élever   Ces  réflexions  jufqu'à  la 

„  connoiffance  du   vrai  Dieu.    La  raifon  nous 

„  dit  qu'un   homme  n'eft  punifTable  que  pour 

„  les  fautes  de  fa  volonté ,   &  qu'une  ignoran- 

„  ce   invincible  ne  lui   fauroit  être  imputée  à 

„  crime.  D'où  il  fuit  que  devant  la  juftice  éter- 

„  nellc,   tout  homme  qui  croiroit  s'il  avoit  les 

„  lumières  néceflaires  efl  réputé  croire,  &  qu'il 

„  n'y  aura  d'incrédules  punis  que  ceux  dont  le 

,,  cœur  fe  ferme  à  la  vérité."  Emile T, IL pag^. 

Voila  mon  pafTage  entier,  fur  lequel  votre 
erreur  faute  aux  yeux.  Elle  confîfle  en  ce  que 
vous  avez  entendu  ou  fait  entendre  que,  félon- 
moi,  il  falloit  avoir  été  inflruit  de  l'exiflence  de- 
Dieu  pour  y  croire.  Ma  penfée  efl  fort  diffé» 
rente.  Je  dis  qu'il  faut  avoir  l'entendemenr  dé- 
veloppé &  l'efprit  cultivé  jufqu'à  certain  point 
pour  être  en  état  de  comprendre  les  preuves  de 
Texiflence  de  Dieu,  &  furtout  pour  les  trou- 
ver de  foi -même  fans  en  avoir  jamais  entendu. 
parler.  Je  parle  des  hommes  barbares  ou  fauva- 
f,es^  vous  m'alléguez  de^  philofophes  r  je  dis 


40  L     Ê     T     T     K     E 

qu'il  faut  avoir  acquis  quelque  philofophie  pour 
s'élever  aux  notions  du  vrai  Dieu  ;  vous  citez 
Saint  Paul  qui  reconnoît  que  quelques  Philofo- 
phes  payens  fe  font  élevés  aux  notions  du  vrai 
Dieu  :  je  dis  que  tel  homme  grolTier  n'efl  pas 
toujours  en  état  de  fc  former  de  lui-même  une 
idée  jufte  de  la  divinité;  vous  dites  que  les 
hommes  inftruits  font  en  état  de  fe  former  une 
idée  jufte  de  la  divinité;  &  fur  cette  unique 
preuve,  mon  opinion  vous  paroît  fouverainemeiit, 
ahf'.irde.  Quoi  1  parce  qu'un  Docteur  en  droit 
doit  favoir  les  loix  de  fon  pays,  efl-il  abfurde 
de  fuppofcr  qu'un  enfant  qui  ne  fçait  pas  lire  a 
pu  les  ignorer? 

Quand  un  Auteur  ne  veut  pas  fe  répéter 
fans  cefie,  &  qu'il  a  une  fois  établi  clairement 
fon  fentiment  fur  une  matière,  il  n'eft  pas  tenu 
de  rapporter  toujours  les  mêmes  preuves  en  rai- 
fonnant  fur  le  même  fentiment.  Ses  Ecrits  s  ex- 
pliquent alors  les  uns  par  les  autres ,  &  les  der- 
uiers ,  quand  il  a  de  la  méthode,  fuppofent  tou- 
jours les  premiers.  Voila  ce  que  j'ai  toujours 
tâché  de  faire,  &  ce  que  j'ai  fait,  fur-to-ut, 
dans  l'occafion  dont  il  s'agit. 

Vous  fuppofez,  ainfi  que  ceux  qui  traîtcut 
de  ces  matières ,  que  l'homme  apporte  avec  lui 
fa  raifon  toute  formée ,  &  qu'il  ne  s'agit  que 
de  la  mettre  en  œuvre.  Or  cela  n'eft  pas  vrai; 
car  l'une  des  acquifitions  de  l'homme ,  &  même 
des  plus  lentes, eft  U  raifon.  L'homme  apprend 


A     M.     DE    BEAUMONT.        4ï 

à  voir  des   yeux  de  l'efprit  ainfi  que  des  yeux 
du  corps;  mais  le  premier  apprenciffagc  e(l  bien 
plus   long   que   l'autre,  parce  que  les  rapports 
des  objets  intellcauels  ne  fe  mefurant  pas  com- 
me rérendue,  ne  fe   trouvent  que  par  eftima- 
tion,  &  que  nos  premiers  b c foins ,  nos  befoins 
phyriques,ne  nous  rendent  pas  l'examen  de  ces 
mêmes  objets  fi  intéreffant.  11  faut  apprendre  à 
voir  deux  objets  à  la  fois  ;   il  faut  apprendre  à 
les  comparer   entre  eux  ,   il  faut  apprendre   à 
comparer  les  objets  en  grand  nombre,  à  remon- 
ter  par   dégrés   aux  caufes ,   à  les   fuivre  dans 
leurs  effets  ;  il  faut  avoir  combiné  des  infinités 
de  rapports  pour  acquérir  des  idées  de  conve- 
nance,   de  proportion,   d'harmonie  &  d'ordre. 
L'homme  qui ,   privé  du  fecours  de  fes  fembla- 
bles  &  fans  CQiTQ  oca\\yé  de  pourvoir  à  fes  be- 
foins,  ell  réduit  en  toute  chofc  à  la  feule  mar- 
che  de  fes  propres  idées,  fait  un  progrès  bien 
lent  de  ce  côté -là:   il  vieillit  &  meurt  avant 
d'être  forti  de  l'enfance  de  la  raifon.     Pouvez- 
vous    croire   de    bonne  foi   que  d'un   million 
d^hommcs  élevés  de  cette  manière,  il  y  en  eût 
un  feul  qui  vint  à  penfcr  à  Dieu? 

L'ORDRE  de  l'Univers,  tout  admirable  qu'il 
eft,ne  frappe  pas  également  tous  les  yeux.  Le 
peuple  y  fait  peu  d'attention,  manquant  des 
cannoilTances  qui  rendent  cet  ordre  fenfible,& 
n'ayant  point  appris  à  réfléchir  fur  ce  qu'il  ap- 
pcrçoit.   Ce  n'eft  ni  endurcillement  ni  uiauvaifc 


4t  LETTRE 

volonté;  c'eft  ignorance,  engourdilTement  d'es- 
prit. La  moindre  méditation  fatigue  ces  gens- 
lî,  comme  le  moindre  travail  des  bras  fatigue 
un  homme  de  cabinet,  lis  ont  ouï  parler  dc3 
œuvres  de  Dieu  &  des  merveilles  de  la  nature. 
Ils  répètent  les  mêmes  mots  fans  y  joindre  les 
mômes  idées,  &  ils  font  peu  touchés  de  tout 
ce  qui  peut  élever  le  fage  à  fon  Créateur.  Or 
û  parmi  nous  le  peuple, à  portée  de  tant  d'ins- 
irudions,  cfl  encore  fi  ftupide;  que  feront  ces 
pauvres  gens  abandonnés  à  eux-mêmes  dès  leur 
enfance ,  &  qui  n'ont  jamais  rien  appris  d'au- 
trui?  Croyez- vous  qu'un  Caffre  au  un  Lapon 
philo fophe  beaucoup  fur  la  marche  du  monde 
&  fur  la  génération  des  chofes?  Encore  les 
Lapons  &  les  CafFres ,  vivant  en  corps  de  Na- 
tions,  ont-ils  des  multitudes  d'idées  acquifes  & 
communiquées,  à  l'aide  defquelles  ils  acquiè- 
rent quelques  notions  groffieres  d'une  divinité; 
ils  ont  ,  en  quelque  façon,  leur  cathéchiTme: 
mais  l'homme  fauvage  errant  feul  dans  les  bois 
n'en  a  point  du  taut.  Cet  homme  n'exifte  pas , 
direz-vous  ;  foit.  Mais  il  peut  exifler  par  fup- 
pofition.  Il  exifle  certainement  des  hommes  qui 
n'ont  jamais  eu  d'entretien  philofophique  en 
leur  vie,  ôc  dont  tout  le  tems  fe  confumc  à 
chercher  leur  nourriture ,  la  dévorer,  &  dormir. 
Que  ferons- nous  de  ces  hommes- là,  des  Eski- 
maux,  par  exemple?  En  ferons-nous  des  Théo 

lûgiCQS  'i 


A  -M,  DE  BEAUMONT.  43 
Mon  fentiment  eft  donc  que  l'efprit  de  l'hom-» 
me,  fans  progrès,  fans  inftruftion,  fans  calxu- 
re,  &  tel  qu'il  fort  des  mains  de  la  nature, 
n'eft  pas  en  état  de  s'élever  dé  lui-même  aux 
fublimes  notions  de  la  divinité;  mais  que  ces 
notions  fe  préfentenc  à  nous  à  mefure  que  no- 
tre efprit  fc  cultive;  qu'aux  yeux  de  tout  hom- 
me qui  a  penfé ,  qui  a  réfléchi ,  Dieu  fe  mani- 
feftc  dans  fes  ouvrages  ;  qu'il  fe  révèle  aux  gens 
éclairés  dans  le  fpeétacle  de  la  nature;  qu'il 
faut ,  quand  on  a  les  yeux  ouverts ,  les  fermer 
pour  ne  l'y  pas  voir;  que  tout  philofophe  athée 
eft  un  raifonneur  de  mauvaife  foi,  ou  que  forï 
orgueil  aveugle;  mais  qu'aulïi  tel  homme  ftupL- 
de  &  greffier,  quoique  iîmple  &  v;rai,  tel  es- 
prit fans  erreur  &  fans  vice,  peut,  par  une 
ignorance  involontaire,  ne  pas  remonter  à  l'Au- 
teur de  fon  être,  &  ne  pas  concevoir  ce  qoe 
c'cft  que  Dieu  ;  fans  que  cette  ignorance  le  ren- 
de puniffable  d'un  défaut  auquel  fon  cœur  n'a 
point  confenti.  Celui  -  ci  n'eft  pas  éclairé  ,  & 
l'autre  refufe  de  l'être  ;  cela  me  paioît  fort  dlf^^ 
férent. 

Appliquez  à  ce  fcntîmciic  vocre  palfage  de 
Saint  Paul ,  &  vous  verrez  qu'au  lieu  de  le  com- 
battre ,  il  le  favorife  ;  vous  verrez  que  ce  pas- 
fage  tombe  uniquement  fur  ces  fages  prétendus 
à  qui  ce  qui  peut  être  connu  de  Dieu  a  été  manife$» 
té ,  à  qui  la  confidération  des  cbofes  qui  ont  été  fai- 
tes dès  la  création  du  monde,  a  rendu  vifiblc  ce  ^td 


44  LETTRE 

ejl  învîjïble  en  Dieu^  mais  qui  ne  rayant  poifjt 
glorifié  ^  ne  lui  ayant  point  rendu  grâces,  fe  font 
perdus  dans  la  vanité  de  leur  raifonnement,  &  ,  ain- 
û  demeurés  fans  excufe,  e?i  fo  dijaiit  Jages ,  font 
devenus  fotix.  La  raifon  fur  laquelle  l'Apotre  re- 
proche aux  phiîofophes  de  n'avoir  pas  glorifié 
le  vrai  Dieu,  n'étant  point  applicable  â  ma  fup- 
■pofition,  forme  une  induélion  toute  en  ma  fa- 
veur; elle  confirme  ce  que  j'ai  dit  moi-même, 
que  tout  (20)  pbilojopbe  qui  ne  croit  pas  ,  a  tort  ^ 
parce  qiCih  vft  mal  de  la  raifon  qu'il  a  cultivée ^ 
^  qu'il  eft  en  état  d'entendre  les  vérités  qu'il  re- 
jette; elle  montre,  enfin,  par  le  paiTage  même, 
que  vous  ne  m'avez  point  entendu;  &  quand 
vous  m'imputez  d'avoir  dit  ce  que  je  n'ai  ni  dit 
ni  penfé,  favo-ir  que  l'on  ne  croit  en  Dieu  que 
fur  l'autorité  d'autrui(2i),  vous  avez  tellement 
tort,  qu'au  contraire  je  n'ai  fait  que  diftinguer 
les  cas  où  l'on  peut  connoître  Dieu  par  foi- 
meme,  &  les  cas  où  l'on  ne  le  peut  que  par 
le  fecours  d'autrui. 

Au  refle,  quand  vous  auriez  raifon  dans  cet- 
te critique;  quand  vous  auriez  folidement  ré- 
futé mon  opinion,  il  ne  s'enfuivroit  pas  de  ce- 
la feul  qu'elle  fut  fouverainement  abfurdc,  com- 

(10)  Emile  T.  II.  pajj.  3J0. 

(21)  M.  de  Beaumont  ne  dit  pas  cela  en  propres  ter- 
mes i  mais  c'efl  le  feul  fens  laifonnable  qu*on  puilTe  don- 
rer  à  fon  texte,  appuyé  du  paflage  de  Saint  Paul}  &  je 
.ne  puis  répondre  qu'à  ce  que  j'cmens.  {Vejrtf.  ftn Mandt- 
pêfiu  in-4.  /*j.  10.)    in-jj.  p.  xvm,  .      ' 


A    M.    DE    BEAUMONT.        45 

me  il  vous  plaît  de  la  qualifier  :  on  peut  fe. 
tromper  fans  tomber  dans  l'extravagance,  & 
toute  erreur  n'efl  pas  une  abfurdité.  Mon  res- 
pect pour  vous  me  rendra  moins  prodigue  d'é- 
pithetes  ,  &  ce  ne  fera  pas  ma  faute  fi  le  Lec- 
teur trouve  à  les  placer. 

Toujours  avec  l'arrangement  de  cenfurer  fans 
entendre,  vous  paffez  d'une  imputation  grave 
&  fauffe  cà  une  autre  qui  l'eft  encore  plus ,  &  a* 
près  m'avoîr  injuflement  accufé  de  nier  l'évi- 
dence de  la  divinité,  vous  m'accufez  plus  in- 
juflement d'en  avoir  révoqué  l'unité  en  douce. 
Vous  faites  plus.;  vous  prenez  la  peine  d'entrer 
là-deffus  en  difcuflîon,  contre  votre  ordinaire, 
&  le  fcul  endroit  de  votre  Maiidement  où  vous 
ayez  raifon,  eft  celui  où  vous  réfutez  une  ex- 
travagance que  je  n'ai  pas  dite. 

Voici  le  palTage  que  vous  attaquez  ,  ou  plu- 
tôt votre  pafTage  où  vous  rapporcez  le  mien; 
car  il  faut  que  le  Ledeur  me  voye  entre  vos 
mains, 

„  (22)  Je  fais,  ^'  fait- il  dire  au  perfouage  fup* 
pofé  qui  lui  fert  d'organe;  „  je  fais  que  le  mon- 
„  de  eft  gouverné  par  une  volonté  puiffante  & 
„  fage;  je  le  vois,  ou  plutôt  je  le  fens ,  &  ce- 
„  la  m'importe  à  favoir;  mais  ce  même  monde' 
„  eft-il  éternel ,  ou  créé  ?  Y  a-t-il  un  principe' 
jy  unique  des  chofes  ?  Y  en  a-t-il  deux  ou  plu. 

(iz)  Mandemm  in -4,  pag.  lo.  in -12,  p.  xix» 


45  LETTRE 

„  fleurs  ,&  quelle  eft  leur  nature?  Je  n'en  fais 

„  rien ,  &  que  m'importe  ? (23)  je  re- 

„  nonce  à  des  queflions  oifeufes  qui  peuvent 
„  inquietter  mon  amour-propre,  mais  qui  font 
„  inutiles  à  ma  conduite  &  fupérieures  à  ma 
„  raifon". 

J'observe,  en  paflant,  que  voici  la  féconde 
fois  que  vous  qualifiez  le  Prêtre  Savoyard  de 
perfonage  chimérique  ou  fuppofé.  Comment  ô- 
tes-vous  inftruit  de  cela,  je  vous  fupplie  ?  J'ai 
affirmé  ce  que  je  favois  j  vous  niez  ce  que  vous 
ne  favez  pas  ;  qui  des  deux  eft  le  téméraire  ? 
On  fait ,  j'en  conviens ,  qu'il  y  a  peu  de  Prêtres 
qui  eroyent  en  Dieu;  mais  encore  n'eft-il  pas 
prouvé  qu'il  n'y  en  ait  point  du  tout.  Je  ro^ 
prends  votre  texte. 

(24)  Que  veut  donc  dire  cet  auteur  témérai' 

feV Vunité  de  Dieu  lui  paroît  une  que fî ion 

tijeuje  £?  fupérieure  à  fa  raifort ,  comme  fi  la  mul- 
tiplicité des  Dieux  ji'étoit  pas  la  plus  grande  des  ah» 
furdités.  „  La  pluralité  des  Dieux  *%  dit  énergie 
^uement  Tertullien ,  „  eft  une  nullité  de  Dieu ,  " 
admettre  un  Dieu,  c'efl  admettre  un  Etre  fuprême 
fc?  indépendant ,  auquel  tous  les  auves  Etres  f oient 
fubordennés  (25).  Il  implique  donc  qu  il  y  ait  plu- 
ftturs  Dieux, 

(23)  Ces  points  îndiqurnt  une  lucune  de  deux  lignes 
tai  IcfnucUcs  le  paffagc  eft  tempéré.  Se  qoe  M.  de  Beau- 
mont  n  a  pas  voulu  tranfciire.  Voyez,EmittT.  111.  pag.  6i. 

(24)  M.indttr.ent  ill  -  4.  pag.    lU   in  -12.  p.    XX. 

(ijj  Tciiullicn  fait  jci  un  fophifQic  «cs-faiiiUiei  au» 


A    M.    DE    BEAUMONT.        47 

Mais  qui  eft-ce  qui  dit  qu'il  y  a  plufieurs 
Dieux?  Ah,  Monfeigneur  !  vous  voudriez  bien 
que  j'eufTe  diù  de  pareilles  folies;  vous  n'auriez 
furement  pas  pris  la  peine  de  faire  un  Mande- 
ment  contre  moi. 

Je  ne  fais  ni  pourquoi  ni  comment  ce  qui  c(î 
cfl,  &  bien  d'autres  qui  fe  piquent  de  le  dire 
ne  le  favent  pas  mieux  que  moi.  Mais  je  vois 
qu'il  n'y  a  qu'une  première  caufe  motrice ,  puis- 
que tout  concourt  fenliblement  aux  mêmes  fins,- 
]e  reconnois  donc  une  volonté  unique  &  fuprô- 
mc  qui  dirige  tçut,  &  une  puilTance  unique  & 
fuprôme  qui  exécute  tout.  J'attribue  cette  puis- 
fance  &  cette  volonté  au  même  Etre,  à  caufè 
de  leur  parfait  accord  qui  fe  conçoit  mieux 
dans  un  que  dans  deux,  &  parce  qu'il  ne  faut 
pas  fans  raifon  multiplier  les  êtres  ;  car  le  mal 
même  que  nous  voyons  n'eft  point  un  mal  ab- 
folu ,  &  ,  loin  de  combattre  directement  lé 
bien,  il  concourt  avec  lui  à  l'harmonie  uni- 
verfelle- 

Mais  ce  par  quoi  les  chofés  font,  fe  difîin- 
gue  très  nettement  fous  deux  idées  ;  favoir ,  lâ 
chofe  qui  fait  &  la  chofe  qui  eft  faite;  même 

pères  de  TEglife.  Il  définît  le  mot  Dîeti  fcloft  les  Chré- 
tiens, &  puis  il  accufe  les  payens  de  contradiction,  par- 
ce que  contre  fa  définition  ils  admettent  plufieurs  Dieux. 
Ce  n'étoit  pas  la  peine  de  m'irrputer  une  erreur  que  ;e 
n'ai  pas  commife ,  uniquement  pouX  cltex  il  J)OX$  de  pi(>-. 

Ëos  ua  fophifme  de  Tcituilieat 


^  LETTRE 

CCS  deux  idées  ne  fe  réuniiïent  pas  dans  te  mê- 
me être  fans  quelque  effort  d'efprit,  &  l'on  ne 
œnçoit  guère  une  chofe  qui  agit ,  fans  en  fup- 
pofer  une  autre  far  laquelle  elle  agit.  De  plus, 
il  eft  certain  que  nous  avons  l'idée  de  deiir 
fubftances  diftinétes;  favoir,  Tefprit  &  la  ma-- 
tiere;  ce  qui  penfe,  &  ce  qui  eft  étendu  ;  & 
ces  deux  idées  fe  conçoivent  très- bien  l'une 
fans  Tautre. 

Il  y  A  donc  deux  manières  de  concevoir  l'o- 
rigine des  chofes,  favoir;  ou  dans  deux  caufcs 
divcrfes,  l'une  vive  &  l'autre  morte,  l'une  mo- 
trice &  l'autre  mue,  l'une  aflive  &  l'autre  pas- 
iîve,  l'une  efBciente  &  l'autre  inftrumentale ; 
ou  dans  une  caufe  unique  qui  tire  d'elle  feule 
tout  ce  qui  eft,  &  tout  ce  qui  fe  fait.  Cha- 
cun de  ces  deux  fentimens ,  débattus  par  les 
métaphyficiens  depuis  tant  de  fiécles,  n'en  eft 
pas  devenu  •  plus  croyable  à  la  raifon  hu- 
maine: &  (i  l'exiftence  éternelle  &  nécelTaire 
de  la  matière  a  pour  nous  fes  difScultés,  fa 
création  n'en  a  pas  de  moindres;  puifque  tant 
d'hommes  &  de  philo fophes  ,  qui  dans  tous 
les  tems  ont  médité  fur  ce  fujet,  ont  tous  una- 
nimement rejette  la  poffibilité  de  la  création , 
excepté  peut-  être  un  très-  petit  nombre  qui  pa^ 
loiflent  avoir  fincerement  fournis  leur  raifon 
à  l'autorité  ;  fincérité  que  les  motifs  de  leur- 
intérêt,  de  leur  fureté,  de  leur  jtpos,  len. 

dciit 


A    M.     DE     BEAU  MO  NT.       4f 

tient  fort  fufpede,  &■  dont  il  fera  toujours  im- 
polTible  dé  s'alTurer  ,  tant  que  Ton  rirqiiera> 
quelque  chofe  à  parler  vrai. 

Suppose'  qu'il  y  ait  un  principe  éferilel  &  u- 
liique  des  chofes,  ce  principe  étant  fimple  dans 
fon   eflence  n'ell  pas   compofé    de    matière  & 
d*efprit,mais  il  eft  matière  ou  efprit  feulement. 
Sur   les  raifons  déduites   par  le  Vicaire ,  il  ne 
fauroit  concevoir  que  ce  principe  foit  matière, 
&  s'il   eft   efprit,   il  ne  fauroit  concevoir  que  ; 
par  lui    la  matière   ait  reçu  l'être;   car  il  faa*  j 
droit  pour  cela  concevoir  la  création;  or  l'idée- 
de  création  ,    l'idée   fous   laquelle  on   conçoic 
que  par  un   fimple   aéle    de  volonté   rien   de- 
vient   quelque    chofe  ,    eft  ,    de  toutes  les  i- 
dées    qui    ne    font    pas   clairement  contradic- 
toires, la  moins   compréhenfible  à  Tefprit  hu- 
maîn; 

Arrête'' dès  deux  côtés  par  cej  difficultés ,  le 
bon  Prêtre  demeuré  indécis,  &  ne  fe  tourmen- 
te point  d'un  doute  de  pure  fpécùîation ,-  qui 
n'influe  en  aucune  manière  fur  fes  devoirs  en 
ce  monde  ;  car  enfm  qu«  m'importe  d'expliquer 
Torigine  des  êtres,  pourvûque  je  fâche  coni- 
ment  ils  fubfiftent,  quelle  place  j'y  dois  rem^ 
pUr.&  en  vertu  de  quoi  cette  obl4g;idonmeft" 
impofée  9- 


50  LETTRE 

Mais  fuppofcr  deux  principes  (26)  cfcî 
chofes  ,  fuppofition  qire  pourtant  le  Vicaire 
ne  fait  point,  ce  n'efl:  pas  pour  cela  fuppo- 
fer  deux  Dieux;  à  moins  que,  comme  les  Ma- 
nichéens ,  on  ne  fuppofe  auiîî  ees  principes, 
tous  deux  adifs;  doétrine  abfolument  contrai- 
re à  celle  du  Vicaire,  qui,  ti'ès-pofitivement, 
n'admet  qu'une  Intelligence  première  ,  qu'un 
feu!  principe  aftif ,  &  par  conféquent  qu'un 
feul  Dieu. 

J'avoue  bien  que  la  création  du  monde  étant 
clairement  énoncée  dans  nos  traduélions  de  la 
Gcncfë ,  la  rejetter  pofitivement  féroit  à  cet  é- 
gard  rejetter  l'autorité  ,  linon  des  Livres  Sacrés , 
au  moins  des  traduélions  qu'on  nous  en  don- 
ne, &  c'efl  aufli  ce  qui  tient  le  Vicaire  dans  un 
doute  qu'il  n'auroit  peut-être  pas  fans  cette  au- 
torité :  Car  d'ailleurs  la  coexiftence  des  deux 
Principes  (27)  femble  expliquer  mieux  la  confli- 


(i6)  Celui  qui  ne  connoît  que  deux  fuhftancffs,  ne 
peut  non  plus  imaginer  que  deux  principes  ,  &  le  terme, 
9H  piti/tenTSy  ajoute  dans  l'endroit  cite,  n'elt  là  qu'une 
erpcce  d'explctif,  Icrvant  tout- au- plus  k  faire  cntend/c 
que  le  nombre  de  ces  principes  n'importe  pas  plus  ^ 
connoitre  que  leur  nature. 

;  (17)  11  cft  bon  de  remarquer  que  cette  queflion  de  Vé- 
ternitc  de  la  matière,  qui  effarouche  fi  toit  nos  Ihe'o- 
lojiiens  ,  cffarouchoit  allez  peu  les  Tctes  de  l'Eglife, 
Bioius  éloignes  dc^  fcutiaieas  de  Pliit&n.   Sans  pailci  de 


A    M.    DE    BEAUMONT.       st 

tution  de  l'univers  &  lever  des  difficultés  qu'on 
a  peine  à  refoudre  fans  elle,  comme  entre  au- 
tres celle  de  l'origine  du  mal.  De  plus ,  il  fau- 
droit  entendre  parfaitement  l'Hébreu,  &  même 
avoir  été  contemporain  de  Moïfe,  pour  favoir 
certainement  quel  fens  il  a  donné  au  mot  qu'on 
nous  rend  par  le  mot  créa.  Ce  terme  eft  trop 
philofophique  pour  avoir  eu  dans  fon  origine 
l'acception  connue  &  populaire  que  nous  lui 
donnons  maintenant  fur  la  foi  de  nos  Doélears. 
Cette  acception  a  pu  changer  &  tromper  même 
les  Septante,  déjà  imbus  des  quelîions  de  U 
philofophie  grecque  ;  rien  n'eft  moins  rare  que 
des  mots  dont  le  fens  change  par  trait  de  temps. 
&  qui  font  attribuer  aux  anciens  Auteurs  qui 
s'en  font  fervis,  des  idées  qu'ils  n'ont  point 
eues.  Il  eft  très- douteux  que  le  mot  Grec  ait 
eu  le  fens  qu'il  nous  plaît  de  lui  donner,  &  il 
eft  très- certain  que  le  mot  Latin  n'a  point  eu 
ce  même  fens,  puifque  Lucrèce,  qui  nie  for- 
mellement la  poffibilité  de  toute  création ,  ne 
laiffe  pas  d'employer  fouvent  le  môme  terme 
pour  exprimer  la  formation  de  l'Univers  &  de 
fes  parties.     Enfin  M,  de   Beaufobre  a  prou* 

Juftîn  martir,  d'Orlgene,  &  d*iutre$ ,  Clc'ment  Alexan» 
drin  prend  fi  bien  l'affirmative  dans  fes  Hypotipoles ,  c^ue 
Photius  veut  a  caufe  de  cela  que  ceLivie  aie  été  falfihë. 
Mais  le  même  fentiment  leparoit  encore  dans  les  Stroma- 
tes,oîi  Clément  rapporte  celui  d'Heraclite  fans  Timprou- 
ver.  Ce  Père  ,  Livre  V.  tâche,  à  la  vérité,  d'établir  un 
feul  principe ,  mais  c'eft  parce  qu'il  rcfufc  cc  aom  à  U 
maticie,  même  en  admettant  fon  éteinitCi 
C    2 


5î  LETTRE 

vé  (28)  que  la  notion  de  la  création  ne  fe  trou* 
ve  point  dans  l'ancienne  Théologie  judaïque ,  & 
vous  êtes  trop  inflruit  ,  Monfcigneur,  pour 
ignorer  que  beaucoup  d'hommes  pleins  de  res- 
peél  pour  nos  Livres  Sacrés  ^n'ont  cependant 
point  reconnu  dans  le  récit  de  MoiTe  rabfolue 
création  de  TUnivcrs.  Ainfi  le  Vicaire,  à  qui 
le  defpotirme  des  Théologiens  n'en  iiripofe  pas, 
peut  très-bien,  fans  en  être  moins  orthodoxe, 
douter  s'il  y  a  deux  principes  éternels  des  cho- 
fes,  ou  s'il  n'y  en  a  qu'un.  C'eil:  un  débat  pu- 
rement grammatical  ou  philofophique,  où  la 
^révélation  n'entre   pour  rien. 

