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Full text of "Hespéris; archives berbères et bulletin de l'Institut des hautes études marocaines"

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http://www.archive.org/details/hesprisarchive02raba 


r 


HESPÉRIS 


TOME  II 


u\ 


HESPÉRIS 

ARCHIVES  BERBÈRES  et  BULLETIN  DE  LINSTITOT 
DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES 


ANNÉE    1922 

TOME    II 


ÈMlLÉ  LAROSE,  EDITEUR,  PARIS 

11,    RUE    VICTOR-COUSIN,    V*^ 


MDCCCGXXII 


PT 

H 

i.h 


S  27 07 fi 


UNE  NÉCROPOLE  MÉRINIE>E 


Il  est  rare,  dans  l'Afrique  du  Nord,  de  trouver,  auprès  de  villes  en- 
core aujourd'hui  florissantes,  un  ensemble  de  ruines  d'une  seule  épo- 
que aussi  bien  conservées  que  celles  de  Chella.  Deux  cents  mètres  à 
peine  la  séparent  du  rempart  almohade  de  Rabat.  Seule,  auprès  de 
Tlcmcen,  el-Mansoûra,  ville  à  peine  antérieure  à  la  Chella  jmcrinide, 
et  œuvre  de  princes  de  la  même  dynastie,  se  présente  dans  des  condi- 
tions analogues  :  mais  elle  a  beaucoup  plus  souffert  des  atteintes  du 
temps,  puisqu'il  n'en  reste  plus  que  quelques  pans  de  murs  et  une 
moitié  de  minaret.  Cependant,  jusqu'ici,  Chella  n'a  point  encore  fait 
l'objet  d'une  étude  approfondie;  et  pourtant,  à  l'intérêt  que  présentent 
ses  monuments  datés  pour  la  connaissance  de  l'art  mérinide,  s'ajoute 
celui  de  ses  textes  épigraphiques,  documents  historiques  de  grande 
importance. 

Ce  n'est  pas  que  les  vestiges  de  cette  enceinte  médiévale  n'aient 
été  signalés  depuis  longtemps.  Dès  la  fin  du  xvnf  siècle,  des  consuls 
européens  comme  llost  et  Chénier  les  mentionnent.  En  180/1,  Ali  Bey 
les  visite  et  ne  manque  pas  d'être  frappé  par  leur  harmonieux  aspect 
autant  que  par  la  beauté  du  site,  le  long  des  jiardins  qui  bordent  le 
Boû  Regrcg.  Jusqu'aux  années  qui  précèdent  notre  arrivée,  les  voya- 
geurs, peu  nombreux,  qui  parlent  de  Chella,  sont  séduits  eux  aussi, 
par  le  pittoresque  des  ruines,  mais  ne  songent  pas  à  les  décrire  exac- 
tement ni  à  retracer  leur  histoire. 

On  n'avait  d'ailleurs,  à  ce  sujet,  que  des  notions  fort  confuses,  au 
point  que  M.  Saladin,  dans  un  ouvrage  classique,  attribuait  au 
xif  siècle  (i)  la  porte  monumentale,   pourtant  expressément  datée 

(1)  M.  Saladin,  Manuel  d'art  musulman,  I,  l'Architecture,  Paris,  1907,  pp.  234-^5, 
fig.    170-171. 

HESPÉBIS.   —    T.    H.    —    1922  I 


â  CHELLA 

du  xiv*.  En  1901,  M.  Doulté  visitait  à  son  tour  l'enceinte  mérinide  et 
en  fournissait,  quelques  années  plus  tard,  une  description  sommaire, 
ainsi  qu'un  plan  (i).  Enfin,  la  Mission  scientifique  du  Maroc,  ayant  à 
traiter  de  la  région  de  Rabat  dans  l'un  des  volumes  de  ses  Villes  et 
Tribus  (2),  a  donné  sur  les  monuments  et  l'histoire  de  ChcUa  un 
rapide  aperçu,  accompagné  de  quelques  vues  pliolograpliiques  et 
d'une  reproduction  des  épitaplios  d'Ahoû  '1-l.lasanet  de  (]hams  od-iJohà. 

D'autre  part,  tous  ces  travaux  ont  laissé  presque  entièrement  de  côté 
la  riclie  floraison  de  rites  et  de  légendes  qui,  peu  à  peu,  s'épanouit 
parmi  les  pierres  de  la  vieille  nécropole  royale.  Le  champ  de  repos 
des  princes  qui  luttèrent  pour  la  foi  est  devenu  pour  hî  peuple  une 
terre  toute  peuplée  de  génies  qui  veillent  sur  des  trésors  et  sur  des 
talismans;  les  souverains  mérinides  sont  maintenant  Moulai  la'qoûb, 
le  Sultan  Noir,  le  roi  des  jnoûn,  et  sa  fille,  Lalla  Ghella  :  ils  régnent 
sur  ce  monde  surnaturel,  en  bonne  intelligence  avec  leurs  voisins,  les 
Sept  Saints,  prolecteurs  des  ruines. 

Aussi,  croyons-nous  qu'il  ne  sera  pas  inutile  de  rassembler  ici  ce 
que  l'on  peut  savoir  sur  le  passé  de  Ghella  musulmane;  d'éditer  les 
textes  épigraphiques  qu'on  y  peut  encore  relever;  de  décrire  ses  monu- 
ments sous  leur  aspect  actuel,  en  regrettant  que  le  caractère  sacré  de 
leur  emplaoement  ne  nous  ait  point  permis  de  tenter  la  moindre 
fouille  ou  même  le  moindre  sondage.  Cet  ensemble,  tel  qu'il  se  pré- 
sente aujourd'hui,  peut,  en  effet,  fournir  pour  l'étude  de  l'art  méri- 
nide un  point  de  repère  d'autant  plus  précieux  que  Ghella  fut  bâtie 
presque  tout  entière  par  un  seul  souverain  —  Aboû  '1-Hasan  —  à  une 
date  exactement  déterminée. 

De  même,  il  nous  a  paru  qu'une  étude  de  Ghella  ne  pouvait  laisser 
de  côté  toutes  les  légendes  qui  se  sont  attachées  à  ses  vestiges  et  les 
cultes  populaires  qu'on  y  célèbre.  Gar  nulle  part  peut-être  on  ne  pour- 
rait trouver  aussi  complètement  réunis  les  croyances  et  les  rites  que 
les  indigènes  de  l'Afrique  du  Nord  associent  d'ordinaire  aux  ruines. 

A  ce  double  point  de  vue,  Ghella  forme  un  ensemble  type;  comme 
partout  au  Maroc,  l'histoire  et  la  légende  se  côtoient  dans  son  enceinte. 

(i)   E.   Doutté,  En  Tribu,   Paris,    1914.   pp-    4oi-/io5. 

(2)  Villes  et  Tribus  du  Maroc;  Rabat  et  sa  région,  t.  I,  Les  Villes  avant  la  conquête, 
Paris,    1918,  pp.    4i-5i. 


HISTOIRE  â 

1, 
HISTOIRE 

A.  —  Ghella  jusqu'aux  Mérinides. 

II  est  au  Maroc  un  certain  nombre  d'endroits  qui,  par  leur  situation 
topographique,  semblent  avoir  été  de  tout  temps  destinés  à  être  habi- 
tés :  -on  y  trouve,  en  effet,  réunies  toutes  les  conditions  nécessaires 
à  la  vie  des  populations  primitives,  de  l'eau  en  toute  saison,  une 
position  aisée  à  défendre,  la  proximité  d'une  riche  vallée,  et  parfois 
d'un  fleuve  poissonneux.  Sur  certains  de  ces  emplacements  se  sont 
développés  par  la  suite  des  centres  importants  :  telle  est,  par  exemple, 
l'origine  de  Volubilis,  de  Fès,  de  Sfroû,  de  ïaza,  de  Tlemcen.  Chella 
fut  un  de  ces  points  habités  dès  la  plus  haute  antiquité  :  sur  le  plateau 
qui  la  domine,  les  silex  taillés  d'époque  chelléenne  sont  nombreux; 
on  y  relève  en  abondance  des  outils  moustériens  et  des  silex 
d'époque  néolithique,  qui  témoignent  d'un  peuplement  continu  pen- 
dant la  période  préhistorique.  Sa  source,  qui  fournit  sans  intermit- 
tence une  eau  pure  et  abondante,  groupait  autour  d'elle  des  popula- 
tions qui  pouvaient,  à  proximité,  se  procurer  sans  grande  peine  les 
poissons  du  Boù  Regreg  ou  le  gibier  de  l'Oûlja. 

Ces  conditions  favorables,  autant  que  la  situation  géographique  et 
stratégique  de  l'endroit  et  les  voies  d'accès  relativement  faciles  vers 
l'intérieur  du  pays,  contribuèrent  sans  doute,  à  l'époque  historique, 
à  décider  des  commerçants  ou  des  colons  étrangers  à  s'établir  dans 
ces  parages.  Ce  furent  d'abord  les  Phéniciens  :  l'existence  d'un  de 
leurs  comptoirs  sur  les  rives  du  Boû  Regreg  semble  certaine,  bien 
qu'à  vrai  dire,  aucune  indication  précise  n'ait  été  relevée  encore  qui 
permît  d'en  déterminer  l'emplacement  exact.  Mais,  si  l'on  en  juge  par 
les  comptoirs  atlantiques  sur  lesquels  on  est  plus  certainement  ren- 
seigné, Lix,  par  exemple,  il  y  a  de  fortes  chances  pour  que  les  mar- 
chands phéniciens  aient  choisi,  sur  le  bord  du  fleuve,  le  premier  point 
d'eau  qu'on  y  rencontre,  placé  d'ailleurs  à  l'extrémité  d'un  méandre, 
à  j>etite  distance  de  l'embouchure.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  très  pro- 
bable que  la  Sala  romaine  succéda  à  une  cité  punique  assez  impor- 


4  CHELLA 

tante,  puisqu'on  a  pu  lui  attribuer  avec  vraisemblance  quelques  mon- 
naies (i). 

On  est,  au  contraire,  assez  bien  renseigné  sur  l'emplacement  de  la 
ville  romaine  :  des  vestiges  y  sont  encore  nettement  apparents,  bien 
que  les  constructions  musulmanes  postérieures  en  recouvrent  une 
grande  partie.  La  nécropole,  fouillée  par  l'un  de  nous  en  19 17  et 
19 18,  a  livré  de  nombreuses  pièces  de  mobilier  funéraire,  quelques 
monnaies  et  quelques  inscriptions.  Cependant,  iiuciin  des  textes  mis 
à  jour  n'est  encore  venu  confirmer  le  nom  de  Sala  Cdlonia,  qu'on  a 
toute  raison  de  penser  avoir  été  celui  de  la  cité  (2). 

Nous  n'avons  pas  dessein  d'étudier  ici  l'histoire  de  Chella  romaine. 
Il  est  certain  qu'à  la  période  de  prospérité  de  cette  colonie,  qui  sem- 
ble avoir  alleint,  comme  toutes  les  villes  africaines,  son  apogée 
dans  la  première  moitié  du  in*  siècle,  fît  suite  une  décadence  qui  put 
se  prolonger  fort  longtemps,  môme  après  la  disparition  de  la  puis- 
sance romaine  :  en  effet,  les  documents  archéologiques  permettent, 
dans  une  certaine  mesure,  de  suppléer  un  peu  au  manque  total  de 
textes  historiques  relatifs  à  cette  période  troublée.  Dans  la  nécropole 
de  Chella,  les  matériaux  des  tombes  romaines  ont  été  souvent  réem- 
ployés, mais  à  une  date  antérieure  à  l'arrivée  de  l'Islam;  en  même 
temps,  on  eonstate  dans  la  technique  du  mobilier  de  ces  tombes  nou- 
velles et  dans  l'évolution  des  croyances  sur  la  vie  future  qu'il  impli- 
que, une  régression  de  plus  en  plus  marquée.  Cependant,  il  semble 
qu'à  répot|uc  dos  plus  anciens  géographes  arabes,  d'Ihn  llavvcjal 
d'abord,  puis  d'el-Bakrî,  le  site  même  n'ait  plus  été  habité.  Ils  n'y 
signalent,  en  effet,  que  des  ruines,  d'ailleurs  imposantes,  et  il  semble 
qu'au  moment  où  ces  voyageurs  passèrent  en  ces  lieux,  l'ancien  cen- 
tre urbain  s'était  déjà  entièrement  déplacé  vers  le  bord  de  la  mer  et 
la  rive  droite  du  fleuve  (3).  D'ailleurs,  ce  fait  n'a  rien  que  de  très 


(i)  Cf.  Manuel  pour  la  recherche  des  antiquités  dans  le  Nord  de  VAfrique,  Paris,  1890, 
p.   i84. 

(2)  Cf.  Pline  l'Aincien,  Hist.  A'af.,  V,  I.  Sxw  Sala  romaine,  cf.  Gh.  Tissot,  Recherches 
sur  la  géographie  comparée  de  la  Maurétanie  tingitane,  in  Mém.  Acad.  Insc,  i"  série, 
t.  IX,  1878,  p.  23l.  —  Sur  la  nôoropolc,  cf.  Henri  Basset,  La  nécropole  romaine  de  Chella,  in 
France-Maroc,  1Q19.  Les  premiers  résultats  ont  été  comimuniqués  à  l'Académie  des  Ins- 
criptions;   cf.    Comptes    rendus    de    l'Acad.    des   Insc,    1918,    pp.    3oo-3oi. 

(3)  Si   l'on   accepte   les   indications   données  ptir   Ibn    Khaldoûn,    'Ibar,   Histoire    des   Ber- 


HISTOIRE  5 

explicable,  avec  l'arrivée  de  l'Islam  :  on  a  d'autres  exemples  de  pareils 
déplacements;  Larache  ne  se  superposa  pas  à  Lixus,  non  plus  qu'Oû- 
lîlî  à  Volubilis,  Le  nouveau  centre  de  la  rive  droite  du  Boû  Regreg 
attira  sans  doute  à  lui  toute  la  population  de  l'ancienne  cité  romaine, 
en  même  temps  qu'il  lui  prit  son  nom  (i).  Et  quand,  dans  les  pre- 
miers siècles  qui  suivirent  l'introduction  de  l'Islam  au  Maroc,  des 
historiens  mentionnent  la  ville  de  Sala  ou  de  Chàla,  on  peut  affir- 
mer sans  grand  risque  d'erreur  qu'il  faut  entendre  par  ces  noms  Salé 
plutôt  que  Chella  (2). 


Salé,  à  cette  époque,  joua  un  rôle  parfois  important.  Elle  fut,  au 
xi"*  siècle,  la  capitale  d'un  petit  état  ifranide,  qui,  sous  le  règne  de 
Tamîm,  s'étendit  jusqu'à  Fès  et  sur  le  nord  du  Maroc  (/i24-29/io33-38) 
et  fut  détruit  par  les  Almoravides  (3). 

Ce  fut  sa  situation  de  place  frontière  qui  valut  à  Salé  son  impor- 
tance politique.  Au  Boû  Regreg,  en  effet,  s'arrêtait  la  puissance  des 


bcres,  trad.  de  Slane,  Alger,  i852-58,  t.  II,  app.  III,  p.  56o  et  563,  il  semble  que  dès 
l'époque  d'Idrîs  II,  Salé  existait  déjà,  indépendamment  de  Chella.  L'historien  dit,  en 
effet,  qu'à  la  mort  d'Idrîs  II,  son  fds  'Isa  eut  dans  sa  part  de  l'empire  Salé,  Chella,  Azom- 
moûr,    Safi. 

(i)  La  coexistence  des  deux  noms  de  Châla  et  de  Sala  peut  d'ailleurs  s'expliquer  aisé- 
ment :  oes  deux  toponymes  ne  sont  que  le  doublet  d'un  même  terme  qu'il  y  a  tout  lieu 
de  croire  berbère,  ou  plutôt  phénicien.  Cf.  en  effet  le  traitement  du  ;!/'  phénicien  dans 
les  toponymes  ou  les  mots  puniques  latinisés  ;  ^T1  devient  nis  dans  Rusicnde,  Rusaddir, 
Rus^uniimi,  etc.  ;  cf.  ?'u»i  la  latimisatiDn  de  sûfît  en  siiffetus,  etc.  Le  nom  pTimitï' 
seimble  donc  avoir  été  Chàla,  adouci  en  Sala.  La  forme  indigène,  dont  l'usage  n'avait  pas 
dû  se  perdre,  se  conserva  même  quand  le  nom  latin  fut  adopté  par  les  Arabes  (cf.  Rusicade, 
arabi«é  en  Skîkda).  C'est  ainsi  que  la  Châla  miontionnée  par  Ibn  Khaldoûn  à  propos  des 
Banoû  Ifran  (III,  p.  221  et  passim)  est  sans  aucun  doute  la  ville  du  bord  de  la  mer.  Peu 
à  pi>u  chacune  des  formes  s'appliqua  de  plus  en  plus  spécialement  à  chacun  des  deux 
emplacements  successifs  de  la  ville;  la  distinction  tendait  déjà  à  se  faire  à  l'époque  d'-'l- 
Bakirî  (Cf.  p.  202  de  la  trad.  de  Slane,  Paris,  i85c)).  Il  est  probable  qu'elle  se  fixa  défîniti- 
voment  lore  de  la  fondation  de  Rabat.  Le  dédoublement  du  l  de  Chella  semble  de  date 
relativement  réoenbe. 

(2)  A  l'époque  la  plus  florissante  du  royaume  ifranide,  appelé  par  Ibn  Khaldoûn  royaume 
de  Chàla,  el-Bakrî  ne  signale  sur  l'emplacement  de  Chella  que  les  ruines  d'une  ville 
a-ntique.    La  capitale  de  cet  état  était  donc  évidemment  Salé. 

(3)  Cf.    Fbn    Khaldoûn,   IIÏ,   p.    221    sqq. 


6  CHELLA 

Barghoûwâta,  qui  peuplaient  toute  la  région  du  TAinasnA.  Cette  nom- 
breuse confédération  s'était  alors  séparée  du  reste  de  la  conipiunauté 
musulmane;  sous  la  direction  de  chefs  nationaux,  elle  suivait  les  pré- 
ceptes religieux  d'un* prophète  issu  d'elle-même,  Sàlih,  fils  de  Tarif; 
c'était  une  sorte  d'adaptation  berbère  de  l'Islam,  sur  laquelle,  au 
surplus,  nous  sommes  assez  mal  renseignés  (i).  Il  semble  qu'au  début 
les  Barghoûwàta  aient  essayé  d'étendre  leur  puissance  sur  une  assez 
grande  partie  du  Maroc,  mais,  rapidement,  ils  durent  se  cantonner 
à  l'intérieur  de  leurs  frontières.  A  leur  tour,  les  Musulmans  ortho- 
doxes prirent  contre  eux  l'offensive  et  trouvèrent  à  les  combattre  un 
pieux  prétexte  de  guerre  sainte. 

Durant  le  x*  et  le  xi'  siècles,  une  série  d'expéditions  sont  dirigées 
contre  le  pays  des  hérétiques,  avec  des  succès  divers.  Les  Idrîsides, 
puis  les  Andalous  de  Ja'far,  fils  de  'Alî,  puis  les  Sanhaja  de  Bologgîn 
ben  ez-Zîrî  (868/978  et  années  suivantes),  puis  de  nouveau  les  Anda- 
lous deWàdih,  le  gouverneur  d'el-Mansoûr  Ibn  Abî  'Amr  (889/999), 
puis  les  Ifranides  de  Salé,  surtout  sous  le  règne  de  Tamîm,  les  com- 
battirent tour  à  tour,  en  attendant  que  des  coups  décisifs  leur  fussent 
portés  par  les  Almoravides  et  les  Almohades.  Pour  toutes  ces  expédi- 
tions. Salé,  à  l'abri  de  l'autre  côté  du  fleuve,  formait  une  «  base  y 
de  premier  ordre. 

Il  est  même  probable  que  la  concentration  des  mojâhldîn  contre  les 
Barghoûwàta  s'opérait  sur  la  rive  gauche.  Nous  avons' pour  cette  épo- 
que un  témoignage  précieux  :  celui  d'Ibn  Hawqal,  qui  écrivit  ses 
Masâlik  en  867  (977-78),  et  qui  dit  à  ce  sujet  :  »  Au-delà  du  fleuve 
Sboû,  dans  la  direction  du  pays  des  Barghoûwàta,  à  environ  une  étape, 
coule  le  Wâdî  Sala.  C'est  là  que  se  trouve  le  dernier  lieu  habité  par 
des  Musulmans  :  un  ribât  011  se  groupent  les  Musulmans.  C'est  sur  le 
fleuve  également  qu'est  la  ville  ruinée,  dite  Sala  l'ancienne,  aujour- 
d'hui détruite.  Les  gens  habitent  et  se  groupent  dans  un  ribàt  qui 
l'entoure.  Cet  endroit  a  pu  rassembler  jusqu'à  cent  mille  guerriers 

(r)  Notre  principale  source  d'informations  sur  cette  question  est  la  Description  dr- 
VAfrique  septentrionale  d'el-Bakrî,  trad.  do  Slane,  pp.  3oo-3i5.  Ibn  Khaldoûn  ne  fait 
guère  que  reproduire*les  inditations  de'ce  géographe.  Sur  1  histoire  des  Barghoûwàta,  cf. 
surtout  cl-Bakrî,  loc.  cit.  ;  Ibri  Abî  Z^tr',  Ra'fd  el-qirtàs,  éd.  Tdtnberg  {Annales  rèeùm 
Maurilaniae),   Upsala,   i843,  pp.   82-85  et  Ibn   Khaldoûn,    II,   pp.    i25-i33. 


HISTOIRE  7 

voulant  attaquer  à  l'improviste  l'ennemi.  Leur  ribât  est  dirigé  contre 
les  BarghoÛAvâla,  tribu  berbère  installée  sur  l'Atlantique,  et  limitro- 
phe de  cette  région  oii  prend  fin  la  terre  d'IslAm  »  (i). 

A  la  lecture  de  ce  texte,  une  première  constatation  s'impose  :  à 
une  époque  fort  ancienne,  au  moins  dès  le  x*  siècle,  il  existait  dans 
cette  région  un  ribât.  Cela  n'a  rien  pour  surprendre  ;  la  guerre  sainte 
appelait  le  ribat.  Mais  ce  passage  d'Ibn  I.lawqal,  si  important  soit-il, 
n'en  reste  pas  moins  assez  obscur  sur  certains  points  :  il  semblerait, 
à  le  lire,  qu'il  y  ait  eu  deux  ribât,  l'un  à  Sala  même,  l'autre  autour  de 
Châla.  Mais  on  ne  voit  guère  pourquoi,  à  si  peu  de  distance  l'un  de 
l'autre,  ces  couvents-forteresses  auraient  pu  s'édifier,  dans  un  but 
d'ailleurs  identique.  Il  serait  peut-être  plus  rationnel  de  ne  pas  accor- 
der au  second  ribàl  d'Ibn  Hawqal  la  signification  qu'il  donne  au  pre- 
mier. II  est  certain  que  celui  des  ribàt  qui  entourait  la  ville  ruinée,  et 
où  venaient  se  rassembler,  même  en  faisant  la  part  de  l'exagération 
du  géographe,  un  aussi  grand  nombre  de  combattants,  ne  pouvait 
être  qu'un  camp,  muni  ou  non  de  quelques  installations  permanen- 
tes :  il  ne  devait  être  utilisé  qu'au  mom&nt  des  rassemblements  pour 
le  jihâd.  Dès  lors,  on  peut  penser  qu'il  existait  soit  à  Salé  »  rive 
droite  »,  soit  sur  la  pointe  naturelloment  fortifiée  ou  s'élève  aujour- 
d'hui la  qasba  de  Rabat,  un  ribàt-couvent,  occupé  de  façon  perma- 
nente par  une  garnison  défensive  :  il  devait  naturellement,  en  pé- 
riode d'afflux  de  mojâhidîn,  se  prolonger,  avec  leurs  campements, 
jusqu'au-delà  de  l'ancienne  ville  romaine.  C'est  un  ribât -camp  qui 
s'ajoutait  au  couvent.  Jusqu'où  s'étendaient  les  limites  de  ce  second 
ribàt  ?  Il  est  permis  de  croire  qu'il  couvrait  tout]  le  terraiu  compris 
entre  l'Océan  et  le  fleuve,  peut-être  jusqu'à  l'ancien  limes  (2),  ainsi 
réutilisé,  et  dont  les  traces  devaient  être  plus  visibles  alors  qu'aujour- 
d'hui. 

(i)  Kitâb  el-masâlik  wo  'l-mamAlik,  éd.  de  Goeje,  i'  partie,  iSy^,  p.  5fi  : 

ûvL.^^"    i_y>»^     (Ai»\^^     ^^    io.^^b^^     ^^-<ai^_5   O^^.T^    ^2iU»«j\     i_ilJ\    iAjLj    j^-Jaj\  Jd\     ^^ 

^NLvoV^  "JJii  ij^u*  c^kZj  (_yXJ\  ^v^\  sJ-v?  ^-Jl^î::^  ^-r^^  r*=^^  ^  y-r^"^  J^^^'  cr* 

(2)  L'ancien  limes  romain  passait  en  effet  à  très  peu  de  distance  au  sud  de  Rabat.   Son 
tracé  est  enrore  visible  et  a  été  remarqué  par  les  indigènes  qui  l'appellent  Sâqîat  Far'oûn. 


8  CIIELLA 

D'autre  part,  ïbn  naw(|al  a  fort  bien  compris  riinportanre  stralo- 
gique  de  cet  établissement  sur  la  rive  méridional  du  Ileuve.  C'était, 
en  effet,  comime  une  tête  de  pont  d'où  l'on  pouvait  constammonl  sur- 
veiller et  menacer  les  Bar^hoftwàta  liérétiques,  avec  la  ressource,  eu 
cas  de  nécessité,  de  se  réfugier  de  l'autre  coté  <lii  llciive. 

Ainsi  donc,  avant  l'époque  des  Alnu^liades,  la  région  sm-  la(iii(>lle 
s'élèvent  les  trois  villes  était  déjà  un  territoire  consacré  à  la  giHMie 
sainte. 

On  ignore  le  rôle  que  joua  le  ribàt  pendant  les  luttes  acbarnées  que 
les  Almoravides  livrèrent  à  la  confédération  du  sud  du  Boû  Regreg 
et  au  cours  desquelles  'Abd  Allab,  fds  d'Iasîn,  trouva  la  mort.  Les 
Barglioûwàta.  épuisés  par  les  attacjues  dont  ils  étaient  Tobjet  depuis 
plusieurs  siècles,  allaient,  un  peu  plus  tard,  être  complètement  réduits 
par  les  Almohades.  A  mesure  qu€  les  liérétiques  —  d'ailleurs,  semble- 
t-il,  surtout  attaqués  par  le  sud  depuis  l'époque  des  Almoravides  — 
s'affaiblissaient,  le  ribàt  de  Sala  perdait  de  son  importance.  Cepen- 
dant, au  milieu  du  xu''  siècle,  el-Fazàrî  signalait  sur  la  pointe  qui 
domine  au  sud  rembouchure,  une  forteresse  (ju'il  appelait]  Qasr  Bauî 
Târga  (i). 

Mais,  dès  le  début  de  la  dynastie  almohade,  l'ancien  ribàt  reprend 
toute  sa  valeur;  ce  n'est  plus  contre  les  Barghoûwàta  presque  définiti- 
vement soumis  qu'il  est  dirigé  :  il  devient  le  point  de  rassemblement 
des  combattants  qui  vont  faire  la  guerre  sainte  de  l'autre  côté  du 
détrailt,  A  partir  de  ce  moment,  les  textes  historiques  deviennent 
plus  précis.  'Abd  el-Moû'min,  en  5^5  (ii5o),  s'occupe  d'aménager  le 
camp.  11  y  amène  notamment  l'eau  de  la  source  dite  Ghboûla,  par 
une  conduite  dont  les  vestiges  existent  encore  aujourd'hui.  En  outre, 
sur  l'emplacement  de  la  qasba  actuelle,  il  fonde  la  ville  d'el-Mahdîyya. 
C'est  là  qu'il  mourut  en  558  (ii63),  au  moment  oii  il  avait  rassemblé, 
pour  les  faire  passer  en  Espagne,  des  contingents  si  importants  que, 
à  en  croire   le   Rawd  el-qlrtàs,    leur  camp  s'étendait  jusqu'aux  sources 


(i)  Cf.  René  Basset,  Documents  géographiques  sur  V^Ajnque  septentrionale,  Paris,  iSqS, 
p.  25,  note  I.  Ce  passage  a  été  utilisé  par  les  auteurs  de  Babat  et  sa  région,  i,  p.  g; 
ils  déclarent  avec  juste  raison  ip.  ii)  que  les  Banoû  Târo:a  étaient  d'orip^inc  Sanhâja  et 
que,  par  conséquent,   ils  purent  être  amenés  à   Rabat   par  les   AlmoraYidcs. 


HISTOIRE  9 

d'el-Khamîs  et  de  Ghboûla.  Le  sultan  Aboùloûsof  là'qoûb  l'almohade, 
son  deuxième  successeur,  reprenant  et  développant  ses  plans,  achève 
rcnceinte,  bâtit  les  portos  et  la  luosquoe  do  Hassan  ;  lo  Hibàt  ol-fatii 
est  fondé.  C'est  là  qu'il  réunit  à  plusieurs  reprises  des  troupes  qui  doi- 
vent passer  on  Espagne.  Mais  la  nouvelle  ville  semble  avoir  perdu 
presque  toute  sa  splendeur  à  la  mort  de  son  fondateur  :  après  une 
courte  éclipse.  Salé  redevient  la  principale  agglomération. 


B.  —  Chella,  nécropole  mérinide  (i). 

L'histoire  de  Salé  et  de  Rabat,  au  moment  oi^i  s'établit  la  dynastie 
mérinide  au  Maroc,  est  une  suite  de  prises  et  de  reprises,  de  lut- 
tes auxquelles  prirent  part  tour  à  tour  contre  les  nouveaux  sultans, 
les  derniers  Almohadcs,  les  Chrétiens  et  même  un  prince  issu  de 
la  famille  royale.  En  6/19  (i25i),  Aboû  laliiù  Aboû  Bakr  s'empara 
poux  la  première  fois  des  deux  villes;  il  en  confia  le  gouvernement 
à  son  neveu,  la'qoûb,  fils  de  'Abd  Allah,  fds  de  Abd  el-Haqq  (2). 
L'année  suivante,  les  Almohades,  sous  la  conduite  d'el-Mortadâ,  chas- 
sèrent le  gouverneur  mérinide,  qui  s'établit  dans  les  environs  et  ne 
perdit  pas  l'espoir  de  recouvrer  son  autorité.  A  l'avènement  d'Aboû 
loûsof  la'qoûb,  fils  de  "Abd  el-Haqq,  la'qoûb,  fds  de  'Abd  Allah,  ne 
tarda  pas  à  s'insurger  contre  ce  sultan,  et  c'est  pour  son  propre  compte 
que,  bientôt,  il  rentra  dans  Salé,  ori  il  se  posa  en  prétendant  (856- 
658/1268-1260  (3).  Il  s'occupait  de  mener  la  lutte  contre  son  oncle, 
quand  un  événement  inattendu  mit  fin  à  ses  préparatifs  :  les  Chrétiens, 
dont  de  nombreux  vaisseaux  étaient  entrés  dans  le  Boû  Regreg,  sous 
prétexte  d'apporter  des  aimies  au  prince,   s'emparèrent  par  surprise 

(i)  Nous  remercions  le  savant  salétin  Si  Mohammed  Ibn  'Ali  ed-Dokk:>It  es-Salàwî.  his- 
toriographe de  S.  M.  Chérifienne,  d'avoir  bien  voulu  nous  communiquer  sa  notice  sur 
Chella,  intitulée  ed-Dorrat  el-iatima  fi  wasf  madinat  Châllat  el-haditha  iva'l-qadima.  Cette 
notice  vient  d'être  presque  intégralement  reproduite  dans  une  brochure  signée  d'un  jettie 
de  Rabat,  Mohammed  Aboû  Jandàr,  sous  le  titre  de  Châlla  wa-âthârohâ  (Rabat,  Impri- 
merie officielle,    i34o). 

(2)  Aoi  témoignage  d'Ibn  Khaldoùn  (IV,  p.  38),  la  première  soumission  des  habitants 
de  Rabat  et  de  Salé  aux  Mérinides  aurait  eu  lieu  vers  la  fin  de  646  (la^Q).  Mais  le  texte  n'est 
pas  clair. 

(3)  Sur  ces  événements,  cf.  Qirtâs,  p.    it)7  et  surtout  Ibn  Khaldoùn,  IV,  pp.  'yi  sqq. 


10  CHELLA 

de  Salé,  le  2  chawwAl  658  (10  septembre  i?.0o).  la'qoAb,  fils  de 
'Abd  Allali,  dut  se  réfugier  i\  Rabat,  et  pciit-otrc  môme,  si  l'on  en 
croit  Ibii  Kbaldoiin,  eut  recours  devant  ce  danger  soudain  à  celui 
même  qu'il  combaMait.  ïonjours  est-il  qu'Abon  Tousbf,  qui  se  trou- 
vait alors  à  Taza,  accourut  en  toute  liàte,  et,  au  bout  de  qual^orze  jours 
de  siège,  reprit  Salé  aux  Cbrétiens.  Pour  paier  à  toute  tenlative  nou- 
velle de  la  part  de  ces  derniers,  il  fit  construire  le  long  die  la  rive 
droite  du  fleuve  un  rempart  continu,  et  l'on  raconte  qu'il  tint  à  tra- 
vailler de  ses  propres  mains  à  cette  œuvre  pie  (i).  Par  la  prise  de  Salé, 
le  sullan  Aboù  loûsof  la'qoûb  avait  accompli  son  premier  acte  de 
guerre  sainte. 

Il  me  s'en  tint  pas  là  dans  son  activité  de  mojAbid,  ei,  reprenant  les 
traditions  des  Almoravides  et  dos  Almohiades,  il  alla  à  son  tour  com- 
battre les  Chrétiens  d'Espagne.  11  traversa  quatre  fois  le  détroit,  et  à 
deux  reprises  séjourna  sur  le  territoire  de  Rabat  avant  de  passer  dans 
la  Péninsule  :  à  la  fin  de  675  (1276),  il  se  rendit  au  Ribnl  el-lath  pour 
y  lancer  l'appel  à  la  guerre  sainte  et  y  demeura  jusqu'au  moment 
où  il  alla  à  el-Qasr  es-saghîr  s'embarquer  pour  l'Espagne  (2)  ;  plus 
tard,  au  moment  d'entreprendre  sia  quatrièmie  expédition,  en  683 
(1284),  il  y  passa  le  mois  du  jeûne,  avant  de  gagner  Tarifa  (3).  A 
en  juger  par  ces  séjours  sucoessifs,  il  semble  que  les  ((  Deux-Rives  » 
aient  continué  sous  les  Mérinides  à  apparaître  comme  le  ribât  où  se 
concentraient  les  mojahidîn;  de  même,  c'est  de  cette  époque  qu'il  faut 
dater  la  construetion  de  l'arsenal  maritime  de  Salé. 

Le  Raivd  el-qirtâs  (/j)  note  dans  sa  chronologie  terminale,  et  sans  y 
insister,  deux  événements  qui  se  passèrent  à  Rabat,  précisément  -à 
l'époque  du  second  séjour  d'Aboû  loûsof,  en  ramadan  683  :  d'abord, 
il  fit  réparer  le  vieil  aqueduc  de  'Abd  el-Moû'miin;  ensuite  —  et  ceci 
est  plus  important  en  ce  qui  oonceme  cette  étude  —  le  6  de  oe  même 
mois  (16  novembre   1284),   «  la  femme  libre  0mm  él-'izz,   fille   de 


(i)  Sur  ces  événements  cf.  Qirtàs,  p.  20  r  et  Ibn  Khaldoûn,  IV,  p.  47  sqq.  —  lâ'qoûb  fils  de 
'A.bd  Allah  n'attendit  pas  l'arrivée  de  son  oncle  et,  après  avoir  tenu  la  campagne  quelque 
temps,  il  finit  paj  être  tué  près  de   'Aïn  Ghboùla. 

{1}  Cf.  Qirtâs,  p.  217;  Ibn  Khaldoûn,  IV,  p.  85. 

(3)  Cf.  Qirtâs,  p    23o  ;   Ibn  Khaldoûn,  IV.'p.  no. 

(4)  Cf.  Qirtâs,  p.  280  (année  68^). 


HISTOIRE  11 

Mohammed,  fils  de  Hâzim,  mourut  au  Ribât  el-fath  et  fut  enterrée  à 
Chella  ».  Or,  cette  princesse,  qui  appartenait  à  la  famille  des  Banoû 
'Alî,  avait  été  épousée  par  le  sultan  Aboû  loûsof,  et  était  la  mère 
d'Aboû  la'qoûb,  qui  devait  être  son  héritier  (i). 

0mm  el-'izz,  autant  que  nous  en  pouvons  juger,  est  la  première 
personne  appartenant  à  la  famille  des  Mérinides  qui  ait  été  enterrée 
à  Chella.  'Abd  el-Haqq,  le  fondateur  de  la  dynastie,  et  son  fils  Idrîs, 
avaient  été  ensevelis  à  Tàfertâst,  auprès  de  l'endroit  où  ils  étaient 
tombés  en  combattant  contre  les  Riâli  (2).  Aboû  lahiâ  avait  donné 
l'ordre  qu'on  l'enterrât  dans  le  cimetière  de  Bâb  el-Fotoûli,  à  Fès,  au- 
près du  tombeau  d'Aboû  Mohammed  el-Fichtâlî  (3)  :  recommandation 
assez  éloquente,   car,  en  se  faisant  inhumer  dans  la  Raivdat  el-'olamâ' , 

la  nécropole  traditionnelle  des  docteurs  d'Islam,  il  montrait  déjà  le 
rôle  religieux  que  la  nouvelle  dynastie  allait  s'efforcer  de  jouer. 

Au  reste,  Aboû  loûsof  ne  négligeait  pas  l'entretien  du  tombeau 
de  son  père  :  d'Algésiras,  quelques  mois  avant  sa  mort,  à  la  fin  de 
684  (12S5),  il  avait  chargé  son  fils  Aboû  la'qoûb,  qu'il  avait  envoyé 
comme  lieutenant  au  Maghrib,  d'élever  un  monument  sur  la  tombe 
de  son  père  Abd  el-llaqq  et  sur  celle  de  son  frère  Idrîs.  Ibn  Khaldoûn 
dit  à  ce  sujet  :  «  Aboû  la'qoûb  traça  à  Tàferslàt  un  ribàt  (4),  et  fit 
placer  au-dessus  de  leurs  tombes  des  stèles  (5)  de  marbre,  sur  les- 


(1)  Cf.  Qirtds,  p.  2ÎS  et  Ibn  el-Ahmar,  Ran'dat  en-nisrîn,  éd.  et  trad.  Gh.  Bouali  et 
G.  Marçais,  Paris,  1917,  p.  16/65   Cf.  également  p.  61  de  la  trad.,  note  1. 

(  >)  Cf.  Qirlâs,  p.  190  (lig.  antépén.)  ;  Ibn  Khaldoûn,  IV,  p.  io  ;  Rawiial  en-nisrîn, 
p.  9/56.  —  Les  historiens  inc  fournissent  aucuine  indication  sur  les  endiroits  où  furent 
enterrés  les  deux  princes  qui  régnèrent  entre  'Abd  el-Haqq  et  Aboû  lal.iiâ  :  Aboû 
Sa'ïd  'Othmân,  tué  en  638  (i2'4o)  dans  la  vallée  du  Wàdî  Rdàt,  et  son  frère  Aboû 
Mo'arrif  Mohammed,  tué  à  son  tour  en  i\\i  (lu^^i). 

(3)  Cf.  Ibn  Khaldoûn,  IV,  p.  ^^.  Le  Qirtâs,  p.  197  (in  fine),  place  ce  tombeau  à  l'inté- 
rieur de  Bâb  el-Jazîyîn.  Ce  renseignement  est  reproduit  par  el-Holal  el-mawchîyya,  Tuni^. 
iS'ig,  p.  i'i2  et  Ibn  el-Qâdî,  Jadhnat  el-iqtibâs,  Fès,  i3o  1,  p.  loa,  1.  5  ante  fin.  —  Cet 
Aboû  Mohammed  el-Fichtâlî  avait  été  le  premier  des  docteurs  de  Fès  qui  reconnût  l'auto- 
rité d'Aboû  lahiâ  en  rabî'  II  ôVVaoût  124*^):  cf.  Qirlâs,  p.    ig'i  et  Ibn  Khaldoûn,  IV,  p.  38. 

(i)  Le  mot  semble  avoir  ici  la  signification  de  Iiorm,  c'est-à-dire  «  d'enceinte  sacrée  » 
telle  que  le  sera  celle  de  Chella,  jusqu'au  début  du  xix*  sièole.  Le  vorbe  employé  par 
Ibn  Khaldoûn  est  assez  suggestif,  car  il  signifie  à  il'origine  «  tracer  un  sillon  pour  limiter 
un  terrain.   » 

(^)  Le  texte  arabe  porte  0^-^-**^^  >  pluriel  d'un  mot  qui  désigne  à  proprement  par- 
ler «  la  bosse  du  chameau  »,  et  par  extension,  toute  protubérance,  comme  celle  que 
l'orme   la   terre  amoncelée   sur   une   tombe.    Il   s'agit   évidemment  de    la    stèle   en   forme   de 


12  CHELLA 

quelles  des  inscriptions  furent  gravées.  Il  attacha  à  l'endroit  des  lec- 
teurs du  Qor'An  et  affecta  à  «on  entretien  le  rcnenu  de  ferni'es  et  de 
terres  (i)  ».  Le  Raa'd  ('(-(/ir/às,  (|ui  ivl.ile  aussi  le  fail,  spécilic  (pic  les 
terres  ainsi  constituées  en  biens  de  niaiinniorlo  étaient  assez  étendues 
pour  que  leur  labour  nécessitât  quarante  all(>laj2:es  de  bœufs  (.0. 

Cependant,  ce  n'est  ni  à  Tàferlast,  auprès  du  mausolée  de  son  père, 
qu'il  s'occupait  ainsi  à  embellir  à  la  fin  de  ses  jours,  ni  en  Espag'ne, 
où  il  avait  pourtant  bâti  poair  en  faire  sa  résidence  la  Ville-Neuve 
d'Algésiras,  qu'Aboû  loùsof  fut  ensieveli.  A  sa  niorl,  il  fut  transporté 
à  Chella.  Ce  n'était  point  sans  doute  uniquement  pour  qu'il  reposât 
auprès  de  son  épouse  0mm  el-'izz,  mère  d'Aboû  la'qoub,  qui  allait 
lui  succéder.  Pour  comprendre  le  choix  de  ce  lieu  de  sépulture,  il  faut 
se  souvenir  qu'Aboû  Toûsof  était  avant  tout  un  mojahid.  Longtemps 
avant  qu'il  fût  sultan,  l'idée  de  la  guerre  sainte  le  hantait.  Après 
la  prise  de  Meknès  par  Aboû  Lihiâ  en  6/|"3  (i3/|5-/i6),  il  avait  cherché  h 
entraîner  celui-ci  dans  une  expédition  contre  les  Chrétiens  d'Espagne, 
et,  n'y  pouvant  parvenir,  il  avait  résolu  de  la  tenter  avec  ses  propres 
ressources  :  le  sultan  l'en  avait  empêché  presque  de  force  (3).  A  peine 
venait-il  de  succéder  à  Aboû  lahià,  que  l'occasion  s'olTrait  de  réaliser 
le  rêve  de  toute  sa  vie  :  et  son  premier  «uccès  do  combattant  pour  la 
foi  avait  été  justement  de  reprendre  aux  Chrétiens  la  ville  de  Salé, 
dont  le  nom,  depuis  plusieurs  siècles,  était  associé  à  la  lutte  contre 
les  ennemis  de  l'Islam,  hérétiques  ou  infidèles.  Le  territoire  de  l'an- 
cien ribât  avait  pu  ainsi  prendire  à  ses  yeux  une  valeur  toute  particu- 

prisme  allongé,  caractéristique  des  sépultures  môrinidcs,  et  dont  les  tombes  étudiées 
plus  loin  offjont  des  modèles.  Ces  stèles  portent  actuclîcmont  le  nom  de  mqâbrîyya;  of 
A.  Bel,  Inscriptions  arabes  de  Fès,  Paris,  19 19,  p.  i3,  note  2  :  il  remarque  fort  juste- 
ment que  CCS  prisimes  de  marbre  portent  en  Algérie  un  nom  différent.  Il  y  a  peu  de 
chances  pomr  que  le  mot  mqâbrîyya  vienne  de  mqâbra,  inusité  au  Maroc;  il  semble 
dériver  plutôt  du  pluriel  mqâber,  employé  dans  le  pays  avec  le  sens  collectif  de  «  ti- 
iretière  »  (cf.  la  judicieuse  note  de  C.  A.  Nallino,  in  Riv.  Stud.  Orient.,  1921,  vol. 
VIII,  p.  842,  note  3).  En  tout  cas,  il  n'estpas  sans  intérêt  de  voir  fournir  par  Ibn 
Khaldoûn  le  terme  qui  vraisemblablement  au  Moyen-.\ge  désignait  au  Maroc  ces  sor- 
tes  de   pierres   tombaks. 

(t)  Ibn  Khaldoûn,  II,  p.  3o5  de  l'éd.  de  Slane.  La  finad.  du  même,  IV,  p.  119,  est 
légèrement    inexacte. 

(2)  Qirtâs,  p.  957.  Bien  que  l'expression  soit  encore  courante  au  Maroc,  Beaumier, 
trad.  p.  627,  traduit  inexactement  :  «  l'émir....  dota  cette  zaouïa  de  quarante  paires 
de   bœufs  de   labour   ». 

(3)  Cf.   Ibn   Khaldoûn,   IV,   p.    7^. 


HISTOIRE  13  - 

Hère;  et,  d'autre  part,  on  se  rappelle  qu'il  y  avait  préparé  ses  propres 
expéditions  vers  la  Péninsule.  Ce  soi  sacré  convenait  mieux  qu'aucun 
autre  pour  recevoir  La  dépouille  mortelle  d'un  mojàhid;  et  l'on  peut 
penser  qu'il  y  avait  désigné  lui-même  un  ennplacement  :  ce  ne  fut  pa? 
pourtant  l'une  des  deux  villes  qui  s'y  élevaient  déjà,  et  auxquelles  s'at- 
tachaient trop  de  souvenirs  étrangers  à  sa  dynastie;  ce  fut  à  proximité 
de  Salé  et  de  Rabat,  à  Chella.  Parmi  les  ruines  de  l'antique  cité,  il 
avait  fait  élever  une  mosquée,  dans  laquelle,  au  témoignage  précis 
d'Ibn  Abî  Zar',  sa  femme  0mm  el-'izz  fut  enterrée.  C'est  là  qu'à  son 
tour  il  fut  transporté,  peu  après  sa  mort,  survenue  le  22  moliarram 
685  (20  mars  1286),  dans  son  palais  d'el-Bonîyya,  près  d'Algésiras  (i). 
Ainsi  était  inaugurée  la  nécropole  royale  ôe  Chella. 

Le  sultan  Aboû  la'qoiib  loiisof  fut  un  digne  émule  de  son  père, 
un  grand  guerrier  et  un  homme  pieux.  Il  combattit  les  infidèles  en 
Espagne;  en  outre,  lui  aussi  dut  lutter  non  seulement  contre  des  révol- 
tes intérieures,  mais  surtout  contre  les  dynastes  de  Tlemcen.  La  fin 
de  son  règne  se  passa  à  assiéger  sans  résultats  cette  ville,  auprès  de 
laquelle  il  bâtit  el-Mansoûra,  qui  devint  sa  résidende  ordinaire;  il  y 
fut  assassiné  le  7  dhoû  '1-qa'da  706  (i3  mai  i3o7)  (2).  Comme  Aboû 
loùsof,  ce  ne  fut  pas  dans  la  ville  fondée  par  lui  qu'il  fut  inhumé  : 
son  corps  fut  transporté  à  Chella  et  placé  auprès  de  celui  de  son  père. 

Le  petit-fds  d'Aboû  la'^qoûb  loiisof,  Aboû  Thàbit  'Amir,  lui  succéda 
mais  mourut  e;mpoisonné  au  bout  d'un  an  de  règne  (8  safar  708/28 
juillet  i3o8),  à  Tanger,  au  moment  où  il  allait  réprimer  une  révolte 
contre  les  Ghomàra  (3).  A  son  tour,  il  fut  transporté  à  Chella  et  fut 
enseveli  tout  contre  le  tombeau  de  son  grand-père  {^). 

Les  historiens  sont  tous  d'accord  pour  attester  que  ces  quatre  per- 
sonnages, dont  trois  sultans  successifs,  reçurent  une  sépulture  à 
Chella.  D'autres  membres  de  la  famille  mérinide  y  trouvèrent-ils 
place  à  la  même  époque?  Cela  eist  assurément  possible,  mais  aucun 

(i)Cf.  Qirtâs,  p.  267;  Ra^ydat  en-nisrîn,  p.  12/fio;  Holal,  p.  i33. 

(•2)  Cf.  Qirtâs,  p.  268;  Ibn  Khaldoùn,  IV,  p.  lôS-fig  ;  Rawdat  en-nisrîn,  p.  ir/,)r)-66  ;  IJolal, 
p.  i33. 

(3)  Cf.  Qirtâs,  p.  271  ;  Ibn  Khaldoùn,  IV,  p.  i7P  ;  Raadat  en-nisrîn,  p.  17-69;  Holal^ 
p.    i3i4. 

('1)    D'après  Holal.  loc.  cil. 


U  CHËLLA 

document  ne  permet  pour  l'instant  de  l'affirmer.  En  tout  cas,  après 
Aboû  Thâbit  'Amir,  la  nécropole  royale  fut  pour  un  temps  délaissée. 
Le  frère  de  ce  dernier,  Aboû  'r-Rabî'  Solaïnian,  mort  à  Taza,  au  bout 
de  deux  ans  de  règne,  le  3o  jomada  II  710  (28  novembre  i3io),  fut 
enterré  dans  la  grande  mosquée  de  cette  ville  (i).  Sa  pierre  tombale 
s'y  trouve  encore  :  conlirmation  du  renseignement  fourni  par  l'au- 
teur du  Qirtàs  et  Ibn  Khaldoûn.  Elle  est  placée  dans  l'ime  des  cou- 
poles, aujourd'hui  fort  délabrées,  qui  s'élèvent  dans  la  cour  i)lantée 
d'oliviers  de  la  grande  mosquée  de  Taza.  Cette  tombe  est  encore  l'objet 
de  la  vénération  populaire  :  c'est  une  stèle  alilongéc,  du  type  mérinide 
ordinaire,  mais  très  dégradée  sur  chacune  des  faces  du  champ  épi- 
graphique. 

Aboû  'r-Rabî'  Solaïmàn  eût  pour  successeur  son  grand-oncle  Aboû 
Sa'ïd  Olhmân,  fils  d'Aboû  loûsof  la'qoûb;  ce  sultan  mourut  non  loin 
de  Fès,  Le  26  dhoû  '1-qa'da  781  (3  septembre  i33i).  y\u  sujet  du  lieu 
de  sa  sépulture,  un  problème  se  pose  :  la  limvdul  en-nlsrln  dit  qu'il 
fut  enterré  à  Chella  (2);  Ibn  Khaldoûn,  au  contraire,  affirme  qu'on 
l'ensevelit  à  Fès  (3),  et  M.  Bel  croit  possible  de  retrouver  son  tombeau 
dans  une  mqâbrîyya  que  le  hasard  a  récemment  mise  à  jour,  dans  la 
jâma   el-gnàiz  de  la  grande  mosquée  de  Fès-Ia-Neuve  (4). 

Ce  sultan  porte  dans  la  filiation  des  princes  qui  lui  succédèrent  le 
titre  de  ((  guerrier  pour  la  foi  »  :  à  vrai  dire,  pas  plus  que  ses  deux 
derniers  prédécesseurs,  il  n'avait  réellement  dirigé  d'expédition  contre 
les  Chrétiens;  même,  en  718  (i3i8),  pour  une  raison  assez  futile,  il 
avait  refusé  de  répondre  à  l'appel  des  Grenadins  attaqués  par  les  infi- 
dèles. Pourtant,  tout  au  début  de  son  règne,  il  avait  semblé  disposé 
à  reprendre  la  tradition  de  son  père  Aboû  loûsof  et  de  son  frère  Aboû 
la'qoûb.  Il  s'était  rendu  à  Rabat  pour  y  préparer  une  campagne 
contre  les  Chrétiens  d'Espagne  (5),  et,  à  cet  effet,  avait  ordonné  la 
construction  de  bateaux  dans  l'arsenal  de  Salé  (6). 

(i)  Cf  Qirtûs,  p.  273;  Ibn  Khaldoûn,  IV,  p.  188;  Rawdat  en-nisrîn,  p.  18/70  (ne 
mentionne  pas  la  mort)  ;  Holal,  p.  i3^. 

(2)  P.    19/72. 

(3)  IV,  p.    •'II. 

(!\)   Inscr.   Ar.   de  Fès,  p.   43-44-    Cet  auteur    pense   d'ailleurs   que   ce   tombeau    est   plu- 
tôt celui  d'Abou   'Inan.   Cf.   infra,  p.   20,   note  2. 
(fi)  Cf.  Ibn  el-Qâdî,  Jadh^iat  el-iqtibûs,  p.  288,  in  fine. 
(6)  Cf.  Qirtâs,  p.  286,  in  fine. 


HISTOIRE  15 


Si  Aboù  Sa'ïd  n'eut  que  des  velléités  de  jihâd,  son  fils  et  succes- 
seur Aboû  'l-Ilasan  'Adî  mérita  effectivement  son  titre  de  combattant 
pour  la  foi.  Ibn  Khaldoûn,  à  plusieurs  reprises,  affirme  qu'il  avait 
pour  la  guerre  sainte  une  passion  égale  à  celle  de  son  grand-père 
Aboû  loûsof  la'qoûb  '^i).  Dès  le  début  de  son  règne,  en  782  (i33i-32), 
il  accueillit  avec  empressement  à  Fès  le  roi  de  Grenade  Mohammed 
Ibn  el-Almiar,  qui  venait  lui  demander  seoours  contre  les  Chrétiens  : 
ceux-ci,  installés  à  Gibraltar  depuis  709  (iSog),  étaient  devenus  de 
plus  en  plus  menaçants.  Aboû  '1-Hasan  envoya,  sous  les  ordres  de 
son  fils  Aboû  Màlik  'Abd  el-Wâhid,  une  expédition  qui,  renforcée 
des  contingents  du  dynaste  andalou,  s'empara  de  Gibraltar  en  l'an 
733  (i333)  (2). 

Après  avoir  établi  sa  domination  sur  le  Maghrib  et  s'être  enfin  em- 
paré de  Tlamcen  en  787  (i337),  il  reprit  ses  projets  de  conquêtes 
dans  la  Péninsule  :  i'I  donna  rordre  à  son  fils  Aboû  Mâlik,  gouverneur 
d'Algésiras,  d'entreprendre  une  nouvelle  attaque.  Mais  elle  se  termi- 
na malheureusement  :  les  Musulmans,  surpris  par  l'armée  chré- 
tienne, subirent  une  défaite  complète  et  Aboû  Mâlik  fut  tué  (7/io- 
1339)  (3).  Aboû  '1-Hasan  ne  voulut  pas  rester  sur  cet  échec  et  décida 
de  se  mettre  lui-même  en  campagne.  Il  rassembla  cette  anême  année 
une  armée  nombreuse;  il  réussit  à  lui  faire  traverser  le  détroit,  après 
avoir  remporté  une  victoire  sur  la  flotte  des  Chrétiens,  qui  essayait 
de  lui  barrer  le  passage,  et  il  vint  mettre  le  siège  devant  Tarifa.  Mais 
il  fut  complètement  battu  sous  les  murs  de  cette  ville;  son  camp  fut 
pris;  même  deux  de  ses  f émîmes  furent  tuées.  Le  sultan  repassa  au 
Maroc  et  prépara  une  quatrième  expédition,  qui  n'eut  pas  un  meil- 
leur succès.  Son   vizir  'Askar  fils  de  Tahaclrît  (4)  ne  réussit  pas  à  dé- 


(i)  Cf.  notamiment  IV,  p.  217. 

(2)  Ibid.,  IV,  p.    217-18. 

(3)  nid.,  IV,  p.   229-80. 

(4)  Sur  ce  personnage,  cf.  Rawdat  en-nisrîn,  p.  21  du  texte  et  77  de  la  trad.  et  note  1, 


16  GllELLA 

fendre  Algésiras  contre  les  troupes  de  Don  Alphonse,  et  la  Hotte  nui- 
sulmane  fut  olle-mème  -anéantie  (7/12-743/13/42)  (i).  Absorbé  par 
d'autres  soins,  il  ne  put  plus  jamais  reprendre  cette  lutte. 

Gepend.mt,  bien  qu'dle  se  fût  terminée  de  si  malheureuse  ma- 
nière, Aboù  '1-llasan  n'en  avait  pas  moins  été  le  cliampion  qui  avait 
conduit  à  l'assaut  des  Chrétiens  les  forces  militaires  et  navales  (li> 
tout  le  Maghrib;  il  avait  ainsi  cherché  à  reprendre  les  traditions  de 
ses  glorieux  ancétix>s,  les  plus  grands  souverains  de  toute  la  dynastie. 
Plein  de  respect  et  d'admiiration  pour  leurs  exploits,  il  s'efforça, 
pendant  son  règne,  de  donner  à  leurs  sépultures  un  cadre  qui  fût 
digne  d'elles.  Aboù  '1-Ilasan  fut  le  fondateur  de  Ghella,  telle  que 
nous  la  connaissons  aujourd'hui. 

Jusque  là,  en  effet,  en  quoi  consistait  la  néciopole  mérinideP  Au- 
tant qu'on  en  peut  juger,  ce  n'était  qu'une  simple  mosquée,  dans 
laquelle  avaient  été  placées  les  dépouilles  royales  :  cette  mosquée, 
probablement  isolée  dans  la  campagne,  était  complètement  fermée 
SUT  l'extérieur,  de  manière  que  ses  murs  la  défendissent  contre  les 
déprédations  possiblas  des  pillards  (2).  C'était,  somme  toute,  un 
sanctuaire  de  petites  dimensions,  une  chapelle  funéraire  sendjiable 
peut-être  à  celle  qui,  à  Taferlàst,  recouvrait  les  restes  du  fondateur 
de  la  dynastie.  Aboù  '1-IIasan  en  fit  une  nécropole  grandiose.  Il  ré- 
serva autour  de  la  mosquée  un  large  espace  qu'il  enloura  d'un  mur 
d'enceinte,  chevauchant  la  pente  depuis  le  sommet  du  plateau,  à 
proximité  du  rempart  almohade  de  Rabat,  jusqu'à  la  vallée  du  fleuve. 
Cette  enceinte  de  béton  fut  percée  de  trois  portes;  l'une  monumentale, 
sur  la  face  sud-ouest,  était  richement  décorée;  les  autres  avaient  des 
proportions  plus  modestes. 

Sur  la  porte  monumentale  court  un  bandeau  d'inscription  koû- 
fique  du  plus  haut  intérêt,  car  il  fournit  la  date  exacte  à  laquelle  ce 
travail  fut  accompli  :  l'enceinte  fut  terminée  à  la  fin  de 
dhoû  'I-hijja  739  (8  juillet  iSSg).  Or,  c'était  justement  l'époque  de 
la  plus  grande  puissance  d'Aboû  'l-Hasan   :  le  Maghrib  tout  entier 


(i)  Ibn   Kha-ldoûn,   IV,   p.    234-36. 

(2)    Cf.    infra,    la    description  du    sanctuaire. 


HISTOIRE  17 

lui  était  soumis,  Tiemcen  môme  était  tombée  deux  ans  auparavant; 
le  sultan,  libre  en  Afrique,  tournait  ses  regards  vers  l'Espagne  et  la 
guerre  sainte.  C'est  dans  l'année  qui  suit  celle  oii  fut  construite  cette 
imposante  muraille,  qu'Aboù  l-llasan,  pour  la  seconde  fois,  lançait 
contre  les  Chrétiens  son  fds  Aboû  Màlik.  Lorsque,  cette  même  année 
740,  après  la  désastreuse  issue  de  l'expédition,  le  souverain  ras 
sembla  pour  venger  son  fds  une  importante  armée  dont  il  devait 
prendre  lui-même  le  commandement,  l'ancien  ribât  servit-il  comme 
autrefois  à  sa  concentration?  La  date  des  travaux  entrepris  à  Chella 
permettrait  de  se  le  demander;  mais  rien  n'autorise  à  l'affirmer.  En 
tout  cas,  c'est  là  qu'il  fit  transporter  le  corps  de  son  fils  Aboû  Mâlik, 
du  moins  si  l'on  en  croit  le  consul  Ghénier,  à  l'époque  duquel  le 
tombeau  était  encore  visible  (1).  Dès  ce  moment,  Chella  était  rede- 
venue  la  nécropole  des  princes  mérinides,  le  champ  de  repos  des 
guerriers  pour  la  foi. 

En  mêime  temps  qu'il  enfermait  le  mausolée  de  ses  ancêtres  dans 
une  vaste  enceinte,  Aboû  '1-Uasan  s'occupait  de  restaurer,  d'embellir  et 
d'agrandir  le  sanctuaire,  pour  le  préparer  à  recevoir  d'autres  dépouil- 
les illustres.  Ces  restaurations  sont  notamment  visibles  au  minaret  : 
celui-ci  fut  presque  entièrement  reconstruit  à  cette  époque,  sur  les 
mêmes  bases  que  l'ancien.  Une  porte  nouvelle  donna  accès  à  la  mos- 
quée. Le  mur  qui  fermait  au  sud-ouest  le  sanctuaire  et  dont  il  reste 
encore  une  amorce  fut  démoli  pour  permettre  des  constructions  nou- 
velles. La  plus  importante  de  celles-ci  fut  une  seconde  mosquée,  dont 
l'oratoire  était  plus  spacieux  que  celui  de  l'autre  —  il  comprend  en 
effet  trois  travées  au  lieu  de  deux,  mais  son  sahn  est  plus  petit  —  (2) 
On  peut  s'expliquer  l'existence  de  cette  nouvelle  mosquée  à  côté  de 
la  première  :  on  en  trouve  d'autres  exemples  en  Afrique  du  Nord; 
mais  il  serait  peut-être  hasardeux  de  supposer  que  l'oratoire  de  la  pre- 
mière avait  été  désaffecté  et  transformé  en  chapelle  funéraire,  au 
moment  de  l'inhumation  d'Aboû  loûsof.  La  seule  preuve  —  bien  fai- 
ble à  la  vérité  —  pourrait  être  l'existence  d'une  décoration  de  plâtre. 


(i)   Chénier,  Recherches  historiques  sur  les  Maures,  Paris,   17S7,   III,   p.    287. 
(2)   Cf.   infra,   description   et  plan. 

HESPÉRIS.    —    T      II.     —     1922 


18  CHELLA 

dont  les  restes  subsistent  sur  chacune  des  parois.  Au  contraire,  la  mos- 
quée la  plus  récenlc  est  cxtrènienient  sobre,  sans  autre  décoration 
qu'une  coquille  ou  luie  rosace  de  chaque  côté  du  uiiliiàb.  Kilo  l'ut 
pourvue  d'un  minaret  de  petite  taille,  mais  d'une  chambre  d'ablu- 
tions relativement  spacieuse.  Aboû  '1-Uasan  construisit  aussi,  on  le. 
verra,  une  grande  salle  funéraire  enlre  les  deux  mosquées.  Et  pour 
lui-même,  il  prépara  un  mausolée  plus  somptueux  que  tous  les  au- 
tTCS  (i). 

Dans  la  nécropole  où  Aboû  'l-Hasan  avait  fait  déposer  les  restes  de 
son  fds  Aboù  Malik  et  qu'il  avait  disposée  pour  y  être  enseveli  lui- 
même,  d'autres  membres  de  sa  famille,  de  son  vivant,  furent  inhumés. 
L'une  de   ses    femmes,    Chams  e(]-(johà,    esclave    aUVanchic   d'origine 
chrétienne  et  mère  d'Aboû  'Inan  {•).),  morte  le  à  rajab  760  (18  «ep- 
tejmbre  iS/jg),  y  fut  transportée    et    enterrée  le  26  du  même  mois 
(9  octobre).  C'est  ce  que  nous  apprend  son  épitaphe,  une  de  celles 
qui  subsistent  encore  à  Chella.  Mais  ce  ne  fut  pas  sur  l'ordre  d'Aboû'  I- 
I.lasan.  A  cette  époque,  en  effet,  les  malheurs  avaient  commencé  à 
s'abattre  sur  lui.  Il  était,  en  Ifrîqîyya,  engagé  dans  une  série  de  cam- 
pagnes sans  issue,  et,  pendant  ce  temps,  le  Maroc  lui  avait  échappé. 
Dès  7^9,  sur  un  faux  bruit  de  la  mort  de  son  père,  Aboû  'Inân  Fâris 
s'était  proclamé  sultan  ;  dès  lors,  il  conserva  le  pouvoir.  Quand  Aboû  1- 
Hasan  revint  pour  le  lui  reprendre,  il  se  heurta  à  la  puissance  nouvelle 
de  son  fds,  et,  dans  les  luttes  qu'il  lui  livra,  il  fut  plus  souvent  un  fugitif 
qu'un  combattant  (3).  L'ensevelissement  de  Chams  ed-dohâ,  en  760,  fut 
donc  l'œuvre  d'Aboû   luàn,  qui,  sur  la  pierre  tombale  qu'il  fit  graver,  se 
donnait  déjà  les  titres  éminents  de  khalife  et  d'émir  des  croyants  (/»). 

Deux  ans  après,  Aboû  'l-Hasan  succombait  :  en  dernier  lieu,  il 
avait  dû  se  réfugier  dans  le  Grand  Atlas,  chez  les  Hintâta,  dont  le 
chef,    'Abd    el-  Azîz  ben    Mohammed  ben    'Alî,   lui  était  resté  fidèle. 


(1)  Cf.  Ibn  ('l-Xhatib,  Rciqrn  cl-holal,  Tunis,   i3(6,  p.  97   :    o.>S.^\    <x-si)\  ^  L^^  CU^Là^â 

(a)  Cf.  Ra^fdat  en-nisrin,  p.  23/79. 

(3)    Un    excellent      récit   de    cette      période     troublée  a  été     donné   par     Van    Bcrchcm, 
Titres    califiens   d'Occident,   in    Journal   Asiatique,    10®  série,   IX,    1907,   p.    3oC-3oS. 
(k)  Cf.   infra,  Ëpigraphie  historique,  inscription  n°   5. 


HISTOIRE  lô 

C'est  dans  cette  tribu  qu'il  mourut,  peut-être  empoisonné,  pendant 
la  niiil  du  lundi  au  mardi  27  rabî'  1  762  (2/i  mai  i3Gi)  (1).  Le  corps 
fut  descendu  vers  la  plaine.  Aboû  Inân,  campé  près  de  Marrakech, 
vint  à  la  rencontre  da  convoi  et  témoigna  ostensiblement  d'une  af- 
fliction peut-être  peu  sincère.  Il  rapporta  les  restes  de  son  père  dans 
la  capitale  du  Sud  et  leur  donna  une  sépulture  provisoire,  dans  la 
mosquée  d'el-Mansoùr,  en  face  de  l'oratoire  proprement  dit  (2),  Peu 
de  temps  après,  se  dirigeant  sur  Fès,  il  fit  transporter  dans  son  cor- 
tège la  dépouille  d'Aboû  'i-Hasan,  et,  à  son  passage  à  Rabat,  il  la  fit 
déposer  solennellement  dans  le  mausolée  que  le  sultan  défunt  avait 
préparé  pour  lui-même  (3).  Ce  devoir  accompli,  Aboù  Inân  se  ren- 
dit à  Fès  sans  tarder,  pour  y  organiser  une  expédition  contre  Tlem- 
cen,  dont  la  dynastie  était  redevenue  puissante  :  cette  campagne  fut 
couronnée  de  succès. 

Ces  soins  n'empêchaient  pas  le  nouveau  sultan  de  s'occuper  du 
tombeau  de  son  père.  En  755  (i354),  il  décidait  d'affecter  à  l'en- 
tretien du  mausolée  et  à  la  nourriture  des  pauvres  à  Chella,  les  reve- 
nus du  bain  public  nommé  el-l.Iauimàm  el-jadîd,  à  Rabat,  et  consignait 
cette  fondation  sur  une  table  de  marbre  dont  on  trouvera  le  texte  plus 
loin  (Epigraphie  historique,  n°  3). 

Mais  quelle  que  fût  la  piété  avec  laquelle  Aboû  Inân,  continuant 
l'œuvre  de  son  père,  entretenait  la  nécropole  de  ses  ancêtres  et  le 


(1)  Cette  date,  qui  figure  dans  l'épitaphe,  est  également  celle  que  donne  Ibn  el-Ahmar 
Rawilat  en-nisrin,  p.  21! ~&,  suivi  par  Ibn  el-Qàdî,  Jadhvat  el-iqlibâs,  p.  292  et  en- 
Nàsiri,  Kitâb  el-istiqsâ,  Qaire,  i3r>,  II,  p.  8'>,  qui  a  lu  lui-même  l'épitaphe.  Elle  semble 
devoir  être  adoptée  de  préférence  à  celle  du  23  rabî'  II  de  la  même  année  donnée  par 
Ibn  el-Khatîb,  Raqm  el-holal,  p.  ()6,  in  fine,  Ibn  Khaldoùn,  II,  p.  425-iv,  p.  291  et  ez-Zar- 
kachi,  Tà'rikh  ed-da^vlalàin,  Tunis,  ti86,  p.  71,  trad.  Fagnan,  in  Rec.  Soc.  arch.  Constan- 
tine,  189'!,  p.  159  —  et  à  celle  du  lî  rabi'  II,  donnée  par  Aboù  '1-Mahâsin,  en-A'^o/oûm 
ez-zihira,  trad.  partielle  Fagnan,  in  Rec.  Soc.  arch.  Constantine,  190!,  p.  878.  L'auteur 
d'el  llolal  el-ma^Kchiyya,  p.   i3^,  est  plus  près  de  la  vérité  (fin  de  rabî'  I). 

(2)  Cet  endroit  devint  par  la  suite  la  nécropole  des  sultans  sa'diens.  Cette  inhuma- 
tion provisoire  est  attestée  par  l'inscription  funéraire  de  Chella  (et  par  en-Nâsiri,  loc. 
cit.).  D'après  l'historiographe  impérial  Si  Mohammed  Ibn  'Ali  cd-Dokkàlî  es-Salâwî, 
la  première  pierre  tombale  d'Aboû  '1-Hasan  serait  toujours  en  place  au  mausolée  des 
ta'diens.  Ce  serait  une  mqàbriyya  de  pierre  bleue  portant  une  inscription  assez  fruste, 
avec   le    lieu  et  la  date  de  la  mort  du  sultan. 

(i)  Ces  renseignements  donnés  pour  la  plupart  par  Ibn  el-Khatib,  loc.  cil.,  sont  con- 
firmés par  la  stèle   funéraire  d'Aboû  '1-lIasan. 


20  CHEI.Î.A 

tombeau  d'Aboû  'l-llasan,  il  ne  devait  pas  lui-même  être  enseveli 
dans  cette  enceinte.  Lui  aussi  eut  une  fin  tragique,  au  milieu  des 
intrigues  et  des  révclutions  de  palais,  dans  les  derniers  jours  de  769 
(i358)  (i),  et  fut  enterré  dans  la  mosquée  de  Fès-la-Neuvc  (:>.). 

D'ailleurs,  à  partir  d'Abou  'l-Hasan,  aucun  des  souvcMains  nuM'i- 
nides  dont  nous  connaissons  le  lieu  de  sépulture,  ne  fut  enseveli  à 
Cliella.  Quatre  le  furent  à  Fès,  au  lieu  dit  el-()olla,  les  ()l)îi)àt  Bin' 
Mrin  d'aujourd'hui,  au  som^net  d'une  colline  qui  domine  Bab 
Gîsa  (3),  et  où  l'on  voil  encore  les  restes  du  mausolée  qui  fut  vrai- 
semblablement le  leur  :  \l)où  Sàlim  Ibràbîm,  lils  d'Aboû  'l-IIasau, 
mort  le  27  dhoù  '1-qa'da  7G3  (28  septembre  i36i)  (/j);  son  fds  Aboû 
'l-'Vbbàs  Ahmed,  (jui  y  fut  transporté  de  Taza,  où  il  était  mort  le 
7  moharram  7()()  (i:>.  novembre  1895)  (5);  deux  des  fils  de  ce  dernier, 
AboA  Fàris  Abd  el-'Azîz,  mort  le  8  safar  799  (11  novembre  1396)  et 
enterré  auprès  de  son  père  (6),  et  enfin  Aboû  'yVmir  'Abd  Allah,  mort 
le  3o  jomâdâ  II  800  (21  mars  iSgS)  (7).  Deux  furent  enterrés  dans 
la  mosquée  de  leur  palais,  c'est-à-dire  la  grande  mosquée  de  Fès-la- 
Neuve,  Aboû  Zaïvàu  Mohammed,  fils  d'Aboû  'Abd  er-Rahmàn  fils 
d'Aboû  'l-Hasan,  mort  le  22  dhoû  '1-hijja  767  (24  août  i366)  (8)  et 
son  oncle  et  successeur  Aboû  Fàris  'Abd  el-'Azîz  fils  d'y\.boû  'l-Hasan, 


(i)   Cf.   Ibn  Khaldoûn,  IV,  p.  317-18. 

(2)  Cf.  Ra^idal  en-nisrîn,  p.  l'ijXo,  Cf.  également  A.  Bel,  Inscr.  ar.  de  Fès,  p.  /i3-'|/i, 
El-Kallànî,  Salwat  cl-anfâs,  Fès,  i3i6,  III,  p.  22^,  spécifie  que  cette  sépulture  est  voisim* 
de  celle  du  traditionniste  Mohammed  bon  Mohammed  Ibn  Jozaï,  mort  en  7.')-  ou  j'^H 
(sur  lequel  cf.  ol-Kattânî,  op.  cit.,  IIÏ,  p.  222),  dans  une  chambre  adossée  aai  mur  orieo- 
tal  de  la  grande  mosquée  de  Fâs  el-jadîd.  Ce  texte,  que  M.  Bel  n'a  pas  utilisé,  semble 
devoir  infirmer  son  opinion  que  la  stèle  inérinide  anépigraphe  qu'il  a  relevée  dans  la 
Jâma'  el-gnâïz  est  probablomont  celle  d'Aboû   'Inàn. 

(3)  Cette  colline,  d'après  cl-kaltànî^  op.  cit.,  III,  p.  168,  i,  8,  porterait  le  nom  de  Jabal 
ez-za'faràn. 

(!\)  Cf.  Ibn  el-Ahmar,  Ra^yfjat  en-nisrin,  p.  27/86  ;  Ibn  el-Qâdî,  Jadhwat  el-iqlibds, 
p.  83;  el-Kattànî,  Salwat  el-anfâs,  III,  p.  168. 

(5)  Cf.  Ibn  el-Ahmar,  Ra^vilat  en-nisrin,  p.  36/99;  Ibn  el-'^^àdî,  Jadhwat  el-iqlibâs, 
p,  54;  el-Kattânî,  Salwat  el-anfâs,  III,  p.  166. 

(6)  Cf.  Ibn  el-Ahmar,  Rawffat  en-nisrin,  p.  37/101  ;  Ibn  el-Qàdî,  Jadhwat  el-iqtibâs, 
p.    289;    el-Kattânî,    Salwat  el-anfâs,    III,    p.   167. 

(7)  Seulement  d'après  el-Kattânî,  Salwiat  el-anfâs,  III,  p.  167.  Cet  auteur  croit  que  la 
coupole  funéraire  de  ce  sultan  est  colle  dont  les  restes  sont  connus  aujourd'hui  à  Fès  sous 
le  nom  de  Hammam  el-ghoùla. 

(8)  Cf.  Ibn  el-A'.imar,  Ravjat    en-nisrîn,  p.  2f)/*^9;   Ibn  el-Qàd",    Jadhnat  el-iqlibâs,  p.   il-. 


HISTOIRE  21 

mort  le  -ri  rabî'  II  77/i  (22  octobre  1372),  qui  y  fut  transporté  de 
ïlemcen  (i).  Un  autre,  enfin,  fut  enterré  à  Tanger,  où  il  fut  assassi- 
né :  c'était  un  petit-fîls  d'Aboû  T-I.Iasan,  Aboû  Zaïyàn  Mohammed 
ben  Aboû  T-Fadl  (2). 

S'il  est  ainsi  à  peu  près  établi  qu'aucun  sultan  mérinide  après 
Aboû  T-Hasan  ne  fut  enterré  à  Chella,  l'enceinte  put  cependant  re- 
cevoir encore  les  restes  de  quelques  membres  de  la  famille  royale  : 
ainsi,  ceux  du  prince  dont  la  stèle,  encore  inédite,  sera  étudiée  plus 
loin  (Épigraphie  historique,  n"  7).  Cette  mqâbrîyya  doit  provenir  de 
Tun  des  deux  mausolées  anciens  dont  les  vestiges  s'élèvent  sur  la 
pente  qui  domine  les  mosquées  (3),  ce  qui  laisse  à  penser  qu'à  cette 
époque  tardive,  on  n'enterrait  plus  dans  les  chapelles  funéraires  qui 
leur  étaient  attenantes.  En  plus  de  cette  pierre,  il  existe  encore  à 
Chella  plusieurs  autres  stèles  mérinides  :  l'une,  très  usée  et  recou- 
Vierte  de  chaux,  mais  présentant  des  traces  d'inscription  lisibles  sur 
une  face,  se  trouve  actuellement  en  dehors  de  la  khalwa  (épig.  hist., 
n°  8);  d'autres,  anépigraphes,  subsistent  en  entier  ou  en  partie  aux 
abords  immédiats  des  mosquées.  Bien  d'autres  encore  durent  dispa- 
raître, puisque  Léon  l'Africain,  qui  prétend  avoir  visité  le  sanctuaire 
en  l'année  916  H.  (lôog)  (4),  y  compta  trente  inscriptions  funéraires. 
Mais,  au  moment  où  le  voyageur  la  visita,  Chella,  depuis  un  siècle, 
était  déjà  bien  déchue  de  sa  splendeur. 


Ce  qu'elle  était  au  temps  de  cette  splendeur,  nous  pouvons  nous 
en  faire  quelque  idée.  La  nécropole  royale,  dont  les  tours  et  la  porte 
monumentale  se  dressaient  sur  l'ancien  camp  du  jihâd,  enfermtit 


(i)  Cf.  Ibn  el-Ahmar,  Rawdat  en-nisrîn,  p.  80/90,  Ibn  el-Qâdî,  Jadhwat  el-iqtihâs, 
p.  2(i8.  Il  est  à  remarquer  qu'cI-Kattânî,  dans  son  dictionnaire  des  notabilités  de  la  ville  de 
Fès,  ne  signale  pas  ces  deux  derniers  sultans. 

(2)  Cf.  Ibn  el-Ahmar.  Rawdat  en-nisrîn,  p.  35/98,  Ibn  el-QàrJî,  Jadhtat  el-iqtibâs, 
p.    i3i.    Il    avait   été   déposé  le    5    ramadan  789   (23   septembre   1387). 

(3)  Cette  stèle   se   trouve  en   effet   juste  au  pied    de   ces  chapelles, 

(4)  Léon,  in  Ramusio,  I,  29. 


22  CHELÏA 

à  rintérieur  de  ses  murs,  en  plus  des  chaprlles  liiiK'raircs,  deux  nu)^- 
quées,  une  source  captée  ix)iir  le  pavillon  d'ablutions,  et.  des  vergers. 
Le  visiteur,  en  franchissant  la  ^;rand(>  ])orle  clevée  par  Abon  M-i.lasan, 
avaii  devant,  lui,  au  bas  de  la  [)enle,  le  spectacle  du  uiinaii^  aux 
faïences  polychromes,  des  coupoles  décorées  abrilant  les  tombeaux 
des  sultans  mérinides.  D'un  coté  de  la  porte,  s'élevait  riiôtellerie  des- 
tinée aux  pèlerins;  à  divers  points  de  l'enceinte,  quelques  édifices 
devaient  servir  à  loger  les  frardiens  et  les  Iccleurs  du  sanctuaire. 

Pas  plus  qu'ils  ne  l'ont  fait  pour  les  autres  luouuincmts  élevés  par 
la  dynastie  m^érinide,  à  Fès  surtout.  l(>s  aiuialislrs  ou  les  biographes 
du  Maghrib  n'ont  lai.ssé  de  description  détaillée  de  Chella,  nécropole 
royale.  Cela  n'entre  pas  dans  leur  conception  de  l'histoire.  Tout  au 
plus  \mentionncnt-ils  la  construction  d'une  demeure  royale  ou  d'un 
édifice  public;  —  encore  ont-ils  passé  sous  silence  celle  de  Chella. 
Mais,  heureusement,  au  temps  même  de  son  éclat,  elle  eut  un  visi- 
teur de  marque,  homme  d'état  et  grand  écrivain  :  LisAn  cd-dîr»  Tbn 
el-Khatîb.    On   connaît  la  vie   uH^uvenuMilée  c\    la  fin   malheureuse   de 
ce  vizir,  qui,  né  à  Loja  en  7i3/i3i3,  fut  d'abord  au  service  du  prince 
de  Grenade  Aboû  'l-Uajj.aj  loûsof.  de  la  famille  des  Banoû  M-Alunar, 
puis  à  celui  de  son  successeur  Mohammed  V;  après  avoir  accompagné 
ce  souverain  dans  sa  fuite  au  Maroc,  il  rentra  à  Grenade  en  763/i3rv> 
et,  à  la  suite  d'un  complot  qui  fut  tramé  contre  lui  à  l'instigation  du 
secrétaire  Mohammed  Ibn  Zomrok,  dut  se  réfugier  à  Fès,  oi^i  il  fut 
assassiné  en  776/137/i  (i).   11  fut  pendant  toute  sa  carrière  en  rela- 
tions suivies  avec  les  sultans  mérinides  Aboû  '1-Ijasan,   Aboû  'Inàn, 
Aboû  Sâlim  et  'Abd  el-'Azîz  et  les  couvrit  d'éloges  dans  la  plupart  de 
ses    ouvrages.     Ceux-ci,    principalement    Vfhâta,    le    Raqm  el-holfil,     la 
Raïhânat   el-kottâb,   et  surtout  le  Nnfh-rt-tîh  d'el-Maqqari.  dont    la   plus 
grande  partie  est  consacrée  à  Lisàn  ed-dîn,  permettent  de  suivre  le 
■  ministre  pas  à  pas  dans  ses  différents  voyages  en  Afrique.  Il  séjourna 
à  Marrakech,  à  Meknès,  à  Fès,  à  Tlemcen;  mais  c'est  à  Salé  qu'il  de- 
meura le  plus  longtemps  et  qu'il  habita  même.  En  effet,  lorsqu'en 
761  (1359),  il  accompagna  le  roi  Mohammed  V  auprès  du  sultan  mé- 

(i)  Cf.  Ips  références  données  dans  E.   Lévi-Provcnçal,   Les  Historiens  des  Chorfa.    Paris, 
i9'2,  p.  229,  note  3. 


HISTOIRE  23 

rinide  Aboû  Sâlim,  il  demanda  à  ce  dernier  l'autorisation  de  parcou- 
rir le  Maroc.  A  la  fin  de  son  voyage,  il  voulut,  si  l'on  en  croit  ses 
propres  paroles,  accomplir  en  territoire  sacré  une  espèce  de  retraite, 
et  choisit,  pour  remplir  ce  pieux  devoir,  la  ville  de  Salé.  Son  but 
était  clair  :  par  des  visites  répétées  à  la  nécropole  de  la  dynastie  ré- 
gnant au  Maroc,  il  voulait  attirer  mieux  encore  sur  lui  les  faveurs 
d'Aboû  Sâlim  et  obtenir,  par  l'entremise  de  ce  souverain,  la  restitu- 
tion de  ses  biens  confisqués  en  Andalousie.  A  ce  moment,  son  talent 
littéraire  semble  surtout  s'être  exercé  à  la  composition  de  panégy- 
riques mérinides,  et  peut-être  spécialement  à  la"  glorification  du  sul- 
tan le  plus  pieux  de  la  famille,  Aboû  'l-Hasan,  celui-là  môme  qui 
avait  construit  Chella.  C'est  vraisemblablement  à  cette  époque  qu'il 
composa  la  longue  élégie  relative  à  ce  sultan,  que  l'on  trouve  insérée 
dans  le  commentaire  de  son  Raqm  el-holal  (i),  et  qui  renferme  des 
allusions,  à  vrai  dire  très  obscures,  à  la  nécropole,  commençant  par 
ce  vers  : 

«  Arrête-toi  au  bord  du  fleuve  sacré,  aux  rives  bien  défendues,  et 
gagne  le  mausolée  dont  les  visiteurs  voient  leurs  espérances  se  réa- 
liser...! »  (2) 

C'est  du  ribàt  de  Chella,  durant  ce  même  séjour  à  Salé,  qu'Ibn 
el-Khatîb  date  une  épître  qu'il  adresse  à  Aboû  Sâlim  ;  lui-même  en 
a  conservé  le  texte  dans  sa  Raihânat  ei-kottâb  :  cl-Maqqarî  Ta  repro- 
duite ensuite  dans  le  Nafh  et-tîb  (3).  L'historien  s'exprime  ainsi  au 
sujet  de  cette  lettre  :  «  Revenu  de  Marrakech,  Ibn  el-Khatîb  se  ren- 
((  dit  à  plusieurs  reprises  au  ribât  de  Chella,  cimetière  des  rois  mé- 
<(  rinides  —  parmi  lesquels  le  sultan  Aboû  'l-Hasan  —  pour  y  adres- 
«  ser  des  invocations  et  réciter  le  Qor'ân.  Il  visita  fréquemment  la 
«  nécropole  et  le  fit  savoir  au  sultan  Aboû  Sâlim,  en  lui  demandant 
<c  d'intercéder  en  sa  faveur  auprès  des  Andalous,  pour  qu'ils  lui  ren- 
«  dissent  ses  biens  confisqués  au  moment  de  sa  disgrâce.  »  La  let- 
tre, qu'el-Maqqarî  reproduit  ensuite,  est  d'une  fort  belle  tenue  lit- 
téraire et  renferme  d'assez  nombreuses  allusions  à  la  nécropole,  mal- 

(i)  P.   97-101. 

(2)  P.   98,  vers   23. 

(3)  Ed.  du  Caire,  i3o>.  III,  p.  îgjsqq.  —  Reproduite  par  en-Nàsirî,  Isliqsâ,  II,  p.   ^l'^  sqq . 


24  CIIKLLA 

hciireusoniont  noyéos  parmi  los  .mélaphores  el  l(\s  arlilicos  do  rluHo- 
riqiie  qu'cwigoait  alors  cl  qu'exige  encore,  chez  les  lettrés  ina^^^hrébins, 
remploi  de  la  prose  rimée.  Elle  est  datée  du  ii  rajah  76 1 
(28  mai  loTio).  Ihu  el-Khatîh,  (pii  la  (il  siiivi(»  do  (1(mi\  poèmes 
composes  respeclivemiMil  de  viugl  et  de  sept  \iir^,  l'adressa  à  Ahoû 
Sàlim,  qui  se  trouvait  alors  en  expédition  «dans  la  vallée  de 
la  Monlouya.  Il  y  couvrait  le  sultan  tles  plus  o^rands  éloges,  et,  [)()ur 
le  ilattcr,  associait  les  prirces  défunts  à  son  panégyrique.  Il  l'aver- 
tissait qu'il  s'était  spécialeinent  placé  sous  la  protection  de  son  père 
Ahoù  "l-T.lasau.  ])Our  rinqîiorer  dans  le  a  rihàl  héiii  de  Chella  », 
et  faisait  tenir  au  constructeur  de  la  nécropole  loul  un  discours  d'in- 
tercession en  sa  faveur.  Lui-même  ajoutait  cette  phrase  significa- 
tive :  <(  Le  caractère  sacré  {hornid)  de  Chella  est  bien  connu.  A  Dieu 
»  ne  plaise  que  les  gens  de  l'Andalousie  ne  veuillent  y  porter  at- 
«  teinte!  » 

Le  2^  rajah,  Ahoû  Salim  lui  adressa  une  réponse  favorable  et 
donna  des  ordres  pour  que  les  biens  de  Lisàn  ed-dîn  lui  fussent 
restitués.  Le  vizir  andalou,  toujours  du  rihàl  de  Chella,  lui  envoya 
une  lettre  de  remercie/ments  dont  on  a  conservé  le  texte  :  il  y  pré- 
tend qu'au  reçu  de  la  lettre  d'Aboû  Salim,  il  alla  se  prosterner  de- 
vant le  tombeau  d'Aboù  'l-Ilasan  pour  lui  témoigner  sa  reconnais- 
sance et  pria  les  lolba  de  l'endroit  de  réciter  avec  lui  dans  le  sanc- 
tuaire des  fragments  du  Qor'an  (i). 

Ces  lettres,  fort  intéressantes  pour  rhistoire  d'Ihn  el-Khalîb, 
ne  sont  pas  les  seules  011  il  parle  du  mausolée  d'Aboû  'l-IIa- 
san  et  de  Chella.  Grâce  à  ces  indications  éparses  dans  ses  œuvres 
et  dans  sa  correspondance  (2),  on  a  quelques  données  sur  la  nécro- 
pole royale  à  l'époque  à  laquelle  il  y  séjourna.  A  l'intérieur  des 
jardins  qui  couvraient  la  plus  grande  partie  du  ribât,  le  sanctuaire, 
composé  des  deux  mosquées  et  de  leurs  chapelles   funéraires,  était 


(i)  Cf.  el-Maqqarî,  Nafh  et-tîb,  III,  loc.  cit.,  et  en-Nàsirî,  Istiqsâ,  II,  p.   ii8. 

(2)  Cf.  notamment  un  court  passage  du  Mi'yâr  el-ikhtiyàr,  description  géographique  en 
prose  rimée  (imprimé  à  Fès,  chez  Ahmed  lomnî,  i355\  p.  4'i>  reproduit  par  en-Nàsirî,  Istiqsâ, 
II,  p.  ir3.  Malgré  un  fatras  de  rhétorique  qui  rend  impossible  toute  traduction  à  la  lettre, 
on  en  peut  dégager  des  renseignements  assez  précis  qui  confirment  ceux  qu'Ibn  el-Khatîb 
donne  dans  sa  correspondance  lors  de  son  séjour  à  Salé. 


HISTOIRE  25 

dans  tout  son  éclat.  Les  ors  y  resplendissaient  auprès  des 
marbres  polychromes,  les  revêtements  de  plâtre  et  d,e  faïien<;e 
n'avaient  pas  commencé  à  s'effriter.  Tout  était  soigneusement  en- 
tretenu. La  tombe  d'Aboù  '1-Hasan,  qui,  à  cette  époque,  apparais- 
sait  comme  le  plus  vénéré  des  souverains  qui  dormaient  là,  fût-ce 
Aboû  loiisof  ou  Aboû  la'qoûb,  était,  dans  sa  chapelle  funéraire,  recou- 
'1  verte  d'un  large  fragment  de  rétoffe  qui,  pendant  uïic  année,  avait 

voilé  la  Ka'ba  de  la  Mekke.  Des  clercs,  jour  et  nuit,  y  récitaient  le 
Qor'àn  et  des  invocations  :  leur  entretien  était  assuré  à  l'aide  de  la 
fondation  constituée  par  Aboû  Inân.  Les  biens  de  mainmorte  du 
sanctuaire  comprenaient  aussi  de  magnifiques  exemplaires  du  Livre 
sacré,  enrichis  d'enluminures  et  semblables  à  ceux  que  les  sultans 
mérinides  ou  zaïyànides  de  ce  siècle  copiaient  de  leur  main  et  consa- 
craient dans  les  villes  saintes    (i), 

La  nécropole  des  grands  souverains  de  la  dynastie  régnante  était 
un  asile,  un  lieu  de  pèlerinage  renommé.  Ibn  el-Khatîb  s'y  réfugiait 
pour  obtenir  les  faveurs  des  fils  d'Aboû  '1-Hasan.  Mais  beaucoup  d'au- 
tres devaient  venir  auprès  de  la  sépulture  de  ces  mojâhidîn,  pour  de- 
mander le  secours  de  leur  intercession  auprès  d'Allah,  et,  comme 
du  tombeau  de  tous  les  isaints,  remporter  quelque  parcelle  de  baraka. 
Les  princes  mérinides,  comme  leur  ancêtre  Abd  el-Haqq,  qui,  même 
de  son  vivant,  était,  aux  yeux  de  la  foule,  investi  d'un 
pouvoir  miraculeux  (2),  étaient  après  leur  mort  révérés  comme  des 
saints  (3).  Deux  fois  par  an,  à  des  dates  régulières,  un  mawsiin 
se  célébrait  aux  alentours.  Comme  toutes  les  réunions  de  ce  genre, 
c'était  à  la  fois  un  pèlerinage  et  une  foire. 

Ses  origines  étaient  peut-être  assez  anciennes.  Dans  toute  la  partie 
supérieure  de  l'enceinte  d'Aboû  '1-Hasan  —  aux  environs  de  la  grande 


(i)  Cf.  pour  Aboû  l-Hasan,  Ibn  Khaldoùn,  texte,  II,  p.  3')'î-()^.  Cf.  aussi  E.  Lévi-Proven- 
çal,  Note  sur  un  (Qor'àn  royal  du  XIV'  siècle,  in  Hespéris,  tome  I,   19».  s  pp.  83-8fi. 

(2)  Cf.  Qirtâs,  p.   191. 

(3)  Aboû  1-Hasan  bénéficia  même  d'un  recueil  de  manàqih,  que  l'auteur,  le  célèbre 
Ibn  Marzoùq,  intitula  Kitâh  el-mosnad  es-sahih  el-hasan  fi  manâqib  sayyidinâ  Abi 
'l-Hasan.  Cet  ouvrage  semble  malheureusement  perdu,  bien  qu'il  figure  parmi  les  sources 
qu'en-Nàsirî  mit  à  contribution  pour  la  composition  de  son  Kilâb  el-istiqsâ.  C'est  à  lui 
qu'Ibn  el-Ahmar  f ait  probablement  allusion  dans  la  Rawdat  en-nisn'n,  p.  8/54.  Cf.  également 
G.  Marçais,  introduction,  p.  xiv. 


26  GIIELLA 

porte  —  le  béton  des  remparts  comprend  une  très  forte  proportion 
de  tessons  de  poterie  :  on  en  peut  conclure  qu'à  ré[>oque  oii  ces  rem- 
parts furent  consiniils,  le  sol,  en  cet  endroit,  était  jonché  de  débris 
de  poteries  grossières,  comme  on  en  trouve  en  tout  emplacement  de 
marché.  L'endroit,  d'ailleurs,  se  prêtait  fort  bien  à  la  tenue  d'un 
soùq  :  c'était  devant  la  porte  dite  Bàb  el-l.iadîd,  percée  dans  l'enceinte 
almohade  de  Rabat;  aujourd'hui  encore,  c'est  en  dehors  des  portes, 
en  plein  air,  que  se  tiennent  les  marchés  hebdomadaires  des  villes 
marocaines. 

L'existence  des  deux  foires  annuelles  de  Cliella  est  attestée  par  nne 
indication  que  contient  le  Kitâb  er-rasaïl  cl-kobrâ  (i),  écrit  par  le 
jurisconsulte  marocain  Mahammed  Ibn  'Ahbad,  qui  vivait  au 
VHi°  siècle  de  rilégire  (2)  :  «  L'affluence  à  la  foiie  de  Chella,  dit  cel 
auteur,  est  passée  en  proverbe  :  en  effet,  à  r('']ioque  où  elle  se  tenait 
deux  fois  par  an,  à  date  fixe,  on  n'y  pouvait  rien  entendre,  tant  il 
y  avait  de  cris  et  de  bruit.  Du  moins  en  était-il  ainsi  au  temps  passé, 
car,  aujourd'hui,  ce  n'est  plus  qu'un  soûq  rural  (soûq  el-ghobâr)  de 
peu  d'importance,  tel  qu'on  en  trouve  dans  la  campagne.  »  Dans  sa 
Maqâmat  el-holdân,  ou  «  séance  »  géographique  à  la  manière  d'el- 
Harîrî,  Ibn  el-Khalîb  a,  lui  aussi,  consacré  quelques  lignes  à  ce  mar- 
ché, en  insistant  surtout  sur  les  bateleurs  qui  s'y  trouvaient.  11 
avait  lieu  sans  doute  alors  à  l'extérieur  aussi  bien  qu'à  l'intérieur  de 
l'enceinte,  sur  l'éperon  qui  domine  la  vallée  du  Boû  Regreg  :  c'était 
l'un  de  ces  soûq  el-ghobâr  du  Moyen-Age,  dont  la  pittoresque  déno- 
mination s'est  perdue. 

C.    DÉCADENCE    ET    RUINE. 

La  première  moitié  du  xv^  siècle  fut  pour  le  Maroc  une  époque 
particulièrement  troublée.  En  1/120  (828  h.),  l'assassinat  de  l'avant- 
dernier  souverain  mériuide,  Aboû  Sa'ïd  'Othmân,  qui  lui-même  avait 
passé  tout  son  règne  au  milieu  des  compétitions,  ouvrait  encore  une 

(i)  Édition  lithographiée  de  Fès,   iSao,  p.   ii6. 

(2)    Mort    en    792    (iSgo).    Cf.    E.    Lévi-Provençal,    Les    Historiens    des    Chorfa,    p.    3t4- 
note   6. 


HISTOIRE  27 

période  d'anarchie  plus  intense.  Aboû  Zakarîyyâ'  lahiâ  el-Wattàsî, 
gouverneur  de  Salé,  proclama  'Abd  el-IIaqq,  fils  du  souverain,  un 
enfant  d'un  an.  II  réussit  à  le  faire  reconnaître  et  régna  plus  tard 
sous  son  nom,  mais  ce  ne  fut  pas  sans  de  longues  années  de  luttes 
contre  de  nombreux  prétendants.  L'un  d'entre  eux,  qui  nous  est 
connu  seulement  par  la  description  de  Meknès  d'Ibn  Ghâzî  intitulée 
er-Rawd  el-hatoûn  (i),  s'appelait  Ahmed  el-Lihiànî,  des  Banoû  Our- 
tâjin,  cousins  des  Banoû  Marin  :  il  se  maintint  à  Meknès  «  une 
vingtaine  d'années,  pendant  les  troisième  et  quatrième  décades  du 
ix^  siècle  (1417-37)  ».  Il  parvint  même  jusqu'aux  Deux-Rives  (2), 
fief  d'Aboû  Zakarîyyâ'.  Ces  événements  furent  fatals  à  Chella  :  de 
là  date  sa  ruine. 

C'est  un  point  sur  lequel  nous  sommes  renseignés  par  un  passage 
à'el-Miyâr  el-morib  du  jurisconsulte  el-Wancharîsî,  qui  reproduit 
in-extenso  (3)  le  texte  d'une  consultation  demandée,  au  nom  du  sul- 
tan 'Abd  el-Haqq,  au  juriste  Mohammed  ben  Qâsim  el-Qaw^rî  -(/i). 
Cette  «  question  »  nous  révèle  qu  Ahmed  el-Lihiànî,  s'étant  emparé 
de  la  nécropole,  la  pilla,  enleva  les  objets  précieux  et  fit  main-basse 
sur  les  exemplaires  du  Qor'àn  qui  y  avaient  été  consacrés.  Après  la 
défaite  du  rebelle  par  Aboû  Zakarîyyà\  on  retrouva  ces  livres  dans  sa 
maison  de  Meknès,  et  la  considtation  du  Mérinide  avait  justement 
pour  but  de  savoir  quelle  destination  légale  pouvaient  recevoir  ces 
volumes  recouvrés  et  déposés,  en  attendant,  au  palais  royal  de  Fès. 
Il  ne  fut  pas  question  de  les  replacer  à  Chella  :  dans  sa  réponse,  le 
juriste  el-QaAvrî  conseilla  de  les  affecter  à  des  bibliothèques  de  mos- 
quées ou  d'en  employer  la  valeur  à  des  œuvres  charitables, 

La  ruine  de  Chella  était  définitive  :  peut-être  le  sacrilège  d'Ahmed 
el-Lihiànî  n'avait-il    fait  que   l'achever.    Si  ce  personnage  n'avait  pas 

(i)  Édition  lithographiée  de  Fès,  1826,  p.  i5;  traduction  Houdas,  Monographie  de  Mé- 
quinez,  in  Journal  Asiatique,  8*  série,  t.  V,  Paris,  i885,  p.  i44.  Cf.  aussi,  ibia.,  p.  11 
du  texte  et  i33  de  la  trad. 

(2)  Nous  ne  saurions  dire  si  ce  fut  une  simple  incursion  ou  s'il  s'empara  réellement  de 
Rabat   et    de    Salé. 

(3)  Danis  la  partie  de  son  ouvrage  relative  à  la  jurisprudence  des  biens  de  mainmorte 
{runvâzil  el-ahbâs),  t.  VII  de  l'édition  lithographiée  de  Fès,  l'îi'i,  pp.  n-ro. 

(4)  Sur  ce  personnage,  oui  mourut  à  Fès  on  872  fi/tCiS),  cf.  F.  Lévi-Provenç^l,  les  His- 
toriens des    Chorfa,    p.    225,    note    4- 


28  CHELLA 

hésité  à  profaner  une  n€CW[>ole  uni  n'rlnit  pas  ccMo  i\c  ses  ancêtres, 
les  derniers  Morinides  semblent  n'avoir  eu  pour  elle  (piiine  vénéra- 
tion modérée  :  depuis  longtemps,  ils  ne  s'y  faisaient  ])liis  enterrer. 
Nous  ne  voyons  point  que  'Ahd  el-llaqq  ait  fait  quoique  tentative  pour 
la  relever.  Au  reste,  il  passa  presque  toute  sa  vie  sous  la  régence  des 
Banoû  Wattàs,  qui,  eux  non  plus,  n'avaient  pas  inlércM  à  glorifier 
les  grands  souverains  mérinides.  Si  Chella,  aux  yeux  de  la  foule, 
garda  sa  valeur  de  sanctuaire,  le  culte  officiel,  dès  cette  époque,  n'y 
fut  plus  célébré.  La  même  vénération  demeura  attachée  aux  tom- 
beaux, mais  son  objet  peu  à  peu  se  modifiait  :  les  souverains  et  les 
princes  s'effaçaient  devant  les  saints.  Aboû  loûsof  la'qoûb  devint 
Moulai  la'qoùb.  Dès  ce  moment,  la  nécropole  commença  à  abriter 
les  dépouilles  de  personnages  de  Rabat  désireux  d'obtenir  pour  leur 
vie  future  l'intercession  des  saints  du  ribàl.  Cette  pratique,  jusqu'à 
nos  jours,  s'est  perpétuée.  Chella  est  maintenant  jonchée  de  pierres 
tombales  et  de  tertres  qui  datent  de  tous  les  derniers  siècles. 

Mais  l'en'Oeinte  restait  debout;  elle  conservait  ou  prenait  même 
quelque  valeur  militaire.  Nous  sommes  bien  mal  renseignés  sur  son 
histoire  au  cours  de  la  période  moderne.  A  certains  indices,  il  semble 
qu'au  xvif  et  au  xvin'  siècle  on  y  ait  placé  quelques  soldats  :  sans 
doute,  avaient-ils  pour  mission  d'empêcher  que  cette  enceinte,  aux 
portes  de  Rabat,  ne  servît  de  repaire  aux  pillards  de  la  campagne 
environnante.  C'est  à  ces  soldats  qu'il  faut  vraisemblablement  attri 
huer  les  graffiti  de  la  grande  porte,  qui  représentent  des  vaisseaux 
de  ces  deux  siècles  (i).  11  est  probable  que,  sous  cette  protection, 
l'intérieur  de  l'enceinte  renfermait  des  champs  et  des  vergers,  comme 
il  s'en  trouve  encore  aujourd'hui. 

La  prudence  qui  faisait  garder  ces  remparts  n'était  pas  sans  fonde- 
ment. A  la  fin  du  xviii®  siècle,  sous  le  règne  de  Moulai  el-Iazîd,  si 
l'on  en  croit  l'historien  Mohammed  ed-Uo'ayyîf  de  Rabat,  qui  vivait 
à  cette  époque  (2),  la  tribu  arabe  des   Sabbâh,  qui  dévastait  les  envi- 

(i)   Cf.   infra,   Description   de   la  porte   monumentale,   et  J.    Campardou   et   Henri   Basset, 
Graffiti    de    Chella,  in    Hespéris,    t.    I,    1921.  pp.    87-90. 

(2)    Sur  cet   historien,   cf.    E.    Lévi-Provençal,    les    Histûriens    des    Chorfa,    pp.    2i3-2i',5 
Le  même  événement  fut  aussi  rapporté  dans  un  opuscule  historique  dû  à  la  plume  d'uij 
savant  de  Salé,  'Abd  el-Qàdir  ben  el-Hâjj  el-Khayyât  el-Jo'aïdî. 


HISTOIRE  29 

rons  de  Rabat  et  coupait  toutes  les  routes,  n'avait  point  eu  de  peine 
à  subjuguer  les  cultivateurs  qui  se  trouvaient  dans  l'enceinte  et  avait 
fait  de  Chella  une  forteresse,  oii  elle  rassemblait  tous  les  produits 
de  ses  pillages.  Les  tribus  de  la  région  de  Rabat  avaient  vainement 
essayé  de  mettre  fin  à  cette  situation  :  le  sultan  Moulaï  el-Iazîd  dut 
préparer  une  expédition  pour  les  réduire.  Il  réunit  une  armée  à  Salé; 
sous  les  ordres  du  gouvemeur  de  cette  ville,  Aboû  la'zâ  el-Qastâlî,  elle 
passa  le  Boù  Regreg  le  17  rabî'  I  i2o5  (24  novembre  1790),  et,  ie 
même  jour,  défit  complètement  les  Sabbàh.  Le  lendemain,  elle  força 
les  portes  de  Chella,  et  le  gouverneur  el-Qastâlî  abandonna  aux  'Abîd 
le  butin  qu'ils  y  pourraient  faire.  «  Ils  trouvèrent  là,  dit  ed-Do'ayyîf, 
«  des  chameaux,  des  bœufs,  des  moutons,  des  pièces  de  velours,  des 
«  tapis,  des  objets  de  cuivre,  du  grain  et  mêime  des  nègres  et  des 
«  négresses.  »  Ils  démolirent  les  habitations  et  s'emparèrent  de  ce 
qui  s'y  trouvait;  mais  ils  ne  s'en  contentèrent  pas.  Ils  creusèrent  le 
sol,  dit  le  chroniqueur,  devant  le  mausolée  de  Sidi  lalnâ  et  ne  res- 
pectèrent pas  les  chambres  funéraires.  On  devine  que,  comme  les 
gens  d'aujourd'hui,  ils  étaient  hantés  par  l'idée  des  trésors  que  les 
ruines  devaient  contenir.  Le  sac  de  Chella  émut  profondément  les 
habitants  des  Deux-Rives,  et  ils  virent  un  châtiment  de  ce  sacrilège 
dans  le  supplice  d'el-Qastàlî,  que  Moulaï  Solaïmàn  fit  pendre  cinq 
ans  plus  tard,  à  Bâb  el-khabbâz,  l'une  des  portes  de  Salé. 

Malgré  ces  déprédations  successives,  le  sanctuaire  fit  grande  im- 
pression sur  Ali  Bey  qui  visita  Chella  quelques  années  plus  tard  (i). 
Il  y  vit  un  grand  concours  de  pèlerins  :  peut-être  était-ce  un  jour  de 
fête,  et  l'on  sait  d'ailleurs  combien  le  voyageur  espagnol  était  porté 
à  l'exagération.  Du  moins,  sa  description  nous  prouve-t-elle  que  la 
vénération  populaire  était  toujours  aussi  grande  :  à  ce  moarient, 
l'enceinte  abritait  déjà  sans  doute  les  mêmes  saints  qu'aujourd'hui, 
et  les  mêmes  cultes,  plus  païens  qu'orthodoxes,  s'y  devaient  célé- 
brer. Les  mosquées  et  les  tombeaux  oonstituaient  un  horm  pour  les 
non-musulmans.    Ni   Hôst    (2),    ni   Chénier   (3),   au   siècle   précédent, 

(i)  Ali  Bey  el-Abbasi,   Voyages,  Paris,   i8i4,   I,  p-   227. 

(2)  Nachnchten  von  Marokos  und  Fes,  éd.  ail.,  Copenhagne,  1707,  p.  82. 

(3)  Pxech.   hist.,  t.  III,  p.   3i. 


30  CHKiXA 

n'y  avaient  pu  pénétrer,  et  il  en  fut  ainsi  durant  le  xix'  siècle.  Cepen- 
dant, au  cours  de  ses  dernières  années,  à  mesure  que  les  mosquées 
se  ruinaient  davantage,  les  barrières  du  horm  s'ouvraient  plus  facile- 
ment. L'accès,  aujourd'hui,  en  est  libre. 


Voilà  ce  qu'à  l'heure  actuelle,  on  peut  savoir  de  liiistoire  du  cime- 
tière royal  des  Mérinides,  telle  qu'elle  est  écrite  dans  les  chroniques 
et  sur  le  terrain.  C'est  assurément  peu  de  chose.  C'est  assez  cepen- 
dant pcmr  permettre  d'en  démêler  les  grandes  lignes  :  un  sanctuaire, 
d'abord  étroit,  construit  pour  abriter  son  tombeau  et  celui  des  siens 
par  le  premier  des  grands  mojàhidin  mérinides;  puis,  conçue  sur  ur; 
vaste  plan  par  Aboû  "1  Masan,  une  nécropole  scunptueuse,  digne  de 
la  dynastie  qui  allait  prétendre  au  titre  éminent  des  khalifes,  une 
oeuvre  d'art  et  ime  œuvre  pieuse,  comme  celles  qu'elle  éleva  à  Fès, 
à  Tlemcen,  à  Meknès,  à  Salé;  quelques  années  de  splendeur;  enfin, 
comme  il  advint  de  toute  chose  au  Maghrib,  ce  furent  bientôt  l'aban- 
don et  la  ruine,  hâtés  par  des  pillages  et  des  profanations. 


ÉPIGRAPHIE  HISTORIQUE  31 

II 
ÉPIGRAPHIE    HISTORIQUE 

A.  —  Inscriptions  dédicatoires. 
I .  — Bandeaux  épigraphiqaes  de  la  porte  monumentale.  Caractères  koûfiques  (i). 

ÏjLssu--;  ivTrt^^^j  ^*~''''  f*'-^  ^    '  v«5"^j^^  >^  i>  c.LàJ!     ,1^  c^f^  *^^  -^^  ■  «i^^  >-^-^  ,.f} 

Tr\ductiox.  —  Je  cherche  refuge  auprès  d'Allah  contre  Satan  le  lapidé!  Au  nom 
d'Allah,  le  Clément,  le  Miséricordieux  !  Qu'Allah  inspire  des  prières  pour  notre  Sei- 
gneur Mohammed  et  sa  famille,  et  qu'il  leur  accorde  le  salut  ! 

Cette  construction  a  été  ordonnée  par  notre  Maître  le  Sultan,  l'Émir  des  Musul- 
mans, Aboû  '1-Hasan,  [fils  de  notre  Maître  le  Sultan  sanctifié,  l'objet  de  la  misé- 
ricorde divine,  l'Emir  des  Musulmans,  Aboû  Sa'ïd,  fils  de  notre  Maître  le  Sultan] 
sanctifié,  l'objet  de  la  miséricorde  divine,  Aboû  loûsof,  fils  de  "Abd  el-Haqq.  Qu'Allah 
éternise  leur  empire  !  Cette  construction  fut  terminée  à  la  fin  de  dhoû  '1-hijja  de 
l'an  789. 

Cette  dernière  date  correspond  au  8  juillet  iSSg. 


2.  —  Bandeaux  épigraphiques  de  la  face  externe  de   la    chapelle  funéraire 
d'Aboù  'l-Hasan.  Écriture  monumentale  andalouse. 

(Ces  bandeaux  courent  au-dessus  d'autres  bandeaux  en  koûfique, 
qui  n'ont  qu'un  but  propitiatoire  et  un  intérêt  artistique  :  le  texte 
en  sera  donné  dans  la  description  de  la  chapelle  funéraire  d'Aboû 


(i)  On  trouvera  la  reprcxiuction  de  la  fin  de  celte  inscription  infra,  Ecriture. 

(2)  A  partir  d'ici  jusqu'à  la  fin  du  bandeau  horizontal,  rinscription  Q  été  très  dé- 
gradée et  sa  Jocture  a  été  fort  difficile.  La  restitution  proposée  ne  saurait  être  donnée 
comme  certaine,  mais  à  l'examen  minutieux  du  champ  épigraphique,  elle  apparaît  comme 
la  pins  probable. 

(3)  La  lecture  de  ce  qui  suit  (bandeau  vertical  descendant,  bien  conservé,  et  représente 
infra)  redevient,  jusqu'à  la  fin,  à  tout  à  fait  certaine. 


32 


CIIEM,A 


'l-IIasan.  On  Iroiivera  o^^^alenicnl  infra,  Erriliiro,  la  reproduction  d'inu' 
parlie  de  la  présente  inscription.) 

,..!   AïU-ii   Jj>'^)l   JUI    Lx^V     ,'lUJI  l.^J..  ir,Lll  LiM  ïi^,   .,]    iii   J.iL)l 
^j^l!  A.U-M  JjLxJi  J^^J'  ^,II=IJI    li^î^..  ^>\    ^,A\  y_\  ^,.xM  ^^Jj^.  ^,lJj 

i.^11    J.^Uii   l^y 

Traduction.  —  La  durée  appartient  à  vVllali!  A  ordonné  (la  construction  de)  cette 
coupole  bénie  notre  Maître  le  Sultan,  le  très  illustre,  le  saint,  le  juste,  le  inojàhid, 
fÉniir  des  Musulmans  et  le  Défenseur  de  la  Religion,  Aboii  '1-llasan,  fils  de  notre 
Maître  le  Sultan,  le  très  illustre,  le  pieux,  le  juste,  le  mojàhid,  le  sanctifié,  l'objet 
de  la  miséricorde  divine,  l'Kniir  des  Musulmans  et  le  Défenseur  de  la  Religion, 
Aboù  Sa'ïd,  (ils  du  Sultan  le  très  illustre.  Aboù  loAsof  lacioùb  fils  de  'Abd  el-llaqq, 
auprès  de  ces  tombeaux  bien  gardés.  Qu'Allab  lui  réserve  la  plus  belle  des  rétribu- 
tions !  Qu'Allah  le  dirige  et  qu'il  le  place !  Qu'Allah  accorde  à  notre  Maître  le 

profit  de  ses  grands  desseins  ! 


3.  —  Table  des  hobods  du  tombeau  dWbod  't-Hasan.  —  (lonscrvce  à  la  Grande 
Mosquée  de  Rabat  (jâmi'  el-kharrâzîn),  encastrée  sur  le  côté  gauche  de  l'ou- 
verture donnant  accès  du  sahn  dans  l'oratoire  (i). 

Plaque  de  marbre  quadrangulaire  de  o'",65  de  longueur  sur  o'",:;5 
de  largeur.  Le  chaimp  épigraphique  est  entouré  d'un  encadrement  de 
2  centimètres  de  largeur. 

»         J^4^   À^'^  iiJLil    UbJy   i-w.a.  l^   SJ^j    éii   ^.4^\ 


jx  y^^  ,^  j.»Us:i]  (•'r'!.?-^'  j':!'^    '^^   \^ 


^V  <j'}  o^ 


u- 


\\x]\ 


(i)  Nous  devons  la  copie  de  cette  inscription,  ainsi  que  la  description  de  la  pierre  à 
Si  Mohammed  Ibn  'Ali  ed-Dolvkàlî  es-Salâwi.  L'accès  des  mosquées  étant,  comme  l'on 
sait,   interdit  aux   Européeas  au  Maroc,   nous  n'avons    pu    voir    nous-mêmes    cette    pierre. 


ÉPIGRAPIIIE  IIISTOUIQUE  33 

Js-jy  Jo^4-'   ^U^l    il>»l    j^'bV    .^    ^  ioiljj 
>.=i^  Ji    lj_5y   ^  ,^      ic    iiil   i^^2>.   ^>txà3î 

ij^  *wi  ^_4y  ijL«ju««*^-  ^~.*.^j  A.t>y- 

Traduction. 

La  louange  n'appartient  qu'à  Allah  ! 

Parmi  les  fondations  pieuses  établies  par  notre  Maître  le  Khalife  el-mota- 
wakkil 

'alâ  'llah  (celui  qui  met  sa  confiance  en  Allah),  l'Émir  des  Croyants,  le 
Combattant  pour  la  Foi  dans  la  Voie 

du  Maître   des  Mondes,  Aboû     Inân,  fils  de  notre  Maître,    l'Émir  des 
Musulmans, 
4  le' Combattant  pour  la  Foi  dans  la  Voie  du  Maître  des  Mondes,  Aboû 

'1-Hasan, 

fils  de  notre  Maître,  l'Emir  des  Musulmans,  le  Combattant  pour  la  Foi 
dans  la  Voie  du  Maître  des  Mondes,  Aboû  Sa'ïd,  fils  de  notre  Maître  l'Émir 

des  Musulmans,  le   Combattant  pour  la  Foi  dans  la  Voie  du  Maître  des 
Mondes, 
8  Abovi  loûsof  la'qoûb  fils  de  'Abd  el-Haqq  —  veuille  Allah  accepter  son 

dessein 

et  exaucer  son  espoir  pour  la  victoire  de  l'Islâm  !  —  se  trouve  le  bain 
neuf  (el-llammàm  el-jadîd  ,  qui  est  au  Ribât 

el-fath  iqu 'Allah  le  protège!  ,  (bain  dont  les  revenus  seront  affectés)  à 
l'entretien  du  tombeau  de  notre  Maître,  l'objet  de  la  miséricorde  divine, 
12  son  père  —  qu'Allah  lui  témoigne  son  agrément!  —  et  à  la  nourriture 

des  pauvres  à  Challa  —  qu'Allah  la  fasse  prospérer!  —  ;  ce  (legs  fut  établi) 
en  l'année  755.  Qu'Allah  nous  rende  cette  année  favorable! 

L'année  755  H.  correspond  à  la  période  comprise  entre  le  26  jan- 
vier i354  et  le  i5  janvier  i355. 


1922. 


34 


CHELLA 


B. 


Inscriptions  finéuaires. 


^.  —  Fragment  de  niqâhriyyii  en  iiuirbrc,  irpn'seiitanl  L't'xlrétnilr  de  </aiiclu'  de 
1(1  st(^lr..  Conscrv*'  aupri^s  de  la  inqàbriyya  n'>  5  (Planche  i). 

Longueur  ;  o'°,59.  —  Largeur  à  la  base  :  o'",2r).  —  Hauteur  : 
o"',20.  —  Hauteur  du  cha;inp  épigraphique  sur  chacune  des  faces  : 
o"',o85.  --  Deux  lignes  d'écriture  sur  chaque  lace.  —  ('caractères  cur- 
sil's  très  dégradés. 

Face  antérieure  (i)  : 


Ligne  i 


Ligne  i 


Face  postérieure 
Ligne  3   : 

Ligne  4  * 


.jjb  l^ 


î^sss.]    «L^y  ijy^-^  jJ.Lil  Uj»i.^aj 


Traduction. 

d'elle,  sur  l'ordre  de 

le  pieux,  celui  qui  craiat  \llah.  le  très  pur,  l'Émir  des  Musulmans,  le  Combattant 

pour  la  Foi  dans  la  Voie  du  Maître  des  Mondes,  Aboû  l-Hasan,  fils  des  khalifes 
qui  [suivirent  le  droit  chemin].... 

dans  leur  palais  (à  eux  deux)  béni,   à  la  Mansoûra  de 

Tlemcen  la  Neuve 


5.    —  Mqâbrîyya,    en  marbre,   située  dans   une  chapelle  adossée   à   l'ancienne 
mosquée.  (Planche  1). 

Longueur  :  i  ',97.  —  Largeur  à  la  base  :  o'",235.  —  Hauteur  : 
o"',20.  —  Hauteur  du  champ  épigraphique  sur  chaque  face  :  ©""joSô, 
—  Deux  lignes  d'écriture  par  face.  —  Caractères  cursifs,  vocalises  en 
partie.  Cette  vocalisation  est  reproduite  ci-dessous. 


(i)   Nous  appelons   face  antérieure  celle   sur  laquelle   commence    l'inscription. 


r.W 


Chella,  Pl.  I 


I 


u 


ÉPIGRAPHIE  HISTORIQUE  35 

Face  antérieure   : 
Ligne  i   : 

ajiî  ^LL.ûi  j  iiuji  iljLJ!  Ç\l}\  r,^\  uj^;;  jj  u^  ^»ii  lUi 

-î'  J*^-  ^'^■^■'"  o^'  c'^  ii-lpl  i\A^^  L\J^.X\  (i)li^t_j!   oJ^   ^Di    ^U^l 

^1   li^y  ^Lo   ^y 

Ligne  2  : 

^>llJ!  LllJ  ^  l^j'Li^  c:^i((.  jlJ.liJîj  (3)  g.l«.)lj 

Face  postérieure  : 
Ligne  3  : 

iju*.^l   ïXsû    ^J)     ^   <^::^j^ùj    ÏJlj>    5ï-<— j      .-.-^à.    ^Lc    ùjJu\    s,__^a».J    «jîlJÎ 

Ligne  4  ^ 

joL  iJ>-\Ju>^  iJjLx^  Jw.i.j  'r-''^  3^'''   '^'   "^"^     ^^•*-*''^j    jiti.-*JI      .L cl     ^^/» 


Traduction. 

La  louange  appartient  à  Allah  ! 

Ceci  est  le  tombeau  de  notre  maîtresse,  la  libre,  la  pure,  la  pieuse,  la  sainte, 
mère  du  Sultan,  le  Khalife,  ITmâm,  dont  les  belles  qualités,  les  nobles  et  louables 
actions  sont  si  grandes  qu'aucune  langue  ne  pourrait  les  énumérer  et  aucune  main 
en  tracer  la  description,  notre  Maître,  1  Émir  des  Croyants,  celui  qui  met  sa 
confiance  dans  le  Maître  des  Mondes,  Aboû  Tnân,  fils  de  l'Émir  des  Musulmans 
Aboû  '1-Hasan.  fils  des  Khalifes,  les  Imâms  grands  et  nobles.  Allah  veuille  lui  réserver 
une  place  spacieuse  au  Paradis  et  l'accueillir  avec  pardon  et  indulgence  !  Sa  mort 
survint  dans  la  nuit  du  \endredi  au  samedi  quatrième  jour  de  rajab  l'unique  de 
l'an  750.  Elle  fut  enterrée  après  la  prière  du  vendredi  vingt-cinquième  jour  du 
même  mois,   en  présence  de  notre  maître  le  khalife  victorieux  par  Allah,  et  des 

(i)    Erreur  du    lapicide   pour    <^i\...a^\. 

(2)  Solécisme     pour    (^-jU    Lu    ^\    dans    la  transcription    donnée    par   Rabat    et  sa  ré- 
gion,  page    47.    ligne    2. 

(3)  Lu   ^ Jl«-M    dans    la    transcription    donnée    ibid.,    page   47.    ligne   3. 


k 


36  en  ELLA 

hommes  nobles  d  Orient  el  d'Occident  (jui  vinrent  en  dépulation  ponr  assis^er  à  ses 
funérailles.  QuAUah  très  haut  forlifie  le  pouvoir  (d'/Vboù  'Inàn  .  rehausse  sa  gloire, 
perpétue  ses  œuvres  illustres  el  le  souvenir  de  ses  actions  d'éclat  !  Qu'il  soit  son 
défenseur  et  son  aide  et,  par  sa  grâce,  lui  accorde  également  le  meilleur  sort  dans 
ce  monde  et  dans  l'autre  ! 

Les  /j  et  •.)-[)  rajab  750  correspondonl  an   iS  septeiinbre  el  au  9  oclo 
bre  1349.  L-e  9  octobre  l'^^g  est  bien  tombé  un  vendredi. 


6.  —  Mqâbriyya.   en  intirhrc,  d'Aboà   'l-Ha.san.   Iji  stèle  a  rfr  hi-isre  en  deux 
morceaux,  (icfnellenieiil  en  place.  {Planche  2). 

Longueur  :  •>.'", iGÔ.  —  Largeur  à  la  base  :  o'",35.  —  Hauteur  : 
o"\-2'-jb.  —  Hauteur  du  cbamp  épigraphique  sur  cliaque  l'ace  :  o",io. 
—  Deux  lignes  d'écriture  par  face.  —  Caractères  cursifs.  —  La  voca- 
lisation donne  j)resque  loujoins  naissance  à  des  motifs  ornementaux 
qui  rem[)lissent  la  partie  du  champ  laissée  libre  par  les  groupes  de 
lettres. 

Face  antérieure   : 
Ligne  i  : 

Ligne  2  : 

Face  postérieure  : 
Ligne  3  : 

aLs  3  ^jj  ïjUju—j  ^^^«^.j»._.  f^^^  J.I&  ^^f/»  ^ jM^  jj^  ^.j  j^^ 

Ligne  4  * 


IC> 


Chella,  Pl.  II 


I 


ÉPIGRAPHIE  HISTORIQUE  37 

Traduction  : 

Ceci  est  le  tombeau  de  notre  Maître  le  Sultan,  le  Khalife,  l'ImAm,  l'fimir 
(les  Musulmans  et  le  Défenseur  de  la  Religion,  le  Guerrier  pour  la  Foi  dans 
la  Voie  du  Maître  des  Mondes,  Aboû  '1-Hasan,  fils  de  notre  Maître  le  Sultan,  le  Kha- 
life, rimâm,  l'Émir  des  Musulmans  et  le  Défenseur  de  la  Religion,  le  Guerrier  pour 
la  Foi  dans  la  Voie  du  Maître  des  Mondes  Abon  Sa  ïd,  (ils  de  notre  Maître,  le  Sultan, 
le  Khalife.  l'Imàm,  l'Émir  des  Musulmans  et  le  Défenseur  de  la  Religion,  le  Guerrier 
pour  la  Foi  dans  la  Voie  du  Maître  des  Mondes,  Aboù  loûsof  laqoûb,  fds  de  'Abd  el- 
Haqq.  Qu'Allah  sanctifie  son  àme  et  fleurisse  son  tombeau  !  11  mourut  —  puisse 
Allah  lui  témoigner  son  agrément  et  en  être  satisfait  lui-même  !  —  dans  la  mon- 
tagne des  Hintàta,  pendant  la  nuit  du  lundi  au  mardi  vingt-sept  de  rabî'  I  le  béni 
de  l'an  753.  Il  fut  enterré  en  face  de  la  mosquée  d'el-Mansoûr,  qui  se  trouve  à  Mar- 
rakech —  qu'Allah  emplisse  ce  temple  de  ses  louanges!  —  puis,  il  fut  transporté 
de  cet  endroit  à  ce  mausolée  béni  et  sanctifié,  dans  Chella.  —  Qu  Allah  l'enveloppe 
de  Sa  satisfaction  et  le  reçoive  en  Son  paradis  !  Et  (juAllah  inspire  des  prières  pour 
notre  Seigneur  Mohammed  et  pour  sa  famille  et  qu'il  leur  accorde  le  salut  ! 

Le  27  rabî'  T  752  correspond  au  'i[\  mai  i35i. 


7.  —  Mqâbrîyya,  en  marbre,  brisée  par  le  milieu:   se  trouve  derrière  le  mau- 
solée (le  Sidi  Lahsen  el-Imâm,  à  l'inlérieur  d'un  enclos. 

Longnetir    :    t"\28.   —  Largeur  à    la   base    :   o"',i8.   —   Hauteur    : 
o'",i3.  —  Bailleur  du  champ  épigrapUique  sur  chaque  face   :  o°',o/i 
—   Une  seule  ligne  d'écriture  sui"  cliaque  face.  —    Caractères  cursifs, 

Face  antérieure  : 

Jy  ^^l\ 
Face   postérieure    : 

Traduction  : 

La  louange  n'appartient  qu'à  Allah  ! 

Ceci  est  le  tombeau  de  notre  Maître  Aboû  '1 el-'Abbàs  fils  de  notre  Maître 

Aboû  Sàlim.  fils  d'Aboû  'l-Hasan.  Il  mourut  le , 

correspondant  au  sept  chawvvàl  769.  Il  fut  enterré  dans  ce  verger  (cimetière^ 
le....  vingt  jomàdà  I  776. 

Le  7  chawvvàl  769  correspond  au  27  mai  t368,  et  le  20  jomâdâ  I  776, 
au  27  octobre  i^'jli. 


38  CHELLA 


cS\  —  Mqâhriyy(ï .   en  marbre,   sur  le  sciilirr  </iii  ilcsccnd  à  ydiic/ic  du  chemin 
caillou  te  ii.v  albmt  de  l<i  porte  monumenlnle  à  lu  lu^eropole. 

Longueur    :    l'^.SÔ.   —  Largeur   à  la    hase    :   o'",';!0.    —   Hauteur 
o'^.iS.  —  ILiuteur  du  champ  épigraphiqiio   :  o'",o'i.   —  Deux  lignes 
d'écriture  sur  chaque  face,   lecouvertos  d'un   épais  enduit  de  chaux 
durcie.   Inscription   illisihle  sur  la   face   postérieure.   On    lit  difficile- 
ment sur  la  face  antérieure  : 

/y 

c'est-à-dire  le  taawu)OÛd}i,  la  hasmaUi,  la  tasUyya,  les  versets  26  et 
27  de  la  sourate  LV  du  Qor'ân  et  la  formule  initiale  :  «  Ceci  est  le 
tombeau  de...  » 


Des  huit  épigraphes,  dédicatoires  ou  tumulaires,  que  l'on  vient  de 
traduire,  les  plus  importantes  se  trouvent  expressément  datées;  ce 
sont  l'inscription  de  fondation  de  l'enceinte  et  de  la  porte  de  Chella, 
et  la  table  des  biens  de  mainuiorto  affectés  à  la  nécropole  pai-  le 
sultan  Aboû  'Inân.  Ces  deoix  derniers  textes  fixent  de  manière  indis- 
cutable l'époque  à  laquelle  le  cimetière  royal  abrita,  en  même  temps 
que  de  nouvelles  et  illustres  dépouilles,  une  série  de  chefs-d'œuvre  de 
l'art  mérinide,  que  l'écrivain  Ibn  cl-Kliatîb  admira  dans  leur  splen- 
deur, et  dont  les  vestiges  sont  ceux  qui  couvrent  la  partie  la  plus 
basse  de  l'encemte  d'Aboû  '1-Hasan.  Remontant,  le  premier  au  milieu 
de  iSSg,  le  second  à  i355,  ils  montrent  que  c'est  de  cette  période  de 
seize  ans  que  les  ruines  actuelles  de  la  Chella  musulmane  datent  exac- 
tement. 

Des  mqâbrîyya  encore  visibles  aujourd'hui,  les  deux  plus  impor- 
tantes sont  à  coup  sûr  celles  que  l'on  a  décrites  sous  les  n"'  /i  et  6, 
la  première  malheureusement  incomplète,  l'autre,  le  plus  beau 
tombeau  mérinide  que  l'on  ait  découvert  jusqu'à  ce  jour,  fournissant 
im  texte  historique  de  la  plus  haute  valeur. 


ÉPIGRAPHIE  HISTORIQUE  39 

La  stèle  funéraire  d'Aboû  '1-Hasan  (i),  gravée  sur  l'ordre  de  sou 
fils  Aboù  Inàn,  permet  en  effet  d'élucider  quelques  points  relatifs 
au  sultan  détrôné;  par  son  caractère  d'indéniable  authenticité,  elle 
supprime  tout  doute  sur  la  date  de  la  mort  d'Aboû  '1-Hasan,  en  con- 
fuinaiit  riudication  chronologique  (|uc  l'on  trouve  dans  la  Rnivdol 
cii-nisrin  d'Ibn  el-Ahniar,  et  qui  ne  concorde  pas  avec  celle  que  four- 
nit Ibn  Khaldoùn.  L'inscription,  spécifiant  que  c'est  dans  une  des 
dépendances  de  la  mosquée  d'el-Mansoùr  à  Marrakech  qu'Aboû 
T-lIasan  fut  provisoirement  inhumé,  offre  un  renseignement  laissé 
de  côté  par  tous  les  annalistes;  renseignement,  d'ailleurs,  d'autant 
plus  intéressant  que  ce  fut  plus  tard  exactement  au  même  endroit 
que  les  sultans  sa'diens  firent  édifier  leur  célèbre  mausolée 
dynastique. 

Que  représente,  à  l'origine,  le  fragment  épigraphique  (n°  k) ,  dont 
on  a  vu  la  reproduction  sur  la  planche  i,  tout  contre  la  mqâbrîyya 
de  la  mère  d'Aboû  Inàn,  Chams  ed-flohâ.^  Ce  texte  incomplet  est 
d'abord  —  il  est  à  peine  utile  de  le  rappeler,  car  la  forme  même  de 
la  pierre  sur  lequel  il  est  gravé  ne  permet  pas  le  moindre  doute  — 
un  texte  funéraire.  Or,  sur  cette  partie  d'inscription,  un  seul  nom 
propre  figure,  celui  d'Aboû  '1-Hasan,  <(  le  fils  des  khalifes  bien  diri- 
gés ».  Même  si  l'on  ne  connaissait  pas  la  pierre  tombale  de  ce  der- 
nier sultan,  il  serait  impossible  d'émettre  l'hypothèse  que  l'on  se 
trouve  en  présence  de  sa  propre  épitaphe  :  il  faudrait  dans  ce  cas 
le  génitif  ^r-i' ^.;f',  appelé,  à  cause  de  la  règle  de  l'idàfa,  par  la  for- 
mule initiale  -i  là»  :  «  ceci  est  le  tombeau  de....  ».  La  seconde  par- 
tie du  fragment  mentionne,  d'autre  part,  le  palais  d'el-Mansoûra  de 
Tlemcen  la  Neuve.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire,  alors,  étant  donné  que 
le  seul  sultan  mérinide  mort  à  cl-Mansoûra  et  enterré  à  Chella  est 
précisément  le  fondateur  de  cette  ville,  Aboû  la  qoûb  loûsof,  que 
cette  stèle  soit  celle  de  ce  souverain,  qui,  au  témoignage  des  historiens 
arabes,  fut  transporté  à  Chella  pour  y  être  enseveli.   Mais  alors,  pour- 

(i)  Cette  inscription  a  déjà  été  publiée  par  Saavedra.   in   Boletin  de   la  R.   Academia   de 

ht    historia,    Madrid,   XII.    1888,   p.    5o/|    et   traduite   par   Tissot,    in  Bulletin    de    la    Société 

de  Géographie  de  Paris.  II,   1876,  p.  271  sqq.  Cf.   Van  Berchem,  op.  cit.,  p.   3o4,  note.  Texte 

.'t  traduction  ont   été  publiés   vécemmenl,   avec   plusieurs   fautes  de  lecture,   dans    Bahat    ,t 
sa    région,   p.    45-46. 


40  CHELLA 

quoi  sur  la  pionc.  tl('  uiauii  rt*  ahsolumcnl  in(lul)ilal)l(\  lo  noui  d"  Xhon 
'l-Hasaii  ?  Cl'  iTosI  pas  co  sultau  (|ui  lll  ramener  l(>  corps  de  son  oncle 
à  Chella,  car  l'on  se  rappelle  (]ue  ce  Iransl'erl  esl  menlionné  pai"  l'aw- 
leur  du  liaird  cl  (jlrlàs,  qui  arrête  st)ii  réeil  au  rè^ne  d'  \l)ou  Sa  ïd. 

Ce  n'est  d'ailleurs  pav^  là  seulenienl  que  réside  la  dil'liculté.  Il  exis- 
tait à  Chella,  il  y  a  encore  quelqiues  aimées,  uni»  pierre  porlant  l'épi- 
taphe  d'Aboù  la'qoiib.  Elle  a  disparu  depuis.  Peut-être  esl-ce  préci- 
sément celle  (pii.  au  dire  du  moqaddeni  de  Sidi  ialiifi.  lut  emportée 
en  dehors  du  Maroc  (i)?  Il  s(Mait  du  |)lus  liaid  intérêt  de  savoir  (piel 
endroit  abrite  aujourd'hui  celte  inscription  qu'il  laul,  jusqu'à  nouvel 
ordre,  considérer  comme  perdue.  Le  texte,  l'oit  lieuieusiMuent,  en 
a  été  presque  entièrement  conservé,  «»-ràce  à  im  calque  rapporté  au 
British  Muséum  par  le  vice-consul  anglais  Krost  (•>).  et  a  été  traduit, 
dès  1876,  par  ïissot  (3).  Il  est  trop  imj)ortaid  pour  \\c  pas  méiiter 
d'être  ici  publié  à  nouveau  et  traduit    . 

(4)    ,.^jJI  j^\^^    ^j4^^^   jz"^    -^^^    -Xft'-^i'    .   .j^'-J'    JlUl    UbJyj   Uj.^^  ^,J    'j* 
^4-U<  j^\   ^U!   L!^l    J^yi    J^U)^   JlX\\\   L; V  ^r>   [^/«V.]   _^r''   (.^=^A^  LT-^^^ 
i.xi.j^   ^ir^j  *^JJ    ^^   ir'-^^       ^^    "^     ■*^.    V ?~'J.''      -f'    -•^=»'4'  ^^Aall   (.fJ-^-^'    r-='jj 

Traduction.  —  Ceci  est  le  lombcaii  de  noire  Seigiieui'  et  de  nolr(î  Maître  le 
souverain,  le  juste,  rrimâm  ,  le  Combatlant  pour  la  Foi,  te  martyr  (>  ,  t'Kmir  des 
Musulmans  et  le  Défenseur  de  la  Religion,  le  sanctilic,  rojjjet  de  la  nniséricorde 
divine,  Aboû  [la'qoûbi,  fils  de  notre  maître  le  souverain,  le  juste,  le  dévot,  le 
morâbit,  le  saint,  TEmir  des  Musulmans  et  te  Défenseur  de  la  Uetigion,  le  sanctifié, 
l'objet  de  la  miséricorde  divine,  Aboû  loûsof  fils  de  'Abd  el-llaq(i.  Qu'Allah  sanctifie 
son  âme  et  illustre  son  tombeau  !  11  mf)urut  martyr  le  mercredi  7  dhoû  '1-qa'da  706. 


(i)    Cf.    Rabat   et    sa    région,    p.    45. 

(2)  En  même  temps  que  celui  de  la  niqàbriyya  do  Cliams  ofl-rlohà.  Cf.  Charles  Ricu 
Supplément  to  the  Catalogue  of  the  Arable.  Mainjuscripls  in  tlic  Britisli  Museiifti,  in-/i, 
fjondros,  i''^94,  p-  SqG,  n"  6o5.  D'après  lui,  rinsKiiptioii  avait  :>.  pieds  5  pouces  sur  •.>  pieds 
?    pouces. 

(3)  Op.   dt.,  p.   269  sqq.   Cf.   Van  Berchem,   op.    cit.,   p.   296,   n"   ;>,    in    fine. 

(4)  La  copie  de  Rieu,  sûrement  fautive   poite   ^^.^^  ».^>l3\. 

(fi)  Le  mot  ^-^..^gjlj  (sur  le  sens  spécial  duquel  cf.  W.  Marçais,  Note  sur  trois  inscrip- 
tions arabes  rfii  Musée  de  Tlemeen.  in  Rnlietin  Archéologique,  icioo,  p.  i'î4;  '''  A.  Bel, 
Inscr.    de    Fès,   p.    81,    note    i),    fait   allusion   à    la    mniri    violenle    du   sullan    Abôù    Ia'<|oûb. 


ÊPIGRAPHIE  HISTORIQUE  41 

Ce  texte,  qui  recoupe  exactement  la  date  de  la  mort  d'Aboû  la'qoùh 
fournie  par  les  historiens  arabes,  est  t)ien  trop  précis  pour  laisser  quel- 
que doute  quant  à  l'attribution  de  la  pierre  sur  laquelle  il  était  "^ravé. 
Mais  un  détail,  à  première  vue  sans  importance,  vient  permettre  une 
hypothèse,  à  vrai  dire  assez  hardie. 

En  effet,  la  pierre  décalquée  [)ar  Frost  est  une  dalle  quadrangulaire, 
si  on  en  juge  par  les  dimensions  fournies  par  le  supplément  au  cata- 
logue des  maïuiscrits  du  British  Muséum.  IT  n'existe  pas  de  stèle  de 
cette  sorte  dans  la  Chella  mérinide,  ou,  plus  exactement,  dans  la  Chel- 
la  d'Aboû  '1-l.Iasan  et  d'Aboû  Inàn.  Il  est  donc  permis  de  cioire  qu'elle 
fut  gravée  avant  les  règnes  de  ces  deux  sultans,  immédiatement  après 
le  transfert  du  corps  d'Aboû  la'qoûb.  Ne  pourrait-on  dès  lors  penser 
que,  voulant  que  la  nécropole  ne  comprît  que  des  mqâbrîyya  de  forme 
prismatique,  le  sultan  qui  fît  bâtir  l'enceinte,  la  porte  monumentale, 
une  grande  salle  funéraire  et  sa  propre  chapelle,  ait  fait  graver,  pour 
r(unplacer  la  dalle  quadrangulaire  d'Aboû  la'qoûb,  une  mqâbrîyya  de 
forme  pareille  à  celles  qui  devaient  recouvrir  les  autres  tombes.'^ 

Évideanment,  cette  opinion  ne  s'ap])uîerait  pas  sur  des  bases  bien 
solides,  si  elle  ne  se  trouvait  quelque  peu  renforcée  par  le  texte  même 
du  fragment  de  mqâbrîyya.  En  effet,  un  examen  attentif  de  la  ligne  2 
de  la  face  postérieure  nous  a  peimis  de  lire  ^^j^.; ,  ((  dans  leur  palais 
à  eux  deux  »  de  la  Mansoûra  neuve  de  Tlemcen.  A  quel  personnage, 
en  plus  d'Aboû  la'qoûb,  pourrait  s'appliquer  ce  duel.»^  Il  est  très  pro 
bable  que  c'est  à  Aboû  '1-Hasan,  qui,  comme  l'on  sait,  restaura  la  ville 
fondée  par  son  oncle  et  en  fit  même  l'une  de  ses  résidences  préférées. 
Et  n'est-il  pas  permis  de  penser  que,  par  un  sentiment  de  jactance 
personnelle  dont  ou  retrouve  tant  d'exemples  en  ce  pays,  Aboû  '1-Ha- 
san, restaurant  ou  reconstruisant  les  tombeaux  de  ses  illustres  prédé 
oesseurs  Aboû  loûsof  et  Aboù  la'qoûb,  ait  voulu  perpétuer  le  souve- 
nir du  pieux  devoir  qu'il  accomplissait;  que,  voulant  inscrire  son 
nom  sur  les  tombes  mêmes  de  ces  sultans,  il  ait  fait  refaire  leurs  épi- 
taphes,  en  ait  dicté  le  texte  et  ait  prescrit  qu'elles  fussent  gravées  sur 
des  mqâbrîyya,  et  non  plus  sur  des  tables  quadrangulaires.  Dans  ce 
cas,  l'on  comprendrait  le  duel  de  L*»,waaj.  absolument  inexplicable 
sans  cela,  et  l'on  pourrait  interpréter  :  Ceci  est  le  tombeau  de  ...  Aboû 


42  GHKLLA 

la'qoùb.  Iiis  do  ...  Aboû  lortsof,  lils  de  Vlxl  ('l-ll.i(|(|,  (|ui  ;i  ô\v  ô\e\ô 
sur  l'ordre  de  ...  \l)i)ù  "l-'ljasan  ...  H  était  'inoil  le  mercredi  7  dhou 
'1-qa'da  706.  dans  leur  pnlnis  (à  cu.v  deux)  héiii  de  la  Matisoùra  de 
Tletncen  la  ISeuve, 

Cette  solution  du  problème  é]u^''raphiqiie  qui  se  pose»  ne  saurait, 
en  tout  eas,  passeï"  pour  définitive.  Et  mallieiireiisement,  il  est  fort 
j)robal)le  que  l'inscription  du  fra^uïent  de  mqàl)rîyya  que  les  let- 
trés arabes  de  Rabat,  ignora/nl  l'existence  de  l'inseriplion  relevée 
par  Frost.  attribuent  tous  à  Xboû  la'qoûb  ne  ])()urra  jamais  être 
développée  avec  certitude,  à  moins  qu'un  hasard  heureux  ne  mette  à 
jour  le  reste  de  la  stèle. 

L'inscription  funéraire  de  Chams  ed-dohà  (i)  présente,  elle  aussi, 
un  incontestable  intérêt  historique,  moins  d'^ailleurs  au  sujet  de  cette 
concubine  chrétienne^  qui  eut  comme  seul  mérite  de  mettre  au  monde 
Aboû  'Inàn.  qu'au  sujet  de  ce  sultan  lui-même.  Par  ime  coïncidence 
remarquable,  la  femme  qui  a  donné  à  Abou  l-Uasan  le  fils  qui  devait 
le  renverser,  meurt  prwisément  l'année  même  où  ce  fils  se  déclare 
sultan.  Tl  fait  à  sa  mère  des  funérailles  orrandioses,  la  fait  transpor- 
ter à  Chella,  vingt  et  un  jours  après  sa  mort,  ce  qui  laisse  supposer 
qu'elle  s'éteignit  loin  des  Deux-Rives.  Mais  Abou  'Inari  était  trop  sou- 
cieux de  sa  gloire  pour  faire  gravei-  sur  l'épitaphe  maternelle  le  nom 
de  (<  Soleil  du  Matin  »,  qui  était  la  marque  de  son  origine  servile  : 
il  se  contenta  de  la  faire  appeler  la  libre,  la  pure,  la  pieuse,  la  saint»; 
et  surtout  la   mère  du  sultan  khalife. 

Dans  sa  fort  belle  étude  sur  les  Titres  caUflens  d'Occident,  le  re- 
gretté Van  Rerchem  avait  déjà  remarqué  que  l'épitaphe  de  Chams 
ed-dohà  était  le  document  protocolaire  le  plus  ancien  que  l'on  possé- 
dât d'Aboû  'Inàn.  L'on  sait  que  le  premier  soin   de  ce  sultan  fut  de 


(i)  Un  calque  de  cette  inscription  b  et/  rapporté  égvilement  par  le  vice-consnl  Frost 
an  British  Mnçeum.  Le  texte,  d'après  ce  oa:qiip,  a  été  publié  par  Rien,  loc.  cit.,  mais 
avec  des  lectures  erronées  :  l'erreur  de  transcription  la  plus  importante  est  ,jjU»J^-«**J\  '^Xi\ 
«  ftlle  du  sult;!>n  \boù  'Inân,  pour  «  mère  du  srnltan.  »  Ce  qui  donne  lieu  à  un  grave 
f'ontre-scns  liistoriqiic.  Cf.  aussi  ui.«ûlXJ\  pour  iA-«.JLX)\  et  ^^L,^--•.>  pour  ^^LL-o.  —  I>c  texte  a  éga. 
lement  été  publié  en  1888  par  Saavedru,  dans  le  Boletin  de  la  R.  Academia  de  la 
Historia,  XII,  p.  5o4  aqq.  Une  traduction  en  a  été  donnée  par  Tissot,  loc.  cit..  —  On 
trouvera  aussi  texte  et  traduction  dans  Rabat  et  sa  région,  p.   46-47. 


ÉPIGRAPHIE  HISTORIQUE  43 

prendre  le  titre  éminent  des  khalifes,  âtnîr  el  moû'inintn,  pour  rem- 
placer le  titre  plus  modeste  d'dmîr  el-mosliinîn,  que  ses  ancêtres  et 
son  père  avaient  adopté  dans  leur  protocole.  A  vrai  dire,  Aboii 
T-llasan,  avait,  au  temps  où  la  fortune  souriait  à  ses  armes  et  avant 
sa  lamentable  défaite  par  les  troupes  rebelles  du  nouveau  sultan, 
songé  à  inaugurer  dans  la  dynastie  mérinide  l'usage  de  l'appellation 
suprême  des  chefs  de  la  comnnmanté  musulmane.  Mais  les  malheurs 
qui  marquèrent  la  fin  de  son  règne  lui  firent  perdre  bientôt  cet  espoir. 
Quant  à  Aboû  Inàn,  du  vivant  même  d'Aboû  '1-Hasan  —  l'épitaphe 
de  Chams  ed-dohâ  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard  —  il  n'eut  aucun 
scrupule  à  retirer  le  titre  envié  au  souverain  hafside  et  à  l'adopter 
pour  lui-même. 

L'épigraphie  historique  de  Chella  n'apporte  guère  d'éclaircisse- 
ments sur  la  politique  khalifienne  des  sultans  mérinides  —  qui  n'aient 
déj<à  été  mis  en  lumière  et  utilisés  par  Van  Berchem.  Dans  sa  récente 
étude  sur  les  Inscriptions  Arabes  de  Fès,  M.  Bel  a  montré,  avec  des 
documents  nouveaux,  que  la  thèse  de  l'auteur  des  Titres  califiens  de- 
meurait exacte  et  se  trouvait  en  tous  points  vérifiée.  D'ailleurs,  les 
successeurs  d'Ahoù  'Inan  renoncèrent  bientôt  à  l'appellation  khali 
fienne  et  se  contentèrent  du  titre  de  leurs  ancêtres,  âmîr  el-moslimîn. 

L'épitaphe  d'Aboii  '1-Hasan,  dont  le  texte,  avant  d'être  remis  au 
lapicide,  fut  sans  doute  soumis  au  sultan  Aboû  'Inan,  marque  bien 
le  souci  qu'eut  ce  dernier  de  ne  pas  faire  bénéficier  son  père  défunt 
du  titre  qu'il  s'était  donné  à  lui-môme.  Les  autres  inscriptions  de 
Chella  qui  mentionnent  Aboû  '1-Hasan  (comme  d'ailleurs  celles  que 
l'on  a  retrouvées  à  son  nom,  à  Salé,  à  Fès,  à  Tlemcen,  à  Mostaga- 
nem),  ne  lui  accordent  toutes  que  le  titre  subkhalifien. 

Il  semble,  de  plus,  que  ce  titre  subkhalifien  ait,  au  début  du  règne 
d'Aboû  '1-Hasan,  et  peut-être  même  avant  lui,  subi  une  légère  modi- 
fication, plus  exactement  une  addition.  Dans  la  stèle  du  sultan,  de 
même  que  dans  beaucoup  des  inscriptions  d'Aboû  '1-Hasan,  le  titre 
d'âmîr  el-moslimîn  se  complète  pour  ainsi  dire  par  celui  de  nâsir  ed- 
dîn,  ((  le  défenseur  de  la  religion  ».  11  ne  s'agit  pas,  comme  on  serait 
tenté  de  le  croire  à  première  vue,  de  deux  appellations  nettement 
distinctes  et  toujours  accolées  l'une  à  l'autre  dans  l'énumération  lau- 


44  CHELÎ.A 

(lali\o  (lu  prolocolo,  mais  (l'un  stMil  tilrt»,  fait  (\v  dvM\  (]iialiliralions 
roliiH's  |»ai'  uni'  tMnijonclion  :  «  l'I'iiiir  des  Musulmans  cl  le  Drlcnsciir 
(le  la  Kcliiiiou  ".  (-c  lilrc  doiihlc,  si  l'on  ou  jtij^t*  pai'  les  piolocoh^s 
épistolairos  des  soiix  ciaiiis  qui  léjj^iitMcnl  a|)i'os  Aboù  liiàn,  soinbli^ 
avoir  l'^é  coiiscrN  ('s  par  les  deniiei-ss  Nh-rinidcs.  (^)ui  sail  si,  à  l'orijifiiH'. 
dans  l'esprit  d' Ahoù  l-llasan.  (-(Mie  doidtle  (^ualiliealion  n  élail  pas 
deslin('»e  à  pivparei'  les  ehaneelleiies  nmsulmanes  de  I  étranger  à 
ra(l(»[ili()n   du   liti'e  emineid   par  le  sidian  de  l^'(''s? 

J)"ailleurs  -  (^t  <"eei  \ieiidiail  à  ra|»pui  de  celle  d('rni("'rc  hypothèse 
—  les  (l(Mi\  plus  récentes  des  inscri|)tions  nf|;iv(''es  au  nom  d'Abon 
M-lIasau  uaccoleid  à  son  nom  ru  le  lilre  (r.uuîr  el-moslimui,  ni  le 
double  lilre  d'ànni'  el-uu)slinnn  cl  de  nà<ire(l-dîn  :  sur  les  inscrip- 
tions de  fondation  de  la  nnulersa  de  l''às  el-jadîd  et  de  celle  appelée 
el-Mi'iJ)àhÎN\à,  à  Fès  (7^17/13^10  (1),  le  sullau  ii(<  pi'cnd  eu  elVet  (pie 
le  tili'c  de  khalire.  cl.  innnédiatemeul  axaul  son  nom  et  sa  filiation, 
celui  iVel-nio'ayydd  hi  /ii:hi  'lla/i,  \ariaule  plus  expressive  de  nâsir 
ed-din,  qui  marque  peul-ètre.  elle  aussi,  mu*  seconde  étape  de  tran- 
sition  de  l'àmir  el-moslimîn   à   ràmîr  el-moiVmiTiîn. 

L'épif»rai)hie  liisloiiqne  de  ('liella  n'offre  pas  moins  d'intérêt  en  ce 
qui  conceine  l'acx'cssion  des  piiivces  mérinides  à  une  (pialité  qn'ils 
re\endiqu('renl  [)our  la  plu|)arl  :  celle  de  mojàhid,  de  «  combattant 
l)()ur  la  Foi  dans  la  Voie  du  Maître  des  Mondes  ».  Dans  leur  nécro- 
pole, d'ailleurs,  ce  titre  semblait  avoii"  un(;  signification  beaucoup 
pins  profonde  encore  que  dans  les  protocoles  et  les  préambules  épis- 
tolaires  :  il  justifiait  leur  désir  de  champions  du  jihad  d'être  enterrés 
dans  un  iil)àt  consacré.  Hien,  à  ce  propos,  n'est  plus  éloquent  que 
l'inscription  frrnéraire  d'Aboù  '1-Hasan  :  avec  quelle  piété  n'y  est-il 
pas  appelé  combattant  de  la  guerre  sainte,  et  fils  et  petit-fds  de  sul- 
tans eux-mêmes  mojàhidîn?  Plus  que  toutes  les  œuvres  pies  qu'ils 
ont  pu  accomplir  durani  leur  \\(\  c'est  celle  lutte  contre  l'infidèle, 
cette  obéissance  à  la  plus  importante  à  leurs  yeux  des  prescriptions 
orthodoxes,  (|ui  leur'  ])aiaît  la  plirs  méritoire  de  leuis  actions  et  fera 
pencher  la  balance  en  leur  faveiri-  air  joui'  suprême.  Chella,  terre  de 

(i)    Cf.    A.    Bel,    op.    cit.,    textes    des    inscriptions,  p.    io4  (107)    et   235  (207). 


\ 


ÉPIGRAPIIIE  HISTORIQUE  45 

Jihàd,  fut,  avant  tout,  dans  l'esprit  de  ceux  qui  en  lircnl  leur  nécro- 
pole et  l'embellirent  de  chefs-d'œuvre  de  l'art  moresque,  un  champ 
de  repos  de  mojâhidîn.  Quand  ils  renoncèrent  au  |)i(Mi\  devoir  de  la 
o-nerre  sainte,  les  successenrs  d'Ahoù  "1-lIasan  [)urent  conseivei-  dans 
leur  protocole  le  titre  de  mojàhid,  auquel  ils  n'avaient  pins  droit; 
mais  ils  n'eurent  plus  pour  sépulture  le  territoire  sacré  on  les  troupes 
d'Aboù  loûsof,  pnis  celles  d'Aboù  1-Hasan  s'étaient  réunies  pom- 
marcher  contre  rinfidèle. 


46 


CHELLA 


III 
LES  MONUMENTS 

A.  L'ENCEINTE  U). 

1.  —  La  muraille. 

L'enceinte  de   Chella   se   présente  sous   la  forme  d'un   pentagone 
irrégulier,  dont  le  plus  grand  côlô  (face  nord-ouest),  mesure  environ 


Fig.  1.  —  Disposilioa  gôriérale  de  Teaceinte  de  (Jhella.  Dans  l'angle,  les  murailles 
de  la  grande  enceinte  de  Rabat. 


3oo  mètres  de  longueur,   et  le  plus  petit  (face  sud-snd-est),  environ 
8o  (fîg.  i).  Elle  est  en  béton,  d'assez  médiocre  qualité,  mêlé  de  cailloux 

(i)  Nous  tenons  à  remercier  ici  M.  Georges  Marçais,  qui  voulut  bien  revoir  les  épreu- 
ves de  cette  description  archéologique  et  nous  faire  profiter  de  ses  observations.  M.  .T. 
Hainaut  est  l'auteur  des  plans  et  des  dessins  qui  accompagnent  et  éclairent  cette  étude, 
ot  fut  à  maintes  reprises,  lors  de  nos  relevés  sur  le  terrain,  le  plus  dévoué  des  colla- 
borateurs :  qu'il  trouve  ici  l'expression  de  toute  notre  gratitude.  Nous  sommes  égale- 
ment redevables  à  M.  H.  Terrasse  de  remarques  judicieuses  et  l'en  remercions  bien  vi- 
vement. 


4v. 


Vi3 


Chi-i.la,  Pl.  III 


L'ENCEINTE   :   REMPARTS  47 

roulés  parfois  assez  gros,  et  dans  la  partie  occidentale  surtout,  de  tes- 
sons de  poteries  nombreux.  Ce  béton  mérinide  contraste  avec  la  belle 
qualité  du  béton  almohade,  qui  renferme,  dans  les  parties  soignées,  de 
la  brique  pilée  en  guise  de  terre,  et,  partout,  une  forte  proportion  de 
chaux  :  aussi  les  remparts  de  Chella,  d'ailleurs  moins  épais,  présen- 
tent-ils un  aspect  de  délabrement  beaucoup  plus  accentué  que  ceux 
de  la  grande  enceinte  de  Rabat,  pourtant  d'un  siècle  et  demi  plus 
anciens.  Des  brèches  se  sont  ouvertes,  surtout  sur  la  face  nord-ouest; 
les  plus  anciennes  ont  été  barrées  d'un  mur  léger;  mais  l'une  d'elles, 
auprès  de  l'angle  occidental,  est  restée  béante;  elle  date  à  peine  de 
quelques  années. 

Le  mur,  crénelé,  a  une  hauteur  moyenne  de  6  à  7  mètres,  et  une 
épaisseur  de  i",6o,  parapet  compris.  Ces  dimensions  permettent 
l'existence  d'un  chemin  de  ronde  continu,  de  i",!©  environ  de  large. 
Les  différences  de  niveau,  souvent  considérables,  sont  rachetées  par 
de  hautes  marches,  qui  représentent  d'ordinaire  toute  une  assise  de 
béton.  Le  terrain  offre  en  effet  une  dénivellation  de  plus  de  3o  mètres  : 
la  grande  porte,  dans  la  partie  supérieure  des  remparts,  et  pas  tout 
à  fait  au  point  culminant,  est  à  la  cote  67.8,  et  la  partie  la  plus  basse 
de  l'enceinte  à  la  cote  26. 5. La  déclivité  portant  presque  entièrement 
sur  les  deux  petits  côtés  du  pentagone,  elle  y  est  extrêmement 
accusée. 

Le  long  de  ce  chemin  de  ronde  court  un  parapet,  haut  de  o'°,65  et 
large  de  o'",48  à  o",5o;  il  supporte  des  merlons,  également  en  béton, 
laissant  entre  eux  des  créneaux  de  o"\65  en  moyenne,  et  au  creux 
desquels  un  revêtement  de  briques  forme  une  sorte  de  dos  d'âne  lon- 
gitudinal (i).  Les  merlons  eux-mêmes  sont  larges  de  o"\9i  et  hauts 
de  0^,80  de  la  base  au  lit  de  briques  qui  soulieint  leglacis;  celui-ci 
est  une  pyramide  de  pierres  et  de  briques,  assez  effilée  :  elle  a,  en 
effet,  o",65  de  haut.  Ce  couronnement  a  le  plus  souvent  disparu  : 
on   le   verra  encore  cependant  sur  toute  une   série  de  merlons,   sur 


(i)  A  l'inverse  de  ce  qui  se  passe  notamment  à  el-Mansoûra,  où  le  dos  d'âne  des  cré- 
ntaux  est  perpendiculaire  au  mur.  Cf.  \V.  et  G.  Marçais,  Les  monuments  arabes  de  Tlem- 
cen,  Paris,   1901,   p.    202,   fi;;,'.    36. 


48 


CllELLA 


la  planche  'S.  Au-clossoiis  d'iiii  iiicrlon  sur  deux,  iiiic  inoiiilrièrv  est 
ménagée,  dans  le  parapet,  presque  au  ras  du  chemin  de  ronch*.  Kuliu, 
lous  les  4'", 35,  un  larmier  en  pierre  se  déxersanl  à  i  iiilérieui-  dr  l'cjn- 
ceinte,  servait  à  l'écDulement  des  eaux. 

La  muraille,  aujourd'hui  d'une  belle  couleur  (K-re.  riait  recouverte 

à  lexIiMieur  ilim  civpi  blanc 
uni,  doul  on  voit  (Micore  les 
lrac(>s  par  |)lares.  \  riulé- 
rieui-,  étîiient  li^urés  de  faux 
joints,  destinés  à  siniulei' un 
appareil  cyclopéen  :  décora- 
tion fréquente  sur  les  mu- 
railles des  villes;  les  exemples 
en  sont  nombreux,  notam- 
ment à  l'es  et  à  Meknès,  et 
datent  d'époques  diverses. 


Les  tours.  —  L'enceinte 
est  flanquée  de  vingt  tours, 
sans  coni|)ter  les  deux  de 
la  porte  principale.  Cinq  sont 
des  tours  d'angles  :  mais 
une  seule  de  celles-ci  pré- 
senle  une  forme  particu- 
lière. 

Les  tours  sont  disposées 
de  façon  assez  régulière  sur 
chaque  face  de  l'enceinte, 
mais  variable  avec  chacune 
de  celles-ci.  Ainsi,  sur  la  face  sud-ouest,  elles  sont  séparées  par  un 
intervalle  de  32"", 5o  (i);  tandis  que  sur  la  face  sud-est,  elles  sont  dis- 
tantes l'une  de  l'autre  d'une  cinquantaine  de  mètres.  Construites  éga- 
lement en  béton,  quadrangulaires,  elles  sont  accolées  au  mur,  et  ne 


Fig.  2.  —  Élévation  en  coupe  d'une  tour  de  Tenceinle. 


(i)    A    l'exception    df   cellos    qui    sont    les  plus   voisinos  dc^s,  tours  de  la   grande  porte,  el 
qui    en    sont    l'une    à    36™, 5o,    et    l'autre    à  .l7"',90. 


L'ENCEINTE  :  REMPARTS 


49 


font  pas  saillie  sur  le  chemin  de  ronde.  Leurs  dimensions  ne  sont  pas 
absolument  régulières  :  elles  mesurent  environ  5  mètres  de  large  sur 
3'",5o  à  3", 90  d'avancée  (i).  Cette  dernière  dimension  est  plus  considé- 
rable dans  les  tours  de  la  face  sud-ouest  (2)  :  cela  vient  peut-être  de  ce 
qu'elles  jouaient  le  rôle  de  piliers  au  moins  autant  que  de  moyens  de 


^  u^  ->  »J  "c;  K"^  ^V<'^  Ç-s-^r^  ?^*'*^^^ 


Fig   3.  —  Coupole  supportant  le  premier  étage  des  tours. 

défense;  le  mur,  sur  cette  face-là,  avait  à  supporter  une  forte  pression 
des  terres  :  le  niveau  à  l'extérieur  de  l'onceinte  est,  en  effet,  infini- 
ment plus  bas  qu'à  l'intérieur,  et  même  en  admettant  que  le  ruissel- 
lement ait  augmenté  cette  différence  de  niveau,  il  semble  qu'il  dut 
toujours  en  exister  une. 
L'aménagement  de  ces  tours  est  intéressant  (fîg.  2).  Reposant,  aux 

(i)  Voici  quelques  dimensions  :  face  sud-ouest  4*", 80  de  large  sur  3™,5o  d'avancée; 
face  nord-est  :  5™. 20  sut  S"", 90;  la  tour  d*an;?!e  au  nord  a  5", 10  sur  5°", 10;  face  nord- 
ouest    :   5™    siir  4"  ;   5™     sur  3", 80. 

(2)  Dimensions  :  5", 10  de  large  sur  5*"  d'avancée  et  5™, 10  sur  5™,20  environ.  La  tour 
d'ang'le   à   l'est   a    5™ ,85   de   large. 


T.   II  —    1922 


5Ô  ClIEMA 

endroits  où  le  terrain  l'exigeait,  iiolamnient  à  la  face  nord-ouest,  sur 
de  fortes  semelles  de  béton,  elles  sont  creuses,  et  comportent  norma- 
lement trois  étages.  L'éUige  inférieur  csit  constitué  par  une  chambic, 
dans  laquelle  on  ne  pénétrait  pas  (i),  recouverte  d'une  coupole  sur 
pendentif,  d'un  travail  extivineuuMit  grossier,  et  qui,  d'aillein-s,  s'est 
souvent  effondrée  (lig.  'S).  Cc\\c-c\,  eu  nue  loiir  où  nous  avons  pu 
l'étudier  de  près  (face  uord-oiiesl),  n'est  uu'me  pas  exactement  circu- 
laire —  la  chambre  intéiieiire  lucvsuraul  •>.'",r)o  sur  :>."'*p,o;  —  elle  esl 
extrêmement  aplatie,  construile  en  nuitériaux  .médiocres,  en  briques, 
avec,  près  de  la  base,  deux  ou  trois  rangées  circulaires  de  moellons, 
insérés  entre  des  rangées  de  doubi(>s  ou  de  triples  briques.  Le  tout 
est  encastré  dans  la  paroi  de  béton,  reposant  dans  une  lainure  creu- 
sée à  la  pioche.  L'on  ne  voit  pas,  à  l'intérieur,  de  Imce  de  coffrage; 
ni,  dans  les  parois  ou  dans  la  coupoh',  le  uioiuche  vestige  d'une  ouver- 
ture par  où  l'on  aurait  pu  retirer  une  charpente. 

Au-dessus,  une  semelle  de  béton  forme  le  sol  de  la  chambre  supé- 
rieure. On  pénètre  dans  celle-ci  par  une  baie,  irrégulièrement  dispo- 
sée, mais  qui  s'ouvre  partout  de  plain-pied  sur  le  chemin  de  ronde 
La  chambre  était  couverte  elle-même,  à  :^'",75  de  hauteur,  par  une 
plate-forme  à  peu  près  partout  effondrée,  qui  constituait  l'étage  supé- 
rieur de  la  défense;  un  arc  de  briques,  parallèle  à  la  muraille,  et  placé 
à  l'intérieur  de  la  chambre,  aidait  à  la  soutenir.  La  plate-forme  était 
entourée  d'un  parapet  crénelé,  aux  nierions  semblables  à  ceux  du  rem- 
part :  en  tenant  compte  des  merlons  d'angle,  on  en  voyait  quatre 
par  côté;  sous  les  deux  du  centre  étaient  percées  des  meurtrières,  à 
ouverture  interne  en  plein  cintre. 

Les  tours  de  la  face  sud-est  ont  été  construites  de  façon  un  peu 
différente;  au  reste,  nous  avons  vu  déjà  que  leurs  dimensions  ne 
sont  pas  les  mêmes.  Plus  «allongées  (2),  les  chambres  inférieures  sont 
couvertes  par  une  voûte  en  berceau,  assez  plate,  en  briques  qui,  très 
vite,  prennent  une  position  presque  verticale;  dans  un  angle,  on  a 


(i)  Disposition  ordinaire  dans  les  fortifications  de  ce  gonre.  Ainsi  dans  les  enceintes 
de   Rabat,   de   Salé,   etc. 

(2)  L'une  mesure  3™,72  sur  2"', 62;  l'autre  3™, go  sur  2™, 48.  L'épaisseur  des  parois  de 
béton   est  d^    i™,25   à    i™,3o. 


L'ENCEINTE  :  REMPARTS 


Hl 


ménagé  un  trou  d'homme,  qui  dut  servir  lors  de  la  construction,  et 
fut  fermé  ensuite  par  une  maçonnerie.  Au-dessus,  même  plate-forme 
et  même  arc  de  briques.  L'étage  supérieur  manque.  Sur  presque  toute 


J.HAiNA0T.I722 


Fix.  4.  —  Plaa  de  la  tour  d'angle  sud. 


sa  longueur,  cette  portion  de  la  muraille  a  été  rasée  à  hauteur  du 
chemin  de  ronde. 

Deux  tours,  en  outre,  présentent  une  forme  un  peu  particulière. 
D'abord  la  tour  d'angle  sud  :  elle  est  pentagonale,  et  non  quadrangu- 
laire,  comme  toutes  les  autres  (fig.  !\).  Ensuite,  la  tour  la  plus  occiden- 
tale de  la  face  nord-ouest  (non  compris  la  tour  d'angle).  Elle  est  infini- 
ment plus  large  que  les  autres  :  6", 76;  son  avancée,  selon  les  côtés,  est 


52  CIlELLA 

de  /i'",^©  et  de  fr,So  :  car  elle  est  tout  à  fait  de  ji^uingois.  Sa  chambre 
inférieure  s'ouvre  sur  l'intérieur  de  l'eneeinle  par  une  porte  très  basse 
en  forme  d'are  brisé;  sans  doute  servit-elle  de  magasin.  Dans  la  cham- 
bre du  haut,  l'arc  en  briques,  malgré  sa  portée  supérieun^  à  ^V",  5o, 
ne  peut  venir  buter  contre  les  parois  :  il  est  relié  à  elles,  de  (^ha(]U(; 
côté,  par  un  mur  de  moellons  et  de  briques.  Tout  cela  est  disposé 
sans  la  moindre  symétrie.  A  une  époque  postérieure,  la  chand)re 
inférieure  de  cette  tour  dut  servir  de  sanctuaire  à  un  culte  marabou- 
tique  :  on  voit,  en  effet,  de  chaque  côté  de  l'ouverture,  et  fort  au- 
dessus,  deux  de  ces  anneaux  de  pierre  qui,  d'ordinaire,  servent  à  pla- 
cer des  drapeaux. 

Cette  chambre  est  aujourd'hui  réutilisée  comme  magasin  à  paille, 
j)ar  l'un  des  propriéhiires  qui  cultivent  le  sol  de  Chclla.  Bien  d'au- 
tres tours  ont  eu  le  même  sort.  Des  ouvertures,  parfois,  ont  été 
creusées  dans  les  parois  des  chand)res  inférieures  pour  les  transformer 
en  silos,  tandis  que  les  chambres  supérieures  étaient  aménagées  en 
chambres  d'habitation  (i).  Les  laboureurs,  depuis  longtemps,  ont 
repris  possession  de  Chella. 

Défenses  accessoires.  —  Pas  de  fossé  le  long  de  l'enceinte.  Pas  non 
plus  de  mur  intérieur,  comme  en  certains  points  de  l'enceinte  de 
Taza,  et  semblc-t-il,  d'el-Mansoùra  (^i).  Mais,  de  part  et  d'autre  de 
la  grande  porte,  à  5", 26  des  toiire  qui  la  ilanquent,  se  détachaient 
vers  l'extérieur,  à  angle  droit,  deux  murs  de  béton,  épais  de  o'",65,. 
et  dont  on  suit  les  affleurements,  au  ras  du  sol,  sur  une  quarantaine 
de  mètres,  à  gauche  de  la  porte,  et  un  pou  moins  longtemps  à  droite. 
S'agit-il  d'une  barbacane  destinée  à  protéger  les  abords  de  la  porte, 
forçant  l'assaillant  à  passer,  pour  arriver  jusqu'à  elle,  entre  deux 
murs  fort  rapprochés?  La  fortification  mérinide  a  connu  ce  système 
de  défense  :  à  Taza,  par  exemple.  Cependant,  on  peut  se  demander 
si  les  murs  qui  nous  occupent  montaient  bien  haut.  Leur  écroulement 
en  ce  cas,  n'aurait  pas  manqué  de  laisser  des  déblais   importants, 

(i)  D'où  les  deux  ouvertures  qu'on  aperçoit,  sur  la  planche  3,  dans  la  tour  au  pre- 
mier plan.  L'espèce  de  poterne,  au  pied  de  cette  même  tour,  semble  aussi  une  ouverture 
postérieure. 

(2)    Cf.    W.  et  G.  Marçais,    Les    manaments    arabes    de    Tlemcen,    p.    2o3. 


>    o^ 


Chella,  Pl.  IV 


es 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE  53 

qui  ne  se  retrouvent  pas.  En  outre,  on  ne  voit  pas  trace  de  la  seconde 
attache  qui  aurait  dû  relier  cette  barbacane  aux  remparts.  Enfin,  un 
mur  élevé,  en  cet  endroit,  aurait  eu  pour  résultat  de  masquer  la  porte, 
sauf  à  l'intérieur  d'un  étroit  couloir.  Or,  cette  porte  était  destinée  à 
être  vue.  Sa  décoration  très  soignée  le  prouve,  et,  nous  le  constate- 
rons aisément,  sa  valeur  militaire  est  faible,  ayant  été  délibérément 
sacrifiée  à  sa  valeur  d'œuvre  d'art. 

On  peut  donc  supposer  que  les  murs  en  question  étaient  fort  bas, 
simples  murs  de  soutènement  peut-être,  destinés,  en  raison  de  la 
déclivité  du  terrain,  à  permettre  de  conserver  un  chemin  d'accès 
plan,  en  retenant,  d'un  côté,  les  terres  qui  auraient  pu  l'obstruer,  et 
de  l'autre,  en  empêchant  le  ruissellement  de  l'entamer. 

Ce  système  défensif  est  en  somme  fort  simple.  Bien  qu'il  soit  de 
beaucoup  plus  petites  dimensions,  et  qu'il  en  diffère  assez  sensible- 
ment par  quelques  détails  de  construction  —  en  ce  qui  concerne  les 
tours  notamment  et  la  forme  des  créneaux  —  il  n'est  pas  sans  pré- 
senter, dans  l'ensemble,  quelque  ressemblance  avec  l'enceinte  d'el- 
Mansoîira  (i),  de  date  assez  voisine  ;  construite  en  702  (i3o2-o3),  par 
Aboû  la'qoûb,  elle  fut  restaurée  par  Aboû  '1-Hasan.  Mais,  comme 
nous  le  verrons  mieux  encore  en  étudiant  les  portes,  il  se  prêtait 
fort  mal  à  une  défense  effective. 

2.  —  La  grande  porte. 

La  porte  principale  se  trouve  sur  la  face  sud-ouest  de  l'enceinte, 
à  3oo  mètres  environ  de  la  porte  des  Zaër  (2),  de  la  grande*  enceinte 
de  Rabat.  Elle  est  à  coude  simple,  et  s'ouvre,  à  l'intérieur,  face  au 


(i)  En  voir  la  description  p.  201  sqq,  dans  l'excellent  volume  de  MM.  W.  et  G.  M.ir- 
oais,  les  Monuments  arabes  de  Tlerncen,  que  nous  aurons  encore  souvent  l'occasiom  de 
citer  par  la   suite. 

(2)  C'est  le  nom  qui  est  donné  couramment  à  cette  porte  depuis  l'établissement  du 
Protectorat,  car  il  faut  la  traverser  pour  gngnor  la  partie  de  la  banlieue  de  Rabat  occupée 
par  la  tribu  des  Za'îr.  Elle  s'appelle  en  réalité  Bàb  el-hadîd,  «  la  porte  du  fer  »,  et  non 
(omme  on  l'a  quelquefois  écrit  Bâb  Chella  :  ce  dernier  nom  s'applique  à  une  porte  non 
coudée  (bâb  'àdîyya),  qui  est  percée  dans  le  mur  'alawide  de  la  médina  de  Rabat,  et 
d'où  partait  l'ancienne  piste  qui  menait  à  Chella, 


54 


CIIELLA 


sud-est.   La  forme  particulière  des  tours  qui  la  flanquent  lui  donne 
dos  l'abord  un  aspect  extrêmement  ori«?inal. 

Les  ouvertures  sont  d'une  grande  élégance.  Celle  de  l'exlérieur 
(pi.  4  ^t  5)  a  dû  être  consolidée  par  deux  piliers  d(^  maçonnerie  reliés 
par  nne  poutre  qui,   enrobant  ses  pieds-droits,   rétrécissent  sensible- 


A      A 


A      A 


JHAINAUT  l7rT 


Fig  5.  —  Élévation  schématique  de  la  grande  porte  (face  extérieure). 


ment  le  passage.  Sur  la  face  intérieure  (pi.  7),  au  contraire,  à  part  un 
abaissement  du  sol  causé  par  le  ruissellement,  les  choses  sont  restées 
en  l'état,  et  l'on  peut  aisément  étudier  les  proportions  de  l'ouverture. 
Elle  consiste  en  un  arc  outrepassé  et  brisé,  reposant  sur  deux  pieds- 
droits  hauts  de  i",65  (au-dessus  du  sol  primitif)  et  écartés  de  3'",5o. 
L'arc  lui-même,  formé  de  claveaux  rayonnant  autour  d'un  centre  placé 


5^ 


]f\js^^v^'h 


O^h 


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L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE  55 

au-dessous  des  centres  de  construiction,  mesure  3",i5  de  hauteur  sur 
S^jôo  de  largeur  snaxima.  Ce  qui  donne,  au  total,  à  l'ouverture  une 
hauteur  de  4'", 80,  de  la  clef  de  voûte  au  sol  ancien,  sur  une  largeur 
de  S^jSo;  la  hauteur  totale  de  cette  face  de  la  porte  étant  de  9°',i5, 
parapet  compris.  L'ouverture  extérieure  est  de  proportions  différentes, 
La  largeur  de  l'arc  est  sensiblement  égale;  mais  la  clef  de  voûte  est 
à  5", 60  du  sol  ancien,  et  la  hauteur  totale  de  9", 96  (i). 

La  construction,  à  première  vue,  sur  les  deux  faces,  apparaît  extrê- 
mement soignée.  De  belles  pierres  de  taille,  disposées  par  assises 
régulières,  et  jointes  avec  infiniment  de  soin,  séparées  par  un  lit  de 
ciment  imperceptible,  au  point  qu'on  les  dirait  simplement  posées 
l'une  sur  l'autre.  Dans  la  partie  supérieure,  suivant  un  procédé  de 
construction  assez  fréquent  dans  ces  sortes  de  monuments,  et  que 
l'on  observe  à  Rabat  depuis  l'époque  almohade  jusqu'au  xvn^  siècle, 
les  pierres  de  taille  se  superposent  par  assises  alternativement  étroi- 
tes et  larges  :  celles-ci  étant  constituées  par  des  pierres  placées  de 
champ.  Le  tout  repose  sur  une  épaisse  semelle  de  béton,  destinée  à 
égaliser  le  terrain,  et  qui  donne  en  même  temps  beaucoup  de  cohésion 
à  l'ensemble.  A  l'extérieur,  cette  semelle,  comprise,  semble-t-il,  entre 
les  deux  fausses  barbacanes,  s'avançait  jusqu'à  une  distance  de  5™,  5o 
des  pieds-droits,  et  de  i^jôo  de  l'extrémité  des  tours.  Le  ruissellemen!, 
autant  que  les  pieds  des  passants  l'ont  aujourd'hui  profondément 
entaillée. 

Mais  si  l'on  y  regarde  de  près,  l'on  s'aperçoit  que  les  pierres  de 
taille  ne  forment  qu'un  revêtement  étroit,  derrière  lequel  est  un  mur 
fait  de  grossiers  moellons.  Ce  revêtement,  aux  extrémités,  vient  tout 
juste  s'appliquer  sur  le  béton  du  mur  d'enceinte  :  c'est  à  peine  si, 
en  de  rares  points,  surtout  à  la  base,  il  mord  légèrement  sur  son 
épaisseur.  En  arrière  de  cette  façade,  tout  ce  qui  n'est  pas  vu  immé- 
diatement de  l'extérieur,  est  construit  en  matériaux  légers  ou  de 
second  choix;  ainsi  en  va-t-il  de  la  base  jusqu'au  sommet  des  tours  : 
le  principe  die  l'économie  des  matériaux  a  été  poussé  à  l'extrême. 
La  face  intérieure  de  la  porte  est  conçue  dans  le  même  esprit.  Et  les 

(t)  Les  figures  5  et  i5  (élévation)  permettront  d'étudier  les  proportions  relatives  de?  diffé- 
rents  éléments  de   la   construction   et   de    la  décoration   sur  les  deux  faces  de   la  porte. 


56  CIIELLA 

lieux  g^iaiuls  iniirs  du  fond  sonl  siniplcnicnt  en  héion.  Mais  on  s'était 
arrangé  pour  qu'ils  lissent  illusion  :  à  l'inléiieur,  ils  élaieul  recou- 
verts de  erépi,  et  à  l'extérieur  était  dessinée»,  à  leur  an<^d(>  de  jonetion, 
sur  toute»  la  hauteur,  une  série  de  faux-joints  qui  simulaient  des  assi- 
ses de  pieire  de  taille.  Bref,  deu\  façades  imposantes,  et,  derrière 
elles,  du  travail  hàtif,  économique,  assez  médiocre. 

Sauf  cependant  en  ce  qui  concerne  la  voûte  qui  recouvre  cette 
porte  coudée.  C'est  uuo  Noùle  d'arèle,  en  briques,  d'une  belle  venue. 
Elle  ost  pleine,  v^^ans  un  de  ces  jours,  fréquents  dans  la  couvcrt/ure 
de  semblables  monuments,  et  grâce  auxquels,  de  la  platic-forme  supé- 
rieure, on  peut  commander  l'intérieur  de  la  porte.  Elle  repose  sur 
quatre  piliers  engagés,  construits  eux  aussi  en  t)el  appareil;  mais  déjà 
les  massifs  de  maçonnerie  qui  les  relient  aux  pieds-droits  des  ouver- 
tures sont  en  moellons  :  ils  étaient  d'ailleurs  revêtus  d'un  enduit 
assez  épais,  tandis  que  les  piliers  restaient  nus. 

L'écartement  de  ces  piliers  donne  la  largeur  du  couloir  :  elle  est 
de  3"',4o;  et,  si  l'on  en  déduit  le  ressaut  supérieur  sur  lequel  repose 
directement  la  voûte  —  soit  lo  à  i5  centimètres  par  côté  —  on  a 
du  même  coup  la  largeur  de  celle-ci.  Quant  à  la  longueur  de  chacun 
des  deux  berceaux,  elle  est  au  total,  en  y  comptant  les  renfonce- 
ments, ou  corps  de  garde,  dont  il  va  être  question,  de  9  mètres 
pour  celui  qui  aboutit  à  l'ouverture  extérieure,  et  de  io'",6o  pour 
l'autre. 

Entre  le  couloir  et  les  deux  murs  du  fond,  en  face  par  conséquent 
de  chacune  des  portes  d'entrée,  et  séparés  par  le  pilier,  plus  massif 
que  les  deux  autres,  qui  soutient  la  voûte  à  l'angle  opposé  aux  deux 
ouvertures,  sont  deux  renfoncements,  de  dimensions  inégales.  L'un 
—  en  face  de  l'ouverture  extérieure  —  est  peu  profond;  l'autre,  au 
contraire,  sorte  de  corps  de  garde,  mesure  S",/!©  sur  3",i5;  son  sol 
est  une  plate-forme  surélevée  de  o'",85  au-dessus  du  sol  ancien  du 
couloir;  au  fond,  s'opposent  deux  niches  symétriques,  voûtées  (i), 
peut-être  destinées  à  économiser  des  matériaux. 


(i)  Hauteur    :   2'",Go;  largeur    :  o'",r)0.   L\mo  d'entre  elles  seulement  —   du  côté  oppose 
à   la   tour  —  est  assez  profonde   :  elle   s' enfonce   de    i^jôo. 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE  57 

L'éclairage  de  l'intérieur  de  la  porte,  lorsque  les  vantaux  étaient 
fermés,  était  assuré  par  deux  petites  fenêtres  à  arc  trilobé,  percées 
dans  les  murs  du  fond,  juste  au-dessous  de  la  voûte. 

Les  tours.  —  Les  tours  qui  défendent  l'accès  de  la  porte  sont  à  pans 
coupés,  si  bien  qu'elles  se  présentent  extérieurement  comme  des  tours 
octocronales  (i),  mais  à  plate-forme  supérieure  quadrangulaire  :  les 
angles  de  celles-ci  sont  soutenus  par  un  encorbellement  à  stalactites. 
Leur  aménagement  n'est  pas  sans  rapport  avec  celui  des  tours  qui 
flanquent  le  rempart  :  elles  ont,  d'ailleurs,  un  saillant  sensiblement 
égal  au  leur.  Au-dessus  d'une  chambre  intérieure,  dans  laquelle  on 
ne  pénètre  pas,  sont  deux  étages  de  défenses  :  au  niveau  du  chemin 
de  ronde,  une  chambre;  et  au-dessus,  une  terrasse  crénelée.  Les 
marions  (2)  sont  semblables  à  ceux  des  remparts,  mais  de  dimensions 
plus  considérables  (3).  Ils  ont,  eux  aussi,  bel  aspect,  paraissant,  de 
l'extérieur,  édifiés  en  pierres  de  taille  disposées  par  assises  alternées. 
Mais  ce  n'est  encore  qu'apparence  :  ces  pierres,  posées  de  champ  dans 
les  assises  larges,  ne  forment  que  le  parement  d'une  construction  de 
briques  (4). 

L'aménagement  des  parties  hautes.  —  On  accède  à  la  partie  supé- 
rieure de  l'édifice  par  un   escalier  qui  débouche   dans   le  corps   de 

(i)  Les  tours  à  pans  coupés  ne  sont  pas  exceptionnelles  au  Maroc  :  on  peut  citer, 
par  exemple,  à  Rabat  môme,  deux  portes  du  rempaiit  almohade,  tout  à  fait  comparab'es 
entre  elles,  Bàb  el-Hàd,  et  celle  sur  laquelle  est  bâtie  le  palais  du  sultan  ;  à  Fès,  la  porte 
de  la  qasba  des  Filnla,  etc. 

(2)  Il  y  en  avait  dix  par  tour.  Il  n'en  reste  plus  aujourd'hui  qu'onze  en  tout.  Ils 
ont  pu  tomber  à  une  date  Técente  :  deux  ont  disparu  depuis  l'époque  où  ont  été  pri- 
ses les  photographies  de  M.  de  la  Martinière  reproduites  dans  Sakdin,  op.  cit.,  p.  234  et 
235. 

(3)  Voici  ces  dimensions  :  i™,5o  de  hauteur  environ,  0^,74  de  largeur,  o™,4o  d'épais- 
seur. o'",54  d'écartement  (largeur  des  créneaux).  Les  merlans  d'angle  ont  la  tnièin/p 
largeur   sur   les  deux   faces  extérieures. 

