HARSA VARDHANA
EMPEREUR ET POÈTE
DE l'iNDE septentrionale
(606-648 A. D.)
HARSA VARDHANA
EMPEREUR ET POÈTE
DE L*INDE SEPTENTRIONALE
(606-648 A. D.)
ÉTUDE SUR SA VIE ET SON TEMPS
THÈSE
POUR LE DOCTORAT D'UNIVERSITÉ DE PARIS
présentée à la Faculté des Lettres à la Sorbonne
PAR
Maurice L. ETTINGHAUSEN, M. R. A. S.
Ancien Élève de la Faculté des Lettres de l'Université de Paris ;
Senior Scholar and Modem History Exhibitioner of St. Paul's School, London ;
Élève titulaire de l'Ecole Pratique des Hautes Études, Paris ;
Boden University (Sanskrit) Sciiolar, Oxford.
LONDRES
LUZAC & G»
46, Great Russell St.
PARIS
Ernest LEROUX
Rue Bonaparte, 28.
LOUVAIN
J.-B. ISTAS
1906
DS
H 3 ^
9.
MES GHERS PARENTS.
TABLE DES MATIÈRES.
Titre
Table des Matières
Liste des abréviations employées
Préface ....
Sources ....
Chronologie du règne .
Chap. I. Histoire politique du règne de Harsa
Chap. II. La religion sous Harsa .
Le monde littéraire à la cour du roi Harsa
La condition sociale de l'Inde d'après les don
nées d'un contemporain, Hiouen Tsang
Chap.
Chap.
III.
IV.
Appendices.
I.
II.
m.
IV.
Les inscriptions de Harsa . . . .
Relation de Hiouen Tsang de son séjour chez
risiroci. ••••••
Les vers de Harsa .....
1. Le Suprabhâtastotra
2. L'Astamahâçrîcaityasamskrtastotra
3. Fragments
4. La Jâtakamâlâ ....
L'Ère de Harsa
Index
I-IV
vn
ix-x
1
3
8
17
72
97
135
143
152
168
168
176
179
180
182
185
LISTE DES ABRÉVIATIONS EMPLOYÉES.
A. S. Reps. Archaeological Survey Reports.
A. S. S. I. Archaeological Survey of Southern India.
A. S. W. I. Archaeological Survey of Western India.
B. D. Bhandarkar, Early History of the Dekkan. 2°^* édition.
B. E. E. 0. Bulletin de l'École Française d'Extrême-Orient.
B. N. Bunyiu Nanjio. Catalogue of the Chinese Translation of the
Buddhist Tripitaka. Oxford, 1883.
Buddhist Sects. Bunyiu Nanjio. A History of the twelve Japanese
Buddhist Sects. Tokyo, 1886.
Buehler, Die Indischen Inschriften. Voyez Sitzuugsberichte der
Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, Wien, phil-hist.
Cl. Band, CXXII, 181)0.
C. A. S. R. Cunningham, Asiatic Survey Reports.
Chavannes, Mémoire. Mémoire composé à l'époque de la grande
dynastie T'ang sur les Religieux Éminents, par I-tsing,
traduit par E. Chavannes.
C. I. I. Corpus Inscriptionum Indicarum. Vol. III. The Gupta
Inscriptions, par J. F. Fleet.
Dabry de Thiersant. Le Mahométisme en Chine.
Duff. Chron. India. The Chronology of India, par C. M. Duff.
E. I. Epigraphia Indica.
E. H. I. The History of India as told by its own historians, par Sir
Henry EUiot.
F. K. D. Bomb. Gaz. Tho Dynasties of the Kanarese Districts of the
Bombay Presidency etc. per J. F. Fleet. (Bombay Gazetteer,
Vol. I. 2™° partie, nouvelle édition).
H. C. Bâna, Harsacarita. Édition de Bombay.
H. T. Vie et Mémoires de Hiouen Tsang traduits par St. Julien.
Vol. 1. Histoire de la Vie de Hiouen Tsang et de ses voyages
dans l'Inde.
Vols. II. et ni. Mémoires sur les Contrées Occidentales.
— X —
I. A. Indian Antiquary.
I-tsiùg. A record of the Buddhist Religion ia India and the Malay
Archipelago, A. D. 671-695. by I-tsing, trauslated by Taku-
kusu. Oxford, 1896.
J. A. Journal Asiatique.
J. A. 0. S. Journal of the American Oriental Society.
J. B. A. Journal of the Bengal Asiatic Society.
J. B. R. A. S. Journal of the Bombay Branch of the Royal Asiatic
Society.
J. R. A. S. Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain
and Ireland.
Kuroda. Outlines of the Mahayana par S. Kuroda. Tokyo, 1893.
N. S. Nouvelle Série.
P. S. 0. C. I. Fleet, Pâli, Sanscrit, and old Canarese Inscriptions.
S. B. E. Sacred Books of the East.
V. 0. J. Vienna Oriental Journal.
Z. D. M. G. Zeitschrift der Deutschen Morgenlaendischen Gesell-
schaft.
PEÉFACE
Le sujet de cette étude m'a été signalé par M. Sylvain
Lévi, Professeur au Collège de France, pendant un séjour
que je faisais à Paris, alors que j'étais encore étudiant à
Oxford. Les documents qui nous permettent de reconstituer
riiistoire de Harsa et avec elle l'histoire de l'Inde au début
du \if siècle étaient jusqu'alors éparpillés dans les livres
européens et orientaux. 11 pouvait n'être pas inutile de les
réunir. C'est ce travail que je me suis proposé de faire.
Maintes fois déjà les différentes questions qu'il comporte
avaient été l'objet d'études spéciales ; je n'ai voulu qu'en
repi'endre les conclusions, les totaliser, et c'est la première
fois qu'on ait essayé de grouper autour de Harsa les événe-
ments politiques, littéraires et religieux de son temps et de
tracer un tableau complet de cette époque.
Si ce modeste essai présente quelque valeur, je le devrai
au bienveillant accueil que j'ai reçu des nombreux indianis-
tes qui se sont intéressés à mes études. En premier lieu je
dois rappeler M. Sylvain Lévi, qui s'est fait un nom auprès
des jeunes travailleurs par la sollicitude affectueuse et vigi-
lante dont il entoure leurs efforts. Je voudrais que la présente
étude fît honneur à sa direction comme à son enseignement,
persuadé que ce serait là le meilleur témoignage de recon-
naissance à lui offrir.
Je n'ai pas rencontré plus d'intérêt dans mon pays même,
— ^ —
où pourtant je dois nommer M. Macdonell, Boden Profossor,
qui à Oxford a été mon premier maître de sanscrit et mon
premier guide dans la philologie hindoue ; M. le Docteur
L. D. Barnett, du département des livres Orientaux au
British Muséum, qui presque journellement m'a aidé à
triompher des difficultés qui arrêtent les débutants et m'a
suggéré mainte idée nouvelle ; M. F. W. Thomas, bibliothé-
caire à rindia OÛice Library, de qui je tiens une foule
d'informations sur les traductions tibétaines des œuvres de
Harsa ; et enfin M. Rapson, du département des Monnaies
au British Muséum, dont j'ai été trop honoré d'avoir
l'opinion compétente sur les monnaies attribuées à Harsa.
Puissent ces maîtres illustres reconnaître dans ces lignes
un de leurs élèves qui gardera toujours la mémoire de leurs
savantes leçons (i) !
(1) Je me fais aussi un plaisir de remercier M. Courtillier, licencié es lettres,
d'avoir relu les épreuves d'imprimerie.
SOURCES
A quelles sources puisons-nous pour écrire l'histoire du roi Harsa,
quelle est leur importance respective, quel degré de confiance con-
vient-il de leur attribuer, dans quelle mesure devons-nous les utiliser
et jusqu'à quel point méritent-elles de l'être, ces questions se posent
d'autant plus vivement au début de notre sujet qu'il n'y a pas d'écri-
vain indigène pour y répondre directement : l'Inde n'a pas écrit son
histoire. Nous avons affaire ici à diverses sources qui souvent ne
peuvent se contrôler les unes par les autres ; ce sont des témoignages
indirects, souvent isolés entre eux, parfois uniques, sur chacun des-
quels la critique s'exerce difficilement et chez lesquels elle ne sait
où commencer ni où finir. De tous ceux-là le moins remarquable et
le moins délicat à analyser n'est pas cette monographie brillante du
roi Harsa et qui est due à un de ses courtisans, le poète Bâiia. Des
inscriptions à la gloire du roi, des notes du pèlerin chinois Hiouen
Tsang, et enfin cet étrange Harsacarita, voilà en somme ce qu'il
nous faudra mettre en œuvre.
Aces rares documents on avait cru pourtant pouvoir ajouter autre-
fois des monnaies. Cunuingham avait attribué au roi Harsa certaines
médailles qui portaient comme signe distinctif un « Ha n : téméraire
identification dont on a fait depuis justice. D'après les indications qui
m'ont été données avec tant d'amabilité par M. Rapson, il semble
qu'à l'heure actuelle nous ne possédions aucune monnaie de cette
époque, ni de Harsa, ni des rois ses contemporains, à l'exception
pourtant des monnaies d'or de Çaçânka de Gau(]a.
En posséderions-nous que nous serions dans l'incapacité de les
reconnaître. On peut inférer toutefois qu'elles seraient d'un type
assez voisin de celles du roi Bhojadeva de Kânyakubja (8G0-900) ou
de celles que les Hûaas introduisirent dans l'Iode, c'est-à-dire
modelées sur les monnaies des Sassanides perses.
Parmi les très nombreuses inscriptions que depuis vingt ans VIndian
Antiquarp, VEpigraphia Indica, périodiques subventionnés par le
gauvernement anglais des Indes ou d'autres revues indianistes ont
publiées, traduites et commentées, il en est trois qui sont de Harsa
(Appendice I). Deux d'entre elles sont gravées sur des plaques de
cuivre : elles enregistrent une pieuse donation de terres que Harsa
fit à des brahmanes, A peu de chose près leur contenu est identique ;
les formules qui garantissent la donation sont stéréotypées. Elles
commencent d'abord par donner la généalogie du roi, et nous verrons
plus tard ce que vaut ce renseignement, puis définissent les terres
aliénées, font le compte des taxes qui en dépendent et terminent par
quelques vers et adages moraux du roi. Ces deux inscriptions sont
datées de la vingt-deuxième et de la vingt-cinquième année du règne,
soit 628 et 631 A. D.
C'est sur un sceau trouvé à Sonpat que se trouve la troisième ins-
cription. Le sceau, autant que des traces de soudure encore visibles
permettent de le supposer, devait être collé à une plaque de cuivre,
aujourd'hui disparue. En haut de cette pièce est un bœuf regardant
vers la droite, au-dessous une courte et incomplète généalogie du roi.
Outre ces inscriptions de Harsa, nous en possédons d'autres qui le
nomment et qui jettent quelque lumière sur certains événements de
son règne. Parmi celles-ci sont les inscriptions des Guptas du
Magadha, ses parents, des Gurjaras, ses vassaux, des Câlukyas, ses
ennemis.
Quelle que soit l'authenticité de ces inscriptions locales, leur utili-
sation ne saurait être bien grande et, disséminées sur le long règne
de Harsa, elles ne permettraient guère à l'historien, comme les
pierres du petit Poucet, d'y retrouver son chemin. C'est pourquoi
nous devons être plus sensibles aux renseignements, si sujets à caution
parfois, que nous a laissés Bâua. Le Harsacarita rappelle d'abord
l'ancêtre plus ou moins mythologique des Vardhanas de Thanesar,
puis montre comment les prédécesseurs immédiats de Harsa travaillent
déjà à la fortune de leur maison. Enfin Bâna aborde le règne même
de Harsa, en raconte les premiers événements, puis au huitième
chapitre du livre le récit s'arrête brusquement, sans que nous puis-
sions savoir pourquoi. Nulle possibilité d'en reconstituer la suite ;
nul résumé d'ailleurs ne nous en a été conservé et rien ne prouve
même que JBâna ait poussé plus loin son travail.
Cette lacune est fort regrettable, bien que l'ouvrage ne soit pas à
~ 5 —
proprement parler un traité historique. C'est un panégyrique que
Bâna a prétendu écrire : il avait un protecteur bienveillant qui avait
acquis quelque renommée à la guerre, la louange n'en était que plus
facile et devait laisser transpirer les exploits belliqueux du prince.
Mais cette prose poétique ne devient, pour ainsi dire, historique
que malgré elle, et seulement parce que le héros a été mêlé à de
grands événements politiques. Bâna ne se contente pas, en effet, de
tracer un panégyrique facile, mais encore il donne des faits et gestes
de son royal patron une transcription poétique qui n'approfondit rien,
mais qui enguirlande tout. Fidèle aux préceptes littéraires de l'Inde,
il ne cherche pas à s'enquérir seulement des faits, à notre point de
vue, intéressants et instructifs, ni à en démêler la suite et l'enchaî-
nement d'une manière philosophique. Il fait une histoire romanesque
qu'on a été parfois tenté de comparer aux romans de Walter Scott ou
d'Alexandre Dumas, parce qu'elle dénature la vérité au gré de
l'imagination de l'écrivain, mais qui en diffère pourtant, car Bâna ne
s'exerce pas comme eux sur une matière historiquement dégagée des
fictions poétiques, ne reconstitue pas comme ils l'ont fait, au moyen
de documents, une époque disparue, un milieu effacé dans la brume
du passé, mais il adapte des événements vrais et contemporains aux
lois de genres tout voisins, la comédie héroïque et galante et le roman
merveilleux. Il parle du roi, de ses proches, de ses ennemis, non
comme s'il les eut vus dans le monde réel, mais comme s'il avait à
faire le compte rendu d'une ndillià oii Harsa aurait tenu le premier
rôle. Il n'a nul souci d'écrire l'histoire de Harsa, mais il en établit
avec complaisance la légende.
C'est là précisément la valeur du Harsacarita ; Bâna nous repré-
sente son protecteur sous les traits mêmes que ses courtisans et son
peuple aimaient à lui donner. Si fausse que semble être cette histoire
qui se fait une joie de transporter le lecteur dans un monde de féerie,
elle est précieuse parce qu'elle est, pour ainsi dire, spontanée et
sincère. D'ailleurs Bâiia, en écrivant pour des contemporains sur des
faits connus de tous, ne pouvait altérer la vérité que dans une certaine
mesure et selon certains procédés: l'invention systématique d'épisodes
qui eussent été faux lui est interdite ; s'il ne peut dire la vérité nue
et sans apprêts, comme nous l'aimons, du moins il ne peut mentir.
11 y a un fonds de vrai chez lui qu'il nous faudra dégager, un substrat
historique qu'il faudra analyser. Il faudra déshabiller son texte de ce
— 6 -
qu'il a d'ornements convenus. Il suffira, en d'autres termes, de le
savoir lire, et moyennant ces précautions et ces réserves, nous
pourrons reconstituer la réalité qu'il a embellie, déguisée et trahie
continuellement.
Le pèlerin chinois Hiouen Tsang est un guide moins contesté et
infiniment plus sûr. 11 appartient à cette époque où le bouddhisme
s'était propagé jusqu'en Chine et « se déroulait comme une chaîne
immense qui réunissait les bords du Gange à l'extrémité orientale de
l'Asie n. Un grand mouvement de pèlerinage s'était établi entre
l'Inde et les pays où la nouvelle foi avait pénétré. Des voyageurs
chinois, mus par l'enthousiasme religieux, s'en allaient dans la patrie
du Buddha chercher une plus claire perception de leur foi. Non con-
tents de recueillir des textes et d'en faire des traductions, certains
d'entre eux avaient aussi une mission diplomatique. De tous les
ouvrages qui nous sont ainsi parvenus le plus important est le
Si-yu-M {Mémoires sur les contrées occidentales), publié en 648 sous
l'inspiration de Hiouen Tsang, auquel il faut ajouter la biographie
du célèbre pèlerin.
« Hiouen Tsang », disait Max Mueller (I-tsing p. ix), « a pu être
appelé le Pausanias de l'Inde ; il est le cicérone érudit de tous les
indianistes et c'est grâce à lui qu'on a pu mettre quelque ordre et
quelque clarté dans le chaos de l'histoire et de la géographie de l'Inde
au VII* siècle. » Hiouen Tsang partit seul de Chine en 629 et ne revint
qu'en 645. Il a donc eu assez de temps pour s'instruire sur les choses
de l'Inde. Comme tous les pèlerins chinois il prend pour objectif
l'université de Nâlandâ. C'est de là qu'il fut mandé tour à tour par
Kumâra, roi d'Assam, et par Harsa lui-même qui lui fit un excellent
accueil. En 641 il repartait pour la Chine et arrivait à Si-ngan-fou
au commencement de 645. Ses disciples publièrent ses mémoires et
sa vie, qui ont été traduits en français par Stanislas Julien.
L'authenticité des récits de Hiouen Tsang est incontestable. Si on
laisse de côté les discours qu'il prête à ses personnages et dont on ne
peut que garantir la vraisemblance, il faut reconnaître sa parfaite
probité. Sa véracité est continuellement confirmée par l'archéologie
et la géographie (1). Son point de vue n'est pas celui d'un voyageur
(1) On lit dans l'extrait du grand catalogue de la bibliothèque de l'empe-
reur Khien-long (H. T. vol. ii, p. xxiii ) : « heSi-i/u-ki cite surabondamment
des faits surnaturels et des prodiges qui ne méritent pas un examen sérieux,
— 7 —
ou d'un historieu moderne. En qualité de pèlerin son attention se
porte surtout sur les relations des bouddhistes et des brahmanes et
sur les affaires religieuses. La politique ne l'intéresse qu'en tant
qu'elle se mêle à la religion, et on comprend par là quelle part il
sera amené à faire au prince qui fut si favorable à la culture boud-
dhique. Comme il a passé dix -sept ans dans l'Inde, dont une grande
partie à Nâlandâ, il nous laisse un répertoire de faits dont la masse
n'est pas moins respectable que l'exactitude (1).
Pour la fin du règne de Harsa, temps par excellence des missions
diplomatiques, nous aurions dû avoir les mémoires écrits par les
ambassades mêmes. Malheureusement ces mémoires sont perdus, quel-
ques fragments exceptés qui ont été traduits par M. Sylvain Lévi (2).
En dehors des sources chinoises, nous avons encore des historiens
mongols et tibétains tels que Ssanang Ssetsen et Târanâtha, dont il y
aura lieu de faire mention. Pour l'histoire des musulmans dans l'Inde
à cette époque nous possédons :
1° Futuhu-l Buldan d'Ahmad ibn Yahya ibn Jâbir al Bilâduri, dont
il existe un manuscrit à Leyde (l'auteur mourut en 892/3) ; l'ouvrage
contient un récit des premières conquêtes des Arabes en Syrie,
Egypte, Perse, Afrique, Sind, etc. C'est une des premières et des plus
importantes chroniques arabes. Elle ne nous intéressera pourtant
qu'accessoirement (3).
2'» Le Chach-nama en persan, traduit de l'arabe par Muhammad
'Ali bin Hamid bin Abu Bakr Kufi vers Tan 1216 (4).
mais tout ce qui se rapporte aux montagnes, aux rivières et aux distances
est susceptible d'être clairement vérifié, n
(1) On lit aussi clans l'extrait précédemment cité que le Si-yu-ki a été
traduit du sanscrit. Quel était cet original sanscrit ? Il est permis de douter
de son existence, mais on peut conjecturei' sans invraisemblance que le
Si-yu-ki a été composé sur des notes de Hiouen Tsang rédigées en sanscrit.
(2) J.A.N.S. 1900. pp. 297-341 ; 401-4(33.
(3) On en tiouvera des extraits traduits : E.H. I., p. 115.
(4) On en trouvera des extraits traduits : E.H. I., p. 138, et une traduction
anglaise par Mirza Kaliclibeg Fredunbeg, Karachi 1900-2.
— 8
CHRONOLOGIE DU RÈGNE.
A. D.
583 (?) Prabhâkaravardhana de Thanesar, fils d'Âdityavarman,
marié avec Yaçomatï, monte sur le trône.
(cf. H.T. vol. ii, p. 247 : « on compte trois rois en deux
générations «).
584 (?) Naissance de Râjyavardhana.
585-592 Jiiânagupta, çramana de Gandhâra de l'Inde septentrionale,
traduit 39 œuvres bouddhiques en chinois. (B.N. p. 434).
585-604 Prabhâkaravardhana fait la guerre contre le roi de Gan-
dhâra, contre les Hûnas, le roi de Sindhu, les Gurjaras,
et le roi du Mâlava.
587 Mort de l'astronome Varâhamihira, selon le commentaire
d'Araarâja sur le Kliandahhadya de Brahmagupta. Auteur
du Pancasiddhàntil'â etc. (J.R.A.S. N.S. vol. i, p. 407.
Ganakatarahgini éd. Sudhâkara, The Pandit, N. S. Vol.
xiv, p. 13).
587 (?) Naissance de Harsa.
588 Inscription de Mahânâmau à Bodh-Gayâ. (LA. vol. xv,
p. 356, vol. XX, p. 190. (Un Mahânâman fut auteur du Mahâ-
vamça)).
590 (?) Pûrnavarman règne dans le Magadha occidental. Hiouen
Tsang le nomme comme le dernier des descendants
d'Açoka, et comme le restaurateur de l'arbre de la Bodhi
que Çaçânka avait voulu détruire. (LA. vol. xiii, pp. 95 ss.
H.T. vol. iii, p. 50.)
590-616 Dharmagupta, çramana de l'Inde méridionale, traduit des
œuvres bouddhiques en chinois. (B.N. p. 434).
592 (?) Naissance de Râjyaçrï.
597 Mangalïça, Mangalarâja, Ranavikrânta, le Câlukya, fils de
Pulikeçin Y\ succède à son frère Kîrtivarman.
597-608 Mangalïça détruit les Mâtaiigas ; soumet les Kataccburis
(Kalachuris) sous Buddharâja, fils de Çankaragana de Cedi ;
— 9 -
conquiert Revatïdvîpa, et, ce semble, perd 1^ vie en essayant
d'obtenir le royaume Câlukya pour son propre fils et d'ex-
clure son neveu Pulikeçin. (Inscriptions d'Aiho?e, Nerûr,
et Mahâkûta). Selon Bhandarkar, et aussi selon la donation
d'Indravarman, Maiigalïça commence à régner en 591 ;
selon Fleet et l'inscription de Mahâkûta (qu'il dit datée de
la cinquième année de Maiigalïça), il commencerait en 597.
(Inscriptions — LA. vol. vii, pp. 161 ss. (plaques de Nerûr) ;
ib. vol. X, p. 59 (inscription non datée de Bâdâmi). LA. vol.
xix, pp. 7 ss. (inscriptions de Mahâkûta), Fleet, P.S.O.C.I.
N°M1 et 40. (Inscriptions de Maûgaliça). B.D. p. 50. F.K.D.
Bomb. Gaz. pp. 346 ss.)
598 Naissance de l'astronome Brahmagupta, auteur du Brah-
masplmtasiddluinta etc. (J.R.A.S. N.S. vol, i, p. 410 ;
Ganakatarahginl , The Paudit, N.S. vol. xiv, p. 18).
600 Mort de Jùânagupta.
600 (?) Devagupta règne dans le Mâlava oriental. (J.B.A. vol. 58,
plan, p. 100).
600 (?) C'est le moment où florissent les poètes Bâna, Mayûra et
Mânatuùga. (Buehler, Die Indisclien Inschriften ; Peterson,
Suhhàsitdvaïi, Int. p. 88. V.O.J. vol. iv, p. 67).
600 (?) C'est le moment où vit le dévot çivaïte, Tirunâvukkaraiyar,
sous Mahendravarman I". On attribue la paternité du
Devâram, une collection d'hymnes çivaïtes, à lui, ainsi
qu'aux dévots Tir uùânasambandar et Sundaramûrti Nâyanâr
(E.I. vol. iii, pp. 277 ss.)
600 (?) Mahendravarman P'', Pallava, fils et successeur de Simha-
visnu, règne dans le même temps que Pulikeçin II (A.S.S.I.
vol. iii, p. 11. F.K.D., Bomb. Gaz. p. 324).
601 (?) Mariage de Harsa. (H.C. p. 206).
602 (?) Mariage de Râjyaçrï avec Grahavarman le Maukhari. (H.C.
p. 156).
604-5 Râjyavardhana est envoyé par Prabhâkaravardhana contre
les Hûnas.
605 Mort de Prabhâkaravardhana.
605 Grahavarman est tué par le roi du Mâlava.
605 Avènement de Râjyavardhana.
605 Çïlâditya P'", Dharmâditya du Valabhï, fils et successeur de
— 10 -.
Dharasena II règne. (I.A. vol. i, pp. 45. ss., et J.B.R.A.S.
vol. X, p. 75. LA. vol. ix, p. 237 (plaque de cuivre de 609) ;
ib. vol. xiv, p. 327 (plaque de cuivre de 605 de Walâ).
605 Râjyavardhana défait le roi du Mâlava.
605 Râjyavardhana est tué par Çaçaûka, roi de Gauda.
605 (?) Naissance de Kumâra, fils de Harsa.
605-6 Avènement de Harsa. (« Encore jeune » H.C. p. 206).
605-615 Le Çatrunjaya Maliàtmyam, ouvrage jaina, est écrit sous le
règne de Çïlâditya du Valabhï (Weber, Abbandl. z. Kunde
d. Morgenlandes. vol. i, p. 16).
606 Alliance entre Harsa et le roi Bbâskaravarman de Kâmarûpa.
606 Campagnes de Harsa contre la ville de Kânyakubja et le roi
Çaçâùka.
609 Pulikeçin II, Satyâçraya, Çrï Prtbvîvallabha, Câlukya, suc-
cède à son oncle Mangalîça.
609-10 (?) Expédition de Pulikeçin II contre les Pallavas. (F.K.D.
Bomb. Gaz. p. 324).
609-642 Pulikeçin, ayant repoussé Appâyika et Govinda (des Râs-
trakûtas ?) selon l'inscription d'AihoZe, soumet les Kadam-
bas, prend Banavâsi, leur capitale, s'allie avec les Gangas
de Maisûr et les Âlupas, envoyé alors Candadanda contre
les Mauryas Kanarais, réduit lui-même la ville de Purï, vainc
les rois de Lâta, Mâlava, et Gurjara. Après avoir soumis
Kosala et Kaliriga, il assiège Mahendravarman I"", le roi
Pallava, dans sa capitale Kâùcîpuram, et traversant la
Kâverï, envahit le territoire des CoZas, Pândyas, et Kera^as.
(Selon la donation de Haidarabad, ces victoires furent
gagnées avant 612). Âdityavarman, fils de Pulikeçin, régna
sur la région qui s'étend près du confluent de la Krsnâ et
de la Tungabhadrâ. Candrâditya, un autre fils de Pulikeçin,
(dont la femme Vijayabhaltârikâ, ou Vijamahâdevï, fit
paraître les donations non datées de Nerûr et Kochre), régna
sur le district Sâvantvâdî, tandis que Jayasimha, frère cadet
de Pulikeçin, (connu par la donation non datée de Nirpan
de son fils Nâgavardhana), gouverna le district de Nâsik.
Vers la fin de son règne, Pulikeçin fut défait par les Pallavas
sous Narasimhavarman P', (LA. vol. vi, p. 72 ; ib. vol. vii,
p. 163) (donation non datée de Nerûr) ib. p. 290. vol. viii,
— 11 —
p. 44. (donation de Kochre) ; ib. pp. 237 ss., ou A.S.W.I.
vol. iii, pp. 135 ss. (inscription d'Aiho^e Meguti de 634) ;
I.A. vol. ix, p. 123 ; vol. xiv, p. 330 ; vol. xvi, p. 109 ; vol.
xvii, p. 141 ; vol. xix, p. 303. (plaque de cuivre de Sâtârâ) ;
vol. XX, pp. 5 et 95 ; E.I. vol. iii, p. 50 (donation non datée
de Cip?ûu). A.S. Reports, N°. 9, pp. 90. ss. ; Beal, ^i-yu-ki^
vol. ii, pp. 255 ss. J.B.R.A.S. vol. xvi, p. 223 ; B.D. pp. 50,
ss ; F.K.D. Bomb. Gaz. pp. 349 ss.).
610 Satyâçraya Dhruvarâja Indravarman gouvernait Revatïdvïpa.
Parent peut-être avec les Câlukyas, étant allié avec la
famille Bappûra, à laquelle appartenait Durlabhadevî,
femme de Pulikeçin P^ (J.B.R.A.S. vol. x, p. 365 ; vol. xiv,
pp. 24 ss. ; B.D. p. 49 ; E.I. vol. iii, p. 2 ; F.K.D. , Bomb.
Gaz. p. 355).
610 C'est le moment où vit le poète Jaina Ravikïrti ; auteur de
l'inscription d'Aiho/e Meguti de Pulikeçin (B.D. p. 59.
Buehler, Die indischen Inschriften, p. 71).
610-G34 Harsa est vaincu par Pulikeçin II, le Câlukya, qui prend le
titre de Parameçvara.
615 Visnuvardhaua P-", Kubja-Visimvardbana, ou Visamasiddhi,
est nommé Yuvarâja par son frère Pulikeçin II. (LA. vol.
xix, p. 303. (donation de Sâlârâ datée de la huitième année
de Pulikeçin). LA. vol. xx, p. 15 (donation de Chïpuru-
palle de la dix-huitième année de Visuuvardhana). ib. p. 1,
et 93 ss.).
615 (?) Dûsen fonde la secte Vinaya qui s'appuie sur le Dharma-
gupta Vinaya. (Kuroda p. 23).
615 (?) Kharagraha P^ de Valabhi, succède à son frère Çïlâditya P'.
618 (?) Mariage de Kumûra, fils de Baissa.
618-627 Combats de Harsa dans l'Inde, (cf. Ma-touan-lin).
619 Mort de Dbarmagupta. (B.N. p. 434).
620 (?) DharasenalII, du Valabhî, succède à son père KbaragrahaP^
(C.I.I. vol. iii, Int. p. 41).
622 (?) Naissance d'une fille à Kumâra, fils de Harsa.
625 Pulikeçin II envoie une ambassade vers Khusni II de Perse.
(Tabar'i, p. 371. J.R.A.S., N.S. vol. xi, pp. 155 ss.).
625 Yekwau iutrodiiit la secte des « Trois Castras « au Japon.
(Kuroda p. 23. Buddhist Sects p. 46).
— 12 —
627-633 Prabhâkararaitra, çramana de l'Inde centrale, ksatriya
de caste, traduit trois ouvrages bouddhiques en chinois.
(B.N. p. 435).
628 L'astronome Brahmagupta écrit le Brahnasphuiasid-
dMwto. (J.R.A.S., N.S. vol. i. p. 410. Ganakatarahginï,
The Pandit, N. S. vol. xiv. p. 18.).
628-9 Wahb-abi-kabcha, ambassadeur de Mahomet, arrive en
Chine pour recevoir l'autorisation de construire une mos-
quée à Canton. (Dabry de Thiersant, p. 35).
628-9 Date de la Plaque de Bhânskera. (E.I. vol. iv, p. 208).
629 Dadda IV, Praçântarâga II, Gurjara du Bharoch, fils et suc-
cesseur de Jayabhata II, règne.
629 Dhruvasena II, Bâlâditya du Valabhï, frère et successeur de
Dharasena III, règne.
629 Hiouen Tsang part pour l'Inde.
630 (?) Visnuvardhana devient souverain indépendant de Vengï, y
fonde un royaume séparé et divise ainsi le royaume Câlukya.
(LA. vol. XX, pp. 12 et 94).
630 (?) Bhartrhari, le grammairien, auteur du Vokijapadlya, vécut
vers cette époque. (I-tsing, Int. Gen. pp. lv, Lviii).
630 (?) Divâkaramitra Maitrâyanïya, moine bouddhiste, florissait
fort estimé de Harsa, dont la sœur devint religieuse boud-
dhique sous ce maître. (H.C. p. 288).
630 (?) Parmi les moines bouddhiques de Nâlandâ pendant le séjour
de Hiouen Tsang se trouvaient : Çïlabhadra, disciple et
successeur de Dharmapâla, chef de Tuniversité de Nrdandâ,
qui avec son contemporain Bhavaviveka a dû vivre vers
cette époque ; Jayasena, Candragomin, l'adversaire de Can-
drakïrti, Gunamati, auteur d'un commentaire sur VAhU-
dliarmakoça de Vasubandhu, Vasumitra, disciple du précé-
dent, auteur d'un commentaire sur V Ahhidharmalcoçavyâ'
hhyà, Jnânacaudra et Ratnasimha. (H. T. vol. iii, pp. 46-7.
Chavannes, Mémoire p. 18. B.E.E.O. vol. iii, pp. 38 ss).
630 (?) Mitrasena, disciple de Gunaprabha (et guru de Harsa ?),
âgé de quatre-vingt-dix ans, dirigeait les études de Hiouen
Tsang (H.T. vol. i, p. 109).
630-50 (?) Vâmana et Jayâditya, auteurs de la Kaçila Vrtti,
— 13 —
commentaire sur les sûtras de Pânini, vivaient à ce moment.
(Selon I-tsing (691) Jayâditya mourut trente ans avant son
temps, c'est-à-dire vers 661-2).
631 Le brahmane Chach usurpe le trône de Sindhu à la mort
de Râyâ Sâhasï II. Quelque temps après, il tue Mahrat-
rânâ de Chitor (ou Jaipur) (E.H.I. vol. i, pp. 131 ss. et pp.
406,414).
631-2 Date de la Plaque de Madhuban. (E.I. vol. i, pp. 67 ss.
ib. vol. vii, pp. 157 ss.).
632 Srong-btsan-sgam-po, roi du Tibet, envoie T'onmi Samb'ota
dans l'Inde. (J.R.A.S. N.S., vol. xvii, pp. 474 ss. J.B.A.
vol. Lvii, p. 41. I.A. vol. xxi, p. 33).
632 Commencement de l'ère Perse de Yazdijard avec l'avènement
de Yazdijard III, fils de Sheriyar et petit-fils de Khusrn II.
633 Mort de Prabhâkaramitra. (B.N. p. 435).
633 Jayasimha P", Sarvasiddhi, succède à son père Visnuvar-
dliana. (LA. vol. xiii, p. 137 ; vol. xx, pp. 12, 97).
633-40 Défaite de Dhruvasena II du Valabhï sous les coups de Harsa.
633 (?) Mariage de la fille de Kumâra au roi Dhruvasena II de
ValabhL
634 Le brahmane Chach envahit Kirmân et fixe la limite entre
Kirmân et l'Hindoustan. (E.H.I. vol. i, pp. 131 ss. et pp.
406,414).
634 Srong-btsan-sgam-po envoie une ambassade à l'empereur
de Chine T'aitsung. (Histoire ancienne des T'ang, vol. 256).
635 Çivadeva 1"% Licchavi de la dynastie Sûryavaiiiçi du Népal
oriental, et contemporain d'Amçuvarman, Thâkurï ; tous
deux gouvernaient l'un le Népal oriental, l'autre le Népal
occidental à la même époque. (Bendall, LA. vol. xiv, p. 97 ;
Journey in Népal, p. 72. pi. viii ; LA. vol. ix, p. 168 ;
vol. xiii, pp. 411 ss. ; vol. xiv, p. 342 ss. C.I.I. vol. iii, app.
iv, pp. 178,189. J.B.A. vol. Lviii, plan. p. 100).
636 'Usmân ibn Âsî Saquafï, gouverneur de Bahrain et d"Umâa
sous le Z/ialifah 'Umar assigne son frère Hakim à Bahrain,
et allant lui-même à 'Umâu, envoie une expédition pour
piller les côtes de l'Inde. Vers le même temps Hakïm fait
partir des troupes contre Bharoch, et envoie son frère
Mu^r/iirah Abû-l-Asî à Dïbal, où selon les uns il défait l'en-
>
— u —
nemi, mais où selon le Ciiach-nâma il est tué (E.H.I. vol. i,
pp. 415, 416).
638 L'astronome Lalla, auteur du BM-vràdhida^ vivait à cette
date. (Sewell, Indian Calendar. p. 8).
639 Visite de Hiouen Tsang au roi Pulikeçin du Mahârâstra
qui lui raconte les vains efforts faits par Harsa pour le
vaincre. (H. T. vol. i, p. 202-3 ; vol. iii, p. 150).
639 Le roi Krek (?) introduit le bouddhisme au Siam. (Crawford,
Journ. of an Embassy to the Courts of Siam and Cochin
China, p. 367).
639 Commencement de l'ère moderne des Birmans ; on dit que
c'est Thenga Râdzâ qui l'établit ; (appelée aussi ère d'Ara-
kan).
640 Amçuvarman, Thâkurï du Népal occidental : mentionné
dans la Bauddha PàrvaUyâ VamçàvaU du Népal comme un
prince habile et puissant ; réputé par Hiouen Tsang comme
un savant, et auteur d'un Çabdavidyàçâstra. (Bendall, LA.
vol. xiv, p. 97, Journey in Népal, p. 74. pi. ix, LA.
vol. ix, pp. 169-171. H.T. vol. ii, p. 408. Wright, Hist. of
Népal, pp. 133 ss.).
640 Une traduction du SuMâvatlvyUha-Mahâyâna-sUtra est
lue au Japon. (M. Mueller, J.R.A.S. N.S. vol. xii, p. 162).
640 (?) Hiouen Tsang visite le Valabhï sous le règne de Dhru-
vasena IL
640 (?) Les çramanas Coréens Al-i-yé-po-mouo (Âryavarman) et
Ploei-ye visitent l'Inde. Ils meurent à Nâlandâ. (Chavan-
nes, Mémoire, pp. 32. ss.).
641 Départ de Hiouen Tsang pour la Chine.
641 Harsa envoie une ambassade à l'empereur de Chine.
641 Dharasena IV du Valabhï, Mahârâjâdhirâja, fils et suc-
cesseur de Dhruvasena IL (Plaques de cuivre non publiées
de 641 et 647. Plaques de cuivre de 645. LA. vol. i, p. 14.
ou J.B.R. A. S. vol. X, pp. 66 ss. et LA. vol. i, p. 45. Plaques
de cuivre de 649, I. A. vol. vii, p. 73, et vol. xv, p. 335.
I. A. vol. xvii, p. 196 ss.).
641 (?) Zendô fonde la secte Jôdo qui s^â^T^nie sur VAmitàyur-dhyâna
et d'autres sûtras. (Kuroda p. 23).
642 L'ère populaire siamoise commence. (Crawford, Ouvr. cité.
p. 367).
— i5 -
642 (?) Narasimhavarman I" ou Narasimhavisnu, Pallava, fils et suc-
cesseur de Mahendravarman 1" règne. Il détruit (?) Vâtâpi
(Bâdâmi) et défait (?) souvent Vallabharâja Pulikeçin (II)
dans les batailles de Pariya?a, Manimangala, Çûramâra, etc.
(donations deNandivarraanPallavamalla et Parameçvaral").
Il est confirmé qu'il fit la conquête du Ceylan par le Mahâ-
vamça, qui le représente ainsi que le prince singhalais Mâna-
vamma comme s'aidant l'un Tautre dans leurs guerres
respectives. (I.A. vol. viii, p. 277 ; vol. ix, p. 99. A.S.S.I.
vol. iii, pp. 11, 152 ; vol. iv, p. 343. F.K.D. Bomb. Gaz. p.
322. Mahcivamça. tr. Wijesiniha. pp. 41 ss.).
642 (?) Tirufiânasambandar, le dévot çivaïte, florissait sous Nara-
simhavarman, Pallava. (E.I. vol. iii, pp. 277 ss.).
642 (?) Mort de Pulikeçin II.
643 Vijayavarmarâja, Cfdukya, fils et successeur de Buddhavar-
man, gouverne le Gujarât. (LA. vol. vii, pp. 241 ss. LA.
vol. ix, p. 123 ; ib. xvii, p. 197. E.I. vol. iii, p. 2).
643 Ambassade de Li-yi-piao et Wang hiuan-ts'e à Harsa.
643 'Abdu-llah ibn 'Amir ibn Rabî envahit Kirmân et prend la
capitale, soumet Sïstân, et avançant sur Makrân, défait les
armées unies de Makrâa et Sindhu. Le A7ialifah 'Umar lui
refuse la permission de traverser l'Indus. L'historien Muham-
mad al-SAirâzï attribue la conquête de Sistâu à 'Amru ibn
al-Tamîmï et à 'Abdu-llah ibn 'Umar ^/tattab, et celle de
Makrân à 'Abdu-llah ibn 'Abdu-llah ibn 'Unân, et représente
Zanbïl, le souverain de Makrâa comme gouvernant aussi le
Sindhu. Les autres historiens diffèrent entre eux. (E.H.I.
vol. i, p. 417).
645 (?) Genjô et Jion fondent la secte Hossô s'appuyant sur le
Vldyâmâtra Castra, (Kuroda p. 23).
646-7 Wang hiuan ts'e part pour l'Inde comme ambassadeur vers
Harsa.
648 Mort de Harsa.
648 (?) Dharasena IV du Valabhî occupe Bharoch.(I. A. vol. xvii,
p. 196).
648 Un usurpateur, le Senâpati Arjuna (Na-fo-ti-a-la-na-shun)
monte sur le trône de Harsa (Sylvain Lévi, J.A. 8'"° Série
1892, p. 337).
— 16 —
648 Wang hiuan ts'e arrive dans l'Inde.
648-9 Wang hiuan ts'e chassé par Arjuna, se réfugie au Tibet,
revient avec une armée, et le défait complètement. (Cha-
vannes, Mémoire, p. 19 n. 2).
648-651 Mort de Dharasena IV du Valabhî. (LA. vol. xvii, p. 196 ;
ib. p. 197 n. 50).
649 Le çramana chinois Tao-sheng (Candradeva) visite l'Inde.
Chemin faisant, il visite le Tibet. (Chavannes, Mémoire,
p. 39).
649-50 Troubles dans l'Inde.
650 Mort du roi Srong-btsan-sgam-po (Chavannes, Mémoire,
p. 14).
650 (?) Le çramana chinois Hiuan chao (Prakaçamati) visite le
Tibet : en allant dans ITnde, il est reçu par la princesse
Wen Chang, veuve du roi Srong-btsan-sgam-po. (Chavannes,
Mémoire, pp. 10 ss.).
651 Défaite de Yazdijard III de Perse. (E.H.I. vol. i, p. 419).
651-2 Mort de Bhartrhari, contemporain de Dharmapâla. (I-Tsing,
p. LV).
651-654 Mort d'Amçuvarman. (LA. vol. ix, pp. 171 ss.).
661-2. Mort de Jayâditya, auteur en collaboration avec Vâmana
du Kâçikâvrtti. (I-tsing, p. lv).
CHAPITRE 1-.
HISTOIRE POLITIQUE DU RÈGNE DE HARSA.
Parmi les raisons qui ont contribué à faire d'une assez modeste
famille princière de Thanesar (1) l'arbitre à un certain moment des
destinées de l'Inde, il faut sans doute compter l'avantage de la situa-
tion de cette ville dans l'ensemble de la péninsule : cette localité,
maintenant bien déchue de sa grandeur de jadis, fait encore partie
d'un centre stratégique formidablement organisé par les Anglais.
Située au cœur de cet isthme naturel qui sépare le désert du Thar
de l'Himalaya et fait communiquer entre eux les bassins du Gange
et de rindus, bâtie sur la Sarasvatî, qui ne mêle ses eaux aux
affluents d'aucun de ces deux fleuves, mais par le Satlej va se perdre
au désert, la ville de Thanesar ne se rattache géographiquement pas
plus aux provinces du Gange qu'à celles de l'Indus : politiquement,
elle forme état tampon. Ses princes, de quelque empire qu'ils soient
tributaires, ont toujours la garde de la frontière : ils reçoivent les
premiers le choc de l'ennemi, ils sont aussi les premiers en commu-
nication avec lui ; la défection ne leur en est que plus facile, ils peu-
vent être toujours prêts à se réclamer d'une antique dépendance à
l'égard de l'un pour se soustraire au joug de l'autre, ils seront maîtres
de choisir leurs alliances.
Qu'à la faveur de cette équivoque, ils arrondissent un peu leurs
Etats, et l'on va voir comme il leur sera aisé de les défendre. Adossés
(1) Thanesar dans le district Ambala (Umballa) du Pendjab, sur la Sarsuti
(Sarasvatî) par 29° 58' 30" lat. Nord et 76" 52' long. Est (Green\vich\ à 25 milles
au sud d'Ambala. Cunningham dérive le nom ancien de cette ville Sthânvlç-
vara, soit de sthàna (la demeure) et Içvara (Çiva), soit de Sthânu et Içvara
(deux appellations de Çiva). Centre de pèlerinage hindou de moins en moins
fréquenté, avec un lac sacré ; ruines de deux tuniuli et d'un ancien fort ;
6 000 habitants dont 4 000 Hindous au recensement de 1881.
— 18 —
aux dernières croupes de rHimâlaya, ils ne craignent de ce côté de
l'horizon, tant au nord qu'au nord-est, nulle incursion ennemie, nul
mouvement tournant ; ils peuvent considérer en toute certitude les
crêtes encore lointaines de l'Himalaya comme le prolongement naturel
des murs de leurs cités. Vis-à-vis de cette barrière infranchissable,
au sud-ouest, le soleil brûle et désole éternellement à quelques jour-
nées de marche le vaste désert du Thar, nouvel obstacle que la
nature étale devant l'ambition de leurs ennemis. Le danger ne leur
viendra donc que du couchant ou du levant, mais peu importe : s'ils
résistent, ils sont chefs d'une marcJie avancée avec laquelle doivent
se solidariser ceux qu'ils ont sur leurs derrières : s'ils cèdent, ils sont
à la tête d'une avant-garde qu'enfonce et que soutient une puissante
invasion. De toute façon les princes de Thanesar doivent à leur situa-
tion géographique déjouer un grand rôle dans l'histoire de l'Inde.
Dès les temps mythologiques du Mahâbharata, c'est ce pays que se
disputent les Pândavas et les Kauravas, et c'est là que se livre cette
terrible bataille du Kuruksetra qui assure la suprématie aux Pân-
davas. Plus tard, c'est là que doit s'arrêter l'expédition d'Alexandre.
En des temps plus rapprochés enfin, après que se fut écroulé l'empire
qu'y avait fondé Hai sa, c'est encore là que l'Islam avec Mahmoud de
Ghazni livre ses plus grandes batailles.
Si cette contrée est naturellement privilégiée et semble assurer la
domination de toute l'Inde à qui peut seulement s'en emparer, les
temps où s'établit la dynastie des Vardhanas de Thanesar n'étaient
pas moins propices aux succès de l'un d'entre eux. C'est un moment
assez rare dans l'histoire, oii l'Inde est livrée à elle-même : les Huns,
après avoir ébranlé et ruiné l'empire des anciens Guptas, se sont
retirés, laissant le champ libre à de nouvelles ambitions.
Ces Huns ne sont autres que les Hûuas des textes sanscrits, qui
venus du nord-ouest ont envahi l'Inde au v'' siècle, tribu de la même
famille apparemment que les Ye-ta ou Ephthalites qui pendant plus
d'un siècle (425-550) occupèrent le Turkestan et luttèrent avec les
SassaniJes. Ces Hûnas vers 445 avaient pénétré dans le Pendjab ; de
495 à 533 Toramâna, leur chef, avait abattu l'empire Gupta. Son fils,
Mihirakula (1), en 515 avait marché contre Bhatârka, roi de Valabhî;
(1) Après Mihirakula, nous n'avons rien de certain sur les HQnas ; nous
savons seulement qu'ils s'étaient établis sur les contins de l'Inde, prêts à
s'y jeter au premier signe de faiblesse. Ils sont restés dans l'Inde bien après
— 19 -
il avait eu un moment la suzeraineté complète de Tlnde vers 530, puis
avait été chassé par le Mâlava, Yaçodharman, vers 533 (1), et les
Hïïnas avaient été définitivement repoussés de l'Inde. On ne sait
pas les faits immédiats qui suivent : Yaçodharman se vante bien
dans son inscription de Mandasor (2) d'avoir fondé un empire plus
vaste que celui des Guptas, mais ce n'est peut-être qu'une exagération
littéraire, car il n'y a pas de traces de cet empire ; aussitôt les
Hûnas chassés de l'Inde et jusqu'à l'avènement de Harsa, un fait
historique domine, c'est la naissance et l'épanouissement spontané
d'une foule de pouvoirs locaux qui aux dépens les uns des autres
cherchent à obtenir la suprématie générale. C'est à la chute des
Hûnas que les Pallavas, les Valabhis, les Câlukyas, les Maukharis
Varmans, les Guptas du Magadha, les Varmans de Kâmarûpa et
tous les autres peuples dont nous rencontrons les noms dans les
inscriptions, doivent l'origine de leur fortune. C'est ce même mou-
vement qui plus tard porte la famille Vardhana de Thanesar au
trône impérial.
Pénétrons plus avant dans cet état politique de l'Inde et passons
successivement en revue ces diverses principautés, telles qu'elles
figurent à la fin du vi^ siècle.
Qu'était-ce en premier lieu que cette famille des Vardhanas qui
devait étendre si loin la renommée de Thanesar ? Leur généalogie ne
remonte pas bien haut et avant Prabhâkara, le père de Harsa, nous
ne connaissons guère que trois générations. Si l'on en croyait le poète
Bâna, la famille de Thanesar devrait son origine à un héros du nom
de Pusyabhïïti, roi du district Sthâneçvara, dans le pays Çrïkaiitha
que le poète appelle « un paradis terrestre « (3). De Pusyabhûti serait
que les Tou-Kue avec l'aide de Khusru I»"' de Perse eurent détruit la puissance
de leurs congénères du Turkestan en 550. Après la destruction do cet empire,
les Ye-ta se retirèrent dans le haut Oxus, où ils fondèrent une petite princi-
pauté tributaire de la Chine.
Dans le Visnupurcina (traduction de Wilson, 1S40) nous trouvons, p. 177 :
« Sous les Hûnas nous devons comprendre les Huns blancs, ou Indo-Scythes,
qui s'établirent au Punjab et le long do l'Indus «, et à la page 194, les Hûnas
sont nommés parmi " les peuples féroces et non civilisés ».
(1) C. 1. 1. vol. iii, p. 148.
(2) C. 1. 1. vol. iii, pp. 142-148.
(3) H. C. p. 104, et cf. aussi Gaudavaho, éd. Shankar Paiiclit, (1887) pour lo
fait que Thanesar était la capitale d'un pays nommé Çrikantlia.
— âô —
descendue une longue lignée de rois glorieux. Mais les inscriptions se
tai^sent à leur sujet. Ce n'est pas la seule obscurité que présente le
texte de Bâna. Les rois authentiques que nous connaissons ne font
nulle mention de Pusyabhiïti et ne font pas remonter leur généalogie
au delà de Naravardhana, trisaïeul de Harsa. Selon les inscriptions
que nous possédons, voici la table généalogique des Vardhanas :
Naravardhana épouse Vajrinïdevï.
I
Rajyavardhana I"' id. Apsarodevï.
I
Adityavardhana id. Mahusenaguptadevï.
I
Prabhakaravardhana id. Yaçomatîdevï (1).
Rajyavardhana IL Harsa vardhana. RâjyaçrL
Kumâra.
Une fille qui épouse Dhruvasena II de Valabhï.
Les deux premiers rois de cette dynastie ne figurent dans les
inscriptions qu'avec leur titre de Maharaja ; mais à lui seul ce simple
titre est une indication : il s'ensuit sans doute que leur pouvoir était
assez restreint. Au vi° et au vii^ siècle, en effet, le titre de Maharaja,
ainsi qu'on peut le voir sur les inscriptions de Valabhï, était attribué
généralement aux grands vassaux. Aussi Naravardhana et Rajya-
vardhana I"' n'étaient-ils peut-être pas même indépendants : il est
fort à croire qu'ils étaient les vassaux soit des rois de Mâlava, soit de
ceux de Magadha, les plus puissants de leurs proches voisins. Comme
d'autre part Bâna et Hiouen Tsang ne nous aident en rien à péné-
trer le mystère qui enveloppe ces deux ancêtres de Harsa, nous
pouvons en induire sans trop de hardiesse que rien de leur existence
ne méritait d'être sauvé de l'oubli. Hiouen Tsang se contente de
rapporter que Harsa est de la caste des Feiche ou Vaiçya (2). L'affixe
-vardhana semble corroborer cette affirmation : les Karkotakas du
Kasmïr (3), descendus d'un Kâyastha, étaient des Vaiçyas et ajou-
tèrent -vardhana à leurs noms. Cette circonstance expliquerait aussi
(1) Dans plusieurs mss. du H. C. on lit Yaçovatï.
(2) H. T. vol. il, p. 247.
(3) Gauqiavaho, éd. Shankar Pandit, Intr. Note 1, p. exi.
— 21 —
le silence de Bâua ; si les ancêtres de Harsa étaient des Vaiçyas et
non des Ksatriyas, le galant poète de cour ne pouvait que les ignorer.
Âdityavardbana est plus intéressant que ses prédécesseurs. Toute-
fois c'est toujours chez Bâua et Hiouen Tsang le même silence ; mais
une inscription qui nous donne le nom de sa femme, Mahâsenaguptâ-
devï, ouvre la porte à des hypothèses fort plausibles. Adityavardhana
n'est encore lui aussi qu'un simple Maharaja, mais il a mérité sans
doute d'entrer par le mariage dans l'alliance de princes du Magadha.
Le nom de sa femme semble l'indiquer : elle était sœur, sans doute,
de ce Mahâsenagupta de Magadha (1) dont nous trouvons le nom
dans les listes de rois contemporains. S'il en était ainsi, on comprend
quelle valeur prend ce mariage d'un prince à demi barbare du nord
et peut-être tributaire des Hûiias avec une princesse de l'Inde cen-
trale, issue d'une dynastie qui régnait en plein centre de culture
hindoue et d'expansion bouddhique : c'est d'une part la preuve mani-
feste de la décadence de l'empire Gupta à la suite des incursions des
Hûnas ; c'est d'autre part la première affirmation de cette politique
qui devait contribuer à faire la fortune des Vardbanas de Thanesar :
le choix d'une alliance avantageuse. C'est pourquoi à partir du suc-
cesseur d'Âdityavardhana les renseignements historiques commencent
à affluer.
Prabhâkaravardhana est le digne héritier de son père. Sa femme
YaçomatT, dont nous ignorons malheureusement l'origine, ne pouvait
appartenir qu'à une noble famille, celle des Guptas ou celle des
Maukharis. Quant à lui, il ne porte plus le titre de Maharaja qu'il a
laissé à certains de ses vassaux. Voici ce qui se rapporte à lui dans
l'inscription de Madhuban (2) :
« Engendré en Mahâsenaguptâdevî, l'adorateur passionné du soleil,
le Paramabhattâraka Mahûrâjâdhiiâja Prabhâkaravardhana, dont la
gloire traversa les quatre Océans ; devant lequel d'autres rois s'incli-
nèrent à cause de sa bravoure et de leur affection pour lui ; qui
maniait son pouvoir pour le juste maintien des castes et des classes,
et qui, comme le soleil (3), soulageait la détresse du peuple » (4)...
(1) C. 1. 1. vol. iii, p. 206.
(2) E. I. vol. vii, p. 155.
(3) Pour l'idée que le soleil soulage la détresse, voyez C. 1. 1. vol. iii, p. 102
ligne 2 du texte.
(4) Çrï - Mahâsenaguptâdevyâm-utpanuaç - catussamudrâlikrânUi - klrltil.i
— 22 —
Ces termes, si ou les dégage de ce que la conveutiou littéraire y
ajoute, sembleut indiquer que Prabhâkaravardhaua a été souverain
indépendant et qu'il jouissait même d'un assez grand pouvoir. Ses
titres de Paramabhattâraka Mahârâjâdhirâja ne se trouvent accolés
qu'à des noms de rois très puissants. C'est peut-être à ses victoires à
la guerre qu'il les devait, mais les inscriptions qui signalent sa bra-
voure émérite, oublient de dire oii elle avait eu l'occasion de se mani-
fester. Hiouen Tsang se contente de nous livrer son nom (1) sans
relater la moindre anecdote touchant son règne. Bâna, par contre,
qui ne pouvait entreprendre le panégyrique de son royal protecteur
sans commencer par l'éloge du père de celui-ci, est plus abondant en
détails. Il mentionne d'abord que Prabhâkaravardhaua avait un autre
nom, celui de Pratâpaçïla, et Hiouen ïsang le confirme en ceci,
lorsqu'il rapporte que le roi de Kanyâkubja s'appelait Prabhâkara-
vardhaua de son surnom (2). Hiouen Tsang fait erreur lorsqu'il parle
de Kânyakubja comme étant la capitale de Prabhâkaravardhaua,
car autant que nous sachions, c'est Thanesar qui fut la ville princi-
pale de ses États, Quoi qu'il en soit de cette question accessoire,
Bâna, dans les quatrième et cinquième chapitres du Harsacarita,
nous apprend à peu près tout ce que nous savons du règne de ce roi.
Prabhâkaravardhaua épouse Yaçomatï et celle-ci rêve qu'elle a
deux enfants merveilleux : c'est d'abord Râjyavardhana, puis Harsa
dont l'empire futur est annoncé par les signes miraculeux qui accom-
pagnent sa naissance. Six ans après la naissance de l'aîné, Yaçomatï
met encore au monde un nouvel enfant : c'est la princesse royale
Râjyaçrï. Bâna fournit des données précises pour déterminer l'âge
non seulement de Harsa mais aussi de Râjyavardhana. Harsa naquit,
dit-il, « dans le mois Jyaistha, le douzième jour de la quinzaine
sombre, les Pléiades étant dans l'ascendant, juste après le crépus-
cule ». Quant à Râjyavardhana, il touchait à sa sixième année (3)
« quand Harsa commença à faire cinq ou six pas au doigt de sa nour-
rice ». Les enfants ont alors comme camarade de jeu le jeune Bhandi,
pratâpânurâgopanat-ânyarâjâ varnnâçrama-vyavasthâpana-pravftta-cakra
ekacakkraratha iva prajânâm-ârtti-liarah paramâdityabhaktah paramabhat-
târaka mahârâjridhirâja-r'ri-Prabhrikaravardhana. (cf. C. I. I. vol. iii, p. 220
pour les phrases du sceau du Maukhari Çarvavarman.)
(1) H. T. vol. i. p. 111 et H. T. vol. ii, p. 243.
(2) H. T. vol. ii, p. 243.
(3) " Sastham varsam avatarati ».
--Vo-
leur cousin germain, fils du frère de Yaçomatï et qui était alors âgé de
liuit ans. Nous avons aussi la mention d'un cousin ou frère de lait de
Harsa, nommé Krsna, parent aussi de Bâna (l). Le roi leur donne
comme attachés les jeunes princes, Kumâragupta et Mâdhavagupta(2),
les fils du roi de Mâlava. Kumâragupta avait dix- huit ans, et il était
l'aîné des deux. Puis la princesse royale Râjyaçrï est fiancée et mariée
avec le jeune prince Grahavarman, fils aîné d'Avantivarman, de la
famille estimée des Maukharis.
Pendant que la jeunesse de ses enfants se passait dans les occupa-
tions accoutumées d'une famille royale, le roi se préoccupait des
affaires de l'État. Confiant dans ses forces miUtaires et conscient
aussi des avantages que lui présentait la décadence de ses voisins, il
joua des coudes de tous côtés. Ses guerres semblent avoir été couron-
nées de succès. Il mena des expéditions heureuses contre ses voisins
du nord, les Hûnas barbares de l'Himrdaya et le roi de Gandhâra ;
contre le roi de Sindhu à l'ouest ; contre les rois de la frontière méri-
dionale, les Gïïrjaras, les Lâtas et le roi de Mâlava (3). Mais lesquelles
de ces expéditions eurent un succès politique permanent, il n'est pas
facile de le préciser. Celle qui fut dirigée contre le Mâlava, a dû
compter parmi les plus fructueuses, puisque les deux fils du roi de
Mâlava étaient retenus comme otages auprès des fils de Prabhâkara-
vardhana. Il est probable que les autres expéditions ne furent pas
sufiisautes pour assujettir d'une manière définitive les contrées ouïes
tribus que le roi avait une fois vaincues. Par exemple, la guerre
contre les Hûnas n'a pas dû avoir beaucoup de succès ; car, peu de
temps avant sa mort, le roi dut une deuxième fois envoyer une armée
avec son fils aîné, Râjyavardhana, dans le nord pour repousser ces
peuplades belliqueuses (4). Cette dernière expédition ne semble pas
avoir eu plus de succès que la première. Bâna parle bien de durs
combats et de graves blessures (5), mais il ne soutfle mot du butin
qu'on aurait pu en rapporter. La vérité, c'est que les Hïluas par suite
(1) H. C. p. 58 (parenté avec Harsa) et H. C. p. C2 (parenté avec Bâna).
(2) Plus tard, Mûdhavagupta fut le compagnon favori de Harsa. Cf. H. C.
1). 265 et H. C. p. 87.
(3) H. C. p. 1;j2.
(4) H. C. p. 1G6. « atha kadâcid râja Rrijyavardhanamkavacaliarain HQna-
hantuni uttarâpathan.i prâhiiiot n.
(5) H. C. p. 196.
— 24 —
de la position des rois de Thauesar étaient leurs ennemis héréditaires ;
•c'était à eux les premiers que venaient se heurter leurs hordes de
pillards ; c'était à eux aussi qu'incombait la défense de la vallée
du Gange. Les Vardhanas et les Hûnas devaient être en hostilités
continuelles et c'était déjà un beau résultat pour Prabhâkaravar-
dhana de n'avoir jamais le dessous. C'est au cours de cette deuxième
expédition conduite par Kâjyavardhana que meurt le roi. Harsa avait
accompagné son aîné jusqu'à la région, « qui brille par la splendeur
du Kailâsa » (1). Kâjyavardhana poursuit sa route avec l'armée,
accompagné de ses sages conseillers, et laissant derrière lui Harsa
qui reste à chasser. C'est là que celui-ci reçoit la nouvelle que son
père Prabhâkaravardhana est gravement malade, il s'empresse de
rentrer. Il trouve la ville dans le plus grand désordre et toute occupée
à l'accomplissement de rites de toute confession. Il n'est peut-être
point sans intérêt de citer ici le texte même de Bâua (2).