Quoiqu'il  en  foit,  ce  n'cfl  pas  décela  qu'il 
s'agit  entre  nous,&  fans  foutenir  les  fentimens 
du  Vicaire,  je  n"ai  rien  à  faire  izi  qu'a  mon- 
trer vos  torts. 

Or  vous  avez  tort  d'avancer  que  l'unité  dî 
Dieu  me  paroît  une  quodion  oifeufe  &  fupé- 
rieure  à  la  raifon  ;  puifqiie  dans  l'Ecrit  qus  vous 
cenfurez,  cette  unité  eil:  établie  &  foutenue  par 
le  raifonnement  ;  &  vous  avez  tort  de  vous  é- 
tayer  d'un  pafTage  de  Tertuiîien  pour  conclurre 
contre  moi  qu'il  implique  qu'il  y  ait  plufieurs 
Dieux:  car  fans  avoir  bcfoin  de  TertuUien ,  je 
conclu ds  aufîî  de  mon  côté  qu'il  implique  q^i'il 
y  ait  plufieurs  Dieux. 

V^ous   avez  tort  de  me   qualiSer  pour   cela 

(^t)  Hiû.  du  Maaichéiline,  T.  II, 


A    M.    DE    BEAUMONT.        n 

d'x^uteur  téméraire,  puifqu'oii  il  n'y  a  point 
d'alTenion  il  n'y  a  point  de  témérité.  On  nff 
peut  concevair  qii''an  Auteur  foit  un  téméraire, 
uniquement  pour  être  moins  hardi  que  vous. 

Enfin  vous  avez  tort  de  croire  avoir  Mené 
juftiaé  les  dogmes  particuliers  qui  donnem  k 
Dieu  îes  palïïons  humaines ,  &  qui,  loin  d'éclai.i'- 
cir  les  notions  du  grand  Etre,  les  embrouilîeiat 
&  les  aviliffent ,  en  m'accufant  faulTement  d'em- 
brouiller &  d'avilir  moi-même  ces  notions  ,.d'at^ 
taquer  diredement  l'eflencs  divine,  que  je  n'aî 
point  attaquée,  &  de  révoquer  en  .doute  Ton  a» 
nité ,  que  je  n'ai  point  révoquée  en  doute.  Si 
Je  i'avois  fait ,  que  s'enfuivroit-il?  Récriminer 
n'efl:  pas  fe  juftifier:  mais  celui  qui,  pour  toa^ 
te  défenfe,  ne  fait  que  récriminer  à  fauXy  a 
bien  l'air  d'être  feul  coupable, 

La  coxtkadiction  que  vous  me  reprochez 
dans  le  même  lieu  efl  tout  aufli  bien  fondée 
que  la  précédente  accufation.  Il  ne  fait  ^  dites- 
vous  ,  quelle  efl  la  nature  de  Dim,  £f  bientôt  a- 
près  il  recmnoît  que  cet  Etrefuprême  efl  doué  d'iri' 
telligence ,  de  puijjance ,  de  volonté ,  ^  de  honte  ;. 
n'efl  ce  donc  pas-là  avoir  une  idée  de  la  nature  divine? 

Voici,  Monfeigneur,  là-deffus-  ce  que  j'ai  à 
vous  dircr 

„  Dieu  eft  intelligent;  mais  comment  l'efî- 
„  il?  L'homme  efl  intelligent  quand  il  raifon- 
„  ne,  &;  la  fuprême  intelligence  n'a  pas  befoin: 
„  de  raifonner;  il  n'y  a  pour  elle  ni  prém.ires,, 


54  LETTRE 

^,  ni  conréquences,  il  n'y  a  pas  même  de  pn> 
^  pofition  ;  elle  eil  purement  intuitive  y  elle 
„  voit  également  tout  ce  qUi  eft  &  tout  ce  qui 
„  peut  être  ;  toutes  les  vérités  ne  font  pour  el- 
„  le  qu'une  feule  idée ,  comme  tous  les  lieux 
„  un  féul  point  &  tous  les  temps  un  feul  mo- 
y,  ment.  La  puilTance  humaine  agit  par  des  mo- 
„  yens, la  puiffance  divine  agit  par  elle-même r 
„  Dieu  peut  parce  qu'il  veut,  fa  volonté  fait 
„  fon  pouvoir.  Dieu  eft  bon,  rien  n'eft  plus 
„  manifefte;  mais  la  bonté  dans  l'homme  eft 
„  l'amour  de  Tes  femblables,  &la  bonté  de  Dieu 
„  eft  l'amour  de  l'ordre;  car  c'eft  par  l'ordre 
_,,  qu'il  maintient  ce  qui  exifte,  &  lie  chaque 
„  partie  avec  le  tout.  Dieu  eft  Jufte ,  j'en  fui* 
„  convaincu;  c'eft.  une  fuite  de  fa  bonté;  lln- 
.,  juftice  des  hommes  eft  leur  œuvre  &  non  pas 
^,  la  Tienne  :  le  défordre  moral  qui  dépofe  con- 
„  tre  la  providence  aux  yeux  des  pliilofophes, 
^,  ne  fait  que  la  démontrer  aux  miens.  Mais  la 
,,  juftice  de  l'homme  eft  de  rendre  à  chacun  ce 
„  qui  lui  appartient ,  &  la  juftice  de  Dieu  de 
,,  demander  compte  à  chacun  de  ce  qp'il  lui  a- 
^  donné. 

„  Que  fi  fe  viens  à  découvrir  fuccefïTvement 
ces  attributs  dont  je  n'ai  nulle  idée  abfolue, 
c'eft  par  des  conféqucnces  forcées,  c'eft  par 
le  bon  ufage  de  ma  raifon:  mais  je  les  affir- 
„  me  fans  les  comprendre,  &  dans  le  fond,. 
„  c'eft  n'affirmer  rien..  J'ai  beau  me  dire,  Dieu 


A    M.  DE    BEAUMONT.       5^ 

"y^  e(t  ainfi;  je  le  fens,  je  me  le  prouver  jer 
,.,  n'en  conçois  pas  mkux  comment  Dieu  peut 
„  être  ainfi. 

„  Enfin  plus  je  m'efforce  de  contempler  forv 
„  effence  infinie,  moins  je  la  conçois;  mais  cl- 
j^  le  efl,  cela  me  fufîk  ;  moins  je  la  conço-is,, 
„  plus  je  l'adore.  Je  m'humilie  &  lui  dis  r  Etre- 
^  des  êtres  ,  je  fuis  parce  que  tu  es  ;  c'efi  m'éle^ 
„  ver  à  ma  lource  que  de  te  méditer  fansceiTe.^ 
„  Le  plus  digne  ufage  de  ma  raifon  ell  de  s'a- 
,y  néantir  devant  toi  :  c'eft  mon  raviiTement 
„  d'efprit,  c'efr  le  charme  de  ma  foiWefTe  de 
„  me  fentir  accablé  de  ta  grandeur.  "" 

Voila  ma  réponfe,  &  je  la  croîs  péremptoî- 
re.  Faut-il  vous  dire  ,  à  préfent  où  je  l'ai  pri- 
fe?'  Je  l'ai  tirée  mot-à-moc  de  l'eiKiroit  même 
que  vous  accu  fez  de  contradicftion  (29).  Vous 
en  ufez  comme  tous  mes  adverfaires  ,  qui ,  pour 
Hie  réfuter,  ne  font  qu'écrire  les  objeftions  que 
je  me  fuis  faites,  &  fupprimer  mes  folutions.- 
La  réponfe  eft  déjà  toute  prête  ;  c'eft  l'ouvra- 
ge qu'ils  ont  réfuté. 

Nous  avançons,  Monfeigneur 5-  vers  les  di^ 
cufîîons  les  plus  importantes. 

Apre  s  avoir  attaqué  mon  Syft'ême  &  mon  Li- 
vre ,  vous  attaquez  aufïï  ma  Religion,  &  parce-' 
que  le  Vicaire  Catholique  fait  des  objections  con- 
tre fon  Eglife,  vous  cherchez  à  me  faire  pafTer 
pour  ennemi  de  la  mienne;  comme  fi  piopoferde* 
(z^)  Emile  T.  111.  pag.  94  &  f:iivi- 

c  + 


56  LETTRE 

difEcultés  fur  un  fcntiment,  c'étoit  y  renoncer; 
comme  û  toute  connoifTance  humaine  n'avoit 
pas  les  Tiennes;  comme  fî  la  Géométrie  elle- 
même  n'en  avoit  pas  ,  où  que  les  Géomètres  fe 
iiircnt  une  loi  de  les  taire  pour  ne  pas  nuire  à 
Ja  certitude  de  leur  art. 

La  ke'fokse  que  j'ai  d'avance  à  vous  faire  cft 
de  vous  déclarer  avec  ma  franchife  ordinaire 
mes  fentimens  en  matière  de  Religion,  tels  que 
je  les  ai  profeiTés  dans  tous  mes  Ecrits ,  &  tels 
<iu'ils  ont  toujours  é:é  dans  ma  bouche  &  dans 
Bion  cœur.  Je  vous  dirai,  déplus,  pourquoi 
j'ai  publié  la  profLiîiun  de  foi  du  V'icaire,  & 
pourquoi,  malgré  tant  de  clameurs  je  la  tiendrai 
toujours  pour  TEcrit  le  meilleur  &  le  plus  uti- 
je  dans  le  fiécle  où  je  l'ai  publié.  Les  bûchers 
ni  les  décrets  re  me  feront  point  changer  de 
langage,  les  Théologiens  en  m'ordonant  d'être 
humble  ne  me  feront  point  être  faux,  d:  les 
philofophcs  en  me  taxant  dhypocriSe  ne  me 
feront  point  profeffer  l'incrédulité.  Je  dirai  ma 
Jleligion ,  parce  que  j'en  ai  une,  &  je  la  dirai 
hautement,  parce  que  j'ai  le  courage  de  la  di- 
re, &  qu'il  fcroît  à  défirer  pour  le  bien  des 
hommes  que  ce  fût  celle  du  genre  humain. 

MoNSEiGîfEUR ,  je  fuis  Chrétien,  &  fincere- 
ment  Chrétien ,  félon  la  doétrine  de  l'Evangile. 
Je  fuis  Chrétien ,  non  comme  un  difciple  des 
Prêtres ,  mais  comme  un  difciple  de  Jefus-Chrift. 
Mon  Maître  a  peu  fubtilifé  fur  le  dogme ,  & 

beau- 


A     M.     DE     BEAU-MONT.       5>?r 

Beaucoup  infîflé  fur  les  devoirs;  il  prefccivoit 
moins  d'articles  de  foi  que  de  bonnes  œuvres;; 
il  n'ordonnoit  de  croire  que  ce  qui  écoit  néces- 
foire  pour  être  bon  ;  quand  il  réfumoic  la  LoL 
&  les  Prophètes,  c'ctoit  bien  plus  dans  des  ac- 
tes de  vertu  que  dans  des  formules  de  croyan^ 
ee  (30) ,  &  il  m'a  dit  par  lui-môme  &  par  feâ.- 
Apôtres  que  celui  q.ui  aime  fon  frère  a.  accoiiv 
pli  la  Loi  (31).. 

Moi  de  mon  côté,-  très-convain-cu  des  véri^ 
tés  clTencielles  au  Chriftianifme,  lefquelles  fer- 
vent de  fondement  à  toute  bonne  morale,  cher- 
chant au  furplus  à  nourrir  mon  cœur  de  l'efpriî 
de  l'Evangile  fans  tourmenter  ma  raifon  de  ce 
qui  m'y  paroît  obfcur,  enfin  perfuadé  que  qui* 
conque  aime  Dieu  par  deiTus  toute  chofe  à  {on' 
prochain  comme  foi-mémej-  eft  un  vrai  Chré'-- 
tien,  je  m'efforce  de  l'être,  lailTant  à  part  tou- 
tes ces  fubtilicés  de  doctrine ,  tous  ces  impor- 
tans-  galimathias  dont  les  Phariilens  embrouily 
lent  nos  devoirs  &  offusquent  notre  foi  ;  & 
mettant  avec  Saint  Paul  la.  foi- même  au  delTous^ 
de  la  charité  (32). 

Heureux-  d'être  né  dans  la  Religion  la  plus 
raifonnable  &  la  plus  fainte  qui  foit  fur  la  ter- 
re,  je  refte  inviolablement  attaché  au  culte  de- 
mes  Pères:  comme  eux  je  prends  TEcriture  & 
la  raifon  pour  les  uniques  règles  de  ma  croyaQ- 

(îo)  Matth.  Vlî.  12.  00  Galat.  V.  i^- 

Cîij  i.Cor.  XUI,  2.  13. 

c  s^ 


5»  L     E     T     T     R     E 

ce;  comme  eux  je  récufe  rautoiitë  des  Kom* 
ir.es  ^  &  n'entends  me  foumettre  à.  leurs  formu- 
les qu'autant  que  j'en  apperçois  h  vérité  ;  corn, 
jne  eux  je  me  réunis  de  cœur  avec  les-  vrais 
feniteurs  de  Jefiis-Chrift  &  les  vrais  adorateurs- 
^Dfeu^pour  lui  ofFi-ir  dans  la  communion  des 
fdelles  les  hommages  de  Ton  Eglife.  Il  m'eflr 
conCoIant  &  doux  d  être  compté  parmi  fes-mem- 
"bres,  de  participer  au  culte  public  qu'ils  ren- 
dent à  la  divinité,  &  de  me  dire  au  milieu, 
d'eux;  je  fuis  avec  mes  frères. 

Pe'xz'tîe'  de  reconnoiffance  pour  le   digne 
Pâfleur  qui  ^refiilant  au  torrent  de  l'exemple,  & 
jugeant  dans  la  vérité,,  n'a  point  exclus  de  l'E- 
gllfe  un  défenfeur  de  la  caufe  de  Dieu,  je  con- 
fcrvtrai  toute  ma  vie  un  tendre  fouvenir  de  fa 
charité  vraiment   Chrétienne.    Je  me  ferai  tou- 
jours une  gloire  d'être  compté  dans  fon  Trou- 
•peau ,  &  j'efpere  n'en  point  fcandalifèr  les  mem- 
î>res  ni  par  mes  fentimens  ni  par  ma  conduite». 
Mais-  lorfque  d'injuftes  Prêtres,  s'àrrogeant  des; 
ëroîis   qu'ils  n'ont  pas,  voudront   fe  faire  les- 
arbitres  de  ma  croyance,  &  viendront  me  dire 
STO^mment;  rétraftez- vous^  déguifez- vous,, 
expliquez  ceci,  défavouez  cela;  leurs  hauteurs 
ae  m'en  impoferont  point  ;  ils   ne   me  feront, 
foint  mentir  pour  être  orthodoxe,  ni  dire  pouc- 
iJEUî  plaire  ce  que  je  ne  penfe  pas.    Que  fî  ma; 
X  téra-cité  les  o£^*enfe ,  ù.  qu'ils  veuillent,  me  re- 
«aLciseî  de  XTî^ife^  je  craindrai  peii  cecce  me^. 


A  B:  DR  BEAU'MONT.  59 
21"ace  dont  rexécution  n'eft  p-a?  en  leur  pouvoir." 
Ih  ne  m'empêcheront  pas  d'être  uni  de  cœur  a-- 
vec  les  fidelles  ;  ils  ne  m  oteront  pas-  du^  rang' 
des  élus  lî  j'y  fuis  infca-it.  lis  peuvent  m'en  ô- 
ter  les  confolatians  dans  cette  vie,  maî?  non- 
refpoir  dans  celle  qui  doit  la  fuivre,  &  c'ell 
là  que  mon  vœu  le  plus  ardent  &  le  plus  fîncc- 
re  ell  d'avoir  Jefus-Chrift  même  pour  arbitre  d 
pour  Juge  entre  eux  &  moi.- 

Tels   fonr,   Monfeigneur,  mes  vfaîà  fenii- 
mens,  que  je  ne  donne  pour  règle  à  perfoniie, 
mais  que  je  déclare  être  les  miens,  &  qui  res- 
teront tels  tant  qu'il  plaira,  non  aux  hommes, 
mais  à  Dieu,  feu!  maître  de  changer  mon  cœur 
&  ma  raiion  ;  car  aufîî  longtems  que  je  ferai  ce 
que  je  fuis  à.  que  je  penferai  comme  je  penfe, 
je  parlerai  comme  je  parle,-  Bien  différent,  je 
Tavoue-,   dé,  vos  Chrétiens  en  effigie,  toujours 
prêts  à  croire  ca  qu'il  faut  croire  ou  à  dire  ce 
qu'il  faut  dire  pour  leur  intérêt  ou  pour  leur 
repos,  &  toujours  fûrs^  d'être  alFez  bons- Chré- 
tiens,  pourvu  qu'on  ne  brûle  pas  leurs  Livres 
&  qu'ils  ne  foient  pas  décrétés;    Ils  vivent-  en 
gens   perfuadès  que  non  feuiement' il  faut  con* 
feflTer  tel  &  tel  article, mais- que  cela  fùiHt  pour 
aller  en  paradis  ;  &  moi  je  peafe ,  au  contraire , 
que  reffenciel  de  la  Religion  conflîle  en  prati- 
que,que  non  feulement  il  faut  être  bomma  dè- 
bien  ,  miféricordieux  ,  humain ,  charitable  ;••  mai^- 
qiie  quiconque  ert  vraiment  tel  en^  croit  allez: 


€5  LETTRE 

pour  ctre   fauve.     J'avoue ,   au  rcfte ,   que  leur 
doctrine  eil  plus  commode  que  la  mienne ,  &  qu'il 
en  coûte  bien   moins   de  fe  mettre  au  nombre 
des  ridelles  par  des  opinions  que  par  des  vertus. 
Que  fi  j'ai  du  garder  ces  fentimens  pour  moi 
feul ,  camma  ils  ne  cefTent  de  le  dire  ;  fi  lorfque 
i'iû  eu  le  courage  de  les  publier  &  de  me  noin- 
Uîcr  ^j'ai  attaqué  les  Loix  &  troublé  l'ordre  pu- 
blic, c'efl:  ce  que  j'examinerai  tout-à- l'heurs. 
Mais  qu'il  me  foit  permi.>,  au^paravant ,,  de  vous 
fupplier,  Monfeignear,   vous  6c  tous  ceux  qui 
liront  cet  écrit  ^d'ajouter  quelque  foi  aux  décla» 
lations  d'un  ami  de  la  vérité ,  &  de  ne  pas  imi- 
ter ceux  qui,   faiss  preuve^  fans  vraifemblance^ 
&  fur  le  feul  témoignage  de  leur  propre  cœur , 
m'accufent  d'athéisme  &  d  irréligion  contre  des 
protiefiations  li  pofitives  &  que  rien  de  ma  part 
»'a  jamais   démenties.    Je  n'ai  pas  trop,   ce  me 
femble ,   l'air  d'un  homme  qui  fe  déguife ,  &  il 
n'eft  pas  aifé  de  voir  quel  intérêt  jlaurois  à  me 
dégiùfcr  ainfi.  L'on  doit  préfumer  que  celui  qui 
s'exprime  fi  librement  fur  ce  qu'il  ne  croit  pas, 
eft  fincere  en  ce  qu'il  dit  croire,   &  quand  fes 
difcours,  fa  conduite  &  fes  écrits  font  toujours 
d'accord  fur  ce  point ,   quiconque    ofe  affirmer 
qu'il  ment,  &  n'ell:  pas  un  Dieu»  ment  infailli- 
blement  lui-mcme. 

j£  n'ai  pas  toujours  eu  le  bonheur  de  vivre 
it'ul.  J'ai  fréquentjé  des  hommes  de  toute  efpe- 
c.e.  l'ai  vu  des  gens  de  tous  les  pauLi,  des  Cror- 


A    M.    DE    BEAUMONT.        ôï 

yîns  de  toutes  les  feftes ,   des  efprits  -  forts  de 
tous  les  lîfl-ômes:  j'ai  vil  des  grands,  des  petits, 
des  libertins,  des  philofophes.  J'ai  eu  des  amis 
fûrs  &  d'autres  qui  l'étoiem  moins  :  j'ai  été  en. 
vironné  d'efpions ,   de  malveuillans,.  &  le  mon- 
de eft  plein  de  gens  q.ui  me  haïllent  à  caufe  du 
mal  qu'ils  m'ont  fait.  Je  les  adjure  tous ,   quels 
qu'ils  puiffent  être,   de   déclarer   au   public  câ 
qu'ils  favent  de  ma  croyance  en  matière  de  Re^ 
ligion  :  fi  dans  le  commerce  le  plus  fuivi,  fî  dans 
la  plus  étroite  familiarité ,  û  dans  la  gayeté  des 
repas ,  û  dans  les  confidences  du  tête-à-tête  ils 
m'ont  jamais  trouvé  différent  de  moi-même;  fi 
lorfqu'ils  ont  voulu  difputer  ou  plaifanter,  leurs 
argumens  ou  leurs  railleries  m'ont  un  moment 
ébranlé,  s'ils  m'ont  furpris  à  varier  dans  mes 
fentimens ,  fi  dans  le  fecret  de  mon  cœur  ils  en 
ont   pénétré  que  je  cachois  au  public;,  fi  dans 
quelque  tems  que  ce  foit  ils  ont  trouvé  en  moi 
une   ombre   de  fauifeté  ou  d'hypocrifie ,   qu'ils 
le  difent,  qu'ils  révèlent  tout,  qu'ils  me  dévoi- 
lent ;  j'y  confens,  je  les  en  prie,  je  les  difpen- 
fe  du  fecret  de  l'amitié  ;  qu'ils  difent  hautement , 
non  ce  qu'ils  VGudroient  que  je  fuffe,   mais  ce 
qu'ils  favent  que  je  fuis  ;  qu'ils  me  jugent  félon 
leur   confcience;  je  leur  confie  mon   honneur 
fans  aaiiue,,  &  je  promets  de  ne  les  point,  re- 
çu fer. 

Que  ceux  qui  m'acaifent  d'être  fans  Religion 
paice  qiills  ne  conçoivent  pas  qu'on  en  puilTe 
C    7 


^  L     E     T     T     R     E 

avoir,  une  ,  s'accordent  au  moins  s'ils  peuveni-' 
entre  eux.  Les  uns  ne  trouvent  dans  mes  Livres 
qu'unSiftême  d'athéirme,  les  autres  difentquejc 
rends  gloire  à  Dieu  dans  mes  Livres  fans  y  croire 
au  fond  de  mon  cœur.  Ils  taxent  mes  écrits 
d'impiété  &  mes  fentimens  d'hypocrifîe.  Mais  fi 
je  prêche  en  public  l'athéiTme,  je  ne  fuis  donc 
pas  un  hypocrite ,  &  fi  j'affecte  une  foi  que  je 
H'ai  point,. je  n'enfeigne  donc  pas  l'impiété.  En 
entafTant  des  imputations  contradiéloires  la  ca. 
lomnie  fe  découvre  elle-même; mais  la  maligni- 
té eft  aveugle,  &  la  paillon  ne  raifonne  pas. 

Je  n'ai  ptis ,  il  eft  vrai ,  cette  foi  dont  j'en- 
tens  fe  vanter  tant  de  gens  d'une  probité  û  mé- 
diocre,.  cette  foi  robufte  qui  ne  doute  jamais- 
de  rien,   qui  croit  fans  façon  tout  ce  qu'on  lui 
pré  fente  à   croire,  &  qui  met  à  part  ou  diiîl* 
mule  les  objections  qu'elle  ne  fait  pas  réfoudre. 
Je  n'ai  pas  le  bonheur  devoir  dans  larévélation- 
l'évidence  qu'ils  y  trouvent,  &  fi  je  me  déter- 
mine pour  elle,-  c'eft  parce  que  mon  cœur  m'y 
porte,  qu'elle  n'a  rien   que  de  confolant  pour 
moi ,  &  qu'à  la  rejetter  les  difficultés  ne  font 
pas  moindres  ;  mais  ce  n'eft  pas  parce  que  je  la 
vois  démontrée,   car  très-fùrement  elle  nercft 
pas  à  mes  yeux.    Je  ne  fuis  pas  même  aOTez  in- 
ftruit  à  beaucoup  près   pour  qu'une  démonftra- 
tion  qui  demande  un  fi  profond  favoir,  foit  ja- 
mais à  ma  portée.  N'eft-il  pas  plaifnnr  que  moi 
qui  propofe  ouvertement  mes  objedions  &  mes 


A    M.     DE    BEAUMONT.        63. 
doutes, ie  fois  rhypoerite,&  que  tous  ces  gens 
fi  déddéSvqui  difent  fans  cefle  croire  fermement 
ceci  &  cela,  que  ces  gens  iî  fûrs  de  tout,-  fans- 
avoir  pourtant  de  meilleures  preuves  que  les 
miennes,  que  ces  gens ,  enfin ,  dont  la  plus  part 
ne   font  gueres  plus  favans   que  moi,  &  qui,, 
fans  lever  mes  difficultés ,  me  reprochent  de  les 
avoir  proposes,   foient  les  gens  de  bonne  foi?' 
Pourquoi  ferois-je  un  hypocrite^.  &  que  ga- 
gnerois-je  à  l'être?  J'ai  attaqué  tous  lesintérêts^ 
particuliers,  j'ai  fufcité  contre  moi  tous  les  par- 
tis, je  n'ai  foutenu  que  la  caufe  de  Dieu  &  de 
rhumanité,  &  qui  eft-ce  qui  s'en  foucie?' Ce- 
que  j'en  ai  dit  n'a  pas  même  fait  la  moindre  fen* 
fation,   &  pas  une  ame  ne  m'en  a  fu  gré.   Sije.- 
me  fufTe  ouvertement  déclaré  pour  l'athéifme,, 
les  dévota  ne  m'auroient  pas  fait  pis ,  &  d'auf- 
tTCs   ennemis  non  moins  dangereux  ne  me  por- 
t-eroient  point  leurs  coups  en  fecret.     Si  je  me 
fbfTe  ouvertement  déclaré  pour  l'athéifme ,   les- 
uns  m'euffent  attaqué  avec  plus  de  réferve  en: 
me  voyant  défendu  par  les  autres,   &,  difpofé. 
moi-même  à  la  vengeance:  mais  un  homme  q\Vv. 
craint  Dieu  n'eft  guère  à  craindre;  fon  parti n'ell- 
pas  redoutable,  il  eft  feul   ou  à  peu  près,  &. 
l'on  eft  fur  de  pouvoir  lui  faire- beaucoup  de 
mal  avant  qu'il  fonge  à  le  rendre.  Si  je  me  fuf- 
fe.  ouvertement  déclaré  pour  l'athéifme ,.  en  me 
féparant  ainfî  dé  l'Eglife,  j'aurois  ôté  tout  d'un, 
coup  à  fes  Minif^res  le  moyen  de  me  harcelicrr 


6^  LETTRE 

fans  ceffe,  &  de  me  faire  endurer  toutes  leirr-i 
petites  tirannies;  Je  n'aurois  point  efTuyé  tant 
d'ineptes  cenfures,  &  au  lieu  de  me  blâmer  Ci 
tigrement  d'avoir  écrit  il  eût  fallu  me  réfuter ,. 
ce  qui  n'eft  pas  tout-à-fait  fi  facile.  Enfin  fi  je 
me  fufle  ouvertement  déclaré  pour  L'achéifme 
on  eût  d'abord  un  peu  clabaudc;  mais  on  m'eûc 
bientôt  lailTé  en  paix  comme  tous  les  autres  ;  l(i 
peuple  du  Seigneur  n'eût  point  pris  infpeclion 
fur  moi ,.  chacun  n'eût  point  crû  me  faire  grâ- 
ce en  ne  me  traitant  pas  en  excommunié;  & 
j'eufle  été  quite-à-quite  avec  tout  le  monde:  Le* 
faintes  en  Ifrasl  ne  m'auroient  point  écrit  des 
Lettres  anonymes  ,&.  leur  charité  ne  fe  fut  point 
exhalée  en  dévates  injures  ;  elles  n'eufient  point 
pris  la  peine  de  m'afTurer  humblement  que  je^ 
tois  un  fcélérat,  un  monfhre  exécrable,  6c  que 
le  monde  eût  été  trop  heureux  fi  quelque  bonne 
ame  eût  pris  le  foin  de  m'étoufFer  au  berceau  : 
D'honnêtes  gens,  de  leur  c6té,  me  regardant 
alors  comme  un  réprouvé  ,  ne  fe  tourmente.» 
Toient  &.  ne  me  tourmenteroient  point  pour  me 
lamener  dans  la  bonne  voye;  ils  ne  me  tiraille- 
Toient  pas  à  droite  &  à  gauche,  ils  ne  m'étouf- 
feroient  pas  fous  le  poids  de  leurs  fermons ,  ils 
ne  me  forccaoient  pas  de  bénir  leur  zèlj  en 
DiaudilTant  leur  importunité,  &  de  fentir  avec 
reconnoilTance  qu'ils  font  appelles  à  me  fair'j 
périr  d'ennui. 