(4)  Le  mur  postérieur  de  ces  tours,  n'étant  pas  visible  du  dehors,  est  construit  en 
béton,  à  l'exception  cependant  de  quelques  parties  dans  le  bas.  Dans  la  tour  nord,  con- 
tre laquelle  s'ouvrait  la  poterne,  et  dont  'e  pied,  de  ce  fait,  était  dégagé  avant  la  cons- 
truction de  l'hôtellerie  dont  il  sera  question  plus  loin,  urne  série  d'assises  régulières  de 
pierres  de  taille  montait  presque  jusqu'au  niveau  de  l'arc  de  la  poterne  —  à  peu  près 
jusqu'au  niveau  de  la  terrasse  actuelle  de  l'hôtellerie.  Au  pied  de  l'autre  tour,  un  frag- 
ment, i^rég^llier,  de  mur  en  gros  appareil  vient  s'encastrer  dans  le  béton. 


58  CHELLA 

garde  étudie  plus  haut,  e\  nionle  ou  tournaut  autour  d'un  pilier,  à 
l'intérieur  du  massif  de  luaçonueiie  compris  entre  la  tour  nord,  le 
couloir  et  le  eor])S  de  «2:ar(le;  il  empiète  léf'-èrement  dans  l'intérieur 
de  la  tour.  Ot  escalier  étroit  (o"',8.S),  est  couvoit  par  une  série  de 
petites  voûtes  d'arête  en  briques  (i),  et  éclairé  par  trois  petites  fenê- 
tres obliques.  Il  est  aujourd'hui  effondré  sur  l'espace  de  quelques 
marches. 

Dans  sa  partie  supéri(Mir(\  il  se  divise  en  deux  branches.  Celle  de 
droite  mène  à  un  couloir  couvert  d'une  terrasse  sur  rondins,  et  ter- 
miné par  un  escalier  de  quelques  marches,  qui  appartient  déjà  au 
chemin  de  ronde  du  ir.'upail;  le  terrain,  à  cet  endroit,  subit  une  assez 
forte  déclivité.  Dans  ce  couloir  s'ouvre,  à  gauche,  une  baie  qui  donne 
accès  à  la  chambre  supérieure  de  la  tour  nord.  Cette  chambre  repro- 
duit grossièrenuMit  la  forme  extéiicMue;  les  parois  sont  percées  de 
cinq  meurtrières,  qui  servaient,  en  temps  normal,  à  donner  de  la 
lumière.  Toute  cette  disposition  manque  de  régularité  :  les  côtés  n'ont 
pas  les  mêmes  dimensions,  et  l'ouverture  intérieure  des  meurtrières 
n'est  guère  symétriquement  placée.  On  s'en  rendra  compte  aisément 
sur  le  plan. 

Cette  chambre  était  couverte,  à  3  mètres  du  sol,  ]>ar  une  terrasse 
formée  d'une  semelle  de  pisé  reposant  sur  des  rondins,  comme  celle 
du  couloir.  Mais  elle  avait  ici  une  portée  plus  grande  :  il  n'est  pas 
étonnant  qu'elle  soit  aujourd'hui  complètement  effondrée.  Cette  ter- 
rasse constituait  la  plate-forme  supérieure  de  la  tour,  le  deuxième 
étage  de  défense.  Elle  n'était  pas  d'un  accès  très  facile.  On  y  arri- 
vait par  une  petite  ouverture  triangulaire  ménagée  dans  l'angle  de 
la  chambre,  et  à  laquelle  on  montait  par  une  échelle,  dont  les  bar- 
reaux, en  bois,  étaient  encastrés  dans  le  mur  :  les  traces  en  sont 
encore  visibles.  Peut-être  aussi  pouvait-on  parvenir  à  l'étage  supé- 
rieur par  l'extérieur.   Au-dessus  de  la  terrasse  du  couloir,  une  étroite 

(i)  Les  dimensions  de  ces  briques  sont  de  o"',25  de  longueur  sur  o™,i2  de  largeur  et 
o^joSS  à  o'^,oA  d>^pai?seur.  Ce  sont  les  dimensions  ordinaires  des  briques  employées 
dans  cet  édifice.  —  La  dorniène  voûte  est  sensiblement  oblique  :  cela  vient  de  ce  que 
les  deux  branches  entre  lesquelles  se  divise  l'escalier  dans  sa  partie  supérieure  ne  sont 
pas  exactement  en  face  l'une  de  l'autre  :  il  y  a  là  un  décrochement  d'environ  o",3o 
(cf.    le    plan,    fig.    7). 


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60  CIIKII.A 

ouvorliin'  penuiM  ^]v  sr  ^liss(M'  à  l'inltMiiMir  du  civuclii^M^  (l(>s  loiirs; 
ci,  (raulic  pai i.  on  remarque  sur  le  plan,  eu  arrière  de  la  tour  nord, 
un  déi)arl  d'esealier,  qui,  terminé  peul-èire  par  une  échelle  ou  des 
maivlies  eu  inalériau\  1res  légers,  pouvait,  mener  de  la  plale-l'orme 
supérieure  di>  la  porte  sur  la  terrasse  du  eouloii-,  et  de  là  au  sommet 
de  la  jour.  Mais  il  l'aiil  reconnaît it>  que  celte  voie  était  encore  plus 
malaisée  qu(^  la  j)remière.  Au-dessous  du  crénelage,  une  seule  meur- 
trière, au  C(Mdre,  jusie  eu  fixco  d(>  l'ouvcMlure  dont  il  vient  d'être 
question. 

La  branche  de  gauche  de  l'escalier  mène  à  la  terrasse  qui  suiinontc 
la  porte.  C'est  une  large  plate-forme  de  ii"\,Ho  sui-  9"\r)o;  elle  est 
bordée  par  un  parapet  haut  d'un  mètre,  ])(Mcé  de  cinq  meurtrières, 
fort  étroites,  dans  la  j)artie  qui  domine  l'ouveiture  extérieuie  de  la 
ix>rte  (i).  De  l'autre  côté  de  la  terrasse,  un  couloir  symétrique  à  celui 
qui  a  été  étudié  précédemment,  donne  accès  à  la  chambre  supé- 
rieure de  la  tour  sud,  et  va  rejoindre  le  chemin  de  ronde  du  rem- 
part. La  fin  de  chacun  de  ces  deux  couloirs  est  marquée  par  une 
petite  porte  à  arc  brisé;  ils  étaient  en  outn^  éclairés  chacun  par  une 
petite  fenêtre,  aujourd'hui  fort  dégradée,  percée  dans  la  paroi  exté- 
rieure en  briques. 

Graffiti.  —  Dans  l'escalier,  et  dans  le  couloir  en  face  de  la  baie 
qui  donne  accès  à  la  tour  nord,  sont  les  graffiti  déjà  décrits  dans 
Hespéris,  et  qui  représentent  des  vaisseaux  du  xvif  et  du  xvni*  siè- 
cles (2).  Au  pied  de  la  tour  .sud,  grossièrement  entjaillées  dans  la 
pierre,  on  voit  également  des  figurations  de  poignards  courbes.  Si 
les  représentations  de  vaisseaux  ne  sont  pas  rares  sur  les  murailles 


(i)  A  l'anj^le  du  parapet  qui  sumionle  l'ouverture  intérieiire  de  la  porte,  et  du  mur 
(jui  limite  le  couloir  dont  il  va  être  question,  il  reste  un  demi-merlon  à  cinq  dents 
en  pierre,  d'un  type  très  classique  au  Maroc.  De  l'auLre  côté  de  la  plate-forme,  à  l'em- 
plaoeiment  symétrique,  on  relève  la  trace  d'un  semblable  dejni-merlon.  Faut-il  penser  que 
ce  parapet  était  garni  de  merlons  dentelé?,  plus  ornementaux  que  défensifs  ?  C'est  fort 
peu    probable,    car    on    n'en    voit    pas   les    attaches. 

(2)  J.  Campardou  et  Henri  Basset,  Graffiti  de  Chella,  Hespéris,  t.  I,  p.  87-90.  — 
Depuis  l'époque  où  cet  article  a  été  écrit,  les  dessins  ont  été  de  plus  en  plus  dégradés 
par  le  vandalisme  des  promeneurs.  Ils  disparaissent  presque,  aujourd'hui,  sous  des  ins- 
criptions  qui   datent  de   quelques  mois. 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE  61 

inarocaines  (i),  les  poignards  de  ce  genre  sont  très  fréquents  :  il  suf- 
fira d'indiquer  ici  ceux,  très  comparables,  que  l'on  trouve  sur  les 
portes  de  Rabat  :  à  la  porte  de  la  qasba  des  Oùdàïa  et  à  Bàb  er-Roûàh, 
notamment. 

Décoration  de  la  (/randc  iiotic. 

La  décoration  de  la  face  extérieure  est  extrêmement  riche.  A  l'ex- 
ception des  claveaux  qui  circonscrivent  l'ouverture,  et  qui  sont  lisses, 
il  ne  reste  pas,  du  départ  de  l'arc  au  sommet  de  la  frise,  le  moindre 
espace  vide.  C'est  une  décoration  serrée,  en  pleine  pierre,  qui  ne 
témoigne  peut-être  pas  d'un  excès  d'imagination,  mais  qui  ne  laisse 
pas  d'être  fort  harmonieuse.  Elle  se  compose  admirablement  :  les 
lignes  architecturales  sont  très  habilement  calculées  de  manière  à 
éviter  toute  lourdeur;  et  dans  chaque  détail,  l'exécution  apparaît 
remarquable. 

Suivant  une  dispovsition  fréquente  (y),  cette  décoration  s'élage  sur 
plusieurs  plans  :  la  frise  et  le  bandeau  épigraphique;  les  écoinçons; 
enfin,  deux  arcs  superposés. 

L'arc  inférieur,  au-dessus  des  claveaux  lisses,  assez  fortement  brisé, 
s'appuie  sur  un  corbeau,  surmontant  lui-même  un  faux  pied-droit. 
L'arc  est  lobé;  les  lobes  sont  dessinés  par  deux  rubans  entrecroisés 
qui,  entre  leurs  pointes  tantôt  doubles  et  tantôt  triples,  enserrent 
un  espace  semi-circulaire  décoré;  le  motif  qui  le  remplit  groupe  plu- 
sieurs des  principaux  éléments  dont  est  formée  la  décoration  de  tout 
cet  ensemble  (fig.  8)  :  la  coquille,  ici  surmontée  d'un  fleuron  issu  de  la 
palme  et  entourée  de  deux  <(  pommes  de  pin  »  :  celles-ci  vraisembla- 
bl.ement  dérivées  de  la  grappe  de  raisin,  mais  s'en  étant  étrangement 
écartées.  Ce  groupement  est  classique  à  l'époque  mérinide  :  on  en 
retrouve  de  très  nombreux  exemples,  sculptés  dans  la  pierre  ou  dans 
le  bois.   Au  départ,  dans  un  lobe  plus  spacieux,  coquilles  et  pommes 


(i)  A  l'article  précédemment  indiqué,  joindre  des  mêmes  auteurs,  le  Bastioun  de  Taza, 
in  Archives  Berbères,  1918.  On  trouve  gravés  sur  les  murs  de  cette  forteresse  des  arme? 
aussi    bieai  que    des    vaisseaux. 

(2)  Cf.  notamment  au  minaret  d'el-Mansoûra,  étudié  par  W.  et  G.  Marçais,  op.  cit.  , 
p.   217. 


62 


CIIËLLA 


de  pin  sont  remplacées  par  le  motif  serpentiforme,  très  évolué  h  cette 
place,  autre  élément  do  décoration,  et  non  des  moins  gracieux,  que 
l'on  a  prodigués  ckins  colle  porte  :  on  étudiera  plus  loin  comment 
son  rôle,  d'architectural,  est  devenu  purement  décoratif.   A  l'ogive. 


Fig.  8.  —  Décoration  des  arcs,  face  exlcrieure. 


les  rubans,  au  lieu  de  poursuivre  leur  entrecroisement  régulier,  se 
relèvent  de  manière  à  ménager  deux  alvéoles,  remplies  chaoune  par 
une  grande  pomme  de  pin  verticale.  Cela  est  d'un  effet  très  sûr.  L'arc 
inférieur  est  sensiblement  allégé;  du  même  coup,  l'arc  supérieur  se 
trouve  haussé;  celui-ci  n'écrase  plus  celui-là,  il  y  a  du  jour  entre 
eux,  et  l'ensemble  du  dessin,  par  là-même,  est  d'une  grande  légèreté. 
L'arc  supérieur,  d'une  brisure  "moins  accentuée,  repose  sur  deux 
colonnettes  simplement  esquissées;  il  est,  lui  aussi,  dessiné  par  des 


io^ 


Chella,  Pl.  V 


#- 


La  grande  porte  ;  Ouverture  extérieure. 


Chklla,  Pl.  VI 


La  grande  porte.  Détail  :  le  départ  des  arcs. 


L'ENCEINTE  :  GRANDE  î>ORTË  63 

rubans  entrecroisés.  Mais  ceux-ci  sont  trois,  au  lieu  de  deux,  et  les 
pointes  sont  simples.  Par  contre,  l'espace  qu'elles  embrassent  est  tri- 
lobé, et  non  plus  semi-circulaire.  Le  décorateur  ne  s'en  est  pas  enribar- 
rassé;  il  a  adapté  sa  décoration  à  ce  champ  nouveau  :  la  coquille  res- 
tant au  centre,  les  pommes  de  pin  et  le  fleuron  remplissent  chacun 
un  lobe.  Et  comme  les  deux  arcs  sont  excentriques,  il  existe  entre 
eux  un  espace  étroit,  qui  va  s'élargissant  vers  l'ogive  :  il  est  occupé 
par  un  feuillage  de  palmes  très  serré,  rappel  de  la  décoration  des 
écoinçons. 

L'arc  supérieur  est  lié  d'une  autre  façon  encore  à  la  composition 
générale  de  la  décoration.  De  son  sommet  partent  deux  rubans  qui, 
après  s'être  entrecroisés  de  manière  à  laisser  entre  eux  un  médaillon 
quadrilobé  qui  porte  une  eulogie  en  écriture  cursive,  délimitent  les 
écoinçons,  en  se  tressant  aux  angles,  et  vont,  dans  leur  partie  infé- 
rieure, reprendre  leur  place  dans  les  galons  de  l'arc,  au  moment  où 
celui-ci  commence  à   s'infléchir. 

Ce  dessin  a  pour  résultat  d'alléger  encore  l'ensemble.  Les  écoin- 
çons sont  ainsi  surélevés  :  ils  gagnent  toute  la  hauteur  du  inédaillon, 
et  celui-ci  vient,  en  quelque  sorte,  exhausser  l'arc  supérieur  à  son 
sommet,  et  de  la  même  manière  que  l'arc  inférieur.  L'axe  de  la 
porte  s'en  trouve  souligné.  L'élévation  des  écoinçons  par  l'introduc- 
tion d'un  médaillon  quadrilobé  surmontant  l'arc,  et  lié  ou  non  au 
dessin  de  celui-ci,  est  fréquent  dans  cet  art.  La  face  interne  de  cette 
même  porte  en  offre  un  exemple  plus  frappant  encore.  Et  précédem- 
ment —  pour  nous  en  tenir  aux  monuments  voisins  —  la  grande 
porte  de  la  aner,  à  Salé,  bâtie  un  demi-siècle  plus  tôt,  sous  Aboû 
loûsof  la'qoûb  le  Mérinide,  présente  une  disposition  analogue  (i);  et 
l'on  en  retrouve  l'indication  sur  les  portes  almohades  de  Rabat,  pour- 
tant plus  massives,  notamment  à  Bâb  er-Roiiâh. 

Les  écoinçons  sont  garnis  d'un  feuillage  serré,  très  caractéristique 
de  l'époque  mérinide,  formé  d'un  entrelacs  de  palmes  simples  et  dou- 
bles, parmi  lesquelles  sont  semées  —  sans  grande  symétrie  apparente 
—  des  pommes  de  pin.  Cela  fait  un  fond  sur  lequel  se  détachent, 

(i)  On  consultera  sut  cette  porte  l'excol lente  étude  de  M.  H.  Tenrasse.  qui  paraîtra 
prochainement   dans    Hespéris. 


64  ClItLIA 

a\ec  un  n^liof  vi«2^oiireux,  doux  «^^rosses  coquilles.  Kiuadranl  les  ccoin- 
çons,   le  bandeau  épi^Maplncjiie,   en   Ivoùruine  oecidenlal,    à    IcMidance 
ornenienlale    très    niaïuiiiée;    les    liaiuj)es    nionlanl    loiil    en    liant    du 
champ  épigraphiquc   s'y    hiisiMd   et  s'y    tii>ssenl,   de   manière  à   faire 
contrepoids  à  la  masse  de  l'écriture,  et  parfois  relond)ent.  Cependant, 
ce   koùfique  est  relativemenl   sobre    |K)ur  l'époque   à   laquelle   il   fut 
g-ravé,  beaucouj)  plus  sol)re,  on  le  verra,  que  c<dui  du   bandeau  (|ui 
décore   la   ebapelie   funéraii(>  d"  Vboù   '1-Jlasan    :  on   étudicMa    plus   en 
détail,  en  un  chapitre  spétMal,  le  earaetèri>  de  celle  éeritiu'e.  iNolons  seu- 
loment  quioi  les  letti-es  elles-mêmes,  avec  lein^s  liainpes  tressées,  sufli- 
sentà  la  décoration  :  elles  se  délachent  sur  un  fond  nu,  sans  le  moindre 
ornement  vé^jétal  lié   ou   non  à  elles  :  cela  donne  à  l'inscrijition,  ass(v, 
serrée  par  elle-même,  un  relief  beaucouj)  ()lus  ucl.   Au\  exlrétniités  (>l 
aux  antrles,  un  motif  sensiblement  (piadian^ndaire,  analo^nie  à  celui 
que  l'on   reliouNC  aux   mêmes  places  à  la  chapelle  d'Aboù  'l-llasan    : 
l'élément   principal   élan!    un    médaillon    quailrilohé,    contenant   une 
sorte  de   rosace.   Cette   inscription    n'est   pas   seulement   décorative    : 
c'est  l'inscription  dédicatoire  de  la  porte,  dont  la  teneur  a  été  étudiée 
plus  haut,  et  qui  la  date  exactement  de  la   fin  de  dhoù  '1-l.iijja  789 
(8  juillet  1339). 

Au-dessus  du  bandeau  épig-raphique,  et  correspondant  au  parapet 
de  la  plate-forme,   une  haute  frise,  quelque  peu   maltraitée  par  le 
temps,  figure  une  série  d'arcatures  aveugles.  Elle  est  d'un  dessin  com- 
parable à  la  frise  de  la  porte  des  Oûdaïa  —  surtout  à  celle  de  la 
face  interne  —  ou  à  celle  de  la  porte  de  la  zâwîyya  salétine  d'en-Nas- 
sâkh,  qui  fut  construite  dix-huit  ans  après  la  porte  de  Chella,  et  dont 
il  ne  reste  plus  guère  que  ce  vestige.   Les  arcatures  (fig.  9)   repo- 
sent ici  sur  de  petites  colonnes  torses  engagées,  très  basses.  Ces  arca- 
tures sont  au  nombre  de  treize,  chiffre  qui  se  retrouve  sur  la  face 
interne  de  la  porte  des  Oûdâïa;  mais  ici,  les  consoles  réduisent  de 
moitié  la  première  et  la  dernière.  L'intérieur  des  arcatures  est  occupé 
par  un  motif  koùfique  que  nous  lisons  el-inolk  lillah  :  «  la  royauté  est 
à  Allah.  »  Cette  inscription  se  détache  sur  fond  nu  :  elle  est  traitée 
surtout  comme  un  motif  ornemental  ;  l'artiste  a  su  en  faire  une  com- 
position assez  symétrique,  dont  une  grosse  tresse  marque  le  centre. 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE 


65 


Un  fleuron  se  dresse  au  sommet  de  cliaque  arcature;  entre  elles,  un 
entrelacs  architectural,  dont  le  départ,  dans  le  vide,  est  à  l'intérieur 
des  arcatures;  il  renferme  une  coquille  sui^montée  d'une  pomme  de 


LcUlle 


omette- 


JHAINAUT.I7Z2 


Fig.  9.  —  Frise  de  la  grande  porte,  face  extérieure  ;  disposition  des  faïences. 

pin.  L'originalité  de  cette  décoration  vient  de  l'emploi  de  quelques 
faïences  —  dont  il  ne  reste  plus  guère  que  les  traces  aujourd'hui  — 
liées  étroitement  à  la  composition  :  au-dessus  de  chaque  médaillon 
de  l'entrelacs  —  donc  tout  à  fait  au  sommet  de  la  frise  —  une 
amande  bleue;  et,  dans  les  intervalles,   à  un  niveau  légèrement  infé- 


HESPERIS.  —   T.   II     —      1023 


66  CHELLA 

rieur.,  juste  au-dessous  dos  lleurons,  un  polit  losanij^o,  bleu  ôg-aloment, 
marque  le  croisomont  dos  rubans  qui  dôliniilonl  l'arcaturo  et  des 
rubans  de  l'ontrolacs.  Cola  est  tri>s  sobre  :  à  peine  quelques  touches 
bleues  dans  cotte  dentollc»  {]o  pierre  ocre. 

De  part  et  d'autre  de  la  frise,  tout  contre  ravaneéo  des  tours,  sont 
deux  consoles,  supportées  par  doux  colonnottos  qui  reposent  elles- 
mêmes  sur  des  corbeaux  :  ceux-ci  sont  à  peu  près  de  niveau  avec  le 
sommet  de  l'arc  d'ouverture.  De  toiles  consoles  d'angle  sont 
classiques  dans  les  portos  almohades  et  mérinides;  mais  ici,  elles 
ont  été  traitées  avec  un  soin  particulier.  Les  colonnes,  base,  fut  et 
chapiteau,  sont  (\v  marbri^  blanc.  Le  fut  est  octogonal  :  la  colonne 
étant  engagée,  on  n'en  voit  que  cinq  pans.  Les  chapiteaux  sont  fort 
gracieux  :  le  sommet  dos  acanthes,  assez  sensiblement  recourbé,  sup- 
porte deux  giND&ses  volutes  séparées  par  un  bandeau  ori  étaient  ins- 
crites des  eulogies.  Ces  chapiteaux  sont  malheureusement  très  dégra- 
dés dans  leur  partie  supérieure.  Les  corbeaux  ont  disparu;  mais  quel- 
ques fragments  demeurés  on  place  montrent  qu'ils  étaient  de  marbre 
bleu.  De  jncmc  matière  était  aussi  l'étroit  tailloir  qui  sépare  le  chapi- 
teau de  la  console  (i). 

Celle-ci,  en  pierre,  est  très  décorée,  du  moins  sur  la  seule  des  deux 
faces  latérales  qui  soit  visible,  l'autre  étant  masquée  par  l'avancée 
des  tours  (fig.  lo).  Au  départ,  le  motif  serpentiforme;  au-dessus,  une 
série  de  palmes  et  de  pommes  de  pin;  dans  l'écoinçon,  la  coquille, 
fort  allongée,  entre  des  palmes  doubles.  Enfin,  des  stalactites  complè- 
tent la  décoration. 


(i)  Il  peut  sembler  étrange  que  les  corbeaux,  fortement  engages  dans  la  muraille, 
et  qui  ne  supportaient  en  rien  le  poids  des  colonnettes  —  puisque  celles-ci  sont  demeu- 
rées en  place  après  la  chute  des  corbeaux  ■ —  aient  disparu,  de  chaque  côté,  en  lais- 
sant un  trou  à  leur  place.  D'autre  part,  on  dirait  que  les  tailloirs  eux  aussi  ont  subi 
des  tentatives  d'arrachconent  :  ils  sont  écornes,  et  le  haut  dos  chapiteaux,  qui  les  touche,  ost 
fort  dégradé,  ce  qui  contraste  avec  la  bonne  conservation  du  reste  de  la  colonne  et  de 
la  console.  II  faut  peut-être  rapprocher  ce  fait  de  la  légende,  mentionnée  plus  loin, 
selon  laquelle  une  pierre  bleue  s'est  trouvée  être  "un  bloc  d'argent.  La  porte  de  Chella, 
qui  cache  des  objets  enchantés,  tel  l'anneau  de  Salomon,  a  dû  exciter,  comme  toutes  ces 
ruines  sur  lesquelles  courent  tant  de  récils  merveilleux,  l'imagination  des  chercheurs  de 
trésors  :  ils  auront  arraché  ou  tenté  d'arracher  ces  pierres  bleues,  haut  placées,  aux- 
quelles, sous  l'empire  de  la  légende,  ils  croyaient  voir  des  reflets  métalliques 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE 


67 


Ces  consoles  étaient-elles  destinées  à  supporter  un  auvent?  On  peut 
objecter  à  cette  hypothèse  que  la  décoration  des  tours  se  poursuit 
là  même  où  cet  auvent  aurait  dû  la  masquer  :  on  s'en  rendra  compte 
aisément  sur  la  figure  ii.  D'autre  part,  ces  consoles  s'avancent  de 
i'",2o  au-delà  du  plan  de  la  porte,  i°\io  du  rebord  du  parapet.  On 
s'expliquerait  mal  un  saillant  aussi  prononcé  s'il  s'agissait  d'un  sim- 
ple ornement.  D'autant  plus  que  Tcxis- 
tence  d'un  auvent  pour  protéger  une 
porte  aussi  ornée  est  presque  générale.  Les 
portes  essentiellciTient  militaires  des 
villes,  même,  semblent  en  avoir  été  pour- 
vues, surtout  sur  leur  face  interne. 

Ce  qui  doit  être  noté,  en  tout  cas,  c'est 
la  répartition  extrêmement  sobre  et  habile 
des  éléments  polychromes  dans  la  déco- 
ration de  la  porte  de  Chella.  Ils  ont  été 
placés  exclusivement  dans  la  partie  supé- 
rieure. De  chaque  côté,  les  marbres  blancs 
des  colonnes,  entre  le  bleu  foncé  des  cor- 
beaux et  des  tailloirs;  et  entre  eux,  mais 
tout  en  haut,  sur  la  frise,  quelques  touches 
de  faïence  bleue,  tout  petits  points  à 
peine  perceptibles  d'en  bas,  juste  suffi- 
sants pour  accrocher  la  lumière.  Cela 
complétait,  et  en  même  temps  allégeait 
admirablement  une  décoration  qui  aurait  pu  paraître  un  peu  chargée. 

Les  tours,  elles  aussi,  sont  décorées,  du  moins  dans  leur  partie 
supérieure;  et  cette  décoration  se  compose  avec  celle  de  la  porte.  A 
hauteur  du  bas  et  du  haut  de  la  frise,  un  cordon  de  pierre,  portant 
un  entrelacs  simple,  fait  le  tour  de  chacune  d'elles.  Mais  la  décora- 
tion s'épanouit  au-dessus  du  cordon  supérieur,  juste  à  partir  du 
niveau  oii  se  termine  la  porte.  Le  principal  prétexte  de  cette  décora- 
tion, ce  sont  les  encorbellements  à  stalactites  qui  supportent  la  plate- 
forme quadrangulaire  ^fig.  12,  i3  et  i/i).  Chacun  repose  sur  quatre 
groupes  de  colonnettes  géminées  :  entre  celles-ci  sont  trois  panneaux 


Fig.  10.  —  Console  d'angle 
(face  extérieure  de  la  porte) 


68 


Cil  ELLA 


décorés  de  motifs  dérivés   du   koùfique.   Le  dessin,    d'une   symétrie 
rigoureuse,  se  compose  de  part  et  d'autre  d'un  axe,   dont  le  centre 


Fig    11.  —  La  graude  porte  :  sommet  de  la  tour  nord. 


est  marqué  par  une  grosse  tresse  sur  les  panneaux  extérieurs,  et  par 
une  coquille  sur  le  panneau  centraL  Entre  chaque  groupe  de  colon- 


JHa(nauT    tflZ. 


Fia  12  et  13.  —  Encorbellement  à  stalactites  des  tours.  Élévation  et  plan. 


70 


CUELLA 


Fig.  14.  —  EuLorbellemenl  à  stalactites  des  tours 
Coupe  suivant  AB  du  plan. 


nettes,  un  entrelacs  formant 
ti^e  supporte  une  pomme 
depiu.  Au  (l('p;u  I de  reucor- 
bellemeul,  cliacuue  des  co- 
loiuieites  est  surmontée  de 
la  (MKpiilIe;  (Milre  les  stalac- 
tites, trois  petits  cadres  car- 
rés, disposés  en  pyramide, 
conlieunent  des  motifs  déco- 
ratifs dérivés  du  koùlicpio, 
1res  S(Mnl)lal)l('s  (la?is  leur 
pailie  iiifiMicinc  aux  uiolifs 
qui  décorent  les  pauueaux  du 
bas:  mais  au  lieu  (1x3  la  tresse 
centrale,  deux  d'entre  eux 
portent  deux  tresses  en  cœur 
latérales;  le  troisième,  le  car- 
re supérieur,  hïs  remplace 
par  deux  petites  palmes  dou- 
bles. De  part  et  d'autre  de 
l'encorbellement,  sur  les  fa- 
ces latérales,  un  médaillon 
lol)é  porte  une  eulogie  en 
écriture  andalouse  :  el-baqâ' 
lUlah  (la  durée  est  à  Allah), 
ou  el-'izzat  Mali  (la  gloire 
est  à  Allah).  Enfin,  sur  les 
panneaux  qui  séparent  les 
encorbellements,  de  simples 
lignes  dessinent  des  arcatures 
lobées,  dans  un  encadrement 
rectangulaire;  et  cet  ensem- 
ble décoratif  est  limité  par  un 
nouveau  cordon  de  pierre 
portant  un  entrelacs  simple, 
juste  au-dessous  des  merlons. 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE 


71 


La  décoration  de  la  face  intérieure  de  la  porte  est  infiniment  plus 
sobre.   L'ensemble   est  plus   étroit;  trois   plans   successifs   seulement 


Eckelle 
4        2        3        4       5mètxô5. 


J-HAiNAUT.iyrZ. 


Fig.  15.  —  Élévation  schématique  de  la  grande  porto  (face  intérieure) 

au  lieu  de  quatre.   Au-dessus  des  claveaux  lisses  qui  circonscrivent 
l'ouverture,  et  qui  reposent  sur  des  corbeaux  sobrement  sculptés, 


72 


CHEM.A 


Fig.  16.  —  Décor  de  l'arc  do  la  grande  porte  (face  intérieure). 


JHAiNAUl.l??2 


Fig.  17.  —  Frise.de  la  grande  porte  (face  intérieure), 


Chella,  Pl.  VII 


La  grande  porte  :  Ouverture  intérieure. 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE 


73 


portant  à  leur  centre  la  coquille,  un  seul  arc,  au-dessus  de  corbeaux 
analogues,  sans  colonnettes  de  support.  Cet  arc  est  festonné,   mais 


Fig.  18.  —  Chapiteaux  à  coquilles  supportant  les  consoles  (face  intérieure) 


l'espace  trilobé  délimité  par  les  pointes  du  feston  ne  porte  aucune 
décoration,  si  ce  n'est,  au  départ,  le  motif  serpentiforme.  Pas  de 
galons  tressés,  mais  les  pointes  du  feston  sont  autant  de  départs  d'un 
entrelacs  architectural  immédiatement  arrêté,  enclosant  la  coquille, 


74 


CHELLA 


surmontée  du  fleuron,  et  placée  elle-même  sur  une  sorte  de  hampe 
formée  des  tiges  de  palmes  doubles  qui  l'encadrent  (i);  dans  les  inter- 
valles, la  pomme  de  pin.  Les  écoinçons  sont  surhaussés  plus  encore 
que  ceux  de  l'autre  face,  grâce  à  la  présence,  au-dessus  de  l'ogive, 
d'un  médaillon  quadrilobé,  décoré  de  quatre  pommes  de  pin  formant 
rosace,  et  surmonté  d'une  nouvelle  pomme  de  pin  i)liis  volmmineuse 
(fîg.  i6);  mais  ils  sont  nus  et  portent  seulement  deux  grosses  coquil- 
les en  relief;  un  galon,   tressé  aux  angles,  les  délimite.   Au-dessus, 

une  frise  roiriposéc  d'une  série  d'arcaturcs 
aveugles,  déeoives  de  la  coquille  sur- 
montée (lu  llcnroii  :  celui-ci,  à  cetendroit, 
se  compose  uellenKMil  des  i\cu\  palmes 
doubles  adossées  (fig.  17).  'lout  autour, 
un  bandeau  j)iépaié  comme  pour  servir 
de  champ  épigiaphifjue,  mais  resté  vide. 
I^nlin.  I(>  parapet  de  la  plate-forme  ne 
poile  aucune  décoraliou.  11  est  limité  de 
chacpie  coté  par  une  console,  appui  pro- 
bable d'un  auvent  (2).  Les  consoles  rcpo- 
s(Mit  aussi  sur  des  colonnettcs  engagées, 
mais  rondes,  celle  fois,  cl  de  pierre,  non 
de  marbre,  cl,  pour  cette  raison  sans 
doute,  moins  maltraitées  que  celles  de 
Taulre  face.  Elles  sont  surmontées  d'une 
astragale  torse,  et  d'un  chapiteau  extrê- 
mement gracieux,  dont  la  décoration, 
au-dessus  des  acanthes  mauresques  au 
sommet  légèrement  recourbé,  se  compose  essentiellement  de  trois 
coquilles  disposées  en  pyramide  (fig.  18).  La  décoration  latérale 
(fig.  19)  est  comparable  à  celle  des  consoles  de  l'autre  face,  mai'* 
plus  simple     :  au  départ,    le  motif  seirpentif orme  ;   aux    écoinçons, 


Fig.JiO.  —  Console  d'angle 
(face  intérieure   de  la  porte). 


(i)  Composition  décorative  à  rappirocher  pout-être  de  celle  que  Bel  si^ale  dans  le 
dâr  el-oudoû  de  la  medersa  d'es-Sbâ'îyîn,  Inscriptions  arabes  de  Fès,  p.  162  sqq.  et  fig.  29; 
mais    alors    il    s'agit   d'un    motif  traité    pour  lui-même. 

(2")  Dimensions  :  saillant  i  m.  06  ;  largeur  0  m.  3o  ;  surmontées  d'un  tailloir  largK?  de 
o  m.  47. 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE  75 

la  coquille,  surmontée  du  fleuron  trilobé,  entre  des  palmes  doubles: 
en  bordure,  des  lignes  dessinant  des  volutes  simples.  Seules,  les  faces 
visibles  sont  décollées.  Sur  la  tranche  de  la  console,  entre  les  stalac- 
tites, deux  coquilles  encore,  l'une  au  départ,  l'autre  au  sommet. 

Il  est  de  tradition  constante  que  la  face  intérieure  des  grandes 
portes  qui  traversent  une  enceinte  soit  moins  décorée  que  la  face 
extérieure.  Si  donc  nous  trouvons  ici  des  écoinçons  vides,  un 
parapet  nu,  si  l'emplacement  occupé  sur  l'autre  face  par 
le  bandeau  épigraphique  reste  inutilisé,  il  n'en  faudrait  pas  conclure 
que  l'œuvre  ne  fut  pas  terminée.  Au  reste,  la  sobriété  de  la  décora- 
tion, la  pureté  et  l'élégance  des  lignes,  l'harmonie  des  proportions, 
tout  contribue  à  faire  de  cette  face  de  la  porte  une  admirable  œuvre 
d'art. 

En  dernière  analyse,  on  l'a  vu,  les  éléments  qui  concourent  à  la 
décoration  de  cette  porte  ne  sont  pas  très  nombreux  :  la  pomme  de 
pin,  la  coquille,  le  motif  serpentiforme,  et  dans  les  fonds  ou  bien 
se  combinant  avec  les  autres  motifs,  la  palme  simple  ou  double. 

De  la  pomme  de  pin,  il  y  a  peu  à  dire  ici.  Il  semble  bien  établi 
qu'elle  dérive  de  la  grappe  de  raisin,  vieux  motif  qui  fut  adopté  dès 
les  premiers  temps  par  l'art  musulman,  et  qui  s'est  largement 
répandu  sur  toute  la  terre  d'Islam  (i).  D'autre  part,  si  elle  apparaît 
fréquemment  à  Chella,  son  emploi  fut  bien  plus  considérable  encore 
dans  la  décoration  d'autres  monuments  mérinides,  notamment  dans 
les  medersa  de  Fès  (2).  C'est  dans  le  plâtre  surtout  qu'on  la  trouve 
sculptée  :  cette  matière,  beaucoup  mieux  que  la  pierre,  permettait 
le  relief  très  accentué  que  les  artistes  de  la  bonne  époque  aimaient  à 
donner  à  la  pomme  de  pin.  La  fortune  de  ce  motif  persista,  et  l'art 
abâtardi  d'aujourd'hui  en  fait  un  usage  souvent  abusif. 

La  coquille  est  également  un  motif  dont  l'art  mérinide  a  fait  un 


(i)  La  grappe  de  raisin  stylisée,  triangulaire,  était  d'ailleurs  un  motif  décoratif  connu 
en  Afrique  dès  avant  l'Tslâm.  Cf.  notamment  le  sarcoiphage  byzamtin  reproduit  dans  Gau- 
ckler  :  Inscriptions  latines  découvertes  en  Tunisie  de  1900  à  igoS,  Paris,  1907,  (extrait 
des  Nouvelles  Archives  des  laissions  scientifiques,  t.  XV),   pi.    VI. 

(3)    Cf.    Bel,    Inscriptions    arabes    de    Fès,  p.    369-371. 


76  CHELLA 

grand  emploi.  Mais  rarement,  même  à  la  medersa  d'cl-'Allàiln  à  Fos, 
elle  tient  une  place  aussi  considérable  que  dans  la  porte  de  Chella, 
surtout  sur  la  face  interne,  si  sobre  par  ailleurs  :  corbeaux,  arc, 
écoinçons,  frise,  consoles,  en  tirent  presque  toute  leur  décoration.  Au 
reste,  ce  n'est  pas  un  motif  nouveau  dans  l'art  de  l'Afrique  du  Nord  : 
la  décoration  almohade  notamment  en  fait  un  large  usage;  et,  à  cet 
égard,  la  décoration  de  la  porte  des  Oûdâïa  à  Rabat  (face  externe)  an- 
nonce déjà  celle  de  la  porte  de  Chella  (face  interne)  :  deux  grosses 
coquilles  aux  écoinçons,  ce  qui  est  la  règle,  mais  en  outre,  au-dessus 
de  ceux-ci,  une  première  frise  décorée  de  treize  coquilles  côte  à  côte; 
plus  haut  encore,  au-delà  du  bandeau  épigraphique,  une  grande 
frise  à  arcatures,  où,  dans  les  intervalles,  sont  encore  sculptées  des 
coquilles;  enfin,  celles-ci  se  retrouvent  sur  la  tranche  des  consoles, 
comme  à  Chelk. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  rechercher  ici  si  la  coquille,  à  l'ori- 
gine, est  bien  une  coquille,  ou  si  elle  dérive  de  la  palmctte.  Remar- 
quons seulement  que,  dans  la  décoration  de  la  porte  de  Chella,  elle 
n'est  pas  toujours  semblable  à  elle-même.  Tantôt  ronde,  comme  sur 
les  grands  écoinçons,  et  comme  se  présentent  d'ordinaire  les  grandes 
coquilles  almohades,  elle  peut  aussi  apparaître  tout  à  fait  pointue, 
comme  à  l'écoinçon  des  consoles  de  la  face  externe;  et  l'on  trouve 
les  formes  intermédiaires.  Los  deux  spirales  du  bas  sont  placées  tan- 
tôt à  l'intérieur  même  de  la  coquille,  comme  aux  grands  écoinçons 
de  la  face  externe,  et  tantôt  au-dessous,  comme  aux  écoinçons  de 
l'autre  face;  elles  s'enroulent  tantôt  de  droite  à  gauche  et  tantôt  de 
gauche  à  droite. 

La  coquille  peut  être  traitée  seule;  mais,  plus  souvent,  surtout 
lorsqu'elle  est  de  petites  dimensions,  elle  est  surmontée  d'un  fleuron 
trilobé,  et  dessinée  sur  un  champ;  fleuron  et  champ  semblent  bien, 
l'un  et  l'autre,  issus  de  la  palme  double. 

La  palme  employée  à  profusion  dans  la  décoration  de  cette  porte, 
est  la  palme  lisse,  dernier  dérivé  très  stylisé  de  l'acanthe,  ainsi  que 
l'ont  montré  MM.  W.  et  G.  Marçais  (i).  Elle  est  simple  ou  double, 

(i)   Les   monuments   arabes    de   Tlenicen,  p.    io6   et    107,   îig.    12,    G,    G'   et    H.    Plus 


L'ENCEINTE   :  GRANDE  PORTE 


77 


ï 


et,  dans  ce  cas,  à  feuilles  inégales,  l'une,  inférieure,  courte,  et  l'autre 
longue.  Elle  est  fort  élégante  :  élancée  et  amincie  à  la  séparation  des 
feuilles;  la  pointe  de  la  feuille  inférieure  a  tendance  à  se  diriger  vers 
le  bas  (fig.  20,  2°).  Dans  les  feuillages  serrés  des  écoinçons,  les  palmes 
doubles  sont  en  majorité. 


Fig.  20.  —  La  palme  et  ses  compositions. 

Ces  mêmes  palmes  doubles  adossées,  liées  par  leurs  tiges  et  par 
leur  sommet,  et  laissant  entre  leur  dos  cambré  un  espace  plus  ou 
moins  considérable,  forment  un  nouveau  motif,  dont  l'extraordinaire 
fortune  dure  encore  dans  l'art  nord-africain  :  soit  qu'il  décore,  entre- 


récemment,  M.  G.  Marçais  admet  que  îa  feuille  de  vigna  a  pu  contribuer,  dans  iine 
certaine  mesure,  à  doniner  naissance  à  ce  motif  (La  chaire  de  la  Grande  Mosquée  d^Al- 
ger,  Hespéris,   igat,  p.   376). 


78  CHELLA 

lacé,  des  fonds  entiers,  soit  qu'il  s'unisse  à  quelque  autre  motif.  Ce 
sont  ces  deux  palmes  adossées  qu'il  faut  reconnaître,  vraisemblable- 
ment, à  l'origine,  dans  les  fleurons  Irilobés  qui  suiinonUMit  les  coquil- 
les :  cela  est  particulièrement  visible  sur  la  (ris(>  (l(>  la  lace  inlerne 
(11g.  16,  et  20,  3").  La  coquille  (^lle-uièuic  i)eiit  prendre  place  dans 
l'intervalle  laissé  entre  elles  par  deux  })almes  doubles  adossées  :  tel 
paraît  être  en  bien  des  cas  l'origine  de  l'encadrement  sur  lequel  se  dé- 
tachent ces  coquilles.  C'est  ainsi  que  les  choses  se  présentent  très  net- 
tement dans  le  motif  qui  remplit  les  lobes  de  l'ait  inférieur  sur  la  face 
externe  (fig.  8).  La  palme,  on  ce  cas,  tend  à  se  compliquer  :  au  som- 
met de  la  feuille  la  plus  longue  se  dessine  une  nouvelle  petite  palme 
double  qui,  «'adossant  à  celle  de  la  feuille  symétrique,  donne  une 
sorte  de  fleuron  qui  surmonte  l'ensemble  de  la  composition  (fig.  20, 
4°  et  5°). 

Le  motif  serpentifonne  —  que  nous  proposons  d'appeler  ainsi  parce 
qu'il  présente  l'aspect  classique  du  serpent  dressé  sur  sa  queue  — 
a  sa  place  nettement  définie  dans  la  décoration  de  cette  porte  :  au 
départ  des  arcs  sur  les  deux  faces;  sur  la  face  latérale  des  consoles, 
au-dessus  du  chapiteau  des  colonnettes  d'angles.  C'est  aux  mêmes 
places  qu'on  le  rencontre  dans  les  autres  édifices  de  ce  genre  :  il  est 
un  ornement  pour  ainsi  dire  obligatoire  à  la  base  des  arcs  des  gran- 
des portes  almohades. 

On  peut  assez  aisément  reconstituer  l'histoire  de  ce  motif,  dont  la 
porte  de  Chella,  sur  sa  face  extérieure,  présente  l'évolution  achevée. 
Il  a  pour  origine  le  départ  de  l'arc  lobé,  tel  qu'on  le  trouve  en 
Orient  (i),  et  qui  passa  de  bonne  heure  en  Occident.  On  l'observe 
déjà  à  la  Qal'a  des  Béni  Hammâd  (xi*  siècle)  (2),  puis  dans  la  grande 
mosquée  almoravide  de  Tlemcen  (11 35)    (3),   et  un  peu  plus  tard, 


(i)  Arc3  iobés  ou  comportant  à  la  fois  des  lobes  et  des  redans.  Ainsi,  fort  acicentué,  à 
la  mosquée  d'el-Hakîm  au  Caire  :  cf.  S.  Flury,  Die  Ornamente  der  Hakim-  und  AsharMos- 
chee,    Heidelbcrg,    1912,    pi.    XXXIII,    fig.    4. 

(2)  Cf.  G.  Marçais  :  Art  musulman  d^Algérle,  Album,  de  pierre,  plâtre  et  bois  sculpté, 
2"  fasc.  Alger  1916,  p.  hi,  fiig.   18. 

(3)  Cf.  ibid.,  I*'  fasc.,  Alger,  1909,  pi.  IV.  Déjà,  dans  ces  deux  cas,  une  spirale  infé- 
rieure fait    pressentir    la    naissance    de    l'ornement. 


L'ENCEINTE  :  GRANDE  PORTE 


79 


mais  sous  une  forme  plus  pure,  dans  les  arcs  de  la  mosquée  de  Tin- 
mel.  La  fig.  21  montrera  l'évolution  de  ce  motif.  Les  deux  prewiiers 
dessins  représentent  le  départ  d'arcs  lobés  à  Tinmel  :  le  n"  i,  un 
arc  entre  deux  nefs,  à  l'intérieur  de  la  mosquée  ;  le  n°   2,   l'arc  du 


Fig.  21.  —  Évolution  du  motif  serpentiforme. 


mihrâb  ;  on  voit  déjà  s'ébaucher  dans  celui-ci  le  motif  décoratif. 
Le  travail  se  poursuivant,  l'on  en  arrive  au  dessin  n°  3,  qui 
reproduit  le  départ  de  Tare  sur  la  face  extérieure  de  Bàb  er-Roûàh,  porte 
almohade  de  la  grande  enceinte  de  Rabat.  Le  motif,  simple  et  robuste, 
joue  bien  encore  son  rôle  architectural,  mais  il  a  pris  un  sens  décora- 
tif beaucoup  plus  net  :  il  est  devenu  le  serpent  enroulé  sur  lui-même; 
et  à  voir  l'œil  figuré  au  sommet,  il  semble  que  le  décorateur  ait 
bien  eu  dessein  de  représenter  cet  animal.  Ces  deux  motifs  dérivent 
directement  l'un  de  l'autre  :  le  léger  saillant  et  la  ligne  ondulée  qui 
forment  une  espèce  de  socle  à  la  spirale  inférieure  sur  le  n"  2,  jouent 


80  CHKIjLA 

eux-mèines  leur  rôle  dans  la  nouvelle  composition  décorative.  Enfin, 
l'évolution  s'achevant,  le  motif  serpentiforme  finit  par  perdre  tout 
vestige  de  sa  valeur  architecturale  :  il  n'est  plus  qu'un  motif  purement 
décoratif,  remplissant  par  tradition  le  premier  lobe  au  départ  de 
l'arc  :  tel  il  se  présente  à  Chella  (n°  /|).  Il  s'est  compliqué;  les  spirales 
sont  devenues  plus  fournies;  il  s'orne  d'une  sorte  de  crête,  destinée 
à  corriger  ce  que  sa  partie  supérieure  aurait  de  trop  grêle,  et  dans 
laquelle  vient  s'insérer  une  pomme  de  pin.  Mais  de  môme  qu'à  Tin- 
mel  ce  motif  se  présente  à  différents  stades  d'évolution,  on  le  trouve 
à  Chella  sous  divers  aspects.  Ainsi,  il  est  déjà  beaucoup  plus  simple, 
sur  cette  même  porte,  au  départ  de  l'iarc  de  la  face  intérieure;  il  est 
fort  archaïque  aux  consoles  de  la  porte  des  jardins,  où  il  conserve 
môme  son  rôle  architectural  (voir  ci-dossous,  fig.  28).  Petit  fait,  en 
soi  assez  symptômatique  :  l'a  face  extérieure  de  la  porte  de  Cholla 
représente  bien  l'art  mérinide  le  plus  achevé. 

Telle  est  cette  porte.  Elle  n'était  pas  faite  pour  soutenir  un  siège 
sérieux.  Le  faible  relief  de  ses  tours  à  pans  coupés,  l'absence  presque 
complète  de  moyens  de  défense,  de  rares  meurtrières,  une  voûte 
pleine. au-dessus  de  son  coude  simple,  des  corps  de  garde  minuscules, 
tout  cela  ne  contribue  guère  à  lui  donner  une  valeur  militaire  véri- 
table. Tout  en  elle  a  été  sacrifié  à  l'élégance  et  à  la  décoration  : 
celle-ci,  face  à  l'extérieur,  est  d'une  extraordinaire  richesse  :  pierre 
sculptée,  marbre  polychrome  et  faïence  y  concourent;  pas  un  vide 
dans  le  champ  que  le  constructeur  avait  réservé  à  l'ornementation. 
Porte  grandiose  de  mosquée  ou  de  medersa  bien  plutôt  que  porte  de 
ville,  c'était  celle  qui  convenait  à  une  enceinte  élevée  pour  enfermer 
la  somptueuse  nécropole  que  la  piété  d'Aboû  '1-Hasan  avait  édifiée  sur 
les  tombeaux  de  ses  ancêtres,  et  oij  lui-même,  d'avance,  avait  marqué 
sa  place. 

3.  —  La  poterne. 

Juste  contre  la  tour  nord  s'ouvrait  une  poterne,  aujourd'hui 
murée,  mais  encore  fort  visible.  Large  de  2°',o5,  elle  était  creusée  dans 
la  muraille  de  béton,  limitée  p'un  côté  par  les  pierres  en  appareil 


L'KNCKIME  :  L'HOÏELLEKIE  81 

régulier  de  la  base  de  la  loiir,  el,  dans  la  partie  supérieure,  par  un  arc 
surbaissé,  en  briques  sépaiées  par  des  lits  de  ciment  d'épaisseur  pres- 
que égale  à  la  leur;  au  centre,  une  clef  de  voûte  en  pierre,  à  trois 
mètres  environ  du  sol  actuel.  La  poterne  est  bouchée  aujourd'hui  par 
des  assises  successives  de  moellons  cimentés  et  assez  régulièrement 
disposés.  La  fermeture  est  ancienne  :  antérieure  au  dernier  crépissage 
du  mur,  car  l'enduit  de  celui-ci  la  recouvre  en  partie.  Nous  avons 
d'ailleurs  toutes  raisons  de  |)enser  que  cette  fermeture  est  contempo- 
raine de  la  construction  de  l'hôtellerie  dont  il  sera  question  plus  loin, 
car,  à  l'intérieur,  elle  donne  dans  une  des  chambres  de  cette  hôtel- 
lerie, très  au-dessus  du  sol;  et,  par  contre,  elle  est  coupée  par  la  ter- 
rasse de  celle-ci.  L'arc  est  fort  visible  au-dcvsus  de  cette  terrasse,  à  l'in- 
térieur de  l'enceinte;  il  a  même  asperl  qu'à  l'extérieur,  et  il  est  souligné 
d'une  large  bande  courbe,  cojnbinée  de  manière  à  produire  un  effet 
décoratif  avec  celles  qui,  sur  celle  face  de  la  tmiraille,  simulent  les 
joints  d'un  appareil  cyclopéen. 

/».    L'HÔTELLERIE. 

Attenant  à  la  grande  porte,  et  occupant  tout  l'angle  nord-ouest  de 
l'enceinte,  est  im  édifice  qui  se  composait  d'une  grande  cour,  enlourée 
d'une  série  de  salles.  Le  nnir  antérieur,  encore  debout  en  partie,  s'at- 
tache à  l'angle  forme  par  le  coude  de  la  porte;  il  était  percé  d'une 
ouverture,  dont  il  reste  un  pied-droit,  en  pierres  de  taille  bien  appa- 
reillées; tandis  que  le  reste  du  mur  est  en  moellons  —  toujours  la 
même  économie  de  matériaux.  —  Cette  ouverture  donnait  accès  dans 
la  cour  centrale.  A  sa  gauche,  adossées  au  mur  antérieur  de  l'édifice, 
puis  à  la  paroi  nord  de  la  grande  porte,  étaient  deux  petites  cham- 
bres recouvertes  d'une  voûte  de  briques,  en  berceau,  larges  de  i'"  ,  83 
et  longues  de  2'", 90,  qui  s'ouvraient  sur  la  cour  (1).  Venaient  ensuite, 
adossées  au  mur  d'enceinte,  trois  petites  chambres  analogues,  longues 
la  première  de  5""  ,  3o  et  les  autres  de  3°' ,  35  et  larges  de  'a  mètres  à 
2"  ,  5o,  Ce  sont  celles  dont  la  construction  obst-ua  la  poterne.  Elles 


(i)  Voir  supra,   fig.    6,  le  plan  de    ces    salles,  joint   au    plan    de    la    grande   porte    (rez-de- 
chaussée). 

HESPKIÎIS.    —  T-    II.  —    1922  6 


82 


Cil  ELI.  A 


sont  suivies  d'une  «?iande  salle  dounanl  sur  la  cour  par  trois  lai'>es 
baies  surmontées  d'un  arc  brisé,  en  briques,  qui  s'ouvrent  dans  le 
mur  de  moellons.  Cette  salle  esl  recouverte  i)ar  cinq  coupoles  suc- 
cessives, sur  pendentifs,  de  très  belle  venue.  L'arcbitecte  avait  cru 
utile  de  les  soutenir  par  des  arcs  de  briques  :  ceux-ci  sont  tombés, 
sauf  un  frapfment,  et  les  coupoles,  qui  d'ailleurs  se  contrebutent  mu- 


l'ii:.  22.  —  Lliùtellerie. 


tuellement,  ont  parfaitement  tenu.  La  salle  a  i8'",35  de  long  sur 
3", 45.  Viennent  ensuite  deux  autres  petites  pièces  voûtées  en  ber- 
ceau, analogues  aux  premières;  et  l'on  voit  sur  le  troisième  côté  le 
départ  d'une  autre.  Mais  à  partir  de  là,  la  construction  s'est  effondrée: 
ses  débris  forment  un  plan  incliné  qui  permet  d'accéder  à  la  ter- 
rasse des  chambres  précédentes,  à  i"",  8o  environ  au-dessous  du  che 
min  de  ronde  du  rempart.  Le  quatrième  côté  de  l'édifice  est  forme 
par  un  mur  de  béton,  sur  lequel  on  voit  encore  des  attaches  de  voûtes 
et  de  coupoles  :  leurs  traces  laissent  supposer  qu'il  y  avait  là  un  corps 
de  bâtiment  exactement  symétrique  à  celui  qui  lui  faisait  face. 


L'ENCEINTE  :  L'HOTELLERIE  83 

Que  la  construction  de  cet  édifice  fût  postérieure  à  celle  de  la  porte 
et  de  l'enceinte,  cela  ne  saurait  faire  aucun  doute.  Nous  avons  recon- 
nu déjà  en  effet  que  cette  construction  ferma  la  poterne.  D'autre  part, 
le  mur  antérieur  de  l'édifice  vient  s'appuyer  au  mur  de  la  porte  sans 
s'y  encastrer;  et  l'on  voit  nettement,  à  travers  ses  pierres  disjointes, 
se  poursuivre  jusqu'à  terre  la  série  de  faux  joints  qui  décore  l'angle 
de  la  porte  :  la  partie  recouverte  aujourd'hui  par  ce  mur  était  donc 
primitivement  destinée  à  être  vue.  Et  l'on  retrouve  encore  sur  le 
mur  d'enceinte  auquel  s'adossent  les  chambres,  à  l'intérieur  même 
de  celles-ci,  les  faux  joints,  qui  sur  la  face  interne  de  la  muraille,  si- 
mulaient partout  un  appareil  cyclopéen. 

Cependant,  si  cette  construction  apparaît  ainsi  nettement  posté- 
rieure à  celle  de  la  porte  et  du  mur  d'enceinte,  elle  ne  le  fut'^pas, 
vraisemblablement,  de  bien  longtemps.  Le  seul  pied-droit  encore  de- 
bout de  l'ouverture  est  bâti  en  pierres  de  taille  de  mêmes  dimensions 
que  celles  qui  constituent  la  façade  de  la  grande  porte;  elles  sont 
jointes  exactement  de  la  même  manière,  par  un  lit  de  ciment  imper- 
ceptible. L'enduit  visible  sur  la  porte  à  travers  le  mur  rapporté,  est 
resté  d'une  extrême  fraîcheur,  comme  s'il  n'avait  pas  été  exposé 
longtemps  aux  intempéries.  Les  coupoles  et  les  voûtes  sont  un  tra- 
vail de  très  bonne  époque.  Enfin,  nous  l'avons  vu,  le  bouchage  de 
la  poterne  semble  ancien. 

Quelle  était  la  destination  de  cet  édifice?  Diverses  hypothèses  ont 
été  émises.  La  Mission  scientifique  du  Maroc  y  voit  une  medersa  (i). 
L'on  n'aperçoit  pas  sur  quoi  se  fonde  cette  opinion  :  cet  ensemble 
ne  présente  rien  de  ce  qui  caractérise  une  medersa.  D'autres  en  font 
un  grenier;  mais  cela  est  difficilement  soutenable  :  dans  ce  pays,  les 
grains  se  conservent  dans  des  silos;  or  s'il  en  existe,  de  date  récente, 
de  l'autre  côté  du  mur  qui  clôt  cet  édifice,  on  n'en  trouve  nulle  trace 
dans  la  cour.  D'autres  enfin  y  voient  un  hôpital  :  cette  opinion  ne 
saurait  provenir  que  du  texte  de  Léon  l'Africain,  qui  dans  la  traduc- 
tion française  dit  que  le  fondateur  de  Chella  y  fit  construire  un  très 
bel  «  hospital  (2)  ».  Mais  s'il  s'agit  bien  du  même  édifice,  il  faut  sans 

(i)  Medersa  de  Sidi   el-Iàboùrî.    Bubal  et  sa  région,   t.   I,  p.   5o. 

(2)   Ospitale,  in  Ramusio,  Venise,    i583,   i,  29- A.    Hospitium,    dans    le    texte    latin. 


84  CIII-:LL/V 

tloiili'  ('nltM)(li(>  par  là  iiiu'  maison  des  li(M(>s.  ('."(>sl  en  rIVcl  ce  (|U(' 
semble  chv  ci'lle  cour  imiIouiim»  de  l()»;onuMils.  Son  (MnpIactMncMil,  à 
lentiH'e  cle  l'enciMnlc.  ri  sa  disposilion  sont  exacIcnuMil  celles  (pir 
présentent  eni^)re  les  (oihIik}  dans  les  villes  marocaines.  I,es  p(>lilv>s 
salles,  aux  portes  étroites,  ser\  aient  de  chambres  aux  liomnies;  les 
^l'andes  salles,  à  larges  baies,  de  cliacine  cote  {\o  la  cour,  étaient  des 
écuries  pour  b^s  bêles. 

Nous  nous  trouNons  donc  vraiscmblableuient  devant  une  hôtellerie, 
d(\sliné(^  à  abiibM'  lc>-  pèlerins  (pii  \enaient,  parfois  de  l'orl  loin, 
faire  leurs  dévotions  au  sanctuaire  où  dormaient  les  piinces  méri- 
nides;  et  peut-être,  eu  même  temps,  à  lo^cr  les  cl(>rcs  chargés  de  la 
célébration  du  cidtc  l^lle  l'ut  construite  [hmi  après  rcniceinte,  dès  le 
règne  d'Aboù  "l-llasan  peut-être,  ou  sous  celui  de  son  lils  Aboii  'InTm; 
en  tout  cas  en  un  temps  où  la  splendem'  de  la  nécropole  et  l'éclat  de 
la  l'amille  régnante  alliiaienl  aupiès  d.i  sancluaire  une.  grande 
aflluence  de   lidèles. 

5.  —   Bàk   '  Aï>    Ajkmsa. 

La  j)orle  dite  Bàb  Vin  Ajeiina,  du  nom  de  la  l'ontaine  qui  coule 
dans  les  jardins,  au-dessous  de  Chella,  s'ouvre  dans  la  face  nord-est 
du  rempart,  dans  un  eiulroit  de  grande  déclivité  du  leriain.  Elle  a 
fort  souffert.  Sous  son  aspect  actuel,  elle  se  présente  comme  une  porte 
à  coude  simple,  mais,  disposition  bjut  à  fait  exceptionnelle,  le  coude 
de  la  porte,  et  par  suite  la  masse  même  de  l'édifice,  se  trouvent  non 
pas  au  dedans,  m;ais  au  dehors  de  l'enceinte.  En  outre,  et  ceci  est 
non  moins  notable  dans  une  porte  d'aussi  petites  dimensions,  elle  com- 
prend quatre  portails,  dont  deux  à  l'intérieur  du  coude.  Ces  deux 
faits,  ainsi  que  nous  le  verrons,  ne  sont  peut-être  pas  sans  rapport. 

Face  à  l'intérieur  de  l'enceinte  (fig.  ?..S)  —  la  partie  la  mieux  conser- 
vée —  la  porte  apparaît  extrêmement  simple,  et  la  facture  assez  négli- 
gée. Dans  le  béton  du  rempart  sont  encastrés  des  pieds-droits,  et  de 
chaque  côté  de  l'arc,  un  pilier  destiné  à  le  contrebuter,  en  pierres  de 
taille  médiocrement  jointes.  L'arc,  en  briques,  outrepassé  et  légère- 
ment brisé,  est  coupé  par  cette  bordure.  Il  mesure,  de  la  clef  de  voûte 


L'ENCEINTE   :  iîAJi    AIN  AJENNA 


85 


;ni  sol  ancien,  A'^.'io,  et  :V",i5  de  la  clef  de  voùLe  à  la  iianteur  des 
corbeaux  qui  le  suppoiient.  L'écartement  entre  les  pieds-droits,  qui 
représente  aussi  la  largeur  de  l'arc,  (>sl  de  :>.'", 66.  Les  écoinçons,  fort 
petits,  sont  en  matériaux    de    remplissage.     Aux    angles    supérieurs, 


Fig    23   —  Bàb  'Aïn  Ajenna.  Face  intérieure. 


deux  pierres  plates,  inégales,  se  présentent  comme  des  fragments 
de  linteaux  :  peut-être  surmontaient-elles  une  petite  ouverture,  ou 
plus  simplement,  servirent-elles  à  encastrer  la  charpente.  Elles  repa- 
raissent s\imétriquement  de  l'autre  côté,  au  portail  intérieur  B  (v.  plan 
fig.  2^).  Un  lit  de  briques  sunnonte  l'ensemble,  et,  s'encastrant 
dans  le  béton,  termine  le  rectangle  de  la  porte.  On  ne  voit  ni 
trace  de  décoration,  ni  trace  de  revêtement.  Le  chemin  de  ronde,  au- 


86 


CHELLA 


dessus  de  cette  porte,  foiinait  primitivement  ime  plate-forme,  suivie 
d'un  escalier  très  rapide,  en  raison  de  la  déclivité  du  sol.  Une  réfec- 
tion postérieure  a  transformé  cette  plate-forme  en  un  plan  incliné. 
La  traversée  du  mur  d'enceinte,  entre  les  portails  A  et  B  est  cou- 
verte par  une  voûte  en  berceau,  en  briques,  extrêmement  surbaissée, 
et  qui  n'était  fortement  rattachée  qu'an  portail  A  :  une  large  fente 
la  sépare  aujourd'hui  de  l'autre. 


Fig.  24.  —  Bàb  'Aïn  Ajenna  (plan). 


Les  murs  de  fond,  délimitant  le  coude  de  la  porte,  sont  bâtis  en 
moellons  grossiers,  mêlés  de  pierres  romaines  réemployées  —  l'on 
est  en  effet  à  cet  endroit  sur  l'emplacement  de  la  ville  ancienne,  et 
des  affleurements  de  murs  antiques  sont  visibles  de  part  et  d'autre 
de  la  porte;  —  ils  sont  liés  par  un  mortier  de  très  mauvaise  qualité  : 
de  la  boue  avec  une  très  petite  proportion  de  chaux.  Seuls  les  pieds- 
droits  des  portails  C  et  D  sont  appareillés  avec  plus  de  soin;  ils  sont 
en  pierres  de  taille,  et,  très  dégradés,  présentent  encore  l'aspect  de 
piliers  destinés  à  supporter  des  arcs.  Au  portail  extérieur  (D),  l'absence 
de  corbeau  sous  le  commencement  du  cintre  pourrait  faire  supposer 
que  l'arc  était  en  plein  cintre.  Ce  serait  le  seul  arc  de  ce  genre  dans 


L'ENCEINTE   :  BAB    AIN  AJENNA 


87 


les  portes  de  Chella  —  et  c'est  encore  un  fait  à  noter.  En  outre,  l'ou- 
verture extérieure  était  sensiblement  plus  étroite  que  l'autre  :  elle 
n'avait,  mesurée  à  la  base  où  les  vestiges  du  second  pied-droit  sont 
encore  visibles,  que  2"°, 08. 

Cette  porte  présentait,  en  beaucoup  plus  petit,  le  même  genre  de 
corps  de  garde  que  la  grande  porte.  Mais  il  est  impossible  d'indiquer 
avec  certitude  quelle  était  la  couverture  du  coude   :  elle  est  aujour- 


Fig.  2b.  —  Bàb  'Ain  Ajeana.  —  Motifs  ornemeataux  du  portail  B,  à  l'intérieur  de  la  porte. 


d'hui  complètement  effondrée.  Cependant,  bien  que  les  murs  de 
fond  restent  debout  presque  jusqu'à  leur  sommet,  on  n'y  remarque 
aucune  trace  de  départ  de  voûte.  On  est  donc  amené  à  penser  que 
la  couverture  devait  être  constituée  par  une  plate-forme  bétonnée 
reposant  sur  des  poutres  :  peut-être  en  faut-il  voir  un  reste  dans* 
quelques  fragments  de  béton  que  l'on  peut  ramasser  çà  et  là. 

Mais  fort  intéressante  est  la  décoration  du  portail  B  (à  l'intérieur 
du  coude).  Sur  les  montants  en  pierres  de  taille  sont  représentés, 
presque  jusqu'au  sommet,  de  faux  joints,  comme  il  en  existe  à  l'an- 


88  CllKLLA 

i^Ho  (le  la  grandi'  \)ov\c.  Ils  soiil  ^m  inoiilôs.  de  chaque  coté,  par  un 
svastika  à  (iiialrc  branches,  dcsshic  à  l'aidi»  du  incnic  cndiiil  (li^-.  '.îf), 
en  hauO.  \n-dessiis.  \c  lit  de  hri(]ii(vs  (]iii  sminonh'  roiiverliiie  (el  (]iii 
send)le  aNoiriMé  éviMilié  iiosléiieurenieid)  es!  divisé  par  la  décoration 
on  deux  r(^^islres  ■  à  lélaiic  inférieur,  de  taux  joiids  siinident  les  <da- 
veaux  diin  arc  exlicineinenl  surhaissé;  à  létaj^-c  siipériiMU",  de  faux 
nierions  d(Mih'lés  se  délacheid  en  hlanc  sin-  fond  roiif^'c  (ii^^  :>r>,  en 
bas).  Tonle  iH'lle  décoration  est  fort  dé^^radée  :  à  peine  en  reste-t-il 
assez  pour  en  recoiniaîlre  les  éléments  (i). 

11  paraît  fort  élianiic  à  priMuière  vue  qu(>  celt(^  décoration  —  la  seule 
qui  existe  sur  la  j>orl(>  se  trouve  jusienieid  sur  un  portail  intérieur, 
peu  éclairé,  bref  à  m)i  endroit  oi"i  il  était  foil  diflicile  de  la  voir.  Autre 
fait,  étonnant  :  c'est  juste  derrièic  ce  portail  intérieur  (pie  se  trouvent 
les  d(Mix  trous  ofi  venaient  s'encastrer  hvs  inontaids  des  vantaux. 

Tout  cela  s'explique  cependant  de  façon  assez  simple  :  ce  portail 
donnait  autrefois  directement  sur  l'extérieur,  et  le  coude  n'existait 
pas.  Ainsi  s'expliquent  du  ,même  coup  toutes  les  anomalies  que  nous 
avons  constalées  :  la  construction  du  coude  à  l'extérieirr  de  l'en- 
ceinte, contre  toutes  les  rè'ifles;  l'existence  de  quatre  portails;  l'appa- 
reil extrêmement  j^rossier  des  nnirs,  qui  sont  en  moellons  très  mal 
liés,  et  non  en  béton:  la  couvert  me  pai"  une  senudle  bétonnée  et  non 
par  une  voûte;  le  plein  cintic  de  l'ouverture  extérieure,  dont  les  di- 
mensions ne  sont  pas  égales  à  celles  de  l'ouverture  intérieure.  Des 
indications  précises  viennent  d'ailleurs  confiTimer  cett^e  manière  de 
voir.  Les  mims  du  coude  sont  simplement  appuyés  nu  mur  d'enceinte, 
et  ne  s'y  encastrent  pas  :  derrière  eux  l'enduit  du  rempart  reste  visible. 
Dans  la  semelle  de  béton  sur  laquelle  repose  la  porte,  on  voit  égale- 
ment un  joint  très  net  (2).  On  peut  donc  affirmer  «ans  risque  d'erreur 


(1)  Les  lifïnes  de  construction  des  dessins  de  merlons  sont  fort  visibles,  et  permettent 
de  'se  rendre  compte  de  la  manière  dont  le  dessinateur  obtenait  sa  fif^ure.  Il  composait 
une  série  de  triamgiles  à  l'aide  de  lignes  obliques  dans  les  deux  sens,  recoupées  par 
des  lig-nes  horizontales  ayamt  la  valeur  d'un  ressaut  (v.  la  fig.  26,  en  bas).  Les  mêmes  traces 
existent   d'ailleurs  dans   le   travail   du   bois   découpé. 

(2)  Le  portail  B  semble  bien  avoir  été  repris  on  sous-reuvro  :  notamment  l'un  'Ia 
ses  pieds-droits  est  en  partie  fait  de  biiques,  alors  qu'ailleurs  à  cette  haTiteur  l'on  ne 
trouve   que   des   pierres. 


L'ENCEINTE   :  POUTE  DES  JAUDLNS  89 

que  la  porte  priiiiitive,  percée  vraiseinblableiiienl  au  moment  où  l'on 
construisait  le  rempart,  était  droite,  comme  la  porte  des  jardins,  en 
tout  autre  appareil,  que  nous  allons  étudier  :  seule  la  porte  princi- 
pale était  coudée.  Et  cela  montre  encore  combien  peu  l'enceinte  de 
Chella  était  disposée  pour  une  défense  effective. 

A  quelle  époque  Bàb  'Ain  Ajenna  fut-elle  ainsi  modiliée.»^  Certes,  les 
pieds-droits  nouveaux  marquent  un  certain  souci  d'esthétique  :  peut- 
être  cependant  a-t-on  réemployé  des  matériauv  anciens.  En  tout  cas. 
la  très  mauvaise  qualité  du  mortier  qui  lie  les  murs  nouveaux  ne  leur 
aurait  guère  permis  de  rester  debout  bien  longtemps,  même  après 
l'effondrement  de  la  plate-forme  qui  l(>s  chargeait.  Nous  serions  donc 
assez  disposés  à  attribuer  à  cette  réfection  une  date  assez  récente  — 
la  même  peut-être,  à  considérer  la  qualih'"  des  matériaux,  que  celle 
à  laquelle  fut  consolidé  l'arc  extérieur  de  la  grande  porte.  Mais  il 
serait  téméraire,  sans  autres  documents,  de  chercher  à  déterminer 
plus  exactement  cette  date,  el  de  tenter  de  la  mettre  en  rapport  a\t;c 
l'un  ou  l'autre  des  événemenis  dont  nous  avons  plus  haut  rapporté 
l'histoire. 

6.  —  La  porte  des  jardins. 

Dans  la  partie  inférieure  de  l'enceinte  s'ouvre  une  troisième  porte 
(plan,  fig.  26).  Elle  tient  dans  la  face  sud-est  la  place  normale  de 
la  première  tour  après  l'angle  méridional;  elle  se  trouve  au-dessous 
de  la  source,  un  peu  en  dehors  de  la  clôture  actuelle  de  la  khalwa. 

Elle  est  d'un  aspect  fort  différent  de  Bab  'Ain  Ajenna;  d'ailleurs 
plus  ruinée  encore.  Comme  ses  montants  étaient  simplement  posés 
sur  le  mur  d'enceinte  et  ne  s'y  encastraient  pas,  leur  poids  même,  et 
surtout  l'effort  de  la  végétation,  les  en  ont  aisément  séparés.  La  porte, 
aujourd'hui,  penche  en  avant  de  façon  fort  inquiétante  :  ses  pierres 
disjointes  ne  tiennent  plus  que  par  un  miracle  d'équilibre.  En  outre, 
l'exhaussement  du  sol,  très  sensible  en  cet  endroit,  et  qui  diminue 
de  beaucoup  la  hauteur  de  toute  cette  ligne  de  remparts,  a  enterré 
la  porte  jusqu'au-dessus  de  la  naissance  de  l'arc.  Branlante,  couverte 
de  verdure,  bouchée  par  une  haie,  elle  est  aujourd'hui  d'un  aspect 


90 


GHELLA 


Fip.  26.  —   Porte  dos  jardins.  Plan. 


^'-^^S'Y 


rP*^-'^.:."; 


::;::^^ 


••'^^ïîiir 


ma^ 


Fig.  27.  — Ruines  de  la  porlo  des  jardins. 


L'ENCEINTE  :  PORTE  DES  JARDINS 


91 


J.HAINAUT. 


I7Z£ 


fort  pittoresque;  mais  il  est  à  craindre  qu'elle  ne  dure  plus  bien 
longtemps  (fîg.  27). 

Comme  la  grande  porte,  elle  présentait  à  l'extérieur  une  façade  en 
pierres  de  taille;  mais  infiniment  plus  simple,  et  aussi,  construite 
avec  beaucoup  moins  de  soin.  Les  couches  de  ciment  qui  lient  les 
pierres  sont  épaisses  :  un  à  deux  centimètres.  L'arc,  de  3  mètres  d'où 
verture,  brisé,  était  délimité  par  une  série  de  claveaux,  dont  les  pro- 
portions n'avaient  pas  été  cal- 
culées avec  une  exactitude  suffi- 
sante ;  au  sommet,  au  lieu  de  la 
clef  de  voûte,  on  avait  dû  insérer 
un  mince  claveau  supplémen- 
taire. Les  écoinçons,  nus,  sont, 
comme  l'arc,  placés  sur  un  plan 
légèrement  en  retrait,  au-dessus 
duquel,  suivant  le  procédé  déjà 
rencontré,  les  pierres,  au  lieu 
d'être  disposées  en  assises  régu- 
lières, le  sont  en  assises  alterna- 
tivement larges  et  étroites.  Le  rec- 
tangle de  la  porte  est  délimité  par 
deux  pilastres  en  pierres  de  taille, 
qui  supportent,  sur  un  soubasse- 
ment quadrangulaire  légèrement 
saillant,  deux  consoles,  larges, 
hautes  de  i",o3  (la  hauteur  de  la 
frise)  et  d'avancée  légère.  Leurs 
faces   latérales   portent    Je   motif 

serpentiforme,  très  simple,  et  qui  s'adapte  à  leur  forme  même 
(fig.  28).  A  leur  sommet,  on  voit  encore  le  départ  d'une /moulure,  qui 
fermait  en  haut  le  rectangle.  Les  pierres  étaient  jointoyées  :  c'est, 
avec  le  motif  serpentiforme  des  consoles  et  la  moulure  du  sommet, 
la  seule  décoration  que  présentait  la  porte. 

Si  simple  soit  celle-ci,  elle  n'était  encore  qu'une  façade  trompeuse. 
Derrière  les  pierres  de  taille,  l'épaisseur  du  mur  était  constituée  par 


0.50 


\  mette 


Fig.  28.  —  Porle  des  jardins.  Console. 


92  Cil  El.  LA 

(les  niatrriaiix  môdiocrc^s,  v\  i\[\r\\v  {\[\c  lui  la  faible  a\  aiict'e  de  la  poile 
sur  le  mur  (l'enceiiil«\  les  paiois  latérales,  (]ui,  nous  ravons  vu, 
élaieni  siiuplenieul  a|)|)li(|uét>s  à  la  muraille  de  héton,  étaient  elles- 
mêmes  en  moellons.  (Vesl  la  niènu*  éeonoimie  de  malériaux  que  par- 
tout ailleurs. 

Dei'iière  le  |Mtil;iil.  à  riiiirMiciii',  ou  \oil  de  cliatpK*  rn[{'  le  dé|)art 
d  iMU'  xoùle  en  hereeau.  en  hriques.  Bien  (pie  la  partie  postérieure 
soit  presque  enli(*renienl  déliuile,  il  semble  que  cette  porte  était 
droite.  simj>le  lrav(Msée  du  i-emparl  :  on  ne  tiouve  en  effet  nul  ves- 
li^'-e  de  eoude. 

Henri   IVvssKr  el    K.   Lkvi-Pkovknçal. 
(.1  suivre.) 


LEÇON  D'OUVERTURE 
D'UN  COURS  DE  SOCIOLOGIE  ALGÉRIENNE' 


Mesdames,  Messieurs. 

Ce  m'est  à  la  fois  un  devoir  et  un  plaisir  que  de  remercier  le  Con- 
seil de  la  Faculté  de  Droil  et  Monsieur  le  Rectein^  de  l'Académie 
d'Alger,  d'avoir  proposé  au  Ministre  de  l'Instruction  Publique  la  créa- 
tion du  cours  que  j'inaugure  aujourd'hui.  Il  me  faut  exprimer  aussi 
à  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  ma  gratitude  pour  avoir, 
sans  retard,  décidé  cette  création;  en  sorte  que,  dès  cette  année  même, 
il  m'est  possible  d'ouvrir  cet  enseignewient.  ' 

Je  le  dois  d'autant  plus,  que  cet  enseignement  offre  un  caractère 
nouveau,  non  seulement  à  la  Faculté  de  Droit  d'Alger,  mais  encore 
dans  les  Facultés  de  Droit  en  général. 

Jusqu'à  présent  le  mot  de  «  Sociologie  »  n'avait  point  été  inscrit 
dans  les  programmes  officiels  et  dans  les  affiches  publiques  des  Fa- 
cultés de  Droit  françaises,  à  la  différence  de  maintes  Universités 
étrangères.  Nous  avons  pepsé  qu'il  y  avait  à  tenter  une  sorte  de  dé- 
centralisation universitaire,  en  cherchant  à  répondre  aux  curiosités 
particulières  que  peut  avoir  un  homme  cultivé  en  Algérie.  Notre  Fa- 
culté a  voulu  que  les  étudiants  et  le  public  pussent  avoir  des  clartés 
sur  les  institutions  sociales  de  ce  pays;  et  c'est  pourquoi  on  a  disposé 
que  cet  enseignement  serait  admis  parmi  ceux  pour  lesquels  l'option 
est  ouverte  à  l'examen  du  doctorat  ès-sciences  politiques  et  économi- 
ques. Même,  notre  désir  serait  qu'il  contribuât  à  inciter  nos  futurs 
docteurs  en  droit  à  chercher  des  sujets  de  thèse  dans  cette  réalité 


(i)  Prononcée  à  la  Faculté  de  droit  de  l'UniveTsité  d'Alger,  le  lo  Mar?  1922.  On 
en  donne  le  texte  tel  à  peu  piès  qu'il  a  été  sténographié;  mais  on  y  a  ajouté  quelques  notes 
infrapaginales,   qui   précisent   et   qui   éclairent  certaines   allusions   faites    viva   voce. 


94  RENÉ  MAUNIER 

vivante  et  momanto  qu'ils  ont  autour  d'eux;  ot  je  puis  dire  que,  dès 
maintenant,  cet  espoir  n'est  pas  déçu. 

Il  convient,  tout  d'abord,  d'indiquer  le  pourquoi  du  titre  que  nous 
avons  choisi  à  cet  enseignement;  de  définir,  par  conséquent,  l'objet 
qu'il  se  propose,  et  les  matières  qu'il  devra  comprendre.  Ce  sera  là 
précisément  la  tâche  de  la  présente  leçon  d'ouverture. 

Le  cours  porte,  dans  nos  programmes  et  sur  nos  affiches,  ce  titre  : 
(<  Économie  et  Sociologie  Algériennes  »;  c'est-à-dire  qu'il  se  propose 
Vétude  des  conditions  éconot}iiqucs  et  des  institutions  sociales  des 
peuples  qui  vitrent  sur  le  territoire  de  rAlgérie.  Mais,  en  réalité,  ce 
cours  pourrait  avoir,  plus  logiquement  peut-être,  le  titre  plus  bref  de 
sociologie  algérienne;  car  l'étude  des  phénomènes  économiques,  dont 
nous  ferons  à  juste  raison  une  branche  essentielle  de  notre  enseigne- 
ment, n'est  autre  chose  qu'un  aspect  de  létude  plus  générale  des  phé- 
nomènes sociaux.  Il  n'est  plus  à  démontrer  aujourd'hui  que  les  phé- 
nomènes économiques  se  déroulent  dans  des  sociétés;  qu'ils  ne 
sauraient  être  conçus  en  dehors  de  la  vie  en  commun;  et  que,  par 
conséquent,  étudier  la  vie  matérielle  d'un  peuple  est  impossible  si 
Ton  ne  connaît  pas,  dans  ses  grands  traits,  son  organisation  sociale 
elle-même.  Si  donc  nous  avons  inclus,  dans  le  titre  officiel  de  cet  en- 
seignement, le  mot  d'économie  algérienne,  c'a  été  pour  le  rattacher  de 
façon  officielle  et  patente  aux  enseignements  économiques  qui  déjà 
se  donnent  dans  la  Faculté  de  Droit;  en  d'autres  termes,  pour  marquer 
que  l'enseignement  nouveau  se  relie  parfaitement  aux  enseignements 
aetuels,  et  que  ce  n'est  pas  du  tout  une  révolution  universitaire  que 
nous  tentons.  Mais  encore  une  fois,  l'objet  propre,  et  par  conséquent 
le  titre  naturel  de  cet  enseignement,  c'est  la  Sociologie  de  l'Algérie  : 
entendons  par  là  l'étude  des  phénomènes  sociaux  de  toutes  sortes  que 
nous  pouvons  observer  parmi  les  peuples  divers  qui  vivent  sur  le 
territoire  de  cette  colonie. 

Encore  est-il  nécessaire,  dès  l'abord,  de  préciser  quels  seront  la  na- 
ture et  le  caractère  de  cette  étude;  ce  qui  sera  l'occasion,  en  même 
temps,  d'expliquer  pourquoi  nous  lui  donnons  ce  nom  de  sociologie, 
et  pourquoi  nous  n'avons  pas  préféré  adopter  l'une  ou  l'autre  des  dé- 
signations traditionnelles. 

Nous  avons  voulu  faire  comprendre  par  là,  que  l'étude  que  nous 


OUVERTURE  D'UN  COURS  DE  SOCIOLOGIE  ALGÉRIENNE  95 

entreprenons  des  populations  algériennes  au  point  de  vue  social,  pré- 
sentera un  triple  caractère;  elle  sera  une  étude  descriptive;  elle  sera 
ensuite  une  étude  comparative;  elle  sera  enfin,  et  surtout,  une  étude 
explicative.  Notre  préoccupation  et  notre  ambition  ne  sera  pas  seule- 
ment de  décrire  et  d'observer  les  phénomènes  qui  s'offrent  à  nos  yeux, 
pour  la  pure  et  simple  satisfaction  de  les  connaître;  ce  serait  là  l'œu- 
vre d'une  étude  proprement  descriptive,  telle  que  peut  être  l'archéo- 
logie par  exemple,  ou  encore  la  géographie;  mais  nous  prétendons 
faire  ici  quelque  chose  de  plus  qui,  précisément,  confère  à  nos  études 
un  caractère  distinctif.  Après  la  description  des  faits,  qui  est  le 
moment  préalable  et  nécessaire  de  toute  reeherche,  nous  voulons 
en  effectuer  la  comparaison  ou  le  rapprochement;  et  c'est-à-dire  que 
notre  désir  est  de  mettre  en  parallèle  et  en  rapport  les  faits  les  uns 
avec  les  autres,  alors  même  que  ces  faits,  ces  coutumes,  ces  tradi- 
tions, auraient  été  observés  chez  des  peuples  distants  les  uns  des 
autres,  soit  dans  l'espace,  soit  dans  le  temps.  Car  le  principal  intérêt 
scientifique  qu'il  y  a  de  connaître  des  faits,  c'est  de  pouvoir  ensuite 
les  rapprocher  et  les  comparer  les  uns  avec  les  autres,  afin  de  faire 
ressortir  leurs  earactères  fondamentaux  et  de  dégager  leurs  traits 
constitutifs.  Et  enfin,  lorsque  nous  aurons  peut-être  mené  à  bien  cette 
double  tâche  de  la  description  et  de  la  comparaison  des  faits  sociaux 
de  l'Algérie,  il  nous  faudra  entreprendre  une  tâche  dernière  et  plus 
malaisée  :  celle  de  leur  explication.  Observer  les  faits  et  les  comparer 
entre  eux  n'est  rien,  si  cela  ne  permet  pas  de  les  co'mprendre;  en 
d'autres  mots,  d'atteindre  leurs  causes,  de  découvrir  leurs  raisons  et 
leurs  motifs,  d'arriver  jusqu'aux  sources  profondes  d'où  ils  découlent. 

C'est  pourquoi  le  mot  de  sociologie,  par  lequel  nous  proposons  de 
désigner  cette  étude,  nous  a  paru,  mieux  que  tout  autre,  exprimer 
le  caractère  complexe  qu'elle  va  offrir  d'être  à  la  fois  une  description, 
une  comparaison  et  enfin  une  explication  des  faits  sociaux  qu'il  nous 
est  donné  d'observer  autour  de  nous. 

Par  là,  nous  pouvons  comprendre  que  cet  enseignement,  de  par 
sa  nature  même,  ne  saurait  faire  double  emploi,  en  aucune  manière, 
avec  les  enseignements  qui  existent  déjà,  soit  à  l'Université  d'Alger, 
soit  dans  d'autres  Universités.  Notamment  il  diffère,  par  sa  tendance 
et  par  son  intention,  des  cours  de  géographie  qui  sont  professés  dans 


96  UKlMi   MAUNIEU 

les  Facultés  des  Lettres,  et  pai  liciilièreinent  du  cours  de  géographie 
de  l'Afrique  du  Nord  à  la  l'acullé  des  Lettres  de  noire  Université.  Car, 
encore  une  lois,  la  géographie,  comme  son  nom  môme  et  son  étymo- 
logie  l'indiquent,  est  une  étude  descriptive  dans  le  genre  de  l'his- 
toire et  de  l'archéologie;  mais  non  |)as,  dans  son  essence  h)ut  au 
moins,  une  élude  comparalixe  el  explicative  comme  est,  et  comme 
doit  être  la  siR'iologie.  (]'esl  pour  une  raison  analogue  (jue  nous  avons 
écarté  l'emploi  du  lernu\  1res  usité,  iVethnograph'u'  algérienne. 
L'ethnogra|»hie.  la  description  des  races,  n'est  en  elïet  autre  chose 
qu'un  aspect  parliculier  el  une  hranche  supérieure  de  la  géographie 
elle-iméme.  Il  y  a  la  géographie  physique,  la  description  de  la  terre; 
el  il  \  a  la  géographie  huinaiuc.  la  descriplion  liisloricpie  el  morale 
des  \ariélés  d  lioinnic^  (pii    peupleni   la  sinlace   lerreslre. 

Ainsi,  il  nous  semhle  (pie  la  sociologie  en  général,  el  en  particu- 
lier la  sociologie  algériemu'  telle  que  nous  voulons  l'enseigner,  pré- 
sente, par  lapport  aux  disci|)lines  [)récédentes,  des  tendances  spéciales 
et  des  caractères  originaux.  Klle  s'en  distingue  par  cela  surtout,  qu'elle 
cherche  à  èlre  une  science  \éiilal)le.  c'est-à-dire  une  méthode  d'expli- 
cation des  laits.  Si  elle  poinsuil  la  connaissance  des  phénomènes 
sociaux,  ce  n'est  pas  en  vertu  de  la  pure  et  simple  curiosité  de  les  con- 
naître. Ce  n'est  pas  seulement  pour  les  contempler,  mais  c'est  aussi 
pour  les  comprendre,  pour  les  pénétrer  dans  leurs  motifs  intimes.  Et 
c'est  là  pourquoi  celte  étude  sociologique  ne  saurait  se  borner  à  être 
purement  descriptive;  j)ourquoi  elle  doit  être  surtout  comparative  et 
enfin  explicative. 

Mais  si  nous  pensons  par  là  avoir  justifié  le  premier  tenme  de  cette 
expression  ((  sociologie  algérienne  »,  il  nous  reste  maintenant  à  jus- 
tifier le  second;  et  à  ce  point  de  vue  encore,  nous  avions  un  choix  à 
faire  entre  plusieurs  expressions  concurrentes,  qu'il  nous  a  fallu  sou- 
mettre à  la  critique  pour  des  raisons  de  méthode.  On  a  coutume, 
assez  fréquemment,  d'employer  depuis  quelques  années  l'expression 
«  sociologie  musulmane  »,  désignant  par  là  l'étude  des  peuples 
musulmans.  Mais  quelle  que  soit  l'unité  très  réelle  de  la  civilisation 
musulmane  dans  le  temps  et  dans  le  lieu,  on  oublie  pourtant,  nous 
semble-t-il,  que  chaque  peuple  musulman  possède  son  caractère 
spécial,  que  ses  institutions  ont  une  couleur  originale;  et  c'est  préci- 


Ol  \KIVH  HK  D'UN  COURS  DK  SOCfOlOOlK  ALGÉRIKNNE  97 

sèment  ce  que  le  cours  de  cette  année  aura  pour  objet  de  mettre  en 
lumière  à  propos  du  peuple  kabyle.  Dès  lors,  il  n'est  pas  vraiment  légi- 
time de  parler  d'une  sociologie  musulmane.  Chaque  peuple  musulman 
a  sa  sociologie  particulière,  qui  doit  être  décrite  et  expliquée  dans  ses 
caractères  propres  et  dans  ses  traits  constitutifs.  C'est  pour  la  même 
raison  qu'il  nous  faut  abandonner  aussi  une  autre  expression  qui  est 
en  faveur  depuis  peu  d'années,  celle  de  «  Sociologie  berbère  ».  On 
dit  volontiers  que  la  «  race  berbère  »,  comme  on  l'appelle,  possède 
des  institutions  caractéristiques  qui  se  retrouvent  partout  les  mêmes 
dans  l'Afrique  du  Nord,. de  la  Tunisie  jusqu'au  Maroc;  et  sans  doute 
il  y  a  là  quelque  part  de  vérité.  Mais  c'est  aussi  une  outrance  que 
d'affirmer  que  le  droit  berbère  et  l'organisation  sociale  des  peuples 
non  arabisés  du  Moghreb  présentent  partout  les  mêmes  règles  unifor- 
mes. Il  est  bien  vrai  qu'ils  s'opposent  à  l'ensemble  des  institutions 
musulmanes  par  certains  traits  —  notamment  par  certains  traits  du 
droit  de  la  famille  —  qui  ne  pouvaient  manquer  de  frapper  les  obser- 
vateurs des  populations  berbères,  et  qui  d'ailleurs  s'observent  dans 
beaucoup  de  sociétés  élémentaires,  répandues  par  tout  le  monde.  Mais 
il  faut  dire  cependant  des  Berbères  ce  que  tantôt  nous  venons  de  dire 
des  Musulmans  eux-mêmes;  à  savoir  que  leurs  institutions,  quelle 
que  soit  l'unité  d'ensemble  qu'elles  offrent  à  l'observation  superfi- 
cielle, présentent  dans  l'espace,  selon  les  peuples,  souvent  même  selon 
les  tribus,  des  variations  trop  originales  et  tro])  essentielles  pour  qu'il 
soit  possible  de  les  négliger.  Et  d'ailleurs  il  est  bien  acquis  mainte- 
nant que  ce  n'est  pas  la  race  qui  déteimine  l'essence  des  institutions 
sociales;  et  de  même  qu'on  ne  croit  plus  qu'il  ait  existé  jamais  un 
droit  aryen  uniforme  quels  que  soient  les  peuples  de  cette  origine; 
de  même,  et  nous  espérons  le  montrer,  il  n'est  pas  possible  d'affirmer 
qu'il  y  a  un  droit  berbère,  toujours  le  même,  dans  l'histoire  et  dans 
le  lieu.  Dès  lors,  il  semble  que  nous  eussions  dû  adopter  une  dernière 
expression,  qu'employait  autrefois  dans  im  coui^s  libre  M.  Sabatier, 
celle  de  Sociologie  indigène  (i).  C'est  bien  là,  en  effet,  le  terme  qui 
pourrait  définir  à  la  fois  l'objet  principal  que  nous  donnons  à  cette 
étude,  et  le  caractère  que  nous  lui  assignons  :  mais  pourtant,  il  nous 

Cl)  Cours  de  Scx^iolopir  indigène.   Cf.   Le  Petit  Colon,    iG  di'-ccmbro   18S4. 

HESPiRIS.     —  T.    II.    —    1922  7 


98  HENl^:  MAUMER 

a  semblé  qu'il  convenait  de  réserver  la  curiosité  que  nous  pourrions 
avoir  d'étudier  non  seulement  la  vie  on  société  des  peuples  indij^ènes, 
mais  aussi  la  vie  en  société  des  peuples  étranp^ers  et  surtout  euro- 
péens, qui  se  sont  répandus  au  cours  des  siècles  sur  l" M'i  icpic  du  Moid. 
Il  en  est,  parmi  eux,  qui  oui  iiu|K)rlé  sur  ce  territoire  des  iustilidious 
singulières,  des  pratiques  originales  ;  et  il  y  a  lieii  de  uc  pas  nous 
interdire  a  priori  l'étude  de  ces  phénoîuèues  extérieurs,  qui  ont  affecté 
dans  une  mesure  plus  ou  moins  profonde  les  faits  indigènes  eux- 
màmes.  Et  c'est  pourquoi  le  titre  de  ce  cours  sera,  non  pas  celui  de 
sociologie  indigène,  ni  celui  de  sociologie  musulmane  ou  berbère; 
mais  le  titre,   tout  à  fait  générique,  de  sociologie  algérienne. 

Tel  étant  l'objet  de  cet  enseignement,  il  faut  en  marquer  som- 
mairement l'utilité,  et  en  tracer  les  divisions  fondamentales.  Sans 
doute  il  peut  paraître  superllu  de  prétendre  qu'il  y  a  un  intérêt  à  la 
fois  théorique  et  pratique,  ou  comme  l'on  aime  à  dire  aujourd'hui, 
un  intérêt  pragmatique,  à  connaître  la  vie  sociale  des  peuples  algé- 
riens. Un  intérêt  théorique,  car  c'est  noire  droit  et  notre  devoir,  par- 
ticulièrement à  nous  Français,  que  de  connaître  et  de  comprendre 
les  peuples  dont  nous  avons  assumé  l'administration.  A  ce  devoir 
nous  n'avons  jamais  failli;  et  la  colonisation  française  a  toujours 
donné  l'impulsion  aux  recherches  de  sociologie  comparée  (i).  Ce 
sont,  avec  les  Laiitau  et  les  Gharlevoix,  nos  missionnaires  qui  les  ont 
fondées  en  Amérique,  comme  en  Afrique  nos  voyageurs  et  nos  fonc- 
tionnaires. Mais  on  voudrait  qu'à  l'image  de  ce  qui  a  pu  être  fait  dans 
certaines  colonies  étrangères,  à  l'image  surtout  de  ce  qui  a  été  effec- 
tué dans  des  conditions  admirables  par  le  Gouvernement  des  États- 
Unis,  l'étude  de  l'Ethnographie  Algérienne  fût  organisée  de  façon 
systématique,  sous  la  forme  d'un  service  public  et  d'une  institution 
officielle,  ainsi  que  présentement  ime  recherche  analogue  se  fait  déjà 
au  Maroc.  Mais  d'autre  part  il  y  a  aussi  un  véritable  intérêt  pratique 
à  la  connaissance  de  ces  institutions  sociales.  Auguste  Comte  l'a  dit  : 
((  Savoir,  c'est  Pouvoir  »;  la  connaissance  constitue  l'instrument  indis- 


(i)  E.  Jobbé-Duval,  VHistoire  comparée  du  droit  et  Vexpnnsion  coloniale  de  la  France. 
Annales  internationales  d^histoire,  1900,  p.  1117-146.  Cf.  E.  Cheysson,  l'Étude  de  ihonimc 
social    et    la    colonisation.    Revue  générale  Internationale,    1897,    II,    p.     i63-i8i. 


OUVERTURE  D'UN  COURS  DE  SOCIOLOGIE  ALGÉRIENNE  99 

pensable  et  le  moyen  nécessaire  de  l'action.  Bien  des  erreurs  que  nous 
avons  pu  commettre  nous  eussent  été  évitées,  si  nos  fonctionnaires 
eussent  été  mieux  pénétrés  qu'ils  ne  l'étaient,  de  la  compréhension 
de  l'esprit  des  indigènes  et  de  la  connaissance  de  leurs  institutions. 

C'est  donc  à  tous  ceux  qui  peuvent  être  curieux  de  la  sociologie  in- 
digène, que  cette  étude  s'adresse;  dès  lors  la  diversité  de  oe  public 
nous  impose  une  manière  de  dédoublement  de  cet  enseignement,  il 
comprendra  deux  séries  de  leçons  tout  à  lait  indépendantes  l'une  de 
l'autre.  La  première  aura  pour  but  l'exposé  de  la  matière,  d'une  façon 
générale,  ou  l'étude  d'ensemble  des  civilisations  algériennes;  et  elle 
sera  destinée  plus  particulièrement,  mais  non  pas  exclusivement, 
aux  étudiants  de  cette  Faculté.  La  seconde,  qui  formera  le  cours  pu- 
blic proprement  dit,,  portera  chaque  année  sur  un  sujet  différent, 
qui  sera  la  description  et  l'explication  méthodique  de  certains  des 
phénomènes  sociaux,  dont  on  aura  donné,  dans  la  partie  générale  de 
l'enseignement,  une  analyse  d'ensemble.  Au  eours  de  la  présente 
année,  cette  partie  spéciale  de  notre  enseignement  aura  pour  objet 
des  «  recherches  sur  la  vie  économique  et  sur  l'organisation  sociale 
du  peuple  kahyle  ». 


Il  nous  reste  maintenant  à  tracer  d'abord  le  tableau  d'ensemble 
de  la  partie  générale  du  cours,  afin  d'en  marquer  l'intérêt  mieux  que 
nous  n'avons  pu  faire  jusqu'à  présent;  ensuite,  nous  indiquerons  les 
raisons  pour  lesquelles  nous  avons  cru  devoir  commencer  la  partie 
spéciale  de  ce  cours  par  l'étude  sociologique  de  la  Kabylie. 

Et  tout  d'abord,  quel  sera  donc  le  contenu  de  la  partie  générale  de 
ce  cours,  et  quel  seront  les  grands  cadres  que  nous  aurons  à  remplir 
pour  offrir  une  étude  d'ensemble   des  civilisations   algériennes   ? 

Cette  matière  se  divise,  de  façon  pour  ainsi  dire  naturelle,  en  deux 
aspects  qui  sont  :  d'abord  l'étude  des  phénomènes  économiques,  en- 
suite l'étude  des  institutions  sociales.  D'une  imanière  générale,  l'or- 
u'anisation  sociale  d'un  peuple  dépend,  non  pas  exclusivement  mais 
à  coup  sûr  étroitement,  des  conditions  de  son  existence  matérielle; 
et  donc  il  était  logique  d'inaugurer  une  étude  de  la  sociologie  algé- 


100  KKM':  MAUMKH 

rienne  [)ar  l'analyse  |)H';ilal»lt'  de  rrcoMoiuie.  base  de  l'ordre  social. 

Ce  système  cconont'unu'  eoinpi-eiiil  hii-iiièine  un  ensemble  très  com- 
posite (le  phénomènes  dixeis;  iiuiis  il  est  possible  pointant  d'y  des- 
siner quelques  catégories  j^fénérales.  Notannnent,  il  convient  de  re- 
majquer  que  les  phénomènes  économiques  se  caractérisenl  avant  tout 
par  YohjiH  même  qne  |>oursuil  l'activité  matérielle  des  hommes.  A. 
ce  point  de  vue  les  peuples  de  l' Mfjérie  présentent  tous  ce  caractère 
d'être  des  peuples  à  »<  économie  comple.ve  ».  En  d'autres  termes,  il  n'y 
a  point  en  M^érie  de  peu[)le  qui  s'em])l()ie  exclusivement  à  l'une  ou 
l'autre  des  taches  diverses  qui  [Meuvent  occuper  l'activité  économique. 
Il  n'y  a  point  de  peuple,  même  nomade,  qui  soit  exclusivement  pas- 
teur ;  il  n'y  a  point  de  peu[)le  non  plus  qui  soit  exclusivement  agri- 
culteur. Mais  hi  phipart  des  populations  d(^  l'Algérie  se  consacrent 
à  la  fois  à  la  chasse,  à  l'élevage,  à  l'agriculture^  et  même  elles  exei- 
cent  déjà  des  industries  rudimcMitaii-e^s,  les(prell(\s  donnent  lieu  à  des 
échanges  nudtipliés. 

Il  y  a,  à  cette  situation,  îles  causes  n()nU)reuses,  dont  la  principale 
peut-être  tient  à  la  natme  du  terrain  et  aux  conditions  du  climat, 
r^'un  et  l'autre  offrent  en  effet  la  plus  grande  variété.  Les  ressources 
naturelles  sont  très  variables  dans  l'espace,  d'une  région  à  l'autre  ; 
et  quant  an  climat,  il  varie  lui-même  au  cours  de  chaque  année,  et 
de  la  façon  la  plus  régulière.  Le  climat  algérien  forme  deux  saisons 
nettement  différentes  qui  se  scccèdent  cl  sallcrnenl  :  la  saison  froide, 
pluvieuse  et  neigeuse;  la  saison  chaude  et  sèche.  De  là  toute  une  série 
de  conséquences,  quant  aux  traits  de  la  vie  économique,  et  quant 
à  la  nature  de  l'existence  sociale.  Il  y  a  les  activités  de  l'hiver  et  les 
activités  de  l'été;  il  y  a  les  industries  de  la  maison  et  les  industries 
de  l'extérieur,  qui  se  renouvellent  tour  à  tour  avec  les  saisons;  en 
sorte  que  l'indigène  algérien  passe  suocessivement  et  rythmiquement 
par  deux  conditions  d'existence.  De  là  aussi,  au  point  de  vue  social, 
une  sorte  de  rythme  tout  à  fait  analogue.  Il  y  a,  pendant  la  période 
de  l'hiver,  la  vie  fermée  du  groupe  domestique,  contracté  en  quelque 
sorte  SUT  lui-même;  et  il  y  a,  pendant  l'été  et  surtout  à  sa  fin,  la 
fusion  des  groupes  sociaux  les  uns  avec  les  autres,  la  vie  de  société 
qui  bat  dans  toute  son  intensité;  c'est  la  période  des  fêtes,  la  période 
des  échanges,  la  période  des  réjouissances  de  toutes  sortes.   Et  ainsi 


OUVI-iriURE  D'UN  COURS  DE  S0CI01.0(;iE  ALGÉRIENNE        tOl 

la  vie  économique  et  sociale  affecte  en  Algérie  des  caractères  à  la  fois 
variés  et  successifs. 

Ce  n'est  pas  seulement  l'objet  de  l'activité  économique  qu'il  y   ;i 
lieu  de  considérer,  si  l'on  veut  en  faire  le  tableau  descriptif;  il  faut 
aussi  en  analyser  ce  que  nous  appellerons  le  mode  d'exercice  ;  c'est- 
à-dire  qu'il  faut  rechercher  quelle  est  la  forme  des  institutions  écono- 
miques, quelles  sont  les  règles  suivant  lesquelles  s'effectue  la  satisfac- 
tion des  besoins,  et  quels  sont  les  groupes  sociaux  qui  travaillent  à 
la  poursuite  de  la  richesse.  A  ce  point  de  vue  encore  la  vie  économi- 
que  algérienne   offre    un   trait   fondamental,    qui    est   qu'elle   repose 
avant  tout  sur  l'institution  domestique.  L'organe  essentiel  de  l'acti- 
vité économique,  c'est  la  famille  :  entendons  par  là,  non  pas  la  famille 
conjugale  (i)  de  nos  sociétés  modernes,  le  petit  groupe  restreint  des 
époux  et  de  leurs  descendants  directs  ;  mais  le  groupe  beaucoup  plus 
vaste  de  la  famille  agnatiqae,  qui  réunit  plusieurs  souches  de  parents 
et  plusieurs  générations  d'individus  dans  une  association  supérieure. 
Ce  groupe  de  la  famille  agnatique  cherche,  autant  qu'il  le  peut,  à  se 
suffire  au  point  de  vue  économique;  il  veut  satisfaire,  par  ses  propres 
ressources,  aux  besoins  de  tous  ses  membres.  Et  c'est  là  une  tendance 
qui,   aujourd'hui   encore,   peut   être  observée   en    Afrique   du   Nord, 
dans  sa  plénitude,  alors  que,  pourtant,  des  tendances  nouvelles  déjà 
se   manifestent,    et  qu'il   se   produit  des   atteintes   à   l'indépendance 
ancienne   de   l'économie  familiale.    C'est   ainsi   que,    pour  certaines 
tâches,   la   famille  fait  appel   à   la   collaboration   d'un   groupe   plus 
vaste,  le  village,  et  que  la  construction  de  la  maison  s'effectue  non  pas 
par  l'action  isolée  de  chaque  famille,  mais  par  la  collaboration  collec- 
tive du  village  tout  entier.   C'est  ainsi   encore  que  des   échanges   se 
développent  sur  les  marchés  qui  se  sont  formés  aux  frontières  d^es 
tribus,   que  des  piodiiits  étrangers  s'y  introduisent,  et  qu'ainsi  encore 
la   famille,   peu  à   peu,    trouve  en  dehors  d'elle-même  le  moyen   de 
satisfaire  à  ses  besoins.   Et  enfin,  l'on  voit  apparaître,  chez  certains 
peuples  de  l'Afrique  septentrionale,  une  atteinte  plus  grave  à  l'autono- 
mie économique  du  groupe  domestique.  C'est  l'intervention  des  arti- 


(i)   Durkht'iin,   La  famille   ronjngale.  Revne   l'hUnsopIriqiic.     XLVI,     janvier-février     io'J'. 
p.    r-i'i. 


102  RENtl  MMINÎKB 

sans  professionnels,  des  gens  de  imélier,  qui,  peu  à  peu,  (hcirlient  à 
.  monopoliser  les  industries  indigènes.  D'abord,  l'homme  de  métier  se 
borne  à  collaborer  avec  le  village  on  la  famille,  comme  il  se  voit  par 
exemple  dans  la  construction  de  la  maison:  il  n'y  joue,  par  rapport 
aux  travailleurs  du  village,  que  le  rôle  d'un  conseiller  et  d'un  direc- 
teur; mais  ensuite,  il  s'assure  peu  à  peu,  de  par  sa  supériorité  tech- 
nique, l'exercice  de  tous  les  actes  du  métier  dans  son  entier,  et  la 
famille,  peu  à  peu,  se  Irouve  destitiiée  de  l'indépendance  matérielle 
qui,  p>endant  longtemps,  en  avait  été  le  caractère  essentiel. 

Cette  étude  des  actions  économiques,  considéré/^s  dans  leur  objet 
et  ensuite  dans  leur  mode  d'exercice,  forme  la  préface  naturelle  <^ 
l'étude  des  institutions  sociales,  qui  en  est  à  son  tour  le  complément 
nécessaire.  Par  ce  qui  vient  d'être  dit,  on  a  compris  déjà  qu'il  était 
impossible  de  décrire  l'activité  économique  sans  fnire  intervenir  la 
connaissance  des  groupes  sociaux.  Il  nous  faudra  donc  énumérer 
les  différentes  espèces  de  groupes  sorinji.r  qui  existent  chez  les  peuples 
de  l'Afrique  du  Nord,  pour  ensuite  décrire  et  analyser  les  activités 
sociales  dont  ces  groupes  sont  en  quelque  sorte  le  support.  De  même 
que,  dans  la  biologie,  l'étude  des  organes  précède  et  commande 
l'étude  des  fonctions;  de  même,  dans  la  sociologie,  l'étude  des  grou 
pements  sociaux  précède  aussi   l'étude  des   activités  sociales. 

Les  groupements  sociaux  sont  déjà  dans  l'Afrique  du  Nord  de 
plusieurs  sortes;  et  les  sociétés  indigènes  de  l'Algérie  ne  méritent 
point  du  tout,  dans  son  sens  littéral,  l'épithète  de  sociétés  primitives. 
Il  y  a,  en  effet,  d'abord  des  groupes  consanguins,  ainsi  qu'on  peut 
les  appeler  :  c'est-à-dire  des  groupes  tels  que  la  tribu,  le  clan  et  la 
famille  elle-même,  qui  sont  fonmés  des  descendants  réels  ou  fictifs 
d'un  même  ancêtre;  des  groupes  dont  le  lien  social  repose  donc  sur 
la  communauté  de  descendance.  Il  y  a  aussi  et  surtout  des  groupes 
territoriaux  :  des  groupes  dont  l'unité  repose  non  plus  sur  la  com- 
munauté d'origine,  mais  sur  la  communauté  d'habitation,  et  dont  le 
village,  tel  qu'il  existe  en  Kabylie,  nous  offre  le  type  le  plus  frappant; 
groupes  qui  sont  de  petites  sociétés  fermées,  de  petits  mondes  com- 
plets avec  leur  vie  indépendante.  Et  enfin,  il  apparaît  déjà  dans  nos 
sociétés  algériennes  une  nouvelle  espèce  de  groupements  sociaux, 
qui  sont  des  groupes  supérieurs,   en  ce  sens  qu'ils  n'apparaissent  pas 


OUVERTURE  D'UN  COURS  DE  SOCIOLOGIE  ALGÉRIENiNE        103 

dans  les  états  primitifs  de  révolution  humaine  :  ce  sont  des  groupes 
jonctionnels,  dont  l'unité  procède,  non  plus  de  la  communauté 
d'origine  ou  d'habitation,  mais  de  l'identité  d'occupation  ou  de  l'ana- 
logie d'activité.  C'est  parmi  cette  dernière  espèce  de  groupes  qu'il 
faut  ranger  les  corporations  industrielles  de  l'Afrique  du  Nord;  et 
c'est  d'eux  qu'on  peut  rapprocher  les  confréries  religieuses.  Les  unes 
et  les  autres  ne  sont  point  des  groupements  dont  on  a  fait  naturelle- 
ment partie  par  la  naissance  ou  par  le  voisinage,  mais  plutôt  des 
groupements  volontaires,  dans  lesquels  on  peut  entrer  librement  et 
desquels  il  est  possible  de  sortir. 

Les  groupes  sociaux,  dont  la  diversité  nous  apparaît  déjà  très  pous- 
sée, sont  les  organes  sur  lesquels  reposent  les  activités  sociales,  c'est- 
à-dire  les  phénomènes  fondamentaux  du  droit,  de  la  religion  et  de 
l'art,  tels  qu'ils  se  développent  dans  les  sociétés  de  l'Algérie  (i).  L'ac- 
tivité juridique  de  ces  groupements  sociaux,  nous  aurons  à  l'exposer, 
non  pas  sans  doute  en  son  détail,  puisque  ce  n'est  pas  notre  objet 
principal,  mais  du  moins  dans  ses  traits  fondamentaux;  et  il  nous 
faudra  dégager  comment  ce  droit  coutumier  de  l'Afrique  du  Nord, 
ce  droit  dans  lequel  les  sanctions  publiques  ne  sont  pas  distinctes  des 
sanctions  privées,  ce  droit  dont  presque  toutes  les  règles  sont  assu- 
rées par  des  peines  positives,  présente  des  caractères  tout  à  fait  singu- 
liers par  rapport  aux  droits  modernes  de  nos  sociétés  actuelles.  Et, 
de  même  en  sera-t-il  encore  de  l'activité  religieuse.  Nous  n'aurons 
point  la  prétention  de  décrire  en  son  détail  la  religion  des  indigènes  de 
l'Algérie;  mais  nous  aurons  à  marquer  tout  au  moins  comment  cette 
religion  essentiellement  animiste,  fondée  sur  la  croyance  aux  génies 
et  sur  le  culte  des  esprits,  conserve  pourtant  des  traits  qui  appartien- 
nent à  une  religion  plus  primitive,  nous  voulons  dire  la  religion 
totémique;  cette  religion  dans  laquelle  les  groupes  sociaux  se  croient 
et  se  prétendent  identiques  et  associés  à  des  espèces  animales  avec  les- 
quelles ils  imaginent  entretenir  des  rapports  de  parenté.  Nous  croyons 
qu'il  sera  possible  de  montrer  que  cette  religion  n'a  point  disparu 
tout  à  fait  de  l'esprit  des  peuples  de  l'Afrique  du  Nord  (2),  et  que 

(i)  En  outre  de  l'activité  économique,  dont  on    sait     pourquoi    nous     l'étudions     séparé- 
ment  et   préaJablenicnt. 

(2)  Lors  de  la  conquête   de   la   Kabvlie,     les  Ait    bou   Haddou    pensaient  que  les  pens   de 


lOi  BKNR  MAUNIKK 

la  religii)n  animiste  ou  spirilualiste  qu'ils  professenl  aujourd'hiii  s'est 
en  quelque  sorte  superposée  à  imo  lornie  île  relijjion  loléiiiique.  El< 
enfin,  parmi  les  activités  sociales,  il  en  <'sl  une  aussi  dont  l'étude 
sommaire  devrait  être  faite,  c'^'st  l'activité  esthétique.  11  y  a  chez 
les  peuples  de  l'Afrique  du  Nord  un  art  littéraire  et  un  art  décoratif, 
qui,  l'un  et  l'autre,  sont  des  phénomènes  sociologiques,  en  ce  sens 
qu'ils  se  lelienl  au  caractère  de  la  civilisation  tout  entière,  qu'ils  ne 
sont  pas  les  mêmes  selon  les  peuples  et  que,  par  exemple,  la  poterie 
kabyle,  par  sa  forme,  par  sa  décoration,  |)ar  sa  fabrication  aussi,  est 
quelque  chose  de  tout  à  fait  différent  de  la  poteiie  tunisienne  ou  de 
la  potei'ie  marocaine,  comme  de  la  poterie  aurasienne  ou  de  la  pote 
rie  mozabitc. 


Tel  est.  Messieurs,  le  programme  très  synthétique  de  la  partie  géné- 
rale de  cet  enseigneftnent.  11  nous  faut,  maintenant,  expliquer  pour- 
quoi, au  cours  de  la  présente  année  universitaire,  nous  nous  propo- 
sons d'étudier  dans  la  partie  spéciale,  à  laquelle  sera  consacré  le  cours 
public  du  vendredi,  les  institutions  économiques  et  sociales  du  peuple 
kabyle. 

Il  y  a  un  peuple  kabyle  (i)  qui,  sans  doute,  ne  mérite  pas  le  nom 
de  nation  au  sens  moderne  et  actuel  du  mot,  mais  qui,  pourtant, 
se  définit  à  la  fois  par  son  unité  matérielle  (:>.)  et  par  son  unité 
morale;  il  a  ses  institutions  particulières,  il  a  son  droit  original  et 
il  constitue  un  ensemble  de  civilisation  qui  survit  aujourd'hui  encore, 


l'une  de  kurs  fractions  pouvaient  approcher  fes  singes  sans  que  ceux-ci  en  fussent  inquiets 
«  car  ils  sont  d'une  même  origine  ».  (Devaux,  Les  Kebaïles  du  Djerdjera,  i6°,  iSbg,  p.  286: 
cf.  p.  220,  225,  des  légendes  assimilant  des  tribus  à  des  animaux).  V.  d'autres  faits  ch<'z 
A.  van  Gennep,  L'état  actuel  du  problème  lolémique,  8°,  1920,  p.  213-276  ;  et  cpr.  la  no- 
tion très  nette  de  réincarcération  dégagée  par  J.  I)<'sparmet,  Bull.  Soc.  Géogr.  Alger,  1918. 
p.    i35. 

(i)  Les  légendes  arabes  elles-mêmes  lui  prêlent  une  origine  spéciale;  cf.   Lapènc,   TubkMtu 

historique,   moral  et  politique  sur  les    Kabyles,    8°,    1846,   p.   65,  ot   Desparmef,   Bull.   Sor. 

Géogr.  Alger,  XXVI,  p.  477- 

(2)   Les   Kabyles   eux-mêanes,   devançant   une  Ihrorie    moderne,    se    sont    représentes    leur 

société   comme   analogue    à    un    organisme    vivant    ;   (;f.    Daumas,    Mœurs    et    coutumes    de 

r Algérie,    16°,    i855,    p.    ■Mty,  ;    et    sur   la    fréquence    de    <'Ptle    représentation    dans    les    so 

ciétés  élémentaires     :   Westerniarck,    Moral    Iilms.   IT.    ao/j. 


OUVEHTUHE  D'UN  COURS  DE  SOCIOLOC.IE   \L(;F:H1E\NK        105 

malgré  les  atteintes  qui  y  sont  portées  par  la  pénétration  des  mœurs 
nouvelles.  Ce  peuple,  nous  le  connaissons  tout  particulièrement;  c'est 
lui  qui,  parmi  les  ppu])les  de  l'Algérie,  a  été  le  mieux  étudié  (i);  c'est 
lui  aussi  que  j'ai  eu  jusqu'à  présent  l'occasion  de  pouvoir  observer 
par  moi-même  dans  plusieurs  voyages  que  j'y  ai  effectués.  C'est  peut- 
être  la  raison  la  plus  légitime  que  je  puisse  donner  de  l'avoir  pris 
comme  sujet  d'étude. 

Mais  encore  faut-il  que  ce  peuple  kabyle  offre  à  nos  yeux  d'autres 
intérêts;  et  notamment  celui  de  nous  présenter  des  institutions  tout- 
à-fait  typiques  :  nous  voulons  dire  des  institutions  qui  ont  une  valeur 
particulière  au  point  de  vue  de  la  sociologie  comparée.  Souvenons- 
nous  que  notre  intention  n'est  pas  seulement  de  décrire  les  faits  par- 
ticuliers, mais  aussi  de  les  comparer  entre  eux,  afin  d'en  dégager  les 
tendances  générales  et  d'en  établir  les  causes.  A  ce  point  de  vue,  le 
peuple  kabyle  nous  procure  une  expérience  de  la  plus  haute  portée; 
il  s'y  trouve  des  institutions  qui,  quels  que  soient  leurs  aspects  par 
ticuliers,  possèdent  pourtant  des  analogues  parmi  des  sociétés  très 
distantes  dans  l'espace  et  dans  le  temps. 

Il  y  a  eu,  depuis  quelques  années,  une  série  d'écrivains  qui  ont 
pris  à  tâche  de  montrer  comment  les  institutions  sociales  du  peuple 
kabyle  ressemblent,  par  leurs  traits  fondamentaux,  à  celles  de  la 
plupart  des  sociétés  élémentaires  (2).  Telle  était  par  exemple  la  société 
Israélite  lorsqu'elle  vint  s'établir  dans  le  pays  de  Canaan,  où  la  société 


(i)  E.  Carette,  Études  sur  Ja  Knbylie  proprement  dite.  1  in-8.  i848.  C.  Devaux,  Les 
Kebaltes  du  Djerdjera,  in-i6,  iBSg.  H«not€au  et  Letourneux,  La  Kabylie  et  les  coutumes 
Kabyles.  3   in-^°.   iS-'.>.  (o.^  édition,    1898). 

(2)  Dès  1886,  Emile  Alasqneray,  dans  sa  thèse  sur  la  Formation  des  cités  chez  les  popula- 
tions sédentaires  de  l'Algérie,  marquait  l'analofrie  de  la  société  kabyle  avec  l'état  ancien 
de  la  GrèoH"  et  de  Rome.  En  1890,  Paul  VioUet  (Histoire  des  institutions  politiques...  i.  p.  2i3- 
2i4).  comparait  l'assemblée  kabyle  à  l'assemblée  germanique.  Durkheim,  en  1898  (De 
la  division  du  travail  social.  8°  p.  iqS-iç)^.  et  Règles  de  la  méthode  sociologique.  i6°,  iSgS. 
p.  io4)  fut  le  premier  h  reconnaître,  dans  l'organisation  kabyle,  un  tyjie  de  société  très 
répandu  qu'il  dénomma  type  segmentaire.  Voyez  encore,  sur  les  institutions  kabyles  rap- 
portées (111  iroit  ccmpnré  :  K.  Besson,  Etude  comparative  sur  la  constitution  de  la  famille 
chez  les  Kabyles...  Bull.  Société  de  Législ.  comparée.  X\V.  189/i,  p.  276-296;  P.  Huvelin, 
Essai  historique  sur  le  droit  des  marchés  et  des  foires.  8°,  1897  fie  marché  kabyle  com- 
me type  de  marrhé  primitif):  Esmein,  Trois  dn^iiments  sur  le  mariage  par  vente,  Nouv.  Rev. 
hist.   de  droit...,   1899,   p.   620-621;  Faucimnet,  La  responsabilité,  8°,   1920,   p.    120-121. 


106  lAENVl   M  MINIER 

grecque  tlaus  la  période  héroïque  (i),  ou  la  société  iroquoise  à  l'épo 
que  de  sa  découverte  [-2)',  telleis  sont  enfin,  aujourdhui  même,  la 
société  des  Araires  du  déserl  de  Moab,  celle  des  Berbères  du  Maroc, 
celle  des  Touareg  du  Sahara,  \ussi  l'intérêt  principal  que  nous  trou- 
vons dans  cette  étude  systématique  du  peuple  kabyle,  c'est  de  nous 
donner  la  base  d'une  comparaison  méthodique;  c'est  de  nous  présen- 
ter des  institutions  qui  ont  la  valeur  d'un  véritable  type,  qui  ne  sont 
point  particulières  à  tel  ou  tel  peuple,  mais  qui  se  retrouvent,  sous 
des  aspects  variés,  dans  des  sociétés  nombreuses;  eu  sorte  qii(^  décrire 
et  expliquer  la  société  kabyle,  c'est  décrire  et  expliquer  une  forme 
typique  d'organisation  sociale. 

Pourtant,  et  quelle  que  soit,  du  point  de  vue  de  nos  préoccupations 
historiques,  la  valeur  de  cette  remarcpie.  il  nous  semble  qu'il  y  a 
d'autres  raisons  encore  pour  lesquelles  une  étude  du  peuple  kabyle 
\Teut  être  tentée.  Cette  étude  nous  monirera,  en  effet,  la  pérenniti' 
de  la  civilisation  antique  parmi  les  peuples  modernes  des  bords  de 
la  Méditerranée.  L'une  de  nos  constatations  les  plus  probantes,  ce  sera 
de  tiK)uver,  avec  M.  Van  Gennep  (3),  que  leis  dessins  des  poteries 
kabyles  sont  vraisemblablement  d'origine  égéenne  et  qu'ils  remon- 
tent à  une  tradition  ancienne  de  plusieurs  millénaires.  Lorsque  le 
voyageur  pénètre  dans  un  village  kabyle,  lorsqu'il  arrive  à  ce  lieu 
public  oij  se  réunissent  les  notables  du  village,  à  la  djemaâ,  il  aper- 
çoit sur  les  dalles  grossières  où  siège  ce  Sénat  en  haillons,  des  tables 
de  jeux  gravées  au  couteau;  et  il  pense  aussitôt  à  ces  jeux  gravés  que 
l'on  a  retrouvés  intacts  sur  les  dalles  du  forum  de  Timgad. 

Mais  encore,  il  est  une  autre  impression  qui  se  dégagera  de  notn- 
étude  :  celle  de  V unité  de  la  civilisation  méditerranéenne,  non  seule- 
ment dans  les  temps  antiques,  mais  aussi  dans  les  temps  modernes; 
unité  qui  se  manifeste  à  la  fois  dans  le  mode  de  vie  et  dans  les  indus- 


(i)  Bertholon,  Sociologie  comparée  des  Achéens  d'Homère  et  des  Kabyles  contemporains. 
Revue    Tunisienne,    xx,    mars    1918,    p.    190-199. 

(2)  «  Tous  les  villages  se  gouvernent  de  la  même  manière,  et  comme  s'ils  étoient  indé- 
pendans  les  uns  des  autres  «.  (Lalîtau,  Mœurs  des  sauvages  amériqu/iins...,  1,  in-4,  1724, 
p.463). 

(3)  Etudes  d'ethnographie  algérienne,  .'•°,  191 2  <'t  Recherches  sur  les  poteries  peintes  de 
VAfriijue    du    ^ord■.    /i»,    1918. 


OUVEBTUHE  D'UN  COURS  DE  SOCIOLOGIE  ALGÉRIENNE        107 

tries,  dans  les  institutions  et  dans  les  croyances.  Nous  n'en  pouvons 
citer  ici  qu'un  seul  exemple.  Notre  grand  Frédéric  Mistral,  dans  son 
poème  de  Mireille,  fait  allusion  à  une  tradition  très  vivante  dans  nos 
petites  cités  provençales,  brûlées  de  soleil  comme  des  villages  mau- 
resques; c'est  la  croyance  aux  «  jours  de  la  vieille  »,  cette  période 
de  temps  sombre,  de  vent  et  de  neige,  qui  s'étend  aux  derniers  jouis 
de  février  et  aux  premiers  jours  de  mars  (i).  On  reconnaît  là  la  pé- 
riode du  Hesoiim,  redoutée  des  Arabes,  période  qui  porte  chez  les 
Kabylesl  (2)  et  chez  les  Marocains  (3)  ce  même  nom  de  «  jours  de 
la  vieille  »,  et  en  vertu  de  la  même  légende.  Il  y  a,  dans  l'année 
indigène,  des  périodes  heureuses  et  des  périodes  malheureuses,  qui 
rappellent  les  périodes  fastes  et  les  périodes  néfastes  du  calendrier 
romain. 

Ainsi,  les  influences  de  l'islamisme  prolongent  les  traditions  du 
paganisme  sur  les  deux  rives  de  la  «  mer  fermée  ».  Et  l'on  a  maintes 
preuves  que  la  Méditerranée  demeure,  aujourd'hui  encore,  la  mer 
gréco-latine,  et  que  la  lumière  des  civilisations  antiques  n'y  est  point 
éteinte.  C'est  à  notre  pays  qu'il  appartient  de  la  maintenir  sur  cette 
terre  d'Algérie;  c'est  à  la  France  d'y  continuer  la  grandeur  romaine 
par  sa  puissance,  comme  elle  y  perpétue  la  sagesse  attique  par  son 
génie. 

René  Maunier, 

Professeur  à  la  Faculté  de  .Droit 
de   l'Université   d'Alger. 

(1)  Miréïo,  chant  vi,  et  note  6  :  cf.  chant  vu,  noie  S  sur  les  «  jours  de  la  vainhc  »  lo 
\eth   des   Africains. 

(2)  Sur  les  «  jours  de  la  vieille  »  dans  le  Maghreb  et  en  Kabylie  surtout,  Destaing,  in 
Hevue  Africaine,  L,  1906,  p.  244-252;  Ben-Sedira,  Cours  de  langue  kabyle,  16°,  1887, 
p.    ccxxn-ccxxiii,    etc. 

(3)  H.  Basset,  Essai  sur  In  littérature  des  Berbères.  8°,  1920,  p.  295,  3oi  ;  cf.  Archi- 
ves Berbères,  II,  i,  1917,  p.  91,  et  III,  i,  1918,  p.  96.  René  Basset,  in  Revue  d'ethno- 
graphie et  des  traditions  populaires,  LU,   n°   10,   1922,  p.    i64-i65. 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU 


(0 


Les  Français  qui,  désireux  de  se  fixer  au  Maroc  comme  colons, 
parcoururent  le  R'arb  au  printemps  19 12,  furent  profondément  éton- 
nés. La  plaine,  couverte  d'eau  sur  des  centaines  d'hectares,  était  trans- 
formée, suivant  la  pittoresque  expression  des  indigènes,  en  un  im- 
mense «  miroir  ».  Beaucoup  de  pistes  étaient  impraticables  pour  les 
piétons  et  même  pour  les  cavaliers.  Quoique  nos  colons,  Algériens  ou 
Tunisiens  d'origine,  fusseni  habitués  aux  crues  violentes  des  oueds 
de  l'Afrique  du  Nord,  ils  n'imaginaient  pas  l'ampleur  et  la  durée 
d'une  telle  inondation.  Ils  eurent  immédiatement  la  preuve  que  leur 
expérience  africaine  avait  besoin  d'une  adaptation  marocaine.  Mais 
contre  certaines  illusions  l'expérience  des  autres  est  insuffisante. 

Le  Maroc  est  si  riche  en  contrastes  violents  que  des  techniciens 
éprouvés  se  trompent.  Un  ingénieur  racontait  plaisamment  com- 
ment lui  fut  révélée  l'originalité  hydrographique  de  la  plaine  du 
Sebou.  Chargé  en  mars  19 17  de  reconnaître  le  R'arb  pour  sa  mise  en 
valeur  agricole,  il  pensait  effectuer  sa  mission  avec  l'automobile  et 
le  cheval  que  l'administration  avait  mis  à  sa  disposition.  Malgré  les 
prodiges  accomplis  par  les  chauffeurs  marocains,  il  fallut  bien  vite 
renoncer  à  l'automobile,   moyen  de   transport  dont  le   perfectionne- 

(i)  Le  prcsenit  article  n'est  qu'une  inodcste  contribut'irai  à  l'étude  d'un  phénomène  encore 
mal   obsoivé  et  déjà   sur   le  point  de   disp.Traître. 

En  dehors  de  nos  observations  personnelles,  et  des  travaux  de  M.  Pobéguin  [Voir 
Pobégnin,  Sur  la  côte  ouest  du  Maroc  —  Falaises,  dunes  et  sables  —  Paris  1907;  Pobé- 
•juin  :  Le  fleuve  Sebou  dans  sa  plaine  d'alluvions  (Bull.  kir.  fr.  Rensieign. ,  1907,  p.  3o5- 
Sog]  les  éléments  en  ont  été  puisés  à  trois  sources  principales  :  les  Archives  et  Rap- 
ports du  Service  de  l'Hydraulique,  de  la  Compagnie  du  Sebou,  de  la  mission  du  Sebou. 
Sans  la  bienveillamce  avec  laquelle  M.  Chabert,  Chef  du  Service  de  l'Hydraulique,  M.  de 
Segonziic,  Directeur  de  la  Compagnie  du  Sebou;  M.  le  Capitaine  Morot,  Chef  de  la 
Mission  du  Sebou  ont  mis  à  notre  disposition  tous  leurs  documents,  notre  travail  eût  été 
impossible.  En  particulier  les  Rapports  de  MM.  Rénot,  Zemcrli,  Journet  et  Roeslor  nous  ont 
été  d'un  secouis  précieux.  Nous  devons  aussi  à  l'appui  de  M.  Godard,  Administrateur  Délé. 
gué  et  à  la  complaisance  de  M.  Conte,  Directeur  de  l'exploitation  agricole  de  la  Compa- 
gnie du   Sebou,   d'avoir  pu  assister   à   la  création  de  la  Vie  dans  un  Désert. 

NoiKs    les   prions    de    bien    vouloir   trouver  ici    l'expression    de  notre   reconnaissance. 


j.  c:élébiki\ 

iiienl  suppose  d'autres  perfectionnements.  Le  cheval  lui-même  fut 
abandonné.  Et  notre  ingénioiii  i)rit  place,  comme  les  fellahs  maro- 
cains, sur  une  méchante  barque  ou  sur  ees  radeaux  de  joue  qu'on  ap- 
pelle inadia.  Four  un  homme  qui  concevait  son  rôle  counue  la  re- 
cherche de  l'eau  et  de  procédés  d'irrigation,  les  débuts  étaient  singu- 
liers. 

Mais  qu'on  s'imagine  l'effarement  du  voyageur  qui  revient  en  sep- 
tembre, ayant  dans  l'œil  la  vision  du  pays  parcouru  au  printemps. 
11  se  demande  s'il  n'a  pas  élé  \ictime  d'un  mirage.  ix»s  nappes  d'eau 
ont  disparu  à  peu  près  complètement  ;  plus  de  barques,  plus  de  ra- 
deaux ;  bourricots  et  chameaux  circulent  sur  des  pistes  déjà  pous- 
siéreuses. Cependant  quelques  détails  ne  peuvent  échapper  au  regard 
qui  cherche  des  traces  du  passé  :  des  ilaques  d'eau  apparaissent  de 
loin  en  loin  ;  le  contraste  avec  le  bled  fauve  et  pelé  est  frappant  ;  une 
végétation  abondante  et  vigoureuse  ondule  et  bruit  sous  la  brise  de 
mer;  l'œil,  lassé  du  soleil  el  du  sol  nu,  se  repose  avec  plaisir  sur  des 
teintes  vertes  qui,  malgré  leurs  tons  pâles,  paraissent  alors  merveil- 
leusement fraîches.  Des  troupeaux  assez  nombreux  sont  à  demi-ca- 
chés  dans  les  hautes  herbes  ;  ces  bœufs  n'ont  pas,  malgré  la  saison 
sèche,  l'air  pitoyable  et  décharné  de  leurs  congénères  marocains.  A 
défaut  d'eau,  il  subsiste  donc  une  humidité  suffisante.  On  arrive 
ainsi  à  concevoir  qu'entre  les  deux  aspects  de  la  plaine,  au  début  du 
printemps  et  au  début  de  l'automne,  il  n'y  a  pas  contradiction,  mais 
rapport  étroit,  le  second  s'expliquant  par  le  premier. 

Ces  vastes  étendues  qui,  au  Nord  et  au  Sud  du  Sebou  inférieur,  ont 
un  régime  amphibie,  les  indigènes  les  appellent  Merjas.  Ce  mot  arabe 
signifie  littéralement  «  pâturage  ».  Il  n'exprime  donc  qu'une  ima- 
ge incomplète,  saisonnière,  pour  ainsi  dire,  de  la  région  qu'il  désigne. 
Pour  définir  au  moins  l'apparence  extérieure  des  Merjas  de  la  plaine 
du  Sebou,  il  faut  indiquer  (leur  double  aspect  :  nappes  d'eau  en  hiver, 
pâturages  en  été. 

Ces  conditions  physiques  qui  paraîtraient  partout  originales  ont 
au  Maroc  une  valeur  toute  particulière.  Moins  déshérité  que  l'Algé- 
rie, le  Maroc  cependant  manque  d'eau:  comme  dans  tous  les  pays  du 
soleil,  l'humble  et  toute  puissante  magicienne  crée  la  fertilité  ou  le 
désert  suivant  qu'elle  se  donne  ou  se  refuse.  L'excès  d'eau  dans  une 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  111 

importante  région  du  Maroc  est  un  véritable  paradoxe  qui  a  eu  natu- 
rellement une  action  profonde  sur  les  habitants. 

La  Merja  est  devenue  comme  une  petite  unité  géographique  oii 
l'homme,  s'adaptant  aux  conditions  naturelles,  en  a  tiré  le  meilleur 
parti,  dans  la  mesure  oii  le  permet  l'indolence  fataliste  de  la  race. 
Entre  elle  et  lui  se  sont  noués  des  rapports  qui  donnent  une  physio- 
nomie caractéristique  à  l'habitat,  au  genre  de  vie,  aux  procédés  agri- 
coles dans  eertaines  fractions  des  tribus  du  R'arb  et  des  Béni-Ahsen. 
L'arrivée  des  Européens  a  déjà  modifié  et  modifiera  davantage  enco- 
re ces  rapports,  sans  toutefois  les  détruire  entièrement. 

Un  triple  but  s'impose  donc  à  notre  étude  : 

1°  Expliquer  l'origine  des  Merjas,  par  l'analyse  de  leurs  condi- 
tions physiques. 

2°  Montrer  eomment  les  Merjas  ont  modifié  pour  leurs  riverains 
les  conditions  générales  de  la  vie  des  Indigènes. 

3°  Examiner  quels  problèmes  les  Merjas  ont  posés  à  la  coloni- 
sation et  quelles  sont  les  solutions  appliquées  ou  envisagées. 

I.  —  Les  conditions  physiques  des  merjas 

Sur  toutes  les  cartes  du  Maroc,  même  à  petite  échelle,  on  a  repré- 
senté par  une  teinte  bleutée  ou  par  un  signe  spécial  le  domaine  des 
Merjas.  Ce  domaine  a  une  ampleur  suffisante  pour  appeler  l'atten- 
tion dès  le  premier  coup  d'œrl.  Sur  la  carte  provisoire  au  1/200. ooo^ 
il  occupe  la  plus  grande  partie  de  la  demi-feuille  ouest  d'Ouezzan,  le 
Nord  de  toute  la  feuille  de  Meknès.  Dans  la  région  limitée,  au  Nord  par 
les  collines  de  Lalla  Zorah,  au  Sud  par  la  forêt  de  Mamora,  à  l'Ouest 
par  les  dunes  littorales,  à  l'Est  par  l'alignement  des  collines  qui  domi- 
nent la  plaine,  les  Merjas  sont  le  trait  original  du  paysage.  Cette  région 
a  la  forme  d'un  trapèze  assez  régulier  d'une  superficie  approximati- 
ve de  3.000  kilomètres  carrés  ;  le  Sebou  y  développe  ses  méandres 
paresseux  et  le  grand  arc  de  cercle  qu'il  décrit  sépare  la  plaine  du 
R'arb  de  la  plaine  des  Béni-Ahsen  de  constitution  semblable  et 
d'étendue  à  peu  près  égale.  Sur  cette  superficie  totale  de  3. 000  kilo- 
mètres carrés,  les  Merjas  occupent  environ  60.000  hectares  soit  i/5 
et  cette  proportion  serait  beaucoup  plus  forte  si  l'on  ne  considérait 


iU2 


(^l'ILKUlblU 


que  le  cenhc^  cl  l'onrsl  (1(>  la  plaiiu». 

Ce  vaste  domaine  uc  Umww  i>as  im  Loiil  continu   :  non  seulement 
le  lar^e  talus  (nii  hordt^  le  Srhoii   isole  eoiuplèleiuenl  les  Meijas  du 


Fig.  1.  —    l^es  «  .Merjas  >■  de  lu  iiIkIik;  de  ScIjoii. 


R'arb  de  celles  des  Beni-Ahsen,  mais  encore,  an  i\ord  et  au  Sud  du 
fleuve,  chaque  Merja  conserve  son  individualité.  Même  au  début  du 
printemps,  au  moment  de  la  plus  o-rand(^  extension  des  eaux,  il  sub- 
siste entre  les  principales  Merjas  des  seuils  qui  [)ermettent  le  passage. 
Cependant  le  nombre  et  la  largeur  de  ces  seuils  varie  d'une  année 
à  l'autre.  Deux  Merjas  séparées  en  année  normale  peuvent  communi- 
quer après  un  hiver  particulièrement  pluvieux.  Il  arrive  même  quel- 


LES  ((  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  113 

quefois  qu'une  violente  crue  submerge  toute  la  plaine,  mais  l'im- 
mense nappe  d'eau,  peu  profonde,  se  résorbe  très  vite. 

Il  convenait  de  faire  ces  réserves  pour  (montrer  le  caractère  très 
approximatif  de  la  superficie  qu'on  peut  assigner  à  chacune  des  prin- 
cipales Merjas.  Toutes  sont  d'une  façon  plus  ou  moins  visible,  en 
rel-ation  avec  une  rivière,  mais  tandis  qu'on  les  désigne,  chez  les 
Béni-Ahsen,  par  le  nom  de  cette  rivière,  on  leur  donne  dans  le 
R'arb,  un  nom  spécial. 

Il  y  a  dans  le  R'arb,  trois  grandes  Merjas  : 

La  Merja  Merktane,   4-5oo   hectares;   la   Merja   Bou-Kharja,    8.5oc 
hectares,  le  Ras  ed  Daoura,  9.600  hectares. 
Les  principales  Merjas  des  Béni-Ahsen  sont  : 
La  Merja  du  Rdom,  9.000  hectares;  la  Merja  du  Beht,  19.000  hec- 
tares, la  Merja  du  Tiflet  et  Smento,  2.600  hectares. 

On  pourrait  encore  mentionner,  à  cause  de  leur  intérêt  éconoimi- 
que,  le  groupe  des  Merjas  de  Kénitra  (Alaoui,  Fouarat,  Safaya,  Biara- 
mi,  les  Ccvurlis)  qui  couvrent  2.000  hectares  à  gauche  et  à  droite  du 
Sebou.  Mais  en  général  nous  laisserons  de  côté  les  petites  Merjas  pour 
concentrer  nos  études  sur  les  grandes  qui  sont  les  plus  originales. 
La  Merja  ez  Zerga  qui  n'a  pas  plus  de  2.000  hectares  est  également 
restée  en  dehors  de  notre  étude  :  sa  communication  avec  la  mer  par 
la  passe  de  Moulay  Bou  Selham,  quoique  intermittente,  lui  assure 
des  conditions  physiques  qui  la  distinguent  profondément  des  autres 
Merjas,  malgré  la  communauté  de  nom. 

Les  diverses  parties  d'une  Merja.  —  Ces  indications  mathé- 
matiques suffisent  à  montrer  qu'il  ne  faut  pas  voir  dans  leur  plus 
ou  moins  d'étendue  une  qualité  essentielle  des  Merjas.  A  côté  des 
19.000  hectares  de  la  grande  Merja  du  Beht,  la  Biarami  qui  n'en  a  que 
3oo  paraît  bien  modeste,  et,  entre  ces  extrêmes,  tous  les  ordres  de 
grandeur  sont  représentés. 

La  forme  n'est  pas  moins  variable  que  la  dimension.  Le  Ras  ed 
Daoura  est  tout  en  longueur  :  il  a  5o  kilomètres  du  Nord  au  Sud  tan- 
dis que  sa  largeur  qui  atteint  au  maximum  ^  kilomètres  à  la  hauteur 
du  Segmet  se  restreint  à  un  thalweg  de  100  mètres.  Les  Merjas  du 
Rdom  et  du  Beht  sont  au  contraire  allongées  de  l'Est  à  l'Ouest,  mais 

HESPÉRIS.    —   T.    II.   —    1922.  8 


114  J.  CÊLÉl\IER 

présentent  aussi  des  étranglements  qui  séparent  des  zones  élargies. 
La  Merktane  est  la  plus  harmonieuse  de  forme. 

La  profondeur  est  encore  assez  mal  connue  pour  les  merjas  du 
Sud  ;  elle  n'est  jamais  très  considérable,  le  maximum  de  3  à  4  mètres 
n'étant  atteint  qu'en  hiver  et  en  certaines  parties  Irrs  rares  et  très 
peu  étendues.  Surtout  la  profondeur  ne  présente  aucun  caractère  de 
régularité;  elle  peut  s'abaisser  à  quelques  centimèlre^s,  tous  les  degrés 
intermédiaires  étant  réalisés  un  peu  au  hasard,  scimble-t-il.  Cette 
variation  de  la  profondeur  est  cependant  un  fait  important  que  nous 
comprendrons  mieux  en  étudiant  de  plus  près  la  structure  des  Merjas. 
Avant  de  hasarder  une  hypothèse  sur  leur  origine,  on  peut  consi- 
dérer les  Merjas  comme  des  organismes  où  une  observation  en  (]ucl- 
que  sorte  extérieure  permet  de  distinguer  plusieurs  parties. 

L'élément  essentiel  est  une  partie  centrale  que  les  techniciens  appel- 
lent le  Ilydra.  Cuvette  déprimée  par  rapport  aux  terrains  qui  l'entou- 
rent, le  Hydra  présente  naturelle>ment  les  plus  grandes  profondeurs 
en  hiver;  il  conserve  de  l'eau,  sinon  absolument  toute  l'année,  du 
moins  la  plus  grande  partie  de  l'année. 

Le  Hydra  est  entouré  par  une  zone  plus  ou  moins  large,  pour 
laquelle  nous  emploierons  le  nom  de  Plage.  C'est  la  zone  qui  subit 
le  plus  de  variation  :  en  principe,  elle  est  couverte  d'eau  l'hiver  et 
asséchée  l'été,  mais  la  durée  et  la  surface  d'immersion  sont  difficiles 
à  préciser  exactement.  La  limite  intérieure  entre  la  Plage  et  le  Hydra 
est  en  quelque  sorte  théorique,  sauf  le  cas  rare  oii  elle  est  soulignée 
par  une  rupture  de  pente.  La  limite  extérieure  de  la  Plage  a  une 
grande  valeur  pratique  :  elle  marque,  en  effet,  les  points  extrêmes 
que  peuvent  atteindre  les  labours  et  ensemencements  des  indigènes. 
En  général,  les  fellahs  marocains  se  montrent  très  prudents  :  ils  arrê- 
tent leur  attelage  de  labour  en-deçà  de  la  limite  des  eaux,  laissant 
ainsi  entre  la  plage  lavée  habituellement  et  leurs  cultures  une  zone 
inutilisée,  une  frange  de  jachères.  Il  arrive  quelquefois  cependant 
que  leurs  labours  soient  inondés  et  leurs  semences  perdues  :  le  fait 
peut  se  produire,  soit  qu'enhardis  par  une  série  d'années  sèches,  les 
paysans  aient  voulu  dépasser  la  limite  ordinaire  de  leurs  champs, 
soit  qu'un  hiver  exceptionnellement  pluvieux  étende  le  domaine  de 
la  Merja.  D'autre  part,  la  définition  que  nous  avons  donnée  de  la 


Les  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  11^ 

Merja  :  nappe  d'eau  en  hiver,  pâturage  en  été,  laisse  place  pour  des 
stades  intermédiaires.  La  surface,  recouverte  par  l'eau  passe  par  un 
maximum  qui  est  atteint  d'habitude  vers  le  mois  de  mars;  puis  l'eau 
recule  peu  à  peu,  laisse  la  piage  complètement  à  sec  et  le  minimum 
peut  être  égal  à  zéro  quand  le  Hydra  lui-même  n'a  plus  d'eau,  ^insi 
les  limites  du  hydra  et  de  la  plage  varient  non  seulement  suivant  le 
moment  de  l'année,  mais  encore  suivant  les  années. 

Hydra  et  plage  se  partagent  le  domaine  de  la  Merja;  mais  ils  ne 
sont  pour  ainsi  dire  que  des  éléments  passifs.  En  outre,  chaque  Merja 
reçoit  un  ou  plusieurs  affluents;  s'il  y  en  a  plusieurs,  l'un  d'eux  est 
prédominant,  et  c'est  son  nom  qui  sert  à  désigner  la  merja  chez  les 
Béni-Ahsen.  De  même,  la  merja  a  un  ou  plusieurs  émissaires,  dont 
le  lit  est  plus  ou  moins  net,  et  le  cours  parfois  intermittent. 

Hydra,  plage,  affluent,  émissaire,  tels  sont  les  quatre  éléments 
constitutifs  d'une  merja.  Étudions  l'aspect  et  le  rôle  de  chacun  dans 
les  diverses  merjas  :  ce  sera  le  meilleur  moyen,  d'une  part,  de  déga- 
ger la  physionomie  propre  de  chacune  des  merjas;  d'autre  part,  de 
recueillir  les  données  qui  permettront  d'expliquer  leur  origine 
commune. 

Hydra.  —  La  formation  d'un  véritable  hydra  suppose  à  la  fois  des 
conditions  topographiques  et  hydrographiques. 

Les  conditions  topographiques,  c'est  l'existence  d'une  cuvette  sans 
écoulement;  mais  comme  nous  avons  signalé  l'existence  d'un  émis- 
saire, il  faut  du  moins  que  le  fond  de  la  cuvette  soit  au-dessus  du 
niveau  de  l'émissaire.  Les  conditions  hydrographiques,  c'est  que  l'ap- 
port d'eaux  soit  suffisant  pour  compenser  au  moins  en  partie  l'éva- 
poration. 

Ces  deux  conditions,  en  principe  indépendantes  l'une  de  l'autre, 
sont,  même  en  pratique,  d'une  réalisation  très  différente  :  l'une  est 
fixe,  au  moins  dans  les  conditions  de  notre  observation  —  réserve 
très  importante  — ,  l'autre  est  susceptible  de  variations  dont  les  résul- 
tats sont  faciles  à  constater.  En  dépit  de  quelques-  changements  que 
nous  verrons,  la  topographie  essentielle  de  la  Merja  ne  varie  pas  d'une 
année  à  l'autre.  Au  contraire,  le  régime  des  pluies  au  Maroc  est  carac^ 
térisé  par  son  instabilité. 


(16  j.  CÉLÉRIEU 

Suivant  quo  la  liaiileur  lotale  des  précipitations  est  plus  ou  moins 
grande,  il  y  a  dos  années  sèches  et  des  années  j)liivieiises.  Le  nom- 
bre de  jours  de  pluie  ne  varie  pas  moins  que  leur  répartition  men- 
suelle; certes,  la  saison  sèche  coïncide  bien  avec  l'été,  suivant  la  loi 
du  climat  méditerranéen,  mais  ses  limites  extrêmes  n'ont  aucune 
fixité.  Il  peut  tomber  de  violentes  averses  dès  la  mi-septembre,  tandis 
que,  certaines  années,  octobre  et  novembre  restent  implacablement 
secs.  Nous  rappelons  cette  instabilité  bien  connue,  quoique  encore 
mal  mesurée,  car  son  influence  sur  les  Merjas  est  si  importante  que 
nous  aurons  souvent  à  l'invoquer.  En  tout  cas,  dans  les  conditions 
ordinaires  du  climat  marocain,  le  soleil  ardent,  la  sécheresse  absolue 
pendant  au  moins  quatre  mois,  déterminent  une  évaporation  si  in- 
tense qu'elle  l'eKnporle,  le  plus  souvent,  sur  l'alimentation  en  eau  des 
merjas.  Ainsi  les  conditions  hydrographiques  d'un  Hydra  vraiment 
permanent  sont  rarement  réalisées  :  elles  constituent  une  sorte  d'idéal 
dont  chaque  merja  se  rapproche  plus  ou  moins,  suivant  sa  situation 
et  suivant  les  années. 

La  réalisation  des  conditions  topographiques  est  plus  assurée.  Le 
levé  de  précision  de  la  rive  gauche  du  Sebou,  qu'a  achevé  une  mission 
spéciale,  montre  que  l'existence  de  cuvettes  sans  écoulement  normal 
est  un  fait  constant,  sinon  dans  les  petites  merjas,  du  moins  dans  les 
plus  grandes.  Mais  ces  cuvettes  ont  une  forme,  une  ampleur  et  une 
profondeur  très  variables. 

La  mieux  caractérisée  est  celle  de  la  Mer'ktane  (i).  Le  niveau  s'y 
abaisse  à  6'",2;  par  une  coïncidence  curieuse,  c'est  tout  près  du 
Sebou  que  cette  faible  profondeur  est  réalisée,  rnais  les  berges  du 
fleuve  sont  à  ii  mètres,  empêchant  le  Sebou  et  la  Merktane  de  con- 
fondre leurs  eaux.  Nous  retrouvons  cette  cote  de  6", 2  dans  le  merja 
Bou  Khardja,  mais  très  loin  du  minimum  de  la  Merktane,  à  l'en- 
droit où  commence  ce  curieux  tronçon  de  rivière  qu'on  appelle  le 
Segmet.  Le  seuil  des  Miknassat,  qui  est  à  10  mètres  d'altitude,  sépare 
très  nettement  la  Merktane  et  la  Bou-Khardja,  quoique  ces  deux 
Merjas  soient  confondues  sur  les  cartes  du  Service  Géographique  soiii 

(i)  Nous  étudierons  dans  un  autre  paragraphe  les  travaux  effectués  dans  la  Merktane. 
Nous  raisonnons  provisoirement  d'après  !a  situation  de  la  Merja  qui  existait  au  début  i\e 
1918. 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU 


117 


le  ncxm  de  Merktane,  improprement  étendu  à  la  Bou-Khardja.  Ce  seuil 
forme  comme  un  dos  d'âne,  de  telle  sorte  que  les  eaux  de  la  Merktane, 
loin  d'avoir  une  tendance  à  s'écouler  au  nord,  vers  le  Segmet,  s'accu- 
mulent au  sud,   oii  se  trouve  le  fond  le  plus  bas  du  Hydra. 

La  cuvette  de  la  Merktane  est  donc  fortement  dissymétrique,  suivant 
son  axe  S.-N,  Un  profil  O.-E.  montrerait  une  dissymétrie  semblable. 
La  Merktane  est  dominée  à  l'ouest  par  un  talus  assez  abrupt  de  4  à 
5  mètres,  qui  représente  une  ancienne  dune  émoussée  et  fixée;  du  côté 
de  l'est,  elle  forme,  au  contraire,  un  plan  qui  se  relève  doucement 
vers  les  terres  des  fractions  Béni-Malek. 

D'une  façon  générale,  la  Bou-Khardja  est  égaleitnent  inclinée  de 


bian.  e'eau-^    , 
en  cniii  tvt>mu»fe-  i 


Seuiî  ia  ^\flûUi<t 


v^emrtec 


S  N 

Fig.  2.  —  Coupe  schématique  S.-N.  du  Sebou  au^Segmet  (hauteurs^exagérées  200  fois). 


l'Est  vers  l'Ouest,  mais  sa  topographie  est  très  originale.  Elle  présente 
pour  ainsi  dire  un  double  hydra,  dont  les  deux  parties,  orientées,  l'une 
E.-O.,  l'autre  S.-N.,  se  rejoignent  à  angle  droit  vers  Ras  el  Oued, 
c'est-à-dire  l'origine  du  Segmet.  Cette  disposition  est  parfaitement 
visible  sur  la  carte  au  1/200.000",  011  une  figuration  spéciale  distingue 
d'une  façon  plus  théorique  que  réelle  le  hydra  de  la  plage.  En  outre, 
la  profondeur  est  régulière  dans  les  deux  cuvettes  qui  se  trouvent  mor- 
celées pour  ainsi  dire  en  plusieurs  poches  séparées  par  des  hauts-fonds 
ou  même  de  véritables  îlots.  C'est  pourquoi,  pendant  la  saison  sèche, 
l'eau  se  conserve,  non  dans  une  partie  centrale,  mais  dans  un  chapelet 
de  flaques  :  c'est  d'ailleurs  un  fait  commun  à  toutes  les  merjas.  Le 
hydra  du  Nord  s'étend  du  débouché  du  Mda  au  commencement  du 
Segmet  :  ces  deux  points  sont  respectivement  aux  cotes  io"',3li  et 
6™, 9.  11  y  a  donc  une  pente  très  nette,  qu'on  peut  rendre  sensible 
par  des  courbes  de  niveau  à  équidistance  de  o°',5o.  Mais  cette  pente 


118 


J.  CÉLÉRIER 


n'est  pas  régulière.  Le  Hydra  dessine  deux  méandres  inverses,  dont  la 
réunion  forme  comme  un  S  couché;  le  point  de  jonction  des  deux 


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Fig.  3  —  La  Merja  Bou-Khardja 


méandres  est  marqué  par  un  léger  relèvement  du  fond,  un  mètre  envi- 
ron. Ce  haut-fond  prolonge  le  Koudiat  Sba  (9°, 76),  butte  de  sables 
qui  étrangle  le  hydra  sur  sa  rive  gauche.  Cette  diminution  de  la  lar- 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  119 

geur  et  de  la  profondeur  crée  une  sorte  de  gué  où  l'eau  disparaît  dès  le 
début  de  l'été;  la  zone  de  passage,  moins  accusée  peut-être  dans  la 
réalité  que  sur  la  carte,  est  cependant  très  remarquable.  Le  méandre 
de  l'Est,  convexe  vers  le  Nord,  présente,  au  nord,  isolée  de  la  cuvette 
principale,  une  petite  poche  dont  le  fond  est  à  7"", 5.  Le  Hydra  du 
Sud  part  du  Segmet  au  lieu  d'y  aboutir.  Il  est  également  divisé  en 
deux  parties  par  un  seuil,  qui  est  à  la  cote  8  mètres;  dans  la  poche 
du  sud,  non  loin  du  seuil  des  Meknassat,  le  fond  descend  à  ô'^j^o. 

Dans  le  Ras  ed  Daoura,  le  Hydra  est  allongé,  comme  la  merja,  du 
N.-N.-E.  au  S.-S.-O.  Contrairement  à  ce  qu'on  pourrait  conclure  de  la 
plupart  des  cartes,  il  est  interrompu  par  des  seuils  qui  sont  à  sec  le 
plus  souvent.  A  la  fin  de  février  1920,  c'est-à-dire  à  l'époque  des 
plus  hautes  eaux,  on  pouvait  franchir  le  Ras  ed  Daoura  à  la  hauteur 
du  marabout  de  Sidi  Mohammed  el  Mansouri,  et  le  passage  avait  plu- 
sieurs centaines  de  mètres  de  largeur.  En  face  de  Sidi  Mohammed  el 
Mleh,  il  se  produit  un  nouvel  étranglement,  et  sur  une  longueur  de 
plus  de  4  kilomètres  jusqu'au  , marabout  de  Sidi  Habichi,  le  Ras  ed 
Daoura  n'existe  pour  ainsi  dire  plus.  Il  est  réduit  à  une  étroite  dépres- 
sion verdoyante,  où  l'eau  semble  avoir  fait  totalement  défaut  pendant 
l'hiver  19 19- 1920.  Remarquons  toutefois  que  ces  constatations,  faites 
en  1920,  peuvent  avoir  un  certain  caractère  exceptionnel  :  l'hivernage 
1919-1920  a  été  très  peu  pluvieux  et,  comme  il  succédait  à  deux  années 
de  sécheresse,  les  nappes  d'eau  ont  atteint  partout  un  niveau  très 
inférieur  à  la  normale  (i).  Au  cours  de  l'été  qui  a  suivi,  les  rivières  ont 
baissé  au-dessous  de  l'étiage  officiel  et  du  zéro  des  échelles.  Mais  cette 
réserve  n'infirme  pas  les  constatations  topographiques  qui  ont  été  per- 
mises par  la  faible  hauteur  de  l'eau.  La  Ras  ed  Daoura  est  morcelé 
en  cuvettes  bien  individualisées,  l'importance  de  ces  hydras  successifs 
semble  aller  en  diminuant  du  Nord  au  Sud.  En  face  du  Segmet,  on  a 
plutôt  l'impression  d'un  lac  que  d'une  Merja,  puis  ce  lac  est  de  plus 
en  plus  obstrué  d'îles,  à  mesure  qu'on  se  rapproche  du  seuil  de  Sidi 
Mohammed  el  Mansouri;  il  se  reforme  an  sud  de  ce  marabout,  puis  une 
dernière  fois  après  Sidi  Habichi.  A  l'extrémité  méridionale  de  la  Ras  ei\ 


(i)  Pendant  l'ét^   1922,  la  Ras  ed  Daoura  a  été  comiplètement  à  sec  même  au  nord,   fait 
absolument  anormal. 


120  J.  CÉLÉRIER 

Daoura,  il  n'y  a  pins  de  vérilablc  hyclra,  mais  imc  simple  succession 
de  petits  marécages. 

Dans  les  grandes  merjas  des  Béni-Ahsen,  le  hydra  présente  un  nou- 
vel aspect.  Chacune  des  rivières  qui  se  perdent  en  nierja  est,  pour  ainsi 
dire,  prolongée  par  un  hydra,  et  cette  continuité  est  rendue  encore  plus 
apparente  par  la  pente,  qui  est  plus  nette  que  dans  le  IVarb.  Dans  la 
Merja  du  Beht,  la  pente  générale  du  Sud-Nord  est  d'environ  o'",ook 
par  mètre. 

Il  est  vrai  que  cette  pente  n'est  pas  régulièrement  répartie  entre  le 
point  où  disparaît  le  Beht  et  le  point  oii  les  eaux  de  la  Merja  se  réunis- 
sent dans  un  émissaire.  La  grande  Merja  présente  un  phénomène  qui 
n'existe  pas  dans  les  autres  et  semble  vraiment  paradoxal.  Dans  sa 
partie  centrale,  les  eaux  sont  à  deux  niveaux  différents,  qui  se  rac- 
cordent par  une  chute  brusque  atteignant  près  de  deux  mètres  :  sur 
un  très  large  front,  les  eaux,  l'hiver,  tombent  en  cascade  de  l'étage 
supérieur  à  l'étage  inférieur.  Nous  essaierons  de  rattacher  à  la  forma- 
tion générale  des  merjas,  cette  présence  de  chutes  si  anormales  dans  un 
marécage. 

On  s'étonnera  moins  de  l'existence  de  véritables  courants  localisés 
dans  des  chenaux  qu'on  appelle  «  cherket  ».  Ces  cherket  forment  un 
lacis  compliqué  et  enserrent  des  îles  de  dimensions  variables.  Dans 
la  merja  du  Smento,  les  Nekba  des  Zaitrat  et  des  Safari  ont  de  3o  à 
5o  ha.,  tandis  que  l'île  Dafaa  atteint  /joo  ha. 

Comme  on  peut  s'y  attendre,  le  Hydra  le  plus  remarquable  est  celui 
de  la  Merja  du  Beht.  Les  eaux  s'accumulent  dans  une  vaste  cuvette 
de  forme  triangulaire,  qu'on  appelle  merja  de  Sidi-Ameur  et  qui  est 
située  entre  Sidi  Aimeur,  Sidi  Harrat  et  le  Bled  Remila.  La  profon- 
deur en  est  mal  connue,  mais  la  réserve  d'eau  est  considérable  :  en 
effet,  malgré  l'évacuation  partielle  des  eaux  vers  l'Ouest,  malgré  l'éva- 
poration,  malgré  l'absorption  des  plantes,  on  constatait  encore  à  la 
fin  d'août  1918  une  profondeur  d'eau  de  o",6o  entre  les  cherkets;  et 
cette  observation  était  faite  sur  une  ligne  Ras  el  Beht,  Sidi  Harrati, 
c'est-à-dire  à  l'est  de  l'axe  de  la  cuvette.  La  merja  de  Sidi  Ameur  a 
d'ailleurs  des  annexes  dont  elle  est  séparée  par  des  seuils  :  telles  sont 
la  merja  Bokka  et  la  Daya  Gocéa,  qui  sont  situées  à  l'extrémité  méri- 
dionale et  ont  une  alimentation  particulière. 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  121 

Au  centre  de  la  merja  du  Rdom,  on  trouve,  au  lieu  d'une  cuvette, 
un  étranglement  appelé  Mechra-el-Joued;  ainsi  se  trouvent  individua- 
lisées, à  l'est,  la  merja  de  Tijina,  et  à  l'ouest,  les  merjas  Ouahad  et 
Hadaitrasa.  Ni  l'une,  ni  l'autre,  ne  présentent  un  véritable  hydra,  et 
l'on  peut  remarquer  sur  la  carte  au  1/200.000"  l'absence  des  hachures 
spéciales  figurant  l'eau  permanente.  En  effet,  le  fond  de  la  merja  du 
Rdom  est  remarquablement  plat;  il  est  sillonné  de  cherket.  Dès  que 
ces  fossés  ne  suffisent  pas  à  écouler  les  crues,  l'eau  se  répand  unifor- 
mément et  d'un  seul  coup  sur  toute  la  plaine,  où  elle  n'atteint  par 
suite  qu'une  faible  hauteur;  elle  disparaît  de  même  complètement  en 
été  sans  pouvoir  subsister  en  quelque  cuvette. 

Plage.  —  Nous  avons  indiqué  que  la  difficulté  de  fixer  une  limite 
précise  entre  le  Hydra  et  la  Plage  existait  aussi  pour  tracer  le  périmè- 
tre extérieur  de  la  Plage.  Lorsque  l'Administration  se  préoccupa  de 
gagner  à  la  culture  et  à  la  colonisation  le  domaine  occupé  par  les  mer- 
jas, son  premier  soin  devait  être  cependant  de  circonscrire  exactelment 
ce  domaine,  le  contact  entre  le  bord  extérieur  de  la  plage  et  les 
champs  cultivés  ressemblant  plutôt  à  une  zône  indécise  qu'à  une  ligne 
géométrique.  Il  était  à  craindre  que  les  agents  chargés  de  la  délimita- 
tion, en  bons  fonctionnaires  français,  voulussent  étendre  le  domaine 
merja  au  détriment  des  propriétés  «  melk  ».  Inversement,  les  indi- 
gènes, ignorant  les  intentions  de  l'Administration  et  l'avenir  juridi- 
que des  terres  délimitées,  avaient  une  tendance  naturelle  à  faire 
restreindre  le  plus  possible  le  domaine  qui  serait  officiellement  con- 
sacré merja.  On  procéda  sur  place  à  une  enquête  minutieuse,  près 
de  chaque  riverain.  Ce  fut  seulement  après  une  entente  amiable  qu'on 
creusa  les  trous  destinés  à  recevoir  des  bornes. 

Les  contestations  furent,  en  réalité,  moindres  qu'on  pouvait  le 
craindre.  Malgré  quelques  fluctuations  locales  et  passagères,  il  y  a 
une  fixité  suffisante  dans  la  surface  annuellement  recouverte  par  les 
eaux.  En  beaucoup  de  points  et  même  vers  la  fin  de  l'été,  il  est  facile 
au  premier  coup  d'œil  de  reconnaître  le  terrain  lavé  habituellement 
par  un  séjour  prolongé  de  l'eau.  Dans  les  cas  douteux,  la  flore  donne 
des  indications  précieuses.  Par  exemple,  les  artichauts  sauvages  ne 
se  trouvent  que  dans  la  zone  cultivable,  même  si  elle  est  momentané- 


122  J.  Cl^LÉRTER 

ment  en  jachère  ;  il  en  est  <1(>  même  des  asphodèles  et  du  «  Bou- 
Asfir  »,  plante  épineuse  et  rampante,  à  Heur  jaune;  inversement,  les 
touffes  de  joue  ne  dépassent  pas  le  périmètre  d'inoudalion. 

Il  y  a,  naturellement,  des  différences  sensibles  entre  chaque  Merja 
dans  l'extension  et  \a  forme  de  la  plage.  L'extension  de  la  plage  de  la 
Ras  ed  Daoura  est  déterminée  par  la  dissymétrie  si  accusée  des  ver- 
sants. A  l'ouest,  où  la  rive  est  en  i>ente,  la  plage  se  restreint  à  quel- 
ques mètres;  (hi  colé  de  lest,  elle  peut  s'élendre  jusqu'à  deux  kilomè- 
tres. La  disposition  esl  bien  moins  accusée  dans  la  Merktane,  mais  sa 
plage  orientale  est  égalenuMit  plus  étendue  que  la  plage  occidentale.  La 
forme  en  équerre  du  hydra  de  la  Bou-Khardja  ne  se  retrouve  pas  dans 
la  plage;  le  saillant  qui  crée  celte  forme  est,  en  effet,  inondé  une  par- 
tie de  l'hiver,  mais  il  faut  remarquer  qu'il  est  découvert  de  bonne 
heure  par  les  eaux.  La  inerja  du  Rdom  présente  quelques  particula- 
rités; si  le  fond  en  est  très  plat,  el  inuuédiatement  recouvert  par  l'eau, 
les  rives  ont  en  général  une  pente  assez  rapide  :  c'est  pourquoi  les 
fluctuations  de  l'eau  y  sont,  pendant  l'hivernage,  très  limitées  en  éten- 
due. C'est  cependant  dans  cette  merja  qu'on  a  pu  observer  les  change- 
ments les  plus  nets. 

En  19 12,  à  propos  d'un  règlement  d'affaires,  il  fut  dressé  un  plan 
exact  de  la  partie  nord  de  la  Merja  de  Tijina.  Aotuellemeint,  l'ex- 
trême limite  se  trouve  reportée  à  deux  kilomètres  au  nord 
de  celle  qui  est  indiquée  sur  le  plan.  Le  douar  des  Keberta, 
ou  plutôt  l'ancien  emplacement  du  douar  et  des  silos,  est  pendant 
six  'mois  submergé.  Les  indigènes  prétendent  que  cette  extension  de 
la  merja  a  été  causée  par  les  travaux  d'un  colon,  M.  Obert,  qui, 
dans  le  sud  de  la  merja,  a  creusé  un  canal,  élevé  une  digue  et  modifié 
le  cours  du  Rdom.  Mais  cette  explication  n'a  pas  de  valeur  pour  une 
autre  extension  qui  s'est  produite  à  l'ouest,  dans  la  merja  de  l'Oued 
Ouahad  :  l'eau  s'est  avancée  en  pointes  «  mtâïcha  »  {jetées  en  arabe) 
Avec  leur  philosophie  résignée,  les  indigènes  se  contentent  de 
dire  :  «  La  merja  est  venue  et  n'est  plus  repartie  ». 

La  merja  du  Tiflet  Smento  présente  une  exception  locale  au  prin- 
cipe de  la  délimitation  de  la  plage  :  la  daya  Zerzour,  qui  est  une  dé- 
pendance de  la  merja,  est  considérée  par  les  indigènes  comme  culti- 
vable au  moins  sur  ses  bords,  qui  donnent  pourtant  l'impression  d'être 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  123 

périodiquement  recouverts  par  l'eau  et  sont  en  fait  parseimés  de  bou- 
quets de  «  smar  »,  plante  demi-aquatique. 

Les  plages  de  la  merja  du  Beht  sont  mal  connues,  à  cause  de  leur 
grande  extension  et  de  leur  complexité.  Les  plages  correspondant 
aux  diverses  parties  de  la  merja  sont  séparées  par  les  îlots  cultivables 
et  rejoignent  parfois  les  plages  des  merjas  voisines.  Ainsi,  la  piste  de 
Lalla  Aïcha  Zemmouria  à  Mkzachen,  qui  sépare  la  merja  Hadaitrasa, 
dépendance  du  Rdom,  de  la  Merja  el  Keleb,  dépendance  du  Beht,  est 
le  plus  souvent  à  sec;  à  la  suite  de  fortes  pluies,  elle  peut  être  inon- 
dée, et  les  deux  merjas  n'en  forment  plus  qu'une.  Une  jonction 
exceptionnelle  s'établit  de  même  au  sud-ouest  avec  la  merja  Hanicha, 
dépendance  du  Tiflet-Smento. 

Affluents.  —  L'alimentation  en  eau  des  merjas  est  un  des  problè- 
mes les  plus  délicats,  car  les  conditions  en  paraissent  variables.  On 
peut  admettre  une  triple  origine  pour  l'eau  des  merjas  :  i°  ruisselle- 
ment et  sources;  2°  inondations  du  Sebou;  3°  affluents. 

Les  merjas,  par  suite  de  leur  forme  de  cuvette,  bénéficient  d'un 
ruissellement  qui  s'effectue  sur  tous  leurs  versants,  dont  le  développe- 
ment est  assez  considérable.  Mais  le  coefficient  utile  est  faible.  Outre 
l'influence  générale  du  climat  marocain,  la  région  des  imerjas  n'a  que 
des  pentes  faibles,  le  sol  est  presque  uniquement  constitué  par  des 
sables  très  perméables.  Cette  perméabilité  a  du  moins  l'avantage  de 
soustraire  à  l'évaporation  une  partie  des  eaux  de  pluies  qui  est  rendue 
aux  merjas  sous  forme  de  sources  ou  de  suintements  temporaires^ 
mais  les  conditions  géologiques  et  topographiques  ne  permettent 
guère  l'existence  d'un  important  niveau  de  sources.  Il  est  difficile  de 
mesurer  les  quantités  d'eau  qui  parviennent  aux  merjas  de  cette  façon; 
elles  ne  sont  pas  très  considérables. 

Les  crues  du  Sebou,  sur  lesquelles  nous  reviendrons,  peuvent  avoir 
une  subite  importance,  mais  c'est  là  un  facteur  exceptionnel.  En  som- 
me, si  l'on  met  à  part  la  Merktane,  originale  par  son  régime  comme 
par  sa  topographie,  la  prépondérance  dans  l'alitmentation  des  merjas 
appartient  aux  affluents.  Parmi  ceux-ci,  il  faut  distinguer  un  affluent 
principal  constant  et  des  affluents  secondaires  ou  intermittents. 

La  façon  dont  l'affluent  débouche  ou  se  perd  en  merja  est  à  peu 


124  J.  ClîLl^RTER 

près  la  même  dans  chaque  cas.  Le  fleuve,  qui  avait  en  amont  une 
pente  assez  forte  et  un  lit  encaissé  entre  de  hautes  berges,  commence 
par  ralentir  sa  vitesse  et  abaisser  ses  berges.  Il  décrit  quelques  méan- 
dres aplatis;  il  se  divise  en  deux  ou  plusitMirs  branches  d'importance 
inégale,  qui  rappellent  les  bouches  d'un  lleuve  dans  un  delta;  mais 
ces  bras  n'ont  au  maximum  qu'une  longueur  de  trois  à  quatre  cents 
mètres  et  disparaissent  progressivement.  En  fait,  la  merja  commence 
dès  la  patte  d'oie.  On  peut  supposer  qu'il  y  a  un  rapport  entre  ces 
subdivisions  du  fleuve  et  les  u  cherket  »  ou  «  sareg  »  qui  sillonnent 
la  plage  et  le  hydra,  mais  la  continuité  n'est  pas  visible,  et  nous 
essaierons  de  comprendre  pourquoi  cette  continuité,  si  elle  a  existé, 
n'a  pu  se  maintenir. 

Le  débit  de  l'affluent  principal  est  très  différent  suivant  les  merjas 
et  l'importance  des  merjas  est  précisément  en  rapport  étroit  avec 
l'importance  de  ce  débit.  Pour  chaque  affluent,  le  débit  est  également 
très  variable,  suivant  la  saison.  Mais,  dans  les  grandes  merjas,  il  est 
rare  que  ce  débit  tombe  à  zéro.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  affluents 
secondaires.  Sur  le  pourtour  de  chaque  merja,  on  constate  l'existence 
de  lits  d'oueds  :  leur  pente  est  généralement  faible,  parfois  même  le 
sens  de  cette  pente  est  difficile  à  discerner.  Ce  sont  rarement  des  oueds 
indépendants,  et  la  langue  indigène,  très  riche  en  vocables  pour  bap- 
tiser tous  les  succédanés  d'oueds,  les  désigne  sous  le  nom  de  seheb. 
Ces  sehebs  viennent  soit  d'une  ramification  détachée  de  l'affluent 
principal,  en  amont  de  son  embouchure,  soit  d'une  merja  voisine,  soit 
du  Sebou.  Ils  sont  à  sec  la  plus  grande  partie  de  l'année,  parfois 
même  plusieurs  années  de  suite. 

Tous  ces  caractères  des  affluents  se  retrouvent  plus  ou  moins  nets 
dans  chaque  merja. 

La  Merktane  se  distingue  cependant  des  autres.  Elle  n'a  pas  d'af- 
fluent pérenne,  mais  son  hydra  mieux  caractérisé  lui  permet  de  con- 
server plus  longtemps  l'eau  qui  lui  vient,  soit  du  ruissellement,  soit 
d'une  inondation  exceptionnelle  du  Sebou,  soit  du  Taug.  Le  Taug  est 
un  sillon  long  et  étroit,  qui  vient  de  la  Bou  Khardja,  longe  la  rive 
ouest  de  la  Merktane,  dont  il  est  séparé  par  un  dos  de  terrain,  et  re- 
joint l'extrémité  méridionale  de  cette  merja,  après  l'avoir  contournée. 

La  Bou  Khardja  est  en  rapport  étroit  avec  l'oued  Mda.  L'éventail 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  125 

formé  par  les  branches  divergentes  de  l'oued  s'oriente  du  N.-O.  au 
S.-O.,  alors  que  le  hydra  qui  lui  fait  suite  est  convexe  vers  le  Nord. 
L'Oued  Mda  a  un  débit  assez  abondant  :  de  800  à  i.ooo  litres  à  la  se- 
conde en  hiver,  de  5o  à  100  litres  en  été.  Certaines  crues  exception- 
nelles peuvent  donner  10  mètres  cubes  à  la  seconde,  mais  leur  durée 
ne  dépasse  pas  deux  ou  trois  jours.  Au  Sud-Est,  la  Bou-Khardja  a  une 
dépendance  qui  reçoit  les  eaux  intermittentes  de  l'oued  Mader. 

La  Ras  ed  Daouva  reçoit  le  Segmet  sur  le  rôle  original  duquel  nous 
reviendrons. 

Les  merjas  des  Béni-Ahsen  ont  un  régime  plus  complexe  que  ne 
l'indique  leur  nom  qui  semble  les  identifier  complètement  avec  leur 
affluent  principal. 

La  Merja  du  Tiflet  Smento,  comme  son  nom  nous  l'indique,  est 
constituée  par  la  réunion  de  deux  rivières  jumelles  qui  coulent  paral- 
lèlement du  Sud  au  Nord.  A  la  hauteur  de  la  station  de  Sidi  Yahia, 
les  deux  rivières  sont  encore  séparées  par  une  croupe  sablonneuse 
d'un  relief  assez  vigoureux,  mais  le  niveau  s'abaisse  rapidement  vers 
le  Nord,  et,  vers  Mechra-Remla,  on  ne  perçoit  plus  d'obstacle.  Il  faut 
remarquer  que  l'Oued  Smento,  quoique  moins  abondant  que  le  Tiflet, 
conserve  son  individualité  jusqu'au  premier  marabout  de  Sidi  Aïssa, 
alors  que  la  zone  d'épandage  du  Tiflet  commence  dès  Mechra-Remla. 

La  Merja  du  Rdom  reçoit  normalement  les  eaux  du  Rdam  par  deux 
branches  qui  se  séparent  près  de  la  ferme  Obert.  Mais  après  de 
grandes  pluies,  la  Merja  reçoit  des  eaux  de  plusieurs  directions  :  plu- 
sieurs seheb  tel  le  Seheb  Helaoua  viennent  du  Beht;  le  Seheb  El  Ghazi 
a  amené  de  l'eau  du  Sebou  en  19Ï3;  l'Oued  Haimma,  l'Oued  Tihili 
poussent  jusque-là;  l'Oued  Rdom  lui-même  lance,  en  amont  de  son 
delta  ordinaire,  une  pointe  vers  la  Merja  qui  s'est  avancée  vers  lui. 

Le  Beht  se  perd  en  Merja  suivant  le  processus  général  que  nous 
avons  indiqué.  Il  émet  d'abord  sur  sa  rive  droite  un  premier  bras 
dirigé  S.  N.  qui  alimente  la  partie  orientale  de  la  merja  à  raison  de 
200  litres  à  la  seconde,  puis  deux  autres  ramifications  se  détachent 
successivement  sur  la  rive  gauche,  se  partageant  à  peu  près  également 
le  reste  du  débit,  800  litres  environ  et  ces  eaux  se  dirigent  plutôt 
vers  l'Ouest.  En  dehors  de  cette  alimentation  normale,  la  merja  du 
Beht  peut  recevoir  de  l'eau  de  tous  les  coins  de  l'horizon,  des  merjas 


i26  J.  CÉLËRIEI^ 

voisines  et  du  Sebou.  On  a  même  observé  des  faits  singuliers;  l'écou- 
lement normal  des  eaux  se  fait  vers  le  Nord  et  vers  l'Ouest,  mais  peut 
être  complotement  renversé  et  les  émissaires  se  transforment  alors 
en  affluents. 

Émissaires.  —  L'évacuation  des  eaux  des  merjas  est  un  problème 
qui  n'est  pas  moins  délicat  que  celui  de  l'alimentation.  Le  fait  capital, 
c'est  qu'une  très  faible  partie  de  l'eau  des  merjas  parvient  à  la  mer. 
Certaines  merjas,  surtout  parmi  les  petites,  n'ont  pas  d'émissaire; 
et  les  émissaires  connus  ont  un  faible  débit  qui  n'est  pas  du  tout  en 
rapport  avec  le  débit  de  rafiluenl  principal,  sans  même  tenir  compte 
des  eaux  amenées  à  la  nicrja;  et  la  quanlilé  totale  dos  eaux  reçues 
par  la  merja  mesure  l'influence  exercée  par  l'inliltration,  l'évapora- 
tion  et  la  nutrition  dos  plantes.  Mais  il  est  difiicile  de  la  calculer  exac- 
tement, le  débit  de  l'affluent  seul  étant  à  peu  près  connu. 

Dans  le  R'arb,  la  structure  des  grandes  merjas  est  assez  simple.  La 
Merktane  n'a  pas  d'émissaire  naturel  et  ce  caractère  achève  l'origina- 
lité de  cette  grande  cuvette.  La  Bou-Khardja  a  pour  déversoir  le  Seg- 
mct  qui  en  conduit  le  trop  plein  à  la  Ras  od  Daoura.  Le  Segmet  joue 
donc  un  double  rôle  d'émissaire  et  d'affluent.  L'expression  »  canal  de 
jonction  »  qu'on  lui  applique  quelquefois  n'est  cependant  pas  tout  à 
fait  exacte  car  elle  laisserait  supposer  une  égalité  de  niveau  entre  les 
plans  d'eau  des  deux  merjas,  alors  que  les  eaux  de  la  Bou-Khardja 
s'évacuent  normalement  dans  le  Ras  ed  Daoura,  l'inverse  ne  se  pro- 
duisant jamais.  Le  Segmet  présente  tous  les  caractères  d'un  véritable 
cours  d'eau;  sa  pente  est  faible,  mais  suffisante,  pour  créer,  après  les 
pluies,  un  véritable  courant;  ses  rives  sont  très  nettement  marquées 
et  la  hauteur  des  berges  en  étiage  est  de  deux  mètres.  Mais  cet  aspect 
n'est  réalisé  que  sur  une  faible  longueur,  4  à  5  kilomètres  du  point 
appelé  Ras  el  Oued,  oii  les  eaux  de  la  Bou-Khardja  se  canalisent  jus- 
qu'au gué  de  El  Bétila.  Le  Segmet  ne  se  termine  pas  à  Bétila,  mais  là 
commencent  ses  divagations  ou,  si  le  terme  n'est  pas  trop  ambitieux, 
son  delta.  II  se  divise  en  effet  en  deux  branches.  Cette  division  et  les 
divagations  consécutives  correspondent  à  une  zone  de  dunes  qui  sépa- 
rent la  Ras  ed  Daoura  de  la  Bou-Khardja.  La  branche  la  plus  importante 
se  dirige  vers  l'Ouest,  disparaît  dans  un  premier  ïnarécage,  puis  se  res- 


I 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  i2l 

serre  entre  deux  rives  avant  de  se  perdre  à  nouveau  dans  la  Ras  ed 
Daoura.  La  seconde  branche,  après  avoir  dessiné  un  méandre  très 
aigu  vers  le  Sud,  remonte  au  Nord-Ouest  pour  se  réunir  à  la  première. 
Le  delta  ainsi  formé  est  très  marécageux  mais  parsemé  d'îlots  tou- 
jours à  sec. 

La  Ras  ed  Daoura  que  l'on  peut  considérer  dans  une  certaine 
mesure  comme  un  émissaire  de  la  Bou-Khardja  n'est  pas  un  impasse. 
Comme  nous  l'avons  vu,  son  extrémité  méridionale  se  prolonge  par 
une  série  de  petites  merjas  plus  ou  moins  indépendantes  suivant  la 
saison;  la  dernière  de  ces  merjas  donne  elle-même  naissance  vers  le 
marabout  de  Sidi  Mohammed  ben  Kheir,  à  un  petit  oued,  l'Oued 
Bouhara,  qui,  après  un  cours  de  3  kilomètres  vient  se  jeter  dans  le 
Sebou.  En  théorie,  l'Oued  Bouhara  est  donc  l'émissaire  du  Ras  ed 
Daoura  et  de  la  Bou-Khardja  dont  il  amènerait  les  eaux  au  Sebou,  le 
grand  collecteur  de  toute  la  plaine.  Mais  ce  petit  oued  dont  le  lit  col- 
maté est  tout  couvert  de  végétation,  est  bien  incapable  d'écouler  les 
millions  de  mètres  cubes  d'eau  qui  s'accumulent  dans  les  deux  gran- 
des merjas  pendant  l'hivernage. 

En  résu.mé,  le  drainage  de  la  plaine  du  R'arb,  quoiqu'il  ait  une 
voie  indiquée  par  la  topographie,  est  tout  à  fait  embryonnaire. 

Ce  caractère  inachevé,  comme  hésitant,  se  retrouve  sur  la  rive 
gauche  du  Sebou,  mais  les  lignes  en  sont  plus  complexes,  comme 
brouillées.  Les  petites  merjas  qui  correspondent  aux  nombreux  oueds 
descendant  des  montagnes  des  Zaërs,  des  Zemmours  et  des  Guerouane 
n'ont  pas  d'émissaires.  Le  Haimeur,  le  Touirzha,  le  Hamma,  le  Tihili, 
le  Rdom  lui-même  se  perdent  réellement  dans  leurs  merjas.  Mais 
nous  avons  vu  qu'à  la  suite  de  crues  exceptionnelles,  des  communi- 
cations s'établissent  avec  la  grande  merja  du  Bcht  dont  les  émissaires 
propres  se  trouvent  alors  servir  à  toute  la  partie  orientale  des  Béni 
Ahsen. 

L'évacuation,  au  moins  partielle,  des  eaux  de  la  Merja  du  Beht, 
offre  une  certaine  symétrie  avec  leur  arrivée.  Le  mouvement  général 
des  eaux  vers  le  Nord  et  vers  l'Ouest  se  concentre  en  un  chevelu  de- 
cherket  qui  peu  à  peu  se  simplifie  et  aboutit  à  un  collecteur  principal, 
de  même  qu'en  amont  l'affluent  principal  s'est  subdivisé  en  plusieurs 
branches.  Ce  collecteur  principal,  c'est  l'oued  Beht,  reconstitué  sous 


128  j.  ci':léi\iei\ 

le  nom  de  Petit  Beht.  Sa  direction  est  singulière.  11  enveloppe  au  Nord 
par  un  demi-cercle  le  centre  et  l'ouest  de  la  merja  de  façon  à  recueil- 
lir toutes  les  eaux  qui  s'en  écouicMit.  11  est  conslitué  d'abord  par  le 
Boitha  qui  est  alinuMili'  par  la  i)arlie  orientale  de  la  uierja;  mais  le 
Beitha  n'a  en  vie  qu'au  drhil  de  quelques  litres.  Beaucoup  plus  abon- 
dant est  l'oued  ol  Iladj  pour  lequel  on  a  constaté  à  la  lin  d'août  1919 
un  débit  importanl  <>!  (pii  pénètre  ])rorondéuuMit  à  l'inlérieur  <le  la 
merja,  et  précisément  dans  le  hydra  central  <le  Sidi  Ameur.  Après 
son  oonlluent  avec  l'oued  cl  lladj,  le  l\'tit  Beht  roulait  environ  (fin 
d'août  1919)  25o  litres  à  la  seconde  alors  que  le  débit  du  Beht  en 
amont  é-tait  de  un  nu''tre  cube. 

Il  t>s  \rai  que  louh'  l'eau  de  la  merja  ne  s'écoule  pas  vers  le  Nord- 
Ouest  :  la  merja  Bokka  et  la  Daya  Gocéa  qui  forment  au  Sud-Ouest 
une  sorte  d'annexé  de  la  grande  merja  ont  un  émissaire  propre  qui 
est  l'Oued  Habeiri.  Mais  il  n'est  pas  sûr  que  cette  partie  de  la  merja, 
qui  est  formée  surtout  par  l'oued  bou  Chaala,  reçoive  une  seule  goutte 
d'eau  du  Beht. 

