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Full text of "Harsa Vardhana, empereur et poète de l'Inde septentrionale (606-648 A.D.) étude sur sa vie et son temps"

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HARSA    VARDHANA 

EMPEREUR  ET  POÈTE 

DE      l'iNDE     septentrionale 

(606-648  A.  D.) 


HARSA  VARDHANA 

EMPEREUR  ET  POÈTE 

DE     L*INDE     SEPTENTRIONALE 

(606-648  A.  D.) 
ÉTUDE  SUR  SA  VIE  ET  SON  TEMPS 

THÈSE 

POUR  LE  DOCTORAT  D'UNIVERSITÉ  DE  PARIS 

présentée  à  la  Faculté  des  Lettres  à  la  Sorbonne 

PAR 

Maurice  L.  ETTINGHAUSEN,  M.  R.  A.  S. 

Ancien  Élève  de  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Paris  ; 
Senior  Scholar  and  Modem  History  Exhibitioner  of  St.  Paul's  School,  London  ; 
Élève  titulaire  de  l'Ecole  Pratique  des  Hautes  Études,  Paris  ; 
Boden  University  (Sanskrit)  Sciiolar,  Oxford. 


LONDRES 
LUZAC  &  G» 

46,  Great  Russell  St. 


PARIS 
Ernest  LEROUX 

Rue  Bonaparte,  28. 


LOUVAIN 

J.-B.    ISTAS 

1906 


DS 

H  3  ^ 


9. 


MES  GHERS  PARENTS. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Titre     

Table  des  Matières 
Liste  des  abréviations  employées 
Préface  .... 

Sources         .... 
Chronologie  du  règne     . 
Chap.  I.         Histoire  politique  du  règne  de  Harsa 
Chap.  II.        La  religion  sous  Harsa    . 

Le  monde  littéraire  à  la  cour  du  roi  Harsa 
La  condition  sociale  de  l'Inde  d'après  les  don 
nées  d'un  contemporain,  Hiouen  Tsang 


Chap. 
Chap. 


III. 
IV. 


Appendices. 

I. 
II. 


m. 


IV. 


Les  inscriptions  de  Harsa       .        .        .        . 

Relation  de  Hiouen  Tsang  de  son  séjour  chez 
risiroci.         •••••• 

Les  vers  de  Harsa  ..... 

1.  Le  Suprabhâtastotra 

2.  L'Astamahâçrîcaityasamskrtastotra 

3.  Fragments 

4.  La  Jâtakamâlâ       .... 
L'Ère  de  Harsa 


Index 


I-IV 

vn 
ix-x 

1 
3 

8 
17 
72 
97 

135 


143 

152 
168 
168 
176 
179 
180 
182 
185 


LISTE  DES  ABRÉVIATIONS  EMPLOYÉES. 


A.  S.  Reps.     Archaeological  Survey  Reports. 

A.  S.  S.  I.     Archaeological  Survey  of  Southern  India. 

A.  S.  W.  I.     Archaeological  Survey  of  Western  India. 

B.  D.     Bhandarkar,  Early  History  of  the  Dekkan.  2°^*  édition. 
B.  E.  E.  0.     Bulletin  de  l'École  Française  d'Extrême-Orient. 

B.  N.  Bunyiu  Nanjio.  Catalogue  of  the  Chinese  Translation  of  the 

Buddhist  Tripitaka.  Oxford,  1883. 
Buddhist  Sects.     Bunyiu  Nanjio.  A  History  of  the  twelve  Japanese 

Buddhist  Sects.  Tokyo,  1886. 
Buehler,     Die   Indischen  Inschriften.    Voyez    Sitzuugsberichte   der 

Kaiserlichen  Akademie  der  Wissenschaften,  Wien,  phil-hist. 

Cl.  Band,  CXXII,  181)0. 

C.  A.  S.  R.     Cunningham,  Asiatic  Survey  Reports. 

Chavannes,  Mémoire.  Mémoire  composé  à  l'époque  de  la  grande 
dynastie  T'ang  sur  les  Religieux  Éminents,  par  I-tsing, 
traduit  par  E.  Chavannes. 

C.  I.  I.  Corpus  Inscriptionum  Indicarum.  Vol.  III.  The  Gupta 
Inscriptions,  par  J.  F.  Fleet. 

Dabry  de  Thiersant.     Le  Mahométisme  en  Chine. 

Duff.  Chron.  India.     The  Chronology  of  India,  par  C.  M.  Duff. 

E.  I.     Epigraphia  Indica. 

E.  H.  I.     The  History  of  India  as  told  by  its  own  historians,  par  Sir 

Henry  EUiot. 

F.  K.  D.  Bomb.  Gaz.     Tho  Dynasties  of  the  Kanarese  Districts  of  the 

Bombay  Presidency  etc.  per  J.  F.  Fleet.  (Bombay  Gazetteer, 

Vol.  I.  2™°  partie,  nouvelle  édition). 
H.  C.     Bâna,  Harsacarita.  Édition  de  Bombay. 
H.  T.     Vie  et  Mémoires  de  Hiouen  Tsang  traduits  par  St.  Julien. 

Vol.  1.  Histoire  de  la  Vie  de  Hiouen  Tsang  et  de  ses  voyages 

dans  l'Inde. 

Vols.  II.  et  ni.  Mémoires  sur  les  Contrées  Occidentales. 


—   X   — 

I.  A.     Indian  Antiquary. 

I-tsiùg.     A  record  of  the  Buddhist  Religion  ia  India  and  the  Malay 

Archipelago,  A.  D.  671-695.  by  I-tsing,  trauslated  by  Taku- 

kusu.  Oxford,  1896. 
J.  A.     Journal  Asiatique. 

J.  A.  0.  S.     Journal  of  the  American  Oriental  Society. 
J.  B.  A.     Journal  of  the  Bengal  Asiatic  Society. 
J.  B.  R.  A.  S.     Journal  of  the  Bombay  Branch  of  the  Royal  Asiatic 

Society. 
J.  R.  A.  S.    Journal  of  the  Royal  Asiatic  Society  of  Great  Britain 

and  Ireland. 
Kuroda.     Outlines  of  the  Mahayana  par  S.  Kuroda.  Tokyo,  1893. 
N.  S.    Nouvelle  Série. 

P.  S.  0.  C.  I.     Fleet,  Pâli,  Sanscrit,  and  old  Canarese  Inscriptions. 
S.  B.  E.     Sacred  Books  of  the  East. 
V.  0.  J.     Vienna  Oriental  Journal. 
Z.  D.  M.  G.     Zeitschrift  der  Deutschen  Morgenlaendischen  Gesell- 

schaft. 


PEÉFACE 

Le  sujet  de  cette  étude  m'a  été  signalé  par  M.  Sylvain 
Lévi,  Professeur  au  Collège  de  France,  pendant  un  séjour 
que  je  faisais  à  Paris,  alors  que  j'étais  encore  étudiant  à 
Oxford.  Les  documents  qui  nous  permettent  de  reconstituer 
riiistoire  de  Harsa  et  avec  elle  l'histoire  de  l'Inde  au  début 
du  \if  siècle  étaient  jusqu'alors  éparpillés  dans  les  livres 
européens  et  orientaux.  11  pouvait  n'être  pas  inutile  de  les 
réunir.  C'est  ce  travail  que  je  me  suis  proposé  de  faire. 
Maintes  fois  déjà  les  différentes  questions  qu'il  comporte 
avaient  été  l'objet  d'études  spéciales  ;  je  n'ai  voulu  qu'en 
repi'endre  les  conclusions,  les  totaliser,  et  c'est  la  première 
fois  qu'on  ait  essayé  de  grouper  autour  de  Harsa  les  événe- 
ments politiques,  littéraires  et  religieux  de  son  temps  et  de 
tracer  un  tableau  complet  de  cette  époque. 

Si  ce  modeste  essai  présente  quelque  valeur,  je  le  devrai 
au  bienveillant  accueil  que  j'ai  reçu  des  nombreux  indianis- 
tes qui  se  sont  intéressés  à  mes  études.  En  premier  lieu  je 
dois  rappeler  M.  Sylvain  Lévi,  qui  s'est  fait  un  nom  auprès 
des  jeunes  travailleurs  par  la  sollicitude  affectueuse  et  vigi- 
lante dont  il  entoure  leurs  efforts.  Je  voudrais  que  la  présente 
étude  fît  honneur  à  sa  direction  comme  à  son  enseignement, 
persuadé  que  ce  serait  là  le  meilleur  témoignage  de  recon- 
naissance à  lui  offrir. 

Je  n'ai  pas  rencontré  plus  d'intérêt  dans  mon  pays  même, 


—  ^  — 

où  pourtant  je  dois  nommer  M.  Macdonell,  Boden  Profossor, 
qui  à  Oxford  a  été  mon  premier  maître  de  sanscrit  et  mon 
premier  guide  dans  la  philologie  hindoue  ;  M.  le  Docteur 
L.  D.  Barnett,  du  département  des  livres  Orientaux  au 
British  Muséum,  qui  presque  journellement  m'a  aidé  à 
triompher  des  difficultés  qui  arrêtent  les  débutants  et  m'a 
suggéré  mainte  idée  nouvelle  ;  M.  F.  W.  Thomas,  bibliothé- 
caire à  rindia  OÛice  Library,  de  qui  je  tiens  une  foule 
d'informations  sur  les  traductions  tibétaines  des  œuvres  de 
Harsa  ;  et  enfin  M.  Rapson,  du  département  des  Monnaies 
au  British  Muséum,  dont  j'ai  été  trop  honoré  d'avoir 
l'opinion  compétente  sur  les  monnaies  attribuées  à  Harsa. 
Puissent  ces  maîtres  illustres  reconnaître  dans  ces  lignes 
un  de  leurs  élèves  qui  gardera  toujours  la  mémoire  de  leurs 
savantes  leçons  (i)  ! 


(1)  Je  me  fais  aussi  un  plaisir  de  remercier  M.  Courtillier,  licencié  es  lettres, 
d'avoir  relu  les  épreuves  d'imprimerie. 


SOURCES 

A  quelles  sources  puisons-nous  pour  écrire  l'histoire  du  roi  Harsa, 
quelle  est  leur  importance  respective,  quel  degré  de  confiance  con- 
vient-il de  leur  attribuer,  dans  quelle  mesure  devons-nous  les  utiliser 
et  jusqu'à  quel  point  méritent-elles  de  l'être,  ces  questions  se  posent 
d'autant  plus  vivement  au  début  de  notre  sujet  qu'il  n'y  a  pas  d'écri- 
vain indigène  pour  y  répondre  directement  :  l'Inde  n'a  pas  écrit  son 
histoire.  Nous  avons  affaire  ici  à  diverses  sources  qui  souvent  ne 
peuvent  se  contrôler  les  unes  par  les  autres  ;  ce  sont  des  témoignages 
indirects,  souvent  isolés  entre  eux,  parfois  uniques,  sur  chacun  des- 
quels la  critique  s'exerce  difficilement  et  chez  lesquels  elle  ne  sait 
où  commencer  ni  où  finir.  De  tous  ceux-là  le  moins  remarquable  et 
le  moins  délicat  à  analyser  n'est  pas  cette  monographie  brillante  du 
roi  Harsa  et  qui  est  due  à  un  de  ses  courtisans,  le  poète  Bâiia.  Des 
inscriptions  à  la  gloire  du  roi,  des  notes  du  pèlerin  chinois  Hiouen 
Tsang,  et  enfin  cet  étrange  Harsacarita,  voilà  en  somme  ce  qu'il 
nous  faudra  mettre  en  œuvre. 

Aces  rares  documents  on  avait  cru  pourtant  pouvoir  ajouter  autre- 
fois des  monnaies.  Cunuingham  avait  attribué  au  roi  Harsa  certaines 
médailles  qui  portaient  comme  signe  distinctif  un  «  Ha  n  :  téméraire 
identification  dont  on  a  fait  depuis  justice.  D'après  les  indications  qui 
m'ont  été  données  avec  tant  d'amabilité  par  M.  Rapson,  il  semble 
qu'à  l'heure  actuelle  nous  ne  possédions  aucune  monnaie  de  cette 
époque,  ni  de  Harsa,  ni  des  rois  ses  contemporains,  à  l'exception 
pourtant  des  monnaies  d'or  de  Çaçânka  de  Gau(]a. 

En  posséderions-nous  que  nous  serions  dans  l'incapacité  de  les 
reconnaître.  On  peut  inférer  toutefois  qu'elles  seraient  d'un  type 
assez  voisin  de  celles  du  roi  Bhojadeva  de  Kânyakubja  (8G0-900)  ou 
de  celles  que  les  Hûaas  introduisirent  dans  l'Iode,  c'est-à-dire 
modelées  sur  les  monnaies  des  Sassanides  perses. 

Parmi  les  très  nombreuses  inscriptions  que  depuis  vingt  ans  VIndian 


Antiquarp,  VEpigraphia  Indica,  périodiques  subventionnés  par  le 
gauvernement  anglais  des  Indes  ou  d'autres  revues  indianistes  ont 
publiées,  traduites  et  commentées,  il  en  est  trois  qui  sont  de  Harsa 
(Appendice  I).  Deux  d'entre  elles  sont  gravées  sur  des  plaques  de 
cuivre  :  elles  enregistrent  une  pieuse  donation  de  terres  que  Harsa 
fit  à  des  brahmanes,  A  peu  de  chose  près  leur  contenu  est  identique  ; 
les  formules  qui  garantissent  la  donation  sont  stéréotypées.  Elles 
commencent  d'abord  par  donner  la  généalogie  du  roi,  et  nous  verrons 
plus  tard  ce  que  vaut  ce  renseignement,  puis  définissent  les  terres 
aliénées,  font  le  compte  des  taxes  qui  en  dépendent  et  terminent  par 
quelques  vers  et  adages  moraux  du  roi.  Ces  deux  inscriptions  sont 
datées  de  la  vingt-deuxième  et  de  la  vingt-cinquième  année  du  règne, 
soit  628  et  631  A.  D. 

C'est  sur  un  sceau  trouvé  à  Sonpat  que  se  trouve  la  troisième  ins- 
cription. Le  sceau,  autant  que  des  traces  de  soudure  encore  visibles 
permettent  de  le  supposer,  devait  être  collé  à  une  plaque  de  cuivre, 
aujourd'hui  disparue.  En  haut  de  cette  pièce  est  un  bœuf  regardant 
vers  la  droite,  au-dessous  une  courte  et  incomplète  généalogie  du  roi. 

Outre  ces  inscriptions  de  Harsa,  nous  en  possédons  d'autres  qui  le 
nomment  et  qui  jettent  quelque  lumière  sur  certains  événements  de 
son  règne.  Parmi  celles-ci  sont  les  inscriptions  des  Guptas  du 
Magadha,  ses  parents,  des  Gurjaras,  ses  vassaux,  des  Câlukyas,  ses 
ennemis. 

Quelle  que  soit  l'authenticité  de  ces  inscriptions  locales,  leur  utili- 
sation ne  saurait  être  bien  grande  et,  disséminées  sur  le  long  règne 
de  Harsa,  elles  ne  permettraient  guère  à  l'historien,  comme  les 
pierres  du  petit  Poucet,  d'y  retrouver  son  chemin.  C'est  pourquoi 
nous  devons  être  plus  sensibles  aux  renseignements,  si  sujets  à  caution 
parfois,  que  nous  a  laissés  Bâua.  Le  Harsacarita  rappelle  d'abord 
l'ancêtre  plus  ou  moins  mythologique  des  Vardhanas  de  Thanesar, 
puis  montre  comment  les  prédécesseurs  immédiats  de  Harsa  travaillent 
déjà  à  la  fortune  de  leur  maison.  Enfin  Bâna  aborde  le  règne  même 
de  Harsa,  en  raconte  les  premiers  événements,  puis  au  huitième 
chapitre  du  livre  le  récit  s'arrête  brusquement,  sans  que  nous  puis- 
sions savoir  pourquoi.  Nulle  possibilité  d'en  reconstituer  la  suite  ; 
nul  résumé  d'ailleurs  ne  nous  en  a  été  conservé  et  rien  ne  prouve 
même  que  JBâna  ait  poussé  plus  loin  son  travail. 

Cette  lacune  est  fort  regrettable,  bien  que  l'ouvrage  ne  soit  pas  à 


~  5  — 

proprement  parler  un  traité  historique.  C'est  un  panégyrique  que 
Bâna  a  prétendu  écrire  :  il  avait  un  protecteur  bienveillant  qui  avait 
acquis  quelque  renommée  à  la  guerre,  la  louange  n'en  était  que  plus 
facile  et  devait  laisser  transpirer  les  exploits  belliqueux  du  prince. 

Mais  cette  prose  poétique  ne  devient,  pour  ainsi  dire,  historique 
que  malgré  elle,  et  seulement  parce  que  le  héros  a  été  mêlé  à  de 
grands  événements  politiques.  Bâna  ne  se  contente  pas,  en  effet,  de 
tracer  un  panégyrique  facile,  mais  encore  il  donne  des  faits  et  gestes 
de  son  royal  patron  une  transcription  poétique  qui  n'approfondit  rien, 
mais  qui  enguirlande  tout.  Fidèle  aux  préceptes  littéraires  de  l'Inde, 
il  ne  cherche  pas  à  s'enquérir  seulement  des  faits,  à  notre  point  de 
vue,  intéressants  et  instructifs,  ni  à  en  démêler  la  suite  et  l'enchaî- 
nement d'une  manière  philosophique.  Il  fait  une  histoire  romanesque 
qu'on  a  été  parfois  tenté  de  comparer  aux  romans  de  Walter  Scott  ou 
d'Alexandre  Dumas,  parce  qu'elle  dénature  la  vérité  au  gré  de 
l'imagination  de  l'écrivain,  mais  qui  en  diffère  pourtant,  car  Bâna  ne 
s'exerce  pas  comme  eux  sur  une  matière  historiquement  dégagée  des 
fictions  poétiques,  ne  reconstitue  pas  comme  ils  l'ont  fait,  au  moyen 
de  documents,  une  époque  disparue,  un  milieu  effacé  dans  la  brume 
du  passé,  mais  il  adapte  des  événements  vrais  et  contemporains  aux 
lois  de  genres  tout  voisins,  la  comédie  héroïque  et  galante  et  le  roman 
merveilleux.  Il  parle  du  roi,  de  ses  proches,  de  ses  ennemis,  non 
comme  s'il  les  eut  vus  dans  le  monde  réel,  mais  comme  s'il  avait  à 
faire  le  compte  rendu  d'une  ndillià  oii  Harsa  aurait  tenu  le  premier 
rôle.  Il  n'a  nul  souci  d'écrire  l'histoire  de  Harsa,  mais  il  en  établit 
avec  complaisance  la  légende. 

C'est  là  précisément  la  valeur  du  Harsacarita  ;  Bâna  nous  repré- 
sente son  protecteur  sous  les  traits  mêmes  que  ses  courtisans  et  son 
peuple  aimaient  à  lui  donner.  Si  fausse  que  semble  être  cette  histoire 
qui  se  fait  une  joie  de  transporter  le  lecteur  dans  un  monde  de  féerie, 
elle  est  précieuse  parce  qu'elle  est,  pour  ainsi  dire,  spontanée  et 
sincère.  D'ailleurs  Bâiia,  en  écrivant  pour  des  contemporains  sur  des 
faits  connus  de  tous,  ne  pouvait  altérer  la  vérité  que  dans  une  certaine 
mesure  et  selon  certains  procédés:  l'invention  systématique  d'épisodes 
qui  eussent  été  faux  lui  est  interdite  ;  s'il  ne  peut  dire  la  vérité  nue 
et  sans  apprêts,  comme  nous  l'aimons,  du  moins  il  ne  peut  mentir. 
11  y  a  un  fonds  de  vrai  chez  lui  qu'il  nous  faudra  dégager,  un  substrat 
historique  qu'il  faudra  analyser.  Il  faudra  déshabiller  son  texte  de  ce 


—  6  - 

qu'il  a  d'ornements  convenus.  Il  suffira,  en  d'autres  termes,  de  le 
savoir  lire,  et  moyennant  ces  précautions  et  ces  réserves,  nous 
pourrons  reconstituer  la  réalité  qu'il  a  embellie,  déguisée  et  trahie 
continuellement. 

Le  pèlerin  chinois  Hiouen  Tsang  est  un  guide  moins  contesté  et 
infiniment  plus  sûr.  11  appartient  à  cette  époque  où  le  bouddhisme 
s'était  propagé  jusqu'en  Chine  et  «  se  déroulait  comme  une  chaîne 
immense  qui  réunissait  les  bords  du  Gange  à  l'extrémité  orientale  de 
l'Asie  n.  Un  grand  mouvement  de  pèlerinage  s'était  établi  entre 
l'Inde  et  les  pays  où  la  nouvelle  foi  avait  pénétré.  Des  voyageurs 
chinois,  mus  par  l'enthousiasme  religieux,  s'en  allaient  dans  la  patrie 
du  Buddha  chercher  une  plus  claire  perception  de  leur  foi.  Non  con- 
tents de  recueillir  des  textes  et  d'en  faire  des  traductions,  certains 
d'entre  eux  avaient  aussi  une  mission  diplomatique.  De  tous  les 
ouvrages  qui  nous  sont  ainsi  parvenus  le  plus  important  est  le 
Si-yu-M  {Mémoires  sur  les  contrées  occidentales),  publié  en  648  sous 
l'inspiration  de  Hiouen  Tsang,  auquel  il  faut  ajouter  la  biographie 
du  célèbre  pèlerin. 

«  Hiouen  Tsang  »,  disait  Max  Mueller  (I-tsing  p.  ix),  «  a  pu  être 
appelé  le  Pausanias  de  l'Inde  ;  il  est  le  cicérone  érudit  de  tous  les 
indianistes  et  c'est  grâce  à  lui  qu'on  a  pu  mettre  quelque  ordre  et 
quelque  clarté  dans  le  chaos  de  l'histoire  et  de  la  géographie  de  l'Inde 
au  VII*  siècle.  »  Hiouen  Tsang  partit  seul  de  Chine  en  629  et  ne  revint 
qu'en  645.  Il  a  donc  eu  assez  de  temps  pour  s'instruire  sur  les  choses 
de  l'Inde.  Comme  tous  les  pèlerins  chinois  il  prend  pour  objectif 
l'université  de  Nâlandâ.  C'est  de  là  qu'il  fut  mandé  tour  à  tour  par 
Kumâra,  roi  d'Assam,  et  par  Harsa  lui-même  qui  lui  fit  un  excellent 
accueil.  En  641  il  repartait  pour  la  Chine  et  arrivait  à  Si-ngan-fou 
au  commencement  de  645.  Ses  disciples  publièrent  ses  mémoires  et 
sa  vie,  qui  ont  été  traduits  en  français  par  Stanislas  Julien. 

L'authenticité  des  récits  de  Hiouen  Tsang  est  incontestable.  Si  on 
laisse  de  côté  les  discours  qu'il  prête  à  ses  personnages  et  dont  on  ne 
peut  que  garantir  la  vraisemblance,  il  faut  reconnaître  sa  parfaite 
probité.  Sa  véracité  est  continuellement  confirmée  par  l'archéologie 
et  la  géographie  (1).  Son  point  de  vue  n'est  pas  celui  d'un  voyageur 


(1)  On  lit  dans  l'extrait  du  grand  catalogue  de  la  bibliothèque  de  l'empe- 
reur Khien-long  (H. T.  vol.  ii,  p.  xxiii  )  :  «  heSi-i/u-ki  cite  surabondamment 
des  faits  surnaturels  et  des  prodiges  qui  ne  méritent  pas  un  examen  sérieux, 


—  7  — 

ou  d'un  historieu  moderne.  En  qualité  de  pèlerin  son  attention  se 
porte  surtout  sur  les  relations  des  bouddhistes  et  des  brahmanes  et 
sur  les  affaires  religieuses.  La  politique  ne  l'intéresse  qu'en  tant 
qu'elle  se  mêle  à  la  religion,  et  on  comprend  par  là  quelle  part  il 
sera  amené  à  faire  au  prince  qui  fut  si  favorable  à  la  culture  boud- 
dhique. Comme  il  a  passé  dix -sept  ans  dans  l'Inde,  dont  une  grande 
partie  à  Nâlandâ,  il  nous  laisse  un  répertoire  de  faits  dont  la  masse 
n'est  pas  moins  respectable  que  l'exactitude  (1). 

Pour  la  fin  du  règne  de  Harsa,  temps  par  excellence  des  missions 
diplomatiques,  nous  aurions  dû  avoir  les  mémoires  écrits  par  les 
ambassades  mêmes.  Malheureusement  ces  mémoires  sont  perdus,  quel- 
ques fragments  exceptés  qui  ont  été  traduits  par  M.  Sylvain  Lévi  (2). 

En  dehors  des  sources  chinoises,  nous  avons  encore  des  historiens 
mongols  et  tibétains  tels  que  Ssanang  Ssetsen  et  Târanâtha,  dont  il  y 
aura  lieu  de  faire  mention.  Pour  l'histoire  des  musulmans  dans  l'Inde 
à  cette  époque  nous  possédons  : 

1°  Futuhu-l  Buldan  d'Ahmad  ibn  Yahya  ibn  Jâbir  al  Bilâduri,  dont 
il  existe  un  manuscrit  à  Leyde  (l'auteur  mourut  en  892/3)  ;  l'ouvrage 
contient  un  récit  des  premières  conquêtes  des  Arabes  en  Syrie, 
Egypte,  Perse,  Afrique,  Sind,  etc.  C'est  une  des  premières  et  des  plus 
importantes  chroniques  arabes.  Elle  ne  nous  intéressera  pourtant 
qu'accessoirement  (3). 

2'»  Le  Chach-nama  en  persan,  traduit  de  l'arabe  par  Muhammad 
'Ali  bin  Hamid  bin  Abu  Bakr  Kufi  vers  Tan  1216  (4). 


mais  tout  ce  qui  se  rapporte  aux  montagnes,  aux  rivières  et  aux  distances 
est  susceptible  d'être  clairement  vérifié,  n 

(1)  On  lit  aussi  clans  l'extrait  précédemment  cité  que  le  Si-yu-ki  a  été 
traduit  du  sanscrit.  Quel  était  cet  original  sanscrit  ?  Il  est  permis  de  douter 
de  son  existence,  mais  on  peut  conjecturei'  sans  invraisemblance  que  le 
Si-yu-ki  a  été  composé  sur  des  notes  de  Hiouen  Tsang  rédigées  en  sanscrit. 

(2)  J.A.N.S.  1900.  pp.  297-341  ;  401-4(33. 

(3)  On  en  tiouvera  des  extraits  traduits  :  E.H.  I.,  p.  115. 

(4)  On  en  trouvera  des  extraits  traduits  :  E.H.  I.,  p.  138,  et  une  traduction 
anglaise  par  Mirza  Kaliclibeg  Fredunbeg,  Karachi  1900-2. 


—  8 


CHRONOLOGIE  DU  RÈGNE. 

A.  D. 

583  (?)     Prabhâkaravardhana   de    Thanesar,    fils    d'Âdityavarman, 

marié  avec  Yaçomatï,  monte  sur  le  trône. 

(cf.  H.T.  vol.  ii,  p.  247  :  «  on  compte  trois  rois  en  deux 

générations  «). 

584  (?)     Naissance  de  Râjyavardhana. 

585-592  Jiiânagupta,  çramana  de  Gandhâra  de  l'Inde  septentrionale, 
traduit  39  œuvres  bouddhiques  en  chinois.  (B.N.  p.  434). 

585-604  Prabhâkaravardhana  fait  la  guerre  contre  le  roi  de  Gan- 
dhâra, contre  les  Hûnas,  le  roi  de  Sindhu,  les  Gurjaras, 
et  le  roi  du  Mâlava. 

587  Mort  de  l'astronome  Varâhamihira,  selon  le  commentaire 

d'Araarâja  sur  le  Kliandahhadya  de  Brahmagupta.  Auteur 
du  Pancasiddhàntil'â  etc.  (J.R.A.S.  N.S.  vol.  i,  p.  407. 
Ganakatarahgini  éd.  Sudhâkara,  The  Pandit,  N.  S.  Vol. 
xiv,  p.  13). 

587  (?)    Naissance  de  Harsa. 

588  Inscription  de  Mahânâmau  à  Bodh-Gayâ.  (LA.  vol.  xv, 
p.  356,  vol.  XX,  p.  190.  (Un  Mahânâman  fut  auteur  du  Mahâ- 
vamça)). 

590  (?)  Pûrnavarman  règne  dans  le  Magadha  occidental.  Hiouen 
Tsang  le  nomme  comme  le  dernier  des  descendants 
d'Açoka,  et  comme  le  restaurateur  de  l'arbre  de  la  Bodhi 
que  Çaçânka  avait  voulu  détruire.  (LA.  vol.  xiii,  pp.  95  ss. 
H.T.  vol.  iii,  p.  50.) 

590-616  Dharmagupta,  çramana  de  l'Inde  méridionale,  traduit  des 
œuvres  bouddhiques  en  chinois.  (B.N.  p.  434). 

592  (?)     Naissance  de  Râjyaçrï. 

597  Mangalïça,  Mangalarâja,  Ranavikrânta,  le  Câlukya,  fils  de 

Pulikeçin  Y\  succède  à  son  frère  Kîrtivarman. 

597-608  Mangalïça  détruit  les  Mâtaiigas  ;  soumet  les  Kataccburis 
(Kalachuris)  sous  Buddharâja,  fils  de  Çankaragana  de  Cedi  ; 


—  9  - 

conquiert  Revatïdvîpa,  et,  ce  semble,  perd  1^  vie  en  essayant 
d'obtenir  le  royaume  Câlukya  pour  son  propre  fils  et  d'ex- 
clure son  neveu  Pulikeçin.  (Inscriptions  d'Aiho?e,  Nerûr, 
et  Mahâkûta).  Selon  Bhandarkar,  et  aussi  selon  la  donation 
d'Indravarman,  Maiigalïça  commence  à  régner  en  591  ; 
selon  Fleet  et  l'inscription  de  Mahâkûta  (qu'il  dit  datée  de 
la  cinquième  année  de  Maiigalïça),  il  commencerait  en  597. 
(Inscriptions  — LA.  vol.  vii,  pp.  161  ss.  (plaques  de  Nerûr)  ; 
ib.  vol.  X,  p.  59  (inscription  non  datée  de  Bâdâmi).  LA.  vol. 
xix,  pp.  7  ss.  (inscriptions  de  Mahâkûta),  Fleet,  P.S.O.C.I. 
N°M1  et  40.  (Inscriptions  de  Maûgaliça).  B.D.  p.  50.  F.K.D. 
Bomb.  Gaz.  pp.  346  ss.) 

598  Naissance  de  l'astronome  Brahmagupta,  auteur  du  Brah- 

masplmtasiddluinta  etc.  (J.R.A.S.  N.S.  vol,  i,  p.  410  ; 
Ganakatarahginl ,  The  Paudit,  N.S.  vol.  xiv,  p.  18). 

600  Mort  de  Jùânagupta. 

600  (?)  Devagupta  règne  dans  le  Mâlava  oriental.  (J.B.A.  vol.  58, 
plan,  p.  100). 

600  (?)  C'est  le  moment  où  florissent  les  poètes  Bâna,  Mayûra  et 
Mânatuùga.  (Buehler,  Die  Indisclien  Inschriften  ;  Peterson, 
Suhhàsitdvaïi,  Int.  p.  88.  V.O.J.  vol.  iv,  p.  67). 

600  (?)  C'est  le  moment  où  vit  le  dévot  çivaïte,  Tirunâvukkaraiyar, 
sous  Mahendravarman  I".  On  attribue  la  paternité  du 
Devâram,  une  collection  d'hymnes  çivaïtes,  à  lui,  ainsi 
qu'aux  dévots  Tir uùânasambandar  et  Sundaramûrti  Nâyanâr 
(E.I.  vol.  iii,  pp.  277  ss.) 

600  (?)     Mahendravarman  P'',  Pallava,  fils  et  successeur  de  Simha- 

visnu,  règne  dans  le  même  temps  que  Pulikeçin  II  (A.S.S.I. 
vol.  iii,  p.  11.  F.K.D.,  Bomb.  Gaz.  p.  324). 

601  (?)     Mariage  de  Harsa.  (H.C.  p.  206). 

602  (?)     Mariage  de  Râjyaçrï  avec  Grahavarman  le  Maukhari.  (H.C. 

p.  156). 
604-5       Râjyavardhana  est  envoyé  par  Prabhâkaravardhana  contre 

les  Hûnas. 
605  Mort  de  Prabhâkaravardhana. 

605  Grahavarman  est  tué  par  le  roi  du  Mâlava. 

605  Avènement  de  Râjyavardhana. 

605  Çïlâditya  P'",  Dharmâditya  du  Valabhï,  fils  et  successeur  de 


—  10  -. 

Dharasena  II  règne.  (I.A.  vol.  i,  pp.  45.  ss.,  et  J.B.R.A.S. 

vol.  X,  p.  75.  LA.  vol.  ix,  p.  237  (plaque  de  cuivre  de  609)  ; 

ib.  vol.  xiv,  p.  327  (plaque  de  cuivre  de  605  de  Walâ). 
605  Râjyavardhana  défait  le  roi  du  Mâlava. 

605  Râjyavardhana  est  tué  par  Çaçaûka,  roi  de  Gauda. 

605  (?)     Naissance  de  Kumâra,  fils  de  Harsa. 

605-6       Avènement  de  Harsa.  («  Encore  jeune  »  H.C.  p.  206). 
605-615  Le  Çatrunjaya  Maliàtmyam,  ouvrage  jaina,  est  écrit  sous  le 

règne  de  Çïlâditya  du  Valabhï  (Weber,  Abbandl.  z.  Kunde 

d.  Morgenlandes.  vol.  i,  p.  16). 

606  Alliance  entre  Harsa  et  le  roi  Bbâskaravarman  de  Kâmarûpa. 
606  Campagnes  de  Harsa  contre  la  ville  de  Kânyakubja  et  le  roi 

Çaçâùka. 

609  Pulikeçin  II,  Satyâçraya,  Çrï  Prtbvîvallabha,  Câlukya,  suc- 

cède à  son  oncle  Mangalîça. 

609-10  (?)  Expédition  de  Pulikeçin  II  contre  les  Pallavas.  (F.K.D. 
Bomb.  Gaz.  p.  324). 

609-642  Pulikeçin,  ayant  repoussé  Appâyika  et  Govinda  (des  Râs- 
trakûtas  ?)  selon  l'inscription  d'AihoZe,  soumet  les  Kadam- 
bas,  prend  Banavâsi,  leur  capitale,  s'allie  avec  les  Gangas 
de  Maisûr  et  les  Âlupas,  envoyé  alors  Candadanda  contre 
les  Mauryas  Kanarais,  réduit  lui-même  la  ville  de  Purï,  vainc 
les  rois  de  Lâta,  Mâlava,  et  Gurjara. Après  avoir  soumis 
Kosala  et  Kaliriga,  il  assiège  Mahendravarman  I"",  le  roi 
Pallava,  dans  sa  capitale  Kâùcîpuram,  et  traversant  la 
Kâverï,  envahit  le  territoire  des  CoZas,  Pândyas,  et  Kera^as. 
(Selon  la  donation  de  Haidarabad,  ces  victoires  furent 
gagnées  avant  612).  Âdityavarman,  fils  de  Pulikeçin,  régna 
sur  la  région  qui  s'étend  près  du  confluent  de  la  Krsnâ  et 
de  la  Tungabhadrâ.  Candrâditya,  un  autre  fils  de  Pulikeçin, 
(dont  la  femme  Vijayabhaltârikâ,  ou  Vijamahâdevï,  fit 
paraître  les  donations  non  datées  de  Nerûr  et  Kochre),  régna 
sur  le  district  Sâvantvâdî,  tandis  que  Jayasimha,  frère  cadet 
de  Pulikeçin,  (connu  par  la  donation  non  datée  de  Nirpan 
de  son  fils  Nâgavardhana),  gouverna  le  district  de  Nâsik. 
Vers  la  fin  de  son  règne,  Pulikeçin  fut  défait  par  les  Pallavas 
sous  Narasimhavarman  P',  (LA.  vol.  vi,  p.  72  ;  ib.  vol.  vii, 
p.  163)  (donation  non  datée  de  Nerûr)  ib.  p.  290.  vol.  viii, 


—  11  — 

p.  44.  (donation  de  Kochre)  ;  ib.  pp.  237  ss.,  ou  A.S.W.I. 

vol.  iii,  pp.   135  ss.  (inscription  d'Aiho^e  Meguti  de  634)  ; 

I.A.  vol.  ix,  p.  123  ;  vol.  xiv,  p.  330  ;  vol.  xvi,  p.  109  ;  vol. 

xvii,  p.  141  ;  vol.  xix,  p.  303.  (plaque  de  cuivre  de  Sâtârâ)  ; 

vol.  XX,  pp.  5  et  95  ;  E.I.  vol.  iii,  p.  50  (donation  non  datée 

de  Cip?ûu).  A.S.  Reports,  N°.  9,  pp.  90.  ss.  ;  Beal,  ^i-yu-ki^ 

vol.  ii,  pp.  255  ss.  J.B.R.A.S.  vol.  xvi,  p.  223  ;  B.D.  pp.  50, 

ss  ;  F.K.D.  Bomb.  Gaz.  pp.  349  ss.). 
610  Satyâçraya  Dhruvarâja  Indravarman  gouvernait  Revatïdvïpa. 

Parent   peut-être   avec   les  Câlukyas,    étant  allié   avec  la 

famille    Bappûra,   à    laquelle    appartenait    Durlabhadevî, 

femme  de  Pulikeçin  P^  (J.B.R.A.S.  vol.  x,  p.  365  ;  vol.  xiv, 

pp.  24  ss.  ;  B.D.  p.  49  ;  E.I.  vol.  iii,  p.  2  ;  F.K.D. ,  Bomb. 

Gaz.  p.  355). 
610  C'est  le  moment  où  vit  le  poète  Jaina  Ravikïrti  ;  auteur  de 

l'inscription   d'Aiho/e   Meguti   de   Pulikeçin  (B.D.   p.   59. 

Buehler,  Die  indischen  Inschriften,  p.  71). 
610-G34  Harsa  est  vaincu  par  Pulikeçin  II,  le  Câlukya,  qui  prend  le 

titre  de  Parameçvara. 
615  Visnuvardhaua  P-",  Kubja-Visimvardbana,  ou  Visamasiddhi, 

est  nommé  Yuvarâja  par  son  frère  Pulikeçin  II.  (LA.  vol. 

xix,  p.  303.  (donation  de  Sâlârâ  datée  de  la  huitième  année 

de  Pulikeçin).  LA.  vol.  xx,  p.  15  (donation  de  Chïpuru- 

palle  de  la  dix-huitième  année  de  Visuuvardhana).  ib.  p.  1, 

et  93  ss.). 
615  (?)     Dûsen  fonde  la  secte  Vinaya  qui  s'appuie  sur  le  Dharma- 

gupta  Vinaya.  (Kuroda  p.  23). 
615  (?)     Kharagraha  P^  de  Valabhi,  succède  à  son  frère  Çïlâditya  P'. 

618  (?)     Mariage  de  Kumûra,  fils  de  Baissa. 

618-627   Combats  de  Harsa  dans  l'Inde,  (cf.  Ma-touan-lin). 

619  Mort  de  Dbarmagupta.  (B.N.  p.  434). 

620  (?)     DharasenalII,  du  Valabhî,  succède  à  son  père  KbaragrahaP^ 

(C.I.I.  vol.  iii,  Int.  p.  41). 
622  (?)     Naissance  d'une  fille  à  Kumâra,  fils  de  Harsa. 
625  Pulikeçin  II  envoie  une  ambassade  vers  Khusni  II  de  Perse. 

(Tabar'i,  p.  371.  J.R.A.S.,  N.S.  vol.  xi,  pp.  155  ss.). 
625  Yekwau  iutrodiiit  la  secte  des  «  Trois  Castras  «  au  Japon. 

(Kuroda  p.  23.  Buddhist  Sects  p.  46). 


—  12  — 

627-633  Prabhâkararaitra,  çramana  de  l'Inde  centrale,  ksatriya 
de  caste,  traduit  trois  ouvrages  bouddhiques  en  chinois. 
(B.N.  p.  435). 

628  L'astronome  Brahmagupta  écrit  le  Brahnasphuiasid- 
dMwto.  (J.R.A.S.,  N.S.  vol.  i.  p.  410.  Ganakatarahginï, 
The  Pandit,  N.  S.  vol.  xiv.  p.  18.). 

628-9  Wahb-abi-kabcha,  ambassadeur  de  Mahomet,  arrive  en 
Chine  pour  recevoir  l'autorisation  de  construire  une  mos- 
quée à  Canton.  (Dabry  de  Thiersant,  p.  35). 

628-9       Date  de  la  Plaque  de  Bhânskera.  (E.I.  vol.  iv,  p.  208). 

629  Dadda  IV,  Praçântarâga  II,  Gurjara  du  Bharoch,  fils  et  suc- 
cesseur de  Jayabhata  II,  règne. 

629  Dhruvasena  II,  Bâlâditya  du  Valabhï,  frère  et  successeur  de 

Dharasena  III,  règne. 

629  Hiouen  Tsang  part  pour  l'Inde. 

630  (?)     Visnuvardhana  devient  souverain  indépendant  de  Vengï,  y 

fonde  un  royaume  séparé  et  divise  ainsi  le  royaume  Câlukya. 
(LA.  vol.  XX,  pp.  12  et  94). 

630  (?)  Bhartrhari,  le  grammairien,  auteur  du  Vokijapadlya,  vécut 
vers  cette  époque.  (I-tsing,  Int.  Gen.  pp.  lv,  Lviii). 

630  (?)  Divâkaramitra  Maitrâyanïya,  moine  bouddhiste,  florissait 
fort  estimé  de  Harsa,  dont  la  sœur  devint  religieuse  boud- 
dhique sous  ce  maître.  (H.C.  p.  288). 

630  (?)  Parmi  les  moines  bouddhiques  de  Nâlandâ  pendant  le  séjour 
de  Hiouen  Tsang  se  trouvaient  :  Çïlabhadra,  disciple  et 
successeur  de  Dharmapâla,  chef  de  Tuniversité  de  Nrdandâ, 
qui  avec  son  contemporain  Bhavaviveka  a  dû  vivre  vers 
cette  époque  ;  Jayasena,  Candragomin,  l'adversaire  de  Can- 
drakïrti,  Gunamati,  auteur  d'un  commentaire  sur  VAhU- 
dliarmakoça  de  Vasubandhu,  Vasumitra,  disciple  du  précé- 
dent, auteur  d'un  commentaire  sur  V Ahhidharmalcoçavyâ' 
hhyà,  Jnânacaudra  et  Ratnasimha.  (H. T.  vol.  iii,  pp.  46-7. 
Chavannes,  Mémoire  p.  18.  B.E.E.O.  vol.  iii,  pp.  38  ss). 

630  (?)  Mitrasena,  disciple  de  Gunaprabha  (et  guru  de  Harsa  ?), 
âgé  de  quatre-vingt-dix  ans,  dirigeait  les  études  de  Hiouen 
Tsang  (H.T.  vol.  i,  p.  109). 

630-50  (?)   Vâmana    et    Jayâditya,    auteurs   de    la    Kaçila    Vrtti, 


—  13  — 

commentaire  sur  les  sûtras  de  Pânini,  vivaient  à  ce  moment. 
(Selon  I-tsing  (691)  Jayâditya  mourut  trente  ans  avant  son 
temps,  c'est-à-dire  vers  661-2). 

631  Le  brahmane  Chach  usurpe  le  trône  de  Sindhu  à  la  mort 
de  Râyâ  Sâhasï  II.  Quelque  temps  après,  il  tue  Mahrat- 
rânâ  de  Chitor  (ou  Jaipur)  (E.H.I.  vol.  i,  pp.  131  ss.  et  pp. 
406,414). 

631-2  Date  de  la  Plaque  de  Madhuban.  (E.I.  vol.  i,  pp.  67  ss. 
ib.  vol.  vii,  pp.  157  ss.). 

632  Srong-btsan-sgam-po,  roi  du  Tibet,  envoie  T'onmi  Samb'ota 
dans  l'Inde.  (J.R.A.S.  N.S.,  vol.  xvii,  pp.  474  ss.  J.B.A. 
vol.  Lvii,  p.  41.  I.A.  vol.  xxi,  p.  33). 

632  Commencement  de  l'ère  Perse  de  Yazdijard  avec  l'avènement 
de  Yazdijard  III,  fils  de  Sheriyar  et  petit-fils  de  Khusrn  II. 

633  Mort  de  Prabhâkaramitra.  (B.N.  p.  435). 

633  Jayasimha  P",  Sarvasiddhi,  succède  à  son  père   Visnuvar- 

dliana.  (LA.  vol.  xiii,  p.  137  ;  vol.  xx,  pp.  12,  97). 
633-40     Défaite  de  Dhruvasena  II  du  Valabhï  sous  les  coups  de  Harsa. 

633  (?)     Mariage  de  la  fille  de  Kumâra  au  roi  Dhruvasena  II  de 

ValabhL 

634  Le  brahmane  Chach  envahit  Kirmân  et  fixe  la  limite  entre 
Kirmân  et  l'Hindoustan.  (E.H.I.  vol.  i,  pp.  131  ss.  et  pp. 
406,414). 

634  Srong-btsan-sgam-po  envoie  une  ambassade  à  l'empereur 
de  Chine  T'aitsung.  (Histoire  ancienne  des  T'ang,  vol.  256). 

635  Çivadeva  1"%  Licchavi  de  la  dynastie  Sûryavaiiiçi  du  Népal 
oriental,  et  contemporain  d'Amçuvarman,  Thâkurï  ;  tous 
deux  gouvernaient  l'un  le  Népal  oriental,  l'autre  le  Népal 
occidental  à  la  même  époque.  (Bendall,  LA.  vol.  xiv,  p.  97  ; 
Journey  in  Népal,  p.  72.  pi.  viii  ;  LA.  vol.  ix,  p.  168  ; 
vol.  xiii,  pp.  411  ss.  ;  vol.  xiv,  p.  342  ss.  C.I.I.  vol.  iii,  app. 
iv,  pp.  178,189.  J.B.A.  vol.  Lviii,  plan.  p.  100). 

636  'Usmân  ibn  Âsî  Saquafï,  gouverneur  de  Bahrain  et  d"Umâa 
sous  le  Z/ialifah  'Umar  assigne  son  frère  Hakim  à  Bahrain, 
et  allant  lui-même  à  'Umâu,  envoie  une  expédition  pour 
piller  les  côtes  de  l'Inde.  Vers  le  même  temps  Hakïm  fait 
partir  des  troupes  contre  Bharoch,  et  envoie  son  frère 
Mu^r/iirah  Abû-l-Asî  à  Dïbal,  où  selon  les  uns  il  défait  l'en- 


> 

—  u  — 

nemi,  mais  où  selon  le  Ciiach-nâma  il  est  tué  (E.H.I.  vol.  i, 
pp.  415,  416). 

638  L'astronome  Lalla,  auteur  du  BM-vràdhida^  vivait  à  cette 
date.  (Sewell,  Indian  Calendar.  p.  8). 

639  Visite  de  Hiouen  Tsang  au  roi  Pulikeçin  du  Mahârâstra 
qui  lui  raconte  les  vains  efforts  faits  par  Harsa  pour  le 
vaincre.  (H.  T.  vol.  i,  p.  202-3  ;  vol.  iii,  p.  150). 

639  Le  roi  Krek  (?)  introduit  le  bouddhisme  au  Siam.  (Crawford, 

Journ.  of  an  Embassy  to  the  Courts  of  Siam  and  Cochin 
China,  p.  367). 

639  Commencement  de  l'ère  moderne  des  Birmans  ;  on  dit  que 
c'est  Thenga  Râdzâ  qui  l'établit  ;  (appelée  aussi  ère  d'Ara- 
kan). 

640  Amçuvarman,  Thâkurï  du  Népal  occidental  :  mentionné 
dans  la  Bauddha  PàrvaUyâ  VamçàvaU  du  Népal  comme  un 
prince  habile  et  puissant  ;  réputé  par  Hiouen  Tsang  comme 
un  savant,  et  auteur  d'un  Çabdavidyàçâstra.  (Bendall,  LA. 
vol.  xiv,  p.  97,  Journey  in  Népal,  p.  74.  pi.  ix,  LA. 
vol.  ix,  pp.  169-171.  H.T.  vol.  ii,  p.  408.  Wright,  Hist.  of 
Népal,  pp.  133  ss.). 

640  Une   traduction    du  SuMâvatlvyUha-Mahâyâna-sUtra  est 

lue  au  Japon.  (M.  Mueller,  J.R.A.S.  N.S.  vol.  xii,  p.  162). 

640  (?)  Hiouen  Tsang  visite  le  Valabhï  sous  le  règne  de  Dhru- 
vasena  IL 

640  (?)     Les  çramanas  Coréens  Al-i-yé-po-mouo  (Âryavarman)  et 

Ploei-ye  visitent  l'Inde.  Ils  meurent  à  Nâlandâ.  (Chavan- 
nes,  Mémoire,  pp.  32.  ss.). 

641  Départ  de  Hiouen  Tsang  pour  la  Chine. 

641  Harsa  envoie  une  ambassade  à  l'empereur  de  Chine. 

641  Dharasena  IV   du  Valabhï,  Mahârâjâdhirâja,   fils  et  suc- 

cesseur de  Dhruvasena  IL  (Plaques  de  cuivre  non  publiées 
de  641  et  647.  Plaques  de  cuivre  de  645.  LA.  vol.  i,  p.  14. 
ou  J.B.R.  A. S.  vol.  X,  pp.  66  ss.  et  LA.  vol.  i,  p.  45.  Plaques 
de  cuivre  de  649,  I.  A.  vol.  vii,  p.  73,  et  vol.  xv,  p.  335. 
I.  A.  vol.  xvii,  p.  196  ss.). 

641  (?)     Zendô  fonde  la  secte  Jôdo  qui  s^â^T^nie  sur  VAmitàyur-dhyâna 

et  d'autres  sûtras.  (Kuroda  p.  23). 

642  L'ère  populaire  siamoise  commence.  (Crawford,  Ouvr.  cité. 
p.  367). 


—  i5  - 

642  (?)  Narasimhavarman  I"  ou  Narasimhavisnu,  Pallava,  fils  et  suc- 
cesseur de  Mahendravarman  1"  règne.  Il  détruit  (?)  Vâtâpi 
(Bâdâmi)  et  défait  (?)  souvent  Vallabharâja  Pulikeçin  (II) 
dans  les  batailles  de  Pariya?a,  Manimangala,  Çûramâra,  etc. 
(donations  deNandivarraanPallavamalla  et  Parameçvaral"). 
Il  est  confirmé  qu'il  fit  la  conquête  du  Ceylan  par  le  Mahâ- 
vamça,  qui  le  représente  ainsi  que  le  prince  singhalais  Mâna- 
vamma  comme  s'aidant  l'un  Tautre  dans  leurs  guerres 
respectives.  (I.A.  vol.  viii,  p.  277  ;  vol.  ix,  p.  99.  A.S.S.I. 
vol.  iii,  pp.  11,  152  ;  vol.  iv,  p.  343.  F.K.D.  Bomb.  Gaz.  p. 
322.  Mahcivamça.  tr.  Wijesiniha.  pp.  41  ss.). 

642  (?)  Tirufiânasambandar,  le  dévot  çivaïte,  florissait  sous  Nara- 
simhavarman, Pallava.  (E.I.  vol.  iii,  pp.  277  ss.). 

642  (?)     Mort  de  Pulikeçin  II. 

643  Vijayavarmarâja,  Cfdukya,  fils  et  successeur  de  Buddhavar- 
man,  gouverne  le  Gujarât.  (LA.  vol.  vii,  pp.  241  ss.  LA. 
vol.  ix,  p.  123  ;  ib.  xvii,  p.  197.  E.I.  vol.  iii,  p.  2). 

643  Ambassade  de  Li-yi-piao  et  Wang  hiuan-ts'e  à  Harsa. 

643  'Abdu-llah  ibn  'Amir  ibn  Rabî  envahit  Kirmân  et  prend  la 

capitale,  soumet  Sïstân,  et  avançant  sur  Makrân,  défait  les 
armées  unies  de  Makrâa  et  Sindhu.  Le  A7ialifah  'Umar  lui 
refuse  la  permission  de  traverser  l'Indus.  L'historien  Muham- 
mad  al-SAirâzï  attribue  la  conquête  de  Sistâu  à  'Amru  ibn 
al-Tamîmï  et  à  'Abdu-llah  ibn  'Umar  ^/tattab,  et  celle  de 
Makrân  à  'Abdu-llah  ibn 'Abdu-llah  ibn  'Unân,  et  représente 
Zanbïl,  le  souverain  de  Makrâa  comme  gouvernant  aussi  le 
Sindhu.  Les  autres  historiens  diffèrent  entre  eux.  (E.H.I. 
vol.  i,  p.  417). 

645  (?)  Genjô  et  Jion  fondent  la  secte  Hossô  s'appuyant  sur  le 
Vldyâmâtra  Castra,  (Kuroda  p.  23). 

646-7  Wang  hiuan  ts'e  part  pour  l'Inde  comme  ambassadeur  vers 
Harsa. 

648  Mort  de  Harsa. 

648  (?)  Dharasena  IV  du  Valabhî  occupe  Bharoch.(I.  A.  vol.  xvii, 
p.  196). 

648  Un  usurpateur,  le  Senâpati  Arjuna  (Na-fo-ti-a-la-na-shun) 

monte  sur  le  trône  de  Harsa  (Sylvain  Lévi,  J.A.  8'"°  Série 
1892,  p.  337). 


—  16  — 

648  Wang  hiuan  ts'e  arrive  dans  l'Inde. 

648-9  Wang  hiuan  ts'e  chassé  par  Arjuna,  se  réfugie  au  Tibet, 
revient  avec  une  armée,  et  le  défait  complètement.  (Cha- 
vannes,  Mémoire,  p.  19  n.  2). 

648-651  Mort  de  Dharasena  IV  du  Valabhî.  (LA.  vol.  xvii,  p.  196  ; 
ib.  p.  197  n.  50). 

649  Le  çramana  chinois  Tao-sheng  (Candradeva)  visite  l'Inde. 
Chemin  faisant,  il  visite  le  Tibet.  (Chavannes,  Mémoire, 
p.  39). 

649-50     Troubles  dans  l'Inde. 

650  Mort  du  roi  Srong-btsan-sgam-po  (Chavannes,  Mémoire, 
p.  14). 

650  (?)     Le  çramana  chinois   Hiuan  chao  (Prakaçamati)  visite  le 

Tibet  :  en  allant  dans  ITnde,  il  est  reçu  par  la  princesse 
Wen  Chang,  veuve  du  roi  Srong-btsan-sgam-po.  (Chavannes, 
Mémoire,  pp.  10  ss.). 

651  Défaite  de  Yazdijard  III  de  Perse.  (E.H.I.  vol.  i,  p.  419). 
651-2       Mort  de  Bhartrhari,  contemporain  de  Dharmapâla.  (I-Tsing, 

p.  LV). 
651-654  Mort  d'Amçuvarman.  (LA.  vol.  ix,  pp.  171  ss.). 
661-2.      Mort  de  Jayâditya,  auteur  en  collaboration  avec  Vâmana 

du  Kâçikâvrtti.  (I-tsing,  p.  lv). 


CHAPITRE  1-. 

HISTOIRE    POLITIQUE    DU    RÈGNE    DE    HARSA. 


Parmi  les  raisons  qui  ont  contribué  à  faire  d'une  assez  modeste 
famille  princière  de  Thanesar  (1)  l'arbitre  à  un  certain  moment  des 
destinées  de  l'Inde,  il  faut  sans  doute  compter  l'avantage  de  la  situa- 
tion de  cette  ville  dans  l'ensemble  de  la  péninsule  :  cette  localité, 
maintenant  bien  déchue  de  sa  grandeur  de  jadis,  fait  encore  partie 
d'un  centre  stratégique  formidablement  organisé  par  les  Anglais. 

Située  au  cœur  de  cet  isthme  naturel  qui  sépare  le  désert  du  Thar 
de  l'Himalaya  et  fait  communiquer  entre  eux  les  bassins  du  Gange 
et  de  rindus,  bâtie  sur  la  Sarasvatî,  qui  ne  mêle  ses  eaux  aux 
affluents  d'aucun  de  ces  deux  fleuves,  mais  par  le  Satlej  va  se  perdre 
au  désert,  la  ville  de  Thanesar  ne  se  rattache  géographiquement  pas 
plus  aux  provinces  du  Gange  qu'à  celles  de  l'Indus  :  politiquement, 
elle  forme  état  tampon.  Ses  princes,  de  quelque  empire  qu'ils  soient 
tributaires,  ont  toujours  la  garde  de  la  frontière  :  ils  reçoivent  les 
premiers  le  choc  de  l'ennemi,  ils  sont  aussi  les  premiers  en  commu- 
nication avec  lui  ;  la  défection  ne  leur  en  est  que  plus  facile,  ils  peu- 
vent être  toujours  prêts  à  se  réclamer  d'une  antique  dépendance  à 
l'égard  de  l'un  pour  se  soustraire  au  joug  de  l'autre,  ils  seront  maîtres 
de  choisir  leurs  alliances. 

Qu'à  la  faveur  de  cette  équivoque,  ils  arrondissent  un  peu  leurs 
Etats,  et  l'on  va  voir  comme  il  leur  sera  aisé  de  les  défendre.  Adossés 


(1)  Thanesar  dans  le  district  Ambala  (Umballa)  du  Pendjab,  sur  la  Sarsuti 
(Sarasvatî)  par  29°  58'  30"  lat.  Nord  et  76"  52'  long.  Est  (Green\vich\  à  25  milles 
au  sud  d'Ambala.  Cunningham  dérive  le  nom  ancien  de  cette  ville  Sthânvlç- 
vara,  soit  de  sthàna  (la  demeure)  et  Içvara  (Çiva),  soit  de  Sthânu  et  Içvara 
(deux  appellations  de  Çiva).  Centre  de  pèlerinage  hindou  de  moins  en  moins 
fréquenté,  avec  un  lac  sacré  ;  ruines  de  deux  tuniuli  et  d'un  ancien  fort  ; 
6  000  habitants  dont  4  000  Hindous  au  recensement  de  1881. 


—  18  — 

aux  dernières  croupes  de  rHimâlaya,  ils  ne  craignent  de  ce  côté  de 
l'horizon,  tant  au  nord  qu'au  nord-est,  nulle  incursion  ennemie,  nul 
mouvement  tournant  ;  ils  peuvent  considérer  en  toute  certitude  les 
crêtes  encore  lointaines  de  l'Himalaya  comme  le  prolongement  naturel 
des  murs  de  leurs  cités.  Vis-à-vis  de  cette  barrière  infranchissable, 
au  sud-ouest,  le  soleil  brûle  et  désole  éternellement  à  quelques  jour- 
nées de  marche  le  vaste  désert  du  Thar,  nouvel  obstacle  que  la 
nature  étale  devant  l'ambition  de  leurs  ennemis.  Le  danger  ne  leur 
viendra  donc  que  du  couchant  ou  du  levant,  mais  peu  importe  :  s'ils 
résistent,  ils  sont  chefs  d'une  marcJie  avancée  avec  laquelle  doivent 
se  solidariser  ceux  qu'ils  ont  sur  leurs  derrières  :  s'ils  cèdent,  ils  sont 
à  la  tête  d'une  avant-garde  qu'enfonce  et  que  soutient  une  puissante 
invasion.  De  toute  façon  les  princes  de  Thanesar  doivent  à  leur  situa- 
tion géographique  déjouer  un  grand  rôle  dans  l'histoire  de  l'Inde. 

Dès  les  temps  mythologiques  du  Mahâbharata,  c'est  ce  pays  que  se 
disputent  les  Pândavas  et  les  Kauravas,  et  c'est  là  que  se  livre  cette 
terrible  bataille  du  Kuruksetra  qui  assure  la  suprématie  aux  Pân- 
davas. Plus  tard,  c'est  là  que  doit  s'arrêter  l'expédition  d'Alexandre. 
En  des  temps  plus  rapprochés  enfin,  après  que  se  fut  écroulé  l'empire 
qu'y  avait  fondé  Hai  sa,  c'est  encore  là  que  l'Islam  avec  Mahmoud  de 
Ghazni  livre  ses  plus  grandes  batailles. 

Si  cette  contrée  est  naturellement  privilégiée  et  semble  assurer  la 
domination  de  toute  l'Inde  à  qui  peut  seulement  s'en  emparer,  les 
temps  où  s'établit  la  dynastie  des  Vardhanas  de  Thanesar  n'étaient 
pas  moins  propices  aux  succès  de  l'un  d'entre  eux.  C'est  un  moment 
assez  rare  dans  l'histoire,  oii  l'Inde  est  livrée  à  elle-même  :  les  Huns, 
après  avoir  ébranlé  et  ruiné  l'empire  des  anciens  Guptas,  se  sont 
retirés,  laissant  le  champ  libre  à  de  nouvelles  ambitions. 

Ces  Huns  ne  sont  autres  que  les  Hûuas  des  textes  sanscrits,  qui 
venus  du  nord-ouest  ont  envahi  l'Inde  au  v''  siècle,  tribu  de  la  même 
famille  apparemment  que  les  Ye-ta  ou  Ephthalites  qui  pendant  plus 
d'un  siècle  (425-550)  occupèrent  le  Turkestan  et  luttèrent  avec  les 
SassaniJes.  Ces  Hûnas  vers  445  avaient  pénétré  dans  le  Pendjab  ;  de 
495  à  533  Toramâna,  leur  chef,  avait  abattu  l'empire  Gupta.  Son  fils, 
Mihirakula  (1),  en  515  avait  marché  contre  Bhatârka,  roi  de  Valabhî; 


(1)  Après  Mihirakula,  nous  n'avons  rien  de  certain  sur  les  HQnas  ;  nous 
savons  seulement  qu'ils  s'étaient  établis  sur  les  contins  de  l'Inde,  prêts  à 
s'y  jeter  au  premier  signe  de  faiblesse.  Ils  sont  restés  dans  l'Inde  bien  après 


—  19  - 

il  avait  eu  un  moment  la  suzeraineté  complète  de  Tlnde  vers  530,  puis 
avait  été  chassé  par  le  Mâlava,  Yaçodharman,  vers  533  (1),  et  les 
Hïïnas  avaient  été  définitivement  repoussés  de  l'Inde.  On  ne  sait 
pas  les  faits  immédiats  qui  suivent  :  Yaçodharman  se  vante  bien 
dans  son  inscription  de  Mandasor  (2)  d'avoir  fondé  un  empire  plus 
vaste  que  celui  des  Guptas,  mais  ce  n'est  peut-être  qu'une  exagération 
littéraire,  car  il  n'y  a  pas  de  traces  de  cet  empire  ;  aussitôt  les 
Hûnas  chassés  de  l'Inde  et  jusqu'à  l'avènement  de  Harsa,  un  fait 
historique  domine,  c'est  la  naissance  et  l'épanouissement  spontané 
d'une  foule  de  pouvoirs  locaux  qui  aux  dépens  les  uns  des  autres 
cherchent  à  obtenir  la  suprématie  générale.  C'est  à  la  chute  des 
Hûnas  que  les  Pallavas,  les  Valabhis,  les  Câlukyas,  les  Maukharis 
Varmans,  les  Guptas  du  Magadha,  les  Varmans  de  Kâmarûpa  et 
tous  les  autres  peuples  dont  nous  rencontrons  les  noms  dans  les 
inscriptions,  doivent  l'origine  de  leur  fortune.  C'est  ce  même  mou- 
vement qui  plus  tard  porte  la  famille  Vardhana  de  Thanesar  au 
trône  impérial. 

Pénétrons  plus  avant  dans  cet  état  politique  de  l'Inde  et  passons 
successivement  en  revue  ces  diverses  principautés,  telles  qu'elles 
figurent  à  la  fin  du  vi^  siècle. 

Qu'était-ce  en  premier  lieu  que  cette  famille  des  Vardhanas  qui 
devait  étendre  si  loin  la  renommée  de  Thanesar  ?  Leur  généalogie  ne 
remonte  pas  bien  haut  et  avant  Prabhâkara,  le  père  de  Harsa,  nous 
ne  connaissons  guère  que  trois  générations.  Si  l'on  en  croyait  le  poète 
Bâna,  la  famille  de  Thanesar  devrait  son  origine  à  un  héros  du  nom 
de  Pusyabhïïti,  roi  du  district  Sthâneçvara,  dans  le  pays  Çrïkaiitha 
que  le  poète  appelle  «  un  paradis  terrestre  «  (3).  De  Pusyabhûti  serait 


que  les  Tou-Kue  avec  l'aide  de  Khusru  I»"'  de  Perse  eurent  détruit  la  puissance 
de  leurs  congénères  du  Turkestan  en  550.  Après  la  destruction  do  cet  empire, 
les  Ye-ta  se  retirèrent  dans  le  haut  Oxus,  où  ils  fondèrent  une  petite  princi- 
pauté tributaire  de  la  Chine. 

Dans  le  Visnupurcina  (traduction  de  Wilson,  1S40)  nous  trouvons,  p.  177  : 
«  Sous  les  Hûnas  nous  devons  comprendre  les  Huns  blancs,  ou  Indo-Scythes, 
qui  s'établirent  au  Punjab  et  le  long  do  l'Indus  «,  et  à  la  page  194,  les  Hûnas 
sont  nommés  parmi  "  les  peuples  féroces  et  non  civilisés  ». 

(1)  C.  1. 1.  vol.  iii,  p.  148. 

(2)  C.  1. 1.  vol.  iii,  pp.  142-148. 

(3)  H.  C.  p.  104,  et  cf.  aussi  Gaudavaho,  éd.  Shankar  Paiiclit,  (1887)  pour  lo 
fait  que  Thanesar  était  la  capitale  d'un  pays  nommé  Çrikantlia. 


—  âô  — 

descendue  une  longue  lignée  de  rois  glorieux.  Mais  les  inscriptions  se 
tai^sent  à  leur  sujet.  Ce  n'est  pas  la  seule  obscurité  que  présente  le 
texte  de  Bâna.  Les  rois  authentiques  que  nous  connaissons  ne  font 
nulle  mention  de  Pusyabhiïti  et  ne  font  pas  remonter  leur  généalogie 
au  delà  de  Naravardhana,  trisaïeul  de  Harsa.  Selon  les  inscriptions 
que  nous  possédons,  voici  la  table  généalogique  des  Vardhanas  : 

Naravardhana         épouse  Vajrinïdevï. 

I 
Rajyavardhana  I"'      id.     Apsarodevï. 

I 
Adityavardhana  id.     Mahusenaguptadevï. 

I 
Prabhakaravardhana  id.      Yaçomatîdevï  (1). 


Rajyavardhana  IL     Harsa vardhana.        RâjyaçrL 

Kumâra. 

Une  fille  qui  épouse  Dhruvasena  II  de  Valabhï. 

Les  deux  premiers  rois  de  cette  dynastie  ne  figurent  dans  les 
inscriptions  qu'avec  leur  titre  de  Maharaja  ;  mais  à  lui  seul  ce  simple 
titre  est  une  indication  :  il  s'ensuit  sans  doute  que  leur  pouvoir  était 
assez  restreint.  Au  vi°  et  au  vii^  siècle,  en  effet,  le  titre  de  Maharaja, 
ainsi  qu'on  peut  le  voir  sur  les  inscriptions  de  Valabhï,  était  attribué 
généralement  aux  grands  vassaux.  Aussi  Naravardhana  et  Rajya- 
vardhana I"'  n'étaient-ils  peut-être  pas  même  indépendants  :  il  est 
fort  à  croire  qu'ils  étaient  les  vassaux  soit  des  rois  de  Mâlava,  soit  de 
ceux  de  Magadha,  les  plus  puissants  de  leurs  proches  voisins.  Comme 
d'autre  part  Bâna  et  Hiouen  Tsang  ne  nous  aident  en  rien  à  péné- 
trer le  mystère  qui  enveloppe  ces  deux  ancêtres  de  Harsa,  nous 
pouvons  en  induire  sans  trop  de  hardiesse  que  rien  de  leur  existence 
ne  méritait  d'être  sauvé  de  l'oubli.  Hiouen  Tsang  se  contente  de 
rapporter  que  Harsa  est  de  la  caste  des  Feiche  ou  Vaiçya  (2).  L'affixe 
-vardhana  semble  corroborer  cette  affirmation  :  les  Karkotakas  du 
Kasmïr  (3),  descendus  d'un  Kâyastha,  étaient  des  Vaiçyas  et  ajou- 
tèrent -vardhana  à  leurs  noms.  Cette  circonstance  expliquerait  aussi 


(1)  Dans  plusieurs  mss.  du  H.  C.  on  lit  Yaçovatï. 

(2)  H.  T.  vol.  il,  p.  247. 

(3)  Gauqiavaho,  éd.  Shankar  Pandit,  Intr.  Note  1,  p.  exi. 


—  21  — 

le  silence  de  Bâua  ;  si  les  ancêtres  de  Harsa  étaient  des  Vaiçyas  et 
non  des  Ksatriyas,  le  galant  poète  de  cour  ne  pouvait  que  les  ignorer. 

Âdityavardbana  est  plus  intéressant  que  ses  prédécesseurs.  Toute- 
fois c'est  toujours  chez  Bâua  et  Hiouen  Tsang  le  même  silence  ;  mais 
une  inscription  qui  nous  donne  le  nom  de  sa  femme,  Mahâsenaguptâ- 
devï,  ouvre  la  porte  à  des  hypothèses  fort  plausibles.  Adityavardhana 
n'est  encore  lui  aussi  qu'un  simple  Maharaja,  mais  il  a  mérité  sans 
doute  d'entrer  par  le  mariage  dans  l'alliance  de  princes  du  Magadha. 
Le  nom  de  sa  femme  semble  l'indiquer  :  elle  était  sœur,  sans  doute, 
de  ce  Mahâsenagupta  de  Magadha  (1)  dont  nous  trouvons  le  nom 
dans  les  listes  de  rois  contemporains.  S'il  en  était  ainsi,  on  comprend 
quelle  valeur  prend  ce  mariage  d'un  prince  à  demi  barbare  du  nord 
et  peut-être  tributaire  des  Hûiias  avec  une  princesse  de  l'Inde  cen- 
trale, issue  d'une  dynastie  qui  régnait  en  plein  centre  de  culture 
hindoue  et  d'expansion  bouddhique  :  c'est  d'une  part  la  preuve  mani- 
feste de  la  décadence  de  l'empire  Gupta  à  la  suite  des  incursions  des 
Hûnas  ;  c'est  d'autre  part  la  première  affirmation  de  cette  politique 
qui  devait  contribuer  à  faire  la  fortune  des  Vardbanas  de  Thanesar  : 
le  choix  d'une  alliance  avantageuse.  C'est  pourquoi  à  partir  du  suc- 
cesseur d'Âdityavardhana  les  renseignements  historiques  commencent 
à  affluer. 

Prabhâkaravardhana  est  le  digne  héritier  de  son  père.  Sa  femme 
YaçomatT,  dont  nous  ignorons  malheureusement  l'origine,  ne  pouvait 
appartenir  qu'à  une  noble  famille,  celle  des  Guptas  ou  celle  des 
Maukharis.  Quant  à  lui,  il  ne  porte  plus  le  titre  de  Maharaja  qu'il  a 
laissé  à  certains  de  ses  vassaux.  Voici  ce  qui  se  rapporte  à  lui  dans 
l'inscription  de  Madhuban  (2)  : 

«  Engendré  en  Mahâsenaguptâdevî,  l'adorateur  passionné  du  soleil, 
le  Paramabhattâraka  Mahûrâjâdhiiâja  Prabhâkaravardhana,  dont  la 
gloire  traversa  les  quatre  Océans  ;  devant  lequel  d'autres  rois  s'incli- 
nèrent à  cause  de  sa  bravoure  et  de  leur  affection  pour  lui  ;  qui 
maniait  son  pouvoir  pour  le  juste  maintien  des  castes  et  des  classes, 
et  qui,  comme  le  soleil  (3),  soulageait  la  détresse  du  peuple  »  (4)... 


(1)  C.  1. 1.  vol.  iii,  p.  206. 

(2)  E.  I.  vol.  vii,  p.  155. 

(3)  Pour  l'idée  que  le  soleil  soulage  la  détresse,  voyez  C.  1. 1.  vol.  iii,  p.  102 
ligne  2  du  texte. 

(4)  Çrï  -  Mahâsenaguptâdevyâm-utpanuaç  -  catussamudrâlikrânUi  -  klrltil.i 


—  22  — 

Ces  termes,  si  ou  les  dégage  de  ce  que  la  conveutiou  littéraire  y 
ajoute,  sembleut  indiquer  que  Prabhâkaravardhaua  a  été  souverain 
indépendant  et  qu'il  jouissait  même  d'un  assez  grand  pouvoir.  Ses 
titres  de  Paramabhattâraka  Mahârâjâdhirâja  ne  se  trouvent  accolés 
qu'à  des  noms  de  rois  très  puissants.  C'est  peut-être  à  ses  victoires  à 
la  guerre  qu'il  les  devait,  mais  les  inscriptions  qui  signalent  sa  bra- 
voure émérite,  oublient  de  dire  oii  elle  avait  eu  l'occasion  de  se  mani- 
fester. Hiouen  Tsang  se  contente  de  nous  livrer  son  nom  (1)  sans 
relater  la  moindre  anecdote  touchant  son  règne.  Bâna,  par  contre, 
qui  ne  pouvait  entreprendre  le  panégyrique  de  son  royal  protecteur 
sans  commencer  par  l'éloge  du  père  de  celui-ci,  est  plus  abondant  en 
détails.  Il  mentionne  d'abord  que  Prabhâkaravardhaua  avait  un  autre 
nom,  celui  de  Pratâpaçïla,  et  Hiouen  ïsang  le  confirme  en  ceci, 
lorsqu'il  rapporte  que  le  roi  de  Kanyâkubja  s'appelait  Prabhâkara- 
vardhaua de  son  surnom  (2).  Hiouen  Tsang  fait  erreur  lorsqu'il  parle 
de  Kânyakubja  comme  étant  la  capitale  de  Prabhâkaravardhaua, 
car  autant  que  nous  sachions,  c'est  Thanesar  qui  fut  la  ville  princi- 
pale de  ses  États,  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question  accessoire, 
Bâna,  dans  les  quatrième  et  cinquième  chapitres  du  Harsacarita, 
nous  apprend  à  peu  près  tout  ce  que  nous  savons  du  règne  de  ce  roi. 

Prabhâkaravardhaua  épouse  Yaçomatï  et  celle-ci  rêve  qu'elle  a 
deux  enfants  merveilleux  :  c'est  d'abord  Râjyavardhana,  puis  Harsa 
dont  l'empire  futur  est  annoncé  par  les  signes  miraculeux  qui  accom- 
pagnent sa  naissance.  Six  ans  après  la  naissance  de  l'aîné,  Yaçomatï 
met  encore  au  monde  un  nouvel  enfant  :  c'est  la  princesse  royale 
Râjyaçrï.  Bâna  fournit  des  données  précises  pour  déterminer  l'âge 
non  seulement  de  Harsa  mais  aussi  de  Râjyavardhana.  Harsa  naquit, 
dit-il,  «  dans  le  mois  Jyaistha,  le  douzième  jour  de  la  quinzaine 
sombre,  les  Pléiades  étant  dans  l'ascendant,  juste  après  le  crépus- 
cule ».  Quant  à  Râjyavardhana,  il  touchait  à  sa  sixième  année  (3) 
«  quand  Harsa  commença  à  faire  cinq  ou  six  pas  au  doigt  de  sa  nour- 
rice ».  Les  enfants  ont  alors  comme  camarade  de  jeu  le  jeune  Bhandi, 


pratâpânurâgopanat-ânyarâjâ  varnnâçrama-vyavasthâpana-pravftta-cakra 
ekacakkraratha  iva  prajânâm-ârtti-liarah  paramâdityabhaktah  paramabhat- 
târaka mahârâjridhirâja-r'ri-Prabhrikaravardhana.  (cf.  C.  I.  I.  vol.  iii,  p.  220 
pour  les  phrases  du  sceau  du  Maukhari  Çarvavarman.) 

(1)  H.  T.  vol.  i.  p.  111  et  H.  T.  vol.  ii,  p.  243. 

(2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  243. 

(3)  "  Sastham  varsam  avatarati  ». 


--Vo- 
leur cousin  germain,  fils  du  frère  de  Yaçomatï  et  qui  était  alors  âgé  de 
liuit  ans.  Nous  avons  aussi  la  mention  d'un  cousin  ou  frère  de  lait  de 
Harsa,  nommé  Krsna,  parent  aussi  de  Bâna  (l).  Le  roi  leur  donne 
comme  attachés  les  jeunes  princes,  Kumâragupta  et  Mâdhavagupta(2), 
les  fils  du  roi  de  Mâlava.  Kumâragupta  avait  dix- huit  ans,  et  il  était 
l'aîné  des  deux.  Puis  la  princesse  royale  Râjyaçrï  est  fiancée  et  mariée 
avec  le  jeune  prince  Grahavarman,  fils  aîné  d'Avantivarman,  de  la 
famille  estimée  des  Maukharis. 

Pendant  que  la  jeunesse  de  ses  enfants  se  passait  dans  les  occupa- 
tions accoutumées  d'une  famille  royale,  le  roi  se  préoccupait  des 
affaires  de  l'État.  Confiant  dans  ses  forces  miUtaires  et  conscient 
aussi  des  avantages  que  lui  présentait  la  décadence  de  ses  voisins,  il 
joua  des  coudes  de  tous  côtés.  Ses  guerres  semblent  avoir  été  couron- 
nées de  succès.  Il  mena  des  expéditions  heureuses  contre  ses  voisins 
du  nord,  les  Hûnas  barbares  de  l'Himrdaya  et  le  roi  de  Gandhâra  ; 
contre  le  roi  de  Sindhu  à  l'ouest  ;  contre  les  rois  de  la  frontière  méri- 
dionale, les  Gïïrjaras,  les  Lâtas  et  le  roi  de  Mâlava  (3).  Mais  lesquelles 
de  ces  expéditions  eurent  un  succès  politique  permanent,  il  n'est  pas 
facile  de  le  préciser.  Celle  qui  fut  dirigée  contre  le  Mâlava,  a  dû 
compter  parmi  les  plus  fructueuses,  puisque  les  deux  fils  du  roi  de 
Mâlava  étaient  retenus  comme  otages  auprès  des  fils  de  Prabhâkara- 
vardhana.  Il  est  probable  que  les  autres  expéditions  ne  furent  pas 
sufiisautes  pour  assujettir  d'une  manière  définitive  les  contrées  ouïes 
tribus  que  le  roi  avait  une  fois  vaincues.  Par  exemple,  la  guerre 
contre  les  Hûnas  n'a  pas  dû  avoir  beaucoup  de  succès  ;  car,  peu  de 
temps  avant  sa  mort,  le  roi  dut  une  deuxième  fois  envoyer  une  armée 
avec  son  fils  aîné,  Râjyavardhana,  dans  le  nord  pour  repousser  ces 
peuplades  belliqueuses  (4).  Cette  dernière  expédition  ne  semble  pas 
avoir  eu  plus  de  succès  que  la  première.  Bâna  parle  bien  de  durs 
combats  et  de  graves  blessures  (5),  mais  il  ne  soutfle  mot  du  butin 
qu'on  aurait  pu  en  rapporter.  La  vérité,  c'est  que  les  Hïluas  par  suite 


(1)  H.  C.  p.  58  (parenté  avec  Harsa)  et  H.  C.  p.  C2  (parenté  avec  Bâna). 

(2)  Plus  tard,  Mûdhavagupta  fut  le  compagnon  favori  de  Harsa.  Cf.  H.  C. 
1).  265  et  H.  C.  p.  87. 

(3)  H.  C.  p.  1;j2. 

(4)  H.  C.  p.  1G6.  «  atha  kadâcid  râja  Rrijyavardhanamkavacaliarain  HQna- 
hantuni uttarâpathan.i  prâhiiiot  n. 

(5)  H.  C.  p.  196. 


—  24  — 

de  la  position  des  rois  de  Thauesar  étaient  leurs  ennemis  héréditaires  ; 
•c'était  à  eux  les  premiers  que  venaient  se  heurter  leurs  hordes  de 
pillards  ;  c'était  à  eux  aussi  qu'incombait  la  défense  de  la  vallée 
du  Gange.  Les  Vardhanas  et  les  Hûnas  devaient  être  en  hostilités 
continuelles  et  c'était  déjà  un  beau  résultat  pour  Prabhâkaravar- 
dhana  de  n'avoir  jamais  le  dessous.  C'est  au  cours  de  cette  deuxième 
expédition  conduite  par  Kâjyavardhana  que  meurt  le  roi.  Harsa  avait 
accompagné  son  aîné  jusqu'à  la  région,  «  qui  brille  par  la  splendeur 
du  Kailâsa  »  (1).  Kâjyavardhana  poursuit  sa  route  avec  l'armée, 
accompagné  de  ses  sages  conseillers,  et  laissant  derrière  lui  Harsa 
qui  reste  à  chasser.  C'est  là  que  celui-ci  reçoit  la  nouvelle  que  son 
père  Prabhâkaravardhana  est  gravement  malade,  il  s'empresse  de 
rentrer.  Il  trouve  la  ville  dans  le  plus  grand  désordre  et  toute  occupée 
à  l'accomplissement  de  rites  de  toute  confession.  Il  n'est  peut-être 
point  sans  intérêt  de  citer  ici  le  texte  même  de  Bâua  (2). 