MoiisjuGiSEUA,  fi  je   fuis  un  hy^ociite^  ]>- 


A    M.    DE    BEAUMONT.        65 

fuis  un  fou;  puifque,  pour  ce  que  je  demande 
aux  hommes ,  c'eft  une  grande  folie  de  fe  met- 
tre en  fiaix  de  fauffeté;  fi  je  fuis  un  hypocri- 
te ,  je  fuis  un  fot  ;  car  il  faut  l'être  beaucoup 
pour  ne  pas  voir  que  le  chemin  que  j'ai  pris  ne 
mène  qu'à  des  malheurs  dans  cette  vie ,  &  que 
quand  j'y  pourrois  trouver  quelque  avantage, 
je  n'en  puis  profiter  fans  me  démentir.  Il  efl: 
vrai  que  j'y  fuis  à  tems  encore;  je  n'ai  qu'à 
vouloir  un  moment  tromper  les  hommes;  &  je 
mets  à  mes  pieds  tous  mes  ennemis.  Je  n'ai 
point  encore  atteint  la  vieillefle;  je  puis  avoir 
longtems  à  foufFrir  ;  je  puis  voir  changer  dere- 
chef le  public  fur  mon  compte:  mais  fi  jamais 
j'arrive  aux  honneurs  &  à  la  fortune  ;  par  quel- 
que route  que  j'y  parvienne ,  ^  alors  je  ferai  un 
hypocrite;  cela  eft  fur. 

La  gloire  de  l'ami  de  la  vérité  n'efl  point 
attachée  à  telle  opinion  plutôt  qu'à  telle  autre  ; 
quoiqu'il  dife,  pourvu  qu'il  le  penfe,  il  tend 
à  fon  but.  Celui  qui  n'a  d'autre  intérêt  que  d'ê- 
tre vrai  n'ell  point  tenté  de  mentir  ,  &  il  n'y  a 
nul  homme  fenfé  qui  ne  préfère  le  moyen  le 
plus  fimple ,  quand  il  eft  aufiî  le  plus  fur.  Mes 
ennemis  auront  beau  faire  avec  leurs  injures; 
ils  ne  m'ôteront  point  l'honneur  d'être  un 
homme  véridique  en  toute  chofe,  d'être  le  feul  | 
Auteur  de  mon  fiécle  &  de  beaucoup  d'autres  ] 
qui  aie.  écrit  de  bonne  foi,  &  qui  n'ait  dit  que 
ce  qu'il  a  cru  :  ils  pourront  un  moment  fouillex 


66  LETTRE 

ma  réputation  à  force  de  rumeurs  &  de  calom- 
nies ;  mais  elle  en  triomphera  tôt  ou  tard;  car 
laniis  qu'ils  varieront  dans  leurs  imputations 
ridicules,  je  relierai  toujours  le  mêmej  &  fans^ 
autre  art  que  ma  franchifc,  j'ai  dequoi  les  dé- 
foler  toujours-. 

Mais  cette  franchi fe  efl:  déplacée  avec  le  pu- 
blic! Mais  toute  vérité  n'eft  pas  bonne  à  di- 
re! Mais  bien  que  tous  les  gens  fenfés  penfent 
comme  vous ,  il  n'eft  pas  bon  que  le  vulgaire 
penfe  ainlîl  Voila  ce  qu'on  me  crie  de  toutes 
parts;  voila,  peut-être,  ce  que  vous  me  diriez 
vous  même,  (i  nous  étions  tête-à-tête  dans  votre 
Cabinet.  Tels  font  les  hommes.  Ils  changent  de 
langage  comme  d'habit  ;  ils  ne  difent  la  vérité 
qu'en  robe  de  chambre;  en  habit  de  parade  ils 
ne  favent  plus  que  mentir, &  non  feulement  ils 
font  trompeurs  &  fourbes  à  la  face  du  genre 
humain ,  mais  ils  n'ont  pas  honte  de  punir  con- 
tre leur  confcience  quiconque  ofe  n'être  pas 
fourbe  &  trompeur  public  comme  eux.  Mais  ce 
principe  efl: -il  bien  vrai  que  toute  vérité  n'efV 
pas  bonne  à  dire  ?  Quand  il  le  feroit ,  s'enfai- 
vroit-il  que  nulle  erreur  ne  fût  bonne  à  détruire, 
&  toutes  les  folies  des  hommes  font-elles  fi  fain- 
tes  qu'il  n'y  en  ait  aucune  qu'on  ne  doive  ref- 
peder  ?  Voila  ce  qu'il  conviendroit  d'examiner 
avant  de  me  donner  pour  loi  une  mnxime  fuf- 
pe6le  &  vague,  qui,  fût-elîe  vraye  en  elle-mÀi* 
me,  peut  pécher  par  fon  application. 


A    M.    DE    BEAUMONT.       67 

J'ai  grande  envie,  Mon  feigneur,  de  prendre 
Ici  ma  méthode  ordinaire,  &  de  donner  rhif- 
toire  de  mes  idées  pour  toute  réponfe  à  mes 
accufateurs.  Je  crois  ne  pouvoir  mieux  juftifier 
tout  ce  que  j'ai  ofé  dire,  qu'en  difant encore 
tout  ce  que  j'ai  penfë. 

Sitôt  que  je  fus  en  état  d'Gbferver  les  fiom^ 
mes,  je  les  regardois  faire,  &  je  les  écoutois 
parler;  puis^  voyant  que  leurs  aétions  ne  ref- 
fembloient  point  à  leurs  difcours ,  je  cherchai 
la  raifon  de  cette  diflemblance ,  &  je  trouvai 
qu'être  &  paroître  étant  pour  eux  deux  chofes- 
auffi  différentes  qu'agir  &  parler,  cette  deuxiè- 
me différence  étoit  la  caufe  de  l'autre ,  &  avoit 
elle-même  une  caufe  qui  me  refloit  à  chercher- 

Je  la  trouvai  dans  notre  ordre  fociaî,  qui,, 
de  tout  point  contraire  à  la  nature  que  rien  ne 
détruit,  la  tirannife  fans  cefTe,  &  lui  fait  fans- 
CQÏÏe  réclamer  fes  droits.  Je  fui  vis  cette  con  tra- 
dition dans  fes  conféquences ,  &  je  vis  qu'elle 
expliquoit  feule  tous  les  vices  des  hommes  & 
tous  les  maux  de  la  fociété.  D'oii  je  conclus 
qu'il  n'étoit  pas  néceflaire  de  fuppofer  l'homme 
méchant  par  fa  nature ,  lorfqu'on  pouvoit  mar- 
quer l'origine  &  le  progrès  de  fa  méchanceté, 
€es  réflexions  me  conduilîrent  à  de  nouvelles- 
recherches  fur  l'efprit  humain  confidéré  dans 
l'état  civil,  &  je  trouvai  qu'alors  le  développe- 
ment des  lumières  &  des-  vices  fe  faifoit  tou* 
jours  en  même  raifon,  non  dans  les  individus». 


58  LETTRE 

iTiais  dans  les  peuples;  diftlnflion  que  j'ai  tou- 
jours foigneufcment  faite,  &  qu'aucun  de  ceux 
qui  m'ont  attaqué  n'a  jamais  pu  concevoir. 

J'ai  cherché  la  vérité  dans  les  Livres  ;  je  n'y 
ai  trouvé  que  le  menfonge  &  l'erreur.  J'aicon- 
fuite   les  Auteurs;  je  n'ai  trouvé  que  des  Char- 
latans  qui   fe  font  un  jeu  de  tromper  les  hom- 
mes, fans  autre  Loi  que  leur  intérêt,   fans  aa- 
tre  Dieu  que  leur  réputaticni  ;  prompts  à  décrier 
les  chefs  qui  ne  les  traitent  pas  â  leur  gré»  plus 
prompts  à  louer  l'iniquité  qui  ks  paye.  En  écou- 
tant les  gens  à  qui  Ton  permet  de  parler  en  pu- 
blic, j'ai  compris   qu'ils  n'ofent  ou  ne  veulent 
dire  que  ce  qui  convient  à  ceux  qui  commandent , 
&  que  payés  par  le  fort  poiu  prêcher  le  foible, 
ils   ne   favent  parler  au  dernier  que  de  fcs  de- 
voirs, &  à  l'autre  que  de  fes  droits.  Toute  l'in- 
ftruélion  pubMque  tendra  toujours  au  menfonge 
tant  que  ceux  qui  la  dirigent   trouveront   leur 
intérêt  à  mentir ,  &  c'efl  pour   eux   feulement 
que  la  vérité  n'eft  pas  bonne  à  dire.    Pourquoi 
ferois-je  le  complice  de  ces  gens-là  ? 

Il  Y  A  des  préjugés  qu'il  faut  refpecler? 
Cela  peut  êtr»;  Mais  c'eft  quand  d'ailleurs 
tout  eft  dans  l'ordre,  &  qu'on  ne  peut  ôter  ces 
préjugés  fans  ôter  auffi  ce  qui  les  rachette; 
on  lailTe  alors  le  mal  pour  l'amour  du  bien. 
Mais  lorfque  tel  eft  l'état  des  choies  que  plu* 
rien  ne  fauroit  changer  qu'en  mieux,  les  pré- 
jugés  font -ils    11  refpeclables  qu'il  faille  Icur^ 


A    M.    DE    BEAUMONT.        6^ 

facriticr  la  raifon ,  la  vertu,  la  juftice,  &  touC 
le  bien  que  la  vérité  pourroit  faire  aux  hom- 
mes ?  Pour  moi,  j'ai  promis  de  la  dire  en 
toute  chofe  utile,  autant  qu'il  feroît  en  moi; 
c'eft  un  engagement  que  j'ai  dû  remplir  félon 
mon  talent ,  &  que  fûrement  un  autre  ne  remplira 
pas  à  ma  place ,  puifque  chacun  fe  devant  à  tous , 
nul  ne  peut  payer  pour  autrui.  La  divine  véri' 
té ,  dit  Auguflin  ,  n*efi  ni  à  moi  ni  à  vous  ni  à  lui , 
mais  à  nous  tous  qu'elle  appelle  avec  force  à  h  pu- 
blier de  concert,  fous  peine  d'être  inutile  à  nouS' 
mêmes  fi  nous  ne  la  communiquons  aux  autres:  car 
quiconque  s'approprie  à  luifeul  un  bien  dont  Dieu 
veut  que  tous  jouîffent,  perd  par  cette  ufurpation 
ce  qu'il  dérobe  au  public ^  ^  ne  trouve  qu'erreur 
sn  lui-même ,  pour  avoir  trahi  la  vérité  (o). 

Les  hommes  ne  doivent  point  être  inftruitî 
à   demL    S'ils  doivent  refter  dans  l'erreur,  que 
ne   les  laLflîez-vous   dans  l'ignorance?  A  quoi 
bon  tant  d'Ecoles  &  d'Uni verfités  pour  ne  leur 
apprendre  rien  de  ce  qui  leur  importe  à  favoir? 
Quel  eft  donc  l'objet  de  vos  Collèges,  de  vos 
Académies,    de    tant  de   fondations  favantes?; 
Eft-ee  de  donner  le  change  au  Peuple,  d'altérer 
fa  raifon  d'avance,  &  de  l'empôcher  d'aller  aa« 
vraiV  ProfelTeurs  de  menfonge,   c'eft  pour  l'a-  \ 
bufer  que  vous  feignez  de  l'inlîruire,  &,  com- 
me ces  brigands  qui  mettent  des  fanaux  fur  dej 
écueils ,  vous  l'éclairez  pour  le  perdre. 
(0  Aug.  confef»  L.  3C11.  c.  zsr 


70  LETTRE 

Voila  ce  que  je  penfois  en  prenant  la  pîa* 
ine ,  &  en  la  quittant  je  n'ai  pas  lieu  de  chan" 
ger  de  fentiment.  J'ai  toujours  vu  que  l'inftruc 
tion  publique  avoit  deux  défauts  efTenciels  qu'il 
étoit  impoffible  d'en  ôter.  L'un  eft  la  mauvaife 
foi  de  ceux  qui  la  donnent ,  &  l'autre  l'aveugle- 
ment de  ceux  qui  la  reçoivent.  Si  des  hommes 
fans  palïïons  inftruifoient  des  hommes  fans  pré- 
jugés, nos  connoilTances  relleroient  plus  bor* 
nées  mais  plus  fûres,&  la  raifon  régneroit  tou- 
jours. Or,  quoiqu'on  fafle,  l'intérêt  des  hommes 
publics  fera  toujours  le  môme ,  mais  les  préjugés 
du  peuple  n'ayant  aucune  bafe  fixe  font  plus  va- 
riables; ils  peuvent  être  altérés,  changés,  aug- 
mentés ou  diminués.  C'eft  donc  de  ce  côté  feul 
que  rinftrudion  peut  avoir  quelque  prîfe,  & 
c'eft-là  que  doit  tendre  l'ami  de  la  vérité.  Il 
peut  efpérer  de  rendre  le  peuple  plus  raifonna- 
ble ,  mais  non  ceux  qui  le  mènent  plus  honnê- 
tes gens. 

J'ai  vu  dans  la  Religion  la  même  faufTeté 
que  dans  la  politique,  &  j'en  ai  été  beaucoup 
plus  indigné  :  car  le  vice  du  Gouvernement  ne 
peut  rendre  les  fujets  malheureux  que  fur  la 
terre;  mais  qui  fait  jufqu'où  les  erreurs  de  la 
confciencc  peuvent  nuire  aux  infortunés  mor- 
tels? J'ai  vu  qu'on  avoic  des  profeflîons  de  foi, 
des  doétrines,  des  cultes  qu'on  fuivoit  fans  y 
croire,  &  que  rien  de  tout  cela  ne  pénétrant  ni 
le  ca;ur  ni  la  raifon ,  n'inûuoit  que  trùs-peu  fur 


A    M.    DE    BEAÛMONT.        71 

la  conduite.  Monfeigneiir ,  il  faut  vous  parler 
fans  détour.  Le  vrai  Croyant  ne  peut  s'accom- 
moder de  toutes  ces  fimagrées  :  il  fent  que  l'hora- 
jne  eft  un  être  intelligent  auquel  il  faut  un  cul- 
te raifonnable,  &  un  être  fociable  auquel  il  faut 
une  morale  faite  pour  l'humanité.  Trouvons 
premièrement  ce  culte  &  cette  morale;  cela  fe- 
ra de  tous  les  hommes ,  &  puis  quand  il  faudra 
des  formules  nationales ,  nous  en  examinerons 
ks  fondemens,  les  rapports,  les  convenances, 
&  après  avoir  dit  ce  qui  eft  de  l'homme ,  nous 
dirons  en  fuite  ce  qui  eft  du  Citoyen.  Ne  faifons 
pas,  fur-tout,  comme  votre  Monfîeur  Joli  de 
Fleuri,  qui,  pour  établir  fon  Janfénifme,  veut 
déraciner  toute  loi  naturelle  &  toute  obligation 
qui  lie  entre  eux  les  humains  ;  de  forte  que  fé- 
lon lui  le  Chrétien  &  l'Infidelle  qui  contraient 
entre  eux ,  ne  font  tenus  à  rien  du  tout  l'un 
envers  l'autre;  puifqu'il  n'y  a  point  de  loi 
commune  à  tous  les  deux. 

Je  vois  donc  deux  manières  d'examiner  &  com- 
parer les  Religions  diverfes;  l'une  félon  le  vrai 
&  le  faux  qui  s'y  trouvent ,  foit  quant  aux  faits- 
naturels  ou  furnaturels  fur  lefquels  elles  font 
établies ,  foit  quant  aux  notions  que  la  raifon 
nous  donne  de  l'être  fliprême  &  du  culte  qu'il 
veut  de  nous  :  l'autre  félon  leurs  effets  tempo- 
rels &  moraux  fur  la  terre,  félon  le  bien  ou 
le  mal  qu'elles  peuvent  faire  à  la  fociété  &  au 
genre  humain.    II  ne  faut  pas ,  pour  empêcher 


72  LETTRE 

ce  double  examen,  commencer  par  décider  que 
ces  deux  chofes  vont  toujours  enfemble,  &  que 
la  Religion  la  plus  vraye  eft  aufîî  la  plus  focia* 
le;  c'eft  précifcment  ce  qui  eft  en  queftion;  <S 
il  ne  faut  pas  d'abord  crier  que  celui  qui  traite 
cette  queftion  eft  un  impie,  un  athée;  puifque 
autre  chofe  eft  de  croire,  &  autre  chofe  d'exa- 
miner l'effet  de  ce  que  l'on  croit. 

Il  paroît  pourtant  certain ,  je  l'avoue ,  que 
fi  l'homme  eft  fait  pour  U  fociété ,  la  Religion 
la  plus  vraye  eft  aulîi  la  plus  fociale  &  la  plus 
humaine  ;  car  Dieu  veut  que  nous  foyons  tels 
qu'il  nous  a  faits ,  &  s'il  étoit  vrai  qu'il  nous 
eût  fait  méchans,  ce  feroit  lui  défobéir  que  de 
vouloir  celTer  de  l'être.  De  plus  la  Religion 
confidérée  comme  une  relation  entre  Dieu  & 
l'homme,  ne  peut  aller  à  la  gloire  de  Dieu  que 
par  le  bien-être  de  l'homme,  puifque  l'autre 
terme  de  la  relation  qui  eft  Dieu ,  eft  par  fa 
nature  au  deflus  de  tout  ce  que  peut  l'homme 
pour  ou  contre  IuL 

Mais  ce  fentiment,  tout  probable  qu'il  eft, 
eft  fajet  à  de  grandes  difficultés ,  par  l'hiftori- 
que  &  les  faits  qui  le  contrarient.  Les  Juifs  é- 
toient  les  ennemis  nés  de  tous  les  autres  Peu- 
pies  ,  &  ils  commencèrent  leur  établilTement 
par  détruire  fept  nations ,  félon  l'ordre  exprès 
qu'ils  en  avoient  reçu:  Tous  les  Chrétiens  ont 
eu  des  guerres  de  Religion ,  &  la  guerre  eft 
nuifible  aiu  hommes;  tous  les  partis  ont   été 

peffécu- 


A     M.    DE    BEAUMONT.        75 

persécuteurs  &  perfécutcs ,  &  la  perfécution  ell 
nuifible  aux  hommes;  pluîîeurs  feétes  vantent 
le  célibat ,  &  le  célibat  eft  lî  nuifible  (33)  à  l'ef- 
pece  humaine,  que  s'il  étoit  fuivi  par  tout,  el- 
le périroit.  Si  cela  ne  fait  pas  preuve  pour  dé- 
cider ,  cela  fait  raifon  pour  examiner ,  &  je  ne 
demandois  autre  chofe  linon  qu'on  permit  cec 
examen. 

Je  ne  dis  ni  ne  penfe  qu'il  n'y  ait  aucune  boa- 
ne  Religion  fur  la  terre;  mais  je  dis,  &  il  eH 
trop  vrai,  qu'il  n'7  en  a  aucune  parmi  celles  quC 
font  ou  qui  ont  été  dominantes,  qui  n'ait  fait  à 

(33)  La  continence  &  h  pureté  ont  kur  ufagcmêmc 
pour  la  population  i  il  eft  toujours  beau  defecommandcc 
a  foi-même,  6c  l'e'tat  de  virgiràté  eil  par  ces  raifons  trè^j- 
digne  d'eftimei  mais  il  ne  s'enCuit  pas  qu'il  foit  beau  nt 
bon  ni  louable  de  perfévéïer  toute  la  vie  dans  cet  état, 
en  oftenfant  la  nature  &  en  trompactfadeftinaiion.  L*oa 
a  plus  di  refpeâ:  pour  une  jeune  vierge  nubile,  que  pour 
une  jeune  femme  j  mais  on  en  a  plus  pour  une  mère  <<e 
famille  que  pour  une  vieille  fille  ,  &  cela  me  paroit  très- 
feufé.  Comme  on  ne  fe  marie  pas  en  naiffant,  èc  qu'il 
n'eft  pas  même  à  propos  de  {c  maiier  fort  jeune  5  la  vir- 
ginité' ,  que  tous  ont  dû  porter  ôc  honorer ,  a  (a  ne'cefiite', 
fon  milite',  fon  prix ,  &  fa  gloire  i  mais  c'eft  pour  aller, 
quand  il  convient ,  de'pofer  toute  fa  pureté  dans  le  maria- 
ge. Quoi!  difent-ils  de  leur  air  bêtement  triomphant, 
des  célibataires  prêche  it  le  nœud  conjugal  î  pourquoi 
donc  ne  fe  marient-ils  pas  ?  Ah  1  pourquoi  ?  Parce  qu'un 
état  fi  faiot  &  fi  doux  en  lui  même  eft  devenu  par  vos 
fottes  inftitutions  un  état  malheureux  &  ridicule,  dans  le- 
quel il  eft  déformais  prel'que  impofliblc  de  vivre  fans  être 
uu  fripon  ou  un  for.  Sceptres  de  fer,  loix  inlenfées  I  c'elb 
à  vous  que  nous  reprochons  de  n'avoir  pu  remplir  nos 
devoirs  fur  la  terre,  &:  c'eft  par  nous  que  le  cri  de  la  ob- 
ture s'élève  contre  votre  barbarie.  Comment  ofcz-vous  Jc 
poufler  jufqu'à  nousi  leprochei  la  mileiç  où  vous  oottf 
avci^  léciuits  I 

D 


74  LETTRE 

rhumanité  des  playes  cruelles.  Tous  les  partis 
ont  tourmenté  leurs  frères ,  tous  ont  offert  à 
Dieu  des  facrifices  de  fang  humain.  Quelle  que 
foit  la  fource  de  ces  contradictions,  elles 
exiflent;  eft-ce  un  crime  de  vouloir  les  ôter? 

La  charité  n'eft  point  meurtrière.  L'amour 
•eu.  prochain  ne  porte  point  à  lemaflacrer.  Ainfî 
le  zèle  du  falut  des  hommes  n'eft  point  la  eau- 
fe  des  perfécutions;  c'eft  l'amour-propre  &  l'or- 
gueil qui  en  eft  la  caufe.  Moins  un  culte  eftrai- 
fonnable ,  plus  on  cherche  à  l'établir  parlafor- 
•ce:  celui  qui  profeffe  une  doflrine  infenfée  ne 
peut  fouffrir  qu'on  ofe  la  voir  telle  qu'elle  eft  : 
la  raifon  devient  alors  le  plus  grand  des  crimes; 
à  quelque  prix  que  ce  foit  il  faut  l'ôter  aux 
autres,  parce  qu'on  a  honte  d'en  manquer  à 
leurs  yeux.  Aiofi  l'intolérance  &  l'inconféquen- 
ce  ont  la  même  fource.  Il  faut  fans  cefTe  inti* 
mider,  effrayer  les  hommes.  Si  vous  les  livrez 
un  moment  à  leur  raifon  vous  êtes  perdus. 

De  cela  feuljil  fuit  que  c'eft  un  grand  bien 
à  faire  aux  peuples  dans  ce  délire,  que  de  leur 
apprendre  à  raifonncr  fur  la  Religion  :  car  c'eft 
les  rapprocher  des  devoirs  de  l'homme,  c'eft 
ôter  le  poignard  à  l'intolérance,  c'eft  rendre  i 
l'humanité  tous  fes  droits.  Mais  il  faut  remon- 
ter à  des  principes  généraux  &  communs  à  tous 
les  hommes;  car  fi,  voulant  raifonner,  vous 
laiflez  quelque  prife  à  l'autorité  des  Prêtres, 
vous  rendez  au  fajiatiTme  Ton  arme,  &  vont 


A    M.    DE'  BEAUMONT.  75 

lui  fourmlTez  dequoi  devenir  plus  cruel. 

Celui  qui  aime  la  paix  ne  doit  point  recou- 
rir à  des  Livres  ;c'eft  le  moyen  de  ne  rien  finir. 
Les  Livres  font  des  fources  de  difputes  intariiïa- 
bles  ;  parcourez  l'hiftoire  des  Peuples  :  ceux  qui 
n'ont  point  de  Livres  ne  difputent  point.  Vou- 
lez-vous affervir  les  hommes  à  des  autorités  hu- 
maines ?  L'un  fera  plus  près ,  l'autre  plus  loin 
de  la  preuve;  ils  en  feront  diverfement  affec- 
tés :  avec  la  bonne  foi  la  plus  entière,  avec  le 
meilleur  jugement  du  monde,  il  eft  impoiîîble 
qu'ils  foient  jamais  d'accord.  N'argumentez  point 
(ut  des  argumens  &  ne  vous  fondez  point  fur 
<les  difeours.  Le  langage  humain  n'efl  pas  aûez 
,  clair.  Dieu  lui-même,  s'il  daignoit  nous  parler 
dans  nos  langues ,  ne  nous  diroit  rien  fur  quoi 
Ton  ne  pût  difputer. 

