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Full text of "Histoire abrégée de l'origine et de la formation de la société dite des Quakers : où sont exposés clairement leur principe fondamental, leur doctrine, leur culte, leur ministere, et leur discipline : precedée d'une introduction, où il est traité en peu de mots des dispensations antérieures de Dieu aux hommes"

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HISTOIRE 

DE     LA 

SOCIÉTÉ  DITE 

DES  QUAKERS 


PENDLE  HILL 
LIBRARY 


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UBRARY 


HISTOIRE  ABRÉGÉE 

DE 

L'ORIGINE  ET  DE  LA  FORMATION 

DE    LA    SOCIÉTÉ    DITE 

DES     QUAKERS, 

OÙ  SONT  EXPOSÉS  CLAIREMENT 

LEUR   DOCTRINE,   LEUR   CULTE,    LEUR   MINISTÈRE, 
ET  LEUR  DISCIPLINE, 

PRÉCÉDÉE 

D'UNE    INTRODUCTION, 

OÙ    IL  EST  TRAITÉ  EN   PEU  DE  MOTS  DES  DISPENSATIONS 
ANTÉRIEURES  DE  DIEU   AUX  HOMMES. 


Par  GUILLAUME  PENN. 


NOUVELLE    EDITION,    REVUE    ET    CORRIGEE. 

LONDRES  : 
DE     L'IMPRIMERIE     DE    J.    RIDER, 

BARTHOLOMEW    CLOSE. 

1839. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/histoireabrOOpenn 


AU     LECTEUR. 


L'histoire  suivante  de  la  Société  connue  sous 
le  nom  de  Quakers  ou  Trembleurs,  a  été  écrite 
dans  des  sentimens  de  crainte  et  d'amour  de 
Dieu.  Elle  a  pour  but,  1.  De  servir  de  témoi- 
gnage perpétuel  à  cette  vérité  sainte  qui  éclaire 
l'intérieur  de  l'homme,  vérité  au  moyen  de  la- 
quelle Dieu,  dans  ma  jeunesse,  s'est  manifesté  à 
moi,  et  que  j'ai  connue  et  aimée  au  point  de 
prendre  la  résolution  peu  ordinaire,  d'aban- 
donner les  honneurs  et  les  intérêts  de  ce  monde  ; 
2.  De  rendre  aussi  témoignage  à  cette  société 


IV  AU    LECTEUR. 

que  le  monde  méprise,  et  que  Dieu,  par  un  effet 
de  sa  grande  miséricorde,  a  voulu  rassembler  et 
réunir  par  son  Esprit  Saint  en  qui  elle  fait  pro- 
fession   de    croire, — société    dont    je   m'honore 
d'être  membre  plus  que  de  toutes  les  grandeurs 
de  ce  monde  ;   3.  De  prouver  combien  je  chéris 
et  honore  la  mémoire  de  George  Fox,  ce  digne 
serviteur  de   Dieu,  le  premier  instrument  dont  il 
s'est  servi  pour  cette   grande   œuvre,    et  qu'en 
conséquence    je   nommerai    le   grand,   le   bien- 
heureux apôtre  de  notre  siècle.     Telles  sont  les 
raisons  qui  m'ont  fait  écrire  ce  petit  traité,  dont 
la    première    édition    fut    imprimée    en   tête  de 
l'excellent  journal  de  G.  Fox,  pour  y  servir  de 
préface.     Ayant  depuis    fait    réflexion  au   bien 
que  peut  produire  dans  le  moment  présent  cette 
histoire    abrégée    de   la   société,   vu    aussi   les 
réflexions  injustes  de  quelques-uns  de  nos  ad- 
versaires qui  ci-devant  faisaient  profession  d'ap- 
partenir à  cette  société,  et  à  raison  enfin  des 


AU    LECTEUR. 


exhortations  qui  se  trouvent  à  la  fin,  j'ai  con- 
senti  à   ce  qu'on   l'imprimât  en  un  format  plus 
petit  :  car  je  sais   que  de   nos  jours   bien   des 
gens  n'aiment  ni  à  payer  ni  à  lire  un  gros  livre, 
et  qu'il  y  en   a  beaucoup,  qui   ne   seraient  pas 
fâchés  de  connaître  cette  société,  dont  on  a  tant 
dit  de  mal,  mais  qui,  en    même  tems,  ne  vou- 
draient pas  qu'il  leur  en  coûtât  beaucoup  pour 
satisfaire   cette  curiosité.     Cependant,  grâces  à 
Dieu   le  Père  de  notre   Seigneur  Jésus-Christ, 
j'espère  que  les  personnes  désintéressées  verront 
bientôt  que  ces  calomnies  ne  sont  pas   mieux 
fondées,  que  celles  que  l'on  répandait  autrefois 
contre  les  Chrétiens  de  la  primitive  église.     Car 
après  tout,  et  malgré  tous  les  mauvais  traitemens 
que  nous  avons  essuyés,  notre  seul  objet  est  la 
réalité  de  la  religion,  et  un  véritable  changement 
avant  le  dernier  et  grand  changement  que  chaque 
homme  doit  subir;   notre  seul  désir  est  que  tous 
les  hommes,  recevant  au  dedans  d'eux-mêmes, 


VI  AU    LECTEUR. 

les  impressions  de  la  lumière  et  de  l'esprit 
de  Christ,  avec  cette  attention  sérieuse  qui  pro- 
duit la  conviction,  parviennent  à  connaître  Dieu 
véritablement  et  intérieurement.  Nous  voulons 
prouver  que  tous  les  hommes  peuvent  être  sauvés, 
puisqu'ils  ont  tous  les  mêmes  moyens,  qui  sont 
suffisans  pour  connaître  le  seul  vrai  Dieu,  et  son 
Fils  Jésus-Christ,  qu'il  a  envoyé  pour  éclairer  et 
racheter  le  monde  :  connaissance  qui  est  le  gage 
assuré  de  la  vie  éternelle.  Puisses-tu  l'obtenir, 
mon  cher  lecteur  !  c'est  ce  que  te  désire  bien 
sincèrement  l'auteur  de  ce  petit  ouvrage, 

GUILLAUME  PENN. 


ORIGINE  ET  FORMATION,  &c. 


CHAPITRE    I. 


Où  l'on  voit  de  quelle  manière  Dieu  a  fait  connoître  sa 
volonté  aux  hommes  à  différentes  époques,  jusqu'à  ce 
qu'enfin  il  ait  jugé  à  propos  de  susciter  la  société  dite 
des  Quakers,  pour  laquelle  le  monde  avait  tant  de 
mépris. 

Dieu  s'est  fait  entendre  aux  hommes  de  différ- 
entes manières  depuis  la  création  du  monde  ; 
mais  son  but  principal  a  toujours  été  la  gloire  de 
son  saint  nom,  soit  en  créant  l'homme,  ou  en  le 
retirant  de  l'état  de  dégradation  où  l'avait  plongé 
la  péché  ; — l'homme,  fait  pour  être  l'emblème  de 
la  divinité,  pour  être  en  quelque  façon  un  dieu 
sur  la  terre,  et  le  chef-d'œuvre  de  la  main  de 
Dieu.  Dans  l'origine  le  genre  humain  sortit  pur 
et  innocent  des  mains  du  Créateur  ;  alors  tout 
ce  que  Dieu,  qui  est  la  bonté  même,  avait  créé, 


J 


2  ORIGINE    ET    FORMATION'    DE    LA 

était  bon  ;  et  comme  il  avait  béni  les  œuvres  de 
sa  toute-puissance,  toutes  célébraient  sa  gloire 
clans  une  harmonie  universelle;  les  étoiles  du 
matin  se  rejouissaient,  et  les  différentes  parties 
de  son  ouvrage,  disaient  Amen,  à  sa  loi  !  Tous 
les  êtres  contenus  dans  ce  vaste  univers  formaient 
un  admirable  accord  ;  l'homme  dans  le  paradis 
terrestre,  les  quadrupèdes  clans  la  campagne,  les 
oiseaux  dans  l'air,  les  poissons  dans  la  mer,  les 
étoiles  au  firmament,  les  fruits  de  la  terre,  en  un 
mot,  l'air,  la  terre,  les  eaux,  et  le  feu,  adoraient, 
louaient,  et  exaltaient  sa  puissance,  sa  sagesse, 
et  sa  bonté.  O  Sabbat  glorieux  !  ô  véritable 
jour  du  Seigneur  ! 

Mais  cet  état  de  félicité  dura  peu  ;  car 
l'homme,  gloire  et  couronnement  de  ce  grand 
œuvre,  fut  tenté  d'aspirer  à  un  plus  haut  rang 
qu'il  ne  lui  était  donné  d'atteindre  ;  et  cédant 
malheureusement  à  la  tentation,  il  oublia  les 
ordres  de  Dieu,  son  devoir,  sa  félicité,  et  son 
intérêt,  et  déchut  ainsi  de  son  premier  état.  Dès 
ce  moment  il  ne  fut  plus  l'image  de  la  divinité, 
il  perdit  la  sagesse,  la  puissance,  et  la  pureté 
dont  Dieu  l'avait  doué  en  le  créant  ;  et  devenu 
indigne  du  paradis,  il  fut  chassé  de  ce  lieu  de 
délices,  sa  demeure  et  sa  résidence  naturelle  ; 
exclus  de  la  présence  de   Dieu,  il  fut  condamné 


S.OCIETE    DITE    DES    QUAKERS. 

à  errer,  comme  un  malheureux  vagabond,  sur  la 
terre,  le  séjour  des  bêtes. 

Cependant  Dieu  qui  l'avait  créé,  eût  pitié  de 
lui  :  car  voyant  que   l'homme  avait  été  trompe, 
que  son  erreur  ne  pouvait  être  imputée  ni  à  une 
malice,  ni  à  une  présomption  qui  lui  fût  natu- 
relle, mais  plutôt  à  la  malice  du  serpent,  déchu 
lui-même  d'une  condition  supérieure,  et  q-ii  s'était 
servi  de  la  femme,  compagne  de  l'homme,  dont 
la  nature  était  la  même,  et  qu'il  avait  trompée 
la  première  : — Dieu  dis-je,  pourvut  dans  sa  bonté 
et  dans  sa  sagesse  infinie  un  moyen  de  remédier 
à  ce  mal,  de  réparer  cette  perte,  et  de  relever 
l'homme    ainsi   déchu,    par   la   médiation    d'un 
nouvel  Adam,  plus  noble  et  plus  parfait  que  le 
premier,    et    qui     devait    naître    d'une    femme. 
C'était  par  une  femme  que  l'esprit  malin   avait 
séduit  l'homme,  le  monde  devait  recevoir  aussi 
d'une  femme  celui  qui  était  destiné  à  triompher 
de  lui,  à  lui  écraser  la  tête,  et  à  affranchir  l'homme 
de  sa  puissance  ;  et  c'est  ce  qui,  par  la  mission 
et  l'incarnation  du  Fils  de  Dieu,  a  été,  dans  la 
plénitude  des  teins,  personellement  et  pleinement 
accompli  d'une  manière  signalée,  en  lui  et  par 
lui,  comme  Sauveur  et  Rédempteur  des  hommes. 
Mais  son  pouvoir  n'a  point  été  limité  à  cette 
époque  ;    car   même   avant   son    incarnation   et 
b  2 


4  ORICJINE    ET    FORMATION    DE    LA 

depuis,  il  a  toujours  été  la  lumière  et  la  vie,  la 
force  et  le  point  d'appui  de  tous  ceux  qui 
craignaient  Dieu.  C'est  lui  qui  les  soutenait 
dans  leurs  tentations,  les  accompagnait  dans 
leurs  voyages  et  dans  leurs  afflictions,  leur  aidait 
et  les  soutenait  au  milieu  des  difficultés  qu'ils 
avaient  à  essuyer  dans  leur  passage  sur  la  terre. 
C'est  par  lui  que  le  cœur  d'Abel  fut  meilleur 
que  celui  de  Caïn,  que  Seth  obtint  la  pré- 
éminence, et  qu'Enoch  marcha  avec  Dieu. 
C'était  cette  lumière  qui  éclairait  le  monde  avant 
le  déluge,  contre  laquelle  le  monde  se  révolta,  et 
qui  éclaira  et  sanctifia  Noé. 

Mais  ce  fut  ordinairement  par  l'intermédiaire 
des  anges  que  Dieu,  après  l'état  de  misère  qui 
suivit  la  chute  de  l'homme,  daigna  se  faire  en- 
tendre surtout  aux  patriarches;  c'est  ce  qui  arriva, 
comme  nous  le  voyons  dans  l'Ancien  Testament, 
à  Abraham,  à  Jacob,  &c.  Ensuite  vint  la  loi  de 
Moyse,  qui  fut  aussi  donnée  par  les  anges,  comme 
le  dit  l'apôtre.  Cette  loi  regardait  principalement 
l'homme  extérieur,  et  ne  pouvait  convenir  qu'à 
un  état  de  bassesse  et  de  servitude  ;  c'est  pour- 
quoi l'apôtre  Paul  l'appelle  une  instruction  de 
pédagogue,  faite  pour  annoncer  la  venue  du 
Messie,  pour  préparer  les  âmes  du  peuple  à  la 
prévoir,  et  à  désirer  celui  qui  devait  les  délivrer 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS. 

du  joug  et  des  cérémonies  de  cette  loi  impar- 
faite, en  leur  faisant  connaître  intérieurement  la 
réalité  dont  tous  ces  mystères  n'étaient  que  l'em- 
blème. Dans  ce  tems-là,  la  loi  était  écrite 
sur  des  tables  de  pierre,  le  temple  était  bâti  de 
main  d'homme,  il  y  avait  des  prêtres  et  des 
cérémonies  extérieures,  qui  n'étaient  que  l'image 
des  choses  excellentes  qui  devaient  venir  après  ; 
image  qui  ne  devait  servir  qu'en  attendant  la 
realité,  c'est-à-dire,  jusqu'au  tems  où  Jesus- 
Christ,  l'excellence  même,  devait  se  manifester 
d'une  manière  si  éclatante;  lui  en  qui  se  réun- 
issaient toutes  les  promesses  faites  aux  hommes, 
mais  qui  ne  devaient  avoir  effet  que  par  lui  ;  lui, 
en  qui  il  n'y  avait  que  oui  et  amen,  et  qui  par  sa 
mort  devait  nous  procurer  la  vie,  l'immortalité, 
et  le  bonheur  éternel. 

C'est  ce  que  les  prophètes  avaient  prévu,  et 
ce  dont  ils  faisaient  envisager  la  certitude  aux 
Juifs  comme  leur  plus  grande  consolation. 
C'était  là  le  terme  de  la  loi  de  Moyse,  qui  dis- 
parut du  moment  où  Jean  Baptiste  commença  à 
exercer  son  ministère,  de  même  que  le  ministère 
du  précurseur  de  Christ  finit  en  Christ,  qui  était 
l'accomplissement  de  toutes  les  prophéties. 
Alors  Dieu,  qui  plusieurs  fois  avait  parlé  en 
diverses  manières  aux  anciens  par  ses  serviteurs 


6  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    1.1 

les  prophètes,  parla  aux  hommes  par  son  Fil? 
Jésus-Christ,  qui  est  son  héritier  en  toutes 
choses.  A  cette  époque  l'évangile  nous  fut 
donné  par  le  ministère  du  Fils  ;  c'était  un  tes- 
tament dont  l'éxecution  était  bien  moins  éloignée, 
qui  renfermait  de  plus  grandes  espérances, — qui 
annonçait  le  commencement  de  la  gloire  des 
derniers  tems,  et  le  rétablissement  de  toutes 
choses, — le  rétablissement  du  Royaume  d'Israël. 

Dès  lors  l'esprit,  qui  n'avait  point  été  commu- 
niqué si  généralement  aux  époques  antérieures, 
fut  répandu  plus  abondamment  sur  toute  chair, 
comme  dit  le  prophète  Joël  ;  et  par  un  effet  de 
la  bonté  infinie  de  Dieu,  cette  lumière,  qui 
auparavant  ne  jetait  qu'une  lueur  faible  et 
comme  ensevelie  dans  les  ténèbres,  dissipa  ces 
mêmes  ténèbres  qui  l'offusquaient;  l'étoile  du 
matin  se  leva  dans  les  cœurs  des  vrais  croyans, 
et  les  illumina  de  la  connoissance  de  la  gloire 
de  Dieu  en  Jésus-Christ. 

Alors  leSeigneur  se  ressouvint  particulièrement 
des  pauvres  en  esprit,  des  débonnaires,  de  ceux  qui 
pleuraient,  de  ceux  qui  avaient  faim  et  soif  de  la 
justice,  de  ceux  qui  procuraient  la  paix,  de  ceux 
qui  étaient  purs  de  cœur,  des  miséricordieux  et  des 
persécutés  ;  ils  furent  cherchés  et  appelés  bienheu- 
reux par  le  vrai  pasteur  d'Israël.     Alors  il  fallut 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS. 

que  l'ancienne  Jérusalem  et  ses  enfans  fissent 
place  à  la  nouvelle  Jérusalem  et  à  ses  enfans  nou- 
vellement engendrés  à  la  lumière  de  l'évangile; 
aussi  n'est-il  plus  question  de  l'ancienne  Jérusa- 
lem ;  ce  n'est  plus  sur  la  montagne  de  Samarie 
que  Dieu  veut  être  adoré,  plutôt  qu'en  tout  autre 
lieu  ;  car  son  Fils  est  venu  annoncer  et  prêcher 
qu'il  est  un  esprit,  qu'il  veut  être  connu  comme 
te!,  et  adoré  en  esprit  et  en  vérité.  11  se  montre 
alors  de  plus  près  qu'autrefois,  car  suivant  sa 
promesse  il  écrira  sa  loi  dans  notre  cœur,  et  nous 
donnera  sa  crainte  et.  son  esprit  au  dedans  de 
nous.  Dès  lors  les  signes,  les  images  et  les  em- 
blèmes disparurent;  la  lumière  qui  commençait 
à  luire,  ayant  fait  voir  leur  peu  d'efficacité  à 
purifier  la  conscience,  puisqu'ils  ne  pouvaient  at- 
teindre à  l'intérieur  du  vase,  et  toutes  cérémonies 
extérieures  finirent  en  lui  et  par  lui,  qui  était  la 
realité  même. 

Les  apôtres  ont  rendu  témoignage  aux  grands 
desseins  de  Dieu  dans  la  mission  de  son  Fils  (ces 
mêmes  apôtres  qu'il  avait  choisis,  et  à  qui  il  avait 
donné  son  esprit)  pour  faire  abandonner  aux  Juifs 
leur  préjugés  et  leur  superstition,  aux  Gentils 
leur  vanité  et  leur  idolâtrie,  et  leur  faire  ouvrir 
les  yeux  à  la  lumière  et  à  l'esprit  de  Jésus- 
Christ,  qui  luisait  en  eux  ;  afin  que,  ressuscitant 


b  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

de  l'état  de  mort  où  les  avait  plongés  le  péché, 
ils  servissent  le  Dieu  vivant,  dans  la  nouveauté 
de  l'esprit  de  vie,  et  qu'ils  marchassent  comme 
des  enfans  de  lumière,  regénérés  en  ce  grand 
jour,  en  ce  jour  de  sainteté  ;  car  ceux  là  se  re- 
vêtent de  Jésus-Christ,  la  lumière  du  monde, 
et  n'ont  aucun  souci  de  la  chair  pour  accomplir 
ses  convoitises.  De  sorte  que  la  lumière, 
l'esprit,  la  grâce,  qui  vient  de  Jésus-Christ,  et 
parait  dans  les  hommes,  était  le  principe  divin 
par  lequel  les  apôtres  prêchaient,  vers  lequel  ils 
s'efforçaient  de  tourner  les  cœurs  des  hommes, 
et  dans  lequel  ils  réunirent  en  leur  tems,  et 
bâtirent  l'église  de  Christ.  C'est  pourquoi  ils 
les  avertissent  de  ne  point  éteindre  l'Esprit, 
mais  d'être  en  attente  de  l'Esprit,  de  parler 
par  l'Esprit,  de  prier  en  Esprit,  et  de  marcher  en 
Esprit,  vu  que  c'était  par  là  seul  qu'ils  se  mon- 
treraient engendrés  non  pas  du  sang  et  de  la  chair, 
ou  de  la  volonté  de  l'homme,  mais  de  la  volonté  de 
Dieu,  faisant  sa  volonté,  renonçant  à  la  leur,  bu- 
vant la  coupe  de  Jésus-Christ,  et  baptisés  de  son 
baptême  de  renonciation  à  soi-même;  c'est  là  la 
voie  et  le  sentier  où  ont  toujours  marché  ceux 
qui  aspiraient  à  la  vie  et  au  bonheur  éternel. 

Mais  hélas,  dès  le  tems  des  apôtres,  (ces  astres 
assez  brillans  pour  que  l'œil  les  distinguât,  mal- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  9 

gre  l'éclat  éblouissant  de  la  lumière  de  l'évan- 
gile,) on  vit  paraître  des  nuages  qui  semblaient 
annoncer  que  sa  gloire  primitive  serait  éclipsée  ; 
et  plusieurs  d'entr'eux  prévinrent  de  bonne  heure 
les  Chrétiens  de  leur  tems  que  le  pouvoir  de  la 
sanctification  commençait  dès  lors  à  décliner,  et 
déclinerait  de  plus  en  plus  parmi  ceux  qui  cher- 
chaient à  briller  selon  la  chair,  et  pour  qui  le 
scandale  de  la  croix  était  aboli  ;  finissant  toute 
fois  par  annoncer  qu'un  tems  plus  glorieux  que 
jamais  brillerait  ensuite  pour  la  véritable  église. 
Us  ne  se  trompaient  point  dans  leur  prévision, 
et  ce  qu'ils  prédirent  aux  églises  qu'ils  avaient 
assemblées  au  nom  de  Jésus,  arriva  en  effet  ; 
car  le  Christianisme  dégénéra  de  jour  en  jour, 
et  ne  consista  presque  plus  qu'en  jours  de 
fêtes,  en  repas  et  en  cérémonies  extérieures.  Et, 
ce  qu'il  y  eut  de  pis,  les  querelles  et  la  dissention 
se  mirent  parmi  les  Chrétiens  ;  on  les  vit  se  di- 
viser, se  porter  envie,  et  se  persécuter,  suivant 
qu'ils  en  eurent  le  pouvoir  ;  ce  qui  les  rendit,  au 
grand  scandale  et  à  la  honte  des  Chrétiens,  un 
objet  de  dérision,  et  le  Christianisme  une  pierre 
d'achoppement  pour  les  payens,  au  milieu  des- 
quels le  Seigneur  les  avait  si  miraculeusement  et 
si  longtems  conservés.  Enfin  se  voyant  la  puis- 
sance entre  les  mains,  après  que  les  rois  et  les 


10  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

empereurs  eurent  embrassé  le  Christianisme,  ils 
changèrent  autant  qu'ils  purent  le  royaume  de 
Jésus-Christ,  qui  n'est  pas  de  ce  monde,  en  un 
royaume  terrestre,  ou  du  moins  donnèrent  au 
royaume  terrestre,  qu'ils  gouvernaient,  le  nom 
de  royaume  de  Jésus-Christ,  et  ainsi  devinrent 
Chrétiens  suivant  le  monde,  mais  non  pas  Chré- 
tiens véritables.  Alors  une  foule  d'inventions 
humaines  et  de  nouveautés,  par  rapport  à  la 
doctrine  ou  au  culte,  s'introduisit  dans  l'église  ; 
et  ce  qui  ouvrit  la  porte  à  tous  ces  abus,  ce  fut 
l'esprit  grossier  et  charnel  qui  prit  alors,  chez  la 
plus  grande  partie  des  Chrétiens,  la  place  de 
l'Esprit  doux  et  céleste  de  Dieu,  auquel  depuis 
longtems  leurs  cœurs  s'étaient  fermés,  pour 
s'abandonner  à  la  superstition,  et  à  tous  les 
caprices  d'un  culte  qui  n'avait  d'autre  base  que 
leur  volonté  et  leur  imagination  déréglée.  Or 
comme  la  superstition  est  aussi  violente  et  aussi 
opiniâtre  qu'elle  est  peu  éclairée,  et  qu'il  n'y  a 
avec  elle,  d'autre  alternative  que  de  se  soumettre 
à  son  zèle  aveugle  et  outré,  ou  d'être  sa  victime, 
ils  persécutaient  dans  les  autres,  au  nom  de 
l'Esprit,  l'apparence  même  de  l'Esprit  de  Dieu  ; 
ne  pouvant  souffrir  en  autrui  la  lumière,  la 
grâce,  l'esprit  de  Jésus-Christ,  à  qui  ils  re- 
fusaient  l'entrée  de   leur  cœur,   mais  s'armant 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  11 

toujours  pour  colorer  leur  intolérance  de 
quelque  prétexte  plausible,  et  accusant  leurs 
frères  d'innovation,  de  schisme,  ou  d'hérésie.  Ils 
feignaient  d'oublier  que  le  Christianisme  n'a 
jamais  admis  qu'aucun  de  ces  noms  pût  servir 
de  prétexte,  pour  persécuter  qui  que  ce  fût,  en 
matières  purement  religieuses  :  car  le  Chris- 
tianisme est  doux  et  tolérant  ;  ses  principales 
qualités  sont  la  foi,  l'espérance,  et  la  charité, 
qu'un  persécuteur  ne  peut  posséder,  tant  qu'il 
est  persécuteur.  La  croyance  d'un  homme  et 
ses  espérances  doivent  être  mal-fondées,  et  on  ne 
saurait  dire  non  plus  qu'il  a  de  la  charité  pour 
son  prochain,  dès  qu'il  cherche  à  violenter  les 
esprits  ou  les  corps,  pour  forcer  les  autres  à 
admettre  certains  articles  de  foi,  ou  à  adopter 
tel  ou  tel  culte,  telle  ou  telle  manière  de  rendre 
hommage  à  Dieu. 

Ce  fut  ainsi  que  la  fausse  église  prit  naissance 
et  s'arma  de  la  puissance  temporelle  ;  mais 
quelque  dégénérée  qu'elle  fût,  elle  voulut  tou- 
jours conserver  un  nom  qu'elle  ne  méritait  plus, 
et  prit  le  titre  d'épouse  de  l'Agneau,  de  véritable 
église,  de  mère  des  fidèles  ;  forçant  chacun  à 
recevoir  sa  marque,  soit  au  front  ou  à  la  main 
droite,  c'est-à-dire,  publiquement  ou  en  secret. 
Mais,  dans  le  fait  et  dans  la  vérité,  elle  était  celle 


12  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

dont  le  nom  est  Mystère,  la  grande  Babylone,  la 
mère  des  paillardises,  la  mère  de  ceux,  chez 
qui,  malgré  toute  leur  montre  et  tout  leur  appa- 
reil de  religion,  on  ne  reconnoissait  plus  l'esprit, 
la  nature,  et  la  vie  de  Jésus-Christ,  qui  étaient 
devenus  vains,  mondains,  ambitieux,  avares, 
cruels  :  ce  sont  là  les  fruits  de  la  chair,  et  non 
de  l'esprit. 

Ce  fut  alors  que  la  véritable  église  se  sépara 
de  la  superstition  et  de  la  violence,  et  se  retira 
dans  le  désert,  c'est-à-dire  devint  moins  pub- 
lique et  plus  solitaire  ;  elle  se  cacha,  et  se  rendit, 
pour  ainsi  dire,  invisible  aux  yeux  des  hommes, 
quoiqu'elle  existât  encore  dans  le  monde.  Ce 
qui  fait  voir  qu'il  ne  lui  était  pas  essentiel  d'être 
toujours  visible  pour  être  la  véritable  église,  au 
jugement  du  Saint  Esprit;  car  elle  n'en  était 
pas  moins  la  véritable  église,  quoique  dans  le 
désert,  quoiqu'alors  moins  visible  et  moins  bril- 
lante qu'elle  ne  l'avait  été  dans  l'origine, 
lorsqu'elle  jouissait  de  toute  sa  splendeur  pre- 
mière. Cependant  elle  fit  plusieurs  efforts  pour 
reparaître  ;  mais  les  eaux  étaient  encore  trop 
hautes,  tous  chemins  lui  étaient  fermés,  et  plu- 
sieurs de  ses  dignes  enfans,  à  différentes  époques 
et  chez  diverses  nations,  furent  les  victimes  de  la 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  13 

plus  cruelle  superstition,  pour  n'avoir  pas  voulu 
renoncer  à  la  vérité. 

Le  dernier  siècle  fit  quelques  pas  pour  s'en 
rapprocher,  tant  dans  la  doctrine  et  le  culte,  que 
dans  la  pratique.  Mais  la  pratique  ne  tint  pas 
longtems,  car  l'esprit  de  méchanceté  se  glissa 
bientôt  parmi  ceux  qui  professaient  la  réforme 
aussi  bien  que  parmi  ceux  dont  ils  s'étaient 
séparés  ;  de  sorte  qu'il  devint  impossible  de  les 
distinguer  par  les  fruits  de  leur  conversation. 
L'on  vit  bientôt,  si  ce  ne  fut  les  réformateurs 
eux-mêmes,  du  moins  leurs  enfans,  s'armer  de  la 
puissance  terrestre,  et  de  la  force,  pour  soutenir 
et  étendre  cette  même  réforme  à  laquelle  ils 
n'avaient  d'abord  employé  que  des  armes  spiri- 
tuelles ;  et  j'ai  souvent  fait  cette  réflexion,  que 
c'était  sûrement  là  une  des  grandes  raisons  qui 
avait  empêché  la  réforme  de  faire  plus  de  pro- 
grès, dans  le  vrai  sens  où  l'on  doit  l'entendre, 
quant  à  l'esprit  et  la  vie  de  la  religion.  Car  tant 
que  les  réformés  furent  humbles,  et  animés  du 
véritable  esprit  de  la  religion  ;  tant  qu'ils  eurent 
confiance  en  Dieu,  n'eurent  recours  qu'à  lui  et 
vécurent  dans  sa  crainte,  n'ayant  point  recours 
aux  moyens  de  la  chair  et  du  sang,  pour  se  pro- 
curer leur  délivrance  par  des    voies  humaines  ; 


Î4  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

l'église  voyait  journellement  se  réunir  à  elle 
nombre  de  fidèles,  et  il  y  avait  tout  lieu  d'espérer 
qu'ils  seraient  sauvés.  Car  ils  s'occupaient  bien 
plus  de  conserver  leur  foi  pure,  et  d'endurer  la 
persécution  avec  patience,  que  de  s'y  soustraire  ; 
ils  cherchaient  plutôt  à  répandre  la  connaissance 
de  la  vérité,  par  leur  foi  et  leur  patience  dans  les 
tribulations,  qu'à  ôter  la  puissance  temporelle 
des  mains  de  leurs  persécuteurs  :  et  ceux  qui 
agissent  autrement  seront  assez  heureux,  si  le 
Seigneur  ne  les  laisse  pas  détruire  par  les 
mêmes  moyens  qu'ils  ont  mis  en  usage  pour 
s'établir  et  s'élever. 

Leur  doctrine,  en  certains  points,  était  défec- 
tueuse ;  voulant  éviter  une  erreur  sur  d'autres 
points,  ils  tombaient  dans  l'erreur  contraire  ;  et 
leur  culte  en  général,  paraissait  plutôt  tenir  de 
l'esprit  des  hommes  que  de  celui  de  Dieu.  Ils 
reconnaissaient  à  la  vérité  l'esprit,  l'inspiration,  et 
la  révélation,  et  fondaient  leur  séparation  et  leur 
réforme  sur  le  sens  des  Ecritures,  et  sur  la 
manière  dont  ils  les  expliquaient  et  les  enten- 
daient. Or  voici  quel  était  leur  raisonnement  : 
l'écriture  est  le  texte,  l'esprit  donne  l'explication, 
et  il  la  donne  à  chacun  pour  soi  ;  mais  la  prière 
et  la  prédication  n'étaient  point  encore  assez 
dégagées  des  inventions  humaines,  de   la  tradi- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  \5 

tion  et  de  l'art;  leurs  ministres  avaient  trop 
d'autorité  et  de  grandeur  temporelle,  surtout  en 
Angleterre,  en  Suéde,  en  Danemarc,  et  dans 
quelques  parties  de  l'Allemagne  ;  c'est  pourquoi, 
en  Angleterre  il  plut  à  Dieu  de  nous  faire  subir 
plusieurs  changemens,  en  nous  faisant  passer, 
pour  ainsi  dire,  d'un  vaisseau  dans  un  autre. 
Le  premier  changement  humilia  les  ministres, 
et  il  en  résulta  une  exactitude  plus  stricte  à 
prêcher,  plus  de  ferveur  dans  la  prière,  plus  de 
zèle  à  garder  le  jour  du  Seigneur,  plus  de  dili- 
gence à  catéchiser  les  en  fans  et  les  domestiques, 
et  à  répéter  chez  soi,  à  sa  famille,  ce  qu'on 
avait  entendu  en  public.  Mais  ceux-là  mêmes, 
dès  qu'ils  eurent  le  pouvoir  en  main,  voulurent 
s'en  servir  non  seulement  pour  chasser  les  uns 
du  temple,  mais  même  pour  en  forcer  d'autres  à 
y  entrer  ;  ils  se  montrèrent  plus  rigides  dans 
leur  doctrine,  que  sévère  dans  leur  propre  con- 
duite ;  on  vit  en  eux  plutôt  des  dévots  attachés 
à  un  parti,  que  des  personnes  vraiment  reli- 
gieuses ;  aussi  vit-on  bientôt  paraître  une  autre 
peuple  mieux  choisi  encore,  et  plus  retiré. 