« Le lendemain au milieu du jour quand il arriva à la capitale,
plus de cris de victoire, morts étaient les battements de tambour,
supprimée la musique, finies les réjouissances ; plus ne chantaient
les trouvères ; aux boutiques plus de marchandises en vente ; de place
en place resplendissaient les tourbillons de fumée du sacrifice
Kotihoma (3) : entrelacés par la force du vent, on aurait dit les
cornes tordues du buffle de Yama qui défonce le sol, ou les fils du
filet de la mort qui planait. En l'air tournoyaient des vols de cor-
beaux ; leurs aigres croassements pendant tout le jour, telles les
tintinnabulantes clochettes de fer du buffle de Yama, annonçaient la
venue d'un malheur. Ici des parents aimants, prosternés, observaient
le jeûne pour apaiser Çiva. Là de jeunes nobles se brûlaient à des
lampes pour rendre propices les Mères. Là un Dravidien se préparait
à solliciter le Vampire par l'offrande d'un crâne, là un homme
d'Ândhra élevait ses bras en l'air comme un rempart pour concilier
Candi. Ailleurs de jeunes serviteurs affligés adoucissaient Mahâkâla
en tenant de la gomme fondante sur leur tête. Ailleurs un groupe de
parents s'appliquaient à faire une oblation avec leur propre chair
(1) H. G. p. 166. « Kailâsaprabhâbhâsinï «. La montagne Kailâsa, où Kuve-
ra, dit-on, réside, est haute denviron 20 000 pieds et se trouve au nord-
ouest du lac Manasarovar du Tibet.
(2) H. C. pp. 169-171.
(3) Sacrifice destiné à rendre propices certaines planètes malveillantes.
— 25 —
qu'ils détachaient à l'aide de couteaux effilés. Ailleurs encore des
princes royaux vendaient ouvertement de la chair humaine A
peine entré dans la rue des bazars, au milieu d'une foule d'enfants
curieux, il aperçut un homme qui exhibait des tableaux de l'Enfer :
dans sa main gauche une toile peinte montrant le Roi des morts sur
son buffle terrible ; une baguette à la main, il exposait les choses de
l'autre monde et chantait le vers suivant :
" Mères et pères par milliers,
Enfants et épouses par centaines,
Age après âge sont partis,
A qui sont-ils ?
A qui es-tu? j)
« Puis il entra lentement dans le palais. Là il trouva des gens qui
distribuaient tous leurs biens, adorant les dieux de la famille, occupés
à faire bouillir l'ambroisie, faisant le sacrifice des Six Oblations,
offrant des feuilles tremblottantes de Durvâ, frottées de beurre caillé,
chantant l'hymne Mahâ-Mâyiïrî, purifiant la maison, accomplissant
les rites pour éloigner les esprits par des offrandes. De très graves
brahmanes étaient appliqués à murmurer des textes védiques ; le
temple de Çiva résonnait du murmure de l'Hendécade à Rudra ; des
Çivaïtes de la plus grande sainteté baignaient Timage de Virûpâksa
dans des milliers de pots de lait. Assis dans la cour, des rois s'affli-
geaient de ne plus pouvoir obtenir la vue de leur suzerain ; pour
eux le bain, le manger, le sommeil n'étaient que des noms, leurs
habits étaient sales, tant ils négligeaient leur toilette ; ils attendaient
jour et nuit immobiles comme des tableaux peints, guettant les bul-
letins des familiers du roi qui faisaient irruption dans les appartements
intérieurs. Sur la terrasse, un triste groupe de serviteurs moins
intimes discutait sur l'état du roi en chuchotant : tantôt l'un imaginait
des erreurs de la part des médecins, tantôt un autre lisait à haute
voix des descriptions de maladies incurables ; un autre racontait de
mauvais rêves, un autre communiquait des histoires de aémons, un
autre récitait des horoscopes, un autre débitait des présages sinistres ;
un autre encore méditait sur la courte durée des choses, réprouvait
ce monde inconstant, critiquait les railleries de l'âge Kali et accusait
le sort ; un autre plein d'indignation pour Karma adressait des
reproches aux dieux do la maison royale ; un troisième avait com-
passion des jeunes nobles affligés ».
— 26 —
Au milieu de cette désolation universelle, le médecin du roi se
suicide de désespoir, la reine Yaçomatï suit son exemple, se jette
dans le feu et c'en est fait du roi Prabhâkaravardhana.
Il nous faut maintenant laisser de côté les ancêtres de Harsa et
son père afin de tracer un court tableau de l'état général de l'Inde
à cette époque.
Au sud de Thanesar se trouve le grand royaume du Mâlava qui
s'était assujetti les princes avoisinants. Nous connaissons peu l'his-
toire du Mâlava après le règne de Yaçodharman. Ce royaume avait
selon Hiouen Tsang six mille li de pourtour ; la capitale en avait
une vingtaine. Le sol, gras et fécond, donnait d'abondantes moissons,
le blé tardif y prospérait particulièrement ; les plantes et les arbres
y avaient une végétation florissante et on y recueillait une grande
quantité de fleurs et de fruits. Un royaume si fertile ne pouvait
qu'exciter les convoitises de ses voisins. Aussi de continuelles attaques
sont-elles dirigées contre lui par les princes du Broach, du Valabbï,
du Mahârâstra, de Thanesar, et d'autres. Bien que le pays semble
avoir toujours été en proie à des incursions de ce genre, les habitants
passent pour avoir égalé en culture intellectuelle ceux du Magadha,
qui est le centre de la civilisation indienne. « Dans les cinq parties de
l'Inde, le Mâlava au sud-ouest et le Magadha au nord-est sont les
deux seuls royaumes dont les habitants se fassent remarquer par
l'amour de l'étude, l'estime pour la vertu, la facilité de l'élocution et
l'harmonie du langage. » Malgré cette heureuse prospérité les rois de
ce pays nous sont peu connus ; une indication des plus précieuses nous
est donnée par Hiouen Tsang à leur sujet : « Suivant la tradition »,
dit-il, « le trône était occupé, il y a soixante ans (i. e. circa 580),
par un roi nommé Çilâditya, qui était doué de grands talents et
possédait de vastes connaissances ». Et dans sa relation sur le Valabhï
il ajoute : " Tous les rois de ce pays sont les neveux du roi Çilâditya
du Mâlava ». Est-ce avec ce même roi que Prabhâkaravardhana
guerroyait et sont-ce ses deux fils qu'il avait auprès de lui comme
otages, il nous est difficile de l'affirmer. Mais d'après les noms de ces
deux fils Kumâragupta et Mâdhavagupta il semblerait plutôt que
leur père appartînt à la famille des Guptas qui régnaient encore
dans le Mâlava. Nous retrouverons d'ailleurs cette même famille au
Magadha.
— 27 —
A l'est, dans les alentours de Kânyakubja et flottant un peu par-
tout, se trouvaient des familles nobles qui profitaient des troubles
causés par les Hûnas et cherchaient l'occasion de se saisir d'un petit
territoire, d'une principauté, à l'exemple des Vardhanas de Thane-
sar ; féodalité turbulente, sans intelligence ni fermes desseins diplo-
matiques, n'ayant que des ambitions ou des instincts capricieux et
qui était nécessairement destinée à subir le joug d'un ennemi plus
résolu et plus discipliné.
Parmi ces familles nobles, une surtout semble se distinguer par
son antiquité (1) ainsi que par ses talents : ce sont les Maukharis (2),
ou Mukharas ; ces princes ont d'abord pour eux une certaine noblesse
d'origine qu'il n'est pas facile d'expliquer. Toutes les familles de
l'Inde ont toujours aimé s'allier à eux par le mariage. C'est ainsi que
nous voyons le Maukhari Adityavarman (3) marié avec Harsaguptâ,
la sœur (?) de Harsaguptâ du Magadha ; et plus tard Prabhâkaravar-
dhana, n'hésite pas à donner sa fille Râjyaçrî à Grahavarman, fils du
Maukhari Avantivarman. 11 annonce ainsi sa décision : « En général,
bien que le marié puisse avoir d'autres mérites, le sage regarde favo-
(1) L'antiquité de la famille des Maukharis est prouvée par un sceau
d'argile provenant de Gayâ,, où 1 on trouve la légende dialectale « Mokhali-
nam « « des Mokhalis, Maukhalis ou Maukharis «. (C. 1. 1. vol. iii, p. 14).
(2) Duff. Chron. India, p. 308 ; C. A. S. R. vol. ix, p. 27 ; vol. xv, pp. 164-
166 ; vol. xvi, p. 81 ; I. A. vol. xiv, p. 68 ; C. I. I. vol. in, pp. 219-228 ; J. K. A.
S., N. S., vol. xxi, p. 136 ; J. B. A. vol. Lviii, p. 100.
(3) Liste des Maiihhco'i Varmans :
1. Harivarman, marié avec Jayasvâminî.
2. Adityavarman, 111s du précédent, marié, avec Harsaguptâ du
Magadha.
3. ïçvaravarman, fils du précédent, marié avec Upaguptâ.
550 (?) 4. îçânavarman, fils du précédent, marié avec Laksmîvatî (?)
5. Çarvavarman, fils du précédent, contemporain de Dâmodara-
gupta du Magadha.
6. Sustliitavarman, contemporain de Mahâsenagupta du Magadha.
7. Avantivarman, contemporain do Prabhâkaravardhana de Tha-
nesar.
600 (?) 8. Grahavarman, fils du précédent, marié ivvce Râjyaçrî de Tha-
iiesar.
9. Bhogavarman, marié avec une fille d'Âdityasena (I. A. vol. ix,
p. 181) du Magadha.
10. Yaçovarman.
— 28 —
rablement une bonne famille. Or à la tête de toutes les maisons
royales se tiennent les Mukharas, auxquels tout le monde est
dévoué (1) ». Mais les Maukharis n'avaient pas de si cordiales rela-
tions avec toutes les familles royales de l'Inde : avec les Guptas du
Magadha ils durent parfois se mesurer sur le champ de bataille. Ainsi
le roi Maukhara Içânavarman fut battu (2) par Kumâragupta du
Magadha, petit-fils de Harsagupta. De même le roi Maukhari qui
avait écrasé avec ses éléphants l'armée des Hûnas fut mis en déroute
par Dâmodaragupta (3) du Magadha, Mahâsenagupta du Magadha
vainquit aussi le roi Maukhari Susthitavarman (4).
Une autre branche de la famille des Maukharis d'une moins grande
importance paraît, d'après le témoignage de quelques inscriptions (5),
s'être développée dans le voisinage de Gayâ, Rien d'étonnant du reste
à ce que les Maukharis cédassent devant les rois du Magadha (G).
Dans cette vallée, qui jadis avait été le siège d'un des premiers
royaumes aryens, subsistait encore une puissance redoutable. A cette
époque, ce pays était devenu la Terre Sainte du bouddhisme, et
Hiouen Tsang en est l'écho fidèle. Le Magadha s'était couvert d'un
nombre infini de monuments religieux, et donnait asile à une foule de
(1) H. C. p. 156.
(2) c. 1. 1. vol. iii, p. 206.
(3) C. 1. 1. vol. iii, p. 206. « Renversant la ligne des éléphants puissants,
aux pas flers, des Maukharis qui avaient su jeter en l'air les troupes des
Hûnas.... »
(4) C. I. I. vol. iii, p. 206.
(5) C. I. I. vol. iii, pp. 221-228.
(6) Duff. Chron. India, p. 288 ; C. 1. 1. vol. iii, pp. 200-220 ; J. B. A. vol. Lviii,
!'■« partie, plan, p. 100.
Liste des Guptas du Magadha :
1. Krsnagupta.
2. Harsagupta, flls du précédent, contemporain d'Àdityavarman,
Maukhari.
3. Jïvitagupta I", fils du précédent.
4. Kumâragupta, flls du précédent.
5. Dâmodaragupta, flls du précédent, contemporain de Çarvavar-
man, Maukhari.
6. Mahâsenagupta, fils du précédent, contemporain de Susthit-
avarman, Maukhari.
7. Mâdhavagupta, flls du précédent, marié avec Çrïmatïdevî, con-
temporain de Harsa.
627 8. Âdityaseua, flls du précédent, beau-père de Bhogavarman,
Maukhari.
— -29 —
moines qui s'adonnaient à l'ascétisme. C'est à ses nombreux couvents
que le Magadha dut sans doute son nom de « Pays des Vihâras « ,
d'où celui de Bihar, qui lui est resté encore aujourd'hui. Le pèlerin
chinois nous fournit de précieux renseignements sur l'état géogra-
phique du Magadha (1). « Le royaume du Magadha », dit-il, « a
environ cinq mille li de tour. Los villes ont peu d'habitants, mais les
villages sont fort peuplés. Le sol est gras et fertile, et les grains vien-
nent en abondance. On y récolte du riz d'une espèce extraordinaire,
dont le grain est gros et d'un goût exquis ; il est remarquable par
l'éclat de sa couleur : on l'appelle communément le riz à l'usage des
grands. Comme le pays est bas et humide, les villages ont été établis
sur des plateaux élevés. Après le premier mois de l'été et avant le
second mois de l'automne, les plaines sont inondées et l'on peut y
circuler en bateau ; la température est une douce chaleur ». Ailleurs
le voyageur chinois dit que le Magadha n'a que cinq à six cents li
de circonférence (2). Quoi qu'il eu soit de cette contradiction, il est
à jamais regrettable qu'il n'ait pas cru devoir retracer l'état politique
du pays, ce n'est qu'avec l'aide des inscriptions que nous y parve-
nons. Au Magadha régnaient les descendants des premiers Guptas.
Les princes de cette famille comptaient parmi les plus réputés de
l'Inde. Leur armée montra souvent sa valeur surtout contre les
Maukharis, leurs voisins et quelquefois leurs alliés. Nous sommes peu
renseignés sur les personnalités mêmes qui se succédèrent à la tête
de la famille : il n'est guère qu'un fait certain, c'est qu'ils ne dédai-
gnèrent pas toujours de s'allier avec les Maukharis et que ceux-ci
n'épousèrent pas moins de trois princesses Guptas. Ils s'unirent aussi
de même façon avec les Vardhanas de Thanesar, parmi lesquels
Adityavardhana épousa Mahâsenaguptâ, sœur de Mahâsenagupta du
Magadha.
A l'est du Magadha s'étend un royaume des plus intéressants, et
malheureusement des plus inconnus. Le Kâmarûpa, l'Assam moderne,
doit son intérêt à sa position géographique. Voisin du Tibet, de la
Chine, du Samatata, du Magadha et du Népal, le Kâmarîipa put
jouir à la fois de la triple influence de la civilisation chinoise, brah-
manique et bouddhique. Quels ont pu être les résultats de cette rare
(1) H. T. vol. li, p. 409.
(2) H. T. vol. i, p. 136.
— 50 —
combinaison, ont-ils été aussi heureux qu'on serait en droit de le sup-
poser, s'est-il dégagé du mélange de ces trois philosophies humaines
une culture intellectuelle spéciale et originale, ou bien n'en est-il
sorti que trouble et confusion, dissensions et anarchie, ou bien encore
les soucis matériels de ce monde l'ont-ils emporté sur les spéculations
de l'esprit et le Kâmarûpa, harcelé par les tribus barbares au sud-
ouest, en butte à l'ambition des princes du Samatata plus florissant
et plus cultivé, n'a-t-il fait que languir dans l'obscurité V Ce sont
autant d'insolubles questions que ni Bâna ni Hiouen Tsang ne nous
aident à élucider. Bâna se contente de nous donner la généalogie (1)
des princes (2) de ce pays, et Hiouen Tsang, qui sur l'invitation du
roi Bhâskaravarman l'a visité, ne nous donne que des renseignements
économiques ou géographiques (3) : « Il a environ dix mille li de tour,
et la capitale trente li. Le terrain est bas et humide ». Ceci s'accorde
bien avec le présent climat de l'Assam. « Les grains se sèment et se
récoltent à des époques régulières. On cultive les arbres à pain et les
cocotiers. Les villes sont entourées de rivières, de lacs et d'étangs.
Le climat est tempéré. Les hommes sont petits de taille et noirs de
figure. Leur langage diffère un peu de celui de l'Inde centrale. Le
roi actuel descend du dieu Nârâyana Deva ; il est de la caste des
Brahmanes. A l'est de ce royaume règne une chaîne de montagnes
et de collines ; on ne rencontre aucune capitale de grand royaume.
Ses frontières sont voisines des barbares du sud-ouest ; c'est pourquoi
les habitants leur ressemblent sous le rapport des mœurs. J'ai inter-
rogé les gens du pays et j'ai appris qu'après un voyage de deux mois
on peut entrer dans les frontières sud-ouest du pays de Chou. Mais
les montagnes et les rivières présentent à la fois des obstacles et des
dangers : un air contagieux, des vapeurs malfaisantes, des plantes
vénéneuses et des serpents gorgés de poison causent des maux infinis.
Au sud-est de ce royaume, des éléphants sauvages marchent en
troupe et exercent leur fureur ; c'est pourquoi dans ce royaume,
l'armée des éléphants est extrêmement nombreuse ».
(1) D'après les indications de Bâna. H. C. p. 246.
(2) Liste des Yarmans du Kdmarripa :
1. Bhûtivarman.
2. Candramukhavarman, flls du précédent.
3. Sthitivarman, flls du précédent.
4. Susthiravarman, flls du précédent, marié avec Çyâmâdevi.
5. Bhâskaravarman, flls du précédent, nommé Kum^ra. . .
(3) H. T. vol. iii, p. 76.
- 51 —
Le pays de Samatata, ou le Bengale oriental, comprenait tout le
territoire autour des bouches du Gange. Il est bien probable que les
royaumes de Samatata, de Tâmraliptï et de Gauda formaient un
ensemble. Hiouen Tsang est très bref dans la description de ces
contrées. Il nous rapporte bien que la première avait en tour trois
mille li, la deuxième quatorze à quinze cents, la troisième quatre
mille quatre cents ; il dit aussi que le sol y est bas et humide et il
nous parle de la grande mer. Il nous dit ensuite que Tâmraliptr est
réputée pour avoir une immense quantité de marchandises rares et
précieuses et que les habitants y sont en général riches et opulents,
qu'à Karnasuvarna la population est fort nombreuse et que toutes les
familles y vivent dans l'aisance. Mais du mode d'administration et des
noms des rois de ces pays, il nous reste encore tout à savoir, attendu
que sur ce sujet le silence de Hiouen Tsang est absolu.
Plus au sud habitent de nombreuses tribus, les Aiigas, les Kunta-
las, les Kalingas, les Koçalas, les Pallavas, qui ne sont guère autre
chose pour nous que des noms, car leur histoire nous échappe dans
son entier. Le seul fait qui semble établi est que ces tribus étaient
en relations suivies avec Ceylan et avec le monde occidental, avec
Eome et Byzance. Ces tribus étaient en constant état de guerre avec
la dynastie de Vâtâpi, les Câlukyas (1). Ceux ci (2) se sont établis
en maîtres dans le sud de l'Inde, dans le pays du Mahilrâstra. Leur
capitale était Vâtâpi, qui est aujourd'hui Bâdâmi, dans le district de
Kelâdgi. Mentionnons les noms de Jayasimha, Rânarâga, Pulikeçin P'',
(qui avait pu accomplir l'Açvamedha, le sacrifice du cheval), Kïrtivar-
man, les premiers princes qui y établirent leur empire. Kîrtivarman,
n'ayant que trois fils mineurs, eut comme successeur son frère Maù-
galïça, qui sut tenir en respect les tribus que Kîrtivarman avait déjà
domptées. Ses voisins observèrent à son égard le plus grand res-
(1) Duff. Chron. ludia, p. 278 ; F. K. D. Romb. Gaz. p. 336 ; B. D. p. 61.
(2) Liste des Cdlukyas de Vdtdpi :
1. Jayasiinlia.
525 (?) 2. Ranarâya, flls du précédent.
550 3. Pulikeçin 1^'^, flls du précédent.
567 4.1 Kîrtivarman P^
597 5.JMangalïça, tous doux fils du précédent.
609 6. Pulikeriu II, fils de Kîrtivarman,
655 (?) 7. Vikramâditya P'', fils de Pulikeçin II.
— 5â —
pect, et même pendant son règne plusieurs tribus du sud furent
annexées au royaume. Ce n'est que vers la fin du règne de Maiigalîça,
au commencement ■ du vu® siècle, que les tribus tentèrent de se
libérer du joug. Elles ne devaient être définitivement réduites à la
sujétion que par ce Pulikeçin II, que Harsa rencontra aussi devant lui.
En partant du Mahàrâstra dans la direction du nord-ouest, ou arrive
au Valabhï, un assez petit pays dont nous sommes assez heureux
de connaître les rois, grâce aux monuments épigraphiques qu'ils nous
ont laissés (1).
Malgré cette liste (2) il nous est difficile d'envisager le rôle exact
qu'ils jouaient dans la politique. Leurs inscriptions ne nous donnent
que peu de renseignements à cet égard. On peut inférer toutefois que
leur politique consistait en temps de guerre à attaquer le royaume de
Mâlava lorsqu'il était faible et à s'y tailler de grosses dépouilles, et
en temps de paix à encourager le commerce maritime qui se faisait
dans leurs ports. D'après leurs inscriptions, ils paraissent devoir leur
origine à un simple général (senâpati) ; ce n'est que par des stages
successifs que les chefs du Valabhï ont droit aux titres de grand roi
(Maharaja) et de roi supérieur (Mahâdhirâj a), et ce n'est qu'à la longue
que les princes de cette dynastie purent s'appeler « roi suprême des
rois n (Mabârâjâdhirâja). Quant au pays de Valabhï lui-même, c'est
ainsi que Hiouen Tsang le décrit au temps de sa visite (3). « Ce
(1) Liste des rois du Valabhï :
495 (?) 1. Bhatàrka.
2./ Dharasena P''.
520 (?) 3.J Dronasimha.
526 4.iDhruvasena !«'■.
540 (?) 5.( Dharapatta, tous quatre flls du précédent.
559 6. Guhasena, flls de Dharapatta.
571 7. Dharasena II, flls du précédent.
605 8. Çïlâditya I<"", flls du précédent.
615 (?) 9. Kharagraha P', flls du précèdent.
620 (?) 10.( Dharasena m.
629 11 Dhruvasena II, tous deux flls de Kharagraha et ce dernier neveu
"^ du roi Çïlâditya du Mâlava.
641 12. Dharasena IV, flls de. Dhruvasena.
651 13. Dhruvasena III, petit-flls de Çïlâditya I".
(2) Duflf. Chron. India, p. 308 ; C. I. I. vol. iii. Intr. p. 41 ; J. B. A. vol.
Lviii, ire partie, p. 100 ; I. A. vol. v, p. 208.
(3) H. T. vol. iii, p. 162.
— 55 —
royaume a environ six raille li de tour ; la circonférence de la capitale
est d'une trentaine de li. Pour ce qui regarde les produits du sol, la
nature du climat, les mœurs et le caractère des habitants, ce royaume
ressemble à celui du Mrdava. La population est fort nombreuse et
toutes les familles vivent dans l'opulence. Il y en a une centaine dont
la fortune s'élève à un million. Les marchandises les plus rares des
contrées lointaines se trouvent en quantité dans ce pays ».
Des pays au nord du Valabhï, c'est-à-dire du terrain occupé par les
Gurjaras et le Surâstra, nous ne savons rien, sinon qu'ils étaient
presque continuellement sous la domination du Valabhï ou du Mâlava.
Leur histoire politique nous est totalement inconnue, on sait seule-
ment qu'ils profitaient du voisinage de la mer pour s'enrichir par le
commerce au loin.
Le Sindhu ne nous offre pas moins de mystère et même les noms
des souverains de ce pays n'ont pas été reconstitués.
Durant le Vi'' siècle régnèrent au Cachemire Toramâna, Mâtrgupta,
Pravarasena II, Yudhisthira V et plusieurs princes sur qui nous ne
savons rien d'exact. Les faits racontés par l'histoire du Cachemire,
la Râjafarahgim, sont très confus. Toutefois nous savons que les
Hûnas se réfugièrent au Cachemire après qu'ils eurent été vaincus par
Yaçodharman. La situation géographique du Cachemire le rendait à
peu près inaccessible aux ennemis et lui assurait de cette façon une
assez grande domination sur ses voisins. « Le royaume du Cachemire
a environ sept mille li de tour. De tous côtés, les frontières sont
entourées de montagnes. Ces montagnes sont d'une hauteur prodi-
gieuse ; quoiqu'il y ait des sentiers qui en ouvrent l'accès, ils sont
extrêmement étroits. Depuis l'antiquité, les ennemis voisins n'ont
jamais pu l'attaquer avec succès. Comme ce royaume était protégé
par un dragon, il domina bientôt les royaumes voisins (1) «. C'est
ainsi que Hiouen Tsang nous décrit le Cachemire et il ajoute ailleurs
que les royaumes voisins en étaient tributaires.
Passons maintenant aux puissances voisines de Tlndc et examinons
quelle influence elles ont bien pu exercer sur l'Hindoustan.
Au nord-ouest du Cachemire, c'est d'abord la Perse. La Perse se
trouvait alors sous le gouvernement des Sassanides. Les derniers
empereurs de cette dynastie, harassés par les Ephtalites ou Hûnas,
(1) H. T. vol. li, pp. 167-168.
— 54 —
les Romains, les Arabes et les rebelles que les troubles extérieurs
•soulevaient dans la Perse même, étaient plongés en pleine décadence
et ne pouvaient guère s'inquiéter de ce qui se passait au delà de
rindus. Sous Yazdijard III, les Arabes, en 635, firent périr le général
persan Rustam et marquèrent par cette bataille la fin de la Perse
ancienne. Yazdijard III, à la fin, dut s'enfuir au Turkestan, et en
essayant de rentrer en Perse, il fut misérablement assassiné près de
Merv par un meunier qui convoitait ses riches vêtements.
Du iv^ jusqu'au vii^ siècle le Tibet, occupé alors par des tribus
non civilisées, fut divisé en plusieurs royaumes plus ou moins soumis
à la Chine. Pendant le vi" siècle un mouvement impérialiste se
produisit : des tribus se coalisèrent et se donnèrent un roi en
commun. Gnam-ri-srong-btsan commença à édifier l'empire auquel
devait arriver le grand Srong-btsan-sgam-po dont nous aurons à parler
plus tard.
Intimement lié à l'histoire du Tibet est le Népal qui lui donna une
grande partie de sa culture et de sa civilisation. L'histoire du Népal
est encore ass^z difficile à exposer malgré les Vaniràvalis ou plutôt
à cause d'elles. Ces listes dynastiques, rédigées postérieurement, tout
en conservant des noms et des faits historiques confondent souvent
l'ensemble et le noient dans des dates fabuleuses. Autant que
nous pouvons nous en rendre compte aujourd'hui avec l'aide des
inscriptions, il paraît avoir existé au Népal un double gouvernement :
celui de la famille des Licchavis à Mânagrha et celui de la famille des
Thâkurïs de Kailâsakûtabhavana. Entre 355 et 630 les inscriptions
ne nous donnent aucune indication de noms de rois. Ce n'est que vers
l'an 635 que nous abordons le domaine des faits, mais à cette époque
Harsa a déjà constitué son pouvoir et n'a rien à redouter de ce côté.
Voici ce que Hiouen Tsaug nous rapporte sur le Népal (1) : « Le
royaume du Népal a environ quatre mille li de tour. Il est situé au
milieu de montagnes neigeuses. La capitale a une vingtaine de li de
circuit. Ce pays offre une suite de montagnes et de vallées ; il est
favorable à la culture des grains et abonde en fleurs et en fruits. On
en tire du cuivre rouge, des yaks et les oiseaux du nom de Jîvaiàjïva.
Dans le commerce on fait usage de monnaies de cuivre rouge. Le
climat esfglacial, les mœurs sont empreintes de fausseté et de pér-
il) H. T. vol. il, p. 407,
— 55 —
lidie, les habitants sont d'un naturel dur et farouche ; ils ne font aucun
cas de la bonne foi et de la justice et n'ont aucunes connaissances
littéraires, mais ils sont doués d'adresse et d'habileté dans les arts.
Leur corps est laid et leur figure ignoble ». Comme nous avons toutes
les raisons possibles de supposer que Hiouen Tsang ne se rendit
point en personne au Népal, il est intéressant de le voir refléter ce
qui devait être l'opinion générale des Hindous de son temps sur le
caractère peu aimable des Népalais.
Entre 502 et 617 trois petites dynasties occupent la scène en Chine,
ce sont celles des Leang, des Chin et des Soui (1). Dès le commence-
ment du VI*' siècle, le plus grand intérêt s'attache aux fortunes
des souverains de Wei, le royaume septentrional. Le souverain de
Wei était pendant le règne de Vouti (502-550) l'arbitre de la destinée
de la Chine, et c'était à sa cour qu'allaient les ambassades de
l'étranger. Cette période est surtout remarquable par le nombre de
femmes qui figurent avec distinction dans l'histoire. Après la mort de
Vouti, qui avait lutté avec plus ou moins de succès contre Wei, vient
une suite d'empereurs bien faibles qui se succèdent avec rapidité :
ils meurent presque tous assassinés par des parents ou des généraux
puissants qui veulent leur succéder. Les princes de Chin succédèrent
aux Leang, et aux Chin les princes de Soui, sans que nous ayons à
relever sous ces différents règnes aucun fait intéressant. Ce n'est
qu'avec l'avènement de Kaotsou Wenti que la puissance de l'empire
(1) Liste des Empereurs de
Chir
Les Leang
Vouti
502.
Wenti
550.
Yuenti
552.
Kingti
555.
Les Chin.
Vouti
556.
Weuti
5G4.
Pitsong
567.
Suenti
569.
Les Soui.
Wenti
580.
Vouti
60L
Yangti
605.
Kungti
617.
Les Tang.
Kaotsou
GIS.
T'aitsoug
627.
Kaotsong
650.
— 56 —
chinois se releva aux yeux des peuples voisins. Les guerres contre
le roi de Corée et avec les Turcs furent heureuses et glorieuses. Un
de ses successeurs, Yangti, fit construire des canaux dans tout le pays,
et pour prévenir la famine, fonda des greniers publics. Ses guerres
n'eurent pas autant de succès que celles de son père, et les Coréens
se défendirent toujours victorieusement contre ses attaques ; mais
cependant il sut conquérir et soumettre les îles Loochoo.
Que montre cette revue rapide ? L'anarchie, la division, le partage
entre plusieurs mains du pouvoir, donc la faiblesse de chacun de ces
princes. Ayant ainsi parcouru aussi rapidement que possible les
divers États de l'Inde et les royaumes de l'extérieur avec lesquels ils
se trouvaient en contact, nous nous proposons de revenir au royaume
de Thanesar, tel que nous l'avons laissé à la mort de son roi Prabhâ-
karavardhana : la Mahâdevï Yaçomatï s'est suicidée, l'héritier du
trône, Eâjyavardhana, est absent et lutte contre les Hûnas, tandis
que le seul membre de la famille royale présent à Thanesar est le
jeune prince Harsa.
La transmission du pouvoir dans l'Inde a de tout temps été accom-
pagnée de troubles. Aussi n'est-il pas étonnant de constater que de
mauvaises nouvelles attendent Râjyavardhana à son retour de
l'expédition contre les Hûnas. Sainvâdaka, serviteur de Eâjyaçrî,
arrive de KEnyakubja et annonce la mort de Grahavarman, son mari :
c'est une vengeance rapidement exécutée du roi du Mâlava. Le jour
même de la nouvelle de la mort du roi de Thanesar, il a massacré le
Maukhari, gendre de celui-ci, et fait jeter en prison sa femme Râjyaçrï
à Kânyakubja. 11 se préparait en outre à envahir le royaume de
Thanesar, profitant de ce que l'armée n'avait plus de commandant en
chef (1). Sans plus tarder, Râjyavardhana se met à la tète de dix mille
cavaliers et, accompagné du fidèle Bhandin, son cousin, il marche contre
le roi du Mâlava, pour venger la mort de son beau-frère et mettre sa
sœur en liberté. Harsa le prie de l'emmener avec lui et le rassure en
lui disant que la princesse sa propre femme n'a pas besoin de protec-
tion (2). Râjyavardhana refuse et le force de rester. Au bout d'un
certain temps, Kuntala, chef de la cavalerie et seigneur estimé de
(1) H. C. p. 204,
(2) H. C. p. 206.
— 57 —
Râjyavardhana, vient apprendre à Harsa que l'armée du Mâlava a été
vaincue, mais que le roi du Gauda, sous des prétextes mensongers, a
attiré Râjyavardhana sans armes et sans suite dans sa demeure et
l'y a assassiné (1). Voyons maintenant ce que les inscriptions nous
en disent (2) : « Le Paramabhattârika Mabârâjàlhirrija Râjyavar-
dhana II adorateur passionné du Sugata (Buddha) ne fondant
son plaisir comme le Sugata que dans le bien d'autrui ; lui dont la
gloire immaculée s'étendait telle une liane sur tout le globe terrestre ;
qui s'appropriait la gloire de Dhanada, Varuna, Indra et des autres
dieux gardiens du monde ; qui versait la réjouissance aux cœurs des
suppliants par de nombreux dons de richesses et de terres, acquises
de manière honorable ; qui l'emportait sur la conduite des anciens
rois, c'est lui qui dompta en bataille Devagupta et tous les autres rois
ensemble, de même qu'on fait détourner des chevaux rétifs à coups
de fouet. Il déracina ses adversaires, fit la conquête de la terre, se
comporta bien envers ses sujets, et sa "confiance dans les promesses
lui fit perdre la vie dans la demeure de son ennemi « ,
Qui était ce roi Devagupta ? Etait-il le même que ce roi du
Mâlava, l'auteur du double attentat contre Grahavarman et Râjyaçrï,
contre qui Râjyavardhana avait mené ses dix mille cavaliers ? Il est
bien difîicile d'en être tout à fait certain, mais si le récit de Bâua, selon
lequel l'expédition contre le Mâlava suivit de près la mort de Prabhâ-
karavardhana et selon lequel Râjyavardhana mourut quelques mois
plus tard, est exact, alors Devagupta semble bien être le nom de ce
roi du Mâlava. Ce dernier était certainement l'ennemi le plus
redoutable des princes de Thanesar, et celui dont la soumission
aurait été la plus glorieuse pour la renommée de Râjyavardhana. De
plus la conquête du Mâlava, que commémorent les inscriptions, est
confirmée par Bâna qui parle de la capitulation de l'armée du Mâlava,
du butin et des femmes du roi rapportées par Bhandin (3).
Qui est d'autre part ce roi du Gauda qui, selon Bâua, put, par des
promesses perfides, attirer Râjyavardhana dans un piège fatal? Hiouen
Tsang accuse de ce meurtre le roi Çaçâûka de Karuasuvarua (4) et
(1) H. C. p. 208.
(2) E. I. vol. vil, p. 155.
(3) H. C. p. ir>'A. Buehler proposait déjà d'identifier le roi du Mâlava avecle
Devagupta de l'inscription de Mudhuban. E. I. vol. i, p. 7:.'.
(4) H. T. vol. ii, p. 248.
— 58 —
en donne pour motif la crainte légitime qu'il avait des talents
militaires de Râjyavardhana (1). Mais il n'y a pas de contradiction
entre les témoignages de nos deux auteurs. Hiouen Tsang a, en effet,
l'habitude de citer les princes par districts et non par royaumes ; il
ignore les grandes nomenclatures de territoire. Pour lui, par exemple,
Harsa est spécialement roi de Thanesar et non roi de l'Inde septen-
trionale. C'est ainsi que de ce Çaçâùka, qui était roi du Gauda
(du Bengale), il fait un roi de Karnasuvarna, du nom sans doute
de sa demeure héréditaire. Ainsi pouvons-nous identifier le roi de
Karnasuvarna (qui est une partie du Gauda) avec le roi du Gauda.
Maintenaat comment justifier le nom de Çaçâiika que donne Hiouen
Tsang ? Un commentateur du Harsacarita dit que le nom du roi du
Gauda fut Narendragupta (2). Un autre disait qu'il s'appelait Çaçâùka,
sans pouvoir en apporter de preuves. Ce n'est que grâce à la publi-
cation de la traduction du Harsacarita par Cowell et Thomas qu'on
a pu résoudre les difficultés. Sur ce point Bâna, comme presque
partout ailleurs, confirme Hiouen Tsang ; seulement jusqu'alors on
ne l'avait pas remarqué. Dans la description du retour du prince
Râjyavardhana après la mort de son père Prabhâkaravardhana, il
dit (3) : « A.U firmament, la lune aux taches claires se levait brillante
comme la bosse pointue du taureau apprivoisé de Çiva, quand il est
taché de la boue répandue par ses grandes cornes ». Ici le mot
employé par Bâna pour désigner la lune est « Çaçânka-mandalam i-,
mot qui signifie en même temps « disque de la lune », et « territoire
de Çaçâùka ». MM. Covpell et Thomas ont signalé, les premiers, cette
allusion manifeste au roi Çaçâùka. Quant au nom de Narendragupta,
il montrerait que le prince qu'il désignait appartenait aux Guptas du
nord et qu'il avait aidé le roi Devagupta du Mâlava à cause de sa
parenté avec lui (4).
Nous ne savons pas grand'chose des événements qui suivirent
immédiatement la mort de Râjyavardhana. Nos seuls renseignements
nous sont fournis par le récit de Bâna. Ayant appris de Kuntala les
nouvelles qu'il avait rapportées, Harsa en fureur se détermine à
(1) H. T. vol. i, p. 112.
(2) E. I. vol. i, p. 70.
(3) H. G. p. 199, et Cowell et Thomas, traduction du H. C. p. x, et p. 275.
(4) Cf. A. S. Reps. vol. ix, p. 157.
— 59 —
marcher sans perdre un instant contre le perfide Çiçàiika. Il se
consulte avec le général en chef (seûâpati), Simhatiâda, un ami de son
père. Le général lui conseille de frapper le Gauda avec célérité, afin
d'en imposer aux autres vassaux et d'étouffer dans l'œuf la moindre
tentative de révolte. Harsa dicte alors à son ministre des affaires
étrangères (samdhivigrahâdhikrta), Avanti, une proclamation, oii
il fait vœu de délivrer la terre des Gaudas. Un autre officier,
Skandagupta (1), le chef des éléphants, détourne Harsa d'une confiance
excesssive et dangereuse, en lui citant maints exemples de rois
victimes. Les préparatifs étant finis, l'expédition se met en marche
ayant deux objectifs. Le premier est la réduction de la ville de Kànya-
kubja, oii est enfermée la princesse Râjyaçrï, et le deuxième est
la punition du roi du Gauda. Bâiia nous donne un tableau si mouve-
menté et si pittoresque de la mise en marche, qu'il serait dommage
de ne pas citer ici ce passage (2) :
« A la fin de la troisième veille, quand tous les êtres dormaient
et que tout était tranquille, le tambour de marche retentit avec un
bourdonnement tel que le rugissement béant des ^éphants du ciel.
Puis, après un moment de silence, huit coups secs de tambour furent
donnés de nouveau, distinctement, pour indiquer le nombre de lieues
dans la marche du jour.
Aussitôt roulaient les tambours, vibraient joyeusement les nâudïs
(tambours qu'on frappe comme signe de bon augure), sonnaient les
trompettes, bourdonnaient les Kâhalas, et retentissaient les cors ;
le bruit du camp augmentait peu à peu. Les officiers allaient réveiller
les courtisans. Les cieux étaient remplis d'un bruit de baguettes de
tambour et de coups rapides de maillets (3). Des commandants
assemblaient de nombreux inspecteurs de casernes. Des milliers de
flambeaux allumés par les gens empiétaient sur les ténèbres de la
nuit avec leur éclat. Des couples d'amants s'éveillèrent au bruit des
pas des gardiennes. Perçants, les ordres des maréchaux dissipaient
le sommeil des cavaliers qui clignotaient des yeux. Des surveillants
(1) Skandagupta est sans doute le même personnage que celui que nomme
Harsa dans l'inscription de Madhuban (E. 1. vol. i, p. 73), avec les titres
de Mahâpramâtâra Maliâsâmanta.
(2) H. C. p. 228.
(3) Comparez Twining, « Travels in India », pp. '.Yi et 184, pour co signal
caractéristique de la levée d'un camp.
— 40 —
d'éléphants éveillés quittaient les étables où ils avaient dormi. Les
chevaux qui venaient de dormir secouaient leurs crinières. Le
camp bruyant résonnait du bruit des pioches qui déracinaient des
attaches fixées au sol Tout le monde était couvert de pous-
sière... Cependant un babil continu se faisait entendre : « Avance
donc, mon fils » ! « Cher seigneur, pourquoi traînez- vous »? « Voici un
cheval qui galope ». « Ami, tu clopines comme un estropié, et l'avant-
garde nous talonne furieusement ». « Pourquoi fais-tu courir le
chameau ? Tu ne vois donc pas, brute barbare que tu es, l'enfant qui
se trouve là »? « Râmila, mon chéri, fais attention ! ne te perds pas
dans la poussière ». " Tu ne vois pas que le sac de farine d'orge fuit ?
Pourquoi tant se presser »? « Bœuf, tu quittes le chemin et vas courir
parmi les chevaux ». « Tu viens, poissarde » ! « Femelle d'éléphant,
tu voudrais bien aller avec les mâles ». " Oh ! oh ! le sac de pois est
de travers et fuit, tu ne prends aucunement garde à mes cris ». « Tu
vas t'égarer et tomber dans un précipice ; tiens-toi tranquille, brute
entêtée ». « Marchand de bouillie, ta cruche est cassée » ! « Traînard,
tu pourras sucer la canne à sucre en route » ! « Calme ton bœuf » .
« Combien de temps, esclave, mettras-tu à cueillir des fruits de
jujubier »? « Nous avons un long chemin à faire ; pourquoi, ô Dronaka,
traînes-tu maintenant? cette grande expédition s'arrête pour un
vaurien ». « La route devant nous monte et descend ; attention mon
vieux, à ne pas casser le chaudron à sucre ». « La charge de grains
est trop lourde, Gaudaka, le bœuf ne pourra pas la porter ». « Vite,
esclave, avec un coutelas coupe une bouchée de fourrage dans ce
champ de fèves ; qui saura dire le sort de sa moisson quand nous
serons partis »? « Eloigne tes bœufs, drôle ; ce champ est gardé par
des veilleurs »! « Le chariot est resté pris : attelle un puissant et jeune
bœuf au joug ». « Fou, tu écrases des femmes ; tes yeux sont-ils
crevés »? « Sacré cornac, tu joues avec la trompe de mon éléphant ».
« Marche sur lui, brute sauvage ». « Frère, tu trébuches dans la
fange ». « Ami des affligés, fais lever ce bœuf de la boue ». « Par
ici, gamin, on ne peut pas sortir du milieu de la troupe épaisse des
éléphants ». Par ici, des groupes de cornacs, de garçons, de coquins,
d'âniers, de valets, de voleurs, de serviteurs, de fripons, et de pale-
freniers, qui s'étaient repus avec un repas acquis facilement de
restes de grains abondants et vite broyés, exprimèrent leur joie sur
le campement en poussant de hardis et bruyants cris de triomphe.
— M —
Par là, de pauvres nobles, sans suite, étaient accablés de la fatigue
et du tracas de transporter leurs vivres, à l'aide de bœufs défaillants
que de malheureux chefs de maison de village leur avaient fournis
et qu'ils n'avaient obtenus qu'avec difficulté. Ils devaient eux-mêmes
serrer leurs objets personnels et murmuraient ainsi : « Si cette
expédition était seulement finie ». « Qu'elle aille au fond de l'enfer ».
« Une fin à ce monde de soif ». « Bonne chance à notre servitude ».
« Adieu à ce camp, le sommet de tout désagrément »... Par ici
toute la campagne était venue en hâte, avidement, de toutes les
directions, par curiosité, pour voir le roi, et des concessionnaires
sots, sortant des villages sur la route et conduits par des anciens,
des arrosoirs levés à la main, se portèrent en avant, dangereu-
sement près et en foule, avec des cadeaux de lait caillé, de mélasse,
de sucre candi, de fleurs en corbeilles ; ils demandaient protection
pour leurs récoltes, fuyaient par peur des chambellans irrités et
furieux, et malgré la distance, les faux pas et les chutes, ils gardèrent
cependant leurs yeux fixés sur le roi ; ils exposaient au grand jour
des injustices imaginaires de gouverneurs passés, louaient des centaines
de fonctionnaires antérieurs, rendaient compte d'antiques méfaits de
fripons. D'autres, satisfaits des administrateurs actuels, criaient
leurs éloges : « Le roi c'est l'incarnation même de Dharma » ! D'autres
encore, abattus à cause du pillage de leurs grains mûrs, étaient
venus avec leurs femmes pour pleurer leurs biens ; et, en grand
danger pour leur vie, la douleur faisant fuir la peur, ils commen-
çaient à blâmer leur souverain, criant : « Où est le roi ». « Quel droit
a-t-il à être roi ? ». « Quel roi » !....
Chemin faisant, un émissaire, nommé Hamsavega, envoyé par le
roi de Prfigjyotisa (Assam ou Kâmarûpa), arrive avec des cadeaux
magnifiques. Son maître, le roi Bhâskaravarman, surnommé Kumûra,
vient de succéder à son père, et à la nouvelle que Harsa part en
guerre contre le roi du Gauda, son voisin, il s'empresse de rechercher
son amitié. Harsa, sentant le prix d'une telle alliance à ce moment
surtout, accepte les offres de Bhâskaravarman. Tandis qu'il continue
à marcher contre le Gauda, il est rejoint par Bhaudin qui arrive avec
l'armée vaincue du roi du Mfilava, ses trésors et ses femmes (1).
Bhandin s'est informé de la situation à Kâuyakubja : après la mort
(1) II. C. p. 254.
— 4-2 —
de Râjyavardhana et la prise de Kâoyakubja par un nommé Gupta,
Rajyaçrî s'est échappée de prison et est entrée dans la forêt Vindhya,
accompagnée de ses femmes (1). Là-dessus Harsa change d'objectif :
il laisse l'armée aux mains de Bhandin et lui abandonne la punition
du Gauda, tandis que lui-même retourne en arrière pour retrouver
sa sœur. Nous savons qu'il fut assez heureux pour atteindre celle-ci,
mais nous ignorons encore ce qu'il est advenu du Gauda aux prises
avec Bhandin. Le poème de Bâna, en effet, s'arrête à la reconnais-
sance émue du frère et de la sœur, et nous n'avons plus pour nous
guider désormais que des autorités beaucoup moins détaillées. Toutes
nos sources se taisent sur ce qui arriva au roi Çaçâiika (2). Nous ne
savons même pas si le meurtrier fut puni. Il paraît bien toutefois
que Harsa ne prit pas sur lui une revanche complète. Nous trouvons,
en effet, des donations datées du règne de Çaçâiika, le Mahârâjâdhi-
râja, et de l'année G19/20 A. D. (3). On est fondé à croire que ces
inscriptions se rapportent au même Çaçâûka, car à cette époque
nous ne connaissons aucun autre roi du même nom. Donc il régnait
au moins treize ans après l'avènement de Harsa. Un moule qui se
trouve à Rohtâsgadh (4) nomme également un certain Çaçâùka, mais
(1) H. C. p. 253.
(2) Il y a un réservoir appelé de son nom à Bhâsu Bihâr dans le district
Bagrahâ (Bogra) du Bengale, peut-être le Po-shi-po de Hiouen Tsang (A. S.
Reps. vol. XV, p. 102). Il y a mention d'une ville Çaçâiikapura, située sur la
côte dans Somadeva, Katliâ-S,arit-8âgara^ livre 12, ch. 101. Voyez Y. A. Smith,
J. R. A. S. 1893. " Observations on the Gupta coinage n, pour des monnaies
en or de Çaçânka avec l'image d'un bœuf et l'image de Laksml sur le revers.
(3) E. I. vol. vi, p. 143.
(4) C. 1. 1. vol. iii, p. 283. Cette inscription est taillée dans le rocher au fort
de Rohtâsgadh ou Rohitâsgadh Le " Rhotasgurh » et « Rhotasgarh » des
cartes, Indian Atlas Sheet N° 104. Lat. 24'' 37' N. ; Long. 83° 55' E. à vingt-
quatre milles de Saliasrâm. Le « Sahsarâm, Sahseram, et Sasseram » des
cartes, ce nom est sans doute une corruption du sanskrit " Sahasrârâma »
(Mille-jardins). Dans le haut, il y a la figure d'un bœuf, regardant vers la
droite. Cette matrice doit être un moule pour fabriquer des sceaux en
cuivre pour attacher aux donations.
Texte :
1. Çrî-mahâsâmanta-
2. Çaçânkadevasya.
Traduction :
« De l'illustre Mahâsâmanta Çaçânka »,
_ 45 —
eu lui donoant le titre de Mahâsâmanta. Le caractère de l'iriscription
semble indiquer la même époque et il semble bien ici encore qu'il
s'agit du même personnage qui plus tard, comme nous verrons, fit
de grands efforts pour écraser le bouddhisme.
Quel qu'ait été le succès de l'armée de Harsa dans le Gauda, son
alliance avec le Kâmarûpa et la soumission totale du Mâlava ont
considérablement affermi le jeune monarque. Harsa commence dès
maintenant cette lutte continuelle contre ses voisins qui, après de
dures années de guerre et d'efforts incessants, lui assure la domina-
tion de l'Inde septentrionale entière et lui permet de s'y établir en
conquérant (1).
La situation à l'intérieur n'était pas moins satisfaisante : dès ses
premières victoires, son pouvoir n'avait été l'objet de nulle contes-
tation. Il est curieux de lire dans Hiouen Tsang les propos que
tenaient Bhandin et les autres grands ministres à l'occasion de
l'avènement de Har:^a. A ce moment même, il est vrai, Hiouen
Tsang était encore en Chine, et l'on ne peut garantir l'authenticité
de ces conférences politiques, mais il s'y trouve probablement autant
de sincérité et de vérité que dans les discours de Thucydide (2) :
« Les habitants de Kânyakubja ayant perdu leur prince, le royaume
fut en proie au désordre. Alors un ministre nommé Bânï, qui jouissait
d'une autorité imposante, parla ainsi à ses collègues : « Le destin du
royaume va se décider aujourd'hui. Le fils aîné de notre premier
roi est mort, le frère de ce prince est bienveillant et humain, et le
ciel l'a doué de piété filiale et de respect. Par l'impulsion de son
cœur, il aimera ses parents et aura confiance dans ses sujets. Je
désirerais le voir héritier du trône. Qu'en peusez-vous ? Que chacun
de vous dise son sentiment «. Comme tous admiraient sa vertu^
personne ne fut d'un avis différent. Alors les ministres et les magis-
trats l'exhortèrent à monter sur le trône : " Prince royal », lui
dirent-ils, « daignez nous écouter. Notre premier roi avait accumulé
des mérites et amassé des vertus, et il avait régné avec gloire. Quand
Rajyavardhana lui eut succédé, nous pensâmes qu'il irait jusqu'au
terme de sa carrière. Mais, par l'incapacité de ses ministres, il est
allé se jeter sous le fer de son ennemi ; cela a été, pour le royaume,
(1) H. T. vol. ii, p. 251.
{2) H. T. vol. ii, p. 248.
_ 44 —
un immense déshonneur. C'est nous qui sommes les coupables.
L'opinion publique éclate dans les chants du peuple, et tout le monde
se soumet sincèrement à votre vertu éclatante. Régnez donc glorieu-
sement sur ce pays. Si vous pouvez venger les injures de votre
famille, laver la honte du royaume et illustrer l'héritage de votre
père, quel mérite sera comparable au vôtre ? Nous vous en supplions,
ne repoussez pas nos vœux ».
« De tout temps », répondit le prince royal, « l'héritage d'un
royaume a été un lourd fardeau. Avant de monter sur le trône, on
doit mûrement réfléchir. Pour moi, je n'ai en vérité qu'une vertu
médiocre, mais aujourd'hui que mon père et mon frère ne sont plus,
si je refuse l'héritage de la couronne, pourrai-je par là faire le
bien du peuple ? Il est juste que j'obéisse à l'opinion publique et que
j'oublie ma faiblesse et mon incapacité. Maintenant, sur les bords
du Gange (1), il y a une statue d'Avalokiteçvara Bodhisattva ; comme
il opère beaucoup de miracles, je désire aller le prier ». Il se rendit
aussitôt auprès de la statue, s'abstint de manger et fit de ferventes
prières. Le Bodhisattva, touché de la sincérité de son cœur, lui apparut
en personne et l'interrogea ainsi : « Que demandez-vous avec de si
vives instances »? « Je n'ai fait qu'amasser des malheurs », répondit
le prince royal. « J'ai perdu mon père, qui était bon et affectueux,
et mon frère aîné, modèle de douceur et d'humanité, a été odieuse-
ment assassiné. Leur mort a été pour moi un double châtiment. Je
vois moi-même que j 'ai peu de vertu ; cependant les habitants du
royaume veulent m'élever aux honneurs et demandent que je succède
au trône pour illustrer l'héritage de mon père. Mais, comme mon
esprit est obtus et dénué de connaissances, j'ose vous demander votre
sainte opinion ».
Le Bodhisattva lui dit : « Dans votre vie antérieure, vous demeu-
riez dans cette forêt ; vous étiez le bhiksu d'un ermitage, et vous
vous acquittiez de vos devoirs avec un zèle infatigable. Par l'effet de
cette conduite vertueuse, vous êtes devenu le fils de ce roi. Le souve-
rain du royaume de Karnasuvarna ayant détruit la loi du Buddha, il
faut que vous succédiez à la couronne pour faire revivre la splendeur
(1) Ceci ferait entendre que Harsa demeurait à Kânyakubja comme Hiouen
Tsang le suppose toujours. Au contraire, Harsa demeurait alors à Thanesar,
sur la Sarasvatï, et non à Kânyakubja sur le Gange.
— 45 —
du royaume. Si vous vous pénétrez d'affection et de pitié, si votre
âme compatit au maltieur, avant peu vous régnerez sur les cinq
Indes. Si vous voulez prolonger la durée de votre dynastie, il faut
que vous suiviez mes instructions. Par ma protection secrète, je vous
procurerai un bonheur éclatant, et nul roi voisin ne pouira vous
résister. Mais ne montez point sur le siège du lion (Simhâsanaj et ne
prenez point le titre de grand roi (Maharaja) ». Après avoir reçu ces
instructions, il se retira. Il accepta alors l'héritage de la royauté, se
désigna lui-même par le nom de prince royal (Kumârarâja) et prit le
titre de Çïlâditya ».
Bâna confirme cette répugnance du jeune Harsa devant cette
formidable succession. « Il fut embrassé », dit-il (1), « par la déesse de
la Prospérité Royale, qui le prit dans ses bras et s'emparant de lui par
toutes les marques royales qu'il portait sur tous ses membres, le
força, si peu disposé qu'il fût, à monter sur le trône ». Peut-êlre
fut-ce à cause de son vœu de ne pas accepter le pouvoir avant d'avoir
tué le roi du Gauda, qu'il ne prit que le titre de Kumârarâja ; car ce
n'est qu'après la mort de Çaçânka qu'il prit le titre de Maharaja,
comme nous le trouvons sur ses inscriptions. Il est du reste à noter
ici que le roi Bhâskaravarman du Kâmarûpa portait aussi le titre de
Kumârarâja. Était-ce pour ménager les susceptibilités des populations
privées de leur Maharaja que les conquérants prenaient ce titre
insignifiant, nous ne saurions le dire.
Fort de la loyauté et de l'amour de ses sujets, Harsa profita de ses
premières victoires pour arrondir ses domaines. Les moyens qu'il
mit en œuvre dans cette intention sont précisés par Hiouen Tsang (2).
« Il rassembla toutes les troupes du royaume et fit exercer ses sol-
dats. Il avait une armée de cinq mille éléphants ; la cavalerie comp-
tait vingt mille chevaux, et l'infanterie cinquante mille hommes. Il
marcha de l'ouest à l'est pour châtier les rois insoumis. Les éléphants
ne quittèrent point leurs selles, ni les hommes leurs cuirasses. Enfin,
au milieu de !a sixième année, il se rendit maître des cinq Indes.
Après avoir agrandi son territoire, il augmenta encore son armée, le
corps des éléphants fut porté à soixante mille, et celui de la cava-
lerie à cent mille. Au bout de trente ans, les armes se reposèrent,
(1) H. C. p. 78.
(2) H. T. vol. ii, p. 246.
— 46 —
et par sa sage administration, il répandit partout l'union et la paix.
Il s'appliqua à l'économie, cultiva la vertu, et pratiqua le bien au
point d'oublier le sommeil et le manger «.
C'est vers le Magadha que Harsa tourna ses premiers regards. Les
Guptas du Magadha, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler,
avaient souvent marié leurs princesses avec les Vardhanas de Thane-
sar. Aussi Harsa semble-t-il avoir entretenu des relations cordiales
avec eux. Mahâsenagupta du Magadha était, avons-nous déjà supposé,
le frère de Mahâsenaguptâdevï, la grand'mère de Harsa. Il était donc
par là le grand oncle de Harsa. Son lils, Mâdhavagupta, était de même
le cousin de Harsa. Même s'il n'y avait pas eu d'alliance formelle
entre ces deux princes, il n'en existait pas moins entre eux des
rapports fort intimes d'après ce qu'on pourrait presque déduire d'une
inscription de Mâdhavagupta qui nous reste et où il est dit (1) : « Mes
ennemis puissants ont été tués par moi en bataille ; il ne me reste
plus rien à faire, — telle est la décision que le héros prit en son
cœur, — et alors plein du désir de s'associer avec le glorieux Harsa-
deva » Ici les lettres ont disparu de l'inscription par l'effet du
temps, et il est malheureusement impossible de préciser comment et
de quelle façon Mâ'lhavagupta du Magadha s'était associé avec Harsa.
Comme il était ainsi fermement établi dans le nord-est, Harsa se
dirigea vers le nord-ouest pour protéger ses domaines héréditaires
des invasions des tribus à demi barbares, qui de l'Asie centrale se
pressaient vers l'Inde. Parmi ces tribus, les Tukhâras étaient des
plus redoutables pour le royaume de Thanesar, aussi Harsa se hâta-
t-il d'aller les attaquer ; s'il ne triompha pas d'eux, du moins leur
fit-il rudement éprouver la vaillance de ses armes. Cette expédition
n'a pas encore été signalée, mais nous croyons que Bàiia y fait
allusion quand, dans une description allégorique des exploits de son
protecteur, il dit : « L'empereur a pris tribut sur l'inaccessible pays
de montagnes neigeuses des Tukhâras » (2). Buehler a cru prouver que
cette allusion se rapportait à une invasion du Népal par Harsa (3).
Son hypothèse eut beaucoup de succès et fut acceptée comme
un fait certain. Mais si on examine attentivement le texte même du
(1) C. 1. 1. vol. iii, p. 206.
(2) H. C. p. 101.
(3) I. A. vol. xix, p. 40.
— 47 —
passage du Harsacarifa, « atra parameçvareiia tusâraçailabhuvo
durgâyâ grhïtah karah » on voit qu'au lieu de « tusâra » on devrait
prononcer « tukhâra » (1). Après l'expédition contre les Tukhâras,
Harsa a dû en organiser encore une nouvelle contre le Sindhu, car
Bâna nous dit de Harsa, « qu'en lui le meilleur des hommes est
devenu glorieux en écrasant le roi du Sindhu » (2). De cette campagne
nous ne savons malheureusement rien ; sans doute Harsa ne faisait-il
que marcher sur les traces glorieuses de son père (3).
Ayant donc montré suffisamment la force de ses armes à toute
l'Inde septentrionale et ayant probablement pris depuis quelque
temps le titre d'Empereur « parameçvara paramabhattâraka mahârâ-
jâdhirâja », Harsa porta ses ambitions vers l'Inde méridionale (4). Avec
une armée aussi puissamment organisée et entraînée que l'était la
sienne il se faisait fort de rencontrer aussi peu de résistance sinon
moins qu'il n'en avait éprouvé dans ses luttes contre les peuples du
nord. Au sud-est d'abord, il infligea une défaite complète au roi
(1) " S » et « Kh » se confondent dans les manuscrits aussi bien que dans le
sanskrit parlé des pandits modernes. Par exemple, au lieu de " likhitam «,
" écrit », on dit « lisitam ». Nous proposons donc de lire ainsi le passage du
Harsacarita : " atra parameçvarena tukhâracailabhuvo durgâyâ gfhïtah
karab ». La traduction tigurative veut dire : « Çiva se maria avec Durgâ,
la fille d'Himrdaya ».
(2) H. C. p. 100.
(3) H. C. p. 132.
(4) Dans Vallabhadeva, Subhcisitâvalï, N" 2515, éd. Peterson, on trouve
citée une stance du poète Mayûra qui est assez curieuse.
Bhûpâlâh çaçibliâskarânvayabhuvaU ke nâma nâsâditâ
bhartâram punar ekam eva lii bhuvas fcvâm deva manyâmalie
yenâiigain parimrsya kuntalam athâkrsya vyudasyâyatam
colam prâpya ca madhyadeçam adhunâ kâûcyâm karab pâtitah.
« Il y a beaucoup de souverains descendus de la famille de la Lune et du
Soleil ; mais nous croyons, ô roi, que toi seul es le maitre de la terre. Car,
prenant possession de son corps et caressant sa chevelure, tu as écarté sa
veste et l'ayant prise par la taille, tu lui as déjà mis la main sur la ceinture ».
(Ou bien) « Car, étant furieux contre les Ângas, tourmentant les Kuntalas,
tu as dispersé les Colas et prenant possession de Madhyadeea, tu ?s déjà mis
la main sur Kriiicï ».