Nos  langues  font  l'ouvrage  des  hommes,  & 
les  hommes  font  bornés.  Nos  langues  font  l'ou- 
vrage des  hommes,  &  les  hommes  font  men- 
teurs. Comme  11  n'y  a  point  de  vérité  fî  claire- 
ment énoncée  où  l'on  ne  puifle  trouver  quelque 
chicane  à  faire,  il  n'y  a  point  de  fi  groiïier 
menfonge  qu'on  ne  puilTe  étayer  de  quelqu* 
faulTe  raifon. 

Supposons  qu'un  particulier  vienne  à  minuit 
nous  crier  qu'il  eft  jour  ;  on  fe  moquera  de  lui  : 
mais  laiflez  à  ce  particulier  le  tems  &  les  mo- 
yens de  fe  faire  une  feéle,  tôt  ou  tard  fes  par- 
.$ifans  viendront  à  bout  de  vous  prouver  qu'il 
D  2 


7(S  LETTRE 

difoît  vni.  Car  enfin ,  diront-ils ,  quand  il  a 
prononcj  qu'il  étoit  jour,  il  étoic  jour  en  quel- 
que lieu  di  la  terre;  rien  n'efl:  plus  certain. 
D'autres  ayant  établi  qu'il  y  a  toujours  dans 
l'air  quelques  particules  de  lumière,  foutien- 
<!ron£  qiî'en  un  autre  fens  encore ,  il  efl  très- 
vrai  qu'il  en  jour  la  nuit.  Poarvû  que  des  gens 
fubtils  s'en  mêlent,  bientôt  on  vous  fera  voir 
le  fûleil  en  plein  minuit.  Tout  le  monde  ne  fe 
rendra  pas  à  cette  évidence.  Il  y  aura  des  dé- 
bats qui  dégénéreront ,  félon  i'ufage ,  en  guer- 
res &  en  cruautés.  Les  uns  voudront  -des  expli- 
cations, les  autres  n'en  voudront  point;  Vun 
voudra  prendre  la  propofuion  au  figuré,  l'autre 
au  propre.  L'un  dira;  il  a  dit  à  minuit  qu'il 
étoit  jour;  &  il  étoit  nuit:  l'autre  dira;  il  a  dit 
à  minuit  qu'il  étoit  jour,  &  il  étoit  jour.  Cha- 
cun taxera  de  mauvaife  foi  le  parti  contraire, 
&  n'y  verra  que  des  obftinés.  On  finira  par  fe 
battre ,  fe  maffacrer  ;  les  flots  de  fang  couleront 
de  toutes  parts  ;  &  fi  la  nouvelle  fette  eft  eniin 
viûorieufe,  il  refiera  démontré  qu'il  efl  jour 
la  nuit.  C'efl  ^  peu  près  l'hifloire  de  toutes  les 
querelles  de  Religion. 

La  plupart  des  cultes  nouveaux  s'élablifTent 
par  le  fanatifme,&  fe  maintiennent  par  l'hypo- 
crifie;  de  là  vient  qu'ils  choquent  la  raifon  & 
ne  mènent  point  à  la  vei-tu.  L'enthoufiafme  & 
le  délire  ne  raifonnent  pas;  tant  qu'ils  durent, 
lOHt  pafTe  &  Ton  marchande  peu  far  les  dogmes: 


A    M.   DE    BEAUMONT,         77 

Cela  eft  d'ailleurs  fi  commode  !  la  do6tnne  coûts 
fi  peu  à  fuivre  &  la  morale  eoute  tant  à  pratt* 
quer  ,  qu'en  fe  jettant  du  côté  le  plus  facile ,  oa 
lachette  les  bonnes  œuvre*  par  le  mérite  d'une 
grande  foi.  Mais  quoiqu'on  falTe ,  l^  fanatifme 
eft  un  état  de  crife  qui  ne  peut  durer  toujours* 
11  a  fes  accès  plus  ou  moins  longs ,  plus  ou 
moins  fréquens ,  &  il  a  aufîî  fes  relâches  ,•  du- 
rant lefquels  on  eft  de  fang  froid.  C'eft  alors» 
qu'en  revenant  fur  foi-même,  on  eft  tout  furprig 
de  fe  voir  enchaîné  par  tant  d'abfurditésv  Ce* 
pendant  le  culte  eft  réglé,  les  formes  font  pres- 
crites, les  loix  font  établies,  les  tranfgrefTeurî 
font  punis.  Ira-t-on  protefter  feul  contre  tout 
cela ,  recufer  les  Loix  de  fon  pays ,  &  renier 
la  Religion  de  fon  père  ?  Qui  l'oferoit  ?  On  fe 
foumet  en  filence,  l'intérêt  veut  qu'on  foit  de 
l'avis  de  celui  dont  on  hérite.  On  fait  done 
comme  les  autres  ;  fauf  à  rire  à  fon  aife  en  par- 
tiailier  de  ce  qu'on  feint  de  refpeéler  en  pu- 
blic. Voila, Mon fcigneur,  comme  penfe  le  gro^ 
des  hommes  dans  la  plupart  des  Religions^  & 
furtout  dans  la  vôtre  ;&  voila  la  clef  des  iiicon- 
féquences  qu'on  remarque  entre  leur 'morale  & 
leurs  actions.  Leur  croyance  n'eft  qu'apparence, 
&  leurs  mœurs  font  comme  leur  foL 

Pourquoi  un  homme  a-t-il  infpection  fui  f» 
croyance  d'un  autre,  &  pourquoi  l'Etat  a-t -il 
infpeétion  fur  celle  des  Citoyens  ?  Ceft  parce 
^u'on   fuppofe  que  la  Gi"oyance  des  hoiî^uies  d4- 


7S  LETTRE 

termine  leur  morale,  &que  des  idées  qu'ils  ont 
delà  vie  à  venir  dépend  leur  conduite  en  cellc?- 
ei.  Quand  cela  n'eft  pas,  qu'importe  ce  qu'ils 
croyent,  ou  ce  qu'ils  font  femblant  de  croire? 
L'apparence  de  la  Religion  ne  fut  plus  qu'à 
les  difpcnfer  d'en  avoir  une. 

Dans  la   fociété   chacun  eft  en  droit  de  s'in- 
former û  un  autre  fe  croit  obligé  d'être  jufle , 
&   le  Souverain  eft  en  droit  d'examiner  les  rai- 
fons   fur  lesquelles   chacun  fonde  cette  obliga- 
tion.   De  plus,  les  formes  i:tationales  doivent 
être  obfervées;  c'eft  fur  quoi  j'ai  beaucoup  in- 
lîfté.  Mais  quant  aux  opinions  qui  ne  tiennent 
point  à  la  morale,  qui  n'influent  en  aucune  ma- 
nière fur  les  aélions,  Ôc  qui  ne  tendent  point 
à  tranfgrefrer  les  Loix  ,  chacun  n'a  là-défFus  que 
'fon  jugement  pour  maître,   &  nul  n'a  ni  droit 
ni  intérêt  de  prefcrire  à  d'autres  fa  façon  de 
penfer.  Si ,  par  exemple,  quelqu'un  ,  même  con- 
ftitué  en  autorité,  venoit  me   demander  mon 
fentiment  fur  la  fameufe  queftion  de  l'hypoftafe 
dont  la  Bible  ne  dit  pas  un  mot,  mais  pour  la- 
quelle tant  de  grands  enfans  ont  tenu  des  Con- 
ciles &  tant  d'hommes  ont  été  tourmentés  ;  a- 
près  lui  avoir  dit  que  je  ne  l'entens  point  &  ne 
me  foucie  point  de  l'entendre,  je  le  prierois  le 
plus  honnêtement  que  je  pourrois  de  fe  mêler 
de  fes  affaires,  &  s'il  infiftoit,  je  le  laifferois-là-. 
Voila  le   feul  principe  fur  lequel  on  puifTe 
établir  quelque  chofe  de  fi:^c  &  d'équitabla  fur 


A    M.    DE    BEAUMONT.         7^ 

les  difputes  de  Religion;  fans  quoi ,  chacun  po- 
fant  de  fon  côté  ce  qui  efl  en  queftion ,  jamais 
on  ne  conviendra  de  rien ,  l'on  ne  s'entendra 
de  la  vie ,  &  la  Religion ,  qui  devroit  faire  le' 
bonheur  des  hommes,  fera  toujours  leurs  plu« 
grands  maux. 

Mais  plus  les  Religions  vieilliffênt,' plus  leur 
objet  fe  perd  de  vue;  les  fubtilités  fe  multi^ 
plient,  on  veut  tout  expliquer,  tout  décider, 
tout  entendre;  inceffamment  la  dOiftrlne  ferafmc 
&  la  morale  dépérit  toujours  plus.  AlTurément  iî 
y  a  loin  de  l'efprit  du  Deutéronome  à  l'efprit 
du  Talmud  &  de  la  Mifna,  &  de  refprit  de  l'E- 
vangile aux  querelles  fur  la  Conftitution  !  Saine 
Thomas  demande  (34)  fi  par  la  fuccefïïon  des 
tems  les  articles  de  foi  fe  font  multipliés ,  &  il 
fe  déclare  pour  l'affirmative.  C'eft-à-dire  que  le* 
dofleurs,  renchériflant  les  uns  fur  les  autres, 
en  favent  plus  que  n'en  ont  dit  tes  Apôtres  & 
Jéfus-Chrift.  Saint  Paul  avoue  ne  voir  qu'obfca- 
tément  &  ne  connoître  qu'en  partie  (35).  VraU 
ment  nos  Théologiens  font  bien  plus  avancés 
que  cela  ;  ils  voyent  tout ,  ils  favent  tout  :  ils 
nous  rendent  clair  ce  qui  efl  obfcur  dans  l'H- 
criture;  ils  prononcent  fur  ce  qui  étoit  indécis  ; 
ils  nous  font  fentir  avec  leur  modeftie  ordinai- 
re que  les  Auteurs  Sacrés  avoient  grand  befoir> 
de  leur  fecours  pour  fe  faire  entendre,  &  que 

(34)   Secunda  fecmdx  Sj**j^'  /.  ^rt.  VII, 
"  (3î)  1.  Cor.  XIU.  5.  12. 

D  4 


lo  LETTRE 

le  Saint  Efprit  n'eut  pas  m  s'expliquer  daire- 
saent  fans  enx. 

Quand  on  perd  de  vue  les  devoirs  de  Thoin- 
3ne  pour  ne  s'occuper  que  des  opinions  des  Prê- 
ires  &  de  leurs  frivoles  difputes ,  on  ne  deman- 
de plus  d'un  Chrétien  s'il  craint  Dieu ,  mais  s'il 
«ft  orthodoxe;  on  lui  fait  figner  des  formulaires 
fur  les  queftions  les  plus  inutiles  &  fouvent  les 
plus  inintelligibles,  &  quand  il  a  figné,  tout 
Ta  bien  ;  Ton  ne  s'informe  plus  du  refle.  Pour« 
^û  qu'il  n'aille  pas  fe  faire  pendre,  il  peut  vi- 
Tie  au  furplus  comme  il  lui  plaira  ;  fes  mœurs 
jie  font  rien  à  l'affaire,  la  dodrine  efl  en  fûre- 
îé.  Quand  la  Religion  en  eft-là ,  quel  bien  fait- 
«Ue  à  la  fociété ,  de  quel  avantage  ert-elle  aux 
hom.mes  ?  Elle  ne  fert  qu'à  exciter  entre  eux 
des  diffentions ,  des  troubles ,  des  guerres  de 
toute  efpece;  à  les  faire  entre-égorger  pour  des 
Xogogryphes  :  il  vaudroit  mieux  alors  n'avoir 
point  de  Religion  que  d'en  avoir  une  fi  mal 
entendue.  Empêchons-la,  s'il  fe  peut,  de  dé- 
générer à  ce  point ,  &  foyons  fûrs ,  malgré  les 
bûchers  &  les  chaînes,  d'avoir  bien  mérité  du 
genre  humain. 

Supposons  que,  ks  des  querelles  qui  le  dé- 
chirent, il  s'affemble  pour  les  terminer  &  conve* 
Dir  d'une  Religion  commune  à  tous  les  Peu- 
ples. Chacun  commencera,  cela  eft  fur,  par 
propoCer  la  feine  comme  la  feule  vraye ,  la 
feule  raifonnablj  &  démontrée,  la  feule  agréa* 

'  ble 


A    M.    DE    BEAUMOiSrr.        85 

ble  à  Dieu  &  utile  aux  hommes  ;  mnis  fes^  preu* 
vcs  neirépondant  pas  là-defTus  à  fa  perfLiaiTon  ,, 
du  moins  au  gré  des  autres  fcctes ,  cha  ;ue- pr^rcl 
n'aura  de  voir  que   la  fienne  ;   tous  les  autres» 
fc  réuniront  contre  lui;  cela  n'efl  pas  moins  (tir.- 
La   délibération   fera  le  tour  de  cette  manière^, 
un  feul  propofant,  &  tous  rejettant;  cen-elïpas- 
le  moyen  d'être  d'accord.     Il  efî  croyable' qu'a- 
près  bien   du   tems  perdu  d'ans  ces  altercations- 
puériles ,   les  hommes  de  fens  chercheront  dcîî^ 
moj^ens  de  conciliation.  Ils  propoferont,  pour  I 
cela,   de  commencer  par  chaiTer  tous  les  Thé-  | 
ologiens   de  l'aflemblée ,  &  il  ne  leur  fera  pas^j 
difficile   de   faire   voir  combien  ce  préliminaire' ^ 
efl  indifpenfable.   Cette  bonne  œuvre  faite,,  ils-  ^ 
diront  aux  peuples  r  Tant  que  vous  ne  coiivienv 
drez  pas  de  quelque  principe ,  il  n'efl'  pas  poilî^ 
ble  môme  que  vous  vous- entendiez,  &  c'eft  uui 
argument  qui  n'a  jamais  convaincu  perfonne  que 
de  dire;  vous  avez  tort,   car  j'ai  raiCon. 

„  Vous  parlez  de  ce  qui  efl  agréable  à  Dieu,- 
„  Voila  préeiféuient  ce  qui  efl  en  queflion.  Si 
„  nous  favions  quel'  culte  lui  efl  le  plus  agréa- 
„  ble,  il  n'y  auroit  plus-  de  difpate  entre  nous-. 
„  Vous  parlez  aufîî  de  ce  qui  eit  utile  aux  hom- 
„  mes  :  C efl  autre  chofe;  les  hommes  peuvent} 
j,  juger  de:  cela.  Prenons  donc  cette  utilité 
„  pour  règle,  &  puis  établiffons  la  doctrine' qui 
r,  s'y  rapporte  le  plusi  Nous  pourrons-  efpérer 
^  d'approcjicr  ainfi  de  la  vérité  autant  qu'il*  efî; 
B  5 


22  LETTRE 

.,  poinble  à  des  hommes:  car  il  eft  à  préfumer 
„  que  ce  qui  eft  le  plus  utile  aux  créatures,  eft 
,,  le  plus  agréable  au  Créateur. 

„  Cherchons  d'abord  s'il  y  a  quelque  afHnité 
,,  naturelle  entre  nous ,  fi  nous  fommes  quel- 
„  que  chofe  les  uns  aux  autres.  Vousjaifs,  que 
,,  pcnfez-vous  fur  l'origine  du  genre  humain? 
5,  Nous  penfons  qu'il  eft  forti  d'un  même  Père. 
„  Et  vous  Chrétiens  ?  Nous  penfons  là  deftli» 
„  comme  les  Juifs.  Et  vous ,  Turcs  ?  Nous  pen- 
,,  fons  comme  les  Juifs  &.  les  Chrétiens.  Cela 
„  eft  déjà  bon  ;  puifque  les  hommes  font  tous 
,^  frères ,  ils  doivent  s'aimer  comme  tels. 

„  Dites-nous  maintenant  de  qui  leur  Perc 
„  commun  avoit  reçu  l'être?  Car  il  ne  s'étoit 
„  pas  fait  tout  feul.  Du  Créateur  du  Ciel  &  de 
„  la  terre.  Juifs,  Chrétiens  &.  Turcs  font  d'ac- 
„  cord  aufïï  fur  cela;c'eft  encore  un  très-grand 
,^  point.  \ 

„  Et  cet  homme ,  ouvrage  du  Créateur,  eft- 
„   il  un  être  fimple  ou  mixte  ?  Eft-il  formé  d'u- 
y,   ne  fubftance  unique,  ou  de  plufieurs?  Chré- 
„  tiens,  répondez.  Il  eft  compofé  de  deux  fub* 
ftances,  dont  l'une  eft  mortelle,  &  dont  l'au- 
tre ne  peut  mourir.   Et  vous ,  Turcs  ?  Nous- 
penfons  de  même.  Et  vous ,  Juifs  ?  Autrefois 
/>  „  nos   idées  là-deflus   étoient   fort    confufes, 
i  y,  comme  les  expreffions  de  nos  Livres  Sacrés  r 
t   ,,  mais  les  ElTéniens  nous  ont  éclairés,  &  nous 
V  „  penfons    encore    fur    ce  point    comme    le« 
r  „  Chitticns.  ** 


)•> 


y> 


A    M.    DE    BEAUMONT.        8j 

*     En  proce'dant  ainfî  d'interrogations   en  in- 
terrogations ,  fur  la  providence  divine,  fur  l'é- 
conomie de  la  vic-à-venir ,  &  fur  toutes  les  quef- 
tions   eflencielles  au   bon   ordre  du  genre  hu- 
main ,  CCS  mêmes  hommes  ayant  obtenu  de  tous 
des  réponfes  prefque   uniformes,   leur  diront  : 
(On  fe  fouviendra  que  les  Théologiens  n'y  font 
plus.)  „  Mes    amis    dequoi  vous  tourmentez- 
y,   vous  ?  Vous   voila  tous  d'accord  fur  ce  qui 
yy  VOUS  importe;  quand  vous  différerez  de  fenti- 
„  ment  fur  le  refte  ,  j'y  vois  peu  d'inconvénient. 
„   Formez  de  ce  petit  nombre  d'articles  une  Re- 
„   ligion  univerfclle,   qui  foit,  pour  ainfî  dire, 
y,   la  Religion  humaine  &  fociale,  qiie  tout  hom- 
5,  me   vivant  en  fociété  foit  obligé  d'admettre. 
„   Si  quelqu'un  dogmatife  contre  elle ,  qu'il  foit 
„  banni  de  la   fociété,   comme  ennemi  de  fes 
„   Loix  fondamentales.  Quant  al^  refle  fur  quoi 
„  vous  n'êtes  pas  d'accord ,  formez  chucun  de 
V,  vos  croyances  particulières  autant  de   Reli- 
„  gions  nationales  ,  &;  fuivez-les  en   fmcérité 
„   de  cœur.  Mais  n'allez  point  vous  tourmcn- 
„   tant  pour  les  faire  admettre  aux  autres  Pe\i- 
„   pies ,   &   foyez  affurés  que  Dieu  n'exige  pas- 
j,  cela.     Car   il   efl  aufîî  injufte  de  vouloir  le* 
,j  foumettre  à  vos  opinions  qu'à  vos  loix,  &1&S' 
3,  miffionnaires  ne  me  femblent  gueres  plus  fa- 
,j  ges  que  les  conquérans. 

„  En  suivant  vos  diverfes  dodrines ,  ceffe^; 
„  de  vous  les  figurer  fi  démontrées  que  quicoa^ 
D  6 


f4  LETTRE 

„  que  ne  les  voit  pas  telles  foit  coupable  a  vo3 
„  yeux  de  mauvaife  foi.  Ne  croyez  point  que 
,,  tous  ceux  qui  péfent  vos  preuves  &  les  re* 
^,  jettent,  foient  pour  cela  des  obflinés  que  leur 
„  incrédulité  rende  puniflables;  ne  croyez  point 
,,  que  la  raifon,  Taniour  du  vrai,  la  (încérité 
^,  foient  pour  vous  feuts..  Quoiqu'on  falTe^  on 
„  fera  toujours  porté  à  traiter  en  ennemis  ceux 
„  qu'on  acaifera  de  fc  refufer  à  Tévidence^ 
„  On  plaint  l'erreur,  mais  on  hait  lopiniâtre- 
„  té.  Donnez  la  préférence  à  vos  raifons,à  la 
„  bonne  heure;  mais  fâchez  que  ceux  qui  ne 
„  s'y  rendent  pas ,  ont  les  leurs. 

„  Ho^'OilEZ  e»-  général  tous  les  fondateurs 
„   de  vos  cultes  refpeétifs.    Que  chacun  rende 
„   au  lien  ce  qu'il  croit  lui  devoir,  mais  qu'il 
„  ne  ir.éprife  point  ceux  des  autres.  Ils  ont  eu 
„   de  grands  génies  &  de  grandes  vertus:   cela 
eft  toujours  eftimable.  Ils  fe  font  dits  les  En- 
voyés de  Dieu,  cela  peut  être  &  n'ctre  pas  i 
c'eft   de  quoi   la    pluralité  ne  fauroit  juger 
^,  d'une  manière  uniforme,  les  preuves  n'étant 
^,   pr.s  également  à  fa  portée..   Mais  quand  cela 
,,   ne   fetoit   pas  ,   il  ne  faut  point  les  traiter  fî 
^  légcrcment   dimpofteurs.    Qui   fait  jufqu'où' 
y,   les  méditations  continuelles  fur  la  divinité ,. 
y  jufqu'oii  renthoufiafme  de  la  vertu  ont  pu  ^ 
^  dans  leurs    fublimes    âmes,  troubler    l'ordre 
,;   didactique  &  rampant   des   iUécs  vulgaires? 
j>  Dans  une  trop  grande  élévation  la  tête  toux- 
..j^  ne>  'X  l'on  ne   voie  plus  Ici  thofea  comme 


>' 


» 


À  M.    DE    BE^UMONT.  B^ 

,,  -elles  fonu  Socrate  a  cru  avoir  un  efprit  fa»- 
„  milier,  &  Von   n'a  point  ofé  l'accu  fer  pour 
„  cela  d'être  un  fourbe.     Traiterons -nous  les 
„  fondateurs  des  Peuples ,  les  bienfaiteurs  des  na- 
„   tions,. avec  moins  d'égards  qu'un  particulier  ?" 
,,  Du  RESTE ,  plus  de  difpute  entre  vous  fur 
^  la  préférence  de  vos   cultes,    lis  font  tous^ 
„  bons,:  lorfqu'ils  font  prefcrîts  par  les  loix, 
y,  &  que  la  Religion  elTencielle  s'y  trouve;  ils- 
„  font  mauvais  quand   elle  ne  s'y  trouve  pas,. 
„  La  forme  du  culte  eftla  police  des  Religions- 
„  &  non  leur  efîence ,  &  c'eft  au  Souverain  qu'il 
^  appartient  de  régler  la  police  dans  fon  pays.  "' 
J'ai  penfé,  Monfeigneur,  que  celui  qui  rai^ 
fonneroit  ainfî  ne  feroit  point  un  blafphéma- 
teur,  un  impie;  qu'il  propoferoit  un  moyen  de 
paixjufte,  raifonnable,  utile  aux  hommes;   & 
que   cela   n'empôcheroit  pas  qu'il  n'eût  fa  Reli- 
gion' particulière  ainfi  que  les  autres,   &  qu'il 
n'y  fut  tout  auffî  fincerement  attaché.    Le  vrai- 
Croyant  ,  fâchant  que  l'infidèle  efl  auffî  un  hom- 
me ,  &  peut  être  un  honnête  homme ,  peut  fans 
crime  s'intérelTer  à  fon  fort.    Qu'il  empêche  un 
culte  étranger  de   s'introduire  dans  fon  pays, 
cela  efl  Julie  ;  mais  qu'il  ne  danne  pas  pour  ce- 
la ceux  qui  ne  penfent  pas  comme  lui; car  qui- 
conque prononce  un  jugement  fi  téméraire  fe 
rend  l'ennemi  du  refte  du  genre  humain,-  J'en- 
tends dire  fans  celle  qu'il  faut  admettre  la  tolé- 
tance  civile ,  non  la  théologique  ;  je  penfe  tou: 
D  7. 


8(5  LETTRE 

\  le   contraire.    Je   crois  qu'un  homme  de  bfeîi ,' 
(  dans  quelque  Religion  qu'il  vive  de  bonne  foi  r 

ipeut  être  fauve.  Mais  je  ne  crois  pas  pour  ce- 
la qu'on  puilTe  légitimement  introduire  en  un- 
:  pays  des  Religions  étrangères  fans  la  permliTioii 
du  Souverain  ;  car  û  ce  n'efl:  pas  direélement 
défobéir  à  Dieu,  c'eft  défobéir  aux  Loix  ;  & 
qui  défobéit  aux  Loix  défobéit  à  Dieu. 

Quant  aux  Religions  une  fois  établies  ou  to- 
lérées dans  un  pays, je  crois  qu'il  eft  injufte  & 
barbare  de  les  y  détruire  par  la  violence,  &  que 
le  Souverain  fe  fait  tort  à  lui-même  en  maltrai- 
tant leurs  fedateurs.  Il  eu  bien  différent  d'em- 
braiïer  une  Religion  nouvelle,  ou  de  vivre  dans 
celle  où  l'on  efl:  né;  le  premier  cas  feul  eft  pu- 
niflable.  On  ne  doit  ni  laifler  établir  une  diver- 
fité  de  cultes ,  ni  profcrire  ceux  qui  font  une 
fois  établis;  car  un  fils  n'a  jamais  tort  de  fui- 
vre  la  Religion  de  fon  père.  La  raifon  de  la 
tranquillité  publique  efl  toute  contre  les  perfé- 
cuteurs.  La  Religion  n'excite  jamais  de  troubles 
dans  un  Etat  que  quand  le  parti  dominant  veut 
tourmenter  le  parti  foible,  ou  que  le  parti  foi- 
ble,  intolérant  par  principe,  ne  peut  vivre  eiî 
paix  avec  qui  que  ce  foit.  Mais  tout  culte  légi- 
time, c'eft-à-dire,  tout  culte  où  fe  trouve  la  Re- 
ligion elTencielle,  &.  dont,  par  conféqucnt,  les 
feélateurs  ne  demandent  que  d'être  foufFerts  & 
vivre  en  paix  ,  n'a  jamais  caufé  ni  révoltes  ni 
guerres   ciriles,   fi  ce  u'eft  lorfqu'il  a  falu  (^ 


A    M.     DE    BEAUMONT.       S7 

défendre  &:  repouflTer  les  perfécuteurs.  Jamais 
les  Proteftans  n'ont  pris  les  armes  en  France  que 
lorfqu'on  les  y  a  pourfiiivis.  Si  l'on  eût  pu  fe 
refoudre  à  les  laifTer  en  paix, ils  y  feroient  de- 
meurés. Je  conviens  fans  détour  qu'à  fa  nai^- 
fance  la  Religion  réformée  n'avoit  pas  droit  de 
s'établir  en  France,  malgré  les  loix.  Mais  lors- 
que, tranfïnife  des  Pères  aux  en  fan  s ,  cette  Re- 
ligion fut  devenue  celle  d'une  partie  de  la  Na- 
tion Fr  an  çoife ,  &  que  le  Prince  eût  folennelle- 
ment  traité  avec  cette  partie  par  l'Edit  de  Nan- 
tes ;  cet  Edit  devint  un  Contract  inviolable,  qui 
ne  pouvoit  plus  être  annulé  que  du  commun 
confentement  des  deux  parties,  &  depuis  ce 
tems ,  l'exercice  de  la  Religion  Proteflante  eft  j. 
félon  moi ,  légitime  en  France. 