«  Le  lendemain  au  milieu  du  jour  quand  il  arriva  à  la  capitale, 
plus  de  cris  de  victoire,  morts  étaient  les  battements  de  tambour, 
supprimée  la  musique,  finies  les  réjouissances  ;  plus  ne  chantaient 
les  trouvères  ;  aux  boutiques  plus  de  marchandises  en  vente  ;  de  place 
en  place  resplendissaient  les  tourbillons  de  fumée  du  sacrifice 
Kotihoma  (3)  :  entrelacés  par  la  force  du  vent,  on  aurait  dit  les 
cornes  tordues  du  buffle  de  Yama  qui  défonce  le  sol,  ou  les  fils  du 
filet  de  la  mort  qui  planait.  En  l'air  tournoyaient  des  vols  de  cor- 
beaux ;  leurs  aigres  croassements  pendant  tout  le  jour,  telles  les 
tintinnabulantes  clochettes  de  fer  du  buffle  de  Yama,  annonçaient  la 
venue  d'un  malheur.  Ici  des  parents  aimants,  prosternés,  observaient 
le  jeûne  pour  apaiser  Çiva.  Là  de  jeunes  nobles  se  brûlaient  à  des 
lampes  pour  rendre  propices  les  Mères.  Là  un  Dravidien  se  préparait 
à  solliciter  le  Vampire  par  l'offrande  d'un  crâne,  là  un  homme 
d'Ândhra  élevait  ses  bras  en  l'air  comme  un  rempart  pour  concilier 
Candi.  Ailleurs  de  jeunes  serviteurs  affligés  adoucissaient  Mahâkâla 
en  tenant  de  la  gomme  fondante  sur  leur  tête.  Ailleurs  un  groupe  de 
parents  s'appliquaient  à  faire  une  oblation  avec  leur  propre  chair 


(1)  H.  G.  p.  166.  «  Kailâsaprabhâbhâsinï  «.  La  montagne  Kailâsa,  où  Kuve- 
ra,  dit-on,  réside,  est  haute  denviron  20  000  pieds  et  se  trouve  au  nord- 
ouest  du  lac  Manasarovar  du  Tibet. 

(2)  H.  C.  pp.  169-171. 

(3)  Sacrifice  destiné  à  rendre  propices  certaines  planètes  malveillantes. 


—  25  — 

qu'ils  détachaient  à  l'aide  de  couteaux  effilés.  Ailleurs  encore  des 

princes  royaux  vendaient  ouvertement  de  la  chair  humaine A 

peine  entré  dans  la  rue  des  bazars,  au  milieu  d'une  foule  d'enfants 
curieux,  il  aperçut  un  homme  qui  exhibait  des  tableaux  de  l'Enfer  : 
dans  sa  main  gauche  une  toile  peinte  montrant  le  Roi  des  morts  sur 
son  buffle  terrible  ;  une  baguette  à  la  main,  il  exposait  les  choses  de 
l'autre  monde  et  chantait  le  vers  suivant  : 

"  Mères  et  pères  par  milliers, 
Enfants  et  épouses  par  centaines, 
Age  après  âge  sont  partis, 
A  qui  sont-ils  ? 
A  qui  es-tu?  j) 

«  Puis  il  entra  lentement  dans  le  palais.  Là  il  trouva  des  gens  qui 
distribuaient  tous  leurs  biens,  adorant  les  dieux  de  la  famille,  occupés 
à  faire  bouillir  l'ambroisie,  faisant  le  sacrifice  des  Six  Oblations, 
offrant  des  feuilles  tremblottantes  de  Durvâ,  frottées  de  beurre  caillé, 
chantant  l'hymne  Mahâ-Mâyiïrî,  purifiant  la  maison,  accomplissant 
les  rites  pour  éloigner  les  esprits  par  des  offrandes.  De  très  graves 
brahmanes  étaient  appliqués  à  murmurer  des  textes  védiques  ;  le 
temple  de  Çiva  résonnait  du  murmure  de  l'Hendécade  à  Rudra  ;  des 
Çivaïtes  de  la  plus  grande  sainteté  baignaient  Timage  de  Virûpâksa 
dans  des  milliers  de  pots  de  lait.  Assis  dans  la  cour,  des  rois  s'affli- 
geaient de  ne  plus  pouvoir  obtenir  la  vue  de  leur  suzerain  ;  pour 
eux  le  bain,  le  manger,  le  sommeil  n'étaient  que  des  noms,  leurs 
habits  étaient  sales,  tant  ils  négligeaient  leur  toilette  ;  ils  attendaient 
jour  et  nuit  immobiles  comme  des  tableaux  peints,  guettant  les  bul- 
letins des  familiers  du  roi  qui  faisaient  irruption  dans  les  appartements 
intérieurs.  Sur  la  terrasse,  un  triste  groupe  de  serviteurs  moins 
intimes  discutait  sur  l'état  du  roi  en  chuchotant  :  tantôt  l'un  imaginait 
des  erreurs  de  la  part  des  médecins,  tantôt  un  autre  lisait  à  haute 
voix  des  descriptions  de  maladies  incurables  ;  un  autre  racontait  de 
mauvais  rêves,  un  autre  communiquait  des  histoires  de  aémons,  un 
autre  récitait  des  horoscopes,  un  autre  débitait  des  présages  sinistres  ; 
un  autre  encore  méditait  sur  la  courte  durée  des  choses,  réprouvait 
ce  monde  inconstant,  critiquait  les  railleries  de  l'âge  Kali  et  accusait 
le  sort  ;  un  autre  plein  d'indignation  pour  Karma  adressait  des 
reproches  aux  dieux  do  la  maison  royale  ;  un  troisième  avait  com- 
passion des  jeunes  nobles  affligés  ». 


—  26  — 

Au  milieu  de  cette  désolation  universelle,  le  médecin  du  roi  se 
suicide  de  désespoir,  la  reine  Yaçomatï  suit  son  exemple,  se  jette 
dans  le  feu  et  c'en  est  fait  du  roi  Prabhâkaravardhana. 


Il  nous  faut  maintenant  laisser  de  côté  les  ancêtres  de  Harsa  et 
son  père  afin  de  tracer  un  court  tableau  de  l'état  général  de  l'Inde 
à  cette  époque. 

Au  sud  de  Thanesar  se  trouve  le  grand  royaume  du  Mâlava  qui 
s'était  assujetti  les  princes  avoisinants.  Nous  connaissons  peu  l'his- 
toire du  Mâlava  après  le  règne  de  Yaçodharman.  Ce  royaume  avait 
selon  Hiouen  Tsang  six  mille  li  de  pourtour  ;  la  capitale  en  avait 
une  vingtaine.  Le  sol,  gras  et  fécond,  donnait  d'abondantes  moissons, 
le  blé  tardif  y  prospérait  particulièrement  ;  les  plantes  et  les  arbres 
y  avaient  une  végétation  florissante  et  on  y  recueillait  une  grande 
quantité  de  fleurs  et  de  fruits.  Un  royaume  si  fertile  ne  pouvait 
qu'exciter  les  convoitises  de  ses  voisins.  Aussi  de  continuelles  attaques 
sont-elles  dirigées  contre  lui  par  les  princes  du  Broach,  du  Valabbï, 
du  Mahârâstra,  de  Thanesar,  et  d'autres.  Bien  que  le  pays  semble 
avoir  toujours  été  en  proie  à  des  incursions  de  ce  genre,  les  habitants 
passent  pour  avoir  égalé  en  culture  intellectuelle  ceux  du  Magadha, 
qui  est  le  centre  de  la  civilisation  indienne.  «  Dans  les  cinq  parties  de 
l'Inde,  le  Mâlava  au  sud-ouest  et  le  Magadha  au  nord-est  sont  les 
deux  seuls  royaumes  dont  les  habitants  se  fassent  remarquer  par 
l'amour  de  l'étude,  l'estime  pour  la  vertu,  la  facilité  de  l'élocution  et 
l'harmonie  du  langage.  »  Malgré  cette  heureuse  prospérité  les  rois  de 
ce  pays  nous  sont  peu  connus  ;  une  indication  des  plus  précieuses  nous 
est  donnée  par  Hiouen  Tsang  à  leur  sujet  :  «  Suivant  la  tradition  », 
dit-il,  «  le  trône  était  occupé,  il  y  a  soixante  ans  (i.  e.  circa  580), 
par  un  roi  nommé  Çilâditya,  qui  était  doué  de  grands  talents  et 
possédait  de  vastes  connaissances  ».  Et  dans  sa  relation  sur  le  Valabhï 
il  ajoute  :  "  Tous  les  rois  de  ce  pays  sont  les  neveux  du  roi  Çilâditya 
du  Mâlava  ».  Est-ce  avec  ce  même  roi  que  Prabhâkaravardhana 
guerroyait  et  sont-ce  ses  deux  fils  qu'il  avait  auprès  de  lui  comme 
otages,  il  nous  est  difficile  de  l'affirmer.  Mais  d'après  les  noms  de  ces 
deux  fils  Kumâragupta  et  Mâdhavagupta  il  semblerait  plutôt  que 
leur  père  appartînt  à  la  famille  des  Guptas  qui  régnaient  encore 
dans  le  Mâlava.  Nous  retrouverons  d'ailleurs  cette  même  famille  au 
Magadha. 


—  27  — 

A  l'est,  dans  les  alentours  de  Kânyakubja  et  flottant  un  peu  par- 
tout, se  trouvaient  des  familles  nobles  qui  profitaient  des  troubles 
causés  par  les  Hûnas  et  cherchaient  l'occasion  de  se  saisir  d'un  petit 
territoire,  d'une  principauté,  à  l'exemple  des  Vardhanas  de  Thane- 
sar  ;  féodalité  turbulente,  sans  intelligence  ni  fermes  desseins  diplo- 
matiques, n'ayant  que  des  ambitions  ou  des  instincts  capricieux  et 
qui  était  nécessairement  destinée  à  subir  le  joug  d'un  ennemi  plus 
résolu  et  plus  discipliné. 

Parmi  ces  familles  nobles,  une  surtout  semble  se  distinguer  par 
son  antiquité  (1)  ainsi  que  par  ses  talents  :  ce  sont  les  Maukharis  (2), 
ou  Mukharas  ;  ces  princes  ont  d'abord  pour  eux  une  certaine  noblesse 
d'origine  qu'il  n'est  pas  facile  d'expliquer.  Toutes  les  familles  de 
l'Inde  ont  toujours  aimé  s'allier  à  eux  par  le  mariage.  C'est  ainsi  que 
nous  voyons  le  Maukhari  Adityavarman  (3)  marié  avec  Harsaguptâ, 
la  sœur  (?)  de  Harsaguptâ  du  Magadha  ;  et  plus  tard  Prabhâkaravar- 
dhana,  n'hésite  pas  à  donner  sa  fille  Râjyaçrî  à  Grahavarman,  fils  du 
Maukhari  Avantivarman.  11  annonce  ainsi  sa  décision  :  «  En  général, 
bien  que  le  marié  puisse  avoir  d'autres  mérites,  le  sage  regarde  favo- 


(1)  L'antiquité  de  la  famille  des  Maukharis  est  prouvée  par  un  sceau 
d'argile  provenant  de  Gayâ,,  où  1  on  trouve  la  légende  dialectale  «  Mokhali- 
nam  «  «  des  Mokhalis,  Maukhalis  ou  Maukharis  «.  (C.  1. 1.  vol.  iii,  p.  14). 

(2)  Duff.  Chron.  India,  p.  308  ;  C.  A.  S.  R.  vol.  ix,  p.  27  ;  vol.  xv,  pp.  164- 
166  ;  vol.  xvi,  p.  81  ;  I.  A.  vol.  xiv,  p.  68  ;  C.  I.  I.  vol.  in,  pp.  219-228  ;  J.  K.  A. 
S.,  N.  S.,  vol.  xxi,  p.  136  ;  J.  B.  A.  vol.  Lviii,  p.  100. 

(3)  Liste  des  Maiihhco'i  Varmans  : 

1.  Harivarman,  marié  avec  Jayasvâminî. 

2.  Adityavarman,  111s  du  précédent,  marié,  avec  Harsaguptâ  du 

Magadha. 

3.  ïçvaravarman,  fils  du  précédent,  marié  avec  Upaguptâ. 
550  (?)    4.  îçânavarman,  fils  du  précédent,  marié  avec  Laksmîvatî  (?) 

5.  Çarvavarman,  fils  du  précédent,  contemporain  de  Dâmodara- 

gupta  du  Magadha. 

6.  Sustliitavarman,  contemporain  de  Mahâsenagupta  du  Magadha. 

7.  Avantivarman,  contemporain  do  Prabhâkaravardhana  de  Tha- 

nesar. 
600  (?)    8.  Grahavarman,  fils  du  précédent,  marié  ivvce  Râjyaçrî  de  Tha- 
iiesar. 
9.  Bhogavarman,  marié  avec  une  fille  d'Âdityasena  (I.  A.  vol.  ix, 

p.  181)  du  Magadha. 
10.  Yaçovarman. 


—  28  — 

rablement  une  bonne  famille.  Or  à  la  tête  de  toutes  les  maisons 
royales  se  tiennent  les  Mukharas,  auxquels  tout  le  monde  est 
dévoué  (1)  ».  Mais  les  Maukharis  n'avaient  pas  de  si  cordiales  rela- 
tions avec  toutes  les  familles  royales  de  l'Inde  :  avec  les  Guptas  du 
Magadha  ils  durent  parfois  se  mesurer  sur  le  champ  de  bataille.  Ainsi 
le  roi  Maukhara  Içânavarman  fut  battu  (2)  par  Kumâragupta  du 
Magadha,  petit-fils  de  Harsagupta.  De  même  le  roi  Maukhari  qui 
avait  écrasé  avec  ses  éléphants  l'armée  des  Hûnas  fut  mis  en  déroute 
par  Dâmodaragupta  (3)  du  Magadha,  Mahâsenagupta  du  Magadha 
vainquit  aussi  le  roi  Maukhari  Susthitavarman  (4). 

Une  autre  branche  de  la  famille  des  Maukharis  d'une  moins  grande 
importance  paraît,  d'après  le  témoignage  de  quelques  inscriptions  (5), 
s'être  développée  dans  le  voisinage  de  Gayâ,  Rien  d'étonnant  du  reste 
à  ce  que  les  Maukharis  cédassent  devant  les  rois  du  Magadha  (G). 
Dans  cette  vallée,  qui  jadis  avait  été  le  siège  d'un  des  premiers 
royaumes  aryens,  subsistait  encore  une  puissance  redoutable.  A  cette 
époque,  ce  pays  était  devenu  la  Terre  Sainte  du  bouddhisme,  et 
Hiouen  Tsang  en  est  l'écho  fidèle.  Le  Magadha  s'était  couvert  d'un 
nombre  infini  de  monuments  religieux,  et  donnait  asile  à  une  foule  de 


(1)  H.  C.  p.  156. 

(2)  c.  1. 1.  vol.  iii,  p.  206. 

(3)  C.  1. 1.  vol.  iii,  p.  206.  «  Renversant  la  ligne  des  éléphants  puissants, 
aux  pas  flers,  des  Maukharis  qui  avaient  su  jeter  en  l'air  les  troupes  des 
Hûnas....  » 

(4)  C.  I.  I.  vol.  iii,  p.  206. 

(5)  C.  I.  I.  vol.  iii,  pp.  221-228. 

(6)  Duff.  Chron.  India,  p.  288  ;  C.  1. 1.  vol.  iii,  pp.  200-220  ;  J.  B.  A.  vol.  Lviii, 
!'■«  partie,  plan,  p.  100. 

Liste  des  Guptas  du  Magadha  : 

1.  Krsnagupta. 

2.  Harsagupta,  flls  du  précédent,  contemporain  d'Àdityavarman, 

Maukhari. 

3.  Jïvitagupta  I",  fils  du  précédent. 

4.  Kumâragupta,  flls  du  précédent. 

5.  Dâmodaragupta,  flls  du  précédent,  contemporain  de  Çarvavar- 

man,  Maukhari. 

6.  Mahâsenagupta,  fils  du  précédent,  contemporain  de  Susthit- 

avarman, Maukhari. 

7.  Mâdhavagupta,  flls  du  précédent,  marié  avec  Çrïmatïdevî,  con- 

temporain de  Harsa. 
627        8.  Âdityaseua,  flls   du   précédent,    beau-père   de   Bhogavarman, 
Maukhari. 


—  -29  — 

moines  qui  s'adonnaient  à  l'ascétisme.  C'est  à  ses  nombreux  couvents 
que  le  Magadha  dut  sans  doute  son  nom  de  «  Pays  des  Vihâras  « , 
d'où  celui  de  Bihar,  qui  lui  est  resté  encore  aujourd'hui.  Le  pèlerin 
chinois  nous  fournit  de  précieux  renseignements  sur  l'état  géogra- 
phique du  Magadha  (1).  «  Le  royaume  du  Magadha  »,  dit-il,  «  a 
environ  cinq  mille  li  de  tour.  Los  villes  ont  peu  d'habitants,  mais  les 
villages  sont  fort  peuplés.  Le  sol  est  gras  et  fertile,  et  les  grains  vien- 
nent en  abondance.  On  y  récolte  du  riz  d'une  espèce  extraordinaire, 
dont  le  grain  est  gros  et  d'un  goût  exquis  ;  il  est  remarquable  par 
l'éclat  de  sa  couleur  :  on  l'appelle  communément  le  riz  à  l'usage  des 
grands.  Comme  le  pays  est  bas  et  humide,  les  villages  ont  été  établis 
sur  des  plateaux  élevés.  Après  le  premier  mois  de  l'été  et  avant  le 
second  mois  de  l'automne,  les  plaines  sont  inondées  et  l'on  peut  y 
circuler  en  bateau  ;  la  température  est  une  douce  chaleur  ».  Ailleurs 
le  voyageur  chinois  dit  que  le  Magadha  n'a  que  cinq  à  six  cents  li 
de  circonférence  (2).  Quoi  qu'il  eu  soit  de  cette  contradiction,  il  est 
à  jamais  regrettable  qu'il  n'ait  pas  cru  devoir  retracer  l'état  politique 
du  pays,  ce  n'est  qu'avec  l'aide  des  inscriptions  que  nous  y  parve- 
nons. Au  Magadha  régnaient  les  descendants  des  premiers  Guptas. 
Les  princes  de  cette  famille  comptaient  parmi  les  plus  réputés  de 
l'Inde.  Leur  armée  montra  souvent  sa  valeur  surtout  contre  les 
Maukharis,  leurs  voisins  et  quelquefois  leurs  alliés.  Nous  sommes  peu 
renseignés  sur  les  personnalités  mêmes  qui  se  succédèrent  à  la  tête 
de  la  famille  :  il  n'est  guère  qu'un  fait  certain,  c'est  qu'ils  ne  dédai- 
gnèrent pas  toujours  de  s'allier  avec  les  Maukharis  et  que  ceux-ci 
n'épousèrent  pas  moins  de  trois  princesses  Guptas.  Ils  s'unirent  aussi 
de  même  façon  avec  les  Vardhanas  de  Thanesar,  parmi  lesquels 
Adityavardhana  épousa  Mahâsenaguptâ,  sœur  de  Mahâsenagupta  du 
Magadha. 

A  l'est  du  Magadha  s'étend  un  royaume  des  plus  intéressants,  et 
malheureusement  des  plus  inconnus.  Le  Kâmarûpa,  l'Assam  moderne, 
doit  son  intérêt  à  sa  position  géographique.  Voisin  du  Tibet,  de  la 
Chine,  du  Samatata,  du  Magadha  et  du  Népal,  le  Kâmarîipa  put 
jouir  à  la  fois  de  la  triple  influence  de  la  civilisation  chinoise,  brah- 
manique et  bouddhique.  Quels  ont  pu  être  les  résultats  de  cette  rare 


(1)  H.  T.  vol.  li,  p.  409. 

(2)  H.  T.  vol.  i,  p.  136. 


—  50  — 

combinaison,  ont-ils  été  aussi  heureux  qu'on  serait  en  droit  de  le  sup- 
poser, s'est-il  dégagé  du  mélange  de  ces  trois  philosophies  humaines 
une  culture  intellectuelle  spéciale  et  originale,  ou  bien  n'en  est-il 
sorti  que  trouble  et  confusion,  dissensions  et  anarchie,  ou  bien  encore 
les  soucis  matériels  de  ce  monde  l'ont-ils  emporté  sur  les  spéculations 
de  l'esprit  et  le  Kâmarûpa,  harcelé  par  les  tribus  barbares  au  sud- 
ouest,  en  butte  à  l'ambition  des  princes  du  Samatata  plus  florissant 
et  plus  cultivé,  n'a-t-il  fait  que  languir  dans  l'obscurité  V  Ce  sont 
autant  d'insolubles  questions  que  ni  Bâna  ni  Hiouen  Tsang  ne  nous 
aident  à  élucider.  Bâna  se  contente  de  nous  donner  la  généalogie  (1) 
des  princes  (2)  de  ce  pays,  et  Hiouen  Tsang,  qui  sur  l'invitation  du 
roi  Bhâskaravarman  l'a  visité,  ne  nous  donne  que  des  renseignements 
économiques  ou  géographiques  (3)  :  «  Il  a  environ  dix  mille  li  de  tour, 
et  la  capitale  trente  li.  Le  terrain  est  bas  et  humide  ».  Ceci  s'accorde 
bien  avec  le  présent  climat  de  l'Assam.  «  Les  grains  se  sèment  et  se 
récoltent  à  des  époques  régulières.  On  cultive  les  arbres  à  pain  et  les 
cocotiers.  Les  villes  sont  entourées  de  rivières,  de  lacs  et  d'étangs. 
Le  climat  est  tempéré.  Les  hommes  sont  petits  de  taille  et  noirs  de 
figure.  Leur  langage  diffère  un  peu  de  celui  de  l'Inde  centrale.  Le 
roi  actuel  descend  du  dieu  Nârâyana  Deva  ;  il  est  de  la  caste  des 
Brahmanes.  A  l'est  de  ce  royaume  règne  une  chaîne  de  montagnes 
et  de  collines  ;  on  ne  rencontre  aucune  capitale  de  grand  royaume. 
Ses  frontières  sont  voisines  des  barbares  du  sud-ouest  ;  c'est  pourquoi 
les  habitants  leur  ressemblent  sous  le  rapport  des  mœurs.  J'ai  inter- 
rogé les  gens  du  pays  et  j'ai  appris  qu'après  un  voyage  de  deux  mois 
on  peut  entrer  dans  les  frontières  sud-ouest  du  pays  de  Chou.  Mais 
les  montagnes  et  les  rivières  présentent  à  la  fois  des  obstacles  et  des 
dangers  :  un  air  contagieux,  des  vapeurs  malfaisantes,  des  plantes 
vénéneuses  et  des  serpents  gorgés  de  poison  causent  des  maux  infinis. 
Au  sud-est  de  ce  royaume,  des  éléphants  sauvages  marchent  en 
troupe  et  exercent  leur  fureur  ;  c'est  pourquoi  dans  ce  royaume, 
l'armée  des  éléphants  est  extrêmement  nombreuse  ». 


(1)  D'après  les  indications  de  Bâna.  H.  C.  p.  246. 

(2)  Liste  des  Yarmans  du  Kdmarripa  : 

1.  Bhûtivarman. 

2.  Candramukhavarman,  flls  du  précédent. 

3.  Sthitivarman,  flls  du  précédent. 

4.  Susthiravarman,  flls  du  précédent,  marié  avec  Çyâmâdevi. 

5.  Bhâskaravarman,  flls  du  précédent,  nommé  Kum^ra. .     . 

(3)  H.  T.  vol.  iii,  p.  76. 


-  51  — 

Le  pays  de  Samatata,  ou  le  Bengale  oriental,  comprenait  tout  le 
territoire  autour  des  bouches  du  Gange.  Il  est  bien  probable  que  les 
royaumes  de  Samatata,  de  Tâmraliptï  et  de  Gauda  formaient  un 
ensemble.  Hiouen  Tsang  est  très  bref  dans  la  description  de  ces 
contrées.  Il  nous  rapporte  bien  que  la  première  avait  en  tour  trois 
mille  li,  la  deuxième  quatorze  à  quinze  cents,  la  troisième  quatre 
mille  quatre  cents  ;  il  dit  aussi  que  le  sol  y  est  bas  et  humide  et  il 
nous  parle  de  la  grande  mer.  Il  nous  dit  ensuite  que  Tâmraliptr  est 
réputée  pour  avoir  une  immense  quantité  de  marchandises  rares  et 
précieuses  et  que  les  habitants  y  sont  en  général  riches  et  opulents, 
qu'à  Karnasuvarna  la  population  est  fort  nombreuse  et  que  toutes  les 
familles  y  vivent  dans  l'aisance.  Mais  du  mode  d'administration  et  des 
noms  des  rois  de  ces  pays,  il  nous  reste  encore  tout  à  savoir,  attendu 
que  sur  ce  sujet  le  silence  de  Hiouen  Tsang  est  absolu. 

Plus  au  sud  habitent  de  nombreuses  tribus,  les  Aiigas,  les  Kunta- 
las,  les  Kalingas,  les  Koçalas,  les  Pallavas,  qui  ne  sont  guère  autre 
chose  pour  nous  que  des  noms,  car  leur  histoire  nous  échappe  dans 
son  entier.  Le  seul  fait  qui  semble  établi  est  que  ces  tribus  étaient 
en  relations  suivies  avec  Ceylan  et  avec  le  monde  occidental,  avec 
Eome  et  Byzance.  Ces  tribus  étaient  en  constant  état  de  guerre  avec 
la  dynastie  de  Vâtâpi,  les  Câlukyas  (1).  Ceux  ci  (2)  se  sont  établis 
en  maîtres  dans  le  sud  de  l'Inde,  dans  le  pays  du  Mahilrâstra.  Leur 
capitale  était  Vâtâpi,  qui  est  aujourd'hui  Bâdâmi,  dans  le  district  de 
Kelâdgi.  Mentionnons  les  noms  de  Jayasimha,  Rânarâga,  Pulikeçin  P'', 
(qui  avait  pu  accomplir  l'Açvamedha,  le  sacrifice  du  cheval),  Kïrtivar- 
man,  les  premiers  princes  qui  y  établirent  leur  empire.  Kîrtivarman, 
n'ayant  que  trois  fils  mineurs,  eut  comme  successeur  son  frère  Maù- 
galïça,  qui  sut  tenir  en  respect  les  tribus  que  Kîrtivarman  avait  déjà 
domptées.  Ses  voisins  observèrent  à  son  égard  le  plus  grand  res- 


(1)  Duff.  Chron.  ludia,  p.  278  ;  F.  K.  D.  Romb.  Gaz.  p.  336  ;  B.  D.  p.  61. 

(2)  Liste  des  Cdlukyas  de  Vdtdpi  : 

1.  Jayasiinlia. 
525  (?)    2.  Ranarâya,  flls  du  précédent. 
550        3.  Pulikeçin  1^'^,  flls  du  précédent. 
567        4.1  Kîrtivarman  P^ 
597        5.JMangalïça,  tous  doux  fils  du  précédent. 
609        6.  Pulikeriu  II,  fils  de  Kîrtivarman, 
655  (?)    7.  Vikramâditya  P'',  fils  de  Pulikeçin  II. 


—  5â  — 

pect,  et  même  pendant  son  règne  plusieurs  tribus  du  sud  furent 
annexées  au  royaume.  Ce  n'est  que  vers  la  fin  du  règne  de  Maiigalîça, 
au  commencement  ■  du  vu®  siècle,  que  les  tribus  tentèrent  de  se 
libérer  du  joug.  Elles  ne  devaient  être  définitivement  réduites  à  la 
sujétion  que  par  ce  Pulikeçin  II,  que  Harsa  rencontra  aussi  devant  lui. 

En  partant  du  Mahàrâstra  dans  la  direction  du  nord-ouest,  ou  arrive 
au  Valabhï,  un  assez  petit  pays  dont  nous  sommes  assez  heureux 
de  connaître  les  rois,  grâce  aux  monuments  épigraphiques  qu'ils  nous 
ont  laissés  (1). 

Malgré  cette  liste  (2)  il  nous  est  difficile  d'envisager  le  rôle  exact 
qu'ils  jouaient  dans  la  politique.  Leurs  inscriptions  ne  nous  donnent 
que  peu  de  renseignements  à  cet  égard.  On  peut  inférer  toutefois  que 
leur  politique  consistait  en  temps  de  guerre  à  attaquer  le  royaume  de 
Mâlava  lorsqu'il  était  faible  et  à  s'y  tailler  de  grosses  dépouilles,  et 
en  temps  de  paix  à  encourager  le  commerce  maritime  qui  se  faisait 
dans  leurs  ports.  D'après  leurs  inscriptions,  ils  paraissent  devoir  leur 
origine  à  un  simple  général  (senâpati)  ;  ce  n'est  que  par  des  stages 
successifs  que  les  chefs  du  Valabhï  ont  droit  aux  titres  de  grand  roi 
(Maharaja)  et  de  roi  supérieur  (Mahâdhirâj  a),  et  ce  n'est  qu'à  la  longue 
que  les  princes  de  cette  dynastie  purent  s'appeler  «  roi  suprême  des 
rois  n  (Mabârâjâdhirâja).  Quant  au  pays  de  Valabhï  lui-même,  c'est 
ainsi  que  Hiouen  Tsang  le  décrit  au  temps  de  sa  visite  (3).  «   Ce 


(1)  Liste  des  rois  du  Valabhï  : 
495  (?)    1.  Bhatàrka. 

2./  Dharasena  P''. 
520  (?)    3.J  Dronasimha. 
526        4.iDhruvasena  !«'■. 

540  (?)    5.(  Dharapatta,  tous  quatre  flls  du  précédent. 
559        6.  Guhasena,  flls  de  Dharapatta. 
571        7.  Dharasena  II,  flls  du  précédent. 
605        8.  Çïlâditya  I<"",  flls  du  précédent. 
615  (?)    9.  Kharagraha  P',  flls  du  précèdent. 
620  (?)  10.(  Dharasena  m. 
629      11    Dhruvasena  II,  tous  deux  flls  de  Kharagraha  et  ce  dernier  neveu 

"^    du  roi  Çïlâditya  du  Mâlava. 
641      12.  Dharasena  IV,  flls  de.  Dhruvasena. 
651       13.  Dhruvasena  III,  petit-flls  de  Çïlâditya  I". 

(2)  Duflf.  Chron.  India,  p.  308  ;  C.  I.  I.  vol.  iii.  Intr.  p.  41  ;  J.  B.  A.  vol. 
Lviii,  ire  partie,  p.  100  ;  I.  A.  vol.  v,  p.  208. 

(3)  H.  T.  vol.  iii,  p.  162. 


—  55  — 

royaume  a  environ  six  raille  li  de  tour  ;  la  circonférence  de  la  capitale 
est  d'une  trentaine  de  li.  Pour  ce  qui  regarde  les  produits  du  sol,  la 
nature  du  climat,  les  mœurs  et  le  caractère  des  habitants,  ce  royaume 
ressemble  à  celui  du  Mrdava.  La  population  est  fort  nombreuse  et 
toutes  les  familles  vivent  dans  l'opulence.  Il  y  en  a  une  centaine  dont 
la  fortune  s'élève  à  un  million.  Les  marchandises  les  plus  rares  des 
contrées  lointaines  se  trouvent  en  quantité  dans  ce  pays  ». 

Des  pays  au  nord  du  Valabhï,  c'est-à-dire  du  terrain  occupé  par  les 
Gurjaras  et  le  Surâstra,  nous  ne  savons  rien,  sinon  qu'ils  étaient 
presque  continuellement  sous  la  domination  du  Valabhï  ou  du  Mâlava. 
Leur  histoire  politique  nous  est  totalement  inconnue,  on  sait  seule- 
ment qu'ils  profitaient  du  voisinage  de  la  mer  pour  s'enrichir  par  le 
commerce  au  loin. 

Le  Sindhu  ne  nous  offre  pas  moins  de  mystère  et  même  les  noms 
des  souverains  de  ce  pays  n'ont  pas  été  reconstitués. 

Durant  le  Vi''  siècle  régnèrent  au  Cachemire  Toramâna,  Mâtrgupta, 
Pravarasena  II,  Yudhisthira  V  et  plusieurs  princes  sur  qui  nous  ne 
savons  rien  d'exact.  Les  faits  racontés  par  l'histoire  du  Cachemire, 
la  Râjafarahgim,  sont  très  confus.  Toutefois  nous  savons  que  les 
Hûnas  se  réfugièrent  au  Cachemire  après  qu'ils  eurent  été  vaincus  par 
Yaçodharman.  La  situation  géographique  du  Cachemire  le  rendait  à 
peu  près  inaccessible  aux  ennemis  et  lui  assurait  de  cette  façon  une 
assez  grande  domination  sur  ses  voisins.  «  Le  royaume  du  Cachemire 
a  environ  sept  mille  li  de  tour.  De  tous  côtés,  les  frontières  sont 
entourées  de  montagnes.  Ces  montagnes  sont  d'une  hauteur  prodi- 
gieuse ;  quoiqu'il  y  ait  des  sentiers  qui  en  ouvrent  l'accès,  ils  sont 
extrêmement  étroits.  Depuis  l'antiquité,  les  ennemis  voisins  n'ont 
jamais  pu  l'attaquer  avec  succès.  Comme  ce  royaume  était  protégé 
par  un  dragon,  il  domina  bientôt  les  royaumes  voisins  (1)  «.  C'est 
ainsi  que  Hiouen  Tsang  nous  décrit  le  Cachemire  et  il  ajoute  ailleurs 
que  les  royaumes  voisins  en  étaient  tributaires. 

Passons  maintenant  aux  puissances  voisines  de  Tlndc  et  examinons 
quelle  influence  elles  ont  bien  pu  exercer  sur  l'Hindoustan. 

Au  nord-ouest  du  Cachemire,  c'est  d'abord  la  Perse.  La  Perse  se 
trouvait  alors  sous  le  gouvernement  des  Sassanides.  Les  derniers 
empereurs  de  cette  dynastie,  harassés  par  les  Ephtalites  ou  Hûnas, 


(1)  H.  T.  vol.  li,  pp.  167-168. 


—  54  — 

les  Romains,  les  Arabes  et  les  rebelles  que  les  troubles  extérieurs 
•soulevaient  dans  la  Perse  même,  étaient  plongés  en  pleine  décadence 
et  ne  pouvaient  guère  s'inquiéter  de  ce  qui  se  passait  au  delà  de 
rindus.  Sous  Yazdijard  III,  les  Arabes,  en  635,  firent  périr  le  général 
persan  Rustam  et  marquèrent  par  cette  bataille  la  fin  de  la  Perse 
ancienne.  Yazdijard  III,  à  la  fin,  dut  s'enfuir  au  Turkestan,  et  en 
essayant  de  rentrer  en  Perse,  il  fut  misérablement  assassiné  près  de 
Merv  par  un  meunier  qui  convoitait  ses  riches  vêtements. 

Du  iv^  jusqu'au  vii^  siècle  le  Tibet,  occupé  alors  par  des  tribus 
non  civilisées,  fut  divisé  en  plusieurs  royaumes  plus  ou  moins  soumis 
à  la  Chine.  Pendant  le  vi"  siècle  un  mouvement  impérialiste  se 
produisit  :  des  tribus  se  coalisèrent  et  se  donnèrent  un  roi  en 
commun.  Gnam-ri-srong-btsan  commença  à  édifier  l'empire  auquel 
devait  arriver  le  grand  Srong-btsan-sgam-po  dont  nous  aurons  à  parler 
plus  tard. 

Intimement  lié  à  l'histoire  du  Tibet  est  le  Népal  qui  lui  donna  une 

grande  partie  de  sa  culture  et  de  sa  civilisation.  L'histoire  du  Népal 

est  encore  ass^z  difficile  à  exposer  malgré  les  Vaniràvalis  ou  plutôt 

à  cause  d'elles.  Ces  listes  dynastiques,  rédigées  postérieurement,  tout 

en  conservant  des  noms  et  des  faits  historiques  confondent  souvent 

l'ensemble   et   le  noient    dans    des    dates    fabuleuses.    Autant  que 

nous  pouvons  nous  en  rendre  compte  aujourd'hui  avec  l'aide  des 

inscriptions,  il  paraît  avoir  existé  au  Népal  un  double  gouvernement  : 

celui  de  la  famille  des  Licchavis  à  Mânagrha  et  celui  de  la  famille  des 

Thâkurïs  de  Kailâsakûtabhavana.  Entre  355  et  630  les  inscriptions 

ne  nous  donnent  aucune  indication  de  noms  de  rois.  Ce  n'est  que  vers 

l'an  635  que  nous  abordons  le  domaine  des  faits,  mais  à  cette  époque 

Harsa  a  déjà  constitué  son  pouvoir  et  n'a  rien  à  redouter  de  ce  côté. 

Voici  ce  que  Hiouen  Tsaug  nous  rapporte  sur  le  Népal  (1)  :  «  Le 

royaume  du  Népal  a  environ  quatre  mille  li  de  tour.  Il  est  situé  au 

milieu  de  montagnes  neigeuses.  La  capitale  a  une  vingtaine  de  li  de 

circuit.  Ce  pays  offre  une  suite  de  montagnes  et  de  vallées  ;  il  est 

favorable  à  la  culture  des  grains  et  abonde  en  fleurs  et  en  fruits.  On 

en  tire  du  cuivre  rouge,  des  yaks  et  les  oiseaux  du  nom  de  Jîvaiàjïva. 

Dans  le  commerce  on  fait  usage  de  monnaies  de  cuivre  rouge.  Le 

climat  esfglacial,  les  mœurs  sont  empreintes  de  fausseté  et  de  pér- 


il) H.  T.  vol.  il,  p.  407, 


—  55  — 

lidie,  les  habitants  sont  d'un  naturel  dur  et  farouche  ;  ils  ne  font  aucun 
cas  de  la  bonne  foi  et  de  la  justice  et  n'ont  aucunes  connaissances 
littéraires,  mais  ils  sont  doués  d'adresse  et  d'habileté  dans  les  arts. 
Leur  corps  est  laid  et  leur  figure  ignoble  ».  Comme  nous  avons  toutes 
les  raisons  possibles  de  supposer  que  Hiouen  Tsang  ne  se  rendit 
point  en  personne  au  Népal,  il  est  intéressant  de  le  voir  refléter  ce 
qui  devait  être  l'opinion  générale  des  Hindous  de  son  temps  sur  le 
caractère  peu  aimable  des  Népalais. 

Entre  502  et  617  trois  petites  dynasties  occupent  la  scène  en  Chine, 
ce  sont  celles  des  Leang,  des  Chin  et  des  Soui  (1).  Dès  le  commence- 
ment du  VI*'  siècle,  le  plus  grand  intérêt  s'attache  aux  fortunes 
des  souverains  de  Wei,  le  royaume  septentrional.  Le  souverain  de 
Wei  était  pendant  le  règne  de  Vouti  (502-550)  l'arbitre  de  la  destinée 
de  la  Chine,  et  c'était  à  sa  cour  qu'allaient  les  ambassades  de 
l'étranger.  Cette  période  est  surtout  remarquable  par  le  nombre  de 
femmes  qui  figurent  avec  distinction  dans  l'histoire.  Après  la  mort  de 
Vouti,  qui  avait  lutté  avec  plus  ou  moins  de  succès  contre  Wei,  vient 
une  suite  d'empereurs  bien  faibles  qui  se  succèdent  avec  rapidité  : 
ils  meurent  presque  tous  assassinés  par  des  parents  ou  des  généraux 
puissants  qui  veulent  leur  succéder.  Les  princes  de  Chin  succédèrent 
aux  Leang,  et  aux  Chin  les  princes  de  Soui,  sans  que  nous  ayons  à 
relever  sous  ces  différents  règnes  aucun  fait  intéressant.  Ce  n'est 
qu'avec  l'avènement  de  Kaotsou  Wenti  que  la  puissance  de  l'empire 


(1)  Liste  des  Empereurs  de 

Chir 

Les  Leang 

Vouti 

502. 

Wenti 

550. 

Yuenti 

552. 

Kingti 

555. 

Les  Chin. 

Vouti 

556. 

Weuti 

5G4. 

Pitsong 

567. 

Suenti 

569. 

Les  Soui. 

Wenti 

580. 

Vouti 

60L 

Yangti 

605. 

Kungti 

617. 

Les  Tang. 

Kaotsou 

GIS. 

T'aitsoug 

627. 

Kaotsong 

650. 

—  56  — 

chinois  se  releva  aux  yeux  des  peuples  voisins.  Les  guerres  contre 
le  roi  de  Corée  et  avec  les  Turcs  furent  heureuses  et  glorieuses.  Un 
de  ses  successeurs,  Yangti,  fit  construire  des  canaux  dans  tout  le  pays, 
et  pour  prévenir  la  famine,  fonda  des  greniers  publics.  Ses  guerres 
n'eurent  pas  autant  de  succès  que  celles  de  son  père,  et  les  Coréens 
se  défendirent  toujours  victorieusement  contre  ses  attaques  ;  mais 
cependant  il  sut  conquérir  et  soumettre  les  îles  Loochoo. 

Que  montre  cette  revue  rapide  ?  L'anarchie,  la  division,  le  partage 
entre  plusieurs  mains  du  pouvoir,  donc  la  faiblesse  de  chacun  de  ces 
princes.  Ayant  ainsi  parcouru  aussi  rapidement  que  possible  les 
divers  États  de  l'Inde  et  les  royaumes  de  l'extérieur  avec  lesquels  ils 
se  trouvaient  en  contact,  nous  nous  proposons  de  revenir  au  royaume 
de  Thanesar,  tel  que  nous  l'avons  laissé  à  la  mort  de  son  roi  Prabhâ- 
karavardhana  :  la  Mahâdevï  Yaçomatï  s'est  suicidée,  l'héritier  du 
trône,  Eâjyavardhana,  est  absent  et  lutte  contre  les  Hûnas,  tandis 
que  le  seul  membre  de  la  famille  royale  présent  à  Thanesar  est  le 
jeune  prince  Harsa. 

La  transmission  du  pouvoir  dans  l'Inde  a  de  tout  temps  été  accom- 
pagnée de  troubles.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant  de  constater  que  de 
mauvaises  nouvelles  attendent  Râjyavardhana  à  son  retour  de 
l'expédition  contre  les  Hûnas.  Sainvâdaka,  serviteur  de  Eâjyaçrî, 
arrive  de  KEnyakubja  et  annonce  la  mort  de  Grahavarman,  son  mari  : 
c'est  une  vengeance  rapidement  exécutée  du  roi  du  Mâlava.  Le  jour 
même  de  la  nouvelle  de  la  mort  du  roi  de  Thanesar,  il  a  massacré  le 
Maukhari,  gendre  de  celui-ci,  et  fait  jeter  en  prison  sa  femme  Râjyaçrï 
à  Kânyakubja.  11  se  préparait  en  outre  à  envahir  le  royaume  de 
Thanesar,  profitant  de  ce  que  l'armée  n'avait  plus  de  commandant  en 
chef  (1).  Sans  plus  tarder,  Râjyavardhana  se  met  à  la  tète  de  dix  mille 
cavaliers  et,  accompagné  du  fidèle  Bhandin,  son  cousin,  il  marche  contre 
le  roi  du  Mâlava,  pour  venger  la  mort  de  son  beau-frère  et  mettre  sa 
sœur  en  liberté.  Harsa  le  prie  de  l'emmener  avec  lui  et  le  rassure  en 
lui  disant  que  la  princesse  sa  propre  femme  n'a  pas  besoin  de  protec- 
tion (2).  Râjyavardhana  refuse  et  le  force  de  rester.  Au  bout  d'un 
certain  temps,  Kuntala,  chef  de  la  cavalerie  et  seigneur  estimé  de 


(1)  H.  C.  p.  204, 

(2)  H.  C.  p.  206. 


—  57  — 

Râjyavardhana,  vient  apprendre  à  Harsa  que  l'armée  du  Mâlava  a  été 
vaincue,  mais  que  le  roi  du  Gauda,  sous  des  prétextes  mensongers,  a 
attiré  Râjyavardhana  sans  armes  et  sans  suite  dans  sa  demeure  et 
l'y  a  assassiné  (1).  Voyons  maintenant  ce  que  les  inscriptions  nous 
en  disent  (2)  :  «  Le  Paramabhattârika  Mabârâjàlhirrija  Râjyavar- 
dhana II adorateur  passionné  du  Sugata  (Buddha)  ne  fondant 

son  plaisir  comme  le  Sugata  que  dans  le  bien  d'autrui  ;  lui  dont  la 
gloire  immaculée  s'étendait  telle  une  liane  sur  tout  le  globe  terrestre  ; 
qui  s'appropriait  la  gloire  de  Dhanada,  Varuna,  Indra  et  des  autres 
dieux  gardiens  du  monde  ;  qui  versait  la  réjouissance  aux  cœurs  des 
suppliants  par  de  nombreux  dons  de  richesses  et  de  terres,  acquises 
de  manière  honorable  ;  qui  l'emportait  sur  la  conduite  des  anciens 
rois,  c'est  lui  qui  dompta  en  bataille  Devagupta  et  tous  les  autres  rois 
ensemble,  de  même  qu'on  fait  détourner  des  chevaux  rétifs  à  coups 
de  fouet.  Il  déracina  ses  adversaires,  fit  la  conquête  de  la  terre,  se 
comporta  bien  envers  ses  sujets,  et  sa  "confiance  dans  les  promesses 
lui  fit  perdre  la  vie  dans  la  demeure  de  son  ennemi  « , 

Qui  était  ce  roi  Devagupta  ?  Etait-il  le  même  que  ce  roi  du 
Mâlava,  l'auteur  du  double  attentat  contre  Grahavarman  et  Râjyaçrï, 
contre  qui  Râjyavardhana  avait  mené  ses  dix  mille  cavaliers  ?  Il  est 
bien  difîicile  d'en  être  tout  à  fait  certain,  mais  si  le  récit  de  Bâua,  selon 
lequel  l'expédition  contre  le  Mâlava  suivit  de  près  la  mort  de  Prabhâ- 
karavardhana  et  selon  lequel  Râjyavardhana  mourut  quelques  mois 
plus  tard,  est  exact,  alors  Devagupta  semble  bien  être  le  nom  de  ce 
roi  du  Mâlava.  Ce  dernier  était  certainement  l'ennemi  le  plus 
redoutable  des  princes  de  Thanesar,  et  celui  dont  la  soumission 
aurait  été  la  plus  glorieuse  pour  la  renommée  de  Râjyavardhana.  De 
plus  la  conquête  du  Mâlava,  que  commémorent  les  inscriptions,  est 
confirmée  par  Bâna  qui  parle  de  la  capitulation  de  l'armée  du  Mâlava, 
du  butin  et  des  femmes  du  roi  rapportées  par  Bhandin  (3). 

Qui  est  d'autre  part  ce  roi  du  Gauda  qui,  selon  Bâua,  put,  par  des 
promesses  perfides,  attirer  Râjyavardhana  dans  un  piège  fatal?  Hiouen 
Tsang  accuse  de  ce  meurtre  le  roi  Çaçâûka  de  Karuasuvarua  (4)  et 

(1)  H.  C.  p.  208. 

(2)  E.  I.  vol.  vil,  p.  155. 

(3)  H.  C.  p.  ir>'A.  Buehler  proposait  déjà  d'identifier  le  roi  du  Mâlava  avecle 
Devagupta  de  l'inscription  de  Mudhuban.  E.  I.  vol.  i,  p.  7:.'. 

(4)  H.  T.  vol.  ii,  p.  248. 


—  58  — 

en  donne  pour  motif  la  crainte  légitime  qu'il  avait  des  talents 
militaires  de  Râjyavardhana  (1).  Mais  il  n'y  a  pas  de  contradiction 
entre  les  témoignages  de  nos  deux  auteurs.  Hiouen  Tsang  a,  en  effet, 
l'habitude  de  citer  les  princes  par  districts  et  non  par  royaumes  ;  il 
ignore  les  grandes  nomenclatures  de  territoire.  Pour  lui,  par  exemple, 
Harsa  est  spécialement  roi  de  Thanesar  et  non  roi  de  l'Inde  septen- 
trionale. C'est  ainsi  que  de  ce  Çaçâùka,  qui  était  roi  du  Gauda 
(du  Bengale),  il  fait  un  roi  de  Karnasuvarna,  du  nom  sans  doute 
de  sa  demeure  héréditaire.  Ainsi  pouvons-nous  identifier  le  roi  de 
Karnasuvarna  (qui  est  une  partie  du  Gauda)  avec  le  roi  du  Gauda. 
Maintenaat  comment  justifier  le  nom  de  Çaçâiika  que  donne  Hiouen 
Tsang  ?  Un  commentateur  du  Harsacarita  dit  que  le  nom  du  roi  du 
Gauda  fut  Narendragupta  (2).  Un  autre  disait  qu'il  s'appelait  Çaçâùka, 
sans  pouvoir  en  apporter  de  preuves.  Ce  n'est  que  grâce  à  la  publi- 
cation de  la  traduction  du  Harsacarita  par  Cowell  et  Thomas  qu'on 
a  pu  résoudre  les  difficultés.  Sur  ce  point  Bâna,  comme  presque 
partout  ailleurs,  confirme  Hiouen  Tsang  ;  seulement  jusqu'alors  on 
ne  l'avait  pas  remarqué.  Dans  la  description  du  retour  du  prince 
Râjyavardhana  après  la  mort  de  son  père  Prabhâkaravardhana,  il 
dit  (3)  :  «  A.U  firmament,  la  lune  aux  taches  claires  se  levait  brillante 
comme  la  bosse  pointue  du  taureau  apprivoisé  de  Çiva,  quand  il  est 
taché  de  la  boue  répandue  par  ses  grandes  cornes  ».  Ici  le  mot 
employé  par  Bâna  pour  désigner  la  lune  est  «  Çaçânka-mandalam  i-, 
mot  qui  signifie  en  même  temps  «  disque  de  la  lune  »,  et  «  territoire 
de  Çaçâùka  ».  MM.  Covpell  et  Thomas  ont  signalé,  les  premiers,  cette 
allusion  manifeste  au  roi  Çaçâùka.  Quant  au  nom  de  Narendragupta, 
il  montrerait  que  le  prince  qu'il  désignait  appartenait  aux  Guptas  du 
nord  et  qu'il  avait  aidé  le  roi  Devagupta  du  Mâlava  à  cause  de  sa 
parenté  avec  lui  (4). 

Nous  ne  savons  pas  grand'chose  des  événements  qui  suivirent 
immédiatement  la  mort  de  Râjyavardhana.  Nos  seuls  renseignements 
nous  sont  fournis  par  le  récit  de  Bâna.  Ayant  appris  de  Kuntala  les 
nouvelles  qu'il  avait  rapportées,  Harsa  en  fureur  se  détermine  à 


(1)  H.  T.  vol.  i,  p.  112. 

(2)  E.  I.  vol.  i,  p.  70. 

(3)  H.  G.  p.  199,  et  Cowell  et  Thomas,  traduction  du  H.  C.  p.  x,  et  p.  275. 

(4)  Cf.  A.  S.  Reps.  vol.  ix,  p.  157. 


—  59  — 

marcher  sans  perdre  un  instant  contre  le  perfide  Çiçàiika.  Il  se 
consulte  avec  le  général  en  chef  (seûâpati),  Simhatiâda,  un  ami  de  son 
père.  Le  général  lui  conseille  de  frapper  le  Gauda  avec  célérité,  afin 
d'en  imposer  aux  autres  vassaux  et  d'étouffer  dans  l'œuf  la  moindre 
tentative  de  révolte.  Harsa  dicte  alors  à  son  ministre  des  affaires 
étrangères  (samdhivigrahâdhikrta),  Avanti,  une  proclamation,  oii 
il  fait  vœu  de  délivrer  la  terre  des  Gaudas.  Un  autre  officier, 
Skandagupta  (1),  le  chef  des  éléphants,  détourne  Harsa  d'une  confiance 
excesssive  et  dangereuse,  en  lui  citant  maints  exemples  de  rois 
victimes.  Les  préparatifs  étant  finis,  l'expédition  se  met  en  marche 
ayant  deux  objectifs.  Le  premier  est  la  réduction  de  la  ville  de  Kànya- 
kubja,  oii  est  enfermée  la  princesse  Râjyaçrï,  et  le  deuxième  est 
la  punition  du  roi  du  Gauda.  Bâiia  nous  donne  un  tableau  si  mouve- 
menté et  si  pittoresque  de  la  mise  en  marche,  qu'il  serait  dommage 
de  ne  pas  citer  ici  ce  passage  (2)  : 

«  A  la  fin  de  la  troisième  veille,  quand  tous  les  êtres  dormaient 
et  que  tout  était  tranquille,  le  tambour  de  marche  retentit  avec  un 
bourdonnement  tel  que  le  rugissement  béant  des  ^éphants  du  ciel. 
Puis,  après  un  moment  de  silence,  huit  coups  secs  de  tambour  furent 
donnés  de  nouveau,  distinctement,  pour  indiquer  le  nombre  de  lieues 
dans  la  marche  du  jour. 

Aussitôt  roulaient  les  tambours,  vibraient  joyeusement  les  nâudïs 
(tambours  qu'on  frappe  comme  signe  de  bon  augure),  sonnaient  les 
trompettes,  bourdonnaient  les  Kâhalas,  et  retentissaient  les  cors  ; 
le  bruit  du  camp  augmentait  peu  à  peu.  Les  officiers  allaient  réveiller 
les  courtisans.  Les  cieux  étaient  remplis  d'un  bruit  de  baguettes  de 
tambour  et  de  coups  rapides  de  maillets  (3).  Des  commandants 
assemblaient  de  nombreux  inspecteurs  de  casernes.  Des  milliers  de 
flambeaux  allumés  par  les  gens  empiétaient  sur  les  ténèbres  de  la 
nuit  avec  leur  éclat.  Des  couples  d'amants  s'éveillèrent  au  bruit  des 
pas  des  gardiennes.  Perçants,  les  ordres  des  maréchaux  dissipaient 
le  sommeil  des  cavaliers  qui  clignotaient  des  yeux.  Des  surveillants 


(1)  Skandagupta  est  sans  doute  le  même  personnage  que  celui  que  nomme 
Harsa  dans  l'inscription  de  Madhuban  (E.  1.  vol.  i,  p.  73),  avec  les  titres 
de  Mahâpramâtâra  Maliâsâmanta. 

(2)  H.  C.  p.  228. 

(3)  Comparez  Twining,  «  Travels  in  India  »,  pp.  '.Yi  et  184,  pour  co  signal 
caractéristique  de  la  levée  d'un  camp. 


—  40  — 

d'éléphants  éveillés  quittaient  les  étables  où  ils  avaient  dormi.  Les 
chevaux   qui  venaient    de    dormir    secouaient    leurs  crinières.    Le 
camp  bruyant  résonnait  du  bruit  des  pioches  qui  déracinaient  des 
attaches  fixées  au  sol Tout  le  monde  était  couvert  de  pous- 
sière... Cependant  un  babil  continu  se  faisait  entendre  :  «  Avance 
donc,  mon  fils  »  !  «  Cher  seigneur,  pourquoi  traînez- vous  »?  «  Voici  un 
cheval  qui  galope  ».  «  Ami,  tu  clopines  comme  un  estropié,  et  l'avant- 
garde  nous  talonne  furieusement   ».   «   Pourquoi   fais-tu   courir  le 
chameau  ?  Tu  ne  vois  donc  pas,  brute  barbare  que  tu  es,  l'enfant  qui 
se  trouve  là  »?  «  Râmila,  mon  chéri,  fais  attention  !  ne  te  perds  pas 
dans  la  poussière  ».  "  Tu  ne  vois  pas  que  le  sac  de  farine  d'orge  fuit  ? 
Pourquoi  tant  se  presser  »?  «  Bœuf,  tu  quittes  le  chemin  et  vas  courir 
parmi  les  chevaux  ».  «  Tu  viens,  poissarde  »  !  «  Femelle  d'éléphant, 
tu  voudrais  bien  aller  avec  les  mâles  ».  "  Oh  !  oh  !  le  sac  de  pois  est 
de  travers  et  fuit,  tu  ne  prends  aucunement  garde  à  mes  cris  ».  «  Tu 
vas  t'égarer  et  tomber  dans  un  précipice  ;  tiens-toi  tranquille,  brute 
entêtée  ».  «  Marchand  de  bouillie,  ta  cruche  est  cassée  »  !  «  Traînard, 
tu  pourras  sucer  la  canne  à  sucre  en  route  »  !  «  Calme  ton  bœuf  » . 
«  Combien  de  temps,  esclave,  mettras-tu  à  cueillir  des  fruits   de 
jujubier  »?  «  Nous  avons  un  long  chemin  à  faire  ;  pourquoi,  ô  Dronaka, 
traînes-tu   maintenant?  cette   grande  expédition   s'arrête   pour  un 
vaurien  ».  «  La  route  devant  nous  monte  et  descend  ;  attention  mon 
vieux,  à  ne  pas  casser  le  chaudron  à  sucre  ».  «  La  charge  de  grains 
est  trop  lourde,  Gaudaka,  le  bœuf  ne  pourra  pas  la  porter  ».  «  Vite, 
esclave,  avec  un  coutelas  coupe  une  bouchée  de  fourrage  dans  ce 
champ  de  fèves  ;  qui  saura  dire  le  sort  de  sa  moisson  quand  nous 
serons  partis  »?  «  Eloigne  tes  bœufs,  drôle  ;  ce  champ  est  gardé  par 
des  veilleurs  »!  «  Le  chariot  est  resté  pris  :  attelle  un  puissant  et  jeune 
bœuf  au  joug  ».  «  Fou,  tu  écrases  des  femmes  ;  tes  yeux  sont-ils 
crevés  »?  «  Sacré  cornac,  tu  joues  avec  la  trompe  de  mon  éléphant  ». 
«  Marche  sur  lui,  brute  sauvage  ».  «  Frère,  tu  trébuches  dans  la 
fange  ».  «  Ami  des  affligés,  fais  lever  ce  bœuf  de  la  boue  ».  «  Par 
ici,  gamin,  on  ne  peut  pas  sortir  du  milieu  de  la  troupe  épaisse  des 
éléphants  ».  Par  ici,  des  groupes  de  cornacs,  de  garçons,  de  coquins, 
d'âniers,  de  valets,  de  voleurs,  de  serviteurs,  de  fripons,  et  de  pale- 
freniers, qui   s'étaient  repus  avec   un  repas  acquis  facilement  de 
restes  de  grains  abondants  et  vite  broyés,  exprimèrent  leur  joie  sur 
le  campement  en  poussant  de  hardis  et  bruyants  cris  de  triomphe. 


—  M  — 

Par  là,  de  pauvres  nobles,  sans  suite,  étaient  accablés  de  la  fatigue 
et  du  tracas  de  transporter  leurs  vivres,  à  l'aide  de  bœufs  défaillants 
que  de  malheureux  chefs  de  maison  de  village  leur  avaient  fournis 
et  qu'ils  n'avaient  obtenus  qu'avec  difficulté.  Ils  devaient  eux-mêmes 
serrer   leurs  objets  personnels   et  murmuraient  ainsi  :    «   Si  cette 
expédition  était  seulement  finie  ».  «  Qu'elle  aille  au  fond  de  l'enfer  ». 
«  Une  fin  à  ce  monde  de  soif  ».  «  Bonne  chance  à  notre  servitude  ». 
«  Adieu  à  ce  camp,  le  sommet  de  tout  désagrément  »...  Par  ici 
toute  la  campagne  était  venue  en  hâte,  avidement,  de  toutes  les 
directions,  par  curiosité,  pour  voir  le  roi,  et  des  concessionnaires 
sots,  sortant  des  villages  sur  la  route  et  conduits  par  des  anciens, 
des  arrosoirs  levés  à  la  main,  se    portèrent  en   avant,  dangereu- 
sement près  et  en  foule,  avec  des  cadeaux  de  lait  caillé,  de  mélasse, 
de  sucre  candi,  de  fleurs  en  corbeilles  ;  ils  demandaient  protection 
pour  leurs  récoltes,  fuyaient  par  peur  des  chambellans  irrités  et 
furieux,  et  malgré  la  distance,  les  faux  pas  et  les  chutes,  ils  gardèrent 
cependant  leurs  yeux  fixés  sur  le  roi  ;  ils  exposaient  au  grand  jour 
des  injustices  imaginaires  de  gouverneurs  passés,  louaient  des  centaines 
de  fonctionnaires  antérieurs,  rendaient  compte  d'antiques  méfaits  de 
fripons.   D'autres,   satisfaits   des    administrateurs   actuels,   criaient 
leurs  éloges  :  «  Le  roi  c'est  l'incarnation  même  de  Dharma  »  !  D'autres 
encore,  abattus  à  cause  du  pillage  de  leurs  grains  mûrs,  étaient 
venus  avec  leurs  femmes  pour  pleurer  leurs  biens  ;  et,  en  grand 
danger  pour  leur  vie,  la  douleur  faisant  fuir  la  peur,  ils  commen- 
çaient à  blâmer  leur  souverain,  criant  :  «  Où  est  le  roi  ».  «  Quel  droit 
a-t-il  à  être  roi  ?  ».  «  Quel  roi  »  !.... 

Chemin  faisant,  un  émissaire,  nommé  Hamsavega,  envoyé  par  le 
roi  de  Prfigjyotisa  (Assam  ou  Kâmarûpa),  arrive  avec  des  cadeaux 
magnifiques.  Son  maître,  le  roi  Bhâskaravarman,  surnommé  Kumûra, 
vient  de  succéder  à  son  père,  et  à  la  nouvelle  que  Harsa  part  en 
guerre  contre  le  roi  du  Gauda,  son  voisin,  il  s'empresse  de  rechercher 
son  amitié.  Harsa,  sentant  le  prix  d'une  telle  alliance  à  ce  moment 
surtout,  accepte  les  offres  de  Bhâskaravarman.  Tandis  qu'il  continue 
à  marcher  contre  le  Gauda,  il  est  rejoint  par  Bhaudin  qui  arrive  avec 
l'armée  vaincue  du  roi  du  Mfilava,  ses  trésors  et  ses  femmes  (1). 
Bhandin  s'est  informé  de  la  situation  à  Kâuyakubja  :  après  la  mort 


(1)  II.  C.  p.  254. 


—  4-2  — 

de  Râjyavardhana  et  la  prise  de  Kâoyakubja  par  un  nommé  Gupta, 
Rajyaçrî  s'est  échappée  de  prison  et  est  entrée  dans  la  forêt  Vindhya, 
accompagnée  de  ses  femmes  (1).  Là-dessus  Harsa  change  d'objectif  : 
il  laisse  l'armée  aux  mains  de  Bhandin  et  lui  abandonne  la  punition 
du  Gauda,  tandis  que  lui-même  retourne  en  arrière  pour  retrouver 
sa  sœur.  Nous  savons  qu'il  fut  assez  heureux  pour  atteindre  celle-ci, 
mais  nous  ignorons  encore  ce  qu'il  est  advenu  du  Gauda  aux  prises 
avec  Bhandin.  Le  poème  de  Bâna,  en  effet,  s'arrête  à  la  reconnais- 
sance émue  du  frère  et  de  la  sœur,  et  nous  n'avons  plus  pour  nous 
guider  désormais  que  des  autorités  beaucoup  moins  détaillées.  Toutes 
nos  sources  se  taisent  sur  ce  qui  arriva  au  roi  Çaçâiika  (2).  Nous  ne 
savons  même  pas  si  le  meurtrier  fut  puni.  Il  paraît  bien  toutefois 
que  Harsa  ne  prit  pas  sur  lui  une  revanche  complète.  Nous  trouvons, 
en  effet,  des  donations  datées  du  règne  de  Çaçâiika,  le  Mahârâjâdhi- 
râja,  et  de  l'année  G19/20  A.  D.  (3).  On  est  fondé  à  croire  que  ces 
inscriptions  se  rapportent  au  même  Çaçâûka,  car  à  cette  époque 
nous  ne  connaissons  aucun  autre  roi  du  même  nom.  Donc  il  régnait 
au  moins  treize  ans  après  l'avènement  de  Harsa.  Un  moule  qui  se 
trouve  à  Rohtâsgadh  (4)  nomme  également  un  certain  Çaçâùka,  mais 


(1)  H.  C.  p.  253. 

(2)  Il  y  a  un  réservoir  appelé  de  son  nom  à  Bhâsu  Bihâr  dans  le  district 
Bagrahâ  (Bogra)  du  Bengale,  peut-être  le  Po-shi-po  de  Hiouen  Tsang  (A.  S. 
Reps.  vol.  XV,  p.  102).  Il  y  a  mention  d'une  ville  Çaçâiikapura,  située  sur  la 
côte  dans  Somadeva,  Katliâ-S,arit-8âgara^  livre  12,  ch.  101.  Voyez  Y.  A.  Smith, 
J.  R.  A.  S.  1893.  "  Observations  on  the  Gupta  coinage  n,  pour  des  monnaies 
en  or  de  Çaçânka  avec  l'image  d'un  bœuf  et  l'image  de  Laksml  sur  le  revers. 

(3)  E.  I.  vol.  vi,  p.  143. 

(4)  C.  1. 1.  vol.  iii,  p.  283.  Cette  inscription  est  taillée  dans  le  rocher  au  fort 
de  Rohtâsgadh  ou  Rohitâsgadh  Le  "  Rhotasgurh  »  et  «  Rhotasgarh  »  des 
cartes,  Indian  Atlas  Sheet  N°  104.  Lat.  24''  37'  N.  ;  Long.  83°  55'  E.  à  vingt- 
quatre  milles  de  Saliasrâm.  Le  «  Sahsarâm,  Sahseram,  et  Sasseram  »  des 
cartes,  ce  nom  est  sans  doute  une  corruption  du  sanskrit  "  Sahasrârâma  » 
(Mille-jardins).  Dans  le  haut,  il  y  a  la  figure  d'un  bœuf,  regardant  vers  la 
droite.  Cette  matrice  doit  être  un  moule  pour  fabriquer  des  sceaux  en 
cuivre  pour  attacher  aux  donations. 

Texte  : 

1.  Çrî-mahâsâmanta- 

2.  Çaçânkadevasya. 

Traduction  : 
«  De  l'illustre  Mahâsâmanta  Çaçânka  », 


_  45  — 

eu  lui  donoant  le  titre  de  Mahâsâmanta.  Le  caractère  de  l'iriscription 
semble  indiquer  la  même  époque  et  il  semble  bien  ici  encore  qu'il 
s'agit  du  même  personnage  qui  plus  tard,  comme  nous  verrons,  fit 
de  grands  efforts  pour  écraser  le  bouddhisme. 

Quel  qu'ait  été  le  succès  de  l'armée  de  Harsa  dans  le  Gauda,  son 
alliance  avec  le  Kâmarûpa  et  la  soumission  totale  du  Mâlava  ont 
considérablement  affermi  le  jeune  monarque.  Harsa  commence  dès 
maintenant  cette  lutte  continuelle  contre  ses  voisins  qui,  après  de 
dures  années  de  guerre  et  d'efforts  incessants,  lui  assure  la  domina- 
tion de  l'Inde  septentrionale  entière  et  lui  permet  de  s'y  établir  en 
conquérant  (1). 

La  situation  à  l'intérieur  n'était  pas  moins  satisfaisante  :  dès  ses 
premières  victoires,  son  pouvoir  n'avait  été  l'objet  de  nulle  contes- 
tation. Il  est  curieux  de  lire  dans  Hiouen  Tsang  les  propos  que 
tenaient  Bhandin  et  les  autres  grands  ministres  à  l'occasion  de 
l'avènement  de  Har:^a.  A  ce  moment  même,  il  est  vrai,  Hiouen 
Tsang  était  encore  en  Chine,  et  l'on  ne  peut  garantir  l'authenticité 
de  ces  conférences  politiques,  mais  il  s'y  trouve  probablement  autant 
de  sincérité  et  de  vérité  que  dans  les  discours  de  Thucydide  (2)  : 

«  Les  habitants  de  Kânyakubja  ayant  perdu  leur  prince,  le  royaume 
fut  en  proie  au  désordre.  Alors  un  ministre  nommé  Bânï,  qui  jouissait 
d'une  autorité  imposante,  parla  ainsi  à  ses  collègues  :  «  Le  destin  du 
royaume  va  se  décider  aujourd'hui.  Le  fils  aîné  de  notre  premier 
roi  est  mort,  le  frère  de  ce  prince  est  bienveillant  et  humain,  et  le 
ciel  l'a  doué  de  piété  filiale  et  de  respect.  Par  l'impulsion  de  son 
cœur,  il  aimera  ses  parents  et  aura  confiance  dans  ses  sujets.  Je 
désirerais  le  voir  héritier  du  trône.  Qu'en  peusez-vous  ?  Que  chacun 
de  vous  dise  son  sentiment  «.  Comme  tous  admiraient  sa  vertu^ 
personne  ne  fut  d'un  avis  différent.  Alors  les  ministres  et  les  magis- 
trats l'exhortèrent  à  monter  sur  le  trône  :  "  Prince  royal  »,  lui 
dirent-ils,  «  daignez  nous  écouter.  Notre  premier  roi  avait  accumulé 
des  mérites  et  amassé  des  vertus,  et  il  avait  régné  avec  gloire.  Quand 
Rajyavardhana  lui  eut  succédé,  nous  pensâmes  qu'il  irait  jusqu'au 
terme  de  sa  carrière.  Mais,  par  l'incapacité  de  ses  ministres,  il  est 
allé  se  jeter  sous  le  fer  de  son  ennemi  ;  cela  a  été,  pour  le  royaume, 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  251. 
{2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  248. 


_  44  — 

un  immense  déshonneur.  C'est  nous  qui  sommes  les  coupables. 
L'opinion  publique  éclate  dans  les  chants  du  peuple,  et  tout  le  monde 
se  soumet  sincèrement  à  votre  vertu  éclatante.  Régnez  donc  glorieu- 
sement sur  ce  pays.  Si  vous  pouvez  venger  les  injures  de  votre 
famille,  laver  la  honte  du  royaume  et  illustrer  l'héritage  de  votre 
père,  quel  mérite  sera  comparable  au  vôtre  ?  Nous  vous  en  supplions, 
ne  repoussez  pas  nos  vœux  ». 

«  De  tout  temps  »,  répondit  le  prince  royal,  «  l'héritage  d'un 
royaume  a  été  un  lourd  fardeau.  Avant  de  monter  sur  le  trône,  on 
doit  mûrement  réfléchir.  Pour  moi,  je  n'ai  en  vérité  qu'une  vertu 
médiocre,  mais  aujourd'hui  que  mon  père  et  mon  frère  ne  sont  plus, 
si  je  refuse  l'héritage  de  la  couronne,  pourrai-je  par  là  faire  le 
bien  du  peuple  ?  Il  est  juste  que  j'obéisse  à  l'opinion  publique  et  que 
j'oublie  ma  faiblesse  et  mon  incapacité.  Maintenant,  sur  les  bords 
du  Gange  (1),  il  y  a  une  statue  d'Avalokiteçvara  Bodhisattva  ;  comme 
il  opère  beaucoup  de  miracles,  je  désire  aller  le  prier  ».  Il  se  rendit 
aussitôt  auprès  de  la  statue,  s'abstint  de  manger  et  fit  de  ferventes 
prières.  Le  Bodhisattva,  touché  de  la  sincérité  de  son  cœur,  lui  apparut 
en  personne  et  l'interrogea  ainsi  :  «  Que  demandez-vous  avec  de  si 
vives  instances  »?  «  Je  n'ai  fait  qu'amasser  des  malheurs  »,  répondit 
le  prince  royal.  «  J'ai  perdu  mon  père,  qui  était  bon  et  affectueux, 
et  mon  frère  aîné,  modèle  de  douceur  et  d'humanité,  a  été  odieuse- 
ment assassiné.  Leur  mort  a  été  pour  moi  un  double  châtiment.  Je 
vois  moi-même  que  j 'ai  peu  de  vertu  ;  cependant  les  habitants  du 
royaume  veulent  m'élever  aux  honneurs  et  demandent  que  je  succède 
au  trône  pour  illustrer  l'héritage  de  mon  père.  Mais,  comme  mon 
esprit  est  obtus  et  dénué  de  connaissances,  j'ose  vous  demander  votre 
sainte  opinion  ». 

Le  Bodhisattva  lui  dit  :  «  Dans  votre  vie  antérieure,  vous  demeu- 
riez dans  cette  forêt  ;  vous  étiez  le  bhiksu  d'un  ermitage,  et  vous 
vous  acquittiez  de  vos  devoirs  avec  un  zèle  infatigable.  Par  l'effet  de 
cette  conduite  vertueuse,  vous  êtes  devenu  le  fils  de  ce  roi.  Le  souve- 
rain du  royaume  de  Karnasuvarna  ayant  détruit  la  loi  du  Buddha,  il 
faut  que  vous  succédiez  à  la  couronne  pour  faire  revivre  la  splendeur 


(1)  Ceci  ferait  entendre  que  Harsa  demeurait  à  Kânyakubja  comme  Hiouen 
Tsang  le  suppose  toujours.  Au  contraire,  Harsa  demeurait  alors  à  Thanesar, 
sur  la  Sarasvatï,  et  non  à  Kânyakubja  sur  le  Gange. 


—  45  — 

du  royaume.  Si  vous  vous  pénétrez  d'affection  et  de  pitié,  si  votre 
âme  compatit  au  maltieur,  avant  peu  vous  régnerez  sur  les  cinq 
Indes.  Si  vous  voulez  prolonger  la  durée  de  votre  dynastie,  il  faut 
que  vous  suiviez  mes  instructions.  Par  ma  protection  secrète,  je  vous 
procurerai  un  bonheur  éclatant,  et  nul  roi  voisin  ne  pouira  vous 
résister.  Mais  ne  montez  point  sur  le  siège  du  lion  (Simhâsanaj  et  ne 
prenez  point  le  titre  de  grand  roi  (Maharaja)  ».  Après  avoir  reçu  ces 
instructions,  il  se  retira.  Il  accepta  alors  l'héritage  de  la  royauté,  se 
désigna  lui-même  par  le  nom  de  prince  royal  (Kumârarâja)  et  prit  le 
titre  de  Çïlâditya  ». 

Bâna  confirme  cette  répugnance  du  jeune  Harsa  devant  cette 
formidable  succession.  «  Il  fut  embrassé  »,  dit-il  (1),  «  par  la  déesse  de 
la  Prospérité  Royale,  qui  le  prit  dans  ses  bras  et  s'emparant  de  lui  par 
toutes  les  marques  royales  qu'il  portait  sur  tous  ses  membres,  le 
força,  si  peu  disposé  qu'il  fût,  à  monter  sur  le  trône  ».  Peut-êlre 
fut-ce  à  cause  de  son  vœu  de  ne  pas  accepter  le  pouvoir  avant  d'avoir 
tué  le  roi  du  Gauda,  qu'il  ne  prit  que  le  titre  de  Kumârarâja  ;  car  ce 
n'est  qu'après  la  mort  de  Çaçânka  qu'il  prit  le  titre  de  Maharaja, 
comme  nous  le  trouvons  sur  ses  inscriptions.  Il  est  du  reste  à  noter 
ici  que  le  roi  Bhâskaravarman  du  Kâmarûpa  portait  aussi  le  titre  de 
Kumârarâja.  Était-ce  pour  ménager  les  susceptibilités  des  populations 
privées  de  leur  Maharaja  que  les  conquérants  prenaient  ce  titre 
insignifiant,  nous  ne  saurions  le  dire. 

Fort  de  la  loyauté  et  de  l'amour  de  ses  sujets,  Harsa  profita  de  ses 
premières  victoires  pour  arrondir  ses  domaines.  Les  moyens  qu'il 
mit  en  œuvre  dans  cette  intention  sont  précisés  par  Hiouen  Tsang  (2). 
«  Il  rassembla  toutes  les  troupes  du  royaume  et  fit  exercer  ses  sol- 
dats. Il  avait  une  armée  de  cinq  mille  éléphants  ;  la  cavalerie  comp- 
tait vingt  mille  chevaux,  et  l'infanterie  cinquante  mille  hommes.  Il 
marcha  de  l'ouest  à  l'est  pour  châtier  les  rois  insoumis.  Les  éléphants 
ne  quittèrent  point  leurs  selles,  ni  les  hommes  leurs  cuirasses.  Enfin, 
au  milieu  de  !a  sixième  année,  il  se  rendit  maître  des  cinq  Indes. 
Après  avoir  agrandi  son  territoire,  il  augmenta  encore  son  armée,  le 
corps  des  éléphants  fut  porté  à  soixante  mille,  et  celui  de  la  cava- 
lerie à  cent  mille.  Au  bout  de  trente  ans,  les  armes  se  reposèrent, 

(1)  H.  C.  p.  78. 

(2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  246. 


—  46  — 

et  par  sa  sage  administration,  il  répandit  partout  l'union  et  la  paix. 
Il  s'appliqua  à  l'économie,  cultiva  la  vertu,  et  pratiqua  le  bien  au 
point  d'oublier  le  sommeil  et  le  manger  «. 

C'est  vers  le  Magadha  que  Harsa  tourna  ses  premiers  regards.  Les 
Guptas  du  Magadha,  dont  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  parler, 
avaient  souvent  marié  leurs  princesses  avec  les  Vardhanas  de  Thane- 
sar.  Aussi  Harsa  semble-t-il  avoir  entretenu  des  relations  cordiales 
avec  eux.  Mahâsenagupta  du  Magadha  était,  avons-nous  déjà  supposé, 
le  frère  de  Mahâsenaguptâdevï,  la  grand'mère  de  Harsa.  Il  était  donc 
par  là  le  grand  oncle  de  Harsa.  Son  lils,  Mâdhavagupta,  était  de  même 
le  cousin  de  Harsa.  Même  s'il  n'y  avait  pas  eu  d'alliance  formelle 
entre  ces  deux  princes,  il  n'en  existait  pas  moins  entre  eux  des 
rapports  fort  intimes  d'après  ce  qu'on  pourrait  presque  déduire  d'une 
inscription  de  Mâdhavagupta  qui  nous  reste  et  où  il  est  dit  (1)  :  «  Mes 
ennemis  puissants  ont  été  tués  par  moi  en  bataille  ;  il  ne  me  reste 
plus  rien  à  faire,  —  telle  est  la  décision  que  le  héros  prit  en  son 
cœur,  —  et  alors  plein  du  désir  de  s'associer  avec  le  glorieux  Harsa- 

deva  » Ici  les  lettres  ont  disparu  de  l'inscription  par  l'effet  du 

temps,  et  il  est  malheureusement  impossible  de  préciser  comment  et 
de  quelle  façon  Mâ'lhavagupta  du  Magadha  s'était  associé  avec  Harsa. 

Comme  il  était  ainsi  fermement  établi  dans  le  nord-est,  Harsa  se 
dirigea  vers  le  nord-ouest  pour  protéger  ses  domaines  héréditaires 
des  invasions  des  tribus  à  demi  barbares,  qui  de  l'Asie  centrale  se 
pressaient  vers  l'Inde.  Parmi  ces  tribus,  les  Tukhâras  étaient  des 
plus  redoutables  pour  le  royaume  de  Thanesar,  aussi  Harsa  se  hâta- 
t-il  d'aller  les  attaquer  ;  s'il  ne  triompha  pas  d'eux,  du  moins  leur 
fit-il  rudement  éprouver  la  vaillance  de  ses  armes.  Cette  expédition 
n'a  pas  encore  été  signalée,  mais  nous  croyons  que  Bàiia  y  fait 
allusion  quand,  dans  une  description  allégorique  des  exploits  de  son 
protecteur,  il  dit  :  «  L'empereur  a  pris  tribut  sur  l'inaccessible  pays 
de  montagnes  neigeuses  des  Tukhâras  »  (2).  Buehler  a  cru  prouver  que 
cette  allusion  se  rapportait  à  une  invasion  du  Népal  par  Harsa  (3). 
Son  hypothèse  eut  beaucoup  de  succès  et  fut  acceptée  comme 
un  fait  certain.  Mais  si  on  examine  attentivement  le  texte  même  du 


(1)  C.  1. 1.  vol.  iii,  p.  206. 

(2)  H.  C.  p.  101. 

(3)  I.  A.  vol.  xix,  p.  40. 


—  47  — 

passage  du  Harsacarifa,  «  atra  parameçvareiia  tusâraçailabhuvo 
durgâyâ  grhïtah  karah  »  on  voit  qu'au  lieu  de  «  tusâra  »  on  devrait 
prononcer  «  tukhâra  »  (1).  Après  l'expédition  contre  les  Tukhâras, 
Harsa  a  dû  en  organiser  encore  une  nouvelle  contre  le  Sindhu,  car 
Bâna  nous  dit  de  Harsa,  «  qu'en  lui  le  meilleur  des  hommes  est 
devenu  glorieux  en  écrasant  le  roi  du  Sindhu  »  (2).  De  cette  campagne 
nous  ne  savons  malheureusement  rien  ;  sans  doute  Harsa  ne  faisait-il 
que  marcher  sur  les  traces  glorieuses  de  son  père  (3). 

Ayant  donc  montré  suffisamment  la  force  de  ses  armes  à  toute 
l'Inde  septentrionale  et  ayant  probablement  pris  depuis  quelque 
temps  le  titre  d'Empereur  «  parameçvara  paramabhattâraka  mahârâ- 
jâdhirâja  »,  Harsa  porta  ses  ambitions  vers  l'Inde  méridionale  (4).  Avec 
une  armée  aussi  puissamment  organisée  et  entraînée  que  l'était  la 
sienne  il  se  faisait  fort  de  rencontrer  aussi  peu  de  résistance  sinon 
moins  qu'il  n'en  avait  éprouvé  dans  ses  luttes  contre  les  peuples  du 
nord.  Au  sud-est  d'abord,  il  infligea  une  défaite  complète  au  roi 


(1)  "  S  »  et  «  Kh  »  se  confondent  dans  les  manuscrits  aussi  bien  que  dans  le 
sanskrit  parlé  des  pandits  modernes.  Par  exemple,  au  lieu  de  "  likhitam  «, 
"  écrit  »,  on  dit  «  lisitam  ».  Nous  proposons  donc  de  lire  ainsi  le  passage  du 
Harsacarita  :  "  atra  parameçvarena  tukhâracailabhuvo  durgâyâ  gfhïtah 
karab  ».  La  traduction  tigurative  veut  dire  :  «  Çiva  se  maria  avec  Durgâ, 
la  fille  d'Himrdaya  ». 

(2)  H.  C.  p.  100. 

(3)  H.  C.  p.  132. 

(4)  Dans  Vallabhadeva,  Subhcisitâvalï,  N"  2515,  éd.  Peterson,  on  trouve 
citée  une  stance  du  poète  Mayûra  qui  est  assez  curieuse. 