C'est un vers de société fait avant une campagne, une « anticipation intel-
ligente » d'événements, car nous n'avons pas connaissance que Harsa ait fait
une pareille conquête dans le sud de l'Inde.
— ^8 —
du Valabhî et le chassa de son royaume. Ce roi malheureux se
réfugia chez le roi Dadda IV du Broach qui sut le protéger et apaiser
Harsa à un tel point que le vainqueur accorda la paix au vaincu, le
rétablit généreusement dans son royaume du Valabhî et lui donna sa
petite-fille en mariage. Quel était donc ce roi du Valabhî et par quels
moyens le roi du Broach, ce souverain d'un si médiocre territoire,
avait-il pu négocier aussi habileoient et aussi victorieusement avec
Harsa ? Ni les inscriptions de Harsa, ni Bâiia ne racontent ce fait.
Ce n'est que par une inscription des rois du Broach que nous le
connaissons : « L'illustre Dadda... sur qui comme la beauté d'un
nuage blanc reposait sans cesse une couronne glorieuse, gagnée en
protégeant le seigneur du Valabhî, qui avait été battu par l'Empereur,
l'illustre Harsadeva.... (1) ». De 610 à 641, nous avons les noms de
Kharagraha I"', Dharasena HI, Dhruvasena H et Dharasena IV,
comme rois de Valabhî. Hiouen Tsang, dans sa notice sur le
Valabhî, ne nous fait point douter que ce ne fût Dhruvasena II,
neveu du roi Çîlâditya du Mâlava, qui fuyait devant l'armée de Harsa.
« Le roi (du Valabhî) est le gendre du fils de Çîlâditya (2) roi de
KâQyakubja, son nom est Dhruvabhata. Il est d'un caractère vif et
emporté et d'une intelligence faible et bornée » (3). Ce roi fut sous la
dépendance absolue de Harsa, car Hiouen Tsang le nomme parmi les
princes vassaux qui assistaient à la grande fête religieuse tenue par
Harsa à Prayâga en 641 (4). Ce même Dhruvasena accompagna
le pèlerin chinois avec les autres rois lors de son départ pour la
Chine. Les notices de Hiouen Tsang mettent hors de doute et
l'occupation par Dhruvasena II du trône de Valabhî à l'époque de son
passage dans ce pays, "et le vasselage de ce roi, ainsi que son alliance
matrimoniale avec Harsa. Grâce à ces données supplémentaires
l'assertion de l'inscription de Nausûri, selon laquelle Dadda IV (Praçân-
tarâja II) protégea le roi de Valabhî contre Harsa, l'Empereur du
Nord, devient tout à fait digne de foi. Nous nous voyons donc en état
(1) I. A. vol. xiii, p. 70. Parameçvara-Çrî-Harsadevâbhibhûta-Valabhîpati-
pati (ri) trânopajâta - bhramad-adabhra - cubhrâblu'a-vibhrama-yaço-vitânah-
Çrï-Daddas.
(2) Dans un autre passage (H. T. vol. i, p. 206) le pèlerin chinois raconte
que Dhruvabhata est le gendre de Çîlâditya et non de son fils.
(3) H. T. vol. iii, p. 163.
(4) H. T. vol. i, p. 254.
- -49 -
de trouver la date et les motifs de cette expédition au Valabbî. Entre
l'année 633/4 (1) et l'année 640, date approximative de la visite de
Hioueu Tsang au Valabhï, Harsa a voulu étendre son autorité sur
l'Inde occidentale, et il a naturellement dirigé ses attaques contre le
Valabhï, l'Etat à la fois le plus puissant et le plus grand du Goudje-
rat. C'est alors qu'il bat le roi Dhruvasena II ; celui-ci prend la fuite
et demande secours à Dadda IV dans le Broach. De cet asile il adresse
sa soumission à Harsa, qui le rétablit sur son trône en vassal. La
paix se trouve affermie, comme il arrive souvent, par le mariage de
Dhruvasena II avec la petite-fille de Harsa. Lorsque Hiouen Tsang
dit que le roi du Valabhï s'était adonné au bouddhisme « tout
récemment » cette assertion montre peut-être indirectement que la
soumission et le mariage du roi n'auraient eu lieu que peu de temps
avant sa visite (en 640). La conversion de Dhruvasena au bouddhisme
se rapporte sans doute de très près à son mariage avec la petite-fille
de Harsa, qui, s'il n'était bouddhiste, n'en avait pas moins une
prédilection certaine pour cette confession. Il reste encore à savoir
comment le roi du Broach en accueillant à sa cour Dhruvasena avait
pu résister à Harsa. C'est que le Broach, peut-on supposer, s'appuyait
sur Pulikeçin II, le Câlukya, roi de Mahârâstra et empereur du Sud.
Dadda IV, avec l'aide d'un tel suzerain, était capable de tenir tête à
Harsa et c'est, en effet, Pulikeçin II maintenant qui va être le grand
rival de Harsa et qui va contrebalancer son influence dans l'Inde.
La lutte allait désormais s'engager entre ces deux empereurs et la
fortune devait enfin tourner contre Harsa.
Pulikeçin II, fils de Kïrtivarman I" de Vfitâpi, est le digne
héritier de ces Câlukyas, qui dans un laps de temps très limité avaient
fait brillante fortune. Avant Pulikeçin II, les princes Câlukyas ne
portaient que le titre de grand roi (maharaja). Avec lui la dynastie
devint bien plus puissante. Il succéda en 610 à son oncle Maïigalïça,
qui avait détenu la régence, pendant la minorité des enfants de
Kïrtivarman P^ A la mort de Mangalîça, les tribus du sud, que l'on
croyait domptées, se révoltèrent, comme il est d'usage à la fin d'un
règne.
(1) Date de la deuxième inscription de Klieda des rois du Broach, où il n'est
point fait mention de la protection du roi du Valabhï, qui se retrouve sur
toutes les inscriptions postérieures.
4
— 50 —
Un prince du nom d'Appâyika et un autre nommé Govinda
attaquèrent le nouveau roi des Câlukyas : Appâyika qui avait des
chevaux des mers du nord dans son armée s'enfuit, lorsqu'il rencontra
Pulikeçin, tandis que Govinda se soumettait à l'alliance du roi et par
là obtenait honneur et récompenses (1). Après cette victoire Pulikeçin
se tourne vers les Kadambas, attaque Banavâsï, leur capitale, et la
prend. Le prince de la famille Gaùga qui régnait sur le pays de
Cera (2), (près de la province moderne de Missour), et le chef de la
race des Alupas (3) deviennent ses alliés. Il envoie ses troupes contre
les Mauryas du Konkan, qui sont réduits sans difficulté. Avec une
flotte de centaines de navires il assiège et prend Purï (4), la maîtresse
de la mer de l'ouest. Les rois du Lâta, du Mâlava et du Gurjara
sont aussi subjugués et lui paient tribut. (La dernière assertion de
l'inscription est bien problématique). Et c'est juste au moment oii
Pulikeçin a groupé autour de lui tout le sud en une masse homogène,
qu'il se heurte à l'ambition de Harsa. Les détails de cette lutte
manquent ; Pulikeçin mettant en déroute les éléphants de Harsa
dispersa son armée jusqu'alors presque invincible (5). Après cette
(1) I. A. vol. viii, p. 242.
(2) 1. A. vol. i, p. 363, et I. A. vol. vil, p. 16S.
(3) Le nom de cette famille semble être conservé dans la ville moderne
ti'Alupai sur la côte du Malabar.
(4) Cette ville est appelée " la Laksmï de l'océan de l'ouest «. C'était peut-
être la capitale du roi de Konkan.
(5) Les allusions à la victoire de Pulikeçin II sur Har.sa sont bien fréquentes
dans les inscriptions des rois qui viennent après eux. On trouvera ces passa-
ges, E. I. vol. vi, p. 6 ; I. A. vol. iii, p. 97 ; I. A. vol. vi, pp. 6, 78, 87 ; L A.
vol. vii, pp. 97, 163, 219, 245, 301 ; I. A. vol. viii, pp. 13, 27, 43, 244 ; I. A. vol.
ix, p. 125 ; I. A. vol. xi, pp. 66, 68, 108 ; I. A. vol. xix, pp. 146-152 ; I. A. VOl.
XX, p. 94. Partout la même allusion et parfois le même jeu de mots ; harsa-
vicchodahetuh est l'épitliète de Pulikeçin, I. A. vol. viii, p. 43 ; ailleurs E. I.
vol. vi, p. 6, nous avons :
apai'imita-vibhiiti-sphîta-sâmanta-sena-makuta-mani-mayiikJiâk'-
krânta-pâdâravindah |
yudhipatita-gajendrânîka-bïbhatsa-bhiito-bhaya-vigalita-harso
yena châkâri Harsah ||
« Harsa dont les pieds de lotus furent ornés des rayons des joyaux des
diadèmes de troupes de feudataires, florissant d'un pouvoir incommensura-
ble ; à cause de lui (c.-à-d. de Pulikeçin) sa joie (harsalL) a disparu de frayeur,
étant devenu dégoûtant avec ses rangs d'éléphants superbes tombés en
bataille «.
— 51 —
victoire et entre les années 609-12, il prit le titre d'empereur
(parameçvara). Pour garder ses frontières, il entretenait, paraît-il,
un cordon de troupes et de postes armés sur les bords de la Narmadâ.
Dans la suite, il aurait aussi dompté les Kosalas, les Kaliùgas, les
Pallavas, les Colas, les Pândyas, les Keralas, en un mot, le sud entier.
Hiouen Tsang nous fait un portrait intéressant de Pulikeçin (1).
« Le roi est de la race des Ksatriyas, il a des goûts belliqueux et
met au premier rang la gloire des armes. C'est pourquoi, dans son
royaume, l'infanterie et la cavalerie sont équipées avec le plus grand
soin, et les lois et ordonnances militaires sont connues de tous et
sévèrement observées. Toutes les fois que le roi envoie un général
pour livrer bataille, quand il aurait été vaincu et aurait perdu toute
son armée, il ne lui inflige aucune peine corporelle ; mais il lui donne
des vêtements de femme afin de le pénétrer de honte. Aussi voit-on
souvent des généraux qui se donnent la mort pour échapper au
déshonneur. En tout temps, il nourrit plusieurs milliers d'hommes
braves et plusieurs centaines d'éléphants sauvages. Un peu avant le
combat, on les enivre de vin jusqu'à ce que l'ivresse les ait rendus
furieux ; puis on donne le signal et on les lance contre les ennemis
qui ne manquent jamais de se débander et de fuir. Fier de ces
auxiliaires, il montre le plus grand mépris pour les peuples voisins,
avec qui il est en guerre. Le roi Çïlâditya se vantait de sa science
militaire, de la valeur et de la renommée de ses généraux, et il
marchait lui-même à la tête de ses troupes ; mais il ne put jamais
le dompter ni le tenir en respect. »
Bien que Hiouen Tsang fût l'ami de Harsa, il ne montre pas moins
impartialement la vraie puissance de Pulikeçin. Pulikeçin ne se fiait
pas pourtant à ses propres armes. Il demanda des alliances non pas
à un état indien, car les royaumes de l'Inde étaient ou pour lui ou
pour Harsa. C'est au-delà des frontières de l'Inde qu'il dut se trouver
un point d'appui pour ébranler l'empire septentrional de Harsa.
Il y avait en ce moment deux grandes puissances en dehors de l'Inde
avec lesquelles l'Inde était en constantes relations de commerce : la
Chine et la Perse. Nous avons des témoignages du' commerce qui
s'établit de bonne heure entre la Chineet l'Inde, dans le BliUndajidùho
ou « Dialogues du roi Milinda (Ménandre) ». Ces dialogues lurent
(l).H. T. vol. i, p. 202.
^iSSSSSSBBSBSSUSm
— 52
traduits en chinois selon Buojio Nanjio déjà entre 317 et 420 (1). De
tout temps on put voyager entre Tlnde et la Chine ; aussi voit-on
souvent mentionnés dans les livres de l'Inde des produits originaires
de Chine.
Harsa tenait ses chevaux de race de la Perse (2) et ses cuirasses
de la Chine (3). Bâiia (4) dit : « Le pays des Turuskas n'est qu'à une
coudée pour les hommes braves, la Perse n'est qu'à une lieue ».
ïâranâtha (5), l'historien tibétain, raconte que « Dans le temps, le
roi de Perse envoya des chevaux et des joyaux comme cadeaux au roi
de Madhyadeça ; celui-ci lui envoya à son tour des éléphants et des
soieries «. Ce qui prouve, mis à part quelques détails plus ou moins
exacts, que l'Inde n'était pas murée du côté de la Perse, même à cette
époque assez éloignée dont parle Târanâtha.
Au temps d'I-tsing (6) (671), il y avait une navigation constante
entre la Perse, l'Inde et la Chine. Un siècle plus tôt (7), nous avons
l'histoire d'un roi de l'Inde, Devsaram (Devaçarman) qui envoya une
ambassade avec des cadeaux magnifiques et un jeu d'échecs au roi
Khusro-i-Noshervan de la Perse (Khusru I") avec ce message ;
« Comme vous pensez que vous êtes le roi de tous les autres rois, et
que vous avez le titre d'empereur sur nous, ainsi les savants de
votre cour doivent surpasser les savants de la nôtre » .
Ainsi il n'y a pas à s'étonner qu'en 626 Pulikeçin II ait envoyé une
ambassade à Khusru II, roi de Perse. Ce fait est préservé de l'oubli
par l'historien arabe Tabari. (8) « Dans la trente-sixième année de
notre règne (c'est-à-dire de Khusru II =626) Purumeça (Parame-
çvara), roi de l'Inde, nous envoya des ambassadeurs avec une lettre,
dans laquelle il nous parla de diverses choses et nous envoya ainsi
qu'à tous nos fils des cadeaux ; et il nous écrivit à chacun de nous
une lettre. A toi il donna un éléphant, un sabre, un faucon blanc, et
(1) S. B. E. vols. XXXV et xxxvi. Les références à la Chine se trouvent,
vol. XXXV, p. 182 ; vol. xxxvi, pp. 211, 269.
(2) H. C. p. 69.
(3) H. C. p. 231.
(4) H. C. p. 239.
(5) Târanâtha, tr. par A. Schiefner, p. 94.
(6) I-tsing, p. xxviii.
(7) Mculigânechatrang ^ p. 1, traduction du pehlvi par P. D. B. Sanjana. •
(8) Noeldeke, Gcuchichte der Perser und Araber des Tabari, p. 371.
— Po-
ulie étoffe de brocart tissée en or. Comme nous regardions vos cadeaux
et vos lettres, nous trouvâmes qu'il avait mis sur ta lettre : « Garde
le contenu secret n, en langue indienne. Alors nous gardâmes cette
lettre, appelâmes un écrivain indien pour l'ouvrir et la lire ». (1)
Noeldeke a voulu voir en « Purumeça «, la transcription arabe
ou pehlevie de Pulikeçin. 11 est bien plus probable que c'est la
transcription de Parameçvara (Empereur), le titre de Pulikeçin. Car
il ne faut pas oublier que les princes hindous se faisaient appeler
moins par leurs noms propres que par leurs épithètes (birudas). C'est
pourquoi les historiens étrangers nomment souvent les rois de l'Inde
du nom de « deva » (Majesté).
Quelque objection que nous fassions à la transcription de « Puru-
meça » en Pulikeçin, nous pouvons tout de même indentifier le
« Parameçvara » de Tabari avec Pulikeçin. Car il n'y avait à ce moment
dans l'Inde que deux Parameçvaras, Harsa et Pulikeçin : il faut donc
que ce soit l'un des deux qui ait envoyé cette ambassade à Khusru.
La preuve que ce fut Pulikeçin, et non Harsa, est donnée par une
découverte ingénieuse de M. Ferguson (2),
Une des caves d'Ajanta, dans le territoire de Pulikeçin, à laquelle
on assigne la date de 610 640, représente un roi de Perse qui est sans
doute Khusru II buvant avec la belle Shirin qu'a célébrée Firdîisi dans
le Shali-nameh : une autre peinture représente un roi indien sur son
trône recevant des messagers persans porteurs d'une lettre, et à qui
on donne des cadeaux. Il n'y a aucun doute que ce ne soit Pulike-
çin II qui soit représenté ainsi, si on en croit Tabari. Le tableau
donne une idée complète d'une cour indienne ; le roi est au centre
de sept femmes qui s'ébattent à divers jeux, de chambellans et de
divers officiers dont l'un est à coup sûr le maître de cérémonies.
Ainsi n'avons-nous pas seulement le portrait de Pulikeçin et la certi-
tude que ce fut lui le Parameçvara qui était en relations avec
Khusru, mais encore nous avons les portraits de Khusru et de la belle
Shirin.
C'était avec l'aide de la Perse que Pulikeçin, Parameçvara du sud,
(1) Il y avait écrit dans la lettre : " Sois joyeux, car dans le jour Dai ba
Àdhar du mois Adhai- de la trente huitième année du règne de Khusru, tu
seras couronné et roi de tout son royaume »,
(2) J. R. A. S. 1879, p. 154.
54 —
comptait pouvoir ébranler la puissance de Harsa. Seulement la Perse
n'était point à ce moment dans une position bien favorable. Les
Sassanides, harassés par les Arabes et les Hûnas au dehors, par les
rebelles au-dedans, avaient autre chose à faire que d'épouser la
querelle d'un empereur indien, et Khusru se contenta de donner de
belles promesses qui ne devaient rien lui coûter.
Harsa avait lui aussi sollicité dos alliances en dehors du monde
hindou. C'est en Chine qu'il voulait trouver un contre-poids pour
rivaliser avec Pulikeçin. Hiouen Tsang lui avait vanté sans doute
trop de fois la grandeur de sa patrie et la puissance de ses maîtres
pour que Harsa pût résister au légitime désir d'en tirer utilité. Dès
641, il envoie en Chine une première mission dont Ma-Twan-Lin
nous a conservé la mémoire (1) : « Dans la quinzième année de la
période Tching-Kwan (en 641) il (Çïlâditya) se donna le titre de roi
de Magadha et envoya un ambassadeur pour présenter une lettre à
l'Empereur. Ce monarque ordonna à Liaug-hoaï-King, du titre de
Yun-Ki-weï, de se rendre auprès de lui, muni d'une patente impériale,
et de l'inviter à la soumission. Çïlâditya fut rempli d'étonnement.
« Depuis l'antiquité », demanda-t-il à ses officiers, « est-il jamais venu
ici un ambassadeur de la Chine ?» — « Jamais » , répondirent-ils tous
ensemble. Le roi sortit alors, salua en fléchissant les genoux, reçut
ainsi le décret impérial et le plaça sur sa tête (en signe de respect) ».
Si Harsa marquait tant de déférence envers un pouvoir si lointain,
c'est qu'à certains troubles, à certaines agitations qu'il remarquait
autour de lui, il éprouvait des motifs d'appréhension ou d'inquiétude.
A la même époque, selon Hiouen Tsang, il revenait justement de
châtier un vassal rebelle, le prince de Kong-yu-tho, que Julien vou-
drait identifier avec Kongyoda (?) et qu'on croit être situé sur la côte
du Malabar (2). Et dans le temps même que Hiouen Tsang résidait à
l'université de Nâlandâ, il eut, dit-il, un songe qu'il rapporte complai-
samment, et qui a peut-être une signification symbolique (3).
« Lorsqu'il eut terminé cette étude, il fut transporté en songe dans
(1) Ma-Twan-Lin. Livre 338, fol. 14, traduit par Julien. J. A. 4me série, vol.
X, pp. 81, ss.
(2) H. T. vol. i, p. 23fi. Hiouen Tsang en donne une description où il le
décrit comme étant à quinze cents li de Kalinga.
(3) H. T. vol. i, p. 214.
Ô^
le couvent de Nâlandâ. Les cellules étaient vides et désertes, et les
cours, sales et infectes, étaient remplies de buffles qu'on y avait
attachés ; on n'y voyait plus ni religieux ni novices. Le maître de la
loi, étant entré par la porte occidentale de l'enceinte qu'avait fait
construire le roi Bâlâditya, vit, au quatrième étage d'une tour un
homme de couleur d'or, et dont le visage grave et sévère répandait
une lumière éclatante. Transporté d'une joie intérieu-re, il voulut
monter ; mais, ne trouvant aucune voie pour s'élever jusque là, il
pria ce saint personnage de daigner s'abaisser et de l'amener jusqu'à
lui. Celui-ci lui dit : « Je suis le Bodhisattva Maùjuçrï, vos péchés
passés ne vous permettent pas encore de venir «. Alors, étendant la
main et lui indiquant un point au-delà du couvent : « Regardez cela «,
lui dit-il. Le maître de la loi, suivant la direction de son doigt,
regarda dans le lointain, au-delà du couvent. Il vit un vaste incendie
qui dévorait les villages et les villes, et les eut bientôt réduits en
cendres. «< Bientôt «, lui dit le personnage de couleur d'or, « vous
reviendrez dans cet endroit. Dans dix ans d'ici, le roi Çïlâlitya doit
mourir. L'Inde entière sera en proie à des troubles affreux et des
hommes pervers se feront une guerre acharnée. Sou venez- vous bien
de mes paroles ».
Pendant le séjour même de Hiouen Tsang auprès de Harsa, un
complot éclata contre la vie du roi. C'étaient, au dire du pèlerin
chinois, les brahmanes qui en avaient été les instigateurs par jalousie
des faveurs que le roi accordait trop libéralement aux bouddhistes (1).
« En achevant ces mots, il (Harsa) suivit les rois et monta, du côté
de l'est, au haut du grand Stûpa. Arrivé sur le sommet, il promena
partout ses regards, puis il descendit les degrés. Mais tout à coup
un homme étrange courut à sa rencontre, un poignard à la main. Le
roi, vivement pressé, fit quelques pas en arrière et remonta l'escalier ;
puis se baissant, il saisit cet homme pour le livrer aux magistrats.
En ce moment, les magistrats, remplis de crainte et de trouble,
ne surent pas accourir à son secours. Tous les rois demandèrent
qu'on exterminât cet homme. Mais le roi Çîlâditya, sans laisser
percer dans ses traits la moindre colère, défendit qu'on le mît à mort.
Le roi lui-même l'interrogea en ces termes : « Quel mal vous ai-je
fait, pour que vous ayez commis un tel attentat » V
(1) H. T. vol. i, pp. 261-2.
- 56 —
« Grand roi », répondit-il, « votre bienfaisance est exempte de
partialité, et les hommes du dedans et du dehors vous doivent leur
bonheur ; mais moi, stupide que je suis, et incapable de former de
nobles projets, je me suis laissé entraîner par un mot des brahmanes.
Tout à coup, je suis devenu un assassin, et je me suis chargé
d'immoler Votre Majesté ».
Le roi lui dit : « Pourquoi les Brahmanes ont-ils formé ce coupable
dessein ? » .
« Sire », répondit-il, « après avoir réuni les princes de tous les
royaumes, vous avez vidé votre trésor et vos magasins pour honorer
les çramanas et faire fondre une statue du Buddha ; mais les brah-
manes, que vous avez fait venir de loin, n'ont reçu de Votre Majesté
aucune marque d'attention. Ils en ont ressenti une honte profonde,
et ont chargé l'insensé qui vous parle de commettre cet infâme
attentat » . Là-dessus le roi interrogea sévèrement les hérétiques et
leurs partisans. Il y avait cinq cents brahmanes, tous doués de talents
supérieurs, qui s'étaient rendus à l'appel du roi. Jaloux des çramanas,
que le roi avait comblés d'hommages, ils avaient lancé une flèche
incendiaire qui avait mis le feu à la tour précieuse. Ils espéraient
que, par suite des efforts qu'on ferait pour éteindre le feu, la foule
se disperserait en désordre, et ils voulaient profiter de ce moment
pour tuer le roi » .
Ainsi l'utilité d'une alliance avec la Chine devenait pour Harsa
de plus en plus indiscutable. Le retentissement que ses victoires
pouvaient avoir à l'extérieur ne rendait que plus douloureux à la
caste jalouse des brahmanes le haut patronage qu'il mesurait si peu
aux bouddhistes, et l'afiinité religieuse qu'il se sentait en commun
avec ce pays ne pouvait que le déterminer puissamment à rechercher
l'appui ou l'amitié de ces princes dont les sujets l'édifiaient par leurs
dévots pèlerinages.
Des difficultés non moins redoutables, quoique d'un autre ordre,
surgissaient aussi à la même époque chez le glorieux rival de Harsa,
Pulikeçin IL Les Pallavas, dont la capitale était Kâùcï (Conjevaram,
près Madras), les ennemis héréditaires des Câlukyas, relevaient la
tête et, aidés du prince singhalais Mânavarman, triomphaient de
l'empereur lui-môme. Le Pallava Narasimhavarman I" se fait gloire
d'avoir en 642 détruit Vâtâpï, la capitale des Câlukyas et d'avoir
— 57 —
en maintes batailles défait Pulikeçin (1). Peu après Pulikeçia II
mourait et avait comme successeur son fils favori (priyatanaya)
Vikramâditya I".
Déjà à la fin de l'année 643 arrivait dans le Magadha une nouvelle
ambassade chinoise dont les chefs étaient Li-y-piao et Wang hiuan-
ts'e ; ils reconduisaient dans l'Inde un brahmane qui avait proba-
blement été envoyé auprès de l'empereur de Chine à la suite des
entretiens de Harsa avec Hiouen Tsang. Le récit chinois en est
perdu, et c'est seulement grâce à Ma-Twan-Lin que nous en possédons
la relation qui suit : « Dès que l'envoyé chinois fut de retour, il entra
immédiatement dans le palais. Un nouveau décret chargea Li-yi-piao
d'aller porter au roi de Magadha la réponse de l'empereur.
« Les grands ofiiciers allèrent au-devant de lui, en dehors de la ville,
avec les habitants de la capitale et des villes voisines, qui affluaient
pour le voir et brûlaient des parfums sur son passage. Çïlâditya vint
lui-même, à la tête de ses ministres, et reçut le décret impérial, le
visage tourné vers l'orient. Il offrit de nouveau de l'ho-tsi (du mica
laminaire), du parfum appelé yo-kin et un arbre appelé bodhidruma
(l'arbre de l'intelligence, ficus religiosa) (2) ».
A peine Wang hiuan-ts'e était-il revenu en Chine qu'il fut chargé
d'une nouvelle mission motivée par les nouvelles que Hiouen Tsang
revenu en 645 avait rapportées. En 646 Wang hiuan-ts'e se mit en
route pour l'Inde accompagné de Tsian-Cheu-jen comme second
officier. Ce devait être la dernière mission envoyée vers Harsa.
Les relations de Harsa avec le Cachemire et le Népal sont restées
dans l'obscurité. D'après Hiouen Tsang, Harsa fit une invasion
dans le Cachemire pour s'emparer d'une dent du Buddha (3).
(1) Mahàvamça, chap. 47. (Wijesnpha, pp. 41, ss.) Mânavarman, prince
singlialais, vécut à la cour de Narasimhavarman et l'aida à battre son ennemi
le roi Valabha (c'est-à-dire Pulikeçin II). Pour le récompenser de son secours,
Narasimhavarman aida par deux fois Mânavarman à envahir l'ile de Ceylan ;
la deuxième fois seulement Mânavarman fut victorieux et il put dès loi-s
régner sur cette ile. Mais selon les dates du Mahàvamça, Mânavarman ne
vint régner à Ceylan qu'en G91. La date du Mahclvaniça est-elle erronée, ou
« le Valabha « en question était-il un autre que Pulikeçin II? Mais comme
les dates du Malua-amça ne sont pas rigoureuses à cinquante ou soixante
ans ])rès, il est presque certain que le « Valabha » et « Pulikeçin H » sont
identiques.
(2) Ma-Twan-Lin, livre 338, fol. 14, traduit par Julien. J. A. 4""^ série, vol. x,
p. 81.
(3) H. T. vol. i, p. 251.
— 58 —
Hiouen Tsang nous donne quelques détails intéressants sur le
Népal dans ses récits de voyage (1).
■ « Le roi est de la caste des Ksattriyas et appartient à la race des
Licchavis. Ses sentiments sont purs et sa science éminente. Il a une
foi sincère dans la loi du Buddha. Dans ces derniers temps, il y
avait un roi appelé Amçuvarman, qui se distinguait par la solidité
de son savoir et la sagacité de son esprit. Il avait composé lui-même
un traité sur la connaissance des sons (Çahdavldyâçâstra) ; il estimait
la science et respectait la vertu. Sa réputation était répandue en
tous lieux n .
Les dernières années du règne de Harsa sont fort ténébreuses. Elles
ont dû être mouvementées et troublées. Avant l'arrivée de Wang
hiuan-ts'e dans l'Inde (2), des troubles avaient éclaté, et le roi
Harsa était mort. Les circonstances de cette mort ne sont pas
claires, peut-être succomba-t-il sous la main d'un assassin. Le royaume
fut en proie à l'anarchie et un ministre de Harsa nommé Na-fou-ti
0-lo-na-choen (le senâpati Arjuna (?) ou peut-être Arunâçva (?)) se
saisit du trône. A l'approche de l'ambassade chinoise l'usurpateur
mit des troupes en campagne pour repousser Wang hiuan-ts'e.
La mission n'avait pour escorte que trente cavaliers ; elle ne put
triompher. Elle livra bataille, mais la partie n'était pas éga'e ; les
flèches une fois épuisées, tous furent faits prisonniers, et les Indiens
pillèrent les objets offerts en tribut par les royaumes. Wang hiuan-
ts'e s'échappa seul à la faveur de la nuit ; il courut à la frontière
occidentale, au T'oufan (au Tibet), et il appela aux armes les pays
voisins. Le T'oufan (sous Srong-btsan-sgam-po) fournit douze cents
soldats d'élite ; le Népal (sous Amçuvarman) lui amena sept mille
cavaliers pour lui servir d'escorte. Wang hiuan-ts'e, avec son second,
Cheu-jen, se mit à la tête des soldats des deux royaumes et s'avança
jusqu'à la ville de Cha-puo ho-lo (la capitale de l'Inde centrale) :
après trois jours de siège il la prit. Les pertes furent considérables ;
trois mille têtes furent coupées, dix mille personnes moururent dans
des noyades. 0-lo-na-choen, abandonnant le royaume, s'enfuit,
rassembla ses troupes dispersées et revint offrir bataille. Cheu-jen
(Ij H. T. vol. i, p. 407.
(2) S. Lévi. J. A. 1900, Les missions de Wang hiuan-ts'e en Inde.
— so-
le fit prisonnier, décapita raille personnes à la fois. Ceux qui avaient
la garde des femmes du roi, barrèrent le passage du fleuve K'ien-t'o-
wei (1). Cheu-jen les attaqua ; il y eut une grande mêlée. Il s'empara
des femmes et des fils du roi, une smala de douze mille personnes
avec toutes sortes d'animaux domestiques au nombre de trente mille.
Alors l'Inde trembla ; il reçut la soumission de cinq cent quatre-vingts
villes murées. Le roi de Tlnde orientale, Çiï Kumâra, envoya comme
cadeau trente mille pièces de bétail, bœufs et chevaux, pour appro-
visionner l'armée, et aussi des arcs, des sabres et des franges. Le
royaume de Kâmarïipa offrit des curiosités pour l'empereur, une
carte du pays, et demanda en don une image de Lao-tzeu. Hiuan-ts'e
emmena avec lui O-lo-na-choen et l'offrit humblement à l'empereur :
il était de retour à la capitale en 648. La victoire fut proclamée
officiellement et Hiuan-ts'e fut promu à un rang supérieur.
Voilà tout ce qu'on sait des événements qui entourent la fin de
Harsa. Qu'il mourut sans pouvoir laisser son royaume à son fils, ce
fait nous est prouvé par les récits chinois et par l'historien tibétain
Târanâtha qui dit : « Les rois Çrï Harsa, Çïlâ, Bharsa, etc. se tiennent
seuls dans l'histoire (2) », c'est-à-dire qu'ils n'eurent point pour suc-
cesseurs leurs enfants. Le lourd fardeau de l'empire que Harsa avait
su s'imposer et qu'il avait supporté pendant plus de quarante ans,
ne devait plus revenir sur les épaules d'un seul homme. L'empire
septentrional de Harsa se démolit avec rapidité et se décomposa en
royaumes fragmentaires pareils à ceux que Harsa avait jadis conquis
et groupés autour de lui. La mort de Harsa laisse leur libre essor à
une foule de petites dynasties locales et l'histoire de l'Inde n'offre
plus d'intérêt jusqu'à l'apparition des Musulmans. Au Magadha le
Gupta Âdityasena, fils de Mâdhavagupta, monta sur le trône, et le
Valabhî recouvra sou indépendance sous Dharasena IV. Le moment
approchait où l'Inde allait de nouveau tomber sous les coups d'un
adversaire étranger à l'Inde. Les Hïïnas barbares faisaient place à un
ennemi plus terrible, aux Arabes qui venaient d'allumer à l'autel de
Mahomet la torche du fanatisme militaire. Le demi-siècle pendant
lequel Harsa a occupé la scène historique avait été un moment unique
(1) M. L. D. Barnett suppose que K'ien t'o wei -= Gandhavaï = Gandhavatï.
(2) Târanâtha, tr. par A. Schiefner, p. 2.
~ 60 —
d'organisation et de création de grands empires. Tandis que dans
l'Inde même Harsa était le dernier empereur hindou de l'Hindous-
tan, tout autour de la péninsule se créaient de nouvelles puissances.
C'est alors que Mahomet paraît, que la Chine et que le Tibet s'orga-
nisent. A peine Harsa est-il mort que les premières razzias arabes
chevauchent à travers le Pendjab. A Kânyakubja, il est vrai qu'il se
constituera un empire assez puissant, mais ce ne sera que bien plus
tard à la fin du xii° siècle, et la suprématie en sera très contestée.
En somme, depuis Harsa jusqu'au temps de la domination anglaise,
il n'est pas possible de trouver dans l'Inde un empire qui englobe
autant de pays que celui qu'il avait pu constituer. Après lui personne
ne saura plus de longtemps grouper sous une même loi, sous un même
nom, tant de principautés remuantes et jalouses. Mais quel triomphe
éphémère ! Cet empire colossal ne dure que l'existence d'un homme
et ne lui survit pas d'un jour ; dès que s'est brisé le lien qui noue ce
faisceau de vassalités et d'alliances, chaque élément se dissocie et
revient à sa destinée primitive : éclatant témoignage que ce n'est pas
un homme seul, quel que soit son génie, quelle que soit sa fortune,
qui peut faire de l'Inde un tout politique, cohérent et conscient de sa
tâche : la vie politique de l'Inde n'aura pu dans l'histoire naître
et croître que sous la pression opiniâtre et méthodique d'un autre
peuple.
L'empire de Harsa s'est élevé, s'est développé et s'est écroulé trop
vite et trop brusquement pour qu'il nous soit resté de lui au moins
une constitution politique nettement et précisément délimitée. Malgré
les importantes observations de Hiouen Tsang, toute cette organi-
sation nous paraît un peu flottante. Harsa fut sans doute remarquable
par sa bienveillance pour ses administrés, par la protection éclairée
qu'il prodigua aux lettres, par la clémence de sa justice, mais il ne
semble pas qu'il ait su réunir solidement les divers éléments qui
constituaient son empire, il semble qu'il ait favorisé un état de choses
oii les liens de chacun envers la communauté étaient fort relâchés,
où le sens de la responsabilité et de la solidarité était nul, politique
peut-être fort avantageuse pour les hommes d'un jour qui peuvent en
jouir, mais en tout cas désastreuse pour les dynasties qui la prati-
quent. Aurait-il même tenté de suivre une autre ligne de conduite que
le résultat eût peut-être été le même : que peut une institution poli-
— 61 —
tique, si elle n'est sanctionnée, si elle n'est dès longtemps réclamée
par les mœurs, par les volontés de tous ? Rien du surprenant aussi
que la ruine de l'empire se soit précipitée avec taut de célérité.
Quels sont d'abord les titres de Harsa ? Dans ses inscriptions, il se
gratifie des épithètes de paramahMiklraha maJiâràjâdhirâja, (« le roi
suprême, le roi suprême des grands rois «), auxquelles avaient droit
déjà, selon lui, son père et son frère aîné. Dadda IV du Broach, en se
vantant de la résistance qu'il avait pu lui opposer, lui reconnaît le
titre de parameçvara (" empereur «), et c'est sous ce titre que Harsa
régnait sur ses vassaux. Lorsqu'il fut vaincu par Pulikeçin, le même
titre fut repris par Pulikeçin en conséquence de sa victoire.
En dehors de ces titres purement politiques, il ne serait pas sans
intérêt de voir quelles épithètes lui furent appliquées par le poète
Bâna. Il lui octroie les titres de Gakravartin (empereur), Catulisa-
mudrâdhipatl (souverain des quatre océans), Maliâràjâdhiraja (roi
suprême des grands rois), Parameçvara (empereur), Frtlivipati
(seigneur de la terre), Sarvadv'ipahlmj (maître de tous les continents).
Quant à la propre personne du roi, Bâna nous en dit tant dans son
langage poétique qu'il est difficile de savoir au juste ce que valent les
faits chez un tel amplificateur. Hiouen Tsang, qui n'écrit pas pour
flatter ni des vivants ni des morts, consigne dans ses notes que le roi
« est doué d'une belle figure et d'une taille imposante « (1).
Cette majesté naturelle prenait encore plus d'éclat au milieu de la
cour brillante que Harsa savait entretenir autour de lui. II est assez
facile de se représenter quel pouvait être le faste de cette cour
orientale où le prince avait réuni les beautés les plus séduisantes de
son empire avec ce que les lettres comptaient de plus distingué. Par
une heureuse chance, nous possédons les impressions que ressentit un
grand poète lors de sa première visite à la cour. Bâna nous a laissé
un tableau exact de ce que ses yeux ravis découvrirent, quand pour
la première fois il aborda son souverain, et c'est ainsi qu'il le dépeint
à ses parents :
« Le camp était rempli de tous les côtés de vassaux, ennemis et
vaincus honorés bien que vaincus, ils n'avaient pas d'autre
refuge ; sans cesse ils adressaient leur requête aux divers domestiques
des concierges de l'intérieur, qui de tenjps en temps allaient et
(1) H. T. vol. i, p. 111.
— 0^2 —
venaient et dont les pas étaient suivis par des milliers de suppliants :
« Mon cher, est-ce que ce sera pour aujourd'hui »? « Le grand
seigneur daignera-t-il donner audience dans la salle après dîner » ?
«Ou viendra-t-il dans la cour extérieure», et c'est ainsi qu'ils
passaient la journée dans l'espoir d'une audience.
Il y avait aussi d'autres rois, qui désiraient sa gloire, des gens
originaires de divers pays, qui attendaient le temps où il serait visible.
Il y avait aussi assis tous seuls des Jainas, des Ârhatas, des Pâçupatas,
des étudiants brahmanes, des gens venus de tous pays, des sauvages
de toutes les forêts qui frangent les bords de la mer, des ambassadeurs
de tous les pays étrangers » (1).
« Suivant le chemin indiqué par le portier (2), il passa à travers
trois cours remplies de rois vassaux, et dans la quatrième il vit le
roi Harsa, assis devant un pavillon oii il donnait audience après le
dîner ; il était entouré de loin par ses serviteurs en ligne, tous
hauts de six pieds, beaux comme les fleurs Karnikâra, en armes et
descendus de vieilles familles, comme d'autant de piliers dorés ; ses
favoris étaient près de lui. Il était assis sur un trône de pierre » (3)....
Et ce trône de pierre est pour Bâna un nouveau thème de description
où nous le laisserons s'escrimer de son mieux avec les règles de la
technique littéraire.
Le premier rang après l'empereur appartenait dans la maison
impériale à la Mahâdevï. Celle-ci par sa position même avait la préro-
gative dans tout le palais. Pour avoir une idée exacte du rôle de
la Mahâdevï, nous pouvons nous reporter directement aux paroles
de la Mabâdevî de Prabhâkaravardhana. Bien que par l'intermédiaire
de Brina elles aient pu s'enjoliver quelque peu, nous y trouverons assez
justement quelle opinion se faisait d'elle-même cette princesse.
Yaçomatï (4), la mère (5) de Harsa, avant de se jeter dans le feu,
(1) H. C. p. 67.
(2) H. C. p. 77.
(3) Hiouen Tsang, qui a été aussi émerveillé par le trône de Harsa, nous
dit à ce sujet : « Le trône du roi est remarquable par son élévation et sa
largeur, et est tout parsemé de perles. On l'appelle le Siège du lion (Simhâ-
sana). Il est couvert d'une pièce de coton extrêmement fin, il a pour marche-
pied un riche escabeau ». (H. T. vol. ii, p. 67).
(4) H. C. p. 186.
(5) Nous avons un récit de ses vertus, H. C. p. 134.
— 65 -
adresse le dernier adieu à son fils. Avec des paroles pleines d'une
noble fierté, elle lui dit l'impossibilité de vivre sans son mari, le roi
Prabhâkaravardhana :
« Je suis la fille d'une noble maison, née d'ancêtres sans tache, la
vertu est ma dot. As-tu oublié que c'est moi qui suis l'épouse, la
lionne d'un grand héros, qui, comme le lion, faisait ses délices de
cent batailles ? Fille, épouse, mère de héros, de quelle autre façon
pourrais-je agir, moi, dont le prix était la bravoure ? Cette main a
été serrée par un héros, ton père, chef parmi les princes, pair de
Bharata, de Bhagïratha et de Nâbhâga. Sur cette tête les épouses
soumises de vassaux sans nombre ont versé de leurs aiguières d'or
l'eau du sacre. Ce front, qui a mérité l'honneur du bandeau de Mahâ-
devî, a joui d'une chose presque inaccessible au désir même J'ai
dépensé ma provision de bonnes œuvres, qu'ai-je de plus à attendre ?
Je voudrais mourir avant de devenir veuve ».
Nous n'avons point de documents sur la personne de la Mahâdevï
de Harsa. Nons ignorons même son nom. Mais nous savons qu'elle a
existé réellement par une allusion contenue dans le Harsacarita.
Lorsque Râjyavardhana s'en va combattre contre le roi du Mâlava, il
refuse de prendre avec lui le jeune prince, son frère. Harsa lui dit
alors (1) : « Si vous voulez que je protège ma femme, alors la gloire
(Çrï) demeure près de votre sabre » .
Nous ne savons pas grand chose non plus des enfants de Harsa.
Son fils Kumâra (titre donné au successeur au trône, comme celui
de « Dauphin »), nous est connu par un jeu de mots de Bâna (2). De
plus nous savons que Kumâra avait une fille mariée au roi Dhru-
vasena H du Valabhî (3). Kumâra n'eut pas la bonne chance de
succéder à son père. Mourut-il avant son père, c'est-à-dire avant 648,
ou tomba-t-il peut-être sous le poignard des assassins pendant les
troubles qui suivirent la mort de Harsa en 648, nous l'ignorons
complètement. Târanâtha nous a déjà confirmé que Harsa n'eut pas
son fils comme successeur (4).
Pour ce qui est de l'administration de Harsa et de ses relations
(1) H. C. p. 20G.
(2) H. C. p. 105.
(3) H. T. vol. iii, p. 163.
(4) Târanâtha, tr. par A. Schiefner, p. 2.
— 64. —
avec ses vassaux, les indications des inscriptions à ce sujet sont si
sommaires que nous ne pouvons guère les utiliser. Il nous faut encore
avoir recours à Hiouen Tsang, qui n'a pas manqué d'être frappé de
l'activité personnelle du monarque tant dans l'administration politique
que dans la conduite des affaires religieuses. Comme tous les grands
princes, il était infatigable, partageant toutes ses journées entre les
affaires spirituelles et temporelles :
« 11 divisait chaque jour en trois parties. Dans la première, il
s'occupait des affaires publiques et du gouvernement ; dans la seconde,
il s'appliquait à des actes méritoires et cultivait le bien avec un zèle
infatigable ; le jour entier ne lui suffisait pas (1) ».
Il n'abandonnait pas le sort de ses sujets aux soins de ses gouver-
neurs, il ne les livrait pas à la discrétion de ses propres commis, mais
il aimait au contraire à faire des tournées, des inspections personnelles
et à promener partout l'œil du maître à qui rien n'échappe :
« Souvent, il visitait lui-même ses domaines et observait les
mœurs des habitants. Il n'avait nulle part une résidence fixe ; partout
oii il s'arrêtait, il faisait construire une cabane et y demeurait.
Mais dans les trois mois de la saison des pluies, il suspendait ses
excursions (2) ».
Non content de punir les méfaits de ceux qui abusaient de leur
autorité, il aimait encore à récompenser les hommes justes et probes.
Il allait même jusqu'à leur faire l'extrême honneur de les inviter à
prendre place sur son propre trône, le « trône du lion » :
« Lorsque les petits rois des royaumes voisins, leurs ministres et
leurs grands officiers pratiquaient le bien sans relâche et cherchaient
la vertu avec un zèle infatigable, il les conduisait par la main, les
faisait asseoir sur son trône et les appelait ses bons amis. Quant à
ceux qui tenaient une conduite différente, il dédaignait de leur parler
en face (3) ».
Ainsi ne point se déterminer par des ouï-dire et se rendre compte
de tout par soi-même paraît avoir été un de ses principes de conduite :
même lorsque d'autres affaires le retenaient ailleurs, il n'oubliait
(1) H. T. vol. ii, p. 254.
(2) H. T. vol. ii, p. 253.
(3) H. T. vol. ii, p. 253.
— 65 —
jamais l'intérêt de ses sujets et avait recours à des intermédiaires
qui le renseignaient au jour le jour : « S'il avait besoin de consulter
quelqu'un sur une aôaire, il se mettait en rapport avec lui par un
échange continuel de courriers (1) ». C'est, semble-t-il, un fait
constant que Harsa se soit maintenu en rapports réguliers avec ses
administrés par des services de courriers. Un passage de Hiouen
Tsang qui relate les précautions prises à son départ de l'Inde, atteste
l'existence d'une centralisation des affaires assez fortement établie
pour qu'elle ait nécessité l'emploi de fonctionnaires spéciaux chargés
de relier à la tête les différents membres de l'empire.
« Il envoya, en outre, (avec Hiouen Tsang) quatre Ta-Kouan
(conducteurs officiels) qu'on appelait Mahâtâras. Il écrivit des lettres
sur des pièces de coton blanc et, les ayant cachetées avec de la cire
rouge, il ordonna aux Ta-Kouan de conduire le maître de la loi et
de présenter ces lettres dans tous les royaumes oii il passerait, afin
que chaque prince lui fournît successivement des chars pour le
conduire jusqu'aux frontières de la Chine » (2).
Ce n'est sans doute pas un de ses moindres mérites qu'il ait pu,
contrairement à l'habitude des rois, tenir un rôle actif dans l'admi-
nistration pratique de son empire, en même temps qu'il savait
s'élever au-dessus des menus détails des affaires journalières.
Quel était du reste le fonctionnement des rouages administratifs,
quels étaient ces rouages eux-mêmes, comment les ordres se trans-
mettaient du pouvoir central jusqu'au dernier des fonctionnaires,
quelle était enfin l'organisation détaillée de cet empire de l'Inde
septentrionale, les éléments nous manquent presque absolument
pour répoudre à cette question. A part l'intervention méthodique,
personnelle et constante du roi, nous ne connaissons rien des autres
principes de cette administration. La division et la subdivision du
pays en provinces de diverse importance est un fait certain, mais les
inscriptions qui la signalent ne se sont jamais donné pour but de
dresser un tableau et un inventaire complet de toutes les divisions
administratives (3). Les hhuMi se répartissaient en visaya et ceux-ci
(1) H. T. vol. ii, p. 253.
(2) H. T. vol. i, p. 260.
(3) Signalons en passant que le nom d'un des fonctionnaires de Harsa, et
non des moindres, semblerait-il, nous a été conservé par une inscription sur
5
— 66 —
en villages, mais quelles étaient les taxes payables au roi et les
corvées, on ne peut le préciser à cause du manque total d'informations.
L'inscription de iVIadhuban donne la formule d'une donation de
territoire aux brahmanes, y compris l'exemption de tous droits ou
redevances, et reste comme un témoignage d'un état social qui a dû
être très voisin do la féodalité et où une hiérarchie de propriétaires
territoriaux recevait l'investiture du roi suprême pour la transmettre
à tous les degrés aux vassaux inférieurs.
« Le paramabliaUaraka mahârâjâdhiràja Harsa publie cette ordon-
nance pour les 3Ia]u(samantas (grands vassaux), Maharajas (grands
rois), DauhsâdhasâdJianikas (préfets), Framâtàras (fonctionnaires),
Bajasthamyas (vice-rois), Kumaramâtyas (ministres inférieurs),
Uparikas (surveillants), Visayapatis (gouverneurs de provinces),
soldats réguliers et irréguliers, serviteurs, et autres, assemblés dans
le village de Somakundakâ appartenant au visaya Kundadhânï de la
Wmliti Çrâvastï, et au peuple y demeurant j'ai donné
en manière de don aux brahmanes comme un agrahara s'étendant
à ses propres bornes, y compris Vudrahga avec tous les revenus que
pouvait réclamer la famille du roi, franc de toute obligation, comme
un morceau ôté du district auquel il appartient, afin qu'il observe
les successions de fils et de petit- fils, pour aussi longtemps que la lune,
le soleil, et la terre existeront, selon la maxime de hhâmicchidra (1)
au Sachant ceci vous devez en convenir, et les gens
qui y habitent, se tenant prêts à obéir à mes ordonnances, doivent
payer à ces deux (brahmanes) le fulya-meya, la part du produit, les
payements en argent, et autres sortes de revenus, aussitôt qu'on doit
les payer, et doivent leur rendre service ».
Ces documents, donations et autres, étaient gravés d'ordinaire sur
pierre trouvée en 1875 à Kudârkot dans le district Itawâ des Provinces du
Nord-ouest (E. I. vol. il, p. 179,'.
« Il y avait un personnage nommé l'illustre Haridatta, fameux comme un
second Hari, qui bien qu'élevé à l'éminence par l'illustre Harsa ne quitta pas
son caractère excellent «. S'agit-il ici d'un ministre du roi, d'un gouverneur
de province, ou peut-être, malgré les flatteries de l'inscription, d'un person-
nage de moindre importance, il est impossible de le savoir, et le nom ne se
trouve nulle part ailleurs en relation avec celui de Harsa.
(1) Au moyen du bhU.micchidranyâya, le locataire a les mêmes droits que
s'il avait été le premier propriétaire du terrain.
• — 67 —
des plaques de cuivre auxquelles ou attachait le sceau du roi, tel, par
exemple, celui que uous avons de Harsa sous le nom de Sceau de
Sonpat. Les plaques étaient copiées probablement par les archivistes
(aksapatalika) et le double en était gardé par eux dans un bureau
central. Ce n'était pas au surplus la seule fonction de ces archivistes :
ils rédigeaient aussi les annales de l'empire et étaient de véritables
historiographes à la solde du roi. « Des fonctionnaires spéciaux »,
dit Hiouen Tsang, « sont chargés de consigner, par écrit, les paroles
mémorables ; d'autres ont mission d'écrire le récit des événements ».
« Le recueil d'annales et d'édits royaux s'appelle Ni-lo-pi-ch'a
(Nîlapita). On y mentionne le bien et le mal, les calamités et les
présages heureux (1) ».
La tradition rapporte que Harsa ne taxait pas trop fortement ses
sujets ; Alberuni dit à ce propos (2) : « Les Indiens croient que Çrï
Harsa faisait fouiller la terre et cherchait ce qui pouvait se trouver
dans le sol en fait d'anciens trésors et de richesses enfouies ; il faisait
enlever ces richesses et pouvait par ce moyen s'abstenir de pressurer
ses sujets ». Ces fouilles archéologiques étaient-elles suffisantes
pour équilibrer le budget de Harsa et produisaient-elles assez pour
entretenir notamment la formidable armée qui lui avait assuré la
suprématie? Non, sans doute, mais les lignes d' Alberuni n'en
demeurent pas moins comme une attestation de la bienveillance de
Harsa à l'égard de ses contribuables, et ce prince qui profite des
revenus les plus extraordinaires de ses domaines pour en diminuer
d'autant les impôts de ses sujets mériterait à bon droit d'être donné
en exemple aux surintendants des finances du monde entier. Tous
les auteurs s'accordent à louer cette administration vraiment pater-
nelle. Bâna dit par exemple (3) :
« Seuls les sectateurs de la doctrine Mîmânisâ réfléchissent à des
problèmes dans l'administration de la justice (adhikarana) pendant
qu'ils examinent les « Adhikaranas », ou « causes de discussion »
dans leur système » .
Hiouen Tsang (4) est revenu tout à fait enthousiasme de ce
(1) H. T. vol. ii, p. 72.
(2) Reinaud, Fragments arabes et persans^ p. 139.
(3) H. C. p. 86.
(4) H. T. vol. ii, p. 90.
— 68 —
gouvernement quasi patriarcal qui ne courbe pas le monde des î
travailleurs sous la main de fer de l'impôt, qui fait volontiers appel
au concours de chacun, compte sur les bonnes volontés, et répartit
les taxes sans avarice ec les perçoit sans esprit d'usure. Il
« Comme tous les règlements administratifs respirent la bienveil-ï
lance, les affaires de l'État sont peu compliquées. Les familles ne
sont point portées sur des registres civils, et les hommes ne sont;
assujettis à aucunes corvées. Le produit des terres de la couronne s
divise en quatre parts. La première sert à fournir aux dépenses du
royaume et aux grains des sacrifices ; la seconde, à constituer des j
fiefs aux ministres et aux membres du conseil d'État ; la troisième, à t
récompenser les hommes qui se distinguent par leur intelligence, leur
savoir et leurs talents ; la quatrième part sert à cultiver le champ de ,
bonheur (1) et à donner des aumônes aux diverses sectes hérétiques.
C'est pourquoi les taxes sont légères et les impôts modérés. Chacun
garde en paix l'héritage de ses pères, tous cultivent la terre pour se
nourrir. Ils empruntent des semailles au champ du roi et payent, en
tribut, la sixième partie de leur récolte. Les marchands, qui poursui-
vent le lucre, vont et viennent pour leur négoce. Aux gués des
rivières, aux barrières des chemins, on passe après avoir payé une
légère taxe. Lorsque le roi entreprend quelque construction, il n'oblige
pas ses sujets à travailler gratuitement, il leur donne un juste salaire
proportionné au travail qu'ils ont fait.
Les militaires gardent les frontières ou vont combattre l'ennemi ;
d'autres montent la garde, la nuit, dans les postes du palais. On lève
des soldats suivant les besoins de service ; on leur promet des
récompenses, et l'on attend qu'ils viennent s'enrôler. Les gouverneurs,
les ministres, les magistrats et les employés reçoivent chacun une
certaine quantité de terres et vivent de leur produit ».
(1) Suivant le Dictionnaire bouddhique San-tsang-fa-sou (livre vii, fol. 22-
24), l'expression « cultiver le champ du bonheur » signifie faire de bonnes
œuvres, par exemple, offrir aux dieux toutes sortes de parfums, parer riche-|
ment leurs statues, faire résonner en leur honneur une musique harmo-
nieuse ; voilà pour les riches. Les pauvres peuvent se contenter de témoigner!
leur respect aux ti'ois Précieux, aux religieux, à leur pèi'e et à leur mère.
Par là, on obtient le bonheur, de même qu'en cultivant un champ avec
ardeur on peut obtenir' une abondante moisson. (Cf. ibid. liv. xi, fol. 20 v°)
(Julien).
~ 69 —
On conçoit qu'une pareille organisation soit produite par des mœurs
lonnêtes, on serait même presque tenté de la reporter aux temps
leureux de l'âge d'or. La vertu toutefois n'y était pas si générale
[u'elle rendît inutile l'exercice de la justice et les criminels étaient
hâtiés d'après un code assez simple et assez primitif. Écoutons encore
a parole autorisée de Hiouen Tsang (1) :
« Quoique les Indiens soient d'un naturel léger, ils se distinguent
)ar la droiture et l'honnêteté de leur caractère. En fait de richesses,
Is ne prennent jamais rien indûment ; en fait de justice, ils font des
•-oncessions excessives. Ils redoutent les châtiments de l'autre vie et
ont peu de cas des professions industrielles. Ils ne se livrent point au
loi ni à la fraude et sont fidèles à leurs promesses et à leurs serments,
^a droiture est le trait dominant de l'administration ; les mœurs sont
louces et faciles. Quant aux hommes méchants et rebelles, qui ont
transgressé les lois du royaume ou qui ont conspiré contre le roi,
lorsque leurs actes coupables ont été mis en évidence, on les enferme
pour toujours dans une prison, mais on ne leur inflige pas de peine
îorporelle. On les laisse vivre ou mourir, et on ne les compte plus au
lombre des hommes. Si quelqu'un viole les rites et la justice, s'il
nanque à la fidélité ou à la piété filiale, on lui coupe tantôt le nez ou
.es oreilles, tantôt les mains ou les pieds. Quelquefois on l'expulse du
oyaume, ou bien on l'exile chez les barbares des frontières. Pour ce
jui regarde les autres délits, on peut racheter sa peine avec de
'argent. Dans une affaire criminelle, pour obtenir des aveux, on n'a
ecours ni aux verges ni au bâton. Si l'on interroge le prévenu et qu'il
•éponde avec franchise, on proportionne la peine au délit. Mais s'il
lie obstinément son crime, ou que, honteux de sa faute, il cherche à
a pallier, lorsqu'on veut découvrir la vérité et qu'on a besoin de
irononcer une sentence, la justice possède quatre moyens, savoir :
'eau, le feu, le pesage et le poison.
Pour l'épreuve de l'eau, on met l'accusé et une pierre dans deux
sacs réunis ensemble, et on les jette dans un cours d'eau profonde ;
.'on reconnaît alors son innocence ou sa culpabilité. Si l'homme
nfonce et que la pierre surnage, il est reconnu coupable ; si l'homme
[lotte et que la pierre enfonce, on voit qu'il est innocent.
(1) H. T. vol. ii, p. 83.
— 70 -
Pour l'épreuve du feu, on fait rougir un morceau de fer et on
ordonne au prévenu de s'asseoir dessus, puis d'y appliquer la plante
des pieds et la paume des mains ; de plus, il faut qu'il y passe la
langue. Si l'accusation est fausse, il ne ressent aucun mal, si elle est
fondée, il éprouve des brûlures. 11 y a des hommes mous et timides
qui sont incapables d'endurer la chaleur du feu. Ils prennent dans
leurs mains des fleurs qui ne sont pas encore écloses et les jettent sur I
la flamme. Si l'accusation est fausse, les fleurs s'épanouissent ; si
elle est fondée, les fleurs sont à l'instant grillées.
Pour l'épreuve par le pesage, on met un homme et une pierre dans
les deux plateaux d'une balance, et l'on tire la preuve de la légèreté
ou de la pesanteur. Si l'accusation est fausse, l'homme tombe en bas
et la pierre remonte ; si elle est vraie, le poids de la pierre emporte
celui de l'homme.
Pour l'épreuve par le poison, on prend un bélier et on lui fend la
cuisse droite ; puis, on répand divers poisons sur une portion des
aliments que mange le prévenu, et on l'insère dans l'ouverture qu'on
a pratiquée. Si l'accusation est fondée, le poison produit son effet et
l'animal meurt. Si, au contraire, elle est fausse, le poison perd sa
force et il conserve la vie.
Au moyen de ces quatre épreuves, on ferme la voie de tous les
crimes ».
C'est encore Hiouen Tsang qu'il faut consulter sur l'organisation
militaire dans le royaume de Harsa (1).
« Les soldats du royaume sont choisis parmi les plus braves, et,
comme les flls suivent la profession de leur père, ils acquièrent
bientôt toute la science de la guerre. En temps de paix, ils montent
la garde dans les postes qui entourent le palais. En campagne, ils
forment des compagnies légères qui marchent à l'avant-garde.
L'armée se compose de quatre corps différents : l'iofanterie (Patta-
kâya), la cavalerie (Açvakâya), les chars (Rathakâya) et les éléphants
(Hastikâya). Les éléphants sont couverts d'épaisses cuirasses, et on
arme leurs défenses de pointes aiguës. Un général, monté sur un
char, est chargé du commandement ; deux soldats, placés à gauche
et à droite, lui servent de cochers. Son char est attelé de quatre
chevaux. Le général des troupes est monté sur un char ; deux lignes
(1) H. T. vol. il, p. 81.
— 71 —
de soldats, forment son escorte et sa défense, ils marchent tout près
des roues.
Les cavaliers se répandent autour de lui pour repousser l'ennemi ;
en cas de défaite, leurs rapides coursiers les dérobent à la mort. Le
corps d'infanterie, par sa légèreté, contribue puissamment à la
défense. On choisit pour ce service les hommes les plus hardis et
les plus vaillants. Armés d'un grand bouclier et d'une longue lance,
et quelquefois d'un sabre ou d'une épée, ils s'élancent impétueuse-
ment à l'avant-garde. Toutes leurs armes de guerre sont piquantes
ou tranchantes. Celles qu'on appelle lance, bouclier, arc, flèche,
sabre, épée, grande et petite hache, lance courte, tch'ou (1), longue
pique, fronde, etc., leur sont familières depuis des siècles ».
Ce qui doit se dégager de cette trop sommaire étude de la constitu-
tion politique et administrative de l'empire de Harsa, c'est que bien
des éléments nous manquent pour la décrire dans tous ses détails.