L'Oued  Habeiri  sert  aussi  d'émissaire  partiel  à  la  merja  du  Tiflet 
Smento  lorsqu'une  crue  suffisante  remplit  la  partie  nord  de  cette 
merja  ou  Hanicha.  Mais  la  merja  du  Tiflet  Smento  a  un  émissaire 
propre  qui  est  l'Oued  Ziane.  L'Oued  Ziane  lot  l'Oued  Habeiri  se  réu- 
nissent en  un  tronc  commun  qui  aboutit  au  Petit  Beht.  Celui-ci  en 
effet  a  poursuivi  son  cours  si  curieusement  parallèle  à  celui  du  Sebou. 
En  amont  de  Si  Allai  Tazi,  il  s'était  rapproché  à  moins  d'un  kilomè- 
tre du  grand  fleuve,  mais  obliquant  vers  le  Sud,  il  conserve  son  in- 
dépendance pendant  une  vingtaine  de  kilomètres.  Le  Sebou  est  donc 
le  collecteur  général  des  eaux  des  Béni  Ahsen,  comme  de  celle  du 
R'arb,  mais  les  conditions  du  drainage  ne  permettent  pas  à  ce  collec- 
teur d'accomplir  régulièrement  sa  mission.  Nous  allons  essayer  d'en 
comprendre  les  raisons. 


n.  —  Causes  de  la  formation  des  merjas. 

Ce  n'est  pas  en  effet  expliquer  l'origine  des  merjas  que  d'invoquer 
l'insuffisance  du  drainage;  cette  explication  n'est  qu'une  tautologie 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  129 

qui  laisse  subsister  le  problème.  De  nombreuses  circonstances  peuvent 
provoquer  un  drainage  insuffisant  qu'on  trouve  dans  des  pays  très 
différents  :  plateaux  calcaires,  déserts,  régions  de  moraines  récen- 
tes, etc.  D'autre  part,  il  ne  faut  pas  oublier  le  double  aspect  du  pro- 
blème des  merjas  :  si  la  présence  de  l'eau  est  le  fait  initial,  sa  dispa- 
rition n'est  pas  moins  intéressante  au  point  de  vue  de  la  géographie 
humaine. 

Plusieurs  causes  du  mauvais  drainage  ont  été  successivement  mises 
en  avant  et  tirées  soit  du  sol,  soit  des  eaux.  Si  l'on  excepte  les  infiltra- 
tions permanentes  provenant  du  Sebou  qui  n'ont  pas  été  matérielle- 
ment constatées  et  sont  invraisemblables,  il  semble  que  ces  diverses 
causes  ne  s'excluent  pas.  Comme  il  résulte  de  sa  description,  la  merja 
est  un  phénomène  complexe,  présentant  des  nuances;  ce  phénomène 
n'a  pas  une  cause  unique;  il  est  en  rapport  avec  des  conditions  géné- 
rales qui  permettent,  suivant  le  moment  de  l'année,  l'action  de  tel 
ou  tel  facteur.  Suivant  le  point  de  vue  on  peut  comparer  la  merja 
marocaine,  tantôt  aux  étangs  des  Landes,  tantôt  aux  étangs  du  Bas- 
Languedoc,  tantôt  aux  marais  du  Poitou,  tantôt  aux  zones  d'épandage 
des  fleuves  désertiques. 

Dans  la  formation  des  merjas,  les  conditions  générales  du  climat, 
la  nature  du  sol,  le  relief,  le  régime  hydrographique,  la  végétation 
même  ont  une  part  de  responsabilité  qu'il  n'est  pas  toujours  aisé  de 
préciser.  Il  est  nécessaire,  pour  la  clarté  de  l'exposition,  de  séparer 
leurs  effets  respectifs,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'elles  ne  sont  pas 
séparées  dans  la  réalité  et  réagissent  l'une  sur  l'autre. 

Le  climat  est  le  facteur  le  plus  général;  mais  son  action  la  plus 
importante  est  indirecte  ou  en  quelque  sorte  à  deux  degrés,  le  relief 
et  le  régime  hydrographique  étant  sous  la  dépendance  du  climat. 

Le  vent  a  joué  un  rôle  plus  actif  qu'on  ne  supposerait  tout  d'abord. 
Il  a  élevé  les  dunes  du  littoral;  certains  accidents  du  relief  de  l'in- 
térieur lui  semblent  aussi  attribuables,  sinon  actuellement,  du  moins 
dans  un  passé  géologique  récent.  Le  régime  des  pluies  est  le  facteur 
capital  d'un  régime  hydrographique.  La  température  a  une  action 
directe.  En  provoquant,  par  l'évaporation  intense,  la  disparition  de 
l'eau,  c'est  elle  qui  fait  l'originalité  des  mei'jas  et  leur  influence  sur 
la  géographie  humaine.  Qu'on  imagine  la  plaine  du  Sebou  à  des  la- 

HESPÉRIS.    —   T.    II.    —    iq22.  n 


13Ô  J-  Cl^LI^.BlEU 

tiludes  plus  élevées  :  il  pouira  se  former  des  élaiifis,  mais  ec  ne  se- 
ront jamais  des  pâturages. 

La  nature  du  sol  fait  sentir  sou  iulliieue(>  de  [)lnsi(Miis  façons.  La 
plaine  du  Sebou  est  formée  de  sal)les;  ]c  déjiart  est  encore  assez 
mal  établi  entre  les  diverses  origines  de  ces  sables  :  alliix  ions  lliix  iales, 
mer  sahéliennc,  dunes  récentes.  Au  preiuiiM-  abord,  celle  giande 
masse  de  sables  semble  peu  conciliable  avec  l'idée  de  marécages  que 
l'esprit  associe  plus  facilement  à  des  formations  im[)erméables.  Com- 
ment des  eaux  stagnantes  pourraient-elles  séjourner  longtemps  à  la 
surface  de  sables  poreux.^  Les  sondages  sont  encore  insuffisants  pour 
permettre  une  réponse  certaine.  Certains  sables  d'origine  alluviale 
sont  assez  fortement  argileux  pour  constituer  une  couclie  imperméa- 
ble. Peut-être  y  a-t-il,  comme  dans  les  Landes,  une  transformation 
des  sables  en  un  sol  analogue  à  l'alios  :  quelques  constatations  faites 
dans  la  Bou-Kharja  tendraient  à  le  prouver.  Dans  les  régions  obser- 
vées, voici  le  cas  le  plus  général  :  au-dessus  des  sables,  les  vases  ap- 
portées par  les  eaux  finissent  par  constituer  un  banc  d'argile  imper- 
méable. Au  débouché  du  Mda,  cette  couche  a  3  mètres  d'épaisseur, 
elle  s'amincit  progressivement  vers  l'ouest,  elle  n'a  plus  que  o'",75 
au  Koudiat  Sba  et  o"',/io  près  du  Scgmet.  La  décc^mposition  des  vé- 
gétaux aquatiques  ou  semi-aquatiques  complète  parfois  ces  dépôts. 
Dans  la  merja  du  Beht  on  trouve  un  banc  de  cette  espèce  de  tourbe 
en  formation,  épais  de  o°,3o  à  o™,4o  et  reposant  sur  une  argile  très 
fine.  Dans  un  forage  effectué  à  Si  Allai  Tazi  pour  trouver  de  l'eau, 
à  12  mètres,  la  cuiller  ramenait  une  argile  brune  de  plus  en  plus 
compacte. 

Les  sables  qui  couvrent  le  reste  de  la  plaine  n'offrent  à  l'érosion 
aucune  résistance,  quelle  que  soit  leur  origine  ou  leur  composition 
exacte;  lorsque  la  végétation  disparaît  par  places  comme  sur  les  larges 
pistes,  le  vent  suffit  à  les  accumuler  ou  les  disperser.  Ces  sables  peu- 
vent donc  être  maniés  et  remaniés  facilement  :  ce  sont  là  des  condi- 
tions très  défavorables  à  l'établissement  d'un  modelé  ferme  et  d'un 
réseau  hydrographique  bien  défini. 

Ainsi  le  climat  et  le  sol  nous  ramènent  au  jeu,  d'une  part  des  con- 
ditions topographiques,  d'autre  part  des  conditions  hydrographiques. 


LES  «  MERJAS  )>  DE  LA  PLALNE  DU  SEBOU  l3l 

Conditions  topographiques.  —  Comme  il  est  difficile  de  concevoir 
un  marécage  sur  une  pente,  le  fait  fondamental,  c'est  que  le  R'arb 
et  le  pays  des  Béni-Ahsen  constituent  une  plaine  très  basse.  Dans 
toute  la  zone  marécageuse,  aucun  point  n'atteint  i5  mètres  et  nous 
avons  vu  que  le  fond  de  certaines  merjas  s'abaissait  à  moins  de 
6  mètres.  Le  débouché  du  Mda  dans  la  Bou-Kliarja  est  à  la  cote  la  mè- 
tres, et  la  mer  se  trouve  éloignée  de  20  kilomètres.  Dar  Gueddari, 
sur  le  Bcht,  en  amont  de  sa  perle  en  merja,  est  à  la  cote  16  mètres  et 
à  près' de  fio  kilomètres  à  vol  d'oiseau  de  la  mer.  L'altitude  de  la  plai- 
ne, si  faible  qu'elle  soit,  permettrait  cependant  une  pente  suffisante, 
mais  cette  pente,  dans  ses  deux  directions  naturelles ,  soit  vers  la  mer, 
soit  vers  le  Sebou,  vient  buter  contre  une  ligne  de  relief. 

C'est  immédiatement  au  bord  de  la  mer  que  se  trouvent  les  plus 
grandes  hauteurs  de  la  plaine.  Au  Nord,  l'alignement  des  collines 
de  Lallali  Zorah  et  de  Aïoun  Felfel,  après  une  dépression  qui, 
d'après  Brives  (1),  peut  être  considérée  comme  une  très  ancienne 
communication  entre  le  Ras  ed  Daoura  et  la  Merja  Zerga,  se  pro- 
longe jusqu'à  l'Océan  qui  est  dominé  de  plus  de  100  mètres  par  le 
Nador.  Depuis  le  jNador,  le  Ras  cd  Daoura  se  trouve,  sur  toute  sa  lon- 
gueur, séparé  de  la  mer  par  une  étroite  et  abrupte  colline;  haute  de 
5o  mètres  en  moyenne,  la  crête  atteint  encore  87  mètres  à  Sidi  bel 
Rhazi,  au  confluent  du  Sebou.  C'est  un  cordon  de  dunes  dont  le  re- 
lief est  d'autant  plus  vigoureux  qu'il  semble  reposer  sur  un  socle 
solide  de  grès  calcarifères  d'âge  très  récent;  le  socle  est  visible  aux 
deux  extrémités  Nord  et  Sud  qui  sont  les  plus  élevées;  la  dune  est 
également  consolidée  de  loin  en  loin  par  un  boisement  naturel  de 
chênes-lièges  rabougris. 

Il  n'existe,  dans  cette  barrière  continue,  aucune  brèche  sauf  celle 
que  s'est  ouverte  le  Sebou.  Ce  n'est  donc  que  par  le  Sebou  que  les 
eaux  de  la  plaine  peuvent  s'écouler  vers  la  mer.  En  fait,  comme  nous 
l'avons  montré,  c'est  bien  vers  le  fleuve  que  la  pente  est  orientée  :  le 
R'arb  et  le  pays  des  Béni  Ahsen  forment  deux  plans  symétriques  par 
rapport  au  Sebou  et  inclinés,  l'un  vers  le  Sud-Ouest,  l'autre  vers  le 

(i)  Brives,   Voyages  au.  Maroc,  page  lig. 


132 


J.  CÉLÉRIER 


Nord-Ouest.  Cette  disposition  se  comprend  aisément.  Toute  la  plaine 
apparaît  comme  une  construction  du  Sebou  et  de  ses  aflluents  qui 
ont  colmaté  un  goUc  marin  ou  une  laoum»  <|()iii  la  disparition  est  ré- 
cente. La  pente  est  celle  d'un  cône  de  déjection  composite  formé  par 


N 


Lveau 


1Zr2i 


Fig.  4  et  5.  —  Profils  en  travers  du  Sebou  un  peu  en  amont  de  Si  Allai  Tazi. 


le  rapprochement  de  plusieurs  torrents  ou,  plus  exactement  peut-être, 
d'un  delta,  dont  les  branches  ne  seraient  pas  dues  à  la  division  d'un 
fleuve,  mais  à  la  convergence  de  plusieurs  rivières.  La  plaine  maréca- 
geuse est  comme  une  petite  Hollande,  le  groupe  Sebou-Mda-Rdom- 
Beht  reproduisant  à  une  faible  échelle  le  groupe  Rhin-Meuse-Escaut. 
Dans  ces  conditions,  pourquoi  le  Sebou  n'est-il  pas  rejoint  par  ses 


LES  «  MER J AS  ..  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  133 

affluents?  De  même  qu'un  cordon  de  dunes  barre  l'accès  de  la  mer, 
un  relèvement  du  relief  se  produit  aux  approches  du  fleuve.  Le  Sebou 
développe  ses  méandres  sur  une  sorte  de  haute  chaussée  continue, 
dont  la  largeur  varie  entre  3  kilomètres  et  quelques  centaines  de 
mètres.  Au  milieu  de  cette  chaussée,  le  fleuve  est  comme  emprisonné 
entre  des  berges  abruptes  qui  peuvent  atteindre  8  à  lo  mètres  de 
haut  et  s'inclinent  en  pente  douce  vers  l'extérieur.  On  ne  peut  s'em- 
pêcher d'être  vivement  frappé  par  ce  phénomène  :  aussi  a-t-on  ex- 
pliqué parfois  que  l'eau  des  merjas  proviendrait  d'infiltrations  du 
Sebou  à  travers  ses  berges.  Il  arrive  bien  en  effet  que  le  plan  d'eau 
du  Sebou  est  à  un  niveau  supérieur  à  celui  de  la  plaine,  mais  la  lar- 
geur du  bourrelet  et  sa  consistance  argileuse  rendent  invraisemblables 
ces  infiltrations. 

Cette  double  digue  naturelle  qui  protège  le  Sebou  est  cependant 
un  facteur  essentiel  dans  la  formation  des  merjas  :  elle  est  l'obstacle 
où  viennent  se  heurter  les  eaux  obéissant  à  la  pente.  Le  cours  du 
petit  Beht  est  particulièrement  expressif  :  il  longe  le  bord  extérieur 
du  bourrelet  jusqu'à  ce  qu'un  accident  local  lui  ait  permis  de  le  cou- 
per. Ce  que  le  Beht  est  parvenu  à  faire  lui-même,  il  a  suffi  de  le  faire 
artificiellement  pour  vider  la  Merktane,  en  creusant  une  tranchée 
profonde  à  travers  la  digue  de  la  rive  droite. 

On  commence  donc  à  comprendre  pourquoi  il  y  a  eu  accumulation 
des  eaux  devant  ce  barrage.  Mais  l'explication  reste  incolmplète  : 
comment  ce  barrage  s'est-il  formé  et  pourquoi  n'est-il  pas  rompu  par 
les  affluents.»^  En  réalité  si  la  disposition  générale  du  relief  a  orienté 
les  rivières,  ce  sont  elles  surtout  qui  ont  créé  les  formes  actuelles  : 
ainsi  les  conditions  topographiques  nous  ramènent  aux  conditions 
hydrographiques . 

Conditions  hydrographiques.  —  Ces  conditions  établissent  une  so- 
lidarité étroite  entre  le  cours  inférieur  des  rivières  et  leur  cours  su- 
périeur, par  conséquent,  entre  la  plaine  et  les  régions  hautes  qui  la 
dominent  au  Nord-Est  et  au  Sud.  Elles  sont  essentiellement  une  tra- 
duction du  climat,  surtout  du  régime  des  pluies  dont  nous  avons  déjà 
rappelé  quelques  caractères.  C'est  le  régime  méditerranéen  de  l'an- 
née divisée  en  deux  périodes   :  période  de  sécheresse  absolue  l'été, 


134  J.  CI'IM'HIKU 

périotle  de  pluies  pendant  la  saison  froide.  Même  pendant  cette  se- 
conde période,  le  nombre  de  jours  pluvieux  est  restreint  et  les  préci- 
pitations présentent  donx  niaxinia,  l'un  à  la  fin  de  l'auto^mne,  l'antre 
an  début  du  printemps.  Environ  la  i)rcMni<M(^  cpiinzaine  de  mars,  il 
tombe  quelques  pluies  diluviennes;  c'est  aussi  le  monuMit  où  f(Mident 
les  neiges  des  montagnes.  Cette  coïncidence  amène  alors  pour  le 
Sebon  et  ses  affluents  des  crues  violentes  qui  sont  encore  aggravées 
par  la  natnre  dn  sol  et  le  relief. 

Les  marnes  helvétiennes  de  l'ancien  détroit  Sud-Rifain  qui  affleu- 
rent snr  de  vasto'?  surfaces  ou  se  trouvent  «'i  nne  faible  profondtMir  sont 
tout  à  fait  impermables;  les  couches  eocènes  sont  aussi  le  plus  souvent 
argileuses.  Constamment  déblayées  par  l'érosion,  loulc^s  c(>s  fornialiou^-. 
quoique    très  tendres,    se    licMinent   sous   (l(>s    pcMiles    1res    rnides. 

Les  jours  de  grosses  pluies,  toute  la  masse  d'eau  dévale  en  quelques 
heures.  A  l'échelle  de  Mechra-bel-Ksiri,  alors  que  le  fleuve  est  depuis 
longtemps  en  plaine  et  présente  une  belle  largeur,  le  Sebon  peut 
monter  de  6  à  7  mètres  du  jour  au  lendemain  eti  atteindre  ainsi 
10'°, 5o  au-dessus  de  l'étiage.  Son  affluc^nt  principal,  l'Ouerra,  n'est 
pas  moins  torrentiel  :  la  largeur  de  son  lit  peut  passer  de  10  mètres 
à  I50  ou  i5o  mètres.  Près  du  poste  de  Kelaa  des  Sless,  il  existe  un 
bac  dont  le  câble  est  à  ipTjBo  au-dessus  du  plan  d'eau  ordinaire.  Il 
est  arrivé  que  les  arbres  charriés  par  l'Ouerra  ont  rompu  ce  cable. 

La  puissance  d'érosion  de  ces  rivières  est  en  rapport  avec  la  vio- 
lence anormale  du  courant.  Le  Sebou  et  ses  affluents  sont  des  types 
de  fleuves  travailleurs;  leurs  eaux  ne  sont  jamais  claires  et  passent 
par  toutes  les  nuances  du  jaune  clair  au  rouge  ocreux.  Il  serait  inté- 
ressant de  mesurer  le  volume  des  éléments  solides  charriés  au  mo- 
ment des  grosses  crues  :  ce  volume  serait  considérable.  Dans  le  Haut 
Sebou,  quand  on  parle  d'installer  une  usine  hydro-électrique,  on  est 
obligé  de  prévoir  un  bassin  de  décantation. 

On  devme  ce  qui  va  se  produire  en  plaine.  Pour  le  Sebou  comme 
pour  ses  affluents,  la  puissance  de  transport  s'épuise  au  fur  et  à  me- 
sure de  l'affaiblissement  de  la  pente;  ils  laissent  tomber  leurs  allu- 
vions  par  ordre  de  densité  décroissante.  Mais  entre  le  fleuve  princi- 
pal et  ses  affluents,  les  conditions  ne  sont  pas  égales  et  le  résultat 
est  différent. 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAL\E  DU  SEBOU  135 

Grâce  à  son  volume  d'eau  qui  reste  suffisant  toute  l'année,  le  Se- 
bou  a  maintenu  son  lit  et  son  accès  vers  la  mer.  Ce  n'est  pas  sans  dif- 
ficulté, comme  on  peut  aisément  le  constater  encore  aujourd'hui  à 
son  embouchure.  Le  vent  d'Ouest  y  poursuit  son  travail  d'édification; 
la  dune  de  la  rive  droite  continue  à  s'avancer  en  pointe  au  Sud-Ouest, 
elle  rejette  toujours  plus  au  Sud  le  fleuve  qui  doit  entailler  sa  rive 
gauche  pour  se  frayer  un  passage.  Il  est  possible  que  l'orientation  du 
Sebou  dans  son  cours  inférieur  soit  due  à  l'action  continue  de  ce 
phénomène  se  répétant  toujours  dans  le  même  sens.  Le  travail  du 
vent  se  trouve  facilité  par  l'œuvre  propre  de  la  barre  fluviale  qui 
tend  aussi  à  obstruer  le  chenal;  la  profondeur  d'eau  s'y  trouve,  par 
marée  basse,  inférieure  de  3  ou  4  mètres  au  lit  du  fleuve  en  amont. 

Contre  ces  deux  forces  dangereuses,  le  Sebou  lutte  victorieusement 
grâce  à  son  volume  d'eau  accru  par  la  marée  haute.  A  mesure  que 
son  débit  baisse,  le  chenal  de  l'embouchure  s'affaiblit.  On  peut,  cha- 
que été,  prévoir  que  le  fleuve  va  être  arrêté;  mais  en  hiver  il  reprend 
l'offensive;  ses  grandes  crues  sont  comme  autant  de  vigoureux  coups 
de  balai  qui  débarrassent  le  chenal  des  sables  qui  tendent  à  l'obstruer. 

Cette  victoire  remportée  à  l'embouchure  se  répercute  en  amont. 
N'ayant  pas  été  privé  d'un  niveau  de  base  fixe,  le  Sebou  a  pu  de  mê- 
me maintenir  la  fixité  de  son  lit;  du  moins,  s'il  a  eu  —  comme  il  est 
à  peu  près  certain  —  des  variations,  elles  ont  été  assez  lentes  pour  se 
faire  sans  accident  ,  c'est-à-dire  sans  divagations.  Ainsi  le  Sebou  n'a 
pas  été  enterré  sous  ses  propres  alluvions  ou  barré  par  elles.  A  mesure 
qu'elles  se  déposaient  dans  le  fond  du  lit,  le  fleuve  s'y  creusait  un 
nouveau  lit  entre  des  berges  dont  la  hauteur  paraît  singulière  dans 
ce  pays  si  bas.  Le  résultat  fut  un  exhaussement  général  et  la  création 
de  cette  originale  chaussée  au  milieu  de  laquelle  serpente  le  Sebou. 

Tout  autre  a  été  le  sort  de  ses  affluents.  Il  leur  aurait  fallu  accomplir 
un  travail  symétrique  à  celui  du  fleuve  principal,  scier  la  chaussée 
à  mesure  qu'elle  s'élevait,  maintenir  ainsi  le  contact  avec  le  Sebou, 
comme  celui-ci  le  maintenait  avec  la  mer.  Ce  maintien  d'un  niveau 
de  base  constant  n'a  pas  été  possible  à  cause  de  l'insuffisance  chroni- 
que du  débit,  à  cause  aussi  de  la  faiblesse  de  la  pente  qui  ne  permet- 
tait pas  de  compenser  cette  insuffisance.  Le  seul  affluent  qui  a  pu, 
dans  une  certaine  mesure,  maintenir  ce  contact,  est  le  Beht  qui  est 


136  J.  Cr.LÉl\IER 

aussi  le  plus  abondant.  L'été  rainèiie  périodiqiiomcnl  une  saison  cri- 
tique où  les  affluents,  loin  de  pouvoir  liillor  conho  raccMimiiljiliou  des 
alluvions  du  Sebou,  n'ont  plus  la  force  de  siiruiouler  les  leurs.  ()uel- 
ques-uns,  saignés  en  amont  par  les  séguias  d'irrigation,  cessent  même 
de  couler.  Ceux  qui  ont  encore  de  l'eau  sont  si  paresseux  que  le  moin- 
dre obstacle  les  arrête;  en  arrière  de  l'obslacle,  il  se  })ro{luit  un  épan- 
dage  de  l'eau,  épandage  d^ésastreux  puisqu'il  amène  ime  augmenta- 
tion de  l'évaporation.  Ainsi  le  point  où  la  rivière  cesse  de  couler  tend 
à  reculer  vers  l'amont,  jusqu'à  l'endroit  où  le  lit  du  fleuve  est  limité 
par  de  hautes  rives  qu'entretient  la  vivacité  de  la  pente. 

Dans  cette  plaine  de  sables  instables,  il  faut  peu  de  choses  pour 
créer  un  obstacle.  Les  troupeaux  qui  viennent  de  loin  s'abreuver  dé- 
molissent les  berges  sablonneuses,  piétinent  et  se  vautrent  dans  l'eau 
boueuse;  ils  élargissent  de  plus  en  plus  le  lit  où  la  rivière  n'est  plus 
qu'une  nappe  de  moins  en  moins  profonde.  Très  souvent  la  rivière 
est  franchie  à  gué  par  une  piste,  il  y  a  dans  la  plaine  plusieurs  Mechra 
Bemla  (gué  de  sable);  les  ornières  des  voitures  qui  y  circulent  main- 
tenant favorisent  l'épandage  de  l'eau.  Or  la  piste  a  naturellement 
choisi  le  point  où  la  rivière  était  plate  et  sans  profondeur.  L'Euro- 
péen s'embrouille  dans  ces  pistes  qui  sont  tantôt  à  sec,  tantôt  cou- 
vertes d'eau.  Les  Marocains  sont  moins  embarrassés  :  le  riche  pro- 
priétaire passe  sur  sa  belle  mule  trottinante,  impassible  devant  les 
gouttes  d'eau  boueuse  qui  giclent  sur  la  selle  rouge  et  la  blancheur 
du  burnous;  le  pauvre  lève  un  peu  plus  haut  les  pieds  sur  le  cou  de 
son  âne;  le  ((  meskine  »  entre  les  meskine,  tenant  d'une  main  ses 
«  belr'a  »,  de  l'autre  les  pans  crasseux  de  sa  »  jellaba  »,  s'engage  non 
moins  résolument  sur  la  piste  inondée. 

Dans  les  petites  merjas  du  Hamma  on  peut  constater  pratiquement 
l'effet  produit  par  cette  circulation  d'hommes  et  d'animaux. 

Quand  un  obstacle  s'est  ainsi  formé  d'une  façon  plus  ou  moins 
accidentelle,  il  a  beaucoup  de  chances  de  se  consolider.  Dans  ces  al- 
luvions argilo-sableuses,  conservant  longtemps  de  l'eau,  le  soleil 
printanier  provoque  une  exubérance  dans  la  végétation  :  tiges  et  ra- 
cines fixent  la  boue  humide  et  le  barrage,  nourri  de  tous  les  apports 
postérieurs,  devient  permanent. 

L'importance  que  peut  prendre  cette  fixation  par  la  végétation  n'est 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  137 

nulle  part  aussi  frappante  que  dans  la  merja  du  Beht,  Elle  contribue 
à  expliquer  non  plus  la  formation  d'un  simple  barrage,  mais  cette 
large  chute  dont  nous  avons  signalé  l'originale  présence  au  cœur  de 
la  grande  Merja.  En  débouchant  dans  le  vaste  marécage,  le  Beht  forme 
par  ses  apports,  un  cône  de  déjection  large  et  épais  que  le  fleuve 
pousse  en  avant  sans  doute  chaque  année.  Mais  la  végétation  s'est  im- 
plantée dans  ces  fines  alkivions  et  en  a  changé  la  consistance  :  cette 
végétation  a  une  puissance  en  rapport  avec  l'ampleur  de  la  merja  et 
son  volume  d'eau;  ce  ne  sont  plus  de  simples  joncs,  mais  de  solides 
roseaux.  Leurs  tiges  et  surtout  les  rhizomes  jouent  le  rôle  de  claies 
naturelles  qui  emprisonnent  les  apports  du  Beht  et  expliquent  la  pro- 
gression anormale  du  cône  de  déjection  :  au  lieu  de  se  raccorder  par 
une  pente  douce  avec  le  niveau  de  la  merja  en  aval,  le  front  du  cône 
domine  la  zone  où  sort  l'Oued  el  Hadj  de  près  de  deux  mètres.  Cette 
rupture  de  pente  est  accusée  par  la  cascade. 

Barrage  ou  rupture  de  pente,  tel  est  le  résultat  de  l'action  combi- 
née de  la  végétation  et  de  la  faiblesse  du  courant  pendant  la  saison 
sèche.  Or  les  crues  d'hiver  qui  permettent  au  Sebou  de  nettoyer  son 
estuaire,  non  seulement  sont  impuissantes  à  rendre  le  même  service 
à  ses  affluents,  mais  encore  confirment  les  effets  des  maigres  de  l'été. 
Ce  qui  peut  subsister  du  lit  de  la  rivière  en  plaine  est  impuissant  à 
assurer  l'écoulement  de  la  crue;  la  plus  grande  partie  de  l'eau  se  ré- 
pand dans  la  plaine.  Cette  inondation  supprime  tout  modelé  normal; 
il  se  forme  des  remous  qui  déplacent  le  sable,  provoquent  le  dépôt 
des  éléments  en  suspension  dans  l'eau.  Quand  la  crue  diminue,  il 
n'y  a  pas  comme  dans  un  réseau  hydrographique  bien  défini,  un  re- 
trait progressif  vers  le  lit  du  fleuve.  Il  n'y -a  plus  de  lit,  plus  de  pente 
directrice.  L'eau  des  crues  reste  sur  place,  au  hasard  des  petites  dé- 
pressions  :  c'est  la  Merja  au  début  du  printemps. 

On  conçoit  d'ailleurs  que  des  circonstances  locales,  une  fixation  des 
berges  dans  un  sol  plus  résistant,  aient  maintenu  un  tronçon  de  lit, 
de  même  qu'une  route  non  entretenue  continue  à  être  marquée  par 
ses  ouvrages  d'art  :  ainsi  s'explique  l'existence  du  Segmet,  ainsi  s'ex- 
plique qu'un  même  oued  puisse  former  plusieurs  merjas  successives. 

Certaines  merjas  sont  alimentées  par  les  grandes  crues  du  Sebou. 
Entre  Mechra-bel-Ksiri  et  Sidi  Ali  bou  Jenoun  les  berges  du  Sebou 


138 


.1.  CÉLKRIER 


s'abaissent  quelquefois,  présentant  des  «  fenêtres  »  d'où  peuvent  venir 
des  eaux  qui  s'écouleront  vers  les  merjas  par  quelques  »  soheb  »,  à 
sec  le  plus  souvent,  ou  «  Klierarej  n.  Ces  Kherarej,  où  le  sens  du  cou- 
rant varie  suivant  que  la  crue  monte  ou  descend,  aboutissent  à  des 
cuvettes  plates  que  les  inilig'ènes  appellent  «  msila  »  cl  utilisent  dans 
leur  économie  rurale.  Dans  ces  conditions  l'inondation  du  Sebou 
ampli  lie  l'action  de  ses  affluents,  mais  l'action  propre»  et  décisive  du 
fleuve  principal  reste  la  formation  de  sa  double  digue. 

En  somme,  la  merja  est  la  surface  d'inondation  d'une  rivière  qui 
subit  un  sort  sendilable  à  celui  des  fleuves  désertiques  et  pour  des  rai- 
sons de  même  ordie  :  l'irrégularité  extrême  du  débit  et  l'absence  d'un 
niveau  de  base  constant  (pii  ne  pennettent  pas  l'établissement  ou  le 
maintien  d'un  lit  bien  défini.  La  formation  des  merjas  est  une  vérifi- 
cation à  rebours  des  lois  du  modelé  et  du  drainage,  précisément  par 
leur  insuffisante  application  dans  la  plaine  inférieure  du  Sebou. 


{A  suivre) 


.T.    GÉLÉRIER. 

l'rnfpsstnir  de  }î(V)^raphie 
à  rinslilul  des  Ilaulcs-KLudes  Marocaines. 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RABAT 


Le  travail  de  la  laine,  chez  les  populations  indigènes  de  l'Afrique 
du  Nord,  est  essentiellement  un  travail  féminin.  La  tonte,  seule,  est 
du  domaine  des  hommes;  et  aussi,  dans  les  villes,  le  tissage  des 
étoffes  sur  les  métiers  à  basse  lisse,  technique  d'introduction  relative- 
ment récente.  Toutes  les  autres  opérations,  lavage  de  la  laine,  blan- 
chissage, peignage,  fdage,  teinture,  sauf,  parfois,  dans  les  villes; 
tissage  des  tapis,  tissage  des  étoffes  sur  les  métiers  à  haute  lisse,  tout 
cela  est  fait  par  les  femmes.  Les  procédés  sont  presque  tous  très 
archaïques,  et  s'accompagnent  de  pratiques  rituelles  nombreuses. 
Ainsi  qu'il  arrive  pour  la  plupart  des  techniques  anciennes,  chaque 
opération  que  nécessite  le  travail  de  la  laine  est  double  :  elle  comporte, 
à  côté  des  éléments  physiques,  des  éléments  mystiques  qui  sont  peut- 
être  les  principaux;  il  n'est  pas  un  instrument  employé  qui  ne  pos- 
sède, en  même  temps  que  sa  valeur  propre  d'outil,  une  valeur  magi- 
que, souvent  plus  considérable.  Et  tons  ces  travaux  sont  mis 
encore  sous  le  patronage  de  Lalla  Menni,  personnage  aujourd'hui 
presque  oublié,  issu  d'une  divinité  de  l'antique  paganisme,  vraisem- 
blablement d'Ammon  lui-même,  le  grand  dieu-bélier  des  Libyens  (i). 

La  tonte  des  moutons  est  une  véritable  cérémonie.  Le  jour  où  l'on 
y  procède  est  un  jour  de  fête.  On  a  recours  à  la  tlwizi,  l'antique  cor- 
vée volontaire  berbère,  qui,  d'un  usage  fréquent,  conserve  toujours 
un  caractère  rituel  très  net;  toute  la  communauté  travaille  pour  un 
seul,  à  charge  de  revanche.  On  tond  les  bêtes  en  chantant  des  for- 
mules destinées  à  attirer  sur  elles  et  sur  la  laine  les  bénédictions 
célestes;  et  la  journée  se  termine  par  des  réjouissances  (2).  Ce  qui 


(i)    Je    me   permets,    sut  ce    point,    de    renvoyer    le    Ipciteiir    à  mes    Notes    sur  VAmmon 
libyque,    actuellement   sous   presse   fp.    5--.) 
(2)  Cette  cérémonie   n'a  pas  encore  fait  au  Maroc  l'objet  d'une  étude  spéciale    :  on  trou- 


140  HENRI  BASSET 

frappe  principalement  dans  cette  cérémonie,  c'est  sa  ressemblance 
avec  celles  qui  marquent  la  récolte  des  produits  de  l'agriculture  :  elle 
présente  de  grandes  analogies  avec  la  moisson  et  surtout  avec  le  gau- 
lage des  olives  (i).  La  laine  est  traitée  comme  un  fruit  de  la  terre  : 
cela  n'est  point  indifférent,  et  se  pourra  percevoir  aisément  en  bien 
d'autres  circonstances. 

Une  fois  tondues,  les  toisons  qui  ne  sont  yias  destinées  à  être  ven- 
dues brutes  sont  remises  aux  femmes,  à  qui  revient  le  soin  de  les 
transformer  en  laine  prêle  à  être  tissée.  Comme  tous  les  travaux, 
celui  de  la  laine  est  soumis  aux  nécessités  des  jours  fastes  et  néfastes. 
Ceux-ci  varient  selon  les  endroits  et  selon  les  opérations;  mais  le 
principe  existe  partout.  Ainsi,  à  Rabat,  on  ne  doit  pas  travailler  la 
laine  1(^  jour  des  quatre  grandes  fêtes  îniisulînanes,  ni  le  vendredi; 
le  lundi  et  le  jeudi  sont  au  contraire  des  jours  lies  favorables.  Dans 
la  région  de  Demnat,  on  ne  file  ni  ne  tisse  la  laine  le  vendredi  (2). 
Chez  les  Ntifa  (Atlas  au  nord-est  de  Demnat),  les  femmes  montent 
leur  métier  le  mardi,  mais  ne  tissent  ni  le  dimanche,  ni  le  mercredi. 
Chez  les  Ait  Mjild  (Rraber  du  Moyen-Atlas),  les  femi|mes  ne  se  livrent 
à  aucun  travail  de  la  laine  le  dimanche  ni  le  vendredi,  mais  elles 
peuvent,  ce  jour-là,  chercher  des  plantes  tinctoriales  (3).  A  Rlida, 
on  commence  le  tissage  le  lundi  ou  le  vendredi  (/|).  Toutes  ces  inter- 
dictions ise  superposent  exactement  à  celles  qui  existent  ou  exis- 
taient encore  réceimment  en  Europe  (5)  :  constatation  que  nous  aurons 

vcra  cependant  des  rcnseipruemcnls  dans  E.  Lévi-Ppovcnçal,  Pratiques  agricoles  et  Fêtes  sai- 
sonnières ■:'es  tribus  djebalah  de  la  vallée  moyenne  de  VOuarçjlia.  Archives  Berbères,  t.  Iir, 
p.  96-97  ;  pour  le  Sud-Oranais,  Ben  Danon,  Contribution  à  Vétude  de  Vindustrie  pastorale 
en  Algérie  et  au  Maroc,  Bail,  de  la  Soc.  de  Géog.  et  d'Arch.  d'Oran,  1916,  p.  3i4;  pour 
la  Tunisie,  Menouillard,  La   tonle  du  mouton  en  Tunisie,  Revue  Tunisienne,   1906,  p.    117 

sqq.  ;    Decker-David,   L'agriculture    indigène   en   Tunisie,  Tunis,    1912,   p.    SmS    :    «    leis 

liommes  tondent  en  chantant,  tandis  que  les  femmes,  qui  aident  à  préparer  le  couscous, 
poussent  des  you-you,  et  que  les  enfants  joiucnt  à  la  agfa,,  jeu  analogue  au  jcrolf. ..  n 
Il  s'agit  sans  doute  d'un  jeu  de  mcTne  genre  que  Ifl  koara,  qui  est  notre  hockey,  et  dont  la 
valeur  rituelle  en  Afrique  du  Nord  est  bien  connue. 

(i)   Description  dans  Boulifa.   Textes     berbères    en    dialecte    de   l'Atlas     marocain,   Alger, 
1908. 

(2)  Boulifa,  op.   cit.,  p.    198.  L'auteur  donne  une  assez  longue  description   du  travail    'c 
la    laine,    mais    les   rites    n'ont    malheureusememt    pas    retenu    son   attention. 

(3)  Laoust,   Étude  sur  le  dialecte   berbère  des  I\Hifa,   Paris   1918,   p.   3o9-3io. 

(A)  Desparmet,  Ethnographie  traditionhelle  de  la  Meltidja,  Revue  Africaine,  1919,  p.   277. 
(5)   On  en  trouvera  un   grand   nombre  dans   l'enquête   de   Sébillot    :  Légendes   et   curio- 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RABAT  141 

bien  souvent  l'occasion  de  faire  en  étudiant  ces  rites  de  la  laine. 
La  première  opération  consiste  à  laver  les  toisons,  afin  de  les  débar- 
rasser de  toutes  les  impuretés  qu'elles  contiennent.  On  les  fait  bouillir 
avec  une  sorte  de  saponaire;  on  les  lave  ensuite  soigneusement 
à  l'eau  courante,  en  les  battant  fortement.  Cela  ne  semble  pas  aux 
femmes  un  labeur  pénible;  elles  ne  l'accomplissent  pas,  d'ordinaire, 
à  la  maison,  mais  dans  la  campagne,  auprès  d'un  ruisseau  ou  d'une 
fontaine  —  à  Rabat,  à  la  source  de  Chella  ou  au  bord  de  la  mer;  — 
elles  sont  toute  une  joyeuse  bande,  et  lé  travail  s'accompagne  de  chants, 
de  rires,  de  plaisanteries.  On  mange  des  friandises;  on  se  grise  de  plein 
air;  et,  dès  cette  première  opération,  jeunes  femmes  et  jeunes  filles 
interrogent  à  l'envi  la  laine  sur  le  sort  qui  les  attend.  De  bien  des 
choses,  elles  tirent  des  présages  :  de  la  façon  dont  se  présente  la  toi- 
son au  moment  oii  on  l'ouvre,  des  mottes  de  terre,  des  saletés  qu'elle 
contient,  et  de  la  manière  dont  celles-ci  se  comportent  dans  le  feu 
où  on  les  jette.  Et  le  soir,  quand  on  rentre,  on  dépose  dans  un  coin 
de  la  maison  les  toisons  lavées,  et  on  les  y  laisse  parfois  plusieurs 
jours.  Car,  de  même  que  le  grain,  après  la  moisson,  peut  continuer 
à  croître  sur  les  aires  à  battre  et  dans  les  silos,  de  même  que  le  niveau 
de  l'huile  monte  spontanément  dans  les  réservoirs  où  on  l'emmaga- 
sine au  sortir  du  pressoir,  la  laine,  une  fois  lavée,  peut  s'accroître 
encore,  elle  aussi,  pour  le  plus  grand  profit  de  son  propriétaire  :  mais 
il  faut  se  garder  de  déranger  les  forces  mystérieuses  qui  président 
à  cette  croissance  surnaturelle.  Et  cela  montre  encore  nettement  l'ana- 
logie qui  existe  dans  l'esprit  des  indigènes  entre  la  laine  et  les  autres 
produits  de  la  terre. 


faites  des  métiers,  Les  fileuses,  p.  17  'Sqq.  Même  défense  de  filer  ià  certains  jours  de  la 
semaine  ou  à  certaines  périodes  de  l'année,  notamment  les  jours  de  la  Passion,  le  jour 
de  Noël  ou  la  veille  :  «  Dans  le  nord  de  l'Ecosse  et  en  Danemark,  rien  ne  doit  tourn.^" 
en  rond  de  Noël  au  premier  de  l'an  :  les  oies  réussircient  mal  ou  la  chairrue  se  brisera  il. 
En  Suisse,  le  vent  emportera  le  toit  de  la  maison  où  l'on  aura  filé  la  veille  de  Noël.  En 
Belgique,  il  ne  faut  pas  laisser  apercevoir  aux  arhres  un  rouet  pendaint  cette  nuit  :  ils 
n'auraient  pas  de  fruits  Tannée  suivante.  »  {ibid.,  p.  19).  De  même,  dans  l'Afrique  du 
Nord,  l'interdiction  de  travailler  la  laino  le  jour  de  'Âchoûra  est  presque  générale.  Elle 
Sv^mble,  dans  les  deux  cas,  devoir  s'expliquer  de  la  même  manière.  Noël  et  'Aehoùra  sont 
deux-  fêtes  de  renouvellement  de  l'année  :  il  faut  éviter  à  ce  moment  tout  ce  qui  pour- 
rait «  nouer  »  l'année  nouvelle  —  donc,  avant  tout,  le  travail  de  la  Hiine,  avec  ses 
(useiaux  ou   ses  rcuets  qui  tournent,   et  ses  métiers   où   les   fils   se   nouent. 


I4â  HENRI  BASSET 

Cette  croyance,  dans  les  villes,  tend,  comme  tant  d'autres,  à  s'effa- 
cer. Mais  alors,  on  peut  saisir  parfois  le  passage  de  la  croyance  au 
souvenir  légendaire.  Interrogée  sur  ce  point,  une  vieille  fîleuse  de 
Rabat  raconta  qu'autrefois  la  laine  s'accroissait  d'elle-même  après 
qu'elle  avait  été  tondue;  mais  aujourd'hui,  depuis  que  les  hommes 
sont  devenus  méchants,  il  n'en  est  plus  rien.  Ainsi  se  constitue  ou 
se  fortifie  peu  à  peu  dans  l'espiiL  j)()pulaire  le  souvenir  d'un  âge 
d'or,  où  tout  \enait  sans  cffoit,  où  l:i  ualiirc  rliiil  |)his  généreuse, 
et  les  hommes  meilleurs. 

La  laine,  une  fois  lavée,  est  i)eignéc,  blanchie  au  soufre;  bref, 
transformée  en  mèches  prêtes  à  être  filées.  Ces  opérations  sont  faites 
à  la  maison,  grâce,  le  plus  souvent,  à  la  même  aide  apportée  par 
les  voisines,  surtout  si  celle  laine  doit  èlre  employée  à  confectionner 
le  trousseau  d'une  fiancée.  Le  travail  se  mêle  de  pratiques  rituelles, 
qui  peuvent,  selon  leur  fin,  se  classer  en  deux  grands  groupes.  D'une 
part,  les  pratiques  qui  n'ont  pas  d'autre  but  que  le  travail  même 
de  la  laine  :  chasser  les  mauvaises  iniluences  qui  peuvent  se  trou- 
ver en  elle,  et  la  mettre  dans  les  conditions  magiques  les  plus  favo- 
rables pour  raccomj)lissemenl  ihi  travail;  car  une  bonne  partie  de 
celui-ci  est  l'œuvre  des  forces  incluses  dans  la  laine  et  dans  les  ins- 
truments eux-mêmes.  D'autre  part,  des  rites  divinatoires  nombreux, 
encore  que  les  questions  auxquelles  ils  doivent  répondre  soient  peu 
variées.  Les  ouvrières  de  la  laine  sont,  en  très  grand  nombre,  des 
jeunes  filles  ou  des  jeunes  femmes.  Ce  qui  les  intéresse  surtout  dans 
l'avenir,  c'est  de  savoir,  les  unes,  si  elles  se  marieront,  et  à  quel 
genre  d'époux;  les  autres,  si  elles  auront  des  enfants,  et  leur  sexe, 
et  leur  destinée.  Tout  est  matière  à  présage,  et  les  instruments  mêmes 
—  nous  le  verrons  aussi  du  métier  à  tisser  —  peuvent  jouer  un 
grand  rôle  dans  cette  magie  divinatoire.  Mais  je  ne  m'attacherai  pas 
ici  à  décrire  ces  rites,  car  ils  sont  déjà  connus:  M.  Doutté  a  rapporté 
dans  tous  ses  détails  la  cérémonie  tlemcenienne  dans  laquelle  le  grand 
peigne  à  carder  déguisé  en  homjme  apparaît  comme  le  substitut  magi- 
que du  fiancé  désiré  (i)  ;  et  les  croyances  relatives  à  ces  travaux  prélimi- 


(l)  Magie  et  Religion  dans  l'Afrique  du  iVord,   Alger,    1909,   p.   38A-385. 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAÎNE  A  RABAT  143 

naires  de  la  laine  ont  été  recueillies  avec  beaucoup  de  soin  par  MM.  Bel 
et  Ricard  dans  leur  étude  sur  Le  Travail  de  la  laine  à  Tletncen:  une 
enquête  menée  à  Rabat  n'a  pas  révélé,  à  propos  de  ces  opérations,  de 
rite  vraiment  nouveau. 

Je  voudrais  bien  plutôt  insister  sur  les  pratiques  rituelles  du  filage 
et  du  tissage,  celles  qui  se  concentrent  autour  du  fuseau  et  du  métier 
à  tisser  d'ancien  modèle.  D'abord,  elles  sont  très  mal  connues  :  jamais 
encore  elles  n'ont  été  étudiées  dans  l'Afrique  du  Nord;  même  l'excel- 
lente monographie  de  MM.  Bel  et  Ricard  s'applique  à  l'industrie  d'une 
ville  où  le  rouet  s'est  substitué  généralement  au  fuseau,  où  le  métier  à 
basse  lisse  des  hommes  a  remplacé  l'antique  métier  à  haute  lisse  fémi- 
nin, où  les  vieilles  techniques  ont  disparu,  entraînant  les  vieilles 
croyances.  Ensuite,  de  tous  les  rites  de  la  laine,  ce  sont  les  plus  im- 
portants, les  plus  caractéristiques,  et  cela  se  conçoit  :  filage  et  tissage 
sont  les  deux  opérations  fondamentales,  celles  qui  transforment  le 
plus  complètement  la  matière  offerte:  créer  avec  des  brins  de  laine 
des  fils  résistants;  avec  ces  fils,  un  tissu,  est  une  chose  bien  faite  pour 
remplir  d'im  étonnement  mêlé  de  respect  et  de  crainte  un  esprit  peu 
cultivé,  disposé  à  voir  partout  l'action  des  forces  occultes. 


On  file  encore  la  laine,  dans  les  campagnes  berbères,  comme  la 
filait  la  reine  Berthe,  et  Jeanne  d'Arc  en  gardant  ses  moutons;  on  la 
file  avec  la  quenouille  et  le  fuseau.  Le  rouet  —  inestimable  progrès 
—  n'a  encore  pénétré  que  dans  les  villes,  et  point  dans  toutes.  L'ou- 
vrière tient  serrée  contre  elle  la  quenouille,  roseau  fendu,  où  sont 
enroulées  les  mèches  de  laine;  devant  elle,  danse  le  fuseau  suspendu 
à  une  extrémité  de  ces  mèches,  que  son  mouvement  continu  trans- 
forme, en  les  tordant,  en  un  fil  résistant.  Ce  fuseau  est  une  simple 
broche  de  bois;  à  une  extrémité,  un  sillon,  creusé  parfois  dans  une 
armature  métallique,  saisit  le  fil;  à  l'autre,  un  peson,  volant  en  mi- 
niature, actionné  à  petits  coups  par  l'ouvrière,  fait  tourner  rapidement 
le  fuseau.  Instrument  ingénieux  et  simple,  extrêmement  archaïque, 
et  vraisemblablement,  partout  où  il  fut  employé,  investi  d'un  grand 
pouvoir  magique;  on  en  trouve  la  trace  jusque  dans  les  contes  de 


144  IlENUI   BASSET 

IVMrault  :  c'est  pour  s'être  piquôe  avec  un  fuseau  (pic  s'endormit  la 
Belle  au  Bois  dormaul  [\).  Vax  loiil  cas,  ce  cai'aclric  iuai>i{]iic  (îsI  Ire-, 
nettement  accusé  chez  les  Berbères.  Très  souv(miI,  le  l'iiseau  semble 
avoir  une  valeur  d'amulette.  Chez  les  gens  du  Moyen- Allas  méridional 
et  du  Haut-Atlas,  on  suspend  le  pcson  aux  cornes  des  vaches  qui  vien- 
nent de  vêler;  chez  les  .Ihàla,  lierl)èr(>s  arabisés  du  Nord-marocain, 
on  attache  un  frai^ment  de  fuseau  au  cou  des  Anes  pour  les  préserver 
des  influences  néfastes.  Il  est  vraisemblable  que  le  fuseau,  pointu, 
arjit  alors  comme  talisman  contre  le  mauvais  œil.  C'est  peut-être  aussi 
pour  celte  raison  qu'à  Blida,  lors  de  la  cérémonie  du  septième  jour 
après  la  naissance,  au  cours  de  laquelle  on  présente  l'enfant  à  la  mai- 
son et  aux  génies  familiers,  on  i)lace  sur  sa  poiliine  un  fuseau  en 
même  temps  (ju'un  j>elil  miroir  rond  (2).  En  d'autres  cas,  le  fuseau 
semble  servir  de  substitut  phallique.  Lors  de  la  circoncision  chez  les 
Berbères  de  la  Haute-Moulouya,  le  prépuce,  sitôt  enlevé,  est  placé  sur 
un  fuseau,  et  emporté  par  les  femmes  au  milieu  des  you-you.  Céré- 
monie analogue  chez  les  Ait  SegliroucJien  du  Moyen-Atlas  (3).  Il  est 
possible  que,  magiquement,  ce  transfert  en  débarrasse  l'enfant  de 
façon  définitive.  C'est  sans  doute  par  suite  de  la  croyance  à  un  lien 
analogue  que  l'on  ne  saurait,  à  Blida,  introduire  sans  danger  un 
fuseau  dans  la  chambre  où  est  le  berceau  d'un  petit  garçon  de  moins 
de  quarante  jours  (4).  Parfois,  le  rôle  du  fuseau  esl  moins  clair.  Un 
des  procédés  employés  par  les  sorcières  de  l'Atlas  marocain  pour  em- 
pêcher la  pluie  de  tomber  —  pratique  réprouvée  entre  toutes  dans  un 
pays  011  la  pluie  est  si  nécessaire  —  consiste  à  faire  labourer  un 
fumier  par  un  chat  attelé  à  une  charrue  minuscule  :  le  corps  de  cette 
charrue  est  souvent  constitué  par  un  fuseau. 

(i)  Voir  des  exempiles  de  la  valeur  magique  du  fuseau  dans  Sébiliot,  op.  cit.,  passini; 
Frazcr,   Les   orifiines   magiques   de   la   royawlé,   li-ad.    P.    II.    Loyson,   Paris,    1920,   p.    53-54- 

(2)  Celui-ci  symbolise  vraiscmltlablement  le  soleil,  auquel,  dans  certaines  tribus  berbftres 
d<'   l'Atlas  marocain,  on  pn'îseiiti'  encore  l'enfant  après  sa  naissance. 

(3)    Destaing,  Étude  sar  le  dialecte   berbère    des  Ait    Seghrouchen.  Paris,   1920,  p.   XLvn, 

i!\]  Desparmet,  Ethnographie  traditionnelle  de  la  Mettidja,  Bulletin  de  la  Société  dz 
Géographie  d\Alger,  1919,  p.  222  :  «  ...  tel  de  ses  organes  essentiels  gauchirait  en  gran- 
dissant et  prendrait  une  forme  bistournée  ».  —  A  rapprocher  de  la  croyance  gcrmain- 
que  :  ((si  une  femme,  pendant  les  six  semaines  qui  suivent  son  acoouchenicnt,  file  de 
la  laine,  du  lin  ou  du  chanvre,  son  fils  sera  pendu  quelque  jour  »  ^Sébiliot,  op.  cit. , 
l-.   22). 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RABAT  145 

Mais,  quelles  que  soient  les  applications  qui  en  sont  faites,  il  semble 
que  si  le  fuseau  possède  une  telle  vertu  magique,  cela  vient  de  ce  que, 
dans  le  rudimentaire  appareil  de  filage,  il  est  la  partie  agissante;  tou- 
jours en  mouvement,  tandis  que  la  quenouille  est  immobile,  il  semble 
doué  de  vie;  et  c'est  cette  victmême  qui  transforme,  chose  merveilleuse 
pour  un  esprit  simple,  une  mèche  de  laine  sans  consistance  en  un  fil 
résistant. 

Le  rouet,  qui  s'est  introduit  à  une  époque  assez  récente,  et  dans  les 
villes  seules,  n'a  pas  eu  la  fortune  magique  de  l'antique  fuseau.  Il 
est  venu  trop  tard,  et  c'est  un  étranger;  les  vieilles  croyances  ne  se 
sont  pas  attachées  à  lui;  le  transfert  était  d'autant  plus  difficile  que  la 
technique  ancienne  continuait  à  vivre  à  côté  de  la  nouvelle.  Le  rouet 
sert  bien  parfois  dans  des  opérations  de  magie  courante,  telles  que  le 
nouage  de  l'aiguillette  :  mais  sa  vertu  lui  vient  alors  de  ce  qu'il  est 
muni  d'une  roue,  beaucoup  plus  que  de  ce  qu'il  est  en  contact  avec 
les  forces  de  la  laine. 


Le  caractère  magique  du  métier  à  tisser  est  plus  net  encore  que  celui 
du  fuseau.  Mais  tous  les  genres  de  métiers  ne  le  possèdent  pas.  Les 
femmes,  dans  les  villes,  ne  sont  pas  seules  à  tisser  la  laine.  Il  s'est 
même  fait  une  sorte  de  partage  :  elles  ont  gardé  le  tissage  des  tapis, 
tandis  que  les  étoffes  avec  lesquelles  on  fait  les  vêtements  sont  d'ordi- 
naire fabriquées  par  des  tisserands.  En  Berbérie,  lorsqu'une  industrie 
est  ainsi  partagée,  il  est  normal  que  les  techniques  employées  par  l'un 
et  par  l'autre  sexe  soient  différentes  :  la  femme  a  gardé  la  technique 
ancienne,  l'homme  a  adopté  la  plus  perfectionnée.  De  ce  phénomène, 
la  céramique  offre  un  exemple  typique  :  selon  les  régions,  elle  est  une 
industrie  féminine  ou  masculine.  Dans  le  premier  cas,  la  technique  est 
extrêmement  archaïque;  les  poteries  sont  façonnées  à  la  main,  cuites 
à  l'air  libre,  et  le  travail  se  fait  sur  commande;  dans  le  deuxième,  les 
poteries  sont  façonnées  à  l'aide  du  tour,  cuites  dans  des  fours,  et  desti- 
nées à  être  vendues  sur  les  marchés  (i);  voilà  plusieurs  milliers  d'an- 

(i)  Sur  les  poteries  nord-africaines,  cf.  surtout  Van  Gennep,  in  Eludes  d'ethnographie 
algérienne,   et   in    Varia   Africana,   publication  de    l'Université   de    Harvard,    t.    II;    J.    Her. 

HESPÉRis.  —  T.  II.  —  1922.  10 


146  HENRI  BASSET 

nées  que  ces  deux  formes  d'industrie  persistent  côte  à  côte.  L'antago- 
nisme entre  les  deux  techniques,  cmi  malièrc  de  Lissa«^c,  est  moins  an- 
cien, mais  non  moins  marqué.  Les  tisserands  des  villes  lia\ail](Mil 
sur  un  métier  à  basse  lisse,  relativement  perfectionné  (i),  tandis  que 
celui  dont  se  servent  les  femmes,  dans  les  campagnes  pour  tisser  les 
étoffes,  et  partout  pour  fabriquer  les  tapis,  est  un  métier  à  haute  lisse, 
demeuré  extrêmement  archaïque.  Et  comme  il  est  naturel,  puisque  ce 
sont  les  femmes  qui  l'utilisent  et  qu'il  représente  la  forme  tradition- 
nelle de  l'industrie  de  la  laine,  c'est  autour  de  ce  dernier  métier  à  tisser 
que  se  sont  conservées  les  vieilles  croyances  et  les  vieux  rites.  Le 
métier  neuf,  celui  dont  se  servent  les  hommes,  les  ignoie  à  peu  près 
complètement. 

Ces  traditions  de  la  laine,  conservées  par  les  femmes,  se  sont  main- 
tenues dans  les  villes  beaucoup  plus  qu'on  ne  serait  tenté  de  le  croire  au 
premier  abord,  puisqu'il  est  entendu  que  les  villes  sont  bien  plus 
exposées  que  les  campagnes  à  l'action  des  influences  nouvelles.  Cepen- 
dant, même  urbaine,  une  industrie  féminine  est  assez  peu  accessible 
à  celles-ci  :  beaucoup  nioins  qu'une  industrie  masculine.  Cela  tient 
sans  doute  à  la  séparation,  si  importante  dans  la  vie  nord-africaine, 
entre  les  deux  sociétés,  masculine  et  féminine,  et  aux  conditions  par- 
ticulières à  chacune  d'elles  :  la  première  seule  est  en  contact  avec  le 
monde  extérieur,  et  ses  nouvelles  acquisitions,  de  quelque  ordre 
qu'elles  soient,  ont  souvent  bien  du  mal  à  passer  dans  l'autre  société. 

Cela  nous  explique  pourquoi,  en  étudiant  les  rites  qu'observent 
encore  aujourd'hui  les  tisseuses  de  tapis  de  Rabat  (2),  le  principal  cen- 

ber,  Technique  des  poteries  rifaines  du  Zerhoun  {Hespéris,  1923,  fasc.  3);  sur  celles  des 
villes,  A.   Bel,  Les   industri>es  de   la   céramique   à  Fcs,    Alger,    1918. 

(i)  Voir  la  description  de  ce  métier  dans  Bel  et  Bicard,  Le  Travail  de  la  laine  à  Tlem- 
cen,  Alger,  19 13,  p.  63-78.  On  trouvera  aussi  la  description  des  deux  sortes  de  métiers, 
et  des  hypothèses  sur  leur  origine  dans  Stuhlmainn,  Ein  kulturgeschichtlicher  Ausflug  in 
den  Aures,  Hambourg,  1912,  p.  ii3-i2i.  Cf.  aussi  le  imétier  de  Figuig,  in  Pariel,  La  mai- 
son à  Figuig,  Bévue  d'Ethnographie  cé  de  sociologie,  1912,  p.  275-276;  celui  du  Mzab, 
in  Marcel  Mercier,  La  civilisation  urbaine  au  Mzab,   Alger,   1922,  p.    242-2M. 

(2)  J'adresse  ici  mes  plus  vifs  remerciements  à  Mlle  R.  Bazet,  directrice  de  l'école  ouvroir 
indigène  de  Raibat,  dont  l'obligeance  a  facilité  mes  recherches,  et  qui,  sur  quelques 
points,  a  bien  vouhi  enquêter  elle-même  d'après  mes  indications.  Il  est  en  effet  des  que» 
lions  sur  lesquelles  l'enquête  est  pratiquement  impossible  à  iMi  hoim'me  :  seule  une  femme 
peut  obtenir  les  renseignements  désirés,  et  une  femme  qui  ait  su  gagner  l'entière  confiance 
des  musulmanes    :  ce  qui  se  rencontre  rarement. 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RARAT  147 

tre  urbain  de  cette  industrie  au  Maroc,  on  peut  retrouver,  très  vivan- 
tes, les  traces  de  croyances  extrêmement  anciennes.  Certes,  le  tapis 
de  Rabat,  sous  sa  forme  actuelle,  est  relativement  récent;  il  a  peut- 
être  un  siècle  et  demi  d'existence,  et  l'on  pourrait  reconstituer  ses  ori- 
«j-ines.  Mais  quels  que  soient  les  modèles,  orientaux  et  locaux,  dont 
elles  se  sont  inspirées  pour  le  composer,  ce  sont  des  ouvrières  qui 
l'ont  créé;  elles  ont  transformé  le  dessin  du  tapis  qu'elles  tissaient  sur 
leur  très  ancien  métier:  mais  celui-ci  n'en  fut  pas  changé  le  moins  du 
monde  (i). 

Ce  métier,  à  haute  lisse,  est  d'une  remarquable  simplicité.  Deux 
grands  montants  verticaux,  en  bois;  deux  poutres  horizontales,  l'une 
en  haut,  l'autre  en  bas,  entre  lesquelles  est  tendue  la  chaîne;  dans 
l'intervalle  compris  entre  ces  poutres,  trois  roseaux,  passés  horizon- 
talement entre  les  fils  de  chaîne.  L'un,  supérieur,  les  maintient  inri- 
mobiles  vers  le  haut;  l'autre,  inférieur,  en  immobilise  vers  le  bas  la 
moitié,  à  laquelle  il  est  attaché;  les  fils  laissés  libres  par  lui  sont  alter- 
nativement tendus  et  distendus  par  le  jeu  du  troisième  roseau,  que 
l'ouvrière  tantôt  lève  et  tantôt  abaisse:  ce  qui  lui  permet  de  glisser  les 
fils  de  trame  entre  les  fils  de  chaîne,  et  de  nouer  les  nœuds  de  laine  qui 
forment  le  dessin.  Le  métier  nécessite  quelques  rares  accessoires, 
dont  les  principaux  sont  un  lourd  peigne  de  métal  destiné  à  serrer 
le  tissu,  et  un  couteau  qui  sert  à  couper  les  fils  de  laine  teinte  avec 
lesquels  sont  faits  les  nœuds. 

C'est,  on  le  voit,  très  rudimentaire;  mais  tout  cela,  montants, 
roseaux  et  accessoires,  est  susceptible,  à  l'occasion,  de  jouer  son  rôle 
magique.  Pris  ensemble  ou  séparément,  ces  instiuments  peuvent  don- 
ner des  indications  sur  l'avenir,  analogues  à  celles  que  nous  avons  vu 
déjà  demander  par  les  femmes  au  cours  des  travaux  préliminaires  de 


(i)  Les  tisseuses  de  Rabat  se  rendent  fort  bien  compte  de  l'orig'ine  mixte  diu  tapl<i 
qu'elles  tissent,  où  se  retrouvent  à  la  fois  des  motifs  décioratifis  orientaux  et  locaux. 
Elles  (racontent  à  ce  sujet  cette  jolie  légende  :  une  cigogne  passait  un  jour  sur  Rabat, 
portant  dans  son  bec  un  morceau  de  tapis  qu'elle  avait  pris  en  Orient,  chez  les  Turcs. 
Elle  le  laissa  échapper  :  il  tomba  sur  une  certaine  maison,  qu'on  connaît  encore.  Ti  y 
avait  là  des  femmes  intelligentes,  qui  copièrent  sur  leur  métier  ce  morceau  de  tapis  en 
y  ajoutant  les  objets  qui  étaient  autour  d'elles  :  les  verres  dams  lesquels  elles  buvaient 
du  thé,  les  oiseaux  sur  les  branches  d'arbres,  bien  d'autres  encore,  et  jusqu'aux  pattes 
de  la  cig-ogne   :  ce   sont  en  effet  les   noms  d'autant  de   motifs  anciens. 


148  HENRI   BASSET 

la  laine;  ils  peuveiil  même  inlluencei-  la  destinée  de  qui  a  recours  à 
leurs  bons  offices.  La  jeune  lille  qui  alleinl  ses  vin<il  ou  vingt-cinq 
ans  el  commence  donc  —  nous  sommes  chez  les  musulmans  —  h 
devenir  une  vieille  tille,  emprunte  à  une  tisseuse  toutes  les  pièces  qui 
composent  le  métier  et  lous  les  accessoires.  Rlle  se  procure  ensuite  de 
l'eau  de  sept  puits  différents  et  découverts,  sept  puits  «  dans  lesquels 
le  regard  de  Dieu  se  reilcte  »  :  celte  prescription  est  fréquente  en  magie 
nord-africaine.  Et  le  vendredi,  à  Iheure  de  la  [)rière  solennelle  du 
zohor,  disposant  aulour  (TclK»  pièces  démoulées  du  métier  el  acces- 
soires, elle  les  lave  avec  cette  eau.  Quand  une  femme  mariée  n'a  pas 
d'enfant,  elle  procède,  pour  en  avoir,  exactement  de  la  même  manière. 
Cette  pratique,  qui  a  été  relevée  à  Tlemcen,  existe  aussi  à  Rabat,  et  en 
bien  d'autres  endroits  de  l'Afrique  du  Nord;  on  y  remarquera,  et  c'est 
loin  d'être  le  seul  exemple  d'un  si  étrange  mélange,  l'uuiou  iutime  des 
croyances  magiques  et  des  rites  de  l'oithodoxie  musulmane. 

Le  peigne  de  fer  qu'on  emploie  pour  resserrer  le  tissu  peut  servir 
au  même  usage  magique  que  le  peigne  à  carder.  Mais  les  roseaux  du 
métier,  surtout,  semblent  doués  d'un  pouvoir  particulier.  Le  roseau, 
d'une  manière  générale,  joue  un  grand  rôle  dans  nombre  de  cérémo- 
nies et  de  pratiques  magiques;  en  outre,  ceux-ci,  dont  le  jeu  permet 
l'entrecroisement  des  fils,  sont  en  rapport  très  direct  avec  la  vie  mys- 
térieuse qui,  nous  le  verrons,  anime  le  métier  :  d'oii  leur  puissante 
vertu.  La  future  mère  qui  veut  connaître  d'avance  le  sexe  et  l'avenir 
de  son  enfant,  s'empare,  sitôt  le  tapis  enlevé  du  métier,  de  l'un  des 
roseaux  et  se  précipite  à  la  porte  de  la  maison  :  voit-elle  un  homme, 
elle  aura  un  fils;  une  femme,  ce  sera  une  fille.  Selon  l'aspect  de  la 
personne,  l'enfant  sera  riche  ou  misérable,  heureux  ou  malheureux; 
il  deviendra  puissant,  ou  restera  d'humble  condition.  Cette  croyance 
n'est  pas  spéciale  à  la  Berbérie;  on  la  retrouve,  sous  une  forme  tout  à 
fait  analogue,  jusqu'en  Suède  et  en  Finlande  :  lorsqu'elle  a  achevé  de 
tisser  une  pièce  d'étoffe,  l'ouvrière  qui  veut  connaître  le  sexe  de  l'en- 
fant qu'aura  la  femme  enceinte  à  laquelle  elle  pense,  sort  de  sa  mai- 
son en  chevauchant  un  bâton  qu'elle  a  mis  en  contact  avec  le  métier  : 
la  vue  de  la  première  personne  qu'elle  rencontre  la  renseigne  (i). 

(i)    Wikman,    Die   Magie   des    Webens   und  des    Webstuhls    in   schwedischen    Volksglau- 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RABAT  149 

Et  ce  n'est  point  la  seule  analogie  qui  se  puisse  constater  entre  les  rites 
du  tissage  dans  deux  régions  aussi  éloignées. 

De  même  que  le  métier  et  ses  divers  accessoires,  les  opérations  du 
tissage  sont  en  rapport  magique  avec  les  événements  de  la  vie  hu- 
maine, principalement  lorsqu'il  s'agit  d'amour  et  de  mariage. 

Le  premier  travail  consiste  à  préparer  les  fils  de  chaîne  :  il  con- 
vient d'abord  de  leur  donner  la  taille  voulue.  On  plante  en  terre  deux 
bâtonnets  à  une  distance  égale  à  la  longueur  du  tapis  projeté.  Une 
ouvrière  munie  d'une  pelote  de  fil  spécial  —  le  fil  de  chaîne  doit  être 
particulièrement  résistant  —  la  dévide  en  allant  de  l'un  à  l'autre  de 
ces  bâtonnets,  faisant  ainsi  autant  de  voyages  que  la  largeur  du  tapis 
nécessite  de  fils  de  chaîne.  C'est,  pour  peu  que  le  tapis  soit  de  grandes 
dimensions,  un  travail  long  et  fatigant;  il  ne  doit  pas  être  interrompu. 
Aussi,  les  ouvrières  peuvent-elles  se  relayer,  à  condition  toutefois 
qu'aucune  ne  soit  remplacée  par  une  femme  de  sa  famille,  car  cela 
leur  porterait  malheur  à  toutes  deux.  Éternuer  au  cours  de  cette  opé- 
ration est  signe  de  mort  pour  soi  ou  pour  quelqu'un  des  siens  :  on 
cite  de  multiples  cas  oii  ce  présage  s'est  vérifié.  Mais  surtout,  l'ouvrière, 
si  elle  n'est  pas  mariée,  et  les  jeunes  apprenties  qui  sont  présentes, 
doivent  se  garder  d'enjamber  le  fil  tendu  :  sinon,  le  jour  de  leurs 
noces,  elles  ne  pourraient  remplir  leur  devoir  d'épouses;  au  contraire, 
si  elles  sont  mariées,  enjamber  ce  fil  est  pour  elles  de  bon  augure. 

Une  fois  la  chaîne  tendue,  et  le  tissage  du  tapis  commencé,  les 
garçons  ne  sauraient  se  glisser,  sans  s'exposer  à  une  mésaventure  de 
même  ordre,  entre  le  montant  inférieur  et  le  sol;  même,  on  s'efforce 
d'en  empêcher  les  tout  petits  qui  marchent  à  quatre  pattes;  bien  qu'on 
ne  les  pense  point  encore  menacés  d'un  châtiment  aussi  grave,  cela 
leur  porte  cependant  malheur  :  ils  sont  insupportables  tant  que  le  tapis 
reste  sur  le  métier,  et,  en  conséquence,  reçoivent  force  tapes  et  puni- 
tions :  c'est  du  moins  ce  que  m'affirma  un  jour  une  ouvrière  en  cor- 
rigeant son  petit  enfant. 

ben,  Acta  Academiae  Aboensis,  Humaniora,  I,  1920.  —  Sel  n  une  coutume  autrefois 
répandue,  et  qu'on  retrouve  en  Allemagne  jusqu'au  milieu  du  xviii®  siècle,  la  femme 
qui  voulait  connaître  le  nom  de  son  futur  mari  tendait  devant  sa  porte  le  premier  fil 
de  sa  journée  :  le  nom  du  premier  homme  qui  passait  était  le  nom  cherché  (Sébillot, 
op.    cit-,  p.    16). 


150  IIEÎNUI    UASSKl 

Mais  de  co  pouvoir  malôruianl  du  luôlitM',  il  est  possible  de  tirer 
des  effets  bienlaisants  :  on  rem[)l(>ie  j>our  mettre  la  vertu  des  jeunes 
filles  à  l'abri  jusqu'à  leur  niaria^»-e.  Une  fois  le  tapis  terminé,  on  ne 
le  détache  pas  du  métier  sans  observ<M'  une  série  de  rites  fort  im- 
portants, sur  lesquels  nous  reviendrons.  Parmi  les  fils  qui  le  retien- 
nent, on  rompt  d'abord  ceux  du  milieu  :  la  maallnia  (maîtresse  ou- 
vrière) fait  passer  successivement  ses  apprenties  par  l'ouverture  qui 
vient  d'être  ainsi  ])ratiquée.  Au  moment  où  chacune  la  franchit, 
la  maîtresse  ouvrière  lui  donne  un  rouj)  sur  les  reins  avec  un  des 
roseaux  du  métier,  en  disant   : 

bènl  ~ ti  n<is,  hait! 

"u!d  'n-nns,  f^aif! 

fille  bien  née,  sois  mnr, 
fds  bien  né,  sois  fil  !  (i) 

Désormais,  môme  le  voudiaicut-i'lles,  elles  sont  à  l'abri  de  toute 
atteinte.  Seuleunent,  il  faudra  avoir  soin  de  délier  le  sortilège  avant 
leur  mariage  {:>.).  Voici  l'un  des  moyens  iMuployés  à  cette  fin  par  les 
femmes  de  Rabat:  métier  et  tapis  y  jouent  encore  leur  rôle.  On 
conserve  soigneusement  la  nira  —  nous  verrons  tout  à  l'heure  l'impor- 
tance capitale  de  cette  ligne  de  nœuds  —  du  premier  tapis  tissé  sur  un 
métier.  Lorsque  la  jeune  fille  se  marie,  avant  la  toilette  rituelle  qui  pré- 


Ci  )  On  rmiarqiicra  dans  ce  dictcm  le  jou  de  mots  obtenu  par  l'emploi  de  doux  subs- 
tantifs sonnant  de  manière  presque  identique. 

(?)  Cette  façon  de  protéf^'or  la  vertu  des  jeunes  filles  est  fort  répandue  dans  l'Afrique  d\i 
Nord,  jusque  dans  les  campagtnes  les  plus  reculées.  Ainsi  M.  Westenmarck  la  note  chez 
les  Ait  Yousi  :  «  ...  la  coutume  veut  que  foute  petite  fille  soit  à  un  moment  donné 
conduite  trois  fois  sous  les  deux  traverses  supérieuires  d'un  métier  à  tisser  portant  une 
trame  préparée,  afin  qu'aucun  homme  ne  puisse  la  déflorer,  et  l'effet  magique  de  cette 
cérémonie  doit  évidenwnent  être  annulé  avant  les  noces.  «  Westenmarck,  Les  Cérémonies 
du  mariage,  au  Maroc,  trad.  .T.  Arin,  Paris,  1921,  p.  i3?i.  Pratique  analog-ue  à  Tlemc«n  ; 
cf.  Doutté,  Magie  et  Beligion,  p.  298  ;  la  jeune  fille  passe  non  pas  à  travers,  mais  sous 
le  métier  :  «  on  présente  la  jeune  fille  à  une  femme  qui  fabrique  des  tapis,  des  couvertiri^s 
ou  des  haïk,  le  jour  où  elle  doit  achever  l'objet  qu'elle  a  sur  le  métier.  Celle-ci  prend 
la  fille  par  la  main  gauche,  et  la  fait  passer  sept  fois  au  dessous  du  métier,  en  lui  don- 
nant chaque  fois  un  coup  de  balai  sur  les  fesses  :  au  septième  coup,  la  maîtresse  ôa 
métier  s'adressant  à  la  fille  doit  prononcer  ces  mots  :  «  Je  t'ai  nouée  par  le  métier,  tu 
ne  seras  dénouée  que  par  le  métier.  »  —  Voir  ibid.  p.  293-294  la  cérémonie  destinée  à 
annuler  celle-ci    :   le  métier  y  joue  son  r^!e,   mais  il   s'y  mêle  d'autres  éléments. 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RAB/VT  151 

cède  sa  conduite  dans  la  maison  de  son  époux,  elle  prend  un  fd  de  cet- 
te nira,  pose  sur  un  bout  le  talon  de  son  pied  droit,  et  tenant  dans  sa 
main  l'autre  extrémité,  fait  passer  ce  Hl  le  long  de  son  dos,  sur  sa  tête, 
et  enfin,  le  retient  entre  ses  dents.  Les  femmes  présentes  coupent  alors 
le  fil,  dont  les  deux  tronçons  sont  consumés  dans  un  brûle-parfum 
placé  entre  les  deux  jambes  de  la  mariée,  de  façon  que  la  fumée  monte 
jusqu'à  elle. 

Il  n'est  pas  bon  qu'un  garçon  assiste  à  l'enlèvement  du  tapis  : 
il  s'exposerait  à  périr  par  le  fer.  Cette  menace  s'explique  à 
l'heure  actuelle  par  le  fait  qu'on  emploie  un  eouteau  pour  détacher, 
sinon,  comme  nous  le  verrons,  les  premiers  des  fils  qui  retiennent  le 
tapis  au  métier,  du  moins  la  plus  grande  partie  d'entre  eux.  Mais  la 
nature  de  ce  châtiment  ne  saurait  justifier  en  dernière  analyse  l'in- 
terdiction d'assister  à  la  cérémonie,  car  rien  n'empêche  les  garçons 
d'être  là  lorsque  l'on  tisse,  opération  pour  laquelle  la  tisseuse  emploie 
un  couteau  chaque  fois  qu'elle  a  noué  un  point.  Il  y  a  bien  plutôt 
danger  d'ordre  sexuel  (i).  Le  travail  de  la  laine,  travail  féminin,  appa- 
raît souvent,  en  Afrique  du  Nord,  dans  l'une  ou  l'autre  de  ses 
phases,  dangereux  pour  les  garçons.  A  Blida,  on  ne  laisse  pas  péné- 
trer dans  la  chambre  où  est  le  berceau  d'un  garçon  de  moins  de  qua- 
rante jours  les  femmes  qui  se  livrent  à  l'un  quelconque  des  travaux 
de  la  laine,  et  l'on  se  garde  d'approcher  de  ce  berceau  de  la  laine 
non  ouvrée  ou  non  tissée  :  nous  avons  vu  déjà  que  la  même  inter- 
diction existe  pour  le  fuseau  (2), 

Quant  aux  croyances  précédentes,  elles  s'expliquent  principale- 
ment, semble-t-il,  parce  fait  que  le  métier  est,  par  sa  destination  mê- 
me, par  le  travail  qui  s'accomplit  sur  lui,  par  le  résultat  qu'il  permet 


(i)   En   Suède,  où  cette   interdiction   existe,  on  oroit  que   le    garçon   perdrait   sa    virilité. 
Wickjnain,    loc.   cit. 

(a)  Cf.  Desparmet,  Ethnographie  traditionnelle  de  la  Mettidja,  Bulletin  de  la  Société 
de  Géographie  d'Alger.  1910.  p-  222.  —  A  Deminat,  rinterdiction  d'assister  à  renl'r'eni.'iit 
du  tissu  est  générale.  Au  moment  où  l'on  va  y  procéder,  on  ferme  la  porte  de  la  chambre 
et  on  la  cale  soigneusement,  afin  que  personne,  hom^me  ou  femme,  ne  puisse  entrer 
(Boulifa,  Textes  berbères  en  ^io^lecte  de  l'Atlas  marocain,  p.  198).  —  «  En  Norvège,  quand 
on  ôte  \e  tissu  de  dessus  le  métier,  personne  ne  doit  entrer  dans  la  chambre  ni  en  sortir, 
sous  peine  d'être  exposé  à  une  attaque  d'apoplexie.  La  porte  est  alors  fermée  et  gardée 
par  quelqu'un   »  (Sébillot,   op.   cit.,  Les  Tisserands,   p.    i/i). 


152  IIENUI   BASSET 

d'obtenir,  en  rapports  tout  à  l'ait  étroits  avec  la  inaf^ne  Hes  nœuds. 
Or,  celle-ci,  en  matière  de  nia^'ie  sexuelle,  joue  un  rôle  exlreniement 
important,  chez  les  [M)pulalions  de  l'Alrique  du  Nord  comme  ailleurs. 
Mais  les  fils  qui  oui  cir  en  eonlacl  avec  ce  réservoir  de  forces  magi- 
ques qu'est  le  métier,  mieux  encore,  ayant  joué  (jiielcpie  rôle  dans  le 
travail  qui  s'élal)ore  en  lui.  en  reçoivent  une  valeur  particulière,  qui 
ne  ressort  pas  nécessairement  à  la  nui^ne  des  nœuds,  ni  à  la  magie 
sexuelle.  En  Algérie,  pour  que  les  silos  soient  iné{)uisal)lcs,  on  y  jette 
mille  grains  d'orge  enl'ermés  dans  une  peau  de  chacal  nouée  par  un 
fil  de  trame  pris  au  métier  (i).  A  Rabat,  on  se  sert  d'un  tel  fil  comme 
remède,  du  moins  |)réventif  :  les  fillettes  l'attachent  autour  de  leur 
front  pour  se  préserver  des  uiaux  de  tête. 

La  laine  prise  au  métier  tient  aussi  une  grande  place,  et  ce  qui  est 
naturel,  dans  les  rites  d'apprentissage.  On  sait  que  chez  les  populations 
nord-africaines,  aucun  apprentissage  ne  se  peut  concevoir  sans  l'inter- 
vention d'un  saint:  sa  grâce  est  bien  plus  nécessaire  encore  que  l'ap- 
prentissage manuel,  dont  elle  dispense  souvent.  Chaque  métier,  et 
presque  chaque  opération,  a  son  patron  attitré.  Le  tissage  ne  fait  pas 
evception.  A  Rabat,  lorsqu'une  fillette  ne  fait  aucun  progrès  dans 
cet  art,  on  s'adresse  à  Lalla  Zîneb  el-'A'idiyya,  dont  la  qoubba  s'élève 
rue  Souïqa.  On  raconte  que  cette  Lalla  Zîneb  était  une  tisseuse  qui  tra- 
vaillait très  vite:  elle  réussit  un  soir  à  terminer  un  tapis  commencé  le 
matin  même.  Aussi,  dit-on  aujourd'hui  d'un  travail  hâtivement  fait  : 

hndàk  i-(ol-diàl-l(iUa-^ïnèb  " l-saidnia 

C'est  un  ouvrage  digne  de  Lalla  Zîneb  el-'Aïdiyya  (2). 

et  l'on  en  conclut,  peut-être  abusivement,  que  le  tapis  de  la  sainte 
était  fort  mal  fait.  Pourtant,  c'est  à  ses  bons  offices  qu'on  a  recours 
pour  délier  les  doigts  de  l'enfant.  On  la  conduit  à  sa  qoubba,  après 
s'être  muni  de  raisins  secs,  que  l'on  mange  dans  le  sanctuaire.  En- 
suite on  fait  absorber  à  l'enfant,  dans  un  peu  de  lait,  un  flocon  de 
laine  recueilli  sur  le  tapis  en  cours  de  tissage;  et  elle  dit  en  même 
temps  : 

(i)  Desparmet,  Re-ue  Africaine,  1919.  p.  276,  d'après  le  livre  de  magie  d'Ibn  el-Hâjj. 
(a)    On  dit  aussi  :  c'est  un  tapis  des  Odlad  Sidi  Sridi. 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RABAT  153 

iâ  làlla-zînèh , 

a^teni  "  l-fhâma 
ûftàh-li-bsçrp. 

ûgçuudni  f-treq  "  Ifjèr  ! 

Lalla  Zîneb,  donne-moi  l'intelligence,  ouvre-moi  la  compréhension,  et 
conduis-moi  dans  le  bon  chemin. 

Lorsque,  pour  une  raison  quelconque,  la  fillette  ne  peut  pas  être 
conduite  à  la  qoubba  de  la  sainte,  la  maîtresse  ouvrière  prend  un 
flocon  de  laine  au  tapis  attaché  au  métier,  le  pose  un  instant  sur  sa 
tête,  et  le  fait  absorber  sur  place,  dans  un  peu  de  lait,  à  son  apprentie. 
Celle-ci  alors  lui  baise  la  tête  et  les  mains,  et  la  /inaîtresse  ouvrière 
prononce  elle-même  la  formule  consacrée  :  <<  Que  Lalla  Zîneb  te  don- 
ne l'intelligence...   » 

Au  reste,  il  n'est  pas  mauvais  de  stimuler  par  d'analogues  pratiques 
le  zèle  et  l'habileté  des  apprenties,  même  si  l'on  n'a  nullement  à  s'en 
plaindre.  Lorsque  l'on  tisse  un  tapis,  on  indique  par  trois  nœuds  de 
laine  blanche  glissant  le  long  d'un  fil  de  chaîne  l'endroit  où  doit  se  ter- 
miner chaque  bordure,  et  le  centre  du  tapis.  Lorsque  celui-ci  est  ter- 
miné, la  maîtresse  ouvrière  recueille  la  laine  de  ces  trois  nœuds  de 
repère,  la  met  dans  sa  bouche,  l'imbibe  d'un  peu  de  stalive  et  la  partage 
entre  ses  apprenties.  Celles-ci  doivent  alors  absorber  ces  brins  de  laine 
dans  un  peu  d'eau,  en  ^'inclinant  au-dessus  de  la  tête  de  la  maîtresse 
ouvrière. 

Dans  tous  ces  cas,  on  voit  que  le  rite  essentiel  est  l'absorption  du 
flocon  de  laine.  L'on  crée  ainsi  entre  le  métier,  la  laine  et  l'ouvrière 
un  lien  magique,  qui  fut  mis,  postérieurement  peut-être,  sous  l'égide 
de  la  sainte.  Mais  le  rôle  de  cette  dernière  n'est  pas  superflu  :  le  flo- 
con de  laine  a  été  en  contact  avec  elle,  ou,  à  son  défaut,  avec  la  maî- 
tresse ouvrière;  il  transmettra  donc  en  outre  à  l'apprentie  les  qualités 
de  ces  tisseuses  émérites.  Le  rite  est  particulièrement  net  dans  le  der- 
nier cas:  on  sait  le  rôle  de  la  salive  comme  véhicule  de  baraka. 

Lalla  Zîneb  el-'Aïdiyya  est  particulière  à  Rabat.  Les  gens  de  Salé 
n'ont  point  recours  à  elle:  ils  ont  leur  sainte  à  eux.  Il  n'y  a  pas  là  seule- 
ment une  -marque  de  l'antagonisme  traditionnel  qui  sépare  les  deux 
cités:  l'industrie  du  tissage  est  trop  répandue  pour  que  les  tisseuses  de 
chaque  ville  n'eussent  point    éprouvé  le  besoin  d'avoir  à  portée  de  la 


154  HENRI   BASSET 

main  une  prolectiice  à  laquelle  (»lles  pussent  avoir  recours  en  tout 
lemps,  el  s'adresser  lihrenu'nl  coninie  à  l'une  des  leurs  (i). 

I>e  même  que  les  rites  de  la  préparation  de  la  laine,  ceux  du  tis- 
sao^e  sont  de  deux  sortes  :  les  rites  qui  se  rapportent  à  la  vie  des  ou- 
vnèixîs,  et  ceux  qui  ont  poin*  but  le  tissaf^e  Ini-même;  ces  derniers 
sont  les  plus  importante.  Le  métier  vide  n'est  qu'un  assemblage  de 
poutres  et  de  roseaux;  sitôt  le  fd  de  chaîne  tendu,  sitôt  le  travail 
commencé,  le  métier  s'anime  d'une  vie  qui  lui  est  propre  et 
persistera  jusqu'au  moment  où  le  tapis  sera  détaclié  de  lui.  Le  métier, 
sans  métaphore,  est  une  personnalité  vivante  :  les  ouvrières,  qui  le 
vénèrent  et  le  craignent,  sont  unanimes  h  l'affirimer.  Même,  elles 
savent  où  réside  surtout  celte  vie:  c'est  dans  la  n'ira;  elles  entendent 
par  là  la  ligne  des  nœnds  grâce  auxquels  une  partie  des  fils  étant  im- 
mobilisée, le  jeu  des  autres  permet  l'entrecroisement  des  fds  de  trame  : 
là  en  effet  réside  tout  le  secret  du  tissage. 

Une  telle  personnalité  réclame  beaucoup  d'égards;  elle  est  très  sus- 
ceptible. Il  ne  lui  plaît  pas  de  travailler  pour  les  méchants  :  si  celui 
à  qui  est  destiné  le  tapis  n'a  pas  le  cœur  pur,  il  survient,  au  cours  du 
tissage,  tontes  sortes  de  mésaventures.  L'ouvrière  qui  entre  au  ma- 
tin dans  la  chambre  où  est  le  métier,  ne  manque  pas  de  le  saluer;  en 
sa  présence,  elle  ne  se  sent  pas  seide;  elle  doit  se  garder  de  prononcer 
une  parole  désobligeante,  surtout  si  (*lle  s'adresse  à  lui,  et  de  le  traiter 
avec  désinvolture.  Ainsi  il  est  interdit  d'accrocher  à  lui  quelque  vê- 
tement, et  surtout  de  s'asseoir  sur  la  traverse  inférieure;  une  paresse 
insurmontable  s'emparerait  des  ouvrières  :  sans  doute  le  imétier  leur 
aurait- il  transmis  sa  fatigue  ou  celle  de  la  personne  qui  se  serait  as- 
sise sur  lui. 

Une  coutume  qui  semble  avoir  disparu  à  Rabat,   mais  qu'on  re- 


(i)  Auprès  de  la  qoubba  de  Lalla  Zîneb  ost  ceUc  de  Sidi  Mengoût.  qui  de  son  vivant, 
était,  dit-on,  un  forgeron.  Il  exauce  toutes  sortes  de  prières;  mais  on  a  sipécialement 
rcoours  à  lui  pour  guérir  un  enfant  de  sa  paresse.  On  Je  lui  conduit,  les  mains 
liées  derrière  Je  dos;  on  les  détache  dans  la  qoubba  du  saint,  et  l'enfant  lui  demande, 
comme    à   Lalla    Zîneb    :    «    gô''udni  f-lrëq     Ihêr,   conduis-moi    dans    le    bon    chemin.  »   Puis 

il  lui  offre  des  bougies  et  de  l'huile.  Si  les  mains  de  l'enfant  se  délie>nt  d'elles-mêmes 
dans  la  rue  avant  l'arrivée  à  la  qoaibba  du  saint,  c'est  d'excellent  augure.  Le  "sens  du 
rite   est  clair. 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RABAT  155 

trouve  encore  en  divers  points  de  l'Algérie,  veut  qu'on  nourrisse  le 
métier.  On  dépose  sur  les  montants  quelques  grains  de  blé;  ou  i)ien 
l'on  fait  couler  sur  la  nira  quelques  gouttes  du  sang  d'un  poulet  qu'on 
égorge:  c'est  un  véritable  sacrifice  au  métier. 

Celui-ci  n'est  pas  à  l'abri  des  atteintes  du  mal.  Il  redoute  particuliè- 
rement le  mauvais  œil.  Pour  l'en  protéger,  on  a  recours  aux  talismans 
ordinaires:  on  accroche  sur  ses  montants  une  main  découpée  dans 
un  morceau  de  papier,  ou  un  fer  à  cheval;  parfois,  les  deux  ensemble. 
Pour  ne  point  défier  la  fortune,  on  s'abstient  de  supputer  le  profit  que 
fera  la  laine,  ce  que  rapportera  le  travail,  et  l'époque  à  laquelle  il  sera 
terminé.  A  mesure  que  l'ouvrage  avance,  on  enroule  la  partie  achevée 
autour  de  la  traverse  inférieure,  le  menoual;  on  la  recouvre  d'unr- 
étoffe,  et  l'on  évite  soigneusement  de  la  regarder,  car  cela  porterait 
malheur  au  tapis.  Or  c'est  encore  une  pratique  qui  rapproche  le 
travail  de  la  laine  de  celui  des  fruits  de  la  terre:  ainsi,  lorsqu'on 
presse  les  olives,  dans  un  local  qu'on  choisit  généralement  obscur, 
les  canaux  par  oii  l'huile  s'écoule  et  les  réservoirs  oîi  elle  s'amasse 
sont  recouverts  de  paillassons  qui  la  cachent  aux  regards,  et  que  l'on 
ne  saurait  soulever  sans  dommage. 

Cette  puissance  magique  du  métier,  cette  baraka  qu'il  possède,  est 
comme  toutes  les  forces  de  ce  genre,  à  la  fois  bienfaisante  et  redou- 
table. L'homme  qui  en  profite,  sans  en  être  tout  à  fait  le  maître, 
n'en  doit  user  qu'avec  les  pins  extrêmes  précautions,  sinon  elle  ^e 
retourne  infailliblement  contre  lui.  Ainsi  le  métier,  peut  devenir  fu- 
neste aux  hôtes  de  la  demeure  où  il  se  trouve,  si  l'on  n'observe  pas 
quelques  prescriptions  formelles.  On  ne  doit  pas  faire  pénétrer  dans 
une  maison  un  métier  portant  un  tapis  commencé,  car  il  ferait  périr 
un  des  habitants  de  la  demeure  nouvelle  :  peut-être  les  lois  de  l'équi- 
libre magique  exigent-elles  qu'une  existence  disparaisse  pour  com- 
penser celle  que  l'on  vient  d'introduire.  On  peut  heureusement 
tourner  la  difficulté  :  s'il  est  absolument  nécessaire  de  procéder  au 
transport  d'un  tapis  en  cours  d'exécution,  on  écarte  tout  danger  en 
faisant  pénétrer  métier  et  tapis  par  les  terrasses  et  la  cour  de  la 
maison:  magiquement,  ils  ne  sont  pas  entrés.  11  est  interdit  éga- 
lement, sous  peine  de  grands  malheurs,  de  placer  deux  métiers  dan'^ 


156  IIKMIU    MASSET 

la  même  chambre,  on  dans  diMix  chambros  se  faisant  face  :  c''est 
une  CR>yance  très  répanilne  que  deux  barnhn  ne  peuvent  se  rencon- 
trer sans  danger.  Cette  inlerdietion  éluiit  ligoureusement  observée 
à  Rabat  Jusqu'à  ces  tout  deinuMS  leuips.  Mais  les  tapis  de  Rabat 
sont  devenus  à  la  nuxle.  et  se  soûl  \eudus  de  plus  en  plus  cher.  Les 
tisseuses  ont  trouvé  le  moyen,  l'appât  du  t!^ain  aidanl,  de:  concilier 
une  foils  de  plus  les  vieilles  croyances  et  les  nouvelles  conditions 
économiques.  Elles  se  sont  avisées  qu'on  pouvait  monter  deux  mé- 
tiers dans  la  même  pièce  sans  rien  avoir  à  craindre,  si  il'on  prenait 
la  précaution  de  les  séparer  par  quelque  talisman,  comme  par  exem- 
ple un  kcskâs  (t)  de  tern^  à  c'wm]  Irons.  On  connaît  la  valeur  prophy- 
lactique loul  à  l'ail  liénéialc  du  ehilïic  cJTiq  dans  l'Afrique  du  Nord. 

On  aperçoit  déjà  les  priiu-ipaux  traits  de  cette  existence  magique 
qui  est  celle  du  métier  à  tisser.  Mais  nulle  part  le  caractère  de  cette 
vie  n'ap])araît  aussi  clairement  que  dans  la  cérémonie  dernière,  celle 
qui  a  justement  {K)ur  but  de  la  lui  retirer  :  cette  vie  s'évanouit  en 
même  temps  qu'on  enlève  du  métier  le  tapis  achevé.  On  conçoit 
combien  une  telle  opération  est  délicate  :  l'on  s'attaque  à  une  force 
magique  redoutable,  (]ue  l'on  doit  supprimer  poiu-  jouir  de  son  tra- 
vail, sans  cependant  la  détruire  tout  à  fait,  afin  de  pouvoir  à  nouveau 
se  servir  de  son  effet  bienfaisant.  C'est  un  moment  solenrijel  entre 
tous.  Cela  se  passe  à  la  fin  de  la  journée  :  iil  n'est  pas  bon  de  terini- 
nev  un  tapis  au  début  ou  au  milieu  du  jour.  Toutes  celles  qui  ont 
travaillé  sont  là  :  maîtresse  ouvrière,  tisseuses,  apprenties;  on  a  con- 
vié des  voisines  et  des  amies;  point  de  garçon,  car  cela  leur  porte- 
rait malheur.  On  a  préparé  un  bol  d'eau  :  la  maîtresse  ouvrière  y 
trempe  la  medra,  la  fourche,  et  asperge  de  quelques  gouttes  d'eau 
le  tapis,  en  récitant  cette  formule   : 

sqînâk  fd-doniâ, 
"  sqînâ  J"  lahrd  f 

Nous  t'avons  abreuvé  dans  cette  vie, 
abreuve-nous  dans  l'autre  monde. 


(i)    Marmite    troiiée    où    l'on    fait   cuire    le  couscous. 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RARAT  157 

On  le  traite  comme  les  agonisants  :  à  ceux-ci  aussi,  c'est  un  pieux 
devoir  de  donner  à  boire,  en  leur  pressant  sur  la  bouche  un  li'ngie 
très  blanc  trempé  dans  l'eau,  afin  qu'ils  ne  «  partent  pas  avec  la 
sioîf  »,  et  qu'en  reconnaissance  ils  abreuvent  dans  l'autre  vi'e  ceux 
qui  viendront  les  retrouver.  L'eau  restée  dans  le  bol  qui  a  ainsi  servi 
à  désaltérer  l'e  tapis  est  sacrée  :  on  ne  doit  pas  la  jeter,  <(  car  en  elle 
est  la  vie  du  tapis  »;  on  empêche  les  enfants  d'y  toucher,  parce  que 
s'ils  la  buvaient,  leurs  facultés  intellectuelles  seraient  paralysées. 
On  s'en  débarrasse  en  la  versant  dans  un  pot  de  fleurs:  la  plante  vi- 
vante absorbe  cette  âme. 

Désormais  on  peut  toucher  au  tapis,  le  séparer  du  métier  en  rom- 
pant l'extrémité  des  fils  de  chaîne  qui  le  lient  aux  traverses.  Cela 
ne  se  fait  point  sans  d'ultimes  précautions.  La  maîtresse  ouvrière 
commence  par  la  traverse  supérieure,  et  rompt  d'abord  les  fils  du 
centre  de  la  ligne.  Pour  eux,  elle  n'emploie  pas  le  couteau  :  car  ce 
serait  faire  injure  à  la  laine  que  de  lui  imposer  dès  l'abord  le  con- 
tact du  fer  impur;  elle  les  brûle.  C'est  alors  que  —  rite  adventice  — 
elle  fait  passer  ses  apprenties  par  l'ouverture,  ainsi  qu'il  a  été  rap- 
porté plus  haut.  Enfin  les  derniers  fils  sont  coupés,  le  tapis  est  retiré 
du  métier,  et  celui-ci  n'est  plus  qu'un  cadre  mort  (i).  Mais  ces  rites 
ont  été  bien  observés,  il  reste  prêt  à  ressusciter  sitôt  que  l'on  tendra 
sur  lui  la  chaîne  d'un  nouveau  tapis;  sans  ces  pirécautions,  il  serait 
mort  à  jamais;  et  ce  serait  en  vain  qu'on  s'efforcerait  désormais  de 
tisser  un  tapis  sur  lui. 

Toutes  ces  croyances,  tous  ces  rites,  présentent  d'étranges  analo- 
gies avec  ceux  qu'on  observe  dans  la  culture  de  la  terre.  Par  rapport 
au  tissu  qui  se  crée  en  lui,  le  métier  est  comme  le  champ  par  rap- 
port à  la  moisson  qu'il  porte.  Tout  le  temps  que  le  grain  est  en  lui, 

(i)  On  pourrait  encore  retrouver  çà  et  là  en  Europe  des  vestiges  de  croyances  très  voi- 
sines et  de  rites  analogues  :  «  Dans  la  Flandre  occidentale,  quand  le  tissage  d'une  pièce 
de  toile  est  fini,  on  la  coupe  en  fil  de  penne.  Or  il  est  d'usage  que  les  enfants  de  'a 
maison  tiennent  une  assiette  sous  'e  fil  de  penne  quand  celui-ci  est  doupé,  afin,  comme 
on  dit,  de  recueillir  le  sang  de  cette  pièce  de  toile-  Le  tisiserand,  pendant  qu'il  la  coupe, 
laisse  tomber  de  sa  main  quelques  pièces  de  monnaie  dans  l'assiette,  et  les  enfants  croient 
que  cette  monnaie  sort  de  la  toile  elle-même  et  en  forme  le  sang...  En  Norvège,  celui 
qui  conpe  le  tissu  déjà  prêt  doit  mettre  sur  les  ciseaux  des  charboms  airdents,  sortir  de  In 
chambre  et  les  éteindre  dans   la   cour.    »   (Sébillot,    op.   cit-,   Les   Tisserands,   p.    ii). 


158  HKNUl  BASSET 

le  champ  \ï[  iWnie  vie  merveilleuse  (îoiil  la  rrcollc  csl  le  pioduil. 
Cette  vie  germe  avec  le  grain,  ci\)ît  avec  les  épis,  s'épanouit  en 
même  temps  qu'eux,  et  se  relire  au  mouuMil  où  ils  louilxMit  sous  la 
faucille  du  moissonneur.  Le  champ  demeure  alors  conmie  mort;  il 
mourrait  tout  à  fait  si  par  d'habiles  pratiques  le  laboureur  ne  savait 
lui  restitu'er  une  parcelle  de  cette  vie,  poui-  que  l'année  d'après  il 
puisse  encore  une  fois  renaître,  et  prêter  sa  force  au  grain.  Croyances 
analogues,  et  rites  très  semblables.  Entr(^  la  cérémonie  de  l'enlève- 
ment du  taj)is  (>l  celle  de  la  moisson,  il  y  a  une  analogie  frappante. 
C'est  de  part  et  d'autre  le  même  respect  religieux  devant  cetlie  via 
magique  que  l'on  va  supprimer,  en  prenant  toutes  les  préciaulions 
pour  qu'elle  ])iiisse  riMiailre.  De  même  que,  dans  le  picinic!!'  cas,  c'est 
la  maîtresse  ouvrière  qui  joue  le  principal  rôle,  de  même  la  coupe 
des  premiers  épis  doit  être  faite  par  le  maître  du  champ  ou  par  le 
chef  des  moissonneurs,  qui  porte  le  titre  de  rais,  ou  celui  d'agellid 
(roi)  chez  les  Berbères.  Comme  le  fer  est  proscrit  pour  couper  les 
fils  de  la  laine,  de  même  ces  épis  doivent  être  rucillis  à  la  main. 
Dans  l'un  et  l'autre  cas,  l'on  chante  des  formules,  et  ce  qui  montre 
le  mieux  combien  la  similitude  des  deux  opérations  est  sentie  profon- 
dément par  les  indigènes  eux-mêmes,  c'est  que  ces  formules  sont 
identiques.  Les  tisseuses  ont  adopté  sans  en  changer  un  mot  les  for- 
mules mêmes  de  la  moisson.  Lorsqu'on  enlève  im  tapis  sur  les  mé- 
tiers de  Rabat,  les  femmes  chantent: 

mijl,  tnù^,  ià-fèdd<jnna, 

iâ-sobhân-m  ^l-lâ-imil^, 

qâdèr-bik  mûlânâ  ihiîk! 
Meurs,  meurs,  6  notre  champ  d'orge  ; 
gloire  à  Celui  qui  ne  meurt  pas  1 
Mais  ISotre  Seigneur  peut  le  rendre  la  vie  ; 


ou  encore 


mût,  mut,  iâfédddnna, 
id-sobhân  m'I-ld  imut, 
iahiik-mûlând, 
ba^d-ma-pniit! 
mhèrtûk  r^àlna, 
y,idérsuK  tlrdnna  ! 


LES  RITES  DU  TRAVAIL  DE  LA  LAINE  A  RABAT  159 

Meurs,  meurs,  ô  notre  champ  d'orge  ;  gloire  à  Celui  qui  ne  meurt  pas! 
Notre  Seigneur  te  rendra  la  vie,  après  la  mort;  nos  hommes  te 
laboureront  et  nos  bœufs  te  dépiqueront  (ta  récolte)  (i). 


Les  rites  du  travail  de  la  laine  sont  donc,  en  Berbérie,  nombreux  et 
très  caractéristiques,  ceux  surtout  qui  s'attachent  à  l'archaïque  métier 
à  tisser  encore  employé  par  les  femmes.  Ces  rites,  on  vient  de  le  voir, 
se  divisent  en  deux  grands  groupes  :  les  uns  ont  pour  objet  l'avenir 
des  ouvrières  elles-mêmes,  et  concernent  surtout  l'amour,  le  maria- 
ge et  la  fécondité  ;  les  autres  ont  pour  but  d'aider  le  travail  des  for- 
ces occultes  qui  participent  pour  une  part  prépondérante  à  toutes  les 
transformations  des  brins  de  laine,  depuis  leur  croissance  jusqu'au 
moment  où  ils  sont  devenus  un  tissu. 

Les  premiers  de  ces  rites  semblent,  tout  d'abord,  moins  fonda- 
mentaux: puisqu'ils  ne  font,  en  quelque  sorte,  que  dériver  du  tra- 
vail de  la  laine,  qui,  sans  eux,  pourrait  cependant  être  mené  à  bonne 
fin  ;  tandis  que  les  autres,  dans  l'esprit  des  ouvrières,  sont  1«l  condi- 
tion même  de  ce  travail,  plus  encore  que  ne  l'est  l'œuvre  de  leurs 
mains.  Cependant,  il  ne  faudrait  pas  croire  qu'ils  représentassent  une 
innovation  récente.  Un  instrument  doué  d'une  puissance  aussi  con- 
sidf'n^able  dut  être  de  tout  temps  le  centre  de  nombreuses  pratiques  do 
magie.  D'autre  part,  les  rites  de  ce  genre  que  nous  avons  observés  en 
Berbérie  ne  sont  pas  sans  rapport  avec  ceux  que  l'on  rencontre  dans 
des  pays  parfois  lointains,  comme  la  Scandinavie.  Sans  doute,  les  con- 


(i)  Voir  des  exemples  de  ces  formules  dans  Westermarck,  Cérémonies  and  Belief  connec- 
ted  with  agriculture...,  Helsingfars,  igiS,  p.  2/1-25  ;  Laoust,  Mots  et  Choses  berbères, 
p.   376-379.   —  On   retrouve  chez   les   Hayaïna   (est  de  Fès)   une   formule   toute    semblable  : 

mût^  yâ  feddànna 

suhhân  men  là  imût^ 

kadar  mulâna  yahyh 

ba'den  imût^ 
Meurs,  ô  notre  champ;  gloire  à  Celui  qui  ne  meurt  pas  !  Notre  Seigneur  peut  le  res- 
susciter après  qu'il  est  mort.  (Westermaax;k,  loc.  cit.)  Ce®  formules  sont  quelquefois  ré- 
citées par  les  femmes  :  ainsi  celle  que  rapporte  E.  Lévi-Provençal,  Pratiques  agricoles  et 
fêles  saisonnières  des  tribus  djehalah  de  la  vallée  moyenne  de  VOuargha,  Archives  Ber- 
bères,  1918,   p.    16  du  t.   à  p. 


160  llENKl  BASSET 

dilioiis  du  lra\ail  sont  les  mêmes:  rol(>lï<'  csl  lissée  par  des  l'eiuiiies, 
dont  les  principales  préœoiipalions  sont  parloiii  [)eu  ni)nd)reiises  et 
bien  semblables:  amour,  mariage,  enfanls;  sans  doule  aussi  le  métier 
à  tisser  est  directement  en  rapport  avec  la  miagie  des  nœuds,  dont 
l'emploi  est  général,  pour  des  lins  presque  partout  analogues.  Des 
rites  de  mèmeordie  auraient  donc  [)u  naître  autour  du  métier  à  tisser, 
indépendamment  les  uns  îles  autres,  en  dilTéreuts  pays.  Ou  bien,  de- 
vant leurs  rapports  parfois  si  étroits,  faut-il  envisager  des  inlluences 
réciproquots  du  plulol  une  origine  eoiumuineP  En  ce  cas,  il  faudrait  la 
elierclier  très  loin,  remonter  peut-être  à  l'époqui^  préhistorique  où  un 
métier  à  lisser  déjà  relati\ement  perfectiomié,  comme  l'antique  métiei 
de  Barbarie,  s'est  répandu  en  Occident. 

En  ce  qui  concerne  le  deuxième  groupe  des  rites,  ceux  qui  ont 
Irait  au  travail  même  de  la  laine  —  et  là  encore,  l'Europe  seimble 
avoir  comme  jadis  certaines  croyances  analogues  à  celles  que  nous  re- 
trouvons aujourd'hui  chez  les  tisseuses  nord-africaines  —  une  obser- 
vation s'impose  dès  l'abord:  la  laine  est  considérée  comme  un  produit 
du  sol,  de  même  ordre  que  le  grain  et  l'huile,  et  traitée  en  conséquen- 
ce. Comme  le  grain  et  l'huile,  elle  possède  une  vertu  particulière, 
éminemment  bienfaisante,  mais  dont  il  serait  dangereux  d'user  san'^ 
de  minutieuses  précautions.  Nulle  part  ce  caractère  sacré  de  la  laine, 
si  semblable  à  celui  que  l'indigène  prête  au  grain,  n'apparaît  aussi 
clairement  que  dans  les  rites  du  tissage:  le  métier  est  au  tissu  ce  que 
le  champ  est  à  la  moisson,  le  cadre  nécessaire  pour  que  s'épanouisse 
et  se  transforme  la  vie  de  la  laine  ou  du  grain  ;  et  les  rites  se  répon- 
dent. Placé  devant  le  mystère  de  la  création,  l'homme  peu  civilisé  ne 
peut  comprendre  qu'une  matière  nouvelle  puisse  naître,  une  autre 
changer  d'aspect,  par  la  seule  œuvre  de  son  industrie.  Son  esprit, 
avide  d'explication  mystique,  en  forge  ou  en  adopte  une,  et  l'appli- 
que ensuite  systématiquement  à  tout  ce  qui,  dans  la  nature,  lui  pa- 
raît pouvoir  s'y  prêter. 

Henri  Basset 


LES  RUINES  DE  TINMEL 


Tinmel  a  été  tiré  de  son  oubli  par  M.  Doutté  qui  en  a  placé  dans  son 
ouvrage  En  tribu,  une  magistrale  description  à  laquelle  il  n'y  a  rien 
à  reprendre.  Comme  on  ne  pourrait  refaire  ce  travail  sans  répéter, 
moins  heureusement  certes,  l'excellente  étude  de  M.  Doutté,  nous  nous 
contenterons  de  préciser  quelques  points  encore  peu  clairs,  soit  d'après 
des  renseignements  pris  sur  les  lieux  mêmes,  de  la  bouche  des  gens 
du  pays,  soit  à  Marrakech,  dans  la  bibliothèque  du  oadi  Moulay  Mostafa 
et  d'après  ses  conseils. 

Le  lieu  appelé  ïinmel,  ïinmal,  ou  Tinmelel  est  situé  dans  la  vallée 
même  de  l'oued  Nfis  à  six  kilomètres  en  amont  de  ïalat-n-Yaqoub. 
La  grande  piste  de  Marrakech  à  Taroudant  laisse  donc  Tin-mel  à  sa 
droite. 

Suivant  une  direction  franchement  Ouest,  on  quitte  Talat-n-Yaqoub 
par  un  sentier  rocailleux,  parmi  les  éternels  champs  en  terrasses  sur 
la  rive  droite  de  l'oued. 

A  j4  kilomètres,  on  passe  a  gué  sur  la  rive  opposée.  Il  se  trouve  là 
une  petite  ride  de  teirain  qu'on  franchit  avec  une  extrême  facilité. 
Immédiatement  après,  Tinmel  commence.  L'agglomération  actuelle  se 
devine  plus  qu'elle  ne  se  voit  entre  les  boqueteaux  rabougris,  couchée 
à  la  partie  inférieure  du  plan  incliné  de  la  montagne  sur  la  rive  gau- 
che. 

A  nos  pieds  s'étale  un  vieux  cimetière  de  dimensions  disproportion- 
nées ;  il  n'est  d'ailleurs  pas  désaffecté  et  on  y  enterre  encore.  Asem- 
del  Amghar:  le  cimetière  du  chef,  annonce  le  guide.  C'est  dans  ce 
cimetière  qu'on  a  montré  à  M.  Doutté  l'endroit  oîj  dormirait  son  der- 
nier sommeil  Ibn  Toumert,  le  Mahdi  des  Almohades;  une  tombe  plus 

(i)  Les  pliotopraphic-;  jointes  à  col  article  sont  l'œuvre  du  regrette  Wattier, 
Inspecleur  des  Eaux  et  Forêts  à  Marrakech,  qui  avait  adressé  en  même  temps  à  Iles- 
péris  une  courte  note  sur  les  ruines  de  Tinmel.  Ayant  appris  que  la  partie  d'un  travail  du 
D""  Ferriol  sur  le  même  sujet  était  sous  presse,  il  retira  le  sien,  en  voulant  bien  autoriser  Hes- 
péris  à   publier    les    magnifiques    documents  que  l'on  trouvera  ici.  (N.  D.  L.   R.) 

HESPÉRis   —  T.  II.  —  1922.  Il 


162  0'  FRRRIOÎ, 

grande  que  les  autres  sérail  la  sienne,  tout  près  du  mausolée  branlant 
de  Lalla  Himmit  'Azza,  patronne  du  lieu. 

On  verra  plus  loin  ce  qu'il  faut  penser  de  cette  assertion  dont 
M.  Doutté  lui-même  a  fait  justice.  Si  réellement  ce  cinu'tière  remonte 
à  l'époque  des  Mmohades,  —  et  il  est  très  vraisemblable  qu'il  en 
soit  ainsi  —  il  a  dû  servir  à  la  tribu  des  Ait  Amgliar,  dont  il  aurait  en- 
core conservé  le  nom,  et  formée  des  parents  d'Ibn  ïoumert.  Au  reste 
ces  trépassés  dorment  aujourd'hui  sous  la  protection  de  cette  Lalla 
llimmit  "Azza.  la  uùivc  aux  deux  tombes,  le  corps  de  cette  sainte  per- 
sonne ayant  fait  jadis  l'objet  d'une  dispute  entre  les  gens  de  Tinmel 
et  les  Zenaga. 

Suivant  toujours  le  chemin  dans  la  direction  Ouest,  on  atteint,  500 
mètres  plus  loin,  le  ra\in  do  Talat  n-Waqba:  c'est  une  crevasse  à  pic 
dans  le  plateau  ;  elle  servait  de  défense  naturelle  aux  re^nparts  de  la 
ville  qui  dominaient  d'une  quarantaine  de  mètres  le  talus  opposé  du 
ravin.  Entre  celui-ci  et  les  murs  extérieurs  s'étend  un  espace  de  trois 
cents  mètres,  en  pente  assez  raide  dans  sa  partie  Nord,  plus  douce 
au  Sud  du  côté  du  Nfis.  Il  s'y  trouve,  tout  à  gauche  du  sentier,  une  ci- 
terne sans  âge,  sur  la  droite,  huit  haouch,  sur  la  signification  des- 
quels notre  guide  ne  veut  rien  révéler  de  précis:  «  Ils  servent,  dit-il, 
au  jeu  de  balle,  ce  sont  les  enfants  qui  les  ont  élevés  pour  leurs  jeux». 
Explication  peu  plausible  à  moins  que  le  jeu  de  la  balle  ne  fasse  partie 
de  quelque  rite  ancestral. 

Avant  d'aborder  la  description  de  chaque  partie  de  la  vieille  ville, 
il  faut,  pour  avoir  une  vue  d'ensemble  et  situer  le  tout  dans  son  cadre, 
escalader  l'escarpement  qui  surplombe,  au  nord,  les  ruines.  ïaourirt 
N  Tidaf,  la  colline  des  vedettes:  ainsi  la  nomme-t-on  encore,  expliquant 
suffisamment  de  la  sorte  sa  destination  première.  Et  de  fait  il  y  a  au 
sommet,  des  vestiges  de  murettes  en  pierres  sèches,  comme  en  élèvent 
encore  de  nos  jours  les  berbères  quand  ils  montent  la  faction. 

La  petite  ville  almohade  reposait  dans  le  quadrilatère  suivant  : 

Au  sud,  la  ligne  à  peu  près  rectiligne  de  l'oued  Nfis  dont  la  rive 
gauche  servait  de  défense  naturelle  ;  tandis  que  la  rive  droite  très  es- 
carpée porte  les  trois  collines  où  l'Imam  el  Mahdi  allait  chercher  l'ins- 
piration. 

A  l'est,  le  ravin  déjà  mentionné  de  Talat-n-Waqba. 


TlNMEL,    Pl.  I 


La  Vallée  de  l'Oued  Nfis. 


La  Vallée  de  l'Oued  Nfis  et  l'emplacement  des  ruines. 


LES  RUINES  DE  TINMEL  163 

A  l'ouest,  un  ravin  analogue  mais  de  dimensions  bien  moindres: 
Talat-n-W'abdallah,   encore  dénommé  Talat-n-Timezguida. 

Au  nord,  cette  même  colline  des  vedettes  couvrait  la  cité;  le  mur 
d'enceinte  de  ce  côté,  était  bâti  à  mi-pente,  au  point  oii  la  roche  se 
relève  brusquement  et  ne  permet  plus  de  placer  des  maisons. 

Cet  espace  peut  avoir  de  800  à  900  mètres  dans  sa  plus  grande  lon- 
gueur, de  5oo  à  600,  dans  sa  largeur.  La  face  sud  ne  comportait  pas 
de  mur  d'enceinte;  le  côté  ouest  semble  en  présenter  des  vestiges  en 
un  point  immédiatement  derrière  la  mosquée;  à  la  face  nord  corres- 
pondait vraisemblablement  un  simple  mur  en  pierres  sèches,  la  pro- 
tection du  poste  de  vedettes  étant  jugée  suffisante.  Seul  le  côté  de 
l'ouest,  celui  qui  regarde  vers  la  plaine,  le  plus  menacé  par  consé- 
quent, a  conservé  des  vestiges  encore  suffisants  pour  que  l'on  reconsti- 
tue   ce  que  pouvait  être  cette  partie  du  rempart.  En  voici  le  détail  : 

Reprenons  pour  faciliter  la  topographie  le  sentier  à  l'endroit  ou 
nous  l'avons  laissé,  à  côté  de  la  citerne  et  avant  les  murs.  A  droite, 
sur  le  rebord  qui  domine  les  haoucli,  les  restes  d'une  énorme  tour 
beaucoup  plus  massive  que  les  autres  attire  la  première  le  regard.  Elle 
mesure  environ  8  mètres  sur  4.  Jusqu'à  hauteur  d'hoanme,  les  construc- 
tions sont  en  pierre  du  pays  retaillée  et  cimentée  avec  un  mortier  à  la 
chaux  d'une  teinte  rouge,  résistant  ;  au  dessus  est  un  beau  pisé  à  la 
chaux  épais  d'un  mètre  et  demi,  à  l'intérieur  duquel  sont  inclus  de 
gros  madriers  et  des  pierres.  Le  sol  de  cette  tour  est  occupé  par  le  dé- 
blai de  la  toiture  qui  doit  s'être  augmenté  de  débris  de  toute  sorte,  car 
on  y  voit  quantité  de  dalles  ardoisées  Jetées  là  pêle-mêle.  Les  indigènes 
ont  placé  ici  un  sanctuaire  (ils  en  ont  mis  partout  dans  ces  ruines), 
dédié  à  un  seyyid,  Moulay  Yaqoub,  qui  ne  serait  autre  qu'el-Mansour, 
le  plus  grand  des  bâtisseurs  du  Moghreb.  Ils  prétendent  que  c'est  là  son 
tombeau.  Ses  fidèles,  ignorants,  en  font  un  fils  de  ce  Moulay  Yaqoub 
de  Fès,  patron  des  sources  sulfureuses.  Chose  remarquable,  ce  prince 
est  le  seul  de  sa  dynastie  dont  le  nom  soit  parvenu  jusqu'aux  grossiers 
habitants  de  la  ïinmel  moderne.  Abd  el-Moumen  lui-même  n'est 
qu'un  inconnu  dans  sa  patrie  d'adoption,  dont  il  a  porté  si  haut  la 
gloire. 

A  droite  et  à  gauche  de  cette  tour  majeure  continuait  le  mur  d'en- 
ceinte, flanqué  de  tours  nombreuses  mais  de  dimensions  sensible- 


464  rt'  FEHRIOL 

ment  réduites  de  moitié  ;  elles  ne  s'élèvent  guère  plus  haut  que  la 
terre  qui  les  environne,  ni;»is  on  les  roconnaîl  à  la  liace  laissée  par 
récroulement  du  pisé,  les  tas  s>inélriqiies  de  terre  rouge  en  marquent 
l'emplacement  ;  elles  devaient  étie  moins  soignées  que  la  tour  de 
Yaqoub  el-Mansour. 

Il  y  en  a  ainsi  7  à  droite  de  cette  dernière,  puis  on  arrive  à  Bab 
Ighli  ou  porte  d'entrée.  M.  Doutté  a  pu  encore  admirer  son  arc  dis- 
joint, il  s'est  complètement  affaissé  depuis.  L'emplacement  n'en  est 
plus  marqué  que  par  un  double  seuil,  car  c'était  une  poite  (ui  chicane 
comme  les  portes  actuelles  de  Marrakech,  dont  elle  était  loin  d'avoir 
les  proportions.  Les  pilastres  extérieurs,  en  [)ierre  taillée,  ne  s'élèvent 
plus  qu'à  un  mètre  et  demi  du  sol. 

Toujours  à  droite,  après  la  porte,  une  partie  du  nuu' e\téri(Mir  est  en- 
core debout.  Il  mesure  ^"'^^o  d'épaisseni'  et  est  également  biiti  en 
pierre  retaillée  avec  mortier  à  la  chaux.  Ce  coin  devait  être  un  des 
plus  soignés  de  l'enceinte  et  il  ne  pouvait  en  être  autrement  puisque 
c'est  par  là  que  pénétraient  les  Almohades  venant  on  pèlciinage  aux 
tombeaux  de  leurs  ancêtres.  On  voit,  dans  les  chroniques  de  l'époque, 
les  premiers  souverains  de  la  dynastie  manifester  à  tout  moment  leur 
sollicitude  pour  la  cité  du  Mahdi. 

On  compte  après  Bab  Ighli  encore  4  tours  en  pierre  car,  depuis 
la  porte,  tout  pisé  à  disparu;  ces  gens  construisaient  apparemment 
avec  les  matériaux  les  plus  près  de  leur  main,  en  pisé  dans  les  endroits 
où  se  trouvait  de  la  terre,  en  piern^  quand  le  rocher  afileurait. 

Après  ces  dernières  tours,  le  trajet  du  nmr  n'est  plus  marqué  que 
par  un  entassement  informe  de  cailloux  :  on  n'y  peut  plus  rien  relever 
qui  en  puisse  indiquer  la  contexture.  Peut-être  le  mur  primitif,  qui 
ne  pouvait  être  que  la  continuation  de  celui  de  Bab  Ighli,  ayant  subi 
quelques  déprédations,  fut  remplacé  par  un  modeste  mur  en  pierres 
sèches  quand  sombra  la  fortune  de  Tinmel.  Ce  sont  les  débris  de 
celui-ci  qui  jonchent  le  sol. 

Sur  le  côté  nord,  la  trace  est  encore  moins  visible,  l'entassement 
des  cailloux  se  perd  au  milieu  des  rochers  ou  s'égare  parmi  les  restes 
d'autres  murs  dont  on  ne  peut  dire  l'origine.  Dans  ce  dédale,  il  est  im- 
possible désormais  de  retrouver  le  fil  :  seules,  des  fouilles  méthodiques 
pourraient  donner  quelques  résultats. 


LES  RUINES  DE  TINMEL 


165 


•  1  l.r.l: 


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40 


11 


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Fig.  1.  —  Décorations  de  la  maison  du  cheikh  de  Tinmel. 


166 


D^  FKRRIOL 


Les  vestiges  de  murs  sur  la  face  ouest  sont  à  pinne  visibles  du  côté 
de  la  mosquée  ;  cependant  il  nous  a  semblé  voir,  en  un  point,  un 
petit  escarpement  vertical  sur  le  talus  du  Talat-n-w'Abdallaii,  qui 
serait  le  reste  d'un  pan  de  pisé.  IVien  que  les  traces  de  murette  conti- 
nuent de  l'autre  côté  du  ravin,  uous  estiuu.ns  que  c'était  là  la  limite 
de  la  petite  cité  montagnarde. 

L'intérieur  du     quadrilatcre  abrite  quelques     maisons  misérables, 


AT  A 


/\ 


13 


Fig.  2.  —  Décorations  de  la  maison  du  clieikh  de  Tinmel 

groupées  autour  de  la  demeure  du  cheikh,  sur  la  jive  gauche  d'un 
tout  petit  ravineau  :  c'est  le  Tinmel  moderne. 

La  maison  du  cheikh  aurait  encore  quelque  allure  si  elle  ne  se  trou- 
vait à  proximité  de  la  mosquée  du  Mahdi.  Ses  murailles  sont  revêtues 
à  profusion  de  décorations,  dont  les  curieuses  bandes  superposées  cor- 
respondent aux  bandes  du  pisé.  L'ensemble  présente  l'aspect  d'un  ta- 
pis des  plus  bariolés  ;  ces  points,  ces  crochets,  ces  croix,  ces  angles 
et  ces  triangles  sont  bien  à  la  base  de  ces  tapis  Wawsguit,  communé- 
ment vendus  sur  le  souk  de  Marrakech  sous  le  nom  de  tapis  Glaoua 
(fîg.  I  et  2), 

La  mosquée  de  Tinmel,  —  Quelques  pas  plus  loin,  sur  une  légère 
ride  dominant  le  fossé  de  Talat  n-vv^' Abdallah,  s'élève  la  célèbre  mos- 


LES  RUINES  DE  TINMEL 


167 


quée  décrite,  il  y  a  quinze  ans,  par  M.  Doutté,  la  mosquée  du  Mahdi 
des  Almohades.  Les  indigènes  ne  l'appellent  plus  depuis  longtemps 
que  Tlniczguida  toumlilt,  la  mosquée  blanche,  blanche  par  l'intérieur, 
grâce  à  son  revêtement  de  plâtre,  car  la  masse  elle  même  participe 
à  ce  ton  vieux  cuivré  si  commun  aux  monuments  moghrebins. 

L'ensemble  forme  un  carré  d'une  quarantaine  de  mètres  de  côté  ; 
pour  pouvoir  recouvrir  un  pareil   vaisseau  d'une  toiture,   l'intérieur 


Fig.  3.  —  Vieille  mosquée  de  Tinmel  et  réduit  en  pisé  masquant  la  porte  de  droite. 
Ce  réduit  sert  actuellement  de  lieu  de  prière. 

fut  compartimenté  par  une  série  d'arcatiires  sur  piliers  massifs,  en  un 
damier  de  petits  carrés  de  /i  mètres  environ  de  côté.  De  la  sorte  les 
madriers  taillés  dans  le  bois  d'alentour  purent  être  utilisés  en  guise  de 
charpente. 

De  cette  forêt  d'arcades,  il  ne  reste  encore  debout  que  la  travée  sud, 
celle  qui  correspond  au  mur  dans  lequel  est  aménagé  le  mihrab.  Elle 
compte  dans  un  plan  parallèle  à  ce  mur,  huit  piliers  massifs  fort 
bien  conservés.  Entre  chaque  pilier  et  le  mur,  ainsi  qu'entre  deux  pi- 
liers consécutifs,  est  un  arc  en  briques  revêtu  de  stuc  plus  ou  moins 
fouillé  ;  les  arcs  entre  mur  et  pilier  sont  bien  mieux  décorés  que  les 
autres. 

Des  neuf     carrés  ainsi  tracés  dans  cette  travée,   celui  du  milieu. 


168 


D-^  FERUIOL 


plus  spacieux,  répond  au  iiiihrab,  il  portail  une  coupole  aujourd'hui 
écroulée  et  dont  l'amorçage  sur  le  niur  est  encoi-e  visible. 

De  même  les  deux  autres  carrés,  correspondant  aux  deux  angles  de 
cette  travée,  comportaient  chacune  une  coupole  ;  seule  c(»lle  de  l'angle 
Est  tient  encoi^  par  un  prodige  d'éipiilihre,  liuilre  ;i\iuiL  disparu  de- 
puis longtemps. 

Chacune  de  ces  coupoles  au    plafond    très  décoié   était   sui-montée 


Fig.  4.  —  Nids  d'abeille  de  la  "coupole  du  mihrab,  actuellement  détruite. 

d'un  toit  en  tuiles  vertes  en  forme  de  pyramide  très  évasée.  Celle  du 
mihrab  était  à  peine  dominée  par  le  massif  minaret  de  neuf  mètres 
sur  quatre  qui  lui  correspond  extérieurement. 

A  environ  six  mètres  de  hauteur,  le  mur  sud  comprend  une  série 
de  petites  fenêtres  romanes  régulièrement  espacées,  servant  à  donner 
la  lumière  et  à  assurer  la  ventilation.  De  sorte  que,  vu  de  l'extérieur, 
avec  ses  coupoles  et  ses  fenêtres,  ce  mur  présente  de  frappantes  ressem- 
blances avec  celui  de  la  mosquée  de  la  Koutoubia  qui  lui  correspond 
à  Marrakech. 

De  chaque  côté,  dans  les  faces  est  et  ouest,  sont  percées  trois  portes 


TlKMII-,    Pl,    II 


L'Intérieur  de  la  Mosquée    —  Côté  opposé  au  Mihrab. 


La  Mosquée.  —  Travée  du  fond. 


:  CATALA  MIMI.  fAXU 


LES  RUINES  DE  TINMEL 


i69 


monumentales,  dont  les  vantaux  en  cèdre  f^arnis  de  clous  étoiles  ne 
se  distinguent  de  ceux  que  l'on  fabrique  encore  de  nos  jours  que  par 
leurs  proportions.  Entre  leurs  ais  disjoints,  la  piété  des  fidèles  a  en- 
tassé un  nond)re  incalculable  d'ex-voto,  composés  surtout  de  minuscu- 
les cailloux.  Elles  ne  jouent  plus  sur  leurs  gonds;  celles  qui  sont  en- 
tr'ouvertes  le  resteront  définitivement. 

Deux  d'entre  elles  sont  nuirées   ;  l'une  correspond   à  la   mosquée 


Fijï.  ;i. 


Coquille    ornant  un  pilier  en  face  du  mihrab. 


actuelle  de  Tinmel  accolée  à  l'ancienne  ;  l'autre  sert  maintenant  d'a- 
bri aux  pèlerins. 

La  face  nord,  la  plus  maltraitée,  ne  présente  que  quelques  traces 
d'ajnorces  d'arcades. 

D'ailleurs,  toute  la  décoration  intéiieure  semble  avoir  été  réservée  à 
cette  seule  partie  sud,  la  mieux  conservée.  Nous  avons  vu  que  là  était  le 
mihrab.  Tl  y  a  quelques  années,  quand  le  caïd  était  à  Talat  n-Yaqoub, 
les  prières  du  vendredi  y  étaient  encore  dites  en  public.  Voilà  pourquoi 
quelques  mains  pieuses  ont  pris  soin  de  cette  partie  du  vaisseau.  Tandis 
qu'ailleurs  le  sol  disparaît  sous  l'amoncellement  des  moellons,  des  bri- 
ques et  des  plâtras  descendus  a\ec  les  arcs  ruinés  et  la  toitme.  Ici,  le 


170 


1)^  l'KRIUOI. 


sol  est  déblayé  et  im  tains  de  deux  mètres  sépare  cette  partie  du  reste 
de  la  nef  emaliic  |)ai    ime  végétation  déjà  ancienne. 

Tons  CCS  détails  d'onuMMcntation  méritent  d'ôLrc  étudiés  de  près; 
il  Y  a  là  l)eancoiip  à  ap|)rendr(^  sur  l'évolulion  de  l'art  marocain.  Tous 
ces  motifs,  en  ctïcl  se  trouvent  dans  l'aicliitecture  actuelle;  mais  alors 
qu'ici,  ils  sont  traités  largement,  sol)rcment,  par  une  main  sure  d'elle- 
même,  on  les  reconnaîl  dans  les  œuvres  récentes  ridiculenjcnl  rapetis- 


Fig.  6.  —  Entrée  du  milirab. 

ses,  multipliés  à  l'infini  et  noyés  dans  le  fouillis  du  détail. 

Le  mihrab  d'im  style  si  [)iir,  est  le  centre  de  cette  œuvre  de  haut 
goût.  Il  se  détache  d'un  ton  d'ivoire  sur  le  fond  noir  de  sa  niche,  car  la 
piété  des  fidèles  y  a  allumé  longtemps  des  lampes  fumeuses  et  de  longs 
cierg^es  en  cire  du  pays.  Quatre  hnes  colonneltes  supportent  l'admira- 
ble arc  brisé  dont  le  stuc  a  pris  la  patine  du  marbre.  Un  second  le  cir- 
conscrit, et  le  soidigne,  avec  tout  autour  une  grosse  guirlande  à  entre- 
lacs. Par  dessus  sont  trois  grosses  fenêtres  romanes  en  plâtre  ajouré  fi- 
nement travaillé.  Puis  de  chaque  côté  du  mihrab,  s'ouvrent,  ménagées 
dans  l'épaisseur  de  l'arcade,  deux  longues  portes  cintrées  pas  plus 


n^ 


TlNMEL,    Pl.  III 


f 


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.   CATALA    FRtRCI,PA.KlS 


LES  RUINES  DE  TINMEL  171 

larges  que  l'arcade  elle-^même;  elles  donnent  accès  à  deux  pièces 
de  dimensions  exiguës.  Dans  celle  de  droite,  en  legardant  le  mihrab, 
sont  les  restes  d'un  vieux  nrinbar,  objet  de  la  véni'iation  publique,  bien 
que  grossier  et  sans  cachet.  La  pièce  gauche  porte  le  nom  rie  Lbab-n- 
Mekhzen;  il  y  a,  en  effet,  répondant  à  rextérieur,  une  porte  murée, 
par  oij,  dit-on,  entrait  le  prince,  dont  la  maison  était  attenante,  sans 
être  vu. 

Le  mihrab  lui-même  est  désigné  par  les  indigènes  sous  le  nom  de 
menber  (chaire). 

Le  pisé  de  la  bâtisse,  la  conduite  qui  écoulait  les  eaux  de  la  toiture, 
les  briques  elles-mêmes  qui  formaient  la  voûte  des  arcs  irréprochables, 
tous  ces  matériaux  sont  d'un  fini  dont  le  secret  s'est  perdu  ;  il  tranche 
crûment  devant  les  misères  du  présent. 

Et  tout  cet  ensemble,  d'une  éblooiissante  blancheur  sous  l'aveuglante 
lumière  des  altitudes,  est  austère,  noble,  empreint  d'une  vraie  gran- 
deur. Il  s'y  révèle  un  artiste  incomparable,  sûr  de  lui-même,  en 
pleine  possession  de  son  génie.  Son  rêve  mtérieur,  puissant  comme  le 
mouvement  religieux  qui  l'inspira,  simple  comme  la  doctrine  épurée 
des  Almohades,  s'étale  ici  au  grand  jour;  il  éclate  de  tous  côtés  sur  ces 
arcatures  dentelées,  sur  ces  piliers  massifs  aussi  inébranlables  que  le 
dogme  unitaire,  tandis  que  les  fines  eolonnettes  qui  en  soulignent 
les  angles  semblent  placées  là  tout  exprès,  sous  les  mystérieuses  voû- 
tes, pour  rappeler  la  fragilité  des  choses  humaines. 

Serait-ce  là  la  mosquée  désormais  célèbre  dans  laquelle  le  vendredi 
i5  du  mois  de  Ramadan  de  l'an  5i5  (Hégire),  Ibn-Toumert  proscrit  et 
fugitif  se  proclama  «  l'Imàni  Infaillible  »,  le  «  Mahdi  annoncé  »,  ayant 
pour  mission  de  ramener  la  justice  sur  la  terre,  tandis  que  ses  dix 
compagnons,  armés  de  leurs  sabres,  invitaient  le  peuple  à  lui  prêter 
serment  de  fidélité  .►> 

La  mosquée  qui  vit  de  si  humbles  débuts  était  certainement  plus 
modeste.  Le  farouche  réformateur,  qui  anathématisait  de  sa  cinglante 
éloquence  le  luxe  des  Almoravides,  n'aurait  point  toléré  un  tel  luxe 
de  décors.  Les  chefs-d'œuvre  de  ce  genre  ne  peuvent  éclore  qu'aux 
heures  prospères,  dans  la  paix  des  grands  empires.  Il  faut  en  reportei* 
la  date  plus  bas,  après  les  difficiles  commeneements  du  règne  d'Abd 
el-Moumen,  le  premier  et  aussi  le  plus  grand  des  princes  de  la  dynas- 


172  D'  FEHRIOL 

tie.  Le  Mahdi  en  effet,  iiial^^ré  toute  sa  science  et  sa  flamme,  ne  fut 
jamais  qii  un  simj)l<^  chef  de  sect)i;,  un  agitateur  romme  on  en  a  tant 
vus,  et  se«  ressources  furent  touJ<yurs  modesle.s. 

\bd  el-Moumen,  au  cours  de  sa  vie  agitée,  fit  aux  heures  de  reoiieil- 
lement  le  pèlerinage  de  Tinmel. 

Le  Nafh  et-tib  d'e  Makkari  j>ermet  de  situer  à  peu  près  dians  le  temps 
la  constiruetion  du  temph^  :  après  la  pacification  de  l'Espagne, 
les  deux  fils  de  l'émir  Ahd  el  Moinnen,  Vn'isof  et  Yaqoiib,  rappor- 
tèrent en  grande  pompe  de  Cordoue,  l'un  des  quatre  exemplaires  du 
Coran  primitif.  Ce  livre  vénéré,  fui,  avec  les  ouvrages  du  Mahdi,  pla- 
cé dans  un  coffre  ouvragé  et  exposé  à  la  vénération  du  peuple  dans 
la  mosquée  de  la  Kouloubia  alors  en  pleine  conslruclion.  De  lîi,  les 
princes,  en  grande  ponijx',  se  rendiicnl  an  ciin^Mièie  de  Tinmel;  ils 
y  transporlèrtMil  a\ec  eux  les  saints  livres  el  les  exposèrenl  également 
dans  la  mosquée  (pii  venait  à  peine  d'èli'c  terminée.  Ainsi,  les  deux 
édifices,  celui  de  l'inmel  et  celui  de  Marrakech  seraient  contempo- 
rains, et  puisque  les  ressemblances  entre  les  deux  balinu^nts  sont  si 
fraj)[)anles,  il  se  p<Mil  (juini  même  architecte  les  ait  édifiés  tous  deux. 

El-Marrakciii,  (pii  écrivait  à  peine  ceni  ans  après  les  événements 
rapportés,  nous  lail  xoir  \bd  el-Moumen  au  comble  de  sa  gloire,  ve- 
nant en  pèlerinage  à  Timnel.  Obligé,  en  i  i58,  à  la  suite  d'une  sédition, 
d'envoyer  au  supplice  quelques-uns  de  ces  \ït  Arnghar,  proches  pa- 
rents du  Mahdi  qui  avait  failli  campromettre  l'œuvre  commune,  il 
vint  en  suppliant  au  tombeau  du  Maître  et  profita  de  son  séjour  pour 
agrandir  et  embellir  la  mosquée  de  la  ville. 

Les  guerres  d'Espagne  ayant  pris  fin  en  1167,  il  semble  logique  de 
faire  remonter  à  cette  mémorable  année  11 58  la  construction  de  ^a 
((  mosquée  blanche  »,  sous  la  direction  de  quelque  éminent  architecte 
ramené  de  par  delà  le  détroit. 

Un  autre  problème  historique  est  lié  à  ce  monument  où  se  trouvent 
le  lieu  de  la  sépulture  du  Mahdi  et  des  princes  Almohades?  Sans  dou- 
te, cette  splendide  bâtisse  abrita  le  tombeau  d'Ibn  Toumert  et  ceux  des 
princes  de  sa  dynastie.  Nous  aurions  devant  nous  le  pendant  des  sépul- 
tures mérinides  de  Chella  près  de  Rabat  et  des  tombeaux  Saadiens  de 
Marrakech. 

Seul,  le  déblayage  du  sol  de  la  mosquée  peut  nous  renseigner  exiac- 


n^ 


TlNMEL,    Pl.   IV 


La  Mosquée.  —  Mihrab. 


.  CATALA  FIlfllEX.  p 


LES  RUINES  DE  TINMEL  173 

tement  sur  remplacement  des  sépultures  Almohades.  C'est  sous  la  cou- 
che des  matériaux  amoncelés  qu'on  doit  ]e^  retrouver  encore  intacts, 
car  la  sainteté  du  lieu  a  empêché  les  dévaliseurs  d'accomplir  leur  be- 
sogne ;  on  doit  pouvoir  en  effet  reconstruire  le  bâtiment  brique  par 
brique,  car  les  gens  du  pays,  bien  que  fort  indigents  en  matériaux, 
n'en  ont  pas  emportés  une  seule.  L'écroulement  de  la  toiture  doit  re- 
monter à  plusieurs  siècles,  trois  cents  ans  peut-être  [)ui8que  sur  l'amon- 
cellement des  décombres,  un  pistachier  térébinthe  de  dimensions  im- 
posantes a  poussé;  voilà  pourquoi  les  indigènes  depuis  plusieurs  géné- 
rations, ont  perdu  le  souvenir  exact  de  l'emplacement  des  tombeaux. 

On  ne  saurait  donc  sérieuse,ment  exiger  des  habitants  de  la  Tinmel 
actuelle  quelque  précision  à  ce  sujet,  pas  plus  que  sur  la  personne  du 
grand  réformateur  qui  repose  parmi  eux.  C'est  à  peine  si  le  nom  de 
l'Imam  el  Mahdi  est  connu  d'eux.  Le  nom  d'ibn  Toumert  est  inconnu, 
complètement  oublié.  Oubliés  aussi  les  noms  des  quatorze  princes 
ensevelis  dans  la  mosquée  aux  côtés  du  Madhi,  sauf  celui  de  Yaqoub 
el-Mansour. 

Diverses  versions  circulent  au  sujet  du  tombeau  du  Mahdi.  Le  plus 
grand  nombre,  et  parmi  eux,  surtout,  les  gens  du  vulgaire,  croient 
qu'il  est  enterré  à  une  centaine  de  mètres  en  contre-bas  de  la  mosquée. 
Ce  serait  lui  qui  y  est  vénéi'é  sous  le  nom  de  Sidi  Bou  Iffaden  :  le 
père  aux  genoux,  ainsi  nommé  parce  qu'il  guérit  le  mal  aux  genoux 
(Yaqoub  el-Mansour,  par  contre,  coupe  la  fièvre).  Notre  guide  nous 
conduit  vers  un  haouch  de  dimensions  très  honnêtes;  à  l'intérieur 
du  cercle  décrit,  se  dressent  deux  pierres  tumulaires;  le  bord  supérieur 
de  celle  placée  à  la  tête  présente  une  forte  encoche  en  forme  de  crois- 
sant, parce  que  les  femmes  qui  viennent  implorer  le  saint  s'arment 
d'un  caillou  et  frappent  violemment  le  sommet  de  cette  pierre  en 
appelant  le  personnage  à  haute  voix.  Il  n'y  a  que  ce  moyen  violent, 
paraît-il,  pour  être  exaucé.  Tout  autour,  dominant  le  haouch,  est  un 
long  espace  planté  de  jujubiers  arborescents  encore  jeunes,  ce  qui 
dénote  une  tombe  d'invention  récente,  car,  en  ces  latitudes,  des  plan- 
tes ainsi  placées  à  l'abri  du  fer  et  du  feu  par  la  protection  sainte  ne 
tardent  guère  à  atteindre  leur  complet  développement. 

Les  gens  plus  cultivés,  ou  doués  tout  au  moins  d'un  peu  de  sens 
critique,  disent  :  «  Le  Mahdi  est  bien  ce  Sidi  bou  Iffaden,  qui  guérit 


174  ir  KEKhlOL 

le  mal  aux  genoux,  mais  nul  ne  sait  où  il  est  enterré.  Et  ceux  qui  ont 
quelques  prétentions  littéraires  ajoutent  que  le  Mahdi  repose  sous  le 
minaret  même,  clans  un  souterrain,  en  compagnie  de  douze  rois,  ses 
prédécesseurs,  dont  lui-même,  le  dernier  héritier,  l'ut  le  plus  grand 
de  tous. 

il  était  curieux  de  connaître  l'opinion  même  des  indigènes  touchant 
Torigine  des  ruines  de  Tinniel.  Avant  tout,  une  chose;  les  a  frappés  : 
les  dimensions  imposantes  de  la   mosquée. 

Les  fenêtres,  disent-ils,  et  ils  montrent  celles  du  nmr  sud,  percées 
à  six  mètres  de  hauteur,  un  homme  de  nos  jours,  même  monté  sur  un 
dromadaire,  ne  pourrait  les  atteindre.  Les  anneaux  des  portes  étaient 
si  grands  qu'un  homme  les  traversait  facilement  sans  se  haisser.  On 
ne  les  voit  plus  de  notre  lem|js,  parce  que  les  chrétiens  les  ont  enle- 
vés. Et  ils  en  concluent  que,  seids,  des  géants  ont  pu  ouvrir  des 
fenêtres  aussi  haut  perchées  et  forger  des  anneaux  de  porte  dans  les- 
quels un  homme  passait.  En  ce  temps-là  aussi  les  femmes  étaient  gran- 
des, si  grandes  qu'un  cavaliei-  actuel  lancé  au  galop  franchirait  sans 
coup  férir  le  cercle  de  leur  bracelet. 

Quant  à  la  ville  de  Tinmel,  elle  fut  hàtie  en  une  nuit  par  la  fille 
de  l'Imam  el  Mahdi  pendant  que  celui-ci  était  parti  en  expédition'.  A 
son  retour,  l'Imam  trouva  porte  close;  il  lui  fallut  parlementer  lon- 
guement avant  que  la  très  prudente  jeune  fdle  se  résolût  à  faire  ouvrir. 

Pour  être  complet,  -signalons  à  l'extérieur  de  la  mosquée  côté  Sud, 
des  substructions  d'un  périmètre  exigu,  aux  murs  en  pierre  taillée, 
mais  paraissant  trop  minces  pour  pouvoir  remonter  aux  Almohades. 

C'est  la  Tigemi-n-Uguellid,  Maison  du  roi.  Des  fouilles  seules  per- 
mettraient de  se  rendre  compte  si  elle  renferme  des  vestiges  intéres- 
sants. 

D'  Ferriol, 

Médecin  du  Groupe  Sanitairo  Mobile 
de  Marrakech. 


Bibliographie 


J.  Campardou.  —  Ilotes  archcolo 
giques  sur  la  région  de  Taza.  Extrait 
du  Bulletin  de  la  Société  de  Géogra- 
phie et  d'Archéologie  d'Oran,  1921, 
in-8",  22  p.  et  3  pi. 

J'ai  eu  récemment  l'occasion,  ici  mê- 
me, de  rap'pek>r  les  fouilles  exécutées 
par  M.  Cam-pardou  dans  la  région  de 
Taza  et  de  Guercif  ;  les  résultat?  en 
ont  été  exposés  dans  divers  articles, 
notamment  :  La  grotte  de  Kifan  bel 
Ghomari  à  Taza,  La  nécropole  d» 
Taza,  et  Stations  préhistoriques  à 
Guercif  (Bull,  de  la  Soc.  de  Géog. 
et  d'Arch.  d'Oran,  1917  et  1919). 
Revenu  en  France  après  la  démobilisa 
lion,  M.  Campardou  a  rouvert  ses  car- 
nets de  fouilles,  et  en  a  extrait  ce  nou- 
vel article.  On  y  trouvera  les  obser- 
vations qu'il  a  pu  faire  depuis  ses 
dernières  publications  ;  des  conclusions 
sur  certains  points  ;  enfin  tout  un 
programme  de  recherches  dans  ces 
régions. 

L'occupation  du  Toumzit,  grâce  à 
laquelle,  en  1918,  on  a  pu  explorer 
les  abords  de  Taza,  a  permis  à  M. 
Campardou  de  constater  que  la  nécro- 
pole ancienne  n'est  pas  limitée  à  l'é- 
pejon  sur  lequel  s'élève  la  forteresse, 
mais  qu'elle  s'étend  aussi  de  l'autre 
côté  de  l'Oued  Taza,  remontant  les 
pentes   des  contreforts    du     Toumzit; 


elle  i)résento  là  les  mêmes  caractères. 
L'on  ne  peut  que  se  ranger  aux  con- 
clusions    de    l'auteur,    lorsqu'il     voit 
dans  la  Taza  primitive  une  qalaâ,  où 
les  populations  du  voisinage,  vraisem- 
hlablejuent     nomades,      entreposaient 
leurs  grain.';   et   leurs  objets  précieux, 
e:    auprès   de  laquelle   elles  ensevelis- 
saient leurs  morts.  L'on  est  aussi  tout 
h  fait  de  son  avis,  lorsqu'il  dit  en  par- 
lant des  sépultures   :  a   Somme  toute, 
il  ne  serait  pas  impossible  cpie  l'usage 
des    tombeaux   de    ces    nécropoles    ait 
dépassé  l'établissement  de     l'Islamis 
me  ».  Les  tombes  à  rebord  intérieur 
se   rencontrent  en  Afrique,   comme   le 
montre  l'auteur,  depuis  l'époque  romai- 
ne jusqu'à  nos  jours  ;  mais  si,  à  Taza, 
les  tombes  de  ce  genre,  sans  orientation 
nette,    ne   peuvent    dater  de   l'époque 
où  l'Islam  avait  pénétré  profondément 
les  populations,  elles  ne  sont  peut-être 
pas  de  beaucoup  antérieures.  Les  po- 
teries recueillies  au  voisinage,  faites  au 
tour,   sont  assez  comparables  à  celles 
de     Tlemcen     du  ix^  ou  du  x*  siècle. 
Sans  doute  n'en  a-t-on  trouvé  aucune 
dans  les  tombes  mêmes  ;  mais  le  re- 
bord est  parfois  formé  de  briques  cui- 
tes  ;  et  le  seul  mobilier  rencontré  en 
abondance  consiste  en  clous  et  en  char- 
nières  de  fer.   Plus  anciennes  à  tout 
prendie  apparaissent  les  sépultures  que 
l'auteur  signale  sur  la  crête  de  Rous 


176 


HESPÊRIS 


er-Re«hi,  qui  domine  au  sud  le  plateau 
de  Taza  ;  le  mort  y  était  déposé  ac- 
croupi. 11  est  regrettable  que  le  vanda- 
lisme de  nos  tirailleurs  ait  brisé  et  dis 
perse  les  poteries  qui  les  accompa- 
gnaient. 

J'en  arrive  maintenant  au  program- 
me de  recherches  :  les  points  où  M. 
Campardou  a  relevé  des  vestiges  d'é- 
tablissements anciens,  sans  avoir  eu  le 
temips  de  faire  des  fouilles  suivies  ; 
dans  une  jvi'nsïée  dont  il  faul  lui  être 
reconnaissant,  il  les  indiiiue  à  ses  suc- 
cesseurs. Tout  d'iibord  deux  oppida, 
;\  fort  peu  de  distance  de  Ta/a,  l'un  au 
sud,  l'autre  à  l'est.  Au  Kef  Afra,  les 
restes  d'un  mur  forment  une  enceinte 
de  150  mctres  environ  sur  200,  scnn-e 
de  débris  de  silex  cl  de  tessons  de 
poterie  grossière.  Des  vestiges  d'un 
chemin  y  mènent,  et  l'on  remarque, 
sur  les  oueds  qu'il  traversait,  les  [ra- 
ces de  deux  ponts  :  ce  qui  semblerait 
indiquer  que  l'occupation  de  l'oppi- 
dum s'est  poursuivie  jusqu'à  une  épo- 
que relativement  récente.  Au  Kern  Nés 
rani,  on  discerne,  au  centre,  les  rui- 
nes d'un  village,  et  au  nord,  sur  un 
emplacemf'n'l  qui  conimand(>  admirable 
ment  la  vallée  de  l'Inaouen,  les  vestiges 
d'un  oppidum,  mur  et  habitations. 
L'existence  de  ces  points  habités  est 
extrêmement  intéressante  pour  l'histoi- 
re de  Taza  ;  mais  il  est  remarquable 
que  dans  tout  cela  on  ne  signale  rien 
de   romain. 

Entre  Guercif  et  Safsafat,  non  loin 
du  poste  d'El  Mizen,  sur  la  rive 
droite  du  Mloulou,  M.  Campardou  a 
relevé  toute  une  série  de  tombeaux 
mégalithiques,  dont  une  vingtaine  d'as- 
sez grandes  dimensions  :  ce  sont  des 


tumulus  fii-culaires  ou  des  pyramides 
à  étages  ;  quelques-uns  paraissent  n'a- 
voir pas  été  touchés.  On  n'en  avait 
pas  encore  signalé  jusqu'ici  dans  cette 
région  :  viaiseniblablement  parce  qu'à 
ce  point  de  vue,  elle  n'a  encore  été 
que  très   peu   explorée. 

Nous  devons  d'autant  plus  remer- 
cier M.  Campardou  de  ces  indications 
précieuses,  et  souhaiter  que  ce  pro- 
gi'aiiMuc  (le  r(><hnr('lics,  dont  je  n'ai  re- 
produit ici  (|uun('  partie,  puisse  être 
bientôt   suivi. 

Henri  Basset 

Lient.  Bejot.   -    Etude  sur  le  tatoufi- 
ge    en    Algérie.    K.vLriiit    des    BxiUeim!; 
et    Mémoires   de    la    Société  d'Anthro- 
pologie  de   Paris,    séance    du    Vô   juil 
let  1920,   p.    I(;i-1G7. 

Quelques  observations  intéressantes 
concernant  le  tatouage  masculin  dans 
les  tribus  arabes  ou  arabisées  d'Algérie. 
Comme  dans  le  reste  de  l'Afrique  du 
Nord,  le  tatouage  masculin  est  bien 
moins  dévelop])é  que  le  tatouage  fémi- 
nin. Il  est  assez  rare,  et  se  réduit  à 
quelques  petites  croix,  lignes,  bu  crois- 
sants superposés  au  Iront,  à  la  tempe 
ou  au  nez  :  à  en  croire  les  indigènes 
il  aurait  actuellement  une  valeur 
.•surtout  curative  ou  prophylactique, 
l/au'.eur  cite  également  des  tatouages 
ornementaux  aux  poignets  :  mais  il 
n'indique  pas  clairement  s'ils  ne  sont 
pas  partictdiers  aux  femmes.  Plus  in- 
téressantes à  noter  sont  de  véritables 
marques  tribales  :  ainsi  les  deux  traits 
verticaux  sur  le  nez  des  Flitta  de  la 
région  de  Zemmora,  et  le  trait  sur 
la   glabelle    des  gens    d'Aflou   ou    des 


BIBLIOGRAPHIE 


177 


Onled  Amran  de  Géryville,  quelles  que 
soient  les  explications  secondaires  (ren- 
dre la  vue  perçante,  écarter  le  mau- 
vais sort)  données  dans  ce  dernier 
cas.  Autre  détail  important  :  les 
tatouages  masculins  sont  exécutés  sou- 
vent par  des  diseurs  de  bonne  aventu- 
re ambulants  originaires  des  Béni  Ad 
dès,  fraction  des  Reguibat  de  l'extrême 
sud  marocain. 

L'auteur,  qui  cite  le  Dr.  Bazin  et  L. 
Jacquot,  ne  semble  pas  avoir  connu 
les  travaux  plus  importants  de  Ber- 
thoion  et  surtout  la  remarquable  sé- 
rie d'études  du  Dr.  Herber  sur  les 
tatouages  marocains,  qui  avait  déjà 
commencé  à  paraître  à  la  date  de  cet- 
te communication.  Si,  comme  nous 
l'espérons,  il  continue  à  s'intéresser 
à  ces  questions,  il  trouvera  là  toute 
une  très  importante  documentation. 
Henri  Basset. 

Baron  Carra  de  Vaux.  —  Les  Pen- 
seurs de  l'Islam  (t.  I  :  Les  souverains, 
l'histoire  et  la  philosophie  politique; 
t.  II  :  Les  géographes;  les  sciences 
mathématiques  et  naturelles),  2  vol. 
in-12,  vii-383  et  400  p.,  Paris,  Geuth- 
ner,   1921. 

Le  plan  de  cettie  publication,  dont 
voici  les  deux  presmiers  volumes  et  qui 
en  comprendra  cinq,  ne  laisse  pas  d'ê- 
tre assez  original.  L'auteur,  en  un  bref 
avant-propos,  l'explique  en  mAme 
temps  qu'il  justiQe  son  projet  :  il 
veut  donner  au  grand  public  un  choix 
d'apprécations  sur  des  œuvres  maî- 
tresses dues  à  la  plume  de  penseurs 
musiulmans,  historiens  ou  géographes, 
philosophes  ou  médecins,   théologiens 


ou  jurisconsultes  ;  il  se  défend  de  four- 
nir le  moindre  catalogue  ;  il  compte. 
en  brossant  un  tableau  des  trois  gran- 
des littératures  islamiques,  ne  pas  seu- 
lement présenter  des  noms  ou  des  ti- 
tres de  livres,  mais  «  cpielque  chose 
de  vivant,  des  personnes,  des  types, 
des  pensées,  des  caractères.  » 

On  ne  peut  qu'applaudir  à  pareille 
entreprise.  Si  le  public  français,  sur- 
tout celui  qui  habite  l'Afrique  du  Nord, 
est  en  général,  assez  ignorant  des  cho- 
ses et  des  gens  d'Islam,  c'est  surtout 
parce  qu'il  manque  de  travaux  de  vul- 
garisation, qui  ne  soient  pas  d'objet 
trop  spécial  et  destinés  à  un  petit  grou- 
pe d'érudits.  Depuis  quelques  années 
d'ailleurs,  les  orientalistes,  en  France 
au  moins,  prennent  soin  de  combler 
cette  lacune  :  des  manuels  clairs  et  de 
petite  étendue,  comme  par  exemple, 
celui  que  M.  Gaudefroy-Demombynes 
vient  de  composer  sur  les  Institutions 
Musulmanes,  contribueront  pour  beau- 
coup à  éclairer  le  public  cultivé  sur  la 
société  musulmane,  sa  religion,  son  his- 
toire, son  passé  littéraire  ou  artistique. 
Aussi  bien  doit-on  accueillir  avec  fa- 
veur la  publication  de  M.  Carra  de 
Vaux,  qui  correspond  de  même  à  un 
réel  besoin. 

D'autant  plus  que  ces  deux  petits 
volumes  se  lisent  avec  autant  de  faci- 
lité que  d'intérêt  et  même  d'agrément. 
Ce  sont  des  suites  de  récits,  où  les  dé- 
tails pittoresques  et  piquants  ne  man- 
quent pas,  souvent  entremêlés  de  lé- 
gendes, d'anecdotes  ou  de  passages  em- 
pruntés aux  oeuvres  des  personnages 
étudiés. 

Dans  le  premier  volume,  après  avoir 
esquissé  à  grands  traits  les  portraits 


HESPERIS.    —   T.    II.   —    1932 


178 


HESPÊRIS 


de  grands  souverains  nuisulmans,  tels 
que  les  principaux  khalifes  'abbàsides, 
Saladin.  Soliman  le  Magnifique  ou  Mah- 
moud le  Ghaznévide,  l'auteur  passe  suc- 
cessivement en  revue  les  historiens  les 
plus  marquants  des  dynasties  musul- 
manes; quelques  autres,  plus  récents, 
dont  le  choix  paraît  au  reste  assez 
éclectique;  puis  des  historiens  turcs  ol 
persans.  El-Mâvvardî  et  Ibn  Klialdoûn 
donnent  la  matière  d'un  chapitre  sur  la 
«  philosophie  politique  ».  Enfin,  l'au- 
teur présente  en  quelques  pages  ia  lit- 
térature populaire,  contes  et  proverbes. 

Le  volume  suivant  n'offre  pas  moins 
d'intérêt;  mônH^  il  semble  appelé  à 
rendre  quelques  services  aux  orienta- 
listes, qni  y  trouveront,  rassemblées, 
des  données  éparses  dans  quelques  ou- 
vrages antérieurs,  sur  le  passé  scien- 
tifique des  Arabes.  En  effet,  après  s'ê- 
tre longuement  étendu  sur  certains  géo- 
graphes ou  voyageurs  inusuluians,  — 
et,  à  ce  propos,  l'on  eût  souhaité  une 
carte,  —  l'auteur  dresse  une  liste  com- 
plète et  assez  claire,  agrémentée  de 
citations  ou  de  traits  peu  connus,  des 
savants  musulmans  qui,  au  Moyen 
Age,  firent  prospérer  ou  même  créèrent 
des  sciences  comme  l'arithmétique, 
l'algèbre,  la  géométrie,  la  mécanique, 
l 'astronomie,  la  médecine  et  l'histoire 
naturelle.  Parfois  même,  il  est  difficile 
de  le  suivre  dans  des  exposés  techni- 
ques, où  il  emploie  une  terminologie 
un  peu  spéciale  (ainsi  dans  tout  le 
paragraphe  relatif  à  la  trigonométrie 
et  à  l'invention  du  sinus  et  de  la 
tangente) . 

On  est  surpris  par  la  place  minime 
que  tient  le  Maghrib  dans  les  deux 
premiers  tomes  des  Penseurs  de  l'Is- 


lam. Celte  (luasi-exdusion  semble  abso- 
lument injustifiée.  La  collaboration  de 
l'Afrique  Mineure,  pendant  les  siècles 
passés,  à  l'imposant  monument  de  la 
littérature  arabe  n'a  pas  été  si  fjiihid 
que  l'auteur,  par  son  silence,  donna 
à  le  croire.  Sans  A^ouloir  revendiquer 
pour  un  'Abd  el-MoiVmin,  un  Abou'l- 
l.lasan  ou  un  Ahmed  el-Mansoûr  une 
place  à  côté  d'er  llachîd  ou  de  Salâh 
ed-dîn.  on  })eut  regretter  que  le 
Maglirib  ne  soit  rei)résenté,  dans  le 
chapitre  sur  les  historiens  arabes,  que 
par  quelques  pages  sur  el-Maqqarî,  ins- 
pirées de  la  notice  de  Dugat  ou  extraites 
des  Analecics.  Ibn  Khaldoùn  lui-même 
n'est  représenté  que  sous  les  traits 
d'un  coni[)ilatt'ur,  et  seule  vaut  sa 
«  i>hilosophie  politique  »,  exposée  dans 
ses  Prolégomènes.  Il  en  va  de  môme 
des  géographes,  dont  les  œuvres,  pour- 
tant, comme  les  chroniques  les  plus 
importantes,  ont  déjà  fait  l'objet  de 
traductions  et  ont  fourni  aux  spécia- 
listes d'Islam  maghribin  et  même  orien- 
tal une  documentation  qu'ils  n'ont 
point  dédaignée. 

Malgré  cette  particularité  d'autant 
plus  regrettable  que  cette  publication 
trouvera  surtout  des  lecteurs  en  Afri- 
que du  Nord;  malgré,  aussi,  la  sorte  de 
mésestime  que  souvent  l'auteur  sem- 
ble porter  aux  œuvres  récentes  d'énj- 
dition  orientale  (ainsi,  t.  I,  p.  341-343, 
il  emprunte  au  Magasin  pittoresque  de 
1882  des  «  proverbes  usités  de  nos 
jours  par  les  Musulmans  d'Afrique 
dans  la  conversation  »,  sans  avertir 
que  ces  proverbes  ont  été  l'objet  d'une 
vaste  et  remarquable  enquête  de  la 
part  de  M.  Ben  Cheneb),  —  les  deux 
premiers  volumes  des  Penseurs  de  Vis- 


BIBLIOGRAPHIE 


179 


lam  laissent  bien  augurer  des  suivants 
et  rendront  au  public  désireux  de  se 
familiariser  avec  le  passé  intellectuel 
du  monde  musulman,  des  services  ap- 
préciables. E    Lévi-Provençal. 

Lévi-Provençal.  Les  historiens  des 
Chorfa.  Paris,  Larose,  1922,  in-8, 
470  pp. 

Voici  enfin  le  travail  d'ensemble 
qu'on  attendait  sur  les  temps  moder- 
nes de  la  littérature  arabe  marocaine  : 
littérature  presque  exclusivement  liit.- 
torique,  hors  quelques  rares  poèmes 
et  quelques  recueils  d'anecdotes;  car 
de  nombreux  ouvrages  de  jurispru- 
dence et  de  théologie,  qui  nécessite- 
raient une  étude  spéciale,  n'appartien- 
nent proprement  pas  à  la  littérature . 

Des  Chorfa  sortirent,  on  le  sait,  les 
souverains  des  dynasties  saadienne  et 
alaouïte  qui  ont  gouverné  l'empire  ma- 
rocain, depuis  le  XVI*  siècle.  C'est  dire 
que  M.  L.-P.  a  laissé  hors  de  son 
étude  les  historiens  des  dynasties  an- 
térieures, au  sujet  desquels  nul  ne  serait 
du  reste  plus  qualifié  que  lui  pour 
donner  un  pendant  aux  Historiens  des 
Chorfa.  Il  semble  bien  au  demeurant 
que,  dans  la  première  partie  de  son 
livre,  M.  L.-P.  ait  formulé,  en  étudiant 
leur  conception  de  l'histoire,  des  opi- 
nions qui  s'appliquent  uniformément 
à  tous  les  historiens  marocains.  Cette 
première  partie,  remarquable  effort  de 
généralisation,  ne  s'adresse  pas  seule- 
ment aux  savants  :  administrateurs  ci- 
vils et  militaires  ne  perd'ront  point 
leur  temps  à  la  méditer,  car  l'auteur 
y  a  parfois  souligné  heureusement  cer- 
tains traits  de  l'âme  marocaine. 


L'histoire,  chez  les  Marocains,  est 
restée  presque  jusqu'aujourd'hui  la  s  r 
vante  de  la  religion.  L'un  de  leurs 
principaux  historiens  ne  commence-t-il 
pas  son  œuvre  maîtresse  en  dfxlarant 
soigneusement  que,  si  les  esprits  dis- 
tingués placent  l'histoire  au  premier 
rang,  c'est  qu'elle  fait  partie  des  «  étu- 
des orthodoxes  »,  née  qu'elle  est  pour 
ainsi  dire  avec  l'Islam.^  L'Islam  lU 
effet,  dès  l'origine,  s'attache  aux  généa- 
logies authentiques,  cette  forme  em- 
bryonnaire de  l'histoire,  ainsi  qu'aux 
récits  relatifs  à  la  vie  du  Prophète  et 
de  ses  compagnons.  Les  Marocains,  en 
écrivant  l'histoire,  songent  donc  plus 
ou  moins  explicitement  à  défendre 
l'Islam,  ce  qui  pourrait  passer  en  quel- 
que mesure  pour  une  forme  du  patrio- 
tisme. Quant  à  l'idée  de  patrie  telle 
que  nous  la  concevons  nous-mêmes, 
elle  reste  à  peu  près  étrangère  à  tous 
ces  auteurs  :  le  cas  de  tel  biographe, 
déclarant  qu'il  écrit  sur  les  cheiks  du 
Maroc  parce  que  ce  pays  est  sa  patrie, 
semble  isolé. 

A  vrai  dire,  essaya-t-on  jamais  au 
Maroc  de  définir  précisément  la  science 
historique.!^  Cette  définition  est  le  plus 
souvent  «  noyée  dans  le  pathos  des 
fleurs  de  rhétorique  »  et  obscurcie  par 
la  prose  rimée;  ou  bien  on  se  contente 
de  recopier  le  chapitre  d'Ibn  Khal- 
doun  sur  les  avantages  de  l'histoire, 
bien  que  ce  grand  écrivain  semble 
somme  toute  assez  peu  apprécié  par 
ses  confrères  du  Maroc. 

En  un  mot,  les  Marocains  s'attachent 
à  l'histoire  des  individus  beaucoup 
plus  qu'à  celle  des  événements;  il  s'en- 
suit que  les  biographes  sont  parmi  eux 
bien  plus  nombreux  que  les  historiens 


180 


IIESPÉUIS 


vraiment  dignes  de  ce  nom.  El  encore 
faut-il  compter,  en  lisant  ces  derniers, 
avec  les  rélieences  et  les  ménagements 
qui  s'imposent  bon  gré  mal  gré  à  un 
auteur   investi   de   fonctions  officielles. 
D'autre   part,   le  grand   défaul    de   -es 
historiographes  —   M.    L.-l».    l'a  clai- 
rement noté  ip.   42-43),   —  c'est  que. 
hors  la  cour  et  les  grandes  capitales, 
rien  du  pays  ne  les  intéresse  :  «  l'his- 
toire du  Maroc  n'a  été  en  somme,  de- 
puis le  xvi'  siècle,  qu'une  lutte  du  i>ou 
voir  central  contre  les  chefs  religieux... 
Rien  île  tout  cela  dans  ces  œuvres  his- 
toriques, ou  si  peu,  qu'il  faut  lire  en- 
tre les  lignes,  avec  une  grande  atten- 
tion, pour  trouver  quelques  allusions.  ;> 
On   pourrait   presque   affirmer,    sans 
faire  crier  au  paradoxe,  que  les  vrais 
documents   historiques    de    la    littéra- 
ture marocaine   se  trouvent,    non   pas 
dans    les   ouvrages     d'histoire   propre- 
ment dits,  mais  épars  dans  les  recueils 
biographiques  (iarajint)  consacrés   «   à 
l'élite   intellectuelle   et    à   la   noblesse 
religieuse.    »    Cett«î    littérature   biogra- 
phique est  très  riche,  et  pour  cause  : 
les  tombeaux  des  saints  parsèment  le 
Maroc   et   les   confréries   y    pullulent. 
Ces  œuvres  si  nombreuses,  l^iographi- 
ques,  hagiographiques,  généalogiques  et 
autobiographiques,   constituent  un  en- 
semble de  documents  que  les  érudits 
devront  utiliser  tant  pour  l'étude  des 
confréries  que  p'our  l'histoire  littéraire 
du  Maroc.  Certes,  leur  valeur  histori- 
que est  discutable;  «  elles  présentent 
un  aspect  aussi  fragmentaire  que  des 
documents    d'archives,    sans   en   avoir 
toujours  la  valeur  »   (p.   54),   déclare 
M.   L.-P.    qui,    afin   de   le  démontrer, 
a  examiné  longuement  les  procédés  des 


historiens  marocains  (information,  ex- 
position, expression)  insistant  sur  leur* 
plagiats,  sur  leur  langue  et  leur  style. 
A  ce  propos,  M.  L.-P.  reprendra  sans 
doute  plus  tard  l'étude  des  éléments 
proin-emeut  liltéiaires  que  renferment 
les  œuvres  des  historiens  marocains  : 
étude  qu'il  pouvait  seulement  annon- 
cer dans  son  ouvrage  (cf.  notamment 
p.  127).  Nombreux  sont  en  effet  les 
matériaux  que  fourniront  par  exemple 
la  i\ozluU-el-hadi  iral-lfrànî.  \^^  Bos- 
tâti  d'az-Zayyànî,  le  Montaqâ  d'Ibn- 
al-Qàdî,  chrestomathies  presque  au- 
tant que  chroniques;  le  Jaïch  d'Aken- 
sous,  étouffant  parfois  les  faits  histo- 
riques sous  les  poésies;  le  Hawd-al- 
hatoun  d'Ibn  Ghâzî  où  l'on  rencon- 
tre, entre  autres,  des  vers  attribués  à 
Lisân-ad-Dîn  lbn-al-I<^hatîb;  le  Dodour- 
ad-dâioiya,  document  d'histoire  litté- 
raire autant  que  document  historique; 
les  Mohadarât  d'al-Yousî,  précieux  té 
moignage  sur  la  société  où  vécut  l'au 
teur. 

Dans  cette  littérature  historique,  cinq 
auteurs  s'isolent  au  premier  rang  : 
Zayyânî,  IfrAnî,  NAciiî,  Qàdirî  et  Kat- 
tànî,  les  deux  derniers  biographes  plu- 
tôt qu'historiens.  M.  L.-P.  narre  pit- 
toresquement  l'existence  mouvementée 
du  premier  de  ces  auteurs;  d'autre 
part,  il  analyse  leurs  œuvres,  non  seu- 
lement en  évaluant  leur  mérite  intrin- 
sèque, mais  en  opérant  de  l'une  à  l'au- 
tre les  rapprochements  nécessaires  • 
car  —  et  c'est  un  des  mérites  des  His- 
toriens des  Chorfa  ■ —  les  œuvres  y 
sont  étudiées,  non  pas  isolément,  mais 
toujours  en  fonction  de  l'ensemble. 

Au   reste,    les   notices    de    M.    L.-P. 
n'excluent   pas   les   travaux   de  détail 


BIBLIOGRAPHIE 


181 


p-ostérieurs.  Son  ouvrage  est,  plus  en- 
core  qu'une   série  de   minutieuses   re- 
cherches, un  tableau  largement  esquis- 
sé où  les  érudits  futurs  trouveront  l'é- 
chelonnement   précis    des    valeurs    lit- 
téraires   et    l'indication    des    pistes    à 
suivre;  tel  historien  ou  biographe  dont 
on  connaissait  à  peine  davantage  que 
le  nom,  leur  paraîtra  tout  à  coup  digne 
d'une  étude  particulière.   En  un  mot, 
ce   livre    élargit   singulièrement   l'hori- 
zon  des  études  relatives  au  Maroc  et 
c'est  là,   semble-t-il,  le  meilleur  éloge 
qu'on   puisse   lui    décerner.    M.    L.-P. 
l'a  pourvu  de  tables  détaillées,  parmi 
lesquelles  d'excellents  index  des  noms 
de  personnages  et   des   titres  d'ouvra- 
ges.   Un    certain    nombre    de    ces    au- 
teurs  sont   encore   inédits    :   M.    L.-P. 
en   a   parlé    le   plus   souvent   grâce   h 
l'importante   collection    de    manuscriis 
de  l'Institut  des  Hautes-Études  maro- 
caines dont  il   vient  de  publier  le  ca 
talogue  (Publications  de  l'Institut  des 
Hautes-Études  marocaines,  t.   VII,  Pa- 
ris, Leroux,  1921,  in-8,  306  et  74  pp.). 
Autrement  dit,  une  étude  aussi  com- 
plète ne  pouvait  guère  être  menée  h 
bien  que  par  un  des  maîtres  de  cette 
jeune  école.  Henri  Massé. 

Marcel  Mercier.  La  civiUsation  ur- 
baine au  Mzab.  Alger,  imp.  Pfister  et 
Paris,  Geuthner;  in-8,  269  pp.,  12  fig. 
et  12  pi. 

Aux  premiers  temps  de  l'Islam,  un 
groupe  de  musulmans,  réprouvant  la 
politique  de  modération  pratiquée  par 
le  calife  Ali  à  l'égard  de  son  parent  et 
compétiteur  Moawiya,  refusèrent  de 
reconnaître  son  autorité  :  c'étaient  les 


Kharedjiles.    Les    orthodoxes    s'appli- 
quèrent  à   étouffer  ce  mouvement  ex- 
trémiste   :   écrasés   une   première   fois, 
les    rebelles     se    regroupèrent     autour 
d'Abdallah    ibn   Wahhâb   (d'où    leur 
nom   de  Wahhabites)   mais  sans  plus 
de  succès.   Dès  lors,  partagés  eu  sec 
tes,  ils  se  répandirent  secrètement  dans 
le   monde   musulman.    Parmi    eux,    les 
Abadhites,     disciples    d'Abdallah     ibn 
Abadh  (mort  en  750  J-C.)  cherchèrent 
refuge  en  Afrique  du  Nord    :  prenant 
le  Djebel  Nefousa  comme  base  d'opé 
rations,    ils    s'emparèrent    d'abord    de 
Kairouan;    n'ayant   pu    s'y    maintenir, 
ils  fondèrent  à  Tiaret  la  capitale  d'uii 
véritable  empire;  en  902,  incapables  de 
résister  aux  assauts  des  orthodoxes,  ils 
abandonnèrent  Tiaret  qui  fut   détruite 
de   fond   en   comble    et   transportèrent 
le  siège  de  leur  puissance  dans  une  de 
leurs  villes,  plus  méridionale,  Sédrata 
d'Ouargla;    celle-ci    devait,     en    1075, 
être  réduite  par  un  des  princes  ham- 
madites.    Alors  l'   «   état   de  gloire   <), 
pour  parler  le  langage  de  la  secte,  le 
céda  à  r   «  état  de  secret  »  (c'est-à- 
dire   «   état  de  détresse  »   )   qui  dure 
encore  aujourd'hui;  les  Abadhites  cher- 
chèrent un  dernier  refuge   au   Sahara 
où    ils    s'étaient   naguère   ménagé   des 
établissements  dans  la  région  du  Mzab; 
et  les  descendants  des  hommes  de  cette 
suprême  émigration  ne  sont  autres  que 
les  Mzabites,   bien  connus  en   Algérie 
pour  leurs  rares  aptitudes  commercia- 
les. 

A  ces  villes  abadhites  du  Mzab,  M. 

Marcel  Mercier  vient  de  consacrer  une 

enquête   qui   dépasse   de  beaucoup  les 

proportions   courantes   d'une   thèse    de 

doctorat  en  droit.  Ce  travail  apparaît 


182 


IIESPÉRIS 


sui'tout  comme  une  remarquable  con- 
tribution à  l'ethnographie;  mais  c'es^t 
en  même  temps  une  «3uvre  de  socio- 
logie qui  se  rattache  ainsi  aux  sciences 
juridiques  (cf.  notamment  le  chapitre  : 
divisions  sociales  de  la  ville).  M.  Mer- 
cier a  recueilli  ses  documents  au  cours 
de  trois  voyages  au  Mzab,  de  1915  à 
1921. 

Le  Mzab  fait  partie,  géographique- 
meût  du  Sahara  septentrional,  adminiô- 
trativement  du  territoire  de  Ghardaïa; 
sa  supei-ficie  atteint  8.000  kmq.  Ce 
qui  frapjie  aussitôt  lorsqu'on  examine 
sa  structure,  c'est  son  isolement  :  d'une 
part  des  dépressions,  d'autre  part 
I  immense  étendue  des  dunes  déserti 
ques  constituent  en  quelque  sorte  les 
remparts  naturels  du  pays;  incliné  in 
N.-O.  au  S.-E.,  il  est  profondément 
érodé  par  les  eaux  et  les  vents,  d'où 
le  nom  de  chebka  (filet)  que  lui  don- 
nent les  indigènes;  en  un  mot,  déclare 
M.  Mercier,  «  on  peut  dire  sans  crain- 
te qu'il  y  a  bien  peu  de  contrées  aussi 
déshéritées  sur  la  terre.  »  Pourtant, 
en  dépit  du  sol  rocheux  ou  sablonneux, 
malgré  la  sécheresse  et  l'intensité  d", 
l'évaporation  interrompues,  rarement 
il  est  vrai,  par  des  pluies  diluviennes, 
on  cultive  sans  relâche  ce  plateau  in- 
grat et  l'on  y  construisit  des  villes. 

Le  Mzab  resta  sans  doute  inhabité 
aux  temps  préhistoriques  et  il  semble 
que  les  Romains  n'y  aient  jamais  péné 
tré.  Peut-être  servit-il  de  passage  aux 
caravanes.  Toujours  est-il  que  des  no- 
mades y  vivaient  certainement  avant 
l'arrivée  des  ancêtres  des  Mzabites  ac- 
tuels qui  y  fondèrent  successivement, 
de  1011  à  1053,  et  à  proximité  les 
unes  des  autres,  El-Ateuf,  Bou-Noura, 


Melika,  Reni-Sgen,  Ghardaïa.  Trois 
autres  villes,  Guerara,  Berrian  et  Met- 
lili  les  deux  premières  créées  au  .wii,. 
siècle,  se  trouvent  à  l'écart  de  l'agglo- 
mération principale. 

Ces  villes,  hors  Guerara  et  Berrian 
en  quelque  mesure,  furent  édiliées  sur 
des  hauteui'S,  la  question  do  la  sécu- 
rité l'emportant  sur  celle  du  ravitail- 
lement. Elles  sui'gissent  au  milieu  d'un 
paysage  désolé,  sans  qu'aucun  arbr'» 
s'élance  de  la  masse  des  habitations; 
celles-ci,  loin  d'être  dispersées  capri- 
cieusement comme  celles  des  villages 
sahariens,  se  pressent  les  unes  con- 
tre les  autres,  sans  jardins,  jusqu'au 
sommet  de  la  butte  dominée  par  un 
minaret  quadrangulaire;  pas  de  murs 
de  terre  ou  d'argile,  mais  de  la  ma 
çonnerie  solide  où  dominent  voûtes  et 
portiques.  En  un  mot,  villesi  nées 
d'une  volonté  qui  ne  fut  nullement  sol 
licitée  par  les  agréments  du  lieu,  et 
dans  lesquelles  s'agite  une  population 
très  dense.  Ainsi  Ghardaïa  possède 
476  habitants  à  l'hectare,  ce  qui  est 
considérable  si  l'on  songp,  que  les  mai- 
sons n'y  ont  qu'un  étage;  qu'on  n'ou- 
blie pas  en  effet  qu'à  Paris  par  exem- 
ple, si  tel  quartier  particulièrement  po- 
puleux compte  741  habitants  à  l'hecta- 
re, c'est  grâce  à  ses  maisons  de  cinq  et 
six  étages.  D'autre  part,  de  même  que 
les  boulevards  de  Paris  suivent  le  tra- 
cé d'anciennes  fortifications,  de  même 
les  rues  circulaires  de  Ghardaïa  rap- 
pellent les  enceintes  successives  de  li 
ville.  Tout  au  contraire  des  villes  mu- 
sulmanes orthodoxes,  la  mosqi:ée  y  oc 
cupe  le  point  culminant,  de  façon  à 
constituer  à  l'occasion  une  protection 
matérielle  autant  que  morale;  par  con- 


BIBLIOGRAPHIE 


183 


tre,  le  marché  se  trouve  rejeté  à  !a 
périphérie;  il  semble  donc  bien  que  lo 
nœud  vital  de  la  ville  mzabite  soit  re- 
ligieux, non  économique;  théorique - 
ment  du  moins,  car  on  verra  (p.  69 
sqq.  de  l'ouvrage)  que  la  vie  des  vil 
les  mzabites  se  trouve  en  fait  concen- 
trée sur  le  marché. 

M.  Mercier,  ainsi  qu'on  pouvait  s'y 
attendre,  a  adopté  Ghardaïa  comme  ty- 
pe de  ville  mzabite,  étudiant  succes- 
sivement les  points  d'attraction  (mos- 
quée, marché)  les  contours  (remparts, 
cimetières),  les  voies  (routes,  portes, 
rues),  les  divisions  sociales.  On  ne  peut 
songer  ici  à  le  suivre  dans  les  détails 
de  cette  description  raisonnée.  On  no 
tera  cependant  certains  traits  particu- 
lièrement caractéristiques  :  le  feu  qui 
brûle,  sans  doute  dans  une  intention 
mystique,  au  milieu  des  salles  d'écolo 
attenantes  à  la  mosquée;  les  takerhouAt 
(décrits  p.  56-57),  locaux  servant  à  des 
ablations  rituelles,  ablutions  plus  mi- 
nutieuses encore  —  il  s'agit  de  pu- 
ritains —  que  celles  des  musulmans  or- 
thodoxes; l'accès  des  marchés  rigou- 
reusement interdit  aux  femmes  de  con- 
dition libre;  la  prédilection  des  Mza 
bites  pour  la  viande  de  chameau  (cî. 
les  détails  de  dépeçage  donnés  p.  73); 
la  mçalla  à  laquelle  se  réunissent  les 
cadis  des  sept  cités,  en  cas  de  consul- 
tation juridique  importante,  point  qui, 
situé  hors  de  toute  ville,  semble  par 
là  même  un  sûr  indice  de  tendances 
égalitaires  (p.  81-82);  le  désir,  inné 
chez  les  Mzabites  de  revenir  mourir 
en  leur  pays;  la  séparation  des  cim.>- 
tières  basée  sur  les  origines  tribales; 
le  si  curieux  culte  des  autels  sur  les 
quels  on  offre  des  sacrifices  (p    88  sq.j. 


Le  chapitre  consacré  aux  divisions  so- 
ciales expose  successivement  la  condi- 
tion des  Juifs  du  Mzab;  les  groupe- 
ments professionnels  et  les  métiers;  la 
division  fondamentale  de  la  société  e.i 
tolha  (clercs)  et  aouâm  (illettrés)  et 
l'autre  division  secondaire,  en  çofs;  le 
gouvernement  et  la  police. 

Au  Mzab,  on  rencontre  les  divers 
types  d'habitation  saharienne  :  tentes, 
huttes  en  djérid,  maisons  de  toub. 
Mais  on  y  rencontre  surtout  la  maison 
mzabite  particulière  à  la  région  Ghar- 
daïa renferme  un  peu  plus  de  1800 
maisons  contenant  chacune  six  habi- 
tants en  moyenne,  époux  et  enfants  ^la 
monogamie  est  à  peu  près  générale). 
La  hauteur  moyenne  des  maisons,  en 
ville,  est  de  six  à  sept  mètres;  la  mai 
son  est  constituée  en  substance  pa- 
une  cour  centrale  d'environ  cinq  mè 
très  sur  six,  surmontée  d'un  toit  sou- 
tenu par  quatre  piliers,  et  entourée 
de  pièces  assez  petites;  au-dessus,  «  un 
étage  semi-couvert  dont  le  toit  est 
supporté  par  une  colonnade  irrégulièr^e 
qui  délimite  une  partie  légèrement  en 
contre-bas  de  celle  à  ciel  ouvert  )> 
(voir  les  pi.  XI  et  XII);  entre  tout  cela 
et  la  rue,  un  corridor  d'entrée,  coudé 
et  flanqué  de  communs.  Habitation  \ 
proportions  restreintes,  ramassée  sur 
elle-même,  vraie  maison  urbaine,  s'op- 
posant  nettement  par  sa  conception 
aux  maisons  de  Laghouat  ou  de  Toug- 
gourt  dont  les  pièces  se  groupent  sans 
plan  défini,  sans  souci  des  dimensions 
du  terrain,  autour  d'une  cour  à  ciel 
ouvert. 

De  même  que  pour  la  cité,  M.  Mer- 
cier a  procédé,  pour  l'étude  de  la  mai- 
son, ab  exterioribus  ad  interiora.  Quel- 


18i 


HESPÉRIS 


ques  remarques  sur  les  usages  et  rites 
ooiu'cinant  seuil  et  entrée  suivent  l'exa- 
men ilelailié  de  la  porte  avec  sa  ser- 
rure ol  ses  ornements,  et  du  couloir 
ireatrée  :  ce  dernier  abritant  d'ordi- 
naire un  moulin  ;\  fabritiuer,  non  le 
pain  uiui  ne  se  fait  plus  à  domicile), 
mais  le  couscous,  base  de  l'alimenta- 
tion avec  les  dattes  et  le  lait  aigre.  A 
la  porte  s'ajoutent  vers  la  rui\  des 
«  joiu's  »  d'aération  et  des  avant-corps 
rappelant  la  moucharabyeh  égyptienne. 
L'étude  des  difR'rentes  pièces  de  la 
maison  marche  de  pair,  dans  l'ouvra- 
ge, avec  celle  des  divers  usages  dômes 
tiques. 