Bhûpâlâh  çaçibliâskarânvayabhuvaU  ke  nâma  nâsâditâ 
bhartâram  punar  ekam  eva  lii  bhuvas  fcvâm  deva  manyâmalie 
yenâiigain  parimrsya  kuntalam  athâkrsya  vyudasyâyatam 
colam  prâpya  ca  madhyadeçam  adhunâ  kâûcyâm  karab  pâtitah. 
«  Il  y  a  beaucoup  de  souverains  descendus  de  la  famille  de  la  Lune  et  du 
Soleil  ;  mais  nous  croyons,  ô  roi,  que  toi  seul  es  le  maitre  de  la  terre.  Car, 
prenant  possession  de  son  corps  et  caressant  sa  chevelure,  tu  as  écarté  sa 
veste  et  l'ayant  prise  par  la  taille,  tu  lui  as  déjà  mis  la  main  sur  la  ceinture  ». 
(Ou  bien)  «  Car,  étant  furieux  contre  les  Ângas,  tourmentant  les  Kuntalas, 
tu  as  dispersé  les  Colas  et  prenant  possession  de  Madhyadeea,  tu  ?s  déjà  mis 
la  main  sur  Kriiicï  ». 

C'est  un  vers  de  société  fait  avant  une  campagne,  une  «  anticipation  intel- 
ligente »  d'événements,  car  nous  n'avons  pas  connaissance  que  Harsa  ait  fait 
une  pareille  conquête  dans  le  sud  de  l'Inde. 


—  ^8  — 

du  Valabhî  et  le  chassa  de  son  royaume.  Ce  roi  malheureux  se 
réfugia  chez  le  roi  Dadda  IV  du  Broach  qui  sut  le  protéger  et  apaiser 
Harsa  à  un  tel  point  que  le  vainqueur  accorda  la  paix  au  vaincu,  le 
rétablit  généreusement  dans  son  royaume  du  Valabhî  et  lui  donna  sa 
petite-fille  en  mariage.  Quel  était  donc  ce  roi  du  Valabhî  et  par  quels 
moyens  le  roi  du  Broach,  ce  souverain  d'un  si  médiocre  territoire, 
avait-il  pu  négocier  aussi  habileoient  et  aussi  victorieusement  avec 
Harsa  ?  Ni  les  inscriptions  de  Harsa,  ni  Bâiia  ne  racontent  ce  fait. 
Ce  n'est  que  par  une  inscription  des  rois  du  Broach  que  nous  le 
connaissons  :  «  L'illustre  Dadda...  sur  qui  comme  la  beauté  d'un 
nuage  blanc  reposait  sans  cesse  une  couronne  glorieuse,  gagnée  en 
protégeant  le  seigneur  du  Valabhî,  qui  avait  été  battu  par  l'Empereur, 
l'illustre  Harsadeva....  (1)  ».  De  610  à  641,  nous  avons  les  noms  de 
Kharagraha  I"',  Dharasena  HI,  Dhruvasena  H  et  Dharasena  IV, 
comme  rois  de  Valabhî.  Hiouen  Tsang,  dans  sa  notice  sur  le 
Valabhî,  ne  nous  fait  point  douter  que  ce  ne  fût  Dhruvasena  II, 
neveu  du  roi  Çîlâditya  du  Mâlava,  qui  fuyait  devant  l'armée  de  Harsa. 
«  Le  roi  (du  Valabhî)  est  le  gendre  du  fils  de  Çîlâditya  (2)  roi  de 
KâQyakubja,  son  nom  est  Dhruvabhata.  Il  est  d'un  caractère  vif  et 
emporté  et  d'une  intelligence  faible  et  bornée  »  (3).  Ce  roi  fut  sous  la 
dépendance  absolue  de  Harsa,  car  Hiouen  Tsang  le  nomme  parmi  les 
princes  vassaux  qui  assistaient  à  la  grande  fête  religieuse  tenue  par 
Harsa  à  Prayâga  en  641  (4).  Ce  même  Dhruvasena  accompagna 
le  pèlerin  chinois  avec  les  autres  rois  lors  de  son  départ  pour  la 
Chine.  Les  notices  de  Hiouen  Tsang  mettent  hors  de  doute  et 
l'occupation  par  Dhruvasena  II  du  trône  de  Valabhî  à  l'époque  de  son 
passage  dans  ce  pays,  "et  le  vasselage  de  ce  roi,  ainsi  que  son  alliance 
matrimoniale  avec  Harsa.  Grâce  à  ces  données  supplémentaires 
l'assertion  de  l'inscription  de  Nausûri,  selon  laquelle  Dadda  IV  (Praçân- 
tarâja  II)  protégea  le  roi  de  Valabhî  contre  Harsa,  l'Empereur  du 
Nord,  devient  tout  à  fait  digne  de  foi.  Nous  nous  voyons  donc  en  état 


(1)  I.  A.  vol.  xiii,  p.  70.  Parameçvara-Çrî-Harsadevâbhibhûta-Valabhîpati- 
pati  (ri)  trânopajâta  -  bhramad-adabhra  -  cubhrâblu'a-vibhrama-yaço-vitânah- 
Çrï-Daddas. 

(2)  Dans  un  autre  passage  (H.  T.  vol.  i,  p.  206)  le  pèlerin  chinois  raconte 
que  Dhruvabhata  est  le  gendre  de  Çîlâditya  et  non  de  son  fils. 

(3)  H.  T.  vol.  iii,  p.  163. 

(4)  H.  T.  vol.  i,  p.  254. 


-  -49  - 

de  trouver  la  date  et  les  motifs  de  cette  expédition  au  Valabbî.  Entre 
l'année  633/4  (1)  et  l'année  640,  date  approximative  de  la  visite  de 
Hioueu  Tsang  au  Valabhï,  Harsa  a  voulu  étendre  son  autorité  sur 
l'Inde  occidentale,  et  il  a  naturellement  dirigé  ses  attaques  contre  le 
Valabhï,  l'Etat  à  la  fois  le  plus  puissant  et  le  plus  grand  du  Goudje- 
rat.  C'est  alors  qu'il  bat  le  roi  Dhruvasena  II  ;  celui-ci  prend  la  fuite 
et  demande  secours  à  Dadda  IV  dans  le  Broach.  De  cet  asile  il  adresse 
sa  soumission  à  Harsa,  qui  le  rétablit  sur  son  trône  en  vassal.  La 
paix  se  trouve  affermie,  comme  il  arrive  souvent,  par  le  mariage  de 
Dhruvasena  II  avec  la  petite-fille  de  Harsa.  Lorsque  Hiouen  Tsang 
dit  que  le  roi  du  Valabhï  s'était  adonné  au  bouddhisme  «  tout 
récemment  »  cette  assertion  montre  peut-être  indirectement  que  la 
soumission  et  le  mariage  du  roi  n'auraient  eu  lieu  que  peu  de  temps 
avant  sa  visite  (en  640).  La  conversion  de  Dhruvasena  au  bouddhisme 
se  rapporte  sans  doute  de  très  près  à  son  mariage  avec  la  petite-fille 
de  Harsa,  qui,  s'il  n'était  bouddhiste,  n'en  avait  pas  moins  une 
prédilection  certaine  pour  cette  confession.  Il  reste  encore  à  savoir 
comment  le  roi  du  Broach  en  accueillant  à  sa  cour  Dhruvasena  avait 
pu  résister  à  Harsa.  C'est  que  le  Broach,  peut-on  supposer,  s'appuyait 
sur  Pulikeçin  II,  le  Câlukya,  roi  de  Mahârâstra  et  empereur  du  Sud. 
Dadda  IV,  avec  l'aide  d'un  tel  suzerain,  était  capable  de  tenir  tête  à 
Harsa  et  c'est,  en  effet,  Pulikeçin  II  maintenant  qui  va  être  le  grand 
rival  de  Harsa  et  qui  va  contrebalancer  son  influence  dans  l'Inde. 
La  lutte  allait  désormais  s'engager  entre  ces  deux  empereurs  et  la 
fortune  devait  enfin  tourner  contre  Harsa. 

Pulikeçin  II,  fils  de  Kïrtivarman  I"  de  Vfitâpi,  est  le  digne 
héritier  de  ces  Câlukyas,  qui  dans  un  laps  de  temps  très  limité  avaient 
fait  brillante  fortune.  Avant  Pulikeçin  II,  les  princes  Câlukyas  ne 
portaient  que  le  titre  de  grand  roi  (maharaja).  Avec  lui  la  dynastie 
devint  bien  plus  puissante.  Il  succéda  en  610  à  son  oncle  Maïigalïça, 
qui  avait  détenu  la  régence,  pendant  la  minorité  des  enfants  de 
Kïrtivarman  P^  A  la  mort  de  Mangalîça,  les  tribus  du  sud,  que  l'on 
croyait  domptées,  se  révoltèrent,  comme  il  est  d'usage  à  la  fin  d'un 
règne. 


(1)  Date  de  la  deuxième  inscription  de  Klieda  des  rois  du  Broach,  où  il  n'est 
point  fait  mention  de  la  protection  du  roi  du  Valabhï,  qui  se  retrouve  sur 
toutes  les  inscriptions  postérieures. 

4 


—  50  — 

Un  prince  du  nom  d'Appâyika  et  un  autre  nommé  Govinda 
attaquèrent  le  nouveau  roi  des  Câlukyas  :  Appâyika  qui  avait  des 
chevaux  des  mers  du  nord  dans  son  armée  s'enfuit,  lorsqu'il  rencontra 
Pulikeçin,  tandis  que  Govinda  se  soumettait  à  l'alliance  du  roi  et  par 
là  obtenait  honneur  et  récompenses  (1).  Après  cette  victoire  Pulikeçin 
se  tourne  vers  les  Kadambas,  attaque  Banavâsï,  leur  capitale,  et  la 
prend.  Le  prince  de  la  famille  Gaùga  qui  régnait  sur  le  pays  de 
Cera  (2),  (près  de  la  province  moderne  de  Missour),  et  le  chef  de  la 
race  des  Alupas  (3)  deviennent  ses  alliés.  Il  envoie  ses  troupes  contre 
les  Mauryas  du  Konkan,  qui  sont  réduits  sans  difficulté.  Avec  une 
flotte  de  centaines  de  navires  il  assiège  et  prend  Purï  (4),  la  maîtresse 
de  la  mer  de  l'ouest.  Les  rois  du  Lâta,  du  Mâlava  et  du  Gurjara 
sont  aussi  subjugués  et  lui  paient  tribut.  (La  dernière  assertion  de 
l'inscription  est  bien  problématique).  Et  c'est  juste  au  moment  oii 
Pulikeçin  a  groupé  autour  de  lui  tout  le  sud  en  une  masse  homogène, 
qu'il  se  heurte  à  l'ambition  de  Harsa.  Les  détails  de  cette  lutte 
manquent  ;  Pulikeçin  mettant  en  déroute  les  éléphants  de  Harsa 
dispersa  son  armée  jusqu'alors  presque  invincible  (5).  Après  cette 


(1)  I.  A.  vol.  viii,  p.  242. 

(2)  1.  A.  vol.  i,  p.  363,  et  I.  A.  vol.  vil,  p.  16S. 

(3)  Le  nom  de  cette  famille  semble  être  conservé  dans  la  ville  moderne 
ti'Alupai  sur  la  côte  du  Malabar. 

(4)  Cette  ville  est  appelée  "  la  Laksmï  de  l'océan  de  l'ouest  «.  C'était  peut- 
être  la  capitale  du  roi  de  Konkan. 

(5)  Les  allusions  à  la  victoire  de  Pulikeçin  II  sur  Har.sa  sont  bien  fréquentes 
dans  les  inscriptions  des  rois  qui  viennent  après  eux.  On  trouvera  ces  passa- 
ges, E.  I.  vol.  vi,  p.  6  ;  I.  A.  vol.  iii,  p.  97  ;  I.  A.  vol.  vi,  pp.  6,  78,  87  ;  L  A. 
vol.  vii,  pp.  97,  163,  219,  245,  301  ;  I.  A.  vol.  viii,  pp.  13,  27,  43,  244  ;  I.  A.  vol. 
ix,  p.  125  ;  I.  A.  vol.  xi,  pp.  66,  68,  108  ;  I.  A.  vol.  xix,  pp.  146-152  ;  I.  A.  VOl. 
XX,  p.  94.  Partout  la  même  allusion  et  parfois  le  même  jeu  de  mots  ;  harsa- 
vicchodahetuh  est  l'épitliète  de  Pulikeçin,  I.  A.  vol.  viii,  p.  43  ;  ailleurs  E.  I. 

vol.  vi,  p.  6,  nous  avons  : 

apai'imita-vibhiiti-sphîta-sâmanta-sena-makuta-mani-mayiikJiâk'- 

krânta-pâdâravindah  | 
yudhipatita-gajendrânîka-bïbhatsa-bhiito-bhaya-vigalita-harso 
yena  châkâri  Harsah  || 
«  Harsa  dont  les  pieds  de  lotus  furent  ornés  des  rayons  des  joyaux  des 
diadèmes  de  troupes  de  feudataires,  florissant  d'un  pouvoir  incommensura- 
ble ;  à  cause  de  lui  (c.-à-d.  de  Pulikeçin)  sa  joie  (harsalL)  a  disparu  de  frayeur, 
étant  devenu  dégoûtant  avec  ses  rangs  d'éléphants  superbes  tombés  en 
bataille  «. 


—  51  — 

victoire  et  entre  les  années  609-12,  il  prit  le  titre  d'empereur 
(parameçvara).  Pour  garder  ses  frontières,  il  entretenait,  paraît-il, 
un  cordon  de  troupes  et  de  postes  armés  sur  les  bords  de  la  Narmadâ. 
Dans  la  suite,  il  aurait  aussi  dompté  les  Kosalas,  les  Kaliùgas,  les 
Pallavas,  les  Colas,  les  Pândyas,  les  Keralas,  en  un  mot,  le  sud  entier. 

Hiouen  Tsang  nous  fait  un  portrait  intéressant  de  Pulikeçin  (1). 
«  Le  roi  est  de  la  race  des  Ksatriyas,  il  a  des  goûts  belliqueux  et 
met  au  premier  rang  la  gloire  des  armes.  C'est  pourquoi,  dans  son 
royaume,  l'infanterie  et  la  cavalerie  sont  équipées  avec  le  plus  grand 
soin,  et  les  lois  et  ordonnances  militaires  sont  connues  de  tous  et 
sévèrement  observées.  Toutes  les  fois  que  le  roi  envoie  un  général 
pour  livrer  bataille,  quand  il  aurait  été  vaincu  et  aurait  perdu  toute 
son  armée,  il  ne  lui  inflige  aucune  peine  corporelle  ;  mais  il  lui  donne 
des  vêtements  de  femme  afin  de  le  pénétrer  de  honte.  Aussi  voit-on 
souvent  des  généraux  qui  se  donnent  la  mort  pour  échapper  au 
déshonneur.  En  tout  temps,  il  nourrit  plusieurs  milliers  d'hommes 
braves  et  plusieurs  centaines  d'éléphants  sauvages.  Un  peu  avant  le 
combat,  on  les  enivre  de  vin  jusqu'à  ce  que  l'ivresse  les  ait  rendus 
furieux  ;  puis  on  donne  le  signal  et  on  les  lance  contre  les  ennemis 
qui  ne  manquent  jamais  de  se  débander  et  de  fuir.  Fier  de  ces 
auxiliaires,  il  montre  le  plus  grand  mépris  pour  les  peuples  voisins, 
avec  qui  il  est  en  guerre.  Le  roi  Çïlâditya  se  vantait  de  sa  science 
militaire,  de  la  valeur  et  de  la  renommée  de  ses  généraux,  et  il 
marchait  lui-même  à  la  tête  de  ses  troupes  ;  mais  il  ne  put  jamais 
le  dompter  ni  le  tenir  en  respect.  » 

Bien  que  Hiouen  Tsang  fût  l'ami  de  Harsa,  il  ne  montre  pas  moins 
impartialement  la  vraie  puissance  de  Pulikeçin.  Pulikeçin  ne  se  fiait 
pas  pourtant  à  ses  propres  armes.  Il  demanda  des  alliances  non  pas 
à  un  état  indien,  car  les  royaumes  de  l'Inde  étaient  ou  pour  lui  ou 
pour  Harsa.  C'est  au-delà  des  frontières  de  l'Inde  qu'il  dut  se  trouver 
un  point  d'appui  pour  ébranler  l'empire  septentrional  de  Harsa. 

Il  y  avait  en  ce  moment  deux  grandes  puissances  en  dehors  de  l'Inde 
avec  lesquelles  l'Inde  était  en  constantes  relations  de  commerce  :  la 
Chine  et  la  Perse.  Nous  avons  des  témoignages  du'  commerce  qui 
s'établit  de  bonne  heure  entre  la  Chineet  l'Inde,  dans  le  BliUndajidùho 
ou  «  Dialogues  du  roi  Milinda  (Ménandre)  ».  Ces  dialogues  lurent 


(l).H.  T.  vol.  i,  p.  202. 


^iSSSSSSBBSBSSUSm 


—  52 


traduits  en  chinois  selon  Buojio  Nanjio  déjà  entre  317  et  420  (1).  De 
tout  temps  on  put  voyager  entre  Tlnde  et  la  Chine  ;  aussi  voit-on 
souvent  mentionnés  dans  les  livres  de  l'Inde  des  produits  originaires 

de  Chine. 

Harsa  tenait  ses  chevaux  de  race  de  la  Perse  (2)  et  ses  cuirasses 
de  la  Chine  (3).  Bâiia  (4)  dit  :  «  Le  pays  des  Turuskas  n'est  qu'à  une 
coudée  pour  les  hommes  braves,  la  Perse  n'est  qu'à  une  lieue  ». 

ïâranâtha  (5),  l'historien  tibétain,  raconte  que  «  Dans  le  temps,  le 
roi  de  Perse  envoya  des  chevaux  et  des  joyaux  comme  cadeaux  au  roi 
de  Madhyadeça  ;  celui-ci  lui  envoya  à  son  tour  des  éléphants  et  des 
soieries  «.  Ce  qui  prouve,  mis  à  part  quelques  détails  plus  ou  moins 
exacts,  que  l'Inde  n'était  pas  murée  du  côté  de  la  Perse,  même  à  cette 
époque  assez  éloignée  dont  parle  Târanâtha. 

Au  temps  d'I-tsing  (6)  (671),  il  y  avait  une  navigation  constante 
entre  la  Perse,  l'Inde  et  la  Chine.  Un  siècle  plus  tôt  (7),  nous  avons 
l'histoire  d'un  roi  de  l'Inde,  Devsaram  (Devaçarman)  qui  envoya  une 
ambassade  avec  des  cadeaux  magnifiques  et  un  jeu  d'échecs  au  roi 
Khusro-i-Noshervan  de  la  Perse  (Khusru  I")  avec  ce  message  ; 
«  Comme  vous  pensez  que  vous  êtes  le  roi  de  tous  les  autres  rois,  et 
que  vous  avez  le  titre  d'empereur  sur  nous,  ainsi  les  savants  de 
votre  cour  doivent  surpasser  les  savants  de  la  nôtre  » . 

Ainsi  il  n'y  a  pas  à  s'étonner  qu'en  626  Pulikeçin  II  ait  envoyé  une 
ambassade  à  Khusru  II,  roi  de  Perse.  Ce  fait  est  préservé  de  l'oubli 
par  l'historien  arabe  Tabari.  (8)  «  Dans  la  trente-sixième  année  de 
notre  règne  (c'est-à-dire  de  Khusru  II  =626)  Purumeça  (Parame- 
çvara),  roi  de  l'Inde,  nous  envoya  des  ambassadeurs  avec  une  lettre, 
dans  laquelle  il  nous  parla  de  diverses  choses  et  nous  envoya  ainsi 
qu'à  tous  nos  fils  des  cadeaux  ;  et  il  nous  écrivit  à  chacun  de  nous 
une  lettre.  A  toi  il  donna  un  éléphant,  un  sabre,  un  faucon  blanc,  et 


(1)  S.  B.  E.  vols.  XXXV  et  xxxvi.  Les  références  à  la  Chine  se  trouvent, 
vol.  XXXV,  p.  182  ;  vol.  xxxvi,  pp.  211,  269. 

(2)  H.  C.  p.  69. 

(3)  H.  C.  p.  231. 

(4)  H.  C.  p.  239. 

(5)  Târanâtha,  tr.  par  A.  Schiefner,  p.  94. 

(6)  I-tsing,  p.  xxviii. 

(7)  Mculigânechatrang ^  p.  1,  traduction  du  pehlvi  par  P.  D.  B.  Sanjana.  • 

(8)  Noeldeke,  Gcuchichte  der  Perser  und  Araber  des  Tabari,  p.  371. 


—  Po- 
ulie étoffe  de  brocart  tissée  en  or.  Comme  nous  regardions  vos  cadeaux 
et  vos  lettres,  nous  trouvâmes  qu'il  avait  mis  sur  ta  lettre  :  «  Garde 
le  contenu  secret  n,  en  langue  indienne.  Alors  nous  gardâmes  cette 
lettre,  appelâmes  un  écrivain  indien  pour  l'ouvrir  et  la  lire  ».  (1) 

Noeldeke  a  voulu  voir  en  «  Purumeça  «,  la  transcription  arabe 
ou  pehlevie  de  Pulikeçin.  11  est  bien  plus  probable  que  c'est  la 
transcription  de  Parameçvara  (Empereur),  le  titre  de  Pulikeçin.  Car 
il  ne  faut  pas  oublier  que  les  princes  hindous  se  faisaient  appeler 
moins  par  leurs  noms  propres  que  par  leurs  épithètes  (birudas).  C'est 
pourquoi  les  historiens  étrangers  nomment  souvent  les  rois  de  l'Inde 
du  nom  de  «  deva  »  (Majesté). 

Quelque  objection  que  nous  fassions  à  la  transcription  de  «  Puru- 
meça »  en  Pulikeçin,  nous  pouvons  tout  de  même  indentifier  le 
«  Parameçvara  »  de  Tabari  avec  Pulikeçin.  Car  il  n'y  avait  à  ce  moment 
dans  l'Inde  que  deux  Parameçvaras,  Harsa  et  Pulikeçin  :  il  faut  donc 
que  ce  soit  l'un  des  deux  qui  ait  envoyé  cette  ambassade  à  Khusru. 
La  preuve  que  ce  fut  Pulikeçin,  et  non  Harsa,  est  donnée  par  une 
découverte  ingénieuse  de  M.  Ferguson  (2), 

Une  des  caves  d'Ajanta,  dans  le  territoire  de  Pulikeçin,  à  laquelle 
on  assigne  la  date  de  610  640,  représente  un  roi  de  Perse  qui  est  sans 
doute  Khusru  II  buvant  avec  la  belle  Shirin  qu'a  célébrée  Firdîisi  dans 
le  Shali-nameh  :  une  autre  peinture  représente  un  roi  indien  sur  son 
trône  recevant  des  messagers  persans  porteurs  d'une  lettre,  et  à  qui 
on  donne  des  cadeaux.  Il  n'y  a  aucun  doute  que  ce  ne  soit  Pulike- 
çin II  qui  soit  représenté  ainsi,  si  on  en  croit  Tabari.  Le  tableau 
donne  une  idée  complète  d'une  cour  indienne  ;  le  roi  est  au  centre 
de  sept  femmes  qui  s'ébattent  à  divers  jeux,  de  chambellans  et  de 
divers  officiers  dont  l'un  est  à  coup  sûr  le  maître  de  cérémonies. 
Ainsi  n'avons-nous  pas  seulement  le  portrait  de  Pulikeçin  et  la  certi- 
tude que  ce  fut  lui  le  Parameçvara  qui  était  en  relations  avec 
Khusru,  mais  encore  nous  avons  les  portraits  de  Khusru  et  de  la  belle 
Shirin. 

C'était  avec  l'aide  de  la  Perse  que  Pulikeçin,  Parameçvara  du  sud, 


(1)  Il  y  avait  écrit  dans  la  lettre  :  "  Sois  joyeux,  car  dans  le  jour  Dai  ba 
Àdhar  du  mois  Adhai-  de  la  trente  huitième  année  du  règne  de  Khusru,  tu 
seras  couronné  et  roi  de  tout  son  royaume  », 

(2)  J.  R.  A.  S.  1879,  p.  154. 


54  — 


comptait  pouvoir  ébranler  la  puissance  de  Harsa.  Seulement  la  Perse 
n'était  point  à  ce  moment  dans  une  position  bien  favorable.  Les 
Sassanides,  harassés  par  les  Arabes  et  les  Hûnas  au  dehors,  par  les 
rebelles  au-dedans,  avaient  autre  chose  à  faire  que  d'épouser  la 
querelle  d'un  empereur  indien,  et  Khusru  se  contenta  de  donner  de 
belles  promesses  qui  ne  devaient  rien  lui  coûter. 

Harsa  avait  lui  aussi  sollicité  dos  alliances  en  dehors  du  monde 
hindou.  C'est  en  Chine  qu'il  voulait  trouver  un  contre-poids  pour 
rivaliser  avec  Pulikeçin.  Hiouen  Tsang  lui  avait  vanté  sans  doute 
trop  de  fois  la  grandeur  de  sa  patrie  et  la  puissance  de  ses  maîtres 
pour  que  Harsa  pût  résister  au  légitime  désir  d'en  tirer  utilité.  Dès 
641,  il  envoie  en  Chine  une  première  mission  dont  Ma-Twan-Lin 
nous  a  conservé  la  mémoire  (1)  :  «  Dans  la  quinzième  année  de  la 
période  Tching-Kwan  (en  641)  il  (Çïlâditya)  se  donna  le  titre  de  roi 
de  Magadha  et  envoya  un  ambassadeur  pour  présenter  une  lettre  à 
l'Empereur.  Ce  monarque  ordonna  à  Liaug-hoaï-King,  du  titre  de 
Yun-Ki-weï,  de  se  rendre  auprès  de  lui,  muni  d'une  patente  impériale, 
et  de  l'inviter  à  la  soumission.  Çïlâditya  fut  rempli  d'étonnement. 
«  Depuis  l'antiquité  »,  demanda-t-il  à  ses  officiers,  «  est-il  jamais  venu 
ici  un  ambassadeur  de  la  Chine  ?»  —  «  Jamais  » ,  répondirent-ils  tous 
ensemble.  Le  roi  sortit  alors,  salua  en  fléchissant  les  genoux,  reçut 
ainsi  le  décret  impérial  et  le  plaça  sur  sa  tête  (en  signe  de  respect)  ». 

Si  Harsa  marquait  tant  de  déférence  envers  un  pouvoir  si  lointain, 
c'est  qu'à  certains  troubles,  à  certaines  agitations  qu'il  remarquait 
autour  de  lui,  il  éprouvait  des  motifs  d'appréhension  ou  d'inquiétude. 
A  la  même  époque,  selon  Hiouen  Tsang,  il  revenait  justement  de 
châtier  un  vassal  rebelle,  le  prince  de  Kong-yu-tho,  que  Julien  vou- 
drait identifier  avec  Kongyoda  (?)  et  qu'on  croit  être  situé  sur  la  côte 
du  Malabar  (2).  Et  dans  le  temps  même  que  Hiouen  Tsang  résidait  à 
l'université  de  Nâlandâ,  il  eut,  dit-il,  un  songe  qu'il  rapporte  complai- 
samment,  et  qui  a  peut-être  une  signification  symbolique  (3). 

«  Lorsqu'il  eut  terminé  cette  étude,  il  fut  transporté  en  songe  dans 


(1)  Ma-Twan-Lin.  Livre  338,  fol.  14,  traduit  par  Julien.  J.  A.  4me  série,  vol. 
X,  pp.  81,  ss. 

(2)  H.  T.  vol.  i,  p.  23fi.  Hiouen  Tsang  en  donne  une  description  où  il  le 
décrit  comme  étant  à  quinze  cents  li  de  Kalinga. 

(3)  H.  T.  vol.  i,  p.  214. 


Ô^    

le  couvent  de  Nâlandâ.  Les  cellules  étaient  vides  et  désertes,  et  les 
cours,  sales  et  infectes,  étaient  remplies  de  buffles  qu'on  y  avait 
attachés  ;  on  n'y  voyait  plus  ni  religieux  ni  novices.  Le  maître  de  la 
loi,  étant  entré  par  la  porte  occidentale  de  l'enceinte  qu'avait  fait 
construire  le  roi  Bâlâditya,  vit,  au  quatrième  étage  d'une  tour  un 
homme  de  couleur  d'or,  et  dont  le  visage  grave  et  sévère  répandait 
une  lumière  éclatante.  Transporté  d'une  joie  intérieu-re,  il  voulut 
monter  ;  mais,  ne  trouvant  aucune  voie  pour  s'élever  jusque  là,  il 
pria  ce  saint  personnage  de  daigner  s'abaisser  et  de  l'amener  jusqu'à 
lui.  Celui-ci  lui  dit  :  «  Je  suis  le  Bodhisattva  Maùjuçrï,  vos  péchés 
passés  ne  vous  permettent  pas  encore  de  venir  «.  Alors,  étendant  la 
main  et  lui  indiquant  un  point  au-delà  du  couvent  :  «  Regardez  cela  «, 
lui  dit-il.  Le  maître  de  la  loi,  suivant  la  direction  de  son  doigt, 
regarda  dans  le  lointain,  au-delà  du  couvent.  Il  vit  un  vaste  incendie 
qui  dévorait  les  villages  et  les  villes,  et  les  eut  bientôt  réduits  en 
cendres.  «<  Bientôt  «,  lui  dit  le  personnage  de  couleur  d'or,  «  vous 
reviendrez  dans  cet  endroit.  Dans  dix  ans  d'ici,  le  roi  Çïlâlitya  doit 
mourir.  L'Inde  entière  sera  en  proie  à  des  troubles  affreux  et  des 
hommes  pervers  se  feront  une  guerre  acharnée.  Sou  venez- vous  bien 
de  mes  paroles  ». 

Pendant  le  séjour  même  de  Hiouen  Tsang  auprès  de  Harsa,  un 
complot  éclata  contre  la  vie  du  roi.  C'étaient,  au  dire  du  pèlerin 
chinois,  les  brahmanes  qui  en  avaient  été  les  instigateurs  par  jalousie 
des  faveurs  que  le  roi  accordait  trop  libéralement  aux  bouddhistes  (1). 
«  En  achevant  ces  mots,  il  (Harsa)  suivit  les  rois  et  monta,  du  côté 
de  l'est,  au  haut  du  grand  Stûpa.  Arrivé  sur  le  sommet,  il  promena 
partout  ses  regards,  puis  il  descendit  les  degrés.  Mais  tout  à  coup 
un  homme  étrange  courut  à  sa  rencontre,  un  poignard  à  la  main.  Le 
roi,  vivement  pressé,  fit  quelques  pas  en  arrière  et  remonta  l'escalier  ; 
puis  se  baissant,  il  saisit  cet  homme  pour  le  livrer  aux  magistrats. 

En  ce  moment,  les  magistrats,  remplis  de  crainte  et  de  trouble, 
ne  surent  pas  accourir  à  son  secours.  Tous  les  rois  demandèrent 
qu'on  exterminât  cet  homme.  Mais  le  roi  Çîlâditya,  sans  laisser 
percer  dans  ses  traits  la  moindre  colère,  défendit  qu'on  le  mît  à  mort. 
Le  roi  lui-même  l'interrogea  en  ces  termes  :  «  Quel  mal  vous  ai-je 
fait,  pour  que  vous  ayez  commis  un  tel  attentat  »  V 


(1)  H.  T.  vol.  i,  pp.  261-2. 


-  56  — 

«  Grand  roi  »,  répondit-il,  «  votre  bienfaisance  est  exempte  de 
partialité,  et  les  hommes  du  dedans  et  du  dehors  vous  doivent  leur 
bonheur  ;  mais  moi,  stupide  que  je  suis,  et  incapable  de  former  de 
nobles  projets,  je  me  suis  laissé  entraîner  par  un  mot  des  brahmanes. 
Tout  à  coup,  je  suis  devenu  un  assassin,  et  je  me  suis  chargé 
d'immoler  Votre  Majesté  ». 

Le  roi  lui  dit  :  «  Pourquoi  les  Brahmanes  ont-ils  formé  ce  coupable 

dessein  ?  » . 

«  Sire  »,  répondit-il,  «  après  avoir  réuni  les  princes  de  tous  les 
royaumes,  vous  avez  vidé  votre  trésor  et  vos  magasins  pour  honorer 
les  çramanas  et  faire  fondre  une  statue  du  Buddha  ;  mais  les  brah- 
manes, que  vous  avez  fait  venir  de  loin,  n'ont  reçu  de  Votre  Majesté 
aucune  marque  d'attention.  Ils  en  ont  ressenti  une  honte  profonde, 
et  ont  chargé  l'insensé  qui  vous  parle  de  commettre  cet  infâme 
attentat  » .  Là-dessus  le  roi  interrogea  sévèrement  les  hérétiques  et 
leurs  partisans.  Il  y  avait  cinq  cents  brahmanes,  tous  doués  de  talents 
supérieurs,  qui  s'étaient  rendus  à  l'appel  du  roi.  Jaloux  des  çramanas, 
que  le  roi  avait  comblés  d'hommages,  ils  avaient  lancé  une  flèche 
incendiaire  qui  avait  mis  le  feu  à  la  tour  précieuse.  Ils  espéraient 
que,  par  suite  des  efforts  qu'on  ferait  pour  éteindre  le  feu,  la  foule 
se  disperserait  en  désordre,  et  ils  voulaient  profiter  de  ce  moment 
pour  tuer  le  roi  » . 

Ainsi  l'utilité  d'une  alliance  avec  la  Chine  devenait  pour  Harsa 
de  plus  en  plus  indiscutable.  Le  retentissement  que  ses  victoires 
pouvaient  avoir  à  l'extérieur  ne  rendait  que  plus  douloureux  à  la 
caste  jalouse  des  brahmanes  le  haut  patronage  qu'il  mesurait  si  peu 
aux  bouddhistes,  et  l'afiinité  religieuse  qu'il  se  sentait  en  commun 
avec  ce  pays  ne  pouvait  que  le  déterminer  puissamment  à  rechercher 
l'appui  ou  l'amitié  de  ces  princes  dont  les  sujets  l'édifiaient  par  leurs 
dévots  pèlerinages. 

Des  difficultés  non  moins  redoutables,  quoique  d'un  autre  ordre, 
surgissaient  aussi  à  la  même  époque  chez  le  glorieux  rival  de  Harsa, 
Pulikeçin  IL  Les  Pallavas,  dont  la  capitale  était  Kâùcï  (Conjevaram, 
près  Madras),  les  ennemis  héréditaires  des  Câlukyas,  relevaient  la 
tête  et,  aidés  du  prince  singhalais  Mânavarman,  triomphaient  de 
l'empereur  lui-môme.  Le  Pallava  Narasimhavarman  I"  se  fait  gloire 
d'avoir  en  642  détruit  Vâtâpï,  la  capitale  des  Câlukyas  et  d'avoir 


—  57  — 

en  maintes  batailles  défait  Pulikeçin  (1).  Peu  après  Pulikeçia  II 
mourait  et  avait  comme  successeur  son  fils  favori  (priyatanaya) 
Vikramâditya  I". 

Déjà  à  la  fin  de  l'année  643  arrivait  dans  le  Magadha  une  nouvelle 
ambassade  chinoise  dont  les  chefs  étaient  Li-y-piao  et  Wang  hiuan- 
ts'e  ;  ils  reconduisaient  dans  l'Inde  un  brahmane  qui  avait  proba- 
blement été  envoyé  auprès  de  l'empereur  de  Chine  à  la  suite  des 
entretiens  de  Harsa  avec  Hiouen  Tsang.  Le  récit  chinois  en  est 
perdu, et  c'est  seulement  grâce  à  Ma-Twan-Lin  que  nous  en  possédons 
la  relation  qui  suit  :  «  Dès  que  l'envoyé  chinois  fut  de  retour,  il  entra 
immédiatement  dans  le  palais.  Un  nouveau  décret  chargea  Li-yi-piao 
d'aller  porter  au  roi  de  Magadha  la  réponse  de  l'empereur. 

«  Les  grands  ofiiciers  allèrent  au-devant  de  lui,  en  dehors  de  la  ville, 
avec  les  habitants  de  la  capitale  et  des  villes  voisines,  qui  affluaient 
pour  le  voir  et  brûlaient  des  parfums  sur  son  passage.  Çïlâditya  vint 
lui-même,  à  la  tête  de  ses  ministres,  et  reçut  le  décret  impérial,  le 
visage  tourné  vers  l'orient.  Il  offrit  de  nouveau  de  l'ho-tsi  (du  mica 
laminaire),  du  parfum  appelé  yo-kin  et  un  arbre  appelé  bodhidruma 
(l'arbre  de  l'intelligence,  ficus  religiosa)  (2)  ». 

A  peine  Wang  hiuan-ts'e  était-il  revenu  en  Chine  qu'il  fut  chargé 
d'une  nouvelle  mission  motivée  par  les  nouvelles  que  Hiouen  Tsang 
revenu  en  645  avait  rapportées.  En  646  Wang  hiuan-ts'e  se  mit  en 
route  pour  l'Inde  accompagné  de  Tsian-Cheu-jen  comme  second 
officier.  Ce  devait  être  la  dernière  mission  envoyée  vers  Harsa. 

Les  relations  de  Harsa  avec  le  Cachemire  et  le  Népal  sont  restées 
dans  l'obscurité.  D'après  Hiouen  Tsang,  Harsa  fit  une  invasion 
dans  le  Cachemire  pour  s'emparer  d'une  dent  du  Buddha  (3). 


(1)  Mahàvamça,  chap.  47.  (Wijesnpha,  pp.  41,  ss.)  Mânavarman,  prince 
singlialais,  vécut  à  la  cour  de  Narasimhavarman  et  l'aida  à  battre  son  ennemi 
le  roi  Valabha  (c'est-à-dire  Pulikeçin  II).  Pour  le  récompenser  de  son  secours, 
Narasimhavarman  aida  par  deux  fois  Mânavarman  à  envahir  l'ile  de  Ceylan  ; 
la  deuxième  fois  seulement  Mânavarman  fut  victorieux  et  il  put  dès  loi-s 
régner  sur  cette  ile.  Mais  selon  les  dates  du  Mahàvamça,  Mânavarman  ne 
vint  régner  à  Ceylan  qu'en  G91.  La  date  du  Mahclvaniça  est-elle  erronée,  ou 
«  le  Valabha  «  en  question  était-il  un  autre  que  Pulikeçin  II?  Mais  comme 
les  dates  du  Malua-amça  ne  sont  pas  rigoureuses  à  cinquante  ou  soixante 
ans  ])rès,  il  est  presque  certain  que  le  «  Valabha  »  et  «  Pulikeçin  H  »  sont 
identiques. 

(2)  Ma-Twan-Lin,  livre  338,  fol.  14,  traduit  par  Julien.  J.  A.  4""^  série,  vol.  x, 
p.  81. 

(3)  H.  T.  vol.  i,  p.  251. 


—  58  — 

Hiouen  Tsang  nous  donne  quelques  détails  intéressants  sur  le 
Népal  dans  ses  récits  de  voyage  (1). 

■  «  Le  roi  est  de  la  caste  des  Ksattriyas  et  appartient  à  la  race  des 
Licchavis.  Ses  sentiments  sont  purs  et  sa  science  éminente.  Il  a  une 
foi  sincère  dans  la  loi  du  Buddha.  Dans  ces  derniers  temps,  il  y 
avait  un  roi  appelé  Amçuvarman,  qui  se  distinguait  par  la  solidité 
de  son  savoir  et  la  sagacité  de  son  esprit.  Il  avait  composé  lui-même 
un  traité  sur  la  connaissance  des  sons  (Çahdavldyâçâstra)  ;  il  estimait 
la  science  et  respectait  la  vertu.  Sa  réputation  était  répandue  en 
tous  lieux  n . 

Les  dernières  années  du  règne  de  Harsa  sont  fort  ténébreuses.  Elles 
ont  dû  être  mouvementées  et  troublées.  Avant  l'arrivée  de  Wang 
hiuan-ts'e  dans  l'Inde  (2),  des  troubles  avaient  éclaté,  et  le  roi 
Harsa  était  mort.  Les  circonstances  de  cette  mort  ne  sont  pas 
claires, peut-être  succomba-t-il  sous  la  main  d'un  assassin.  Le  royaume 
fut  en  proie  à  l'anarchie  et  un  ministre  de  Harsa  nommé  Na-fou-ti 
0-lo-na-choen  (le  senâpati  Arjuna  (?)  ou  peut-être  Arunâçva  (?))  se 
saisit  du  trône.  A  l'approche  de  l'ambassade  chinoise  l'usurpateur 
mit  des  troupes  en  campagne  pour  repousser  Wang  hiuan-ts'e. 
La  mission  n'avait  pour  escorte  que  trente  cavaliers  ;  elle  ne  put 
triompher.  Elle  livra  bataille,  mais  la  partie  n'était  pas  éga'e  ;  les 
flèches  une  fois  épuisées,  tous  furent  faits  prisonniers,  et  les  Indiens 
pillèrent  les  objets  offerts  en  tribut  par  les  royaumes.  Wang  hiuan- 
ts'e  s'échappa  seul  à  la  faveur  de  la  nuit  ;  il  courut  à  la  frontière 
occidentale,  au  T'oufan  (au  Tibet),  et  il  appela  aux  armes  les  pays 
voisins.  Le  T'oufan  (sous  Srong-btsan-sgam-po)  fournit  douze  cents 
soldats  d'élite  ;  le  Népal  (sous  Amçuvarman)  lui  amena  sept  mille 
cavaliers  pour  lui  servir  d'escorte.  Wang  hiuan-ts'e,  avec  son  second, 
Cheu-jen,  se  mit  à  la  tête  des  soldats  des  deux  royaumes  et  s'avança 
jusqu'à  la  ville  de  Cha-puo  ho-lo  (la  capitale  de  l'Inde  centrale)  : 
après  trois  jours  de  siège  il  la  prit.  Les  pertes  furent  considérables  ; 
trois  mille  têtes  furent  coupées,  dix  mille  personnes  moururent  dans 
des  noyades.  0-lo-na-choen,  abandonnant  le  royaume,  s'enfuit, 
rassembla  ses  troupes   dispersées  et  revint  offrir  bataille.  Cheu-jen 


(Ij  H.  T.  vol.  i,  p.  407. 

(2)  S.  Lévi.  J.  A.  1900,  Les  missions  de  Wang  hiuan-ts'e  en  Inde. 


—  so- 
le fit  prisonnier,  décapita  raille  personnes  à  la  fois.  Ceux  qui  avaient 
la  garde  des  femmes  du  roi,  barrèrent  le  passage  du  fleuve  K'ien-t'o- 
wei  (1).  Cheu-jen  les  attaqua  ;  il  y  eut  une  grande  mêlée.  Il  s'empara 
des  femmes  et  des  fils  du  roi,  une  smala  de  douze  mille  personnes 
avec  toutes  sortes  d'animaux  domestiques  au  nombre  de  trente  mille. 
Alors  l'Inde  trembla  ;  il  reçut  la  soumission  de  cinq  cent  quatre-vingts 
villes  murées.  Le  roi  de  Tlnde  orientale,  Çiï  Kumâra,  envoya  comme 
cadeau  trente  mille  pièces  de  bétail,  bœufs  et  chevaux,  pour  appro- 
visionner l'armée,  et  aussi  des  arcs,  des  sabres  et  des  franges.  Le 
royaume  de  Kâmarïipa  offrit  des  curiosités  pour  l'empereur,  une 
carte  du  pays,  et  demanda  en  don  une  image  de  Lao-tzeu.  Hiuan-ts'e 
emmena  avec  lui  O-lo-na-choen  et  l'offrit  humblement  à  l'empereur  : 
il  était  de  retour  à  la  capitale  en  648.  La  victoire  fut  proclamée 
officiellement  et  Hiuan-ts'e  fut  promu  à  un  rang  supérieur. 

Voilà  tout  ce  qu'on  sait  des  événements  qui  entourent  la  fin  de 
Harsa.  Qu'il  mourut  sans  pouvoir  laisser  son  royaume  à  son  fils,  ce 
fait  nous  est  prouvé  par  les  récits  chinois  et  par  l'historien  tibétain 
Târanâtha  qui  dit  :  «  Les  rois  Çrï  Harsa,  Çïlâ,  Bharsa,  etc.  se  tiennent 
seuls  dans  l'histoire  (2)  »,  c'est-à-dire  qu'ils  n'eurent  point  pour  suc- 
cesseurs leurs  enfants.  Le  lourd  fardeau  de  l'empire  que  Harsa  avait 
su  s'imposer  et  qu'il  avait  supporté  pendant  plus  de  quarante  ans, 
ne  devait  plus  revenir  sur  les  épaules  d'un  seul  homme.  L'empire 
septentrional  de  Harsa  se  démolit  avec  rapidité  et  se  décomposa  en 
royaumes  fragmentaires  pareils  à  ceux  que  Harsa  avait  jadis  conquis 
et  groupés  autour  de  lui.  La  mort  de  Harsa  laisse  leur  libre  essor  à 
une  foule  de  petites  dynasties  locales  et  l'histoire  de  l'Inde  n'offre 
plus  d'intérêt  jusqu'à  l'apparition  des  Musulmans.  Au  Magadha  le 
Gupta  Âdityasena,  fils  de  Mâdhavagupta,  monta  sur  le  trône,  et  le 
Valabhî  recouvra  sou  indépendance  sous  Dharasena  IV.  Le  moment 
approchait  où  l'Inde  allait  de  nouveau  tomber  sous  les  coups  d'un 
adversaire  étranger  à  l'Inde.  Les  Hïïnas  barbares  faisaient  place  à  un 
ennemi  plus  terrible,  aux  Arabes  qui  venaient  d'allumer  à  l'autel  de 
Mahomet  la  torche  du  fanatisme  militaire.  Le  demi-siècle  pendant 
lequel  Harsa  a  occupé  la  scène  historique  avait  été  un  moment  unique 


(1)  M.  L.  D.  Barnett  suppose  que  K'ien  t'o  wei  -=  Gandhavaï  =  Gandhavatï. 

(2)  Târanâtha,  tr.  par  A.  Schiefner,  p.  2. 


~  60  — 

d'organisation  et  de  création  de  grands  empires.  Tandis  que  dans 
l'Inde  même  Harsa  était  le  dernier  empereur  hindou  de  l'Hindous- 
tan,  tout  autour  de  la  péninsule  se  créaient  de  nouvelles  puissances. 
C'est  alors  que  Mahomet  paraît,  que  la  Chine  et  que  le  Tibet  s'orga- 
nisent. A  peine  Harsa  est-il  mort  que  les  premières  razzias  arabes 
chevauchent  à  travers  le  Pendjab.  A  Kânyakubja,  il  est  vrai  qu'il  se 
constituera  un  empire  assez  puissant,  mais  ce  ne  sera  que  bien  plus 
tard  à  la  fin  du  xii°  siècle,  et  la  suprématie  en  sera  très  contestée. 

En  somme,  depuis  Harsa  jusqu'au  temps  de  la  domination  anglaise, 
il  n'est  pas  possible  de  trouver  dans  l'Inde  un  empire  qui  englobe 
autant  de  pays  que  celui  qu'il  avait  pu  constituer.  Après  lui  personne 
ne  saura  plus  de  longtemps  grouper  sous  une  même  loi,  sous  un  même 
nom,  tant  de  principautés  remuantes  et  jalouses.  Mais  quel  triomphe 
éphémère  !  Cet  empire  colossal  ne  dure  que  l'existence  d'un  homme 
et  ne  lui  survit  pas  d'un  jour  ;  dès  que  s'est  brisé  le  lien  qui  noue  ce 
faisceau  de  vassalités  et  d'alliances,  chaque  élément  se  dissocie  et 
revient  à  sa  destinée  primitive  :  éclatant  témoignage  que  ce  n'est  pas 
un  homme  seul,  quel  que  soit  son  génie,  quelle  que  soit  sa  fortune, 
qui  peut  faire  de  l'Inde  un  tout  politique,  cohérent  et  conscient  de  sa 
tâche  :  la  vie  politique  de  l'Inde  n'aura  pu  dans  l'histoire  naître 
et  croître  que  sous  la  pression  opiniâtre  et  méthodique  d'un  autre 
peuple. 

L'empire  de  Harsa  s'est  élevé,  s'est  développé  et  s'est  écroulé  trop 
vite  et  trop  brusquement  pour  qu'il  nous  soit  resté  de  lui  au  moins 
une  constitution  politique  nettement  et  précisément  délimitée.  Malgré 
les  importantes  observations  de  Hiouen  Tsang,  toute  cette  organi- 
sation nous  paraît  un  peu  flottante.  Harsa  fut  sans  doute  remarquable 
par  sa  bienveillance  pour  ses  administrés,  par  la  protection  éclairée 
qu'il  prodigua  aux  lettres,  par  la  clémence  de  sa  justice,  mais  il  ne 
semble  pas  qu'il  ait  su  réunir  solidement  les  divers  éléments  qui 
constituaient  son  empire,  il  semble  qu'il  ait  favorisé  un  état  de  choses 
oii  les  liens  de  chacun  envers  la  communauté  étaient  fort  relâchés, 
où  le  sens  de  la  responsabilité  et  de  la  solidarité  était  nul,  politique 
peut-être  fort  avantageuse  pour  les  hommes  d'un  jour  qui  peuvent  en 
jouir,  mais  en  tout  cas  désastreuse  pour  les  dynasties  qui  la  prati- 
quent. Aurait-il  même  tenté  de  suivre  une  autre  ligne  de  conduite  que 
le  résultat  eût  peut-être  été  le  même  :  que  peut  une  institution  poli- 


—  61  — 

tique,  si  elle  n'est  sanctionnée,  si  elle  n'est  dès  longtemps  réclamée 
par  les  mœurs,  par  les  volontés  de  tous  ?  Rien  du  surprenant  aussi 
que  la  ruine  de  l'empire  se  soit  précipitée  avec  taut  de  célérité. 

Quels  sont  d'abord  les  titres  de  Harsa  ?  Dans  ses  inscriptions,  il  se 
gratifie  des  épithètes  de  paramahMiklraha  maJiâràjâdhirâja,  («  le  roi 
suprême,  le  roi  suprême  des  grands  rois  «),  auxquelles  avaient  droit 
déjà,  selon  lui,  son  père  et  son  frère  aîné.  Dadda  IV  du  Broach,  en  se 
vantant  de  la  résistance  qu'il  avait  pu  lui  opposer,  lui  reconnaît  le 
titre  de  parameçvara  ("  empereur  «),  et  c'est  sous  ce  titre  que  Harsa 
régnait  sur  ses  vassaux.  Lorsqu'il  fut  vaincu  par  Pulikeçin,  le  même 
titre  fut  repris  par  Pulikeçin  en  conséquence  de  sa  victoire. 

En  dehors  de  ces  titres  purement  politiques,  il  ne  serait  pas  sans 
intérêt  de  voir  quelles  épithètes  lui  furent  appliquées  par  le  poète 
Bâna.  Il  lui  octroie  les  titres  de  Gakravartin  (empereur),  Catulisa- 
mudrâdhipatl  (souverain  des  quatre  océans),  Maliâràjâdhiraja  (roi 
suprême  des  grands  rois),  Parameçvara  (empereur),  Frtlivipati 
(seigneur  de  la  terre),  Sarvadv'ipahlmj  (maître  de  tous  les  continents). 

Quant  à  la  propre  personne  du  roi,  Bâna  nous  en  dit  tant  dans  son 
langage  poétique  qu'il  est  difficile  de  savoir  au  juste  ce  que  valent  les 
faits  chez  un  tel  amplificateur.  Hiouen  Tsang,  qui  n'écrit  pas  pour 
flatter  ni  des  vivants  ni  des  morts,  consigne  dans  ses  notes  que  le  roi 
«  est  doué  d'une  belle  figure  et  d'une  taille  imposante  «  (1). 

Cette  majesté  naturelle  prenait  encore  plus  d'éclat  au  milieu  de  la 
cour  brillante  que  Harsa  savait  entretenir  autour  de  lui.  II  est  assez 
facile  de  se  représenter  quel  pouvait  être  le  faste  de  cette  cour 
orientale  où  le  prince  avait  réuni  les  beautés  les  plus  séduisantes  de 
son  empire  avec  ce  que  les  lettres  comptaient  de  plus  distingué.  Par 
une  heureuse  chance,  nous  possédons  les  impressions  que  ressentit  un 
grand  poète  lors  de  sa  première  visite  à  la  cour.  Bâna  nous  a  laissé 
un  tableau  exact  de  ce  que  ses  yeux  ravis  découvrirent,  quand  pour 
la  première  fois  il  aborda  son  souverain,  et  c'est  ainsi  qu'il  le  dépeint 
à  ses  parents  : 

«  Le  camp  était  rempli  de  tous  les  côtés  de  vassaux,  ennemis  et 

vaincus honorés   bien  que  vaincus,   ils   n'avaient    pas   d'autre 

refuge  ;  sans  cesse  ils  adressaient  leur  requête  aux  divers  domestiques 
des  concierges  de  l'intérieur,  qui  de  tenjps  en  temps  allaient  et 


(1)  H.  T.  vol.  i,  p.  111. 


—  0^2  — 

venaient  et  dont  les  pas  étaient  suivis  par  des  milliers  de  suppliants  : 
«  Mon  cher,  est-ce  que  ce  sera  pour  aujourd'hui  »?  «  Le  grand 
seigneur  daignera-t-il  donner  audience  dans  la  salle  après  dîner  »  ? 
«Ou  viendra-t-il  dans  la  cour  extérieure»,  et  c'est  ainsi  qu'ils 
passaient  la  journée  dans  l'espoir  d'une  audience. 

Il  y  avait  aussi  d'autres  rois,  qui  désiraient  sa  gloire,  des  gens 
originaires  de  divers  pays,  qui  attendaient  le  temps  où  il  serait  visible. 
Il  y  avait  aussi  assis  tous  seuls  des  Jainas,  des  Ârhatas,  des  Pâçupatas, 
des  étudiants  brahmanes,  des  gens  venus  de  tous  pays,  des  sauvages 
de  toutes  les  forêts  qui  frangent  les  bords  de  la  mer,  des  ambassadeurs 
de  tous  les  pays  étrangers  »  (1). 

«  Suivant  le  chemin  indiqué  par  le  portier  (2),  il  passa  à  travers 
trois  cours  remplies  de  rois  vassaux,  et  dans  la  quatrième  il  vit  le 
roi  Harsa,  assis  devant  un  pavillon  oii  il  donnait  audience  après  le 
dîner  ;  il  était  entouré  de  loin  par  ses  serviteurs  en  ligne,  tous 
hauts  de  six  pieds,  beaux  comme  les  fleurs  Karnikâra,  en  armes  et 
descendus  de  vieilles  familles,  comme  d'autant  de  piliers  dorés  ;  ses 
favoris  étaient  près  de  lui.  Il  était  assis  sur  un  trône  de  pierre  »  (3).... 
Et  ce  trône  de  pierre  est  pour  Bâna  un  nouveau  thème  de  description 
où  nous  le  laisserons  s'escrimer  de  son  mieux  avec  les  règles  de  la 
technique  littéraire. 

Le  premier  rang  après  l'empereur  appartenait  dans  la  maison 
impériale  à  la  Mahâdevï.  Celle-ci  par  sa  position  même  avait  la  préro- 
gative dans  tout  le  palais.  Pour  avoir  une  idée  exacte  du  rôle  de 
la  Mahâdevï,  nous  pouvons  nous  reporter  directement  aux  paroles 
de  la  Mabâdevî  de  Prabhâkaravardhana.  Bien  que  par  l'intermédiaire 
de  Brina  elles  aient  pu  s'enjoliver  quelque  peu,  nous  y  trouverons  assez 
justement  quelle  opinion  se  faisait  d'elle-même  cette  princesse. 
Yaçomatï  (4),  la  mère  (5)  de  Harsa,  avant  de  se  jeter  dans  le  feu, 


(1)  H.  C.  p.  67. 

(2)  H.  C.  p.  77. 

(3)  Hiouen  Tsang,  qui  a  été  aussi  émerveillé  par  le  trône  de  Harsa,  nous 
dit  à  ce  sujet  :  «  Le  trône  du  roi  est  remarquable  par  son  élévation  et  sa 
largeur,  et  est  tout  parsemé  de  perles.  On  l'appelle  le  Siège  du  lion  (Simhâ- 
sana).  Il  est  couvert  d'une  pièce  de  coton  extrêmement  fin,  il  a  pour  marche- 
pied un  riche  escabeau  ».  (H.  T.  vol.  ii,  p.  67). 

(4)  H.  C.  p.  186. 

(5)  Nous  avons  un  récit  de  ses  vertus,  H.  C.  p.  134. 


—  65  - 

adresse  le  dernier  adieu  à  son  fils.  Avec  des  paroles  pleines  d'une 
noble  fierté,  elle  lui  dit  l'impossibilité  de  vivre  sans  son  mari,  le  roi 
Prabhâkaravardhana  : 

«  Je  suis  la  fille  d'une  noble  maison,  née  d'ancêtres  sans  tache,  la 
vertu  est  ma  dot.  As-tu  oublié  que  c'est  moi  qui  suis  l'épouse,  la 
lionne  d'un  grand  héros,  qui,  comme  le  lion,  faisait  ses  délices  de 
cent  batailles  ?  Fille,  épouse,  mère  de  héros,  de  quelle  autre  façon 
pourrais-je  agir,  moi,  dont  le  prix  était  la  bravoure  ?  Cette  main  a 
été  serrée  par  un  héros,  ton  père,  chef  parmi  les  princes,  pair  de 
Bharata,  de  Bhagïratha  et  de  Nâbhâga.  Sur  cette  tête  les  épouses 
soumises  de  vassaux  sans  nombre  ont  versé  de  leurs  aiguières  d'or 
l'eau  du  sacre.  Ce  front,  qui  a  mérité  l'honneur  du  bandeau  de  Mahâ- 

devî,  a  joui  d'une  chose  presque  inaccessible  au  désir  même J'ai 

dépensé  ma  provision  de  bonnes  œuvres,  qu'ai-je  de  plus  à  attendre  ? 
Je  voudrais  mourir  avant  de  devenir  veuve  ». 

Nous  n'avons  point  de  documents  sur  la  personne  de  la  Mahâdevï 
de  Harsa.  Nons  ignorons  même  son  nom.  Mais  nous  savons  qu'elle  a 
existé  réellement  par  une  allusion  contenue  dans  le  Harsacarita. 
Lorsque  Râjyavardhana  s'en  va  combattre  contre  le  roi  du  Mâlava,  il 
refuse  de  prendre  avec  lui  le  jeune  prince,  son  frère.  Harsa  lui  dit 
alors  (1)  :  «  Si  vous  voulez  que  je  protège  ma  femme,  alors  la  gloire 
(Çrï)  demeure  près  de  votre  sabre  » . 

Nous  ne  savons  pas  grand  chose  non  plus  des  enfants  de  Harsa. 
Son  fils  Kumâra  (titre  donné  au  successeur  au  trône,  comme  celui 
de  «  Dauphin  »),  nous  est  connu  par  un  jeu  de  mots  de  Bâna  (2).  De 
plus  nous  savons  que  Kumâra  avait  une  fille  mariée  au  roi  Dhru- 
vasena  H  du  Valabhî  (3).  Kumâra  n'eut  pas  la  bonne  chance  de 
succéder  à  son  père.  Mourut-il  avant  son  père,  c'est-à-dire  avant  648, 
ou  tomba-t-il  peut-être  sous  le  poignard  des  assassins  pendant  les 
troubles  qui  suivirent  la  mort  de  Harsa  en  648,  nous  l'ignorons 
complètement.  Târanâtha  nous  a  déjà  confirmé  que  Harsa  n'eut  pas 
son  fils  comme  successeur  (4). 

Pour  ce  qui  est  de  l'administration  de  Harsa  et  de  ses  relations 


(1)  H.  C.  p.  20G. 

(2)  H.  C.  p.  105. 

(3)  H.  T.  vol.  iii,  p.  163. 

(4)  Târanâtha,  tr.  par  A.  Schiefner,  p.  2. 


—  64.  — 

avec  ses  vassaux,  les  indications  des  inscriptions  à  ce  sujet  sont  si 
sommaires  que  nous  ne  pouvons  guère  les  utiliser.  Il  nous  faut  encore 
avoir  recours  à  Hiouen  Tsang,  qui  n'a  pas  manqué  d'être  frappé  de 
l'activité  personnelle  du  monarque  tant  dans  l'administration  politique 
que  dans  la  conduite  des  affaires  religieuses.  Comme  tous  les  grands 
princes,  il  était  infatigable,  partageant  toutes  ses  journées  entre  les 
affaires  spirituelles  et  temporelles  : 

«  11  divisait  chaque  jour  en  trois  parties.  Dans  la  première,  il 
s'occupait  des  affaires  publiques  et  du  gouvernement  ;  dans  la  seconde, 
il  s'appliquait  à  des  actes  méritoires  et  cultivait  le  bien  avec  un  zèle 
infatigable  ;  le  jour  entier  ne  lui  suffisait  pas  (1)  ». 

Il  n'abandonnait  pas  le  sort  de  ses  sujets  aux  soins  de  ses  gouver- 
neurs, il  ne  les  livrait  pas  à  la  discrétion  de  ses  propres  commis,  mais 
il  aimait  au  contraire  à  faire  des  tournées,  des  inspections  personnelles 
et  à  promener  partout  l'œil  du  maître  à  qui  rien  n'échappe  : 

«  Souvent,  il  visitait  lui-même  ses  domaines  et  observait  les 
mœurs  des  habitants.  Il  n'avait  nulle  part  une  résidence  fixe  ;  partout 
oii  il  s'arrêtait,  il  faisait  construire  une  cabane  et  y  demeurait. 
Mais  dans  les  trois  mois  de  la  saison  des  pluies,  il  suspendait  ses 
excursions  (2)  ». 

Non  content  de  punir  les  méfaits  de  ceux  qui  abusaient  de  leur 
autorité,  il  aimait  encore  à  récompenser  les  hommes  justes  et  probes. 
Il  allait  même  jusqu'à  leur  faire  l'extrême  honneur  de  les  inviter  à 
prendre  place  sur  son  propre  trône,  le  «  trône  du  lion  »  : 

«  Lorsque  les  petits  rois  des  royaumes  voisins,  leurs  ministres  et 
leurs  grands  officiers  pratiquaient  le  bien  sans  relâche  et  cherchaient 
la  vertu  avec  un  zèle  infatigable,  il  les  conduisait  par  la  main,  les 
faisait  asseoir  sur  son  trône  et  les  appelait  ses  bons  amis.  Quant  à 
ceux  qui  tenaient  une  conduite  différente,  il  dédaignait  de  leur  parler 
en  face  (3)  ». 

Ainsi  ne  point  se  déterminer  par  des  ouï-dire  et  se  rendre  compte 
de  tout  par  soi-même  paraît  avoir  été  un  de  ses  principes  de  conduite  : 
même  lorsque   d'autres  affaires   le  retenaient  ailleurs,  il   n'oubliait 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  254. 

(2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  253. 

(3)  H.  T.  vol.  ii,  p.  253. 


—  65  — 

jamais  l'intérêt  de  ses  sujets  et  avait  recours  à  des  intermédiaires 
qui  le  renseignaient  au  jour  le  jour  :  «  S'il  avait  besoin  de  consulter 
quelqu'un  sur  une  aôaire,  il  se  mettait  en  rapport  avec  lui  par  un 
échange  continuel  de  courriers  (1)  ».  C'est,  semble-t-il,  un  fait 
constant  que  Harsa  se  soit  maintenu  en  rapports  réguliers  avec  ses 
administrés  par  des  services  de  courriers.  Un  passage  de  Hiouen 
Tsang  qui  relate  les  précautions  prises  à  son  départ  de  l'Inde,  atteste 
l'existence  d'une  centralisation  des  affaires  assez  fortement  établie 
pour  qu'elle  ait  nécessité  l'emploi  de  fonctionnaires  spéciaux  chargés 
de  relier  à  la  tête  les  différents  membres  de  l'empire. 

«  Il  envoya,  en  outre,  (avec  Hiouen  Tsang)  quatre  Ta-Kouan 
(conducteurs  officiels)  qu'on  appelait  Mahâtâras.  Il  écrivit  des  lettres 
sur  des  pièces  de  coton  blanc  et,  les  ayant  cachetées  avec  de  la  cire 
rouge,  il  ordonna  aux  Ta-Kouan  de  conduire  le  maître  de  la  loi  et 
de  présenter  ces  lettres  dans  tous  les  royaumes  oii  il  passerait,  afin 
que  chaque  prince  lui  fournît  successivement  des  chars  pour  le 
conduire  jusqu'aux  frontières  de  la  Chine  »  (2). 

Ce  n'est  sans  doute  pas  un  de  ses  moindres  mérites  qu'il  ait  pu, 
contrairement  à  l'habitude  des  rois,  tenir  un  rôle  actif  dans  l'admi- 
nistration pratique  de  son  empire,  en  même  temps  qu'il  savait 
s'élever  au-dessus  des  menus  détails  des  affaires  journalières. 

Quel  était  du  reste  le  fonctionnement  des  rouages  administratifs, 
quels  étaient  ces  rouages  eux-mêmes,  comment  les  ordres  se  trans- 
mettaient du  pouvoir  central  jusqu'au  dernier  des  fonctionnaires, 
quelle  était  enfin  l'organisation  détaillée  de  cet  empire  de  l'Inde 
septentrionale,  les  éléments  nous  manquent  presque  absolument 
pour  répoudre  à  cette  question.  A  part  l'intervention  méthodique, 
personnelle  et  constante  du  roi,  nous  ne  connaissons  rien  des  autres 
principes  de  cette  administration.  La  division  et  la  subdivision  du 
pays  en  provinces  de  diverse  importance  est  un  fait  certain,  mais  les 
inscriptions  qui  la  signalent  ne  se  sont  jamais  donné  pour  but  de 
dresser  un  tableau  et  un  inventaire  complet  de  toutes  les  divisions 
administratives  (3).  Les  hhuMi  se  répartissaient  en  visaya  et  ceux-ci 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  253. 

(2)  H.  T.  vol.  i,  p.  260. 

(3)  Signalons  en  passant  que  le  nom  d'un  des  fonctionnaires  de  Harsa,  et 
non  des  moindres,  semblerait-il,  nous  a  été  conservé  par  une  inscription  sur 

5 


—  66  — 

en  villages,  mais  quelles  étaient  les  taxes  payables  au  roi  et  les 
corvées, on  ne  peut  le  préciser  à  cause  du  manque  total  d'informations. 
L'inscription  de  iVIadhuban  donne  la  formule  d'une  donation  de 
territoire  aux  brahmanes,  y  compris  l'exemption  de  tous  droits  ou 
redevances,  et  reste  comme  un  témoignage  d'un  état  social  qui  a  dû 
être  très  voisin  do  la  féodalité  et  où  une  hiérarchie  de  propriétaires 
territoriaux  recevait  l'investiture  du  roi  suprême  pour  la  transmettre 
à  tous  les  degrés  aux  vassaux  inférieurs. 

«  Le  paramabliaUaraka  mahârâjâdhiràja  Harsa  publie  cette  ordon- 
nance pour  les  3Ia]u(samantas  (grands  vassaux),  Maharajas  (grands 
rois),  DauhsâdhasâdJianikas  (préfets),  Framâtàras  (fonctionnaires), 
Bajasthamyas  (vice-rois),  Kumaramâtyas  (ministres  inférieurs), 
Uparikas  (surveillants),  Visayapatis  (gouverneurs  de  provinces), 
soldats  réguliers  et  irréguliers,  serviteurs,  et  autres,  assemblés  dans 
le  village  de  Somakundakâ  appartenant  au  visaya  Kundadhânï  de  la 

Wmliti  Çrâvastï,  et  au  peuple  y  demeurant j'ai  donné 

en  manière  de  don  aux  brahmanes  comme  un  agrahara  s'étendant 
à  ses  propres  bornes,  y  compris  Vudrahga  avec  tous  les  revenus  que 
pouvait  réclamer  la  famille  du  roi,  franc  de  toute  obligation,  comme 
un  morceau  ôté  du  district  auquel  il  appartient,  afin  qu'il  observe 
les  successions  de  fils  et  de  petit- fils,  pour  aussi  longtemps  que  la  lune, 
le  soleil,  et  la  terre  existeront,  selon  la  maxime  de  hhâmicchidra  (1) 

au Sachant  ceci  vous  devez  en  convenir,  et  les  gens 

qui  y  habitent,  se  tenant  prêts  à  obéir  à  mes  ordonnances,  doivent 
payer  à  ces  deux  (brahmanes)  le  fulya-meya,  la  part  du  produit,  les 
payements  en  argent,  et  autres  sortes  de  revenus,  aussitôt  qu'on  doit 
les  payer,  et  doivent  leur  rendre  service  ». 

Ces  documents,  donations  et  autres,  étaient  gravés  d'ordinaire  sur 


pierre  trouvée  en  1875  à  Kudârkot  dans  le  district  Itawâ  des  Provinces  du 
Nord-ouest  (E.  I.  vol.  il,  p.  179,'. 

«  Il  y  avait  un  personnage  nommé  l'illustre  Haridatta,  fameux  comme  un 
second  Hari,  qui  bien  qu'élevé  à  l'éminence  par  l'illustre  Harsa  ne  quitta  pas 
son  caractère  excellent  «.  S'agit-il  ici  d'un  ministre  du  roi,  d'un  gouverneur 
de  province,  ou  peut-être,  malgré  les  flatteries  de  l'inscription,  d'un  person- 
nage de  moindre  importance,  il  est  impossible  de  le  savoir,  et  le  nom  ne  se 
trouve  nulle  part  ailleurs  en  relation  avec  celui  de  Harsa. 

(1)  Au  moyen  du  bhU.micchidranyâya,  le  locataire  a  les  mêmes  droits  que 
s'il  avait  été  le  premier  propriétaire  du  terrain. 


•    —  67  — 

des  plaques  de  cuivre  auxquelles  ou  attachait  le  sceau  du  roi,  tel,  par 
exemple,  celui  que  uous  avons  de  Harsa  sous  le  nom  de  Sceau  de 
Sonpat.  Les  plaques  étaient  copiées  probablement  par  les  archivistes 
(aksapatalika)  et  le  double  en  était  gardé  par  eux  dans  un  bureau 
central.  Ce  n'était  pas  au  surplus  la  seule  fonction  de  ces  archivistes  : 
ils  rédigeaient  aussi  les  annales  de  l'empire  et  étaient  de  véritables 
historiographes  à  la  solde  du  roi.  «  Des  fonctionnaires  spéciaux  », 
dit  Hiouen  Tsang,  «  sont  chargés  de  consigner,  par  écrit,  les  paroles 
mémorables  ;  d'autres  ont  mission  d'écrire  le  récit  des  événements  ». 

«  Le  recueil  d'annales  et  d'édits  royaux  s'appelle  Ni-lo-pi-ch'a 
(Nîlapita).  On  y  mentionne  le  bien  et  le  mal,  les  calamités  et  les 
présages  heureux  (1)  ». 

La  tradition  rapporte  que  Harsa  ne  taxait  pas  trop  fortement  ses 
sujets  ;  Alberuni  dit  à  ce  propos  (2)  :  «  Les  Indiens  croient  que  Çrï 
Harsa  faisait  fouiller  la  terre  et  cherchait  ce  qui  pouvait  se  trouver 
dans  le  sol  en  fait  d'anciens  trésors  et  de  richesses  enfouies  ;  il  faisait 
enlever  ces  richesses  et  pouvait  par  ce  moyen  s'abstenir  de  pressurer 
ses  sujets  ».  Ces  fouilles  archéologiques  étaient-elles  suffisantes 
pour  équilibrer  le  budget  de  Harsa  et  produisaient-elles  assez  pour 
entretenir  notamment  la  formidable  armée  qui  lui  avait  assuré  la 
suprématie?  Non,  sans  doute,  mais  les  lignes  d' Alberuni  n'en 
demeurent  pas  moins  comme  une  attestation  de  la  bienveillance  de 
Harsa  à  l'égard  de  ses  contribuables,  et  ce  prince  qui  profite  des 
revenus  les  plus  extraordinaires  de  ses  domaines  pour  en  diminuer 
d'autant  les  impôts  de  ses  sujets  mériterait  à  bon  droit  d'être  donné 
en  exemple  aux  surintendants  des  finances  du  monde  entier.  Tous 
les  auteurs  s'accordent  à  louer  cette  administration  vraiment  pater- 
nelle. Bâna  dit  par  exemple  (3)  : 

«  Seuls  les  sectateurs  de  la  doctrine  Mîmânisâ  réfléchissent  à  des 
problèmes  dans  l'administration  de  la  justice  (adhikarana)  pendant 
qu'ils  examinent  les  «  Adhikaranas  »,  ou  «  causes  de  discussion  » 
dans  leur  système  » . 

Hiouen  Tsang  (4)   est  revenu   tout   à  fait   enthousiasme  de   ce 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  72. 

(2)  Reinaud,  Fragments  arabes  et  persans^  p.  139. 

(3)  H.  C.  p.  86. 

(4)  H.  T.  vol.  ii,  p.  90. 


—  68  — 

gouvernement  quasi   patriarcal   qui  ne   courbe  pas  le  monde   des  î 
travailleurs  sous  la  main  de  fer  de  l'impôt,  qui  fait  volontiers  appel 
au  concours  de  chacun,  compte  sur  les  bonnes  volontés,  et  répartit 
les  taxes  sans  avarice  ec  les  perçoit  sans  esprit  d'usure.  Il 

«  Comme  tous  les  règlements  administratifs  respirent  la  bienveil-ï 
lance,  les  affaires  de  l'État  sont  peu  compliquées.  Les  familles  ne 
sont  point  portées  sur  des  registres  civils,  et  les  hommes  ne  sont; 
assujettis  à  aucunes  corvées.  Le  produit  des  terres  de  la  couronne  s 
divise  en  quatre  parts.  La  première  sert  à  fournir  aux  dépenses  du 
royaume  et  aux  grains  des  sacrifices  ;  la  seconde,  à  constituer  des  j 
fiefs  aux  ministres  et  aux  membres  du  conseil  d'État  ;  la  troisième,  à  t 
récompenser  les  hommes  qui  se  distinguent  par  leur  intelligence,  leur 
savoir  et  leurs  talents  ;  la  quatrième  part  sert  à  cultiver  le  champ  de  , 
bonheur  (1)  et  à  donner  des  aumônes  aux  diverses  sectes  hérétiques. 
C'est  pourquoi  les  taxes  sont  légères  et  les  impôts  modérés.  Chacun 
garde  en  paix  l'héritage  de  ses  pères,  tous  cultivent  la  terre  pour  se 
nourrir.  Ils  empruntent  des  semailles  au  champ  du  roi  et  payent,  en 
tribut,  la  sixième  partie  de  leur  récolte.  Les  marchands,  qui  poursui- 
vent le  lucre,  vont  et  viennent  pour  leur  négoce.   Aux  gués  des 
rivières,  aux  barrières  des  chemins,  on  passe  après  avoir  payé  une 
légère  taxe.  Lorsque  le  roi  entreprend  quelque  construction,  il  n'oblige 
pas  ses  sujets  à  travailler  gratuitement,  il  leur  donne  un  juste  salaire 
proportionné  au  travail  qu'ils  ont  fait. 

Les  militaires  gardent  les  frontières  ou  vont  combattre  l'ennemi  ; 
d'autres  montent  la  garde,  la  nuit,  dans  les  postes  du  palais.  On  lève 
des  soldats  suivant  les  besoins  de  service  ;  on  leur  promet  des 
récompenses,  et  l'on  attend  qu'ils  viennent  s'enrôler.  Les  gouverneurs, 
les  ministres,  les  magistrats  et  les  employés  reçoivent  chacun  une 
certaine  quantité  de  terres  et  vivent  de  leur  produit  ». 


(1)  Suivant  le  Dictionnaire  bouddhique  San-tsang-fa-sou  (livre  vii,  fol.  22- 
24),  l'expression  «  cultiver  le  champ  du  bonheur  »  signifie  faire  de  bonnes 
œuvres,  par  exemple,  offrir  aux  dieux  toutes  sortes  de  parfums,  parer  riche-| 
ment  leurs  statues,  faire  résonner  en  leur  honneur  une  musique  harmo- 
nieuse ;  voilà  pour  les  riches.  Les  pauvres  peuvent  se  contenter  de  témoigner! 
leur  respect  aux  ti'ois  Précieux,  aux  religieux,  à  leur  pèi'e  et  à  leur  mère. 
Par  là,  on  obtient  le  bonheur,  de  même  qu'en  cultivant  un  champ  avec 
ardeur  on  peut  obtenir'  une  abondante  moisson.  (Cf.  ibid.  liv.  xi,  fol.  20  v°) 
(Julien). 


~  69  — 

On  conçoit  qu'une  pareille  organisation  soit  produite  par  des  mœurs 
lonnêtes,  on  serait  même  presque  tenté  de  la  reporter  aux  temps 
leureux  de  l'âge  d'or.  La  vertu  toutefois  n'y  était  pas  si  générale 
[u'elle  rendît  inutile  l'exercice  de  la  justice  et  les  criminels  étaient 
hâtiés  d'après  un  code  assez  simple  et  assez  primitif.  Écoutons  encore 
a  parole  autorisée  de  Hiouen  Tsang  (1)  : 

«  Quoique  les  Indiens  soient  d'un  naturel  léger,  ils  se  distinguent 
)ar  la  droiture  et  l'honnêteté  de  leur  caractère.  En  fait  de  richesses, 
Is  ne  prennent  jamais  rien  indûment  ;  en  fait  de  justice,  ils  font  des 
•-oncessions  excessives.  Ils  redoutent  les  châtiments  de  l'autre  vie  et 
ont  peu  de  cas  des  professions  industrielles.  Ils  ne  se  livrent  point  au 
loi  ni  à  la  fraude  et  sont  fidèles  à  leurs  promesses  et  à  leurs  serments, 
^a  droiture  est  le  trait  dominant  de  l'administration  ;  les  mœurs  sont 
louces  et  faciles.  Quant  aux  hommes  méchants  et  rebelles,  qui  ont 
transgressé  les  lois  du  royaume  ou  qui  ont  conspiré  contre  le  roi, 
lorsque  leurs  actes  coupables  ont  été  mis  en  évidence,  on  les  enferme 
pour  toujours  dans  une  prison,  mais  on  ne  leur  inflige  pas  de  peine 
îorporelle.  On  les  laisse  vivre  ou  mourir,  et  on  ne  les  compte  plus  au 
lombre  des  hommes.  Si  quelqu'un  viole  les  rites  et  la  justice,  s'il 
nanque  à  la  fidélité  ou  à  la  piété  filiale,  on  lui  coupe  tantôt  le  nez  ou 
.es  oreilles,  tantôt  les  mains  ou  les  pieds.  Quelquefois  on  l'expulse  du 
oyaume,  ou  bien  on  l'exile  chez  les  barbares  des  frontières.  Pour  ce 
jui  regarde  les  autres  délits,  on  peut  racheter  sa  peine  avec  de 
'argent.  Dans  une  affaire  criminelle,  pour  obtenir  des  aveux,  on  n'a 
ecours  ni  aux  verges  ni  au  bâton.  Si  l'on  interroge  le  prévenu  et  qu'il 
•éponde  avec  franchise,  on  proportionne  la  peine  au  délit.  Mais  s'il 
lie  obstinément  son  crime,  ou  que,  honteux  de  sa  faute,  il  cherche  à 
a  pallier,  lorsqu'on  veut  découvrir  la  vérité  et  qu'on  a  besoin  de 
irononcer  une  sentence,  la  justice  possède  quatre  moyens,  savoir  : 
'eau,  le  feu,  le  pesage  et  le  poison. 

Pour  l'épreuve  de  l'eau,  on  met  l'accusé  et  une  pierre  dans  deux 

sacs  réunis  ensemble,  et  on  les  jette  dans  un  cours  d'eau  profonde  ; 

.'on  reconnaît  alors  son  innocence  ou  sa  culpabilité.    Si  l'homme 

nfonce  et  que  la  pierre  surnage,  il  est  reconnu  coupable  ;  si  l'homme 

[lotte  et  que  la  pierre  enfonce,  on  voit  qu'il  est  innocent. 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  83. 


—  70  - 

Pour  l'épreuve  du  feu,  on  fait  rougir  un  morceau  de  fer  et  on 
ordonne  au  prévenu  de  s'asseoir  dessus,  puis  d'y  appliquer  la  plante 
des  pieds  et  la  paume  des  mains  ;  de  plus,  il  faut  qu'il  y  passe  la 
langue.  Si  l'accusation  est  fausse,  il  ne  ressent  aucun  mal,  si  elle  est 
fondée,  il  éprouve  des  brûlures.  11  y  a  des  hommes  mous  et  timides 
qui  sont  incapables  d'endurer  la  chaleur  du  feu.  Ils  prennent  dans 
leurs  mains  des  fleurs  qui  ne  sont  pas  encore  écloses  et  les  jettent  sur  I 
la  flamme.  Si  l'accusation  est  fausse,  les  fleurs  s'épanouissent  ;  si 
elle  est  fondée,  les  fleurs  sont  à  l'instant  grillées. 

Pour  l'épreuve  par  le  pesage,  on  met  un  homme  et  une  pierre  dans 
les  deux  plateaux  d'une  balance,  et  l'on  tire  la  preuve  de  la  légèreté 
ou  de  la  pesanteur.  Si  l'accusation  est  fausse,  l'homme  tombe  en  bas 
et  la  pierre  remonte  ;  si  elle  est  vraie,  le  poids  de  la  pierre  emporte 
celui  de  l'homme. 

Pour  l'épreuve  par  le  poison,  on  prend  un  bélier  et  on  lui  fend  la 
cuisse  droite  ;  puis,  on  répand  divers  poisons  sur  une  portion  des 
aliments  que  mange  le  prévenu,  et  on  l'insère  dans  l'ouverture  qu'on 
a  pratiquée.  Si  l'accusation  est  fondée,  le  poison  produit  son  effet  et 
l'animal  meurt.  Si,  au  contraire,  elle  est  fausse,  le  poison  perd  sa 
force  et  il  conserve  la  vie. 