A défaut d'informations précises chez nos sources habituelles, nous
sommes réduits à des généralités. Deux faits semblent toutefois s'en
dégager ; c'est d'une part la participation personnelle de Harsa
aux affaires de l'État et d'autre part l'aide qu'il rencontra dans les
mœurs mêmes et les préjugés de ses sujets. Harsa, ce semble, n'a
pas eu besoin d'innover, il ne s'est pas appliqué, par exemple, à
donner à son peuple un code nouveau de justice, à fixer de nouvelles
lois pour le recrutement de son armée ; il n'a fait que profiter d'un
état de choses qui existait antérieurement à lui. Mais il n'a pas
gouverné seulement avec l'aide de ces mœurs ; il ne s'est pas borné
à un laisser faire absolu ; il s'est au contraire continuellement mêlé
à l'administration pratique de ses vastes territoires. Son activité était
telle que Bâna et Hiouen Tsang n'ont pas daigné nommer à côté
de lui ses conseillers habituels ; il n'a pas eu de premier ministre
sur qui se reposer, et il a été capable pendant tout son long règne de
concentrer en lui toutes les affaires de l'État. Ainsi se complète cette
figure intelligente et supérieure d'un homme qui s'est taillé, avec ses
propres forces, un vaste royaume et qui ensuite a pu l'administrer en
laissant le renom d'un prince bienveillant, juste et aimé de ses
peuples.
(1) Suivant Khang-hi, le tch'ou était un bâton, long de douze pieds, et sans
fer de lance. 11 était destiné à repousser l'ennemi et à le tenir à distance.
(Julien).
CHAPITRE II.
La religion sous Harsa.
Si Harsa s'est efforcé de reconstituer l'unité politique de l'Inde, il
ne semble pas avoir jamais été tenté d'établir dans son empire l'unité
religieuse. En effet, trois religions se disputent ses faveurs, et il ne
se fait pas faute de répondre à leurs avances. C'est le brahmanisme,
le bouddhisme et lejainisme.Pour le brahmanisme et le bouddhisme,
nous avons l'aide importante de deux de nos sources antérieures :
Bâna et Hiouen Tsang se tiennent à nos côtés pour nous montrer
la même question sous deux faces. Le Harsacarita nous dépeint
l'état religieux tel que se le représente un brahmane qui appartient
à une famille des plus orthodoxes, tandis que dans la Vie et les
Mémoires de Hiouen Tsang sont enregistrées les impressions qu'un
pèlerin bouddhiste de Chine emportait de la terre hindoue.
Bâna au commencement de son œuvre fait son autobiographie, nous
retrace la vie du jeune religieux sur le seuil de la vie et fait défiler
à nos yeux toute la série de ses compagnons de plaisir. Bâna perd sa
mère en bas âge et se trouve sous l'influence directe de son père.
A quatorze ans, ayant passé par l'initiation et les autres rites, il
quitte la maison de son maître et rentre à la maison paternelle.
Alors il perd brusquement son père, demeure quelque temps dans
un grand deuil, puis se met à s'amuser sans vergogne.
« Il fréquente deux frères, fils d'un brahmane et d'une femme
çûdra, un chansonnier, deux amis intimes, deux précepteurs, un poète
descriptif, un jeune noble qui fut poète prâkrt, deux panégyristes, une
ascète veuve (femme de mauvaise renommée en Inde), un charmeur
de serpents, un porteur de bétel, un homme médecin, un lecteur, un
orfèvre, un surveillant des orfèvres, un écrivain, un peintre, un
modeleur, un tambour, deux chanteurs, une femme de chambre, deux
musiciens, un maître de musique, un masseur, un danseur, un joueur
— 73 —
de dés, un jeune acteur, une danseuse, un mendiant, un moine jaina,
un conteur, un dévot çivaïte, un magicien, un chercheur de trésors, un
essaj^eur, un potier, un escamoteur, un mendiant brahmane ».
C'est dans cette compagnie singulière qu'il se met à voyager ;
chemin faisant il trouve la sagesse, songe à mener une vie plus calme
et au bout de plusieurs années il revient à la maison. Avec quel plai-
sir il retrouvait la quiétude du foyer domestique, lui-même nous le dit
dans une page où la dévotion s'unit à la poésie. Bâna se promenait
tranquillement dans la demeure paternelle qu'il revoyait après une
longue absence :
« Elle résonnait du bruit des récitations continuelles, était rem-
plie déjeunes étudiants qui, attirés par les sacrifices, couraient ça
et là comme autant de flammes avec leurs longues tresses rouges et
leurs fronts blancs marqués de cendre ; les terrasses au-devant des
portes étaient vertes des petits parterres d'herbe sotna que rafraî-
chissait un récent arrosage, le riz et le panicum, des gâteaux
de sacrifice étaient à sécher étalés sur des peaux d'antilope noire ;
des oblations de riz sauvage étaient semées par les jeunes filles ;
combustible, feuilles, paquets d'herbe hiça verte étaient apportés
par des centaines de disciples purs ; partout des monceaux de bouse
et de combustible ; les terrasses couvertes des cours étaient marquées
du sabot rond des vaches qui revenaient pour les offrandes quoti-
diennes, distillaient le lait dont on faisait le caillé (1) ; des troupes
d'ascètes s'occupaient à écraser l'argile pour des vases ; les limites
sacrées étaient purifiées par des monceaux de branches à'ndumhara,
apportées pour faire des chevilles à marquer les autels dans les trois
feux du sacrifice ; le sol était blanc sous les lignes d'offrandes aux
Viçve Devâh ; les branches des arbres de la cour s'embrumaient de
la fumée des oblations ; les veaux folâtres bondissaient caressés par
les jeunes vachers ; les chevrettes mouchetées qui s'ébattaient
annonçaient une succession de sacrifices d'animaux ; c'était toute
paix pendant la cessation des travaux des maîtres brahmanes, et
cependant perroquets et marnas commençaient en hâte des récitations ;
c'était dans cette maison comme autant d'ermitages pour les trois
Vedas incarnés ».
Le jeune Bâna fut appelé à la cour de Harsa et dut quitter ces
tranquilles parages. Envers Harsa il s'excuse de ses jeunes folies.
(1) On se servait du lait caillé pour l'oblation Vaiçvadcva.
— 74 —
par l'iavocation de ses devoirs de brahmane tous accomplis. « Je
suis brahmane r, dit-il, « né dans la famille des Vâtsyâyanas, buveurs
de soma. Chaque cérémonie au temps marqué fut soigneusement
exécutée, commençant par l'initiation avec le fil sacré. J'ai étudié le
Veda complètement avec ses six Aiigas, et autant qu'il me fut possible,
j'ai entendu des conférences sur les Castras ; dès mou mariage j'ai
été un chef de maison diligent » . Voilà les vertus sur lesquels se fonde
Bâna pour faire excuser la coupable négligence de sa jeunesse. Après
avoir goûté de la faveur royale, Bâna revient un jour parmi les siens.
Les questions qu'il leur fait au. moment de son arrivée, laissent
deviner quelles étaient alors les occupations paisibles des brahmanes
campagnards : « Avez-vous été heureux tout le temps ? Le sacrifice
se poursuit-il sans entrave, contente-t-il les groupes de brahmanes
par son exécution irréprochable ? Les feux dévorent-ils les oblatious
selon le rituel accompli dûment et sans faute ? Les élèves font-ils
leurs études aux temps prescrits ? Y a-t-il tous les jours la même
application non interrompue au Veda ? Le même sérieux à l'exercice
de l'art du sacrifice ? Y a-t-il les mêmes classes pour l'exposition de
la grammaire, le respect se montre-t-il toujours à ne point passer de
jours inutiles dans une série de discussions jalouses ? Y a-t-il la même
société pour la logique, inattentive à toutes les autres occupations,
la même joie excessive dans la Mïmâmsâ, bornant tout plaisir aux
autres livres d'autorité ? Y'^ a-t-il les mêmes adresses poétiques,
répandant une ambroisie de phrases toujours nouvelles » ?
Bien que la vie ordinaire du brahmane fût assez semblable à celle
que nous décrit Bâna, il ne faut pas oublier quelles étaient les diffé-
rences intérieures du brahmanisme. Tout d'abord, les sectateurs du
brahmanisme se divisent en quatre castes, les Brahmanes (prêtres),
les Ksatriyas (guerriers et roisj, les Vaiçyas (marchands), les Çûdras
(le bas peuple).
Dans la première caste nous avons encore quatre divisions, les
brahmanes se classifiant par le Veda qu'ils étudiaient. Ainsi on a
des Rgvelins, des Sâmavedins, etc. De plus, chaque Veda avait
plusieurs écoles. Donc même dans le brahmanisme orthodoxe secta-
teur du Veda, on trouve une foule d'écoles différentes. On verra dans
les donations de Harsa aux brahmanes des indices de l'école à laquelle
ils appartenaient (Appendice I). Au surplus, la philosophie divisait
encore les disciples d'une même école. Ainsi nous voilà en face d'un
-^ 75 —
tableau des plus complexes et qui ne comprend pourtant que les
fidèles d'une des trois grandes religions. Les brahmanes se divisent
encore en deux groupes : les dévots de Visnu et ceux de Çiva. Mais
ces dieux étaient plutôt des divinités favorites et personnelles que
les objets d'un culte exclusif, et leur culte ne faisait ni mépriser ni
négliger les autres dieux du Panthéon hindou.
Le bouddhisme, religion qui au début était d'une grande simplicité,
se trouvait alors divisé en deux grandes écoles : le petit Véhicule
(Hïnayâna), et le grand Véhicule (Mahâyâna).
« Le Hïnayâna fut la doctrine à laquelle tous les couvents de l'Inde
demeurèrent attachés jusque vers le premier siècle de l'ère actuelle.
A partir de cette époque, la religion se modifia, d'abord dans le nord,
puis dans le Bengale. Le Hïnayâna resta toujours prépondérant à
Ceylan et dans le Dekkan. Le bouddhisme du nord ou Mahâyâna
commença à étendre son influence à partir du concile de Peshawar
où ou admit plusieurs de ses doctrines ; au concile de Kanauj
le Hïnayâna fut définitivement condamné (1) ».
La différence entre les deux doctrines n'est pas bien grande et
elle est assez difficile à définir.
Dans VEsquisse du Malmyâna, par S. Kuroda qui fut présentée
aux membres du Parlement des Religions en 1893, et qui se fait le
porte-voix des doctrines officielles dôs bouddhistes, la différence entre
le Mahâyâna et le Hïnayâna est exprimée comme il suit (2) : « La
doctrine du Hïnayâna nous apprend comment on arrive au Nirvana
en renonçant aux misères de la naissance et do la mort, et ainsi elle
est appelée la doctrine de l'acquisition de l'illumination par la percep-
tion de la misère ». Dans le Mahâyâna, la naissance et la mort, aussi
bien que le Nirvana môme, sont tenus pour la même chose, et son
but est de recueillir le grand fruit du IJuddha par le culte de la
grande sagesse (mahâbodhi).
Dans le Hïnayâna, rame et le corps sont regardés comme la source
de la douleur, et en conséquence le mok^a est l'équivalent de l'abandon
des six états de !a vie, (deva, homme, asura, animal, fantûme affamé,
et enfer), l'abandon de l'âme et du corps ; et le Nirvana est l'acqui-
sition de leur extinction éternelle.
(1) iMazcUère, Moines et ascêies indiens, p. 130.
(2) S. Kuroda, p. il.
- 76 —
Le Mahâyâna, au contraire, enseigne des vérités plus élevées : il ne
connaît ni amour ni haine, ni ami ni ennemi, ni tort ni raison ; il
reste fidèle à la vérité même dans le monde, il demande qu'on passe
sa vie en paix et qu'on acquière ainsi la liberté parfaite sans
entrave ; tel est le plus haut Nirvana. Car alors tous les phénomènes
mentaux, tels que les désirs aveugles et le reste sont anéantis. Et
quand ils sont anéantis, alors la véritable nature de l'intelligence appa-
raît, avec toutes ses innombrables fonctions et actions miraculeuses.
Le Nirvana n'est alors nullement un état d'extinction complète (1).
Le Mahâyâna se fonde surtout sur la doctrine que toutes les choses
ne sont rien que l'intelligence (2) : « On l'appelle la doctrine de
l'obtention de l'illumination par la perception de la non- existence de
toutes les choses ». « Les deux Véhicules ne sont que des aspects
divers du même principe ; ces deux doctrines furent prêchées par le
Buddha(3) „.
(1) S. Kuroda, p. 6.
(2) S. Kuroda, p. 24.
(3) Les sectateurs des deux Véhicules n'étaient pas aussi tolérants dans le
temps d'Hiouen Tsang, qui nous donne un tableau d'une de leurs querelles :
(H. T. vol. i, p. 220).
« Dans le commencement le roi Çïlâditya avait fait construire à côté du
couvent de Nâlandâ un Vihâra en cuivre haut de cent pieds, dont la
magnificence était connue de tous les autres royaumes. Quelque temps après,
le roi, revenant de faire la guerre au roi de Kongyodha passa par le royaume
d'Orissa. Les religieux de ce royaume étudiaient tous le petit Véhicule, et
n'avaient point foi dans la doctrine du grand Véhicule. Ils disaient qu'elle
avait été exposée par les hérétiques Kong-hoa-wai-tao (ÇQnyapuspas (?)), et
non par le Buddha. Quand ils eurent vu le roi, ils vinrent lui faire des
représentations. « Nous avons appris », lui dirent-ils, « que Votre Majesté a
fait élever à côté du couvent de Nâlandâ un Vihâra d'une construction noble
et imposante. Pourquoi ne l'avoir pas fait construire dans le couvent des
hérétiques Kâpâlikas et avoir choisi de préférence ce couvent de Nâlandâ » ?
« Pourquoi m' adressez-vous un tel reproche » ? leur dit le roi.
« C'est V, répondirent-ils, " que les hérétiques Kong-hoa-wai-tao du cou-
vent de Nâlandâ ne diftërent en rien des Kâpâlikas r>.
Précédemment, un prince de l'Inde méridionale, qui avait reçu l'onction
royale (Mûrddhâbhisikta ràjâ (Çïlâditya ?j) avait pour maître un vieux
Brahmane nommé Prajnâgupta, qui était versé dans la doctrine de l'école
des Sammitîyas, et avait composé, en sept cents çlokas, un traité pour
combattre le grand Véhicule. Tous les maîtres du petit Véhicule en furent
transportés de joie. Ils le montrèrent au roi et lui dirent : " Tel est l'exposé
77
C'est ainsi que les bouddhistes japonais d'aujourd'liui considèrent les
choses.
de nos principes. Y aurait-il maintenant un partisan du grand Véhicule qui
pût en réfuter un seul mot » ? " J'ai entendu dire «, leur répondit le roi,
« qu'un renard se trouvant un jour au milieu d'une troupe de souris et de
rats se vantait d'être plus brave que le lion ; mais dès qu'il l'eut aperçu, le
cœur lui manqua, et il disparut en un clin d'œil. Vous n'avez pas encore vu,
vénérables maîtres, de religieux cminents du grand Véhicule. Voilà pourquoi
vous soutenez avec obstination vos principes insensés. Je crains bien qu'en
les apercevant vous ne ressembliez au renard dont je viens de parler ».
« Si vous doutez de notre supériorité n, répondirent-ils au roi, « pourquoi
ne pas rassembler les partisans des deux doctrines et les mettre en présence,
pour décider de quel côté est la vérité ou l'erreur ».
« Cela n'est point difficile «, repartit le roi. Sur-le-champ il envoya au
couvent de Nidandâ un messager chargé d'une lettre pour Çïlabhadra, qui
était surnommé « le Trésor de la droite voie « (Sugatiratna ?). « Votre
disciple n, lui disait-il, " en passant par le royaume d'Orissa a vu des maîtres
du petit Véhicule qui, poussés par des vues étroites et bornées, ont composé
des castras où ils dénigrent et calomnient le grand Véhicule dans un style
fougueux et plein de fiel. Ils poussent l'audace jusqu'à vouloir discuter avec
vous tous. Je sais que dans votre couvent il y a une multitude de religieux
qui se distinguent autant par leur vertu éminente que par leur talent et leur
intelligence, et dont l'instruction profonde embrasse toutes les branches de
la science. Leur ayant promis de favoriser ces conférences, je vous prie
respectueusement de répondre à leur demande. Veuillez envoyer auprès
d'eux, dans le royaume d'Orissa, quatre religieux versés dans leur propre
doctrine (celle du grand Véhicule) et dans celle des autres (celle du petit
Véhicule), ainsi que dans la doctrine ésotérique et exotérique «.
Dès que Çïlabhadra eut reçu cotte lettre, il rassembla les religieux et
choisit, après un mûr examen, Sâgaramati (?) (Hai-hoei), Jùânaprabha,
Siinharasmi et le maître de la loi, et se disposa à les envoyer tous quatre en
qualité do délégués pour répondre à l'appel du roi.
Sâgaramati (?) et ses deux collègues éprouvèrent une vive inquiétude ;
mais Çïlabhadra se hâta de les rassurer : « Pour ce qui regarde les diverses
écoles du petif Véhicule », leur dit-il, « lorsque Hiouen Tsang, maître de la
science des trois recueils, se trouvait dans mon pays natal, puis lorqu'il fut
entré dans le royaume de Kasmir, il les a toutes étudiées et en a approfondi
les principes. Si les partisans de cette doctrine prétendaient s'en servir pour
renverser le grand Véhicule, ils n'y réussiraient jamais. Bien que Hiouen
Tsang n'ait qu'une instruction médiocre et une intelligence ordinaire, il ne
peut manquer de leur lenir tète et de les vaincre. Je vous supplie donc,
vénérables maîtres, de ne plus vous tourmenter à ce sujet, mais, si par hasard
il éprouvait une défaite, dès ce moment le religieux delà Cliine ne prendrait
^ 78 -
Le Nirvana des Mahâyânistes n'était pas un séjour sans délices.
Les bouddhistes orthodoxes souhaitaient de renaître dans le ciel
Tusita, où Maitreya règne en attendant de revenir sur la terre (1).
Hiouen Tsang sur son lit de mort s'exprime en ces termes : « Je
désire voir reverser sur les autres hommes les mérites que j'ai acquis
par mes bonnes œuvres ; naître, avec eux, dans le ciel des Tusitas ;
être admis dans la famille de Maitreya et servir ce Buddha plein
de tendresse et d'affection. Qaand je redescendrai sur la terre pour
parcourir d'autres existences, je désire, à chaque naissance nouvelle,
remplir avec un zèle sans bornes mes devoirs envers le Buddha, et
arriver enfin à la samhodlii (parfaite sagesse) ». Il resta ainsi immo-
bile jusqu'au cinquième jour. Au milieu de la nuit, ses disciples lui
demandèrent : « Maître, avez -vous enfin obtenu de naître au milieu
de l'assemblée de Maitreya »? « Oui », répondit-il d'une voix défail-
lante. A ce mot, sa respiration s'affaiblit de plus en plus, et, au
bout de quelques instants, son âme s'évanouit ».
C'est I-tsing qui nous donne le meilleur tableau des écoles bouddhi-
ques au milieu du vu® siècle (2). 11 divise les dix-huit écoles du
bouddhisme sous quatre rubriques principales.
L L'ârya-mahâsanghika-nikâya.
(7 sous-divisions).
IL L'ârya-sthavira-nikâya.
(3 sous-divisions.)
IIL L'ârya-mûlasarvâstivâda-nik;ïya.
(4 sous- divisions).
(i) L'école Mûlasarvâstivâda.
i (ii) L'école Dharmagupta.
(iii) L'école Mahïçâsaka.
(iiii) L'école Kâçyapïya.
IV. L'ârya-sammitïya-nikâya.
(4 sous-divisions).
plus part à de semblables discussions ». Ces paroles remplirent de joie les
trois religieux.
Peu après, le roi Çïlâditya adressa à Çïlabhadra une nouvelle lettre où il
disait : « Auparavant, je vous avais demandé plusieurs religieux d'un grand
mérite ; pour le moment, il ne faut pas qu'ils partent. Plus tard, je les prierai
de se mettre en route ».
(1) H. T. vol. i, p. 344.
(2) I-tsing, p. xxiv.
— 79 —
Quant à la distribution géographique de ces différentes écoles,
I-tsiug nous donne des détails assez complets. Dans l'Inde centrale
étaient représentées les quatre écoles, parmi lesquelles Técole
Mïïlasarvâstivâda était la plus florissante. L'ârya-sammitïya-nikâya
florissait dans l'Inde occidentale, dans le Lâta et dans le Sindhu.
Dans l'Inde septentrionale, l'ârya-mûlasarvâstivâda-uikayâ était en
faveur, et dans l'Inde méridionale, l'école des Sthaviras l'emportait
sur les autres.
Le bouddhisme du nord (le Mahâyâna) fut traité par les rois en
enfant gâté : ils gratifiaient les moines de leurs propres richesses et
les populations de l'immense Asie centrale se soumirent aux doctrines
du Buddha.
A l'université de Nâlandâ, on trouvait des moines attachés à toutes
les sectes tant du HInayâna que du Mahâyâna, des Çivaïtes, des
Visnuites, des Jainas, toutes les philosophies de l'Inde y avaient des
représentants. Nâlandâ donnait assez le spectacle de nos universités
d'Oxford et de Cambridge où la ville n'existe que pour l'Université
et à cause d'elle. I-tsing nous donne la description des couvents.
« Le nombre des moines à Nâlandâ est de plus de trois mille. Le
terrain qu'ils possèdent consiste en plus de deux cents villages (I).
Il y a huit salles à Nâlandâ et trois cents appartements dans le
monastère (2) ». Des orateurs en théologie allaient de ville en ville
soulevant partout les controverses et cherchant à convertir les autres
à leurs systèmes respectifs, comme le font aujourd'hui les mission-
naires chrétiens en Chine.
A la porte du couvent on affichait les points à discuter et on défiait
tout venant de les réfuter. Celui qui perdait devait en principe payer
de sa tête. Mais les choses se passaient moins tragiquement : le
vainqueur magnanime n'exigeait du vaincu que la servitude ou même
l'aveu de ses erreurs.
Nâlandâ attirait tous les étrangers et devint bientôt un lieu de
pèlerinage pour les écoliers ambulants qui s'y rendaient de tous les
pays de l'Asie. Hiouen Tsang nous en donne un tableau des plus
pittoresques (3).
(1) I-tsing, p. 65.
(2) I-tsing, p. 154.
(3) H. T. vol. iii, pp. 45. ss.
— 80 —
" Les religieux, au nombre de plusieurs milliers, avaient tous des
talents distingués et une grande instruction. Il y en avait plusieurs
centaines qui, par leur vertu, se faisaient estimer des contemporains,
et dont la réputation volait jusque dans les autres pays. Leur conduite
était pure, et ils suivaient fidèlement les préceptes de la discipline.
La règle de ce couvent était très sévère ; aussi la multitude des
religieux se conduisait-elle avec une sagesse irréprochable. Les
royaumes des cinq Indes les admiraient, et les prenaient pour
modèles. Ceux qui leur demandaient des leçons et discutaient sur
des matières profondes, ne trouvaient jamais les jours assez longs.
Du matin au soir ils s'avertissaient mutuellement ; les jeunes et les
vieux se perfectionnaient les uns les autres. S'il y avait des hommes
incapables de traiter les matières abstraites des trois recueils, ils
étaient comptés pour rien et se voyaient couverts de honte. C'est
pourquoi les étudiants étrangers qui désiraient acquérir de la répu-
tation venaient tous dans ce couvent pour éclaircir leurs doutes, et
bientôt l'éloge de leurs talents se répandait au loin. C'est pourquoi
ceux qui voyageaient en usurpant leur nom (1) obtenaient tous des
honneurs distingués. Si un homme d'un autre pays voulait entrer et
prendre part aux conférences, le gardien de la porte lui adressait
des questions difficiles. Le plus grand nombre était réduit au silence
et s'en retournait. Il fallait avoir approfondi les livres anciens et
modernes pour obtenir d'y entrer. En conséquence, les étudiants qui
voyageaient pour leur instruction avaient à disserter longuement
pour montrer leur capacité ; il y en avait toujours sept ou huit sur
dix qui se voyaient éliminés. Si les deux ou trois autres avaient paru
instruits, on les interrogeait tour à tour au milieu de l'assemblée, et
l'on ne manquait point de briser la pointe de leur esprit et de faire
tomber leur réputation ; mais ceux qui avaient un talent élevé et une
vaste érudition, une forte mémoire et une grande capacité, une vertu
brillante et une intelligence éminente, associaient leur gloire à celle
de leurs devanciers, et suivaient leurs exemples. Quant à Dharma-
pâla et àCandrapâla, ils jetaient de l'éclat sur la doctrine ; Gunamati
et Sthiramati répandaient dans le monde la gloire de leur nom ;
Prabhamitra discourait avec élégance, et Jinamitra parlait avec
élévation ; Jùanacandra montrait une pénétration rare ; Çïghrabuddha
(1) En se faisant passer pour des étudiants de l'université de Nâlandâ.
— Bl-
et ÇÎIabhadra cachaient dans l'ombre leur vertu sublime. Ces hommes,
d'un mérite supérieur, étaient connus de tous ; par leur vertu, ils
effaçaient leurs prédécesseurs et leur science embrassait toutes les
règles des anciens. Chacun d'eux avait composé une dizaine de
traités et de commentaires qui circulaient partout avec éclat et
jouissaient de leur temps d'une haute estime. Tout autour des
couvents, on comptait une centaine de monuments sacrés (1) ».
« Les écoles philosophiques sont constamment en lutte, et le bruit
de leurs discussions passionnées s'élève comme les flots de la mer.
Les hérétiques des diverses sectes s'attachent à des maîtres particu-
liers, et, par des voies différentes, marchent tous au même but. Il y
a dix-huit écoles dont chacune s'arroge la supériorité. Les partisans
du grand et du petit Véhicule forment deux classes à part. Les uns
méditent eu silence, et, soit en marchant, soit en repos, tiennent
leur esprit immobile et font abstraction du monde ; les autres diffèrent
tout à fait de ceux-ci par leurs disputes orageuses. Suivant le lieu
qu'ils habitent, on leur a fait un code de règlements et de défenses
d'une nature spéciale.
Les règles de la discipline (Vinaya), les textes sacrés (Sûtras), les
prédications (Vyâkaranas) sont tous également des livres du Buddha.
Celui qui peut expliquer en entier une des collections est dispensé
des devoirs de religieux et dirige les affaires du couvent (2). Celui
qui peut en expliquer deux, reçoit le traitement d'un supérieur ;
pour trois, il a des domestiques qui lui obéissent avec respect ; pour
quatre, on lui donne des hommes purs (upâsakas) chargés de le
servir ; pour cinq, il voyage sur un char traîné par un éléphant ;
pour six, il a une escorte nombreuse. Lorsque sa vertu a pris un
caractère élevé, et qu'il a reçu des honneurs extraordinaires, de
temps en temps il réunit les religieux et établit des conférences. Il
juge de leurs talents supérieurs ou de leur médiocrité ; il distingue
et signale leurs vertus ou leurs vices. Il élève les hommes doués
d'intelligence et rabaisse ceux qui en sont dépourvus. Si un religieux
sait traiter un sujet abstrait et développer des principes subtils, s'il
se distingue par une élocution noble, riche et élégante, et montre.
(1) H. T. vol. il, p. 77.
• (2) Suivant le dictionnaire Fan'i-mingi-tsi , livre 4, fol, 7, c'est une espèce
d'économe, appelé en sanskrit harmadàna (Julien).
6
— 82 —
dans les discussions profondes, un esprit vif et pénétrant, on le fait
monter sur un éléphant couvert d'ornements précieux, et une foule
immense forme son cortège. A son arrivée, il passe sous des portes
triomphales.
Si, au contraire, un religieux laisse briser la pointe de ses paroles,
si ses arguments sont pauvres et son élocution verbeuse, ou bien s'il
outrage la logique tout en parlant avec facilité, on lui barbouille la
figure avec du rouge et du blanc, on couvre tout son corps de terre
et de poussière, puis on le chasse dans une plaine déserte, ou on le
jette dans un canal. Ainsi on signale les bons et les méchants, et
l'on met en évidence les gens d'esprit et les sots.
Si un homme sait se plaire dans la pratique du bien, si dans sa
maison il s'applique à ses devoirs et étudie avec ardeur, on le laisse,
à son gré, quitter sa famille (embrasser la vie religieuse) ou rentrer
dans le monde. S'il a commis une faute ou enfreint la discipline, on
le punit au milieu des religieux. Si la faute est légère, on le répri-
mande en présence de l'assemblée, ou bien on recommande aux
membres de la compagnie de ne point lui parler. Si la faute est grave,
les membres de l'assemblée ne demeurent plus avec lui. Dès que
cette peine a été prononcée, on le chasse et on l'exclut pour toujours.
Une fois sorti, il va chercher un asile quelque part, ou bien, ne
sachant oii s'abriter, il erre sur les routes, et endure les plus grandes
fatigues ; quelques-uns reprennent leur ancienne profession (1) ».
« Les Çramauas n'ont que trois sortes de vêtements, savoir : la
Sarighatî, le Sankaksikâ et le Nivâsana. La coupe et la façon de ces
trois vêtements varient suivant les écoles. Les uns ont une bordure
large ou étroite, les autres ont des pans petits ou grands. Le
Sankakçikâ couvre l'épaule gauche et cache les deux aisselles. Il
s'ouvre à gauche et se ferme à droite. Sa coupe allongée dépasse la
ceinture. Le Nivâsana n'ayant ni ceinture, ni glands, quand on veut
le mettre, on le plisse et ou le maintient tout autour avec un cordon.
Quant aux plis, chaque école les dispose d'une manière particulière.
La couleur de ces vêtements varie du jaune au rouge ».
Il serait trop long de retracer la vie de tous les éminents docteurs
bouddhistes qu'on peut trouver entre 600 et 650 (2). I-tsing, Târa-
(1) H. T. vol. ii, p. 69.
(2) Un religieux éminent sur qui il est regrettable que nous ayons si peu
— 83 —
nâtha, Hiouen Tsang nous fournissent également des données suffi-
santes. Nous en avons un tableau sommaire dans l'édition d'1-tsing
due à Takakusu (1).
Liste des religieux éminenis.
1. Dharmapâla. Contemporain de Bhartrhari (mort 651-2), il mou-
rut avant 635, car les traductions de quatre ouvrages attribués à lui
datent toutes de 650-710. (B. N. App. i. 16).
2. Dharmakïrti (en Logique). Il est nommé dans le Vâsavadattâ
(p. 235) et dans le Sarva darrana-samgralia (p. 24, Cowell) ; contem-
porain du roi Srong-btsau-sgam-po. (Wassilief, p. 54.)
3. Çïlabhadra, élève de Dharmapâla (H. T. vol. ii, p. 452).
4. Simhacandra, condisciple de Hiouen Tsang. (H. T. vol. i,
pp. 219, 261).
5. Sthiramati. Nommé dans une donation Valabhï (I. A. 1877.
p. 91 ; 1878, p. 80, et H. T. vol. iii, p. 164) ; il vécut au Valabhï,
élève de Vasubandhu. (Wassilief, p. 78).
de renseignements est Jayasena, qui n'est point mentionné par I-tsing.
Hiouen Tsang nous parle de lui sur un ton fort respectueux. (H. T. vol. i,
p. 212).
« Le roi du Magadha, Pûrnavarman, était rempli de respect pour les sages
et d'estime pour les lettrés. Ayant été informé de la réputation du maitre
des castras (Jayasena), il en fut ravi de joie. Il lui envoya des messagers pour
l'inviter à venii', le nomma docteur suprême du royaume et lui assigna pour
vivre le revenu de vingt grandes villes ; mais le maitre des castras refusa
ces offres brillantes.
Après la mort de Pûrnavarman, le roi Çîlâdtiya l'invita aussi à recevoir le
titre de docteur suprême du royaume, et lui assigna pour vivre le revenu de
quatre-vingts grandes villes du royaume d'Orissa. Le maitre des castras
refusa comme auparavant. Le roi lui ayant adressé encore plusieurs invita-
tions pressantes, il persista ônergiquement dans son refus. « Sire «, dit
Jayasena au roi, « j'ai entendu dire que celui qui reçoit un traitement d'un
autre homme doit se préoccuper de ses soucis et de ses peines. Maintenant
que je tiavé.ille à sauver les hunnnes qu'entraine le torrent de la vie et de la
mort, comment aurais-je le temps de prendre part aux affaires de Votre
Majesté » ?
A ces mots il s'incUna et sortit, sans que le roi pût le retenir ».
(1) I-tsing, p. Lvhi.
— 84 —
6. Gunamati (en DhyâDa). Il vécut au Valabhî avec Sthiramati
(H. T. vol. iii, p. 164), et à Nâlandâ. (H. T. vol. iii, p. 46).
7. Prajùâgupta (eu Réfutation). Professeur du Sammitïya et contem-
porain de Hiouen Tsang (H T. vol. i, p. 220).
8. Guiiaprabha (en Vinaya). Son élève Mitrasena avait quatre-
vingt-dix ans et enseignait les castras à Hiouen Tsang (H. T. vol. i,
p. 109). Il fut guru de Çïlâditya, et élève de Vasubandhu (Wassilief,
p. 78).
9. Jinaprabha. Professeur de Hiuan chao, qui se trouvait à Nalanda
vers l'an 649 (Chavannes, Mémoire, p. 17).
10. Ratnasimha (dans le Nâlandâ Vihâra). Professeur de Hiuan
chao, (Chavannes, Mémoire, p. 18) ; il vivait encore en 670-700.
(I-tsing, p. 184.)
Târanâtha, dans son histoire, donne sur les événements du règne
de Harsa des détails qui sont importants pour la religion et qui nous
invitent à considérer quelles étaient dans l'Inde les relations des
religions et de TÉtat. Donnons d'abord un extrait de Târanâtha (1) :
« Au temps de la fin de la vie du grand âcârya Vasubandhu, après
la mort du roi Gambhïrapaksa, vécut le puissant roi Çrïharsa, né
dans l'ouest dans le pays de Maru. Il régnait sur tous les royaumes
de l'ouest et plus tard après avoir cru à la loi, il choisit l'âcârya
Guiiaprabha comme guru. En même temps, les descendants du roi
Vrksacandra régnaient dans l'est, le roi Vigamacandra et son fils
Kâmacandra. Ces deux rois étaient très puissants et très riches et
aimaient à faire des dons ; seulement, bien que régnant selon la loi,
ils ne prenaient point leur refuge dans les trois Précieux, mais, bien
qu'honorant Oithodoxes et Hétérodoxes, ils s'inclinaient surtout
devant les Nirgranthas, Au Kasmïr au même temps, le roi Mahâsam-
mata vécut, dit-on. Dans ce temps dans l'est, l'âcârya Sthiramati (2)
et Dignâga travaillaient à sauver les êtres vivants ; dans l'ouest c'est
la fin de la vie de Buddhadâsa (3), disciple d'Aryâsaiiga, et la meil-
leure partie du travail de Guuaprabha (4). Au Kasmïr le Bhadanta
(1) Târanâtha, p. 126.
(2) H. T. vol. iii, pp. 46, 164.
(3) H. T. vol. i, p. 113 ; vol. il, p. 216.
(4) H. T. vol. i, pp. 106, 211 ; vol. il, p. 220 ; Vol. iii, p. 175.
— 85 —
Samghadâsa (1) travaillait avec succès au salut des êtres vivants,
tandis que l'âcârya Dharmadâsa fut un maître de la loi qui se rendit
dans tous les pays. Vers le sud allait l'âcârya Buddhapâlita (2), et
ceci est environ vers le commencement de la vie de Bhavya et de
Vimuktasena. Dans le pays d'Odiviça vécut Nâgeça, fils du roi
Jaleruha, dont le ministre fut le brahmane Nâgakeça ; pendant les
sept années de son règne, il fut très puissant ; si bien que même
Vigamacandra s'inclina devant lui, seulement sous l'influence de
l'âcârya Lûyipa (?) il abdiqua ; Dârika le magicien devint roi et
Tenggi fut son ministre. L'âcârya Triratnadâsa est aussi contemporain
de Bhavya ; dans le pays d'Odiviça le brahmane Bhadrapâlita eut
beaucoup de mérite par la loi » . Les rois dont p ^le Târanâtha nous
sont inconnus, mais les noms des religieux sont confirmés. Cepen-
dant nous ne devons pas trop nous fier à ce qu'il rapporte.
Târanâtha nous donne en plus une petite biographie de chacun
de ces éminents religieux. Nous ne citerons que celle de Harsa.
« Le roi Çrïharsa, étant devenu roi sans limites, voulut détruire la
religion des Mlecchas (3). Il fit bâtir un Masita (4), ou grand cloître
des Mlecchas, consistant en un seul édifice construit en bois, dans
un petit pays non loin de Maulasthâna : il invita tous les sectateurs
Mlecchas, et pourvut à leurs moindres besoins pendant plusieurs
mois. Il rassembla aussi tous leurs écrits religieux et après avoir
brûlé tout dans le feu, environ douze mille Mlecchas périrent. En ce
temps, il ne resta plus dans le pays de Khorasan qu'un seul tisserand
connaissant la religion Mleccha, et c'est de là que toute la religion
Mleccha présente a pris son origine. En conséquence d'une telle
persécution de la part du roi, la religion des Perses et dea Çakas fut
pendant cent ans très peu pratiquée. Après cela il fit bâtir pour
expier ses fautes un grand Vihâra, en Maru (5), Mâlava, Mewar (6),
(1) Probablement identique avec Sanighabhadra (H. T. vol. i, pp. 93, 102 ;
vol. ii, pp. 183, 222). Samghabhadra était originaire du Kasmir.
(2) Beal, Si-yu-ki, vol. i, p. 11)0, n.
(3) Ici il y a confusion : " Mleccha « dans Târanâtha signifie « Mahométan »,
mais autant que nous le sachions, Harsa lui-même ne se trouva jamais en
contact avec eux. Cet acte d'intolérance envers les Mahométans n'est peut-
être mis au compte de Harsa que parce que son zèle i-eligieux était légondaire.
[A) Con'uptiou du mot arabe musjid, mosquée, « lieu de prostration ".
(5) Marusthalï, le grand désert à l'est du Sindhu.
(6) Mewar, c'est-à-dire Çâkambari dans le Râjputâna.
— 86 —
Pituva, et Çitavara, entretint dans chacune mille bhiksus et dissémina
grandement la loi ».
Il est curieux de trouver dans une légende singhalaise un pareil
exemple de zèle intolérant de Harsa, et une répression analogue des
dissidents religieux.
Nevill dans le Catalogue (1) non publié de sa magnifique collection
de manuscrits, aujourd'hui au British Muséum, donne le contenu
d'un manuscrit appelé « Simâ-sahliharacliedani ». Je dois à l'obli-
geance de M. Barnett de pouvoir le reproduire ici.
« Un prêtre fonda la secte des Nïlapatadaras pour déguiser une
offense qu'il avait commise ; alors Çrï Harsa rassembla tous leurs
livres avec les prêtres, et les brûla dans un prâsâda. On raconte cette
même légende à propos des prêtres Jetawanârâmas à Anurâdhapura,
qui, ayant embrassé la doctrine Nilapatadara, furent assemblés par
le roi de Ceylan à leur Vihâra et brûlés au moyen d'une ruse,
lorsqu'ils s'étaient réunis pour défendre leur doctrine ».
De plus, dans la notice du manuscrit singhalais « Saddharmaratnà-
Tiaraya » de la collection Nevill figure une légende relative à Harsa
notée dans le catalogue autographe de M. Nevill (Vol. ii). Dans la
douzième section, le DharmâthJiuta Sâhgraha, il nous dit : « Sous le
règne de Mugalayin Sen, le schisme Nllapatadara fut introduit à
Ceylan. L'auteur donne ici une légende ou une tradition que je n'ai
trouvée nulle part ailleurs ; les traditions de Ceylan sont unanimes à
dire que les schismatiques de cette secte à Ceylan furent brûlés avec
leurs livres au Jetawanârâraa de Ceylan. Le roi régnant les fit
assembler par ruse, puis les fit périr. D'autre part notre auteur dit
que dans le temps de Bhojarâja à Çrï Harsanuwara, un prêtre du
schisme Sabbitika, qui était sorti pour voir une courtisane, mettant
une robe bleu foncé pour se déguiser, dormit trop longtemps, et fut
découvert à l'aurore rentrant ainsi accoutré. Il soutint l'usage de
la robe bleue et ses partisans l'acceptèrent, afin de faire le silence
sur la véritable origine de ce costume. Ainsi ils abandonnèrent la
robe couleur safran pour une couleur bleu de paon. Plus tard Çrï
Harsa Deva fit assembler les membres de cette secte, les tança
vertement, et, les enfermant dans un temple avec leurs livres, il les
brûla comme pour adresser un sacrifice au dieu du feu, Agui pûjâwa.
(1) Nevill MSS. Catalogue, vol. iii. N" 653.
— 87 —
En outre de la divergence avec la tradition ordinaire, cette légende
fait régner Bhojarâja de Çrï Harsa nuwara avant Çrî Harsa lui-même.
Il n'est guère probable qu'il y ait eu deux Çrï Harsa, un qui donna
son nom au nuwara (palais ou ville) et un qui régna plus tard «.
Ajoutons seulement que si Çrï Harsa a réellement sévi contre les
prêtres de cette secte, il n'est pas étonnant qu'on en retrouve un
retentissement lointain dans une légende originaire de Ceylan ; mais
il est plus naturel de croire en présence de cette légende que rien ne
confirme, qu'elle n'est rien autre qu'une preuve de l'universelle
réputation que s'était acquise Harsa par suite de son attachement
sincère et zélé à la tradition bouddhique, tant à celle du sud qu'à
celle du nord.
Cet acte d'intolérance se comprendrait d'autant moias de la part
de Harsa qu'on a des preuves certaines de la protection qu'il accordait
aux uns et aux autres avec la même générosité, ou si l'on veut, avec
la même indifférence, à tel point que brahmanes, jainas et bouddhistes
revendiquent son nom pour le ranger parmi les leurs. Dans la famille
royale même il n'y avait pas unité de croyances et de foi et nous ne
pouvons en être surpris que parce que nous ignorons les rapports
intimes des diverses religions entre elles, ou plutôt les différentes
phases de la même religion. On est souvent trop tenté de considérer
brahmanes, bouddhistes, jainas, et les autres, comme des gens tout à
fait séparés les uns des autres par leurs croyances religieuses et par
leurs mœurs et de les faire rivaliser à l'envi comme les dévots de nos
religions occidentales. Mais il convient d'observer que tous les Hindous
ont une même religion sous des formes multiples, la pensée et les
mobiles restant toujours identiques. C'est ainsi que dans la famille
de Harsa, son bisaïeul Râjyavardhana, son grand'père Âdityavardha-
na, son père Prabhâkaravardhana sont représentés sur les inscriptions
comme pratiquant le culte solaire. Ces désignations même ne laissent
pas d'être intéressantes. Tous trois portent le titre de ad'dyahhakto^
" adorateur passionné du soleil ,. (Saura). Bâiia nous dit en outre de
Prabhâkaravardhana dont le nom (celui qui augmente le faiseur de
lumière) est très significatif, qu'il fut par une disposition naturelle (1)
(1) Ce culte du soleil ne nous est connu que très imparfaitement. Il semble
d'après le passage de Bâna avoir eu pour ol)jet l'obtention (ront'aiits ma les :
il était peut-être restreint aux tribus du nord de l'Inde. Dans la présidence
de Bombay, il y a aujourd'hui encore des traces du culte du soleil.
— 88 —
dévoué au culte du soleil (1) : « Tous les jours au lever du soleil il se
baignait, se revêtait de soie blanche, et s'agenouillant vers l'orient
sur le sol, dans un cercle enduit de pâte de safran, il présentait comme
sacrifice un bouquet de lotus rouges dans un vase de rubis, purifié et
teint comme l'était son propre cœur des rayons du soleil. Solennelle-
ment à l'aurore, à midi et le soir, il murmurait une prière pour
obtenir une postérité, humblement, d'un cœur zélé, il répétait un
hymne qui avait le soleil pour objet ».
Râjyavardhana II, le frère de Harsa, fut bouddhiste, si l'on en croit
les inscriptions ; il est même singulier que Hiouen Tsang ne signale
pas ce fait qu'il avait tant d'intérêt à divulguer et qu'il garde à cet
égard la même réserve que Bâna qui, en digne brahmane, avait des
raisons de ne rien mentionner de semblable. Quant à Harsa, il se
proclama lui-même adorateur passionné de Maheçvara, c'est-à-dire
çivaïte. Cette divergence dans les pratiques religieuses ne peut s'ex-
pliquer qu'en tenant chacune d'elles pour une période d'un même
état religieux : brahmanisme, bouddhisme, jainisme sont des phases
non incompatibles entre elles d'une même religion. C'est là ce qui
explique le rôle de protecteur que Harsa a joué vis-à-vis de toutes les
sectes de son empire et l'on comprend pourquoi les jainas, les brah-
manes et les bouddhistes le tiennent encore aujourd'hui en odeur de
sainteté. Entre ces sectes, il n'y avait pas d'incompatibilité d'humeur
et le divorce ne pouvait les séparer ; c'est pourquoi Harsa pouvait
revendiquer Çiva comme sa divinité personnelle, faire des donations
aux temples des brahmanes, donner à sa sœur comme précepteur un
sage bouddhiste et enfin offrir à Prayâga une fête solennelle à toutes
les religions. C'est au reste une caractéristique des rapports de l'État
avec les religions dans l'Inde que cette tolérance pratiquée par Har-
sa (2). De même qu'il protégeait Hiouen Tsang, Mayûra et Bâua,
(1) H. C. p. 135.
(2) Kumâra semble avoir pratiqué le même dilettantisme religieux que son
suzerain. Lao-tzeu avait vivement éveillé sa curiosité. Avant de demander
par l'entremise de Wang hiuan-ts'e une image du philosophe, il avait
adressé déjà par l'entremise de Li y-piao une requête analogue. D'après le
Tsi-Kou-Kin-fou-too-loen-heng (chap. 2, fin), compilé en 661 (B. N. 1471 ; éd.
jap. xxxvii, 7, p. 20b) l'envoyé Li yi-piao, de retour en Chine, exposa à l'empe-
reur que le roi Kumâra de l'Inde orientale désirait obtenir une traduction
sanscrite des ouvrages de Lao-tzeu. Hiouen Tsang fut chargé de s'aboucher
— 89 —
qui appartenaient aux trois religions, Pulikeçin II, son rival, faisait
des dons aux brahmanes et aux jainas. Hiouen Tsang, ainsi qu'I-tsing,
reconnaît le zèle des princes pour le Buddha (1). Çaçânka, roi de
Gauda, semble avoir été une exception à la règle quand il a persécuté
les bouddhistes. A Kaniasuvarna, oii il régnait, il n'y avait que treize
couvents bouddhistes (2). Il tenta même de détruire l'arbre de la
Bodhi (3) à Buddha Gayâ et d'autres monuments bouddhiques (4)
encore. Hiouen Tsaug rapporte à ce sujet plusieurs anecdotes ty-
piques :
« Dans ces derniers temps, le roi Çaçânka, qui était attaché aux
doctrines hérétiques, calomniait, par une basse envie, la loi du
Buddha et détruisait les couvents. 11 abattit l'arbre de l'intelligence,
et creusa la terre jusqu'aux sources d'eau sans pouvoir extirper les
plus profondes racines. Alors il y mit le feu, et les arrosa avec du jus
de canne à sucre pour les consumer entièrement et en détruire les
derniers rejetons. Quelques mois après, cet événement arriva aux
oreilles de Pûrnavarman, roi du Magadha, et dernier descendant du
roi Açoka. A cette nouvelle il dit en soupirant : « Le soleil de l'intel-
ligence était caché depuis des siècles ; il ne restait plus que l'arbre
avec des docteurs taoïstes pour préparer de concert avec eux une traduction ;
mais l'entreprise avorta. La notice sur le royaume du Kâmarûpa, dans la
Nouvelle Histoire des Tang, confond les deux requêtes : « Quand Wang
liiuan-ts'e arriva, le roi de ce royaume envoya payer le tribut, en y joignant
des objets précieux et rares et une carte de son territoire, et il sollicita en
retour l'image de Lao-tzeu et le Tao-te-King'^.(S. Lé\'\, Missions de Wang
hiuan ts'e).
(1) Beal (L A. vol. x, p. 197) a fait une grave erreur en traduisant le
passage suivant d'I-tsing : au lieu de Râjabandhu ou Harsabhata, il a lu
Harsavardhana (le chinois est Ho-lo-se-pan-tu).
« Song-chi, prêtre et compagnon de Ling-wan, un autre voyageur, arriva
dans l'Inde par la route de la mer du sud. Commj il arrivait à Samatata, le
roi de ce pays, nomme Harsavardhana, un upâsaka, rendait hommage aux
trois objets de culte, et se dévouait à ses devoirs religieux ; il avait fait de
jour en jour plus de cent mille statues en tei're moulée, avait parcouru
la grande Prajnâ, consistant en lOOOOO çlokas, et était très ponctuel dans
ses dévotions v.
(2) H. T. vol. i, p. 180.
(3) J. B. A. vol. xvii, p. 42; J. R. A. S. vol. xvii, p. 128. Beal, Si-gu-Ki,
vol. ii, p. 201.
(4) H. T. vol. ii, p. 4(33.
— 90 —
du Buddha et voilà qu'on vient encore de l'abattre, les hommes ne le
verront plus ».
« En disant ces mots, il se jeta à terre de tout son corps, en proie à
des transports douloureux dont la vue déchirait l'âme. Il arrosa
l'arbre avec le lait de plusieurs milliers de vaches, et, au bout d'une
nuit, l'arbre repoussa en entier. Sa hauteur était d'une dizaine de
pieds. Dans la crainte qu'on ne voulût le couper encore, il l'environna
d'un mur en pierre, haut de vingt-quatre pieds. C'est pourquoi,
aujourd'hui, l'arbre de l'intelligence est protégé par un mur en pierre
qu'il dépasse d'une vingtaine de pieds (1) r.
« Le roi Çaçânka, ayant abattu l'arbre de l'intelligence (Bodhidruma),
voulut détruire cette statue (du Buddha). Mais lorsqu'il eut vu sa figure
bienveillante, il n'en eut pas le courage et prit le parti de s'en
revenir. Il dit alors à un de ses intendants : « Il faut enlever cette
statue du Buddha, et mettre à sa place celle du dieu Maheçvara ».
« Après avoir reçu cet ordre, l'intendant fut saisi de crainte, et dit
en soupirant : « Si je détruis la statue du Buddha, je m'attirerai des
malheurs dans toute la suite des Kalpas ; si je désobéis aux comman-
dements du roi, il m'ôtera la vie et exterminera ma famille. Dans
cette cruelle alternative, que faut-il que je fasse »? Il appela alors
un homme d'une fidélité éprouvée et l'employa à son service. Sur-
le-champ, il éleva devant la statue un mur en briques : et, comme il
aurait eu honte de la laisser dans l'obscurité, il y suspendit une
lampe brillante. Ensuite, devant le mur, il représenta l'image du
dieu Maheçvara ».
« Quand son travail fut achevé, il alla en informer le roi. A cette
nouvelle, le roi fut saisi d'effroi. Tout son corps fut couvert de
tumeurs, sa peau se déchira et au bout de quelques instants, il
mourut. L'intendant, étant revenu en toute hâte, démolit et enleva le
mur qui masquait la statue (2) ».
« Dans ces derniers temps, le roi Çaçâùka ayant aboli la loi du
Buddha, se rendit aussitôt dans le lieu (Pâtaliputra) oii était la
pierre (portant des traces miraculeuses) et voulut effacer les traces
sacrées ; mais à peine avait-elle été taillée à coups de ciseau, qu'elle
redevenait unie, et que les ornements reparaissaient comme aupara-
(1) H. T. vol. ii, p. 468.
(2) H. T. vol. ii, p. 422.
— 91 —
vant. Là-dessus, il s'éloigna du cours du Gange, et s'en revint
immédiatement dans son pays natal ».
Bien éloigné d'une pareille barbarie, Harsa multipliait ses dons
aux bouddhistes et aimait à attendre leurs discussions. Outre la
description donnée par Hiouen Tsang de son séjour chez Harsa et
des fêtes religieuses auxquelles il assista (Appendice II), nous cite-
rons ici un court passage du même auteur (1) :
« Près des bords du Gange, il (Harsa) fit élever plusieurs milliers
de stupas, qui avaient chacun une centaine de pieds. Dans les villes
grandes et petites des cinq Indes, dans les villages, dans les carre-
fours, au croisement des chemins, il lit bâtir des maisons de secours
011 l'on déposait des aliments, des breuvages et des médicaments pour
les donner en aumône aux voyageurs, aux pauvres et aux indigents.
Ces distributions bienfaisantes ne cessaient jamais. Partout où le
Saint (Buddha) avait laissé la trace de ses pas, il faisait élever des
Sanghârâmas. Tous les cinq ans, il convoquait une assemblée, appelée
la grande assemblée de la Délivrance (Moksamahâparisad). Il épuisait
le trésor et les magasins de l'État pour faire du bien à tous les
hommes. Il ne réservait que les armes qui n'étaient point propres à
être données en aumône. Chaque année, il réunissait les çramanas
des différents royaumes. Le troisième et le septième jour, il leur
faisait les quatre offrandes. Il décorait richement le Fauteuil de la
Loi et faisait disposer, en grand nombre, les sièges de l'explication (2).
Il ordonnait aux religieux de discuter ensemble et jugeait de leur
force ou de leur faiblesse. Il récompensait les bons et châtiait les
méchants, destituait les ignorants et élevait les hommes éclairés. Si
quelqu'un observait fidèlement les règles de la discipline, s'il se
distinguait par la pureté de sa vertu, le roi le faisait monter sur le
siège du lion (Simhâsana) et recevait lui-même, de sa bouche,
l'enseignement de la loi. Si quelqu'un, bien que tenant une conduite
pure et irréprochable, était dépourvu de savoir et d'érudition, il se
contentait de lui donner des témoignages d'estime et de respect ».
Harsa aimait à faire des dons d'une façon royale ; Hiouen Tsang
(1) H. T. vol. il, p. 251.
(2) On entend ici le fauteuil de l'orateur chargé d'exposer la loi, et les
sièges des religieux qui devaient assister ou prendre part à l'explication des
textes.
— 92 —
mentionne ce trait chez lui plusieurs fois. Près de Prayàga il y avait
une place favorite pour la distribution des aumônes (1).
« A l'est de la capitale, au confluent de deux fleuves (Prayàga), il
■ y a un terrain riant et élevé, large d'une dizaine de li. Toute sa
surface est couverte d'un sable fin. Depuis les temps anciens jusqu'à
nos jours, les rois et les hommes des grandes familles ne manquent
jamais de s'y rendre lorsqu'ils veulent faire des aumônes, et là ils
distribuent des secours sans nombre. C'est pourquoi on l'a appelé la
grande plaine des aumônes. Maintenant, le roi Çïlâditya à l'exemple
des rois, ses aïeux, répand d'immenses bienfaits. Les richesses qu'il
a amassées, les objets précieux qu'il a réunis en quantité pendant
cinq ans, il les distribue en un seul jour dans la plaine des aumônes.
Le premier jour, il érigea une grande statue du Buddha, couverte de
riches ornements. Aussitôt, il prit des choses précieuses de la plus
grande beauté et les offrit d'abord à la statue ; secondement (il en
donna de semblables) aux religieux sédentaires ; troisièmement, à la
multitude qui était présente ; quatrièmement, aux hommes qui se
distinguaient par des talents supérieurs, une érudition solide, des
connaissances étendues et une rare capacité ; cinquièmement, aux
disciples des brahmanes qui vivaient dans la retraite et fuyaient les
voies du monde ; sixièmement, aux veufs, aux veuves, aux orphelins,
aux hommes sans famille, aux pauvres et aux mendiants «.
On a essayé de montrer que la tolérance de Harsa serait allée jus-
qu'à encourager le christianisme. Cette théorie se fonde sur des
données absolument erronées (2).
L'exemple de Harsa fut suivi de ses vassaux, même de Dhruvasena
(1) H. T. vol. ii, p, 280. Cf. aussi H. T. vol. i, p. 121.
(2) Takakusu [I-tsing, Introd. p. 28, n. 8.) dit que, selon le Dr. Edldns,
Çïlâditya aurait reçu les Nestoriens Alopen et ses compagnons en 6.39. Cette
aflirmation se fonde sur un contre-sens évident. Le Dr. Edkins {Atkenœum,
July 3. 1880 p. 8) dit seulement : " Le même empereur qui accueillait lliouen
Tsang avec bienveillance lorsqu'il revenait de l'Inde, chargé de manuscrits
sanskrits, recevait avec une égale faveur les chrétiens de la Syrie, Alopen
et ses compagnons y,. Les mots du Dr. Edkins se rapportent naturellement à
l'empereur chinois Kaotsong et nullement à Çïlâditya. Ce n'est du reste
qu'une des erreurs nombreuses qui circulent encoi-e aujourd'hui au sujet de
H;i Isa, tant on est tenté de mettre au compte des plus puissants les actes
même les plus sujets à caution.
resi
reli
razi
des
ik
relij
Testi
les s
Al
jook
était
m
- 9S -
de Valabhï qui semble avoir ménagé les bouddhistes en général.
Hiouen Tsaug lui en témoigne une reconnaissance particulière (1).
« Maintenant le fils du roi Çïlâditya du royaume de Kânyakubja a
un gendre appelé Dhruvabhata. Il est d'un caractère vif et emporté,
et d'une intelligence faible et bornée ; cependant il croit sincèrement
aux Trois Précieux. Chaque année, il tient, pendant sept jours, une
grande assemblée, dans laquelle il distribue à la multitude des
religieux des mets exquis, les trois vêtements, des médicaments, les
sept choses précieuses, et des objets rares et d'une grande valeur.
Après avoir donné toutes ces choses en aumône, il les rachète au
double. Il apprécie la vertu et honore les sages, il révère la religion,
et estime la science. Les religieux les plus éminents des contrées
lointaines sont surtout l'objet de ses hommages ».
Malgré l'état florissant du bouddhisme au temps d'Harsa, il semble
qu'avec la fin de son règne la décadence se soit fait ressentir. En 670
I-tsing se lamentait sur l'ignorance générale (2).
« La doctrine du Buddha devient moins répandue dans le monde de
jour en jour ; quand je compare ce que j'ai vu dans ma jeunesse avec
ce que je vois aujourd'hui dans ma vieillesse, l'état est tout à fait
différent, il faut espérer que nous deviendrons plus attentifs dans
l'avenir ».
La disparition de ces puissants empereurs qui s'étaient tant inté-
ressés au bouddhisme ne fut pas la moindre cause du déclin de cette
religion. Mais l'invasion des Arabes y contribua plus encore ; leurs
razzias, que contenait à grand peine Harsa dans les dernières années
de son règne, accélèrent la ruine des couvents et monuments boud-
dhiques et des pèlerinages. Les Mahométans ne toléraient pas une
religion d'idolâtrie et en vrais iconoclastes en saccageaient tous les
vestiges. Cependant le jainisme, qui était loin d'avoir eu à ses débuts
les succès du bouddhisme, se maintenait au point qu'aujourd'hui
encore, alors qu'il n'y a plus de bouddhistes dans l'Inde, les jainas
continuent de pratiquer en paix les rites de leur religion.
A la cour de Ilarsa, où la tolérance était à l'ordre du jour, les jainas
jouissaient d'une hospitalité sans réserve. Mayûra, quoique jaina,
était un des poètes favoris de Harsa. Mais tout de môme en lisant le
(1) H. T. vol. il, p. 163, dans une notice sur le Valabhï,
(2) I-tsing, p. 52.
— 94 —
Bar.mcarita, on est frappé du mépris que manifeste Bâna à l'endroit
des jainas. Lorsque Harsa revient en hâte à Thanesar, pour revoir
sou père sur son lit de mort, c'est une figure de mauvais augure qu'il
rencontra tout d'abord (1) :
« Droit en face de lui venait un jaina nu (un Digambara) orné de
plumes de paon (2), un drôle tout noir de fumée, semblait-il ; la crasse
de maints jours amoncelée sur lui lui salissait le corps v. Si Bâaa
rapporte ce détail, c'est évidemment que la vue d'un jaina ne passait
pas pour favorable et que les sectateurs du jainisme étaient tombés
dans le discrédit. Dans Hiouen Tsang et dans Bâna nous trouvons
plusieurs descriptions ou notices des jainas et aussi des ascètes. Par
exemple dans Hiouen Tsang (3) :
« Les habits des hérétiques sont fort variés et diffèrent chacun par
la façon. Quelques-uns portent une plume de queue de paon, d'autres
se parent avec des chapelets d'os de crânes (les Kapâladhârinas) ;
ceux-ci n'ont point de vêtements et restent entièrement nus (les
jainas), ceux-là se couvrent le corps avec des plaques d'herbes
tressées. Il y en a qui arrachent leurs cheveux et coupent leurs
moustaches, ou bien qui conservent des favoris touffus et nouent leurs
cheveux sur le sommet de la tète. Le costume n'a rien de déterminé,
et la couleur rouge ou blanche n'est pas invariable n.
Dans Bâna c'est encore une description des diverses religions
assemblées près du sage bouddhiste Divâkaramitra (4) :
« Le roi vit des dévots dont les sens étaient morts, jainas à
blancs vêtements, (Çvetâmbaras), mendiants blancs (ascètes hindous
qui avaient abandonné le bouddhisme), fidèles de Krsna (Bhâgavatas),
étudiants en religion, ascètes qui s'étaient arraché les cheveux, secta-
teurs de Kapila, jainas, Lokâyatikas (athées), fidèles de Kanâda,
fidèles des Upanisads, dévots de Dieu créateur (sectateurs duNyâya),
essayeurs de métaux, étudiants en jurisprudence, étudiants des
Purânas, religieux experts aux sacrifices des sept prêtres (Sâyana,
R. V. X. 124. 1), savants grammairiens, sectateurs du Pâncarâtra,
(1) H. C. p. 168.
(2) Il avait un balai de plumes de paon afin d'écarter de son chemin les
insectes, et de ne pas leur faire perdre la vie. Les plumes de paon caracté-
risent les jainas.
(3) H. T. vol. ii, p. 69.
(4) H. C. pp. 265-6.