Les  Mzabites  possèdent,  pnir  la  plu- 
part, résidence  d'été  et  d'hiver.  Ain- 
si, à  (iliardaïa.  l'oasis  (ghâba)  se 
trouve  à  1  km.  500  au  N.-O.  de  la 
ville  :  les  habitants  s'y  installent  dans 
leurs  villas,  de  mai  à  novembre,  non 
seulement  pour  fuir  les  chaleurs  tor- 
rides  de  la  ville,  mais  encore  et  sur- 


tr<ut  atiu  de  mieux  surveiller  la  culture 
de  leurs  jardins.  On  a  déjà  compris, 
d'après  la  contexture  géologique  du 
pays,  que  toutes  ces  habitations  sont 
solidement  bâties;  à  décrire  ces  modes 
et  ces  rites  de  construction,  M.  Mer- 
cier a  mis  le  même  soin  qu'aux  autres 
parties  de  son  livre;  ce  souci  de  i)ré- 
cisit)n  se  retrouve  dans  le  chapitre  con- 
sacré au  mobilier  (cf.  notamment  les 
l)ages  238   sqcj.   sur  les  lapis). 

L'auteur  de  ce  livre  fut  bien  inspiré 
en  s 'attachant  de  préférence  au  M/.ab 
qu'il  définit  expressivement  «  une  de 
ces  rares  régions  de  l'Algérie  dont 
on  i)eut  dire  que  l'indigène  a  su  faire 
rendre  toute  sa  mesure.  »  M.  Mercier, 
de  même,  a  su  faire  rendre  sa  mesure 
au  sujet  qu'il  a  choisi;  il  convient 
donc  de  souhaiter  que,  par  d'autres 
travaux  encore,  il  contribue  à  main- 
tenir les  nobles  traditions  de  sa  fa- 
mille. 

Henri   Massé. 


L'Éditeur  Gérant  :  E.  Larose. 


Assers.  —  lurRiMEciE  F.   Gaultier 


s^ 


LA  JUSTICE  BERBÈRE  AU  MAROC  CENTRAL 


Il  est  généralement  admis  que  les  Berbères  du  Maroc  central  sont 
•essentiellement  anarchiques  et  que  leurs  institutions  coutumières, 
réputées,  par  ailleurs,  variables  de  tribu  à  tribu,  et  même  de  douar 
à  douar,  sont  caractérisées  par  l'absence  presque  complète  de  toute 
organisation  judiciaire. 

Sans  doute,  Ja  coutujme  berbère,  à  l'instar  des  législations  primi- 
tives, ne  connaît  point  de  magistrats,  ni  de  hiérarchie  judiciaire; 
mais  si,  à  l'origine,  existait  seule  la  vengeance  privée,  l'habitude  de 
se  faire  justice,  de  s'assurer  soi-même,  selon  ses  forces  et  à  son  gré, 
la  satisfaction  du  droit  qu'on  estime  avoir,  la  réparation  du  tort  qu'on 
juge  avoir  subi,  ce  système  ne  s'est  maintenu  intact  que  pour  les 
droits  de  la  tribu,  tant  vis-à-vis  de  ses  membres  que  dans  ses  rap- 
ports avec  des  tribus  étrangères.  Vis-à-vis  de  ses  menibres,  en  effet, 
car  la  tribu  se  fait  justice  en  face  des  particuliers;  un  amazigh  ne 
plaidera  pas  contre  la  taqbilt  qui,  par  l'organe  de  celui  qui  détient 
le  pouvoir  exécutif  —  amghar  —  et  de  ses  représentants  —  ima- 
saïen  ou  ihmilen  —  lui  réolame  une  contribution  qu'il  juge  injus- 
lifiée;  ainsi,  à  Rome,  on  ne  plaidait  pas  contre  l'État.  Vis-à-vis  des 
tribus  étrangères,  car  si  la  tribu  étrangère  se  juge  offensée  ou  si  elle 
n'obtient  pas  satisfaction,  elle  fait  la  guerre.  Ainsi,  la  tribu  se  fait 
justice  elle-même  dans  ses  rapports  avec  les  particuliers  et  avec  les 
tribus  étrangères. 


Au  contraire,  le  même  principe  ne  s'applique  pas  entre  individus, 
et  les  particuliers  n'ont  pas,  seonble-t-il,  imême  et  surtout  dans  les 
tribus  berbères  restées  indépendantes,  le  droit  de  se  faire  justice  à 
eux-mêmes.  Par  ailleurs,  il  est  permis  de  constater  une  unité  remar- 

HXfiPiRIS.   —    T.    Il      —    1922.  |3 


186  H.  BRUNO 

quable  dans  les  instiliilions  judiciairos  des  Braber,  contrairement 
à  l'opinion  trop  généralement  répandue  qui  croit  trouver  dans  la 
diversité  des  coutumes  une  caractéristique  essentielle  des  Berbères 
du  Maroc  central. 


La  djema'à,  qui  réunit  l'ensemble  des  pouvoirs  administratifs  et 
politiques  du  douar,  n'a  pas  cependant,  à  proprement  parler,  d'at- 
tributions judiciaires.  Son  rôle  est  ici  purement  de  conciliation,  et 
€lle  ne  fait  qu'user  de  son  influence  pour  essayer  d'amener  un  accord 
entre  les  parties. 

Les  modes  de  l'appel  en  justice  varient  suivant  que  la  tribu  a  ou 
non  un  clief  de  guerre  {aimjhar),  ou,  dans  les  tribus  soumises,  un 
caïd.  Quand  la  tribu  est  commandée  par  un  amghar  ou  un  caïd,  le 
demandeur  invite,  devant  témoins,  son  adversaire  à  se  présenter 
contradictoirement  avec  lui  devant  la  djemâ'â.  L'amghar,  ou  le  caïd, 
assure  alors,  par  l'intermédiaire  des  imasaien  ou  des  mokhazenis, 
suivant  les  cas,  la  comparution  du  défendeur.  Si,  au  contraire,  il 
n'y  a  ni  amghar,  ni  caïd,  le  demandeur  va  devant  la  djemâ'â,  seule 
autorité  constituée,  et  lui  expose  ses  prétentions;  c'est  alors  la  djemâ'â 
elle-même  qui  assure  la  comparution  de  l'adversaire.  Dans  les  deux 
cas,  l'adversaire  qui  refuse  de  se  présenter  est  puni  d'une  amende. 

Les  parties  exi)osent  leurs  prétentions  devant  la  dje,mâ'â.  Elles  sont 
presque  toujours  aocoimpagnées  de  leurs  parents,  qui  ont  le  droit 
de  prendre  la  parole.  Les  femmes  sont  admises  à  se  présenter  en  per- 
sonne devant  l'assemblée.  On  entend  les  témoins,  et,  s'il  en  est 
d'absents  dont  l'audition  est  jugée  nécessaire,  l'affaire  peut  être  ren- 
voyée à  une  prochaine  réunion  de  la  djemâ'â.  Les  parties  et  les  té- 
moins entendus,  la  djemâ'â  s'efforce  de  concilier  les  adversaires  et 
leur  propose  des  bases  de  transaction.  Quelquefois,  demandeur  et 
défendeur  se  laissent  convaincre  et  le  litige  se  règle  ainsi  par  un 
accord  conclu  devant  la  djemâ'â.  Cet  accord  porte  le  nottn  d'  «  ames- 
lah  ».  Le  mineur  encore  chez  son  père  ne  peut  consentir  valable- 
ment une  transaction;  au  contraire,  la  femme  peut  régulièrement 
transiger,  même  sans  le  consentement  de  son  omari.  L'ameslah  est 
obligatoire  pour  les  parties,  si  chacune  d'elles  a  désigné  préalable- 


LA  JUSTICE  BERBÈRE  AU  MAROC  CENTRAL  187 

ment  un  amasaï,  une  caution  qui  répond  de  l'exécution  de 
la    transaction. 

Dans  la  plupart  des  affaires  qui  lui  sont  soumises,  la  djemâ'â  invite 
en  effet  chacune  des  parties  à  désigner  un  amasaï;  l'amasaï  du  de- 
mandeur est  choisi  par  le  défendeur  et  réciproquement.  L'amasaï 
ainsi  désigné  peut  être  récusé.  Au  cas  de  récusation  d'un  amasaï,  la 
djemâ'à  invite  la  partie  récusante  à  proposer  trois  noms  d'imasaïen 
entre  lesquels  l'adversaire  a  le  droit  de  choisir. 

L'amasaï  est  libre  d'accepter  ou  de  refuser  la  mission  qui  lui  est 
confiée.  Il  refusera,  s'il  n'est  pas  sûr  de  voir  la  partie  dont  il  est  la 
caution,  accepter  la  décision  qui  interviendra,  car  il  est  lui-même 
responsable  de  cette  exécution;  le  plus  souvent,  il  exigera  la  remise 
d'une  bête  dont  le  prix  suffira,  le  cas  échéant,  à  le  garantir  des 
condamnations  qui  pourront  être  prononcées.  Si  le  plaideur  n'est 
pas  riche  et  ne  possède  pas  de  troupeaux,  il  remet  en  gage  son  fusil 
à  l'amasaï,  dont  c'est  la  meilleure  sûreté.  L'amasaï  doit,  s'il  accepte 
sa  mission,  le  déclarer  expressément  devant  la  djemâ'â. 

Si  l'une  des  parties  ne  trouve  pas  de  répondant  dans  sa  propre 
djemâ'â,  elle  va  quelquefois  trouver  une  djemâ'â  voisine,  à  laquelle 
elle  offre  un  sacrifice,  et  qui,  par  suite,  ne  peut,  sans  encourir  le 
ùr,  refuser  de  lui  désigner  un  amasaï  parmi  ses  membres. 

11  est  possible,  d'autre  part,  qu'aucun  des  imasaïen  suocessive- 
ment  désignés  n'accepte  cette  mission.  La  djemâ'â  examinera  alors 
^'il  n'y  a  pas  là  une  présomption  grave  défavorable  à  celle  des  par- 
ties pour  laquelle  nul  ne  veut  se  porter  caution,  et,  très  souvent, 
en  pareille  hypothèse,  gain  de  cause  est  donné  à  l'adversaire. 


Lorsque  la  djemâ'â  n'a  pas  réussi  à  concilier  les  parties  ou  lorsque 
l'affaire  traîne  en  longueur  devant  elle,  les  parties  vont  soumettre 
leur  différend  à  un  arbitre.  La  djemâ'â  peut  conseiller  aux  parties 
d'aller  voir  tel  ou  tel  arbitre,  mais  en  aucun  cas,  elle  ne  peut  les  y 
contraindre.  Les  plaideurs  qui  consentent  à  constituer  un  arbitre 
prononcent  habituellement  devant  la  djemâ'â  la  formule  du  piquet 


188  H.  BRUNO 

iulu:-n-t(igust.  u  Nous  a\oiis  eiifoncé  le  piqucl.  che/  un  Lt3il  », 
disent-ils. 

Dans  los  affaires  ^n^aves  qui  pourraient  mettre  aux  prises  deux  frac- 
tions et  déchaîner  la  baroud,  la  djenia'à  peut  faire  appel  aux  nota- 
bles d'autres  iljdinà'Vi  (jiii  s(^  réunissent  en  conseil  n[)pelé  ajeinon  . 
L'ajeniou'  donne  un  a\  is,  propose  une  solution,  sans  pouvoir  jamais 
l'imposer.  Si  les  parties  refusent  de  s'y  soumettre,  ell(>s  sont  ren- 
voyées de\ant  l'arbitre;  mais,  pas  plus  que  la  djemà'à,  l'ajcjnou'  ne 
peut  désigner  l'arbitre  appelé  à  statuer,  car,  disent  les  Berbères,  le 
juge  qui  ferait  l'objet  de  cette  désignation  pourrait  fort  bien  être 
l'ennemi  de  l'une  des  parties. 

Les  litiges  se  règlent  donc  très  souvent  par  voie  d'arbitrage,  les 
parties  désignant  d'un  commun  accord  un  arbitre  {anehchani,  pi. 
inehchamen;  anzerju,  pi.  inzurfa),  auquel  eiUes  soumettent  lem' 
différend. 


L'arbitre  est  généralement  choisi  parmi  les  homjnes  réputés  sages 
et  de  bon  conseil;  il  peut  être  pris  dans  un  autre  douar  ou  même 
dans  une  tribu  étrangère.  L'opinion  publique  seule  confère  le  titre 
d'anehcham,  et  il  y  a  souvent  plusieurs  inehchamen  dans  une  même 
tribu.  D'ailleurs,  quand  il  s'agit  de  questions  de  pur  fait,  les  parties 
s'en  remettent  souvent  à  la  décision  d'un  notable  de  la  djemâ'à, 
même  s'il  n'a  pas  la  qualité  d'arbitre. 

Les  fonctions  d'arbitre  sont  entièrement  gratuites  :  la  horma 
—  l'honneur  d'être  choisi  —  est  considérée  comme  une  rétribution 
suffisante. 

Les  règles  précédemment  exposées  en  ce  qui  concerne  l'appel  en 
justice,  la  désignation  des  imasaïen  et  l'exécution  des  sentences  pouii" 
les  affaires  portées  devant  la  djemâ'à,  sont  les  mêmes  dans  la  procé- 
dure suivie  devant  l'arbitre,  qui  est  également  gratuite. 

Quand  l'arbitre  a  été  désigné  et  les  répondants  choisis  par  les  par- 
ties, le  jour  de  la  cqmparution  est  fixé  par  les  imasaïen.  Les  imasaïen 
assistent  aux  débats,  mais  ne  prennent  pas,  en  principe,  la  parole; 
ils  sont  là  pour  entendre  la  décision  de  l'arbitre  et  la  faire  respecter. 


LA  JUSTICE  BERBÈRE  AU  MAROC  CENTRAL  189 

Ici  encore,  les  parties  ne  sauraient  refuser  de  se  présenter  devant 
l'arbitre;  en  effet,  l'amasaï  doit  assurer  la  comparution  de  son  client, 
et  chaque  partie  a  eu  soin  de  choisir  pour  son  adversaire  un  amasaï 
capable  de  lui  imposer  sa  volonté.  Si  cependant  un  des  plaideurs 
refuse  de  se  présenter,  l'amasaï  qui  s'est  porté  fort  pour  lui  doit,  le 
cas  échéant,  exécuter  en  son  lieu  et  place  la  condamnation  qui  sera 
prononcée;  en  même  temps,  il  en  informe  la  djemâ'â  et  la  prend  à 
témoin;  ainsi,  plus  tard,  la  djemâ'â  l'aidera  à  se  faire  rembourser 
de  ses  avances. 

D'ailleurs^  la  coutume  berbère  n'ignore  pas  le  jugement  par  défaut  : 
l'arbitre  a  le  droit  de  prononcer  imimédiatement  un  jugement  contre 
'la  partie  défaillante,  s'il  y  a  eu  takitiit  nhah,  c'est-à-dire  si  les 
parties  ont  prononcé  la  formule  «  takitut  nhah  »  (rendez- vous  nhah), 
devant  la  djeanâ'â.  Si  le  mot  nhah  n'a  pas  été  prononcé,  il  faut  trois 
défauts  successifs  pour  qu'un  jugement  puisse  être  rendu  par 
l'arbitre  contre  la  partie  non  comparante. 

L'arbitre  n'entend  jamais  directejnent  les  témoins  dont  les  déposi- 
tions sont  recueillies  par  les  imasaïen,  dans  les  conditions  déterminées 
par  l'orf.  De  même,  au  cas  de  contestation  en  matière  immobilière, 
l'arbitre  ne  se  transporte  jamais  sur  les  lieux.  Lorsqu'il  a  entendu  les 
parties,  il  les  renvoie  devant  la  djemâ'â,  qui  doit,  elle,  se  rendre  sur 
les  lieux  et  communiquer  à  l'arbitre  les  résultats  de  son  transport. 

L'arbitre  peut  refuser  de  juger  —  même  si  les  parties  lui  ont  jeté 
le  'âr  —  quand  il  trouve  l'affaire  trop  compliquée,  mais  cela  arrive 
rarement.  Il  a  la  faculté,  dans  les  affaires  délicates,  de  prendre 
l'iavis  d'autres  arbitres,  mais  lui  seul  a  qualité  pour  trancher  le  litige. 
m  est,  d'ailleurs,  loisible  aux  parties  de  désigner  elles-mêmes,  au  lieu 
'd'un  arbitre  unique,  deux  ou  trois  inehchamen  qu'elles  chargent  de 
trancher  leur  différend;  c'est  ce  qui  se  passe  généralement  quand 
demandeur  et  défendeur  ne  sont  pas  d'accord  sur  le  choix  de  l'arbitre; 
ils  désignent  alors  chacun  un  arbitre,  et,  ou  bien  les  deux  inehcha- 
men siègent  en  tribunal  ensemble,  ou  bien  —  si  les  parties  appar- 
tiennent à  deux  djemâ'â  différentes  —  elles  vont  successivement  de- 
vant l'un  et  l'autre  de  leurs  juges.  Si  les  arbitres  adoptent  la  même 
sentence,  celle-ci  est  obligatoire  pour  les  parties.  Sinon,  il  y  a  lieu  à 
désignation  d'un  troisième  arbitre  qui  décide  souverainement. 


190  II.  BRUNO 

Les  parties  peuvent  s'engager  par  avance  à  aoccpier  la  décision  de 
J'arbitre,  quelle  qu'elle  soit.  Dans  ce  cas,  la  décision  du  premier  arbi- 
tre est  considérée  comme  sans  appel.  Ce  principe  comporte  cependant 
une  exception  :  il  i)eut  arriver  que,  même  en  pareil  cas,  l'arbitre 
accorde  à  la  partie  qui  a  succombé  et  qui  se  déclare  mécontente  de  sa 
décision,  l'autorisation  de  recourir  au  jugement  d'un  autre  arbitre; 
c'est  le  droit  i]o  souJaii.  Mais  l'arbitre  a  Je  .droit  de  refuser  le  soidali 
demandé. 

Si  les  parties  n'ont  pas  convenu  de  s'en  tenir  à  la  décision  du  pre- 
mier arbitre,  le  plaideur  condamné  ou  débouté  peut  demander  que  le 
litige  soit  exanniné  à  nouveau  par  un  second  arbitre.  La  décision  que 
rendra  ce  dernier,  même  si  elle  est  conforme  à  la  première,  ne  sera 
elle-même  souveraine  que  si  les  parties  lui  ont  reconnu  le  droit  de  se 
prononcer  sans  appel.  Bien  plus,  la  partie  succombante  dans  cette 
nouvelle  instance  peut  provoquer  la  désignation  d'un  troisième  arbi- 
tre, mais  la  décision  qui  sera  rendue  à  la  suite  de  cette  nouvelle 
épreuve  sera  sans  appel. 

La  partie  qui  a  succombé  devant  le  premier  arbitre,  mais  à  laquelle 
les  deuxième  et  troisième  arbitres  ont  successive  ment  donné  gain  de 
cause,  peut,  dans  certaines  circonstances,  prendre  à  partie  le  premier 
juge  et  le  faire  condamner  à  des  dommages-intérêts,  suivant  le  cas, 
•en  nature  ou  en  argent. 

11  est  possible  que  les  deux  plaideurs,  après  avoir  désigné,  d'un 
commun  accord,  un  premier  arbitre  dont  la  décision  n'a  pas  été  ac- 
ceptée, n'arrivent  pas  à  s'entendre  sur  le  choix  d'un  second  ou  d'un 
troisième  juge.  Dans  ce  cas,  ce  sont  les  imasaïen  qui  désignent,  en 
leur  lieu  et  place,  l'arbitre  auquel  sera  soumise  la  contestation. 


Le  serinent  judiciaire  tagalit,  prêté  sur  un  siyd  est,  en  dehors 
du  témoignage,  le  mode  de  preuve  le  plus  fréquemment  employé.  Il 
est  déféré  par  l'arbitre  au  défendeur,  à  l'exclusion  du  demandeur,  et 
le  défendeur  doit,  en  outre,  être  accompagné  de  co-jureurs  {im- 
cfild),  dont  le  nombre  varie  suivant  les  tribus.  Si  les  parties  sont 
du  même  douar,  en  môme  temps  que  le  défendeur,  doit  jurer  un  de 


LA  JUSTICE  BERBÈRE  AU  MAROC  CENTRAL  191 

ses  parents,  désigné  par  le  demandeur;  ce  co-jureur  porte  le  nom 
d'  «  amenqar  ».  Cet  amenqar  peut  être  un  fils  du  défendeur,  même 
encore  au  sein;  cet  enfant,  disent  les  Berbères,  sera  puni  par  Dieu, 
si  son  père  est  parjure;  dans  la  plupart  des  cas,  la  femme  sachant 
son  mari  de  mauvaise  foi,  l'invitera  à  se  libérer  et  à  ne  pas  faire  ju- 
rer leur  fils  pour  lequel  elle  redoute  le  châtiment  qui  suivrait  le 
faux  témoignage. 

Le  nombre  des  co-jureurs  est  généralement  porté  à  cinq,  quand 
les  parties  appartiennent  à  deux  djemâ'â  différentes;  il  y  a  toujours 
parmi  eux  un  amenqar  choisi  par  le  demandeur.  L'amenqar  jure 
le  premier.  Il  prend  un  pan  de  son  selham  et  en  frappe  le  seuil  ou  le 
mur  d'entrée,  tout  en  prononçant  la  formule  sacramenteille;  c'est-à- 
dire  :  que  ma  tente  soit  vide,  soit  balayée  comme  je  le  fais,  si  je 
prête  un  faux  serment.  »  Quand  l'amenqar  a  juré,  les  quatre  autres 
co-jureurs  sont  généralement  dispensés  du  serment 

On  retrouve,  en  matière  de  serment,  le  takitut  nhah.  S'il  y  a  eu 
takitut  nhah  et  si  le  défendeur  ne  se  présente  pas  au  jour  fixé  avec 
ses  co-jureurs,  il  est  condamné  par  l'arbitre;  si,  au  contraire,  c'est 
le  demandeur  qui  n'est  pas  présent,  le  défendeur  fait  constater  au 
moqaddem  du  siyd  l'absence  de  son  adversaire,  qui  ne  pourra  plu*^ 
rien  lui  réclamer  par  la  suite.  Si  l'amenqar  est  malade  ou  absent  et 
le  fait  vérifié  par  la  djemâ'â,  le  serment  est  remis  à  une  date 
ultérieure. 


L'arbitre  juge  suivant  la  ooutuime  traditionnelle  (azref,  izref,  abrid) 
qui  réglemente  très  [minutieusement  tous  les  rapports  sociaux,  toutes 
les  questions  de  droit  :  statut  personnel,  statut  successoral,  statut 
immobilier... 

L'exécution  des  décisions  est  assurée  par  les  imasaïen,  qui  répon- 
dent de  l'obéissance  de  ceux  dont  ils  sont  les  garants. 

Henri  Bruno. 


LE  QÀNOÛN  DES  MÀTQÂ 


Les  monuments  de  la  littérature  juridique  berbère  (i)  —  qânoûn 
en  Algérie,  izref  au  Maroc  —  ne  se  présentent  pas,  en  général,  dans 
une  forme  rédigée.  Le  texte  de  la  norme  juridique  n'est  pas  écrit; 
la  formule  en  est  conservée  dans  la  mémoire  des  anciens  qui  la  ré- 
pètent par  cœur  et  se  la  transmettent  oralement. 

Quand  une  rédaction  du  texte  existe  —  fait  encore  rare  —  ce 
n'est  pas  de  leur  propre  mouvement  que  les  rédacteurs  y  ont  procé- 
dé, mais  sous  l'influence  de  circonstances  extérieures,  par  complai- 
sance ou  sur  l'injonction  de  l'autorité.  Le  plus  souvent,  alors,  elle 
est  le  fait  de  tolbâ  qui  ont  recours  à  la  langue  arabe,  non  pas  pour 
Iranserire  le  texte  lui-même  en  lettres  et  signes  équivalents,  la  lan- 
gue berbère  n'étant  pas  ou  n'étant  plus  une  langue  écrite,  —  mais 
pour  en  exprimer  le  sens;  en  ce  cas,  il  y  a,  non  pas  rédaction,  à  pro- 
prement parler,  mais  traduction;  et  l'utilisation  qui  en  est  faite  en- 
suite par  les  Français  s'accompagne  nécessairement  d'une  deuxième 
traduction  (2).  Nous  ne  possédons  guère  qu'un  petit  nombre  de  textes 
transcrits  (3)  ou  traduits  (4)  directement  de  la  langue  berbère  en 
langue  française. 

Il  est  banal,  aujourd'hui,  de  redire  le  caractère  oral  de  la  litté- 
rature juridique  berbère.  Mais  peut-être  les  juristes  n'ont-ils  pas, 
jusqu'ici,  pris  suffisamment  garde  à  l'incertitude  dont  ce  caractère 

(i)  V.  Henri  Basset,  Essai  sur  la  littérature  des  Berbères,  Thèse  lettres,  Alger,  Carbone!, 
1920,  p.  83-IOO.  Enumération  p.  S3-S'|. 

(2)  P.  ex.  les  textes  recueillis  par  Hanoteau  et  Letourneux,  in  La  Kabylie  et  les  coutu- 
mes kabyles;  Nehlil,  h'azref  des  tribus  et  qsour  berbères  du  Haut-Guir,  Archives  berbères, 
1916,  fasc.   I. 

(3)  V.  Belkassem  ben  Sedira,  Cours  de  langue  kabyle,  Alger,  Jourdan,  1887,  p.  296- 
355,  texte  non  traduit  de  9  qânoûn  kabyles;  Saïd  Boulifa,  Le  kanoun  d'Adni,  texte  et  tra- 
duction in  Mémoires  et  Texte?  publiés  en  l'honneur  du  XIV*  Congrès  des  Orientalistes  par 
l'École  supérieure  des  Lettres  d'Alger,   Alger,    1905. 

(1)  Saïd  Boulifa,  op.  cit.,  Adde  les  textes  recueillis  par  Masqueray  in  Formation  des  cité» 
sédentaires- 


194  L.  MILLIOT 

accompagne  r€xpression  originale  de  la  pensée  berbère;  et  il  semble 
qu'ils  se  soient  moins  encore  souciés  de  la  déformation  que  peut  lui 
faire  subir  le  procédé  de  li\ation  généralament  employé  :  deux  tra- 
ductions successives,  en  doux  langues,  l'arabe  et  le  français,  qui  cor- 
.ix?sixindeul  à  deux  systématisations  différentes.  On  ne  saurait  trop 
regretter,  dans  cet  ordre  d'idées,  que  nous  ne  possédions  pas  les 
textes  sur  lesquels  ont  travaillé  Ilanoteau  et  Letourneux;  et,  sans 
vouloir  en  rien  diminuer  le  mérite  et  la  valeur  de  leur  œuvre,  il  faut 
également  déplorer  la  tendance  de  la  jurisprudence  algérienne  à 
y  voir,  sinon  une  ccxlification,  tout  au  moins  une  rédaction  défini- 
tive des  coutumes  kabyles. 

Nous  pensons  réduire  au  minimum  les  inconvénients  que  nous 
venons  de  signaler,  en  donnant  la  reproduction  photographique  du 
texte  du  qànoûn  des  M'àtqâ,  en  même  temps  que  sa  traduction  (i), 
suivie  des  observations  qu'il  comporte. 

I.    —  Traduction. 

Louange  à   Allah,   l'unique. 

Qu'il  répande  ses  bénédictions   sur  notre  Seigneur  Mohammed! 

Qanoûn  ayant  pour  objet  d'ordonner  la  jurisprudence  des  djemâ'â, 
d'après  l'ancienne  coutume  suivie  dans  la  tribu  des  M'âtqà  —  Allah 
les  favorise  1 

I.  —  Dans  chaque  village,  il  doit  y  avoir  un  amîn  et  des  tamân.  Ces 
représentants  désignent  ensuite  un  amîn  pour  toute  la  tribu.  Cet 
amîn  (des  amîn)  choisit  lui-môme  ses  tamân  dans  toute  la  tribu.  Il 
a  un  droit  de  contrôle  général;  aucun  litige  ne  peut  être  tranché  que 
devant  lui.  Toutes  les  fois  qu'une  djemâ'â  (de  village)  inflige  une 
amende  à  quelqu'un,  il  (peut)  augmenter  cette  amende  et  la  porter 
au  triple.  Lorsqu'il  tranche  un  litige,  sa  décision  est  définitive;  per- 
sonne ne  peut  l'annuler. 

(i)  Le  texte  lui-même  est  inédit.  Le  mérite  de  ca  découverte  revient  à  M.  Hacoun- 
Campredon,  avoué  à  Tizi-Ouzou,  auteur  d'une  Etude  sur  l'évolution  des  coutumes  kabyle%, 
spécialement  en  ce  qui  concerne  Vexhérédation  des  femmes  et  la  pratique  du  habous,  Thèse 
droit,  Alger,  1921,  où  l'on  trouvera,  p.  ^8-62,  une  première  traduction  du  qânoûn  dei 
M'âtqà. 


LE  QAIVOUN  DES  M'ATQA  195 

2.  De  la  chef  a,  —  La  chef 'a  s'exerce  sur  les  immeubles  indivis  et 
sur  ceux  possédés  par  des  frères. 

Lorsqu'un  co-propriétaire  vend  (ses  droits  sur)  un  immeuble  in- 
divis entre  lui  et  un  mineur  (i),  la  vente  ne  devient  définitive  qu'un 
an  après  la  puberté  de  ce  mineur.  Jusqu'à  l'expiration  de  ce  délai, 
ce  dernier  peut,  à  tout  moment,  exercer  la  reprise  de  son  bien,  sans 
qu'aucune  objection  puisse  être  élevée.  Quant  à  l'absent,  il  peut 
exercer  la  chef 'a  sur  sa  part  et  sur  celle  de  ses  frères,  même  si  sa 
part  dans  les  immeubles  est  infime.  La  vente  faite  en  pareil  cas  ne 
devient  définitive  que  trois  jours  après  le  retour  de  l'absent. 

Le  mineur  peut,  toutefois,  exercer  la  chef'â  tant  sur  sa  part  que  sur 
l'immeuble  même  dont  il  possède  une  part,  si  minime  soit-elle. 

3.  De  la  transaction.  —  Au  cas  où,  à  la  suite  d'un  litige,  des  gens 
de  bien  et  des  notables  interviennent  et  mettent  fin  au  différend  par 
un  arrangement  à  l'amiable,  cette  transaction  est  définitive  et  ne 
peut  être  annulée,  même  de  l'accord  des  parties.  Celles-ci  ne  peu- 
vent rien  y  changer,  quelle  que  soit  l'importance  du  litige. 

4.  De  la  procuration  (2).  —  Donner  procuration  est  permis  dans 
toute  la  tribu.  Si  une  personne  donne  pouvoir  à  quelqu'un  de  la  re- 
présenter en  justice,  nul  n'empêchera  celui-ci  d'exercer  son  man- 
dat ou  de  gérer  l'affaire  (3)  de  son  mandant. 

5.  Des  marabouts.  —  Nos  ancêtres  faisaient  une  distinction  entre 
les  (marabouts  suivant  le  degré  de  leur  piété  et  de  leur  instruction. 

Ceux  qui  sont  des  gens  de  bien  et  de  paix,  nous  sommes  leurs  ser- 
viteurs et  nous  les  respectons. 

Ceux  qui,  au  contraire,  se  conduisent  mal,  nous  les  soumettons  à 
la  loi  commune,  sans  égards  spéciaux. 

6.  De  l'aumône.  —  Si  quelqu'un  fait  donation  aumônière  à  la  tribu 
ou  à  la  djemâ'â,  d'un  immeuble  ou  de  tout  autre  bien;  s'il  promet 
(en  présence  de  témoins  et  s'il  ne  se  rétracte  pas  avant  la  délivrance, 


(a)  Lire   «x'I^.,. 

(3)    Lire    ejjj-^'-       Ce  terme  suppose    un  maiidat  général;   mais,  dans   les  habitudes 
musulmanes,  le  mandat  ad  litem  revêt  souvent  ce  caractère. 


196  L.  MILLTOT 

le  don  est  acquis,  quelle  qu'en  soit  l'importance,  îi  la  tribu  ou  à  la 
dj€(mâ'â. 

Si,  au  contraire,  le  donateur  se  ravise  avant  le  moment  de  l'exécu- 
tion de  sa  promesse  et  révoque  son  aumône  en  présence  de  ceux  qui 
ont  été  témoins  ou  de  tous  autres,  la  donation  est  nulle  et  nul  n'y 
a  droit. 

"y.  —  La  fille  viero^e,  qu'elle  ait  ou  non  atteint  l'a^j^o  de  la  puberté, 
est  mariée  par  son  ouali,  qui  est  le  parent  Çâceh)  le  plus  proohe. 
Quant  à  la  femme  qui  a  cessé  d'être  vierge,  c'est  elle-même  qui  dis- 
pose de  sa  personne,  comme  elle  l'entend;  elle  est  libre  d'épouser  qui 
bon  lui  semble,  même  sans  dot. 

8.  —  Si  quelqu'un  a  fait,  en  faveur  de  certaines  parentes  par  les 
femmes,  telles  que  filles  et  sœurs  et  autres  femmes,  des  libéralités  por- 
tant sur  des  immeubles,  des  meubles  ou  du  bétail,  et  si  un  acte  de  do- 
nation de  habous  a  été  dressé,   personne  ne  peut  les  en  priver 

g.  —  La  femme,  répudiée  ou  devenue  veuve  après  avoir  été  chas- 
sée par  son  mari  du  domicile  conjugal,  n'a  droit  à  rien  dans  la  suc- 
cession de  son  mari. 

Si  ses  parents  lui  ont  fait  des  dons  qu'elle  a  emportés  chez  son 
mari  le  jour  de  la  consonimalion  de  son  mariage,  elle  n'a  pas  droit 
à  leur  reprise,  car  ses  biens  sont  devenus  la  propriété  de  son  mari. 

Cette  règle  ne  subit  d'exception  que  dans  le  cas  où  ces  objets  ont 
été  seulement  prêtés  à  la  fehnme  ou  lui  ont  été  donnés  deux,  trois 
jours  au  plus  après  la  consommation  du  mariage.  Alors  ces  biens 
isont  la  propriété  de  la  femme  et  personne  ne  peut  les  lui  enlever. 

lo.  —  En  cas  de  querelle,  celui  qui,  pour  frapper  son  adversaire, 
(se  sert  d'un  fusil  —  que  le  coup  rate,  qu'il  n'atteigne  pas  son  but, 
que  les  chiens  ne  fonctionnent  pas  ou  qu'il  y  ait  blessure,  —  d'un 
isabre,  d'un  poignard,  d'une  hachette  ou  d'une  faucille,  est  passible 
d'une  amende  de  quinze  réaux,  ancienne  frappe;  celui  qui  se  sert 
d'un  bâton  ou  d'une  pierre  —  que  le  coup  ait  porté  ou  non,  — 
5  réaux;  celui,  enfin,  qui  ne  se  sert  que  de  ses  mains,  un  quart  de 
réal. 


LE  QANOUN   DES  M'ATQA  197 

11.  —  Lorsqu'une  femme  est  mariée  par  son  ouali  et  que  ce  der- 
nier conformément  à  la  coutume,  s'est  attribué  (i)  sa  dot,  la  femme 
ne  peut  rien  lui  réclamer  de  cette  dot  s'il  subvient  à  tous  ses  besoins. 
Mais  s'il  rompt  avec  elle  toute  relation,  s'il  ne  lui  fait  plus  rien  par- 
venir, la  femme  peut  le  révoquer  en  présence  de  notables  et  exiger 
de  lui  la  restitution  de  la  totalité  de  ce  qu'il  s'était  attribué  sur  le 
montant  de  sa  dot,   conformément   au   qànoûn. 

12.  —  En  cas  de  désaccord  entre  un  mari  et  ses  beaux  parents,  il 
peut  arriver  que  le  frère  ou  le  père  de  l'épouse  enlève  cette  dernière 
du  domicile  conjugal  :  si  le  mari  va  chercher  sa  femme  et  demande 
•et  obtient  son  retour,  toute  difficulté  est  aplanie. 

Mais  si  le  mari  n'obtient  pas  satisfaction,  il  peut,  à  son  choix  : 
ou  bien  (répudier  son  épouse  et)  exiger  le  remboursement  des  objets 
de  valeur  composant  la  dot,  tels  que  bijoux,  vêtements  de  soie,  et 
lui  laisser  seulement  de  quoi  se  vêtir  :  une  melhafa,  une  ceinture 
et  un  mouchoir  de  tête;  ou  bien  laisser  son  épouse  chez  les  parents 
de  celle-ci  et  conserver  l'autorité  maritale,  en  ce  sens  que  la  femme 
ne  pourra  se  remarier  qu'après  qu'elle  aura  obtenu,  de  son  mari,  sa 
répudiation  volontaire.  Sur  sa  demande,  la  femime  peut  toujours  faire 
cesser  son  état  d'insurrection  et  demander  à  rentrer  au  domicile  con- 
jugal sans  que  le  mari  puisse  s'opposer  à  la  reprise  de  la  vie  commune. 

i3.  —  Les  femmes  n'héritent  de  rien,  pas  plus  de  leurs  parents  que 
de  leur  mari. 

Cette  règle  s'applique  aussi  bien  aux  filles  de  notre  tribu  mariées 
au  dehors  qu'aux  filles  d'autres  tribus  mariées  chez  nous,  car,  de  tout 
temps,  nous  n'avons  ni  accordé  ni  accepté  (le  droit)  d'héritage. 

Toutefois,  la  fdmmc  répudiée,  veuve  ou  en  état  d'insurrection  doit 
être  reçue  par  ses  parents  qui  lui  doivent  le  logement,  l'habillement 
et  la  nourriture.  Si  ses  parents  se  refusent  à  accomplir  ce  devoir,  la 
tribu  fait  pression  sur  eux  jusqu'à  ce  qu'ils  prélèvent  sur  la  suiccession 
du  père  de  la  femme  ce  qui  est  nécessaire  à  cette  dernière  pour  son 
entretien,  à  dire  d'experts. 

(0  <^  J^\- 


198  L.  MILLIOT 

i4.  —  Chaque  femme  doit  s'habiller  suivant  la  fortune,  la  situa 
tion,  le  rang  ou  l'amour-propre  de  son  mari  ou  de  son  ouali. 

Un  homme  riche,  aimant  à  faire  parler  de  lui  ou  vaniteux,  est  libre 
d'acheter  à  sa  femme  ce  qu'il  veut  et  môme  de  la  couvrir  d'or, 
d'argent  et  de  soieries. 

Tel  autre,  au  contraire,  parce  qu'il  est  pauvre  t)u  avare  ou  sans 
dignité,  habillera  la  sienne  à  sa  volonté;  il  peut,  s'il  lui  plaît,  la  lais- 
ser nue,  sans  que  personne  ait  le  droit  de  s'immiscer  dans  son 
ménage. 

i5.  —  En  cas  de  vol  dans  un  jardin,  une  vigne,  un  verger  ou  un 
rucher,  si  le  délit  est  commis  de  jour,  la  victime  reçoit,  comme  répa- 
ration, l'équivalent  de  ce  qui  lui  a  été  soustrait  ou  l'objet  volé  lui- 
même,  à  la  condition  d'avoir  des  témoins  ou  de  s'être  saisie  de  la  per- 
(Sonne  du  voleur  ou  d'avoir  une  pièce  à  conviction.  A  défaut  de  ces 
preuves,  la  victime  peut  prêter  serment. 

Le  vol  commis  en  plein  jour  est  puni,  en  outre,  d'une  amende  de 
cinq  douros  au  profit  de  la  djemâ'â. 

Les  mêmes  règles  s'appliquent  au  vol  commis  pendant  la  nuit, 
mais  l'amende  encourue  par  le  délinquant  est  la  imèrne  qu'en  matiè- 
re de  meurtre,  soit  dix  douros. 

Celui  qui  tue  un  voleur,  ou  un  homme  en  flagrant  délit  d'adultè- 
re, ou  un  coupeur  de  routes  ne  doit  pas  le  prix  du  sang  et  n'encourt 
pas  la  peine  du  talion.  La  djemâ'â  ne  perçoit  pas  d'amende  de  la 
victime. 

Si  le  propriétaire  du  logis  a  manqué  le  malfaiteur  ou  l'a  seulement 
blessé,  ou  marqué,  ou  si  le  vol  est  prouvé,  la  réparation  due  à  la  vic- 
time de  ce  vol  est  celle  déjà  indiquée;  mais  l'amende  due  à  la 
djemâ'â  est  alors  portée  à  vingt-cinq  douros. 

i6.  —  Celui  qui  tue  son  frère  ou  son  'âceb  pour  recueillir  sa  suc- 
cession voit  tous  ses  biens,  réunis  à  ceux  de  la  victime,  attribués  à 
ila  djemâ'â  de  la  tribu,  à  titre  d'amende. 

17.  —  Celui  qui  se  rend  coupable  de  viol  ou  de  tentative  de  viol 

est  passible  d'une  amende  de  5o  réaux,  plus  exactement  :  de  26  douros. 

Est  passible  de  25  douros  d'amende  le  mari  qui  accepte,  moyen- 


LE  QANOUN  DES  M'ATOA  \99 

nant  finance,  de  retirer  sa  plainte  en  a(iiiltèr(>  contre  le  complice  de 
sa  femme;  ou  celui  qui,  n'ignorant  rien  de  l'adultère  de  son  épouse, 
iaccepte  la  situation,  ou  qui,  sa  femme  étant  revenue  et  niant  le  fait 
évident,  la  laisse  réintégrer  le  domicile  conjugal  et  ne  la  répudie 
point. 

Si,  au  contraire,  le  mari  répudie  sa  femme,  il  n'est  passible  d'au- 
cune amende;  c'est  le  complice  qui  encourt  seul  cette  peine. 

Et  c'est  d'Allah  que  nous  attendons  l'appui. 

Copié  lé  19  décembre  1869,  correspondant  aa  2k  djoiimâdâ  I  1276 
de  l'hégire. 

Le  capitaine  chef  du  bureau  arabe, 
Signé  :  Illisible. 
(Sceau  du  bureau  arabe  de  Tizi-Ouzou). 

II.  —  Observations. 

Le  qânoûn  dont  nous  venons  de  donner  la  traduction,  présente 
des  différences  sensibles  par  rapport  à  ceux  des  différentes  tribus  com- 
posant la  confédération  des  M'âtqâ,  dont  Hanoteau  et  Letourneux 
ont  publié  le  texte  (i).  Beaucoup  plus  condensé  que  le  qânoûn  des 
Ait  Khelifa,  qui  compte  68  articles,  il  est  plus  détaillé  que  les  autres, 
avec  ses  17  articles,  contre  2,  par  exemple,  au  qânoûn  des  lamra- 
ouïen,  ou  même  9  à  celui  des  lazzouzen  Bouadda.  Nous  inclinerions 
à  penser  qu'il  représente  un  texte  général  en  vigueur  chez  les 
M'âtqâ  (2),  dont  l'existence  aurait  échappé  aux  auteurs  de  La  Kaby- 
lie  et  expliquerait  l'insuffisance  de  six  sur  sept  des  qânoûn  par  eux 
publiés. 

La  date  et  la  signature  du  chef  du  Bureau  arabe  de  Tizi-Ouzoïi, 
apposées  au  bas  du  texte,  montrent  (3)  qu'il  a  été  rédigé  sur  l'injonc- 
tion de  l'autorité  militaire.  La  langue  est  souvent  incorrecte,  tou- 
jours médiocre  et  mêlée  d'expressions  kabyles.  On  relève  dans  l'or- 

(i)  La  Kabylîe,  III,  4oo  à  4o4. 

(2)  On  ne  peut  raisonnablement  le  considérer    comme  un  travail  de  synthèse  accompli 
par  le  rédacteur. 

(i)  La  Kabylie  venait  à  peine  d'être  pacifiée. 


iOO  L.  MILLIOT 

donnance  du  texte  l'incohérence  et  le  manque  coutuuiiers  de  pro- 
portions. Sur  dix-sept  articles,  trois  (i,  5,  lA),  sont  des  dispositions 
de  dix)it  constitutionnel  et  de  morale  sociale  et  traduisent  cet  étal 
d'esprit  qui  porte  le  Kabyle  à  s'occuper  volontiers  de  l'organisation 
politique  et  sociale.  Les  articles  i  et  5  délinissenl  spécialement  les 
droits  et  devoirs  de  l'amîn  et  les  prérogatives  des  marabouts.  Quatre 
articles  (lo,  i5  à  17)  édictent  un  tarif  de  peines  pécuniaires.  Les 
délits  prévus  :  vols  dans  les  jardins,  coups  et  blessures,  adultère  et 
enlèvmnent  des  feniaîies  —  sont  des  laits  oomsidcrés  comme  jwirlicii lib- 
rement graves  dans  un  pays  pauvre,  dont  la  population  très  dense, 
a  mis  en  valeur  toute  la  superficie  cultivable  et  ressent  vivement  celle 
sorte  d'atteinte  à  la  propriété  qu'est  le  pillage  des  récoltes;  dans  une 
société  d'humeur  batailleuse,  où  les  luttes  de  çofs  sont  souvent  très 
vives  et  les  mœurs  fort  libres.  —  Ce  qu'il  faut  surtout  remarquer,  c'est 
le  nombre  important  (10)  des  dispositions  consacrées  au  statut  per- 
sonnel et  aux  successions  (art.  2  à  /|,  6  à  9,  1 1  à  i3).  Le  qânoûn  pri- 
mitif est  essentiellement  un  tarif  de  peines  pécuniaires  et  les  règles 
de  pur  droit  privé  y  sont  rares.  Leur  présence  en  majorité  accuse  le 
caractère  évolué  de  notre  texte. 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'insister  autrement  sur  ces  observations  géné- 
rales (i).  Sur  trois  points  particuliers,  la  rédaction  du  qânoûn  mérite 
au  contraire  de  retenir  rattention. 


Pour  Hanoteau  et  Letourneux  (2),  dans  la  vieille  coutume  kabyle, 
c'est  la  djemâ'â  qui  exerce  le  rôle  de  juge.  Ces  attributions  judi- 
ciaires auraient  pu  paraître  anormales  et  leur  exercice  idifficile  par 
une  assemblée  nombreuse  et  souvent  agitée,  encore  que  le  rôle  prin- 
cipal y  fût  joué  par  un  petit  nombre  de  personnages  dirigeants. 
Il  ne  semble  pas,  néanmoins,  que  l'on  ait  jamais  songé,  en  Algérie, 
à  en  vérifier  l'existence  et  en  préciser  la  signification.  Le  rôle  judi- 
ciaire de  la  djemâ'â  avait,  d'ailleurs,  été  consacré  par  le  législateur 
de   1874. 

{i)  Pour  plus  de  détails  sur  les  caractères  généraux  des  qânoûn,  cf.  H.  Basset,  op.  cit., 
loc.  cH. 

(a)  La  Kabylie,  III,  7,  8. 


LE  QANOUN   DES  M'ATQA  201 

Or,  des  études  récentes  (i)  poursuivies  sur  le  droit  coutumier  des 
Berbères  marocains,  viennent  de  montrer  que  le  rôle  de  la  djejmâ'â 
n'y  est  pas  de  juger,  mais  de  concilier  les  parties,  et,  faute  de  pou- 
voir leur  faire  accepter  un  arrangement,  de  les  renvoyer  devant  un 
arbitre.  La  décision  même  de  ce  dernier  ne  sera  exécutée  que  du 
consentement  de  la  partie  condamnée.  A  défaut  de  cette  aoceptation, 
la  seule  ressource  du  demandeur  est  l'emploi  de  la  force,  s'il  en  est 
capable  personnellement  ou  s'il  se  sent  suffisamment  soutenu. 

-La  rédaction  de  l'article  i"  du  qânoûn  des  M'âtqâ,  qui  reconnaît 
compétence  à  la  djemâ'â  à  l'effet  de  prononcer  les  amendes,  mais 
confle  à  l'amîn  de  la  tribu  le  soin  de  trancher  les  litiges,  —  et  les  con- 
sidérations qui  précèdent  sur  le  droit  coutumier  des  Berbères  maro- 
cains conduisent,  au  moins,  à  douter  du  caractère  d'absolue  vérité 
de  l'opinion  soutenue  par  Hanoteau  et  Letourneux.  Il  y  a  bien  là 
un  point  obscur  de  doctrine.  On  pourrait,  croyons-nous,  l'éclairer 
par  une  consultation  des  décisions  des  djemâ'â,  dont  les  procès-ver- 
baux ont  été  conservés  (2). 


C'est  une  question  très  controversée  que  celle  de  savoir  si  le 
qânoûn  a  la  valeur  d'un  règlement  ou  s'il  est  un  simple  recueil  de 
coutumes.  Pour  certains  auteurs,  les  qânoûn,  «  règlements  de  police 
nécessaires  à  la  vie  en  société  »,  ((  ne  sont  pas  plus  des  conventions 
fadoptées  d'emblée  et  de  propos  délibéré  par  l'ensemble  des  citoyens 
que  sorties  en  une  fois  du  génie  du  législateur.  Ils  se  sont  formés 
petit  à  petit,  au  hasard  des  circonstances...  »  (3).  «  Les  prescrip- 
tions des  qânoûn  ne  visent  que  des  faits  particuliers;  elles  parais- 


(i)  V.  Bruno,  Note  sur  le  statut  coutumier  des  Berbères  marocains,  Archives  berbères, 
igiB-i'Qiô,  fasc.  3,  p.  187;  Abès,  Les  Izayan  d'Oulmès,  Arch.  berbères,  1915-1916,  fasc.  4, 
p.  274;  Bruno,  Introduction  à  Vétude  du  droit  coutumier  des  Berbères  du  Maroc  centra!, 
Archives  berbères,  1918,  fasc.  4.  p-  3o7. 

(2)  Si  un  certain  nombre  de  ces  décisions  pouvaient  être  considérées  comme  des  juge- 
ments, l'assertion  d'Hanoteau  et  Letourneux  se  trouverait  vérifiée,  au  moins  comme  règle 
générale.  Nous  n'avons  point  connaissance  de  décisions  de  ce  genre.  Celles  rapportées  par 
M.   Hacoun-Campredon,  op.   cit-,  n'en  ont  certainement  pas  la  valeur. 

(3)  H.  Basset,  op.  cit.,  p.  89. 

mbsp6ris.  —  T.  II.  —  1922  14 


202  •'•  MIM.IOT 

sent  l'une  après  l'autre,  coiunie  dos  juji^enienls  anticipés.  »  (i).  Dans 
une  opinion  contraire  (2),  le  qàttoûn  est  un  ensemble  de  dispositions 
réo-lementaires  ayant  leur  fondement  dans  des  conventions,  dans 
des  accords  contractuels. 

On  pourrait  jyenser  à  tirer  argument,  en  faveur  de  cette  dernière 
opinion,  de  l'emploi,  dans  l'intitulé  du  qànoûn  des  M'atqa,  de  l'ex- 
pression tartih,  qui,  dans  la  leehnologie  juridique  moderne,  a  par- 
fois le  sens  de  disposition  ayant  force  de  règlement  ou  de  loi.  Mais, 
d'abord,  nous  croyons  plus  rationnelle  la  traduction  dans  le  sens 
original.  D'autre  part,  il  n'est  pas  difiicile  de  s'apercevoir  que  l'in- 
ititulé  du  qànoûn  est,  en  réalité,  une  définition  que  le  rédacteur  a 
pris  la  précaution  d'en  donner.  Cette  définition  est,  déjà,  une  inter- 
prétation et  il  nous  semble  dangereux  d'appuyer  sur  elle  un  com- 
mentaire. Nous  avons  là  un  exemple  de  eette  déformation,  plus  haut 
signalée,  que  fait  subir  à  la  pensée  juridique  berbère  la  méthode 
de  travail  consistant  à  considérer  le  texte  arabe  qui  la  traduit  comUne 
&on  expression  originale. 


L'artiele  i3  du  qànoûn  refuse  tout  droit  de  succession,  aussi  bien 
aux  femmes  de  la  tribu  mariées  au  dehors  qu'aux  femmes  étrangères 
mariées  dans  la  tribu.  C'est  la  pratique  de  l'exhérédation  des  femmes, 
générale  à  toute  la  Kabylie,  où  elle  correspond  à  l'organisation  pa- 
triarcale de  la  famille,  composée  des  seuls  mâles  parents  par  les 
mâles  et  dont  les  femlmes  sont  exclues.  Le  texte  nous  apprend  même 
que  l'exhérédation  des  femmes  a  toujours  été  en  vigueur  chez  les 


(i)  Masqueray,  Formation  des  cités  sédentaires,  p.   56. 

(2)  Soutenue  par  M.  Morand,  en  ce  qui  concerne  spc-cialement  les  qânoùn  du  Mzab  in 
Études  de  droit  musulman  algérien,  p.  421,  Alger,  .Toiirdan,  1910,  en  s'appviyant  sur  la 
dénomination  de  tifâqât  ou  ((  recueils  de  conventions  entre  clercs  et  laïcs  »  qui  leur  «;sl 
donnée  par  les  indigènes.  On  peut  invoquer  dans  le  même  sens  la  mention,  fréquemment 
insérée  dans  les  qdnoûn,  que  le  texte  en  a  été  adopté  d'un  coniniun  accord  (cf.  par  exem- 
ple le  qànoûn  des  louadhien  (Hanoteauet  Letourneux,  La  Kabylie,  III,  3^1,  3ria)  ;  d'Agouni- 
n-tsellent  (aut.  cit.,  op.  cit.,  III,  362);  Nehlil,  L'azref  des  tribus  et  qsour  berbères  du  Haut- 
G'iiir,  (Archives  berbères,  fasc.  2,  igiS,  p.  88,  92,  96). 


LE  QANOUN   DES  M'ATQA  203 

M'âtqâ,  par  conséquent  dès  avant  la  célèbre  convention  de  Djemâ'â 
Sahâridj  (i). 

L'article  8  corrige  la  sévérité  de  cette  règle  :  les  femmes  peuvent 
être  bénéficiaires  d'une  donation  ou  d'un  habous.  Hanoteau  et  Le- 
tiourneux  sont  donc,  ici  encore,  beaucoup  trop  catégoriques  lors- 
qu'ils affirment  (2)  que  les  Kabyles  ont  aboli  le  habous  en  même 
(temps  que  la  vocation  successorale  des  femmes,  et  que,  depuis  17^8, 
il  n'a  pas  été  constitué  un  seul  habous.  La  règle  qu'ils  énoncent 
représente  seulement  la  coutume  dominante.  Encore  convient-il  de 
;remarquer  qu'ils  n'ont  recueilli  qu'une  cinquantaine  de  qânoûn  et 
qu'il  en  existe  plus  de  quatre  cents  en  Kabylie. 

Il  est  moins  exact  encore  de  dire  (3)  que  «  les  juges  français  ins- 
titués en  Haute-Kabylie  n'ont  plus  trouvé  trace  de  habous  au  sens 
musulman  du  mot  ».  Un  auteur  écrivait  récemment  (4)  avoir  eu  sous 
les  yeux  des  actes  de  habous  passés  par  des  Kabyles  en  1879  et  indi- 
quait les  nombreuses  décisions  par  lesquelles  les  tribunaux  algériens 
ont  statué  sur  la  validité  et  les  effets  de  l'institution.  Enfin,  suivant 
le  même  auteur,  le  nombre  des  habous  constitués  en  faveur  de  fem- 
mes irait  en  augmentant  d'année  en  année. 

En  admettant  même  qu 'Hanoteau  et  Letourneux  n'aient  pas  fait 
erreur,  il  reste  que  la  coutume  kabyle  a  évolué  depuis  l'époque  où 
ils  l'étudiaient. 


Cette  évolution  s'explique  aisément.  Il  faut  seulement  se  rappeler 
que  les  qânoûn  kabyles  ont  été  recueillis  voilà  plus  d'un  demi-siècle; 
que  leur  rédaction  était  déjà  un  peu  en  retard  sur  l'état  réel  des  cho- 
ses (5)  ;  que,  dans  cet  intervalle,  la  paix  française  et  le  contact  de 
notre  civilisation  ont  amorcé  un  grand  mouvement  de  transforma- 
tion de  la  société  kabyle;  notamment,  les  liens  de  la  famille  patriar- 


(i)   Cpr.  le  qânoûn  d'Adni,  (Boulifa,  op.   cit.,   loc.   cit.,  p.    i5i)    :   «   autrefois,  (avant 
1748)  les  femmes  héritaient  ».  v    - 

(2)  II,  34i,  US,  238,  note  i. 

(3)  Luc,  Le  droit   kabyle,   Paris,   191 7,  p.    121. 

(4)  Hacoun-Campredon,  op.  cit.,  p.    121,  117  et  •. 

(5)  H.    Basset,   op.    cit.,   p.    91. 


204  L.  MILLIOT 


cale  se  sont  relâchés.  Dans  la  situation  particulière  qui  nous  occupe, 
il  faut  encore  songer  au  phénomène  de  l'arabisation  de  la  Kabylie 
let  à  l'iniluence  des  cadis-notaires,  généralement  tout  disposés  à  faire 
prévaloir  les  institutions  inusuUnanes  sur  la  coutume. 


INfais,  en  l'état  actuel  de  la  législation  algérienne,  est-il  possible  de 
transporter  en  pays  kabyle,  pour  la  faire  fonctionner  dans  les  rap- 
ports entre  Kabyles,  une  institution  de  droit  musulman  comme  le 
habous  ? 

D'autre  part,  nous  savons  que  les  magistrats  algériens  ont  une 
tendance  fâcheuse  à  voir  dans  llanoleau  et  Letourneux  une  rédac- 
tion définitive  du  droit  coutumier  kabyle.  Si,  au  cours  d'im  procès, 
l'une  des  parties  demande  à  prouver  que  la  coutume  a  changé  depuis 
l'époque  où  elle  a  été  recueillie,  cette  demande  peut-elle  être  écartée 
par  application  de  la  règle  Jara  nov'it  cuiia?  ou  doit-elle,  au  con- 
traire, être  admise?  et  quelles  seront  alors  les  règles  de  la  preuve 
applicables  .^> 

Dans  le  cadre  étroit  de  cette  étude,  nous  ne  pouvons  songer  à 
résoudre  ces  questions.  Etre  obligé  de  les  poser  suffit  pour  nous 
amener  à  conclure  que  l'étude  du  droit  coutumier  berbère  a  été  beau- 
coup trop  négligée,  en  Algérie,  depuis  une  cinquantaine  d'années.  Et 
nous  terminerons  en  souhaitant  la  réalisation  prochaine  de  l'idée,  mise 
en  avant  par  de  bons  esprits,  d'instituer  un  Comité  algérien  d'études 
berbères. 

Louis  MiLLIOT, 

Professeur  à  la  Faculté  de  Droit  d'Alger. 


LE  QANOUN  DES  M'ATQA 


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Qànoùn  des  M'âtqà.  Texte  (I). 


206 


L.  IMILMOT 


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Qànoùn  des  M'âtqà.  Texte  (II). 


LE  QANOUN  DES  M'ATQA 


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Qànoùn  des  M'âtqà.  Texte  (111). 


208 


L.  MILLIOT 


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QAnoùn  des  M'âtqâ.  Texte  (IV). 


LES  •  MERJAS  •  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU 

(Suite  et  fin). 


III.   RÔLE  DES   MERJAS  DANS  LA  VIE   INDIGÈNE. 

Les  Indigènes  subissent  la  présence  des  merjas,  le  retour  périodi- 
que de  l'inondation  avec  un  fatalisme  résigné  conforme  à  la  fois  à 
leurs  idées  religieuses  et  à  leur  paresse  routinière.  Sauf  dans  des  ré- 
gions exceptionnelles  et  peu  étendues,  la  propriété  des  douars  en 
terres  labourables  est  largement  suffisante.  La  faible  densité  et  le 
faible  accroissement  de  la  population  n'obligent  pas,  comme  chez 
nous,  à  réagir  contre  le  partage  des  patrimoines.  La  nécessité,  seule 
loi  qu'ils  reconnaissent,  ne  les  pousse  pas  à  remédier  à  une  diminu- 
tion des  terres  cultivables.  D'ailleurs  quand  cette  nécessité  se  produit, 
la  tribu  ou  la  fraction  de  tribu  qui  a  «  faim  de  terres  »  a  un  moyen 
beaucoup  plus  commode  de  se  satisfaire  que  d'engager  à  coups  de 
pioche  une  lutte  sans  trêve  contre  les  forces  de  la  nature  :  à  cette 
conquête  pacifique  elle  préfère  l'emploi  du  fusil  et  le  rapt  violent  des 
terres  du  voisin.  Ainsi  firent  précisément  les  Béni-Ahsen  qui  ont 
chassé  de  la  rive  gauche  du  Sebou  les  tribus  du  R'arb. 

Il  est  évident  que  pour  assécher  les  grandes  Merjas,  pour  les  ga- 
gner à  la  culture,  il  faudrait  exécuter  des  travaux  dont  la  précision 
et  l'ampleur  dépassent  de  beaucoup  les  |moyens  des  Indigènes.  Mais 
dans  cette  plaine  au  sol  peu  résistant,  la  faiblesse  de  la  pente  qui  a 
permis  la  formation  de  la  merja  donne  aussi  le  moyen  de  s'en  pré- 
server. Le  moindre  obstacle  arrête  l'inondation  et  amène  un  change- 
ment local.  Il  serait  donc  facile  d'étendre  un  peu  les  terres  laboura- 
bles au  détriment  de  la  merja. 

En  fait  quelques  Indigènes,  obéissant  à  un  caïd  novateur,  l'ont 
tenté.  Dans  le  Hamtma,  le  caïd  des  Ouled  Hamid  eut  l'idée,  il  y  a 
25  ans,  d'endiguer  la  rivière.  Oh!  ces  travaux  ne  ressemblaient  en 


2iO 


j.  ci<i;iti\iKn 


rien  ;ui\  travaux  de  nos  infrénienrs  sur  la  fjoire!  On  éleva  doux  petits 
murs  hauts  de  i  m.  5o,  larges  de  i  mètre;  ils  étaient  faits  de  «  mok- 
dar  »,  moites  de  terre  grasse  simplement  séchées  au  soleil.  Ces  digues 
en  miniature  suffirent  pour  eonlenir  les  crues  du  Hamma  et  pendant 
quelques  années  les  Ouled  Ihuuid  labourèrent  en  paix  une  terre  neuve 
et  fertilisée.  Mallveineusement  ce  caïd  intelligent  mourut;  son  suc- 
cesseur n'hérita  sans  doiile  pas  de  ses  qualités;  les  administrés  qui 
a\ aient  fail  le  lia\ail,  aNaieul  joui  des  résultats,  ne  surent  pas  entre- 


Fig.  6.  —  Traversée  en  «  madia  »  de  l'O.  Rchl  jirès  do  sa  perle  en  Merja. 


tenir  l'œuvre,  réparer  les  brèches  faites  aux  murs  par  chaque  crue- 
Et  de  nouveau  le  Hamma  étendit  ses  eaux  sur  l'emplacement  des 
champs  de  blé;  des  témoins  des  murs  ont  longtemps  subsisté  dans 
la  merja.  Il  n'y  a  pas  de  spectacle  plus  marocain  que  ces  traces  de 
travaux  utiles  accomplis  par  un  homme  d'initiative  et  disparus  avec 
lui. 

Dans  la  merja  du  Tiflet,  un  résultat  aussi  avantageux  fut  obtenu, 
il  y  a  une  vingtaine  d'années,  par  un  moyen  différent.  Le  Tiflet  fut 
rejeté  dans  le  Smento  tout  proche  par  un  canal.  Toute  la  partie  mé- 
ridionale de  la  merja  appelée  Braïja  fut  ainsi  asséchée  et  gagnée  à 
la  culture.  Malheureusement  le  canal  était  peu  profond  et  peu  solide; 


LES  «  MERJAS  )>  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  211 

il  fut  vite  comblé  et  cessa  de  fonctionner  dès  l'année  suivante.  Dans 
le  Beht  une  autre  tentative  fut  encore  /moins  heureuse.  Deux  caïds 
essayèrent  d'établir  sur  le  Beht  un  barrage  qui  aurait  permis  d'assé- 
cher et  irriguer  les  zones  plus  basses  :  c'était  une  trop  grosse  entreprise 
qui  échoua. 

A  défaut  de  travaux  d'assèchement,  quelques  douars  montrent  un 
peu  moins  de  passivité  que  leurs  voisins.  Lorsque  la  Merja,  après  un 
hiver  peu  pluvieux,  se  retire  de  bonne  heure,  ils  labourent  de  petites 
parcelles  de  la  plage  et  sèment  quelques  plantes  à  développement  ra- 
pide, courges  ou  pastèques  par  exemple;  plus  rarement  les  cultures 
«  mazouzia  »  ou  cultures  de  printemps  coimme  le  maïs  sont  tentées. 
Sur  ces  bords  de  plages,  l'instabilité  est  telle  que  l'ameublissement  du 
sol  aimène  un  heureux  résultat.  Ainsi  le  Bled  Ameur  faisait  naguère 
partie  de  la  Merja  du  Beht;  les  Ababda  ,  l'ayant  occupé,  l'ont  si  bien 
labouré  qu'il  est  devenu  cultivable  en  tout  temps. 

Ces  exemples  d'appropriation  sont  rares  et  d'une  portée  restreinte. 
En  pratique  on  peut  dire  que  les  Indigènes  n'ont  fait  aucune  tentati- 
ve sérieuse  pour  utiliser  le  domaine  des  Mer] as  comme  terres  de  cu\- 
ture.  Heureusement  la  merja  offre  par  elle-même  des  ressources  ap- 
préciables. Les  Indigènes  en  ont  tiré  partie  dans  la  mesure  oii  le  pro- 
fit ne  leur  coûtait  aucune  initiative.  N'est-ce  pas  une  forme  de  res- 
pect envers  la  divinité  que  d'accepter  docilement  ses  dons  généreux? 
Cette  utilisation  a  pris  une  double  forme:  la  récolte  des  produits  spon- 
tanés de  la  merja,  l'affouage,  suivant  le  vieux  terme  de  la  Coutntme,  est 
le  procédé  le  plus  simple;  le  pâturage  est  déjà  un  raffinement. 

La  vie  végétale  et  animale  dans  la  merja.  —  Quand  on 
est  habitué  aux  plaines  du  pays  marocain  où  l'été  semble  détruire  tou- 
te vie  apparente  à  la  surface  du  sol,  on  n'imagine  pas  l'exubérance  de 
la  végétation  en  merja.  Certaines  parties  de  la  grande  merja  du  Beht 
constituent  des  fourrés  absolument  infranchissables;  on  n'y  peut  avan- 
cer qu'en  se  frayant  un  chemin  à  coup  de  serpe.  En  août  19 18,  une 
mission  du  Service  de  l'Hydraulique  ouvrait  ainsi  une  percée  entre 
Sidi  el  Harati  et  Ras  Beht.  Deux  équipes  y  travaillèrent,  marchant  à 
la  rencontre  l'une  de  l'autre.  Il  fallut  5  jours  d'un  labeur  opiniâtre  et 


212 


J.  CÉLÉRIER 


épuisant  pour  obtenir  un  chemin  de  4  kilomètres  et  deimi  de  long  sur 
quelques  mètres  de  large.  La  hauteur  des  plantes  empêchait  toute 
visée  d'instrument;  la  direction  fut  assurée  de  part  et  d'autre  avec 
des  fusées  éclairantes  tirées  la  nuit  à  heures  fixes.  Un  essai  d'incen- 


IH 


Fig-  "'■  —  Végétation  dans  la  grande  Merja  du  Beht.  L'européen  surveille  la  percée  faite  à  travers  les 
fourrés  en  vue  d'un  essai  de  nivellement.  Les  roseaux  pointant  au  milieu  du  berdi  atteignaient 
5  m.  de  hauteur.. 


die  n'eut  qu'un  demi  succès.  Les  ouvriers  indigènes,  travaillant  les 
pieds  dans  l'eau  par  une  température  de  5o°  au  milieu  de  cette  végéta- 
tion souvent  épineuse  faillirent,  à  plusieurs  reprises  abandonner  le 
chantier.  La  présence  de  grands  roseaux,  rares  dans  les  autres  merjas, 
rend  la  végétation  du  Beht  plus  puissante.  Partout  la  brousse  maréca- 
geuse est  un  gros  obstacle  aux  communications  :  on  n'y  peut  circu- 


LES  «  MERJAS  »,  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  213 

1er  ni  comme  sur  terre  ni  comme  sur  l'eau.  Dans  les  parties  les  plus 
profondes  poussent  de  grands  joncs  qui  atteignent  2  ".  5o  ;  les 
Indigènes  leur  donnent  le  nom  de  ((  berdi  ».  Les  plages  sont  couvertes 
par  une  haute  graminée,  «  ampelodesmos  tenax  »  qui  est  très  connue 
dans  toute  l'Afrique  du  Nord  sous  le  nom  de  diss.  D'autres  joncs,  le 
«  smar  »,  vivent  sur  les  bords,  par  grosses  touffes.  Entre  les  hautes 
tiges  du  diss  et  du  berdi,  une  végétation  exubérante  qui  s'épanouit  au 
printemps  forme  comme  un  sous-bois  :  ce  sont  des  plantes  semi-aqua- 
tiques, des  carex,  des  sagittaires,  des  gaillets;  des  liserons  enlacent  le 
l(^ut;  les  petites  fleurs  blanches  d'une  renoncule  forment  pendant 
quelque  temps  la  teinte  dominante  et  il  y  en  a  tellement  sur  les  bords 
qu'on  ne  distingue  pas  l'eau.  Enfin  la  masse  plus  humble  est  compo- 
sée par  des  herbes  fourragères  de  qualité  commune,  avoine,  bromes, 
ray-grass;  plus  rares  sont  les  trèfles  ou  les  luzernes. 

Tour  à  tour  étangs  et  prairies,  les  merjas  offrent  à  la  vie  animale 
des  conditions  variées,  mais  très  spéciales  :  la  faune  n'est  pas  moins 
abondante  et  variée  que  la  flore.  L'eau  boueuse  et  en  voie  d'assèche- 
ment ne  peut  convenir  aux  poissons  ordinaires  sauf  dans  la  Ras  ed 
Daoura;  les  conditions  sont  bien  différentes  de  celles  de  la  Merja 
Zerga  011  la  pêche  est  si  rénumératrice  qu'elle  est  affermée  par  l'État. 
Cependant  il  est  arrivé  à  quelques  colons  de  faire,  en  vidant  quelques 
trous  de  merja,  de  vraies  pêches  miraculeuses  de  barbeaux.  L'anguille, 
ce  poisson  attnphibie,  est  le  mieux  adapté  aux  merjas;  elle  y  circule 
aisément,  s'enfonce  sous  la  vase,  évacue  les  zones  devenues  tout  à  fait 
sèches  pour  former  dans  les  poches  d'eau  des  cherkets,  des  masses 
grouillantes.  La  faune  terrestre  est  mieux  représentée  :  ce  sont  sur- 
tout des  oiseaux  de  toute  grosseur  et  de  toute  couleur,  imais  surtout 
les  espèces  habituelles  des  marais  :  poules  d'eau,  pluviers,  vanneaux, 
bécassines;  les  ((  medeagrides  »  qui  faisaient  au  temps  de  Pline  l'An- 
cien les  délices  des  gounnets  de  Roime  «ont  sans  doute  des  outardes, 
cpi'on  ne  voit  plus  guère  dans  îles  merjas. 

Les  animaux  qui  ne  rampent  ni  ne  volent  se  sont  ouvert  des  passa- 
ges qui  forment  à  travers  les  fourrés  un  lacis  compliqué.  11  y  faut 
une  vigueur  exceptionnelle  :  aussi  est-ce  le  domaine  des  sangliers.  Les 
ilôts  de  terre  ferme,  que  défend  la  double  protection  de  fossés  pleins 


214  J.  CÉLÉRIER 

d'eau  et  des  barbelés  naturels,  con.stitueiit  des  bauges  inaccessibles  oii 
les  marcassins  grandissent  en  toutes  sécurité.  Les  Indigènes  signalent 
aussi  la  présence  de  liyènes  et  de  cliacals.  Ces  retraites  ne  sont  inacces- 
sibles que  pour  d'iionnêtes  cbasseurs.  Mais  les  bommes  qui  ont  un 
intérêt  à  vivre  cacliôs  ont  su  imiter  las  animuuix  sauvages.  Pendaint 
les  années  troublées  qui  ont  procédé  le  Protectorat,  la  grande  merja 
des  Béni-Alisen  l'ut  un  incomparable  repaire  de  bandits  :  on  peut  ai- 
sément y  établir  à  l'intérieur  de  petits  campements  en  huttes  de  ro- 
seaux ou  de  diss  qui,  cachés  par  la  végétation,  sont  tout  à  fait  invisi- 
bles. En  dehors  des  «<  outlaw  »,  quelques  bergers  couuaissaicuL  seuls 
les  labyrinthes  de  sentiers  qui  permettent  de  circuler  à  l'intérieur  de 
la  merja  et  de  gagner  les  îles.  Terrorisés  par  les  bandits,  ils  n'osaient 
rien  dire;  ceux-ci  vivaient  sans  inquiétude  au  détriment  des  douars 
voisins  et  des  troupeaux,  allant  vendre  leurs  larcins  dans  des  souks 
éloignés  de  leur  champ  d'opération. 

La  ((  cueillette  »  des  produits  de  la  merja.  —  La  proxi- 
mité de  la  merja  n'est  donc  pas  toujours  sans  danger  pour  les  rive- 
rains. Mais  les  avantages  en  sont  beaucoup  plus  grands.  11  convient 
de  remarquer  dès  l'abord  que  ces  avantages  appartiennent  exclusive- 
ment aux  riverains.  Quoique  ce  droit  ne  soit  écrit  nulle  part,  pas  plus 
sur  un  titre  authentique  de  propriété  que  sur  une  <(  jnoulkiya  »,  il 
n'a  jamais  été  mis  en  doute  par  les  riverains  ni  contesté  par  les  douars 
éloignés.  JNous  en  verrons  de  nombreuses  preuves. 

La  chasse  et  la  pêche  sont  un  premier  revenu  ;  les  grosses  anguilles  de 
la  merja  Bokka  (Sud  de  la  merja  du  Beht)  sont  chassées  plutôt  que 
pèchées  à  la  lance  ou  à  coup  de  llèches.  Brivcs  dit  avoir  vu  pécher  en  Ras 
ed  Daoura  avec  «  des  radeaux  primitifs   surmontés  d'une  voile  »  (i). 

La  récolte  du  diss  et  du  berdi  donne  lieu  à  une  véritable  petite  in- 
dustrie et  parfois  à  un  commerce.  Le  type  d'habitation  est  en  rap- 
port avec  ces  produits  spontanés  de  la  merja.  On  n'utilise  pas  beaucoup 
les  joncs  fins  qu'emploient  les  artisans  de  Salé  pour  leurs  belles  nates. 
Mais  le  berdi  sert  à  la  confection  des  «  ressass  »   •.  ce  sont  des  nattes 

(i)  Brives,   Voyages  au  Maroc,  page  ig. 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  215 

très  grossièrement  t.ressées  que  l'on  dispose  verticalement  autour  des 
tentes;  ce  ((  imur  »  vaut  bien  la  protection  qu'assure  le  toit  formé  d'une 
toile.  C'est  aussi  avec  le  berdi  qu'on  l'ait  les  radeaux  ou  «  niadi^a  » 
(fig.  6).  Le  diss  est  pdus  important  :  on  peut  doubler  en  diss  les  nattes 
de  berdi  qui  deviennent  alors  très  moelleuses.  Son  principal  rôle  est 
de  ibrmer  la  toiture  des  «  noualas  »,  buttes  cylindro-coniques  qui 
sont  comime  le  stade  intermédiaire  entre  la  lente  du  nomade  et  la 
maison  du  sédentaire.  Le  fond  argileux  de  la  merja  permet  de  fabri- 
(juer  d'excellents  «  onaokdar  »  avec  lesquels  on  élève  le  mur  circulaire 
de  la  nouala  qui,  ailleurs,  est  fait  avec  des  roseaux.  Sauf  dans  le  Beht, 
les  roseaux  sont  rares  dans  les  merjas  proprement  dites,  rnais  ne  sont 
pas  très  éloignés.  L'association  mokdar,  roseau,  diss  permet  de  créer 
des  habitations  assez  pratiques.  Lin  des  gérants  installés  par  la  Com- 
pag^nie  du  Sebou  sur  son  domaine  de  la  merja  Bou-Kliarja  s'est  fait 
eonstruire  avec  ces  matériaux  une  anaison  qui  est  un  modèle  du 
genre  :  deux  noualas  ont  été  réunis  par  un  corps  de  bâtiment  rectangu- 
iaire  dont  les  inurs  sont  naturellement  en  mokdar,  le  toit,  en  roseaux 
et  diss;  la  pente  du  toit  est  prolongée  jusqu'à  terre  par  un  clayonnage 
de  roseaux  fomnant  comme  une  vérandali.  L'ensemble  idonne  une  im- 
pression à  la  fois  rustique  et  élégante,  les  deux  nouailas  évoquant 
d'une  façon  amusante  les  tourelles  d'angle  de  quelque  vieille  gen- 
til honimièire  (fig.  i4). 

Le  diss  est  entré  dans  l'usage  courant  et  on  trouve  des  noualas 
couvertes  en  diss  très  loin  des  merjas.  Sa  récolte  est  donc  très  utile. 
Sur  les  terres  de  chaque  douar  et  près  des  merjas,  on  peut  en  voir  de 
gros  tas  coupés  à  l'avance.  Les  riverains  coupent  librement  leur  pro- 
\ision  dans  la  partie  de  merja  située  en  face  des  terres  du  douar  ; 
quoiqu'il  n'y  ait  point  de  limite  avec  la  zone  du  douar  voisin,  il  ne 
s'élève  point  de  contestation,  chacun  pouvant  se  servir  aussi  large- 
ment qu'il  le  désire. 

Les  rapports  avec  les  étrangers  sont  plus  variés  et  dépendent  sur- 
tout des  réserves  existantes.  Les  douars  qui  en  sont  riches  ne  deman- 
dent aucune  rétribution  aux  étrangers  qui  viennent  se  servir  dans 
la  merja;  «  car  c'est  une  chose  honteuse,  disent  les  Ouled  Riat,  que 
de  faire  payer  un  produit  accordé  bénévolement  par  Dieu.  »  Il  con- 


216 


J.  CÉLÉRIER 


vient  cependant  de  remarquer  que,  même  en  ce  cas,  les  riverains 
veillent  à  ce  qu'on  leur  demande  l'autorisation  pour  attester  que  l'usa- 
ge de  la  inerja  leur  appartient  exclusivement;  un  seul  habitant  du 
douar  suflit  pour  avoir  celte  autorisation,  cette  «  fabour  »  permettant 
surtout  de  se  créer  des  amis.  Dans  quelques  douars  qui  compren- 
nent des  familles  pauvres,  il  s'est  établi  un  usage  intermédiaire  entre 
le  don  gratuit  et  la  vente.  Ces  pauvres  gens  qui  n'ont  ni  terres  ni  bê- 


Fig.  8.  —  Berdi  et  roseaux  dans  la  Merja  Bou-Kharja. 


tes,  coupent  le  diss  et  le  préparent  en  bottes.  Les  étrangers  n'ont  plus 
qu'à  l'emporter.  Cotmme  on  vient  de  loin,  de  trente,  quarante  kilo- 
mères,  chercher  le  diss,  il  est  avantageux,  pour  ne  pas  trop  perdre 
de  temps,  de  n'avoir  pas  à  le  couper;  on  peut  aussi  en  emporter  une 
plus  grosse  provision  que  s'il  était  encore  tout  vert.  Les  étrangers 
paient  donc  par  botte  une  faible  redevance  qui  correspond,  non  à  la 
valeur  du  produit,  mais  au  travail  de  la  récolte. 

Enfin  certains  douars,  généralement  dans  les  zones  où  le  diss  est 
moins  abondant,  exploitent  sans  vergogne  ce  don  d'Allah.  Ils  en  font 
comimerce,  tels  les  Kebarta  du  Rdom  auxquels  on  donne  l'épithète 
de  «  marchands  de  diss  ». 


LES  «  MERJAS  »  .DE  LA  PLAL\E  DU  SEBOU  217 

Ce  commerce  donne  lieu  à  des  pratiques  malhonnêtes.  En  été,  on 
voit  parfois  de  grandes  flammes  s'élever  au-dessus  de  la  imerja.  L'in- 
cendie dure  de  longues  heures  et  s'arrête  de  lui-même.  Qui  a  mis  le 
feu?  —  Personne!  —  Un  aveu  de  responsabilité  attirerait  les  repré- 
sailles. On  accuse  vaguement  l'imprudence  des  bergers.  Ceux-ci  sont 
en  effet  quelquefois  responsables,  mais  leur  acte  a  été  volontaire;  ils 
se  proposent  d'augjmenter  la  surface  et  la  qualité  des  pâturages:  sur 
le  sol  fertilisé  par  les  cendres,  les  herbes  fourragères  poussent  mieux, 
en  particulier  si  l'incendie  est  suivi,  vers  le  mois  d'octobre,  des  pre- 
mières pluies.  Mais  le  plus  souvent  ceux  qui  mettent  le  feu  sont  les 
vendeurs  de  diss.  Comme  pour  tous  les  produits  marchands,  l'abon- 
dance de  diss  en  fait  baisser  le  prix.  Pour  raréfier  la  marchandise  on 
y  met  le  feu,  l'art  consistant  à  brûler  le  stock  du  voisin.  Le  voisin 
se  venge  de  même.  C'est  une  petite  guerre  sournoise  dont  les  armes 
sont  le  feu  et  le  vent.  Chacun  en  effet  profite  du  fmooient  où  le  vent 
est  favorable;  par  vent  d'Est  ce  sont  les  douars  de  l'Est  qui  incendient 
les  provisions  de  ceux  de  l'Ouest  et  inversement. 

Le  Pâturage.  —  Quel  que  soit  l'intérêt  de  la  récolte  du  diss,  les  In- 
digènes ont  toujours  considéré,  comme  le  montre  le  nom  imôiiie  de 

■»ini 

merja,  que  la  plus  grande  utilité  de  ces  marécages  était  de  constituer 
à  un  certain  moment,  des  pâturages.  Quand  le  soleil  d'été  a  tout  brûlé, 
que  les  troupeaux  doivent  faire  20  kilomètres  pour  s'abreuver  dans 
une  eau  boueuse  et  jaunâtre,  que  le  Maroc  semble  un  vestibule  du 
désert,  la  merja  apparaît  comme  une  véritable  oasis  dans  ce  Désert. 
Jamais  le  fourrage  n'y  fait  défaut;  à  la  vérité  il  est  de  qualité  assez 
médiocre,  mais  le  bétail  marocain  n'a  pas  l'habitude  d'être  gâté.  L'a- 
bondance des  points  d'eau  est  aussi  importante  que  le  fourrage.  Les 
douars  ont  en  général  des  puits  près  de  ileurs  installations,  ces  puits 
servant  pour  les  besoins  domestiques  et  pour  le  petit  bétail.  En  hiver 
le  gros  bétail  s'abreuve  facilement  à  même  la  nappe  d'eau  de  la 
merja;  quand  l'été  arrive,  la  merja  ne  peut  plus  servir  directement  : 
ou  bien  l'eau  y  disparaît  entièrement  ou  bien  l'eau  qui  reste  est  une 
cause  de  maladies.  Les  indigènes  creusent  alors  des  puits  au  bas  des 
plages  et  tout  autour  de  ia  merja;  la  nappe  d'eau  est  peu  profonde; 
ces  puits  ne  sont  pas  maçonnés;  ce  sont  de  simples  trous  qui  ont  au 

HESPÉRIS.  —  T.    II.    —   1922,  l5 


218  J.  CÊLÉRIER 

maximum  2  à  3  mètres  de  profondeur.  Les  bergers  y  puisent  avec  des 
seaux  el  remplissent  un  petit  abreuvoir  préparé  à  côté.  Quand  les 
pu  ils  s'éboulenl  sous  le  piétinement  dos  troupeaux,  on  en  creuse  un 
autre  à  côté  de  sorte  que  certaines  parties  de  merjas  apparaissent 
toutes  crevassées. 

Dans  ces  conditions,  l'élevage,  surtout  l'élevage  des  bovins  a  pu 
prendre  une  extension  qu'il  n'a  dans  aucune  autre  région  du  Maroc  : 
par  rapport  à  la  population  et  à  l'étendue  des  terres  labourables,  le 
nombre  des  bœufs  est  exceptionnellement  élevé.  Une  enquête  offi- 
cielle a  évalué  approximativement  à  37.000  le  nombre  de  bovins  vi- 
vant sur  les  merjas. 

En  principe,  la  merja  est  le  pâturage  de  la  saison  sècbe.  Mais  il  y 
a,  suivant  lies  merjas  et  suivant  Jes  douars,  d'assez  grandes  différences, 
au  point  de  vue  de  l'époque  exacte  et  du  mode  d'utilisation  des  pâtu- 
rages en  merja.  Ces  différences  sont  en  rapport  avec  le  nombre  de 
bêtes,  l'étendue  relative  des  terres  labourées  et  des  jachères,  l'état 
de  santé  du  bétail.  On  conçoit  aisément  qu'il  ne  soit  pas  sain  pour  le 
bétail  de  séjourner  au  pâturage  les  pieds  dans  l'eau.  Cependant  la 
période  oia  la  merja  est  le  plus  malsaine  est  la  saison  intermédiaire 
entre  les  grandes  crues  qui  renouvellent  l'eau  des  merjas  et  la  séche- 
resse complète.  Les  aninjaux  qui  pâturent  à  ce  moment  peuvent  être 
frappés  de  maladies  épidémiques  qui  font  de  grands  ravages  :  la  plus 
fréquente,  d'après  la  description  des  Indigènes,  semble  être  la  bron- 
cho-pneumonie vermineuse.  Néanmoins,  la  nécessité  est  parfois  plus 
grande  que  la  crainte  de  la  maladie.  Sur  les  bords  de  la  Merja  du 
Rdom,  en  particulier  à  l'Est,  les  terres  labourables  sont  d'une  fer- 
tilité remarquable;  la  population  est  nombreuse  et  riche.  C'est  pour- 
quoi, non  seulement  il  n'y  a  pas  de  ces  terres  incultes  qui  constituent 
pour  les  troupeaux  des  terrains  de  parcours  si  nombreux  au  Maroc, 
mais  encore  le  système  d'assolement  consistant  à  laisser  le  sol  en 
jachère  une  année  sur  deux  est  rarement  employé.  Or  au  Maroc  com- 
me dans  tous  les  pays  de  vie  agricole  encore  primitive,  la  richesse  du 
paysan  et  l'importance  du  cheptel  vif  sont  en  raison  directe  l'une 
de  l'autre.  Les  paysans  du  Rdoim  sont  donc  par  leur  richesse  même, 
dans  une  situation  difficile  :  ils  ont  de  nombreux  troupeaux  et  man- 


LÈS  «  MERJAS  .),  .DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  219 

quent  presque  complètement  de  pâturages.  Leurs  chaumes  ne  sont 
même  pas  suffisants  pour  les  moutons.  Par  suite  la  merja  est  la  seule 
ressource.  On  peut  calculer  qu'il  y  a  dans  la  merja  du  Rdom  deux: 
fois  plus  de  bovins  que  dans  la  merja  du  Beht  qui  est  deux  fois  plus 
grande.  Malgré  la  maladie  et  l'humidité,  certains  douars  laissent 
leur  gros  bétail  toute  l'année  dans  le  marais.  Le  spectacle  en  hiver  ne 
manque  pas  de  pittoresque.  Les  bœufs  broutent  les  pieds  dans  l'eau;  le 
«  gouzif  »,  ces  mottes  de  terre  gazonnée,  qui  sont  particulièrement 
fréquentes  dans  la  merja  du  Rdom  peu  profonde,  est  particulière- 
ment recherché;  comme  certaines  de  ces  mottes  sont  assez  grosses 
pour  former  com^me  un  petit  tertre,  les  bêtes  ont  l'air  d'y  manger 
dans  un  râtelier. 

Dans  les  autres  mer j as  les  riverains  sont  moins  embarrassés  :  ils 
ont  des  jachères  plus  ou  moins  étendues;  ils  disposent  de  terrains  de 
parcours,  le  plus  souvent  sur  des  terrains  trop  sablonneux,  le 
«  rmel  »;  ces  pâturages  de  rmiel  sont  en  général  de  qualité  supérieure 
aux  pâturages  des  merjas;  enfin,  les  paysans  du  Tiflet  sont  encore- 
plus  privilégiés  car  ils  peuvent  envoyer  leurs  troupeaux  dans  la  Fo 
rêt  de  la  Mamora. 

Dans  ces  conditions,  l'année  se  divise  en  trois  saisons  au  point  de 
vue  pâturage  :  après  les  pluies  de  la  fin  de  l'hiver;  les  bêtes  sont  dans 
les  terres  de  parcours,  rmel  ou  jachères;  après  la  récolte,  elles  brou- 
tent dans  les  chaumes  oii  la  paille  des  céréales  reste  presque  entière; 
de  la  fin  de  l'été  jusqu'aux  grosses  pluies,  elles  se  réfugient  dans  la 
merja.  En  sqmme  le  pâturage  de  merja  est  surtout  destiné  à  assui'er 
la  soudure.  En  été  la  coutume  comporte  souvent  un  moyen  terme  : 
les  bêtes  sont  dans  les  chaumes  le  matin;  l'après-^midi  on  les  conduit 
dans  la  merja  :  elles  y  trouvent  non  seulement  de  d'herbe  à  brouter, 
mais  de  l'eau  à  boire  dans  les  puits  de  la  plage  et  elles  se  reposent 
dans  la  fraîcheur  des  grands  joncs. 

Une  telle  nature  de  pâturage  ne  convient  guère  qu'aux  bovins.  Ce- 
pendant le  troupeau  ovin  de  la  plaine  du  Sebou  est  aussi  nombreux 
qu'estimé  :  il  profite  lui  aussi,  quoique  indirectement,  de  la  merja.  Les 
chaumes  se  trouvent  dans  une  certaine  mesure  libérés  des  bovins  et 
peuvent  être  réservés  plus  complètement  aux  moutons.  Nous  avons 


220  j.  CÉLÉRIEft 

vu  également  que  les  cultivateurs  sont  obligés  do  laisser  tout  autour 
de  la  merja  une  frang(^  de  jachères  où  les  moutons  trouvent  un  sol 
parfaitement  sec  et  d'excellentes  herbes.  Le  même  berger  peut  sur- 
veiller à  la  fois  les  bœufs  qui  paissent  dans  la  merja  et  les  moutons 
qui  broutent  sur  la  bordure. 

L'élevage  du  cheval  présente  un  cas  assez  curieux.  Dans  la  partie 
du  Rdom  appelée  Merja  Tidjina,  il  existe  une  propriété  du  Sultan, 
l'Adir  Tidjina.  Les  Sultans  du  xix"  siècle  l'ont  spécialisée  pour  la 
remonte  de  leurs  écuries;  les  chevaux  qui  suivant  la  tradition,  des- 
cendent d'un  couple  donné  à  Sidi  Mohamed  par  Louis  XVI,  vivent 
en  liberté  dans  le  domaine,  se  réfugiant  dans  les  îles  inaccessibles 
une  partie  de  l'année. 

«  Les  chevaux  placés  sur  cette  j)ropriété  depuis  un  grand  nombre 
d'années,  étaient,  lorsqu'il  nous  fut  donné  de  les  voir,  au  nombre 
d'une  quarantaine,  en  1912  et  191  G,  réduits  à  un  état  complet  de  sau- 
vagerie, vivant  en  numade  sans  aucun  contrôle. 

((  De  lem[>s  en  temj)8  plusieurs  centaines  d'individus  mobilisés  dans 
les  villages  voisins  sur  l'ordre  du  Sultan,  venaient  cerner  le  troupeau 
et  y  prélevaient  quelques  sujets  pour  la  remonte  du  Maghzen. 

«  Cette  manade  comprenait  une  trentaine  de  juments,  quelques  pou- 
liches et  poulains  conduits  par  un  seul  étalon.  Celui-ci,  d'une  féro- 
cité légendaire,  quoique  très  âgé,  disait-on,  ne  supportait  pas  d'autre^» 
chevaux  à  son  côté  et  l'histoire  locale  disait  qu'il  tuait  tous  ses  en- 
fants mâles,  dès  qu'ils  arrivaient  à  proximité  de  l'âge  adulte.  »  (Geof- 
J'roy  Saint-llilaire,  L'élevage  au  Maroc,  page  108). 

Le  pâturage  en  merja,  avantage  précieux,  pose  la  même  question 
de  droit  de  propriété  que  l'affouage.  Plus  strictement  encore  que  pour 
la  récolte  du  diss,  le  droit  d'user  de  la  merja  comme  terrain  de  par- 
cours est  exclusivement  réservé  aux  riverains.  En  principe,  disent  les 
indigènes,  chaque  douar  envoie  ses  bêtes  dans  la  partie  de  merja  qui 
prolonge  ses  terres  de  labour  et  ses  pâturages  ne  sont  limités  au  cen- 
tre de  la  merja  que  par  ceux  du  douar  situé  en  face  sur  l'autre  rive. 
C'est  là,  semble-t-il,  une  réponse  de  circonstance  faite  au  moment  de 
renquête  pour  la  délimitation  de  la  merja.  En  fait,  aucun  des  usa- 
gers de  la  merja  ne  s'est  jamais  préoccupé  des  limites  de  son  droit  de 


LES  ((  MERJAS  »  .DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  221 

parcours  parce  qu'il  ne  s'est  jamais  heurté  au  droit  du  voisin.  Les 
troupeaux  se  mêlent  à  l'intérieur  de  la  merja  et  comme  chaque  bête 
mange  bien  à  son  aise,  aucune  difficulté  ne  s'est  encore  produite. 

Par  conséquent,  exception  faite  pour  certaines  parties  du  Rdoni, 
les  riverains  des  (merjas  ont  des  réserves  de  fourrages  beaucoup  plus 
grandes  que  les  besoins  de  leur  bétail.  Dans  les  usages  européens, 
il  y  aurait  une  utilisation  très  aisée  de  cet  excédent  :  ce  serait  de  faire 
des  provisions  de  fourrage  sec  pour  la  consommation  à  l'écurie  ou 
pour  la  vente.  Mais  cette  pratique  qui  nous  paraît  si  naturelle  n'est 
pas  employée  par  les  Indigènes.  Ils  ne  l'ignorent  plus  cependant  car 
les  Européens  leur  en  ont  donné  des  exemples  concrets.  Les  fermes 
européennes  sont  nombreuses  dans  la  région  et  depuis  longtemps  ont 
été  attirées  par  la  chaussée  du  Sebou.  Les  colons  qui  sont  devenus 
riverains  d'une  partie  de  Merja  ont  fauché  plusieurs  hortnros  do 
plage  en  face  de  leur  domaine,  choisissant  les  meilleurs  emplace- 
ments. Quelques-uns  même  qui  n'avaient  pas  le  droit  d'usage,  ont 
obtenu  d'un  douar  l'autorisation  de  faucher  :  cette  autorisation,  obte- 
nue par  quelques  «  fabours  »  ou  un  échange  de  quelques  menus  ser- 
vices, n'a  jamais  pris  l'apparence  d'une  location. 

Les  merjas  ont  ainsi  fourni  un  certain  nombre  de  quintaux  de  foin 
entièrement  disponibles  pour  la  vente.  La  qualité  en  est  médiocre 
et  dans  les  bottes  pressées  à  la  machine  il  y  a  parfois  plus  de  diss,  de 
jonc,  voire  de  palmier  nain  que  de  bonnes  herbes.  Mais  pour  com- 
prendre la  valeur  de  ce  fourrage,  il  faut  se  rappeler  que  le  foin, 
fond  de  l'alimentation  des  troupeaux  dans  les  fermes  européennes, 
était  inconnu  au  Maroc  à  notre  arrivée.  Aussi  l'Intendance  Militaire, 
réduite  à  s'approvisionner  en  France,  a-t-elle  payé  le  foin  des  merjas 
un  très  bon  prix.  Ce  fut  pour  les  colons  avisés,  une  excellente  affaire, 
le  prix  de  revient  consistant  uniquement  dans  les  frais  de  main- 
d'œuvre. 

Les  Indigènes  ont  cependant  essayé  de  trouver  dans  leurs  procé- 
dés agricoles  un  moyen  de  tirer  parti  des  pâturages  en  excédent.  L'as- 
sociation est  chez  eux  d'un  usage  courant;  elle  revêt  les  formes  les 
plus  variées,  la  part  contributive  du  capital,  du  travail  et  de  la  terre 
se  diversifiant  à  l'infini.  Dans  le  cas  des  merjas  un  mode  d'associa- 


222  J.  CÉLÉUIER 

tion  fî'est  trouvé  imposé  par  la  natiiro  des  choses.  Le  riverain  de  la 
merja  possède,  par  son  droit  d'usapfe,  beaucoup  plus  de  paturaf?es 
qu'il  n'en  a  besoin  j)Our  son  troupeau.  Au  contraire  dans  le  reste  de 
la  plaine  où  la  richesse  se  traduit  par  la  |)(>ss(>ssi()ii  d'un  iin|)()rlaiil 
cheptel  vif,  il  y  a  trop  d'animaux  pour  les  pâturages  disponibles.  Des 
contrats  ont  été  naturellement  conclus  entre  les  deux  catégories  de 
propriétaires.  Ces  contrats  présentent  de  grandes  diversités  de  forme 
au  point  de  vue  de  la  durée,  du  taux  des  redevances  ou  des  parties  de 
bénéfices;  mais  le  fond  est  toujours  le  même;  il  consiste  pour  l'étran- 
ger à  obtenir  le  droit  de  faire  paître  ses  troui>eaux  avec  ceux  du  rive- 
rain. Ce  droit  est  particulièrement  précieux  pendant  la  difficile  sou- 
dure entre  la  fin  des  récoltes  et  les  pluies.  Les  riverains  en  trafiquaient 
librement  à  notre  arrivée;  il  n'y  avait  de  limitation  au  système  que 
celle  qui  aurait  pu  être  imposée  par  un  douar  à  ses  membres.  En  fait 
chacun  exploitait  la  merja  d'après  sa  propre  initiative.  Les  difficultés 
qui  semblent  théoriquement  inévitables  ne  se  produisaient  pas,  la 
merja  suffisant  amplement  aux  besoins  de  tous.  Une  telle  situation 
ne  peut  s'accommoder  de  nos  procédés  d'agriculture  intensive.  Le  sys- 
tème d'association  a  eu  pour  résultats  de  faire  rayonner  l'influence  de 
la  merja  au-delà  des  douars  voisins,  de  donner  à  toute  la  plaine  infé- 
rieure du  Sebou  une  richesse  en  troupeaux  qui  complète  sa  richesse 
en  cultures. 

La  merja  se  trouve  ainsi  jouer  le  rôle  dévolu  aux  pâturages  de 
montagne.  Ce  rapprochement  entre  marécage  et  moniagne  est  moins 
paradoxal  qu'il  ne  semble  au  premier  abord.  Ici  et  là,  l'impossibi- 
lité de  l'accès  pendant  une  partie  de  l'année,  l'inaptitude  à  la  culture 
empêchent  l'utilisation  intensive.  Au  contraire  la  grande  humidité 
déterminée  dans  un  cas  par  la  nappe  d'eau,  dans  l'autre  par  la  cou- 
verture de  neige,  puis  remplacée  par  une  insolation  intense,  surex- 
cite le  développement  de  la  végétation  herbacée.  Ces  conditions  ana- 
logues expliquent  des  résultats  semblables  :  une  utilisation  saison- 
nière et  un  élevage  extensif. 


LES  «  MERJAS  »  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  223 

IV.  —  La  mise  en  valeur 

L'affouage  et  le  pâturage  constituent  pour  les  riverains  un  excel- 
lent revenu.  Mais  si  l'on  compare  la  superficie  totale  des  merjas  avec 
la  valeur  de  ce  revenu,  on  ne  peut  s'empêcher  de  regretter,  au  point 
de  vue  de  l'intérêt  général,  un  tel  gaspillage  de  t(M'res.  Dans  l'élal  an- 
cien du  Maroc,  cette  inutilisation  était  sans  importance;  il  y  avait 
bien  d'autres  terres  en  friche  qui  n'avaient  même  pas  besoin  de  tra- 
vaux préalables  pour  cire  labourées.  L'arrivée  dos  Français,  l'immi- 
gration et  reffort  de  colonisation  ont  changé  la  situation.  Chacun  sait 
en  effet  que  le  plus  gros  obstacle  à  la  mise  en  valeur  rationnelle,  à 
la  colonisation  véritable,  c'est  la  petite  quantité  de  terres  disponibles. 
Le  paysan  marocain  tient  à  sa  terre;  ses  procédés  exigent  de  grande? 
étendues  dont  il  n'est  ni  juste  ni  politique  de  le  déposséder.  Il  faudra 
longtemps  avant  que  son  initiation  à  nos  procédés  intensifs  aient  per 
mis  de  libérer  les  jachères  et  les  terrains  de  parcours.  Aussi  la  de- 
mande est-elle  supérieure  à  l'offre.  La  crise  monétaire  aidant,  la  terre 
atteint  des  prix  qui  écartent  les  propriétaires  pourvus  seulement  d'un 
petit  capital.  Quant  aux  terres  domaniales  qui  sont  soustraites  aux  in- 
convénients juridiques  des  terres  privées,  l'Élat  est  obligé  de  modi- 
fier le  libre  jeu  des  enchères  pour  réserver  des  lots  à  la  petite  coloni- 
sation. 

Parmi  les  problèmes  qui  se  posent  à  l'Administration  du  Protec- 
torat, il  n'en  est  peut-être  pas  de  plus  importants  que  cette  recher- 
che de  terres  disponibles.  Ce  n'est  pas  un  problème  purement  écono- 
mique. Sa  solution  déterminera  la  forme  du  peuplement  français 
au  Maroc  et  engage  l'avenir  politique  et  social  du  Protectorat. 

La  gravité  de  cette  question  que  nous  nous  bornons  à  rappeler 
permet  de  mieux  comprendre  l'intérêt  général  des  merjas.  Ces  grands 
marécages  ne  pouvaient  pas  ne  pas  attirer  l'attention  des  colons  et 
de  l'Administration  en  quête  de  terres.  Il  y  avait  là  des  milliers  d'hec- 
tares dont  l'appropriation  était  très  vague,  l'utilisation  très  médio- 
cre; et  ces  terres  se  trouvent  dans  une  région  paisible,  d'accès  facile; 
le  long  du  plus  beau  fleuve  de  l'Afrique  du  Nord,  à  proximité  du  fu- 
tur réseau  de  voies  ferrées.  Elles  appartiennent  à  la  catégorie  de  ter- 


22i  J.  CKLl-BIER 

res  les  plus  recherchées  dans  ce  pays  chaud  et  sec,  les  terres  suscep- 
tibles d'être  irriguées.  Bref  s'il  apparaissait  que  la  dépense  serait  con- 
sidérable pour  les  débarrasser  de  l'excès  d'eau  qui  les  rend  inutili- 
sables pour  les  Indig-ènes,  on  pouvait  escompter  leur  valcjrisation 
pour  couvrir  la  dépense. 

Des  191:?,  M.  de  Segonzac  dont  le  nom  célèbre  rappelait  la  pé- 
riode héroïque  des  explorations  dang-ereuscs  et  symbolisait  l'éveil  du 
Maroc  à  la  vie  moderne  avait  conçu  le  projet  d'un  dessèchement  des 
merjas.  Mais  les  dures  campagnes  du  début  du  Proleclorat,  bientôt 
suivies  de  la  Grande-Guerre,  délournèrent  Tattcntiou  de  T  Administra- 
tion, absorbée  par  des  préoccupations  immédiates.  La  mise  en  valeur 
des  morjas,  si  désirable  dans  l'inlérét  général,  était  une  affaire  très 
complexe;  outi'^  les  difficultés  d'ordre  technique  ou  économique,  elle 
soulevait  des  problèmes  juridiques  et  administratifs. 

Le  problème  juridique  et  administratif.  —  Pour  pouvoir  disposer 
des  merjas,  il  fallait  commencer  par  résoudre  un  problème  de  droit  : 
à  qui  appartenaient  les  terres  merjas  .►^  Suivant  le  point  de  vue,  on  pou- 
vait les  considérer  soit  crtmuK^  j^ropriétés  des  riverains,  soit  oo'mime 
propriétés  domaniales,  soit  comme  biens  publics.  Il  n'y  avait  ni  pré- 
cédents, ni  textes  authentiques  capables  de  donner  une  solution  cer- 
taine. Le  droit  musulman  et  ses  subtils  commentateurs,  les  faits  d'u- 
sage, l'autorité  du  Sultan,  les  règlements  aduninistratifs  fournissaient 
des  réponses  plus  ou  moins  vagues,  tendancieuses  ou  contradictoi- 
res. Les  riverains  invoquaient  leur  droit  d'usage  exclusif,  mais  leurs 
titres  de  propriétés  fondaient  d'autant  moins  leur  droit  que  certains 
donnaient  la  merja  comme  lianite  de  la  propriété.  D'ailleurs  les  plus 
hardis  reculaient  devant  une  revendication  qui,  dans  le  cas  des  gran- 
des merjas,  aurait  porté  sur  des  espaces  beaucoup  plus  étendus  que 
leurs  domaines  et  leurs  besoins.  Dans  ces  conditions,  l'équité  natu- 
relle et  l'intérêt  général  avaient  plus  de  poids  que  les  textes  et  les  pré- 
tentions individuelles. 

Le  problème  était  rendu  plus  compliqué  par  le  fait  qu'il  intéressait 
plusieurs  administrations  qui  le  voyaient  à  des  points  de  vue  diffé- 
rents. Pour  le  Service  de  l'Agriculture,   du  Commerce  et  de  la  Coloni- 


LES  «  MER.TAS  »  iDE  lA  PLAINE  DU  SEBOU  225 

sation,  il  fallait  mettre  en  valeur  ks  merjas  le  plus  tôt  possible  et 
les  maintenir  à  la  disposition  des  colons.  Le  service  des  Travaux  Pu- 
blics était  doublement  intéressé,  comme  responsable  des  travaux  à 
exécuter  et  comme  gardien  des  Biens  Publics.  Pour  la  Direction  des 
Affaires  Indigènes,  tutrice  légale  des  collectivités  indigènes  et  res- 
ponsable de  l'opinion,  le  problème  de  politique  indigène  semblait  as- 
sez délicat.  Enfin,  le  Résident  Général  et  ses  collaborateurs  immé 
diats  devaient  imettre  d'accord  ces  intérêts  particuliers  au  nom  de  l'in- 
térêt général. 

Au  premier  examen,  il  apparut  qu'on  ne  pouvait  du  premier  coup 
résoudre  toutes  les  difficultés.  A  côté  du  problème  en  quelque  sorte 
théorique  de  la  merja,  il  y  avait  le  problème  pratique  de  l'étendue 
de  la  merja  et  nous  savons  co(mme  il  est  malaisé  de  fixer  exactement 
cette  étendue.  De  quelque  façon  qu'on  désignât  le  propriétaire,  iî 
fallait  déterminer  de  quoi  il  était  propriétaire.  Dès  qu'on  examinait 
cette  question  de  l'étendue  réelle,  il  était  nécessaire  de  faire  des  ré- 
serves :  est-ce  que  la  même  solution  pouvait  convenir  à  toutes  les 
merjas  .^*  En  droit  et  en  fait,  pouvait-on  traiter  de  la  même  façon  la 
grande  merja  du  Beht  où  de  vastes  espaces  étaient  le  plus  souvent 
inaocessibles  et  inutilisés  et  les  petites  merjais  du  Ranima  qui  suffi- 
sent à  peine  aux  riverains. 

Une  enquête  fut  commencée  en  19 17  par  les  soins  du  Service  des 
Renseignements  et  des  Affaires  Lndigènes.  Les  officiers  qui  en  fu- 
rent chargés,  procédèrent  en  môme  temps  à  la  délimitation  du  pé- 
rimètre des  merjas,  sans  préjuger  de  la  solution  juridique. 

Les  tractations  avec  les  riverains,  les  décisions  qui  intervinrent, 
l'évolution  du  problème  juridique  et  administratif,  toute  cette  his- 
toire, malgré  son  intérêt,  dépasse  le  cadre  purement  géographique  de 
notre  étude.  Signalons  simplement  que  les  décisions  furent  plusieurs 
fois  remises  en  question.  En  dehors  de  la  résistance  ou  de  l'offensive 
des  intérêts  particuliers,  la  solution  du  problème  des  merjas  créait 
un  précédent;  en  particulier  elle  engageait  l'avenir  au  point  de  vue 
de  la  mobilisation  des  terres  collectives  de  parcours  si  nombreuses 
au  Maroc. 

En  fait,  les  changements  portèrent  sur  la  foipriule  juridique  et  ad- 


226  J.  CÉLÉRIER 

ministrative  et  non  sur  la  solution  pratique  qui  nous  intéresse.  Cette 
solution  se  ramonait  toujours  à  trois  points. 

L'intérêt  ofénéral  commande  de  f^at^nor  à  la  culture  les  terres  mer- 
jas  et  les  Indigènes  en  sont  incapables. 

Il  est  légitime  et  équitable  que  la  propriété  de  ces  terres  récom- 
pense celui  qui  fera  les  travaux  nécessaires  ou  en  paiera  U>s  frais. 

11  ne  scM-ail  ni  K'oitime  ni  équilal)l(>  tpie  les  indigènes  fussent  pri- 
vés des  pâturages  nécessaires  à  leurs  troupeaux.  Ce  doruior  point  con- 
duit à  une  discrimination  nécessaire  entre  les  grandes  et  les  petites 
merjas.  Celles-ci  ne  peuvent  être  enlevées  aux  riverains.  Dans  les  gran- 
des, il  est  facile  de  concilier  l'intérêt  des  Indigènes  avec  l'attribution 
des  terres  asséchées  puisque  la  surface  de  ces  terres  dépasse  consi- 
dérablement les  besoins  des  riverains.  11  suffit  de  réserver  à  ceux-ci 
un  espace  suffisant  d'après  leur  cheptel  et  les  Inspecteurs  du  Service 
de  l'élevage  furent  chargés  de  calculer  la  surface  nécessaire  par  tête 
de  bétail,  en  tenant  compte  des  conditions  locales,  d'ailleurs  très  va- 
riables. Les  Indigènes  doivent  être  d'ailleurs  les  premiers  à  bénéfi- 
cier de  l'augmentation  de  valeur  des  terres  et  des  travaux  d'aména- 
gement entrepris. 

Le  problème  juridique  étant  ainsi  résolu  sur  le  papier,  le  problème 
technique  restait  à  résoudre  sur  le  terrain. 

Le  problème  technique.  —  L'assèchement  et  le  drainage  de  60.000 
hectares  dans  une  région  encore  éloignée  des  centres  européens  re- 
présentent un  travail  considérable  et  les  difficultés  techniques  sont 
assez  ardues.  Une  erreur,  peut  être  grosse  de  conséquences,  compro- 
mettre tous  les  efforts.  Or  pour  ce  problème  de  technique  hydrauli- 
que on  manquait  au  début  des  données  les  plus  élémentaires.  La  to- 
pographie des  merjas  était  mal  connue;  les  observations  météorolo- 
giques, les  mesures  du  débit  du  Sebou  et  de  ses  affluents  étaient  rares; 
la  Carte  de  Reconnaisance  au  1/200.000  ne  pouvait  être  considérée 
comme  un  nivellement  précis  de  la  plaine. 

Des  études  furent  commencées  par  le  Service  de  l'Hydraulique. 
Elles  ont  permis  d'établir,  sinon  un  programme  définitif,  du  moins 
des  directives  pour  les  études  ultérieures  et  l'œuvre  à  entreprendre. 
Suivre  les  indications  de  la  nature  semble  être  la  formule  la  moins 


LES  <(  MERJAS  »  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  227 

dangereuse.  Gomme  il  ressort  de  l'étude  topographique  que  nous 
avons  faite  d'apiès  ^es  observations  officielles,  le  Scbou  est  bien  le 
collecteur  naturel  des  eaux  de  la  plaine;  sa  fonction  se  trouvant  pa- 
ralysée, il  faut  la  faciliter  en  reconstituant  des  canaux  fixes  qui  ramè- 
neront vers  le  Sebou  l'eau  de  ses  anciens  affluents. 

Mais  une  grave  objection  se  présente.  Le  lit  du  Sebou  ne  suffit 
pas  à  assurer  l'écoulement  des  eaux  en  période  de  crue.  Si  on  dérive 
vers  ce  lit  trop  étroit  les  crues  des  affluents,  on  augmente  encore 
les  chances  d'inondation.  Le  danger  est  certain  :  il  faut  le  prévoir 
et  le  combattre.  Le  remède  proposé  par  la  Direction  des  Travaux 
Publics  consiste  dans  les  «  vais  d'inondation.  »  Dans  ce  projet,  on 
aménagerait  sur  chaque  rive  du  fleuve  un  large  canal.  Par  suite  de 
la  grande  courbe  décrite  par  le  Sebou,  le  val  de  la  rive  gauche,  tracé 
suivant  la  corde  sera  plus  court,  le  val  de  droite  plus  long  que  le  fleu- 
ve. La  crue  se  trouverait  donc  divisée  en  trois  branches,  son  écoule- 
ment mettrait  plus  ou  moins  longtemps  à  s'y  accomplir  et  elle  ne 
parviendrait  à  l'embouchure  du  fleuve  qu'en  trois  flots  successifs. 
Comime  les  crues  sont  aussi  courtes  que  violentes,  on  espère  que  la 
différence  d'écoulement  serait  suffisante  pour  empêcher  la  reconsti- 
tution de  la  crue  en  aval.  Un  système  de  vannes  pourrait  compléter 
le  dispositif  ou  permettre  son  utilisation  pour  d'autres  fins,  l'irriga- 
tion par  exemple. 

Le  problème  économique  et  la  com,pagnie  du  Sehou.  —  Lç  pro- 
gramme de  dessèchement,  tel  qu'il  est  compris  par  la  Direction  des 
Travaux  Publics,  est  une  œuvre  de  longue  haleine  qui  suppose  avant 
tout  un  nivellement  très  précis.  Le  nivellement  est  en  cours  d'exécu- 
tion, après  une  entente  entre  le  Service  des  Travaux  Publics  et  le  Ser- 
vice géographique.  En  attendant  qu'il  soit  réalisé,  que  toutes  les  étu- 
des préalables  soient  terminées,  n'était-il  pas  possible  de  faire  un  es- 
sai pratique .^^  Malgré  toutes  les  précautions,  l'opération  de  drainage 
sur  une  aussi  vaste  échelle  présenterait  toujours  un  certain  aléa.  Est- 
ce  que  l'écoulement  des  eaux  par  les  canaux  à  ciel  ouvert  assurerait 
un  assèchement  suffisant. ^^  D'autre  part  la  valeur  agricole  des  terres 
libérées  pouvait  réserver  une  grande  déception.  Or  les  Français  qui 
critiquent  sans   cesse   l'Administration,    n'admettent   pas   qu'elle   ne 


228  J.  CÉLl^niEH 

soit  pas  infaillible.  Cet  état  d'esprit  n'encourag-e  guère  des  fonction- 
naires à  risquer  des  essais  dont  le  succès  ne  leur  est  d'aucun  profit 
et  dont  l'échec  les  compromet  gravement. 

La  mise  en  valeur  des  merjas  risquait  de  huler  contre  un  obstacle 
redoutable  avant  même  d'èlre  réellement  commencée.  Si  elle  était 
poursuivie  entièrement  par  ri''lal,  la  c  raiulc  des  respomsabiJilés  ris- 
quait de  la  faire  traîner  en  longueur.  L'opération  présente  évidem- 
ment un  caractère  d'utilité  publique,  au  point  de  vue  de  l'assainis- 
sement pas  exemple;  cependant  elle  a  surtout  pour  but  une  valorisa- 
tion des  terres  qui  est  certaine  mais  peut  être  annihilée  par  le  prix  de 
revient.  Dans  des  risques  financiers  les  entreprises  privées  sont  plus 
audacieuses,  ont  surtout  plus  de  souplesse  que  les  Administrations 
liées  par  des  règlements  précis. 

Il  y  avait  d'autre  part,  des  objections  très  sérieuses  contre  l'aban- 
don des  merjas  à  une  entreprise  privée  qui  deviendrait  propriétaire 
des  terres  récupérées.  Des  demandes  s'étaient  produites,  en  particu- 
lier celle  de  M.  de  Segonzac  qui  faisait  valoir  une  sorte  de  droit  de 
priorité  que  lui  conférait  son  ancien  projet  de  191 2.  Mais  l'opinion 
commençait  à  réagir  contre  les  concessions  accordées  à  de  grandes 
Sociétés  :  les  monopoles  aggravés  par  la  garantie  de  l'État  étaient 
vivement  critiqués  et,  aucune  distinction  n'étant  faite,  toute  conces- 
sion semblait  une  aliénation  de  la  coinmunauté  au  profit  de  particu- 
liers. Confiée  à  une  Société,  la  conquête  des  terres  des  merjas  per- 
dait une  partie  de  sa  valeur  sociale  :  l'allotissement  au  profit  de  la 
petite  colonisation  ou  bien  était  abandonné  ou  du  moins  échappait  à 
l'Etat  pour  devenir  une  opération  financière. 

Tiraillée  entre  ces  tendances  opposées,  l'Administration  adopta  un 
moyen  terme  qui  avait  pour  elle  la  valeur  d'une  expérience.  Une 
transaction  intervint  entre  les  divers  solliciteurs  qui  furent  réunis 
dans  une  seule  Société  «  la  Compagnie  du  Sebou.  »  Deux  des  gran- 
des merjas  du  R'arb,  la  Merktane  et  le  Bou  Kharja,  furent  concédées 
à  la  Compagnie  du  Sebou  :  ce  sont  les  mieux  individualisées  et  cette 
solution  laissait  intact  le  sort  des  autres  merjas.  Le  cahier  des  char- 
ges annexé  au  contrat  comprenait,  outre  les  garanties  techniques,  des 
clauses  qui  réservaient  les  droits  des  riverains  et  les  droits  de  l'État. 


LES  ((  MERJAS  »,  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU 


229 


Les  travaux  de  la  Compagnie  du  Sebou.  —  Un  premier  plan  de 
dessèchement  fut  proposé  par  la  Compagnie  du  Sebou  :  les  eaux  de 
la  Bou  Kharja  auraient  été  conduites  dans  la  Merktane  par  un  canal 
qui  coupait  le  seuil  des  Miknassa  et  un  autre  canal  prolongeant  le 
premier  aurait  coupé  la  chaussée  du  Sebou  et  vidé  la  Merktane  dan*^ 
le  lleuve.  La  Direction  des  Travaux  Publics  n'accepta  pas  ce  projet. 
Il  lui  paraissait  dangereux  de  jeter  une  telle  masse  deau  dans    le  lit 


^^ 


Fig.  9.  —  Émissaire  principal  de  la  merja  Merktaae  dans  la  traversée  de  la  haute  berge  du  Sebou. 
La  margelle  du  pont  qu'on  voit  au  premier  plan  est  à  la  cote  13",?jO;  so'us  le  pont,  le  plafond  du 
canal  est  à  5°,fiO. 


du  Sebou  qui  ne  suffit  pas  à  écouler  ses  propres  crues.  Un  nouveau 
plan  fut  adopté  d'après  lequel  les  deux  merjas  devaient  être  vidiées 
séparément  :  le  Merktane  aurait  son  émissaire  dans  le  Sebou;  dans  !a 
Bou  Kharja  un  canal  réunirait  le  Mda  au  Segmet. 

Les  travaux  coonmencèrent  le  i^""  novembre  19 19.  Ils  n'étaient  pas 
exécutés  directement  par  la  Compagnie  mais  confiés  à  un  entrepre- 
neur. L'établissement  du  réseau  de  canaux  de  drainage,  collecteurs 
et  canaux  secondaires  a  duré  plus  d'un  an.  Des  centaines  d'ouvriers 
ont  ete  occupés  aux  terrassements.  Cette  concentration  de  travailleurs 
dans  une  région  presque  déserte,  infectée  de  moustiques,  n'alla  pas 


230  J.  CÉLÉUIER 

sans  difticultés.  La  Compagnie  avait  vu  grand  dès  le  début  et  ello 
employa  les  grands  moyens,  méthode  plutôt  rare  dans  une  entreprise 
française.  Le  personnel  fut  logé,  soumis  à  une  hygiène  prév(>ntive 
contre  les  lièvres;  les  produits  nécessaires  à  lalimentation  furent  ame- 
nés 5ur  place  et  Ton  installa  même  de  petits  moulins  indigènes  pour 
broyer  le  grain. 

L'émissaire  de  la  Merktane  qui  n'a  qu'une  profondeur  de  o™,5o 
au  point  le  plus  bas  de  la  merja  atteint  5™,5o  dans  la  traversée  de  la 
berge  du  Sebou.  La  rencontie  du  eanal  et  du  ileuve  posait  un  pro- 
blème délicat.  Il  était  à  craindre  qu'en  temps  de  crue  les  eaux  du 
Sebou  ne  relluent  par  le  canal  dans  la  merja  :  la  difliculté  a  été  ré- 
solue par  une  vanne  puissante  placée  sur  l'émissaire  un  peu  avant  son 
débouché  dans  le  Ileuve. 

Le  canal  de  jonction  Mda-Segmet  a  une  longueur  totale  de  9.870 
mètres;  la  pente  va  en  décroissant  de  o"*,ooo9  par  mètre  à  o",ooo2;  la 
largeur  est  de  3  mètres  au  plafond,  mais  les  déblais  rejetés  de  chaque 
côté  constituent  une  sorte  de  lit  nuijeur,  capable  d'assurer  un  écou- 
leffïient  de  3.35o  litres  à  la  seconde.  Le  tracé  ne  suit  pas  exactement 
l'ancien  lit  du  Aida,  qui  comime  nous  l'avoiiis  vu,  formait  deux  mé- 
andres inverses;  il  coupe  une  des  boucles  convexes,  ce  qui  a  nécesisité 
un  certain  approfondissement  du  canal  mais  diminué  la  longueur 
et  augmenté  la  pente.  Les  résultats  ont  été  presque  immédiats.  L'écou- 
lement des  eaux,  gêné  par  la  puissante  végétation  herbacée  a  aug- 
menté rapidement.  Les  crues  de  l'hiver  1920-1921  ont  mis  le  systè- 
jue  à  l'épreuve  et  les  canaux  ont  parfaitement  suffi  à  les  écouler.  L'ex- 
périence a  seulement  montré  l'utilité  d'allonger  vers  le  Nord  le  ré- 
seau de  la  Merktane.  La  cuvette  du  Segmet  envahie  par  toutes  les  eaux 
du  Mda  a  formé  une  magnifique  nappe  d'eau.  De  ce  côté,  la  Com- 
pagnie du  Sebou  a  complété  son  œuvre  en  jetant  le  Segmet  dans  la 
Ras  ed  Daoura,  mais  dans  l'état  actuel  la  Ras  ed  Daoura  reste  une  im- 
passe à  laquelle  il  faudrait  assurer  une  issue  vers  le  Sebou. 

Désormais  la  Merktane  et  la  Bou  Kharja  ont  cessé  d'exister  comme 
marécages.  On  y  circule  librement,  mêome  pendant  l'hiver,  et  isur  ces 
vastes  espaces  les  automobiles  roulent  sans  crainte  des  obstacles  et 
en  bonnes  marocaines,  sans  avoir  besoin  de  routes  ni  même  de  pistes. 


LES  «  MERJAS  »  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  231 

II  €st  amusant  de  voir  que  rautomobile  est  un  excellent  moyen  de 
discerner  ce  qui  fui  l'emplacement  du  hydra  et  ce  qui  fut  l'empla- 
cement de  la  plage.  La  plage,  plus  sablonneuse  a  donné,  après  la  des- 
sication,  un  sol  absolument  uni  sur  lequel  on  roule  rapideiment  et 
sans  secousse.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  le  Jond  du  hydra  tout 
bosselé  encore  par  le  «  gouzif  »,  ces  mottes  de  terre  le  plus  souvent 
très  petites,  dont  nous  avons  parlé;  en  outre  le  sol,  très  argileux,  se 
durcit,  par  la  sécheresse,  d'une  façon  irrégulière.  C'est  pourquoi, 
avant  même  que  l'œil  exercé  ait  saisi  la  nuance  de  couleur  qui  dis- 
tingue soit  les  sols  du  hydra  et  de  la  plage  soit  la  végétation,  on  est 
averti  par  les  cahots  ou  la  régularité  de  la  marche  qu'on  passe  du 
hydra  à  la  plage  ou  inversement.  Quant  aux  terres  qui  étaient  anté- 
rieurement respectées  par  l'inondation,  elles  sont  encore  hérissées  de 
leurs  hauts  et  rudes  chardons  qui  plient  sous  les  grappes  d'escargots. 
Les  tiges  cinglées  par  la  voiture  crépitent  sous  le  choc  et  sur  le  capot 
il  grêle  des  escargots. 

Dans  l'ancienne  Merja,  la  végétation  s'est  rapidement  transformée. 
Le  berdi  a  disparu  très  vite;  le  diss  est  devenu  moins  vigoureux  mais 
a  résisté  plus  longte(mps.  On  achève  de  le  réduire  en  y  mettant  le  feu. 
Au  contraire  les  herbes  fourragères  ont  augmenté  et  c'est  merveille 
de  voir  le  trèfle  conquérir  le  sol  évacué  par  l'eau  et  les  plantes  trop 
dures. 

Il  n'est  pas  moins  intéressant  de  constater  les  progrès  réalisés  au 
point  de  vue  de  l'assainissement.  Les  moustiques  qui  trouvaient  dans 
ces  marécages  amphibies  des  conditions  de  vie  optima  ont  perdu  leurs 
asiles.  Lorsqu'on  a  ouvert  l'émissaire  de  la  Merktane,  c'est  par  mil- 
liards que  les  larves  de  moustiques  ont  été  jetées  dans  le  Sebou  et 
entraînées  vers  la  mer.  Certes  le  paludisme  qui  a  souvent  terrassé 
les  ouvriers  indigènes  n'est  pas  disparu;  les  ouvriers  européens,  sur- 
menés par  cette  lutte  poursuivie  sans  trêve  et  sans  confort  pendant 
deux  ans  sont  parfois  encore  éprouvés.  Mais  la  principale  source  du 
mal  est  maintenant  tarie  et  les  bords  du  Sebou  sont  plus  dangereux 
que  le  centre  de  l'ancien  marais. 

Les  travaux  d'aménagement.  —  Les  résultats  que  nous  venons  d'ex- 
poser sont  les  simples  effets  du  drainage.  Mais  la  disparition  de  l'eau 


232 


J.  CÉLltUIEH 


n'est  que  la  première  étape  dans  l'œuvre  entreprise;  il  reste  à  mettre 
en  valeur  les  terrains  conquis.  Le  travail  d'aménagement  a  été  pres- 
que mené  de  Iront  avec  l'assainissement;  cette  œuvre  plus  longue 
se  poursuit  avec  la  méime  volonté  d'aboutir  à  des  résultats  positifs. 
Les  lra\au\  imposés  dans  rintérêt  giéiiiéral  par  le  cahier  iivxs  char- 
ges sont  terminés.  Des  passerelles  permettent  aux  pistes  de  franchir 
les  canaux  de  drainage;  la  [)lus  ini[)()rlante,  posée  sur  l'émissaire  de 
la  Merktanc,  est  utilisée   par  la   piste  qui,   venant  de  l'ancien  Poste 


Fig.  10.  —  Passerelle  sur  laquelle  lY*missaiie  priucipal  de  la  Merja  ^lerktane  est,  franchi  par  la  piste 
de  la  rive  droite  du  Sebou.  —  Sur  la  passerelle  est  installée  la  vanne  qui  empèctie  les  eaux  de  crue 
du  Sebou  de  refluer  dans  la  merja. 


du  Sebou  rejoint  la  route  de  Tanger;  cette  passerelle  sert  en  même 
temps  pour  la  vanne  qui  empêche  le  reflux  du  Sebou  dans  l'émissaire. 
Un  emplacement  a  été  réservé  pour  le  val  d'inondation  de  la  rive 
droite.  Le  lot  de  pâturages  destiné  à  compenser  pour  les  indigènes 
la  perte  des  parcours  en  merja  est  prêt  à  leur  être  assigné.  Pour  abreu- 
ver les  troupeaux  des  riverains,  des  puits  ont  été  creusés  et  sont  munis, 
suivant  leur  profondeur,  d'une  manivelle  ou  d'un  aermotor. 

La  question  de  l'eau  est  restée  en  effet  très  importante.  L'assèche- 
ment des  imerjas  semblait,  par  une  conséquence  paradoxale,  tarir  en 


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HF.SPERIS.    —    T.    II. 


1922. 


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234  J.  CÉLÉRIER 

même  temps  une  des  sources  de  prospérité  de  la  région.  Après  avoir 
enlevé  l'eau  nuisible  par  un  système  de  drainage,  il  fallait  établir: 
un  système  d'irrigation  pour  ramener  l'eau  bienfaisante.  La  difliculté 
est  grande  pour  la  Merktane  qui  n'a  pas  de  rivière  pour  l'alimenter. 
Il  n'existe  nulk  part  au  Maroc  d'installation  comparable  à  celle  de  la 
Compagnie  du  Sebou.  C'est  au  Sebou  qu'on  s'est  adressé  pour  puiser 
l'eau  d  irrigation,  (mais  nous  savons  quel  obstacle  constituent  ses 
hautes  berges.  Des  moyens  puissants  pouvaient  seuls  en  triompher. 
Un  peu  en  amont  de  Si  Allai  lazi,  au  Jieu-diL  de  la  Scharfa,  on  a 
construit  et  équipé  une  usine  génératrice  de  foix:e  électrique;  elle 
donne,  avec  un  moteur  marchant  au  gaz  pauvre,  une  force  de 
loo  11.  P.  Elle  actionnera  quatre  groupes  moto-pompes  qui  sont 
échelonnés  le  long  du  lleuve  et  capables  chacun  d'un  débit  de  200 
litres-seconde  avec  une  élévation  verticale  de  7  mètres.  Une  vaste 
zone  de  quelques  centaines  d'hectares  pkcée  en  contre  bas  de  la 
berge  du  lleuve  pourra  être  ainsi  irriguée;  elle  sera  occupée  par  des 
vergers  et  des  cultures  industrielles  dont  le  rendement  est  actuelle- 
ment à  l'étude.  Le  bord  du  Sebou  oij  l'on  ne  trouve  que  quelques 
tamarix  clairsemés  sera  planté  d'eucalyptus  et  ce  petit  bois  sera  aussi 
utile  qu'agréable  dans  cette  grande  plaine  nue  où  l'on  est  obligé 
d'employer  les  carottes  sauvages  comiine  combustible  pour  la  bri- 
queterie de  Si  Allai  ïazi. 

L'installation  de  la  Centrale  électrique  et  des  molo- pompes  a  été 
réalisée  dans  des  conditions  qui  ont  augmenté  sérieusement  les  dif- 
ficultés. C'était  dans  le  grand  désarroi  qui  a  suivi  la  fin  de  la  Guerre; 
il  fallait  opérer  loin  de  tout  centre  européen,  avec  un  minimum 
d'ouvriers  compétents.  Heureusement  les  chalands  du  Sebou  ont  per- 
mis le  transport  à  pied  d'œuvre  des  lourdes  machines. 

En  attendant  l'installation  complète  du  système,  un  groupe  moto- 
pompe fonctionne  déjà  avec  un  moteur  provisoire.  Pour  éviter  la 
déperdition  d'eau,  la  seguia  d'amenée  a  été  cimentée  sur  une  lon- 
gueur de  plusieurs  centaines  de  mètres.  Elle  sert  à  arroser  une  pépi- 
nière et  une  orangeraie. 

Avec  des  moyens  aussi  onéreux,  il  ne  pouvait  être  question  d'amé- 
nager de  la  même  façon  toute  l'étendue  des  deux  merjas.  Il  semble 


LES  «  MERJAS  »  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU 


235 


Fig.  13.  —  Porcherie  d'élevage  de  Dardara  pour  200  truies. 
Daus  le  fond,  et  à  droite,  baignoire  pour  les  porcins. 


Fig.  li.  —  Ferme  du  Mda. 

Type  de  ferme  de  métayage  ou  d"embouche  édifié  à  Tintérieur  des  merjas  Merktane  et  Bou  Khardja. 

La  maison  d'habitation  a  été  construite  par  des  artisans  indigènes  avec  les  matériaux  du  pays. 


236  •'   (:mi:i\iKn 

qu'en  agriculture  la  meilleure  mcthodo  soit  do  suivre  la  nature  en 
la  oorrigoanl.  l/e\islence  ancienne  des  pâturages  naturels  et  l'itin- 
porlance  tradilionnelle  de  l'élevage  dans  la  région  indiqjumt  que 
rélevage  trouve  là  des  conditions  très  favorables  et  doit  rester  pré- 
dominant. C'est  en  partant  de  cette  idée  que  la  Compagnie  du  Sebou 
a  établi  son  i>lan  de  mise  en  valeur. 

L'expérience  n'a  pu  que  fortilier  la  première  inspiration.  Les  vas- 
tes pâturages  améliorés  simplement  par  le  drainage  ont  été  fauchés 
aux  meilleurs  endroits.  Des  milliers  de  quintaux  de  fourrage  ont  été 
vendus  à  rintendance  et  expédiés  sur  Kénitra  par  les  chalands  de  la 
Compagnie  Lyonnaise.  Cette  source  de  revenu  n'est  pas  près  d'être 
épuisée,  même  quxind  les  troupeaux  de  la  Cotmpagnie  exigeront  de 
grosses  réserves  de  fourrage.  Les  clauses  de  la  Concession  impo- 
sent en  effet,  à  la  Compagnie  du  Sebou  l'obligation  d'entretenir  un 
troupeau  de  Coco  bovins. 

Dans  le  plan  de  mise  en  'valeur,  l'élevage  prédomine  mais  n'est 
pas  exclusif.  Le  domaine  des  merjas  se  trouvait  trop  uniformément 
composé  de  terres  fortes  où  la  variété  de  cultures  était  impossible. 
La  Compagnie  du  Sebou,  par  transactions  amiables  avec  les  proprié- 
taires indigènes,  s'est  annexé  des  terres  légères  et  des  terres  de  cul- 
tures. A  l'ouest,  au  delà  du  Taug,  les  «  iimeil  »  du  Dandara  ont  per- 
mis l'établissement  d'une  poixiherie;  à  l'est,  l'achat  du  domaine  des 
Bagnoul  a  permis  de  rejoindre  le  Sebou  par  une  antenne  qui  com- 
plète celle  de  Si  Allai  Tazi.  L'achat  le  plus  important,  indispensable 
même,  est  celui  des  terres  des  Meknassat  qui  formaient  le  seuil  de 
séparation  entre  la  Merktane  et  la  Bou  Kharja.  C'est  là  qu'on  a  ins- 
tallé un  grand  domaine  spécialisé  dans  les  cultures  sans  irrigation. 

Le  domaine  des  Meknassat  complète  ceux  dont  l'élevage  est  la 
fonction  essentielle.  L'originalité  du  système,  c'est  de  concilier  à 
la  fois  la  spécialisation  et  la  variété,  ce  qui  n'était  possible,  bien  en- 
tendu que  grâce  aux  vastes  étendues  disponibles.  Les  jeunes  ani- 
maux seront  élevés  dans  un  domaine  établi  près  du  Segftnet  :  d'im- 
menses hangars  de  tôle  provenant  des  stocks  alniéricains  ont  trouvé 
là  une  utilisation  imprévue  et  judicieuse.  Un  autre  domaine  près  de 
l'Oued  Mda  dont  le  gérant  a  su  merveilleusement  utiliser  les  procé- 


LES  «  MERJAS  »  DE  LA  PLAINE  DU  SEBOU 


237 


Fig,  15.  —  Centre  d'élevage  de  l'Etoile  (merja  Merktane)  pour  500  vaches  laitières, 
Au  pi-emier  plan,   vaches   «  Shorthorns  »  importées  d'Angleterre, 


Fig.  16.  —  Vue  aérienne  du  Sehou  ot  du  centre  de  Tazi  entièrement  créé  par  la  (^"dii  Sebou. 
Toute  la  boucle  du  Sebou  est  irriguée. 


238  J.  CÉLÉRIER 

dés  de  constructions  in(^irf^nes  constilnora  nno  forme  d'cmbonclie  où 
on  enfjraissei'îa  les  aniiinanx  deslinrs  à  la  vente  et  à  la  hourlKM^e.  A  Si 
Allai  Tazi  5  écuries  confortables  sont  destinées  à  abriter  un  troupeau 
de  5oo  vaches  laitières  dont  les  veaux  prendront  le  chemin  du  Seg- 
met.  TiO  lait  sera  traité  dans  une  laiterie-beiirrerie-fromap^erie 
qui  est  presque  lenuiniV.  En  attendani,  les  écuries  lop^ent  un  trou- 
peau de  près  de  800  bovins  qui  a  été  constitué  avec  des  bêtes  sélec- 
tionnées dans  les  miarchés  de  la  ré<xion.  Chaque  soir  les  bêles  rentrent 
du  pAturape  à  l'écurie;  cette  rentrée  est  un  spectacle  impressionnant 
qui  semble  vêtir  nos  créations  trop  compliquées  de  la  jeunesse  'éter- 
nelle du  monde  et  de  l'antique  simplicité.  Le  soleil  a  soimbré  der- 
rière la  dune:  mais  î^  l'horizon  s'allument  les  pcrandes  flammes  qui 
dévorent  le  dîss  survivant  ?i  la  merja;  elles  rendent  plus  rapide  et 
plus  profonde  la  chute  de  l'ombre  où  s'enfonce  et  p^randit  encore  la 
plaine  imimense:  surbaissant  de  cette  ombre,  les  bêtes  arrivent  à  pas 
lents  et  paraissent  innombrables,  car  on  les  fait  défiler  une  à  une 
pour  les  compter  avant  de  les  enfermer.  Plus  tard  un  système  de 
paddoks,  à  la  mode  sud  américaine,  fermés  par  des  fils  de  fer  bar- 
belés, facilitera  le  travail  des  gardiens  et  mettra  un  peu  plus  de 
clarté  géométrique  dans  le  partage  de  ces  pâturages  encore  vierges. 
La  clef  de  voûte  de  cet  ensemble  est  donc  l'installation  de  Si  Allai 
Tazi.  Le  lieu  est  bien  choisi.  Si  Allai  Tazi  est  situé  au  point  où  la 
route  de  Kénitra  à  Tanger  franchit  le  Sebou,  à  peu  près  à  égale  dis- 
tance de  Kénitra  et  de  Souk  el  Arba.  Il  est  curieux  de  rappeler  qu'en 
amont  se  trouvent  les  ruines  de  l'ancienne  colonie  romaine  de  Ba- 
nasQ  et  en  aval  celles  de  Thamusida.  Le  passage  du  Sebou,  assuré 
naguère  par  un  bac,  l'est  maintenant  par  un  pont  qu'a  construit 
la  Compagnie  Schneider.  La  voie  fluviale  du  Sebou,  la  piste  de  Ké- 
nitra à  Mechra-bel-Ksiri  par  la  rive  droite  complètent  les  moyens 
de  communication.  Il  est  vraisemblable  qu'une  des  voies  ferrées  qui 
doit  relier  Kénitra  au  Tanger-Fès  passera  tout  près  de  là.  On  vient 
de  terminer  la  pose  d'une  voie  de  o  om.  60  qui  unit  Kénitra  à  Ksiri 
par  Si  Allai  Tazi  et  se  prolongera  sur  Ouezzan.  Pour  desservir  ses 
divers  domaines  ila  Compagnie  du  Sebou  projette  l'établissement  d'un 
petit  Deoauville.  Ce  lieu,  nagi^ère  encore  désert,  est  devenu  un  foyer 


LES  «  MERJAS  »  iDE  LA  PLAINE  DU  SEBOU  239 

de  vie  très  aniirmé  et  la  Compagnie  du  Sebovi  en  a  fait  par  'ses  propres 
moyens,  un  centre  de  colonisation  appelé  sans  doute  à  un  dévelop- 
pement rapide.  Outre  les  installations  agricoles  et  les  logements  des 
représentants  de  la  Société,  l'industrie  est  représentée  par  une  brique- 
terie, le  ravitaillement  par  deux  cantines  restaurants  et  par  deux  épi- 
ceries destinées  l'une  aux  Indigènes,  l'autre  aux  Européens.  L'ins- 
tallation qui  a  eu  le  plus  de  succès  fut  celle  d'une  boulangerie  à  la- 
quelle est  annexée  une  petite  minoterie.  Un  embryon  d'organisation 
scolaire  et  d'organisation  postale  achève  de  rappeler  comment  la  vie 
européenne  prend  possession  du  Bled  marocain,  enfonce  dans  un 
sol  vierge  des  racines  vigoureuses,  crée  autour  d'elle  la  richesse  dont 
la  hausse  des  prix  de  la  terre  est  pour  les  Indigènes  propriétaires  une 
manifestation   éclatante. 

Par  la  méthode  scientifique,  la  puissance  des  moyens  financiers 
et  techniques,  l'œuvre  de  la  Compagnie  du  Sebou  est  l'essai  de  mise 
en  valeur  le  plus  original  que  la  métropole  ait  tenté  du  Maroc  (i). 
L'expérience  est  suffisamment  concluante  pour  hâter  la  transfor- 
mation de  toute  la  plaine  marécageuse.  Souhaitons  que,  comme  la 
Merktane  et  la  Bon  Kharja,  lie  Ras  ed  Baoura  et  les  grandes  merjas 
des  Béni  Ahsen  ne  soient  bientôt  plus  que  des  isouvenirs. 

J.   CÉLÉRIER. 

Professeur  de  géographie 
à  l'Institut  des  Hautes-Études  Marocaines. 


(i)  Chez  les  Béni  Ahsen,  à  Sidi  Yahia,  une  autre  Société  agricole  organise  en  bor- 
dure de  la  merja  du  Tiflet  un  très  intéressant  centre  d'élevage.  A  l'aide  d'une  moto-pompe 
élevant  l'eau  du  Tiflet,  on  pourra  arroser  les  luzernières  qui  seront  créées  de  chaque  côté 
de  la  scguia  d'amenée.  Mais  cette  installation  que  nous  avons  pu  voir  de  près  grâce  à  la 
complaisance  de  M.  Coeytaux,  sort  un  peu  du  cadre  strict  des  merjas  et  sera 
mieux  à  sa  place  dans  une  élude  d'ensemble  sur  la  mise  en  valeur  de  la  Plaine  mféneure 
du  Sebou. 


TECHNIQUE  DES  POTERIES  RIF AINES  DU  ZERHOUN 


Il  existe,  non  loin  de  Meknès,  dans  le  massif  du  Zerhoun,  un  cer- 
tain nombre  d'agg^lomérations  rif aines  de  la  tribu  des  Béni  Touzin; 
elles  se  sont  installées  dans  le  pays,  sous  le  règne  de  Sidi  Mohammed 
ben  Abderrahman  (1859-1879). 

Ces  déplacements,  ces  «  essaimages  »,  sont  fréquents  au  Maroc; 
leur  histoire  est  celle  de  toutes  les  vicissitudes  du  pays.  Mais  lors- 
qu'une tribu,  comme  celle  des  Béni  Touzin,  habite  un  pays  inexploré, 
et  lorsque  des  fractions,  comme  celle  du  Zerhoun,  conservent  des 
relations  suivies  avec  leur  pays  d'origine,  elles  nous  permettent  de 
connaître  des  industries  ignorées,  comme  l'essaim  nous  instruirait 
sur  la  ruche-mère,  si  les  abeilles  ouvrières  avaient  des  aptitudes  spé- 
ciales, selon  les  ruchers. 

Les  Béni  Touzin  qui  vivent  sur  les  pentes  septentrionales  du  Rif, 
non  loin  de  Melilla,  ont  apporté  au  Zerhoun  des  techniques  qui  leur 
sont  j>ersonnelles,  et  que  l'on  ne  trouve  chez  aucun  de  leurs  nouveaux 
voisins.  Leur  étude  est  instructive  en  soi;  elle  permet  aussi  de  colla- 
borer aux  études  difficiles  des  explorateurs  et  d'apporter  une  contri- 
bution à  l'étude  à  peine  ébauchée  des  industries  rif  aines:  c'est  pour 
cela  que  je  réunis  ici  ces  notes,  quoique  incomplètes,  sur  la  poterie 
des  Béni  Touzin  du  Zerhoun  (i). 

Les  Béni  Touzin  habitent  quelques  villages,  parmi  lesquels  Béni 
Meraz  et  Bou  Mendara  sont  les  plus  importants;  ce  seront  aussi  les 
plus  visités,  car  tous  deux,  et  surtout  Béni  Meraz,  sont  pittoresque- 
ment  bâtis  dans  de  grands  cirques  d'effondrement  où  les  maisons 
éparses  se  posent  deci-delà,  jusqu'à  la  falaise  qui  domine  les  terres 


(i)  Ce  travail  a  été  rédigé  d'après  des  notes  recueillies  dans  le  Zerhoun,  en  1916. 
M.  Van  Gennep,  à  qui  je  l'avais  communiqué,  l'a  utilisé  dans  ses  «  Recherches  sur  les 
Poteries  de  l'Airique  du  Nord  (Harvard  African  Studies,  vol.  II,  Cambridge,  1918,  pp.  277- 
278),    et  a  déjà   publié    quelques-unes   des   figures   qui    illustrent    cet    article. 


242  J.  HERBER 

d'^boiilis  H  dont  elles  utilisent  parfois  l^s  anfractiiosités.  Bon  Assd, 
moins  important,  d'aspoct  unisérable,  est  ?i  l'extrt^mité  occiden- 
tale de  l'arèfe  qui  limite,  comme  nn  prrand  mur,  le  nord  de  la  plaine 
du  Sais;  il  domine  la  piste  qui  va  de  Moknès  à  Moulcy-Ydris;  il  est  faci- 
lement accessible,  ses  habitants  sont  aocueillants  et  ce  sont  eux  sur- 
tout que  jai  vus  au  travail. 

Je  ne  connais  la  technique  des  Rifains  de  Bou  Mendara  et  de  Béni 
Mi'raz  que  par  ce  qu'ils  m'en  ont  dit  dans  les  maisons  mêmes  oh  ils 
l'f^mplovaient,  et  j'ai  la  certitude  qu'elle  est  exactement  semblable 
à  celle  de  Bou  Assel  :  je  les  confondrai  dans  ima  description.  11  n'y  a 
de  réserves  à  faire  que  pour  le  travail  d'une  maallema  de  Bou  Men- 
dara, orirrinaire  des  Vit  Ouria^hel,  tribu  voisine  des  Béni  Touzin  : 
j'ouvrirai  à  son  sujet  quelques  parenthèses. 


Les  poteries  du  Zerhoiin  au  point  de  vue  commercial.  —  On  peut 
juger  des  procédés,  de  l'art,  du  «  métier  »,  par  l'œuvre,  et  on  trouve 
toutes  les  poteries  du  Zerhoun  au  marché  du  samedi,  à  Mouley  Ydris. 
Tl  ne  semble  pas  que  la  vente  soit  soumise  à  la  loi  de  la  demande: 
la  présence  des  marchandises  est  irrégulière;  les  vendeuses  ne  vien- 
nent que  poussées  par  la  nécessité  de  certains  achats,  11  s'ensuit  que  la 
fabrication  n'est  pas  continue;  elle  est  en  rapport  avec  les  besoins  du 
producteur,  quelles  que  soient  les  raisons  qui  puissent  le  conduire  h 
faire  monnaie  ou  échange  de  son  industrie.  11  y  a  cependant  une  règle 
à  peu  près  constante,  qui  ne  se  vérifie  pas  seulement  chez  les  Rifains 
du  Zerhoun,  mais  chez  les  Béni  Mtir  et  (les  Béni  Mgild;  l'ouvrier, 
aussi  bien  que  l'ouvrière  se  met  au  travail  l'avant-veille  ou  la  veille 
du  marché,  la  cuisson  ayant  lieu  la  veille  ou  le  jour  même,  selon 
l'éloignement  du  centre  de  vente. 

L'artisan.  —  Aux  villages  rifains  du  Zerhoun,  c'est  la  femme  qui 
travaille  la  glaise,  alors  qu'à  Mouley  Ydris  et  dans  toute  la  région  de 
Meknès,  il  n'y  a  que  des  potiers  :  ceux-ci  se  disent  originaires  du 
«  Sahara  »,  c'est-à-dire  d'une  région  géographiquement  imprécise, 
située  au-delà  du  Grand  Atlas,  vers  le  sud-est  du  Maroc;  ils  ont  sou- 


POTERIES  RIFAINES  DU  ZERHOUN  243 

vent  le  même  type  ethnique  que  les  savetiers  et  les  forgerons,  dont 
les  professions  sont  réprouvées  (i).  * 

Les  pratiques  rifaines  confirment  à  nouveau  la  loi  que  M.  Van  Gen- 
nep  a  exprimée  ainsi  (2)  :  «  ...la  manufacture  et  le  tour  ne  se  trou- 
vent pas,  dans  une  même  région,  chez  les  mêmes  catégories  de  per- 
sonnes :  si  la  poterie  à  la  main  est  l'œuvre  des  femmes...,  le  tour  est 
l'instrument  des  hommes.  »  Les  femmes  Béni  Touzin  n'emploient  pas 
le  tour,  tandis  que  les  Sahariens  de  Mouiley  Ydris  l'util  lisent;  il  y  a 
donc,  dans  le  Zerhoun,  coexistence  de  deux  techniques,  et  leur  spé 
cialisation   différente  en   rapport  avec  la  sexualité. 

M.  Van  Gennep  ajoute  :  <<  Les  premières  (les  femmes),  vivent  à  la 
•campagne;  les  seconds  (les  holmmes)  de  préférence  dans  les  centres 
dommerciaiix,  lieux  de  marché,  villes.  »  Il  en  est  ainsi  dans  la  région 
que  j'étudie,  et  peut-être  serait-il  possible  d'établir,  à  son  endroit,  une 
formule  plus  étroite  :  la  poterie  rifaine,  faite  à  la  main,  est  de  fa- 
brication et  d'utilisation  familiale,  portée  au  marché  en  vue  d'une 
transaction  occasionnelle,  tandis  que  la  poterie  au  tour  est  tout  à  fait 
industrialisée. 

Il  n'y  a  pas  d'atelier  à  proprement  parler;  il  n'en  est  d'ailleurs  pas 
besoin  pour  un  travail  aussi  discontinu.  La  fille  est  à  la  fois  l'élève  et 
la  collaboratrice  de  la  mère.  A  Bou  Assel,  on  compterait,  d'après  le 
cheikh,   sept  à  huit  familles  qui  fabriqueraient  la   poterie  ;  à  Béni 


(r)  Ainsi  que  me  le  fait  observer  M.  H.  Basset,  qui  a  étudié  la  céramique  berbère  dans 
son  cours  de  1918  à  l'École  supérieure  de  Rabat,  le  métier  de  potier  est  aussi  mal  vu,  dans 
certaines  tribus,  que  celui  de  forgeron.  «  Le  potier  dit  aussi  M.  E.  Laoust,  dans  s«s 
Mo  s  et  Choses  berbères  fp.  6f))  passe  pour  un  être  misérable  condamné  par  le  destin...  Tl 
vit  malheureux,  retiré  et  méprisé,  puisque  toute  sa  vie  se  passe  à  battre  et  à  piétiner  notre 
mère  et  notre  père,  la  terre  ».  M.  Laoust  cherche  la  cause  réelle  d«  cette  mésestime  dans  le 
fait  que  le  potier  «  accomplit  une  besogne  qui,  chez  les  Berbères  comme  chez  tous  les  demi- 
civilisés,  est  uniquement  réservée  aux  femmes  n.  Cette  constatation  n'est  certaincmcint  pas 
étrangère  aux  sentiments  des  gens  du  peuple  à  l'égard  des  potiers,  mais  je  doute  fort  qu'elle 
en  soit  la  cause  originelle.  Hommes  et  femmes  font  des  poteries,  selon  des  techniques  si 
nettement  individualisées,  qu'il  me  semble  difficile  de  confondre  leurs  professions.  D'ailleurs 
les  forgerons  sont  également  honnis,  sans  qu'on  puisse  dire  qu'ilsi  se  livrent  à  un  travail  ré- 
servé aux  femmes...  La  légende  qui  fait  un  grief  aux  potiers  de  battre  la  terre,  me  paraît  plus 
pr^s  de  la  vérité,  parce  qu'elle  attribue  une  cause  magique  à  la  défaveur  dont  souffrent  ces 
artisans. 

(t")  a  Van  Gennep,  Études  d'ethnographie  algérienne,  tir.  à  part  de  la  Revue  d'Ethno- 
graphie et  de  Sociologie,  Paris,  E.  Leroux,  1911,  p.  82. 


244  J.  HERBER 

Meraz,  toutes  les  familles  seraient  aptes  à  en  faire;  à  Bon  Mendara, 
on  rabsiMU'o  (Iu'cIumKIi,  oA  m'a  répondn  très  évasivement. 

Technique.  —  Accessoires  de  fahiication.  —  L'ouvrière  rifaine  tra- 
vaille devant  la  porte  de  sa  maison,  mais  elle  n'est  pas  assise,  comme 
la  p()li«'Mo  kalnlo  roj^résentée  dans  los  Etudes  d'ethnographie  algé- 
lientic  do  M.  Van  Gonnop  (i);  ollo  so  li(>nl  dans  la  position 
aooroiipio  (fi^.  i,  2,  3). 

Elle  a,  en  face  d'elle,  un  p^rand  plat  renversé  qui  sert  de  soubasse- 
ment, de  socle  à  la  poterie  en  fabrication;  à  sa  droite,  de  l'argile 
préparée,  déposée  sur  ime  plancbe  et  un  récipient  rempli  d'eau;  à 
sa  gauche,  un  petit  tas  de  cendre.  A  Bon  Assel,  V argile  est  recueillie 
non  loin  du  village,  le  long  de  la  piste  de  Meknès  à  Mouley  Ydris; 
elle  existe  d'ailleurs  dans  toute  la  région. 

A  Bon  Assel,  à  Béni  Meraz,  on  mélange  l'argile  avec  de  la  brique 
pilée;  on  la  travaille  à  la  main,  l'expose  au  soleil,  la  mouille  et  la 
conserve  dans  une  pièce  de  la  maison  :  il  est  probable  qu'on  agit  de 
même  dans  toutes  les  localités. 

Le  récipient  d'eau  contient  tout  l'ontillage  de  l'ouvrière;  c'est  un 
morceau  de  cuir  (zilda),  destiné  à  Imouiller  la  poterie  en  fabrication, 
principalement  au  niveau  de  ses  bords  et  à  rendre  la  glaise  plus  plas- 
tique; une  cuillère  en  bois  [nierarjd)  (fig.  11)  ou  plus  exactement  son 
extrémité  creuse,  dont  les  bords,  plus  ou  moins  usés,  servent  au  mode- 
lage; enfin,  un  vieux  peigne  de  bois  (fig.  7),  qui  a  la  ,même  destina- 
tion. L'usure  —  ou  peut-être  le  couteau  —  leur  a  donné  des  courbures 
différentes.  A  Béni  Meraz,  on  emploie  le  galet  de  préférence  à  ces 
instruments.  A  Bon  Mendara,  on  emploie  les  uns  et  les  autres,  indif- 
féremment. 

La  cendre  est  destinée  à  empêcher  l'adhérence  de  l'argile  au 
Support. 

Le  support  (fig.  9),  Iqaleb  des  Kabyles,  est  un  disque  plus  ou  moins 
grand,  selon  la  poterie  à  laquelle  il  est  destiné,  plus  ou  moins  épais 
isielon  la  matière  qui  le  compose.  A  Bou  Assel,  c'est  une  sorte  de 
gâteau,  épais  de  o,o/i  centim.  environ,  fait  de  bouse  de  vache  ou  d'ar- 

(i)    A   Van   Gennep,    loc.    cit.,   fig.    9. 


POTERIES  RIFAINES  DU  ZERHOUN  245 

gile;  à  Bou  Mendara,  il  est  constitué  par  le  fond  d'un  grand  plat  de 
terre.  Je  ne  crois  pas  qu'il  ait  un  nom  spécifique.  Les  gens  cherchaient 
comment  ils  pourraient  le  désigner;  on  a  souvent  dit  tadokka  (argile); 
j'ai  aussi  entendu  le  mot  de  trab  (terre)  ou  de  garaz  (trépied)  {?)  Mais 
il  m'a  toujours  semblé  que  ces  noms  étaient  attribués  à  un  objet  que 
la  langue  populaire  ne  désignait  pas. 

Confection  de  la  poterie.  —  Munie  de  cet  outillage  rudimentaire. 
l'ouvrière  se  met  au  travail;  je  "me  propose  de  noter  sa  technique, 
geste  par  geste,  durant  la  fabrication  de  deux  modèles  de  poterie, 
auxquels  se  rattachent  toutes  les  formes  en  usage  au  Zerhoun,  c'est- 
à-dire  : 

le  vase  plat,  tel  que  l'assiette; 

le  vase  à  col,  tel  que  la  cruche. 

Vase  plat.  —  A.  L'ouvrière  pétrit  une  boule  de  glaise  et  lui  donne 
la  forme  d'un  disque  qu'elle  applique  sur  le  support  poudré  de  cen- 
dre. Avec  une  deuxième  boule,  elle  fait  un  boudin  de  o,i5  à  0,20  cm. 
sur  0,08  cm.,  la  creuse  en  son  milieu  avec  le  bord  cubital  de  la  main, 
lui  donnant  ainsi  la  forme  d'un  pain  fendu,  et  l'étalé  en  forme  de 
ruban  :  c'est  le  futur  rebord  du  plat,  ou  plutôt  l'une  de  ses  parties. 
Elle  le  met  de  champ  et  le  place  verticalement  autour  du  disque, 
qu'elle  achève  de  circonscrire  avec  un  nouveau  ruban  de  foi'ïne  appro- 
priée (fig.  i).  Ce  ruban  est  bien  grossier;  elle  le  façonne,  le  fait  exac- 
•tement  adhérer  au  disque  à  coups  de  pouce,  l'égalise  avec  quelques 
morceaux  de  glaise,  tandis  que  la  main  gauche  déplace  progressive- 
ment le  support  ou  maintient  la  poterie. 

B.  —  L'ouvrière  prend  alors  le  cuir  avec  lequel  elle  lisse  le  bord 
libre  et  la  face  externe  du  vase.  La  main  gauche  continue  son  rôle 
'd'aide  :  mobilisant  tantôt  la  poterie,  tantôt  servant  de  soutien,  elle 
permet  à  la  droite  d'appuyer  sur  la  glaise,  ce  qui  produit  en  même 
temps  un  amincissement  et  un  exhaussement  de  la  paroi. 

A  ce  moment,  le  peigne  intervient.  Appuyé  sur  la  face  interne,  il 
permet  de  transformer  le  vase  à  bords  droits  en  un  vase  largement 
ouvert,  en  une  sorte  d'écuelle  très  profonde,  la  zlâfa. 

Durant  ce  travail,  les  deux  mains  ont  été  employées  selon  les  apti- 


246  J.  HERBER 

Indes  liées  à  la  prééminence  do  la  droiterie;  il  n'y  a  qu'une  particu- 
larité à  signaler,  parce  qu'elle  caractérise  la  technique,  celle  de  la 
main  gauche  abandonnant  i>ar  instants  le  modelage  pour  déplacer  le 
support  :  déplacements  minimes  et  lents,  jamais  assez  rapides,  rare- 
ment assez  étendus  pour  qu'ils  fassent  songer  au  tour. 

Vase  à  goulot  :  A.  B.  —  L'ouvrière  commence  la  cruche  comme 
un  plat;  elle  fait  d'abord  un  vase  tronc-conique  à  grande  ouverture 
supérieure,  |)uis  elle  modèle  le  haut  de  la  cruche  qu'elle  léunit  à  la 
base,  lorsque  le  séchage  lui  a  donné  quelque  consistance.  Je  ne  serais 
pas  surpris  que  ce  procédé  fût  le  plus  courant. 

C.  —  Lorsque  l'ouvrière  a  tenté  de  modeler,  devant  moi,  un  vase 
d'une  seide  pièce,  elle  ne  l'a  commencé  qu'après  certaines  précau- 
tions oratoires.  Ce  travail  comporte  îles  diflicultés;  la  réussite  dépend 
de  la  plasticité  de  la  terre,  c'est-à-dire  de  l'eau  qu'on  lui  a  d<jnnée  et 
de  la  dessication  qu'entraînent  la  chaleur  et  le  vent;  proportion  dil'li- 
cile  à  obtenir  (étant  donné  que  l'un  des  tewnes  est  indépendant  de  la 
volonté),  et  d'où  dépend  la  résistance  ou  l'elfondrement  de  la  poterie. 

Four  transformer  le  vase  évasé  en  ovoïde,  l'ouvrière  mouille  d'abord 
la  paroi  et  l'amincit  progressivement  en  la  serrant  entre  ses  deux 
mains.  Elle  s'aide  du  peigne,  dont  la  pression  est  plus  régulière,  et 
qui,  avec  ses  courbures,  agit  comme  un  calibre.  Elle  diminue  ainsi 
l'ouverture  du  vase.  Lorsque  la  paroi  a  l'épaisseur  voulue,  elle  en 
nivelle  les  bords  avec  de  petits  boudins  de  terre,  à  peine  gros  comme 
un  doigt,  puis  elle  les  élève  et  les  rétrécit  par  le  même  moyen.  Le 
boudin  est  intimement  lié  au  vase  par  de  petits  coups  de  pouce,  puis 
lissé  et  refoulé  par  le  peigne,  tenu  de  la  main  droite,  tandis  que  la 
main  gauche  soutient  la  paroi  du  côté  de  la  cavité.  Lorsque  l'oriflce 
atteint  0,08  cm.  de  diamètre  environ  et  que  l'ouvrière  peut  encore  y 
passer  la  main,  elle  lisse  l'intérieur,  soit  avec  la  main,  soit  avec  la 
cuiller,  et  la  panse  de  la  cruche  est  achevée. 

Le  col  se  fait  de  même  façon,  par  adjonction  successive  de  boudins, 
également  travaillés  avec  le  peigne  ou  la  cuiller.  Au  lieu  de  la  main, 
ce  sont  deux  ou  trois  doigts  de  la  main  gauche  (fig.  3),  qui  font  pres- 
sion à  la  face  interne,  tandis  que  la  main  droite,  externe,  tend  à 
comprimer  l'argile,  et,  par  cela  même,  à  exhausser  le  coL 


POTERIES  RIFAINES  DU  ZERHOUN  247 

Le  rebord  est  égalisé  avec  le  cuir  mouillé,  tenu  entre  le  pouce  et 
l'index  droits,  la  main  gauche  faisant  tourner  le  plateau. 

L'anse  de  la  cruche  sera  confectionnée  plus  tard,  lorsque  le  séchage 
au  soleil  auraimis  la  cruche  en  état  de  la  supporter  (i).  Elle  sera  ratta- 
chée au  col  par  une  sorte  de  moulure  ronde,  ornée  parfois  de  petites 
encoches,  faites  avec  un  morceau  da  bois. 

Une  description,  quelque  (minutieuse  qu'elle  soit,  ne  peut  montrer 
l'utilisation  simultanée  ou  successive  des  deux  mains.  Qu'elle  fît  la 
cruche  ou  l'assiette,  l'ouvrière  se  servait  de  sa  main  gauche  tantôt 
pour  modeler  l'argile,  tantôt  pour  faire  tourner  le  support.  Il  lui  arri- 
vait parfois  d'imprimer  à  ce  dernier  des  mouvements  continus,  de 
façon  à  lisser  les  parois  du  vase,  mais  le  plus  souvent,  elle  s'en  ser- 
vait comme  d'une  selle,  qui  permet  au  sculpteur  de  voir  et  de  mode- 
ler son  œuvre  sur  toutes  ses  faces. 

Séchage  de  la  poterie.  —  La  poterie  est  portée  à  sécher,  sur  son 
support  (fig,  4).  II  y  a  autant  de  supports  que  de  pots  fabriqués,  et 
c'est  pour  cela  que  l'outillage  de  la  «  potière  »  ne  comprend  pas  le 
fil  à  couper  la  glaise  dont  se  servent  les  potiers  pour  détacher  la  pote- 
rie du  tour. 

Le  séchage  ne  présenterait  rien  à  signaler,  si  je  n'avais  à  parler  ici 
de  la  vieille  rifaine  de  Bou  Mendara,  orginaire  des  Ait  Ouriaghel.  Le 
cheikh  n'a  pas  pu  ou  n'a  pas  voulu  me  la  faire  voir.  Son  travail  est 
infiniment  plus  habile  que  celui  du  inilieu  où  elle  vit.  Ses  poteries, 
très  finement  décorées,  sont  d'une  minceur  remarquable.  Aussi,  la 
vieille  ouvrière  ne  pourrait-elle  travailler  en  été;  le  vent  ((  chergui 
qui  brûle  tout  »,  compromettrait  la  plasticité  de  l'argile  et  la  dessé- 
cherait trop  rapidement.  Avec  le  soleil  et  le  vent  d'août,  il  ne  serait 
possible  que  de  faire  les  poteries  grossières  des  Beni-Touzin. 

Lissage,  fausse  engobe.  —  Avant  d'être  cuite  au  four,  la  poterie 
subit  un  travail  de  lissage,  très  soigné  pour  les  poteries  des  Ait  Ou- 
riaghel, simplement  ébauché  chez  les  Béni  Touzin.  Il  est  obtenu,  à 

(i)   II  en  est  de  même  pour  les  goulots  latéraux  lorsque   les  cruches  en  comportent. 


248  J.  HERBER 

Bou  Assel,  par  la  friction  de  la  poterie  au  moyen  de  coquilles  d'es- 
cargots, ou  encore  avec  le  galet. 

M.  Van  Grennep,  à  qui  j'ai  envoyé  quelques  spécimens  de  poterie* 
des  Béni  Toiizin,  les  considère  cominie  revèlues  li'une  engobe  (i). 
Mon  enquête  ne  m'en  avait  pas  révélé  l'existence.  Pour  en  avoir  la 
confirmation,  j'ai  prié  M.  Châtelain,  directeur  des  fouilles  de  Volu- 
bilis, de  s'en  assurer;  sa  réponse  a  rendu  uioii  assertion  plus  formelle. 

Je  considère  les  poteries  de  Zerhoun,  comme  revêtues  d'une 
«  fausse  engobe  ;>,  j'entends  par  là,  d'une  «  couche  de  revêtement  •> 
réalisée  par  le  lissage,  qui  comprime  l'argile  superficielle,  la  rend 
plus  dense  et  lui  donne  l'aspect  «  d'une  couche  d'argile  plus  fine, 
appliquée  sur  le  corps,  en  pâte  plus  grossière,  de  l'objet  (2).  »  Si 
l'on  regarde  de  près  la  poterie,  on  voit  que  ce  que  j'appelle  la  fausse 
engobe,  n'est  pas  unie,  mais  formée  de  longues  facettes,  en  traînées, 
correspondant  au  passage  de  la  doquille  d'escargot. 

Le  four.  —  Le  four  des  femmes  Béni  Touzin  est  très  rudimentaire; 
il  est  établi  à  proximité  de  la  maison.  Il  consiste  en  une  légère  con- 
cavité, creusée  dans  la  terre,  ronde  et  à  peine  profonde  d'un  travers 
de  .main.  Quelques  pierres  placées  sur  une  seule  rangée,  et  non  con- 
tiguës,  le  limitent  (fig.  5).  Les  plats  sont  entassés  verticalement  les 
uns  contre  les  autres,  une  gesaa  ou  plat  à  couscous  étant  au  centre 
et  servant  d'appui  aux  autres  poteries. 

Le  combustible  employé  est  ie  palmier  nain,  le  doani.  Il  recouvre 
et  entoure  les  poteries.  Les  pierres  qui  limitent  le  four,  ne  semblent 
pas  destinées  à  retenir  les  poteries,  mais  plutôt  à  empêcher  le  doum 
de  se  répandre.  Je  les  ai  vues  employées  en  d'autres  localités  dans 
les  fours  où  on  utilisait  la  paille,  tandis  qu'on  n'en  mettait  point  lors- 
qu'on cuisait  les  poteries  avec  des  bûches  de  bois. 

La  cuisson  est  de  durée  variable  :  A  Bou  Assel,  elle  serait  de  plus 
d'une  heure. 

Décoration.  —  La  décoration  est  d'une    technique    très    rudimen- 


(i)  A.  Van  Gennep,  Reich.  sur  les  pet.   de  VAf.  da  Nord...,  etc,  p.   278. 
(2)  A.  Van  Gennep,  Et.  d'ethn.  alg.,  tir.  à  part,  p,  42. 


POTERIES  H  IF  A  INES  DU  ZERIIOUN  249 

taire.  Elle  est  obtenue  par  le  badigeonnage  de  la  poterie  avec  le  suc 
des  feuilles  de  droû,  lentisque,  broyées  soit  au  mortier,  soit  au  moyen 
d'un  galet  agissant  sur  une  pierre  plate;  la  vieille  femme  de  Bou  Men- 
dara,  ajouterait  à  ce  liquide  un  peu  de  miel. 

L'ouvrière  des  Béni  Touzin  fait,  en  général,  son  pinceau  avec  un 
simple  morceau  de  bois  effilé,  ou  avec  une  touffe  de  poils,  qu'elle 
tient  à  la  main;  il  arrive  même,  dit-on,  qu'elle  peigne  avec  le  doigt. 
Par  suite,  le  décor  qu'elle  trace  est  à  larges  traits;  travail  grossier 
qui  ne  peut  être  comparé  à  celui  des  Ait  Ouriaghel  dont  les  poteries 
sont  ornées  de  dessins  ténus,  délicats,  parce  que  l'ouvrière  prend 
pour  pinceau  tantôt  une  plume  d'oiseau,  tantôt  un  petit  faisceau  de 
poils  de  chèvre  (fîg.  8),  noués  ensemble. 

Je  ne  saurais  dire  comment  les  enfants  apprennent  à  faire  la  pote- 
rie; je  crois,  pour  l'avoir  vu,  que  l'instinct  d'imitation  les  pousse  à 
pétrir  la  terre  et  à  faire  des  pots  à  l'âge  où  ils  jouent  à  la  poupée.  Le 
dessin  est  d'une  technique  plus  délicate;  il  nécessite  un  apprentis- 
sage; l'habileté  s'acquiert  sans  doute,  par  la  pratique  et  l'exécution 
de  dessins  de  plu's  en  plus  difficiles,  (mais  j'ai  vu  aussi,  à  Bou  Men- 
dara,  dans  la  maison  même  du  Cheikh,  un  certain  nombre  de  pote- 
ries recouvertes  de  dessins  à  la  fois  compliqués  et  maladroits,  faits 
par  des  enfants  «  qui  s'étaient  exercés  ». 

Deuxième  cuisson.  —  Pour  que  la  décoration  se  conserve,  il  est 
nécessaire  de  faire  passer  à  nouveau  la  poterie  au  feu;  imais  cette  fois, 
une  seule  flambée  suffit  et  le  suc  translucide  du  droû  devient  d'un 
beau  noir  brillant,  encre  de  Chine. 

Formes  des  poteries;  leur  nom;  leur  usage.  —  Les  poteries  fabri- 
quées par  les  Béni  Touzin  ne  sont  pas  très  variées  et  servent  toutes  à 
l'usage  domestique.  Sauf  le  réchaud,  elles  dérivent  toutes,  au  point 
de  vue  de  leur  facture,  du  vase  tronc-conique  ou  de  l'ovoïde. 

Parmi  les  premières,  on  trouve   : 

D'abord  la  zlâfa,  plate  ou  à  pied,  resseimblant  à  l'écuelle  ou  a  un 
compotier  trapu  (fig.  23,  27,  28).  L'écuelle  a  sur  ses  bords  une  sorte 
d'oreille  percée  qui  permet  de  la  suspendre  (fig.  24). 

Le  grand  plat  de  o,4o  cm.  de  diamètre  environ,  à  rebords  hauts 

HBSPÉRIS.    —  T.   II.  —    1922.  '7 


250  J-  HERBER 

de  o,io  cm.,  munis  de  quatre  appendices  à  rextrémité  des  deux  dia- 
mètres perpendiculaires  (i). 

Le  plat  couvert,  haut  de  o,i5  i\  0,20  cm.,  lourd  d'apparence,  sorte 
de  plat  à  tajin,  avec  son  couvert  nuini  d'une    pclite    anse  médiane 

(fig.  i5). 

Les  vases  creux  à  anses  latérales  (fig.  i3,  19),  appelés  lialcb,  utilisés 
pour  mettre  l'eau,  le  beurre,  le  miel,  et  souvent  portés  au  moyen 
d'une  petite  corde  de  doùm  réunissant  les  deux  anses. 

La  gesaa  pour  le  couscous,  grand  vase,  exactement  tronc-conique, 
à  fond  plat  percé  de  grands  trous,  ornés  d'une  moulure  ronde  avec 
encoche. 

Parmi  les  vases  à  goulot,  on  trouve  les  types  bcrrâda  et  g  dra. 

La  bcrrâda  à  une  ou  deux  anses  symétriques,  est  un  récipient  pour 
liquides,   de  qiicl(pi(>   iialiirc  (ju'ils  soient  (fig.   26). 

La  g  dra  (pi.  gdoûr)  est  une  cruche  basse,  à  fond  large,  trapue, 
munie  presque  toujours  de  deux  anses,  et  quelquefois  d'oreilles  creu- 
ses, failes  poui"  être  saisies  avec  l'extrémité  des  doigis;  elle  porte  par- 
fois un  goulot  latéral,  sur  le  plan  perpendiculaire  à  celui  des  anses 

(fig-   17)- 

On  porte  cette  cruche  sur  le  dos  pour  aller  chercher  l'eau  à  la  fon- 
taine et  on  la  fixe  ainsi  :  l'extrémité  d'une  corde  passe  par  l'anse  an- 
térieure, et  forme  deux  chefs  qui  prennent  point  d'appui  sur  l'épaule 
gauche  et  retombent  sur  le  devant  de  la  poitrine  011  la  main  gauche 
les  saisit;  l'un  des  deux  chefs  partant  de  cette  main  et  repassant  sur 
cette  même  épaule,  traverse  l'anse  postérieure,  suit  obliquement  de 
haut  en  bas  la  panse  de  la  cruche,  l'applique  contre  le  dos  tout  en 
ia  soutenant,  et  s'engage  sous  l'aisselle  droite,  pour  être  reprise  par 
la  main  gauche  (fig.  6).  Ce  mode  d'arrimage  a  pour  effet  de  ména- 
ger les  anses  d'une  poterie  mal  cuite,  et  par  cela  (même  peu  résistante. 

Je  dois  encore  signaler  une  petite  cruche,  à  peine  haute  de 
0,12  cm.,  à  large  ouverture,  et  munie  de  deux  anses  opposées,  dont 
l'une  est  établie  dans  l'angle  d'un  goulot  latéral  (fig  10). 

Le  melmâr  des  Béni  Touzin  a  une  forme  très  spéciale;  il  ressemble 


(i)  C'est  un  plat  de  ce  genre  qui  set  de  soubassement  au  support  et  qui  est  représenté 
dans  les  fig.  i,  a,  3. 


POTERIES  RIFAINES  DU  ZERHOUN  251 

à  un  grand  entonnoir  auquel  on  aurait  adapté  une  base  très  évasée 
•lig.  29,  3i).  Il  diffère  totaleiment  du  mejmàr  des  potiers  de  Mou'ley 
Ydris,  qui  est  co^mposé  d'un  vase  cylindrique,  à  parois  verticales,  mu- 
ni d'un  pied.  Ainsi  survivent,  côte  à  côte,  deux  modèles  de  poterie, 
d'un  art  très  inégal  et  que  la  tradition  conserve,  chez  des  groupes 
ethniques  d'origine  différente,  mais  devenus  voisins. 

Toutes  les  poteries  du  Zerhoun  sont  d'usage  courant;  il  faut  faire 
une  exception  pour  celles  que  modèle  la  vieille  femme  des  Ait  Ou- 
riaghel  et  qui  semblent  d'un  emploi  plus  restreint.  Le  haleb  repro- 
duit par  la  figure  i3,  était  posé  sur  une  étagère,  et  bien  qu'il  eût  un 
an  d'existence,  n'avait  servi  qu'une  fois,  pour  offrir  de  l'eau  à  un 
cadi  en  visite  (i). 


En  résumé,  les  poteries  rifaines  du  Zerhoun  sont,  au  point  de  vue 
de  la  technique,  très  voisines  des  poteries  kabyles,  qui  ont  pour  ca- 
ractères «  1°  d'être  faites  k  la  main;  2°  par  des  femmes;  3°  d'être 
cuites  en  plein  air;  de  servir  aux  usages  domestiques  locaux...  (2)  ». 

M.  Van  Gennep  ajoute  que  les  poteries  kabyles  sont  «  tantôt  nues, 
tantôt  peintes  d'un  dessin  rectilinéaire  ».  Les  poteries  rifaines  sont, 
ou  peu  ornées  ou  très  ornées,  et  leur  décor  est  généralement  rectili- 
néaire, mais  on  y  trouve  aussi  quelques  lignes  courbes,  et  à  Bou 
Mendara  même  (et  cette  fois,  il  ne  s'agit  plus  du  travail  de  la  vieille 
des  Ait  Ouriaghel),  j'ai  vu  des  poteries  ornées  de  dessins  empruntés 
au  règne  végétal  (iig.  18,  21)  (3). 

(i)  Cette  constatation  n'a  qu'une  valeur  purement  locale;  il  se  peut  que  dans  la  tribu 
même  des  Ait  Ouriaghel,  ces  poteries,  ne  soient  pas  comme  à  Bou  Mendara,  des  produits 
«xccptionnels.  et  qu'elles  servent  par  suite  aux  usages  courants. 

{■2)  Cf.  la  note  2,  p.    243. 

(3)  On  pourrait,  très  schéma tiquement  d'ailleurs,  classer  ainsi,  au  point  de  vue  du 
dt^cor,  les  poteries  rifaines  du  Zerhoun  : 

a)  poteries  sans  décor; 

b)  poteries  ornées  de  simples  points  (flg.   3o)  ; 

c)  poteries  aux  rebords  et  aux  arêtes  soulignées  par  des  lignes  noires,  flanquées  parfois 
lie   petits  traits  perpendiculaires  (fîg.    i5,   17). 

il)  poteries  parcourues  dte  lignes  noires,  avec  hachures  perpendiculaires,  ou  obliques 
{(  n  arête  de  poisson)  formant  de  grands  dessins,  simples,  (fig.  20,  22),  avec  parfois 
quelques  figures  magiques  surajoutées  (fig.    28)  ; 

e)   poteries   très  ornementées,   à   dessins  plus  ou   moins  complexes,    mais   rectilinéaire?, 


2^2  1  IIERBKR 

Il  y  a  encore,  au  point  de  vue  de  la  technique,  une  différence  entre 
les  poteries  rifaines  et  les  kabyles;  elle  réside  dans  l'emploi  du  sup- 
port. 

Le  tour  est  en  soi  «  une  machine  sur  laquelle  on  dispose  des  piè- 
ces auxquelles  on  imprime  des  mouvements,  pendant  qu'on  les  tra- 
vaille ».  Cette  définition  est  aussi  bonne  pour  le  tour  mécanique  que 
pour  le  tour  du  poliri- ;  [elle  élablil]  (jue  Toulil  iioininé  l(/(il<'h  par  les 
Kabyles,  mù  par  les  pieds,  est  de  dérivé  ou  le  prototype  du  tour, 
tandis  que  le  support  des  Béni  Touzin  est  l'équivalent  de  la  selle  des 
sculpteurs.  L'emploi  si  différent  des  deux  ac-cessoiiies  de  fabrication, 
poutant  identiques  dans  les   deux     tribus,   en  a  fait  deux  outils  de 

signification  différente. 

J.  Herber. 


tels  que  le  damier,  les  chevrons  simples  ou  ornés  de  hachures,   les  triangles,   las  quadril- 
lages, les  zigzags,  etc..  (fig.   2^,   26,   37,   28); 

d)  poteries  des  typ<*s  précédents  où  apparaît  le  décor  curviligne,  formé  de  lignes  ondu- 
lées entrelacées  (fig.  ag,  3i)  ou  d'arcs  de  cercle  sécants,  opposés  par  leur  concavité,  et  liini 
tant  de  petites  surfaces  fusiformcs  (fig.   i4,   16); 

e)  poteries  à  dessins  nalurislcs  dont  la  cruche  (fig.  iS,  -m)  offio  l'cxoniplo  le  plus 
typique.  On  trouve  une  ("liaurhe  de  dtssius  do  ce  genre  dans  le  mcjiuAr  des  Ail  Onriii- 
ghel,  sous  la  forme  d'une   llein   ou  •l'un  œil  stylisé. 

Je  n'ai  rien  pu  savoir  sur  l'origine  de  ces  derniers  décors  cl  je  reste  cncoro  surpris 
d'avoir  trouvé  dans  la  niai.son  du  Cheikh  qui  inc  donna  la  cniehc  dont  il  vient  d'être 
question,  un  ensend)le  de  motifs  d'ornemental  ion,  (pi'en  Kurope  on  n'aurait  pas  manqué 
de  considérer  comme  étant  d'un  modem  slvl  maladroit. 


Poteries  du  Zerhoun. 


PI.  I. 


Poterie?  du  Zerhoun. 


l'I.  ir. 


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12 


Poteries  du  Zerhoun. 


PI.  m. 


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Poteries  du^Zerhoun. 


PI.  IV. 


253 


LÉGENDES  DES  FIGURES 


FiG.  1,  2,  3.  —  Confection  de  la  poterie  par  l'ouvrière  de  Bou  Assel.  On  voit  à  sa  droite  le  petit 
plancher  de  bois  sur  lequel  se  trouve  la  glaise,  et  le  récipient  d'eau  où  elle  imbibe  le  morceau 
de  cuir.  Le  petit  las  de  cendre,  blanc  comme  le  sol,  n'est  pas  visible  sur  ces  photographies.    ♦ 

FiG.  4.  —  Séchage  des  poteries;  les  assiettes  reposent  sur  des  supports. 

FiG.  5.  —  Le  four  :  quelques  pierres  irrégulièrement  disposées  marquent  l'emplacement  du  four  où 
les  poteries  viennent  d'être  cuites. 

FiG.  6.  —  Arrimage  de  la  cruche  sur  le  dos  d'une  femme  de  Bou  Assel. 

FiG.  1.  —  Vieux  peigne  servant  de  calibre  ou  d'ébauchoir  à  l'ouvrière  de  Bou  Assel. 

FiG.  8.  —  Pinceau  en  poil  de  chèvre,  utilisé  par  la  maallema  des  Ait  Ouriaghel. 

FiG.  9.  —  «  Support  »  fait  de  glaise  et  de  boue,  dont  on  voit  l'utilisation  fig.  1,  2,  3,  4. 

FiG.  10.  —  Petit  pot  à  goulot  latéral  de  0",10  de  haut  (Bou  Assel). 

Fig.  11.  —  Extrémité  d'une  cuillère  servant,  ainsi  que  le  peigne,  de  calibre  et  d'ébauchoir. 

Fig.  12,  13.  —  Haleb  modelé  et  décoré  par  la  maallema  des  Ait  Ouriaghel.  La  fig.  12  est  destinée  à 
montrer  le  dessin  qui  orne  la  base  de  ce  haleb. 

Fig.  14,  16.  —  Mejmar  modelé  et  décoré  par  la  même  maallema. 

Fig.  15.  —  Plat  à  tajiu  de  Bou  Assel. 

Fig.  17.  —  Grande  g~^dra  de  Bou  Assel. 

Fig.  18.  —  Cruche  de  Bou  Mendara,  ornée  de  dessins  à  demi-effacés,  qui  ont  été  reproduits  sur  la 
«g.  21. 

Fig.  19.  —  Haleb  de  Bou  Assel. 

Fig.  20,  22.  —  Zlàfa  de  Bou  Assel. 

Fig.  21.  —  Voir  la  légende  de  la  figure  18. 

Fig.  23,  24.  —  Zlàfa  de  Béni  Meraz. 

Fig.  25.  —  Berràda  de  Bou  Assel. 

Fig.  26.  —  Zlàfa  de  Bou  Mendara. 

Fig.  27,  28.  —  Zlàfa  de  Bou  Assel. 

Fig.  29.  —  Mejmàr  de  Bou  Assel. 

FiG.  30.  —  Zlàfa  de  Khendeg  (autre  agglomération  rifaine  du  Zerhoun). 


CHELLA 

UNE  NÉCROPOLE  MÉRINIDE] 

(Suite.) 


B.  —  L'INTÉRIEUR  DE  L'ENCEINTE 

Lorsque,  par  la  grande  porte  de  renceinte,  on  pénètre  à  l'intérieur 
de  Chella,  l'on  a  devant  soi  un  chemin,  fond  de  ravin  assez  vite  encais- 
sé (i),  couvert  de  petits  cailloux  roulés,  en  qui  la  légende  voit  les  an- 
ciens habitants  de/  la  cité;  ce  chernin,  assez  raide,,  desciend  vens 
des  jardins,  au  bas  de  l'enceinte,  desquels  émerge  un  minaret  décoré 
de  faïences  multicolores  :  celui  de  la  mosquée  d'Aboû  loûsof.  Les  pen- 
tes, de  part  et  d'autre  du  chemin,  sont  en  partie  incultes,  en  partie  des 
champs  de  céréales  ou  de  légumes,  coupés  de  sentiers  et  de  haies,  der- 
rière lesquelles  se  dissimulent  quelques  cabanes  et  quelques  fermes 
minuscules.  De  ci,  de  là,  dos  IvdoUa  de  ïnarabouts  ruinées;  de  ra- 
res traces  de  murs  en  pisé  grossier,  ne  semblant  pas  d'une  date 
très  ancienne,  restes  d'habitations  pareilles  à  celles  des  laboureurs 
d'aujourd'hui.  Dans  toute  cette  partie  supérieure  de  l'enceinte,  un 
seul  vestige  appai^aît  vraiment  ancien  et  digne  de  retenir  l'attention. 
C'est  un  grand  bloc  quadrangulaire  de  béton,  très  dur,  qui  s'avance 
comme  un  escarpement  aux  lignes  nettes,  sur  la  gauche  du  sentier. 
Que  peut-il  représenter?  Léon  l'Africain,  parlant  du  fondateur  de 
Chella,  dit  qu'il  en  releva  les  murailles  ruinées  depuis  l'époque  romai- 
ne, y  construisit  un  ((  hospital  »,  et  un  palais  pour  loger  ses  soldats. 
Si  r  ((  hospital  »  est  l'hôtellerie  de  l'entrée,  étudiée  plus  haut,  ces 

(i)    Appelé   par    les   gens   de   Rabat   du    nom   caractéristiqiie    d'eî-gergdba,    «    l'endroit 
où  l'on  roule  », 


256  ClIELLA 

restes  sont-ils  ceux  du  palais?  A  vrai  dii^,  Léon  n'est  pas  un  guide 
très  sûr  :  s'il  affirme  forniolleniiMit  avoir  visité  la  nécropole  mérinide, 
Chella,  lorsqu'il  y  passa,  était  ruinée  depuis  un  siècle;  bien  dea  lé- 
gendes étaient  déjà  venues  se  fixer  auprès  du  sanctuaire,  et  Léon  les 
recueillit  comme  histoire  véritable. 

Cela  (lit.  (^n  piMil  assurémciil  adnu'llrc  (|u' Aboû  M-lIasaii,  en  uiomc 
temps  qu'il  reconstruisait  sur  un  si  large  plan  la  nécropole  de  ses 
ancêtres,  ait  fait  élever  à  l'intérieur  de  l'enceinte  un  palais  où  il  pût 
lui-même  demeuix^r  lorsqu'il  \  enait  leur  faire  ses  dévotions.  Logement 
de  se«  soldats,  comme  le  croit  Léon?  Tout  au  plus  pourrait-on  pen- 
ser que  l'enceinte  vide  de  Chella  était,  à  ro<xasion,  un  camp  où  ils 
venaient  se  grouper  autour  de  ce  palais  :  comme  Vagdâl  des  actuelles 
résidences  chérifiennes.  Mais,  nous  d'avons  vu,  si  l'hypothèse  n'est 
pas  absolument  invraisemblable,  rien  ne  nous  autorise  à  affirmer  que 
les  deux  fois  où  il  attendit  sur  les  Deux-Rives  les  contingents  de  l:i 
guern;  sainte,  Aboû  '1-Hasan  ait  résidé  à  Chella  même,  et  qu'il  ait 
rassemblé  ses  soldats  dans  l'enceinte  sacrée  qui  entourait  la  tombe 
des  grands  mojâhidîn. 