Au  moyen  de  ces  quatre  épreuves,  on  ferme  la  voie  de  tous  les 
crimes  ». 

C'est  encore  Hiouen  Tsang  qu'il  faut  consulter  sur  l'organisation 
militaire  dans  le  royaume  de  Harsa  (1). 

«  Les  soldats  du  royaume  sont  choisis  parmi  les  plus  braves,  et, 
comme  les  flls  suivent  la  profession  de  leur  père,  ils  acquièrent 
bientôt  toute  la  science  de  la  guerre.  En  temps  de  paix,  ils  montent 
la  garde  dans  les  postes  qui  entourent  le  palais.  En  campagne,  ils 
forment  des  compagnies  légères  qui  marchent  à  l'avant-garde. 
L'armée  se  compose  de  quatre  corps  différents  :  l'iofanterie  (Patta- 
kâya),  la  cavalerie  (Açvakâya),  les  chars  (Rathakâya)  et  les  éléphants 
(Hastikâya).  Les  éléphants  sont  couverts  d'épaisses  cuirasses,  et  on 
arme  leurs  défenses  de  pointes  aiguës.  Un  général,  monté  sur  un 
char,  est  chargé  du  commandement  ;  deux  soldats,  placés  à  gauche 
et  à  droite,  lui  servent  de  cochers.  Son  char  est  attelé  de  quatre 
chevaux.  Le  général  des  troupes  est  monté  sur  un  char  ;  deux  lignes 


(1)  H.  T.  vol.  il,  p.  81. 


—  71  — 

de  soldats,  forment  son  escorte  et  sa  défense,  ils  marchent  tout  près 
des  roues. 

Les  cavaliers  se  répandent  autour  de  lui  pour  repousser  l'ennemi  ; 
en  cas  de  défaite,  leurs  rapides  coursiers  les  dérobent  à  la  mort.  Le 
corps  d'infanterie,  par  sa  légèreté,  contribue  puissamment  à  la 
défense.  On  choisit  pour  ce  service  les  hommes  les  plus  hardis  et 
les  plus  vaillants.  Armés  d'un  grand  bouclier  et  d'une  longue  lance, 
et  quelquefois  d'un  sabre  ou  d'une  épée,  ils  s'élancent  impétueuse- 
ment à  l'avant-garde.  Toutes  leurs  armes  de  guerre  sont  piquantes 
ou  tranchantes.  Celles  qu'on  appelle  lance,  bouclier,  arc,  flèche, 
sabre,  épée,  grande  et  petite  hache,  lance  courte,  tch'ou  (1),  longue 
pique,  fronde,  etc.,  leur  sont  familières  depuis  des  siècles  ». 

Ce  qui  doit  se  dégager  de  cette  trop  sommaire  étude  de  la  constitu- 
tion politique  et  administrative  de  l'empire  de  Harsa,  c'est  que  bien 
des  éléments  nous  manquent  pour  la  décrire  dans  tous  ses  détails. 
A  défaut  d'informations  précises  chez  nos  sources  habituelles,  nous 
sommes  réduits  à  des  généralités.  Deux  faits  semblent  toutefois  s'en 
dégager  ;  c'est  d'une  part  la  participation  personnelle  de  Harsa 
aux  affaires  de  l'État  et  d'autre  part  l'aide  qu'il  rencontra  dans  les 
mœurs  mêmes  et  les  préjugés  de  ses  sujets.  Harsa,  ce  semble,  n'a 
pas  eu  besoin  d'innover,  il  ne  s'est  pas  appliqué,  par  exemple,  à 
donner  à  son  peuple  un  code  nouveau  de  justice,  à  fixer  de  nouvelles 
lois  pour  le  recrutement  de  son  armée  ;  il  n'a  fait  que  profiter  d'un 
état  de  choses  qui  existait  antérieurement  à  lui.  Mais  il  n'a  pas 
gouverné  seulement  avec  l'aide  de  ces  mœurs  ;  il  ne  s'est  pas  borné 
à  un  laisser  faire  absolu  ;  il  s'est  au  contraire  continuellement  mêlé 
à  l'administration  pratique  de  ses  vastes  territoires.  Son  activité  était 
telle  que  Bâna  et  Hiouen  Tsang  n'ont  pas  daigné  nommer  à  côté 
de  lui  ses  conseillers  habituels  ;  il  n'a  pas  eu  de  premier  ministre 
sur  qui  se  reposer,  et  il  a  été  capable  pendant  tout  son  long  règne  de 
concentrer  en  lui  toutes  les  affaires  de  l'État.  Ainsi  se  complète  cette 
figure  intelligente  et  supérieure  d'un  homme  qui  s'est  taillé,  avec  ses 
propres  forces,  un  vaste  royaume  et  qui  ensuite  a  pu  l'administrer  en 
laissant  le  renom  d'un  prince  bienveillant,  juste  et  aimé  de  ses 
peuples. 


(1)  Suivant  Khang-hi,  le  tch'ou  était  un  bâton,  long  de  douze  pieds,  et  sans 
fer  de  lance.  11  était  destiné  à  repousser  l'ennemi  et  à  le  tenir  à  distance. 
(Julien). 


CHAPITRE  II. 
La  religion  sous  Harsa. 


Si  Harsa  s'est  efforcé  de  reconstituer  l'unité  politique  de  l'Inde,  il 
ne  semble  pas  avoir  jamais  été  tenté  d'établir  dans  son  empire  l'unité 
religieuse.  En  effet,  trois  religions  se  disputent  ses  faveurs,  et  il  ne 
se  fait  pas  faute  de  répondre  à  leurs  avances.  C'est  le  brahmanisme, 
le  bouddhisme  et  lejainisme.Pour  le  brahmanisme  et  le  bouddhisme, 
nous  avons  l'aide  importante  de  deux  de  nos  sources  antérieures  : 
Bâna  et  Hiouen  Tsang  se  tiennent  à  nos  côtés  pour  nous  montrer 
la  même  question  sous  deux  faces.  Le  Harsacarita  nous  dépeint 
l'état  religieux  tel  que  se  le  représente  un  brahmane  qui  appartient 
à  une  famille  des  plus  orthodoxes,  tandis  que  dans  la  Vie  et  les 
Mémoires  de  Hiouen  Tsang  sont  enregistrées  les  impressions  qu'un 
pèlerin  bouddhiste  de  Chine  emportait  de  la  terre  hindoue. 

Bâna  au  commencement  de  son  œuvre  fait  son  autobiographie,  nous 
retrace  la  vie  du  jeune  religieux  sur  le  seuil  de  la  vie  et  fait  défiler 
à  nos  yeux  toute  la  série  de  ses  compagnons  de  plaisir.  Bâna  perd  sa 
mère  en  bas  âge  et  se  trouve  sous  l'influence  directe  de  son  père. 
A  quatorze  ans,  ayant  passé  par  l'initiation  et  les  autres  rites,  il 
quitte  la  maison  de  son  maître  et  rentre  à  la  maison  paternelle. 
Alors  il  perd  brusquement  son  père,  demeure  quelque  temps  dans 
un  grand  deuil,  puis  se  met  à  s'amuser  sans  vergogne. 

«  Il  fréquente  deux  frères,  fils  d'un  brahmane  et  d'une  femme 
çûdra,  un  chansonnier,  deux  amis  intimes,  deux  précepteurs,  un  poète 
descriptif,  un  jeune  noble  qui  fut  poète  prâkrt,  deux  panégyristes,  une 
ascète  veuve  (femme  de  mauvaise  renommée  en  Inde),  un  charmeur 
de  serpents,  un  porteur  de  bétel,  un  homme  médecin,  un  lecteur,  un 
orfèvre,  un  surveillant  des  orfèvres,  un  écrivain,  un  peintre,  un 
modeleur,  un  tambour,  deux  chanteurs,  une  femme  de  chambre,  deux 
musiciens,  un  maître  de  musique,  un  masseur,  un  danseur,  un  joueur 


—  73  — 

de  dés,  un  jeune  acteur,  une  danseuse,  un  mendiant,  un  moine  jaina, 
un  conteur,  un  dévot  çivaïte,  un  magicien,  un  chercheur  de  trésors,  un 
essaj^eur,  un  potier,  un  escamoteur,  un  mendiant  brahmane  ». 

C'est  dans  cette  compagnie  singulière  qu'il  se  met  à  voyager  ; 
chemin  faisant  il  trouve  la  sagesse,  songe  à  mener  une  vie  plus  calme 
et  au  bout  de  plusieurs  années  il  revient  à  la  maison.  Avec  quel  plai- 
sir il  retrouvait  la  quiétude  du  foyer  domestique,  lui-même  nous  le  dit 
dans  une  page  où  la  dévotion  s'unit  à  la  poésie.  Bâna  se  promenait 
tranquillement  dans  la  demeure  paternelle  qu'il  revoyait  après  une 
longue  absence  : 

«  Elle  résonnait  du  bruit  des  récitations  continuelles,  était  rem- 
plie déjeunes  étudiants  qui,  attirés  par  les  sacrifices,  couraient  ça 
et  là  comme  autant  de  flammes  avec  leurs  longues  tresses  rouges  et 
leurs  fronts  blancs  marqués  de  cendre  ;  les  terrasses  au-devant  des 
portes  étaient  vertes  des  petits  parterres  d'herbe  sotna  que  rafraî- 
chissait un  récent  arrosage,  le  riz  et  le  panicum,  des  gâteaux 
de  sacrifice  étaient  à  sécher  étalés  sur  des  peaux  d'antilope  noire  ; 
des  oblations  de  riz  sauvage  étaient  semées  par  les  jeunes  filles  ; 
combustible,  feuilles,  paquets  d'herbe  hiça  verte  étaient  apportés 
par  des  centaines  de  disciples  purs  ;  partout  des  monceaux  de  bouse 
et  de  combustible  ;  les  terrasses  couvertes  des  cours  étaient  marquées 
du  sabot  rond  des  vaches  qui  revenaient  pour  les  offrandes  quoti- 
diennes, distillaient  le  lait  dont  on  faisait  le  caillé  (1)  ;  des  troupes 
d'ascètes  s'occupaient  à  écraser  l'argile  pour  des  vases  ;  les  limites 
sacrées  étaient  purifiées  par  des  monceaux  de  branches  à'ndumhara, 
apportées  pour  faire  des  chevilles  à  marquer  les  autels  dans  les  trois 
feux  du  sacrifice  ;  le  sol  était  blanc  sous  les  lignes  d'offrandes  aux 
Viçve  Devâh  ;  les  branches  des  arbres  de  la  cour  s'embrumaient  de 
la  fumée  des  oblations  ;  les  veaux  folâtres  bondissaient  caressés  par 
les  jeunes  vachers  ;  les  chevrettes  mouchetées  qui  s'ébattaient 
annonçaient  une  succession  de  sacrifices  d'animaux  ;  c'était  toute 
paix  pendant  la  cessation  des  travaux  des  maîtres  brahmanes,  et 
cependant  perroquets  et  marnas  commençaient  en  hâte  des  récitations  ; 
c'était  dans  cette  maison  comme  autant  d'ermitages  pour  les  trois 
Vedas  incarnés  ». 

Le  jeune  Bâna  fut  appelé  à  la  cour  de  Harsa  et  dut  quitter  ces 
tranquilles  parages.  Envers  Harsa  il  s'excuse  de  ses  jeunes  folies. 


(1)  On  se  servait  du  lait  caillé  pour  l'oblation  Vaiçvadcva. 


—  74  — 

par  l'iavocation  de  ses  devoirs  de  brahmane  tous  accomplis.  «  Je 
suis  brahmane  r,  dit-il,  «  né  dans  la  famille  des  Vâtsyâyanas,  buveurs 
de  soma.  Chaque  cérémonie  au  temps  marqué  fut  soigneusement 
exécutée,  commençant  par  l'initiation  avec  le  fil  sacré.  J'ai  étudié  le 
Veda  complètement  avec  ses  six  Aiigas,  et  autant  qu'il  me  fut  possible, 
j'ai  entendu  des  conférences  sur  les  Castras  ;  dès  mou  mariage  j'ai 
été  un  chef  de  maison  diligent  » .  Voilà  les  vertus  sur  lesquels  se  fonde 
Bâna  pour  faire  excuser  la  coupable  négligence  de  sa  jeunesse.  Après 
avoir  goûté  de  la  faveur  royale,  Bâna  revient  un  jour  parmi  les  siens. 
Les  questions  qu'il  leur  fait  au.  moment  de  son  arrivée,  laissent 
deviner  quelles  étaient  alors  les  occupations  paisibles  des  brahmanes 
campagnards  :  «  Avez-vous  été  heureux  tout  le  temps  ?  Le  sacrifice 
se  poursuit-il  sans  entrave,  contente-t-il  les  groupes  de  brahmanes 
par  son  exécution  irréprochable  ?  Les  feux  dévorent-ils  les  oblatious 
selon  le  rituel  accompli  dûment  et  sans  faute  ?  Les  élèves  font-ils 
leurs  études  aux  temps  prescrits  ?  Y  a-t-il  tous  les  jours  la  même 
application  non  interrompue  au  Veda  ?  Le  même  sérieux  à  l'exercice 
de  l'art  du  sacrifice  ?  Y  a-t-il  les  mêmes  classes  pour  l'exposition  de 
la  grammaire,  le  respect  se  montre-t-il  toujours  à  ne  point  passer  de 
jours  inutiles  dans  une  série  de  discussions  jalouses  ?  Y  a-t-il  la  même 
société  pour  la  logique,  inattentive  à  toutes  les  autres  occupations, 
la  même  joie  excessive  dans  la  Mïmâmsâ,  bornant  tout  plaisir  aux 
autres  livres  d'autorité  ?  Y'^  a-t-il  les  mêmes  adresses  poétiques, 
répandant  une  ambroisie  de  phrases  toujours  nouvelles  »  ? 

Bien  que  la  vie  ordinaire  du  brahmane  fût  assez  semblable  à  celle 
que  nous  décrit  Bâna,  il  ne  faut  pas  oublier  quelles  étaient  les  diffé- 
rences intérieures  du  brahmanisme.  Tout  d'abord,  les  sectateurs  du 
brahmanisme  se  divisent  en  quatre  castes,  les  Brahmanes  (prêtres), 
les  Ksatriyas  (guerriers  et  roisj,  les  Vaiçyas  (marchands),  les  Çûdras 
(le  bas  peuple). 

Dans  la  première  caste  nous  avons  encore  quatre  divisions,  les 
brahmanes  se  classifiant  par  le  Veda  qu'ils  étudiaient.  Ainsi  on  a 
des  Rgvelins,  des  Sâmavedins,  etc.  De  plus,  chaque  Veda  avait 
plusieurs  écoles.  Donc  même  dans  le  brahmanisme  orthodoxe  secta- 
teur du  Veda,  on  trouve  une  foule  d'écoles  différentes.  On  verra  dans 
les  donations  de  Harsa  aux  brahmanes  des  indices  de  l'école  à  laquelle 
ils  appartenaient  (Appendice  I).  Au  surplus,  la  philosophie  divisait 
encore  les  disciples  d'une  même  école.  Ainsi  nous  voilà  en  face  d'un 


-^  75  — 

tableau  des  plus  complexes  et  qui  ne  comprend  pourtant  que  les 
fidèles  d'une  des  trois  grandes  religions.  Les  brahmanes  se  divisent 
encore  en  deux  groupes  :  les  dévots  de  Visnu  et  ceux  de  Çiva.  Mais 
ces  dieux  étaient  plutôt  des  divinités  favorites  et  personnelles  que 
les  objets  d'un  culte  exclusif,  et  leur  culte  ne  faisait  ni  mépriser  ni 
négliger  les  autres  dieux  du  Panthéon  hindou. 

Le  bouddhisme,  religion  qui  au  début  était  d'une  grande  simplicité, 
se  trouvait  alors  divisé  en  deux  grandes  écoles  :  le  petit  Véhicule 
(Hïnayâna),  et  le  grand  Véhicule  (Mahâyâna). 

«  Le  Hïnayâna  fut  la  doctrine  à  laquelle  tous  les  couvents  de  l'Inde 
demeurèrent  attachés  jusque  vers  le  premier  siècle  de  l'ère  actuelle. 
A  partir  de  cette  époque,  la  religion  se  modifia,  d'abord  dans  le  nord, 
puis  dans  le  Bengale.  Le  Hïnayâna  resta  toujours  prépondérant  à 
Ceylan  et  dans  le  Dekkan.  Le  bouddhisme  du  nord  ou  Mahâyâna 
commença  à  étendre  son  influence  à  partir  du  concile  de  Peshawar 
où  ou  admit  plusieurs  de  ses  doctrines  ;  au  concile  de  Kanauj 
le  Hïnayâna  fut  définitivement  condamné  (1)  ». 

La  différence  entre  les  deux  doctrines  n'est  pas  bien  grande  et 
elle  est  assez  difficile  à  définir. 

Dans  VEsquisse  du  Malmyâna,  par  S.  Kuroda  qui  fut  présentée 
aux  membres  du  Parlement  des  Religions  en  1893,  et  qui  se  fait  le 
porte-voix  des  doctrines  officielles  dôs  bouddhistes,  la  différence  entre 
le  Mahâyâna  et  le  Hïnayâna  est  exprimée  comme  il  suit  (2)  :  «  La 
doctrine  du  Hïnayâna  nous  apprend  comment  on  arrive  au  Nirvana 
en  renonçant  aux  misères  de  la  naissance  et  do  la  mort,  et  ainsi  elle 
est  appelée  la  doctrine  de  l'acquisition  de  l'illumination  par  la  percep- 
tion de  la  misère  ».  Dans  le  Mahâyâna,  la  naissance  et  la  mort,  aussi 
bien  que  le  Nirvana  môme,  sont  tenus  pour  la  même  chose,  et  son 
but  est  de  recueillir  le  grand  fruit  du  IJuddha  par  le  culte  de  la 
grande  sagesse  (mahâbodhi). 

Dans  le  Hïnayâna,  rame  et  le  corps  sont  regardés  comme  la  source 
de  la  douleur,  et  en  conséquence  le  mok^a  est  l'équivalent  de  l'abandon 
des  six  états  de  !a  vie,  (deva,  homme,  asura,  animal,  fantûme  affamé, 
et  enfer),  l'abandon  de  l'âme  et  du  corps  ;  et  le  Nirvana  est  l'acqui- 
sition de  leur  extinction  éternelle. 


(1)  iMazcUère,  Moines  et  ascêies  indiens,  p.  130. 

(2)  S.  Kuroda,  p.  il. 


-  76  — 

Le  Mahâyâna,  au  contraire,  enseigne  des  vérités  plus  élevées  :  il  ne 
connaît  ni  amour  ni  haine,  ni  ami  ni  ennemi,  ni  tort  ni  raison  ;  il 
reste  fidèle  à  la  vérité  même  dans  le  monde,  il  demande  qu'on  passe 
sa  vie  en  paix  et  qu'on  acquière  ainsi  la  liberté  parfaite  sans 
entrave  ;  tel  est  le  plus  haut  Nirvana.  Car  alors  tous  les  phénomènes 
mentaux,  tels  que  les  désirs  aveugles  et  le  reste  sont  anéantis.  Et 
quand  ils  sont  anéantis,  alors  la  véritable  nature  de  l'intelligence  appa- 
raît, avec  toutes  ses  innombrables  fonctions  et  actions  miraculeuses. 
Le  Nirvana  n'est  alors  nullement  un  état  d'extinction  complète  (1). 

Le  Mahâyâna  se  fonde  surtout  sur  la  doctrine  que  toutes  les  choses 
ne  sont  rien  que  l'intelligence  (2)  :  «  On  l'appelle  la  doctrine  de 
l'obtention  de  l'illumination  par  la  perception  de  la  non- existence  de 
toutes  les  choses  ».  «  Les  deux  Véhicules  ne  sont  que  des  aspects 
divers  du  même  principe  ;  ces  deux  doctrines  furent  prêchées  par  le 
Buddha(3)  „. 


(1)  S.  Kuroda,  p.  6. 

(2)  S.  Kuroda,  p.  24. 

(3)  Les  sectateurs  des  deux  Véhicules  n'étaient  pas  aussi  tolérants  dans  le 
temps  d'Hiouen  Tsang,  qui  nous  donne  un  tableau  d'une  de  leurs  querelles  : 
(H.  T.  vol.  i,  p.  220). 

«  Dans  le  commencement  le  roi  Çïlâditya  avait  fait  construire  à  côté  du 
couvent  de  Nâlandâ  un  Vihâra  en  cuivre  haut  de  cent  pieds,  dont  la 
magnificence  était  connue  de  tous  les  autres  royaumes.  Quelque  temps  après, 
le  roi,  revenant  de  faire  la  guerre  au  roi  de  Kongyodha  passa  par  le  royaume 
d'Orissa.  Les  religieux  de  ce  royaume  étudiaient  tous  le  petit  Véhicule,  et 
n'avaient  point  foi  dans  la  doctrine  du  grand  Véhicule.  Ils  disaient  qu'elle 
avait  été  exposée  par  les  hérétiques  Kong-hoa-wai-tao  (ÇQnyapuspas  (?)),  et 
non  par  le  Buddha.  Quand  ils  eurent  vu  le  roi,  ils  vinrent  lui  faire  des 
représentations.  «  Nous  avons  appris  »,  lui  dirent-ils,  «  que  Votre  Majesté  a 
fait  élever  à  côté  du  couvent  de  Nâlandâ  un  Vihâra  d'une  construction  noble 
et  imposante.  Pourquoi  ne  l'avoir  pas  fait  construire  dans  le  couvent  des 
hérétiques  Kâpâlikas  et  avoir  choisi  de  préférence  ce  couvent  de  Nâlandâ  »  ? 
«  Pourquoi  m' adressez-vous  un  tel  reproche  »  ?  leur  dit  le  roi. 
«  C'est  V,  répondirent-ils,  "  que  les  hérétiques  Kong-hoa-wai-tao  du  cou- 
vent de  Nâlandâ  ne  diftërent  en  rien  des  Kâpâlikas  r>. 

Précédemment,  un  prince  de  l'Inde  méridionale,  qui  avait  reçu  l'onction 
royale  (Mûrddhâbhisikta  ràjâ  (Çïlâditya  ?j)  avait  pour  maître  un  vieux 
Brahmane  nommé  Prajnâgupta,  qui  était  versé  dans  la  doctrine  de  l'école 
des  Sammitîyas,  et  avait  composé,  en  sept  cents  çlokas,  un  traité  pour 
combattre  le  grand  Véhicule.  Tous  les  maîtres  du  petit  Véhicule  en  furent 
transportés  de  joie.  Ils  le  montrèrent  au  roi  et  lui  dirent  :  "  Tel  est  l'exposé 


77 


C'est  ainsi  que  les  bouddhistes  japonais  d'aujourd'liui  considèrent  les 
choses. 


de  nos  principes.  Y  aurait-il  maintenant  un  partisan  du  grand  Véhicule  qui 
pût  en  réfuter  un  seul  mot  »  ?  "  J'ai  entendu  dire  «,  leur  répondit  le  roi, 
«  qu'un  renard  se  trouvant  un  jour  au  milieu  d'une  troupe  de  souris  et  de 
rats  se  vantait  d'être  plus  brave  que  le  lion  ;  mais  dès  qu'il  l'eut  aperçu,  le 
cœur  lui  manqua,  et  il  disparut  en  un  clin  d'œil.  Vous  n'avez  pas  encore  vu, 
vénérables  maîtres,  de  religieux  cminents  du  grand  Véhicule.  Voilà  pourquoi 
vous  soutenez  avec  obstination  vos  principes  insensés.  Je  crains  bien  qu'en 
les  apercevant  vous  ne  ressembliez  au  renard  dont  je  viens  de  parler  ». 

«  Si  vous  doutez  de  notre  supériorité  n,  répondirent-ils  au  roi,  «  pourquoi 
ne  pas  rassembler  les  partisans  des  deux  doctrines  et  les  mettre  en  présence, 
pour  décider  de  quel  côté  est  la  vérité  ou  l'erreur  ». 

«  Cela  n'est  point  difficile  «,  repartit  le  roi.  Sur-le-champ  il  envoya  au 
couvent  de  Nidandâ  un  messager  chargé  d'une  lettre  pour  Çïlabhadra,  qui 
était  surnommé  «  le  Trésor  de  la  droite  voie  «  (Sugatiratna  ?).  «  Votre 
disciple  n,  lui  disait-il,  "  en  passant  par  le  royaume  d'Orissa  a  vu  des  maîtres 
du  petit  Véhicule  qui,  poussés  par  des  vues  étroites  et  bornées,  ont  composé 
des  castras  où  ils  dénigrent  et  calomnient  le  grand  Véhicule  dans  un  style 
fougueux  et  plein  de  fiel.  Ils  poussent  l'audace  jusqu'à  vouloir  discuter  avec 
vous  tous.  Je  sais  que  dans  votre  couvent  il  y  a  une  multitude  de  religieux 
qui  se  distinguent  autant  par  leur  vertu  éminente  que  par  leur  talent  et  leur 
intelligence,  et  dont  l'instruction  profonde  embrasse  toutes  les  branches  de 
la  science.  Leur  ayant  promis  de  favoriser  ces  conférences,  je  vous  prie 
respectueusement  de  répondre  à  leur  demande.  Veuillez  envoyer  auprès 
d'eux,  dans  le  royaume  d'Orissa,  quatre  religieux  versés  dans  leur  propre 
doctrine  (celle  du  grand  Véhicule)  et  dans  celle  des  autres  (celle  du  petit 
Véhicule),  ainsi  que  dans  la  doctrine  ésotérique  et  exotérique  «. 

Dès  que  Çïlabhadra  eut  reçu  cotte  lettre,  il  rassembla  les  religieux  et 
choisit,  après  un  mûr  examen,  Sâgaramati  (?)  (Hai-hoei),  Jùânaprabha, 
Siinharasmi  et  le  maître  de  la  loi,  et  se  disposa  à  les  envoyer  tous  quatre  en 
qualité  do  délégués  pour  répondre  à  l'appel  du  roi. 

Sâgaramati  (?)  et  ses  deux  collègues  éprouvèrent  une  vive  inquiétude  ; 
mais  Çïlabhadra  se  hâta  de  les  rassurer  :  «  Pour  ce  qui  regarde  les  diverses 
écoles  du  petif  Véhicule  »,  leur  dit-il,  «  lorsque  Hiouen  Tsang,  maître  de  la 
science  des  trois  recueils,  se  trouvait  dans  mon  pays  natal,  puis  lorqu'il  fut 
entré  dans  le  royaume  de  Kasmir,  il  les  a  toutes  étudiées  et  en  a  approfondi 
les  principes.  Si  les  partisans  de  cette  doctrine  prétendaient  s'en  servir  pour 
renverser  le  grand  Véhicule,  ils  n'y  réussiraient  jamais.  Bien  que  Hiouen 
Tsang  n'ait  qu'une  instruction  médiocre  et  une  intelligence  ordinaire,  il  ne 
peut  manquer  de  leur  lenir  tète  et  de  les  vaincre.  Je  vous  supplie  donc, 
vénérables  maîtres,  de  ne  plus  vous  tourmenter  à  ce  sujet,  mais,  si  par  hasard 
il  éprouvait  une  défaite,  dès  ce  moment  le  religieux  delà  Cliine  ne  prendrait 


^  78  - 

Le  Nirvana  des  Mahâyânistes  n'était  pas  un  séjour  sans  délices. 
Les  bouddhistes  orthodoxes  souhaitaient  de  renaître  dans  le  ciel 
Tusita,  où  Maitreya  règne  en  attendant  de  revenir  sur  la  terre  (1). 
Hiouen  Tsang  sur  son  lit  de  mort  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Je 
désire  voir  reverser  sur  les  autres  hommes  les  mérites  que  j'ai  acquis 
par  mes  bonnes  œuvres  ;  naître,  avec  eux,  dans  le  ciel  des  Tusitas  ; 
être  admis  dans  la  famille  de  Maitreya  et  servir  ce  Buddha  plein 
de  tendresse  et  d'affection.  Qaand  je  redescendrai  sur  la  terre  pour 
parcourir  d'autres  existences,  je  désire,  à  chaque  naissance  nouvelle, 
remplir  avec  un  zèle  sans  bornes  mes  devoirs  envers  le  Buddha,  et 
arriver  enfin  à  la  samhodlii  (parfaite  sagesse)  ».  Il  resta  ainsi  immo- 
bile jusqu'au  cinquième  jour.  Au  milieu  de  la  nuit,  ses  disciples  lui 
demandèrent  :  «  Maître,  avez -vous  enfin  obtenu  de  naître  au  milieu 
de  l'assemblée  de  Maitreya  »?  «  Oui  »,  répondit-il  d'une  voix  défail- 
lante. A  ce  mot,  sa  respiration  s'affaiblit  de  plus  en  plus,  et,  au 
bout  de  quelques  instants,  son  âme  s'évanouit  ». 

C'est  I-tsing  qui  nous  donne  le  meilleur  tableau  des  écoles  bouddhi- 
ques au  milieu  du   vu®  siècle  (2).  11  divise  les  dix-huit  écoles  du 
bouddhisme  sous  quatre  rubriques  principales. 
L  L'ârya-mahâsanghika-nikâya. 

(7  sous-divisions). 
IL  L'ârya-sthavira-nikâya. 

(3  sous-divisions.) 
IIL  L'ârya-mûlasarvâstivâda-nik;ïya. 

(4  sous- divisions). 

(i)  L'école  Mûlasarvâstivâda. 
i  (ii)  L'école  Dharmagupta. 

(iii)  L'école  Mahïçâsaka. 

(iiii)  L'école  Kâçyapïya. 
IV.  L'ârya-sammitïya-nikâya. 

(4  sous-divisions). 


plus  part  à  de  semblables  discussions  ».  Ces  paroles  remplirent  de  joie  les 
trois  religieux. 

Peu  après,  le  roi  Çïlâditya  adressa  à  Çïlabhadra  une  nouvelle  lettre  où  il 
disait  :  «  Auparavant,  je  vous  avais  demandé  plusieurs  religieux  d'un  grand 
mérite  ;  pour  le  moment,  il  ne  faut  pas  qu'ils  partent.  Plus  tard,  je  les  prierai 
de  se  mettre  en  route  ». 

(1)  H.  T.  vol.  i,  p.  344. 

(2)  I-tsing,  p.  xxiv. 


—  79  — 

Quant  à  la  distribution  géographique  de  ces  différentes  écoles, 
I-tsiug  nous  donne  des  détails  assez  complets.  Dans  l'Inde  centrale 
étaient  représentées  les  quatre  écoles,  parmi  lesquelles  Técole 
Mïïlasarvâstivâda  était  la  plus  florissante.  L'ârya-sammitïya-nikâya 
florissait  dans  l'Inde  occidentale,  dans  le  Lâta  et  dans  le  Sindhu. 
Dans  l'Inde  septentrionale,  l'ârya-mûlasarvâstivâda-uikayâ  était  en 
faveur,  et  dans  l'Inde  méridionale,  l'école  des  Sthaviras  l'emportait 
sur  les  autres. 

Le  bouddhisme  du  nord  (le  Mahâyâna)  fut  traité  par  les  rois  en 
enfant  gâté  :  ils  gratifiaient  les  moines  de  leurs  propres  richesses  et 
les  populations  de  l'immense  Asie  centrale  se  soumirent  aux  doctrines 
du  Buddha. 

A  l'université  de  Nâlandâ,  on  trouvait  des  moines  attachés  à  toutes 
les  sectes  tant  du  HInayâna  que  du  Mahâyâna,  des  Çivaïtes,  des 
Visnuites,  des  Jainas,  toutes  les  philosophies  de  l'Inde  y  avaient  des 
représentants.  Nâlandâ  donnait  assez  le  spectacle  de  nos  universités 
d'Oxford  et  de  Cambridge  où  la  ville  n'existe  que  pour  l'Université 
et  à  cause  d'elle.  I-tsing  nous  donne  la  description  des  couvents. 
«  Le  nombre  des  moines  à  Nâlandâ  est  de  plus  de  trois  mille.  Le 
terrain  qu'ils  possèdent  consiste  en  plus  de  deux  cents  villages  (I). 
Il  y  a  huit  salles  à  Nâlandâ  et  trois  cents  appartements  dans  le 
monastère  (2)  ».  Des  orateurs  en  théologie  allaient  de  ville  en  ville 
soulevant  partout  les  controverses  et  cherchant  à  convertir  les  autres 
à  leurs  systèmes  respectifs,  comme  le  font  aujourd'hui  les  mission- 
naires chrétiens  en  Chine. 

A  la  porte  du  couvent  on  affichait  les  points  à  discuter  et  on  défiait 
tout  venant  de  les  réfuter.  Celui  qui  perdait  devait  en  principe  payer 
de  sa  tête.  Mais  les  choses  se  passaient  moins  tragiquement  :  le 
vainqueur  magnanime  n'exigeait  du  vaincu  que  la  servitude  ou  même 
l'aveu  de  ses  erreurs. 

Nâlandâ  attirait  tous  les  étrangers  et  devint  bientôt  un  lieu  de 
pèlerinage  pour  les  écoliers  ambulants  qui  s'y  rendaient  de  tous  les 
pays  de  l'Asie.  Hiouen  Tsang  nous  en  donne  un  tableau  des  plus 
pittoresques  (3). 


(1)  I-tsing,  p.  65. 

(2)  I-tsing,  p.  154. 

(3)  H.  T.  vol.  iii,  pp.  45.  ss. 


—  80  — 

"  Les  religieux,  au  nombre  de  plusieurs  milliers,  avaient  tous  des 
talents  distingués  et  une  grande  instruction.  Il  y  en  avait  plusieurs 
centaines  qui,  par  leur  vertu,  se  faisaient  estimer  des  contemporains, 
et  dont  la  réputation  volait  jusque  dans  les  autres  pays.  Leur  conduite 
était  pure,  et  ils  suivaient  fidèlement  les  préceptes  de  la  discipline. 
La  règle  de  ce  couvent  était  très  sévère  ;  aussi  la  multitude  des 
religieux  se  conduisait-elle  avec  une  sagesse  irréprochable.  Les 
royaumes  des  cinq  Indes  les  admiraient,  et  les  prenaient  pour 
modèles.  Ceux  qui  leur  demandaient  des  leçons  et  discutaient  sur 
des  matières  profondes,  ne  trouvaient  jamais  les  jours  assez  longs. 
Du  matin  au  soir  ils  s'avertissaient  mutuellement  ;  les  jeunes  et  les 
vieux  se  perfectionnaient  les  uns  les  autres.  S'il  y  avait  des  hommes 
incapables  de  traiter  les  matières  abstraites  des  trois  recueils,  ils 
étaient  comptés  pour  rien  et  se  voyaient  couverts  de  honte.  C'est 
pourquoi  les  étudiants  étrangers  qui  désiraient  acquérir  de  la  répu- 
tation venaient  tous  dans  ce  couvent  pour  éclaircir  leurs  doutes,  et 
bientôt  l'éloge  de  leurs  talents  se  répandait  au  loin.  C'est  pourquoi 
ceux  qui  voyageaient  en  usurpant  leur  nom  (1)  obtenaient  tous  des 
honneurs  distingués.  Si  un  homme  d'un  autre  pays  voulait  entrer  et 
prendre  part  aux  conférences,  le  gardien  de  la  porte  lui  adressait 
des  questions  difficiles.  Le  plus  grand  nombre  était  réduit  au  silence 
et  s'en  retournait.  Il  fallait  avoir  approfondi  les  livres  anciens  et 
modernes  pour  obtenir  d'y  entrer.  En  conséquence,  les  étudiants  qui 
voyageaient  pour  leur  instruction  avaient  à  disserter  longuement 
pour  montrer  leur  capacité  ;  il  y  en  avait  toujours  sept  ou  huit  sur 
dix  qui  se  voyaient  éliminés.  Si  les  deux  ou  trois  autres  avaient  paru 
instruits,  on  les  interrogeait  tour  à  tour  au  milieu  de  l'assemblée,  et 
l'on  ne  manquait  point  de  briser  la  pointe  de  leur  esprit  et  de  faire 
tomber  leur  réputation  ;  mais  ceux  qui  avaient  un  talent  élevé  et  une 
vaste  érudition,  une  forte  mémoire  et  une  grande  capacité,  une  vertu 
brillante  et  une  intelligence  éminente,  associaient  leur  gloire  à  celle 
de  leurs  devanciers,  et  suivaient  leurs  exemples.  Quant  à  Dharma- 
pâla  et  àCandrapâla,  ils  jetaient  de  l'éclat  sur  la  doctrine  ;  Gunamati 
et  Sthiramati  répandaient  dans  le  monde  la  gloire  de  leur  nom  ; 
Prabhamitra  discourait  avec  élégance,  et  Jinamitra  parlait  avec 
élévation  ;  Jùanacandra  montrait  une  pénétration  rare  ;  Çïghrabuddha 


(1)  En  se  faisant  passer  pour  des  étudiants  de  l'université  de  Nâlandâ. 


—  Bl- 
et ÇÎIabhadra  cachaient  dans  l'ombre  leur  vertu  sublime.  Ces  hommes, 
d'un  mérite  supérieur,  étaient  connus  de  tous  ;  par  leur  vertu,  ils 
effaçaient  leurs  prédécesseurs  et  leur  science  embrassait  toutes  les 
règles  des  anciens.  Chacun  d'eux  avait  composé  une  dizaine  de 
traités  et  de  commentaires  qui  circulaient  partout  avec  éclat  et 
jouissaient  de  leur  temps  d'une  haute  estime.  Tout  autour  des 
couvents,  on  comptait  une  centaine  de  monuments  sacrés  (1)  ». 

«  Les  écoles  philosophiques  sont  constamment  en  lutte,  et  le  bruit 
de  leurs  discussions  passionnées  s'élève  comme  les  flots  de  la  mer. 
Les  hérétiques  des  diverses  sectes  s'attachent  à  des  maîtres  particu- 
liers, et,  par  des  voies  différentes,  marchent  tous  au  même  but.  Il  y 
a  dix-huit  écoles  dont  chacune  s'arroge  la  supériorité.  Les  partisans 
du  grand  et  du  petit  Véhicule  forment  deux  classes  à  part.  Les  uns 
méditent  eu  silence,  et,  soit  en  marchant,  soit  en  repos,  tiennent 
leur  esprit  immobile  et  font  abstraction  du  monde  ;  les  autres  diffèrent 
tout  à  fait  de  ceux-ci  par  leurs  disputes  orageuses.  Suivant  le  lieu 
qu'ils  habitent,  on  leur  a  fait  un  code  de  règlements  et  de  défenses 
d'une  nature  spéciale. 

Les  règles  de  la  discipline  (Vinaya),  les  textes  sacrés  (Sûtras),  les 
prédications  (Vyâkaranas)  sont  tous  également  des  livres  du  Buddha. 
Celui  qui  peut  expliquer  en  entier  une  des  collections  est  dispensé 
des  devoirs  de  religieux  et  dirige  les  affaires  du  couvent  (2).  Celui 
qui  peut  en  expliquer  deux,  reçoit  le  traitement  d'un  supérieur  ; 
pour  trois,  il  a  des  domestiques  qui  lui  obéissent  avec  respect  ;  pour 
quatre,  on  lui  donne  des  hommes  purs  (upâsakas)  chargés  de  le 
servir  ;  pour  cinq,  il  voyage  sur  un  char  traîné  par  un  éléphant  ; 
pour  six,  il  a  une  escorte  nombreuse.  Lorsque  sa  vertu  a  pris  un 
caractère  élevé,  et  qu'il  a  reçu  des  honneurs  extraordinaires,  de 
temps  en  temps  il  réunit  les  religieux  et  établit  des  conférences.  Il 
juge  de  leurs  talents  supérieurs  ou  de  leur  médiocrité  ;  il  distingue 
et  signale  leurs  vertus  ou  leurs  vices.  Il  élève  les  hommes  doués 
d'intelligence  et  rabaisse  ceux  qui  en  sont  dépourvus.  Si  un  religieux 
sait  traiter  un  sujet  abstrait  et  développer  des  principes  subtils,  s'il 
se  distingue  par  une  élocution  noble,  riche  et  élégante,  et  montre. 


(1)  H.  T.  vol.  il,  p.  77. 
•    (2)  Suivant  le  dictionnaire  Fan'i-mingi-tsi ,  livre  4,  fol,  7,  c'est  une  espèce 
d'économe,  appelé  en  sanskrit  harmadàna  (Julien). 

6 


—  82  — 

dans  les  discussions  profondes,  un  esprit  vif  et  pénétrant,  on  le  fait 
monter  sur  un  éléphant  couvert  d'ornements  précieux,  et  une  foule 
immense  forme  son  cortège.  A  son  arrivée,  il  passe  sous  des  portes 
triomphales. 

Si,  au  contraire,  un  religieux  laisse  briser  la  pointe  de  ses  paroles, 
si  ses  arguments  sont  pauvres  et  son  élocution  verbeuse,  ou  bien  s'il 
outrage  la  logique  tout  en  parlant  avec  facilité,  on  lui  barbouille  la 
figure  avec  du  rouge  et  du  blanc,  on  couvre  tout  son  corps  de  terre 
et  de  poussière,  puis  on  le  chasse  dans  une  plaine  déserte,  ou  on  le 
jette  dans  un  canal.  Ainsi  on  signale  les  bons  et  les  méchants,  et 
l'on  met  en  évidence  les  gens  d'esprit  et  les  sots. 

Si  un  homme  sait  se  plaire  dans  la  pratique  du  bien,  si  dans  sa 
maison  il  s'applique  à  ses  devoirs  et  étudie  avec  ardeur,  on  le  laisse, 
à  son  gré,  quitter  sa  famille  (embrasser  la  vie  religieuse)  ou  rentrer 
dans  le  monde.  S'il  a  commis  une  faute  ou  enfreint  la  discipline,  on 
le  punit  au  milieu  des  religieux.  Si  la  faute  est  légère,  on  le  répri- 
mande en  présence  de  l'assemblée,  ou  bien  on  recommande  aux 
membres  de  la  compagnie  de  ne  point  lui  parler.  Si  la  faute  est  grave, 
les  membres  de  l'assemblée  ne  demeurent  plus  avec  lui.  Dès  que 
cette  peine  a  été  prononcée,  on  le  chasse  et  on  l'exclut  pour  toujours. 
Une  fois  sorti,  il  va  chercher  un  asile  quelque  part,  ou  bien,  ne 
sachant  oii  s'abriter,  il  erre  sur  les  routes,  et  endure  les  plus  grandes 
fatigues  ;  quelques-uns  reprennent  leur  ancienne  profession  (1)  ». 

«  Les  Çramauas  n'ont  que  trois  sortes  de  vêtements,  savoir  :  la 
Sarighatî,  le  Sankaksikâ  et  le  Nivâsana.  La  coupe  et  la  façon  de  ces 
trois  vêtements  varient  suivant  les  écoles.  Les  uns  ont  une  bordure 
large  ou  étroite,  les  autres  ont  des  pans  petits  ou  grands.  Le 
Sankakçikâ  couvre  l'épaule  gauche  et  cache  les  deux  aisselles.  Il 
s'ouvre  à  gauche  et  se  ferme  à  droite.  Sa  coupe  allongée  dépasse  la 
ceinture.  Le  Nivâsana  n'ayant  ni  ceinture,  ni  glands,  quand  on  veut 
le  mettre,  on  le  plisse  et  ou  le  maintient  tout  autour  avec  un  cordon. 
Quant  aux  plis,  chaque  école  les  dispose  d'une  manière  particulière. 
La  couleur  de  ces  vêtements  varie  du  jaune  au  rouge  ». 

Il  serait  trop  long  de  retracer  la  vie  de  tous  les  éminents  docteurs 
bouddhistes  qu'on  peut  trouver  entre  600  et  650  (2).  I-tsing,  Târa- 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  69. 

(2)  Un  religieux  éminent  sur  qui  il  est  regrettable  que  nous  ayons  si  peu 


—  83  — 

nâtha,  Hiouen  Tsang  nous  fournissent  également  des  données  suffi- 
santes. Nous  en  avons  un  tableau  sommaire  dans  l'édition  d'1-tsing 
due  à  Takakusu  (1). 

Liste  des  religieux  éminenis. 

1.  Dharmapâla.  Contemporain  de  Bhartrhari  (mort  651-2),  il  mou- 
rut avant  635,  car  les  traductions  de  quatre  ouvrages  attribués  à  lui 
datent  toutes  de  650-710.  (B.  N.  App.  i.  16). 

2.  Dharmakïrti  (en  Logique).  Il  est  nommé  dans  le  Vâsavadattâ 
(p.  235)  et  dans  le  Sarva  darrana-samgralia  (p.  24,  Cowell)  ;  contem- 
porain du  roi  Srong-btsau-sgam-po.  (Wassilief,  p.  54.) 

3.  Çïlabhadra,  élève  de  Dharmapâla  (H.  T.  vol.  ii,  p.  452). 

4.  Simhacandra,  condisciple  de  Hiouen  Tsang.  (H.  T.  vol.  i, 
pp.  219,  261). 

5.  Sthiramati.  Nommé  dans  une  donation  Valabhï  (I.  A.  1877. 
p.  91  ;  1878,  p.  80,  et  H.  T.  vol.  iii,  p.  164)  ;  il  vécut  au  Valabhï, 
élève  de  Vasubandhu.  (Wassilief,  p.  78). 


de  renseignements  est  Jayasena,  qui  n'est  point  mentionné  par  I-tsing. 
Hiouen  Tsang  nous  parle  de  lui  sur  un  ton  fort  respectueux.  (H.  T.  vol.  i, 
p.  212). 

«  Le  roi  du  Magadha,  Pûrnavarman,  était  rempli  de  respect  pour  les  sages 
et  d'estime  pour  les  lettrés.  Ayant  été  informé  de  la  réputation  du  maitre 
des  castras  (Jayasena),  il  en  fut  ravi  de  joie.  Il  lui  envoya  des  messagers  pour 
l'inviter  à  venii',  le  nomma  docteur  suprême  du  royaume  et  lui  assigna  pour 
vivre  le  revenu  de  vingt  grandes  villes  ;  mais  le  maitre  des  castras  refusa 
ces  offres  brillantes. 

Après  la  mort  de  Pûrnavarman,  le  roi  Çîlâdtiya  l'invita  aussi  à  recevoir  le 
titre  de  docteur  suprême  du  royaume,  et  lui  assigna  pour  vivre  le  revenu  de 
quatre-vingts  grandes  villes  du  royaume  d'Orissa.  Le  maitre  des  castras 
refusa  comme  auparavant.  Le  roi  lui  ayant  adressé  encore  plusieurs  invita- 
tions pressantes,  il  persista  ônergiquement  dans  son  refus.  «  Sire  «,  dit 
Jayasena  au  roi,  «  j'ai  entendu  dire  que  celui  qui  reçoit  un  traitement  d'un 
autre  homme  doit  se  préoccuper  de  ses  soucis  et  de  ses  peines.  Maintenant 
que  je  tiavé.ille  à  sauver  les  hunnnes  qu'entraine  le  torrent  de  la  vie  et  de  la 
mort,  comment  aurais-je  le  temps  de  prendre  part  aux  affaires  de  Votre 
Majesté  »  ? 

A  ces  mots  il  s'incUna  et  sortit,  sans  que  le  roi  pût  le  retenir  ». 

(1)  I-tsing,  p.  Lvhi. 


—  84  — 

6.  Gunamati  (en  DhyâDa).  Il  vécut  au  Valabhî  avec  Sthiramati 
(H.  T.  vol.  iii,  p.  164),  et  à  Nâlandâ.  (H.  T.  vol.  iii,  p.  46). 

7.  Prajùâgupta  (eu  Réfutation).  Professeur  du  Sammitïya  et  contem- 
porain de  Hiouen  Tsang  (H   T.  vol.  i,  p.  220). 

8.  Guiiaprabha  (en  Vinaya).  Son  élève  Mitrasena  avait  quatre- 
vingt-dix  ans  et  enseignait  les  castras  à  Hiouen  Tsang  (H.  T.  vol.  i, 
p.  109).  Il  fut  guru  de  Çïlâditya,  et  élève  de  Vasubandhu  (Wassilief, 
p.  78). 

9.  Jinaprabha.  Professeur  de  Hiuan  chao,  qui  se  trouvait  à  Nalanda 
vers  l'an  649  (Chavannes,  Mémoire,  p.  17). 

10.  Ratnasimha  (dans  le  Nâlandâ  Vihâra).  Professeur  de  Hiuan 
chao,  (Chavannes,  Mémoire,  p.  18)  ;  il  vivait  encore  en  670-700. 
(I-tsing,  p.  184.) 

Târanâtha,  dans  son  histoire,  donne  sur  les  événements  du  règne 
de  Harsa  des  détails  qui  sont  importants  pour  la  religion  et  qui  nous 
invitent  à  considérer  quelles  étaient  dans  l'Inde  les  relations  des 
religions  et  de  TÉtat.  Donnons  d'abord  un  extrait  de  Târanâtha  (1)  : 

«  Au  temps  de  la  fin  de  la  vie  du  grand  âcârya  Vasubandhu,  après 
la  mort  du  roi  Gambhïrapaksa,  vécut  le  puissant  roi  Çrïharsa,  né 
dans  l'ouest  dans  le  pays  de  Maru.  Il  régnait  sur  tous  les  royaumes 
de  l'ouest  et  plus  tard  après  avoir  cru  à  la  loi,  il  choisit  l'âcârya 
Guiiaprabha  comme  guru.  En  même  temps,  les  descendants  du  roi 
Vrksacandra  régnaient  dans  l'est,  le  roi  Vigamacandra  et  son  fils 
Kâmacandra.  Ces  deux  rois  étaient  très  puissants  et  très  riches  et 
aimaient  à  faire  des  dons  ;  seulement,  bien  que  régnant  selon  la  loi, 
ils  ne  prenaient  point  leur  refuge  dans  les  trois  Précieux,  mais,  bien 
qu'honorant  Oithodoxes  et  Hétérodoxes,  ils  s'inclinaient  surtout 
devant  les  Nirgranthas,  Au  Kasmïr  au  même  temps,  le  roi  Mahâsam- 
mata  vécut,  dit-on.  Dans  ce  temps  dans  l'est,  l'âcârya  Sthiramati  (2) 
et  Dignâga  travaillaient  à  sauver  les  êtres  vivants  ;  dans  l'ouest  c'est 
la  fin  de  la  vie  de  Buddhadâsa  (3),  disciple  d'Aryâsaiiga,  et  la  meil- 
leure partie  du  travail  de  Guuaprabha  (4).  Au  Kasmïr  le  Bhadanta 


(1)  Târanâtha,  p.  126. 

(2)  H.  T.  vol.  iii,  pp.  46,  164. 

(3)  H.  T.  vol.  i,  p.  113  ;  vol.  il,  p.  216. 

(4)  H.  T.  vol.  i,  pp.  106,  211  ;  vol.  il,  p.  220  ;  Vol.  iii,  p.  175. 


—  85  — 

Samghadâsa  (1)  travaillait  avec  succès  au  salut  des  êtres  vivants, 
tandis  que  l'âcârya  Dharmadâsa  fut  un  maître  de  la  loi  qui  se  rendit 
dans  tous  les  pays.  Vers  le  sud  allait  l'âcârya  Buddhapâlita  (2),  et 
ceci  est  environ  vers  le  commencement  de  la  vie  de  Bhavya  et  de 
Vimuktasena.  Dans  le  pays  d'Odiviça  vécut  Nâgeça,  fils  du  roi 
Jaleruha,  dont  le  ministre  fut  le  brahmane  Nâgakeça  ;  pendant  les 
sept  années  de  son  règne,  il  fut  très  puissant  ;  si  bien  que  même 
Vigamacandra  s'inclina  devant  lui,  seulement  sous  l'influence  de 
l'âcârya  Lûyipa  (?)  il  abdiqua  ;  Dârika  le  magicien  devint  roi  et 
Tenggi  fut  son  ministre.  L'âcârya  Triratnadâsa  est  aussi  contemporain 
de  Bhavya  ;  dans  le  pays  d'Odiviça  le  brahmane  Bhadrapâlita  eut 
beaucoup  de  mérite  par  la  loi  » .  Les  rois  dont  p ^le  Târanâtha  nous 
sont  inconnus,  mais  les  noms  des  religieux  sont  confirmés.  Cepen- 
dant nous  ne  devons  pas  trop  nous  fier  à  ce  qu'il  rapporte. 

Târanâtha  nous  donne  en  plus  une  petite  biographie  de  chacun 
de  ces  éminents  religieux.  Nous  ne  citerons  que  celle  de  Harsa. 

«  Le  roi  Çrïharsa,  étant  devenu  roi  sans  limites,  voulut  détruire  la 
religion  des  Mlecchas  (3).  Il  fit  bâtir  un  Masita  (4),  ou  grand  cloître 
des  Mlecchas,  consistant  en  un  seul  édifice  construit  en  bois,  dans 
un  petit  pays  non  loin  de  Maulasthâna  :  il  invita  tous  les  sectateurs 
Mlecchas,  et  pourvut  à  leurs  moindres  besoins  pendant  plusieurs 
mois.  Il  rassembla  aussi  tous  leurs  écrits  religieux  et  après  avoir 
brûlé  tout  dans  le  feu,  environ  douze  mille  Mlecchas  périrent.  En  ce 
temps,  il  ne  resta  plus  dans  le  pays  de  Khorasan  qu'un  seul  tisserand 
connaissant  la  religion  Mleccha,  et  c'est  de  là  que  toute  la  religion 
Mleccha  présente  a  pris  son  origine.  En  conséquence  d'une  telle 
persécution  de  la  part  du  roi,  la  religion  des  Perses  et  dea  Çakas  fut 
pendant  cent  ans  très  peu  pratiquée.  Après  cela  il  fit  bâtir  pour 
expier  ses  fautes  un  grand  Vihâra,  en  Maru  (5),  Mâlava,  Mewar  (6), 


(1)  Probablement  identique  avec  Sanighabhadra  (H.  T.  vol.  i,  pp.  93,  102  ; 
vol.  ii,  pp.  183,  222).  Samghabhadra  était  originaire  du  Kasmir. 

(2)  Beal,  Si-yu-ki,  vol.  i,  p.  11)0,  n. 

(3)  Ici  il  y  a  confusion  :  "  Mleccha  «  dans  Târanâtha  signifie  «  Mahométan  », 
mais  autant  que  nous  le  sachions,  Harsa  lui-même  ne  se  trouva  jamais  en 
contact  avec  eux.  Cet  acte  d'intolérance  envers  les  Mahométans  n'est  peut- 
être  mis  au  compte  de  Harsa  que  parce  que  son  zèle  i-eligieux  était  légondaire. 

[A)  Con'uptiou  du  mot  arabe  musjid,  mosquée,  «  lieu  de  prostration  ". 

(5)  Marusthalï,  le  grand  désert  à  l'est  du  Sindhu. 

(6)  Mewar,  c'est-à-dire  Çâkambari  dans  le  Râjputâna. 


—  86  — 

Pituva,  et  Çitavara,  entretint  dans  chacune  mille  bhiksus  et  dissémina 
grandement  la  loi  ». 

Il  est  curieux  de  trouver  dans  une  légende  singhalaise  un  pareil 
exemple  de  zèle  intolérant  de  Harsa,  et  une  répression  analogue  des 
dissidents  religieux. 

Nevill  dans  le  Catalogue  (1)  non  publié  de  sa  magnifique  collection 
de  manuscrits,  aujourd'hui  au  British  Muséum,  donne  le  contenu 
d'un  manuscrit  appelé  «  Simâ-sahliharacliedani  ».  Je  dois  à  l'obli- 
geance de  M.  Barnett  de  pouvoir  le  reproduire  ici. 

«  Un  prêtre  fonda  la  secte  des  Nïlapatadaras  pour  déguiser  une 
offense  qu'il  avait  commise  ;  alors  Çrï  Harsa  rassembla  tous  leurs 
livres  avec  les  prêtres,  et  les  brûla  dans  un  prâsâda.  On  raconte  cette 
même  légende  à  propos  des  prêtres  Jetawanârâmas  à  Anurâdhapura, 
qui,  ayant  embrassé  la  doctrine  Nilapatadara,  furent  assemblés  par 
le  roi  de  Ceylan  à  leur  Vihâra  et  brûlés  au  moyen  d'une  ruse, 
lorsqu'ils  s'étaient  réunis  pour  défendre  leur  doctrine  ». 

De  plus,  dans  la  notice  du  manuscrit  singhalais  «  Saddharmaratnà- 
Tiaraya  »  de  la  collection  Nevill  figure  une  légende  relative  à  Harsa 
notée  dans  le  catalogue  autographe  de  M.  Nevill  (Vol.  ii).  Dans  la 
douzième  section,  le  DharmâthJiuta  Sâhgraha,  il  nous  dit  :  «  Sous  le 
règne  de  Mugalayin  Sen,  le  schisme  Nllapatadara  fut  introduit  à 
Ceylan.  L'auteur  donne  ici  une  légende  ou  une  tradition  que  je  n'ai 
trouvée  nulle  part  ailleurs  ;  les  traditions  de  Ceylan  sont  unanimes  à 
dire  que  les  schismatiques  de  cette  secte  à  Ceylan  furent  brûlés  avec 
leurs  livres  au  Jetawanârâraa  de  Ceylan.  Le  roi  régnant  les  fit 
assembler  par  ruse,  puis  les  fit  périr.  D'autre  part  notre  auteur  dit 
que  dans  le  temps  de  Bhojarâja  à  Çrï  Harsanuwara,  un  prêtre  du 
schisme  Sabbitika,  qui  était  sorti  pour  voir  une  courtisane,  mettant 
une  robe  bleu  foncé  pour  se  déguiser,  dormit  trop  longtemps,  et  fut 
découvert  à  l'aurore  rentrant  ainsi  accoutré.  Il  soutint  l'usage  de 
la  robe  bleue  et  ses  partisans  l'acceptèrent,  afin  de  faire  le  silence 
sur  la  véritable  origine  de  ce  costume.  Ainsi  ils  abandonnèrent  la 
robe  couleur  safran  pour  une  couleur  bleu  de  paon.  Plus  tard  Çrï 
Harsa  Deva  fit  assembler  les  membres  de  cette  secte,  les  tança 
vertement,  et,  les  enfermant  dans  un  temple  avec  leurs  livres,  il  les 
brûla  comme  pour  adresser  un  sacrifice  au  dieu  du  feu,  Agui  pûjâwa. 


(1)  Nevill  MSS.  Catalogue,  vol.  iii.  N"  653. 


—  87  — 

En  outre  de  la  divergence  avec  la  tradition  ordinaire,  cette  légende 
fait  régner  Bhojarâja  de  Çrï  Harsa  nuwara  avant  Çrî  Harsa  lui-même. 
Il  n'est  guère  probable  qu'il  y  ait  eu  deux  Çrï  Harsa,  un  qui  donna 
son  nom  au  nuwara  (palais  ou  ville)  et  un  qui  régna  plus  tard  «. 
Ajoutons  seulement  que  si  Çrï  Harsa  a  réellement  sévi  contre  les 
prêtres  de  cette  secte,  il  n'est  pas  étonnant  qu'on  en  retrouve  un 
retentissement  lointain  dans  une  légende  originaire  de  Ceylan  ;  mais 
il  est  plus  naturel  de  croire  en  présence  de  cette  légende  que  rien  ne 
confirme,  qu'elle  n'est  rien  autre  qu'une  preuve  de  l'universelle 
réputation  que  s'était  acquise  Harsa  par  suite  de  son  attachement 
sincère  et  zélé  à  la  tradition  bouddhique,  tant  à  celle  du  sud  qu'à 
celle  du  nord. 

Cet  acte  d'intolérance  se  comprendrait  d'autant  moias  de  la  part 
de  Harsa  qu'on  a  des  preuves  certaines  de  la  protection  qu'il  accordait 
aux  uns  et  aux  autres  avec  la  même  générosité,  ou  si  l'on  veut,  avec 
la  même  indifférence,  à  tel  point  que  brahmanes,  jainas  et  bouddhistes 
revendiquent  son  nom  pour  le  ranger  parmi  les  leurs.  Dans  la  famille 
royale  même  il  n'y  avait  pas  unité  de  croyances  et  de  foi  et  nous  ne 
pouvons  en  être  surpris  que  parce  que  nous  ignorons  les  rapports 
intimes  des  diverses  religions  entre  elles,  ou  plutôt  les  différentes 
phases  de  la  même  religion.  On  est  souvent  trop  tenté  de  considérer 
brahmanes,  bouddhistes,  jainas,  et  les  autres,  comme  des  gens  tout  à 
fait  séparés  les  uns  des  autres  par  leurs  croyances  religieuses  et  par 
leurs  mœurs  et  de  les  faire  rivaliser  à  l'envi  comme  les  dévots  de  nos 
religions  occidentales.  Mais  il  convient  d'observer  que  tous  les  Hindous 
ont  une  même  religion  sous  des  formes  multiples,  la  pensée  et  les 
mobiles  restant  toujours  identiques.  C'est  ainsi  que  dans  la  famille 
de  Harsa,  son  bisaïeul  Râjyavardhana,  son  grand'père  Âdityavardha- 
na,  son  père  Prabhâkaravardhana  sont  représentés  sur  les  inscriptions 
comme  pratiquant  le  culte  solaire.  Ces  désignations  même  ne  laissent 
pas  d'être  intéressantes.  Tous  trois  portent  le  titre  de  ad'dyahhakto^ 
"  adorateur  passionné  du  soleil  ,.  (Saura).  Bâiia  nous  dit  en  outre  de 
Prabhâkaravardhana  dont  le  nom  (celui  qui  augmente  le  faiseur  de 
lumière)  est  très  significatif,  qu'il  fut  par  une  disposition  naturelle  (1) 


(1)  Ce  culte  du  soleil  ne  nous  est  connu  que  très  imparfaitement.  Il  semble 
d'après  le  passage  de  Bâna  avoir  eu  pour  ol)jet  l'obtention  (ront'aiits  ma  les  : 
il  était  peut-être  restreint  aux  tribus  du  nord  de  l'Inde.  Dans  la  présidence 
de  Bombay,  il  y  a  aujourd'hui  encore  des  traces  du  culte  du  soleil. 


—  88  — 

dévoué  au  culte  du  soleil  (1)  :  «  Tous  les  jours  au  lever  du  soleil  il  se 
baignait,  se  revêtait  de  soie  blanche,  et  s'agenouillant  vers  l'orient 
sur  le  sol,  dans  un  cercle  enduit  de  pâte  de  safran,  il  présentait  comme 
sacrifice  un  bouquet  de  lotus  rouges  dans  un  vase  de  rubis,  purifié  et 
teint  comme  l'était  son  propre  cœur  des  rayons  du  soleil.  Solennelle- 
ment à  l'aurore,  à  midi  et  le  soir,  il  murmurait  une  prière  pour 
obtenir  une  postérité,  humblement,  d'un  cœur  zélé,  il  répétait  un 
hymne  qui  avait  le  soleil  pour  objet  ». 

Râjyavardhana  II,  le  frère  de  Harsa,  fut  bouddhiste,  si  l'on  en  croit 
les  inscriptions  ;  il  est  même  singulier  que  Hiouen  Tsang  ne  signale 
pas  ce  fait  qu'il  avait  tant  d'intérêt  à  divulguer  et  qu'il  garde  à  cet 
égard  la  même  réserve  que  Bâna  qui,  en  digne  brahmane,  avait  des 
raisons  de  ne  rien  mentionner  de  semblable.  Quant  à  Harsa,  il  se 
proclama  lui-même  adorateur  passionné  de  Maheçvara,  c'est-à-dire 
çivaïte.  Cette  divergence  dans  les  pratiques  religieuses  ne  peut  s'ex- 
pliquer qu'en  tenant  chacune  d'elles  pour  une  période  d'un  même 
état  religieux  :  brahmanisme,  bouddhisme,  jainisme  sont  des  phases 
non  incompatibles  entre  elles  d'une  même  religion.  C'est  là  ce  qui 
explique  le  rôle  de  protecteur  que  Harsa  a  joué  vis-à-vis  de  toutes  les 
sectes  de  son  empire  et  l'on  comprend  pourquoi  les  jainas,  les  brah- 
manes et  les  bouddhistes  le  tiennent  encore  aujourd'hui  en  odeur  de 
sainteté.  Entre  ces  sectes,  il  n'y  avait  pas  d'incompatibilité  d'humeur 
et  le  divorce  ne  pouvait  les  séparer  ;  c'est  pourquoi  Harsa  pouvait 
revendiquer  Çiva  comme  sa  divinité  personnelle,  faire  des  donations 
aux  temples  des  brahmanes,  donner  à  sa  sœur  comme  précepteur  un 
sage  bouddhiste  et  enfin  offrir  à  Prayâga  une  fête  solennelle  à  toutes 
les  religions.  C'est  au  reste  une  caractéristique  des  rapports  de  l'État 
avec  les  religions  dans  l'Inde  que  cette  tolérance  pratiquée  par  Har- 
sa (2).  De  même  qu'il  protégeait  Hiouen  Tsang,  Mayûra  et  Bâua, 


(1)  H.  C.  p.  135. 

(2)  Kumâra  semble  avoir  pratiqué  le  même  dilettantisme  religieux  que  son 
suzerain.  Lao-tzeu  avait  vivement  éveillé  sa  curiosité.  Avant  de  demander 
par  l'entremise  de  Wang  hiuan-ts'e  une  image  du  philosophe,  il  avait 
adressé  déjà  par  l'entremise  de  Li  y-piao  une  requête  analogue.  D'après  le 
Tsi-Kou-Kin-fou-too-loen-heng  (chap.  2,  fin),  compilé  en  661  (B.  N.  1471  ;  éd. 
jap.  xxxvii,  7,  p.  20b)  l'envoyé  Li  yi-piao,  de  retour  en  Chine,  exposa  à  l'empe- 
reur que  le  roi  Kumâra  de  l'Inde  orientale  désirait  obtenir  une  traduction 
sanscrite  des  ouvrages  de  Lao-tzeu.  Hiouen  Tsang  fut  chargé  de  s'aboucher 


—  89  — 

qui  appartenaient  aux  trois  religions,  Pulikeçin  II,  son  rival,  faisait 
des  dons  aux  brahmanes  et  aux  jainas.  Hiouen  Tsang,  ainsi  qu'I-tsing, 
reconnaît  le  zèle  des  princes  pour  le  Buddha  (1).  Çaçânka,  roi  de 
Gauda,  semble  avoir  été  une  exception  à  la  règle  quand  il  a  persécuté 
les  bouddhistes.  A  Kaniasuvarna,  oii  il  régnait,  il  n'y  avait  que  treize 
couvents  bouddhistes  (2).  Il  tenta  même  de  détruire  l'arbre  de  la 
Bodhi  (3)  à  Buddha  Gayâ  et  d'autres  monuments  bouddhiques  (4) 
encore.  Hiouen  Tsaug  rapporte  à  ce  sujet  plusieurs  anecdotes  ty- 
piques : 

«  Dans  ces  derniers  temps,  le  roi  Çaçânka,  qui  était  attaché  aux 
doctrines  hérétiques,  calomniait,  par  une  basse  envie,  la  loi  du 
Buddha  et  détruisait  les  couvents.  11  abattit  l'arbre  de  l'intelligence, 
et  creusa  la  terre  jusqu'aux  sources  d'eau  sans  pouvoir  extirper  les 
plus  profondes  racines.  Alors  il  y  mit  le  feu,  et  les  arrosa  avec  du  jus 
de  canne  à  sucre  pour  les  consumer  entièrement  et  en  détruire  les 
derniers  rejetons.  Quelques  mois  après,  cet  événement  arriva  aux 
oreilles  de  Pûrnavarman,  roi  du  Magadha,  et  dernier  descendant  du 
roi  Açoka.  A  cette  nouvelle  il  dit  en  soupirant  :  «  Le  soleil  de  l'intel- 
ligence était  caché  depuis  des  siècles  ;  il  ne  restait  plus  que  l'arbre 


avec  des  docteurs  taoïstes  pour  préparer  de  concert  avec  eux  une  traduction  ; 
mais  l'entreprise  avorta.  La  notice  sur  le  royaume  du  Kâmarûpa,  dans  la 
Nouvelle  Histoire  des  Tang,  confond  les  deux  requêtes  :  «  Quand  Wang 
liiuan-ts'e  arriva,  le  roi  de  ce  royaume  envoya  payer  le  tribut,  en  y  joignant 
des  objets  précieux  et  rares  et  une  carte  de  son  territoire,  et  il  sollicita  en 
retour  l'image  de  Lao-tzeu  et  le  Tao-te-King'^.(S.  Lé\'\,  Missions  de  Wang 
hiuan  ts'e). 

(1)  Beal  (L  A.  vol.  x,  p.  197)  a  fait  une  grave  erreur  en  traduisant  le 
passage  suivant  d'I-tsing  :  au  lieu  de  Râjabandhu  ou  Harsabhata,  il  a  lu 
Harsavardhana  (le  chinois  est  Ho-lo-se-pan-tu). 

«  Song-chi,  prêtre  et  compagnon  de  Ling-wan,  un  autre  voyageur,  arriva 
dans  l'Inde  par  la  route  de  la  mer  du  sud.  Commj  il  arrivait  à  Samatata,  le 
roi  de  ce  pays,  nomme  Harsavardhana,  un  upâsaka,  rendait  hommage  aux 
trois  objets  de  culte,  et  se  dévouait  à  ses  devoirs  religieux  ;  il  avait  fait  de 
jour  en  jour  plus  de  cent  mille  statues  en  tei're  moulée,  avait  parcouru 
la  grande  Prajnâ,  consistant  en  lOOOOO  çlokas,  et  était  très  ponctuel  dans 
ses  dévotions  v. 

(2)  H.  T.  vol.  i,  p.  180. 

(3)  J.  B.  A.  vol.  xvii,  p.  42;  J.  R.  A.  S.  vol.  xvii,  p.  128.  Beal,  Si-gu-Ki, 
vol.  ii,  p.  201. 

(4)  H.  T.  vol.  ii,  p.  4(33. 


—  90  — 

du  Buddha  et  voilà  qu'on  vient  encore  de  l'abattre,  les  hommes  ne  le 
verront  plus  ». 

«  En  disant  ces  mots,  il  se  jeta  à  terre  de  tout  son  corps,  en  proie  à 
des  transports  douloureux  dont  la  vue  déchirait  l'âme.  Il  arrosa 
l'arbre  avec  le  lait  de  plusieurs  milliers  de  vaches,  et,  au  bout  d'une 
nuit,  l'arbre  repoussa  en  entier.  Sa  hauteur  était  d'une  dizaine  de 
pieds.  Dans  la  crainte  qu'on  ne  voulût  le  couper  encore,  il  l'environna 
d'un  mur  en  pierre,  haut  de  vingt-quatre  pieds.  C'est  pourquoi, 
aujourd'hui,  l'arbre  de  l'intelligence  est  protégé  par  un  mur  en  pierre 
qu'il  dépasse  d'une  vingtaine  de  pieds  (1)  r. 

«  Le  roi  Çaçânka, ayant  abattu  l'arbre  de  l'intelligence  (Bodhidruma), 
voulut  détruire  cette  statue  (du  Buddha).  Mais  lorsqu'il  eut  vu  sa  figure 
bienveillante,  il  n'en  eut  pas  le  courage  et  prit  le  parti  de  s'en 
revenir.  Il  dit  alors  à  un  de  ses  intendants  :  «  Il  faut  enlever  cette 
statue  du  Buddha,  et  mettre  à  sa  place  celle  du  dieu  Maheçvara  ». 

«  Après  avoir  reçu  cet  ordre,  l'intendant  fut  saisi  de  crainte,  et  dit 
en  soupirant  :  «  Si  je  détruis  la  statue  du  Buddha,  je  m'attirerai  des 
malheurs  dans  toute  la  suite  des  Kalpas  ;  si  je  désobéis  aux  comman- 
dements du  roi,  il  m'ôtera  la  vie  et  exterminera  ma  famille.  Dans 
cette  cruelle  alternative,  que  faut-il  que  je  fasse  »?  Il  appela  alors 
un  homme  d'une  fidélité  éprouvée  et  l'employa  à  son  service.  Sur- 
le-champ,  il  éleva  devant  la  statue  un  mur  en  briques  :  et,  comme  il 
aurait  eu  honte  de  la  laisser  dans  l'obscurité,  il  y  suspendit  une 
lampe  brillante.  Ensuite,  devant  le  mur,  il  représenta  l'image  du 
dieu  Maheçvara  ». 

«  Quand  son  travail  fut  achevé,  il  alla  en  informer  le  roi.  A  cette 
nouvelle,  le  roi  fut  saisi  d'effroi.  Tout  son  corps  fut  couvert  de 
tumeurs,  sa  peau  se  déchira  et  au  bout  de  quelques  instants,  il 
mourut.  L'intendant,  étant  revenu  en  toute  hâte,  démolit  et  enleva  le 
mur  qui  masquait  la  statue  (2)  ». 

«  Dans  ces  derniers  temps,  le  roi  Çaçâùka  ayant  aboli  la  loi  du 
Buddha,  se  rendit  aussitôt  dans  le  lieu  (Pâtaliputra)  oii  était  la 
pierre  (portant  des  traces  miraculeuses)  et  voulut  effacer  les  traces 
sacrées  ;  mais  à  peine  avait-elle  été  taillée  à  coups  de  ciseau,  qu'elle 
redevenait  unie,  et  que  les  ornements  reparaissaient  comme  aupara- 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  468. 

(2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  422. 


—  91  — 

vant.  Là-dessus,  il  s'éloigna  du  cours  du  Gange,  et  s'en  revint 
immédiatement  dans  son  pays  natal  ». 

Bien  éloigné  d'une  pareille  barbarie,  Harsa  multipliait  ses  dons 
aux  bouddhistes  et  aimait  à  attendre  leurs  discussions.  Outre  la 
description  donnée  par  Hiouen  Tsang  de  son  séjour  chez  Harsa  et 
des  fêtes  religieuses  auxquelles  il  assista  (Appendice  II),  nous  cite- 
rons ici  un  court  passage  du  même  auteur  (1)  : 

«  Près  des  bords  du  Gange,  il  (Harsa)  fit  élever  plusieurs  milliers 
de  stupas,  qui  avaient  chacun  une  centaine  de  pieds.  Dans  les  villes 
grandes  et  petites  des  cinq  Indes,  dans  les  villages,  dans  les  carre- 
fours, au  croisement  des  chemins,  il  lit  bâtir  des  maisons  de  secours 
011  l'on  déposait  des  aliments,  des  breuvages  et  des  médicaments  pour 
les  donner  en  aumône  aux  voyageurs,  aux  pauvres  et  aux  indigents. 
Ces  distributions  bienfaisantes  ne  cessaient  jamais.  Partout  où  le 
Saint  (Buddha)  avait  laissé  la  trace  de  ses  pas,  il  faisait  élever  des 
Sanghârâmas.  Tous  les  cinq  ans,  il  convoquait  une  assemblée,  appelée 
la  grande  assemblée  de  la  Délivrance  (Moksamahâparisad).  Il  épuisait 
le  trésor  et  les  magasins  de  l'État  pour  faire  du  bien  à  tous  les 
hommes.  Il  ne  réservait  que  les  armes  qui  n'étaient  point  propres  à 
être  données  en  aumône.  Chaque  année,  il  réunissait  les  çramanas 
des  différents  royaumes.  Le  troisième  et  le  septième  jour,  il  leur 
faisait  les  quatre  offrandes.  Il  décorait  richement  le  Fauteuil  de  la 
Loi  et  faisait  disposer,  en  grand  nombre,  les  sièges  de  l'explication  (2). 
Il  ordonnait  aux  religieux  de  discuter  ensemble  et  jugeait  de  leur 
force  ou  de  leur  faiblesse.  Il  récompensait  les  bons  et  châtiait  les 
méchants,  destituait  les  ignorants  et  élevait  les  hommes  éclairés.  Si 
quelqu'un  observait  fidèlement  les  règles  de  la  discipline,  s'il  se 
distinguait  par  la  pureté  de  sa  vertu,  le  roi  le  faisait  monter  sur  le 
siège  du  lion  (Simhâsana)  et  recevait  lui-même,  de  sa  bouche, 
l'enseignement  de  la  loi.  Si  quelqu'un,  bien  que  tenant  une  conduite 
pure  et  irréprochable,  était  dépourvu  de  savoir  et  d'érudition,  il  se 
contentait  de  lui  donner  des  témoignages  d'estime  et  de  respect  ». 

Harsa  aimait  à  faire  des  dons  d'une  façon  royale  ;  Hiouen  Tsang 


(1)  H.  T.  vol.  il,  p.  251. 

(2)  On  entend  ici  le  fauteuil  de  l'orateur  chargé  d'exposer  la  loi,  et  les 
sièges  des  religieux  qui  devaient  assister  ou  prendre  part  à  l'explication  des 
textes. 


—  92  — 

mentionne  ce  trait  chez  lui  plusieurs  fois.  Près  de  Prayàga  il  y  avait 
une  place  favorite  pour  la  distribution  des  aumônes  (1). 

«  A  l'est  de  la  capitale,  au  confluent  de  deux  fleuves  (Prayàga),  il 
■  y  a  un  terrain  riant  et  élevé,  large  d'une  dizaine  de  li.  Toute  sa 
surface  est  couverte  d'un  sable  fin.  Depuis  les  temps  anciens  jusqu'à 
nos  jours,  les  rois  et  les  hommes  des  grandes  familles  ne  manquent 
jamais  de  s'y  rendre  lorsqu'ils  veulent  faire  des  aumônes,  et  là  ils 
distribuent  des  secours  sans  nombre.  C'est  pourquoi  on  l'a  appelé  la 
grande  plaine  des  aumônes.  Maintenant,  le  roi  Çïlâditya  à  l'exemple 
des  rois,  ses  aïeux,  répand  d'immenses  bienfaits.  Les  richesses  qu'il 
a  amassées,  les  objets  précieux  qu'il  a  réunis  en  quantité  pendant 
cinq  ans,  il  les  distribue  en  un  seul  jour  dans  la  plaine  des  aumônes. 
Le  premier  jour,  il  érigea  une  grande  statue  du  Buddha,  couverte  de 
riches  ornements.  Aussitôt,  il  prit  des  choses  précieuses  de  la  plus 
grande  beauté  et  les  offrit  d'abord  à  la  statue  ;  secondement  (il  en 
donna  de  semblables)  aux  religieux  sédentaires  ;  troisièmement,  à  la 
multitude  qui  était  présente  ;  quatrièmement,  aux  hommes  qui  se 
distinguaient  par  des  talents  supérieurs,  une  érudition  solide,  des 
connaissances  étendues  et  une  rare  capacité  ;  cinquièmement,  aux 
disciples  des  brahmanes  qui  vivaient  dans  la  retraite  et  fuyaient  les 
voies  du  monde  ;  sixièmement,  aux  veufs,  aux  veuves,  aux  orphelins, 
aux  hommes  sans  famille,  aux  pauvres  et  aux  mendiants  «. 

On  a  essayé  de  montrer  que  la  tolérance  de  Harsa  serait  allée  jus- 
qu'à encourager  le  christianisme.  Cette  théorie  se  fonde  sur  des 
données  absolument  erronées  (2). 

L'exemple  de  Harsa  fut  suivi  de  ses  vassaux,  même  de  Dhruvasena 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p,  280.  Cf.  aussi  H.  T.  vol.  i,  p.  121. 

(2)  Takakusu  [I-tsing,  Introd.  p.  28,  n.  8.)  dit  que,  selon  le  Dr.  Edldns, 
Çïlâditya  aurait  reçu  les  Nestoriens  Alopen  et  ses  compagnons  en  6.39.  Cette 
aflirmation  se  fonde  sur  un  contre-sens  évident.  Le  Dr.  Edkins  {Atkenœum, 
July  3.  1880  p.  8)  dit  seulement  :  "  Le  même  empereur  qui  accueillait  lliouen 
Tsang  avec  bienveillance  lorsqu'il  revenait  de  l'Inde,  chargé  de  manuscrits 
sanskrits,  recevait  avec  une  égale  faveur  les  chrétiens  de  la  Syrie,  Alopen 
et  ses  compagnons  y,.  Les  mots  du  Dr.  Edkins  se  rapportent  naturellement  à 
l'empereur  chinois  Kaotsong  et  nullement  à  Çïlâditya.  Ce  n'est  du  reste 
qu'une  des  erreurs  nombreuses  qui  circulent  encoi-e  aujourd'hui  au  sujet  de 
H;i Isa,  tant  on  est  tenté  de  mettre  au  compte  des  plus  puissants  les  actes 
même  les  plus  sujets  à  caution. 


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-  9S  - 

de  Valabhï  qui  semble  avoir  ménagé  les  bouddhistes  en  général. 
Hiouen  Tsaug  lui  en  témoigne  une  reconnaissance  particulière  (1). 
«  Maintenant  le  fils  du  roi  Çïlâditya  du  royaume  de  Kânyakubja  a 
un  gendre  appelé  Dhruvabhata.  Il  est  d'un  caractère  vif  et  emporté, 
et  d'une  intelligence  faible  et  bornée  ;  cependant  il  croit  sincèrement 
aux  Trois  Précieux.  Chaque  année,  il  tient,  pendant  sept  jours,  une 
grande  assemblée,  dans  laquelle  il  distribue  à  la  multitude  des 
religieux  des  mets  exquis,  les  trois  vêtements,  des  médicaments,  les 
sept  choses  précieuses,  et  des  objets  rares  et  d'une  grande  valeur. 
Après  avoir  donné  toutes  ces  choses  en  aumône,  il  les  rachète  au 
double.  Il  apprécie  la  vertu  et  honore  les  sages,  il  révère  la  religion, 
et  estime  la  science.  Les  religieux  les  plus  éminents  des  contrées 
lointaines  sont  surtout  l'objet  de  ses  hommages  ». 

Malgré  l'état  florissant  du  bouddhisme  au  temps  d'Harsa,  il  semble 
qu'avec  la  fin  de  son  règne  la  décadence  se  soit  fait  ressentir.  En  670 
I-tsing  se  lamentait  sur  l'ignorance  générale  (2). 