Quand  il  ne  le  feroit  pas ,  il  refEeroit  tou^- 
jours  aux  fujets  l'alternative  de  fortir  du  Ro*. 
yaume  avec  leurs  biens,  ou  d'y  refter  fournis 
au  culte  dominant.  Mais  les  contraindre  à  res^ 
ter  fans  les  vouloir  tolérer ,  vouloir  à  la  fois 
qu'ils  foient  &  qu'ils  ne  foient  pas,  les  priver 
même  du  droit  de  la  nature,  annuler  leurs  ma- 
riages  (3<^).,   déclarer  leurs  enfans  bâtards 

(36)  Dans  un  Arrêt  du  Parlement  de  Touloufe  concer^ 
nant  raflPairede  l'infortuné  Calas,  oa  reproche  aux  Pro- 
tcftans  de  faire  entre  eux  des  mariages ,  9«z,/</oh  Its  Pro- 
%tjia.ns  ne  font  que  des  ^cies  civib ,  à"  far  conjéc^uent  fournis 
entièrement  pour  la  forme  ir  les  effets  a  la  volonté'  du  T{oi. 

Ainii  de  ce  que,  félon  les  Proteftans ,  le  mariage  cft 
un  a£te  civil,  il  s'enfuit  qu'ils  f^nt  obligés  de  fe  foumet- 
te  à  la  volonté  du  j?woi ,  qui  en  fait  un  a^e  de  la  ILc- 


%9  LETTRE- 

en  ne  difant  que  ce  qui  eft ,  j'en  dirois  trop;-!! 
faut  me  taire. 

Voicr  du  moins,  ce  que  je  puis  dire.  En 
confîdérant  la  feule  raifon  d'Etat,  peut-être  a-t- 
on bien  fait  d'ôter  aux  Proteftans  François  tous 
leurs  chefs  :  mais  il  falloit  s'arrêter  là.  Les  ma- 
ximes politiques  ont  leurs  applications  &  leurs 
diftindions.  Pour  prévenir  des  diflentions  qu'on 
J3'a  plus  à  craindre ,  on  s'ôte  des  reûburces  dont 
en  auroit  grand  befoin.  Un  parti  qui  n'a  plus 
ni  Grands  ni  Noblefle  à  fa  tête ,  quel  mal  peut- 
il  faire  dans  un  Royaume  tel  que  la  France? 
Examinez  toutes  vos  précédentes  guerres ,  ap- 
pellées  guerres  de  Religion  ;  vous  trouverez 
qu'il  n'y  en  a  pas  une  qui  n'ait  eu  fa  caufe  à  la 
-Cour  &  dans  les  intérêt-s  des  Grands.  Des  in* 
trigues  de  Cabinet  brouilloient  les  affaires,  & 
puis  les  Chefs  ameutoient  les  peuples  au  nom 
de  Dieu.  Mais  quelles  intrigues ,  quelles  caba- 
les peuvent  former  des  Marchands  &  des  Fay- 

llgîon  Catholique.  Les  Protcflans,  pour  fe  msrifr ,  foi.t 
légitimement  tenus  de  fe  faire  Cail.Oiicjues  ;  ntterclu  que, 
félon  eux,  1:  vr.iiùa^e  eft  un  afte  civil.  T«.l!e  eft  la  ma- 
nière de  tâifonner  de  xMeûîcurs  du  Parlement  de  Toulcufe, 
La  France  eft  un  Royaume  fi  vafte,  que  les  Trarçcis 
fe  font  mis  duns  i'efpiit  que  le  genre  hi:main  nr  devolt 
point  avoir  d'autres  loix  que  les  leurs.  Leurs  ParUmens 
&  leu:s  TribuDai'X  parciffert  n'avoir  aucune  id-e  du 
Droit  ratnrtl  ni  du  Dioit  des  Gensj  fit  il  eft  a  remr.r- 
quer  que  dans  tour  ce  grand  Royaume  ou  font  tant  d'V^ 
lîiveifi'tes,  tant  de  Collèges,  rant  d'Académies,.  &  cù 
Ton  enfeigne  avec  tant  d'irnï^ortance  tant  d'inutilités  ,  il 
x.'y  a  pas  une  feule  chaire  de  Droit  naturel.  C'eft  li  iVrl 
peuple  dî  l'Europe  qui  iût  legatdé  ccue  c'iude  c<;mme 
a*ecaai  boiiue  à  licn. 


A    M.    DE    BEAUMONT.        89 

fans  ?  Comment  s'y  prendront-ils  pour  rufciter 
un  parti  dans  un  pays  où  l'on  ne  veut  que  des 
Valets  ou  des  Maîtres ,  &  où  l'égalité  eft  incon- 
nue ou  en  horreur?  Un  marchand  propofant 
de  lever  des  troupes  peut  fe  faire  écouter  en 
Angleterre,  mais  il  fera  toujours  rire  des  Fran- 
çois (37). 

Si  j'etois  ,  Roi?  Non:  Minifîre?  Encore 
moins:  mais  homme  puifTant  en  France,  je  di- 
rois.  Tout  tend  parmi  nous  aux  emplois  ,  aux 
charges;  tout  veut  achetter  le  droit  de  mal  fai- 
re :  Paris  &  la  Cour  engouffrent  tout.  Laiiïbns 
ces  pauvres  gens  remplir  le  vuide  des  Provin- 
ces ;  qu'ils  foient  marchands  ,  à.  toujours  mar- 
chands; laboureurs,  &  toujours  laboureurs.  Ne 
pouvant  quitter  leur  état,  ils  .en  tireront  le 
meilleur  parti  poffible;^  ils  remplaceront  les  nô- 
tres dans  les  conditions  privées  dont  nous  cher- 
chons tous  à  fortir;^  ils  feront  valoir  le  com- 
merce &  l'agriailtiire  que  tout  nous  fait  aban- 
donner; ils  alimenteront  notre  luxe;  ils  travail- 
leront,  &  nous  jouirons. 

Si  CE  PROJET  n'étoit  pas  plus  équitable  que 

(37)  Le  feul  cas  qui  force  un  peuple  ainfî  dénué  de 
Chefs  à  prendre  les  armes ,  c'eft  quand ,  réduit  au  deses- 
poir par  les  perfécuteuis ,  il  voie  qu'il  r.e  lui  refte  plus  de 
choix  que  dans  la  manière  de  périr.  Telle  fût,  au  com- 
mencement de  ce  liécle  la  guerre  des  Camifards.  Alots 
on  eft  tout  étonné  de  la  force  qu'un  parti  méprifé  tire 
de  fon  defefpoir  :  c'eft  ce  que  jamais  les  perlecuteuis 
H'ont  lu  calculer  d'avance.  Cependant  de  telles  guerres 
coûtent  tant  de  fang  qu'ils  devioient  bien  y  fonger  avant 
de  ki  rendre  inéfitabies. 


pa  LETTRE 

ceux  qu'on  fuit,  il  feroit  du  moins,  plus  hu- 
main, &  fûrcment  il  feroit  plus  utile.  C'efl 
moins  la  tirannie^  &  c'efl  moins  l'ambition  des 
Chefs ,  que  ce  ne  font  leurs  préjugés  &  leurs 
courtes  vues,  qui  font  le  malheur  des  Nations. 

Je  finirai  par  tranfcrire  une  efpece  de  dis- 
cours ,  qui  a  quelque  rapport  à  mon  fujet ,  & 
qui  ne  m'en  écartera  pas  longtems. 
■  Un  Parsis  de  Suratte  ayant  époufé  en  fecreî 
UBe  Mufulmanne  fut  découveft  ,  arrêté  ,  & 
ayant  refufé  d'embraffer  le  mahométifme,  il  fut 
condanné  à  mort.  Avant  d'aller  au  fupplice,  iî 
parla  ainfi  à  fes  juges. 

„  Quoi!  vous  voulez  m'ôter  la  vie!  Eh,  de 
,,  quoi  me  punifTez-vous  ?  J'ai  tranfgreffé  ma; 
„  loi  plutôt  que  h  votre:  ma  loi  parle  au  cœur 
„  &  n'eft  pas  cruelle;  mon  crime  a  été  puni 
,j  par  le  blâme  de  mes  frères.  Mais  que  vous 
„  ai- je  fait  pour  mériter  de  mourir?  Je  vous 
„  ai  traités  comme  ma  famille,  &  je  me  fuis 
„  choili  une  fœur  parmi  vous.  Je  l'ai  laiflee  libre 
„  dans  fa  croyance ,  &  elle  a  refpefté  la  mien-- 
,,  ne  pour  fon  propre  intérêt.  Borné  fans  re- 
„  gret  à  elle  feule  ,,  je  l'ai  honorée  comme 
„  l'inftrument  du  culte  qu'exige  l'Auteur  de 
„  mon  être,  j'ai  payé  par  elle  le  tribut  que 
„*  tout  homme  doit  au  genre  humain  :  l'amour 
„  me  Ta  donnée  &  la  vertu  me  la  rendoit  che- 
„  re,  elle  n'a  point  vécu  dans  la  fervitude,  el- 
„  le   a  poflcdé  fans  p'artas.e  le  cœur  de  fon  é;^ 


A  M.  DE  B^AUMONT.  ^t 
,,  poux;  ma  faute  n'a  pas  inoins,  fait  fon  bon- 
„   heur  que  le  mien. 

^  Pour  expier  une  faute  fi  pardonnable  vou* 
„  m'avez  voulu  rendre  fourbe  &memeur;  vous 
„  m'avez  voulu  forcer  à  profelTer  vos  fentimens- 
„  fans  les  aimer  &;  fans  y  croire  :  comme  fi  le 
;,  transfuge  de  nos  loix  eût  mérité  de  pafler 
„  fous  lés  vôtres ,  vous  m'avez  fait  opter  entre 
„  le  parjure  &  la  moit,  &  j'ai  choifi,  car  je  ne 
„  veux  pas  vous  tromper.  Je  meurs  donc,  pui& 
„  qu'il  le  faut  ;  mais  je  meurs  digne  de  revivre. 
„  à  d'animer  un  autre  homme  jufte.  Je  meurs 
„  martir  de  ma  Religion  fans  craindre  d'entrer 
„  après  ma  mort  dans  la  votre.  Puiiïai-jc  re^ 
„  naître  chez  les  Mufulmans  pour  leur  appren- 
„  dre  à  devenir  humains,  démens,  équitables:. 
„  car  fervant  le  même  Dieu  que  nous  fervons ,. 
„  puisqu'il  n'y  en  a  pas  deux,  vous  vous  a-. 
„  veuglez  dans  votre  zèle  en  tourmentant  fes- 
„  ferviteurs ,  &  vous  n'êtes  cruels  &  fanguinai- 
i,  res  que  parce  que  vous  êtes  inconféquens. 

5,  Vous   êtes  des  enfans ,   qui  dans  vos  jeus- 
„  ne  favez"  que  faire  du  mal  aux  hommes.  Vous- 
5,  vous   croyez  fav^ans ,   &  vous  ne  favez  riea- 
,,   de  ce  qui  eft  de  Dieu.    Vos    dogmes  récens.. 
„   font -ils  convenables  à  celui  qui  eft,   &  qui. 
„  veut  être  adoré  de  tous  les  tems?  Peuples 
,,  nouveaux,  comment  ofez-vous  parler  de  Re- 
,,  ligion  devant  nous  ?  Nos  rîtes  font  auflî  vieux 
„  que  les  aftres  :  les  premiers  rayons  du  foleil 


ÇÈ  LETTRE 

y,  ont  éclairé  &  reçii  les  hommages  de  nos  Pc- 
„  res.  Le  grand  Zerduft  a  vu  l'enfance  du  mon- 
„  de;  il  a  prédit  &  marqué  Tordre  de  l'univers; 
„  &  vous,  hommes  d'hier,  vous  voulez  être 
,,  nos  prophètes '.Vingt  ficelés  avant  Mahomet , 
„  avant  la  naiflance  d'ifmaél  &  de  Ton  père, 
-  les  Mages  étoient  antiques.  Nos  livres  facrés 
,,  étoient  déjà  la  Loi  de  l'Afie  &  du  monde, 
„  &  trois  grands  Empires  avoicnt  faccclîivemen: 
„  achevé  leur  long  cours  fous  nos  ancêtres, 
„  avant  que  les  vôtres  fuffent  fortis  du  néant. 

„  Voyez,  hommes  prévenus,  la  différence 
„  qui  efl  entre  vous  &  nous.  Vous  vous  dites 
,,  croyans,  &  vous  vivez  en  barbares.  Vos  in- 
„  ftitutions,  vos  loix,  vos  cultes,  vos  vertus 
„  mêmes  tourmentent  Thomme  &  le  dégradent. 
j.  Vous  n'avez  que  de  triftes  devoirs  à  lui  pres- 
^  crire.  Des  jeiines ,  des  privations ,  des  com- 
„  bats,  des  mutilations,  des  clôtures;  vous  ne 
,y  favez  lui  faire  un  devoir  que  de  ce  quf  peut 
„  Taffliger  &  le  contraindre.  Vous  lui  faites 
„  haïr  la  vie  &  les  moyens  de  la  confcrver  :  vos 
„  femmes  font  fans  hommes,  vos  terres  font 
y,  fans  culture  ;  vous  mangez  les  animaux  & 
„  vous  maflacrez  les  humains  ;  vous  aimez  le 
^  fang,  les  meurtres  ;  tous  vos  établiflcmens  cho-» 
^  quent  la  nature,  aviliffent  l'efpece  humaine; 
„  & ,  fous  le  double  joug  du  Defpotifrac  &  du 
„  fanatifme  ,  vous  l'écrafez  de  Ces  Rois  &  de 
«   fes  Dieux. 


A    M.    DE    BEAUMONT;       93 

„  Pour  nous,  nous  fommes  des  hommes  de 
paix,  nous  ne  faifons  ni  ne  voulons  aucun 
mal  à  rien  de  ce  qui  refpire,  non  pas  même 
à  nos  Tirans  :  nous  leur  cédons  fans  regret 
le  fruit  de  nos  peines,  contens  de  leur  être 
utiles  &  de  remplir  nos  devoirs.  Nos  nom- 
breux beftiaux  couvrent  vos  pâturages  ;  les 
arbres  plantés  par  nos  mains  vous  donnent 
leurs  fruits  &  leurs  ombres  ;  vos  terres  que 
nous  cultivons  vous  nourriiTent  par  nos  foins  : 
un  peuple  lîmple  &  doux  multiplie  fous  vos 
outrages ,  &  tire  pour  vous  la  vie  &  l'abon- 
dance du  fein  de  la  mère  commune  ou  vous 
„  ne  favez  rien  trouver.  Le  foleil  que  nous 
prenons  à  témoin  de  nos  œuvres  éclaire  no- 
tre patience  &  vos  injuftices;  il  ne  fe  lève 
„  point  fans  nous  trouver  occupés  à  bien  fai- 
re,  &  en  fe  couchant  il  nous  ramené  au  fein 
de  nos  familles  nous  préparer  à  de  nouveaux 
j,   travaux. 

„  Dieu  feul  fait  la  vérité.  Si  malgré  tout 
cela  nous  nous  trompons  dans  notre  culte, 
il  eft  toujours  peu  croyable  que  nous  fo- 
yons  condamnés  à  l'enfer ,  nous  qui  ne  fai- 
fons que  du  bien  fur  la  terre,  &  que  vous 
foyez  les  élus  de  Dieu,  vous  qui  n'y  faites 
que  du  mal.  Quand  nous  ferions  dans  l'er- 
„  reur,  vous  devriez  la  refpe«5ler  pour  votre 
„  avantage.  Notre  piété  vous  engrailfj ,  &  la 
„  votre  vous  confumej  nous  réparons  le  mai 


54  LETTRE 

„  que  vous  fait  une  Religion. deftruftive.  Cro- 
„  yez-moi,  lailTez-nous  un  culte  qui  vous  eft 
„  utile  ;  craignez  qu'un  jour  nous  n'adoptions 
„  le  votre:  c'efl:  le  plus  grand  mai  qui  vous 
„  puifTe  arriver." 

J'ai  tâché,  Monfeigncur ,  de  vous  faire  en- 
tendre dans  quel  efprit  a  été  écrite  la  profes- 
fion  de  foi  du  Vicaire  Savoyard ,  &  les  confî- 
dérations  qui  m'ont  porté  à  la  publier.  Je  vous 
demande  à  préfent  à  quel  égard  vous  pouvez 
qualifier  fa  doctrine  de  bîafphématoire,  d'im- 
pie, d'abominable,  &  ce  que  vous  y  trouvez 
■de  fcandaleux  &  de  pernicieux  au  genre  hu- 
main ?  J'en  dis  autant  à  ceux  qui  m'accufent 
d'avoir  dit  ce  qu'il  falloit  taire  &  d'avoir  vou- 
lu troubler  Tordre  public;  imputation  vague  & 
-téméraire,  avec  laquelle  ceux  qui  ont  le  moins 
réfléchi  fur  ce  qui  ell  utile  ou  nuifible,  indis- 
pofent  d'un  mot  le  public  crédule  contre  un 
Auteur  bien  intentionné.  Eft-ce  apprendre  au 
peuple  à  ne  rien  croire  que  le  rappeller  à  h 
véritable  foi  qu'il  oublie?  Kft-ce  troubler  Tor- 
dre que  renvoyer  chacun  aux  loix  de  fon  pays  ? 
Eft-ce  anéantir  tous  les  cultes  que  borner  cha- 
que peuple  au  fien?  Eft-ce  ôter  celui  qu'on  a, 
que  ne  vouloir  pas  qu'on  en  change?  Eft-ce  fe 
jouer  de  toute  Religion ,  que  refpefter  toutes 
les  Religions?  Enfin  ei^il  donc  fi  eflenciel  à 
chacune  de  haïr  les  autres ,  que ,.  cette  haine 
étée,  tout  foit  ôté  ? 


A    M.    DE    BEAUMONT.        gs 

Voila  pourtant  ce  qu'on  pcrTuade  au  Peuple 
quand  on  veut  lui  faire  prendre  fon  défenfeui! 
en  haine ,  &  qu'on  a  la  force  en  main.  Mainte- 
nant,  hommes  cruels,  vos  dqprets,vos  bûchers, 
vos  mandemens,  vos  journaux  le  troublent  &  l'a- 
bufent  fur  mon  compte.  Il  me  croit  un  mons- 
tre fur  la  foi  de  vos  clameurs  ;  mais  vos  cla- 
meurs cefTeront  enfin;  mes  écrits  relieront  mal- 
gré vous  pour  votre  honte.  Les  Chrétiens, 
moins  prévenus  y  chercheront  avec  furprife  les 
horreurs  que  vous  prétendez  y  trouver;  il  n'y 
verront,  avec  la  morale  de  leur  divin  maître, 
que  des  leçons  de  paix,  de  concorde  &  de  cha- 
lité.  PuifFent-ils  y  apprendre  à  être  plus  juftes 
que  leurs  Pères  1  PuilTent  les  vertus  qu'ils  y 
auront  prifes  me  venger  un  jour  de  vos  malé- 
dictions l 

A  l'égard  des  obje6lions  fur  les  feéles  parti- 
•culieres  dans  lefqueiles  l'univers  eft  divifé,  que 
iie  puis-je  leur  donner  aflez  de  force  pour  ren- 
dre chacun  moins  entêté  de  la  fienne  &  moins 
ennemi  des  autres  ;  pour  porter  chaque  homme 
à  l'indulgence ,  à  la  douceur ,  par  cette  confidé- 
ration  fi  frappante  &  lî  naturelle;  que,  s'il  fût 
né  dans  un  autre  pays,  dans  une  autre  feifle, 
il  prendroit  infailliblement  pour  l'erreur  ce  qu'il 
prend  pour  la  vérité,  &  pour  la  vérité  ce  qu'il 
prend  pour  l'erreur  !  U  importe  tant  aux  hom- 
mes de  tenir  moins  aux  opinions  qui  les  divî- 
fent  qu'à  celles  qui  les  unilTent  !  Et  au  contraire , 


pS  LETTRE 

négligeant  ce  qu'ils  ont  de  commun  ,  ils  s'achar- 
nent aux  fentimens  particuliers  avec  une  efpece 
de  rage;  ils  tiennent  d'autant  plus  à  ces  fentimens 
qu'ils  femblent  moins  raifonnables,  &  chacun 
voudroit  fuppléer  à  force  de  confiance  à  l'autorité 
que  la  raifon  refufe  à  fon  parti.  Ainfi,  d'accord 
au  fond  fur  tout  ce  qui  nous  intéreOe,  &  dont  on 
ne  tient  aucun  compte ,  on  pafTe  la  vie  à  difputer , 
à  chicaner,  à  tourmenter  ,  à  perfécuter ,  à  fe  bat- 
tre, pour  les  chofes  qu'on  entend  jamoins,  & 
qu'il  eft  le  moins  néceffaire  d'entendre.  On  en- 
taffe  en  vain  décifions  fur  décifions;  on  plâtre 
en  vain  leurs  contradiftions  d'un  jargon  inintel- 
ligible; on  trouve  chaque  jour  de  nouvelles 
queflions  à  r^foudre,  chaque  Jour  de  nouveaux 
fujets  de  querelles  ;  parce  que  chaque  dodrine  a 
des  branches  infinies ,  &  que  chacun ,  entêté  de 
fa  petite  idée,  croit  effenciel  ce  qui  ne  l'eft 
point,  &  néglige  l'efTenciel  véritable.  Que  fî 
on  leur  propofe  des  objections  qu'ils  ne  peuvent 
réfoudre,  ce  qui,  vu  l'échafaudage  de  leurs  doc- 
trines,  devient  plus  facile  de  jour  en  jour,  ils 
fe  dépitent  comme  des  enfans ,  &  parce  qu'ils 
font  plus  attachés  à  leur  parti  qu'à  la  vérité,  & 
qu'ils  ont  plus  d'orgueil  que  de  bonne-foi,  c'eft 
fur  ce  qu'ils  peuvent  le  moins  prouver  qu'ils 
pardonnent  le  moins  quelque  doute. 

Ma  propre  hiftoire  caraftérife  mieux  qu'au- 
cune autre  le  jugement  qu'on  doit  porter  des 
Chrétiens   d'aujourd'hui:  mais   comme    elle  en 

'      dit 


II 


A    M.  DE   BEAUMONT.         9? 

^it  trop  pour  être  crue,  peut-être  un  jour  fera- 
t-clle  porter  un  jugement  tout  contraire  ;  un  joue 
peut-être ,  ce  qui  fait  aujourd'hui  l'opprobre  de 
mes  contemporains  fera  leur  gloire,  &  les  ûm- 
pies  qui  liront  mon  Livre  diront  avec  admira- 
tion ;  Quels  tems  angéliques  ce  dévoient  être 
que  ceux  où  un  tel  livre  a  été  brûlé  comme  im- 
pie ,  &  fon  auteur  pourfuivi  comme  un  malfai- 
teur !  fans  doute  alors  tous  les  Ecrits  refpiroient 
la  dévotion  la  plus  fublime ,  &  la  terre  étoit 
couverte  de  faints  ! 

Mais  d'autres  Livres  demeureront.  Onfaura>  \ 
par  exemple,  que  ce  même  fiécle  a  produit  un  1 
panégyrifte  de  la  Saint  Barthélemi;  François,/ 
&,  comme  on  peut  bien  croire,  homme  d'K- j 
glife,  fans  que  ni  Parlement  ni  Prélat  ait  fongé  \ 
même  à  lui  chercher  querelle.  Alors ,  en  corn-  | 
parant  la  morale  des  deux  Livres  &  le  tort  des  \ 
deux  Auteurs,  on  pourra  changer  de  langage;  I 
&  tirer  une  autre  conclufion.  j 

Les  doétrines  abominables  font  celles  qui  mè- 
nent au  crime,  au  meurtre,  &  qui  font  des  fa- 
natiques. Eh!  qu'y  a-t-il  de  plus  abominable  au 
monde  que  de  mettre  rinjuftice  &  la  viole nce- 
en  Siftême,  &  de  les  faire  découler  de  la  clé- 
mence de  Dieu?  Je  m'abftiendrai  d'entrer  ici 
dans  un  parallèle  qui  pourvoit  vous  déplaire. 
Convenez  feulement,  Monfeigneur,  que  "fi- la 
France  eût  profelTé  la  Religion  du  Prêtre  Sa- 
voyard, cette  Religion  fî  fimple  ôl  il  pure,  qui 
E 


f8  LETTRE 

fait  craindre  Dieu  &  aimer  les  hommes ,  des 
ficuvesde  fung  n'euITent  point  fî  fouvcnt  inondé 
les  champs  François  ;  ce  peuple  fi  doux  &  fi  gai 
n'eût  point  étonné  les  autres  de  fcs  cruautés 
dans  tant  de  perfécutions  &de  mafl'acrcs ,  depuis 
Mnquifition  de  Touloufe  (38),  jufqu'à  la  Saint 
Barthélemi,  &  depuis  les  guerres  des  Albigeois 
jufqu'aux  Dragonades  ;  le  Confeiller  Anne  du 
Bourg  n'eût  point  été  pendu  pour  avoir  opiné  à 
la  douceur  envers  les  Réformés  ;  les  habitans  de 
Merindol  &  de  Cabrieres  n'euflTent  point  été  mis 
■Ji  mort  par  arrêt  du  Parlement  d'Aix,  &  fous 
nos  yeux  l'innocent  Calas  torturé  par  les  bour- 
reaux n'eût  point  péri  fur  la  roue.  Revenons', 
a  préfent,  Monfeigneur,  à  vos  ccnfurcs  &  aux 
jaifons  fur  lefquelles  vous  les  fondez. 

Ce  Sont  toujours  des  hommes ,  dit  le  Vicai- 
re, qui  nous  atteftcnt  la  parole  de  Dieu,  &  qui 
nous  l'attcftent  en  des  langues  qui  nous  for.t  in- 
connues. Souvent,  au  contraire,  nous  aurions 


/  (it)  Il  «ft  Yial  t\nt  Doininîquc  ,  faim  Efpagnol ,  j  eut 
I  grande  paît.  Le  Saint,  lelcn  un  ccrivain  de  fon  oïdic, 
«ut  U  charité, prêchant  comte  les  Albigeois,  des'adjoic- 
éic  de  de'votcs  pcifonncs,  ïêlecs  pour  la  foi,  lefquelles 
piiflcnt  le  foin  d'extirper  corporellcmcnt  &  par  le  gliiive 
■latcrid  les  he'tetiquîs  qu'il  n'auioit  pu  vaincre  avec  le 
jlaive  de  la  parole  de  Dieu.  Ob  iArit^tn.i  ^  prxdhdni  centra 
^Ibicnjis,  in  adjuterinm  fumfit  ^UMsH.rm  dtiatAS  fer/anasy 
SnUnus  pro  fdtt  <}Md  (orperAliter  iUtt  Héfitita  liéidu  rM- 
ttriaJi  txfttgn«rtnt ,  tjaos  ipfe  ^ladh  vtrbi  Dii  Amf^tAri  mn 
fojfft.  Antonin.  in  Chron.  F.  111.  tir.  23.  c.  14.  5.  2. 
Cette  chariic  ne  reffcmble  guère  à  celle  du  Vicaiie  ;  aufS 
a  t-ellc  un  prix  bien  diftcicnr.  L'une  fait  décréter  U, 
Ym\i%  caAAoîfu  <c«ix  c^  la  jp lofdTcnt. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  99 
:fi-and  befoiii  que  Dieu  nous  attellâc  la  parole 
des  hommes  ;  il  eft  bien  fur ,  au  moins ,  qu'il 
eût  pu  nous  donner  la  Tienne,  fans  fe  fervir 
d'organes  fi  fufpecls.  Le  Vicaii:e  fe  plaint  qu'il 
faille  tant  de  témoignages  humains  pour  certi- 
fier la  parole  divine:  que  d'hommes,  dit-il,  entre\ 
Dieu  ^  moi  (39)  /  f 

Vous  répondez.  Pour  que  cette  plainte  fût  feji' 
Jée ,  M,  T.  €,  F. ,  il  faudrait  pouvnr  conclurre  que 
la  Révélation  eft  faujje  dès  qu'elle  n'a  point  été  f  ai-- 
te  à  chaque  homme  en  particulier  ;  il  faudrait  poU' 
voir  dire  :  Dieu  ne  peut  exiger  de  moi  que  je  croys 
ce  qu'on  m'ajfure  qu'il  a  dit ,  dès  que  ce  n'eft  pas 
dirediement  à  moi  qu'il  a  addrejjé  Ja  parole  (40^. 