Quoi  qu'il  en  soit,  palais  ou  non,  l'édifice  dont  ce  bloc  de  béton  soli- 
de est  aujourd'hui  le  dernier  reste,  était  admirablement  placé.  Bâti 
sur  la  pente  raide,  il  dominait  le  sanctuaire,  et  par  delà  les  iminarels 
polychromes,  les  toits  des  mosquées  et  la  muraille  elle-même,  sa 
vue  s'étendait  sur  toute  la  mer  de  verdure  que  les  jardins  forment 
jusqu'au  fleuve. 

Le  Sanctuaire. 

Si  l'on  suit  jusqu'au  bout  le  chemin  dont  il  vient  d'être  question, 
et  que  dominent  les  vestiges  du  palais,  on  arrive,  au  bas  du  ravin, 
sur  une  petite  esplanade  fort  pittoresque.  A  droite  s'étage  toute  une 
série  de  qoubba,  ombragées  de  grands  arbres  que  couronnent  des  nids 
de  cigognes;  devant,  enfoncé  en  terre,  un  large  bassin  plein  d'eau 
courante,  entouré  de  voûtes  ruinées,  où  tout  le  long  du  jour,  des  la- 
vandières battent  des  toisons;  au  delà,  des  haies  qui  enclosent  de  vastes 
jardins  d'orangers;  à  gauche,  au-dessus  d'un  mur  médiocrement 
élevé,  deux  minarets  émergent  du  milieu  d'amples  frondaisons.  Ce 


LE  SANCTUAIRE  257 

mur  enferme  le  sanctuaire  :  les  deux  mosquées  et  les  tombeaux  des 
princes  mérinides,  les  ruines  de  la  nécropole,  dont  Ibn  el-Khatîb,  au- 
trefois, célébra  la  splendeur. 

Le  sanctuaire,  la  khalwa,  forme  aujourd'hui  —  le  mur  sud- 
ouest  semblant  récent  —  un  quadrilatère  de  54  mètres  environ  «ur 
35.  Deux  portes  donnent  accès  à  l'intérieur:  l'une,  sur  la  face  sud- 
ouest,  basse  et  sans  caractère,  date  de  ces  dernières  années;  l'autre, 
sur  la  face  nord-ouest,  est  la  porte  ancienne.  Elle  est  fort  simple: 
mais  son  arc  outrepassé  et  festonné  ne  manque  pas  d'élégance;  il 
s'orne  au  départ,  sur  chaque  côté,  du  motif  serpentiforme.  Motifs  et 
galons  disparaissent  fâcheusement  sous  de  nombreuses  couches  de 
chaux. 

Par  cette  entrée  (A  du  plan,  fig.  29),  on  pénètre  dans  une  couir 
(B),  sahn  d'une  mosquée  —  la  mosquée  d'Aboû  '1-Hasan  —  dont  la 
porte,  unique,  opposée  à  la  qibla,  s'ouvre  en  face,  un  peu  à  gauche.  A 
droite  de  la  cour,  des  dépendances,  au  rôle  assez  mal  défini.  A  gau- 
che, le  mur,  à  peu  de  distance  de  l'angle  de  la  mosquée,  est  percé 
d'une  grande  porte  décorée  de  faïences  (C).  Elle  donne  accès  dans 
une  sorte  de  couloir  transversal,  étroit  (D),  qui  s'avance  d'une  lon- 
gueur égale  à  droite,  où  il  est  aujourd'hui  sans  issue,  et  à  gauche,  011 
se  trouve  une  porte.  Par  elle,  on  pénètre  dans  une  petite  cour  carrée, 
et  de  là,  par  une  ouverture  symétrique  (G),  dans  le  sahn  d'une  autre 
mosquée,  qui  occupe  toute  la  partie  nord-est  du  sanctuaire.  C'est  la 
mosquée  ancienne,  qu'une  végétation  folle  a  tout  entière  envahie.  La 
paroi  sud-ouest,  par  laquelle  on  entre,  est  percée,  en  son  centre  à  peu 
près,  d'une  seconde  ouverture  (/);  elle  donne  accès  à  un  espace  qua- 
drangulaire  (J),  où  se  trouve  une  grande  stèle  prismatique  (rnqâ- 
brîyya)  anépigraphe  de  marbre  blanc,  et  dont  les  inurs  portent  en- 
core les  vestiges  d'une  décoration  de  plâtre  sculpté  et  de  (mosaïque  de 
faïence  :  salle  ou  cour?  on  verra  la  difficulté  d'en  décider.  De  là,  on 
accède  à  une  première  chapelle  funéraire  (K),  celle  où  se  trouve  la 
stèle  de  Chams  ecl-Dohà,  et  le  fragment  de  la  mqâbrîyya  d'Aboû 
la'qoûb  loûsof  :  deux  des  angles  seulement  restent  debout.  On  arrive 
enfin  dans  l'espace  qui  s'étend  en  arrière  de  la  mosquée  d'Aboû 
'1-Hasan,  jusqu'aux  murs  de  clôture  du  sanctuaire  :  c'est  là  que  s'élève 
la    grande    salle    funéraire    de    ce    dernier    sultan,    parmi    des    ves- 


258  CHFLLA 

tipj^es  de  murs  et  d'allées  de  mosaïque,  des  toimbes  de  tous  les  Ages, 
les  unes  avec  des  chawâhid  de  pierre  aux  formes  disparates,  les  autres 
couvertes  de  faïences,  sous  de  i^rands  arbres  où  nichent  les  cigognes. 
La  paroi  [loshM-iiMiic  i]c  l;i  (|()iil)I);i  d"  Vboù  'i-llasaii  (ail  |)arlir  du  mur 
de  clôture  :  un  étroit  jardin  d'oiangcrs  sépare  seul  ce  dernier  de  la 
grande  muraille  d'enceinte  de  Cihella  qui,  découronnce,  surplombe 
ici  les  l)caux  vergers  de  la  vallée. 


Tels  se  présentent  aujourd'hui  les  vestiges  du  sanctuaire.  Si  les 
murs  encore  debout,  mais  qui  ne  soutiennent  plus  la  moindre  couver- 
ture, permettent  de  retrouver  la  disposition  générale  des  édifices,  bien 
des  points  de  dét-ail,  parfois  importants,  demeurent  obscurs.  On  peut, 
en  étudiant  la  structure  des  murs  et  leurs  raccords,  se  rendre  compte 
avec  une  suffisante  précision  de  leur  chronologie  relative;  il  est  plus 
difficile  de  déterminer  l'utilisation  de  certains  dos  espaces  qu'ils  déli- 
mitent, ou  de  reconstituer  l'aspect  de  quelques  bâtiments  dont  il  ne 
reste  plus  que  de  faibles  arasements. 

La  partie  la  plus  ancienne  comprend  excilusivemenit  la  mosquée 
d'Aboli  ïoûsof  la'qoûb  :  l'extrémité  nord-est  du  sanctuaire  actuel.  C'est 
un  grand  quadrilatère  de  béton;  une  vaste  cour  (H)  sépare  deux  grou- 
pes de  bâtiments  :  d'un  côté,  l'oratoire,  de  l'autre,  des  dépendances, 
logement  des  gardiens  et  magasins.  Des  murailles  épaisses,  munies 
d'un  chemin  de  ronde,  et  peut-être  crénelées.  Deux  tours;  l'une  en 
béton,  formée  par  le  mihiàb,  lra|)uc,  comparable  aux  tours  des  en- 
ceintes urbaines,  /i  m.  20  de  diamètre,  3  mètres  d'avancée;  l'autre 
en  pierre,  le  minaret,  à  l'angle  nord,  sans  saillie  extérieure.  On 
pénétrait  dans  ce  sanctuaire  fortifié  par  la  face  nord-'Ouost,  opposée  à 
l'oratoire  :  on  voit  encore,  dans  le  béton  de  la  ^muraille,  les  vestiges 
d'une  ouverture.  Dans  cet  ensemble  fort,  simple,  oii  était  la  chapelle 
funéraire.»^  Etait-^ce  l'une  des  dépen^flances  dont  les  traces  subsistent 
au  nord-ouest  de  la  cour?  S'élevait-elle  en  un  point  de  celle-ci,  et  fut- 
elle  détruite  lorsqu'Aboû  '1-Hasan  reconstruisit  k;  tombeau  de  ses 
ancêtres?  Un  lettré  indigène,  Si  Mohammed  Ibn  Alî  cd-Dokkàlî,  sup- 
[vose  que  les  corps  furent  ensevelis  dons  l'oratoire  lui-(mème  :  il 
s'appuie  sur  ce  fait  que  l'oratoire  fut  entièrement  décoré  de  plâtre 


LE  SANCTUAIRE 


259 


ECHELLE- 


:'ii^ 


J.HAraAUT.isai. 


Fig.  29.  —  Plan  du  sanctuaire  (état  actuel). 


260  CHETLA 

sculpta,  ce  qui  conlrasto  en  cffcl.  a\oc  la  simplicité  voulue,  avec  la 
nudité  des  nnns  dans  la  mosquée  d'Aboû  '1-Ilasan.  Mais  cette  suppo- 
sition ]>rcte  5  d(S  objections  :  son  printcipal  intérêt  viont  de  ce  qu'elle 
émane  d'un   savant  mnsnlmian. 

Ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est  que  cette  mosquée  reçut  de  grands 
embellissements  dans  le  même  temps  où  Aboû  '1-Tïasan  transformait 
ses  alentours  :  de  cette  époque  datent  la  porte  (C),  et  le  'minarel  sous 
sa  forme  actuelle.  La  première  est  en  dehors  de  l'enceinte  primitive 
et  se  relie  aux  constmctions  nouvelles.  Quant  au  second,  non  seule- 
ment, dans  sa  décoration  comme  dans  son  architecture,  il  présente 
l'aspect  caractéristique  des  minarets  du  XIV  siècle,  mais  encore  on 
voit  nettement,  à  5  m.  lo  du  sol  actuel,  le  point  exact  à  partir  du- 
quel un  minaret  nouveau  fut  constniit  sur  la  base  ancienne  (v.  infra, 
dosrrîptic^n  du  miuaTotl. 

Tandis  qu'il  restaurait  le  sanctuaire,  déployant  le  même  luxe  que 
dans  la  construction  d'une  medersa,  Aboû  M-Masan  élevait  tout  à 
côté  sa  mosquée  à  lui,  petite,  toute  vsimple  et  toute  nue,  comme  il 
convient  à  un  temple  oh  l'on  doit  prier  un  Dieu  supérieur  à  tous  les 
biens  de  ce  monde;  un  édifice  qui  surprend  par  sa  modestie,  venant 
d'un  bâtisseur  aussi  fastueux.' Le  sahn  est  petit,  le  minaret,  aujour- 
d'hui tronqué,  de  dimensions  médiocres;  l'oiatoire,  par  contre,  plus 
grand  que  celui  de  la  mosquée  ancienne;  et  les  dépendances,  au  sud- 
ouest,  étaient  importantes.  A  l'autre  extrémité,  l'espace  compris  en- 
tre les  deux  mosquées  apparaît  divisé  en  trois  parties  :  un  étroit  cou- 
loir transversal  CD);  nne  cour  (F)  et  une  coui-  ou  salle  (./),  qui  s'ou- 
vre à  la  fois  sur  le  sahn  de  la  mosquée  ancienne  el  sur  Tenclos  aux 
chapelles  funéraires.  Le  sol  de  la  cour  (F)  est  très  surélevé,  et  d'ail- 
leurs inégalement  :  cela  tient  à  ce  qu'on  y  dépose  aujourd'hui  des  dé- 
blais de  toutes  sortes,  venant  de  tous  les  points  du  sanctuaire  :  bran- 
chages, pierres,  débris  de  fûts  de  colonnes;  cette  surélévation  du  sol 
ne  vient  pas  de  la  chute  d'une  toiture,  l^es  murs  sont  nus,  et  l'ont 
toujours  été.  En  J,  au  contraire,  ils  étaient  décorés  de  mosaïque  et 
de  plâtre  sculpté.  Nous  sommes,  en  J,  en  un  point  particulièrement 
intéressant  du  sanctuaire.  Mais  quel  était  son  rôle.»^ 

Notons  d'abord  que  ces  constructions  ne  sont  pas  d'une  seule  venue. 
L'existence  du  couloir  D,  supprimant  toute  perspective  à  qui  entrait 


Le  sanctuaire  261 

par  la  porte  C  ne  s'explique  pas  très  bien  :  il  est  cependant  antérieur 
à  k  séparation  de  F  et  de  J  telle  qu'elle  existe  aujourd'hui.  Il  était 
alors  ouvert  à  ses  deux  extrémités  :  le  mur  //  vient  en  effet  boucher 
une  porte  e,  symétrique  de  E,  et  dont  les  traces  sont  encore  très  visi- 
bles. La  pièce  J  ne  faisait  donc  pas  partie  du  plan  primitif  de  la 
mosquée  d'Aboû  '1-Hasan.  On  entrevoit,  après  un  premier  «aménage 
ment,  tout  un  remanienient  dont  la  constitution  de  cette  pièce  fut 
la  raison.  Pour  en  faire  un  carré  presque  parfait,  et  qui  fût  assez 
^«•rand,  on  abattit  tout  un  pan  de  l'épais  mur  en  béton  de  la  mos- 
quée ancienne  :  un  mur  de  moellons,  en  arrière,  le  remplaça.  Et 
par  mesure  de  symétrie,  il  fut  poursuivi  sur  toute  la  longueur  du 
salin,  doublant  même  le  mur  de  béton,  là  où  celui-ci  était  resté 
debout;  le  sahn  se  trouva  désormais  légèrement  plus  étroit  que  l'ora- 
toire. Dans  l'angle  ouest  de  J,  une  petite  rectification  permit  d'éviter 
dans  le  mur  une  niche  peu  profonde. 

Pourquoi  ce  remaniement.!^  Si  l'on  considère  les  dimensions  de  ./, 
le  soin  apporté  à  l'établissement  du  plan,  le  luxe  de  la  décoration, 
la  présence  encore  aujourd'hui  d'une  stèle  de  imarbre  blanc,  la  per 
sistance  avec  laquelle,  durant  des  siècles,  les  gens  pieux  de  Rabat 
désirèrent  s'y  faire  enterrer,  on  peut  se  demander  si  ce  n'était  pas  là  le 
cœur  même  du  sanctuaire,  l'emplacement  qu'Aboû  '1-Hasan  choisit 
pour  déposer  les  mqàbrîyya  de  ses  ancêtres  et  ensevelir  les  (mem- 
bres de  sa  famille  qui  moururent  de  son  vivant  :  la  grande  salle  fu- 
néraire de  la  famille  mérinide,  analogue  à  celle  où  plus  tard,  à  Mar- 
rakech, devaient  être  ensevelis  les  princes  sa'diens. 

Mais  cette  hypothèse  admise  —  et  l'on  a  vu  quelles  raisons  pous- 
sent à  la  formuler  —  peut-on  légitimement  parler  d'une  «  salle  »  ? 
L'emplacement  était-il  couvert,  ou  à  ciel  ouvert?  Lt  soin  qu'on  avait 
pris  d'en  faire  un  carré  parfait  peut  faire  penser  qu'il  était  surmon- 
té d'une  coupole  :  c'est  en  effet  un  imode  de  couverture  qui  aurait 
pu  être  employé  pour  une  salle  de  huit  mètres  de  côté,  où  ne  sub- 
siste aucun  vestige  de  piliers.  Mais  on  nie  voit  pas,  sur  ce  qui  reste 
des  parois,  la  moindre  trace  d'une  attache  de  couverture,  quelle 
qu'elle  soit.  La  présence  d'une  décoration  de  plâtre  sculpté  et  de  mo- 
saïque ne  saurait  être  un  argument  dans  un  sens  ni  dans  l'autre, 
non  plus  que  la  fraîcheujr  relative  de  ce  qui  subsiste  du  plâtre,  car 


262  CIIELLA 

Ja  pai'oi  où  il  se  lix)iive  est  orientée  tic  telle  sorte  qu'elle  ne  reçoit  pas 
la  pluie.  11  reste  une  dernière  ressource  :  les  textes.  Léon  l'Africain 
(in  Uauuisio,  1,  J'*'  2()),  ronloïKlaut  daillcurs  la  (joûl)  cl-Maiisoùr  TAI- 
niohade  avec  le  Mériniile,  écrit  qu'il  lit  consliuin;  un  bclllsslino  tcin- 
[)io,  dû  una  sala  —  il  distingue  —  niolto  superba  di  marini  intayliatl, 
(il  mosaichi,  de  con  jinisivc  di  vctro  dl  divcrsi  coloii.  M  ajoute  • 
io  fui  in  qucsia  sala,  é  ciddioi  treiita  sépulture  di  qiiei  signori, 
(f:  scrissi  tutti  rjH  cpitafjii  clw  v'crano.  Une  salle  qui  pouvait  contenir 
Ireule  loinbeaiix  :  il  in-  [xmiI  sa^ir  de  la  uia<4iiili(jue  (jouljha  d'Ahoù 
l-l.lasan,  (|ui,  j)ar  ailleurs,  [jourrail^répoudrc  à  la  doscriplion.  Ou  jx'ul 
assurément  s'éloniicr  que  cette  qoubba  n'ait  pas  Trappe  Léon  davan- 
lage;  mais  jusqu'à  plms  ample  informé,  et  sans  nous  dissimuiier  les 
()l)jec lions  qui  peuvent  être  faites  à  cette  hypothèse,  nous  serions 
disposés  à  considérer  remplacement  qui  nous  occupe  colimne  oeiui  de 
la  grande  salle  funéraire  dont  parle  Léon  (i). 

Mais  le  reconstructeur  de  Chella  ne  pouvait  se  contenter  pour  lui- 
même  de  la  salle  commune  où  dormaient  ses  ancêtres.  Glorieux  abou- 
tissant d'une  lignée  illustixi,  il  voulut  avoir  sa  chapelle  funéraire  à 
lui.  11  la  lit  élever  de  son  vivant,  ainsi  que  l'atteste  l'inscription  qu'on 
y  lit  encore  (2),  derrière  sa  mosquée;  et  cette  qoubba  (L),  dont  les 
parois  restent  debout,  est  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  l'art  mérinide, 
11  y  fut  enseveli,  et  sa  mqàbrîyya  môme  n'a  pas  été  déplacée. 

Une  autie  qoubba  {K)  s'élevait  aussi  dans  cet  enclos,  à  â  angle  nord, 

(i)  Si  l'on  en  croit  les  indications  données  par  celui-ci,  la  primitive  stèle  funéraire  du 
fondateur  de  Chella,  Aboû  loùsof  la'qoûb,  cojiune  celle  de  son  fils  Aboù  la'qoûb  (cf.  supra, 
Epigraphie  historique)  n'aurait  pas  été  une  mqàbrîyya  prismatique  :  é  furongli  messe  duc. 
lavoli  di  rnarmo.  Vuna  da  capo  lè  ValLra  da  pie,  nelle  quali  furono  inlagliali  molti  versi 
eleganiissimi,  i  quali  contenevano  i  lamenii  é  i  pianli  del  detto  Mansor,  composti  da  divcrsi 
haomini.  Sur  l'exactitude  absolut;  de  ces  derniers  déUiils,  nous  pouvons  demeurer  sceptiques. 
Semblable  en  cela  au  plus  grand  nombre  des  musulmans  de  Rabat,  même  lettrés,  d'aujour 
d'hui  devant  les  pierres  tombales  d'Aboû  '1-Hasan  ou  de  Ghams  ed-Dchà,  Léon  dut  lire  avec 
bien  peu  d'attention  toutes  ces  épitaphes.  Sinon,  en  voyant  celle  d'Aboû  loûsof  la'qoûb  el- 
Mansoûr  b.  'Abd  el-Haqq,  il  n'aurait  pas  pu  se  croire  devant  le  tombeau  d'Aboû  loûsof 
la'qoûb  el-Mansoûr  b.  Aboû  la'qoûb  loûsof  b.  'Abd  el-Moû'min  l'Almohade,  lequel  fui 
enterré  à  Tinmel  {Qirtds)  ;  ni  s'imaginer  que  dans  la  grande  salle  funéraire,  princes  almohades 
et  mérinides  étaient  couchés  côte  à  côte.  Bien  plutôt,  il  dut  accepter  sans  contrôle  les 
renseignements  d'un  guide  mal  informé  :  le  sanctuaire  était  désaffecté  depuis  assez  long- 
temps déjà  pour  que  dans  la  mémoire  populaire  se  fussent  confondues  les  deux  dynasties 
dont  les  grands  souverains  avaient  porté  l'^s  mêmes  noms. 

(a)   Cf.  supra,  Epigraphie  historique,  n*>   4. 


LE  SANCTUAIRE  263 

adossée  au  mur  en  béton  de  l'ancienne  .mosquée,  tout  près  de  la 
grande  salle  funéraire.  Le  temps  l'a  maltraitée  beaucoup  plus  que 
celle  d'Aboû  'l-l.lasan.  Elle  était  sensiblement  plus  petite;  mais,  a 
l'intérieur  du  imoins,  aussi  richement  ornée  :  on  y  voit  les  restes  d'un 
revêtement  de  marbre.  C'est  là  que  se  trouve,  avec  le  fragment  de 
la  mqâbrîyya  attribuée  à  Aboù  ia'qoùb,  la  pierre  tombale  entière 
de  Cliams  cd-lJohà.  On  peut  penser  que  la  qoubba  fut  construite 
effectivement  pour  recevoir  la  sépulture  de  la  mère  d'Aboû  'Inân. 
La  présence  de  la  mqâbrîyya  entière  est  à  elle  seule  un  argument  : 
puisque  cellç  d'Aboû  l-Hasan  n'a  pas  été  déplacée,  rien  n'empêche 
de  croire  que  celle-là  soit  demeurée  en  place;  tandis  que  le  court 
fragment  de  l'autre  pierre,  retrouvé  dans  les  décombres  de  la  grande 
salle  funéraire  voisine,  put  être  aisément  apporté  à  une  date  plus  ou 
moins  récente  et  placé  au  bout  de  la  mqâbrîyya  entièi-e.  Aboû  Inàn, 
dans  les  premières  années  de  son  règne,  révolté  contre  son  père, 
mais  ayant  pris,  le  premier  des  Mérinides,  le  titre  khalilien  et  te- 
nant à  affirmer  sa  puissance,  avait  fait  à  sa  mère  des  funérailles 
solennelles,  en  présence  de  députations  nombreuses  :  on  conçoit 
alors  qu'il  ait  voulu  ériger  pour  elle  aussi  une  chapelle  spéciale.  Au 
reste,  la  mémoire  populaire  se  souvient  encore  que  cette  qoubba 
était  consacrée  à  une  femme  :  c'est  là  qu'on  vient  implorer  Lalla 
Chella. 

Ces  deux  qoubba  sont  les  seules  constructions  qui  restent  debout 
dans  cette  partie  du  sanctuaire,  dont  le  mur  de  clôture  lui-même 
s'est,  à  cet  endroit,  effondré  sur  une  certaine  longueur.  Mais  il  existe 
encore  sur  le  sol,  ça  et  là,  des  affleurements  de  murs,  et,  le  long  de 
la  paroi  extérieure  de  la  mosquée  d'Aboû  '1-Uasan,  des  vestiges  d'at- 
taches de  couverture.  Seulement,  le  plan  de  ces  constructions  dis- 
parues n'est  pas  facile  à  rétablir.  Les  affleurements  de  murs  sont  assez 
déroutants;  il  est  rare  qu'ils  soient  exactement  parallèles  ou  perpen- 
diculaires; par  contre,  il  se  trouve  parmi  eux,  sembie-t-il,  des  fon- 
dations romaines,  qui  ont  pu  être  réutilisées.  Les  points  d'attache 
de  la  couverture  sont  à  des  hauteurs  très  inégales.  Une  seule  de  ces 
constructions  peut  être  déterminée  avec  certitude  :  c'est,-  en  face  de 
la  qoubba  d'Aboû  '1-Hasan,  dont  moins  de  deux  mètres  la  séparent, 
adossée  à  la  mosquée  comme  l'autre  l'est  au  mur  de  clôture,   une 


264  CIIKLLA 

qoubba  de  plan  et  de  diinensions  exacleniont  semblables,  leurs  deux 
larges  baies  «ouvrant  juste  l'une  en  l'ace  de  l'autre  :  peut-être  éUiit 
ce  l'endroit  où  se  plaçaient  les  lecteurs  du  (Jor'àn  pour  leurs  pieuses 
récitations  sur  le  tombeau  du  «ouveraim.  Il  semble  enlin  qu'il  y  ait 
eu,  toujours  le  long  de  la  mosquée,  et  correspondant  aux  ouvertures 
étroites  cpii  s'ouNteut  de  chaciue  coté  du  inihràb,  dcHix  autres  petites 
pièces  :  l'une  étant  ce  (|u'ou  appelle  au  Maroc  la  iiKKjsoùni  (i), 
la  chambre  de  laquelle  «sort  rinulm  pour  diriger  la  prière,  l'autre 
peut-être  une  bibliothèque,  comine  il  s'en  trouve  parfois  à  cette  pla- 
ce :  nous  savons  qu'il  y  avait  des  livres  à  Chella. 

Mais  ce  qui  achève  de  donner  son  caractère  propre  à  cette  pKirtie 
du  sanctuaire,  ce  sont  les  allées  pavées  de  carreaux  de  faïence  dont 
les  vestiges  subsistent.  C'était,  en  somme,  derrière  les  mosquées,  un 
jardin  intérieur  —  un  ridd  comme  il  en  existe  encore  dans  les  pa- 
lais marocains,  des  parterres  de  fleurs  séparés  par  des  allées  de  mo- 
saïque —  sur  lequel  s'ouvrait  la  grande  salle  funéraire,  et  qui  enclo- 
sait  les  somptueux   tombeaux"]d'Aboù  j'1-l.lasan  et  de  Chams  ed-Dohà. 

Telle  ise  présente,  dans  ses  grandes  lignes,  la  nécropole  des  Méri- 
nides.  Mais  une  fois  retracés,  autant  qu'on  peut  tenter  de  le  faire 
aujourd'hui,  le  plan  du  sanctuaire  et  l'histoire  de  sa  construction, 
il  vaudra  la  peine  d'examiner  de  plus  près  quelques-unes  de  ses 
parties.  La  décoration  surtout  nous  retiendra  :  comme  celle  de  la 
grande  porte,  elle  est  une  des  productions  les  plus  caractéristiques 
d'un  art  très  raffiné,  mais  déjà  proche  de  l'irrémédiable  décadence. 

La  mosquée  d'Aboû  loûsof. 
La  décoration  sar  plâtre  et  la  mosaïque  de  faïence. 

L'oratoire.  —  L'oratoire,  large  de  i5  m.  76  sur  5  m.  80  environ, 
comporte  trois  nefs  et  deux  travées,  la  nef  centrale  étant  «ensible- 

(i)  Ce  mol,  en  Orient  et  dans  le  reste  de  l'Afrique  du  Nord,  désigne  non  pas  une 
chambre  placée  derrière  la  mosquée,  mais  l'enceinte  réservée  en  avant  du  mihpàb,  et  dans 
laquelle,  par  mesure  de  sécurité,  se  tient  le  souverain  lorsqu'il  dirige  la  prière.  Cette  en- 
ceinte, au  Maroc,  s'appelle  afrâg,  mot  qui  désigne  aussi,  dans  les  camps,  l'enceinte  de 
toile  qui  entoure  les  tentes  du  sultan. 


aci 


Chella,  Pl.  VIII 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU  lOUSOF  :  L'ORATOIRE  265 

ment  plus  large  que  les  nefs  latérales;  ces  nefs  sont  séparées  l'une 
de  l'autre  par  deux  arcs  outrepassés  et  fortement  brisés,  extrême- 
ment épais  dans  leur  partie  supérieure.  Arcs  et  piliers  sont  en  bri- 
ques, à  l'exception  des  tasseaux,  formés  de  pièces  de  bois  d'un  seul 
tenant  (pi.  VIII). 

Juste  en  face  de  l'unique  porte  d'entrée,  large  baie  sous  un  lin- 
teau de  cèdre,  le  mihràb,  profond  de  2  m.  10,  large  de  i  m.  ^b, 
constitue  une  véritable  petite  chambre,  en  forme  de  rectangle  à  pank 
coupés  dans  le  fond.  Son  ouverture  est  un  arc  outrepassé,  très  légè- 
rement brisé.  Cet  arc  était  placé  fort  haut,  ce  dont  on  ne  se  rend 
pas  compte  au  premier  regard,  par  suite  de  l'exhaussement  du  sol; 
mais  son  départ  est  à  la  même  hauteur  que  celui  des  arcs  qui  sépa- 
rent les  nefs.  De  chaque  côté  du  mihràb  est  l'ouverture,  aujourd'hui 
fort  basse,  d'un  couloir  large  de  o  m.  70,  qui  en  fait  le  tour  :  ce  cou- 
loir, formant  deux  angles  droits,  suit  la  paroi  interne  de  la  grosse 
tour  de  béton,  organe  défensif  de  la  mosquée  prrmitive,  dont  le 
mihràb  est  en  quelque  sorte  la  chambre  intérieure.  11  est  éclairé  par 
deux  meurtrières,  couvert  de  voûtes  en  berceau,  dont  la  rencontre, 
aux  angles,  forme  voûte  d'arête. 

L'oratoire  possédait  une  très  riche  décoration  de  plâtre  sculpté, 
dont  il  ne  reste  que  de  minces  fragments,  très  maltraités  par  le 
temps.  Un  arc  festonné  bordait  l'ouverture  jdu  mihràb.  A  droite, 
tout  contre  le  pilier  engagé  où  vient  buter  l'arc  qui  sépare  les  nefs, 
monte  une  inscription  sur  plâtre,  verset  coranique  à  peu  près  illisi- 
ble aujourd'hui;  et  l'on  voit  les  vestiges  d'un  deuxième  bandeau 
parallèle.  A  l'écoinçon  de  l'arc  dont  il  vient  d'être  question,  un  au- 
tre fragment  de  décoration  subsiste  (fig.  3o)  (i).  Il  n'est  pas  grand 
—  moins  de  trente  centimètres  sur  une  vingtaine  —  mais  il  permet 
de  se  faire  une  idée  de  la  décoration  de  l'écoinçon.  Une  bordure  l'en- 
serrait, étroite,  formée  d'un  entrelacs  tressé,  à  trois  branches,  qui  ne 
manque  pas  d'élégance.  L'intérieuir  était  décioré  d'un  jeu  de  fond 
composé  de  deux  entrelacs  en  losange  superposés;  'leurs  lignes,  qui 
sont  loin   d'être   très   pures,    sont   fonimées   par  des    éléments   lisses. 


(i)   L'emplacement  de   tous  ces   restes  de   décoration   sur   plâtre   est  bien   visible   sur  la 
pi.   VIII. 

HESPKRIS.     —   T.  II.    —     I9J2  18 


266 


CHELLA 


j.H/iiK*oT,  tyir. 


Fig.  30.  —  Mosquée  d'Aboù  loùsof  :  fragment  de  décoration  sur  plâtre. 


tandis  que  des  palmes  doubles  striées  et  assez  gauehemient  accolées, 
meublent  les  fonds. 


0   ;7 


CHELLA,    Pl.    IX 


Mosquée  J'Aboù  loùsof.  Porte  décorée  de  mosaïque. 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU  lOUSOF  :  LA  PORTE 


267 


Si  les  principaux  vestiges  de  décoration-  se  trouvent  dans  le  rectangle 
formé  par  l'intersection  de  la  nef  centrale  et  de  la  travée  du  fond, 
rectangle  où  s'ouvre  le  mihràb,  les  autres 
parties  de  l'oratoire,  contrairement  à  ce 
qui  se  passe  dans  presque  toutes  les  mos- 
quées nord-africaines,  n'étaient  pas  dé- 
pourvues d'ornementation  ;  mais  nous  ne 
saurions  dire  si  oedle-oi  était,  ou  non,  aussi 
riche  qu'aux  alentours  du  mihràb.  11  reste, 
dans  la  nef  de  gauche,  auprès  des  vestiges 
illisibles  d'un  mince  bandeau  épigraphi- 
que,  un  fragment  d'entrelacs,  en  plâtre 
également.  Il  est  très  différent  de  l'entre- 
lacs  précédent,  mais  il  est  lui  ausisi  à  teois 
branches  (fîg.  3i);  partout  ailleurs,  à  Cliel- 
la,  nous  ne  trouvons,  si  compliqué  soit-il, 
que  l'entrelacs  à  deux  branches.  11  serait 
bien  téméraire  de  conclure  de  cette  diffé- 
rence que  la  décoiration  sur  plâtre  de  cette 
mosquée  est  antérieure  à  ila  restauration 
d'Aboû  '1-Hasan  :  d'autant  que  l'écoinçon 
précédemlment  étudié  et  qui  n'est  pas  d'une 
bien  bonne  époque,  porterait  pilutôt  à 
croire  le  contraire.  Mais  tout  ce  qui  subsiste 
de  cette  décoration  est  trop  peu  de  chose 
pour  que  l'on  puisse  tenter  sérieusement 
de  la  dater  à  si  peu  de  temps  près. 


La  porte.  —  La  porte  (C  du  plan)  est 
tiès  soignée.  Elle  se  compose  de  trois  arcs 
outrepassés  et  brisés;  un  gi^nd  arc  exté- 
rieur, suivi  de  deux  autres,  sensiblement 
plus  petits  (pi.  IX).  Toute  la  façade  est 
en  pierres  de  taille  :  souci  de  construc- 
tion d'autant  plus  méritoire  que  rien  n'en 


FiE 


^.  —  Mosquée  d'Aboù  loùsof 
entrelacs  sur  plâtre. 


devait  apparaître.  Du  haut  en  bas  en   effet  cette   façade  était  entiè- 


268  CHELLA 

remeiil  rcoouvoiio  de  mosaïques  de  faïence  {:<'Uu),  aujourd'hui 
fort  détériorées.  Le  lou^-  des  piinls-droils  (Mix-uièuies,  (|ui  d'oidiuaire 
sont  nus.  moulait  une  série  de  rosaces  ^nk)mélri(iues  à  douze 
branches.  La  décoration  de  Tare  et  des  écoinçous  surtout  est  remar- 
quable {i\^.  32).  Selon  une  lendance  que  nous  aurons  encore  roccasiou 
de  siirnaler  à  Ghella,  le  décorateur  a  tenté  de  reproduire  avec 
la  faïence  coloriée  des  motifs  réservés  d'ordinaire  à  (rautres  maté- 
riaux ;  la  décoration  ([u'on  voit  ailleurs  gravée  dans  la  pierre 
—  sur  la  grande  porte  de  renceinte  par  exemiple  —  on  la  trouve  ici 
dessinée  en  mosaïque  de  faïence.  L'ouverlurc  est  bordée  par  un  arc 
festonné,  formé  de  dvxix  galons  verts  entrecroisés;  leurs  pointes  alter- 
nativement  doubles  et  triples  enserient  un  espace  semi-circulaire 
où  sont  adossées  sur  fond  blanc  deux  palmes  doubles  violettes.  Au 
somimet,  l'un  des  galons  se  sépare  et  s(î  tresse  pour  former  au-dessus 
de  l'arc  un  Jarge  nœu<l,  dont  le  rôle  est  exactement  celui  que  joue 
ailleure  un  inédiaillon  :  surélever  les  écoinçons.  Et  ceis  anèimieis  galons 
vont  s'unir  à  ceux  de  l'entrelacs  géométrique  allongé,  qui,  largiiment 
tressés  aux  angles,  limitent  les  écoinçons  à  l'extérieur.  11  est  probable 
qu'au  départ  de  l'arc  celte  bordure  se  liait  à  lui  de  façon  anaJogue, 
ainsi  que  cela  se  prodaiit  à  la  grande  porte  de'  l'enceinte. 

L'écoinçon  est  garni  de  palmes  simples  et  doubles,  se  détachant 
sur  des  rinceaux  formés  par  leurs  propres  tiges.  La  cofmposition  est 
symétrique  de  part  et  d'autre  d'un  axe  qui  passe  par  l'angle  de  l'é- 
coinçon et  se  dirige  vers  le  centre  de  l'arc  :  deux  fleurons  bleuis  le 
marquent,  les  deux  seuls  de  tout  le  décor.  Les  palmes  sont  polychro 
mes  :  tiges  et  bases  généralement  violettes,  extrémités  vertes,  bleues 
ou  jaunes;  et  tout  le  dessin  se  détache  suit  fond  blanc. 

Ce  qui  fait  le  principal  intérêt  de  cette  décoration  de  l'écoinçon  et 
de  l'arc,  c'est  qu'il  s'agit  bien  d'une  mosaïque.  D'ordinaire,  dans  les 
plus  beaux  monuments  de  cette  époque,  lorsque  le  décor  d'un  pan- 
neau de  faïence  se  compose  de  rinceaux,  de  motifs  floraux,  d'une 
inscription,  c'est-à-dire  comporte  des  lignes  courbes,  on  emploie  non 
pas  la  mosaïque,  mais  le  carreau  de  faïence  écorché,  ce  qui  pré- 
sente infînimeiît  moins  de  difficultés.  Tel  n'est  pas  le  cas  ici  :  ce 
n'est  pas  sans  exemple  au  Maroc,  mais  c'est  fort  rare.  Nous  en  retrou- 
verons un  autre  spécimen  au  minaret;  il  en  est  un  encore  à  la  me- 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU  lOUSOF  :  LA  PORTE 


269 


270  CHELLA 

dersa  d'el-'AttArîn,  à  Fès  (i),  moniiincnl  un  peu  plus  ancien  (728-735 
1 323-1325)  :  mais  l'espace  ainsi  décore  —  les  écoinçons  d'un  pan- 
neau de  faienice  —  est  minuscule,  en  comparaison  de  l'air,  et  des 
grands  écoinçons  de  Chella.  Il  en  existe  ('«^alcMneiil  un  exemple  au 
sanctuaire  de  Sidi  Aboû  Madian,  piès  de  Tlemccn. 

L'encadrement  est  formé  par  un  large  bandeau  qui  surplambe  lé- 
gèrement, et  descend  jusqu'à  terre  :  un  rang  de  rosaces  géoimétri- 
ques,  les  mêmes  que  celles  des  pieds-droits,  auxquelles  elles  se  relient 
dans  la  partie  inférieure,  le  décorait  d'un  bout  à  l'autre.  Au-dessus, 
une  frise,  aujourd'hui  nue.  De  chaque  côté,  des  traces  de  colonnet- 
tes  d'angle,  sut  corbeaux  de  marbre  blanc;  du  isoil  montait  jusque  là 
un  entrelacs  de  mosaïques.  Un  étroit  treillis  de  même  matière  complé- 
tait l'encadixvment.  Enfin  le  vousisoir,  entre  l'ouverture  du  premier  et 
du  deuxième  arc,  porte  un'autre  treillis,  de  mosaïque  également. 

Neuve,  cette  porte  devait  être  un  bloc  de  faïence  éclatant,  dont  la 
seule  variété  venait  des  différences  de  motifs.  La  décoration  méri- 
nide  n'en  a  fait  nulle  part  ailleurs,  dans  un  monument  de  ce  genre, 
un  usage  aussi  exclusif.  Même  lorsque  la  faïence,  sans  être  d'un 
emploi  aussi  mesuré  qu'à  la  grande  porte  de  l'enceinte  de  Chella, 
est  le  principal  élément  de  décor  d'un  minaret  ou  d'une  porte,  la 
pierre  en  sépare  çà  et  là  les  motifs  :  ceux-ci  sont  ainsi  beaucoup 
mieux  mis  en  valeur.  Mais  cette  porte,  si  clinquante  qu'elle  dût  être 
autrefois,  n'en  apparaît  pas  moins  comme  une  des  plus  belles  œu- 
vres que  nous  aient  laiisisées  les  'mosaïstes  mérinides.  On  en  peut  dire 
autant  du  minaret  voisin. 

Le  minaret.  —  Haut  de  i4  m.  35  au-dessus  du  sol  actuel  —  lequel 
semble  s'être  exhaussé  d'un  mètre  à  peu  près  —  large  de  3  m.  75  et 
portant  une  lanterne  de  5  mètres  environ  sur  i  m.  34  de  côté,  il 
s'apparente  de  près,  par  son  architecture  comme  par  sa  décoration, 
aux  minarets  qu'avec  un  zèle  pieux,  Aboû  Sa'ïd,  Aboû  '1-Hasan.  Aboû 
'Inân  élevèrent  en  grand  nombre  dans  les  villes  marocaines.  Nul 
peut-être  n'est  aussi  luxueux  (pi.  X). 

Construit  juste  à  l'angle  nord   de  l'ancienne   mosquée,    il   s'élève 

(i)  Cf.  Bel,  Inscriptions  arabes  de  Fh,  p.  227  et  fîg.  43. 


Xio 


Chella,  Pl.  X 


iT^ 


Mosquée  d'Aboù  loûsof.  Lu  Minaret. 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU  lOUSOF   :  LE  MINARET  271 

sur  la  base  d'un  minaret  antérieur,  vraisemblablement  celui  d'Aboû 
loûsof.  Cette  base,  jusqu'à  5  m.  lo  du  sol  actuel,  est  formée  de  moel- 
lons, et,  aux  angles,  de  pierres  de  taille  appareillées.  A  cette  hauteur, 
elle  fait  place  brusquement  —  la  rupture  étant  marquée  par  un  sillon 
horizontal  —  à  un  appareil  tout  à  fait  différent,  l'appareil  alterné, 
tel  qu'on  le  trouve  à  la  grande  porte  de  l'enceinte,  au  minaret  de 
l'autre  mosquée,  ou  au  tombeau  d'Aboû  '1-Hasan  :  parement  qui  dis- 
simule, comme  ailleurs,  des  matériaux  de  qualité  médiocre.  C'est 
là  que  commence  le  minaret  d'Abon  '1-Hasan. 

A  l'intérieur  monte  un  escalier,  dont  l'exhausisement  du  sol  a  sin- 
gulièrement rétréci  l'entrée  :  il  s'y  faut  glisser  presque  à  plat  ventre. 
L'escalier  est  étroit  —  o  m.  70  — ,  couvert  d'une  voûte  en  berceau 
dams  les  parties  allongées,  et  d'une  voûte  d'arête  en  bri- 
ques à  chaque  angle;  celle  du  sommet  s'est  effondrée.  De  petites  fenê- 
Ires  l'éclairent,  véritables  imeurtrières,  au  sommet  en  accolade.  On 
arrive  ainsi  à  la  terrasse,  bordée  d'un  parapet  à  peine  haut  de  o  m.  35; 
mais  il  semble,  aux  traces  de  iciment  qu'on  y  trouve,  avoir  servi 
de  support  à  une  construction  plus  élevée,  bordure  ou  merlons.  Au- 
dessus  de  la  terrasse  se  dresse  la  lanterne,  enfermant  une  chambre 
intérieure  de  o  m.  78  de  côté,  couverte  par  une  petite  coupole  sur 
tromnes. 

La  décoration  (fig.  33),  à  un  détail  près,  est  semblable  sur  (les  qu^a- 
tre  faces.  A  mi-hauteur  environ,  commence  un  grand  panneau  déco- 
ratif, légèrement  en  retrait,  qui  s'élève  presque  jusqu'au  sommet  : 
deux  arcatures  le  meublent,  surmontées  d'un  haut  entrelacs  archi- 
tectural. 

Les  arros  reposent  sur  des  colonnes  octogonales  de  marbre  blanc, 
engagées,  portant  un  chapiteau  de  rmême  matière,  à  volutes  et  ban- 
deau nu.  Ils  sont  festonnés;  un  filet  de  faïence  verte  dessine  deux  m- 
bans  de  pierre;  et,  à  l'extérieur,  un  autire  filet  vert  suit  le  contour  dles 
festons.  L'intérieuir  est  entièrement  décoré  de  faïences  :  c'est,  serti 
encore  d'un  filet  vert,  un  jeu  de  fond  figurant  des  rosaces  à  huit 
branches  —  lignes  blanches  sur  fond  noir,  chaque  rosace  ^séparée  de 
l'autre  par  un  point  jaune.  —  Au  centre  de  chaque  arcatnre  s'ouvre 
une  petite  fenêtre  étroite  à  arc  polytobé. 

Dans  le  prolongement  de  chaque  colonne  de  marbre,  une  colon- 


272 


CHELLA 


Fig.  33.  —  Mosquée  d'Aboû  loûsof. 
Minaret  (élévation  schématique). 


notto  do  faïcnco  blanche,  poiianl 
un   cliapiloau    do    faïonoo    hlono, 
sort  de  point  do  do]>arl  à  riMilre- 
lacs  archiloolmal,  (mi  pioiro,  soii- 
li^Mo    par    im    lilol    \oil.    (-o    lilol 
allo^o  roniai(pial)loînonl  le  dessin 
do    renholaos:     il     se    relie,    au 
soniinel,    au    lilol    (pii    (li\iso    do 
nionio  r(Muadrenionl   de  pierre  ol 
lui   donne   raspocl   de   r(Mitrelaes 
^coniéhi(|ue   allon<40    si    son  vont 
eniplovo  à  ('.liolla.  Tonl  0(>la  est  à 
la    l'ois  Ires  simple  ol  très  habile. 
Le  proeédé,  d'ailleurs,  était  con- 
nu   depuis    l()nf>i'empis     :  on    le 
Irouve  an  Maroc  dès  l'époqu'C  al- 
niohad(\   Au  minaret  kIg  la  mos- 
quée de  llassàn,  un  sillon   divise 
les   li finies   de    l'enlirolacs    archi- 
loctnral    :  l'emploi  de  la  faiemoe 
i\e  lit  (jn'accenluer  ron\>t  cherché. 
Les  colonnettes  de  faïence  sont 
fort  cnricnisos.  L'emploi  de  cette 
matière  pour  un  tel  usage  n'est 
pas  fréquent.  On  sent  ici  la  même 
tendance  que    nous    avons    déjà 
notée,   le  même  désir  de  repro- 
duire  à   l'aide   de  la   faïence   les 
motifs  décoratifs  réservés  d'ordi- 
naire   à    d'autres    matières.    Ces 
colonnettes  jouent  exactement  le 
même  rôle  que  les  colonnettes  de 
marbre  blanc  de  la  qoubba  d' Abofi 
'1-Hasan  (v.  pi.  XIII).  Leur  couleur 
même    n'a    pas     été    choisie    au 
hasard  :  elles  sont  blanches,  et  les 
chapiteaux    bleus.    Comment  ne 
pas  songer  aux  colonnettes  d'angle 
de  marbre  blanc  avec  tailloir  de 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU  lOUSOF  :  LE  MINARET 


273 


marbre  bleu,  que  l'on  trouve  à  la  grande  porte  de  l'enceinte,  ou  à  la 
chapelle  funéraire  d'Aboû  '1-Hasan? 

L'entrelacs  architectin^al  se  préseinle  sous  deux  aspects  différents, 
selon  les  faces,  de  manière  que  le  mêmie  dessin  se  retrouve  sur  les 
deux  faces  opposées.  Comme  celles-ci  ne  sauraient  être  vues  à  la  fois, 
on  peut  avoir  l'illusion,  sous  quelque  angle  qu'on  aperçoive  le  mi- 
naret, que  le  décor,  sur  cha- 
que face,  ne  se  répète  pas. 
Procédé  un  peu  facile,  éco- 
nomie d'invention  décora- 
tive, qu'on  retrouve  aux 
plus  belles  époques  de  l'art 
marocain  —  ainisi  à  la  mos- 
quée de  Ilassàn  —  et  dont 
les  minarets  mérinides  of- 
frent de  nombreux  exem- 
ples. 

Dans  chacun  des  médail- 
lons délimités  par  l 'entre- 
lacs est  un  motif  décoratif 
en  mosaïque  de  faïence  ;  «ur 
deux  des  faces,  c'est  un  mo- 
tif géométrique  fort  simiple, 
ayant  pour  centre  une  étoile 
noire;  sur  les  deux  faces 
opposées,  un  dessin  plus 
compliqué  (fig.  34)  :  sur 
un  fond  vert,  deux  palmes 
doubles  adossées,  blanches, 

surmontées  et  soutenues  par  deux  fleurons  blancs  oppoisés,  enseirrent 
une  amande  noire.  Les  tiges  réunies  des  palmes  sont  barrées  d'un 
Irait  blanc,  et  ce  trait  prête  à  l'ensetmble  du  motif  quelque  ressem- 
blance avec  la  fleur  de  lys.  Il  (serait  d'ailleurs  fort  téméraire  de  mettre 
en  rapports  les  deux  motifs.  Les  décorateurs  musulmans  se  sont  in- 
géniés à  tirer  tout  le  parti  possible  des  pâlîmes  doubles  adossées  (cf. 
supra,  fig.  2o)  ;  ils  devaient  en  venir  tout  naturellement  à  cette  coto- 


Fig.  34.  —  Mosquée  d^Aboû  loùsof.  Miiiarel. 
Décoration  des  médaillons  (mosaïque  de  faïence). 


Î74  CHELLA 

binaison.  Nous  aiinms  IwonsiV^n  âo  la  rolTOiiver  à  Ch(>illa  iiiônie,  sur 
la  stolo  (le  (^hanis  ed-Dohà  (inarbiv,  v.Jlîg.  /17)  (i). 

Enfin,  tout  en  haut,  contre  le  bord  actuel  du  parapet,  quelques 
faïences  encore  :  une  bande  verte  que  surmonte  un  entielacs  géo- 
métrique à  deux  branches,   allongé,   blanc  sur  fond   noir. 

La  lanterne  est  un  bloc  de  mosaïque  de  faïence,  semblable  sur  les 
quatre  faces.   La  décoration  comporte  trois  étages. 

Le  registre  inférieur,  commençant  à  o  m.  ,45  du  sol  de  la  terrasse, 
est  un  haut  soubassement  formé  d'un  treillis  de  Ixindes  noires  dis- 
posées en  diagonale  sur  fond  blanc;  chaque  point  de  rencontre  est 
marqué  par  une"  petite  étoile  blanche  à  huit  branches.  C'est  dans 
ce  soubassement,  sur  la  face  sud-est,  que  s'ouvre  la  porte  de  l'esca- 
lier. Elle  est  surmontée  d'un  arc  légèrement  brisé;  le  loiig  des  pieds- 
droits  deux  bandes  de  faïence  noire  forment  un  entrelacs  allongé;  r» 
la  naissance  de  l'arc,  elles  se  dédoublent  :  l'une  suit  l'arc,  l'autre 
dessine  un  rectangle  qui  encadre  l'ouverture,  et  passe  aux  angles 
dans  un  anneau  simulant  la  tresse  que  l'on  trouve  d'ordinaire  à  cette 
place.  C'est  la  disposition  classique,  déjà  plusieurs  fois  rencontrée 
à  Chella  :  l'encadrement  de  l'arc  lié  à  celui  des  écoinçons. 

Sur  le  registre  imoyen,  un  rectangle  légèrement  en  retrait  con- 
tient une  arcature  aveugle,  dont  l'intérieur  est  décoré  de  deux  rosa- 
ces à  huit  branches  superposées  :  elles  sont  entourées  d'un  fdet  vert, 
qui  suit  les  contours  de  l'arcature.  Aux  écoinçons,  un  motif  floral, 
formant  rinceaux,  noir  sur  fond  blanc  :  deuxième  exemple  à  Chella 
d'un  motif  de  ce  genre  en  mosaïque  et  non  en  carreaux  de  faïence 
écorchés.  Sur  les  côtés  et  au-dessus  du  rectangle  011  s'inscrit  l'ar- 
cature, un  réseau  d'entrelacs  blancs  (fig.  35)  —  série  de  carrés  à 
rentrants  enlacés  par  les  pointes  —  enserre  des  étoides  à  huit  branches, 
alternativement  petites,  vertes,  foi'mées  de  deux  carrés  entrelacés, 
et  plus  grandes,  d'un  violet  très  foncé  qui  paraît  noir,  formées  de 
deux  rectangles  se  coupant  en  croix  et  échancrés  aux  deux  extrémi- 
tés. Sur  la  face  nord-est,  l'arcature,   au  lieu  d'être  aveugle,   est  ou- 


(i)  II  en  existe  de  nombreux  exeonples  ailleurs.  Ainsi  à  Fès,  aux  écoinçons  de  l'épitaphe, 
sensiblement  contemporaine  (736/1 355),  de  la  princesse  mérinide  Zaïnab  (fleurons  formés 
3o  deux  palmes  doubles,  au-dessus  de    deux  grandes  palmes  adossées).  Cf.  Bel,  op.  cit.,  fig.  5. 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU  lOUSOF  :  LE  MINARET 


275 


verte   :  c'est  la  porte  qui  donnait  accès  dans  la  chambre  intérieure 
de  la  lanterne  (i). 

L'étage  supérieur  de  la  décoration  se  compose  d'une  couronne  de 
rosaces  géométriques  à  huit  branches,  encadrée  par  deux  bandes  d'en- 
trelacs allongé,  blanc  sur  fond  noir.  Une  telle  frise,  fort  élégante. 


Fig.  35.  —  Mosquée  d'Aboù  loùsof.  Motif  de  mosaïque  de  faïence  sur  la  lanterne  du  minaret. 


apparaît  assez  .souvent  dans  la  décoration  des  minarets  mérinides  : 
il  en  est  à  Fès  plusieurs  exemples;  parfois  même,  comme  au  mina- 
ret de  la  medersa  Boû  'Anânîyya,  la  couronne  de  rosaces  revient 
deux  fois  :  au  haut  de  la  masse  du  miniaret,  et  au  haut  de  la  lanterne. 
D'autres  éléments  décoratifs  encore  sont  communis  à  ce  minaret 
et  à  d'autres  minarets  de  la  même  époque  :  ainsi  le  filet  qui  souligne 

(i)  Cette  ouverture,  large  de  o™,55,  est  placée  à  i'",70  au-dessus  du  niveau  de  la  ter- 
rasse; elle  empiète  assez  sensiblemeint  sur  le  décor  en  treillis  du  registre  inférieur. 


276  CHELLA 

l'entrelacs  architectural.  Mais  ce  qu'on  voit  difficilement  ailleurs, 
c'est  une  aussi  riche  et  aussi  heureuse  oomhinaison  du  marhre,  de 
la  pierre  et  de  la  faïence.  Certes,  comme  toute  chose  h  Chella,  cette 
décoration  a  heaiicoup  souffert;  la  faïence  par  endroits  s'est  ten^i- 
hleiinent  écaillée,  et  de  nomhreux  morceaux  en  ont  disparu.  Mais 
son  éclat,  jadis,  était  peut-être  bien  vif.  Le  soleil,  aujourd'hui,  fait 
miroiter  doucelinent,  dans  l'ocre  de  la  pierre,  ces  vestiges  de  faïence 
aux  tons  atténués,  et  le  minaret,  vétusté,  couronné  d'un  nid  de  cigo- 
gnes, s'unit  harmoni«Misement,  dans  ce  cadre  ruiné,  à  la  mer  de 
verdure  de  laquelle  il  semble  s'élever. 

La  salle  junéralre  (i). 

Sur  la  disposition  probabh^  de  cette  salle  (./  du  plan),  il  est  inu- 
tile de  revenir.  Sa  décoration  a  particulièrement  souffert  :  il  en  reste 
bien  peu;  mais  cela  suffit  à  donner  ume  idée  de  ce  qu'elle  devait  être. 

Tout  le  bas  des  murs  était  recouvert  d'une  belle  mosaïque  de 
faïence  (fig.  36).  Elle  représente  cet  entrelacs  géométrique  compli- 
qué qui  a  pour  point  de  départ  une  étoile  et  dont  les  décorateurs  sur 
bois  et  sur  bronze  ont  tiré  un  si  admirable  parti  dans  l'occident 
musulman  :  c'est  ce  qu'au  Maroc  on  appelle  aujourd'hui  de  façon 
courante  le  testîr  [2).  Ici  réloilc  initiale  est  à  huit  branches;  les  li- 
gnes isont  blanches,  et  les  espaces  qu'elles  enserrent  sont  verts,  jau- 
nes, et  violets-noirs. 

Au-dessus  du  décor  de  mosaïque  venait  un  décor  de  plâtre  sculp- 
té (pi.  XI).  C'était  une  série  de  panneaux  encadrés  chacrun  par  une 
arcature.  Les  restes  de  quatre  d'entre  eux  subsiistent.  Deux  sont  pres- 
que identiques;  l'ensemble,  selon  un  procédé  dont  il  existe  de  nom- 
breux exemples,  devait  être  disposé  symétriqu ciment  de  part  et  d'autre 
d'un  panneau  central.  Quant  aux  motifs,  dont  nous  avons  ici  trois  'mo- 
dèles différents,  il  ne  semble  pas,  d'après  le  peu  qu'il  en  reste,  qu'ils 

(i)  Bien  qu'il  eût  été  plus  logique  de  parler  d'abord  de  la  mosquée  d'Aboù  '1-Hasan, 
qui,  de  si  peu  que  ce  soit,  lui  est  antérieure,  il  nous  a  paru  difficile  de  séparer  l'étude  de 
cette  salle  de  celle  de  la  mosquée  ancienne  :  car  leur  décoration,  plâtre  sculpté  et  mosaïque 
de  faïence,  est  assez  semblable,   et  nous   n'en  trouverons  plus  de  telle  à   Chella. 

(2)   Ce  mot  possède  en  réalité  un  se.is  plus  général.  Il  signifie  «  dessin  linéaire  ». 


î-'-tc 


Chella,  Pl.  XI 


Q 


LA  SALLE  FUNÉRAIRE 


277 


aient  été  extrêmement  originaux.  Trois  d'entre  eux  comportent  un 
dessin  axé,  dont  la  palme,  lisse  ou  striée,  est  l'élément  principal;  et 


Fig.  36.  —  Salle  funéraire  :  mosaïque  de  faïence. 


les  différences  de  relief,  comme  il  est  ordinaire  dans  la  décoration 
sur  plâtre,  jouent  un  rôle  important  :  cela  est  particulièrement  ac- 
cusé dans  le  panneau  de  droite.  Mais  le  quatrième,  qui  subsiste  pres- 
que tout  entier,  est  un  simple  jeu  de  fond   :  la  décoration  devient 


278  CHELLA 

déjà  mécanique;  la  décadence  est  proche.  Le  décor  des  arcature^  et 
des  écoiiiçons  a  disparu. 

Un  bandeau  épigraphique  entourait  l'ensemble  des  panneaux;  l'ins- 
criplion  était  une  double  eulogie  qui  se  répétait  d'un  bout  à  l'autre, 
et  que  l'un  lit  encore  cinq  fois  sur  le  fragment  qui  reste   : 

La  Gloire  durable  appartient  à  Allah! 
La  Royauté  éternelle  appartient  à  Allah  1 

Au-dessus  du  bandeau  épigraphique  court  une  frise  composée  d'une 
série  de  rosaces  géométriques  à  huit  branches,  chacune  à  l'intérieur 
d'un  encadrement,  entre  les  lignes  duquel  des  palmes  doubles  striées 
se  détachent  en  relief  vigoureux  sur  un  fond  très  creusé.  Les  lignes 
des  rosaces  se  rejoignant  à  travers  l'encadrement,  ce  qui  assure  la 
continuité  du  dessin.  Au  reste,  ce  décor  n'est  pas  non  plus  fort  ori- 
ginal :  on  le  trouve  presque  identique,  bandeau  et  frise,  à  la  medersa 
Boù  '\n;niî\ya  (i).  Sans  doute  celle-ci  est-elle  quelque  peu  postérieure. 
On  a  cependant  l'impression  que  déjà  à  cette  époque,  les  artistes  qui 
travaiUeul  le  plaire  n'ont  souvent  plus  la  puissance  d'invention  de 
ceux  qui  décorent  les  autres  matières.  Les  dessins  compliqués  leur 
plaisent:  mais  en  imôme  temps,  ils  se  consentent  aisément  du  passe- 
partoul,  du  (oui  fait.  Ils  IravailleuiL  une  trop  docile  matière,  qui  ne 
les  oblige  pas  assez  à  l'effort  constant. 

La  mosquée  d'Aboû  'l-Hasan. 

L'oratoire.  — L'oratoire  (pi.  XII),  qui  mesure  i8  m.  90  sur  9  m.  96 
environ,  est  construit  suivant  un  plan  particulier,  ,maiis  dont  certains 
sanctuaires  mairocains,  infiniment  plus  importants  —  la  mosquée 
d'el-Qarawîyîn  à  Fès,  la  grande  Mosquée  de  Rabat offrent  des  exem- 
ples :  une  nef  centrale,  à  laquelle  aboiutissent  de  chaque  côté  des 
nefs  secondaires,  perpendiculaires.  Celles-ci  sont  ici,  de  part  et  d'au- 
tre, au  nombre  de  trois.  De  grands  arcs  outrepassés  les  séparent  ou 
les  chevauchent,  reposant  sur  quatorze  piliers  de  briques,  dont  huit 

(i)  Cf.   Bel,  Inscriptions  arabes  de  Fèt,  p.   274,  fig.  67. 


112 


Chella,  Pl.  XII 


X  ■ 


< 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU    L-HASAN  :  L'ORATOIRE 


279 


Fig.  37.  —  Mosquée  d'Aboù  '1-Hasan.  Porte  de  l'oratoire. 
(Vue  prise  de  l'intérieur;  au  fond,  la  porte  du   sanctuaire). 


280 


CIIELLA 


sont  lil)i'(>s,  ol  It^  iaiili"€S  tMii»a«iôs  (i).    \ii\  nTiji^los  iioimI  oI  oiidsl,  un 
lonlianL  assez  aociisé. 

La  porte  dVntirée  (fi^.  37),  qui  (hume  ac^ès  dans  la  iiei'  centrale, 
est  surmontée  d'un  arc  trilobé  fort  large,  dont  le  lobe  supérieur,  dis- 
proportionné, est  coupé  presqu'à  sa  naissance  par  un  linteau  formé 
d'une  grosse  poutre  de  cèdre.  Au-dessus  de  cette  poutre,  trois  peti- 
tes ouvertures,  sous  linttvui  elles-mêmes,  sont  destinées  à  diminuer  la 
charge  qu'elle  devait  supporter. 

Juste  en  face  de  la  porte  d'entrée,  à  l'autre  extrémité  de  la  nef  cen- 
trale, s'ouvre  le  uiihràb.  niche  à  six  pans,  large  de  i  ui.  11),  à  rentrée,  et 
profonde  de  o  m.  90  environ.  Sa  décoration  est  extrêmement  sobre  : 
un  arc  outrepassé,  bordé  d'un  feston  fort  simple;  aux  écoinçons, 
juste  une  rosace  ou  une  coquille;  et  c'est  toute  la  décoration  que 
possédait  l'oratoire. 

De  pari  el  d'aulie  du  niihiàb,  une  ouverture  étroite,  aux  contours 
fort  maltraités,  mène  aujourd'hui  dans  le  jardin  où  s'élève  la  cha- 
pelle liinéraire  d  Aboù  "l-l.lasan;  ces  portes  donuaieul  accès  aux  cham- 
bres dont  nous  avons  cru  retrouver  les  vestiges.  Sur  cette  paroi  s'ou- 
vraient aussi  de  petites  fenêtres  en  plein  cintre. 

Dans  la  paroi  sud-ouest  est  une  dernière  porte.  Juste  derrière  elle, 
profondément  encaissé  entre  un  éboulis  de  nmrailles  que  pressent 
les  terres  et  que  disjoint  une  végétation  intense,  on  voit  un  trou 
rempli  d'eau  stagnante,  foitmant  aujourd'hui  une  sorte  de  bassin, 
où  l'on  descend  par  quelques  marches  (fig.  69).  11  y  avait  sans  doute  là 
un  passage  qui  menait  directement  de  la  chatmbre  d'ablutions  à  la 
mosquée  :  le  bassin  et  cette  chaimbre  sont  en  effet  sensiblctment  de 
même  niveau. 

Aujourd'hui,  cet  endroit,  dans  l'esprit  du  peuple,  est  le  cœur 
du  sanctuaire;  les  démons  le  hantent  :  on  les  y  vient  prier.  Tout  au- 
tour, des  restes  de  constructions,  dont  la  destination  demeure  mys- 


(i)  Les  arcs  viennent  parfois  buter  simplement  contre  le  mur  :  il  en  est  ainsi  de  cha- 
que côté  du  mihrnb,  où  ils  sont  même  quelque  peu  en  porte  à  faux  au-dessus  des  ouvertures. 
On  s'en  rend  nettement  coonpte  sur  la  planche  XII.  L'aboutis&ement  des  arcs  au-dessus  des 
portes  qui  s'ouvrent  de  chaque  côté  du  mihrâb  se  retrouve  plusieurs  fois  dans  les  mosquées 
marocaines  :  notamment  à  Tinmel  (cf.  Hespéris,  fasc.  I-II,  igi'i,  p.  170,  fig.  '>,  et  pi.  IV)  ;  à 
la  Kotobiya;  à  la  mosquée  de  Hassan. 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU  'L-HASAN  :  LE  MINARET 


281 


térieuse  :  notamment,  sur- 
plombant le  bassin  au  sud-est, 
une    chambre     minuscule    — 

I  m.  75  sur  I  m.  90  environ  — 
qui  donne  à  la  fois  sur  celui-ci 
et  sur  le  jardin  funéraire.  Y 
avait-il  parmi  ces  constructions 
une  jânia    el-gnâXz? 

Le  minaret.  —  Tout  contre 
se  trouvait  le  minaret  de  cette 
mosquée,  à  son  angle  sud  ;  lui 
aussi  possède  une  double  en- 
trée, sur  l'enclos  au  bassin  et 
sur  le  jardin  funéraire. 

Ce  minaret  est  de  propor- 
tions plus  réduites  et  de  déco- 
ration plus  sobre  que  celui  de 
l'autre  mosquée;  il  est  aussi 
plus  mal  conservé  :  la  lanterne 
manque  (ûg.  38).  Il  a  pourtant 
été  construit  avec  soin  :  un 
revêtement  de  pierres  de  taille 
en  appareil  alterné,  derrière 
lequel  les  matériaux  de  rehiplis- 
sagc,  briques  seulement,  ou 
briques  et  moellons,  sont  dis- 
posés en  lits  réguliers  (fig.  89). 

II  mesure  2  m.  46  de  côté 
pour  une  hauteur  actuelle  de 
8  m.  92  (jusqu'à  la  corniche 
supérieure)  sur  la  face  sud- 
est  (jardin)  et  de  8  m.  25 
sur  la  face  opposée  (bassin)  : 
la  dénivellation  du  terrain  est 
en  effet  assez  accentuée.  L'escalier  intérieur  est  extrêmement  étroit 
(o^.ôo);  il  n'est  pas  voûté  comme  le  sont  d'ordinaire  les  couloirs  et  les 


Fig.  38.  —  Mosquée  d'Aboû  "I-IIasan. 
Minaret  (élévation  schématique,  face  nord-ouest). 


HtSPKRIS.  —  T.  II.   — 


HJ22 


19 


âd2 


CHELLÀ 


escaliers   do  ce   genre,    mais   recouvert    par   les    dalles    de  pierre  des 
marches  supérieures. 

Sur  la  faoe  nord-ouest  seulement  (côté  du  bassin)  a  été  ébauchée 
une  décoration  qui  rappelle  de  loin  celle  de  l'autre  minaret.  Un  grand 
rectangle,  légèrement  en  retrait,  (orme  un  panneau  décoratif  fort 
simple,  qui  meuble  la  moitié  supérieure  du  minaret  (fig.  38).  Il  en- 

cadre    une    ouverture,    dont    Tare, 

large  de  o'°,()8,  outrepassé  et  brisé, 
est  doublé  d'un  second  arc,  lobé; 
un  lobe,  au  sommet,  se  superpose 
à  une  pointe.  Des  autres  faces,  celle 
du  noi(l-est  est  accolée,  presque 
sur  toute  sa  hauteur,  au  mur  de 
l'oratoire  ;  cvÀU)  du  sud-ouest  est 
ime  ;  celle  du  sud-est  (jardin)  seule 
est  intéressante.  A  mi-hauteur, 
un  rang  de  tuiles  vertes  forme  un 
léger  auvent  ;  et  dans  le  bas,  sur 
les  fragments  d'un  enduit  rougeàtre 
(|ui  recouvrait  la  pierre,  on  relève 
les  restes,  malheureusement  réduits 
à  fort  peu  de  chose,  d'une  très 
curieuse  décoialion.  Ce  sont  des 
dessins,  peints  en  brun  rouge, 
que  reproduit  la  figure  4o.  On 
voit  encore  des  tresses  verticales  à 
deux  branches,  très  grossières,  des  rosaces  dont  les  traits  se  poursui- 
vent dans  l'encadrement  de  la  rosace  suivante,  et  d'étranges  com- 
positions, ayant  pour  centre  une  rosace,  entourée  d'un  entrelacs  gros- 
sier. Ces  coŒnpositions  semblent  avoir  été  disposées  en  quinconces, 
les  centres  espacés  de  20  centimètres.  Les  cercles  sont  tracés  au  com- 
pas, les  lignes  droites  tirées  à  la  règle,  les  autres,  exécutées  à  pnain 
levée,  et  au  pinceau.  C'est  de  lia  véritable  fresque.  Le  travail  devait 
être  exécuté  rapidement  sur  l'enduit  frais;  c'est  ce  qui  explique  son 
caractère  hâtif  et  négligé;  sous  la  grossièreté  des  lignes,  on  sent  ce- 
pendant une  certaine  sûreté  de  main.  Une  telle  décoration,  très  fra- 


Fig.  39.  —  Mosquée  d'Aboù  'l-IIasan.  Minaret 
Détail  de  la  construction. 


LA  MOSQUÉE  D'ABOU    L-HASAN  :  LE  MINARET 


283 


gile,  est  rarement  parvenue  jusqu'à  nous  (il  en  existe  un  fragment, 
depuis  peii,  au  Musée  de  Tlemcen);  mais  elle  était  peut-être  relative- 
ment fréquente  sur  les  plus  beaux  monuments  médiévaux.  L'on 
trouve  encore  aujourd'hui  des  dessins  de  imême  allure,  peints  en  rou- 


/.H»lx*i/T  I7ZX 


Fi^.  40.  —  Mosquée  d'Aboù  'l-llasan.  Fragment  de  décoration  à  la  base  du  minaret. 


oe,  en  vert  ou  en  bleu  vif,  dans  les  imaisons  mairocaines,  surtout  dans 
les  maisons  aisées  de  la  caimpag-ne  :  décorcition  facile,  qui  permet  de 
meubler  rapidefment,  et  à  bon  compte,  les  surfaces  nues.  Il  est  inté- 
ressant de  constater,  grâce  à  quelques  exemples  conservés  par  mira- 
cle, qu'un  semblable  procédé  décoratif  était  déjà  employé  aux  belles 
époques  de  l'art  maghribin. 


284  CHELLA 

La  chapelle  funéraire  d\Aboù    l-lja^an.  —  Les  mqâbrîyya.  — 
La  décoration  sur  pierre  et  sur  marbre. 

Entre  tant  de  merveilles  que  contient  le  sancluaire  de  Cihella,  nous 
sommes  ici  devant  la  plus  somptueuse.  Quelle  que  fût  la  piété  d'Aboû 
'l-i.lasan  à  Tôiiaid  do  ses  ^^ioricux  ariccircs,  le  luxe  avec  l('(|ii('l  il 
avait  décoré  le  lieu  oii  ils  donnaient  cote  à  cote,  il  \u\  se  ju^'^ea  pas 
indigne  de  reposer  tout  seul  dans  une  chapelle  plus  belle  encore. 

Celle-ci  (fig.  29,  L)  comportait,  nous  l'avons  vu,  uine  annexe  (M), 
de  même  plan.  L'annexe  a  disparu,  mais  la  chapelle  susbiste  :  seule 
la  coupole  qui  la  surmontait  s'est  effondrée.  C'est  une  construction 
sensiblement  carrée,  de  6  mètres  de  côté,  ouverte  sur  trois  faces  par 
de  larges  baies,  les  murs,  avant  tout  piliers  de  la  coupole,  formant 
simplement  les  angles  :  disposition  fréquente  dans  les  chapelles  funé- 
raires de  cette  époque,  et  dont  nous  re  trou  veinons  d'autres  exemples  à 
Chella  même;  ces  murs  d'angles  sont  en  pierres  de  taille  assez  régu- 
lières. Sur  le  quatrième  côté,  au  sud-est,  le  huit  est  plein;  il  faisait 
d'ailleurs  partie  de  la  clôture  du  sanctuaire.  Sa  construction  est 
plus  soignée  encore.  Les  pierres  de  taille,  disposées  en  appareil  al- 
terné, et  remarquablement  appareillées,  sont  jointes,  sur  leurs  quatre 
côtés,  par  de  minces  lits  de  plomb.  Funeste  précaution!  Trompés 
par  la  couleur,  l'esprit  nourri  des  légendes  qui  parlent  de  pierres 
d'argent  et  d'autres  richesses  cachées  dans  les  ruines  de  Chella,  les 
pillards  ont  profondément  entaillé  les  pierres,  jusqu'à  hauteur  d'hoim- 
me,  pour  arracher  des  parcelles  de  ce  qu'ils  croyaient  être  métal  pré- 
cieux. 

Au  luxe  de  la  construction  répondait  le  luxe  de  la  décoration.  Celle 
des  anurs  d'angle  a  disparu.  On  voit  seulement,  à  l'exlérieiir,  les 
restes  d'un  soubassement  en  mosaïque  de  faïence,  treillis  à  larges 
traits  noirs,  avec  une  étoile  claire  à  chaque  point  de  rencontre  :  com- 
position qui  se  poursuivait  à  l'intérieur,  et  décorait  aussi  le  soubasse- 
sement  des  murs  de  l'annexe  (M)  ;  elle  se  retrouve  aulouir  de  la  cha- 
pelle, voisine,  de  Chams  ed-Dohâ,  Il  y  a  là  une  idée  d  un  ensemble 
décoratif.  Un  semblable  revêtement  était  d'ailleurs  fréquent  sur  les 
surfaces  extérieures  :  c'est  le  même,  à  peu  près,  qu'à  la  base  de  la 
lanterne  sur  le  grand  minaret.  La  paroi  pleine  est  ornée  de  tout  autre 


'^~^. 


Chella,  Pl.  XIII 


:^<. 


Chapelle  funéraire  d'Aboû  '1-Hasan.  Décoration  extérieure. 


LA  CHAPELLE  FUNÉRAIRE  D'AROU  'L-HASAN  285 

manière;  c'est  un  admirable  ensetmble  de  décoration  sur  pierre  re- 
haussée de  marbre  (pL  XIII).  Sans  doute,  à  considérer  de  près  le 
détail,  y  peut-on  relever  quelques  fautes;  l'ensemble  apparaît  d'une 
élégance,  d'une  plénitude  et  d'une  haiimonie  rares. 

La  décoration  s'étage  sur  quatre  plans  :  centre,  deux  bandeaux  épi- 
graphiques,  frise. 

Le  centre  de  la  composition  est  un  grand  panneau  rectangulaire 
analogue  à  celui  qui  meuble  la  partie  supérieure  des  minarets  almo- 
hades  ou  mérinides,  et  notamment  celui  de  la  mosquée  d'Aboû  loii- 
sof,  que  nous  avons  étudié  :  au-dessus  de  trois  grandes  arcatures 
aveugles  s'élève  un  entrelacs  architectural.  Les  arcs  reposent  sur  des 
colonnes  engagées  de  marbre  blanc  —  dont  il  ne  reste  que  quelques 
fragments  (minuscules  —  par  l'intermédiaire  d'une  abaque,  en  pierre, 
qui  porte  deux  motifs  serpenti formes,  dos  à  dos,  séparés  par  un  feuil- 
lage de  palmes  doubles.  Les  arcs  sont  festonnés;  leur  doubles  rubans 
enserrent  entre  leurs  pointes  de  petits  espaces  semi-circulaires  meu- 
blés de  palmes  doubles  entrelacées.  L'arcature  centrale  est  décorée  d*un 
motif  koûfique  extrêmement  compliqué,  aux  nombreuses  tresses  mê- 
lées de  palmes  doubles;  dans  le  bas  est  ménagé  un  médaillon  où 
est  inscrite  la  hamdata,  en  caractères  d'écriture  courante.  Les  deux 
autres  arcatures,  à  droite  et  à  gauche,  sont  meublées  d'un  jeu  de  fond, 
identique  de  part  et  d'autre,  et  devenu  extrêmement  banal  dans  la 
décoration  marocaine  :  deux  palmes  doubles  liées  par  le  sommet  s'en- 
lacent par  l'autre  branche  au  sdmmet  de  palmes  simples  unies  par 
la  base,  sur  un  fond  de  rinceaux  formés  par  les  tiges. 

L'alternance  de  panneaux  décorés  de  motifs  koûfîques  et  de  motifs 
floraux  est  assez  fréquente  dans  la  décoration  de  cette  époque.  On  en 
trouve  de  nombreux  exemples  à  Fès,  notamment  à  la  medersa  d'el- 
'Attàrîn  et  à  la  medersa  Boû  "Anânîyya  (i). 

L'entrelacs  architectural  prend  appui  à  la  fois  sur  le  sommet  des 
arcs  —  il  s'unit  alors  aux  rubans  de  leur  feston  —  et  sur  de  petites  co- 
lonnettes  engagées,  placées  dans  le  prolongement  des  colonnes  qui 
soutiennent  les  arcs,  comme  les  colonnettes  de  faïence  sur  le  g^and 
minaret.  Ces  colonnettes  sont  de  marbre  blanc;  leur  chapiteau  porte 

(i)  Cf.  Bel,  op.  cit.,  p.  2i4,  fig.  4i;  294,  fig.  62;  3o8,  ûg.   72. 


28() 


CUKM.A 


au-dessus  dos  acaullios  un  simple  bandeau  rectangulaire  :  il  s'y 
trouve  une  pelile  eulogie  en  koùlique  (lio;.  /|i)  :  aux  deux  colonnclles 
des  exlréniilés,  eoupées  par  la  IxM'dure,  le  simple  nam  de  la  Divinilé; 


^  I  ^^M  ^ 


Cct)t»f9«tr«J 

Fig.  41.  —  Bandeaux  des  colonnettes  (qoubba  d'Aboù  'l-Ijasan,  face  extérieure). 


quant  aux  deux  autres  bandeaux,  Ttin  porte  el-molk  répété,  =  la 
royauté  [est  à  Allah]  ;  et  le  second,  el-molk  lillah,  el-molk.  Les  carac- 
tères, se  détachant  sur  fond  nu  (une  seule  petite  palme,  à  droite  de 
l'un  des  bandeaux,  à  la  place  d'un  retour  de  hampe),  sont  extrêmement 
sobres,  un  peu  écrasés,  mais  d'un  joli  aspect  décoratif.  Les  lig^nes  de 


Chella,  Pl.  XIV 


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LA  CHAPELLE  FUNÉRAIRE  D'ABOU  'L-HASAN  287 

l'entrelacs  sont  divisées  par  un  filet  dessiné  dans  la  pierre,  autrefois 
colorié,  et  lié  intimement  à  l'entrelacs  géométrique  allongé  du  cadre. 
Les  médaillons  enserrés  par  ces  lignes  contiennent  chacun  un  motif, 
dont  l'élément  central  est  une  coquille  en  creux,  entre  deux  palmes 
doubles  adossées  :  les  extrémités  supérieures  de  celles-ci,  barrées, 
supportent  un  fleuron  qui  surmonte  la  coquille,  tandis  que  deux  au- 
tres petites  palmes  doubles  adossées,  et  disposées  en  sens  inverse,  la 
soutiennent. 

Ce  panneau  décoratif  est  encadré  par  deux  bandeaux  épigraphiques, 
le  plus  petit  en  caractères  koûfiques,  le  plus  grand  en  écriture  anda- 
louse;  l'un  et  l'autre  sont  parsemés  d'éléments  floraux  dont  les  tiges 
forment  des  rinceaux  (i).  Le  premier  encadre  le  panneau  sur  trois 
côtés  seulement,  et,  dans  sa  partie  supérieure,  est  sensiblement  plus 
étroit  que  sur  les  deux  côtés;  le  but  de  cette  disposition  est  de  donner 
à  l'ensemble  une  allure  plus  élancée,  d'éviter  que  le  cadre  n'écrase 
le  panneau  central.  L'inscription  andalouse  continuait,  en  une  dou- 
ble bande,  sur  le  soubassement  du  monument;  cette  partie  de  l'ins- 
cription, très  dégradée,  est  aujourd'hui  difficilement  discernable. 
Chacun  des  côtés  de  ces  bandeaux  est  enfermé  dans  un  cartouche, 
dont  les  rubans,  s'entrelaçant  aux  extrémités,  délimitent  un  médail- 
lon à  quatre  lobes,  décoré  d'un  motif  qui  diffère  légèrement  d'un 
bandeau  à  l'autre  (fig.  52  et  53);  ces  médaillons  sont  de  règle  au  dé- 
part, à  l'arrivée  et  aux  angles  des  bandeaux  épigraphiques  :  ils  ser- 
vent en  ce  dernier  cas  à  éviter  la  rencontre  des  caractères.  Le  cartou- 
che, dans  le  plus  grand  bandeau,  est  un  entrelacs  en  forme  de  chaî- 
ne; et  le  bandeau,  dans  sa  partie  supérieure,  étant  traversé  par  trois 
petites  fenêtres,  chacun  des  espaces  ainsi  délimité  est  lui-imème  en- 
touré d'un  cartouche  (2). 

L'inscription  koûfîque  est  simplement  propitiatoire.  En  voici  le  texte  : 

(1)  V.  infra,  l'étude  de  l'écriture. 

(2)  Il  existe  aujourd'hui,  en  un  point,  une  erreur  assez  grossière  dans  l'assemblage 
des  pierres.  Presqu'au  sommet  du  bandeau  extérieur  montant,  à  droite,  un  décalage  s'est 
produit,  que  fera  aisément  comprendre  la  fig.  42,  en  même  temps  qu'elle  permettra  de 
saisir,  ce  qui  est  plus  intéressant,  le  système  selon  lequel  étaient  assemblées  les  pierres  de  ce 
monument.  La  disposition  normale  a  été  rétablie  dans  la  fig.  53,  qui  représente  cette  fraction 
du  bandeau.  Cette  erreur  provient-elle  d'une  remise  en  place  récente  de  ces  pierres,  comme 
l'affirment  les  lettrés  indigènes? 


288 


CHELLA 


Bandeau  vertical  droit  : 

^-a.^1  ^J^J^  *^^  *--f  ^*f^;^'  J^^^^  (•*"  *^^-!  ^y^' 
Bandeau  horizontal    : 

Bandeau  vertical  gauche   : 

{Qor'ân,  Sourate  III,  vers  18?.).  Le  lapicide  a  dû,  pour  pouvoir 
inscrire  tout  ce  verset  sur  les  bandeaux,  graver  les  cinq  derniers  mots 
en  très  petite  cursive. 


Fig.  42.  —  Qoubba  d'Aboû  'l-Hasan.  Erreur  d'assemblage  dans  rinscription  andalouse. 

L'inscription  andalouse  est  Tinscription  dédicatoirc  du  monument, 
celle  par  laquelle  Aboîi  'l-Hasan  indique  qu'il  fit  construire  sa  chapelle 
funéraire  :  elle  n'est  malheureusement  pas  datée  (i). 

Au-dessus  de  cet  ensemble,  est  une  frise,  surmontée  d'un  encor- 
bellement à  stalactites.  Celui-ci  est  supporté  par  dix  petits  pi- 
lastres de  marbre  blanc,  dans  les  intervalles  desquels  (fig.  43)  est 
dessiné  un  motif  décoratif,  en  écriture  koûfique,  011  nous  lisons  el- 


(i)    V.   Epigraphie  historique,  n°  2, 


LA  CHAPELLE  FUNÉRAIRE  D'ABOU  'L-HASAN 


289 


rnolk  lillah,  eulogie  souvent  employée  en  ce  cas.  Le  centre  de  la  com- 
position est  occupé  alternativement  par  une  coquille  et  par  une  tres- 
se :  on  se  souvient  que  pareille  alternance  se  retrouve  à  la  grande 
porte,  au-dessous  de  l'encorbellement  des  tours.  Des  palmes  doubles 
remplissent  les  vides.  L'alîf  et  le  lâm  d'une  part,  le  lâm  et  le  kâf  de 
l'autre,    forment  de  chaque   côté   une   tresse   symétrique;   mais   une 


Fig.  43.  —  Qoubba  d'Aboû  '1-Hasan.  Frise  de  la  face  extérieure. 


grave  erreur  s'est  glissée  dans  le  dessin  :  hampes  et  lettres  ne  se  joi- 
gnent pas  :  elles  sont  liées  hampe  à  hampe,  et  lettre  à  lettre  :  l'écri- 
ture n'est  plus  qu'un  prétexte  à  décoration  dont  le  sens  s'est  presque 
entièrement  perdu. 

Une  autre  anomalie  se  trouve  dans  les  pilastres  :  on  remarquera 
que  la  corbeille  d'acanthes  mauresques  semble  renversée  :  ces  acan- 
thes sont  recourbées  en  effet  non  au  sommet  mais  à  l'astragale. 

L'encorbellement  soutenait  un  auvent,  destiné  à  protéger  et  à  com- 
pléter l'ensemble.  Il  s'appuyait  à  chaque  extrémité  sur  une  console 


290 


CHELLA 


reposant  sur  une  colonne  d'angle,  ronde,  de  marbre  blanc,  entre  un 
corbeau  et  un  tailloir  fort  bien  conservés,  de  marbre  bleu.  Les  deux 
colonnes  ont  disparu;  mais  il  reste  un  cliapiteau,  de  marbre  blanc 
également,  fort  gracieux,  assez  différent  de  ceux  que  nous  avons  ren- 
contrés jusqu'ici  :  au-dessus  des  acanthes  mauresques  sont  deux  min- 
ces volutes,  leliées  par  un 
bandeau  décoré  d'un  treillis. 
Les  consoles,  en  pierre,  ont 
beaucoup  souHert  (fig.  [\[\). 
Sur  les  laces  latérales,  on 
distingue,  au  départ,  le  mo- 
tif serpenliforme;  au-dessus, 
un  décor  de  palmes  doubles 
sur  rinceaux,  et  l'on  devine 
un  décor  floral  aux  écoin- 
çons  ;  l'ensemble  était  en- 
cadré par  UFi  entrelacs  géo- 
métrique allongé.  Sur  les 
corbeaux,  et  sur  la  tranche 
de  la  console  —  comme  aux 
colonnes  d'angle  sur  la  face 
intérieure  de  la  grande  porte 
—  on  retrouve  la  coquille  : 
dans  la  décoration  de  ce  mo- 
nument aussi,  ce  motif,  qui 
meuble  les  médaillons  du 
panneau  central,  tenait  donc 
une  place  considérable. 

Dans  cet  ensemble  déco- 
ratif, la  polychromie  jouait 
encore  un  rôle  important. 
Colonnes  et  colonnettes  du  panneau  central,  pilastres  de  la  frise 
en  marbre  blanc,  colonnes  d'angle  en  marbre  blanc  entre  corbeau 
et  tailloir  de  marbre  bleu,  tranchaient  vigoureusement  sur  la 
pierre.  On  pourrait  s'étonner  de  n'y  point  trouver  de  faïence,  dont 
un  décor  semblable,  au  minaret,  fait  un  si  large  emploi.  Mais  réclat 


Fig.  44.  —  Qoubba  d'Aboû  '1-Hasan.  Console. 


LA  CHAPELLE  FUNÉRAIRE  D'AROU  'L  I.IASAN  291 

qu'ailleurs  on  demandait  à  la  faïence,  on  l'obtenait  ici  grâce  à  une 
matière  plus  précieuse  et  plus  brillante  encore.  Aux  traces  vertes 
qui  subsistent  par  places,  on  peut  penser  que  les  fonds  étaient  recou- 
verts d'une  dorure  à  base  de  cuivre.  Dans  le  panneau  central,  une 
couche  d'or  couvrait  l'intérieur  des  médaillons,  et,  comme  au  mi- 
naret un  filet  lie  faïence  souligpnait  les  lignes  de  l'entrelacs  architec- 
tural et  du  cadre,  elles  l'étaient  ici  d'un  trait  d'or.  La  décoration  ga- 
gnait-elle beaucoup  à  un  tel  luxe?  Il  est  permis  d'en  douter.  Mais 
il  devait  produire  grand  effet,  frapper  l'imiagination  populaire;  son 
souvenir  contribua  peut-être  à  fortifier  la  croyance  aux  grandes  ri- 
chesses enfouies  dans  Chella.  Et  ce  détail,  joint  à  ceux  que  nous 
avons  relevés  déjà,  montre  que  si  Aboû  'I-Hasan  n'avait  rien  négligé 
pour  faire  de  la  nécropole  de  ses  ancêtres  une  œuvre  magnifique,, 
nulle  part  sa  prodigalité  ne  s'était  manifestée  avec  autant  d'ostenta- 
tion que  dans  la  construction  du  tombeau  qu'il  se  préparait  à  lui-même. 

L'intérieur  aussi  était  fort  soigné.  La  décoration  des  angles  a  dis- 
paru, au-dessus  du  treillis  de  (mosaïque  qui  recouvrait  toute  la  partie 
inférieure  des  murs;  mais  celle  de  la  paroi  pleine  subsiste  en  partie 
fpl.  XV).  Sur  cette  face  également,  île  mur,  percé  dams  sa  partie  su- 
périeure de  trois  petites  fenêtres  en  plein  cintre,  présente  un  revête- 
ment en  pierres  de  taille  par  assises  alternées.  Au-dessus  du  soubas- 
sement, aujourd'hui  nu,  (étaient  deux  arcatures  aveugles  séparées 
par  une  colonne  reposant  sur  un  corbeau;  l'emplaceament  semble 
disposé  pour  recevoir  des  tables  de  hohoûs  :  peut-être  est-^ce  là  qu'é- 
tait priimitivement  fixée  l'inscription  relative  à  la  fondation  faite  par 
Aboû  'Inân  pour  l'entretien  de  ce  tombeau,  et  qui  se  trouve  aujoui- 
d'hui  dans  la  grande  mosquée  de  Rabat  (i). 

Un  bandeau  épigraphique  en  écriture  courante,  entre  deux  entre- 
lacs étroits  (2),  encadre  cette  double  arcature;  au  départ,  aux  angles, 
à  l'arrivée,  est  gravée  une  eulogie  dans  un  médaillon  carré,  dont  les 
coins  portent  un  fleuron  fait  de  deux  palmes  doubles  adossées.  L'ins- 
cription se  compose  de  deux  versets  coraniques  : 

(i)  V.   Epigraphie  historique,  n°  3. 

(■>)  Semblables  à  ceux  que  l'on  trouve  sur  la  mqàbrîyya  d'Aboù  '1-Hasan  (faîte  et  fron- 
ton i  :  cf.  fig.  ^5  et  46.  Profondément  creusés,  ils  ont  ici  l'aspect  d'une  bande  de  nids 
d'abeilles.  Cet  entrelacs  est  fréquent  à  cette  époque. 


292  CHELLA 

Bandeau  vertical  droit  : 

Bandeau  horizontal    : 

^^>  iJLîbUl  ^[i/!  ^»^:vJ!  ^^\  tSS\  j:;=ç.  JULvS'  ^,/l-.  U   L^  ^  ^l^^ 

Bandeau  vertical  gauche   : 

{Qor,ân,  Sourate  XVI,  vers.  33-34). 

De  part  et  d'autre  de  ce  décor  central  sont  deux  panneaux  symé- 
triques. Des  inscriptions,  coupées  aux  angles  par  une  rosace  ou  par 
une  eulogie  leur  servent  de  cadre.  On  lit,  à  droite,  un  verset  corani- 
que partagé  de  la  façon  suivante  : 

Bandeau  horizontal  supérieur  : 

J^  e?^!r^l-  ^j  Lf  ^'  JP'  ^  [J.>-y'  Lf^^ 
Bandeau  vertical  : 

Bandeau  horizontal  inférieur   : 

(Qor'ân,  Sourate  II,  vers.  285). 

Sur  le  panneau  de  gauche,  chacun  des  bandeaux  porte  une  ins- 
cription séparée.  C'est,  pour  le  bandeau  horizontal  inférieur,  le  dé- 
but du  verset  127  de  la  Sourate  III  : 

pour  le  bandeau  horizontal  inférieur,  le  début  du  verset  129  de  la 
même  Sourate  III   : 

*^^!  ^jl!^^j  iLio.U  LlxJ  b!  f-y*^^  3 

Quant  au  bandeau  vertical,  il  porte  la  formule  conjuratoire    : 
j^   \>.^  Je   *ii!    J^   ^^)\   ^J)\   iii!    .^j   ^Ji\  jlk/J!   ^   ^\i  iy! 
composée   du    fnnwwoûdh,    de  la  bdsmala    et    de    la    iaslîyya,    qui    ac- 
compagne toujours,  en  épigraphie  anaghribine,  la  citation  de  versets 
du  Livre  sacré.  • 

Le  centre  est  un  semis  d'étoiles  disposées  en  quinconces,  dont  les 
lignes  se  rejoignent,  et  dont  le  cœur  est  formé  par  un  médaillon  où 


Chella,  Pi..  XV 


1^^ 


u 


LES  MQABRIYYA  293 

s'inscrit  une  euiogie,  qui  parfois  se  poursuit  de  l'un  à  l'autre  :  el- 
'izzat  lillah,  el-baqâ'  lillah,  el-Iiamd  lillah,  ou  la  formule  de  la  taslîyya, 
sur  toute  une  ligne  d'étoiles.  Aux  écoinçons,  une  très  fine  décoration 
de  palmes  doubles  sur  rinceaux  (i). 

Au-dessus,  sur  toute  la  largeur  de  la  paroi,  et  jusqu'au-dessous  des 
trois  petites  fenêtres,  court  une  haute  frise,  composée  de  grandes 
rosaces  ayant  pour  centre  une  étoile  à  huit  branches,  et  de  dessin  as- 
sez compliqué.  L'artiste  a  prouvé  sa  virtuosité;  mais  ce  dessin  appa- 
raît assez  confus,  parce  qu'il  n'a  pu  lui  donner  le  relief  accusé  qui  eût 
été  nécessaire,  et  qu'il  eût  obtenu  sans  peine  avec  une  autre  matière. 
Mais,  visiblement,  il  a  voulu  réaliser  dans  la  pierre  une  décoration 
aussi  riche  que  dans  le  plâtre.  C'est  d'ailleurs  l'impression  que  donne 
tout  l'ensemble  :  motifs  et  emplacements  sont  ceux  qui,  d'ordinaire, 
sont  réservés  au  plâtre.  Là  encore,  on  sent  le  même  désir  d'un  sou- 
verain fastueux  et  personnel  :  s'il  remplaçait  la  faïence  par  l'or,  le 
plâtre  par  la  pierre,  c'était  pour  faire  de  son  totmbeau  le  che(f-d'œu- 
vre  suprême,  dont  la  décoration  ne  dût  rien  aux  matériaux  plus 
malléables  ou  moins  précieux  que  l'on  employait  ailleurs. 

Les  mqâbrîyya.  —  Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  parler  de  ces 
stèles  prismatiques  basses  et  allongées,  qui  recouvrent  la  tombe  deb 
souverains  mérinides  (2).  C'est  une  forme  de  stèle  traditionnelle 
dans  rislâm  occidental  :  on  l'observe  couramment,  aujourd'hui  en- 
core, mais  construite  en  maçonnerie,  dans  les  cimetières  marocains. 
Il  en  faut  vraisemblablement  chercher  l'origine  dans  l'imitation  sché- 
matique de  ramoncellement  de  terre  qui  marque  l'emplacement  d'une 
tombe.  De  bonne  heure,  pour  les  sépultures  luxueuses,  on  employa 
le  marbre.  De  telles  mqâbrîyya  étaient  d'usage  courant  en  Afri- 
que bien  avant  l'époque  des  Mérinides  :  les  nécropoles  tunisiennes 
et  bougiotes,  notaimment,  nous  en  ont  livré  de  nombreux  spéci- 
mens. Avaient-elles  aussi  pénétré  plus  tôt  au  Maghrib -Extrême?  Nous 
ne  connaissons  antérieurement  à  cette  date  aucune  sépulture  qui  soit 


(1)  On   trouvera    la    reproduction    d'un    panneau    du  même    genre,    in   Bel,   op.   cH. 
p.    327,   fig.    81. 

(a)  V.  supra,  p.  ii  et  n.  5. 


294  CllELLA 

certainement  authentique  ou  non  remaniée  (i).  D'antre  part,  elles  per- 
sistèrent au  Maroc  longtemps  après  1  époque  des  Mérinides.  Les  tom- 
bes des  princes  sa'diens,  à  Marrakech,  sont  marquées  par  de  sembla- 
bles stèles  (a)-  Mais  eelles-ei.  a'uvre  d'un  siècle  où  l'art  du  marbre 
subit  de  façon  excessive  l'influence  des  modèles  et  des  décorateurs 
venus  d'Italie,  sont  de  forme  trop  recherchée,  trop  gracieuse,  de  dé- 
coration trop  riche  et  trop  savante  :  elles  ont  perdu  la  pureté  de  li- 
gnes, l'harmonie  de  proportions  des  stèles  mérinides.  La  mqabrîyya 
d'Aboli  'l-llasau  et  celle  de  Gliams  (mI-UoIki  sont,  à  cet  égard,  de  vé- 
ritables chefs-d'œuvre. 

Ges  deux  stèles  (v.  \)\.  1  et  11)  dilTérenl  un  peu  par  leurs  di- 
mensions —  celle  de  (ihams  eij-Uohà  est  plus  petite  —  mais  elles 
sont  de  forme  1res  seud)lable  (.S).  Au-dessus  d\in  soeh;  décoré 
s'élève  le  prisuic,  divisé  en  deux  parties  :  en  bas,  quatre  petits  gra- 
dins séparés  par  une  corde,  au-dessus,  le  champ  épigraphique.  Aux 
extrémités,  la  disposition  est  la  même;  un  motif  décoratif  meuble 
l'espace  triangulaire,  sorte  de  fronton,  qui  correspond  au  champ  épi- 
graphique. 

Sur  le  socle  de  la  stèle  d'Aboù  '1-Ilasan  (lig.  46)  est  dessinée  une 
série  d'arcatures  à  doubles  lignes,  enfermant  un  motif  dérivé  du  koû- 
fique,  tout  à  fait  semblable  dans  sa  partie  inférieure  à  celui  que  nous 
avons  trouvé  à  la  grande  porte  de  l'enceinte,  sous  l'encorbellement 
des  tours  (lig.   12)    :  dessin  absolument  symétrique,  qu'il  serait  vain 


(i)  L'emplacement  du  tombeau  d'Ioûsof  ben  Tâchl'în  à  Marrakech,  objet  d'une  grande 
vénération  populaire,  n'est  connu  que  par  la  tradition  orale.  Il  n'est  d'ailleurs  marqué  par 
aucune  construction.  Celui  d'Idrîs  I  à  Moulay-Idrîs  du  Zerhoûn  est  inaccessible;  celui 
d'Idrîs  II,  à  Fès,  apocryphe,  et  d'ailleurs  moderne.  Ceux  des  autres  princes  ont  disparu. 
Ceux  des  grands  saints  ont  tous  été  réédifiés'à  une  date  récente,  après  que  l'essor  des  confré- 
ries eût  développé  leur  culte.  Enfin,  il  n'existe  pas,  à  notre  connaissance,  de  tombeaux  de 
particuliers  antérieurs  à  l'époque  mérinide. 

(a)  En  voir  encore  un  spécimen,  de  la  fin  du  xvn"  siècle,  à  Ceuta,  in  Tanger  et  sa  zone, 
Villes  et  Tribus  du  Maroc,  t.  VII),  Paris,  ig^i,  p.  4'>o-4îii  et  pi. 

(3)  Dimensions  : 

Stèle  d' Aboû  'l-IIasan  :  longueur  totale  :2  m.  i  fj5  ;  largeur  :  o  m.  35  ;  hauteur  :  o  m.  276  ; 
hauteur  du  socle  :  cm.  10;  dimensions  du  champ  épigraphique  :   i  m.  88  x  o  m.    10. 

Stèle  de  Chams  ed-Dchâ  :  longueur  totale  :  i  m.  97  ;  largeur  :  o  m.  235  ;  hauteur  :  o  m.  20; 
hauteur  du  socle  :  o  m.  07  ;  dimensions  du  champ  épigraphique  :   1  m.  86  X  o  "ï-  080. 

Autant  qu'on  en  peut  juger  par  le  fragment  qui  subsiste,  les  dimensions  de  la  stèle  d'Aboù 
la'qoûb  étaient  les  mêmes  que  celles  de  '.a  stèle  de  Chams  ed*Pol.ià. 


LES  MQABRIYYA 


295 


Fig.  45.  —  Mqàbrîyya  d'Aboû  'I-Hasan.  Motif  décoratif  aux  extrémités  du  prisme. 


jHiiNAuf    rzz. 


Fig.  46.  —  Mqàbriyya  d'Aboû  l-Hasan.  Décoration  du  socle. 


â96 


CHELLA 


de  chercher  à  lire.  De  son  centre,  partent  deux  hampes  qui  s'enlre- 
facent  en  formant  une  tresse  comparable  à  celle  qui,  sur  la  porte  en 


Fig.  47.  _  Mqâbrîyya  de  Chams  ed-Pohâ.  Motif  décoratif  aux  extrémités  du  prisme. 


Fig.  48.  —  Mqâbrîyya  de  Chams  ed-Pohâ.Décoration  du  socle. 


mosaïque  de  la  mosquée  ancienne,  sert  à  exhausser  les   écoinçons 
(fig.  32).  De  chaque  côté  de  la  tresse  sont  deux  palmes  doubles  symé- 


LES  MQABRIYYA  âôl 

triques;  et  les  hampes  initiales  et  finales,  traversant  les  arcs,  meu- 
blent, en  se  croisant  entre  deux  petites  palmes  doubles,  l'espace  com- 
pris entre  ceux-ci  (i). 

L'écriture,  dans  le  champ  épigraphique,  se  détache  sur  de  larges 
iin-ceaux.  A  l'extrémité,  le  fronton  (fig.  ^5)  porte  en  son  centre  un 
triangle  où  se  détachent  deux  palmes  doubles  adossées.  Leurs  feuilles 
supérieures  se  croisent;  leurs  tiges  s'entrelacent  en  cœur  et  chacune 
se  termine  par  une  autre  petite  palme  double  qui  meuble  un  des  an- 
gles inférieurs.  Tout  autour,  un  large  cadre  décoré  d'un  élégant 
entrelacs  à  deux  branches;  et  le  imôme  entrelacs  se  poursuit  tout  le 
long  du  faîte. 

La  décoration  de  la  stèle  de  Cliams  ecj-Dohà  est  très  voisine.  Le 
dessin  du  socle  (fig.  48)  est  le  mêime,  à  cette  différence  près  que  les 
deux  hampes  centrales,  au  lieu  d'une  grosse  tresse,  en  forment  une 
très  simple  en  croix  (2),  entre  quatre  petites  palmes  doubles.  Aux 
extrémités  du  prisme,  le  fronton,  plus  petit,  ne  permettait  pas 
un  large  encadreanent.  Le  motif  remplit  donc  tout  l'espace  (fig.  47). 
C'est  une  admirable  petite  composition  :  deux  larges  palmes  dou- 
bles adossées,  croisées  au  sommet,  barrées  à  la  base,  se  détachent  sur 
les  rinceaux  de  leurs  longues  tiges,  d'oii  partent,  symétriquement,  de 
petites  feuilles.  Entre  les  palmes,  un  petit  dessin  en  forme  de  cœur 
marque  le  croisement  des  rinceaux;  et  aux  angles  inférieurs,  les  deux 
palmes  doubles,  qui  se  retrouvent  disposées  autrement  dans  le  motif 
correspondant,  plus  simple,  de  l'autre  stèle,  débordent  ici  le  trian- 
gle où  s'inscrit  la  composition,  corrigeant  ce  qu'elle  pourrait  avoir 
de  trop  géométriquement  rigide.  Pas  d'entrelacs  sur  le  faîte,  mais 
une  simple  arête;  et  pas  de  rinceaux  sur  le  champ  épigraphique, 
dont  le  fond  est  nu. 

Sur  la  stèle  attribuée  à  Aboû  la'qoûb,  le  dessin  du  soclle,  comme 
récriture  même,  apparaît  beaucoup  moins  soignée  (fig.  lig).  Elle  date 
probablement,    on  Ta  vu,   de  l'époque  où   Aboû   '1-Hasan   construisit 

(i)  Motif  assez  fréquent,  et  qui  comporte  de  légères  différences  de  détail.  On  en  trou- 
vera un  bel  exemple  dans  Bel,  op.  cit.,  fig.  94. 

(2)  Si  Mohammed  Ibn  'Ali  ed-Dokkâli  conclut  de  cette  disposition  que»  cette  stèle  fut 
décorée  par  un  artiste  chrétien.  L'argument  est  curieux;  mais,  à  vrai  dire,  il  ne  nous  paraît 
pas  décisif. 

HESPKRIS.    —   T.    II.   —    1922.  20 


i98 


CHELLA 


la  grande  salle  funémire  où  furent  déposés  les  princes  qui  l'avaient 
précédé;  elle  est  donc  un  peu  plus  ancienne  que  les  deux  autres; 
mais  les  stèles  alors  durent  être  faites  en  série,  et  le  travail  fut  né- 
gligé. Les  arcatures  sont  lourdes;  la  volute  du  sommet,  démesurée, 
écrase  le  deS'Sin,  défaut  que  l'on  pouvait  déjà  constater  à  la  frise  de 
la  grande  porte,  sur  la  face  intérieuire  (cf.  fig.  17).  Le  motif  dérivé 
du  koùlique  qui  meuble  les  arcatures  est,  dans  l'ensemble,  le  mémo 
que  sur  les  deux  autres  stèles;  mais  il  est  traité  très  maladroile- 
nicnt  :  contrairemenl  à  loule  tradition  et  à  toute  logique  décorative, 
ses  lignes  sont  coupées  net  par  l'arc;  et  celles  qui  meublent  l'inter- 
valle des  arcatures  sont  du  pur  remplissage,  sans  lien  avec  le  reste 
de  la  décoration.  Les  tresses  centrales,  lourdes,  ne  sont  pas  du  tout 
i"égulières;  même  il   leur  arrive  à   i)lusieurs   reprises,    sans  symétrie 

apparente  dans  le  l'ragnienl  qui 
nous  r(^slc,  d'être  remplacées 
par  (les  tresses  en  croix,  qui 
rap|)ell('nt  c(>lles  du  tombeau 
(le  Cliains  ed-Dolià.  Les  fleu- 
rons sont  massifs,  et  aussi  les 
palmes  (pii  s'elï'orccnt  de  rem- 
plir tout  le  (  liauip  resté  libre. 
En  somme,  une  oeuvre  mé- 
diocre, décadente,  et  que,  n'é- 
tait l'inscription  ([u'elle  porte, 
l'on  pourrait  croire  de  mau- 
vaise époque,  fort  postérieure 
aux  deux  autres  (i). 


t'ig.  il).  —  Mqâbriyya  altribuée  à  Aboii  la'qoi'ib. 
Décoration  du  socle. 


Auprès  de  la  qoubba  d'Aboû  '1-Hasan  sont  quelques  fragments 
de  fûts  de  colonnes,  dont  l'un  est  particulièrement  intéressant.  Il 
représente  l'extréimité  supérieure  d'une  colonne  de  marbre  blanc, 
d'un  diamètre  de  o'",4o  environ;  une  bague  épigrapliique  en  fait  le 
tour,  à  l'endroit  où  le  chapiteau  venait  se  joindre  à  la  colonne.  Cette 

(i)  Outre  ces  stèles,  il  en  reste  quelques  autres,  anépigraphes  et  sans  décoration.  Nous 
avons  mentionné  celle  qui  se  trouve  dans  la  salle  funéraire.  Il  en  est  une  autre  dans  lit 
sahn  de  la  mosquée  d'Aboû  '1-Hasan;  et  l'on  voit  les  débris  de  deux  autres  encore  à  côté 
de  la  stèle  de  ce  souverain  (v.  pi.  II). 


LES  CHAPELLES  FUNÉRAIRES 


299 


Fig.  50.  —  Développement  d'une  bague  de  colonne. 


300  CttËLtA 

bague,  liante  au  total  de  o'",o6,  comprend  une  inscription  en  écri- 
ture courante,  qui  se  répartit  en  quatre  cartouches,  séparés  par 
une  rosace  (fig.  5o).  Sauf  en  un  cartouche  où  des  palmes  doubles 
et  leurs  tiges  formant  rinceaux  contribuent  à  meubler  Je  champ, 
les  lettres  se  détachent  sur  fond  nu. 

Mon  Dieu!  fais  hii  miséricoiLlt*  [h  vWo)  |)()iii-  la  t>l<)iro  de  Mol.ianinied  ! 

Mon  Dieu,  pardoiuie  el  sois  miséricordieux! 

3  J^  l\  J  ^^  j^[^<^ 

Tu  dépasses  toute  ehose,   car  tu  sais  tout! 

4  M"^       ^\    I yri^l 

[O  généreux...],  élevé,  magnilicpie! 

La  teneur  de  ces  foriiuiles  pieuses  montre  que  la  colonne  provient 
d'une  chapelle  funéraire  :  vraisemblablement  celle  de  Chams  ed- 
Dolià,  puisque  le  personnage  sur  lequel  on  appelle  la  miséricorde 
divine  est  une  femme. 

D'autres  colonnes  on  débris  de  colonne  parsèment  ces  ruines  : 
elles  sont  de  diamètres  divers,  imposant  ou  étroit,  de  marbre  ou  de 
pierre,  et  quelques-unes  sont  peut-être  des  colonnes  antiques  :  mais 
aucune  autre  ne  porte  d'inscription  ni  d'ornement. 


L'Écriture 
I.  —  L'écriture  koûfique. 

Nous  avons  déjà  rencontré  à  Chella,  notamment  sur  la  frise  de 
la  grande  porte  et  sur  celle  du  tombeau  d'Aboû  'l-FIasan,  de  courtes 
eulogies  en  caractères  koûfiques,  et  de  valeur  avant  tout  décorative. 
Mais  ces  monuments  présentent  en  outre  deux  longues  inscriptions 


L'ÉCRITURE  KOUFIQUE  301 

koûfîques  :  autour  de  l'arc  et  des  écoinçons  de  la  grande  porte,  l'ins- 
cription  dédicatoire;  encadrant  le  panneau  central  de  la  qoubba,  une 
inscription  coranique.  Ce  sont  deux  très  beaux  exemples  de  koûfî- 
que  mérinide.  L'écriture,  dans  l'ensemble,  est  très  comparable  à  celle 
des  inscriptions  koûfiques  contemporaines  de  Fès  ou  de  Tlemcen; 
son  alphabet  est  sensiblement  le  même;  mais  elle  se  distingue  ici  par 
un  ensemble  de  qualités  qui  ne  se  retrouvent  pas  toujours  dans  le 
koûfique  de  la  même  époque.  Dans  la  première  inscription  surtout- 
les  lettres  sont  vigoureuses,  nettement  tranchées  —  voire  un  peu 
massives;  —  sans  doute  les  hampes  et  les  terminaisons,  développées 
souvent  à  l'excès,  sont  ornées  au  départ  et  à  l'arrivée  suivant  des 
procédés  semblables,  mais  sans  la  mièvrerie  qu'on  retrouve  si  fré 
quemment  dans  le  koûfique  contemporain,  surtout  sur  plâtre.  Il  est 
vrai  que  l'on  est  ici  en  présence  d'une  épigraphie  sur  pierre,  et 
cela  a  son  importance  :  nous  avons  déjfi  eu  roocasion  de  const-ater 
combien  la  décoration  dégénère  rapidement  dans  une  matière  trop 
malléable. 

Dans  l'inscription  dédicatoire  de  la  porte  —  la  fig.  5i  en  repro- 
duit le  troisième  tiers,  le  plus  nettement  conservé,  et  qui  contient 
la  date,  fin  de  789  hég.  —  les  caractères  se  détachent  sur  un  fond 
nu.  Le  champ  épîgraphique  apparaît  cependant  suffisamment  meu- 
blé. Comment  un  tel  effet  peut-il  être  obtenu?  Dans  la  partie  supé- 
rieure —  la  moitié  à  peu  près  du  champ  épigraphique,  la  ligne  d'écri- 
ture et  la  zone  inférieure  en  occupant  chacune  un  quart,  —  presque 
uniquement  par  le  jeu  des  hampes  et  des  terminaisons  de  lettres  : 
alîf,  t(i  (i),  kâf,  lâm,  d'une  part  ;  noûn  seul,  d'autre  part.  De  ces 
hampes  et  de  ces  terminaisons,  l'artiste  tire  un  riche  parti;  elles  mon- 
tent d'un  trait,  sans  tresse  médiane,  jusqu'au  sommet  du  champ,  s'y 
brisent  en  formant  soit  une  tresse  volumineuse,  soit  plus  souvent  une 
tresse  très  simple,  en  carré,  et  qui  peut  même  devenir  un  simple 
carré  renfermant  une  amande.  Ainsi  brisée,  la  hampe  poursuit  sa 
course  le  long  de  la  ligne  supérieure,   ornée   parfois   de   profondes 


(i)  Il  se  trouve  que  la  partie  représentée  de  l'inscription  de  la  porte  ne  contient  pas  de 
lettre  de  cette  catégorie.  Mais  on  trouvera  un  ta'  conçu  suivant  une  formule  analogue  sur 
la  figure  suivante  (fig.  52,  inscription  de  la  qoubba  d'Aboû  'I-Hasan). 


302  GHELLA 

encoches  obliques,  svanélriqiies  ou  non  (lig.  5i,  b  cl  c)  (i),  ou  de 
tresses  en  <-(i.Mir  [Wg.  5i,  a  et  /»).  Klle  .s'avance  à  la  rencontre  d'une 
autre  hampe,  qu'elle  rejoint,  ou,  après  une  nouvelle  tresse  d'angle, 
retombe  vers  la  li«,nie  d'écrilme.  Le  but  de  ce  développement  des 
hampes  et  de  ces  reUMubées  est  non  senlenuMd  de  meubler  la  partie 
supérieure  du  champ  épigraphique,  mais  encore  de  découper  en  quel- 
que sorte  le  bandeau  en  une  série  de  rectangles  décoratifs  :  la  nais- 
sance ordinaire  de  Valif  au-dessous  de  la  ligne  d'écriture,  qu'il  coupe, 
accentue  encore  cet  effet.  A  l'inlérieur  de  ces  cadres  issus  des  hampes 
se  développent  les  pointes  des  ha  ,  des  //a  ,  des  m',  des  hâ'  et  des  lel- 
Ires  de  môme  forme,  el  eilles  surlout  drs  dàl.  (^)uant  à  Ja  zone  infé- 
rieure, étroite  —  un  quart  à  peine  de  l'ensemble  —  les  hampes  des- 
cendantes, les  terminaisons,  peu  développées,  des  sîn,  des  'aïn,  des 
fa  finaux,  des  râ\  des  wâw,  des  iâ'  suffisent,  avec  quelques  arcs  de 
liaison,  à  la  aneubler. 

Développement  exagéré  des  lignes,  parfois,  mais  pas  ou  presque 
pas  d'ornements  adventices.  On  peut  noter,  dans  cet  ordre  d'idées, 
les  ocellures  qui  se  rencontrent  deux  fois  vers  la  fin  du  bandeau 
(fig.  5i,  c).  Elles  font  songer  aux  tresses  médianes  en  croix  que  l'on 
trouve  si  souvent  à  cette  place  dans  les  motifs  décoratifs  dérivés  de 
l'écriture  koùfique  (2).  Un  autre  délail  encore  rappelle  ces  motifs 
décoratifs  :  c'est  la  recherche  de  la  symétrie.  Nous  l'avons  notée  déjà 
dans  l'enoadrement;  elle  apparaît  parfois  sur  la  ligne  d'écriture  elle- 
même  :  que  l'on  considère  seulement  le  groupe  dâl-iâ\  fig.  5i,  b,  ':i 
gauche,  ou  ta-ia,  fig.  5i,  c,  au  centre.  Par  contre,  les  lettres  se  rap- 
prochent parfois  très  nettement  de  la  cursive  :  ainsi  le  hâ\  que  l'ou 
voit  fig.  5i,  b,  à  droite. 

L'attaque  des  hampes  et  des  lettres,  et  leur  extrémité,  sont  parfois 
massives,  lignes  brusquement  coupées,  à  section  droite  :  mais  c'est 
assez  rare.  Le  biseau  apparaît  plus  souvent,  principalement  à  la  base 


fï)  A  rapprocher  des  encoches  obliques  latérales  qu'on  rencontre  souvent  dans  les  mo- 
tifs décoratifs  dérivés  de  l'écriture  koùfique  :  cf.,  par  exemple,  à  Chella,  fig.  12  (grande 
porte  :  motifs  koùfiques  au-dessous  de  rencorbellemcnt  des  tours);  fig.  4^  (décoration  de  la 
stèle  d'Aboû    1-Hasan  ;   fig.  48   (décoration  de  la  stèle  de  Chams  ed-Dolin). 

(•2)  V.  notamment  fig.  48,  décoration  de  la  stèle  de  Chams  ed-Doliâ.  Même  motif,  à 
plusieurs  reprises,  sur  celle  d'Aboù  la'qoùb. 


L'ÉCRITURE  KOUFÎQUE  303 

des  alîf,  où  il  est  de  règle.  L'extrémité  des  sîn,  des  /d'  et  des  wâw 
est  presque  toujours  une  ligne  sinueuse,  fort  ténue,  que  termine  un 
petit  cercle  à  hauteur  du  corps  de  la  lettre.  Mais  dans  la  grande  ma- 
jorité des  cas,  l'attaque  des  hampes  et  des  lettres,  et  très  souvent  leur 
extrémité,  forment  un  demi-fleuron,  issu  évidemment  du  biseau, 
mais  fort  influencé  par  la  palime  double  :  «on  contour  orné  est 
exactement  celui  de  cette  palme  :  feuille  supérieure  engagée,  feuille 
inférieure  libre  et  très  recourbée.  Nous  avons  eu  trop  souvent  l'occa- 
sion de  constater  le  rôle  principal  de  cet  élément  décoratif, 
pour  nous  étonner  d'en  observer  ici  F  influence  aussi  marquée.  On 
retrouve  ce  demi-fleuron  jusque  dans  l'intérieur  d'une  lettre  :  dans 
un  '  aïn  médian,  à  la  fin  de  l'inscription  (fig.  5i,  c).  Mais  à  ces  atta- 
ques en  demi-fleuron,  caractère  commun  à  tout  le  koûfique  imérinide, 
on  peut  mesurer  la  simplicité  relative  de  l'écriture  dans  cette  ins- 
cription. Au  lieu  du  contour  en  palme  double  que  l'on  observe  ici, 
on  rencontre  généralement  un  demi-fleuron  beaucoup  plus  compli- 
qué. Il  l'est  déjà  d'avantage,  à  Cliella  même,  dans  l'inscription  koû- 
fique du  tombeau  d'Aboû  '1-Hasan. 

La  forme  de  quelques  lettres  mérite  une  observation  particulière. 

Notons  d'abord  la  rareté  du  lâm-alîf  enlacé.  On  n'en  trouve  qu'un 
seul  exemple  dans  le  tiers  de  l'inscription  représenté  ici  (fig.  5i,  c,  au 
centre)  :  encore  convient-il  d'en  remarquer  la  gaucherie  :  des  lignes 
adventices  dessinent  un  inutile  et  fâcheux  triangle.  Les  hampes 
droites  et  parallèles  de  Valîf  et  du  lâni,  lettres  qui  se  suivent  si 
souvent,  sont  chaque  fois  utilisées  pour  former  les  côtés  —  et  les 
points  de  départ  —  des  rectangles  successifs  entre  lesquels  se  partage 
1  mscription. 

Le  kâf  devait  se  prêter  particulièrement  à  une  décoration  dont  ral- 
longement des  lignes  était  l'élément  principal.  On  trouvera  un  bel 
exemple  du  parti  qu'en  pouvait  tirer  l'artiste,  sur  la  fig.  5i,  b,  (un 
peu  à  droite  du  centre). 

Le  'aïn  initial  ou  médian  prend  parfois  des  formes  fort  compli- 
quées. Il  est  tout  à  fait  remarquable  à  l'initiale  de  -^t  (fig.  5i,  a, 
partie  gauche)  :  il  s'y  développe  exactement  comme  un  lâm,  et  sa 
hampe  va  rejoindre,   à  la  ligne  supérieure,  celle  d'un  alîf  symétri- 


304  CHELLA 

que.  C'est  d'ailleurs  une  fortme  exceptionnelle,  née  des  besoins  de  la 
décoration;  il  est  d'ordinaire  plus  simple  (v.  par  exomplc  fîg.  5i, 
c,  à  droite).  Mais  il  peut  lui  arriver,  inôme  médian,  de  prolong^or  so> 
lignes  dans  l'encadrement  graphique  :  ainsi,  dans  la  date  (lig.  51, 
c,  partie  droite)  le  'aïn  <le  L_x.-J>,  (jui  l'ail  jxMulaut  au  lâin-âlij  du 
mot  suivant  auquel  il  se  raccorde  par  le  haut.  Une  forme  particu- 
lière de  cette  lettre  se  retrouve  quelques  mots  j)lus  loin,  tout  à  fait  h 
la  fin  de  l'inscription  :  un  'ain,  par  ailleurs  remarquablement  cursif, 
agrémenté,  comme  nous  l'avons  déjà  noté,  d'un  demi-fleuron.  A  la 
linale,  au  contraire,  celle  lettre  apparaît  fort  simple,  pourvue  d'une 
terminaison  'minuscule  (fig.  5i,  b,  au  centre). 

Le  noûn  est,  nous  l'avons  vu,  la  seule  lettre  dont  la  terminaison, 
à  la  finale,  s'élève  dans  la  partie  supérieure  de  l'inscription.  En- 
core s'y  comporte-t-elle  parfois  de  façon  assez  particulière.  Ainsi, 
contrairement  aux  hampes  qui  s'élèvent  d'un  jet,  la  voit-on  monter 
en  escalier  (fig.  5i,  c);  ou  bien  encore  introduit-elle  à  deux  repri- 
ses dans  le  bandeau  représente  —  une  courte  ligne  courbe  dans  le 
haut  de  l'inscription,  rompant  exceptionnellement  la  rigidité  du  ca- 
dre graphique  (fig.  5i,  a,  partie  gaiiclie,  et  b,  au  centre).  Il  arrive 
môme  à  plusieurs  reprises  que  la  partie  montante  soit  non  pas  la  ler- 
uiinaison  mais  le  début  de  la  lettre  (i). 

Une  dernière  remarque  :  l'artiste  ayant  mal  calcidé  la  longueur 
de  son  texte,  s'est  trouvé,  en  fin  d'inscription,  dans  l'impossibilité 
de  faire  entrer  dans  la  ligne  d'écriture  les  deux  dernières  lettres.  11 
ne  s'en  est  pas  autrement  embarrassé,  et  s'est  contenté  de  les  graver 
dans  la  partie  supérieure  du  champ  épigraphique,  au-dessus  du  der- 
nier mot.  Le  bandeau  représenté  de  l'autre  grande  inscription  koû- 
fique  de  Chella,  pourtant  plus  soignée  en  apparence,  nous  en  offre 
un  exemple  beaucoup  plus  choquant  (2). 


(i)  On  en  verra  un  exemple  dans  la  partie  représentée  de  la  seconde  inscription,  fig.  52, 
au  centre. 

(  «)  Même  particularité  au  bandeau  vertical  de  droite  de  cette  porte.  Cela  se  retrouve 
d'ailleurs  aux  meilleures  époques  :  ainsi  à  la  porte  de  la  qasba  des  Oûdàïa  à  Rabat,  à  Bàb 
Agnàoù  Marrakech  etc.  —  Au  reste,  il  n'est  pas  impossible  que,  de  part  et  d'autre,  les  lapi- 
cides  aient  voulu  imiter  certains  copistes  qui,  à  la  fin  et  au-dessus  de  chaque  ligne,  ajoutent 
un  mot  du  texte  qu'ils  transcrivent  avant  de  passer  à  la  ligne  suivante, 


.4. 


jj  loJ^;-^->^ 


]Ân 


^Q 


l'm.  SI.  —  Insciipllon  dédicaloire  de  In  grande  porle  (dernier  liera). 


L'ÉCRITURE  KOUFIQUE  305 


Cette  seconde  grande  inscription  koûfîque,  celle  qui  se  déroule 
sur  la  face  extérieure  de  la  chapelle  funéraire  d'Aboû  '1-I.lasan,  —  et 
dont  la  fîg.  02  représente  le  premier  tiers,  le  bandeau  vertical  droit 
—  est  vraisemblablement  postérieure,  mais  de  très  peu,  à  la  pre- 
mière :  nous  pouvons  supposer  en  effet  que  la  construction  de  ce  tom- 
beau est  l'un  des  remaniements  qu'Aboû  'l-Hasan  apporta  au  sanc- 
tuaire après  sa  grande  restauration.  L'écriture  est  analogue,  l'alpha- 
bet sensiblement  pareil;  même  emploi  des  hampes  pour  séparer  le 
bandeau  en  rectangles  successifs;  .mêmes  tresses  en  carré  ou  en  cœur 
dans  la  ligne  supérieure  —  elles  sont  seulement  plus  rondes  —  et 
mêmes  encoches,  mais  droites  au  lieu  d'être  obliques. 

Pourtant  l'aspect  des  deux  inscriptions  n'est  pas  identique.  Ou- 
tre ces  menues  différences  dans  la  ligne  supérieure,  d'autres,  plus 
importantes,  se  révèlent  aisément  à  l'examen.  La  ligne  d'écriture 
est  mieux  marquée  :  on  dirait  que  l'artiste  a  tenu  à  l'indiquer  net- 
tement. Contrairement  à  ce  qu'on  observe  dans  l'autre  inscription,  on 
voit  le  plus  souvent  les  hampes  des  lettres  montantes  prendre  nais- 
sance sur  la  ligne  d'écriture,  et  non  au  bas  du  champ  :  mêtoie  il 
arrive  que  Valif  suive  quelques  instants  cette  ligne,  puis  se 
brise  à  angle  droit  pour  s'élancer  vers  le  haut.  Il  reste,  pour  meubler 
la  zone  inférieure,  les  arcs  de  jonction  et  les  terminaisons  des  let- 
tres qui  descendent  normalement  au-dessous  de  la  ligne  d'écriture. 
Gomme  dans  l'autre  inscription,  ces  terminaisons  sont  sobres,  à  l'ex- 
ception de  ceilile  du  noûn. 

L'attaque  des  hampes  diffère  aussi.  Plus  rarement  encore  elle  est 
à  section  droite  et  massive;  mais  le  biseau  est  plus  fréquent  :  on  «e 
trouve  parfois  aux  trois  branches  du  sîn,  à  l'attaque  du  m'.  On  re- 
marquera aussi  la  terminaison  inférieure,  en  quart  de  cercle,  d'un 
alîf  (éiiLj).  Mais  les  attaques  les  plus  nombreuses,  en  demi-fleuron, 
ne  présentent  plus,  sauf  exceptions,  le  contour  de  la  palme  double; 
le  motif,  tout  en  apparaissant  relativeiment  simple  pour  l'époque, 
est  plus  compliqué  et  plus  allongé  :  la  branche  inférieure  de 
la  palme  ^st  soudée  à  la  hampe,  fonmant  un  anneau  souligné 
lui-même    d'une    petite    digitation;    et    la    branche    supérieure  se 


306  CHELLA 

scinde  soiivonl  en  un  double  lobe.  On  cherche  parfois  à  obtenir 
un  effet  d'opposition  en  adossant  on  sens  inverse  deux  demi-lleurons; 
on  en  trouvera  plusieurs  exemples  dans  le  bandeau  reproduit.  Deux 
sont  particulièreiuent  frap|)anls  (li^-.  5*2,  partie  pauebc),  parce  (pfils 
se  trouvent  dans  la  partie  médiane  du  champ  épigrapbique,  ou  un  peu 
au-dessus. 

Mais  ce  qui  différencie  surtout  les  deux  inscriptions,  c'est  que  la 
seconde,  au  lieu  de  se  détacher  sur  fond  nu,  s'enlève  sur  fond  de  rin- 
ceaux. Ces  rinceaux  sont  fornu'^s  par  de  lonp^ues  tiges  ténues  enixDu- 
lées  sur  elles-mêmes,  assez  irrégulièrement  reliées  entre  elles,  portant 
à  chaque  extrémité  ime  palme  :  soit  double;  soit  simple  et  reposant 
sur  une  base  à  deux  lobes.  Ces  palmes  sont  des  dimensions  les  plus 
diverses,  selon  l'espace  h  meubler.  En  outre,  le  tiges  passent  au  tra- 
vers de  petites  feuilles  en  aimande,  parfois  disposées  symétriquement; 
ou  bien  encore  d'autres  feuilles  s'en  détachent,  minces  et  enroulées. 

Dans  toutes  ces  légères  différences  de  forme  et  de  position  des  ca- 
ractères, dans  la  présence  des  éléments  floraux  indépendants  de  l'é- 
criture, on  sent  une  recherche  d'élégance  plus  marquée,  sinon  tou- 
jours plus  heureuse,  que  dans  l'autre  inscription.  Après  l'étude  que 
nous  avons  faite  du  tombeau  d'Ahoù  l-ïlasan,  nous  ne  saurions  nous 
en  étonner.  Nous  avons  parlé  déjà  pourtant  d'une  négligence  de  fac- 
ture, qui,  pour  être  fréquente,  n'en  est  pa.^  moins  grave  :  l'erreur 
de  calcul  par  suite  de  laquelle  l'artiste  doit  se  résoudre  à  terminer 
son  inscription  en  caractères  minuscules.  D'autre  part,  les  trois  ban- 
deaux ne  sont  pas  de  mêmes  dimensions  ;  le  bandeau  supérieur  est 
sensiblement  moins  haut  —  partant,  moins  orné.  La  diminution 
porte  presque  tout  entière  sur  la  zone  supérieure  du  champ  épigra- 
pbique, celle  que  d'ordinaire  rornementation  s'efforce  de  meubler; 
la  ligne  d'écriture  touche  les  tresses  de  la  ligne  supérieure  (v.  pi.  XIID. 
Mais  ici,  il  ne  s'agit  pas  d'une  négligence  ;  cette  étroitesse  du  bandeau 
supérieur  avait  pour  but  d'alléger  le  cadre,  et  l'écriture,  en  écrasant 
ses  hampes,  a  dû  se  plier  aux  nécessités  de  l'ensemble. 

2.  —  L'écriture  andalouse.  —  L'écriture  cursive. 
A  côté  des  caractères  koûfîques,  des  types  d'écriture  plus  ou  moins 


L'ÉCRITURE  ÂNDALOUSE  307 

rapprochés  de  la  oursive  courante  se  rencontrent  à  Chella.  Il  faut 
d'abord  remarquer  qu'ils  sont  suffisamment  différents  du  type  orien- 
tal dit  naskhî  —  de  même,  d'ailleurs  que  Les  graphies  des  copis- 
tes marocains  —  pour  qu'on  puisse  leur  attribuer  ce  nom.  Ils  procè- 
dent plutôt  du  khatt  andalosî  de  la  belle  époque  espagnole,  écritu- 
re qui,  si  l'on  en  croit  les  traités  maghribins  sur  la  matière,  repré- 
sente aux  yeux  des  lettrés  du  pays  la  perfection  calligraphique  en 
Occident  musulman;  elle  est  même  parfois  préférée  au  koûfique,  par 
ce  que,  malgré  l'absence  de  points  diacritiques  ou  les  surcharges 
d'éléments  décoratifs,  elle  demeure  plus  facilement  lisible  que  l'écri- 
ture archaïque  qui  florissait  aux  premiers  siècles  de  l'hégire.  A  vrai 
dire,  c'est  en  koûfique  que  fut  tracé  le  bandeau  de  la  porte  monumen- 
tale de  Chella,  la  plus  ancienne  des  deux  inscriptions  d'inaugura- 
tion de  la  nécropole;  mais  on  l'a  vu,  l'écriture  en  est  sobre  et  nette- 
ment découpée;  peut-être  était-ce  afin  qu'au  moment  oii  elle  fut  gra- 
vée sur  la  pierre  et  avant  d'être  (maltraitée  par  le  temps,  elle  pût  être 
déchiffrée  sans  peine  par  les  pèlerins  quelque  peu  lettrés.  Mais  l'au- 
tre inscription  koûfique  de  Chella  est  infiniment  plus  chargée.  Le 
lapicide  n'eut  plus  le  souci  de  tracer  un  texte  lisible  pour  des  yeux 
non  exercés;  l'essentiel  fut  d'obtenir  le  plus  d'effet  décoratif  pos- 
sible, tout  en  inscrivant  sur  le  ^monument  la  série  de  versets  coi^ani- 
ques  destinés  à  écarter  du  sultan  et  de  son  o'uvro  les  maléfices  de  Satan. 

Le  seul  texte  en  écriture  monumentale  «  andalouse  »  qui  soit  con- 
servé à  Chella  - —  si  l'on  excepte  les  médaillons  sur  les  tours  de  la 
grande  porte  —  est  précisément  celui  qui  court  au-dessus  de  ce  der- 
nier bandeau  koûfique;  mais  il  constitue  peut-être,  à  l'heure  actuelle, 
le  plus  beau  spécimen  de  cette  écriture  au  Maroc  (i). 

Le  champ  épigraphique  n'est  pas  seulement  occupé  par  le  texte 
de  l'inscription  :  toute  une  série  d'éléments  floraux  dont  les  tiges 
s'élèvent  en  rinceaux  servent,  en  quelque  sorte,  de  fond  au  bandeau  ; 
de  même  façon,  d'ailleurs,  que  dans  le  bandeau  koûfique  du  des- 
sous.  Nulle   place  n'est  réservée  aux   points   diacritiques,    non   plus 


(i)  La  fîg.  53  reproduit  le  début  de  ccttei  inscription,  à  l'exoeiption  d'e  la  formule 
nitiale  «ajj  tULOl,  et  du  verbe  .<\.  Les  lettres  qui  composent  ces  mots  sont  en  effet 
très    dégradées. 


308  CHELLA 

qu'à  la  vocalisation.  Les  hampes  des  lettres  verticales,  assez  minces 
à  leur  point  de  départ,  vont  en  s'am pli  fiant  vers  leur  sommet,  ce 
qui  leur  donne  une  vii^neur  caraclvristique.  Ce  trait  se  retrouve 
en  effet  presque  toujours  dans  l'éjiigraphic  non  koûfique  de  cette 
époque  :  cl  l'on  a  eu  tort  do  n'en  pas  tenir  assez  compte  dans  les 
récentes  restaurations  des  belles  medersa  uiérinidos.  On  remarquera 
<iur  la  Vig.  53  la  façon  dont  sont  traités  les  groupes  Jl  ;  la  partie  in- 
férieure de  Valîf,  en  s'infléchissant.  vient  rejoindre  le  lâm,  à  l'en- 
droit où  cette  lettre  commence  à  s'incurver.  Les  noûn  se  différen- 
•>ient  à  peine  des  râ\  en  fin  de  mots  ou  de  groupes  de  lettres. 

Toutes  ces  particularités  se  retrouvent  au  snrplus  dans  la  graphie 
des  mqàbrîyya  à  épitaphes  de  Chclla,  toutes  couvertes  de  caractères 
cursifs  apparentés  de  très  près  ou  type  andalou.  Celle  dont  l'ins- 
cription est  le  plus  remarquable  est  celle  du  fondateur  de  la  nécro- 
pole, Aboù  M-IIasan.  Les  lettres,  qui  ont  une  tendance  très  marquée 
à  l'incurvation,  s'y  détachent  avec  la  plus  grande  netteté.  Comme 
sur  le  bandeau  andalou,  les  lettres  alîf  et  lâm  de  l'article  se  présen- 
tent toujours  liées  :  ^  au  lieu  de  ^'  ,  sauf  quand  la  dernière  lettre 
du  mot  précédent  est  munie  d'un  appendice  qui  s'avance  suffisam- 
ment pour  enfermer  Valîf.  Les  doux  mémos  lettres,  ainsi  que  la  partie 
supérieure  du  /'/'  (-'"l'h  ont  dos  hampes  qni  montord  ou  épaississant. 
Le  groupe  ^  est  traité  en  forme  d'éventail.  Aux  lignes  inférieures, 
les  lettres  à  appendice  sublinéaire  ont  moins  d'ampleur  qu'aux  lignes 
supérieures.  Mais,  de  part  et  d'autre,  le  lapicide  évite  l'appendice  à 
angle  droit.  Il  l'infléchit  sous  la  ligne  et  parvient  à  des  effets  artis- 
tiques très  sûrs  en  traitant  très  largement  les  finales  des  mots.  C'est 
ainsi  que  sur  la  face  antérieure,  le  ^y  final  du  groupe  ^-i'^»^^  <-jj  est 
tracé  de  façon  à  enfermer  dans  sa  boucle  le  mot  ^j1  suivant. 
Par  contre,  les  lettres  ou  groupes  isolés  qui  pourraient,  à  cause  de 
leur  forme,  exiger  une  place  trop  grande  {^,  ^?),  sont  délibérément 
rapetisses. 

L'épitaphc  do  Chams  ecl-Çohà  donne  lieu  à  des  remarques  sensi- 
blement identiques.  Là  aussi,  le  lapicide  —  ou  le  dessinateur,  si  les 
lettres,  comme  c'est  probable,  ont  été  tracées  à  main  levée  avant 
d'être  gravées  —  se  révèle  fort  habile  et  versé  dans  l'art  de  la  calli- 
graphie, avec  peut-être  moins    de    sûreté  dans  le  dessin,  et  moins 


0 


IL 


1  koùti 


u  andfi 


e-' 


jve^Ji     .^^\      ^^.       ^\ 


QL^jjiJl        (jo 


JL 


%?-' 


JHainauT    I77Z. 


FiG.  S2.  —  Qoubba  d'Aboù  'l-Hasan.  Bandeau  koûfiq 


L'ÉCRITURE  CURSIVE  30Ô 

d'élégance  dans  la  forme  donnée  à  certains  groupes,  tels  que  le  ^. 
Quant  au  fragment  de  la  mqâbrîyya  attribuée  à  Aboû  la'qoûb,  il 
est  l'œuvre  d'un  lapicide  ou  d'un  calligraphe  médiocre  :  l'écriture 
donne  la  omême  impression  que  le  décor.  Tous  les  mots  ou  groupes 
de  lettres  occupent  un  espace  bien  plus  long  qu'il  n'était  nécessaire  : 
on  est  frappé  dès  l'abord  de  la  gaucherie  du  tracé,  du  peu  de  \  i- 
giieur  de  la  ligne.  On  peut  croire  que  rartisan  a  dû,  sur  un  champ 
de  la  longueur  ordinaire  des  prismes  funéraires,  avoir  à  grave ?•  un 
texte  relativement  court.  Il  eût  peut-être  obtenu  un  meilleur  effet 
en  resserrant  son  texte  sur  une  seule  ligne  par  face,  au  lieu  de  le  dis- 
tendre sur  un  espace  trop  grand. 

Les  groupes  d'écriture  cursive  —  eiilogies  ou  versets  coraniques 
—  qui  sont  conservés  dans  la  salle  funéraire  contiguë  à  la  mosquée 
ancienne,  et  à  l'intérieur  de  la  chapelle  qui  contient  les  restes  d'Aboû 
'I-IIasan  apparaissent  aussi  de  bonne  époque.  Ceux  qui  sont  gravés 
sur  la  pierre  ne  le  cèdent  en  rien  à  ceux  qui  ont  été  inscrits,  plus 
facilement,  dans  du  plâtre  frais. 

La  vocalisation,  si  variée,  n'a  guère  été  employée  à  Chella  que 
dans  répitaphe  de  Chams  ed-Dohà;  encore,  doit-on  reconnaître 
qu'elle  n'y  joue  guère  le  rôle  d'une  décoration  et  que  le  champ  épi- 
graphique,  qu'elle  sert  à  remplir  pourtant,  conserve  des  vides  en 
de  nombreux  points.  Au  contraire,  tout  le  parti  possible  a  été  tiré 
par  le  lapicide  de  celui  de  la  stèle  d'Aboû  '1-l.lasan  :  pas  le  moindre 
espace  qui,  à  défaut  de  lettres  ou  de  points  diacritiques,  n'ait  été 
semé  de  fleurons  trilobés,  de  rinceaux  minuscules  ou  de  palmettes 
graciles.  On  ne  peut  comparer  plus  exactement  ce  champ  épigraphi- 
que  qu'à  une  page  de  manuscrit  de  la  même  époque,  enluminée, 
qu'à  l'un  de  ces  titres  d'ouvrage  si  fouillés,  à  quoi  excellent  encore 
aujourd'hui  les  calligraphes  maghribins.  Et  l'on  est  même  en  droit 
de  se  demander  si  la  double  bande  écrite  du  tombeau  d'Aboû  '1-Ha- 
san  n'a  pas  été  traitée  à  l'origine  de  même  manière  qu'une  enlumi- 
nure marocaine;  si,  ici  comme  là,  la  polychromie  n'est  pas  venue 
rehausser  le  dessin.  Il  n'est  pas  impossible  que,  primitivement,  la 
partie  épigraphique  de  la  stèle  ait  été  peinte  en  trois  tons  —  or,  noir, 
rouge  —  chacune  des  couleurs  ayant  été  réservée  aux  lettres,  à  ia 
décoration  florale,  au  fond. 


310 


CHELLA 


La  chambre  d'ablutions. 

En  dehors  des  limites  <le  la  kluiluHi  el  non  loin  d'elle,   il  reste  en 
core   dans   l'enceinte   d'intéressants   vestiges   de    l'époque   inérinide. 


J  HAINAUT       171  I. 


Fig.  ."ii.  —  Plan  de  la  chambre  d'ablulions. 


A  quelques  pas  du  mur  actuel  du  sanctuaire,  au  sud-ouest,  à  l'ex- 
trémité de  l'esplanade  où  mène  le  chemin  qui  descend  de  la  grande 
porte,  se  trouve  la  source  renommée  de  Chella.  Elle  jaillit  à  l'inté- 
rieur d'un  édifice  construit  en  moellons,  enfoncé  en  terre  aujour- 
d'hui de  toute  sa  hauteur,  et  qui  mesure  environ  lo^jôo  sur  9"*,5o  : 
on  y  pénétrait  par  l'angle  ouest  (pi.  XVI  et  fig.  54).  L'eau  sort  par 


lio 


Chella,  Pl.  VXI 


u 


LA  CHAMBRE  D'ABLUTIONS  311 

un  étroit  conduit  au  bas  de  la  paroi  nord-ouest;  elle  s'écoule  de  là 
dans  une  sorte  de  bassin  quadrangulaire,  de  4°*,5o  sur  4™.  environ, 
qui  est  en  réalité  la  cour  c||p  l'édifice.  Sur  les  trois  autres  côtés  de 
cette  cour  sont  disposées  sept  petites  salles,  inégales  (i),  mais  symé- 
triques; elles  sont  couvertes  par  des  voûtes  en  briques  et  s'ouvrent 
chacune  sur  la  cour,  trois  sur  la  face  sud-est,  et  deux  sur  les  antres 
côtés.  L'eau,  qui  a  envahi  la  cour,  recouvre  aussi  le  sol  de  ces  petites 
salles.  Cette  eau  passe  pour  la  plus  pure  que  l'on  puisse  trouver  au- 
ftour  de  Rabat.  Les  âniers  viennent  remplir  à  la  conduite  leurs  tonne- 
lets ou  leurs  bidons,  et  les  lavandières,  les  pieds  dans  l'eau,  battent 
sans  trêve  des  toisons  ou  des  étoffes,  au  milieu  des  lortues  et  des  an- 
guilles sacrées  que  de  nombreuses  offrandes  ont  rendues  familières. 

Telle  n'était  pas,  évidemment,  la  destination  première  de  l'édifice. 
L'opinion  couraote  veut  qu'il  s'agisse  d'un  aménagement  romain  de 
la  source;  mais  cette  opinion  ne  repose  sur  aucun  fondement  solide. 
Il  n'y  a  rien  de  romain  dans  celte  construction;  par  contre,  elle  pré- 
sente le  plan  classique  des  chambres  d'ablutions  annexées  aux  mos- 
quées et  aux  medersa  :  une  cour  avec  un  bassin  central  rempli  d'eau 
courante,  et  des  latrines  tout  autour.  Il  eût  été  étonnant  que  le  sanc- 
tuaire de  Chella  n'eût  point  comporté  de  chambre  d'ablutions,  com- 
me il  était  naturel  que  cette  source  fût  captée  pour  servir  à  cet  usage 
'éminemment  pieux.  L'on  ne  saurait  objecter  que  cette  construction 
n'était  pas  directement  contiguë  à  la  mosquée  :  entre  la  chambre  d'a- 
blutions de  la  Boû  'Anânîyya  et  cette  medersa,  il  faut  traverser  une 
des  rues  les  plus  animées  de  Fès;  et  le  cas  n'est  pas  isolé  :  à  el-Qara- 
wîyîn,  il  en  est  de  même.  Ici,  la  distance  était  faible;  d'un  point  à 
rautre,  on  ne  risquait  guère  d'être  souillé.  Au  reste,  nous  l'avons  vu, 
une  porte  spéciale  permettait  d'entrer  directement  dans  l'oratoire. 
Tout  concorde  donc  à  nous  faire  considérer  l'édifice  dans  les  ruines 
duquel  coule  aujourd'hui  la  source,  comme  une  chambre  d'ablutions, 
complément  nécessaire  d'un  sanctuaire  qui  comportait  une  mosquée. 


(i)   Les  plus  grandes  n'atteignent   pas    i^.'x)  sur  i™,5o,   et  les    plus  petites  n'ont  pas 
tout  à  fait    i°',5o  sur    i™. 


312 


CHELLÀ 


Les  qoubba  mkrinides  en  deiious  du  sanctuaire 

Tout  autour  de  resplauade  et  de  la  source  s'élève  une  série  de  pe- 
tits sanctuaires  consacrés  aux  saints  de  C.liella;  les  uns  sont  dans  le 

bas;  les  aulrcs  s'élagvut 
sur-  la  pciilc.  Deux  de  ceux- 
ci.  les  deux  plus  élevés, 
sout  daneieunes  chapelles 
l'uuéraires  de  princes  mé- 
riiiides.  Daus  un  tel  mi- 
lieu, il  était  i'alal  qu'elles 
devinssent  des  lieux  deculte  : 
la  dévotion  populaire  en  a  fait 
la  sépulture  de  saiuts  person- 
nages légendaires.  Mais  elles 
eurent  des  destins  divers, 
l/inie  abrita  un  sayyîd  oublié 
—  si  on  Tatlribue  le  plus  sou- 
vent à  i^alla  Sanbàja,  l'opi- 
nion n'est  pas  unanime  sur  ce 
point  —  elle  est  tout  à  fait 
ruinée,  et  l'on  ne  se  gène  pas 
pour  y  déposer  toutes  sortes 
d'immondices;  l'autre  donna 
asile  à  la  fabuleuse  Lalla  Ragràga,  toujours  vénérée  :  celle  chapelle 
fut  soigneusement  entretenue,  et  même,  semble-t-il,  restaurée. 

Les  deux  qoid)ba  sont  alignées  sur  la  imcme  plate-forme.  Elles 
sont  de  dimensions  différentes  -mais  de  plan  analogue.  Elles  consis- 
tent essentiellement  en  une  coupole  reposant,  par  l'intermédiaire  de 
trompes,  sur  des  murs  strictement  limités  aux  angles,  entre  lesquels 
s'ouvrent  de  larges  baies. 

La  plus  petite  (fig.  56  et  67;  plan,  fig.  55)  —  la  qonbba  ruinée 
—  (mesure  3°, 75  de  côté.  Elle  est  assez  profondément  enterrée,  et  la 
coupole  n'existe  plus.  Les  angles  sont  construits  en  pierres  de  taille, 
assez  mal  jointes,  disposées  en  assises  alternées.  Les  arcs  des  baies, 
qu'un  mauvais  mur  de  pisc  a  bouchés  par  la  suite,  sont  outrepas- 


UeiU: 


0.50 


3mck€s 
=1 


Fig.  I'm.  —  Plan  de  la  pelilc  ([oiiltba. 


LES  QOIjBBA  FAÏÉRIEURES  AU  SANCTUAII\E 


313 


ses  et  brisés,  formés  de  claveaux  taillés  mais  joints  assez  grossière- 
ment; leur  ouverture,  sur  les  quatre  côtés,  varie  de  i'",90  à  i^,Qb. 
Inscrits  dans  un  rectangle  légèrement  en  retrait,  ils  sont  coupés  par 
la  bordure.  Les  écoinçons  semblent  avoir  été  en  pierres  appareillées. 
Une  corniche  faisait  le  tour  de  la  qoubba. 


Fig.  06.  —  l'eLile  qoubba  :  eulrée  actuelle. 


L'autre  mesure  5"*,  20  de  côté  (plan,  fig.  58).  Les  baies  sont  au- 
jourd'hui bouchées;  la  coupole  paraît  avoir  été  restaurée.  Les  angles, 
sous  la  couche  de  chaux  qui  recouvre  l'ensemble,  sont  en  appareil 
alterné,  et  renforcés.  Les  arcs  sont  moins  largement  coupés  par  la 
bordure;  ils  mesurent  2", 70  d'ouverture.  Une  corniche  faisait  éga- 
lement le  tour  de  l'édifice. 


HESPERIS.    —    T.    II 


1922 


21 


314 


GIIKLLA 


Ces  qoiihba  s(inl  viaisomblahlcMiuMil  im  peu  plus  ivcciiles  qii(»  les 
nioniiiuenls  t'hidirs  jiis(]iriei.  Si  par  Kmh  disposilidii  elles  s'aj)pa- 
renloiil.  (le  près  aii\  eliapi^lles  l'iméraires  d"  Mioù  l-llasaii  el  de  (îlianis 
C<l-I)()[ià,     tdios    ra|)pelleid    J  é^al(Miienl      les    <(     Toinheaiix     des     Méri- 


Fig.  .'i7.  —  IVIilc  (ioiil)l)a  :  vue  d'en  haut. 

nides  »  de  Fès,  où  fiiienl  ensevelis  les  deiîiiers  souverains  de  la 
dynastie.  Au  reste,  nous  pouvons  peuL-èlre  les  dater  assez  exacte- 
nienl.  iXous  avons  retrouvé  derrière  le  sancUiairc  de  Sidi  Lalisen 
el-Imâm,  construction  récente,  la  mqàbrîyya  brisée  d'un  prince  qui 
fut  enterré  en  776/137/1  (1);  or  ce  sanctuaire  est  juste  au  pied  de  la 
plus  petite  des  qoubba  :  il  n'y  aurait  rien  d'étonnant  à  ce  que  la  stèle 
eût  roulé  jusque-là. 

Y  ent-il  dans  l'enceinle  de  Chella,  à  la  même  époque,  d'autres  cha- 
pelles funéraires?  Nous  avons  relevé,  on  s'en  souvient  {:>.),  une  autre 


(i)  V.   Epigraphie  historique,  n°  7. 
(2)  Ibid.,   n°  8. 


LES  QOUBBA  EXTÉRIEURES  AU  S/VNCTUAiRE 


3i5 


stèle,  illisible  dans  sa  partie  intéressante,  à  gauche  du  chemin  qui 
descend  de  la  g-rande  porte.  Elle  se  trouve  sur  une  sorte  de  petite 
plate-forme.  Est-elle  en  place,  et  une  qoubba  la  recouvrait-elle.»^  Il 
ne  reste,  à  vrai  dire,  aucun  vestige  de  celle-ci. 


Fig.  lis.  —  Plan  de  la  grande  qoubba. 

Dans  tous  les  cas,  il  semblerait,  qu'à  partir  d'une  certaine  époque 
—  peut-être  après  l'ensevelissement  d'Aboù  'l-llasan  —  on  ait  cessé 
d'enterrer  dans  le  sanctuaire.  Les  princes  de  la  famille  royale  qu'on 
transporta  par  la  suite  à  Chella,  et  dont  aucun  n'avait  régné,  furent 
déposés  sur  les  pentes  qui  le  dominaient.  Ils  étaient  là  encore  en 
terre  sainte;  ils  restaient  sous  l'égide  des  plus  pieux  et  des  plus  illus- 
tres souverains  de  la  dynastie  mérinide. 


{A  suivre) 


Henri  Basset  et  E.  Lévi-Provençal. 


316  CllKLLA 


Erratum  a  la  vw.v.  3 1 . 

Depuis  la  puhliralion  de  In  prcmiiTC  parli(>  de  ccWc  (''Inde,  nous  avons 
eu  l(>s  nioyiMis  d'cxaniiniM-  de  plus  prrs  \c  l)aud(>au  lioti/onlal  de  Tins- 
rriplion  dodicaloiro  d(>  la  ^landc  porlc,  cl  nous  sonnncs  en  nicsuic*  de 
fournir  un  kwle  déiinilir,  (|ui  corri'^c  sur  ciMlains  poinis  \o  Icxlc  |)r(M(''- 
(lenniiont  proposé  sous  réserves.  iNolannneul,  il  apporle  Irois  mois  nou- 
veaux partirulièrcment  intéressants,  car  ils  piouvcut  (juc  rappcllalion 
v»J)LI!  Jslj  J',  «  le  n6r7/  béni  »,  fui  doiniée  à  Clicdla  dès  le  nioniont  de  la 
ronsiruclion  de  l'enceinle.  On  reniaicpiera  (pie  ce  sont  les  propres 
termes  ([u'cniploic  Ihn  el-klialib  (ci',  supra,  j).  •2\). 

le   [6iii     .U.    .^^M  ,.)W''    ^^    «--J   -^r-M    A\^.^\  ,.,'  6iilj  5y  (Ligne  1) 
.J\     .LkL.3i   UbHy  JiJjU^  iy^   '-^J'  ;_—•  *'--j  y'  (Ligne  2)  *Lj  iJ^j  J.^  Ua.-- 


ii.!  j^c     ,j'  w-i-.j      c-"^    ^»=^4^    ,  y^i'^  (Ligne  3)   ,.f-J~-l'  y^A     ,IU^3I  Kî^^ 

......  j      • 


Traduction.  —  (Ligne  1)  .le  cherche  refuge  auprès  d'Allal»  contre  Satan  le 
lapidé!  Au  nom  (l'VlIah.  :1e  Clément,  le  Miséricordieux!  Qu'Allah  inspire  d(î.'< 
prières]  pour  Notre  Seigneur  Mohammed  et  sa  famille  et  qu'il  leur  accorde  le  Salut! 

(Ligne  2)  La  conslruclion  des  rem[)arls  de  ce  ribàl  béni  a  été  ordonnée  par 
notre  Maître  le  Sultan,  l'Émir  des  Musulmans,  Aboû  '1-llasan,  fils  de  notre  Maître  le 
Sultan,  l'Émir  des  Musulmans,  le  sanctifié,  l'objet  de  la  miséricorde  divine,  Aboù 
Sa"ïd,  fils  de  notre  Maître,  le  Sultan,  l'Émir  des  Musulmans,  (Ligne  3)  le  sanctifié 
l'objet  de  la  miséricorde  divine,  AIjoû  loùsof,  fils  de  'Abd  cl-Haq(i.  Qu'Allah  éter- 
nise leur  empire  !  Cette  construction  fut  terminée  à  la  lin  de  dhoû  'l-hijja  de  l'an  739 

H.-B.  et  E.  L.-P. 


Communications 


Identification  de  Tatelier  monétaire  de  Moliammedia 

C'est  avec  raison  que  M.  Henri  Lavoix,  dans  la  préface  de  son  Catalogue 
des  monnaies  musulmanes  de  la  Bibliothèque  Nationale,  insiste  sur  le  rôle 
important  de  la  numismatique  arabe  appelée  à  rectifier  des  erreurs  histo- 
riques et  géographiques  :  <(  Les  écrivains  orientaux,  ajoute-t-ill,  souvent 
incertains  des  faits,  sans  renseignements  exacts  sur  les  personnages,  sur 
les  noms  des  villes  et  sur  la  chronologie,  ne  s'accordent  pas  toujours  et  sont 
parfois  en  contradiction  avec  eux-mêmes.  La  monnaie  apporte  du  moins 
au  milieu  de  ces  hésitations  la  sécurité  de  ses  documents  :  elle  détermine 
les  noms  propres,  elle  précise  les  événements,  elle  fixe  les  dates  (i).  »  On 
ne  saurait  mieux  dire;  il  est  cependant  des  cas  où  le  document  histoTÎque 
vient  rectifier  le  document  monétaire,  ou  plutôt  en  éclairer  les  obscurités, 
et  c'est  un  cas  de  ce  genre  que  je  voudrais  signaler. 

Ayant  étudié  les  séries  monétaires  des  souverains  de  la  dynastie  saadien- 
ne  conservées  à  la  Bibliothèque  Nationale,  j'avais  remarqué  avec  étonne- 
ment  la  mention,  sur  deux  dinars  en  or,  de  la  ville  de  Mohammedin 
comme  lieu  de  frappe.  Ces  monnaies  figurent  dans  le  catalogue  Lavoix 
sous  les  n°^  io5i  et  io52,  et  nous  reproduisons  fidèlement  la  description 
qui  en  est  donnée. 

Pièce  n°   io5i 

An  I002  Hég.   [iBgS-iôg^]. 

Au  droit  et  au  revers,  quatre  cercles,  dont  trois  linéaires  et  le  quatrième 
pointillé. 

Au  droit,  légende  circulaire  (2)  : 

Dans  le  champ  (3)  ; 

(l)     P.     XLVII.  «»- 

{2)   ((    Frappé   à   El-Mohammedia,   Dieu   la   conserve!    » 
(3)  «  Louange  à  Dieu,  le  maître  des  mondes  I  » 


318  HESPÉRIS 


Au  revers,  léijendo  circuhrne  (i) 


Daiiâ  le  chaïup  {:>.)  : 


Pièce  n"   loSa 


An   1006  n^g.   [ir)()7-i5()8]. 

Au  droit  et  au  revers,  doux  cercles,  dont  l'un  linéaire  et  1  autre  pointillé, 
et  deux  carrés  linéaires. 

Au  droit,  dans  les  segments  de  cercle  (3)   : 

Dans  le  carré  (fi)  : 

Au  revers,  dans  les  segments  de  cercle  (5)   : 
Dans  le  carré  (6)  : 


^' 


i^Ai  v^jyJI 


(i)   «  Année  1002  ». 

(2)  «  Abou  el-Abbas  Ahmed  el-Mansour  bi  Allah  ». 

(?>)  ((  Dieu  veut  nous  préserver  de  toute  souillure,  ô  gens  de  la  maison,  et  vous  purifier 
complètement   ».   Coran,   xxxiii,    33.    —   Le  texte   arabe    n'a   pas  été   développé. 

(4)  ('   Au  nom  de  Dieu  \v  rlémcnt.   le   niiséiicordiciix  !    Le  scrvilciit-  de    Dieu,    rimaiii 
Abou  el-Abbas  el-Mansour  bi  Allah,  émir  des  Croyants   ». 

(5)  «  Frappé  à  Moliammodia,   Dieu  la  piéscrvo  !  —  Année  1006  ». 

(61   «   Fils  do   l'imam   Abou   Abdallah  Mohammed   ech-Cheikh  le   calife,   fils   de  l'impm 
El-Kaïm  bi  amer  Allah,  le  chérif  hassénien  ». 


COMMUNICATIONS  319 

On  trouve  également  au  Brilis/t  ]fnsciun  une  pièce  de  Monlay  Ahmed  d- 
MansoLir,  où  la  ville  de  Mohammedia  est  mentionnée  comme  lieu  de  frappe- 
Cette  pièce  est  décrite  comme  suit  dans  le  Catalogue  of  oriental  Coins  in  the 
Britisli  Muséum. 


Pièce  n"  2 5. S. 
An  loox  de  l'Hégire. 

Au  droit  et  au  revers,  deux  cai-rés  linéaires. 
Dans  le  champ  : 


Dans  les  secments 


Au  revers,  dans  le  champ  : 


Cr-J'  ,:'! 


*     Lj..*s-^lj 


—T 


Dans  les  segments 


Que  })0uvait  être  ce  Mohammedia.^  Je  connaissais  bien  aux  environs 
de  Tunis  un  palais  de  ce  nom  (i),  mais  avait-il  existé  au  Maroc  une  ville 
appelée  Mohammedia.'^  Tel  est  l'un  des  problèmes  que  je  me  proposais 
d'étudier,  au  cours  de  ma  mission  de  1922.  J'eus  tout  d'abord  la  bonne 
fortune  de  rencontrer  à  Rabat  M.  Maréchal,  numismate  très  averti,  ayant 
constitué  avec  autant  de  science  que  de  persévérance  un  précieux  médail- 
1er.  M.  Maréchal  mit  obligeamment  à  ma  disposition  sa  collection  qui  pré- 
cisément renfermait  un  dinar  posant  le  problème  de  Mohammedia.  Voici 
la  description  de  cette  monnaie,  dont  on  trouvera  p.  021  une  reproduction  : 

An  1002  Hég.   [iDgS-iBg/i]. 

Au  droit  et  au  revers,  trois  cercles  linéaires. 

(i)   A   i5  kil.   de  Tunis,  sur  la   route  de  Zaghouan. 


320  IIESPÉRIS 


Au  droit,  légende  circullaire  (i)   : 
Dana  le  champ  (q)  : 


^11  *iil  s^ji  Ul 


Au  revers,  légende  circulaire  (3)   : 

,,_^ij  rrr'^'  /'-*  *^'  '-^^'■^  Aja^  *t-*-s;.  w^-^ 
Dans  le  champ  (4)   : 

Mon  enquête  sur  Hadra  Mohammedia  ijj.^  s.^a.  ne  donna  à  Merrakech 
que  des  ré>ultots  négatifs.  Les  lettrés,  interrogés  à  ce  sujet,  déclarèrent  ne 
connaître  aucune  localité  au  Maroc  à  laquelle  ce  nom  pût  titre  appliqué. 
Ce  fut  à  Taroudant  que  me  fut  fournie  la  solution  du  problème.  Le  cadi, 
auquel  je  posai  la  question,  répondit,  sans  un  instant  d'hésitation,  que 
l'appellation  capitale  mohammédienne  Xjj.^  iyos^  désignait  la  ville  de 
Taroudant  et  se  rencontrait  fréquemment  dans  les  écrits.  Ce  nom,  ou  plu 
tôt  ce  surnom,  avait  été  donné  à  Taroudant,  parce  que  cette  ville  avait  été 
la  capitale  de  Monhammed  ech-Cheikh,  le  fondateur  de  la  dynastie  saa- 
dienne,  de  1620  à  i54o,  date  oij  ce  chérif  avait  supplanté  son  frère  Ahmed 
el-Aaredj  sur  le  trône  du  Maroc  et  fait  de  Merrakech  sa  nouvelle  capitale. 
Cette  explication  me  fut  confirmée  plusieurs  fois  pendant  mon  séjour  à 
Taroudant. 

Il  ne  restait  donc  aucun  doute  sur  cette  identification.  Je  fus  néanmoins 
très  satisfait  de  pouvoir,  quelques  jours  après,  appuyer  d'un  texte  histori- 

(i)   Pour  la  traduction  développée;  v,  supra,  p.  3i8,  note  3. 

(2)  «  Au  nom    de    Dieu    le    clément,    le    miséricordieux!    Le   serviteur    do    Dieu,    l'imam 
Abou  el-Abbas  Ahmed  el-Mansour  bi  Allah  ». 

(3)  «  Frappé  dans  la  capitale  mohammédianne  —  que  Dieu  la  protège  1  —  l'an   1002   » 
Il   faudrait  régulièrement  i)L3j^.^sr°\  'i^:^\. 

(4)  «  Fils  de  l'imam    Abou    Abdallah    Mohammed    ech-Cheikh    el-Mehdi,    fils    de    l'imam 
El-Kaïm  bi  amer  Allah  ». 


COMMUNICATIONS 


321 


que  les  dires  de  mes  informateurs  de  Taroudant.  On  trouve  en  effet  dans 
la  Nozhet  ei-lladl  (i)  une  lettre  de  Moulay  Ahmed  ei-Maiisour  adressée  à  son 
fils  Moulay  Abou  Farès,  alors  son  khelifa  à  Merrakech.  La  lettre  est  datée 
du  i4  Rbia  i"  loii  [i"  septembre  1602].  Abou  Farès  avait  écrit  précédem- 
ment à  son  père  pour  lui  demander  s'il  devait  s'éHoigner  de  Merrakech,  au 
cas  où  la  peste  qui  sévissait  au  Maroc  viendrait  à  se  déclarer  dans  la  ville. 
Le  sultan,  dans  sa  réponse,  fait  les  recommandations  suivantes  :  Abou  Farès 
devra  partir  de  Merrakech,  avant  même  qu'un  cas  de  peste  soit  signaUé; 
quant  au  caïd  Ahmed  ben  Mohammed,  oncle  d'El-Mansour,  qui  a  demandé 
l'autorisation  de  quitter  «  la  capitale  mohamniédienne,  Abou  Farès  ne 
s'opposera  pas  à  son  départ;  i'I  lui  pircscrira  de  rejoindre  l'armée  campée  à 
Khandoq  el-Oued. 

Le  traducteur  de  la  Nozhet  el-Hadi,  étonné  à  bon  droit  de  l'expression 
JLjJ.-.*..aE-M  Sj.^.:^^ ,  crut  devoir  l'identifier  dans  une  note  avec  Merrakech. 
Mais  celte  identification  est  inadmissible.  Il  est  manifeste,  en  effet,  d'après 
le  contexte  même  de  la  lettre  d'El-Mansour,  que  le  caïd  Ahmed  ben  Moham- 
med, qui  a  demandé  à  quitter  «  la  capitale  mohammédienne  »,  ne  se  trouvait 
pas  à  Merrakech  avec  son  petit  neveu  Abou  Farès;  le  sultan,  dans  sa  ré- 
ponse, prend  une  décision  spéciale  à  son  sujet  et  lui  assigne  coniime  rési- 
dence Khandoq  el-Oued  que  nous  savons  être  dans  le  Sous. 

Il  est  donc  surabondamiment  établi  que  l'expression  A-jJ^s-^I  sy£.à.\  ,  ou 
celle  qui  est  moins  correcte  et  plus  fréquente  LjA_^  is^  wa_=. ,  désigne  tou- 
jours Taroudant,  la  capitale  du  Sous,  la  capitaile  pendant  près  de  20  ans 
de  Mohammed  ech-Cheikh.  Il  faudra  rectifier  en  conséquence  les  catalogues 
des  monnaies  saadiennes. 

nabal,  3  juin  1922. 

Le  Lient.  Colonel  Conseiller  hisloriqne 
du  Gouvernement  chérifien. 

H,  DE  Castries. 


1)  Traduction  Houdas,  pp.  297-300.  Texte,  pp.  IA£-Iao. 


322  IIESPÉUIS 


Notes  sur  la  thérapeutique  indigène  dans  le  Sud  Marocain. 

Ces  courtes  notes  <jue  nous  [>résenlons  aux  lecteurs  d'  «  llespéris  »  sont 
ilues  à  la  plume  d'un  de  nos  confrère,  le  reçjrellé  Docteur  BalU,  dn  corps 
de  santé  militaire,  (/(//  fut,  pendant  plusieurs  années,  ttn  des  meilleurs  pion- 
niers de  l'assi.Ktance  médicale  indiijèm'  du  Protectorat  nmrocain. 

iSous  les  puttliiuis  avec  les  annol<dions  et  références  qu'une  mort  préma- 
turée ne  diuma  pas  le  tetnps  à  leur  auteur  d'y  ajouter,  et  j)ctisons  élre  utiles 
à  tous  ceux  qu'intéressent  les  coatu.mes  et  les  rites  séculaires  du.  Marne,  en 
même  temps  que  nous  rendons  un  pieux  et  juste  liominage  à  la  mémoire 
de  notre  confrère. 

Le  Maroc  a  perdu  en  Bulit  un  de  ses  ttieilleurs  enfants  d'adoption  :  il 
était  de  cette  race  de  raillants  et  de  passionnés  qjti  fait  les  vrais  apôtres  de 
la  pénétration  pacifique,  et  si  la.  mort  ne  nou,"?  l'Oi^mit  pas  enlevé,  il  aurait 
sûrement  trouvé  au  Protectorat,  dans  l'assistance  civile,  le  poste  de  choix 
qu'il  avait  si  dignement  conquis  par  son  activité,  sa  valeur  professionnelle, 
et  son  abnégation. 

Le  Docteur  Bulit  était  né  à  Montauban,  le  21  juin  1888.  Quelques  moia 
après  sa  sortie  du  Val  de  Grâce  et  un  court  stage  dans  un  régiment  de  Fran- 
ce, il  débarqua  au.  Maroc  le  r>8  janvier  191'!,  et,  après  avoir  été  affecte 
successivement  en  qualité  d'aide-major,  à  Casablanca,  au  Tadla,  à  Ber 
Rechid.  à  Mechra  Ben  \bbou  et  à  Tedders,  pour  des  besognes  médicales 
diverses,  il  embarquait  pour  le  front  français  le  8  décembre  1916,  empor- 
tant de  ce  premier  contact  avec  le  pays  du  Maghreb  une  impression  pro- 
fonde qui  devait  nous  le  ramener,  en  fin  1916,  avec  la  croix  de  guerre  et  une 
citation  à  Vordre  de  la  division  marocaine.  Dès  .son  retour  au  Maroc,  le 
Directeur  Général  des  Services  de  Santé  lui  confia  la  direction  du  groupe 
"ian- taire  niobile  de  Settat,  en  Chaouïa  Sud.  Il  y  donna  bientôt  l'impres- 
sion d'un  médecin  de  rayonnement  de  prehxier  ordre  s'adaptanl  adinira- 
hlement  au  pays  et  aux  circonstances,  et  onnfirmunl  l'excellente  impression 
que  son  premier  séjour  avait  laissée  de  lui. 

La  maîtrise  avec  laquelle  il  jugula  une  épidémie  de  peste  aux  Ouled  Ziane 
te  fit  désigner  pour  une  reconnaissance  médicale  dans  le  Sous,  où  le  groupe 
sanitaire  mobile  de  Marrakech  signalait  des  cas  de  pesfe  dans  la  région  de 
Tarnudnnt.  Bulit  venait  d'être  promu  Médecin-Major  de  deuxième  classe.  Il 
s'acquitta  de  sa  nouvelle  mission  avec  sa  conscience  et  sa  compétence  cou- 
lumières,  mais  il  dut  être  relevé  pour  raison  de  santé,  en  octobre  1918,  et 
fut  envoyé  à  Boujad  comme  Médecin-Chef  de  l'Infirmerie  Indigène.  Désigné 
pour  l'Armée  d'Orient,  il  s'embarqua  au  commencement  de  1919,  mais  le 
Maroc  le  tenait  aux  moelles;  il  s'y  faisait  réaffecter  deux  mois  après,  et  c'est 
au  moment  où  il  nous  revenait  pour  la  troisième  fois,  pour  longtemps,  sinon 


COMMUNICATIONS  Séâ 

• 
pour  toujours,  que  la  fièvre  typhoïde  le  terrassait  à  Marseille,  à  Vhôpitai 
militmre,  où  il  mourut  le  7  février  1920. 

Le  Docteur  Bulit  a  laissé  d'intéressants  rapports  de  tournées  qui  consti- 
tuent les  premiers  documents  médicaux,  basés  sur  une  enquête  méthodique, 
que  nous  possédions  sur  Vétat  sanitaire  des  populations  du  Sous  et  Vépidé- 
miologie  de  cette  région.  Il  avait  entrepris  de  rédiger  un  guide  du  médecin 
die  l'assistance  indigène,  avec  le  souci  d'être  avant  tout  pratique  (à  l'usage  des 
médecins  débutants) ;  sa  principale  originalité  consistait  en  ce  qu'il  l'avait 
fait  suivre  d'un  petit  manuel  de  conversation  et  vocabulaire  français-arabe 
et  berbère  (dialecte  chleuh)  tout  à  la  fois.  La  question  a  été  reprise  depuis. 
plus  complètement,  mais  l'essai  de  vocabulaire  médical  en  trois  langues 
aurait  intérêt  à  être  mis  au  point. 

Les  Notes  que  nous  publions  sont  le  fruit  d'observations  recueillies  en 
Chaouïa  et  au  Sous,  sans  que  la  part  soit  faite  exactement  entre  ce  qui  re- 
vient à  chacune  de  ces  contrées,  mais  les  observations  faites  au  Sous  domi- 
nent et  constituent  le  principal  intérêt  de  ce  travail. 

Parmi  les  substances  citées  sous  leur  nom  arabe  ou  berbère,  un  certain 
nombre  sont  bien  connues  et  identifiées  dans  la  ((  liste  des  drogues  et  sim- 
ples employées  dans  la  pharmacopée  marocaine  à  Mogador  »,  de  l'ouvrage  du 
Docteur  Lucien  Raynaud  (i)  ;  pour  d'autres,  il  nous  a  fallu  recourir  aux 
ouvrages  claissiques  des  médecins  arabes  et  surtout  à  celui  d'ihn  et  Baitar  (2) 
qui  nous  ont  permis,  en  outre,  de  rendre  leur  orthographe  classique  aux 
termes  modifiés  par  les  prononciations  locales.  Nous  avons  consulté  éga- 
lement avec  fruit  un  opuscule  devenu  rare,  le  «  Don  précieux  aux  amis  trai- 
tant des  qualités  des  végétaux  et  dies  simples  »„  manuscrit  anonyme  de  la 
Bibliothèque  d'Alger  (3).  L'intérêt  de  cet  ouvrage  vient  de  ce  que  l'auteur 
est  certainement  un  arabe  moghrebin  et  que  des  tefmes  spéciaux  au  Sud 
Marocain  s'y  rencontrent  fréquemment. 

Enfin  un  petit  nombre  de  plantes  ou'de  substances  non  identifiées  ont 
été  déterminées,  à  notre  intention,  par  M.  le  Professeur  Maire,  d'Alger, 
M.  Reynier  de  l'Institut  Scientifique  Chérifien  et  M.  le  Pharmacien  Princi- 
pal Froment  de  Casablanca.  Nous  leur  en  exprimons  ici  notre  gratitude,  (/j) 

Rabat,  le  4  mai  1922 

Docteurs  Mauran  et  Renaud.  H.  P.  J. 

(i)  Étude  sur  VHygiène  et   la  Médec.  an  Maroc,   Paris,  Baillièrp,    1902. 

(2)  Traité  des  simples,  trad.   du   D''  Lcclerc,   Paris,   Imp.   Nat.,    1877-83. 

(3)  Trad.  A.  Meyer,  in  Journ.  de  \féd.  et  de  Phnrm.  de  VAlgérie,  année  1881.  g^j  p.  I! 
semble  bien  qu^  ce  soit  un  abrégé  du  même  ouvrage  que  M.  G.  Salmon  ait  traduit  dans  lé 
tome  yill  des  Archims  Marocaines  et  qu'il  cite  dans  le  catalogue  d'une  Bibliothèque  pri- 
vée (Arch.  Mar.,  t.  V)  sous  le  titre  de  ^_jl.JucV^  3,  0^.-^\  ^.1-f^  o*  ^^-^^"^  "^^^^ 
qui  diffèr* seulement  du  précédent  par  le  motAj.L^(les  fins)  au  lieu  dei-^Atc^ca  qualités) 

(4)  Au  moment  où  le  travail  d'interprétation  de  ces  Notes  était  achevé,   nous  avons 


324  HESPÉRIS 

Contre  le  mal  de  tête. 

On  s'humecte  le  gosier  de  vinaigre  légèrenionl  sucre,  puis  on  se  serre 
la  tète  a^"ec  des  compresses  imbibées  d'eau  fraîche. 

Certains  autres  oignent  leur  crànc  avec  du  Henné  moulu,  tamisé  et  mé- 
langé d'eau  froide. 

Contre  la  toux. 

On  procède  i)ar  un  massage,  on  s'oignanf  tons  les  membres  avec  de  l'hui- 
le d'olive  pure  cl  garantie,  cl  eu  s'huineclaul  le  gosii'r  avant  dv  doijuir.  On 
prend  à  jeun  une  tasse  de  bouillon  préparé  avec  Scl;l:ln  Jebir  (i)  et  Aark 
So(;s  (2),  (colle  racine  (]uand  on  la  mâche  et  qu'on  avale  la  salive  rend  so- 
nore une  voix  enrouée),  réduite  en  poudre  prcscpie  impalpable,  ainsi  qUi? 
Khodcnzel  (3)  (Racine  d'une  plante  exotique). 

2°  Prendre  : 

a)  Des  pois  chiches  torréfiés  et  mouillés  dans  do  l'eau  salée;  —  b)  Nefaâ  (f\), 
—  c)  Djeldjan  (5);  —  d)  Du  sucre. 

Moudre  le  tout;  la  poudre  ainsi  préparée  constitue  un  bon  stimulant 
que  l'on  prend  tous  les  matins  à  jeun  dans  un  verre  d'eau. 

3°  On  boit  de  bon  matin  l'eau  de  lavage  du  cordonnier,  dans  laquelle  il 
a  lavé  une  peau  tannée. 

4°  On  prend  Zgaf  (matière  résineuse)    (6)    réduit    en  poudre,  toujours  à 


ou  ronnaissnnco  do  l'ôlndo  <]o  M.  Gallofossr  sur  Tes  plnntra  fhms  In  lhérn})culi(i[\e.  indigène, 
au  Maroc  (Travaux  dn  l'Office  national  dos  matiferos  premièros  végétales,  n°  m,  décembre 
io'ît').  Elle  confirme  la  plupart  des  renseignements  que  nous  donnons,  notamment  en  oe 
qui  concerne  l'idenfification  des  plantes  Mekhinza,  Kiklan,  Oaden  el  Hallouf  et  Tase.njhînf. 
Cette  importmle  étude  rendra  les  plus  grands  services  à  nos  confrères  du  Maroc.  Seule, 
la   transcription   clos  termes   arabes,    souvent   défectueuse,   serait   h   revoir. 

(i)       ^-^s>c^*o     Gingembre,   rhizome  du   Zingîber  offic.   Rose.    Le  terme  classique   est 

(a)     ^_yo^-«*J\    ^y£    racine   de  Reglisse,   Glycirrhiza  glabra  L. 

(3)  Prononciation  moghrébine  de  Khnnlendjnn  çA  -e<M_-L,  Calanga,  rhizome  de 
VAlpinia  offic.  Hance,  importé  do  l'Inde  fi.  Dr.  Guiguos.  Les  noms  arabes  dans  Scra- 
pîon,  Journ.  Asîat.  1906;  n°  417;  Tohfa,  p.  27;  Salmon,  p.  78;  Ibn  Baitar,  trad.  Leclerc, 
n"  829,  qui  en  fait  surtout  un  stomachique,  carminatif  et  aphrodisiaque,  modérateur  de 
la  sécrétion  urinaire. 

(Il)  ^AJtJ  semence  du  Fenouil,  Fenlciilum  dulce  (la  plante  se  nomme  au  Maroc 
Besbas  ^L-.-<a*.>^.  Cf.  Raynaud  p.  168;  Leared  Morocco  and  the  Moors.  London,  1876.  Append. 

(5)  Exactement  Djouldjoulan    ^^'î^!si^   graine  de  Sésame.  Cf.   Tohfa,  p.   65;  Raynaud, 
p.  167;  Ibn,  Bait.,  n°  49^- 

(6)  Nous  n'avons  pas  identifié  de  matière  résineuse  portant  ce  nom.  Les  droguistei* 
mdigènes  à  Marrakech  et  Casablanca  désignent  sous  le  terme  d'Azgaf  ou  d'izgaf 
^_s^3\    un    mélange   dans   lequel    entrent  de    l'os   de   seiche,    Zebed   el    bahr;  des   piquants 


COMMUNICATIONS  325 

j€iun.  Pour  rendre  son  effet  plus  efficace,  on  prend  le  lendemain  du  poivre 
mouHu,  une  cuillerée  environ. 

5"   Hadjra  Zarga  (pierre  bleuâtre)  (i),  broyée,  câline  la  toux, 

6°  Prendre  à  jeun  : 

a)  Tassarghint  (2)  (mot  berbère);  —  bj  Onden  el  Ilalloaf  (3),  plantes  dites 
u  Oreilles  de  sanglier  )>,  sécliées  au  soleil,  moulues  fortement  et  mélangées 
dans  un  verre  d'ieau  fraîche. 

7°  a)  Hab  Erchade  (4);  —  b)  Beurre  rance;  —  c)  Helba  (5),  chauffé  sur  le 
feu  et  moulu  fortement.  Mélangé  avec  ces  deux  derniers,  se  piciid  tous  les 
matins  à  jeun. 

Contre  la  fièvre. 


1°  On  fait  brûler  devant  le  Malade  et  on  l'oblige  à  sentir  fortement  : 
a)  Le  phai'ynx  d'un  mouton,  immolé  le  jour  de  la  grande  fête  Aïd  El 
Keblr,  que  l'on  sèche  quelques  jours  après,  au  soleil,  el  que  l'on  garde  soi- 
gneusement; —  b)  Serrak  Zil.  (Belette).  Ce  mot  signifie  en  arabe  :  Voleur 
d'huile,  toute  vivante  ;  —  c)  Sept  graines  de  Helba  ;  — j  ^d)  Semelle  d'une 
savate  qu'un  Taleb  vénéré  a  portée  au  pied  droit;  —  e)  Le  foie  de  l'ânesse 
(séché  à  l'ombre);  —  f)  L'abdomen  de  la  poule;  —  g)  La  vésicule  biliaire 
du  mouton  immolé  pendant  la  fête. 


de  hérisson,  Chouk  el  Qenfoud;  de  la  peau  de  la  mue  de  sei-pent  ;  de  la  lavande,  Khezania; 
du  Carvi,  Karouya;  enfin  du  Fasoakh  (voir  plus  loin  p.  8  note  2),  qui  est  effectivement 
une  résine.  A  Rabat  la  composition  est  différente,  cl  il  y  figure  notammmit  du  Mica, 
mais,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  VAzgaf  est  utilisé  particulièrement  en  médecine  magique. 
(i)   C'est,   selon   toute   vraisemblance,    le   sulfate   de  cuivre. 

(2)  «.2*ylè^ljc'est  la  Serghina  des  Ara>bes.  Corrigiola  Telephiifol.  Pouit.  dont  le  rhi- 
zome entre  dans  la  composition  des  parfums.  Cf.  Dozy  Sappl.  aux  dict.  arab.,  i,  i38; 
Ibn  Balouta,  IV,  Sg/i  ;  Léon  l'Afric,  éd.  Scheffer,  III,  467  (Tauzarghante)  ;  Marmol,  111, 
51  d;  Ibn  Bait.,  n°  1170.  La  plupart  des  auteurs  en  font  un  Telephium,  le  T.  Imperati.  Seul 
Leared.  op.  cit.  app.  p.  3^2,  qui  a  eu  sans  doute  la  plante  entière  à  sa  disposiion,  lui  a  donné 
sa  véritable  détermination  que  nous  a  confirmé  le  prof.  Maire. 

(3)  D'après  Le  puys  du  mouton,  Alger,  1893,  i  vol.  in-fol.,  oe  serait  un  Ranunculus, 
le  R.  muricatus.  L.  Cf.  également  D""  Raynaud  op.  cit.  et  Leared,  op.  cit.  qui  n'a  pu  l'iden- 
tifier.  L'échantillon   recueilli   dans   la   région   de   Rabat  et  qui   nous   est   parvenu   desséché, 

.i 
a  paru  au  prof.  Maire  ressembler  davantage  au  R.  Macrophyllus.  Le  terme  d'  ^_5^Jui\    ^.>\ 

vient  de  ce  que  les  feuilles  du  collet  sont  couvertes  de  poils  blancs  et  soyeux. 

(4)  >L-i-J\  i_^  «^  graines  du  Lepidium  Sativ  L.  vulg.  Cresson  alénois.  Cf.  Tohfa 
p.  ik-  Salmon,  p.  98.  Le  terme  clas.ssique  est  ««-Sj-s»-  aoTj.  Cf.  Guignes,  op.  cit.,  p.  90;  Ibn 
Bait.,  n"  653. 

(5)  lA-sX^  bien  connu,  c'est  le  Fenugrec,  Trigonella  foenam  gra^c.   L. 


32G  IIESPÉRIS 

?.°  Lorsque  la  fièvre  se  déclare,  <mi  ildil,  sans  prévenir  le  fiévreux,  pren 
(Ire  une  mèclu*  tic  loilc  |ti()|>rc,   mise  vi\  i^iiilion,  et  la  hriiler  sur  sa  nutjue. 
L'émotion  (ju  il  en  ressent,  lui  l'ail  oiihlier  les  soulïranies  cl  ainsi,   la  fièvre 
disparaît    promptement,   mais   niomentanément. 

Lotions  aintiseptiques   poi  h   \.\   uki'oi'ssk   dks  cheveux. 

i"  a)  Lcinnitcl;  Dchhia  {\)\  —  h)  LcnudU'l;  hJIfalacha  {"?.);  —  c)  Harmcl  (3); 
y —  d)  Safran  |)ur;  —  e)  Huile  d'olive  pure. 

Moudre  les  (juatre  pivuiiers  et  les  mettre  dans  l'huile  chauffée. 

•.>°  a)  Huile  pure;  —  b)  Mercure;  —  c)  Soiiak  cl  llar  (écorce  de  racine  de 
noyer).  Anu^r;  —  d)  Fassouhh  [A). 

On  frotte  lecorce  di'  noyer  avec  du  mercure  dans  de  H'iiuilc,  puis  on 
fond  lie  FassoiiJ;}i  <>t  on  mélange  le  tout. 

(i)  J^-^^A3J\  oXJ'^\<''<'sI    la   IJlhnr(]c.    Cf.    I.    I5;iil.,    ii"    y.ii/i;  (uii^nu's,    o/).    cit.,    n      353 

qui  orlliof/rapliii"  MoiirluL-  ,iX_J  ^-c  ;    il   s'a^'it    <riiiic  ilil]i;iri|i'    iinpinc   iii(''laM;,'(''c  de  Massicot, 
(\\)ù   sa  coiiU'ur  jaiinu   don-c  (ili-hbia). 

(-0  <*^LXaJ\  ,iXj^\  Di-iix  (■•(■haiililions  (le  (•ouleurhrniiiilri' provciiaiil  l(î  i^f  de  droguistes 

indij,'èii<s  de    Habal,    le    j''  di-   l'-isiiblaïKa,    oui   <''lt''  analysés  par    M.    k;   Pliarniacioii    PiiiHÙpal 
d<.'   i"""  classe  Fronionl  : 

Ecliantilluii  n°  I         BchaiiUllon  ii*  2 

Gangiu'   iiisoi.    dans   li'S  acides   et  rAct-l.    d'Ainiii.  (j,oo  SjOg 

Arpent     «                       0,8? 