Ceux-ci  ne  voulaient  point  communiquer  en 
public,  avec  les  autres,  mais  formaient  entr'eux 
des  églises  où  ils  n'admettaient  que  ceux  qui 
pouvaient   rendre    compte   de    leur   conversion. 


16  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

ou  citer  quelque  trait  remarquable  des  effets  de 
la  grâce  de  Dieu  sur  leurs  cœurs.  Des  règles 
faites  d'un  commun  accord  étaient  le  lien  de 
leurs  assemblées  où  ils  se  regardaient  tous 
comme  frères  ;  ils  étaient  d'un  esprit  plus  doux 
que  les  autres,  et  semblaient  recommander  la 
religion  par  les  charmes  de  l'amour,  de  la  misé- 
ricorde, et  de  la  bonté,  plutôt  que  par  la  terreur 
des  jugemens  de  Dieu,  et  des  châtimens,  moyen 
dont  ceux  qui  les  avaient  précédés  faisaient  usage, 
pour  faire  rentrer  en  eux-mêmes  ceux  à  qui  ils 
voulaient  inspirer  le  gôut  de  la  religion. 

Ils  donnaient  aussi  une  plus  grande  liberté  de 
prêcher,  car  ils  permettaient  à  qui  que  ce  fût  de 
leurs  membres  de  parler  ou  de  prier,  aussi  bien 
qu'à  leur  ministre,  choisi  par  eux-mêmes,  et  non 
par  le  Gouvernement.  Quiconque  d'entr'eux  se 
sentait  intérieurement  poussé  à  faire  l'un  ou 
l'autre,  avait  la  liberté  de  suivre  le  mouvement 
qu'il  sentait  au  dedans  de  lui,  soit  qu'il  fût  mi- 
nistre ou  laïque,  même  du  rang  le  plus  bas. 
Mais  hélas  !  cette  société  même,  essuya  de 
grandes  pertes  ;  ceux  qui  en  faisaient  partie 
dégénérèrent,  dès  qu'ils  eurent  tâté  du  pouvoir 
temporel,  de  la  faveur  des  princes,  et  des  profits 
qui  en  sont  les  conséquences.  Car  quoiqu'ils 
eussent  demandé  l'abolition  des  églises,  du  clergé, 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  17 

et  des  revenus  qui  y  étaient  attachés,  quand  ils 
furent  mis  à  cette  dangereuse  épreuve,  éblouis 
par  les  honneurs  et  les  biens  de  ce  monde,  ils 
n'eurent  pas  la  force  de  résister,  ils  acceptèrent 
de  bons  bénéfices  ;  survivant  à  leurs  propres 
principes,  ils  tombèrent  en  contradiction  avec 
eux-mêmes  ;  et  ce  qu'il  y  eut  de  pis,  c'est  que 
quelques-uns  d'entr'eux  devinrent  persécuteurs 
pour  l'amour  de  Dieu,  eux  qui  ne  faisaient  que 
sortir  de  la  fournaise.  Il  en  résulta  que  quelques- 
uns  s'avancèrent  un  pas  de  plus  ;  ils  adoptèrent 
un  autre  baptême,  ne  se  croyant  pas  baptisés 
suivant  l'Ecriture,  et  dans  l'espérance  qu'en  se 
soumettant  à  cette  observance  ils  s'assuraient  la 
présence  de  Dieu,  et  sa  puissance,  qu'ils  cher- 
chaient et  désiraient.  Ceux-ci  firent  profession 
de  négliger  la  science  humaine,  pour  ne  pas  dire 
d'y  renoncer,  et  de  trouver  à  redire,  non  seule- 
ment à  ce  qu'on  l'exigeât  des  ministres,  mais 
même  à  ce  qu'ils  en  fissent  usage  ;  rejettant  pa- 
reillement les  autres  qualités  requises,  et  se 
bornant  aux  secours  de  l'Esprit  de  Dieu,  et  aux 
talens  ordinaires  au  commun  des  hommes.  Et 
pendant  un  certain  tems,  de  même  que  Jean,  ils 
parurent  aux  autres  sociétés,  une  resplendissante 
et  brûlante  lumière. 

Ils  étaient  très  zélés,  simples,  et  graves  dans 
c 


13  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

leurs  manières  ;  parfaitement  instruits  dans  les 
Ecritures,  et  fermes  dans  les  principes  qu'ils 
professaient  ;  essuyant  avec  patience  beaucoup 
de  reproches  et  de  contradictions.  Mais  ce  qui 
avait  causé  la  chute  des  autres  causa  aussi  la 
leur  ;  ils  ne  tardèrent  pas  à  se  laisser  gâter  par 
le  pouvoir  temporel,  et  ils  en  eurent  assez  pour 
faire  juger  de  ce  qu'ils  auraient  fait,  s'ils  eussent 
pu  en  obtenir  davantage;  ils  se  reposaient  trop 
aussi  sur  le  baptême  d'eau,  qu'ils  avaient  adopté, 
au  lieu  de  passer  de  là  à  celui  du  feu  et  du  Saint 
Esprit:  car  c'est  là  le  vrai  baptême  de  celui 
qui  est  venu  le  van  à  la  main,  pour  nettoyer  son 
aire,  pour  la  nettoyer  totalement,  et  non  pas  en 
partie,  pour  purifier  son  peuple  de  tout  ce  qui 
était  d'un  mauvais  alloi  et  rendre  l'homme  plus 
pur  que  l'or  le  plus  fin.  Enfin  ils  devinrent 
hautains,  durs,  persuadés  de  leur  propre  justice, 
s'opposant  à  tout  ce  qui  tendait  à  une  plus 
grande  perfection,  qu'ils  ne  croyaient  pas  pos- 
sible; trop  prompts  à  oublier  les  jours  de  leur 
enfance,  qui  cependant  leur  avait  donné  le  peu 
de  beauté  réelle  qu'ils  avaient  alors  ;  de  sorte 
que  plusieurs  se  séparèrent  d'eux,  ainsi  que  de 
toutes  les  autres  églises  et  sociétés  visibles,  et 
errèrent  ça  et  là  comme  des  brebis  sans  pasteur, 
ou  comme  des  tourterelles  qui  avaient  perdu  leurs 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  19 

compagnes,  qui  cherchaient  leur  bien-aimé  sans 
pouvoir  le  trouver,  et  désirant  ardemment  de 
connaître  celui  dont  leur  âme  faisait  ses  plus 
chères  délices. 

Les  uns  les  nommèrent  Seekers,  c'est-à-dire, 
Chercheurs  ;  d'autres  les  appelèrent  La  Famille 
d'Amour,  parcequequandilsvinrentàse  connaître 
entr'eux,  ils  s'assemblaient  quelque  fois,  non  pas 
pour  prier  ou  prêcher  formellement,  en  tel  lieu 
ou  à  telle  heure  fixé,  comme  ils  avaient  coutume 
de  faire  auparavant;  mais  pour  attendre  ensemble 
en  silence  ;  et  à  mesure  qu'il  leur  venait  quelques 
idées,  qu'ils  croyaient  pouvoir  attribuer  à  l'in- 
spiration divine,  ils  les  mettaient  au  jour.  Mais 
il  arriva  que  quelques-uns  d'entr'eux,  perdant 
de  vue  l'humilité  et  la  crainte  de  Dieu,  furent 
exaltés  outre  mesure  par  l'excellence  des  révéla- 
tions, et  au  lieu  de  tenir  humblement  leur  esprit 
dans  la  dépendance  de  Celui  qui  avait  ouvert 
leur  entendement,  pour  pénétrer  les  profondeurs 
du  sens  de  sa  loi,  ils  donnèrent  un  champ  libre 
à  leur  imagination,  et,  confondant  leurs  propres 
rêveries  avec  les  inspirations  de  l'Esprit  divin,  ils 
n'obtinrent  de  ce  mélange  qu'un  fruit  mon- 
strueux, scandale  de  ceux  qui  craignaient  Dieu, 
et  qui  attendaient  journellement  dans  le  temple 
(non  dans  un  temple  bâti  de  main  d'homme)  la 
c  2 


20  ORIGINE    ET    FORMATION     DE    LA 

consolation  d'Israël,  de  ceux  enfin  dont  il  est 
dit:  Juifs  intérieurement,  mais  circoncis  en  esprit. 
Leurs  discours  et  leurs  pratiques  ridicules  leur 
firent  donner  le  nom  de  Ranters, — Extravagans. 
Car  ils  prétendaient  que  Jésus-Christ,  en  accom- 
plissant la  loi  pour  nous,  nous  avait  affranchi  de 
tout  devoir  et  de  toute  obligation  imposée  par  la 
loi,  au  lieu  de  la  condamnation  dénoncée  par  la 
loi  contre  tous  les  péchés  passés,  accompagné  par 
la  foi  et  la  repentance.  Ils  disaient  que  les 
même  choses  qui  nous  eussent  été  imputées  à 
péché  autrefois,  avaient  cessé  d'être  péché, 
Jésus-Christ  nous  ayant  délivré  de  la  crainte 
servile  de  la  loi,  et  que  toutes  les  actions  de 
l'homme  étaient  bonnes,  pourvu  qu'il  fût  dans  la 
persuasion  qu'elles  étaient  bonnes,  et  dans  l'in- 
tention qu'elles  fussent  telles.  De  sorte  que 
plusieurs  se  permirent  les  pratiques  les  plus  ré- 
voltantes, donnant  pour  excuse  qu'ils  pouvaient 
sans  crime  faire  des  choses  que  d'autres  ne 
pouvaient  faire  sans  se  rendre  coupables;  dis- 
tinguant ainsi  l'action  de  l'offense,  et  faisant 
dépendre  l'innocence  de  la  situation  de  l'âme, 
et  de  l'intention  de  celui  qui  agit.  Ainsi 
l'abondance  de  la  grâce  devait  toujours  être 
surpassée  par  la  surabondance  du  péché,  et  de 
la  grâce  de  Dieu  on  passoit  à  la  convoitise  ;  et 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  21 

certes  c'était  là  le  plan  le  mieux  imaginé  qui  eut 
encore  paru  pour  pécher  en  sûreté  :  comme  si 
Jésus-Christ  fût  venu,  non  pour  nous  sauver  en 
nous  tirant  du  péché,  mais  pour  nous  sauver  en 
notre  péché  même  ;  non  pour  nous  affranchir  de 
l'empire  du  péché,  mais  pour  nous  procurer  une 
plus  grande  liberté  de  pécher  sans  courir  aucun 
risque,  puisqu'il  semblait  se  charger  des  consé- 
quences. 

Cette  funeste  doctrine  fut  la  ruine  de  plusieurs, 
et  la  cause  malheureuse  de  la  perte  irréparable 
de  leur  bonheur  éternel  ;  elle  scandalisa  les 
bons,  et  donna  occasion  aux  méchans  de  tourner 
la  religion  en  ridicule. 


22  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 


CHAPITRE    II. 

De  la  manière  dont  cette  société  s'est  formée,  de  sa  doc- 
trine, et  de  ses  pratiques,  consistant  en  douze  points 
qui  en  sont  les  conséquences;  de  ses  progrès,  et  des 
persécutions  qu'elle  a  essuyées.  Exhortation  adressée 
à  l'Angleterre  à  ce  sujet. 

Ce  fut  à  peu  près  à  cette  époque,  ainsi  qu'on 
peut  le  voir  par  les  annales  de  George  Fox,  que 
par  un  effet  de  sa  sagesse  éternelle,  et  de  sa  bonté 
infinie,  Dieu  voulut  que  l'Orient  d'en  haut 
visitât  cette  nation  alors  ensevelie  dans  les 
ténèbres  et  dans  l'erreur  ;  il  le  voulut,  et  la 
parole  de  lumière  et  de  vie  fut  communiquée 
d'une  manière  plus  sure  et  plus  claire,  par  le 
témoignage  de  cet  instrument  d'élite,  fait  pour 
exécuter  les  grands  desseins  de  Dieu,  comme 
plusieurs  milliers  d'hommes  peuvent  le  certifier 
aujourd'hui;  gloire  en  soit  rendue  au  nom  du 
Seigneur  à  jamais  ! 

Car  cette  parole  en  pénétrant  dans  les  con- 
sciences, et  en  amollissant  les  cœurs,  ouvrit 
les  yeux  de  plusieurs,  et   leur  inspira  le  désir 


SOCIETE    DITE     DES    QUAKES.  23 

de  chercher  ;  de  sorte  que  ce  qui  avait  coûté 
à  plusieurs  tant  de  peines  et  d'embarras  lors- 
qu'ils le  cherchaient  hors  d'eux-mêmes  et 
sans  effet  ;  ils  le  trouvèrent  à  l'aide  de  ce  nou- 
veau ministère,  et  ils  le  trouvèrent,  c'est-à- 
dire,  la  voie  à  la  paix  avec  Dieu,  là  où  ils  dé- 
siraient la  posséder,  au  dedans  d'eux-mêmes. 
On  leur  apprit  à  chercher  au  dedans  d'eux- 
mêmes  la  lumière  de  Jésus-Christ,  comme  la 
semence  et  le  levain  du  royaume  de  Dieu  ;  cette 
lumière  qui  est  près  de  tous,  puisque  tous  l'ont 
en  eux-mêmes,  et  que  c'est  là  le  talent  que  Dieu 
confie  à  chacun,  témoin  fidèle  et  véritable, 
moniteur  qui  parle  à  l'âme,  grâce  salutaire  de 
Dieu  qui  est  "  clairement  apparue  à  tous  les 
hommes,"  quoique  peu  y  fassent  attention.  Le 
Chrétien  attaché  aux  traditions,  rempli  de  lui- 
même,  opiniâtre,  et  entêté  à  se  croire  dans  le 
droit  chemin,  gouverné  par  la  passion  et  par  un 
zèle  aveugle,  méprisa  ce  principe  comme  chose 
basse  et  commune  ;  ou  bien  le  combattit  comme 
une  innovation,  et  lui  donnant  comme  tel  des 
noms  odieux,  niant,  dans  son  dépit  et  dans  son 
ignorance,  qu'il  fût  vrai  que  la  puissance  et  l'es- 
prit de  Dieu  se  manifestassent  de  nouveau  à 
l'homme  dans  ce  jour-là  ;  quoiqu'assurément 
jamais  cette  manifestation  n'eût  été  plus  néces- 


24  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

saire  pour  faire  de  vrais  Chrétiens.  Ils  ressem- 
blaient en  cela  aux  anciens  Juifs  qui  rejettaient 
le  Fils  de  Dieu,  tout  en  professant  aveuglément 
qu'ils  attendaient  la  venue  du  Messie  :  et  cela 
parcequ'il  ne  paraissait  pas  au  milieu  d'eux 
suivant  leur  attente  et  suivant  l'idée  que  leurs 
esprits  charnels  s'en  étaient  faite. 

De  là,  ce  débordement  de  livres  pleins  d'in- 
vectives, qui  remplirent  les  grands  d'envie,  et  les 
petites  de  rage  ;   et  qui  en   opposant  mille  ob- 
stacles au  progrès  de   cette  sainte  doctrine,  en 
rendait  la  voie  vraiment  étroite  pour  ceux   qui 
voulaient   y    entrer.     Cependant   Dieu   n'aban- 
donna point  son  propre  ouvrage,  et  ce  témoignage 
parvint  enfin  à  se   faire  entendre  de   ceux   qui 
étaient  fatigués  et  pesamment  chargés,  de  ceux 
qui  avaient  faim  et  soif,  des  pauvres,  des  nécessi- 
teux, de  ceux  qui  étaient  dans  la  tristesse,  et  ac- 
cablés d'un  grand  nombre  de  maladies,  qui  avaient 
dépensé  tous  leurs  moyens  avec  des  médecins  inca- 
pables de  les  guérir,  et  qui  n'attendaient  plus  de 
secours  que  d'en  haut,  que  du  ciel  même.     Il  les 
réunit,  les  consola  et  les  établit.     Ils  virent  après 
avoir  essayé  de  tout,  que  rien  ne  pouvait  opérer 
leur  guérison  que  Christ  lui-même;  ils  savaient 
qu'il  avait  suffi  d'un  seul  de  ses  regards,  qu'il  avait 
suffi  de  toucher  sa  robe,  d'être  relevé  de  la  main 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKEUS.  20 

de  celui  qui  guérit  le  flux  de  la  pauvre  femme, 
qui  ressuscita  le  serviteur  du  centurion,  le  fils  de 
la  veuve,  la  fille  du  Gouverneur,  et  la  mère  de 
Pierre.  Semblables  à  cette  dernière,  ils  ne 
sentirent  pas  plus  tôt  dans  Lurs  âmes  les  effets 
de  sa  grâce  et  de  sa  puissance,  qu'ils  furent  prêts 
à  lui  obéir  et  à  lui  rendre  témoignage  ;  ils  le 
firent  avec  toute  la  résignation  et  la  fidélité 
possibles, malgré  les  moqueries, les  contradictions, 
les  confiscations,  les  coups,  les  fers,  et  autres 
tribulations  qu'ils  eurent  à  essuyer  pour  l'amour 
de  son  saint  nom. 

Ces  terribles  épreuves  furent  si  grandes  et  si 
multipliées,  qu'à  en  juger  suivant  la  sagesse 
humaine,  ils  n'auraient  probablement  pas  pu  se 
garantir  d'être  engloutis  par  les  vagues  furieuses 
qui  s'élevaient  contr'eux,  et  les  battaient  avec 
tant  de  violence,  si  le  Dieu  de  toutes  miséri- 
cordes, qui  était  au  milieu  d'eux,  ne  les  eût 
soutenus  de  son  bras  invincible.  De  sorte  que 
souvent  les  montagnes  fuyaient  ou  s'évanouis- 
saient devant  la  puissance  dont  ils  étaient  rem- 
plis, et  qui  agissait  merveilleusement  pour  eux 
et  en  eux  ;  car  l'un  ne  va  point  sans  l'autre.  Ce 
qui  en  les  raffermissant  dans  leur  foi,  leur  fut 
d'une  grande  consolation  ;  et  leur  fit  voir  que 
tout  était  possible    à    Celui   à  qui    ils    avaient 


26  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

affaire.  Et  que  plus  ce  que  Dieu  exigeait  d'eux 
paraissait  révolter  la  sagesse  humaine,  et  les 
exposer  à  la  fureur  du  monde,  plus  Dieu  par- 
aissait leur  aider  à  surmonter  tout  obstacle,  et  à 
rendre  témoignage  à  sa  gloire. 

De  sorte  que  jamais  peuple  n'a  pu  dire  avec 
plus  de  raison  qu'eux,  "Tues  notre  soleil  et 
notre  bouclier,  notre  rocher,  et  notre  sanctuaire  ; 
par  toi  nous  avons  franchi  la  muraille  ;  par  tci 
nous  nous  sommes  jetés  sur  une  armée  entière; 
par  toi  nous  avons  mis  en  fuite  ces  hordes 
d'étrangers."  Et  comme  Dieu  avait  déchargé 
leurs  âmes  du  fardeau  pesant  de  la  vanité  et  du 
péché,  comme  il  avait  enrichi  la  pauvreté  de  leur 
esprit,  appaisé  la  grande  faim  et  la  grande  soif 
qu'ils  avaient  de  la  justice  éternelle,  comme  il 
les  avait  rassassiés  des  bonnes  choses  dont  sa 
maison  abonde,  et  les  avait  établis  dispensateurs 
de  ses  dons;  ils  se  répandirent  de  tous  côtés 
parmi  ces  nations,  pour  leur  annoncer  ce  que 
Dieu  avait  fait  en  leur  faveur  ;  ce  qu'ils  avaient 
trouvé,  où,  et  comment  ils  l'avaient  trouvé,  c'est- 
à-dire,  le  chemin  de  la  paix  avec  Dieu,  invitant 
tous  les  hommes  à  venir  voir  et  à  juger,  chacun 
pour  soi,  de  la  vérité  de  ce  qu'ils  leur  an- 
nonçaient. 

Et  comme  ils  rendaient  témoignage  au  principe 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  27 

de  Dieu  dans  l'homme,  à  la  perle  précieuse  et 
au  levain  de  son  royaume,  assurant  que  c'était 
le  seul  moyen  capable  de  vivifier  l'homme,  de  le 
convaincre,  et  de  le  sanctifier,  ils  leur  faisaient 
comprendre  ce  que  ce  principe  était  en  soi,  et 
pourquoi  il  leur  était  donné  ;  comment  ils  pou- 
vaient le  distinguer  de  leur  propre  esprit,  et  des 
illusions  trompeuses  de  l'esprit  malin  ;  ce  qu'il 
ferait  pour  ceux  dont  le  cœur  aurait  renoncé  à 
la  vanité  du  monde,  à  ses  ministres  et  à  ses  voies 
sans  vie,  pour  s'attacher  à  sa  lumière  divine  qui 
était  au  dedans  d'eux-mêmes,  à  cette  lumière  qui 
découvre  et  condamne  le  péché  sous  quelque 
forme  qu'il  se  présente,  et  enseigne  à  résister  à 
la  tentation.  Pourvu  qu'on  lui  prête  attention 
lorsqu'elle  veut  nous  éclairer,  nous  convaincre, 
et  qu'on  lui  obéisse,  elle  nous  donne  le  pouvoir 
d'éviter  les  choses  qui  déplaisent  à  Dieu,  et  de 
nous  en  garantir;  elle  nous  fortifie  dans  l'amour, 
la  foi,  et  les  bonnes  œuvres,  afin  que  l'homme 
qui,  par  le  péché,  est  devenu  comme  un  désert, 
plein  de  ronces  et  d'épines,  puisse  redevenir 
comme  le  jardin  de  Dieu  cultivé  par  son  pouvoir 
divin,  abondant  en  plantes  pleines  de  beauté  et 
de  vertu,  plantées  par  la  main  de  Dieu  même, 
et  à  sa  louange  éternelle. 

Mais  ces  prédicateurs,  qui  eux-mêmes  avaient 


28  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

fait  l'expérience  des  bonnes  nouvelles  qu'ils 
annonçaient,  savoir  la  vérité  de  Dieu  et  son 
royaume,  ne  pouvaient  pas  courir  le  monde 
toute  les  fois  que  l'idée  leur  en  prenait,  ni  prier 
ou  prêcher  quand  il  leur  plaisait,  mais  selon  que 
Jésus-Christ  leur  rédempteur  les  y  préparait  et 
les  y  excitait  par  son  esprit  divin  :  et  dans  leurs 
assemblées,  ils  attendaient  qu'il  se  fît  sentir  à 
eux,  et  ne  parlaient  qu'autant  qu'il  les  faisait 
parler  ;  ils  parlaient  comme  ayant  autorité  et  non 
pas  comme  les  Pharisiens.  Et  cet  esprit  se  fit  con- 
naître aux  esprits  solides  dont  le  Seigneur  Jésus 
avait  plus  ou  moins  ouvert  les  yeux,  de  sorte  que 
l'un  eut  le  don  de  l'exhortation,  un  autre  le  don 
de  la  réprimande,  un  autre  celui  de  la  consolation, 
et  tous  par  la  même  inspiration,  pour  concourir 
au  même  but,  c'est-à-dire,  pour  en  édifier  et  en 
convaincre  un  grand  nombre. 

Et  en  effet  ils  devinrent  forts  et  hardis  par  leur 
fidélité,  et  la  puissance  et  l'esprit  de  Jésus-Christ 
fit  fructifier  leurs  travaux  ;  car  en  peu  de  tems 
on  vit  des  milliers  d'hommes  se  convertir  à  la 
vérité  au  dedans  d'eux-mêmes,  persuadés  par  les 
souffrances  et  le  témoignage  de  ces  hérauts  de  la 
vérité  :  de  sorte  que  dans  la  plupart  des  comtés 
et  dans  plusieurs  villes  considérables  d'Angle- 
terre il  se  forma  des  assemblées,  et  "  le  Seigneur 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  29 

ajoutait  chaque  jour  à  l'église  ceux  qui  voulaient 
être  sauvés."  Car  ils  furent  diligens  à  planter 
et  à  arroser,  et  le  Seigneur  bénit  leurs  travaux, 
et  il  les  couronna  de  succès  multipliés,  malgré 
les  faux  bruits,  les  calomnies,  les  persécutions 
violentes,  et  les  autres  obstacles  qui  s'opposaient 
à  leurs  progrès,  non  seulement  de  la  part  des 
puissances  de  la  terre,  mais  de  la  part  de  tous 
ceux  à  qui  l'idée  venait  de  leur  faire  quelque  in- 
sulte ou  quelque  affront  :  de  sorte  qu'on  aurait 
pu  avec  justesse  les  comparer  à  de  pauvres  bre- 
bis destinées  à  la  boucherie,  ou  à  un  peuple 
"  fait  pour  être  égorgé  pendant  tout  le  jour." 

L'on  ferait  un  volume  entier,  plutôt  qu'une 
simple  préface,  si  l'on  voulait  énumérer  seulement 
tout  ce  qu'ils  eurent  à  souffrir,  et  de  la  part  de 
ceux  qui  faisaient  profession  de  religion,  et  de  la 
part  de  ceux  qui  vivaient  dans  le  libertinage, 
des  magistrats  et  de  la  populace.  De  sorte  qu'on 
pouvait  dire  avec  raison  de  ces  objets  de  la 
haine  et  du  mépris  du  monde,  qu'ils  s'avançaient 
en  pleurant  et  semaient  dans  les  larmes,  rendant 
témoignage  à  la  précieuse  semence,  à  la  semence 
du  royaume  des  Cieux,  qui  ne  consiste  point  en 
paroles,  ni  même  dans  les  plus  belles  et  les  plus 
élevées,  dont  l'esprit  humain  puisse  faire  usage, 
mais  en  la  puissance  de  Jésus-Christ  lui-même  ; 


30  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

à  qui  Dieu  le  Père  a  donné  tout  pouvoir  au  ciel 
et  sur  la  terre,  pour  commander  aux  anges  et 
aux  hommes.  C'était  Lui  qui  leur  communiquait 
sa  puissance,  ainsi  que  leurs  progrès  en  font  foi  ; 
car,  par  leur  ministère,  plusieurs  quittaient  les 
ténèbres  pour  la  lumière,  et  abandonnaient  la 
voie  large  et  aisée,  pour  entrer  dans  le  sentier 
étroit  de  la  vie  et  de  la  paix,  et  ils  les  ramenaient 
à  des  habitudes  sérieuses  et  selon  Dieu,  à  la 
pratique  enfin  de  la  doctrine  qu'ils  enseignaient. 

Sans  cette  influence  secrète  et  divine,  il  est 
impossible  de  régénérer  et  de  vivifier  des  âmes 
qui  sont  mortes,  et  c'est  faute  de  posséder  ce 
pouvoir  régénérant  et  vivifiant,  que  tant  de  mi- 
nistères qu'il  y  a  eu,  et  qu'il  y  a  encore  dans  le 
monde  obtiennent  si  peu  de  succès.  O,  si  le 
peuple  et  les  ministres  pouvaient  sentir  cela  ! 
mon  cœur  en  est  souvent  troublé;  je  m'afflige 
et  m'inquiète  sur  leur  sort  !  S'ils  possédaient  la 
sagesse,  s'ils  voulaient  considérer  et  prendre  à 
cœur  des  choses  si  importantes  et  si  essentielles 
pour  leur  bonheur  éternel  ! 

Ici  nous  distinguerons  deux  choses  ;  la  doc- 
trine quils  enseignaient,  et  l'exemple  qu'ils  don- 
naient aux  autres.  J'ai  d6ja  touché  un  mot  sur 
leur  grand  principe  qui  est  comme  la  pierre 
angulaire  de  tout  leur  édifice,  le  point  essentiel 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  31 

qui  les  caractérise  et  qui  les  distingue  spéciale- 
ment de  tous  les  autres,  c'est-à-dire,  la  lumière 
de  Jésus-Christ,  au  dedans  d'eux,  le  vrai 
don  de  Dieu  pour  le  salut  de  l'homme.  Ce 
principe  est  le  tronc  d'où  partirent,  comme 
autant  de  branches,  les  différens  points  de  doc- 
trine dont  je  vais  faire  rémunération,  dans  leur 
ordre  naturel  et  expérimental. 

Le  premier  était  de  se  repentir  des  œuvres 
mortes,  pour  servir  le  Dieu  vivant;  ce  qui  ren- 
ferme trois  opérations:  1.  Connaître  le  péché  ; 
2.  en  concevoir  une  sainte  horreur  et  un  saint 
repentir  ;  3.  s'amender  à  l'avenir.  Voilà  en 
quoi  consistait  la  repentance  qu'ils  prêchaient,  à 
laquelle  ils  exhortaient  les  hommes,  et  qui  était 
le  résultat  naturel  du  principe  dont  ils  voulaient 
les  convaincre.  Car  de  la  lumière  venait  la  con- 
naissance du  péché,  de  cette  connaissance  l'hor- 
reur et  le  repentir,  et  de  cette  horreur  et  de  ce 
repentir,  l'amendement.  Or  cette  doctrine  de 
repentance  mène  à  la  justification,  c'est-à-dire, 
au  pardon  des  péchés  passés,  par  Jésus-Christ, 
(le  seul  de  qui  nous  puissions  attendre  la  propi- 
tiation)  à  la  sanctification,  ou  purgation  de  l'ame 
de  la  souillure  et  de  l'habitude  du  péché,  par  la 
lumière  de  l'Esprit  de  Jésus-Christ  dans  nos 
âmes;  et  c'est-là   la  vraie  justification,  suivant 


32  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

toute  l'étendue  du  mot,  qui  signifie  que  le  cou- 
pable est  justifié  de  tous  péchés  passés,  comme 
s'ils  n'eussent  jamais  été  commis,  par  l'amour 
et  la  miséricorde  de  Dieu  en  Jésus-Christ,  et  que 
l'homme  est  rendu  intérieurement  juste  par  la 
puissance  purifiante  et  sanctifiante  de  Jésus. 
Christ,  qui  se  manifeste  à  l'ame  ;  et  c'est  ce  qui 
s'appelle  ordinairement  sanctification.  Mais  qui- 
conque rejette  l'Auteur  de  sa  sanctification 
n'éprouve  point  la  vertu  de  son  sacrifice,  le  but 
de  sa  venue  étant  de  délivrer  son  peuple  de  la 
souillure  du  péché,  aussi  bien  que  du  crime  du 
péché  ;  c'est  pourquoi  ceux  qui  résistent  à  sa 
lumière  et  à  son  Esprit  rendent  inutiles  pour  eux 
les  mérites  de  son  incarnation  et  de  son  sacrifice. 
De  là  suivait  un  second  point  de  doctrine 
qu'ils  se  trouvaient  amenés  à  annoncer  comme 
étant  "  le  but,  le  prix  de  la  céleste  vocation"  de 
tous  les  vrais  Chrétiens  ;  ce  second  point  consis- 
tait à  viser  à  la  perfection  suivant  les  Ecritures 
de  vérité,  qui  nous  assurent  que  c'était  là  le 
grand  objet  de  la  venue  de  Christ,  la  nature  de 
son  royaume,  et  son  dessein  en  nous  donnant 
son  esprit  ;  savoir  afin  que  nous  fussions  parfaits, 
comme  notre  Père  céleste  est  parfait  ;  et  saints, 
parceque  Dieu  est  saint.  Et  tel  était  l'objet  de 
tous  les  travaux  des  apôtres,  que  les  Chrétiens 


SOCIETE    DÏTE    DES    QUAKERS.  33 

fussent  sanctifiés  en  corps,  en  ame,  et  en  esprit  ; 
mais  ils  n'annoncèrent  jamais  la  perfection  de 
sagesse  ou  de  gloire  dans  ce  monde  ;  ni  l'affran- 
chissement de  la  mort,  ou  des  autres  infirmités 
humaines;  comme  quelques-uns  ont  eu  la  foi- 
blesse  de  le  croire,  ou  la  malice  de  l'insinuer 
contr'eux. 