«  La  doctrine  du  Buddha  devient  moins  répandue  dans  le  monde  de 
jour  en  jour  ;  quand  je  compare  ce  que  j'ai  vu  dans  ma  jeunesse  avec 
ce  que  je  vois  aujourd'hui  dans  ma  vieillesse,  l'état  est  tout  à  fait 
différent,  il  faut  espérer  que  nous  deviendrons  plus  attentifs  dans 
l'avenir  ». 

La  disparition  de  ces  puissants  empereurs  qui  s'étaient  tant  inté- 
ressés au  bouddhisme  ne  fut  pas  la  moindre  cause  du  déclin  de  cette 
religion.  Mais  l'invasion  des  Arabes  y  contribua  plus  encore  ;  leurs 
razzias,  que  contenait  à  grand  peine  Harsa  dans  les  dernières  années 
de  son  règne,  accélèrent  la  ruine  des  couvents  et  monuments  boud- 
dhiques et  des  pèlerinages.  Les  Mahométans  ne  toléraient  pas  une 
religion  d'idolâtrie  et  en  vrais  iconoclastes  en  saccageaient  tous  les 
vestiges.  Cependant  le  jainisme,  qui  était  loin  d'avoir  eu  à  ses  débuts 
les  succès  du  bouddhisme,  se  maintenait  au  point  qu'aujourd'hui 
encore,  alors  qu'il  n'y  a  plus  de  bouddhistes  dans  l'Inde,  les  jainas 
continuent  de  pratiquer  en  paix  les  rites  de  leur  religion. 

A  la  cour  de  Ilarsa,  où  la  tolérance  était  à  l'ordre  du  jour,  les  jainas 
jouissaient  d'une  hospitalité  sans  réserve.  Mayûra,  quoique  jaina, 
était  un  des  poètes  favoris  de  Harsa.  Mais  tout  de  môme  en  lisant  le 


(1)  H.  T.  vol.  il,  p.  163,  dans  une  notice  sur  le  Valabhï, 

(2)  I-tsing,  p.  52. 


—  94  — 

Bar.mcarita,  on  est  frappé  du  mépris  que  manifeste  Bâna  à  l'endroit 
des  jainas.  Lorsque  Harsa  revient  en  hâte  à  Thanesar,  pour  revoir 
sou  père  sur  son  lit  de  mort,  c'est  une  figure  de  mauvais  augure  qu'il 
rencontra  tout  d'abord  (1)  : 

«  Droit  en  face  de  lui  venait  un  jaina  nu  (un  Digambara)  orné  de 
plumes  de  paon  (2),  un  drôle  tout  noir  de  fumée,  semblait-il  ;  la  crasse 
de  maints  jours  amoncelée  sur  lui  lui  salissait  le  corps  v.  Si  Bâaa 
rapporte  ce  détail,  c'est  évidemment  que  la  vue  d'un  jaina  ne  passait 
pas  pour  favorable  et  que  les  sectateurs  du  jainisme  étaient  tombés 
dans  le  discrédit.  Dans  Hiouen  Tsang  et  dans  Bâna  nous  trouvons 
plusieurs  descriptions  ou  notices  des  jainas  et  aussi  des  ascètes.  Par 
exemple  dans  Hiouen  Tsang  (3)  : 

«  Les  habits  des  hérétiques  sont  fort  variés  et  diffèrent  chacun  par 
la  façon.  Quelques-uns  portent  une  plume  de  queue  de  paon,  d'autres 
se  parent  avec  des  chapelets  d'os  de  crânes  (les  Kapâladhârinas)  ; 
ceux-ci  n'ont  point  de  vêtements  et  restent  entièrement  nus  (les 
jainas),  ceux-là  se  couvrent  le  corps  avec  des  plaques  d'herbes 
tressées.  Il  y  en  a  qui  arrachent  leurs  cheveux  et  coupent  leurs 
moustaches,  ou  bien  qui  conservent  des  favoris  touffus  et  nouent  leurs 
cheveux  sur  le  sommet  de  la  tète.  Le  costume  n'a  rien  de  déterminé, 
et  la  couleur  rouge  ou  blanche  n'est  pas  invariable  n. 

Dans  Bâna  c'est  encore  une  description  des  diverses  religions 
assemblées  près  du  sage  bouddhiste  Divâkaramitra  (4)  : 

«  Le  roi  vit des  dévots  dont  les  sens  étaient  morts,  jainas  à 

blancs  vêtements,  (Çvetâmbaras),  mendiants  blancs  (ascètes  hindous 
qui  avaient  abandonné  le  bouddhisme),  fidèles  de  Krsna  (Bhâgavatas), 
étudiants  en  religion,  ascètes  qui  s'étaient  arraché  les  cheveux,  secta- 
teurs de  Kapila,  jainas,  Lokâyatikas  (athées),  fidèles  de  Kanâda, 
fidèles  des  Upanisads,  dévots  de  Dieu  créateur  (sectateurs  duNyâya), 
essayeurs  de  métaux,  étudiants  en  jurisprudence,  étudiants  des 
Purânas,  religieux  experts  aux  sacrifices  des  sept  prêtres  (Sâyana, 
R.  V.  X.  124.  1),  savants  grammairiens,  sectateurs  du  Pâncarâtra, 


(1)  H.  C.  p.  168. 

(2)  Il  avait  un  balai  de  plumes  de  paon  afin  d'écarter  de  son  chemin  les 
insectes,  et  de  ne  pas  leur  faire  perdre  la  vie.  Les  plumes  de  paon  caracté- 
risent les  jainas. 

(3)  H.  T.  vol.  ii,  p.  69. 

(4)  H.  C.  pp.  265-6. 


—  95  ~ 

et  d'autres  encore,  tous  fidèles  observateurs  de  leurs  dogmes,  réflé- 
chissant, pressant  leurs  objections,  soulevant  des  doutes,  les  résolvant, 
donnant  des  étymologies,  disputant,  étudiant,  expliquant,  et  tous 
assemblés  là  comme  ses  disciples.  Même  des  singes  qui  s'étaient  enfuis 
vers  les  trois  refuges  (le  Buddha,  la  loi,  et  l'assemblée)  s'occupaient 
gravement  à  pratiquer  le  rituel  du  caitya  ;  en  même  temps  des 
perroquets  dévoués,  versés  dans  les  Çâkya  Castras,  expliquaient  le 
Koça  (le  dictionnaire  bouddhique  de  Vasubandhu,  cf.  Buruouf.  Intr. 
p.  553)  et  quelques  mainas,  qui  avaient  conquis  le  repos  après  des 
exposés  des  devoirs  monastiques  (les  dix  çiksâpadas),  faisaient  des 
lectures  de  la  loi  ;  des  hiboux  qui  avaient  obtenu  la  vue  par  l'audi- 
tion assidue  de  la  sainte  doctrine,  murmuraient  l'histoire  des  nais- 
sances diverses  du  Bodhisattva  ;  même  des  tigres  y  assistaient  :  ils 
avaient  abandonné  l'usage  de  la  viande  sous  l'influence  calmante  de 
l'enseignement  bouddhique  n. 

Dans  Bâna  (1)  nous  avons  de  plus  un  récit  des  faits  d'ascétisme 
dont  pouvaient  se  vanter  les  ministres,  domestiques  et  amis  du  roi 
Prabhâkaravardhana  après  sa  mort.  «  Les  uns,  las  de  la  vie  de 
courtisan,  abandonnèrent  les  plaisirs  qui  se  trouvaient  entre  leurs 
mains,  et  vécurent  dans  des  clairières  de  forêts  avec  une  nourriture 
limitée,  les  autres,  se  nourrissant  de  Tair  seul,  devinrent  des  ermites 
émaciés,  riches  seulement  en  vertu.  D'autres  se  vêtirent  de  robes 
rouges  et  étudièrent  le  système  de  Kapila  dans  la  montagne  :  d'autres 
encore,  arrachant  leurs  parures,  se  nouèrent  le  nœud  d'ascète  sur  la 
tête  et  se  réfugièrent  en  Çiva,  d'autres  demeurèrent  dans  des  ermi- 
tages silvestres,  léchés  du  bout  de  la  langue  par  les  cerfs  ;  d'autres 
firent  des  vœux  et,  moines  rasés,  ils  errèrent  çà  et  là,  portant  de 
l'eau  dans  des  cruches  et  dans  le  creux  des  yeux,  les  yeux  rouges 
et  frottés  de  la  main  « . 

Ce  sont  ces  faits  d'ascétisme  qui  rendirent  populaire  le  jainisme 
chez  un  peuple  qui  de  tout  temps  a  eu  le  plus  grand  mépris  ou  la  plus 
profonde  indifférence  pour  les  souffrances  physiques. 


(1)  H.  C.  pp.  192-3. 


—  96  — 

Liste  des  principaux  auteurs  et  de  leurs  œuvres. 

(600-650). 


Haesa  Çîlâditya, 

Nâgânanda  (Jïmûtavâhana-nâtaka), 

Priyadarçikâ, 

Ratnâvalï, 

Astamahâçricaityasamskrtastotra, 

Suprabhâtastotra, 

des  vers  épars  dans  les  inscriptions  ou 

dans  les  anthologies, 
Jâtakamâlâ,  composée  par  des  hommes 

de  lettres  de  cette  époque. 

BÂNA, 

Harsacarita, 

Kâdarnbarî, 

Mukutatâditaka, 

Pârvatïparinaya, 

Sarvacaritaprahasaaa, 

Candikâçataka, 

des  vers  épars  dans  les  anthologies. 

Matûea, 

Sûryaçataka, 

Aryamuktâmâlâ, 

Mayûrâstaka, 

des  vers  épars  dans  les  anthologies. 

Mânatunga, 

Bhaktâmarastotra , 
Bliayaharastavana, 
Bhattibharastavana. 

Jatâditta, 
Vâmana, 

Kâçikâvrtti. 

Bhaetrhari, 

Nîtiçataka, 

Çrngâraçataka, 

Vairâgyaçataka, 

Bhattikâvya, 

Bhartrhari-çâstra,   commentaire  sur  le 

Mahûhhâsya  de.  Patanjali, 
Vâkyapadîya, 
Bedâvrtti. 

CHAPITRE  m. 
Le  monde  littéraire  a  la  cour  du  roi  Harsa. 


Dans  un  royaume  florissant  comme  l'était  celui  de  Harsa,  il  était 
naturel  que  la  littérature  profitât  de  la  prospérité  générale  ;  les 
époques  troublées  par  les  discordes  politiques  ne  sont  pas  les  plus 
favorables  à  l'éclosion  des  poèmes  et  les  génies  littéraires  sollicite- 
raient vainement  les  suffrages  d'un  public  qui  demanderait  aux  armes 
de  garantir  la  liberté  et  l'existence  de  chacun.  Si  propice  pourtant 
que  soit  le  règne  de  Harsa  à  la  culture  des  arts,  amis  de  la  paix,  nulle 
œuvre  imposante  et  grandiose  ne  s'y  épanouit.  Comme  il  arrive 
généralement  à  la  suite  des  grandes  époques  littéraires,  les  renom- 
mées établies,  les  œuvres  devenues  classiques  gênent  l'essor  des 
nouvelles  générations.  Après  le  MaliahJmraia,  après  Kâlidâsa,  après 
les  panégyristes  àe  praçastis  des  premiers  Guptas,  la  langue  poétique 
est  définitivement  créée  et  a  pris  possession  de  son  domaine.  Dès  lors, 
après  la  poésie,  c'est  à  la  rhétorique  de  parler  ;  sur  les  chefs-d'œuvre 
antiques  les  commentateurs  vont  pulluler  ;  les  poètes  nouveaux 
n'obéiront  plus  à  leur  impulsion  personnelle,  mais  aux  préceptes  du 
Kâvyâdarça  de  Dandin  :  il  y  aura  chez  eux  moins  de  naturel,  mais 
plus  d'élégance  ;  moins  d'éclat,  mais  plus  de  brillants  ;  moins  de  force, 
mais  plus  de  grâces.  Bâna  et  Harsa  lui-même  emprunteront  à  Kâlidâsa 
non  son  art  d'analyser  les  cœurs  aimants,  mais  sa  manière  de  peindre 
des  ébats  galants  ;  ils  n'imiteront  que  les  badinagos,  les  esquisses  de 
leur  illustre  devancier  et  ne  rivaliseront  avec  lui  que  dans  les  genres 
secondaires. 

Il  s'en  faut  pourtant  que  la  production  littéraire  de  cette  époque 
soit  méprisable  ou  médiocre.  L'appui  officiel  que  prête  le  roi  à  la 
poésie,  le  bienveillant  accueil  que  reçoivent  à  sa  cour  ceux  qui  se 
piquent  de  tourner  joliment  une  stance,  suscitent  des  talents  de  toutes 


-  98  — 

parts.  S'il  n'est  pas  tout  à  fait  vrai  qii' 

Un  Auguste  aisément  peut  faire  des  Virgiles, 

l'exemple  de  Harsa  semble  bien  prouver  qu'un  patronage  généreux 
et  intelligent  suffit  du  moins  à  assurer  à  Kâlidâsa  une  glorieuse 
postérité. 

Autour  de  Harsa  s'est  donc  groupée  une  société  brillante,  amie  des 
plaisirs  intellectuels,  amoureuse  des  joutes  spirituelles,  toujours  prête 
à  sourire  d'un  bon  mot,  à  renchérir  sur  une  pensée  ingénieuse.  Ce  n'est 
pas  une  haute  naissance,  un  lignage  illustre,  ou  des  actions  d'éclat 
à  la  guerre  qui  décident  de  Tentrée  à  la  cour  de  Harsa  :  il  y  suffit  d'un 
petit  poème  composé  dans  les  règles  :  «  Grand  est  le  pouvoir  de  la 
déesse  de  la  parole  «,  dit  Râjaçekhara  ;  «  c'est  elle  qui  mit  au  nombre 
des  courtisans  de  Harsa,  Mâtaùga  Divâkara  ainsi  que  Bâua  et 
Mayûra  »  (1). 

Du  reste,  les  protégés  de  Harsa  n'ont  pas  tari  d'éloges  sur  le  compte 
de  leur  hôte  royal.  Perdu  d'admiration,  Bâna  (2)  s'exclame  :  «  Ma 
langue  semble  arrêtée  et  entravée  dans  ma  bouche  par  les  utsâhas  (3) 
d'Âdhyarâja  (Harsa)  (4)  qui  sont  fixés  dans  mon  cœur,  même  si  je 
ne  m'en  souvenais  plus,  et  ainsi  ma  langue  n'a-t-elle  point  de  succès 
poétique  ». 

Ailleurs  il  renonce,  faute  de  mots,  à  définir  son  habileté  poétique  (5), 
ou  bien  encore  il  le  montre  surpassant  chacun  de  son  originalité  dans 
les  assemblées  littéraires  : 

«  Dans  les  concours  poétiques  il  (Harsa)  fit  couler  un  nectar  de  son 
propre  cru  qu'il  n'avait  pas  reçu  d'une  autre  source  (6)  »,  ou  encore  : 
«  Son  habileté  poétique  est  si  grande  que  les  mots  n'existent  pas 
(pour  exprimer  ses  idées  poétiques)  »  (7). 


(1)  Râjaçekhara,  cité  dans  le  Padclhati  de  Çârngadhara,  est  l'auteur  d'un 
vers  intéressant  :  «  Aho  prabhâvo  vâgdevyâ  yan  Mâtangadivâkarah  |  Çrî- 
Harsasyâbhavat  sabhya^i  samo  Bâna-Mayûrayoli  «  (Z.  D.  M.  G.  vol.  27,  p.  177). 

(2)  H.  C.  p.  6.  (18). 

(3)  Utsâha  veut  dire  aussi  bien  «  exploit  "  que  «  ficelle  ». 

(A)  Pischel,  (Nachricliten  d.  K.  Gesell.  d.  Wiss.  Gôttingen.  1901.  p.  485) 
prouve  qu'Âdiiyarâja  est  synonyme  de  Harsa. 

(5)  H.  C.  p.  86. 

(6)  H.  C.  p.  79. 

(7)  H.  C.  p.  86. 


—  99  — 

Des  poètes  plus  récents  sont  unanimes  à  faire  l'éloge  de  ce  roi-poète  : 
«  A  qui  la  poésie,  comme  maîtresse  «,  dit  Jayadeva  (1),  «  ne  serait- 
elle  pas  agréable,  puisqu'elle  a  comme  masse  de  ses  mèches,  Cora  ; 
comme  boucle  d'oreille,  Mayiîra  ;  comme  sourire,  Bhâsa  ;  comme 
charme,  Kâlidâsa,  guru  de  la  race  poétique  ;  comme  joie  du  cœur, 
Harsa  (2)  ;  comme  Dieu  d'Amour  (Kâma),  Bâna  »  ? 

Nous  avons  encore  aujourd'hui  des  vers  et  des  poèmes  entiers 
qu'on  attribue  avec  parfaite  raison,  croyons-nous,  au  roi  Harsa.  C'est 
tout  d'abord  le  Sitprabhàtastotra  et  VAstumahaçncaifyasamsJirta' 
stotra.  L'un  est  un  hymne  matinal  au  Buddha,  l'autre  un  hymne  aux 
huit  lieux  sacrés  du  bouddhisme  (3).  Des  vers  épars  attribués  à  Harsa 
ont  été  conservés  dans  les  anthologies  de  l'Inde  (4).  On  les  trouvera 
également  à  la  fin  du  volume  avec  ces  deux  poèmes.  Sur  l'inscription 
de  iMadhuban  se  trouve  une  maxime  en  vers  (11.  16-17)  dont  Harsa  se 
donne  comme  l'auteur.  Le  vers  sur  Râjyavardhana  est  aussi  peut-être 
de  sa  main. 

Harça  a  attaché  son  nom  à  des  œuvres  de  plus  longue  haleine  (5). 
Ses  trois  drames  nous  sont  heureusement  parvenus  ;  savoir,  la  Rat- 


(1)  Yasyâç  Coraç  'cikuranikaralj.  karnapûro  Mayûro  | 
Bliâso  hâsah  kavikulagurulj  Kâlidâso  vilâsah  || 
Harso  liarso  hrdayavasatih  pancabânas  tu  Bânah  | 
Kesâm  naisâ  kathaya  kavitâkâminï  kautukâya.  1| 
(Jayadeva,  Prasanna-Ràghava,  Acte  I,  v.  22). 

(2)  Il  est  bon  de  rappeler,  pour  la  détruire  définitivement,  l'erreur  de  Wilson, 
qui  identifiait  le  roi  Harsavardhana  avec  le  poète  Çiï  Harsa  du  Cachemire. 
Malgré  les  documents  qui  permettent  aujourd'hui  de  corriger  cette  confusion, 
nous  la  trouvons  répandue  encore  aujourd'hui  dans  des  éditions  parues  dans 
l'Inde  et  dans  des  catalogues  de  manuscrits  et  de  livres  de  grandes  biblio- 
thèques européennes. 

(3)  On  en  trouvera  le  texte  aussi  bien  que  la  traduction  à  la  fin  du  volume 
(Appendice  III). 

(4)  On  trouve  cités  des  vers  de  Harsa  dans  le  Sadukiikarnâmrta  de  Çrî- 
dharadâsa,  cf.  Mitra,  Notices  of  Sanskrit  MSS.  vol.  3,  p.  134. 

(5)  Nous  pourrions  ici  nous  contenter  de  renvoyer  simplement  le  lecteur  au 
Théâtre  Indien  de  M.  S.  Lévi  et  aux  Littératures  de  l'Inde  de  M.  V.  Henry. 
Mais  le  désir  de  grouper  en  un  seul  mémoire  toutes  les  données  relatives  à 
Harsa  nous  a  imposé  la  loi  trop  rigoureuse,  —  quid  enim  contendat  liirundo 
cycnis  ?  —  d'aborder  après  ces  maîtres  le  même  sujet.  Ce  désir  justifiera 
peut-être  notre  dessein,  comme  la  perfection  même  de  nos  modèles  fera 

.excuser  notre  gauclierie. 


—  100  — 

nàvall,  la  Prkjadarçikâ  et  le  Nâgânanda.  A  propos  de  la  BatnâvaTb^\ 
le  Kàvpaprakâça  (1)  a  émis  un  doute  sur  la  personnalité  de  son 
auteur  ;  il  affirme,  sans  qu'on  sache  sur  quel  témoignage  il  se  fonde, 
que  Harsa  l'aurait  achetée  à  prix  d'or  de  Bâua  et  s'exprime  ainsi  (2)  : 
«  La  poésie  donne  des  richesses  ainsi  que  Bâua  (3)  et  d'autres  en 


(1)  Kâvyaprakaça,  traduit  dans  «  The  Pandit  »,  N.  S.  vol.  18. 

(2)  P.  2,  édition  de  Bombay. 

(3)  Dans  le  premier  chant  du  Kctvyaprakctça  on  lit  :  «  KâUdâsâdmâm  iva 
yaçah  Çrî-Harsâder  Dhâvakâdïnâm  iva  dhanam  «.  «  La  gloire  à  des  gens 
comme  Kâlidâsa,  des  richesses  à  des  gens  comme  Dhâvaka,  de  la  part  de  Çrï 
Harsa  «.  D'après  cette  phrase,  presque  tous  les  pandits  croyent  que  Harsa 
aurait  acheté  la  Ratnâvall  à  «  Dhavaka  ».  Seulement  Dhâvaka  n'a  jamais  eu 
d'autre  existence  que  celle  d'une  variante  de  manuscrit.  En  effet,  au  lieu  de 
Dhâvaka  on  lit  dans  les  MSS.  divers  Bâna,  Bhâsa,  Bliâsaka,  etc.  G.  Bilhler 
{Tour  in  search  of  Sanskrit  MSS.  IS'ÎT)  dit  que  tous  les  MSS.  du  Kasmïr  ont 
Bâna  au  heu  de  Dhâvaka.  Dans  une  lettre  de  Bûhler  écrite  du  Kasmïr 
{Indische  Streifen,  vol.  14,  p.  407),  on  trouve  :  "  Tous  les  MSS.  du  Kasmïr 
lisent  Bâna  au  lieu  de  Dhâvaka,  dans  l'écriture  çâradâ  Bâna  et  Dhâvaka  se 
confondent  facilement  «. 

On  a  cru  en  général  en  Europe  que  Bâna  aurait  peut-être  écrit  la  Ratnâ- 
valî,  mais  comme  on  n'a  pas  eu  de  preuves  certaines  ni  pour  la  paternité  de 
Harsa  ni  contre,  on  s'est  contenté  de  ne  pas  discuter  sur  un  sujet  si  ardu. 

Dans  l'Inde  les  choses  se  sont  passées  autrement.  De  tout  temps  on  y  a 
aimé  les  discussions,  même  celles  qui  n'aboutissent  à  aucun  résultat.  Et 
aussi  récemment  qu'en  1902,  T.  S.  INârâyana  Çâstri  a  écrit  comme  disserta- 
tion pour  le  M.  A.  de  Madras  une  brochure  d'une  vingtaine  de  pages  ayant 
pour  titre  "  Sri  Harsha  the  Dramatist,  a  dissertation  on  the  âge  and  iden- 
tity  ofthe  author  of  the  Priyadarsika,  the  Ratnavali,  and  the  Naga- 
nanda  ».  Dans  ces  pages  l'auteur  cherche  à  prouver  :  1°  que  Çrï  Harsa  et 
Vikramâditya  ne  font  qu'un  ;  2"  que  le  Nâgânanda  ne  contient  pas  de  doc- 
trines essentiellement  bouddhistes  ;  3"  que  le  Mâlavikâgnimitra  ressemble  à 
la  Ratnâvall  ;  donc  que  Kâlidâsa  a  imité  l'auteur  de  la  Ratnâvall;  A."  que 
l'auteur  des  trois  drames  fut  un  nommé  Bhâsa,  Bhâsaka,  ou  Dhâvaka. 

Il  ajoute  que  lui-même  aurait  trouvé  dans  un  manuscrit  du  Kâvyaprakâça 
de  la  Bibhothèque  Connemara  à  Madras,  Bhâsaka  pour  Dhâvaka. 

Ces  identirtcations  d'un  lettré  hindou,  assez  peu  connu  du  monde  indianiste, 
ne  mériteraient  point  si  longue  mention,  si  elles  n'avaient  été  suivies  d'un 
fait  plus  grave.  Le  même  T.  S.  Nârâyana  Çâstri  a  pris  part  à  la  pubhcation 
d'un  «  Complète  F.  A.  Sanskrit  Text,  i904  »  contenant  entre  autres  le 
Nâgânanda  avec  commentaire,  etc.  Dans  ce  volume  on  fait  précéder  le 
Nâgânanda  de  plusieurs  extraits  en  sanskrit  d'auteurs  sanskrits.  C'est 
ainsi  qu'on  nous  donne  un  extrait  qu'on  attribtie  à  Râjaçekliara,  «  Kavivi- 


—  101  — 


reçurent  de  Çrï  Harsa  et  d'autres  rois  ».  Cette  accusation  a  été  répétée 
ensuite  docilement  par  les  commentateurs,  ce  qui  du  reste  ne  la  con- 


mârçâkliye  grandhe  n.  Cet  ouvrage  jusqu'à  présent  inconnu  des  sanskri- 
tistes  serait-il  identique  à  la  Kàvyamimâmsâ  (Peterson,  Fifth  Report, 
p.  19)  ?  11  serait  peut-être  plus  prudent  d'en  douter  ;  je  donne  le  texte  et  la 
traduction  de  ce  prétendu  extrait  : 

Bhâso  RâmilaSaumilau  Vararucil.i  Çrî-Sâhasânkalj  kavir  | 
Mentho  BliâraviKâlidâsaTaralâh  Skandali  Subandhuç  ca  yalj  || 
Dandï  BânaDivâkarau  Ganapatih  Kântaç  ce  Ratnâkarah  | 
siddhâ  yasya  Sarasvatï  Bhagavatï  ke  tasya  sarve  'py  araï  |! 
Kâranan  tu  kavitvasya  na  sampan  na  kulînatâ  | 
Dhâvako'pi  hi  yad  Bhâso  kavïnâm  agrimo  'bhavat  || 
âdau  Bhâsena  racitâ  nâtikâ  Priyadarçikâ  | 
nirîrsyasya  rasajiiasya  kasya  na  priyadarçanâ  1| 
tasya  Ratnâvalï  nûnam  ratnamâleva  râjate  | 
daçarûpakakâminyâ  vaksasy  atyantaçobhanâ  || 
Nâgânandani  samâlokya  yasya  Çrî-HarsaVikramalj  | 
amandânandabharitah  svasabhyam  akarot  kavim  || 
Udâttarâghavam  niinam  udâttarasagumphitarn  | 
yad  vïksya  Bhavabhiityâdyâh  praninyur  nâtakâni  vai  || 
çokaparyavasânâ  'sya  navâfikâ  Kiranâvalî  | 
mâkandasyeva  kasyâtra  pradadâti  na  nirvrtim  || 
Bhâsanâtakacakre  'pi  chekaih  ksipte  parîksituni  | 
Svapnavâsavadattasya  dâhako  'btiûn  na  pâvakah  || 

«  Bbâsa,  Râmila,  Saumila,  Vararuci,  Çrî  Sfdiasânka,  le  poète  Mentha, 
Bhâravi,  Kâlidâsa,  Tarala,  Skandha,  Subandhu,  Dandin,  Bâna,  Divâkara, 
Ganapati,  Kânta,  Ratnâkara,  pour  celui  qui  possède  une  parfaite  Muse 
comme  maîtresse  qu'est-ce  que  tous  ceux-là  mêmes  ?  [La  cause  de  la  poésie, 
ce  n'est  ni  la  bonne  naissance  ni  la  fortune,  car  Dhâvaka,  c'est-à-dire  Bhâsa, 
fut  le  premier  des  poètes.  La  petite  comédie  héroïque,  Priyadarçikâ,  faite 
par  ce  même  Bhâsa,  pour  celui  qui  apprécie  le  goût  et  n'est  pas  envieux, 
n'est-elle  pas  un  spectacle  agréable  ?  Assurément  cette  Ratnâvalï  brille 
comme  un  collier  de  pierres  précieuses  qui  resplendissent  extrêmement  sur 
le  sein  de  la  maitresse  des  dix  formes  dramatiques.  Après  avoir  contemplé 
son  Nâgânanda,  Çrï  Harsa  Vikrama,  rempli  d'un  grand  plaisir,  fit  admettre 
le  poète  à  sa  cour.  Aussi  son  Udâttarâghava  est-il  arrangé  avec  un  goût 
parfait  et  Bhavabhïiti  et  d'autres  encore,  l'ayant  vu,  composèrent  leurs 
comédies  héroïques.  Sa  Kiranâvalî  en  neuf  notes,  finissant  en  tragédie, 
donne  un  plaisir  qui  n'a  d'égal  que  celui  que  donne  le  groupe  des  rayons  du 
santal].  Les  gens  de  goût  ont  beau  y  jeter  pour  les  éprouver  les  nombreux 
drames  de  Bhâsa ,  l'incendie  du  Svapnavâsavadatta  ne  les  a  pas  consumés  ». 

Les  quatre  premières  lignes  se  trouvent  sous  le  nom  de  Râjaçekhara  dans 


—  10^  — 

firme  en  rien,  et  il  n'y  a  en  définitive  aucun  fond  à  faire  sur  elle.  Au 
surplus,  la  paternité  de  Harsa  est  garantie,  comme  c'est  le  cas  pour 
beaucoup  d'autres  poètes  de  l'Inde,  par  la  répétition  dans  chacun  des 
trois  drames  des  mêmes  stances.  Dans  chaque  prologue,  il  est  dit  eu 
effet  : 

«  Çrï  Harsa  est  un  poète  habile,  cette  assemblée  est  composée  de 
connaisseurs,  l'histoire  du  roi  des  Siddhas  (ou  bien  du  roi  Vatsa)  est 
intéressante,  et  nous  sommes  de  bons  comédiens  ;  une  seule  de  ces 
conditions  aurait  sufii  pour  en  garantir  le  succès  ;  or,  je  suis  assez 
heureux  pour  les  réunir  toutes  (1)  «. 

Deux  do  ces  drames,  la  RatnàvaU  et  \siFriyadarçiJià,  appartiennent 
au  genre  de  la  petite  comédie  héroïque  (nâtikâ)  et  sont  construits  sur 
le  modèle  du  MàlaviJiâgnlmitra  de  Kâlidâsa.  Leur  titre  même  les 
distingue  des  grands  genres  ;  il  est  tiré,  comme  en  général  celui  des 
pièces  du  genre  secondaire  du  drame,  du  nom  de  l'héroïne  principale. 
Dans  ces  pièces  les  sentiments  qui  prédominent  sont  ceux  de  l'amour 
et  ainsi  que  l'indique  l'appellation  féminine  du  genre  (nâtikâ),  ce  sont 
des  femmes  qui  y  tiennent  la  première  place.  La  matière  est  fictive 
et  non  empruntée  à  la  légende  ;  le  héros  est  un  roi  noble  et  joyeux  ; 
l'héroïne  est,  à  l'insu  de  tous,  originaire  de  famille  royale  et  elle  tient 
à  la  cour  un  emploi  de  demoiselle  d'honneur.  Le  roi  s'éprend  d'elle, 
mais  ne  peut  donner  libre  carrière  à  ses  sentiments  amoureux  sans 
encourir  la  jalousie  et  la  colère  de  la  première  reine.  Il  faut  que 
fortuitement  se  découvre  la  noble  race  dont  est  issue  l'héroïne,  pour 


le  Çârngaclharapaddhati,  8, 17  ;  les  deux  dernières  sous  le  même  nom  dans 
la  Siiktimulitcivalï. 

Il  est  plus  que  curieux  de  voir  clans  le  même  extrait  de  douze  lignes 
inconnues,  (l'auteur  ne  dit  pas  où  se  trouve  le  manuscrit)  la  confirmation, 
dans  tous  ses  détails,  de  la  dissertation  de  1902  de  T.  S.  Çàstri.  On  y  trouve 
que  Çrï  Harsa  égale  Vikrama  ;  que  l'auteur  des  drames  fut  «  Dhâvaka,  c'est- 
à-dire  Bhâsa  n,  que  Dhâvaka  fut  l'auteur  des  trois  pièces.  Merveilleuse  contir- 
mation  de  ce  que  T.  S.  Çâstri,  avait  établi  en  1902.  Seulement  pourquoi  ne 
pas  nous  dire  d'où  il  a  pu  tirer  cet  extrait,  dans  lequel  les  quatre  premières  ; 
et  les  deux  dernières  lignes  (déjà  connues)  se  retrouvent  ensemble  ?  Pourquoi 
ne  pas  avoir  publié  ces  lignes  en  1902  au  lieu  d'attendre  jusqu'à  1904  et  les  ; 
introduire  (sans  mot  dire)  comme  préface  à  une  édition  classique  au  lieu 
d'annoncer  dans  toutes  les  revues  de  l'Inde  cette  merveilleuse  découverte  qui 
devrait  résoudre  tant  de  problèmes  ? 

(1)  Nâgcmanda,  trad.  A.  Bergaigne,  p.  3.  (Le  même  vers  se  trouve  Ratnàv. 
V,  6,  Priyad.  v.  3  ;  Nâgân.  v.  3.) 


—  103  — 

que  celle-ci  vienne  enfin  occuper  dans  le  harem  une  place  légitime  : 
cette  mince  intrigue  de  palais  exige  pour  se  nouer,  se  développer  et 
se  résoudre  un  ensemble  de  quatre  actes  et  s'accompagne  d'accessoires 
tels  que  la  musique,  la  danse,  le  chant  qui  distinguent  encore  la 
petite  comédie  héroïque  de  la  grande  (1).  Ce  n'est  donc  point  l'origi- 
nalité qui  fait  le  mérite  de  ces  pièces  où  les  personnages,  les 
situations,  les  épisodes,  se  répètent  toujours  les  mêmes.  Aussi  le 
poète  ne  cherche-t-il  guère  qu'à  exprimer  élégamment  les  motifs  qui 
lui  sont  éternellement  proposés  :  toute  la  variété  des  sentiments  que 
fait  naître  l'amour,  Témoi  pudique,  la  surprise  innocente,  l'abandon 
de  soi-même  ou  bien  le  dépit  passager,  la  bouderie  naïve  ou  moqueuse, 
la  jalousie  même  ou  l'emportement,  ou  encore  les  multiples  aspects 
de  la  nature,  voilà  ce  qu'il  aime  à  tracer  d'un  style  toujours  travaillé 
et  également  parfait,  et  voilà  en  quoi  consistent  au  point  de  vue 
indigène  les  mérites  d'une  petite  comédie  héroïque.  Les  amours 
inconstantes  et  légères  du  roi  Vatsa  Udayana,  qui  forment  la  matière 
des  deux  pièces  de  Harsa,  avaient  été  déjà  traitées  par  Bhâsa,  chez  qui 
Harsa  a  notamment  trouvé  le  modèle  pour  son  incendie  de  la  Ratnâ- 
vaU  (acte  IV)  (2)  ;  certaines  situations  dramatiques  mêmes,  les  inci- 
dents qui  étoffent  l'intrigue  ne  sont  même  pas  de  l'imagination  de 
Harsa  ;  c'est  à  Kâlidâsa  que  celui-ci  les  a  empruntés  sans  vergogne. 
Quant  à  l'histoire  de  Ratnâvalï,  on  la  trouvera  entièrement  contée 
dans  le  Kathâsaritsâgara  de  Somadeva  (III,  16)  ;  elle  se  trouvait 
donc  déjà  dans  la  JBrJiatkathà. 

Aussi  les  stances  propitiatoires  de  la  Batnâvali  ressemblent-elles 
étrangement  à  celles  qui  sont  attribuées  à  Bhâsa  (3).  Nous  citons  les 
vers  de  Bhâsa  dans  la  traduction  de  M.  Lévi  :  «  Au  moment  oii  les 
rites  du  mariage  allaient  s'accomplir,  distraite  de  sa  prière  au  dieu, 
Gaurï  vit,  tracée  devant  elle,  l'image  de  son  époux  avec  la  Gaiigâ  sur 
la  tête  ;  émue  alors  de  trouble,  de  surprise,  de  colère  et  de  pudeur, 
longtemps  elle  tarda,  malgré  les  recommandations  des  vieilles  femmes, 
à  répandre  sur  l'aimé  une  poignée  de  fleurs.  Puissent  ces  fleurs  vous 
protéger  ».  Nous  donnerons  une  courte  analyse  de  la  Eatnàvali. 


(1)  Cf.  S.  Lévi,  Le  Théâtre  Indien,  p.  146. 

(2)  Cf.  Gaudavaho  (v.  800). 

(3)  Saduktiharnàmrta,  Çârng.  Paddh.  4,  16.  (Dans  Aufrecht  et  dans  la 
Siibhâsitcwalï,  Introd). 


—  104  — 

Acte  I.  Yaugandharâyaua,  ministre  du  roi  Vatsa,  a  appris  par 
une  prophétie  que  Ratnâvalï,  fille  du  roi  de  Ceylan,  assurera  la 
domination  du  monde  à  son  mari.  Il  désire  la  marier  avec  Vatsa, 
seulement  le  roi  est  tout  entier  aux  charmes  de  la  reine  principale, 
Vâsavadattâ.  Le  ministre  demande  la  main  de  Ratnâvalï  directement 
au  roi  de  Ceylan,  sans  en  parler  ni  à  Vatsa  ni  à  la  reine.  Ratnâvalï 
est  envoyée  par  son  père  avec  de  riches  cadeaux,  mais  la  barque  sur 
laquelle  elle  s'est  embarquée,  sombre. 

La  jeune  fille  se  cramponne  à  une  planche  et  est  ainsi  sauvée  par 
un  marchand  de  Kauçâmbï,  qui  voyant  sur  elle  un  riche  collier, 
l'envoie  à  la  cour.  Le  ministre  l'admet  sous  le  nom  de  Sâgarikâ 
parmi  les  demoiselles  d'honneur  de  la  reine.  C'est  la  fête  du  renou- 
veau ;  deux  suivantes  de  la  reine  entrent  en  magnifiant  l'amour  et  le 
printemps  (cf.  Çakuntalâ,  acte  VI)  et  prient  le  roi  d'aller  honorer 
Kâma  en  compagnie  de  la  reine  qui  l'attend.  Vâsavadattâ,  émue  de 
la  beauté  et  de  la  grâce  de  Sâgarikâ,  prend  ombrage  et  la  renvoie,  de 
peur  que  le  roi  ne  la  remarque.  Sâgarikâ,  au  lieu  de  chercher  la 
perruche  envolée  de  la  reine,  se  cache  curieuse  d'assister  aux  cérémo- 
nies :  elle  voit  le  roi,  c'est,  pense-t-elle,  Kâma  en  personne,  et  elle 
l'adore  de  loin.  Mais  quel  n'est  pas  son  trouble  quand  le  héraut  qui 
annonce  les  heures  lui  apprend  que  c'est  le  roi  Udayana  en  personne, 
à  qui  son  père  la  destinait  comme  épouse. 

Acte  II.  Deux  suivantes  se  racontent  les  dernières  nouvelles  ;  puis 

paraît  Sâgarikâ  :  elle  peint  de  mémoire  le  portrait  de  Vatsa.  Son  amie, 

la  suivante  Susamgatâ,  qui  a  surpris  son  secret,  lui  fait  conter  son 

aventure  et  esquisse  le  portrait  de  Sâgarikâ  à  côté  de  celui  du  roi. 

Tout  à  coup,  bruit  terrible,  fuite  précipitée  des  jeunes  filles  :  un 

singe  captif  a  cassé  sa  chaîne  et  jette  l'épouvante  dans  le  harem. 

(Cf.  Çakuntàla,  acte  I,  et  Mâlavihàgnimitra,   acte  IV).   Dans  le 

tumulte  la  perruche  s'échappe  et  vient  se  percher  sur  un  arbre,  près 

du  tableau  que  les  jeunes  filles  ont  abandonné.  Le  roi  arrive  et  la 

perruche  répète  la  conversation  de  Sâgarikâ  et  de  son  amie.  Le  roi 

découvre  le  tableau  et  tombe  amoureux.  Les  deux  amies  reviennent 

prendre  leur  dessin  et  le  roi,  voyant  l'original  du  tableau,  lui  exprime 

son  amour.  Sur  ce,  arrivée  subite  de  la  reine,  fuite  des  jeunes  filles  ; 

la  reine  a  saisi  le  portrait,  reconnu  sa  suivante,  et  elle  se  retire  devant 

les  vaines  protestations  de  son  époux  (cf.  3IcdaviJcâgnimitra,  actes  III 

et  IV). 


—  105  — 

Acte  III.  Le  bouffon  de  concert  avec  Susamgatâ  machine  une 
entrevue  moins  mouvementée  :  Sâgarikâ  prendra  le  costume  de  reine 
et  accompagnée  de  Susamgatâ,  déguisée  elle  aussi,  pourra  aller  au 
rendez-vous  du  roi  dans  le  jardin,  sans  éveiller  les  soupçons  de  la 
reine.  Mais  les  espions  de  Vâsavadattâ  lui  rapportent  tout,  elle  va  au 
I  rendez-vous  d'amour  et  c'est  à  elle  que  l'époux  infidèle  adresse  les 
galantes  fleurettes  dont  il  croit  flatter  Sâgarikâ.  Elle  se  révèle  et  se 
retire,  courroucée.  Survient  Sâgarikâ  dans  ses  atours  de  reine,  elle 
entend  les  lamentations  du  roi  et  accablée  de  confusion,  tente  de  se 
pendre.  Le  roi,  croyant  que  la  reine  veut  s'arracher  la  vie,  s'élance  ; 
c'est  Sâgarikâ.  Mais  la  reine  se  repent  bien  vite  de  sa  colère,  elle 
revient  faire  sa  paix  et  tombe  juste  sur  le  couple  amoureux.  Furieuse 
à  nouveau,  elle  se  retire  entraînant  cette  fois  comme  prisonniers  sa 
rivale  et  l'artificieux  bouffon.  (Cf.  MàlavaJcàgnimitra,  actes  III  et  IV). 
Acte  IV.  La  reine  a  rendu  la  liberté  au  bouffon,  qui  a  reçu  en 
souvenir  de  la  princesse  son  collier.  Il  le  remet  au  roi,  qui  le  lui 
passe  au  cou.  Puis  le  roi  reçoit  la  nouvelle  d'une  victoire  :  Rumanvat 
a  soumis  les  Kosalas  ;  en  même  temps,  un  magicien  vient  faire  au 
roi  ses  offres  de  service  :  tandis  qu'il  pratique  des  enchantements 
divers,  arrivent  Bâbhrav^^a  et  Vasubhûti,  serviteurs  du  roi  de  Ceylan  ; 
ils  racontent  leur  naufrage  et  la  perte  de  Ratnâvalï.  Soudain,  des  cris 
s'élèvent  :  le  harem  est  en  flammes.  Vâsavadattâ  supplie  Vatsa 
d'aller  sauver  Sâgarikâ  emprisonnée.  Vatsa  s'élance,  saisit  sa  bien- 
aimée  quand  tout  d'un  coup  les  flammes  s'éteignent  :  c'était  un  tour 
du  magicien.  Mais  Bâbhravya  et  Vasubhûti  reconnaissent  le  collier, 
puis  Ratnâvalï  elle-même.  \'âsavadattâ  constate  que  Ratnâvalï  est  sa 
cousine  et  la  donne  au  roi.  Le  ministre  Yaugandharâyaiia  explique 
alors  au  roi  que  tout,  jusqu'à  la  venue  même  du  magicien  et  à 
l'incendie,  a  été  combiné  par  lui. 

La  FriyadarçiM  est  une  comédie  tout  à  fait  parallèle.  En  voici 
l'analyse  : 

Acte  I.  Dnlhavarman,  roi  des  Aiigas,  a  refusé  la  main  de  sa  fille, 
Priyadarçikâ,  au  roi  des  Kalingas,  et  l'a  accordée  à  Vatsa,  roi  de 
Kauçâmbî.  Le  roi  des  Kalingas  envoie  son  armée  contre  le  roi  des 
Arigas  et,  profitant  de  la  captivité  passagère  de  Vatsa  auprès  du  roi 
Pradyota,  fait  prisonnier  le  roi  des  Aûgas.  Dans  la  confusion  qui 
s'ensuit,  le  chambellan  du  roi  des  Kalingas  conduit  la  princesse  Priya- 


—  106  — 

darçikâ  chez  le  roi  Vindhyaketu,  allié  de  Drdhavarman.  Mais  Vatsa 
a  envoyé  aussi  son  armée  contre  Vindhyaketu,  qui  est  tué  sur  le 
champ  de  bataille.  On  trouve  Priyadarçikâ  dans  son  palais  et  on  la 
croit  la  fille  de  Vindhyaketu  et  on  la  donne  à  Vâsavadattâ,  épouse 
de  Vatsa,  comme  fille  d'honneur,  sous  le  nom  d'Ârauyakâ.  j 

Acte  II.  Le  roi  Vatsa  se  promenant  avec  le  bouffon  dans  les   j 
jardins,  rencontre  Ârauyakâ  et  s'éprend  d'elle.  Tandis  qu'Arauyakâ    j 
cueille  des  lotus,  la  suivante  Indïvarikâ  s'éloigne  d'elle  et  la  laisse 
seule.  Les  abeilles  qui  lutinent  autour  des  lotus  assaillent  la  jeune 
fille,  elle  se  cache  la  figure  sous  son  manteau  et  appelle  au  secours. 
Le  roi  s'approche,  la  serre  dans  ses  bras,  et  elle  le  laisse  faire,  croyant 
que  c'est  Indïvarikâ.   S'apercevant   de   son  erreur,  elle  appelle  à   j 
nouveau  et  elle  apprend  du  bouffon  que  c'est  le  roi  Vatsa,  à  qui  elle   ] 
était  destinée  par  son  père  ;  aussitôt  elle  se  sent  éprise.  A  ce  moment 
Indïvarikâ  arrive,  le  roi  et  le  bouffon  se  cachent  de  nouveau,  tandis 
qu'Âraiiyakâ  s'en  va  avec  la  suivante  (cf.  ÇaMntala,  acte  I). 

Acte  III.  La  vieille  confidente  de  la  reine,  Sâiukrtyâyauï,  a  fait  une 
pièce  de  théâtre  sur  les  amours  de  son  maître  et  de  sa  maîtresse  (1). 
On  a  répété  la  pièce  la  veille,  et  Âraiiyakâ  qui  jouait  le  rôle  de 
Vâsavadattâ  était  distraite  et  jouait  de  travers.  Elle  confesse  son 
amour  à  la  suivante  Manoramâ,  qui  tient  le  rôle  du  roi  ;  le  bouffon 
et  Manoramâ  imaginent  une  ruse  qui  réunira  les  amants  ;  ce  sera  le 
roi  qui  jouera  son  propre  rôle.  On  représente  la  pièce  :  cependant 
Vâsavadattâ  est  choquée  par  la  trop  vive  réalité  de  la  pièce,  elle  se 
retire  du  spectacle  et  trouve  le  bouffon  endormi  ;  réveillé  en  sursaut 
il  trahit  le  secret  (cf.  Blalavihlgnmitra,  acte  IV).  Furieuse,  la  reine 
fait  lier  solidement  le  bouffon,  et  fait  emmener  Âranyakâ.  Le  roi  la 
prie  de  se  calmer,  mais  elle  ne  lui  répond  point  (cf.  Mâlavikâgnimitra, 
actes  III  et  IV  et  RatnàvaU,  acte  II). 

Acte  IV.  Aranyakâ  a  été  enfermée  par  Vâsavadattâ,  et  malgré  les 
efforts  de  Vatsa,  de  Manoramâ  et  du  bouffon,  elle  reste  en  prison. 
La  tante  de  Vâsavadattâ  est  l'épouse  du  roi  Drdhavarman,  prisonnier 
du  roi  des  Kaliûgas.  Le  roi,  pour  satisfaire  la  reine,  lui  annonce  qu'il 
a  vaincu  le  roi  des  Kalingas  et  rétabli  Drdhavarman  dans  son  royaume. 


(1)  Vatsa  avait  été  mis  en  prison  par  Pradyota,  qui  voulait  faire  de  lui  son 
gendre  :  il  est  mis  en  liberté  à  condition  d'enseigner  la  musique  à  la  princesse 
Vâsavadattâ,  sa  fllle.  Vatsa  s'enfuit  avec  elle  et  l'épouse. 


—  107  — 

Le  chambellan  de  Dnlhavarman  apporte  lui-même  la  confirmatioû 
des  paroles  de  Vatsa,  en  annonçant  la  mort  du  roi  des  Kaliûgas.  Il 
annonce  en  même  temps  la  disparition  de  Priyadarçikâ,  la  fille  du 
roi.  Manoramâ  entre  soudainement,  apportant  la  nouvelle  qu'Âra- 
nyakâ  a  bu  du  poison.  Le  roi,  qui  a  appris  dans  les  régions  infernales 
les  formules  qui  détruisent  l'effet  des  poisons,  s'efforce  de  la  guérir. 
Le  chambellan  reconnaît  alors  la  fille  de  Drdhavarman.et  Vâsavadattâ 
pleure  déjà  la  mort  de  sa  cousine.  Le  roi  à  l'aide  de  ses  formules 
magiques  fait  revenir  petit  à  petit  Priyadarçikâ  (cf.  3IâlaviM(/nimitra, 
acte  IV).  Vâsavadattâ,  voyant  que  Priyadarçikâ  est  sa  cousine,  ne 
saurait  la  refuser  au  roi,  qui  aura  en  elle  une  épouse  légitime  à  côté 
de  Vâsavadattâ. 

Ce  n'est  pas  par  l'action  que  peuvent  valoir  de  telles  comédies  : 
peu  compliquée,  peu  émouvante,  ce  n'est  pas  l'intrigue  qui  fait  ici  la 
force  du  drame.  Cependant  la  Batndvall  est  mille  fois  citée  dans  la 
littérature  dramatique  et  c'est  à  elle  que  se  réfèrent  le  plus  souvent 
le  Daçarupa  et  le  Sahityadarpana  dans  les  exemples  dont  ils  appuient 
leurs  règles.  C'est  que  les  personnages  de  ces  comédies  correspondent 
de  tout  point  aux  types  techniques  ;  leur  valeur  aux  yeux  des 
critiques  hindous  est  en  raison  inverse  de  leur  originalité.  Et  puis  le 
mérite  littéraire  de  ces  pièces  n'est  pas  à  dédaigner  ;  le  développe- 
ment de  l'intrigue  est  sinon  original,  du  moins  habile  et  d'une  grande 
aisance,  et  le  poète  a  su  tirer  avantage  des  accessoires  dramatiques 
qu'il  avait  à  sa  disposition  :  chant,  musique,  mimique  et  danse, 
fondus  comme  ils  le  sont  dans  l'action,  mériteraient  à  l'auteur  des 
applaudissements  par  tous  pays.  Si  Harsa  n'y  gagne  pas  le  nom  de 
grand  poète,  on  n'en  saurait  pas  moins  reconnaître  la  clarté  de  sa 
langue,  la  simplicité  de  son  style  et  la  délicatesse  de  son  goût. 

Si  différent  que  soit  par  ailleurs  le  troisième  drame  de  Harsa,  le 
Nàgànanda,  les  mêmes  qualités  s'y  retrouvent  et  pourraient  en  garan- 
tir l'authenticité,  même  si  l'on  négligeait  de  noter  que  le  prologue  (1) 


(1) 


Ratnâvalï. 

Priyadarrika. 

Nâgânanda. 

Prologue  (moitié). 

=■  Prologue  (moitié).  = 

Prologue  (moitié). 

v.  6. 

=          I.  V.  3.           = 

I.  V.  3. 

V.  87. 

=        IV.  V.  12. 

III.  V.  10.          = 

I.  V.  14. 

m.  V.  3.           = 

,    IV.  V.  1. 

—  i08  — 

des  trois  pièces  est  le  même  avec  quelques  variantes  nécessaires,  et 
qu'un  certain  nombre  de  stances  y  sont  répétées  fidèlement.  C'est  que 
le  Nàgànanda  est  un  drame  d'un  type  rare  dans  l'Inde  et  son  héros 
Jîmûtavâhaua  a  pu  difficilement  être  catalogué  par  les  théoriciens 
indigènes  :  c'est  en  effet  une  pièce  d'édification  bouddhique  où  l'on 
voit  prêcher  d'exemple  l'esprit  de  sacrifice  et  de  renoncement  à  la 
vie.  Tandis  que  la  Ratnàvalî  et  la  FrîpadarriM  débutent  par  une 
invocation  à  Çiva,  à  Gaurî  et  à  d'autres  divinités  hindoues,  le 
Nàgànanda  se  place  sous  les  auspices  du  Buddha.  Telle  est  la 
facilité  d'emprunt  entre  elles  des  diverses  religions  de  l'Inde,  tel  est 
l'éclectisme  de  leur  panthéon,  qu'il  n'y  a  pas  lieu  dans  cette  même 
pièce  où  le  sacrifice  bouddhique  est  exalté,  de  s'étonner  de  voir  à  la 
fin  paraître  la  déesse  Gaurî  qui  récompense  le  bodhisattva  de  ses 
mérites. 

A  quelle  époque  et  dans  quelles  circonstances  fat  représenté  ce 
drame,  on  a  cru  pouvoir  y  répondre  en  se  fondant  sur  un  passage 
d'Hiouen  Tsang.  Celui-ci,  en  mentionnant  les  fêtes  religieuses  que 
le  roi  célébrait  à  Prayâga,  au  confluent  du  Gange  et  de  la  Yamuoâ, 
nous  a  conservé  la  description  des  cérémonies  auxquelles  assistèrent 
dix-huit  rois,  vassaux  de  Harsa,  et  cinq  cent  mille  personnes,  tant 
moines  que  laïques.  Le  premier  jour,  dit-il,  on  installa  la  statue  du 
Buddha  ;  le  deuxième  celle  du  Soleil,  et  le  troisième  celle  de  Maheç- 
vara.  Muni  de  cette  donnée,  M.  Cowell  (1)  a  essayé  de  préciser  l'année 
et  le  jour  même  de  la  première  du  Nàgànanda.  11  estime  donc  que  le 
jour  des  cérémonies  bouddhiques  relatées  par  Hiouen  Tsang  on 
joua  le  Nàgànanda  devant  ce  «  parterre  de  rois  »  à  qui  s'adresse  le 
directeur  dans  le  prologue,  et  que  le  jour  de  l'inauguration  de  la 
statue  de  Maheçvara,  on  joua  la  Ratnàvalî,  qui  est  sous  Tinvocation 
de  Çiva.  Mais  les  prologues  mêmes  de  ces  deux  pièces  combattraient 
plutôt  cette  ingénieuse  conjecture.  Voici  celui  du  Nàgànanda  (2)  : 

«  Trêve  aux  longues  prières  !  Aujourd'hui,  jour  de  la  fête  d'Indra, 
l'assemblée  des  rois  venus  de  tous  les  points  de  l'horizon  et  baisant 
les  pieds,  ces  lotus,  du  roi  Çrï  Harsa  Deva  m'a  très  civilement  fait 
appeler  et  m'a  dit  :  «  Notre  maître,  Çrï  Harsa  Deva,  a  composé  sur  le 
Cakravartin  (3)  des  Vidyâdharas,  avec  un  arrangement  nouveau  du 


(1)  Préface  de  la  traduction  anglaise  du  Nàgànanda  de  P.  Boyd. 

(2)  Traduction  d'A.  Bergaigne. 

(3)  «  Empereur  universel  ». 


—  109  ~ 

sujet,  uQe  pièce  intitulée  «  La  joie  des  Serpents  ».  Nous  en  avons 
entendu  parler,  mais  nous  ne  l'avons  pas  vu  représenter.  Il  faut  donc, 
tant  par  égard  pour  ce  roi  chéri  de  tous,  que  pour  notre  propre 
plaisir,  que  tu  nous  fasses  donner  aujourd'hui  une  bonne  représenta- 
tion de  cette  pièce  » . 

Le  prologue  de  la  lîatnàvaU  est  identique  à  celui-ci,  excepté  qu'au 
lieu  de  «  jour  de  la  fête  d'Indra  »,  il  y  a  «  fête  du  printemps  ». 

La  conjecture  de"  M.  Cowell  que  le  Nàgànanda  fut  représenté  le 
jour  de  l'installation  de  la  statue  du  Buddha  semble  assez  peu 
s'arranger  avec  les  mots  du  prologue  :  «  Aujourd'hui,  jour  de  la  fête 
d'Indra  ». 

De  même  la  fête  du  printemps  n'est  pas  si  spécialement  attachée 
au  culte  de  Çiva,  qu'on  puisse  rattacher  la  représentation  de  la  Ratnà- 
valï  à  la  fête  de  Maheçvara.  Tout  ce  qu'où  peut  affirmer  avec  un  plein 
degré  de  certitude,  c'est  que  les  pièces  furent  représentées  à  l'occasion 
d'une  fête  religieuse  quelconque,  sans  qu'on  puisse  dire  définitivement 
laquelle.  D'autre  part  ce  que  nous  en  dit  I-tsing  ne  nous  permet  pas 
d'affirmer  davantage  (1). 

«  Le  roi  Çîlâditya  versifia  l'histoire  du  Bodhisattva  Jïmûtavâhana 
(c'est-à-dire  porté  par  le  nuage),  qui  se  sacrifia  à  la  place  d'un  Nâga. 

Cette  version  fut  mise  en  musique.  Il  la  fit  jouer  par  un  orchestre 
accompagné  de  danses  et  de  jeux,  et  ainsi  dans  son  propre  temps  il 
la  popularisa  ». 

L'histoire  de  Jïmûtavâhana  est  une  des  histoires  les  plus  populaires 
par  lesquelles  le  bouddhisme  enseigne  la  doctrine  du  sacrifice  et  de 
la  charité.  Elle  se  trouve  dans  lesJdtakas,  sous  des  formes  différentes. 
Des  Avadânas  et  des  JâtaJcas  la  légende  passa  dans  les  recueils  de 
contes.  Nous  la  lisons  dans  la  Brluitkathâmcuijarl  de  Ksemendra, 
(livres  4  et  9)  et  dans  le  A'athâsaritsàgara  de  Somadeva  (livres  4, 
ch.  22  ;  12,  ch.  90).  Dans  la  Vetal&pancavimçaU,  la  légende  est  le 
sujet  du  quinzième  récit.  La  pièce  de  Harsa  n'est  qu'une  dramatisation 
du  conte  tel  que  nous  l'avons  dans  la  Vetcllapancavlmçati. 

En  voici  l'analyse  : 

Acte  I.  Jïmûtavâhana,  prince  des  Vidyâdharas,  tout  dévoué  à 
ses  parents,  leur  cherche  un  ermitage  dans  la  forêt  près  du  mont 


(1)  I-tsing,  ch.  32,  p.  103. 


—  ilO  — 

Malaya  ;  accompagné  de  son  bouffon  (1),  il  voit  la  jeune  Malayavatï, 
fille  du  roi  des  Siddhas,  qui  mène  la  vie  d'ascète  dans  un  ermitage 
consacré  à  la  déesse  Gaurï.  Il  s'éprend  d'elle  et  entend  le  récit  d'un 
songe  qu'elle  a  eu.  La  déesse  Gaurï  lui  est  apparue  et  lui  a  désigné  le 
Cakravartin  des  Vidyâdharas  comme  sou  futur  époux.  Le  bouffon 
met  les  deux  jeunes  gens  en  présence  et  Malayavatï  à  son  tour 
s'éprend  du  prince.  Leur  entretien  est  interrompu  par  un  ascète  qui 
vient  rappeler  Malayavatï  à  l'ermitage  de  Gaurï.  L'ascète  nous 
annonce  que  le  jeune  roi  des  Siddhas,  Mitra vasu,  est  parti  chercher 
le  prince  Jïmûtavâhana  pour  lui  offrir  la  main  de  sa  sœur.  L'intrigue 
continue  ensuite  parce  que  les  deux  amants  sont  ignorants  de  leurs 
noms  respectifs. 

Acte  IL  Malayavatï,  souffrante  de  son  amour  et  tourmentée  par  la 
fièvre,  fait  préparer  un  banc  de  pierre  pour  s'y  reposer.  Elle  confie 
son  secret  à  sa  suivante,  quand  un  bruit  de  pas  les  fait  fuir  et  se 
cacher.  Jïmûtavâhana,  accompagné  du  bouffon,  s'asseoit  sur  le  banc, 
et  le  prince,  après  avoir  fait  un  récit  de  son  amour,  peint  sur  le  banc 
le  portrait  de  Malayavatï.  Mitrâvasu  survenant  offre  la  main  de 
Malayavatï  à  Jïmïitavâhana,  qui  la  refuse  incontinent,  dans  l'ignorance 
où  il  est  du  nom  de  celle  qu'il  aime.  Mais  Malayavatï  a  entendu  le 
refus  du  prince  et  de  désespoir  elle  veut  se  pendre  (cf.  Ratnàvali, 
acte  III).  Sa  suivante  qui  la  surveille,  soupçonnant  quelque  chose, 
crie  au  secours  ;  le  jeune  prince  accourt  et  lui  exprime  sa  flamme  ; 
pour  la  rassurer  complètement  il  lui  montre  le  portrait  qu'il  vient  de 
tracer  sur  le  banc. 

Acte  III.  Après  le  mariage  et  le  festin  qui  s'ensuit,  nous  assistons 
à  une  scène  comique  entre  le  parasite  ivre  et  le  bouffon,  qui  s'est 
déguisé  en  femme  et  enveloppé  d'un  voile  pour  échapper  aux  attaques 
des  abeilles.  Puis  l'amante  du  parasite  taquine  le  bouffon,  qui  est 
comme  dans  toutes  les  pièces  un  brahmane,  et  elle  veut  le  forcer  de 
boire  dans  sa  coupe.  Après  cet  intermède,  les  nouveaux  époux  se 
promènent  dans  les  jardins  et  s'amusent  d'une  nouvelle  scène  bur- 
lesque où  la  suivante  barbouille  la  figure  du  bouffon  eu  bleu  avec  du 
jus  de  tamâla.  Mitrâvasu  accourt  en  hâte  et  apprend  à  Jimïitavâbana 
que  son  parent  Mataùga  s'est  emparé  de  son  royaume,  il  lui  demande 


(1)  Le  vidûsaka. 


—  ill  — 

ses  ordres  pour  le  renverser.  Le  héros,  heureux  d'être  délivré  du 
fardeau  de  la  couronne,  refuse  de  faire  aucune  démarche  pour 
reprendre  son  royaume. 

Jusqu'ici  les  trois  actes  du  Nàgânanda  se  sont  passés  d'une  façon 
tout  à  fait  conforme  aux  règles  de  la  technique.  Les  actes  n'ont  été 
remplis  qu'avec  les  mêmes  sujets  que  la  Ratnâvall  ou  \si  PriyadarriJcâ. 
Mais  avec  le  quatrième  acte,  tout  change  :  pour  une  fois,  le  traite- 
ment est  original  :  l'erotique  se  trouve  changé  pour  le  pathétique  et 
l'horrible.  La  comédie  noble  devient  mélodrame. 

Acte  IV.  Jîmïïtavâhana  se  promenant  avec  son  beau-frère  Mitrâ- 
vasu  près  de  la  mer  découvre  des  montagnes  d'ossements.  Étonné,  il 
I  demande  la  raison  de  tant  de  morts.  Mitrâvasu  lui  explique  que  ce 
sont  les  restes  des  Nâgas,  des  serpents  qu'on  offre  journellement  à 
Garuda,  le  roi  des  oiseaux,  par  suite  d'un  traité  qu'il  a  imposé  au 
roi  des  serpents.  Jimûtavâhana,  pris  de  pitié,  se  dé,cide  à  se  sacrifier, 
même  pour  conserver  la  vie  à  un  seul  serpent.  Tandis  que  Mitrâvasu 
s'éloigne,  le  héros  entend  des  cris  de  femme  :  c'est  la  mère  d'un 
jeune  Nâga,  nommé  Çaiikhacûda,  destiné  au  sacrifice,  qui  accompagne 
son  fils  et  l'embrasse  en  pleurant.  La  mère  croit  voir  dans  le  prince 
qui  s'approche,  le  terrible  Garuda,  et  s'offre  à  mourir  à  la  place  de 
son  fils.  Touché  de  tant  d'amour,  Jimûtavâhana  veut  lui-même  rem- 
placer le  jeune  Nâga.  Les  deux  Nâgas  refusent  cette  offre  magnanime 
et  se  retirent  pour  faire  pieusement  le  tour  du  temple  de  Çiva. 
Jimûtavâhana  profite  de  leur  absence  pour  endosser  des  vêtements 
rouges,  les  insignes  de  la  victime  et  monter  sur  la  pierre  du  supplice. 
Garuda  survient  et  l'emporte  sur  le  mont  Malaya,  tandis  qu'il  pleut 
des  fleurs  et  que  résonnent  les  tambours  célestes. 

Acte  V.  Une  pierre  précieuse  de  la  couronne  de  Jimûtavâhana 
tombe  du  ciel,  souillée  de  sang,  aux  pieds  de  son  père  Jïmûtaketu. 
Malayavalï,  suivie  de  ses  beaux-parents  et  du  jeune  Çaiikhacûda,  part 
à  sa  recherche.  Çaiikhacûda  découvre  le  terrible  Garuda,  s'offre  à  lui 
servir  de  pâture,  mais  trop  tard  :  Jimûtavâhana  doit  être  sacrifié. 
L'oiseau,  apprenant  du  Nâga  qu'il  a  frappé  le  prince  des  Vidyâdharas, 
veut  monter  sur  le  bûcher  :  justement  les  parents  de  Jimûtavâhana 
et  Malayavatl  arrivent  portant  le  feu  qui  doit  les  consumer.  Le  héros 
s'est  évanoui  en  présence  de  tous  ceux  qui  lui  sont  chers  :  ceux-ci 
s'évanouissent  également  ;  Garuda  ne  peut  supporter  tant  d'horreur, 
il  se  repent  et  jure  au  héros  expirant  qu'il  ne  mangera  plus  de 


—  H2  — 

serpents.  Il  part  pour  supplier  Indra  de  faire  pleuvoir  l'ambroisie  etj 
de  ressusciter  non  seulement  Jïmûtavâhana,  mais  encore  tous  les 
princes  des  serpents  qu'il  a  mangés.  Malayavatï,  avant  de  monter  sur 
le  bûcher  avec  sa  famille,  reproche  à  Gauri  son  manque  de  foi  ;  elle||j^ 
ne  lui  a  pas  donné  pour  époux  un  Vidyâdhara  qui  fût  Cakravartin. 
La  déesse  paraît,  ressuscite  le  héros,  et  le  sacre  Cakravartin  des 
Vidyâdharas.  En  même  temps  la  pluie  d'ambroisie,  demandée  par 
Garuda,  tombe,  et  à  son  contact  ressuscitent  les  princes  des  serpents 
dont  il  ne  restait  que  les  os.  Gauri  donne  des  joyaux  célestes  au 
nouveau  Cakravartin,  lui  fait  remettre  la  soumission  de  l'usurpateur 
Mataûga  et  lui  rend  son  royaume. 

Tel  est  ce  drame  sur  lequel  il  n'est  pas  de  remarques  à  ajouter  qui 
n'aient  déjà  été  faites  (1).  Il  est  curieux  surtout  comme  essai  d'adap- 
tation d'une  légende  pieuse  et  édifiante  à  un  genre  qui  ne  semble 
comporter  de  nature  que  légèreté  et  galanterie.  Sans  doute  la  foi 
bouddhique  du  royal  poète  n'était  pas  assez  puissante  pour  le  déter- 
miner à  rompre  avec  les  usages  traditionnels  de  la  comédie  :  un  parti 
pris  si  héroïque  aurait  juré  avec  son  scepticisme  élégant.  Aussi 
une  profonde  différence  de  style  a-t-elle  été  relevée  entre  les  trois 
premiers  et  les  deux  derniers  actes.  Dans  les  premiers,  rien  qui 
s'éloigne  de  l'usage  et  du  ton  de  la  nâtikâ  :  personnages,  épisodes,  { 
entretiens  et  descriptioDs  lyriques,  c'est  toujours  le  même  sacrifice  à 
la  convention  technique,  la  même  crainte  de  rien  innover.  Dans  les 
derniers  par  contre  se  détache  fortement  la  noble  figure  de  Jimïita- 
vâhana  et  elle  les  emplit  de  son  originalité  si  vive  qu'elle  a  toujours 
dérouté  les  critiques  hindous  (2).  Mais  pourtant  le  manque  d'unité 
n'est  pas  si  apparent  qu'on  pourrait  le  redouter  ;  le  merveilleux  du 


h 


(1)  Weber  a  discuté  le  sujet  dans  le  Literarisches  Centralhlatt  du  8  juin, 
1872,  N".  23,  p.  614.  La  longue  notice  de  M.  Beal  dans  VAcademy  29  sept., 
1883,  N°.  595,  pp.  217,  218,  est  une  erreur  ;  il  croit  que  Çilâditya  prenait 
liabituellement  le  rôle  de  Jïmûtavâhana  sur  la  scène  ;  ceci  est  tout  à  fait 
impossible,  Le  colophon  du  Nâgânanda  dans  le  tibétain  attribue  le  drame 
au  roi  Çrï  Harsa  Deva  ;  les  deux  poèmes  de  Harsa  lui  sont  attribués  sous  le 
même  nom  dans  la  version  tibétaine. 

(2)  Pour  cette  discussion  voyez  surtout  S.  Lévi,  Le  Théâtre  Indien,  pp.  65-6. 
On  classa  Jïmûtavâhana  définitivement  comme  «  héros  noble  et  supérieur  ». 


—  113  — 

dénouement  et  surtout  les  intermèdes  plaisants  du  bouffon  et  du 
parasite  tempèrent  le  pathétique  de  la  légende  et  ramènent  la  pièce 
dans  ses  justes  proportions. 

De  tous  les  littérateurs  qu'entretint  à  sa  cour  le  roi  Harsa,  c'est 
Bâna  sans  doute  le  plus  réputé.  Peut-être  même  le  roi  l'entoura-t-il 
de  plus  de  faveur  que  ses  rivaux  et  daigna-t-il  recevoir  ses  avis  et 
ses  conseils  de  préférence  à  d'autres,  toujours  est-il  qu'une  légende 
maligne  a  pu  se  créer  sur  leurs  rapports  littéraires.  Toutefois  certains 
de  ses  confrères  ont  été  plus  justes  et  Govardhana  (1)  a  dit  de  lui  (2)  : 
"  De  la  même  façon  qu'autrefois  celle  qui  s'appelait  de  naissance 
I  Çikhandinï  devint  Çikhandin  (3),  je  crois  savoir  que  la  déesse  de  la 
I  parole  (Vânï,  Bâuï)  est  devenue  Bâna  pour  obtenir  plus  de  gloire  ». 
I  Et  un  autre  poète  ne  fait  guère  moins  entendre  sous  l'amphigouri 
du  style  (4)  : 

«  Bâiia  est  le  lion  qui  détruit  toujours  par  son  habileté  les  protubé- 
rances globales  des  éléphants  de  la  poésie,  dans  le  passage  étroit  de 
la  forêt  Vindhya, impénétrable  pourtant,  de  la  poésie  capricieuse  (5)  ». 
Bâna  mérite  en  tous  cas  la  reconnaissance  de  la  postérité  pour  son 
histoire  romanesque  de  Harsa,  qui  contient  en  même  temps  son 
autobiographie  personnelle.  Il  manque  peut-être  de  modestie  quand, 
dans  l'énoncé  de  sa  généalogie,  il  se  vante  d'être  un  descendant  de 
la  déesse  de  la  poésie.  Peut-être  nous  lui  avons  fait  tort,  et  Bâna 
ne  voulait  que  montrer  qu'il  était  un  Sarasvatï  brahmane.  Mais  c'est 
qu'il  y  a  bien  de  l'art  dans  la  composition  du  Harsacarita,  et  cet 
art  va  presque  jusqu'à  masquer  la  vérité  historique  qu'il  a  charge 
d'illustrer,  ainsi  qu'un  bref  aperçu  va  nous  le  faire  voir. 


(1)  Dans  son  Âryâsaptaçatî,  v.  37. 

(2)  Jâtâ  Çikhandinï  prâg  yathâ  Çikhandî  tathrivagaechâmi  1 
prâgalbhyam  adhikam  âptuin  Vânï  Bâno  babhQveti  || 

(3)  Cf.  Mahàbhârata,  i,  525,  2453,  2761,  6323  ;  iii,  594  ;  iv,  2352  ;  v,  5100, 
5942,  etc.  ;  xii,  7783,  etc.  ;  xiv,  1781. 

(4)  Suhhâsitaratnakoça  v.  19.  (Bhandarkar,  Report  1883-1884,  p.  360). 

(5)  âl;i  sarvaira  gabhïi'adliïrakavitrivindliyritavïcâtui'ï  | 
sameâre  kavikurabliikumbliabhiduro  BEnas  tu  pâùcânanab  |1 

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—  115  — 

Chap.  I.  Sarasvatî,  précipitée  sur  la  terre  par  la  malédiction  de 

urvâsas,  s'éprend  de  Dadhîca,  fils  de  Cyavana,  l'épouse,  et  a  de  lui 
an  fils  nommé  Sârasvata.  L'ami  d'enfance  de  celui-ci,  Vatsa,  né  à  la 
nême  heure  et  dans  le  même  ermitage,  reçoit  par  le  contact  de 
Sârasvata  les  dons  de  Sarasvatî.  Kuvera,  descendant  des  Vâtsyâyanas, 
a,  quatre  fils  :  Acyuta,  ïçâna,  Hara,  et  Pâçupata.  Pâçupata  n'a  qu'un 
fils,  Arthapati,  qui  a  onze  fils,  dont  l'un,  Citrabhânu,  marié  à  Râja- 
devï,  a  comme  fils  Bâua.  Cette  famille  demeure  au  bord  du  Çona,  à 
Prïtikûta.  Bâua  perd  sa  mère  en  bas  âge,  et  à  quatorze  ans  son  père. 
Parvenu  à  l'adolescence,  il  s'adonne  aux  plaisirs  (1)  avec  la  folle 
iasouciance  des  jeunes  gens  et  fréquente  tout  un  monde  interlope  de 
poètes  et  de  magiciens,  d'artisans  et  de  mendiants,  de  joueurs  et  de 
danseuses  (2).  Puis  avec  l'âge  lui  vient  la  raison,  il  s'assagit  et  rentre 
dans  son  pays  et  dans  sa  famille. 

Chap.  II.  Krsua,  le  frère  de  lait  de  Harsa,  envoie  un  messager  à 
Bâna  pour  l'appeler  à  la  cour,  où  circulent  sur  son  compte  des  bruits 
médisants.  Le  camp  royal  est  près  de  la  rivière  Ajiravatî  ;  Bâua,  les 
cérémonies  achevées,  s'y  rend  par  Mallakuta,  puis  traversant  le 
Gange  à  Yastigrhaka  il  fait  son  entrée  à  la  cour.  Il  est  admis  en 
présence  de  Harsa,  qui  le  reçoit  froidement.  Bâna  se  retire  du  camp 
pendant  quelques  jours,  puis  y  reparaît  et  acquiert  la  confiance  de 
Harsa,  qui  l'admet  même  dans  sou  intimité. 

Chap.  III.  Bâua  retourne  passer  quelque  temps  dans  son  pays,  oii 
ses  parents  le  prient  de  leur  parler  de  Harsa.  Il  leur  conte  alors  ce 
qui  est  proprement  le  Harsacarita  : 

Dans  le  pays  de  Çrîkantha  est  le  district  do  Sthânvîçvara  :  un 
certain  roi,  nommé  Pusyabimti  (3),  attaché  exclusivement  au  culte 
de  Çiva,  prête  une  fois  secours  à  un  ascète  çivaïte  du  nom  de 
Bhairavâcârya  pour  un  rite  magique  nocturne  :  au  cours  de  cette 
cérémonie  Çrî  lui  apparaît  et  lui  promet  une  descendance  de  rois 
d'où  sortira  l'empereur  Harsa. 


(1)  Itvaro  babhûva. 

(2)  Cf.  supra,  pp.  72,  73. 

(3)  Les  textes  du  Harsacarita  portent  PuspabhQti.  Bûliler  (E.  I.  vol.  i, 
p.  70)  propose  de  lire  PusyabliQti,  puisque  beaucoup  de  noms  propres  en 
-bhûti  ont  les  noms  des  constellations  comme  première  partie  du  mot. 


—  ii6  — 

Chap.  IV,  Dans  la  suite  des  rois  naît  Prabhâkaravardhana, 
surnommé  Pratâpaçïla.  Il  épouse  Yaçomatî  (1),  qui  rêve  qu'elle  a 
deux  enfants  merveilleux.  Râjyavardhana  naît  le  premier  :  puis  dans 
le  mois  de  Jyaistha  naît  Ilarsa.  Des  signes  miraculeux  annoncent  son 
empire.  La  naissance  de  Râjyaçrï,  leur  sœur,  suivait  de  près.  Les 
enfants  se  lient  d'amitié  avec  Bhandin,  fils  du  frère  de  Yaçomaû, 
alors  âgé  de  huit  ans.  Le  roi  attache  à  leur  personne  Kumâragupta 
et  Mâdhavagupta,  hls  du  roi  de  Mâlava  et  âgés  de  dix-huit  ans.  Puis 
il  fiance  et  marie  Râjyaçiï  à  Grahavarman,  fils  d'Avantivarman,  de 
la  famille  des  Mukharas,  famille  qui  est  «  dharanïdharâuâm  mûrdhni 
sthita  ». 

Chap.  V.  Râjyavardhana,  accompagné  de  sages  conseillers,  va 
attaquer  les  Hïïnas.  Harsa  l'accompagne  jusqu'à  la  région  qui  brille 
par  la  splendeur  de  Kailâsa,  et  y  passe  son  temps  à  la  chasse.  Il 
reçoit  la  nouvelle  que  son  pèire  est  malade,  s'empresse  de  rentrer,  et 
trouve  toute  la  ville  adonnée  à  des  rites  de  toute  confession  (jainas, 
bouddhistes,  çivaïtes,  etc).  La  reine  Yaçomatî  monte  sur  le  bûcher 
et  le  roi  meurt. 

Chap.  VI.  Quelque  temps  après,  Râjyavardhana  rentre  couvert  de 
blessures  reçues  contre  les  Hûnas.  L'aîné  veut  céder  le  trône  à  son 
cadet  ;  à  ce  moment  même  un  serviteur  de  Râjyaçrï,  Samvâdaka, 
vient  annoncer  que  le  jour  même  de  la  nouvelle  de  la  mort  de 
Prabhâkaravardhana,  le  roi  des  Mâlavas  a  fait  mourir  Grahavarman, 
et  que  Râjyaçrï  a  été  mise  aux  fers  et  jetée  en  prison  à  Kânyakubja. 
Râjyavardhana  décide  de  partir  aussitôt  contre  le.  Mâlava  avec  dix 
mille  cavaliers  et  Bhaiidin  ;  Harsa  suivra  avec  les  râjas  et  les  éléphants. 
Quelques  jours  ensuite,  Kuntala,  chef  de  la  cavalerie,  vient  annoncer 
que  l'armée  des  Mâlavas  a  été  vaincue,  mais  que  le  roi  du  Gauda, 
sous  des  prétextes  trompeurs,  a  attiré  Râjyavardhana  dans  sa  demeure 
et  l'y  a  tué.  Harsa  délibère  avec  son  général  Simhaoâda,  puis  il 
dicte  à  son  ministre  (2),  Avanti,  une  proclamation,  où  il  fait  le  vœu 


(1)  Plusieurs  textes  ont  Yaçovafl.  Les  inscriptions  ont  Yaçomatî,  y ovc 
Bûhler,  E.  I.  vol.  i,  p.  70. 

(2)  Le  titre  saiïidhivigrahâdliikrta,  aussi  bien  que  ceux  de  vyâprtasarpdtii- 
vigraha  et  de  sâindhivigraliika,  est  trouvé  sur  les  inscriptions,  C.  L  L  vol.  iii, 
pp.  10,  35,  104,  108,  128,  167  ;  L  A.  VOl.  xiii,  pp.  84,  118  ;  J.  B.  R.  A.  S.  VOl.  X, 
p.  27  ;  E.  L  vol.  i,  p.  88,  1.  50. 


~  117  — 

de  détruire  les  Gaudas.  Skandagupta  (1),  chef  des  éléphants,  détourne 
Harfa  d'une  confiance  en  soi  si  dangereuse  en  lui  citant  nombre 
d'exemples  de  rois  qui  en  ont  été  victimes. 

Chap.  VII.  Au  jour  fixé  par  les  astrologues,  l'armée  se  réunit  à  un 
temple  au  bord  de  la  Sarasvatî,  près  de  la  ville  de  Thanesar.  Le 
notaire  (2)  du  village  vient  solliciter  une  charte  (3)  et  présente  un 
sceau  d'or  ayant  la  forme  d'un  taureau  (4).  Harsa  donne  aux 
s  brahmanes  cent  villages  de  mille  sillons.  Puis  vient  une  longue 
description  du  départ  et  de  la  marche  de  l'armée.  En  route,  arrive 
Hamsavega,  messager  du  roi  d'Assam,  Kumâra  ;  il  offre  au  roi 
l'ombrelle  blanche  de  Varuna,  décorée  d'un  hamsa,  qui  est  le 
palladium  du  royaume,  puis  de  nombreux  cadeaux.  Hamsavega 
raconte  que  l'ombrelle  de  Varuna  a  été  conquise  par  Naraka,  fils  de 
la  Terre  et  du  Sanglier,  qu'elle  est  passée  ensuite  aux  mains  de 
Bhagadatta,  de  Puspadatta,  de  Vajradatta,  etc.,  puis  à  celles  du 
Maharaja  Bhîitivarman,  de  Candramukhavarman,  de  Sthitivarman, 
de  Susthiravarman,  surnommé  Mrgânka,  marié  avec  Çyâmâdevï,  de 
qui  est  né  Bhâskaradyuti,  ou  Bbâskaravarman,  çivaïte  zélé,  qui 
demande  l'amitié  de  Harsa  quelques  jours  après  la  mort  de  son  père. 
Survient  Bhandin  victorieux,  qui  ramène  le  butin  conquis  au  Mâlava 
par  Râjyavardhana,  mais  Râjyaçrï  manque.  Après  la  mort  de 
Râjyavardhana,  quand  Kânyakubja  a  été  repris  par  Gupta,  Râjyaçrï 
a  été  délivrée  de  prison  et  s'est  retirée  dans  les  forêts  du  Vindhya. 
Harsa  s'y  dirige  aussitôt. 