— 95 ~
et d'autres encore, tous fidèles observateurs de leurs dogmes, réflé-
chissant, pressant leurs objections, soulevant des doutes, les résolvant,
donnant des étymologies, disputant, étudiant, expliquant, et tous
assemblés là comme ses disciples. Même des singes qui s'étaient enfuis
vers les trois refuges (le Buddha, la loi, et l'assemblée) s'occupaient
gravement à pratiquer le rituel du caitya ; en même temps des
perroquets dévoués, versés dans les Çâkya Castras, expliquaient le
Koça (le dictionnaire bouddhique de Vasubandhu, cf. Buruouf. Intr.
p. 553) et quelques mainas, qui avaient conquis le repos après des
exposés des devoirs monastiques (les dix çiksâpadas), faisaient des
lectures de la loi ; des hiboux qui avaient obtenu la vue par l'audi-
tion assidue de la sainte doctrine, murmuraient l'histoire des nais-
sances diverses du Bodhisattva ; même des tigres y assistaient : ils
avaient abandonné l'usage de la viande sous l'influence calmante de
l'enseignement bouddhique n.
Dans Bâna (1) nous avons de plus un récit des faits d'ascétisme
dont pouvaient se vanter les ministres, domestiques et amis du roi
Prabhâkaravardhana après sa mort. « Les uns, las de la vie de
courtisan, abandonnèrent les plaisirs qui se trouvaient entre leurs
mains, et vécurent dans des clairières de forêts avec une nourriture
limitée, les autres, se nourrissant de Tair seul, devinrent des ermites
émaciés, riches seulement en vertu. D'autres se vêtirent de robes
rouges et étudièrent le système de Kapila dans la montagne : d'autres
encore, arrachant leurs parures, se nouèrent le nœud d'ascète sur la
tête et se réfugièrent en Çiva, d'autres demeurèrent dans des ermi-
tages silvestres, léchés du bout de la langue par les cerfs ; d'autres
firent des vœux et, moines rasés, ils errèrent çà et là, portant de
l'eau dans des cruches et dans le creux des yeux, les yeux rouges
et frottés de la main « .
Ce sont ces faits d'ascétisme qui rendirent populaire le jainisme
chez un peuple qui de tout temps a eu le plus grand mépris ou la plus
profonde indifférence pour les souffrances physiques.
(1) H. C. pp. 192-3.
— 96 —
Liste des principaux auteurs et de leurs œuvres.
(600-650).
Haesa Çîlâditya,
Nâgânanda (Jïmûtavâhana-nâtaka),
Priyadarçikâ,
Ratnâvalï,
Astamahâçricaityasamskrtastotra,
Suprabhâtastotra,
des vers épars dans les inscriptions ou
dans les anthologies,
Jâtakamâlâ, composée par des hommes
de lettres de cette époque.
BÂNA,
Harsacarita,
Kâdarnbarî,
Mukutatâditaka,
Pârvatïparinaya,
Sarvacaritaprahasaaa,
Candikâçataka,
des vers épars dans les anthologies.
Matûea,
Sûryaçataka,
Aryamuktâmâlâ,
Mayûrâstaka,
des vers épars dans les anthologies.
Mânatunga,
Bhaktâmarastotra ,
Bliayaharastavana,
Bhattibharastavana.
Jatâditta,
Vâmana,
Kâçikâvrtti.
Bhaetrhari,
Nîtiçataka,
Çrngâraçataka,
Vairâgyaçataka,
Bhattikâvya,
Bhartrhari-çâstra, commentaire sur le
Mahûhhâsya de. Patanjali,
Vâkyapadîya,
Bedâvrtti.
CHAPITRE m.
Le monde littéraire a la cour du roi Harsa.
Dans un royaume florissant comme l'était celui de Harsa, il était
naturel que la littérature profitât de la prospérité générale ; les
époques troublées par les discordes politiques ne sont pas les plus
favorables à l'éclosion des poèmes et les génies littéraires sollicite-
raient vainement les suffrages d'un public qui demanderait aux armes
de garantir la liberté et l'existence de chacun. Si propice pourtant
que soit le règne de Harsa à la culture des arts, amis de la paix, nulle
œuvre imposante et grandiose ne s'y épanouit. Comme il arrive
généralement à la suite des grandes époques littéraires, les renom-
mées établies, les œuvres devenues classiques gênent l'essor des
nouvelles générations. Après le MaliahJmraia, après Kâlidâsa, après
les panégyristes àe praçastis des premiers Guptas, la langue poétique
est définitivement créée et a pris possession de son domaine. Dès lors,
après la poésie, c'est à la rhétorique de parler ; sur les chefs-d'œuvre
antiques les commentateurs vont pulluler ; les poètes nouveaux
n'obéiront plus à leur impulsion personnelle, mais aux préceptes du
Kâvyâdarça de Dandin : il y aura chez eux moins de naturel, mais
plus d'élégance ; moins d'éclat, mais plus de brillants ; moins de force,
mais plus de grâces. Bâna et Harsa lui-même emprunteront à Kâlidâsa
non son art d'analyser les cœurs aimants, mais sa manière de peindre
des ébats galants ; ils n'imiteront que les badinagos, les esquisses de
leur illustre devancier et ne rivaliseront avec lui que dans les genres
secondaires.
Il s'en faut pourtant que la production littéraire de cette époque
soit méprisable ou médiocre. L'appui officiel que prête le roi à la
poésie, le bienveillant accueil que reçoivent à sa cour ceux qui se
piquent de tourner joliment une stance, suscitent des talents de toutes
- 98 —
parts. S'il n'est pas tout à fait vrai qii'
Un Auguste aisément peut faire des Virgiles,
l'exemple de Harsa semble bien prouver qu'un patronage généreux
et intelligent suffit du moins à assurer à Kâlidâsa une glorieuse
postérité.
Autour de Harsa s'est donc groupée une société brillante, amie des
plaisirs intellectuels, amoureuse des joutes spirituelles, toujours prête
à sourire d'un bon mot, à renchérir sur une pensée ingénieuse. Ce n'est
pas une haute naissance, un lignage illustre, ou des actions d'éclat
à la guerre qui décident de Tentrée à la cour de Harsa : il y suffit d'un
petit poème composé dans les règles : « Grand est le pouvoir de la
déesse de la parole «, dit Râjaçekhara ; « c'est elle qui mit au nombre
des courtisans de Harsa, Mâtaùga Divâkara ainsi que Bâua et
Mayûra » (1).
Du reste, les protégés de Harsa n'ont pas tari d'éloges sur le compte
de leur hôte royal. Perdu d'admiration, Bâna (2) s'exclame : « Ma
langue semble arrêtée et entravée dans ma bouche par les utsâhas (3)
d'Âdhyarâja (Harsa) (4) qui sont fixés dans mon cœur, même si je
ne m'en souvenais plus, et ainsi ma langue n'a-t-elle point de succès
poétique ».
Ailleurs il renonce, faute de mots, à définir son habileté poétique (5),
ou bien encore il le montre surpassant chacun de son originalité dans
les assemblées littéraires :
« Dans les concours poétiques il (Harsa) fit couler un nectar de son
propre cru qu'il n'avait pas reçu d'une autre source (6) », ou encore :
« Son habileté poétique est si grande que les mots n'existent pas
(pour exprimer ses idées poétiques) » (7).
(1) Râjaçekhara, cité dans le Padclhati de Çârngadhara, est l'auteur d'un
vers intéressant : « Aho prabhâvo vâgdevyâ yan Mâtangadivâkarah | Çrî-
Harsasyâbhavat sabhya^i samo Bâna-Mayûrayoli « (Z. D. M. G. vol. 27, p. 177).
(2) H. C. p. 6. (18).
(3) Utsâha veut dire aussi bien « exploit " que « ficelle ».
(A) Pischel, (Nachricliten d. K. Gesell. d. Wiss. Gôttingen. 1901. p. 485)
prouve qu'Âdiiyarâja est synonyme de Harsa.
(5) H. C. p. 86.
(6) H. C. p. 79.
(7) H. C. p. 86.
— 99 —
Des poètes plus récents sont unanimes à faire l'éloge de ce roi-poète :
« A qui la poésie, comme maîtresse «, dit Jayadeva (1), « ne serait-
elle pas agréable, puisqu'elle a comme masse de ses mèches, Cora ;
comme boucle d'oreille, Mayiîra ; comme sourire, Bhâsa ; comme
charme, Kâlidâsa, guru de la race poétique ; comme joie du cœur,
Harsa (2) ; comme Dieu d'Amour (Kâma), Bâna » ?
Nous avons encore aujourd'hui des vers et des poèmes entiers
qu'on attribue avec parfaite raison, croyons-nous, au roi Harsa. C'est
tout d'abord le Sitprabhàtastotra et VAstumahaçncaifyasamsJirta'
stotra. L'un est un hymne matinal au Buddha, l'autre un hymne aux
huit lieux sacrés du bouddhisme (3). Des vers épars attribués à Harsa
ont été conservés dans les anthologies de l'Inde (4). On les trouvera
également à la fin du volume avec ces deux poèmes. Sur l'inscription
de iMadhuban se trouve une maxime en vers (11. 16-17) dont Harsa se
donne comme l'auteur. Le vers sur Râjyavardhana est aussi peut-être
de sa main.
Harça a attaché son nom à des œuvres de plus longue haleine (5).
Ses trois drames nous sont heureusement parvenus ; savoir, la Rat-
(1) Yasyâç Coraç 'cikuranikaralj. karnapûro Mayûro |
Bliâso hâsah kavikulagurulj Kâlidâso vilâsah ||
Harso liarso hrdayavasatih pancabânas tu Bânah |
Kesâm naisâ kathaya kavitâkâminï kautukâya. 1|
(Jayadeva, Prasanna-Ràghava, Acte I, v. 22).
(2) Il est bon de rappeler, pour la détruire définitivement, l'erreur de Wilson,
qui identifiait le roi Harsavardhana avec le poète Çiï Harsa du Cachemire.
Malgré les documents qui permettent aujourd'hui de corriger cette confusion,
nous la trouvons répandue encore aujourd'hui dans des éditions parues dans
l'Inde et dans des catalogues de manuscrits et de livres de grandes biblio-
thèques européennes.
(3) On en trouvera le texte aussi bien que la traduction à la fin du volume
(Appendice III).
(4) On trouve cités des vers de Harsa dans le Sadukiikarnâmrta de Çrî-
dharadâsa, cf. Mitra, Notices of Sanskrit MSS. vol. 3, p. 134.
(5) Nous pourrions ici nous contenter de renvoyer simplement le lecteur au
Théâtre Indien de M. S. Lévi et aux Littératures de l'Inde de M. V. Henry.
Mais le désir de grouper en un seul mémoire toutes les données relatives à
Harsa nous a imposé la loi trop rigoureuse, — quid enim contendat liirundo
cycnis ? — d'aborder après ces maîtres le même sujet. Ce désir justifiera
peut-être notre dessein, comme la perfection même de nos modèles fera
.excuser notre gauclierie.
— 100 —
nàvall, la Prkjadarçikâ et le Nâgânanda. A propos de la BatnâvaTb^\
le Kàvpaprakâça (1) a émis un doute sur la personnalité de son
auteur ; il affirme, sans qu'on sache sur quel témoignage il se fonde,
que Harsa l'aurait achetée à prix d'or de Bâua et s'exprime ainsi (2) :
« La poésie donne des richesses ainsi que Bâua (3) et d'autres en
(1) Kâvyaprakaça, traduit dans « The Pandit », N. S. vol. 18.
(2) P. 2, édition de Bombay.
(3) Dans le premier chant du Kctvyaprakctça on lit : « KâUdâsâdmâm iva
yaçah Çrî-Harsâder Dhâvakâdïnâm iva dhanam «. « La gloire à des gens
comme Kâlidâsa, des richesses à des gens comme Dhâvaka, de la part de Çrï
Harsa «. D'après cette phrase, presque tous les pandits croyent que Harsa
aurait acheté la Ratnâvall à « Dhavaka ». Seulement Dhâvaka n'a jamais eu
d'autre existence que celle d'une variante de manuscrit. En effet, au lieu de
Dhâvaka on lit dans les MSS. divers Bâna, Bhâsa, Bliâsaka, etc. G. Bilhler
{Tour in search of Sanskrit MSS. IS'ÎT) dit que tous les MSS. du Kasmïr ont
Bâna au heu de Dhâvaka. Dans une lettre de Bûhler écrite du Kasmïr
{Indische Streifen, vol. 14, p. 407), on trouve : " Tous les MSS. du Kasmïr
lisent Bâna au lieu de Dhâvaka, dans l'écriture çâradâ Bâna et Dhâvaka se
confondent facilement «.
On a cru en général en Europe que Bâna aurait peut-être écrit la Ratnâ-
valî, mais comme on n'a pas eu de preuves certaines ni pour la paternité de
Harsa ni contre, on s'est contenté de ne pas discuter sur un sujet si ardu.
Dans l'Inde les choses se sont passées autrement. De tout temps on y a
aimé les discussions, même celles qui n'aboutissent à aucun résultat. Et
aussi récemment qu'en 1902, T. S. INârâyana Çâstri a écrit comme disserta-
tion pour le M. A. de Madras une brochure d'une vingtaine de pages ayant
pour titre " Sri Harsha the Dramatist, a dissertation on the âge and iden-
tity ofthe author of the Priyadarsika, the Ratnavali, and the Naga-
nanda ». Dans ces pages l'auteur cherche à prouver : 1° que Çrï Harsa et
Vikramâditya ne font qu'un ; 2" que le Nâgânanda ne contient pas de doc-
trines essentiellement bouddhistes ; 3" que le Mâlavikâgnimitra ressemble à
la Ratnâvall ; donc que Kâlidâsa a imité l'auteur de la Ratnâvall; A." que
l'auteur des trois drames fut un nommé Bhâsa, Bhâsaka, ou Dhâvaka.
Il ajoute que lui-même aurait trouvé dans un manuscrit du Kâvyaprakâça
de la Bibhothèque Connemara à Madras, Bhâsaka pour Dhâvaka.
Ces identirtcations d'un lettré hindou, assez peu connu du monde indianiste,
ne mériteraient point si longue mention, si elles n'avaient été suivies d'un
fait plus grave. Le même T. S. Nârâyana Çâstri a pris part à la pubhcation
d'un « Complète F. A. Sanskrit Text, i904 » contenant entre autres le
Nâgânanda avec commentaire, etc. Dans ce volume on fait précéder le
Nâgânanda de plusieurs extraits en sanskrit d'auteurs sanskrits. C'est
ainsi qu'on nous donne un extrait qu'on attribtie à Râjaçekliara, « Kavivi-
— 101 —
reçurent de Çrï Harsa et d'autres rois ». Cette accusation a été répétée
ensuite docilement par les commentateurs, ce qui du reste ne la con-
mârçâkliye grandhe n. Cet ouvrage jusqu'à présent inconnu des sanskri-
tistes serait-il identique à la Kàvyamimâmsâ (Peterson, Fifth Report,
p. 19) ? 11 serait peut-être plus prudent d'en douter ; je donne le texte et la
traduction de ce prétendu extrait :
Bhâso RâmilaSaumilau Vararucil.i Çrî-Sâhasânkalj kavir |
Mentho BliâraviKâlidâsaTaralâh Skandali Subandhuç ca yalj ||
Dandï BânaDivâkarau Ganapatih Kântaç ce Ratnâkarah |
siddhâ yasya Sarasvatï Bhagavatï ke tasya sarve 'py araï |!
Kâranan tu kavitvasya na sampan na kulînatâ |
Dhâvako'pi hi yad Bhâso kavïnâm agrimo 'bhavat ||
âdau Bhâsena racitâ nâtikâ Priyadarçikâ |
nirîrsyasya rasajiiasya kasya na priyadarçanâ 1|
tasya Ratnâvalï nûnam ratnamâleva râjate |
daçarûpakakâminyâ vaksasy atyantaçobhanâ ||
Nâgânandani samâlokya yasya Çrî-HarsaVikramalj |
amandânandabharitah svasabhyam akarot kavim ||
Udâttarâghavam niinam udâttarasagumphitarn |
yad vïksya Bhavabhiityâdyâh praninyur nâtakâni vai ||
çokaparyavasânâ 'sya navâfikâ Kiranâvalî |
mâkandasyeva kasyâtra pradadâti na nirvrtim ||
Bhâsanâtakacakre 'pi chekaih ksipte parîksituni |
Svapnavâsavadattasya dâhako 'btiûn na pâvakah ||
« Bbâsa, Râmila, Saumila, Vararuci, Çrî Sfdiasânka, le poète Mentha,
Bhâravi, Kâlidâsa, Tarala, Skandha, Subandhu, Dandin, Bâna, Divâkara,
Ganapati, Kânta, Ratnâkara, pour celui qui possède une parfaite Muse
comme maîtresse qu'est-ce que tous ceux-là mêmes ? [La cause de la poésie,
ce n'est ni la bonne naissance ni la fortune, car Dhâvaka, c'est-à-dire Bhâsa,
fut le premier des poètes. La petite comédie héroïque, Priyadarçikâ, faite
par ce même Bhâsa, pour celui qui apprécie le goût et n'est pas envieux,
n'est-elle pas un spectacle agréable ? Assurément cette Ratnâvalï brille
comme un collier de pierres précieuses qui resplendissent extrêmement sur
le sein de la maitresse des dix formes dramatiques. Après avoir contemplé
son Nâgânanda, Çrï Harsa Vikrama, rempli d'un grand plaisir, fit admettre
le poète à sa cour. Aussi son Udâttarâghava est-il arrangé avec un goût
parfait et Bhavabhïiti et d'autres encore, l'ayant vu, composèrent leurs
comédies héroïques. Sa Kiranâvalî en neuf notes, finissant en tragédie,
donne un plaisir qui n'a d'égal que celui que donne le groupe des rayons du
santal]. Les gens de goût ont beau y jeter pour les éprouver les nombreux
drames de Bhâsa , l'incendie du Svapnavâsavadatta ne les a pas consumés ».
Les quatre premières lignes se trouvent sous le nom de Râjaçekhara dans
— 10^ —
firme en rien, et il n'y a en définitive aucun fond à faire sur elle. Au
surplus, la paternité de Harsa est garantie, comme c'est le cas pour
beaucoup d'autres poètes de l'Inde, par la répétition dans chacun des
trois drames des mêmes stances. Dans chaque prologue, il est dit eu
effet :
« Çrï Harsa est un poète habile, cette assemblée est composée de
connaisseurs, l'histoire du roi des Siddhas (ou bien du roi Vatsa) est
intéressante, et nous sommes de bons comédiens ; une seule de ces
conditions aurait sufii pour en garantir le succès ; or, je suis assez
heureux pour les réunir toutes (1) «.
Deux do ces drames, la RatnàvaU et \siFriyadarçiJià, appartiennent
au genre de la petite comédie héroïque (nâtikâ) et sont construits sur
le modèle du MàlaviJiâgnlmitra de Kâlidâsa. Leur titre même les
distingue des grands genres ; il est tiré, comme en général celui des
pièces du genre secondaire du drame, du nom de l'héroïne principale.
Dans ces pièces les sentiments qui prédominent sont ceux de l'amour
et ainsi que l'indique l'appellation féminine du genre (nâtikâ), ce sont
des femmes qui y tiennent la première place. La matière est fictive
et non empruntée à la légende ; le héros est un roi noble et joyeux ;
l'héroïne est, à l'insu de tous, originaire de famille royale et elle tient
à la cour un emploi de demoiselle d'honneur. Le roi s'éprend d'elle,
mais ne peut donner libre carrière à ses sentiments amoureux sans
encourir la jalousie et la colère de la première reine. Il faut que
fortuitement se découvre la noble race dont est issue l'héroïne, pour
le Çârngaclharapaddhati, 8, 17 ; les deux dernières sous le même nom dans
la Siiktimulitcivalï.
Il est plus que curieux de voir clans le même extrait de douze lignes
inconnues, (l'auteur ne dit pas où se trouve le manuscrit) la confirmation,
dans tous ses détails, de la dissertation de 1902 de T. S. Çàstri. On y trouve
que Çrï Harsa égale Vikrama ; que l'auteur des drames fut « Dhâvaka, c'est-
à-dire Bhâsa n, que Dhâvaka fut l'auteur des trois pièces. Merveilleuse contir-
mation de ce que T. S. Çâstri, avait établi en 1902. Seulement pourquoi ne
pas nous dire d'où il a pu tirer cet extrait, dans lequel les quatre premières ;
et les deux dernières lignes (déjà connues) se retrouvent ensemble ? Pourquoi
ne pas avoir publié ces lignes en 1902 au lieu d'attendre jusqu'à 1904 et les ;
introduire (sans mot dire) comme préface à une édition classique au lieu
d'annoncer dans toutes les revues de l'Inde cette merveilleuse découverte qui
devrait résoudre tant de problèmes ?
(1) Nâgcmanda, trad. A. Bergaigne, p. 3. (Le même vers se trouve Ratnàv.
V, 6, Priyad. v. 3 ; Nâgân. v. 3.)
— 103 —
que celle-ci vienne enfin occuper dans le harem une place légitime :
cette mince intrigue de palais exige pour se nouer, se développer et
se résoudre un ensemble de quatre actes et s'accompagne d'accessoires
tels que la musique, la danse, le chant qui distinguent encore la
petite comédie héroïque de la grande (1). Ce n'est donc point l'origi-
nalité qui fait le mérite de ces pièces où les personnages, les
situations, les épisodes, se répètent toujours les mêmes. Aussi le
poète ne cherche-t-il guère qu'à exprimer élégamment les motifs qui
lui sont éternellement proposés : toute la variété des sentiments que
fait naître l'amour, Témoi pudique, la surprise innocente, l'abandon
de soi-même ou bien le dépit passager, la bouderie naïve ou moqueuse,
la jalousie même ou l'emportement, ou encore les multiples aspects
de la nature, voilà ce qu'il aime à tracer d'un style toujours travaillé
et également parfait, et voilà en quoi consistent au point de vue
indigène les mérites d'une petite comédie héroïque. Les amours
inconstantes et légères du roi Vatsa Udayana, qui forment la matière
des deux pièces de Harsa, avaient été déjà traitées par Bhâsa, chez qui
Harsa a notamment trouvé le modèle pour son incendie de la Ratnâ-
vaU (acte IV) (2) ; certaines situations dramatiques mêmes, les inci-
dents qui étoffent l'intrigue ne sont même pas de l'imagination de
Harsa ; c'est à Kâlidâsa que celui-ci les a empruntés sans vergogne.
Quant à l'histoire de Ratnâvalï, on la trouvera entièrement contée
dans le Kathâsaritsâgara de Somadeva (III, 16) ; elle se trouvait
donc déjà dans la JBrJiatkathà.
Aussi les stances propitiatoires de la Batnâvali ressemblent-elles
étrangement à celles qui sont attribuées à Bhâsa (3). Nous citons les
vers de Bhâsa dans la traduction de M. Lévi : « Au moment oii les
rites du mariage allaient s'accomplir, distraite de sa prière au dieu,
Gaurï vit, tracée devant elle, l'image de son époux avec la Gaiigâ sur
la tête ; émue alors de trouble, de surprise, de colère et de pudeur,
longtemps elle tarda, malgré les recommandations des vieilles femmes,
à répandre sur l'aimé une poignée de fleurs. Puissent ces fleurs vous
protéger ». Nous donnerons une courte analyse de la Eatnàvali.
(1) Cf. S. Lévi, Le Théâtre Indien, p. 146.
(2) Cf. Gaudavaho (v. 800).
(3) Saduktiharnàmrta, Çârng. Paddh. 4, 16. (Dans Aufrecht et dans la
Siibhâsitcwalï, Introd).
— 104 —
Acte I. Yaugandharâyaua, ministre du roi Vatsa, a appris par
une prophétie que Ratnâvalï, fille du roi de Ceylan, assurera la
domination du monde à son mari. Il désire la marier avec Vatsa,
seulement le roi est tout entier aux charmes de la reine principale,
Vâsavadattâ. Le ministre demande la main de Ratnâvalï directement
au roi de Ceylan, sans en parler ni à Vatsa ni à la reine. Ratnâvalï
est envoyée par son père avec de riches cadeaux, mais la barque sur
laquelle elle s'est embarquée, sombre.
La jeune fille se cramponne à une planche et est ainsi sauvée par
un marchand de Kauçâmbï, qui voyant sur elle un riche collier,
l'envoie à la cour. Le ministre l'admet sous le nom de Sâgarikâ
parmi les demoiselles d'honneur de la reine. C'est la fête du renou-
veau ; deux suivantes de la reine entrent en magnifiant l'amour et le
printemps (cf. Çakuntalâ, acte VI) et prient le roi d'aller honorer
Kâma en compagnie de la reine qui l'attend. Vâsavadattâ, émue de
la beauté et de la grâce de Sâgarikâ, prend ombrage et la renvoie, de
peur que le roi ne la remarque. Sâgarikâ, au lieu de chercher la
perruche envolée de la reine, se cache curieuse d'assister aux cérémo-
nies : elle voit le roi, c'est, pense-t-elle, Kâma en personne, et elle
l'adore de loin. Mais quel n'est pas son trouble quand le héraut qui
annonce les heures lui apprend que c'est le roi Udayana en personne,
à qui son père la destinait comme épouse.
Acte II. Deux suivantes se racontent les dernières nouvelles ; puis
paraît Sâgarikâ : elle peint de mémoire le portrait de Vatsa. Son amie,
la suivante Susamgatâ, qui a surpris son secret, lui fait conter son
aventure et esquisse le portrait de Sâgarikâ à côté de celui du roi.
Tout à coup, bruit terrible, fuite précipitée des jeunes filles : un
singe captif a cassé sa chaîne et jette l'épouvante dans le harem.
(Cf. Çakuntàla, acte I, et Mâlavihàgnimitra, acte IV). Dans le
tumulte la perruche s'échappe et vient se percher sur un arbre, près
du tableau que les jeunes filles ont abandonné. Le roi arrive et la
perruche répète la conversation de Sâgarikâ et de son amie. Le roi
découvre le tableau et tombe amoureux. Les deux amies reviennent
prendre leur dessin et le roi, voyant l'original du tableau, lui exprime
son amour. Sur ce, arrivée subite de la reine, fuite des jeunes filles ;
la reine a saisi le portrait, reconnu sa suivante, et elle se retire devant
les vaines protestations de son époux (cf. 3IcdaviJcâgnimitra, actes III
et IV).
— 105 —
Acte III. Le bouffon de concert avec Susamgatâ machine une
entrevue moins mouvementée : Sâgarikâ prendra le costume de reine
et accompagnée de Susamgatâ, déguisée elle aussi, pourra aller au
rendez-vous du roi dans le jardin, sans éveiller les soupçons de la
reine. Mais les espions de Vâsavadattâ lui rapportent tout, elle va au
I rendez-vous d'amour et c'est à elle que l'époux infidèle adresse les
galantes fleurettes dont il croit flatter Sâgarikâ. Elle se révèle et se
retire, courroucée. Survient Sâgarikâ dans ses atours de reine, elle
entend les lamentations du roi et accablée de confusion, tente de se
pendre. Le roi, croyant que la reine veut s'arracher la vie, s'élance ;
c'est Sâgarikâ. Mais la reine se repent bien vite de sa colère, elle
revient faire sa paix et tombe juste sur le couple amoureux. Furieuse
à nouveau, elle se retire entraînant cette fois comme prisonniers sa
rivale et l'artificieux bouffon. (Cf. MàlavaJcàgnimitra, actes III et IV).
Acte IV. La reine a rendu la liberté au bouffon, qui a reçu en
souvenir de la princesse son collier. Il le remet au roi, qui le lui
passe au cou. Puis le roi reçoit la nouvelle d'une victoire : Rumanvat
a soumis les Kosalas ; en même temps, un magicien vient faire au
roi ses offres de service : tandis qu'il pratique des enchantements
divers, arrivent Bâbhrav^^a et Vasubhûti, serviteurs du roi de Ceylan ;
ils racontent leur naufrage et la perte de Ratnâvalï. Soudain, des cris
s'élèvent : le harem est en flammes. Vâsavadattâ supplie Vatsa
d'aller sauver Sâgarikâ emprisonnée. Vatsa s'élance, saisit sa bien-
aimée quand tout d'un coup les flammes s'éteignent : c'était un tour
du magicien. Mais Bâbhravya et Vasubhûti reconnaissent le collier,
puis Ratnâvalï elle-même. \'âsavadattâ constate que Ratnâvalï est sa
cousine et la donne au roi. Le ministre Yaugandharâyaiia explique
alors au roi que tout, jusqu'à la venue même du magicien et à
l'incendie, a été combiné par lui.
La FriyadarçiM est une comédie tout à fait parallèle. En voici
l'analyse :
Acte I. Dnlhavarman, roi des Aiigas, a refusé la main de sa fille,
Priyadarçikâ, au roi des Kalingas, et l'a accordée à Vatsa, roi de
Kauçâmbî. Le roi des Kalingas envoie son armée contre le roi des
Arigas et, profitant de la captivité passagère de Vatsa auprès du roi
Pradyota, fait prisonnier le roi des Aûgas. Dans la confusion qui
s'ensuit, le chambellan du roi des Kalingas conduit la princesse Priya-
— 106 —
darçikâ chez le roi Vindhyaketu, allié de Drdhavarman. Mais Vatsa
a envoyé aussi son armée contre Vindhyaketu, qui est tué sur le
champ de bataille. On trouve Priyadarçikâ dans son palais et on la
croit la fille de Vindhyaketu et on la donne à Vâsavadattâ, épouse
de Vatsa, comme fille d'honneur, sous le nom d'Ârauyakâ. j
Acte II. Le roi Vatsa se promenant avec le bouffon dans les j
jardins, rencontre Ârauyakâ et s'éprend d'elle. Tandis qu'Arauyakâ j
cueille des lotus, la suivante Indïvarikâ s'éloigne d'elle et la laisse
seule. Les abeilles qui lutinent autour des lotus assaillent la jeune
fille, elle se cache la figure sous son manteau et appelle au secours.
Le roi s'approche, la serre dans ses bras, et elle le laisse faire, croyant
que c'est Indïvarikâ. S'apercevant de son erreur, elle appelle à j
nouveau et elle apprend du bouffon que c'est le roi Vatsa, à qui elle ]
était destinée par son père ; aussitôt elle se sent éprise. A ce moment
Indïvarikâ arrive, le roi et le bouffon se cachent de nouveau, tandis
qu'Âraiiyakâ s'en va avec la suivante (cf. ÇaMntala, acte I).
Acte III. La vieille confidente de la reine, Sâiukrtyâyauï, a fait une
pièce de théâtre sur les amours de son maître et de sa maîtresse (1).
On a répété la pièce la veille, et Âraiiyakâ qui jouait le rôle de
Vâsavadattâ était distraite et jouait de travers. Elle confesse son
amour à la suivante Manoramâ, qui tient le rôle du roi ; le bouffon
et Manoramâ imaginent une ruse qui réunira les amants ; ce sera le
roi qui jouera son propre rôle. On représente la pièce : cependant
Vâsavadattâ est choquée par la trop vive réalité de la pièce, elle se
retire du spectacle et trouve le bouffon endormi ; réveillé en sursaut
il trahit le secret (cf. Blalavihlgnmitra, acte IV). Furieuse, la reine
fait lier solidement le bouffon, et fait emmener Âranyakâ. Le roi la
prie de se calmer, mais elle ne lui répond point (cf. Mâlavikâgnimitra,
actes III et IV et RatnàvaU, acte II).
Acte IV. Aranyakâ a été enfermée par Vâsavadattâ, et malgré les
efforts de Vatsa, de Manoramâ et du bouffon, elle reste en prison.
La tante de Vâsavadattâ est l'épouse du roi Drdhavarman, prisonnier
du roi des Kaliûgas. Le roi, pour satisfaire la reine, lui annonce qu'il
a vaincu le roi des Kalingas et rétabli Drdhavarman dans son royaume.
(1) Vatsa avait été mis en prison par Pradyota, qui voulait faire de lui son
gendre : il est mis en liberté à condition d'enseigner la musique à la princesse
Vâsavadattâ, sa fllle. Vatsa s'enfuit avec elle et l'épouse.
— 107 —
Le chambellan de Dnlhavarman apporte lui-même la confirmatioû
des paroles de Vatsa, en annonçant la mort du roi des Kaliûgas. Il
annonce en même temps la disparition de Priyadarçikâ, la fille du
roi. Manoramâ entre soudainement, apportant la nouvelle qu'Âra-
nyakâ a bu du poison. Le roi, qui a appris dans les régions infernales
les formules qui détruisent l'effet des poisons, s'efforce de la guérir.
Le chambellan reconnaît alors la fille de Drdhavarman.et Vâsavadattâ
pleure déjà la mort de sa cousine. Le roi à l'aide de ses formules
magiques fait revenir petit à petit Priyadarçikâ (cf. 3IâlaviM(/nimitra,
acte IV). Vâsavadattâ, voyant que Priyadarçikâ est sa cousine, ne
saurait la refuser au roi, qui aura en elle une épouse légitime à côté
de Vâsavadattâ.
Ce n'est pas par l'action que peuvent valoir de telles comédies :
peu compliquée, peu émouvante, ce n'est pas l'intrigue qui fait ici la
force du drame. Cependant la Batndvall est mille fois citée dans la
littérature dramatique et c'est à elle que se réfèrent le plus souvent
le Daçarupa et le Sahityadarpana dans les exemples dont ils appuient
leurs règles. C'est que les personnages de ces comédies correspondent
de tout point aux types techniques ; leur valeur aux yeux des
critiques hindous est en raison inverse de leur originalité. Et puis le
mérite littéraire de ces pièces n'est pas à dédaigner ; le développe-
ment de l'intrigue est sinon original, du moins habile et d'une grande
aisance, et le poète a su tirer avantage des accessoires dramatiques
qu'il avait à sa disposition : chant, musique, mimique et danse,
fondus comme ils le sont dans l'action, mériteraient à l'auteur des
applaudissements par tous pays. Si Harsa n'y gagne pas le nom de
grand poète, on n'en saurait pas moins reconnaître la clarté de sa
langue, la simplicité de son style et la délicatesse de son goût.
Si différent que soit par ailleurs le troisième drame de Harsa, le
Nàgànanda, les mêmes qualités s'y retrouvent et pourraient en garan-
tir l'authenticité, même si l'on négligeait de noter que le prologue (1)
(1)
Ratnâvalï.
Priyadarrika.
Nâgânanda.
Prologue (moitié).
=■ Prologue (moitié). =
Prologue (moitié).
v. 6.
= I. V. 3. =
I. V. 3.
V. 87.
= IV. V. 12.
III. V. 10. =
I. V. 14.
m. V. 3. =
, IV. V. 1.
— i08 —
des trois pièces est le même avec quelques variantes nécessaires, et
qu'un certain nombre de stances y sont répétées fidèlement. C'est que
le Nàgànanda est un drame d'un type rare dans l'Inde et son héros
Jîmûtavâhaua a pu difficilement être catalogué par les théoriciens
indigènes : c'est en effet une pièce d'édification bouddhique où l'on
voit prêcher d'exemple l'esprit de sacrifice et de renoncement à la
vie. Tandis que la Ratnàvalî et la FrîpadarriM débutent par une
invocation à Çiva, à Gaurî et à d'autres divinités hindoues, le
Nàgànanda se place sous les auspices du Buddha. Telle est la
facilité d'emprunt entre elles des diverses religions de l'Inde, tel est
l'éclectisme de leur panthéon, qu'il n'y a pas lieu dans cette même
pièce où le sacrifice bouddhique est exalté, de s'étonner de voir à la
fin paraître la déesse Gaurî qui récompense le bodhisattva de ses
mérites.
A quelle époque et dans quelles circonstances fat représenté ce
drame, on a cru pouvoir y répondre en se fondant sur un passage
d'Hiouen Tsang. Celui-ci, en mentionnant les fêtes religieuses que
le roi célébrait à Prayâga, au confluent du Gange et de la Yamuoâ,
nous a conservé la description des cérémonies auxquelles assistèrent
dix-huit rois, vassaux de Harsa, et cinq cent mille personnes, tant
moines que laïques. Le premier jour, dit-il, on installa la statue du
Buddha ; le deuxième celle du Soleil, et le troisième celle de Maheç-
vara. Muni de cette donnée, M. Cowell (1) a essayé de préciser l'année
et le jour même de la première du Nàgànanda. 11 estime donc que le
jour des cérémonies bouddhiques relatées par Hiouen Tsang on
joua le Nàgànanda devant ce « parterre de rois » à qui s'adresse le
directeur dans le prologue, et que le jour de l'inauguration de la
statue de Maheçvara, on joua la Ratnàvalî, qui est sous Tinvocation
de Çiva. Mais les prologues mêmes de ces deux pièces combattraient
plutôt cette ingénieuse conjecture. Voici celui du Nàgànanda (2) :
« Trêve aux longues prières ! Aujourd'hui, jour de la fête d'Indra,
l'assemblée des rois venus de tous les points de l'horizon et baisant
les pieds, ces lotus, du roi Çrï Harsa Deva m'a très civilement fait
appeler et m'a dit : « Notre maître, Çrï Harsa Deva, a composé sur le
Cakravartin (3) des Vidyâdharas, avec un arrangement nouveau du
(1) Préface de la traduction anglaise du Nàgànanda de P. Boyd.
(2) Traduction d'A. Bergaigne.
(3) « Empereur universel ».
— 109 ~
sujet, uQe pièce intitulée « La joie des Serpents ». Nous en avons
entendu parler, mais nous ne l'avons pas vu représenter. Il faut donc,
tant par égard pour ce roi chéri de tous, que pour notre propre
plaisir, que tu nous fasses donner aujourd'hui une bonne représenta-
tion de cette pièce » .
Le prologue de la lîatnàvaU est identique à celui-ci, excepté qu'au
lieu de « jour de la fête d'Indra », il y a « fête du printemps ».
La conjecture de" M. Cowell que le Nàgànanda fut représenté le
jour de l'installation de la statue du Buddha semble assez peu
s'arranger avec les mots du prologue : « Aujourd'hui, jour de la fête
d'Indra ».
De même la fête du printemps n'est pas si spécialement attachée
au culte de Çiva, qu'on puisse rattacher la représentation de la Ratnà-
valï à la fête de Maheçvara. Tout ce qu'où peut affirmer avec un plein
degré de certitude, c'est que les pièces furent représentées à l'occasion
d'une fête religieuse quelconque, sans qu'on puisse dire définitivement
laquelle. D'autre part ce que nous en dit I-tsing ne nous permet pas
d'affirmer davantage (1).
« Le roi Çîlâditya versifia l'histoire du Bodhisattva Jïmûtavâhana
(c'est-à-dire porté par le nuage), qui se sacrifia à la place d'un Nâga.
Cette version fut mise en musique. Il la fit jouer par un orchestre
accompagné de danses et de jeux, et ainsi dans son propre temps il
la popularisa ».
L'histoire de Jïmûtavâhana est une des histoires les plus populaires
par lesquelles le bouddhisme enseigne la doctrine du sacrifice et de
la charité. Elle se trouve dans lesJdtakas, sous des formes différentes.
Des Avadânas et des JâtaJcas la légende passa dans les recueils de
contes. Nous la lisons dans la Brluitkathâmcuijarl de Ksemendra,
(livres 4 et 9) et dans le A'athâsaritsàgara de Somadeva (livres 4,
ch. 22 ; 12, ch. 90). Dans la Vetal&pancavimçaU, la légende est le
sujet du quinzième récit. La pièce de Harsa n'est qu'une dramatisation
du conte tel que nous l'avons dans la Vetcllapancavlmçati.
En voici l'analyse :
Acte I. Jïmûtavâhana, prince des Vidyâdharas, tout dévoué à
ses parents, leur cherche un ermitage dans la forêt près du mont
(1) I-tsing, ch. 32, p. 103.
— ilO —
Malaya ; accompagné de son bouffon (1), il voit la jeune Malayavatï,
fille du roi des Siddhas, qui mène la vie d'ascète dans un ermitage
consacré à la déesse Gaurï. Il s'éprend d'elle et entend le récit d'un
songe qu'elle a eu. La déesse Gaurï lui est apparue et lui a désigné le
Cakravartin des Vidyâdharas comme sou futur époux. Le bouffon
met les deux jeunes gens en présence et Malayavatï à son tour
s'éprend du prince. Leur entretien est interrompu par un ascète qui
vient rappeler Malayavatï à l'ermitage de Gaurï. L'ascète nous
annonce que le jeune roi des Siddhas, Mitra vasu, est parti chercher
le prince Jïmûtavâhana pour lui offrir la main de sa sœur. L'intrigue
continue ensuite parce que les deux amants sont ignorants de leurs
noms respectifs.
Acte IL Malayavatï, souffrante de son amour et tourmentée par la
fièvre, fait préparer un banc de pierre pour s'y reposer. Elle confie
son secret à sa suivante, quand un bruit de pas les fait fuir et se
cacher. Jïmûtavâhana, accompagné du bouffon, s'asseoit sur le banc,
et le prince, après avoir fait un récit de son amour, peint sur le banc
le portrait de Malayavatï. Mitrâvasu survenant offre la main de
Malayavatï à Jïmïitavâhana, qui la refuse incontinent, dans l'ignorance
où il est du nom de celle qu'il aime. Mais Malayavatï a entendu le
refus du prince et de désespoir elle veut se pendre (cf. Ratnàvali,
acte III). Sa suivante qui la surveille, soupçonnant quelque chose,
crie au secours ; le jeune prince accourt et lui exprime sa flamme ;
pour la rassurer complètement il lui montre le portrait qu'il vient de
tracer sur le banc.
Acte III. Après le mariage et le festin qui s'ensuit, nous assistons
à une scène comique entre le parasite ivre et le bouffon, qui s'est
déguisé en femme et enveloppé d'un voile pour échapper aux attaques
des abeilles. Puis l'amante du parasite taquine le bouffon, qui est
comme dans toutes les pièces un brahmane, et elle veut le forcer de
boire dans sa coupe. Après cet intermède, les nouveaux époux se
promènent dans les jardins et s'amusent d'une nouvelle scène bur-
lesque où la suivante barbouille la figure du bouffon eu bleu avec du
jus de tamâla. Mitrâvasu accourt en hâte et apprend à Jimïitavâbana
que son parent Mataùga s'est emparé de son royaume, il lui demande
(1) Le vidûsaka.
— ill —
ses ordres pour le renverser. Le héros, heureux d'être délivré du
fardeau de la couronne, refuse de faire aucune démarche pour
reprendre son royaume.
Jusqu'ici les trois actes du Nàgânanda se sont passés d'une façon
tout à fait conforme aux règles de la technique. Les actes n'ont été
remplis qu'avec les mêmes sujets que la Ratnâvall ou \si PriyadarriJcâ.
Mais avec le quatrième acte, tout change : pour une fois, le traite-
ment est original : l'erotique se trouve changé pour le pathétique et
l'horrible. La comédie noble devient mélodrame.
Acte IV. Jîmïïtavâhana se promenant avec son beau-frère Mitrâ-
vasu près de la mer découvre des montagnes d'ossements. Étonné, il
I demande la raison de tant de morts. Mitrâvasu lui explique que ce
sont les restes des Nâgas, des serpents qu'on offre journellement à
Garuda, le roi des oiseaux, par suite d'un traité qu'il a imposé au
roi des serpents. Jimûtavâhana, pris de pitié, se dé,cide à se sacrifier,
même pour conserver la vie à un seul serpent. Tandis que Mitrâvasu
s'éloigne, le héros entend des cris de femme : c'est la mère d'un
jeune Nâga, nommé Çaiikhacûda, destiné au sacrifice, qui accompagne
son fils et l'embrasse en pleurant. La mère croit voir dans le prince
qui s'approche, le terrible Garuda, et s'offre à mourir à la place de
son fils. Touché de tant d'amour, Jimûtavâhana veut lui-même rem-
placer le jeune Nâga. Les deux Nâgas refusent cette offre magnanime
et se retirent pour faire pieusement le tour du temple de Çiva.
Jimûtavâhana profite de leur absence pour endosser des vêtements
rouges, les insignes de la victime et monter sur la pierre du supplice.
Garuda survient et l'emporte sur le mont Malaya, tandis qu'il pleut
des fleurs et que résonnent les tambours célestes.
Acte V. Une pierre précieuse de la couronne de Jimûtavâhana
tombe du ciel, souillée de sang, aux pieds de son père Jïmûtaketu.
Malayavalï, suivie de ses beaux-parents et du jeune Çaiikhacûda, part
à sa recherche. Çaiikhacûda découvre le terrible Garuda, s'offre à lui
servir de pâture, mais trop tard : Jimûtavâhana doit être sacrifié.
L'oiseau, apprenant du Nâga qu'il a frappé le prince des Vidyâdharas,
veut monter sur le bûcher : justement les parents de Jimûtavâhana
et Malayavatl arrivent portant le feu qui doit les consumer. Le héros
s'est évanoui en présence de tous ceux qui lui sont chers : ceux-ci
s'évanouissent également ; Garuda ne peut supporter tant d'horreur,
il se repent et jure au héros expirant qu'il ne mangera plus de
— H2 —
serpents. Il part pour supplier Indra de faire pleuvoir l'ambroisie etj
de ressusciter non seulement Jïmûtavâhana, mais encore tous les
princes des serpents qu'il a mangés. Malayavatï, avant de monter sur
le bûcher avec sa famille, reproche à Gauri son manque de foi ; elle||j^
ne lui a pas donné pour époux un Vidyâdhara qui fût Cakravartin.
La déesse paraît, ressuscite le héros, et le sacre Cakravartin des
Vidyâdharas. En même temps la pluie d'ambroisie, demandée par
Garuda, tombe, et à son contact ressuscitent les princes des serpents
dont il ne restait que les os. Gauri donne des joyaux célestes au
nouveau Cakravartin, lui fait remettre la soumission de l'usurpateur
Mataûga et lui rend son royaume.
Tel est ce drame sur lequel il n'est pas de remarques à ajouter qui
n'aient déjà été faites (1). Il est curieux surtout comme essai d'adap-
tation d'une légende pieuse et édifiante à un genre qui ne semble
comporter de nature que légèreté et galanterie. Sans doute la foi
bouddhique du royal poète n'était pas assez puissante pour le déter-
miner à rompre avec les usages traditionnels de la comédie : un parti
pris si héroïque aurait juré avec son scepticisme élégant. Aussi
une profonde différence de style a-t-elle été relevée entre les trois
premiers et les deux derniers actes. Dans les premiers, rien qui
s'éloigne de l'usage et du ton de la nâtikâ : personnages, épisodes, {
entretiens et descriptioDs lyriques, c'est toujours le même sacrifice à
la convention technique, la même crainte de rien innover. Dans les
derniers par contre se détache fortement la noble figure de Jimïita-
vâhana et elle les emplit de son originalité si vive qu'elle a toujours
dérouté les critiques hindous (2). Mais pourtant le manque d'unité
n'est pas si apparent qu'on pourrait le redouter ; le merveilleux du
h
(1) Weber a discuté le sujet dans le Literarisches Centralhlatt du 8 juin,
1872, N". 23, p. 614. La longue notice de M. Beal dans VAcademy 29 sept.,
1883, N°. 595, pp. 217, 218, est une erreur ; il croit que Çilâditya prenait
liabituellement le rôle de Jïmûtavâhana sur la scène ; ceci est tout à fait
impossible, Le colophon du Nâgânanda dans le tibétain attribue le drame
au roi Çrï Harsa Deva ; les deux poèmes de Harsa lui sont attribués sous le
même nom dans la version tibétaine.
(2) Pour cette discussion voyez surtout S. Lévi, Le Théâtre Indien, pp. 65-6.
On classa Jïmûtavâhana définitivement comme « héros noble et supérieur ».
— 113 —
dénouement et surtout les intermèdes plaisants du bouffon et du
parasite tempèrent le pathétique de la légende et ramènent la pièce
dans ses justes proportions.
De tous les littérateurs qu'entretint à sa cour le roi Harsa, c'est
Bâna sans doute le plus réputé. Peut-être même le roi l'entoura-t-il
de plus de faveur que ses rivaux et daigna-t-il recevoir ses avis et
ses conseils de préférence à d'autres, toujours est-il qu'une légende
maligne a pu se créer sur leurs rapports littéraires. Toutefois certains
de ses confrères ont été plus justes et Govardhana (1) a dit de lui (2) :
" De la même façon qu'autrefois celle qui s'appelait de naissance
I Çikhandinï devint Çikhandin (3), je crois savoir que la déesse de la
I parole (Vânï, Bâuï) est devenue Bâna pour obtenir plus de gloire ».
I Et un autre poète ne fait guère moins entendre sous l'amphigouri
du style (4) :
« Bâiia est le lion qui détruit toujours par son habileté les protubé-
rances globales des éléphants de la poésie, dans le passage étroit de
la forêt Vindhya, impénétrable pourtant, de la poésie capricieuse (5) ».
Bâna mérite en tous cas la reconnaissance de la postérité pour son
histoire romanesque de Harsa, qui contient en même temps son
autobiographie personnelle. Il manque peut-être de modestie quand,
dans l'énoncé de sa généalogie, il se vante d'être un descendant de
la déesse de la poésie. Peut-être nous lui avons fait tort, et Bâna
ne voulait que montrer qu'il était un Sarasvatï brahmane. Mais c'est
qu'il y a bien de l'art dans la composition du Harsacarita, et cet
art va presque jusqu'à masquer la vérité historique qu'il a charge
d'illustrer, ainsi qu'un bref aperçu va nous le faire voir.
(1) Dans son Âryâsaptaçatî, v. 37.
(2) Jâtâ Çikhandinï prâg yathâ Çikhandî tathrivagaechâmi 1
prâgalbhyam adhikam âptuin Vânï Bâno babhQveti ||
(3) Cf. Mahàbhârata, i, 525, 2453, 2761, 6323 ; iii, 594 ; iv, 2352 ; v, 5100,
5942, etc. ; xii, 7783, etc. ; xiv, 1781.
(4) Suhhâsitaratnakoça v. 19. (Bhandarkar, Report 1883-1884, p. 360).
(5) âl;i sarvaira gabhïi'adliïrakavitrivindliyritavïcâtui'ï |
sameâre kavikurabliikumbliabhiduro BEnas tu pâùcânanab |1
S
_ lU —
■-S
P
o —
p-
Pl
td
p
D"
bj
p
.►-j
►1
-X
CfQ
P
t>
M
ffi
O
po
p
CD
P
•P
P
P
P
^
►-S _
p
-X
cO
»J
p
h-HI
O)
p
Cî
»o
p
p
H- '•
PI
p
CD
B
W
P
P
P
■B
h--
ffi
CD
P
"-S
*n
, ,
p
PI
g
p-
P
H
p -
p
P-
1—1
P-
P
<rt-
1-5
PI
p
^
r-^
— p -
— -a
•C/3
P
173
p
P
Ahidatta Viçvarupa Mala
Dharma Jatavedas
P
ri-
P
^,
p
< _
CD
•-S
P
03
P
-s
co
P
P
Ci
PI
•-s
?.
P
-X
O
P
P
p
p—
O
_ &=
p
P3
p-
O
O
p
M
CD
p
p
•
w
Oï
l»-!
PI
•53
PI
P
O
>►■*
-«
P
CD'
so
P
PS-
P
•-!
oo
50
CD
CD
ES
1— -
t^.
P
1^
et-
Si
O'
•cô
CD
ça
PI
es
-s
P
S§
a
P
■
53
— 115 —
Chap. I. Sarasvatî, précipitée sur la terre par la malédiction de
urvâsas, s'éprend de Dadhîca, fils de Cyavana, l'épouse, et a de lui
an fils nommé Sârasvata. L'ami d'enfance de celui-ci, Vatsa, né à la
nême heure et dans le même ermitage, reçoit par le contact de
Sârasvata les dons de Sarasvatî. Kuvera, descendant des Vâtsyâyanas,
a, quatre fils : Acyuta, ïçâna, Hara, et Pâçupata. Pâçupata n'a qu'un
fils, Arthapati, qui a onze fils, dont l'un, Citrabhânu, marié à Râja-
devï, a comme fils Bâua. Cette famille demeure au bord du Çona, à
Prïtikûta. Bâua perd sa mère en bas âge, et à quatorze ans son père.
Parvenu à l'adolescence, il s'adonne aux plaisirs (1) avec la folle
iasouciance des jeunes gens et fréquente tout un monde interlope de
poètes et de magiciens, d'artisans et de mendiants, de joueurs et de
danseuses (2). Puis avec l'âge lui vient la raison, il s'assagit et rentre
dans son pays et dans sa famille.
Chap. II. Krsua, le frère de lait de Harsa, envoie un messager à
Bâna pour l'appeler à la cour, où circulent sur son compte des bruits
médisants. Le camp royal est près de la rivière Ajiravatî ; Bâua, les
cérémonies achevées, s'y rend par Mallakuta, puis traversant le
Gange à Yastigrhaka il fait son entrée à la cour. Il est admis en
présence de Harsa, qui le reçoit froidement. Bâna se retire du camp
pendant quelques jours, puis y reparaît et acquiert la confiance de
Harsa, qui l'admet même dans sou intimité.
Chap. III. Bâua retourne passer quelque temps dans son pays, oii
ses parents le prient de leur parler de Harsa. Il leur conte alors ce
qui est proprement le Harsacarita :
Dans le pays de Çrîkantha est le district do Sthânvîçvara : un
certain roi, nommé Pusyabimti (3), attaché exclusivement au culte
de Çiva, prête une fois secours à un ascète çivaïte du nom de
Bhairavâcârya pour un rite magique nocturne : au cours de cette
cérémonie Çrî lui apparaît et lui promet une descendance de rois
d'où sortira l'empereur Harsa.
(1) Itvaro babhûva.
(2) Cf. supra, pp. 72, 73.
(3) Les textes du Harsacarita portent PuspabhQti. Bûliler (E. I. vol. i,
p. 70) propose de lire PusyabliQti, puisque beaucoup de noms propres en
-bhûti ont les noms des constellations comme première partie du mot.
— ii6 —
Chap. IV, Dans la suite des rois naît Prabhâkaravardhana,
surnommé Pratâpaçïla. Il épouse Yaçomatî (1), qui rêve qu'elle a
deux enfants merveilleux. Râjyavardhana naît le premier : puis dans
le mois de Jyaistha naît Ilarsa. Des signes miraculeux annoncent son
empire. La naissance de Râjyaçrï, leur sœur, suivait de près. Les
enfants se lient d'amitié avec Bhandin, fils du frère de Yaçomaû,
alors âgé de huit ans. Le roi attache à leur personne Kumâragupta
et Mâdhavagupta, hls du roi de Mâlava et âgés de dix-huit ans. Puis
il fiance et marie Râjyaçiï à Grahavarman, fils d'Avantivarman, de
la famille des Mukharas, famille qui est « dharanïdharâuâm mûrdhni
sthita ».
Chap. V. Râjyavardhana, accompagné de sages conseillers, va
attaquer les Hïïnas. Harsa l'accompagne jusqu'à la région qui brille
par la splendeur de Kailâsa, et y passe son temps à la chasse. Il
reçoit la nouvelle que son pèire est malade, s'empresse de rentrer, et
trouve toute la ville adonnée à des rites de toute confession (jainas,
bouddhistes, çivaïtes, etc). La reine Yaçomatî monte sur le bûcher
et le roi meurt.
Chap. VI. Quelque temps après, Râjyavardhana rentre couvert de
blessures reçues contre les Hûnas. L'aîné veut céder le trône à son
cadet ; à ce moment même un serviteur de Râjyaçrï, Samvâdaka,
vient annoncer que le jour même de la nouvelle de la mort de
Prabhâkaravardhana, le roi des Mâlavas a fait mourir Grahavarman,
et que Râjyaçrï a été mise aux fers et jetée en prison à Kânyakubja.
Râjyavardhana décide de partir aussitôt contre le. Mâlava avec dix
mille cavaliers et Bhaiidin ; Harsa suivra avec les râjas et les éléphants.
Quelques jours ensuite, Kuntala, chef de la cavalerie, vient annoncer
que l'armée des Mâlavas a été vaincue, mais que le roi du Gauda,
sous des prétextes trompeurs, a attiré Râjyavardhana dans sa demeure
et l'y a tué. Harsa délibère avec son général Simhaoâda, puis il
dicte à son ministre (2), Avanti, une proclamation, où il fait le vœu
(1) Plusieurs textes ont Yaçovafl. Les inscriptions ont Yaçomatî, y ovc
Bûhler, E. I. vol. i, p. 70.
(2) Le titre saiïidhivigrahâdliikrta, aussi bien que ceux de vyâprtasarpdtii-
vigraha et de sâindhivigraliika, est trouvé sur les inscriptions, C. L L vol. iii,
pp. 10, 35, 104, 108, 128, 167 ; L A. VOl. xiii, pp. 84, 118 ; J. B. R. A. S. VOl. X,
p. 27 ; E. L vol. i, p. 88, 1. 50.
~ 117 —
de détruire les Gaudas. Skandagupta (1), chef des éléphants, détourne
Harfa d'une confiance en soi si dangereuse en lui citant nombre
d'exemples de rois qui en ont été victimes.
Chap. VII. Au jour fixé par les astrologues, l'armée se réunit à un
temple au bord de la Sarasvatî, près de la ville de Thanesar. Le
notaire (2) du village vient solliciter une charte (3) et présente un
sceau d'or ayant la forme d'un taureau (4). Harsa donne aux
s brahmanes cent villages de mille sillons. Puis vient une longue
description du départ et de la marche de l'armée. En route, arrive
Hamsavega, messager du roi d'Assam, Kumâra ; il offre au roi
l'ombrelle blanche de Varuna, décorée d'un hamsa, qui est le
palladium du royaume, puis de nombreux cadeaux. Hamsavega
raconte que l'ombrelle de Varuna a été conquise par Naraka, fils de
la Terre et du Sanglier, qu'elle est passée ensuite aux mains de
Bhagadatta, de Puspadatta, de Vajradatta, etc., puis à celles du
Maharaja Bhîitivarman, de Candramukhavarman, de Sthitivarman,
de Susthiravarman, surnommé Mrgânka, marié avec Çyâmâdevï, de
qui est né Bhâskaradyuti, ou Bbâskaravarman, çivaïte zélé, qui
demande l'amitié de Harsa quelques jours après la mort de son père.
Survient Bhandin victorieux, qui ramène le butin conquis au Mâlava
par Râjyavardhana, mais Râjyaçrï manque. Après la mort de
Râjyavardhana, quand Kânyakubja a été repris par Gupta, Râjyaçrï
a été délivrée de prison et s'est retirée dans les forêts du Vindhya.
Harsa s'y dirige aussitôt.
Chap. VIII. Après bien des jours Harsa voit venir Vyâghraketu,
fils de Çarabhaketu, chef tributaire de la forêt (5), qui lui présente
Nirghâta, neveu du général des Çabaras, Bhûkampa, (le chef de tous
(1) Skandagupta est probablement la même personne que Harsa nomme
dans l'inscription de Madhuban. E. I. vol. i, p. 73.
(2) Le mot âksapatalika « celui qui est chargé des documents v, se trouve
dans les inscriptions, voir C. 1. 1. vol. .3, p. 180, 1. 76, p. 100, n. 2 : Maliâksa-
patalika. C. I. I. vol. 3, p. 177. 1. 46 ; grâmriksapatalâdhikrta. C. I. I. vol. 3,
p. 257, 1. 15. Mahriksapatairidhikaranâdhikrta se trouve dans l'incci'iption
de Har.sa, E. I. vol. i. p. 73.
(3) Çâsana, « une charte « ou " une concession ».
(4) Vrsânka.
(5) Atavikasâmanta.
— 118 —
les chefs des villages) (1), qui connaît tous les recoins de la forêt.
Nirghâta indique à Harsa l'ermitage de Divàkaramitra, l'ami
d'enfance de feu Grahavarman. Le saint appartenait à la Maitrâyanï
çâkhâ (2) ; il est passé du brahmanisme au bouddhisme, et a revêtu
le kasâya (3). Harsa va le trouver et le rencontre au milieu de gens
de toutes sectes : Jainas, Lokâyatikas (4), Bhâgavatas (5), Pâficarâ-
tras (6), Kâpilas (7), Aupanisadas (8), etc. Survient un bhiksu qui
annonce à Divàkaramitra qu'une femme dans le voisinage veut de
douleur se brûler ; il le prie d'aller la réconforter. Harsa devine
qu'il s'agit de sa sœur et se précipitant sur les pas du çramana, il la
rejoint et la console : Divàkaramitra met à son service le joyau
Mandàkinï, rapporté du palais des Nàgas par Nàgàrjuna, qui l'offrit
à Sâtavàhana, et qui console de tout chagrin. Ràjyaçrï persiste à '
vouloir prendre le kasàj^a ; Harsa la prie de rester auprès de lui et
demande à Divàkaramitra d'être le consolateur spirituel de sa sœur,
jusqu'au jour où il aura accompli son vœu de venger son père : il ;
prendra alors lui-même le kasàya avec sa sœur. Puis, en quelques
étapes, le roi rejoint son camp établi près du Gange.
Ici le Harsacarita se termine brusquement. Nous avons été amené
ailleurs à apprécier la valeur historique du Harsacarita : nous nous
sommes efforcés de montrer quelle sorte de renseignements il est
légitime de demander à Bàna et de déterminer la méthode qui
permet de faire un départ entre les faits authentiques et ceux qui
sont indifférents à l'historien.
Quel que soit donc le mérite de Bàna comme témoin de cette
époque, il n'en est pas moins vrai que son ouvrage est unique dans
la littérature indienne. Transformer une matière historique et con-
fl) Sarvapallïpatînâm prâgraharah.
(2) Selon le D"- Bhau Dhâji (.1. B. R. A. S. vol. 10, p. 40) les Maitrâyanïya
brahmanes se trouvent actuellement à Bliadgaon et dans les villages du voi-
sinage près des montagnes Satpuda.
(3) Habit rouge jaunâtre des ascètes bouddhiques.
(4) École athée.
(5) Disciples de Krsna.
(Q) Secte vishnouite à peu près identique avec les Bhâgavatas.
(7) Disciples de Kapila, fondateur du système Sâùkhya.
(8) Sectateurs des Upanisads.