Plomb     78,29  39,55 

(  ".iii\  le     «  27,25 

Fer  cl  Alumine   0,72  0,97 

Ctiaux     ■  • 10, 3o  14.24 

Magnésie    •  • o,65                     o,49 

Acide   phos.phoriquc    0,78                      7,76 

Acide    sulfurique     0,^9  traces 

Acide    carbonique o,io                     o,i3 

Le  I®''  échantillon  est  donc  un  Massicot  impur,  contenant  83,  77  %  de  plomb  (en  PbO) 
tt  un  peu  de  plomb  métallique;  le  2®  un  mélange  d'Oxydes  de  plomb  et  de  cuivre,  et  sur- 
tout de  CCS  deux  métaux  eux-mèmcg.  Il  s'agit,  en  somme,  de  culots  de  préparations  in- 
dustrielles de  plomb  et  de  cuivre  provenant  sans  doute  d'Espagne,  .mais  nous  n'avons 
pas  rencontré  de  substance  végétale  portant  le  nom  de  Fiachia  (D""  Raynaud  op.  cit. 
p    172)  et  de  Mratak  e.l  Fettacha  citée  par  Salmon  op.  cil.,  p.  4o,  sans  avoir  été  vue  par  lui. 

(3)  |J.w>  .a-  bien  connu,  c'est  le  Peganum  Harmala  L.  plante  de  la  flore  saharienne 
des  fumigations.   Cf.  la  Magie  des  parfums  in  Doutté,  Magie  et  religion,  p.   72. 

dont   la   graine  est  d'un  emploi  courant   chez   les   Indigènes  pour   composer  des   lotions  et 

(4)  r-^-4»jl.s(j0ninie  ammoniaque  impure  extraite  du  rhizome  de  la  Ferula  communis, 
appelée  au  Maroc  Klekh  ^K  Cf.  Leared  op.  cil.  app.  p.  345;  Hookcr  et  Bail:  Morocco 
and  great  Atlas  London   1878  p.  386;  Lenz   :  Tombouciou  trad.   Lehautcourt,   Paris,   1886, 


COMMUNICATIONS  327 

Contre  l'endonéphrite 

Le  médicament  suivant  agit  sur  toutes  les  maladies  rénalles,  disent  les 
Indigèn'es. 

a)  Khobbiza  et  MeJsa  (Guimauve  lisse  sauvage);  —  b)  Kiklane  (i),  Casse, 
fleurs; c)  Raeine  de  Maadnous  (variété  de  pereil);  —  d)  Racine  de  céleri. 

Hachés  fortement  ou  broyés,  ils  sont  placés  dans  un  récipient  et  mis  sur 
le  feu  pendant  une  heure  jusqu'à  cuisson. 

Après  avoir  pris  un  bain  chaud,  le  malade  ôte  son  seroual  et  s'assied  sur 
le  récipient.  La  vapeur  chauffant  le  corps  doit  amener  la  sueur,  signe  pré- 
curseur de  la  guérison.  CelHe-ci  dépend  de  la  quantité  de  sueur  produite. 
Aussi  comme  mesure  préventive,  on  doit,  à  la  fin  de  l'opération,  s'enfermer 
dans  une  petite  piècj  dans  laquelle  il  y  a  un  réchaud. 

Contre  le  mal  de  dos. 

1°  On  prend  : 

a)  Du  Khodenjal  (:>);  —  b)  du  Thym. 

On  les  pile  assez  fortement  et  on  les  fait  boui'llir  dans  de  l'eau  pure  pen- 
dant une  heure  environ,  c'est-à-dire  jusqu'à  ce  que  l'infusion  soit  teintée 
de  rouge.  On  la  laisse  reposer  et  refroidir  et  on  la  prend  h;  Jendomain, 
à  jeun, 

2°  On  chauffe  une  superficie  d'environ  un  mètre  carré  au  minimum,  en 
brûlant  du  bois  au-dessus,  et,  après  avoir  enlevé  la  cendre,  on  y  étale  : 

a)  Dad  (3); 

-' 

t.  I,  p.  3Î9.  La  Tohfa  orthographie  j^v»***  p.  i4  et  7^.  En  Orient  ce  produit  est  extrait 
d'une  autre  ombellifère,  le  Dorema  ammoniacuw,  en  arabe  Ouchchâq.  Cf.  Ibn  Bait, 
n°  83;  Guigues,  op.  cit.,  n°  4i4-  Le  Fasoukh  entre  au  Maroc  dans  la  composition  de  pâtes 
épilatoires,  de  remèdes  contre  les  affections  cutanées  et  de  recettes  magiques.  Cf.  le  roman 
de  Mme  Elissa  Rhaïs  :  Saâda  la  marocaine,  p.   117. 

(i)  Paraitêtre  une  altération  de  ^Nll-âiè    plur.  de  Ai-Là  Ibn  Bait.,  n"   i8i2  ;  Cassia  Tora 

fie  Forskal.  Cf.  égale  Guigues,  op.  cit.,  n°  198.  A  Rabat  et  Marrakech  les  droguistes 
indigènes  vendent  sous  rf  nom  des  graines  de  différentes  espèces  â'Acacia,  notamment 
de  VA.  Farnesiana,  Willd. 

(2)  Cf.    supra,  p.    4,   note   3. 

(3)  Mot  berbère;  on  trouve  aussi  Addad,  cf.  R.  Basset;  les  noms  berb.  de  plantes  dans 
Ibn  Bait.  Florence  1899,  p.  5;  Laoust,  Mois  et  choses  berb.,  Paris  Challamel,  1920,  p.  609; 
Leared,  op.  cit..  p.  2/11  •  C'est  le  Chardon  à  gin  Atractylis  Gummifera,  en  arabe  Chouk 
el  Eulk,  épine  à  la  gomme.  La  racine,  à  l'état  cru,  est  toxique  et  fréquemiment  usitée 
au  Maroc  dans  un  but  ('rimin<"l  :  la  glu  extraite  des  capitules  est  inoffensive,  UA.  Gum- 
mifera était  connu  des  Anciens,  c'est  le  Chaméléon  blanc.  Xa[xat).cwv  >£uxo;  de  Diosco- 
rides  et  Galien.  Cf.  Ibn  Baitar  trad.  iLeclerc,  n°  86.  Léon  l'Africain  le  cite  également 
III.  467  «  ime  drachme  de  son  eau  distillée  peut  exterminer  un  homme  en  moins  d'une 
heure  ». 


328  IIESPÉRIS 

b)  Loonsel  ou  Looiisla  (i). 

Broyés  et  mélangés. 

Quand  cela  est  prêt,  le  malade  doil,  s'étendre  sur  le  dos,  les  pieds  el  les 
nuiins  allon<>os,  do  façon  à  ce  que  la  pailie  malade  soit  posiéo  sur  l'ompla- 
oeme  il  choisi  et  préparé  d'avance.  Le  palienl  doit  en  outre  rester  en  cette 
position  tant  que  la  terre  n'est  pas  refroidie,  c'ost-i'Hdire  pendant  une  heure 
et  deanie  environ  ot  tant  que  l'engourdissement  n'est  pas  complètement 
dissipé. 

Contre  le  mal  aux  yeux. 

Eniad  (2). 

Celte  maladie,  prétendent  les  Arabes,  ne  paraît  généralcJiiienl  qu'à  l'époque 
où  fleurissent  les  grenadiens. 

1°  Mettre  deux  ou  trois  gouttelettes  dans  i'cwil  malade,  dune  dissolution 
de  Barodia  (3)  dans  un  peu  d'eau  tiède. 

2°  On  prend  ; 

a)  Des  roses  (pétales  séchés  et  moulus);  —  b)  du  Ih^iné  (pétales  scellés  et 
feuilU'S  moulûtes). 

Le  tout  broyé,  trempé  dans  de  1  eau  fraîche,  on  en  imbibe  un  flocon  de 
laine  ou  de  ooton  et  on  l'applique  sur  VivU  malade,  jusqu'à  ce  que  l'eau  dis- 
paraisse complètement. 

Après  quoi  la  guérison,  du  moins  parli.'lle,  est  certaine. 

L'Aadoua  (4). 

On  prend  :  I/Kmkhcnza  (5)  luerbe  sauvage;  ce  nom  vient  du  mot  Khnez, 
nauséabond,  à  cause  de  sa  mauvaise  odeur. 


(i)   jJ>-o>lj»J\   bien    connu;    c'est    la    Sc'ûla   Marilima    L. 

(2)  Jv-c.  oplitalmic  en  général,  d'après  les  lexiques  ;  le  D'  Sanguinetti  (Quelques  chap.  de 
Méd.    et    de    théraip.    arabe.    .T.     Asiat.,     1866,    p.     7^)    fTaduit    :    chassie    ou    lippitude, 

c'est-à-dire  blépharito,  alors  que  pour  lui  c'est  le  terme   ^^1 , »   qui  signifie  ophtalmie.  Ici, 
il  semble  plutôt  s'agir  d'une  conjonctivite  catarrhale  saisonnière. 

(3)  Au  Maroc  on  désigne  sous  ce  terme  le  sulfate  de  fer,  qui  ailleurs  est  appelé  d'or- 
dinaire lad],  _\j,  Tohfa,  p.  36;  Guigues,  p.  118.  Lo  terme  de  Baroudia  est  cité  par  le 
D''   Mauchamp,    La   Sorcellerie   au   Maroc,   Paris,    Dorbon,   s.    d.,   p.    271. 

(4)  ^^aJ^j»J\  signifie  habituellement  «  la  contagion  ».  A  Rabat  on  ne  connaît  pas  sous 
Ci:  nom  d'affection  spécialement  oculaire  mais  une  maladie  très  grave  caractérisée  par  des 
abcès  multiples  et  que  nortis  n'avons  pu  encore  identifier.  A  Casablanca,  un  droguiste  indi- 
gène originaire  du  Haouz  nous  a  dit  que  oc  terme  s'appliquait  à  une  inflammation  oculaire 
caractérisée  par  du  pTurit  et  du  larmoiement. 

(5)  ij..Àsr\.  —  El  Mekhinza,  d'après  le  Pays  du  mouton  (op.  cit.),  serait  la  Sarilolîna 


COMMUNICATIONS  329 

On  la  fait  bouillir  dans  l'eau  pure,  puis  le  malade  s'incline,  les  yeux 
grands  ouverts,  sur  la  cuvette  contenant  la  tisane,  afin  que  la  vapeur  fasse 
sortir  les  larmes. 


Leblad  (i). 

On  prend  une  cuvette  plleine  d'eau,  on  l'expose  le  soir  à  l'air,  dans  un 
endroit  découvert,  face  aux  étoiles,  et  on  la  laisse  jusqu'au  matin,  avant 
le  lever  du  soleil.  En  se  lavant  les  yeux  avec  celte  eau,  on  est  sûr  qu'au  bout 
de  trois  jours  la  guérison  sera  radicale.  Cependant,  pour  plus  d  efficacité, 
on  lave  dans  la  cuvette  quelques  feuilles,  de  trois  à  sept,  ^couvertes 
de  rosée. 

Le  médicament  ainsi  préparé  demande  beaucoup  de  soins.  On  le  met  de 
préférence  dans  un  endroit  humide  pour  pouvoir  s'en  servir  le  plus  long- 
temps possible.  Deux  ou  trois  fois  par  jour,  on  laisse  tomber  quelques  gout- 
telettes dans  l'œil. 

Tarcha  (2).  Giffle  donnée  par  un  Djinn  à  l'individu  imprudent. 

Cette  maladie  ne  peut  être  guérie  que  par  un  seul  moyen  :  dès  que  l'œil 
commence  à  gonfler,  il  faut  s'adresser  au  l'aleb  le  plus  proche  qui,  aussitôt 
arrivé,  se  met  à  écrire  des  versets  du  Coran  sur  un  œuf  de  grosseur  rai- 
sonnable avec  de  l'encre  arabe  faite  avec  du  Henné  ou  du  Safran. 

L'amulette  une  fois  faite,  le  Fekih  la  prend  dans  la  main  droite,  l'appli- 
que tout  douc-ement  sur  l'œill  malade  en  répétant  des  versets  du  Coran,  et 
CA&se  l'œuf  à  la  fin. 

Ainsi  l'œuf  qui  servait  d'amulette  et  qui  a  été  appliqué  sur  l'œil  malade, 
s'est  emparé  de  toute  ^la  maladie;  en  cassant  l'œuf,  la  maladie  a 
«  expiré  »  (3). 

Des  indigènes  qui  par£dssent  fort  expérimentés  en  matière  de  médecine 
affirment  que  la  guérison  par  ce  curieux  préservatif  a  été  souvent  radicale. 
Il  a  été  .aussi  plusieurs  fois  constaté  que  quelques  marabouts  comme  Sidi 


Squarrosa  Wild.  (Composées).  A  Rabat,  la  plante  connue  sous  ce  nom  est  au  contraire 
Je  Chenopodium  Ambrosioides  (déterm.  du  professeur  Maire),  plante  importée  d'Amérique, 
et  aujourd'hui  très  répandue. 

(i)  ^>l-v^)\.  C'est  i'Albugo  ou  taie  cornéenne.  Cf.  D'  Sanguinetti,  op.  cit.,  p.  83 
La  thérapeutique  indiquée  est  évidemment  enfantine,  même  quand  on  la  compare  à  celle 
d'El  Qalioubi  (xvn"  siècle)  ou  du  Kitab  er  rahrna,  on  entrent  des  substances  bizarres 
comme  le  fiel  de  corbeau  et  la  présure  de  lièvre,  mais  où  il  y  a  un  essai  de  traitement 
rationnel. 

(2)  Il  s'agit  de  l 'œdème  des  paupières. 

(3)  Rite   d'expulsion.    Cf.    E.    Doutté,   Magie    et    religion,   p.  436. 

HBSPÊais.  —  T.  n.  —  1922.  22 


330  HESPÉRIS 

liou-Sinara  cl  Sidl  Mbarek  à  Casublaiica  i^j),  Sidi  OuasDÙn  (2),  cl,  en  paiii- 
(iilier,  Moulay  Bou  Azza  (3),  sont  doues  d'un  certain  pouvoir  de  {j^uérir, 
aussi  eXlicaceinent  que  l'ainulletle  énonccj  ci-dessus,  cellei  aiialadie,  dont  la 
cause  est  attribuée  à  la  contrariété  des  Djcuonii  (4). 

L'houuiie  qui  a  le  malheur  d^  les  piovoquer,  nicnie  involontairement, 
et  de  s'attirer  par  là  leur  haine,  reçoit  au  moins  une  gifile,  la  Tarcha,  ingué- 
rissable par  les  remèdes. 

Contre  la  paralysie  momentanée. 

Quand  quelqu  un  perd  la  aensibiiiité  d'un  membre,  il  faut  immédiate- 
ment Je  transporter  dans  un  Horni  (.Lieu  saint),  où  il  doit  passer  trois  nuits 
consécutives,  toujours  eiiicrmé  dans  la  qoabba  et  suivre  un  régime,  quel- 
quefois assez  singulier. 

On  doit  aussi,  sans  remettre  au  lendemain,  faire  venir  un  Taleb  ou 
Uakiin  (.sorcier)  (.5),  de  préférence  descendant  du  Marabout  protecteur,  pour 
agir  contre  la  maladie  et  atténuer  son  effet  malfaisant. 

Celui-ci,  aussitôt  arrivé,  garrotte  Ile  paralytique  solidemient  et  comimence 
sa  Taziinn  (b)  (sorte  de  prière  extraite  du  Coran  et  augmentée  de  plusieurs 
noms   de  démons   comme   ISckaunliarucli,    etc.),    en    le    fouettant,    d'abord 

(i)  Sidi  Bou  Smara  a  son  tombeau  dans  la  rue  qui  porte  son  nom.  Il  y  a  deux  Sidi 
Mbarek,  l'un  nommé  MouL  el  Kliarrouba  situé  rue  El  Hammam,  l'autre  dit  Ed-Driouicli, 
près  de  la  rue  £1  Farran.  Cf.  Villes  et  Tribus  du  Maroc.  Casablaïuca  et  les  Chaouia.  Paris, 
h.  Leroux,  iQib,  t.  I,  p.  66. 

(2)  Sidi  Ouasniin  cr  Ucgragui  a  sa  qoubba  sur  le  Djobel  Uadid,  chez  les  Chiadma, 
entre  SaH  et  Mogador. 

(3)  Le  Chaikh  Abou  liu'zz^  enterré  à  Taighia  (la  Thagia  de  I^on  VA.fncain),  oheia  les 
Zaian,  est  un  des  saints  les  plus  réputés  du  Maroc.  Il  mourut  dans  la  seconde  moitié 
du  XI 1®  siècle,  ajaiil,  au  dire  de  la  Halouat  cl  Anjas  (I,  174),  vécu  près  de  i3o  ans.  Il 
était  le  disciple  d'ALou  Choaib  ben  Ouâioud  eç  Çiahadji,  le  Moulay  Bouchaïb  d'Azen- 
mour.  Cf.  E.  Michaux-Beliaire,  Essù  sur  VHist.  des  Confréries  Maroc. ^  Hespéris,  1921, 
2^   trim. 

(4)  Ces  êtres  mystérieux,  surnaturels  cl  invisibles  tout  toujouis,  à  l'exception  du  mois 
do  Kamadan,  pendant  lequel  ils  sont  enchaînés,  des  sortilèges  nocturnes,  favorables  ou 
défavorables,  suivant  la  conduite  des  êtres  humains.  Les  indigènes  pi'étendent  même  que 
sur  toute  la  surface  de  la  terre  il  n'y  a  pas  d'endroit  qui  me  soit  habité  par  eux,  sauf 
les  mers,  à  cause  de  leur  salure.  Pai-  conséquent,  partout  où  l'on  se  trouve,  le  joui*  comme 
la  nuit,  on  risque  toujours,  surtout  en  marchant  vite,  d'écraser  quelques-uns  de  leurs 
petits,  ce  qui  alarme  toute  irne  tribu  de  ce  peuple  invisible.  La  preuve  en  est  dans  la  démar- 
che des  Tolbfkf  t^oujours  lente  et  mesurée  (Note  de  Vauteur). 

(5)  Le  terme  de     ^-5Lr»-    a  généralement  le  sens  de  a  Sage  »,  «  Savant  »  et  souvent  de 

«  médecin  »;  le  véritable  sorcier  est  le  Sehhar  -S-^sr^.  Cf.  D""  Mauchamp,  op.  cit.,  p.  ai 2 
ot  E.   Doutté,  op.cit.,  p.  36. 

(6)  M.  Doutté,  op.  cit.  p.  i3o,  emploie  le  terme  d'  'Azirna,  invocation  à  caractère  do 
contrainte  ;  cf.  également  p.  lai  a.  s.  des  noms  de  démons  invoqués  dans  les  incantations. 


COMMUNICATIONS  331 

modérément,  puis  très  fortement,  jusqu'à  ce  que  le  Djinn  qui  le  terrasse 
soit  forcé,  grâce  aux  noms  d'Allah  et  des  démons  répelés  plusieurs  fois  par 
le  Taleb,  de  quitter  son  faible  corps. 

A  remarquer  que  les  Arabes,  mêmie  Iles  plus  instruits,  se  servent  presque 
toujours  de  ces  noms,  mais  n'osent  pas  Iles  appeler  ainsi,  à  cause  de  la  reli- 
gion, qui  exclut  complètement  ces  sortes  de  croyances. 

Quelquefois  môme,  il  y  a  un  dialogue  entre  le  Fekih  et  le  Djinn.  Le 
premier  l'exhorte  à  sortir  et  Ile  second  réplique,  par  la  bouche  du  malade, 
au  milieu  de  mots  entr^ecoupés  de  souffles  et  de  soupirs,  qu'il  ne  sortira  que 
deux  ans  après  et  qu'au  bout  d'un  an  il  se  déplacera  dans  un  autre  membre. 
Le  Fekih  alors,  faisant  tous  ses  efforts  pour  que  sa  raison  soit  toujours 
présente,  n'accepte  aucune  de  ces  conditions  et  continue  sa  Tazima  jusqu'à 
ce  que  le  Djinn  sorte  et  que  le  malade  ouvre  les  yeux. 

Par  ce  qui  précède,  on  voit  que  les  Marocains,  en  plus  des  imédicaments 
usuels,  traitent  toutes  les  maladies  qui  sont  d'origine  vt  de  causes  occultes, 
c'est-à-dire  qui  ne  présentent  aucun  symptôme  sur  lïequel  ils  puissent  éta- 
blir une  ressemblance  avec  d'autres  maladies  connues,  par  des  préservatifs 
et  par  des  amulettes. 

Parmi  ces  maladies  qui  n'atteignent,  à  leur  dire,  que  des  gens  de  mauvaise 
foi  ou  dénués  de  toute  instruction  coranique,  à  tel  point  qu'ils  ne  puissent 
réciter  un  verset  du  Coran  (incontestable  préservatif  au  moment  opportun), 
sont  :  l'épilepsie,  la  danse  de  Saint-Guy,  etc.,  considérées  comme  absolu- 
ment incurables  par  les  médicaments  artificiels,  c'est-à-dire  usuels. 

La  prépondérance  des  préservatifs  et  des  talismans  dans  tout  le  pays  est 
jusqu'à  présent  incontestable  et  revêt  même  un  caractère  magico-reli- 
gieux.  Aussi  les  Marabouts  sont-ils  regardés  comme  les  seuls  gardiens  de  la 
santé  publique. 

Sidi  bel  Abbas,  de  Marrakech,  est  surnommé  le  guérisseur  des  yeux,  car 
il  guérit  par  sa  Baraka  toutes  les  maladies  oculaires  (i).  Aussi  on  n'entend 
jamais  un  aveugle  invoquer  d'autre  nom  que  celui  d'Allah  et  le  sien. 

Bien  d'autres  encore,  moins  célèbres,  dont  les  fills  et  les  petit-fils  jouis- 
sent d'une  popularité  fort  rare,  sont  renommés  pour  leur  action  bienfai- 
sante sur  tous  Iles  maux. 

Quelquefois,  quand  la  douleur  est  assez  vive  et  que  le  malade,  las  d'atten- 
dre les  secours  promis  par  le  Fekih,   perd  toute  patience,   on  llui  enduit 


(i)  Cf.  De  la  Martinière,  Souvenirs  da  Maroc.  Paris,  Pion,  s.  d.,  p.  219.  Sur  Sidi  ben 
Abbes  es  Sebli  (ii3o-i2oyi)  le  célèbre  patron  de  la  ville  de  Marrakech,  cf.  L.  Brunot, 
La  mer  dans  les  trad.  et  les  indastr.  indig.  à  Rabat  et  Salé.  Paris,  192 1,  p.  58.  et  les 
indications  bibliographiques  qui  y  sont  données  ;  E.  Vafûer,  Revue  France-Maroc,  sept.  1918. 


332  HESPÊRIS 

toule  la  partie  endolorie  avec  de  la  terre  pris'e  dans  le  mausdlée  de  certains 
Saints  cl  mélangée  dans  nne  pelile  boîte  avec  l'ean  dos  ablutions,  consi- 
dérée comme  eau  bénite. 

Même  contre  des  maladies  congénitales,  on  em{)loie  des  fragments  de 
Sourates  écrits  sur  lia  coque  d'un  oeuf  cru,  facile  à  laver,  ou  simpllement 
sur  du  papier,  avec  du  safran.  L'eau  de  ca.»  bain  est  recueillie  dans  un  petit 
vase  ou  dans  un  récipient  quelconque,  puis,  deux  ou  trois  fois  par  jour, 
on  en  donne  une  gorgée  au  malade. 

Si  ce  dernier  n'est  pas  guéri  au  bout  d'un  certain  temps,  comme  le  pré- 
tendaient Iles  pronostiqueurs,  la  cause  en  est  attribuée  à  sa  non  croyance 
et  à  son  inlidélité,  ce  cjui  e\pli(iuc  pourcpioi  le  Talcb  ne  veut  jamais  déli- 
vrer des  amulettes  aux  Nsâra  (infidèlles  chrétiens),  car,  prétend-il,  l'effet 
sédatif  n'aura   pas  d'action  sur  icux. 

'loutes  les  mesures  prophylacli(iues  sont  négligées,  ou  du  moins  regar- 
dées comme  inlordilcs  par  la   religion. 

Pour  anéantir  l'effet  d'os  liili  (malladios  épidémiques)  ou  -simplement 
l'atténuer,  on  met  à  l'heure  du  coucher  un  peu  de  levain  ou  pute  trempée 
dans  de  l'huile  d'Argan,  ou  d'olive,  sur  tous  les  seuils  des  maisons,  et,  le 
lendemain,  on  se  parfume  avec  du  Benjoin,  odeur  préférée  des  êtres  invi- 
sibles (i). 

D'autres  maux  sont  guérissables  exdlusivement  par  les  danses  usitées  dana 
la  Zaouia  par  les  adeptes  de  certaines  confréries,  en  particulier  par  les  Cîue- 
naoua.  Ces  derniers  célèbrent  une  fête  annuelle,  nocturne,  qu'ills  ap[)ellent 
la  Derdba,  où  ils  immolent  en  l'honneur  de  leurs  saints  patrons  (2)  un 
certain  nombre  de  bœufs,  de  moutons  et  de  poules,  choisis  pour  la  tailPe 
et  pour  la  coulleur. 

Ils  font  cuire  la  viande  d'une  façon  particulière,  sans  sel  (3),  'et  dans  la 
Zaouia  même,  appelée  la  Zerlba  (chaumière),  tous  les  fidèles,  après  avoir 
montré,  par  la  danse,  leur  dévouement  à  la  confrérie,  Ile  troisième  jour, 
malades  ou  non,  prennent  part  à  ce  repas  collectif  qui  les  assure  contre 
toutes  les  maladies  occultes  pendant  une  année  entière. 


(i)  Cf.  Doutte,  op.  cit.,  p.  72  sur  la  magie  des  parfums.  On  dislingue  le  Benjoin  blanc  : 
Djaouî  el  Abiod,  du  Benjoin  noir  :  Diaoui  el  Akhal,  qui  font  partie  dos  sept  parfums  : 
Seba^  boukhourat. 

(2)  Ils  se  réclament  du  cheikh  de  Bagdad  Sidi  Abd'cl  Qader  el  Djilani  cl  le  fondateur 
de  leur  confrérie  sérail  Sidi  Bellal,  esclave  du  prophète,  mais  en  réalité  l'inlervenlion  de« 
démons  y  joue  un  rôle  plus  importanl  que  celle  des  sa'nls.  Cf.  Michaux-Bellaire,  Rev. 
du  Monde  Musulm.,   1910,   p.   ^22. 

(3)  D'"  Mauchamp,  op.  cit.,  p.  igS;  Villes  et  Tribus  du  Maroc  :  Casablanca,  t.  I,  p.  64. 
Les  esprits  n'aiment  que  des  mets  sans  assaisonnements;  une  partie  du  bouillon  sert 
à  asperger  les  murs  et  le  sol,  comme  exorcisme.  La  D,erdba  se  tient  pendant  le  moi» 
de  Chaa'ban. 


COMMUNICATIONS  333 

Même  ceux  qui  sont  loin,  et  qui  ne  peuvent  par  conséquent,  participer 
à  cette  fête,  à  causie  de  leur  état  de  santé,  doivent  recevoir,  moyennant  une 
offrande,  un  peu  de  Ha  viande  de  ce  irepas. 

Les  femmes  forment  pllus  des  trois  quarts  des  adeptes. 

A  cela,  il  faut  ajouter  un  grand  nombre  de  femmes,  stériles  pour  la  plu- 
part, qui  viennent  chaque  année  grossir  la  foule  des  croyants.  Celles-ci 
font  généralement  des  vœux  surpirenants. 

Soins  a  prendre  pour  les  amulettes 

Tout  malade,  porteur  d'une  amulette,  d'un  préservatif  ou  d'un  talisman 
(Sboub  (i).  liidjab  ou  Tlàsiin),  doil  éviter,  autant  qu'il  lui  est  possible, 
l'odeur  du  Fassonhh,  mélange  résineux  ayant  la  propriété  de  détruire,  ou 
du  moins,  de  ralentir  l'cffci,  bienfaisant  de  ces  écrits.  Ce  dernier,  cioit-on, 
vu  son  odeur  désagréable  et  presque  nauséabonde,  épouvante  les  Moualine 
Lemkan  (éternels  propriétaires  de  l'endroit),  qui,  seuils,  peuvent  entendre 
les  plaintes  des  humains. 

Excepté  une  seule  amulette  faite  d'une  façon  spéciale,  et  que  les  ToJba 
ne  peuvent  pas  tous  faire,  appelée  :  Hardj  Mordjàna  (2)  (préservatif  de 
corail),  toutes  les  autres  s'annulent  par  Ile  puissant  effet  du  Fassoukh.  Cer- 
tains m'ont  déclaré  que  même  le  feu  ne  détruit  pas  son  action.  Quant 
aux  Moualine  Lcmkann  énoncés  plus  haut,  ils  sont  considérés  comme  des 
anges  judiciaires.  Ils  nous  serviront  dans  l'autre  monde  de  témoins  dans 
tout  ce  que  nous  avons  fait  de  bien  ou  de  mal  ici-bas.  Gomme  agents  de 
renseignements  d'Allah,  ills  rendent  de  grands  i&ervices  à  tous  les  humains 
qui  ont  le  bonheur  de  s'attirer  leur  estime  et  leur  sympathie  par  des 
offrandes  et  par  des  prières.  Aussi  on  voit  partout,  au  Maroc,  des  gens  même 
instruits,  qui,  surtout  lorsqu'ils  veulent  changer  de  résidence,  répètent  des 
supplications  et  placent  dans  toutes  les  pièces  une  pâte  farineuse,  fade  et 
pas  cuite,  préparée  avec  de  l'huile  d'olive,  par  une  femme  âgée,  hadja, 
(arrivée  de  pèlerinage)  et  dont  la  sagesse  ne  laisse  aucun  doute. 

iDe  quelques  plantes  employées  comme  remèdes  par  les  indigènes 

I.  —  Thym  Zaâter.  —  Très  bon  pour  l'estomac.  —  On  le  boit  avec  de 
l'eau  ou  du  lait. 

(i)  Plur.   de   (..«.-..«j,  corde,    morc«au   de  linge. 

'y 

(2)   Prononciation   locale   de  j^  amulette.    Cf.  Douttë,   op.  cit.,  p.    i46   et  suiv.   Depont 

et  Coppolani,    Les    confréries    relig.    musulm.,    Alger,    1897,    p.    iSg    spécialement    sur    le 
Herz   Mordjàna. 


334  HESPÉRIS 

2.  —  Menthe  sauva^re  Fîioii,  employée  égaletment  pour  les  maux  d'eato- 
mac.  On  la  fait  cuire  a\a'c  la  Tchicha  (i). 

3.  —  Lavande  saiivag-e  HalJial  (2),  très  bonne  aussi  pour  l'estomac.  On 
la  boit  dans  du  thé.  —  Très  bonne  aussi  pour  lia  maladie  appelée  Slassil. 

[\.  —  Buffle  musqué,  appelé  Chendgoura  (3)  et  une  autre  plante,  dite 
Oiiden  El  Hallouf  {^),  que  les  femmes  font  cuire  et  mangent  pour  leur  per- 
mettre d'enfanter. 

5.  —  Thapsia  Garganica,  appelé  Driass  (5).  On  fait  bouillir  octte  pliante 
avec  du  blé,  puis  on  laisse  sécher  le  blé  et  on  Ile  moud.  Les  femmes  mettent 
ensuite  celte  farine  dans  la  Tchicha  et  la  mangent  trois  fois  de  siuite.  Elles 
peuvent  ensuite  avoir  des  enfants. 

6.  —  Cynodum  Dactyliim,  appelé  Nejem  (6).  On  fait  bouilllir  les  racines 
de  cette  plante,  puis  on  lies  brûle,  et  celui  qui  est  atteint  de  la  maladie 
dite  Slassil  se  parfume  avec.   Dieu  le  guérit  rapidement- 

7.  —  Thuya,  appelé  Arar  (7),  abortif  en  infusions. 

8.  —  Laurier-rose,  appelé  Defla.  Même  propriété  que  lia  précédente. 

Thérapeutique  chirurgicale  dans  les  maladies  des  yeux. 

M'étant  entretenu  avec  un  oculiste  arabe  du  nom  de  Mohammed  bel 
Lhassen  Dadsi,  j'ai  recueilli  les  renseignements  suivants  en  ce  qui  concerne 
l'oculistique  indigène  : 


(i)  C'est  la  nourriture  bif^n  connue  des  pauvre»  en  pays  berbère  :  blé  grillé  écrasé  ft 
bouilli    avec    de  l'eau    et  un  peu  de  beurre, 

(2)  Au  Maghreb  ce  mot  désigne  la  Lavandala  Stoechas  L.  Cf.  Ibn  Bait.,  n"  692.  Quant 
im  terme  de  Slassil,  nous  n'avons  pas  trouvé    d'affection    désignée  sous  ce  nom;  peut-être 

faut-il  lire  simplement  ^_j.^J^-c»j  pour    Salis   el    boul,   incantinenoe   d'urine. 

(3)   »y^9^>^.^    Teucrium  Chamaepitys  L.   Cf.    Tohfa,  p.    22,  ou   Ajuga  Iva  Schreb. 
(Il)  Cf.  supra,  p.  325,  note  3. 

(5)  Mot  berbère,  on  trouve  aussi  Aderias  et  Dries.  Cf.  Laoust,  op.  cit.,  p.  5o5;  Salmon 
op.  cit.  p.  8  (note). 

(6)  ((►s.-*  c'est   le   gros  Chiendent  d'Italie. 

(7)  Le    mot  d'  ^^dcsigne    indistinctement    au    Maroc    les    différentes    sortes    de  Cyprès, 

de  Thuya  el  d"  Genévrier.  Cf.  Boudy.  Les  Forêts  du  Maroc,  in  Rev.  France-Muroc,  i5  juillet 
1919,  p.  18G.  Certaines  espèces  seulement  comme  le  Juniperus  Sabina  sont  douées  des 
propriétés  indiquées.  Le  D""  Leclerc  {Traité  des  Simples  d'Ibn  Baitar,  n"  i528),  traduit 
]«  terme   d'Arar  par   Juniperus. 


COMMUNICATIONS 


335 


1°  Traitement  de  la  dacryocystite,  taies  de  la  cornée,  trachomes,  conjonc- 
tivites. Le  maallem  fait  une  pointe  de  feu  dans  la  région  temporaile,  du  côté 
de  l'œil  atteint.  Il  se  sert  de  rinstrument  appelé  mahouar  âfia  (fig.  2)  (i), 
qui  rappelle  nos  anciens  cautères;  ensuite,  ill  passe  du  Kolh  ou  de  l'anti- 
moine (2). 

2°  Pour  la  cataracte.  lil  se  sert  du  merroud  (fig.  3)  (3),  poinçon  en  cuivre, 
qu'il  enfonce  dans  l'angle  externe  de  l'œil  pour  essayer  de  réaliser  la  luxa- 
tion du  cristallin.  Il  a  obtenu  certains  résultats. 

y  Pour  le  traitement  de  il'ectropion  et  entropion,  il  réalise  les  sutures 


^ 


^ 


* 


0 


^^ 


par  le  mokhtaf  (fig.  4)  (^),  sorte    d'aiguille  courbe,  et  fait  des  pointes  de 
feu  au-dessus  de  la  paupière  lésée  avec  ïamakod  (fig.  5)  (5). 

4"  Pour  le  Mépharospasme  clonique,  il  fait  une  pointe  de  feu  à  l'angle 
supéro-interne  de  l'œil   malade  et  applique  du   kolh. 

(i)Fîg.   2^\^s:*  Ar. 

(2)  Le  terme  de  ^J.s;' 'désigne  habituelkment  le  collyre  sec  au  sulfure  d'antimoine  n\ 
1?  stibine  elle-même,  mais  la  pharmacopée  arabe  classique  emploie  ce  terme  pour  diffé- 
rents collyres  :  collyre  jaune  ^jl-oÎ  J^siT  au  Curcuma  ;  collyre  gris  ^^fi\  ^J.s.^  contenant  de 
l'oxyde  de  zinc,  etc.  Cf.  D""  Sanguinetti,  op.  cit.,  p.  124.  L'antimoine  ^^\  est  propre- 
ment  le  Kohi  el  Asouad  :  cf.  Ibn  Bait.,  n°  1898.  Au  Maroc  on  distingue  le  kohl  du 
Sahara  de  celui  de  la  Mecque;  ce  dernier  est  appelé  k_î, 3"^  J-s.^  car  il  contient  de  l'oxyde 
de  zinc  ouLoy.  Le  Kohl  blanc,  eau  berbère  Tazoull,  est  de  la  Galène  (sulfure  de  plomb). 

(3)  Fig.   3  >_j^   Ar. 

(4)  Fig.  4   ^Ua^  Ar. 

(6)   Fig.   5.   Mot  berbère,  racine  Ek'k'ed,  cautériser. 


336  HESPÉRIS 

5°  11  opère  le  strabisme  par  la  scclion  du  muscle. 

Tous  ces  traitements  se  tenuiiicnt  par  une  application  de  holh,  gardé  pré 
cieuscment  dans  un  bout  de  roseau  (i).  Le  kolh  blanc  du  Tafilalct,  Tazou- 
it,  est  très  apprécié  (mi  oculistiiiue, 

Aj;udir,  k>  10  février  l'.US 

D'    BULÎT. 

(i)  , ^^9.  On    est    ôvidoiiiMU'iU    très    loin    de  la  riche    instninienlalion    de,';    chirurgiens 

arabes  du  Moyon-Aj^c,    décrite    dans    hi    Chirurgie    d'Aboul-QAsini    e/.-Zalir.ioui    (Abulcasis) 
Ed.  Channing,    1778,  t.    I  et  trad.  du  D""  Lcclorc.    Paris,   Baillière,    i85i. 


COMMUNICATIONS  337 


Un  saint  musulman  de  Salé  :  Sidi  El=Abd  el=MedIoum. 

Les  vieilles  gens  racontent  que  El-Abd  El-Medloum,  turc  d'origine  et  dont 
le  nom  véritable  est  depuis  longtemps  oublié  était  boucber  à  Salé. 

Une  femme  voilée  s'arrêta  un  jour  devant  son  étalage  et  sembl.a  un  ins- 
tant convoiter  du  regard  les  tranches  de  foie  qu'il  vendait. 

Quand  elle  fut  passée,  El-Abd  El-Medloum,  ayant  deviné  son  désir,  char- 
gea un  de  ses  apprentis  de  la  rejoindre  pour  lui  remettre  la  part  de  foie  sur 
laquelUe  ses  regards  étaient  tombés. 

La  femme  était  enceinte.  Or  chacun  sait  qu'il  est  de  son  devoir,  dans  un 
cap  semblable,  de  contenter  les  caprices  de  la  future  mère;  faute  de  quoi,  en 
effet,  il  est  déclaré  responsable  de  l'accident  qui  peut  résulter  d'une  contra- 
riété aussi  légère  soit^ellle,  anomalie  de  l'enfant,  voire  même  sa  mort,  car 
c'est  le  petit  être  à  naître  qui,  selon  la  croyance  indigène,  récl&me  impérieu- 
sement toutes  lies  bonnes  choses  dont  le  fumet  parvient  jusqu'à  lui. 

Rentrée  chez  elle,  la  femme  s'empresse  d'accommoder  le  foie  et  d'y  goûter 
puis  elle  le  servit  à  son  mari  lorsqu'il  fut  de  ifetour;  elle  allait  lui  expliquer 
son  aventure  quand  ill  lui  demanda  sévèrement  d'où  provenait  cette  nour- 
riture. Il  entra  dans  une  violente  eolère  en  apprenant  la  générosité  d'El- 
Abd  El-Medloum;  il  accusa  sa  femme  d'avoir  manqué  à  ses  devoirs  en  accep- 
tant quelque  chose  d'un  étranger,  la  frappa  nidement  et  la  tua.  En  mourant, 
elle  accoucha  de  trois  enfants,  deux  garçons  et  une  fille  qui  vinrent  au  mon- 
de en  tenant  chacun  dans  Heurs  petites  mains  un  morceau  de  foie  qu'ils 
suçaient  avidement. 

Ce  spectacle,  loin  de  calmer  la  fureur  du  père,  l'irrita  davantage  :  il  ôta  la 
vie  aux  trois  innoeents  puis  se  précipita  à  la  recherche  d'El-Abd  El-Medloum 
qu'il  tua  également;  ap<rès  quoi,  conscient  de  son  crime,  il  se  donna  lui-mê- 
me la  mort. 

Le  boucher  fut  enterré  dans  le  cimetière  situé,  à  Salé,  immédiatement 
derrière  Bâb  Fâs, 

Le  soir  de  cette  malheureuse  journée,  lorsque  le  gardien,  avant  de  fermer 
la  porte,  oria  selon  la  coutume  :  «  que  celui  qui  est  encore  dehors  s'empresse 
de  rentrer  »,  une  voix  sortant  de  la  tombe  fraîchement  recouverte  se  fît 
entendre  disant  :  «  III  n'y  a  plus  dehors  qu'un  serviteur  de  Dieu,  victime 
d'une  iniquité  »  (en  arabe  «  Abd  Medloum  »),  appellation  demeurée  à  la 
victime  que  l'on  reconnut  alors  pour  un  saint  personnage  et  à  qui  les  fidè- 
les élevèrent  aussitôt  un  marabout. 

Resté,  dans  la  pensée  du  peuple,  l'ami,  le  protecteur  de  l'enfance,  son  tom- 
beau est  visité  constamment  aujourd'hui  par  les  petites  musulmanes  qui  ont 
entrepris  l'apprentissage  du  tapis  et  de  Ha  broderie  et  que  son  influence  est 


338  HESPÉRIS 

censée  faciliter.  Les  visites  ont  lieu  d'un  bout  de  irannéc  à  l'autre  et  i\  tou- 
tes Iles  heures  du  jour.  Les  jeunes  apprenties,  ■élèves  d'un  menue  atelier, 
parentes  ou  voisines  <iui  \oiil  en  ((  ziara  »  eniporU'iit  du  ruisin  sec  ([ui  est 
partagé  {;ur  la  tombe  du  saint  et  mangé  iminédiattnnont,  ou  bien,  elles  éta 
lent,  éga'lomont  sur  la  pioiro  nuMtuaire,  une  mixtuie  composée  de  la  cendre 
provenant  de  l'incinération  de  brins  de  laine  pinir  les  tapissières,  de  soie 
pour  les  brodeuses,  mèléo  à  du  midi  et  que  chacune  lèche  à  tour  do  rôle  en 
adressant  au  saint  des  invocati<ms  : 

<(   Sidi   El-Abd   l'^l-Medlouni.   donne-jnoi    la   conipréhcnsionl 

Si  je  parviens  à  apprendre  quelque  chose,  je  t'apj)orterai  un  cierge  ». 

Un  mendiant  qui  s'est  institué  le  gardien  (moqaddcm)  du  sanctuaire  re- 
çoit, au  nom  du  saint,  à  qui  on  ne  connaît  aucune  dcscendanoc,  les  offran- 
des qui  lui  sont  faites. 

S.   D.   Ammor-Bouillot, 

Directrice  de  l'Kcole  de  fillettes  musulmanes  de  Salé. 


COMMUNICATIONS  339 

L'Industrie  du  Fer  chez  les  Berbères  du  Maroc. 

Hauts-Fourneaux  berbères  des  Ait  Chitachen. 

Ce  fut  tout  à  fait  par  hasard  que  nous  les  découvrîmes,  le  i3  octobre  1919, 
au  cours  d'une  tournée  médicale  dans  le  Sud  de  Demnat. 

Partis  de  ce  point,  au  matin,  par  le  pittoresque  Imi-n-Ifri,  nous  passions 
vers  midi  la  crête  aride  du  Djebel  Aori  et  le  triste  plateau  qui  lui  fait  suite. 
De  lia,  nous  redescendîmes  presque  à  pic,  dans  le  lit  même  de  l'assif-n- 
Oufad,  branche  mère  de  l'assif  Ihouariden,  llui-même  affluent,  et  non  des 
moindres,  de  l'Oued  el-Akhder  (Tessaout  Fouqia). 

Le  site,  déjà  sévère,  s'assombrit  ici,  jusqu'à  l'oppression  ;  le  cours  d'eau 
s'est  frayé  un  pénible  chemin  dans  des  gorges  de  plus  en  plus  étroites, 
striées  de  roches  alternativement  rouges  et  noires.  Des  cluses  infernales 
succèdent  aux  falaises  abruptes  que  prennent  d'assaut  les  troupeaux  d'eu- 
phorbes cactoïdes,  à  Ha  pâlie  couleur  verte. 

Un  sentier  difficile  (et  pourtant  il  est  un  fragment  de  la  grande  voie  de 
Demnat  au  Dades),  remonte  les  méandres  de  l'oued;  il  nous  mène  à  l'étape  : 
le  village  d'Oufad,  dans  la  tribu  des  Ait  Chitachen. 

Le  cheikh,  un  berbère  bien  éveillé,  poil  roux  et  yeux  verts,  nous  installe 
dans  la  plus  confortable  masure  :  celle  d'une  veuve,  qui  nous  offre  la  plus 
franche  des  hospitalités.  Notre  chambre  s'ouvre  sur  une  terrasse  d'où  nous 
pouvons  contempler  le  rude  panorama. 

Nous  sommes  ici  au  confluent  à  peine  élargi  de  deux  étroites  vallllées  : 
cellle  de  l'assif-n-Tifni  au  sud,  elle  descend  du  Tizi-efdghat,  et  celle  de  l'assif- 
n-Tighli  à  l'ouest,  venue,  elle,  du  Tizi-n-Ouallmeghra. 

Le  confluent  llui-même  porte  quelques  maigres  champs  enfouis  en  étage, 
sous  d'immenses  noyers  déjà  dorés  par  les  premières  atteintes  d'un  hiver 
précoce. 

Un  cirque  d'énormes  rochers  ferme  l'horizon  bordant  la  vallée  de  lignes 
de  faîte  aiguës  qui  se  matelassent  de  brumes.  Une  crête  secondaire  détachée 
de  la  muraille  de  l'est,  la  divise  :  le  versant  nord,  celui  qui  se  jïrésente 
à  notre  vue  veiné  d'étranges  traînées  noires,  descend  en  éboulis,  jusqu'à 
l'oued. 

Et,  dans  oe  paysage  sinistre,  par  le  silence  d'un  crépuscule  d'automne, 
à  mesure  que  l'ombre  s'étend,  montent  des  lueurs  d'abord  clignotantes  et 
incertaines,  puis  de  plus  en  plus  précises,  vives,  éclatantes,  comme  seul  en 
jette  un  foyer  activé  par  un  violent  courant  d'air. 

Toute  la  nuit,  sur  la  crête  secondaire,  des  clartés  veillent;  ce  sont,  paraît-il, 
les  hauts-fourneaux  berbères,  que,  dès  l'aube,  nous  nous  empressons  d'aller 
visiter. 


340 


HESPÉRIS 


L'escalade  de  la  montagne  est  rude,  mais  nous  sommes  pleinement  récom- 
pensés ile  nos  peines.   Le  vague  soulier  frayô  i)arini  le  chaos  des   roches 


FiG.  1.  — -;]IIaut-fourneau  de  forge,  Tighli  Oufeid  (Ait  Chilachen). 


sombres,  traverse  le  village  des  Ait  Hammani-n-Ouggouguen.  L'usine,  s'il 
est  permis  de  lui  donner  ce  nom,  est  tout  au-dessus,  tapie  au  sommet  même 
de  la  crête. 

Elle  se  compose  d'un  hangar  dont  le  fond  s'appuie  au  rocher,  et  qui 


COMMUNICATIONS 


344 


s'ouvre,  faoe  au  nord,  sur  la  vallée.  Sa  terrasse,  de  simple  terre  battue, 
comme  toutes  celles  de  la  région,  est  supportée  par  de  grossiers  piliers  faits 
de  troncs  d'arbres.  Le  hangar  est  divisé  en  trois  parties,  qui  sont,  de  l'est 
à  l'ouest  :  une  aire  où  l'on  concasse  le  minerai,  le  haut-fourneau  et  une 
forge  (fig.   i). 

Le  minerai  provient  de  la  région  elle-même;  il  est  extrait  du  flanc  de  la 


Fig.  2.  —  Schéma  du  haut-fourneau. 


montagne,  dans  des  endroits  très  accessibles;  nous  avons  pu  en  voir  plu- 
sieurs spécimens  tout  le  long  de  l'assif-n-Tighli,  en  remontant  vers  le  Tizi- 
n-Oualmeghra.  Les  mineurs  se  contentent  de  creuser  une  petite  excavation 
qu'ils  abandonnent  pour  une  autre,  dès  que  Isa  profondeur  atteint  deux 
mètres  environ.  Le  minerai  paraît  très  abondant  et  riche  en  fer,  com!me 
nous  pourrons  le  voir  au  cours  de  sa  manipulation. 

Le  minerai  transporté  de  la  mine  à  l'usine  est  concassé  sur  le  terre-plein 
réservé  à  cet  usage  à  droite  du  fourneau.  Des  ânes  apportent  le  combustible  : 
du  charbon  de  bois  fabriqué  dans  le  pays  même,  ce  qui  explique  en  partie 
le  caractère  désoUé  de  la  région  et  aussi  la  production  limitée  du  métal. 

Le  haut-fourneau  (fig.  2)  est  d'une  simplicité  rare.  Il  se  co/mpose  d'un 
corps  central,  auquel  est  adapté  une  puissante  soufflerie» 


342  HESPÉRIS 

Le  fourneau,  intérieurement,  repi^ésente  une  base  rectangulaire  (5o  ct'nli- 
mètres  sur  i^.oo  et  i'",75  di:  haut).  La  partie  inférieure  est  faite  du  roc 
évidé  en  une  profonde  rigole  et  la  partie  supérieure  de  murs  en  pierre  soli- 
dement niavonnés  et  primilivenient  couverts  d'un  enduit  (i  et  2).  L  ex- 
trémité supérieure  s'ouvre  lc.rgcjment  à  l'air  libre.  La  face  antérieure  pré- 
sente on  contre-baà  une  petite  ouverture  carrée  en  forme  de  porte.  A  la 
partie  postérieure,  la  maçonnerie  s'élève  massive,  d'un  mètre  environ  : 
c'est  le  contre-feu  (3),  qui,  à  la  fois,  protège  la  soufilerie  et  sert  de  sup- 
port à  la  terrasse  qui  tient  lieu  de  toiture. 

Sous  cet  abri,  et  en  carrière  du  fourneau,  est  établie  la  soufflerie  (4).  Celle- 
ci  n'offre  de  particulier  que  ses  dimensions  bien  au-dessus  de  l'ordinaire; 
elle  n'est  d'ailleurs  pas  spéciale  à  cette  région,  et  on  en  trouve  une  excellente 
description  dans  l'ouvrage  de  Ilanotcau  et  Letourneux  sur  Iles  Kabyles  : 

«  En  arrière  du  contre-feu  sont  placés  parallèlement  l'un  à  l'autre,  et  très 
rapprochés,  deux  soufflets  ayant  la  fortme  de  cylindres  de  70  centimètres 
de  diamètre  et  de  i  mètre  de  longueur.  Chaque  soufflet  est  formé  d'une 
peau  de  bœuf  tendue  de  cerceaux  en  bois,  auxquels  elle  est  fixée  au  moyen 
de  fills.  L'une  des  extrémités  de  cette  peau  est  clouée  a  une  planche  fixe, 
placée  à  3o  ou  4o  centimètres  du  contre-feu  et  percée  d'un  trou,  dans  lequel 
s'adapte  la  buse.  L'autre  est  clouée  sur  une  seconde  planche,  distante  de  la 
première,  de  toute  la  longueur  du  soufflet,  et  pouvant  se  mouvoir  autour 
d'un  axe  horizontal,  disposé  à  lia  partie  inférieure  sur  des  tourillons,  de 
manière  à  foraier,  llorsqu'on  le  met  en  mouvement,  un  angle  de  45  degrés 
avec  l'axe  du  cylindre.  C'est  dans  cette  planche  qu'est  pratiquée  la  soupape. 
Ix)rsqu'elle  est  mise  en  imouvement,  ce  qui  se  fait  au  moyen  d'une  poignée 
placée  à  la  partie  supérieure,  l'air  est  comprimé  dans  l'intérieur  du  soufflet 
et  s'échappe  par  la  buse.  Les  buses  des  deux  soufflets  se  réunissent,  mais 
sans  se  confondre,  dans  le  trou  qui  traverse  Ile  contre-feu  et  correspond  au 
foyer  de  la  forge.  » 

Ajoutons  que  cette  soufflerie  est  à  mouvements  alternatifs  et  qu'elle  exige 
deux  hommes  pour  son  maniement. 

Le  charbon  et  le  minerai  sont  introduits  en  couches  stratifiées  par  l'ouver- 
ture supérieure  du  fourneau;  Ile  feu  y  est  mis,  vivement  activé  par  le  jeu 
des  soufflets.  L'orifice  de  charge  et  celui  qui  sert  de  dégagement  à  la  fumée 
est  donc  le  mêane.  A  mesure  que  le  niveau  du  combustible  baisse,  on  re- 
charge l'appareil,  tandis  qu'un  homme  armé  d'un  crochet  de  fer  monté 
sur  une  tige  de  bois,  enlève  les  scories  par  l'ouverture  du  bas.  Les  scories, 
entraînées  par  leur  propre  poids  le  long  de  la  pente  de  la  montagne,  for- 
ment ces  traînées  noires  qui  donnent  son  aspect  étrange  au  paysage. 

L'opération  de  la  fonte  du  métal  dure  quarante-huit  heures;  après  quoi, 

on  laisse  (refroidir  le  tout  et  on  extrait  le  lingot  par  l'orifice  inférieur  du 

four.  Ce  lingot,  impur  et  spongieux,  a  épousé  exactement  le  fond  de  la 


COMMUNICATIONS  343 

cavité  où  se  sont  rassemMées  les  gouttes  du  métal  en  fusion  ;  il  mesure 
approximativement  1^,50  de  long,  3o  centimètres  de  large  et  20  centi- 
mètres d'épaisseur.  Sa  face  inférieure  est  convexe;  quant  à  sa  face  supé- 
rieure, inégale  et  rugueuse,  elle  porte  des  fragimentts  de  charbon  non 
entièrement  brûlé  et  des  scories;  elle  est  assez  l'image  d'une  mer  figée. 

A  ce  moment,  on  procède  à  l'épuration  du  minerai.  La  soufflerie  est 
détachée  du  four,  et,  par  un  mouvement  de  translation  à  gauche,  adaptée 
à  lia  forge,  qui,  elle,  ne  diffère  aucunement  d'une  forge  berbère.  Là,  le 
lingot  est  divisé  en  petits  morceaux  et  le  laitier  en  est  expulsé  au  marteau. 
Le  fer,  dorénavant  prêt  à  servir,  est  entassé  dans  un  coin.  A  l'époque  des 
labours,  k  cultivateur  vient  en  acheter  des  parcelles,  jour  de  souq  ou  non, 
nous  explique-t-on,  et  il  le  fait  souvent  transformer  sur  place  en  un  de  ces 
socs  de  charrue  connus,  dans  toute  la  contrée,  sous  le  nom  de  «  socs  de 
Demnat  ». 

L'outil  ainsi  obtenu  ne  peut  être  comp£>ré  à  celui  que  les  ma'allem  for- 
gent avec  le  fer  d'importation;  bien  que  fait  d'une  matière  très  dure,  il  se 
fendille  et  s'ébrèche  facilement  dès  qu'on  frappe  dessus  pour  l'ajuster  à  la 
charrue.   C'est  un  article  de  qualité  inférieure. 

Le  fer  des  Ait  Chitachen  ne  paraît  pas  employé  à  d'autres  usages. 

Cette  préparation  du  fer,  telle  que  nous  venons  de  la  décrire,  constitue 
un  procédé  direct,  le  plus  primitif  de  tous  et  qui  n'est  plus  guère  employé 
que  dans  Iles  pays  les  moins  civillisés,  comme  le  Soudan. 

Il  y  a  une  cinquantaine  d'années,  on  pouvait  le  voir  encore  fonctionner 
en  Finlande.  Mais  si  la  fabrication  était  la  même,  les  dimensions  des  fours 
berbères  sont  bien  plus  considérables  et  le  lingot  produit  bien  plus  pesant. 

Il  y  a  lieu  de  se  demander  si  cette  industrie,  rare  dans  la  imontagne, 
—  nous  ne  savons  pas  qu'elle  ait  été  déjà  signalée  —  est  née  du  lieu  même 
ou  a  été  importée. 

La  nomenclature  des  différentes  parties  du  four  et  des  instruments,  quel- 
ques imprécises  que  soient  ses  indications,  semblerait  le  laisser  supposer  : 

Le  soufflet  a  gardé  son  appellation  arabe  :  Ikir;  il  est,  d'ailleurs,  d'un 
modèle  courant  employé  par  beaucoup  de  forgerons  sédentaires;  il  est  re- 
marquablement bien  construit  et  tranche  par  son  aspect  soigné  avec  la  rusti- 
cité des  autres  instruments.  Il  semble  donc  importé,  ou  bien  il  représente 
un  perfectionnement  d'origine  étrangère  d'un  outil  primitif,  aujourd'hui 
disparu. 

Les  autres  noms  arabes  s'appliquent  : 

A  la  planche  inclinée  à  45  degrés  sur  laquelle  sont  fixées  les  peaux  des 
soufflets  :  sder  elkir,  la  poitrine  du  soufflet; 

Au  minerai  :  Imaaden  Ihadid; 

Au  crochet  spécial  qui  sert  à  retirer  les  scories  :  sfoud,  substantif  arabe 
parfois  berbérisé  en  asfoud  par  la  préfixation  d'un  a. 


344  HESPÉRIS 

Quant  aux  mots  berbères  employés,  le  four  s'appellle  tinzert,  qui  signifie 
«  narine  »,  et  l'orifice  d'éjecfion  :  imi-n-tinzert,  <(  lia  bouche  de  la  narine  ». 
Los  scories  se  noanmcnt  lan'Kjht  :  «  la  rouille  »,  cl  les  tuyères,  inifif  :  «  en- 
tonnoir »,  littéralement  :  ((  ce  qui  sert  à  verser  ». 

Nous  voyons  donc  qu'aucun  de  ces  mots  n'appartient  en  propre  à  l'in- 
dustrie du  fer;  ills  (mt  été  empruntés  à  la  vie  courante.  Ceci  plaide  déjà  en 
faveur  de  l'origine  étrangère  de  cette  industrie. 

Cette  hypothèse  paraît  se  confirmer  si  l'on  se  rappelle  l'état  social  des 
travailleurs  du  fer.  Le  mépris  dans  lequel  ils  vivent  et  qu'ils  partagent  avec 
les  potiers,  est  bien  connu.  Misérables,  ils  sont  mis  à  l'index:  de  la  popula- 
tion, ne  peuvent  être  propriétaires  et  sont  obligés  de  se  marier  toujours 
entre  eux.  «  La  fille  du  forgeron  ne  compte  pas  parmi  les  filles  »,  dit  un 
proverbe.  Les  forgerons,  prétendent  les  Berbères,  ne  sont  pas  des  Ima/ighcn, 
et,  si  l'on  demande  à  un  forgeron  s'il  est  amazigh,  il  répond  :  «  je  suis 
amzil  »,  c'est-à-dire  <(  forgeron  »,  tout  comme  s'il  s'agissait  d'une  autre 
race. 

Nos  Berbères  de  Ha  vallée  d'Oufad  n'échappent  pas  à  cette  règle;  leurs 
villages  leur  sont  particuliers,  ils  forment  une  caste  très  fermée,  dans 
laquelle  la  profession  est  héréditaire.  Mais  le  droit  de  propriété  ne  leur  est 
pas  refusé;  ils  possèdent  quelques  maigres  champs  dans  des  districts  qui 
paraissent  rigoureusement  dâUmilés,  ici,  par  l'oued. 

Soumis  par  ailleurs  à  l'adininislralion  du  cheikh  d'Oiifad,  ils  participent 
de  ce  chef  aux  corvées  et  aux  harka  de  la  tribu. 

La  corporation  ne  jouit  d'ailleurs  pas  d'une  bonne  réputation  :  «  ils  volent 
le  fer  »j  nous  dit-on;  et  comme  explication  à  cette  phrasa  ambiguë,  Iles  gens 
ajoutent  :  <(  ils  volent  le  monde  en  pesant  leur  fer  dans  des  balances  falsi- 
fiées. »  Cette  accusation  est  peut-être  injuste,  mais  on  ne  craint  pas  de  les 
charger  de  tous  les  méfaits,  tout  comme  s'ils  étaient  des  Juifs,  ces  autres 
spécialistes  du  travail  du  fer. 

Leurs  calomniateurs  sont  naturellement  parmi  les  cultivateurs,  qui  leur 
ont  gardé  une  vieille  rancune  :  «  ceux  qui  pilent  la  terre,  dit-on,  ne  font 
pas  une  action  congrue;  il  y  a  là  un  grand  péché.  D'elle,  les  hommes  ont 
été  créés  ;  celui  qui  la  frappe,  c'est  comme  s'il  frappait  son  père  et  sa 
mère.  » 

L'antique  haine,  déjà  apparente  dans  la  Genèse,  serait  peut-être  le  vestige 
de  guerres  entre  des  autochtones,  bergers  ou  agriculteurs,  et  des  envahis- 
seurs étrangers  sachant  travaiiUer  le  fer. 

Mais  laissons  un  Berbère  nous  en  raconter  la  cause  : 

«  Les  forgerons  ne  sont  jamais  riches.  —  Sidna  Daoud  était  leur  Cheikh. 
—  En  ce  temps-là  du  monde,  ils  étaient  comblés  de  richesses,  et  les  fellah 
ne  voulurent  plus  travailler  pour  eux.  De  Heur  côté,  les  forgerons  ne  voulu- 
rent plus  forger  des  socs. 


COMMUNlCATiONS  345 

Mors,  les  fellahs  se  rendirent  en  pleurant  chez  Sidna  Daoud  :  —  Que 
vous  arrive-t-il,  ô  fellah?  —  0  Sidna  iDaoud,  Iles  forgerons  regorgent  de 
richesses,  i!ls  ne  veulent  plus  nous  forger  des  soos,  bien  que  le  temps  des 
labours  commence  à  passer.  Sidna  Daoud  manda  les  forgerons.  Quand 
ils  fuirent  là,  il  ileur  dit  :  —  Pourquoi  ne  voulez-vous  pas  fabriquer  des 
«ocs  pour  les  fellah .►^  Ils  répondirent  :  «  Sidna,   nous  n'avons  pas  le  temps. 

—  Pourquoi?  répliqua  Sidna  Daoud.  Ce  n'est  pas  le  temps  qui  vous  man- 
que,  c''est  vous  qui  êtes  rassasiés.   Alors,  il  ise  mit  en  colère  et  Heur  dit   : 

—  Partez,  dorénavant,  qu'aucun  m'allem  ne  s'enrichisse  de  sa  profession. 
Depuis,  les  forgerons  sont  toujours  pauvres;  mais  le  fellah  ne  s'enrichit  pas 
^davantage  en  travaillant...  sauf  celui  qui  possède  des  brebis.  » 

Marrakech,  2  mai  1021. 

D"  A.  Paris  et  F.  Ferriol, 

Médecins  du  groupe  sanitaire  mobile  de  lAtlas. 


-  I.  II.  —  1922.  23 


Bibliographie 


E.  Lévi-Protençal.  —  Textes  arabes 
de  rOûargha.  Dialecte  des  Jbàla  (Maroc 
septentrional).  —  Paris,  Leroux,  1922, 
I  vol.  in-8°,  a85  p.  {Puhlicalions  de 
l'Institut  des  Hautes-Études  Marocaines, 
tome  IX). 

Les  études  dialectales  d'arabe  maro- 
cain ne  chôment  pas.  L'an  dernier, 
M.  G.  S.  Colin  donnait  ses  Notes  sur 
le  parler  arabe  du  Aord  de  in  Région 
de  Taza.  Aujourd'hui,  M.  Lévi-Pro- 
vençal  publie  ses  Textes  arabes  de 
VOiiargha.  qu'il  a  recueillis  au  cours  de 
l'année  1918  dans  une  région  toute  voi- 
sine de  celle  qu'a  étudiée  M.  Colin. 

C'est  là  une  coïncidence  heureuse  qui 
permet  de  généraliser  quelque  peu,  de 
déterminer  certains  caractères  essen- 
tiels communs  des  parlers  monta- 
gnards et  de  noter  des  points  sur 
lesquels  se  produisent  les  difTérencia- 
tions  dialectales. 

J'aurai  donné  une  idée  générale  de 
l'ouvrage  de  M.  L.-P.  et  de  sa  méthode 
quand  j'aurai  dit  que  l'auteur  a  pris 
modèle  sur  les  Textes  arabes  de  Tanger 
de  M.  W.  Marçais.  Il  est  bon,  en  efTet, 
que  l'exploration  linguistique  d'un  pays 
se  poursuive  avec  une  méthode  cohé- 
rente, celle  d'une  étude  initiale  et  fon- 
damentale, à  laquelle  on  se  réfère  cons- 
tamment. 

Les  textes  que  M.  Lévi-Provençai  a 
recueillis  appartiennent  à   un  dialecte 


de  montagnards  habitant  le  sud  du 
massif  du  Jebel.  Ce  pays  est  traversé 
par  la  vallée  moyenne  de  l'Oùargha, 
d'où  le  titre  de  l'œuvre.  L'auteur  a  net- 
tement délimité  Taire  de  ses  recherches 
et  a  donné  une  carte,  document  pré- 
cieux pour  la  carte  linguisticiue  à  venir. 
M.  Colin,  également,  on  a  donné  une 
dans  son  travail.  On  s'aperçoit  ainsi 
que  ces  deux  éludes  dialectales  con- 
cernent des  territoires  contigus. 

Les  Jbàla  ont  des  dialectes  qui,  dans 
l'ensemble,  se  distinguent  des  dialectes 
citadins  d'une  part,  et  des  dialectes  de 
T'Aroùbiya  d'aulre»parl.  Sans  doute,  la 
•/.î'.vTj  marocaine  y  règne  comme  ailleurs. 
Cependant,  des  particularités  phoné- 
tiques et  une  morphologie  un  peu 
spéciale,  plus  que  le  lexique  lui-même, 
accusent  une  originalité  linguistique 
indéniable.  A  quoi  attribuer  cette  ori- 
ginalité? A  l'inlluence  littéraire  d'une 
arabisation  qu'on  dit  récente?  Aux 
réactions  de  la  larifzue  berbère  ancien- 
nement parlée  chez  les  Jbàla?  On  peut 
l'aire  à  ce  sujet  beaucoup  de  supposi- 
tions. Le  problème  reste  entier  malgré 
les  hypothèses  proposées,  et  non  dé- 
montrées, parce  que  nous  ne  savons 
pas  exactement  quand  et  comment  les 
Jbàla  se  sont  mis  à  parler  l'arabe. 
M.  Lévi-Provençal  s'est  contenté  de  dé- 
crire un  dialecte  à  un  moment  déter- 
miné de  son   évolution,  sans  plus  ;  il 


BIBLIOGRAPHIE 


347 


était   difficile  de  procéder  autrement. 

L'ouvrage  de  M.  Lévi-Provençal  dé- 
bute par  une  liste  des  toponymes  des 
tribus  Jbâla  riveraines  de  l'Oûargha 
moyen  :  noms  de  tribus,  de  villages, 
des  marabouts  notables  et  de  Chorfa 
installés  dans  chaque  tribu.  Cette  liste 
oftie  d'autant  plus  d'importance  qu'il 
s'agit  d'une  monographie  de  dialecte 
rural.  On  y  trouve  en  abondance,  des 
noms  berbères,  qui  décèlent  la  langue 
originelle  des  Jbâla. 

La  bibliographie,  qui  vient  après  la 
toponymie,  est  nettement  marocaine. 
M.  Lévi-Provençal  restreint  ses  investi- 
galions  au  Maroc  et  c'est  son  droit  ; 
dans  un  travail  de  ce  genre,  il  faut 
comparer  le  dialecte  étudié  à  d'autres 
dialectes  pour  en  faire  ressortir  les 
caractères  originaux  ;  établir  celte  com- 
paraison avec  tous  les  dialectes  arabes 
connus  comme  l'a  fait  M.  Marçais  dans 
ses  textes  de  Tanger  est  une  méthode 
qui  vise  à  l'étude  générale  des  parlers 
arabes;  établir  cette  comparaison  avec 
le  plus  grand  nombre  possible  de  dia- 
lectes strictement  marocains  est  une 
autre  méthode  qui  vise  à  l'exploration 
approfondie  d'un  domaine  bien  déli- 
mité. L'école  marocaine  choisit  de  plus 
en  plus  la  deuxième  méthode,  les  docu- 
ments sur  les  dialectes  marocains  deve- 
nant de  plus  en  plus  nombreux  et 
révélant  une  diversité  suffisante  pour 
absorber  toute  l'attention  d'un  auteur. 

Le  système  de  transcription  adopté  par 
M.  Lévi-Provençal  est  celui  que  M.  W. 
Marçais  a  forgé  pour  ses  textes  arabes 
de  Tanger  avec  une  légère  modification 
pour  les  voyelles,  modification  qui  con- 
siste uniquement  dans  le  non-emploi 
de  quelques  signes  notant  des  nuances 


très  délicates.  Pour  tous  les  dialectes 
arabes  marocains,  le  système  de  M.  W. 
Marçais  restera  un  modèle  complet  que 
l'on  imitera  plus  ou  moins,  selon  les 
particularités  des  dialectes  étudiés  et 
selon  aussi,  il  faut  bien  l'avouer,  les 
aptitudes  auditives  des  enquêteurs,  du 
moins  en  ce  qui  concerne  les  voyelles. 
L'exposé  d'un  système  de  transcription 
suffit  à  lui  seul  à  donner  un  aperçu  assez 
complet  de  l'armature  phonétique  d'un 
dialecte.  La phonétiquedes  Jbâla  n'appa- 
raît pascomme  très  sensiblement  diffé- 
rente de  celle  des  villes  dont  le  parler  a 
été  étudié,  t  afîriquée  dentale  sourde 
remplace  C-^  et  <Jij,  ;^  pour  -.  est  une 
spirante  cacuminale  sonore  et  est  con- 
sidérée comme  lettre  solaire;  enfin  ç 
=:::  ^  reste  ferme  et  ne  passe  à  g  que 
dans  les  mots  empruntés  à  T'Aroûbiya. 
Il  est  curieux  de  remarquer  combien  ce 
dialecte  de  montagnards  est  bien  plus 
près  des  dialectes  citadins,  par  sa  pho- 
nétique, comme  par  sa  morphologie, 
que  les  parlers  purement  arabes  des 
ruraux  de  la  plaine,  les  gens  de  T'Aroû- 
biya.  Il  y  aura  un  jour  à  éclairer  cette 
question  par  un  peu  d'histoire  et  un  peu 
de  géographie  humaine.  11  semble  bien, 
d'une  part,  que  les  Berbères,  les  Jbâla  et 
les  Hifains  plus  particulièrement,  aient 
été  appelés  à  repeupler  les  villes  après  les 
massacres  qui  suivent  inévitablement 
les  conquêtes,  et,  d'autre  part,  que  de 
nombreux  individus  de  ces  populations 
aient  émigré  spontanément  vers  les 
villes  tandis  que  les  Arabes  restaient  in- 
défectiblement  attachés  à  leurs  douars 
et  à  leurs  troupeaux. 

Avant  ses  textes,  M.  Lévi-Provençal 
donne  au  lecteur  vingt  pages  d'observa- 
tions sur  les  particularités  morpholo- 


348 


IIESPÊRIS 


giques  du  dialecte  qu'il  étudie.  Enten- 
dons-nous bien  ;  il  ne  donne  pas  une 
morphologie  entière  même  esquissée; 
il  nous  met  simplement  en  face  des  ca- 
ractéristiques morphologiques  du  dia- 
lecte, celles  qui  en  font  l'originalité  ;  il 
évite  ainsi  au  lecteur  la  peine  de  faire 
des  recherches  peut-être  longues,  sou- 
vent incertaines  quant  au  résultat,  dans 
les  textes  eux-mêmes.  Do  ce  fait,  il  fau- 
drait citer  les  vingt  pages  en  (juestion 
pour  donner  une  idée  de  la  morpholo- 
gie spéciale  au  dialecte  des  .Ibàla.  No- 
tons simplement  que  la  conjugaison  du 
verbe  à  l'imparfait,  par  la  préfixation 
de  a  et  par  le  changement  du  préfixe  / 
en  (iest  identique  ou  presque  à  celle  des 
Tsoul  et  des  Branès  étudiée  par  M.  Co- 
lin, p.  97-98.  La  disparition  du  chedda 
final  dans  les  verbes  sourds  est  un  fait 
que  l'on  retrouve  dans  tout  le  Maroc  et 
qui  s'étend  également  à  tous  les  mots 
des  racines  sourdes  :  ex.  Rabat,  Tan- 
ger, Fès.  ui^âr  «  tiroir  »,  plur.  w^ôra, 
pour  .ar'  ;  mqâf  «  ciseau  »  plur.  mqô^a, 
pour  wai»  ;  V.  également  Colin,  p.  55  : 
le  phénomène  se  poursuit  même  d'une 
façon  générale  chaque  fois  que  la  gémi- 
née forme  une  syllabe,  LJIjo  devient 
plutôt  |î^/mp  que/=fl//«mp.  —  Le  verbe 
kel  «  manger  »  (p.  a6)  présente;,  comme 
on  s'y  attend,  une  irrégularité  spéciale 
au  dialecte  :  alors  que  Fès  conjugue  tout 
le  verbe  sur  la  racine  kel,  les  Jbâla  de 
rOûargha  ont  kel  au  parfait  et  iakol  à 
l'imparfait.  Pour  l'étude  des  formes 
verbales  dérivées,  M.  L.-P.  a  suivi  la 
nomenclature  des  grammaires  classi- 
ques ;  ce  procédé,  qui  a  des  avantages 
et  qu'on  ne  saurait  abandonner  com- 
plètement, a  cependant  l'inconvénient 


de  mettre  sur  le  même  plan  des  formes 
très  vivantes  et  d'autres  qui  \w  le  sont 
plus;  les  verbes  de  la  IV'-  forme  ot  beau- 
coup de  la  VIII'',  comme  le  signale  l'au- 
teur (p.  3o).  sont  devenus  des  verbes  de 
la  forme  fondamentale.  En  réalité  ces 
formes  n'existent  plus.  On  ne  relève  pas 
dans  le  dialecte  des  Jbâla  de  l'Oûargha 
la  forme  passive  J.»fij  obtenue  par  la 
préfixation  de  j  à  la  forme  fondamen- 
tale, passif  très  communémentemployé 
dans  les  villes  du  Maroc  ;  par  contre 
on  y  trouve  la  Vil''  f.  J**.!  qui  n'existe 
pas  dans  les  parlers  citadins.  Enfin,  on 
relève  un  j)assif  obtenu  par  la  vocalisa- 
tion en  a  de  la  seconde  radicale  :  qbado 
(t  ils  ont  été  arrêtés  »  de  »  qèbdo  ils  ont 
arrêté  »  ;  ce  passif,  qui  est  rare  dans  le 
dialecte,  se  retrouve,  également  rare, 
au  Nord  de  faza  :  cf.  Colin  p.  100  ;  on 
ne  l'emploie  pas  dans  les  villes.  Les 
notes  de  morphologie  se  terminent  par 
une  liste  des  principales  particules; 
l'idée  de  la  relever  est  heureuse  car  un 
dialecte  se  caractérise  plus  par  ses 
«  mots-outils  »  (cf.  F.  Brunot,  la  Pensée 
et  la  Langue,  p.  5)  que  par  sa  morpho- 
logie ou  son  lexique. 

On  arrive  ainsi  aux  textes,  convena- 
blement préparé  pour  les  compren- 
dre. Les  dix-sept  premiers  concernent 
le  folklore;  il  est  bon  de  donner  des 
textes  de  folklore  pour  caractériser  un 
dialecte  parce  que  les  contes  se  retrou- 
vant ailleurs  dans  d'autres  dialectes,  on 
peut  ainsi  les  comparer  plus  facilement 
entre  eux  sur  des  textes  dont  le  fond 
est  commun.  Le  texte  XVIIl,  dans  le 
parler  un  peu  spécial  des  Beni-Zeroual, 
concerne  le  grand  santon  de  la  région, 
Moulay  Bou  Chta  ;  le  texte  XIX,  égale- 
ment des  Béni  Zeroual,  relève  de  l'eth- 


BIBLIOGRAPHIE 


349 


nographie  traditionnelle;  suivent  une 
note  sur  la  fabrication  des  ceintures, 
une  chanson  et  de  nombreux  proverbes. 
Ainsi,  la  physionomie  du  dialecte  appa- 
raît entièrement.  Des  notes  nombreu- 
ses accompagnent  les  traductions,  cons- 
tituant un  véritable  commentaire  eth 
nographique.  Bien  que  la  tentation  de 
se  livrer  à  des  digressions  ethnogra- 
phiques soit  très  forte  quand  on  relève 
des  textes,  l'auteur  a  su  s'en  défendre  ; 
le  linguiste  ne  peut  que  l'en  féliciter  et 
l'ethnographe  ne  lui  en  voudra  pas  ;  il 
est  bon  que  chaque  matière  soit  traitée 
à  part. 

L'étude  de  M.  Lévi-Provençal  se  ter- 
mine par  des  observations  lexicographi- 
ques  ;    l'auteur   relève,    sous  la   forme 
d'un  dictionnaire,  les  mots  qui  deman- 
dent un  commentaire.   Les  racines  de 
ces  mots  ne  sont  pas  étudiées  entière- 
ment, j'entends  par   là   que    tous  les 
dérivés  de  chaque  racine  n'ont  pas  été 
examinés;  seul,  le  mot  est  étudié  dans 
l'aspect  qu'il  a  dans  les  textes.  Ces  notes 
lexicologiquesontl'intérêtqu'ondevine: 
on  s'aperçoit,  en  les  lisant,  que,  à  part 
quelques  termes  très  spéciaux,  le  voca- 
bulaire des  Jbâla  n'est  pas  sensiblement 
différent  de  celui   du  reste  du  Maroc 
occidental.  Les  comparaisons  fréquentes 
que  peut  faire  l'auteur  avecles  lexiques 
de  Tanger.  Larache,  Rabat  et  Fès  démon- 
trent amplement  l'existence  d'une  xstvri 
marocaine.  Comme  je  le  disais  au  début, 
M.  Lévi-Provençal  ne  s'occupe  que  des 
parlers  marocains  et  dans  leur  état  actuel 
seulement,  il  ne  fait  aucune  recherche 
d'étymologie;   c'est   de    la   lexicologie 
synchronique    pourrait-on    dire.    Il    y 
aurait  lieu  de  poser  de   nouveau,  à  ce 
sujet,  le  problème  «  linguistique  évolu- 


tive ou  linguistique  descriptive  »,  au- 
quel s'est  intéressé  M.  W.  Marçais  dans 
la  Revue  des  Eludes  Anciennes,  igao,  à 
propos  de  l'ouvrage  de  M.  Feghali  con- 
cernant le  parler  arabe  de  Kfar  Abida. 
M.  Feghali  a  repris  la  question  à  son 
tour  dans  la  même  revue,  tome  XXIII, 
1931.  Il  est  évident  que  la  description 
d'un  dialecte  peut  s'accompagner,  sans 
qu'il  y  ait  pour  cela  de  confusion,  de 
la  comparaison  constante  avec  l'arabe 
classique.  Cependant  M.  Lévi-Provençal 
a  préféré  s'en  tenir  à  une  méthode 
hybride,  suivant  en  cela  l'exemple  de 
la  plupart  des  linguistes. 

Les  Textes  arabes  de  l'Oûargha,  que 
M.  Lévi-Provençal  a  présentés  comme 
thèse  complémentaire  pour  le  doctorat 
ès-lettres  devant  la  Faculté  d'Alger, 
constituent  un  apport  très  important  à 
l'étude  des  dialectes  marocains.  On 
doit  féliciter  l'auteur  d'avoir  mis  à 
profit  son  séjour  dans  le  cercle  de 
l'Oûargha  comme  officier  de  renseigne- 
ments pour  donner  une  étude  défini- 
tive et  complète  d'un  dialecte  caracté- 
ristique. 

L.  BauNOT. 

L.  BnuîJOT.  —  Yallah,  ou  l'arabe 
sans  mystère.  Paris,  Larose,  192a,  99  p. 

Ce  petit  livre,  écrit  surun  ton  aimable, 
avec  un  esprit  sans  cesse  renouvelé,  qui 
le  rendent  attrayant  d'un  bout  à  l'autre, 
n'en  est  pas  moins  une  substantielle 
introduction  à  l'étude  de  l'arabe  parlé 
au  Maroc.  Il  s'adresse  au  grand  public; 
mais  les  spécialistes  mêmes  y  pourront 
trouver  profit. 

L'auteur  s'est  attaché  avec  raison  à 
un  dialecte  particulier,  celui  de  Rabat- 


350 


HESPÉRIS 


Kii  dos  lii^nos  s.nonroiisos.  il  siliio  ("o 
(lialoclf,  qui  est  à  iMiabe  classitiuo  ro 
(luiin  patois  fiançais  osl  au  laliu.  au 
borbi  re  ce  (lue  le  picard  osl  au  bas- 
breton.  Sans  doulo,  ce  sont  là  des  com- 
paraisons ;  du  moins  parleul-elles  à 
l'esprit. 

Abordant  l'élude  dos  sons,  il  mot 
en  leliof  la  solidilô  des  consonnes, 
leur  caraclère  ^nillural  et  emplialiciue  ; 
d'autre  part,  la  faiblesse  des  voyelles 
qui  se  nuancent  au  <ivé  des  sous  voisins 
et  tendent,  sauf  la  voyelle  accentuée, 
à  s'elTacer.  IVut-étre  un  mot  sur  le  rôle 
de  l'accent  aurait-il  complété  beurcu- 
sement  ce  cbapitre,  car  la  disparition 
des  syllabes  atones  semble  être  le  fait 
de  l'accent  d'intensité,  qui  serait  ainsi 
un  des  facteurs  essentiels  dv  l'éNolulion 
de  l'arabe. 

M.  Brunol  évite  la  classification  tra- 
dilioimcUe  des  formes  du  verbe,  telle 
qu'on  la  trouxedans  les  grammaires  de 
l'arabe  classique.  Do  ces  formes,  en  effet, 
les  unes  ne  sont  plus  productives  :  elles 
ne  subsistent  que  çà  et  là.  partie  in- 
dissoluble d'un  mot  (pii  n'est  plus 
senti  comme  im  dérivé,  et  fait  figure 
de  terme  simple.  Quant  au\  autres, 
celles  qui  sont  vivantes,  M.  Hrunot 
procède  à  un  regroupement,  et,  dédai- 
gnant des  numéros  d'ordre  qui  ne 
répondent  plus  à  rien,  les  nomme 
d'après  leur  emploi  :  forme  factitive, 
passive,  réciproque,  d'état.  Son  mérite 
est  d'avoir  compris  que  si  la  distance 
est  moins  grande  entre  l'arabe  dialec- 
tal et  l'arabe  classique  qu'entre  l'une 
quelconque  des  langues  romanes  et  le 
latin,  un  dialecte  arabe  actuel  n'en  est 
pas  moins  une  langue  neuve  :  il  ne 
suffit  pas  de  l'étudier  historiquement. 


dans  se»  origines,  mais  il  faut  aussi 
en  dresser  un  labloaii,  car  toute  langue 
forme  un  système  barinoniouv  dont  il 
est  bon  d'avoir  la  description  indépen- 
damment du  système  antérieur. 

L'arabe  magliribin  s'est  développé 
sur  un  sol  de  langue  berbère  :  pour 
des  raisons  de  civilisation,  de  religion, 
de  politique,  le  berbère  a  reculé  et 
recule  encore  devant  l'arabe.  Mais  les 
travaux  scientiticpios  de  ces  dernières 
années  ont  mis  en  valeur  l'imixtrtance 
du  ((  substrat  d,  et  l'on  s'est  ajierçu  (pie 
l'arabe  a  fait  des  emprunts  au  ber- 
bère. M.  Brunot  signale  des  noms 
arabes  de  profession,  comportant  un  i 
préfixe  et  suffixe.  Ces  noms  ne  prennent 
pas  l'article,  ce  qui  les  dénonce  comme 
étrangers.  Le  berbère  connaît  la  forma- 
tion t--t,  très  usitée,  (Mitre  autres  dans 
les  noms  d'action  L'iiinuence  berbère 
paraît  incontestable.  Ce  genre  de  noms 
se  retrouve  ailleurs  dans  l'Africpie  du 
Nord.  M.  W.  Mar(;ais  en  signale  dans 
le  Dialecte  arabe  des  Ultul  Brâhinx  de 
Saïda  {p.  laa),  dans  le  Dialecte  arabe 
parlé  à  Tlemcen  (p.  96),  et  en  affirme 
l'existence  dans  tous  les  dialectes  algé- 
riens. M.  F.  (luay,  dans  les  Archives 
Berbh-es  de  1918,  vol.  III,  pp.  3i-5i, 
les  a  étudiés  à  Salé.  La  question  qui  se 
pose  est  de  savoir  si  l'on  est  en  présence 
d'un  mode  de  formation  vivant  en  arabe 
dialectal.  Il  semble,  jusqu'à  jilus  ample 
informé,  qu'il  s'agisse  de  mots  arabes 
passés  en  berbère,  berbérisés,  puis  reve- 
nus en  arabe  en  gardant  leur  forme  nou- 
velle. L'observation  montre,  en  effet, 
que  si  le  vocabulaire,  la  syntaxe,  s'em- 
pruntent aisément,  que  si  la  phonétique 
d'une  langue  se  modifie  dans  la  bouche 
de  peuples  nouveaux,  la  morphologie  ne 


BIBLIOGRAPHIE 


351 


s'emprunte  pas  ;  les  éléments  morpho- 
lofïiquos  peuvent  passer  à  la  suite  d'un 
mot,  mais  ils  ne  quittent  jamais  le  mot 
qui  les  a  transmis,  et  mcme  dans  ces 
conditions,  ont  peine  à  se  maintonir. 
Si  l'on  prouvait  qu'il  en  est  aulrcment 
pour  CCS  noms,  on  voit  que  l'on  met- 
trait en  discussion  l'un  des  principes 
de  la  grammaire  qui  semblent,  à  l'heure 
actuelle,  le  mieux  établis.  La  question 
est  donc  d'importance  :  elle  mérite 
qu'un  linguiste  également  versé  dans 
l'arabe  dialectal  et  dans  le  berbère  s'en 
occupe. 

Une  remarque  :  M.  Bruiiot  a  eu  le 
mérite  de  parler  du  sursaut  (§  lo.) 
Mais  il  est  bon  de  mettre  le  lecteur 
en  garde  contre  une  confusion  pos- 
sible. M.  Brunot  n'a  pas  donné  à  ce 
terme  la  même  valeur  que  M.  W.  Mar- 
çais  :  il  arrive  souvent  en  effet  qu'au 
cours  de  la  recherche  scientifique,  il  y 
ait  quelque  manque  de  concordance 
dans  l'emploi  destermesou  dans  l'appel- 
lation deschoses.  M.  W.  Marçais  entend 
strictementparsursautla  progression  de 
l'accent  en  arabe  dialectal  (cf.  VladBrd- 
him,  p.  55).  M.  Brunot  par  un  emploi 
moins  limité,  utilise  ce  terme  pour 
signaler  tout  déplacement  d'accent, 
voire  le  déplacement  de  voyelle  qui 
l'accompagne. 

Dans  l'ensemble,  tout  autant  que  par 
les  règles  précises  qu'il  donne,  ce  petit 
livre  vaut  par  les  réflexions  qui  accom- 
pagnent l'exposition  des  faits.  Ainsi 
l'auteur  a-t-il  grandement  raison  d'atti- 
rer l'attention  sur  les  rapports  du  lan- 
gage et  de  la  civilisalion  (pp.  46  et  79  . 
La  langue  est  un  élément  de  la  civili- 
sation :  elle  se  modifie  au  gré  de  celle- 
ci.  De  tels  principes  ne  doivent  jamais 


ôtre  perdus  de  vue  :  et  c'est  pourquoi 
Yallah.  destiné  surtout  à  des  débutants, 
mais  œuvre  d'un  linguiste  averti,  peut- 
être  utile  même  à  ceux  qui  savent  déjà 
l'arabe. 

André  Basset. 


Georges  S.  CoM?r.  —  Notes  de  dialec- 
tologie arabe  (Technologie  de  la  batel- 
lerie du  Nil).  Extrait  du  Bulletin  de 
r Institut  Français  d'Archéologie  orien- 
tale, t.  XX.  Le  Caire,  192 1. 

La  technologie  de  la  batellerie  chi  Nil 
n'est  pas  indifférente  à  la  dialectologie 
marocaine.  L'activité  maritime  et  nau- 
tique des  populations  de  langue  arabe 
a  donné  lieu  à  si  peu  d'études  appro- 
fondies, —  je  n'en  veux  pour  preuve  que 
la  bibliographie  de  M.  Colin,  pp.  48- 
49  —  que  tout  travail  coiicernant  le 
lexique  maritime  d'une- contrée  quel- 
conque des  pays  arabes  ne  doit  pas 
rester  étranger  au  Maroc  dont  la  civili- 
sation thalassique  a  eu  un  grand  renom. 
Par  ailleurs,  il  est  fort  utile  de  compa- 
rer le  lexique  maritime  marocairi  que 
A.  Joly  a  étudié  à  Tétouan  (/.'industrie 
à  Tétouan  :  Métiers  et  industries  de  la 
mer,  in  Arch.  Maroc,  t.  XVIII.  i9ii, 
pp.  a3o-23'2)  et  que  j'ai  étudié  à  Rabat- 
Salé  {Notes  lexicologiqaes  sur  le  Voca- 
bulaire marit'me  de  Rabat-Salé,  Paris, 
1920',  avec  le  lexique  égyptien,  afin  de 
mieux  dégager  l'originalité  de  chacun 
d'eux  et  de  souligner  la  nature  des 
emprunts  fait  au  roman,  au  grec,  au 
turc. 

Pour  traiter  son  sujet,  M.  Colin  dé- 
crit le  chantier  de  construction,  la 
barque,  le  gréement,  la  voilure,  les 
cordages,  les  types  d'embarcations,  puis 


3f>2 


MESPKIUS 


il  donne  la  nomenclature  des  vents  et 
des  termes  hydrographiques. 

Chemin  faisant,  il  donne  tous  les 
vocables  égyptiens.  Ainsi  on  a,  non 
pas  un  dictionnaire  toujours  insuffi- 
sant pour  donner  une  idée  des  choses 
dénommées,  mais  une  étude  complète, 
un  cadre  dans  lequel  les  vocables 
prennent  tout  leur  sens.  Comme  com- 
plément indispensable,  un  index  alpha 
bétique  des  mots  arabes  et  copies  rele 
vés  permet  de  retrou\er  sans  peine  les 
vocables  étudiés.  Kn  addenda,  le  cha- 
pitre nautique  du  Mostafref  csl  traduit 
et  annoté,  et  un  couplet  libertin  d'une 
chanson  des  nautoniers  est  relevé  à 
cause  des  termes  techniques  qu  il  ren- 
ferme. L'étude  sémantique  des  vocables 
n  est  approfondie  (|uc  pour  ceux  dont 
l'origine  étrangère  est  à  démontrer  ou 
pour  ceux  qui,  arabes,  demandent  un 
conimeniaire  philologique.  Celte  élude 
sémantique,  pour  ne  pas  gèncr  le  texte, 
est  répartie  dans  des  notes  et  surtout 
dans  la  partie  «  additions  et  correc- 
tions ». 

Bien  que  M.  Colin  ait  en  maintes 
occasions  de  rapprocher  des  vocables 
marocains  des  vocables  égyptiens,  il 
n'en  ressort  pas  moins  qlie  la  techno- 
logie de  la  batellerie  du  Nil  est  très 
différente  de  celle  de  Rabat  ou  de 
Tétouan  Les  mots  grecs,  turcs  et 
italiens  y  abondent,  tenant  dans  le 
dialecte  d'Egypte  la  place  que  les  mots 
espagnols  ont  dans  les  dialectes  maro- 
cains En  parcourant  simplement  le 
glossaire  du  «  Livre  des  Merveilles  de 
l'Inde  »,  on  s'aperçoit  que  le  lexique 
maritime  des  liverains  de  la  Mer  Rouge 
et  du  Golfe  Persique  est  tout  différent 


de  ceux  qui  nous  occupent  et  fait  au 
persan,  voire  au  javanais,  des  emprunts 
considérables  .\insi,  il  semble  bien  que 
les  technologies  maritimes  des  divers 
pays  arabes  soient  bien  différentes  les 
unes  des  autres  et  se  caractérisent  sur- 
tout par  l'origine  de  leurs  emprunts. 

M.  Colin,  p.  45,  constate  que  le 
lexicpie  de  la  batellerie  nîlotique  est 
très  pauvre  en  souvenirs  égyptiens  ou 
mêmes  coptes  ;  ce  lexique  est  surtout 
arabe,  mais  «  comme  les  Arabes  (ceux 
de  la  con(pièle),  (pii  n'ont  jamais  été 
de  grands  mariniers,  ne  disposaient 
pas  diin  vocabulaire  tcchni(pie  les  vo- 
cables employés  sont  le  plus  souvent 
des  noms  d'usage  courant  détournés  de 
leur  sens  propre  et  appliqués  à  des 
[)arties  de  la  barque  »  (p.  /i5).  .l'avais 
été  amené  à  faire  une  remarque  iden- 
tique en  étudiant  le  lexique  maritime 
de  Rabat-Salé  (p.  v). 

Le  travail  de  M.  Colin  peut  servir  de 
guide  à  ceux  qui  seraient  tentés  d'écrire 
une  monographie  analogue  concernant 
le  Maroc.  Les  types  d'embarcations 
varient  au  Maroc  d'un  port  à  l'autre  et 
la  terminologie  maritime  est  également 
diverse  ;  il  y  a  donc  encore  quelques 
études  intéressantes  à  faire,  sur  le  mo- 
dèle de  celle  de  M  Colin,  avant  que  les 
indigènes  n'aient  laissé  la  place  aux 
Espagnols  et  aux  Napolitains  comme  en 
Algérie. 

On  trouvera  en  outre  dans  les  notes 
et  addenda  de  M.  Colin  des  renseigne- 
ments très  précieux  qui  aideront  à  fixer 
l'élymologie  de  plus  d'un  terme  marin 
local. 

L.  Brunot. 


BIBLIOGRAPHIE 


353 


Lieu  t. -Colonel  Henry  deCASTRiEs.  — 
Les  Sources  inédites  de  l'histoire  du 
Maroc,  Première  série,  dynastie  saâ- 
dienne.  Espagne,  t.  /.  i  vol.  in-^i,  Paris, 
Ed.  E.  Leroux,  1921. 

Peu  d'archives  européennes,  a  priori, 
doivent  apporter  autant  de  documents 
nouveaux  pour  l'histoire  du  Maroc  sous 
la  dynastie  sa'dienne,  que  celles  d'Es- 
pagne et  de  Portugal  :  la  situation 
géographique  de  ces  deux  États,  les  éta- 
blissements qu'ils  possédaient  encore 
sur  la  terre  d'Afrique,  les  expéditions 
qu'ils  entreprirent  parfois,  les  longues 
négociations  qu'ils  poursuivirent,  nous 
autorisent  à  attendre  beaucoup  de  la 
publication  de  ces  archives.  Le  premier 
volume  Espagne,  qui  vient  de  paraître, 
ne  nous  déçoit  pas.  Les  documents 
qu'il  contient  datent  de  i53i  à  la  fin 
de  i55o;  mais  ils  sont  nombreux  sur- 
tout dans  les  toutes  dernières  années 
de  cette  période.  Cela  a  son  prix;  c'est 
un  moment  décisif  dans  l'histoire  du 
Maroc  :  celui  où  les  Chorfa  achèvent  de 
renverser  les  Wattûsides,  concentrent 
entre  leurs  mains  toutes  les  forces  de 
l'empire,  et,  pour  la  première  fois,  se 
heurtent  aux  Turcs  d'Algérie,  prélude 
de  trois  siècles  de  lutte. 

Ces  événements  ne  pouvaient  laisser 
l'Espagne  indifférente.  Sans  même 
qu'elle  y  prît  part  directement,  leurs 
contre-coups  devaient  se  faire  sentir 
nécessairement  sur  ses  places  de  la  côte 
africaine.  Elle  était  installée  à  Melilla 
depuis  septembre  1497  ;  sur  ce  qu'était 
cette  installation,  le  présent  volume 
apporte  des  renseignements  précis  : 
M.  de  Castries  les  a  groupés  de  manière 
à  tracer,  en  introduction,  un  tableau 


de  Melilla  au  ivi*  siècle.  La  situation  y 
était  précaire  ;  on  ne  se  décida  qu'assez 
tarda  l'entourer  de  fortifications  capa- 
bles de  supporter  un  assaut  sérieux; 
les  Maures  enserraient  étroitement  la 
place;  au  reste,  l'on  n'était  pas  bien 
sûr  d'avoir  choisi  le  meilleur  emplace- 
ment, et  l'on  songea  plusieurs  fois  à  le 
changer.  Aucun  point  d'appui  proche  : 
on  s'était  établi  en  i5o6  de  l'autre  côté 
du  cap  des  Trois  Fourches,  à  Ghassasa, 
aujourd'hui  décidément  identifié;  mais 
dès  i533,  les  Maures  s'y  étaient  réins- 
tallés. La  vie,  à  l'intérieur,  était 
fort  difficile.  Une  organisation  défec- 
tueuse :  les  chefs,  aux  pouvoirs  mal 
définis,  se  querellaient;  les  soldats,  peu 
nombreux,  étaient  mal  payés  et  mal 
ravitaillés  ;  on  marchandait  jusqu'aux 
armes  lés  plus  indispensables.  D'ailleurs 
une  garnison  peu  recommandable;  des 
aventuriers  ou  des  repris  de  justice; 
l'Espagne,  qui  mit  plus  tard  ses  bagnes 
dans  les  présides,  y  envoyait  déjà  une 
population  douteuse;  les  prêtres  même 
y  menaient  trop  souvent  une  vie  scan- 
daleuse. De  Melilla,  mal  située,  mal 
défendue,  mal  peuplée,  l'Espagne  ne 
sut  tirer  qu'un  bien  mince  profit. 
Cependant,  la  place,  en  ces  années  trou- 
blées, ne  fut  pas  sans  jouer  quelque 
rôle.  De  là,  on  pouvait  observer  et 
négocier;  et  l'on  vit  arriver  tour  à  tour 
en  fugitifs,  Bâ  Hassoûn  le  Wattâside, 
et  Moulay  el-Ahmar  le  roi  de  Debdou. 
Au  demeurant  des  hôtes  que  l'on  dési- 
rait peu,  car  si  réduite  que  fût  leur 
suite,  l.eur  entretien  était  une  lourde 
charge.  Quelle  misère  ! 

Tout  comme  l'effort  que  l'Espagne 
consentait  à  faire  pour  Melilla  était 
dérisoire,  sa  politique  marocaine  tout 


354 


IlESPl^.RlS 


entière  inauqiiail  d'ampleur.  Vn  fait 
la  doniir.ait  :  la  crainte  du  (Ihérif.  Le 
pouvoir  de  celui-ci,  issu  d'une  crise  de 
fanatisme,  apparaissait  comme  une 
menace  très  sérieuse,  non  seulement 
pour  les  établissements  chrétiens  d'A- 
frique, mais  même  pour  les  royaumes 
de  la  Péninsule,  poui-  l'Kspaf^ne  surtout 
où  les  Moriscos  restaient  prêts  à  se  sou- 
lever. Mais  le  Chérif  était  gêné.  Quell(> 
que  fût  l'origine  de  sa  puissance,  il 
avait  besoin  des  commentants  chré- 
tiens, et  cherchait  à  entrer  en  relations 
avec  eux.  Devant  ses  tentatives,  deux 
partis  se  dessinaient  en  Espagne,  ceux 
que  Ion  voit  toujours  s'alVronler  en 
d'analogues  circonstances  :  les  intran- 
sigeants et  les  marchands.  Les  premiers, 
soutenus  par  tout  le  clergé,  aflirmaient 
que  l'on  ne  devait,  sous  aucun  prétexte, 
entrer  en  relations  avec  l'ennemi  le  plus 
acharne  de  la  Chrétienté  ;  les  autres 
représentaienlquece  serait  folie  d'aban- 
donner bénévolement  aux  commerçants 
des  nations  rivales  tant  de  fructueuses 
affaires,  sans  aucun  profit,  puisqu'aussi 
bien  le  Chérif  finirait  toujours  par  être 
ravitaillé.  Le  gouvernement,  qui  con- 
naissait officiellement  les  doléances  des 
marchands,  maintenait  l'interdiction 
de  commercer  avec  le  Chérif.  Mais  sauf 
en  ces  questions  économiques,  son 
hostilité  ne  se  manifestait  par  rien 
d'effectif.  Ce  n'est  pas  que  l'Espagne 
ne  fût  sollicitée  d'intervenir  militaire- 
ment; bien  des  gens  l'y  poussaient  au 
contraire:  des  illuminés  et  des  hommes 
de  sens  rassis  ;  des  diplomates  et  des 
capitaines;  des  religieux  chrétiens  et 
des  princes  maures.  Le  plan  qu'ils  pro- 
posaient était  simple,  celui-là  même 
que  dom  Sébastien    devait   reprendre 


un  (juart  de  siècle  plus  tard  :  soutenir 
un  prétendant  —  dans  l'espèce  le 
Waltàside  —  assurer  son  triomphe,  et 
par  là  faire  du  Maroc  tout  entier  un 
ï;tat  vassal  de  Sa  Majesté  Catholique. 
Le  gouvernement  de  Charles-(^uinl  se 
refusa  obstinément  à  suivre  ces  con- 
seils. Peut-être  fit-il  aussi  bien;  il  serait 
vain  d'en  discuter.  Mais  il  est  inté- 
ressant d'observer  que  les  grandes 
querelles  du  milieu  du  xvi*  siècle,  les 
querelles  qui  transformèrent  la  situa- 
tion politique  du  Maghrib  extrême, 
lutte  entre  les  Chorfa  et  les  Wattàsides, 
entre  les  Turcs  et  les  Chorfa,  se 
réglèrent  entre  les  seuls  Africains.  L'Eu- 
rope, qui  le  pouvait,  n'y  joua  aucun 
rôle  :  elle  eut  par  moments,  des  velléi- 
tés d'action,  mais  s'en  tint  là. 

Cependant,  tout  en  restant  sur  une 
prudente  réserve,  l'Espagne  suivait  de 
très  près  les  événements;  et  les  nom- 
breux rapports  de  ses  agents  apportent 
des  précisions  sur  bien  des  faits  demeu- 
rés jusqu'ici  fort  obscurs,  notamment 
sur  le  rôle  du  dernier  WatlAside,  Bâ 
Ilassoûn,  en  i549  et  i55o.  Celui-ci,  plus 
heureux  que  son  neveu  le  sultan  Aboû  '1- 
'Abbàs  Ahmed,  avait  pu  s'échapper  de 
Fès  au  moment  de  la  prise  de  cette 
ville  par  le  Chérif,  en  lô^g.  L'événe- 
ment avait  eu  une  grande  répercussion  : 
Espagne  et  Portugal  craignaient  une 
attaque  immédiate  contre  leurs  places 
africaines,  et  même,  on  prit  des  pré- 
cautions à  Gibraltar  et  à  Cadix  (doc. 
XLVIII);  car  on  redoutait  une  entente 
entre  le  Chérif  victorieux  et  les  Turcs 
qui  pouvaient  lui  fournir  une  marine  . 
Bientôt  on  craignît  aussi  pour  Oran, 
lorsqu'on  commença  à  connaître  les 
préparatifs  que  le  Chérif  faisait  contre 


BIBLIOGRAPHIE 


355 


Tlemcen.  L'on  attendait  un  coup,  sans 
trop  savoir  où  il  serait  porté.  Cepen- 
dant Bâ  Hassoûn  s'était  réfugié  à  Vêlez, 
où  il  ne  songeait  quà  reprendre  la  lutte 
contre  le  Chérif.  11  lui  fallait  des  forces; 
il  s'adressa  à  l'Espagne  ;  il  laissait 
entendre  qu'il  accepterait  de  céder  en 
échange  le  Penon  de  Vêlez.  Les  négo- 
ciations traînèrent.  Bâ  Hassoûn.  qui  ne 
se  sentait  plus  en  sécurité,  arriva  brus- 
quement à  Melilla,  demandant  à  passer 
en  Espagne,  où  il  voulait  aller  chercher 
lui-même  du  secours.  C'est  alors  que 
s'échafaudèrent  des  plans  d'interven- 
tion militaire.  On  pouvait  grouper  et 
soutenir  tous  les  ennemis  du  Chérif; 
se  servir  de  Bâ  Hassoûn,  s'entendre  avec 
Mohammed  el-A'raj,  le  frère  de  l'enne- 
mi, devenu  son  adversaire  ;  plus  à  l'est, 
les  Espagnols  d'Oran,  et  notamment  le 
gouverneur,  comte  d'Alcaudete,  préco- 
nisaient une  politique  analogue  à  l'égard 
du  royaume  de  Tlemcen,  pour  lecjuel 
on  avait  un  prétendant  disponible.  Mais 
le  gouvernement  n'était  pas  favorable  ; 
il  n'avait  pas  pleine  confiance  en  Bâ 
Hassoûn;  il  lui  faisait  attendre  trois 
mois  l'autorisation  de  quitter  Melilla  ; 
et  loin  de  se  disposer  à  la  croisade, 
Espagne  et  Portugal  étaient  d'accord 
pour  préparer  l'évacuation  de  plusieurs 
places,AsîlA,EI-Qasres-Saghîr,  Tanger. 
Les  deux  premières  furent  effective- 
ment abandonnées  en  i55o.  En  vain 
Bâ  Hassoûn  avait-il  demandé  qu'on  lui 
remît  A>îla,  dont  il  aurait  fait  une  base 
d'expédition  contre  le  Chérif.  Le  Portu- 
gal aurait  volontiers  tenté  l'aventure  ; 
mais  il  aurait  fallu  que  l'Espagne 
fournît  mille  lances  pour  défendre  la 
place,  et  Bâ  Hassoûn  ne  réussit  pas  à  les 
obtenir  de  Maximilien,  ni  de  Charles- 


Quint  lui-même,  qu'il  alla  supplier  jus- 
qu'à Augsbourg.  L'empereur  s'opposa 
de  même,  après  l'évacuation  d'Asîlà,  à 
ce  qu'on  lui  remît  Tanger  :  occupé  en 
Europe,  il  ne  voulait  point  s'engager 
dans  une  aventure  africaine.  D'autres 
considérations  agissaient  aussi.  Lîne 
expédition  espagnole  au  Maroc  aurait 
exposé  l'Espagne  à  de  graves  difficultés 
avec  le  Portugal;  elle  risquait  d'em- 
piéter sur  les  terres  dont  la  fameuse 
bulle  de  partage,  encore  valable,  avait 
réservé  la  conquête  à  ce  pays. 

Pendant  ce  temps,  on  suit,  par  les 
rapports  venus  d'Oran,  les  phases  de 
la  lutte  qui  avait  éclaté  entre  les  Turcs 
et  le  Chérif.  Celui-ci  avait  commencé  par 
prendre  Tlemcen.  où  les  Turcs  avaient 
établi  leur  domination.  De  là,  il  éten- 
dait ses  conquêtes.  Moùlay  cl-Ahmar, 
le  (i  roi  de  Debdou  »  devait  s'enfuir  de 
ses  Etats,  et  venait  lui  aussi,  se  réfugier 
à  Melilla,  demandant  à  son  tour  à  passer 
en  Espagne,  autorisation  qui  lui  fut 
toujours  refusée.  11  apportait  un  plan 
analogue  à  celui  de  Bâ  Hassoûn,  avec 
qui  il  était  en  relations  suivies  (doc. 
CCXV)  :  avec  l'appui  d'une  aide  minime, 
il  se  faisait  fort  de  soulever  contre  le 
Chérif  d'innombrables  tribus  entre 
Melilla  et  Debdou.  Mais  on  se  défiait 
de  lui  plus  encore  que  de  Bâ  Hassoûn; 
on  le  soupçonnait,  non  sans  raison 
peut-être,  de  jouer  double  jeu,  et  de 
négocier  à  la  fois  avec  les  Espagnols 
et  avec  los  Turcs.  Ceuv-ci,  cependant, 
faisaient  une  première  tentative,  infruc- 
tueuse, pour  reprendre  Tlemcen  ;  et 
cet  échec  causait  à  Oran  quelque  émo- 
tion. On  était  alors,  en  effet,  en  trêve 
avec  les  Turcs  ;  mais  on  avait  tout  à 
craindre  des  Chérifiens.  Déjà,  du  Tessala 


356 


HESPÉRIS 


où  ils  étaient  installés,  ils  alVaniaient 
la  ville,  en  arrrtani  son  ravitaillement. 
Eu  novembre,  la  menace  diminuait  ; 
en  février  i5.">i.  Tlcmcen  était  reprise  ; 
les  Chérifiens  fuyaient  vers  l'est,  et  le 
pays  se  soulevait  sur  leur  passage.  Mou- 
lay  (>l-.\hmar.  de  coimiveiire  semble- 
t-ilavec  les  Turcs,  quittait  .Melilla  pour 
retournera  Debdou,  laissant  sa  famille 
en  otage,  promettant  de  soumettre  le 
pays  à  l'empereur.  Eùt-il  tenu  sa  pro- 
messe? Il  est  permis  d'en  douter  ;  en 
tous  cas,  il  ne  parvint  même  pas  à 
prendre  Ta/.a,  revint  chercher  sa  famille 
en  mai,  ne  cacha  plus  son  entente  avec 
les  Turcs,   —  il  est  vrai  ({u'ctn   l'avait 


laissé  à  ses  propres  forces  —  et  dès  l'aii- 
lomne  i55i,  «lut  de  nouveau  abandon- 
ner Debdou  [H)ur  se  réfuf^'ier  au  désert. 
Les  volumes  suivants  nous  apporte- 
ront sans  doute  des  éclaircissements  sur 
la  suite  de  ces  événements,  notammeni 
sur  la  tentative  que  fit  Bâ  Hassoûn, 
avec  l'appui  des  Portugais,  avant  de 
s'adresser  aux  Turcs  auprès  desquels 
il  trouva  enfin  une  aide  effective.  Les 
historiens  musulmans  ne  sont  pas  pro- 
digues de  détails  sur  cette  {)ériode  :  les 
documents  qui  nous  viennent  d'Europe 
sont  donc  doublement  précieux, 

II(Miri   Basset. 


L'Editeur  Gérant  :  E.  L.vrosk. 


S.   I*".  T.  P.  (Etablissement  A.  Desnoes  et  Btiimm  réunis)  Anj^ers-Paris. 


?^'7 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALE 


(1) 


Sur  la  face  orientale  de  l'enceiaite  fortifiée  de  Salé,  encadrée  dans 
les  murailles  qui  font  face  à  l'oued  Bou  Regreg,  s'ouvre  une  porte 
monumentale,  Bàb  el-Mrîsa.  Son  ampleur  et  son  originalité  frappent 
dès  l'abord  :  c'est  un  immense  arc  brisé  en  fer  à  cheval,  que  vien- 
nent encadrer  une  bande  décorative  et  une  longue  inscription  kou- 
fîque.  Une  puissant^  décoration  végétale  couvre  les  écoinçons  de  la 
porte  :  une  frise  d'arcatures  largement  conçue,  imaintenant  mutilée, 
régnait  jadis  au-fdessus  de  l'ensemble.  Enfin  deux  tours  en  faible 
saillie,  couronnées  de  quatre  bandeaux  décoratifs,  flanquent  cette 
vaste  ouverture  :  Étroites  et  hautes,  elles  donnent  à  cette  étrange 
porte  un  élan  dont  on  reste  charmé  et  étonné.  En  effet,  jamais  la 
porte  marocaine  ne  domine  les  murs  crénelés  qui  l'entourent;  sa 
masse  puissante  ne  fait  qu'un  léger  ressaut  sur  le  front  des  'mu- 
railles  :  c'est  un  vaste  ouvrage  peu  élevé  mais  très  épais.  Bâb  el- 
Mrîsa  au  contraire  n'a  qu'une  faible  profondeur  (8'°,62).  Ailleurs 
l'arc  de  la  porte  est  de  dimensions  modestes  par  rapport  à  la  masse 
des  tours  qui  l'encadrent.  L'ouverture  de  la  porte  qui  donne  aocès 
à  une  série  de  salles  voûtées,  oii  règne  la  pénombre,  fait  un  trou  noir 
au  milieu  des  murailles  ensoleillées.  Ici,  au  contraire  une  arcade  gi- 
gantesque encadre  un  large  pan  de  ciel  :  nous  ne  retrouvons  plus  le 
visage  habituel  des  portes  maghribines.  Nulle  image  de  guerre  ne 
s'évoque  devant  ce  monument  insolite.  Que  signifie  cette  immense 
porte  ouverte  en  plein  ciel? 

Les  traditions  locales  donnent  une  réponse  pleine  d'intérêt.  Cette 
porte  qui  maintenant  donne  accès  au  quartier  juif  de  Salé,  au  niellah, 
a  connu  d'autres  destinées.  Jadis  un  port  existait  à  l'intérieur  des 

(i)  Bibliographie.  —  L.  Brunot,  La  mer  dans  les  traditions  et  les  industries  indigènes  de 
Rabat-Salé,  Paris,  Leroux,  1921,  p.  i/Jg-iôo.  Henri  Basset  et  E.  Lévi-Provençal,  Chella  : 
une  nécropole  mérinide,  (Hespéris,  1922).  Villes  et  tribus  du  Maroc  :  Rabat  et  sa  région 
T.  I.  Les  villes  avant  la  conquête,  Paris,  1918,  p.   29-30  et  195. 

BE3PERIS.  —  T.    II     —    1922.  21 


m 


H    TERRASSÉ 


murailles  de  Salé  et  oe  coin  du  mellah  s'appelle  encore  mrîsa,  \v  jxiil 
port.  Une  porte  mutilée  aujourd'hui,  qui  s'ouvrait  «iir  la  nniiaillc 
ouest  de  la  ville,  à  quelque  dislance  de  la  première,  y  donnail  aussi 
accès.  Mais  le  port  s'est  ensablé  et  vers  la  lin  du  xvni"  siècilc,  le  mel- 
lah a  été  installé  sur  son  emplacement.  En  effet,  une  dune  de  |)hi- 
sieurs  mètres  d'épaisseur  occupe  toute  cette  partie  du  rivage  du  Hou 


f.AeCL     "LAfLL 


5  milcCJ 


Fig.  1.  —  Bàb  el-Mrisa  :  face  extérieure. 

Kegreg.  Bâb  el-Mrîsa  n'a  pas  été  exempte  de  ses  atteintes  :  auliefois 
elle  devait  avoir  plus  fière  allure  car  le  sol  actuel  ne  laisse  voir  qu'une 
faible  partie  des  piédroits  et  nous  n'avons  plus  à  contempler  qu'un 
monument  à  demi  enfoui.  Ainsi  l'ampleur  de  cette  porte,  l'étrangeté 
de  son  aspect  s'expliquent  sans  peine  si  l'on  en  croit  les  traditions 
locales  :  nous  avons  affaire  à  une  porte  marine. 

Mais  quelle  est  la  date  de  ce  monument  unique  au  Maroc  ?  Ici  la 
tradition  est  moins  précise;  à  Bâb  el-Mrîsa  on  a  attaché  le  souvenir 
des  fameux  pirates  de  Salé  qui  restent  plus  grands  dans  la  légende 


l<9 


Terrassf,  Pl.  I 


•S. 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALÉ 


359 


que  dans  l'histoire.  Le  port  intérieuT  de  Salé  aurait  été  leur  point 
de  départ  et  leur  refuge  et  les  laros  immenses  de  ses  portes  auraient 
encadré  jadis  la  silhouette  des  vaisseaux  corsaires. 

Qu'y  a-t-il  de  vrai  dans  cette  curieuse  histoire  ?  Soanmes-nous  en 
présence  d'une  porte  marine  ?  Quelle  est  sa  date  ?  Dans  quel  but  fut- 
elle  cons truite  et  quelles  furent  ses  destinées  ?  Répondre  à  ces  ques- 
tions serait  résoudre  un  petit  problème  historique  et  surtout  assi- 
gner une  date  à  une  de  ces  belles  portes  marocaines  qui,  pour  la  plu- 
part, ne  portent  pas  d'inscription  de  fondation.  L'étude  du  monument 
donne  des  indications  assez  nombreuses  que  les  textes  viennent  pré- 
ciser et  compléter. 

* 
** 

Aucune  des  dispositions  de  cette  porte  n'aurait  de  sens  si  elle  avait 
été  dès  l'origine  une  porte  terrestre.  Un  arc  qui  a  près  de  9  mètres 
d'ouverture  et  dont  le  sommet  se  trouve  encore  aujourd'hui  à  9°*, 60 


Fig.  2.  —  Bàb  el-Mrîsa  :  Plan. 


du  sol,  ne  fait  qu'ouvrir  une  large  brèche  dans  une  muraille  fortifiée. 
L'étude  du  plan  est  plus  significative  encore  :  presque  toutes  les  por- 
tes anciennes  des  villes  abritent  un  couloir  coudé  à  angle  droit  ou 
tracé  en  baïonnette  :  ce  dispositif,  classique  dans  l'art  de  la  fortifi- 
cation, explique  la  profondeur  de  ces  ouvrages.  Ici  la  porte  n'a  pas 
9  mètres  d'épaisseur  et  son  entrée  est  droite  (fig.  2).  Les  deux  tours 
qui  l'encadrent  ont  une  faible  valeur  de  flanqueiment  :  elles  pronon- 


360 


H.   TERRASSE 


cent  sur  lie  unir  iino  saillie  do  •<"',io;  à  la  qasba  des  Oudaîa,  il  est  vrai, 
les  deux  tonreilt's  liilcialc^  oui  inie  saillie  |)liis  faible  encore  :  mais  il 
s'agit  (l'une  [vorle  tle  qasha  hàtie  à  l'intérieur  d'une  ville  et  protégée 
par  une  pixîniière  enceinte.  De  plus,  perchée  sur  une  crête,  cette 
porte  occui>ait  une  forte  position  où  il  éliait  inutile  d'accumuler  des 


Fig.  3.  —  Bâb  el-Mripa  :  en  haut,  plan  à  hauteur  de  l'escalier  ;  en  bas,  plan  des  chambres  de  défense. 

organes  défensifs.  Ici,  pour  défendre  une  enceinte  extérieure,  sur  un 
point  où  l'ennemi  pouvait  tenter  un  débarquelment,  l'absence  de  tours 
en  forte  saillie  eût  été  une  faiblesse.  D'autres  dispositions  révèlent 
que  nous  avons  affaire  à  une  porte  marine.  La  base  des  tours  est  occu- 
pée par  de  petites  salles  voûtées  en  berceau,  qui  ne  présentent  aucun 
organe  défeinsif.  Au  niveau  du  chemin  de  ronde  des  murailles  part 
un  escalier  éclairé  de  trois  côtés  par  des  jours  étroits  :  la  cage  de  cet 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALÉ  361 

escalier  ne  peut  avoir  aucune  ouverture  sur  le  mur  de  façade  des  tours 
dont  elle  est  séparée  par  toute  leur  saillie  externe.  Mais  plus  haut,  à 
o°',5o  environ  au-dessus  du  sommet  de  l'arc  s'ouvrent  sur  l'escalier 
de  petites  chambres  voùtres  en  calottes  sur  pendcmtifs  (fi^.  3).  Trois 
meurtrières  ouvrent  dans  ces  salles  :  l'une  (A)  permet  de  battre  le 
mur  d'enceinte  au  cas  où  l'ennemi  senait  parvenu  à  l'occuper  :  une 
autre  (C)  défend  les  abords  immédiats  de  la  porte.  La  meurtrière  fron- 
tale (B)  n'est  pas  creusée  normalement  au  mur  :  son  axe  est  nette- 
ment oblique  :  cette  direction  si  curieuse  était  due  à  la  nécessité  dt 
battre  un  Ociinal  qui  reliait  l'oued  au  port  intérieur.  La  disposition  du 
terrain  imposait  au  canal  cette  obliquité.  Sur  l'étroit  palier  qui  pré- 
cède ces  chambres  de  défense,  une  vaste  ouverture  (D)  donne  accès 
dans  l'intérieur  de  la  porte.  De  là  on  pouvait  acciabler  de  projectiles 
le  vais>^eau  qui,  par  aventure,  eût  réussi  à  s'engager  sous  la  porte.  Ces 
organes  de  défense  suffisaient  à  rendre  inexpugnabile  une  porte  ma- 
rine. Quel  navire  eût  osé  s'engager  dans  un  étroit  chenal 
sous  les  coups  de  l'ennemi,  pour  forcer  un  passage  si  facile  à 
barrer?  D'ailleurs,  la  plateforme,  au  parapet  muni  de  meurtrières, 
qui  couvre  tout  l'édifice,  venait  encore  renforcer  la  défense.  La  voûte 
qui  couvrait  le  couloir  de  la  porte  était-elle  percée  de  trous  qui  eussent 
servi  à  laisser  tomber  des  projectiles  sur  im  vaisseau  engagé  dans  le 
passage  .^^  Pareille  hypothèse  est  peu  pix^bable  :  les  ouvertureis  laté- 
rales des  paliers  suffisaient  à  cette  défense  intérieure  de  la  porte.  Il 
est  d'ailleurs  impossible  de  trancher  la  question  avec  certitude  car 
l'arcade  intérieure  de  la  porte  s'est  écroulée  ainsi  que  la  voûte  primi- 
tive. On  a  reconstiiiit  une  voûte  assez  grossière,  d'un  tracé  imparfait, 
mais  on  rett^ouve  les  retombées  d'une  ancienne  voûte  dont  on  peut 
restituer  le  profil  en  arc  très  surbaissé  (fig.  4);  donner  cette  forme  à  un 
berceau  de  neuf  mètres  de  portée  était  une  grande  témérité.  Aussi  les 
tours  qui  contrebutaient  cette  voûte  ont  cédé  à  une  poussée  presque 
horizontale.  Cette  faute  mise  à  part,  l'architecte  qui  conçut  cette 
porte  marine  a  fait  une  œuvre  logique  :  parti  de  la  porte  terrestre  il 
a  su  en  modifier  les  formes  et  éliminer  tout  ce  qui  n'importait  pas 
au  but  nouveau  qu'il  poursuivait.  Lorsqu'il  l'a  fallu,  il  a  innové  avec 
autant  d'intelligence  que  de  hardiesse. 

Mais  les  ressources  dont  il  disposa  ne  furent  pas  toujours  de  la 


362 


H.  TERRASSE 


hauteur  do  sou  laleut.  Dos  doux;  portes,  iiuo  soiil(\  Bàl)  el-Mrîsa,  porte 
une  décoration  sculptée  :  encore  cette  décollation  no  recouvre-t-elle 
que  la  façade  extérieure  de  la  porto.  L'iulériour  montre  [vour  tout  or- 
nonient,  à  la  base  de  l'arc,  un  motif  composé  d'éléments  lloraux.  Cer- 
tes nous  voyons  au  Maroc,  du  xii**  au  xiv"  siocle,  la  décoration  inté- 
rieure des  porter  se  faire  de  plus  en  plus  sobre   :  mais  j aimais  elle 


Fig   4.  —  Bâb  el-Mrîsa  :  Face^intérieure  et  restitution  de  la  von  te  primitive. 


n'atteint  cette  pauvreté.  Ici,  de  toute  évidence,  on  a  terminé  à  peu  de 
frais  une  œuvre  commencée  avec  luxe.  Les  mômes  préoccupations 
de  sévère  économie  ont  réglé  l'emploi  des  divers  appareils  dans  la 
maçonnerie  de  la  porte.  Toute  la  façade  extérieure  est  en  pierre  de 
taille,  un  calcaire  coquillier  assez  médiocre.  La  taille  de  ces  pierres 
de  moyen  appareil  est  soignée;  parfois  on  observe  une  tendance  à 
l'altemance  de  lits  épais  et  de  lits  minces.  L'arc  de  la  porte  est  fort 
bien  appareillé  en  claveaux  de  faible  épaisseur.  Mais  en  dehors  de 
la  façade,  la  pierre  de  taille  n'est  plus  employée  que  pour  les  chaînages 
d'angle  des  tours  et  pour  les  claveaux  de  l'arc  intérieur.  La  masse 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALÉ 


363 


des  murs  est  faite  de  moellons  dégrossis  et  couverts  d'un  enduit;  sui- 
vant un  usage  déjà  cher  au  xii^  siècle,  cet  enduit  est  décoré  par  en- 
(Iroils  (le  dessins  en  léger  relief  qui  imitent  l'appareil  de  pierre  de 
laillc.  Sur  la  face  intérieure  des  murs,  on  en  vient  à  employer  du 
moellon  brut.  Les  escaliers  des  tours  et  les  voûtes  des  chambres  de 
défense  étaient  bâtis  en  briques  noyées  dans  du  mortier. 

La  deuxième  porte  aujourd'hui  ruinée  ne  possède  plus  que  son 
mur  de  façade  entre  deux  tours  réduites  à  leur  saillie  externe  (fig.  5). 


Fig.  3.  —  Porte  Ouest  de  TArsenal'de  Salé  :  Plan. 


Elle  avait  été  conçue  aussi  largement  que  la  première  :  entre  les  deux 
tours,  elle  a  la  môme  largeur  (12™, 68).  Mais,  de  cette  deuxième  porte, 
toute  décoration  est  absente.  Un  fait  nous  montre  qu'on  avait  bien 
renoncé  à  toute  parure  :  le  bandeau  qui  encadre  l'arc  est  moins  large 
qu'à  la  porte  sud;  vide  de  tout  décor,  sa  large  surface  morne  eût  trop 
accusé  la  pauvreté  de  l'ensemble.  De  ce  fait,  l'arc  devait  avoir  une 
ouverture  un  peu  plus  grande  que  Bâb  el-Mrîsa.  L'appareil  de  cette 
porte  décèle  aussi  que  les  projets  primitifs  ne  furent  pas  réalisés.  La 
pierre  de  taille  est  fort  belle  et  de  grande  dimension.  Au-desisus  de 
la  porte  elle-même,  entre  les  tours,  des  lits  de  pierres  de  taille  très 
épais  alternent  avec  des  lits  plus  minces;  ce  rythme,  qui  est  ici  très 
accentué,  ne  manque  pas  d'une  certaine  grandeur.  Mais  tout  révèle 
la  hâte  et  la  négligence  :  ces  belles  pierres  sont  séparées  par  d'épais 
lits  die  mortier;  à  Bâb  el-Mrîsa,  au  contraire,  le  mortier  ne  formait 
qu'une  couche  fort  mince.  Enfin  la  façade  n'a  pas  même  été  ravalée. 


364  11.  TERRASSE 

Si  on  il  rononoé  dans  col  le  (inivre  à  tout  «ouci  d'art  on  a  pourtant 
voulu  bàlir  un  ()uvia<i('  (IrlVusil'  de  girandc  val(Mir  :  les  lours  sont  plus 
larges  qu'à  Uàl)  el-Mrîs«  v\  leur  saillie  est  plus  l'orle;  les  chambres 
de  défense  uiéna<*-ées  au  niveau  du  soniiniel  île  lare  ont  deux  ineiir- 
trières  frontales  au  lieu  d'une;  au-dessous,  on  voit  encore  inie  autre 
meurtrière;  il  existait  donc,  sous  l;i  pi-einière,  une  sc'condc  chambre 
de  défense.  Ce  suppilémenl  (l'oiganes  défensifs  s'imposait  ;  la  porte 
fait  faoe  à  la  mer  et  à  l'esluaire  el  elle  devait  subir  la  première  le 
choc  d'une  attaque  ennemie. 

L'étude  de  l'appareil  qui  nous  a  dit  dans  quelles  conditions 
avaient  été  construites  ces  deux  portos  nous  donne  aussi  une  date 
approximative  :  mais  cette  indication  n'a  qu'une  faible  valeur  car 
des  appareils  semblables  ont  parfois  été  eimployés  à  des  époques  dif- 
férentes. Remarquons  pourtant  qu'une  semblable  éconoimie  de  la 
pierre  de  taille  et  du  moellon  dégrossi  se  retrouve  à  Chella  (i).  L'ap- 
pareil alterné  y  est  aussi  couramment  employé.  Les  briques  de  môme 
dimensions  (26  cm.  x  i3  cm.  x  3  cm.)  y  ?ont  aussi  noyées  dans 
d'épais  lits  de  mortier.  Nous  pensons  donc  au  début  de  l'époque 
mérinide. 

Une  analyse  sommaire  du  décor  nous  permet  de  préciser  cette 
vague  indication.  Il  ne  saurait  être  question  d'étudier  ici  tous  les  élé- 
ments décoratifs  que  présente  la  façade  de  Bâb  el-Mrîsa,  ce  qui  re- 
viendrait à  traiter  l'immense  sujet  de  la  décoration  hispano-maures- 
que aux  xii'  et  xni*  siècles.  Mais  le  décor  de  cette  porte  la  place  entre 
le  groupe  des  portes  almohades  (Bâb  Agnâou  à  Marrakech,  Bâb  er- 
Roûàh,  porte  de  la  qasba  des  Oudaïa  à  Rabat),  et  la  porte  de 
Chella  datée  de  789  de  l'hégire  (2).  Celle  comparaison  ne  doit  pas 
être  poussée  trop  loin;  par  sa  composition  générale  et  par  maint  dé- 
tail la  porte  de  l'arsenal  de  Salé  révèle  une  grande  originalité.  En 
premier  lieu,  l'arc  lobé  qui  sous  des  formes  diverses  est  de  règle  par- 
tout ailleurs  disparaît  ici.  Rien  ne  vient  d(»)ubler  l'arc  brisé  outrepassé 
aux  claveaux  lisses  :  si  la  porte  y  perd  en  richesse  elle  y  gagne  en 
fermeté.  L'artiste  innova  encore  lorsqu'il  plaça  la  bande  décorée  d'un 
entrelacs  architectural  et  le  bandeau  épigraphique  qui  encadrent  les 

(i)  Cf.  Henri  Basset  et  E.  Lévi-Provençal,  Chella,  in  Hespéris,   1922,  p.  55. 
(2)  Ibid.,  pp.    16  et  3i. 


Is^U 


Terrasse,  Pl.  II 


Salé,  Bàb  el-Mrîsa.  Détail  (inscription  et  décoration). 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALE 


365 


«Coinçons  :  il  laissa  ces  deux  bandeaux  empiéter  largement  sur  les 
claveaux  de  l'arc.  Les  éooinçons  se  trouvent  de  ce  fait  beau- 
coup plus  longs  que  larges  :  ils  paraissent  s'étendre)  pour  se  rejoin- 
dre et  ce  mouvement  est  d'une  réelle  beauté.  Par  ailleurs  ni  le  ban- 
deau épigraphique  ni  la  bande  à  entrelacs  n'ont  une  largeur  en  pro- 
portion avec  l'ampleur  de  la  porte  :  aussi  paraissent-ils  un  peu  grè- 


Fig.  6.  —  Bâb  el-Mrîsa  :  Ecoinçon  de  droite. 


les;  mais  l'étroitesse  du  cadre  fait  mieux  sentir  les  vastes  dimensions 
de  l'ensemble.  Dans  cette  composition  si  neuve,  un  seul  détail  peut 
nous  donner  une  indication  de  date  :  la  décoration  commence  à  en- 
vahir les  tours  :  les  sobres  bandeaux  à  entrelacs  de  Bâb  el-Mrîsa  an- 
noncent le  riche  décor  des  tours  de  Chella. 

Mais,  rnieux  que  sa  composition  générale,  c'est  son  décor  floral 
qui  permet  de  dater  Bâb  el-Mrîsa  et  qui  fait  de  cette  porte  un  chef- 
d'œuvre.  A  Bâb  Agnâou  et  à  la  porte  de  la  qasba  des  Oudaïa,  le  dé- 
cor floral  se  construit  sur  un  rinceau  simple  dessiné  par  une  tige 
épaisse  et  comme  gonflée  de  sève;  à  Bâb  el-Mrîsa  (flg.  G),  la  tige  s'amincit 


306  ïî.  TERRASSE 

et  ses  invohitîons  dossinont  iin  double  rinceau,  en  attendant  qu'à  Chel- 
la  des  tifj-es  d'une  extrême  trniiité  s'enrouilent  en  rinceaux  (Superpo- 
sés. A  la  fin  du  xn*  siècle,  chaque  feuille  venait  garnir  l'intrriour 
d'une  involution  du  rinceau  suivant  une  tradition  fort  ancienne  : 
la  place  et  la  diredion  <lo  la  fouille  étaient  imposées  par  le  schéma 
constructif.  A  la  [>orle  de  Salé  quelques  feuililes  occupent  encore  la 
place  traditionnelle  mais  la  plupart  s'attachent  au  hasard  et  se  dérou- 
lent en  tous  sens.  Bientôt,  au  xiv"  siècle,  des  feuilles  uux  formes  en- 
core belles  viendront  se  placer  sans  aucune  loi  sur  des  rinceaux  grê- 
les aux  enroulements  multiples.  Enfin  ces  feuilles,  palmes  doubles 
ou  palmes  simples  apparaissent  à  Bab  el-Mrîsa  fo-l  sjmpliliées  :  un  ou 
deux  traits  qui  viennent  couper  en  oblique  la  palme  conservenl 
seuls  le  souvenir  des  anciennes  digilalions.  Parfois  môme  tout  mo- 
delé disparaît  de  la  feuille.  Cette  simplification  des  formes  qui  appa- 
raît très  avancée  dans  les  portes  almohades  est  presque  ac- 
complie à  Bàb  el-Mrîsa  :  elle  s'achèvera  au  début  du  xiv*  siècle.  D'au- 
tres éléments  de  cette  porte  lui  sont  particuliers  et  apparaissent  mèïne 
comme  contraires  à  l'évolution  nonmale  de  la  décoration  hispano- 
mauresque.  A  pareille  époque,  l'art  est  encore  riche  d'inspiialion  et 
tente  de  nombreux  (\'^sais.  Nulle  part  autant  qu'à  l'arsenal  de  Salé  on  ne 
voit  pareille  variété  dans  la  foiime  des  palmes  et  de  si  fortes  différen- 
ces dans  leur  taille.  Chaque  élément  du  décor  a  sa  physionomie 
propre  :  un  artiste  passionné  de  dessin  a  exécuté  sur  ces  deux  thè- 
mes de  la  palme  simple  et  de  la  palme  double  de  nombreuses  et  subli- 
les  variations.  Cette  richesse  fut  éphémère  :  des  le  xiv'  siècle,  les 
foiimes  des  feuilles  se  réduisent  à  quelques  types.  Cette  pauvreté 
était  inévitable;  l'art  de  cette  époque  aime  moins  la  ligne  que  la  cou- 
leur :  il  crée  de  délicates  symphonies  d'ombre,  de  grisailles  et  de  lu- 
mière, mais  on  ne  reverra  plus  ces  beaux  poèmes  de  lignes  fermes 
et  souples.  Jamais  non  plus  on  ne  verra  décor  mieux  adapté  à  la  sur- 
face qu'il  couvre  :  le  mouvement  des  larges  feuililes  qui  se  déroulent 
presque  horizontalement  accompagne  et  souligne  le  mouvement  des 
éooinçons.  Au  xni^  siècle  comme  au  xif  l'architecture  et  la  décora- 
tion ne  se  séparent  pas. 

Ainsi  à  Bab  el-Mrîsa,  nous  voyons  le  décor  hésiter  avant  de  s'ea- 
gager  dans  la  voie  qu'il  suivra  désormais  et  montrer,  avec  sa  force. 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALÉ  367 

toute  sa  fécondité.  OEuvre  riche  et  originale,  cette  porte  doit  occuper 
une  place  éminente  dans  l'histoire  d'un  art  qui  va  restreindre  le  ré- 
pertoire de  ses  formes  et  fixer  la  loi  de  son  développement. 


Tout  indique  donc  que  ces  portes  marines  datent  du  début  de 
l'époque  mérinide.  L'inscription  coranique  (i)  de  Bâb  el-Mrîsa  indi- 
que quelle  fut  la  destination  du  monument.  On  lit  d'abord  des  for- 
mules propitiatoires  courantes  (2)    : 

le  taawwoûdh  (Je  cherche  refuge  auprès  d'Allah  contre  Satan 

le  lapidé), 
la  basmala  (Au  nom  d'Allah,  le  clément,  le  miséricordieux), 

la   taçlîyya  (qu'Allah   bénisse   notre   Seigneur   Mohammed 

et  qu'il  lui  accorde  sa  grâce). 

Enfin  sont  inscrits  les  versets  10  à  1 3  de  la  sourate  LXI  : 

((  0  croyants,  vous  ferai-je  connaître  un  capital  capable  de  vous 
racheter  des  tourments  de  l'enfer. 

«  Croyez  en  Dieu  et  en  son  apôtre,  combattez  dans  le  sentier  de 
Dieu,  faites  le  sacrifice  de  vos  biens  et  de  vos  personnes  :  cela  vous 
sera  plus  avantageux  si  vous  le  comprenez. 

«  Dieu  vous  pardonnera  vos  offenses.  11  vous  introduira  dans  les 
jardins  arrosés  par  des  cours  d'eaux  :  dans  les  habitations  charman- 
tes des  j€irdins  d'Eden,  c'est  un  bonheur  immense! 

((  Il  vous  accordera  encore  d'autres  biens  que  vous  désirez  :  l'as- 
sistance de  Dieu  et  la  victoire  immédiate.  Annonce  aux  croyants  d'heu- 
reuses nouvelles  ». 

Le  sens  de  ces  versets  est  bien  net,  c'est  une  invitation  à  la 
guerre  sainte  et  au  sacrifice  des  biens  de  ce  monde,  une  pro'messe 

(i)  Un  cartouche  situé  sur  le  côté  W.  de  Bàb  cl-Mrîsa  contient  la  profession  de  foi 
islamique  en  caractères  cursifs. 

(2)  J'adresse  les  plus  vifs  remerciements  à  M.  Lévi-Provençal  qui  a  bien  voulu  lire  les 
inscriptions  de  Bâb  el-Mrîsa,  à  MM.  Henri  Basset  et  L.  Brunot  qui  m'ont  signalé  l'inté- 
rêt du  sujet  et  aidé  de  leurs  conseils  et  à  M.  J.  Ilainaut  qui  a  levé  et  exécuté,  avec  le  plan 
des  deux  portes,  tous  les  dessins  qui  illustrent  cet  article. 


368  H.  TERRASSE 

de  victoire  et  -de  félicité  ëternello.  Comiment  ne  pas  admettre  que 
ces  deux  portes  n'aient  pas  élé  élevées  en  vue  de  la  «^immic  sainh^? 
D'ailleurs,  les  textes  historiques  confirment  ces  conclusions  (^t  assi- 
g-nent  à  ces  nionunienLs  une  date  et  une  signification  précises. 

L'auteur  du  liairdli  cl-qirtâs  et  Ibn  Klialdoun  dans  son  Histoire 
des  Bcrbcrcs  nous  doinieut  ih^s  indications  qui  permettent  de  dater 
ces  d(Mi\  porlt'^  (le  larou  eerlaiue.  Ia'(|()ùl>  heu  Alxl  Allah,  gouver- 
neur .du  Rihàlh  el-Falh  et  de  Salé  souis  le  sultan  mérinidc  Aboû  lahiâ 
avait  été  chassé  de  la  place  par  les  Alniohades;  il  put  réoccuper  les 
deux  villes,  mais  il  se  brouilla  avec  le  nouveau  sultan  Aboû  loûsof 
la'qoùb  son  oncle  et  se  pivpara  à  lullci"  coulre  lui.  Les  marchands 
européens  cpi'il  avait  fait  venir  en  graud  uinubrc^  pour  lui  vendre 
des  armes  s'emparèrent  de  Salé  pendant  la  fêle  de  la  rupture  du 
jeûne.  la'qoûb  ben  Abd  Allah,  réfugié  à  Rilialh  el-Fath,  assista  im- 
puissant au  pillage  de  Salé.  Ceci  se  passait  en  658/i.iGo.  Il  se  résigna 
à  faire  appel  à  Aboû  loûsof  qui  se  trou\ait  à  Taza.  Le  sultan  vint  à 
marches  forcées  et,  après  quatorze  jours  de  siège  reprit  la  ville. 
<(  Le  sultan  donna  ensuite  l'ordre,  nous  dit  Ibn  Khaldoûn,  de  fer- 
mer par  ini  ouvrage  de  maçonnerie,  la  brèche  de  la  muraille  occi- 
dentale qui  avait  permis  à  l'ennemi  de  pénétrer  dans  la  place  et, 
pourimériter  encore  plus  de  la  faveur  divine,  il  y  travailla  de  ses  pro- 
pres mains  ».  L'auteur  du  Uawdh  el-qlrtâs  est  plus  explicite  encore 
sur  ces  travaux  de  fortification  :  k  C'est  alors  que  l'émir  fit  bâtir  les 
murailles  et  les  fortifications  qui  donnent  sur  la  rivière  et  qui  n'exis- 
taient pas  à  cette  époque  où  les  chrétiens  entrèrent  justement  par  ce 
côté  ouvert  ».  Suivant  le  même  historien,  Aboû  loûsof  bâtit  ces  for- 
tifications depuis  l'arsenal  jusqu'à  la  aner.  Ces  textes  pourraient  suf- 
fire :  les  murailles  qui  bordent  l'ouod  n'existaient  pas  avant  Aboû 
loûsof  laqoûb;  on  peut  penser  à  bon  droit  que  'les  portes  dont  nous 
parlons  faisaient  partie  de  tout  cet  ensemble  de  fortifications.  Elles 
auraient  donc  été  construites  dans  îles  années  qui  suivirent  658/ 1260. 
Toutes  ces  constructions  furent  sans  doute  achevées  avant  678/1274  : 
à  cette  date  Aboû  loûsof  vint  à  Salé  pour  préparer  la  guerre  sainte; 
là,  nous  dit  Ibn  Khaldoûn,  il  fit  restaurer  les  fortifications  de  la  ville. 
Cette  fois  il  n'est  plus  question  de  construction  mais  de  restauration. 

Des  textes  tirés  d'historiens  marocains  contemporains  compté- 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALÉ  369 

tent  c€s  données.  Ahmed  ben  Khaled  en-Nâçiri  (i)  nous  apprend  que 
Je  sulan  mérinide  Aboû  loûsof  la'qoub  construisit  le  Dâr  eç-çanâa 
(l'arsenal)  de  Salé  après  avoir  expulsé  les  Espagnols  qui  avaient  oc- 
cupé la  ville.  Cet  arsenal  servait  à  conslruire  des  navires  pour  la 
guerre  sainte;  les  vaisseaux  étaient  amenés  dans  l'oued  par  un  canal. 
Les  meurtrières  de  Bâb  el-Mrisâ  marquent  encore  la  direction 
de  oe  canal.  Le  Kitâb  el-Istiqçâ  donne  le  nom  de  l'architecte,  Moham- 
med ben  Ali  ben  Abdallah  ben  Mohammed  ben  El-Hadj  el-Ischbîli, 
et  ajoute  que  le  bois  nécessaire  à  la  oonstructioTi  ides  vaisseaux  était 
fourni  par  la  forêt  de  la  Mamora.  Le  fqîh  Ibn  Ali  ed-Dokkâli  es- 
Salâwî  dans  1'  Achraf  el-Malâ  bi-badh  akhbâr  er-Ribâth  wa  Sala 
(histoire  inédite  de  Rabat  et  de  Salé)  donne  les  mômes  renseigne- 
ments. L'étude  des  monuments  eit  les  données  des  textes  concordent 
en  tous  points  :  les  portes  du  mellah  de  Salé  sont  bien  les  portes  d'un 
arsenal  maritime  et  leur  construdtion,  due  au  sultan  mérinide  Abou 
loûsof  la'qoûb,  se  place  entre  658' 1260  et  668/1270  environ. 

Ainsi  daté,  ce  monument  prend  une  signification  historique  fort 
nette.  Aboû  loûsof  la'qoûb  sera  le  premier  des  Mérinides  qui  fera  la 
guerre  sainte;  avant  même  son  accession  au  trône,  nous  dit  Ibn  Khal- 
doun,  il  brûlait  d'y  pousser  les  Béni  Merîn  (2) .  La  prise  de  Salé  par 
les  chrétiens  dut  être  pour  lui  un  coup  fort  dur  :  la  terre  sacrée,  le 
ribâth  d'où  les  Almohades  étaient  partis  pour  la  guerre  sainte  était 
aux  mains  des  infidèles.  11  abandonne  tout  pour  le  reprendre  :  après 
la  délivrance  de  la  ville,  il  fortifie  le  rivage  de  l'oued  pour  empêcher 
le  retour  de  pareils  malheurs.  Il  fait  plus  :  un  arsenal  s'élève  qui 
armera  des  vaisseaux  pour  la  guerre  sainte,  qu'Aboû  loûsof  la'qoûb 
veut  entreprendre  dès  que  son  pouvoir  sera  solidement  établi  au 
Maghrib.  Sa  pensée  est  fort  nette;  de  la  cité  profanée  partiront  les 
vaisseaux  de  la  revanche.  Aboû  loûsof  et  ses  successeurs  continue- 
ront cette  politique  de  la  guerre  sainte;  les  rivages  d'Espagne  verront 
souvent  arriver  leurs  vaisseaux  et  débarquer  leurs  troupes.  Bâb  el- 
Mrîsa  annonce  la  guerre  sainte  mérinide  :  elle  en  est  même  le  pre- 
mier acte. 


(i)  Kitâb  el-lstiqçâ,  édition  du  Caire,  t.  Il,  p.   lî. 

(2)  Cf.   H.  Basset  et  E.  Lévi-Provençal,  Chella,  p.   10  sqq. 


370  H.  TERRASSE 


Quelles  fiiixMit  les  destinées  de  cet  arsenal  qui  inaugum  l'époque 
la  plus  glorieuse  de  la  domination  des  Mérinides  el  qui  lut  sans  doute 
le  premier  grand  monument  élevé  par  eux?  Il  servit  à  plusieurs  re- 
prises à  construire  des  bâtiments  pour  la  guerre  sainte;  il  fut  le  lieu  où 
le  Sultan  aime  à  lancer  ><on  appel  aux  armes,  le  caniji  où  il  concentre 
ses  troupes  avant  de  passer  en  Espagne.  En  67S,  684,  710  (i),  Salé 
arma  des  vaisseaux  qui  allèrent  combattre  sur  les  côtes  d'Espagne  : 
l'Arsenal  fonctionna  donc  régulièrement  (2). 

Cependant  sa  carrière  ne  dut  pas  être  bien  longue  :  lorsqu'au 
début  du  xvn'  siècle,  après  l'émigration  de  forts  groupes  de  Moris- 
ques  à  Rabat-Salé,  la  piraterie  salétine  prend  un  essor  tardif  et 
commence  sa  brève  carrière  (3),  l'arsenal  va-t-il  servir  de  base 
d'opérations  aux  aventurière  de  toutes  nations  qui  vont  infester  les 
côtes  marocaines?  Rien  n'est  moins  probable  :  de  nombreux  témoi- 
gnages nous  apprennent  que  le  chantier  de  construction  des  pirates 
était  situé  sur  la  rive  de  Rabat  en  bas  de  la  Tour  de  Hassan.  Le  Kitab 
el-Istiqçâ  dit  que  le  sultan  Moulay  Sliman  «  fit  quitter  aux  juifs  le 
quartier  de  Bàb  Hosein  au  centre  de  la  ville  (de  Salé)  pour  leur  éle- 
ver un  quartier  spécial  à  l'ouest  de  la  ville  ».  L'ensablement  du  port 
était  donc  achevé  depuis  longtemps  lorsque,  à  la  fin  du  xvni'  siècle, 
on  put  bâtir,  sur  les  sables  de  la  dune,  un  quartier  nouveau  à  l'abri 
des  hautes  marées.  Une  tradition  israélite  qui  rapporte  qu'avant  le 
mellah,  des  tanneries  s'élevaient  sur  l'emplacement  de  l'arsenal  con- 
finme  ces  vues.  Au  début  du  xvif  siècle,  l'arsenal  était  sans  doute 
envahi  par  le  sable  et  seuls  les  rares  vaisseaux  corsaires  que  put  armer 
Salé  au  cours  des  xv'  et  xvi'  siècles  trouvèrent  asile  dans  les  murailles 
d'Aboû  la'qoûb.  A  ces  monuments  s'attache  donc  le  seul  souvenir  de 
la  guerre  sainte  mérinide,  car  si  la  piraterie  salétine  fut  en  droit  une 


(i)  Rawd  el-qirtâs  :  trad.  Beaumier,  p.  5i5  et  54 1  ;  Ibn  Khaldooin,  Histoire  des  Ber- 
bères, trad.  De  Slane,  t.   IV,  p.    loi  et  io4  ;  L.    Brunot,  op.   cit.,  p.   i5o. 

(2)  Les  Villes  et  tribus  du  Maroc  (Rabat  et  sa  région)  signalent  sans  indiquer  leur 
source,  une  restauration  de  l'arsenal  de  Salé  par  le  saâdien  Abd  el-Malek.  Il  s'agit  sans 
doute  de  la  réfection  de  la  voûte  dont  il  a  été  question  plus  haut. 

(3)  I/.  Brunot,  op.  cit.,  p.   i5a  et  p.   19s. 


LES  PORTES  DE  L'ARSENAL  DE  SALÉ  3^1 

forme  nouvelle  de  la  guerre  sainte,  en  fait  elle  ne  fut  pas  autre  chase 
qu'une  œuvre  de  banditisme  international. 

Mais  ces  portes  de  l'arsenal  de  Salé,  oommencées  avec  tant  d'am- 
pleur et  de  luxe,  achevées  en  hâte  et  pauvrement,  ne  sont-elles  pas 
le  meilleur  symbole  de  la  guerre  sainte  que  firent  les  Mérinides?  De 
belles  proclamations,  des  appels  enflammés  annoncent  leurs  expédi- 
tions; parfois  des  troupes  se  rassemblent  et  passent  en  Espagne.  Mais 
bien  rares  sont  les  batailles  rangées  et  les  opérations  de  quelque  en- 
vergure :  le  plus  souvent  la  ca)m pagne  se  ralentit  vite  et,  peu  à  peu, 
on  glisse  à  la  guerre  de  razzias  et  de  pillage.  Partout  une  magnifique 
façade,  un  beau  départ;  mais  aussi  une  œuvre  qui  s'achève  avec  peine 
et  souvent  sans  beauté. 

Mars  1922 

Henri  Terrasse. 


SUR  LA  PRÉSENCE  DE  FORMES  GLACIAIRES 
DANS  LE  HAUT-ATLAS  DE  MARRAKECH 


Il  n'est  plus  possible  d'admettre  l'existence  de  glaciers  actuels 
dans  le  Haut-Atlas.  Contrairement  an.\  renseignements  donnés  à  de 
Foucauld  par  les  Indigènes,  les  neiges  qui  recouvrent  des  hautes 
cimes  pendant  plusieurs  mois,  disparaissent  coimplètement  en  été  : 
il  ne  peut  donc  se  former  de  véritables  névés. 

Est-ce  que  cet  état  de  choses  a  toujours  existé  .î>  Contre  les  exagé- 
rations de  Maw  qui  retrouvait  partout  rinfluence  d'anciens  glaciers, 
une  réaction  tendait  à  la  nier.  Cependant  un  ensemble  de  faits  dont 
quelques-uius  ont  été  notés  récemment  par  M.  Paul  Penet  nous  per- 
met de  croire  que  le  Haut-Atlas,  au  moins  dans  la  partie  du  Massif 
Central  située  au  Sud  de  Marrakech,  a  connu  une  période  glaciaire. 

1°  La  Neige.  —  Dans  la  zone  très  élevée  qui  do-miiie  les  hautes 
vallées  de  l'Ourika  et  du  Roraia,  nous  n'avons  sans  doute  trouvé 
aueun  névé  actuel;  mais  les  plaques  de  neige  qui  persistaient  encore 
à  la  fin  de  juin  sur  les  hauteurs  atteignant  au  nioins  3.ooo  mètres 
soM  intéressantes,  et  par  leur  composition  et  par  leur  position.  Nous 
avons  pu  les  étudier  de  près  sur  les  pentes  du  Djebel  Tachdirt  et  au 
sommet  du  Tizi  n'Tifourar,   à  des  altitudes  dépassant  3.3oo  mètres 

Les  plaques  de  neige  occupent  le  plus  souvent  des  dépressions; 
leujr  épaisseur  varie  de  3o  à  60  c en tilm êtres.  La  neige  apparaît  parfois 
de  couleur  rose  ou  ilie  de  vin.  Le  tassement,  sans  être  très  accentué, 
est  bien  net.  A  la  surface,  la  neige  est  diiire.  Au-dessous  on  observe 
une  mince  couche  de  glace  qui  craque  légèrement  sous  les  pas.  Non 
seulement  on  trcmve  sur  le  fond  un  lit  de  cailloux,  mais  encore  la 
plaque  de  neige  est  semée  de  cailloux  et  de  débris. 

HEriPÉRIS.    —   T.    II.  —    1922.  23 


.•^74 


.1.    n':i.KI\IEI\   ET   A.   CIIAIVION 


On  jHMil  adnu'llrc  qiio,  dans  la  ronsorvalion  dt*  ces  plaqiios  de 
neige,  rexposilion  joue  un  vo\c  inépondéranl.  mais  il  nous  a  été  dil- 
cilc  de  ci>nslal(U-  des  règles  bien  ceilainos.  i/e\[)osilion  au  Sii-d  esl 
évidemnienl  la  moins  favorable,  conifme  on  [)enL  s'en  rendre  compte 
en  comiparant  les  deux  versants  tle  rOutetl  Onuika  qui  l'ont  face,  ce- 
lui de  dix>ile  au  iNord,  celui  de  gauche  au  Sud.  Si  les  [jlacpres  ck;  neige 
semblent  parlicuiièrenient  nuimbreuses  sur  les  liaules  [jcnlcs  oiieii- 
tées  vers  le  xSonl,  elles  existent  aussi  à  toutes  les  expositioins  :  celle 
de  l'Ouest  est  inlluencée  sans  doute  par  l'abonidance  plus  grande  des 


l-'i'A.  1. 


l'IiHiues  (le  neige  au  'l'i/J  n  Til'oiirar. 


précipitations;  d'autres  s'expliquent  par  les   tourbillons  de  vent  qui 
aocumuilent  la  neige  aux  endroits  abrités. 

C'est  cette  localisation  qui  est  la  plus  intéressiante  au  point  de 
vue  où  nous  nous  plaçons.  En  dehors  de  minces  fdets  courant  le  long 
des  pentes,  les  plaques  de  neige  de  quelque  étendue  se  trouvent  dans 
les  poches  au  flanc  des  sommets,  sur  les  cols  ou  dans  les  dépressions 
vallonnées.  Elles  oiocupent  ainsi  une  position  sensiblement  analogue 
à  celle  des  névés  et  des  glaciers. 


FORMES  GLACIAIRES  DU  HAUT  ATLAS  DE  MARRAKECH         375 

'  L'aspect  et  la  silualion  des  neiges  actuelles  nous  laissent  donc 
supposer  que  les  Conditions  >de  foi^miation  de  névés  ne  sont  pas  loin 
d'être  réalisées.  C'esit  l'iTisuffisance  de  la  réserve  de  neige  qui  arrête 
les  amas  actuels  dans  leur  évolution. 

2°  Les  Cirques.  —  L'hypothèse  que  cette  insuffisance  ne  date  que 
de  la  périodie  actuelle  est  confirmée  par  d'étude  de  la  imorphologie, 
qui  apparaît,  dans  les  hautes  altitudes  au-dessus  de  3.ooo  mètres,  com- 
me caractéristique  des  montagnes  de  cirques. 

La  haute  chaîne  qui  court  vers  le  Nord-Est  par  l'Âmserdine,  le 
Likounit,  le  Tachdirt  avec  des  altitudes  constam-ment  supérieures  à 
3.5oo  -mètres,  celle  qui  la  replie  ensuite  à  l'Est,  avec  l'Amenzel  et  le 
TougO'ur  ou  Daden  ont  leur  flanc  nord  tout  creusé  de  cirques.  De  là 
les  formes  alpines  des  sommets,  la  ligne  de  crête  ébréchée,  la  sculp- 
ture des  versants,  le  tout  en  contraste  avec  les  foiimes  de  l'Oukayme- 
den  voisin.  Celui-ci  qui  domine  sur  la  rive  gauche  la  gorge  du  haut 
Ourika,  se  présente  comme  une  haute  plateforme  mamelonnée,  avec 
des  pentes  abruptes  et  ravinées  par  une  érosion  torrentielle  vigou- 
reuse. 

Ces  vues  générales  nous  ont  été  confirmées  par  l'étude  d'im  cir- 
que auquel  nous  avons  accédé  en  escaladant  le  flanc  nord  du  DjebeJ 
Tachdirt,  à  proximité  du  col  du  niêmc^  nom.  Il  est  limité  du  coté  du 
sommet  par  une  muraille  impressionnanlc  de  pIusi(Miis  oi  niai  nés  de 
nièLes  de  haut.  Il  présente  la  plupart  des  traits  essenliels  ihi  cirque 
glaciaire  tels  qu'ils  ont  été  analysés  par  M.  de  Mar tonne  :  le  profil 
transversal  en  auge,  les  parois  verticales,  le  fond  plat  caractéristique 
avec  la  surface  encombrée  de  débris  et  bosselée,  le  barrage  d'aval 
constitué  par  des  blocs  grossiers  et  non  remaniés;  nous  n'avons  pu 
observer  ici  de  roches  striées.  Le  torrent  qui  sort  actuellement  des 
plaques  de  neige  persistantes  marque  une  rupture  de  pente  très  ac- 
cusée (fig.  2). 

Par  rapport  aux  autres  cirques  que  nous  avons  vus  de  plus  loin 
et  observés  à  la  jumelle,  ce  cirque  présente  cette  particularité  de  n'ê- 
tre pas  une  simple  niche,  mais  d'avoir  une  certaine  longueur,  comme 
s'il  voulait  se  continuer  par  une  vallée  glaciaire.  Il  est  donc  un  des 
plus  remarquables,  quoi  qu'on  pourrait  trouver  tel  ou  tel  détail  plus 
marqué  dans  un  autre.   Ainsi  par  exemple,  le  col  de  Tachdirt  lui- 


376 


.1.  c:i':lkiukk  kv  \.  ciiAivroN 


iHoino  d'cssme  sur  sa  lace  orieiiléo  à  l'Est,  un  cirque  vcrilable  qui  est 
CQUinic  limilé  t>n  axai  par  un  \('ii\'v  rolèvomcnl  <ln  ïam\  a|)iès  l('qn<»l 


Vh 


(Cirque  de  Taclulirt. 


se  produit  une  chute  brusque,  presque  un  escarpement.  De  part  et 
d'autre  de  cet  accident,  deux  petits  torrents  qui  se  réunissent  au-de« 
sous  ont  commencé  à  se  creuser. 

Partout  en  effet  on  saisit  le  travail  de  l'érosion  actuelle  qui  obli- 
tère les  formes  anciennes  :  des  éboulis  atténuent  les  escarpements  et 


FORMES  GLACIAIRES  DU  HAUT  ATLAS  DE  MARRAKECH         377 

le  fooid  est  coJimaté  par  les  apports  plins  fins,  le  ciirque  glaciaire  évo- 
lue vers  le  cirque  torrentiel.  Signalons  à  oe  point  de  vue  l'originalité 
d'un  cirque  situé  sur  lia  face  no'rd -ouest  idii  Djebel  Likounit.  11  semble 
à  demi  remblayé  par  une  masse  considérable  d'éboidis  dans  laquelle 
s'est  creusé  un  ciirque  torrentiel;  celui-ci  est  donc  comme  emboîté 
dans  le  cirque  glaciaire. 

De  ces  faits,  nous  pouvons  donc  conclure  qu'une  glaciation  de 
type  pyrénéen  a  occupé  les  soimmets  du  llaut-.Vtlas,  au  moins  sur  le 
versant  nord. 


Il  semble  que  la  ^période  glaciaire  ne  isoit  pas  restée  à  ce  stade  en 
quelque  sorte  élémentaire  :  un  type  de  glaciers  plus  développés  a 
dû  prévaloir  tout  au  imoins  localement,  coimme  l'implique  l'analyse 
des  faits  suivants. 

i"  Les  formes  des  vallées.  —  D'une  manière  générale,  les  vallées 
du  Haut-Atlas  se  présentent  suivant  le  processus  normal  :  dans  la 
section  qui  succède  au  bassin  de  réception,  ce  sont  des  vallées  extrê- 
mement jeunes,  avec  des  gorges  vertigineuses  comme  celles  de  10. 
Tifni,  de  TOurika  entre  Timichi  et  l'Agadir  des  Ait  Boulimane;  on 
aval,  le  profd  itransversal  s'adoucit,  de  même  que  la  pente  du  thal- 
weg :  ainsi  l'Ourika  après  le  confluent  de  l'O.Romas. 

Cependant  nous  avons  pu  noter  des  formes  toutes  différentes, 
en  particulier  dans  la  haute  vallée  qui  donne  accès  au  col  de  Tachdirt. 
Là  coule  un  torrent  qui  est  la  plus  haute  l)ranche  de  l'O.Iminen,  im- 
portant affluent  du  Reraia.  Tous  les  voyageurs  ont  été  frappés  du  con- 
tnaste  entre  les  valilées  .de  l'Iminen  et  du  Reraia,  très  rapprochées  et 
longtemps  parallèles.  Tandis  que  la  vallée  du  Reraia  est  relativement 
riche,  celle  de  l'Iminen,  en  aval  d'Ouenskra,  est  réduite,  au  thalweg 
très  étroit  dominé  par  des  pentes  si  raides  qu'à  peine  quelques  cul- 
tures ont  pu  s'y  accrocher.  Autant  l'ascension  du  Tizi  n'Tamatert  en 
venant  du  Reraia  est  facile,  autant  la  descente  sur  l'Iminen  est  diffi- 
cile, même  dangereuse.  Or  cette  vallée,  en  V  si  aigu  vers  l'aval,  s'élar- 
git en  amont  d'Ouenskra,  prenant  une  forme  évasée  qui  rappelle 
l'auge  glaciaire.  On  observe  deux  aspects  successifs.  D'Ouenskra  à 
Tacbdii-t,  la  vallée  actuelle,  assez  large,  tapissée  de  pirairies  et  de  cul- 


378 


J.   Cl^î.EniEn  ET   A.   CIIARTON 


lures  est  (Ininiiu'o,  surloiil  sur  la  v'wo  candie,  par  imo  lorrassc  iinipo- 
sanle  eo-ni posée  'dans  loiile  som  épaisi&eiir  (ralliivions  j)liis  ou  moins 
grossières  ol  ilo  blocs  assez  Aoiliuiuineiix  (li<>.  l\).  Sur  la  live  droilc, 
au  villafTcc  iiienic  de  Taehdirl  le  v(M\sanl  est  rocoinerl  par  un  <dvaos 
de  blocs  très  oros,  très  durs  dont  l'aspect  est  sinf2;nilior. 

La    plupart   sont    lont   rayés    de    s'tries,    (piehpies-nns    j)i"ésentent 
nicnie  de  véritables  cannelures.  A  quelques  ccmilaines  de  mèires  au- 


Fiï   3   —  Vallée  del'O.  Imincn  à  Oiienskra. 


dessus  du  village  de  Taclidirt,  il  se  produit  un  changement  d'aspect 
qui  coïncide  à  peu  près  avec  un  étranglement  rocheux  de  la  vallée 
et  une  chute  du  torrent.  La  vallée,  élargie  de  nouveau,  est  doiminée 
par  des  parois  verticales  de  roches  vodcamiques.  Le  fond  est  comme 
remblayé  de  débris  où  peacent  çà  et  là  des  rochers  plus  importants, 
et  le  torrent  recreuise  sa  vallée  dans  im  sol  peu  résistant.  Jusqu'à  la 
base  abrupte  du  col,  la  ])ente  cist  relativeiment  douce  et  la  marche 
facile.  Les  terrasseis  d'Ouonskra  ont  disparu;  mais  entre  les  parois 
vertioales  et  le  fond  de  l'auge  le  raccord  se  fait  par  des  talus  d'ébou- 
lis. 


FORMES  GLACIAIHES  DU  HAUT  ATLAS  DE  MARRAKECIf         379 

C'est  par  cette  vallée  où  il  nous  semble  bien  retrouver  des  for- 
mes gilaciaires  à  peine  masquées  par  iim  nouveau  cycle  d'érosion. 
qu'on  parvient  au  col  de  Taclidirt,  lui-même  véritable  selle  glaciaire. 

2°  Coulées  de  rochers.  —  En  outre,  les  débris  qui  adoucissent  le 
profil  en  auge  ne  semblent  pas  toujours  s'expliquer  par  l'accu- 
mulation torrentielle  ou  par  la  chute  des  rochers  éclatés  sous  l'effort 
de  la  gelée.  En  dehors  des  pierrailles  s'étalanit  au  bas  des  versants 
en  un  cône  de  déjection  fortement  incliné,  nous  avon/s  observé  sur 
les  flancs  du  Tifourar  et  du  Tachdirt  de  véritables  coulées  de  rochers 
descendant  suivant  la  pente. 

La  coudée  supérieure  du  Tifourar  a  bien  l'aspect  significatif  d'une 
langue  glaciaire  pétrifiée.  Le  profil  transversal  est  bombé.  Les  cou- 
lées sont  composées  de  gros  blocs  anguleux,  quelquefois  très  volu- 
mineux, dont  le  plus  grand  nombre  n'a  pu  être  ni  amené,  ni  rema- 
nié par  l'érosion  fluviale.  Elles  ne  peuvent  résulter  que  d'un  glisse- 
ment des  blocs  sur  un  gdacier  ou  même  sur  un  champ  de  neige  après 
la  fonte.  Il  y  aurait  là  un  phénomène  de  nivation,  sinon  de  glacia- 
tion analogue  au  glacier  de  pierre  du  type  alaskien  signalé  par  M.  de 
Martonne  à  Dossenthal  en  Basse  Engadine  (i). 

3°  Le  barrage  d'Arroiind.  —  Quand  on  remonte  le  Reraia  appelé 
dans  sa  partie  supérieure  O.  Aït  Mizane,  on  aperçoit  d'assez  loin  la 
vaillée  barrée  par  une  sorte  de  puissante  digue  naturelle  (fîg.  4).  Vu 
de  près,  ce  barrage  laisse  une  impression  inoubliable.  C'est  un  chaos 
prodigieux  de  terre,  de  pierraiiUes  et  surtout  de  gros  rochers  :  quel- 
ques-uns de  ces  blocs  atteignent  /j  à  5  mètres  de  hauteur.  La  largeiir 
du  barrage  diminue  assez  régulièrement  de  la  base  au  soniniet  où 
elle  atteint  encore  près  de  loo  mètres.  La  hauteur  relative  au-dessus 
du  thalweg  est  de  200  mètres  environ  vers  l'aval;  elle  se  réduit  pres- 
que de  moitié  vers  l'amont. 

Un  semblable  accident  ne  pouvait  échapper  à  aucun  voyageur, 
géologue,  géographe  ou  simple  touriste.  Il  constitue  une  limite  re- 
marquable de  géographie  humaine  :  à  sa  base  vers  l'aval  la  conver- 
gence de  deux  affluents  élargit  la  vallée  du  fleuve  principal  et  une 
douzaine  de  villages  se  pressent  sur  un  étroit  espace  doiminant  des 

(i)  Le  rôle  morphologique  de  li  neige  en  monlagne,  ia  La  Géographie,  sept._oct.   1920. 


380 


.1.    CI'lLEUIKh   Kl     \.   (.IIAUrON 


cascades  de  iMilUiros  en  terrasse;  cesl  un  inervcilleiix  nid  de  v(M'diire 
an  ed'nr  de  la  Iwiide  nionlaii^ie  désolée.  Sni-  la  |teid(>  dinnonl  loninéc 
voi^s  le  Siwl,  Arrcnniid  est  an  eonlraire,  par  .^..goo  nu-Ires  dallilnde 
le  seul  et  dernier  villai>e. 


Fifr.  4.  —  IJarrage  d'Anound. 


Cependant  il  ne  semble  pas  qnVm  ait  fait  encore  du  barrage 
d'ArroLind  une  étude  attentive  pour  en  tirer  une  explieation  satisfai- 
sante. Une  description  «uperficielle  suggère  assez  naturellemenl 
l'hypotlièse  d'une  moraine  qu'a  soutenue  Maw. 

Mais  les  critiques  de  Fritsch  et  de  Thomson  sont  trop  justifiées. 
On  ne  voit  pas  les  au'tres  traces  d'un  glacier  assez  puissant  pour  avoir 
laissé  une  semblable  moraine.  Ce  n'est  peut-être  pas  une  raison  suf- 


FORMES  GLACIAIRES  DU  HAUT  ATLAS  DE  MARRAKECH         381 

fîsante  pour  renomcer  à  l 'explication  glaciaire,  Va  seule  qui  oriente 
les  recherches.  Car  l'expliioation  de  Thomson  par  un  «  éboulement 
montagneux  )>  n'explique  pas  grand  chose.  L'hypothèse  de  M,  Paul 
Penet  d'une  orig-ine  volcanique  ne  s'accorde  ni  avec  l'âge  des  érup- 
tions volcaniques  du  Haut- Atlas,  ni  avec  la  structure  du  barrage. 

Nous  avons  noté  un  certain  nombre  de  faits  sur  lesquels  on  n'a 
pas  assez  appelé  l'atten/tion  et  qui  feront  peut-être  faire  plus  de  piro- 
grès  qu'une  solution  trop  arrêtée. 

a)  D'abord  est-il  rigouoneiusement  exact  de  parier  de  ((  baiTage  ))? 
Un  doute  pourrait  se  présenter  si  l'on  observe  que  le  torrent  au  lieu 
d'avoir  rompu  l'obstacile  en  un  point  quelconque  est  entièrement  re- 
jeté sur  le  versant  montagneux  de  gauche.  On  ne  peut  s'arrêter  à 
cette  objection  :  en  effet,  s'il  n'y  a  pas,  sur  la  rive  gauche,  une  véri- 
table section  du  barrage,  on  y  constate  la  présence  de  quelques  blocs 
rocheux,  semblables  à  ceux  du  barrage  et  formant  une  traînée  con- 
tinue. La  pente  du  Reraia  qui  descend  de  près  de  loo  mètres  dans  la 
traversée  du  chaos  prouve  que  l'obstacle  est  relativenient  récent.  En- 
fin, on  ne  peut  contester  l'existence  arLcienne  d'un  petit  lac  en  avant 
de  la  digue  de  rochers.  Le  village  d'Arround  domine  une  plaine  où 
l'eau  ruisselle  partout  sut  un  fond  de  cailloux,  en  partie  couvert  de 
prairies.  Cette  pllaine,  large  de  plusieurs  centaines  de  mètres  devant 
le  barrage  se  rétrécit  progressiv ornent  au  Sud  dans  ila  direction  du 
marabout  de  Sidi  Chamarouch  oii  le  torrent  n'occupe  plus  qu'une 
gorge  aiguë.  C'est  le  fond  de  l'ancien  lac.  Rappelons  à  ce  propos  qu'il 
existe  sur  l'autre  versant  du  Haut-Atlas  à  peu  près  à  la  même  alti- 
tude un  petit  lac,  le  lac  d'Ifni.  Il  serait  sans  doute  intéressaniL  de  com- 
parer sa  formation  avec  celle  du  Jac  d'Arround. 

Il  esil  donc  certain  que  le  Reraia  a  été  barré  jadis  à 
la  hauteur  d'AiTound;  mais  il  convient  de  retenir  de  la  position  ac- 
tuelle du  thalweg  que  le  torrent  a  glissé  vers  sa  rive  gauche,  c'est-à- 
dire  à  l'Ouest,  comime  s'il  avait  été  refoulé  par  une  poussée  venue  de 
l'Est. 

/))  La  largeur  du  barrage,  actuellement  encore  si  considérable, 
fut  jadis  beaucoup  plus  grande.  Des  fragments  en  subsistent  encore 
en  aval  de  la  masse  principale.  Il  en  est  un  qui  prend  une  importance 
particulière   :  il  forme  une  sorte  de  butte-témoin,   piton  conique  oii 


382 


.T.   CËLERIER  El"  A.   CIIAUTON 


s'étagoiil  ciilliiros  o[  xcv^evs  el  q»io  ooiimnnc  on  nid  do  ci^o^no  lo 
villanfc  deTaDurirl.  nom  l>orl)oro  oxpressif  (lii>\  5).  C'(>sl  l'ôiosion  lor- 
renlielle  qui  a  ainsi  morcclô  lo  oliaos  roclioiix  ol  lies  blocs  do  iiioino 


Fis.  î).  —  Baltes  (i'cl)oulis  de  TaniirirL. 


nalnie  ont  été  entraînés  plus  bas  encore,  remblayant  la  vallée.  On  ne 
peut  s'étonner  do  la  rapidité  du  travail  accompli,  si  l'on  pense,  d'une 
part  à  lo  \iolence  du  courant  au  moment  de  la  fonte  des  neiges,  d'au- 
part  à  la  faible  résistance  de  cette  masse  hétérogène  de  rochers  mal 
cimentés  par  des  débris  de  toute  grosseur. 


FORMES  GLACIAIRES  DU  HAUT  ATLAS  DE  MARRAKECH  383 

c)  Au  resle  ccLtc  érosion  n'est  pas  l'œuvre  seulemenL  du  Ixcraia 
comime  nous  allons  le  voir.  Quand,  de  la  vallée,  on  regarde  le  barrage, 
on  peut  admettre  qu'il  ait  été  construil  par  des  apports  venus  dn  Sud 
conime  le  torrent  lui-même.  Mais  on  s'aperçoit  vite  de  l'erreur  quand 
on  escalade  le  solnumet.  Le  barrage  n'est  pas  borné  en  effet  à  la  vaillée 
principale;  il  se  prolonge  vers  l'Eist,  inclinant  mêime  vers  le  Sud- 
Est  (fig.  6).  Gênés  par  la  diffîcuilté  de  la  marche  dans  ce  chaos  et 


Fig.  6.  —  Surface  du  «  glacier  de  pierre?  »  d'Arround. 

par  l'heure  tardive,  nous  n'avons  pu  parvenir  au  commencement 
qui  est  certaiinement  à  pluisieurs  kilomètres  d'Arround. 

Les  rochers  qui  hérissent  la  surface  présentent  tous  la  même 
structure  porphyriquc.  Leurs  ang'les  sont  en  générayl  émoussés,  miais 
ce  n'est  pas  du  tout  une  règle  absolue.  Toute  cetiie  masse  est  logée 
dans  une  véritable  vallée  qui  incline  sa  pente  vers  le  Reraia  et  qui 
se  rétrécit  vers  l'amont.  Au  sommet  la  pente  est  très  irrégulière,  elle 
se  morcelle  pour  ainsi  dire  en  paliers  reliés  par  de  véritables  casca- 
des de  rochers,  des  «  séracs  »,  pourrait-on  presque  dire. 

d)  L'érosion  actuelle  poursuit  son  œuvre  dans  cet  ensemble  pé- 
trifié. Elle  a  concentré  son  action  de  chaque  côté  de  la  masse  rocheuse, 


384  T.   (:i<,I,FlUKn   Kl    A.   CIIAUTON 

t'll('  la  isoIiM"  (l»\><  \'(M"sanls  (\c  la  \  allée  en  crciisaiil  deux   ra\  ins  paiiail 
loth^s  (]iii  alxnilissiMil.  l'un  dans  j'aivrirn  lac  d'AiToinul,  raiilic  aii-dcs- 
S'Oiis.   On  aperçoit   encoiv  sur  le  versuiU   luonla^ncux  de  même  (pie 
sur  la  rixe  gauche  dn  lliM'aia,  une  traînée  do  p'kmtos  :  il  y  on  a  denx, 
à  des  luiuLenis  dilTérenU^s  (kinis  le  ravin  do  droite. 

Le  torrent  do  fyau'elie  a  du  conlrihnei-,  par  ses  apports,  à  refouler 
\c  Keiaia  mm's  l'Ouest  <mi  adme/llanl  (pie  la  poussée  (!(>  la  masse 
rocheuse  Ncniie  do  l'Est  n'ait  ]>ais  siil'li.  Le  loiM'eid  de  droito  a  contri- 
bué à  morceler  l€  barmge  dans  la  vallée  principale,  où  la  conléo  de 
rochers  était  étalée  à  la  façon  d'un  formidahlo  cône  de  déjection. 

La  (lifi-no  naturelle  qm  a  barré  le  llonaia  à  Arroumd  nous  semble 
donc  la  lerminaison  d'un  véritable  torrent  de  rochers.  Ce  lorrent  n'a 
pu  se  former  cl  [HY>gresser  dans  une  vallée  préexistante  que  par  l'ac- 
tion olaeiaire. 

(iONCLUSlON 

D  ai>rès  rensend)le  des  observations  ei-dessus  que  des  tiavaux  de 
détail  permettront  de  camplélor,  on  peu!  admelire   : 

1°  Que  les  fonmes  actuelles  du  llaut-MIas  n(^  sont  pas  explica- 
bleis  i>ar  la  seule  érosion  sidîaérienne. 

2°  Qwc  le  Haut-Atlas  a  été  occupé  localemcnl  par  des  glaciers 
de  cirque  de  lypc  pyrénéen  dont  les  traces  sont  manifestes. 

y  Quo  la  glaciation  des  sommets  a  pu  être  accompagnée  de 
poussées  glaciaires  allant  jusqu'au  système  du  glacier  de  vallée  ou 
du  glacier  de  pien^s. 

4"  Que  les  phénomènes  de  la  glaciation  de  l'Atlas  et  de  sa  «  dé- 
glaciation »  coni&écutive  sont  en  rapport,  d'une  part  avec  l'importance 
formidable  des  alluvions  quaternaires  dans  le  liaouz,  d'autre  part 
avec  l'affaiblissement  actuel  des  cours  d'eau,  notamment  sur  le 
versant  Sud. 

Juillet  1922 

.1.    CÉLERIER    et   A.    CUARTON. 


GHELLA 

UNE  NÉCROPOLE  MÉRINIDE 

(Suite  et  fin.) 


TV 
LÉGENDES  ET  CULTES 

I.    LÉGENDES    CONCERNANT    LA    DESTRUCTION    DE    LA    VILLE. 

De  tout  ce  passié  que  nous  avons  essayé  de  retracer,  de  ce  que 
Chella  fut  jadis,  et  des  princes  dont  elle  était  la  nécropole,  rien  ne 
subsiste  dans  la  inomoire  populaire.  A  peine  un  nom  survit,  celui  des 
Mérinides,  des  hni-mrin,  coniimc  on  les  appelle  au  Maroc.  Mais  bien 
qu'il  existe  encore  des  familles  qui  rattachent  leur  origine 
à  cette  dynastie,  ce  nom,  dans  le  langage  courant,  est  synonyme 
d'une  période  lointaine,  d'un  passé  presque  fabuleux.  Dans  Chella, 
le  peuple,  qui  a  pour  ellle  uin  grand  respect,  ne  voit  plus  que  les  ves- 
tiges d'une  cité  de  légende. 

Ce  n'est  pas  une  exception.  Les  villes  ruinées  sont  noanbreuses 
sur  toute  l'étendue  de  l'Afrique  du  Nord;  rnais  il  n'en  est  peut-être 
pas  une  dont  l'abandon,  aux  yeux  des  indigènes,  ne  soit  dû  à  des 
causes  fabuleuses.  Au  Maroc,  existent  à  ce  propois  deux  groupes  bien 
distincts  de  légendes  explicatives.  Les  premières  reposent  sur  le  sou- 
venir confusément  gardé  que  l'Islam  n'a  pas  existé  de  toute  éternité, 
et  qu'il  était  un  temps  oii  le  pays  était  soumis  aux  Chi^étiens.  Ceux-ci, 
quand  arrivèrent  les  Musulmans,  s'enfuirent  en  toute  hâte,  laissant 
^    là  leurs  villes  et  tous  les  trésors  qu'elles  contenaient,  se'  contentant 


386  CHELLA 

de  préposer  des  génies  à  leur  garde.  De  telles  légend(>s  se  relrouveuL 
aussi  bien  à  Fès  (pie  dans  lt>s  régions  les  plus  reicu'lées  du  IWI'  cl  du 
Moyen-Aflas,  où  elles  e\i)li(pi(Md  l'origine  de  villages  de  grolLes  arli- 
lieielles  aujonixl'hui  abandonnés  [i).  L'autre  groupe,  c'est  celui  qu'on 
retrouve  dans  tous  les  i>a\s  du  monde  :  le  vieu.v  tliènie  de  la  vi/lle 
d'Ys.  Le>  liabilanLs  de  la  eilé  ruinée  élaieul  fort  j'iches;  l'excès  niôine 
de  leur  l'orluut'  les  |H>ussa  à  l'impiété,  jiisipi'au  jour  où  Dieu,  irrité 
contre  eux,  les  extermina.  Légendes  à  tendances  inorales,  qui  pren- 
nent volontiers  une  forme  lilténiiie,  et  que  l'Islàm  seaidjle  avoir  dé- 
veloppées ilans  ceis  régions. 

Mais,  (pi'elles  relèvent  de  l'un  ou  de  l'^aulre  groupe,  ces  légen- 
des concordicid  sin-  un  point,  le  seul  important.  Les  habitants  dis- 
parus posséM.laient  de  grandis  trésors,  et  ceux-ci  somt  restés  sur  place, 
offerts  à  ceux  qui  -les  sauront  prendre.  Les  fouilles  arcliéoilogiques  en- 
treprises en  quelques  endroits  du  Maroc  depuis  notre  arrivée  n'oid  pas 
d'autre  but  dans  l'idée  de  la  plupart  des  indigènes. 

Cliella  fut  une  de  ces  vililes  que  perdit  l'excès  de  ses  riiclieisses, 
aux  dangers  desquelles  ses  habitants  ne  surent  pas  résister.  On  donne 
d'ailleurs  diverses  veinions  de  cet  événement  et  des  motifs  de  la  co- 
lère divine.  Voici  une  première  Jégonde,  telle  qu'elle  nous  fut  racon- 
tée :  «  Les  habiliants  d'C  Cdiella  avaient  tant  de  blé  et  tant  d'autres 
céréales  qu'ils  n'en  faisaient  plus  nul  oas;  ils  allaient  jusqu'à  faire 
leurs  besoinis  dessus.  C'était  une  grande  impiété,  (it  Dieu  les  e;n  punit 
terribleoîient.  Il  les  transforma  en  pierres  :  aujourd'hui  encoTe  il  est 
aisé  de  reconnaître  sur  chaque  pierre  de  Chella  —  tous  ces  petits  cail- 
loux qui  couvrent  le  chemin  creux  à  l'inbérieur  de  l'enceinte  —  la 
trace  d'yeux,  de  nez,  de  bouche.  Et  il  peiimit  que  les  Juifs  et  les 
Chrétiens  fissent  à  leur  tour  leurs  besoins  sur  eux.  )> 

Les  indigènes  de  l'Afrique  du  Nord  ressenlent  un  respect  reli- 
gieux poiu^  tout  ce  qui  se  fait  avec  la  farine,  et  surtout  pour  le  pain. 
On  se  garde  de  le  jeter,  et  dans  les  villiles  mêmes,  on  ramasse  avec 
soin  le  morceau  qui  peut  traîner  dans  la  l'ue  :  ce  serait  coTnane  un 
sacrilège  de  le  laisser  fouler  aux  pieds  par  les  passants  (2).  On  coim- 
prend  donc  qu'un  châtiment  aussi  rigoureux  paraisse  naturel.  Mais 

(i)   Cf.   Henri   Basset,  Le   culle   des  grottes   au  Maroc,    Alger,    1920,   pp.    35-37. 

(^2;  Cf.  notemmcnt  \V.  Marçais,  Textes  arabes  de  Tanger,  Paris,   1912,  p.   127  et  note   i. 


LÉGENDES  SUR  LA  DESTRUCTION  DE  LA  VILLE  387 

ce  respect  pour  le  pain,  symbole  de  la  nourriture  accordée  par  Dieu, 
et  qui  coûte  cependant  tant  de  peine,  existe  chez  presque  tous  les 
peuples;  et  la  légende,  qui  répond  si  biein  à  l'état  d'esprit  des  popu- 
lations nord -africaines,  n'a  pas  été  créée  à  propos  de  Cliella  :  elle  s'y 
est  seulement  localisée.  Elle  existe  en  Orient  :  les  P.  P.  Jaussen  et 
Savignac  l'y  ont  retrouvée  à  plusieurs  reprises.  En  Arabie  du  Nord 
elle  explique  l'aridité  du  sol  dans  la  région  d'al-Ilijr  (l.Iegra,  Medà  ïn 
Sàleli).  II  y  avait  autrefois  dans  ce  pays  des  dattes,  du  blé,  du  pain, 
des  vêtements,  en  gro'S  tas;  on  vivait  dans  iraboindance.  ((  Mais  un 
jour,  une  feimime  perverse  s'oublia  jusqu'à  essuyer  son  petit  enfant 
avec  du  pain.  Ajllah  l'aperçut  et  fut  profoinidément  irrité...  ».  Il  trans- 
forma les  monceaux  de  dattes  en  rochers,  le  blé  en  sable,  les  vête- 
ments en  arbres  sauvages  et  secs;  la  femme  et  son  fils  furent  méta- 
morphosés en  lézards.  Il  existe  une  légende  analogue  chez  les  gens 
d'Amwas,  près  de  Jérusalem  (i).  Les  débailis  peuvent  n'être  pas  exac- 
tement semblables   :  les  récits  sont  bien  proches  parents. 


Une  autre  légende  sur  la  destruction  de  Chella  est  fort  populaire 
à  Rabat,  bien  qu'elle  soit  d'allure  plus  littéraire  et  comporte  une  mo- 
rale d'ordre  plus  philosophique.  Dans  les  temps  anciens,  racomte-t-on, 
Chella  était  re|mplie  d'habitants.  Il  y  avait  des  imaisons,  des  mosquées, 
des  marchés,  des  Jbndaq  et  des  bains.  Un  sultan  régnait  sur  la  ville. 
On  vit  arriver  un  jour  un  savant  alchimiste  (2)  ;  cet  homme  possé- 
dait le  secret  de  fabriquer  de  l'or.  Il  s'installa,  et  grâce  à  sa  science, 
eut  rapidement  assez  d'or  pour  assurer  sa  subsistance  pendant  toute 
une  année.  Mais  la  chose  se  sut,  et  fut  rapportée  au  sultan; 
celui-ci  envoya  ses  inkhazni  quérir  l'alchimiste.  Quand  on  l'eut 
amené,  le  sultan  lui  dit  :  <(  Je  veux  que  tu  (m'apprennes  la  façon 
de  fabriquer  des  lingots  d'or.  ■ —  Je  l'ignore  »,  répondit  l'autre;  et  le 
sultan  eut  beau  insister,  il  n'en  put  rien  tirer  de  plus.  Il  eut  alors  re- 
cours à  la  ruse.  Il  ordonna  de  mettre  l'alchimiste  en  prison  :  ce  qui 


(i)  Jaussen  cl  Savignac,  Mission  archéologique  en  Arabie,  Paris,  1914-18,  t.  II,  p.  116. 
(2)    Un    hakirn,    dit  l'informateur,  mot  qui,  dans    l'espèce,  implique  l'idée    du  pouvoir 
magique  ou  liikma.  Sur  cette  acception,  cf.  Enc.  Jsl.,  II.  p.  3'i'i,  s.  v*. 