Chap.  VIII.  Après  bien  des  jours  Harsa  voit  venir  Vyâghraketu, 
fils  de  Çarabhaketu,  chef  tributaire  de  la  forêt  (5),  qui  lui  présente 
Nirghâta,  neveu  du  général  des  Çabaras,  Bhûkampa,  (le  chef  de  tous 


(1)  Skandagupta  est  probablement  la  même  personne  que  Harsa  nomme 
dans  l'inscription  de  Madhuban.  E.  I.  vol.  i,  p.  73. 

(2)  Le  mot  âksapatalika  «  celui  qui  est  chargé  des  documents  v,  se  trouve 
dans  les  inscriptions,  voir  C.  1. 1.  vol.  .3,  p.  180,  1.  76,  p.  100,  n.  2  :  Maliâksa- 
patalika.  C.  I.  I.  vol.  3,  p.  177.  1.  46  ;  grâmriksapatalâdhikrta.  C.  I.  I.  vol.  3, 
p.  257,  1.  15.  Mahriksapatairidhikaranâdhikrta  se  trouve  dans  l'incci'iption 
de  Har.sa,  E.  I.  vol.  i.  p.  73. 

(3)  Çâsana,  «  une  charte  «  ou  "  une  concession  ». 

(4)  Vrsânka. 

(5)  Atavikasâmanta. 


—  118  — 

les  chefs  des  villages)  (1),  qui  connaît  tous  les  recoins  de  la  forêt. 
Nirghâta  indique  à  Harsa  l'ermitage  de  Divàkaramitra,  l'ami 
d'enfance  de  feu  Grahavarman.  Le  saint  appartenait  à  la  Maitrâyanï 
çâkhâ  (2)  ;  il  est  passé  du  brahmanisme  au  bouddhisme,  et  a  revêtu 
le  kasâya  (3).  Harsa  va  le  trouver  et  le  rencontre  au  milieu  de  gens 
de  toutes  sectes  :  Jainas,  Lokâyatikas  (4),  Bhâgavatas  (5),  Pâficarâ- 
tras  (6),  Kâpilas  (7),  Aupanisadas  (8),  etc.  Survient  un  bhiksu  qui 
annonce  à  Divàkaramitra  qu'une  femme  dans  le  voisinage  veut  de 
douleur  se  brûler  ;  il  le  prie  d'aller  la  réconforter.  Harsa  devine 
qu'il  s'agit  de  sa  sœur  et  se  précipitant  sur  les  pas  du  çramana,  il  la 
rejoint  et  la  console  :  Divàkaramitra  met  à  son  service  le  joyau 
Mandàkinï,  rapporté  du  palais  des  Nàgas  par  Nàgàrjuna,  qui  l'offrit 
à  Sâtavàhana,  et  qui  console  de  tout  chagrin.  Ràjyaçrï  persiste  à  ' 
vouloir  prendre  le  kasàj^a  ;  Harsa  la  prie  de  rester  auprès  de  lui  et 
demande  à  Divàkaramitra  d'être  le  consolateur  spirituel  de  sa  sœur, 
jusqu'au  jour  où  il  aura  accompli  son  vœu  de  venger  son  père  :  il  ; 
prendra  alors  lui-même  le  kasàya  avec  sa  sœur.  Puis,  en  quelques 
étapes,  le  roi  rejoint  son  camp  établi  près  du  Gange. 

Ici  le  Harsacarita  se  termine  brusquement.  Nous  avons  été  amené 
ailleurs  à  apprécier  la  valeur  historique  du  Harsacarita  :  nous  nous 
sommes  efforcés  de  montrer  quelle  sorte  de  renseignements  il  est 
légitime  de  demander  à  Bàna  et  de  déterminer  la  méthode  qui 
permet  de  faire  un  départ  entre  les  faits  authentiques  et  ceux  qui 
sont  indifférents  à  l'historien. 

Quel  que  soit  donc  le  mérite  de  Bàna  comme  témoin  de  cette 
époque,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  son  ouvrage  est  unique  dans 
la  littérature  indienne.  Transformer  une  matière  historique  et  con- 


fl)  Sarvapallïpatînâm  prâgraharah. 

(2)  Selon  le  D"-  Bhau  Dhâji  (.1.  B.  R.  A.  S.  vol.  10,  p.  40)  les  Maitrâyanïya 
brahmanes  se  trouvent  actuellement  à  Bliadgaon  et  dans  les  villages  du  voi- 
sinage près  des  montagnes  Satpuda. 

(3)  Habit  rouge  jaunâtre  des  ascètes  bouddhiques. 

(4)  École  athée. 

(5)  Disciples  de  Krsna. 

(Q)  Secte  vishnouite  à  peu  près  identique  avec  les  Bhâgavatas. 

(7)  Disciples  de  Kapila,  fondateur  du  système  Sâùkhya. 

(8)  Sectateurs  des  Upanisads. 


—  il9  - 

temporaiae  ea  roman,  broder  sur  im  canevas  d'événements  vrais 
des  dessins  fantaisistes  et  le  surcharger  d'ornements  ajoutés  au  point 
que  la  trame  primitive  en  soit  méconnaissable,  c'est  là  une  tentative 
i|     qui   n'est  pas   banale  dans  les  annales  de  l'histoire  littéraire.  Le 
scrupule  que  d'autres  ont  apporté  à  rechercher  dans  la  masse  des 
faits  les  seuls  qui  fussent  vrais  et  considérables,  puis  à  les  mettre  dans 
la  lumière  qui  leur  convenait,  Bâua  ne  l'a  guère  connu  :  il  a  fait  tout 
le  contraire,  il  s'est  préoccupé  de  traiter  la  chronique  de  son  royal 
patron  dans  le  style  du  roman  ou  de  la  grande  épopée.  Il  y  a  mis  à 
contribution  tout  ce  que  son  génie  comportait  d'inventif  et  de  raflSné. 
Il  a  lâché  toutes  guides  à  son  imagination  de  poète  courtisan.  Il  se 
complaît  aux  flatteries  quintessenciées,  aux  jeux  de  mots,  aux  allusions 
ambiguës.  Il  ne  voit  du  prince  qu'il  sert,  que  la  vie  mondaine  et 
galante  ;  il  n'admire  que  sa  diplomatie  de  cour  ou  de  harem  et  si  le 
hasard  l'entraîne  sur  les  champs  de  bataille,  il  ne  trouvera  dans  la 
discussion  des  plans  stratégiques  qu'une  occasion  de  moraliser  sur 
l'imprudence  des  rois  trop  confiants  en  eux-mêmes,  et  les  opérations 
de  guerre  n'auront  de  prix  à  ses  yeux  que  si  elles  lui  fournissent 
matière  à  dépeindre  dans  un  style  convenu  et  officiel  un  campement, 
une  marche  d'armée  ou  une  pittoresque  mêlée  humaine.  Ainsi  Bâiia 
déploie  toutes  les  ressources  de  son  esprit  et  de  sa  science  à  faire 
paraître  la  réalité  sinon  invraisemblable,  du  moins  fausse  ;  son  talent, 
qui  est  incontestable,  se  travaille  de  manière  à  piquer,  à  intriguer, 
à  décontenancer  le  lecteur  et  à  lui  faire  avouer  son  incapacité  de 
discerner  le  fait  exact  du  fait  imaginaire.  Témoin  authentique  de 
scènes  vraies  et  vécues,  Bâna  s'attache  à  les  farder  des  couleurs  de 
la  poésie  conventionnelle  ;  chez  lui,  l'art  l'emporte  sur  la  nature  et  le 
souci  esthétique  est  plus  pressant  que  le  scrupule  d'être  simplement 
véridique. 

Le  deuxième  grand  ouvrage  de  Bâna,  la  Kâdambarl  (1),  est  moins 
intéressant  pour  l'historien  que  le  Harsacarita.  Bien  qu'il  contienne 
nombre  de  récits  sur  la  vie  de  la  cour  ou  du  village,  un  intérêt 


(i;  "  Kâdambarîrasajnruiâm  âhâropi  na  rocate  »,  "  ceux  qui  s'abandonnent 
à  la  Kàdambarî  {K.~[.d3Lïnhàvi  veut  aussi  dire  vin)  ne  goûteront  plus  de  la 
nourriture  »,  dit  un  proverbe  sanskrit,  qui  montre  la  haute  estune  où  l'on 
tenait  cette  œuvre. 


—  120  — 

supérieur  y  fait  défaut.  Tandis  que  dans  le  Eari>acarita  on  peut 
apprécier  les  faits  historiques  qui  s'y  trouvent  semés,  la  Kàdambarl, 
voilée  par  des  récits  mythologiques  et  bien  qu'elle  réfléchisse  avec  la 
même  fidélité  le  camp,  les  calmes  villages,  les  monastères  et  les 
mœurs  de  leurs  habitants,  ne  saurait  prétendre  à  la  même  valeur. 
La  Kadamhan,  comme  le  Harsacarita,  a  été  laissée  incomplète  par 
Bàna,  et  n'a  été  finie  que  par  les  soins  de  son  fils,  Bhiisanabhatta. 
Nous  aurions  volontiers  sacrifié  la  suite  de  la  Kcldaniharï,  pour  avoir 
seulement  la  fin  du  Harsacarlta. 

L'histoire  racontée  dans  la  Kâdanibarl  est  assez  compliquée.  Nous 
chercherons  à  la  donner  sous  une  forme  aussi  concise  que  possible  en 
prenant  modèle  sur  celle  qu'a  donnée  Miss  Ridding  dans  sa  traduction 
publiée  par  l'Oriental  Translation  Fund. 

Un  perroquet  du  nom  de  Vaiçampâyaua,  présenté  au  roi  Çûdraka 
par  une  princesse  Caudâlâ,  lui  raconte  comment  il  a  été  pris  dans  la 
forêt  Vindhyâ  et  amené  au  saint  Jâbâli,  qui  lui  a  révélé  les  événements 
de  sa  naissance  antérieure. 

Selon  Jâbâli,  Târâpida,  roi  d'Ujjain,  avait  un  fils  nommé  Candrâ- 
pïda  qui  fut  élevé  avec  Vaiçampâyana,  fils  d'un  de  ses  ministres. 
Un  jour  Candrâpîda,  chassant  près  de  Kailâsa,  arrive  sur  les  bords 
d'un  lac. 

Là  il  voit  une  jeune  ascète,  Mahâçvetâ,  qui  lui  raconte  qu'étant 
princesse  Gandharva  elle  avait  aimé  Puudarïka,  jeune  brahmane. 
Celui-ci  la  payant  de  retour,  était  mort  des  tourments  d'un  amour 
auquel  ses  vœux  ne  lui  permettaient  pas  de  se  livrer.  Un  dieu 
emporta  le  corps  du  jeune  brahmane  et  promit  à  la  jeune  fille  qu'elle 
serait  unie  à  lui  dans  un  avenir  lointain.  Dans  cette  attente,  elle 
passait  son  temps  en  austérités  de  toutes  sortes. 

Mahâçvetâ  a  une  amie  nommée  Kâdambarï,  elle  aussi  princesse 
Gandharva,  qui  de  son  côté  fait  serment  de  ne  point  se  marier  avant 
Mahâçvetâ.  Mahâçvetâ  invite  le  prince  à  venir  avec  elle  dissuader 
Kâdambarï  de  son  dessein.  Le  prince  et  Kâdambarï  s'aiment  tout  de 
suite,  mais  des  ordres  inattendus  du  père  du  prince  le  rappellent  à 
Ujjayinï,  sans  qu'il  ait  le  temps  de  dire  adieu  à  celle  qu'il  aime. 
Kâdambarï,  croyant  que  le  prince  l'a  abandonnée,  s'évanouit  de 
douleur. 


—  121  — 

Cependant  Vaiçampâyana,  qu'on  avait  laissé  près  du  lac,  refuse 
de  s'en  aller.  Le  prince  va  le  chercher,  mais  en  vain.  Il  revient  à 
Termitage  de  Mahâçvetâ,  qu'il  trouve  désespérée...  En  lançant  contre 
un  jeune  brahmane  qui  l'a  approchée  de  trop  près,  une  malédiction 
à  l'effet  de  le  transformer  en  perroquet,  elle  a  appris  qu'elle  avait 
tué  Vaiçampâyana.  A  cette  nouvelle,  le  prince  meurt  de  douleur  et 
Kâdambarï,  qui  survient  à  ce  moment,  veut  le  suivre.  Une  voix  du  ciel 
lui  défend  de  se  tuer  et  lui  promet  ainsi  qu'à  Mahâçvetâ  que  toutes 
deux  retrouveront  leurs  bieu-aimés. 

Tel  fut  le  récit  du  saint  Jâbâli,  continue  le  perroquet.  Après  l'avoir 
entendu,  la  mémoire  de  son  amour  pour  Mahâçvetâ  renaît,  il  s'envole 
et  tombe  entre  les  mains  de  la  princesse  Candâlâ. 

La  princesse  prend  à  son  tour  la  parole  devant  le  roi  Çûdraka. 
Elle  dit  être  la  déesse  Laksmï,  mère  de  Pundarïka  (Vaiçampâyana) 
et  lui  annonce  que  maintenant  aussi  la  malédiction  dont  Çiidraka 
est  victime  va  prendre  fin. 

Tout  d'un  coup,  en  effet,  Çûdraka  so  rappelle  son  amour  pour 
Kâdambarï.  En  même  temps  le  corps  de  Candrâpida,  qui  a  été  gardé 
par  Kâdambarï,  est  ressuscité  et  quitte  la  forme  mortelle  de  Çûdraka. 
La  même  fortune  échoit  à  Pundarïka  et  les  deux  héros,  heureux  de 
retrouver  leurs  maîtresses,  vivent  enfin  dans  le  bonheur. 

Dans  ce  fatras  d'aventures  fantaisistes  et  inventées  à  plaisir,  un 
détail  mérite  de  retenir  un  instant  l'attention  ;  c'est  le  nom  de 
Vaiçampâyana,  l'ami  du  roi  héros.  Si  l'on  regarde  le  roi  Çûdraka 
comme  une  personnification  de  Hars^ï,  on  n'aura  pas  d'hésitation  à 
reconnaître  la  personne  qui  figure  sous  le  nom  de  Vaiçampâyana.  Nous 
savons,  en  effet,  par  le  Harsacarita  que  le  cousin  de  Harsa  s'appe- 
lait Krsiia.  Mais  Vaiçainpâyana,  nom  d'un  disciple  de  Vyâsa,  est  un 
des  multiples  noms  de  Krsna.  Si  donc  Çûdraka  représente  Harsa, 
nul  doute  qu'on  puisse  identifier  Vaiçampâyana  avec  Krsua,  le  cousin 

du  roi. 

Quoique  moins  importante  que  ces  deux  romans,  lœuvre  poétique 
de  Bâna  n'est  pas  négligeable.  Sa  prose  est  du  reste  si  voisine  de  la 
poésie,  si  travaillée  et  si  étincelante  de  faux  brillants  de  toute  sorte, 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  de  la  voir  émaillée  de  nombre  de 
stances  qui  ne  font  point  dissonance  avec  l'ensemble.  Mais  un  petit 
poème  de  Bâna  nous  est  un  exemple  de  ce  que  son  souple  talent  de 


—  122  — 

versificateur  pouvait  atteindre.  C'est  le  CandiMçatalca  (1)  ;  la  matière 
en  est  des  plus  simples,  elle  a  pour  objet  le  combat  de  la  déesse  Candï 
(Durgâ)  avec  le  démon  Mahisàsura  qui  a  pris  la  forme  d'un  buffle. 
Mais  la  manière  dont  ce  thème  est  traité  caractérise  cet  art  de 
«  tourneur  en  ivoire  n  qui  est  celui  de  la  plupart  des  poètes  hindous. 
Chaque  stance,  qui  est  du  mètre  appelé  Çârdûlavikrïdita,  évoque 
une  allusion  à  ce  combat  digne  de  l'épopée.  Les  métaphores,  les 
locutions  à  double  entente,  les  jeux  de  mots,  les  allusions  recherchées 
redoublent  encore  la  difficulté  du  rythme  et  font  de  cet  ouvrage  un 
recueil  souvent  difficile  à  entendre. 

On  trouve  aussi  dans  les  anthologies  de  nombreux  vers  attribués  à 
Bàna.  Beaucoup  ont  été  vainement  recherchés  dans  les  œuvres  qu'on 
connaît  de  lui  (2),  soit  qu'ils  eussent  appartenu  réellement  à  des 
œuvres  de  lui  perdues  aujourd'hui,  soit  au  contraire  qu'on  lui  en  eût 
prêté  qu'il  aurait  été  capable  d'écrire. 

Outre  ces  poèmes,  Bâna  est  encore  l'auteur  de  deux  drames  (3).  De 
l'un,  qui  était  intitulé  M'uhidatàditaJca,  il  n'a  survécu  qu'une  stance 
unique  citée  par  le  commentateur  Candapâla  (4),  dans  la.  Nalacamptl 
(p.  227). 

L'autre  est  une  petite  comédie  héroïque,  et  a  pour  titre  Pârvatï- 
parinaya  (5).  Cette  comédie  est  tellement  dépourvue  d'intérêt, 
l'obéissance  et  la  soumission  aux  règles  techniques  y  étouffent  à  tel 
point  l'expansion  du  génie,  qu'on  a  de  la  peine  à  reconnaître  la  main 
de  Bâiia  et  qu'on  a  été  tenté  d'y  voir  une  œuvre  de  jeunesse. 
L'authenticité  pourtant  en  est  indéniable,  puisque  l'auteur  a  soin  de 


(1)  Cf.  I.  A.  vol.  i,  p.  111.  Bâna  semble  avoir  suivi  à  peu  près  le  Markandeya 
Purâna,  Adhy.  80,  ss.  Le  texte  du  Candikâçataka  a  été  publié  dans  la 
Kâvyamrilâ,  N°.  19,  1887. 

(2)  Voyez  Vallabhadeva,  Suhhàsitàvali,  éd.  Peterson,  pp.  62-66. 

(3)  Le  Sarva-carita-prahasana,  une  farce,  est  attribué  à  Bâna  par  le 
Sûcïpatram  de  Panditarâja-Râmaçâstrin.  Ce  catalogue  décrit  une  collection 
importante  de  manuscrits  qui  ont  appartenu  à  feu  le  Pandit  Râdhâkrsna  de 
Lahore. 

(4)  Peterson  (Intro.  Kàdamhari,  p.  98)  donne  pour  le  nom  du  commentateur 
Gunavinayagani  qui  sut  amplifler  la  glose  de  Candapâla. 

(5j  Pour  le  traitement  scientifique  de  ce  drame,  voyez  Glaser,  Sitzungs- 
berichte  der  K.  K.  Akademie  der  Wissenschaften,  Wicn,  phil.-hist.  classe, 
vol.  104,  1883,  pp.  575-664. 


—  123  — 

se  nommer  dans  une  stance  du  prologue  toute  pareille  à  une  stance 
de  la  KcldambarJ.  Le  sujet  est  entièrement  emprunté  au  Kumâra- 
samhhava  de  Kâlidâsa  ;  Bâna  s'est  borné  à  suivre  les  divisions  de 
Kâlidâsa,  en  découpant  en  actes  la  matière  traitée  par  son  illustre 
devancier.  Il  a  abrégé  toutes  les  longues  descriptions  (1)  et  fondu 
ensemble  certains  chants.  Ses  seules  innovations  consistent  dans  les 
personnages  suivants  :  le  chambellan  de  Himavat,  les  amies  de 
Pârvatî,  Jayâ  et  Vijayâ,  les  dieux  Brhaspati  et  Visuu,  la  matrone 
Kauçikî,  les  messagers  des  dieux,  et  naturellement  aussi,  le  directeur 
et  l'actrice  qui  disent  le  prologue,  plus  enfin  quelques  rôles 
subsidiaires. 

Le  premier  acte  (K.  I.)  introduit  trois  personnages  ;  le  saint 
Nârada,  Himavat  et  Mena  (le  père  et  la  mère  de  Pârvatî).  Tout  le 
premier  acte  est  occupé  par  leurs  délibérations  sur  les  moyens  qu'ils 
emploieront  pour  marier  Çiva  avec  Pârvatî. 

Acte  IL  (K.  II,  III,  1-23).  Les  dieux,  effrayés  par  les  menaces  du 
démon  Târaka,  tiennent  conseil  ;  Brahma  a  annoncé  aux  dieux  que 
Kumâra,  dieu  de  la  guerre  qui  n'est  pas  encore  né,  est  le  seul  qui 
puisse  tuer  le  démon  ;  pour  le  faire  naître,  il  faut  que  Çiva  s'unisse 
avec  Pârvatî.  Le  dieu  de  l'amour,  Kâma,  promet  de  se  charger  des 
intérêts  des  dieux,  et  d'inciter  Çiva  à  s'éprendre  de  Pârvatî. 

Acte  III.  (K.  III.  24:-fin.  IV).  Brhaspati  et  Indra  entendent  de  la 
bouche  de  Nârada  le  récit  du  triste  sort  de  Kâma,  qui  a  été  réduit  en 
cendres  par  le  regard  du  troisième  œil  du  dieu  Çiva. 

Acte  IV.  (K.  V.).  Nandin  est  envoyé  par  Çiva  auprès  des  amies  de 
Pârvatî,  Jayâ  et  Vijayâ,  pour  leur  demander  si  elle  aime  véritable- 
ment le  dieu  et  si  elle  persiste  dans  ses  austérités  pour  gagner  son 
amour.  Çiva,  déguisé  sous  un  habit  d'ascète,  rencontre  la  jeune  fille 
et  se  montre  sous  sa  forme  divine.  On  arrange  leur  mariage  pour  le 
cinquième  jour  suivant. 

Acte  V.  (K.  VI.  VIL).  Le  mariage  est  conclu  avec  toutes  les 
cérémonies  usuelles. 

Le  dernier  acte  n'est  pas  du  tout  nécessaire  :  on  aurait  pu  finir  avec 
le  quatrième  acte.  On  voit  combien  il  y  a  peu  d'action  dans  cette 


(1)  Par  excmplo  K.  I.  5-18  ;  K.  I.  29-50  ;  K.  II.  30-51  ;  K.  III.  25-44  ;  K.  IV. 
1-46  ;  K.  V.  9-29. 


—  124  — 

pièce  ;  avec  l'aide  des  règles  théoriques  seulement,  et  sans  nulle 
inspiration  dramatique,  Bâna  n'a  réussi  qu'à  faire  une  pièce  au- 
dessous  du  médiocre. 

A  côté  de  Bâna  se  trouve  Mayûra,  son  beau-père  (1),  qui  a  laissé 
un  grand  nom  et  une  grande  réputation  dans  l'Inde,  mais  dont  nous 
ne  possédons  que  peu  d'œuvres.  Un  joli  vers  à  propos  de  Mayïira 
mérite  d'être  signalé  ici  (2)  :  «  Le  chant  des  poètes,  ces  cygnes,  ne 
se  fait  entendre  à  travers  le  monde  qu'aussi  longtemps  que  le  chant 
doux  comme  miel  de  Mayûra  (ou  le  paon)  ne  demeure  point  dans  nos 
oreilles  (3)  », 

Mayûra  a  écrit  un  ouvrage  appelé  ÂrpànmJitàmrda ,  dont  il  existe 
un  manuscrit  non  publié  encore  dans  une  bibliothèque  privée  de 
Surat  (4). 

Son  ouvrage  principal  est  le  SuryaçataJîa  (5),  poème  à  la  gloire  du 
Soleil.  La  tradition  indigène  aime  à  raconter  la  rivalité  littéraire  de 
Bâna  et  de  Mayûra  et  c'est  à  elle  qu'elle  rapporte  complaisamment  le 
Suryarataka.  Voici  ce  que  raconte  à  cet  égard  un  auteur  jaina, 
Merutungâcârya  (6)  : 

«  Autrefois  il  y  avait  à  Ujjayinï  un  pandit,  nommé  Mayûra,  qui 
avait  étudié  les  castras,  et  était  honoré  par  le  roi  Viddha  Bhoja 
(Bhoja  l'aîné).  Il  eut  pour  gendre  Bâna.  Celui-ci  aussi  était  habile. 
Tous  deux  se  jalousèrent  l'un  l'autre,  car  il  est  dit  :  «  Les  ânes,  les 


(1)  I.  A.  vol.  ii,  p.  127.  Madhusûdana,  cité  par  Biihler,  dans  un  commentaire 
sur  le  Sûryaçataha  dit  que  Bâna  et  Mayûra  demeuraient  à  la  cour  du 
Maharaja  Çrï  Harsa,  chef  des  poètes,  auteur  de  la  nâtikâ  appelée  Ratncivalï. 

(2)  Subhasitaratnakoça,  v.  21.  (Bhandarkar,  Report  1SS3-4,  p.  3G0). 
(3j       Tâvat  kavivihaingânâm  dhvanir  lokesu  çamyate  (MS.  çasyate)  | 

Yâvan  no  viçati  çrotre  Mayûramadhuradhvanih  |! 

(4)  Biihler,  Catalogue  of  Sanskrit  MSS.  m  the  private  libraries  ofGuja- 
rat,  etc.  2ième  partie  p.  72. 

(5)  Les  éditions  en  sont  :  Sicryaçataha,  a  century  of  verses  in  praise  of 
the  Sun,  icith  a  Siyihalese  paraphrase.  EcUtecl  with  a  Sinahalese  préface 
hy  Don  A.  de  Silva  Devarakkhita  of  Batuvantuddva,  Colombo,  1883  ;  et 
Sûryaçataha...  with  the  commentary  of  Tribhuvanapdla,  Kâvyamalâ 
N"  19,  1889. 

{())  Selon  Bendall,  Cat.  Sanskrit.  MSS.  British  Musemn,  p.  101,  le  commen- 
tateur s'appelle  Merutungâcârya. 


—  125  — 

bœufs,  les  chevaux,  les  joueurs,  les  pandits  et  les  fripons  ne  se  suppor- 
tent pas  et  ne  peuvent  pas  vivre  les  uns  sans  les  autres  ». 

"  Un  jour  qu'ils  se  querellaient,  le  roi  leur  dit  :  «  Holà,  pandits, 
allez  au  Cachemire.  Le  meilleur  de  vous  deux  sera  celui-là  même  que 
Bhâratr,  qui  y  réside,  jugera  le  meilleur  ».  Ils  prirent  de  la  nourriture 
pour  leur  voyage  et  partirent.  Chemin  faisant,  ils  arrivèrent  au  pays 
des  Mâdhumatas  (au  Cachemire).  Voyant  cinq  cents  bœufs,  des 
fardeaux  sur  le  dos,  ils  demandèrent  aux  conducteurs  :  «  Qu'avez- vous 
là  »  ?  Ils  répondirent  :  «  Des  commentaires  sur  la  syllabe  OM  ».  Un 
peu  plus  tard  ils  virent  au  lieu  de  cinq  cents  un  troupeau  de  deux 
mille  bœufs.  Mais  quand  ils  eurent  appris  qu'ils  étaient  tous  chargés 
de  nouvelles  gloses  différentes  de  la  syllabe  OM,  ils  se  relâchèrent  de 
leur  fierté.  Ils  dormaient  dans  un  certain  endroit,  lorsque  la  déesse 
Sarasvatï  éveilla  Mayûra  et  lui  demanda  un  vers  sur  ce  thème  :  «  Le 
ciel  rempli  d'une  centaine  de  lunes  ».  Il  se  mit  sur  son  séant,  salua, 
et  donna  la  solution  qui  suit  : 

«  Cânuramalla,  étourdi  du  coup  de  la  main  de  Dâmodara,  vit  le 
ciel  rempli  d'une  centaine  de  lunes  ». 

«  La  même  question  fut  aussi  posée  à  Bâna.  Il  répondit  de  méchante 
humeur  :  «  Cette  nuit,  à  cause  des  figures  de  lotus  qui  s'agitaient  ça 
et  là  sur  les  terrasses  élevées,  le  ciel  brilla  comme  s'il  était  rempli 
d'une  centaine  de  lunes  ».  La  déesse  dit  alors  :  «  Poètes,  tous  les  deux 
vous  connaissez  les  castras.  Mais  Bâiia  est  moins  grand,  parce  qu'il 
s'est  mis  de  mauvaise  humeur.  C'est  moi  qui  vous  ai  montré  cette 
quantité  de  commentaires  sur  la  syllabe  OM.  Qui  a  jamais  atteint 
une  connaissance  complète  du  vocabulaire  de  la  déesse  de  la  Parole  ? 
On  a  aussi  dit  :  «  Que  personne  n'ait  de  fierté  et  qu'on  se  garde  de 
dire  :  «  C'est  moi  qui  suis  le  seul  pandit  du  siècle,  les  autres  ne  sont 
que  des  ignorants  »  ;  la  grandeur  d'esprit  n'est  que  relative  ».  C'est 
ainsi  que  Sarasvatï  conclut  entre  eux  deux  un  pacte  d'amitié. 

«  Un  jour  Bâna  se  querella  avec  sa  femme.  La  dame,  étant  très 
fière,  se  mit  à  bouder  et  la  nuit  passait  ainsi.  Mayûra,  en  se  prome- 
nant, arrive  par  là.  Au  bruit  fait  par  le  mari  et  sa  femme  à  travers  la 
fenêtre,  il  s'arrête  pour  écouter  :  Bâna  tombait  aux  pieds  de  sa  femme 
et  lui  disait  :  «  0  ma  femme  fidèle,  pardonne-moi  cette  seule  faute, 
je  ne  te  ferai  plus  la  moindre  contrariété  ».  Elle  lui  donna  un  coup 
de  pied  :  son  pied  était  entouré  d'une  parure.  Mayûra,  qui  se  tenait 
près  de  la  fenêtre,  entendit  le  cliquetis  de  la  parure  et  se  fâcha  de  ce 


—  126  — 

manque  de  respect  envers  le  mari.  Alors  Bâua  récita  une  stance  : 
"  0  toi,  à  la  taille  mince,  la  nuit  qui  est  presque  passée,  fuit  rapide- 
ment comme  un  lièvre  ;  cette  lampe  s'incline  comme  si  elle  était 
lasse  ;  ô  toi,  aux  beaux  sourcils,  ton  cœur  s'est  endurci  par  la  proxi- 
mité de  tes  seins,  de  sorte  que,  hélas  !  tu  ne  quittes  ni  ta  fierté  ni 
ta  colère,  malgré  mes  prostrations  », 

«  A  ces  mots  Mayûra  s'écria  :  «  Ne  lui  dis  pas  qu'elle  a  de  beaux 
sourcils,  mais  qu'elle  est  emportée  (candi),  puisqu'elle  est  en 
colère  ».  En  entendant  ces  dures  paroles,  cette  épouse  fidèle  maudit 
son  père  qui  avait  trahi  le  caractère  de  sa  fille,  et  lui  dit  :  «  Puisses- 
tu  devenir  lépreux  au  contact  du  jus  de  bétel  que  j'ai  dans  la  bouche  ». 
En  ce  moment  des  taches  de  lèpre  lui  apparurent  en  effet  sur  le 
corps.  Le  lendemain,  Bâna  se  rendit  comme  d'habitude  à  la  cour,  et 
fit  le  jeu  de  mots  suivant  sur  Mayûra,  qui  lui  aussi  était  venu  enve- 
loppé d'un  foulard  (varaka)  : 

«  Le  Varakodhï  est  venu  »  (1).  Le  roi  comprit  et,  voyant  les  taches 
de  lèpre,  le  renvoya,  en  disant  :  «  Il  faut  t'en  aller  ».  Mayûra  s'assit 
dans  le  temple  du  Soleil,  et  médita  sur  le  dieu  et  le  loua  en  cent  vers 
{Sùrya-  ou  MayUra-Çataka)  commençant  par  «  jambhârïtîbhakum- 
bhodbhavam  ». 

«  Lorsqu'il  eut  récité  le  sixième  vers,  le  soleil  parut  et  détruisit  les 
taches  de  lèpre.  Le  peuple  se  réjouit  et  le  roi  l'honora.  Bâiia,  affolé 
de  jalousie,  se  fit  couper  mains  et  pieds  et  loua  Candikâ  avec  les  cent 
vers  commençant  par  «  Ma  bhâûksïr  ».  Lorsqu'il  eut  récité  la  sixième 
syllabe  du  premier  vers,  Caudikâ  parut  en  personne  et  lui  rendit  ses 
membres  ». 

Outre  le  Suryaçataka,  Mayûra  écrivit  un  MayUrâstalia.  Une  autre 
légende  jaina  raconte  que  le  poète,  ayant  peint  les  charmes  de  sa 
piopre  fille  dans  ce  poème  avec  des  couleurs  trop  crues,  fut  frappé  de 
la  lèpre  par  la  main  des  dieux  et  qu'il  dut  le  rétablissement  de  sa 
santé  à  la  publication  du  SuryaçataJca.  L'histoire  de  JVIayûra  et  de 
Bâna  est  racontée  aussi  par  Merutuùga  dans  le  Prabandhacintâ- 
mani  (2).  Seulement  dans  cette  version  c'est  Mayûra  qui  querelle  sa 


(1)  Varakodhï,  forme  dialectale,  veut  dire  «  le  bon  lépreux  »,  ou  «  le  por- 
teur d'un  mouchoir  autour  du  cou  ». 

(2)  Prabandhacmtàmani,  traduction   de  Tawney   (Bibliotlieca   Indica) 
pp.  64.  ss. 


—  127  — 

femme  et  Bâaa  qui  devient  lépreux.  L'auteur  a  fait  une  confusion 
évidente.  Entin  des  vers  épars  dans  les  anthologies,  comme  nous 
l'avons  déjà  vu  pour  Bâna  et  pour  Harsa,  sont  attribués  à  Mayûra  (1). 

C'est  à  propos  des  exploits  poétiques  de  JBâna  et  de  Mayûra  que 
nous  faisons  la  connaissance  d'un  autre  poète,  de  Mânatuùga. 
Son  œuvre  la  plus  importante  est  le  BhaMâmarastotra  (2).  C'est 
du  commentaire  sur  cet  ouvrage  que  nous  avons  tiré  le  récit  des 
exploits  légendaires  de  Mayûra  et  de  Bâna  (3).  Selon  la  tradition 
jaina,  Mânatuùga  l'éloquent,  est  de  nature  à  faire  plus  encore  que  ses 
rivaux.  Avec  le  consentement  du  roi,  il  se  fait  mettre  quarante-huit 
paires  de  fers  et  emprisonner  dans  une  cellule  ;  la  porte  est  fermée  à 
sept  cadenas  et  des  gardes  y  sont  placés.  Alors  le  jaina  thaumaturge 
prononce  le  Bhaktamarastotra.  A  chaque  strophe  se  détache  une 
chaîne,  puis  l'un  après  l'autre  tombent  les  cadenas,  et  enfin  la  porte 
s'ouvre  d'elle-même.  Le  roi  Bhoja,  naturellement  étonné  du  pouvoir 
du  maître,  devient  un  jaina  dévot.  Quant  à  Mânatuùga,  cet  Orphée 
indien  (qui  fut  aussi  appelé  Devâcâryapatta,  «  la  couronne  du  précep- 
teur des  dieux  »),  le  commentateur  nous  déclare  gravement  que  tandis 
que  les  uns  lui  assignent  quarante-deux  paires  de  chaînes,  d'autres 
ne  lui  en  prêtent  que  trente-quatre  :  le  nombre  de  cadenas  fixés  à  la 
porte  n'est  pas  spécifié  d'une  manière  plus  précise. 

Ce  BhaJîtclmarastotra  est  un  poème  en  quarante-quatre  strophes  en 
l'honneur  de  Rsabha,  le  premier  tîrthamkara. 

Mânatuùga  est  nombre  de  fois  cité  dans  la  littérature  jaina.  Le  n°  159 
des  Cambay  Palm-Leaf  MSS.  (Peterson,  First  report)  contient  un 
Farigrahapramayiaprakarana  et  (ou)  un  Dvâdaçavratanirîlpana  (les 
deux  en  Mâgadhï)  dus  à  un  certain  Mânatungasûri.  Weber  (Katalog. 
vol.  ii,  p.  932  n.)  donne  la  communication  suivante  de  Klatt  :  «  Le 
PrahhrwaJcacaritra  {comTposé  vers  Sanivat  1250),  dans  lequel  la  vie  de 
Mânatuùga  (çrûga  12)  suit  immédiatement  celle  de  Bappabhalti 
(mort  Samvat  895)  ne  contient  que  l'histoire  déjà  connue  de  la  con- 


(1)  Vallabhadeva,  Subhâsitâvalï,  éd.  Peterson,  p.  86. 

(2)  Les  éditions  en  sont:  Bhaktamarastotra,  hymne  jaina  en  48  vers 
Sanscrits  avec  traduction  en  Marathi  par  Devacancl  Manahcand.  Poona, 
1883,  et  Bhaktamarastotra.  dans  le  Jainastotrasamgraha,  Bombay,  1890. 
Jacob  l'a  traduit  et  publié  dans  «  Indische  Studien  »,  vol.  xiv,  pp.  363,  ss. 
Les  éditions  en  sont  très  fréquentes  dans  l'Inde. 

(3)  Vâsavadattd,  par  Hall.  pp.  8  et  49. 


a 


—  128  — 

troverse  entre  Bâua,  Mayûra  et  Mânatunga  devant  le  roi  Harsa  à 
Vârânasî  «.  Mais  dans  une  Pattâvali  du  Vrhadgaccha  on  nomme 
MâQatuùga  «  Mâlaveçvaracaulukyavayarasimhadevâmâtya  ».  Vaira- 
simha  de  Mâlava  régna  vers  le  commencement  du  neuvième  siècle  (1). 

Dans  «  Kaïpasutra  trsl.  info  hhrJm  »  (Lucknow,  1875)  on  donne 
la  date  du  Bhciktamarastavana  comme  étant  Vikrama  800  (2j. 

Dans  la  Pattàvalï  du  Tapâgaccha,  jVlâuatunga  est  au  n°  20.  «  Mâla- 
veçvaracaulukyavayarasimhadevâmâtya,  qui  convertit  le  roi,  qui  avait 
été  trompé  par  les  sorcelleries  de  Bâua  et  de  Mayûra,  à  Vârânasî, 
par  le  Blialitamarastavana  et  convainquit  Nâgarâja  (un  Nâgarâja 
quelconque,  ou  peut-être  Harsa,  cf.  Nâgânanda  et  I-tsing)  par  le 
Bliayaharastavaiia.  Il  composa  de  plus  un  BhaUihJiarastavana  (3).  » 
Mânatunga  est  aussi  nommé  dans  làFattavali  duKharataragaccha  (4). 

Une  figure  littéraire  des  plus  populaires  dans  l'Inde  est  celle  de 
Bhartihari,  à  la  fois  poète,  grammairien,  philosophe.  Ce  n'est  que 
dans  rinde  qu'une  semblable  combinaison  serait  possible,  et  même  là 
il  n'y  a  presque  point  de  cas  pareil  (5).  C'est  I-tsing  qui  nous  permet 
de  dater  Bhartrhari.  Écrivant  en  690,  il  nous  dit  que  Bhartrhari  est 
mort  quarante  ans  avant  son  temps,  c'est-à-dire  en  651/2,  Par  une 
preuve  incontestable  Bhartrhari  appartient  à  l'époque  dont  nous 
traitons.  Selon  I-tsing,  le  poète  Bhartrhari  étant  devenu  moine 
bouddhiste,  rentra  dans  la  vie  laïque,  puis  revint  à  l'ascétisme  et 
n'hésita  ainsi  pas  moins  de  sept  fois  entre  le  monde  et  le  couvent. 
C'est  de  cette  vie  mouvementée  qu'est  sans  doute  résultée  cette  triple 
centurie,  cette  collection  de  trois  çatakas  (6),  dont  les  sujets  semblent 
assez  mal  assortis  ensemble.  La  première  partie  comprend  des  apho- 
rismes  qui  ont  trait  à  la  civilité  et  qui  semblent  dictés  par  une  raison 
prudente  en  même  temps  que  malicieuse  :  c'est  le  Nltiçataka.  Dans 
la  deuxième,  le  ÇrhgâraçataJca,  le  poète  fait  connaissance  avec  les 
charmes  féminins  et  se  consacre  aux  peintures  les  plus  vives  de 
l'amour.  M.  Macdonell  a  traduit  en  anglais  plusieurs  de  ces  stances 


(1)  Duff,  Chron.  India,  p.  74. 

(2)  Cf.  Peterson,  Fourth  Report. 

(3)  I.  A.  vol.  xi,  p.  252. 

(4)  I.  A.  vol.  xi,  p.  247. 

(5)  Macdonell,  Hist.  Sanskrit  Literature,  p.  340. 

(6)  M.  V.  Henry,  Littératures  de  Vlnde,  pp.  228-235,  donne  la  traduction 
de  plusieurs  stances  de  ces  poèmes  gnomiques. 


—  i-29  — 

desquelles  je  me  permettrai  de  reproduire  celle-ci  qui  est  bien  fine  : 
«  Malgré  la  lampe,  malgré  les  flammes  du  foyer,  malgré  le  soleil,  la 
lune,  les  étoiles,  le  monde  est  entièrement  sombre  pour  moi  sans  la 
lumière  des  yeux  de  ma  belle  ».  A  la  fin,  Bhartrhari  se  fatigue  de 
l'amour.  Il  annonce  que  ses  jours  amoureux  sont  passés  et  qu'il  va 
se  vouer  à  la  contemplation.  C'est  ainsi  qu'il  se  ménage  une  transition 
pour  passer  à  sa  troisième  partie,  le  Vairâgyaçataka^  centurie  du 
Renoncement.  Il  y  prêche  la  pureté  des  mœurs,  la  haine  de  l'amour, 
l'humilité  et  le  cosmopolitisme,  souvent  avec  l'accent  amer  d'un 
homme  désenchanté  ou  plutôt  d'un  jouisseur  blasé. 

En  1897,  K.  B.  Ghule  a  publié  à  Nagpur  un  nouveau  çataka, 
VijhânaçataJca,  qui  dans  son  manuscrit  était  attribué  à  Bhartrhari. 
Il  a  signalé  en  même  temps  un  assez  grand  nombre  de  similitudes 
entre  ce  çataka  et  les  trois  autres.  Il  est  bien  possible  que  ce  soit  une 
imitation  assez  ancienne,  vu  le  grand  succès  qu'a  toujours  obtenu 
Bhartrhari. 

Le  BhaUikclvi/a  est  aussi  attribué  à  Bhartrhari  :  c'est  un  poème  en 
vingt-deux  chants  écrit  au  Valabhï  sous  le  roi  Çrï  Dharasena.  Les 
aventures  fameuses  de  Râma  et  de  Sïtâ  en  font  la  matière,  mais  n'y 
sont  pas  contées  pour  elles-mêmes  ;  c'est  un  poème  didactique  qui 
ne  se  propose  que  d'illustrer  les  règles  de  la  grammaire  sanskrite. 

Bhartrhari  montre  un  autre  aspect  de  son  activité  dans  son  Vâlya- 
padli/a,  commentaire  sur  le  Mahâhhâ.^ya,  le  grand  ouvrage  gramma- 
tical de  Patafijali.  L'ouvrage  traite  surtout  de  la  grammaire  au  point 
de  vue  de  la  philosophie.  I-tsing  mentionne  ainsi  cet  ouvrage  :  «  Il 
contient  sept  cents  çlokas  et  le  commentaire  a  sept  mille  çlokas.  Ceci 
est  l'œuvre  de  Bhartrhari  ;  c'est  un  traité  sur  la  déduction  soutenu 
par  l'autorité  des  écritures  saintes  et  sur  les  arguments  de  l'induc- 
tion »  (1). 

Le  Bharfrharlçâstra,  autre  ouvrage  grammatical,  est  analysé  par 
I-tsing  comme  il  suit  (2)  :  «  C'est  le  commentaire  sur  le  MahâhlK^ya 
de  Patanjali.  C'est  l'ouvrage  du  grand  savant  Bhartrhari.  Il  contient 
vingt-cinq  raille  çlokas  et  traite  entièrement  de  la  vie  humaine,  aussi 
bien  que  de  la  science  grammaticale  ;  il  traite  aussi  des  raisons  de  la 


(1)  I-tsing,  p.  180.  Le  Vâkyapadiya  a  été  édité  par  Pandit  Râma  Çûstrî 
Mânavalî,  Benarès,  1S84-1887.  Cf.  L  A.  vol.  xii,  p.  226. 

(2)  I-tsing,  pp.  178-9. 

9 


—  150  — 

grandeur  et  de  la  décadence  de  nombreuses  familles.  L'auteur  était 
bien  familiarisé  avec  la  doctrine  de  la  seule  science  (Vidyâmâtra) 
et  il  a  discuté  avec  habileté  sur  le  Hetu  et  l'Udâharaiia  (la  «  cause  » 
et  «  l'exemple  »  de  la  logique).  Ce  savant  fut  fameux  dans  les  cinq 
parties  de  llnde,  et  son  excellence  connue  partout.  Il  croyait  avec 
sincérité  aux  Trois  Précieux  et  méditait  avec  diligence  sur  le  «  double 
nihilisme  »  (Çûnya)  (1).  Ayant  désiré  embrasser  la  loi  excellente,  il 
devint  un  moine  sans  famille,  mais  vaincu  par  les  désirs  mondains, 
il  rentra  dans  la  vie  laïque.  De  la  même  manière  il  devint  sept  fois 
moine,  et  sept  fois  il  redevint  laïque.  Il  écrivit  le  vers  suivant  plein 
de  reproches  pour  soi-même  : 

«  Poussé  par  les  désirs  mondains,  je  redevins  laïque.  Libre  des 
plaisirs  mondains,  de  nouveau  je  porte  l'habit  du  moine.  Comment 
se  trouve-t-il  que  ces  deux  motifs  se  jouent  de  moi  comme  d'un 
enfant  ?  n 

La  tradition  hindoue,  elle  aussi,  rapporte  que  Bhartrhari  fut  un 
roi  qui  abandonna  les  plaisirs  du  monde  pour  devenir  ascète  et  qu'il 
hésita  sept  fois  entre  ces  deux  carrières. 

Encore  un  ouvrage  de  grammaire  noté  par  I-tsing  (2)  :  «  Le  Pei-na 
(Bcda  i.  e.  Beda-vrttï)  (3)  contient  trois  mille  çlokas,  et  le  commen- 
taire contient  quatorze  mille  çlokas.  Bhartrhari  composa  les  çlokas 
tandis  qu'on  en  attribue  le  commentaire  à  Dharmapâla,  maître  de  la 
loi.  Ce  livre  sonde  les  mystères  du  ciel  et  de  la  terre,  et  traite  de  la 
philosophie  humaine  ». 

La  grammaire  semble  avoir  un  règne  glorieux  à  cette  époque,  car 
outre  les  ouvrages  de  Bhartrhari  ou  ceux  qui  lui  sont  attribués,  on 
date  de  la  même  époque  le  KâçilMvrtti  dont  Jayâditya  et  Vamana 
furent  les  auteurs.  I-tsing  donne  à  ce  sujet  une  petite  notice  inté- 
ressante (4)  :  «  Le  VrttisFdra  (KcïçiJiâvrtti)  est  un  commentaire  sur  le 
Sûtra  de  Pânini.  Il  y  avait  beaucoup  de  commentaires  composés 


(1)  «  Le  double  nihilisme  »,  c'est-à-dire  que  l'Âtman  et  le  Dharma  sont 
également  non-existants  (Takakusu). 

(2)  I-tsing,  p.  180. 

(3)  Un  ouvrage  de  ce  nom  Beda-vrtti  trouve  dans  Bhandarkar,  Catalogue 
ofthe  MSS.  Deccan  Collège,  Bombay,  1888,  p.  146,  N°  381  ;  et  Aufrecht,  Cat. 
Cat.  p.  198,  sous  Janmâmbhodhi.  Cf.  I-tsing,  pp.  180  et  325. 

(4)  I-tsing,  p.  175. 


-    loi   - 

autrefois,  et  celui-ci  en  est  le  meilleur....  Si  les  Chinois  vont  dans 
l'Inde  pour  étudier,  tout  d'abord  ils  doivent  étudier  cet  ouvrage,  puis 
d'autres  sujets  encore,  sinon  leur  travail  sera  en  pure  perte.  Tous  ces 
livres  doivent  être  appris  par  cœur....  Ils  devront  étudier  jour  et  nuit 
sans  laisser  consumer  un  moment  dans  l'oisiveté.  Us  devraient  suivre 
l'exemple  du  père  K'ung  (Confucius),  qui  usa  trois  fois  la  reliure  en 
cuir  de  son  Tihhing.  Jayâditya  composa  le  VrttisUtra.  Il  fut  un 
homme  de  grande  habileté,  et  il  a  une  facilité  étonnante  pour  les 
lettres.  Il  révérait  les  Trois  Honorables  et  mourut  il  y  a  à  peu  près 
trente  ans  »  (661-2). 

A  cette  époque  studieuse  et  féconde  en  travaux  de  l'intelligence,  les 
sciences  non  plus  ne  furent  pas  négligées.  En  598  naissait  l'astronome 
Brahmagupta.  Il  écrivit  le  Brahmasphutasiddhànta  en  628.  Les 
chapitres  douze  et  dix-huit  de  cet  ouvrage  traitent  des  mathémati- 
ques (1).  Un  autre  astronome  de  cette  époque,  Lalla,  écrivait  le 
Dhîvrcldhida  (2). 

Vers  cette  époque  vécut  le  poète  jaina  Ravikîrti,  qui  fut  l'auteur 
de  l'inscription  d'Aihole  Meguti  de  Pulikeçin  II.  Ses  autres  œuvres 
littéraires  nous  sont  encore  inconnues.  M.  Rice  croit  qu'il  est  peut-être 
identique  au  Ravisenâcârya  qui  écrivit  un  Padma  Fur(ina{Karnâtaka 
Çabdânuçâsanam,  lutro.  p.  19). 

Entre  605  et  615,  le  Çatrunjaya  Malmtmya,  ouvrage  jaina,  fut 
écrit  sous  le  règne  de  Çïlâditya  de  Valabhï  (3).  Les  pèlerins  chinois 
Hiouen  Tsang  et  I-tsing,  l'historien  tibétain  Târanâtha  nous  ont 
maintes  fois  attesté  combien  ce  règne  de  Harsa  fut  riche  en  spécula- 
tions philosophiques  et  religieuses.  Bouddhistes,  brahmanes,  jainas, 
voyons-nous  chez  eux,  se  complaisaient  non  à  produire  des  œuvres 
nouvelles  et  originales  mais  à  composer  des  commentaires  sur  des 
œuvres  classiques.  Aux  universités  de  Nâlandâ  et  d'Ajanta,  on  étudiait 
sans  cesse  les  œuvres  bouddhiques  ;  on  les  expliquait,  on  glosait 
savamment  sur  les  points  obscurs.  L'orientation  même  de  cette  activité 
religieuse  nous  est  un  garant  que  nous  n'y  trouverons  nul  ouvrage 
intéressant  :  se  serait-il  même  trouvé  un  talent  que  cette  vaine  et 


(1)  Cf.  J.  R.  A.  S.  N.  S.  vol.  1,  p.  410.  Ganakataranginî.  The  Pandit,  N.  S. 
vol.  xiv,  p.  18. 

(2)  Cf.  Sewell,  Indian  Calendar,  p.  8. 

(3)  1-tsing,  p.  175. 


—  13-2  — 

puérile  scolastique  l'aurait  infailliblement  étouffé  !  Du  côté  des 
brahmanes  et  des  jainas,  la  récolte  serait  plus  médiocre  :  ici  même  les 
.dates  nous  font  défaut,  nul  historien  ne  nous  ayant  conservé,  comme 
pour  le  mouvement  bouddhique,  la  mémoire  de  leurs  œuvres. 

Terminons  cette  modeste  esquisse  de  la  littérature  à  l'époque  de 
Harsa  en  donnant  un  aperçu  des  méthodes  et  usages  pédagogiques 
de  ce  temps.  I-tsing  nous  fournit  à  ce  sujet  des  données  utiles  (1), 
mais  comme  il  ne  traite  que  de  l'éducation  des  moines  bouddhistes, 
nous  citerons  le  tableau  plus  complet  que  nous  devons  à  Hiouen 
Tsang  (2)  :  «  Pour  ouvrir  l'esprit  des  jeunes  gens  et  les  initier  à  l'étude, 
on  leur  fait  d'abord  suivre  un  livre  en  douze  sections  (3). 

Lorsqu'ils  ont  atteint  l'âge  de  sept  ans,  on  leur  donne  successive- 
ment les  grands  traités  des  cinq  sciences.  Le  premier  s'appelle 
Ching-miug  (la  Science  des  sons  —  Çabdavidyâ)  ;  on  y  expose  le  sens 
des  mots,  et  on  en  explique  les  divers  dérivés. 

Le  second  s'appelle  Kiao-ming  (la  science  des  arts  et  métiers  — 
Çilpasthânavidyâ).  Il  traite  des  arts,  de  la  mécanique,  des  deux 
principes  In  et  Yang  et  du  calendrier. 

Le  troisième  s'appelle  I-fang-ming  (la  science  de  la  médecine  — 
Cikiteâvidyâ).  Il  traite  des  formules  magiques  et  des  sciences  occultes, 
de  la  pierre  médicale  (sorte  de  lancette),  de  l'aiguille  (de  l'acuponc- 
ture) et  de  l'armoise. 

Le  quatrième  s'appelle  In-ming  (la Science  des  causes  —  Hetuvidyâ). 
Dans  cet  ouvrage,  on  examine  et  on  définit  la  vérité  et  l'erreur,  et 
on  recherche  avec  soin  la  nature  du  vrai  et  du  faux. 

Le  cinquième  s'appelle  Nei-ming  (la  Science  des  choses  intérieures 
—  Adhyâtmavidyâ).  Dans  ce  traité,  on  pénètre  et  on  approfondit  le 
caractère  des  cinq  Véhicules  (4)  et  les  principes  subtils  des  causes  et 
des  effets. 


(1)  I-tsing,  pp.  167-185. 

(2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  72. 

(3)  C'est  un  syllabaire  en  12  chapitres,  que  le  dictionnaire  bouddhique 
Fan-i-ming-i-tsi  (liv.  xiv,  fol.  17  a)  appelle  Si-than-chang  {Sicldhavastu) 
(Julien).  Cf.  I-tsing,  pp.  170-1  :  on  n'est  pas  du  tout  certain  quel  était  ce 
livre. 

(4)  Le  mot  Véhicule  est  pris  ici  au  figuré.  Il  indique  les  moyens  employés 
par  cinq  classes  d'hommes  éminents  pour  parvenir  à  la  perfection.  Selon  le 


—  155  — 

Les  brahmanes  étudient  les  quatre  Vedas.  Le  premier  s'appelle 
Cheou  (longévité  —  Âpur  Veda)  (1).  Il  traite  des  moyens  de  conserver 
la  vie  et  de  corriger  le  naturel  de  l'homme.  Le  second  s'appelle  Sse 
(sacrifices  —  Yajur  Veda)  (2).  Il  traite  des  divers  sacrifices  et  des 
prières.  Le  troisième  s'appelle  P'ing  (pacification  —  Sà^na  Veda)  (3). 
Il  traite  des  rites  et  des  cérémonies,  de  la  divination,  de  l'art  de  la 
guerre  et  des  différents  corps  d'armée.  Le  quatrième  s'appelle  Chou 
(sciences  occultes  —  Atliarva  Veda).  Cet  ouvrage  traite  des  talents 
extraordinaires,  tels  que  les  formules  magiques  et  la  science  de  la 
médecine  (4).  Les  maîtres  doivent  avoir  largement  étudié  ce  que  ces 
livres  renferment  de  plus  subtil  et  de  plus  caché,  et  en  avoir  pénétré 
complètement  les  principes  mystérieux.  Ils  en  enseignent  le  sens 
général  et  guident  leurs  disciples  dans  l'intelligence  des  expressions 
obscures.  Ils  les  stimulent  et  les  attirent  avec  habileté.  Ils  éclairent 
les  ignorants  et  donnent  de  l'énergie  aux  esprits  médiocres.  Mais, 
s'ils  rencontrent  des  élèves  qui,  doués  de  capacité  et  d'intelligence, 
songent  à  fuir  pour  se  soustraire  à  leurs  devoirs,  ils  les  attachent  et  les 
tiennent  enfermés.  Quand  les  étudiants  ont  terminé  leur  éducation 
et  qu'ils  ont  atteint  l'âge  de  trente  ans,  leur  caractère  est  formé  et 


dictionnaire  San-thsang-fa-su,  (liv.  xxii,  fol.  16)  il  y  a  cinq  sortes  de  Véhi- 
cules :  1°  le  Véhicule  de  Buddha  ;  2°  le  Véhicule  des  Bodhisattvas  ;  Z"  le 
Véhicule  des  Pratyeka  Buddhas  ;  4°  le  Véhicule  des  Çrâvakas,  qui  ont 
acquis  l'intelligence  (Bodhi)  après  avoir  entendu  la  voix  du  Buddha  ;  5"^  le 
Véhicule  des  Upâsakas  (Julien). 

(1)  Fan-i-ming-i-tsi ,  liv.  xiv,  fol.  17  :  '0-yeou  (Aî/wr  Yecla).  (Julien). 

(2)  Fan-i-ming-i-tsi,  liv.  xiv,  fol.  17  :  Tchou-ye,  UsezYe-tchou  [Yajur 
Veda).  (Julien). 

(3)  Fan-i-ming-i-tsi,  liv.  xiv,  fol.  17  ;  P'o-mo  lisez  So-mo  [Sama  Yeda) 

(Julien). 

(4)  On  lit  dans  le  Mo-teng-Jiing  {Mâtaiiga  sûtra)  :  "  Au  commencement, 
un  homme  appelé  Fan'thien  (Brahma)  composa  un  seul  Veda. Ensuite,  il  y  eut 
un  rsi  du  nom  de  Pe-tsing,  qui  changea  le  Veda  unique  en  quatre  Vedas, 
savoir  :  1°  Tsan-song  (Hymnes-i2^  Veda)  ;  2-^  Tsi-sse  (Sacrifices  —  Yajur 
Veda)  ;  3°  Ko-yong  (Chants  -  Sàma  Veda)  ;  4°  Yang-tsai  (le  livre  pour  con- 
jurer les  calamités  —  Atharva  Veda)  11  y  eut  un  autre  j'?i,  nommé  Fo-cha 
(peut-être  Vâjasaneyi  dont  l'école  développa  le  Yajur  Veda  blanc  par  distinc- 
tion du  Veda  noir),  qui  avait  vingt-cinq  disciples.  Ils  prirent  chacun  le  Veda 
unique,  le  dôveloppèicnt  et  le  divisèrent;  de  sorte  (lu'il  y  eut  vingt-cinq 
Vedas.  (Fa-hoa-wen-hiu,  livre  ix^,  fol.  3).  (Julien). 


—  134  — 

leur  savoir  est  mûr.  Lorsqu'ils  ont  obtenu  un  emploi  et  un  traitement, 
ils  commencent  par  remercier  leur  maître  de  ses  bienfaits.  Il  y  en  a 
qui,  versés  dans  les  choses  anciennes  et  les  aimant  avec  passion, 
ge  retirent  à  l'écart  et  conservent  la  pureté  de  leur  caractère.  Us 
vivent  en  dehors  du  monde,  et  s'élancent  par  un  libre  essor,  au  delà 
des  choses  du  siècle.  Ils  sont  insensibles  à  la  gloire  comme  à  la 
disgrâce.  Quand  leur  nom  a  retenti  au  loin,  les  princes  leur  témoignent 
une  haute  estime,  mais  aucun  d'eux  ne  peut  les  contraindre  à  venir 
jusqu'à  lui.  Le  roi  honore  leur  rare  pénétration,  et  le  peuple  apprécie 
leur  haute  intelligence.  On  les  comble  de  louanges  pompeuses  et  de 
brillants  honneurs.  Voilà  pourquoi  ils  peuvent  s'affermir  dans  leur 
résolution  et  étudier  avec  ardeur  ;  ils  se  livrent  aux  lettres  sans 
songer  à  la  fatigue.  Us  se  dévouent  à  l'humanité  et  cherchent  à 
s'instruire  sans  s'inquiéter  d'un  voyage  de  mille  li.  Quoiqu'ils  soient, 
chez  eux,  riches  et  opulents,  ils  conservent  les  goûts  d'un  voyageur, 
et  errent  en  mendiant  pour  se  procurer  leur  subsistance.  D'autres, 
quoique  attachant  du  prix  aux  connaissances  littéraires,  ne  rougissent 
point  de  consumer  leur  fortune.  Ils  voyagent  pour  leur  plaisir  et 
négligent  leurs  devoirs  :  ils  se  livrent  à  de  folles  dépenses  pour  leur 
nourriture  et  leurs  vêtements.  Comme  ils  ne  savent  point  se  distin- 
guer par  la  vertu,  ni  par  le  zèle  pour  l'étude,  la  honte  et  le  déshon- 
neur viennent  à  la  fois  fondre  sur  eux,  et  le  bruit  de  leur  ignominie 
se  répand  au  loin.  « 


CHAPITRE  IV. 
La  condition  sociale    de  l'Inde  d'après   les  données   d'un 

CONTEMPORAIN,  HlOUEN  TsANG. 


Les  différentes  familles  se  divisent  en  quatre  classes  ou  castes.  La 
première  est  celle  des  brahmanes.  Ce  sont  des  hommes  d'une  vie 
sans  tache.  Ils  observent  la  vertu  et  pratiquent  la  droiture.  La  pureté 
la  plus  sévère  est  la  base  de  leur  conduite.  La  seconde  est  celle  des 
ksatriyas  ;  c'est  la  race  royale.  Depuis  des  siècles,  ils  se  succèdent 
sur  le  trône  et  s'appliquent  à  exercer  l'humanité  et  la  miséricorde. 
La  troisième  est  celle  des  vaiçyas  ;  ce  sont  les  marchands.  Ils  se 
livrent  au  négoce  et  l'amour  du  lucre  les  pousse  de  tous  côtés.  La 
quatrième  est  celle  des  çûdras  ;  ce  sont  les  laboureurs.  Ils  emploient 
leurs  forces  à  la  culture  des  terres  et  travaillent  avec  ardeur  pour 
faire  les  semailles  et  la  récolte.  Dans  ces  quatre  familles,  la  pureté  ou 
l'impureté  de  la  caste  assigne  à  chacun  une  place  séparée.  Quand  les 
hommes  ou  les  femmes  se  marient,  ils  prennent  un  rang  élevé  ou 
restent  dans  une  condition  obscure,  suivant  la  différence  de  leur 
origine.  Les  parents  du  mari  ou  de  la  femme  ne  peuvent  s'unir  entre 
eux  par  des  mariages.  Quand  une  femme  s'est  mariée  une  fois,  il  lui 
est  défendu  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  de  convoler  en  secondes  noces  (1). 

Les  autres  familles  de  l'Inde  forment  des  classes  nombreuses  qui, 
suivant  leur  condition,  se  rapprochent  et  se  marient  entre  elles  ;  ils 
serait  superflu  de  les  faire  connaître  en  détail. 

Les  vêtements  ne  sont  ni  taillés  (2),  ni  façonnés.  Les  Indiens  esti- 
ment beaucoup  les  étoffes  d'un  blanc  pur,  et  dédaignent  celles  qui  sont 
bigarrées.  Les  hommes  enveloppent  leur  ceinture  et  leurs  aisselles, 

(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  80. 

(2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  68. 


—  156  — 

posent  leur  bonnet  en  travers  et  rejettent  à  droite  les  pans  de  leur 
vêtement. 

Les  femmes  ont  une  robe  longue  qui  retombe  jusqu'à  terre.  Leurs 
épaules  sont  complètement  couvertes  ;  elles  relèvent  une  partie  de 
leurs  cheveux  sur  le  sommet  de  la  tête  en  forme  de  crête,  et  laissent 
flotter  tous  les  autres. 

Il  y  a  des  hommes  qui  coupent  leurs  moustaches,  et  qui  se  distin- 
guent par  une  mode  bizarre  :  ils  ornent  leur  tête  de  guirlandes  de 
fleurs  et  leur  cou  de  riches  colliers. 

Ils  portent  diverses  sortes  de  vêtements,  savoir  :  V  des  vêtements 
de  kauçeya  (1),  de  coton,  de  toile,  etc.  ;  2"  des  vêtements  de  ksauma, 
qui  est  une  sorte  de  chanvre  ;  8"  des  vêtements  de  kambala,  tissés 
avec  de  la  fine  laine  de  mouton  ;  4°  des  vêtements  de  ho-la-li  (2). 
Ces  derniers  sont  fabriqués  avec  les  poils  d'un  animal  sauvage,  qui 
sont  assez  tins  et  souples  pour  être  filés.  C'est  pourquoi  on  en  fait 
grand  cas  et  on  les  emploie  pour  faire  des  habits. 

Dans  rinde  du  nord  où  le  climat  est  froid,  on  porte  des  vêtements 
courts  et  étroits,  qui  ressemblent  beaucoup  à  ceux  des  peuples  bar- 
bares. 

Les  ksatriyas  et  les  brahmanes  qui  ont  des  habitudes  simples  et 
modestes,  recherchent,  en  ce  genre,  la  propreté  et  l'économie.  Le  roi 
et  ses  ministres  diffèrent  grandement  par  leurs  vêtements  et  leurs 
parures  (3).  Ils  ornent  leur  tête  de  guirlandes  de  fleurs  et  de  bonnets 
chargés  de  pierres  précieuses  et  portent  des  bracelets  et  des  colliers. 
Il  y  a  de  riches  marchands  qui  n'ont  que  des  bracelets  pour  tout 
ornement.  En  général,  les  Indiens  marchent  nu-pieds,  et  font  rare- 
ment usage  de  chaussures.  Ils  teignent  leurs  dents  en  rouge  ou  en 
noir  ;  ils  réunissent  leurs  cheveux  et  percent  leurs  oreilles.  Ils  ont  un 
long  nez  et  de  grands  yeux.  Tel  est  leur  air  et  leur  extérieur. 

La  série  des  rois  (4)  ne  se  compose  que  de  ksatriyas  qui,  dans 
l'origine,  se  sont  élevés  au  pouvoir  par  l'usurpation  du  trône  et  le 
meurtre  du  souverain.  Quoiqu'ils  soient  issus  de  familles  étrangères, 
leur  nom  est  prononcé  avec  respect. 


(1)  Kauçeya  désigne  la  soie  des  vers  à  soie  sauvages. 

(2)  Karâla  (Beal). 

(3)  H.  T.  vol.  ii,  p.  81. 

(4)  H.  T.  vol.  ii,  p.  71. 


—   157  — - 

Qaaad  le  roi  se  lève  (1),  des  musiciens  battent  le  tambour  et 
chantent  aux  sons  de  la  guitare  (2). 

Quand  le  roi  est  mort  (3),  on  désigne  d'abord  le  prince  qui  doit  lui 
succéder,  afin  qu'il  préside  aux  funérailles  et  détermine  les  rangs  des 
supérieurs  et  des  inférieurs.  Pendant  sa  vie,  on  lui  donne  un  titre 
honorifique  qui  rappelle  ses  vertus  ;  quand  il  est  mort,  on  ne  lui 
décerne  point  de  titre  posthume. 

On  compte  neuf  degrés  dans  les  marques  extérieures  du  respect  : 
P  On  prend  la  parole  et  l'on  adresse  à  quelqu'un  des  paroles  obli- 
geantes ;  2°  on  incline  sa  tète  devant  lui,  en  signe  de  respect  ;  3°  on 
lève  les  mains  et  on  le  salue  en  restant  droit  ;  4°  on  joint  les  mains 
et  on  abaisse  la  tête  au  niveau  de  la  ceinture  ;  5°  on  fléchit  (un 
instant)  les  genoux  ;  6°  on  reste  longtemps  à  genoux  ;  7°  on  s'appuie 
sur  la  terre  à  l'aide  des  mains  et  des  genoux  ;  8"  on  fléchit  à  la  fois 
les  cinq  parties  arrondies  (4)  ;  9°  on  jette  à  terre  ses  cinq  membres  (5). 
La  plus  grande  de  ces  démonstrations  de  respect  consiste  à  s'age- 
nouiller devant  quelqu'un  après  l'avoir  salué  une  fois,  et  à  exalter 
ses  vertus.  De  loin,  on  frappe  la  terre  de  son  front,  ou  bien  on  incline 
sa  tète  en  l'appuyant  sur  ses  mains.  De  près,  on  baise  les  pieds  d'une 
personne  et  l'on  caresse  ses  talons. 

Toutes  les  fois  qu'un  Indien  veut  adresser  la  parole  à  quelqu'un  et 
recevoir  ses  ordres,  il  relève  son  propre  vêtement  et  fait,  devant  lui, 
une  longue  génuflexion.  L'homme  honorable  et  sage,  qui  a  reçu  cette 
salutation,  doit  lui  parler  d'un  ton  bienveillant.  Tantôt  il  lui  touche 
doucement  le  sommet  de  la  tête  ;  tantôt  il  lui  caresse  le  dos  avec  la 
main  ;  puis  il  l'instruit  et  le  dirige  par  de  salutaires  avis  pour  lui 
témoigner  son  aiïection. 

Lorsqu'un  çramana,  qui  est  sorti  de  la  famille,  a  reçu  de  telles 

(1)  Julien  traduit  :  "  se  dispose  à  sortir  »  ;  Beal  par  :  «  se  lave  »  ;  nous 
croyons  donner  un  meilleur  sens. 

(2)  H.  T.  vol.  ii,  p.  88. 

(3)  H,  T.  vol.  ii,  p.  85. 

(4)  Suivant  le  Fa-yoïcen-chou-îin,  liv.  xxviii,  fol.  18,  il  s'agit  ici  des  deux 
coudes,  des  deux  genoux  et  du  sommet  de  la  tête. 

(5)  C'est-à-dire,  les  genoux,  les  bras  et  la  tête,  suivant  le  Fa-yoïœn- 
shou-lin,  liv.  xxviii,  loi.  18.  C'est  ce  qu'on  appelle  en  sanscrit,  '  Pancâfiga  ', 
(Wilson,  Dict.  sansorit,  p.  494)  «  Révérence  by  extending  the  hands,  bend- 
ing  the  knees  and  the  head  ». 


—  158  — 

marques  de  respect,  il  se  contente  de  prononcer  un  souhait  favorable. 

Les  Indiens  ne  se  bornent  pas  à  s'agenouiller  et  à  saluer.  Suivant 
l'objet  qu'ils  révèrent  (1),  il  y  en  a  beaucoup  qui  tournent  autour, 
tantôt  une  seule  fois,  tantôt  deux  ou  trois  fois.  Si  les  sentiments  dont 
ils  sont  animés  depuis  longtemps,  exigent  un  plus  grand  nombre  de 
tours,  ils  suivent  leur  volonté. 

Ils  observent  rigoureusement  les  règles  de  la  propreté  (2),  et  sur 
ce  point,  il  serait  impossible  de  les  faire  changer.  Avant  de  manger, 
ils  ne  manquent  jamais  de  se  laver  les  mains  :  ils  ne  touchent  pas 
une  seconde  fois  aux  restes  des  mets. 

Les  vases  de  table  ne  passent  point  d'une  personne  à  une  autre. 
Dès  qu'un  ustensile  de  terre  ou  de  bois  a  servi  une  fois,  il  faut  abso- 
lument le  jeter.  Les  vases  d'or,  d'argent,  de  cuivre  ou  de  fer  doivent, 
après  chaque  repas,  être  frottés  et  polis.  Quand  les  Indiens  ont  achevé 
de  manger,  ils  se  nettoyent  les  dents  avec  une  petite  branche  d'osier, 
et  se  lavent  les  mains  et  la  bouche. 

Avant  d'offrir  un  sacrifice,  ou  d'adresser  des  prières  (aux  dieux) 
ils  se  lavent  et  se  baignent. 

Toutes  les  fois  qu'un  homme  tombe  malade  (3),  il  s'abstient  de 
nourriture  pendant  sept  jours.  Dans  cet  intervalle,  il  y  en  a  beau- 
coup qui  guérissent.  S'ils  ne  recouvrent  pas  la  sauté,  ils  prennent  des 
médicaments  qui  pont  différents  d'espèces  et  de  noms.  Les  médecins 
se  distinguent  par  la  manière  d'observer  (les  maladies).  Lorsqu'un 
homme  est  mort,  les  personnes  qui  assistent  à  ses  funérailles  pleurent 
et  se  lamentent  en  poussant  de  grands  cris.  Elles  déchirent  leurs 
vêtements,  s'arrachent  les  cheveux,  se  frappent  le  front,  et  se  meur- 
trissent le  sein.  Quant  à  la  forme  des  vêtements  de  deuil,  il  n'en  est 
point  question  ;  il  n'y  a  pas  non  plus  de  termes  fixes  pour  le  deuil. 

Il  y  a  trois  manières  de  rendre  les  derniers  devoirs  aux  morts.  La 
première  s'appelle  les  funérailles  par  le  feu.  On  amasse  du  bois 
sec  et  on  brûle  (le  corps).  La  seconde  s'appelle  les  funérailles  par 
l'eau.  On  jette  le  corps  dans  une  rivière  profonde  et  on  l'abandonne 
au  courant.  La  troisième  s'appelle  l'enterrement  dans  un  lieu  sauvage. 
On  laisse  le  corps  dans  une  forêt  oii  il  devient  la  proie  des  bêtes 
fauves. 


(1)  En  sanskrit  «  pradaksina  ». 

(2)  H.  H.  vol.  ii,  p.  70. 

(3)  H.  T.  vol.  ii,  p.  87. 


—  159  — 

Dans  une  maison  où  quelqu'un  vient  de  mourir,  personne  ne  goûte 
de  nourriture  ;  mais,  après  les  funérailles,  chacun  reprend  ses  habi- 
tudes ;  on  ne  célèbre  point  l'anniversaire  de  la  mort.  Tous  ceux  qui 
ont  assisté  aux  funérailles  sont  regardés  comme  impurs  ;  on  ne  les 
reçoit  qu'après  qu'ils  se  sont  tous  baignés  hors  des  murs  de  la  ville. 

Quant  aux  vieillards  accablés  d'années,  qui  voient  approcher  le 
terme  de  leur  vie,  et  à  ceux  qui,  réduits  à  une  faiblesse  extrême  ou 
atteints  d'une  grave  maladie,  craignent  de  languir  jusqu'à  la  fin  de 
leurs  jours,  ils  se  dégoûtent  de  la  vie  et  désirent  quitter  ce  monde. 
D'autres,  fatigués  des  vicissitudes  de  la  vie  et  de  la  mort,  aspirent  à 
s'éloigner  des  voies  du  siècle.  Après  avoir  reçu  de  leurs  parents  et  de 
leurs  amis  un  repas  d'adieu,  aux  sons  des  instruments  de  musique, 
ils  montent  sur  un  bateau  qu'on  manœuvre  à  force  de  rames  ;  ils 
passent  le  Gange,  et  se  noient  au  milieu  du  courant.  Par  là,  ils 
espèrent  renaître  au  milieu  des  Devas  ;  on  en  compte  un  sur  dix.  Il 
y  en  a  d'autres  qui,  n'ayant  pas  encore  complètement  renoncé  aux 
erreurs  du  siècle,  sortent  de  la  famille  et  adoptent  la  vie  des  reli- 
gieux, dont  la  règle  exclut  les  cris  et  les  lamentations.  Si  leurs  père 
et  mère  viennent  à  mourir,  ils  récitent  des  prières  pour  les  remercier 
de  leurs  bienfaits  ;  ils  président  pieusement  à  leurs  obsèques  et 
longtemps  après  leur  offrent  encore  des  sacrifices  funèbres.  Par  là, 
ils  leur  assurent  le  bonheur  dans  l'autre  vie. 

Dans  les  villes  et  les  villages  (1),  les  maisons  s'élèvent  dans  la 
direction  de  l'est  à  l'ouest  (2)  ;  les  rues  et  les  ruelles  sont  tortueuses  ; 
on  voit  des  marchés  clos  au  milieu  de  la  voie  publique  (3),  et  là,  sur 
deux  lignes,  les  boutiques  des  marchands  avec  leurs  enseignes.  Les 
bouchers,  les  pêcheurs,  les  coméJiens,  les  bourreaux,  et  ceux  qui 
enlèvent  les  ordures,  sont  relégués  en  dehors  des  villes,  et  leurs 
habitations  sont  notoirement  désignées.  Quand  ils  vont  et  viennent 
dans  les  villages,  ils  se  retirent  sur  le  côté  gauche  du  chemin  (4). 

Comme  le  terrain  est  bas  et  humide,  la  plupart  des  villes  sont 


(1)  H.  T.  vol.  ii,  p.  66. 

(2)  Beal  traduit  :  «  Les  villages  et  les  villes  ont  des  portes  d'intérieur  ».  5e- 
yu-hi,  vol.  i,  p.  73.  Son  texte  paraît  différer  de  celui  de  Julien. 

(3)  Beal  traduit  ici  :  «  Les  rues  sont  sales  ». 

(4)  Beal  ajoute  ici  :  «  Leurs  maisons  sont  entourées  de  murs  bas  et  forment 
les  faubourgs  «. 


—  140  — 

bâties  en  briques.  Quant  aux  murs  (1),  ils  sont  quelquefois  formés 
d'un  assemblage  de  pieux  ou  de  bambous.  Les  édifices  publics,  avec 
leurs  tours  et  leurs  belvédères,  les  maisons  en  bois  avec  leurs  plates- 
formes,  sont  enduits  de  chaux  et  couverts  en  tuiles.  Les  différents 
bâtiments  ont  la  même  forme  qu'en  Chine.  On  les  couvre  tantôt  avec 
des  joncs,  tantôt  avec  des  herbes  sèches  ;  quelquefois  avec  des  tuiles 
ou  des  planches.  Les  murs  ont  une  couche  de  chaux  pour  tout  orne- 
ment, et  l'on  enduit  le  sol  avec  de  la  bouse  de  vache  pour  le  rendre 
pur  ;  puis  on  y  répand  des  fleurs  de  la  saison.  Voilà  en  quoi  leurs 
maisons  diffèrent  des  nôtres. 

Les  sanghârâmas  (couvents)  sont  construits  avec  un  art  extraordi- 
naire. Aux  quatre  angles  s'élèvent  des  pavillons  à  trois  étages.  Les 
solives  et  les  poutres  sont  ornées  de  sculptures  élégantes  ;  les  portes, 
les  fenêtres  et  les  parois  des  murs  sont  couvertes  de  peintures  de 
différentes  couleurs. 

Les  habitations  des  hommes  du  peuple  (2)  sont  élégantes  au-dedans 
et  simples  au  dehors.  La  chambre  à  coucher  et  la  salle  du  milieu  (3) 
varient  en  hauteur  et  en  largeur  ;  mais  la  forme  et  la  conslruction 
des  tours  et  des  pavillons  à  plusieurs  étages  n'ont  rien  de  déterminé. 
Les  portes  s'ouvrent  à  l'orient  ;  c'est  aussi  de  ce  côté  qu'est  tourné 
le  trône  du  roi. 

Les  climats  et  les  qualités  du  sol  étant  fort  différents  (4),  les  pro- 
duits de  la  terre  offrent  aussi  une  grande  variété.  Les  fleurs  et  les 
plantes,  les  fruits  et  les  arbres  diffèrent  autant  par  leurs  espèces  que 
par  leurs  noms.  On  remarque,  par  exemple,  les  suivants  :  l'amala, 
l'âmla,  le  madhuka,  le  bhadra,  le  kapittha,  l'amalâ,  le  tinduka, 
l'udumbara,  le  moca,  le  nârïkela,  le  panasa.  Il  serait  difficile 
d'énumérer  toutes  les  espèces  de  fruits  ;  on  a  cité  sommairement 
ceux  que  les  hommes  estiment  le  plus.  Quant  aux  fruits  du  jujubier, 
du  châtaignier  et  du  kaki,  ils  sont  inconnus  dans  Tlnde.  Depuis  que 
le  poirier,  le  prunier  sauvage,  le  pêcher,  l'amandier,  la  vigne  et 
autres  arbres  à  fruits  ont  été  apportés  du  royaume  de  Cachemire,  on 
les  voit  croître  de  tous  les  côtés.  Les  grenadiers  et  les  orangers  à 


(1)  Beal  traduit  :  "  Les  tours  sur  les  murs  ». 

(2)  Beal  traduit  :  «  Des  moines  ». 

(3)  Beal  traduit  :  «  Au  milieu  de  la  maison  est  la  salle,  haute  et  grande  »  ; 
les  moines  dormaient  dans  leurs  cellules,  et  non  pas  dans  un  dortoir. 

(4)  H.  T.  vol.  ii.  p.  91. 


—  141  — 

fruits  doux  se  cultivent  dans  tous  les  royaumes  de  l'Inde. 

Les  laboureurs  cultivent  les  champs,  et  se  livrent  à  tous  les  travaux 
agricoles.  Ils  labourent  et  sarclent,  sèment  et  récoltent  suivant  les 
saisons  ;  chacun  se  repose  après  avoir  travaillé.  Parmi  les  produits 
de  la  terre,  le  riz  et  le  blé  dominent.  Au  nombre  des  légumes  et  des 
plantes  potagères,  on  compte  le  gingembre,  la  moutarde,  les  melons 
et  les  courges.  Les  plantes  d'une  odeur  forte,  les  oignons,  les  ciboules 
sont  rares  ;  il  y  a  aussi  peu  de  personnes  qui  en  mangent.  Si  quel- 
qu'un en  fait  usage  dans  sa  maison,  on  l'expulse  hors  des  murs  de  la 
ville.  On  se  nourrit  ordinairement  de  gâteaux  de  farine  de  grains 
torréfiés,  dans  laquelle  on  mêle  du  lait,  de  la  crème,  du  beurre, 
de  la  cassonade,  du  sucre  solide,  de  l'huile  de  moutarde  (Sinapis 
glauca)  (1).  Le  poisson,  le  mouton,  le  daim,  le  cerf,  se  servent  en 
tout  temps,  soit  par  quartiers,  soit  en  tranches  minces.  Pour  ce  qui 
regarde  les  bœufs,  les  ânes,  les  éléphants,  les  chevaux,  les  porcs,  les 
chiens,  les  renards,  les  loups,  les  lions  et  les  singes,  la  loi  défend  de 
les  manger.  Ceux  qui  en  font  leur  nourriture  sont  couverts  de  honte 
et  de  mépris,  et  ils  deviennent  pour  tout  le  monde  un  objet  de  haine 
et  de  dégoût.  Repoussés  de  la  société,  ils  vivent  en  dehors  des  murs 
de  la  ville,  et  ne  se  montrent  que  rarement  parmi  les  hommes. 