— il9 -
temporaiae ea roman, broder sur im canevas d'événements vrais
des dessins fantaisistes et le surcharger d'ornements ajoutés au point
que la trame primitive en soit méconnaissable, c'est là une tentative
i| qui n'est pas banale dans les annales de l'histoire littéraire. Le
scrupule que d'autres ont apporté à rechercher dans la masse des
faits les seuls qui fussent vrais et considérables, puis à les mettre dans
la lumière qui leur convenait, Bâua ne l'a guère connu : il a fait tout
le contraire, il s'est préoccupé de traiter la chronique de son royal
patron dans le style du roman ou de la grande épopée. Il y a mis à
contribution tout ce que son génie comportait d'inventif et de raflSné.
Il a lâché toutes guides à son imagination de poète courtisan. Il se
complaît aux flatteries quintessenciées, aux jeux de mots, aux allusions
ambiguës. Il ne voit du prince qu'il sert, que la vie mondaine et
galante ; il n'admire que sa diplomatie de cour ou de harem et si le
hasard l'entraîne sur les champs de bataille, il ne trouvera dans la
discussion des plans stratégiques qu'une occasion de moraliser sur
l'imprudence des rois trop confiants en eux-mêmes, et les opérations
de guerre n'auront de prix à ses yeux que si elles lui fournissent
matière à dépeindre dans un style convenu et officiel un campement,
une marche d'armée ou une pittoresque mêlée humaine. Ainsi Bâiia
déploie toutes les ressources de son esprit et de sa science à faire
paraître la réalité sinon invraisemblable, du moins fausse ; son talent,
qui est incontestable, se travaille de manière à piquer, à intriguer,
à décontenancer le lecteur et à lui faire avouer son incapacité de
discerner le fait exact du fait imaginaire. Témoin authentique de
scènes vraies et vécues, Bâna s'attache à les farder des couleurs de
la poésie conventionnelle ; chez lui, l'art l'emporte sur la nature et le
souci esthétique est plus pressant que le scrupule d'être simplement
véridique.
Le deuxième grand ouvrage de Bâna, la Kâdambarl (1), est moins
intéressant pour l'historien que le Harsacarita. Bien qu'il contienne
nombre de récits sur la vie de la cour ou du village, un intérêt
(i; " Kâdambarîrasajnruiâm âhâropi na rocate », " ceux qui s'abandonnent
à la Kàdambarî {K.~[.d3Lïnhàvi veut aussi dire vin) ne goûteront plus de la
nourriture », dit un proverbe sanskrit, qui montre la haute estune où l'on
tenait cette œuvre.
— 120 —
supérieur y fait défaut. Tandis que dans le Eari>acarita on peut
apprécier les faits historiques qui s'y trouvent semés, la Kàdambarl,
voilée par des récits mythologiques et bien qu'elle réfléchisse avec la
même fidélité le camp, les calmes villages, les monastères et les
mœurs de leurs habitants, ne saurait prétendre à la même valeur.
La Kadamhan, comme le Harsacarita, a été laissée incomplète par
Bàna, et n'a été finie que par les soins de son fils, Bhiisanabhatta.
Nous aurions volontiers sacrifié la suite de la Kcldaniharï, pour avoir
seulement la fin du Harsacarlta.
L'histoire racontée dans la Kâdanibarl est assez compliquée. Nous
chercherons à la donner sous une forme aussi concise que possible en
prenant modèle sur celle qu'a donnée Miss Ridding dans sa traduction
publiée par l'Oriental Translation Fund.
Un perroquet du nom de Vaiçampâyaua, présenté au roi Çûdraka
par une princesse Caudâlâ, lui raconte comment il a été pris dans la
forêt Vindhyâ et amené au saint Jâbâli, qui lui a révélé les événements
de sa naissance antérieure.
Selon Jâbâli, Târâpida, roi d'Ujjain, avait un fils nommé Candrâ-
pïda qui fut élevé avec Vaiçampâyana, fils d'un de ses ministres.
Un jour Candrâpîda, chassant près de Kailâsa, arrive sur les bords
d'un lac.
Là il voit une jeune ascète, Mahâçvetâ, qui lui raconte qu'étant
princesse Gandharva elle avait aimé Puudarïka, jeune brahmane.
Celui-ci la payant de retour, était mort des tourments d'un amour
auquel ses vœux ne lui permettaient pas de se livrer. Un dieu
emporta le corps du jeune brahmane et promit à la jeune fille qu'elle
serait unie à lui dans un avenir lointain. Dans cette attente, elle
passait son temps en austérités de toutes sortes.
Mahâçvetâ a une amie nommée Kâdambarï, elle aussi princesse
Gandharva, qui de son côté fait serment de ne point se marier avant
Mahâçvetâ. Mahâçvetâ invite le prince à venir avec elle dissuader
Kâdambarï de son dessein. Le prince et Kâdambarï s'aiment tout de
suite, mais des ordres inattendus du père du prince le rappellent à
Ujjayinï, sans qu'il ait le temps de dire adieu à celle qu'il aime.
Kâdambarï, croyant que le prince l'a abandonnée, s'évanouit de
douleur.
— 121 —
Cependant Vaiçampâyana, qu'on avait laissé près du lac, refuse
de s'en aller. Le prince va le chercher, mais en vain. Il revient à
Termitage de Mahâçvetâ, qu'il trouve désespérée... En lançant contre
un jeune brahmane qui l'a approchée de trop près, une malédiction
à l'effet de le transformer en perroquet, elle a appris qu'elle avait
tué Vaiçampâyana. A cette nouvelle, le prince meurt de douleur et
Kâdambarï, qui survient à ce moment, veut le suivre. Une voix du ciel
lui défend de se tuer et lui promet ainsi qu'à Mahâçvetâ que toutes
deux retrouveront leurs bieu-aimés.
Tel fut le récit du saint Jâbâli, continue le perroquet. Après l'avoir
entendu, la mémoire de son amour pour Mahâçvetâ renaît, il s'envole
et tombe entre les mains de la princesse Candâlâ.
La princesse prend à son tour la parole devant le roi Çûdraka.
Elle dit être la déesse Laksmï, mère de Pundarïka (Vaiçampâyana)
et lui annonce que maintenant aussi la malédiction dont Çiidraka
est victime va prendre fin.
Tout d'un coup, en effet, Çûdraka so rappelle son amour pour
Kâdambarï. En même temps le corps de Candrâpida, qui a été gardé
par Kâdambarï, est ressuscité et quitte la forme mortelle de Çûdraka.
La même fortune échoit à Pundarïka et les deux héros, heureux de
retrouver leurs maîtresses, vivent enfin dans le bonheur.
Dans ce fatras d'aventures fantaisistes et inventées à plaisir, un
détail mérite de retenir un instant l'attention ; c'est le nom de
Vaiçampâyana, l'ami du roi héros. Si l'on regarde le roi Çûdraka
comme une personnification de Hars^ï, on n'aura pas d'hésitation à
reconnaître la personne qui figure sous le nom de Vaiçampâyana. Nous
savons, en effet, par le Harsacarita que le cousin de Harsa s'appe-
lait Krsiia. Mais Vaiçainpâyana, nom d'un disciple de Vyâsa, est un
des multiples noms de Krsna. Si donc Çûdraka représente Harsa,
nul doute qu'on puisse identifier Vaiçampâyana avec Krsua, le cousin
du roi.
Quoique moins importante que ces deux romans, lœuvre poétique
de Bâna n'est pas négligeable. Sa prose est du reste si voisine de la
poésie, si travaillée et si étincelante de faux brillants de toute sorte,
qu'il n'y a pas lieu de s'étonner de la voir émaillée de nombre de
stances qui ne font point dissonance avec l'ensemble. Mais un petit
poème de Bâna nous est un exemple de ce que son souple talent de
— 122 —
versificateur pouvait atteindre. C'est le CandiMçatalca (1) ; la matière
en est des plus simples, elle a pour objet le combat de la déesse Candï
(Durgâ) avec le démon Mahisàsura qui a pris la forme d'un buffle.
Mais la manière dont ce thème est traité caractérise cet art de
« tourneur en ivoire n qui est celui de la plupart des poètes hindous.
Chaque stance, qui est du mètre appelé Çârdûlavikrïdita, évoque
une allusion à ce combat digne de l'épopée. Les métaphores, les
locutions à double entente, les jeux de mots, les allusions recherchées
redoublent encore la difficulté du rythme et font de cet ouvrage un
recueil souvent difficile à entendre.
On trouve aussi dans les anthologies de nombreux vers attribués à
Bàna. Beaucoup ont été vainement recherchés dans les œuvres qu'on
connaît de lui (2), soit qu'ils eussent appartenu réellement à des
œuvres de lui perdues aujourd'hui, soit au contraire qu'on lui en eût
prêté qu'il aurait été capable d'écrire.
Outre ces poèmes, Bâna est encore l'auteur de deux drames (3). De
l'un, qui était intitulé M'uhidatàditaJca, il n'a survécu qu'une stance
unique citée par le commentateur Candapâla (4), dans la. Nalacamptl
(p. 227).
L'autre est une petite comédie héroïque, et a pour titre Pârvatï-
parinaya (5). Cette comédie est tellement dépourvue d'intérêt,
l'obéissance et la soumission aux règles techniques y étouffent à tel
point l'expansion du génie, qu'on a de la peine à reconnaître la main
de Bâiia et qu'on a été tenté d'y voir une œuvre de jeunesse.
L'authenticité pourtant en est indéniable, puisque l'auteur a soin de
(1) Cf. I. A. vol. i, p. 111. Bâna semble avoir suivi à peu près le Markandeya
Purâna, Adhy. 80, ss. Le texte du Candikâçataka a été publié dans la
Kâvyamrilâ, N°. 19, 1887.
(2) Voyez Vallabhadeva, Suhhàsitàvali, éd. Peterson, pp. 62-66.
(3) Le Sarva-carita-prahasana, une farce, est attribué à Bâna par le
Sûcïpatram de Panditarâja-Râmaçâstrin. Ce catalogue décrit une collection
importante de manuscrits qui ont appartenu à feu le Pandit Râdhâkrsna de
Lahore.
(4) Peterson (Intro. Kàdamhari, p. 98) donne pour le nom du commentateur
Gunavinayagani qui sut amplifler la glose de Candapâla.
(5j Pour le traitement scientifique de ce drame, voyez Glaser, Sitzungs-
berichte der K. K. Akademie der Wissenschaften, Wicn, phil.-hist. classe,
vol. 104, 1883, pp. 575-664.
— 123 —
se nommer dans une stance du prologue toute pareille à une stance
de la KcldambarJ. Le sujet est entièrement emprunté au Kumâra-
samhhava de Kâlidâsa ; Bâna s'est borné à suivre les divisions de
Kâlidâsa, en découpant en actes la matière traitée par son illustre
devancier. Il a abrégé toutes les longues descriptions (1) et fondu
ensemble certains chants. Ses seules innovations consistent dans les
personnages suivants : le chambellan de Himavat, les amies de
Pârvatî, Jayâ et Vijayâ, les dieux Brhaspati et Visuu, la matrone
Kauçikî, les messagers des dieux, et naturellement aussi, le directeur
et l'actrice qui disent le prologue, plus enfin quelques rôles
subsidiaires.
Le premier acte (K. I.) introduit trois personnages ; le saint
Nârada, Himavat et Mena (le père et la mère de Pârvatî). Tout le
premier acte est occupé par leurs délibérations sur les moyens qu'ils
emploieront pour marier Çiva avec Pârvatî.
Acte IL (K. II, III, 1-23). Les dieux, effrayés par les menaces du
démon Târaka, tiennent conseil ; Brahma a annoncé aux dieux que
Kumâra, dieu de la guerre qui n'est pas encore né, est le seul qui
puisse tuer le démon ; pour le faire naître, il faut que Çiva s'unisse
avec Pârvatî. Le dieu de l'amour, Kâma, promet de se charger des
intérêts des dieux, et d'inciter Çiva à s'éprendre de Pârvatî.
Acte III. (K. III. 24:-fin. IV). Brhaspati et Indra entendent de la
bouche de Nârada le récit du triste sort de Kâma, qui a été réduit en
cendres par le regard du troisième œil du dieu Çiva.
Acte IV. (K. V.). Nandin est envoyé par Çiva auprès des amies de
Pârvatî, Jayâ et Vijayâ, pour leur demander si elle aime véritable-
ment le dieu et si elle persiste dans ses austérités pour gagner son
amour. Çiva, déguisé sous un habit d'ascète, rencontre la jeune fille
et se montre sous sa forme divine. On arrange leur mariage pour le
cinquième jour suivant.
Acte V. (K. VI. VIL). Le mariage est conclu avec toutes les
cérémonies usuelles.
Le dernier acte n'est pas du tout nécessaire : on aurait pu finir avec
le quatrième acte. On voit combien il y a peu d'action dans cette
(1) Par excmplo K. I. 5-18 ; K. I. 29-50 ; K. II. 30-51 ; K. III. 25-44 ; K. IV.
1-46 ; K. V. 9-29.
— 124 —
pièce ; avec l'aide des règles théoriques seulement, et sans nulle
inspiration dramatique, Bâna n'a réussi qu'à faire une pièce au-
dessous du médiocre.
A côté de Bâna se trouve Mayûra, son beau-père (1), qui a laissé
un grand nom et une grande réputation dans l'Inde, mais dont nous
ne possédons que peu d'œuvres. Un joli vers à propos de Mayïira
mérite d'être signalé ici (2) : « Le chant des poètes, ces cygnes, ne
se fait entendre à travers le monde qu'aussi longtemps que le chant
doux comme miel de Mayûra (ou le paon) ne demeure point dans nos
oreilles (3) »,
Mayûra a écrit un ouvrage appelé ÂrpànmJitàmrda , dont il existe
un manuscrit non publié encore dans une bibliothèque privée de
Surat (4).
Son ouvrage principal est le SuryaçataJîa (5), poème à la gloire du
Soleil. La tradition indigène aime à raconter la rivalité littéraire de
Bâna et de Mayûra et c'est à elle qu'elle rapporte complaisamment le
Suryarataka. Voici ce que raconte à cet égard un auteur jaina,
Merutungâcârya (6) :
« Autrefois il y avait à Ujjayinï un pandit, nommé Mayûra, qui
avait étudié les castras, et était honoré par le roi Viddha Bhoja
(Bhoja l'aîné). Il eut pour gendre Bâna. Celui-ci aussi était habile.
Tous deux se jalousèrent l'un l'autre, car il est dit : « Les ânes, les
(1) I. A. vol. ii, p. 127. Madhusûdana, cité par Biihler, dans un commentaire
sur le Sûryaçataha dit que Bâna et Mayûra demeuraient à la cour du
Maharaja Çrï Harsa, chef des poètes, auteur de la nâtikâ appelée Ratncivalï.
(2) Subhasitaratnakoça, v. 21. (Bhandarkar, Report 1SS3-4, p. 3G0).
(3j Tâvat kavivihaingânâm dhvanir lokesu çamyate (MS. çasyate) |
Yâvan no viçati çrotre Mayûramadhuradhvanih |!
(4) Biihler, Catalogue of Sanskrit MSS. m the private libraries ofGuja-
rat, etc. 2ième partie p. 72.
(5) Les éditions en sont : Sicryaçataha, a century of verses in praise of
the Sun, icith a Siyihalese paraphrase. EcUtecl with a Sinahalese préface
hy Don A. de Silva Devarakkhita of Batuvantuddva, Colombo, 1883 ; et
Sûryaçataha... with the commentary of Tribhuvanapdla, Kâvyamalâ
N" 19, 1889.
{()) Selon Bendall, Cat. Sanskrit. MSS. British Musemn, p. 101, le commen-
tateur s'appelle Merutungâcârya.
— 125 —
bœufs, les chevaux, les joueurs, les pandits et les fripons ne se suppor-
tent pas et ne peuvent pas vivre les uns sans les autres ».
" Un jour qu'ils se querellaient, le roi leur dit : « Holà, pandits,
allez au Cachemire. Le meilleur de vous deux sera celui-là même que
Bhâratr, qui y réside, jugera le meilleur ». Ils prirent de la nourriture
pour leur voyage et partirent. Chemin faisant, ils arrivèrent au pays
des Mâdhumatas (au Cachemire). Voyant cinq cents bœufs, des
fardeaux sur le dos, ils demandèrent aux conducteurs : « Qu'avez- vous
là » ? Ils répondirent : « Des commentaires sur la syllabe OM ». Un
peu plus tard ils virent au lieu de cinq cents un troupeau de deux
mille bœufs. Mais quand ils eurent appris qu'ils étaient tous chargés
de nouvelles gloses différentes de la syllabe OM, ils se relâchèrent de
leur fierté. Ils dormaient dans un certain endroit, lorsque la déesse
Sarasvatï éveilla Mayûra et lui demanda un vers sur ce thème : « Le
ciel rempli d'une centaine de lunes ». Il se mit sur son séant, salua,
et donna la solution qui suit :
« Cânuramalla, étourdi du coup de la main de Dâmodara, vit le
ciel rempli d'une centaine de lunes ».
« La même question fut aussi posée à Bâna. Il répondit de méchante
humeur : « Cette nuit, à cause des figures de lotus qui s'agitaient ça
et là sur les terrasses élevées, le ciel brilla comme s'il était rempli
d'une centaine de lunes ». La déesse dit alors : « Poètes, tous les deux
vous connaissez les castras. Mais Bâiia est moins grand, parce qu'il
s'est mis de mauvaise humeur. C'est moi qui vous ai montré cette
quantité de commentaires sur la syllabe OM. Qui a jamais atteint
une connaissance complète du vocabulaire de la déesse de la Parole ?
On a aussi dit : « Que personne n'ait de fierté et qu'on se garde de
dire : « C'est moi qui suis le seul pandit du siècle, les autres ne sont
que des ignorants » ; la grandeur d'esprit n'est que relative ». C'est
ainsi que Sarasvatï conclut entre eux deux un pacte d'amitié.
« Un jour Bâna se querella avec sa femme. La dame, étant très
fière, se mit à bouder et la nuit passait ainsi. Mayûra, en se prome-
nant, arrive par là. Au bruit fait par le mari et sa femme à travers la
fenêtre, il s'arrête pour écouter : Bâna tombait aux pieds de sa femme
et lui disait : « 0 ma femme fidèle, pardonne-moi cette seule faute,
je ne te ferai plus la moindre contrariété ». Elle lui donna un coup
de pied : son pied était entouré d'une parure. Mayûra, qui se tenait
près de la fenêtre, entendit le cliquetis de la parure et se fâcha de ce
— 126 —
manque de respect envers le mari. Alors Bâua récita une stance :
" 0 toi, à la taille mince, la nuit qui est presque passée, fuit rapide-
ment comme un lièvre ; cette lampe s'incline comme si elle était
lasse ; ô toi, aux beaux sourcils, ton cœur s'est endurci par la proxi-
mité de tes seins, de sorte que, hélas ! tu ne quittes ni ta fierté ni
ta colère, malgré mes prostrations »,
« A ces mots Mayûra s'écria : « Ne lui dis pas qu'elle a de beaux
sourcils, mais qu'elle est emportée (candi), puisqu'elle est en
colère ». En entendant ces dures paroles, cette épouse fidèle maudit
son père qui avait trahi le caractère de sa fille, et lui dit : « Puisses-
tu devenir lépreux au contact du jus de bétel que j'ai dans la bouche ».
En ce moment des taches de lèpre lui apparurent en effet sur le
corps. Le lendemain, Bâna se rendit comme d'habitude à la cour, et
fit le jeu de mots suivant sur Mayûra, qui lui aussi était venu enve-
loppé d'un foulard (varaka) :
« Le Varakodhï est venu » (1). Le roi comprit et, voyant les taches
de lèpre, le renvoya, en disant : « Il faut t'en aller ». Mayûra s'assit
dans le temple du Soleil, et médita sur le dieu et le loua en cent vers
{Sùrya- ou MayUra-Çataka) commençant par « jambhârïtîbhakum-
bhodbhavam ».
« Lorsqu'il eut récité le sixième vers, le soleil parut et détruisit les
taches de lèpre. Le peuple se réjouit et le roi l'honora. Bâiia, affolé
de jalousie, se fit couper mains et pieds et loua Candikâ avec les cent
vers commençant par « Ma bhâûksïr ». Lorsqu'il eut récité la sixième
syllabe du premier vers, Caudikâ parut en personne et lui rendit ses
membres ».
Outre le Suryaçataka, Mayûra écrivit un MayUrâstalia. Une autre
légende jaina raconte que le poète, ayant peint les charmes de sa
piopre fille dans ce poème avec des couleurs trop crues, fut frappé de
la lèpre par la main des dieux et qu'il dut le rétablissement de sa
santé à la publication du SuryaçataJca. L'histoire de JVIayûra et de
Bâna est racontée aussi par Merutuùga dans le Prabandhacintâ-
mani (2). Seulement dans cette version c'est Mayûra qui querelle sa
(1) Varakodhï, forme dialectale, veut dire « le bon lépreux », ou « le por-
teur d'un mouchoir autour du cou ».
(2) Prabandhacmtàmani, traduction de Tawney (Bibliotlieca Indica)
pp. 64. ss.
— 127 —
femme et Bâaa qui devient lépreux. L'auteur a fait une confusion
évidente. Entin des vers épars dans les anthologies, comme nous
l'avons déjà vu pour Bâna et pour Harsa, sont attribués à Mayûra (1).
C'est à propos des exploits poétiques de JBâna et de Mayûra que
nous faisons la connaissance d'un autre poète, de Mânatuùga.
Son œuvre la plus importante est le BhaMâmarastotra (2). C'est
du commentaire sur cet ouvrage que nous avons tiré le récit des
exploits légendaires de Mayûra et de Bâna (3). Selon la tradition
jaina, Mânatuùga l'éloquent, est de nature à faire plus encore que ses
rivaux. Avec le consentement du roi, il se fait mettre quarante-huit
paires de fers et emprisonner dans une cellule ; la porte est fermée à
sept cadenas et des gardes y sont placés. Alors le jaina thaumaturge
prononce le Bhaktamarastotra. A chaque strophe se détache une
chaîne, puis l'un après l'autre tombent les cadenas, et enfin la porte
s'ouvre d'elle-même. Le roi Bhoja, naturellement étonné du pouvoir
du maître, devient un jaina dévot. Quant à Mânatuùga, cet Orphée
indien (qui fut aussi appelé Devâcâryapatta, « la couronne du précep-
teur des dieux »), le commentateur nous déclare gravement que tandis
que les uns lui assignent quarante-deux paires de chaînes, d'autres
ne lui en prêtent que trente-quatre : le nombre de cadenas fixés à la
porte n'est pas spécifié d'une manière plus précise.
Ce BhaJîtclmarastotra est un poème en quarante-quatre strophes en
l'honneur de Rsabha, le premier tîrthamkara.
Mânatuùga est nombre de fois cité dans la littérature jaina. Le n° 159
des Cambay Palm-Leaf MSS. (Peterson, First report) contient un
Farigrahapramayiaprakarana et (ou) un Dvâdaçavratanirîlpana (les
deux en Mâgadhï) dus à un certain Mânatungasûri. Weber (Katalog.
vol. ii, p. 932 n.) donne la communication suivante de Klatt : « Le
PrahhrwaJcacaritra {comTposé vers Sanivat 1250), dans lequel la vie de
Mânatuùga (çrûga 12) suit immédiatement celle de Bappabhalti
(mort Samvat 895) ne contient que l'histoire déjà connue de la con-
(1) Vallabhadeva, Subhâsitâvalï, éd. Peterson, p. 86.
(2) Les éditions en sont: Bhaktamarastotra, hymne jaina en 48 vers
Sanscrits avec traduction en Marathi par Devacancl Manahcand. Poona,
1883, et Bhaktamarastotra. dans le Jainastotrasamgraha, Bombay, 1890.
Jacob l'a traduit et publié dans « Indische Studien », vol. xiv, pp. 363, ss.
Les éditions en sont très fréquentes dans l'Inde.
(3) Vâsavadattd, par Hall. pp. 8 et 49.
a
— 128 —
troverse entre Bâua, Mayûra et Mânatunga devant le roi Harsa à
Vârânasî «. Mais dans une Pattâvali du Vrhadgaccha on nomme
MâQatuùga « Mâlaveçvaracaulukyavayarasimhadevâmâtya ». Vaira-
simha de Mâlava régna vers le commencement du neuvième siècle (1).
Dans « Kaïpasutra trsl. info hhrJm » (Lucknow, 1875) on donne
la date du Bhciktamarastavana comme étant Vikrama 800 (2j.
Dans la Pattàvalï du Tapâgaccha, jVlâuatunga est au n° 20. « Mâla-
veçvaracaulukyavayarasimhadevâmâtya, qui convertit le roi, qui avait
été trompé par les sorcelleries de Bâua et de Mayûra, à Vârânasî,
par le Blialitamarastavana et convainquit Nâgarâja (un Nâgarâja
quelconque, ou peut-être Harsa, cf. Nâgânanda et I-tsing) par le
Bliayaharastavaiia. Il composa de plus un BhaUihJiarastavana (3). »
Mânatunga est aussi nommé dans làFattavali duKharataragaccha (4).
Une figure littéraire des plus populaires dans l'Inde est celle de
Bhartihari, à la fois poète, grammairien, philosophe. Ce n'est que
dans rinde qu'une semblable combinaison serait possible, et même là
il n'y a presque point de cas pareil (5). C'est I-tsing qui nous permet
de dater Bhartrhari. Écrivant en 690, il nous dit que Bhartrhari est
mort quarante ans avant son temps, c'est-à-dire en 651/2, Par une
preuve incontestable Bhartrhari appartient à l'époque dont nous
traitons. Selon I-tsing, le poète Bhartrhari étant devenu moine
bouddhiste, rentra dans la vie laïque, puis revint à l'ascétisme et
n'hésita ainsi pas moins de sept fois entre le monde et le couvent.
C'est de cette vie mouvementée qu'est sans doute résultée cette triple
centurie, cette collection de trois çatakas (6), dont les sujets semblent
assez mal assortis ensemble. La première partie comprend des apho-
rismes qui ont trait à la civilité et qui semblent dictés par une raison
prudente en même temps que malicieuse : c'est le Nltiçataka. Dans
la deuxième, le ÇrhgâraçataJca, le poète fait connaissance avec les
charmes féminins et se consacre aux peintures les plus vives de
l'amour. M. Macdonell a traduit en anglais plusieurs de ces stances
(1) Duff, Chron. India, p. 74.
(2) Cf. Peterson, Fourth Report.
(3) I. A. vol. xi, p. 252.
(4) I. A. vol. xi, p. 247.
(5) Macdonell, Hist. Sanskrit Literature, p. 340.
(6) M. V. Henry, Littératures de Vlnde, pp. 228-235, donne la traduction
de plusieurs stances de ces poèmes gnomiques.
— i-29 —
desquelles je me permettrai de reproduire celle-ci qui est bien fine :
« Malgré la lampe, malgré les flammes du foyer, malgré le soleil, la
lune, les étoiles, le monde est entièrement sombre pour moi sans la
lumière des yeux de ma belle ». A la fin, Bhartrhari se fatigue de
l'amour. Il annonce que ses jours amoureux sont passés et qu'il va
se vouer à la contemplation. C'est ainsi qu'il se ménage une transition
pour passer à sa troisième partie, le Vairâgyaçataka^ centurie du
Renoncement. Il y prêche la pureté des mœurs, la haine de l'amour,
l'humilité et le cosmopolitisme, souvent avec l'accent amer d'un
homme désenchanté ou plutôt d'un jouisseur blasé.
En 1897, K. B. Ghule a publié à Nagpur un nouveau çataka,
VijhânaçataJca, qui dans son manuscrit était attribué à Bhartrhari.
Il a signalé en même temps un assez grand nombre de similitudes
entre ce çataka et les trois autres. Il est bien possible que ce soit une
imitation assez ancienne, vu le grand succès qu'a toujours obtenu
Bhartrhari.
Le BhaUikclvi/a est aussi attribué à Bhartrhari : c'est un poème en
vingt-deux chants écrit au Valabhï sous le roi Çrï Dharasena. Les
aventures fameuses de Râma et de Sïtâ en font la matière, mais n'y
sont pas contées pour elles-mêmes ; c'est un poème didactique qui
ne se propose que d'illustrer les règles de la grammaire sanskrite.
Bhartrhari montre un autre aspect de son activité dans son Vâlya-
padli/a, commentaire sur le Mahâhhâ.^ya, le grand ouvrage gramma-
tical de Patafijali. L'ouvrage traite surtout de la grammaire au point
de vue de la philosophie. I-tsing mentionne ainsi cet ouvrage : « Il
contient sept cents çlokas et le commentaire a sept mille çlokas. Ceci
est l'œuvre de Bhartrhari ; c'est un traité sur la déduction soutenu
par l'autorité des écritures saintes et sur les arguments de l'induc-
tion » (1).
Le Bharfrharlçâstra, autre ouvrage grammatical, est analysé par
I-tsing comme il suit (2) : « C'est le commentaire sur le MahâhlK^ya
de Patanjali. C'est l'ouvrage du grand savant Bhartrhari. Il contient
vingt-cinq raille çlokas et traite entièrement de la vie humaine, aussi
bien que de la science grammaticale ; il traite aussi des raisons de la
(1) I-tsing, p. 180. Le Vâkyapadiya a été édité par Pandit Râma Çûstrî
Mânavalî, Benarès, 1S84-1887. Cf. L A. vol. xii, p. 226.
(2) I-tsing, pp. 178-9.
9
— 150 —
grandeur et de la décadence de nombreuses familles. L'auteur était
bien familiarisé avec la doctrine de la seule science (Vidyâmâtra)
et il a discuté avec habileté sur le Hetu et l'Udâharaiia (la « cause »
et « l'exemple » de la logique). Ce savant fut fameux dans les cinq
parties de llnde, et son excellence connue partout. Il croyait avec
sincérité aux Trois Précieux et méditait avec diligence sur le « double
nihilisme » (Çûnya) (1). Ayant désiré embrasser la loi excellente, il
devint un moine sans famille, mais vaincu par les désirs mondains,
il rentra dans la vie laïque. De la même manière il devint sept fois
moine, et sept fois il redevint laïque. Il écrivit le vers suivant plein
de reproches pour soi-même :
« Poussé par les désirs mondains, je redevins laïque. Libre des
plaisirs mondains, de nouveau je porte l'habit du moine. Comment
se trouve-t-il que ces deux motifs se jouent de moi comme d'un
enfant ? n
La tradition hindoue, elle aussi, rapporte que Bhartrhari fut un
roi qui abandonna les plaisirs du monde pour devenir ascète et qu'il
hésita sept fois entre ces deux carrières.
Encore un ouvrage de grammaire noté par I-tsing (2) : « Le Pei-na
(Bcda i. e. Beda-vrttï) (3) contient trois mille çlokas, et le commen-
taire contient quatorze mille çlokas. Bhartrhari composa les çlokas
tandis qu'on en attribue le commentaire à Dharmapâla, maître de la
loi. Ce livre sonde les mystères du ciel et de la terre, et traite de la
philosophie humaine ».
La grammaire semble avoir un règne glorieux à cette époque, car
outre les ouvrages de Bhartrhari ou ceux qui lui sont attribués, on
date de la même époque le KâçilMvrtti dont Jayâditya et Vamana
furent les auteurs. I-tsing donne à ce sujet une petite notice inté-
ressante (4) : « Le VrttisFdra (KcïçiJiâvrtti) est un commentaire sur le
Sûtra de Pânini. Il y avait beaucoup de commentaires composés
(1) « Le double nihilisme », c'est-à-dire que l'Âtman et le Dharma sont
également non-existants (Takakusu).
(2) I-tsing, p. 180.
(3) Un ouvrage de ce nom Beda-vrtti trouve dans Bhandarkar, Catalogue
ofthe MSS. Deccan Collège, Bombay, 1888, p. 146, N° 381 ; et Aufrecht, Cat.
Cat. p. 198, sous Janmâmbhodhi. Cf. I-tsing, pp. 180 et 325.
(4) I-tsing, p. 175.
- loi -
autrefois, et celui-ci en est le meilleur.... Si les Chinois vont dans
l'Inde pour étudier, tout d'abord ils doivent étudier cet ouvrage, puis
d'autres sujets encore, sinon leur travail sera en pure perte. Tous ces
livres doivent être appris par cœur.... Ils devront étudier jour et nuit
sans laisser consumer un moment dans l'oisiveté. Us devraient suivre
l'exemple du père K'ung (Confucius), qui usa trois fois la reliure en
cuir de son Tihhing. Jayâditya composa le VrttisUtra. Il fut un
homme de grande habileté, et il a une facilité étonnante pour les
lettres. Il révérait les Trois Honorables et mourut il y a à peu près
trente ans » (661-2).
A cette époque studieuse et féconde en travaux de l'intelligence, les
sciences non plus ne furent pas négligées. En 598 naissait l'astronome
Brahmagupta. Il écrivit le Brahmasphutasiddhànta en 628. Les
chapitres douze et dix-huit de cet ouvrage traitent des mathémati-
ques (1). Un autre astronome de cette époque, Lalla, écrivait le
Dhîvrcldhida (2).
Vers cette époque vécut le poète jaina Ravikîrti, qui fut l'auteur
de l'inscription d'Aihole Meguti de Pulikeçin II. Ses autres œuvres
littéraires nous sont encore inconnues. M. Rice croit qu'il est peut-être
identique au Ravisenâcârya qui écrivit un Padma Fur(ina{Karnâtaka
Çabdânuçâsanam, lutro. p. 19).
Entre 605 et 615, le Çatrunjaya Malmtmya, ouvrage jaina, fut
écrit sous le règne de Çïlâditya de Valabhï (3). Les pèlerins chinois
Hiouen Tsang et I-tsing, l'historien tibétain Târanâtha nous ont
maintes fois attesté combien ce règne de Harsa fut riche en spécula-
tions philosophiques et religieuses. Bouddhistes, brahmanes, jainas,
voyons-nous chez eux, se complaisaient non à produire des œuvres
nouvelles et originales mais à composer des commentaires sur des
œuvres classiques. Aux universités de Nâlandâ et d'Ajanta, on étudiait
sans cesse les œuvres bouddhiques ; on les expliquait, on glosait
savamment sur les points obscurs. L'orientation même de cette activité
religieuse nous est un garant que nous n'y trouverons nul ouvrage
intéressant : se serait-il même trouvé un talent que cette vaine et
(1) Cf. J. R. A. S. N. S. vol. 1, p. 410. Ganakataranginî. The Pandit, N. S.
vol. xiv, p. 18.
(2) Cf. Sewell, Indian Calendar, p. 8.
(3) 1-tsing, p. 175.
— 13-2 —
puérile scolastique l'aurait infailliblement étouffé ! Du côté des
brahmanes et des jainas, la récolte serait plus médiocre : ici même les
.dates nous font défaut, nul historien ne nous ayant conservé, comme
pour le mouvement bouddhique, la mémoire de leurs œuvres.
Terminons cette modeste esquisse de la littérature à l'époque de
Harsa en donnant un aperçu des méthodes et usages pédagogiques
de ce temps. I-tsing nous fournit à ce sujet des données utiles (1),
mais comme il ne traite que de l'éducation des moines bouddhistes,
nous citerons le tableau plus complet que nous devons à Hiouen
Tsang (2) : « Pour ouvrir l'esprit des jeunes gens et les initier à l'étude,
on leur fait d'abord suivre un livre en douze sections (3).
Lorsqu'ils ont atteint l'âge de sept ans, on leur donne successive-
ment les grands traités des cinq sciences. Le premier s'appelle
Ching-miug (la Science des sons — Çabdavidyâ) ; on y expose le sens
des mots, et on en explique les divers dérivés.
Le second s'appelle Kiao-ming (la science des arts et métiers —
Çilpasthânavidyâ). Il traite des arts, de la mécanique, des deux
principes In et Yang et du calendrier.
Le troisième s'appelle I-fang-ming (la science de la médecine —
Cikiteâvidyâ). Il traite des formules magiques et des sciences occultes,
de la pierre médicale (sorte de lancette), de l'aiguille (de l'acuponc-
ture) et de l'armoise.
Le quatrième s'appelle In-ming (la Science des causes — Hetuvidyâ).
Dans cet ouvrage, on examine et on définit la vérité et l'erreur, et
on recherche avec soin la nature du vrai et du faux.
Le cinquième s'appelle Nei-ming (la Science des choses intérieures
— Adhyâtmavidyâ). Dans ce traité, on pénètre et on approfondit le
caractère des cinq Véhicules (4) et les principes subtils des causes et
des effets.
(1) I-tsing, pp. 167-185.
(2) H. T. vol. ii, p. 72.
(3) C'est un syllabaire en 12 chapitres, que le dictionnaire bouddhique
Fan-i-ming-i-tsi (liv. xiv, fol. 17 a) appelle Si-than-chang {Sicldhavastu)
(Julien). Cf. I-tsing, pp. 170-1 : on n'est pas du tout certain quel était ce
livre.
(4) Le mot Véhicule est pris ici au figuré. Il indique les moyens employés
par cinq classes d'hommes éminents pour parvenir à la perfection. Selon le
— 155 —
Les brahmanes étudient les quatre Vedas. Le premier s'appelle
Cheou (longévité — Âpur Veda) (1). Il traite des moyens de conserver
la vie et de corriger le naturel de l'homme. Le second s'appelle Sse
(sacrifices — Yajur Veda) (2). Il traite des divers sacrifices et des
prières. Le troisième s'appelle P'ing (pacification — Sà^na Veda) (3).
Il traite des rites et des cérémonies, de la divination, de l'art de la
guerre et des différents corps d'armée. Le quatrième s'appelle Chou
(sciences occultes — Atliarva Veda). Cet ouvrage traite des talents
extraordinaires, tels que les formules magiques et la science de la
médecine (4). Les maîtres doivent avoir largement étudié ce que ces
livres renferment de plus subtil et de plus caché, et en avoir pénétré
complètement les principes mystérieux. Ils en enseignent le sens
général et guident leurs disciples dans l'intelligence des expressions
obscures. Ils les stimulent et les attirent avec habileté. Ils éclairent
les ignorants et donnent de l'énergie aux esprits médiocres. Mais,
s'ils rencontrent des élèves qui, doués de capacité et d'intelligence,
songent à fuir pour se soustraire à leurs devoirs, ils les attachent et les
tiennent enfermés. Quand les étudiants ont terminé leur éducation
et qu'ils ont atteint l'âge de trente ans, leur caractère est formé et
dictionnaire San-thsang-fa-su, (liv. xxii, fol. 16) il y a cinq sortes de Véhi-
cules : 1° le Véhicule de Buddha ; 2° le Véhicule des Bodhisattvas ; Z" le
Véhicule des Pratyeka Buddhas ; 4° le Véhicule des Çrâvakas, qui ont
acquis l'intelligence (Bodhi) après avoir entendu la voix du Buddha ; 5"^ le
Véhicule des Upâsakas (Julien).
(1) Fan-i-ming-i-tsi , liv. xiv, fol. 17 : '0-yeou (Aî/wr Yecla). (Julien).
(2) Fan-i-ming-i-tsi, liv. xiv, fol. 17 : Tchou-ye, UsezYe-tchou [Yajur
Veda). (Julien).
(3) Fan-i-ming-i-tsi, liv. xiv, fol. 17 ; P'o-mo lisez So-mo [Sama Yeda)
(Julien).
(4) On lit dans le Mo-teng-Jiing {Mâtaiiga sûtra) : " Au commencement,
un homme appelé Fan'thien (Brahma) composa un seul Veda. Ensuite, il y eut
un rsi du nom de Pe-tsing, qui changea le Veda unique en quatre Vedas,
savoir : 1° Tsan-song (Hymnes-i2^ Veda) ; 2-^ Tsi-sse (Sacrifices — Yajur
Veda) ; 3° Ko-yong (Chants - Sàma Veda) ; 4° Yang-tsai (le livre pour con-
jurer les calamités — Atharva Veda) 11 y eut un autre j'?i, nommé Fo-cha
(peut-être Vâjasaneyi dont l'école développa le Yajur Veda blanc par distinc-
tion du Veda noir), qui avait vingt-cinq disciples. Ils prirent chacun le Veda
unique, le dôveloppèicnt et le divisèrent; de sorte (lu'il y eut vingt-cinq
Vedas. (Fa-hoa-wen-hiu, livre ix^, fol. 3). (Julien).
— 134 —
leur savoir est mûr. Lorsqu'ils ont obtenu un emploi et un traitement,
ils commencent par remercier leur maître de ses bienfaits. Il y en a
qui, versés dans les choses anciennes et les aimant avec passion,
ge retirent à l'écart et conservent la pureté de leur caractère. Us
vivent en dehors du monde, et s'élancent par un libre essor, au delà
des choses du siècle. Ils sont insensibles à la gloire comme à la
disgrâce. Quand leur nom a retenti au loin, les princes leur témoignent
une haute estime, mais aucun d'eux ne peut les contraindre à venir
jusqu'à lui. Le roi honore leur rare pénétration, et le peuple apprécie
leur haute intelligence. On les comble de louanges pompeuses et de
brillants honneurs. Voilà pourquoi ils peuvent s'affermir dans leur
résolution et étudier avec ardeur ; ils se livrent aux lettres sans
songer à la fatigue. Us se dévouent à l'humanité et cherchent à
s'instruire sans s'inquiéter d'un voyage de mille li. Quoiqu'ils soient,
chez eux, riches et opulents, ils conservent les goûts d'un voyageur,
et errent en mendiant pour se procurer leur subsistance. D'autres,
quoique attachant du prix aux connaissances littéraires, ne rougissent
point de consumer leur fortune. Ils voyagent pour leur plaisir et
négligent leurs devoirs : ils se livrent à de folles dépenses pour leur
nourriture et leurs vêtements. Comme ils ne savent point se distin-
guer par la vertu, ni par le zèle pour l'étude, la honte et le déshon-
neur viennent à la fois fondre sur eux, et le bruit de leur ignominie
se répand au loin. «
CHAPITRE IV.
La condition sociale de l'Inde d'après les données d'un
CONTEMPORAIN, HlOUEN TsANG.
Les différentes familles se divisent en quatre classes ou castes. La
première est celle des brahmanes. Ce sont des hommes d'une vie
sans tache. Ils observent la vertu et pratiquent la droiture. La pureté
la plus sévère est la base de leur conduite. La seconde est celle des
ksatriyas ; c'est la race royale. Depuis des siècles, ils se succèdent
sur le trône et s'appliquent à exercer l'humanité et la miséricorde.
La troisième est celle des vaiçyas ; ce sont les marchands. Ils se
livrent au négoce et l'amour du lucre les pousse de tous côtés. La
quatrième est celle des çûdras ; ce sont les laboureurs. Ils emploient
leurs forces à la culture des terres et travaillent avec ardeur pour
faire les semailles et la récolte. Dans ces quatre familles, la pureté ou
l'impureté de la caste assigne à chacun une place séparée. Quand les
hommes ou les femmes se marient, ils prennent un rang élevé ou
restent dans une condition obscure, suivant la différence de leur
origine. Les parents du mari ou de la femme ne peuvent s'unir entre
eux par des mariages. Quand une femme s'est mariée une fois, il lui
est défendu jusqu'à la fin de sa vie de convoler en secondes noces (1).
Les autres familles de l'Inde forment des classes nombreuses qui,
suivant leur condition, se rapprochent et se marient entre elles ; ils
serait superflu de les faire connaître en détail.
Les vêtements ne sont ni taillés (2), ni façonnés. Les Indiens esti-
ment beaucoup les étoffes d'un blanc pur, et dédaignent celles qui sont
bigarrées. Les hommes enveloppent leur ceinture et leurs aisselles,
(1) H. T. vol. ii, p. 80.
(2) H. T. vol. ii, p. 68.
— 156 —
posent leur bonnet en travers et rejettent à droite les pans de leur
vêtement.
Les femmes ont une robe longue qui retombe jusqu'à terre. Leurs
épaules sont complètement couvertes ; elles relèvent une partie de
leurs cheveux sur le sommet de la tête en forme de crête, et laissent
flotter tous les autres.
Il y a des hommes qui coupent leurs moustaches, et qui se distin-
guent par une mode bizarre : ils ornent leur tête de guirlandes de
fleurs et leur cou de riches colliers.
Ils portent diverses sortes de vêtements, savoir : V des vêtements
de kauçeya (1), de coton, de toile, etc. ; 2" des vêtements de ksauma,
qui est une sorte de chanvre ; 8" des vêtements de kambala, tissés
avec de la fine laine de mouton ; 4° des vêtements de ho-la-li (2).
Ces derniers sont fabriqués avec les poils d'un animal sauvage, qui
sont assez tins et souples pour être filés. C'est pourquoi on en fait
grand cas et on les emploie pour faire des habits.
Dans rinde du nord où le climat est froid, on porte des vêtements
courts et étroits, qui ressemblent beaucoup à ceux des peuples bar-
bares.
Les ksatriyas et les brahmanes qui ont des habitudes simples et
modestes, recherchent, en ce genre, la propreté et l'économie. Le roi
et ses ministres diffèrent grandement par leurs vêtements et leurs
parures (3). Ils ornent leur tête de guirlandes de fleurs et de bonnets
chargés de pierres précieuses et portent des bracelets et des colliers.
Il y a de riches marchands qui n'ont que des bracelets pour tout
ornement. En général, les Indiens marchent nu-pieds, et font rare-
ment usage de chaussures. Ils teignent leurs dents en rouge ou en
noir ; ils réunissent leurs cheveux et percent leurs oreilles. Ils ont un
long nez et de grands yeux. Tel est leur air et leur extérieur.
La série des rois (4) ne se compose que de ksatriyas qui, dans
l'origine, se sont élevés au pouvoir par l'usurpation du trône et le
meurtre du souverain. Quoiqu'ils soient issus de familles étrangères,
leur nom est prononcé avec respect.
(1) Kauçeya désigne la soie des vers à soie sauvages.
(2) Karâla (Beal).
(3) H. T. vol. ii, p. 81.
(4) H. T. vol. ii, p. 71.
— 157 — -
Qaaad le roi se lève (1), des musiciens battent le tambour et
chantent aux sons de la guitare (2).
Quand le roi est mort (3), on désigne d'abord le prince qui doit lui
succéder, afin qu'il préside aux funérailles et détermine les rangs des
supérieurs et des inférieurs. Pendant sa vie, on lui donne un titre
honorifique qui rappelle ses vertus ; quand il est mort, on ne lui
décerne point de titre posthume.
On compte neuf degrés dans les marques extérieures du respect :
P On prend la parole et l'on adresse à quelqu'un des paroles obli-
geantes ; 2° on incline sa tète devant lui, en signe de respect ; 3° on
lève les mains et on le salue en restant droit ; 4° on joint les mains
et on abaisse la tête au niveau de la ceinture ; 5° on fléchit (un
instant) les genoux ; 6° on reste longtemps à genoux ; 7° on s'appuie
sur la terre à l'aide des mains et des genoux ; 8" on fléchit à la fois
les cinq parties arrondies (4) ; 9° on jette à terre ses cinq membres (5).
La plus grande de ces démonstrations de respect consiste à s'age-
nouiller devant quelqu'un après l'avoir salué une fois, et à exalter
ses vertus. De loin, on frappe la terre de son front, ou bien on incline
sa tète en l'appuyant sur ses mains. De près, on baise les pieds d'une
personne et l'on caresse ses talons.
Toutes les fois qu'un Indien veut adresser la parole à quelqu'un et
recevoir ses ordres, il relève son propre vêtement et fait, devant lui,
une longue génuflexion. L'homme honorable et sage, qui a reçu cette
salutation, doit lui parler d'un ton bienveillant. Tantôt il lui touche
doucement le sommet de la tête ; tantôt il lui caresse le dos avec la
main ; puis il l'instruit et le dirige par de salutaires avis pour lui
témoigner son aiïection.
Lorsqu'un çramana, qui est sorti de la famille, a reçu de telles
(1) Julien traduit : " se dispose à sortir » ; Beal par : « se lave » ; nous
croyons donner un meilleur sens.
(2) H. T. vol. ii, p. 88.
(3) H, T. vol. ii, p. 85.
(4) Suivant le Fa-yoïcen-chou-îin, liv. xxviii, fol. 18, il s'agit ici des deux
coudes, des deux genoux et du sommet de la tête.
(5) C'est-à-dire, les genoux, les bras et la tête, suivant le Fa-yoïœn-
shou-lin, liv. xxviii, loi. 18. C'est ce qu'on appelle en sanscrit, ' Pancâfiga ',
(Wilson, Dict. sansorit, p. 494) « Révérence by extending the hands, bend-
ing the knees and the head ».
— 158 —
marques de respect, il se contente de prononcer un souhait favorable.
Les Indiens ne se bornent pas à s'agenouiller et à saluer. Suivant
l'objet qu'ils révèrent (1), il y en a beaucoup qui tournent autour,
tantôt une seule fois, tantôt deux ou trois fois. Si les sentiments dont
ils sont animés depuis longtemps, exigent un plus grand nombre de
tours, ils suivent leur volonté.
Ils observent rigoureusement les règles de la propreté (2), et sur
ce point, il serait impossible de les faire changer. Avant de manger,
ils ne manquent jamais de se laver les mains : ils ne touchent pas
une seconde fois aux restes des mets.
Les vases de table ne passent point d'une personne à une autre.
Dès qu'un ustensile de terre ou de bois a servi une fois, il faut abso-
lument le jeter. Les vases d'or, d'argent, de cuivre ou de fer doivent,
après chaque repas, être frottés et polis. Quand les Indiens ont achevé
de manger, ils se nettoyent les dents avec une petite branche d'osier,
et se lavent les mains et la bouche.
Avant d'offrir un sacrifice, ou d'adresser des prières (aux dieux)
ils se lavent et se baignent.
Toutes les fois qu'un homme tombe malade (3), il s'abstient de
nourriture pendant sept jours. Dans cet intervalle, il y en a beau-
coup qui guérissent. S'ils ne recouvrent pas la sauté, ils prennent des
médicaments qui pont différents d'espèces et de noms. Les médecins
se distinguent par la manière d'observer (les maladies). Lorsqu'un
homme est mort, les personnes qui assistent à ses funérailles pleurent
et se lamentent en poussant de grands cris. Elles déchirent leurs
vêtements, s'arrachent les cheveux, se frappent le front, et se meur-
trissent le sein. Quant à la forme des vêtements de deuil, il n'en est
point question ; il n'y a pas non plus de termes fixes pour le deuil.
Il y a trois manières de rendre les derniers devoirs aux morts. La
première s'appelle les funérailles par le feu. On amasse du bois
sec et on brûle (le corps). La seconde s'appelle les funérailles par
l'eau. On jette le corps dans une rivière profonde et on l'abandonne
au courant. La troisième s'appelle l'enterrement dans un lieu sauvage.
On laisse le corps dans une forêt oii il devient la proie des bêtes
fauves.
(1) En sanskrit « pradaksina ».
(2) H. H. vol. ii, p. 70.
(3) H. T. vol. ii, p. 87.
— 159 —
Dans une maison où quelqu'un vient de mourir, personne ne goûte
de nourriture ; mais, après les funérailles, chacun reprend ses habi-
tudes ; on ne célèbre point l'anniversaire de la mort. Tous ceux qui
ont assisté aux funérailles sont regardés comme impurs ; on ne les
reçoit qu'après qu'ils se sont tous baignés hors des murs de la ville.
Quant aux vieillards accablés d'années, qui voient approcher le
terme de leur vie, et à ceux qui, réduits à une faiblesse extrême ou
atteints d'une grave maladie, craignent de languir jusqu'à la fin de
leurs jours, ils se dégoûtent de la vie et désirent quitter ce monde.
D'autres, fatigués des vicissitudes de la vie et de la mort, aspirent à
s'éloigner des voies du siècle. Après avoir reçu de leurs parents et de
leurs amis un repas d'adieu, aux sons des instruments de musique,
ils montent sur un bateau qu'on manœuvre à force de rames ; ils
passent le Gange, et se noient au milieu du courant. Par là, ils
espèrent renaître au milieu des Devas ; on en compte un sur dix. Il
y en a d'autres qui, n'ayant pas encore complètement renoncé aux
erreurs du siècle, sortent de la famille et adoptent la vie des reli-
gieux, dont la règle exclut les cris et les lamentations. Si leurs père
et mère viennent à mourir, ils récitent des prières pour les remercier
de leurs bienfaits ; ils président pieusement à leurs obsèques et
longtemps après leur offrent encore des sacrifices funèbres. Par là,
ils leur assurent le bonheur dans l'autre vie.
Dans les villes et les villages (1), les maisons s'élèvent dans la
direction de l'est à l'ouest (2) ; les rues et les ruelles sont tortueuses ;
on voit des marchés clos au milieu de la voie publique (3), et là, sur
deux lignes, les boutiques des marchands avec leurs enseignes. Les
bouchers, les pêcheurs, les coméJiens, les bourreaux, et ceux qui
enlèvent les ordures, sont relégués en dehors des villes, et leurs
habitations sont notoirement désignées. Quand ils vont et viennent
dans les villages, ils se retirent sur le côté gauche du chemin (4).
Comme le terrain est bas et humide, la plupart des villes sont
(1) H. T. vol. ii, p. 66.
(2) Beal traduit : « Les villages et les villes ont des portes d'intérieur ». 5e-
yu-hi, vol. i, p. 73. Son texte paraît différer de celui de Julien.
(3) Beal traduit ici : « Les rues sont sales ».
(4) Beal ajoute ici : « Leurs maisons sont entourées de murs bas et forment
les faubourgs «.
— 140 —
bâties en briques. Quant aux murs (1), ils sont quelquefois formés
d'un assemblage de pieux ou de bambous. Les édifices publics, avec
leurs tours et leurs belvédères, les maisons en bois avec leurs plates-
formes, sont enduits de chaux et couverts en tuiles. Les différents
bâtiments ont la même forme qu'en Chine. On les couvre tantôt avec
des joncs, tantôt avec des herbes sèches ; quelquefois avec des tuiles
ou des planches. Les murs ont une couche de chaux pour tout orne-
ment, et l'on enduit le sol avec de la bouse de vache pour le rendre
pur ; puis on y répand des fleurs de la saison. Voilà en quoi leurs
maisons diffèrent des nôtres.
Les sanghârâmas (couvents) sont construits avec un art extraordi-
naire. Aux quatre angles s'élèvent des pavillons à trois étages. Les
solives et les poutres sont ornées de sculptures élégantes ; les portes,
les fenêtres et les parois des murs sont couvertes de peintures de
différentes couleurs.
Les habitations des hommes du peuple (2) sont élégantes au-dedans
et simples au dehors. La chambre à coucher et la salle du milieu (3)
varient en hauteur et en largeur ; mais la forme et la conslruction
des tours et des pavillons à plusieurs étages n'ont rien de déterminé.
Les portes s'ouvrent à l'orient ; c'est aussi de ce côté qu'est tourné
le trône du roi.
Les climats et les qualités du sol étant fort différents (4), les pro-
duits de la terre offrent aussi une grande variété. Les fleurs et les
plantes, les fruits et les arbres diffèrent autant par leurs espèces que
par leurs noms. On remarque, par exemple, les suivants : l'amala,
l'âmla, le madhuka, le bhadra, le kapittha, l'amalâ, le tinduka,
l'udumbara, le moca, le nârïkela, le panasa. Il serait difficile
d'énumérer toutes les espèces de fruits ; on a cité sommairement
ceux que les hommes estiment le plus. Quant aux fruits du jujubier,
du châtaignier et du kaki, ils sont inconnus dans Tlnde. Depuis que
le poirier, le prunier sauvage, le pêcher, l'amandier, la vigne et
autres arbres à fruits ont été apportés du royaume de Cachemire, on
les voit croître de tous les côtés. Les grenadiers et les orangers à
(1) Beal traduit : " Les tours sur les murs ».
(2) Beal traduit : « Des moines ».
(3) Beal traduit : « Au milieu de la maison est la salle, haute et grande » ;
les moines dormaient dans leurs cellules, et non pas dans un dortoir.
(4) H. T. vol. ii. p. 91.
— 141 —
fruits doux se cultivent dans tous les royaumes de l'Inde.
Les laboureurs cultivent les champs, et se livrent à tous les travaux
agricoles. Ils labourent et sarclent, sèment et récoltent suivant les
saisons ; chacun se repose après avoir travaillé. Parmi les produits
de la terre, le riz et le blé dominent. Au nombre des légumes et des
plantes potagères, on compte le gingembre, la moutarde, les melons
et les courges. Les plantes d'une odeur forte, les oignons, les ciboules
sont rares ; il y a aussi peu de personnes qui en mangent. Si quel-
qu'un en fait usage dans sa maison, on l'expulse hors des murs de la
ville. On se nourrit ordinairement de gâteaux de farine de grains
torréfiés, dans laquelle on mêle du lait, de la crème, du beurre,
de la cassonade, du sucre solide, de l'huile de moutarde (Sinapis
glauca) (1). Le poisson, le mouton, le daim, le cerf, se servent en
tout temps, soit par quartiers, soit en tranches minces. Pour ce qui
regarde les bœufs, les ânes, les éléphants, les chevaux, les porcs, les
chiens, les renards, les loups, les lions et les singes, la loi défend de
les manger. Ceux qui en font leur nourriture sont couverts de honte
et de mépris, et ils deviennent pour tout le monde un objet de haine
et de dégoût. Repoussés de la société, ils vivent en dehors des murs
de la ville, et ne se montrent que rarement parmi les hommes.
Quant aux vins et aux liqueurs, on en distingue plusieurs sortes.
Le jus des raisins et des cannes à sucre est le breuvage des ksatriyas ;
la liqueur forte tirée de grains fermentes est celle des vaiçyas. Les
çramauas et les brahmanes boivent le jus du raisin ou celui de la
canne à sucre, qui diffèrent tout à fait du vin distillé.
Les diverses familles et les classes de basse condition n'ont rien
qui les sépare et les distingue ; seulement, les vases dont elles se
servent diffèrent notablement par le travail et la matière. Les Indiens
sont abondamment pourvus d'ustensiles appropriés à tous leurs
besoins. Quoiqu'ils fassent usage de marmites et de casseroles, ils ne
connaissent point les vases de terre appelés Tseng pour faire cuire
le riz (2). Ils ont beaucoup de vases en argile séchée et se servent
rarement de cuivre rouge. Ils mangent dans un seul vase, apprêtent
(1) Voyez le Bulletin de la Société d'acchmatation de Paris, vol. iii, mai,
1856, p. 245 (Julien).
(2) C'est un vase en terre, surmonté d'un étage à clairevoie, pour cuire le
riz à la vapeur (Julien).
— 14-1 —
les mets avec divers assaisonnements et les prennent avec les doigts.
Ils ne font usage ni de cuillers ni de bâtonnets ; mais, lorsqu'ils sont
malades, ils se servent de cuillers de cuivre.
I
«
APPENDICE I.
LES INSCRIPTIONS DE HAR§A.
I. Plaque de Madhuban (631).
Cette plaque fut découverte eu Janvier 1888 dans un champ près
du village de Madhuban dans la Nathûpâr pargana du Sagrï Tahsïl
dans le district Azamgarh de la division de Benarès des United
Provinces ; elle se trouve actuellement au musée de Lucknow.
L'inscription donne le village de Somakundakâ dans le Kundadhânï
vlsaya du Çrâvastï bhuMi, qui avait été occupé auparavant par un
brahmane à l'aide d'une charte falsifiée, à deux autres brahmanes.
Des localités mentionnées dans l'inscription, Kapitthikâ est probable-
mont le Kie-pi-tha (Kapitha) de Hiouen Tsang, (Beal, 6'i-yu-Ki,
vol. i, p. 202), qui est Sâmkâcya, identifié par Cunningham ('Arch.
Survey India, vol. i, p. 241) avec le Saûkisa (Imp. Gaz. India.
2^ éd. vol. 12, p. 223) moderne sur le fleuve Kâlïnadï, quarante
milles au nord-ouest de Canoge. Çrâvastï, d'après laquelle fut nommée
la Çrâvastï bhulU, est le Sahet-Mahet (J. B. A. vol. 67, pp. 289-90)
moderne dans le Gonda district d'Oudh. Kundadhânï, d'où le Kunda-
dhânï visdT/a reçut son nom, et le village de Somakundakâ n'ont pas
été identifiés. La donation est datée de 630/1 (publiée E. L vol. vii,
p. 155).
En outre de la plaque de Madhuban, nous en avons une qui est
tout à fait semblable. C'est celle de Bhanskera.
IL Plaque de Bhanskeba (628).
Cette plaque (publiée E. L vol. iv, p. 208.) fut découverte en
Septembre 1894, au village de Bhanskera, à vingt-cinq milles de
— 144 —
Shâhjahâopur, et fut présentée au Lucknow Muséum. Un sceau y
était attaché, mais tout à fait illisible ; il paraît avoir été de la même
grandeur que le sceau de Sonpat publié par Fleet.
• Les receveurs sont deux brahmanes du Bhâradvâja gotra, Bâla-
candra, un Rgvedin, et Bhadrasvâmin, un Sâmavedin. Le village
donné, Markatasâgara, se trouvait dans le hhulii d'Ahicchattrâ
(Râmnagar) et dans le pathaka occidental de rAiigadïya visaya.
Parmi les personnes officielles mentionnées dans la fin de ce document,
l'archiviste (mahâksapatalâdhikaranâdhikrta) Bhâna ou Bhânu, est
nouveau. Le dûtaka, Skandagupta, est la même personne qui était
chargée de l'exécution de la donation de Madhuban. Comme graveur
nous avons îçvara au lieu de Gurjara. La date est samvat (c'est-à-dire
Harsa-samvat) 22 Kârttika babi, est antérieure de trois ans à celle de
la plaque de Madhuban, et se trouve en 628 9. A la fin nous avons
une grifi'e qui est peut-être la signature de Harsa lui-même, mais qu'on ,
peut aussi attribuer au graveur.
in. Sceau de Sonpat (sans date).
Le sceau en cuivre de Sonpat (publié C. L I. vol. iii, p. 231) est
plutôt intéressant qu'utile. C'est le premier document épigraphique
de Harsa qui ait été trouvé.