Ils  appellaient  cet  état  rédemption,  régénéra- 
tion, vie  nouvelle  :  enseignant  partout,  qu'à 
moins  que  cette  œuvre  ne  fût  connue,  il  n'y  avait 
point  à  espérer  d'hériter  le  royaume  des  cieux. 

En  troisième  lieu,  de  là  suivait  naturellement 
la  doctrine  des  châtimens  et  des  récompenses 
éternelles,  et  sans  doute,  ils  étaient  assez  fondés 
dans  cette  croyance  ;  car  sans  cela  ne  pourrait- 
on  pas  les  regarder  comme  les  plus  malheureux 
de  tous  les  hommes,  eux  qui  pendant  quarante 
ans  avait  tant  souffert  pour  la  vérité  qu'ils  pro- 
fessaient, qui  dans  quelques  occasions  avaient  été 
traités  comme  les  derniers  des  hommes,  comme 
s'ils  eussent  été  "  la  raclure  de  tous." 

Tel  est  donc  le  grand  objet  de  leur  doctrine 
et  de  leur  ministère,  telle  est  la  doctrine  que  la 
plupart  de  ceux  qui  font  profession  d'être  Chré- 
tiens semblent  adopter,  mais  qu'ils  ne  sou- 
tiennent que  du  bord  des  lèvres  et  pour  la  forme, 
mais  non  avec  force  et  avec  sainteté  ;  qualités 

D 


34  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

que  les  hommes  en  général  ont  perdues,  depuis 
qu'ils  se  sont  écartés  de  ce  principe,  de  cette 
semence  de  vie,  qui  se  trouve  en  chaque  homme, 
en  laquelle  et  par  laquelle  seule  leurs  âmes 
peuvent  être  vivifiées,  pour  servir  le  Dieu  vivant 
dans  une  vie  nouvelle.  Car  comme  ce  qui  fait 
la  vie  de  la  religion  était  éteint,  et  que  la  plu- 
part vivaient  et  adoraient  Dieu  à  leur  manière, 
et  non  suivant  la  volonté  de  Dieu,  et  l'esprit  de 
Christ  ;  (car  alors  leurs  oeuvres  auraient  été  des 
fruits  dignes  du  Saint  Esprit)  ainsi  ce  que  les 
Quakers  prêchaient  avec  tant  de  force  n'était 
point  une  pure  théorie,  mais  une  vérité  d'expé- 
rience ;  non  pas  une  formalité,  mais  la  piété 
même  ;  car  ils  sentaient  en  eux-mêmes,  par  l'efB- 
cacité  des  justes  jugemens  de  Dieu,  que  sans  la 
sanctification  aucun  homme  ne  peut  voir  le 
Seigneur  avec  joie. 

De  ces  points  généraux,  qui  étaient  en  quelque 
façon  les  branches  principales  de  leur  doctrine, 
sortaient  plusieurs  autres  rameaux  particuliers  ; 
qui  expliquaient  et  confirmaient  l'efficacité  et  la 
vérité  de  leur  doctrine  générale,  dont  leur  con- 
duite et  toute  leur  vie  était  un  exemple  continuel 
Ce  sont  : 

1.  Leur  communion  et  leur  charité  réciproque. 
C'est  en  effet  ce  que  tout  le  monde  dit  d'eux  : 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  3.5 

ils  se  réunissent,  s'entr'aident,  et  se  soutiennent 
les  uns  les  autres  ;  et  il  est  ordinaire  d'entendre 
dire;   Voyez  les  Quakers,  comme  ils  s'aiment 
entre  eux,  quel  soin  ils  ont  les  uns  des  autres  ! 
d'autres,  moins  j  ustes,  disent,  les  Quakers  n'aiment 
que  les  Quakers.     En  effet  si  l'amour  réciproque, 
si  la  communion   intime  en  religion,  si  l'exacti- 
tude à   se  réunir  pour  rendre  ses  hommages  à 
Dieu,  et  l'attention  à  s'entr'aider,  peuvent  être 
regardés  comme  le  caractère  distinctif  des  Chré- 
tiens de  la  primitive  église,  ils  le  possédaient 
dans  toute  son  étendue  ;  le  Seigneur  en  soit  loué. 
2.  L'amour  pour  ses  ennemis  ;  c'est  un  prin- 
cipe qu'ils  enseignaient  et    pratiquaient.      Car 
non  seulement  ils  refusaient  de  se  venger   des 
injures   qu'ils  avaient  reçues,   et  condamnaient 
cette  vengeance  comme  un  chose  opposée  à  l'esprit 
du  Christianisme  ;  mais  ils  pardonnaient  géné- 
reusement, et  même  aidaient  et  soulageaient  ceux 
qui  s'étaient  montrés  cruels  à  leur  égard,  quand 
il  se  trouvaient  à  même  de  s'acquitter  ainsi  avec 
ceux  de  ce  qu'ils  en  avaient  souffert.  L'on  pourrait 
en  donner  plusieurs  exemples,  et  même  d'assez 
remarquables.     Ils  tâchaient  par  leur  foi  et  par 
leur  patience  de  se  mettre  au  dessus  de  l'injustice 
et  de  l'oppression,  et  ils  prêchaient  aux  autres 
la  pratique  de  cette  vertu  vraiment  chrétienne. 
d2 


36  ORIGINE    ET    FORMATION*    DE    LA 

3.  La  plus  grande  simplicité  dans  la  manière 
de  dire  la  vérité,  comme  Jésus-Christ  le  recom- 
mande, en  n'affirmant  rien  entre  Chrétiens  que 
par  Oui  ou  Non,  sans  aucun  serment,  et  cela 
d'abord  parceque  Jésus-Christ  le  défend  ex- 
pressément, (Matt.  v.)  ;  en  second  lieu,  parcequ'- 
étant  liés  par  la  vérité  au  dedans  d'eux-mêmes, 
tout  serment  était  inutile,  et  que  c'eîit  été  même 
donner  lieu  de  douter  de  leur  véracité,  si  étant 
Chrétiens,  ils  eussent  voulu  assurer  la  vérité 
par  un  moyen  extraordinaire  au  lieu  de  regarder 
un  simple  Oui  ou  Non,  sans  aucune  autre 
affirmation,  protestation  ou  serment,  comme 
une  forme  beaucoup  plus  convenable  à  la 
droiture  évangelique.  Mais  en  même  tems 
ils  consentaient,  s'il  leur  arrivait  de  dire  une 
fausseté,  à  être  punis  aussi  sévèrement  que  les 
autres  le  sont  pour  un  parjure  ;  excluant  ainsi 
tous  sermens,  soit  vrais,  faux,  ou  prophanes,  dont 
la  terre  est,  et  a  été  scandalisée  ;  et  qui  ont 
offensé  et  offensent  si  gravement  l'Etre  Suprême. 

4.  Souffrir,  et  non  point  combattre,  est  encore 
un  des  principes  particuliers  à  cette  société.  Ils 
soutiennent  que  le  Christianisme  enseigne  à 
"  changer  les  épées  en  coutres,  et  les  lances  en 
serpettes,"  et  à  renoncer  à  la  guerre  afin  que  les 
loups  puissent  "  reposer  au  milieu  des  agneaux, 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  37 

îes  lions  parmi  les  veaux,"  et  que  toute  maxime 
de  destruction  soit  effacée  du  cœur  des  hommes  : 
les  exhortant,  à  tourner  leur  zèle  contre  le  péché, 
et  leur  colère  contre  Satan,  et  à  ne  plus  se  faire 
la  guerre  les  uns  aux  autres.  Car  selon  l'apôtre 
Jacques,  toutes  guerres  et  tous  combats  viennent 
de  la  convoitise  du  cœur  humain,  et  non  point 
de  l'esprit  de  douceur  de  Jésus-Christ,  capitaine 
dans  un  autre  genre  de  guerre,  où  Ton  employé 
d'autres  armes.  Ainsi  de  même  que  la  plus 
grande  simplicité  dans  la  manière  de  dire  la  vérité 
remplaça  les  sermens,  de  même  la  foi  et  la  pa- 
tience succédèrent  aux  combats,  et  dans  leur 
doctrine  et  dans  leur  pratique.  Et  le  gouverne- 
ment civil  ne  doit  pas  pour  cela  les  regarder 
d'un  mauvais  œil,  car  par  la  même  raison  qu'iis 
ne  prendront  point  les  armes  pour  le  gouverne- 
ment, ils  ne  les  prendront  point  non  plus  contre 
lui  ;  et  ce  n'est  pas  peu  de  chose  que  d'être 
assuré  de  ce  dernier  avantage.  Ne  serait-il  pas 
déraisonable  en  effet  de  blâmer  les  gens  de  ne 
pas  faire  pour  autrui  ce  qu'ils  croyent  de  ne  pas 
devoir  faire  pour  eux-mêmes  ?  D'ailleurs,  même 
en  mettant  le  Christianisme  de  côté,  la  paix,  avec 
tous  ses  inconveniens,  ne  vaut-elle  pas  mieux  en 
général  que  la  guerre  avec  tous  ses  avantages, 
quand  on  considère  ce  qu'elle  coûte  et  ses  fruits  ? 


38  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

Mais  quoiqu'ils  ne  crussent  point  devoir  prendre 
les  armes,  ils  étaient  très  fort  d'avis  de  se  soumet- 
tre au  gouvernement,  et  cela  non  seulement  par 
crainte,  mais  par  conscience,  toutes  les  fois  que 
le  gouvernement  ne  cherche  point  à  troubler  leur 
conscience  ;  regardant  tout  gouvernement  comme 
représentant  de  Dieu,  et  tout  bon  gouvernement 
comme  le  bien  le  plus  précieux  pour  le  genre 
humain.  Cependant,  victimes  tantôt  d'un  zèle 
aveugle,  et  tantôt  de  l'intérêt,  ils  ont  essuyé  de 
la  part  du  gouvernement  plus  de  rigueur  qu'au- 
cune secte  de  notre  siècle  ;  et  pourtant  l'on  peut 
dire,  que  sauf  ce  qui  concerne  la  religion,  aucune 
société  n'a  moins  troublé  les  magistrats  dans 
l'exercice  des  devoirs  de  leur  charge. 

5.  Un  autre  trait  du  caractère  des  membres 
de  cette  société,  c'est  leur  refus  de  payer  une 
dîme  et  des  impôts  pour  les  ministres  d'une  reli- 
gion de  l'état,  et  cela  pour  deux  raisons.  La 
première  c'est  qu'ils  croyent  que  toute  contri- 
bution forcée,  même  pour  soutenir  les  ministres 
de  l'évangile,  n'est  ni  légitime  ni  conforme  au 
commandement  de  Jésus-Christ,  qui  a  dit, 
"  Vous  l'avez  reçu  gratuitement,  donnez  le  de 
même."  Ils  croyent  du  moins  que  si  l'on  con- 
tribue au  soutien  des  ministres  de  l'évangile, 
toute  contribution  de  ce  genre  doit  être  libre,  et 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  39 

non  forcée.  Leur  seconde  raison  c'est  que  les 
ministres  de  la  religion  nationale  ne  sont  point 
des  ministres  selon  l'évangile,  que  leur  création 
n'est  point  selon  le  Saint  Esprit,  mais  selon  l'es- 
prit humain  et  les  talens  humains.  De  sorte  que 
ce  n'est  ni  par  humeur  ni  par  caprice,  mais  par  un 
motif  de  conscience  envers  Dieu,  qu'ils  croyent  ne 
pas  devoir  contribuer  à  soutenir  ces  ministres 
dans  le  pays  ou  ils  demeurent,  parceque  ces  sortes 
d'emplois  ne  sont  que  trop,  et  trop  visiblement, 
des  moyens  de  s'agrandir  dans  le  monde. 

6.  Un  autre  point  de  doctrine  qu'ils  mettent  en- 
core en  pratique,  c'est  de  ne  point  se  croire  tenus 
envers  les  personnes,  de  quelque  rang  qu'elles 
soient,  à  aucun  respect  d'un  caractère  particulier  ; 
et  ceci  leur  a  attiré  bien  des  affronts  et  des  in- 
jures. Donner  des  titres  flatteurs,  faire  certains 
complimens  ou  certains  gestes  pour  marquer  le 
respect,  leur  paraissait  un  péché.  Us  savaient 
pourtant  distinguer  la  vertu  et  l'autorité,  mais 
ils  le  faisaient  d'une  manière  simple,  unie,  et  sur- 
tout sincère  ;  se  rappelant  l'exemple  de  Mardo- 
chée  et  d'Elihu,  mais  encore  plus  particulière- 
ment le  commandement  de  leur  Seigneur  et 
Maître,  Jésus-Christ,  qui  défendait  à  ses  dis- 
ciples d'appeler  les  hommes  Rabbi,  c'est-à-dire, 
Seigneur  ou  Maître.     Us   rejettèrent  aussi  les 


40  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

complimens  et  les  salutations  ordinaires  de  ces 
tems-là,  afin  d'humilier,  au  lieu  d'encourager 
l'amour  propre  et  la  vanité  aux  quels  l'esprit  de 
l'homme  est  si  sujet  depuis  sa  chute.  Et  quoique 
cela  rendît  peut-être  leur  commerce  peu  agré- 
able, ceux  qui  se  rappelleront  ce  que  Jésus- 
Christ  disait  aux  Juifs,  "  Comment  pouvez  vous 
croire,  vous  qui  recevez  des  honneurs  les  uns 
des  autres  ?"  s'en  trouveront  moins  choqués, 
s'ils  font  cas  de  sa  doctrine. 

7.  Ils  tutoyaient  aussi  tous  ceux  à  qui  ils  par- 
laient, quel  que  fût  leur  rang  parmi  les  hommes, 
et  c'est  là  une  grande  preuve  de  la  sagesse  de 
Dieu,  d'avoir  fait  apparaître  dans  le  monde  cette 
société  avec  des  formes  si  simples.  C'était  en 
effet  comme  une  pierre  de  touche  au  moyen  de 
laquelle  ils  connaissaient  au  premier  abord  le 
caractère  de  ceux  avec  qui  ils  se  trouvaient; 
qui  décelait  ce  qu'ils  étaient  au  dedans,  et  qui, 
quelque  cas  qu'ils  parussent  faire  de  la  religion, 
mettait  bientôt  à  vue  leur  vanité.  Ce  mot  de 
toi  paraissait  si  dur  à  quelques-uns,  et  ils  s'en 
offensaient  à  un  tel  point,  qu'on  en  a  vu  leur 
répondre  les  choses  les  plus  dures  et  les 
plus  injurieuses,  oubliant  de  quelle  manière 
ils  parlent  eux-mêmes  à  Dieu  dans  leurs 
prières,  oubliant  que  c'est  là  le  stile  de  l'Ecri- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  41 

ture  ;  et  que  parler  autrement,  c'est  s'exprimer 
d'une  manière  incorrecte,  à  ne  considérer  que 
les  régies  de  la  langue.  Et  je  demanderai  quel 
bien  la  religion  avait  fait  à  des  gens  qu'on  met- 
tait hors  d'eux  mêmes,  en  se  servant  à  leur 
égard,  de  cette  manière  de  parler,  simple,  hon- 
nête, et  surtout  vraie  ? 

8.  Ils  donnaient  eux-mêmes  l'exemple  du 
silence,  s'imposant  la  plus  grande  brièveté  dans 
toute  occasion.  Ils  n'avaient  qu'uue  parole 
dans  le  commerce,  et  quoi  que  pussent  leur  dire 
leurs  pratiques,  ils  ne  s'en  relâchaient  point,  et 
préféraient  la  vérité  et  le  bon  exemple  au  profit 
qu'ils  auraient  pu  faire  autrement.  Ils  cher- 
chaient la  solitude,  et  s'ils  se  trouvaient  en 
compagnie,  ne  se  permettaient  aucun  discours 
dont  Dieu  pût  être  offensé,  comme  ils  évitaient 
d'en  entendre  de  tels,  lorsqu'ils  pouvaient  s'en 
garantir  ;  par  là  ils  conservaient  leurs  âmes 
pures  et  libres  de  toutes  pensées  et  de  tous 
amusemens  dangereux.  Ils  ne  voulaient  point 
non  plus  se  soumettre  à  la  coutume  de  se  dire 
Bon  jour,  Bon  soir,  Dieu  vous  conduise  ;  car  ils 
savaient  que  le  jour  est  bon,  et  la  nuit  aussi, 
sans  le  souhaiter,  et  ils  croyaient  que  dans  la 
troisième  phrase  le  nom  de  Dieu  était  employé 
avec  trop  de  légèreté,  trop  peu   de  reconnais- 


42  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

sance,  et  par  conséquent  pris  en  vain.  Ils 
regardaient  d'ailleurs  ces  paroles  comme  des 
complimens  d'habitude,  auxquels  on  ne  pense 
pas  plus  en  les  prononçant,  qu'on  ne  pense  à 
donner  aux  gens  une  preuve  de  son  respect  et 
de  sa  soumission,  en  ôtant  son  chapeau  et 
faisant  des  révérences.  Et  comme  en  cela, 
ainsi  qu'en  toute  autre  chose,  ce  qui  est  superflu 
leur  était  incommode,  non  seulement  ils  s'en 
dispensaient,  mais  par  fois  ne  pouvaient  s'empê- 
cher de  blâmer  ce  vain  cérémonial. 

9.  Pour  la  même  raison  ils  ne  buvaient  point 
à  la  santé  des  gens,  et  ne  demandaient  point 
qu'on  leur  fît  raison,  comme  cela  se  pratique 
dans  les  compagnies  ;  pratique  non  seulement 
inutile,  mais  suivant  eux  mauvaise  dans  ses  con- 
séquences. Cela  ne  sert  en  effet  qu'à  exciter 
les  gens  à  boire  plus  qu'il  ne  faut  pour  la 
santé  ;  pratique  assez  vaine,  et  qui  tient  du 
paganisme. 

10.  Ils  ont  aussi  un  mode  de  mariage  qui  leur 
est  particulier,  et  qui,  par  l'attention  qu'ils  y 
apportent,  les  distingue  des  autres  sociétés 
Chrétiennes.  Ils  disent  que  le  mariage  est  d'in- 
stitution divine,  et  que  Dieu  seul  peut  permettre 
et  consacrer  cette  union.  Pour  cette  raison,  ils 
ne  se  servent  pas  ni  du  ministre  ni  du  magistrat. 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  43 

L'homme  et  la  femme  qui  veulent  se  marier,  se 
prennent  donc  pour  époux  en  présence  de  té- 
moins respectables,  dans  une  assemblée  publique 
pour  le  culte  divin,  et  se  promettent,  avec  l'aide 
de  Dieu,  de  s'entr'aimer,  et  de  se  garder  fidélité, 
jusqu'à  ce  que  la  mort  les  sépare.  Mais  pré- 
alablement, ils  se  présentent  à  l'assemblée  qui 
se  tient  tous  les  mois  pour  les  affaires  de  la  con- 
grégation à  laquelle  ils  appartiennent,  et  y  dé- 
clarent publiquement  l'intention  où  ils  sont  de 
se  marier,  si  Dieu  le  permet.  Le  père  et  la 
mère,  ou  les  tuteurs  les  accompagnent  sur  cette 
occasion,  et  y  déclarent  leur  consentement  ; 
autrement  ils  le  déclarent  par  écrit  dans  un 
certificat,  adressé  à  l'assemblée.  11  est  d'us- 
age que  l'assemblée  en  dresse  un  acte  par 
écrit,  et  nomme  des  personnes  respectables  pour 
s'informer  de  la  conduite  des  parties,  et  savoir 
si  elles  ne  sont  point  engagées  avec  quelque 
autre,  afin  d'en  faire  leur  rapport  le  mois 
suivant  à  l'assemblée.  Lorsqu'il  paraît  qu'elles 
ont  fait  tout  ce  qu'il  y  avait  à  faire,  l'assem- 
blée donne  son  consentement  par  écrit.  Si  la 
femme  est  veuve  et  qu'elle  ait  des  enfans,  on  a 
soin  qu'elle  pourvoye  à  leur  subsistance,  avant 
que  l'assemblée  donne  son  consentement  au 
mariage.     On  avertit  les  parties  de  fixer  un  tems 


44  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

et  un  lieu  convenables,  et  d'en  donner  avis  à 
ceux  de  leurs  parens,  de  leurs  amis,  et  de  leurs 
voisins,  qu'ils  désirent  avoir  pour  témoins  de 
leur  mariage  ;  là  se  prenant  par  la  main,  chacun 
d'eux  promet  à  l'autre  amour  et  fidélité  ainsi 
qu'il  a  été  dit  plus  haut.  On  rédige  alors  un 
espèce  d'acte  ou  de  certificat,  relatant  tout  ce 
qui  s'est  passé  ;  les  nouveaux  mariés  le  signent 
d'abord  pour  confirmer  cette  espèce  de  contract, 
et  ensuite  les  parens  et  autres  personnes  pré- 
sentes le  signent  aussi  comme  témoins  ;  enfin 
ce  certificat  est  enregistré  au  livre  de  la  congré- 
gation où  le  mariage  se  fait.  Ce  contract  a  été, 
comme  il  le  méritait,  estimé  valide,  et  admis 
comme  tel  dans  les  cours  de  judicature  où  il 
avait  été  attaqué  d'abord  par  des  gens  mal-in- 
tentionnés et  de  mauvaise  foi,  sous  prétexte  qu'il 
n'avait  point  été  fait  avec  les  formalités  ordi- 
naires, devant  un  prêtre,  avec  un  anneau,  &c, 
cérémonies  auxquelles  ils  n'ont  point  voulu  se 
soumettre  ;  et  cela  non  pas  par  humeur,  mais 
par  un  principe  de  conscience  bien  fondé  ;  se 
conformant  en  cela  aux  exemples  qu'ils  trouvent 
dans  l'Ecriture,  exemples  qui  nous  indiquent 
qu'autrefois  le  prêtre  n'avait  d'autre  part  au 
mariage  que  d'être  un  des  témoins  en  présence 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  45 

desquels  les  Juifs  se  prenaient  pour  époux.  C'est 
pourquoi  ils  regardent  tout  le  reste  comme  autant 
de  ruses  dont  le  seul  but  est  d'augmenter  la 
puissance  et  les  profits  du  clergé  ;  et  quant  à 
l'anneau  il  suffit  de  dire  que  c'est  une  vaine 
coutume,  tenant  du  paganisme,  et  dont  on  ne 
retrouve  la  pratique  ni  parmi  le  peuple  de  Dieu, 
les  Juifs,  ni  chez  les  premiers  Chrétiens.  Et 
même  l'on  serait  assez  embarrassé  pour  défendre 
ces  paroles  de  la  formule  usitée  pour  les  ma- 
riages :  "  Je  t'épouse  avec  cet  anneau  ;  je  t'ho- 
nore de  mon  corps,  et  je  te  communique  tous 
mes  biens  temporels,  au  nom  du  Père,  et  du  Fils, 
et  du  Saint  Esprit." 

En  un  mot,  ils  montrent  dans  leur  mode  de 
mariage  une  attention,  une  exactitude,  et  une 
régularité  qui  ne  se  trouvent  dans  aucune  des 
formes  en  usage  aujourd'hui  ;  il  n'offre  aucun 
des  inconveniens  auxquels  ces  formes  sont  su- 
jettes :  enfin  au  moyen  de  toutes  les  précautions 
et  restrictions  dont  ils  usent,  il  est  impossible 
qu'il  se  fasse  parmi  eux  aucun  mariage  clan- 
destin. 

11.  Je  dirai  ici  un  mot  de  la  naissance  de 
leurs  enfans,  et  de  leurs  enterrements,  choses  qui 
donnent  lieu  à  tant  de  pompe  parmi  des  gens 


46  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

qui  font  profession  d'être  Chrétiens.  Quant  aux 
naissances,  ce  sont  les  parens  qui  nomment  eux- 
mêmes  leurs  enfans.  Cela  se  fait  ordinairement 
quelques  jours  après  la  naissance  de  l'enfant. 
Ceux  qui  ont  assisté  à  l'accouchement,  signent 
ensuite  un  certificat,  où  il  est  fait  mention  de  la 
naissance  et  du  nom  de  l'enfant  ou  des  enfans, 
s'il  y  en  a  plus  d'un.  On  l'enregistre  ensuite  à 
l'assemblée  qui  se  tient  tous  les  mois,  et  dont  les 
parens  de  l'enfant  sont  membres  ;  du  reste  rien 
qui  ressemble  aux  cérémonies  et  aux  réjouis- 
sances ordinaires. 

13.  Pour  leurs  enterremens,  la  même  simpli- 
cité. On  porte  le  corps  du  défunt  ordinairement 
à  un  lieu  d'assemblée  pour  la  commodité  de  ceux 
qui  l'accompagnent  jusqu'à  la  sépulture.  Il 
arrive  quelque  fois  que  quelqu'un  des  assistants 
se  sentira  mu  à  faire  une  exhortation  à  l'assem- 
blée. Le  corps  est  porté  au  tombeau  dans  un 
cercueil  très  simple,  sans  poêle  ou  autre  orne- 
ment. Quand  on  est  arrivé  au  cimetière  on  fait 
une  petite  pause  avant  de  descendre  le  corps  dans 
la  fosse,  afin  de  donner  le  tems  de  parler  à  ceux 
qui  pourraient  avoir  quelque  exhortation  à  faire 
aux  personnes  présentes  ;  pour  que  les  parens 
puissent  plus   paisiblement  et  plus  solemnelle- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  47 

ment  dire  le  dernier  adieu  à  celui  qu'ils  ont 
perdu  ;  et  pour  donner  aux  spectateurs  une  oc- 
casion de  penser  à  la  mort,  et  de  songer  à  leur 
fin  dernière.  Du  reste,  les  Quakers  n'ont  ni 
cérémonies,  ni  pratiques  réglées  pour  ces  sortes 
d'occasions.  Les  parens  du  défunt  ne  portent 
jamais  le  deuil,*  regardant  cela  comme  une  pure 
cérémonie  et  une  pompe  mondaine  ;  pensant 
d'ailleurs  que  le  deuil  qu'un  Chrétien  peut  se 
permettre  à  la  mort  d'un  parent,  ou  d'un  ami, 
doit  être  dans  le  cœur,  qui  seul  peut  sentir  une 
telle  perte.  Du  reste  la  meilleure  manière  de 
montrer  qu'on  les  aimait  et  qu'on  respecte  leur 
mémoire,  c'est  de  suivre  leurs  avis,  d'avoir  soin 
de  ceux  qu'ils  ont  laissés,  et  d'aimer  ce  qu'ils 
aimaient.  Par  cette  conduite,  quelque  contraire 
qu'elle  soit  à  la  mode  et  à  l'usage,  ils  ne 
négligent  au  fond  rien  de  ce  qu'il  est  à  propos  de 


*  N.B.  Depuis  que  ce  petit  ouvrage  parut  pour  la  pre- 
mière fois,  eu  1694,  quelques-uns  des  descendans  des 
membres  de  cette  société,  ont  visiblement  dégénéré  à  cet 
égard  de  la  simplicité  de  leurs  devanciers.  Cependant 
leur  église  conserve  toujours  les  mêmes  sentimens,  et  n'a 
point  changé  d'opinion  sur  cet  objet,  ainsi  qu'on  peut  le 
voir  par  les  avis  répétés  des  grandes  assemblées  qu'ils 
tiennent  chaque  année,  ainsi  que  des  autres. 


48  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

faire  en  pareil  cas  ;  et  comme  c'est  là  tout  ce 
qu'ils  ont  en  vue,  ils  se  font  un  plaisir  et  une 
régie  de  ne  point  s'écarter  de  cette  simplicité  de 
vie,  à  quelques  moqueries,  à  quelques  railleries 
que  cela  les  expose  souvent  de  la  part  du  monde. 

Il  est  certain  qu'à  cause  de  ces  particularités, 
le  grand  nombre  les  trouvait  désagréables,  gros- 
siers, et  les  accusait  de  vouloir  bouleverser  le 
monde,  et  cela  était  assez  vrai,  à  prendre  ce  mot 
dans  le  sens  qu'on  attachait  à  la  même  imputa- 
tion faite  à  Paul  ;  c'est-à-dire,  qu'ils  voulaient 
remettre  les  choses  dans  l'ordre,  et  les  ramener 
à  leur  état  primitif.  Car  s'ils  adoptaient  ces 
pratiques  ou  autres  semblables,  ce  n'était  ni  par 
caprice,  ni  par  envie  de  se  distinguer,  comme 
quelques-uns  l'ont  cru  ;  mais  par  un  effet  du 
sentiment  intérieur  que  Dieu  avait  produit  en 
eux  par  la  crainte  de  son  saint  nom.  Ils  ne 
cherchaient  point  à  contredire  le  monde,  ou  à  se 
singulariser,  pour  former  une  secte  à  part.  Ce 
n'était  par  là  leur  intention,  et  ils  n'y  avaient 
nul  intérêt  ;  ce  n'était  pas  davantage  un  dessein 
prémédité,  celui  de  s'annoncer  comme  innova- 
teurs, et  de  faire  schisme.  Mais  Dieu,  en  leur 
donnant  la  connaissance  d'eux-mêmes,  leur 
avait  aussi  appris  à  connaître  le  monde,  à  dis- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  49 

cerner  les  affections  et  les  passions  des  hommes, 
l'origine  et  la  suite  de  choses,  à  distinguer  ce  qui 
n'était  fait  que  pour  satisfaire  les  "  appétits  de 
la  chair,  et  la  convoitise  des  yeux,"  et  ce  qui 
ne  servait  qu'à  flatter  l'orgueil  et  le  luxe, 
toutes  choses  qui  ne  viennent  point  du  Père, 
mais  qui  sont  de  ce  monde.  Et  telle  est  effective- 
ment l'origine  de  ces  vaines  coutumes,  et  de 
bien  d'autres,  qui  tirent  leur  source  des  erreurs 
et  ténèbres  dans  lesquelles  le  monde  s'est  trouvé 
enseveli,  à  mesure  qu'il  a  perdu  de  vue  la  lumière 
et  l'esprit  de  Dieu  ;  et  qu'au  moyen  du  jour  cé- 
leste que  Jésus-Christ  fait  luire  dans  nos  âmes, 
nous  reconnaissons  pour  mauvaises  dans  leur 
origine,  ou  devenues  telles  avec  le  tems  dans 
la  pratique,  par  l'abus  qu'on  en  a  fait.  Bien 
des  gens  les  regardent  comme  choses  de  peu 
d'importance  ;  et  ces  particularités  faisaient 
passer  les  Quakers  pour  des  hommes  entêtés  de 
leurs  idées  ;  mais  elles  tirent  plus  à  conséquence 
que  l'on  ne  croyait,  et  que  l'on  ne  croit  encore 
aujourd'hui. 

Ce  dut  être  une  chose  assez  désagréable  poul- 
ies premiers  amis,*  que  de  se  faire  ainsi  remar- 

*  Les  Quakers  se  donnent  les  uns  aux  autres  le  titre 
d'ami,  comme  les  autres  sociétés  se  donnent  celui  de  frère. 
E 


50  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

quer,  et  de  s'exposer  par  là  au  mépris,  et  aux 
railleries  du  monde  ;  et  il  leur  était  aisé  de  pré- 
voir que  telle  serait  la  conséquence  d'une  con- 
duite en  apparence  si  étrange;  mais  ces  folies 
ne  servirent  qu'à  faire  éclater  la  sagesse  de  Dieu. 
Car  d'abord  on  vit  par  là  combien  ces  pratiques 
choquaient  ceux  qui  prenaient  plaisir,  et  tenaient 
encore  aux  usages  de  ce  monde  (tous  en  pré- 
tendant ne  s'occuper  que  de  l'autre)  puisqu'ils 
étaient  si  vivement  piqués,  dès  qu'on  s'en 
écartait  un  peu  à  leur  égard  ;  et  puisque  l'hon- 
netété,  la  vertu,  la  sagesse,  et  les  talens  ne 
pouvaient  y  suppléer  à  leurs  yeux.  Le  second 
avantage  y  trouvèrent  les  Amis,  c'est  que  cela  les 
sépara  du  commerce  du  monde  ;  car  leur  société 
paraissant  désagréable  à  leurs  parens  et  a  leurs 
connaissances,  ils  n'en  eurent  que  plus  de  la 
facilité  à  vivre  dans  la  retraite  et  dans  la  soli- 
tude, où  ils  jouirent  d'une  compagnie  incompar- 
ablement préférable,  celle  du  Seigneur  Dieu  leur 
Rédempteur.  Ils  se  fortifièrent  dans  son  amour, 
sa  puissance,  et  sa  sagesse,  et  en  devinrent  beau- 
coup plus  propres  à  le  servir,  comme  l'événement 
a  bien  prouvé  ;  grâces  en  soient  rendues  au 
Seigneur  ! 