Quant  aux  vins  et  aux  liqueurs,  on  en  distingue  plusieurs  sortes. 
Le  jus  des  raisins  et  des  cannes  à  sucre  est  le  breuvage  des  ksatriyas  ; 
la  liqueur  forte  tirée  de  grains  fermentes  est  celle  des  vaiçyas.  Les 
çramauas  et  les  brahmanes  boivent  le  jus  du  raisin  ou  celui  de  la 
canne  à  sucre,  qui  diffèrent  tout  à  fait  du  vin  distillé. 

Les  diverses  familles  et  les  classes  de  basse  condition  n'ont  rien 
qui  les  sépare  et  les  distingue  ;  seulement,  les  vases  dont  elles  se 
servent  diffèrent  notablement  par  le  travail  et  la  matière.  Les  Indiens 
sont  abondamment  pourvus  d'ustensiles  appropriés  à  tous  leurs 
besoins.  Quoiqu'ils  fassent  usage  de  marmites  et  de  casseroles,  ils  ne 
connaissent  point  les  vases  de  terre  appelés  Tseng  pour  faire  cuire 
le  riz  (2).  Ils  ont  beaucoup  de  vases  en  argile  séchée  et  se  servent 
rarement  de  cuivre  rouge.  Ils  mangent  dans  un  seul  vase,  apprêtent 


(1)  Voyez  le  Bulletin  de  la  Société  d'acchmatation  de  Paris,  vol.  iii,  mai, 
1856,  p.  245  (Julien). 

(2)  C'est  un  vase  en  terre,  surmonté  d'un  étage  à  clairevoie,  pour  cuire  le 
riz  à  la  vapeur  (Julien). 


—  14-1  — 

les  mets  avec  divers  assaisonnements  et  les  prennent  avec  les  doigts. 
Ils  ne  font  usage  ni  de  cuillers  ni  de  bâtonnets  ;  mais,  lorsqu'ils  sont 
malades,  ils  se  servent  de  cuillers  de  cuivre. 


I 


« 


APPENDICE  I. 


LES    INSCRIPTIONS    DE    HAR§A. 


I.  Plaque  de  Madhuban  (631). 

Cette  plaque  fut  découverte  eu  Janvier  1888  dans  un  champ  près 
du  village  de  Madhuban  dans  la  Nathûpâr  pargana  du  Sagrï  Tahsïl 
dans  le  district  Azamgarh  de  la  division  de  Benarès  des  United 
Provinces  ;  elle  se  trouve  actuellement  au  musée  de  Lucknow. 
L'inscription  donne  le  village  de  Somakundakâ  dans  le  Kundadhânï 
vlsaya  du  Çrâvastï  bhuMi,  qui  avait  été  occupé  auparavant  par  un 
brahmane  à  l'aide  d'une  charte  falsifiée,  à  deux  autres  brahmanes. 
Des  localités  mentionnées  dans  l'inscription,  Kapitthikâ  est  probable- 
mont  le  Kie-pi-tha  (Kapitha)  de  Hiouen  Tsang,  (Beal,  6'i-yu-Ki, 
vol.  i,  p.  202),  qui  est  Sâmkâcya,  identifié  par  Cunningham  ('Arch. 
Survey  India,  vol.  i,  p.  241)  avec  le  Saûkisa  (Imp.  Gaz.  India. 
2^  éd.  vol.  12,  p.  223)  moderne  sur  le  fleuve  Kâlïnadï,  quarante 
milles  au  nord-ouest  de  Canoge.  Çrâvastï,  d'après  laquelle  fut  nommée 
la  Çrâvastï  bhulU,  est  le  Sahet-Mahet  (J.  B.  A.  vol.  67,  pp.  289-90) 
moderne  dans  le  Gonda  district  d'Oudh.  Kundadhânï,  d'où  le  Kunda- 
dhânï visdT/a  reçut  son  nom,  et  le  village  de  Somakundakâ  n'ont  pas 
été  identifiés.  La  donation  est  datée  de  630/1  (publiée  E.  L  vol.  vii, 
p.  155). 

En  outre  de  la  plaque  de  Madhuban,  nous  en  avons  une  qui  est 
tout  à  fait  semblable.  C'est  celle  de  Bhanskera. 


IL  Plaque  de  Bhanskeba  (628). 

Cette  plaque  (publiée  E.  L  vol.  iv,  p.   208.)  fut  découverte  en 
Septembre  1894,  au  village  de  Bhanskera,  à  vingt-cinq  milles  de 


—  144  — 

Shâhjahâopur,  et  fut  présentée  au  Lucknow  Muséum.  Un  sceau  y 
était  attaché,  mais  tout  à  fait  illisible  ;  il  paraît  avoir  été  de  la  même 
grandeur  que  le  sceau  de  Sonpat  publié  par  Fleet. 
•  Les  receveurs  sont  deux  brahmanes  du  Bhâradvâja  gotra,  Bâla- 
candra,  un  Rgvedin,  et  Bhadrasvâmin,  un  Sâmavedin.  Le  village 
donné,  Markatasâgara,  se  trouvait  dans  le  hhulii  d'Ahicchattrâ 
(Râmnagar)  et  dans  le  pathaka  occidental  de  rAiigadïya  visaya. 
Parmi  les  personnes  officielles  mentionnées  dans  la  fin  de  ce  document, 
l'archiviste  (mahâksapatalâdhikaranâdhikrta)  Bhâna  ou  Bhânu,  est 
nouveau.  Le  dûtaka,  Skandagupta,  est  la  même  personne  qui  était 
chargée  de  l'exécution  de  la  donation  de  Madhuban.  Comme  graveur 
nous  avons  îçvara  au  lieu  de  Gurjara.  La  date  est  samvat  (c'est-à-dire 
Harsa-samvat)  22  Kârttika  babi,  est  antérieure  de  trois  ans  à  celle  de 
la  plaque  de  Madhuban,  et  se  trouve  en  628  9.  A  la  fin  nous  avons 
une  grifi'e  qui  est  peut-être  la  signature  de  Harsa  lui-même,  mais  qu'on  , 
peut  aussi  attribuer  au  graveur. 

in.  Sceau  de  Sonpat  (sans  date). 

Le  sceau  en  cuivre  de  Sonpat  (publié  C.  L  I.  vol.  iii,  p.  231)  est 
plutôt  intéressant  qu'utile.  C'est  le  premier  document  épigraphique 
de  Harsa  qui  ait  été  trouvé. 

Il  est  aujourd'hui  la  propriété  de  Mohansingh  Râmratan  Mahâjan, 
négociant  à  Sonpat  (I),  la  principale  ville  de  Sonpat  Tahsïl,  sous- 
division  du  Delhi,  district  du  Pandjab.  Il  est  ovale,  et  tout  autour  ii 
y  a  un  rebord  sur  lequel  figure  du  côté  supérieur,  un  bœuf  regardant 
vers  la  droite,  et  en  bas  l'inscription  donnée  ci-dessous.  Des  traces 
de  soudure  encore  visibles  semblent  prouver  que  ce  n'est  qu'un  sceau 
détaché  d'une  plaque  de  cuivre.  Nous  possédons  par  ailleurs  un  sceau 
semblable  qu'on  a  trouvé  attaché  à  une  plaque  falsifiée  (2).  En  dépit 
de  tous  les  efforts  on  n'a  pu  trouver  la  plaque  à  laquelle  appartenait 
le  sceau. 


(1)  Le  "  Sonipat  »,  «  Soonput  «,  et  «  Sunput  »  des  cartes,  Indian  Atlas 
Sheet,  N"  49.  Lat,  28°  59'  N,  Long,  77°  3'  E,  ;  d'autres  formes  du  mot  sont 
Sonepat  et  Sunpat. 

(2)  C.  L  I.  VoL  3,  pp.  254,  ss. 


—  145  — 


1  ET  2.  Texte  des  Plaques  de  Madhuban  et  de  Bhanskeba. 

(Quand  la  plaque  de  Bkanskera  diffère  de  celle  de  Madhuban, 
les  variantes  sont  indiquées  en  note). 

1.  Omsvastimahâ-nau-hastyaçva-jayaskandhâvârât^a^îY^/îi/iàyâ(l) 

maharaja  çrï  Naravardhanas  tasyaputtras  tatpâdâûudhyâtaç 
çii-Vajriïûdevyâni  utpaanah  paramâdityabhakto 

2.  mahâiâja  çrï  Râjyavardhanas  tasya  puttras  tatpâdâaudhyâtaç 

çry  (2)  -Apsarodevyâm  utpanDah  paramâdityabhakto  mahârâja- 
çnm3id-Âdityavardhanas  tasya  puttras  tatpâdâûudhyâtaç  çrï- 
Mahâ- 

3.  senagupiàdevyàm  utpannaç  catussamudrâtikkrâuta-kïrttih  pra- 

tâpânurâg -  opauat  -  ânyarâj  o  vanmâçrama -  vy avasthâpana  -  pra- 
vrtta-cakra  ekacakkraratha  iva  prajânâm  ârtti-harah 

4.  paramâdityabhaktah  paramabhattâraka-mahârâjâdhirâja  çrï  Fra- 

hhâkaravarddhanas  tasya  puttras  tatpâdâûudhyâtah  sitayaçah- 
pralâna-vicchurita-sakalabhuvanamandalah  parigrhîta- 

5 .  Dhanada -  VaruiiEadra  -  prabbrti -  lokapâlatej âh     satpathopârjj it- 

âneka-dravina-bhûmi-pradâna-samprïnit-ârthibrdayo  tiçayita- 
pîirvvarâja-carito  devyâm-amalayaçomatyâm 

6.  çrï  Yaçomatyàm  utpannah  paramasaugatah  Sugata  iva  parahitai- 

karatah  paramabhattâraka-mahârâjâdhirâja-çiï  Râjyavarddha- 
nah.  Râjâno  (3)  yudhi  dusta-vâjina  iva  çrï  Devaguptâ- 

7.  dayah  krtvâ  yeua  kaçâprahâra-vimukhâh  sarvve  samam  samya- 

tâh  I  utkhâya  dvisato  vijitya  vasudhâm  krtvâ  prajânâm  priyam 
prânâQ-ujjhitavâti  arâti-bhavane  satyâaurodhena  yah  ||  Tasyâ- 
nuja- 

8.  s-tatpâdâuudhyâtah  paramamaheçvaro  Maheçvara  iva  sarvvasat 

(t jvânukatnpï  paramabhattâraka  -  mahârâj  âdhirâj  a-çrï-  Harsah 
Çrâvastl  (4)  -hhuUau  A'undadhanl  (5)  -vaisayilca  (6)  'Somalcun- 
daîcâ-gïâ.me 


(1)  B,  "  çrlvarddhamânakûtyâ  ». 

(2)  B.  '•  çrîmad  «. 

(3)  Vers  «  çrirdûlavikrîflita  ». 

(4)  B.  «  Ahicchattrâ  ». 

(5)  B.  «  Aiigadïya  », 

(6)  B.  Après  ce  mot  «  paçcima-pathaka-samvaddha-Markatasagare  samu- 

pagatam  »  etc. 

10 


—  146  — 

9.  samupagatâQ  mahâsâmaata-mahârâja-daussâdhasâdhanika-pra- 
mâtâra-râjasthânïya-kumârâmâtyoparika-visayapati  -  bhata  câ- 
ta-sevakâdÏQ-prativâsi-janapadâmçca  samâ- 

10.  jnâpayaty-astu  (1)  vah  samviditam-ayam   SomaJcunda]îâ-grâ.mo 

biâhmana-  Vâmarathyena  kïita-çâsaueua  bhuktaka  iti  vicârya 
yatas  tac-châsanam  bhaiiktvâ  tasmûd-âksipya  ca  svasïmâ- 

11.  paryantah    sodraùgah    sarvva-râjakulâbhâvya-pratyâya-sametah 

sarvva-paribrta-parihâro  visayâd  uddhrta-pin(lah  (2)  puttra-paut- 
trâûugaç  caQdrârkkaksiti-samakâlÎQO 

12.  bbûmicchidra-nyâyena   maya  pituh  paramabhattâraka-mabârâ- 

iâàhirïii3i-çn-Prabhàkaravarddhanadev(isya     mâtuh     parama- 
bbattârakâ  (3)  -mahîiden-mjm- çn-Yaçomatldevi/â 

13.  jyestbabbrâii-paramabbattâraka-mabârâjàdbirâja-çrï-iîâ/^/auartï- 

dhanadevapTidâ,ùriai  ca  punya-yaçobbivrddbaye  (4)  Sâvarimisa- 
gottra-ccbandogasabrâbmacâri-bbatta-  (5)  Vâtasvâmi- 

14.  Visuuvrddbasagottre-babvrcasabiâbmacâri-bbatta-Çivadevasvâ- 

mibbyâm  pratigraba-dbarmmeoâgrabàratveaa  pratipâdito  vidit- 
vâ  bbavadbbih  samanumaiitavyab  prati- 

15.  vâsi-jâDapadair-apyâjùâçravana-vidbeyair-bbïitvâyatbâsamiicita- 

tulyaineya-    bbâgabbogakara-birauyâdi-pratyâyâ     anayor     (6) 
evopaQeyâh  sevopastbâaam  ca  karanïyam  iti.  A- 

16.  pi  ca  :  (7)  Asmat-kulakkramam  udâram  udâharadbbir  anyaiç  ca 

dâuain  idam  abbyaQumodanïyaiu  :  laksmyâs  tadit-salila-budbu- 
da-camcalâycT  dânam  pbalam  parayaçahparipâlaûam  ca  :  karm- 
manâ  (8) 
16.  manasâ  \âcâ  karttavyam  prâuine  bitam  :  Harsenaitat  samâkbyâ- 
tam  dharmmârjjanam  aauttamam  :  Dûtakottra  mabâpramâtâra- 
mabâsâmanta-çiï-Skaûdaguptah  :  mabâksapatalâdbikaranâdbi- 


(1)  B.  Après  ce  mot  «  yathâyam  uparilikhitagrâmas-svasîma  »  etc. 

(2)  B.  «  Panditah  ». 

(3)  B.  «  bhattarikâ  ». 

(4)  B.  «  Bharadvâjasagottra-vahrçac-chandogas  »,  etc. 

(5)  B.  «  Valacandra-Bhadrasvâmibliyâip  pratigralia  »,  etc. 

(6)  B.  «  etayor  ». 

(7)  Vers  «  vasantatilakâ  ». 

(8)  Vers  «  anusÇubh  ». 


—  d47  — 

18.  krta-sâmanta-  (1)  mahârâj-Eçvaragupta  (2)  samâdeçâccotkïru- 
nam  Garjjarena  (3)  :  Samvat  20  5  jVJârggaçïrsa-vadi  6  : 

Teaduction. 

Om  1  Salut, 

Du  grand  camp  royal  de  la  victoire,  (équipée  de)  bateaux 
d'éléphants  et  de  chevaux  —  de  Kapitthikâ  (4) 

(Il  y  avait)  le  Maharaja  Naravardhana  (5).  Engendré  en  Vajrinï- 
devï,  son  fils,  qui  médita  sur  ses  pieds,  (fut)  l'adorateur  passionné  du 
soleil,  le  Maharaja  Râjyavardhana  (I).  Engendré  en  Apsarodevï, 
son  fils,  qui  médita  sur  ses  pieds,  (fut)  l'adorateur  passionné  du  Soleil, 
le  Maharaja  Âdityavardhana.  Engendré  en  Mahâsenaguptâdevï,  son 
fils  qui  médita  sur  ses  pieds,  (fut)  l'adorateur  passionné  du  Soleil,  le 
Paramabhattâraka  Mahârâjâdhirâja  Prabhâkaravardhana,  dont  (6) 
la  gloire  traversa  les  quatre  océans  ;  devant  qui  d'autres  rois  s'incli- 
nèrent à  cause  de  sa  bravoure  et  de  leur  affection  pour  lui  ;  qui 
maniait  son  pouvoir  pour  le  juste  maintien  des  castes  et  des  classes, 
(et)  qui  comme  le  soleil  (7)  soulageait  la  détresse  du  peuple.  Engendré 
en  la  reine  Yaçomati  dont  la  gloire  fut  sans  tache,  son  fils,  qui  médita 
sur  ses  pieds,  (fut)  l'adorateur  passionné  de  Sugata  (Buddha),  comme 
Sugata  ayant  plaisir  seulement  du  bonheur  des  autres  —  le  Parama- 
bhattâraka Mahârâjâdhirâja  Râjyavardhana  (II),  la  liane  de  sa  gloire 


(1)  B.  «  Mahâsâmanta  ». 

(2)  B.  «  Bhnna  »  (?)  ou  «  Bhânu  »  (?). 

(3)  B.  «  Içvai'enedam  iti  samvat  20  2  Karttivadi  :  svahasto  marna  mahârâjâ- 
dhirâja çrî-Harsasya  n. 

(4)  La  phrase  est  continuée  plus  bas,  avec  les  mots,  "  son  frère  cadet 

Harsa  publie  cette  ordonnance  n. 

(5)  Dans  l'original  les  noms  des  rois  et  des  reines,  jusqu'au  nom  de  Deva- 
gupta  inclusivement  (1.  6),  mais  sans  y  comprendre  celui  de  Harsa  (1.  17)  sont 
précédés  du  mot  çrï  ou  çrimat,  «  l'illustre  »,  ou  "  le  glorieux  »  (fortunatus). 

(6)  Comparez  C.  1. 1.  vol.  3,  p.  220  1.  1  et  2  du  texte. 

(7)  Le  mot  pour  signifier  le  soleil  est  ehacahraratha^  «  dont  lo  char  n'a 
qu'une  roue  »,  à  cause  du  précédent  pravrtta-cakra  ;  comparez  dans  le 
troisième  acte  de  la  Ratnâvalï,  le  vers  qui  commence  par  «  adhvànam  nai- 
kacahrahprabhavatin,  et  le  Sîiryaçataka  de  Mayûra  v.  59  (où  le  Soleil  dit  : 
"  yia  hi  ratho  yâtl  me  naikacakrah  »  ).  Pour  l'idée  que  le  Soleil  soulage  la 
détresse,  comparez  C.  L  L  vol.  3,  p.  162,  texte  1.  2. 


—  148  — 

éclatante  s'étendait  sur  le  globe  terrestre  entier  ;  qui  s'appropriait 
la  gloire  de  Dhanada,  Varuna,  Indra  et  les  autres  (dieux)  gardiens 
du  monde  ;  qui  faisait  réjouir  les  cœurs  des  suppliants  par  beaucoup 
de  dons  de  richesses  et  de  terres  acquises  par  des  moyens  droits  (et) 
qui  l'emportait  sur  la  conduite  des  rois  anciens. 

En  bataille  il  dompta  Devagupta  et  tous  les  autres  rois  ensemble, 
comme  des  chevaux  vicieux  qu'on  a  fait  se  détourner  à  coups  de  fouet. 
Ayant  déraciné  ses  adversaires,  ayant  fait  la  conquête  de  la  terre, 
s'étant  bien  conduit  envers  le  peuple,  il  perdit  la  vie  dans  le  camp  de 
l'ennemi  par  sa  confiance  dans  la  vérité  des  paroles. 

7.  Son  frère  cadet,  qui  médite  sur  ses  pieds,  l'adorateur  passionné 
de  Maheçvara  (Çiva)  —  comme  Maheçvara  il  a  pitié  de  tous  les 
êtres  —  le  Paramabhattàraka  Mahârâjâdhirâja  Harsa  publie  cette 
ordonnance  pour  les  Mahâsâmantas,  Maharajas,  Daulisâdhasâdha- 
nikas,  Pramâtâras  (1),  Râjasthâuîyas,  Kumârâmâtyas,  Uparikas, 
Visayapatis,  soldats  réguliers  et  irréguliers,  serviteurs  et  autres, 
assemblés  dans  le  village  de  Somakuudakâ  qui  appartient  au  Kunda- 
dhânï  visaya  (2)  dans  le  Çrâvastï  bhuJcti,  et  au  peuple  y  demeurant  : 

10.  Oyez,  ayant  constaté  que  ce  village  de  Somakundakâ  était 
tenu  (3)  par  le  brahmane  Vâmarathya  sur  la  foi  d'un  acte  falsifié,  j'ai 
pour  cette  raison  cassé  cet  acte-là  et  je  lui  ai  ôté  (le  village),  et,  pour 
l'accroissement  du  mérite  spirituel  et  de  la  gloire  de  mon  père,  le 
FaramabhaUâraJia  Mahârâjâdhirâja  Prabhâkaravardhanadeva,  de 
ma  mère  la  Paramabliaitânkâ  Mahâdevî,  la  reine  Yaçomatïdevï,  et 
de  mon  frère  aîné  révéré,  le  Paramabhattàraka  Mahârâjâdhirâja 
Kâjyavardhanadeva,  j'ai  donné  eu  pur  don,  (aux  brahmanes),  comme 
un  agrahâra  —  s'étendant  à  ses  propres  bornes,  avec  le  udrahga, 
avec  tous  les  revenus  que  pouvait  réclamer  la  famille  du  roi  (4), 


(1)  Pour  pramâtâra  et  mahâpramàiâra,  voyez  I.  A.  vol.  25,  p.  182  n.  70  ; 
pramâtf  semble  se  trouver  dans  C.  1. 1.  vol.  3,  p.  216, 1.  9. 

(2)  Avec  Kuyrdadhànlvaisayiha  comparez  Angadlya-vaisayiha.  E.  I.  vol. 
iv.  p.  211, 1.  7  ;  Yàlavivaisayiha,  C  1. 1.  vol.  3,  p.  216, 1.  6  ;  Gayâvaisayiha, 
ibid.  p.  256, 1.  7  (texte)  etc. 

(3)  Voyez  Fleet  I.  A.  vol.  xxx,  p.  201,  ss.  pour  les  actes  falsifiés. 

(4)  Avec  ràjakulàbhàvya  conipaiez  ràjâb/iâvya  clans  les  plaques  des 
Maharajas  d'Uccakalpa,  C.  1. 1.  vol.  3.  p.  118, 1.  II  ;  p.  122, 1.  13  ;  p.  127, 1.  20, 
etc. 


—  149  — 

exempt  de  toutes  les  obligations  (1),  comme  un  morceau  ôté  du 
district  (2)  (auquel  il  appartient),  pour  suivre  la  succession  de  fils  (3) 
et  de  petit-fils,  pour  aussi  longtemps  que  la  lune,  le  soleil  et  la  terre, 
existent,  selon  la  maxime  de  hhûmicchidra,  au  Bhaiia  Vâtasvâmin 
qui  est  du  gotra  de  Sâvarni  et  un  camarade  d'étude  des  Chandogas  (4), 
et  au  Bhatta  Çivadevasvâmin  qui  est  du  gotra  de  Visnuviddha  et  un 
camarade  d'étude  des  Bahvicas  (5).  Sachant  ceci,  vous  devez  en 
convenir,  et  les  gens  qui  y  habitent,  étant  prêts  à  obéir  à  mes  ordon- 
nances, doivent  payer  à  ces  deux-ci  le  tidya-meya  (6),  la  part  du 
produit,  les  paiements  en  argent,  et  autres  sortes  de  revenus  aussitôt 
qu'on  doit  les  payer,  et  doivent  leur  rendre  service.  D'ailleurs  : 

16.  Ceux  qui  font  professiou  (d'appartenir  à)  la  noble  ligne  de  notre 
famille,  et  autres,  doivent  approuver  cette  donation.  De  la  fortune, 
mobile  comme  l'éclair,  et  bulle  d'eau,  les  donations  et  la  préservation 
de  la  renommée  d'autrui  (7)  sont  le  (vrai)  fruit. 

Par  les  actions,  les  pensées  et  les  paroles,  on  doit  faire  du  bien 
aux  vivants.  Voilà  ce  que  Harsa  a  déclaré  être  le  chemin  le  plus 
excellent  pour  acquérir  le  mérite  religieux. 

17.  Le  dûtaka  ici  est  le  Mahâpramâtâra  Mahâsâmanta,  l'illustre 


(1)  Avec  sarva-parihrta-parihâra  comparez  sarvavisti-parihâra-pa- 
rihrta  dans  les  plaques  des  Vâkâtaka  Maharajas,  E.  I.  vol.  iii,  p.  262, 1.  20. 
L'idée  est  rendue  plus  correctement  par  parihriasarvapida,  ibid.  vol.  iv, 
p.  250, 1.  53,  et  ])ar  sarvahara-parifmra7n  hrévà,  ibid.  vol.  iii,  p.  223,  I.  15. 
Comparez  aussi  sai^va-hcicUid-parihàra.  I.  A.  vol.  ix,  p.  218,  1.  35;  et  pour 
des  phrases  semblables  voyez  K.  I.  vol.  vi,  p.  13,  n.  3. 

(2)  La  phrase  vuayâd-uddhrta-pinda  no  se  trouve  que  dans  la  plaque 
Pândukeçvar  de  LalitaçQradeva,  L  A.  vol.  xxv,  p.  180, 1.  21.  Le  sens  n'en  est 
pas  encore  exactement  tixé. 

(3j  C'est-à-dire  «  hérité  à  tour  de  rôle  par  ».  Comparez pfti^ira-paw^r-ânw- 
gàmin,  E.  L  vol.  iii,  p.  262,  1.  21. 

(4)  C'est-à-dire  «  étudiant  du  Sâmaveda  ». 

(5)  C'est-à-dire  «  étudiant  du  Rgveda  ». 

(6)  Le  sens  de  tulya-meya  n'est  pas  certain  ;  on  pourrait  le  traduire  par 
"  choses  à  peser  et  à  mesui'er  »  ;  on  trouve  «  meya  »,  seul  dans  grâma-pra- 
tyàyà  meya-hiranijàdayah  dans  C  L  L  vol.  3,  p.  257, 1. 12  ;  et  tulya  se  trouve 
ibid.  p.  70,  1.  10,  dans  un  sens  technique.  Voyez  aussi  E.  L  vol.  vii,  p.  (i2. 

(7)  C'est-à-dire,  «  par  ne  i)as  reprendre  les  dons  qu'ils  ont  faits  ».  Le  vers 
se  trouve  avec  des  lectures  différentes  dans  L  A.  vol.  xix,  p.  341),  1.  9  (texte) 
et  vol  xxv,  p.  181, 1.  28. 


—  150  — 

Skandagupta.  Et  par  ordre  du  grand  officier  qui  a  soin  du  bureau  des 
archives,  le  Sâmanta  Maharaja  îçvaragupta,  (ceci  fut)  gravé  par 
Garjara, 

la  25e  année  du  6®  jour  du  mois  Mârgaçïrsa. 

3.  Texte  du  Sceau  de  Sonpat. 

1 y...  çrïaia(?)hâ(?dâ).. 

2 paramâdityabha  (kto  mahârâ)  ja  çrï  Râj  yavardd  hanah  || 

Tasya  puttras  tat  p(â)- 

3.  (dâûudhyâtah)  çrï(V)ma(?)hâ(?)devyâra  (utpannah  paramâjditya- 

bhakto  maharaja  çtïmad  Âditya- 

4.  (varddhanah)  (|  (Ta)sya  (puttras  tat  pâdâuudhyâtah  çrï)   Mahâse- 

naguptâ  devyâm  utpanna 

5 y.  sarv(v)a  varnnâçrama  vyavasthâpanapravr- 

6.  (ttah) y...  va(?)  prava(r)ddh paramâdityabhaktah  para- 

mabhattâraka 

7,  Mahârâjâdhirâja  çrï  Prabhâkaravarddhanah  ||  Tasya  puttras  tat 

pâdânudhyâ(ta) 

8 i çr(ï)matyâ(iri)  Yaç(o)maty(âm  utpannah)  para- 

maso  (sau)  gâta... 
9 (paramabhattâraka)  mahâràjâdhi(râja)  çrï  Râjyava(rddha- 

nah)  Il 

10.  (Tasyânujas  tat  pâdânu)dhyâto  mahâdevyâ(m)  Yaçomatyâ- 

11.  (m  utpannah)  (pa)- 

12.  (ramabhattâraka  ma)hârâjâ(dhi)râja  çrï  Harsa 

13.  vardhanah  || 

Teaduction. 

(Il  y  avait)  le 

très  dévoué  adorateur  du  Soleil,  le  Maharaja  l'illustre  Râjyavardhana 
(1).  Son  fils,  (qui  méditait  sur)  ses  pieds,  (fut)  le  (très  dévoué))  adora- 
teur du  Soleil,  le  Maharaja,  l'illustre  Âdityavardhana.  (Eugeodré)  en 

l'illustre  Mahâdevï...  son  (fils,  qui  méditait  sur  ses  pieds)  (fut) le 

très  dévoué  adorateur  du  Soleil,  le  Paramabhattâraka  et  Mahârâjâ- 
dhirâja le  glorieux  Prabhâkaravardhana,  engendré  en  la  Devï 
(l'illustre)  Mahâsenaguptâ.,  (et)  qui  fut  employé  à  régler  toutes 


—  151  — 

les  castes  et  grades  de  la  vie  religieuse.  Son  fils,  qui  méditait  sur  ses 
pieds,  (fut)  le  très  dévoué  sectateur  du  Sugata,  le  Paramabhattâ- 
raka  et  Mahârâjâdhirâja,  le  glorieux  Râjyavardhana  (II),  engendré 

en la  glorieuse  Yaçomatï.  (Son  frère  cadet),  qui  méditait  sur  (ses 

pieds),  (est) le  (Paramabbattâraka  et)  Mabârâjâdhirâja,  le 

glorieux  Harsavardhana,  (engendré)  en  la  Mahîîdevï  Yaçomatï. 


APPENDICE  II. 
Relation  de  Hiouen  Tsang  de  son  séjour  chez  Harsa. 


(H.  T.  vol.  i,  p.  233.  Cf.  aussi  H.  T.  vol.  iii,  p.  76). 

Deux  jours  après,  un  messager  de  Kumâra,  roi  de  l'Inde  orientale, 
apporta  au  Maître  Çïlabhadra  une  lettre  ainsi  conçue  : 

«  Votre  disciple  désire  voir  le  religieux  éminent  du  royaume  de 
Chine.  Je  vous  prie.  Maître  vénéré,  de  me  l'envoyer  pour  contenter 
ce  souhait  respectueux  ». 

Çïlabhadra,  tenant  la  lettre,  parla  ainsi  aux  religieux  :  «  Le  roi 
Kumâra  adresse  une  invitation  à  Hiouen  Tsang  ;  seulement  il  a 
promis  à  une  multitude  de  messagers  de  se  rendre  auprès  du  roi 
Çîlâditya  pour  discuter  avec  les  Maîtres  du  petit  Véhicule.  S'il  va 
trouver  le  roi  Kumâra,  comment  le  roi  Çîlâditya  pourra-t-il  le  possé- 
der ?  Je  ne  puis  donc  le  lui  envoyer.  Le  religieux  de  la  Chine  »,  dit-il 
alors  au  messager  royal,  «  a  un  désir  extrême  de  s'en  retourner  dans 
sa  patrie  et  ne  peut  se  rendre  à  l'invitation  de  votre  souverain  ». 

Quand  le  messager  fut  arrivé,  le  roi  en  envoya  un  autre  avec  une 
nouvelle  lettre  d'invitation  oii  il  disait  :  «  Quoique  vous  désiriez, 
vénérable  Maître,  vous  en  retourner  dans  votre  propre  pays,  venez  un 
instant  voir  votre  disciple  ;  vous  partirez  ensuite  quand  vous  voudrez. 
Je  désire  absolument  que  vous  daigniez  abaisser  sur  moi  vos  regards  ; 
de  grâce,  ne  repoussez  pas  ma  prière  ». 

Çïlabhadra  n'ayant  pas  envoyé  Hiouen  Tsang,  le  roi  fut  transporté 
de  colère  et  expédia  de  nouveau  un  autre  messager  avec  cette  lettre 
pour  Çïlabhadra  :  «  Votre  disciple  est  un  homme  vulgaire  qui  s'est 
laissé  corrompre  par  les  plaisirs  du  monde  et  ne  sait  plus  quelle 
direction  suivre  dans  la  loi  du  Buddha.  Aujourd'hui  après  avoir 
appris  la  renommée  du  religieux  de  la  Chine,  j'ai  été  tout  ravi  de 
corps  et  d'âme,  et  il  m'a  semblé  que  déjà  je  sentais  poindre  en  moi 


I 


—  155  — 

les  germes  de  l'Intelligence  (Bodhi).  Deux  fois  vous  avez  refusé  de 
l'envoyer  ici.  Voulez-vous  donc  que  tout  mon  peuple  reste  éternelle- 
ment plongé  dans  les  ténèbres  de  l'ignorance  V  Est-ce  là  le  rôle  d'un 
religieux  éminent  qui  doit  perpétuer  et  agrandir  l'héritage  de  la  loi 
et  sauver  tous  les  êtres  du  naufrage  V  Je  brûle  de  le  voir  et  de 
l'entendre  ;  c'est  pourquoi  j'envoie  avec  respect  un  nouveau  messager  ; 
s'il  ne  vient  point,  votre  disciple  reconnaîtra  enfin  qu'il  est  voué  pour 
jamais  au  vice  et  au  malheur.  Dans  6es  derniers  temps,  le  roi 
Çaçâiika  put  encore  abolir  la  Loi  et  détruire  l'arbre  de  l'intelligence 
(Bodhidruma).  Croyez-vous,  Maître,  que  votre  disciple  n'ait  pas  la 
force  d'en  faire  autant  ?  Je  suis  résolu  à  équiper  une  armée  d'élé- 
phants, et  à  entrer  dans  votre  pays  avec  des  troupes  immenses  qui 
réduiront  en  poudre  votre  couvent  de  Nâlaudâ.  J'en  prends  à  témoin 
le  soleil  qui  m'éclaire  ;  c'est  à  vous,  Maître,  de  voir  ce  que  vous  avez 
à  faire  » . 

Çîlabhadra,  ayant  lu  cette  lettre,  parla  ainsi  au  Maître  de  la  loi  : 
«  Ce  roi  est  animé  de  l'amour  du  bien.  Comme  la  loi  du  Buddha  n'est 
pas  très  répandue  dans  son  royaume,  dès  qu'il  a  été  informé  de  votre 
réputation,  il  a  montré  pour  vous  une  affection  sans  bornes  ;  peut- 
être  que  dans  votre  existence  passée  vous  avez  été  un  de  ses  intimes 
amis.  Hâtez-vous  de  partir.  Vous  avez  quitté  la  famille  (embrassé  la' 
vie  religieuse)  pour  travailler  au  bonheur  des  créatures  ;  en  voici 
justement  l'occasion.  Quand  vous  serez  arrivé  dans  ce  royaume, 
faites  que  le  cœur  du  roi  s'ouvre  à  la  foi  et  le  peuple  suivra  son 
exemple  ;  mais,  si  vous  repoussez  sa  demande,  si  vous  ne  vous  rendez 
pas  auprès  de  lui,  peut-être  que  le  démon  (Mâra)  nous  suscitera 
d'affreux  malheurs.  Ne  craignez  pas  la  légère  fatigue  du  voyage  ». 

Le  Maître  de  la  loi  prit  congé  du  docteur  (Çîlabhadra)  et  partit 
avec  le  messager  royal. 

A  son  arrivée,  le  roi  fut  ravi  de  le  voir  et  vint  au-devant  de  lui,  à 
la  tête  de  ses  grands  officiers.  Après  l'avoir  salué  et  comblé  d'éloges, 
il  l'invita  à  entrer  dans  son  palais.  Chaque  jour,  il  lui  offrait  un 
banquet  aux  sons  dos  instruments  de  musique  ;  il  faisait  répandre 
devant  lui  des  fleurs  et  des  parfums,  le  combhiit  de  toutes  sortes  de 
dons  et  lui  demandait  la  permission  de  pratiquer  la  loi  du  jeûne  et  les 
règles  de  la  discipline.  Ce  brillant  accueil  dura  pendant  un  mois. 

Le  roi  Çïlâdi^ya  revenant  de  châtier  le  prince  de  Kong-yu-tho 
(Kongyôdha  ?)  apprit  que  le  Maître  de  la  loi  se  trouvait  auprès  du 


—  154  — 

roi  Kumara.  Il  en  fut  surpris  et  s'écria  :  «  Anciennement,  je  l'ai 
plusieurs  fois  appelé  sans  qu'il  soit  venu  ;  comment  se  fait-il  qu'il  se 
trouve  là  ?  »  Sur-le-champ,  il  envoya  un  messager  au  roi  Kumâra  avec 
l'invitation  pressante  de  lui  envoyer  de  suite  le  religieux  de  la  Chine. 

«  J'aime  mieux  »,  dit  celui-ci,  «  sacrifier  ma  tête  que  d'envoyer  de 
suite  le  Maître  de  la  loi  « . 

Quand  le  messager  fut  de  retour  et  qu'il  eut  rapporté  cette  réponse, 
le  roi  Çïlâditya  fut  transporté  de  colère.  «  Le  roi  Kumâra  »,  dit-il 
aux  officiers  qui  l'entouraient,  «  vient  de  me  manquer  de  respect. 
Comment  a-t-il  osé,  à  cause  d'un  religieux,  proférer  des  paroles  aussi        J 
insolentes  ?  » 

Il  renvoya  alors  le  messager  et  lui  fit  dire  d'un  ton  menaçant  : 
«  Puisque  je  puis  prendre  votre  tête,  qu'on  la  remette  immédiatement 
à  mon  messager  pour  qu'il  me  l'apporte  ». 

Le  roi  Kumâra  fut  saisi  d'effroi.  Désolé  de  l'expression  imprudente 
qui  lui  était  échappée,  il  ordonna  d'équiper  vingt  mille  éléphants  et 
trente  mille  bateaux  ;  puis  il  partit  avec  le  messager  et  remonta  le 
Gange  pour  se  rendre  en  grande  pompe  au  palais  du  roi  Çïlâditya. 
Quand  il  fut  arrivé  au  royaume  de  Kajïïgira,  il  all-a  d'abord  rendre 
visite  au  roi.  Lorsque  le  roi  Kumâra  fut  sur  le  point  de  partir,  il  fit 
construire,  au  nord  du  Gange,  un  palais  de  voj'age.  Ce  jour-là,  il 
traversa  le  fleuve,  se  rendit  au  palais  et  y  installa  le  Maître  de  la  loi. 
Ensuite,  avec  ses  grands  officiers,  il  alla  voir  le  roi  Çïlâditya  sur  la 
rive  septentrionale  du  fleuve. 

Le  roi  Çïlâditya,  le  voyant  venir,  fut  au  comble  de  la  joie  et 
reconnut  qu'il  était  rempli  de  respect  et  d'affection  pour  le  Maître  de 
la  loi.  Il  ne  soDgea  plus  à  lui  reprocher  ses  paroles  précédentes  ;  il 
se  contenta  de  lui  demander  où  était  le  religieux  de  la  Chine. 

«  Il  est  dans  mon  palais  de  voyage  »,  répondit  le  roi  Kumâra. 
«  Pourquoi  n'est-il  pas  venu  ?  » 

«  Votre  Majesté  »,  lui  dit-il,  «  respecte  les  sages  et  chérit  les 
hommes  vertueux.  Eût-il  été  convenable  d'envoyer  ici  le  Maître  de 
la  loi,  pour  rendre  visite  au  roi  ?  » 

«  Vous  avez  bien  fait  »,  répondit  Çïlâditya,  «  vous  pouvez  vous 
retirer.  Demain  j'irai  moi-même  le  voir  ». 

Le  roi  Kumâra  s'en  retourna  donc  et  alla  trouver  Hiouen  Tsang. 
«  Maître  »,  lui  dit-il,  «  quoique  le  roi  ait  promis  de  venir  demain, 
je  crains  qu'il  n'arrive  cette  nuit  même.  Il  faut  que  vous  l'attendiez. 
S'il  vient,  il  n'est  pas  convenable  que  vous  bougiez  ». 


1K9  V> 
oo  — 

«  Sire  »,  lui  répondit  Hioiien  Tsang,  «  pour  l'honueur  de  la  gloire 
du  Buddha,  je  suivrai  votre  avis  », 

A  la  première  veille  de  la  nuit,  Çîlâditya  arriva  en  effet. 

Des  messagers  vinrent  annoncer  qu'au  milieu  du  fleuve  on  aper- 
cevait des  milliers  de  torches  et  qu'on  entendait  retentir  les  tambours. 
«  C'est  le  roi  Çîlâditya  qui  arrive  »,  s'écria  le  roi  Kumara.  Sur-le- 
champ,  il  ordonna  de  prendre  des  flambeaux  et  alla  au  loin  à  sa 
rencontre  avec  ses  grands  ofiiciers. 

Toutes  les  fois  que  le  roi  Çîlâditya  était  en  marche,  il  se  faisait 
précéder  de  cent  tambours  de  métal  sur  lesquels  on  frappait  un  coup 
à  chaque  pas.  On  les  appelait  Tsie-pou-kou  ou  tambours  pour  régler 
la  marche.  Le  roi  Çîlâditya  jouissait  seul  de  ce  privilège  et  ne 
permettait  pas  aux  autres  rois  de  l'imiter. 

Dès  qu'il  fut  arrivé,  il  salua  jusqu'à  terre  le  Maître  de  la  loi  et 
baisa  ses  pieds  avec  respect.  Puis  il  répandit  des  fleurs  devant  lui,  et 
le  contemplant  dans  une  sorte  d'extase,  il  le  combla  de  louanges 
infinies.  «  Maître  »,  lui  dit-il,  «  précédemment  votre  disciple  vous 
avait  adressé  une  invitation,  pourquoi  n'êtes-vous  pas  venu  V  » 

«  Moi,  Hiouen  Tsang  »,  répondit-il,  «  je  voyage  dans  les  contrées 
lointaines  pour  chercher  la  loi  du  Buddha  ;  j'étudiais  alors  le  traité 
YogàcUryahliUmiçastra.  Au  moment  oiî  votre  ordre  est  arrivé,  je 
n'avais  pas  fini  d'entendre  l'explication  de  ce  traité.  Voilà  pourquoi 
je  n'ai  pu  venir  immédiatement  rendre  ma  visite  à  Votre  Majesté  ». 

«  Maître  »,  demanda  encore  le  roi,  «  vous  venez  de  la  Chine.  Votre 
disciple  a  entendu  dire  que,  dans  ce  royaume,  on  possédait  des 
morceaux  de  musique  et  des  airs  qu'on  chante  avec  accompagnement 
de  danses,  pour  célébrer  les  victoires  du  prince  de  Thsin  (1).  J'ignore 


(1)  Il  serait  curieux  de  savoir  quels  étaient  ces  morceaux  de  musique  qui 
célébraient  les  victoires' du  prince  de  Thsin  et  comment  ils  étaient  arrivés 
dans  l'Inde.  Hiouen  Tsang. rapporte  une  question  semblable  que  le  roi  Kumâra 
lui  avait  adressée  à  ce  propos  : 

(H.  T.  vol.  iii,  p.  79i.  «  Qu'il  est  beau  »,  s'écria  le  roi  Kumâi-a,  «  de  recher- 
cher la  loi  et  d'aimer  l'étude  avec  passion,  de  regarder  son  corps  avec  dédain 
et  de  voyager,  en  bravant  les  plus  grands  périls,  dans  les  pays  étrangers. 
Voilà  l'heureuse  influence  des  instructions  du  roi,  voilà  pourquoi  les  mœurs 
du  royaume  respirent  l'estime  de  l'étude.  Maintenant,  dans  les  royaumes  de 
l'Inde,  il  y  a  beaucoup  de  personnes  qui  chaulent  des  morceaux  de  musique, 
destinés  à  célébrer  les  victoires  du  prince  de  Thsin,  du  royaume  de  la  Chine. 
C'est  ce  que  j'ai  appris  depuis  longtemps.  Serait-ce  le  pays -natal  de  Thommo 


—  156  — 

quel  est  l'homme  qu'oa  appelle  le  prince  de  Thsin,  et  quels  sont  ses 
exploits  et  ses  vertus  pour  qu'on  chante  ainsi  ses  louanges  ». 

«  Sire  »,  répondit  le  Maître  de  la  loi,  «  dans  mon  pays  natal,  lors- 
qu'on voit  un  homme  qui  aime  les  sages  et  peut  délivrer  le  peuple  des 
attaques  des  méchants,  réprimer  la  violence  et  la  cruauté,  protéger 
les  cent  familles,  et  leur  procurer  le  bonheur,  on  le  célèbre  par  des 
chants  qui  servent  à  embellir  la  musique  du  temple  des  ancêtres,  et 
pénètrent  jusque  dans  les  villages  les  plus  reculés.  Le  nom  du  prince 
de  Thsin  désigne  l'empereur  actuel  de  la  Chine,  qui  avait  reçu  ce 
titre  avant  de  monter  sur  le  trône.  A  cette  époque,  le  ciel  et  la  terre 
étaient  dans  une  grande  agitation  ;  le  peuple  n'avait  plus  de  maître, 
les  champs  étaient  encombrés  de  cadavres,  les  rivières  et  les  canaux 
roulaient  des  flots  de  sang  ;  pendant  la  nuit,  des  étoiles  étranges 
répandaient  de  sinistres  lueurs,  pendant  le  jour,  on  voyait  se  con- 
denser des  vapeurs  meurtrières  ;  les  rives  des  trois  fleuves  étaient 
désolées  par  la  voracité  des  sangliers,  et  les  quatre  mers  étaient 
infestées  par  des  serpents  venimeux.  Le  prince,  en  qualité  de  fils  de 
l'empereur,  obéit  aux  ordres  du  ciel.  Rempli  d'une  noble  ardeur,  il 
déploya  ses  troupes  formidables,  et,  maniant  tour  à  tour  la*  hache  et 
la  lance,  il  délivra  les  districts  agités  et  rendit  la  paix  au  monde  (1). 
Il  fit  briller  de  nouveau  les  trois  clartés  (2),  et  l'univers  fut  inondé  de 
ses  bienfaits.  Voilà  pourquoi  on  le  célèbre  par  des  chants  ». 


d'une  grande  vertu?  (C'est-à-dire  de  vous)  «  Oui,  sire  »,  répondit-il;  «ces 
chants  célèbrent,  en  effet,  les  vertus  de  mon  souverain  ». 

«  Je  ne  pensais  pas  n,  reprit  Kumâra,  «  que  l'homme  d'une  grande  vertu  fût 
originaire  de  ce  royaume.  J'ai  constamment  désiré  connaî  re  les  heureux 
effets  de  ses  lois  ;  il  y  a  bien  longtemps  que  mes  regards  se  sont  tournés  vers 
l'Orient  (vers  la  Cliine).  Mais  les  montagnes  et  les  rivières  m'ont  empêché 
d'y  aller  moi-même  ». 

«  Notre  auguste  souverain  »,  répondit-il,  «  a  porté  au  loin  ses  vertus 
saintes,  et  l'influence  de  son  humanité  s'est  répandue  à  de  grandes  distances. 
Il  y  a  un  grand  nombre  de  peuples  étrangers  qui  ont  salué  la  porte  du  palais 
et  se  sont  déclarés  ses  sujets  ». 

«  Puisqu'il  couvre  ainsi  les  hommes  de  sa  protection  »,  reprit  le  roi 
Kumâra,  «  mon  vœu  le  plus  ardent  est  d'aller  à  sa  cour  lui  offrir  mon 
tribut  ». 

(1)  C'est-à-dire  «  à  toutes  les  parties  de  l'empire  ».  (Julien). 

(2)  C'est-à-dire,  «  le  soleil,  la  lune,  et  les  étoiles,  un  instant  voilés  et 
obscurs  ».  (Julien). 


—  dSt  — 

«  Un  tel  homme  »,  dit  le  roi,  «  a  été  évidemment  envoyé  par  le  ciel 
pour  être  le  maître  des  hommes  ». 

Puis  il  dit  au  Maître  de  la  loi  :  «  Votre  disciple  s'en  retourne  ; 
demain  il  viendra  auprès  de  son  vénérable  Maître.  Je  souhaite  vive- 
ment qu'il  ne  craigne  point  la  fatigue  ». 

Là-dessus  il  prit  congé  et  partit. 

Le  lendemain  matin,  un  messager  royal  étant  venu  de  sa  part,  le 
Maître  de  la  loi  partit  avec  Kumâra  et  quand  ils  furent  arrivés  à  côté 
du  palais  de  Çïlâditya,  le  roi  sortit  avec  une  vingtaine  de  ses  officiers 
et  vint  au-devant  d'eux.  Dès  qu'ils  furent  entrés  et  assis,  on  leur 
offrit  les  mets  les  plus  recherchés  aux  sons  d'une,  musique  harmo- 
nieuse, et  l'on  répandit  devant  eux  les  fleurs  les  plus  odorantes. 

Ces  hommages  terminés,  le  roi  dit  à  Hiouen  Tsang  :  «  J'ai  entendu 
dire  que  le  Maître  a  composé  un  Traité  pour  combattre  les  opinions 
dangereuses  ;  (  ù  est-il  ?  »  —  «  Le  voici  »,  répondit  le  Maître  de  la  loi. 
Le  roi  le  prit  et  le  parcourut  ;  puis,  ravi  de  joie,  il  dit  aux  officiers 
qui  l'entouraient  :  «  J'ai  entendu  dire  que  lorsque  le  soleil  se  lève 
dans  toute  sa  splendeur,  les  vers-luisants  et  les  lampes  restent  sans 
éclat,  et  que,  lorsque  le  tonnerre  du  ciel  gronde  avec  fracas,  le  biuit 
du  marteau  s'efface  et  disparaît.  Les  principes  de  tous  ces  Maîtres 
ont  été  renversés  par  lui  en  un  clin  d'œil,  et  vous  avez  vu  que  nul 
religieux  n'a  osé  ouvrir  la  bouche  pour  venir  à  leur  secours  ».  Le 
roi  ajouta  :  «  Leur  président  Devasena  disait  de  lui-même  que,  dans 
l'explication  des  livres,  il  effaçait  les  plus  illustres  docteurs,  et  que, 
par  ses  études  profondes,  il  embrassait  toutes  les  branches  de  la 
science.  Mettant  en  avant  les  opinions  les  plus  étranges,  il  combattait 
sans  cesse  le  grand  Véhicule;  mais  quand  il  eut  appris  l'arrivée  d'un 
célèbre  religieux  d'un  pays  étranger,  il  alla  immédiatement  se  cacher 
à  Vaiçâlî,  sous  prétexte  de  visiter  et  d'honorer  les  monuments  sacrés. 
J'ai  reconnu  par  là  que  tous  ces  Maîtres  sont  dépourvus  de  savoir  et 
de  capacité  ». 

Le  roi  avait  une  sœur  douée  d'une  rare  intelligence,  qui  excellait 
dans  la  doctrine  de  l'école  des  Sarnmatïyas  (1).  Dans  ce  moment,  elle 
était  assise  derrière  le  roi.  Dès  qu'elle  eut  entendu  dire  que  le  Maître 
de  la  loi  avait  su  exposer  les  principes  sublimes  du  grand  Véhicule, 


(1)  Cette  école  appartient  au  petit  Véhicule.  Cf.  H,  T.  vol.  i,  p.  237. 


—  158  — 

et  mettre  à  nu  les  idées  étroites  et  mesquines  du  petit  Véhicule,  elle 
se  sentit  ravie  de  joie  et  lui  adressa  des  louanges  infinies. 

«  Maître  »,  lui  dit  encore  le  roi,  "  votre  Traité  est  d'une  beauté 
•admirable  ;  moi,  votre  disciple,  ainsi  que  tous  ces  Maîtres  qui  vous 
entourent,  nous  l'approuvons  avec  foi  et  soumission  :  mais  je  crains 
que  les  hérétiques  du  petit  Véhicule,  qui  appartiennent  aux  autres 
royaumes,  ne  persistent  encore  dans  leur  stupide  aveuglement.  Je 
veux,  dans  la  ville  de  Kânyakubja,  convoquer  en  votre  honneur  une 
grande  assemblée.  J'y  appellerai  les  çramaiias,  les  brahmanes,  les 
sectaires  hérétiques  (Pâsandas),  etc.,  des  cinq  Indes,  afia  que  vous 
puissiez  leur  montrer  la  profondeur  et  la  beauté  du  grand  Véhicule, 
confondre  à  jamais  leurs  calomnies,  faire  briller  au  grand  jour  la 
splendeur  de  votre  vertu,  et  briser  avec  éclat  leur  orgueil  effréné  ». 

Ce  jour  même,  le  roi  envoya  des  messagers  dans  les  différents 
royaumes  pour  ordonner  à  tous  les  religieux,  versés  dans  l'explication 
des  livres,  de  se  réunir  à  Kânyakubja,  et  d'assister  aux  conférences 
du  Maître  de  la  loi  du  royaume  de  Chine. 

Au  commencement  de  l'hiver,  le  Maître  de  la  loi,  en  compagnie  du 
roi,  remonta  le  Gange  et  arriva,  dans  le  dernier  mois  de  l'année,  au 
lieu  de  l'assemblée.  On  y  vit  assemblés  dix-huit  rois  de  l'Inde 
Centrale,  trois  mille  religieux  versés  dans  le  grand  et  le  petit  Véhicule, 
deux  mille  brahmanes  et  hérétiques  nus  (Nirgranthas),  et  environ 
mille  religieux  du  couvent  de  Nâlandâ.  Tous  ces  sages,  aussi 
renommés  par  leur  vaste  savoir  que  par  la  richesse  et  la  facilité  de 
l'élocution,  s'étaient  rendus  avec  empressement  au  lieu  de  l'assemblée 
pour  entendre  les  vrais  accents  de  la  loi.  Ils  étaient  tous  accompagnés 
d'une  suite  nombreuse.  Les  uns  étaient  montés  sur  des  éléphants,  les 
autres  étaient  portés  en  palanquin,  et  chaque  groupe  était  entouré  de 
bannières  et  d'étendards.  La  foule  grossissait  par  degrés,  comme  les 
nuages  qui  s'amoncellent  et  se  déroulent  dans  les  airs,  et  remplissait 
un  espace  de  plusieurs  dizaines  de  li  (de  plusieurs  lieues).  Nulle 
comparaison,  si  exagérée  qu'elle  fût,  ne  saurait  donner  une  idée  de 
leur  multitude  immense. 

Le  roi  avait  ordonné  d'avance  de  construire,  sur  la  place  de 
l'assemblée,  deux  vastes  bâtiments  couverts  de  chaume,  pour  y  placer 
la  statue  de  Buddha,  et  y  recevoir  la  multitude  des  religieux. 

Lorsqu'on  fut  arrivé,  ces  deux  palais  se  trouvèrent  achevés  en 
même  temps.  Ils  étaient  à  la  fois  vastes  et  élevés,  et  pouvaient 


—  159  — 

contenir  chacuQ  mille  personnes.  Le  roi  avait  fait  établir  sa  tente  de 
voyage  à  cinq  li  à  l'ouest  du  lieu  de  l'assemblée.  Ce  jour-là  il  y  fit 
fondre  en  or  une  statue  du  Buddha,  et,  par  ses  ordres,  on  équipa  un 
grand  éléphant  surmonté  d'un  dais  précieux  où  l'on  plaça  la  statue. 
Le  roi  Çïlâditya,  tenant  un  chasse-mouches  blanc,  marchait  à  droite, 
sous  le  costume  d'Indra  ;  le  roi  Kumâra,  portant  un  parasol  d'étoffe 
précieuse,  marchait  à  gauche,  sous  le  costume  de  Brahma.  Tous  deux 
portaient  des  tiares  divines  d'où  descendaient  des  guirlandes  de  fleurs 
et  des  rubans  chargés  de  pierres  précieuses.  On  avait  équipé  en  outre 
deux  grands  éléphants,  qui  suivaient  le  Buddha,  chargés  de  corbeilles 
de  fleurs  rares,  qu'on  répandait  à  chaque  pas. 

Le  Maître  de  la  loi  et  les  officiers  du  palais  reçurent  l'invitation  de 
monter  chacun  sur  un  grand  éléphant  et  de  se  tenir  en  rangs  derrière 
le  roi,  puis  trois  cents  grands  éléphants  furent  donnés  aux  rois,  aux 
ministres,  et  aux  religieux  célèbres  des  autres  royaumes  qui,  rangés 
sur  les  deux  côtés  de  la  route,  devaient  marcher  en  chantant  des 
louanges.  Ces  préparatifs  commencèrent  dès  l'aube  du  jour.  Le  roi, 
en  personne,  conduisit  le  cortège  depuis  sa  tente  de  voyage  j  usqu'au 
lieu  de  l'assemblée. 

Lorsqu'on  fut  arrivé  à  la  porte  de  l'enceinte,  il  ordonna  à  tout  le 
monde  de  metire  pied  à  terre,  de  porter  la  statue  du  Buddha  dans  le 
palais  qui  lui  était  destiné,  et  de  la  placer  sur  un  trône  précieux. 

Le  roi  lui  offrit  ses  hommages  en  compagnie  de  Hiouen  Tsang, 
puis  il  ordonna  aux  dix-huit  rois  de  faire  entrer  les  religieux  les  plus 
illustres  et  les  plus  savants,  au  nombre  de  mille  ;  les  brahmanes  et 
les  docteurs  hérétiques,  renommés  par  leurs  actes,  au  nombre  de 
cinq  cents  ;  les  ministres  et  grands  officiers  des  différents  royaumes, 
au  nombre  de  deux  cents. 

Quant  aux  religieux  et  aux  séculiers,  qui  n'avaient  pu  être  admis 
dans  l'intérieur,  il  leur  ordonna  de  se  ranger,  en  troupes  séparées, 
hors  de  la  porte  de  l'enceinte.  Le  roi  ordonna  ensuite  de  servir  à 
manger  à  tout  le  monde,  au  dedans  comme  au  dehors,  et  donna  de 
riches  présents  à  Hiouen  Tsang  et  aux  religieux,  savoir  :  un  bassin 
d'or,  pour  le  service  du  Buddha,  une  tasse  d'or,  sept  pots  à  eau  en 
or,  un  bâton  de  religieux  en  or,  trois  mille  monnaies  d'or  et  trois 
mille  vêtements  de  coton  de  qualité  supérieure.  Tous  ces  dons  étaient 
proportionnés  au  mérite  de  chacun. 

Après  cette  distribution,  le  roi  fit  dresser  à  part  un  siège  orné  des 


—  160  — 

choses  les  plus  précieuses,  et  pria  le  Maître  de  la  loi  de  s'y  asseoir 
pour  présider  la  coaférence  solennelle,  faire  l'éloge  du  grand  Véhicule, 
et  exposer  le  sujet  de  la  discussion. 

Hiouen  Tsang  ordonna  alors  au  Maître  de  la  loi  Ming-hiea  (Vidyâ- 
bhadra  V),  religieux  du  couvent  de  Nâlandâ,  d'aller  faire  connaître 
ses  prolégomènes  à  la  multitude  ;  de  plus,  il  en  fit  écrire  à  part  une 
copie  qu'on  suspendit  en  dehors  de  la  porte  de  l'enceinte  afin  de  les 
offrir  à  l'examen  de  tous  les  assistants.  Il  ajouta  au  bas  :  «  Si 
quelqu'un  trouve  ici  un  seul  mot  erroné  et  se  montre  capable  de 
le  réfuter,  je  lui  donnerai  ma  tête  à  couper  pour  lui  prouver  ma 
reconnaissance  «. 

Cet  écrit  demeura  suspendu  jusqu'au  soir  sans  que  personne  osât 
prendre  la  parole. 

Le  roi  Çïlâditya  en  fut  transporté  de  joie  :  il  leva  la  séance  et  s'en 
retourna  dans  son  palais.  Les  dix-huit  rois  et  les  religieux  se  retirèrent 
chacun  dans  sa  demeure. 

Le  Maître  de  la  loi  et  le  roi  Kumâra  s'en  retournèrent  aussi  dans 
leur  palais  particulier. 

Ils  revinrent  le  lendemain  matin,  allèrent  au-devant  de  la  statue, 
la  conduisirent  en  pompe,  et  réunirent  l'assemblée  comme  la  première 
fois.  Au  bout  de  cinq  jours,  les  hérétiques  du  petit  Véhicule,  voyant 
qu'il  avait  renversé  les  principes  de  leur  doctrine,  en  conçurent  une 
haine  profonde,  et  formèrent  un  complot  contre  sa  vie. 

Le  roi,  en  ayant  été  informé,  fit  publier  le  décret  suivant  :  «  Les 
partisans  de  l'erreur  obscurcissent  la  vérité  ;  cela  s'est  vu  depuis 
longtemps.  Ils  calomnient  la  sainte  doctrine  et  séduisent  iadignement 
le  peuple.  S'il  n'y  avait  pas  de  sages  d'un  mérite  supérieur,  comment 
pourrait-on  découvrir  leur  mensonge  ?  Le  Maître  de  la  loi  de  la  Chine, 
qui  est  doué  d'une  rare  intelligence,  et  dont  la  conduite  commande 
l'estime  et  le  respect,  voyage  dans  ce  royaume  pour  déraciner  les 
erreurs,  mettre  en  lumière  la  sublime  Loi,  et  sauver  les  aveugles 
mortels  des  ténèbres  qui  les  enveloppent.  Cependant,  les  partisans 
des  erreurs  les  plus  extravagantes,  au  lieu  de  rougir  de  honte,  osent 
former  des  complots  odieux  et  menacer  sa  vie.  Tolérer  une  telle 
conduite,  ce  serait  promettre  l'impunité  aux  plus  horribles  attentats. 
Si,  dans  la  multitude,  il  se  rencontre  un  seul  homme  qui  attaque  ou 
blesse  le  Maître  de  la  loi,  je  lui  trancherai  la  tête,  et  je  ferai  couper 
la  langue  à  quiconque  se  rendra  coupable  envers  lui,  de  calomnie 


( 


—  161  — 

ou  d'injure.  Tous  ceux  qui,  se  confiant  à  ma  justice,  voudront 
s'expliquer  convenablement,  jouiront  d'une  entière  liberté  n. 

Dès  ce  moment,  les  partisans  de  l'erreur  s'esquivèrent  et  dispa- 
rurent, de  sorte  qu'il  s'écoula  dix-huit  jours  sans  que  personne  osât 
ouvrir  la  bouche  et  discuter. 

Le  soir  qui  précéda  la  dispersion  de  l'assemblée,  le  Maître  de  la  loi 
exalta  encore  le  grand  Véhicule  et  loua  avec  enthousiasme  les  mérites 
et  les  vertus  du  Buddha.  Par  suite  de  ses  prédications,  une  multitude 
innombrable  d'hommes  quittèrent  les  sentiers  de  l'erreur  pour  entrer 
dans  la  droite  voie,  et  abandonnèrent  les  vues  étroites  du  petit 
Véhicule  pour  embrasser  les  sublimes  principes  du  grand. 

Le  roi  Çïlâditya  sentit  s'accroître  encore  dans  son  cœur  l'estime 
qu'il  lui  avait  vouée.  Il  donna  au  Maître  de  la  loi  dix  mille  pièces 
d'or,  trente  mille  pièces  d'argent  et  cent  habits  de  coton  de  qualité 
supérieure.  Les  dix-huit  rois  lui  firent  aussi  de  riches  présents  ; 
mais  Hiouen  Tsang  ne  voulut  rien  recevoir. 

Le  roi  chargea  les  officiers  de  sa  suite  de  faire  équiper  richement 
un  grand  éléphant  et  de  le  couvrir  d'étoffes  précieuses  ;  puis  il  pria 
le  Maître  de  la  loi  de  le  monter.  Ensuite  il  ordonna  aux  dignitaires 
les  plus  éminents  de  former  son  cortège,  de  faire  ainsi  le  tour  de  la 
multitude  et  d'annoncer  à  haute  voix  qu'il  avait  exposé  les  principes 
de  la  vérité,  et  les  avait  fermement  établis,  sans  être  vaincu  par 
personne.  Dans  les  royaumes  de  l'occident,  il  est  d'usage  qu'on  rende 
un  tel  honneur  à  quiconque  a  obtenu  la  victoire. 

Le  Maître  de  la  loi  déclina  cette  distinction  glorieuse,  mais  le  roi 
lui  dit  :  «  Depuis  l'antiquité,  c'est  une  loi  constante  à  laquelle  il 
n'est  pas  permis  de  désobéir  ».  Alors  tenant  le  Maître  de  la  loi  par 
son  vêtement  religieux,  et  parlant  à  la  multitude,  il  cria  à  haute 
voix  :  «  Le  Maître  de  la  loi  de  la  Chine  a  établi  avec  éclat  la  doctrine 
du  grand  Véhicule  et  a  renversé  toutes  les  erreurs  des  sectaires. 
Depuis  dix-huit  jours,  il  ne  s'est  trouvé  personne  qui  osât  discuter 
avec  lui.  11  faut  qu'un  tel  triomphe  soit  connu  de  vous  tous  », 

Toute  la  multitude  fut  remplie  de  joie  et  voulut  à  l'envi  lui 
décerner  un  titre  honorable.  Les  nombreux  disciples  du  grand 
Véhicule  l'appelèrent  Mahâyânadeva,  nom  qui  signifie  le  dieu  du 
grand  Véhicule  ;  la  multitude  du  petit  Véhicule  lui  donna  le  titre  de 
Moksadeva,  c'est-à-dire  dieu  de  la  délivrance.  Ensuite  ils  brûlèrent 

11 


—  162  — 

des  parfums,  répandirent  des  fleurs  et  s'éloignèrent  après  l'avoir 
comblé  de  témoignages  de  respect. 

Par  suite  de  cet  événement,  la  renommée  de  ses  talents  et  de  ses 
vertus  ne  fit  que  se  répandre  davantage.  A  l'ouest  de  la  tente  de 
voyage  du  roi  Çïlâditya,  il  y  avait  un  couvent  qui  était  entretenu 

aux  frais  de  ce  prince.  On  y  voyait  une  dent  du  Buddha Dans  ces 

derniers  temps,  le  roi  Çïlâditya,  ayant  appris  qu'il  y  avait  une  dent 
du  Buddha  dans  le  Kasmïr,  vint  lui-même  jusqu'à  la  frontière,  et 
demanda  la  permission  de  la  voir  et  de  l'adorer  ;  mais  les  habitants, 
poussés  par  un  sentiment  d'avarice,  restèrent  sourds  à  sa  prière  ;  ils 
tirèrent  la  dent  de  la  cassette  et  la  cachèrent  dans  un  autre  endroit. 
Cependant  le  roi,  redoutant  la  puissance  de  Çïlâditya,  fit  pratiquer 
partout  des  fouilles  et  étant  parvenu  à  retrouver  cette  relique, 
s'empressa  d'aller  la  lui  présenter.  Celui-ci,  en  la  voyant,  donna  les 
marques  de  la  plus  haute  estime  et  du  plus  profond  respect.  Fier  de 
la  force  de  ses  armes,  il  s'en  empara  sur-le-champ  et  l'emporta  pour 
lui  rendre  ses  hommages.  C'était  précisément  la  dent  dont  nous 
venons  de  parler. 

Après  que  l'assemblée  se  fut  séparée,  le  roi  fit  déposer,  dans  le 
couvent  de  Nâlandâ,  la  statue  d'or  du  Buddha  qu'il  avait  fait  fondre, 
et  une  grande  quantité  de  vêtements  et  de  monnaies  précieuses  et 
en  confia  la  garde  aux  religieux.  Le  Maître  de  la  loi  fit  d'abord  ses 
adieux  aux  religieux  de  Nâlandâ,  emporta  les  livres  et  les  statues 
qu'il  avait  recueillis  et  ferma  ses  conférences.  Le  dix-neuvième  jour 
après,  il  prit  congé  du  roi  et  voulut  s'en  retourner. 

«  Votre  disciple  »,  lui  dit  le  roi,  «  a  succédé  au  trône  et  a  régné 
sur  l'univers  (l'Inde)  pendant  plus  de  trente  ans.  Constamment  je 
m'inquiétais  en  voyant  que  je  ne  faisais  point  de  progrès  dans  le 
bonheur  et  la  vertu.  Autrefois,  désolé  de  l'impuissance  de  mes  efforts 
pour  le  bien,  j'amassai  dans  le  royaume  de  Prayâga  une  immense 
quantité  de  richesses  et  de  choses  précieuses,  et  entre  les  deux 
fleuves,  j'établis  un  lieu  de  Grande  Assemblée.  Tous  les  cinq  ans, 
j'appelais  des  cinq  Indes  les  çramanas,  les  brahmanes,  les  indigents, 
les  orphelins  et  les  hommes  sans  famille,  et  pendant  soixante-quinze 
jours,  je  faisais  une  grande  distributiou,  dite  la  distribution  pour  la 
Délivrance  (Moksa).  Jusqu'à  ce  jour,  j'ai  déjà  convoqué  cinq 
assemblées  de  ce  genre  ;  maintenant,  j'en  veux  convoquer  une 
sixième.  Pourquoi,  vénérable  Maître,  ne  pas  rester  quelque  temps 
pour  y  assister  et  être  témoin  de  la  joie  qu'elle  fera  naître?  m 


—  165  — 

«  Sire  »,  lui  dit  le  Maître  de  la  loi,  «  par  tous  ses  actes,  un  Bodhi- 
sattva  recherche  à  la  fois  le  bonheur  et  l'Iatelligence.  Lorsqu'un  sage 
a  obtenu  un  fruit,  il  n'oublie  jamais  la  racine  d'où  il  est  né.  Puisque 
Votre  Majesté  n'épargne  point  ses  richesses  pour  secourir  les  hommes, 
comment  Hiouen  Tsang  pourrait-il  refuser  de  rester  quelque  temps 
avec  vous  ?  Je  vous  demande  la  permission  de  partir  avec  Votre 
Majesté  ». 

Le  roi  fut  ravi  de  cette  réponse.  Le  vingt-et-unième  jour,  il  se  mit 
en  route  et  le  conduisit  dans  le  royaume  de  Prayâga,  et  ils  se  rendirent 
ensemble  au  lieu  de  la  grande  distribution.  Le  fleuve  Gange  coulait 
au  nord  et  la  Yamunâ  au  sud.  Ces  deux  rivières,  descendant  ensemble 
du  nord-ouest,  coulaient  à  l'est  et,  arrivées  à  ce  royaume,  confondaient 
leurs  eaux.  A  l'ouest  du  confluent  des  deux  fleuves,  il  y  avait  une 
vaste  plaine,  égale  et  unie  comme  un  miroir,  qui  avait  quatorze  à 
quinze  li  de  tour.  Depuis  les  temps  anciens,  tous  les  rois  s'y  rendaient 
annuellement  pour  distribuer  des  aumônes  ;  cette  circonstance  Tavait 
fait  nommer  la  Place  des  aumônes  (Dânasthâna  ?).  La  traditiou 
rapporte  qu'il  est  plus  méritoire  de  donner  en  ce  lieu  une  pièce  de 
monnaie  que  cent  mille  ailleurs.  De  tout  temps  on  l'a  généralement 
tenu  en  graude  estime. 

Le  roi  ordonna  d'établir,  pour  la  distribution  des  aumônes,  un 
espace  carré  garni  de  haies  de  roseaux,  ayant  mille  pieds  de  chaque 
côté,  et  de  construire  au  milieu  plusieurs  dizaines  de  salles  recou- 
vertes en  chaume,  pour  y  déposer  une  immense  quantité  de  choses 
précieuses  ,  savoir  :  de  l'or,  de  l'argent,  des  perles  fines,  du  verre 
rouge  et  des  pierres  précieuses  appelées  Indranîla  et  Mahâoïla,  etc. 
Il  fit  construire,  en  outre,  plusieurs  centaines  de  longues  maisons 
pour  y  déposer  des  vêtements  de  soie  kauçeya  et  de  coton,  des 
monnaies  d'or  et  d'argent,  etc.  En  dehors  de  la  haie,  il  fit  construire 
à  part  un  immense  réfectoire.  Devant  les  bâtiments  qui  renfermaient 
des  richesses  de  tout  genre,  il  fit  élever  une  centaine  de  longues 
maisons,  disposées  en  lignes  droites  comme  les  boutiques  du  marché 
de  notre  capitale.  Chacune  d'elles  était  assez  longue  pour  que  mille 
personne  pussent  s'y  tenir  assises. 

Quelque  temps  auparavant,  le  roi  avait,  par  un  décret,  iuvité  les 
çramanas,  les  hérétiques  (Pâsandas),  les  Nirgranthas,  les  pauvres, 
les  orphelins,  et  les  hommes  seuls  (sans  famille),  à  se  réunir  sur  la 
Place  des  aumônes  (Dânasthâna),  pour  prendre  part  aux  distributions. 


—  164  - 

Comme  le  Maître  de  la  loi  n'était  pas  encore  revenu  de  l'assemblée 
de  la  ville  de  Kânyakubja,  il  partit  immédiatement  pour  se  rendre  à 
la  Place  des  aumônes.  Les  rois  des  dix-huit  royaumes  partirent  aussi 
à  la  suite  du  roi  Çïlâditya. 

Quand  ils  furent  parvenus  au  lieu  de  l'assemblée,  ils  trouvèrent 
cinq  cent  mille  religieux  et  séculiers  qui  y  étaient  déjà  arrivés. 

Le  roi  Çïlâditya  établit  sa  tente  sur  le  rivage  nord  du  Gange  ;  le 
roi  de  l'Inde  méridionale  Dhruvabhatta  établit  la  sienne  à  l'ouest  du 
confluent  des  deux  fleuves.  Le  roi  Kumâra  fit  placer  sa  tente  au  sud 
de  la  rivière  Yamunâ,  à  côté  d'un  bocage  fleuri.  Les  hommes  qui 
étaient  venus  pour  recevoir  des  aumônes,  établirent  leurs  tentes  à 
l'ouest  de  celle  du  roi  Dhruvabhatta. 

Le  lendemain  matin,  les  corps  d'armée  du  roi  Çïlâditya  et  du  roi 
Kumâra,  montés  sur  des  vaisseaux,  et  celui  du  roi  Dhruvabhatta, 
monté  sur  des  éléphants,  se  disposèrent  chacun  dans  un  ordre  impo- 
sant et  se  réunirent  près  de  la  Place  de  l'Assemblée.  Les  rois  des 
dix-huit  royaumes  se  joignirent  à  eux,  et  se  rangèrent  chacun  (avec 
leurs  troupes),  aux  endroits  qui  leur  avaient  été  assignés. 

Le  premier  jour,  dans  un  des  temples  couverts  en  chaume,  de  la 
Place  des  aumônes,  on  installa  la  statue  du  Buddha,  et  Ton  distribua 
des  choses  précieuses  et  des  vêtements  de  la  plus  grande  valeur,  on 
servit  des  mets  exquis  et  l'on  répandit  des  fleurs  aux  sons  d'une 
musique  harmonieuse,  et  le  soir  chacun  se  retira  dans  sa  tente. 

Le  second  jour  on  plaça  la  statue  du  Dieu-Soleil  (Âditya),  et  l'on 
distribua  des  choses  précieuses  et  des  vêtements,  mais  moitié  moins 
que  le  premier  jour. 

Le  troisième  jour,  on  y  plaça  la  statue  du  Dieu  suprême  (ïçvara) 
et  l'on  fit  les  mêmes  aumônes  qu'à  l'installation  du  Dieu-Soleil. 

Le  quatrième  jour,  on  fit  des  aumônes  à  environ  dix  mille  religieux 
qui  étaient  assis  en  rangs,  et  formaient  ensemble  cent  lignes  distinctes. 
Chacun  d'eux  reçut  cent  pièces  d'or,  un  vêtement  de  coton,  divers 
breuvages  et  aliments,  ainsi  que  des  parfums  et  des  fleurs.  Ces 
distributions  terminées,  ils  se  retirèrent, 

La  cinquième  fois,  on  fit  des  distributions  aux  brahmanes  ;  elles 
durèrent  vingt  jours. 

La  sixième  fois,  on  fit  des  aumônes  aux  hérétiques  ;  elles  durèrent 
dix  jours. 

La  septième  fois,  on  fit  des  aumônes  aux  Nirgranthas  des  pays 
lointains  ;  elles  durèrent  dix  jours. 


—  165  — 

La  huitième  fois,  on  fît  des  aumônes  aux  pauvres,  aux  orphelins, 
aux  hommes  seuls  ;  elles  durèrent  un  mois.  Quand  ce  terme  fut 
arrivé,  toutes  les  richesses  accumulées  pendant  cinq  ans  dans  le 
trésor  royal  se  trouvèrent  complètement  épuisées.  Il  ne  resta  plus  au 
roi  que  les  éléphants,  les  chevaux  et  les  armes  de  guerre,  qui  étaient 
nécessaires  pour  châtier  les  hommes  qui  suscitent  des  troubles  et 
protéger  son  royaume.  Pour  ce  qui  regarde  les  autres  objets  précieux, 
les  vêtements  qu'il  portait,  ses  colliers,  s^  pendants  d'oreilles,  ses 
bracelets,  la  guirlande  de  son  diadème,  les  perles  qui  ornaient  son 
cou  et  l'escarboucle  qui  brillait  au  milieu  de  sa  crête  de  cheveux,  il 
les  donna  tous  en  aumônes,  sans  en  conserver  la  moindre  chose. 

Après  avoir  épuisé  ainsi  toutes  ses  richesses,  il  demanda  à  sa  sœur 
un  vêtement  commun  et  usé,  et  après  s'en  être  couvert,  il  adora  les 
Buddhas  des  dix  contrées,  se  livra  avec  exaltation  aux  transports  de 
la  joie,  et,  joignant  les  mains,  il  s'écria  :  «  En  amassant  toutes  ces 
richesses  et  ces  choses  précieuses,  je  craignais  constamment  de  ne 
pouvoir  les  cacher  dans  un  magasin  solide  et  impénétrable.  Mainte- 
nant que  j'ai  pu  (par  l'aumône)  les  déposer  dans  le  champ  du 
bonheur,  je  les  regarde  comme  conservées  à  jamais.  Je  désire,  dans 
toutes  mes  existences  futures,  amasser  ainsi  d'immenses  richesses 
pour  faire  l'aumône  aux  hommes,  et  obtenir  les  dix  facultés  divines 
dans  toute  leur  plénitude  ». 

Après  la  clôture  définitive  des  deux  magnifiques  assemblées  (1), 
les  dix-huit  rois  recueillirent  de  nouveau  des  choses  précieuses  et  de 
grandes  sommes  d'argent  parmi  les  peuples  de  leurs  États,  rachetèrent 
le  riche  collier,  l'escarboucle  de  la  coiffure,  les  vêtements  royaux, 
etc.,  que  le  roi  Çilâditya  avait  donnés  en  aumônes,  les  rapportèrent 
et  les  lui  offrirent.  Mais  au  bout  de  quelques  jours,  les  vêtements  du 
roi  et  les  joyaux  de  la  plus  haute  valeur  furent  encore  employés  en 
aumônes  comme  la  première  fois. 

Le  Maître  de  la  loi  prit  congé  du  roi  et  lui  témoigna  le  désir  de 
s'en  retourner. 

«  Moi,  votre  humble  disciple  »,  lui  dit  le  roi,  «je  voulais,  avec 
vous,  développer  et  répandre  au  loin  la  Loi  que  nous  a  léguée  lo 


(1)  La  première  où  l'on  convoqua  les  plus  célèbres  docteurs  de  l'Inde  pour 
discuter  avec  Hiouen-Tsang  ;  la  seconde,  décrite  ci-dessus,  où  l'on  tlt  une 
immense  distribution  d'aumônes. 


—  166  — 

Buddha.  Pourquoi  mon  vénérable  Maître  s'en  retourne-t-il  subite- 
ment ?  H  Hiouen  Tsang  s'arrêta  donc  encore  pendant  une  dizaine  de 
jours. 

De  son  côté,  le  roi  Kumcâra  lui  donna  pareillement  des  témoignages 
de  dévoûment  et  d'affection  :  «  Maître  »,  lui  dit-il,  «  si  vous  pouvez 
rester  auprès  de  votre  disciple  pour  recevoir  ses  hommages,  je  regar- 
derai comme  un  devoir  de  vous  construire  cent  couvents  ». 

Le  Maître  de  la  loi,  voyant  que  les  deux  rois  persistaient  à  le 
retenir,  finit  par  leur  adresser  des  paroles  où  perçait  l'amertume  de 
son  cœur  :  «  La  Chine  »,  leur  dit-il,  «  est  séparée  d'ici  par  un  inter- 
valle immense,  et  ce  n'est  que  bien  tard  qu'elle  a  entendu  parler  de 
la  loi  du  Buddha.  Quoiqu'elle  en  ait  une  connaissance  sommaire,  elle 
n'en  peut  embrasser  l'ensemble.  C'est  pour  cela  que  je  suis  venu  m'en 
instruire  dans  les  contrées  étrangères.  Si  je  désire  aujourd'hui  m'en 
retourner,  c'est  que  les  sages  de  ma  patrie  soupirent  après  moi  et 
m'appellent  de  tous  leurs  vœux.  Aussi  ne  puis-je  m'arrêter  un  instant 
de  plus  et  mettre  en  oubli  ces  paroles  des  livres  sacrés  :  «  Quiconque 
aura  caché  la  Loi  aux  hommes  sera  frappé  de  cécité  dans  toutes  ses 
existences  ».  Si  donc  vous  retenez  davantage  Hiouen  Tsang,  vous 
serez  cause  que  des  peuples  innombrables  seront  privés  du  bonheur 
de  connaître  la  Loi  ;  ne  craignez- vous  pas  d'être  frappés  aussi  de 
cécité  ?  ». 