Il est aujourd'hui la propriété de Mohansingh Râmratan Mahâjan,
négociant à Sonpat (I), la principale ville de Sonpat Tahsïl, sous-
division du Delhi, district du Pandjab. Il est ovale, et tout autour ii
y a un rebord sur lequel figure du côté supérieur, un bœuf regardant
vers la droite, et en bas l'inscription donnée ci-dessous. Des traces
de soudure encore visibles semblent prouver que ce n'est qu'un sceau
détaché d'une plaque de cuivre. Nous possédons par ailleurs un sceau
semblable qu'on a trouvé attaché à une plaque falsifiée (2). En dépit
de tous les efforts on n'a pu trouver la plaque à laquelle appartenait
le sceau.
(1) Le " Sonipat », « Soonput «, et « Sunput » des cartes, Indian Atlas
Sheet, N" 49. Lat, 28° 59' N, Long, 77° 3' E, ; d'autres formes du mot sont
Sonepat et Sunpat.
(2) C. L I. VoL 3, pp. 254, ss.
— 145 —
1 ET 2. Texte des Plaques de Madhuban et de Bhanskeba.
(Quand la plaque de Bkanskera diffère de celle de Madhuban,
les variantes sont indiquées en note).
1. Omsvastimahâ-nau-hastyaçva-jayaskandhâvârât^a^îY^/îi/iàyâ(l)
maharaja çrï Naravardhanas tasyaputtras tatpâdâûudhyâtaç
çii-Vajriïûdevyâni utpaanah paramâdityabhakto
2. mahâiâja çrï Râjyavardhanas tasya puttras tatpâdâaudhyâtaç
çry (2) -Apsarodevyâm utpanDah paramâdityabhakto mahârâja-
çnm3id-Âdityavardhanas tasya puttras tatpâdâûudhyâtaç çrï-
Mahâ-
3. senagupiàdevyàm utpannaç catussamudrâtikkrâuta-kïrttih pra-
tâpânurâg - opauat - ânyarâj o vanmâçrama - vy avasthâpana - pra-
vrtta-cakra ekacakkraratha iva prajânâm ârtti-harah
4. paramâdityabhaktah paramabhattâraka-mahârâjâdhirâja çrï Fra-
hhâkaravarddhanas tasya puttras tatpâdâûudhyâtah sitayaçah-
pralâna-vicchurita-sakalabhuvanamandalah parigrhîta-
5 . Dhanada - VaruiiEadra - prabbrti - lokapâlatej âh satpathopârjj it-
âneka-dravina-bhûmi-pradâna-samprïnit-ârthibrdayo tiçayita-
pîirvvarâja-carito devyâm-amalayaçomatyâm
6. çrï Yaçomatyàm utpannah paramasaugatah Sugata iva parahitai-
karatah paramabhattâraka-mahârâjâdhirâja-çiï Râjyavarddha-
nah. Râjâno (3) yudhi dusta-vâjina iva çrï Devaguptâ-
7. dayah krtvâ yeua kaçâprahâra-vimukhâh sarvve samam samya-
tâh I utkhâya dvisato vijitya vasudhâm krtvâ prajânâm priyam
prânâQ-ujjhitavâti arâti-bhavane satyâaurodhena yah || Tasyâ-
nuja-
8. s-tatpâdâuudhyâtah paramamaheçvaro Maheçvara iva sarvvasat
(t jvânukatnpï paramabhattâraka - mahârâj âdhirâj a-çrï- Harsah
Çrâvastl (4) -hhuUau A'undadhanl (5) -vaisayilca (6) 'Somalcun-
daîcâ-gïâ.me
(1) B, " çrlvarddhamânakûtyâ ».
(2) B. '• çrîmad «.
(3) Vers « çrirdûlavikrîflita ».
(4) B. « Ahicchattrâ ».
(5) B. « Aiigadïya »,
(6) B. Après ce mot « paçcima-pathaka-samvaddha-Markatasagare samu-
pagatam » etc.
10
— 146 —
9. samupagatâQ mahâsâmaata-mahârâja-daussâdhasâdhanika-pra-
mâtâra-râjasthânïya-kumârâmâtyoparika-visayapati - bhata câ-
ta-sevakâdÏQ-prativâsi-janapadâmçca samâ-
10. jnâpayaty-astu (1) vah samviditam-ayam SomaJcunda]îâ-grâ.mo
biâhmana- Vâmarathyena kïita-çâsaueua bhuktaka iti vicârya
yatas tac-châsanam bhaiiktvâ tasmûd-âksipya ca svasïmâ-
11. paryantah sodraùgah sarvva-râjakulâbhâvya-pratyâya-sametah
sarvva-paribrta-parihâro visayâd uddhrta-pin(lah (2) puttra-paut-
trâûugaç caQdrârkkaksiti-samakâlÎQO
12. bbûmicchidra-nyâyena maya pituh paramabhattâraka-mabârâ-
iâàhirïii3i-çn-Prabhàkaravarddhanadev(isya mâtuh parama-
bbattârakâ (3) -mahîiden-mjm- çn-Yaçomatldevi/â
13. jyestbabbrâii-paramabbattâraka-mabârâjàdbirâja-çrï-iîâ/^/auartï-
dhanadevapTidâ,ùriai ca punya-yaçobbivrddbaye (4) Sâvarimisa-
gottra-ccbandogasabrâbmacâri-bbatta- (5) Vâtasvâmi-
14. Visuuvrddbasagottre-babvrcasabiâbmacâri-bbatta-Çivadevasvâ-
mibbyâm pratigraba-dbarmmeoâgrabàratveaa pratipâdito vidit-
vâ bbavadbbih samanumaiitavyab prati-
15. vâsi-jâDapadair-apyâjùâçravana-vidbeyair-bbïitvâyatbâsamiicita-
tulyaineya- bbâgabbogakara-birauyâdi-pratyâyâ anayor (6)
evopaQeyâh sevopastbâaam ca karanïyam iti. A-
16. pi ca : (7) Asmat-kulakkramam udâram udâharadbbir anyaiç ca
dâuain idam abbyaQumodanïyaiu : laksmyâs tadit-salila-budbu-
da-camcalâycT dânam pbalam parayaçahparipâlaûam ca : karm-
manâ (8)
16. manasâ \âcâ karttavyam prâuine bitam : Harsenaitat samâkbyâ-
tam dharmmârjjanam aauttamam : Dûtakottra mabâpramâtâra-
mabâsâmanta-çiï-Skaûdaguptah : mabâksapatalâdbikaranâdbi-
(1) B. Après ce mot « yathâyam uparilikhitagrâmas-svasîma » etc.
(2) B. « Panditah ».
(3) B. « bhattarikâ ».
(4) B. « Bharadvâjasagottra-vahrçac-chandogas », etc.
(5) B. « Valacandra-Bhadrasvâmibliyâip pratigralia », etc.
(6) B. « etayor ».
(7) Vers « vasantatilakâ ».
(8) Vers « anusÇubh ».
— d47 —
18. krta-sâmanta- (1) mahârâj-Eçvaragupta (2) samâdeçâccotkïru-
nam Garjjarena (3) : Samvat 20 5 jVJârggaçïrsa-vadi 6 :
Teaduction.
Om 1 Salut,
Du grand camp royal de la victoire, (équipée de) bateaux
d'éléphants et de chevaux — de Kapitthikâ (4)
(Il y avait) le Maharaja Naravardhana (5). Engendré en Vajrinï-
devï, son fils, qui médita sur ses pieds, (fut) l'adorateur passionné du
soleil, le Maharaja Râjyavardhana (I). Engendré en Apsarodevï,
son fils, qui médita sur ses pieds, (fut) l'adorateur passionné du Soleil,
le Maharaja Âdityavardhana. Engendré en Mahâsenaguptâdevï, son
fils qui médita sur ses pieds, (fut) l'adorateur passionné du Soleil, le
Paramabhattâraka Mahârâjâdhirâja Prabhâkaravardhana, dont (6)
la gloire traversa les quatre océans ; devant qui d'autres rois s'incli-
nèrent à cause de sa bravoure et de leur affection pour lui ; qui
maniait son pouvoir pour le juste maintien des castes et des classes,
(et) qui comme le soleil (7) soulageait la détresse du peuple. Engendré
en la reine Yaçomati dont la gloire fut sans tache, son fils, qui médita
sur ses pieds, (fut) l'adorateur passionné de Sugata (Buddha), comme
Sugata ayant plaisir seulement du bonheur des autres — le Parama-
bhattâraka Mahârâjâdhirâja Râjyavardhana (II), la liane de sa gloire
(1) B. « Mahâsâmanta ».
(2) B. « Bhnna » (?) ou « Bhânu » (?).
(3) B. « Içvai'enedam iti samvat 20 2 Karttivadi : svahasto marna mahârâjâ-
dhirâja çrî-Harsasya n.
(4) La phrase est continuée plus bas, avec les mots, " son frère cadet
Harsa publie cette ordonnance n.
(5) Dans l'original les noms des rois et des reines, jusqu'au nom de Deva-
gupta inclusivement (1. 6), mais sans y comprendre celui de Harsa (1. 17) sont
précédés du mot çrï ou çrimat, « l'illustre », ou " le glorieux » (fortunatus).
(6) Comparez C. 1. 1. vol. 3, p. 220 1. 1 et 2 du texte.
(7) Le mot pour signifier le soleil est ehacahraratha^ « dont lo char n'a
qu'une roue », à cause du précédent pravrtta-cakra ; comparez dans le
troisième acte de la Ratnâvalï, le vers qui commence par « adhvànam nai-
kacahrahprabhavatin, et le Sîiryaçataka de Mayûra v. 59 (où le Soleil dit :
" yia hi ratho yâtl me naikacakrah » ). Pour l'idée que le Soleil soulage la
détresse, comparez C. L L vol. 3, p. 162, texte 1. 2.
— 148 —
éclatante s'étendait sur le globe terrestre entier ; qui s'appropriait
la gloire de Dhanada, Varuna, Indra et les autres (dieux) gardiens
du monde ; qui faisait réjouir les cœurs des suppliants par beaucoup
de dons de richesses et de terres acquises par des moyens droits (et)
qui l'emportait sur la conduite des rois anciens.
En bataille il dompta Devagupta et tous les autres rois ensemble,
comme des chevaux vicieux qu'on a fait se détourner à coups de fouet.
Ayant déraciné ses adversaires, ayant fait la conquête de la terre,
s'étant bien conduit envers le peuple, il perdit la vie dans le camp de
l'ennemi par sa confiance dans la vérité des paroles.
7. Son frère cadet, qui médite sur ses pieds, l'adorateur passionné
de Maheçvara (Çiva) — comme Maheçvara il a pitié de tous les
êtres — le Paramabhattàraka Mahârâjâdhirâja Harsa publie cette
ordonnance pour les Mahâsâmantas, Maharajas, Daulisâdhasâdha-
nikas, Pramâtâras (1), Râjasthâuîyas, Kumârâmâtyas, Uparikas,
Visayapatis, soldats réguliers et irréguliers, serviteurs et autres,
assemblés dans le village de Somakuudakâ qui appartient au Kunda-
dhânï visaya (2) dans le Çrâvastï bhuJcti, et au peuple y demeurant :
10. Oyez, ayant constaté que ce village de Somakundakâ était
tenu (3) par le brahmane Vâmarathya sur la foi d'un acte falsifié, j'ai
pour cette raison cassé cet acte-là et je lui ai ôté (le village), et, pour
l'accroissement du mérite spirituel et de la gloire de mon père, le
FaramabhaUâraJia Mahârâjâdhirâja Prabhâkaravardhanadeva, de
ma mère la Paramabliaitânkâ Mahâdevî, la reine Yaçomatïdevï, et
de mon frère aîné révéré, le Paramabhattàraka Mahârâjâdhirâja
Kâjyavardhanadeva, j'ai donné eu pur don, (aux brahmanes), comme
un agrahâra — s'étendant à ses propres bornes, avec le udrahga,
avec tous les revenus que pouvait réclamer la famille du roi (4),
(1) Pour pramâtâra et mahâpramàiâra, voyez I. A. vol. 25, p. 182 n. 70 ;
pramâtf semble se trouver dans C. 1. 1. vol. 3, p. 216, 1. 9.
(2) Avec Kuyrdadhànlvaisayiha comparez Angadlya-vaisayiha. E. I. vol.
iv. p. 211, 1. 7 ; Yàlavivaisayiha, C 1. 1. vol. 3, p. 216, 1. 6 ; Gayâvaisayiha,
ibid. p. 256, 1. 7 (texte) etc.
(3) Voyez Fleet I. A. vol. xxx, p. 201, ss. pour les actes falsifiés.
(4) Avec ràjakulàbhàvya conipaiez ràjâb/iâvya clans les plaques des
Maharajas d'Uccakalpa, C. 1. 1. vol. 3. p. 118, 1. II ; p. 122, 1. 13 ; p. 127, 1. 20,
etc.
— 149 —
exempt de toutes les obligations (1), comme un morceau ôté du
district (2) (auquel il appartient), pour suivre la succession de fils (3)
et de petit-fils, pour aussi longtemps que la lune, le soleil et la terre,
existent, selon la maxime de hhûmicchidra, au Bhaiia Vâtasvâmin
qui est du gotra de Sâvarni et un camarade d'étude des Chandogas (4),
et au Bhatta Çivadevasvâmin qui est du gotra de Visnuviddha et un
camarade d'étude des Bahvicas (5). Sachant ceci, vous devez en
convenir, et les gens qui y habitent, étant prêts à obéir à mes ordon-
nances, doivent payer à ces deux-ci le tidya-meya (6), la part du
produit, les paiements en argent, et autres sortes de revenus aussitôt
qu'on doit les payer, et doivent leur rendre service. D'ailleurs :
16. Ceux qui font professiou (d'appartenir à) la noble ligne de notre
famille, et autres, doivent approuver cette donation. De la fortune,
mobile comme l'éclair, et bulle d'eau, les donations et la préservation
de la renommée d'autrui (7) sont le (vrai) fruit.
Par les actions, les pensées et les paroles, on doit faire du bien
aux vivants. Voilà ce que Harsa a déclaré être le chemin le plus
excellent pour acquérir le mérite religieux.
17. Le dûtaka ici est le Mahâpramâtâra Mahâsâmanta, l'illustre
(1) Avec sarva-parihrta-parihâra comparez sarvavisti-parihâra-pa-
rihrta dans les plaques des Vâkâtaka Maharajas, E. I. vol. iii, p. 262, 1. 20.
L'idée est rendue plus correctement par parihriasarvapida, ibid. vol. iv,
p. 250, 1. 53, et ])ar sarvahara-parifmra7n hrévà, ibid. vol. iii, p. 223, I. 15.
Comparez aussi sai^va-hcicUid-parihàra. I. A. vol. ix, p. 218, 1. 35; et pour
des phrases semblables voyez K. I. vol. vi, p. 13, n. 3.
(2) La phrase vuayâd-uddhrta-pinda no se trouve que dans la plaque
Pândukeçvar de LalitaçQradeva, L A. vol. xxv, p. 180, 1. 21. Le sens n'en est
pas encore exactement tixé.
(3j C'est-à-dire « hérité à tour de rôle par ». Comparez pfti^ira-paw^r-ânw-
gàmin, E. L vol. iii, p. 262, 1. 21.
(4) C'est-à-dire « étudiant du Sâmaveda ».
(5) C'est-à-dire « étudiant du Rgveda ».
(6) Le sens de tulya-meya n'est pas certain ; on pourrait le traduire par
" choses à peser et à mesui'er » ; on trouve « meya », seul dans grâma-pra-
tyàyà meya-hiranijàdayah dans C L L vol. 3, p. 257, 1. 12 ; et tulya se trouve
ibid. p. 70, 1. 10, dans un sens technique. Voyez aussi E. L vol. vii, p. (i2.
(7) C'est-à-dire, « par ne i)as reprendre les dons qu'ils ont faits ». Le vers
se trouve avec des lectures différentes dans L A. vol. xix, p. 341), 1. 9 (texte)
et vol xxv, p. 181, 1. 28.
— 150 —
Skandagupta. Et par ordre du grand officier qui a soin du bureau des
archives, le Sâmanta Maharaja îçvaragupta, (ceci fut) gravé par
Garjara,
la 25e année du 6® jour du mois Mârgaçïrsa.
3. Texte du Sceau de Sonpat.
1 y... çrïaia(?)hâ(?dâ)..
2 paramâdityabha (kto mahârâ) ja çrï Râj yavardd hanah ||
Tasya puttras tat p(â)-
3. (dâûudhyâtah) çrï(V)ma(?)hâ(?)devyâra (utpannah paramâjditya-
bhakto maharaja çtïmad Âditya-
4. (varddhanah) (| (Ta)sya (puttras tat pâdâuudhyâtah çrï) Mahâse-
naguptâ devyâm utpanna
5 y. sarv(v)a varnnâçrama vyavasthâpanapravr-
6. (ttah) y... va(?) prava(r)ddh paramâdityabhaktah para-
mabhattâraka
7, Mahârâjâdhirâja çrï Prabhâkaravarddhanah || Tasya puttras tat
pâdânudhyâ(ta)
8 i çr(ï)matyâ(iri) Yaç(o)maty(âm utpannah) para-
maso (sau) gâta...
9 (paramabhattâraka) mahâràjâdhi(râja) çrï Râjyava(rddha-
nah) Il
10. (Tasyânujas tat pâdânu)dhyâto mahâdevyâ(m) Yaçomatyâ-
11. (m utpannah) (pa)-
12. (ramabhattâraka ma)hârâjâ(dhi)râja çrï Harsa
13. vardhanah ||
Teaduction.
(Il y avait) le
très dévoué adorateur du Soleil, le Maharaja l'illustre Râjyavardhana
(1). Son fils, (qui méditait sur) ses pieds, (fut) le (très dévoué)) adora-
teur du Soleil, le Maharaja, l'illustre Âdityavardhana. (Eugeodré) en
l'illustre Mahâdevï... son (fils, qui méditait sur ses pieds) (fut) le
très dévoué adorateur du Soleil, le Paramabhattâraka et Mahârâjâ-
dhirâja le glorieux Prabhâkaravardhana, engendré en la Devï
(l'illustre) Mahâsenaguptâ., (et) qui fut employé à régler toutes
— 151 —
les castes et grades de la vie religieuse. Son fils, qui méditait sur ses
pieds, (fut) le très dévoué sectateur du Sugata, le Paramabhattâ-
raka et Mahârâjâdhirâja, le glorieux Râjyavardhana (II), engendré
en la glorieuse Yaçomatï. (Son frère cadet), qui méditait sur (ses
pieds), (est) le (Paramabbattâraka et) Mabârâjâdhirâja, le
glorieux Harsavardhana, (engendré) en la Mahîîdevï Yaçomatï.
APPENDICE II.
Relation de Hiouen Tsang de son séjour chez Harsa.
(H. T. vol. i, p. 233. Cf. aussi H. T. vol. iii, p. 76).
Deux jours après, un messager de Kumâra, roi de l'Inde orientale,
apporta au Maître Çïlabhadra une lettre ainsi conçue :
« Votre disciple désire voir le religieux éminent du royaume de
Chine. Je vous prie. Maître vénéré, de me l'envoyer pour contenter
ce souhait respectueux ».
Çïlabhadra, tenant la lettre, parla ainsi aux religieux : « Le roi
Kumâra adresse une invitation à Hiouen Tsang ; seulement il a
promis à une multitude de messagers de se rendre auprès du roi
Çîlâditya pour discuter avec les Maîtres du petit Véhicule. S'il va
trouver le roi Kumâra, comment le roi Çîlâditya pourra-t-il le possé-
der ? Je ne puis donc le lui envoyer. Le religieux de la Chine », dit-il
alors au messager royal, « a un désir extrême de s'en retourner dans
sa patrie et ne peut se rendre à l'invitation de votre souverain ».
Quand le messager fut arrivé, le roi en envoya un autre avec une
nouvelle lettre d'invitation oii il disait : « Quoique vous désiriez,
vénérable Maître, vous en retourner dans votre propre pays, venez un
instant voir votre disciple ; vous partirez ensuite quand vous voudrez.
Je désire absolument que vous daigniez abaisser sur moi vos regards ;
de grâce, ne repoussez pas ma prière ».
Çïlabhadra n'ayant pas envoyé Hiouen Tsang, le roi fut transporté
de colère et expédia de nouveau un autre messager avec cette lettre
pour Çïlabhadra : « Votre disciple est un homme vulgaire qui s'est
laissé corrompre par les plaisirs du monde et ne sait plus quelle
direction suivre dans la loi du Buddha. Aujourd'hui après avoir
appris la renommée du religieux de la Chine, j'ai été tout ravi de
corps et d'âme, et il m'a semblé que déjà je sentais poindre en moi
I
— 155 —
les germes de l'Intelligence (Bodhi). Deux fois vous avez refusé de
l'envoyer ici. Voulez-vous donc que tout mon peuple reste éternelle-
ment plongé dans les ténèbres de l'ignorance V Est-ce là le rôle d'un
religieux éminent qui doit perpétuer et agrandir l'héritage de la loi
et sauver tous les êtres du naufrage V Je brûle de le voir et de
l'entendre ; c'est pourquoi j'envoie avec respect un nouveau messager ;
s'il ne vient point, votre disciple reconnaîtra enfin qu'il est voué pour
jamais au vice et au malheur. Dans 6es derniers temps, le roi
Çaçâiika put encore abolir la Loi et détruire l'arbre de l'intelligence
(Bodhidruma). Croyez-vous, Maître, que votre disciple n'ait pas la
force d'en faire autant ? Je suis résolu à équiper une armée d'élé-
phants, et à entrer dans votre pays avec des troupes immenses qui
réduiront en poudre votre couvent de Nâlaudâ. J'en prends à témoin
le soleil qui m'éclaire ; c'est à vous, Maître, de voir ce que vous avez
à faire » .
Çîlabhadra, ayant lu cette lettre, parla ainsi au Maître de la loi :
« Ce roi est animé de l'amour du bien. Comme la loi du Buddha n'est
pas très répandue dans son royaume, dès qu'il a été informé de votre
réputation, il a montré pour vous une affection sans bornes ; peut-
être que dans votre existence passée vous avez été un de ses intimes
amis. Hâtez-vous de partir. Vous avez quitté la famille (embrassé la'
vie religieuse) pour travailler au bonheur des créatures ; en voici
justement l'occasion. Quand vous serez arrivé dans ce royaume,
faites que le cœur du roi s'ouvre à la foi et le peuple suivra son
exemple ; mais, si vous repoussez sa demande, si vous ne vous rendez
pas auprès de lui, peut-être que le démon (Mâra) nous suscitera
d'affreux malheurs. Ne craignez pas la légère fatigue du voyage ».
Le Maître de la loi prit congé du docteur (Çîlabhadra) et partit
avec le messager royal.
A son arrivée, le roi fut ravi de le voir et vint au-devant de lui, à
la tête de ses grands officiers. Après l'avoir salué et comblé d'éloges,
il l'invita à entrer dans son palais. Chaque jour, il lui offrait un
banquet aux sons dos instruments de musique ; il faisait répandre
devant lui des fleurs et des parfums, le combhiit de toutes sortes de
dons et lui demandait la permission de pratiquer la loi du jeûne et les
règles de la discipline. Ce brillant accueil dura pendant un mois.
Le roi Çïlâdi^ya revenant de châtier le prince de Kong-yu-tho
(Kongyôdha ?) apprit que le Maître de la loi se trouvait auprès du
— 154 —
roi Kumara. Il en fut surpris et s'écria : « Anciennement, je l'ai
plusieurs fois appelé sans qu'il soit venu ; comment se fait-il qu'il se
trouve là ? » Sur-le-champ, il envoya un messager au roi Kumâra avec
l'invitation pressante de lui envoyer de suite le religieux de la Chine.
« J'aime mieux », dit celui-ci, « sacrifier ma tête que d'envoyer de
suite le Maître de la loi « .
Quand le messager fut de retour et qu'il eut rapporté cette réponse,
le roi Çïlâditya fut transporté de colère. « Le roi Kumâra », dit-il
aux officiers qui l'entouraient, « vient de me manquer de respect.
Comment a-t-il osé, à cause d'un religieux, proférer des paroles aussi J
insolentes ? »
Il renvoya alors le messager et lui fit dire d'un ton menaçant :
« Puisque je puis prendre votre tête, qu'on la remette immédiatement
à mon messager pour qu'il me l'apporte ».
Le roi Kumâra fut saisi d'effroi. Désolé de l'expression imprudente
qui lui était échappée, il ordonna d'équiper vingt mille éléphants et
trente mille bateaux ; puis il partit avec le messager et remonta le
Gange pour se rendre en grande pompe au palais du roi Çïlâditya.
Quand il fut arrivé au royaume de Kajïïgira, il all-a d'abord rendre
visite au roi. Lorsque le roi Kumâra fut sur le point de partir, il fit
construire, au nord du Gange, un palais de voj'age. Ce jour-là, il
traversa le fleuve, se rendit au palais et y installa le Maître de la loi.
Ensuite, avec ses grands officiers, il alla voir le roi Çïlâditya sur la
rive septentrionale du fleuve.
Le roi Çïlâditya, le voyant venir, fut au comble de la joie et
reconnut qu'il était rempli de respect et d'affection pour le Maître de
la loi. Il ne soDgea plus à lui reprocher ses paroles précédentes ; il
se contenta de lui demander où était le religieux de la Chine.
« Il est dans mon palais de voyage », répondit le roi Kumâra.
« Pourquoi n'est-il pas venu ? »
« Votre Majesté », lui dit-il, « respecte les sages et chérit les
hommes vertueux. Eût-il été convenable d'envoyer ici le Maître de
la loi, pour rendre visite au roi ? »
« Vous avez bien fait », répondit Çïlâditya, « vous pouvez vous
retirer. Demain j'irai moi-même le voir ».
Le roi Kumâra s'en retourna donc et alla trouver Hiouen Tsang.
« Maître », lui dit-il, « quoique le roi ait promis de venir demain,
je crains qu'il n'arrive cette nuit même. Il faut que vous l'attendiez.
S'il vient, il n'est pas convenable que vous bougiez ».
1K9 V>
oo —
« Sire », lui répondit Hioiien Tsang, « pour l'honueur de la gloire
du Buddha, je suivrai votre avis »,
A la première veille de la nuit, Çîlâditya arriva en effet.
Des messagers vinrent annoncer qu'au milieu du fleuve on aper-
cevait des milliers de torches et qu'on entendait retentir les tambours.
« C'est le roi Çîlâditya qui arrive », s'écria le roi Kumara. Sur-le-
champ, il ordonna de prendre des flambeaux et alla au loin à sa
rencontre avec ses grands ofiiciers.
Toutes les fois que le roi Çîlâditya était en marche, il se faisait
précéder de cent tambours de métal sur lesquels on frappait un coup
à chaque pas. On les appelait Tsie-pou-kou ou tambours pour régler
la marche. Le roi Çîlâditya jouissait seul de ce privilège et ne
permettait pas aux autres rois de l'imiter.
Dès qu'il fut arrivé, il salua jusqu'à terre le Maître de la loi et
baisa ses pieds avec respect. Puis il répandit des fleurs devant lui, et
le contemplant dans une sorte d'extase, il le combla de louanges
infinies. « Maître », lui dit-il, « précédemment votre disciple vous
avait adressé une invitation, pourquoi n'êtes-vous pas venu V »
« Moi, Hiouen Tsang », répondit-il, « je voyage dans les contrées
lointaines pour chercher la loi du Buddha ; j'étudiais alors le traité
YogàcUryahliUmiçastra. Au moment oiî votre ordre est arrivé, je
n'avais pas fini d'entendre l'explication de ce traité. Voilà pourquoi
je n'ai pu venir immédiatement rendre ma visite à Votre Majesté ».
« Maître », demanda encore le roi, « vous venez de la Chine. Votre
disciple a entendu dire que, dans ce royaume, on possédait des
morceaux de musique et des airs qu'on chante avec accompagnement
de danses, pour célébrer les victoires du prince de Thsin (1). J'ignore
(1) Il serait curieux de savoir quels étaient ces morceaux de musique qui
célébraient les victoires' du prince de Thsin et comment ils étaient arrivés
dans l'Inde. Hiouen Tsang. rapporte une question semblable que le roi Kumâra
lui avait adressée à ce propos :
(H. T. vol. iii, p. 79i. « Qu'il est beau », s'écria le roi Kumâi-a, « de recher-
cher la loi et d'aimer l'étude avec passion, de regarder son corps avec dédain
et de voyager, en bravant les plus grands périls, dans les pays étrangers.
Voilà l'heureuse influence des instructions du roi, voilà pourquoi les mœurs
du royaume respirent l'estime de l'étude. Maintenant, dans les royaumes de
l'Inde, il y a beaucoup de personnes qui chaulent des morceaux de musique,
destinés à célébrer les victoires du prince de Thsin, du royaume de la Chine.
C'est ce que j'ai appris depuis longtemps. Serait-ce le pays -natal de Thommo
— 156 —
quel est l'homme qu'oa appelle le prince de Thsin, et quels sont ses
exploits et ses vertus pour qu'on chante ainsi ses louanges ».
« Sire », répondit le Maître de la loi, « dans mon pays natal, lors-
qu'on voit un homme qui aime les sages et peut délivrer le peuple des
attaques des méchants, réprimer la violence et la cruauté, protéger
les cent familles, et leur procurer le bonheur, on le célèbre par des
chants qui servent à embellir la musique du temple des ancêtres, et
pénètrent jusque dans les villages les plus reculés. Le nom du prince
de Thsin désigne l'empereur actuel de la Chine, qui avait reçu ce
titre avant de monter sur le trône. A cette époque, le ciel et la terre
étaient dans une grande agitation ; le peuple n'avait plus de maître,
les champs étaient encombrés de cadavres, les rivières et les canaux
roulaient des flots de sang ; pendant la nuit, des étoiles étranges
répandaient de sinistres lueurs, pendant le jour, on voyait se con-
denser des vapeurs meurtrières ; les rives des trois fleuves étaient
désolées par la voracité des sangliers, et les quatre mers étaient
infestées par des serpents venimeux. Le prince, en qualité de fils de
l'empereur, obéit aux ordres du ciel. Rempli d'une noble ardeur, il
déploya ses troupes formidables, et, maniant tour à tour la* hache et
la lance, il délivra les districts agités et rendit la paix au monde (1).
Il fit briller de nouveau les trois clartés (2), et l'univers fut inondé de
ses bienfaits. Voilà pourquoi on le célèbre par des chants ».
d'une grande vertu? (C'est-à-dire de vous) « Oui, sire », répondit-il; «ces
chants célèbrent, en effet, les vertus de mon souverain ».
« Je ne pensais pas n, reprit Kumâra, « que l'homme d'une grande vertu fût
originaire de ce royaume. J'ai constamment désiré connaî re les heureux
effets de ses lois ; il y a bien longtemps que mes regards se sont tournés vers
l'Orient (vers la Cliine). Mais les montagnes et les rivières m'ont empêché
d'y aller moi-même ».
« Notre auguste souverain », répondit-il, « a porté au loin ses vertus
saintes, et l'influence de son humanité s'est répandue à de grandes distances.
Il y a un grand nombre de peuples étrangers qui ont salué la porte du palais
et se sont déclarés ses sujets ».
« Puisqu'il couvre ainsi les hommes de sa protection », reprit le roi
Kumâra, « mon vœu le plus ardent est d'aller à sa cour lui offrir mon
tribut ».
(1) C'est-à-dire « à toutes les parties de l'empire ». (Julien).
(2) C'est-à-dire, « le soleil, la lune, et les étoiles, un instant voilés et
obscurs ». (Julien).
— dSt —
« Un tel homme », dit le roi, « a été évidemment envoyé par le ciel
pour être le maître des hommes ».
Puis il dit au Maître de la loi : « Votre disciple s'en retourne ;
demain il viendra auprès de son vénérable Maître. Je souhaite vive-
ment qu'il ne craigne point la fatigue ».
Là-dessus il prit congé et partit.
Le lendemain matin, un messager royal étant venu de sa part, le
Maître de la loi partit avec Kumâra et quand ils furent arrivés à côté
du palais de Çïlâditya, le roi sortit avec une vingtaine de ses officiers
et vint au-devant d'eux. Dès qu'ils furent entrés et assis, on leur
offrit les mets les plus recherchés aux sons d'une, musique harmo-
nieuse, et l'on répandit devant eux les fleurs les plus odorantes.
Ces hommages terminés, le roi dit à Hiouen Tsang : « J'ai entendu
dire que le Maître a composé un Traité pour combattre les opinions
dangereuses ; ( ù est-il ? » — « Le voici », répondit le Maître de la loi.
Le roi le prit et le parcourut ; puis, ravi de joie, il dit aux officiers
qui l'entouraient : « J'ai entendu dire que lorsque le soleil se lève
dans toute sa splendeur, les vers-luisants et les lampes restent sans
éclat, et que, lorsque le tonnerre du ciel gronde avec fracas, le biuit
du marteau s'efface et disparaît. Les principes de tous ces Maîtres
ont été renversés par lui en un clin d'œil, et vous avez vu que nul
religieux n'a osé ouvrir la bouche pour venir à leur secours ». Le
roi ajouta : « Leur président Devasena disait de lui-même que, dans
l'explication des livres, il effaçait les plus illustres docteurs, et que,
par ses études profondes, il embrassait toutes les branches de la
science. Mettant en avant les opinions les plus étranges, il combattait
sans cesse le grand Véhicule; mais quand il eut appris l'arrivée d'un
célèbre religieux d'un pays étranger, il alla immédiatement se cacher
à Vaiçâlî, sous prétexte de visiter et d'honorer les monuments sacrés.
J'ai reconnu par là que tous ces Maîtres sont dépourvus de savoir et
de capacité ».
Le roi avait une sœur douée d'une rare intelligence, qui excellait
dans la doctrine de l'école des Sarnmatïyas (1). Dans ce moment, elle
était assise derrière le roi. Dès qu'elle eut entendu dire que le Maître
de la loi avait su exposer les principes sublimes du grand Véhicule,
(1) Cette école appartient au petit Véhicule. Cf. H, T. vol. i, p. 237.
— 158 —
et mettre à nu les idées étroites et mesquines du petit Véhicule, elle
se sentit ravie de joie et lui adressa des louanges infinies.
« Maître », lui dit encore le roi, " votre Traité est d'une beauté
•admirable ; moi, votre disciple, ainsi que tous ces Maîtres qui vous
entourent, nous l'approuvons avec foi et soumission : mais je crains
que les hérétiques du petit Véhicule, qui appartiennent aux autres
royaumes, ne persistent encore dans leur stupide aveuglement. Je
veux, dans la ville de Kânyakubja, convoquer en votre honneur une
grande assemblée. J'y appellerai les çramaiias, les brahmanes, les
sectaires hérétiques (Pâsandas), etc., des cinq Indes, afia que vous
puissiez leur montrer la profondeur et la beauté du grand Véhicule,
confondre à jamais leurs calomnies, faire briller au grand jour la
splendeur de votre vertu, et briser avec éclat leur orgueil effréné ».
Ce jour même, le roi envoya des messagers dans les différents
royaumes pour ordonner à tous les religieux, versés dans l'explication
des livres, de se réunir à Kânyakubja, et d'assister aux conférences
du Maître de la loi du royaume de Chine.
Au commencement de l'hiver, le Maître de la loi, en compagnie du
roi, remonta le Gange et arriva, dans le dernier mois de l'année, au
lieu de l'assemblée. On y vit assemblés dix-huit rois de l'Inde
Centrale, trois mille religieux versés dans le grand et le petit Véhicule,
deux mille brahmanes et hérétiques nus (Nirgranthas), et environ
mille religieux du couvent de Nâlandâ. Tous ces sages, aussi
renommés par leur vaste savoir que par la richesse et la facilité de
l'élocution, s'étaient rendus avec empressement au lieu de l'assemblée
pour entendre les vrais accents de la loi. Ils étaient tous accompagnés
d'une suite nombreuse. Les uns étaient montés sur des éléphants, les
autres étaient portés en palanquin, et chaque groupe était entouré de
bannières et d'étendards. La foule grossissait par degrés, comme les
nuages qui s'amoncellent et se déroulent dans les airs, et remplissait
un espace de plusieurs dizaines de li (de plusieurs lieues). Nulle
comparaison, si exagérée qu'elle fût, ne saurait donner une idée de
leur multitude immense.
Le roi avait ordonné d'avance de construire, sur la place de
l'assemblée, deux vastes bâtiments couverts de chaume, pour y placer
la statue de Buddha, et y recevoir la multitude des religieux.
Lorsqu'on fut arrivé, ces deux palais se trouvèrent achevés en
même temps. Ils étaient à la fois vastes et élevés, et pouvaient
— 159 —
contenir chacuQ mille personnes. Le roi avait fait établir sa tente de
voyage à cinq li à l'ouest du lieu de l'assemblée. Ce jour-là il y fit
fondre en or une statue du Buddha, et, par ses ordres, on équipa un
grand éléphant surmonté d'un dais précieux où l'on plaça la statue.
Le roi Çïlâditya, tenant un chasse-mouches blanc, marchait à droite,
sous le costume d'Indra ; le roi Kumâra, portant un parasol d'étoffe
précieuse, marchait à gauche, sous le costume de Brahma. Tous deux
portaient des tiares divines d'où descendaient des guirlandes de fleurs
et des rubans chargés de pierres précieuses. On avait équipé en outre
deux grands éléphants, qui suivaient le Buddha, chargés de corbeilles
de fleurs rares, qu'on répandait à chaque pas.
Le Maître de la loi et les officiers du palais reçurent l'invitation de
monter chacun sur un grand éléphant et de se tenir en rangs derrière
le roi, puis trois cents grands éléphants furent donnés aux rois, aux
ministres, et aux religieux célèbres des autres royaumes qui, rangés
sur les deux côtés de la route, devaient marcher en chantant des
louanges. Ces préparatifs commencèrent dès l'aube du jour. Le roi,
en personne, conduisit le cortège depuis sa tente de voyage j usqu'au
lieu de l'assemblée.
Lorsqu'on fut arrivé à la porte de l'enceinte, il ordonna à tout le
monde de metire pied à terre, de porter la statue du Buddha dans le
palais qui lui était destiné, et de la placer sur un trône précieux.
Le roi lui offrit ses hommages en compagnie de Hiouen Tsang,
puis il ordonna aux dix-huit rois de faire entrer les religieux les plus
illustres et les plus savants, au nombre de mille ; les brahmanes et
les docteurs hérétiques, renommés par leurs actes, au nombre de
cinq cents ; les ministres et grands officiers des différents royaumes,
au nombre de deux cents.
Quant aux religieux et aux séculiers, qui n'avaient pu être admis
dans l'intérieur, il leur ordonna de se ranger, en troupes séparées,
hors de la porte de l'enceinte. Le roi ordonna ensuite de servir à
manger à tout le monde, au dedans comme au dehors, et donna de
riches présents à Hiouen Tsang et aux religieux, savoir : un bassin
d'or, pour le service du Buddha, une tasse d'or, sept pots à eau en
or, un bâton de religieux en or, trois mille monnaies d'or et trois
mille vêtements de coton de qualité supérieure. Tous ces dons étaient
proportionnés au mérite de chacun.
Après cette distribution, le roi fit dresser à part un siège orné des
— 160 —
choses les plus précieuses, et pria le Maître de la loi de s'y asseoir
pour présider la coaférence solennelle, faire l'éloge du grand Véhicule,
et exposer le sujet de la discussion.
Hiouen Tsang ordonna alors au Maître de la loi Ming-hiea (Vidyâ-
bhadra V), religieux du couvent de Nâlandâ, d'aller faire connaître
ses prolégomènes à la multitude ; de plus, il en fit écrire à part une
copie qu'on suspendit en dehors de la porte de l'enceinte afin de les
offrir à l'examen de tous les assistants. Il ajouta au bas : « Si
quelqu'un trouve ici un seul mot erroné et se montre capable de
le réfuter, je lui donnerai ma tête à couper pour lui prouver ma
reconnaissance «.
Cet écrit demeura suspendu jusqu'au soir sans que personne osât
prendre la parole.
Le roi Çïlâditya en fut transporté de joie : il leva la séance et s'en
retourna dans son palais. Les dix-huit rois et les religieux se retirèrent
chacun dans sa demeure.
Le Maître de la loi et le roi Kumâra s'en retournèrent aussi dans
leur palais particulier.
Ils revinrent le lendemain matin, allèrent au-devant de la statue,
la conduisirent en pompe, et réunirent l'assemblée comme la première
fois. Au bout de cinq jours, les hérétiques du petit Véhicule, voyant
qu'il avait renversé les principes de leur doctrine, en conçurent une
haine profonde, et formèrent un complot contre sa vie.
Le roi, en ayant été informé, fit publier le décret suivant : « Les
partisans de l'erreur obscurcissent la vérité ; cela s'est vu depuis
longtemps. Ils calomnient la sainte doctrine et séduisent iadignement
le peuple. S'il n'y avait pas de sages d'un mérite supérieur, comment
pourrait-on découvrir leur mensonge ? Le Maître de la loi de la Chine,
qui est doué d'une rare intelligence, et dont la conduite commande
l'estime et le respect, voyage dans ce royaume pour déraciner les
erreurs, mettre en lumière la sublime Loi, et sauver les aveugles
mortels des ténèbres qui les enveloppent. Cependant, les partisans
des erreurs les plus extravagantes, au lieu de rougir de honte, osent
former des complots odieux et menacer sa vie. Tolérer une telle
conduite, ce serait promettre l'impunité aux plus horribles attentats.
Si, dans la multitude, il se rencontre un seul homme qui attaque ou
blesse le Maître de la loi, je lui trancherai la tête, et je ferai couper
la langue à quiconque se rendra coupable envers lui, de calomnie
(
— 161 —
ou d'injure. Tous ceux qui, se confiant à ma justice, voudront
s'expliquer convenablement, jouiront d'une entière liberté n.
Dès ce moment, les partisans de l'erreur s'esquivèrent et dispa-
rurent, de sorte qu'il s'écoula dix-huit jours sans que personne osât
ouvrir la bouche et discuter.
Le soir qui précéda la dispersion de l'assemblée, le Maître de la loi
exalta encore le grand Véhicule et loua avec enthousiasme les mérites
et les vertus du Buddha. Par suite de ses prédications, une multitude
innombrable d'hommes quittèrent les sentiers de l'erreur pour entrer
dans la droite voie, et abandonnèrent les vues étroites du petit
Véhicule pour embrasser les sublimes principes du grand.
Le roi Çïlâditya sentit s'accroître encore dans son cœur l'estime
qu'il lui avait vouée. Il donna au Maître de la loi dix mille pièces
d'or, trente mille pièces d'argent et cent habits de coton de qualité
supérieure. Les dix-huit rois lui firent aussi de riches présents ;
mais Hiouen Tsang ne voulut rien recevoir.
Le roi chargea les officiers de sa suite de faire équiper richement
un grand éléphant et de le couvrir d'étoffes précieuses ; puis il pria
le Maître de la loi de le monter. Ensuite il ordonna aux dignitaires
les plus éminents de former son cortège, de faire ainsi le tour de la
multitude et d'annoncer à haute voix qu'il avait exposé les principes
de la vérité, et les avait fermement établis, sans être vaincu par
personne. Dans les royaumes de l'occident, il est d'usage qu'on rende
un tel honneur à quiconque a obtenu la victoire.
Le Maître de la loi déclina cette distinction glorieuse, mais le roi
lui dit : « Depuis l'antiquité, c'est une loi constante à laquelle il
n'est pas permis de désobéir ». Alors tenant le Maître de la loi par
son vêtement religieux, et parlant à la multitude, il cria à haute
voix : « Le Maître de la loi de la Chine a établi avec éclat la doctrine
du grand Véhicule et a renversé toutes les erreurs des sectaires.
Depuis dix-huit jours, il ne s'est trouvé personne qui osât discuter
avec lui. 11 faut qu'un tel triomphe soit connu de vous tous »,
Toute la multitude fut remplie de joie et voulut à l'envi lui
décerner un titre honorable. Les nombreux disciples du grand
Véhicule l'appelèrent Mahâyânadeva, nom qui signifie le dieu du
grand Véhicule ; la multitude du petit Véhicule lui donna le titre de
Moksadeva, c'est-à-dire dieu de la délivrance. Ensuite ils brûlèrent
11
— 162 —
des parfums, répandirent des fleurs et s'éloignèrent après l'avoir
comblé de témoignages de respect.
Par suite de cet événement, la renommée de ses talents et de ses
vertus ne fit que se répandre davantage. A l'ouest de la tente de
voyage du roi Çïlâditya, il y avait un couvent qui était entretenu
aux frais de ce prince. On y voyait une dent du Buddha Dans ces
derniers temps, le roi Çïlâditya, ayant appris qu'il y avait une dent
du Buddha dans le Kasmïr, vint lui-même jusqu'à la frontière, et
demanda la permission de la voir et de l'adorer ; mais les habitants,
poussés par un sentiment d'avarice, restèrent sourds à sa prière ; ils
tirèrent la dent de la cassette et la cachèrent dans un autre endroit.
Cependant le roi, redoutant la puissance de Çïlâditya, fit pratiquer
partout des fouilles et étant parvenu à retrouver cette relique,
s'empressa d'aller la lui présenter. Celui-ci, en la voyant, donna les
marques de la plus haute estime et du plus profond respect. Fier de
la force de ses armes, il s'en empara sur-le-champ et l'emporta pour
lui rendre ses hommages. C'était précisément la dent dont nous
venons de parler.
Après que l'assemblée se fut séparée, le roi fit déposer, dans le
couvent de Nâlandâ, la statue d'or du Buddha qu'il avait fait fondre,
et une grande quantité de vêtements et de monnaies précieuses et
en confia la garde aux religieux. Le Maître de la loi fit d'abord ses
adieux aux religieux de Nâlandâ, emporta les livres et les statues
qu'il avait recueillis et ferma ses conférences. Le dix-neuvième jour
après, il prit congé du roi et voulut s'en retourner.
« Votre disciple », lui dit le roi, « a succédé au trône et a régné
sur l'univers (l'Inde) pendant plus de trente ans. Constamment je
m'inquiétais en voyant que je ne faisais point de progrès dans le
bonheur et la vertu. Autrefois, désolé de l'impuissance de mes efforts
pour le bien, j'amassai dans le royaume de Prayâga une immense
quantité de richesses et de choses précieuses, et entre les deux
fleuves, j'établis un lieu de Grande Assemblée. Tous les cinq ans,
j'appelais des cinq Indes les çramanas, les brahmanes, les indigents,
les orphelins et les hommes sans famille, et pendant soixante-quinze
jours, je faisais une grande distributiou, dite la distribution pour la
Délivrance (Moksa). Jusqu'à ce jour, j'ai déjà convoqué cinq
assemblées de ce genre ; maintenant, j'en veux convoquer une
sixième. Pourquoi, vénérable Maître, ne pas rester quelque temps
pour y assister et être témoin de la joie qu'elle fera naître? m
— 165 —
« Sire », lui dit le Maître de la loi, « par tous ses actes, un Bodhi-
sattva recherche à la fois le bonheur et l'Iatelligence. Lorsqu'un sage
a obtenu un fruit, il n'oublie jamais la racine d'où il est né. Puisque
Votre Majesté n'épargne point ses richesses pour secourir les hommes,
comment Hiouen Tsang pourrait-il refuser de rester quelque temps
avec vous ? Je vous demande la permission de partir avec Votre
Majesté ».
Le roi fut ravi de cette réponse. Le vingt-et-unième jour, il se mit
en route et le conduisit dans le royaume de Prayâga, et ils se rendirent
ensemble au lieu de la grande distribution. Le fleuve Gange coulait
au nord et la Yamunâ au sud. Ces deux rivières, descendant ensemble
du nord-ouest, coulaient à l'est et, arrivées à ce royaume, confondaient
leurs eaux. A l'ouest du confluent des deux fleuves, il y avait une
vaste plaine, égale et unie comme un miroir, qui avait quatorze à
quinze li de tour. Depuis les temps anciens, tous les rois s'y rendaient
annuellement pour distribuer des aumônes ; cette circonstance Tavait
fait nommer la Place des aumônes (Dânasthâna ?). La traditiou
rapporte qu'il est plus méritoire de donner en ce lieu une pièce de
monnaie que cent mille ailleurs. De tout temps on l'a généralement
tenu en graude estime.
Le roi ordonna d'établir, pour la distribution des aumônes, un
espace carré garni de haies de roseaux, ayant mille pieds de chaque
côté, et de construire au milieu plusieurs dizaines de salles recou-
vertes en chaume, pour y déposer une immense quantité de choses
précieuses , savoir : de l'or, de l'argent, des perles fines, du verre
rouge et des pierres précieuses appelées Indranîla et Mahâoïla, etc.
Il fit construire, en outre, plusieurs centaines de longues maisons
pour y déposer des vêtements de soie kauçeya et de coton, des
monnaies d'or et d'argent, etc. En dehors de la haie, il fit construire
à part un immense réfectoire. Devant les bâtiments qui renfermaient
des richesses de tout genre, il fit élever une centaine de longues
maisons, disposées en lignes droites comme les boutiques du marché
de notre capitale. Chacune d'elles était assez longue pour que mille
personne pussent s'y tenir assises.
Quelque temps auparavant, le roi avait, par un décret, iuvité les
çramanas, les hérétiques (Pâsandas), les Nirgranthas, les pauvres,
les orphelins, et les hommes seuls (sans famille), à se réunir sur la
Place des aumônes (Dânasthâna), pour prendre part aux distributions.
— 164 -
Comme le Maître de la loi n'était pas encore revenu de l'assemblée
de la ville de Kânyakubja, il partit immédiatement pour se rendre à
la Place des aumônes. Les rois des dix-huit royaumes partirent aussi
à la suite du roi Çïlâditya.
Quand ils furent parvenus au lieu de l'assemblée, ils trouvèrent
cinq cent mille religieux et séculiers qui y étaient déjà arrivés.
Le roi Çïlâditya établit sa tente sur le rivage nord du Gange ; le
roi de l'Inde méridionale Dhruvabhatta établit la sienne à l'ouest du
confluent des deux fleuves. Le roi Kumâra fit placer sa tente au sud
de la rivière Yamunâ, à côté d'un bocage fleuri. Les hommes qui
étaient venus pour recevoir des aumônes, établirent leurs tentes à
l'ouest de celle du roi Dhruvabhatta.
Le lendemain matin, les corps d'armée du roi Çïlâditya et du roi
Kumâra, montés sur des vaisseaux, et celui du roi Dhruvabhatta,
monté sur des éléphants, se disposèrent chacun dans un ordre impo-
sant et se réunirent près de la Place de l'Assemblée. Les rois des
dix-huit royaumes se joignirent à eux, et se rangèrent chacun (avec
leurs troupes), aux endroits qui leur avaient été assignés.
Le premier jour, dans un des temples couverts en chaume, de la
Place des aumônes, on installa la statue du Buddha, et Ton distribua
des choses précieuses et des vêtements de la plus grande valeur, on
servit des mets exquis et l'on répandit des fleurs aux sons d'une
musique harmonieuse, et le soir chacun se retira dans sa tente.
Le second jour on plaça la statue du Dieu-Soleil (Âditya), et l'on
distribua des choses précieuses et des vêtements, mais moitié moins
que le premier jour.
Le troisième jour, on y plaça la statue du Dieu suprême (ïçvara)
et l'on fit les mêmes aumônes qu'à l'installation du Dieu-Soleil.
Le quatrième jour, on fit des aumônes à environ dix mille religieux
qui étaient assis en rangs, et formaient ensemble cent lignes distinctes.
Chacun d'eux reçut cent pièces d'or, un vêtement de coton, divers
breuvages et aliments, ainsi que des parfums et des fleurs. Ces
distributions terminées, ils se retirèrent,
La cinquième fois, on fit des distributions aux brahmanes ; elles
durèrent vingt jours.
La sixième fois, on fit des aumônes aux hérétiques ; elles durèrent
dix jours.
La septième fois, on fit des aumônes aux Nirgranthas des pays
lointains ; elles durèrent dix jours.
— 165 —
La huitième fois, on fît des aumônes aux pauvres, aux orphelins,
aux hommes seuls ; elles durèrent un mois. Quand ce terme fut
arrivé, toutes les richesses accumulées pendant cinq ans dans le
trésor royal se trouvèrent complètement épuisées. Il ne resta plus au
roi que les éléphants, les chevaux et les armes de guerre, qui étaient
nécessaires pour châtier les hommes qui suscitent des troubles et
protéger son royaume. Pour ce qui regarde les autres objets précieux,
les vêtements qu'il portait, ses colliers, s^ pendants d'oreilles, ses
bracelets, la guirlande de son diadème, les perles qui ornaient son
cou et l'escarboucle qui brillait au milieu de sa crête de cheveux, il
les donna tous en aumônes, sans en conserver la moindre chose.
Après avoir épuisé ainsi toutes ses richesses, il demanda à sa sœur
un vêtement commun et usé, et après s'en être couvert, il adora les
Buddhas des dix contrées, se livra avec exaltation aux transports de
la joie, et, joignant les mains, il s'écria : « En amassant toutes ces
richesses et ces choses précieuses, je craignais constamment de ne
pouvoir les cacher dans un magasin solide et impénétrable. Mainte-
nant que j'ai pu (par l'aumône) les déposer dans le champ du
bonheur, je les regarde comme conservées à jamais. Je désire, dans
toutes mes existences futures, amasser ainsi d'immenses richesses
pour faire l'aumône aux hommes, et obtenir les dix facultés divines
dans toute leur plénitude ».
Après la clôture définitive des deux magnifiques assemblées (1),
les dix-huit rois recueillirent de nouveau des choses précieuses et de
grandes sommes d'argent parmi les peuples de leurs États, rachetèrent
le riche collier, l'escarboucle de la coiffure, les vêtements royaux,
etc., que le roi Çilâditya avait donnés en aumônes, les rapportèrent
et les lui offrirent. Mais au bout de quelques jours, les vêtements du
roi et les joyaux de la plus haute valeur furent encore employés en
aumônes comme la première fois.
Le Maître de la loi prit congé du roi et lui témoigna le désir de
s'en retourner.
« Moi, votre humble disciple », lui dit le roi, «je voulais, avec
vous, développer et répandre au loin la Loi que nous a léguée lo
(1) La première où l'on convoqua les plus célèbres docteurs de l'Inde pour
discuter avec Hiouen-Tsang ; la seconde, décrite ci-dessus, où l'on tlt une
immense distribution d'aumônes.
— 166 —
Buddha. Pourquoi mon vénérable Maître s'en retourne-t-il subite-
ment ? H Hiouen Tsang s'arrêta donc encore pendant une dizaine de
jours.
De son côté, le roi Kumcâra lui donna pareillement des témoignages
de dévoûment et d'affection : « Maître », lui dit-il, « si vous pouvez
rester auprès de votre disciple pour recevoir ses hommages, je regar-
derai comme un devoir de vous construire cent couvents ».
Le Maître de la loi, voyant que les deux rois persistaient à le
retenir, finit par leur adresser des paroles où perçait l'amertume de
son cœur : « La Chine », leur dit-il, « est séparée d'ici par un inter-
valle immense, et ce n'est que bien tard qu'elle a entendu parler de
la loi du Buddha. Quoiqu'elle en ait une connaissance sommaire, elle
n'en peut embrasser l'ensemble. C'est pour cela que je suis venu m'en
instruire dans les contrées étrangères. Si je désire aujourd'hui m'en
retourner, c'est que les sages de ma patrie soupirent après moi et
m'appellent de tous leurs vœux. Aussi ne puis-je m'arrêter un instant
de plus et mettre en oubli ces paroles des livres sacrés : « Quiconque
aura caché la Loi aux hommes sera frappé de cécité dans toutes ses
existences ». Si donc vous retenez davantage Hiouen Tsang, vous
serez cause que des peuples innombrables seront privés du bonheur
de connaître la Loi ; ne craignez- vous pas d'être frappés aussi de
cécité ? ».
« Maître », s'écria le roi, « votre disciple estime et chérit votre haute
vertu, et son vœu le plus ardent est de la contempler et de vous
servir pour toujours. Si j'empêchais le bonheur d'une multitude
d'hommes, j'avoue que mon cœur serait en proie à la crainte. Je
vous laisse libre de partir ou de rester ; mais si vous me quittez,
j'ignore par quelle route vous vous proposez d'effectuer votre retour.
Si vous prenez la voie de la mer du sud, je veux vous faire accom-
pagner par des envoyés officiels ».
« Sire », répondit le Maître de la loi, « lorsque je venais de quitter
la Chine, j'arrivai, sur les frontières de l'ouest, dans un royaume
nommé Kao-tch'ang, dont le roi, rempli de lumières, était passionné
pour la loi. Quand il eut vu que Hiouen Tsang venait ici pour
s'instruire dans la vraie doctrine, il en éprouva une profonde joie, lui
fournit en abondance tout ce qui lui était nécessaire, et exprima le
vœu qu'à son retour le Maître de la loi passât par son royaume et
vînt lui rendre visite : c'est un devoir auquel mon cœur ne peut se
refuser. Aujourd'hui donc je pars par la route du nord ».
— 167 —
« Maître », lui demanda le roi, « faites-moi connaître la quantité
de provisions qui vous est nécessaire ».
« Je n'ai besoin de rien », lui dit le Maître de la loi.
" Je ne puis souffrir », reprit le roi, « que vous partiez ainsi ».
En disant ces mots, il ordonna de lui remettre des pièces de
monnaie d'or, des vêtements, etc. Le roi Kumâra lui donna aussi une
multitude de choses précieuses ; mais le Maître de la loi ne voulut
rien recevoir d'eux à l'exception d'un vêtement de duvet fin nommé
Ho-la-li, (Halâli ?) provenant du roi Kumâra, et qui était destiné à
le protéger, en voyage, contre Thumidité et la pluie.
Là-dessus il prit congé et partit.
Les deux rois avec une suite nombreuse, l'accompagnèrent à une
distance de plusieurs dizaines de li ; au moment de se dire un dernier
adieu, chacun d'eux versa des larmes et poussa de longs soupirs.
Le Maître de la loi confia les livres et les statues à un roi de l'Inde
du nord nommé Ou-ti-to (Udita ?) qui devait les faire transporter à
petites journées sur le dos des chevaux et sur les chars de l'armée.
Ensuite, le roi Çïlâditya confia au roi Ou-ti-to un grand éléphant,
ainsi que trois mille pièces d'or et dix mille pièces d'argent pour
subvenir aux frais de voyage du Maître de la loi.
Trois jours après le départ de Hiouen Tsang, les rois Çîlâlitya,
Kumâra, Dhruvabhatta, etc., prirent plusieurs centaines de cavaliers
et partirent une seconde fois pour le reconduire et lui faire leurs
adieux. Telles furent les marques de dévoûment et d'affection dont
le combla Çïlâditya. Ce n'est pas tout : il envoya, en outre, quatre
Ta-Kouan (conducteurs officiels) qu'on appelait Mo-ho-ta-lo (Mahâ-
târas ?) (1). 11 écrivit des lettres sur des pièces de coton blanc, et, les
ayant cachetées avec de la cire rouge, il ordonna aux Ta-Kouan de
conduire le Maître de la loi, et de présenter ces lettres dans tous les
royaumes où il passerait, afin que chaque prince lui fournît succes-
sivement des chars pour le conduire jusqu'aux frontières de la Chine.
(1) Les syllabes Mo-ho-ta-lo où Julien a vu le mot " Maluitrira -, étaient-ils
employées par Hiouen Tsang pour transcrire le mot sanskrit maluittara,
qu'on trouve dans le Kathà-sârU-sàgara pour désigner un chambellan?
APPENDICE III.
Les vers de Harsa.
I. Le Supeabhâtastotea.
M. Bendall, dans le Catalogue des MSS. Sanskrits Bouddhistes à
Cambridge, p. 138. (MS. Add. 1614. Collection de Stotras), décrit un
hymne attribué à Harsa-deva-bhûpati. Aj'ant pu examiner ce
manuscrit, grâce à la bienveillance du bibliothécaire de la bibliothèque
de l'Université de Cambridge, j'ai pu l'identifier avec le Suprabhà-
tastotra de Harsa déjà connu.
Ce poème se trouve avec d'autres stotras dans un manuscrit
népalais de B. H. Hodgson maintenant à l'India Office Library
(I. 0. 2921). Un autre manuscrit se trouve dans la collection de la
Société Asiatique du Bengale. Un troisième est à la Bibliothèque
Nationale à Paris. Minayeff, avec l'aide de ces manuscrits et de trois
autres qui lui étaient accessibles (1), en a publié dans le Journal de la
Société Russe d'Archéologie le texte avec traduction russe (2). M. Tho-
mas, le bibliothécaire de l'India Office Library, en a publié le texte
dans le Journal de la Société Asiatique Anglaise (3) vis-à-vis d'une
version tibétaine qui se trouve dans le premier volume du Tanjur
(Bstod, foll. 262-4). Ici, comme dans les manuscrits de Minayeff,
l'ouvrage est attribué au roi Çrï Harsadeva, et dans le dernier vers
de l'ouvrage, on peut lire en effet le mot harsa en confirmation du
tibétain. Ce stotra est un hymne matinal adressé au Buddha, dont la
foi demeure dans une aurore éternelle, tandis que les autres, divinités
et sages, y compris le soleil, se tiennent endormis et engourdis dans la
I
(1) Un manuscrit avait une version Newari.
(2) Zapiski. N. S. tome II, fasc. III, pp. 236-237, Prières Bouddhiques.
(3) J. R. A. S. 1903, p. 704 ; un autre MS. semble se trouver à Tiibingen,
d'après le Cat. des MSS. Sanskrits, p. 78 (MS. n° 182 F). Je n'ai pas eu occasion
de le voir.
— 169 —
paresse. Dans le manuscrit de l'India Office, le texte est suivi d'une
version népalaise. Le mètre « Mâlinï » est employé dans d'autres
vers adressés à l'aurore. Je publie le texte de M. Thomas avec
quelques corrections d'après le MS. de Cambridge, en notant par G.
les variantes du manuscrit de Cambridge (p. 175).