Et  tout  au  contraire,  cette  plainte  n'eft  fen-' 
fée  qu'en  admettant  la  vérité  de  la  Révélation. 
Car  fi  vous  la  fuppofez  faufle ,  quelle  plaintej 
avez-vous  à  faire  du  moyen  dont  Dieu  s'cftfer-. 
vi,  puifqu'il  ne  s'en  eft  fervi  d'aucun?  Vous 
doit-il  compte  des  tromperies  d'un  impofteur? 
Quand  vous  vous  laiffez  duper  ,  c'eft  votre 
faute  &  non  pas  la  fîenne.  Mais  lorfque  Dieu , 
maître  du  choix  de  fes  moyens  ,  en  choifit  par 
préférence  qui  exigent  de  notre  part  tant  de  fa-' 
voir  &  de  fî  profondes  difcufîîons ,  le  Vicaire 
a-t-il  tort  de  dire  :  „  Voyons  toutefois  ;  exami- 
„  nons ,  comparons ,  vérifions.  O  fi  Dieu  cùc 
„  daigné  me  difpenfer  de  tout  ce  travail,  Ten^ 

(39)  Emile  Tom.  III.  p,  141. 

(40)  Mandement  in-4.  p.  iz.  in-12.  p.  xxii 

£  2 


ir>^  LETTRE 

^,   aurois-je  frrvi  de  moins  bon  cœur  ?  (41)  " 

Monseigneur  ,  votre  mineure  eft  admirable. 
Il  faut  la  tranTcrire  ici  toute  entière;  j'aime 
à  rapporter  vos  propres  termes;  c'efl:  ma  plus 
grande  méchanceté. 

Mais  n'eft-il  donc  -pas  une  infinité  de  faits  y  mi-, 
me  (Ultérieurs  à  celui  de  la  Rii'élation  Chrétienne , 
dont  il  feroit  ahfurde  4e  douter?  Par  quelle  autre 
voye  que  celle  des  témoignages  humains ,  routeur 
lui-v:êm:  a-t-il  donc  connu  cette  Sparte ,  cette  Aihè- 
ne ,  cette  'Rome  dont  il  vante  fi  /cuvent  ^  avec 
tant  d'ajjurance  les  loix  ,  les  mœurs ,  [j'  les  bcros  ? 
Otie  d'hommes  entre  lui  ^  les-  Hifioriens  qui  ont 
confervé  la  mémoire  de  ces  éz-énemensi  . 

Si  la  matière  étoit  moins  grave  &  que 
j'eufTe  moins  de  refpe(ft  pour  vous,  cette  ma- 
nière de  rai  Tonner  me  fourniroit  peut-être  l'oc- 
cafion  d'égayer  un  peu  mes  Icfteurs;  mais  â 
Dieu,  ne  plaife  que  j'oublie  le  ton  qui  convient 
au  fujet  que  je  traite,  &  à  l'homme  à  qui  je 
parle.  Au  rifque  d'être  plat  dans  ma  réponfe, 
il  me  fufîît  de  montrer  que  vous  vous  trompez. 

Considérez  donc,  de  grâce,  qu'il  eft  tout-à- 
fait  dans  l'ordre  que  des  faits  humains  foicnt 
atteftés  par  des  témoignages  humains,  lis  ne 
peuvent  l'être  par  nulle  autre  voye;  je  ne  puis 
favoir  que  Sparte  &  Rome  ont  exifté ,  que  par- 
ce que  des  Auteurs  contemporains  me  le  di- 
fcnt,  &  entre  moi  &  un  autre  homme  qui  a 
(41)  Emile,  obi  fup. 


A    M.    DE    BEAUMONT.       xoi 

▼écu  loin  de  moi,  il  faut  néceffairement  des 
intermédiaires;  mais  pourquoi  en  faut- il  entre 
Dieu  &  moi,  &  pourquoi  en  faut-il  de  11  éloi- 
gnés ,  qui  en  ont  befoin  de  tant  d'autres?  Eli- 
il  limple,  eft-il  naturel  que  Dieu  ait  été  chcr- 
eher  Moïfe  pour  parier  à  Jean  Jaques  RoufTcau  ? 
D'ailleurs  nul  n'efl  obligé  fous  peine  de 
damnation  de  croire  que  Sparte  ait  exifté  ;  nul 
pour  en  avoir  douté  ne  fera  dévoré  des  flam^ 
mes  éternelles.  Tout  fait  dont  nous  ne  fommss 
pas  les  témoins ,  n'eil  établi  pour  nous  que  fur 
des  preuves  morales,  &  toute  preuve  morale 
eft  fufceptible  de  plus  &  de  moins.  Croirai- je 
que  lajuftice  divine  me  précipite  à  jamais  dans 
l'enfer,  uniquement  pour  n'avoir  pas  fu  mar- 
quer bien  exaclcment  le  point  où  une  telle 
pr-éuve  devient  invincible? 


S'il  y  a  dans  le  monde  une  hiftoire  attcflée, 

! 


c'eft   celle    des   Wampirs.     Rien  n'y  manque  :| 


procès  verbaux  ,  certificats  de  Notables ,  de  î 
Chirurgiens,  de  Curés,  de  Adagidrats.  La  preu 
ve  juridique  eft  des  plus  complettes.  Avec  cela,  ; 
qui  eft-ce  qui  croit  aux  Wampirs?  Serons-nous  I 
tous  damnés  pour  n'y  avoir  pas  cru? 

Quelque  atteftés  que  foientvau  gré  même  de 
l'incrédule  Ciceron,  plufieurs  des  prodiîjes  rap- 
portés par  Titc-Live,je  les  regarde  comme  au- 
tant de  fables ,  &  fûrement  je  ne  fuis  pas  le  fcuï. 
Mon  expérience  conftante  &  celle  de  tous  les 
hommes  eft  plus  forte  en  ceci  que  le  témoigm-^c 


102  LETTRE 

de  quelques  uns.  Si  Sparte  &  Rome  ont  été  det 
prodiges  elles-mêmes,  c'étoiciu  des  prodiges 
dans  le  genre  moral;  &  comme  on  s'abuferoit 
enLaponic  de  fixer  à  quatre  pieds  la  ftature  na- 
turelle de  l'homme,  on  ne  s'abuferoit  pas  moins 
parmi  nous  de  fixer  la  mefure  des  âmes  humaines 
fur  celle  des  gens  que  l'on  voit  autour  de  foi. 

Vous  vous  fouviendrcz,  s'il  vous  plaît,  que 
je  continue  ici  d'examiner  vos  raifonneijiens  en 
eux-mêm.es,  fans  foutenir  ceux  que  vous  atta- 
quez. Après  ce  mémoratif  néceffaire,  je  me 
permettrai  fur  votre  manière  d'argumenter  en- 
core une  fuppofitlon. 

Un  habitant  de  la  rue  S\  Jaques  vient  te- 
nir ce  difcours  à  Monfieur  TArchevèque  de 
Paris.  „  Monfeigneur,  je  fais  que  vous  ne  cro- 
„  yez  ni  à  la  béatitude  de  Saint  Jean  de  Paris» 
„  ni  aux  miracles  qu'il  a  plu  à  Dieu  d'opérer 
„  en  public  fur  fa  tombe,  à  la  vue  de  la  Vil- 
„  le  du  monde  la  plus  éclairée  &  la  plus  nom* 
,,  breufe.  Mais  je  crois  devoir  vous  attefter  que 
„  je  Tiens  de  voir  refifufciter  le  Saint  en  per- 
„   fonne  dans  le  lieu  où  fes  os  ont  été  dépofés.  '• 

L'iiom:me  de  la  rue  Saint  Jaques  ajoute  à  ce- 
la le  détail  de  toutes  les  circonftances  qui  peu- 
vent frapper  le  fpeflateur  d'un  pareil  fait.  Je 
fuis  perfiiadé  qu'à  l'ouie  de  cette  nouvelle,  a* 
vaut  de  vous  expliquer  fur  la  foi  que  vous  y 
ajoutez ,  vous  commencerez  par  interroger  ce- 
lui  qui  l'attelle,  fur  fon  état,  fur  fcs  fentirnens, 
fur  fon  ConfelTeur,  fur   d'autres  articles  fem- 


A    M.    DE    BEAUMONT.      loj 

blables;  &  lorfqu'à  Ton  air  comme  à  fes  dis- 
cours  vous  aurez  compris  que  c'eft  un  pauvre 
Ouvrier,  &  que,  n'ayant  point  à  vous  montrer 
de  billet  de  confeflîon ,  il  vous  confirmera  dans 
l'opinion  qu'il  efl  Janfénifte;  „Ah  ah!"  lui  di- 
rez-vous  d'un  air  railleur;  „  vous  êtes  convul- 
„  fiohnaire,  &  vous  avez  vu  refrufciter  Saine 
„  Paris  ?  Cela  n'eft  pas  fort  étonnant;  voui 
„  avez  tant  vu  d'autres  merveilles!" 

Toujours  dans  ma  fuppofition,  fans  doute  il 
infîftera:  il  vous  dira  qu'il  n'a  point  vu  feul  le 
miracle;  qu'il  avoit  deux  ou  trois  perfonnes  a« 
vec  lui  qui  ont  vu  la  même  chore,^  que  d'au- 
tres à  qui  il  l'a  voulu  raconter  difent  l'avoiv 
auflî  vu  eux-mêmes.  Là  dcff.is  vous  demanderez 
fi  tous  ces  témoins  étoient  Janfénifles?  ,,Oui, 
„  Monfeigneur,  "  dîra-t-il;  „  inais  n'importe; 
„  ils  font  en  nombre  fuffifant,  gens  de  bonnes 
^,  mœurs ,  de  bon  fens ,  &  non  récufables  ;  la 
„  preuve  eft  complette,  &  rien  ne  manque  è 
.,  notre  déclaration  pour  conftater  la  vérité  dii 
„  fait.  " 

D'autres  Evêques  moins  charitables  enver- 
raient chercher  un  CommilTaire  &  lui  configne- 
roient  le  bon  homme  honoré  de  la  vifion  glo- 
lieufe,  pour  en  aller  rendre  grâce  à  Dieu  aux 
petites-maifons.  Pour  vous ,  Monfeigneur,  plus 
humain,  mais  non  plus  crédtile ,  après  une  gra- 
ve réprimande  vous  vous  contenterez  de  lui 
<^ire:  „  Je  fais  que  deux  ou  trois  témoins,  hon- 
E  4 


L 


104.  LETTRE 

„  nêtes  gens  &  de  bon  fens-,  peuvent  atteftcr 
„  la  vie  ou  la  mort  d  un  homme;  mais  je  ne 
„  fais  pns  encore  combien  il  en  faut  pour  con- 
„  ftater  la  rcfurredion  d'un  Janfénifle.  En  at- 
.,  tendant  que  je  l'apprenne,  allez,  mon  cn- 
..,  fant,  tâcher  de  fortifier  votre  cerveau  creux. 
5,  Je  vous  difpenfe  du  jeûne,  &  voila  de  quoi 
.,  vous  faire  de  bon  bouillon.  " 

C'est  à  peu  près,  Ivlonfeigneur,  ce  que  vous 
diriez,  &  ce  que  diroit  tout  autre  homme  fage 
à  vôtre  place.  D'où  je  conciuds  que,  même  fé- 
lon vous,  &  félon  tout  autre  homme  fage,  les 
preuves  morales  fuiïïfantes  pour  conAnter  les 
faits  qui  font  dans  l'ordre  des  poiîibilités  mo- 
lales ,  ne  fufBfcnt  plus  pour  conflater  des  faits 
d'un  autre  ordre,  &  purement  furnaturcls  :  fur 
tjuoi  je  vous  lailTe  juger  vous-même  de  la  jus- 
iCile  de  votre  comparaifon. 

Voici  pourtant  la  conclufion  triomphante  que 
vous  en  tirez  contre  moi.  Son  fce^t ici/me  nejl 
é-ûnc  ici  fondé  'que  fur  rintérêù  de  fon  incréduli- 
le  (42).  Monfeigneur,  fi  jamais  elle  me  procu- 
le  un  Evéché  de  cent  mille  Livres  de  rentes , 
vous  pourrez  parler  de  i'intérct  de  mon  incré- 
dulités ' 

CoifTiNuox5  maintenant  à  vous  tranfcrire, 
en  prena.it  feulement  la  liberté  de  rcftituer  aa 
befoin    les    palTages   de   mon   Livre   que  vous 

nonquez. 

„  Qu'uiT 

f^)  2.iAndtm€nt  in-  +.  pag.  12.  in-  12.  p.  xxii* 


A    M.    DE    BKAUMO'N'f.       t^^, 

„  Qu'un-  homme,  ajoute  t  il  plus  loin,  vienne 
y,  nous  tenir  ce  langage:  Mortels,  je  vous  an- 
5,  nonce  les  volontés  du  Très-Haut  ;  reconnois- 
„  fez  à  ma  voix  c^lui  qui  m'envoye;  J'ordonne 
„  au  foleil  de  changer  Ton  cours,  aux  étoiles 
,^  de  former  un  autre  arrangement,  aux  mon- 
,^  tagncs  de  s'applanir,  aux  flots  de  s'élever, 
,,  à  la  terre  de  prendre  im  autre  afl:>ecl:  :  à  ces 
,,  merveilles  qui  ne  reconnoîtra  pas  à  l'inflanc 
,^  le  maître  de  la  nature?*'  Oiii  ne  croiroît,  M. 
T.C.F.y  que  celui  qui  s'exprime  de  la  forte  ne  cls 
mande  qu'à  voir  des  miracles  pour  être  Chrétien  ? 

Bien  plus  que  cela,  Monfeigneur;  puifque 
je  n'ai  pas  même  befoin  des  miracles  pour  être 
Chrétien. 

Ecoutez^  toutefois^  ce  qu'il'  ajoute  :  „  Reftc  enfin,. 
3,  dit-il,  l'examen  le  plus  important  dans  la 
,v  dodtrine  annoncée;  car  puifque  ceux  qui  di- 
„  fent  que  Dieu  fait  ici-bas  des  miracles ,  pré- 
„  tendent  que  le  Diable  les  imite  quelquefois,- 
„  avec  les  prodiges  les  mieux  confiâtes  nous  ne 
„  fommes  pas  plus  avancés  qu'auparavant,  <Sc 
„,  puifque  les  Magiciens  de  Pharaon  ofoicnt,  en' 
,v  préfence  même  de  Moïfe, faire  les-  mômes  fi^ 
,,.  gnes  qu'il  faifoitpar  l'ordre  exprès  deDieu,- 
„  pourquoi-  dans  fon  abftnce  n'euQent-ils  pas , 
„  aux  mêmes  titres,  prétendu  la  même  autori- 
,y  té?  Ainfi  donc,  après  avoir  prouvé  la  doc- 
,v  trine  par  le  miracle,  il  faut  prouver  le  mi* 
„.  r^cle  par  la  doctrine,  do  peur  de  pfendr^^ 
E  5- 


105  LETTRE 

^  l'œuvre  du  Djmon  pour  l'œuvre  de  Dieu  (45). 
,,  Que  faire  en  pareil  cas  pour  éviter  le  dialè- 
„  le?  Une  feule  chofc;  revenir  au  raifonne* 
y,  ment,  &"  laiiTer-là  les  miracles.  Mieux  eût 
j,  valu  n'y  pas  recourir." 

Cejî  dire;  qu'on  me  montre  des  miracles ,  ^ 
je  croirai.  Oui,  Monfeigneur ,  c'efl  dire;  qu'on 
me  montre  des  miracles  &  je  croirai  aux  mira- 
cles. C'ejî  dire  ;  qu'on  me  montre  des  miracles ,  ^ 
je  refujerai  encore  de  croire.  Oui,  Monfeigneur, 
c'efl:  dire,  félon  le  précepte  même  de  Mo'i- 
fe  (44)  ;  qu'on  me  montre  des  miracles ,  &  je 
refuferai  encore  de  croire  une  doctrine  abfurde 
&  déraifonnable  qu'on  voudroit  étayer  par  eux^ 
Je  croirois  plutôt  à  la  magie  que  de  reconnoître 
la  voix  de  Dieu  dans  des  kçons  contre  la  raifon. 

J'ai  dit  que  c'étoit-là  du  bon  fens  le  plus 
iîmple  ,  qu'on  n'obfcurciroit  qu'avec  des  dis- 
tinfticns  tout  au  moins  très-fubtiles  :  c'efl:  en- 
core une  de  mes  prédi(5lioDs  ;  en  voici  l'accom- 
pliffement. 

Quand  une    doEtrine  eft  reconnue  vraye ^   dizi* 

fjtf,  fondée  Jur  une  Révélation  certaine  ^  on  s'en  Jert 

four  juger  des  miracles,  c'ejî-à-dire ,  p9ur  rejetîer 

les  prétendus  prodiges  que  des  impofteurs  poudroient 

•ppojer  à  cette  doctrine.  Quand  il  s'agit  d'une  doç- 

trine  nowcelle  qu'on  annonce  comme  émanée  du  Je  in 

de  Dieu  y  les  miracles  font  produits  en  preuves;. 

(43)  J^  ^ui*  force  de  confondre  ici  la  cote  avec  le  tex- 
te ,  à  i';mitation  de  M,  de  Beaumont.  Le  Leftcur  pouir* 
coniultei  TuD  2c  Tautie  dans  le  Livic  méiDC.  T.  ULpa^» 

Î45  cr  fuiv. 

l^)  Dcutcroo*  Cl  ZU|| 


A    M.    DE    BEAIJMONT.       r<37 

$"ejl-à-dîre,  que  celui  qui  prend  la  qualité  d'Envoyé 
du  Très-Haut  f  confirme  fa  Miffion ,  fa  prédicatian 
par  des  miracles  qui  font  le  témoignage  même  de  la 
divinité,  Jinfi  la  doQrine  ^  les  miracles  font  des 
argumens  refpeUifs  dont  on  fait  ufage ,  félon  les 
divers  points  de  vue  oïl  Von  fe  place  dans  l'étude  ^ 
dans  V enfeignement  de  la  Religion.  Il  ne  fe  trouve 
là ,  ni  abus  du  raifonnement ,  ni  fophifme  ridicule^ 
ni  cercle  vicieux  (45). 

Le  Lecteur  en  jugera.  Pour  moi  je  n'ajou- 
terai pas  un  feul  mot.  J'ai  quelquefois  répon- 
du ci-devant  avec  mes  pacages  ;  mais  c'eft  avec 
le  votre  que  je  veux  vous  répondre  ici. 

Oîi  efl  donc  y  M.  T.  C.  F.,  la  lonnefoiphilofi- 
pbique  dofitfe  pare  cet  Ecrivain  ? 

Monseigneur  ,  je  ne  me  fuis  jamais  piqué 
d'une  bonne  foi  phiIofophique;car  je  n'en  con- 
nois  pas  de  telle.  Je  n'ofe  même  plus  trop 
parler  de  la  bonne-foi  Chrétienne,  depuis  que 
les  foi-difans  Chrétiens  de  nos  jours  trouvent  fi 
mauvais  qu'on  ne  fupprime  pas  les  objeélions 
qui  les  embarralTent.  Mais  pour  la  bonne-foi 
pure  &  (impie, je  demande  laquelle  de  la  mien- 
ne ou  de  la  vôtre  efl  la  plus  facile  à  trouver  ici? 

Plus  j'avance,  plus  les  points  à  traiter  de- 
viennent intérelTans.  Il  faut  donc  continuer  ^ 
vous  tranfcrire.  Je  voudrois  dans  des  difcus» 
fions  de  cette  importance  ne  pas  omettre  un  dô 
Yos  mots. 

(4J}  ^^ndmfnt  ia-4.  pag.  13.  Iii-ia,  p.  sxii2« 
E  6 


îo8  LETTRE 

On  croiroit  qu'après  les  plus  grands  effort 
;^our  Uécnditer  les  témoignages  humains  qui  attes" 
te:a  h  TL-z'élatim  Cbréiienne ,  le  mcme  Auteur  y 
défère  cependant  de  la  manière  la  [lus  pojitive,  la 
$lus  folemnelle. 

On  AUROiT  raifon,  fans  doute,  puifque  je 
tiens  pour  révélée  toute  doftrine  où  je  rccon- 
Bois  l'efiorit  de  Dieu.  II  faut  feulement  ôter 
l'amphibologie  de  votre  phrafe  ;  car  fi  !e  verbe 
îélatif  y  défère  fe  rapportfe  à  la  Révélation 
Chrétienne,  vous  avez  raifon  ;  mais^  s'il  fe  rap* 
porte  aux  témoignages  humains,  vous  avez  tort. 
%ioiqu:il  en  foit,  je  prends  acte  de  votre  té- 
acoignage  contre  ceux  qui  ofeiit  dire  que  je  re- 
jette toute  révélation  i  comme  fi  c'étoit  rejettes 
«ne  doctrine  que  de  la  reconnoître  fujette  à  des 
^fikultés  infolubles  à  l'efprit  humain;  comme 
fi.  c'était  la  rejetcer  que  ne  pas  l'admettre  fur  Iç 
«émoignage  des  hommes,  lorfqu'on  a  d'autres 
preuves  équivalentes  ou  fupérieures  qui  dis- 
yenfeat  de  celle-là?  Il  eft  vrai  que  vous  dites 
ccndiiionnellement,  on  croiroit;  mais  on  croiroitt 
-Ignliie  071  croit f  lorfque  la  raifon  d'exception 
jgour  ne  pas  croire  fe  réduit  à  rien  ,  comme- on 
1  erra  ci-après  de  la  vôtre.  Commençons  par  la 
jïGUve;  affirmative. 

.•  M' faut  l-our  '-jo'is  en  con'vaînsr;  j  M.  T.  G.  F.. 
^  Sfkiréijme  tems  paur  vous  édifier,  mettre  fous  vos. 
'X^ux  Cit.  endroit  de  fon  ouvrage.    „  J'avoue  que  I^/ 

:^  siais^e  des.  E^iiuires  m'étonne;  h  faiateté 


A    M.    DE    BEAUMONT.      109- 

'„  dé  l'Evangile  (46)  parle  k  mon  cœur.    Vo- 

„  yez  les  Livres  des  Philofophcs,   avec  toute- 

„  leur  poinpe;  qu'ils  font  petits  près  de  celui- 

^,  là  !  Se  peut-il  qu'un   Livre  à  la  fois  11  fubli>. 

„  me  &  fi   fimple  foit  l'ouvrage  des  hommes? 

„  Se  peut- il  que  celui  dont- il  fait  l'hiftoire  ne 

„  foit  qu'un  homme  lui-même ?Eft-ce  là  le  ton 

„  d'un  enthoufialle  ou  d'un  ambitieux  feclaire? 

„.  Quelle  douceur  ,     quelle    pureté,    dans    fes 

„  mœurs  !  Quelle  grâce  touchante  dans  fes  in* 

„  ftructtons  !   quelle   élévation   dans    fes  maxi^ 

„  mes!  quelle   profonde   fageûe  dans  fes  dis^- 

„  cours!  quelle  préfence  d'efprit,  quelle  fineflb 

„,  &  quelle  juflefTe  dans  fes  réponfes  !  quel  em^ 

j,  pire  fur   fes  pafllons  !   Où  ell  l'homme,   oii 

„  eft   le  Sage  qui  fait  agir,  fouffrir  &  mourir 

„  fans  foiblelTe  &  fans  oflentation  (47)  ?  Quand 

„  Platon  peint  fon  Jufta  imaginaire  couvert  de. 

,,  tout  l'opprobre  du  crime,  &  digne  de  tous 

y,  les  prix  de  la  vertu,  il  peint  trait  pour  trait 

I  (46)  La  négligence  avec  laquelle  M.  de  Beaumont  mo 
.  tianlcrit  lui  a  fait  faire  ici  deux  changemens  dans  une 
\  iit,ne.  Il  a  mis  ^  la  majefié  de  [''Ecriture  au  lieu  de,  U  ma' 
\  jtjié  des  Ecritures  j  &  il  a  mis  ,  U  Jainteté  de  l'Ecriture. 
I  au  lieu  de,  /a  fainteté  de  l^ Evangile.  Ce  n'eft  pas,  à  la 
vérité', m?  faire  dire  àzs  héiéfiesj mais  c*elt  me  faire  par- 
Jer  bien  niaifement. 

(47)  Je  remplis,  félon  ma  cor^tume,  les  lacunes  faites 
T>ai  M.  de  Beaumont}  non  qu'abfolument  celles  qu'il  fait 
ici  foient  infidieufes  ,  comme  en  d'autres  endroits}  mais 
parce  que  le  défaut  de  fuite  &  de  liaifon  afloiblit  le  pas- 
fage  quand  il  eft  tronqué  j  &  auffi  parce  que  mes  peifé- 
cuteuis  fupprimant  avec  foin  tout  ce  que  j'ai  dit  de  (i 
bon  cœur  en  faveur  de  la  Religion  ,  il  cli  bon  4e  iç  lé, 
fablii  à  naçfuic  t^wc  roccafion  s'en  tiouve, 

£7 


HO  LETTRE 

„  Jéfus-Chrift  :  la  refTemblance  eft  fî  frappante 
„  que  tous  les  Pères  l'ont  fentie,  &  qu'il  n'cft 
„  pas  pofTible  de  s'y  tromper.  Quels  préjugés  , 
y,  quel  aveuglement  ne  faut-il  point  avoir  pour 
„  ofer  comparer  le  fils  de  Sophronifque  au  fils 
„  de  Marie?  Quelle  diflance  de  l'un  à  l'autre  l 
„  Socrate  mourant  fans  douleur,  fans  ignomi- 
„  nie,  foutint  aifément  jufqu'au  bout  fon  per- 
„  fonnage,  &  fi  cette  facile  mort  n'eût  honoré 
„  fa  vie ,  on  douteroit  fi  Socrate ,  avec  tout 
„  fon  efprit,  fut  autre  chofe  qu'un  Sophifl:e. 
„  Il  inventa,  dit-on,  la  morale.  D'autres  avant 
„  lui  l'avoient  mife  en  pratique;  il  ne  fit  que 
„  dire  ce  qu'ils  avoient  fait,  il  ne  fie  que  met- 
„  tre  en  leçons  leurs  exemples.  Ariftide  avoic 
,,  été  jufl:e  avant  que  Socrate  eûrdit  ce  que 
^  c'écoit  que  juflice;Léonidas  étoit  mort  pour 
„  fon  pays  avant  que  Socrate  eût  fait  un  de- 
„  voir  d'aimer  la  patrie  ;  Sparte  étoit  fobre  a- 
„  vant  que  Socrate  eût  loué  la  fobriété  ;  avant 
„  qu'il  eût  défini  la  vertu,  Sparte  abondoit  en 
y,  hommes  vertueux.  Mais  où  Jéfus-avoit-il  pris 
,,  parmi  les  fiens  cette  morale  élevée  &  pure, 
„  dont  lui  feul  a  donné  les  leçons  &  l'exem- 
^  pie  ?  Du  fein  du  plus  furieux  fanatifme  1» 
^  plus  haute  fagefle  fe  fit  entendre,  &  la  fim- 
„  plicité  des  plus  héroïques  vertus  honora  le 
„  plus  vil  de  tous  les  peuples.  La  mort  de  So- 
„  crate  philofophant  tranquillement  avec  fes 
„  amis  eft  la  plus  douce  qu'on  puilTe  déûià  ;, 


A  M.  DE  BEAUMONT.  riî 
celle  de  Jéfus  expirant  dans  les  tourmens> 
injurié,  raillé,  maudit  de  tout  un  peuple^ 
eft  la  plus  horrible  qu'on  puifTe  craindre» 
Socrate  prenant  la  coupe  empoifonnée  bénit 
celui  qui  la  lai  préfente  &  qui  pleure.  Jé- 
fus,  au  milieu  d'un  fupp lice  affreux,  prie 
pour  fes  bourreaux  acharnés.  Oui,  fi  la  vie 
&  la  mort  de  Socrate  font  d'un  Sage,  la  vie 
&  la  mort  de  Jéfus  font  d'un  Dieu.  Dirons- 
nous  que  l'hiftoire  de  l'Evangile  efl  inventée 
à  plaifir.  ?  Non ,  ce  n'eft  pas  ainfi  qu'on  in- 
vente, &  les  faits  de  Socrate  dont  perfonne 
ne  doute  font  moins  atteftés  que  ceux  de 
Jéfus-Chrift.  Au  fond  c'eft  reculer  la  difficul- 
té fans  h  détruire.  Il  feroit  plus  inconceva- 
ble  que  plufieurs  hommes  d'accord  euflent 
fabriqué  ce  Livre  qu'il  ne  l'efl:  qu'un  feul  en 
ait  fourni  le  fujet.  Jamais  des  Auteurs  Juifs 
n'euifent  trouvé  ni  ce  ton  ni  cette  morale, 
&  l'Evangile  a  des  caraéleres  de  vérité  fi 
grands,  fi  frappans,  fi  parfaitement  inimi- 
tables que  l'inventeur  en  feroit  plus  éton- 
nant que  le  Héros  (48).  " 
(49)  //  feroit  difficile ,  M.  T,  C.  F.  ,  de  ren- 
dre un  plus  bel  hommage  à  l'authenticité  de  l'E- 
vangile, Je  vous  fais  gré,  Monfeigneur,  de  cet 
aveu  ;  c'eil  une  injuftice  que  vous  avez  de- 
moins  que  les  autres.    Venons  maintenant  à  1* 

(48)  Fmlle.  T.  HT.  pag.  279  &  fuiv. 