388  CllELLA 

fut  fait.  Puis,  s'étant  dégui&é,  il  se  lit  coiiduiro  à  la  même  prison,  et 
enl'ernicr  avtx)  l'autre  (jni  ne  le  rocomiiiL  pas.   Le  sultan  s'attacha  à 
gagner  sa  eonliance;  il  l'invitait  à  par'taj[?er  les  repas  qu'an  lui  ai)poi- 
tait  :  car  l'alchiiuiiislie,  n'ayant  pas  de  iDiaronts,  risquait  de  souffrir  de 
la  faim  (i).  Au  boul  dt>  qiic>lque  temps,  il  lui  dit  :  <(  Mon  frère,  je  \iiv 
suis  aperçu  que  tu  as  quelque  ennui;  raconte-moi  tes  peines,  et  je  te 
dirai  les  miennes,  à  mon  tour.  —  Voici,  dit  l'autre   :  je  suis  alchi- 
misle.    et    sais    fabriquer    de    l'or;    mais    le    siiilllan    m'a    confisqué 
mes  ingrédients.  —  Qu'à  cela  ne  tienne!  je  te  les  procurerai;  mais 
alors  iu  m'apprendras   ton   secret.   —  .le   le  le  dirai,    répondil    l'al- 
chimiste, car  tu  as  pris  soin  de  anoi,  et  iil  me  faut  récolmpeniseï'  tes 
bienfaits.   »  Le  sultan  se  fit  apporter  les  iiigrédiients  néceissaires;  el 
l'autre  lui  enseigna  son  art,  sans  se  douter  qu'il  l'enseignait  au  sul- 
tan. Celui-ci  fabriqua  de  sa  main  deux  ou  trois  lingots,  et  sûr  de  bien 
posséder  le  secret,  se  fit  délivrer.  De  retour  dans  son  i>alais,  il  envoya 
ses    iiik/i(i:nt     chercher  l'alchimiste;  et  quand  celui-ci   fut  là,    il   lui 
dit  :  «    Iliikiin.     apprends-moi  le  moyen  do  fabriquer  de  l'or.  —  Je 
l'ignore.     —    Me   me   reconnais-tu  donc   pas.^^    C'est  moi   qui   étais 
en  prison  avec  toi!  Tu  m'as  appris  ta  lecette.  llappelle-toi   :  Je  t'ai 
dit  ceci,   tu  m'as  dit  cela...   »   L'alchimiste  s'aperçut  qu'il  avait  ré- 
vélé son  secret  au  sultan,  et  s'en  alla  fort  dépité.  Mais  il  tenait  sa 
vengeance.  Rentré  chez  lui,  il  écrivit  sur  de  nondjreuses  feuilles  de 
papier   coiniiient   il    s'y    fallait    prendre»   pour   fabriquer   de    l'or,    et 
quels  ingrédients  on  devait  em[)loyer.   Puis  il  distribua  ces  feuilles 
dans  toutes  les  maisons.  Les  habilanils  de  Chella,  dans  la  joie,  expé- 
rimentèrent tous    la  recette;  ils  fabriquèrent  du   précieux  métal  tanlt 
qu'ils     voulurent,     ett     tous    devinrent    riches,     ne     se     nourrissant 
plus  que  des  mets  les  plus  délicats.  Ces  richesses  leur  firent  perdre 
l'esprit;  aucun  ne  se  doutait  du  châtiment  qu'ils  se  préparaient  pour- 
tant eux-<mêmes.   Car  avec   l'abondance,   la  vie   facile,   une   grande 
paresse  les  envahissait  tous.  ((  Pourquoi  travailler.^  se  disait  chacun. 
Pourquoi  pousser  la  charrue,   puisque  je  suis  riche .►^  Quand  j'aurai 
besoin  de  blé,  j'irai  au  marché  en  acheter  à  pleines  mesures!  »  Mais 


(j)    Il   esl  d'usage  que   les  repas  des   prisonniers  leur   soient   apportés   par   leur   familli» 
ou   leurs   amis. 


LEGENDES  SUR  LA  DESTRUCTION  DE  LA  VILLE  389 

il  vint  un  jour  où  il  n'y  eut  plus  ni  blé,  ni  orge,  ni  autres  céréales. 
On  en  arriva  à  donner  pour  un  morceau  de  pain  grossier  un  plat  d'or 
ou  de  magnifiques  pierres  précieuses.  Bientôt  même,  il  n'y  eut  plus 
de  pain  du  tout.  La  famine  fut  tcrribile  :  on  essaya  en  vain  de  se 
nourrir  de  pierres  précieuses  en  poudre.  Et  voilà  comment  les  habi- 
tants de  Chella,  pour  avoir  été  trop  riches,  moururent  tous  de  faim 
au  imilieu  de  leurs  trésors  qu'ils  laissèrent  éparpillés  sur  le  sol. 

Cette  histoire  ressemble  à  ces  contes  philosophiques  que  l'Orient 
a  toujours  aimés;  et  l'on  ne  peut  guère  douter  qu'elle  n'en  soit  ori- 
ginaire, quoique,  à  notre  connaiissance,  elle  n'y  ait  pas  encore  été 
relevée.  Mais,  bien  que  l'informateur  qui  nous  Ta  contée  telle  qu'on 
vient  de  la  lire  soit  un  demi-lettré  (i),  elle  est  aujourd'hui  extrême- 
ment populaire  à  Rabat.  11  en  existe  d'autres  versions,  à  peine  diffé- 
rentes (2).  Quelle  que  soit  son  origine,  cette  légende  s'est  solideiment 
implantée  à  Chella;  et  ce  qui  le  prouve  bien,  c'est  la  suite  même 
qu'elle  compoi-te.  Mais  nous  laissons  ici  la  parole  à  l'informateur   : 

«  Cet  or,  cet  argent  et  ces  pierres  précieuses  restant  éparpillées 
.sur  le  sol  et  les  jours  passant,  la  terre  grandit  sur  le  tout  (3).  Or,  autre- 
fois un  porteur  d'eau  allait  souvent  à  Chella,  pour  y  travailler.  De 
temps  en  temps,  il  revenait  chez  les  gens  de  son  pays  (4).  Au  retour 
d'un  de  ces  voyages,  il  trouva  la  ville  vide;  elle  tombait  en  ruines. 
Il  s'en  alla  répétant  : 

msâu-nds, 

û^oii-nds, 

uhàdûk  hnmâ-" nnâs '. 

m^d'r-nml-ût^ds 

mà-bqâu-nds. 


(1)  Si  Mohammed  ben  Dâoùd,  copiste  à  l'Institut  des  Hautes-Études  marocaines,  qul 
la   tient  de  sa   mère. 

(2)  Cf.  L.  Brunot,  La  mer  dans  les  traditions  et  les  industries  indigènes  à  Rabat  et 
Salé,   Paris,    1921,   p.   3i8-3i0. 

(3)  Croyance  courante  dans  l'Afrique  du  Nord,  d'après  laquelle  la  terre  croît  comme 
les  végétaux;  et  l'on  y  voit  une  confirmation  dans  la  façon  dont  les  ruines  se  recouvrent 
de  terre.  Un  miracle  fréqnemincnt  accompli  par  les  saints  après  leur  mort,  est 
d'empêcher  la  terre  de  «  pousser  »  sur  leur  tombeau.  Ce  qui  s'explique  le  plus  aisément 
du  monde  par  le  fait  qu'on  débarrasse  soigneusement  ces  tombeaux  des  détritus  qui  s'ac- 
cumulent à   côté. 

(4)  Littéralement  :  «  il  faisait  revivre  le  sang  ».  iehir-^ddam. 

HE3PBBI3.    —   T.    II.    —    1922  26 


390  CIIELLA 

|)(>s  hotnnirs  soiil  pailis; 
(li'>  liommos  sont  Ncmis; 
iou\  là  soiil  (les  liominrsl 
\  pail  l(>s  liaiiî  W  allas, 
il  i\v  iH'sIc  plus  (riiomiiu's  (i). 

Le  sultan  do  ce  jkins  IV'nltMuiil  cl  lui  domia  de  1  ai'f^cnl.  l/aulre 
ronlimia  -^cs  paroles.  Alors  le  snHaii  le  lil  aiufiicr  par  ses  iiikh<i:ui, 
et  lui  dil  :  u  .le  t'ai  donné  beaucoup  dardent,  et  tu  continuos  à  l'aire 
rélo<^e  de  ces  «^cnis?  —  Oui,  sei^n(Mir  :  coux-là  sont  des  honinies.  \ 
l>art  eux,  il  n'y  a  personne!  —  Racinde-iUioi  pounjuoi.  —  Tu  le  veux? 
—  Oui.  —  SeigpnouT,  l'œil  ne  croit  que  ce  qu'il  voit  (y,)-  Viens  avec 
Mioi  M)ii-  ce  (jue  ces  f^^ons-là  nie  domiaiient.  »  Le  sultan  l'accompagna; 
ils  arri\èrent  à  Hojr  el-Jahal  (3).  Le  })Oi'teur  d'eau  iH-nélia  dans  uik^ 
grotte  et  dit  au  sultan  :  «  Enliie,  seigneur,  et  vois.  »  Le  sultan  entra, 
et  ne  vit  qu'assiettes  et  tables  d'or  et  d'argent,  dont  il  n'avait  pas  les 
pareilles.  11  en  resta  boucbe  bée  et  dit  :  ((  Qu'est  ceci  .»^  »  Le  porteur 
d'eau  répondit  :  ((  Quand  les  gens  de  (îheila  doniiaieiit  quelque  fête, 
ils  servaient  leurs  invités  danis  iccs  assiettes  et  sur  oos  tables  que  tu 
vois.  Quand  le  repas  était  terminé,  les  porteurs  d'eau  commeinçaient 
à  leur  donner  à  boire  et  prenaient  ces  objets.  Je  suis  l'un  de  ces 
porteurs  d'eau.  Ma  part,  je  la  cache  dans  cette  grotte.  Et  voilà  pour- 
quoi je  chaiille  la  louange  de  ces  gens.  »  Le  sultan  répondit  :  ((  Ce 
sont  bien  des  gens  sans  pareil  que  tu  loues.  A  part  eux,  il  n'y  a  per- 
sonne! » 

La  nioqaddma  du  tombeau  de  Sidi  '1-Masnâwî  nous  a  confirmé 
que  lorsque  les  Banî  Wattàs  étaient,  comme  d'aiilleuirs  les  Banî  Merîn, 
rois  à  Chella,  ils  servaient  la  nourriture,  au  cours  des  noces  et  des 
fêtes,  dans  les  plats  d'or  en  question.  C'est  ainsi  que,  dans  l'esprit  du 
peuple,  le  ncum  des  dynasties  disparues  s'associe  au  souvenir  de  l'âge 
d'or  où  les  hommes  vivaient  dans  la  splendeur  et  l'abondance. 

(i)  Dicton  encore  populaire  à  Fès,  sous  une  forme  à  peine  différente  (cf.  A.  Bel, 
Inscriptions  arabes  de  Fès,  p.  85)  et  qu'il  est  curieux  de  retrouver  à  Rabat,  car  il  rappelle 
la   splendeur  de   la   capitale  au   Moyen-Age. 

(2)  Proverbe  :  sâh-  hain  mâ-iât.  Cf.  E.  Lévi-Provençal,  Textes  arabes  de  l'Ouargha, 
Paris,    1922,   pp.    118-H9,  n°  A5  et  p.    164. 

(3)  Littéralement  :  le  giron  de  la  montagne.  La  montagne  en  question  serait  le  Jabal 
Sidi  Boû-Mnîna,  l'éperon  aux  trois  qoubba  qui  s'élève  à  peu  de  distance  au  sud  de  Chella. 


LES  TRÉSOBS  391 

2.  —  Les  trésors. 

Tous  ces  récits  devaient  contribuer  singulièrement  à  exciter  les 
convoitises  des  chercheurs  de  trésors,  ils  n'étaient  pas  nécessaires  pour 
les  faire  naître;  unais  ils  leur  donnaient  un  fondement  solide.  Daiis 
un  pays  oii  la  hantise  de  l'argent  caché  sévit  avec  une  telle  intensité, 
toute  ruine,  par  le  seul  fait  qu'elle  est  une  ruine,  est  un  champ  de 
trésors.  Chella  ne  pouvait  échapper  à  la  loi  conwnune  :  en  outre,  la 
richesise  du  sanctuaire,  dont  il  restait  encore  tant  de  brillants  ves- 
tiges,   avait  assurément  laissé   quelque   souvenir  dans  da   mémoire 
populaire.  En  1790  déjà,  les  soldats  du  rnaklizen  creusaient  la  terre 
devant  le  mausolée  de  Sidi  lahià  et  cherchaient  des  trésors  dams  les 
chambres  funéraires;  ils  eurent  bien  des  imitateurs,  dont  nous  avons 
chemin  faisant    noté  des  actes  de  vandalisme.  On  est  sur  qu'il  y  a  de 
l'or;  on  sait  que  d'auciuns  en  trouvent,  et  le  récit  de  leurs  découveiiies 
monte  les  imaginations.  Il  y  a  dix  ans  environ  est  mort  à  la  Mekke 
un  Arabe    de   la  banlieue   de    Uabal,    nommé    cl-Hàjj    es-Sahràvvî.    Il 
habitait   Chella:   il  y  vendait  du  tlié  aux  pèlerins,   et  cultivait  un  jar- 
dinet. Un  jour,  en  creusant  la  terre,  il  découvrit  un  lingot  d'or.  Il 
partit  pour  l'Egypte  où  il  le  monnaya,  et  alla  s'installer  à  la  Mekke   : 
des  pèlerins  l'y  ont  retrouvé.  Ce  n'est  pas  le  seul  exemple  d'une  telle 
fortune.  Il  y  avait  dans  la  fontaine  une  dalle  bleue  sur  laquelle  depuis 
longtemps  les  gens  lavaient  leur  linge.  Ils  croyaient  que  c'était  une 
pierre  —  et  c'était  une  dalle  d'argent.  Un  matin,  ils  ne  la  trouvèrent 
plus;  mais  l'un  d'eux,  en  levant  les  yeux,  vit  une  phrase  écrite  sur  le 
mur.  Un  lettré  la  leur  expliqua   :  elle  signifiait  :  ((  Plus  bœufs  que 
des    bœufs    sont    ceux     (pii     lavaient     sur    de     Targenl     en    croyant 
laver  sur  une  pierre!   {abqa'r-bcn-(ïbqar  ' llï-isnhbnn   (pl-^)in(hjra    ushtUflhom- 
h^dr !)    (i)    —    Voilà    donc    pourquoi    elle   était    bleue    )),    conclurent- 
ils.   De  plus  malins  qu'eux  l'avaient  emportée   pendant  la   nuit.    Il 
reste  encore  à  Rabat  des  gens  qui  savent  exactement  oii  se  trouvait 
cette  dalle.  Au  reste,  sa  présence  n'avait  rien  que  de  naturel.  Cette 


(i)  Phrase  proverbiale  à  P.abal.  Cf.  Bruuot,  op.  cil.,  p.  819  :  l'iiisloitc  est  sensiblement 
la  même;  l'homme  qui  a  enlevé  le  lingot  est  un  Soùsî,  ce  qui  est  naturel,  le  Soùs  étant  la 
terre  classique  des  magiciens  et  des  inventeurs  de  trésors.  Le  proverbe  est  rapporté  sous  une 
forme  légèrement  différente. 


392  GIIELLA 

li>nUiinc  est  peuplée  d'aiiguilli^s  vl  (\c  loiliies  sacrées;  el  voiei  ce  que 
l'on  raconlt"  de  Win  Ajenna,  source  siluée  eu  eoulre-hiis,  cl  (pii 
est  alimentée  d'ailleurs  par  la  même  eau,  aivrcs  un  [)assage  souter- 
rain :  des  ^'•ens  plonjjèrent  dans  'Aïn  Ajenna  —  cette  seule  idée  mon- 
tre la  puissance  de  l'inuiginalitHi,  en  ces  matières,  chez  les  indigè- 
nes, leur  dédain  de  irobservatioii,  leur  foi  profonde  on  une  réalité 
bien  différente  des  a[>i>areincos  sensibles.  —  Ils  reuionlèrent,  sous  la 
terre,  le  cours  <le  l'eau,  et  par\  lurent  jiis([u'à  une  niaiison  d'or  oii 
aboulissaieul  d(>s  conduites  d'oi'  \enani  du  i*aradis(i).  D'aulrivs  aflir- 
ment  qu'il  est  im[)ossil)le  d'arriver  jus(pi'à  celte  maison;  mais  ils 
n'en  contestent  pas  l'existence:  c'est  la  ileuieure  des  génies  qui  appa- 
laissent,  coimme  nous  le  verrons,  sous  la  forme  d'anguilles  et  de 
tortues. 

Mais  si  ces  trésors  sont  inaccessibles,  d'autres  ont  été  retirés  de 
Chella.  L'on  voit  on  certain  point  tie  la  khalwa  doux  trous  de  dimen- 
sions correspondant  à  colles  d'une  caisse  :  il  y  on  avait  une  autrefois, 
en  effet,  que  des  gon«  tlu  Soùs  ont  rémssi  à  ompoirter.  Dams  un  mur 
est  un  autre  trou,  de  lia  grosseuir  d' une  (<i'i(ijîyfi  [:>.)  :  encore  un  trésor 
enlevé.  On  voit  enfin  la  place  dun  autre,  sous  mie  colonne. 

11  en  reste.  Seulement,  il  n'est  pas  très  facile  de  s'en  emparer. 
Car,  ainsi  qu'il  arrive  d'ordinaire,  les  génies  veillent  jailousemcnt  sur 
eux,  et  l'imprudent  qui  s'aventurerait  à  chercher  un  trésor  sans  être 
versé  dans  cette  magie  spéciale  risquerait  fort  d'y  laisser  la  vie  :  bien 
heureux  seulement  si  ses  reclierclios  restaient  vaines,  ou  s'il  voyait 
le  trésor,  à  peine  découvert,  s'évanouir  à  ses  yeux  :  c'est  le  moins 
qui  puisse  lui  arriver.  On  cite  des  chercheurs  qui  ont  dispaini  mys- 
térieusement. 


Découvrir  des  trésors  et  se  les  approprier  nécessite  donc  toute  une 
science,  et  très  compliquée.  Au  reste  les  livres  de  (magie  la  dispen- 
sent généreusement.  Ils  consacrent  de  longs  passages  à  la  recherche 


(i)  Légende  à  base  étymologique:  'am  a/enna  =  la  fontaine  du  Paradis  (pour  iaX^\    -.^c). 
(2)  Sorte    de  marmite  ;  à   l'origine,  la  «  tangéroise  ».  Sur  ce  mot  et  ses  diverses  accep- 
tions  au  Maroc,  cf.  notamment  L.  Brunot,  Noms  de  récipients  à  Rabat,  Hespéris,  I,  p.  i'.>.7. 


LES  TRÉSORS  393 

des  trésors,  énuniérant  d'intermmables  formules  de  conjuration,  des 
listes  d'ingrédients,  déoriviant  par  le  >menu  la  série  des  gestes  néces- 
saires; ils  indiquent  comment  il  faut  se  comporter  quand  apparais- 
sent, sous  une  forme  étrange  et  terrifiante,  les  génies-gardiens  (i). 
Toute  cette  magie  vient  d'Orient;  mais  elle  obtint  un  singulier  succès 
en  Afrique;  les  sorciers  maghribinis,  surtout  ceux  du  Soûs,  furent 
vite  reno^mmés  dans  tout  le  monde  de  l'Islam,  Sous  ces  influences 
orientales,  l'idée  du  trésor  lui-môme  se  transforma  :  l'or  et  l'argent 
devinrent  secondaires  :  ils  furent  remplacés  de  plus  en  plus  par  les 
pierres  précieuses  et  surtout  par  les  talisimans  ('^).  Plus  qu'ailleurs, 
ces  influences  devaient  se  faire  sontix  à  Chella,  ruine  relativement 
récente,  dans  un  pays  depuis  longtemps  arabisé,  à  proxifmité  d'une 
ville  cultivée. 

C'est  ainsi  que  l'on  raconte  couramment  aujourd'hui  que  dans 
l'une  des  fenêtres  de  la  grande  porte  se  dissimule  l'anneau  de  Salo- 
mon  (3),  grâce  auquel  il  se  faisait  obéir  des  génies  :  'l'on  sait  la  place 
que  tient  cet  anneau  dams  la  légende  salomoinienne  si  populaire  en 
Orient.  Nous  ne  saurions  dire  par  quelle  voie  il  vint  au  Maroc  :  mais 
ce  qui  est  sûr,  c'est  que  plusieurs  personnages  l'ont  possédé  tour  à 
tour  dans  ce  pays.  C'est  lui  qui  fit  la  puissance  de  Moulai"  Ismâ  il,  le 
souverain  qui  employait  les  génies  à  construire  les  iminenses  palais 
et  les  formidables  murailles  de  Meknès.  Puis,  arrivé  jusqu'à  ilui  par 
une  voie  mystérieuse,  on  -le  retrouve  sur  la  main  de  Si  Jilàlî,  le  vrai 
Rogî,  qui  se  souleva  contre  Sidi  Mohannncd  ben  'Abd  cr-Rahmàn  (4). 
Divers  personnages,  aujourd'hui  encore,  possèdent  des  anneaux  doués 
d'un  pouvoir  magique  plus  ou  moins  considérabie;  mais  c'est  à  Chella 
qu'est  l'authentique  anneau  salcmonien. 

Cependant,  ce  talisman  historique  n'est  pas  le  seul  qui  se  dissi- 
mule dans  ces  ruines.  On  y  pourrait  découvrir  encore  tous  les  objets 
magiques  dont  il  est  question  en  pareil  cas,  et  dont  il  existe  par  le 
monde  un  grand  nombre  d'exemplaires   :  les  sabres,  les  poignards, 

(i)    On    trouvera    des    exemples    de    ces    conjurations    dans    Doutté,    Magie    et    religion 
dans   l'Afrique   du  A'orrf,    Alger,    1909,   p.    120   et   266-268. 

(2)  Sur  cette  évolution,  cf.  Henri  Basset,  op.  cit.,  ch.  m  :  «  Les  grottes  et  les  trésors  ». 

(3)  Ijâlêm  ' Ihekma. 

(4)  Edw.  Westermarck,  The  Beliejs  in  spirifs  in  Morocco,  (Ada  Academiae  Aboensl';, 
Humaniora  1),  Abo,   1920,  p.   107-108. 


394  CIIELLA 

les  l)àk>ns,  les  lioles  de  /.'>///,  los  anneaux,  les  bonnets,  les  sandales 
ofràee  auxquels  on  peut  parvenir  à  la  /lihna.  Le  folk-lore  mairômin 
esl  i(Mnj)li  iriiisloires  i\c  lolba  (jui  oui  découxci  I  (|ii(>l(|u'uu  de  ces 
objets  précieux  (i),  de  niai,Mciens  du  Soùs  qui  ont  tenté  de  is'en  empa- 
rer (2);  d'ailleurs  —  et  l'esprit  berbère  reprend  ici  ses  droits  —  ils 
en  font  d'ordinaire  nn  très  prosaïque  usage;  il  leur  suffit  que  leur 
existence  «oit  assurée  «ans  i^ffort  :  l'ambition  d(^s  Ailadin  borbèros 
s'élève  rarcMuent  plus  liant.  A  moins  qu'il  ne  s'agiisse  de  personnages 
historiques,  .lîlàlî  cr-lU)gî  posséilait  l'anneau  de  Salomon;  mais  d'au- 
cuns lui  prèleut  aussi  un  poignaid  de  liilniui.  Wnù  llauiàra,  celui  cjui 
fut  pris  par  Moulai  Abd  el-i.lari/.  —  v\  à  (pii  Ton  allribue  d'orcbuaiie  ce 
nom  de  rogî  —  vexé  d'C  son  surnom  ])eu  reluisant  (=  l'homme  à 
l'ânesse)  se  faisait  vodontiers  appelei-  l^où  l.Iamàla  (=  l'homme  à  la 
cordelière).  On  en  comlut  généraleinont  aujourd'lrui  que  lui  aussi 
possédait  un  pnjgnanl  de  hikmn  ;  et  l'on  ajoute  que  grâce  à  ce  poi- 
gnard, une  mesure  d'orge  Jui  suffisait  pour  rassasier  tous  les  chevaux 
de  son  armée. 

On  conçoit  que  de  pareils  talismans  excitent  tout  autant  que 
l'or  la  convoitise  des  chercheurs  de  trésors;  le  récit  d'opérations  réus- 
sies vient  raviver  leur  foi.  Voici  un  prooédé  qui  nous  a  été  donné 
sur  place;  il  y  manque,  il  est  vrai,  l'essentiel  :  le  texte  exact  des  abra- 
cadabras  : 

((  Celui  qui  veut  découvrir  un  trésor  doit  être  très  ver^sé  dans  la 
science  du  Jadiml  (3).  Il  s'assure  l'aide  <run  :<>liri  »  —  nous  revien- 
drons plus  loin  sur  ce  personnage  —  ((  et  va  passer  la  nuit  à  Chella. 
Quand  tout  dort,  il  prépare  le  hnhhoùr,  qui  doit  être  de  l'emoens 
maie  (A)  et  du  j'hvî  (benjoin)  noir  —  le  jàwl  noir  spécial  aux  gna- 
\va  (nègres),  et  que  l'on  nomme  hohhoûr  cl-Jnoùn  (5),  tandis  que  le 
jâwî  blanc  est  celui  dont  se  servent  les  autres  gens.  —  Il  a  amené 

(1)  On  en  trouvera  un  exemple  dans  Doutté,  En  Tribu,  Paris,   igili,  p.   87. 

(2)  Cf.    par   exemple   Dr.    Herber,   Mythes   et    légendes   du   Zerhoun,    Archives   Barbe. 
Tes,   igiS-ifi,  p.   i55-i56. 

(3)  Le  jadwtti,  (litl.  tnhleau),  est  la  disposilioii  m  dessins  géom<'lriqnes  de  l'incan- 
tation écrite.  Les  tableaux  magiques  sont  d'un  emploi  extrêmement  courant  :  il  n'est 
guère   d'amulette  où  ils  ne  se   retrouvent.    Cf.    Doutté,   Magie   et   Religion,   pp.    i5o-i52. 

(A)  j^^^    -JJ^-  Cf.  Dozy,  Suppl.  Dict.  ii,  p.   5i5. 

(5)  On  peut  noter  le  fait,  car  il  montre  une  fois  de  plus  les  rapports  qui  unissent, 
dahs   l'esprit   dec    musulmans   nord-africains,    les    noîrs   avec    le    monde   des    génies. 


LES  TRÉSORS  395 

un  bouc  noir.  Le  mag-icien  (/fj'li)  dessine  un  j(i<Uv<il  sur  une 
feuille  de  papier,  allume  l'enoems,  et  prononce  ses  incantations  (i )  ; 
il  continue  jusqu'à  ce  que  la  feuille  s'envole  de  ses  mains  :  elle  va  se 
poser  juste  à  l'endroit  où  est  le  irésor.  Le  'magicien  égorge  alors  le 
bouc  à  cet  endroit  même,  afm  que  les  génies  boivent  le  sang,  et 
soient  satisfaits.  Puis  il  continue  à  faire  des  fumigations  et  à  ré- 
citer la  '(ciinn,  jusqu'au  monieut  où  la  terre  s'entrouvre  :  le  trésor 
apparaît.  Le  zohrl  descend  dans  le  trou.  11  faut  que  ce  soit  lui,  car 
si  le  (magicien  y  descendait,  la  terre  se  refermerait  sur  lui.  Et  le  :ohrî 
rapporte  ce  qu'il  avait  mission  de  prendre.  Car  le  magicien  lui  avait 
dit  :  «  Prends  pour  loi  l'or,  et  ne  me  donme  —  par  exemple  —  que 
rétui  à  kolil,  ou  bien  Panneau,  ou  bien  le  poignard  ».  Ce  sont  autant 
d'objets  qui  lui  permettent  de  parvenir  à  la  hikma.  Car,  s'il  se  met 
autour  des  yeux  du  kohl  de  cet  étui,  il  peut  voir  les  juoûn  et  leur 
demander  ce  qu'il  veut.  Sur  l'anneau  est  écrit  le  nom  d'un  génie- 
serviteur  :  s'il  le  met  à  son  doigt  et  le  tourne,  ce  génie  apparaît  et 
se  met  à  ses  ordres;  de  môme  le  génie-serviteur  du  poignard  arrive 
s'il  tire  celui-ci  de  sa  gaîne.  Le  génie  se  présente  en  prononçant  cette 
formule  : 

âmèr,  na'Btnël,  id  mûlâi! 
âmcrti  aîl(t-mâl-''h(ârb,  i^çk! 
âmë/'p  çhhi-mfil-'^ssdrq,  i^ék! 

i(  Ordonne,  j'obéirai,  ô  Maître  ! 

Si  tu  veux  les  richesses  de  l'Occident,  elles  viendront  vers  toi! 

Si  tu  veux  les  richesses  de  TOrient,  elles  viendront  vers  toi.  » 

Les  livres  de  magie  et  la  science  populaire  connaisisent  bien  d'au- 
tres procédés  du  même  genre,  dont  beaucoup  sont  infiniment  plus 


(i)  (»-ç.-o..ç.3^  (b-A-o-Jo^  fr*^.-  L®  premier  terme  désigne  à  proprement  parler  le 
fait  de  répéter  pendant  un  nombre  de  fois  indéterminé  un  des  noms  de  Dieu  {'azîma), 
pratique  fort  usitée  dans  la  magie  nord-africaine.  Les  deux  autres  verbes  constituent  des 
onomatopées  qui  représentent  les  formules  cabalistiques  prononcées  par  le  magicien,  comme 
il  en  existe  dans  toutes  les  magies.  Cf.  Perdrizet,  Negotium  peraméulans  in  tenebris, 
Strasbourg,  igay,  p.  aS  (parlant  de  la  magie  gréco-orientale)  :  «  La  magie  affectionnait  pour 
ses  abracadabras  les  noms  à  bredouillement,  formés  de  Mapiiap —  ou  \hp\i.tp  — ,  de  Bapf5ap 
—  ou  BepoEp  —  »  et  les  références  citées.  —  ;<>-*■••"''  est  passé  dans  le  langage  courant 
avec  le  sens  de  «  marmotter  ».  Quant  à  ^t-^^-^Jk,  il  est  classique,  comme  son  voisin  fy-*J' 


396  ClIEUA 

compliqués,  et  ils  s'élciHÎtMil  d'ordinairo  l)i(m  davanUig^c  sur  les  génies 
qui  gardent  le  trésor.  Mais  on  retrouve  dans  ce  récit  des  liaits  bien 
intéressants,  et  qui  sont  oonamums  presque  à  tous.  C'est  avant  tout 
la  présence  d'un  aide,  à  cpii  le  magicien  abandonne  l'or,  tandis  qu'il 
se  réserve  le  talisiikan,  bien  préférable,  car  c'est  à  tout  le  moins  un 
trésor  inépuisable.  Il  est  tout  à  lait  icMuaKpiable  que  l'inventeur  du 
trésor,  le  savant  magicien  seul  capable  d'en  déterminer  remplace- 
ment, d'en  faire  ouvrir  les  portes,  de  réduire  pour  un  temps  à  l'im- 
puissance les  génies-gardiens,  ne  puisse  lui-môme  enlever  l'or  ni  les 
talismans.  Ce  Irait,  courant  dans  les  bistoires  de  découvertes  de  tré- 
sors qui  se  racontent  au  Magbrib  (i),  vient  lui  aussi  d'Orient.  Le 
magicien  du  conte  d'e  Djoùdar  le  Pêcheur,  dans  les  Mille  et  une 
Nuits,  doit  recourir  aux  offices  d'un  aide  —  il  est  vrai  que  cet  épisode 
du  conte  se  passe  au  Magbrib  —  et  Aladin  s'aventure  dans  le  jardin 
aux  trésors  pour  le  compte  d'autrui.  Mais  notre  récit  apporte  ici 
quelque  cbose  de  nouveau.  L'aide  ne  saurait  être  une  personne 
quelconque  :  c'est  un  :o/iri.  Dozy  traduit  ce  mot  par  «  géoman- 
cien  »;  notre  infonnat(Mir  donne  un  sens  quelque  ])eu  différent. 
«  Le  :<)liri.  dit-il,  ne  voit  pas  de  loin;  il  a  la  pauTno  de  la  main  et 
le  dessus  de  la  langue  fendus  naturellement.  11  y  a  beaucoup  de 
gens  dans  ce  cas  :  on  dit  que  ce  sont  les  fils  des  génies  qui  ont  été 
mis  dans  le  berceau  des  fils  des  liomnies  (3)  ».  Voilà  qui  nous  éclai- 
re sur  leur  rôle  :  ce  sont  en  réalité  des  génies;  ils  n'ont  à  peu  près 
rien  à  craindre  de  leurs  congénères;  ils  peuvent  descendre  sous 
terre  pour  recu(^illir  le  trésor,  tandis  que  le  magicien  lui-même 
n'oserait  s'y  risquer.  La  'découverte  des  trésors  exige  l'union  de  la 
science  de  l'un,  et  de  l'impunité  de  l'autre. 
0 


(i)  La  nécessité  d'un  aide,  dans  ce  cas,  n'a  aucun  rapport  avec  le  sacrifice  humain 
dont  on  accuse  souvent,  aujourd'hui  encore,  les  chercheurs  de  trésors  :  la  victime  hu- 
maine tient  alors  la  place  du  bouc  du  procédé  ci-dossus.  Une  telle  accusiation  se  retrouve 
;<illcurs  que  dans  l'Afrique  du  Nord.  Ainsi,  en  Egypte,  on  sacrifierait  un  nègre  aux  gé- 
nies des  trésors  (Legrain,  Louqsor  sans  les  Pharaons,  Paris-Bruxelles,  iç)i4,  P-  'o/|)  :  les 
deux  qualités  de  victime  humaine  et  de  victime  noire,  chères  aux  génies,  se  trouvent 
réunies. 

(2)  La  croyance  à  une  telle  substitution  est  en  effet  extrêmement  répandue  dans  l'Afri- 
que du  Nord. 


LES  TUÉSORS  397 


Il  eût  été  étonnant  de  ne  pas  trouver  dans  le  folk-lore  de  Rabat 
quelques  récits  se  rapportant  aux  aventures  de  chercheurs  de  tré- 
sors à  Chella.  Il  en  est  en  effet  plusieurs,  depuis  la  brève  mention 
d'une  tentative,  réussie  ou  non,  jusqu'au  eonte  compliqué,  formé 
de  thèmes  connus,  et  qui  s'est  localisé  par  hasard  à  Chella  comme 
en  bien  d'autres  endroits.  On  en  trouvera  ici  deux  exemples   : 

Une  année,  raconte-t-on,  un  magicien  —  fqih  —  du  Soûs  vint 
trouver  le  qâ'ïd,  et  lui  annonça  son  intention  de  découvrir  un  tré- 
sior.  Le  qâ'ïd  lui  donna  des  mkhaznî  et  ee  qu'il  lui  fallait.  Magicien 
et  mkhaznî  s'en  allèrent  à  Chella,  firent  leurs  ablutions,  prièrent, 
puis  miangèrent.  Lorqu'une  partie  de  la  nuit  fut  passée,  le  magicien 
dit  aux  mkhaznî  :  ((  Quoi  que  vous  voyiez,  gardez-vous  bien  de 
rire  ou  d'avoir  peur!  —  Sois  sans  crainte  »,  répondirent-ils.  Cela 
dit,  le  magicien  disposa  devant  lui  un  brasero,  fit  des  fumigations 
et  se  mit  à  parler  à  voix  basse.  Alors  des  génies  —  'afrît  —  commencè- 
rent à  passer  devant  eux,  sous  la  forme  de  chevaux,  de  chameaux 
et  de  bœufs;  des  pierres  tombèrent  en  pluie  devant  les  mkhaznî, 
qui  restèrent  impassibles,  tandiis  que  le  fqîh  continuait  ses  incanta- 
tions. Vint  enfin  un  génie,  qui  se  précipitant  sur  un  des  homimes, 
le  fit  tomber  à  la  renverse  :  à  la  vue  de  cette  chute  comique,  ses  ca- 
marades se  mirent  à  rire.  Ce  leur  fut  fatal  :  le  afrît  se  retournant 
contre  eux  les  lança  en  l'air  :  les  uns  retombèrent  à  Sidi  boû  Sedra, 
les  autres  à  Ràb  el-IIadîd.  Le  lendemain,  ils  rentrèrent  en  ville  et 
racontèrent  leur  aventure;  quant  au  magicien,  il  disparut,  et  l'on 
ne  retrouva  jamaiis  ses  traces.  Ce  récit  est  absolument  authentique, 
affirme  notre  informateur  Mohammed  ben  Dâoûd  :  le  qâ'ïd  dont  il 
est  question  est  Si  'Abd  es-Salâm  es-Sowîsî,  qui  fuit  pacha  de  Rabat 
au  temps  de  Moulai  el-Hasan  ;  et  lui-même  tient  Thistoirc  d'un  nommé 
el-Hâjj  Jîlâlî  ben  Mohammed,  Arabe  du  I.Iawz,  mort  malheureusement 
depuis  peu,  et  qui  était  l'un  des  héros  de  cette  aventure. 

L'autre  histoire  est  moinis  savoureuse.  Elle  est  plus  ooimpliquée 
et  plus  banale  à  la  fois.  Conume  presque  tous  les  récits  de  ce  genre, 
elle  a  pour  héros  un  magicien  du  Soûs.  Celui-ci  vint  un  jour  à 
Chella;  ses  dix  enfants  l'accompagnaient.  Ils  campèrent  auprès  du 


398  CHELLA 

sanctuaire  de  Sidi  'l-Masnàwî,  et  y  restt^rent  un  certain  'temps,  occu- 
pés au\  calculs  maii-iqucs  nécessaires  pour  <lél(M'miu(M-  rcudioil  où 
étaiil.  caché  le  livsor  qu'ils  oonvoilaicul  ;  à  la  suite  de  ces  i'alculs,  ils 
décidèreul  de  fouiller  aux  environs  de  'Ain  Ajenna.  Ce  fut  d'abord 
le  lour  du  premier  lils;  après  (]u'il  eut  fait  «os  incanlations  et  ses  fu- 
mifratimis,  le  Iré-^or  apparul.  il  descendit  dans  le  trou;  mais  le  'afiît- 
«.•ardien  le  lua.  (le  fui  (MisiiiU»  le  loin-  <lii  second  [ils;  il  (mourut  de  la 
niLMue  manière;  jniis  h'  troisièm(\  puis  tous  les  autres  sucicossive- 
ment  jusqu'au  dixième.  R(>^tail  le  pèi'c,  plus  savant  map^icicn.  11 
omnuMia  un  habilaîil  de  Chella,  cl,  j^iiàcc  à  isos  clvarmes,  fit  appa- 
raître le  trésor  et  le  afrît-ofardien.  Celui-ci,  sachant  d'avance  qu'il 
allait  ctr(>  vaincu,  pr<)p>)sa  aux  deux  homnu^s  de  poiter  l'affaire  de- 
vant \o  dira'  (!).  Le  nuagicien  n'y  consentit  pas.  Il  montra  à  son 
cnmpa^Tion  le  trésor  —  il  y  avait  là  mn  bâton,  des  sandales  (i),  un 
bonnet  de  colon,  un  étui  à  Uold  cl  une  peau  de  mouton  —  et  lui  dit  : 
((  Ces  objets  sont  des  talismans.  Si  j'arrive  à  vaincre  le  'afrît,  grâce 
à  la  haiaka  de  Sidi  "1-Masnà\vî,  je  ne  désire  j>as  autre  chose  que  de 
m'emparer  de  sa  personne.  Quant  aux  objets,  je  Ibe  les  abandonne.  » 
Il  tira  de  ses  vêlements  un  tube  de  enivre,  et  se  mit  à  faire  des  in- 
cantations. A  mesure  qu'il  parlait,  le  'afriit  fondait;  il  finit  par  de- 
venir coimime  une  abeille.  Le  mar^icicn  le  prit,  le  nait  dans  le  tube  et 
l'y  enfenna.  Aloi\s  \o  Sousî  expliqua  à  son  compagnoin  les  vertus 
magiques  des  talismans  :  «  Si  tu  chausses  les  sandales  et  prends  le 
bâton  à  la  main,  en  faisant  un  p^as,  tu  parcourras  le  chemin  que  tu 
aurais  parcouru  en  une  année;  si  tu  métis  le  booinot  sur  la  tête,  tu 
deviendras  invisible.  Si  tu  te  mets  aux  paupières  du  kohl  de  relui, 
tu  verras  les  gvnies.  Si  tu  fais  ta  prière  sur  la  peau  de  mouton,  cha- 
que fois  que  tu  te  prosterneras  en  prononçant  la  formule  Allah  akbar!, 
tu  recevras  une  pluie  de  louis,  » 

L'autre  prit  les  talismans;  puis  ils  retouimèrent  tous  deux  au 
tombeau  de  Sidi  'l-MasnaAvî.  Le  magiciien  prit  congé  de  son  compa- 
gnon, en  lui  disant  qu'il  allait  rentrer  dans  son  pays  :  effectivement 
il  revint  au  Soûs.  Arrivé  chez  lui,  il  ouvrit  le  tube,  fit  une  incanta- 
tion, et  transfoilma  le  'afrît-abcille  en  un  mulet,  qu'il  mit  à  la  meuile 
de  son  moulin  à  huile. 

(i)  «JLjLai  :  sandale  faite  d'une  simple  semelle  de  cuir  avec  des  cordons  de  palmier-nain. 


LES  GÉNIES  399 

Six  ou  sept  ans  passèrent.  L'homme  de  Chella  se  dit  :  il  faut 
que  j'aille  voir  ce  Sous^,  cl  (pic  je;  saclu;  ('c  qn'il  a  l'ail  du  afiîl  qu'il 
avait  changé  en  ^abeille!  Il  se  mit  en  route;  retrouva  le  magicien, 
qui  lui  montra  le  afrît  changé  en  mulet  à  la  meule  de  son  (moulin. 
En  voyant  l'homme,  le  mulet  le  reconnut  et  se  mit  à  pleurer.  L'hom- 
me fut  pris  de  pitié,  cl  demanda  au  làleb  soûsî  de  lui  faire  miséricor- 
de. Celui-ei  répondit  :  ((  Rien  ne  me  rendra  mes  enfants;  mais  pour 
te  faire  plaisir,  j'enlèverai  ce  mulet  de  la  meuile,  et  je  le  mettrai  à 
l'écurie,  à  la  disposition  de  ceux  qui  voudront  l'employer  comme 
bête  de  somme.  » 

Ce  qui  fait  rinléréil  de  celte  légende,  au  reste  visiblement  in- 
complète, ce  sont  beauicoup  moins  ses  péripéties  que  l'intervention, 
si  secondaire  soit-ellle,  de  Sidi  '1-Masnâvvî,  l'un  des  saints  protecteurs 
de  Chella.  Les  saints,  nous  le  verrons  anieux  encore  par  ailleurs,  ten- 
dent de  plus  en  plus  à  exercer  un  pouvoir  d'ordre  général  sur  tout 
le   monde   surnaturel   de   l'enceinte. 

3.  —  Les  génies. 

Parmi  toutes  ces  légendes  de  destruction  de  villes,  tous  ces  ré- 
cits de  découvertes  de  trésors,  il  y  a,  nous  l'avoms  vu,  bien  peu  de 
traits  originaux.  Quelques  détails  seuls  permettent  le  plus  souvent 
de  situer  à  Chella  des  thèmes  merveiillenx  qui  se  retrouvent  en 
maints  autres  endroits  d'Orient  et  d'Occident.  Sans  doute,  le  peuple, 
à  Rabat,  n'ignore  pas  ces  contes,  imais  il  n'y  attache  qu'une  impor- 
tance médiocre  :  les  tirésors,  bien  gardés,  ne  sont-iils  pas  hors  de 
portée,  à  Chella  comme  dans  les  autres  villes  ruinées?  Au  contraire, 
il  existe  dans  cette  enceinte  tout  un  ensemble  de  forces  surnaturelles 
qui,  elles,  tiennent  dans  la  vie  des  habitants  de  Rabat,  surtoiit  des 
femmes,  une  place  considérable.  Chella  est  un  centre  de  cultes, 
oulte  d'animaux  sacrés,  culte  des  génies,  culte  de  saints;  et  c'est  en 
même  temps  le  théâtre  de  rites  marqués  d'une  forte  empreinte  mu- 
sulmane. 

Dans  les  ruines  de  la  chambre  d'ablutions,  dont  l'eau  recouvre 
aujourd'hui  la  cour  tout  entière,  la  transformant  en  un  vaste  bassin 
oii  les  femmes  lavent  les  toisons,  on  voit  nager,  en  grand  nombre. 


400  CIIFI.l.A 

des  tortues  ot  das  anf^iiillos.  Familières,  cllc«  passent  sans  crainte 
entre  les  lavandières  :  aussi  bien  n'en  ont-ellcvs  riou  à  redouter;  ce 
sont,  en  elTet,  des  anjiuiaiix  sacrés;  on  a  (joiir  elles  la  plins  ^'■rande 
vénéralion.  De  nond)reiises  lé^i-eiules  raj)pellent  le  chàliinent  terrible 
résierM'  à  qui  leur  feiait  {iuel(]ne  niai.  (/eu\  (pu  is'aviseraieni  seule- 
nuMil  (le  inellic  en  doiile  leur  earaclèiH*  surualuixM  ou  leur  |)uissanee 
((  serai(Mit  pris  (l(>  xioleules  douleurs  aux  jointures  »;  le  j>reniier  eu- 
ropéen qui  nianifesla  son  is'ceplieisane  eut,  dit-cvn,  les  pieds  et  les 
mains  paralysés. 

Un  autre  euroj)é(Mi,  nous  a-l-on  raconté  à  plusieurs  reprises,  ne 
se  contenta  pas  de  douter  :  <(  11  y  a  que'lqueis  amnées,  un  chrétien 
portant  un  sac,  un  lior.nue  de  ])eu,  vint  et  se  mit  à  saisir  tortues  et 
anguilles.  11  y  avait  là  des  nuisulniians  qui  s'indignèrent  et  repré- 
sentèrent à  riiammc  (pi'il  conuirettait  un  sacrilèges  :  s'il  persistait, 
il  encourrait  sûrement  la  punition  divine.  L'aulne  était  décidiémont 
un  impie  :  il  ivpliqua  que  si  J)ieu  devait  vraiinent  le  pu- 
nir, il  1(^  l"(>rail  à  rinslanl,  car  il  naNait  pas  liulcurKni  de  cesser.  11 
reprit  sa  pèche  de  j)lus  belle,  saisissant  et  tuant  liortucw  et  anguiLles. 
Et  puis,  il  les  mangea.  Mais  le  châtiment  ne  tarda  pas  :  il  fut  terri- 
ble. Dieu  envoya  à  oct  homme  une  maladie  qui  lit  tomber  son  corps 
en  miettes  (i).  » 

Assurément,  dan«  cette  histoire,  tout  n'est  pas  légendaire.  On 
reconstitue  aisément  la  scène.  Le  chrétiieo,  un  «  homme  de  peu  ». 
d'éducation  grossière  et  d'intelligence  bornée,  méprisant  de  toute 
sa  supériorité  d'européen  les  croyances  des  indigèmies  qu'il  ne  coim- 
prend  d'ailleurs  pas,  un  homme  enfin  comme  on  en  a  tant  vus  au 
Maroc,  est  venu,  malgré  des  protestations  indignées,  faire  une  pèche 
fructueuse  parmi  les  tortues  et  les  anguilles  sacrées.  Mais  la  morale 
surajoutée  n'est  point  dépourvue  d'intérêt.  Elle  montre,  une  fois  de 
plus,  combien  la  punition  surnaturelle  paraît  logique  aux  indigènes 
nord-africains  :  ils  ne  conçoivent  pas  la  violation  d'un  tabou  sans 
le  cl^iUiment  immédiat.  Et,  dans  le  cas  présent,  la  punition  vient  de 
Dieu,  c'est  Dieu  lui-même  qui  est  offensé  par  le  sacrilège  du  chrétien. 

(i)  Selon  urio  autre  version,  il  tomba  mort  sitôt  qu'il  eût  tué  une  tortue.  On  discut? 
aussi  sur  sa  nationalité.  D'aiprès  quelques-uns,  il  aurait  été  Français;  mais  la  majorité  voit 
en  lui  un  Espagnol. 


ij:s  (;]':més  40 1 

Hien  ne  saurait  mieux  montrer  à  quel  point,  dans  l'esprit  populaiie, 
ces  vestig-cs  de  vieux  culles  païens  s'identifient  à  celui  du  vrai  Dieu. 
Respecter  les  tortues  et  les  anguilles  sacrées  de  Chella,  leur  porter 
des  offrandes,  est  dans  l'osprit  des  femmes  du  peuple,  à  Rabat,  une 
obligation  islamique  :  les  honorer,  c'est  honorer  d'une  certaine  fa- 
çon la  divinité.  Et  cela  est,  en  Berbérie,  une  observation  qui  s'appli- 
que à  tous  les  cultes  de  ce  genre. 

Sur  ces  animaux  sacrés  règne  une  anguille  énorme  et  d'aspect 
étrange  :  elle  a  de  grands  cheveux  et  porte  des  anneaux  d'or  aux 
oreilles  (?).  Mais  —  signe  des  temps  nouveaux  —  depuis  l'arTivée 
des  Français,  on  ne  lia  voit  plus  (i);  quelquefois,  pourtant  elle  sort 
un  peu  avant  l'aube,  isurtout  par  clair  de  lune;  mais  c'est  bien  rare. 
La  moqadihna  de  Sidi  ''l-Masnà^\i,  interrogée  à  son  sujet,  linit  par 
avouer,  après  quelques  réticences,  que  pour  sa  pailt,  elle  ne  l'a  ja- 
mais vue.  Visiblement,  cet  aveu  la  mortifie.  Demeurant  à  Chella 
môme,  au  centre  du  lieu  de  cidte,  participant  en  quelque  sorte,  aux 
yeux  du  vulgaire,  à  la  vie  surnaturelle  du  sanctuaire,  il  lui  en  coûte 
de  reconnaître  qu'elle  n'a  pu  en  pénétrer  certains  seorets,  qui  se 
sont  découverts  pour  d'autres,   plus  savants  ou  plus  heureux. 

Elle  nous  raconta  qu'il  y  a  bien  longtemps,  alors  qu'elLe-même 
<(  était  encore  dans  le  venti>e  de  sa  mère  »,  l'anguille  apparut  à  des 
membres  de  la  société  des  l'inù  (tireurs),  qui  venaient  déjà  à  Chella, 
comme  ils  viennent  encore  aujourd'hui  (2)  —  car  Sidi  "l-Masnàwî,  on 
le  verra,  est  un  de  leurs  patrons  -^  se  livrer  à  leurs  pieux  exercices  de 
tir.  Ceux-ci,  en  ce  temps-là,  duraient  vingt  jours  de  suite;  les  holmmes 
allaient  chasser  et  vivaient  du  produit  de  leur  chasse.  «  Un  jour 
qu'ils  n'avaient  plus  d'argent  pour  acheter  du  sucre,  du  thé,  et  tout 
ce  qu'ils  ne  pouvaient  demander  à  la  chasse,  ils  invoquèrent  le  saint. 
L'un  d'eux  alla  faire  ses  ablutions  à  la  fontaine  :  il  en  vit  sortir 
l'anguille  aux  anneaux  d'or;  elle  sauta  aux  pieds  du  tireur  et  déposa 
devant  lui  ses  anneaux.  L'autre  les  rapporta  à  ses  compagnons  :  ils 
virent  là  une  tmanifestation  de  la  baraka  du  saint.  Ils  allèrent  les 
vendre  à  Rabat,  et  eurent  ainsi  de  quoi  subsister.  » 

(i)     Cf.  aussi  L.    Brunot,   op.   cit.,   p.    182. 

(2)    Sur  cette  société  de  caractère  sexni-religiexix,  cf.  notamment  L.  Mercier,  in  Arch. 
Mar.,  t.  VIII,  p.   181-188. 


402  CHELLA 

On  saisit  ici  encore  une  contKiniinalion  entre  l'Islàni  et  les  vieux 
cultes.  La  société  des  'v/«i  a  pour  but  la  yuerre  sainte;  l'ang-uille,  re- 
marquable représentant  des  anciens  génies  païens,  vient  elle-anèflnc 
les  encourager  dans  l'acconiplissement  d'une  pratique  csscntiellanieint 
nnisuiinane.  Kt  le  niarahoni,  Si<li  '1-Masnàui,  n'est  pas  sans  jouer, 
dans  une  certaine  mesure,  «on  rôle  ordinaire  de  trait  d'union. 

Au  reste,  la  présence  d'animaux  sacrés,  et  de  cette  espèce,  dans 
une  fontaine  comme  colle  de  Gliclla,  n'est  pas  pour  nous  étomner.  On 
retrouve  pareilles  tortues  dans  nombre  de  sources  nord-africaines; 
quant  aux  anguilles,  elles  s'apparentent  à  tous  les  serpents  sacrés  ou 
porte-bonheur,  dont  le  culle  est  ddmeuré  très  vivace  en  bien  des  en- 
droits de  la  Berbérie  (i).  Les  légendes  inènies,  d'un  point  à  un  autre, 
ne  varient  guère  :  c'est  ainsi  qu'on  retrouxc  à  Clrella  l'histoire  de 
l'anguille-fée  qui  a  recours  aux  bons  ollices  dune  femme  pour  l'assis- 
ter lors  de  ses  couches  (2). 

Mais  ce  qui  fait  l'iTitérét  de  ces  croyances  à  CheLla,  ce  sont  les 
détails  du  culte  que  l'on  rend  aux.anguililes  et  aux  tortues,  car,  par 
eux,  nous  pouvons  nous  faire  une  idée  de  ce  que  cette  zoolàtrie, 
quelle  que  soit  son  origine,  représente  aujourd'hui  dans  l'esprit  des 
indigènes  nord-africains.  On  n'en  saurait  douter  :  tortues  et  anguilles 
sacrées  sont  pour  eux  des  génies,  ils  le  disent  expressément  :  la  grosse 


(i)  Cf.  notamment  les  faits  recueillis  par  A.  Cour,  Le  culle  du  serpent  dans  les 
traditions  populaires  du  nord-oucsl  africain,  in  Bull.  Soc.  Arch.  Oran,  1911.  Cf.  aussi 
A.  Bel,  La  population  musulmane  de  Tlemccn,  in  Revue  des  Eludes  clluiog.  cl  sociol., 
1908,  p.   223,  note   i;   Henri  Basset,  op. cit.,   p.    39   sqq. 

(2)  M  Une  femme  visitait  un  jour  les  rijàl  de  Cliellu,  quand  elle  vit  une  anguille  sortir 
de  l'une  des  chambres  qui  entouiient  le  bassin.  Cette  anguille  éluit  enceinte  (sic).  La 
femme  lui  dit  :  «  Quand  les  douleurs  le  prendront,  envoie-moi  clicrcher,  je  te  d'îli- 
vrerai.  »  La  femme  iientra  cliez  elle.  Dans  la  nuit,  on  frappa  à  sa  porte.  Elle  alla  ouvrir 
et  se  trouva  en  présence  d'un  homme  qui  lui  dit  :  «  Es-tu  bien  une  telle  ?  —  Oui.  — 
Viens  alors  délivrer  la  femme  à  qui  tu  as  promis  ton  concours.  —  Qui .''  —  L'anguille 
qui  est  sortie  de  la  chambre,  dans  la  fontaine,  et  qui  était  enceinte.  »  La  femme  prépara 
ex  qu'il  lui  fallait.  L'homme  lui  dit  :  «  Ferme  les  yeux  !  »  Elle  les  ferma  ;  puis  :  «  Ouvre 
li,«  yeux  1  »  Elle  les  ouvrit.  Elle  s'aperçut  alors  qu'elle  était  dans  une  maison  où  une 
femme  accouchait.  Elle  lui  donna  ses  soins,  puis  reçut  pour  sa  peine  une  grosse  somme 
d'argent  et  se  retrouva  chez  elle  de  la  même  manière  qu'elle  en  était  partie.  Elle  raconta 
son  histoire  à  &os  amies,  qui  s'en  allèrent  à  leur  tour  à  Chclla  dons  l'espoir  d'une  pareille 
aventure.  »  —  Sur  les  contes  de  ce  genre,  cf.  René  Basset,  Contes  berbères,  Paris,  1887, 
p.    iG2-iG3. 


LES  GÉNIES  403 

anguille  est  un  génie  métamorphosé,  et  les  autres  sont  ses  filles.  Ces 
génies  ne  sont  môme  pas  forcés  de  conserver  toujours  cette  forme 
animale.  '^Ç^l^ 

C'est  le  dilmanche  surtout  que  les  femmes  vont  leur  faire  leurs  dé- 
votions; d'autres  prétendent  qu'on  y  peut  aller  le  dimanche,  le  mardi 
et  le  jeudi,  car  ce  sont  jours  de  marché,  et  ces  jours-dà,  les  génies 
aussi  vont  au  inarché  comime  les  hommes  :  ils  sortent  donc.  De 
même,  le  vendredi,  à  l'heure  du  zohor  :  ils  sortent  pour  la  prière. 
Il  faut  autant  que  possible  choisir  un  monient  oii  l'on  est  seul  avec 
ces  animaux-génies.  On  a  ainsi  recours  à  eux  lorsque  l'on  veut  implo- 
rer quelque  gràoe  et,  (mieux  encore,  écarter  de  soi  les  effels 
d'un  malheur  que  l'on  devine  imemaçant  ou  qui  s'est  déjà  produit. 
D'aucunes  font  des  fumigations  d'encens  au  bord  de  la  fontaine,  aux 
heures  chaudes  de  la  journée;  c'est,  en  effet,  un  moment  particuliè- 
rement propice  aux  cultes  démoniaques  (i).  Mais  la  pratique  la  plus 
fréquente  consiste  à  porter  à  manger  aux  tortues  et  aux  anguilles  : 
on  leur  offre  surtout  des  tripes  coupées  en  morceaux  que  l'on  jette 
dans  le  bassin.  Lorsque  ces  animaux  sacrés  ne  peuvent  ou  ne  veulent 
conjurer  le  mauvais  sort,  ils  s'enfuient  précipitamment;  dans  le  cas 
contraire,  ils  arrivent  en  grand  nombre  à  la  surface  de  l'eau.  En  leur 
jetant  ces  morceaux  de  tripes,  les  femmes  prononcent  la  formule  sui- 
vante   : 

"rfèd-^àrek,  id-lm" tlmm  bîh! 

hada-hâr-n:(ël-a2l(mâ, 

ûhnâ,  nè^èlnâh  à^lèkom  ! 

«  Reprends  ton  'âr,  toi  que  nous  accusons  de  nous  l'avoir  donné  ! 

Ce  'âr  s'est  abattu  sur  nous, 

Et  nous,  nous  le  rejetons  sur  vous  !  » 

Il  est  peu  de  formules  aussi  riches  de  sens.  Rien  ne  saurait  mon- 

(i)  Les  périodes  de  grande  chaleur  sont,  tout  comme  la  nuit,  favorables  à  la  sortie 
des  génies;  ils  sont  alors  particulièrement  redoutables,  mais  en  même  temps  plus  aisé- 
ment accessibles.  C'est  ainsi  que  les  quarante  jours  de  canicule  {es-samà'ïm  :  du  lo  juillet 
au  20  août  du  calendrier  julien)  son  tenus  généralement  pour  fort  dangereux.  Sur  es- 
samâ'ïm,  cf.  surtout  Westermarck,  Cérémonies  and  beliefs  connected  with....  the 
solar  year,  Helsingfors,  igiS,  p.  102  sqq.  Sur  la  valeur  magique  du  dimanche,  cf.  notam- 
ment J.  Desparmet,  Ethnographie  traditionnelle  de  la  Mettidja,  in  Revue  Africaine,  1919, 
p.    66   SKjq. 


k 


404  CUELLA 

trer  d'une  façon  plus  claire  qu(^  le  mal  vient  d'un  ((  sort  »  (i)  lancé 
par  une  puissance  sinniaturoUe  :  celte  puissance,  ce  sont  les  gônies, 
avec  lesquels,  nous  l'avons  vu,  dans  le  cas  présent  s'identiiient  les 
aniniiaux  ^sacrés.  Pour  écarter  ce  mal,  qu'il  s'agisse  dune  infinmibé 
corporelle  ou  des  atteintes  d'une  fortune  adverse,  le  seul  moyen  est 
de  le  i-eporter  à  ceux  qui  l'ont  jeté,  de  les  prier  de  vouloir  bien  le  re- 
prendre, et  au  besoin  de  chercher  à  les  y  contraindre  par  les  ressour- 
ces de  la  magie.  Cette  formule,  s'il  était  nécessaire,  doinnerait  la  clef 
des  rites  d'expulsion  du  mal  où  interviennent  les  génies  et  qui  se 
célèbrent  en  un  j)oinl  consaeré,  tels  que  nous  en  i<'lrouverons  par 
exemple  à  Chella  même,  au  »  trou  aux  génies  »,  à  rintérieur  de  la 
khalwa,  et  comme  il  en  existe,  sous  une  forme  parfois  très  semblable, 
bien  que  moins  nette,  en  maint  endroit  du  sol  nord -africain.  Pour 
prendre  quelques  exomples  entre  cent  autres  en  pays  berbère,  tel 
est  le  culte  rendu  à  la  «  source  dos  poules  »,  ciiez  les  Gcttîwa,  dans 
la  région  de  Domnàt,  et  à  la  source  de  Lalla  Takerkoûzt,  au  sud  de 
Marrakech  :  les  gens  ensorcelés  y  vont  de  même  porter  du  pain  ou 
de  la  bouillie  aux  tortues  sacrées  (2). 


il  est  donc  diflicile,  aujourd'hui  du  jiioins,  de  l'aire  le  dé[)art  entre 
le  culte  des  génies  et  celui  de  ces  tortues  et  de  ces  anguilles  sacrées; 
mais  il  existe  à  Chella  bien  d'aultres  génies  encore.  Leur  forme,  leurs 
mœurs  sont  celles  de  tous  leurs  congénères  :  ils  sont  nombreux,  sur- 
tout dans  la  khalwa,  qui  est  leur  domaine  propre.  Là  se  trouve  réuni 
tout  ce  qui  d'ordinaire  les  attire  ou  leur  sert  de  demeure  :  l'eau,  les 
grands  arbres,  les  ruines,  les  tombes,  les  trous  pleins  d'ombre;  et 
comment  ne  pas  peupler  de  myriades  de  génies  un  endroit  si  propre 
par  son  seul  aspect  à  remplir  les  âmes  simples  d'une  religieuse  hor- 
reur ? 

Dans  la  khalwa  môme,  en  un  endroit  pailiculièrement,  an  les 

(1)  Ce  mot  nous  semble  le  meilleur  dans  le  cas  présent  pour  rendre  l'arabe  .It,  terme 
sur  lequel  cf.  notamment  E.  Westermarck,  'L<^âr  or  the  Transjerence  oj  Conditional  Cur^ 
ses  in  Morocco,  in  Anthropological  Essays  presented  to  E.  B.  Tylor,  Oxford,  J907,  p.  36 1  sqq.  ; 
W.  Marçais,  Textes  arabes  de  Tanger,  p.  396. 

{2)  Cf.  Henri  Basset,  op.  cit.,  p.  89-90  et  les  références  citées. 


LES  GÉNIES 


m 


BÏSPERl».    —    t.    il 


n.  -  1021 


27 


rcncoulvQ  à  foison.  Toiil  contre^  la  iiiosciiiiéu  d  .\Im)Ù  'l-l.lasaii,  an 
[)i(Ml  de  la  iK'til(>  pt>il(>  (\'C  la  paroi  siai-oiiesl,  on  voit  coiumc  un  iar^^e 
trou  (iîg.  59),  dernier  vestige  du  passage,  pailoul  ailliMirs  comblé  par 
les  éhoulenienls  et  T'exhausseiuent  des  terreis,  cpii  uienait  à  la  eliaiu- 
1)11'  (l'abhdious.  Dans  ce  Irou  s'eul'oui'eid.  (jut'Upies  nunxdics,  (pii 
j>erineUaienl  autrefois  d'^ccéiieir  à  la  nvoisquée.  Au  fond  est  une  ila(pie 
d'eau  croupissante,  mais  ilonl  le  ni\eaw,  nionie  au  fort  de  rélé,  est 
entretenu  i)ar  des  inlillralions  de  la  fontaine  voisine.  iJn  arbre,  aux 
branches  liorizontales  et  toutes  tordues,  con\re  ce  trou  d'une  ondjre 
pi'i  rnjîde.  1)»'  là,  au  coucher  du  soleil  sinlonl,  les  ^(''nios  isortenl  [Kir 
essaims,  comme  des  moustiques. 

Ces  génies  de  ila  klmhva  ont  pour  souverain  nn  personnage 
bien  connu  i>ar  ailleurs  dams  le  folkdorc^  inarocain,  el  <pie  l'on  nomme 
iudiiVérennncnl  ici  Moidaï  la'tionb  on  le  Snllan  Noir  (^cs  sol/àii  cl 
«ikIjaC).  \a\  penpli',  (pii  ignore  le  nom  (rAboù  "l-l.lasau  et  sciait  bien 
empêché  de  le  lire  sur  «a  pierre  tondmle,  ignore  auissi  les  puérils  ar- 
guments grâce  auxquels  les  historioms  ofliciels  du  makhzen  se  sont 
efforcés  de  pix>u\er  que  ee  prince  clait  le  sidlan  de  la  légende;  de  ces 
deux  personnages  fabuleux,  Moulai  la'qoûb  et  le  Sultan  Noir,  il  fait 
un  souverain  qui  eomanandail  an\  génies,  un  grand  bâtisseur  qui 
aurait  fondé  pour  sa  Mlle  Lalla  Cliella  une  ville  dont  les  écuries  étaient 
à  Habal  (1).  La  toud)e  d'Aboù  "l-l.lasan  est  devenue  la  sienne,  tandis 
que  la  stèle  di;  (Ihams  ed-iJohà  devenait  celle  de  Lalla  (Ibclla.  Mort 
i!  reste  le  roi  des  génies  qu'il  était  de  son  vivant,  selon  la  loi  ordinaire. 
Sans  doute,  encore  une  fois,  ne  s'agit-il  pas  d'une  légende  ori- 
ginÊ^le;  on  connaît  de  nombreux  tombeaux  du  Sultan  Noir  (2)  et  de 

(1)  11  y  a  là  un  jeu  do  mots  qui  repose  surjlc_scns  propre  de  la  racine  arabe  iaJ^  : 
.<  allacher  »,  d'où  «  aUacher  les  bêles  à  l'écurie.  ))  De  même,  les  gens  de  Salé  prélcndenl 
volonlicrs  qu'à  l'origine,  l 'enceinte  de  Rabat  était  dislinéc  à  enfermer  leurs  bêle|s  do 
somme. 

(2)  Sur  ce  personnage  et  sa  légende,  cf.  surtout  Uené  Basset,  Psédromah  et  les  Traras, 
Paris,  1901,  app.  IV;  A.  Bel,  Inscriptions  arabes  de  Fès,  p.  4i--i2  ;  Henri  Basset,  Essai 
sur  la  litté^^^tu^e  çles  Berbères,  Alger,  1920,  p.  252-55.  L'un  de  nous  se  propose  d'étudier 
de  plus  près  le  cycle  de  Moulai  la'qoûb  et  du  Sultan  Noir.  —  Ce  personnage  est  (souvent 
appelé  à  Rabat,  et  aussi  en  quelques  autres  endroits,  es-soltân  el-afhal,  «  le  sultan-étalon  », 
co  qui,  dit-on,  symboliserait  sa  force  et  son  impétuosité.  11  faut  surtout  voua  idain)s 
cette  appellation  une  variante  cuphémistique  du  terme  akijal.,  «  noir  »  :  on  connaît  les 
antiphrases  qui  désignent  au  Maroc  les  substances  de  couleur  noire  (charbon,  goudron). 
Mais  ici,  le  terme  el-afhal,  en  remplaçant  el-akhal,  a  l'avantage  de  ço»serv^  4  l'çxpres- 


LES  GÉNIES  ^Pî 

^ft  fille.  Mais  elle  s'est  spilidciïieiit  implantée  à  Chella,  et  depuis  assez 
l'pngleanps,  pour  que  le  culte  du  souveinain  fabuleux  y  soit  devenu 
extrêmement  populaire,  et  célébré  comme  nous  le  verrons. 


On  a  fréqueminent  recours  aux  génies  de  la  khalwa.  Les  syph^r 
litiques  vont  passer  la  nuit  dans  les  couloirs  qui,  dans  la  mosquée  an- 
cienne, s'ouvrent  de  chaque  côté  du  miluâb.  Tout  un  ensemble  de 
y^isons  assez  complexes  explique  la  valeur  de  cet  emplacement.  Dans 
cette  enpeinte  toute  peuplée  de  génies,  ces  couloirs  sombres  qui  s'en- 
foncent dans  l'épaisseur  de  la  miuraille  forment  comme  deux  grpî-tes.; 
oj:  celles-ci,  dans  l'Afrique  du  Nord,  sont  éminemment  propices  ;\ 
l'incubation  thérapeutique;  les  malades  ont  graride  confiance  en  ©lies, 
et  parfois  même  auprès  du  toimbeau  de  certains  saints  guérisseurs, 
une  minuscule  chambre  basse  forme  comme  une  petite  grotte  où 
le  patient  doit  dormir  une  nuit  (i).  Mais  ici,  la  l'orme  du  mihràb  est 
encore  fort  reconnaissable;  l'homme  du  peupile  lui-même  ne  peut 
ignorer  qu'il  se  trouve  dans  une  ancienne  salle  de  prières;  la  valeur 
du  sanctuaire  muisulman  vient  renforcer  le  pouvoir  des  génies;  une 
fois  de  plus,  les  rites  du  paganisme  et  les  apports  de  l'Islam  s'unis- 
sent sans  effort. 

Ainsi  qu'on  peut  le  voir  (sui"  la  fîg.  69),  les  moindres  rameaux 
de  l'arbre  qui  surplombe  le  trou  aux  génies  sont  couverts  ide  petits 
chiffons  noués  :  c'est  l'un  des  rites  ordinaires  par  lesquels  les  femmes 
viennent  se  défaire  de  leurs  maux  auprès  d'un  sanctuaire.  Le  vendredi 
surtout,  elles  sont  nombreuses  en  ce  lieu;  elles  descendent  au  bord 
de  la  flaque  d'eau  et  y  lavent  leur  chevelme.  Encore  un  rite  typique 
d'expulsion  dn  mal,  lequel  est  essentiellement  le  fait  des  génies.  Ceux- 
ci  s'accrochent  volontiers  aux  longs  cheveux  des  femmes;  et  c'est  poui* 
elles  un  constant  sujet  de  crainte.  Il  est  bien  difficile  de  les  chasser  de 
là;  se  coiffer  sans  précautions  n'est  pas  sans  danger.  Venir  laver  ses 
cheveux  dans  cette  eau  sacrée,  c'est  donc  encore  reporter  les  génies, 


sion  la  même  consonance  et  la  même  finale.  On  doit  rapprocher  cette  substitution  de  celle* 
non  moins  typique,  d'el-arw'ar  à  el-asghar,  à  propos  d  Idrîs  II. 

(i)    Cf.    Henri   Basset,  Le   culte   des   grottes,   p.    76  et  note    i . 


i08  c\m.\.\ 

|)(tiir  s(Mi  (l(l>;irrass(M\  à  rciiilroif  d'où  ils  soiient,  en  un  poinll  où  ils 
\\v  IVrunl  pas  ik*  dilIkulU'  pour  abandonner  leur-  in(]uiéUinl.  asil(«  (i). 
Comme  louji>uis,  aux  rites  d'expulsion  du  niai  se  luolonl  des  ri- 
tes de  propitialion.  On  l'ait  aux  génies  de  Ciliella  des  olTrand(5s  pour 
attirer  sur  soi  leurs  bonni^s  «j^ràces,  les  petites  ^«^ens  isurtout;  jnais  les 
plus  «ji-raiids  sei^nieurs,  à  l'oee-asion,  oui  iix-ours  à  eux.  A  ce  propos, 
le  peuple  de  Rabat  rajvpelle  volonliers  le  mariage  d'uni  chérit  wazzànî, 
qui  eut  lieu  peu  après  l'arrivée  des  Fjançais.  Queilque  temps  avant 
la  cérémonie,  le  cliéril'  ivissembla  une  nuit  quelques  vieilles  l'emnies 
du  quartier  des  Oudà'ia,  de  la  ville  pro[)rameni  dite  et  des  Toiiai-ga 
—  c'est-à-dire  de  toutes  les  parties  de  Rabat.  Puis  ils  se  mirent  en 
route,  les  femmes  portant  îles  brùle-parfuims,  de  la  résine  et  de  l'en- 
cens. Ils  se  rendirent  au  bord  de  la  nier,  à  l'abattoir,  puis  à  Ghella, 
lieux  entre  tous  liantes  par  les  génies;  ils  y  lirent  des  fuoiigations,  en 
prononçant  cette  formule  : 

" !lah-i:^iin-u^lèkom  ! 

Soyez-nous  propices, 

El  Dieu  vous  sera  propice  ! 

Il  vint  au  mariage  une  affluence  extraordinaire,  et  le  cliérif  reçut 
d'innombrables  oadeaux,  dont  la  ricliesse  est  proverbiale  à  Rabat.  Le 
peuple  est  demeure  persuadé  que  il'éclat  et  le  succès  de  ces  fêtes  furent 
dus  aux  génies,  flattés  de  la  déférence  que  leur  avait  témoignée  un 
liommc  d'une  si  haute  noblesse  religieuse,  et  de  l'invitation  qu'il  était 
venu  leur  adresser  en  pei''sonne. 

Ce  fut  ^ans  doute  un  événement  exceptionnel.  Mais  presque  cha- 
que soir  de  raiinéc,  on  peut  assister  dans  les  ruines  du  sanctuaire 
à  l'une  des  plus  pittoresques  cérémonies  que  l'on  puisse  imaginer. 
Les  femmies  arrivent  par  groupes,  à  la  toimbée  de  la  nuit  :  c'est  le  mo- 
ment propice,  les  génies  vont  sortir.  L'une  tient  un  brasero  de  terre 
cuite.  Elles  vont  d'abord  au  bassin  et  alluirient  deux  ou  trois  bou- 


(ij  On  va  aussi  se  laver  les  cheveux  au  bord  «If  la  nier,  auprès  de  Sidi  Moùsà  ed-Dok- 
kâlî.  L'idée  est  la  même  :  la  mer,  elle  aussi,  est  peuplée  de  génies.  Les  femmes  affir- 
ment en  outre  que  cette  pratique  doit  leur  donner  de  beaux  cheveux.  Ces  deux  explications 
oe  a'excluent  pas. 


LES  GÉNIES  .  409 

ffios  qu'elles  y  laissent  brûler  :  sur  les  braises  du  fourneau,  elles  met- 
tent de  l'eneens,  dont  l'o^lenr  forle  se  répand  et  se  mêle  à  celle  des 
orangers.  Puis  elles  jvonl  à  la  chapelle  funéraire  d'Aboù  'l-Ilasan, 
pour  elles  b;  tombeau  de  Moillaï  la'qoûi),  le  Sultan  Noir.  Elles  s'ap- 
piocbent  avec  respect,  passent  les  mains  sur  les  parois,  les  baisent, 
el  baisen'l  Inut  aiiloiir  les  orosses  picnrcs  éparses  vi\  s'iurlinant  pro- 
foudéluicnt  :  loiil,  dans  ce  lieu,  est  ciuptcint  de  sainteté.  Enfin, 
elles  airiven'l  au  loud)eau.  Les  niaïques  de  respect  redoublent.  Elles 
s'agenouillent  Tune  apivs  Taulic,  baisent  pieusement  le  inarbre, 
el  à  pliisieuis  reprises,  d'un  geste;  lent,  passent  le  pan  de 
leur  lia  ïk  sur  la  pierre.  Puis,  par  terre,  ou  sur  la  stèle,  elles 
laissent  encore  plusieurs  bougies  alluimées,  el,  longues  formes 
blanches,  dans  la  nuit  qui  toimbe  de  plus  on  plus,  elles  vont  à  la  stèle 
de  Chams  ecl-Dohà,  qui  est  Lalla  Chella.  Ce  sont  les  mêmes  gestes, 
les  mêmes  gémi  flexions,  les  mômes  baisers,  les  mêanes  petites  lu- 
mières qui  restent  après  leur  passage.  Elles  en  placent 
aussi  dans  le  mihràb  de  l'ancienne  mosquée  d' Aboû  loûsof.  Et, 
comme  l'obscurité  est  venue,  elles  se  retirent  en  hâte;  il  serait 
dangereux  de  rester  :  la  nuit  est  le  domaine  des  génies,  pour 
qui  a  été  préparée  cette  illumination.  Dams  l'ombre,  sous  les  grands 
arbres,  parmi  les  vieux  murs  couverts  de  verdure,  les  débris  épars  de 
marbre  et  -de  mosiaïque,  c'est,  dans  la  kbalwa  abandonnée  aux  génies, 
un  merveilleux  spectacle  :  au  ras  du  sol,  dans  les  creux  des  murs,  se 
reflétant  dans  l'eau  morte  du  bassin,  une  multitude  de  lumières  clli- 
g-notantes  dessinent  un  décor  de  féerie,  où  l'on  s'attend  à  voir  passer, 
vêtu  d'étoffes  somptueuses,  le  maître  des  lieux,  le  Sultan  Noir. 

Cette  scène  n'est  pas  silencieiise.  Par  dessus  les  murs  de  la  kbal- 
wa, des  chants  arrivent,  des  chants  étranges,  des  chants  profanes 
mêlés  de  psalmodies  :  autour  de  la  fontaine  aux  anguilles  sacrées,  illu- 
minée aussi  de  mille  petites  lumières,  la  vie  s'est  concentrée.  Les  hom- 
mes, devant  la  qoubba  de  Sidi  'l-iMasnâwî,  chanten<t  les  louanges  du 
Prophète;  les  femmes  se  rassemblent  devant  le  mausolée  de  Sidi  lahià, 
tout  éclairé,  et  plus  haiift,  dans  celui  de  Lalla  Ragrâga;  de  la  cabane 
du  vendeur  de  thé  s'échappent  des  chaints  inoims  sacirés.  Chdia,  la 
nuit,  vit  de  sa  vie  véritable,  de  sa  vie  à  la  fois  suiiiatinclb'  el  ])rofane, 
à  laquelle  participent  les  génies  et  les  hoimmes,  ceux-ci  protégés  de 


41^  CïlRLLA 

celtx-là  par  la  pt^ésdticû  dos  «^aitlllis  qui  ohcadrcrlt  la  s'ottrèé,  H  des 
tombeaux  desquels  ils  ne  s'écartent  guère.  Maigre  rinvocalion  ii5pé- 
fcée  du  nom  d'Allah  et  du  Pix>phète,  il  fee  dégage  de  cet  en-semblfe 
une  impression  intense  de  paganisme. 


Parmi  tous  les  moûsaim  qui  se  célèbrent  à  Chella,  l'un  tient  une 
plac€  à  part  (i)  :  car  il  se  fait  en  l'honneur  du  Sultan  Noir  enterré 
dans  la  khalwa,  en  tant  qu'il  est  Moulaï  la'qoûb.  Celui-ci  en  ettet, 
à  Rabat,  comme  dans  beaucoup  d'autres  villes  nord-africaines,  est  le 
patron  des  porteurs  d'eau  {{jarvàbd).  Ils  célèbrent  sa  fêle  chaque  an- 
née au  printemps;  elle  se  prépare  une  semaine  à  l'avance.  Chaque 
jour,  pendant  cette  période,  on  voit  un  cortège  pittoresque  parcou- 
rir lentement  les  rues  de  Rabat.  En  tête,  montés  sur  des  ânes,  quel- 
ques joueurs  de  'ghnita  s'éjTouTnonnent  à  tirer  de  leur  rauque  instru- 
ment le  plus  de  bruit  possible.  A  quelques  pas  derrière  eux,  encadré 
de  porteurs  d'eau  tenant  des  étendards,  s'avance,  majestueux,  un 
taureau,  le  corps  entouré  d'une  grande  ceinture  de  femime,  les  cornes 
enveloppées  d'un  foulard  de  tête.  Derrière  lui,  quatre  membres  de 
la  corporation  portent  un  drap  largement  ouvert,  dans  lequel  on 
invite  les  passants  à  déposer  leur  offrande  :  cette  quête  doit  couvrir 
les  frais  de  la  fête  et,  en  particulier,  l'achat  du  taureau. 

Le  huitième  jour  au  matin,  le  cortège,  dans  le  mêime  ordre,  part 
pour  Chella,  pleine  de  monde.  On  y  arrive  vers  dix  heures.  Tandis 
que  les  joueurs  do  ghaïla  roslont  sur-  Tosplariado,  on  dehors  do  la 
khalwa,  on  fait  entrer  le  taureau  à  l'intérieur  de  celle-ci  et  on  l'égor- 
ge  juste  entre  le  grand  mur  do  la  mosquée  d'Aboû  '1-Hasau  et  le 
tombeau  du  Sultan  Noir.  La  foule  est  épaisse;  sitôt  la  victime  égor- 
gée, quelques-uins  des  assistants,  homimes  et  enfants,  des  femmes 
même,  se  précipitent  sur  le  sang  et  s'en  barbouillent  le  visage.  Le 
taureau  dépecé  est  cuit  sur  place  dans  quelqu'une  des  dépendances 
iqui  bordent  la  mosquée  d'Aboù  '1-Hasan  ;  c'est  le  plat  de  résistance 
du  festin  qu'offrent  à  eux-mêmes  et  aux  confréries  les  garrâba.  La 
khàlw^a,  ce  jour-là,  est  surtout  à  eux,  mais  toute  la  partie  inférieure 

(t)  Signalé  par  L.  Mercier,   op.   cit.:,  p.   iii4-i46.  .,       i    ,. 


LÈS  SAINTS  411 

de  l'enceinte  est  couverte  de  cbs  tentes  iittlproviisées,  c'oUVerturëS 
tendues  entre  deux  arbres  OU  deux  piiqUiets,  à  l'abri  dësiquélles  lés 
fiemmes  peuvent  ^e  divertir  et  prendre  lëUr  part  de  cette  fête  campa- 
gnarde. Ce  ne  sont  paitout  que  chants  et  que  rires;  tandis  que  sut 
l'esplanade,  au  son  des  gliaïla  et  deiis  tambouirs,  les  'IsâWa  (Aïssàoùâ), 
jusqu'au  soir,  -se  livrent  à  leurs  exercices  sauvages  (i). 

Cette  fête  répond  exactement  à  ceilile  que  célèbrent  chaque  an- 
née, en  rhonneur  du  même  patron,  les  porteurs  d'eau  de  certaines 
villes,  comme  Tlnmrcn  (9.)  et  Fès.  Les  éléments  païens  y  tiennent 
une  grande  place;  mais  le  protecteiu-  invoqué  les  couvre  de  l'autorité 
de  son  titre  orthodoxe.  Quelle  que  soit  son  origine,  Moulaï  la'qoûb 
fait  aujourd'hui  figure  d'un  saint  musulman.  Il  n'est  pas  le  seul  à 
Chella  :  il  a  de  nombreux  confrères,  dont  l'origine,  d'ailleurs,  vaut 
la  sienne.  Il  n'importe  :  lorsqu'il  s'agit  d'asservir  —  au  moins  en  ap- 
parence —  les  vieux  cultes  à  ses  lois,  l'Islam  n'est  pas  très  difficile 
sur  le  choix  de  ses  auxiliaires. 

II.  —  Les  saints. 

Selon  une  tradition,  les  saints  de  Chella  seraient  innombrables  : 
((  On  dit  les  rijà'  de  Chella  :  c'est  donc  qu'il  y  en  a  partout.  A  par- 
tir de  la  porte  de  l'enceinte,  le  sol  est  jonché  de  saints;  aussi,  tout 
ie  monde,  sultan  compris,  en  y  pénétrant,  enlevait  autrefois  ses  chaus- 
sures. ))  C'est  un  bel  exemple  de  culte  des  ruines.  Mais,  suivant  la 
croyance  la  plus  courante,  Chella,  comime  beaucoup  d'autres  loca- 
lités ou  d'autres  régions,  possède  sept  patrons  principaux.  On  connaît 
les  célèbres  sab'aloii  rijàl  de  Marrakech;  mais  ces  assemblées  de  sept 
protecteurs  ne  sont  pas  particulières  aux  villes;  on  les  retrouve  en  bien 
des  endroits  dans  les  campagnes.  Tels  sont  au  Maroc  les  sept  saints  des 
Chîyâzuia,  dont  on  doit  visiter  le  sanctuaire  le  môme  jour,  les  sept 
tombeaux  groupés  des  Fovvàràt,  chez  les  Vît  I.Iazzaqa  ;  les  sept  saints  des 
Ait    'Ali,  fraction  des   Ait  Na'man  fies  \h\\  ^Itîr;  ceux  des  Brânes,  et 


1(1)  Le  moûsàm  dés  porteurs  d'caii  ayant  donné  liou  h  quelques  désordres,  l'autorité  l'a 
déëormais  interdit  à  Chella.  La  fête  a  eu  lieu  l'année  dernière  à  la  Zâwiya  de  Moulaï 
Bélqâsem,  à  côté  de  celle  des  Hamâdcha. 


412  LES  SAINTS 

cieux  (In  .);il);il  Tip^hr-mmi,  sur  lesquels  nous  roviondrons...  La  liste 
on  s(M"iil.  loiiiinc.  Tanlol  ils  for.nicnl  un  <»ronpo.  anonynio;  l<;inlol  au 
contraiii'.  cliacnn  a  sa  [MMsonnivIilr.  (rosi  le  cas  dos  protocteiirs  de 
(niiella.  dont  les  sancluaiit^s,  p<»nr  la  j>ln[iail,  se  ^«-l'onjH'nl  anioni'  de 
kl  l'onlaine,   non  loin  de  la   klialwa. 

Li'  plus  vcucic'  ili'  CCS  sainis  ("si  Sidi  laliià.  Il  a  la  (joultha  la  plus 
spaeieaise  (lli»".  (W)).  Soi^-nicii^i'nicnl  cnlpclcnne,  lies  Manclic  el,  hoc- 
dcc  diH  rc.  clic  ^cIcNc  jiislc  dc\  aiil  le  hassin.  Mlle  est  itréeédée  d'nne 
pelilc  plale-rornie  uiaçonncc  oTi  se  Iiounc  ini  f»i'and  aihi-^e,  loil  vé- 
U'éré  Ini  aussi;  r\  \\n\  accède  à  celles  plalcroiunc  pai'  lui  escailicr  de 
quelques  maiclics.  A  l»ien  des  jouis  de  ranuée,  une  nurllitude  de 
l'einjnes  se  pre-^^eiil  dans  la  qoiihha,  sui  la  plale-rorine  cl,  l'escalier, 
car  ce  sont  les  j'eunues  siuloiil  «pii  oui  recours  à  Sidi  laliià.  La 
i^rande  poric  de  renccinle  s'a[)j)elle  eonraiminenl  liai)  Sidi  iali.ià  :  ce 
(]ui  monli'c  rinipoilaiicc  du  eiille  de  vo.  sainl.  Une  fois  pai-  an,  nu 
nioùsaini  se  cclèlu-e  (mi  son  honneur.  Il  cul  lien,  eu  i():>.o,  au  mois 
de  mars;  mais  les  uardieus  des  vei-<T(V|s  prolcslcreul  conlic  le  (  lioix 
de  écrite  dalc.  doul   leuis  oran^M's  (Mirent  à  soiilTrir. 

Il  n'es!  pas  élounanl  de  IrouNcr  eu  un  Ici  Cindroil  un  sancluaire 
Consacr(''  à  Sidi  laliià.  Il  s  ('-K'-ve  jiisIc  au-dessus  de  la  source;  or,  (pioi 
que  cerUains  lellics.  avec,  nu  /cle  pieux,  aient  cIicixIk'  à  faii'c  i\u 
saint,  un  pcrsouna'.j'e  historique  fi),  il  (nI.  hicn  ('vident  qu'il  s'ajjfil  en 
réalité,  couuiic  rariinne  la  cro\aiicc  populaire,  de  Sidi  laliià  hen 
loûnos;  elle  voit,  en  outre  en   lui    uu   [)i'opi|i(''lc   «.   (pii    vivait  ceni   ans 


Cl)  C'i'sl  ;iin*i  qu'on  \nit  (liin"^  <o  porsonnnpc  un  irhro  <1u  siiltan  almnhndc  Aboù  loûsof 
la'qoûb,  I;ilii;i  ;  ou  ciicort'  Ahoù  lî.ikr  1).  laliii'i  Il)ri  Mas'ond,  nô  cti  (j'>'>/ iar>.^,  inorl  en 
727/ri>7,  qui  lui  (|'iji  (le  Grcnad"'  <-l  luourui,  à  .Sah'-,  au  Lérnoi'^na'^c  (riha  el-Khatîb  Lisàn 
ed-dîn,  llii'iln,  U-  Mairo,  Hk),  t.  I,  pp.  •}.i'\  ot  3r>'i,  ot  d'Ibn  cl-Qàdî,  J)orrat.  el-liijâl  'q.  v. '. 
L'opinion  d'un  écrivain  marocain  du  xvii'  si(>cle,  Aboù  'Ali  el-Hasan  cl-Ioûsî  [el-Mohâda- 
rât,  Fès,  il  17,  p.  I7),  est  formelle  :  «  lahiâ  b.  Toùnos,  vénéré  à  Cholla  et  très  popu- 
laire, mais  sur  lequel  on  n'a  aucun  reIl^eig^lem(•nt  ».  Il  est  inlére?isant  en  nriêmc  temps 
de  noter  que  le  culte  rendu  à  Chclla  à  r<>  saint  date  de  plusieurs  siècles.  Le  sanctuaire 
aurait  été  restauré  sous  le  règne  <Iu  sultan  Moulai  'Abd  er-Rahmàn.  —  Cf.  la  longue 
controverse  sur  ridentification  du  personnage  dans  Aboù  landAr,  op.  cit.,  p.  67  sqq.,  et 
la  réponse  de  'Abd  el-Hafî/  el-Fâsî  {el-Intisàr  bi  'l-ii'âhid  el-qahhâr...,  Casablanca,  i34i).  — 
Dans  la  (joubba  de  Sidi  lahiâ  est  enterré  un  savant  de  Fès,  de  la  graiule  famille  des 
Fâsîyîn,  'Abd  el-Kabîr  b.  el-Majdhoûb  el-Fâsî,  mort  en  i29C/i8r7-y,  sur  lequel  cf.  E.  Lévi- 
Provençal,  Les  Historiens  des  Chorfa,  p.  346. 


CÏÏKLLA 


4i; 


414  CliELlA 

avant  Mi^haïunuMl  (i)  ^*.  i'-c  sa'ml,  (IrriNr  (l(^  saiiil  .Icaii-Hiii^lislo,  (^st 
tloMMUi,  j)ar  iin(>  Noic  [o\\\c  noiiinalr.  un  (l(>s  priiicipiuix  inailr(>s  im- 
posés par  rislàm  aii\  ^('iiirs  di^s  (Mii\,  un  sainl  s|M''("ili(iii('  ''''^  s()iirc(\s, 
lorsqu'cllt^s;  no  st>nl  jia^  lluMiualc^.  (^n  connaîl.  son  (•('•Irhic  sancliiaiire 
près  d'Oujda;  mais  aux  wu  irons  anènios  (1(>  llahal,  s(>  IroiiNc  ihk^ 
aiilre  source  consat-n'c  à  cv  s;»inl.  A  Cu^lla,  Sidi  lal.iià  tlissinnulc  le 
cull(>  do  la  fontaine  ou  s'éhattciiL  li)rlncs  el  aîifjfuiMc^s  sî\crées, 

Sidi  '  Vnn'  cl-MasnàwL  <1onl  la  (](vid)l)a  s'ôItm'  à  l'cxlivniilr  de 
res]>lanatle,  de  lauli-e  vCAv  (\\\  lt;\>^<iii,  (sl  en  |KVSse  de  devenir  un 
fri*and  saint  Ineal  ri'  Nous  avons  \\\  ijuil  s'ijnniiseï^  \olo'ntiers  dans 
les  avcnluics  de  elicii  luMir^  de  lrrsor>^;  d'autre  ])arl  c'est  uii  des  |)rin- 
cipaiix  j>alr(ins  des  ////''  de  Habal.  Selon  les  leliivs,  il  aui-ait  cl^é  nn 
savaid  v\  la  nxnindilni-i  de  son  loini)cau  aftiitim^  (pi'il  riait  (dicrif  idrî- 
side  ((  bon  jMonlaï  Idrîs  ech-Chàwî  »  (sic).  Sa  nohilessc  se  coinslitiio 
donc.  ]\îaiis  la  lé«>ende  i«rnorc  C(\s  qualiliés;  elle  rapporte  par  oonlre 
quelques  Irails  qui  nronlrent  la  puissance  de  sa  haiaka. 

Ce  saint,  raconle-t-on,  habitait  Cbella.  Son  sanctuaire  actue]  était 

sa  maison;  il  y  est,  enterré,  ainsi  que  sa  foniinc,  son  Hls  et  son  fière. 

Un  jour,  au  tnm|)s  où  il  vivait  enicore,   un  coupde  de  cigognes  vint 

faire  sein  niil  sur  la  maison  (bi  saiid.  Aîais  riiai'mouie  ne  régnait  pas 

dans  le  ménage.  La  cigogn(;  'inàle   })rii  une  seconde,  épouse,   qui   fil 

subir  de  mauvais  traitements  à   la   première    :  celle-ci   s'en  plaignit 

au  sainl.   Sidi   "l-AIasuàwî  eid    pitié  d'elle;   il   lui   alla  dia    un   mor'ceau 

de  ficelle  auloui'  de  l'aile,  cl  le  imari-cigogn'e,   voyaid,  qu'elle;  poilail 

une  marque  de  la  sollicitude  du  saint,  revint  à  soii  épouse.  L'année 

suivante,  quand  les  cigognes  furent  de  retour  à  Cheilla,  l'on  constata 

que  la  ficelle  s'était  changée  en  un  collier  de  perles   :  devant  celte 

preuve  évidente  de  baraka,  l'on  ne  douta  plus  de  la  sainteté  de  Sidi 

'1-Masnâwî. 

Selon  une  autre  version  de  cette  même  histoire,  quand  la  cigogne 
délaissée  alla  trouver  Sidi  'il-Masnawî,  celui-ci  lui  écrivit  nn  talisman 

(i)  On  le  met  aussi  quelqiiofois  en  rapport  avec  Sidi  boû  Sedra  de  Salé,  qui,  suivant 
le  dicton,  «  adorait  Allah  sur  un  seul  pied  ». 

(2)  Si  l'on  en  croit  les  textes  des  rescrits  de  protection  accordés  par  certains  sultans  à 
ses  descendants  —  l'un  porterait  la  date  de  1082/1671-72,  —  ce  saint  descendrait  de  'Abd 
çl-Malik  el-Watlàsi,  patron  d'Adakhsân  (?)   Cf.  Aboù  Jandâr,  op.  cit.,  p.  iJS, 


I 


LES  SAINTS  m 

qu'il  suspendit  sous  son  aile;  l'année  suivante,  la  cigogne  reconnais- 
sante revint  avec  un  collier  de  perles  qu'elle  jeta  sur  les  genoux  du 
saint.  Ce  collier  serait  encore  entre  les  imains  des  Chorfa  Ragràga 
(et  non  chez  les  descendants  de  Sidi  '1-Masnâwî).  Quand  une  jeune 
fille  se  marie,  elle  le  leur  emprunte  pour  s'en  parer  pendant  la  noce  : 
c'est  un  porte-bonheur  (i). 

Sidi  '1-MasnàAYÎ,  coniuie  Sidi  laliià,  a  son  moûsnm  aiiinud  fré- 
quenté surtout  par  les  rniâ  venus  des  deux  villes,  de  la  banlieue  et 
jusque  des  Châwiyya;  sitôt  dans  l'enceinte  de  Chella,  ils  se  livrent 
à  leurs  exercices  de  tir,  prenant  pour  cibles  des  pierres  ou  des  oran- 
ges. On  y  vient  beaucoiip  aussi  de  Salé,  en  barque  en  remontant  le  Boû 
I^e^reg;  et  c'est  pour  les  Salétins  roccasion  d'une  fête  nautique  (y.)- 

Au  lieu  d'el-Masnàwî  (c'est-à-dire  du  Tâmo}snâ),  quelques-uns 
nomment  cie  saint  eil-Misàwî.  Mais  il  semble  qu'il  n'y  ait  là  qu'un  ca- 
letmbour,  grâce  auquel  les  Mîsâwa,  qui  forment  un  douar  dans  l'Oul- 
ja  de  Rabat,  prétendent  descendTe  du  saint.  Ils  ont  natureillement 
pour  lui  une  dévotion  particulière,  et  viennent  souvent  lui  rendre 
visite. 

De  Sidi  T-Iiasan  el-Tmàni  {[jiljscn-lîmàm),  doiil  la  f|Oubba,  bien 
entretenue,  est  la  première  que  l'on  rencontre  en  arrivant  sur  l'espla- 
nade (fig.  60),  on  ne  sait  à  peu  près  rien.  La  légende,  interprétant 
son  ncim,  fait  simplement  de  lui  un  imam  de  Chella  (3). 

Ali-déssus  de  ces  qoubba  s'élèvent  celles  de  deux  saintes,  Lalla 
RagrAga  et  Lalla  Simhaja  (/\).  La  lrg(Mide  de  l'une  el  do  l'aulre  est  for^ 
maigre.  L'on  dit  de  la  première  : 

lalla-r'^  gràga, 
"Ihîl-  '  sfhbàgal 

Lalla  Ragràga, 

(Semblable  aux)  chevanx  qui  Inllcnt  de  AÎlesse! 

(i)  Nous  n'avons  pu  obtenir  confirmation  de  ce  renseignement. 

(â)  Sur  ces  fêtes,  cf.  L.  Brunot,  op.  cit.,  p.  98-99. 

C^)  Aboù  Jandâr  [op.  cit.,  loc.  cit.)  voit  dans  ce  personnage  un  imàm  de  la  Grande 
Mosquée  de  Rabat,  petit-fils  de  Sidi  Ahmed  ech-Charif,  enterré  à  Rabat,  à  Bâb  Ouqàsa. 

(4)  Ce  sont  les  deux  qoubba  mérinides  dont  il  a  été  question  plus  haut.  La  qoubba 
tlén  entretenue  est  celle  de  Lalla  Ragràga. 


416  rUFLlA 

et  de  la  seconde  : 

l.alla  Sanhàja. 

(hii  exauce  tous  les  mvu.v  ! 

De  collo-ci,  on  raioiilc  en  onire  que  pe.iidanl  sa  vie,  (^lle  ne  se 
refu^ail  à  personne;  c'esl  loiill,  re  <|ne  l'on  sait  d'elle,  (le  n'est 
pas  li»'s  original.  I.e  lln-nie  «le  la  proslilnée  san<liliée,  si  fréqneul  <hnis 
1  lia^io^raj)liie  nord-al i  ieaine,  est  venu  sans  peine  e;\|)liqner  l'i'xi^^- 
teiKM'  (le  celle  saiiile.  <lonl.  ]>(>nr  cause,  on  ne  isavait  rien. 

pour  causi>  :  cai-  nous  axons  loiiles  raisoms  die  penser  (in'eTi  réalilé. 
le  culle  <lc  ces  deux  s.iiinles  l'eninies  inconnues  représente  'chacuii, 
aujourd  liui,  celui  de  toid  un  ^noupe  de  persoinnageis,  et  de  person- 
na^M's  niascnJins  :  les  rijdl  liayn'n/ti  et  les    rijnl  Sunhàjd. 

Les  ])reniiers  sinMont  sont  célèl)res.  On  coiiiiaît  la  légende,  rap- 
porté»^ j>ar  el-Kallàni  dans  la  Saiiral  <-l  anjus  (i),  d'après  laquelle,  au 
lenips  où  \i\ail  le  rropMMc,  ^ept  li(Mnniesdes  TlagrajJi'a  {?.) ,  avertis  par 
une  inspiratitdi  d'en  liaiM,  allèreid  le  Irouvci"  dans  son  lointain  Oiient. 
Le  Prophète  leiu'  adressa  la  parole  en  herhère  et  les  rcînvoya  conver- 
tir h'urs  conipalrioles.  Depuis,  les  saints  IVa^^rào-a  sont  fort  honorés  . 
on  les  retrou\e  en  bien  des  points  du  Maroc,  et  le  plus  souvent,  en 
«it'oupe.  Ain^i,  leiu'  saiicluaire  des  Aïl  loùsof  où  llalnitno,  chez  h^s  A'i'l 
Na  luàn  lies  jhn  Mlîr,  se  conqjose  de  trois  (|oubl)a  :  à  h'ès,  ils  sont  sept, 
et  Pha^io'ii'aphe  el-Katt;"iuî  donne  Ions  leurs  noms  ;  chez  les  (Ihiyàzina. 
ils  sont  vinn;-t-quialre,  qui  ont  un  rnousani  collectif. 

()uant  aux  '(/''/  S/m/i(iJ(i,  on  les  retrouve  dans  les  niêmies  régions. 
Ils  ont,  chez  les  Oïdàd  hoù-'Azîz  des  Jlokkàia,  trois  sanctuaires  indi- 
viduels {hdU'cli)  ;  on  sait  que  le  premier  s'appelait  'Alî,  le  second  Zaka- 
rivvà',  le  Iroisième  Hoûd,  et  qu'ils  ne  vivaient  pas  tout  à  fait  à  la  mê- 
me époque;  !niais  ils  sont  toujours  cités  onsendiile  :  ils  forment  un 
complexe  hagiographique. 

On  conçoit  que  de  tels  groupes,   généralement  indissolubles  et 

ri)  T.  m,  p.  237-41. 

(u)   Historiquement,  les  Hagrâga  étaient   une  tril^u  ou  vint;  confédération  de  tribus  <jui 
vivaient  dans  les  piaiaes  atlantiqiiea  du  Maroc. 


LES  SAINTS  417 

souvent  composés  de  pei^sonnages  anonymes,  aient  fini  parfois  dans 
l'espril  du  peuple,  par  se  «yuUiéliser  en  un  saint  unique.  Que  ce  f>ei- 
sonna^»-e  soit  devenu  on  même  temps  féminin,  cela  pciut  surprendre 
au  preniiei-  aboiil,  mais  s'ex|jiliqu(î  encore  par  un  ca'l(Mni)our,  gmmma- 
tioal  cette  fois,  né  de  J'idenlilé  de  loiine,  eu  aral»e,  du  collectif  ethni- 
que et  du  féiuiinin  singulier.  Le  nom  restaut  iniimuable,  le  |>ersonna- 
ge  désormais  unique  devait  fatalement  api>araître  féminin  :  l'absence 
de  toute  légende  —  car,  en  dehors  des  villes,  elle  semble  totale- 
ment oubliée  —  favorisait  singulièrement  celte  substitution. 

Celle-ci  resterait  néanmoins  une  hypothèse  incei-taine,  si  le 
hasard  ne  nous  permellaiL  pas  d'en  saisir  ailleurs  sur  le  vif  ini  cas 
absolument  typique.  Dans  le  Jabal  Tigheimmi,  entre  l'Oued  Zà  et  la 
Moulouya,  et  à  mi-chemin  entre  Taourirl  et  Ca^mp-Berleaux,  est  un 
sanctuaire  que  l'on  nonune  indifféromment  es  sab'aUni  rijàl  ou  Lalla 
Sab'a.  Les  «  sept  hommes  »  sont  en  train  de  devenir  «  Madame  Sept  », 
En  vain  les  exégètes  s'efforcenl-ils  d'expliquer  cehle  double  dénomi- 
nation en  disant  qu'on  aurait  enterré  là,  avec  leur  sœur,  six  frères 
dos  Bnî  Oukîl  tués  à  la  guerre  sainte  :  on  aperçoit  très  bien  par  cet 
exemple  le  .niécanisTne  d'un  transfert  aujourd'hui  achevé  à  Ghella. 

Dans  le  haut|de  renceiute  sont  les  i}cu\  hnivilu  de  Sidi  'z-Zàher 
et  de  Sidi  boù  M'îza.  La  légende  met  ces  deux  saints  en  rapport.  L'un 
était  un  voleur  qui  déroba  une  chèvre  à  l'autre,  la  mangea,  puis  affir- 
ma par  seiiment  qu'il  n'était  pas  l'auteur  du  vol.  Au  inomcnt  même 
où  il  se  parjurait  ainsi,  la  chèvre  se  mit  à  bôler  dans  son  ventre.  Cela 
suffit  à  sanctilier  voleur  et  volé  :  leur  baraka  s'était  ainsi  ^manifestée. 
C'est  le  mirachî,  on  le  sait,  qui  fait  le  saint  :  les  considérations  mo- 
rales n'y  coinplent  pour  rien.  Les  saints  voleui"S  sont  (légion ;  et  cette 
légende  même  se  rencontre  sous  des  foilmes  diverses  dans  toute  l'A- 
frique du  Nord.  Le  plus  souvent  cependant,  c'est  quand  Je  voleur  vient 
se  parjurer  à  la  tombe  du  saint  que  le  miracle  se  produit  (i).  Mais 
les  deux  saints  sont  aujourd'hui  fort  abandoninés;  leurs  hawifa,  en 
ruines,  sont  envahies  par  la  végétation. 

Tels  sont  les  sei)t  protecteurs  de  Chelila,  Mais  la  dévotion  popu- 

!  (i)  Ainsi,  par  exemple,  au  tombeau  d'el-Aklidarî  :  fef.  Luciaiii,  Le  Soullam  d'eU 
Aklidari,  Alger,  1921,  p.   17.  La  Icgende  existe  aussi  sous  celte  forme  à  Chella. 


m 


omiiik 


laire  cunnaît  micorc  dan$  roiiceinle  un  aiilrc  puiissîin^  p^i^CHW^lffC; 
il  s'appelle  Sitli  'u-^a'às,  «  Moiiseigiuuir  qui  lail  donniir  >>  — r  c'est,  un 
iragment  de  colonne  soigneusemenl  blanchi  à  la  cliaiix  (lig.  Cj);  l'un 
Noit  soiiMMil  (jurliiurs  h(>u<:i(>s  hrùltM'  i\c\  anl  lui.  Sidi  'u-^a'às  a  ualurel- 
lement  la  répulalion  (h^  procurer  le  sonnncil  à  cimix  que  lauruienle 
l'insomnie.  On  vient  l'implorer  en  lui  adressant  celle  formule  : 

(i-sidî  " }i-n<ii'-as, 

<pl{'fii  "ti-n's<is  h"  Iqidsl 

()  Sidi     n-Na'às. 

|)i)niic  moi  le  sominril,  à  la  lucsinc  noiinalc  ! 


l-'i;;.  01.    —  Sidi    11  .Na"às. 


et  l'on  remet  à  la  moqaddma  de  Sidi  laliià  les  offrandes  de  quel(^ue 
valeur.  Encore  un  exemple  de  €ulle  lilholalrique  :  peut-o.n  s'étonner 
de  le  rencontrer  à  Chella.^  Sidi  'n-Na"âs,  qu'un  siimple  titre  islamise, 
n'est  pas  déplacé  à  côl-é  des  autres  protecteurs  de  l'enceinte.  Son  islam, 
à  tout  prendre,  n'est  i>as  de  plus  mauvais  aloi  :  lui  aussi  a  fait  le  gestp 
de  soumission,  dont  la  religion  officieille  est  bien  forcée  de  se  con- 
tenter (i). 

(i)  On  compte  quelquefois  parmi  les  rijâl  do  Choila  trois  saints  dont  les  qoubba  s'élè- 
vent à  une  petite  distance  au  sud  de  l'enceinte,  sur  un  mamelon  qui  porte  le  npip  du 
plus  vénéré  d'entre  eux,  Iç  Jabal  Sicli  boû  Mnîna.  Ce  Sidi  boû  Mnîna,  à  en  Cfoire  l'kisto- 


LE  PÈLliiUiNAGE  4i9 

5.    —    lij:  l^";i,i:iu\A(;r:. 

Los  saillis  s'elTorcenil  donc,  à  Cliolla  couïiinic  ailleurs,  de  supplan- 
ter les  génies,  on  tout  au  moins  d'étendre  sur  eux  une  autorité  cha- 
que jour  grandissanle.  Mais  une  cérémonie  qui,  du  point  de  vue  de 
l'orthodoxie  pure,  prête  aux  critiques  les  plus  vives,  'montre  enoor<3 
toute  la  puissance  de  l'elmprise  musulmane  sur  un  endroit  sacré  où 
se  sont  rassemblés  tant  de  vestiges  de  l'antique  paganisme  berbère, 
et  l'union  indissoluble  qui  s'est  faite  dans  l'esprit  populaire  entre  les 
prescriptions  de  la  religion  officielle  et  la  vénération  pour  un  sanc- 
tuaire, siège  de  cultes  qui  lui  sont  contraires. 

Dans  les  ruines  de  la  mosquée  d'Aboû  loûsof,  au  plus  profond 
de  la  klialwa,  une  étrange  cérémonie  se  déroule  le  jour  de  'Arafa, 
neuvième  du  mois  de  dlioù  l-hijja  :  c'est  un  jour  essentiel  au  cours 
du  Pèlerinage  de  la  Mokkc  et  la  veille  d'ci-'id  cl~kbii\  la  plus  grande 
fête  de  l'année,  par  laquelle  les  musulmans  du  monde  entier  s'asso- 
cient par  la  pensée  aux  pèlerins  (pii  sacrifient  dans  la  vallée  de  Mîna. 
Donc,  ce  jour  de  'Arafa,  quelques  fidèles  se  rassemblent  en  ce  point 
de  la  khalwa.  Ce  sont  pour  la  plupart  des  hommes  d'humble  condi- 
tion, hiabitant  surtout  le  quartier  des  Touàrga,  quartier  de  pauvres 
gens,  hors  ville,  à  l'intérieur  de  Vagdài  du  Sultan;  ils  viennent  à  peu 
de  frais  faire  ce  qu'ils  considèrent  parfois  comme  l'équivalent  du 
Pèlerinage.  Ils  portent  dos  vêtements  ordinaires,  mais  sont  pieds  nus 
et  tête  nue.  Un  imàm  les  guide  (i);  il  dépose  au  centre  de  l'oratoire 
d'Aboû  loûsof  un  mouchoir,  de  ceux  que  les  pèlerins  rapportent 
d'Orient,  représentant  le  temple  sacré  de  la  Mekke  :  cela  complète  la 
fiction.  Les  hommes  se  rangent  en  file  derrière  lui,  et  le  cortège 
s'ébranle,  s'avançant  de  cette  marche  sautillante  que  l'on  prend  au 
cours  du  vrai  Pèlerinage,  le  s'V//';  [fs  psalmodient  en  chœur  la  formule 
consacrée  que  doivent  prononcer  les  pèlerins  au  début  du  Pèlerinage 

rien  de  Rabat.  ed-Do'ayyif,  serait  mort  en  rajab  i3o5/()  Tnars-4  avril  1791,  et  serait  ori- 
ffinaire  de  la  tribu  des  Swàlem  ;  le  second  saint,  sur  lequel  on  n'a  aucun  renseignement, 
porte  le  nom  de  Sicii  't-Tâghî.  Quant  au  troisième,  Sidi  'Alî  Aboû  'ch-chakâwi 
(ioMc/ic4Adn'j),  il  aurait  compté  parmi  les  disciples  du  célèbre  Aboù  'I-Maliàsin  loùsof  el- 
Fàsî,  mort  en   loiS/iCo/j.  Cf.   Aboû  Jandâr,  op.   cit.,  p.   44-45. 

(i)   C'était  autrefois   un   nommé   Si  .îîiâli  bol-Makkî,  imam  de   Sidi    'l-Qojîrî,   dont  le 
sançtiiaire  se  trouve  dans  la  Sowaïqa  de  Rabat.  11  est  mort  il  y  a  environ  seize  ans. 


420  r.HKJ.lA 

ot  à  Ai'afa  :  lahbdikn'.  (illuhonund  Idhixiil;  !  —  «  Me»  voici,  mon  Dion, 
me  \()ici!  >>  Clomni<i  r<»n  loiinu'  scpl,  l'ois  auloiii'  de  la  Ka'ba,  ils  ront 
sopl  lois  II'  loiir  (lu  milii'àl»,  m  siii\aiil  Iclroil  couloir  (jiii  le  si'part^ 
ih>  la  uiuiailK":  il  louiiicnl  daus  le  siMis  cousacic  :  ils  oui  le  miliiàl) 
à  gau'ilii".  !'<'>  ><'|>l  louis  acIicM's,  ils  l'onl  la  piirrc,  puis  s(vpl  nou- 
veaux lour>,  loujouis  ili'iiièie  l'iniàin  (i). 

La  pailir  religieuse 'de  la  l'èle  esii.  arlie\ée;  le  lolc  de  la  journée  se 
i>assc  eu  i(ioui>sanees  jM'ol'îines.  Les  fcnimes,  en  elïel,  apièis  avoir 
dé[K»>c  leurs  olTiaudcs  ;ui.\  [oud»eau\  des  saiids,  oui  |HV[)aiv  de  quoi 
l'aire  IxMuhaiiee    :  (diclla    [«iciul   son   aspecl.  (|<'s  joiuis  4le  imoùsiami. 

Aujourd'hui,  ce  pMcriiiaj^c  de  \;deur  disciiliihic,  cl  (pu;  les  lel- 
Irés  \oienl  d'ailleurs  d  ini  loil  mauxais  ceil,  csl  de  inoiins  (;n  imoins 
sui\i;  les  «Mil'aids  saïuiiscul  à  eu  imiler  les  rilcs,  oL  le  l'onl  par  |»lai- 
sanlerie.  Mais  la  l'èU*  subsiste,  cl  (luelqncs  lainilleis  \oul.  (Micoie  se 
iliverlir  à  Cdiella,    la    \eille  d'rl   iil     r/-l;hir     ;  c'osl  une  paiiie  de  cailii- 

Lu(>  telle  ccinuioiiie,  où  s'uuisscnl  aussj  clian/^^cuicid,  à  1  (Mienne 
les  riles  de  l'Islam  cl  ceux  i\\i  paijauismc,  n'esl  pas  isolée  dans  l'AI'i'i- 
(pie  du  Nord.  L'oldi^al  ion  cl  les  pralicpies  du  INMerima^'-e,  (pi'ils  ac- 
eomplisseid  poiirlanl  si  laiomenl,  oïd  \i\cmeid  l'rapipé  re'S[Mil  des 
liabilards  de  la  Heibérie.  (îellc  <>bli<^alion  islamique  encore  loul  im- 
prégnée de  sur\i\ances  [Kiï(vniies,  ces  rilcs  à  l'ornu^  si  soiivenl  ma'i^i- 
quc,  c(^s  vesligos  de  cuille  d'une  pici  rc,  d'iiu  ]>uils  ou  d'un  haul-lieu 
n'a^aienl  aïKMme  peine  à  lrou\ci'  [)lace  dans  l'c^niS'endtlc  ilc  Jeuis 
croyances,  sans  les  «uj[>|)laulcr  le  moins  du  uioiidc.  De  là,  par  exem- 
ple, celte  Iradilioii  si  l'récpiciile,  selon  lacpicllc  la  pluie  chargée  (\i' 
baraka  qui  lombe  lors  de  la  période  du  nisàii  cisl  en  lapporLs  'mysté- 
rieux avec  l'eau  de  Ze^nizom  [-j.),  ou  rallii-mation  (pi'à  oerlaims  jours 
de  l'année,  les  puils  sont  en  commumicatioin  a\e(;  ,1e  puits  wacré  de 
la  Mekke.  lyv  l^'i  encore  les  cérémonies  cfjimine  celle  (pie  nous  venoms 
d'étudier.  Il  existe  un  j)(derinage  tout  semblable,  ce  môme  jour  de 
'Amfa,  en    un  autre  sanctuaire  célèbjc   du  Mar(jtc,   celui  de   Moulai 

(i)  D'après  iiiH-  Iniililion  jecucilljc  par  V.  iSicajd  {Guide  du  Maroc,  Paiiis,  1919»  p.  i5y), 
le  Prophète  aurait  prie  liii-uicnK".  dans  cette  mosquée. 

(2)  Cf.  ôgalcnient  sur  le  rapport  de  l'eau  de  'Achoûrû  avec  celle  de  Zemzettiy  E.  Lévi- 
Provençal,  Pratiques  agricoles  et  fêtes  saisonnières  des  tribus  Djebalah,  Paris,  1918,  p.   a3. 


LE  PÈLEBINACE  421 

'Abd  es-Salâm  ben  Macbîch,  le  grand  saint  des  Jbâla,  sur  le  Jahal 
cl-'Ajlaim.  Une  cérémonie  analogue  se  déroule  au  sanctuaire  de  Sidi 
Cliachkàl,  chez  les  Oulàd  Zîd  des  'Abda,  saint  de  moindre  renotm- 
mée,  mais  dont  le  tombeau  est  au  bord  de  la  mer,  sur  un  rocher 
qui  forme  îlot  à  marée  haute;  cette  oirconstance  n'est  vraisem- 
blablement pas  étrangère  à  la  naissance  d'un  culte,  auquel  sont  venus 
se  joindre  ces  rites  de  pèlerinage.  C'est  toujours  le  même  travail  de 
l'Islam,  pour  absorber  les  cultes  anciens. 


Mais  à  Chella,  il  a  fait  mieux  encore.  Chaque  fois  que  le  sultan 
quitte  Rabat  pour  aller  faire  un  séjour  de  longue  durée  dans  quel- 
que autre  de  ses  capitales,  il  va  visiter  les  rijdl  el  blàif,  les  sanctuai- 
res des  saints  des  trois  vitlles.  Cette  ziâra  dure  troiis  jours  :  le  premier 
est  consacré  à  Chella,  île  deuxième  à  Rabat,  le  troisième  à  Salé.  En 
cette  circonstance,  le  sultan,  à  cheval,  se  rend  directement  de  son 
palais  à  Chella.  Il  descend  de  monture  devant  le  sanctuaire  de  Sidi 
lahià  et  pénètre  successivement  dans  les  trois  qoubba  qui  bordent 
Tesplanade  ;  celles  de  Sidi  Lahsen  el-Imàm,  de  Sidi  laliià  et  de  Sidi' 
I-Masnàwî.  Chacun  des  moqaddem  lui  ofîre  du  lait  et  des  dat- 
tes, en  échange  desquels  il  remet  un  présent.  Ensuite,  pieds 
nus,  il  entre  dans  la  khalwa,  la  parcourt  et  s'arrête  devant  les 
tombeaux.  Peu  de  personnes  le  suivent  :  le  (ià/ib  (chambellan),  les 
vizirs,  le  qaul  mechwàr  et  son  lieutenant,  sa  garde  personnelle,  les 
((  gens  aux  fusils  »  {mwâlin  el-mkâhel),  et  les  «  gens  de  l'ablution  » 
{mwâlin  el-oudoû),  qui  tiennent  ses  chaussures.  La  visite  se  termine 
par  le  sacrifice  d'un  taureau  (i).  Lorsqu'il  revient  habiter  Rabat,  le 
sultan  fait  aux  sanctuaires  des  trois  villes  un  semblable  pèlerinage, 
dans  le  même  ordre  et  avec  les  mêmes  cérémonies. 


(î)  On  sacrifie  ce  taureau  en  lui  coupant  les  jarrets  :  c'est  une  t'argîba.  Sur  ce  mode 
de  sacrifice,  cf.  G.  Kampffmeyer,  Texte  aus  Fes,  in  Mitteilungen  des  Sem.  Jiïr  orient., 
Sprachen,  1909,  p.  3o;  W.  Marçais,  op.  cit.,  p.  879;  E.  Wcstermarck,  Les  Cérémonies  du 
mariage  au  Maroc,  tr.  J.  Arin,  Paris,  1921,  p.  56-57;  E.  Lévi-Provençal,  op.  cit.,  p.  16  «.'t 
note  2. 

HBSPÉB13.    —   I.    II.    —    iy2i.  2S 


422  CIIELLA 

Cet  hommage,  a&siirément,  s'adresse  aux  saints  de  Cholla.  Mais, 
nous  l'avons  vu,  de  Moulai  la'qoiib  à  LalJa  llagrà«j^a,  l'orlliodoxit'  de 
la  plupart  d'entre  eux  apparaît  singulièrejnent  douleuse,  eL  leurs  ori- 
gines incertaines.  Sous  leur  couvert  ou  à  côté  d'eux  se  perpéluenl 
tout  un  paganisme  que  l'Islàm  dissimule  niai,  des  rites  qu'un  lien 
bien  lâche  raltache  à  la  religion  ollicielle,  el  qui  sont  venus  s'iimplan- 
ter  sur  la  tombe  môme  de  ceux  qui  se  proclaniaienL  les  Délenseurs 
de  la  Foi,  dans  les  ruines  d'un  édilice  consacré  à  la  gloire  du  Dieu  de 
rishiim.  Qui  donc  sur  ce  point  l'a  emporté?  Comme  la  végétation 
recouvre  aujourd'hui  les  splendeurs  déchues  de  la  nécro[)o1e  méri- 
nide,  les  vieilles  croyances  païennes  ont  repris  possession  du  sanc- 
tuaire orthodoxe.  Mais  l'Islam,  pour  ne  pas  se  reconnaître  vaincu, 
a  repris  la  lutte  sur  un  autre  terrain;  il  a  fait  siennes  toutes  ces  croyan- 
ces, se  contentant  d'un  semblant  de  soumission  à  ses  saints.  Et,  lors 
de  ces  visites  royales,  les  cultes  de  Chella,  avec  tout  ce  qu'ils  com- 
portent de  paganisme,  sont  dans  leur  ens(;mble  consacrés  officielle- 
ment par  la  plus  haute  autorité  religieuse  qui  soit  au  Maroc. 

Henri  Basset  et  E.  Lévi-Provençal  . 


APPENDICE 


L'inscription  funéraire    d'Aboû  '1-Hasan    à  Marrakech. 

On  a  vu  plus  haut  (page  19)  que  lorsque  le  sultan  Aboû  'l-l.Iasan 
mourut  dans  la  montagne  des  HinJtâta,  son  corps  fut  transporté  à  Mar- 
rakech; le  nouveau  sultan,  Aboû  Inàn,  fit  provisoirement  inhujmer 
la  dépouille  de  son  père  dans  une  dépendance  d'une  mosquée  de  cette 
ville,  le  Jàmi  el-Man:soûr,  en  attendant  de  pouvoir  la  faire  transpor- 
ter et  de  lui  donner  une  sépulture  définitive  dans  la  nécropole 
royale  de  Chella.  Nous  ajoutions,  sur  la  foi  d'un  lettré  indigène,  que 
la  première  mqâbrîyya  d'Aboû  '1-Hasan  était  toujours  à  Marrakech, 
au  célèbre  mausolée  des  Sa'diens. 

Au  cours  de  l'impression  de  ce  travail,  l'un  de  nous  a  pu  vérifier 
sur  place  l'assertion  de  notre  informateur  et  prendre  un  estampage 
de  l'inscription  gravée  sur  la  mqâbrîyya  en  question.  Celle-ci  n'est 
point,  comme  on  nous  l'avait  affirmé,  en  pierre  bleue,  mais  en 
marbre  blanc.  Elle  se  trouve  dans  la  petite  salle  contiguë  à  la  salle 
des  colonnes.  Sa  longueur  est  de  2  m.  17;  sa  hauteur,  de  o  m.  17.  La 
longueur  du  champ  épigraphique  est  de  2  m.  o5;  sa  hauteur,  de 
o  m.  o[\.  L'inscription  porte  sur  chaque  face  une  seule  ligne  d'écri- 
ture, en  caractères  cursifs. 

Face  antérieure  : 


^J 


Face  postérieure  : 


424  CHETXA 

Ji^t   ^il^   ij*  r^   ^^U\    >J1    J    iJl^J    »iiî     *-;.^;    ^^j^^\     J>î^l    ij^V    J^    Ji'j 

Trapuction  : 

La  louange  apparlieni  à  Allah  ! 

Ceci  est  le  premier  tombeau  où  fui  enseveli  nolrt^  Maître,  le  Sullan,  l'ohj-M,  (!<>  la 
miséricorde  divine.  l'Kmir  des  Musulmans,  le  (luerrier  pour  la  Koi  dans  la  Voie  du 
Maître  des  Mondes,  Aboù  l-Uasan,  lils  de  i-.olrc  Mailr(\  le  Sullan,  l'obj  l  de  la 
miséricorde  divine,  l'Émir  des  Musulmans,  le  (jU(Mrier  pour  la  Koi  dans  la  Voie  du 
Maître  des  Mondes,  .Vboù  Sa'ïd,  fils  de  notre  Maître,  le  Sullan,  l'objet  de  la  misé- 
ricorde divine,  l'Kmir  des  Musulmans,  le  (îuerrier  pour  la  l"'oi  dans  la  Voie  du 
Maître  des  Momies,  Aboù  loùsof  la'<ioùb,  lils  de  'Abd  el-l.la(|(|.  11  mourut  —  (pi'Al- 
lab  lui  fasse  miséricorde!  —  pendant  la  nui!  du  lundi  au  mardi  vingt-sepi  d\i  mois 
de  rabî'  I  de  l'année  7")?!.  11  fui  enterré  dans  ce  tombeau  béni,  à  l'Iieure  du  'asi  du 
mercredi  suivant,  puis  fut  transporté  au  cimclière  de  ses  nobles  ancèlres  — 
qu'Allah   leur  fasse  miséricorde!  —  à  Cbella,  1(>  seize  jomàdà  1  de  la  mênuï  année. 

Ce  texlte  est  intércss.inL  à  plus  d'un  Lilre.  D'abord,  par  les  dates 
qu'il  reufernie  :  celle  de  la  uioil,  d'Aboû  'l-ljasan;  celle  de  son  iidiii- 
malioii  provisoire  à  Marrakech;  celle  de  son  inluiinaLiou  dôliuilive 
à  Ghella.  La  première,  le  27  rabî'  I  752  =  3/1  mai  i35j,  éLail,  déjà  i'oiir- 
nie  par  l'épilaplie  de  la  nécropole  (épigr.  Jiist.,  n"  (i).  On  a  vu  que 
les  historiens  arabes,  is'ils  sont  d'accord  sur  l'année  du  tlécès,  ne  le 
sont  pas  sur  le  mois  ci  le  quantième  :  on  a  encore  ici  une  confirma- 
lion  de  la  date  fournie  par  Ibn  el-Ahmar.  Ce  fuit  le  surlendemain  de 
la  nuit  de  sa  imort,  que  le  sullan,  déjà  ramené  des  Hintàta,  fui  enterré 
à  la  mosquée  d'el-Mansoûr  à  Marrakech.  On  ignorait  jusqu'à  pré- 
.=enl  pendant  combien  de  temps  sa  dépouille  demeura  dans  cette  ville. 
A  peine  quelques  semaines,  puisque  le  16  jomàdà  I  suivant,  11  juil- 
let i35i,  il  était  transporté  à  Chella.  Mais  la  teneur  du  texte  arabe 
ne  permet  pas  de  distinguer  si  ce*tte  date  est  celle  du  départ  du  corps 
de  Marrakech  pour  Chella,  ou  celle  de  son  arrivée  et  de  son  enseve- 
lissement dans  la  nécropole  royale.  Il  dut  évidemment  s'écouler  dans 
l'intervalle  un  nombre  de  jours  peut-être  assez  considérable. 

On  peut  se  demander  la  raison  pour  laquelle  on  traça  une  inscrip- 
tion sur  une  mqâbrîyya  destinée  à  recouvrir  un  tombeau  vide.  Ce 
fut  sans  doute  dans  un  but  de  pieuse  commémoration  :  on  voulut 
rappeler  que  le  seul  prince  mérinide  qui  à  la  fois  fut  un  sultan  et  un 
saint  avait  reposé  en  ce  lieu  pendant  près  de  deux  mois,  en  atten- 


APPENDICE  425 

dant  qu'on  pût  déférer  à  son  désir  d'être  enterré  auprès  de  ses  ancê- 
tres. Mais  qui  donna  l'ordre  de  faire  graver  ce  texte,  qui  constitue 
certainement  une  exception  dans  l'épigraphie  tunmlaire  nord-afri- 
caine? On  eût  pu  concevoir  une  inscription  votive,  sur  une  pierre  de 
forme  quelconque,  sauf  précisément  celle  d'une  mqâbrîyya.  Fut-ce 
sur  l'ordre  d'Aboû  Innn  ou  de  l'un  de  ses  successeurs?  On  n'a  que 
la  ressource  de  demander  à  l'examen  archéologique  la  clef  de  ce  pro- 
f)lème  (i). 

Les  caractères  arabes  de  cette  inscription,  qu'on  nous  avait  signa- 
lés primitivement  comme  très  frustes,  ne  le  sont  pas  du  tout.  La  cur- 
sive  eimployée  n'a  pas,  à  vrai  dire,  cette  ampleur  vigoureuse  que  l'on 
admire  sur  la  mqâbrîyya  d'Aboû  '1-Hasan  à  Chella;  néanmoins  son 
tracé  est  sobre  et  de  bonne  tradition,  sans  grande  élégancie  mais 
aussi  sans  lourdeur.  La  stèle,  du  modèle  classique,  n'a  rien  de  com- 
mun, ni  par  son  épigraphie,  ni  par  sa  forme,  avec  les  autres  tombes 
du  mausolée  sa'dien.  Elle  est  sûrement  plus  ancienne  que  ces  der- 
nières, et  il  semble  permis  de  la  faire  relmonter,  selon  toute  vrai- 
semblance, à  la  dernière  période  de  la  dynastie  mérinide. 

H.  B.  &l  E.  L.-P. 

(i)  Il  serait,  à  notre  sens,  difficile  de  vouloir,  pour  la  datation  de  cette  inscription, 
tirer  argument  de  la  présence  des  mots  ^r'.^-^  «  tombeau  »  et  ^JjJ"  «  nécropole  »,  au  lieu  des 
correspondants  ^s  d  une  part,  ^•J^i^  ou  à^^^)  d'autre  part,  qui  sont  employés  presque 
exclusivement  dans  l'épigraphie  funéraire  et  monumentale  de  Chella. 


Il 


ACTES  DU  TROISIÈME  CONGRÈS 

DE 

L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES 

7-9  DÉCEMBRE  1922 


SÉANCE  D'INAUGURATION 

TENUE  DANS  L'AMPHITHEATRE  DE  L'INSTITUT 

LE  JEUDI  7  DÉCEMBRE  19S3  A  17  HEURES 


La  séance  est  ouverte  à  17  heures,  sous  la  présidence  de  M.  le  Maréchal  de 
Fiance  Lyautey,  iV  ses  côtés  ont  pris  place  :  M.  Urbain  Blanc,  Ministre  Pléni- 
potentiaire, Délégué  a  la  Résidence  Générale  ;  S.  E.  Si  el-Hadj  Mohammed 
EL-MOKui,  Grand-Vizir;  M.  G.  Hardy,  Directeur  Général  de  l'Instruction 
Publique,  des  Beaux-Arts  et  des  Antiquités  ;  S.  E.  Si  Tohami  Ababou,  Cham- 
bellan de  S.  M.  le  Sultan  ;  S.  E.  Si  el-Hadj  Abou  Cho'aïb  ed-Dokkali,  Vizir 
de  la  Justice  ;  S.  E.  Si  Ahmed  el-djaï,  Vizir  des  Habous  ;  S.  E.  Si  Mohammed 
EL-HAJOui,  Délégué  de  S.  E.  le  Grand  Vizir  à  l'Enseignement  musulman. 


Discours  de  M.  G.  Hardy,   Directeur  Général  de  l'Instruction  Publique. 

Monsieur  le   Maréchal,   Excellences, 
Mesdaiies,    Messieurs, 

On  pourrait  s'étonner  de  nous  voir  tenir  des  Congrès  périodiques.  Nos  séances  mon- 
siR'lles  sont  parfaitement  régulières  et  fort  actives,  et  notre  Bulletin  fait  apparaître,  cha- 
que trimestre,  le  résultat  de  nos  travaux.  Par  ailleurs,  nos  Congrès  sont  modestes,  sans 
banquets  ni  réceptions,  tout  juste  émaillés  de  quelques  discours  rituels.  Est-ce  donc  par 
simple  esprit  d'imitation  que  nous  avons  institué  et  que  nous  maintenons  cette  solennité  ? 

Non  certes,  et  nos  intentions  sont  bien  déterminées  :  ce  que  nous  cherchons  sur- 
tout  dans   le    Congrèg    annuel,    c'est    l'occasion,    c'est    l'obligation    d'un    inventaire,    bien 


4-28  Ar.Tl.S  mi  TTl-  CONCRËS 

mieux,  d'un  exarrw'n  de  conscience,  —  mieux  encore,  d'une  confession  publique.  Car 
nous  protiondons  ne  point  vivre  dans  des  tours  d'ivoire  et  nous  Irouvona  naturel  et 
juste  de   rendre   nos  eoniples. 

Il  suit  de  K\  que  la  sincérité  représtcute  notre  prenùer  devoir  de  confrressistes. 
•n'II  arrivait  (]u'iiiie  de  nos  cnlreprises  fût  inanquée  ou  relardée,  si  par  liasard  noire 
année  avait  été  une  année  s^ehe.  nous  serions  tenus  de  le  dire,  et  nous  le  dirions. 
\insi  noiis  trouvons-nous  autorisés  A  noter  sans  fausse  modestie  les  parties  de  notre 
lAeho  qu'on  peut  i'>linuM  riissic^s,  et  xolci,  pour  i()>>,  ce  cpio  nous  pouvons  porter  à 
noire   actif    : 

J'annonvais,  lors  du  deniier  cunur^s,  a  un  rcnroicenuMil  des  organes  ceiilraux,  en 
ni'me  temps  qu'une  liaison  plus  étroite  et  continue  avec  les  organes  extérieurs  ».  Cette 
formide  assez  vague,  lions  l'aNons  précisée  et  traduite  dans  les  faits  :  au  lieu  <ic  se 
juxtaposer  sinipleinenl  à  l'Idole  supérieure  do  Langue  arabe  vl  de  Dialoclcs  berbères,  l'ins- 
titut des  Ilaiit(>s-Klu(les  Mar((aiiies  l'a  toid  à  fait  al)sorl)ée;  l(>s  ]Hofesscurs  de  l'école 
sont  devenus  les  direct<Mus  d'études  de  l'Institut,  l'organisation  du  travail  scientifique 
a  pris  ofliciellenuuit  le  pas  sur  la  besogne  scolaire,  et,  dans  les  ])rincipaux  centres  du 
Maroc,  des  conutés  locaux  ont  été  chargés  de  grouper  les  chercheurs,  de  conduire  les 
enquêtes  de  détail,   de   tendre   sur   le   Protectorat   tout  entier   un   rets   souple   et  pcrmainent. 

D'antre  j)art.  nos  rapports  avec  les  milieux  savants  indigènes  se  sont  resserrés  et 
régularisés,  et  je  saisis  au  passage  l'occasion  de  remercier  bien  vivement  S.  E.  Si  El 
Iladjoui,  na'ib  du  Grand  Vizir  à  i'insirucliou  PubTique,  qui  a  suivi  toutes  nos  réunions 
et  de  q»u  la  science,  l'activité  persévérante  et  la  cointoisie  nous  furent  d'un  secours 
constant  daus  cette  coordination  <les  efforts;  le  présent  Congrès  se  terminera  par  une 
séance  exclusi\(Muent  indigène,  q»ù  pron\et  d'être  fort  intéressante  et  nourrie  et  dont 
la  nouveauté  ne  passera  certainement  pas  inaperçue  aux  yeux  du  monde  musulman. 
Au  surplus,  cette  collaboration,  si  désirable,  va  se  trouver  singulièrement  facilitée  et 
consolidée  par  la  création  de  notre  cnseigneimcnt  supérieur  musulman,  qui,  lui  aussi, 
a  pris  celte  année,  au  sein  même  de  l'Institut,  une  forme  arrêtée  et  fort  originale  et 
qui  permet  d'espérer  toute  une   renaissance  marocaine   des   sciences  proprement  islamiques. 

Le  pont  que  nous  rêvions  de  lancer  vers  la  France  a  été  inauguré  par  d'illustres 
visiteurs  :  MM.  Diehl,  Maie,  Gsell  et  Augustin  Bernard,  qui,  en  octobre  1921,  ont 
accepté  d'être  les  hôtes  de  l'Institut  et  qui,  depuis  lors,  n'ont  cessé  de  lui  manifester 
une  active  sympathie.  Le  même  pont  devait,  cet  automne,  être  emprunté  par  une  grande 
caravane  géographique,  eoniposée  de  grands  noms,  et  que  la  grève  des  inscrits  a  sim- 
plement  relardée.    Il   est   clair,   en    somme,    que    nous   avons   cessé   d'être   des   isolés. 

II  semble  aussi  que  nos  méthodes  de  travail  aient  franchement  adopté  le  sens  que 
nous  désirions  :  il  n'est  plus  personne  ici  qui  se  tienne  dans  son  coin,  couvrant  de 
mains  d'alchimistes  les  secrets  arrachés  au  pays  ou  aux  archives;  un  bel  esprit  d'cntr'aide 
règne  dans  la  maison  ;  sans  que  sa  personnalité  soit  le  moins  du  monde  menacée,  cha- 
cun peut  compter  sur  les  eonwils  ou  les  recherches  accessoires  du  voisin,  et  il  est  tel 
dt  nos  travaux  qui,  signé  d'un  seul  nom,  représente  un  très  curieux  effort  collectif;  Bien 
mieux,  nos  étudiants  sont  méthodiquement  familiarisés  avec  cette  conception,  h  la  fois 
très  ancienne  et  très  moderne,  de  l'équipe  scientifique;  pour  ne  citer  que  cet  exemple, 
les  élèves  du  cours  de  dialectologie  arabe  ont  entrepris  en  commun,  sous  la  direction  du 
professeur,  une  étude  sur  le  travail  du  cuir  à  Rabat,  qui  marche  à  grands  pas  et  qui 
leur  donnera,  en  même  temps  que  de  bonnes  habitudes  d'ciupièle  et  de  composition, 
le  goût  de  la  recherche  libre. 

Notre  outillage  s'est  perfectionné  ;  nous  avons  ouvert  un  centre  de  documentation 
géographique,  encore  modeste,  mais  qui  dispose  d'une  salle  indépendante,  qui  est  dans 
.ses  meubles  et  qui,  par  de  menus  miracles  d'ingéniosité,  niihile  de  plus  en  plus  son  droit 
à   l'existence   et   à   l'extension.    Nous    avons   également   amorcé,    avec    le   concours  du    Ser- 


DE  L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES  429 

vice  des  Monuments  Historiques  et  du  Service  des  Arts  Indigènes,  un  laboratoire  d'his- 
toire de  l'art,  qui  échangera  des  documents  avec  les  institutions  similaires  de  la  France 
et  de  l'étranger  et  nous  donnera  les  moyens  d'étudier,  d'une  manière  vraiment  scien- 
tifique, les  trésors  de  ce  vieux  pays  d'art.  Enfm,  tout  près  d'ici,  les  bâtiments  de  to 
bibliothèque  générale  s'élèvent  dans  les  délais  prévus,  sur  des  plans  tout  modernes,  et 
les  savants  ou  les  simples  curieux,  en  résidence  ou  de  passage  au  Maroc,  y  trouveront, 
avant  la  fin  de  l'aniïée  igaS,  des  conditions  incomparables  de  documentation,  de  paix 
et   de    confort. 

Le  secrétaire  du  Congrès  se  chargera  de  montrer  que  ces  besognes  d'organisation 
n'ont  pas  absorbé  toute  notre  activité  ;  la  liste  des  travaux  parus  qu'il  est  en  mesure 
do  citer  est  impressionnante,  tant  par  la  quautité  que  par  la  qualité  et  la  variété;  la 
linguistique  et  l'ethnographie  gardent,  sans  doute,  une  place  considérable  dans  l'ensemble 
de  nos  recherches,  mais  les  autres  sciences,  et  notamment  l'histoire  proprement  dite, 
rarchéologie,  l'histoire  de  l'art,  la  géographie,  commencent  à  manifester  une  vigueur 
singulière,  et  tout  indique  que  nous  touchons  à  ce  rapprochement  des  divers  domaines, 
à  cette  association  et  cette  confrontation  des  méthodes  qu'en  1920  nous  présentions 
comme   un   des   buts   principaux   de    nos  efforts. 

Or,  c'est  là,  à  mon  sens,  ce  qu'il  y  a  peut-être  de  plus  intéressant  dans  les  nésul- 
tats  actuels  de  notre  entreprise  :  pour  établir  notre  bilan  réel,  il  ne  faut  pas  tenir 
compte  seulement  de  ce  que  nous  bâtissons  ou  de  ce  que  nous  publions  ;  il  faut  y  ajou- 
ter des  acquisitions  peut-être  moins  apparentes,  mais  à  coup  sur  plus  importantes  et 
plus  grosses  d'avenir  :  j'entends  cette  volonté  de  réalisation,  cette  bôlle  passion  intellec- 
tuelle, cette  atmosphère  de  pure  curiosité  et  de  noble  émulation,  qui  s'affirment  davan- 
tage de  jour  en  jour  et  qui  nous  attachent  les  uns  et  les  autres  de  plus  en  plfus  étroi- 
tement à  l'œuvre  commune.  S'agit-il  de  meubler  les  séances  du  Congrès  ?  Les  commu- 
nications proposées  surabondent.  Veut-on  dresser  le  plan  de  campagne  de  1928  ?  Un 
quart  d'heure  suffit,  car  chacun  est  en  quelque  sorte  sous  pression  et  ne  demande  que 
le  temps  de  classer  ses  notes. 

Est-ce  à  dire  qu'il  n'y  ait  pas  d'ombres  à  ce  chùr  tableau  ?  En  voici  deux  au  moins    : 

L'une,  c'est  l'irrégularité  de  notre  Bulletin  :  trois  numéros  compacts  vont  paraître 
loup  sur  coup,  —  ce  qui  est  nettement  regrettable,  et,  s'il  est  juste  de  noter  que  la 
mise  en  train,  par  suite  de  quelques  -svccidents,  a  été  un  peu  tardive,  il  n'est  pas  moins 
nécessaire  de  demander  aux  auteurs  plus  de  régularité  et  de  rapidité  dans  la  correction 
et   la  livraison  de  leurs  chères  épreuves. 

L'autre,  c'est  la  lenteur  de  la  plupart  des  comités  locaux  à  s'engager  dans  la  voie 
que  nous  leur  avons  indiquée  et  qui  pourait  être  si  féconde  en  découvertes.  Nous  devrons, 
en  1923,  appliquer  à  ces  parties  faibles  ou  malades  de  notre  organisme  des  remèdes 
appropriés,   mais   je  me  hâte  d'ajouter  qu'il  n'y  a  pas   là  de  quoi   s'alarmer. 

Vous  nous  restez,  Monsieur  le  Maréchal,  admirablement  fidèle,  et  je  crois  bien  que 
vous  avez  raison  ;  c'est  un  ardent  foyer  qui  s'allume  sur  cette  colline  où  vous  vous  plai- 
sez à  voir,  selon  votre  mot,  une  petite  montagne  Sainte-Geneviève,  —  un  pur  foyer  qui 
ne  brûle  que  des  essences  choisies  et  groupe  autour  de  sa  flamme  des  hommes  de 
bonne  volonté  de  plus  en  plus  nombreux,  français  et  marocains,  bien  décidés  à  s'en^ 
tendre  et  à  se  rejoindre  dans  les  sereines  régions  de   la   science. 

Renan  s'est,  un  jour,  ingénié  à  prouver  qu'on  pouvait  travailler  en  province;  nous 
voulons,  nous,  montrer  —  montrer  une  fois  de  plus,  car  les  devanciers  illustres  ne  man- 
quent pas  —  que  le  travail  intellectuel  et  la  vie  coloniale  ne  sont  nullement  contradictoires. 

Nous  refusons  d'admettre  que  l'excès  de  soleil  coupe  l'appétit  de  lumière,  que  le  cli- 
mat anémie  l'esprit,  que  la  nonchalance  du  milieu  détrempe  inévitablement  les  volon- 
tés, ou  que  l'énormité  de  la  tâche  immédiate  ne  laisse  nulle  place  aux  spéculations 
désintéressées.  Nous  ne  voulons  voir,  sous  des  jérémiades  si  courantes,  que  les  mau- 
vaises excuses  de    fatigués  et   d'impuissants. 


430  ACTES  DU  IIP  CONGRES 

En  revanche,  à  mesure  que  nous  avançons  dans  la  voie  de  la  dôcouvcrtc,  nous  som- 
mes de  plus  ^n  plus  stVluils  par  l'iMemluc  ol  la  nouveauté  d»i  champ  qui  s'offre  à  notre 
examen;  nous  ôpro\ivons  cotte  sorte  de  vertige  dt^licieux,  cet  élan,  cette  exaltation  do 
tout  l'être,  qui  saisit  le  soldat  ou  le  colon  i\  la  vue  des  «  grands  pays  muels  «  qu'il 
lui  faudra  conquérir  ou  défricher.  Nous  savons  aussi  que  le  temps  presse,  que  les  grou- 
pements sociaux,  en  apparence  les  plus  figés  dans  les  moules  du  passé,  peuvent  se 
transformer  brusquement  et  qu'il  est  prudent  de  no\is  hâter,  si  nous  voulons  transmet- 
tre aux  générations  prochaines  une  image  à  pou  pr^s  exacte  des  gens  et  des  choses  qui 
nous  entourent. 

Pourquoi  ne  point  avouer,  enfin,  notre  amhilion  de  devenir,  dans  lu  famille  scien- 
tifique, tout  autre  chose  que  tles  parents  ^lainresi»  l^i  l'rance  s'est  aperçue,  tous  ces 
temps-ci,  que  ceux  de  ses  enfants  qui,  depuis  \u\  siècle,  s'étaient  dispersés  aux  quatre 
coins  du  monde,  n'élaioiil,  aux  jours  diflicil(>s,  ni  les  moins  fidMos  ni  les  moins  utiles; 
elle  s'est  bien  trouvée  des  chefs  militaires  et  <les  adminislraliMirs  qui  avaient  fait  Icair 
éducation  on  Indo-CJiine,  à  Madagascar,  au  Soudan  o\i  dans  l'Afrique  du  Nord  ;  elle  a 
largonient  employé,  pour  sa  propre  défense,  ses  troupes  coloniales;  elle  a  cherché  et 
cherchera  de  plus  en  plus,  dans  ses  annexes  lointaines,  des  éléments  essentiels  de  son 
ravitaillement  alimentaire  et  industriel;  elle  découvre,  en  somme,  qu'en  se  dépensant  au 
delà  des  mers,  elle  a  fait,  sous  une  forme  assez  imprévue,  un  excellent  placeme(nt  et 
ouvert,  en  marge  de  si's  inslitulions  traditionnelles,  une  fraîche  éc-ole,  d'énergie,  d'ini- 
tiativo   et   d'intelligence. 

Or,  ce  rajeunissement  de  la  force  française  par  l'éducation  coloniale,  il  sera  bien- 
tôt tout  aussi  patent  dans  le  domaine  scientifique  que  dans  les  domaines  militaire,  admii- 
nistratif  et  ^onomique.  La  transplantation  impose  à  nos  esprits  cette  fameuse  opu-ra- 
tion  de  la  table  rase,  qu'il  est  si  malaise  de  pratiquer  à  huis  clos;  elle  mous  oblige  à 
traiter  \nic  matière  qui  échappe  ù  nos  habitudes,  cl,  par  lii  même,  h  modifier  nos  pro- 
cédés d'investigation,  à  réfiéchir  sur  nos  méthodes,  à  reprendre  dans  ses  principes  toute 
notre   philosophie   dos    sciences. 

II  me  serait  facile  de  montrer  que,  depuis  le  jour  où  la  France  a  commencé  d'essai- 
mer hors  de  ses  frontières  classiques,  la  science  française  a  directement  profité  de  ce 
mouvement  d'expansion  et  qu'elle  est  revenue  plus  riche,  plus  vigoureuse  de  oos,  étran- 
ges régions  où  sa  fantaisie  semblait  l'égarer.  Le  fait  est  parfaitement  clair  en  ce  qui 
regarde  la  géographie,  les  sciences  naturelles  ou  la  médecine.  Mais  l'cst-il  moins  pour 
les  sciences  morales?  Ne  voit-on  pas  tout  ce  que  la  linguistique  et  l'ethnographie  des 
peuples  africains  et  asiatiques,  par  exemple,  apportent  d'inattendu  et  de  précieux  dans 
la  connaissance  générale  de  l'esprit  humain  ?  Est-il  permis  de  méconnaître  aujourd'hui 
la  part  très  originale  que  ces  peuples  ont  prise  à  l'histoire  du  monde  et  les  grands  pro- 
blèmes de  tout  ordre  que  soulève  l'étude  de  leur  action  ?  Il  semble,  en  vérité,  que,  pour 
stimuler  notre  curiosité  de  chercheurs  vieillissants  et. remettre  au  point  notre  vision  d'oc- 
cidentaux, une  main  providentielle  ait  brusquement  arraché  le  voile  qui  nous  séparait  de 
tout  un  monde. 

Le  rôle  des  savants  coloniaux  serait  donc  éminent,  et  lourde  leur  responsabilité. 
C'est  dire  quel  devoir  de  persévérance  et  de  perfectionnement  leur  incombe,  quelle 
haute  idée  ils  doivent  garder  de  leur  mission,  quel  souci  de  réflexion  et  de  probité  doit 
animer,  soutenir,  élargir  leurs  tâches  d'érudition.  Il  leur  faut  les  fîères  vertus  d'une 
avant-garde  :  l'audace,  l'agilité,  l'esprit  de  sacrifice,  la  résignation  aux  obscurs  dévoue- 
ments, —  tout  ce  qui,  en  somme,  depuis  l'aube  du  monde,  permet  à  la  vraie  science 
de  renouveler  sa  force  et  de  maintenir  sa  noblessse. 
Monsieur  le  Maréchal,  Excellences, 
Mesdames,   Messieurs, 

Je  déclare  ouvert  le  troisième  Congrès  de  l'Institut  des  Hautes-Etudes  Marocaines. 


DE  L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES  431 


Discours  de  Si  el-Hajoui,  Délégué  du  Grand  Vizir  à  l'Enseignement  musulman, 

{Traduction) 

MoNsiEUK  LE   Maréchal,   Excellences, 
Mesdames,  Messieurs, 

Je  vous  remercie  d'être  venus  si  nom"bieux  au  Congrès  de  l'Institut  des  Hautes-Etu- 
des Marocaines. 

La  présence  de  Son  Excellence  le  Maréchal  de  France  Lyautoy,  Résident  Général, 
de  S.  E.  le  Grand  Vizir  et  de  M.  le  Ministre  provoquent  la  joie  intime  et  profonde,  car 
celte  manifestation  prouve  les  progrès  réalisés  par  l'Lnstitut  dans  toutes  les  branches  de 
l'activité   scientiiique. 

Chacun  de  nous  remercie  M.  le  Maréchal  d'avoir  fondé  cet  Institut  et  de  l'intérêt 
qu'il  ne  cesse  de  témoigner  à  la  diffusion  de  la  Science  au  Maroc;  la  constitution  de 
comités  locaux  fait  participer  tout  l'Empire  Chérifien  à  cet  effort.  11  faut  le  remercier 
encore  de  l'aide  précieuse  qu'il  apporte  à  la  collaboration  des  savants  indigènes  et  des 
savants  français  au  Maroc,  car  cette  politique  de  collaboration  et  d'union  présente  des 
avantages   de  tous  ordres  que   la   pratique  a  confirmés. 

La  collaboration  des  savants  spécialisés  et  leur  entr'aide  dans  des  enquêtes  commu- 
nes offrent  une  utilité  à  laquelle  a  fait  allusion  l'orateur  qui  m'a  précédé.  Cette  colla- 
boration donnera  un  essor  encore  plus  vigoureux  à  l'Institut,  car  chacun  profitera  de  la 
spécialité  de   son   collègue.    L'histoire    d'ailleurs   en   donne    des    exemples. 

Car  les  peuples  de  génie  différent,  en  faisant  échange  de  leur  originalité,  sont  arri- 
vés à  des  résultats  remarquables.  En  Orient,  les  Califes  abbasides,  en  Espagne,  les 
Ommayades,  ont  fait  traduire  les  ouvrages  grecs,  persans,  indiens  et  en  ont  tiré  un  pro- 
fit considérable.  Cette  semence  scientifique  a  germé  chez  eux  et  y  a  donné  les  fruits 
que  l'on  connaît. 

L'Europe  à  son  tour  a  traduit  les  ouvrages  arabes,  s'est  intéressée  à  la  civilisation 
cl  à  l'histoire  islamiques  et  s'en  est  servie  comme  peint  de  départ  pour  son  développe- 
ment propre.  Puis  ce  fut  le  tour  de  l'Amérique  et  du  Japon. 

Un  proverbe  vulgaire  dit  chez  nous  :  «  Nos  aïeux  ont  planté  et  nous,  nous  man- 
geons les  fruits  des  arbres  qu'ils  ont  plantés;  à  notre  tour,  nous  plantons  pour  que  nos 
arrière-neveux  mangent  les  fruits  de  nos  arbres.  »  Aujourd'hui,  les  Nations  Musulmanes, 
engagées  dans  une  voie  pratique,  se  sont  mises  à  l'école  des  sciences  européennes.  Que 
nos  frères  marocains  le  fassent  aussi  et  qu'ils  cessent  d'être  figés  dans  des  formu- 
les surannées. 

L'activité  est  la  condition  de  l'amélioration  du  genre  humain;  c'est  par  elle  que 
l'homme  arrive  à  un  résultat.  Les  sciences  ne  cesseront  de  s'accroître,  les  esprits  ne 
cesseront  de  se  confronter  jusqu'au  moment  où  Dieu  voudra. 

Les  disciplines  qui  font  particulièrement  l'objet  de  l'activité  de  l'Institut  sont  l'his- 
toire de  nos  ancêtres,  la  géographie  du  Maroc,  la  littérature  et  l'histoire  marocaines,  la 
dialectologie  arabe  et  berbère;  chacune  de  ces  branches  offre  son  utilité,  car  la 
science  pour  le  moins  vaut  mieux  que  l'ignorance. 

Il  est  nécessaire  que  les  savants  indigènes  viennent  à  cet  Institut,  en  fassent  par- 
tie, soient  au  courant  de  ses  enquêtes  et  de  ses  résultats,  qu'ils  voient  les  trésors  qui  y 
sont  accumulés,  livres,  manuscrits,  collections  et  instruments  de  travail. 

Ces  savants  restent  encore  dans  l'ignorance  des  archives  historiques  et  pourtant 
c'est  dans  la  conservation  des  vestiges  du  passé  qu'est  l'avenir  de  la  science.  11  n'y  a 
pas  de  pays  où  la  population  s'intéresse  aussi  peu  que  le  nôtre  à  son  passé  et  qui  témoi- 
gne  moins  d'intérêt  à  la  conservation  de  ses  archives   nationales. 


432  ACTES  DU  TTl»  CONGRÈS 

S'il  s'agit  de  la  Môsopotamic,  do  l'Irak,  du  Yt^mcn  ou  de  la  Rabylonie,  on  rn  con 
naît  l'histoiro  dt-Hailloo,  grAcc  aux  fouilles  et  aux  diVouvortos  qu'on  y  a  l'ailcs;  il  en  sera 
de  môme  ici.   Combien  y  a-t-il  de  tn^sors  enfouis  dans   los  coins  de  notre  pays? 

L'orateur  qui  m'a  précédé  a  fait  allusion  aux  laboratoires  d'histoire  de  l'art  et  de. 
géographie,  qui  sont  tous  doux  d'une  utilité  incontestable.  De  mèn\e,  il  a  fait  allusion 
il  cette  bibliolh^que  qui.  dans  son  noxiveau  bAtinicnt,  <'onstituera  la  plus  belle  colloo- 
tion  do  livres  du  Maroc.  Ce  son!  Ii\  des  instrunionto  de  travail  qui  serviront  à  l'épanouià- 
stment   de  la  science  maroeaine. 

On  verra  bientôt  les  résidtats  que  nous  procurent  los  réunions  mensuelles  et  les  con- 
grus annuels  comme  celui-ci.  Dans  notre  congrès  annuel,  nous  faisons  l'inventaire  du 
travail  do  l'année.  Puis-o  Dieu  Juslilior  nos  espérances! 

Monsieur  Hardy  a  parlé  de  la  joie  q\réprouveut  los  maîtres  français  i\  se  trouver 
réunis  tous  les  mois  pour  échanger  leurs  idées.  De  môme  nous  formulons  l'espoir  que 
les  lettrés  marocains  apportent  ici  lo  fruit  de  leurs  labeurs  et  (pTils  so  pressent  .\  nos 
réunions.  Que  l'Institut  soit  jiour  les  étudiants  ol  les  savants  dr  Habal  cl  de  Salé  lo  phaïc 
lumineux  qui  éclairera   leurs  travaux. 

Nous  lançons  une  llèoho  qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  allcimlra  son  but  et  nous  nous 
préparons  à  entendre  des  conmuniications  arabes  dont  l'éloquence  le  disputera  à  l'uti- 
lité. L'une  ooncornora  renseignement  indigène,  l'autre  la  littérature  marocaine,  une 
autre  l'histoire  du  Maroc,  et  la  dernière  l'édition  des  ouvrages  arabes.  Ces  conférences 
seront   certainement    goûtées   par    les   esprits    cultivés. 

Tout  cela,  griice  à  la  sollicitu<lo  de  Notre  Maître  l'Imam  —  que  Dieu  étende  sur  les 
créatures  l'ombre  de  sa  iiobl(>  dynastie!  —  Nolie  Soigneur  Ahou  l-Maliasin  Yousof,  fils 
do   Moulay    el-llas;ui. 

Mon   Dii'u   accorde    lui    ton   aiilc    et  tioniio   lui    la   gloire! 


Discours  de  M.  le  Maréchal  de  France  Lyautey. 

M.  le  Marcclial  de  France  Lyanley,  s'adressanl  à  M.  Hardy,  prend  la  parole  en  ces 
termes    : 

Vous  avez  dit  des  choses  excellentes  et  dans  la  meilleure  langue.  Gela  ne  nous  a  pas 
surpris,  car  nous  y  sommes  habitués,  et  ce  que  vous  venez  de  dire  est  comme  tout  ce 
que  vous  dites,  tout  ce  que  vous   faites,  tout  ("e  que  vous  écrivez,   très  bien. 

J'ai  été  très  intéressi''  par  le  discours  de  Si  El  lladjoui.  Non  qu'il  m'étonne  :  je  le 
connais  et  je  sais  ce  qu'il  vaut;  mais  ses  parohîs  ont  pu  surprendre  un  peu  des  auditeurs 
qui  ne  sont  pas  habitués  à  la  population  imligène,  et  qui  ont  dû  être  frappés  par  tant  de 
précision  et  de  documentation.  Comme  il  s'est  abstenu  de  les  entoiuer  de  l'enveloppe 
littéraire,  dont  trop  souvent  se  parent  les  discours  1  C'est  un  véritable  bilan  et  un  véri- 
table programme. 

Je  suis  heureux  de  lui  faire  tout  mon  coinplinicnt.  Je  sais  qti'il  me  comprend,  car 
s'il    ne  parle   pas  encore   le  français,   il  l'entend  parfaitement. 

Je  remercie  M.  Hardy  d'avoir  bien  voulu  témoigner  de  l'intérêt  que  je  porte  à  ce 
que  vous  faites  ici.  Rien  n'est  plus  exact.  J'y  attache  une  grande  importance  et  je  ne 
puis  dire  combien  je  me  réjouis  de  voir  se  créer  ici,  sur  cette  «  petite  montagne  »  œ 
foyer  intellectuel,  déjà  si  florissant  après  peu  d'années  d'existence.  Ce  qui  me  plaît  avant 
tout,  c'est  la  concordance  de  vos  effortls,  soit  en  matière  d'histoire,  d'histoire  de  l'art, 
d'ethnologie,  etc.,  soit  en  matière  de  recherches  artistiques  et  archéologiques,  comme 
celles  qui  s'effectuent  avec  tant  d'activité  sous  la  direction  de  M.  Châtelain.  Il  y  a  de  la 


J 


DE  L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES  433 

part  de  tous  ceux  qui  apportent  le  contingent  de  leurs  connaissances  spéciales  un  effort 
scientifique,   littéraire  ou   intellectuel   tout   à    fait   intéressant. 

Il  est  vraiment  satisfaisant  de  voir  ce  que  nous  voyons  autour  de  nous  :  ici  à  Rabat 
se  fait  quelque  chose  de  très  grand,  de  très  fécond  :  l'association  de  plus  en  plus 
étroite  dos  indigènes  à  vos  travaux.  C'est,  je  croisi  bien,  la  première  fois  que  cela  se 
produit.  Je  ne  voudrais  pas  avoir  l'air  d<;  nous  inetlre  trop  en  avant  et  je  fais  appel 
à  tous  ceux  qui  connaissent  l'Afrique  du  Nord,  mais  je  crois  que  nous  ne  sortirons  pas 
des  limites  de  la  modestie  en  disant  que  cet  effort  commun  des  indigènes  et  de  nous- 
mêmes  n'avait  jamais  été  réalisé  d'une  manière  aussi  constante  ni  aussi  étroite.  Et 
cela   a   la   plus   grande  portée. 

La  continuité,  la  durée  et  la  fécondité  de  notre  établissement  au  Maroc  ont  comme 
condition  absolue  une  multiplication  de  nos  rapports  avec  les  indigènes  :  association 
agricole,  industrielle,  association  d'affaires,  mais  surtout  association  intellectuelle,  celle 
de  l'esprit  et  celle  du  cœur.  J'estime  que  c'est  la  véritable  sauvegarde  du  régime 
de   coopération   de   la   Fraace  et  de   la  nation   musulmane   du   Maroc. 

C'est  une  action  plus  efficace  que  celle  des  baïonnettes  et  des  postes.  Ceux-ci  ont 
eu  et  ont  toujours  leur  rôle,  rôle  essentiel,  effort  admirable,  dont  nul  ici  n'est  plus 
conscient  que  moi;  si  notre  armée  n'avait  pas  fait  et  ne  faisait  encore  ce  qu'elle  fait  tous 
les  jours,  nous  ne  serions  pas  ici  :  c'est  elle  qui  a  donné  à  ce  pays  l'ordre  et  la  sécurité 
qui  n'existaient  nulle  part;  ce  sont  nos  troupes  qui  ont  dressé  ce  rempart  qui  nous  permet 
de  vivre  en  paix.  Mais  cela  posé,  et  quand  ce  rôle  protecteur  et  pacificateur  de  notre 
armée  aura  donné  ses  fruits,  !a  sauvegarde  de  notre  association  sera  dans  ces  travaux 
communs  :  pénétration  de  plus  en  plus  complète  û'i  nos  esprits  et  de  nos  coeurs  ;  je 
tiens    à    le    redire. 

Plus  je  fréquente  les  indigènes,  plus  je  vis  dans  ce  pays,  plus  je  suis  convaincu  de 
la  grandeur  de  cette  nation.  Alors  que  sur  d'autres  points  de  l'Afrique  du  Nord  nous 
n'avons  trouvé  qu'une  poussière  sociale,  conséquence  d'anarchies  antérieures  et  de  carence 
de  pouvoir,  ici,  grâce  à  la  permanence  du  pouvoir  assuré  dans  toutes  les  dynasties  qui 
se  sont  succédé  de  manière  continue,  grâce  au  maintien,  malgré  les  révolutions,  des 
institutions  essentielles,  nous  avons  trouvé  un  empire  constitué  et  avec  lui  une  belle 
et    grande   civilisation. 

Il  y  a  eu  là  une  révélation.  A  notre  arrivée,  on  parlait  des  beaux  monuments  du 
Maroc,  mais  comme  révélateurs  d'un  grand  passé  disparu,  et  nous  ne  soupçonnions 
certes  pas  que  ces  beautés  vivaient  encore.  Nous  en  avons  un  exemple  frappant  dans 
le  domaine  des  arts;  ils  étaient,  disait-on,  perdus  ou  se  perdaient.  Or,  il  a  suffi  de  rame- 
ner l'ordre  pour  que  resurgissent  ces  artisans  et  ces  maîtres  de  l'art.  Il  n'y  eut  pas  à 
ressusciter  l'art  marocain,  il  n'y  eut  qu'à  l'envpècher  de  mourir.  Et  pareillement,  dans 
le  domaine  intellectuel,  à  mesure  que  l'ordre  se  rétablit,  à  mesure  que  nous  pénétrons 
plus  intimement  dans  la  société  marocaine,  nous  découvrons  des  éruditsi,  des  savants, 
des  travailleurs,  des  hommes  éminents  qui  vivaient  jusqu'alors  à  l'écart. 

Mais,  peu  à  peu,  grâce  à  la  sympathie  du  contact,  les  esprits  s'ouvrent  et  se  pénè- 
trent. Sans  doute,  la  barrière  de  la  langue  subsiste-t-elle  encore,  et  j'admire  baucpup 
des  hommes  comme  le  Ministre,  le  Pacha,  les  personnages  notables  ici  présents,  quand 
je  les  vois  assister  à  nos  longues  séances  oii  certainement  bien  des  choses  leur  échappent  ; 
c'est  de  leur  part  un  geste  pirécieux  de  sympathie,  ciar  je  me  rend®  compte  de 
ce  que  ces  réunions  comportent  d'ennui  pour  eux.  Mais  cet  inconvénient  s'atténue  tous 
les  jours. 

Les  grands  travailleurs  qui  font  partie  de  notre  Institut  des  Hautes-Etudes  Marocaines 
sont  en  grand  nombre  des  arabisants,  et  parmi  ceux  qui  ne  le  sont  pas,  beaucoup  le 
deviennent.    Le    français    s'apprend   de   plus   en    plus   parmi    les   notables    marocains,    qui 


434  ACTKS  DU  \\V  CONGRÈS 

l'iLMioraient  quaiul    nous  sommes   arrm'^s.    Bciucoup,   qui   ne   parlent   pas   noire   langue,   la 
comprennent   tr^s   bien. 

La  génération  nouvelle  apporte  ii  l'étude  un  intérêt,  une  volonté  des  plus  louchantes 
el  travaille  avec  nous  la  n\ain  dans  la  main  pour  oonslituei'  \m  véritable  trait  d'urwon. 
F.lle  a,  celle  gonéralion,  l'admiiable  avantage,  en  possédant  le  goiU  de  la  rocherche, 
rn  s'intéressant  airx  questions  les  plus  modernes',  de  rester  hautement  soucieuse 
des  tratlilion*  «le  ce  pays,  amoureuse  «le  son  histoire  et  de  Sii  grandeur.  On  peut  fatrc 
un  très  beau  et  bon  Maroc  en  resU\nt  man>cain  et  musulman.  C'est  sur  celte  génération 
que  je  compte  pour  être  notre  plus  solide  soutien  dans  l'effort  de  collaboralilon  qui 
conliiuuMa   de   s'ilïeehier  ici   entre   musulmans  et  français. 

Vous  avez  to\is  conquis  que  j'aie  tenu  i\  parler,  au  début  de  ces  trois  jours  dc  séances, 
de  ce  senlimont  do  collaboration  iuliino,  cordiale  el  affectueuse  qui  existe  si  profondé- 
ment entre  eux  et  nous.  Nous  jie  ferons  jamais  rien  sans  Ces  liens  iuleilectJuels, 
qui  sont  la  force,  l'honneur  et  la  grandeur  d'une  société. 


M.  Ti-unvssi:  fail  rnsuilo  une  coiiréiviiio  accompagnée  de  j)rojcclions,  sur 
le  décordes  portes  anciennes  au  Maroc. 


SÉANCES  DU  VENDREDI  8  DÉCEMBRE 

Le  Congrès  entre  en  séance  à   lo  heures,  dans  la   Bibliothèque  dc  l'Institut,   sous  la  pré- 
sidence de  M.  G.  Hardy.  11  prend  connaissance  des  commvuiications  ci-dessous  énumérées  (i). 

1°  Rapport  annuel   sur  les  travaux   dc   l'Instilut,  par   M.    Pierre  dc   Clnival. 

2°  Rapport   sur    les   derniers    travaux    d'histoire    littéraire    magliribinc,    par    M.    E.    Lkvi- 

Pbovençal. 
3°  Rapport  sur  la   situation   et  les   tendances   des   arts  marocains,   par   M.    P.   Ricard. 
4°  Rapport  suj-  le  service  des  Monuments  historiques  au  Maroc,  par  M.  Pauty. 
5°   Rapport   sur   la  participation   du   Maroc    au    mouvement   scientifique    international,    par 

M.  le  D""  LiouviLLE,  Directeur  de  l'Institut  scientifique  Chérifien. 

La    séance  est  levée  à    midi- 


La  séance  est  reprise  à  i4  h.  3o. 

Le  Congrès  entend  les  corrununications  suivantes   : 

1**  Sur  la  présence  de  formes  glaciaires  dans  le  Haat-Atlas  de  Marrakech,  par  MM.  Célérier 

et  Charton. 
2**  Le  laniernon  du  minaret  de  la  Koutoubia  à  Marrakech,  par  M.  Gallotti.   Présentée 

par   M.   Lévi-Provençal. 
3*  Souvenirs  d'un  prisonnier  d'el-Hiba,  Marrakech,  1912,  par  M.  le  D'  Guichard.  Présentée 

par  M.  de  Cénival. 
4°  Introduction  à  une  étude  sur  les  monnaies  idrisites,  par  M.  Mareschal.  Ce  dernier  montre 

l'importance  de   la    numismatique   marocaine  pour   l'histoire   des   premières   dynastie.'» 

(i)  Les  rapports  i  à  4  sont  publiés  en  annexes  aux  actes  du  présent  Congrès. 


De  L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES  435 

musulmanes  du   pays,    s'appuie    sur    ceataincs    monnaies    pour    établir    la    tliéoiic    de-j 

titres  khalificns  en  Occident  et  signale  des  erreurs  de  lectures  dans  les  catalogues  de 

monnaies   musulmanes   déjà    publiés.    Observations    de    MM.    Lévi-Provençal    et    Ismaël 

Hamet. 

5"  Les  pierres  debout  de   Moulay   Bou   Azza,  par   M.    le  Capilaiuc   Odinot.    Présentée   \m.v 

M.    Lévi-Provençal.    L'auteur   signale   quelques    monuments   mégalithique»    situés    dans 

la  région  qu'il  administre. 
6°    Les  armes  anciennes  du  Musée  du  Bar  Batha  à  Fès,  par  M.  de  Vigy.  Présentée  par 

M.   Lévi-Provençal. 
7°    Tombeaux    romains    récemment   découverts   à   Rabat,   -pAr   M.    P.    Ricard.    Il    s'agit    de 

sépultures  du   type   classique,   identiques  à   celles  que   M.    Henri    Basset  a  déjà   mises 

à  jour  et  fouillées  à  Rabat,  près  de  Chella.   Celles  qui  sont  signalées   par  M.   Ricard 

ont  été  trouvées  à  200  mètres  environ  en  amont  de  la  sortie  du  tunnel  du  chemin  de 

fer  à  voie  normale,  vers  le  Bou  Regreg. 
8°  Morphologie  du  pays  R.ehanuia,  par  MM.  Célérieti  et  Chautom. 
9°  Contribution  à  l'étude  de  l'art  hispano-mauresque,  par  M.  Catuerine. 

La  séance  est  levée  à  ig  h. 


SEANCE  DU  SAMEDI  9  DECEMBRE 

La  séance  de  clôture  est  ouverte  à  i4  h.  3o.  Elle  est  réservée  particulièrement  aux 
congressistes  indigènes,  lettrés  de  Rabat  et  de  Salé  qui  sont  venus  fort  nombreux.  Son 
Excellence  Si  el  Hadj  Mohammed  el-Mokri,  Grand-Vizir,  prend  place  au  bureau,  entouré 
des  ministres  et  des  dignitaires  du  Makhzen. 

M.  Hardy,  Directeur  Général  de  l'Instruction  Publique,  des  Beaux-Arts  et  des  Antiqui- 
tés, souhaite  la  bienvenue  aux  congressistes  musulmans  et  prie  son  Excellence  le  Grand- 
Vizir  de  bien  vouloir  accepter  la  présidence  de  la  séance. 

Son  Excellence  Si  el-HAJoui,  délégué  de  Son  Exe.  le  Grand-Vizir  à  l'Enseignement 
musulman,  fait  une  conférence  sur  l'enseignement  des  indigènes  au  Maroc.  En  une 
langue  éloquente  et  d'une  clarté  extrême,  il  expose  les  bienfaits  de  l'instruction 
et  montre  que  son  développement  constitue  l'un  des  facteurs  essentiels  du  progrès  au 
Maroc.  Il  note  la  renaissance  des  sciences  islamiques  dans  l'Empire  Chérifien,  en  souligne 
l'excellence  et  montre  la  part  déjà  faite  aux  sciences  exactes,  naturelles  et  morales 
dans  les  programmes  d'enseignement  musulman.  Il  explique  enfin  le  fonctionnement  des 
écoles  de  fils  de  notables,  des  écoles  supérieures  musulmanes  de  Rabat  et  de  Fès  et  de  la 
section  d'enseignement  supérieur   musulman  à   l'Institut  des   Hautes-Etudes   Marocaines. 

Son  Excellence  Si  el-Arabi  en-Nûsiri,  sous-secrétaire  d'Etat  adjoint  au  Vizir  de  la 
Justice,  expose  l'histoire  du  droit  musulman  mâlikite  au  Maroc  et  le  développement  du 
travail  juridique  dans  le  pays. 

Si  Ahmed  Skirej,  juge  au  Haut-Tribunal  Chérifien,  fait  une  communication  sur 
l'histoire  littéraire  arabe  et  insiste  particulièrement  sur  l'évolution  des  genres  poétiques 
dans  les  derniers  siècles. 

Si  Ja'far  EN-NâsiRi,  secrétaire  au  Makhzen,  expose  aux  congressistes  l'histoire  de 
l'imprimerie  et  montre  l'importance  des  apparats  critiques  pour  l'édition  des  textes 
arabes. 

Sur  proposition  du  bureau  et  après  approbation  des  congressistes,  il  est  décidé 
qu'une  séance  purement  indigène  sera  tenue  tous  les  mob  à  l'Institut  des  Hautes-Études 
Marocaines. 


436  ACTES  DU  111"  CONCnKS 

Le  vœu  suivant,  prosontô  par  M.  lo  D""  Liouvii.i.k,  DiivcliMir  i\c  l'TnsUtul  Scionlifiquo 
chérificn,  est  adopté  : 

La  SoclioM  (lo  Gi'oi^napliit-  riiys'Kiiio  du  Co^g^^s  de  lliisliliil  (l(>s  llaulos-Mliidcs  maro- 
caines, considiranl  l'inlt^rôl  non  sriilcnicnl  s<ii>nl  illunio  mais  (l'ulililé  publiquo,  offert 
par  réivido  de  i'Ocrano^najdiie  des  oôlcs  niaioeainc's,  de  Ia«iuelle  (iépcnd  IV'taljlisseinenl 
d'une  carie  des  pôehes  do  l'enipirc  cliérinen,  dôcid»'  de  dcMiiimdcr  ce  soir  an  Congrès  sié- 
geant en  séance  jiléniôre  de  clôture  d'aj)prouver  le  Vdii  siii\aiil  que  la  section  de  Géo- 
graphie approuve  .^   l'inianiniilé. 

«  Qu'il  soil  inslanuncnt  reconuuandé  à  l'Institid  scicidiliquc  cliérifion  de  prendre 
u  les  niesures  nécessaires,  d'accord  avec  le  service  de  la  marine  maixliando  et  des  pèches 
«  maritimes  et  au  In-soin  avec  le  commandement  de  la  marine  au  Maroc,  pour  commcn- 
«  cer  aussitôt  que  possible  les  recherches  relatives  ^  une  carte  lithologiquc  des  eaux  ché- 
«  riliennes.  Cette  carte  qui  devait  résulter  de  la  campagne  océanographique  promise 
«  par  S. A. S.  le  Prince  de  Monaco  au  Gouvernement  chérilien  mais  qui  n'a  pu  avoir  lieu 
«  par  la  mort  de  ce  Souverain,  est  ini  document  indispensable  aux  rechorehes  scientifi- 
«  ques  du  Protectorat  : 

«  1°  par  le  complément   apporté  aux  éludes  géologiques  du   littoral. 

«  3°  par  la  hase  géophysique  indispensable  h  rétablissement  d'une  carte  des  pêches 
«  scientifiquement  conçue,  qu'elle  constitue;  toute  carte  de  pêches  non  précédée  d'une 
«  carte  lithologique  des  fonds  marins  représentant  un  coûteux  instrument  de  travail 
«  dépourvu  des  garanties  de  méthode  qui  peuvent  inspirer  confiance.   » 

La    séance   est    levée   ù    18    heures. 


RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX 
DE  L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROGALNES 

1921-1922. 


Messieurs. 

Une  année  et  domie  a  passé  depuis  notre  dernier  congrès.  Ce  n'est  pas  trop  pour 
consolider  ce  qu'avait  d'un  peu  liàtif  une  création  forcément  improvisée  dans  un  doonaine 
où  presque  rien  n'existait  d'ordonné.  Reconnaissons  que  les  grandes  lignes  esquissées 
dès  les  premiers  jours  étaient  de  proportions  justes,  puisque  nous  n'avons  fait  que 
creuser  çà  et  là  certains  traits,  que  fouiller  certains  détails,  pour  donjner  à  notre 
Institut  une  physionomie  qui  paraît  non  pas  certes  défmilive,  mais  au  moins  stable 
et  vivante.  Constatons  aussi  que  les  résultats  de  cette  année  sont  bien  ceux  que  mous 
faisait  espérer  l'année  dernière.  La  vérification  par  les  faits  nous  engage  à  croire  qu« 
la  route  choisie  était  la  bonne  route.  Sans  en  concevoir  un  orgueil  prématuré,  voyons- 
y  au  moins  de  quoi  alimenter  notre  courage. 

M.  le  Directeur  général  de  l'Instruction  Publique  vous  a  dit  hier  commont  et  selon 
quels  principes  avait  évolué  l'organisation  de  l'Institut  :  ma  tâche  sera  aujourd'hui 
d'en  résumer   pour  vous  les  travaux. 

L'activité  du  groupe  a  pour  manifestation  principale  la  revue  Hespciis,  dont  mon 
précédent  rapport  vous  donnait  l'apparition  comme  prochaine,  et  qui  depuis  lors  a  piiru 
i-égulièrement,  sans  arriver  par  malheur  à  regagner  un  retard  initial,  que  prolongent 
des  difficultés  matérielles.  Hespéris,  alimentée  par  nos  séances  mensuelles  et  par  nos 
congrès  apparaît  comme  le  miroir  de  nos  préoccupations  et  de  nos  recherches.  Les  tra- 
vaux de  chacun  s'y  unissent  en  un  effort  collectif,  dont  le  spectacle  vaut  à  l'équipe  des 
sympathies  et  des  encouragements  précieux.  Ne  croyons  pas  que  le  monde  ait  les  yeux 
fixés  sur  nous  ;  mais  inc  nous  interdisons  pas  un  mouvement  de  satisfaction  légitime,  si 
nous  voyons  plusieurs  des  revues  les  plus  qualifiées  de  France  et  de  l'étranger  signaler 
à  leurs  lecteurs  nos  modestes  initiatives  ;  ou  si  quelques  corps  savants  correspondent 
avec  nous  pour  nous  demander  des  renseignements  sur  notre  organisation  ou  pour  nous 
ofîrir  leurs  publications  en  échange  d'un  service  d^Hespéris. 

Ces  relations  internationales,  que  nous  commençons  à  nouer  par  le  moyen  d^Hcspéris, 
nous  seront  très  profitables.  Elles  sont  pour  nous  la  meilleure  occasion  de  faire  con- 
naître l'objet  de  nos  communes  études,  ce  coin  d'Afrique  du  Nord,  sa  confusie  histoire, 
ses  diverses  civilisatioins,  et  d'assurer  à  nos  efforts  la  plus  large  et  la  plus  sûre  dif- 
fusion. Pour  nous-mêmes  nous  en  retirerons  l'inappiréciable  bénéfice  d'un  horizon  élargi.. 
Nous  ne  voulons  pas  travailler  en  vase  clos,  remâchant  des  préoccupations  purement  lo- 
cales dans  un  Maroc  tenu,  comme  il  a  si  longtemps  voulu  l'être,  à  l'écart  du  reste  du 
inonde.  Nous  désirons  au  contraire  relier  nos  études  à  l'ensemble  des  recherches  aux- 
quelles se  livrent  à  travers  le  monde  des  travailleurs  qu'anime  une  curiosité  proche  de 
la  nôtre.  Nous  cherchons  à  nous  imprégner  de  ce  sens  du  relatif,  qui,  situant  chaque 
HB8PÉRIS.  —  T.  n.  —  1922.  29 


438  AC'IKS  DU  lll"  CONCinfvS 

chose  à  sa  place  dans  le  lablcaii  ilc   l'uiiivcrs,  miiiiiL  nos   nuiins  U'unilés  de  nicsiiio  réelleâ 
et  donne  à  nos  travaux  leur   véritable   valeur. 

Nous  avons  niainlonanl  à  notre  disposition  les  principaux  inslrunienls  nécessaires  à  ce 
travail  de  confrontation.  Tant  par  abonnements  que  par  échange,  la  Bibliothèque  reçoit 
une  centaine  de  revues  françaises  ou  étrangères.  Le  nombre  des  éolniuiges  pourra  encore 
être  accru.  Dès  à  présent  nous  arrive  un  écho  de  tout  ce  qui  se  dit  dans  le  monde  en 
histoire,   on   linguistique,  ci\   géographie,   en   histoire  des   religions. 

Tandis  que  les  apports  réguliers  dos  i)ério(liques  font  .pénétrer  les  préoccuitalions 
du  jour  dans  notre  bibliothèque,  elle  s'efforce,  dans  la  mesure  de  ses  moyens  budgétaire», 
de  combler  ses  principales  lacunes,  el  surtout  de  imetlre  en  valeur  et  de  rendre  utilisables 
les  ressources  déjà  importantes  qu'elle  renferme.  Ui  plus  grande  partie  du  fonds  ancien  de 
l'Ecole  Supérieure  a  été  invi-ntoriée  cette  année,  et  le  catalogue  sur  liches,  résultat  du  travail 
entrepris,  permet  déjà  de  s'orienter  à  travers  les  diverses  série&.  Il  deviendra  bien  plus 
utile  encore  lors(|ue  nous  aurons  lini  de  classer  d'importantes  acqviisilions  récentes,  telles 
que  la  Hibliothètiue  du  Club  allemand  de  Tanger,  et  une  excellente  bLl)liothè(iue  particu- 
lière, constituée  par  un  fouclionnaire  du  Gouvernement  Général  d'Algérie.  Ces  achats 
nouveaux  vont  mettre  à  notre  portée  une  des  plus  inq)ortanles  collections  qui  soient 
consacrées  à  l'Afrique  du  Nord. 

En  même  temps,  la  publication  du  premier  volume  des  Maii,usonls  arabes  de  Habat,  de 
M.  Lévi-Provençal,  donne  droit  de  cité  h  la  nibliolhèque  parmi  les  dépôts  de  livres  ayant 
une  valeur  originale.  Pour  la  première  fois  une  bibliothèque  du  Maroc  est  l'objet  d'un 
inventaire  véritablement  précis  et  scientifique.  Le  e^ilalogiic  de  la  bibliothèque  de  la  mos- 
quée de  Karaouiyine  à  Fès  n'était  qu'une  liste  sommaire.  Celui  des  manuscrits  de  Rabat, 
conforme  aux  règles  les  plus  strictes  que  s'inqK)senl  les  bibliographes,  restera  un  nécessaire 
élément  de  tout  travail  relatif  à  la  littérature  maghrébine.  J'ajoute  qu'il  n'épuise  pas  les 
ressources  présentes  de  la  Bibliothèque.  Aux  544  numéros  qu'il  décrit,  on  pourrait 
en  ajouter  cinq  cents  autres  acquis  plus  récemment.  Ce  sera  la  matière  d'un  second  volume. 
L'année  s'est  d'ailleurs  montrée  favorable  à  la  mise  en  valeur  des  richesses  bibliogra- 
phiques marocaines.  C'est  encore  M.  Lévi-Pkovençai-,  qui  on  collaboration  avec  M.  Bkn 
Cheneb,  a  entrepris  ce  Répertoire  chronolocjiqae  des  éditions  lit}to(jraphiques  de  Fès,  que 
publie  la  Revue  Africaine.  C'est  lui  toujours  dont  la  thèse  réocmmcnt  publiée.  Les  Ilisto- 
riens  des  Chorfa  va  devenir  l'indispensable  guide  journellement  feuilleté  par  tous  ceux 
qu'intéresse  l'histoire  marocaine.  Ceux-là  seulement  qui  ont  appris  à  leurs  dépens  la 
difficulté  des  recherches  à  travers  l'inextricable  échevcau  des  auteins  maghrébins  seront 
à  même  d'apprécier  tout  ce  que  l'ouvrage  de  M.  LÉvi-PiiovENgAL  contient  de  nouveau  et 
d'utile.  Enorme  bibliographie,  études  biographiques  sur  les  écrivains,  critique  de  leurs 
sources,  analyse  de  leurs  procédés,  tout  cela  déblaie  cl  ordoimc  un  terrain  semé  jusqu'ici 
d'erilisajntes    fondrières. 

Pendant  qu'/Zespéris  draine  les  communications  faites  aux  séances  de  l'Institut,  des 
ouvrages  plus  considérables  paraissent  dans  la  colloction  des  Publicalions  de  VInstitut  dua 
Hautes-Etudes  Marocaines.  Quatre  volumes  ont  vu  le  jour  depuis  notre  dernier  congrès. 
Plutôt  que  vous  en  lire  une  énumération,  mieux  vaut  je  crois  passer  en  revue  en  la 
classant  selon  l'ordre  des  matières,  la  production  totale  de  l'année,  de  façon  à  fournir 
un  tableau  d'ensemble  des  travaux  récents. 

Bien  entendu,  la  nature  du  pays  l'exige,  et  la  forme  de  sa  civilisation,  c'est  sous  la 
rubrique  de  l'ethnographie,  du  folk-lore  et  de  la  linguistique  que  se  classent  le  plus 
grand  nonibn-  d<'s  ouvrages  et  des  articles  nouveaux.  L<;  monde  berbère  est  le  principal 
objet  d'enquêtes.  Je  signalerai  dans  cet  ordre  d'idées  l.i  traduction  par  Mme  Arin,  de 
l'ouvrage  de  M.  Westebmakgk  :  les  Cérémonies  du  Mariaçje  au  Maroc,  dont  il  faut  rap- 
procher la  curieuse  note  de  M.  IIougein  Kaci  sur  les  Cérémonies  du  mariage  à  Bahlil;  la 
description  du  Haouach  à  Telouet  par  M.  le  D''  Paris;  l'étude  de  M.  Laoust  sur  La  litlé' 


DE  L'IiNSTl'lUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAKOCAl.NES  439 

rature  des  Berbères,  à  propos  du  livre  de  M.  Henri  Basset;  et  surtout  le  très  important 
article  de  M.  Laoust  ;  i\orns  et  Cérémonies  des  Feux  de  joie  chez  les  Berbères  du  Haut  et 
de  rAnti-Atlas,   nourri  de  documentation  nouvelle  et  d'aperçus  originaux. 