«  Maître  »,  s'écria  le  roi,  «  votre  disciple  estime  et  chérit  votre  haute 
vertu,  et  son  vœu  le  plus  ardent  est  de  la  contempler  et  de  vous 
servir  pour  toujours.  Si  j'empêchais  le  bonheur  d'une  multitude 
d'hommes,  j'avoue  que  mon  cœur  serait  en  proie  à  la  crainte.  Je 
vous  laisse  libre  de  partir  ou  de  rester  ;  mais  si  vous  me  quittez, 
j'ignore  par  quelle  route  vous  vous  proposez  d'effectuer  votre  retour. 
Si  vous  prenez  la  voie  de  la  mer  du  sud,  je  veux  vous  faire  accom- 
pagner par  des  envoyés  officiels  ». 

«  Sire  »,  répondit  le  Maître  de  la  loi,  «  lorsque  je  venais  de  quitter 
la  Chine,  j'arrivai,  sur  les  frontières  de  l'ouest,  dans  un  royaume 
nommé  Kao-tch'ang,  dont  le  roi,  rempli  de  lumières,  était  passionné 
pour  la  loi.  Quand  il  eut  vu  que  Hiouen  Tsang  venait  ici  pour 
s'instruire  dans  la  vraie  doctrine,  il  en  éprouva  une  profonde  joie,  lui 
fournit  en  abondance  tout  ce  qui  lui  était  nécessaire,  et  exprima  le 
vœu  qu'à  son  retour  le  Maître  de  la  loi  passât  par  son  royaume  et 
vînt  lui  rendre  visite  :  c'est  un  devoir  auquel  mon  cœur  ne  peut  se 
refuser.  Aujourd'hui  donc  je  pars  par  la  route  du  nord  ». 


—  167  — 

«  Maître  »,  lui  demanda  le  roi,  «  faites-moi  connaître  la  quantité 
de  provisions  qui  vous  est  nécessaire  ». 

«  Je  n'ai  besoin  de  rien  »,  lui  dit  le  Maître  de  la  loi. 

"  Je  ne  puis  souffrir  »,  reprit  le  roi,  «  que  vous  partiez  ainsi  ». 

En  disant  ces  mots,  il  ordonna  de  lui  remettre  des  pièces  de 
monnaie  d'or,  des  vêtements,  etc.  Le  roi  Kumâra  lui  donna  aussi  une 
multitude  de  choses  précieuses  ;  mais  le  Maître  de  la  loi  ne  voulut 
rien  recevoir  d'eux  à  l'exception  d'un  vêtement  de  duvet  fin  nommé 
Ho-la-li,  (Halâli  ?)  provenant  du  roi  Kumâra,  et  qui  était  destiné  à 
le  protéger,  en  voyage,  contre  Thumidité  et  la  pluie. 

Là-dessus  il  prit  congé  et  partit. 

Les  deux  rois  avec  une  suite  nombreuse,  l'accompagnèrent  à  une 
distance  de  plusieurs  dizaines  de  li  ;  au  moment  de  se  dire  un  dernier 
adieu,  chacun  d'eux  versa  des  larmes  et  poussa  de  longs  soupirs. 

Le  Maître  de  la  loi  confia  les  livres  et  les  statues  à  un  roi  de  l'Inde 
du  nord  nommé  Ou-ti-to  (Udita  ?)  qui  devait  les  faire  transporter  à 
petites  journées  sur  le  dos  des  chevaux  et  sur  les  chars  de  l'armée. 
Ensuite,  le  roi  Çïlâditya  confia  au  roi  Ou-ti-to  un  grand  éléphant, 
ainsi  que  trois  mille  pièces  d'or  et  dix  mille  pièces  d'argent  pour 
subvenir  aux  frais  de  voyage  du  Maître  de  la  loi. 

Trois  jours  après  le  départ  de  Hiouen  Tsang,  les  rois  Çîlâlitya, 
Kumâra,  Dhruvabhatta,  etc.,  prirent  plusieurs  centaines  de  cavaliers 
et  partirent  une  seconde  fois  pour  le  reconduire  et  lui  faire  leurs 
adieux.  Telles  furent  les  marques  de  dévoûment  et  d'affection  dont 
le  combla  Çïlâditya.  Ce  n'est  pas  tout  :  il  envoya,  en  outre,  quatre 
Ta-Kouan  (conducteurs  officiels)  qu'on  appelait  Mo-ho-ta-lo  (Mahâ- 
târas  ?)  (1).  11  écrivit  des  lettres  sur  des  pièces  de  coton  blanc,  et,  les 
ayant  cachetées  avec  de  la  cire  rouge,  il  ordonna  aux  Ta-Kouan  de 
conduire  le  Maître  de  la  loi,  et  de  présenter  ces  lettres  dans  tous  les 
royaumes  où  il  passerait,  afin  que  chaque  prince  lui  fournît  succes- 
sivement des  chars  pour  le  conduire  jusqu'aux  frontières  de  la  Chine. 


(1)  Les  syllabes  Mo-ho-ta-lo  où  Julien  a  vu  le  mot  "  Maluitrira  -,  étaient-ils 
employées  par  Hiouen  Tsang  pour  transcrire  le  mot  sanskrit  maluittara, 
qu'on  trouve  dans  le  Kathà-sârU-sàgara  pour  désigner  un  chambellan? 


APPENDICE  III. 
Les  vers  de  Harsa. 


I.  Le  Supeabhâtastotea. 

M.  Bendall,  dans  le  Catalogue  des  MSS.  Sanskrits  Bouddhistes  à 
Cambridge,  p.  138.  (MS.  Add.  1614.  Collection  de  Stotras),  décrit  un 
hymne  attribué  à  Harsa-deva-bhûpati.  Aj'ant  pu  examiner  ce 
manuscrit,  grâce  à  la  bienveillance  du  bibliothécaire  de  la  bibliothèque 
de  l'Université  de  Cambridge,  j'ai  pu  l'identifier  avec  le  Suprabhà- 
tastotra  de  Harsa  déjà  connu. 

Ce  poème  se  trouve  avec  d'autres  stotras  dans  un  manuscrit 
népalais  de  B.  H.  Hodgson  maintenant  à  l'India  Office  Library 
(I.  0.  2921).  Un  autre  manuscrit  se  trouve  dans  la  collection  de  la 
Société  Asiatique  du  Bengale.  Un  troisième  est  à  la  Bibliothèque 
Nationale  à  Paris.  Minayeff,  avec  l'aide  de  ces  manuscrits  et  de  trois 
autres  qui  lui  étaient  accessibles  (1),  en  a  publié  dans  le  Journal  de  la 
Société  Russe  d'Archéologie  le  texte  avec  traduction  russe  (2).  M.  Tho- 
mas, le  bibliothécaire  de  l'India  Office  Library,  en  a  publié  le  texte 
dans  le  Journal  de  la  Société  Asiatique  Anglaise  (3)  vis-à-vis  d'une 
version  tibétaine  qui  se  trouve  dans  le  premier  volume  du  Tanjur 
(Bstod,  foll.  262-4).  Ici,  comme  dans  les  manuscrits  de  Minayeff, 
l'ouvrage  est  attribué  au  roi  Çrï  Harsadeva,  et  dans  le  dernier  vers 
de  l'ouvrage,  on  peut  lire  en  effet  le  mot  harsa  en  confirmation  du 
tibétain.  Ce  stotra  est  un  hymne  matinal  adressé  au  Buddha,  dont  la 
foi  demeure  dans  une  aurore  éternelle,  tandis  que  les  autres,  divinités 
et  sages,  y  compris  le  soleil,  se  tiennent  endormis  et  engourdis  dans  la 


I 


(1)  Un  manuscrit  avait  une  version  Newari. 

(2)  Zapiski.  N.  S.  tome  II,  fasc.  III,  pp.  236-237,  Prières  Bouddhiques. 

(3)  J.  R.  A.  S.  1903,  p.  704  ;  un  autre  MS.  semble  se  trouver  à  Tiibingen, 
d'après  le  Cat.  des  MSS.  Sanskrits,  p.  78  (MS.  n°  182  F).  Je  n'ai  pas  eu  occasion 
de  le  voir. 


—  169  — 

paresse.  Dans  le  manuscrit  de  l'India  Office,  le  texte  est  suivi  d'une 
version  népalaise.  Le  mètre  «  Mâlinï  »  est  employé  dans  d'autres 
vers  adressés  à  l'aurore.  Je  publie  le  texte  de  M.  Thomas  avec 
quelques  corrections  d'après  le  MS.  de  Cambridge,  en  notant  par  G. 
les  variantes  du  manuscrit  de  Cambridge  (p.  175). 
Salut  au  Buddha,  salut  à  la  Loi,  salut  à  l'Assemblée  ! 

1.  Celui  qui  est  loué  par  la  multitude  des  dieux,  par  les  Siddhas, 
par  les  Gandharvas,  par  les  Yaksas,  au  ciel  et  sur  la  terre,  par  les 
ascètes  principaux,  avec  des  louanges  nombreuses  et  variées,  moi 
aussi  je  le  salue,  m'attribuant  ce  pouvoir,  lui  le  noble,  l'illuminé.  Les 
abeilles  ne  vont-elles  pas  au  ciel  traversé  par  Garuda  ? 

2.  Celui,  eu  qui  le  penchant  pour  le  mal  est  annihilé  et  toute  faute 
a  disparu,  qui  est  de  la  couleur  de  l'or  fondu,  qui  a  des  yeux;  longs 
comme  le  lotus  épanoui,  qui  a  des  robes  resplendissantes,  qui  a 
l'éclat  d'une  sphère  brillante  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que 
toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

3.  Celui  qui  est  le  vainqueur  des  pouvoirs  de  l'amour  (de  Mâra), 
le  destructeur  des  voies  du  mal,  le  faiseur  du  bien  dans  les  trois 
mondes,  qui  dégage  les  entrelacements  des  lianes  —  qui  sont  les 
femmes,  —  qui  donne  les  fruits  de  la  béatitude,  produits  de  la 
tranquillité,  qui  fend  la  montagne  d'ignorance  ;  pour  toi,  qui  as  les 
dix  pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

4.  Le  premier  en  fait  de  naissance  parmi  les  démons,  les  dieux,  les 
hommes,  le  chef  des  dieux,  seigneur  de  tous  les  mondes,  la  seule  voix 
dans  la  création  du  monde,  le  créateur  des  hommes,  né  d'un  lotus, 
Svayambhû,  dort  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que  toujours  le 
bonjour  soit  bon  ! 

5.  Debout  sur  la  pente  des  montagnes  orientales,  rouge  comme  un 
fragment  de  corail,  frappant  les  masses  des  ténèbres,  l'œil  unique  des 
hommes,  le  Soleil  inquiet  lai-même  dort  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix 
pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

6.  Jaune  comme  une  dent  d'éléphant,  ornement  sur  le  front  de  la 
nuit,  tiare  sur  la  tête  du  monde  entier,  ayant  les  passions  de  l'amour 
non  assouvies,  la  Lune,  aux  froids  rayons,  elle-même  dort  ;  pour  toi, 
qui  as  les  dix  pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

7.  Ayant  de  quadruples  bras  et  seize  quarts  de  visages,  connaissant 
la  règle  de  rinjoaction  de  la  prière,  récitateur  du  Sâmaveda,  né  du 
lotus  pur,  Brahma  lui-même  dort  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs, 
que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 


—  170  — 

8.  Bleu  comme  le  pétale  du  lotus,  ayant  de  longs  yeux  de  lotus, 
destructeur  du  pouvoir  des  ennemis  des  dieux,  omnipotent,  ayant 
toutes  les  formes,  Hari,  non  délivré  de  la  matrice,  lui-même  dort  ; 
pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

9.  Debout  sur  le  sommet  de  l'Himalaya,  ayant  des  serpents  en 
guise  de  corde  sacrée,  habile  à  allumer  les  trois  villes  (des  démons), 
au  manteau  en  peau  de  tigre,  en  compagnie  de  la  lilie  du  chef  des 
montagnes,  le  Maître  du  trident  lui-même  dort  ;  pour  toi,  qui  as  les 
dix  pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

10.  Tenant  à  la  main  une  hache  flamboyante,  l'ennemi  invincible 
des  Dânavas,  le  seigneur  des  dieux  (Indra)  lui-même,  son  intelligence 
hébété  par  un  entretien  galant  avec  Çacî,  dort  jour  et  nuit,  plongé 
dans  la  fange  de  l'amour  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que 
toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

11.  Comme  le  lotus  sous  la  froide  lune,  les  yeux  rougis  par  des 
potions  de  vin,  aux  bras  forts  et  rudes,  le  laboureur,  une  Çakti  à  la 
main,  Bala,  ici  est  couché  embrassant  le  cou  de  Revatï  ;  pour  toi,  qui 
as  les  dix  pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

12.  Celui  qui  a  une  seule  dent  dans  son  visage  d'éléphant,  qui 
enlève  tous  les  obstacles,  dont  les  gouttes  d'ichor  tombent  incessam- 
ment, dont  les  joues  sont  parsemées  d'essaims  d'abeilles,  Ganapati 
lui-même,  ami  des  potions  de  liqueurs,  dort  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix 
pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

13.  Celui  qui  a  une  Çakti  bleue  comme  la  fleur  atad  au  bout  des 
doigts,  beau  comme  le  jeune  lotus,  ayant  six  visages,  qui  fendit  la 
montagne  Kraunca,  fils  de  celui  qui  a  trois  yeux,  Kumâra,  lui  même 
dort  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour 
soit  bon  ! 

14.  Ayant  des  masses  tannés  de  cheveux  nattés,  les  youx  d'un  rouge 
de  cuivre  comme  le  sang,  Paçupati  dont  la  rage  est  bouillante  et  la 
fureur  extrême,  le  corps  tourmenté  des  flèches  de  l'amour,  le  dieu 
du  feu,  lui-même  dort  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que 
toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

15.  Yama,  Varuna,  Kuvera,  les  Yaksas,  les  Daityas,  les  Nâgas,  sur 
la  terre,  au  ciel,  dans  l'air,  et  les  autres  Lokapâlas,  contemplés  par 
les  regards  obliques  amoureux  des  nymphes,  eux  mêmes  dorment  ; 
pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que  toujours  le  boniour  soit  bon  ! 

16.  Ici  les  grands  Rçis,   Vatsa,  Bhrgu,  Angiras,  Kratu,  Pulaha, 


—  171  — 

Vasistha,  Vyâsa,  Vrilmïki,  Garga,  infatués  par  les  entretiens  galants 
avec  les  nymphes  d'autrui  eux-mêmes  dorment  ;  pour  toi,  qui  as  les 
dix  pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

17.  Plongés  dans  l'océan  de  la  vie,  leurs  membres  couverts  par  les 
mailles  de  rillusion,  Maau,  Kapila,  Kanâda,  en  confusion,  leur 
intelligence  hébétée,  stupides,  privés  des  fruits  de  la  béatitude,  pro- 
duits de  la  tranquillité,  eux-mêmes  dorment  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix 
pouvoirs,  que  toujours  le  bonjour  soit  bon  ! 

18.  Sans  nourriture, sans  vêtements,  en  état  de  conception, difformes, 
pareils  à  des  revenants  en  tourment,  leurs  corps  bien  torturés  par  des 
coups  de  toute  sorte,  empêchés  d'arriver  aux  deux  états  (le  ciel  et  la 
terre)  nus,  ils  dorment  ;  pour  toi,  qui  as  les  dix  pouvoirs,  que  toujours 
bonjour  soit  bon  ! 

19.  Journellement  je  salue  le  Buddha  qui  a  un  bonjour,  qui  a  une 
bonne  étoile,  qui  est  salué  avec  béatitude,  je  salue  la  Loi,  je  salue 
l'Assemblée. 

20.  Bonjour  à  toi,  le  seul  dont  les  yeux  sont  ouverts  par  la  con- 
naissance. Le  Soleil  a  disparu  [c'est-à-dire  le  Buddba  est  mort]  éter- 
nellement pour  ceux  qui  sont  aveuglés  par  les  ténèbres  de  l'igno- 
rance. 

21.  Le  jour  revient  ;  le  soleil  revient  ;  la  lune  revient  ;  la  nuit  re- 
vient ;  ils  reviennent  tous,  la  mort,  l'âge,  la  naissance,  ô  saint,  mais 
les  sots  ne  comprennent  point  la  transmigration. 

22.  Pendant  que  le  Temps  dort  dans  les  ténèbres  de  la  nuit  du 
sommeil  de  l'ignorance,  sur  le  large  lit  du  désir,  sur  le  sommeiller 
de  l'objet  des  sens,  sur  lequel  les  fruits  des  bonnes  et  mauvaises 
actions  s'éparpillent,  salut  à  lui  qui  veille  pour  l'éternité  ! 

23.  Aux  gués,  des  centaines  de  têtes  de  bétail  boivent  de  l'eau  et 
se  rassassient,  mais  l'eau  n'est  jamais  épuisée  ;  de  même  quand  le 
saint  est  loué  par  des  centaines  de  poètes,  la  liste  de  ses  vertus  n'est 
point  épuisée  en  lui  qui  en  est  l'océan. 

24.  En  louant  le  Maître  du  monde,  le  prince  des  grands  saints, 
l'arbre  de  la  justice  de  la  bonne  Loi,  la  Loi  sans  les  couples  (le  plai- 
sir et  la  douleur),  le  destructeur  des  ténèbres  de  la  passion  et  du 
péché,  dont  le  corps  est  libre  de  passions,  qui  est  libre  du  désir, 
quelle  sainteté  devrais-je  obtenir  !  Par  cette  sainteté  même,  (pie  le 
monde  entier,  réjoui  par  les  louanges  du  matin,  trouve  la  foi  su- 
prême en  lui  qui  a  les  dix  pouvoirs  ! 


—  172  — 


Fin  du  Suprabhatastotra  adresse  à  Buddha  le  Maître 

ET  COMPOSÉ  PAR  LE  ROI  HaRSADEVA. 

Om  uamo  buddhâya,  namo  dharmâya,  namah  sainghâya. 

Stutam  api  surasamghaih  siddhagandharvvayaksai- 

r  divi  bhuvi  suvicitraih  stotravâgbhir  yyatîçaih  | 

aham  api  krtaçaktir  naumi  sambuddham  âryyaiu 

nabhasi  garudayâte  kiin  na  yâati  dvirephâh  ||  1  || 

ksapitaduritapaksah  ksïnaaihçesadosah 

dravitakanakavarunah  phullapadmâyatâksah  | 

suruciraparivesah  suprabhâmaiidalaçrî- 

r  daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  2  || 

raadanabalavij  etuh  kâpathocchedakarttu- 

s  tribhuvanahitakarttuh  strïlatâjâlaharttuh  | 

çamasukhaphaladâtur  bhettur  ajnânaçailam 

daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  3  || 

asurasuranarânâm  yo'graj  anmâgradaivah 

sakalabhuvauanâtho  lokasrstyekaçabdali  | 

svapiti  manujadhâtâ  padmayonih  svayambhû- 

r  daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  |1  4  || 

udayagiritatastho  vidrumacchedatâmra- 

s  timiranikarahantâ  caksur  ekam  prajâuâin  | 

ravir  api  parilolah  sarvvathâ  so  'pi  supto 

daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  5  || 

dviradadaçanapânduh  çïtaraçmih  çaçâmka- 

s  tilaka  iva  rajanyâh  sarvvacûdâmanir  yyah  | 

avigatamadarâgah  sarvvathâ  so  'pi  supto 

daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  6  || 

pravarabhuj  acatuskah  sodaçârdhârdhavaktro 

japaniyamavidhijûah  sâmavedapravaktâ  | 

amalakamalayonih  so  'pi  brahmâ  prasupto 

daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  7  || 

kuvalayadalanïlah  pundarïkâyatâksah 

suraripubalahantâ  viçvakrd  viçvarûpï  | 

harir  api  cirasupto  garbhavâsair  amukto 

daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  |1  8  || 


—  173  — 

himagiriçikharasthah  sarppayajnopavîta- 
s  tripuradahanadakso  vyâghracarmmottarïyah  | 
saha  girivarapntryâ  so  'pi  suptas  triçûlï 
daçabala  tava  nityara  suprabhâtam  prabhâtam  ||  9  || 
jvalitakuliçapânir  durjjayo  dânavârih 
surapatir  api  çacyâ  vibhrame  rarulhacetâh  | 
aniçi  niçi  ca  suptali  kâmapamke  nimagno 
daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  10  | 
himaçaçikumuJâbho  madyapâaârunâkso 
drdhakathinabhujânigo  lamgalî  çaktihastah  | 
bala  iha  çayito  'sau  revatïkanthalagno 
daçabala  tava  uityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  11  | 
gajamukhadaçanaikah  sarvvato  vighnahantâ 
vigalitamadadhârah  satpadâkïrnagandah  | 
ganapatir  api  supto  vâruuïpânamaitro 
daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  H  12  | 
atasikusumanîiâ  yasya  çaktih  karâgre 
navakamalavapusmâû  sanmukhah  kraiimcahantâ  | 
trinayanatanayo  'sau  nityasuptah  kumâro 
daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  13 
kapilaj  atakalâpo  raktatâmrârunâksah 
paçupatir  atikâle  dagdhakopâtidaksah  | 
smaraçaradalitâmgah  so  'pi  supto  hutâço 
daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  14 
yamavaruiiaku  7erâ  yaksadaityoragendrâ 
divi  bhuvi  gagaue  va  lokapâlâs  tathânye  | 
yuvatimadakatâksair  vïksitâs  te  'pi  suptâ 
daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  |1  15 
rsaya  iha  mahâato  vatsabhrgvamgirâdyâh 
kratupulahavasisthâ  vyâsavâlmîkigarggâh  | 
parayuvativilâsair  mohitâs  te  'pi  suptâ 
daçabala  tava  nityam  suprabhâtam  prabhâtam  ||  16 
bhavajalanidhimagnâ  mohajâlâvrtâmgâ 
manukapilakanâdâ  bhrâmitâ  mûdhacittâh  | 
çamasukhaphalahïûâ  bâliçâs  te  'pi  suptâ 
daçabala  tava  nityam  suprabbâtain  prabhâtain  ||  17 
açanavasanahïnâ  bhâvyamâuâ  virûpâ 
alam  akhilavighâtail?  pretavad  dagdhadohâlj  | 


__   174  — 

ubhayagativihïnâ  nityasuptâç  ca  nagnâ 
daçabala  tava  nityam  suprabhâtainprabhâtam  ||  18  || 
suprabhâtam  suQaksatram  çreyahpratyabhiuaiiditam  | 
buddham  dharmam  ca  samgham  ca  prauamâmi  dine  diae  ||  19  1| 
suprabhâtam  tavaikasya  jûâQonmïlitacaksusah  | 
ajnânatimirâQdhâaâni  nityam  astamito  ravih  1|  20  j] 
punah  prabliâtam  punar  utthito  ravih 
punah  çaçâmkah  punar  eva  çarvvarï  | 
mrtyur  jarâ  janma  tathaiva  he  mune 
gatâgatim  mûdhajano  na  budhyati  ||  21  || 
ajùânanidrârajauîtaniasi  prasupte 
trsnâviçâlaçayane  visayopadhâne  | 
kâle  çubhâçubhaphalam  parikïryyamâne 
jâgartti  yah  satatam  eva  namo  'stu  tasmai  ||  22  || 
tïrthesu  gokulaçatâni  pibanti  toyam 
trptim  vrajanti  na  ca  tatksayam  abhyupaiti  | 
evam  muneh  kaviçatair  api  samstutasya 
na  ksïyate  gunanidhir  gunasâgarasya  ||  23  || 
stutvâ  lokagurum  mahâmunivaram  saddharmmapuuyadrumam 
nirdvandvam  hatarâgadosatimiram  çântendriyain  nihsprham  | 
yatpuuyam  samupârjitam  khalu  raayâ  teuaiva  loko  'khilah 
pratyûsestutiharsito  daçabale  çraddhâm  parâm  vindatâiu  ||  24  || 
Iti  çrî  buddhabhattârakasya  Harsadevabhûpativiracitam  suprabhâ- 

[tastotram  samâptam. 


1/0 


Vaeiantes. 

Les  italiques  reproduisent  les  variantes  propres  au  MS.  de  Cam- 
bridge. 
Il  manque  à  Thomas  «  namo  dharmâya,  namo  samghclija  ». 
4.  b.        Thomas  :  bhuvanadhâtau. 

4.  c.  C.   ambuyonih. 

5.  b.  C.    kirauahantâ.  Thomas  :  °kulani. 

5.  c.  Thomas  :  madalolah. 

6.  b.  C.  "cUclci))iaiiïuah 

7.  b.  C.  sâmavedo. 

8.  a.  C.  pimrînlïka. 

b.  C.   sararipuhhamahanto.  Thomas  :  °vara. 
b.  C.  °Jîrdviçvo. 

9.  c.  C.    °ciJihayâbhah. 

10.  a.        Thomas  :  dânavânâm. 

b.  C.   "cittah. 

12.  a.  C.  sarvathâ. 

c.  C.   vârumpânameUro.  Thomas  :  °matto. 

13.  a.       Thomas  :  "nilo. 
c.  C.   so'2)i  siiptah. 

14.  a.  C.  jvalitajatahalapS,. 

c.  C.   samarasadalitâm^ah. 

16.  b.  C.    et  Thomas  :  °çisthâ. 

17.  b.  C.   ^'kaiiâdya. 

c.  Thomas  :  "parïhïnâ. 

19.       C.   transpose  les  vers  20  et  19. 
19.  a.  C.   sunaksatre,  çriyd°. 

21.  a.        Thomas  :  prabhâta. 

d.  C.   gatâyatl.  Thomas  :  budhyate. 

22.  a.        Thomas  :  "itvam  asi  prasuptâ. 
c.  C.   parikïrttamâno. 

23.  b.  C.  hsayamatyupaiti. 

c.  C.   kaviçaUni  pibanti  te'sya.  Thomas  :  mune. 

24.  a.        Thomas  :  punyodgamam. 

Il  manque  à  Thomas  le  colophon  entier  qui  ne  se  retrouve  que 
dans  le  tibétain. 


—  176  — 


II.    L'ASTAMAHÂÇRÏCAITYASAMSKRTASTOTRA. 

L'hymne  aux  huit  grands  Caityas  vénérables  (1)  (en  chinois 
Pa-ia-ling-fa-fan-tsan,  en  sanscrit,  Asia-mahâ-çn-caifya-samsJirta- 
stotra)  est  attribué  par  la  tradition  chinoise  au  roi  indien  Kiai-jen 
«  le  soleil  de  la  vertu  »,  et  Hiouen  Tsang  nous  a  appris  à  reconnaître 
sous  cette  traduction  l'empereur  Harsa  Çïlâditya.  Le  poème  se 
compose  de  cinq  stances,  la  première  en  niandaJcrânt/î,  les  quatre 
autres  en  Sragdhara.  Le  moine  Fa-hien  a  transcrit  l'original  sanscrit 
en  caractères  chinois. 

Le  titre  du  poème  n'en  indique  pas  exactement  l'objet.  L'auteur 
ne  rend  pas  seulement  hommage  aux  huit  lieux  sacrés,  mais  aussi  à 
tous  les  Stupas,  à  tous  les  Caityas,  à  tous  les  Dhâtugarbas  de  la  terre 
entière. 

M.  Lévi  présente  deux  hypothèses  auxquelles  le  petit  poème  de 
Harsa  devrait  sa  singulière  conservation  dans  le  canon  chinois.  Ou 
bien  Fa-hien  (2),  élève  du  monastère  de  Nâlandâ,  en  a  rapporté  les 
stances  qu'il  a  transcrites,  ou  bien  Hiouen  Tsang  les  avait  reçues  de 
son  hôte  royal  à  titre  de  souvenir  amical  et  pieux  ;  consacrées  par  le 
nom  vénéré  du  moine  et  du  roi,  elles  ont  été  admises  plus  tard  dans 
le  canon. 

«  Les  deux  stotras  du  Népal  et  de  la  Chine  ont  un  air  de  parenté 
qui  frappe  :  l'un  et  l'autre  semblent  être  des  litanies  accommodées 
par  un  versificateur  adroit,  l'un  et  l'autre  se  réduisent  presque 
entièrement  à  une  savante  énumération  de  noms,  avec  un  refrain  au 
bout  des  stances  (3)  «. 

Hymne  aux  huit  grands  Temples  sacrés. 

1. 

La  Naissance  du  Buddha,  l'Illumination,  très  excellente,  sans 
égale,  la  Roue   de   la   Loi,  pleine   de   délices,  le  Temple  primitif 

(1)  B.  N.,  1071. 

(2)  La  transcription  se  place  entre  982  et  1001,  puisqu'elle  est  signée  Fa- 
t'ien,  nom  que  le  moine  changea  en  982  en  Fa  hien. 

(3)  Le  tibétain  dit  que  Y Astamahâçrïcaityastotra  a  été  composé  par  le 
roi  pour  le  salut  de  sa  mère  (ou  bien  des  mâtfs  ?). 


-    177  — 

adoré  des  Trois  Mondes,  les  grands  pouvoirs  magiques  ;  l'endroit  qui 

se  trouve  dans   l'Himalaya,  la  descente  sur  la  terre  du  roi  des  dieux, 

j'adore,  la  tête  baissée,  les  lieux  oii  les  Buddhas  sont  arrivés  au 

Nirvana. 

2. 

Les  Temples  du  Maître  à  Vaiçâlï  à  la  Roue  de  la  Loi,  sur  la  pente 

do  la  montagne  Çiçuma,  sur  la  rive  du  Bhîsmakâyodhi  (?)  à  Çrâvastî 

à  la  racine  (de  l'arbre)  de  l'illumination,  à  l'excellente  Kuçiuagara, 

à  Lumbiuî  à  Kapilavastu  ;  à  Kauçambï,  à  Smerakostha,  à  l'excellente 

ville  de  Mathura,  dans  le  royaume  de  Nandagopa,  ceux-là  avec  tous 

les  autres  Temples  du  (Maître  qui  aies)  dix  pouvoirs,  je  les  adore  de 

la  tête. 

3. 

Les  Reliquaires  au  Kasmïr,  en  Chine,  àKbasatata,  sur  la  Yamunâ, 
au  Marvâra,  au  Ceylan,  au  Lâta,  à  l'Odra,  au  Sindbu,  au  Paundra, 
au  Samatata,  au  Magadha,  au  Mekhala,  au  Kosala  ;  au  Népal,  au 
Kâmarûpa,  à  l'excellente  ville  de  Kalaça,  aux  royaumes  de  Kâùcï  et 
de  Saurâstra,  ceux-là  avec  les  autres  Reliquaires  du  (Maître  qui  a 
les)  dix  pouvoirs,  je  les  adore  de  la  tête. 


Les  Reliquaires  au  Mont  Kailâsa,  au  Mont  Hemakûta,  à  l'Himalaya, 
au  Mont  Mandara,  au  sommet  du  Mont  Meru,  à  Pâtâla,  à  Vaijayanta, 
à  la  demeure  de  Dhanapati,  aux  mondes  des  Siddbas  et  des 
Gandharvas  ;  dans  l'œuf  de  Brahma,  dans  la  terre  de  Visnu,  au 
territoire  de  Paçupati,  aux  mondes  de  la  Lune  et  du  Soleil,  ceux-là 
avec  les  autres  Reliquaires  du  (Maître  qui  a  les)  dix  pouvoirs,  je  les 

adore  de  la  tête. 

5. 

Les  huit  Reliquaires  du  (Maître  qui  a  les)  dix  pouvoirs,  et  les 
Temples  appelés  «  Urnes  «,  et  les  autres  appelés  «  Charbons  », 
luisants  comme  l'or  et  l'argent,  splcndides  avec  les  bijoux  des 
châsses,  les  Reliquaires  placés  dans  le  monde  souterrain,  sur  la 
terre  ou  sur  le  sommet  des  montagnes  partout,  les  imagos  des 
Buddhas,  plus  d'une  fois  par  jour,  je  les  adore  de  la  tête. 

Fin  de  l'adoration  des  huit  grands  Temples. 


—  478  — 

A§TA-MAHÂ-ÇRÏ-CA.ITTA-SAMSKRTA-STOTEA 

1. 

Jâtim  bodhim  pravaram  atularn 

dharmacakram  ca  ramyam 

caitvam  câdyam  tribhuvanamahitam 

çrïmahâprâtihâryam  | 

sthânam  cedam  himagirinilayam 

devadevâvatârara 

vande  'bam  pranamitacirasâ 

nirvrtâ  yatra  buddbâh  || 

2. 

vaicâlyâm  dharmacakre  çiçumagiritate 

bbîsmakâyoditïre 

çrâvastyâ  bodbimïîle  kuçinagaravare 

lumbinîkâpilâlye  | 

kauçarabyâ  smerakostbe  matburavarapure 

nandagopasya  râstre 

ye  cânye  çâstrcaityâ  daçabalabalinas 

tâa  namasyâmi  murdbnâ  || 


kaçraîre  cîaadeçe  kbasatatayamune 

marvare  siùhale  va 

lâtodre  sindbupaundre  samatatamagadbe 

mekbale  kosale  va  | 

nepâle  kâmarûpe  kalaçavarapure 

kâùcisaurâstrarâstre 

•  •  •  • 

ye  cânye  dhàtugarbhâ  daçabalabalinas 
tâû  namasyâmi  murdbnâ  || 


kailâse  hemakûte  himagirinilaye 
mandare  meruçrnge 


—  179  — 


pâtâle  vaij  ayante  dhanapatinilaye 

siddhagaadharvaloke  | 

brahmânde  visnubhûmau  paçupatibhavane 

candrasûryâdiloke 

ye  cânye  dhâtugarbhâ  daçabalabalinas 

tan  namasyâmi  murdhnâ  || 


ye  câstau  dhâtugarbhâ  daçabalabalinah 

kumbhasamjnâç  ca  caityâ 

angârâkhyâs  tathâaye  himarajatanibhâh 

stûparatnaprakâçâh  | 

pâtâle  ye  ca  bhûmyâ  giriçikharagatâh 

sarvato  dhâtugarbhâ 

buddhânâin  yâni  bimbâ  pratidinam  asakrt 

tâni  murdhnâ  namâmi  |i 

Astamahâcaityavandana  samâpta. 

III.  Feagments. 

Le  vers  çârdûlavikrïdita  sur  Râjyavardhana  dans  l'inscription  de 
Madhuban  est  peut-être  de  la  main  même  de  Harsa,  mais  on  peut 
tout  aussi  bien  l'attribuer  au  poète  officiel  qui  d'ordinaire  en  faisait. 
En  voici  la  traduction  : 

«  En  bataille  il  dompta  Devagupta  et  tous  les  autres  rois 
ensemble,  comme  des  chevaux  vicieux  qu'on  fait  détourner  à  coups 
de  fouet.  Ayant  déraciné  ses  adversaires,  ayant  fait  la  conquête  de  la 
terre,  s'étant  bien  conduit  vers  le  peuple,  il  perdit  la  vie  dans  le 
quartier  de  l'ennemi,  par  sa  confiance  dans  les  promesses  n, 

Râjâno  yudhi  dusta-vâjina  iva  çrï-Devaguptâdayah 
krtvâ  yena  kaçâprahâra-vimukhâh  sarvve  samain  samyatâh  | 
utkhâya  dvisato  vijitya  vasudhâm  krtvâ  prajâoâm  priyam 
prânân  ujjhitavân  arâti-bhavane  satyâQurodhcua  yah  11 

Un  autre  vers  de  la  même  inscription  semble  devoir  son  origine  à 

Harsa  : 

«  Ceux  qui  font  profession  (d'appartenir  à)  la  noble  ligue  de 
notre  famille  et  autres,  doivent  approuver  cette  donation.  De  la 


—  180  — 

fortune,  mobile  comme  Féclair  et  bulle  d'eau,  les  donations  et  la 
préservation  de  la  renommée  d'autrui  sont  le  (vrai)  fruit  », 

Asmat-kulakkramam  udâram  udâbaradbhir 
anyaiç  ca  dâuam  idam  abhyanumodauïyam  | 
laksmyâs  tadit-salila-budbuda  camcalâyâ 
dânam  pbalam  parayaçahparipâlanain  ca  || 

Un  vers  de  l'inscription  semble  porter  encore  un  cachet  authentique, 
puisqu'il  contient  l'assertion  qu'il  est  de  Harsa  :  «  Par  les  actions,  les 
pensées  et  les  paroles,  on  doit  faire  du  bien  aux  vivants.  C'est  là  le 
chemin  que  Harsa  a  déclaré  être  le  plus  excellent  pour  gagner 
le  mérite  religieux  », 

Karmmanâ  manasâ  vâcâ  karttavyam  prâuine  hitam  | 
Harsenaitat  samâkhyâtam  dharmmâijjanam  anuttamam  || 

Le  Suhhâsitavall^  N°  233,  éd.  Peterson,  cite  un  vers  de  Harsa  qui 
ne  se  retrouve  dans  aucun  de  ses  trois  drames.  Boehtlingk  le 
donne  dans  ses  Indische  Sprueche  (716)  : 

Açatham  alolam  ajihmam  tyâginam  anurâginam  viçesajûam  | 
yadi  nâçrayati  naram  Çrih  Çrïr  eva  hi  vaùchitâ  tatra  || 

«  Quand  la  fortune  ne  va  pas  trouver  un  homme  à  la  fois 
vertueux,  rangé,  franc,  non  intéressé,  dévoué  et  appréciant  l'excel- 
lence, c'est  que  la  fortune  se  trompe  elle-même  alors  ». 

IV.  La  Jâtakamâlâ. 

A  la  suite  des  œuvres  personnelles  de  Harsa,  il  y  a  place  pour  une 
courte  mention  de  la  Jâtakamâlâ,  dout  la  création,  au  témoignage 
d'Ltsing,  serait  due  au  zèle  religieux  non  moins  qu'aux  goûts  litté- 
raires du  roi  bouddhiste.  En  parlant,  en  effet,  des  ouvrages  les  plus 
répandus  dans  l'Inde,  I-tsing  ajoute  (1)  :  «  Il  y  a  un  autre  ouvrage 
d'un  caractère  semblable  appelé  «  Jâtakamâlâ  »  (2)  ;  jâtaka  veut  dire 


(1)  I-tsing,  chap.  32,  p.  163. 

(2)  Le  texte  sanskrit  de  la  Jâtakamâlâ  d'Aryaçûra  fut  publié  par  Kern 
dans  Harvard  Oriental  Séries,  Vol.  1,  1891.  Il  y  eu  a  une  traduction  dans  le 
Tripitaka  cliinois,  mais  qui  ressemble  fort  peu  à  l'original.  (B.  N.  1312)  ; 
l'ouvrage  fut  traduit  en  chinois  de  960  à  1127. 


♦ 


—  181  — 

«  naissances  antérieures  » ,  et  mâlâ  veut  dire  «  guirlande  » ,  l'expres- 
sion vient  de  ce  que  les  récits  des  faits  difficiles  accomplis  dans  les 
vies  antérieures  du  Bodhisattva  (plus  tard  le  Buddha)  sont  enfilés 
(ou  réunis)  ensemble.  Si  on  le  traduisait  (en  chinois)  il  occuperait 
plus  de  dix  rouleaux  (1),  L'objet  de  la  composition  des  récits  des 
naissances  (du  Bodhisattva)  en  vers  est  d'enseigner  la  doctrine  du 
salut  universel  dans  un  beau  style,  conforme  à  l'intelligence  populaire 
et  attrayant  aux  lecteurs.  Un  jour  le  roi  Çïlâditya,  qui  était  un  ami 
passionné  de  la  littérature,  ordonna  et  dit  :  «  Vous  qui  aimez  la 
poésie,  apportez  et  montrez-moi  demain  matin  que'ques  pièces  que 
vous  aurez  composées  vous-mêmes  ».  Quand  il  les  eut  réunies,  il  y  en 
avait  cinq  cents  paquets  (2),  et  après  les  avoir  examinés  on  trouva 
que  la  plupart  furent  des  jâtakamâiâs.  De  ce  fait  on  voit  que  la 
jâtakamâlâ  est  le  thème  le  plus  beau  (le  plus  aimé)  pour  des  pané- 
gyriques. Il  y  a  plus  de  dix  îles  dans  la  mer  du  sud  ;  et  ici  les  prêtres 
et  les  laïques  récitent  la  Jâtakamâlâ  ainsi  que  les  vers  susdits  (3), 
mais  ceux-là  n'ont  pas  encore  été  traduits  en  chinois  »  (4). 


(1)  L'édition  de  Kern  a  1340  vers  et  contient  trente-quatre  jâtakas,  tandis 
que  le  chinois  a  quatre  volumes  contenant  seulement  quatorze  jâtakas  La 
comparaison  du  texte  sanskrit  avec  les  textes  chinois  et  palis  serait  très 
intéressante.  Le  texte  a  été  traduit  par  M.  Speyer  en  1895.  M.  Thomas  a 
trouvé  une  version  tibétaine  d'une  jâtakamâlâ  par  Hari  Bhatta,  .1.  R.  A.  S. 
1904.  Octobre.  Voyez  aussi  B.  E.  E.  0.  1904.  4  pt'e. 

(2)  Le  signe  chinois,  traduit  ici  par  «  paquet  »,  veut  dire  «  plié  entre  plan- 
chettes n.  Nous  savons  que  les  textes  sanskrits  furent  préservés  de  la  sorte  : 
«  paquet  »  et  non  «  çloka  «  comme  traduit  M.  Fujishima  (.1.  A.  1888,  pp.  411-439). 
Beal  (Buddhist  Literature  in  China,  p.  139)  traduit  ainsi  :  "  Tous  les  chefs 
de  royaume  qui  aimaient  la  poésie  devaient  se  réunir  le  lendemain  matin  au 
palais,  et  chacun  devait  apporter  un  vers  sur  un  morceau  de  papier.  En  effet 
cinq  cents  se  sont  réunis,  et  leurs  papiers  ayant  été  ouverts,  les  vers  furent 
réunis,  et  voilà  la  Jâtakamâlâ  «. 

(3)  C'est-à-dire  le  Suhrllekha  (publié  par  Beal,  Londres,  1892).  Wenzel  l'a 
traduit  dans  le  journal  de  la  Pâli  Tcxt  Society.  _ 

(4)  On  ne  les  a  traduits  qu'en  960  1127  (B.  N.  1312).  Comme  la  date  d'Arya- 
çQra  n'est  pas  tixée,  Takakusu  mentionne  qu'on  a  traduit  un  de  ses  ouvrages 
en  chinois  en  A  D.  434.  Il  est  ainsi  impossible  de  la  placer  plus  tard.  Donc  la 
Jâtakamâlâ  de  Harsa  n'est  pas  identique  avec  celle  d'Aryaç^-ûra. 


APPENDICE    IV. 
L'Ère  de  Harsa. 


Une  étude  sur  Harsa  serait  incomplète  si  on  y  passait  sous  silence 
l'ère  qui  porte  son  nom  et  si  l'on  n'y  rapportait  même  sommairement 
et  sans  prétention  d'y  ajouter  quelque  donnée  nouvelle,  les  diverses 
théories  qu'a  suscitées  le  calcul  de  cette  ère. 

En  premier  lieu  il  faut  citer  le  témoignage  de  l'historien  arabe 
Alberûni  qui  est  à  la  base  de  tout  ce  calcul  (1). 

«  Et  pour  cette  raison  ils  les  ont  abandonnées  et  ont  adopté  les  ères 
Çrî  Harsa,  Vikramâditya,  Çaka,  Valabhï,  et  Gupta...  Et  pour  l'ère 
Valabhï,  qui  doit  son  nom  au  seigneur  de  la  ville  de  Valabhï,  située 
à  trente  yojanas  environ  au  sud  de  la  ville  d'Anhilvâda,  elle  commence 
quarante-et-un  ans  après  l'ère  Çaka.  Ceux  qui  en  font  usage  posent 
(l'année  de)  l'ère  Çaka,  et  en  retranchent  la  somme  du  cube  de  six  et 
du  carré  de  cinq  ;  et  le  reste  donne  (l'année  de)  l'ère  Valabhï.  Son 
histoire  vient  à  son  tour.  Et  pour  l'ère  Gupta  (les  membres  de  cette 
dynastie)  furent,  à  ce  qu'on  dit,  une  race  méchante  (et)  redoutable  ; 
et  c'est  pourquoi  après  leur  mort  on  data  par  eux.  Et  il  semble  que 
Valabhï  fut  le  dernier  d'entre  eux.  Et  ainsi  le  commencement  de 
leur  ère  est  aussi  postérieur  à  l'ère  Çaka  (de)  deux  cent  quarante-et- 
un  (ans).  Et  l'ère  des  astronomes  est  postérieure  à  l'ère  Çaka  (de) 
cinq  cent  quatre-vingt-sept  (ans)  ;  et  c'est  la  base  du  canon  astrono- 
mique (nommé)  Khaiidakâtaka  par  Brahmagupta,  qui  est  connu  chez 
nous  sous  (le  nom  d')  Al-Arkand.  De  cette  façon  1488  de  l'ère  Çrï 
Harsa  est  en  correspondance  avec  l'année  (de  Yazdijard)  (2j  que 


(1)  Alberûni,  India,  traduit  par  Sachau,  vol.  ii,  p.  5. 

(2)  L'an  400  (année  après  laquelle  Alberûni  écrivait)  :  cette  ère  date  de 
l'avènement  de  Yazdijard  III,  roi  Sassanide  de  la  Perse  en  A.  D.  632.  Cf.  Prin- 
sep,  Essays,  vol.  ii.  Useful  Tables,  p.  302  et  note. 


—  185  — 

nous  avons  prise  pour  exemple  ;  et  avec  1088  de  l'ère  de  Vikramâdi- 
tya,  et  avec  953  de  l'ère  Çaka,  et  avec  712  de  l'ère  Valabhï,  qui  est 
aussi  l'ère  Gupta  ». 

Alberûui  dit  en  outre  qu'il  a  lu  dans  un  almaQach  du  Cachemire 
que  Harsavardhana  était  de  six  cent  soixante-quatre  ans  postérieur 
à  Vikramâditya.  Alberûni  note  donc  en  1030  que  l'ère  de  Harsa  est 
en  usage  à  Mathura  et  à  Kânyakubja  et  que  0  ère  Harsa  équivaut  à 
664  ère  Vikrama  et  664  Vikrama  à  606/7  A.D.  (1). 

M.  Fleet  (2)  distingue  dans  AlberHui  deux  ères  de  Harsa,  l'une 
bien  antérieure,  commençant  en  457  B.C.  Alberûni  ajoute  qu'il  ne 
peut  avoir  l'explication  du  désaccord  qui  existe  entre  cette  date  et  la 
précédente.  En  fait  Alberûni  donne  1488  Çrï  Harsa  =  1088  Vikrama  = 
953  Çaka  =  712  Valabhï  =  1031/2  A.D.  (En  ce  cas  0  Harsa  = 
457/8  B.  C,  il  y  aurait  donc  1064  ans  d'écart  avec  l'ère  Harsa  606/7 
A.  D.).  M.  Fleet  (3)  donne  0  Harsa  =  605/6  A.  D.  d'après  le  calcul 
de  Shankar  B.  Pandit  sur  les  données  d'une  inscription  de  Mahen- 
drapâla  (155  Harsa)  et  du  Snryasiddhânta .  Dans  ce  cas  particulier 
seulement  682  Çaka  écoulé  convient.  On  a  donc  0  Harsa  =  Çaka  572 
écoulé  =  605/6  A.  D.  Donc  il  y  a  une  divergence  avec  Alberûni,  qui 
ne  s'explique  pas  assez  nettement  sur  le  point  de  départ  de  l'ère.  H 
ne  nous  dit  point  si  l'équivalent  Vikrama  est  l'année  courante  ou 
écoulée. 

Sur  l'inscription  de  Mahendrapâla  on  pourrait  lire  158  au  lieu  de 
155.  On  aurait  alors  pour  la  solution  de  l'ère,  0  Harsa  =  602/3  A.  D., 
1  =  603/4  A.  D. 

n  existe  un  certain  nombre  d'inscriptions  datées  de  l'ère  Harsa. 
Outre  les  inscriptions  de  , Harsa  lui-même,  celles  de  Madhuban  et 
Bhanskhera,  il  y  a  encore  : 

Inscription  d'Adityasenadeva,  datée  de  Harsa  66. 

Mahendrapâla  de  Kanauj  155  (20  janvier  761). 

Vinâyakapâladeva  188 

Khajuraka  218 

Bhojadeva  de  Kanauj  276 

Panjaur  563  (17  mai  1168). 


(1)  Cunningham,  Indian  Eras,  p.  64. 

(2)  C.  I.  I.,  vol.  iii,  p.  23,  n.  2. 

(3)  Cf.  aussi  I.  A.,  vol.  xiii,  p.  413. 


—  184  ~ 

Enfin  c'est  aussi  à  cette  ère  qu'ont  été  attribuées  les  inscriptions 
du  Népal  signalées  par  Kielhorn  :  la  seule  raison  en  était  que  selon 
la  Râjatarahgmï  «  Vikramâditya  vint  établir  son  ère  au  Népal  »  (1). 
Cette  mention  unique  est  fort  sujette  à  caution  et  nous  croyons  avoir 
ci-dessus  suffisamment  réfuté  l'opinion  que  le  Népal  aurait  été  con- 
quis par  Harsa. 


(1)  Cf.  aussi  I.  A.,  vol.  xiii,  p.  413. 


ERRATA  ET  CORRIGENDA. 


p.  6,  1.  20,  au  lien  de  :  Max  Mueller  (I-tsing  p,  ix),  lire  :  Chavannes,  (Voyag. 

chin.  p.  9). 
p.  8,  ajouter  en  note  :  Cette  chronologie  se  repose  en  très  grande  partie 

sur  le  "  Chronology  of  India  v  par  Madame  Duff. 
p.  8,  1.  28  et  passim,  au  lieu  de  :  Câlukya,  lire  :  Calukya. 
p.  8,  dern.  ligne,  après  Dharmâditya,  mettre  une  virgule, 
p.  9, 1.  21,  au  lieu  de  :  Subhâsitâvali,  lire  .  Subhâsitâvalï. 
p.  10,  1.  8  et  passim,  lire  :  Mâhâtmya. 

p.  10,  1.  31,  au  lieu  de  :  Vijamahâdevï,  lire  :  Vijayamahâdevî. 
p.  13, 1.  25,  au  lieu  de  :  Histoire  ancienne  des  T'ang,  vol.  256,  lire  :  chapitre 

196. 
p.  16,  1.  1  et  passim,  au  lieu  de  .-  Wang  hiuan  ts'e,  lire  :  Wang  Hiuan  ts"e. 
p.  16, 1.  15,  au  lieti  de  :  Wen  Chang,  lire  :  Weng  Ch'eng. 
p.  19,  1.  26  et  passim,  au  lieu  de  :  Sthâneçvara,  lire  :  Stlianvlçvara. 
p.  27,  n.  1,  au  lieu  de  :  dialectale,  lire  :  magadhï. 
p.  29,  1.  15,  faire  disparaître  la  phrase  :  Ailleurs  le  voyageur  chinois  dit, 

jusqu'à  :  cette  contradiction, 
p.  33,  dern.  ligne,  après  :  Hûnas,  ajouter  :  les  Tou-Kiue. 
p.  35,  n.  1,  Wenti  des  Chin  commença  à  régner  en  560. 

Faire  disparaître  :  Voutî  601. 
p.  52, 1.  5,  au  lieu  de  :  cuirasses  de  la  Chine,  lire  :  tuniques  de  la  Chine, 
p.  76,  n.  3,  au  lieu  de  :  Çûnyapuspas  (?),  lire  :  Akâcapuspas. 
p.  82,  n.  3,  lire  .-  Çîlâditya. 

p.  92,  n.  2,  au  lieu  de  :  Kaotsong,  lire  :  T'aitsong. 
p.  144,  au  lieu  de  :  Gurjara,  lire  .-  Garjara. 
p.  167,  n.  1,  au  lieu  (7'étaient-ils,  lire  :  étaient-elles, 
p.  169, 1.  10,  lire  :  Les  abeilles  ne  montent-elles  pas  au  ciel  où  Garuda  monte 

lui  aussi  ? 
p.  171, 1.  25,  au  lieu  de  :  sommeiller,  lire  ;  oreiller, 
p.  176, 1.  3,  lire  ;  Kiai-jeu. 


INDEX. 


Abdu'llah  ibn  Abdu'llah  ibn  'Unân  15. 
'Abdu'Jlah  ibn  'Amir  ibn  Rabï  15. 
'Abdu'llah  ibn  'Umar  Khattab  15. 
Abhidharmakoca  12. 
Abhidharmakoca  vyâkhyâ  12. 
Açoka  89. 
Adhyarâja  9S. 
Adhyâtmavidyâ  132. 
Aditya  164. 
Adityabhakta  87. 
Adityasena  27,  28,  59,  183. 
Adityavardhana  20,  21,  29,  87,  147, 

150. 
Adityavarman  8,  27,  28. 
Adityavarman,  fils  de  Pulikeçin  II, 

10. 
Agrahâra,  66,  148. 
Ahicchattrâ  144. 
Ahmad  ibn  Yahya  ibn  Jâbir  al  Bilâ- 

durî  7. 
Aihole  inscription  d"  9, 10,  11,  131. 
Ajanta  53, 131. 
Ajiravatï  115. 
Aksapatalika  67,  117. 
Al-Arkand  182. 
Alberuni  27,  182, 183. 
Alexandre  18. 
Aliyepomouo  14. 
Alupaî  50. 
Alupas  10,  50. 
Amarâja  8. 

Amçuvarman  13, 14, 16,  58. 
Amitâyurdhyâna  14. 
'Amru-ibn  al-Tamïmï  15. 
Angadïya  144. 


Angas  31,  47. 
Anurâdhapura  86. 
Appâyika  10,  50. 
Apsarodevï  20,  147. 
Arabes  34,  54,  59,  93. 
Arjuna  15,  16,  58. 
Arunâçva  58. 
Aryaçûra  180,  181. 
Aryamahâsaiighikanikâya  78. 
Aryamulitâmâlâ  96,  124. 
Aryamûlâsarvâsvâdanikâya  78,  79. 
Aryasammitïyanikâya  78,  79. 
Aryâsaptaçati  113. 
Aryasthaviranikâya  78. 
Aryavarman  14. 
Assam  voyez  Kâmarûpa. 
Astamahâçricaityasamskftastotra 

96,  99,  176  sq. 
Atharvaveda  133. 
Avadânas  109. 
Avanti  39,  116. 

Avantivarman  23,  27,  39, 116. 
Ayurveda  133. 

B 

Bâdâmi  9,  15,  31. 
Bahrain  13. 
Bala  170. 
Bâlacandra  144. 
Bâlâditya  12,  55. 
Brina9,  113,  etpassim. 
Banavâsï  10,  50. 
Bânî  43. 

Bappabhatti  127. 
Bappûra  11. 


—  186  — 


Bauddhapârvâtïyâvamçâvalï  14. 

Bedâvftti  96,  130. 

Bengale  31,  38,  75. 

Bhadrapâlita  85. 

Bhadrasvâmin  144. 

Bhagadatta  117. 

Bhairavâcârya  115. 

Bhaktâmarastotra  96,  127,  128. 

Bhâna  144. 

Bhandin  22,  36,  37,  41,  42,  43,  116,  117. 

Bhânskera,  inscription  de,  12,  143, 

145. 
Bhâradvâja  144. 
Bhâravi  101. 
Bharoch  voyez  Broach. 
Bharsa  59. 

Bhartrhari  12,  16,  83,  96,  128  sqq. 
Bhartrhariçâstra  96, 129. 
Bhâsa  99,  100,  101,  102,  103. 
Bhâsaka  100. 

Bhâskaravarman  10,  30,  41,  45,  117. 
Bhatârka  18,  32. 
Bhattibharastavana  96,  128. 
Bhattikâvya  96,  129. 
Bhavabhûti  101. 
Bhavaviveka  12. 
Bhavya  85. 

Bhayaharastavana  96, 128. 
Bhodhidruma  90. 
Bhogavarman  27,  28. 
Rhojadeva  3, 183. 
Bhojarâja  86,  87. 
Bhûkampa  117. 
Bhukti  65,  66. 
Bhûmicchidra  66,  149. 
Bhusanabhatta  120. 
Bhûtivarman  30,  117. 
Bihar  29. 
Birmans  14. 
Brahma  169. 
Brahmagupta  9,  12,  131. 
Brahmasphutasiddhânta  9, 12,  131. 
Brhatkathâ  103. 
Brhatkathâmanjari  109. 
Broach  12,  13,  15,  26,  48,  49,  61. 


Buddhadâsa  84. 
Buddhapâlita  85. 
Buddharâja  8. 
Buddhavarman  15. 
Byzance  31. 


Çabaras  117. 
Çabdavidyâ  132. 
Çabdavidyâçâstra  14,  58. 
Çaçânka  3,  8,  10,  37,  38,  39,  42,  45, 

89,  90,  153. 
Çaçânkamandalam  38. 
Çaçâùkapura  42. 
Cachemire  voyez  Kasmïr. 
Çakas  85. 
Çâkambarï  85. 
Cakravartin  61. 
Çakuntalâ  104,  106. 
Câlukyas  4,  8-12,  15,  19,  31,49,  50,  56. 
Candadanda  10. 
Candapâla  122. 
Candikâçataka  96,  122. 
Candradeva  16. 
Candrâditya  10. 
Gandragomin  12. 
Candrakïi'ti  12. 
Candramukhavarman  30, 117. 
Candrapâla  80. 
Çankaragana  8. 
Çarabhaketu  117. 
Çârngadhara  98. 
Carngadharapaddhati 102. 
Çarvavarman  22,  27,  28. 
Çatruùjayamâhâtmyam  10, 131. 
Catuhsamudrâdhipati  61. 
Cedi  8. 
Cera  50. 

Ceylan  15,  SI,  57,  75,  86,  87. 
Clmch  13. 
Chaclinâma  7, 14. 
Chandoga  149. 
Cha-puo-ho-lo  58. 
Cheu-jen  voyez  Tsian  cheu-jen. 
Chin  35. 


187  — 


Chine  6,  13,  14,  19,  29,  34,  35,  51,  54, 

56,  57,  60,  155. 
Chïpurupalle  II. 
Chitor  13. 
Chou  30. 

Çîghrabuddha  80. 
Çikitsâvidj'ri  132. 
Çilâ  59. 

Çîlabhadra  12,  77,  78,  81,  83,  152,  153. 
Çïlâditya  I«^  9,  10.  H,  26,  32,  131. 
Çïlâditya  du  Màlava  48. 
Çïlâditya  {Harsa)  45  etpasshn. 
Çilpasthânavidyâ  132. 
Ciplûnll. 
Çitavara  86. 
Çivadeva  P""  13. 
Çivadevasvâmin  149. 
Colas  10,  47,  51. 
Çona  115. 

Conjovaram  voyez  Kâncî. 
Cora  99. 
Corée  36. 
Coréens  14. 
Çràvaslî  143,  148.  ' 
Çrïdharadâsa  99. 
Çrïdharasena  129. 
Çrîharsa  99. 
Çrïharsanuvara  86,  87. 
Çriliantha  19,  115. 
Çrïmatïdevï  28. 
Çrïsâhasâùka  101. 
Çrhgâraçataka  96,  128. 
Çûdraka  121. 
Çûdras  74,  135. 
Çûramâra  15. 
ÇyâmâdevI  30,  117. 

D 

Daçarûpa  107. 
Dadda  IV,  12,  48,  49,  61. 
Dâmodaragupta  27,  28. 
Dânasthana  163. 
Dandin97,  101. 
Dârika  85. 


Dauhsâdhasâdhanika  66. 

Devaçarman  52. 

Devâcâryapatta  127. 

Devagupta  9,  37,  38, 148. 

Devâram  9. 

Devasena  157. 

Devsaram  52. 

Dharapatta  32. 

Dharasena  l"  32. 

Dharasena  II,  10,  32. 

Dharasena  III,  11,  12,  32,  48. 

Dharasena  IV,  14, 15, 16,  32,  48,  49,  59. 

Dharmadàsa  85. 

Dharmâditya  9. 

Dharmagupta  8,  11,  78. 

Dharmaguptavinaya  11. 

Dharmakïrti  83. 

Dharmapâla  12,  16,  80,  83,  130. 

Dharraâtbhutasânigraha  86. 

Dhâvaka  100,  101,  102. 

Dhïvrddhika  14. 

Dhruvabhata  48,  93,  164,  167. 

Dhruvarâja  U. 

Dhruvasena  P"",  32. 

Dhruvasena  II,  12,  13,  14,  20,  .32,  48, 

49,  63,  9>. 
Dhruvasena  III,  32. 
Dïbal  13. 
Dignâga  84. 
Divâkara  101. 
Divâkara  Maitrâyanïya  12. 
Divâkaramitra  94,  118. 
Dôsen  11. 
Dronasiinlia  32. 
DurlabhadevI  U. 
Dvâdaçavratanirûpana  127. 


E 


Ephthalites  18, 33. 


Fabien  17*;. 
Fahoawenkiu  133. 


188  — 


Fanimingitsi  81,  132,  133. 
Fayouenchoulin  137. 
Feiclie  20. 
Firdûsi  53. 
Futulm'l  buldan  7, 

fi 

GambMrapaksa  84. 

Ganakatarafiginï  8,  9,  12,  131. 

Ganapati  101. 

Ganapati,  le  dieu,  170. 

Gandhâra  8,  23. 

Gandhavai  59. 

Gandliavatî  59. 

Gaiigas  10,  50. 

Gange  17,  24,  31,  44,  91,  115,  154,  158, 

163,  164. 
Garjara  144,  1.50. 
Gauda  3,  10,  31,  37,  38,  39,  41,  42,  43, 

45,  89,  116,  117. 
Gaudavaho  19,  20,  103. 
Gayâ,  sceau  de,  27,  28. 
Genjô  15. 

Gnamrisrongbtsan  34. 
Govardliana  113. 
Govinda  10,  50. 
Grahavarmau  9,  23,  27,  36,  37,  116, 

118. 
Guhasena  32. 
Gujarât  15,  49. 
Gunamati  12,  80,  84. 
Gunaprabha  12,  84. 
Gunavinayaganï  122. 
Gupta  4,  18,  19,  21,  26,  28,  29,  38,  46, 

59,  97. 
Gupta,  un  noble,  42,  117. 
Gurjara  4,  8,  10,  12,  23,  33,  50. 

H 

Haidarabad  10. 
Hakîm  13. 
Halâli  167. 
Hamsavega  41,  117. 


Hari  170. 
Haridatta  66. 
Harivarman  27. 
Harsa  3  etpassim. 
Harsabhata  89. 
Harsacarita  3,  96,  et  passim. 
Harsagupta  27,  28. 
Harsaguptâ  27. 
Hetuvidyâ  132. 
Himalaya  17, 18,  23. 
Hïnayâna  75,  79. 
Hiouen  Tsang  3  etpassim. 
Hiuan  chao  16,  84. 
Hiuan-Tse  voyez  Tsang  hiuan  tse. 
Hoeiye  14. 
Hossô  15. 

Hûnas  3,  8,  9,  18,  19,  21,  23,  24,  27,  28, 
33,  36,  54.  59,  116. 


Içânavarraan  27,  28. 
Içvara  144,  150. 
Içvaravarman  27. 
Indo-Scythes  19. 
Indra  170. 
Indi'avarman  11. 
Indus  17. 
Islam  18. 


Jaipur  13. 
.Jaleruha  85. 
Janmâmbodhi  130. 
Japon  11,  14. 
•lâtaka  109. 

Jâtakamâlâ  96,  180,  181. 
Jayabhata  II,  12. 
Jayadeva  99. 

Jayâditya  12,  13,  16,  96,  130,  131. 
Jayasena  12,  83. 
Jayasimha  I",  31. 

Jayasimha,  frère  de  Pulikeçin  II,  10, 
13. 


189 


Jayasvâminï  27. 
Jetawanârâmas  86. 
Jïmûtavâhananâtaka  96. 
Jinamitra  80. 
Jinaprabha  84. 
.lion  15. 

Jïvitagupta  P''  28. 
Jnânacandra  12,  80. 
Jnânagupta  8,  9. 
Jùânaprablia  77. 
.lôtlo  14 

K 

Kâçik.rivrtti  12,  16,  96,  130. 

Kâçyapïya  78. 

Kâdambarï  96,  119,  120,  123. 

Kadambas  10.  50. 

Kailâsa  24,  116. 

Kailâsakûtabhavana  34. 

Kajûgira  154. 

Kâlidâsa  97,  98-103,  123. 

Kaliûgas  10,  31,  51,  54. 

Kalpasutra  128. 

Kâmacandra  84. 

Kâmarûpa  6,  10,  19,  29,  30,  41,  43,  45, 

59,  89,  117. 
Kâncï  10,  47,  56. 
Kânta  101. 
Kânyakubja,  3,  10,  22,  27,  36,  39,  41, 

42,  43,  44,  48,  60,  93,  117,  158,  164. 
Kaotchang  166. 
Kaotsoiîg  35,  92. 
Kaotsou  35. 
Kapittikâ  143. 
Karkotakas  20. 
Karmadâna  81. 

Karnasuvarna  31,  37,  38,  44,  89. 
Kasmîi'  20,  33,  57,  77,  84,  85,  99,  100, 

125,  162. 
Katacchui'is  8. 

Kathâsaritsâgara  42,  103,  109. 
Kauravas  18. 
Kâverî  10. 
Kavivimârça  101. 


Kâvyâdarça  97. 

Kâvyaniïmânisâ  101. 

Kâvyaprakâça  100. 

Kâyastha  20. 

Kelâdgi  31. 

Keralas  10,  51. 

Kiiandakhâdya  8. 

Kliaragraha  P-",  11,  48. 

Kheda  49. 

Kliorasan  85. 

Khusru  P"-,  19,  52. 

Khusru  II,  11,  13,  52,  53,  54. 

Kiai-jen  176. 

Kientowei  59. 

Kingti  35. 

Kiianâvalî  101. 

Kirmân  13,  15. 

Kîrtivarman  I"  8,  31,  49. 

Koça  95. 

Koçala  10,  31,  51. 

Kochre,  donation  de,  10,  11. 

Kongyodha  54,  76,  153. 

Kong-yu-tho  voyez  Kongyodha. 

Konkan  50. 

Krek  14. 

Ki^sna  23,  115,  121. 

Kfsnagupta  28. 

Ksatriya  21,  51,  58,  74,  135. 

Ksemendra  109. 

Kubjavisnuvardhana  11. 

Kumâra/î^5  de  Harsa,  11, 13,  20,  63. 

KnmHvà  roi  d'Assam,  6, 10,  30,  41,  59, 

88,  117,  152,  154,  156.  157,   159,  160, 

164,  1()7. 
Kumâragupta  23,  26,  28, 116. 
Kunirifaniâtyam  66. 
Kumârarâja  45. 
Kumârasaïubhava  123. 
Kundadhânîvisaya  143,  148. 
Kung  131. 
Kungti  35. 
Kuntala  36,  116. 
Kuntalas31,38,  47. 
Kuruk§etra  18. 


—  190  — 


Laksmîvatï  27. 
Lalla  14,  131. 
Laotzeu  59,  88,  89. 
Lâta  10,  23,  50,  79. 
Leang  35. 

Liang-hoaï-king  54. 
Licchavis  13.  34,  58. 
Ling-wan  89. 
Li-yi-piao  15,  57,  88. 
Lû-yi-pa  85. 

Ml 

Mâdhavagupta  23,  26,  28,  46,  59,  116. 
Madhuban,  inscription  de,  13,  21,  37, 

39,  66,  99,  117,  143,  144.  145. 
Madhusûdana  124. 
Madhyadeça  47.  52. 
Mâdigânechatrang  52. 
Madras  56. 
Magadha  4,  8,  19,  20,  21,  ?•'..  27,  28. 

29,  46,  54,  57.  59,  83,  89. 
Mahribliârata  18,  97,  113. 
Mahribbâsya  96,  129. 
Maliâdevî  62,  63. 
Mahâdhiiâja  32. 
Mabâkûta,  inscription  de,  9. 
Mabrinâman  8. 
Mabâpi  amâtâi-a  3'.". 
Maharaja  20,  21,  32  45,  49,  Q'^. 
Mahârrijâdhirâja  21,  22,  32,  42,  47,-61, 

66. 
Mahârâstra  14.  26,  31,  32,  49. 
MabâraUana  13. 
Mahrusâmanta  39,  43,  66. 
Mahâsammata  84. 
Mahâsonagiipta  21,  27,  29,  28,  46. 
Mahâsenaguptâdevï  20,   21,  29,    46, 

147. 
Mahâtâras  65,  167. 
Mahattara  167. 
Mahâvamça  8,  15,  57. 
Mahâyâna  75,  76,  79. 


Mahendravarman  I",  9.  10,  14,  15. 

Mabî<;astra  78. 

Mahmoud  de  Ghazni  18. 

Mahométan  7,  59,  85,  93. 

Mabratrânâ  13. 

Maissour  (Missour)  10,  50. 

Makrâii  15. 

Malabar  50,  54. 

Mâlava  8,  9,  10,  19,  20,  23,  26,  27,  32, 

33,  36,  37,  38,  41,  43,  48,  50,  63,  85, 

116,  117,  128. 
Màlavikâgnimitra  100, 102, 104-107. 
Mallakûta  113. 
Mânagi-ha  34. 
Manasarovar  24. 
Mânatunga  9,  96,  127,  128. 
Mânavarman  15,  56,  57. 
Mandasor,  inscription  de.  19. 
Mangalarâja  8. 
Mangalïça  8.  9,  10,  31,  49. 
Manimai'igala  15. 
Mârkaiiilcya  Purâna  122. 
Markatasâgara  144 
Marii  84,  85. 
Maru.sthalî  85. 
Mâtanga  98. 
Mâtaiigas  8. 
Mâtangasûtra  133. 
Mritrgupta33. 
Mâtrs  24,  176. 
Ma-twan-lin  54,  57. 
Maukliari  9,  19,  21-23,  27-29,  36,  116. 
Maulasthâna  85. 
Mauryas  10,  50. 
MayQra9,  47,88,  93,  96,  98,99,  124, 

125,  126,  127,  128,  147. 
Mayûraçataka  126. 
Mayûrâstaka  96,  126. 
Mentha  101. 
Merutunga  126. 
Mewar  85. 
Mihirakula  18. 
Milindapafdio  51. 
Mîraâmsâ  67. 
Mitrasena  12,  84. 


—  191  — 


Mlecchas  85. 
Mokalis  27. 
1    Moksamaliâparisad  91. 
Monnaies  3,  42. 
Mrgâiika  117. 
Mugalayin-sen  86. 
Muglirah  Abu'  l'As!  13. 
Muhammed  al  Shirâzï  15. 
Mukharas  voyez  Maukhari. 
Mukutataditaka  96,  122. 
Mûlasarvâstivâda  78,  79. 
Muselmans  voyez  Mahométan. 

M 

Na-fo-ti-a  la-na-shun  15,  58. 

Nâgakeça  85. 

Nâgânanda  96, 100,  101,  107,  108,  109, 

111,  112,  128. 
Nâgarâja  128. 
Nâgârjuna  118. 
Nâgeça  85. 
Nalacampû  122. 
Nâlandâ  6,  7, 12,  14,  54,  55,  76,  77,  79, 

80,  84,  131,  153,  158,  160,  162. 
Naraka  117. 

Narasimhavarmam  I",  10,  15,  56,  57. 

Narasimhavisnu  15. 

Naravardhana  20,  147. 

Nârâyanaçâstri  100. 

Nârâyanadeva  30. 

Narendragupta  38. 

Narmadâ  51. 

Nâsik  10. 

Nausâri,  inscription  de,  48. 

Népal  13,  14,  29,  34,  35,  46,  57,  58. 

Nerûr,  inscription  de,  9, 10. 

Nestoriens  92. 

Nilapatadaras  86. 

Nïlapita  67. 

Nirghâta  117,  118. 

Nïtiçataka  96, 128. 

O 

Odiviça  85. 
O-lo-nachoen  58,  59. 


Orissa  76,  77,  83. 
Oxus  19. 


Paçupati  170. 

Paddhati  98. 

Padmapurâna  131. 

Pallavas  9,  10,  15,  19,  31,  51,  56. 

Paâcasiddhântikâ  8. 

Pândavas 18 

Pândukeçvar  149. 

Pândyas  10,  15,  51. 

Pânini  13,  130. 

Paramabhattâraka  21,  22,  47,  61,  66. 

Parameçvara  11,  47,  51,  52,  53,  61. 

Parigrahapramânaprakarana  127. 

Pariyala  15. 

Pârvatïparinaya  96, 122. 

Pâtaliputra  90. 

Patanjali  96,  129. 

Pathaka  144. 

Pattâvalî  128. 

Peina  130. 

Perse  .33,  34,  51,  52,  53,  54,  85. 

Pitsong  35. 

Pituva  86. 

Prabhâkaramitra  12,  13. 

Prabhâkaravardhana  8,  9, 19,  20,  21, 
22,  23,  24,  26,  27,  28,  36,  37,  38,  62, 
63,  87,  95,  116,  147,  148,  150. 

Prabhâmitra  80. 

Prabhaudacinlâmani  126. 

Praçântarâga  II,  12,  48. 

Praçastis  97. 

Prabhâvakacaritra  127. 

Prâgjyotisa  voyez  Kâmarûpa. 

Prajùâgupta  76,  84. 

Prakâyamati  16. 

Pramâtâras  66. 

Prasannarâghava  99. 

Pratâpaçîia  22,  116. 

Pravarasena  II,  33. 

Prayâga  48,  92, 108, 163. 

Prïtikûta  115. 


—  J92  — 


Priyadarçikâ  96,  100,  101,  102,  105, 

107,  108,  111. 
Prtlivîpati  61. 
•Prthvivallabha  10. 
Pulikeçin  I",  8, 11,  31. 
Pulikeçin  II,  9,  10,  11,  14,  15,  31,  32, 

49-.57,  Gl,  89,  131. 
Punjab  19,  60. 
Purï  10,  50. 

Pûrnavarman  8,  83,  89. 
Purumeça  52,  53. 
Puspabliûti  115. 
Puspadatta  117. 
Pusyabhùti  19,  20,  115. 

R 

Râjabandu  89. 

Râjaçekhara  98,  101. 

RâjasthTnîya  66. 

Râjataranginï  33. 

Râjputâna  85. 

Râjyaçrï  8,  9,  20,  22,  23,  27,  36,  37,  39, 

42,  116,  117,  118. 
Râjyavardhana  1",  20,  147. 
Râjyavardhana  II,  8,  9,  10,  20,  22,  23, 

24,  36,  37,  38,  42,  43,  63,  87,  88,  99, 

116,  117,  147,  148,  150,  151. 
Râmila  101. 
Rânarâga  31. 
Ranavikrânta  8. 
Ratnâkara  101. 
Ratnasimha  12,  81. 
Ratnâvalï  96,  100,  101,  li)2,  103,  100, 

107,  108,  109,  110,  111,  124,  147. 
Ravikîrti  il,  131. 
Râyâsâliasï  II,  13. 
Revatïdvïpa  9,  11. 
Rgvedin  74,  149. 
Rohtâsgadh,  42. 
Romains  34. 
Rome  31. 


Sabbitika  86. 
Saddharmaratnâkaraya  86. 


Saduktikarnâmrta  99,  103. 

Sâgaramati  77. 

Sahasi'àin  42. 

Saliityadarpana  107. 

Samatata  29,  30,  31,  89, 177. 

Sâmaveda  133,  149,  169. 

Sâmavedin  74. 

Saindliivigrahâdhikrta  39,  116. 

Samgliabhadra  85. 

Samgliadâsa  85. 

Sâmkâcya  143. 

Sanikisa  143. 

Sammitîya  76. 

Sainvâdaka  36,  116. 

Santsangfasou  68,  133. 

Sarasvatï  17,  45,  117. 

Sarvacaritaprahasana,  96,  122. 

Sarvadarcanasamgraha  83. 

Sarvadvïpabbuj  61. 

Sarvasiddhi  13. 

Sassanides  3,  18,  33,  54. 

Sâtârâ,  inscription  de,  11. 

Sâtavâhana  118. 

Satlej  17. 

Satyâçraya  10,  11. 

Saumila  101. 

Saura  87. 

Saurâstra  177. 

Srivanlvûdî  10. 

Sâvarni  149. 

Senâpati  32. 

Sengclii  89. 

Sr.ah  Nâma  53. 

Shirin  53. 

Siam  14. 

Siddhavastu  132. 

Sïmâsankarachedani  86. 

Simhacandra  83. 

Sinihanâda  39,  116. 

Simharasmi  77. 

Simhâsana  45,  62,  91. 

Simhavisnu  9. 

Sindhu  8,  13,  15,  23,  33,  47,  79,  85, 

177. 
Si-ngan-fou  6. 


—  195 


Sïstân  15. 
Sitliangchang  132. 
Si-yu-ki  6,  7. 
Skanda  101. 

Skandagupta  39, 117,  144, 150. 
Smerakostha  177. 
Somadeva  103,  109. 
Somakundakâ  143,  148. 
Sonpat,  sceau  de,  67,  144. 
Soui  35. 

Srong-btsan-sgam-po  13,  16,  34,  83. 
Ssanang  Sse-tsen  7. 
Sthanvïçvara  17,  19,  115. 
Sthavira  79. 
Sthiramati  80,  83,  84. 
Stithivarman  30,  117. 
Subandliu  101. 

Subhâsitaratnakoça  113,  124. 
Subhâsitâvalï  9,  47, 103,  122, 127, 180. 
Suenti  35. 
Sugatiratna  77. 

Sukhâvatïvyûbamahâyânasûtra  14. 
Sûktimuktâvalï  102. 
Sundaramûrti  Nâyanâr  9. 
Suprabhâtastotra  9&,  99, 168,  sq. 
Surâstra  33. 

Sûryaçataka  124,  126,  147. 
Sûryasiddhânta  183. 
Sûryavamçi  13. 
Susthirararman  30,  117. 
Susthitavarman  27,  28. 
Svapnavâsavadatta  101. 
Svayambhû  169. 

T 

Tabari  52. 

T'aitsung  13,  .35. 

Tâmraliptî  31. 

Tanjur  168. 

Taosheng  16. 

Tarala  101. 

Târanâtha  7,  52,  59,  63,  82,  84,  85. 

Tenggi  85. 

Thâkurï  13, 14,  34. 


Thanesar  4,  17,  44,  117,  etpassim. 
Thar  17,  18. 
Thenga  Râdzâ  14. 
Tibet  13,  16,  24,  29,  34,  58,  60. 
Tirunânasambadar  9, 15. 
Tirunâvukkaraiyar  9. 
Tonmisambota  13. 
Toramâna  18,  33. 
Toufan  voyez  Tibet. 
Toukue  19. 
Triratnadâsa  85. 
Tsian-cheu-jen  57,  58,  59. 
Tukhâras  36,  46,  47. 
Tulyameya66,  149. 
Turkestan  18, 19,  34. 
Turuskas  52. 

U 

Uccakalpa  148. 
Udâttarâghava  101. 
Udrafiga  66,  148. 
'Umân  13. 
'Umar  13, 15. 
Upaguptâ  27. 
Uparika  66. 
'Usmân  ibn  Asî  Saquafï  13. 


Vaiçâlî  157. 

Vaiçampâyana  121. 

Vaiçyas  20,  21,  74,  135. 

Vaijayanta  177. 

Vairâgyaçataka  96,  129. 

Vairasimha  128. 

Vâjasaueyi  133. 

Vajradatta  117. 

Vajrinïdevï20,  147. 

Vâkâtaka  149. 

Vâkyapadïya  12,  96, 129. 

Valabha  57. 

Valabhî  10-16,  18-20,  26,  32.  33,  48, 

49,  59,  63,  83,  84,  93,  129,  131,  181, 

182. 


-  194 


Vallabhadeva  47, 122,  127. 

Vallabharâja  15. 

Vâmana  12,  16,  96,  130. 

Vâmarathya  148. 

Vamçâvalis  34. 

Varâhamihira  8. 

Vârânasï  128. 

Vararuci  101. 

Vardhanas  4,  18-21,  24,  27,  29,  46. 

Varmans  19,  27,  30. 

Vâsavadattâ  83,  127. 

Vasubandhu  12,  83,  84,  95. 

Vasumitra  12. 

Vâtâpi  15,  31,  49,  56.  {voyez  Bâdâmi). 

Vâtasvâmin  149. 

Veda  133. 

Vengï  12. 

Vetâlapaficavimçati  109. 

Vidyâmâtraçâstra  15. 

Vigamacandra  84,  85. 

Vijayabliattârikâ  10. 

Vijayamaliàdevï  10. 

Vijayavarmarâja  15. 

Vijnânaçataka  129. 

Vikrama  101,  102. 

Vikramâditya  (t)  100,  101,  102,  182-4. 

Vikramâditya  I"  31,  57. 

Vimuktasena  85. 

Vindhya  42,  117. 

Visamasiddhi  11. 

Visaya  65,  66. 

Visayapati  66. 

Visnupurâna  19. 

Visnuvardhana  P'",  11, 12,  13, 

Visnuvrddha  149. 

Vouti  35. 

Vpksacandra  84. 


Vrttisûtra  130,  131. 
Vyâghraketu  117. 

1¥ 

Wahb  abi  kabcha  12. 

Wang  hiuan  tse  15,  16,  57,  59,  88,  89. 

Wei  35. 

Wenchang  16. 

Wenti  35. 


Yaçodharman  19,  33. 

Yaçomatï  8,  20,  21,  22,  23,  26,  36,  116, 

147,  148,  151. 
Yaçovarman  27. 
Yaçovatï  20,  116. 
Yajurveda  133. 
Yamunâ  163,  164,  177. 
Yangti  35,  36. 
Yastigrhaka  115. 
Yazdijard  III,  13,  16,  34, 181. 
Yekwan  11. 
Yetas  18,  19. 
Yihkingl3l. 

Togâcâryabhûmiçâstra  155. 
Yudhisttiira  V,  33. 
Yuenti  35. 
Yunkiwei  54. 
Yuvarâja  11. 


Zanbïl  15. 
Zendô  14, 


D3  Sttinghausen,    .Maurice  Léc 

4-51  Harsa  Vardhana 

.9 
H3S8 


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