(4SJ  Mandemtnt  jn-4  pag.  14.  in-xz.p.  xxr^ 


ÎI2  LETTRE 

preuve  négative   qui  vous  fait  dire  on  crdiroit , 
au  lieu  d'o/j  croit. 

Cependant  VAutcur  ne  la  croit  qu'en  conjé-- 
quence  des  témoignages  humains.  Vous  vous 
trompez  ,  Monfeigneur  ;  je  la  reconnois  en  con- 
féquence  de  TEvangile  &  de  la  fublimité  que 
j'y  vois,  fans  qu'on  me  l'attelle.  Je  n'ai  pas  be- 
foin  qu'on  m'affirme  qu'il  y  a  un  Evangile  lors- 
que je  le  tiens.  Ce  font  toujours  des  hommes  qui 
lui  rapportent  ce  que  d'autres  hommes  ont  rapporté. 
Et  point  du  tout  ;  on  ne  me  rapporte  point  que 
l'Evangile  exifte;  je  le  vois  de  mes  propres 
yeux,  &  quand  tout  l'Univers  me  foutiendroir 
qu'il  n'exifte  pas ,  je  faurois  très-bien  que  tout 
l'univers  ment,  ou  fe  trompe,  ^e  d'hommes  en- 
tre Dieu  ^  lui?  Pas  un  feu).  L'Evangile  efl  h 
pièce  qui  décide ,  &  cette  pièce  eil  entre  mes 
mains.  De  quelque  manière  qu'elle  y  foit  ve* 
nue ,  &.  quelque  Auteur  qui  l'ait  écrite ,  j'y  re- 
connois l'efprit  divin  :  cela  eft  immédiat  autant 
qu'il  peut  1  être  ;  il  n'y  a  point  dhommes  entre 
cette  preuve  &  moi  ;  &  dans  le  fens  où  il  y  en 
auroit,  l'hiflorique  de  ce  Saint  Livre,  de  fes 
auteurs,  du  t^ms  où  il  a  été  compofé,  &c. 
rentre  d:ins  les  difcuflîons  de  critique  où  la 
preuve  morale  eft  admife.  Telle  efl:  la  réponfc 
du  Vicaire  Savoyard. 

Le  voila  donc  bien  évidemment  en  contradi^ion 
avec  lui-même;  le  voila  confondu  par  Jes  propre: 
ifiicux.    Je  vous  laiffe  jouïr  de  toute  ma  confa- 


A    M.    DE    BEAUMONT.      113 

fion.  Par  quel  étrange  aveuglement  at-il  donc  pu 
ajouter?  ,,  Avec  tout  cela  ce  même  Evangile eft 
„  plein  de  chofes  incroyables,  de  chofes  qui 
„  répugnent  à  la  raifon ,  &  qu'il  ell  impofïïble 
„  à  tout  homme  fenfé  de  concevoir  ni  d'admet- 
„  tre.  Que  faire  au^milieu  de  toutes  ces  con- 
„  tradiflions?  Etre  toujours  modefte  &circonf- 
„  pe<5l:  ;  refpecler  en  filence  (50)  ce  qu'on  ne 
„  fauroit  ni  rejetter  ni  comprendre  ,  &  s'hu- 
„  milier  devant  le  grand  Etre  qui  feul  fait  la 
„  vérité.  Voila  le  fcepticifme  involontaire  où 
„  je  fuis  refté.  '*  Mais  le  Jceptkijme ,  M.  T, 
C.  F.  ,  peut-il  donc  être  involontaire  ,  lorfqu'on  refuje 
de  Je  Joumettre  à  la  do£lri?ie  d'un  Livre  qui  ne  fau- 
roit être  iîîventé  par  les  hommes  ?  LorJqiLe  ce  Livre-. 
porte  des  caractères  de  vérité  fi  grands ,  fi  frappans , 
fi  parfaitement  inimitables,  que  l'inventeur  enfe- 

'  (50)  Pour  que  les  hommes  slmpofent  ce  refpeft  Se  ce 
lilence,  il  faut  que  quelqu'un  leur  dife  ujie  fois  les  ral- 
fons  d'en  ufer  ainfi.  Celui  qui  connoit  ces  raifons  peut  les 
dire,  mais  ceux  qui  cenfurent  &  n'en  difent point,  pour- 
loient  fe  taire.  Parler  au  public  avec  franchife,  avec  ferme- 
té',  eft  un  droit  commun  à  tous  les  hommes  ,  &  même  un 
devoir  en  toute  choie  utile  :  mais  il  n'eft  gueies  permis  à 
un  particulier  d'en  cenfurer  publiquement  un  autre  :  c'eft 
s'attribuer  une  trop  grande  fupériorîté  de  veitus ,  de  ta- 
lens ,  de  lumières.  Voila  pourquoi  je  ne  me  fuis  jamais 
ingéré  de  critiquer  ni  réprimander  perfonne.  J'ai  dit  a. 
mon  fîécle  des  vérités  dures ,  mais  je  n'en  ai  dit  à  aucun 
particulier,  8c  s'il  m'eft  arrivé  d'attaquer  &  nommer  quel- 
q^ues  livres,  je  n'ai  jamais  parlé  des  Auteurs  vivans  qu'a- 
vec toute  forte  de  bienféance  &  d'égards.  On  voit  com- 
ment ils  me  les  rendent.  Il  me  femble  que  tous  ces  Alcf- 
lieurs  qui  fe  mettent  fi  fièrement  en  avant  pour  m'enfei- 
gner  l'humilité  ,  trouvent  la  Icjon  raeiliemc  à  donnez; 
<q,u'à  fuivte.. 


114  LETTRE 

rtU  plus  étonnant  que  le  Héros  t  Cejl  bien  ici  qt/oft 
f  eut  dire  que  Vinî^uiti  a  menti conife  elle-même  (^s  ly 

Monseigneur  ,  vous  me  taxez  d'iniquité  fan» 
fujet;  Vous  m'imputez  fouvent  des  menfonge» 
&  vous  nen  rnontrcz  aucun.  Je  m'împofe  avec 
vous  une  maxinK  contraire,  &  j'ai  qUrelquefoi» 
lieu  d'en  ufer. 

Le  Scepticisme  du  Vicaire  ell:  involontaire 
par  la  raifon  même  qui  vous  fait  nier  qu'il  le 
foir.  Sur  les  foibles  autorités  ou'on  veut  don- 
ner à  TEvangile  il  le  rejettcroit  par  les  raifon» 
déduites  auparavant ,  û  l'efprît  divin  qui  brille 
dans  la  morale  &  dans  la  doflrine  de  ce  Livre 
ne  lui  rendoit  toute  la  force  qui  manque  au  té- 
moignage des  hommes  fur  un  tel  point.  Il  ad» 
met  donc  ce  Livre  Sacré  avec  toutes  les  chofes 
admirables  qu'il  renferme  &  que  Tefprit  humain 
peut  entendre;  mais  quant  aux  chofes  incroya- 
bles qu'il  y  trouve,  le/quelles  répugnent  à  fa  rai' 
fon^  ^  qu'il  ejî  tmpojjible  à  tout  homme  fenjé  di 
itncevoir  ni  d'admettre,  il  les  reJpeUe  en  ftlenct 
fans  les  comprendre  ni  Iss  rejetter,^  s'humilie  de^ 
vant  le  grand  Etre  qui  feul  fait  la  vérité.  Tel  eft 
fon  fcepticifme;  &  ce  fccpticifme  cft  bien  invo- 
lontaire, puifqu'il  eft  fondé  fur  des  preuves  in- 
vincibles de  part  &  d'autre,  qui  forcent  la  rai- 
fon de  refter  en  fufpens.  Ce  fcepticifme  eft  ce- 
lui de  tout  Chrétien   raifonnable  &  de  bonne 

(51}  MAnimtnt  ia-4.  p.  14.  in  II.  p.  XXYI, 


A    M.    DE    BEAUMONT.     irs' 

foi  qui  ne  veut  favoir  des  chofes  du  Ciel  que 
celles  qu'il  peut  comprendre,  celles  qui  impor- 
tent à  fa  conduite,  &  qui  rejette  avec  l'Apôtre 
les  qîieftions  peufenfées,  qui  font  fans  inflruUion^' 
^  qui  n'engendrent  que  des  cûmbùts.  (52) 

D'adord  vous  me  faites  rejetter  la  révélation 
pour  m'en  tenir  à  la  Religion  naturelle,  &  pre- 
mièrement ,  je  n'ai  point  rejette  la  Révélation, 
En  fuite  vous  m'accufez  de  ne  pas  admettre  même 
la  Religion  îiaturelîe ,  ou  du  moins  de  n'en  pas  r«- 
connoître  la  nécejjlté  ;  &  votre  unique  preuve  ell 
dans  le  paflage  fuivant  que  vous  rapportez, 
„  Si  je  me  trompe,  c'eft  de  bonne  foi.  Cela 
„  fuffit  (53)  pour  que  mon  erreur  ne  me  foit 
„  pas  imputée  à  crime  ;  quand  vous  vous  trompe- 
„  riez  de  même,  il  yauroit  peu  de  mal  à  cela.*^ 
Cefî  à-dire,  continuez-vous,  que  félon  lui  il  fiiffit 
de  fe  perfiiader  qu'on  efî  en  poffejjion  de  la  vérité  ;  qus 
cette  perfuafîon,  fût- elle  accompagnée  des  plus  mon* 
fîrueufes  erreurs ,  ne  peut  jamais  être  unfujet  dé 
reproche  ;  qu'on  doit  toujours  regarder  comme  wi 
homme  fage  ^  religieux  ,  celui  qui ,  adoptant  les 
erreurs  mêmes  de  VAthéifme ,  dira  qu'il  efî  de  bon* 
ne  foi.  Or  n'eflce  pas  là  ouvrir  la  porte  à  toutes 
les  fuperfîitions  f  à  tous  les  flfiêmes  fanatiques ,  à 
tous  les  délires  de  lefprit  humain'^  (54) 

Pour  vous,  Monfeigneur,  vous  ne  pourrez 

(5-i)  Timoth  :  C.  II.  v.  23. 

(s 3)  Emile  Tom.  111.  p.  21.  M.  d«  Bcaumont  a  mis  j 

€eU  me  fujjir, 

^54)  Mandement  in-4.  p.  ij.  in-I2.  p.  xxViit 


ii6  L     E     T     T     R     E 

pas  dire  ici  comme  le  Vicaire;  Si  jsmetronipt^ 
c'eft  de  bonne  foi:  car  c'eft  bien  évidemment  à 
delTcin  qu'il  vous  plait  de  prendre  le  change  & 
de  le  donner  à  vos  Lecteurs;  c'efl  ce  que  je 
m'engage  à  prouver  .fans  réplique ,  &  je  m'y  en- 
gage ainfi  d'avance,  ann  que  vous  y  regardiez 
de  plus  près. 

La  profession  du  Vicaire  Savoyard  eft  com- 
pofée  de  deux  parties.  La  première ,  qui  eft  la 
plus  grande ,  la  plus  importante ,  la  plus  rem- 
plie de  vérités  frapantes  &  neuves  eft  deftinée  à 
combattre  le  moderne  matérialifme ,  à  établir 
l'exiftence  de  Dieu  &  la  Religion  naturelle  avec 
toute  la  force  dont  l'Auteur  eft  capable.  De  cel- 
le-là, ni  vous  ni  les  Prêtres  n'en  parlez  point; 
parce  qu'elle  vous  eft  fort  indifférente  ,&  qu'au 
fon-d  la  caufe  de  Dieu  ne  vous  touche  gueres, 
pourvu  que  celle  du  Clergé  foit  en  fureté. 
.  La  seconde,  beaucoup  plus  courte,  moins 
régulière,  moins  approfondie,  propofe  des  dou- 
tes &  des  difficultés  fur  les  révélations  en  géné- 
ral ,  donnant  pourtant  à  la  notre  fa  véritable 
certitude  dans  la  pureté  ,  la  fainteté  de  fa  doctri- 
ne ,  &  dans  la  fubliraité  toute  divine  de  celui 
qui  en  fut  l'Auteur.  L'objet  de  cette  féconde 
partie  eft  de  rendre  chacun  plus  réfervé  dans  fi 
Religion  à  taxer  les  autres  de  mauvaife  foi  dans 
la  leur,  &  de  montrer  que  les  preuves  de  cha- 
cune ne  font  pas   tellement   démonftratives  i 


A    M.    DE    BEAUMONT.        117 

tous  les  yeux  qu'il  faille  traiter  en  coupables 
ceux  qui  n'y  voyent  pas  la  même  clarté  que 
nous.  Cette  féconde  partie  écrite  avec  toute  la 
modeftie ,  avec  tout  le  refpecl  convenables,  efc 
la  feule  qui  ait  attire  votre  attention  &  celle 
des  Magiflrats.  Vous  n'avez  eu  que  des  bûchers 
&  des  injures  pour  réfuter  mes  raifonnemens. 
Vous  avez  vu  le  mal  dans  le  doute  de  ce  qui  | 
eil  douteux;  vous  n'avez  point  vu  le  bien  dans  j 
la  preuve  de  ce  qui  efl  viai.  \ 

En  effet  ,  cette  première  partie ,  qui  contient 
ce  qui  efl:  vraiment  eiTenciel  à  la  Religion  ,  eft 
décifive  &  dogmatique.  L'Auteur  ne  balance 
pas ,  n'héfite  pas.  Sa  confcience  &  fa  raifon  le 
déterminent  d'une  manière  invincible.  Il  croit , 
il  affirme  :  il  efl  fortement  perfuadé. 

Il  commence  l'autre  au  contraire  par  décfa- 
rer  que  V examen  qui  lui  refte  à  faire  eft  hîen  diffé- 
rent; qu'il  n'y  voit  qu'embarras,  mifiere  y  objcit- 
rite;  qu'il  n'y  porte  qu  incertitude  ^  défiance;  qu'il 
n'y  faut  donner  à  fes  dîfcours  que  l'autorité  de  la 
raifon;  qu'il  ignore  lui  même  s'il  efl  dans V erreur ^ 
£jf  que  toutes  fes  affirmations  ne  font  ici  que  des  raU 
fous  de  douter,  (55)  Il  propofe  donc  fes  objections , 
fes  difficultés,  fes  doutes.  Il  propofe  aufïî  fes 
grandes  &  fortes  raifons  de  croire^  &  de  toute 
cette  difcufîîon  refaite  la  certitude  des  dogmes 
elTcnciels  &  un  ^  fcepticifme  refpe(n:ueux  fur  les 
autres.  A  la  fin  de  cette  féconde  partie  il  infliU 
(5  5)  Kmile  Tom.  III.  p  131* 


«ts  lettre 

•de  nouveau  fur  la  circonfpeélion  néceflaire  ch 
l'écoutant.  Si  j'étais  plus  fur  de  moi,  j' aurais , 
dit-il,  pris  un  ton  dogm.iîique  ^  décijif;  m:i%s 
je  fuis  homme,  ignorant,  fujet  à  l'erreur:  que  pou- 
vais -  je  faire?  Je  "COUS  ai  ouvert  mon  cœur  fam 
refende;  ce  que  je  tiens  pour  fur ,  je  vous  l'ai  don- 
né pour  tel  :  je  vous  ai  donné  mes  doutes  pour  des 
donnes  y  mts  opinions  pour  des  opinions-,  je  vous  ai 
dit  mi*s  raifons  de  douter  ^  de  croire.  MaintenaJii 
c'efi  à  vous  de  juger  (56). 

Lors  donc  que  dans  le  même  écrit  Tauteur 
dit;  Si  je  me  trompe ,  cefi  de  bonne -foi  ;  celafujffït 
pour  que  mon  erreur  ne  me  foit  pas  imputée  à  crime  ; 
je  demande  à  tout  iefleur  qui  a  le  fens-commun 
&  quelque  fincérité,  li  c'eft  fur  la  première  ou  fur 
la  féconde  partie  que  peut  tomber  ce  foupçon 
d'être  dans  l'erreur  ;  far  celle  où  l'auteur  affirme 
ou  fur  celle  où  il  balance?  Si  ce  foupçon  mar- 
que la  crainte  de  croire  en  Dieu  mal- à -pro- 
pos ,  ou  celle  d'avoir  à  tort  des  doutes  fur  la 
Révélation  ?  Vous  avez  pris  le  premier  parti 
contre  toute  raifon ,  &  dans  le  feul  défir  de  me 
rendre  criminel  ;  je  vous  défie  d'en  donner  au- 
cun autre  motif.  Monfeigneur ,  où  font,  je  ne 
dis  pas  l'équité,  la  charité  Chrétienne,  mais  le 
bon  fens  &  l'humanité  ? 

Quand  vous  auriez  pu  vous  tromper  fur  l'ob- 
jet de  la  crainte  du  Vicaire,   le  texte  fcul  que 
vous  rapportez  vous  eut  défabufé  malgré  vous. 
(i6)  Ibid  p.  i5i. 


A     M.    DE    BEA  UM  ON  T.        irp 

Car  lorfqu'il  ait;  cela  fuffit  pour  que  mon  erreur  ] 
fie  mefeît  pas  imputée  à  crime  ,  i!  reeonnoîc  qu'une  \ 
pareille  erreur  pourroic  être  un  crime,  &  que 
ce  crime  lui  pourroit  êire  imputé ,  s'il  ne  pro- 
x:édoit  pas  de  bonne  foi  :  Mais  quand  il  n'y  au- 
roit  point  de  Dieu,  où  feroit  le  crime  de  croi- 
re qu'il  y  en  îi  un?  Et  quand  ce  feroit  un  cri- 
me, qui  eft-ce  qui  le  pourroit  imputer?  Li  ■■ 
crainte  d'être  dans  l'erreur  ne  peut  donc  ici 
tomber  fur  la  Religion  naturelle,  &ledifcours 
du  Vicaire  feroit  un  vrai  galimathias  dans  le 
fens  que  vous  lui  prêtez.  11  eft  donc  impofîible 
de  déduire  du  paiTage  que  vous  rapportez ,  que 
je  ii  admets  pas  la  Religion  naturelle  ou  que  je 
n'en  reconnois  pas  la  ntcejfiîé;  il  efl  encore  im- 
polîîble  d'en  déduire  qu'o^ti  dbive  toujours,  ce  font 
vos  termes ,  regarder  comme  un  homme  fage  ^re* 
Ugieux  celui  qui,  adoptant  les  erreurs  de  V Athéis- 
me ^  dira  qu'il  ejî  de  honne  foi  ;  &  il  ei1:  même 
impofïïble  que  vous  ayez  cru  cette  déduélion  lé- 
gitime. Si  cela  n'eft  pas  démontré,  rien  ne  faii- 
roit  jamais  l'être,  ou  il  faut  que  je  fois  un  in» 
fenfé. 

Pour  montrer  qu'on  ne  peut  s'autorifcr  d'u- 
ne mifîîon  divine  pour  débiter  des  abfurdités, 
le  Vicaire  met  aux  prifes  un  Infpiré,  qu'il  vous 
plait  d'appeller  chrétien,  &  un raifonneur,  qu'il 
vous  plait  d'appeller  incrédule,  &  il  les  fait  dif- 
puter  chacun  dans  leur  langage ,  qu'il  défaprou- 
ye,  &  qui  très  -  fùr^ment  n'eft  ni  le  iîen  ni  le 


lao  LETTRE 

mien.  (57)  Là-delTus  vous  me  taxez  d'une  înfi- 
gne  mauvaife  foi ,  (58)  &  vous  prouvez  cela  par 
l'ineptie  des  difcours  du  premier.  Mais  fi  ces 
difcours  font  ineptes ,  à  quoi  donc  lereconnoif- 
fez-vous  pour  Chrétien?  &  fi  le  raifonneur  ne 
réfute  que  des  inepties,  quel  droit  avez -vous 
de  le  taxer  d'incrédulité?  S'enfuit  il  des  inep- 
ties que  débite  un  Infpiré  que  ce  foit  un  catho- 
lique,  &  de  celles  que  réfute  un  raifonneur, 
que  ce  foit  un  mécréant  ?  Vous  auriez  bien  pu  , 
Mon feigneur,  vous  difpenfer  de  vous  reconnoî- 
tre  à  un  langage  fi  plein  de  bile  &  de  déraifon; 
car  vous  n'aviez  pas  encore  donné  votre  Man- 
dement. 

Si  la  raifon  ^  la  Révélation  étoîent  oppofées  Vu-  " 
ne  à  l'autre  ,  il  eji  confiant ,  dites-vous ,  que  Dieu 
feroît  en  contradiction  avec  lui-même,  (59).  Voila 
un  grand  aveu  que  vous  nous  faites  là:  car  il 
eft  fur  que  Dieu  ne  fe  contredit  point.  Vous  di' 
tes ,  i  Impies ,  que  les  dogmes  que  nous  regardons 
comme  révélés  combattent  les  vérités  éternelles  :  mais 
il  ne  Juffit  pas  de  le  dire.  J'en  conviens  ;  tâchons 
de  faire  plus. 

Je  suis  fur  que  vous  preffentez  d'avance  où 
j'en  vais  venir.  On  voit  que  vous  paQezfurcet 
articl-e  des  mifteres  comme  fur  des  charbons  ar- 
dens;  vous  ofez  à  peine  y  pofer  le  pied.  Vous 
me  forcez  pourtant  à  vous  arrêter  un  moment 

dans 

(î?)  Emile  Tom.  m.  p.  ijT. 

(sa)  M  indcr.'.ent  iw-^.  p.  15.  in-12.  p.  xxviii. 

Oi-i  MMdtmmhx'^  ?•  XJ I  ^û,  iu-ii.  p.  xxvixi*    ' 


A     M.    DE     BEAUMONT.      121 

dans  cette  fituation  douloureufe.  J'aurai  la  dif- 
crétion  de  rendre  ce  moment  le  plus  court 
qu'il   fe  pourra. 

Vous  conviendrez  bien,  je  penfe,  qu'une  de 
ces  vérités  éternelles  qui  fervent  d'élémens  à  la 
raifon  eftque  la  partie  ell moindre  que  le  tout, 
&  c'eft  pour  avoir  affirmé  le  contraire  que  l'Inf- 
piré  vous  paroît  tenir  un  difcours  plein  d'inep- 
tie. Or  félon  vôtre  do6lrine  de  la  tranfubdaii- 
tiation,  lorfque  Jéfus  fit  la  dernière  Cène  avec 
fes  difciplcs  6c  qu'ayant  rompu  le  pain  il  donni 
fon  corps  à  chacun  d'eux ,  il  eft  clair  qu'il  tint 
fon  corps  entier  dans  fa  m.ain ,  à: ,  s'il  mangea 
lui-même  du  pain  confacré ,  comme  il  put  le 
faire,   il  mit  fa  tête  dans  fa  bouche. 

Voila  donc  bien  clairement ,  bien  précifé- 
Hient  la  partie  plus  grande  que  le  tout ,  &  le 
contenant  moindre  que  le  contenu.  Que  dites- 
▼ous  à  cela,  Monfeigneur?  Pour  moi ,  je  ne 
vois  que  M.  le  Chevalier  de  Caufans  qui  puilTe 
vous  tirer  d'affaire. 

Je  Sais  bien  que  vous  avez  encore  lareflbur- 
ce  de  Saint  Auguftin ,  mais  c'eft  la  même.  Après 
avoir  entaffé  fur  la  Trinité  force  difcours  inin- 
telligibles il  convient  qu'ils  n'ont  aucun  fens;  i 
mais  y  dit  naïvement  ce  Pcre  de  l'Eglife,  on  \ 
s'exprime  ainfi ,  non  pour  dire  quelque  chofe ,  mais 
pour  ne  pas  rejîer  muet  {60), 

{60)  DiHum   efl   tarnen  trcs  ptr^onjt ,  non  ut   alîqutd   tii" 
tmfur ,  ftd  ne  îacemtfr,  Aug.  de  Triait.  L.  V.  c  p. 


n%  LETTRE 

Tout  bien  confîdéré  ,  je  crois,  MonTef- 
gneur,  que  le  parti  le  plus  fur  que  vous  ayez  i 
prendre  fur  cet  article  &  fur' beaucoup  d'au- 
tres ,  eft  celui  que  vous  avez  pris  avec  M.  de 
Montazet,   &  par  la  même  raifon. 

Z.a  mauvaife  foi  de  routeur  d'Emile  rCeft  pas 
moins  révoltante  dans  le  langage  qu'il  fait  tenir  à 
un  Catholique  prétendu.  (6i)  ,.  Nos  Catholiques  ,'* 
Sut  fait -il  dire,  „  font  grand  bruit  de  Tauto- 
3,,  lité  de  l'Eglife  :  mais  que  gagnent-ils  à  cela, 
„  s'il  leur  faut  un  auflî  grand  appareil  de  preu- 
,,  ves  pour  cette  autorité  qu'aux  autres  feifles 
j,  pour  établir  direélement  leur  doflrine?  L'E- 
^,  gUfe  décide  que  l'Eglife  a  droit  de  décider. 
,,  Ne  voila-t-il  pas  une  autorité  bien  prouvée?" 
Ovj  ne  croiroit,  M.  T.  C.  F.^à  entendre  cet  imtof- 
teitr,  que  y  autorité  de  l'Eglife  n'efi  prouvée  que 
farfes  propres  dècifions,  ^  quelle  procède  ainft  ; 
je  décide  oue  je  fuis  infaillible;  donc  je  le  fuis?  im- 
putation calomnieufe ,  M.  T.  C.  F,  Voila ,  Mon- 
fei^Dcur ,  ce  que  vous  affurez  :  il  nous  relie  à 
voij  vos  preuves.  En  attendant,  oferiez-vous 
biefi  affirmer  que  les  Théologiens  Catholiques 
n'ont  jamais  établi  l'autorité  de  l'Eglife  par 
l'autori-té  de  l'Eglife ,  ut  in  fe  virtualiter  rcfle- 
jfflw?  S'ils  l'ont  fait,  je  ne  les  charge  donc  pas 
d'une  imputation  calomnieufe. 