Quoiqu'ils  ne   fussent  ni  grands,  ni    savans, 
dans  l'opinion  du   monde  (car  en  pareil  cas   ils 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  51 

eussent  trouvé  assez  de  prosélytes  prêts  à  em- 
brasser leur  doctrine  sur  parole),  cependant  leur 
société  était  en  général  composée  des  hommes 
les  plus  modérés,  et  qui  avaient  la  réputation 
d'être  les  plus  religieux  des  sociétés  auxquelles 
ils  appartenaient,  la  plupart  gens  de  sens,  de 
crédit,  et  de  bon  renom. 

Plusieurs  d'entr'eux,  d'ailleurs,  ne  manquaient 
ni  de  talens,  ni  de   science,   ni   de  biens,  quoi 
qu'alors  comme  autrefois,  il   n'y   eut  pas  beau- 
coup   de  sages,  ni   de   nobles,  &c.  qui   fussent 
appelés,  ou  au  moins  qui  prêtassent  l'oreille  à  la 
voix    du    Seigneur  :    et    cela,    parcequ'ils    pré- 
voyaient les  tribulations    auxquelles    une    con- 
version sincère  les  aurait  exposés.     Les  hommes 
d'esprit  et   de   science,  n'en  sont  pas  pour  cela 
meilleurs   Chrétiens,    quoique   ces    qualités    les 
rendent  quelquefois  plus  capables  comme  ora- 
teurs et  comme  logiciens  :   mais  si   les  hommes 
connaissaient  mieux  le  don  de  Dieu,  ils  ne  tom- 
beraient  pas    dans   cette  erreur    vulgaire   et   si 
dangereuse.     La  théorie  et  la  pratique,  la  spé- 
culation et  la  réalité,  les  discours  et  la  conduite 
de  la  vie,  sont  des  choses  très  différentes.      Non, 
il  n'y  a  de  vrais  Chrétiens  que  ceux  qui  se  re- 
pentent, qui  réforment  leur  vie,  qui  s'humilient, 
qui   veillent   sur   eux-mêmes,    qui   renoncent  à 
e2 


52  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

eux-mêmes,  et  dont  le  cœur  est  pur  et  saint. 
Une  telle  disposition  est  le  fruit,  l'œuvre  de 
l'esprit,  qui  est  la  vie  de  Jésus  :  cette  vie  qui, 
bien  que  renfermée  dans  la  plénitude  de  l'esprit 
en  Dieu  le  Père,  se  répand  au  dehors,  et  remplit 
les  cœurs  de  ceux  qui  croyent  véritablement,  et 
suivant  leur  capacité.  O  !  si  les  hommes  pou- 
vaient connaître  ce  don  céleste  !  s'ils  pouvaient 
être  purifiés,  circoncis,  vivifiés,  et  devenir  de 
nouvelles  créatures,  régénérées  selon  Jésus-  Christ, 
vivre  pour  Dieu,  et  non  pour  eux-mêmes,  et  offrir 
des  prières  vivantes,  et  des  louanges  vivantes  au 
Dieu  vivant,  par  son  Esprit  vivant  ;  ainsi  qu'il 
doit  être  adoré  enfin  en  ce  glorieux  jour  de 
l'évangile  ! 

O,  qu'il  me  serait  doux  d'espérer  que  ceux  qui 
me  lisent,  seront  touchés  de  mes  paroles  !  Car 
je  ne  puis  sans  attendrissement  envisager  la  mi- 
séricorde de  Dieu,  du  Père  des  lumières,  envers 
cette  pauvre  nation,  et  envers  le  monde  entier, 
par  le  même  témoignage.  Pourquoi  ses  habitans 
le  rejetteraient  ils  ?  Pourquoi  une  si  grande 
faveur  serait  elle  en  pure  perte  pour  eux  ? 
Pourquoi  ne  se  tourneraient-ils  pas  de  toutes  leurs 
forces  vers  le  Seigneur,  et  ne  lui  diraient  ils  pas 
du  fond  du  cœur  :  "  Parle,  ô  Seigneur,  parle,  car 
"  maintenant  tes  pauvres  serviteurs  t'écoutent  : 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  53 

*'  que  ta  volonté  soit  faite,  ta  grande,  ta  bonne, 
"  ta  sainte  volonté,  sur  la  terre  comme  au  ciel  ; 
*'  fais  la  en  nous,  exécute  la  sur  nous,  fais  ce  que 
"  tu  voudras  de  nous,  car  nous  t'appartenons,  et 
"nous  désirons  de  te  glorifier;  toi  qui  es  non 
"  seulement  notre  Créateur  mais  notre  Rédemp- 
"  teur,  qui  nous  retires  de  la  terre,  des  vanités  et 
"  de  la  corruption  du  monde,  pour  faire  de  nous 
"  ton  peuple  choisi  ?"  Quel  grand  jour  pour 
l'Angleterre,  si  son  peuple  pouvait  avec  sincérité 
tenir  un  pareil  discours  !  mais  helas  !  il  n'en  est 
pas  ainsi  ;  et  plusieurs  de  tes  habitans,  ô  ma 
chère  patrie,  ont  pleuré  sur  toi,  et  se  sont  affligés 
de  ton  aveuglement.  Leurs  yeux  ont  été  comme 
des  fontajnes  de  larmes,  en  voyant  tes  trans- 
gressions et  ton  opiniâtreté  ;  en  voyant  que 
tu  ne  veux  ni  écouter  ni  craindre  le  Seigneur  ; 
que  tu  ne  veux  point  retourner  à  ton  rocher,  O 
Angleterre,  oui,  à  ce  rocher  d'où  tu  as  été  taillée. 
Tout  t'avertit,  ô  terre  qui  te  vantes  de  ton  esprit 
religieux,  de  le  recevoir  dans  ton  cœur.  Depuis 
combien  de  tems  frappe-t-il  à  la  porte,  et  y 
frappe-t-il  inutilement  !  Réveille-toi  donc,  de 
crainte  que  les  jugemens  de  Jérusalem  ne 
s'accomplissent  sur  toi,  puisque  les  péchés 
de  Jérusalem  se  multiplient  dans  ton  sein. 
Car  elle  abondait  en  rites  et  en  formalités,  et 


54  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

cette  Jérusalem  négligeait  les  points  importans 
de  la  loi  de  Dieu  ;  eh  bien,  c'est  ce  que  tu  fais 
tous  les  jours. 

Elle  résista  au  Fils  de  Dieu,  qui  avait  pris 
chair  au  milieu  d'elle  ;  et  tu  résistes  au  Fils  de 
Dieu  qui  t'envoie  son  esprit.  Il  voulait  la  ras- 
sembler comme  une  poule  rassemble  ses  poussins 
sous  ses  ailes,  et  elle  ne  voulut  pas  l'écouter. 
Il  voulait  aussi  te  rassembler,  te  faire  aban- 
donner tes  vaines  démonstrations,  toutes  ces 
paroles  que  la  pratique  dément,  pour  te  faire 
posséder  son  véritable  héritage,  te  faire  con- 
naître sa  puissance  et  son  royaume.  Il  s'est 
souvent  fait  entendre  dans  ton  cœur,  par  sa 
grâce  et  par  son  esprit,  ainsi  que  par  ses  ser- 
viteurs et  par  ses  ministres.  Mais  de  même 
qu'autre  fois  Jérusalem,  lorsque  le  Fils  de  Dieu 
parut  au  milieu  d'elle,  le  persécuta,  le  crucifia,  le 
battit  de  verges,  et  emprisonna  ses  disciples  ;  de 
même,  O  Angleterre,  tu  as  derechef  et  autant 
qu'il  était  en  ton  pouvoir,  crucifié  le  Seigneur  de 
toute  vie  et  de  toute  gloire  ;  et  tu  n'as  fait 
aucun  cas  de  son  esprit  et  de  sa  grâce,  fermant 
l'oreille  à  la  voix  du  Père  céleste,  et  persécutant 
par  tes  loix,  et  par  tes  magistrats,  ceux  qui 
voulaient  te  la  faire  entendre,  qui  t'exhortaient 
alors,  et  t'exhortent  aujourd'hui,  par   la   puis- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  55 

sance  et  l'Esprit  de  Dieu,  par  son  amour  et  sa 
douceur,  à  reconnaître  le  Seigneur,  à  le  servir, 
et  à  devenir  la  gloire  de  toutes  les  nations. 

Bien  plus,  tu  as  reconnu  le  service  qu'ils 
voulaient,  te  rendre,  en  les  maltraitant  :  tu  as 
méprisé  leurs  conseils,  et  rejette  des  réprimandes 
que  tu  aurais  du  écouter  :  leurs  manières  étaient 
trop  rigides,  ils  étaient  d'ailleurs  trop  peu  con- 
sidérables pour  mériter  ton  attention.  Tu  as 
fait  comme  les  Juifs,  qui  s'écriaient,  "  N'est 
ce  pas  là  le  fils  du  charpentier  ?  Ses  frères  ne 
sont-ils  pas  parmi  nous  ?  Les  scribes,  les  savans, 
(c'est-à-dire,  les  orthodoxes)  croyent-ils  en  lui  ?" 
On  annonçait  que  les  Amis  ne  tiendraient  pas 
plus  d'un  an  ou  deux  ;  et,  pour  vérifier  cette 
prophétie,  on  faisait  des  loix  sévères  contr'eux, 
et  on  les  mettait  à  exécution  ;  on  tâchait  de 
les  effrayer  pour  leur  faire  abandonner  leur 
croyance,  et  l'on  voulait  les  détruire  s'ils  y 
restaient  fidèles.  Mais  tu  as  vu  que  tant  de 
gouvernemens  qui  se  sont  élevés  contre  eux, 
et  avaient  résolu  leur  perte,  ont  été  renversés 
et  détruits  ;  et  qu'eux  ils  subsistent  encore,  et 
forment  une  grande  société,  un  peuple  considér- 
able parmi  tes  habitans  de  la  classe  moyenne.  Et 
malgré  toutes  les  difficultés  qu'ils  ont  éprouvées, 
tant  au    dehors    qu'au  dedans,    depuis    que    le 


56  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

Seigneur  Dieu  éternel  les  a  réunis,  leur  nombre 
s'accroîtde  jourenjour,et  leSeigneur  continue  de 
l'augmenter  en  différens  pays,  par  la  conversion 
de  plusieurs,  qui  seront  sauvés  s'ils  persévèrent 
jusqu'à  la  fin.  Ils  étaient  élevés,  et  sont  encore 
élevés  au  milieu  de  toi,  O  Angleterre,  comme  une 
ville  bâtie  sur  une  montagne,  comme  un  étendard 
et  un  signe  de  ralliement  pour  toi,  ainsi  que  pour 
les  autres  nations  dont  tu  es  entourée  ;  afin  que, 
guidée  par  eux,  tu  puisses  voir  la  lumière  en 
Jésus-Christ  même,  qui  est  la  lumière  du  monde 
et  par  conséquent  ta  lumière  et  ta  vie,  si  tu 
voulais  quitter  tes  voies  criminelles  pour  la  re- 
cevoir et  lui  obéir.  Car,  comme  le  dit  l'Ecri- 
ture, "  les  nations  de  ceux  qui  seront  sauvés 
doivent  marcher  à  la  lumière  de  l'agneau." 

Considère  donc,0  nation  de  grande  profession, 
considère  comment  le  Seigneur  s'est  offert  à  toi, 
depuis  les  premières  lueurs  de  la  réforme  ;  com- 
bien de  fois  il  a  fait  parler  à  tes  yeux  ses  miséri- 
cordes et  ses  jugemens  ;  réveille  toi  ;  sors  de  ton 
profond  sommeil,  reçois  sa  parole  dans  ton  cœur, 
afin  que  tu  puisses  vivre.  Ne  souffre  pas  que  la 
faveur  du  Seigneur  passe  par  dessus  ta  tète, 
sans  que  tu  en  profites  ;  ne  négliges  pas  ce  grand 
moyen  de  salut  qui  t'est  apporté  chez  toi  ;  car 
pourquoi  mourrais-tu  ?      O  terre  à  qui  le  Sei- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  57 

gneur  offre  ses  bénédictions,  sois  assurée  que 
c'est  lui  qui  est  au  milieu  de  toi,  au  milieu 
de  ton  peuple  ;  et  non  point  un  vain  phan- 
tôme,  comme  tes  ministres  abusés  veulent  se 
le  persuader,  et  te  le  persuader  à  toi-même.  Tu 
t'en  convaincras  bientôt,  par  le  caractère  et 
les  œuvres  des  amis,  si  tu  veux  les  examiner 
avec  impartialité. 


58  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 


CHAPITRE     III. 

Des  qualités  du  Ministère  chez  les  Quakers  ;  onze  signes 
prouvent  qu'il  est  éminemment  Chrétien. 

1.  Ils  étaient  changés  eux-mêmes  avant  d'en- 
treprendre de  changer  les  autres.  Leurs  vête- 
ments étaient  déchirés,  leurs  cœurs  l'étaient 
aussi  ;  la  puissance  de  Dieu  leur  était  connue, 
et  ils  en  avaient  senti  les  effets  sur  eux-mêmes. 
Le  grand  changement  qui  s'était  fait  en  eux,  en 
était  la  preuve  ;  leur  conduite  était  devenue  plus 
sévère,  et  leur  vie  plus  sainte. 

2.  Ils  ne  prenaient  point  leur  tems  pour 
prêcher,  ils  n'attendaient  point  pour  cela  l'im- 
pulsion de  leur  volonté,  mais  de  celle  de  Dieu. 
Les  sujets  qu'ils  traitaient  n'étaient  pas  de  leur 
choix,  des  sujets  qu'ils  eussent  étudiés,  mais  ils 
parlaient  suivant  qu'ils  étaient  poussés  et  inspirés 
par  l'esprit  de  Dieu,  qui  leur  était  si  bien  connu 
depuis  leur  conversion,  et  qu'il  est  impossible  de 
dépeindre  aux  hommes  charnels,  de  manière  à 
leur  en  donner  une  idée  qui  soit  à  la  portée  de 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  59 

leur  entendement.  Car  pour  eux,  dit  Jésus- 
Christ,  "  C'est  comme  le  souffle  du  vent;  per- 
sonne ne  sait  ni  d'où  il  vient,  ni  où  il  va."  Et 
cependant,  leur  ministère  avait  une  telle  puis- 
sance de  persuasion,  que  plusieurs  en  furent 
touchés,  et  quittèrent  leurs  vaines  opinions  et 
leurs  mauvaises  voies,  pour  ouvrir  leurs  cœurs  à 
la  connaissance  intérieure  de  Dien,  en  sentir  les 
effets,  et  mener  une  nouvelle  vie  ;  c'est  ce  dont 
nous  avons  des  témoins  sans  nombre.  Et  comme 
ils  recevaient  gratuitement  du  Seigneur  ce  qu'ils 
devaient  dire,  aussi  le  communiquaient  ils  gra- 
tuitement. 

3.  Le  motif  et  l'objet  principal  de  leur  mi- 
nistère, était  de  convertir  les  hommes  à  Dieu,  de 
les  régénérer,  de  les  sanctifier.  Ce  n'était  pas 
de  leur  part  un  plan  formé  d'avance,  de  prêcher 
telle  doctrine,  ou  tel  symbole,  ou  d'introduire 
telle  nouvelle  forme  de  culte  ;  mais  ils  avaient 
en  vue  de  dépouiller  la  religion  de  tout  ce  qu'on 
y  avait  introduit  de  superflu  ;  d'en  réduire  les 
formalités  et  les  cérémonies,  pour  s'attacher 
sérieusement  à  sa  substance,  et  aux  points  les 
plus  nécessaires,  et  les  plus  importans  pour  le 
changement  de  l'ame.  C'est  ce  que  doivent 
reconnaître  et  reconnaissent  en  effet  tous  ceux 
qui  réfléchissent  sérieusement  sur  cet  objet. 


60  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

4.  Ils  faisaient  connaître  aux  autres  hommes, 
ce  principe  qui  existait  en  eux,  et  cependant  ne 
venait  point  d'eux-mêmes  ;  au  moyen  du  quel 
tout  ce  qu'ils  leur  affirmaient,  leur  prêchaient,  et 
tout  ce  à  quoi  il  les  exhortaient,  pouvait  opérer 
en  eux,  et  par  lequel  ils  pouvaient  par  expérience 
connaître  la  vérité  de  leur  doctrine.  Or  ce  qui 
est  une  preuve  frappante  et  la  marque  distinctive 
de  leur  ministère,  c'est  que  non  seulement  ils 
étaient  parfaitement  instruits  de  la  doctrine  qu'ils 
prêchaient,  mais  ils  ne  craignaient  point  qu'on 
la  soumit  à  l'épreuve  de  l'examen.  Car  leur 
assurance  étant  fondée  sur  la  certitude,  ils  ne 
demandaient  point  qu'on  obéît  à  leur  autorité, 
comme  hommes,  mais  que  l'on  se  rendît  à  la 
conviction  ;  et  surtout  à  la  conviction  de  ce 
principe,  qu'ils  assuraient  exister  en  ceux  aux- 
quels ils  prêchaient  ;  auquel  enfin  ils  les  ren- 
voyaient, pour  examiner  et  vérifier  par  l'ex- 
périence ce  qu'ils  en  assuraient  relativement  à  la 
manière  dont  il  se  manifeste  aux  hommes,  et 
opère  en  eux.  Or  il  est  peu  de  ministres  dans 
le  monde  qui  puissent  en  dire  autant.  Nous  ne 
nions  pas  que,  quand  ils  traitent  de  la  religion, 
on  ne  puisse  regarder  comme  vraies  nombre  de 
choses  qu'ils  disent  de  Dieu,  de  Jésus-Christ,  de 
l'Esprit,   de   la  sanctification,    du    ciel.     Nous 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  61 

dirons  comme  eux,  que  tous  les  hommes  doivent 
se  repentir,  et  changer  de  vie,  que  sans  cela  ils 
iront  en  enfer,  &c.  Mais,  qui  d'eux  osera  dire 
qu'il  parle  d'après  sa  propre  connaissance,  ou 
d'après  ce  qu'il  a  éprouvé  en  lui-même  ?  Qui 
d'eux  a  jamais  renvoyé  ceux  qui  les  écoutaient 
à  ce  principe,  à  cet  agent  divin  que  Dieu  a  mis 
au  dedans  de  l'homme,  pour  l'aider  ?  Qui  d'eux 
leur  a  appris  à  le  connaître,  à  attendre  que  sa 
puissance,  se  faisant  sentir,  pénétrât  leurs  cœurs 
de  la  sainte  volonté  de  Dieu,  qui  nous  rend  agré- 
ables à  ses  yeux  ? 

Il  y  a  bien  quelques-uns  qui  ont  parlé  de 
l'Esprit,  de  la  manière  dont  il  opère  notre  sanc- 
tification, et  nous  fait  rendre  à  Dieu  l'hommage 
qui  lui  est  dû  ;  mais  il  n'appartenait  qu'à  cette 
dernière  réforme  de  dévoiler  ce  mystère,  et  de 
faire  connaître  comment  et  où  le  trouver,  com- 
ment il  fallait  attendre  son  apparition  en  nous, 
et  nous  acquitter  de  notre  devoir  envers  Dieu  ; 
de  sorte  que  ce  n'était  pas  seulement  de  bouche 
qu'ils  prêchaient  la  repentance,  la  conversion, 
et  la  sanctification,  mais  ils  le  faisaient  avec 
connaissance  de  cause,  et  d'après  leur  propre 
expérience.  Ils  renvoyaient  ceux  à  qui  ils 
prêchaient  à  un  principe  suffisant  ;  ils  leur 
disaient  où  était  ce  principe  ;   à  quels  signes  ils 


62  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

pouvaient  le  connaître  ;  de  quelle  manière  ils 
en  pouvaient  faire  l'expérience,  et  s'assurer  de 
sa  puissance  et  son  efficace,  pour  le  bonheur  de 
leurs  âmes.  Or  ceci  n'est-il  pas  préférable  à  la 
théorie  et  à  la  spéculation,  sur  lesquelles  la 
plupart  des  autres  ministres  s'appuyent?  au 
lieu  qu'ici  nous  avons  un  point  d'appui  certain, 
et  sur  lequel  nous  pouvons  nous  fonder,  pour 
paraître  avec  confiance  devant  Dieu,  au  jour  du 
jugement? 

5.  Un  signe  évident  de  la  vertu  de  leur  prin- 
cipe, et  qui  prouve  qu'ils  prêchaient  d'après  ce 
même  principe,  et  non  pas  d'après  des  explica- 
tions ou  des  commentaires  qu'ils  avaient  pu 
faire  des  écritures,  en  se  livrant  à  leur  imagina- 
tion, c'est  que  leurs  paroles  pénétraient  jusqu'au 
cœur  de  ceux  à  qui  ils  prêchaient.  Or  rien 
n'affecte  le  cœur  que  ce  qui  vient  du  cœur  ;  et 
rien  ne  touche  la  conscience,  que  ce  qui  vient 
d'une  conscience  vivante.  De  sorte  qu'il  est 
souvent  arrivé,  que  des  personnes  qui  avaient 
fait  connaître  sous  le  secret  leur  état  intérieur  à 
quelques  amis  choisis,  pour  en  recevoir  des 
conseils,  ou  au  moins  quelque  soulagement,  se 
sont  vu  donner  ensuite  par  leurs  prédicateurs 
des  directions    si    bien    adaptées   à   leur   état, 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  63 

qu'elles  ont  accusé  leurs  amis  de  ne  pas  leur 
avoir  gardé  le  secret,  et  d'avoir  révélé  leurs  con- 
fidences à  ces  prédicateurs,  tandis  que  dans  le 
fait  ils  ne  leur  en  avaient  pas  ouvert  la  bouche. 
Oui,  il  y  en  a  eu  plusieurs,  qui  ont  si  bien  re- 
connu dans  les  discours  de  ces  ministres  leurs 
propres  pensées,  et  jusqu'aux  moindres  mouve- 
mens  de  leurs  cœurs,  que,  saisis  de  cette  appa- 
rition intérieure  de  Christ,  ils  se  sont  écriés 
comme  Nathaniel,  "Tu  es  le  Fils  de  Dieu,  tu 
es  le  Roi  d'Israël."  Et  ceux  qui  ont  embrassé 
ce  principe  divin,  y  ont  trouvé  les  mêmes 
marques  de  vérité  et  de  divinité  qui  firent  con- 
naître à  la  femme  de  Samarie,  que  Jésus,  (alors 
sur  la  terre)  était  le  Messie;  c'est-à-dire,  qu'il 
leur  avait  dit  tout  ce  qu'ils  avaient  fait,  leur 
avait  fait  connaître  leur  état  intérieur,  et  dévoilé 
les  secrets  les  plus  cachés  de  leurs  cœurs,  les 
avait  jugés  avec  justesse,  et  les  avait  mis  dans 
le  véritable  chemin  de  la  vie.  Et  c'est  ce  dont 
nous  avons  même  de  nos  jours  des  milliers  de 
témoins  ;  de  sorte  que  ceux  qui  ont  embrassé  ce 
principe  céleste,  non  seulement  ont  trouvé  que 
tout  ce  qu'on  leur  avait  dit  de  sa  puissance,  et 
de  ses  vertus,  était  vrai  ;  mais  qu'il  leur  a  telle- 
ment découvert  la  puissance,  la  pureté,  la  sa- 


64  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

gesse,  et  la  bonté  de  Dieu,  qu'ils  ont  reconnu 
qu'à  peine  on  leur  avait  dit  à  cet  égard  la  moitié 
de  ce  qui  en  est. 

6.  Ce  principe  donnait  à  plusieurs  d'entr'eux, 
même  de  la  plus  basse  classe,  tant  de  talens 
pour  remplir  leurs  fonctions,  et  s'acquitter  de 
leurs  devoirs  ;  à  d'autres  une  intelligence  si  ex- 
traordinaire des  choses  de  Dieu,  une  si  grande 
facilité,  et  un  tour  d'expression  si  persuasif,  que 
plusieurs  en  ont  été  surpris,  et  disaient  d'eux, 
comme  les  Juifs  de  Jésus-Christ,  "  N'est  ce  pas 
là  le  fils  de  cet  artisan,  où  a-t-il  acquis  tant  de 
science?"  D'autres  les  ont  soupçonnés  et  ac- 
cusés d'être  des  jésuites  déguisés,  parceque  les 
jésuites,  depuis  plus  d'un  siècle,  avaient  une 
grande  réputation  de  savoir  ;  et  cependant  rien 
de  moins  fondé  qu'une  telle  accusation,  car 
leurs  ministres  sont  connus,  on  sait  leur  demeure, 
leurs  parens,  et  leur  éducation. 

7.  Us  ont  commencé,  comme  les  premiers 
Chrétiens,  dans  l'humilité,  méprisés  et  haïs; 
ils  n'ont  point  dû  leurs  succès  à  la  sagesse 
et  à  la  puissance  humaines,  comme  on  peut 
le  reprocher  en  partie  à  d'autres  réformateurs 
qui  ont  paru  avant  eux.  C'est  par  la  croix,  on 
peut    dire    au  contraire,  qu'en  tout  ils  se   sont 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  65 

avancés,  et  qu'ils  ont  eu  à  lutter  contre  les 
voies,  le  culte,  les  usages,  et  les  coutumes  de  ce 
monde  ;  en  un  mot,  qu'ils  ont  arrivés  où  ils  en 
sont  contre  vent  et  marée  ;  afin  que  nulle  chair 
ne  se  glorifiât  .devant  Dieu. 

8.  On  ne  dira  pas  qu'ils  avaient  leurs  vues 
pour  s'exposer  ainsi  aux  affronts  et  au  mépris, 
pour  prodiguer  ainsi  leurs  biens  et  leurs  forces  ; 
laissant  là  femmes  et  enfans,  maisons,  terres,  et 
tout  ce  qui  est  le  plus  cher  aux  hommes  ;  expo- 
sant leur  vie  à  chaque  instant,  vivant  continu- 
ellement au  milieu  des  dangers,  pour  publier  ce 
message  primitif,  qui  leur  a  été  confié  de  nou- 
veau par  l'Esprit  de  Dieu,  et  par  sa  puissance  : 
savoir,  que  Dieu  est  la  vraie  lumière,  et  qu'en 
lui  il  n'y  a  point  de  ténèbres  ;  qu'il  a  envoyé 
son  Fils  pour  être  la  lumière  du  monde,  et 
diriger  les  hommes  dans  la  voie  du  salut  ;  et 
que  ceux  qui  disent  qu'ils  ont  communion  avec 
Dieu,  qu'ils  sont  ses  enfans  et  son  peuple,  et  qui 
cependant  marchent  dans  les  voies  de  ténèbres, 
c'est-à-dire,  qui  agissent  contre  la  lumière  de 
leur  conscience,  et  suivant  la  vanité  du  monde, 
se  rendent  coupables  d'un  affreux  mensonge. 
Mais  que  quant  à  ceux  qui  aiment  la  lumière, 
qui  agissent  et  marchent  à  la  lumière,  (et  Dieu 

F 


66  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

lui-même  est  la  lumière)  le  sang  de  son  Fils 
Jésus-Christ  les  purifierait  de  tout  péché.  Jean 
i.  4,  19;  iii.  20,21.      1  Jean  i.  5,  6,  7. 

9.  Leur  constance  et  leur  patience  à  souffrir 
pour  tout  ce  qui  concerne  leur  doctrine  et  leur 
mission,  est  encore  un  des  traits  distinctifs  de 
leur  ministère.  Ils  ont  été  battus  et  meurtris,  ren- 
fermés pendant  longtems  dans  des  prisons  trop 
étroites  pour  leur  nombre,  ou  dans  des  cachots 
mal-sains  ;  et  plus  d'une  fois  ces  indignes  traite- 
ments ont  été  suivis  de  la  mort.  Quatre  d'entr'- 
eux  périrent  par  les  mains  du  bourreau,  dans 
la  Nouvelle  Angleterre,  seulement  pour  avoir 
prêché  parmi  les  habitans  de  ce  pays  là  ;  sans 
parler  de  ceux  qui  ont  été  bannis,  dont  les 
biens  ont  été  pillés  et  confisqués,  dans  les  diffé- 
rens  pays  où  ils  se  trouvaient,  et  de  tant  d'autres 
malheurs  difficiles  à  peindre,  et  encore  plus 
difficiles  à  endurer,  si  ce  n'est  par  ceux  qui 
étaient  déterminés  à  défendre  une  si  juste  et 
si  glorieuse  cause.  Contents  de  souffrir  pa- 
tiemment, si  on  leur  offrait  de  les  délivrer  par 
des  moyens  indirects,  ils  refusaient  constamment 
de  pareilles  offres. 

10.  Non  seulement  ils  ne  se  montraient  nulle- 
ment enclins  à  la  vengeance,  mais  toutes  les 
fois  qu'ils  ont  trouvé  l'occasion  de  se  venger,  ils 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  67 

ont  préféré  de  pardonner  à  leurs  cruels  ennemis, 
donnant  l'exemple  de  la  clémence  à  ceux  qui  en 
manquaient  tant  à  leur  égard. 

11.  Nous  citerons  encore  la  manière  simple  et 
hardie,  dont,  à  l'exemple  des  anciens  prophètes, 
ils  se  comportaient  envers  ceux,  entre  les  mains 
de  qui  était  l'autorité  ;  ne  craignant  pas  de  leur 
reprocher  à  eux-mêmes  leur  péchés  publics  et 
particuliers,  et  leur  prédisant,  au  milieu  de  leur 
grandeur  et  de  leur  gloire,  les  afflictions  qu'ils 
devaient  éprouver,  et  leur  chute  même  ;  et  les 
prédictions  expresses  qu'ils  firent  des  malheurs 
qui  devaient  affliger  la  nation,  tels  que  la  peste 
et  le  feu  de  Londres  ;  ainsi  que  d'accidens  par- 
ticuliers qu'ils  annoncèrent  à  leurs  persécuteurs, 
prédictions  que  l'événement  a  justifiées  sous  des 
choses  qui  furent  d'un  exemple  frappant  dans  les 
lieux  où  ils  demeuraient,  et  aux  quelles  on 
pourra  un  jour  donner  plus  de  publicité  pour  la 
gloire  de  Dieu. 

Ainsi,  lecteur,  voilà  quel  est  ce  peuple  dans 
son  origine,  dans  ses  principes,  dans  son  minis- 
tère, dans  ses  progrès  ;  la  manière  dont  il  a,  tant 
en  particulier  qu'en  général,  rendu  témoignage 
à  la  vérité  ;  et  par  la  tu  peux  voir  quels  furent 
ses  commencements  et  comment  il  est  devenu  si 
considérable.  Il  me  reste  maintenant  à  te  faire 
f2 


68  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

connaître  sa  conduite  et  sa  discipline,  et  le  soin 
qu'il  a  pris,  se  regardant  comme  une  société  de 
Chrétiens  réformés,  pour  que  leur  vie  parût  en 
tout  s'accorder  avec  leurs  principes,  et  ce  qu'ils 
font  profession  de  croire.  D'autant  plus  qu'ils 
ont  été  au  moins  autant  calomniés  par  rapport  à 
leur  conduite,  qu'accusés  d'erreur  à  l'égard  de 
leurs  principes  ;  et  il  faut  d'autant  moins  s'en 
étonner,  que  la  calomnie  s'est  toujours  déchaînée 
avec  violence  contre  ceux  qui  ont  voulu  mettre 
la  main  à  l'œuvre  de  la  réforme,  et  que  comme 
on  le  sait  les  plus  cruelles  persécutions  frappèrent 
les  Chrétiens  de  la  primitive  église,  qui  cependant 
étaient  l'honneur  du  Christianisme,  et  devaient 
être  la  lumière  et  l'exemple  des  siècles  suivans. 


SOCIETE    DITE    DES   QUAKERS.  69 


CHAPITRE     IV. 

De  la  discipline  et  de  la  pratique  des  Quakers,  regardés 
comme  société  religieuse.  Pouvoir  qu'ils  reconnaissent 
exister  dans  l'assemblée  des  fidèles  et  qu'ils  exercent  ; 
celui  qu'ils  rejettent  et  qu'ils  condamnent  ;  enfin  ma- 
nière dont  ils  l'exercent  contre  ceux  des  leurs,  qui  sont 
tombés  dans  l'erreur,  ou  ont  commis  quelque  faute. 

La  société  augmentant  en  nombre  de  jour  en 
jour,  tant  à  la  ville  qu'à  la  campagne,  les  anciens 
se  trouvèrent  naturellement  chargés  de  veiller  à 
ce  qui  concernait  le  bien  et  le  service  de  l'église. 
Le  premier  objet  qu'ils  eurent  en  vue,  d'après 
l'exemple  des  premiers  Chrétiens,  ce  fut  l'exer- 
cice de  la  charité,  en  suppléant  aux  besoins  des 
pauvres,  et  faisant  d'autres  œuvres  de  la  même 
nature.  C'est  pourquoi,  ils  ne  tardèrent  point  à 
recueillir  des  contributions  abondantes  pour  ré- 
pondre aux  dépenses  que  cet  objet,  et  le  service 
de  l'église,  pouvaient  nécessiter.  Ils  les  con- 
fiaient à  des  hommes  fidèles  et  craignant  Dieu, 
jouissant  d'une    bonne    réputation,   qui   ne   se 


70  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

lassaient  pas  de  faire  le  bien,  et  qui  souvent  y 
mettaient  beaucoup  du  leur,  sans  le  porter  en 
compte,  sans  même  désirer  qu'on  le  sût,  et 
encore  moins  qu'on  le  leur  rendît,  et  cela  pour 
empêcher  que  les  pauvres  ne  pâtissent,  ou  que 
le  service  de  l'église  ne  fut  retardé,  ou  manqué. 
Ils  avaient  grand  soin  aussi  que  ceux  qui  leur 
appartenaient,  ne  démentissent  en  aucune  occa- 
sion, par  leur  conduite  parmi  les  hommes,  les 
principes  qu'ils  professaient  ;  qu'ils  vécussent 
paisiblement  et  fussent  en  tout  de  bon  exemple. 
Une  de  leurs  occupations  était  d'enregistrer  leurs 
souffrances  et  leurs  services.  Quant  aux  ma- 
riages (qu'ils  solemnisaient  entr'eux,  n'approuv- 
ant pas  la  manière  dont  ils  se  font  ordinairement 
dans  la  nation)  ils  avaient  soin  que  les  parties 
intéressés  fussent  bien  en  règle  l'une  à  l'égard 
de  l'autre,  et  avec  tout  le  monde  ;  et  il  était 
rare  alors  qu'aucun  d'eux  se  permît  d'écouter  le 
penchant  qu'il  pouvait  avoir  ressenti  pour  une 
autre  personne,  avant  d'en  avoir  fait  part  en 
secret  à  quelques-uns  de  leurs  amis,  gens  res- 
pectables et  de  poids,  dont  ils  consultaient  le 
jugement,  faisant  grand  cas  du  conseil  de  leurs 
frères,  et  désirant  de  vivre  en  union  avec  eux. 
Mais  comme  le  soin  des  pauvres,  le  nombre  des 
orphelins,  les  mariages,  les  souffrances,  et  autres 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  71 

affaires  de  ce  genre  se  multipliaient,  et  qu'il  était 
à  propos  que  les  différentes  églises  adoptassent 
une  méthode,  et  une  manière  de  procéder  dans 
ces  circonstances,  au  moyen  de  quoi  elles  pussent 
correspondre  ensemble,  lorsqu'il  serait  nécessaire 
qu'un  membre  d'une  assemblée,  traitât  avec  un 
membre  d'une  autre  assemblée,  le  Seigneur,  par 
sa  sagesse,  et  par  sa  bonté,  daigna  donner  à 
celui  qu'il  avait  choisi  pour  être  le  premier 
instrument  de  cette  dispensation  de  vie,  l'intelli- 
gence nécessaire  pour  former  un  plan  utile  et 
régulier.  Animé  d'un  saint  zèle,  il  visita  en 
personne  les  églises  de  ce  pays  pour  leur  faire 
connaître  ce  plan,  et  l'établir  entr'elles  ;  il  écrivit 
des  lettres  à  celles  qui  étaient  hors  de  l'Angle- 
terre, dans  d'autres  provinces  et  chez  d'autres 
nations,  pour  qu'elles  en  fissent  autant  ;  et  même 
par  la  suite  il  les  visita  et  les  aida  à  s'organiser, 
comme  je  le  ferai  voir,  quand  je  viendrai  à  parler 
de  lui. 

Or  voici  en  quoi  consistent  les  soins,  la  con- 
duite, et  la  discipline,  dont  je  viens  de  parler,  et 
de  quelle  manière  on  les  pratique  dans  cette 
société. 

Cet  ancien  pieux,  dans  toutes  les  provinces  où 
il  voyagea,  exhorta  chaque  congrégation  à  faire 
assembler  un  certain  nombre  des  membres  tous 


72  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

les  mois  pour  traiter  des  affaires,  et  des  intérêts  de 
l'église.  Et  suivant  que  le  cas  semblait  l'exiger, 
ces  assemblées,  qui  se  tenaient  une  fois  par  mois, 
étaient  plus  ou  moins  nombreuses  dans  chaque 
province.  Quatre  ou  six  congrégations  formaient 
ordinairement  une  assemblée  ;  en  conséquence 
partout  où  il  passa,  les  frères  vinrent  le  trouver, 
et  commencèrent  les  dites  assemblées,  pour  y 
traiter  des  affaires  des  pauvres  et  des  orphelins, 
des  moyens  de  se  conserver  dans  la  bonne  voie, 
et  de  rester  fidèles  à  la  doctrine  dont  ils  faisaient 
profession  ;  des  naissances,  des  mariages,  des 
enterremens,  des  persécutions,  &c.  Ces  assem- 
blées de  chaque  mois  devaient,  de  la  même 
manière,  en  former  dans  chaque  province  une 
tous  les  trois  mois,  où  les  Amis  les  plus  estim- 
ables, et  les  plus  zélés  de  la  province  devaient  se 
réunir  pour  communiquer,  raisonner  ensemble, 
et  s'entr'aider  de  leur  conseils  :  surtout,  lorsqu'il 
se  présenterait  quelque  affaire  difficile,  ou  que 
l'assemblée  du  mois  n'aurait  pas  voulu  prendre 
sur  elle  de  décider. 

Ces  assemblées  trimestrielles  devaient  faire 
pour  chaque  province,  un  extrait  des  rapports 
de  leurs  assemblées  de  mois,  et  le  préparer  pour 
la  grande  assemblée  qui  se  tient  à  Londres  tous 
les  ans,  et  à  laquelle  toutes  les  autres  aboutissent. 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  73 

Toutes  les  églises  d'Angleterre  des  diverses  pro- 
vinces, y  envoyent  des  députés  qui  doivent  les 
y  représenter,  pour  y  conférer  ensemble  sur  les 
affaires  de  l'église  ;  donner  et  recevoir  des  avis 
sur  les  affaires  qui  se  présentent,  et  pour  s'entr'- 
édifier.  C'est  aussi  là  que  l'on  fait  les  fonds* 
nécessaires  pour  fournir  aux  dépenses  qui  re- 
gardent le  service  général  de  l'église,  et  qu'il 
n'est  pas  nécessaire  de  détailler  ici. 

Tout  simple  membre  d'une  congrégation  peut 
entrer  s'il  lui  plaît  dans  ces  assemblées,  et  y 
donner,  dans  la  crainte  de  Dieu,  son  avis  sur 
quelque  sujet  que  ce  soit  que  l'on  y  traite  ;  mais 
l'on  y  fait  surtout  attention,  pour  les  cas  parti- 
culiers, à  l'opinion  des  assemblées  trimestrielles 
de  chaque  province,  que  font  connaître  les  dé- 
putés de  la  dite  assemblée,  ainsi  qu'ils  en  sont 
chargés. 

Chaque  année,  pendant  la  grande  assemblée 
où  les  autres  viennent,  selon  leur  rang,  se  rendre 

*  Voici  les  objets  auxquels  on  applique  ces  fonds  :  im- 
pression et  distribution  des  livres,  pour  l'avancement  de 
la  vérité  ;  passage  des  ministres  de  cette  société,  qui  vont 
annoncer  l'évangile  dans  les  pays  étrangers,  et  retour  par 
mer  de  ceux  qui  viennent  en  Angleterre  ;  salaire  d'un 
secrétaire,  et  loyer  d'une  maison  pour  garder  des  régi  très, 
et  autres  petites  dépenses  de  cette  espèce. 


74  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

et  aboutir,  il  y  a  un  certain  nombre  de  personnes 
choisies  par  l'assemblée  pour  rédiger  ses  déci- 
sions sur  les  différentes  questions  qui  y  ont  été 
agitées,*  afin  que  les  assemblées  de  mois  et  de 
trois  mois,  dans  les  provinces,  soient  informées 
de  toutes  ses  résolutions;  et  on  y  ajoute  une 
exhortation  générale  à  se  maintenir  en  sainteté, 
en  unité,  et  en  charité.  Il  y  a  dans  la  grande 
assemblée  annuelle,  ainsi  que  dans  celles  qui  se 
tiennent  tous  les  mois,  et  tous  les  trois  mois,  une 
personne  nommée  pour  tenir  compte  de  tout  ce 
qui  se  passe.  L'ouverture  et  la  clôture  de  ces 
assemblées  se  font  ordinairement  en  s'attendant 
solemnellement  au  Seigneur  :  et  il  plaît  quelque- 
fois à  Dieu  de  leur  donner  de  preuves  aussi 
manifestes  de  sa  bonté  et  'de  sa  présence,  que 
celles  qu'il  accorde  à  leurs  assemblées  reli- 
gieuses. 

Il  faut  encore  observer  que  dans  ces  assem- 
blées solemnelles  qui  se  réunissent  pour  le  service 
de  l'église,  il  n'y  a  point  de  président,  comme 
cela  se  pratique  dans  les  assemblées  que  tiennent 
les  autres  sociétés  ;  car  Christ  seul  est  leur  pré- 
sident, d'autant  qu'il  veut  bien  faire   connaître 

*  On  n'agit  plus  aujourd'hui  précisément  de  la  manière 
indiquée  ci-dessus;  mais  ces  décisions  sont  rédigées  en 
pleine  assemblée. 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  75 

sa  présence,  en  communiquant  sa  vie  et  sa 
sagesse  à  un  ou  plusieurs  d'entr'eux,  dont,  quels 
que  soient  leurs  talens  ou  leur  rang,  les  autres 
suivent  fermement  l'opinion,  non  comme  se  sou- 
mettant à  une  autorité,  mais  par  conviction.  Car 
c'est  là  la  manière  dont  Jésus-Christ  veut  que 
sa  propre  autorité,  son  pouvoir,  et  son  esprit  se 
fassent  sentir  à  son  peuple,  et  il  accomplit  sa 
grande  promesse,  celle  de  se  trouver  au  milieu 
des  siens,  en  quelque  lieu,  et  en  quelque  tems 
qu'ils  s'assemblent  en  son  nom,  et  cela  jusqu'à 
la  fin  du  monde.     Ainsi  soit-il  ! 

On  s'attend  sûrement  ici  que  je  dirai  un  mot 
de  l'autorité  qu'ils  exercent  sur  les  membres  de 
leur  société  qui  par  leur  conduite  démentent  les 
principes  dont  ils  font  profession,  et  qui  troublent 
le  bon  ordre  établi  parmi  eux,  d'autant  plus  qu'à 
cet  égard  on  leur  a  fait  de  grands  reproches,  et 
que  leurs  adversaires  ne  les  ont  épargnés  ni  dans 
leurs  discours,  ni  dans  leurs  écrits. 

Le  pouvoir  qu'exerce  cette  société  est  le  même 
que  Jésus-Christ  a  donné  à  son  peuple,  pour 
durer  jusqu'à  la  fin  du  monde,  en  la  personne 
de  ses  disciples;  c'est-à-dire  le  pouvoir  de 
veiller  sur  la  conduite  de  ses  membres,  d'ex- 
horter, de  réprimander,  et  après  avoir  longtems 
enduré  ceux  qui  se  rendent  coupables  de  dés- 


76  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

obéissance  et  d'endurcissement,  de  les  désavouer 
et  les  exclure  de  sa  communion,  faute  de  quoi 
la  communication  qu'ils  continueraient  d'avoir 
avec  eux  ferait  retomber,  sur  toute  la  société  en 
général,  le  blâme  de  leurs  transgressions,  tant 
qu'ils  ne  se  repentiraient  pas.  L'exercice  de 
cette  autorité  dans  ses  différentes  branches 
tombe  sur  deux  objets  :  premièrement  sur  ces 
transgressions  générales  qui  partout  sont  re- 
gardées comme  des  fautes,  et  en  second  lieu  sur 
celles  d'une  espèce  plus  particulière,  et  qui  ont 
rapport  à  leur  caractère,  et  à  la  profession  de 
foi  qui  les  distingue  des  autres  sociétés  qui  se 
disent  chrétiennes.  Ils  fuyent  les  deux  extrêmes, 
la  persécution  et  le  libertinage,  et  savent  se 
garantir  de  ces  deux  écueils  où  tant  d'autres  ont 
échoué  ;  c'est-à-dire,  que  sans  user  de  violence 
pour  faire  rentrer  les  gens  dans  le  temple, 
comme  en  punissant  dans  leurs  personnes  ou 
dans  leurs  biens,  ceux  qui  pèchent  contre  leur 
foi  et  leur  conscience,  ils  n'accordent  pourtant 
point,  quant  aux  œuvres  extérieures,  cette 
liberté  outrée  suivant  laquelle  on  n'est  comptable 
qu'à  Dieu  ou  aux  magistrats.  Rien  n'a  tant 
contribué  à  propager  cette  liberté  funeste  dans 
le  monde,  que  l'abus  qu'ont  fait  du  pouvoir  ecclé- 
siastique, des  personnes  qui,    se  laissant  gou- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  77 

verrier  par  leurs  passions  ou  leur  intérêt  parti- 
culier, se  sont  permis  d'user  de  la  force,  et  de 
punir  corporellement.  les  transgresseurs.  Quant 
aux  Quakers,  ils  ont  essuyé  trop  de  persécutions 
pour  ne  pas  désapprouver  cette  pratique,  qui 
d'ailleurs  est  contraire  à  la  liberté  de  conscience, 
un  de  leurs  grands  principes. 

D'un  autre  côté,  ils  n'approuvent  point  que 
les  membres  soient  indépendans  de  la  société,  et 
ils  veulent  que  chaque  membre  soit  comptable  à 
ceux  de  sa  communion,  de  sa  conduite,  et  de  la 
manière  dont  il  suit  les  règles  de  la  société,  et 
en  remplit  les  devoirs.  Quant  à  ce  qui  regarde 
la  foi,  ou  le  culte,  ils  n'imposent  jamais  aucune 
pratique,  sachant  que  c'est  une  chose  que  l'on  ne 
doit  ni  faire,  ni  souffrir,  et  à  laquelle  on  ne  doit 
point  se  soumettre  ;  mais  ils  requièrent  que  l'on 
se  soumette  chrétiennement  aux  méthodes  qui 
regardent  les  affaires  de  l'église,  quant  au  civil  et 
au  temporel  ;  et  à  ce  qui  peut  contribuer  à  leur 
conserver  la  réputation  d'une  société  estimable 
et  religieuse,  distinguant,  comme  on  le  doit, 
ces  deux  objets.  En  un  mot,  ils  veillent  à  ce 
qui  peut  entretenir  la  sainteté  et  la  charité;  à 
ce  que  leurs  frères  pratiquent  ce  qu'ils  pro- 
fessent, et  vivent  suivant  leurs  principes  ;  et  le 
seul  usage  qu'ils  fassent  de  l'autorité  de  l'église, 


/b  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

tend  à  empêcher  qu'ils  n'aient  la  liberté  de  dé- 
mentir les  principes  qu'ils  professent,  sans  en 
être  réprimandés.  Ils  ne  forcent  personne  à 
adopter  leurs  principes,  mais  ils  forcent  ceux 
qui  les  ont  adoptés  à  les  suivre,  sinon  ils  les 
désavouent  :  voilà  le  seul  châtiment  qu'ils  leur 
imposent,  et  tout  le  pouvoir  qu'ils  exercent,  per- 
suadés qu'aucune  société  chrétienne  n'a  droit 
d'en  faire  davantage  contre  ses  membres. 

Or  voici  de  quelle  manière  ils  agissent  avec 
celui  qui  a  failli  ou  péché.  Quelques  personnes 
de  la  société  vont  le  trouver,  et  lui  mettent  sous 
les  yeux  la  faute  qu'il  a  commise,  soit  que  ce 
soit  une  action  contraire  aux  principes  de  vertu 
reconnus  par  le  commun  des  hommes,  ou  seule- 
ment aux  principes  de  la  société  dont  il  fait 
profession  d'être  membre.  Ils  tâchent  par 
amour  et  par  zèle,  pour  le  bien  de  son  âme,  pour 
la  gloire  de  Dieu,  et  pour  la  réputation  de  la 
société,  de  l'engager  à  avouer  sa  faute,  et  à  se 
condamner  lui-même  d'une  manière  aussi  pub- 
lique que  l'a  été  le  mal  qu'il  a  fait,  ou  le  scan- 
dale qu'il  a  causé.  La  formalité  la  plus  ordi- 
naire consiste  à  en  faire  par  écrit  une  déclaration 
qu'il  signe  ;  mais  s'il  arrive  que  le  pécheur  ne 
veuille  pas  se  soumettre,  et  avouer  qu'il  a  péché 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  79 

contre  la  vertu  ou  la  foi  ;  pour  empêcher  que  sa 
conduite  ne  soit  un  sujet  d'attaque  contre  la 
vérité  qu'ils  professent,  après  avoir  réitéré  plu- 
sieurs fois  leurs  instances,  et  attendu  un  tems 
suffisant  cette  preuve  de  son  repentir,  ils  rédigent 
un  écrit  par  lequel  ils  désavouent  l'action  dont 
il  est  question,  et  celui  qui  en  est  coupable,  et 
ils  consignent  toute  l'affaire  dans  leurs  registres, 
comme  un  témoignage  de  leur  zèle  à  conserver 
l'honneur  de  leur  société  et  de  leur  profession 
de  foi. 

Mais  si  par  la  suite  il  répare  le  scandale  qu'il 
a  causé,  en  reconnaissant  sa  faute,  et  qu'il  s'en 
montre  vraiment  repentant,  ils  le  reçoivent  de- 
rechef, et  le  regardent  comme  un  membre  de 
leur  communion.  Car  semblable  à  Dieu,  son 
vrai  peuple  ne  réprimande  jamais  le  pécheur,  du 
moment  qu'il  s'est  repenti. 

Voici  ce  que  j'avais  à  dire  sur  le  peuple  de 
Dieu,  connu  sous  le  nom  de  Quakers,  quant  à 
son  origine,  le  tems  où  il  a  commencé  a  être 
connu,  ses  principes  et  ses  pratiques  dans  ce 
siècle  ;  tant  pour  ce  qui  regarde  sa  foi  et  son 
culte,  que  ce  qui  a  rapport  à  sa  discipline,  et  à 
sa  conduite  en  général.  J'ai  cru  que  ce  petit 
récit  ne  pouvait  être  mieux   placé   que  comme 


80  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

préface*  au  journal  du  premier  bien-heureux  et 
glorieux  instrument  de  cette  grande  œuvre,  et 
comme  un  témoignage  à  ses  grands  services,  et 
aux  qualités  éminentes  dont  il  était  rempli,  qua- 
lités qui  méritent  de  servir  de  modèle  à  la  posté- 
rité, et  ont  tant  contribué  à  la  gloire  du  Très- 
haut  ;  enfin  en  le  faisant  servir  à  perpétuer  la 
mémoire  de  ce  digne  et  excellent  homme,  son 
fidèle  serviteur,  choisi  pour  être  l'apôtre  de  cette 
génération. 

*  Il  est  bon  de  savoir  que  ce  fut  pour  servir  de  Préface 
au  Journal  de  George  Fox,  que  Penn  fit  ce  petit  livre. 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  81 


CHAPITRE    V. 

De  l'homme  dont  Dieu  s'est  servi  pour  rassembler  cette 
société  dans  la  voie  qu'elle  fait  profession  de  suivre  : — de 
George  Fox.  Le  grand  nombre  d'excellentes  qualités 
qu'il  possédait  font  voir  qu'il  avait,  pour  fonder  cette 
société,  un  pouvoir  plus  qu'humain,  et  qu'il  était  vrai- 
ment un  instrument  choisi  de  Dieu.  Troubles  et  souf- 
frances qu'il  essuya  tant  au  dehors  qu'au  dedans;  sa 
fin  et  son  triomphe. 

Me  voici  arrivé  au  troisième  point  de  ma  pré- 
face, et  je  vais  parler  de  celui  que  Dieu  avait 
choisi  pour  être  l'instrument  par  lequel  il  voulait 
fonder  cette  société.  Car  il  serait  assez  naturel 
de  se  dire  :  "  Fort  bien,  voici  la  société,  voici 
l'œuvre,  mais  où  est  l'ouvrier  ?  Quel  homme 
Dieu  chargea-t-il  de  cette  grande  œuvre  ?"  C'est 
ce  que  je  vais  raconter,  et  je  parlerai  non  seule- 
ment d'après  les  autres,  mais  d'après  ma  propre 
connaissance  et  la  longue  et  intime  liaison  que 
j'ai  eue  avec  lui,  et  dont  j'ai  souvent  remercié  le 
Seigneur  et  le  remercie  encore  tous  les  jours  ; 
et  je  ne  doute  point  que  le  lecteur  ne  m'ap- 
o 


82  ORIGINE    ET    TORMATION    DE    LA 

prouve  quand  il  aura  lu  cette  partie  de  ma  pré- 
face qui  le  regarde. 

Le  bienheureux  instrument  dont  Dieu  se  servit 
dans  ce  grand  jour  de  l'évangile,  fut  George 
Fox  ;  on  le  distingue  d'un  autre  qui  dans  tous 
ses  écrits  est  surnommé  le  jeune,  non  qu'il  fût 
plus  jeune  d'âge,  mais  parcequ'il  avait  embrassé 
plus  tard  la  doctrine  des  amis  ;  ce  dernier 
fut  aussi  un  digne  homme  dans  son  tems,  servant 
Dieu,  et  rendant  témoignage  à  la  vérité. 

Le  George  Fox  dont  je  veux  parler  ici,  naquit 
dans  le  comté  de  Leicester,  vers  l'an  1624. 
Ses  parens  étaient  d'honnêtes  gens,  à  leur  aise, 
et  qui  se  firent  un  devoir  de  l'élever,  ainsi  que 
leurs  autres  enfans,  dans  la  religion  de  la  nation 
quant  aux  principes  et  au  culte  ;  sa  mère,  surtout, 
femme  accomplie  et  supérieure  à  la  plupart  de 
celles  de  son  rang  dans  le  lieu  où  elle  demeurait. 
Mais  dès  son  enfance  il  montra  toute  une  autre 
tournure  d'esprit  que  ses  frères  ;  il  était  plus 
religieux,  plus  contemplatif,  plus  tranquille,  et 
plus  solide,  capable  d'observations  au  dessus  de 
son  âge,  ce  qui  paraissait  dans  les  réponses  et 
les  questions  qu'il  faisait,  suivant  les  occasions, 
et  surtout  lorsqu'il  s'agissait  des  choses  de  Dieu, 
au  grand  étonnement  de  ceux  qui  l'entendaient. 

Sa  mère,  qui  s'appercut  de  son  caractère  ex- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS. 


83 


traordinaire,  de  la  gravité,  de  la  sagesse,  et  de 
la  pieté  qui  brillaient  en  lui  de  si  bonne  heure, 
et  l'éloignaient  des  jeux  d'enfans  et  de  la  société, 
avait  pour  lui  beaucoup  de  tendresse  et  d'in- 
dulgence, et  ne  le  contrariait  ni  ne  le  gênait  en 
rien.  Il  fut  élevé  aux  travaux  de  la  campagne, 
et  s'adonna  au  soin  de  troupeaux  ;  il  aimait 
beaucoup  les  brebis,  et  acquit  une  grande  ex- 
périence dans  ce  genre  d'occupation  ;  c'était 
d'ailleurs  un  emploi  tout  à  fait  analogue  à  son 
caractère,  et  par  l'innocence  et  la  solitude  qui  en 
sont  l'âme,  et  parcequ'il  était  comme  un  em- 
blème du  ministère  dont  Dieu  devait  le  charger 
dans  la  suite. 

Persuadé  que  personne  ne  saurait  parler  plus 
savamment  de  lui  que  lui-même,  je  n'entrerai 
point  dans  les  détails  qu'il  a  donnés  sur  sa  propre 
histoire,  et  pour  éviter  de  répéter  ce  qui  peut 
avoir  été  dit  avant  moi,  j'omettrai  ici  les  diffé- 
rentes circonstances  de  sa  vocation,  et  me  con- 
tenterai de  dire  en  abrégé,  qu'étant  âgé  d'un 
peu  plus  de  vingt  ans  il  quitta  ses  païens,  et 
visita  les  personnes  les  plus  retirées  et  les  plus 
religieuses  du  canton  qu'il  habitait.  Il  restait 
encore  un  petit  nombre  de  personnes  qui  atten- 
daient jour  et  nuit  la  consolation  d'Israël,  de 
même  que  Zacharie,  Anne,  et  le  bon  vieillard 
g  2 


84  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

Siméon  l'attendaient  autrefois.  Ce  fut  vers 
ceux-là  qu'il  fut  envoyé  ;  il  s'occupa  à  découvrir 
ces  amis  de  Dieu  dans  les  provinces  voisines,  et 
demeura  avec  eux  jusqu'au  tems  où  son  minis- 
tère lui  fut  plus  spécialement  manifesté.  Pen- 
dant ce  tems  là,  il  enseignait  le  silence,  et  en 
donnait  l'exemple  à  ceux  qu'il  instruisait,  tâchant 
de  faire*  abandonner  les  cérémonies  auxquelles 
ils  étaient  attachés,  rendant  témoignage  de 
Christ,  et  leur  montrant  sa  lumière  qui  était  en 
eux,  les  encourageant  à  attendre  patiemment  que 
sa  grâce  se  fît  sentir  dans  leur  cœur,  afin  de 
connaître  et  d'adorer  Dieu  selon  la  puissance  de 
la  vie  impérissable,  qu'ils  devaient  trouver  par 
la  lumière,  s'ils  lui  obéissaient,  quand  elle  se 
révélerait  à  eux.  Car  en  la  parole  était  la  vie, 
et  la  vie  est  la  lumière  des  hommes,  vie  dans  la 
parole,  lumière  dans  les  hommes,  et  aussi  vie 
dans  les  hommes,  s'ils  obéissent  à  la  lumière  ; 
car  les  enfans  de  lumière  vivent  par  la  vie  de  la 
parole,  par  laquelle  la  parole  les  engendre  de 
nouveau  à  Dieu,  ce  qui  s'appelle  régénération  et 
nouvelle  vie,  sans  laquelle  on  ne  saurait  entrer 
dans  le  royaume  de  Dieu.  Et  quiconque  y  entre 
est  plus  grand  que  Jean,  c'est-à-dire  que  le  minis- 
tère de  Jean,  qui  n'était  point  la  dispensation  du 
royaume  de  Dieu, mais  la  consommation  de  la  loi; 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  85 

<et  lui  le  précurseur  du  tems  de  l'évangile  du  jour 
du  royaume  de  Dieu.  Il  se  forma  donc  plusieurs 
congrégations  dans  ces  cantons,  et  ce  fut  ainsi 
qu'il  employa  son  tems  pendant  quelques  années. 
En  1652,  étant  retiré  et  seul,  selon  sa  cou- 
tume, toutes  les  facultés  de  son  aine  tournées 
vers  le  Seigneur,  et  à  ce  que  je  crois,  sur 
une  haute  montagne  de  la  partie  élevée  du 
comté  d'York,  il  eut  une  vision  touchant  la 
grande  œuvre  du  Seigneur,  et  la  manière  dont 
il  devait  entreprendre  publiquement  le  ministère 
dont  il  était  chargé,  pour  la  commencer.  Il  vit 
un  peuple  égal  en  nombre  aux  atomes  qui  se 
jouent  dans  les  rayons  du  soleil,  et  qui  devait 
avec  le  tems  rentrer  dans  le  bercail  du  Seigneur, 
afin  qu'il  n'y  eût  sur  toute  la  terre  qu'un  seul 
troupeau  et  qu'un  seul  pasteur.  Ses  regards  se 
dirigèrent  vers  le  nord,  et  il  vit  un  grand  peuple 
qui  devait  le  recevoir,  et  entendre  la  parole 
qu'il  allait  lui  annoncer.  Sur  cette  montagne, 
le  Seigneur  lui  inspira  d'annoncer  hautement  ce 
grand  jour,  ce  jour  remarquable,  comme  s'il  eût 
été  au  milieu  d'une  nombreuse  assemblée  ;  en- 
suite il  s'avança  vers  le  nord,  ainsi  que  le  Sei- 
gneur le  dirigeait.  Dans  tous  les  lieux  où  il 
passait,  quelquefois  même  avant  d'y  arriver,  il 
recevait    des    inspirations  sur    ce    qw'il    devait 


86  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

faire,  et  sur  la  manière  dont  il  devait  se  con- 
duire ;  de  sorte  qu'on  peut  dire  avec  vérité  que 
le  Seigneur  marchait  devant  lui.  Aussi  ne 
voyageait-il  pas  en  vain  ;  mais  Dieu  bénissait  ses 
travaux  et  confirmait  son  ministère  dans  presque 
tous  les  endroits  où  il  passait,  par  la  conversion 
de  toutes  sortes  de  gens,  tant  parmi  les  impies, 
que  parmi  ceux  qui  faisaient  profession  d'être 
religieux.  Au  nombre  des  premiers  et  des  plus 
distingués  de  ceux  qui  embrassèrent  le  ministère 
public,  et  qui  jouissent  à  présent  du  repos  éter- 
nel, nous  comptons  Richard  Farnsworth,  Jacques 
Naylor,  Guillaume  Dewsberry,  Thomas  Aldham, 
FrançoisHowgill, Edouard  Burrough,  Jean  Camm, 
Jean  Audland,  Richard  Hubberthorn,  T.  Taylor, 
T.  Holmes,  Alexandre  Parker,  Guillaume  Sim- 
son,  Guillaume  Caton,  Jean  Stubbs,  Robert 
Withers,  Thomas  Loe,  Josias  Coale,  Jean  Burn- 
yeat,  Robert  Lodge,  Thomas  Salthouse,  et  plu- 
sieurs autres  dignes  personnages  qu'il  ne  serait 
guères  possible  de  nommer  tous  ici  ;  de  même 
que  plusieurs  encore  vivants. 

Dès  le  commencement  ils  ont  reçu  le  témoignage 
de  la  vérité,  et  se  sentant  purifiés  intérieurement 
par  le  jugement  de  Dieu,  après  avoir  attendu 
quelque  tems  en  silence  qu'il  leur  envoyât  d'en 
haut  le  pouvoir  de  parler  en  son  nom  (ce  que  sans 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  87 

cela  nul  ne  peut  faire  avec  efficacité  même  en 
faisant  usage  des  mêmes  paroles)  ils  se  sentaient 
agités  d'un  mouvement  divin,  et  poussés  surtout  à 
aller  aux  assemblées  publiques,  pour  y  répriman- 
der, enseigner,  et  exhorter.  D'autrefois  ils  le  fai- 
saient dans  les  places  publiques,  dans  les  marchés, 
dans  les  rues,  sur  les  grands  chemins,  exhortant  le 
peuple  à  se  repentir,  et  à  retourner  au  Seigneur, 
de  cœur,  aussi  bien  que  de  bouche  ;  les  aver- 
tissant de  diriger  leur  attention  vers  la  lumière 
de  Christ  qui  était  au-dedans  d'eux-mêmes,  au 
moyen  de  laquelle  ils  pourraient  voir,  examiner, 
et  considérer  leur  propres  voies,  fuir  le  mal,  et 
faire  la  véritable  et  sainte  volonté  de  Dieu. 
Leur  zèle  les  exposa  à  bien  des  persécutions  ; 
ils  furent  souvent  jetés  dans  les  prisons,  pour- 
suivis à  coups  de  pierres,  battus,  fouettés  ;  quoi- 
qu'ils fussent  honnêtes,  et  jouissaient  d'une  bonne 
réputation  dans  les  lieux  où  ils  demeuraient,  et 
qu'ils  eussent  quitté  leurs  femmes,  leurs  enfans, 
leurs  maisons,  et  leurs  biens,  pour  venir  de  la 
part  du  Dieu  vivant  inviter  les  hommes  à  la 
repentance.  Les  prêtres  en  général  entrepre- 
naient de  les  traverser  ;  ils  écrivaient  contr'eux  ; 
ils  ramassaient  les  histoires  les  plus  fausses  et  les 
plus  scandaleuses  pour  les  diffamer,  et  ils  exci- 
taient les  magistrats  à   faire  tout  ce  qui  dépen- 


88  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

dait  d'eux  pour  détruire  cette  société,  surtout 
dans  le  nord  de  l'Angleterre;  mais  il  plut  à 
Dieu  de  leur  communiquer  sa  puissance  vivifi- 
ante, et  de  leur  ouvrir  la  porte  de  la  parole  si 
efficacement,  qu'ils  eurent  le  plus  grand  succès 
dans  ces  cantons. 

Us  furent  favorisés  dès  le  commencement  par 
le  Juge  Bradshavv,  par  le  Juge  Fell,  et  le 
Colonel  West,  et  en  reçurent  les  plus  grandes 
bontés;  aussi  les  prêtres  ne  purent-ils  venir  à 
bout  de  leur  dessein,  qui  était  de  verser  leur 
sang  :  sans  cela,  à  l'exemple  d'Hérode,  ils 
auraient,  s'il  leur  eût  été  possible,  fait  usage  du 
pouvoir  civil,  pour  les  détruire,  et  les  faire  périr 
jusqu'au  dernier.  Le  plus  zélé  fut  le  Juge  Fell, 
qui  non  seulement  s'opposa  à  la  rage  de  leurs 
ennemis,  lorsqu'ils  voulurent  les  accuser  devant 
lui,  mais  qui  les  défendit  aussi  clans  d'autres  oc- 
casions, et  finit  par  les  soutenir  ouvertement. 
Car  sa  femme  ayant  été  une  des  premières  à 
recevoir  la  vérité,  comme  c'était  un  homme  juste 
et  sage,  quand  il  vit  en  sa  femme  et  dans  sa 
famille  la  réfutation  la  plus  complète  des  cla- 
meurs populaires  qui  s'élevaient  contre  ce  té- 
moignage de  la  vérité,  cette  découverte  fit  sur  lui 
i  tel  effet,  qu'il  protégea  les  membres  de  la 
(relle  société  autant  qu'il  le  put,  leur  ouvrit. 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  89 

sans  difficulté  ses  portes,  et  permit  à  sa  femme 
et  à  ses  amis  de  se  servir  de  sa  maison,  s 'inquié- 
tant peu  des  reproches  des  ignorans  ou  des  mé- 
chants. J'ai  fait  mention  de  cette  circonstance, 
pour  honorer  la  mémoire  de  l'un  et  de  l'autre  ; 
non  seulement,  je  l'espère,  ce  sera  un  honneur 
pour  eux-mêmes,  mais  encore  leur  exemple  at- 
tirera la  bénédiction  du  ciel  sur  tous  ceux  de 
leur  nom  et  de  leur  famille  qui  auront  la  même 
tendresse  fraternelle,  la  même  humilité,  le  même 
amour,  et  le  même  zèle  pour  la  vérité,  et  pour 
le  peuple  du  Seigneur. 

Cette  maison  fut  pendant  quelques  années,  et 
surtout  au  commencement,  jusqu'à  ce  que  la 
vérité  se  fût  fait  connaître  dans  les  parties  mé- 
ridionales de  cette  île,  une  retraite  célèbre  pour 
ceux  de  cette  croyance.  D'autres  personnes  de 
réputation  et  de  crédit  du  nord  de  l'Angleterre 
ouvrirent  leurs  maisons  et  leurs  cœurs  aux  diffé- 
rents ministres  de  la  parole  que  le  Seigneur  avait 
suscités  en  si  peu  de  tems,  pour  annoncer  au 
peuple  le  vrai  chemin  du  salut;  et  il  s'y  tenait 
aussi  des  assemblées  des  ministres  du  Seigneur, 
qui  s'y  communiquaient  leurs  travaux  et  leurs 
exercices,  s'entr'-édifiaient,  et  s'encourageaient 
l'un  l'autre  dans  leur  glorieux  ministère. 

Mais  de  crainte  qu'on  ne  prenne  ceci  pour 


90  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

une  digression,  comme  il  en  a  déjà  été  parlé, 
j'en  reviens  à  cet  homme  excellent,  et  à  ses  qua- 
lités personnelles,  tant  naturelles  que  morales  et 
divines,  et  telles  qu'elles  ont  paru  dans  le  com- 
merce qu'il  a  eu  avec  ses  frères,  et  dans  l'église 
du  Seigneur. 

1.  C'était  un  homme  doué  d'un  entendement 
admirable,  et  qui,  pour  être  profond,  n'en  était 
pas  moins  clair  ;  il  savait  discerner  l'esprit  des 
autres,  et  était  maître  du  sien.  Quoique  son 
esprit,  quand  il  conversait  avec  le  monde,  et 
surtout  sa  manière  de  s'exprimer,  choquassent 
peut-être  les  gens  qui  se  piquent  de  politesse,  et 
leur  parussent  grossiers  ;  cependant  ce  qu'il 
disait  annonçait  un  génie  profond,  et  non  seule- 
ment ses  discours  ne  perdaient  rien  à  être 
examinés  après  coup,  mais  plus  on  les  considé- 
rait plus  on  les  trouvait  solides  et  instructifs.  Et 
quelque  peu  liées, que  qu'incohérentes  que  pussent 
paraître  des  phrases  qui  semblaient  lui  échapper 
tout-à-coup  concernant  les  choses  de  Dieu,  il  est 
pourtant  reconnu  que  souvent  ces  mêmes  phrases 
étaient  comme  autant  de  textes  qui  donnaient 
matière  à  des  développements  plus  claires.  Ceci 
faisait  bien  voir,  et  a  n'en  pas  douter,  qu'il  était 
vraiment  envoyé  de  Dieu,  puisqu'il  annonçait 
son  ministère  et  l'objet  de  sa  mission  sans  em- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  91 

prunter  les  secours  de  l'art,  ni  du  génie,  et  pré- 
sentait les  grandes  et  importantes  vérités  qu'il 
venait  annoncer  au  monde,  dépouillées  de  tous 
les  ornements  de  l'esprit  et  de  la  sagesse  hu- 
maine. Comme  homme  il  était  donc  original, 
n'ayant  pris  aucun  homme  pour  modèle  :  sa 
mission  et  ses  écrits  font  assez  voir  qu'ils  ne  les 
devait  point  aux  instructions  des  hommes,  et 
qu'ils  n'étaient  point  les  fruits  de  l'étude.  Ce  n'é- 
taient point  là  des  opinions  ni  des  spéculations 
dont  il  fit  l'essai  parmi  les  hommes  ;  c'étaient 
des  vérités  palpables,  des  vérités  de  pratique, 
qui  tendaient  à  la  conversion,  à  la  régénération, 
et  à  l'établissement  du  royaume  de  Dieu  dans  le 
cœur  des  hommes,  et  son  œuvre  était  d'en  mon- 
trer le  chemin.  De  sorte  que  je  me  suis  souvent 
senti  ému  au-dedans  de  moi-même,  et  forcé  de 
dire  avec  mon  Seigneur  et  Maître  en  pareille 
occasion,  "  Je  te  rends  grâces,  O  Père,  Seigneur 
du  ciel  et  de  la  terre,  de  ce  que  tu  as  caché  ces 
choses  aux  sages,  et  aux  prudents  de  la  terre,  et 
de  ce  que  tu  les  as  révélées  aux  petits  enfans." 

Car  mainte  et  mainte  fois,  mon  âme,  pleine  de 
reconnaissance  et  d'humilité,  a  remercié  le  Sei- 
gneur de  ce  qu'il  n'a  point  choisi  un  des  sages 
et  des  savans  de  la  terre,  pour  le  charger  d'an- 
noncer dans  notre  siècle  sa  sainte  vérité   aux 


92  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

hommes  ;  mais  de  ce  qu'il  a  jeté  les  yeux  sur 
un  homme  qui  n'était  ni  distingué  par  son  rang, 
ou  l'élégance  de  ses  discours,  ni  savant,  selon 
l'idée  que  le  monde  a  de  la  science  ;  afin  que 
les  hommes,  ne  pouvant  soupçonner  sa  mission 
d'être  l'ouvrage  de  la  sagesse  humaine  ou  de 
l'intérêt,  n'en  fussent  point  jaloux;  afin  que  ses 
instructions  parussent  plus  claires,  et  agissent 
avec  plus  de  force  sur  la  conscience  de  ceux  qui 
cherchaient  la  vérité  par  pur  amour  de  la  vérité. 
Le  Dieu  du  ciel  a  dessillé  les  yeux  de  mon  âme, 
et  j'ai  pu  reconnaître  le  doigt  de  Dieu,  dans  ce 
témoignage,  quand  j'ai  vu  combien  son  principe 
était  clair,  puissant  et  efficace,  quand  j'ai  exa- 
miné quelles  exemples  de  sobriété,  de  simplicité, 
de  zèle,  de  fermeté,  d'humilité,  de  gravité,  de 
ponctualité,  de  charité, de  circonspection,  dans  le 
gouvernement  des  affaires  de  l'église,  lui  et  ceux 
que  Dieu  employait  dans  cette  sainte  œuvre, 
donnaient  dans  toute  leur  conduite,  et  dans  leur 
ministère;  j'ai  été  convaincu  que  c'était  l'ou- 
vrage de  Dieu  même,  et  mon  âme  a  été  pénétrée 
d'amour,  de  crainte,  de  respect,  et  de  reconnais- 
sance, en  voyant  son  amour  et  sa  miséricorde 
pour  le  genre  humain.  Tels  sont  mes  sentiments, 
et  j'espère  que  le  Seigneur  m'y  conservera  jus- 
qu'à la  fin  de  mes  jours. 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  93 

2.  Son  premier  but,  dans  son  témoignage  ou 
dans  son  ministère,  était  de  donner  à  ses  audi- 
teurs une  idée  de  la  vérité,  et  de  fonder  sa  doc- 
trine dans  leurs  cœurs  sur  le  grand  principe,  le 
fondement  de  tout,  Jésus-Christ,  la  lumière  du 
monde  ;  afin  que,  renvoyés  à  ce  principe  divin, 
ils  apprissent  à  le  connaître,  et  se  connaître 
eux-mêmes. 

3.  Il  avait  un  don  particulier,  pour  expliquer 
les  Ecritures  ;  il  allait  droit  au  vrai  sens,  et, 
quoique  avec  simplicité,  il  en  faisait  sentir 
l'esprit,  l'harmonie,  et  l'accomplissement,  de  la 
manière  la  plus  consolante,  et  la  plus  édifiante. 

4.  Le  mystère  du  premier  et  du  second  Adam, 
de  la  chute  et  de  la  rédemption,  de  la  loi  et  de 
l'évangile,  de  l'ombre  et  de  la  substance,  de  la 
condition  de  l'enfant  de  la  servante,  et  de  celle 
de  l'enfant  légitime,  et  enfin  l'accomplissement 
des  Ecritures  en  Christ,  et  par  Christ,  qui  est  la 
vraie  lumière  en  tous  ceux  qui  lui  appartiennent 
par  l'obéissance  de  la  foi,  voilà  quelle  était  en 
général  la  substance  et  la  teneur  de  ce  qu'il  an- 
nonçait. Aussi  était-il  évident  qu'il  était  de  Dieu, 
car  on  sentait  qu'il  ne  disait  que  ce  qu'il  avait 
reçu  de  Christ,  et  ce  qu'il  avait  éprouvé  lui- 
même,  par  l'effet  de  cette  lumière  qui  jamais  ne 
nous  manque,  ni  ne  nous  égare. 


94  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

5.  Mais  il  n'y  avait  rien  en  quoi  il  excellât 
comme  dans  la  prière.  Son  esprit  était  alors  si 
détaché  de  toutes  pensées  terrestres,  sa  conten- 
ance était  si  grave  et  si  respectueuse,  il  disait 
tant  en  si  peu  de  mots,  que  les  étrangers  en  ont 
été  souvent  aussi  frappés  que  ses  frères  en  étaient 
consolés.  Il  paraissait  si  pénétré  de  la  vie,  du 
respect,  et  de  la  crainte  de  Dieu,  lorsqu'il  priait, 
que  je  n'ai  jamais  rien  vu  ni  senti  qui  en  ap- 
prochât, et  c'était  bien  là  une  preuve  qu'il 
connaissait  mieux  Dieu  et  vivait  plus  près  de  lui 
que  les  autres  hommes  ;  car  plus  on  le  connaît, 
plus  on  sent  la  nécessité  de  l'approcher  avec 
crainte  et  révérence. 

6.  Sa  vie  était  pure  et  innocente,  il  n'était 
point  de  ces  hommes  empressés  de  se  mêler  des 
affaires  d'autrui,  il  ne  cherchait  point  son  propre 
intérêt  ;  il  n'était  ni  prêt  à  s'irriter,  ni  prompt  à 
critiquer.  Ses  discours  n'avaient  jamais  rien 
d'offensant,  et  presque  toujours  quelque  chose 
d'édifiant.  On  trouvait  en  lui  tant  de  douceur, 
de  contentement  d'esprit,  de  modestie,  d'aisance, 
de  solidité,  et  d'affection,  qu'on  se  faisait  un 
plaisir  d'être  dans  sa  société.  Il  n'exerçait  son 
autorité  que  contre  le  péché,  mais  il  attaquait  le 
péché  en  quelque  lieu,  en  quelque  personne  qu'il 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKEIIS.  95 

le  découvrît,  le  faisant  néanmoins  avec  amour, 
compassion,  et  surtout  avec  patience.  Il  était 
très  indulgent,  et  aussi  prompt  à  pardonner  que 
difficile  à  offenser,  et  soigneux  à  ne  point  offenser 
les  autres.  Et  l'on  trouverait  encore  des  milliers 
de  témoins  prêts  à  certifier  qu'il  était  d'un  esprit 
excellent  et  fort  agréable,  ce  qui  faisait  que  les 
meilleurs  esprits  avaient  pour  lui  un  attache- 
ment sincère  et  durable. 

7.  Il  était  infatigable  dans  son  ministère  ; 
dans  sa  jeunesse,  avant  que  ses  grandes  et  nom- 
breuses souffrances  et  ses  voyages  eussent 
affaibli  son  corps,  et  l'eussent  rendu  incapable 
de  voyager,  il  travaillait  avec  la  plus  grande 
ardeur  à  la  propagation  de  la  parole,  de  la  doc- 
trine, et  de  la  discipline,  en  Angleterre,  en 
Ecosse,  et  en  Irlande  ;  gagnant  des  âmes  à 
Dieu,  fortifiant  dans  la  foi  ceux  qui  avaient  reçu 
la  vérité,  établissant  parmi  eux  le  bon  ordre,  et 
réglant  les  affaires  de  l'église.  Sur  la  fin  de  ses 
voyages  il  visita,  depuis  1671  jusqu'en  1677,  les 
églises  de  Christ  dans  les  plantations  d'Amé- 
rique, en  Hollande,  et  en  Allemagne,  comme  on 
le  voit  par  son  journal  ;  plusieurs  y  reçurent  son 
témoignage,  et  d'autres  furent  fortifiés  dans  la 
foi.     Depuis  ce  tems-là,  sa  principale  résidence 


96  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

fut  à  Londres  ou  dans  les  environs  :  là,  sans 
renoncer  aux  travaux  continuels  du  ministère,  où 
il  était  d'une  grande  utilité,  il  écrivit  beaucoup, 
tant  pour  ceux  de  sa  profession  de  foi,  que  pour 
ceux  qui  n'en  étaient  pas  ;  mais  en  général  il  don- 
nait le  plus  grand  soin  aux  affaires  de  l'église. 

8.  11  allait  souvent  dans  le  lieu  où  se  gardent 
les  registres  des  affaires  de  l'église,  et  où  sont 
adressées  les  lettres  des  différentes  assemblées 
du  peuple  de  Dieu  par  toute  la  terre  ;  il  se 
les  faisait  lire,  et  avait  soin  de  les  communiquer 
à  l'assemblée  qui  se  tenait  toutes  les  semaines 
pour  les  affaires  de  ce  genre,  et  il  pressait 
l'assemblée  d'y  répondre,  surtout  quand  il 
s'agissait  des  souffrances  de  quelques  frères  ; 
montrant  dans  ces  occasions  beaucoup  de  com- 
passion et  de  sympathie  ;  examinant  avec  atten- 
tion les  différentes  difficultés,  et  tâchant  d'y 
remédier  avec  toute  la  promptitude  qu'ils  sem- 
blaient exiger.  Par  là  les  églises,  ou  ceux  de 
leurs  membres  qui  se  trouvaient  dans  la  détresse, 
étaient  sûres  que  leurs  demandes  ne  seraient  ni 
oubliées,  ni  ajournées,  s'il  allait  à  l'assemblée. 

9.  De  même  qu'il  était  infatigable,  il  était 
indomptable,  quand  il  s'agissait  du  service  de 
Dieu  et  de  son  peuple  ;  et  il  était  aussi  difficile 
de  l'effrayer,  que  de  le  mettre  en   colère.     La 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  97 

meilleure  preuve  à  en  donner,  est  sa  conduite 
à  Derby,  à  Litchfield,  à  Appleby,  en  présence 
de  Cromwell,  à  Launceston,  à  Scarborough,  à 
Worcester,  dans  la  salle  de  Westminster,  et  en 
plusieurs  autres  occasions,  où  il  convainquit  de 
sa  fermeté  ses  amis  et  ses  ennemis. 

Mais  de  même  que,  du  tems  de  la  primitive 
église,  les  bienheureux  apôtres  de  notre  Seigneur 
Jésus-Christ  virent  s'élever  contr'eux,  et  devenir 
leurs  plus  cruels  ennemis,  quelques-uns  de 
ceux-mêmes  qu'ils  avaient  appelés  à  la  foi,  ce 
saint  homme  eut  aussi  à  souffrir  de  la  part  de 
plusieurs  de  ceux  qu'il  avait  convertis.  Par  pré- 
vention ou  par  erreur,  ils  s'élevèrent  contre  lui, 
l'accusant  de  vouloir  s'arroger  le  droit  de  gou- 
verner les  consciences,  et  cela  parceque,  par  sa 
présence  ou  par  ses  lettres,  il  pressait  les  assem- 
blées d'adopter,  sans  hésiter  et  avec  zèle,  des 
dispositions  sages  et  utiles,  dont  le  but  était  de 
mettre  la  régularité  dans  les  affaires  de  l'église, 
et  de  veiller  à  ce  que  la  conduite  de  ses  mem- 
bres ne  causât  aucun  scandale  dans  le  monde. 
Ces  dissentions  vinrent  en  grande  partie  de 
l'envie  que  quelques-uns  portaient  à  cet  homme 
débonnaire,  en  le  voyant  aussi  aimé  et  estimé 
qu'il  méritait  de  l'être  ;  elles  vinrent  aussi  de  la 
faiblesse  de    quelques  autres    qui    se    laissèrent 

H 


98  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

prévenir  contre  lui  par  le  reproche  qu'on  lui 
faisait  de  vouloir  commander  et  être  obéi  aveu- 
glément. 

Ils  voulaient  que  chacun  fût  indépendant,  et 
ils  soutenaient  qu'ayant  le  principe  au  dedans 
d'eux-mêmes,  ils  devaient  être  réglés  par  lui,  et 
par  nul  autre  :  ne  considérant  pas  que  le  prin- 
cipe est  le  même  en  tous,  et  que  quoiqu'il  soit 
possible  de  recevoir  la  grâce  plus  ou  moins 
abondamment,  cependant  la  nature  en  est  la 
même  chez  chacun  ;  et  que  ce  fait  une  fois  ad- 
mis, c'est  blesser  l'unité  spirituelle  qui  doit 
exister  dans  une  société  dont  tous  les  membres 
sont  conduits  par  le  même  principe.  De  sorte 
que  ce  qui  est  mal  pour  l'un,  doit  être  mal  pour 
tous,  et  que  ce  qui  est  vertueux,  honnête,  et 
honorable  pour  l'un  devait  l'être  pour  les  autres  ; 
cela  étant  la  conséquence  et  le  fruit  du  même 
principe  universel  commun  à  tous,  et  que  ces 
mécontents  mêmes  font  profession  de  regarder 
comme  le  lien  de  la  véritable  confraternité  Chré- 
tienne, et  l'esprit  dont  le  peuple  de  Dieu  se 
pénètre  pour  se  réunir  spirituellement,  et  ne 
plus  avoir  qu'un  cœur  et  une  âme. 

D'autres  eurent  la  faiblesse  de  voir  dans 
l'ordre  qu'il  voulait  établir  pour  le  gouvernement 
des   affaires   de   l'église,    des    règlements   cou- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  99 

cernant  le  culte,  que  lui  et  les  autres  frères 
recommandaient  et  pressaient  d'adopter.  Là- 
. dessus  ils  prétendaient  leur  appliquer  les  re- 
proches que  les  nonconformistes  faisaient  avec 
tant  de  raison  aux  épiscopaux,  qui  ont  employé 
la  force  pour  faire  accepter  leurs  symboles  et 
leurs  cérémonies.  Tandis  que  ces  choses  ne 
regardaient  que  les  rapports  extérieurs,  et,  si  je 
puis  m'exprimer  ainsi,  le  gouvernement  civil  de 
l'église  ;  elles  ne  tendaient  qu'à  veiller  à  ce  que 
les  membres  de  la  société  vécussent  selon  les 
principes  dont  ils  faisaient  profession,  et  con- 
tinuassent de  remplir  les  devoirs  de  la  charité. 
Mais  quoique  quelques-uns,  prévenus  par  des 
erreurs,  ou  gouvernés  par  une  obstination  dé- 
raisonable,  soient  sortis  du  bon  chemin  ;  cepen- 
dant, grâces  au  Seigneur,  la  plupart  se  sont 
réunis  en  amour  à  leurs  frères,  et  se  sont 
aperçus  des  pièges  du  malin,  qui  ne  laisse 
échapper  aucune  occasion,  pour  profiter  de  tous 
ses  avantages  pour  nuire  à  l'œuvre  du  Seigneur, 
ou  pour  y  mettre  obstacle  ;  pour  troubler  la  paix 
de  son  église,  et  pour  refroidir  l'amour  de  son 
peuple  pour  la  vérité,  et  celui  que  des  frères  se 
doivent  les  uns  aux  autres  :  et  tout  fait  espérer 
que  quelques-uns,  qui  sont  encore  éloignés  de 
l'église,  viendront  s'y  réunir. 
ii  2 


i  00  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

Dans  ces  différentes  occasions,  ce  saint  homme, 
quoiqu'il  sentit  qu'il  était  le  principal  objet  du 
ressentiment  des  mécontents,  supportait  leur  fai- 
blesse et  leur  prévention  ;  il  souffrait  leurs 
réflexions  sans  y  répondre  ;  il  excusait  le  peu 
de  fondement  et  l'amertume  de  leurs  discours  ; 
il  priait  pour  eux,  demandant  qu'ils  pussent  re- 
connaître leur  erreur  et  la  subtilité  de  l'ennemi 
commun,  qui  ne  cherche  qu'à  nuire  et  à  diviser, 
et  rentrer  dans  le  sein  de  l'amour  fraternel,  qui 
n'inspire  aucune  mauvaise  pensée. 

Et  en  effet,  je  puis  assurer  que  bien  que  Dieu 
lui  eût  donné  un  caractère  visible  de  préémin- 
ence et  d'autorité,  et  quoique  sa  présence  seule 
inspirât  un  respect  religieux,  cependant  il  n'en 
abusait  jamais  ;  mais  il  tenait  sa  place  dans 
l'église  de  Dieu  avec  une  douceur,  une  humilité, 
et  une  modération  qui  lui  gagnaient  les  cœurs. 
Car  toutes  les  fois  que  l'occasion  s'en  présentait, 
il  se  rendait,  à  l'exemple  de  son  divin  Maître,  le 
serviteur  de  tous  les  autres,  et  il  n'exerçait  son 
autorité,  en  qualité  d'ancien,  que  selon  le  pou- 
voir invisible  qui  les  avait  rassemblés,  en  révérant 
le  Chef,  et  en  veillant  soigneusement  sur  le  corps. 
Et  il  était  reçu  seulement,  selon  l'esprit  et  la 
puissance  de  Christ,  comme  le  premier  et  le  chef 
des   anciens  de  son  tems,   digne   d'un   double 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  101 

honneur  ;  et  les  fidèles  étaient  disposés  à  le  lui 
rendre,  parceque  son  autorité  était  intérieure,  et 
non  extérieure,  parcequ'il  l'avait  acquise  et  la 
conservait,  par  l'amour  de  Dieu,  et  par  la  puis- 
sance de  la  vie  impérissable.  Je  n'écris  point 
par  ouï-dire,  mais  d'après  ma  propre  connais- 
sance, et  mon  témoignage  est  vrai.  Car  j'ai,  à 
différentes  époques,  passé  des  semaines  et  même 
des  mois  entiers  avec  lui,  dans  des  tems  d'épreuve 
et  dans  des  circonstances  très  pénibles,  et  cela 
de  jour  et  de  nuit,  par  terre  et  par  mer,  en  An- 
gleterre et  dans  les  pays  étrangers  ;  et  je  puis 
dire  que  je  ne  l'ai  jamais  vu  manquant  à  son 
devoir,  ni  découragé  par  les  difficultés,  en 
quelque  occasion  que  ce  fût  Car  en  toutes 
choses  il  se  montrait  homme,  j'entends  homme 
fort,  nouvel  homme,  et  plein  de  l'esprit  divin  ; 
théologien  et  naturaliste,  qualités  qu'il  avait 
reçues  de  la  main  toute-puissante  de  Dieu. 
J'ai  souvent  admiré  ses  questions  et  ses  réponses 
dans  les  choses  qui  sont  du  ressort  de  la  nature. 
Quoiqu'ignorant  la  science  trompeuse  des  so- 
phismes,  il  possédait  les  principes  de  toute 
science  utile  et  recommendable,  et  il  l'accueil- 
lait partout  où  il  la  trouvait.  Il  avait  dans  ses 
manières  une  politesse  supérieure  à  toutes  les 
cérémonies  en   usage  dans  le  monde  ;  il  était 


102  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    E.4 

d'une  tempérance  admirable,  et  quoique  replet, 
il  mangeait  peu,  et  dormait  encore  moins. 

C'est  ainsi  qu'il  a  vécu  tant  qu'il  a  demeuré 
parmi  nous,  et  il  est  mort  comme  il  avait  vécu,  se 
sentant  jusqu'au  dernier  moment  animé  du  même 
pouvoir  éternel  qui  l'avait  élevé  et  conservé  ;  si 
plein  d'assurance  qu'il  triompha  de  la  mort 
même  :  conservant  toujours  la  même  égalité 
d'esprit,  comme  si  la  mort  n'eût  pas  mérité  qu'il 
y  fit  attention,  ou  qu'il  en  parlât  ;  recommand- 
ant à  quelques-uns  de  nous  qui  se  trouvaient 
présens,  d'expédier  et  de  répandre  une  épître 
qu'il  avait  depuis  peu  adressée  aux  églises  de 
Jésus-Christ  par  toute  la  terre,  ainsi  que  ses 
livres  ;  mais  de  tous  nos  amis  ne  nous  en  recom- 
mandant point  plus  particulièrement,  que  ceux 
d'Irlande  et  d'Amérique,  répétant  deux  fois  : 
Ayez  soin  de  nos  pauvres  amis  d'Irlande  et 
d'Amérique. 

Il  répondit  à  quelques-uns  qui  entrèrent  pour 
demander  comment  il  se  trouvait  :  Ne  soyez 
point  inquiets,  la  puissance  du  Seigneur  est  au- 
dessus  de  toute  faiblesse, — au-dessus  de  la  mort 
même  ;  la  Semence  règne,  béni  soit  le  Seigneur. 
Ceci  se  passa  quatre  ou  cinq  heures  avant  que 
le  Seigneur  le  retirât  de  ce  monde.  Il  assista  à 
la  grande  assemblée  près  de  Lombard-street,  le 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  103 

premier  jour  de  la  semaine  ;  et  ce  fut  le  troisième 
jour,  vers  dix  heures  du  soir,  que  nous  le  per- 
dîmes; il  mourut  chez  Henri  Goldney,  dans  la 
même  cour.  Il  eut  une  très  belle  vieillesse,  et 
le  bonheur  de  vivre  assez  pour  voir  plusieurs 
générations  des  enfans  de  ses  enfans,  vivants 
selon  l'esprit  de  la  vérité.  Il  eut  aussi  la  con- 
solation de  n'être  pas  malade  longtems,  et  de 
conserver  sa  pleine  connaissance  jusqu'au  der- 
nier moment  ;  et  nous  pouvons  dire  avec  un 
homme  de  Dieu  du  tems  passé,  que  quoique 
mort,  -il  parle  encore  ;  que  quoique  absent  de 
corps,  il  est  présent  en  esprit.  Car  il  n'y  a  ni 
lieu,  ni  tems  qui  puissent  interrompre  la  com- 
munion des  saints,  ou  détruire  l'union  spirituelle 
des  justes.  Ses  œuvres  sont  à  sa  louange  ; 
parcequ'elles  sont  à  la  louange  de  Celui  dont  il 
était  l'instrument;  c'est  pourquoi  sa  mémoire 
est  et  sera  bénie.  Je  terminerai  ici  cette  partie 
de  ma  préface  par  cette  courte  inscription  à  sa 
mémoire  :  De  nos  jours  plusieurs  enfans  de 
Dieu  ont  cultivé  la  vertu,  mais,  mon  cher 
George,  tu  les  as  surpassés  tous. 


104  ORIGINE    ET    FORMATION    DE   LA 


CHAPITRE     VI. 


Contenant  cinq  différentes  exhortations  :  la  première  est 
une  exhortation  générale,  tendant  à  rappeler  à  notre 
société  son  intégrité  et  sa  simplicité  primitives;  la  se- 
conde s'adresse  plus  particulièrement  à  ses  ministres  ; 
la  troisième,  aux  nouveaux  convertis;  la  quatrième 
aux  enfans  des  membres  de  la  société  ;  et  enfin  la 
cinquième  à  ceux  qui  ne  connaissent  point  encore  ce 
peuple  et  ses  pratiques,  et  entre  les  mains  de  qui  ce 
livre  peut  tomber,  ainsi  que  celui  auquel  il  servait  de 
préface,  la  première  fois  qu'il  a  paru.  Ces  différentes 
exhortations  sont  adaptées  à  l'état  et  à  la  condition  de 
ceux  à  qui  elles  s'adressent,  afin  que  tous  puissent  at- 
teindre le  double  objet,  de  la  gloire  de  Dieu,  et  de  leur 
propre  salut. 

Maintenant,  mes  amis,  vous  qui  faites  pro- 
fession de  marcher  dans  la  voie  que  ce  saint 
homme  a  été  envoyé  pour  nous  montrer,  je  vous 
prie,  tous  tant  que  vous  êtes,  pères  et  enfans, 
anciens  et  jeunes  gens,  ne  refusez  point  quelques 
mots  d'exhortation.  La  gloire  de  ce  grand  jour, 
et  le  fondement  de  l'espérance  qui  ne  nous  a  point 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  105 

confondus  depuis  que  nous  formons  une  société, 
est,  vous  le  savez,  ce  divin  principe  de  lumière 
et  de  vie  venant  de  Jésus-Christ,  ce  principe 
dont  nous  faisons  profession,  et  vers  lequel  nous 
dirigeons  tous  les  hommes  ;  le  regardant  comme 
l'agent  divin,  et  le  grand  instrument  par  lequel 
ils  sont  convertis  à  Dieu.  C'est  par  ce  principe 
que  nous  avons  été  touchés  au  commencement, 
et  efficacement  éclairés  quant  à  notre  état  in- 
térieur; c'est  lui  qui  nous  a  fait  songer  à  notre 
fin  dernière,  fixant  nos  yeux  vers  le  Seigneur, 
que  nous  en  puissions  avoir  un  cœur  sage. 
Nous  n'avons  point  alors  jugé  suivant  le  rap- 
port de  nos  yeux,  ou  de  nos  oreilles  ;  mais  c'est 
d'après  la  lumière  et  le  sentiment  qui  nous 
venait  de  ce  divin  principe,  que  nous  avons  jugé 
des  choses  et  des  personnes,  de  nous-mêmes  et 
d'autrui,  et  même  de  Dieu  notre  Créateur.  Car, 
illuminés  par  ce  principe  au-dedans  de  nous- 
mêmes,  nous  pouvions  aisément  apercevoir  la 
différence  des  choses,  et  sentir  ce  qui  était  bien, 
et  ce  qui  était  mal,  ce  qui  était  à  propos,  et  ce 
qui  ne  l'était  pas,  tant  en  matière  de  religion, 
que  pour  ce  qui  regardait  les  affaires  civiles.  Or 
comme  c'est-là  le  principe  de  la  communion  de 
tous  les  saints,  c'était  en  quoi  consistait  la  nôtre. 
C'est  suivant  ce  principe    que   nous    désirions 


106  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

nous  connaître  réciproquement,  que  nous  agis- 
sions les  uns  envers  les  autres,  et  aussi  envers 
les  autres  hommes,  en  amour,  en  fidélité,  et  en 
crainte. 

Lorsque  nos  cœurs  éprouvaient  les  premières 
impressions  et  les  premiers  mouvements  de  ce 
principe,  nous  nous  approchions  du  Seigneur,  et 
attendions  qu'étant  préparés  par  lui,  nous  nous 
sentissions  attirés  et  émus,  avant  de  prier  pub- 
liquement, ou  d'ouvrir  la  bouche  pour  exercer 
son  ministère.  Notre  consolation,  notre  service, 
et  l'édification  qui  en  résultait,  consistait  à  com- 
mencer et  à  finir  par  là.  Lorsque  nous  voulions 
aller  plus  Vite,  ou  que  nous  omettions  une  partie 
de  notre  service,  nous  étions  sûrs  de  nous  charger 
d'un  pesant  fardeau,  nous  trouvions  au  dedans 
de  nous  des  reproches  au  lieu  d'approbation  ;  au 
lieu  d'entendre  ces  paroles,  Cela  va  bien  ;  une 
voix  secrète  nous  disait,  Qui  vous  a  demandé 
cela  ?  Alors  nous  étions  un  peuple  exercé,  notre 
contenance  et  tous  nos  mouvements  l'annoni- 
çaient. 

Nous  ne  nous  bornions  donc  point  alors  à 
veiller  sur  nous-mêmes,  nous  croyions  devoir  des 
soins  aux  autres,  et  surtout  aux  nouveaux  con- 
vertis. Nous  sentions  souvent  en  nous  la  mission 
de  la  parole  du  Seigneur,  et  quelque  chose  qui 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  107 

nous  portait  à  la  manifester  à  nos  voisins,  à  nos 
parents,  et  à  nos  connaissances  ;  quelquefois 
même  à  des  étrangers.  Nous  avions  à  cœur  la 
conservation  les  uns  des  autres  ;  ne  cherchant 
pas,  mais  plutôt  évitant,  ce  qui  pouvait  produire 
de  la  froideur  ou  quelque  mal-entendu  ;  nous 
comportant  entre  nous  comme  des  gens  qui 
croyaient  et  sentaient  que  Dieu  était  présent  ; 
et  cela  rendait  notre  commerce  innocent,  sérieux, 
et  solide  :  nous  nous  gardions  des  soins  et  des 
liaisons  du  monde;  nous  maintenions  la  vérité 
selon  son  Esprit,  et  non  pas  selon  notre  esprit, 
ni  d'après  notre  volonté  et  nos  affections,  qui 
étaient  pliées  et  dans  un  état  d'assujettissement, 
ce  dont  il  était  aisé  à  ceux  qui  nous  con- 
naissaient de  s'apercevoir.  Nous  ne  croyions 
point  avoir  droit  de  disposer  de  nous-mêmes, 
d'aller  ça  et  là,  à  notre  gré  ;  de  parler  et  d'agir 
de  même,  en  choisissant  notre  propre  tems. 
Notre  liberté  consistait  dans  la  liberté  de  l'Esprit 
de  vérité,  et  il  n'y  avait  ni  plaisir,  ni  profit,  ni 
crainte,  ni  faveur,  qui  pût  nous  faire  quitter  cet 
état  retiré,  solide,  et  vigilant.  Nous  étions  si 
éloignés  de  rechercher  la  société,  que  nous  l'évi- 
tions autant  que  nous  pouvions  ;  poussant  nos 
propres  affaires  avec  modération,  au  lieu  de  nous 
mêler  sans  besoin  de  celles  d'autrui. 


108  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

Nos  discours  abondaient  en  sens,  non  en 
paroles  ;  notre  air  était  composé  et  grave,  et 
toute  notre  manière  d'être  était  d'une  gravité 
remarquable.  Il  est  vrai  que  ce  genre  de  vie 
retirée  et  sévère,  comparé  à  la  liberté  qui  règne 
dans  les  conversations  du  monde,  nous  exposait 
à  la  censure  de  plusieurs  qui  nous  traitaient  de 
gens  bourrus,  singuliers,  et  persuadés  de  leur 
propre  justice,  &c.  Mais  cela  nous  gardait  de 
bien  des  pièges  auxquels  étaient  continuellement 
exposés,  par  la  convoitise  des  yeux,  par  la  con- 
voitise de  la  chair,  et  par  la  vanité  du  monde,  tant 
d'autres  qui  ne  manquaient  ni  d'occasions  ni  de 
tentations,  pour  les  attirer  au  dehors,  et  les  en- 
traîner dans  le  monde. 

Je  ne  puis  oublier  l'humilité  et  le  zèle  de  ce 
tems  là.  Combien  alors  on  était  exact,  à  se 
trouver  aux  congrégations  !  avec  quel  recueille- 
ment on  y  assistait  !  avec  quelle  fermeté  on  était 
attaché  à  la  vie  de  la  vérité,  aussi  bien  qu'aux 
principes  de  la  vérité  !  combien  nous  étions 
entiers  et  unis  dans  notre  communion;  et  c'est 
ainsi  en  effet  que  doivent  l'être,  ceux  qui  recon- 
naissent pour  chef  le  Seigneur  Jésus-Christ. 

Tel  est  le  témoignage  et  l'exemple  que  l'homme 
de  Dieu,  dont  j'ai  parlé  ci-dessus,  eut  mission 
de   nous   annoncer  et  de   laisser   parmi    nous. 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  109 

Nous  l'avons  embrassé  comme  la  Visitation  misé- 
ricordieuse de  Dieu  ;  et  la  parole  d'exhortation 
en  ce  jour  est  que  nous  continuions  de  marcher 
dans  la  voie  de  ce  témoignage,  en  tout  zèle  et 
toute  intégrité,  et  avec  d'autant  plus  d'ardeur 
que  le  jour  approche  davantage. 

C'est  à  vous  que  je  m'adresse  d'abord,  mes 
frères  bien-aimés  et  honorés  en  Jésus-Christ,  à 
vous  qui  exercez  le  ministère.  Sentez  la  vie  de 
Dieu  au  dedans  de  vous-mêmes,  en  exerçant  ce 
saint  ministère.  Que  la  vie  soit  toujours  le 
signal  de  votre  mission,  la  source  et  le  trésor  où 
vous  puisez  dans  ces  occasions,  sans  quoi  vous 
savez  que  vous  ne  pouvez  engendrer  à  Dieu, 
d'autant  que  rien  ne  peut  régénérer  les  hommes, 
et  les  faire  vivre  en  Dieu,  que  la  vie  de  Dieu, 
et  qu'un  ministère  qui  vivifie  les  hommes  en  Dieu 
doit  être  de  la  vie  et  en  la  vie.  Nous  avons  vu 
les  fruits  des  autres  ministères,  par  le  petit 
nombre  de  ceux  à  qui  ils  ont  fait  abandonner  la 
voie  du  péché.  Ce  ne  sont  point  nos  talens  ni 
notre  mémoire,  ce  n'est  point  de  raconter,  quand 
et  comme  il  nous  plaira,  les  choses  qui  nous  ont 
été  révélées,  qui  fera  l'œuvre  du  Seigneur.  Un 
ministère  qui  ne  fait  qu'expliquer  sèchement  la 
doctrine,  quelque  solide  qu'il  soit  dans  ses  pa- 
roles, n'atteint  pas  plus  avant  que  les  oreilles, 


110  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

et  n'est  après  tout  qu'un  beau  rêve  ;  mais  il  est 
une  autre  solidité,  la  solidité  même,  c'est  Christ, 
la  puissance  de  Dieu.  C'est  la  clef  de  David 
qui  ouvre,  et  nul  ne  peut  fermer;  qui  ferme,  et 
nul  ne  peut  ouvrir;  et  cette  solidité  est  à  la 
meilleure  des  paroles  ce  qu'est  l'huile  à  la  lampe, 
et  l'âme  au  corps,  et  c'est  ce  qui  fît  dire  à  Jésus- 
Christ,  "  Mes  paroles  sont  esprit  et  vie  ;"  c'est- 
à-dire,  elles  viennent  de  la  vie  même,  c'est 
pourquoi  elles  vous  font  vivre,  vous  qui  les 
recevez.  Si  les  disciples  qui  avaient  vécu  avec 
Jésus-Christ  durent  rester  à  Jérusalem,  jusqu'à 
ce  qu'ils  l'eussent  reçue  ;  à  plus  forte  raison 
devons  nous  attendre  que  nous  l'ayons  reçue, 
avant  d'exercer  le  ministère,  si  nous  voulons 
convertir  les  hommes  des  ténèbres  à  la  lumière, 
et  de  la  puissance  de  Satan  à  Dieu. 

Je  prie  ardemment  et  en  toute  humilité  Dieu, 
le  Père  de  notre  Seigneur  Jésus-Christ,  que 
vous  ayez  toujours  les  mêmes  sentiments,  que 
vous  attendiez  toujours  avec  révérence  la  venue 
et  la  révélation  de  la  parole  de  vie,  que  vous 
suiviez  toujours  ses  mouvements  dans  votre  mi- 
nistère et  dans  vos  fonctions,  afin  de  servir  Dieu 
selon  son  Esprit.  Soit  que  vous  disiez  peu  ou 
beaucoup,  ce  que  vous  direz  sera  toujours  bien  ; 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  111 

car  beaucoup  ne  sera  jamais  trop,  ni  peu  trop 
peu,  pourvu  que  vous  agissiez  d'après  le  mouve- 
ment de  l'Esprit  de  Dieu  :  sans  quoi,  il  n'en 
faut  pas  douter,  let  moins  du  monde  sera  trop, 
parcequ'il  ne  portera  pas  profit. 

Car  c'est  l'Esprit  de  Dieu  qui,  immédiate- 
ment, ou  par  le  ministère  de  ses  serviteurs,  en- 
seigne à  son  peuple  à  profiter  des  instructions  ; 
et  assurément  ce  n'est  qu'autant  que  nous  le 
prenons  avec  nous  pour  nous  diriger  dans  notre 
service,  que  nous  sommes  des  serviteurs  utiles, 
et  sans  cela  il  n'en  est  rien  ;  car  s'il  faut  que  le 
Seigneur  mette  toutes  choses  en  mouvement  au 
dedans  de  nous,  pour  que  nous  puissions  être 
sauvés  nous-mêmes,  à  plus  forte  raison  son 
opération  est  elle  indispensable  pour  que  nous 
puissions  convertir  les  autres.  Si  donc  ce  nous 
était  autrefois  une  croix  de  parler,  quoique  le 
Seigneur  nous  y  sollicitât  ;  que  ce  ne  nous  en 
soit  jamais  une  de  garder  le  silence,  lorsqu'il  ne 
nous  meut  pas  à  parler. 

Une  des  menaces  les  plus  terribles  du  livre 
de  Dieu,  c'est  l'endroit  où  il  dit,  "Que  celui  qui 
"  ajoutera  aux  paroles  de  la  prophétie  de  ce 
"  livre,  Dieu  fera  tomber  sur  lui  les  plaies  écrites 
"  dans  ce  livre."  Il  n'est  pas  moins  terrible  de 
refuser  de  parler  quand  Dieu  nous  le  conseille, 


112  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

M  Car  celui  qui  retranchera  quelque  chose  des 
"  paroles  du  livre  de  cette  prophétie,  Dieu  lui 
"  enlèvera  la  part  qu'il  a  dans  le  livre  de  vie." 
Et  véritablement  c'est  une  chose  à  laquelle  on  ne 
saurait  trop  prendre  garde  ;  ceux  qui  se  servent 
du  nom  du  Seigneur,  doivent  avoir  soin  de 
s'assurer  si  véritablement  le  Seigneur  parle  ;  de 
peur  de  se  trouver  du  nombre  de  ceux  qui 
ajoutent  aux  paroles  du  témoignage  de  la  pro- 
phétie que  le  Seigneur  les  charge  d'annoncer  ;  et 
de  peur  d'en  rien  retrancher  ou  diminuer,  puisque 
l'un  et  l'autre  offensent  tellement  le  Seigneur. 

C'est  pourquoi  ayons  bien  soin,  mes  frères, 
de  ne  point  devancer  notre  guide,  et  de  ne  pas 
non  plus  rester  en  arrière;  puisque  celui  qui  se 
presse  trop,  court  le  risque  de  perdre  son  chemin, 
et  que  celui  qui  reste  en  arrière  peut  perdre  de 
vue  son  guide.  Car  ceux  même  qui  ont  reçu 
la  parole  du  Seigneur,  doivent  attendre  la 
sagesse  pour  diviser  la  parole  à  propos  ;  c'est-à- 
dire  qu'il  est  très  possible  que  quelqu'un  qui  a 
reçu  la  parole,  se  méprenne  quand  il  s'agit  de  la 
diviser,  et  d'en  faire  l'application.  Ce  qui  doit 
venir  d'une  impatience  d'esprit  et  du  désir  de 
travailler  par  soi-même,  d'où  résulte  un  mauvais 
et  dangereux  mélange  ;  et  l'on  peut  à  peine, 
en   agissant   ainsi,  produire   à   Dieu   un  peuple 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  113 

d'esprit    droit,    et    qui     possède    véritablement 
la  vie. 

C'est  un  point  auquel  je  m'attache  par  dessus 
tout,  pour  ceux  de  nos  frères  qui  exercent  pub- 
liquement le  ministère  ;  sachant  bien  de  quelle 
importance  il  est,  pour  l'état  présent  et  à  venir, 
et  pour  la  conservation  de  l'église  de  Jésus- 
Christ,  rassemblée  et  bâtie  par  un  ministère 
rempli  de  vie  et  de  pouvoir,  que  le  ministère 
s'entretienne,  se  conserve,  et  se  continue,  en 
recevant  de  tems  à  autre  les  manifestations,  les 
mouvemens,  et  les  secours  répétés  de  cette  même 
vie,  et  de  ce  même  pouvoir. 

Toutes  les  fois  qu'il  paraît  que  certains  font 
plutôt  usage  de  leurs  talens  et  des  dons  qu'ils  ont 
reçus,  en  administrant  la  parole,  qu'ils  ne  parlent 
d'après  la  lumière  et  le  pouvoir  d'en  haut, 
quoique  leur  entendement  soit  éclairé  et  qu'ils 
connaissent  la  bonne  doctrine,  il  faudra  les  en 
avertir  à  tems,  pour  leur  propre  intérêt.  Ils 
en  viendraient  insensiblement  à  se  fier  en- 
tièrement à  leurs  propres  lumières,  et  à  quitter 
Jésus-Christ  qui  est  la  vraie  fontaine  vive,  pour 
puiser  à  des  citernes  qui  ne  contiendraient  point 
des  eaux  vives  ;  et  parcequ'ensuite  ils  en  vien- 
draient peu  à  peu  à  détourner  leurs  frères  d'at- 
tendre en  eux-mêmes  le  don  de  Dieu,  et  de  le 
i 


114  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

sentir  dans  les  cœurs  des  autres  pour  en  être 
fortifiés  et  consolés.  Ils  les  attireraient  à  eux, 
et  leur  feraient  quitter  Dieu  pour  retourner  à 
l'homme;  et  ils  feraient  ainsi  naufrage  quant  à 
la  foi  jadis  donnée  aux  saints,  et  quant  à  la 
pureté  de  la  conscience  à  l'égard  de  Dieu,  qu'il 
est  impossible  de  conserver  sans  le  don  divin  de 
la  vie,  par  lequel  l'une  avait  été  engendrée  au 
commencement,  et  l'autre  ranimée  et  sanctifiée. 

Il  ne  nous  suffit  point  d'avoir  connu  le  don 
divin,  d'avoir  par  ce  moyen  atteint  les  esprits 
qui  sont  dans  la  prison,  et  d'avoir  été  les  instru- 
mens  par  lesquels  d'autres  ont  été  convertis  à 
Dieu,  si  nous  ne  nous  conservons  aussi  humbles 
et  aussi  pauvres  en  nous-mêmes  qu'auparavant, 
et  dans  la  même  dépendance  envers  le  Seigneur. 
D'autant  que  ni  le  souvenir,  ni  la  répétition  des 
découvertes,  des  révélations,  et  des  jouissances 
que  nous  avons  éprouvées  antérieurement,  ne 
sauraient  ramener  une  âme  à  Dieu,  ni  donner 
le  pain  à  ceux  qui  ont  faim,  ni  l'eau  à  ceux  qui 
ont  soif,  à  moins  que  la  vie  n'accompagne  ce  que 
nous  disons:  or  c'est  ce  qu'il  est  de  notre  devoir 
d'attendre. 

Puissions  nous  n'avoir  point  d'autre  source, 
d'autre  trésor,  ni  d'autre  appui  !  Que  nul  n'ose  en 
aucune  circonstance  agir  de  son  propre  mouve- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  115 

ment  pour  Dieu,  parceque depuis  longtems  il  a  agi 
par  le  mouvement  de  Dieu.  Ne  nous  dispensons 
point  d'attendre  le  Seigneur;  ne  croyons  point 
pouvoir  y  suppléer  par  notre  propre  sagesse,  et 
ne  nous  imaginons  point  pouvoir  apporter  moins 
de  soin,  et  prendre  en  parlant  plus  de  liberté 
qu'auparavant  ;  enfin  lorsque  nous  ne  sentirons 
pas  la  puissance  du  Seigneur  agir  au  dedans  de 
nous,  et  nous  inspirer,  quelle  que  soit  l'attente 
du  peuple, quel  que  soit  notre  caractère  ordinaire, 
enfin  quelque  accoutumés  que  nous  soyons  à  re- 
cevoir ses  secours,  ne  passons  point  les  bornes  et 
ne  cherchons  point  à  remplir  ce  vide  par  des 
choses  venant  de  nous. 

Nous  n'oublierons  jamais,  je  l'espère,  qui 
était  Celui  qui  a  dit,  "  Hors  de  moi  vous  ne 
pouvez  rien  faire  ;"  lui  seul  peut  nous  donner  la 
capacité.  Car  si  nous  ne  devons  point  avoir 
recours  à  nos  propres  paroles,  et  chercher  en  nous- 
mêmes  ce  que  nous  devons  dire  pour  nous  dé- 
fendre, lorsque  nous  sommes  attaqués  concernant 
notre  témoignage,  nous  devons  bien  moins  en- 
core employer  ce  moyen,  et  être  en  peine  de  ce 
que  nous  dirons,  dans  notre  témoignage,  et  dans 
l'exercice  de  notre  ministère  au  nom  du  Seigneur, 
et  pour  l'édification  du  peuple  ;  car  c'est  alors 
plus  que  jamais  que  doit  s'accomplir  en  nous  ce 
i  2 


116  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

passage,  "  Ce  n'est  pas  vous  qui  parlez,  mais 
"  c'est  l'esprit  de  mon  Père  qui  parle  en  vous." 
Car  le  ministère  de  l'Esprit  doit  conserver,  et 
conserve  réellement,  son  analogie  et  son  union 
avec  la  naissance  de  l'Esprit  ;  car  comme  aucun 
ne  peut  hériter  le  royaume  de  Dieu  s'il  n'est  né 
de  l'Esprit,  de  même  aucun  ministère  ne  saurait 
engendrer  une  âme  à  Dieu,  si  ce  n'est  celui  qui 
dérive  de  l'Esprit.  Et,  comme  je  l'ai  dit  plus 
haut,  c'était  cet  Esprit  que  les  disciples  atten- 
daient avant  d'aller  prêcher;  et  c'est  selon  cet 
Esprit  que,  de  nos  jours,  nos  anciens,  et  ceux 
d'entre  nos  frères  qui  annonçaient  la  parole  de 
Dieu,  attendaient,  nous  visitaient,  et  se  faisaient 
entendre  à  nous  ;  ainsi  donc,  ayant  com- 
mencé par  l'Esprit,  qu'aucun  de  nous  n'espère 
ni  ne  désire  d'être  rendu  parfait  selon  la  chair. 
Quelle  comparaison  y-a-t-il  en  effet  entre  la  chair 
et  l'esprit,  entre  la  paille  et  le  froment  ?  Si  nous 
persévérons  dans  l'esprit,  nous  conserverons 
l'unité  de  l'Esprit,  ce  qui  est  le  fondement  de  la 
vraie  communion.  Car  en  buvant  tous  de  ce 
même  esprit,  nous  devenons  un  seul  peuple  en 
Dieu,  et  par  là,  nous  nous  conservons  dans 
l'unité  de  foi,  et  dans  le  lien  de  la  paix.  Ni 
envie,  ni  amertume,  ni  querelles,  ne  peuvent 
naître  parmi  nous.     Nous  veillerons  toujours  les 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  117 

uns  sur  les  autres,  pour  le  bien  de  nos  amis,  et 
non  pour  leur  mal  ;  et  bien  loin  de  porter  envie 
à  nos  amis,  lorsque  nous  les  verrons  doués  plus 
abondamment  des  dons  de  la  grâce,  que  le  Sei- 
gneur prodigue  à  ses  fidèles  serviteurs,  nous  en 
serons  pleins  de  joie. 

Mes  frères,  comme  c'est  à  vous  qu'es  confiée 
la  dispensation  des  oracles  de  Dieu  ;  ce  qui 
vous  procure  maintes  occasions  favorables  d'être 
utiles,  et  vous  donne  beaucoup  de  poids  parmi 
ceux  chez  qui  vous  voyagez  ;  ne  croyez  point,  je 
vous  prie,  qu'il  suffise  de  déclarer  la  parole  de 
Dieu  dans  les  assemblées,  quelque  édifiant  et 
consolant  que  cela  soit  pour  vos  auditeurs,  ainsi 
que  pour  vous  ;  mais,  imitant  la  pratique  que 
suivait  en  général  l'homme  de  Dieu  dont  j'ai 
parlé  plus  haut,  lorsqu'il  était  parmi  nous,  in- 
formez-vous de  l'état  des  différentes  églises  que 
vous  visitez,  tâchez  de  savoir  s'il  y  a  quelques- 
uns  de  leurs  membres  qui  soient  malades  ou 
dans  l'affliction,  s'il  y  en  a  qui  soient  tentés,  enfin 
s'il  y  en  a  d'incrédules  ou  d'endurcis  ;  et  faites  en 
sorte  de  remédier  à  ces  choses,  selon  la  sagesse 
et  la  puissance  de  Dieu,  et  ce  sera  couronner 
glorieusement  votre  ministère.  Car  leurs  cœurs 
vous  étant  naturellement  ouverts,  puisqu'ils  vous 
reçoivent  comme  des  hommes  de  Dieu,  vous  ne 


118  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

ferez  qu'augmenter  la  bonne  opinion  qu'ils  ont 
déjà  de  vous,  en  leur  faisant  du  bien  à  d'autres 
égards,  par  vos  bons  conseils  ;  vous  consolerez 
les  affligés,  vous  fortifierez  ceux  qui  sont  tentés, 
vous  soulagerez  les  malades,  vous  convaincrez 
et  ramènerez  les  incrédules,  vous  adoucirez  les 
endurcis,  et  les  préparerez  à  être  reconciliés  ; 
par  là,  vous  confirmerez  le  témoignage  général, 
et  y  redonnerez  une  nouvelle  force,  en  appli- 
quant ainsi  vos  soins  à  différentes  branches,  par 
rapport  à  ceux  qui  y  sont  plus  particulièrement 
intéressés. 

Car  quoiqu'il  puisse  y  avoir  en  résidence  sur 
les  lieux-mèmes,  des  gens  bons  et  sages,  et 
même  des  anciens,  qui  en  général  sont  des  per- 
sonnages de  mérite  et  de  poids,  et  même  estimés 
dans  d'autres  endroits  ;  cependant  il  ne  s'ensuit 
pas  pour  cela  que  ceux  parmi  lesquels  ils 
demeurent  mettent  en  eux  toute  la  confiance 
qu'ils  méritent,  et  il  peut  y  avoir  quelque  cir- 
constance particulière  qui  les  empêche  d'exercer 
cette  espèce  d'autorité.  Mais  vous,  qui  voyagez 
comme  envoyés  de  Dieu,  s'ils  vous  donnent 
leur  confiance  pour  un  objet  si  important,  vous 
la  refuseront-ils  pour  un  moindre  ?  et  s'ils 
admettent  le  témoignage  général,  pourront-ils 
s'opposer  à  ce  que  vous  en  fassiez  l'application 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  119 

particulière  aux  différentes  circonstances  où  ils 
se  trouvent?  C'est  ainsi  que  vous  vous  mon- 
trerez vraiment  ouvriers,  et  que  vous  ferez 
marcher  vos  œuvres  devant  vous,  à  la  gloire  du 
nom  de  celui  qui  vous  a  appelés  des  ténèbres  à  la 
lumière,  afin  qu'affranchissant  les  autres  du 
pouvoir  de  Satan,  vous  les  ramenassiez  à  Dieu, 
et  à  son  royaume  qui  est  au  dedans.  Combien 
il  serait  à  désirer  qu'il  y  eût  un  plus  grand 
nombre  d'ouvriers  si  fidèles,  dans  la  vigne  du 
Seigneur!  Jamais,  depuis  le  jour  du  Seigneur, 
le  besoin  n'en  fut  plus  grand. 

C'est  pourquoi  je  crois  devoir  vous  crier  avec 
force  :  O  vous  qui  depuis  longtems  professez  la 
vérité  ;  vous  qui  la  connaissez  par  sa  puissance 
énergique,  et  dont  la  conduite  parmi  les  hommes 
est  exempte  de  reproche;  mais  qui,  contens  de 
connaître  la  vérité  pour  vous-mêmes,  d'aller  aux 
assemblées,  d'exercer  dans  l'église  une  charité 
ordinaire,  et  de  vous  conduire  honnêtement 
parmi  les  hommes,  vous  bornez  à  cela;  vous 
qui,  au  fond  de  vos  âmes,  ne  prenez  guères 
d'autre  intérêt  à  la  gloire  du  Seigneur,  et  à  la 
propagation  de  sa  vérité  sur  la  terre,  qu'en  vous 
réjouissant  des  succès  qu'ont  les  autres  dans  ce 
ministère.  Levez-vous  au  nom  et  en  la  puissance 
du  Seigneur  Jésus.     Voyez   comme  chez  cette 


120  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

nation,  ainsi  que  chez  les  autres,  les  campagnes 
sont  blanches  et  bonnes  à  moissonner,  voyez 
combien  sont  rares  les  ouvriers  fidèles,  et  ca- 
pables de  travailler  à  la  moisson  !  Vos  compa- 
triotes, vos  voisins,  vos  parens  désirent  de  con- 
naître le  Seigneur  et  sa  vérité,  et  de  marcher 
dans  ses  voies.  Rien  chez  vous  ne  vous  parle-t-il 
donc  en  leur  faveur  ?  Examinez  vos  cœurs, 
cherchez  et  ne  perdez  point  de  tems,  je  vous  en 
prie,  car  le  Seigneur  est  près. 

Je  ne  vous  juge  point;  mais  il  en  est  un  qui 
juge  tous  les  hommes,  et  son  jugement  est  vrai. 
Vous  avez  acquis  des  richesses  temporelles  ; 
puissent  vos  richesses  intérieures  augmenter  dans 
la  même  proportion  !  puissiez  vous  bien  user  de 
ce  double  avantage,  tandis  qu'il  est  en  votre 
pouvoir  d'opérer  le  bien.  Vos  ennemis  auraient 
bien  voulu  naguères  vous  ôter  ce  que  vous  aviez, 
pour  l'amour  de  celui  en  qui  vous  croyiez  ;  c'est 
pourquoi  il  vous  a  donné  une  part  abondante 
aux  biens  de  ce  monde  à  la  face  de  vos  ennemis. 
Mais  prenez  garde,  ayez  soin  que  le  monde  soit 
votre  esclave,  et  non  votre  maître,  faites-vous  en 
un  passe-tems,  et  non  une  affaire.  Que  vos 
regards  soient  tournés  principalement  vers  le 
Seigneur,  examinez  vos  voies,  considérez  si  Dieu 
n'a  point  d'autres  services  à  attendre  de  vous  : 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  121 

et  si  vous  vous  trouvez  en  arrière  avec  lui,  tenez- 
vous  prêts  à  recevoir  le  mot  de  commandement  ; 
ne  vous  lassez  point  de  faire  le  bien,  quand  une 
fois  vous  aurez  mis  la  main  à  la  charrue  ;  et 
vous  êtes  assurés,  si  vous  ne  vous  relâchez  point, 
de  recueillir  le  fruit  de  votre  travail  céleste  dans 
le  royaume  éternel  de  Dieu. 

Et  vous,  nouveaux  convertis,  je  vous  engage, 
je  vous  exhorte  à  attendre  le  Seigneur,  en  toute 
diligence  et  chasteté,  à  attendre  sa  manifestation 
et  sa  bienheureuse  apparition  dans  vos  cœurs  : 
ne  regardez  point  au  dehors,  mais  au  dedans. 
Que  la  liberté  d'autrui  ne  soit  point  un  piège 
pour  vous  ;  n'agissez  point  non  plus  par  imita- 
tion, mais  selon  que  vous  sentirez  et  goûterez  le 
pouvoir  de  Dieu  au  dedans  de  vous-mêmes  ;  n'en 
étouffez  point  les  premiers  mouvements  dans  vos 
âmes,  n'allez  point  non  plus,  dans  la  chaleur  de 
vos  désirs  et  de  vos  affections,  en  exagérer  les 
doux  et  saints  mouvemens.  Rappelez  vous  que 
la  voix  qui  nous  parle  en  ce  jour  est  une  voix 
dont  le  son  est  délicat  et  subtil,  qui  ne  s'entend 
point  au  milieu  du  bruit  et  des  embarras  du 
monde;  mais  qui  se  fait  entendre  distinctement 
dans  la  retraite.  Jésus  aimait  et  cherchait  la 
solitude  ;  il  se  retirait  souvent  sur  les  mon- 
tagnes, dans   les  jardins,  et  sur  le  bord  de  la 


122  ORIGINE    ET    FORMATION    DE     LA 

mer,  pour  éviter  la  foule  et  le  tumulte  ;  don- 
nant par  là  à  connaître  à  ses  disciples  qu'il 
est  bon  d'être  solitaire,  et  de  se  soustraire  aux 
embarras  du  monde.  Dans  votre  état,  vous  avez 
deux  ennemis  à  craindre, — votre  imagination,  et 
le  désir  de  la  liberté;  mais  la  vérité  simple  et 
de  pratique,  celte  vérité  vivante  et  sainte  qui 
vous  a  convaincus,  sera  votre  sauve-garde,  si 
vous  l'écoutez  au  dedans  de  vous-mêmes,  et  que 
vous  en  fassiez,  pour  ainsi  dire,  la  pierre  de 
touche  de  vos  pensées,  de  vos  inclinations,  et  de 
vos  affections,  pour  vous  assurer  par  ce  moyen 
si  elles  sont  de  Dieu,  ou  de  l'ennemi  commun, 
ou  de  vous-mêmes  ;  et  par  là,  vous  vous  con- 
serverez un  tact,  un  discernement  infaillible, 
pour  décider  des  choses  qu'il  vous  faudra  faire, 
ou  ne  pas  faire.  Et  en  continuant  de  marcher 
dans  cette  voie,  avec  diligence  et  fidélité,  vous 
parviendrez  à  hériter  de  la  substance  même  ;  et 
Jésus-Christ,  la  sagesse  éternelle,  remplira  votre 
trésor.  Lorsque  vous  serez  aussi  bien  convertis 
que  vous  êtes  convaincus,  alors  fortifiez  vos 
frères.  Tenez-vous  prêts  à  obéir  au  Seigneur, 
quelque  parole  et  quelque  œuvre  qu'il  requière 
de  vous,  afin  de  pouvoir  contribuer  à  la  gloire  de 
celui  qui  vous  a  choisis  pour  participer  avec  les 
saints,  à  la  lumière  d'un  royaume  qui  ne  saurait 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  123 

être  ébranlé,  à  un  héritage  incorruptible  dans  les 
demeures  célestes. 

Quant  à  vous  qui  êtes  les  enfans  du  peuple 
de  Dieu,  j'ai  grandement  à  cœur  votre  salut.  Je 
prie  souvent  à  genoux  le  Dieu  de  vos  pères,  et 
lui  demande  qu'il  vous  fasse  participer  à  la  vie 
divine  et  au  pouvoir  qui  sont  la  gloire  de  ce  jour  : 
afin  que  vous  soyez  une  génération  approuvée 
de  Dieu,  une  nation  sainte,  un  peuple  choisi,  et 
zélé  pour  les  bonnes  œuvres.  Jeunes  gens  de 
l'un  et  l'autre  sexe,  qu'il  ne  vous  suffise  pas 
d'être  les  enfans  du  peuple  du  Seigneur  ;  il  faut 
aussi  que  vous  soyez  régénérés,  si  vous  voulez 
hériter  le  royaume  descieux.  Vos  pères  ne  sont 
vos  pères  que  selon  la  chair,  et  n'ont  pu  vous 
engendrer  que  selon  la  ressemblance  du  premier 
Adam  ;  mais  il  faut  que  vous  soyez  régénérés 
spirituellement  à  la  ressemblance  du  second 
Adam;  sans  quoi  vous  ne  serez  ni  ne  sauriez 
être  ses  enfans.  C'est  pourquoi  ne  vous  négli- 
gez point,  q#vous  qui  êtes  les  enfans  des  enfans 
de  Dieu  !  examinez  jusqu'à  quel  point  vous 
tenez  à  cette  sainte  parenté,  à  cette  sainte 
famille,  et  combien  vous  participez  à  cette 
régénération.  Avez-vous  obéi  à  la  lumière? 
avez-vous  reçu  l'Esprit,  et  marché,  en  cet  Es- 
prit, qui  est  la  semence  incorruptible  de  la  pa- 


124  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

rôle  et  du  royaume  de  Dieu,  pour  lequel  il  faut 
que  vous  soyez  régénérés  ?  Dieu  n'a  point 
d'égard  à  l'apparence  des  personnes.  Le  père 
ne  peut  sauver  le  fils,  ni  le  fils  le  père,  et  ils 
ne  peuvent  répondre  l'un  pour  l'autre  ;  mais 
tel  qui  persiste  dans  le  péché  mourra  dans  son 
péché;  et  tel  qui,  par  Jésus-Christ,  pratique  la 
justice,  vivra  dans  la  justice.  Car  ce  sont  ceux 
qui  obéissent  volontairement,  qui  mangeront  le 
meilleur  du  pays.  Ne  vous  abusez  point  ;  Dieu 
ne  peut  être  moqué  ;  car  ce  que  les  nations  et 
les  peuples  auront  semé,  ils  le  moissonneront  aussi 
de  la  main  du  Dieu  juste;  et  alors  le  grand 
nombre  de  privilèges  considérables  que  vous 
avez  de  plus  que  les  enfans  des  autres  hommes, 
sera  ajouté  au  poids  de  la  balance  contre  vous, 
si  vous  ne  suivez  la  voie  du  Seigneur.  Car 
vous  avez  eu  ligne  après  ligne,  commandement 
après  commandement  ;  vous  avez  eu  non  seule- 
ment la  bonne  doctrine,  mais  aussi  le  bon  ex- 
emple ;  et  qui  plus  est,  on  vous  a  appris  à  voir 
et  à  connaître  au  dedans  de  vous-mêmes  un 
principe  qui  n'est  que  trop  généralement  inconnu 
aux  autres  hommes.  Vous  savez  que  vous 
pouvez  être  aussi  bons  qu'il  vous  plaira,  sans 
craindre  ni  mauvaise  humeur,  ni  coups,  sans  être 
être  chassés  de  la  maison,    ni  abandonnés  de 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  125 

père  et  de  mère,  pour  l'amour  de  Dieu  et  de  sa 
sainte  religion,  ainsi  qu'il  est  arrivé  à  quelques- 
uns  de  vos  pères,  lorsqu'ils  entrèrent  dans  cette 
sainte  voie.  Mais  vous,  si  après  avoir  appris  et 
vu  les  miracles  que  Dieu  a  opérés,  en  les  dé- 
livrant, et  les  conservant,  au  milieu  d'une  mer 
orageuse,  ainsi  que  les  bénédictions  abondantes, 
tant  spirituelles  que  temporelles,  dont  il  les  a 
comblés  à  la  vue  de  leurs  ennemis  ;  si  d'après 
cela,  dis-je,  vous  négligiez  une  si  grande  faveur, 
et  les  moyens  de  salut  qui  sont  tellement  à  votre 
portée  ;  non  seulement  vous  seriez  les  enfans 
les  plus  ingrats  envers  Dieu,  et  envers  vos  pères, 
mais  vous  devriez  vous  attendre  que  Dieu 
appellerait  les  enfans  de  ceux  qui  ne  le  con- 
naissent pas,  pour  vous  ôter  la  couronne  des 
mains,  et  que  votre  sort  serait  un  jugement  ter- 
rible de  la  part  de  Dieu.  Mais,  je  le  dis  de 
toute  mon  âme,  à  Dieu  ne  plaise  qu'il  en  soit 
ainsi  de  vous  ! 

Jettez  donc,  ô  jeunes  gens,  jettez  les  yeux 
vers  le  rocher  de  vos  pères  :  il  n'y  a  point 
d'autre  Dieu  que  lui,  point  d'autre  lumière  que 
la  sienne,  point  d'autre  grâce  que  la  sienne, 
point  d'autre  esprit  que  le  sien,  pour  vous  con- 
vaincre, pour  vous  vivifier  et  vous  consoler,  pour 
vous  conduire,  pour  vous  conserver  et  vous  gui- 


126  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

cler  au  royaume  éternel  de  Dieu.  Par  là,  non 
seulement  vous  ferez  profession  de  la  vérité,  mais 
vous  la  posséderez  ;  l'embrassant,  non  seule- 
ment par  suite  de  votre  éducation,  mais  avec 
connaissance  de  cause,  et  parceque  vous  en  êtes 
convaincus  ;  l'embrassant  par  l'effet  d'un  senti- 
ment qu'à  produit  dans  vos  âmes  l'opération  de 
l'Esprit  de  Dieu,  et  son  pouvoir  éternel.  C'est 
par  cet  Esprit  que  vous  pouvez  devenir  la  se- 
mence d'Abraham,  par  la  foi,  et  par  la  circon- 
cision faite  sans  main,  que  vous  pouvez  devenir 
les  héritiers  de  la  promesse  faite  à  nos  pères, 
c'est-à-dire  d'une  couronne  immortelle  :  afin 
que,  comme  je  l'ai  dit,  vous  puissiez  être  une 
génération  agréable  à  Dieu,  soutenant  la  pro- 
fession que  vous  faites  de  la  sainte  vérité  par  la 
vie  et  la  puissance  de  cette  même  vérité.  Car 
la  pure  formalité,  en  fait  de  religion,  est  insipide 
à  Dieu  et  aux  hommes;  et  surtout  lorsqu'une 
certaine  forme  ou  apparence  a  en  soi  quelque 
chose  de  particulier  ou  de  nouveau,  et  que  c'est 
d'après  un  principe  qu'elle  a  commencé,  et  a 
été  pratiquée  avec  un  zèle  et  une  exactitude 
extraordinaires.  C'est  pourquoi  je  dis,  que  si 
vous  deveniez  tièdes  et  formels,  et  que,  tout  en 
demeurant  dans  la  même  profession  de  foi,  vous 
restassiez  dénués  de  ce  sel  et  de  cette  saveur  qui 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  127 

lui  ont  acquis  un  bon  témoignage  parmi  les 
hommes  ;  ce  ne  serait  pas  répondre  à  l'amour  de 
Dieu,  aux  bons  soins  de  vos  parens,  ni  à  la 
lumière  de  la  vérité  qui  est  en  vous,  et  en  ceux 
qui  sont  encore  dehors;  et  qui,  tout  en  refusant 
d'obéir  à  la  vérité,  ont  assez  de  sens  et  d'assez 
bons  yeux  pour  voir  si  ceux  qui  la  professent 
lui  obéissent.  Car  lorsque  l'on  ne  sent  pas  sa 
vertu  divine  dans  son  âme,  lorsqu'on  ne  l'attend 
point,  et  que  l'on  ne  vit  point  en  elle, — les  im- 
perfections percent  bientôt,  paraissent  ouverte- 
ment, découvrent  l'infidélité  de  ceux  qui  sont 
dans  ce  cas-là,  et  font  voir  que  leur  intérieur 
n'est  point  imbu  de  la  nature  du  principe  qu'ils 
professent. 

Souffrez  donc,  mes  chers  enfans,  que  je  vous 
exhorte  à  fermer  les  yeux  aux  tentations  et  à  la 
corruption  de  ce  monde  bas  et  périssable  ;  et  à 
ne  point  laisser  captiver  vos  affections  par  la 
convoitise  et  les  vanités  que  vos  pères  ont  aban- 
données depuis  longtems,  pour  l'amour  de  la 
vérité.  Et  puisque  vous  croyez  que  c'est  là  réelle- 
ment la  vérité,  recevez-la  dans  vos  cœurs,  pour 
devenir  enfans  de  Dieu  :  afin  que  l'on  ne  puisse 
jamais  dire  de  vous,  comme  l'évangéliste  dit  des 
Juifs  de  son  tems,  que  Jésus-Christ  la  véritable 
lumière  "est  venu  chez  soi,  et  les  siens  ne  l'ont 


128  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

"  point  reçu  ;  mais  à  tous  ceux  qui  l'ont  reçu,  il 
"  leur  a  donné  le  droit  d'être  faits  enfans  de 
"  Dieu  ;  savoir  à  ceux  qui  croient  en  son  nom, 
"  lesquels  ne  sont  point  nés  de  sang,  ni  de  la 
"  volonté  de  la  chair,  ni  de  la  volonté  de  l'homme, 
"  mais  ils  sont  nés  de  Dieu  ;"  passage  qui  dit 
beaucoup,  et  s'applique  très  bien  ici.  Votre  état 
répond  parfaitement  au  portrait  que  l'apôtre 
fait  de  ces  Juifs  dont  la  religion  était  toute  ex- 
térieure, en  ce  que  vous  portez  le  nom  de  peuple 
de  Dieu,  que  vous  êtes  les  enfans,  et  avez  toutes 
les  apparences  du  peuple  de  Dieu  ;  et  l'on  peut 
dire  de  lui,  vu  sa  lumière  qui  est  en  vous,  qu'il 
est  venu  chez  les  siens  ;  et  si  vous  ne  lui  obéissez 
pas,  que  vous  vous  détourniez  de  lui,  et  que  vous 
suiviez  les  vanités  de  votre  esprit,  vous  serez  du 
nombre  de  ceux  qui  ne  l'ont  point  reçu.  Mais  je 
prie  Dieu  que  jamais  il  n'en  soit  ainsi  de  vous,  et 
que  vous  n'attiriez  point  un  tel  jugement,  sur  votre 
tête,  que  vous  sentiez  combien  sont  grandes  et 
nombreuses  les  obligations  que  vous  avez  à  Dieu 
pour  son  amour,  et  à  vos  parens  pour  leurs  bons 
soins  ;  que  vous  vous  tourniez  de  tout  votre 
cœur,  de  toute  votre  âme,  et  de  toutes  vos  forces 
vers  le  Seigneur;  que  vous  lui  obéissiez,  que 
vous  scelliez  le  témoignage  de  vos  pères  par  la 
vérité  de  votre  propre  expérience  ;   afin  que  les 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  129 

enfans  de  vos  enfans  vous  bénissent,  et  bénissent 
le  Seigneur  pour  vous,  comme  leur  ayant  donné 
un  exemple  fidèle,  et  leur  ayant  réellement 
transmis  la  vérité  de  Dieu.  Ainsi  les  cheveux 
blancs  de  vos  chers  parens,  qui  vivent  encore, 
descendront  au  sépulcre  avec  joie,  en  voyant 
que  vous  ne  serez  pas  moins  les  enfans  de  la 
vérité  que  les  leurs  ;  et  que  ce  n'est  pas  seule- 
ment leur  nature,  mais  aussi  leur  esprit,  qui 
vivra  encore  en  vous,  lorsqu'ils  auront  quitté 
cette  terre. 

Je  finirai  par  une  courte  exhortation  que 
j'adresse  à  ceux  qui  ne  sont  pas  de  notre  com- 
munion, entre  les  mains  de  qui  il  peut  arriver 
que  ce  livre  tombe,  et  surtout  à  mes  com- 
patriotes. 

Mes  amis,  comme  vous  êtes  enfans  d'Adam  et 
mes  frères  selon  la  chair,  j'ai  souvent  prié  Dieu 
pour  vous  avec  ardeur,  désirant  sincèrement  que 
vous  connaissiez  que  votre  Créateur  est  votre 
Rédempteur,  et  que  par  la  puissance  et  l'esprit  de 
son  Fils  Jésus-Christ,  qu'il  a  donné  pour  être  la 
lumière  et  la  vie  du  monde,  il  vous  rende  cette 
ressemblance  divine  que  vous  avez  perdue  par  le 
péché.  Oh,  si  vous  vouliez  le  recevoir  dans  vos 
cœurs,  vous  qui  portez  le  nom  de  Chrétiens,  car 
c'est  dans  vos  cœurs  qu'il  faudrait  le  posséder  ! 

K 


130  ORIGINE    ET    FORMATION     DE    LA 

Il  frappe  à  la  porte,  pour  que  vous  le  laissiez 
entrer  ;  mais  vous  ne  lui  ouvrez  point,  vous  avez 
tant  d'autres  hôtes  qui  occupent  toutes  vos 
demeures,  que,  de  même  qu'autrefois,  il  ne  peut 
trouver  de  place  que  dans  une  crèche.  Cepen- 
dant vous  abondez  en  protestations  et  en  pro- 
fessions de  foi,  de  même  que  les  Juifs  lorsqu'il 
parut  parmi  eux  ;  ils  ne  voulurent  point  le  con- 
naître, mais  le  rejettèrent,  et  le  maltraitèrent. 
De  sorte  que  si  vous  n'en  venez  point  à  posséder 
et  à  connaître  par  expérience  ce  dont  vous  faites 
profession,  toutes  vos  formalités,  en  fait  de  reli- 
gion, ne  vous  tiendront  lieu  de  rien  au  jour  du 
jugement  de  Dieu. 

Je  vous  prie  donc  de  bien  peser  en  vous- 
mêmes  votre  condition  éternelle,  de  voir  quels 
sont  vos  titres,  sur  quoi  vous  vous  fondez 
pour  porter  le  nom  de  Chrétiens,  et  si  votre 
Christianisme  ne  consiste  qu'à  professer,  et  à 
croire  l'évangile  comme  une  histoire  vraie.  Avez- 
vous  connu  le  baptême  de  feu  et  du  Saint  Es- 
prit ?  avez-vous  senti  le  van  de  Jésus-Christ  qui 
nettoie  les  âmes  de  toute  paille  inutile,  telle  que 
la  convoitise,  et  les  affections  de  la  chair  ?  avez- 
vous  reçu  ce  levain  du  royaume  des  cieux,  qui 
fait  fermenter  l'homme  entier,  et  le  sanctifie  en 
corps,  en  âme,  et  en  esprit  ?     Si  ce  n'est  pas  là 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  131 

le  fondement  de  votre  confiance,  vous  êtes  dans 
un  état  malheureux. 

Vous  me  direz,  peut-être,  que  quoique 
pécheurs,  et  vivant  journellement  dans  un  état 
de  péché,  et  quoique  vous  n'ayez  pas  été  sanc- 
tifiés, comme  je  viens  de  le  dire,  cependant  vous 
avez  foi  en  Jésus-Christ  qui  a  supporté  la  malé- 
diction pour  vous,  que  vous  êtes  complets  par  la 
foi  en  lui,  sa  justice  vous  étant  imputée. 

Mais  ne  vous  abusez  point,  je  vous  en  conjure, 
mes  amis,  dans  une  affaire  aussi  importante  que 
celle  qui  regarde  vos  âmes  immortelles.  Si  vous 
avez  une  vraie  foi  en  Jésus-Christ,  votre  foi  vous 
rendra  purs,  elle  vous  sanctifiera;  car  dans  l'an- 
cien tems,  la  foi  des  saints  était  leur  victoire  ; 
c'était  par  la  foi  qu'ils  triomphaient  du  péché  au 
dedans  d'eux-mêmes  et  des  pécheurs  au  dehors. 
Et  si  tu  es  en  Christ,  tu  ne  marches  plus  selon 
la  chair,  mais  selon  l'Esprit,  dont  les  fruits  sont 
manifestes.  Oui,  tu  es  une  nouvelle  créature, 
régénérée  et  reformée  sur  le  modèle,  et  selon 
la  volonté  de  Dieu.  Toutes  les  choses  vieilles 
sont  passées,  et  voici,  toutes  choses  sont  faites 
nouvelles  :  un  nouvel  amour,  des  désirs,  une 
volonté,  des  affections,  et  des  pratiques  nou- 
velles. Ce  n'est  plus  toi  dorénavant  qui  vis,  ce 
n'est  plus  toi,  désobéissant,  charnel  et  mondain, 
k  2 


132  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

mais  c'est  Christ  qui  vit  en  toi  ;  or  Christ  t'est 
gain  à  vivre  et  à  mourir  :  parceque  tu  es  assuré 
que  ton  corruptible  revêtira  l'incorruptibilité, 
que  ton  mortel  revêtira  l'immortalité,  et  que  tu 
as  dans  le  ciel  une  maison  glorieuse  et  éternelle, 
qui  ne  vieillira  et  ne  périra  jamais.  Tels  sont  les 
effets  que  Christ  produit  en  ceux  qui  existent  en 
lui,  de  même  que  le  feu  produit  la  chaleur,  et  le 
soleil  la  lumière. 

C'est  pourquoi  gardez- vous  bien  de  vous  fonder 
sur  l'idée  que  vous  pourriez  vous  faire,  que  vous 
vivez  en  Christ,  tandis  que  vous  êtes  encore  dans 
votre  ancien  état  de  péché.  Car  qu'y  a-t-il  de 
commun  entre  la  lumière  et  les  ténèbres,  et  quel 
accord  peut  exister  entre  Christ  et  Bélial  ? 
Ecoutez  ce  que  vous  dit  le  disciple  bien-aimé  : 
"  Si  nous  disons  que  nous  avons  communion 
"  avec  Dieu,  et  que  nous  marchions  dans  les 
"  ténèbres,  nous  mentons,  et  nous  n'agissons 
'•'pas  selon  la  vérité."  C'est-à-dire,  si  nous 
marchons  dans  la  voie  du  péché,  que  nous 
soyons  les  esclaves  de  nos  affections  char- 
nelles, et  ne  soyons  point  convertis  à  Dieu,  nous 
marchons  dans  les  ténèbres,  et  ne  pouvons  dans 
cet  état  avoir  aucune  communion  avec  Dieu. 
Christ  revêt  de  sa  justice,  ceux  qui  reçoivent  sa 
grâce  dans  leurs  cœurs,  qui  renoncent  à  eux- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  133 

mêmes,   qui   se   chargent   tous  les  jours  de   sa 
croix,  et  qui  le  suivent.     La  justice  de  Christ 
sanctifie  les  hommes  intérieurement,  elle  sanctifie 
leurs    âmes,    leurs   volontés,   et    leurs    actions. 
Cette  justice  n'en  appartient  pas  moins  à  Christ, 
parceque  nous   la  possédons  ;    car  elle  devient 
nôtre,  non  par  nature,  mais  par  foi  et  par  adop- 
tion ;   c'est  le  don  de  Dieu.     Mais  malgré  cela, 
et  quoiqu'elle  ne  soit  pas  nôtre,  comme  venant 
de  nous  (car  en  ce  sens,  elle  appartient  vraiment 
à  Christ,  car  elle  est  de  lui,  et  vient  de  lui),  ce- 
pendant elle  nous  appartient,   et   est  vraiment 
nôtre  par  la  possession,  par  la  jouissance,  et  par 
son  efficacité,  et  il  faut  qu'elle  le  soit  pour  nous 
être  salutaire;  sans  quoi  la  justice  de  Christ  ne 
nous  servirait  à  rien.     Il  en  était  ainsi  pour  les 
premiers  Chrétiens:  justice,  sanctification,  justi- 
fication, et  rédemption  ;  et  si  jamais  vous  voulez 
sentir  à  fond  les  consolations  de  la  religion  chré- 
tienne, et  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  en  pénétrer 
le  cœur  et  la  moelle,  c'est  ainsi  que  vous  devez 
apprendre  à  la  connaître  et  à  l'obtenir. 

Maintenant,  mes  amis,  d'après  ce  que  vous 
venez  de  lire,  il  vous  est  aisé  de  voir  que  Dieu 
a  visité  un  pauvre  peuple  d'entre  vous,  à  qui  il 
a  envoyé  cette  science  de  salut  et  ce  témoignage  ; 
qu'il  a  soutenu  et  augmenté  jusqu'àce  jour,  malgré 


134  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

les  violentes  oppositions  qu'il  a  éprouvées  de  toutes 
parts.  Ne  méprisez  point  ce  que  les  apparences 
ont  de  méprisable  :  ce  jour,  nous  le  savons,  a  été 
et  est  encore  regardé  par  un  trop  grand  nombre 
comme  un  jour  qui  n'a  produit  que  de  petites 
choses,  et  dont  ils  tiennent  peu  de  compte  :  ils  lui 
ont  donné  plusieurs  noms  injurieux  etméprisans  ; 
mais  il  est  de  Dieu,  et  vient  de  lui,  puisqu'il 
mène  à  lui.  C'est  ce  que  nous  savons,  quoique 
nous  ne  puissions  le  faire  comprendre  aux  autres, 
à  moins  qu'ils  ne  prennent,  pour  le  connaître,  la 
même  voie  que  nous  avons  suivie.  Le  monde 
parle  de  Dieu,  mais  que  fait-il  ?  Il  demande  la 
puissance,  et  rejette  le  principe  en  qui  elle  est. 
Si  vous  voulez  connaître  Dieu,  adorer  et  servir 
Dieu  comme  vous  le  devez,  il  faut  que  vous  ayez 
recours  aux  moyens  qu'il  a  indiqués  et  donnés 
pour  cela.  Les  uns  le  cherchent  dans  les  livres, 
d'autres  parmi  les  savans,  mais  ce  qu'ils  cherchent 
est  en  eux,  (quoique  ne  venant  pas  d'eux)  et  ils 
n'y  font  pas  attention.  La  voix  est  trop  subtile, 
la  semence  est  trop  petite,  et  la  lumière  luit 
dans  les  ténèbres.  Ils  ne  sont  point  à  la  maison, 
et  ne  peuvent  partager  le  butin  ;  mais  la  femme 
qui  avait  perdu  son  argent,  le  trouva  chez  elle 
lorsqu'elle  eût  allumé  sa  lampe  et  balayé  sa  mai- 
son. Faites-en  de  même,  et  vous  trouverez  ce 
que  Pilate  cherchait  à  connaître,  c'est-à-dire,  la 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  135 

Vérité  :  la  vérité  dans  l'intérieur,  chose  si  pré- 
cieuse aux  yeux  de  Dieu  ;  la  lumière  de  Christ 
dans  l'intérieur.  Christ  qui  est  la  lumière  pour  le 
monde,  et  par  conséquent  pour  vous  :  lui,  qui 
vous  fait  connaître  votre  vraie  condition,  mène 
tous  ceux  qui  veulent  y  faire  attention,  des  ténè- 
bres à  la  lumière  merveilleuse  de  Dieu.  Car  la 
lumière  se  répand  sur  ceux  qui  obéissent  ;  elle 
est  faite  pour  les  justes,  et  leur  sentier  est  comme 
la  lumière  resplendissante,  dont  l'éclat  augmente 
jusqu'à  ce  que  le  jour  soit  en  sa  perfection. 

Rentrez  donc,  mes  amis,  rentrez  en  vous- 
mêmes  ;  où  est  le  poison,  là  vous  trouverez  aussi 
l'antidote.  C'est  là  que  vous  avez  besoin  de 
posséder  Christ,  et  c'est  là  que  vous  devez  le 
trouver;  et,  Dieu  en  soit  béni,  il  est  en  votre 
pouvoir  de  l'y  trouver.  Cherchez  et  vous  trou- 
verez, je  vous  en  réponds  pour  Dieu.  Mais  il 
faut  aussi  que  vous  cherchiez  de  bonne  foi,  de  tout 
votre  cœur,  comme  des  hommes  qui  cherchent  la 
vie,  oui,  la  vie  éternelle  ;  il  faut  que  vous  cher- 
chiez avec  diligence,  avec  humilité,  avec  patience, 
en  hommes  qui  ne  peuvent  goûter  ni  plaisir,  ni 
consolation,  ni  satisfaction  en  rien  autre  chose, 
à  moins  qu'ils  ne  trouvent  celui  que  leurs  âmes 
désirent  de  connaître  et  d'aimer  par-dessus  toutes 
choses.  Oh  !  c'est  un  travail,  un  travail  tout 
spirituel,  en  pense  et  en  dise  ce  qu'il  voudra  le 


136  ORIGINE    ET    FORMATION    DE    LA 

monde  charnel  et  profane.  C'est  là  le  sentier 
qu'il  faut  que  vous  suiviez,  si  vous  voulez  arriver 
jamais  à  la  ville  de  Dieu,  dont  les  fondemens 
sont  éternels. 

Mais,  direz-vous,  que  fera  pour  nous  cette 
lumière  divine?  Que  fera-t-elle ?  Premièrement, 
elle  vous  dévoilera  tous  vos  péchés  ;  elle  démas- 
quera l'esprit  du  monde,  avec  tous  ses  appas  et 
toutes  ses  illusions,  et  vous  montrera  comment  il 
est  arrivé  que  l'homme  est  déchu  de  Dieu,  et 
quel  est  son  état  actuel  en  conséquence  de  sa 
chute.  Secondement,  elle  engendrera  en  ceux 
qui  y  croyent,  un  sentiment  et  un  vif  regret  de 
cette  chute  terrible.  Alors  vous  verrez  distincte- 
ment celui  que  vous  avez  percé,  alors  vous  verrez 
tous  les  coups  et  les  blessures  qu'il  a  reçues  par 
votre  désobéissance,  et  comment  vous  l'avez  as- 
servi par  vos  péchés  ;  alors  vous  pleurerez,  vous 
gémirez,  et  votre  douleur  sera  une  sainte  dou- 
leur. En  troisième  lieu,  elle  vous  apprendra  à 
veiller  saintement,  et  à.  être  sur  vos  gardes,  pour 
ne  plus  retomber  dans  les  mêmes  fautes,  et  ne 
plus  vous  laisser  surprendre  par  l'ennemi  com- 
mun. Alors  vous  commencerez  à  peser  et  à 
juger  vos  pensées,  aussi  bien  que  vos  paroles  et 
vos  œuvres,  et  c'est  là  la  voie  de  la  sanctification, 
où.  marchent  ceux  que  le  Seigneur  a  rachetés. 
C'est  alors  que  vous  viendrez  à  aimer  Dieu  par- 


SOCIETE    DITE    DES    QUAKERS.  137 

dessus  tout,  et  votre  prochain  comme  vous- 
mêmes.  Rien  ne  nuit,  rien  ne  blesse,  rien 
n'effraie  sur  cette  montagne  de  sainteté  ;  c'est 
alors  que  vous  commencez  à  être  à  Jésus-Christ 
en  vérité  ;  car  vous  êtes  à  lui  en  nature  et  en 
esprit,  vous  n'êtes  plus  à  vous-mêmes  ;  et 
lorsque  vous  êtes  ainsi  à  Christ,  alors  Christ  est 
à  vous,  et  non  auparavant.  C'est  alors  que 
vous  connaîtrez  la  communion  avec  le  Père,  et 
avec  le  Fils,  l'efficacité  de  son  sang  qui  purifie, 
oui,  de  ce  sang  de  Jésus-Christ,  de  cet  Agneau 
sans  tâche,  qui  nous  prononce  de  meilleures 
choses  que  celui  d'Abel  ;  qui  purifie  de  tout 
péché  la  conscience  de  ceux  qui,  en  étant  ar- 
rosés par  une  foi  vive,  quittent  les  œuvres 
mortes  pour  servir  le  Dieu  vivant. 

Tels  sont  le  témoignage  et  la  doctrine  du 
peuple  appelé  Quakers  ;  telles  sont  leurs  pra- 
tiques et  leur  discipline.  J'ai  fait  voir  quel  a 
été  le  saint  homme  et  les  autres  saints  per- 
sonnages, au  moins  plusieurs  d'entr'eux  qui  ont 
été  envoyés  de  Dieu  pour  ce  service  et  cette 
œuvre  bienheureuse  ;  on  en  trouvera  un  détail 
plus  particulier  dans  les  annales  de  cet  homme 
de  Dieu,  que  je  recommande  bien  sincèrement 
à  mon  lecteur  de  lire  avec  attention,  suppliant 
le  Tout-Puissant  de  vouloir  bénir  l'un  et  l'autre, 
et  faire    qu'ils    convainquent  le    nombre    trop 


138  ORIGINE    ET    FORMATION,    ETC. 

grand  de  personnes  à  qui  cette  sainte  dispensa- 
tion  est  encore  inconnue,  et  qu'ils  édifient  en 
général  l'église  de  Dieu  ;  qui  par  les  miséri- 
cordes répétées,  et  les  grâces  de  tout  genre,  dont 
il  a  comblé  son  peuple  en  ce  jour  de  son  amour 
infini,  est  digne  à  jamais  d'avoir  gloire,  hon- 
neur, actions  de  grâces,  et  renom.  Et  ainsi  lui 
soit-il  rendu  et  attribué,  avec  crainte  et  révé- 
rence, par  la  médiation  de  Celui  en  qui  il  a  mis 
toute  son  affection,  de  son  Fils  bien-aimé,  de 
l'Agneau,  qui  est  notre  lumière  et  notre  vie,  qui 
est  assis  avec  lui  sur  son  trône  aux  siècles  des 
siècles.     Amen  ! 

Voilà  ce  qu'avait  à  te  dire  un  homme  qui 
depuis  longtems,  par  l'effet  de  la  miséricorde  de 
Dieu,  a  reçu  sa  Visitation  paternelle,  qui  n'a 
point  été  rétif  à  cette  vision,  à  cette  vocation 
céleste  ;  à  qui  la  voie  de  la  vérité  paraît  plus 
aimable  et  plus  précieuse  que  jamais;  et  qui, 
connaissant  combien  sa  beauté  et  son  utilité 
sont  au-dessus  de  tous  les  trésors  du  monde,  en 
a  fait  la  principale  joie  de  son  cœur,  et  en  consé- 
quence te  recommande  de  la  choisir,  et  de  l'aimer, 
parcequ'il  est  avec  autant  de  sincérité  que 
d'affection, 

L'Ami  de  ton  âme, 

GUILLAUME  PENN 


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