Les  notes  de  M.  Goulven  sur  les  Origines  anciennes  des  Israélites  au  Maroc  résument 
une  question  controversée,  sur  laquelle  le  dernier  mot  n'a  pas  été  dit.  Quant  au  milieu 
arabe  marocain  il  a  surtout  inspiré  cette  année  des  travaux  linguistiques  ;  enquêtes 
lexicologiques  de  M.  Louis  Bkunot  sur  le  Vocabulaire  maritime  de  Hab'il  et  de  Salé  et  sur 
les  Noms  de  récipients  à  Rabat;  manuel  ingénieux  du  même  auteur  pour  l'étude  de  l'arabe 
marocain,  Yallah!  ou  l'arabe  sans  mystère;  et  étude  diaiectologiquo  de  M.  Lévi-Provençal  : 
Textes  arabes  de  VOuarglm.  Rappelons  enfin  que  M.  Laoust  a.  bien  voulu  so  charger  de 
réunir  et  de  résunrer  les  informations  recueillies  au  cours  de  l'enquête  préparatoire  à 
l'établissement  d'une  carte  linguistique  du  Maroc.  Le  travail  se  poursuit.  Nous  aurons 
l'occasion  d'en  reparler,   lorsqu'il  sera  terminé. 

L'histoire  proprement  dite  n'a  pas  été  négligée.  Un  autre  des  travaux  que  l'Institut 
a\iMt  mis  l'an  dernier  à  son  programme,  la  publication  d'un  recueil  de  textes  historiques 
iv^latifs  au  Maroc  dans  l'Antiquité,  verra  bientôt  le  jour.  M.  Raymond  Roger  s'en  est  fait 
l'éditeur  et  y   met    la  dernière  main. 

Tout  en  ec^ntinuant  avec  une  admirable  activité  la  publication  de  ses  Sources  Inédites 
de  VHistoire  du  Maroc,  dont  un  volume,  Espagne,  tome  I,  est  paru  l'an  dernier,  et  dont 
un  autre  volume,  France,  2«  série,  relative  à  la  dynastie  lilalienne,  l.  I,  doit  paraître  pré- 
cisément ces  jours-ci,  le  comte  lleiny  de  Castries  a  encore  trouvé  le  loisir  de  donner  à 
llespéris  un  très  important  article  de  diplomatique  marocaine  :  Les  signes  de  validation  des 
cliérijs  saadiens.  Pour  Hespéris  encore,  M.  Micuaux-Bellaire  a  résumé  l'histoire  des  Confré- 
ries religieuses,  qui  à  certaines  époques  evneiU  une  si  grande  influence  sur  l'histoire 
politique  générale  du  Maroc.  L'étude  d'histoire  méilicale  du  D""  Renaud  sur  La  peste  de 
1799  précise  et  môme  rectifie  en  plusieure  points  les  données  de  l'histoire  tout  court.  Lj 
!>"'  HuGUET,  enfin,  évoque  la  figure  de  M.  <le  Chénier,  consul  de  France  au  Maroc,  auteur 
J'un  bon  livre  de  Recherches  Hiiiioriques  sur  les  Maures,  digne  à  ce  double  titre  de  nous 
intéresser,  mais  dont  le  meilleur  litre  de  gloire  demeure  d'avoir  été  le  père  d'André 
Chénier.  Ces  études  de  détail  préparent  les  Igiivaux  de  synthèse.  En  atU^^ndant  que  l'on 
puisse  leur  donner  l'ampleur  convenable,  le  manuel  d'histoire  du  Maroc,  que  préparc 
M.  Ismaël  Hamet,  rendra  grand  service  aux  étudiants  <"n  mettant  à  leur  portée  les  ren- 
seignements jusqu'ici  épars  à   travers   des  ouvrages  spéciaux. 

La  création  à  l'Institut  des  Hautes-Etudes  Marocaines  d'un  centre  d'études  géographi- 
ques et  d'un  centn;  d'études  d'histoire  de  l'art  correspond  certainement  à  une  orienta- 
lion  nouvelle  des  trav;ni\  de  certains  di;  nos  confrères.  Plusieurs  articles  déjà  publiés, 
plusieurs  autres  qui  vc)nt  l'être,  attestent  dans  ces  branches  une  activité  digne  de  re- 
tenir l'attention. 

Avant  de  se  consacrer  aux  enquêtes  géographiques  spéciales,  telle  que  celle  lude  sur 
les  Merjas  de  la  plaine  du  Sebon,  que  vous  apportera  le  prochain  numéro  d'Hespéris, 
M.  CÉLÉRiER  a  fait  avec  M.  Haruy  une  très  utile  mise  au  point  des  connaissances  actuelles 
^n  matière  de  géographie  maixacaine.  Par  ce  petit  livre,  paru  dans  la  collection  du  Bulletin 
de  l'Enseignement  public  au  Maroc,  les  résultats  acquis  sont  rendus  assimilables  aux  étu- 
diants.   Pendant    qu'ils    s'en    pénétreront,    les    spécialistes    continueront    leur    besogne. 

Nous  possédons  déjà  depuis  plusieurs  années  d'intéressantes  et  précises  études  sur 
les  arts  indigènes.  M.  Ricard  vient',  encore  de  nous  donner  un  article  suir  Les  poteries 
berbères  à  décors  de  personnages,  et  nous  en  promet  d'autres  sur  la  technique  des  tapis. 
Par  contre,  on  ne  peut  signaler  jusqu'ici  qu'un  très  petit  nombre  de  travaux  archéolo- 
giques sur  les  grands  monuments  du  Maroc.  L'analyse  archéologique  exige  entre  l'his- 
torien, l'architecte,  le  dessinateur,  l'épigraphiste,  une  collaboration  de  tous  les  instants, 
qu'il  faut  du  temps  pour  établir.  Dans  ce  domaine  encore  nous  avons  des  résultats  à  coter. 


440  ACTES  Dl)  ill'  llOiNeiUtS 

Hesin'iia  biiiitôl  ixouJia  rang  de  revue  d'art.  L'article  do  M.  G.  Mauvais  sur  La  cliaire  lU 
h:  Cniiitic  Mo.'ii]tu-e  d'Alger  ouvre  la  voie  cl  montre  l'exoiuple.  H  sera  suivi  dès  le  pi\)- 
vhaiii  miiiu-ro  ilo  la  revue  par  l'élude  de  MAI.  Henri  Uassut  cl  Lijvi-I'uovknval  sur  Chella. 
M.  c;.\i.i.oTTi  nous  envoie  de  Marrakech  dos  relevés  oxacls  el  habiles  du  lanlenion  <iiiii 
domino  le  minaret  de  la  Kouloiibia.  iNous  publierons  aussi  des  notes  de  M.  le  D'  l'iiiimoi, 
?ur  Tinniol  et  sa  grande  moscjuéc  ahnohade.  ICnlin  M.  TiiiiuASsii  a  déjà  donné  au  cour*  de 
nos  séances  un  aperçu  dos  travaux  qu'il  propare  ol  dont  ce  que  nous  conuiiissons  nous 
donne    droit    d'atlondro    beaucoup. 

Tiixms  de  tout  cela,  Messieurs,  do  favorables  pixjsages.  L'ôquipe  de  travail  est  désor- 
mais organisée.  Elle  va  coniimencer  à  recueillir  dos  résulUUs.  La  plupart  d'entre  .lous, 
établis  depuis  peu  d'années  au  Marcx-,  oui  dû  s'adapter  aux  objets  nouveaux  de  l'ours 
études,  se  plier  à  un  apprentissage  dont  les  premiers  moments  sont  toujours  un  peu  dé- 
cevants. Tout  engage  à  penser  qu'après  ces  préparations,  voici  venir  la  période  de  rende- 
ment. Il  est  tel  de  nos  confrères  que  je  n'ai  pas  cité  moins  de  cinci  fois  au  cours  de  ce 
lapporl,  pour  cinq  travaux  tous  importants  et  oiiginaux,  <|ui,  prépaies  au  cours  dos  der- 
nières années,  sont  ensemble  venus  au  jour.  Pour  peu  (lUC  l'on  suive  sa  trace,  l'explo- 
ration scientifique  du  Maroc  promet  de  faire  des  progrès  l'apides.  Souhaitons  que  son 
e.\actitudc,  sa  méthode  et  son  ampleur  aré>pondenl  à  l 'intérêt  du  champ  qui  se  propose 
aux    recherches. 

Pierre  de  Cunival. 


LES 
DERNIERS  TRAVAUX  D'HISTOIRE  LITTÉRAIRE  MAGHRIBINE 

(191i-I92i) 


En  paix'ourant  la  «  Hibliographic  marocaine  de  1921  »,  répertoire  qui  paraîtra  désor- 
mais tous  les  ans  et  qui  est  destiné  à  rendre  d'appréciables  services  à  tous  ceux  qui  s'oc- 
cupent de  ce  pays  sous  l'un  quelconque  de  ses  aspects,  les  lecteurs  d'Hespéris  ont  sûre- 
ment été  frappés  par  la  place  minime  qu'y  tient  le  relevé  des  travaux  d'histoire  littéraire 
arabe,  à  côté  de  l'abondance  relative  —  on  ne  saurait  d'ailleurs  trop  s'en  réjouir  —  des 
études  géographiques  et  ethnographiques,  par  exemple.  Il  ne  faut  pas  s'étonner  outre 
mesure  de  celte  pthiuric  et  l'on  doit  ne  la  déplorer  qu'à  bon  escient  :  car  une  lannée 
s'écoule  vite,  surtout  quand  les  spécialistes  ne  sont  pas  nombreux,  et  aussi  quand,  sur 
toute  l'étendue  du  monde  islamique,  tant  de  sujets  appellent  leur  attention  et  leur' 
efforts.  J'ai  expliqué  récemment,  ce  qu'à  mon  sens  il  faut  entendre  par  l'expression  assez 
factice  de  littérature  marocaine.  On  me  permettra  de  n'y  pas  revenir  :  au  point  de  vue 
littéraire,  le  Maroc  ne  constitue  pas  une  unité;  on  peut  dire  tout  au  plus  que  les  pro- 
ductions de  ce  pays  se  ratluchent  au  groupe  des  œuvres  maghribines,  à  la  littérature 
éolose  de  Tunis  à  Fès  et  à  Cordouc  ;  et,  dans  une  revue  d'ensemble,  si  l'on  peut  s'en 
lf»nir  au  seul  Occident  musulman,  il  est  impossible  de  pousser  plus  loin  la  classification 
régionale,  qui,  en  littérature  arabe,  n'a  guère  de  signification  et  de  portée  qu'en  ma- 
tière   historique. 


La  bibliographie  arabe  continue,  ces  dernières  années,  à  faire  l'objet  d'enquêtes,  qui 
viennent  compléter  les  grands  répertoires  des  Ahlwardl,  des  Dercmbourg  et  des  Brockel- 
niann.  Elle  s'attaque  ■ —  et  c'est  là  le  fait  nouveau  qui  nous  intéresse  surtout  —  au  Maroc, 
dont  les  bibliothèques  sont  à  peu  près  inexplorées  ;  elle  y  retrouve  des  œuvres  aussi  bien 
occidentales  qu'orientales,  et  un  grand  nombre  de  manuscrits  inédits  ou  rares.  En  1918. 
M.  M.  Maillard,  dans  la  Revue  du  Monde  Masuhruin,  donne  une  amorce  de  bibliographie 
marocaine  en  publiant,  d'après  une  simple  liste  de  titres,  le  répertoire  des  livres  déposés 
j  la  Grande  Mosquée  de  Tanger  (i).  La  même  année,  un  travail  bien  plus  important  voit 
le  jour,  et  sort  des  presses  mêmes  de  la  vieille  capitale  marocaine  :  le  Calalogue  des  li- 
vres arabes  de  la  Bibliothèque  de  la  Mosquée  d'El-Qaraouîyîn  à  Fès  (2),  établi  par*  des 
uléma  de  celte  université  et  publié,  en  arabe,  par  M.  A.  Bel,  alors  en  mission  au  Maroc. 
J'ai  dit  ailleurs  (3)  que,  grâce  à  ce  travail,  on  est  en  droit  d'affirmer  que  la  vénérable 
librairie  de  la  métropole  intellectuelle  du  Maghrib-Extrèmc  ne  paraît  plus  avoir  conservé 
la    richesse   que   l'on    s'attendait   à   voir   révélée  ainsi   dans  chacun   de    s-cs   détails.    En    colla- 

(i)  Bibllollièquc  de  Jn  <]vnndc  Mnsqurc  de  Tanger,  Essai  (/c  liiblingraphie  marocaine^  in 
Fev.  Monde  Mus.,  année   1917-1S,   p.    to7-i9,3. 

(2)  I  vol.  in-4°,  Fès,  1918. 

(3)  Les  Historiens  des  Chorfa,  Paris,   1922,  p.   10  et  n.   1. 


4\2  AniFs  DU  111'  r,0NnT\r.s 

boratjon  avec  M.  M.  Bf.ncheneb,  j'ai  dressa,  pour  la  Bévue  Africaine,  un  Essui  de  répertoire 
chronologique  des  Jdj/jons  arabes  de  Fl's  i\  so»is  fornio  do  notiros  sur  les  ouvrages  litho- 
srraphù's  ou  iniprim«'s  «lans  »>lti'  ville.  K.nnn,  cvWo  amiu'e  tarmc.  ;»  paru  h\  proniirrc 
s<'rio  ilu  calaloput*  des  Mamiscrils  anihrs  (/<•  lUilitil ,  coMsi'ivt's  ."i  la  liil)lioliir(ni(>  (ii'iu'ralv 
ilii    Protocloi-at,    ôtabli    par    mes   soins   (■>). 

l^n  noJiibro  rolativomonl  oonsid»'mb!c  do  loxios  niaphribiiis  rolalifs  i\  l'iiisloiro  politique, 
h  la  biop^raphio  ou  à  rhapio<;rapbip  ont  «'tjt'>  publiôs  ou  traduits  depuis  i()i/i.  M.  K.  Mi- 
cfiaux-Rkt.i.aiivk  a  leriniiu^  la  traduction  du  JSaclir  i'l-tiinlhât)i  (r('l-(}Adiiî,  jus(|u'à 
la  fin  du  x"  si(\li<  d»^  l'ilégiro  (3),  couipbManl  aiufi  colle  (]n'a\aionl  élalilio  an  début 
de  co  dictionnairo  ba^rloirrajibiquo  doux  allacbés  i\  la  Mission  sciciililitinc  du  Maroc, 
ISnfi.  GnAiii.i.E  cf.  Afvii.i^nu.  Dans  les  Piihlications  de  la  Fnrullc  de/t  Lcllrat  d'Aliter, 
M.Oioorjîes  M\nçA>s,  en  collaboration  a\oc  un  professeur  de  la  niédorsa  do  l'ienicon.  Si 
.\hoù  'AU  el-Gbawtbî.  a  donné,  tMi  lO'T.  nue  é<lition  <ritique,  n\-w.  iuie  introduction  et 
tinc  traduction  annotée,  do  la  finudat  en-nisrin,  pelilo  chronique  uiérinide  due  à  la 
plume  d'un  écrivain  de  naissance  royale,  Ibn  el-Alunar  {/f).  M.  M.  nr:N<.iii:M:ii,  d.ui  5  la 
mémo  colloclion,  a  piddic  le  l(>\le  cl  la  tiadneli<ui  <l(>s  C.hinsi's  dvn  xniuuih  dr  rifrlijiyn, 
par  Aboù  'l-'Arab  el-Tamînii  et  Mobanuned  el-Klioelianî  (.■>^,  et,  1  année  dernière,  le 
texte  aral)P  d'une  <"bronique  niéiiiiido,  inédite  cl  arionxnic,  iiililuiéc  i'ilh-l)li(il;lili(d  cs- 
sanîya.  d'après  un  manuscrit  provoîiani  do  liinis  ((>).  Le  tnénie  saxanl  a,  eu  collalx)- 
ration  avec  M.  A.  Bri..,  pid)Iié  à  Alger,  (>n  ifc'o  (7),  le  début  de  la  TaLmilat  es-nla  d'Iltii 
el-'.\bbAr  qui  manquait  i\  l'édition  donnée  par  K.  Codera  dans  la  liihliollicia.  Araliico-liis- 
potia,  en  iSSf).  de  <el  important  dictionnaire  biojjnipbicpie  andalon  :  c'est  l'im  des  uléma 
les  i)lus  en  vue  du  Maroc,  le  cliérif  Mohanuned  'Abd  el-IIaï  ei-Kall;"ini,  qui  f,nâee  à  im 
manuscrit  <le  sa  belle  bil)liolbè<|uo,  a  jHTmis  an\  dtu\  éditeurs  df  conddor  celle 
importamlo  la<une.  A\ant  dt"  <lonncr  les  lettres  man((iian;,  à  l'édition  Codera,  ils  avaient 
publié  et  traduit  la  préface  <le  la  Tiikmita,  avec  un  comniontairo  biobibliogiaphique  (8). 
Une  version  en  langue  espagnole,  par  A.   lluici.  du  Ra'.\<l  el-qir(ûs  d'Ibn   .\bî   Zar',  déjà 

traduit   en   portugais,   on   latiin,  en   allemand   cl  en    français,    a,   en    1918,  été   insérée   dans 

les   Anales  del   Instituto   qeneral   y    iécnico  de   Valence. 

Tout  récemment,  dans  un  genre  un  pou  <lifférent,  le  manuscrit  d'un  traité  d'hippolo- 
gie, à  la  fois  monographie  du  cheval  de  guerre  et  anthologie  poétique,  IJiliat  el-jnrsân 
wa-chi'âr  ech-choj'ân.  de  'Abd  er-Ra|im;m  Ibn  Ilodhaïl  l'Andalou,  a  été  reproduit  en 
phototypie  par  les  soins  de  M.  L.  MKHcn:n,  qui  (  u  aunoiuo  uni'  haduclion  (9). 

Les    travaux    d'histoire    littéraire   proprement   dite   sont   bien   moins    nombreux   que    les 
éditions  on  traductions  de  textes.   Mais  il  est  à   noter  que  c'est  la   littérature  andalouse  qui 

en  fait  à  peu  près  uniquement  l'objet,   sous  forme  de  «monographies   relatives  à  des  poètes 

du    Moyen-Age.    C'est    d'abord    M.    de    Aldecoa   qui,   dans    les    Archives    Berbères,    publie 
un  court  article    sur  Lisàn    ed-dîn    Ibn    el  Khatîb  ;    le    nom    de    ce  grand  personnage,  vizir 


(i)  Bévue  Africaine,  année  1921,  pp.   i58-i73,   275-290;  année   1922,  pp.  170-175,  333-3/(7 

(2)  I    vol.   in-8°,   Paris     1921. 

(3)  Archives  Marocaines,  vol.  XXIV,  Paris,   1917. 

(4)  T.  LV,  Paris^   1917. 

(5)  T.  LI  et  LII,   Alger,    1920. 

(6)  T.  LVII,   Alger  1921. 

(7)  I  vol.  in-8»,  Alger,  1338/19-20. 

(8)  In  Rei>ue  Africaine,  année   1918,  pp.    306-335.  Cf.  René  Basset,  in  Bii'ista  degli  studi 
orientali,   vol.  VIII,   Rome,    1920,  p.  686-687. 

(9)  I    vol.   in-8°^    Paris,    1922. 


DE  L'INSTITUT  DES  H AUTES-l^.TTJDES  MAROCAINES  443 

hexireux  piii»?  proscrit,  historien  abondant  et  poète  délicat,  est  mêlé  de  très  près  au 
Maroc  à  l'histoire  des  derniers  Mérinides.  C'est  à  Fès  qu'il  troiiv.i  la  mort  <t  que,  trois 
siècles  plus  tard,  El-Maqqarî  lui  consacre  la  plus  grande  partie  de  son  Nafli  el-(îb.  L'étude  de 
M.  de  Aldecoa,  qui  sans  doute  est  à  refaire  sur  un  plan  de  plus  grande  envergure,  n'en 
apporte  pas  moins  une  utile  contribution  à  l'histoire  des  rapports  du  Maroc  médiéval 
et  de  l'Andalousie  lînissanle  (i). 

M.  M.  SouALAii  a  étudié  à  la  fois  la  vie  et  l'œuvre  d'Ibn  Sahl,  ce  poète  espagnol  d'ori- 
gine juive,  qui  ne  craignit  pas  d'introduire  en  poésie  classique  des  anèfres  populaires  tels 
que  le  moi\achchali.  Sa  monographie  pourra  rendre  quelques  services,  de  même  que  sa 
traduction  et  son  édition  d'une  Elégie  andalouse  sur  la  guerre  de  Grenade  (2). 

Dans  le  même  temps,  M.  A.  iCouR  étudie  un  autre  littérateur  andalou  célèbre,  Ibn 
Zaïdoûn,  auteur  d'épîtres  célèbres  et  de  poésies  amoureuses  (3).  M.  Cour  publie  à  la  fin  de 
son  livre,  après  les  avoir  traduites,  la  plus  grande  partie  des  pièces  de  son  dîwân  :  on 
aurait  souhaité  qu'il  réunît  d'un  seul  coup  l'œuvre  poétique  entière  d'Ibn  Zaïdoùn. 
M.  II.  Massé,  dans  Hespéris  (4),  consacre  au  inèmc  poète,  à  propos  du  livre  de  M  Coin- 
quelques  pages  de  cette  psychologie  pénétrante  et  de  cette  finesse  de  forme  que  l'on  avait 
déjà  goûtées,  dans  son  beau  travail  sur  Saadi. 

Tel  est,  à  peu  près  (5),  le  relevé  des  travaux  d'érudition  littéraire  maghribine  depuis 
1914.  La  guerre  mondiale  a  eu,  comme  bian  l'on  pense,  sa  répercussion  sur  les  produc- 
tions européennes  d'orientalisme  :  pourtant  ces  dernières  années  n'ont  pas  été  tout  à 
fait  infécondes.  Le  bilan  des  œuvres  relatives  à  la  littérature  arabe  dans  l'Afrique  du 
Nord  ne  marque  pas,  on  France,  une  régression  :  on  peut,  d'ores  et  déjà,  entrevoir 
pour  un  avenir  prochain,  une  mise  en  valeur  encore  plus  marquée  du  patrimoine  litté- 
raire du  monde  islamique;  le  Maroc,  à  coup  sur,  ne  sera  pas  le  dernier  à  y  collaborer. 


Babat,    3    décembre    1922. 


E.    Lévi-Provençal. 


(i)  In  Arch.  Berb.i  vol.   2,   1917,  pp.  43-87. 

(2)  2  vol.  in-8°,  AlgeTj   i9iii-i'9. 

(3)  I  vol.  in-8°,  Constantine,  1920. 

(4)  Vol.   I,  pp.    183-193. 

(5)  L'auteur  de  ces  lignes  a  récemment  tenté  de  mettre  un  peu  d'ordre  dans  l'imbroglio 
de  l'historiographie  et  de  la  biographie  marocaines  modernes  et  de  définir  la  manière  dont 
les  savants  du  pays  conçoivent  les  études  historiques. 


LES   ARTS   MAROCAINS 

SITUATION  ET  TENDANCES 


Depuis  dix  ans  que  lo  Prolcolorat  français  <>st  («labli  au  Maror,  l<s  arts  marocains 
ont  viv(>ni<?nt  attin'  l'allention  d\i  public  europi-pn.  C'est  qu'ils  ont  encore  du  carac- 
tère, de  l'originalilô,  de  la  vie,  c\  qu'ils  sont  dus  ?i  des  artisans  liabilos  qui  n'ont  pas 
complètemient  oublié  les  techniques  ot  dôcors  d'autrefois.  Il  serait  donc  regrettable  de 
s'cm  désintéresser,  de  les  abandonner  aux  mauvaises  influences  qui  gâtent  le  goût,  de  les 
laisser  succomber  <levant  la  concurrence  c\irop<'enne.  C'est  dans  ce  but.  que  le  Résident 
Général,  soucieux  de  mettre  en  valeur  toutes  les  forces  vives  du  pays,  s'en  est  préoccupé 
dès    1912. 

Si  l'on  jette  un  coup  d'œil  sur  le  passé,  on  constate  que  le  Maroc  a  une  histoire 
artistique  des  plus  honorables.  Les  dynasties  sucrossives  qui  y  ont  rô^nic  <l('pnis  pins  d'un 
millénaire  ont  légué  aux  générations  un  patrimoine  archéologique  parfois  considénvble. 
Parmi  les  Idrissides,  Zéirètes,  Almoravides,  Alnudiados,  Mérinides,  Saadiens,  Alaonites, 
il  est  <les  noms  fameux  connus  non  seulement  pour  leurs  hauts  faits,  mais  encore  pour 
leur  faste  et  Icxirs  moniuments.  Les  Mérinides,  enlie  autres,  ont  doté  certaines  villes  maro- 
caines d'édifices  rejna«]uables,  témoins  glorieux  d'une  période  cxtrfimoment  florissante 
et  raffinée.  Los  gens  que  favorise  la  fortune  suivent  encore  leur  oxem|)le  dans  la  cons- 
truction de  leurs  demeures  et  de  huns  palais. 

Les  industries  d'art,  plus  périssables,  ne  furent  pas  non  plus  négligées.  Dans  un 
cadre  riche  et  somptueux,  s'introduisit  un  ameublement  qui  devait  être  en  rapport  avec 
l'architecture.  Par  ce  qui  en  subsiste,  par  ce  qiii  s'exécute  encore  aujourd'liui,  on  peut 
se  faire  une  idée  de  ce  qu'était  le  luxe  marocain. 

On  eut,  par  exemple,  le  culte  des  tapis.  D'abord  importés  d'Orient,  ceux-ci  ornèrent 
les  mosquées,  les  palais  et  les  maisons.  Un  pou  tardivement,  on  se  mit  même  à  les  imiter 
à  Rabat.  L'Asie  Mineure  fournit  les  modèles.  Sans  doute,  la  composition  et  les  motifs 
ornementaux  subirent  quelques  changements.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  les  ouvrières 
rc'alisèrent  des  œuvres  du  plus  haut  intérêt,  tant  au  point  de  vue  de  l'ordonnance  géné- 
rale que  du  coloris,  de  la  solidité  du  tissu  et  des  coideurs.  Ce  qui  incita,  il  y  a  qiielques 
années,  le  marché  européen  à  s'intéresser  à  la  fabrication,  à  l'intensifier,  et  à  lui  ouvrir 
de  nouveaux  débouchés. 

La  confection  du  tapis  est  d'ailleurs  très  ancienne  dans  le  pays.  Pratiquée  par  les 
Berbères  des  plaines  et  des  montagnes,  depuis  des  temps  immémoriaux,  elle  est  caracté- 
risée par  une  très  haute  laine,  un  coloris  général  nettement  affirmé  et  des  dessins  géomé- 
triques très  simples.  Elle  diffère  ainsi  nettement  de  celle  des  tapis  de  Rabat  au  poil  assez 
court  et  aux  motifs  plus  particulièrement  floraux.  Les  plus  beaux  spécimens  du  genre 
viennent  du  Moyen  Atlas.  Ceux  des  Zaïane  sont  justement  réputés  pour  leur  chaud  ot 
puissant  coloris  monochrome,  ceux  des  Béni  Mtir  et  Béni  Mguild  pour  leur  brillante 
polychromie,  ceux  du  Guigo  pour  leur  tonalité  générale  blanche  avec  des  oppositions 
noires,    marron   ou    brunes. 

Les  tissus  des  ruraux  sont  aussi  dignes  d'intérêt.  Il  en  est  même  de  remarquables. 
De  très  menus  dessins,  blancs  ou  colorés,  remplissant  des  bandes  plus  ou  imoins  larges, 
mis  en  valeur  par  des  surfaces  nues,  composent  des  châles,  des  couvertures  et  des  ten- 
tures d'une   très   grande  originalité. 


ACTES  DU  ITl"  CONGRf:S  445 

Quant  iiux  tissus  citadins  de  laine,  de  coton,  de  soie  et  d'or,  ils  sont  d'une  variété 
<»xtrêine.  Destinés  au  vèfonient  ol  h  ramcublement,  ils  prennent  parfois  la  valeur  de  véri- 
tables œuvras  d'art.  Une  perfeclioii  technique,  un  assemblage  judicieux  de  couleurs,  des 
ornements  appropriés  font  de  certains  d'entre  eux  des  tentures,  des  revêtements,  des  bro- 
carts d'une  richesse  incomparable.  Fès,  <\  ce  point  de  vue,  est  resté  un  centre  artistique 
de  premier  ordre  où  se  sont  conservées  les  plus  belles  traditions  orientales  et  hi'gpaTio- 
mauresques. 

Et  comme  si  ce  n'était  assez,  des  broderies  ont  encore  ajouté  à  ces  splendeurs.  Leur 
diversité  est  très  grande,  et  chaque  ville  a  son  genre  particulier.  Aux  broderies  touffues, 
largement  conçues  de  Rabat,  s'opposent  celles,  infiniment  plus  fines  et  plus  ténues,  de 
Fès.  Au  premier  abord,  les  broderies  de  Salé  et  de  Mekncs  paraissent  semblables;  une 
grande  distance  les  sépare  pourtant;  d'im  côté,  des  points  nattés  assez  voisins  de  ceux  de 
certaines  tapisseries  européennes,  exécutés  sur  toile  aux  fils  méticuleiiscment  comptés; 
de  l'autre,  des  points  plus  nourris,  multicolores  ,  exécutés  sur  étamine  avec  une  certaine 
liberté.  Autrefois,  Azemmour  et  Fès  connurent  des  techniques  différentes  tombées  dans 
l'oubli.  On  est  surpris  de  cette  diversité  des  ouvrages  du  gynécée  marocain.  Les  infiuen- 
ces  les  plus  complexes  s'y  rencontrent  et  font  entrevoir  de  constants  apportls  étraingers, 
que  des  recherches  historiques  expliqueront  plus  clairement  un  jour. 

L'industrie  artistique  du  cuir  a  aussi  sa  valeur.  Le  cuir  marocain,  qui  a  une  répu- 
tation séculaire,  est  entré  dans  la  confection  de  coussins,  de  harnachements,  de  revête- 
ments, de  sacs  d'une  très  grande  originalité,  que  des  incisions  o)i  des  broderies  de  soie 
et  d'or  ont  magnifiquement  embellis.  11  a  donné,  dans  la  reliure,  des  applications  par- 
fois splendides.  Les  corans,  les  ouvrages  de  droit  et  de  jurisprudence,  les  recueils  de 
prière  lont   été  reliés  dans   des  écrins  où  les  applications  d'or  ont  créé   des  merveilles. 

Ceci  m'amène  à  parler  de  l'enluminure  et  de  la  calligraphie.  On  a  fait  des  prodiges 
pour  la  conservation  et  la  propagation  des  textes  sacrés.  Des  mains  expertes  ont  tracé, 
avec  une  patience  et  une  habileté  rares,  sur  le  parchemin  ou  sut  des  papiers  de  choix, 
avec  des  encres  indélébiles,  des  caractères  épigraphiques  d'une  étonnante  souplesse.  La 
miniature  s'est  mêlée  aux  inscriptions.  Le  lapis-laznli,  la  pourpre,  le  vert  du  Prophète, 
les  laques  de  toutes  couleurs  se  sont  mêlés  à  l'or  pour  aniimer,  de  leurs  charmantes  har- 
monies,  l'extraordinaire   enchevêtrement   des   arabesques. 

Cet  enchantement  de  la  couleur,  auxquels  sont  si  sensibles  les  Nord-Africains,  s'est 
reporté  dans  les  habitations,  sur  les  revêtements  mosaïques,  les  plâtres,  les  bois  sculp- 
tés et  surfout  sur  les  plafonds. 

La  céramique,  h  partir  du  xiv®  siècle,  a  revêtu  les  soubassements  des  médersas  et 
des  palais.  Les  Mérinides  n'ont  jamais  été  dépassés.  Mais  ils  ont  ouvert  une  voie  qui  n'a 
jamais  été  abandonnée.  La  mosaïque  marocaine  actuelle  est  unique  en  son  genre.  Et  le 
céramiste  ne  s'est  pas  borné  à  la  confection  de  carreaux  de  revêtement,  il  a  aiissi  fabri- 
qué des  poteries  émaillées  de  bleu  et  de  plusieurs  couleurs  qui  ont  longtemps  constitué 
la    seule   vaisselle   des   villes. 

Le  mobilier  n'a  pas  donné  lieu  à  la  confection  de  meubles  tels  que  nous  les  com- 
prenons aujourd'hui.  L'habitude  séculaire  de  coucher  et  de  s'asseoir  sur  des  di'vans, 
de  manger  autour  de  tables  basses,  d'écrire  à  même  sur  le  papier,  sans  autre  soutien  que 
celui  de  la  main,  a  empêché  son  développement.  Des  coffres  pour  serrer  les  bijoux  et  les 
"/êtcments  précieux,  des  armoires,  plus  souvent  des  placards  et  des  étagères  pour  contenir 
Id  vaisselle,  quelques  bancs  et  fauteuils  pour  les  coiffeurs,  des  chaires  plus  rares  encore 
pour  l'enseignement  et  la  prédication  dans  les  mosquées,  voilà  à  peu  près  tout  ce  que  l'on 
trouve  en  fait  de  meubles,  que  la  sculpture,  la  peinture  ou  des  incrustations  ont  sou- 
vent  enjolivés. 

Les  boiseries  par  contre,  ont  donné  lieu  à  des  travaux  parfois  remarquables.  Des 
portes  à   deux   vantaux,  s'ouvrant  sur  les  portiques,   des  cloisons  au   fond  des  chambres, 


446  ACTES  DU  111'  CONCRflS 

dos  baliislradi's  lians  los  palcrios  dos  t'la;j;os.  des  frises  sons  les  comblois  des  plafonds  5 
cojipolt':»  et  à  stalactites,  (K-s  auvents  ont  eniiehi,  non  seulenient  les  jnosciiit'es  et  les 
sniulnaiivs.    mais   encore    les   palais    et    les    maisons. 

Dans  l'ail  «lu  bjonze  et  «lu  cuiM'e.les  lusli(>s  «les  ni()s<iuées  de  Ta/a  et  de  Kès  riva- 
lisent avec  eonx  de  l'Alhanibra.  Les  levètomenls  des  portes  de  certains  édifices  religieux 
de  Fès  et  de  Mekncs  sont  couverts  de  ciselures  plus  intéressantes  (jue  celles  de  Cordoue 
et  de  Séville.  Les  braseros,  bouilloires,  bassines,  aif^uières,  ])laleau\-,  vases  et  rc'cipients 
divers    s  Mil    aulanl    d'ustensiles    d'un    véiilable    iidi'-rèl. 

I.a  ferronnerie  a  trouvé  d'heiuvnses  applications  dans  la  confection  des  grilles.  L'ar- 
murerie, dans  cellos  de  sabres  cl  «l'armes  i^  feu.  La  bijouterie,  rtiral(>  ou  «iladine,  en 
des    types    variés    «m'on    reebercbait    vainement    ailW'urs. 

J'arrête    là    cette   énnmération   «]ni   pourrait    être    plus    Idui^Mie    mais    ipii    suffit    à    prou- 
ver l'existence  «l'im  art   aux   appIi<"ations  nond)r<Mises,    d'un   arl    mar(i<ain    plus  coinpliît  que 
celui   de    l'Ali^érie,   «liffércnt    de    celui   de    la    Tunisie,    très    apparenté    à    «velui   de    l'Andalou 
sip,    sans    contact    direct    a\ec    la    naturt",    cl    ]M\reineut    imairiuatif  ;    en    cela,    foncièrement 
musulman. 

Voyons  maintenant  la  situation  actuelle.  Art  de  luxe,  l'art  marocaiil  est  à  peine  orf^a- 
nisé.  Lorsqu'un  propriétaire  veut  coii-^lniiie  une  maison,  il  s'«'nlend  avec  ini  maître- 
maçon,  un  maître-cbarpenlior,  im  maître-menuisier  de  son  clioix,  qui  diriffc^nl  le  tra- 
vail conforméuH-nl  à  ses  vues;  il  fournil  lui-m«*me  les  matéiiaux  in<''cessaires,  paie  les 
artisans,  les  ouvriers  et  les  manoeuvres,  <lélaisse  ses  proj)r(>s  occupations  pendant  tout 
le  temps  que  diui"  la   construction.  II  est  son  propn'   arcliilecle  cl    son   propre  entrepreneur. 

I.a  nn'tliode  ne  «-banjje  «juèro  lorsqti'il  s'ii^^it  ,),>  ti;i\au\  de  moindri'  inipoj tance. 
Les  commandes  sont  passé«>s  à  lU's  bomines  ou  d«'s  femmes  do  métier  qui  travaillent  iso- 
lément ou  en  compajinie  <le  quelques  ouvriers,  l'aies  sont  souvent  accompaj^nées  d'arrhes 
on  de  fournitures  do  matières  premières  qui  en  tiennent  lieu.  Des  paicMueints  partiels 
s'effectuent  au  cours  du  travail  s'il  est  de  quelque  durée.  Le  règlement  définitif  se  fait 
à  la  livraison.  Vjxx  somme,  les  industries  de  luxe  se  font  à  la  commande.  Elles  répondent 
surtout    .'i    des   besoins   locaux   et   cherchent  rarement    l'exportation. 

Il  n'y  a  pas  d'enseignement  proprement  dit,  officiel  o>i  privé.  Il  n'y  a  que  l'appren- 
tissage du  chantier  et  «le  l'atelier.  C'est  ce  i\n\  e\|ili(]ue  «pic  ««Mlaines  liadiliotis  aient  pu 
se   perpétuer  très   longtemps. 

Ces  traditions  ne  nous  sont  c-epondant  pas  to\iti>s  parv«'nuos.  Le  Maroc  a  conn\i  des 
pt'riodes  de  crise  qui  ont  causé  l'oubli  et  la  perle  de  certaines  d'entre  elles.  La  mode, 
car  elle  existe,  en  a  fait  tomber  d'autres  et  fait  naître  de  nouvelles.  Lancée  dans  im  monde 
peu  averti,  elle  a  causé  de  sérieux  dommages.  T>'art  marocain  arrive  à  un  tournant  de  son 
histoire  où   il  peut  subir  de  rudes  atteintes. 

La  «oncurrcnce  européenne  qui  a  importé  «le  l'orfèvrerie  et  de  la  cuivrerie,  des 
«Iraps,  cotonnades  et  soieries,  des  lapis,  «le  la  porcelaine,  de  la  vaisselle  de  iô\o  émail- 
lée  et  de  fer  battu,  des  colorants  fugaces  et  :\  bon  marché,  a  considérahlcmont  nui  aux 
producteurs  locaux.  C'est  une  loi  économiq\ie  à  laquelle  le  Maroc  ne  pouvait  échapper, 
'•tant  donné  sa  situation  industrielle  et  technique.  Si  elle  a  servi  le  commerce  européen, 
avantage  incontestable,  si  elle  a  répondu  à  des  préoccupations  de  aiouveauté  et  de  bon 
marché,  assez  légitimes  de  la  part  des  autochtones,  elle  a  n'uluit  les  revenus  de  quelques 
corporations,  provoqué  un  mélange  regrett.ablc  de  styles,  faussé  le  goût  des  artisans  <t 
avili  certains  produits.  Un  dévergondage  ornemental,  im  bariolage  sans  nom,  l'emploi 
de  matériaux  indigentis,  de  coloris  sans  solidité,  sont  les  principaux  dommages  suibis, 
depuis   une   vingtaine   d'années,    par    les   arts   marocains. 

Voilà  pour  la  concurrence.  Le  touriste  n'a  pas  eu,  en  général,  une  meilleure  in 
Huence.  Souvent,  il  s'est  rué,  avec  une  parfaite  inconscience,  et  parfois  une  inqualifia- 
ble   ignorance,    sur  des  articles  de  pacotille,   en    encourageant  la   fabrication   d'une   came- 


DE  L'INSTITUT  DES  IIAUTES-mUDES  MABOCAÏNES  447 

lotte  du  plus  mauvais  goût.  Lo  commerce  a  même  suivi,  à  un  moment  domié,  ce  mou- 
vement. Les  arts  marocains  ont  ainsi  été  gravement  exposés.  A  un  engouement  inconsi- 
déré pouvait  succéder  un  mépris  et  une  désaffection  des  plus  préjudiciables.  Ils  n'ont 
cependant  pas  snnd)ié.  l'ii  la  circonstance,  le  Protectorat  a  fait  œuvre  utile.  Le  Service 
des    Arts    Indigènes,   qu'il   a    institué   dès   la   première   heure,    a    été    son    instrument. 

Il  fallait  d'abord  faire  l'éducation  du  public  européen  et  indigène,  lui  montrer  ce 
qui  est  vraiment  beau,  intéressant,  caractéristique,  et  pour  le  moins  honorable.  Des  expo- 
sitions en  ont  fourni  l'occasion.  L'exposition  firanco-marocaine  de  Casablanca  en  I9i5, 
la  foire  de  Fès  en  1916,  la  foire  de  Rabat  en  1917,  le  Pavillon  de  Marsan  à  Paris  en  1917 
?t  en  1919.  l'exposition  de  Wiesbaden  en  ig*?!,  les  foires  de  Marrakech  en  1921  et  en  192^, 
l'Fxposilion  Coloniale  de  Marseille  en  i93r>,  la  foire-exposition  de  Rabat  la  même  année, 
ont  montré,  tant  en  France  qu'au  Maroc,  les  divers  produits  d'iiit  marocain,  fabriqués 
spontanément   ou   rénovés    par   l'action    officielle   et    privée. 

Mais  de  telles  manifestations,  pour  si  utiles  qu'elles  soient,  sont  d'une  durée  trop 
éphémère.  Des  must'es  permanemts  devaient  être  créés.  On  n'y  a  pas  manqué.  A  Rabat  et 
à  Fès.  des  collections  ont  été  constituées  depuis  i9i5.  Elles  s'enrichissent  chaque  jour. 
On  y  réunit,  pendant  qu'il  en  est  temps  encore,  des  spécimens  anciens  de  tous  les  arts 
du  pays,  citadins  et  bédouins.  La  faveur  dont  ils  jouissent  indique  assez  qu'ils  répon- 
dent à  un  véritable  besoin.  Ils  sont  très  visités.  La  plupart  des  voyageurs  viennent  s'y 
instruire  avant  de  se  rendire  dans  les  souks. 

Le  musée  influe  non  s<Mdement  sur  les  européens,  mais  encore  sur  les  indigènes,  qui 
ont  vite  compris  l'intérêt  qui  s'attache  aux  choses  anciennes.  Notre  curiosité  et  notre 
respect,  à  ce  point  de  vue.  les  a  frappés  et  a  réveillé  en  eux  ce  joli  sentiment  d'admi- 
ration qu'ils  ont  tous  pour  les  ancêtres  et  pour  ce  qu'ils  ont  laissé,  et  qui  sommeillait 
en  ce  qui  concerne  les  arts,  a  —  Que  Dieu  soit  inis^'-ricordieux,  disent-ils,  en  faveur  do 
l'artisan  qui  a  exécuté  cet  objet  d'art  ».  Cette  senl<nee  \aut  une  prière.  «  —  Que  nous 
voudrions,  lorsque  nous  serons  morts,  ajoutent-ils,  que  nos  d<'scendant's  agissent  pareil- 
lement en  notre  faveur.  »  La  constitution  de  nos  musées  répond  presque  à  un  sentiment 
religieux.  Il  ne  faut  donc  plus  s'étonner  que  certains  indigènes  soient  très  attentifs  à 
:"etfe  œuvre.  Bien  plus,  il  en  est  qui  collectionnent  à  notre  exemple.  A  Fès,  à  Marrakech, 
des  notables  achètent  à  prix  fort  des  objets  de  valeur,  parlieulièrenient  des  manuscrits. 
Cf    n'est  qu'un  commencement. 

Mais  h  tout  prendre,  l'objet  de  la  collection^  fut-il  exposé  au  ivublic,  fut-il  visité 
chaque   jour,    n'est    qu'une    chose    morte. 

Le  Service  des  Arts  indigènes  ne  se  contente  pas  de  rechercher  de  beaux  objets 
et  de  les  mettn-  en  valeur.  Il  appelle  sur  eux  l'attention  de  l'artisan.  Il  les  analyse,  le« 
critifque,  indique  le  parti  qu'on  peut  en  tirer  tout  en  tenant  compte  du  temps  et  des 
besoins;  il  provoque  les  initiatives,  stimule  le  savoir-faire  de  chacun,  demande  des  réa- 
lisations  nouvelles. 

Pour  cela,  il  se  conforme  à  la  coutume.  Il  agit  «omuie  le  ferait  un  particulier  indi- 
gène, en  passant  des  commandes  sur  prix  conveiui,  mais  sous  promesse  de  majoration 
df-  ce  prix  pair  un  «  fabor  »  traditionnel  si  l'exécution  est  plus  que  satisfaisante.  Cette 
clause  est  nécessaire  pour  exciter  l'espriit  de  recherohe  et  le  désir  de  bien  faire. 
Le  procédé  a  donné  d'excellents  résultats  à  tous  les  points  de  vue.  Il  présente  encore 
l'immense  avantage  de  laisser  l'artisan  dans  son  atelier  d'où  il  faut  se  garder  de  le 
faire  sortir,  de  faire  assister  tous  les  ouvriers  et  les  apprentis  de  cet  atelier  et  des  ate- 
liers voisins  à  des  travaux  de  choix,  d'agir,  par  répercussion,  sur  la  corporation  entière, 
de  rendre  productives  enfin  les  dépenses  du  Protectorat,  puisque  chaque  dépense  est 
représentée   par   un  objet    d'une   valeur   marchande. 

Il  y  a  une  exception  à  cette  règle.  C'est  à  Rabat  avec  l'atelier  officiel  jwur  la  tein. 
ture  des  laines  et  la   fabrication  des  tapis.   Cet  atelier  est  indispensable.  La   réputation  des 


448 


ACTES  DU  UV  CONCnf'S 


tapis  de  Rabat  risquerait  fort  do  sombrer  sous  les  tapis  défectueux  répandus  dans  le  com- 
merce et  exécutés  soit  par  dfs  ffiiiiiies  truvuillant  chez  elles,  soit  dans  les  fabriques  fon- 
dées par  des  Européens.  11  faut  doue  pnrer  à  ce  dannfer  t;n  montrant  autre  chose  aux  ron- 
naisseurs.  Jo  dois  tlin»  <rnillciiis  <nic,  soii\eiil,  les  l'jihi  ii  iiiils  Niciiiicnl  \  iniisci  des  ciisci- 
gnenients  et  des  conseils. 

Ainsi,  le  Service  des  Arts  indiJ:f^ue3  fabrique  quelque  peu.  De  ce  fait,  il  constitue, 
A  côté  des  collection*  anciennes,  des  collections  nouvelles.  Rabat,  Fès,  Mcknès,  Casa- 
hlaïKM.  Miurakoch  exposent,  dans  des  nmséos  d'ail  marocain  niodenie,  <ios  objets  de 
fabrication  récente  qui  coiupli^tenl  heureusement  ceux  des  musées  d'art  ancien.  Et 
(omnie  il  serait  vain  d'entasser  ces  collectiouis,  oai  les  vend  chaque  fois  qu'elles  ne  sont 
plus  utiles  connue  modèles.  On  donne  en  outre  le  nom  des  aortiï^ans  qui  sont  à  môme 
d'exéculcr  des  coanmnndes.  Le  Service  des  Arts  indigènes  devient  alors  une  active  ngenco 
de    rensoijïncments   artistiques. 

Sa   propagande   ne   s'arrête   pas   là. 

I!  livre  le  fruit  de  ses  obsiMvations  dans  des  revues  appropriées,  appelle  l'attention 
des  savants,  des  antiquaires,  et  même  du  conumerce  et  de  l'industrie  sur  les  airts  maro- 
cfiins  et  leurs  techniques.  Ia'  bruit  s'en  répand  plus  loin  qu'on  ne  le  supposerait.  Les 
spécialistes    sont    nombreux    qin   ont    traversé    les    mers   pour    éltidier    les    orts   marocains. 

Répomlaul  aux  dispositions  (l\i  dnhirs  du  uo.  mai  i()i()  et  du  17  décembre  1921  sur 
l;i  réglementation  des  tapis  marocains  en  vue  de  leur  entrée  en  France  avec  franchise 
de  douane,  le  Service  dos  .\rls  in<ligènes  délivre  l'eslampille  d'Ktal  et  élabore  un  «  cor- 
pus »  ou  reevieil  de  motifs  de  lai)i>,  actuellenienl  i\  l'impn'ssion.  On  [«'ut  déjà  le  con- 
sulter. Cette  docunu<nlation  non  est  (ju'à  ses  débuts.  Avec  le  tenij)S,  elle  se  complétera, 
s'étendra  ù  d'autres  objets  et  ccinstituera  dies  aixhives  d«   la   plus  haute   utilité. 

Les  industries  d'art  qui  sont  susceptibles  de  se  maintenir  ou  de  se  développer,  de 
procurer  à  leurs  arti-ons  des  ressources  certaines,  qui  sont  viables  en  un  mot,  sont  tou- 
tes l'objet  des  plus  grands  soins.  La  <iéramique,  la  menuiserie  et  la  sculpture  sur  bois, 
la  ciselure  du  plâtre,  la  peinture,  les  bronzes  et  les  cuivres,  la  ferronnerie  et  le  damas- 
quinagc,  le  découpage  des  métaux,  la  reliure  et  l'enluminure,  la  broderie  d'or  et  de 
soie,  sur  étoffes  et  sur  cuirs,  la  fabrication  des  tissus  de  Inine  et  de  soie,  dics  tapi»  et'  dts 
couvertures,  tel  est  le  pif>gramme  entrepris. 

La  dernière  exposition  (oloiiiale  do  Mar<eill<'  n  ré\élé  que  les  artis  marocains  ont 
une  saveur,  une  originalité,  un<'  lemi"  coniplèleniont  absentes  dans  les  arts  algériens 
et  tunisiens.  Ce  résultat  se  dou])l(>  d'a\aidages  économiques  et  moraux  qui  ont  leur 
importance.  Bien  des  artisans,  cpii  vi\ aient  ignorés  et  dans  la  gène,  sont  aiijourd'hui 
aisés  et  en  vue.  Les  uns  ont  entouré  leur  famille  d'uTU*  domesticité  qu'ils  n'avaient 
pu  entretenir  jusque-là.  D'autres  ont  épousé  une  deuxième  fennne  —  ce  ne  sont  peut- 
être  pas  les  plus  sages.  D'autres,  plus  avisés,  de  locataues  qu'ils  étaient,  sont  devenus 
propriétaires.  Quelques-uns  enfin  font  fructifier  leurs  économies  en  s 'associant  à  des 
jardiniers  ou  à  dos  cultivateurs.  Presque  tous  peuvent  se  passer  d'interprètes  :  ils  ont 
appris  les  quelques  mots  de  français  indispensables  aux  transactions.  Ils  aaucillent 
très  bien  l'étranger.   Le  bénéfice  moral  d'une  telle  situation,  est  d'une  valeur  inappréciable. 

Dans  leur  tâche,  les  agents  du  Service  des  Arts  indigènes  n'ont  à  compter  que 
sur  leurs  connaissances  propres,  on  matièie  d'art,  de  langue,  d'us  et  coutumes  musml- 
mans,  sur  une  liaison  constante  avec  les  autorités  locales  européennes  et  indigènes, 
sur  les  bonnes  relations  qu'ils  entretiennent  avec  les  artisans  d'une  pari,  la  clientèle 
d'autre  part.  La  persuasion  <'st  à  peu  près  leur  seule  aime.  Ils  ne  s'appuient  sur  aucune 
défense  administrative,  si  ce  n'est  au  sujet  des  tapis  que  leurs  détenteurs  veulent  in- 
troduire en  fianrhiso  de  douane  en  Franco.  Ils  ont,  il  est  vrai,  le  haut  appui  moral  de 
la  Résidence  et  celui  des  amateurs  éclairés.  11  senddo  que  cela  soit  suiffisant,  car  il  n'en 
a  pas  fallu  davantage  jusqu'à  ce  jour.  Prosipcr    Ricarp, 


RAPPORT  SUR  LA  DEFENSE  DES  VILLES 

ET  LA 

RESTAURATION  DES  MONUMENTS  HISTORIQUES 


Cet  exposé  a  pour  objet  de  rassembler  les  résultats  déjà  acquis  dans  le  domaine  de 
!<•  défense  des  sites  et  des  monuments,  de  préciser  nos  buis,  nos  principes  d'action. 
Aussi  laisserons-nous  volontairement  en  dehors  de  cet  essai  les  considérations  de  détail 
qui  feront  l'objet  de  communications  ultérieures^ 

Nousi  insisterons  spécialement  sur  le  fait  qu'au  Maroc,  nous  nous  sommes  trouvés 
iclativement  aux  Monuments  Historiques  dans  un  cas  particulier,  et  ce  sera  l'honneur 
de  ceux  qui,  au  début  de  l'établissement  du  Protectorat,  ont  compris  que  ce  n'étaient 
pas  seulement  les  bâtiments  qu'il  fallait  garder,  mais  avant  tout,  les  villes  elles-mêmes 
et    leurs    sites. 

En  conséquence,  nous  pensons  qu'il  est  néces.saire  pour  juger  de  l'effort  accompli 
et  des  résultats  obtenus,  de  laisser  là  l'expérience  acquise  en  France,  et  de  créer,  à  notre 
usage,   une   table  de  valeurs  nouvelles. 

Il  n'y  a  pas  de  compairaison  possible  entre  l'état  moral  et  social  des  peuples  occi- 
dentaux  et   celui   des  peuples  orientaux. 

I.e  renouvellement  rapide  des  formes  esthétiques,  privilège  de  notre  esprit  créateur, 
tooj jours  en  mouvejneint,  rejette  dûns  le  passé  l'œuvre  réalisée,  la  pousse  vers  le  musée, 
et    l'artiste    s'élance    avec    enthousiasme    vers    d'autres    conquêtes    artistiques. 

Ici  c'est  tout  autre  :  l'esprit  tjnadilionalistc  évoluant  au  milieu  de  formes  plus  len- 
tes à  se  modifier,  a  conservé  par  delà  les  siècles  une  survivance  et  maintenu  jusqu'à 
nous,  ce  qui,  à  l'époque  où  nous  étionsi  encore  des  gothiques,  vivait  déjà  dans  son 
expression  affirmée,    substantielle. 

Cette  considération  est  essentielle  ;  c'est  elle  qui  a  orienté  le  sens  de  nos  restaura- 
tions, de  notre  action  pour   la  défense  des   villes. 

Une  restauration  ne  peut,  à  notre  avis,  être  faite  sans  transformer  aussi  peut  soit-il 
le  (monument  dont  elle  Iprolonge  l'existence;  elle  fera  perdue  un  peu  du  charme 
particulier  aux  ruines  et,  même  si  l'artisan  apporte  à  son  travail  infi.nimcnt  de  tact, 
il   ne  pourra   jamais   au   sens  absolu,   refaire   du   vieux. 

Ce  qui  est  plus  important,  c'est  l'esprit  dans  lequel  sont  faites  les  restaurations  qui 
doit  toujours  tendre  à  coniserver  le  sena  des  formes  et  à  faire  survivre  la  tradition.  Car 
la  main  d 'œuvre,  nous  l'ayons,  possédant  les  formules  des  artisans  qui  édifièrent  les 
monuments  livrés  à  nos  s^oins  ;  aussi  l'indigène  ne  gardc-t-il  pas,  aussi  jalousement 
que  nous  en  France,  ses  trésors  artistiques.  Il  sait  qu'il  retrouvera  toujours  prêtes  à 
jaillir  de  lui,  sans  apport  nouveau,  des  formes  à  jamais  consacrées.  Les  musulmans,  pour 
lesquels  la  fuite  du  temps  n'est  rien,  laissent  crouler  leurs  monuments  avec  autant 
d'indifférence  qu'ils  ont  mis  d'ardeur  à  les  élever.  Nous  nous  sommes  donc  substitués  à 
eux  pour  garder  les  vestiges  artistiques  d'une  civilisation  brillante.  Nous  avons  étendu 
le  manteau  protecteur  sur  l'ensemble  du  site,  de  la  ville,  au  milieu  duquel  elle  surgit, 
aussi  bien  que   sur  les  monuments. 

Le  rôle  compris  ainsi  est  beaucoup  plus  du  domaine  de  l'art  que  de  la  science.  Pour 
l'archéologue    comme   pour   l'artiste,    nous   conservons   les   admirables   villes  afin   que    le 


450  AcrKS  \)[  \\v  coNcnivs 

premier    puissn^    mieux    oompreiulre    le    monumenl    se    dressant    dans    son    milieu    original, 
el    le    seiond    jouir   do    l'harmonieux   ensemble. 

Nous    avons    d'ai)uud     pitolcjfé     les    siled,    les    villes    el     les    édi.lLct's    en     led    classant, 
el  enfin   nous  restaurons  les  monunienls  ;  c'est  l'ordre  que   nous  suivrons   dans  cet  exposé. 


RABAT 

La  première  reconnaissance  faile  à  Habal  ne  laissa  aii<  un  doute  sur  les  points  «[u'il 
ff.llail    défendre. 

La  Casbah  dos  Ouiiaia  et  ses  abords; 

La   Médina  ; 

La   Mosquée  et   la  Tour   Hassan  ; 

Chella. 

CASH  VII    II   MI.DI'SHSV   DiiS  (  »1  I>\1\ 

La  Casbah  des  Oiulaïa,  site  admirable,  iiniciue,  oITic  pour  1  liisloin'  et  l'aivliéologie 
un  grand  intérêt,  l-onilée  par  l'.Vlmohade  Abd  el  jMoumen,  ayrandie  par  ses  successeurs, 
elle  représente  en  même  temps  qu'un  merveilleux  spécimen  d'art  arabe  marocain,  le 
point  de  dépaiil   des   expéditions  qui    furent   menées   en   Espagne   contre    les   chrétiens. 

Un   dahir   classe   cerUiins   points   do    la    Casbah    : 

Iax    porte   d'entrée   monumontale; 

L'enceinte,  remparts  et  bastions,  et  à  l'intérieur  lo  groupe  de  constructions  dites 
(t   la  Médersa  ». 

Un  arrêté  portant  règlement  artistique  enveloppe  cet  ensemble  que  nous  considérons 
comme  Monument  Historique,  afin  que  nulle  construction  nouvelle  ne  puisse  en  venir 
rompre  l'harmonie.  Le  règlement  autorise  la  consolidation  des  constructionsi  anciennes, 
IcJU"  entretien  ou  leur  réfection  eu  cas  d'effondrement.  Imi  un  mot,  nous  a\ons  voulu 
conserver  à  ce  site  exceptionnel  son  enveloppe  extérieure,  sans  toutefois  entraver  la  vie 
qui   l'anime,  et  fait  de   lui   l'iinc  des  plus  attrayantes  curiosités   du    Maroc. 

Des  travaux  très  importants  ont  été  faits  jx)ur  le  dégagement  de  la  grande 
porte  de  la  Casbah,  qui  dispairaissail  dorrière  des  constructions  parasites,  venues  s'ados- 
ser aux  vieux  nmrs  des  remparts.  Celle  porte  dont  on  n'apercevait  qu'une  partie  se 
révélait  connue  étant  un  ouvrage  important.  Des  démolitions  la  mirent  à  jour  mais  en 
très  mauvais  état.  Les  passages  avaient  été  recloisonnés,  cl  les  voussoirs,  glissant  sur 
leurs  joints  menaçaient   ruine.   Ces   liiavaux   sont  de    iyi5. 

H  faut  rendre  hommage  à  ceux  qui,  avec  un  tacl  et  des  soins  particuliers,  restau- 
rèrent   ce    beau    morceau    d'architecluro    almohade    pour    notre    plus    grande    joie. 

Dorrière  les  remparts,  au  milieu  d'éboulis,  se  dressait  un  groupe  de  bâtiments 
ayant  été,  peut-être  une  école  de  pilotage,  peut-être  une  médersa,  el,  sans  doute,  l'une 
après  l'autre,  avec  une  petite  mosquéj  et  un  hamrnam.  —  Le  tout  avait  été  aménagé 
en  vue  d'habitations  indigènes.  —  Les  hautes  salles  sectionnées  en  leur  hauteur  par 
des  planchers  intermédiaires  avaient  perdu  tout  leur  caractère,  les  colonnes  du  patio 
étaient  lombées;  des  déprédations  innombrables  axaient  été  commises  par  les  indigènes, 
avec  toute  l'indifférence  qui  les  caractérise.  Une  à  une  les  colonnes  reprirent  leur  place, 
les  planchers  intermédiaires  dispacrurenl,  le  patio  redevint  un  palio  entouré  de  hautes 
el  belles  salîts. 

Quelques  photographies  prises  au  moment  des  travaux  montreraient  plus  clairement 
qu'aucun   commentaire   ne   pourrait  le  faire,   combien   les   travaux  qui    furent   faits,   furent 


DE  L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES 


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F'o-  1-  —  Haljiil,  Porlc  de  lu  caslmli  des  Oudaia.  Face  iutérieure,  «Kinl  c/rgnijeiiwnl. 


Fig.  2.  —  Rabat,  Porle  d*'  la  casbah  des  Oudaia.  Face  Intérieure,  après  degagetnent. 


I 


4SI  ACTES  DL'  111'  CONGUÊS 

imporUnIs  et  délicats.  La  Modersa,  une  foU  remise  en  élat,  sa  grande  salle  augmentée 
sur  sa  face  côte  jardin,  largo4iic«l  éclairée,  devint  musée  chérilien.  IVxsonne  au  Maroc 
n'ignore  le  niusé«  des  Oudaia,  ni  les  jai-dius  qui  renlonn-nl  et  qui  ont  été  créais  à 
cette    époque    1^1917-1918). 

Le  grand  bassin,  k  perron  central,  les  inurs  de  soutèncmenl  des  allées,  l'aménage- 
raent   des  chemins  de  ronde  et   la   réfection  d'une   partie   des  remparts   sont  de   1917. 

En  itfiS,  dan*  les  jardins  et  appuyé  à  la  muraille,  limitant  la  Casbah  vers  le 
^ouL  El  Ghzol,  on  construisit  un  paxillou  contenant  une  salle  d  exposition,  puis  en 
prolougemejit,   quelques    petites    L>ouliqucs   pour   a^ti^an$    indigènes. 

Le  hanunam  remis  eu  état  fonctionne,  et  \ous  connaisse!  le  café  maure  joliment 
instalié  qui  dcMiiine  l'estuaire  du  Bou-Hegreg  et  le  panorama  de  6alé. 

11  nous  a  paru  aussi  de  première  nécessité  de  garantir  la  médina  de  Uabal  qui,  moins 
ancienne  que  la  CasLah  de  Oudaia,  puisqu'on  fait  remonter  sa  fondation  au  xvii*  siècle 
par  les  .Kndalous  chassés  d'Espagne,  n'en  est  pas  moins  intéressante  el  très  particulière 
avec    ses    rues    blanches   et    ses    souks    violemment    bigarrés. 

Par  dahir  nous  avons  classé  les  vastes  enceintes  avec  leurs  portes.  Un  règlement  a 
été  établi  qui  grève  d'une  servitude  d'apect.  la  totalité  de  la  médina  el  du  niellah.  Deux 
rues,  celle  des  Consuls  et  El  Gza,  depuis  longtemps  livrées  au  commerce  et  ayajit  subi 
des  influences  euri>péennes,  ixgrellabies  pour  nous,  L'cliap|H;nl  un  peu  à  nos  règlements. 
.Nous  exigeons  cependant  que  sa  t<^Miue  générale  reste  eu  lianiionie  avec  l'aspect  de  la  ville. 

.\vec  la  Mosquée  et  la  Tour  d'Hassan  nous  touchons  au  monument  le  plus  important 
du  Maroc  guerrier,  conquérant.  11  exprime  en  sou  apogée,  la  puissance  de  la  dynastie  qui 
a  poussé  son  besoin  d'expansion  au  delà  de  la  mer,  en  Espagne,  cl  dans  l'Afrique  du 
Nord   depuis   la   Tripolilaine,   jusqu'à    l'Océan. 

Seule,  en  Tunisie,  la  Mosquée  Je  Kairouaii,  quoique  inférieure  en  étendue,  peut 
être  comparée  à  celle  d'ilas^au  dont  les  ruines  constituent  pour  l'archéologue  un  docu- 
ment   d'une    très    grande    importance.    Nous    avons   par    dahir,    classé    leur    ensemble. 

En  i^iS,  la  Tour  se  dressait  au  milieu  de  terrains  ou  affleuraient  de  ci  de  là  quelques 
débris  de  chapiteaux,  de  colonnes,  mais  où  il  élait  impossible  de  reconnaître  le  plan  d'un 
édifice  quelconque.  La  totalité  du  terrain  avait  été  morcelée  en  lots  el  vendue  à  des 
propriétaires  qui  en  avaient  fait  des  jardins;  on  y  voyait  même  un  court  de  tennis. 

Le  Colonel  Dieulafoy  entreprit  des  fouilles  qui  lui  permirent  de  retrouver  le  sol  d'une 
grande  nef,  de  deux  cours  secondaires.  La  prétendue  citerne  fut  déblayée,  l'emplacement 
des  colonnes,  des  piliers,  révélèrent  un  immense  édifice,  vraisemblablement  une  mosquée 
comme  il  n'en  existe  nulle  part  d'autre.  Il  Dt  consolider  les  murs  du  pourtour  qui 
existaient  ericorc,  avec  leurs  contreforts,  les  premières  assises  des  pieds  droits  des  portes 
monumentales,  du  mihrab.  Remontant  les  tambours  des  colonnes  en  se  guidant  sur 
celles  qui  avaient  été  trouvées  intactes,  pour  la  hauteur,  il  put  tenter  un  premier  essai 
de  reconstitution  et  échafauder  des  hypothèses  quant  à  la  destination  de  cette 
vaste  mosquée. 

Le  minaret  présentait  sur  l'une  de  ses  faces,  une  grande  fissure  qui  fut  bouchée  f-t 
le  p'an  incliné  qui  permet  de  monter  au  sommet,  consolidé  et  restauré.  Le  sommet 
même   fut   aménagé   en   plateforme. 

Ces  premiers  travaux,  quoique  considérables,  ne  révèlent  pas  tout  mais  ils  permet- 
liont  et  faciliteront  les  travaux  de  reconstitution  par  l'inwge  qui  pourront  être  tentés 
ultérieurement. 

GHELLA 

Chella  aura  toujours  pour  nous  un  irn-sistibic  attrait.  .Site  dénudé,  désertique,  décor 
simple  et  grandiose,   tel   il   apparaît   da   seuil    de   la  porte   des   Zaers.   L'enceinte  franchie, 


DE  L'1N.SHTI  T  DES  II  Al  TES  T:  Il  DES  MAI\0(:AliNES  453 

1  iiuprcssiuii  csl  dilïc'rcnlv  :  il  ol'fn;  aux  rcgaiJs  le  <iKiiiii<'  de  son  sol  accidcnlr  et  de 
àes    magnifiques    jaiJius    d'orangers. 

Avec  ses  vestiges  du;  consta'ucliouis  romaines,  miuuesquesi,  bcïî  manabouls  et  sa 
source,  nous  l'avons  trouvé  t<^'l  qu'il  nous  a  semblé  nécessairt',  de  le  considérer  contmc 
un  monument  historique  et  nous  l'avons  classé.  Le  classement  comprend  toute  l'étendue 
comprise  dans  l'enceinte,  mosquée,  nécropole,  marabouts  et  r<Miiceinte  elle-même,  avec 
son   admirable    porte. 

Le  Service  du  Plan  de  Rabat  a  pris  sur  lui,  pour  seconder  nos  efforts,  de  réserver  une 
large  zone  de  protection  autour  de  (^hella  alin  que  imlle  construction  européenne  ne 
vienne   rompre   l'harmonieuse   sérénité    du   lieu. 

En  1915,  les  ruines  à  l'intérieur  do  la  nécropole  étaient  envahies  par  une  végétation 
dél)ordante  qui  poussjiit  les  vieux  murs  et  menaçait  de  n'en  rien  laisser.  D'importants 
travaux  de  déblaiement  et  de  terrassement  dégagèrent  et  permirent  de  nettoyer  les  abords. 
Le  grand  mur,  dernier  vestige  important  de  la  koubba  de  Abou  el  Hassane  Ali  qui  proté- 
geait les  tombeaux,  fort  intéressant  par  sa  décoration,  luiné  à  sa  base,  était  en  faux 
aplomb.    Il    fut   redressé,    consolidé. 

L'année  suivante,  la  salle  des  ablutions  de  la  Mosquée  fut  nettoyée  et  divers  sondages 
pratiqués. 

Los   échauguettes  de  la    porte  monumentale    mérinide   furent   remises   en   état. 


MARRAKECH 

Avec    Marrakech,    les    difficultés    se    font    plus    grandes. 

La  ville  nouvelle  est  bien  théoriquement  éloignée  du  centre  indigène,  mais  celui-ci 
qui  s'ouvre  en  demi-cercle  sur  le  Gueliz  attire,  eu  son  centre,  la  place  Djemaû  El  Faa, 
une  grande  partie  du  commerce  européen.  Chaque  soir  une  foule  grouillante  l'anime  qui 
déserterait  lendioit  si  l'on  ne  gardait  à  cette  immense  place  le  cadre  auquel  elle  est 
habituée  et  qui    lui  donne   un  si  grand   caractère. 

D'autre  part,  lampleur  des  rues  des  souks,  les  gr&nds  espaces  qui  aèrent  cette  grande 
ville,  la  rendent  aussi  plus  vulnérable.  Les  voitures  de  toute  nature  peuvent  la  parcourir, 
et  où  passe  la  voiture,  la  boutique  ne  tarde  pas  à   s'installer. 

C'est  en  considération  de  tous  ces  écucils  que  nous  avons  gris  un  règlement  artis- 
tique, s'étendant  sur  toute  la  ville  à  l'intérieur  des  murailles,  avec  des  modalités  qui 
rendent  assez  souple  l'arme  défensive  que  nous  avons  forgée. 

Ainsi,  nous  avons  classé  non  aedijicandi  la  place  Djemaà  El  Fna,  mais  nous  n  impo- 
sons aux  façades  qui  l'entourent  qu'une  servitude  d'aspect,  afin  d'éviter  les  réactions 
qui  peuvent  cire  si  funestes  au  !-ort  du  centre  indigène  ;  nous  traiterons  chaque  immeuble 
de  celte  place  comme  un  cas  d'espèce  et  tenterons  ainsi  de  satisfaire,  à  la  fois,  nos  buts 
esthétiques  el  la  puissance  de  vie  et  d'évolution  contre  laquelle  nous  nous  heurterons 
inévitiiblemenl.  Il  se  trouve  même  un  quartier  neuf,  au  sud-est  de  la  Koutoubia,  régi  par 
un  règlement  de  voirie  applicable  aux  villes  nouvelies.  Nous  avons  classé  les  murailles, 
tout  le  rés«'au  de  murailles  qui,  sans  létouffer,  serpente  autour  de  la  ville  et  de  l'agdal. 

Deux  /jones,  l'une  intérieure,  l'autre  extérieure,  la  protègent  el,  en  certains  point.», 
s'élargissent  pour  garder,  au  spectateur,  le  recul  indispensable;  devant  la  porte  de 
Doukkala,  par  exemple,  afin  que  le  minaret  de  la  Koutoubia  se  présente  sur  la  silhouette 
lointaine  de  l'Atlas. 

Une  zone  isole  le  minaret  de  la  Koutoubia  et,  au  delà  de  la  zone,  un  dahir  limite 
ej]  hauteur,  le  développement  des  constructions.  Enfin  la  Municipalité  a  porté,  sur  son 
plan  d'extension,  La  création  do  jardins,  entre  la  place  Djemaà  El  Fna  et  la  Mosquée,  et 
entre   celle-ci  el   les   murailles  les    plus   proches,   pour   qu'aucune    construction    n'intercepte 

uEspÊRis.  —  T.   n.  —   1022.  30 


i;)4  AcrEs  ni  m-  coincui-s 

la    vuo   di    collf    pièt.o    miiquc    dv    l'arl    iu>liilooluial    inusuluMii.    de    i|iitl<|ui'    point    (iiioii 
v^^uille    l'aborder. 

nomme  moniiineiils  hisloriquo  nous  avons  dasso  lu  Médersa  Bon  Yonsst-f.  los  fnniainps 
El  Mouassin'j  aliénant  à  la  mo-^^qniH',  relie  de  Sidi  El  Hassano,  et  la  fontain^^  KchiY>h  nu 
Choiif,  toutes  tioi»  d'tni  laraclc'rf  archileclural  spécial  à  MaiTaki\ii  ;  h  l'oxtérirur  ilr  ii 
villi'.  If  pont  du  Nfis  «t  f»  ,i\dr<'s  pont.?,  situés  sur  l'oued  Tssil  qui  participent  si  iparfai- 
tenu'ut  à  renchanlement  qui  se  dégage  du  sol  bousculé  sur  lequel  s'élève  la  palmeraie; 
le  mausolée  des  chérifs  Saadiensi^  vénéroibU'  monument  arabe  dans  lequel  on  retrouve  le 
sentiment  et  les  proportions  des  édifices  du  xvi''  siècle  italien.  Dans  ee  dernier  nioiuiinent 
aussi  discrètement  <]ne  possible  et  avec  prudence,  nous  restaïuons  les  murs,  les  plafoiiils. 
les  revêtements. 

En  191S,  tontes  les  toitures  fuient  reprises,  charpentes  et  couvertures,  alin  de  suppri- 
mer les  infiltrations  qui  détérioraient  les  boiseries  de  la  Koubba.  Les  soubassements, 
les  dallafres,  la  toiture  îles  koubbas  du  bâtmicnt  principial  on!  été  restaurés,  et  nous  «n- 
treprenons  de  restituer  à  la  salle  longue,  eonlif^uë  ù  la  grande  salle,  le  plafond  en  menui- 
serie qui  «ivait   été   masqué   par   une   voût<-  «mi    berceau   surbai&sé. 

Kouioabia 

Le  mauvais  état  des  voûtes  dans  la  partie  supérieuiie  du  minarci  nous  obligea,  en  içjyi. 
a  y  faire  immédiatement  des  travaux  de  réfection.  Puis,  nous  avons  loninicncé  la  ma- 
lauration  du  lanlernon  dont  nous  avons  tout  le  revêlemenl  e|  le  couronnement  à  repren 
dre  :  ces  travaux  sont  en  cours. 

M(hlcrs(t  bel)    Youssci 

La  toitme  qui  recouvre  la  koubba  d'entrée,  la  terrasse  qui  s'étend  sur  la  salle  de  prières 
et   divers  autres  travaux   de  détails  ont  été  exécutés  de   1916  à   1951. 

Nous  élendon-  ee  chantier,  et  attaquons  à  la  fois  la  réfection  des  revêtements  de  zelli- 
ges,  les  menuiseries  et  les  plâtres  grattés  situés  dans  la  grande'  cour. 

SALÉ 

C'est  une  petite  cité  ayant  conservé  presque  intégralement  son  caractère.  Sur  l'agglo- 
mération tout  entière,  nous  avons  ét«!ndu  une  servitude  de  protection  que  nous  avons 
voulue  assez  souple  pour  ne  point  gêner  l'indigène  <lans  ses  habitudes  ou  ses  aspirations, 
mais  suffisante  cependant,  pour  empêcher  les  européens  assez  nombreux,  qui  ont  choisi 
Salé  comme  résidence,  de  transformer  sa  physionomie. 

Ce  règlement  de  voirie,  prescrit  «  qu'en  vue  d'empêcher  <iue  des  constructions  euro- 
péennes ne  viennent  compromettre  le  pittonsque  des  (piartiers  de  la  population  indigène, 
aucune  construction  ne  pourra  s'y  élever  qu'en  s»;  conformant  aux  proportions  d'ensemble 
ti  d'ornementation  des  anciennes  constructions  de  la    médina.    » 

D'autre  part,  afin  que  .Salé  garde  tout  son  alliail,  ia  sini|)licité  spacieuse  de  ses  abords, 
une  large  bande  a  été  réservée  par  le  Servicr  des  Plarns  de  Villes,  autjonr  de  ses  nmrailles.,  à 
l'intérieur  do  laquelle  des  servitudes  de  nou  aediflcandi,  de  hauteur  et  de  icculemenl 
des  pistes,  on  été  édictées.  Divers  dahirs  classent  :  les  nuirailles  de  Salé,  ses  portes, 
l'aqueduc  dit  Mur  des  Arcades,  la  porte  de  l'ancienne  Zaouia  de  Sidi  Ben  Abbas,  proch'' 
de  la  maison  de  <onvalesc6nce  ;  enfin  la  très  remarquable  petite  médersa,  contemporaine 
de  celles   de   Fez,    mais   de   proportions  plus  élégantes,   plus  élancées. 

Dans  cette  Médersa,  jusqu'on  1921,  quelques  consolidations  urgentes  ont  été  faites. 
A  ce  momen!,  nous  avons  repris  les  travaux  commencés,  élayé  les  murs  et  refait  la  toiture 
et  la  koubba  en  bois  de  la  salle  des  prières.  Ultérieurement,  et  dès  que  les  consolidations 
importantes  que  nous  effectuons  seront  terminées,  nous  entrepiendrons  la  restauration 
de    la    cour.    Actuellement,    elle    dispairaît    dans    un    corset    de    bois. 


DE  L'INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTUDES  MAIA(X:.\INKS  455 


—       PA&AT   »= 


Fie.  3.  —  Plan  de  Salé,  avec  iadicatioii  des  zoQes  de  proleclion  el  des  servitudes  de  voirie. 


456  vc.iKs  1)1   III'  (:().N(;iu^:s 

MAZAG\N 

Noliv  diiiiiiiinc  est,  ici.  tivs  liniil*',  luiismi'il  ii)iu|ii<'iul  i'iiiuicniu'  \iili'  pi)itii;,MiHc  qui 
fSl  dans  l'inipossibilil»'-  de  se  lit'wloppi  r  à  l'inlt-riour  tic  ses  rciuparts.  Le  n^^'lcmciil  de 
voirie  «|uc   nous   clablisson^   pour   clic,   scia    donc    très   simple. 

Los  remparts  au.\  solidc<  bastions,  cl  l'cj^lisc  paroissiale  de  l'Assoiuplion,  rcceiniucjit 
re^Uiurcf,    ont    été   classés. 

Nous  sommes  arrtîtés.  poui  la  salle  d'armes  du  Chàlcau,  par  dos  droits  <U'  propriété, 
encore  mal  déilnis.  Nous  voudiious  la  classer  aussi  \ilc  que  possible,  alin  que  les  habi- 
liints  des  maisons  qui  sont  bâties,  au-dessus  d'elle,  n'aient  phis  la  tentation  de  la  trans- 
former  en   égout,   ce  qui   un    moment    l'avait    l'ait   prendre   pour  une  citerne. 

SAFI 

La  petite  cilc  pitl()rcs<nic  de  Sali  présent»'  un  cii.seniblc  très  curieusement  artistique. 
Li  médina  élagx'c  que  domine  comme  un  belvédère,  la  Kechla ;  le  ChâlcKiu  de  mer,  son 
quartier  des  potiers,  consliliienl  un  jeu  riche  d'impressions  <pie  complète  le  voisina<:f<' 
de    la    mer. 

Le  Château  de  nu-r,  construit  par  les  Forlugnis  au  xvi"  siècle  (pii  domine  le  port,  la 
Kechla,  le  quarlioi-  des  jjoliers  qui  entoure  le  sancluain  de  Si  \hd  cr  Kahmane.  au-dcJà 
du   ravin    de   bab  <l    Kou'ass,   sont   classés. 

Sont  à  l'élude  des  projets  de  clas>^(>nieiit  pour  les  remparts  (jui  joignent  la  Kechla  à 
la  mcT.  Egalement  à  l'étude,  un  lèglement  d'esthétique  s'appliquanl  à  toute  In  ville  in- 
digène,  mais   tenant   compte  de   l'extension  du   port. 

Il  existe  aussi  des  vestiges  de  l'église  catholique  portugaise.  Une  voûte,  en  croisée 
d'ogives,  est  intéressante  par  les  éeussons  <[ui  décorent  le.s  clés  pendantes.  Les  indigènes 
ont  établi  un  hammam  sous  celte  \oùtc,  sans  d'ailleurs  l'endommager  et  nous  nous  pro- 
posons de  la  classer  cl  de  la  restaurer  dès  qu'il  nous  sera  possible  de  le  faire. 

MOGADOR 

Ne  nous  semble  pas  en  danger.  Datant  d>i  xvin"*  siècle,  et  contruitc  sur  les  plans  et 
sous  les  indications  d'un  ingénieur  français,  elle  évoque  un  certain  (piailier  de  NCisailles 
qu'une  colonie  nmsulmaue  aurait  adaptée  à  son  usage.  Elle  se  transforme  très  lente- 
ment, mais  dans  le  même  sens  et  nous  n'aurons  qu'à  veiller,  sons  angoisse,  sur  les 
constructions  nouvelles  pom-  les  maintenir  eu  harmonie  avec  l'ensemble;  cependant,  il 
nous  paraît  indispensable  de  classer  la  ceinture  de  murailUs  et  la  Skala,  qui  réunit  sur 
sa  plate  forme  de  nomb(reuscs  pièces  d'artillerie,  tant  en  fer  qu'en  bronze,  et  dont  quel- 
ques-unes sortent  des  ateliexs  de  Sé\ille  et  de  Barcelone.  La  porte  de  la  marine  et 
les  bastions  font  également  l'objet   d'un  projet    de   classement. 

D'autre  part,  la  zone  de  protection,  portée  sur  le  plan  d'extension  de  la  ville  et 
dajis  laquelle  des  jardins  sont  prévus,  établira  la  liaison  entre  les  deux  villes  que  les 
nécessités  du   terrain  on  faite  très  proches. 

MEKNÈS 

A  Meknès,  la  ville  nouvelle  se  développe  en  un  site  très  attrayant  et  semble  vouloir 
dégager  insensiblement  la  ville  indigène  de  tous  les  européens  <iui  y  habitent  sauf  ceus 
qui  sont  établis  en  bordine  des  passages    reliant  la  route  de  Habat  à  celle  de  Fez.   Sauf 


DE  L'INSTITUT  DES  II  AH  IKS-ÉTUDES  MAROCAINES  457 

les  rues  Houaiiicrziiir,  de  Dar  Sineii  i-l   ra\ciiiic  du  Mollah,  Mokiù-s  «ora  facile  à  maintenir 
dans    son    caractère    strictement    indigène. 

Sont  donc  isolés,  et  par  conséquent  à  l'abri,  le  j,n-oiii)e  des  palais  et  jardins  du  Sultan 
Moulay  Ismaïl. 

Nous  avons  établi,  comme  pour  les  autre»  villes,  un  règlement  de  voirie  approprié. 
Sont  classés  :  les  portes  et  les  remparts  de  la  ville,  la  place  El  Ilédim,  le  nrraud  ensemble 
de  Bah  Mansonr  et  de  Djama  eu  Nouar,  le  très  pur  morceau  d'architecture  constitué  par 
Bab  El  Khémis. 

Dans  l'Agdal,  les  uiagusins  de  Moulay  Ismaïl,  le  Djcnane  Ben  Alima,  transformé 
en  jardin  d'essai,  et  ses  deux  ravissants  pavillons  d'été;  la  grande  pièce  d'eau,  la  koubba 
El  Khiattine,  située  à  l'entrée  du  Palais  du  Sultan  et  oii  Moulay  Ismaïl  rendait  la  justice 
et    reçut   les  ambassadeurs  envoyés  par  Louis   \1V. 

Le    Dar    El   Béida,    résidence   de    Sidi    Mohamed    Ren    Allah    aménagé,    par    nos  soins  ît 
dans   son    caractère,    en   école    militaire    pour   fils   de    notables   indigènes. 

Nous  avons,  eu  cour?  d'enquête,  les  classements  de  diverses  fontaines,  des  nombreux 
msids  coraniques  dont  les  façades)  en  nnnuiserii's  arrêtent  si  heureusement  le  regard 
dans  les  rues  de  Meknès. 

Egalement,  les  médersas  de  Bou  Anania,  de,  Filala  et  le  fondouk  du  Henné,  près  du 
grand  souk. 

De   1915  à   1922,    nous  avons   lia\ aillé  <à  Meknès. 

D'abord,  c'est  l'admirable  Bab  VA  Khémis  dont  les  ruines  sont  complètement  conso- 
lidées,   puis   la    médersa    Bou    Ananiu    reçoit    des   éluiemenls    urgents. 

En  1916,  nous  commençons  l'aménagement  du  Dar  Béida  qui  a  été  à  peu  près  terminé 
dernièrement  par  la  création  d'un  vaste  jardin  maïu'e,  parsemé  de  chapiteaux,  trouvés 
dans  les   ruines. 

Au   jardin   de   Ben   Alima   les   pavillons  eurent  leurs   toitures  refaites. 

Bab  Berdaïn,  Genaoua  et  Bab  Mansour,  furent  quelque  peu  et  insuffisamment  res- 
taurées. En  1920,  la  pénurie  de  personnel  fit  abandonner  tous  les  travaux  en  cours  qui  ne 
furent   repris  qu'en   1921. 

Bab  Mansour  a  été.  pendant  les  années  1921  et  1922,  complètement  restaurée.  Le  bas- 
tion de  droite  qui  menaçait  de  s'éi-rouier  fut  redressé.  Nous  lui  avons  rendu  sa  silhouette 
primitive,  en  débouchant  la  bénika  du  se<ond  bastion.  Nous  avonsi  même  découvert,  au 
cour  des  travaux,  imc  grande  salle  voûtée  que  nous  avons  aménagée  pour  les  artistes  de 
passage. 

Le  Dar  Jamaï.  eotivenablement  restauré,  sert,  mainten:iut,  d(>  bureaux  pour  l'Ins- 
pection  des    Monuiucnls    Historiques,    des    Arts    Indigènes   et    île    l'Oftiee    Economique. 


FEZ 

La  ville  de  Fez  apparaît  a  priori,  comme  facilement  défendable  du  fait,  que  la  villle 
nouvelle  est  très   notablement   distante   du   groupe   des   anciennes   médinas. 

La  [)lus  ancienne,  Fez  ei  Bal!  se  trouve  protégée  par  la  proxiiuilé  des  jardins  de 
Bou  Dj.loud  et  la  niasse  même  de  Fez  Djedid.  Les  rues  (mi  sont  étroites,  le  sol  accidenté 
est   impraticable  aux   voitures,   ce   qui    pour   notre   action,    est   uu   avantage    notable. 

.Vu  point  de  vue  site,  il  nous  a  paru  eu  première  urgence  que  nous  devions  classer 
les  diverses  enceintes  qui  ceinturent  les  villes  et  l'Agdal.  les  remparts  intérieurs, 
toutes  les  portes.  Des  zones  ont  été  réservées  autour  des  villes,  ailu  de  maintenir  en 
son    cadre    original    et    grandiose    la    capitale    marocaine. 

Ce  qui  rend  notre  rôle  si  délicat,  et  ceci  est  vrai  pour  toutes  les  villes  dont  nous 
avons  la   garde,   c'est  qu'il   nous  faut   conserver   le   caractère,   l'attrait  des   cités    marocaines 


458  \(  IKs  |)l    III'  CdMiUf'iS 

sans  (Mifraver  la  \  io  ilu  peuple  «pii  lis  habite,  (".clui-fi,  désireux  de  bénéficier  des  avan- 
Uigcs  lie  notre  eixilisalion.  tenir  une  diversion  à  ses  habitudes  esthétiques,  et  accueille 
favorublenient.  sinon  nos  nnvurs,  du  moins  nos  procédés  d'existence.  Nous  avons  i\  hiltor 
contre   lui.   contre   rindij;ène   lui  inènie. 

Si  l'éloijrnenient  des  \illes  nouvelles  fut  à  l'orij^ine,  une  très  exeellrnlc  <lisposition,  elle 
demande  ;\  être  eoniplélé(>  par  \ine  surveillance  constante  des  villes  anciennes,  si  nous 
ne  voulons  pas  se  voir  peidre  le  hénélic.'  des  premiers  jias  accomidis  dans  ce  doniaiiir 
de   la   conservation   des  si! es. 

('<>rtaiiis  quartiei>s,  la  (.'asbali  des  Cliorarda,  relie  des  l'ilala  purent  être  classés  im- 
médiatement. Mais,  dans  le  rèirlcnient  (pie  nous  proposons  actu<'llement  à  la  signature  du 
Maré<'lial.  cl  qui  s'étend  sur  les  deux  villes  aurieun*'s,  nous  avons  dû  leinr  roniple  des 
différents  degrés  d'exigences  qu'il  nous  est  p<"rmis  d'imposer,  puisque  nous  ne  pouvons 
pas  réglomenlor  Fez  Djedid  où  «erlains  quartiers  se  transforment  inéluctablement  de  la 
rnèni(>  manière  que  Vc/.  c\   Hali  <pii  est   resté  si  profoiiilénient    in(lii;èiie. 

D'autre  part  K'  quartier  du  Donh  rassem.bli".  dans  son  milieu  aimabU",  une  grainde 
[jartie  de  la  colonie  europwnne  et  nous  nous  eontcnlnns  d'exiger  que  les  clnnstructions 
qui    s'édifieut,    s'inspireid    du    milieu    qui    caVractérise    les    quartiers    les    plus    proches. 

Voici   pour   les  sites. 

Sont  classés  :  le  groupe  des  portes  Dekaken  et  Bon  Je.loud  et  la  série  dos  médersas 
m('iinides.   pi'rles   d'art,    expression   d'un»'   dynastie    savante  et   noble. 

La  Méviersa  Seffarino,  la  plus  ancii-nne,  celle  de  Mlarim;,  de  Mesbabia,  de  Saliridj, 
construites  .sous  le  sultanat   de    \bou  Saïd   Otmane. 

Celle  de  Hou  Anania,  la  phis  largement  conçue,  dont  le  plan  aux  éléments  bien 
équilibrés,  bien  proportionnés,  apparaît  comme  la  synthèse  la  plus  complète  qui  ait  été 
faite  su;r  ce  programme.  Son  décor,  débordant  sur  le  souk,  accueille  bien  avant  l'entirée 
l'étudiant. 

La   médersa   C.berratine.  la  plus  récente,  édifiée  sous  les   Alaf)uites. 

Enfin  le  fondouk  Nejjarine,  qin  forme  avec  la  place  qui  le  précède  el  la  fontaine. 
l'un   des   groupes   le.-    plus    pittorestpics  de    la    Médina. 

Depuis  i0'5.  nous  avons  travaillé  d'une  manière  presque  ininterrompue,  <lans  les 
médersas. 

Dans  aucune  autre  vill<'.  le  monument  mériiiide  lu»  trouve  plus  d'expression,  plus 
de    variété    dans   sa    décoration. 

L'arabesque,  né<"  de  l'enroulement  de  fleurs  el  de  feuilles,  était  apparu-^  autour  dos 
arcades  de  l'amienne  mosquée  d'ibn  Touloun  au  Caire.  Plus  lard,  l'imagination  arabe 
voulut  se  faire  plus  subtile  cl  transfoiTua  la  ligne  vivante  en  une  ligne  purement  idéolo- 
gique qui  définit  bien  le  sens  spirituel  de  cet  art.  Quand  le  polygone  régulier  fit  son 
apparition,  dans  le  répertoire  ornemental,  les  géomètres  arabes  en  dégagèrent  quelques 
principes  et  constituèrent  on  fornmles  scientifiques,  ce  que  les  maallems  d'aujourd'hui 
exécutent    encoie.    lorsqu'ils    veulent    décorer    leurs   habitations. 

C'est  la  phalange  des  artis;ins  encore  imprégiu'-s  de  la  tradition  polygonale,  si  l'on 
peut  dire,  qui  nous  a  permis  d'entreprendre  lentement,  mais  avec  la  certitude  d'abou- 
tir. Il  remise  en  étal  de  ces  coffrets  incomparables  qui  n'ont  perdu  ni  leur  atmosphère 
religieuse,  ni  leurs  hôtes.  Et  ce  sont  encore  des  êtn-s  bien   vivants  qu'il  nous  faut  soigner. 

L'objet  est  trop  vaste  pour  que  nous  puissions  nous  étendre  sur  le  détail  de  nos 
restaurations. 

Nous  nous  contenterons  de  .«ignaler  que,  de  igiS  à  ce  jour,  nous  avons  consolidé 
les  coupoles  en  bois  des  koubbas  situées  de  part  et  d'autre  de  la  cour,  à  la  médersa  Bon 
Anania.  Puis,  la  charpcnle  el  l'auvent  de  la  koubba  d'onlrée  donnant  sm  le  petit  Taala, 
l'i  charpente  de  la  toiture  de  la  mosquée  et  une  voûte  en  bois,  les  darbouz,  plâtres  isculp- 
tés  el   zelliges  à   rintériein    du   patio;  l'auvent   couronnant    les  façades  sur  cour,   les   con- 


DE  L'INSTITUT  DES  lIXlfTES-ËTlDE^  MM'.OCMNES 


459 


4T60-  ACTFS  \)\    III'  (.o\(ilU':S 

«oies  sculplô<'s  i|iii  Ir  siipportonl  ;  nous  axons  icstimrr  l'c<i;ilii'i-  de  l'onlivo  principale 
cl  lo  vostibuir  ;  l.i  l'aviulc  l'ôlé  suil,  l'I  nous  coinnicuvoiis  des  liinaux  sur  la  façade  de  la 
ni0S(jii(S>. 

A  la  MfdcMs»  \llaiin'',  les  couloirs  ^^  le  voslibiilc  d'accôs  sonl  rcslaurés,  trois  faça- 
iK'S  sur  le  j)alio  sont  tonninéos.  la  «pialrii^nio  est  i)rosque  u<"hcv(^e.  Nous  travaillerons, 
i-elt*'   année.   ;\   rinlériciu"  de   la    salle   do   prii'^rc». 

A  la  Mt'dersa  S'iliriilj.  la  eliarpenle  en  bois  de  la  Mos<|uée  a  (Hé  remplacée  cl  deux  faces 
lin     patio    sont     restaurées. 

Nous  faisons  i)rt)eéili'r  dv  front,  à  la  restauration  de  ces  trois  monumcnt.s  ;  nous 
crtntinuerons  par  des  tiaxaux  à  la  Mi-deisa  Mesbahia,  à  la  MédcTsa  Cherratine.  à  celle  de 
SelTaiiiie   et    nous   eonebirous   avtn'    la    n'fection   de   la   petit*'    médersa    CluM'rabliine. 

lui  i<)i7  <'t  ii|iS.  une  très  importante  restauration  fut  faite  à  la  grande  porte  de  la 
inosqui'C  des    Audalmis   dtuil    l'auvent    a   été   eoniplètemeut    refait. 

Le  /)fi;'  .l(//iy<"/.  affecté  au  Service  des  \rls  Imligèues,  a  été  entièronicnt,  remis  en 
élal  pendant  les  années  11)17-18.  C'était  lii  demeure  d'iiu  uolahle  indigène  du  xviii"  siè- 
cle.  Elle  est  renianpiable  par  ses  grandes  lignes  et   les  iieureiises   proportions  de   son   patio. 

I.e  BciUta  fut  aménagé  en  partie,  après  restauration,  en  musée,  cl  plusieurs  écoles 
coraniques   furent    l'objet    de   travaux    de    réfection. 

.\ux   cnviiiuis  de    Vv/.    la    koubba    de    S'uU   Ihiruic.in    fut   restaurée   par    nos   soins. 


TÂZA 

Nul  ne  contestera  l'intérêt  du  site  de  celle  ville,  située  en  sentinelle,  à  l'entrée  du 
couloir  de   Taza. 

Sa  nicdina  montée  on  plein  ciel,  sur  un  osearpemenl,  est  cntouré(ï  d'une  enceinte 
fort,iliéc  dont  les  bastions  sont  classés.  Une  zone,  large  de  ■>,")o  mètres,  et  ({ui  descend 
jusqu'au  fond  des  ravins,  englobe  le  marabout  de  Si  lil  Hadj  Ali  Heu  Bar.  les  ruines 
qui  l'avoisinent,  la  grotte  di-  Kifan  Bon  (dioinari,  la  nécropole  et  les  roelicrs  taillés  srjr 
le?    pentes    de    la    ville. 

La  grande  mosquée,  seul  monument  très  import<ml  de  'l'aza.  est  classée.  En  certaines 
de  sefj  parties,  elle  date  de  l' Mmohade  Abd  El  Moumene  ;  et  est  surtout  remarquable  par 
sa    coupole   devant    le    mihrab,    son    miinbar   et    son    formidable    lustre. 

Comme  pour  les  autres  villes,  certaines  pré>c;autions  ont  été  prises  et  un  règlement 
d'esthétique,  récemnient  pronnilgué  a  pour  effet,  de  maintenir  la  médina  dans  son 
aspect    original. 

En  1918.  quelques  travaux  ont  été  faits  à  la  grande  Mosquée  oi  à  la  bibliothèque. 
En  1922,  la  coupole  du  mihrab  qui  est  si  joliment  ajourée  et  la  toiture  la  surmontant 
ont  été  remises  en  état, 

AGADin 

Nous  avons  classé  le  quartier  de  Sidi  Bou  Knadel,  groupé  autour  du  marabout  du 
même   nom,  avec  sa   petite  place  ses  escaliers  et  ses  portiques. 

La  Ka.sbah  des  .\ït  Rba,  dite  Casbah  Tadla  ainsi  que  h?  pont  situé  sur  l'Oum  Er 
Rebia,  ont  été  classés, 

MEHEDYA 

Nous  avons  classé  l'ensemble  des  ruines,  murs  d'enceinte,  puits,  rotonde  du  Com- 
mandant  du    Port   et    les   sites   compris    entre    l'enceinte   cl   l'ou-eid   Sebou. 

Comme  partout  ailleurs  une  zOne  de  protection  grève;   les  abords  de   servitudes. 


DE  LiiNSIITir  DKS  11  \ljrKS-l';rLjl)ES  m\iux:alne8 


461 


5  ^ 


3  Z 

'■7. 


Zi  rr. 


-35 


462  ACrKS  |)l    lir  CONClUvS 


J'ai  ilil,  au  cours  de  col  exposé,  en  parrouraiil  lc>  mcdvrsas  do  Foz,  «pa'  nous  avious 
à  soitriHT  (Us  êtres  \ivanls,  —  vivanlis  d'abor*!  par  ci"  que  oos  inonimiciils  n'dut  jamais 
otv  désaffocUis  <"l  poursuiviul  iulassablenn'nl  leur  rôlo.  Leur  enlrclieu  u'esl  donc  pas 
uuiquenieul  eelui  il  un  nioiuiuieiil  liisloricpie.  l/arl  qui  s'y  manifeste,  iniprtvgné  d'al)- 
solu,  lie  slal>ilil(''  relii,'ieu-;e.  n'a  pas.  ilepiii-;  la  naissance  de  ces  niouunu'uls,  renouvelé 
ses   forundo.  \i\auls.    île    la    \  le    Irautiuille    des   êtres    <|ui    -^e    seuleul    éleruels,    uiais    (jui 

toutefois  n'tud  eouipriuié  eu  eux  Tinslinel  qu'aux  épcxpies  de  déeliéauee,  ear  l'Arabe, 
en  vidaid  lU-  formes  animée-^  ^es  moxeus  il'vxpression.  chorrlia  loujours  à  briser  la  niono- 
lonie  de  ses  visions  plastiques  en  eoinbinani,  sans  ropos,  le><  lij^Mies  fandiières  qu'il  tord 
dans   tous   les    sens. 

L'arabe,  sans  .i\i)ir  noire  activité  eréatrice  qui  suscite  la  dérouverte.  ncronq)lit  ini 
miracle.    —   Le   miraele   de   l'esprit   arabe    le    voici    admirablcmeul    délini    par    Llie   Faurc 

((  l/c  mira(l."  de  l'espril  arabe  c'est  qu'il  fut.,  lui,  partout,  el  parlout  donùna  sans 
((  rien  <réer  p.ir  lui-mèiue.  \nareliique  et  un,  nomade,  sans  pbi*;  de  frontii>res  moralo 
((  que  <lc  frontières  matérielles,  il  put,  |)ar  oxda  même,  persuader  aux  peuples  vaincus  de 
(.   s'absorbei'   ilans    l'unité    de    son    q'éni<".    n 

Edmond    Pauty. 


COMPTES  RENDUS  DES  SEANCES  MENSUELLES 

DE 

[/INSTITUT  DES  HAUTES-ÉTFDKS  MAROCAINES 


Séance  du  jeudi  19  janvier  19S2. 

La  séance  est  ouverte  à  i5  heures,  sous  lai  présidence  de  M.  Hardy,  Directeur  Géné- 
ral de  l'Instruction  Publique.  M.  Urbain  Blanc,  Ministre  IMénipotentiiaire,  Délégué  à 
la  Résidence  Générale,  assiste  à  la  réunion.  Sont  présents  MM.  Henri  Basse! ,  Bruno, 
Louis  Brunot.  Célérier,  do  Cenival,  Fleui-j,  Gérenton,  Ismaël  llainct,  Laoust,  Lévi-Pro- 
vençal,  Marty,  Ricard,   le  D""  Renaud,   Roger,  Salfranc,   Terrasse,   Vors. 

M.  Laoust  étudie  les  mariages  collectifs  chez  les  Berbères.  Quelques  tribus  du  Maroc 
et  de  l'Algérie  ont  l'habitude  de  célébrer  à  la  fois,  à  certains  jours  de  l'année,  tous  les 
mariaiges  de  la  tribu.  L'institution  du  mariage  ne  présente  d'ailleurs  pas  chez  elles  de 
caractères  particuliers.  L'usage  de  ces  mariages  collectifs  ou  simultanés  se  rencontre 
aussi  chez  certaines  peuplades  de  l'Afrique  centrale  et  même  un  quelques  régions  d'Eu 
rope,  en  Bretagne  par  exemple.  M.  Laoust  décrit  les  cérémonies  auxquelles  donnent 
lieu  ces  fêtes  de  mariage  chez  plusieurs  tribus  du  sud  marocain.  Il  rattache  à  sou  étude 
celle  des  mariages  simulés,  qui  u'avaieut  jamais  encore  été  signalés  au  Maroc.  Il  est  pro- 
bable qu'au  cours  de  ces  fêtes,  les  mariages  aujourd'hui  simulés  étaient  autrefois  consom- 
més, et  qu'en  eux  survivent  de  vieux  rites  naturistes,  par  lesquels  les  Berbères  s'effor- 
cent d'aider  au  renouveau  de  la  végétation. 

MM.  Basset  et  Lévi-Provençal  présentent  quelques  observations  sur  une  inscription 
française  et  arabe  placé>  depuis  peu  à  l'entrée  de  la  ville  de  Rabat,  et  qui  contient  des 
erreurs   historiques. 

La   séance   est   levée   à    17    heures   3o. 

Séance  du  jeudi  S3  février  1922. 

La  séance  est  ouverte  à  ij  heures,  sous  la  présidenc;'  de  M.  Hardy,  Directeur  Géné- 
ral de   l'Instruction   Publique. 

M.  Henri  Basset  résume  le  résultat  de  ses  recherehes  sur  le  grand  dieu  libyquo  Am- 
mon.  On  ionnaît  surtout  ses  attributions  oraculaires  et  solaires;  il  semble  pointant 
qu'il  ait  été  principalement  considéré  par  les  Libyens  connue  un  protecteu.-  des  trou- 
peaux. C'était  son  caractère  primitif  —  il  reste  [)eut-ètre  môme  des  traces  de  ce  culte 
dans  les  croyances  actuelles  relatives  aux  troupeaux;  —  ce  n'est  que  par  son  assimi- 
lation avec  l'Amon  thébain,  dieu  bélier  et  solaire  dont  il  prit  le  nom,  et  avec  le  dieu 
de  la  Grandi^  Oasis,  qu'il  devint  un  dieu  solain^  et  nMidit  des  oracles.  Rien  ne  permet 
d'affirmer  l'origine  lihycpii'  du  dieu  ég\ptien;  qiiant  ;ni\  gra\nres  rupeslrcs  du  Sud-Ora- 
nais  qui  semblent  représenlci'  un  bélier  coiffé  du  (lis(|iir  solaire,  leur  âge  n'est  pas  déter- 
miné de  façon  as<ez  sûre  poni-  (|iie  l'on  ])nisso  en  tirer  un  ii'gumcnt  dans  quelque  sens 
que  ce  soil. 


464  coAiriKs  i;i:m)1  s  dks  si';\N(^,ks  mknsi  kli.ks 

M.    lltMiii    Rasscl    oxamiin'   oiisiiili'    los    rapiuul^   »ini    uniront   rAnmion    libyquc    ovtc 
H.ial    liaiiunoii,   Mt'I<|;ul  cl   Satiirnus. 
[^a  s«''ancc  «.si  lovi'o  à  lO  liruros  /|5. 

Séance  du  jeudi  30  mars  1922. 

La  st^amo  t•^l  oincrlc  à  i.i  liriiic^,  mui^  la  iik's'kIciico  tie  M.  lo  Maivrhal  do  l'rancc 
l.\aul('N . 

Lo  Socrotaiio  (.luniu-  locliiii'  dos  i)rooôs-\('rbaii\  <k'  svauoos  onvoyôs  i)ar  Icj^  ooinik^?^ 
régionaux    de   Manalvtvh    ot   do   Casablanca. 

M.  lîruMo.  a\ocal  à  Kabal.  pivscnlc  une  iHud'.'  sur  la  j-islioo  boriu^To  au  Maroc  cenlral. 
L'autour  a  inoni'  son  oMcpuMo  auprô^  d'un  group»'  do  Iribtis,  Gnerrouan,  Zaian,  Boni 
.Mf,Miil(l.  \U'\\\  Mlii',  Ml  Saddt'ii,  i|ni,  imniailcs  au  rôciininioiit  li\i'cs,  se  Irouvonl  avoir  Ir 
niôuio  jîonrc  dr  vio  ol   los  niônios   iustilutions. 

Il  u'oxislo  pas  chez  li's  IVi'rbôio>-  do  por-^oiui'l  pl■(^[•l(■IU(Mll  jinlii  i.uii;.  La  Djciuau  à 
ia<.[uolli'  II'.,  causos  soûl  dôfôrôcs,  n'a  (pTun  pouxoir  do  oouoiliallon.  iVL  Ihiiuo  oxposc  les 
rôirli's  ■iu\«pioll('>  »onl  stMiinis  la  noniinatian  di's  arbilros  ol  lo  choix  d<'s  cautions, 
«  iiuasiicM  ».  (|ui  irataidissiîut  la  coTupandion  dos  parties  et  l'oxôcutiou  do  la  sentence. 
Il   ôludie   la   priHcdun-   ol   les   modes   de   preuve   admis   devant   les    jiuidiolions   berbères. 

M.  lo  Maréchal  do  Franco  Lyaul(>y  prend  onsuilo  la  pa-olo  11  deniaiido  <|iie  soit  <lrcssée 
une  rarlo  du  Maroc  à  ré|>(X|uo  lomainc,  on  lonant  coniplc  do  tous  les  loxies  connus  et  do 
toules    les    découvorlos    archéolosiquos    faites    dans    ces    dernières    années. 

Il  parle  ensuite  île  l'organisation  de  l'enseignement  supérieur  franco-musulman  et 
de  la  très  haute  imporlance  <fue  présente  la  formation  d'uuo  élite  musulmane,  non  seu- 
lement au  point  de  vue  du  dévoloppenioid.  du  Maroc  et  de  la  politique  de  Protectorat, 
mais  aussi  au   point   de  vue  de   la   politique   islamiijue  générale. 


Séance  du  jeudi  27  avril  1922. 

La  séance  est  ouverte  à  i.")  heures,  sous  la  présidence  de  M.  Hardy,  Directeur  Géné- 
ral de  l'Instruction  I'ubli<juc.  Sord  pré<oid-  MM.  lîourilly,  Bruno,  Célérier,  de  Cenival, 
Haniol,  I^'v  i-ri(i\rii(al.  Lnubitriiac,  Marly.  Monlaj^Mic,  Passomard.  lo  h''  lU'uaxid,  îîoger, 
Terrasse. 

M.  Ismacl  llauict  préseuir  nue  coniiMunication  sui  les  noms  berbère-^  judaïsés.  Il 
résume,  d"apn-<  li's  tia\aiix  de  M.  \ahum  Slouscli.  rhi>loiro  do  l'établissoniont  des  Juif- 
en  Afrique,  ot  étudie  la  ijiie^lion  des  judéo-berbères.  Il  cite  un  cort;iiii  uonibie  do  noms 
d'origine   berbère   actuellement    portés   par    des    .luifs    marocains. 

M.  le  LieutenanI  de  vaisseau  Mnutagne  cite  nu  texte  géogra[)liiqiii'  d'Edrisi  relatant 
une  exploration  di'<  îIl<  t\v.  la  Mn  dos  Ténèbres.  Les  navigateurs  partis  de  Lisbonne 
abordèrent  à  plusirurs  îles  où  M.  Montagne  croit  reconnaître  les  Açores  et  les  Canaries. 
La  description  dos  habitants  de  ces  dernières  îlos  s'applique  convenablement  aux  Guan- 
ches.  De  môme  l'apprécialion  des  distances  concorde  avec  l'indication  du  temps  qu'il 
a  fallu  pour  les  parcourii-.  A  trois  jours  des  Canaries,  les  voyageurs  débarquèrent  sur  le 
continent  au  milieu  de  population?  berbères.  Ce  point  de  débarquement  doit  être  cherché 
dans   le   Sous. 

M.  Passemard  offre  à  l'inslitid  sa  NoUi  sur  les  terrasses  alluviales  du  Sebou,  paru" 
dans  les  Comptes  Hendus  de  rAoadémic  des  Sciences.  Il  expose  les  résultats  de  la  mission 
qu'il  a  ae(ompli<'  au  Maroc  pondant  l'année  1921.  Aucun  des  éléments  d'information 
(ju'il  a  pu  recueillir  ne  permet  li'élablir  ilo  synchronisme  eidire  les  données  de  la  pré- 
histoire  européenne   ot   celles  que    fournit   r.\frique   du    Nord.    Los    lécentos   découvertes   do 


r^E  I/INS'IITIT  DRS  II  \(  rKS-|':'|  l  DRS  M  \IU)r:AlNK?5  w.\ 

M.    Reyyusse  Tnoutr<'nl  qu'il    y    ;iiua    lieu    de   i('!\  iscr    un    grand    noinbic    ilc    uolinns   admises 
jusqu'ici    en   matière    de    préhistoire   africaine.    M.    l'assemard   croit   que    la    géologie    seule, 
t't   non    pas   la    comparaison   archéologique   avt'c    l'Europe,    i)erinettra    d'établir   pour    l'Afri- 
que  une   chronologie   préhistorique. 
La   séance  ost   levée   à    ifi   h.   /|5. 

Séance  du  jeudi  16  novembre  1922. 

La  séance  est  ouverte  à  i.')  heiucs,  sons  la  piésidcnre  de  M.  le  Maréchal  de  France 
Lyaiitey. 

Sur  la  jjroposition  de  M.  le  Diiv'cieur  Général  de  l'iiistruclion  i'ubli(iue.  rin-^titul 
procède  à  l'élaboration  de  son  programme  de  tra\ail  pour  1922-1923.  Un  certain  nom- 
bre  de    membres    s'inscrivent    pour    des   communicalions   à    faire   en    séances. 

M.  Terrasse  présente  une  étude  sur  les  portes  de  l'arsenal  de  Salé.  Ces  portes,  qui 
donnent  uctiiellcmont  accès  au  Mellah,  piésenlent.  tant  dan.s  leur  plan  que  dans  leurs 
défenses,  des  <araclères  tout  à  fait  parlic  iilicrs.  M.  Terrasse  montre  qn'il  s'agit  de  portes 
marines  en  partie  ensablées.  Elles  faisaient  jadis  communiquer  le  port  avec  les  bassins 
de  l'arsenal  créé  par  le  sultan  mérinide  Abou  Yoiissof  Yaqoub  pour  construire  les  vais- 
seaux qui  devaient  porter  ses  armées  en  Espagne,  à  la  guerre  sainte.  Le  style  de  l'orne- 
mentation, d'accord  avec  les  textes  historiques,  assigne  à  la  construction  de  ces  portes 
une  date  voisine  de  l'an    1260  de   l'ère  chrétienne. 

M.  Hardy  lit  l'ordre  du  jour  du  Congrès  annuel  de  l'Institut,  qui  se  tiendra  à  Rabat 
les  7,  8  et  9  décembre  prochains.  Pour  mieuv  assurer  la  collaboration  de  l'élément  indi- 
gène, une  séance  sera  consacrée  aux  lettrés  musulmans  qui  présenteront  des  commu 
nications  dans  leur  langue. 

La   séance   est  levée  à   16   h.   3o. 


I 


BIBLIOGRAPHIE  MAROCAINE 


ANNÉE   1922 


BIBLIOGHAPHIE 

Beguinot  (Francesco).  Gli  Studi  berberi  dal  1919  al  maggio  1922,  ds.  Hivista 
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des  éditions  de  Fès  (suite  et  fin);  ds.  Revue  Africaine,  19:^2,  1'    liiju., 
p.   170-185;  2'"  trim.,  p.  333-347- 

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Revue  Africaine,  i"'  trim.  1922,  p.  39-8/1. 

Le  registre  n°   274  conlient   des   pièces  capitales   pour   l'histoire   de 
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Cenival  (Pierre  de).  Rapport  sur  les  travaux  de  l'Institut  des  Hautes- 
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du  Maroc,  2''  trim.  1922,  p.  79-87;  '6''  trim.,  p.  191-20/1;  4^  trim. 
316-334. 

Uésuiiiés  et  brefs  coniip'tes-rend'uisi  critiques  de  nombreux  ouvrages  et 
articles  de  revues'. 

Chronique  bibliographique.  Travaux  récents  sur  le  Maroc|  «et  de  caractère 
scientifique  et  documentaire,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  des  5<;.  Naturelles 
du  Maroc,  i"  sept.  1922,  p.  ii5-ii6. 

Gattefossé  (J.)  et  E.  Jahandiez.  Essai  de  Bibliographie  botanique  maro- 
caine, ds.  Bulletin  de  la  Soc.  des  Se.  Naturelles  du  Maroc,  i"''  juin 
1922,  p.  71-86. 

Sur  Institut  des  Hautes-Études  Marocaines 

Publicaiicms,  tomeisi  I-VII  (1918-1921 1,   C.  R.  par  Gabriel  Ferranh 

ds.  .Journal  A'Siatique  avril-juin  1922,  ip.  286-289. 
Bulletin  de  l'InMitut  des     Hautes-PJndes     Marocaines     (1920)      et 

Hespéris  (1921),   C.    R.    p«r   F.    Bkguinot   ds.    Oriente   Modenio, 


i{\^  IIKSPI'KIS 

I.")  niai'^  W^'l'l.  |t  (H{()-Oin;  |Kir  M.  (Iimii.n,  ils.  liiillctin  </c  /(/  Soc. 
(/«•  Liityiiisliquc,  n"  "1,  p.  I'i*>:  piii'  A.  (;n[AH  id.n  |  diSL  iliiillcl'ni  de 
/((  Soc.  </<■  Cicogr.  du  Maroc,  l'"'  trini.  1022,  |».  .")(') '«-."iliC»;  par 
I  i;ria/i()  (l.uiDi  ds.  I}ii>islii  (Lujii  Sliidi  Orientali,  l.  I\,  1922. 
p.  ild-VIl,  par  CA\.  (lo  K\  UoNciÈHK  (Is.  Coiiiilr  des  'riaraitx  His- 
toriqiKS,  Jiidht'ni  de  ht  Snlioii  de  (irofjritidiir  I.  .\.\.\\l,  1921, 
p.    LIX-LX. 

I.i':vi-I*i<oven(.:ai,  (1*1. V  Les  manuscrits  arabes  de  I<abat.  I.  (Uibliollirqiic 
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///(//  (/('.s-  ll(nil('s-l-^hu(cs  inai'i'Cdinrs,   I.   Vill. 

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Piibl.  du  Service  de  la  S<inic  ci  de  l'Ilyijicnc  [Hildiiiiics  (tu  Maioc, 
Expoiiition  colonitdc  <h'  M<u-seilli'  i\y.r>,  in-8".  i /i  p.  Nniivcau  liiagi; 
d'une  (''liidt"  panic  d^.  liiillclin  de  rinslHnl  des  11.   /v.    M.    n):>o. 

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GÉOGHAPHIE 

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—  Observations  sur  les  nappes  de  charriage  du  bassin  du  Sebou,  ds.  C.  R. 

sommaire  des  séances  de  la  Soc.  (jéol.  de  France,  '>/|  avril  i()'m>.,  p.  86. 

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ments colonimtx  ''snppl*.    h   ]'. Afrique  frtntniif^c)  aoùl    1922,   p.  240. 

CÉLi^RiER  (J.).       Le  service  de  météorologie  maritime.   le  service  météoro= 

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letin  de  la  Soc.  de  Géogr.  da  Maroc,  '6"  Irim.,  p.  108-162. 

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1922,  p.  5o-55. 

Voyage  dans  le  Haut-Atlas  (Ourika  et  Reraïa)  ds.  BuUelin  de  la  Soc. 
de  Géogr.  du  Maroc,  '6"  trim.,  p.  i3b-i57,  pi.  h.  t.;  4"  tiiiu.,  p.  269- 
282,   I  pi.  et  I  panorama  h.  t. 

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809,  4  illustr. 

Estudios  relatives  a  la  Geologia  de  Marruecos,  scgunda  parte  [comprenant]  : 
Introduccion  par.  A.  Marin,  p.  1-27;  Estudio  geologico  de  la  Penin- 
sula  NorJe-Marroqui,  par  E.  Duply  de  Lomé  y  J  Mila\o  del 
Bosch,  p.  27-143;  Notas  para  el  estudio  hidrologico  del  Rif  Oriental, 
por  A.  del  Valle  et  Pablo  F.  Yruegas,  p.  i43-2  24;  Nota  geologica 
de  las  islas  Chafarinas,  por  A.  Marin,  p.  224-2/12;  Apendice,  p.  242- 
25i;  Excursion  à  Xexauen,  por  J.  Milano  del  Bosch,  p.  25i-263. 
Madrid,  192 1,  Boletin  del  Instiluto  geologico  de  Espana,  t.  XLII, 
(Tercera  série,  t.  II),  4i6  p.,   11  planches  h.  t.  av.  cartes  et  coupes. 

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170  ■  iir,spi':nis 

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(/(.'   /".l((/(/.    </(',s-  Scinici's,   S  jaiiv.    H)>;i,    p.    /17-/1S. 

Piuiu)!  (riiiiilci  cl  l.diiis  (ii.Mii..  Sur  les  prtuluctious  véfiélîiles  du  Maroc. 
La  constitution  du  sol  marocain  et  hs  influences  climatolo^îques. 
Happcrt  de  la  mission  confiée  à  IMIM.  Perrot  et  (ientil  par  M.  le 
Ministre  du  Commerce  et  POïïice  National  des  matières  premières, 
contenant  en  outre  : 

1"  Noiiee  de  M.  l\ené  MvntE...  Coup  d'oeil  sur  la  végétation  du 

Maroc; 

2°  Notice  de  M.  Jean  Gattki ossi':...  ;  Les  Plantes  dans  la  Thérapeu- 
tique indigène  au  Maroc; 

0"  iNolice  de  Mme  Dbi  ouukki';...  :  Sur  les  matières  colo.rantes  végé- 
vales  employées  au  Maroc. 

Paris,  en  dépôt  eliez  Larose,  i<j'.'. i,  in-8",  170  ]).,  (S  i)l.  hors  texte, 
7  lig.  ds.  le  texte,  une  carte  li.  L.  ('/'/ymv;//./'  de  rojjicc  mdioual  des 
malicres  prcmii'rcs,  Notice  n°   10). 

C.  R.  i>ar  J.   L[ADRErr]  de  L[acu/Vriuèiie],    ds.  lîcnscigncincnls  colo- 
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—  Remarques  sur  les  témoins  de  la  transgression  mésocrétacée  à  tra- 
vers le  Maroc  central,  ds.  Compte-Rendu  somm.  de  la  Soc.  Géol.  de 
France,  6  févr.  1922,  p.  36-38. 

—  Nouvelles  observations  sur  la  transgression  mésocrétacique  au  Maroc, 
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—  Sur  la  constitution  du  Djebel  Tselfat  et  des  régions  voisines,  ds. 
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472  IIESPÉIUS 


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d'Alger  et  de  l'Afrique  du  Nord,  1922,  n°  90,  pp.  467-521;  n°  91, 
pp.  623-691  (à  suivre). 


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figures. 

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ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géogr.  d'Alger  et  de  VAfr.  du  Nord,  1922, 
n°  88,  pp.   151-175. 

—  DoNON  (Jean).  —  Le  Transmauritanien  [d'après  le  Général  Calmel], 
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l 


474  HESPÊRIS 

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—  Pkyuonnet  (Cap.).  —  Les  chemins  de  fer  du  Maroc,  ds.  Bulletin 
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—  Le   réseau   ferré   Marocain.    Lignes  construites,   en  construction  oiu 

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C.   R.  par  Augustin  Bernaiid  ds.  La  Géographie,  t.   XXXVIII,   juin 
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p.  85-g8,  5  fig.  —  Marins  Porte.  Développement  économique  du  Maroc, 
p.  99-107,  6  fig.  —  Les  Travaux  publics,  les  moyens  de  communica^ 
tion,  les  transports,  p.  108-109.  —  L'avenir  industriel  du  Maroc, 
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par  A.  Charton,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géogr.  du  Maroc, 
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470  nnspriRTS 

• —     Au   «  Maroc  utile  »,  tls.  IhiUi'Un  de     la     Soc.  ih'  C,iU)gr.  <hi  Maroc, 
4"  Irim.  1952,  p.  3i4-3i5. 

Note  sur  la  valeur  tVononiiquo  dos  régions  parifu'ossi  '|,HMiilaiil  la  raïu- 
]iai;no  de  prinleinpis  1022,  INToyon-MIas. 

Velu  (H.).  —  Le  Cheptel  ninrocnin.  Ce  qu'il  est.  Ce  qu'il  peut  devenir,  ds. 

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C.    R.    ]>ar  A.    Charton,    ds.    Bull,    de   la   Sor.    de   Céoqr.    du   Maroc, 
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5  fig. 

YovANoviTCH  (R.)  —  Le  Maroc  et  ses    perspectives  en     matière  de     pétrole 

extrait,  de  la   Bcvuc  Pétrolifère,   n^pioduil    i)ar   la   C,a:eUe   Vinancicre 
Marocaine,  i5  janvier  1923. 

A 

Cartooraphik 

("îENTiL  (Louis).  —  Carte  physique  et  politique  du  Maroc^  au  t  :  t.Hoo.ooo* 
Paris,  Larose,  1922. 

Sur  riENTii.  (Louis).  Carte  géologique  provisoire  du  Maroc 
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graphical  Journal,  novembre  1022,  p.  372;  par  RoimcART  (Jacques) 
l'ue  nouvelle  carie  géologique  générale  du  Maroc,  diS.  la  Géogra- 
phie, t..  XXXVIT,  mars  1022,  p.'  283-283;  par  .Toi.EAi'n  (L.)  Les  ré- 
cents progrès^  de  la  qéologie  au  Maroc  (A.  propos  de  la  nouveille 
earte  au  1  :  1.500.000®  de  M.  T.ouis  Gentil)  ds.  Rcv.  Générale  des 
Sciences,  30  déc.  1021.  p.  741-7'i3,  1  fig.);  non  signé',  Une  nouvelle 
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p.  78-80. 

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Annales  de  Géographie,  i5  nov.  1922,  p.  /|33-/|/'|8. 

Les  pages  436-438  sont  consacrées  aai.\  cartes  du  Maroc. 

TouRNEUR-AuMONT.  —  La  cartographie  du  Maroc,  ds.  Bulletin  de  l'Institut 
colonial  et  agricole  de  Nancy,  1922,  fasc.  XXlî,  p.  i/i;>.-i55. 


BIBLÏOGRAPIITE  MAROCAINE  EN  1922  477 

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Carbone!,  1920  :  C.  R.  par  Gabriel  Ferrand  fis.  .Tournai  Asiatique, 
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Sur  :  Basset  (Henri).  Le  culte  des  grottes  au  Maroc,  Alger,  Carbo- 
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1922,  p.  324-326;  par  Gabriel  Ferrand,  ds'.  Journal  Asiatique,  avril- 
juin  1922,   p.   291-293. 

Beguinot  (P.).  —  La  letteratura  Berbera  seconde  un  opéra  di  H.   Basset, 

extr.  de  Oriente  Modcrno,  anno  II,  n"^  7-8-9^  28  pp. 

BÉJOT  (Lt.).  —  Au  sujet  d'une  station  préhistorique  trouvée  à  ElBoroudj, 

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p.  102. 

Su/i'  BÉ.10T  (L.).  Étude  sur  le  tatouage  en  Algérie,  extr.  des  Bulle- 
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1922,  p.   175-176. 

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Charton,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géogr.  du  Maroc,  1*"^  trim. 
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1922,  p.  320-321;  par  Ifgnazio]  G[uu)i],  ds.  Ritrista  degli  Stwdi 
Orientali,  t.  IX,  1922,  p.  418-420;  par  CI.  Huart,  ds.  Journal 
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Bulletin  hispanique,  janvier-mars  1922. 

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478  IIESPÉRIS 

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C.  I\.  ]K\v  llonri  1V\sskt,  ds.  lla^pn-ia,  i'".'!"  Iiiiii.  \\)1'1,  p.  17;);  pai' 
A.  CiiARTON,  ils.  Ihdl.  de  /(»  Soc.  de  (iroijr.  dit  Maroc,  V'  tiim.   1922, 

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Sur  (^xMi'AUiuM'.  [.a  gmllc  de  Kijaii  bel  (ilioiiuin  à  Taza,  —  La  né- 
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M|airollin]    1î|oi'i,k].    ds.    Autliropolotjic,    li)22,    ji.    \W. 

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Paris,  Picai'd.   i()'t,  ^r.  in-S'\  ]).  r)0'i-r)()3. 

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354  C,  pi.). 

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Sur  Laoist  (K.).  ISonis  et  cérémonies  des  feux  de  joiv.  chez  les 
Berbères  du  Haut  et  de  l'Anti-Atlas,  ds.  Ilespéris,  1921  :  (1.  11.  par 
M.  I)[ei.af(1ssk]  ds.  Bcvue  d'Klhnoijraphie  el  des  Tradilions  fiopu- 
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Soc.  Arcli.  Cotislditline,   i»)v>,    p.    ror)-isi/i,    i   pi. 

MiLLioT  (L.).  —  Le  Qânoûn  des  Ma'  âtqâ,  ds.  [Jcspcris,  y  tritii.  i <)'»:>.,  p.  193- 
208  (/t  fig.). 

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2®  trim.  1922,  p.  Ii2-liç). 

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Sur  Westermaiick  (E.).  Les  Cérémonies  du  ynarinfje  au  Maroc,  liiad. 
de  Panglais  par  Mmo  J.  Arin.  Paris,  Leroux,  1921,  in-8°  (Ecole 
Supérieure  de  langue  arabe  et  de  dialectes  berbères  de  Babat, 
t.  vu)  :  C.  R.  par  Augaiisitin  Bernard,  ds.  la  Géograpliie,  t.  xxxvii, 
mars  1922,  p.  315;  par  II.  Basset,  dis.  Revue  de  l'IIist.  des  Reli- 
gions, t.  Lxxxv,  p.  214-218;  par  Henri  Massé,  ds.  Revue  Africaine, 
3"  et  4«  trim.  1922,  p.  511-512. 


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Médecine  indigène 

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publiques  au  Maroc.  Expos,  coloniale  de  Marseille,  1922,  in-S",  ('1  p.)- 

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de  la  Santé  et  de  l'Hygiène  publiques  au  Maroc.  Exposition  coloniale 
de  Marseille,   1922,  in-8°,  i3  p. 

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i5  mars  1922,  pp.  i9'i-i9S;  11"  6,  i5  avril  1922,  pp.  2^10-2/12;  n°  7, 
i5  mai  1922,  pp.  279-280;  11°  8,  i5  juin  1922,  pp.  3o9-3ii;  n°  9, 
i5  juillet  1922,  pp.  333-335;  n"  10,  i5  août  1922,  pp.  367-369; 
n°  II,  i5  septembre  1922,  pp.  391-392;  n°  12,  i5  octobre  1922, 
pp.  421-/122.   Casablanca,   Imprimerie  de  la  Vigie  Marocaine. 

Mauran  (D).  —  Considérations  sur  la  médecine  indigène  actuelle  au  Maroc, 

Publ.  du  Service  de  la  Santé  et  de  l'Hygiène  publiques  au  'Maroc. 
Exposition  coloniale  de  Marseille,  1922,  in-8°,  9  p. 

Nouveau  tirage  d'une  étude  parue  ds.  Bulletin  de  l'Institut  des  H.-E. 
Marocaines,    1920. 

Rousseau  (D').  —  La  trépanation  en  tribu  Sraghna.,  Publ.  du  Service  de  la 
santé  et  de  l'Hygiène  publiques  au  Maroc.  Expos,  coloniale  de  Mar- 
seille,  1922,  in-8°  (4  p.)- 

Valeton  (D).  —  Le  Marabout  de  Sidi  Ben  Achir  [à  Salé].  Ses  rapports  avec 

l'Assistance  publique,  publ.  du  Service  de  la  Santé  et  de  l'Hygiène 

publiques  au  Maroc.  Exposition  coloniale  de  Marseille,    1922,    5   p. 

—     Le  Maristan  de  Salé,  publ.  du  Service  de  la  Santé    et  de    l'Hygiène 

publiques  au  Maroc.   Exposition  coloniale  de  Marseille,   1922,   i5  p. 

* 
*  * 

Le  Glay  (M.).  —  Le  chat  aux  oreilles  percées.  Paris,  Plon-Nourrit,  1922I, 
in-i2. 


4  80  IIESPERIS 

Ir.Ns  (A.  de).  —  Derrière  les  vieux  murs  en  ruines,  Paris,  Cîalmami  Lovy, 
jc)r>.?.,  in-i*.>. 

—     Marouf  le  Clairvoyant,  ds.  J.a  lîcvue  de  France,  iT)  août  ny.r-?,  p.  713- 

7/.1. 

Doux  romans  ot  uno  nouvellp,   où  l'on   trouvera  une  documentation 
ethnographique  d'une  réelle  valeur. 


LTNCUISTTQUE 
Arabe 

Brunot  (Louis).  —  Yallah  !  ou  l'arabe  sans  mystère,  Paris,  Larose,  in-8°, 
99  pp.    (Bv,Uetin  de  V Enseignement  public  du  Maroc,  n°  3/i,   1921). 

C.  R.  par  André  Bapsft  ds.  Ilcspcrls,  3"  Irini.  1022,  p.  ^50-352;  par 
Marrol  Cohi-n,  ds.  nujlctiv  de  la  Soe.  de  Lin(]iiisiuitie  de  Paris,  10'22, 
n"  71,  p.  141-142;  par  A.  Coi'r,  ds.  Ilcc.  Soe.  Areh.  Consinntine, 
1922,  p.  321-322;  par  J.  Ti[.\r)RKiT  dr]  LfACUAURn^RE]  d;s.  rAjrique 
frmieaise,  mars  1022,  p.  ITiS-lSO;  par  L.  IM[asstonon]  ds.  Ih'jme  du 
Monde  Musulman,  t.  îi,  juin  1022,  p.  170;  non  sipjné,  ds.  The  Mos- 
lein  World,  octobre  1022,  p.  427. 

Sur  Rrinot  (liOuis).  Notes  lexicologiques  sur  le  vocabulaire  mari- 
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ds.  Bulletin  de  la  Soeictr  de  Géographie  du  Maroc,  l®""  trim.  1922, 
p.  537-363;  par  A.  Cour,  ds.  Rec.  Soc.  Areh.  Constantine,  1022. 
!p.  321;  par  I[pnazio]  G  [mm],  ds.  Bii^ista  degli  Sttidi  Orientali, 
t.  IX,  1022.  p.  41(S-420;  par  Cl.  IIuart,  dsi.  Jourmal  Asiatiqrie,  fan- 
vier-mans  1022,  p.  107-111;  par  E.  T^kvi-Provknçal,  dis.  Revue 
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Le  Caire,  1920  :  C.  R.  par  E.  Lkvi-Provknçat.,  ds.  Revue  Africaine, 
2«  trim.  1922,  p.  336-338. 

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C.  R.  par  L.  Rrinot,  ds.  Ilespéris,  3"  trim.  1922,  p.  347-330;  et  ds. 
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IL  Massé  ds.  Revue  Africaine,  3"  et  4''  trim.,  1022,  p.  510-311. 


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au  moyen  âge.  V.  Inventaire  des  textes  arabes  d'Averroès,  ds.  Mélan- 
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I  (54  pp.). 

Sur  Carra  de  Vaux.  Les  penseurs  de  l'Islam,  Paris,  Geuthner,  1921, 
2  vol.  iii-12;  C.  R.  par  Michelangelo  Guroi,  ds.  Rivista  degli  Studi 
Orientali,  t.  IX,  1922,  p.  422-424;  par  Huart,  ds.  Journal  des 
Savants;  pai"  E.  LÉ vi- Provençal,  da.  Hespéris,  l"-2®  taim.  1922, 
p.  177-179. 
Sur  Cour  (A.).  Un  poète  arabe  d'Andalousie  :  Ibn  Zaïdoûn;  C.  R. 
par  C.  A.  Nallino  ds.  Rivista  degli  Studi  Orientali  t.  IX,  1921 
p.   199-206. 

[Ibn  IIodeïl]  Aly  ben  Abderrahman  ben  Hodeïl  el  Andalusy.  —  La  parure 
des  cavaliers  et  l'insigne  des  preux,  édité  d'après  le  manuscrit  de 
M.  Nehlil,  revu  et  corrigé  sur  l'exemplaire  de  la  bibliothèque  de  l'Escu- 
rial,  par  Louis  Mercier.  Paris,  Geuthnei;,  1922,  in-8°,  vi  p.  +  98  p., 
texte  arabe  reproduit  en  fac-similé.  (La  traduction  sera  publiée  ulté- 
rieurement.) 

G.  R.  signé  M.  ds.  Revue  Archéologique,  juillet-octobre  1922,  p.  200- 
201;  signé  Cn[EiKHoj  (L[ouiiS]),  ds.  el-Machriq,  août  1922,  p.  744- 
745. 

Lévi-Provençal  (E.).  —  Les  historiens  des  Chorfa.  Essai  sur  la  littérature 
historique  et  biographique  au  Maroc  du  xvi^  au  xx^  siècle.  Paris,  *JD. 
Larose,    1922,  in-S",  A70  p.,  5  pi. 

C.  R.  par  Henri  Basset,  ds.  Revue  Africaine,  3''-4^trim.  1922;  par 
Louis  Brunot,  idis.  Bull,  de  l'enseignement  public  du  Maroc,  1922, 
n°  44,  p.  91;  par  Ch[eikho]  (L[ouis]),  dis,  el-Machriq,  1922,  p.  818- 
819;  par  Henii  Massé,  d^s.  Hespéris,  l«"^-2«  trim.  1922,  p.  179-181; 
par  David  Lopès,  ds.  Revista  de  Historia,  de  Lisibonne,  t.  XI,  1922, 

■  p.  284-285. 

Sur  bs-Saih  (Mohammed  ben'Abd  es-Salam  ben'Abd  er-Rahman), 
el-Montakhabât  el-abqarîyija  li-tollâb  el-madâris  eth-thanawîyya, 
Rabat,  Impr.  officielle,  1921,  in-8°  237  p.;  C.  R.  par  E.  LÉvi- 
Provençal,  d3.  Revue  Africaine,  2^  tiim.  1921,  p.  358-359. 


48â  IIESPÉWS 

HISTOIRE 

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arabe),  iii-8",  G-'i  p.,  8  illiislr. 
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ji  ibldl  nagdh  Abi  Jandàr,  au  sujet  de  rideulilicalioii  du  saint  Sidi 
lahià  ben  loùnos,  Casablanca,  li^/n  liég-.  1922,  en  arabe  in-8°, 
36  p. 

Casenave  (J.).  —  Les  présides  espagnols  d'Afrique  (leur  organisation  au 
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Sur  Castrieb  (Lieul.-Col.  lleni-y  de).  Sources  Inédites  de  l'Hist.  du 
Maroc.  Archives  et  Bibliothèques  des  Pays-Bas,  t.  Y.,  Paris,  Le- 
roux, 11)20;  C.  B.  par  Georges  Vver,  ds.  Revue  Africaine,  1922, 
1"  Li-im.,  p.  211-216. 

Sur  ClAsriuts  J.ieut.-Col.  11.  de).  Sources  Incdiles.  . .,  \\'vÀi.  et  Bibl. 
d'Espagne,  t.  I,  Paris,  Leroux,  1921;  C.  11.  par  Heiiri  Basset,  ds. 
Ilcspéris,  3®  triui.,   1922,   p.  354-357. 

Sur  Castries  (Le  comte  Henry  de).  Graciosa  :  une  ville  portugaise 
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l'Histoire  des  Colonies  Françaises,   1922,   2"  trim.,  p.  319-321. 

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l'Hist.  des  Colonies  Françaises,  1922,  3*  trim.,  p.  181, 

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en  1554,  reinando  la  catolica  y  prudente  Majestad  de  D.  Pelipe  se= 
gundo,  ils.  licvisla  hispano-ajricana,  nov.  njr>,  p.  ;V^()-;^3(j,  i  carlo, 
1   ûg. 

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Antiquité 

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-2  fig. 

Caricatures  de  Daumier,    à  propos   de   la  guerre  iiispuuo-marocaiiie, 
de  1859. 

HESi»ÉKIS.   —    T.    a.    —     1IJ22  32 


48G  11E8PÉH1S 

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ils.  VlUuslralion,   l'.T)  mais   \[y.>.:>.,  p.   :>()3  :>.(iG,   /|   illnslr.,  /\  caiLcs. 

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dans  V  Illustration,    iS   nov.    1922,   p.      /187-/190,      S   illuslr.,    i   carie 
signé  R[eginald]  K[ann.] 

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Service  de  la  Santé  et  de  l'hygiène  publiques.  Pçéface  du  Médecin 
Inspecteur  Obert.é.  Paris,  A.  Maloine  1922,   i  vol.  in-T2  de  i3'i  pp. 

—  Oberlé  et  Renaud  H.-P.-.T.  (D").  —  La  pénétration  pacifique  par  le 
médecin  au  Maroc  depuis  1908,  dans  Archives  de  Médecine  et  de 
Pharmacie  Militaires.  T.  LXXVII,  n°  3,  septembre  1922,  pp.  280-261 
avec  2  cartes;  Paris,  Charles  Lavauzelle. 

Tarde  (A.  de).    —    Quelques  thèmes  d'un  homme  d'actfion  :  le  Maréchal 

Lyautey,  ds.  la  Beiwe  hebdomadaire,  29  avril  1922,  p.  528-512. 

Le  voyage  du  Président  de  la  République  dans  l'Afrique  du  Nord,  ds.  Ren- 
seignements coloniaux  (suppl.  à  l'Afrique  française),  mai  1922, 
p.  io5-i53  [le  voyao-e  du  Président  au  Maroc  occupe  les  pp.  io5-i2i]. 

—  M.  Millerand  au  Maroc,  ds.  VlUustration,  i5  avrit  1922,  p.  335- 
342,  16  illustr.  —  et  Le  voyage  de  M.  Millerand  en  Afrique  du  Nord 
ibid.,  22  avril,  p.  357-36o,  9  illustr. 

—  Le  Président  Millerand  dans  le  Nord  Africain.  L'œuvre  de  la  Répu= 
blique.  Maroc,  Algérie,  Tunisie.  Paris,  Hachette,  1922,  gr.  in-S" 
V111  +  199  pp.,  32  pi. 

—  BoujANDAR  (Si  Mohammed.)  —  Le  voyage  au  Maroc  de  M.  Mille- 
rand, Président  de  la  République  Française,  1922,  [en  arabe].  Rabat, 
Impr.  Officielle,    1922,  in-8°,    112  p. 


La  Question  Espagnole 

La  accion  de  Espana.  Los  regulares  de  Melilla,  ds.  Revista  hispano-africana, 
nov.   1922,  p.  350-357,  8  fig.;  déc.   1922,  p.  882-889,  6  fig. 

Ou  Taillis  (Jean).  —  Au  cœur  du  Rif  inconnu,  ds.  VlUustration,  2  sept. 
1922,  p.  195-199,  7  illustr.,  2  cartes;  9  septembre  1922,  p.  226-229, 
8  illustr. 


490  HESPËRIS 

L'Espagne  au  Maroc  et  la  question  de  Tanger,  ds.  V Afrique  française,  1922, 
janvier,  p.  6-2/n  févrici:,  p.  67-77;  n^'^rs,  p.  i/|8-i55  et  p.  172;  avril, 
p.  175-18/1;  mai,  p.  249-266  et  268;  juin,  p.  292-302;  juillet,  p.  334- 
356;  août,  p.  379-386;  septembre,  p.  4ir)-424;  octobre,  p.  /|/|6-/|53; 
novembre,  p.  494-5ii;  décembre,  p.  527-535. 

La  plupart  des  chroniques  publiées    sous    ce    litre  sont  signées  el- 
Fqih=Léon  Rollin. 

L'Espagne  et  le  Rif.  Le  Directeur  d'un  journal  de  Madrid  visite  Abdel  Krim 
et  ses  prisonniers  espagnols  au  camp  d'AdJir,  ds.  V Illustration,  19  août 
1922,  p.   i5/i,  2  iiluslr. 

CoicoEciiKA  (Antonio).  —  Aspccto  del  problenia  hispano  ma.rroqui.  La  liber- 
tad  del  estrecho,  ds.  Revista  IUspano-Af ricana,  mars-avril  1922,  p. 
81-82. 

La  guerre  dans  le  Rif.  L'assaut  du  Pefion  de  Vêlez,  ds.  V Illustration,  27  mal 
1922,  p.  5i/i,  3  illustr. 

Operaciones  en  la  zona  espanol.  Informacion  de  la  campana  de  Mamiec-os, 

ds.  Revista  Hifspano- Africana,  janvier  192  ^  p.  22-27,  ^^^  ^'f?- 

Operaciones  militares.  Informaciones  de  la  zona  espanola,  ds.  Revista  His- 
pano-Af ricana,  imirs-avril  t9'v>,,  p.  109-11/1,  i5  fig.;  mai,  p.  t58-i67, 
21  fig.;  juin,  p.  202-211,  20  lig.;  juillet-août,  p.  25i-255,  10  fig.; 
octobre,  p.  324-328,  i  carte,  5  fig. 

Ortega  (Manuel  L.).  —  En  la  Cumbre  del  Buhaxen.  Una  visiîa  al  "  Senor 
de  la  Montana  "  [Raïssoiili].  Cuatro  dias  en  la  zona  rebclde,  ds.  Revista 
Hispano- A f ricana,  septembre  1922,  p.   286-293,  6  fig. 
—     El  pacto  con  el  cherif  Raisuni,  ds.  Revista  Hispano- A  f  ricana,  octobre 
1922,  p.  3o4-3o6,  3  fig. 

Sangroniz  (J.-A.  de).  —  Muley  Abdesselam  Ben  Machich,  "  polo  del  Islam  " 
y  patrono  de  Yebala,  ds.  Revista  Hispano- A  f  ricana,  janvier  1922, 
p.  18-19. 

La  Sovranità  del  Sultano  del  Marocco    sulla  zona  d'influenza  spagnuola,  ds 

Oriente  Moderno,  i5  mars  1922,  p.  63i-633  (signé  U.  F.). 

* 
*  * 

Tanger 

Voir  :  L'Espagne  au  Maroc  et  la  question  de  Tanger,  ds.  l'Afrique  française. 

Sur  Villes  et  Tribus  du  Maroc;  t.  VL  Tanger  et  sa  zone  (Documents 
et  renseignements  publiés  par  la  Direction  des  Affaires  indigènes 


BIBLIOGRAPHIE  MAROCAINE  EN  1922  401 

et  du  Service  des  Renseignements,  section  socicylogique).  Paris, 
Leroux,  1921,  in-8°;  C.  R.  par  M.  de  Aldecoa,  ds.  Bulletin  de  la 
Soc.  de  Géogr.  du  Maroc,  l^""  trim.,  1922,  p.  553-55KJ;  par  Augustin 
Bernard,  ds.  la  Géofiraphic,  t.  XXXVII,  mars  1922,  p.  315;  par 
Segonzac  (M'^  do).  Tançfcr,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géoir.  du 
Maroc,  2°  trim.,  1922,  j/.  3-10;  par  S.  M.  Zwemer,  ds.  The  Moslem 
World,  oct.  1922,  p.  428. 

Yanguas  (José  de).  —  Tanger.  Las  très  soluciones,  ds.  Rcvistn  Hispano  A f ri- 
cana, mars-avril  icj?.2,  p.  1/17-1/18. 

VOYAGES 

Anfreville  de  la  Salt.e  (L.  d').  —  Le  Maroc  nouveau.  Marrakech,  capitale 

du  Sud,  ds.  le  Correspondant,  i(^9.?.,  25  mars. 

Diehl  (Charles).  —  Trois  semaines  au  Maroc,  ds.  Revue  de  Paris,  i'""  juil- 
let 1922,  p.  37-57. 

DupRÉ  (Raoul).  —  Marrakech  et  ses  environs.  Excursions  de  Pâques  de  la 
Société  de  Géographie  du  Maroc,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géogr.  du 
Maroc,  2*"  trim.  1922,  p.  91-98. 

Durand  (P.-L.).  —  Tourisme  et  excursions.  Excursions  autour  de  Marra- 
kech, ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géographie  du  Maroc,  i""  trim.  1922, 
p.  582-593. 

[Foucauld  (Charles  de)].  —  L'inauguration  du  Monument  de  Foucauld  à 
Casablanca.  i\  Allocution  de  Mgr.  Dank.  2°,  Discours  de  M.  de  Sego>- 
ZAC,  3°,  Allocution  de  M.  le  Maréchal  Lyautev,  A°,  Extraits  de  lettres 
inédites  du  Père  de  Foucauld,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géogr.  du 
Maroc,  4^  trim.  1922,  p.  211-232,  2  fig. 

—    Segonzac  (Marquis  de).  —  La  visite  de  Ch.  de  Foucauld  à  Ouaouizea-t, 

ds.  l'Afrique  française,  oct.  1922,  p.  f^fii-àfi^. 

Sur  Bazin  (René).  Charles  de  Foucauld,  explorateur  du  Maroc,  ertnite 
au  Sahara.  Paris,  Plon-Naurrit,  1921;  C.  R.  par  Augustin  Bernard, 
ds.  La  Géographie,  t.  XXXVII,  févr.  1922  p.  178;  par  G.  Esqier; 
ds.  Revue  Africaine,  3«  trim.   1922,  p.  521-522. 

Graham  (R.-B.  CunninghameV  —  Mogreb-eLAcksa  :  a  Journey  in  Morocco 

[en   1897],    nouv.   édit.,   London,  Duck^vorth,      1921,   xi  +  3oo     ])p., 

(18  sh.). 

C.  R.  signé  F.  R.  C,  dis.  Georraphical  .tournai,  mars  1922,  'pi.  210; 
signé  J.  N.   ds.  'la  Géographie,  nov.   1922,  p.  484. 

Mangin  (Général).  —  Autour  du  continent  latin  avec  le  "  Jules  Michelet  ". 


492  IIESPriRÎS 

T.  Tanj^er  et  les  îles  Canaries,  ds.  licvnr  <lrs  Ih'ii.r  Um/h/.'x,  if)  st'idcm- 
bre  i9'.v.i,  j).  •.>/|i-i^5o. 

Nancy-CiEorge.  —  Maroc=la-Rou^e,  ou  les  enseij^nenienis  de  Tlslani,  \nv- 
face  de  M.  J.-II.  Hosny  aîiu''.  Taris,  T/ihi'.  (l(>s  Lettres,  i ()•>•),  in-i) 
(111  +  227  p.). 

r.ABBR  (P. -F.).  —  Sur  les  rives  du  Bou  Regrej?.  Chella  Salé  Rabat.  Taris, 
Bcrger-T-cvraiilt,   t9>>.  in-i  >,   i()7  p.,  illiistr. 

Raymond  (Jean).  —  La  Traversée  de  l'Atlas  occidental  en  automobile,  de 
Marrakech  à  Affadir,  1.'^  Juin  i()'>i,  ds.  linlIcUn  de  la  Soc.  de  (Iroçir. 
(In  Maroc,  Y  li'im.   ii)>>,  p.  •^*^3  •>()''.. 

Redan  (Pierre).  —  Aux  confins  du  pays  Berbère  [Maroc  oriental].  Paris, 
Delalain,  in-i6  (t()o  patres). 

C.  R.  ds.  L'Afrique  française,  ov[    11)2:2,  p.  171-172. 

Ricard  (Prospei).  —  te  tourisme  aérien  au  Maroc,  ds.  France-Maroc,  avril 
1922,  p.  99-102,  fig. 
—    Une  traversée  du  Haut  Atlas  par  Tizi  N'Test  et/  le  pays  Goundafi, 

ds,  C.Iah  Alpin  français.  Bnllciin  de  la  Scciion  du  Maroc,  i\"  t,  anne\(; 
au  Bulletin  de  la  Soc.  de  Gcogr.  du  Maroc,  f\"  irim.  i9'V).,  p.  5r-22, 
I  croquis,  i  photo. 

RouTHiER  (D'  TTenri).  —  Chez  le  Cheik  Said  Tij^zirin,  pul)l.  du  Service  de 
la  Santé  et  de  Vllygiènc  publiques  nu  Maroc.  Exposition  'Colonia.le 
de  Marseille,  1922,  16  p. 

Vicaire  (Marcel),  —  Au  Maroc,  Feuilles  d'album,  préface  de  Jérôme  et  Jean 
Tharaud.  Paris,  H.  Leelerc,  1922,  in-8°,  /|  p.,  36  pi.  li.  t. 

Wattier  (Ch.).  ■ —  La  route  des  Alpes  du  Maroc  [Moyen  et  r.rand  Atlas], 
ds.  France-Maroc,  février  1922,  p.  3/1-87,  firifures;  niar:s  i\)'ri,  p.  7S-81. 

C.  R.  par  A.  CnAiiTON,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géogr.  du  {Maroc, 
2«  trim.,   1922,  p.   86-87. 


DROIT.  —  LÉGISLATION.  —  ADMINISTRATION 

Lerel  (R.).  —  Les  carrières  administratives  au  Maroc,  ds.  V Orientation  pro- 
fessionnelle, Paris,  10,  rue  Scheffer,  1922,  aoûl-sepl.  (n°  37-88)  p.  i- 
32;  octobre  (n°  39),  p.  i-25. 

Snr  GoT'LVEN  (J.).  Traité  d'économie  et  de  législation  marocaines. 
Paris,  Rivière,  1921,  2  vol.  in-8°;  C.  R.  par  A.  Charton,  ds.  Bull, 
ds  la  Soc.  de  Géogr.  du  Maroc,   1"  trim.,  1922,  p.  601. 


BIBLIOGRAPHIE  MAROCAINE  EN  1922  493 

Leclère  (Gomma ridiuit).  —  Les  terres  collectives  de  tribu  au  Maroc,  ds. 

Renseignements  coloniaux,  (suppl.  à  V Afrique  française),  février  199.2, 
p.  33-42. 

C.  R.  par  A.  Charton,  ds.  Bulletin  de  la  Soc.  de  Géogr.  du  Maroc. 
t  triin.,  1922,  p.  83. 

jMesureur  (André).  —  La  propriété  foncière  au  Maroc,  avec  un  glossaire  des 
termes  arabes.  Paris,  Vuibert,   1921,  in-8°,  vii+iaS  pp. 

C.  R.  par  Charton,  ds.  Bull,  de  la  Soc.  de  Géogr.  du  Maroc,  l^""  trim. 
1922,  p.   603. 

MiLLioT  (Louis).  —  L'évolution  de  la  terre  collective  dans  la  propriété  indi 
viduelle,  en  Algérie  et  au  Maroc,  ds.  Urnsdiincniciils  (■(ihuiiau.r  fsnppl. 
à  l'Afrique  fraurdisc) ,  déccmbn^  iç)-v>.,  p.  333-339. 

MiLLioT.  —  Les  terres  collectives  (Blad  Djema'a) ,  étude  de  législation  maro- 
caine. Paris,  E.  Leroux,  1922,  in-8°. 

C.  R.   par     .L   L[adreit]     de  L[Ar.ii\iuui:Rr;],     ds.   l'.l/nV/KP  françaifse, 
oct.  1922,  p.  469-471. 


^ 


Bibliographie 


Gabriel  Ferrand  —  Voyage  du  mar- 
chand arabe  Sulaymân  en  Inde  et  en 
Chine,  {les  Classiques  de  l'Orient, 
t.  VII).  Paris,  éd.  Bossard,  1922,  8°, 
157  P- 

La  récente  collection  des  classiques 
de  l'Orient  vient  de  s'enrichir  d'un 
volume  dans  lequel  M,  G.  Ferrand 
traduit  le  récit  de  voyage  du  marchand 
arabe  Soulaymân  en  Inde  et  en  Chine, 
rédigé  en  l'an  85 1  de  notre  ère,  et  les 
remarques  par  lesquelles  le  compléta 
vers  916  Aboû  Zayd  Hasan  de  Sîrâf, 
sur  le  golfe  Persique.  Ces  deux  opus- 
cules, dont  le  manuscrit,  unique  se 
trouve  à  notre  Bibliothèque  Nationale, 
avaient  déjà  été  traduits  par  Beinaud 
en  1845  ;  mais  depuis  celte  date,  nos 
connaissances  sur  la  géographie  histo- 
rique du  Moyen  et  de  l'Extrême-Orient 
se  sont  considérablement  accrues  ;  peu 
de  savants  y  ont  autant  contribué  que 
M.  Gabriel  Ferrand  :  on  connaît  son 
recueil  des  textes  arabes  relatif  à  l'Ex- 
trême-Orient, dont  deux  volumes  ont 
déjà  paru,  et  son  édition,  actuellement 
sous  presse,  du  recueil  d'Instructions 
nautiques  laissé  par  le  pilote  arabe  de 
Vasco  de  Gama.  Nul  mieux  que  lui 
n'était  désigné  pour  donner  de  l'ancien 
et  fort  important  récit  de  Soulaymân 
une  nouvelle  édition,  qui  mît  k  profit 
les  progrès  de  la  science. 

Les  relations  étaient  suivies,  au 
ix'  siècle,  entre  les  ports  du  golfe  Per- 


sique et  la  Chine.  Elles  dataient  déjà 
de  loin.  Dès  le  siècle  précédent,  les  com- 
merçants musulmans  étaient  nombreux 
à  Canton  ;  en  758,  nous  les  voyons  inter- 
venir au  cours  d'une  révolte.  Ce  port, 
que  l'auteur  assimile  au  Khanfou  des 
itinéraires  arabes,  semble  d'ailleurs 
avoir  été  le  seul  ouvert  au  commerce 
étranger;  mais  tout  y  était  très  bien 
réglé.  Les  marchands  musulmans  for- 
maient une  véritable  colonie  ;  l'un  d'eux 
servait  d'imam  et  de  khât'ib,  et  avait 
juridiction  sur  ses  coreligionnaires, 
organisation  qui  rappelle  quelque  peu 
celle  des  marchands  chrétiens  au  Moyen- 
Age  dans  les  ports  d'Orient  et  de  Bar- 
barie; les  marchandises  étaient  pas- 
sibles à  l'entrée  d'un  droit  de  3o  0/0, 
et  restaient  consignées  jusqu'à  l'acquit- 
tement dans  lés  entrepôts  de  la  douane. 
L'administration  chinoise,  fort  perfec- 
tionnée, excite  l'admiration  de  Soulay- 
mân et  de  ses  compatriotes;  ils  vantent 
notamment  l'organisation  de  la  justice, 
en  matière  commerciale  surtout;  la 
façon  dont  on  contrôlait  les  dettes  et 
jugeait  les  faillites;  ils  louent  le  sys- 
tème des  passeports,  nouveaux  pour 
eux,  et  qui  permettait  de  voyager  en 
toute  sécurité  à  l'intérieur  du  pays. 
Car,  bien  que  le  commerce  arabe  fût 
concentré  à  Canton,  d'aucuns  s'avan- 
cèrent plus  loin  :  Ibn  Wahab,  quelques 
années  plus  tard,  allait  rendre  visite  au 
souverain,  qui  résidait  alors  à  Si-ngan- 


496 


HE9PÉRIS 


l'ou  :  ou  lrou\oia  \o  récit  desoii  voyagr 
dans  la  seconde  partie  do  cet  ouvrage. 
(Quelques  dizaines  dannéesplus  tard, 
les  choses  changèrent.  Agilalions,  ré- 
voltes, anarchie.  houioNcMsèrcnl  la  sage 
adniiiiistralidii  (luc  (ic.rixail  Soulay- 
niàn.  et  rendin>nt  fort  précaire  le  com- 
merce. Les  niarcliands  aral)es  allèrent 
pins  rarement  à  Canton,  et  Ion  ne  vil 
plus  arriver  que  de  loin  en  loin  les  vais- 
seaux et  les  marchandises  de  Chine 
ilans  les  ports  du  golfe  Persiiiue.  Dans 
celle  période'  iK.uhléc  pourtant,  les 
relations  ne  lurent  pas  entièrement 
interrompues  :  Itcuvre  d'Aboù  Zayd 
llasan  deSiràl'.  rédigée  vers^iG  d'après 
des  renseignements  recueillis  par  lui- 
même  auprès  des  marins  de  sa  ville 
natale,  est  presque  aussi  volumineuse 
et  aussi  documentée  <pie  le  récit  de 
Soulaymàn. 

Ces  deux  relations  ne  nous  ren- 
seignent pas  seulement  sur  la  Chine, 
mais  aussi  sur  la  route  qui  y  menait. 
L'itinéraire  de  Soulaymàn  concorde, 
d'une  manière  générale,  avec  ceux  que 
donnent  les  géographes  ou  les  poly- 
graphes  de  son  siècle  et  du  suivant, 
tels  qulbn  khordûdzbeh  ou  Mas-oùdî. 
On  connaissait  l'existence  d'une  route 
de  terre,  par  où  arrivait  parfois  le 
musc,  mais  on  ne  la  suivait  pas.  Le 
voyage  par  mer  durait  environ  cinq 
mois;  on  faisait  de  fré(juentes  escales. 
De  leur  passage  en  tant  de  pays  divers, 
les  marins  rapportaient  quelques  faits 
d'histoire,  légendaire  ou  réelle,  quel- 
ques traits  de  mœurs  qui  les  avaient 
frappés  ;  on  les  trouve,  en  grand  nombre, 
consignés  dans  ces  deux  relations,  mê- 
lés à  la  description  des  choses  mer- 
veilleuses qu'on  voyait  en  ces  régions 
lointaines,  les  peuples  étranges  et  les 


phénomènes  de  la  mer.  Ces  récits  de 
voyage  ont  lout  le  charme  des  Aven- 
tiif'  s  de  Siiulhàd  le  marin. 

Aussi  ce  livre  ne  s'adresse-t-il  pas 
seulement  aux  géographes  et  aux  orien- 
talistes. La  collection  dans  la(piclle  il  a 
paru  sj  propose  de  faire  connaître  au 
public  lettré  de  l'Occident  (piehpies- 
nnes  des  meilleures  n'u\resde  l'Orient. 
D'aiilies  peuvent  avoir  une  plus  large 
portée,  mais  peu  sont  d'une  lecture 
aussi  attachante.  Au  reste, le  volume  se 
présente  admirablement,  comme  tous 
ceux  de  la  collection  :  son  impression 
est  fort  soignée,  el  de  nombreux  bois 
de  belle  allure  signés  de  Mlle  A.  Kar- 
pelès,   \iennent  le  rehausser. 

Henri  Basset. 

\.  Ih'.L.  —  /.es  lieni  S/ious  cl  leurs 
mosquées,  (extraii  du  lUilleliii  arcliéo- 
iu(/i(/uc,  içi'^oj.  Paris.  Imp.  Nat.,  iQaa, 
/|3  p.  <S  plans  et  fig. 

xM.  Bel.  qui  citiuiaît  admirablement 
la  région  des  Beiii  Suons  (Béni  Suons 
et  Azaïl),  au  sud-ouest  de  TIemcen,  non 
loin  de  l'actuelle  frontière  marocaine, 
a  remar(iué(pie  plusieurs  des  moscpjées 
dans  lestpielles  ])rierit  ces  cam|)agnards 
sont  des  édifices  anciens.  11  s'est  effor- 
cé de  les  faire  classer  comme  monu- 
ments historiques;  et  le  rapport  qu'il 
a  établi  pour  appuyer  cette  proposi- 
tion constitue  une  étude  archéologique 
approfondie.  Le  pays  est  fort  islamisé  : 
il  possède,  pour  une  population  somme 
toute  assez  faible  —  moins  de  7000  âmes 
—  quatre  mosquées  cathédrales  .-Tafcs- 
sera,  el-Tleta,  el-Khemis  et  Béni  Achir. 
Les  trois  premières  surtout  méritent  de 
reteinr  l'attention;  elles  sont  pourvues 
de  minarets  où  l'on  retrouve  les  carac- 


BIBLIOGRAPHIE 


497 


téristiques  des  minarets  d'époque  mé- 
rinide  :  décorés  d'arcatures,  couronnés 
de  merlons  et  surmontés  d'une  lan- 
terne; de  fait.  M.  Bel  estime  qu'ils 
datent  de  la  première  moitié  du 
xiv*  siècle.  Quant  aux  mosquées,  elles 
sont  au  moins  aussi  anciennes,  et  peut- 
être  même  davantage  :  M.  Bel  incline 
à  les  croire  almohades. 

Les  lignes  générales  de  l'architecture 
de  ces  édifices  sont  les  mêmes  que 
dans  les  villes,  Tlemcen  notamment, 
si  proche,  et  dont  l'influence  est  mani- 
feste. Mais  la  décoration,  à  l'ordinaire 
très  sobre  et  d'ailleurs  fort  maltraitée, 
apparaît  différente  dans  le  détail.  On 
n'a  pas  fait  appel  aux  artisans  des 
villes  ;  elle  est  l'œuvre  de  campagnards, 
et  cela  se  trahit  par  le  choix  des 
motifs  .•  on  y  rencontre,  à  Tafessera 
surtout,  toute  une  série  de  ces  dessins 
que  l'on  est  accoutumé  de  trouver  dans 
les  grimoires  magiques  ou  sur  des 
amulettes  plus  ou  moins  orthodoxes, 
ou  qui  décorent  les  étoffes  et  les  pote- 
ries berbères.  11  est  bien  intéressant 
de  connaître  par  ces  exemples  la  dispo- 
sition et  la  décoration  de  mosquées  de 
campagne  à  l'époque  brillante  où  s'éle- 
vaient les  somptueux  édifices  de  Tlem- 
cen, de  Fès,  de  Chella  et  de  Salé. 

Mais  ces  mosquées  peuvent  nous 
apprendre  encore  autre  chose.  Leur 
nombre  dans  cet  étroit  canton  et  leur 
ancienneté  apportent  quelques  préci- 
sions sur  la  date  et  l'intensité  de  la  péné- 
tration de  rislâm  dans  quelques  cam- 
pagnes berbères.  Sans  doute  les  Béni 
Snous  étaient  à  l'égard  de  Tlemcen  dans 
unedépendance  économique  étroite,  qui 
pouvait  faciliter  chez  eux  la  diffusion  des 
doctrines  musulmanes  :  placés  sur  un  sol 
trop  pauvre  pour  qu'il  pût  les  nourrir, 


ils  devaient  chercher  dans  cette  ville, 
autrefois  comme  maintenant,  un  mar- 
ché sur  lequel  écouler  le  produit  de 
leurs  industries  rurales  :  et  Tafessera 
était  une  bourgade  plus  importante 
qu'aujourd'hui,  centre  d'une  industrie 
du  fer  qui  a  depuis  disparu.  Cepen- 
dant ces  circonstances  ne  suffisent  pas 
à  expliquer  l'islamisation  profonde  du 
pays.  Car,  par  ailleurs  les  Béni  Snous, 
montagnards,  ont  su  garder  leur  origi- 
nalité :  même,  ils  ont  conservé  jusqu'à 
nos  jours  leur  parler  berbère  Maison 
entrevoit,  si  l'on  accepte  les  conclu- 
sions de  iM.  Bel  relativement  à  l'âge 
des  constructions  (pi'il  étudie,  deux 
grands  mouvements  de  prosélytisme 
nmsulmaii,  au  cours  du  Moyen- \ge, 
dans  ces  campagnes  tlemcéniennes  :  à 
l'époque  des  Almohades  ;  et  plus  sûre- 
ment au  \iv'  siècle,  au  temps  de  la 
dynastie  'abd  el-wâdide.  Il  serait  fort 
intéressant  de  pouvoir  faire  ailleurs  les 
mômes  constatations.  Le  grand  mou- 
vement de  prosélytisme  du  xvi*  siècle 
nous  voile  les  efforts  antérieurs  :  l'étude 
des  humbles  mosquées  de  campagne 
pourrait  parfois  les  faire  apparaître. 
Henri  Basset. 

Dupuis-Yakouba.  Industries  et  prin- 
cipales professions  des  habilanls  de  la 
région  de  Tornboaclou.  (Publication  du 
Comité  d'études  historiques  et  scienti- 
fiques de  l'A.  O.  F.)  Paris,  E.  Larosc, 
192 1,  ig3  p.  2  pi.  et  nombreuses 
figures. 

Ce  livre  est  avant  tout  un  album, 
tout  rempli  de  dessins  et  de  croquis, 
nets  et  typiques,  où  le  texte,  parfois 
un  peu  sommaire,  n'intervient  que 
pour  expliquer  les  figures.  M.  Dupuis- 


498 


HÈSPÈI\IS 


\  akouba.  (lu'nii  lit''>  loii^  scjttuià  'l'Dm- 
bouctoiiacomplèloment  l'ainiliariséavcc 
les  choses  et  les  gens  du  grand  inaiehé 
Soudanais,  préseiile  suoe<>ssivement 
l'outillage  el  l(>s  [>ioduils  de  toutes  les 
iiuUisliies  qui  s>  pralinueut  :  il  apporte 
ainsi  un  ens(Mnl)le  d'evcellents  docu- 
ments, très  utile  contribution  à  relhiio- 
gtaphie.  non  seulement  du  Soudan, 
mais  encore  do  lAfiiiiue  du  Mord.  On 
sait  en  elle!  les  liens  nombreux,  histo- 
riques, religieux  et  économiques,  qui 
unissent  ces  régions  :  tout  on  conser- 
vant leurs  caractères  particuliers,  prin- 
cipalement en  matière  de  décoration, 
sur  lacpiellc  les  inlliiences  proprement 
soudanaises  sont  considérables,  les  in- 
dustries de  Tombouctou  présentent  de 
très  grandes  analogies  avec  celles  de 
l'Afrique  du  Nord,  surtout  du  sud 
tunisien,  algérien  et  marocain.  Ces 
rapports,  se  trahissent  d'ailleurs  nette- 
ment dans  la  terminologie  employée 
à  Tombouctou,  où  se  mêlent  les  mots 
songhaï,  arabes  et  berbères.  Je  me 
contenterai  de  signaler  ici  qu<'l([ues- 
uns  des  chapitres  particulièrement  in- 
téressants au  point  de  vue  de  ces  in- 
fluences réciproques. 

La  maison,  en  briques  crues,  décorée 
de  ces  pylônes  qui  doiment  un  aspect 
si  particulier  aux  édifices  soudanais, 
est  une  maison  citadine,  à  deux  cours  : 
demeure  d'apparat  et  demeure  de  ser- 
vice nettement  séparées  ;  les  maîtres 
vivent  à  l'étage,  moitié  construit,  et 
moitié  terrasse  sur  laquelle  on  dort, 
l'été,  dans  des  huttes  de  feuillages  qui 
rappellent  de  près  les  constructions 
légères  sur  les  terrasses  du  Tidikelt 
et  celles  qu'on  élève  à  la  même  saison 
sur  les  terrasses  des  lighremt  maro- 
caines; les  portes,  munies  d'anneaux 


et  do  fausses  petilures  analogues  h 
ceux  qui  se  rcMicontii  iit  dans  le  sud 
algérien,  se  lernient  [)ar  les  mêmes 
moyens  :  la  serrure  do  bois  ou  le 
cadenas  à  ressorts  longitudinaux  du 
Saliara  el  du  Sous. 

Dans  les  mélitMs.  même  biérarcliie  : 
même  situa  lion  inférieure  des  |)otlers 
et  des  ouvriers  (|ui  IravailhMit  les 
métaux.  Parmi  c(Mi\-ci,  les  orfèvres 
font  des  bijoux  (|ui  ra|)|)rllent  souvent 
ceux  de  l'Afriifue  du  Nord  :  étuis  à 
amulettes,  bracelets  ou  i^randes  épingles 
dos  femmes.  Si  l'industrie  du  boîs 
apparaît  très  dill'érent<\  celle  du  cull', 
au  contraire,  présente  des  analogi(^s 
frappantes.  La  tiaditlon  veut  ([uo  les 
cordonniers  de  Tombouctou  d(>.scendent 
des  con(|uérant8  marocains  venus  avec 
Djoùder  à  la  lin  du  xvi"^  siècle;  de  fait, 
leur  outillage  est  voisin  de  celui  de 
leurs  confrères  marocains,  et  les  chaus- 
sures qu'ils  confectionnent  sont  pour 
les  hommes  les  même  belgha  jaunes, 
pour  les  femmes,  d'analogues  belgha 
rouges,  décorées  de  broderies  on  de 
cuir  rappcuté  :  les  motifs  seuls  diffè- 
rent dans  l'ensemble.  De  même,  la 
technique  décorative  des  pochettes,  des 
étuis  à  tabac,  des  coussins  en  cuir 
incisé,  repoussé  ou  peint  est  toute  autre 
que  dans  les  régions  occidentales  du 
Maroc;  mais  elle  s'apparente  de  près 
h  celle  du  Tafilelt,  de  Figuig  et  du  sud 
algérien.  D'ailleurs  les  objets  mêmes 
circulent  aisément  aujourd'hui  encore, 
d'une  riv(!  à  l'autre  du  Sahara  :  c'est 
à  Tombouctou  (juc  se  fabriquent  les 
bracelets  de  perles  que  l'on  voit  arriver 
dans  le  Sous,  et  ceux  de  pierre  si 
estimés  chez  les  Touareg,  même  chez 
ceux  du  Nord,  cliez  qui  ils  parviennent 
comme  les  boites  de  cuir  fabriquées  au 


BIBLIOGRAPHIE 


499 


mèiue  endioil.  Les  cloflbs  soudanaises 
arrivcMit  jusqu'à  Kès  el  Tripoli,  tandis 
que  les  cuivres  marocains  parviennent 
à  Tombouctou  :  vestiges  d'échanges 
séculaires,  et  qui  semblent  avoir  été 
autrefois  beaucoup  plus  importants 
qu'aujourd'hui. 

Henri  Basset. 

Cl.  Hardy  et  J.  Celehieh.  —  Les 
grandes  lignes  de  la  géographie  du  l/a- 
roc,  I  volume,  2i3  pages.  Paris,  Larose, 
1922  Editions  du  Bulletin  de  l'Ensei- 
gnement public  du  Maroc. 

Voici  un  petit  livre,  qui,  sous  une 
forme  modeste  et  presque  scolaire, 
marque  une  date  dans  la  géographie 
marocaine.  C'est,  dénuée  d  ambition 
mais  sans  parli-pris  de  superlicielle 
vulgarisation  ou  de  totale  encyclopédie, 
la  première  synthèse  géographique  de 
ce  pays  marocain  qui  est  bien,  pour 
notre  science,  l'un  des  plus  remar- 
quables carrefours  naturels  que  l'on 
connaisse.  11  faut  d'abord  voir  ici,  au- 
delà  du  but  immédiat  que  se  sont  pro- 
posés les  auteurs  une  mise  au  point 
qui  n'avait  pas  encore  été  faite  jus- 
qu'alors. En  effet, le  livre  toujoursjeune 
et  toujours  \i\anl  de  M.  Augustin  Ber- 
nard reste  le  guide  essentiel,  le  tableau 
concret  et  complet  de  la  terre  et  de  la 
vie  marocaines;  mais  dans  im  tel  ou- 
vrage, la  géographie  bien  que  l'on 
sente  à  chaque  instant  l'esprit  aigu  du 
géographe,  ne  fournit  guère  que  les 
éléments  d  une  préface  nécessaire  pour 
bien  pénétrer  l'histoire,  l'ethnographie 
l'économie  et  la  vie  politique  du  Magh- 
reb, Le  Maroc  physupie  de  M.  Gentil 
ne  veut  pas  être  un  traité  de  géographie 
marocaine  mais  un  exposé,  au  demeu- 


rant systématique  et  magistrat  des  pro- 
blèmes posés  par  l'étude  du  sol  maro- 
cain. L'on  peut  en  dire  autant  de  la 
récente  Terre  Marocaine  du  Docteur 
Russo,  fruit  de  travaux  personnels  plu- 
tôt que  synthèse  documentée.  Quant 
au  livre  de  IM.  Goulven,  le  Maroc,  s'il 
s'inspire  d'une  méthode  éxidemment 
géographique,  sa  publication  un  peu 
hâtive  exigeait  sans  nul  doute  un  ou- 
vrage nouveau  Ainsi  un  livre  de  géo- 
graphie marocaine,  conçu  dans  un  es- 
prit scientifique,  accessible  aux  travail- 
leurs et  rassemblant  les  éléments  essen- 
tiels de  la  bibliographie  marocaine, 
était  indispensable  et  impatiemment 
attendu.  Voilà  donc  une  lacune  com- 
blée de  la  manière  la  plus  heureuse. 

L'on  voudrait  dire  ici  en  quelques 
mots  les  rares  qualités  dont  témoigne 
ce  petit  livre  de  deux  cents  pages  à 
peine  qui  sera  bientôt,  souhaitons  le,  le 
bréviaire  de  ceux  qui  veulent  prendre 
une  vue  exacte  du  Maroc. 

11  nous  fallait  une  vision  scientifique 
du  Maroc,  la  voici  :  En  effet,  le  Maroc 
vu  par  l'esprit  peu  systématique  de  nos 
géographes  n'est  point  un  ensemble 
homogène,  vaste  canevas  sur  lequel  il 
est  facile  de  broder  des  variations 
coloniales,  économiques  et  ethnogra- 
phiques, l'oint  de  généralisations  élo- 
([uentes,  de  discours  d'apparat.  Des 
faits  avant  toute  chose  et  des  explica- 
tions. MM.  Hardy  et  Gelerier  ont  fait 
de  l'étude  des  régions  le  fond  solide  et 
durable  de  leur  ouvrage.  Dans  l'état 
actuel  de  la  géographie  marocaine  un 
tel  dessein  ne  va  point  sans  difficultés. 
La  définition  même  de  la  région  natu- 
relle est  parfois  insaisissable.  Il  est 
souvent  délicat  de  subordonner  la 
variété  des  aspects  à  l'unité  de  l'expli- 


500 


IIESPÉRIS 


cation.  l'Jos  termes  pii ionien l  froolo- 
giiiues  comme  u  Détioil  Sud  Uil'ain  n 
«  Mesela  Marocaine  »  s'ils  sont  néces- 
saires pour  comprendre  l'histoire  phy- 
si(pie,  ne  ristpieni  ils  pas  de  inascpier 
la  nature  géographiipie,  vivante  et 
concrète.  Knlin  nesl-il  pas  dangereux, 
quelquefois,  de  trop  séparer  des  régions 
très  diiïérenles  mais  pourtant  rigou- 
reusement solidaires  ?  Les  auteurs  ont 
parl'ailemenl  évité  ces  écueils.  C'est 
ainsi  (pie  l'élude  ilenscmble  de  la 
Meseta  cpii  nous  apprend  ce  qu'il  faut 
savoir  de  1  histoire  du  sol.  introduit 
une  étude  régionale  de  la  plaine^  inaii- 
time.  des  plateaux  du  Centre  et  du 
Haouz,  expressément  fondée  sur  l'obser- 
vation géographicpie.  C'est  ainsi,  autre 
exemple,  que  le  Sous  nesl  point  séparé 
du  Sahara  dont  il  est  un  accident 
heureux  et  qu'il  reste  associé  à  l'Atlas 
qui  lui  infuse  la  vie.  Nous  obtenons 
ainsi  une  division  régionale  du  Maroc 
(pii,  sauf  retouches  de  détail  et  préci- 
sions de  limites,  semble  bien  définitive. 
Dou/.echapi  1res  étudient  successivement 
la  région  du  Nord  ;  le  bassin  du  Sebou 
avec  ses  trois  parties,  le  seuil  de  Taza, 
la  région  de  Fes  Meknés.  la  plaine  infé- 
rieure; la  Meseta  avec  la  plaine  mari- 
time, les  plateaux,  le  Haouz,  le  Moyen- 
Atlas,  le  Haut-Atlas,  le  Sous  et  la 
région  saharienne,  le  Maroc  oriental. 
Chaque  étude,  substantielle  cl  précise, 
est  à  la  fois  une  définition,  une  descrip- 
tion et  une  explication  de  la  région. 
Mais  dans  cette  méthode,  nul  procédé, 
toujours  le  souci  de  découvrir,  de 
mettre  en  valeur  le  fait  cardinal,  le 
fait  explicatif.  Ici  c'est  l'influence  atlan- 
tique qui  crée  la  plaine  maritime  ;  là 
c'est  la  structure  du  Rif  qui  met  le 
Maroc  du  Nord  «  à  l'écart  du  monde  ». 


l/élude  régionale  est  la  siihstance 
mémcde  l'ouvrage  :  mais  elle  estcepen- 
dant  cni'adrée  |)ar  une  vue  d'ensemble 
et  une  étude  de  la  mise  en  valeur  qui 
en  sont  la  préface  (>t  la  conclusion 
nécessaires.  Dans  cette  vue  d'ensemble 
en  cin(i  chapitrt^s,  sont  abordées  dans 
un  esprit  de  classilication  méthodique 
et  strictement  géographicpie  les  ([ucs- 
tions  générales  concernant  la  géogra- 
phi(!  physique   el    humaine   du  Maroc. 

l.a  \ie  économiciue  d'un  pays,  en 
[ileinc  transformation  comme  le  Maroc, 
pose  des  problèmes  généraux  qui  sont 
étudiés  en  (piaire  chapitres  dans  la 
troisième  |)arlie  :  la  d  mise  en  valeur  ». 
On  pouiiait  être  tenté  de  voir  dans  ces 
(juatre  chapitres  assez  brefs  un  résumé 
hàlif  et  peut-être  insuffisant.  Mais  Fin- 
vcntairc  des  ressources  économiipies  a 
été  fait  région  par  région  et  cec^i  encore 
est  d'cxcc^llenle  méthode.  L'on  a  tant 
abusé  des  éludes  cursives  et  décisives 
sur  un  Maroc  idéal  et  sans  nuances 
(ju'il  n'était  [las  mauvais  d'introduire 
dans  le  domaine  économiciue  le  sens 
des  réalités  gé()gra|)hi(pies.  (j^pendant, 
croyons-nous,  les  chapitres  sur  les  pro- 
ductions, sur  la  colonisation,  sur  l'irri- 
gation auraient  pu  être  avantageuse- 
ment développés.  11  eut  été  intéressant 
de  voir  figurer  sur  des  cartons  sans 
doute  très  i)rovisoires  la  répartition 
des  cultures,  celle  des  oliviers,  celle 
des  cultures  irriguées,  celles  des  terres 
collectives  ou  dos  terrains  de  parcours. 

Celte  trop  sèche  analyse  ne  donne 
qu'une  faible  idée  de  l'intérêt  du  livre. 
11  faudrait  dire  encore  quel  souci  de 
belle  clarté  l'anime,  quelle  méthode 
rigoureuse  l'inspire,  quelle  originalité 
l'enrichit.  Très  documenté,  san«  aucune 
simplification   arbitraire_,    le   livre    de 


BIBUOGRAPITTK 


)01 


MM.  Hardy  et  Celerier  se  lit  sans  grand 
effort,  l'esprit  retenu  et  satisfait.  L'on 
est  séduit  par  la  netteté  classique  de  la 
construction,  saisi  par  l'impression  de 
vie  qui  déborde  de  ces  pages.  Des  titres 
lapidaires,  des  formules  expressives 
évoquent  les  paysages  et  les  hommes, 
fixent  les  faits  et  les  idées.  Des  dessins 
rapides  cl  vivants,  empruntés  à  de  Fou 
cauld  ou  exécutés  par  l'un  des  auteurs 
illustrent  et  éclairent  le  texte,  expliqué 
en  outre  par  de  nombreux  croquis 
et  cartons  schématiques.  Notons  une 
innovation  négative  :  les  reproductions 
photographiques  ont  été  totalement 
omises.  L'on  voit  d'excellentes  raisons, 
financières  et  scientifiques,  de  cellecon- 
damnalion.  Les  auteurs  préfèrent  le 
schéma,  le  type,  la  vision  simplifiée 
par  l'esprit  Sans  doute,  mais  quelques 
photographies,  bien  choisies  et  bien 
commentées  de  l'Atlas,  ou  des  volcans 
des  Béni  Mguild  gardent  une  valeur 
géographique  qui  n'est  point  subjective. 
Plus  que  ne  l'indique  une  biblio- 
graphie tiop  sommaire,  l'ouvrage  de 
MM.  Hardy  et  Céléricr  représente  la 
mise  au  point  la  plus  récente  de 
nos  connaissances  géographiques.  C  est, 
mis  à  la  portée  du  lecteur  averti  et 
pourvu  d'une  instruction  géographique 
élémentaire  une   synthèse  personnelle 


et  méthodique  d'une  foule  de  travaux 
épars  dans  les  recueils  techniques,  les 
récits  de  voyages  et  les  ouvrages  de 
toutes  sortes  qui  ont  traité  du  Maroc. 
Mais  n'allons  point  voir  ici  un  simple 
et  sec  résumé;  la  méthode  rajeunit  le 
document,  et  bien  j)lus,  à  chaque  page, 
l'on  sent  ou  l'on  devine,  enrichissant 
et  vérifiant  les  données  acquises  par  les 
devanciers,  les  vues  originales,  les 
observations  personnelles.  Tels  cha- 
pitres sur  le  Haut  Atlas,  sur  le  Sebou  in- 
férieur, sur  la  classification  des  fleuves 
marocains,  sur  le  Haouz,  ne  sont  point 
seulement  des  monographies  excel- 
lentes, mais  révèlent  une  étude  plus 
profonde,  un  sens  aigu  de  l'observa- 
tion. 

Souhaitons  que  les  progrès  de  la  géo- 
graphie marocaine  soient  assez  rapides 
pour  enrichir  bientôt  les  «  Grandes 
lignes  de  la  Géographie  du  Maroc  ». 
Mais  tel  qu'il  est,  cet  ouvrage  rendra 
les  plus  grands  services,  non-seulement 
aux  étudiants,  mais  encore  aux  admi- 
nistrateurs et  aux  géographes  soucieux 
de  bien  connaître  le  Maroc.  Espérons 
enfin  que  cet  ouvrage,  qui  continue 
une  série  déjà  brillante,  contribuera  à 
répandre  et  à  développer  les  études 
géographiques  au  Maroc. 

Albert  Charton, 


HBSrERIS.    —  T.    H. 


1922 


TABLE  DES  MATIÈRES 


I.  —  ARTICLES 

Page» 

Henri  Basset.  —  Les  rites  du  travail  de  la  laine  à  Rabat iSg 

Henri   Basset    et    E.    Lévi-Provençal.     —    Chella    :    une    nécropole    méri- 

nide i,  255,  385 

H.  BnuNO.  —  La  justice  berbère  au  Maroc  central i85 

J.  Celerier.  —  Les  «  merjas  »  de  la  plaine  du  Sebou log  209 

J,  Celerier  et  A.  Ciiarton.  —  Sur  la  présence  de  formes  glaciaires  dans  le 

Haut-Atlas  de  Marrakech 3-3 

F.  Ferriol.  —  Les  ruines  de  Tinmel 161 

J.   Herber.  —   Technique  des  poteries  rifaines  du  T^erhoun 241 

R.  Maunier.  —  Leçon  d'ouverture  d'un  cours  de  sociologie  algérienne.     .     .  gS 

L.  MiLLiOT.  —  Le  qânoûn  des  M'âlqà igS 

H.  Terrasse.  —  Les  portes  de  l'arsenal  de  Salé ,     .     ,     .  SS^ 


II.  —  RAPPORTS  ET  COMMUNICATIONS 

S,  D.  Ammor-Bouillot.   —     Un  saint  musulman  de  Salé  :  Sidi  el-Ahd  el- 

Medloum 337 

D'  BuLiT.  —  Notes  sur  la  thérapeutique  indigène  dans  le  Sud  Marocain.     .  323 

H.  de  Castries.  —  Identification  de  l'atelier  monétaire  de  Mohammedia.     .  3/1 
P.  DE  Cemval.  —  Rapport  sur  les  travaux  de  l'Institut  des  Hautes-Etudes 

Marocaines,  1921-1922 437 

E.  Lévi-Pbovençal.  —  Les  derniers  travaux  d'histoire  littéraire  maghribine.  44 1 
A.   Paris  et  F.  Ferbiol.  —  Hauts- four  ne  aux  berbères  des  Aït  Chitachen.     .  SSg 
E.  Pautt.  —  Rapport  sur  la  défense  des  villes  et  la  restauration  des  monu- 
ments historiques 449 

P.  Ricard.  —   Les  Arts  marocains,  situation  et  tendances 444 


III.  —  CONGRÈS  ET  SÉANCES  MENSUELLES  DE  LTNSTITUT 
DES  HAUTES-ÉTUDES  MAROCAINES; 

Actes  du  III'  Congrès 427 

Comptes  rendus  des  séances  mensuelles  .     .  ' 463 


504 


TMU.K  DFS  MATir.HKS 


IV.  —   BlBLIOr.RAPHlE 


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3"j    COMl'TF.S    PENDUS  : 

L.  Béjot,  Élude  sur  le  tatouasse  en  Algrrie  (Hoiiri  Iîassf.t) 

A.  Bel,  Les  Béni  Snous  et  leurs  mosquées  (Henri  Bassi.t) 

L.  Brunot,    Yallah,  ou  l'arabe  sans  mystère  (André  Basset.)  ....... 

J.  Canipardou,  ^otes  archéologiques  sur  la  région  de  Taza  (Henri  13asseï)  .     . 

Carra  de  Vaux,  Les  Penseurs  de  l'Islam  {K.  Liîvi-Phovençai.) 

H.  de  Castrios,  Sources  inédites  de  l'Jlistoirr  du  Maroc  (l"  Série,  Espaj^nc,  t.  I). 

(Henri  Basskt) 

G.  S.  Colin,  Technoloi^ie  de  la  batellerie  du  A'i7  (I..  Biuj.not) 

Dupuis-Yakoulia,  Industries  de  la  région  de  Tomboudou  (Henri  Basskt).  .  . 
G.  Fcrrand,  Voyage  du  marchand  arabe  Sulayman  (Henri  Basset)  .... 
G.    Hardy  et    .1.   Célérier,    Les    grandes    lignes    de    la    géographie    du    Maroc 

(A.  Ciiauton) 

E.  Lévi-Provençal,  Les  Historiens  des  Chorja  (H.  Massé) 

E.  Eévi-Provenral,  Textes  arabes  de  l'Oiiargha  (L.  Buunot) 

M.  Mercier,  La  ci\ilisation  urbaine  au  Mzab  (H.   Massé) 


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L' Editeur-Gérant  :  E.  Larose 


Société  Française  d'Imprimerie  bt  de  Publicité.  —  Angers,  4,  rue  Garnier.  Paris,  2,  rub  Monge, 


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