(62)  La  confiitution  du  Chrifîîanifme ,  Vefprit 

(«i)  Manitmtnt  in -4.  p.  I  5.  iû-ï2.  p.  xsvw 
^6t)  Mékndtmtnf  Ibid. 


A    M.    DE    BEAUMONT.       ï±% 

Ht  r Evangile ,  tes  eneurs  mêmes  ^  la  foiblejfe  de 
yefprit  humain  tendent  à  démontrer  que  VEgliJe  éta* 
blie  par  Jéjus-Cbrift  efi  une  Egîife  infaillible. 
Monfcîgneur,  vous  commencez,  par  nous  pa- 
ycr-là  de  mots  qui  ne  nous  donnent  pas  le  chan* 
ge  :  Les  difcours  vagues  ne  font  jamais  preuve  » 
&  toutes  ces  chofes  qui  tendent  à  démontrer^ 
ne  démontrent  rien.  Allons  donc  tout  d'un  cou]^ 
au  corps  de  la  démonflration  :  le  voici. 

Nous  ajjûrons  que  comme  ce  divin  Légijîaîeuf 
a  toujours  enfeigné  la  vérité ,  fon  Eglife  l'enfeîgn$ 
aiifft  touJQwrs  (63). 

Mais  qui  êtes -vous,  vous  qui  nous  affurer 
cela  pour  toute  preuve?  Ne  feriez-vous  point 
l'Eglife  ou  fes  chefs?  A  vos  manières  d'argU'- 
menter  vous  paroiffez  compter  beaucoup  fur 
l'alTiftance  du  Saint  Efprit.  Que  dites -vous 
donc,  &  qu'a  dit  l'Imp odeur  ?  De  grtce,  vo- 
yez cela  vous-mêmes  ;  car  je  n'ai  pas  le  coura* 
ge  d'aller  jufqu'au  bout. 

Je  dois  pourtant  remarquer  que  toute  la  for- 
ce de  l'objeftion  que  vous  attaquez  fi  bien ,  con- 
fîfte  dans  cette  phrafe  que  vous  avez  eu  foin  de 
fupprimet  à  la  fin  du  paflTage  dont  il  s'agit.  Sar* 
tez  de  lài  vous  rentrez  dans  toutes  nos  dîjcnjjions  (64), 

En  effet  ,.  quel  eft  ici  le  raifonnement  <\\t 
Vicaire?  Pour  choifir  entre  les  Religions  diver- 

(63)  Ibid  :  cet  endroit  mérite  d'eue  lu  daas  IcH^Acic* 
Klcnt  même. 
(h;  Emiie  ToHit  13J.  p.  i6f. 
f  % 


i?4  LETTRE 

fcs,  il  faut,  dit-il,  de  deux  chofes  l'une;  ou  en- 
tendre les   preuves   de  chaque  Çtcïc  &  les  com- 
parer ;  ou  s'en   rapporter   à  l'autorité  de  ceux 
qui  nous  inftruifent.  Or  le  premier  moyen  fup- 
pofe   des  connoiflances  que  peu  d'hommes  font 
CD   état  d'acquérir  ,   &  le  fécond  juflifie  la  cro- 
yance de   chacun  dans   quelque  Reh^gion  qu'il 
Fiaifle.   Il  cite  en  exemple  la  Religion  catholique 
où  l'on  donne  pour  loi  l'autorité  de  TEglife,  & 
il  établit  là-defTus  ce  fécond  dilemme.    Ou  c'eft 
l'Eglife  qui  s'attribue  à  elle-même  cette  autorité, 
&  qui  dit;  je  décide  que  je  fuis  i?ifaillible  ;   donc 
je  le  fuis:  &  alors  elle  tombe  dans  le  fophifme 
appelle   cercle  vicieux;   Ou  elle  prouve  qu'elle 
a   reçu  cette  autorité   de  Dieu  ;  &  alors  il  lui 
faut  un  auffi   grand   appareil   de  preuves  pour 
Biontrer  qu'en  effet  elle  a  reçu  cette  autorité , 
qu'aux  autres  feftes  pour  établir  direftement  leur 
^oftrine:  Il  n'y  a  donc  rien  à  gagner  pour  la 
facilité   de   l'inftruâion,  &   le  peuple  n'eft  pas 
.plus  en  état  d'examiner  les  preuves  de  l'auto- 
rité de  l'Eglife  chez  les  Catholiques,  que  la  vé- 
rité  de  la   do^rine  chez  les  Proteftans.    Com- 
•Hient  donc   fe  déterminera- 1- il   d'une  manière 
.laifonnable  autrement  que  par  l'autorité  de  ceux 
qui   l'inllruifent  ?  Mais  alors  le  Turc  fe  déter- 
-Diinera   de  même.    En   quoi  le  Turc  eft-il  plu« 
coupable  que   nous  ?  Voila ,   Monfeigneur ,   le 
't'aifonnement   auquel  vous  n'avez  pas  répondu 


A     M.    DE     BËAUMONT.      ilS 

&  auquel  je  doute  qu'on  puifTe  répondre  (55). 
Votre  franchife  Epifcopale  fe  tire  d'affaire  eit 
tronquant  lepafTagede  l'Auteur  de  mauvaife  foi. 
Grâce  au  Ciel  j'ai  fmi  cette  ennuyeuCe  tâche. 
J'ai  fuivi  pied-à-pied  vos  raifons,  vos  citations, 
vos  cenfures,  &  j'ai  fait  voir  qu'autant  de  foij 
que  vous  avez  attaqué  mon  livre,  autant  d« 
fois  vous  avez  eu  tort.  Il  refte  le  feul  articla 
du  Gouvernement,  dont  je  veux  bien  vous  faire 
grâce;  très  fur  que  quand  celui  qui  gémit  fur 
les  miferes  dxi  peuple,  &  qui  les  éprouve,  eft 
accufé  par  vous  d'empoifonner  les  fources  de 
la  félicité  publique,  il  n'y  a  point  de  Lecteur 
qui  ne  fente  ce  que  vaut  un  pareil  difcours.  Si' 
\e  Traité  du  Contrat  Social  n'exiftoit  pas ,  & 
qu'il  fallût  prouver  de  nouveau  les  grandes  vé- 
rités que  j'y  développe,  les  complimens  que 
yous  faites  à  mes  dépens  aux  PuiiTances,  fe- 
roient  un  des  faits  que  je  citerois  en  preuve, 

(6s)  C'eft  ici  une  de  ces  obje^îons  terribles  auxquel- 
les ceux  qni  m'attaquent  fe  gardent  bien  de  toucher.  li 
n*y  a  rien  de  fi  commode  que  de  repondre  avec  des  in- 
jures 6c  de  fiiintes  de'clamations  j  on  élude  aifémcnt  tout 
ce  qui  cmbarrade.  Aufli  faut-il  avouer  qu'en  fe  chamail- 
Jant  entre  eux  les  Tneologiens  ont  bien  des  rclTouroçs 
qui  leur  manquent  vis-à-vis  des  ignorans ,  ?c  auxquelles 
il^  faut  alors  fuppléer  comme  ils  peuvent.  Ils  fe  payent 
icciproqueraent  de  mille  fuppofirions  gratuites  qu'on 
n'ofe  récufer  quand  on  n'a  rien  de  mieux  à  donner  foi- 
même.  Telle  eft  ici  l'invention  de  je  ne  fais  quelle  foi- 
infufe  qu'ils  obligent  Dieu,  pour  les  tirer  d'affaire,  de 
tranfmettre  du  père  à  l'enfant.  Mais  ils  réfcrvent  ce  jar- 
gon pour  difputer  avec  les  Dofteursj  s'ils  s'en  fcrvoicnt 
avec  nous  autres  profanes ,  ils  auroient  peur  qu'on  ne  le 
ïuoqrwt  d'eux. 

F  3 


7te  LETTRE 

&  le  fort  de  l'Auteur  en  feroit  un  autre  encore 
plus  frappant.  Il  ne  me  refte  plus  rien  à  dire 
i  cet  égard  ;  mon  feul  exemple  a  tout  dit ,  ôc 
3a  palfion  de  l'intërét  particulier  ne  doit  point 
fouiller  les  vérités  utiles.  C'ell:  le  Décret  contre 
ma  perfonne  ,  c'ell  mon  Livre  brûlé  par  le 
bourreau,  que  je  tranCuiets  à  la  poftérité  pour 
fiieces  juflificativcs  r  Mes  fentimens  font  moins 
bien  établis  par  mes  Ecrits  que  par  mes  malheurs^ 
Je  VLEKs,  Monfeigneur,  de  difcuter  tout  ce 
que  vous  alléguez  contre  mon  Li\Te.  Je  n'ai 
pas  laifTé  paffer  une  de  vos  propofitions  fans 
examen  ;  j'ai  fait  voir  que  vous  n'avez  raiioii- 
dans  aucun  point,  &  je  n'ai  pas  peur  qu'on  rd- 
fute  mes  preuves;  elles  font  au-deflus  de  toute 
réplique  où  règne  le  fcns  commun. 

Cependant  quand  j'aurois  eu  tort  en  quel- 
ques endroits,  quand  j'aurois  eu  toujours  toit, 
quelle  indulgence  ne  méritoit  point  un  Livre 
où  l'on  fent  par-tout,  même  dans  les  erreurs. 
Blême  dans  le  mal  qui  peut  y  être,  le  fmcere 
amoui  du  bien  &  le  zèle  de  la  vérité  ?  Un  Li- 
vre où  l'Auteur  ,  fi  peu  af&rmatif ,  fi  peu  d«^- 
cifif,  avertit  fi  Couvent  fes  ledeurs  de  fe  déûer 
^e  fes  idées ,  de  pefer  fes  preuves ,  de  ne  leur 
donner  que  l'autorité  de  la  raifon  ?  Un  Livre 
qui  ne  refpirc  que  paix  ,,  douceur  ,.  patien- 
ce ,  amour  de  l'ordre  ,.  obéiilànce  aux  Loix- 
cn  toute  chofe,,  &  môme  en  matière  de  Re- 
ligion ?     Un    Livre  enfin   où  la    caufe  de  la. 


A    M.    DE    BEAU  M  ont:      127 

éivinité  eft  fi  bien  défendue,  l'utilité  de  là  Re^ 
ligion  fi  bien  établie,  où 'les  mœurs  font  fi  res- 
peflées,  oii  l'arme  du  ridicule  eH  fi  bien  ôtée-^ 
au  vice,  où  la  méchanceté  cil  peinte  fi  peu' 
fenfée,  &  la  vertu  fi  aimable?  Kh  !  qUiind  it 
n'y  auroit  pas  un  mot  de  vérité  dans  cet  ouvra- 
ge ,  on  en  devroit  honorer  &  chérir  les  rêve- 
ries ,  comme  les  chimères  les  plus^  douces-  qui 
pulffent  flatter  &  nourrir  le  cœur  d'un  homme- 
de  bieHc  Oui,  je  ne  crains  point  de  k  dire;" 
î'il  exifioit  en  Europe  un  feul  gouvernemenf 
vraiment  éclairé  ,  un  gouvernement  dont  les 
Vues  fudent  vraiment  utiles  d  faines,  il  eût 
rendu  des  honneurs  publics  à  l'Auteur  d'Emile  5. 
il  lui  eût  élevé  des  fi:atues.  Je  connoifTois  trop' 
les  hommes  pour  attendre  d'eux  de  la  rêcôn- 
noiffance;  je  ne  les  connoifibis  pas  afTez ,  je 
l'avoue,  pour  en  attendre  ce  qu'ils  ont  fait» 

Apre's  avoir  prouvé  que  vous  avez  mal  rai-- 
fonné  dans  vos  cenfures ,  il  me  reiîe  à  prouver 
que  vous  m'avez  calomnié  dans  vos  injures  r 
Mais  puifque  vous  ne  m'injuriez  qu'en  verta 
des  torts  que  vous  m'imputez  dans  mon  Livre, 
montrer  que  mes  prétendus  torts  ne  font  que 
les  vôtres ,  n'eft-ce  pas  dire  alTez  que  les  inju^ 
res  qui  les  fuivent  ne  doivent  pas-  être  pour' 
moi.  Vous  chargez  mon  ouvrage  des^  épithètes 
les  plus  odieufcs ,  &  mol  je  fuis  un  homme 
abominable,  un  téméraire,  un  impie,  un  im- 
î^oftcur.  Charité  Chrétienne ,  que  vous  avt;2 
F  4 


128  LETTRE 

un   étrange  langage  dans  la  bouche  des  Minfs- 
tres  de  jéfus-Chrifl!  ' 

Mais  vous  qui  m'ofèz  reprocher  des  biafphc-- 
mes,  que  faites-vous  quand  vous  prenez  les 
Apôtres  pour  complices  des  propos  ofFcnfans 
qu'il  vous  plaît  de  tenir  fr.r  mon  compte?  A 
vous  entendre,  on  croiroit  que  Saint  Paul  m'a 
fait  l'honneur  de  fonger  à  moi,  &  de  prédire 
ma  venue  comme  celle  de  TAntechrilL.  Et  conr- 
ment  l'a-t-il  prédite,  je  vous  prie?  Le  voici. 
Qei^  le  début  de  votre  Mandement. 

Saint  Paul  a  prédit  ,  7nss  très  chers  Frères, 
qu'il  viendroit  des  jours  périlleux  où  il  y  auroit 
des  ge?is  amateurs  d'eux-mêmes ,  fiers,  fuperbes, 
hlafpbémateurs  ,  impies ,  calomniateurs,  enflés  d'or- 
gueil ,  amateurs  des  'voluptés  plutôt  que  de  Dieu  ; 
des  hommes  d'un  efprîî  corrompu  ^  perz-ertis  dans 
la  foi  ((56). 

Je  N£  contefîe  alTurément  pas  que  cette  pré- 
diction de  Saint  Paul  ne  foit  très-bien  accom- 
plie; mais  s'il  eût  prédit,  au  contraire,  qull 
vicndroit  un  tems  où  l'on  ne  verroit  point  de 
ces  gens-là  »  j'auroîs  été,  je  l'avoue,  beaucoup, 
plus  frappé  de  la  prédiélion,  &  fur- tout  de 
raccomplilTement. 

D'apre's  une  prophétie  fi  bien  appliquée, 
vous  avez  la  bonté  de  faire  de  moi  un  portrait 
dans  lequel  la  gravité  Epifcopale  s'égaye  à  des 
antithèfes,   &   où  je  me  trouve  un  perfonnage 

(€6)  Mandimr.î  in-4.  pag.  4-  in- 12.  p.  xviu 


A     M.  DE    BEAUMONT.      I2Q 

fort  plaifant.  Cet  endroit,  Monfeigneiir,  m'a 
paru  le  plus  joli  morceau  de  votre  Mandement. 
On  ne  fauroit  faire  une  fatire  plus  agréable, 
m  diffamer  un  homme  avec  plus  d'efprit. 

Dufe'ji  de  Verrsur ,  (Il  eft  vrai  que  j'ai  pas- 
fé  ma  jeunefTe  dans  vôtre  Eglife.)  il  s'eft  élevé 
(pas  fort  haut,)  un  homme  plein  du  langage  de  la 
phîlofophie  y  (comment  prendrois-je  un  langage 
que  je  n'entends  point?)  fans  être  véritablement 
philofopbe  :  (Oh  !  d'accord  :  je  n^afpirai  jamais  à  ce 
titre,  auquel  je  reconnois  n'avoir  aucun  droit;- 
&  je  n'y  renonce  affurément  pas  par  modeftie.) 
ejprît  doué  d'ime  multitude  de  connoijjances  (J'ai 
appris  à  ignorer  des  multitudes  de  chofes  que 
je  croyois  favoir.)  qui  ne  Vont  pas  éclairé  y  (elles 
m'ont  appris  à  ne  pas  penfer  l'être.)  ^  qui  onù 
répandu  les  ténèbres  dans  les  autres  efprits  :  (Les 
ténèbres  de  l'ignorance  valent  mieux  que  îâ 
fàulTe  lumière  de  l'erreur.)  caractère  livré  aux 
paradoxes  d'opinions  £f  de  conduite  ;  (Y  a-t-il  beau^ 
coup  à  perdre  à  ne  pas  agir  &  penfer  comme 
tout  le  monde?)  alliant  h  /implicite  des  mœurs 
avec  lefafiedespenfées;ÇLd.ûmp\iclté  des  mœurs 
élève  l'ame;  quant  au  faffe  de  mes  penfées ,  je 
ne  fais  ce  que  c''cfî.)  le  zèle  des  maximes  antiques 
avec  la  fureur  d'établir  des  iiouveautés  ;  (Rien  de' 
plus  nouveau  pour  nous  que  des  maximes  anti- 
ques :  il  n'y  a  poiîit  à  cela-  d'alliage,  &  je  n'y 
ai  point  mis  de  fureur.)  robfcurité  de  la  retraite 
(naec  le  défir  d'être  co7inu  de  tout  le  inonde  :  (Mon- 
F  5 


rso  LETTRE 

fcigneur,  tous  voila  comme  les  faifcurs  de  R<3- 
liians,  qui  devinent  tout  ce  que  leur  Héros  s 
dit  &  penfé  dans  fa  chambre.  Si  c'eft  ce  défir 
qui  m'a  mis  la  plume  à  la  main  ,  expliquez 
comment-il  m'eft  venu  û  tard ,  ou  pourquoi  j'ai- 
tardé  fi  longtems  à  le  fatisfaire?)  On  l'a  au  tV 
'oeStiver  contre  les  fcknces  qu'H  culti'VQif;  (CcU 
prouve  que  je  n'imite  pas  vos  gens  de  Lettres , 
&  que  dans  mes  écrits  l'intérôc  de  h  vérité 
inarche  avant-  le  mien.)  préconijer  l'excellence  de 
VEvangile ,  (toujours  &  avec  le  plus  vrai  zèle.) 
dont  il  diltruifoit  les  dogmes  ;  (Non ,  niais  j'en 
prêchois  la  charité,  bien  détruite  par  les  Prê- 
tres.) peindre  la  beauté  des  vertus  qu'il  tteignuit 
dans  Vame  de  fes  Le^eurs.  (Ames  honnêtes,  eft- 
il  vrai  que  j'éteins  en  vous  l'amour  des  vertus!) 
Il  s'eji  fait  le  Précepteur  du  genre  humain 
pour  le  tromper,  le  Moniteur  public  pour  égarer  tout 
le  monde ,  V oracle  du  Jîécle  peur  achever  de  le  per* 
are,  (Je  viens  d'examiner  comment  vous  avez 
prouvé  tout  cela.)  Dans  un  ouvrage  fur  Vinégi- 
iité  des  cênditîons,  (Pourquoi  des  conditions?  ce 
n'eft  là  ni  mon  fujet  ni  mon  titre.)  il  avoit  rab» 
laiffé  l'homme  juf qu'au  rang  des  bêtes;  (Lequel 
de  nous  deux  l'élève  ou  l'abbaifTc ,  dans  l'alter- 
native d'être  bête  ou  méchant?)  dans  une  autrs 
prodiiSfion  plus  ncente  il  avoit  infinué  le  poijon  de 
la  volupté  ;  (Eh  !  que  ne  puis-je  aux  horreurs 
de  la  débauche  fubUituer  le  charme  de  la  vo* 
Upté  l  Maii  ralTuxez-vous,  Monfeigneur;  voi 


A    M.     DE    BEAUMONT.      j$î 

riètres  font  à  l'épreuve  de  l'Héloifci  ils  ont 
pour  préfervatif  rAloïfia.  )  Dans  celui-ci^  il 
s'empare  des  premiers  momens  de  l'homme  afin  d'é' 
îablir  Ç empire  de  Virréli^wh  (Cette  imputation 
a  déjà  été  examinée.) 

Voila,  Monfeigneur,  comment  vous  me  trai- 
tez, &  bien  plus  cruellement  encore;  moi  que 
TOUS  ne  connoiffez  point,  &  que  vous  ne  jugez 
que  fur  des  ouï  dire.  Eft-ce  donc  U  la  morale 
de  cet  Evangile  dont  vous  vous  portez  pour  le 
défenfeur  ?  Accordons  que  vous  voulez  pré- 
ferver  votre  troupeau  du  poifon  de  mon  Li- 
vre; pourquoi  des  perfonnalités  contre  l'Au- 
teur? J'ignore  quel  effet  vous  attendez  d'une 
conduite  fi  peu  chrétienne,  mais  je  fais  que 
défendre  fa  Religion  par  de  telles  armes ,  c'eil 
la  rendre  fort  fufpefte  aux  gens  de  biea. 

Cependant  c'eft  moi  que  vous  appeliez  té* 
méraire.  Eh!  commenr  ai-jc  mérité  ce  nom,- 
en  ne  propofant  que  des  doutes ,  &  même  avec" 
tant  de  réferve;en  n'avançant  que  des  raifons,. 
&  môme  avec  tant  de  refpeft,  en  n'attaquant 
perfonne,  en  ne  nommant  perfonne?  Et  vous , 
Monfeigneur,  comment  ofez-vous  traiter  ainfî 
celui  dont  vous  parlez  avec  fî  peu  de  juflice 
&  de  bienféance ,  avec  li  peu  d'égard,  avec- 
tjant  de  légèreté  ? 

Vous  me  traitez  d'impie  ;  &  de  quelle  impié- 
té pouvcz-vous  m'accufer,  moi  qui  jamais  n'ai 
parlé  de  l'Etre  fupr^me  que  pour  lui  rendre  U 


132  LETTRE 

gloire  qni  lui  efl  due,  ni  du  prochain  que  pour 
porter  tout  le  inonda  à  Taiiner?  Les  impies 
font  ceux  qui  profanent  indignement  la  caufe 
de  Dieu  en  la  faifant  fervîr  aux  pafîîons  des 
homme?.  Les  impies  font  ceux  qui  ,  s'ofant 
porter  pour  interprètes  de  la  divinité,  pour  ar- 
bitres entre  elle  &  les  hommes,  exigent  pour 
eux-mêmes  les  honneurs  qui  lui  fonr  dus.  Les 
impies  font  ceux  qui  s'arrogent  le  droit  d'exer- 
cer le  pouvoir  de  Dieu  fur  la  terre.  &  veulent 
"ouvrir  &  fermer  le  Ciel  à  leur  gré.  Les  im.pics 
■font  ceux  qui  font   lire  des  Libelles   dans   les 

Eglifes A   cette  idée  horrible  tout  mon 

fang  s'allume,  ce  des  ISrmes  d'indignation  cou- 
lent de  mes  yeux.  Prêtres  du  Dieu  de  paix, 
vous  lui  rendrez  compte  un  jour,  n'en  doutez 
pas  ,  de  l'ufage  que  vous  dfez  faire  de  fa  maifon. 
Vous  mp  traitez  dTmpofteur  I  &  pourquoi  ? 
Dans  votre  manière  de  penfer,  j'erre;  mais  où 
eft  mon  impoflure?  Raifonner  &  fe  tromper  ; 
clî-ce  en  impofer  ?  Un  fophifte  même  qui 
trompe  fans  fc  tromper  n'eft  pas  un  impofteur 
encore,  tnnt  qu'il  fe  borne  à  l'autorité  de  la 
raifon,  quoiqu'il  en  abufe.  Un  impofteur  veut 
tue  cru  fur  fa  parole,  il  veut  lui-même  faire 
autorité.  Un  impofl'eur  eft  un  fourbe  qui  veut 
en  impofer  aux  autres  pour  fon  profit,  &  où 
efl: ,  je  vous  prie,  mon  profit  dans  cette  af- 
faire? Les  impoltcurs  font,  félon  Ulpien,  ceux 
q^ui   font  des  prciligcs,   des  imprécations,   des 


A    M.    DE    BEAUMGNT.     133 

cxorcifmes  :  or   afflirément  je  n'ai  jamais  rien 
fait  de  tout   cela. 

Que  vous  difcourez  à  votre  aife,  vous  au- 
tres hommes  conflitués  en  dignité  !  Ne  re- 
connoiffant  de  droits  que  les  vôtres  ,  ni  de 
Loix  que  celles  que  vous  impofez  ,  loin  de 
vous  faire  un  devoir  d'être  juftes  ,  vous  ne 
vous  croyez  pas  môme  obligés' d'être  humains. 
Vous  accablez  fièrement  le  foible  fans  répon- 
dre de  vos  iniquités  à  perfonne:  les  outrages 
ne  vous  coûtent  pas  plus  que  les  violences  ; 
fur  les  moindres  convenances  d'intérêt  ou  d'é- 
tat, vous  nous  balayez  devant  vous  comme  la 
pouflîere.  Les  uns  décrètent  &  brûlent,  les  au- 
tres diffament  &  deshonorent  fans  droit  ,  fans 
raifon,  fans  mépris,  même  fans  colère ,  uni- 
quement parce  que  cela  les  arrange,  &  que 
l'infortuné  fe  trouve  fur  leur  chemin.  Quand 
vous  nous  infultez  impunément,  il  ne  nous  eft 
pas  même  permis  de  nous  plaindre,  &;  fi  nous 
montrons  notre  innocence  &  vos  torts ,  on  nous 
accufe  encore  de  vous  manquer  de  reipeifl:. 

Monseigneur  ,  vous  m'avez  in  fuite  publi- 
quement :  Je  viens  de  prouver  que  vous  m'avez 
calomnié.  Si  vous  étiez  un  particulier  comme 
moi,  que  je  pulTe  vous  citer  devant  un  Tribu- 
nal équitable ,  &  que  nous  y  comparuilîons  tous 
deux ,  moi  avec  mon  Livre ,  &  vous  avec  votre 
Mandement;  vous  y  feriez  certainement  décla- 
ré coupable,  &  condamné  à  me  faire  une  ré- 


134  LETTRE  A  M.  DE  BEAUMONT. 
paration  auflTi  publique  que  l'ofFcnfe  l'a  etc. 
Mais  vous  tenez  un  rang  où  l'on  efl:  difpenfé 
d'être  ]ufte;&  je  ne  fuis  rien.  Cependant, vous 
qui  profeflfez  l'Evangile;  vous  Prélat  fait  pour 
apprendre  aux  autres  leur  devoir,  vous  favez 
le  vôtre  en  pareil  cas.  Pour  moi ,  j'ai  fait  le 
mien,  je  n'ai  plus  rien  à  vous  dire,  &  je  me 
tais. 

Daignez,  Monfeigneur,  agréer    mon    pro- 
fond refped. 


A    M6tiers    le    i8. 
Novembre  1762. 


J.  J.  ROUSSEAU, 


^^o^^:)^'-^^:!^:^^ 

^^> 


L 


AVIS  de  r Imprimeur^ 

L'Auteur  de  cet  Ouvrage  ne  s'étant  pas  trou- 
vé à  portée  de  revoir  les  épreuves ,  on 
ne  doit  point  lui  attribuer  les  fautes  qui 
peuvent  s'y  être  gliffées  malgré  tous  iness 
ioins  pour  U  çorreélion. 


7  e-- 

7  r 

■H  K 


n 


Il    if