Salut au Buddha, salut à la Loi, salut à l'Assemblée !
1. Celui qui est loué par la multitude des dieux, par les Siddhas,
par les Gandharvas, par les Yaksas, au ciel et sur la terre, par les
ascètes principaux, avec des louanges nombreuses et variées, moi
aussi je le salue, m'attribuant ce pouvoir, lui le noble, l'illuminé. Les
abeilles ne vont-elles pas au ciel traversé par Garuda ?
2. Celui, eu qui le penchant pour le mal est annihilé et toute faute
a disparu, qui est de la couleur de l'or fondu, qui a des yeux; longs
comme le lotus épanoui, qui a des robes resplendissantes, qui a
l'éclat d'une sphère brillante ; pour toi, qui as les dix pouvoirs, que
toujours le bonjour soit bon !
3. Celui qui est le vainqueur des pouvoirs de l'amour (de Mâra),
le destructeur des voies du mal, le faiseur du bien dans les trois
mondes, qui dégage les entrelacements des lianes — qui sont les
femmes, — qui donne les fruits de la béatitude, produits de la
tranquillité, qui fend la montagne d'ignorance ; pour toi, qui as les
dix pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
4. Le premier en fait de naissance parmi les démons, les dieux, les
hommes, le chef des dieux, seigneur de tous les mondes, la seule voix
dans la création du monde, le créateur des hommes, né d'un lotus,
Svayambhû, dort ; pour toi, qui as les dix pouvoirs, que toujours le
bonjour soit bon !
5. Debout sur la pente des montagnes orientales, rouge comme un
fragment de corail, frappant les masses des ténèbres, l'œil unique des
hommes, le Soleil inquiet lai-même dort ; pour toi, qui as les dix
pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
6. Jaune comme une dent d'éléphant, ornement sur le front de la
nuit, tiare sur la tête du monde entier, ayant les passions de l'amour
non assouvies, la Lune, aux froids rayons, elle-même dort ; pour toi,
qui as les dix pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
7. Ayant de quadruples bras et seize quarts de visages, connaissant
la règle de rinjoaction de la prière, récitateur du Sâmaveda, né du
lotus pur, Brahma lui-même dort ; pour toi, qui as les dix pouvoirs,
que toujours le bonjour soit bon !
— 170 —
8. Bleu comme le pétale du lotus, ayant de longs yeux de lotus,
destructeur du pouvoir des ennemis des dieux, omnipotent, ayant
toutes les formes, Hari, non délivré de la matrice, lui-même dort ;
pour toi, qui as les dix pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
9. Debout sur le sommet de l'Himalaya, ayant des serpents en
guise de corde sacrée, habile à allumer les trois villes (des démons),
au manteau en peau de tigre, en compagnie de la lilie du chef des
montagnes, le Maître du trident lui-même dort ; pour toi, qui as les
dix pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
10. Tenant à la main une hache flamboyante, l'ennemi invincible
des Dânavas, le seigneur des dieux (Indra) lui-même, son intelligence
hébété par un entretien galant avec Çacî, dort jour et nuit, plongé
dans la fange de l'amour ; pour toi, qui as les dix pouvoirs, que
toujours le bonjour soit bon !
11. Comme le lotus sous la froide lune, les yeux rougis par des
potions de vin, aux bras forts et rudes, le laboureur, une Çakti à la
main, Bala, ici est couché embrassant le cou de Revatï ; pour toi, qui
as les dix pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
12. Celui qui a une seule dent dans son visage d'éléphant, qui
enlève tous les obstacles, dont les gouttes d'ichor tombent incessam-
ment, dont les joues sont parsemées d'essaims d'abeilles, Ganapati
lui-même, ami des potions de liqueurs, dort ; pour toi, qui as les dix
pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
13. Celui qui a une Çakti bleue comme la fleur atad au bout des
doigts, beau comme le jeune lotus, ayant six visages, qui fendit la
montagne Kraunca, fils de celui qui a trois yeux, Kumâra, lui même
dort ; pour toi, qui as les dix pouvoirs, que toujours le bonjour
soit bon !
14. Ayant des masses tannés de cheveux nattés, les youx d'un rouge
de cuivre comme le sang, Paçupati dont la rage est bouillante et la
fureur extrême, le corps tourmenté des flèches de l'amour, le dieu
du feu, lui-même dort ; pour toi, qui as les dix pouvoirs, que
toujours le bonjour soit bon !
15. Yama, Varuna, Kuvera, les Yaksas, les Daityas, les Nâgas, sur
la terre, au ciel, dans l'air, et les autres Lokapâlas, contemplés par
les regards obliques amoureux des nymphes, eux mêmes dorment ;
pour toi, qui as les dix pouvoirs, que toujours le boniour soit bon !
16. Ici les grands Rçis, Vatsa, Bhrgu, Angiras, Kratu, Pulaha,
— 171 —
Vasistha, Vyâsa, Vrilmïki, Garga, infatués par les entretiens galants
avec les nymphes d'autrui eux-mêmes dorment ; pour toi, qui as les
dix pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
17. Plongés dans l'océan de la vie, leurs membres couverts par les
mailles de rillusion, Maau, Kapila, Kanâda, en confusion, leur
intelligence hébétée, stupides, privés des fruits de la béatitude, pro-
duits de la tranquillité, eux-mêmes dorment ; pour toi, qui as les dix
pouvoirs, que toujours le bonjour soit bon !
18. Sans nourriture, sans vêtements, en état de conception, difformes,
pareils à des revenants en tourment, leurs corps bien torturés par des
coups de toute sorte, empêchés d'arriver aux deux états (le ciel et la
terre) nus, ils dorment ; pour toi, qui as les dix pouvoirs, que toujours
bonjour soit bon !
19. Journellement je salue le Buddha qui a un bonjour, qui a une
bonne étoile, qui est salué avec béatitude, je salue la Loi, je salue
l'Assemblée.
20. Bonjour à toi, le seul dont les yeux sont ouverts par la con-
naissance. Le Soleil a disparu [c'est-à-dire le Buddba est mort] éter-
nellement pour ceux qui sont aveuglés par les ténèbres de l'igno-
rance.
21. Le jour revient ; le soleil revient ; la lune revient ; la nuit re-
vient ; ils reviennent tous, la mort, l'âge, la naissance, ô saint, mais
les sots ne comprennent point la transmigration.
22. Pendant que le Temps dort dans les ténèbres de la nuit du
sommeil de l'ignorance, sur le large lit du désir, sur le sommeiller
de l'objet des sens, sur lequel les fruits des bonnes et mauvaises
actions s'éparpillent, salut à lui qui veille pour l'éternité !
23. Aux gués, des centaines de têtes de bétail boivent de l'eau et
se rassassient, mais l'eau n'est jamais épuisée ; de même quand le
saint est loué par des centaines de poètes, la liste de ses vertus n'est
point épuisée en lui qui en est l'océan.
24. En louant le Maître du monde, le prince des grands saints,
l'arbre de la justice de la bonne Loi, la Loi sans les couples (le plai-
sir et la douleur), le destructeur des ténèbres de la passion et du
péché, dont le corps est libre de passions, qui est libre du désir,
quelle sainteté devrais-je obtenir ! Par cette sainteté même, (pie le
monde entier, réjoui par les louanges du matin, trouve la foi su-
prême en lui qui a les dix pouvoirs !
— 172 —
Fin du Suprabhatastotra adresse à Buddha le Maître
ET COMPOSÉ PAR LE ROI HaRSADEVA.
Om uamo buddhâya, namo dharmâya, namah sainghâya.
Stutam api surasamghaih siddhagandharvvayaksai-
r divi bhuvi suvicitraih stotravâgbhir yyatîçaih |
aham api krtaçaktir naumi sambuddham âryyaiu
nabhasi garudayâte kiin na yâati dvirephâh || 1 ||
ksapitaduritapaksah ksïnaaihçesadosah
dravitakanakavarunah phullapadmâyatâksah |
suruciraparivesah suprabhâmaiidalaçrî-
r daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 2 ||
raadanabalavij etuh kâpathocchedakarttu-
s tribhuvanahitakarttuh strïlatâjâlaharttuh |
çamasukhaphaladâtur bhettur ajnânaçailam
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 3 ||
asurasuranarânâm yo'graj anmâgradaivah
sakalabhuvauanâtho lokasrstyekaçabdali |
svapiti manujadhâtâ padmayonih svayambhû-
r daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam |1 4 ||
udayagiritatastho vidrumacchedatâmra-
s timiranikarahantâ caksur ekam prajâuâin |
ravir api parilolah sarvvathâ so 'pi supto
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 5 ||
dviradadaçanapânduh çïtaraçmih çaçâmka-
s tilaka iva rajanyâh sarvvacûdâmanir yyah |
avigatamadarâgah sarvvathâ so 'pi supto
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 6 ||
pravarabhuj acatuskah sodaçârdhârdhavaktro
japaniyamavidhijûah sâmavedapravaktâ |
amalakamalayonih so 'pi brahmâ prasupto
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 7 ||
kuvalayadalanïlah pundarïkâyatâksah
suraripubalahantâ viçvakrd viçvarûpï |
harir api cirasupto garbhavâsair amukto
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam |1 8 ||
— 173 —
himagiriçikharasthah sarppayajnopavîta-
s tripuradahanadakso vyâghracarmmottarïyah |
saha girivarapntryâ so 'pi suptas triçûlï
daçabala tava nityara suprabhâtam prabhâtam || 9 ||
jvalitakuliçapânir durjjayo dânavârih
surapatir api çacyâ vibhrame rarulhacetâh |
aniçi niçi ca suptali kâmapamke nimagno
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 10 |
himaçaçikumuJâbho madyapâaârunâkso
drdhakathinabhujânigo lamgalî çaktihastah |
bala iha çayito 'sau revatïkanthalagno
daçabala tava uityam suprabhâtam prabhâtam || 11 |
gajamukhadaçanaikah sarvvato vighnahantâ
vigalitamadadhârah satpadâkïrnagandah |
ganapatir api supto vâruuïpânamaitro
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam H 12 |
atasikusumanîiâ yasya çaktih karâgre
navakamalavapusmâû sanmukhah kraiimcahantâ |
trinayanatanayo 'sau nityasuptah kumâro
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 13
kapilaj atakalâpo raktatâmrârunâksah
paçupatir atikâle dagdhakopâtidaksah |
smaraçaradalitâmgah so 'pi supto hutâço
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 14
yamavaruiiaku 7erâ yaksadaityoragendrâ
divi bhuvi gagaue va lokapâlâs tathânye |
yuvatimadakatâksair vïksitâs te 'pi suptâ
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam |1 15
rsaya iha mahâato vatsabhrgvamgirâdyâh
kratupulahavasisthâ vyâsavâlmîkigarggâh |
parayuvativilâsair mohitâs te 'pi suptâ
daçabala tava nityam suprabhâtam prabhâtam || 16
bhavajalanidhimagnâ mohajâlâvrtâmgâ
manukapilakanâdâ bhrâmitâ mûdhacittâh |
çamasukhaphalahïûâ bâliçâs te 'pi suptâ
daçabala tava nityam suprabbâtain prabhâtain || 17
açanavasanahïnâ bhâvyamâuâ virûpâ
alam akhilavighâtail? pretavad dagdhadohâlj |
__ 174 —
ubhayagativihïnâ nityasuptâç ca nagnâ
daçabala tava nityam suprabhâtainprabhâtam || 18 ||
suprabhâtam suQaksatram çreyahpratyabhiuaiiditam |
buddham dharmam ca samgham ca prauamâmi dine diae || 19 1|
suprabhâtam tavaikasya jûâQonmïlitacaksusah |
ajnânatimirâQdhâaâni nityam astamito ravih 1| 20 j]
punah prabliâtam punar utthito ravih
punah çaçâmkah punar eva çarvvarï |
mrtyur jarâ janma tathaiva he mune
gatâgatim mûdhajano na budhyati || 21 ||
ajùânanidrârajauîtaniasi prasupte
trsnâviçâlaçayane visayopadhâne |
kâle çubhâçubhaphalam parikïryyamâne
jâgartti yah satatam eva namo 'stu tasmai || 22 ||
tïrthesu gokulaçatâni pibanti toyam
trptim vrajanti na ca tatksayam abhyupaiti |
evam muneh kaviçatair api samstutasya
na ksïyate gunanidhir gunasâgarasya || 23 ||
stutvâ lokagurum mahâmunivaram saddharmmapuuyadrumam
nirdvandvam hatarâgadosatimiram çântendriyain nihsprham |
yatpuuyam samupârjitam khalu raayâ teuaiva loko 'khilah
pratyûsestutiharsito daçabale çraddhâm parâm vindatâiu || 24 ||
Iti çrî buddhabhattârakasya Harsadevabhûpativiracitam suprabhâ-
[tastotram samâptam.
1/0
Vaeiantes.
Les italiques reproduisent les variantes propres au MS. de Cam-
bridge.
Il manque à Thomas « namo dharmâya, namo samghclija ».
4. b. Thomas : bhuvanadhâtau.
4. c. C. ambuyonih.
5. b. C. kirauahantâ. Thomas : °kulani.
5. c. Thomas : madalolah.
6. b. C. "cUclci))iaiiïuah
7. b. C. sâmavedo.
8. a. C. pimrînlïka.
b. C. sararipuhhamahanto. Thomas : °vara.
b. C. °Jîrdviçvo.
9. c. C. °ciJihayâbhah.
10. a. Thomas : dânavânâm.
b. C. "cittah.
12. a. C. sarvathâ.
c. C. vârumpânameUro. Thomas : °matto.
13. a. Thomas : "nilo.
c. C. so'2)i siiptah.
14. a. C. jvalitajatahalapS,.
c. C. samarasadalitâm^ah.
16. b. C. et Thomas : °çisthâ.
17. b. C. ^'kaiiâdya.
c. Thomas : "parïhïnâ.
19. C. transpose les vers 20 et 19.
19. a. C. sunaksatre, çriyd°.
21. a. Thomas : prabhâta.
d. C. gatâyatl. Thomas : budhyate.
22. a. Thomas : "itvam asi prasuptâ.
c. C. parikïrttamâno.
23. b. C. hsayamatyupaiti.
c. C. kaviçaUni pibanti te'sya. Thomas : mune.
24. a. Thomas : punyodgamam.
Il manque à Thomas le colophon entier qui ne se retrouve que
dans le tibétain.
— 176 —
II. L'ASTAMAHÂÇRÏCAITYASAMSKRTASTOTRA.
L'hymne aux huit grands Caityas vénérables (1) (en chinois
Pa-ia-ling-fa-fan-tsan, en sanscrit, Asia-mahâ-çn-caifya-samsJirta-
stotra) est attribué par la tradition chinoise au roi indien Kiai-jen
« le soleil de la vertu », et Hiouen Tsang nous a appris à reconnaître
sous cette traduction l'empereur Harsa Çïlâditya. Le poème se
compose de cinq stances, la première en niandaJcrânt/î, les quatre
autres en Sragdhara. Le moine Fa-hien a transcrit l'original sanscrit
en caractères chinois.
Le titre du poème n'en indique pas exactement l'objet. L'auteur
ne rend pas seulement hommage aux huit lieux sacrés, mais aussi à
tous les Stupas, à tous les Caityas, à tous les Dhâtugarbas de la terre
entière.
M. Lévi présente deux hypothèses auxquelles le petit poème de
Harsa devrait sa singulière conservation dans le canon chinois. Ou
bien Fa-hien (2), élève du monastère de Nâlandâ, en a rapporté les
stances qu'il a transcrites, ou bien Hiouen Tsang les avait reçues de
son hôte royal à titre de souvenir amical et pieux ; consacrées par le
nom vénéré du moine et du roi, elles ont été admises plus tard dans
le canon.
« Les deux stotras du Népal et de la Chine ont un air de parenté
qui frappe : l'un et l'autre semblent être des litanies accommodées
par un versificateur adroit, l'un et l'autre se réduisent presque
entièrement à une savante énumération de noms, avec un refrain au
bout des stances (3) «.
Hymne aux huit grands Temples sacrés.
1.
La Naissance du Buddha, l'Illumination, très excellente, sans
égale, la Roue de la Loi, pleine de délices, le Temple primitif
(1) B. N., 1071.
(2) La transcription se place entre 982 et 1001, puisqu'elle est signée Fa-
t'ien, nom que le moine changea en 982 en Fa hien.
(3) Le tibétain dit que Y Astamahâçrïcaityastotra a été composé par le
roi pour le salut de sa mère (ou bien des mâtfs ?).
- 177 —
adoré des Trois Mondes, les grands pouvoirs magiques ; l'endroit qui
se trouve dans l'Himalaya, la descente sur la terre du roi des dieux,
j'adore, la tête baissée, les lieux oii les Buddhas sont arrivés au
Nirvana.
2.
Les Temples du Maître à Vaiçâlï à la Roue de la Loi, sur la pente
do la montagne Çiçuma, sur la rive du Bhîsmakâyodhi (?) à Çrâvastî
à la racine (de l'arbre) de l'illumination, à l'excellente Kuçiuagara,
à Lumbiuî à Kapilavastu ; à Kauçambï, à Smerakostha, à l'excellente
ville de Mathura, dans le royaume de Nandagopa, ceux-là avec tous
les autres Temples du (Maître qui aies) dix pouvoirs, je les adore de
la tête.
3.
Les Reliquaires au Kasmïr, en Chine, àKbasatata, sur la Yamunâ,
au Marvâra, au Ceylan, au Lâta, à l'Odra, au Sindbu, au Paundra,
au Samatata, au Magadha, au Mekhala, au Kosala ; au Népal, au
Kâmarûpa, à l'excellente ville de Kalaça, aux royaumes de Kâùcï et
de Saurâstra, ceux-là avec les autres Reliquaires du (Maître qui a
les) dix pouvoirs, je les adore de la tête.
Les Reliquaires au Mont Kailâsa, au Mont Hemakûta, à l'Himalaya,
au Mont Mandara, au sommet du Mont Meru, à Pâtâla, à Vaijayanta,
à la demeure de Dhanapati, aux mondes des Siddbas et des
Gandharvas ; dans l'œuf de Brahma, dans la terre de Visnu, au
territoire de Paçupati, aux mondes de la Lune et du Soleil, ceux-là
avec les autres Reliquaires du (Maître qui a les) dix pouvoirs, je les
adore de la tête.
5.
Les huit Reliquaires du (Maître qui a les) dix pouvoirs, et les
Temples appelés « Urnes «, et les autres appelés « Charbons »,
luisants comme l'or et l'argent, splcndides avec les bijoux des
châsses, les Reliquaires placés dans le monde souterrain, sur la
terre ou sur le sommet des montagnes partout, les imagos des
Buddhas, plus d'une fois par jour, je les adore de la tête.
Fin de l'adoration des huit grands Temples.
— 478 —
A§TA-MAHÂ-ÇRÏ-CA.ITTA-SAMSKRTA-STOTEA
1.
Jâtim bodhim pravaram atularn
dharmacakram ca ramyam
caitvam câdyam tribhuvanamahitam
çrïmahâprâtihâryam |
sthânam cedam himagirinilayam
devadevâvatârara
vande 'bam pranamitacirasâ
nirvrtâ yatra buddbâh ||
2.
vaicâlyâm dharmacakre çiçumagiritate
bbîsmakâyoditïre
çrâvastyâ bodbimïîle kuçinagaravare
lumbinîkâpilâlye |
kauçarabyâ smerakostbe matburavarapure
nandagopasya râstre
ye cânye çâstrcaityâ daçabalabalinas
tâa namasyâmi murdbnâ ||
kaçraîre cîaadeçe kbasatatayamune
marvare siùhale va
lâtodre sindbupaundre samatatamagadbe
mekbale kosale va |
nepâle kâmarûpe kalaçavarapure
kâùcisaurâstrarâstre
• • • •
ye cânye dhàtugarbhâ daçabalabalinas
tâû namasyâmi murdbnâ ||
kailâse hemakûte himagirinilaye
mandare meruçrnge
— 179 —
pâtâle vaij ayante dhanapatinilaye
siddhagaadharvaloke |
brahmânde visnubhûmau paçupatibhavane
candrasûryâdiloke
ye cânye dhâtugarbhâ daçabalabalinas
tan namasyâmi murdhnâ ||
ye câstau dhâtugarbhâ daçabalabalinah
kumbhasamjnâç ca caityâ
angârâkhyâs tathâaye himarajatanibhâh
stûparatnaprakâçâh |
pâtâle ye ca bhûmyâ giriçikharagatâh
sarvato dhâtugarbhâ
buddhânâin yâni bimbâ pratidinam asakrt
tâni murdhnâ namâmi |i
Astamahâcaityavandana samâpta.
III. Feagments.
Le vers çârdûlavikrïdita sur Râjyavardhana dans l'inscription de
Madhuban est peut-être de la main même de Harsa, mais on peut
tout aussi bien l'attribuer au poète officiel qui d'ordinaire en faisait.
En voici la traduction :
« En bataille il dompta Devagupta et tous les autres rois
ensemble, comme des chevaux vicieux qu'on fait détourner à coups
de fouet. Ayant déraciné ses adversaires, ayant fait la conquête de la
terre, s'étant bien conduit vers le peuple, il perdit la vie dans le
quartier de l'ennemi, par sa confiance dans les promesses n,
Râjâno yudhi dusta-vâjina iva çrï-Devaguptâdayah
krtvâ yena kaçâprahâra-vimukhâh sarvve samain samyatâh |
utkhâya dvisato vijitya vasudhâm krtvâ prajâoâm priyam
prânân ujjhitavân arâti-bhavane satyâQurodhcua yah 11
Un autre vers de la même inscription semble devoir son origine à
Harsa :
« Ceux qui font profession (d'appartenir à) la noble ligue de
notre famille et autres, doivent approuver cette donation. De la
— 180 —
fortune, mobile comme Féclair et bulle d'eau, les donations et la
préservation de la renommée d'autrui sont le (vrai) fruit »,
Asmat-kulakkramam udâram udâbaradbhir
anyaiç ca dâuam idam abhyanumodauïyam |
laksmyâs tadit-salila-budbuda camcalâyâ
dânam pbalam parayaçahparipâlanain ca ||
Un vers de l'inscription semble porter encore un cachet authentique,
puisqu'il contient l'assertion qu'il est de Harsa : « Par les actions, les
pensées et les paroles, on doit faire du bien aux vivants. C'est là le
chemin que Harsa a déclaré être le plus excellent pour gagner
le mérite religieux »,
Karmmanâ manasâ vâcâ karttavyam prâuine hitam |
Harsenaitat samâkhyâtam dharmmâijjanam anuttamam ||
Le Suhhâsitavall^ N° 233, éd. Peterson, cite un vers de Harsa qui
ne se retrouve dans aucun de ses trois drames. Boehtlingk le
donne dans ses Indische Sprueche (716) :
Açatham alolam ajihmam tyâginam anurâginam viçesajûam |
yadi nâçrayati naram Çrih Çrïr eva hi vaùchitâ tatra ||
« Quand la fortune ne va pas trouver un homme à la fois
vertueux, rangé, franc, non intéressé, dévoué et appréciant l'excel-
lence, c'est que la fortune se trompe elle-même alors ».
IV. La Jâtakamâlâ.
A la suite des œuvres personnelles de Harsa, il y a place pour une
courte mention de la Jâtakamâlâ, dout la création, au témoignage
d'Ltsing, serait due au zèle religieux non moins qu'aux goûts litté-
raires du roi bouddhiste. En parlant, en effet, des ouvrages les plus
répandus dans l'Inde, I-tsing ajoute (1) : « Il y a un autre ouvrage
d'un caractère semblable appelé « Jâtakamâlâ » (2) ; jâtaka veut dire
(1) I-tsing, chap. 32, p. 163.
(2) Le texte sanskrit de la Jâtakamâlâ d'Aryaçûra fut publié par Kern
dans Harvard Oriental Séries, Vol. 1, 1891. Il y eu a une traduction dans le
Tripitaka cliinois, mais qui ressemble fort peu à l'original. (B. N. 1312) ;
l'ouvrage fut traduit en chinois de 960 à 1127.
♦
— 181 —
« naissances antérieures » , et mâlâ veut dire « guirlande » , l'expres-
sion vient de ce que les récits des faits difficiles accomplis dans les
vies antérieures du Bodhisattva (plus tard le Buddha) sont enfilés
(ou réunis) ensemble. Si on le traduisait (en chinois) il occuperait
plus de dix rouleaux (1), L'objet de la composition des récits des
naissances (du Bodhisattva) en vers est d'enseigner la doctrine du
salut universel dans un beau style, conforme à l'intelligence populaire
et attrayant aux lecteurs. Un jour le roi Çïlâditya, qui était un ami
passionné de la littérature, ordonna et dit : « Vous qui aimez la
poésie, apportez et montrez-moi demain matin que'ques pièces que
vous aurez composées vous-mêmes ». Quand il les eut réunies, il y en
avait cinq cents paquets (2), et après les avoir examinés on trouva
que la plupart furent des jâtakamâiâs. De ce fait on voit que la
jâtakamâlâ est le thème le plus beau (le plus aimé) pour des pané-
gyriques. Il y a plus de dix îles dans la mer du sud ; et ici les prêtres
et les laïques récitent la Jâtakamâlâ ainsi que les vers susdits (3),
mais ceux-là n'ont pas encore été traduits en chinois » (4).
(1) L'édition de Kern a 1340 vers et contient trente-quatre jâtakas, tandis
que le chinois a quatre volumes contenant seulement quatorze jâtakas La
comparaison du texte sanskrit avec les textes chinois et palis serait très
intéressante. Le texte a été traduit par M. Speyer en 1895. M. Thomas a
trouvé une version tibétaine d'une jâtakamâlâ par Hari Bhatta, .1. R. A. S.
1904. Octobre. Voyez aussi B. E. E. 0. 1904. 4 pt'e.
(2) Le signe chinois, traduit ici par « paquet », veut dire « plié entre plan-
chettes n. Nous savons que les textes sanskrits furent préservés de la sorte :
« paquet » et non « çloka « comme traduit M. Fujishima (.1. A. 1888, pp. 411-439).
Beal (Buddhist Literature in China, p. 139) traduit ainsi : " Tous les chefs
de royaume qui aimaient la poésie devaient se réunir le lendemain matin au
palais, et chacun devait apporter un vers sur un morceau de papier. En effet
cinq cents se sont réunis, et leurs papiers ayant été ouverts, les vers furent
réunis, et voilà la Jâtakamâlâ «.
(3) C'est-à-dire le Suhrllekha (publié par Beal, Londres, 1892). Wenzel l'a
traduit dans le journal de la Pâli Tcxt Society. _
(4) On ne les a traduits qu'en 960 1127 (B. N. 1312). Comme la date d'Arya-
çQra n'est pas tixée, Takakusu mentionne qu'on a traduit un de ses ouvrages
en chinois en A D. 434. Il est ainsi impossible de la placer plus tard. Donc la
Jâtakamâlâ de Harsa n'est pas identique avec celle d'Aryaç^-ûra.
APPENDICE IV.
L'Ère de Harsa.
Une étude sur Harsa serait incomplète si on y passait sous silence
l'ère qui porte son nom et si l'on n'y rapportait même sommairement
et sans prétention d'y ajouter quelque donnée nouvelle, les diverses
théories qu'a suscitées le calcul de cette ère.
En premier lieu il faut citer le témoignage de l'historien arabe
Alberûni qui est à la base de tout ce calcul (1).
« Et pour cette raison ils les ont abandonnées et ont adopté les ères
Çrî Harsa, Vikramâditya, Çaka, Valabhï, et Gupta... Et pour l'ère
Valabhï, qui doit son nom au seigneur de la ville de Valabhï, située
à trente yojanas environ au sud de la ville d'Anhilvâda, elle commence
quarante-et-un ans après l'ère Çaka. Ceux qui en font usage posent
(l'année de) l'ère Çaka, et en retranchent la somme du cube de six et
du carré de cinq ; et le reste donne (l'année de) l'ère Valabhï. Son
histoire vient à son tour. Et pour l'ère Gupta (les membres de cette
dynastie) furent, à ce qu'on dit, une race méchante (et) redoutable ;
et c'est pourquoi après leur mort on data par eux. Et il semble que
Valabhï fut le dernier d'entre eux. Et ainsi le commencement de
leur ère est aussi postérieur à l'ère Çaka (de) deux cent quarante-et-
un (ans). Et l'ère des astronomes est postérieure à l'ère Çaka (de)
cinq cent quatre-vingt-sept (ans) ; et c'est la base du canon astrono-
mique (nommé) Khaiidakâtaka par Brahmagupta, qui est connu chez
nous sous (le nom d') Al-Arkand. De cette façon 1488 de l'ère Çrï
Harsa est en correspondance avec l'année (de Yazdijard) (2j que
(1) Alberûni, India, traduit par Sachau, vol. ii, p. 5.
(2) L'an 400 (année après laquelle Alberûni écrivait) : cette ère date de
l'avènement de Yazdijard III, roi Sassanide de la Perse en A. D. 632. Cf. Prin-
sep, Essays, vol. ii. Useful Tables, p. 302 et note.
— 185 —
nous avons prise pour exemple ; et avec 1088 de l'ère de Vikramâdi-
tya, et avec 953 de l'ère Çaka, et avec 712 de l'ère Valabhï, qui est
aussi l'ère Gupta ».
Alberûui dit en outre qu'il a lu dans un almaQach du Cachemire
que Harsavardhana était de six cent soixante-quatre ans postérieur
à Vikramâditya. Alberûni note donc en 1030 que l'ère de Harsa est
en usage à Mathura et à Kânyakubja et que 0 ère Harsa équivaut à
664 ère Vikrama et 664 Vikrama à 606/7 A.D. (1).
M. Fleet (2) distingue dans AlberHui deux ères de Harsa, l'une
bien antérieure, commençant en 457 B.C. Alberûni ajoute qu'il ne
peut avoir l'explication du désaccord qui existe entre cette date et la
précédente. En fait Alberûni donne 1488 Çrï Harsa = 1088 Vikrama =
953 Çaka = 712 Valabhï = 1031/2 A.D. (En ce cas 0 Harsa =
457/8 B. C, il y aurait donc 1064 ans d'écart avec l'ère Harsa 606/7
A. D.). M. Fleet (3) donne 0 Harsa = 605/6 A. D. d'après le calcul
de Shankar B. Pandit sur les données d'une inscription de Mahen-
drapâla (155 Harsa) et du Snryasiddhânta . Dans ce cas particulier
seulement 682 Çaka écoulé convient. On a donc 0 Harsa = Çaka 572
écoulé = 605/6 A. D. Donc il y a une divergence avec Alberûni, qui
ne s'explique pas assez nettement sur le point de départ de l'ère. H
ne nous dit point si l'équivalent Vikrama est l'année courante ou
écoulée.
Sur l'inscription de Mahendrapâla on pourrait lire 158 au lieu de
155. On aurait alors pour la solution de l'ère, 0 Harsa = 602/3 A. D.,
1 = 603/4 A. D.
n existe un certain nombre d'inscriptions datées de l'ère Harsa.
Outre les inscriptions de , Harsa lui-même, celles de Madhuban et
Bhanskhera, il y a encore :
Inscription d'Adityasenadeva, datée de Harsa 66.
Mahendrapâla de Kanauj 155 (20 janvier 761).
Vinâyakapâladeva 188
Khajuraka 218
Bhojadeva de Kanauj 276
Panjaur 563 (17 mai 1168).
(1) Cunningham, Indian Eras, p. 64.
(2) C. I. I., vol. iii, p. 23, n. 2.
(3) Cf. aussi I. A., vol. xiii, p. 413.
— 184 ~
Enfin c'est aussi à cette ère qu'ont été attribuées les inscriptions
du Népal signalées par Kielhorn : la seule raison en était que selon
la Râjatarahgmï « Vikramâditya vint établir son ère au Népal » (1).
Cette mention unique est fort sujette à caution et nous croyons avoir
ci-dessus suffisamment réfuté l'opinion que le Népal aurait été con-
quis par Harsa.
(1) Cf. aussi I. A., vol. xiii, p. 413.
ERRATA ET CORRIGENDA.
p. 6, 1. 20, au lien de : Max Mueller (I-tsing p, ix), lire : Chavannes, (Voyag.
chin. p. 9).
p. 8, ajouter en note : Cette chronologie se repose en très grande partie
sur le " Chronology of India v par Madame Duff.
p. 8, 1. 28 et passim, au lieu de : Câlukya, lire : Calukya.
p. 8, dern. ligne, après Dharmâditya, mettre une virgule,
p. 9, 1. 21, au lieu de : Subhâsitâvali, lire . Subhâsitâvalï.
p. 10, 1. 8 et passim, lire : Mâhâtmya.
p. 10, 1. 31, au lieu de : Vijamahâdevï, lire : Vijayamahâdevî.
p. 13, 1. 25, au lieu de : Histoire ancienne des T'ang, vol. 256, lire : chapitre
196.
p. 16, 1. 1 et passim, au lieu de .- Wang hiuan ts'e, lire : Wang Hiuan ts"e.
p. 16, 1. 15, au lieti de : Wen Chang, lire : Weng Ch'eng.
p. 19, 1. 26 et passim, au lieu de : Sthâneçvara, lire : Stlianvlçvara.
p. 27, n. 1, au lieu de : dialectale, lire : magadhï.
p. 29, 1. 15, faire disparaître la phrase : Ailleurs le voyageur chinois dit,
jusqu'à : cette contradiction,
p. 33, dern. ligne, après : Hûnas, ajouter : les Tou-Kiue.
p. 35, n. 1, Wenti des Chin commença à régner en 560.
Faire disparaître : Voutî 601.
p. 52, 1. 5, au lieu de : cuirasses de la Chine, lire : tuniques de la Chine,
p. 76, n. 3, au lieu de : Çûnyapuspas (?), lire : Akâcapuspas.
p. 82, n. 3, lire .- Çîlâditya.
p. 92, n. 2, au lieu de : Kaotsong, lire : T'aitsong.
p. 144, au lieu de : Gurjara, lire .- Garjara.
p. 167, n. 1, au lieu (7'étaient-ils, lire : étaient-elles,
p. 169, 1. 10, lire : Les abeilles ne montent-elles pas au ciel où Garuda monte
lui aussi ?
p. 171, 1. 25, au lieu de : sommeiller, lire ; oreiller,
p. 176, 1. 3, lire ; Kiai-jeu.
INDEX.
Abdu'llah ibn Abdu'llah ibn 'Unân 15.
'Abdu'Jlah ibn 'Amir ibn Rabï 15.
'Abdu'llah ibn 'Umar Khattab 15.
Abhidharmakoca 12.
Abhidharmakoca vyâkhyâ 12.
Açoka 89.
Adhyarâja 9S.
Adhyâtmavidyâ 132.
Aditya 164.
Adityabhakta 87.
Adityasena 27, 28, 59, 183.
Adityavardhana 20, 21, 29, 87, 147,
150.
Adityavarman 8, 27, 28.
Adityavarman, fils de Pulikeçin II,
10.
Agrahâra, 66, 148.
Ahicchattrâ 144.
Ahmad ibn Yahya ibn Jâbir al Bilâ-
durî 7.
Aihole inscription d" 9, 10, 11, 131.
Ajanta 53, 131.
Ajiravatï 115.
Aksapatalika 67, 117.
Al-Arkand 182.
Alberuni 27, 182, 183.
Alexandre 18.
Aliyepomouo 14.
Alupaî 50.
Alupas 10, 50.
Amarâja 8.
Amçuvarman 13, 14, 16, 58.
Amitâyurdhyâna 14.
'Amru-ibn al-Tamïmï 15.
Angadïya 144.
Angas 31, 47.
Anurâdhapura 86.
Appâyika 10, 50.
Apsarodevï 20, 147.
Arabes 34, 54, 59, 93.
Arjuna 15, 16, 58.
Arunâçva 58.
Aryaçûra 180, 181.
Aryamahâsaiighikanikâya 78.
Aryamulitâmâlâ 96, 124.
Aryamûlâsarvâsvâdanikâya 78, 79.
Aryasammitïyanikâya 78, 79.
Aryâsaptaçati 113.
Aryasthaviranikâya 78.
Aryavarman 14.
Assam voyez Kâmarûpa.
Astamahâçricaityasamskftastotra
96, 99, 176 sq.
Atharvaveda 133.
Avadânas 109.
Avanti 39, 116.
Avantivarman 23, 27, 39, 116.
Ayurveda 133.
B
Bâdâmi 9, 15, 31.
Bahrain 13.
Bala 170.
Bâlacandra 144.
Bâlâditya 12, 55.
Brina9, 113, etpassim.
Banavâsï 10, 50.
Bânî 43.
Bappabhatti 127.
Bappûra 11.
— 186 —
Bauddhapârvâtïyâvamçâvalï 14.
Bedâvftti 96, 130.
Bengale 31, 38, 75.
Bhadrapâlita 85.
Bhadrasvâmin 144.
Bhagadatta 117.
Bhairavâcârya 115.
Bhaktâmarastotra 96, 127, 128.
Bhâna 144.
Bhandin 22, 36, 37, 41, 42, 43, 116, 117.
Bhânskera, inscription de, 12, 143,
145.
Bhâradvâja 144.
Bhâravi 101.
Bharoch voyez Broach.
Bharsa 59.
Bhartrhari 12, 16, 83, 96, 128 sqq.
Bhartrhariçâstra 96, 129.
Bhâsa 99, 100, 101, 102, 103.
Bhâsaka 100.
Bhâskaravarman 10, 30, 41, 45, 117.
Bhatârka 18, 32.
Bhattibharastavana 96, 128.
Bhattikâvya 96, 129.
Bhavabhûti 101.
Bhavaviveka 12.
Bhavya 85.
Bhayaharastavana 96, 128.
Bhodhidruma 90.
Bhogavarman 27, 28.
Rhojadeva 3, 183.
Bhojarâja 86, 87.
Bhûkampa 117.
Bhukti 65, 66.
Bhûmicchidra 66, 149.
Bhusanabhatta 120.
Bhûtivarman 30, 117.
Bihar 29.
Birmans 14.
Brahma 169.
Brahmagupta 9, 12, 131.
Brahmasphutasiddhânta 9, 12, 131.
Brhatkathâ 103.
Brhatkathâmanjari 109.
Broach 12, 13, 15, 26, 48, 49, 61.
Buddhadâsa 84.
Buddhapâlita 85.
Buddharâja 8.
Buddhavarman 15.
Byzance 31.
Çabaras 117.
Çabdavidyâ 132.
Çabdavidyâçâstra 14, 58.
Çaçânka 3, 8, 10, 37, 38, 39, 42, 45,
89, 90, 153.
Çaçânkamandalam 38.
Çaçâùkapura 42.
Cachemire voyez Kasmïr.
Çakas 85.
Çâkambarï 85.
Cakravartin 61.
Çakuntalâ 104, 106.
Câlukyas 4, 8-12, 15, 19, 31,49, 50, 56.
Candadanda 10.
Candapâla 122.
Candikâçataka 96, 122.
Candradeva 16.
Candrâditya 10.
Gandragomin 12.
Candrakïi'ti 12.
Candramukhavarman 30, 117.
Candrapâla 80.
Çankaragana 8.
Çarabhaketu 117.
Çârngadhara 98.
Carngadharapaddhati 102.
Çarvavarman 22, 27, 28.
Çatruùjayamâhâtmyam 10, 131.
Catuhsamudrâdhipati 61.
Cedi 8.
Cera 50.
Ceylan 15, SI, 57, 75, 86, 87.
Clmch 13.
Chaclinâma 7, 14.
Chandoga 149.
Cha-puo-ho-lo 58.
Cheu-jen voyez Tsian cheu-jen.
Chin 35.
187 —
Chine 6, 13, 14, 19, 29, 34, 35, 51, 54,
56, 57, 60, 155.
Chïpurupalle II.
Chitor 13.
Chou 30.
Çîghrabuddha 80.
Çikitsâvidj'ri 132.
Çilâ 59.
Çîlabhadra 12, 77, 78, 81, 83, 152, 153.
Çïlâditya I«^ 9, 10. H, 26, 32, 131.
Çïlâditya du Màlava 48.
Çïlâditya {Harsa) 45 etpasshn.
Çilpasthânavidyâ 132.
Ciplûnll.
Çitavara 86.
Çivadeva P"" 13.
Çivadevasvâmin 149.
Colas 10, 47, 51.
Çona 115.
Conjovaram voyez Kâncî.
Cora 99.
Corée 36.
Coréens 14.
Çràvaslî 143, 148. '
Çrïdharadâsa 99.
Çrïdharasena 129.
Çrîharsa 99.
Çrïharsanuvara 86, 87.
Çriliantha 19, 115.
Çrïmatïdevï 28.
Çrïsâhasâùka 101.
Çrhgâraçataka 96, 128.
Çûdraka 121.
Çûdras 74, 135.
Çûramâra 15.
ÇyâmâdevI 30, 117.
D
Daçarûpa 107.
Dadda IV, 12, 48, 49, 61.
Dâmodaragupta 27, 28.
Dânasthana 163.
Dandin97, 101.
Dârika 85.
Dauhsâdhasâdhanika 66.
Devaçarman 52.
Devâcâryapatta 127.
Devagupta 9, 37, 38, 148.
Devâram 9.
Devasena 157.
Devsaram 52.
Dharapatta 32.
Dharasena l" 32.
Dharasena II, 10, 32.
Dharasena III, 11, 12, 32, 48.
Dharasena IV, 14, 15, 16, 32, 48, 49, 59.
Dharmadàsa 85.
Dharmâditya 9.
Dharmagupta 8, 11, 78.
Dharmaguptavinaya 11.
Dharmakïrti 83.
Dharmapâla 12, 16, 80, 83, 130.
Dharraâtbhutasânigraha 86.
Dhâvaka 100, 101, 102.
Dhïvrddhika 14.
Dhruvabhata 48, 93, 164, 167.
Dhruvarâja U.
Dhruvasena P"", 32.
Dhruvasena II, 12, 13, 14, 20, .32, 48,
49, 63, 9>.
Dhruvasena III, 32.
Dïbal 13.
Dignâga 84.
Divâkara 101.
Divâkara Maitrâyanïya 12.
Divâkaramitra 94, 118.
Dôsen 11.
Dronasiinlia 32.
DurlabhadevI U.
Dvâdaçavratanirûpana 127.
E
Ephthalites 18, 33.
Fabien 17*;.
Fahoawenkiu 133.
188 —
Fanimingitsi 81, 132, 133.
Fayouenchoulin 137.
Feiclie 20.
Firdûsi 53.
Futulm'l buldan 7,
fi
GambMrapaksa 84.
Ganakatarafiginï 8, 9, 12, 131.
Ganapati 101.
Ganapati, le dieu, 170.
Gandhâra 8, 23.
Gandhavai 59.
Gandliavatî 59.
Gaiigas 10, 50.
Gange 17, 24, 31, 44, 91, 115, 154, 158,
163, 164.
Garjara 144, 1.50.
Gauda 3, 10, 31, 37, 38, 39, 41, 42, 43,
45, 89, 116, 117.
Gaudavaho 19, 20, 103.
Gayâ, sceau de, 27, 28.
Genjô 15.
Gnamrisrongbtsan 34.
Govardliana 113.
Govinda 10, 50.
Grahavarmau 9, 23, 27, 36, 37, 116,
118.
Guhasena 32.
Gujarât 15, 49.
Gunamati 12, 80, 84.
Gunaprabha 12, 84.
Gunavinayaganï 122.
Gupta 4, 18, 19, 21, 26, 28, 29, 38, 46,
59, 97.
Gupta, un noble, 42, 117.
Gurjara 4, 8, 10, 12, 23, 33, 50.
H
Haidarabad 10.
Hakîm 13.
Halâli 167.
Hamsavega 41, 117.
Hari 170.
Haridatta 66.
Harivarman 27.
Harsa 3 etpassim.
Harsabhata 89.
Harsacarita 3, 96, et passim.
Harsagupta 27, 28.
Harsaguptâ 27.
Hetuvidyâ 132.
Himalaya 17, 18, 23.
Hïnayâna 75, 79.
Hiouen Tsang 3 etpassim.
Hiuan chao 16, 84.
Hiuan-Tse voyez Tsang hiuan tse.
Hoeiye 14.
Hossô 15.
Hûnas 3, 8, 9, 18, 19, 21, 23, 24, 27, 28,
33, 36, 54. 59, 116.
Içânavarraan 27, 28.
Içvara 144, 150.
Içvaravarman 27.
Indo-Scythes 19.
Indra 170.
Indi'avarman 11.
Indus 17.
Islam 18.
Jaipur 13.
.Jaleruha 85.
Janmâmbodhi 130.
Japon 11, 14.
•lâtaka 109.
Jâtakamâlâ 96, 180, 181.
Jayabhata II, 12.
Jayadeva 99.
Jayâditya 12, 13, 16, 96, 130, 131.
Jayasena 12, 83.
Jayasimha I", 31.
Jayasimha, frère de Pulikeçin II, 10,
13.
189
Jayasvâminï 27.
Jetawanârâmas 86.
Jïmûtavâhananâtaka 96.
Jinamitra 80.
Jinaprabha 84.
.lion 15.
Jïvitagupta P'' 28.
Jnânacandra 12, 80.
Jnânagupta 8, 9.
Jùânaprablia 77.
.lôtlo 14
K
Kâçik.rivrtti 12, 16, 96, 130.
Kâçyapïya 78.
Kâdambarï 96, 119, 120, 123.
Kadambas 10. 50.
Kailâsa 24, 116.
Kailâsakûtabhavana 34.
Kajûgira 154.
Kâlidâsa 97, 98-103, 123.
Kaliûgas 10, 31, 51, 54.
Kalpasutra 128.
Kâmacandra 84.
Kâmarûpa 6, 10, 19, 29, 30, 41, 43, 45,
59, 89, 117.
Kâncï 10, 47, 56.
Kânta 101.
Kânyakubja, 3, 10, 22, 27, 36, 39, 41,
42, 43, 44, 48, 60, 93, 117, 158, 164.
Kaotchang 166.
Kaotsoiîg 35, 92.
Kaotsou 35.
Kapittikâ 143.
Karkotakas 20.
Karmadâna 81.
Karnasuvarna 31, 37, 38, 44, 89.
Kasmîi' 20, 33, 57, 77, 84, 85, 99, 100,
125, 162.
Katacchui'is 8.
Kathâsaritsâgara 42, 103, 109.
Kauravas 18.
Kâverî 10.
Kavivimârça 101.
Kâvyâdarça 97.
Kâvyaniïmânisâ 101.
Kâvyaprakâça 100.
Kâyastha 20.
Kelâdgi 31.
Keralas 10, 51.
Kiiandakhâdya 8.
Kliaragraha P-", 11, 48.
Kheda 49.
Kliorasan 85.
Khusru P"-, 19, 52.
Khusru II, 11, 13, 52, 53, 54.
Kiai-jen 176.
Kientowei 59.
Kingti 35.
Kiianâvalî 101.
Kirmân 13, 15.
Kîrtivarman I" 8, 31, 49.
Koça 95.
Koçala 10, 31, 51.
Kochre, donation de, 10, 11.
Kongyodha 54, 76, 153.
Kong-yu-tho voyez Kongyodha.
Konkan 50.
Krek 14.
Ki^sna 23, 115, 121.
Kfsnagupta 28.
Ksatriya 21, 51, 58, 74, 135.
Ksemendra 109.
Kubjavisnuvardhana 11.
Kumâra/î^5 de Harsa, 11, 13, 20, 63.
KnmHvà roi d'Assam, 6, 10, 30, 41, 59,
88, 117, 152, 154, 156. 157, 159, 160,
164, 1()7.
Kumâragupta 23, 26, 28, 116.
Kunirifaniâtyam 66.
Kumârarâja 45.
Kumârasaïubhava 123.
Kundadhânîvisaya 143, 148.
Kung 131.
Kungti 35.
Kuntala 36, 116.
Kuntalas31,38, 47.
Kuruk§etra 18.
— 190 —
Laksmîvatï 27.
Lalla 14, 131.
Laotzeu 59, 88, 89.
Lâta 10, 23, 50, 79.
Leang 35.
Liang-hoaï-king 54.
Licchavis 13. 34, 58.
Ling-wan 89.
Li-yi-piao 15, 57, 88.
Lû-yi-pa 85.
Ml
Mâdhavagupta 23, 26, 28, 46, 59, 116.
Madhuban, inscription de, 13, 21, 37,
39, 66, 99, 117, 143, 144. 145.
Madhusûdana 124.
Madhyadeça 47. 52.
Mâdigânechatrang 52.
Madras 56.
Magadha 4, 8, 19, 20, 21, ?•'.. 27, 28.
29, 46, 54, 57. 59, 83, 89.
Mahribliârata 18, 97, 113.
Mahribbâsya 96, 129.
Maliâdevî 62, 63.
Mahâdhiiâja 32.
Mabâkûta, inscription de, 9.
Mabrinâman 8.
Mabâpi amâtâi-a 3'.".
Maharaja 20, 21, 32 45, 49, Q'^.
Mahârrijâdhirâja 21, 22, 32, 42, 47,-61,
66.
Mahârâstra 14. 26, 31, 32, 49.
MabâraUana 13.
Mahrusâmanta 39, 43, 66.
Mahâsammata 84.
Mahâsonagiipta 21, 27, 29, 28, 46.
Mahâsenaguptâdevï 20, 21, 29, 46,
147.
Mahâtâras 65, 167.
Mahattara 167.
Mahâvamça 8, 15, 57.
Mahâyâna 75, 76, 79.
Mahendravarman I", 9. 10, 14, 15.
Mabî<;astra 78.
Mahmoud de Ghazni 18.
Mahométan 7, 59, 85, 93.
Mabratrânâ 13.
Maissour (Missour) 10, 50.
Makrâii 15.
Malabar 50, 54.
Mâlava 8, 9, 10, 19, 20, 23, 26, 27, 32,
33, 36, 37, 38, 41, 43, 48, 50, 63, 85,
116, 117, 128.
Màlavikâgnimitra 100, 102, 104-107.
Mallakûta 113.
Mânagi-ha 34.
Manasarovar 24.
Mânatunga 9, 96, 127, 128.
Mânavarman 15, 56, 57.
Mandasor, inscription de. 19.
Mangalarâja 8.
Mangalïça 8. 9, 10, 31, 49.
Manimai'igala 15.
Mârkaiiilcya Purâna 122.
Markatasâgara 144
Marii 84, 85.
Maru.sthalî 85.
Mâtanga 98.
Mâtaiigas 8.
Mâtangasûtra 133.
Mritrgupta33.
Mâtrs 24, 176.
Ma-twan-lin 54, 57.
Maukliari 9, 19, 21-23, 27-29, 36, 116.
Maulasthâna 85.
Mauryas 10, 50.
MayQra9, 47,88, 93, 96, 98,99, 124,
125, 126, 127, 128, 147.
Mayûraçataka 126.
Mayûrâstaka 96, 126.
Mentha 101.
Merutunga 126.
Mewar 85.
Mihirakula 18.
Milindapafdio 51.
Mîraâmsâ 67.
Mitrasena 12, 84.
— 191 —
Mlecchas 85.
Mokalis 27.
1 Moksamaliâparisad 91.
Monnaies 3, 42.
Mrgâiika 117.
Mugalayin-sen 86.
Muglirah Abu' l'As! 13.
Muhammed al Shirâzï 15.
Mukharas voyez Maukhari.
Mukutataditaka 96, 122.
Mûlasarvâstivâda 78, 79.
Muselmans voyez Mahométan.
M
Na-fo-ti-a la-na-shun 15, 58.
Nâgakeça 85.
Nâgânanda 96, 100, 101, 107, 108, 109,
111, 112, 128.
Nâgarâja 128.
Nâgârjuna 118.
Nâgeça 85.
Nalacampû 122.
Nâlandâ 6, 7, 12, 14, 54, 55, 76, 77, 79,
80, 84, 131, 153, 158, 160, 162.
Naraka 117.
Narasimhavarmam I", 10, 15, 56, 57.
Narasimhavisnu 15.
Naravardhana 20, 147.
Nârâyanaçâstri 100.
Nârâyanadeva 30.
Narendragupta 38.
Narmadâ 51.
Nâsik 10.
Nausâri, inscription de, 48.
Népal 13, 14, 29, 34, 35, 46, 57, 58.
Nerûr, inscription de, 9, 10.
Nestoriens 92.
Nilapatadaras 86.
Nïlapita 67.
Nirghâta 117, 118.
Nïtiçataka 96, 128.
O
Odiviça 85.
O-lo-nachoen 58, 59.
Orissa 76, 77, 83.
Oxus 19.
Paçupati 170.
Paddhati 98.
Padmapurâna 131.
Pallavas 9, 10, 15, 19, 31, 51, 56.
Paâcasiddhântikâ 8.
Pândavas 18
Pândukeçvar 149.
Pândyas 10, 15, 51.
Pânini 13, 130.
Paramabhattâraka 21, 22, 47, 61, 66.
Parameçvara 11, 47, 51, 52, 53, 61.
Parigrahapramânaprakarana 127.
Pariyala 15.
Pârvatïparinaya 96, 122.
Pâtaliputra 90.
Patanjali 96, 129.
Pathaka 144.
Pattâvalî 128.
Peina 130.
Perse .33, 34, 51, 52, 53, 54, 85.
Pitsong 35.
Pituva 86.
Prabhâkaramitra 12, 13.
Prabhâkaravardhana 8, 9, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 26, 27, 28, 36, 37, 38, 62,
63, 87, 95, 116, 147, 148, 150.
Prabhâmitra 80.
Prabhaudacinlâmani 126.
Praçântarâga II, 12, 48.
Praçastis 97.
Prabhâvakacaritra 127.
Prâgjyotisa voyez Kâmarûpa.
Prajùâgupta 76, 84.
Prakâyamati 16.
Pramâtâras 66.
Prasannarâghava 99.
Pratâpaçîia 22, 116.
Pravarasena II, 33.
Prayâga 48, 92, 108, 163.
Prïtikûta 115.
— J92 —
Priyadarçikâ 96, 100, 101, 102, 105,
107, 108, 111.
Prtlivîpati 61.
•Prthvivallabha 10.
Pulikeçin I", 8, 11, 31.
Pulikeçin II, 9, 10, 11, 14, 15, 31, 32,
49-.57, Gl, 89, 131.
Punjab 19, 60.
Purï 10, 50.
Pûrnavarman 8, 83, 89.
Purumeça 52, 53.
Puspabliûti 115.
Puspadatta 117.
Pusyabhùti 19, 20, 115.
R
Râjabandu 89.
Râjaçekhara 98, 101.
RâjasthTnîya 66.
Râjataranginï 33.
Râjputâna 85.
Râjyaçrï 8, 9, 20, 22, 23, 27, 36, 37, 39,
42, 116, 117, 118.
Râjyavardhana 1", 20, 147.
Râjyavardhana II, 8, 9, 10, 20, 22, 23,
24, 36, 37, 38, 42, 43, 63, 87, 88, 99,
116, 117, 147, 148, 150, 151.
Râmila 101.
Rânarâga 31.
Ranavikrânta 8.
Ratnâkara 101.
Ratnasimha 12, 81.
Ratnâvalï 96, 100, 101, li)2, 103, 100,
107, 108, 109, 110, 111, 124, 147.
Ravikîrti il, 131.
Râyâsâliasï II, 13.
Revatïdvïpa 9, 11.
Rgvedin 74, 149.
Rohtâsgadh, 42.
Romains 34.
Rome 31.
Sabbitika 86.
Saddharmaratnâkaraya 86.
Saduktikarnâmrta 99, 103.
Sâgaramati 77.
Sahasi'àin 42.
Saliityadarpana 107.
Samatata 29, 30, 31, 89, 177.
Sâmaveda 133, 149, 169.
Sâmavedin 74.
Saindliivigrahâdhikrta 39, 116.
Samgliabhadra 85.
Samgliadâsa 85.
Sâmkâcya 143.
Sanikisa 143.
Sammitîya 76.
Sainvâdaka 36, 116.
Santsangfasou 68, 133.
Sarasvatï 17, 45, 117.
Sarvacaritaprahasana, 96, 122.
Sarvadarcanasamgraha 83.
Sarvadvïpabbuj 61.
Sarvasiddhi 13.
Sassanides 3, 18, 33, 54.
Sâtârâ, inscription de, 11.
Sâtavâhana 118.
Satlej 17.
Satyâçraya 10, 11.
Saumila 101.
Saura 87.
Saurâstra 177.
Srivanlvûdî 10.
Sâvarni 149.
Senâpati 32.
Sengclii 89.
Sr.ah Nâma 53.
Shirin 53.
Siam 14.
Siddhavastu 132.
Sïmâsankarachedani 86.
Simhacandra 83.
Sinihanâda 39, 116.
Simharasmi 77.
Simhâsana 45, 62, 91.
Simhavisnu 9.
Sindhu 8, 13, 15, 23, 33, 47, 79, 85,
177.
Si-ngan-fou 6.
— 195
Sïstân 15.
Sitliangchang 132.
Si-yu-ki 6, 7.
Skanda 101.
Skandagupta 39, 117, 144, 150.
Smerakostha 177.
Somadeva 103, 109.
Somakundakâ 143, 148.
Sonpat, sceau de, 67, 144.
Soui 35.
Srong-btsan-sgam-po 13, 16, 34, 83.
Ssanang Sse-tsen 7.
Sthanvïçvara 17, 19, 115.
Sthavira 79.
Sthiramati 80, 83, 84.
Stithivarman 30, 117.
Subandliu 101.
Subhâsitaratnakoça 113, 124.
Subhâsitâvalï 9, 47, 103, 122, 127, 180.
Suenti 35.
Sugatiratna 77.
Sukhâvatïvyûbamahâyânasûtra 14.
Sûktimuktâvalï 102.
Sundaramûrti Nâyanâr 9.
Suprabhâtastotra 9&, 99, 168, sq.
Surâstra 33.
Sûryaçataka 124, 126, 147.
Sûryasiddhânta 183.
Sûryavamçi 13.
Susthirararman 30, 117.
Susthitavarman 27, 28.
Svapnavâsavadatta 101.
Svayambhû 169.
T
Tabari 52.
T'aitsung 13, .35.
Tâmraliptî 31.
Tanjur 168.
Taosheng 16.
Tarala 101.
Târanâtha 7, 52, 59, 63, 82, 84, 85.
Tenggi 85.
Thâkurï 13, 14, 34.
Thanesar 4, 17, 44, 117, etpassim.
Thar 17, 18.
Thenga Râdzâ 14.
Tibet 13, 16, 24, 29, 34, 58, 60.
Tirunânasambadar 9, 15.
Tirunâvukkaraiyar 9.
Tonmisambota 13.
Toramâna 18, 33.
Toufan voyez Tibet.
Toukue 19.
Triratnadâsa 85.
Tsian-cheu-jen 57, 58, 59.
Tukhâras 36, 46, 47.
Tulyameya66, 149.
Turkestan 18, 19, 34.
Turuskas 52.
U
Uccakalpa 148.
Udâttarâghava 101.
Udrafiga 66, 148.
'Umân 13.
'Umar 13, 15.
Upaguptâ 27.
Uparika 66.
'Usmân ibn Asî Saquafï 13.
Vaiçâlî 157.
Vaiçampâyana 121.
Vaiçyas 20, 21, 74, 135.
Vaijayanta 177.
Vairâgyaçataka 96, 129.
Vairasimha 128.
Vâjasaueyi 133.
Vajradatta 117.
Vajrinïdevï20, 147.
Vâkâtaka 149.
Vâkyapadïya 12, 96, 129.
Valabha 57.
Valabhî 10-16, 18-20, 26, 32. 33, 48,
49, 59, 63, 83, 84, 93, 129, 131, 181,
182.
- 194
Vallabhadeva 47, 122, 127.
Vallabharâja 15.
Vâmana 12, 16, 96, 130.
Vâmarathya 148.
Vamçâvalis 34.
Varâhamihira 8.
Vârânasï 128.
Vararuci 101.
Vardhanas 4, 18-21, 24, 27, 29, 46.
Varmans 19, 27, 30.
Vâsavadattâ 83, 127.
Vasubandhu 12, 83, 84, 95.
Vasumitra 12.
Vâtâpi 15, 31, 49, 56. {voyez Bâdâmi).
Vâtasvâmin 149.
Veda 133.
Vengï 12.
Vetâlapaficavimçati 109.
Vidyâmâtraçâstra 15.
Vigamacandra 84, 85.
Vijayabliattârikâ 10.
Vijayamaliàdevï 10.
Vijayavarmarâja 15.
Vijnânaçataka 129.
Vikrama 101, 102.
Vikramâditya (t) 100, 101, 102, 182-4.
Vikramâditya I" 31, 57.
Vimuktasena 85.
Vindhya 42, 117.
Visamasiddhi 11.
Visaya 65, 66.
Visayapati 66.
Visnupurâna 19.
Visnuvardhana P'", 11, 12, 13,
Visnuvrddha 149.
Vouti 35.
Vpksacandra 84.
Vrttisûtra 130, 131.
Vyâghraketu 117.
1¥
Wahb abi kabcha 12.
Wang hiuan tse 15, 16, 57, 59, 88, 89.
Wei 35.
Wenchang 16.
Wenti 35.
Yaçodharman 19, 33.
Yaçomatï 8, 20, 21, 22, 23, 26, 36, 116,
147, 148, 151.
Yaçovarman 27.
Yaçovatï 20, 116.
Yajurveda 133.
Yamunâ 163, 164, 177.
Yangti 35, 36.
Yastigrhaka 115.
Yazdijard III, 13, 16, 34, 181.
Yekwan 11.
Yetas 18, 19.
Yihkingl3l.
Togâcâryabhûmiçâstra 155.
Yudhisttiira V, 33.
Yuenti 35.
Yunkiwei 54.
Yuvarâja 11.
Zanbïl 15.
Zendô 14,
D3 Sttinghausen, .Maurice Léc
4-51 Harsa Vardhana
.9
H3S8
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY