HISTOIRE
DE LA
SOCIÉTÉ DITE
DES QUAKERS
PENDLE HILL
LIBRARY
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UBRARY
HISTOIRE ABRÉGÉE
DE
L'ORIGINE ET DE LA FORMATION
DE LA SOCIÉTÉ DITE
DES QUAKERS,
OÙ SONT EXPOSÉS CLAIREMENT
LEUR DOCTRINE, LEUR CULTE, LEUR MINISTÈRE,
ET LEUR DISCIPLINE,
PRÉCÉDÉE
D'UNE INTRODUCTION,
OÙ IL EST TRAITÉ EN PEU DE MOTS DES DISPENSATIONS
ANTÉRIEURES DE DIEU AUX HOMMES.
Par GUILLAUME PENN.
NOUVELLE EDITION, REVUE ET CORRIGEE.
LONDRES :
DE L'IMPRIMERIE DE J. RIDER,
BARTHOLOMEW CLOSE.
1839.
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/histoireabrOOpenn
AU LECTEUR.
L'histoire suivante de la Société connue sous
le nom de Quakers ou Trembleurs, a été écrite
dans des sentimens de crainte et d'amour de
Dieu. Elle a pour but, 1. De servir de témoi-
gnage perpétuel à cette vérité sainte qui éclaire
l'intérieur de l'homme, vérité au moyen de la-
quelle Dieu, dans ma jeunesse, s'est manifesté à
moi, et que j'ai connue et aimée au point de
prendre la résolution peu ordinaire, d'aban-
donner les honneurs et les intérêts de ce monde ;
2. De rendre aussi témoignage à cette société
IV AU LECTEUR.
que le monde méprise, et que Dieu, par un effet
de sa grande miséricorde, a voulu rassembler et
réunir par son Esprit Saint en qui elle fait pro-
fession de croire, — société dont je m'honore
d'être membre plus que de toutes les grandeurs
de ce monde ; 3. De prouver combien je chéris
et honore la mémoire de George Fox, ce digne
serviteur de Dieu, le premier instrument dont il
s'est servi pour cette grande œuvre, et qu'en
conséquence je nommerai le grand, le bien-
heureux apôtre de notre siècle. Telles sont les
raisons qui m'ont fait écrire ce petit traité, dont
la première édition fut imprimée en tête de
l'excellent journal de G. Fox, pour y servir de
préface. Ayant depuis fait réflexion au bien
que peut produire dans le moment présent cette
histoire abrégée de la société, vu aussi les
réflexions injustes de quelques-uns de nos ad-
versaires qui ci-devant faisaient profession d'ap-
partenir à cette société, et à raison enfin des
AU LECTEUR.
exhortations qui se trouvent à la fin, j'ai con-
senti à ce qu'on l'imprimât en un format plus
petit : car je sais que de nos jours bien des
gens n'aiment ni à payer ni à lire un gros livre,
et qu'il y en a beaucoup, qui ne seraient pas
fâchés de connaître cette société, dont on a tant
dit de mal, mais qui, en même tems, ne vou-
draient pas qu'il leur en coûtât beaucoup pour
satisfaire cette curiosité. Cependant, grâces à
Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ,
j'espère que les personnes désintéressées verront
bientôt que ces calomnies ne sont pas mieux
fondées, que celles que l'on répandait autrefois
contre les Chrétiens de la primitive église. Car
après tout, et malgré tous les mauvais traitemens
que nous avons essuyés, notre seul objet est la
réalité de la religion, et un véritable changement
avant le dernier et grand changement que chaque
homme doit subir; notre seul désir est que tous
les hommes, recevant au dedans d'eux-mêmes,
VI AU LECTEUR.
les impressions de la lumière et de l'esprit
de Christ, avec cette attention sérieuse qui pro-
duit la conviction, parviennent à connaître Dieu
véritablement et intérieurement. Nous voulons
prouver que tous les hommes peuvent être sauvés,
puisqu'ils ont tous les mêmes moyens, qui sont
suffisans pour connaître le seul vrai Dieu, et son
Fils Jésus-Christ, qu'il a envoyé pour éclairer et
racheter le monde : connaissance qui est le gage
assuré de la vie éternelle. Puisses-tu l'obtenir,
mon cher lecteur ! c'est ce que te désire bien
sincèrement l'auteur de ce petit ouvrage,
GUILLAUME PENN.
ORIGINE ET FORMATION, &c.
CHAPITRE I.
Où l'on voit de quelle manière Dieu a fait connoître sa
volonté aux hommes à différentes époques, jusqu'à ce
qu'enfin il ait jugé à propos de susciter la société dite
des Quakers, pour laquelle le monde avait tant de
mépris.
Dieu s'est fait entendre aux hommes de différ-
entes manières depuis la création du monde ;
mais son but principal a toujours été la gloire de
son saint nom, soit en créant l'homme, ou en le
retirant de l'état de dégradation où l'avait plongé
la péché ; — l'homme, fait pour être l'emblème de
la divinité, pour être en quelque façon un dieu
sur la terre, et le chef-d'œuvre de la main de
Dieu. Dans l'origine le genre humain sortit pur
et innocent des mains du Créateur ; alors tout
ce que Dieu, qui est la bonté même, avait créé,
J
2 ORIGINE ET FORMATION' DE LA
était bon ; et comme il avait béni les œuvres de
sa toute-puissance, toutes célébraient sa gloire
clans une harmonie universelle; les étoiles du
matin se rejouissaient, et les différentes parties
de son ouvrage, disaient Amen, à sa loi ! Tous
les êtres contenus dans ce vaste univers formaient
un admirable accord ; l'homme dans le paradis
terrestre, les quadrupèdes clans la campagne, les
oiseaux dans l'air, les poissons dans la mer, les
étoiles au firmament, les fruits de la terre, en un
mot, l'air, la terre, les eaux, et le feu, adoraient,
louaient, et exaltaient sa puissance, sa sagesse,
et sa bonté. O Sabbat glorieux ! ô véritable
jour du Seigneur !
Mais cet état de félicité dura peu ; car
l'homme, gloire et couronnement de ce grand
œuvre, fut tenté d'aspirer à un plus haut rang
qu'il ne lui était donné d'atteindre ; et cédant
malheureusement à la tentation, il oublia les
ordres de Dieu, son devoir, sa félicité, et son
intérêt, et déchut ainsi de son premier état. Dès
ce moment il ne fut plus l'image de la divinité,
il perdit la sagesse, la puissance, et la pureté
dont Dieu l'avait doué en le créant ; et devenu
indigne du paradis, il fut chassé de ce lieu de
délices, sa demeure et sa résidence naturelle ;
exclus de la présence de Dieu, il fut condamné
S.OCIETE DITE DES QUAKERS.
à errer, comme un malheureux vagabond, sur la
terre, le séjour des bêtes.
Cependant Dieu qui l'avait créé, eût pitié de
lui : car voyant que l'homme avait été trompe,
que son erreur ne pouvait être imputée ni à une
malice, ni à une présomption qui lui fût natu-
relle, mais plutôt à la malice du serpent, déchu
lui-même d'une condition supérieure, et q-ii s'était
servi de la femme, compagne de l'homme, dont
la nature était la même, et qu'il avait trompée
la première : — Dieu dis-je, pourvut dans sa bonté
et dans sa sagesse infinie un moyen de remédier
à ce mal, de réparer cette perte, et de relever
l'homme ainsi déchu, par la médiation d'un
nouvel Adam, plus noble et plus parfait que le
premier, et qui devait naître d'une femme.
C'était par une femme que l'esprit malin avait
séduit l'homme, le monde devait recevoir aussi
d'une femme celui qui était destiné à triompher
de lui, à lui écraser la tête, et à affranchir l'homme
de sa puissance ; et c'est ce qui, par la mission
et l'incarnation du Fils de Dieu, a été, dans la
plénitude des teins, personellement et pleinement
accompli d'une manière signalée, en lui et par
lui, comme Sauveur et Rédempteur des hommes.
Mais son pouvoir n'a point été limité à cette
époque ; car même avant son incarnation et
b 2
4 ORICJINE ET FORMATION DE LA
depuis, il a toujours été la lumière et la vie, la
force et le point d'appui de tous ceux qui
craignaient Dieu. C'est lui qui les soutenait
dans leurs tentations, les accompagnait dans
leurs voyages et dans leurs afflictions, leur aidait
et les soutenait au milieu des difficultés qu'ils
avaient à essuyer dans leur passage sur la terre.
C'est par lui que le cœur d'Abel fut meilleur
que celui de Caïn, que Seth obtint la pré-
éminence, et qu'Enoch marcha avec Dieu.
C'était cette lumière qui éclairait le monde avant
le déluge, contre laquelle le monde se révolta, et
qui éclaira et sanctifia Noé.
Mais ce fut ordinairement par l'intermédiaire
des anges que Dieu, après l'état de misère qui
suivit la chute de l'homme, daigna se faire en-
tendre surtout aux patriarches; c'est ce qui arriva,
comme nous le voyons dans l'Ancien Testament,
à Abraham, à Jacob, &c. Ensuite vint la loi de
Moyse, qui fut aussi donnée par les anges, comme
le dit l'apôtre. Cette loi regardait principalement
l'homme extérieur, et ne pouvait convenir qu'à
un état de bassesse et de servitude ; c'est pour-
quoi l'apôtre Paul l'appelle une instruction de
pédagogue, faite pour annoncer la venue du
Messie, pour préparer les âmes du peuple à la
prévoir, et à désirer celui qui devait les délivrer
SOCIETE DITE DES QUAKERS.
du joug et des cérémonies de cette loi impar-
faite, en leur faisant connaître intérieurement la
réalité dont tous ces mystères n'étaient que l'em-
blème. Dans ce tems-là, la loi était écrite
sur des tables de pierre, le temple était bâti de
main d'homme, il y avait des prêtres et des
cérémonies extérieures, qui n'étaient que l'image
des choses excellentes qui devaient venir après ;
image qui ne devait servir qu'en attendant la
realité, c'est-à-dire, jusqu'au tems où Jesus-
Christ, l'excellence même, devait se manifester
d'une manière si éclatante; lui en qui se réun-
issaient toutes les promesses faites aux hommes,
mais qui ne devaient avoir effet que par lui ; lui,
en qui il n'y avait que oui et amen, et qui par sa
mort devait nous procurer la vie, l'immortalité,
et le bonheur éternel.
C'est ce que les prophètes avaient prévu, et
ce dont ils faisaient envisager la certitude aux
Juifs comme leur plus grande consolation.
C'était là le terme de la loi de Moyse, qui dis-
parut du moment où Jean Baptiste commença à
exercer son ministère, de même que le ministère
du précurseur de Christ finit en Christ, qui était
l'accomplissement de toutes les prophéties.
Alors Dieu, qui plusieurs fois avait parlé en
diverses manières aux anciens par ses serviteurs
6 ORIGINE ET FORMATION DE 1.1
les prophètes, parla aux hommes par son Fil?
Jésus-Christ, qui est son héritier en toutes
choses. A cette époque l'évangile nous fut
donné par le ministère du Fils ; c'était un tes-
tament dont l'éxecution était bien moins éloignée,
qui renfermait de plus grandes espérances, — qui
annonçait le commencement de la gloire des
derniers tems, et le rétablissement de toutes
choses, — le rétablissement du Royaume d'Israël.
Dès lors l'esprit, qui n'avait point été commu-
niqué si généralement aux époques antérieures,
fut répandu plus abondamment sur toute chair,
comme dit le prophète Joël ; et par un effet de
la bonté infinie de Dieu, cette lumière, qui
auparavant ne jetait qu'une lueur faible et
comme ensevelie dans les ténèbres, dissipa ces
mêmes ténèbres qui l'offusquaient; l'étoile du
matin se leva dans les cœurs des vrais croyans,
et les illumina de la connoissance de la gloire
de Dieu en Jésus-Christ.
Alors leSeigneur se ressouvint particulièrement
des pauvres en esprit, des débonnaires, de ceux qui
pleuraient, de ceux qui avaient faim et soif de la
justice, de ceux qui procuraient la paix, de ceux
qui étaient purs de cœur, des miséricordieux et des
persécutés ; ils furent cherchés et appelés bienheu-
reux par le vrai pasteur d'Israël. Alors il fallut
SOCIETE DITE DES QUAKERS.
que l'ancienne Jérusalem et ses enfans fissent
place à la nouvelle Jérusalem et à ses enfans nou-
vellement engendrés à la lumière de l'évangile;
aussi n'est-il plus question de l'ancienne Jérusa-
lem ; ce n'est plus sur la montagne de Samarie
que Dieu veut être adoré, plutôt qu'en tout autre
lieu ; car son Fils est venu annoncer et prêcher
qu'il est un esprit, qu'il veut être connu comme
te!, et adoré en esprit et en vérité. 11 se montre
alors de plus près qu'autrefois, car suivant sa
promesse il écrira sa loi dans notre cœur, et nous
donnera sa crainte et. son esprit au dedans de
nous. Dès lors les signes, les images et les em-
blèmes disparurent; la lumière qui commençait
à luire, ayant fait voir leur peu d'efficacité à
purifier la conscience, puisqu'ils ne pouvaient at-
teindre à l'intérieur du vase, et toutes cérémonies
extérieures finirent en lui et par lui, qui était la
realité même.
Les apôtres ont rendu témoignage aux grands
desseins de Dieu dans la mission de son Fils (ces
mêmes apôtres qu'il avait choisis, et à qui il avait
donné son esprit) pour faire abandonner aux Juifs
leur préjugés et leur superstition, aux Gentils
leur vanité et leur idolâtrie, et leur faire ouvrir
les yeux à la lumière et à l'esprit de Jésus-
Christ, qui luisait en eux ; afin que, ressuscitant
b ORIGINE ET FORMATION DE LA
de l'état de mort où les avait plongés le péché,
ils servissent le Dieu vivant, dans la nouveauté
de l'esprit de vie, et qu'ils marchassent comme
des enfans de lumière, regénérés en ce grand
jour, en ce jour de sainteté ; car ceux là se re-
vêtent de Jésus-Christ, la lumière du monde,
et n'ont aucun souci de la chair pour accomplir
ses convoitises. De sorte que la lumière,
l'esprit, la grâce, qui vient de Jésus-Christ, et
parait dans les hommes, était le principe divin
par lequel les apôtres prêchaient, vers lequel ils
s'efforçaient de tourner les cœurs des hommes,
et dans lequel ils réunirent en leur tems, et
bâtirent l'église de Christ. C'est pourquoi ils
les avertissent de ne point éteindre l'Esprit,
mais d'être en attente de l'Esprit, de parler
par l'Esprit, de prier en Esprit, et de marcher en
Esprit, vu que c'était par là seul qu'ils se mon-
treraient engendrés non pas du sang et de la chair,
ou de la volonté de l'homme, mais de la volonté de
Dieu, faisant sa volonté, renonçant à la leur, bu-
vant la coupe de Jésus-Christ, et baptisés de son
baptême de renonciation à soi-même; c'est là la
voie et le sentier où ont toujours marché ceux
qui aspiraient à la vie et au bonheur éternel.
Mais hélas, dès le tems des apôtres, (ces astres
assez brillans pour que l'œil les distinguât, mal-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 9
gre l'éclat éblouissant de la lumière de l'évan-
gile,) on vit paraître des nuages qui semblaient
annoncer que sa gloire primitive serait éclipsée ;
et plusieurs d'entr'eux prévinrent de bonne heure
les Chrétiens de leur tems que le pouvoir de la
sanctification commençait dès lors à décliner, et
déclinerait de plus en plus parmi ceux qui cher-
chaient à briller selon la chair, et pour qui le
scandale de la croix était aboli ; finissant toute
fois par annoncer qu'un tems plus glorieux que
jamais brillerait ensuite pour la véritable église.
Us ne se trompaient point dans leur prévision,
et ce qu'ils prédirent aux églises qu'ils avaient
assemblées au nom de Jésus, arriva en effet ;
car le Christianisme dégénéra de jour en jour,
et ne consista presque plus qu'en jours de
fêtes, en repas et en cérémonies extérieures. Et,
ce qu'il y eut de pis, les querelles et la dissention
se mirent parmi les Chrétiens ; on les vit se di-
viser, se porter envie, et se persécuter, suivant
qu'ils en eurent le pouvoir ; ce qui les rendit, au
grand scandale et à la honte des Chrétiens, un
objet de dérision, et le Christianisme une pierre
d'achoppement pour les payens, au milieu des-
quels le Seigneur les avait si miraculeusement et
si longtems conservés. Enfin se voyant la puis-
sance entre les mains, après que les rois et les
10 ORIGINE ET FORMATION DE LA
empereurs eurent embrassé le Christianisme, ils
changèrent autant qu'ils purent le royaume de
Jésus-Christ, qui n'est pas de ce monde, en un
royaume terrestre, ou du moins donnèrent au
royaume terrestre, qu'ils gouvernaient, le nom
de royaume de Jésus-Christ, et ainsi devinrent
Chrétiens suivant le monde, mais non pas Chré-
tiens véritables. Alors une foule d'inventions
humaines et de nouveautés, par rapport à la
doctrine ou au culte, s'introduisit dans l'église ;
et ce qui ouvrit la porte à tous ces abus, ce fut
l'esprit grossier et charnel qui prit alors, chez la
plus grande partie des Chrétiens, la place de
l'Esprit doux et céleste de Dieu, auquel depuis
longtems leurs cœurs s'étaient fermés, pour
s'abandonner à la superstition, et à tous les
caprices d'un culte qui n'avait d'autre base que
leur volonté et leur imagination déréglée. Or
comme la superstition est aussi violente et aussi
opiniâtre qu'elle est peu éclairée, et qu'il n'y a
avec elle, d'autre alternative que de se soumettre
à son zèle aveugle et outré, ou d'être sa victime,
ils persécutaient dans les autres, au nom de
l'Esprit, l'apparence même de l'Esprit de Dieu ;
ne pouvant souffrir en autrui la lumière, la
grâce, l'esprit de Jésus-Christ, à qui ils re-
fusaient l'entrée de leur cœur, mais s'armant
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 11
toujours pour colorer leur intolérance de
quelque prétexte plausible, et accusant leurs
frères d'innovation, de schisme, ou d'hérésie. Ils
feignaient d'oublier que le Christianisme n'a
jamais admis qu'aucun de ces noms pût servir
de prétexte, pour persécuter qui que ce fût, en
matières purement religieuses : car le Chris-
tianisme est doux et tolérant ; ses principales
qualités sont la foi, l'espérance, et la charité,
qu'un persécuteur ne peut posséder, tant qu'il
est persécuteur. La croyance d'un homme et
ses espérances doivent être mal-fondées, et on ne
saurait dire non plus qu'il a de la charité pour
son prochain, dès qu'il cherche à violenter les
esprits ou les corps, pour forcer les autres à
admettre certains articles de foi, ou à adopter
tel ou tel culte, telle ou telle manière de rendre
hommage à Dieu.
Ce fut ainsi que la fausse église prit naissance
et s'arma de la puissance temporelle ; mais
quelque dégénérée qu'elle fût, elle voulut tou-
jours conserver un nom qu'elle ne méritait plus,
et prit le titre d'épouse de l'Agneau, de véritable
église, de mère des fidèles ; forçant chacun à
recevoir sa marque, soit au front ou à la main
droite, c'est-à-dire, publiquement ou en secret.
Mais, dans le fait et dans la vérité, elle était celle
12 ORIGINE ET FORMATION DE LA
dont le nom est Mystère, la grande Babylone, la
mère des paillardises, la mère de ceux, chez
qui, malgré toute leur montre et tout leur appa-
reil de religion, on ne reconnoissait plus l'esprit,
la nature, et la vie de Jésus-Christ, qui étaient
devenus vains, mondains, ambitieux, avares,
cruels : ce sont là les fruits de la chair, et non
de l'esprit.
Ce fut alors que la véritable église se sépara
de la superstition et de la violence, et se retira
dans le désert, c'est-à-dire devint moins pub-
lique et plus solitaire ; elle se cacha, et se rendit,
pour ainsi dire, invisible aux yeux des hommes,
quoiqu'elle existât encore dans le monde. Ce
qui fait voir qu'il ne lui était pas essentiel d'être
toujours visible pour être la véritable église, au
jugement du Saint Esprit; car elle n'en était
pas moins la véritable église, quoique dans le
désert, quoiqu'alors moins visible et moins bril-
lante qu'elle ne l'avait été dans l'origine,
lorsqu'elle jouissait de toute sa splendeur pre-
mière. Cependant elle fit plusieurs efforts pour
reparaître ; mais les eaux étaient encore trop
hautes, tous chemins lui étaient fermés, et plu-
sieurs de ses dignes enfans, à différentes époques
et chez diverses nations, furent les victimes de la
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 13
plus cruelle superstition, pour n'avoir pas voulu
renoncer à la vérité.
Le dernier siècle fit quelques pas pour s'en
rapprocher, tant dans la doctrine et le culte, que
dans la pratique. Mais la pratique ne tint pas
longtems, car l'esprit de méchanceté se glissa
bientôt parmi ceux qui professaient la réforme
aussi bien que parmi ceux dont ils s'étaient
séparés ; de sorte qu'il devint impossible de les
distinguer par les fruits de leur conversation.
L'on vit bientôt, si ce ne fut les réformateurs
eux-mêmes, du moins leurs enfans, s'armer de la
puissance terrestre, et de la force, pour soutenir
et étendre cette même réforme à laquelle ils
n'avaient d'abord employé que des armes spiri-
tuelles ; et j'ai souvent fait cette réflexion, que
c'était sûrement là une des grandes raisons qui
avait empêché la réforme de faire plus de pro-
grès, dans le vrai sens où l'on doit l'entendre,
quant à l'esprit et la vie de la religion. Car tant
que les réformés furent humbles, et animés du
véritable esprit de la religion ; tant qu'ils eurent
confiance en Dieu, n'eurent recours qu'à lui et
vécurent dans sa crainte, n'ayant point recours
aux moyens de la chair et du sang, pour se pro-
curer leur délivrance par des voies humaines ;
Î4 ORIGINE ET FORMATION DE LA
l'église voyait journellement se réunir à elle
nombre de fidèles, et il y avait tout lieu d'espérer
qu'ils seraient sauvés. Car ils s'occupaient bien
plus de conserver leur foi pure, et d'endurer la
persécution avec patience, que de s'y soustraire ;
ils cherchaient plutôt à répandre la connaissance
de la vérité, par leur foi et leur patience dans les
tribulations, qu'à ôter la puissance temporelle
des mains de leurs persécuteurs : et ceux qui
agissent autrement seront assez heureux, si le
Seigneur ne les laisse pas détruire par les
mêmes moyens qu'ils ont mis en usage pour
s'établir et s'élever.
Leur doctrine, en certains points, était défec-
tueuse ; voulant éviter une erreur sur d'autres
points, ils tombaient dans l'erreur contraire ; et
leur culte en général, paraissait plutôt tenir de
l'esprit des hommes que de celui de Dieu. Ils
reconnaissaient à la vérité l'esprit, l'inspiration, et
la révélation, et fondaient leur séparation et leur
réforme sur le sens des Ecritures, et sur la
manière dont ils les expliquaient et les enten-
daient. Or voici quel était leur raisonnement :
l'écriture est le texte, l'esprit donne l'explication,
et il la donne à chacun pour soi ; mais la prière
et la prédication n'étaient point encore assez
dégagées des inventions humaines, de la tradi-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. \5
tion et de l'art; leurs ministres avaient trop
d'autorité et de grandeur temporelle, surtout en
Angleterre, en Suéde, en Danemarc, et dans
quelques parties de l'Allemagne ; c'est pourquoi,
en Angleterre il plut à Dieu de nous faire subir
plusieurs changemens, en nous faisant passer,
pour ainsi dire, d'un vaisseau dans un autre.
Le premier changement humilia les ministres,
et il en résulta une exactitude plus stricte à
prêcher, plus de ferveur dans la prière, plus de
zèle à garder le jour du Seigneur, plus de dili-
gence à catéchiser les en fans et les domestiques,
et à répéter chez soi, à sa famille, ce qu'on
avait entendu en public. Mais ceux-là mêmes,
dès qu'ils eurent le pouvoir en main, voulurent
s'en servir non seulement pour chasser les uns
du temple, mais même pour en forcer d'autres à
y entrer ; ils se montrèrent plus rigides dans
leur doctrine, que sévère dans leur propre con-
duite ; on vit en eux plutôt des dévots attachés
à un parti, que des personnes vraiment reli-
gieuses ; aussi vit-on bientôt paraître une autre
peuple mieux choisi encore, et plus retiré.
Ceux-ci ne voulaient point communiquer en
public, avec les autres, mais formaient entr'eux
des églises où ils n'admettaient que ceux qui
pouvaient rendre compte de leur conversion.
16 ORIGINE ET FORMATION DE LA
ou citer quelque trait remarquable des effets de
la grâce de Dieu sur leurs cœurs. Des règles
faites d'un commun accord étaient le lien de
leurs assemblées où ils se regardaient tous
comme frères ; ils étaient d'un esprit plus doux
que les autres, et semblaient recommander la
religion par les charmes de l'amour, de la misé-
ricorde, et de la bonté, plutôt que par la terreur
des jugemens de Dieu, et des châtimens, moyen
dont ceux qui les avaient précédés faisaient usage,
pour faire rentrer en eux-mêmes ceux à qui ils
voulaient inspirer le gôut de la religion.
Ils donnaient aussi une plus grande liberté de
prêcher, car ils permettaient à qui que ce fût de
leurs membres de parler ou de prier, aussi bien
qu'à leur ministre, choisi par eux-mêmes, et non
par le Gouvernement. Quiconque d'entr'eux se
sentait intérieurement poussé à faire l'un ou
l'autre, avait la liberté de suivre le mouvement
qu'il sentait au dedans de lui, soit qu'il fût mi-
nistre ou laïque, même du rang le plus bas.
Mais hélas ! cette société même, essuya de
grandes pertes ; ceux qui en faisaient partie
dégénérèrent, dès qu'ils eurent tâté du pouvoir
temporel, de la faveur des princes, et des profits
qui en sont les conséquences. Car quoiqu'ils
eussent demandé l'abolition des églises, du clergé,
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 17
et des revenus qui y étaient attachés, quand ils
furent mis à cette dangereuse épreuve, éblouis
par les honneurs et les biens de ce monde, ils
n'eurent pas la force de résister, ils acceptèrent
de bons bénéfices ; survivant à leurs propres
principes, ils tombèrent en contradiction avec
eux-mêmes ; et ce qu'il y eut de pis, c'est que
quelques-uns d'entr'eux devinrent persécuteurs
pour l'amour de Dieu, eux qui ne faisaient que
sortir de la fournaise. Il en résulta que quelques-
uns s'avancèrent un pas de plus ; ils adoptèrent
un autre baptême, ne se croyant pas baptisés
suivant l'Ecriture, et dans l'espérance qu'en se
soumettant à cette observance ils s'assuraient la
présence de Dieu, et sa puissance, qu'ils cher-
chaient et désiraient. Ceux-ci firent profession
de négliger la science humaine, pour ne pas dire
d'y renoncer, et de trouver à redire, non seule-
ment à ce qu'on l'exigeât des ministres, mais
même à ce qu'ils en fissent usage ; rejettant pa-
reillement les autres qualités requises, et se
bornant aux secours de l'Esprit de Dieu, et aux
talens ordinaires au commun des hommes. Et
pendant un certain tems, de même que Jean, ils
parurent aux autres sociétés, une resplendissante
et brûlante lumière.
Ils étaient très zélés, simples, et graves dans
c
13 ORIGINE ET FORMATION DE LA
leurs manières ; parfaitement instruits dans les
Ecritures, et fermes dans les principes qu'ils
professaient ; essuyant avec patience beaucoup
de reproches et de contradictions. Mais ce qui
avait causé la chute des autres causa aussi la
leur ; ils ne tardèrent pas à se laisser gâter par
le pouvoir temporel, et ils en eurent assez pour
faire juger de ce qu'ils auraient fait, s'ils eussent
pu en obtenir davantage; ils se reposaient trop
aussi sur le baptême d'eau, qu'ils avaient adopté,
au lieu de passer de là à celui du feu et du Saint
Esprit: car c'est là le vrai baptême de celui
qui est venu le van à la main, pour nettoyer son
aire, pour la nettoyer totalement, et non pas en
partie, pour purifier son peuple de tout ce qui
était d'un mauvais alloi et rendre l'homme plus
pur que l'or le plus fin. Enfin ils devinrent
hautains, durs, persuadés de leur propre justice,
s'opposant à tout ce qui tendait à une plus
grande perfection, qu'ils ne croyaient pas pos-
sible; trop prompts à oublier les jours de leur
enfance, qui cependant leur avait donné le peu
de beauté réelle qu'ils avaient alors ; de sorte
que plusieurs se séparèrent d'eux, ainsi que de
toutes les autres églises et sociétés visibles, et
errèrent ça et là comme des brebis sans pasteur,
ou comme des tourterelles qui avaient perdu leurs
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 19
compagnes, qui cherchaient leur bien-aimé sans
pouvoir le trouver, et désirant ardemment de
connaître celui dont leur âme faisait ses plus
chères délices.
Les uns les nommèrent Seekers, c'est-à-dire,
Chercheurs ; d'autres les appelèrent La Famille
d'Amour, parcequequandilsvinrentàse connaître
entr'eux, ils s'assemblaient quelque fois, non pas
pour prier ou prêcher formellement, en tel lieu
ou à telle heure fixé, comme ils avaient coutume
de faire auparavant; mais pour attendre ensemble
en silence ; et à mesure qu'il leur venait quelques
idées, qu'ils croyaient pouvoir attribuer à l'in-
spiration divine, ils les mettaient au jour. Mais
il arriva que quelques-uns d'entr'eux, perdant
de vue l'humilité et la crainte de Dieu, furent
exaltés outre mesure par l'excellence des révéla-
tions, et au lieu de tenir humblement leur esprit
dans la dépendance de Celui qui avait ouvert
leur entendement, pour pénétrer les profondeurs
du sens de sa loi, ils donnèrent un champ libre
à leur imagination, et, confondant leurs propres
rêveries avec les inspirations de l'Esprit divin, ils
n'obtinrent de ce mélange qu'un fruit mon-
strueux, scandale de ceux qui craignaient Dieu,
et qui attendaient journellement dans le temple
(non dans un temple bâti de main d'homme) la
c 2
20 ORIGINE ET FORMATION DE LA
consolation d'Israël, de ceux enfin dont il est
dit: Juifs intérieurement, mais circoncis en esprit.
Leurs discours et leurs pratiques ridicules leur
firent donner le nom de Ranters, — Extravagans.
Car ils prétendaient que Jésus-Christ, en accom-
plissant la loi pour nous, nous avait affranchi de
tout devoir et de toute obligation imposée par la
loi, au lieu de la condamnation dénoncée par la
loi contre tous les péchés passés, accompagné par
la foi et la repentance. Ils disaient que les
même choses qui nous eussent été imputées à
péché autrefois, avaient cessé d'être péché,
Jésus-Christ nous ayant délivré de la crainte
servile de la loi, et que toutes les actions de
l'homme étaient bonnes, pourvu qu'il fût dans la
persuasion qu'elles étaient bonnes, et dans l'in-
tention qu'elles fussent telles. De sorte que
plusieurs se permirent les pratiques les plus ré-
voltantes, donnant pour excuse qu'ils pouvaient
sans crime faire des choses que d'autres ne
pouvaient faire sans se rendre coupables; dis-
tinguant ainsi l'action de l'offense, et faisant
dépendre l'innocence de la situation de l'âme,
et de l'intention de celui qui agit. Ainsi
l'abondance de la grâce devait toujours être
surpassée par la surabondance du péché, et de
la grâce de Dieu on passoit à la convoitise ; et
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 21
certes c'était là le plan le mieux imaginé qui eut
encore paru pour pécher en sûreté : comme si
Jésus-Christ fût venu, non pour nous sauver en
nous tirant du péché, mais pour nous sauver en
notre péché même ; non pour nous affranchir de
l'empire du péché, mais pour nous procurer une
plus grande liberté de pécher sans courir aucun
risque, puisqu'il semblait se charger des consé-
quences.
Cette funeste doctrine fut la ruine de plusieurs,
et la cause malheureuse de la perte irréparable
de leur bonheur éternel ; elle scandalisa les
bons, et donna occasion aux méchans de tourner
la religion en ridicule.
22 ORIGINE ET FORMATION DE LA
CHAPITRE II.
De la manière dont cette société s'est formée, de sa doc-
trine, et de ses pratiques, consistant en douze points
qui en sont les conséquences; de ses progrès, et des
persécutions qu'elle a essuyées. Exhortation adressée
à l'Angleterre à ce sujet.
Ce fut à peu près à cette époque, ainsi qu'on
peut le voir par les annales de George Fox, que
par un effet de sa sagesse éternelle, et de sa bonté
infinie, Dieu voulut que l'Orient d'en haut
visitât cette nation alors ensevelie dans les
ténèbres et dans l'erreur ; il le voulut, et la
parole de lumière et de vie fut communiquée
d'une manière plus sure et plus claire, par le
témoignage de cet instrument d'élite, fait pour
exécuter les grands desseins de Dieu, comme
plusieurs milliers d'hommes peuvent le certifier
aujourd'hui; gloire en soit rendue au nom du
Seigneur à jamais !
Car cette parole en pénétrant dans les con-
sciences, et en amollissant les cœurs, ouvrit
les yeux de plusieurs, et leur inspira le désir
SOCIETE DITE DES QUAKES. 23
de chercher ; de sorte que ce qui avait coûté
à plusieurs tant de peines et d'embarras lors-
qu'ils le cherchaient hors d'eux-mêmes et
sans effet ; ils le trouvèrent à l'aide de ce nou-
veau ministère, et ils le trouvèrent, c'est-à-
dire, la voie à la paix avec Dieu, là où ils dé-
siraient la posséder, au dedans d'eux-mêmes.
On leur apprit à chercher au dedans d'eux-
mêmes la lumière de Jésus-Christ, comme la
semence et le levain du royaume de Dieu ; cette
lumière qui est près de tous, puisque tous l'ont
en eux-mêmes, et que c'est là le talent que Dieu
confie à chacun, témoin fidèle et véritable,
moniteur qui parle à l'âme, grâce salutaire de
Dieu qui est " clairement apparue à tous les
hommes," quoique peu y fassent attention. Le
Chrétien attaché aux traditions, rempli de lui-
même, opiniâtre, et entêté à se croire dans le
droit chemin, gouverné par la passion et par un
zèle aveugle, méprisa ce principe comme chose
basse et commune ; ou bien le combattit comme
une innovation, et lui donnant comme tel des
noms odieux, niant, dans son dépit et dans son
ignorance, qu'il fût vrai que la puissance et l'es-
prit de Dieu se manifestassent de nouveau à
l'homme dans ce jour-là ; quoiqu'assurément
jamais cette manifestation n'eût été plus néces-
24 ORIGINE ET FORMATION DE LA
saire pour faire de vrais Chrétiens. Ils ressem-
blaient en cela aux anciens Juifs qui rejettaient
le Fils de Dieu, tout en professant aveuglément
qu'ils attendaient la venue du Messie : et cela
parcequ'il ne paraissait pas au milieu d'eux
suivant leur attente et suivant l'idée que leurs
esprits charnels s'en étaient faite.
De là, ce débordement de livres pleins d'in-
vectives, qui remplirent les grands d'envie, et les
petites de rage ; et qui en opposant mille ob-
stacles au progrès de cette sainte doctrine, en
rendait la voie vraiment étroite pour ceux qui
voulaient y entrer. Cependant Dieu n'aban-
donna point son propre ouvrage, et ce témoignage
parvint enfin à se faire entendre de ceux qui
étaient fatigués et pesamment chargés, de ceux
qui avaient faim et soif, des pauvres, des nécessi-
teux, de ceux qui étaient dans la tristesse, et ac-
cablés d'un grand nombre de maladies, qui avaient
dépensé tous leurs moyens avec des médecins inca-
pables de les guérir, et qui n'attendaient plus de
secours que d'en haut, que du ciel même. Il les
réunit, les consola et les établit. Ils virent après
avoir essayé de tout, que rien ne pouvait opérer
leur guérison que Christ lui-même; ils savaient
qu'il avait suffi d'un seul de ses regards, qu'il avait
suffi de toucher sa robe, d'être relevé de la main
SOCIETE DITE DES QUAKEUS. 20
de celui qui guérit le flux de la pauvre femme,
qui ressuscita le serviteur du centurion, le fils de
la veuve, la fille du Gouverneur, et la mère de
Pierre. Semblables à cette dernière, ils ne
sentirent pas plus tôt dans Lurs âmes les effets
de sa grâce et de sa puissance, qu'ils furent prêts
à lui obéir et à lui rendre témoignage ; ils le
firent avec toute la résignation et la fidélité
possibles, malgré les moqueries, les contradictions,
les confiscations, les coups, les fers, et autres
tribulations qu'ils eurent à essuyer pour l'amour
de son saint nom.
Ces terribles épreuves furent si grandes et si
multipliées, qu'à en juger suivant la sagesse
humaine, ils n'auraient probablement pas pu se
garantir d'être engloutis par les vagues furieuses
qui s'élevaient contr'eux, et les battaient avec
tant de violence, si le Dieu de toutes miséri-
cordes, qui était au milieu d'eux, ne les eût
soutenus de son bras invincible. De sorte que
souvent les montagnes fuyaient ou s'évanouis-
saient devant la puissance dont ils étaient rem-
plis, et qui agissait merveilleusement pour eux
et en eux ; car l'un ne va point sans l'autre. Ce
qui en les raffermissant dans leur foi, leur fut
d'une grande consolation ; et leur fit voir que
tout était possible à Celui à qui ils avaient
26 ORIGINE ET FORMATION DE LA
affaire. Et que plus ce que Dieu exigeait d'eux
paraissait révolter la sagesse humaine, et les
exposer à la fureur du monde, plus Dieu par-
aissait leur aider à surmonter tout obstacle, et à
rendre témoignage à sa gloire.
De sorte que jamais peuple n'a pu dire avec
plus de raison qu'eux, "Tues notre soleil et
notre bouclier, notre rocher, et notre sanctuaire ;
par toi nous avons franchi la muraille ; par tci
nous nous sommes jetés sur une armée entière;
par toi nous avons mis en fuite ces hordes
d'étrangers." Et comme Dieu avait déchargé
leurs âmes du fardeau pesant de la vanité et du
péché, comme il avait enrichi la pauvreté de leur
esprit, appaisé la grande faim et la grande soif
qu'ils avaient de la justice éternelle, comme il
les avait rassassiés des bonnes choses dont sa
maison abonde, et les avait établis dispensateurs
de ses dons; ils se répandirent de tous côtés
parmi ces nations, pour leur annoncer ce que
Dieu avait fait en leur faveur ; ce qu'ils avaient
trouvé, où, et comment ils l'avaient trouvé, c'est-
à-dire, le chemin de la paix avec Dieu, invitant
tous les hommes à venir voir et à juger, chacun
pour soi, de la vérité de ce qu'ils leur an-
nonçaient.
Et comme ils rendaient témoignage au principe
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 27
de Dieu dans l'homme, à la perle précieuse et
au levain de son royaume, assurant que c'était
le seul moyen capable de vivifier l'homme, de le
convaincre, et de le sanctifier, ils leur faisaient
comprendre ce que ce principe était en soi, et
pourquoi il leur était donné ; comment ils pou-
vaient le distinguer de leur propre esprit, et des
illusions trompeuses de l'esprit malin ; ce qu'il
ferait pour ceux dont le cœur aurait renoncé à
la vanité du monde, à ses ministres et à ses voies
sans vie, pour s'attacher à sa lumière divine qui
était au dedans d'eux-mêmes, à cette lumière qui
découvre et condamne le péché sous quelque
forme qu'il se présente, et enseigne à résister à
la tentation. Pourvu qu'on lui prête attention
lorsqu'elle veut nous éclairer, nous convaincre,
et qu'on lui obéisse, elle nous donne le pouvoir
d'éviter les choses qui déplaisent à Dieu, et de
nous en garantir; elle nous fortifie dans l'amour,
la foi, et les bonnes œuvres, afin que l'homme
qui, par le péché, est devenu comme un désert,
plein de ronces et d'épines, puisse redevenir
comme le jardin de Dieu cultivé par son pouvoir
divin, abondant en plantes pleines de beauté et
de vertu, plantées par la main de Dieu même,
et à sa louange éternelle.
Mais ces prédicateurs, qui eux-mêmes avaient
28 ORIGINE ET FORMATION DE LA
fait l'expérience des bonnes nouvelles qu'ils
annonçaient, savoir la vérité de Dieu et son
royaume, ne pouvaient pas courir le monde
toute les fois que l'idée leur en prenait, ni prier
ou prêcher quand il leur plaisait, mais selon que
Jésus-Christ leur rédempteur les y préparait et
les y excitait par son esprit divin : et dans leurs
assemblées, ils attendaient qu'il se fît sentir à
eux, et ne parlaient qu'autant qu'il les faisait
parler ; ils parlaient comme ayant autorité et non
pas comme les Pharisiens. Et cet esprit se fit con-
naître aux esprits solides dont le Seigneur Jésus
avait plus ou moins ouvert les yeux, de sorte que
l'un eut le don de l'exhortation, un autre le don
de la réprimande, un autre celui de la consolation,
et tous par la même inspiration, pour concourir
au même but, c'est-à-dire, pour en édifier et en
convaincre un grand nombre.
Et en effet ils devinrent forts et hardis par leur
fidélité, et la puissance et l'esprit de Jésus-Christ
fit fructifier leurs travaux ; car en peu de tems
on vit des milliers d'hommes se convertir à la
vérité au dedans d'eux-mêmes, persuadés par les
souffrances et le témoignage de ces hérauts de la
vérité : de sorte que dans la plupart des comtés
et dans plusieurs villes considérables d'Angle-
terre il se forma des assemblées, et " le Seigneur
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 29
ajoutait chaque jour à l'église ceux qui voulaient
être sauvés." Car ils furent diligens à planter
et à arroser, et le Seigneur bénit leurs travaux,
et il les couronna de succès multipliés, malgré
les faux bruits, les calomnies, les persécutions
violentes, et les autres obstacles qui s'opposaient
à leurs progrès, non seulement de la part des
puissances de la terre, mais de la part de tous
ceux à qui l'idée venait de leur faire quelque in-
sulte ou quelque affront : de sorte qu'on aurait
pu avec justesse les comparer à de pauvres bre-
bis destinées à la boucherie, ou à un peuple
" fait pour être égorgé pendant tout le jour."
L'on ferait un volume entier, plutôt qu'une
simple préface, si l'on voulait énumérer seulement
tout ce qu'ils eurent à souffrir, et de la part de
ceux qui faisaient profession de religion, et de la
part de ceux qui vivaient dans le libertinage,
des magistrats et de la populace. De sorte qu'on
pouvait dire avec raison de ces objets de la
haine et du mépris du monde, qu'ils s'avançaient
en pleurant et semaient dans les larmes, rendant
témoignage à la précieuse semence, à la semence
du royaume des Cieux, qui ne consiste point en
paroles, ni même dans les plus belles et les plus
élevées, dont l'esprit humain puisse faire usage,
mais en la puissance de Jésus-Christ lui-même ;
30 ORIGINE ET FORMATION DE LA
à qui Dieu le Père a donné tout pouvoir au ciel
et sur la terre, pour commander aux anges et
aux hommes. C'était Lui qui leur communiquait
sa puissance, ainsi que leurs progrès en font foi ;
car, par leur ministère, plusieurs quittaient les
ténèbres pour la lumière, et abandonnaient la
voie large et aisée, pour entrer dans le sentier
étroit de la vie et de la paix, et ils les ramenaient
à des habitudes sérieuses et selon Dieu, à la
pratique enfin de la doctrine qu'ils enseignaient.
Sans cette influence secrète et divine, il est
impossible de régénérer et de vivifier des âmes
qui sont mortes, et c'est faute de posséder ce
pouvoir régénérant et vivifiant, que tant de mi-
nistères qu'il y a eu, et qu'il y a encore dans le
monde obtiennent si peu de succès. O, si le
peuple et les ministres pouvaient sentir cela !
mon cœur en est souvent troublé; je m'afflige
et m'inquiète sur leur sort ! S'ils possédaient la
sagesse, s'ils voulaient considérer et prendre à
cœur des choses si importantes et si essentielles
pour leur bonheur éternel !
Ici nous distinguerons deux choses ; la doc-
trine quils enseignaient, et l'exemple qu'ils don-
naient aux autres. J'ai d6ja touché un mot sur
leur grand principe qui est comme la pierre
angulaire de tout leur édifice, le point essentiel
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 31
qui les caractérise et qui les distingue spéciale-
ment de tous les autres, c'est-à-dire, la lumière
de Jésus-Christ, au dedans d'eux, le vrai
don de Dieu pour le salut de l'homme. Ce
principe est le tronc d'où partirent, comme
autant de branches, les différens points de doc-
trine dont je vais faire rémunération, dans leur
ordre naturel et expérimental.
Le premier était de se repentir des œuvres
mortes, pour servir le Dieu vivant; ce qui ren-
ferme trois opérations: 1. Connaître le péché ;
2. en concevoir une sainte horreur et un saint
repentir ; 3. s'amender à l'avenir. Voilà en
quoi consistait la repentance qu'ils prêchaient, à
laquelle ils exhortaient les hommes, et qui était
le résultat naturel du principe dont ils voulaient
les convaincre. Car de la lumière venait la con-
naissance du péché, de cette connaissance l'hor-
reur et le repentir, et de cette horreur et de ce
repentir, l'amendement. Or cette doctrine de
repentance mène à la justification, c'est-à-dire,
au pardon des péchés passés, par Jésus-Christ,
(le seul de qui nous puissions attendre la propi-
tiation) à la sanctification, ou purgation de l'ame
de la souillure et de l'habitude du péché, par la
lumière de l'Esprit de Jésus-Christ dans nos
âmes; et c'est-là la vraie justification, suivant
32 ORIGINE ET FORMATION DE LA
toute l'étendue du mot, qui signifie que le cou-
pable est justifié de tous péchés passés, comme
s'ils n'eussent jamais été commis, par l'amour
et la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ, et que
l'homme est rendu intérieurement juste par la
puissance purifiante et sanctifiante de Jésus.
Christ, qui se manifeste à l'ame ; et c'est ce qui
s'appelle ordinairement sanctification. Mais qui-
conque rejette l'Auteur de sa sanctification
n'éprouve point la vertu de son sacrifice, le but
de sa venue étant de délivrer son peuple de la
souillure du péché, aussi bien que du crime du
péché ; c'est pourquoi ceux qui résistent à sa
lumière et à son Esprit rendent inutiles pour eux
les mérites de son incarnation et de son sacrifice.
De là suivait un second point de doctrine
qu'ils se trouvaient amenés à annoncer comme
étant " le but, le prix de la céleste vocation" de
tous les vrais Chrétiens ; ce second point consis-
tait à viser à la perfection suivant les Ecritures
de vérité, qui nous assurent que c'était là le
grand objet de la venue de Christ, la nature de
son royaume, et son dessein en nous donnant
son esprit ; savoir afin que nous fussions parfaits,
comme notre Père céleste est parfait ; et saints,
parceque Dieu est saint. Et tel était l'objet de
tous les travaux des apôtres, que les Chrétiens
SOCIETE DÏTE DES QUAKERS. 33
fussent sanctifiés en corps, en ame, et en esprit ;
mais ils n'annoncèrent jamais la perfection de
sagesse ou de gloire dans ce monde ; ni l'affran-
chissement de la mort, ou des autres infirmités
humaines; comme quelques-uns ont eu la foi-
blesse de le croire, ou la malice de l'insinuer
contr'eux.
Ils appellaient cet état rédemption, régénéra-
tion, vie nouvelle : enseignant partout, qu'à
moins que cette œuvre ne fût connue, il n'y avait
point à espérer d'hériter le royaume des cieux.
En troisième lieu, de là suivait naturellement
la doctrine des châtimens et des récompenses
éternelles, et sans doute, ils étaient assez fondés
dans cette croyance ; car sans cela ne pourrait-
on pas les regarder comme les plus malheureux
de tous les hommes, eux qui pendant quarante
ans avait tant souffert pour la vérité qu'ils pro-
fessaient, qui dans quelques occasions avaient été
traités comme les derniers des hommes, comme
s'ils eussent été " la raclure de tous."
Tel est donc le grand objet de leur doctrine
et de leur ministère, telle est la doctrine que la
plupart de ceux qui font profession d'être Chré-
tiens semblent adopter, mais qu'ils ne sou-
tiennent que du bord des lèvres et pour la forme,
mais non avec force et avec sainteté ; qualités
D
34 ORIGINE ET FORMATION DE LA
que les hommes en général ont perdues, depuis
qu'ils se sont écartés de ce principe, de cette
semence de vie, qui se trouve en chaque homme,
en laquelle et par laquelle seule leurs âmes
peuvent être vivifiées, pour servir le Dieu vivant
dans une vie nouvelle. Car comme ce qui fait
la vie de la religion était éteint, et que la plu-
part vivaient et adoraient Dieu à leur manière,
et non suivant la volonté de Dieu, et l'esprit de
Christ ; (car alors leurs oeuvres auraient été des
fruits dignes du Saint Esprit) ainsi ce que les
Quakers prêchaient avec tant de force n'était
point une pure théorie, mais une vérité d'expé-
rience ; non pas une formalité, mais la piété
même ; car ils sentaient en eux-mêmes, par l'efB-
cacité des justes jugemens de Dieu, que sans la
sanctification aucun homme ne peut voir le
Seigneur avec joie.
De ces points généraux, qui étaient en quelque
façon les branches principales de leur doctrine,
sortaient plusieurs autres rameaux particuliers ;
qui expliquaient et confirmaient l'efficacité et la
vérité de leur doctrine générale, dont leur con-
duite et toute leur vie était un exemple continuel
Ce sont :
1. Leur communion et leur charité réciproque.
C'est en effet ce que tout le monde dit d'eux :
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 3.5
ils se réunissent, s'entr'aident, et se soutiennent
les uns les autres ; et il est ordinaire d'entendre
dire; Voyez les Quakers, comme ils s'aiment
entre eux, quel soin ils ont les uns des autres !
d'autres, moins j ustes, disent, les Quakers n'aiment
que les Quakers. En effet si l'amour réciproque,
si la communion intime en religion, si l'exacti-
tude à se réunir pour rendre ses hommages à
Dieu, et l'attention à s'entr'aider, peuvent être
regardés comme le caractère distinctif des Chré-
tiens de la primitive église, ils le possédaient
dans toute son étendue ; le Seigneur en soit loué.
2. L'amour pour ses ennemis ; c'est un prin-
cipe qu'ils enseignaient et pratiquaient. Car
non seulement ils refusaient de se venger des
injures qu'ils avaient reçues, et condamnaient
cette vengeance comme un chose opposée à l'esprit
du Christianisme ; mais ils pardonnaient géné-
reusement, et même aidaient et soulageaient ceux
qui s'étaient montrés cruels à leur égard, quand
il se trouvaient à même de s'acquitter ainsi avec
ceux de ce qu'ils en avaient souffert. L'on pourrait
en donner plusieurs exemples, et même d'assez
remarquables. Ils tâchaient par leur foi et par
leur patience de se mettre au dessus de l'injustice
et de l'oppression, et ils prêchaient aux autres
la pratique de cette vertu vraiment chrétienne.
d2
36 ORIGINE ET FORMATION* DE LA
3. La plus grande simplicité dans la manière
de dire la vérité, comme Jésus-Christ le recom-
mande, en n'affirmant rien entre Chrétiens que
par Oui ou Non, sans aucun serment, et cela
d'abord parceque Jésus-Christ le défend ex-
pressément, (Matt. v.) ; en second lieu, parcequ'-
étant liés par la vérité au dedans d'eux-mêmes,
tout serment était inutile, et que c'eîit été même
donner lieu de douter de leur véracité, si étant
Chrétiens, ils eussent voulu assurer la vérité
par un moyen extraordinaire au lieu de regarder
un simple Oui ou Non, sans aucune autre
affirmation, protestation ou serment, comme
une forme beaucoup plus convenable à la
droiture évangelique. Mais en même tems
ils consentaient, s'il leur arrivait de dire une
fausseté, à être punis aussi sévèrement que les
autres le sont pour un parjure ; excluant ainsi
tous sermens, soit vrais, faux, ou prophanes, dont
la terre est, et a été scandalisée ; et qui ont
offensé et offensent si gravement l'Etre Suprême.
4. Souffrir, et non point combattre, est encore
un des principes particuliers à cette société. Ils
soutiennent que le Christianisme enseigne à
" changer les épées en coutres, et les lances en
serpettes," et à renoncer à la guerre afin que les
loups puissent " reposer au milieu des agneaux,
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 37
îes lions parmi les veaux," et que toute maxime
de destruction soit effacée du cœur des hommes :
les exhortant, à tourner leur zèle contre le péché,
et leur colère contre Satan, et à ne plus se faire
la guerre les uns aux autres. Car selon l'apôtre
Jacques, toutes guerres et tous combats viennent
de la convoitise du cœur humain, et non point
de l'esprit de douceur de Jésus-Christ, capitaine
dans un autre genre de guerre, où Ton employé
d'autres armes. Ainsi de même que la plus
grande simplicité dans la manière de dire la vérité
remplaça les sermens, de même la foi et la pa-
tience succédèrent aux combats, et dans leur
doctrine et dans leur pratique. Et le gouverne-
ment civil ne doit pas pour cela les regarder
d'un mauvais œil, car par la même raison qu'iis
ne prendront point les armes pour le gouverne-
ment, ils ne les prendront point non plus contre
lui ; et ce n'est pas peu de chose que d'être
assuré de ce dernier avantage. Ne serait-il pas
déraisonable en effet de blâmer les gens de ne
pas faire pour autrui ce qu'ils croyent de ne pas
devoir faire pour eux-mêmes ? D'ailleurs, même
en mettant le Christianisme de côté, la paix, avec
tous ses inconveniens, ne vaut-elle pas mieux en
général que la guerre avec tous ses avantages,
quand on considère ce qu'elle coûte et ses fruits ?
38 ORIGINE ET FORMATION DE LA
Mais quoiqu'ils ne crussent point devoir prendre
les armes, ils étaient très fort d'avis de se soumet-
tre au gouvernement, et cela non seulement par
crainte, mais par conscience, toutes les fois que
le gouvernement ne cherche point à troubler leur
conscience ; regardant tout gouvernement comme
représentant de Dieu, et tout bon gouvernement
comme le bien le plus précieux pour le genre
humain. Cependant, victimes tantôt d'un zèle
aveugle, et tantôt de l'intérêt, ils ont essuyé de
la part du gouvernement plus de rigueur qu'au-
cune secte de notre siècle ; et pourtant l'on peut
dire, que sauf ce qui concerne la religion, aucune
société n'a moins troublé les magistrats dans
l'exercice des devoirs de leur charge.
5. Un autre trait du caractère des membres
de cette société, c'est leur refus de payer une
dîme et des impôts pour les ministres d'une reli-
gion de l'état, et cela pour deux raisons. La
première c'est qu'ils croyent que toute contri-
bution forcée, même pour soutenir les ministres
de l'évangile, n'est ni légitime ni conforme au
commandement de Jésus-Christ, qui a dit,
" Vous l'avez reçu gratuitement, donnez le de
même." Ils croyent du moins que si l'on con-
tribue au soutien des ministres de l'évangile,
toute contribution de ce genre doit être libre, et
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 39
non forcée. Leur seconde raison c'est que les
ministres de la religion nationale ne sont point
des ministres selon l'évangile, que leur création
n'est point selon le Saint Esprit, mais selon l'es-
prit humain et les talens humains. De sorte que
ce n'est ni par humeur ni par caprice, mais par un
motif de conscience envers Dieu, qu'ils croyent ne
pas devoir contribuer à soutenir ces ministres
dans le pays ou ils demeurent, parceque ces sortes
d'emplois ne sont que trop, et trop visiblement,
des moyens de s'agrandir dans le monde.
6. Un autre point de doctrine qu'ils mettent en-
core en pratique, c'est de ne point se croire tenus
envers les personnes, de quelque rang qu'elles
soient, à aucun respect d'un caractère particulier ;
et ceci leur a attiré bien des affronts et des in-
jures. Donner des titres flatteurs, faire certains
complimens ou certains gestes pour marquer le
respect, leur paraissait un péché. Us savaient
pourtant distinguer la vertu et l'autorité, mais
ils le faisaient d'une manière simple, unie, et sur-
tout sincère ; se rappelant l'exemple de Mardo-
chée et d'Elihu, mais encore plus particulière-
ment le commandement de leur Seigneur et
Maître, Jésus-Christ, qui défendait à ses dis-
ciples d'appeler les hommes Rabbi, c'est-à-dire,
Seigneur ou Maître. Us rejettèrent aussi les
40 ORIGINE ET FORMATION DE LA
complimens et les salutations ordinaires de ces
tems-là, afin d'humilier, au lieu d'encourager
l'amour propre et la vanité aux quels l'esprit de
l'homme est si sujet depuis sa chute. Et quoique
cela rendît peut-être leur commerce peu agré-
able, ceux qui se rappelleront ce que Jésus-
Christ disait aux Juifs, " Comment pouvez vous
croire, vous qui recevez des honneurs les uns
des autres ?" s'en trouveront moins choqués,
s'ils font cas de sa doctrine.
7. Ils tutoyaient aussi tous ceux à qui ils par-
laient, quel que fût leur rang parmi les hommes,
et c'est là une grande preuve de la sagesse de
Dieu, d'avoir fait apparaître dans le monde cette
société avec des formes si simples. C'était en
effet comme une pierre de touche au moyen de
laquelle ils connaissaient au premier abord le
caractère de ceux avec qui ils se trouvaient;
qui décelait ce qu'ils étaient au dedans, et qui,
quelque cas qu'ils parussent faire de la religion,
mettait bientôt à vue leur vanité. Ce mot de
toi paraissait si dur à quelques-uns, et ils s'en
offensaient à un tel point, qu'on en a vu leur
répondre les choses les plus dures et les
plus injurieuses, oubliant de quelle manière
ils parlent eux-mêmes à Dieu dans leurs
prières, oubliant que c'est là le stile de l'Ecri-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 41
ture ; et que parler autrement, c'est s'exprimer
d'une manière incorrecte, à ne considérer que
les régies de la langue. Et je demanderai quel
bien la religion avait fait à des gens qu'on met-
tait hors d'eux mêmes, en se servant à leur
égard, de cette manière de parler, simple, hon-
nête, et surtout vraie ?
8. Ils donnaient eux-mêmes l'exemple du
silence, s'imposant la plus grande brièveté dans
toute occasion. Ils n'avaient qu'uue parole
dans le commerce, et quoi que pussent leur dire
leurs pratiques, ils ne s'en relâchaient point, et
préféraient la vérité et le bon exemple au profit
qu'ils auraient pu faire autrement. Ils cher-
chaient la solitude, et s'ils se trouvaient en
compagnie, ne se permettaient aucun discours
dont Dieu pût être offensé, comme ils évitaient
d'en entendre de tels, lorsqu'ils pouvaient s'en
garantir ; par là ils conservaient leurs âmes
pures et libres de toutes pensées et de tous
amusemens dangereux. Ils ne voulaient point
non plus se soumettre à la coutume de se dire
Bon jour, Bon soir, Dieu vous conduise ; car ils
savaient que le jour est bon, et la nuit aussi,
sans le souhaiter, et ils croyaient que dans la
troisième phrase le nom de Dieu était employé
avec trop de légèreté, trop peu de reconnais-
42 ORIGINE ET FORMATION DE LA
sance, et par conséquent pris en vain. Ils
regardaient d'ailleurs ces paroles comme des
complimens d'habitude, auxquels on ne pense
pas plus en les prononçant, qu'on ne pense à
donner aux gens une preuve de son respect et
de sa soumission, en ôtant son chapeau et
faisant des révérences. Et comme en cela,
ainsi qu'en toute autre chose, ce qui est superflu
leur était incommode, non seulement ils s'en
dispensaient, mais par fois ne pouvaient s'empê-
cher de blâmer ce vain cérémonial.
9. Pour la même raison ils ne buvaient point
à la santé des gens, et ne demandaient point
qu'on leur fît raison, comme cela se pratique
dans les compagnies ; pratique non seulement
inutile, mais suivant eux mauvaise dans ses con-
séquences. Cela ne sert en effet qu'à exciter
les gens à boire plus qu'il ne faut pour la
santé ; pratique assez vaine, et qui tient du
paganisme.
10. Ils ont aussi un mode de mariage qui leur
est particulier, et qui, par l'attention qu'ils y
apportent, les distingue des autres sociétés
Chrétiennes. Ils disent que le mariage est d'in-
stitution divine, et que Dieu seul peut permettre
et consacrer cette union. Pour cette raison, ils
ne se servent pas ni du ministre ni du magistrat.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 43
L'homme et la femme qui veulent se marier, se
prennent donc pour époux en présence de té-
moins respectables, dans une assemblée publique
pour le culte divin, et se promettent, avec l'aide
de Dieu, de s'entr'aimer, et de se garder fidélité,
jusqu'à ce que la mort les sépare. Mais pré-
alablement, ils se présentent à l'assemblée qui
se tient tous les mois pour les affaires de la con-
grégation à laquelle ils appartiennent, et y dé-
clarent publiquement l'intention où ils sont de
se marier, si Dieu le permet. Le père et la
mère, ou les tuteurs les accompagnent sur cette
occasion, et y déclarent leur consentement ;
autrement ils le déclarent par écrit dans un
certificat, adressé à l'assemblée. 11 est d'us-
age que l'assemblée en dresse un acte par
écrit, et nomme des personnes respectables pour
s'informer de la conduite des parties, et savoir
si elles ne sont point engagées avec quelque
autre, afin d'en faire leur rapport le mois
suivant à l'assemblée. Lorsqu'il paraît qu'elles
ont fait tout ce qu'il y avait à faire, l'assem-
blée donne son consentement par écrit. Si la
femme est veuve et qu'elle ait des enfans, on a
soin qu'elle pourvoye à leur subsistance, avant
que l'assemblée donne son consentement au
mariage. On avertit les parties de fixer un tems
44 ORIGINE ET FORMATION DE LA
et un lieu convenables, et d'en donner avis à
ceux de leurs parens, de leurs amis, et de leurs
voisins, qu'ils désirent avoir pour témoins de
leur mariage ; là se prenant par la main, chacun
d'eux promet à l'autre amour et fidélité ainsi
qu'il a été dit plus haut. On rédige alors un
espèce d'acte ou de certificat, relatant tout ce
qui s'est passé ; les nouveaux mariés le signent
d'abord pour confirmer cette espèce de contract,
et ensuite les parens et autres personnes pré-
sentes le signent aussi comme témoins ; enfin
ce certificat est enregistré au livre de la congré-
gation où le mariage se fait. Ce contract a été,
comme il le méritait, estimé valide, et admis
comme tel dans les cours de judicature où il
avait été attaqué d'abord par des gens mal-in-
tentionnés et de mauvaise foi, sous prétexte qu'il
n'avait point été fait avec les formalités ordi-
naires, devant un prêtre, avec un anneau, &c,
cérémonies auxquelles ils n'ont point voulu se
soumettre ; et cela non pas par humeur, mais
par un principe de conscience bien fondé ; se
conformant en cela aux exemples qu'ils trouvent
dans l'Ecriture, exemples qui nous indiquent
qu'autrefois le prêtre n'avait d'autre part au
mariage que d'être un des témoins en présence
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 45
desquels les Juifs se prenaient pour époux. C'est
pourquoi ils regardent tout le reste comme autant
de ruses dont le seul but est d'augmenter la
puissance et les profits du clergé ; et quant à
l'anneau il suffit de dire que c'est une vaine
coutume, tenant du paganisme, et dont on ne
retrouve la pratique ni parmi le peuple de Dieu,
les Juifs, ni chez les premiers Chrétiens. Et
même l'on serait assez embarrassé pour défendre
ces paroles de la formule usitée pour les ma-
riages : " Je t'épouse avec cet anneau ; je t'ho-
nore de mon corps, et je te communique tous
mes biens temporels, au nom du Père, et du Fils,
et du Saint Esprit."
En un mot, ils montrent dans leur mode de
mariage une attention, une exactitude, et une
régularité qui ne se trouvent dans aucune des
formes en usage aujourd'hui ; il n'offre aucun
des inconveniens auxquels ces formes sont su-
jettes : enfin au moyen de toutes les précautions
et restrictions dont ils usent, il est impossible
qu'il se fasse parmi eux aucun mariage clan-
destin.
11. Je dirai ici un mot de la naissance de
leurs enfans, et de leurs enterrements, choses qui
donnent lieu à tant de pompe parmi des gens
46 ORIGINE ET FORMATION DE LA
qui font profession d'être Chrétiens. Quant aux
naissances, ce sont les parens qui nomment eux-
mêmes leurs enfans. Cela se fait ordinairement
quelques jours après la naissance de l'enfant.
Ceux qui ont assisté à l'accouchement, signent
ensuite un certificat, où il est fait mention de la
naissance et du nom de l'enfant ou des enfans,
s'il y en a plus d'un. On l'enregistre ensuite à
l'assemblée qui se tient tous les mois, et dont les
parens de l'enfant sont membres ; du reste rien
qui ressemble aux cérémonies et aux réjouis-
sances ordinaires.
13. Pour leurs enterremens, la même simpli-
cité. On porte le corps du défunt ordinairement
à un lieu d'assemblée pour la commodité de ceux
qui l'accompagnent jusqu'à la sépulture. Il
arrive quelque fois que quelqu'un des assistants
se sentira mu à faire une exhortation à l'assem-
blée. Le corps est porté au tombeau dans un
cercueil très simple, sans poêle ou autre orne-
ment. Quand on est arrivé au cimetière on fait
une petite pause avant de descendre le corps dans
la fosse, afin de donner le tems de parler à ceux
qui pourraient avoir quelque exhortation à faire
aux personnes présentes ; pour que les parens
puissent plus paisiblement et plus solemnelle-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 47
ment dire le dernier adieu à celui qu'ils ont
perdu ; et pour donner aux spectateurs une oc-
casion de penser à la mort, et de songer à leur
fin dernière. Du reste, les Quakers n'ont ni
cérémonies, ni pratiques réglées pour ces sortes
d'occasions. Les parens du défunt ne portent
jamais le deuil,* regardant cela comme une pure
cérémonie et une pompe mondaine ; pensant
d'ailleurs que le deuil qu'un Chrétien peut se
permettre à la mort d'un parent, ou d'un ami,
doit être dans le cœur, qui seul peut sentir une
telle perte. Du reste la meilleure manière de
montrer qu'on les aimait et qu'on respecte leur
mémoire, c'est de suivre leurs avis, d'avoir soin
de ceux qu'ils ont laissés, et d'aimer ce qu'ils
aimaient. Par cette conduite, quelque contraire
qu'elle soit à la mode et à l'usage, ils ne
négligent au fond rien de ce qu'il est à propos de
* N.B. Depuis que ce petit ouvrage parut pour la pre-
mière fois, eu 1694, quelques-uns des descendans des
membres de cette société, ont visiblement dégénéré à cet
égard de la simplicité de leurs devanciers. Cependant
leur église conserve toujours les mêmes sentimens, et n'a
point changé d'opinion sur cet objet, ainsi qu'on peut le
voir par les avis répétés des grandes assemblées qu'ils
tiennent chaque année, ainsi que des autres.
48 ORIGINE ET FORMATION DE LA
faire en pareil cas ; et comme c'est là tout ce
qu'ils ont en vue, ils se font un plaisir et une
régie de ne point s'écarter de cette simplicité de
vie, à quelques moqueries, à quelques railleries
que cela les expose souvent de la part du monde.
Il est certain qu'à cause de ces particularités,
le grand nombre les trouvait désagréables, gros-
siers, et les accusait de vouloir bouleverser le
monde, et cela était assez vrai, à prendre ce mot
dans le sens qu'on attachait à la même imputa-
tion faite à Paul ; c'est-à-dire, qu'ils voulaient
remettre les choses dans l'ordre, et les ramener
à leur état primitif. Car s'ils adoptaient ces
pratiques ou autres semblables, ce n'était ni par
caprice, ni par envie de se distinguer, comme
quelques-uns l'ont cru ; mais par un effet du
sentiment intérieur que Dieu avait produit en
eux par la crainte de son saint nom. Ils ne
cherchaient point à contredire le monde, ou à se
singulariser, pour former une secte à part. Ce
n'était par là leur intention, et ils n'y avaient
nul intérêt ; ce n'était pas davantage un dessein
prémédité, celui de s'annoncer comme innova-
teurs, et de faire schisme. Mais Dieu, en leur
donnant la connaissance d'eux-mêmes, leur
avait aussi appris à connaître le monde, à dis-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 49
cerner les affections et les passions des hommes,
l'origine et la suite de choses, à distinguer ce qui
n'était fait que pour satisfaire les " appétits de
la chair, et la convoitise des yeux," et ce qui
ne servait qu'à flatter l'orgueil et le luxe,
toutes choses qui ne viennent point du Père,
mais qui sont de ce monde. Et telle est effective-
ment l'origine de ces vaines coutumes, et de
bien d'autres, qui tirent leur source des erreurs
et ténèbres dans lesquelles le monde s'est trouvé
enseveli, à mesure qu'il a perdu de vue la lumière
et l'esprit de Dieu ; et qu'au moyen du jour cé-
leste que Jésus-Christ fait luire dans nos âmes,
nous reconnaissons pour mauvaises dans leur
origine, ou devenues telles avec le tems dans
la pratique, par l'abus qu'on en a fait. Bien
des gens les regardent comme choses de peu
d'importance ; et ces particularités faisaient
passer les Quakers pour des hommes entêtés de
leurs idées ; mais elles tirent plus à conséquence
que l'on ne croyait, et que l'on ne croit encore
aujourd'hui.
Ce dut être une chose assez désagréable poul-
ies premiers amis,* que de se faire ainsi remar-
* Les Quakers se donnent les uns aux autres le titre
d'ami, comme les autres sociétés se donnent celui de frère.
E
50 ORIGINE ET FORMATION DE LA
quer, et de s'exposer par là au mépris, et aux
railleries du monde ; et il leur était aisé de pré-
voir que telle serait la conséquence d'une con-
duite en apparence si étrange; mais ces folies
ne servirent qu'à faire éclater la sagesse de Dieu.
Car d'abord on vit par là combien ces pratiques
choquaient ceux qui prenaient plaisir, et tenaient
encore aux usages de ce monde (tous en pré-
tendant ne s'occuper que de l'autre) puisqu'ils
étaient si vivement piqués, dès qu'on s'en
écartait un peu à leur égard ; et puisque l'hon-
netété, la vertu, la sagesse, et les talens ne
pouvaient y suppléer à leurs yeux. Le second
avantage y trouvèrent les Amis, c'est que cela les
sépara du commerce du monde ; car leur société
paraissant désagréable à leurs parens et a leurs
connaissances, ils n'en eurent que plus de la
facilité à vivre dans la retraite et dans la soli-
tude, où ils jouirent d'une compagnie incompar-
ablement préférable, celle du Seigneur Dieu leur
Rédempteur. Ils se fortifièrent dans son amour,
sa puissance, et sa sagesse, et en devinrent beau-
coup plus propres à le servir, comme l'événement
a bien prouvé ; grâces en soient rendues au
Seigneur !
Quoiqu'ils ne fussent ni grands, ni savans,
dans l'opinion du monde (car en pareil cas ils
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 51
eussent trouvé assez de prosélytes prêts à em-
brasser leur doctrine sur parole), cependant leur
société était en général composée des hommes
les plus modérés, et qui avaient la réputation
d'être les plus religieux des sociétés auxquelles
ils appartenaient, la plupart gens de sens, de
crédit, et de bon renom.
Plusieurs d'entr'eux, d'ailleurs, ne manquaient
ni de talens, ni de science, ni de biens, quoi
qu'alors comme autrefois, il n'y eut pas beau-
coup de sages, ni de nobles, &c. qui fussent
appelés, ou au moins qui prêtassent l'oreille à la
voix du Seigneur : et cela, parcequ'ils pré-
voyaient les tribulations auxquelles une con-
version sincère les aurait exposés. Les hommes
d'esprit et de science, n'en sont pas pour cela
meilleurs Chrétiens, quoique ces qualités les
rendent quelquefois plus capables comme ora-
teurs et comme logiciens : mais si les hommes
connaissaient mieux le don de Dieu, ils ne tom-
beraient pas dans cette erreur vulgaire et si
dangereuse. La théorie et la pratique, la spé-
culation et la réalité, les discours et la conduite
de la vie, sont des choses très différentes. Non,
il n'y a de vrais Chrétiens que ceux qui se re-
pentent, qui réforment leur vie, qui s'humilient,
qui veillent sur eux-mêmes, qui renoncent à
e2
52 ORIGINE ET FORMATION DE LA
eux-mêmes, et dont le cœur est pur et saint.
Une telle disposition est le fruit, l'œuvre de
l'esprit, qui est la vie de Jésus : cette vie qui,
bien que renfermée dans la plénitude de l'esprit
en Dieu le Père, se répand au dehors, et remplit
les cœurs de ceux qui croyent véritablement, et
suivant leur capacité. O ! si les hommes pou-
vaient connaître ce don céleste ! s'ils pouvaient
être purifiés, circoncis, vivifiés, et devenir de
nouvelles créatures, régénérées selon Jésus- Christ,
vivre pour Dieu, et non pour eux-mêmes, et offrir
des prières vivantes, et des louanges vivantes au
Dieu vivant, par son Esprit vivant ; ainsi qu'il
doit être adoré enfin en ce glorieux jour de
l'évangile !
O, qu'il me serait doux d'espérer que ceux qui
me lisent, seront touchés de mes paroles ! Car
je ne puis sans attendrissement envisager la mi-
séricorde de Dieu, du Père des lumières, envers
cette pauvre nation, et envers le monde entier,
par le même témoignage. Pourquoi ses habitans
le rejetteraient ils ? Pourquoi une si grande
faveur serait elle en pure perte pour eux ?
Pourquoi ne se tourneraient-ils pas de toutes leurs
forces vers le Seigneur, et ne lui diraient ils pas
du fond du cœur : " Parle, ô Seigneur, parle, car
" maintenant tes pauvres serviteurs t'écoutent :
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 53
*' que ta volonté soit faite, ta grande, ta bonne,
" ta sainte volonté, sur la terre comme au ciel ;
*' fais la en nous, exécute la sur nous, fais ce que
" tu voudras de nous, car nous t'appartenons, et
"nous désirons de te glorifier; toi qui es non
" seulement notre Créateur mais notre Rédemp-
" teur, qui nous retires de la terre, des vanités et
" de la corruption du monde, pour faire de nous
" ton peuple choisi ?" Quel grand jour pour
l'Angleterre, si son peuple pouvait avec sincérité
tenir un pareil discours ! mais helas ! il n'en est
pas ainsi ; et plusieurs de tes habitans, ô ma
chère patrie, ont pleuré sur toi, et se sont affligés
de ton aveuglement. Leurs yeux ont été comme
des fontajnes de larmes, en voyant tes trans-
gressions et ton opiniâtreté ; en voyant que
tu ne veux ni écouter ni craindre le Seigneur ;
que tu ne veux point retourner à ton rocher, O
Angleterre, oui, à ce rocher d'où tu as été taillée.
Tout t'avertit, ô terre qui te vantes de ton esprit
religieux, de le recevoir dans ton cœur. Depuis
combien de tems frappe-t-il à la porte, et y
frappe-t-il inutilement ! Réveille-toi donc, de
crainte que les jugemens de Jérusalem ne
s'accomplissent sur toi, puisque les péchés
de Jérusalem se multiplient dans ton sein.
Car elle abondait en rites et en formalités, et
54 ORIGINE ET FORMATION DE LA
cette Jérusalem négligeait les points importans
de la loi de Dieu ; eh bien, c'est ce que tu fais
tous les jours.
Elle résista au Fils de Dieu, qui avait pris
chair au milieu d'elle ; et tu résistes au Fils de
Dieu qui t'envoie son esprit. Il voulait la ras-
sembler comme une poule rassemble ses poussins
sous ses ailes, et elle ne voulut pas l'écouter.
Il voulait aussi te rassembler, te faire aban-
donner tes vaines démonstrations, toutes ces
paroles que la pratique dément, pour te faire
posséder son véritable héritage, te faire con-
naître sa puissance et son royaume. Il s'est
souvent fait entendre dans ton cœur, par sa
grâce et par son esprit, ainsi que par ses ser-
viteurs et par ses ministres. Mais de même
qu'autre fois Jérusalem, lorsque le Fils de Dieu
parut au milieu d'elle, le persécuta, le crucifia, le
battit de verges, et emprisonna ses disciples ; de
même, O Angleterre, tu as derechef et autant
qu'il était en ton pouvoir, crucifié le Seigneur de
toute vie et de toute gloire ; et tu n'as fait
aucun cas de son esprit et de sa grâce, fermant
l'oreille à la voix du Père céleste, et persécutant
par tes loix, et par tes magistrats, ceux qui
voulaient te la faire entendre, qui t'exhortaient
alors, et t'exhortent aujourd'hui, par la puis-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 55
sance et l'Esprit de Dieu, par son amour et sa
douceur, à reconnaître le Seigneur, à le servir,
et à devenir la gloire de toutes les nations.
Bien plus, tu as reconnu le service qu'ils
voulaient, te rendre, en les maltraitant : tu as
méprisé leurs conseils, et rejette des réprimandes
que tu aurais du écouter : leurs manières étaient
trop rigides, ils étaient d'ailleurs trop peu con-
sidérables pour mériter ton attention. Tu as
fait comme les Juifs, qui s'écriaient, " N'est
ce pas là le fils du charpentier ? Ses frères ne
sont-ils pas parmi nous ? Les scribes, les savans,
(c'est-à-dire, les orthodoxes) croyent-ils en lui ?"
On annonçait que les Amis ne tiendraient pas
plus d'un an ou deux ; et, pour vérifier cette
prophétie, on faisait des loix sévères contr'eux,
et on les mettait à exécution ; on tâchait de
les effrayer pour leur faire abandonner leur
croyance, et l'on voulait les détruire s'ils y
restaient fidèles. Mais tu as vu que tant de
gouvernemens qui se sont élevés contre eux,
et avaient résolu leur perte, ont été renversés
et détruits ; et qu'eux ils subsistent encore, et
forment une grande société, un peuple considér-
able parmi tes habitans de la classe moyenne. Et
malgré toutes les difficultés qu'ils ont éprouvées,
tant au dehors qu'au dedans, depuis que le
56 ORIGINE ET FORMATION DE LA
Seigneur Dieu éternel les a réunis, leur nombre
s'accroîtde jourenjour,et leSeigneur continue de
l'augmenter en différens pays, par la conversion
de plusieurs, qui seront sauvés s'ils persévèrent
jusqu'à la fin. Ils étaient élevés, et sont encore
élevés au milieu de toi, O Angleterre, comme une
ville bâtie sur une montagne, comme un étendard
et un signe de ralliement pour toi, ainsi que pour
les autres nations dont tu es entourée ; afin que,
guidée par eux, tu puisses voir la lumière en
Jésus-Christ même, qui est la lumière du monde
et par conséquent ta lumière et ta vie, si tu
voulais quitter tes voies criminelles pour la re-
cevoir et lui obéir. Car, comme le dit l'Ecri-
ture, " les nations de ceux qui seront sauvés
doivent marcher à la lumière de l'agneau."
Considère donc,0 nation de grande profession,
considère comment le Seigneur s'est offert à toi,
depuis les premières lueurs de la réforme ; com-
bien de fois il a fait parler à tes yeux ses miséri-
cordes et ses jugemens ; réveille toi ; sors de ton
profond sommeil, reçois sa parole dans ton cœur,
afin que tu puisses vivre. Ne souffre pas que la
faveur du Seigneur passe par dessus ta tète,
sans que tu en profites ; ne négliges pas ce grand
moyen de salut qui t'est apporté chez toi ; car
pourquoi mourrais-tu ? O terre à qui le Sei-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 57
gneur offre ses bénédictions, sois assurée que
c'est lui qui est au milieu de toi, au milieu
de ton peuple ; et non point un vain phan-
tôme, comme tes ministres abusés veulent se
le persuader, et te le persuader à toi-même. Tu
t'en convaincras bientôt, par le caractère et
les œuvres des amis, si tu veux les examiner
avec impartialité.
58 ORIGINE ET FORMATION DE LA
CHAPITRE III.
Des qualités du Ministère chez les Quakers ; onze signes
prouvent qu'il est éminemment Chrétien.
1. Ils étaient changés eux-mêmes avant d'en-
treprendre de changer les autres. Leurs vête-
ments étaient déchirés, leurs cœurs l'étaient
aussi ; la puissance de Dieu leur était connue,
et ils en avaient senti les effets sur eux-mêmes.
Le grand changement qui s'était fait en eux, en
était la preuve ; leur conduite était devenue plus
sévère, et leur vie plus sainte.
2. Ils ne prenaient point leur tems pour
prêcher, ils n'attendaient point pour cela l'im-
pulsion de leur volonté, mais de celle de Dieu.
Les sujets qu'ils traitaient n'étaient pas de leur
choix, des sujets qu'ils eussent étudiés, mais ils
parlaient suivant qu'ils étaient poussés et inspirés
par l'esprit de Dieu, qui leur était si bien connu
depuis leur conversion, et qu'il est impossible de
dépeindre aux hommes charnels, de manière à
leur en donner une idée qui soit à la portée de
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 59
leur entendement. Car pour eux, dit Jésus-
Christ, " C'est comme le souffle du vent; per-
sonne ne sait ni d'où il vient, ni où il va." Et
cependant, leur ministère avait une telle puis-
sance de persuasion, que plusieurs en furent
touchés, et quittèrent leurs vaines opinions et
leurs mauvaises voies, pour ouvrir leurs cœurs à
la connaissance intérieure de Dien, en sentir les
effets, et mener une nouvelle vie ; c'est ce dont
nous avons des témoins sans nombre. Et comme
ils recevaient gratuitement du Seigneur ce qu'ils
devaient dire, aussi le communiquaient ils gra-
tuitement.
3. Le motif et l'objet principal de leur mi-
nistère, était de convertir les hommes à Dieu, de
les régénérer, de les sanctifier. Ce n'était pas
de leur part un plan formé d'avance, de prêcher
telle doctrine, ou tel symbole, ou d'introduire
telle nouvelle forme de culte ; mais ils avaient
en vue de dépouiller la religion de tout ce qu'on
y avait introduit de superflu ; d'en réduire les
formalités et les cérémonies, pour s'attacher
sérieusement à sa substance, et aux points les
plus nécessaires, et les plus importans pour le
changement de l'ame. C'est ce que doivent
reconnaître et reconnaissent en effet tous ceux
qui réfléchissent sérieusement sur cet objet.
60 ORIGINE ET FORMATION DE LA
4. Ils faisaient connaître aux autres hommes,
ce principe qui existait en eux, et cependant ne
venait point d'eux-mêmes ; au moyen du quel
tout ce qu'ils leur affirmaient, leur prêchaient, et
tout ce à quoi il les exhortaient, pouvait opérer
en eux, et par lequel ils pouvaient par expérience
connaître la vérité de leur doctrine. Or ce qui
est une preuve frappante et la marque distinctive
de leur ministère, c'est que non seulement ils
étaient parfaitement instruits de la doctrine qu'ils
prêchaient, mais ils ne craignaient point qu'on
la soumit à l'épreuve de l'examen. Car leur
assurance étant fondée sur la certitude, ils ne
demandaient point qu'on obéît à leur autorité,
comme hommes, mais que l'on se rendît à la
conviction ; et surtout à la conviction de ce
principe, qu'ils assuraient exister en ceux aux-
quels ils prêchaient ; auquel enfin ils les ren-
voyaient, pour examiner et vérifier par l'ex-
périence ce qu'ils en assuraient relativement à la
manière dont il se manifeste aux hommes, et
opère en eux. Or il est peu de ministres dans
le monde qui puissent en dire autant. Nous ne
nions pas que, quand ils traitent de la religion,
on ne puisse regarder comme vraies nombre de
choses qu'ils disent de Dieu, de Jésus-Christ, de
l'Esprit, de la sanctification, du ciel. Nous
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 61
dirons comme eux, que tous les hommes doivent
se repentir, et changer de vie, que sans cela ils
iront en enfer, &c. Mais, qui d'eux osera dire
qu'il parle d'après sa propre connaissance, ou
d'après ce qu'il a éprouvé en lui-même ? Qui
d'eux a jamais renvoyé ceux qui les écoutaient
à ce principe, à cet agent divin que Dieu a mis
au dedans de l'homme, pour l'aider ? Qui d'eux
leur a appris à le connaître, à attendre que sa
puissance, se faisant sentir, pénétrât leurs cœurs
de la sainte volonté de Dieu, qui nous rend agré-
ables à ses yeux ?
Il y a bien quelques-uns qui ont parlé de
l'Esprit, de la manière dont il opère notre sanc-
tification, et nous fait rendre à Dieu l'hommage
qui lui est dû ; mais il n'appartenait qu'à cette
dernière réforme de dévoiler ce mystère, et de
faire connaître comment et où le trouver, com-
ment il fallait attendre son apparition en nous,
et nous acquitter de notre devoir envers Dieu ;
de sorte que ce n'était pas seulement de bouche
qu'ils prêchaient la repentance, la conversion,
et la sanctification, mais ils le faisaient avec
connaissance de cause, et d'après leur propre
expérience. Ils renvoyaient ceux à qui ils
prêchaient à un principe suffisant ; ils leur
disaient où était ce principe ; à quels signes ils
62 ORIGINE ET FORMATION DE LA
pouvaient le connaître ; de quelle manière ils
en pouvaient faire l'expérience, et s'assurer de
sa puissance et son efficace, pour le bonheur de
leurs âmes. Or ceci n'est-il pas préférable à la
théorie et à la spéculation, sur lesquelles la
plupart des autres ministres s'appuyent? au
lieu qu'ici nous avons un point d'appui certain,
et sur lequel nous pouvons nous fonder, pour
paraître avec confiance devant Dieu, au jour du
jugement?
5. Un signe évident de la vertu de leur prin-
cipe, et qui prouve qu'ils prêchaient d'après ce
même principe, et non pas d'après des explica-
tions ou des commentaires qu'ils avaient pu
faire des écritures, en se livrant à leur imagina-
tion, c'est que leurs paroles pénétraient jusqu'au
cœur de ceux à qui ils prêchaient. Or rien
n'affecte le cœur que ce qui vient du cœur ; et
rien ne touche la conscience, que ce qui vient
d'une conscience vivante. De sorte qu'il est
souvent arrivé, que des personnes qui avaient
fait connaître sous le secret leur état intérieur à
quelques amis choisis, pour en recevoir des
conseils, ou au moins quelque soulagement, se
sont vu donner ensuite par leurs prédicateurs
des directions si bien adaptées à leur état,
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 63
qu'elles ont accusé leurs amis de ne pas leur
avoir gardé le secret, et d'avoir révélé leurs con-
fidences à ces prédicateurs, tandis que dans le
fait ils ne leur en avaient pas ouvert la bouche.
Oui, il y en a eu plusieurs, qui ont si bien re-
connu dans les discours de ces ministres leurs
propres pensées, et jusqu'aux moindres mouve-
mens de leurs cœurs, que, saisis de cette appa-
rition intérieure de Christ, ils se sont écriés
comme Nathaniel, "Tu es le Fils de Dieu, tu
es le Roi d'Israël." Et ceux qui ont embrassé
ce principe divin, y ont trouvé les mêmes
marques de vérité et de divinité qui firent con-
naître à la femme de Samarie, que Jésus, (alors
sur la terre) était le Messie; c'est-à-dire, qu'il
leur avait dit tout ce qu'ils avaient fait, leur
avait fait connaître leur état intérieur, et dévoilé
les secrets les plus cachés de leurs cœurs, les
avait jugés avec justesse, et les avait mis dans
le véritable chemin de la vie. Et c'est ce dont
nous avons même de nos jours des milliers de
témoins ; de sorte que ceux qui ont embrassé ce
principe céleste, non seulement ont trouvé que
tout ce qu'on leur avait dit de sa puissance, et
de ses vertus, était vrai ; mais qu'il leur a telle-
ment découvert la puissance, la pureté, la sa-
64 ORIGINE ET FORMATION DE LA
gesse, et la bonté de Dieu, qu'ils ont reconnu
qu'à peine on leur avait dit à cet égard la moitié
de ce qui en est.
6. Ce principe donnait à plusieurs d'entr'eux,
même de la plus basse classe, tant de talens
pour remplir leurs fonctions, et s'acquitter de
leurs devoirs ; à d'autres une intelligence si ex-
traordinaire des choses de Dieu, une si grande
facilité, et un tour d'expression si persuasif, que
plusieurs en ont été surpris, et disaient d'eux,
comme les Juifs de Jésus-Christ, " N'est ce pas
là le fils de cet artisan, où a-t-il acquis tant de
science?" D'autres les ont soupçonnés et ac-
cusés d'être des jésuites déguisés, parceque les
jésuites, depuis plus d'un siècle, avaient une
grande réputation de savoir ; et cependant rien
de moins fondé qu'une telle accusation, car
leurs ministres sont connus, on sait leur demeure,
leurs parens, et leur éducation.
7. Us ont commencé, comme les premiers
Chrétiens, dans l'humilité, méprisés et haïs;
ils n'ont point dû leurs succès à la sagesse
et à la puissance humaines, comme on peut
le reprocher en partie à d'autres réformateurs
qui ont paru avant eux. C'est par la croix, on
peut dire au contraire, qu'en tout ils se sont
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 65
avancés, et qu'ils ont eu à lutter contre les
voies, le culte, les usages, et les coutumes de ce
monde ; en un mot, qu'ils ont arrivés où ils en
sont contre vent et marée ; afin que nulle chair
ne se glorifiât .devant Dieu.
8. On ne dira pas qu'ils avaient leurs vues
pour s'exposer ainsi aux affronts et au mépris,
pour prodiguer ainsi leurs biens et leurs forces ;
laissant là femmes et enfans, maisons, terres, et
tout ce qui est le plus cher aux hommes ; expo-
sant leur vie à chaque instant, vivant continu-
ellement au milieu des dangers, pour publier ce
message primitif, qui leur a été confié de nou-
veau par l'Esprit de Dieu, et par sa puissance :
savoir, que Dieu est la vraie lumière, et qu'en
lui il n'y a point de ténèbres ; qu'il a envoyé
son Fils pour être la lumière du monde, et
diriger les hommes dans la voie du salut ; et
que ceux qui disent qu'ils ont communion avec
Dieu, qu'ils sont ses enfans et son peuple, et qui
cependant marchent dans les voies de ténèbres,
c'est-à-dire, qui agissent contre la lumière de
leur conscience, et suivant la vanité du monde,
se rendent coupables d'un affreux mensonge.
Mais que quant à ceux qui aiment la lumière,
qui agissent et marchent à la lumière, (et Dieu
F
66 ORIGINE ET FORMATION DE LA
lui-même est la lumière) le sang de son Fils
Jésus-Christ les purifierait de tout péché. Jean
i. 4, 19; iii. 20,21. 1 Jean i. 5, 6, 7.
9. Leur constance et leur patience à souffrir
pour tout ce qui concerne leur doctrine et leur
mission, est encore un des traits distinctifs de
leur ministère. Ils ont été battus et meurtris, ren-
fermés pendant longtems dans des prisons trop
étroites pour leur nombre, ou dans des cachots
mal-sains ; et plus d'une fois ces indignes traite-
ments ont été suivis de la mort. Quatre d'entr'-
eux périrent par les mains du bourreau, dans
la Nouvelle Angleterre, seulement pour avoir
prêché parmi les habitans de ce pays là ; sans
parler de ceux qui ont été bannis, dont les
biens ont été pillés et confisqués, dans les diffé-
rens pays où ils se trouvaient, et de tant d'autres
malheurs difficiles à peindre, et encore plus
difficiles à endurer, si ce n'est par ceux qui
étaient déterminés à défendre une si juste et
si glorieuse cause. Contents de souffrir pa-
tiemment, si on leur offrait de les délivrer par
des moyens indirects, ils refusaient constamment
de pareilles offres.
10. Non seulement ils ne se montraient nulle-
ment enclins à la vengeance, mais toutes les
fois qu'ils ont trouvé l'occasion de se venger, ils
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 67
ont préféré de pardonner à leurs cruels ennemis,
donnant l'exemple de la clémence à ceux qui en
manquaient tant à leur égard.
11. Nous citerons encore la manière simple et
hardie, dont, à l'exemple des anciens prophètes,
ils se comportaient envers ceux, entre les mains
de qui était l'autorité ; ne craignant pas de leur
reprocher à eux-mêmes leur péchés publics et
particuliers, et leur prédisant, au milieu de leur
grandeur et de leur gloire, les afflictions qu'ils
devaient éprouver, et leur chute même ; et les
prédictions expresses qu'ils firent des malheurs
qui devaient affliger la nation, tels que la peste
et le feu de Londres ; ainsi que d'accidens par-
ticuliers qu'ils annoncèrent à leurs persécuteurs,
prédictions que l'événement a justifiées sous des
choses qui furent d'un exemple frappant dans les
lieux où ils demeuraient, et aux quelles on
pourra un jour donner plus de publicité pour la
gloire de Dieu.
Ainsi, lecteur, voilà quel est ce peuple dans
son origine, dans ses principes, dans son minis-
tère, dans ses progrès ; la manière dont il a, tant
en particulier qu'en général, rendu témoignage
à la vérité ; et par la tu peux voir quels furent
ses commencements et comment il est devenu si
considérable. Il me reste maintenant à te faire
f2
68 ORIGINE ET FORMATION DE LA
connaître sa conduite et sa discipline, et le soin
qu'il a pris, se regardant comme une société de
Chrétiens réformés, pour que leur vie parût en
tout s'accorder avec leurs principes, et ce qu'ils
font profession de croire. D'autant plus qu'ils
ont été au moins autant calomniés par rapport à
leur conduite, qu'accusés d'erreur à l'égard de
leurs principes ; et il faut d'autant moins s'en
étonner, que la calomnie s'est toujours déchaînée
avec violence contre ceux qui ont voulu mettre
la main à l'œuvre de la réforme, et que comme
on le sait les plus cruelles persécutions frappèrent
les Chrétiens de la primitive église, qui cependant
étaient l'honneur du Christianisme, et devaient
être la lumière et l'exemple des siècles suivans.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 69
CHAPITRE IV.
De la discipline et de la pratique des Quakers, regardés
comme société religieuse. Pouvoir qu'ils reconnaissent
exister dans l'assemblée des fidèles et qu'ils exercent ;
celui qu'ils rejettent et qu'ils condamnent ; enfin ma-
nière dont ils l'exercent contre ceux des leurs, qui sont
tombés dans l'erreur, ou ont commis quelque faute.
La société augmentant en nombre de jour en
jour, tant à la ville qu'à la campagne, les anciens
se trouvèrent naturellement chargés de veiller à
ce qui concernait le bien et le service de l'église.
Le premier objet qu'ils eurent en vue, d'après
l'exemple des premiers Chrétiens, ce fut l'exer-
cice de la charité, en suppléant aux besoins des
pauvres, et faisant d'autres œuvres de la même
nature. C'est pourquoi, ils ne tardèrent point à
recueillir des contributions abondantes pour ré-
pondre aux dépenses que cet objet, et le service
de l'église, pouvaient nécessiter. Ils les con-
fiaient à des hommes fidèles et craignant Dieu,
jouissant d'une bonne réputation, qui ne se
70 ORIGINE ET FORMATION DE LA
lassaient pas de faire le bien, et qui souvent y
mettaient beaucoup du leur, sans le porter en
compte, sans même désirer qu'on le sût, et
encore moins qu'on le leur rendît, et cela pour
empêcher que les pauvres ne pâtissent, ou que
le service de l'église ne fut retardé, ou manqué.
Ils avaient grand soin aussi que ceux qui leur
appartenaient, ne démentissent en aucune occa-
sion, par leur conduite parmi les hommes, les
principes qu'ils professaient ; qu'ils vécussent
paisiblement et fussent en tout de bon exemple.
Une de leurs occupations était d'enregistrer leurs
souffrances et leurs services. Quant aux ma-
riages (qu'ils solemnisaient entr'eux, n'approuv-
ant pas la manière dont ils se font ordinairement
dans la nation) ils avaient soin que les parties
intéressés fussent bien en règle l'une à l'égard
de l'autre, et avec tout le monde ; et il était
rare alors qu'aucun d'eux se permît d'écouter le
penchant qu'il pouvait avoir ressenti pour une
autre personne, avant d'en avoir fait part en
secret à quelques-uns de leurs amis, gens res-
pectables et de poids, dont ils consultaient le
jugement, faisant grand cas du conseil de leurs
frères, et désirant de vivre en union avec eux.
Mais comme le soin des pauvres, le nombre des
orphelins, les mariages, les souffrances, et autres
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 71
affaires de ce genre se multipliaient, et qu'il était
à propos que les différentes églises adoptassent
une méthode, et une manière de procéder dans
ces circonstances, au moyen de quoi elles pussent
correspondre ensemble, lorsqu'il serait nécessaire
qu'un membre d'une assemblée, traitât avec un
membre d'une autre assemblée, le Seigneur, par
sa sagesse, et par sa bonté, daigna donner à
celui qu'il avait choisi pour être le premier
instrument de cette dispensation de vie, l'intelli-
gence nécessaire pour former un plan utile et
régulier. Animé d'un saint zèle, il visita en
personne les églises de ce pays pour leur faire
connaître ce plan, et l'établir entr'elles ; il écrivit
des lettres à celles qui étaient hors de l'Angle-
terre, dans d'autres provinces et chez d'autres
nations, pour qu'elles en fissent autant ; et même
par la suite il les visita et les aida à s'organiser,
comme je le ferai voir, quand je viendrai à parler
de lui.
Or voici en quoi consistent les soins, la con-
duite, et la discipline, dont je viens de parler, et
de quelle manière on les pratique dans cette
société.
Cet ancien pieux, dans toutes les provinces où
il voyagea, exhorta chaque congrégation à faire
assembler un certain nombre des membres tous
72 ORIGINE ET FORMATION DE LA
les mois pour traiter des affaires, et des intérêts de
l'église. Et suivant que le cas semblait l'exiger,
ces assemblées, qui se tenaient une fois par mois,
étaient plus ou moins nombreuses dans chaque
province. Quatre ou six congrégations formaient
ordinairement une assemblée ; en conséquence
partout où il passa, les frères vinrent le trouver,
et commencèrent les dites assemblées, pour y
traiter des affaires des pauvres et des orphelins,
des moyens de se conserver dans la bonne voie,
et de rester fidèles à la doctrine dont ils faisaient
profession ; des naissances, des mariages, des
enterremens, des persécutions, &c. Ces assem-
blées de chaque mois devaient, de la même
manière, en former dans chaque province une
tous les trois mois, où les Amis les plus estim-
ables, et les plus zélés de la province devaient se
réunir pour communiquer, raisonner ensemble,
et s'entr'aider de leur conseils : surtout, lorsqu'il
se présenterait quelque affaire difficile, ou que
l'assemblée du mois n'aurait pas voulu prendre
sur elle de décider.
Ces assemblées trimestrielles devaient faire
pour chaque province, un extrait des rapports
de leurs assemblées de mois, et le préparer pour
la grande assemblée qui se tient à Londres tous
les ans, et à laquelle toutes les autres aboutissent.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 73
Toutes les églises d'Angleterre des diverses pro-
vinces, y envoyent des députés qui doivent les
y représenter, pour y conférer ensemble sur les
affaires de l'église ; donner et recevoir des avis
sur les affaires qui se présentent, et pour s'entr'-
édifier. C'est aussi là que l'on fait les fonds*
nécessaires pour fournir aux dépenses qui re-
gardent le service général de l'église, et qu'il
n'est pas nécessaire de détailler ici.
Tout simple membre d'une congrégation peut
entrer s'il lui plaît dans ces assemblées, et y
donner, dans la crainte de Dieu, son avis sur
quelque sujet que ce soit que l'on y traite ; mais
l'on y fait surtout attention, pour les cas parti-
culiers, à l'opinion des assemblées trimestrielles
de chaque province, que font connaître les dé-
putés de la dite assemblée, ainsi qu'ils en sont
chargés.
Chaque année, pendant la grande assemblée
où les autres viennent, selon leur rang, se rendre
* Voici les objets auxquels on applique ces fonds : im-
pression et distribution des livres, pour l'avancement de
la vérité ; passage des ministres de cette société, qui vont
annoncer l'évangile dans les pays étrangers, et retour par
mer de ceux qui viennent en Angleterre ; salaire d'un
secrétaire, et loyer d'une maison pour garder des régi très,
et autres petites dépenses de cette espèce.
74 ORIGINE ET FORMATION DE LA
et aboutir, il y a un certain nombre de personnes
choisies par l'assemblée pour rédiger ses déci-
sions sur les différentes questions qui y ont été
agitées,* afin que les assemblées de mois et de
trois mois, dans les provinces, soient informées
de toutes ses résolutions; et on y ajoute une
exhortation générale à se maintenir en sainteté,
en unité, et en charité. Il y a dans la grande
assemblée annuelle, ainsi que dans celles qui se
tiennent tous les mois, et tous les trois mois, une
personne nommée pour tenir compte de tout ce
qui se passe. L'ouverture et la clôture de ces
assemblées se font ordinairement en s'attendant
solemnellement au Seigneur : et il plaît quelque-
fois à Dieu de leur donner de preuves aussi
manifestes de sa bonté et 'de sa présence, que
celles qu'il accorde à leurs assemblées reli-
gieuses.
Il faut encore observer que dans ces assem-
blées solemnelles qui se réunissent pour le service
de l'église, il n'y a point de président, comme
cela se pratique dans les assemblées que tiennent
les autres sociétés ; car Christ seul est leur pré-
sident, d'autant qu'il veut bien faire connaître
* On n'agit plus aujourd'hui précisément de la manière
indiquée ci-dessus; mais ces décisions sont rédigées en
pleine assemblée.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 75
sa présence, en communiquant sa vie et sa
sagesse à un ou plusieurs d'entr'eux, dont, quels
que soient leurs talens ou leur rang, les autres
suivent fermement l'opinion, non comme se sou-
mettant à une autorité, mais par conviction. Car
c'est là la manière dont Jésus-Christ veut que
sa propre autorité, son pouvoir, et son esprit se
fassent sentir à son peuple, et il accomplit sa
grande promesse, celle de se trouver au milieu
des siens, en quelque lieu, et en quelque tems
qu'ils s'assemblent en son nom, et cela jusqu'à
la fin du monde. Ainsi soit-il !
On s'attend sûrement ici que je dirai un mot
de l'autorité qu'ils exercent sur les membres de
leur société qui par leur conduite démentent les
principes dont ils font profession, et qui troublent
le bon ordre établi parmi eux, d'autant plus qu'à
cet égard on leur a fait de grands reproches, et
que leurs adversaires ne les ont épargnés ni dans
leurs discours, ni dans leurs écrits.
Le pouvoir qu'exerce cette société est le même
que Jésus-Christ a donné à son peuple, pour
durer jusqu'à la fin du monde, en la personne
de ses disciples; c'est-à-dire le pouvoir de
veiller sur la conduite de ses membres, d'ex-
horter, de réprimander, et après avoir longtems
enduré ceux qui se rendent coupables de dés-
76 ORIGINE ET FORMATION DE LA
obéissance et d'endurcissement, de les désavouer
et les exclure de sa communion, faute de quoi
la communication qu'ils continueraient d'avoir
avec eux ferait retomber, sur toute la société en
général, le blâme de leurs transgressions, tant
qu'ils ne se repentiraient pas. L'exercice de
cette autorité dans ses différentes branches
tombe sur deux objets : premièrement sur ces
transgressions générales qui partout sont re-
gardées comme des fautes, et en second lieu sur
celles d'une espèce plus particulière, et qui ont
rapport à leur caractère, et à la profession de
foi qui les distingue des autres sociétés qui se
disent chrétiennes. Ils fuyent les deux extrêmes,
la persécution et le libertinage, et savent se
garantir de ces deux écueils où tant d'autres ont
échoué ; c'est-à-dire, que sans user de violence
pour faire rentrer les gens dans le temple,
comme en punissant dans leurs personnes ou
dans leurs biens, ceux qui pèchent contre leur
foi et leur conscience, ils n'accordent pourtant
point, quant aux œuvres extérieures, cette
liberté outrée suivant laquelle on n'est comptable
qu'à Dieu ou aux magistrats. Rien n'a tant
contribué à propager cette liberté funeste dans
le monde, que l'abus qu'ont fait du pouvoir ecclé-
siastique, des personnes qui, se laissant gou-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 77
verrier par leurs passions ou leur intérêt parti-
culier, se sont permis d'user de la force, et de
punir corporellement. les transgresseurs. Quant
aux Quakers, ils ont essuyé trop de persécutions
pour ne pas désapprouver cette pratique, qui
d'ailleurs est contraire à la liberté de conscience,
un de leurs grands principes.
D'un autre côté, ils n'approuvent point que
les membres soient indépendans de la société, et
ils veulent que chaque membre soit comptable à
ceux de sa communion, de sa conduite, et de la
manière dont il suit les règles de la société, et
en remplit les devoirs. Quant à ce qui regarde
la foi, ou le culte, ils n'imposent jamais aucune
pratique, sachant que c'est une chose que l'on ne
doit ni faire, ni souffrir, et à laquelle on ne doit
point se soumettre ; mais ils requièrent que l'on
se soumette chrétiennement aux méthodes qui
regardent les affaires de l'église, quant au civil et
au temporel ; et à ce qui peut contribuer à leur
conserver la réputation d'une société estimable
et religieuse, distinguant, comme on le doit,
ces deux objets. En un mot, ils veillent à ce
qui peut entretenir la sainteté et la charité; à
ce que leurs frères pratiquent ce qu'ils pro-
fessent, et vivent suivant leurs principes ; et le
seul usage qu'ils fassent de l'autorité de l'église,
/b ORIGINE ET FORMATION DE LA
tend à empêcher qu'ils n'aient la liberté de dé-
mentir les principes qu'ils professent, sans en
être réprimandés. Ils ne forcent personne à
adopter leurs principes, mais ils forcent ceux
qui les ont adoptés à les suivre, sinon ils les
désavouent : voilà le seul châtiment qu'ils leur
imposent, et tout le pouvoir qu'ils exercent, per-
suadés qu'aucune société chrétienne n'a droit
d'en faire davantage contre ses membres.
Or voici de quelle manière ils agissent avec
celui qui a failli ou péché. Quelques personnes
de la société vont le trouver, et lui mettent sous
les yeux la faute qu'il a commise, soit que ce
soit une action contraire aux principes de vertu
reconnus par le commun des hommes, ou seule-
ment aux principes de la société dont il fait
profession d'être membre. Ils tâchent par
amour et par zèle, pour le bien de son âme, pour
la gloire de Dieu, et pour la réputation de la
société, de l'engager à avouer sa faute, et à se
condamner lui-même d'une manière aussi pub-
lique que l'a été le mal qu'il a fait, ou le scan-
dale qu'il a causé. La formalité la plus ordi-
naire consiste à en faire par écrit une déclaration
qu'il signe ; mais s'il arrive que le pécheur ne
veuille pas se soumettre, et avouer qu'il a péché
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 79
contre la vertu ou la foi ; pour empêcher que sa
conduite ne soit un sujet d'attaque contre la
vérité qu'ils professent, après avoir réitéré plu-
sieurs fois leurs instances, et attendu un tems
suffisant cette preuve de son repentir, ils rédigent
un écrit par lequel ils désavouent l'action dont
il est question, et celui qui en est coupable, et
ils consignent toute l'affaire dans leurs registres,
comme un témoignage de leur zèle à conserver
l'honneur de leur société et de leur profession
de foi.
Mais si par la suite il répare le scandale qu'il
a causé, en reconnaissant sa faute, et qu'il s'en
montre vraiment repentant, ils le reçoivent de-
rechef, et le regardent comme un membre de
leur communion. Car semblable à Dieu, son
vrai peuple ne réprimande jamais le pécheur, du
moment qu'il s'est repenti.
Voici ce que j'avais à dire sur le peuple de
Dieu, connu sous le nom de Quakers, quant à
son origine, le tems où il a commencé a être
connu, ses principes et ses pratiques dans ce
siècle ; tant pour ce qui regarde sa foi et son
culte, que ce qui a rapport à sa discipline, et à
sa conduite en général. J'ai cru que ce petit
récit ne pouvait être mieux placé que comme
80 ORIGINE ET FORMATION DE LA
préface* au journal du premier bien-heureux et
glorieux instrument de cette grande œuvre, et
comme un témoignage à ses grands services, et
aux qualités éminentes dont il était rempli, qua-
lités qui méritent de servir de modèle à la posté-
rité, et ont tant contribué à la gloire du Très-
haut ; enfin en le faisant servir à perpétuer la
mémoire de ce digne et excellent homme, son
fidèle serviteur, choisi pour être l'apôtre de cette
génération.
* Il est bon de savoir que ce fut pour servir de Préface
au Journal de George Fox, que Penn fit ce petit livre.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 81
CHAPITRE V.
De l'homme dont Dieu s'est servi pour rassembler cette
société dans la voie qu'elle fait profession de suivre : — de
George Fox. Le grand nombre d'excellentes qualités
qu'il possédait font voir qu'il avait, pour fonder cette
société, un pouvoir plus qu'humain, et qu'il était vrai-
ment un instrument choisi de Dieu. Troubles et souf-
frances qu'il essuya tant au dehors qu'au dedans; sa
fin et son triomphe.
Me voici arrivé au troisième point de ma pré-
face, et je vais parler de celui que Dieu avait
choisi pour être l'instrument par lequel il voulait
fonder cette société. Car il serait assez naturel
de se dire : " Fort bien, voici la société, voici
l'œuvre, mais où est l'ouvrier ? Quel homme
Dieu chargea-t-il de cette grande œuvre ?" C'est
ce que je vais raconter, et je parlerai non seule-
ment d'après les autres, mais d'après ma propre
connaissance et la longue et intime liaison que
j'ai eue avec lui, et dont j'ai souvent remercié le
Seigneur et le remercie encore tous les jours ;
et je ne doute point que le lecteur ne m'ap-
o
82 ORIGINE ET TORMATION DE LA
prouve quand il aura lu cette partie de ma pré-
face qui le regarde.
Le bienheureux instrument dont Dieu se servit
dans ce grand jour de l'évangile, fut George
Fox ; on le distingue d'un autre qui dans tous
ses écrits est surnommé le jeune, non qu'il fût
plus jeune d'âge, mais parcequ'il avait embrassé
plus tard la doctrine des amis ; ce dernier
fut aussi un digne homme dans son tems, servant
Dieu, et rendant témoignage à la vérité.
Le George Fox dont je veux parler ici, naquit
dans le comté de Leicester, vers l'an 1624.
Ses parens étaient d'honnêtes gens, à leur aise,
et qui se firent un devoir de l'élever, ainsi que
leurs autres enfans, dans la religion de la nation
quant aux principes et au culte ; sa mère, surtout,
femme accomplie et supérieure à la plupart de
celles de son rang dans le lieu où elle demeurait.
Mais dès son enfance il montra toute une autre
tournure d'esprit que ses frères ; il était plus
religieux, plus contemplatif, plus tranquille, et
plus solide, capable d'observations au dessus de
son âge, ce qui paraissait dans les réponses et
les questions qu'il faisait, suivant les occasions,
et surtout lorsqu'il s'agissait des choses de Dieu,
au grand étonnement de ceux qui l'entendaient.
Sa mère, qui s'appercut de son caractère ex-
SOCIETE DITE DES QUAKERS.
83
traordinaire, de la gravité, de la sagesse, et de
la pieté qui brillaient en lui de si bonne heure,
et l'éloignaient des jeux d'enfans et de la société,
avait pour lui beaucoup de tendresse et d'in-
dulgence, et ne le contrariait ni ne le gênait en
rien. Il fut élevé aux travaux de la campagne,
et s'adonna au soin de troupeaux ; il aimait
beaucoup les brebis, et acquit une grande ex-
périence dans ce genre d'occupation ; c'était
d'ailleurs un emploi tout à fait analogue à son
caractère, et par l'innocence et la solitude qui en
sont l'âme, et parcequ'il était comme un em-
blème du ministère dont Dieu devait le charger
dans la suite.
Persuadé que personne ne saurait parler plus
savamment de lui que lui-même, je n'entrerai
point dans les détails qu'il a donnés sur sa propre
histoire, et pour éviter de répéter ce qui peut
avoir été dit avant moi, j'omettrai ici les diffé-
rentes circonstances de sa vocation, et me con-
tenterai de dire en abrégé, qu'étant âgé d'un
peu plus de vingt ans il quitta ses païens, et
visita les personnes les plus retirées et les plus
religieuses du canton qu'il habitait. Il restait
encore un petit nombre de personnes qui atten-
daient jour et nuit la consolation d'Israël, de
même que Zacharie, Anne, et le bon vieillard
g 2
84 ORIGINE ET FORMATION DE LA
Siméon l'attendaient autrefois. Ce fut vers
ceux-là qu'il fut envoyé ; il s'occupa à découvrir
ces amis de Dieu dans les provinces voisines, et
demeura avec eux jusqu'au tems où son minis-
tère lui fut plus spécialement manifesté. Pen-
dant ce tems là, il enseignait le silence, et en
donnait l'exemple à ceux qu'il instruisait, tâchant
de faire* abandonner les cérémonies auxquelles
ils étaient attachés, rendant témoignage de
Christ, et leur montrant sa lumière qui était en
eux, les encourageant à attendre patiemment que
sa grâce se fît sentir dans leur cœur, afin de
connaître et d'adorer Dieu selon la puissance de
la vie impérissable, qu'ils devaient trouver par
la lumière, s'ils lui obéissaient, quand elle se
révélerait à eux. Car en la parole était la vie,
et la vie est la lumière des hommes, vie dans la
parole, lumière dans les hommes, et aussi vie
dans les hommes, s'ils obéissent à la lumière ;
car les enfans de lumière vivent par la vie de la
parole, par laquelle la parole les engendre de
nouveau à Dieu, ce qui s'appelle régénération et
nouvelle vie, sans laquelle on ne saurait entrer
dans le royaume de Dieu. Et quiconque y entre
est plus grand que Jean, c'est-à-dire que le minis-
tère de Jean, qui n'était point la dispensation du
royaume de Dieu, mais la consommation de la loi;
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 85
<et lui le précurseur du tems de l'évangile du jour
du royaume de Dieu. Il se forma donc plusieurs
congrégations dans ces cantons, et ce fut ainsi
qu'il employa son tems pendant quelques années.
En 1652, étant retiré et seul, selon sa cou-
tume, toutes les facultés de son aine tournées
vers le Seigneur, et à ce que je crois, sur
une haute montagne de la partie élevée du
comté d'York, il eut une vision touchant la
grande œuvre du Seigneur, et la manière dont
il devait entreprendre publiquement le ministère
dont il était chargé, pour la commencer. Il vit
un peuple égal en nombre aux atomes qui se
jouent dans les rayons du soleil, et qui devait
avec le tems rentrer dans le bercail du Seigneur,
afin qu'il n'y eût sur toute la terre qu'un seul
troupeau et qu'un seul pasteur. Ses regards se
dirigèrent vers le nord, et il vit un grand peuple
qui devait le recevoir, et entendre la parole
qu'il allait lui annoncer. Sur cette montagne,
le Seigneur lui inspira d'annoncer hautement ce
grand jour, ce jour remarquable, comme s'il eût
été au milieu d'une nombreuse assemblée ; en-
suite il s'avança vers le nord, ainsi que le Sei-
gneur le dirigeait. Dans tous les lieux où il
passait, quelquefois même avant d'y arriver, il
recevait des inspirations sur ce qw'il devait
86 ORIGINE ET FORMATION DE LA
faire, et sur la manière dont il devait se con-
duire ; de sorte qu'on peut dire avec vérité que
le Seigneur marchait devant lui. Aussi ne
voyageait-il pas en vain ; mais Dieu bénissait ses
travaux et confirmait son ministère dans presque
tous les endroits où il passait, par la conversion
de toutes sortes de gens, tant parmi les impies,
que parmi ceux qui faisaient profession d'être
religieux. Au nombre des premiers et des plus
distingués de ceux qui embrassèrent le ministère
public, et qui jouissent à présent du repos éter-
nel, nous comptons Richard Farnsworth, Jacques
Naylor, Guillaume Dewsberry, Thomas Aldham,
FrançoisHowgill, Edouard Burrough, Jean Camm,
Jean Audland, Richard Hubberthorn, T. Taylor,
T. Holmes, Alexandre Parker, Guillaume Sim-
son, Guillaume Caton, Jean Stubbs, Robert
Withers, Thomas Loe, Josias Coale, Jean Burn-
yeat, Robert Lodge, Thomas Salthouse, et plu-
sieurs autres dignes personnages qu'il ne serait
guères possible de nommer tous ici ; de même
que plusieurs encore vivants.
Dès le commencement ils ont reçu le témoignage
de la vérité, et se sentant purifiés intérieurement
par le jugement de Dieu, après avoir attendu
quelque tems en silence qu'il leur envoyât d'en
haut le pouvoir de parler en son nom (ce que sans
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 87
cela nul ne peut faire avec efficacité même en
faisant usage des mêmes paroles) ils se sentaient
agités d'un mouvement divin, et poussés surtout à
aller aux assemblées publiques, pour y répriman-
der, enseigner, et exhorter. D'autrefois ils le fai-
saient dans les places publiques, dans les marchés,
dans les rues, sur les grands chemins, exhortant le
peuple à se repentir, et à retourner au Seigneur,
de cœur, aussi bien que de bouche ; les aver-
tissant de diriger leur attention vers la lumière
de Christ qui était au-dedans d'eux-mêmes, au
moyen de laquelle ils pourraient voir, examiner,
et considérer leur propres voies, fuir le mal, et
faire la véritable et sainte volonté de Dieu.
Leur zèle les exposa à bien des persécutions ;
ils furent souvent jetés dans les prisons, pour-
suivis à coups de pierres, battus, fouettés ; quoi-
qu'ils fussent honnêtes, et jouissaient d'une bonne
réputation dans les lieux où ils demeuraient, et
qu'ils eussent quitté leurs femmes, leurs enfans,
leurs maisons, et leurs biens, pour venir de la
part du Dieu vivant inviter les hommes à la
repentance. Les prêtres en général entrepre-
naient de les traverser ; ils écrivaient contr'eux ;
ils ramassaient les histoires les plus fausses et les
plus scandaleuses pour les diffamer, et ils exci-
taient les magistrats à faire tout ce qui dépen-
88 ORIGINE ET FORMATION DE LA
dait d'eux pour détruire cette société, surtout
dans le nord de l'Angleterre; mais il plut à
Dieu de leur communiquer sa puissance vivifi-
ante, et de leur ouvrir la porte de la parole si
efficacement, qu'ils eurent le plus grand succès
dans ces cantons.
Us furent favorisés dès le commencement par
le Juge Bradshavv, par le Juge Fell, et le
Colonel West, et en reçurent les plus grandes
bontés; aussi les prêtres ne purent-ils venir à
bout de leur dessein, qui était de verser leur
sang : sans cela, à l'exemple d'Hérode, ils
auraient, s'il leur eût été possible, fait usage du
pouvoir civil, pour les détruire, et les faire périr
jusqu'au dernier. Le plus zélé fut le Juge Fell,
qui non seulement s'opposa à la rage de leurs
ennemis, lorsqu'ils voulurent les accuser devant
lui, mais qui les défendit aussi clans d'autres oc-
casions, et finit par les soutenir ouvertement.
Car sa femme ayant été une des premières à
recevoir la vérité, comme c'était un homme juste
et sage, quand il vit en sa femme et dans sa
famille la réfutation la plus complète des cla-
meurs populaires qui s'élevaient contre ce té-
moignage de la vérité, cette découverte fit sur lui
i tel effet, qu'il protégea les membres de la
(relle société autant qu'il le put, leur ouvrit.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 89
sans difficulté ses portes, et permit à sa femme
et à ses amis de se servir de sa maison, s 'inquié-
tant peu des reproches des ignorans ou des mé-
chants. J'ai fait mention de cette circonstance,
pour honorer la mémoire de l'un et de l'autre ;
non seulement, je l'espère, ce sera un honneur
pour eux-mêmes, mais encore leur exemple at-
tirera la bénédiction du ciel sur tous ceux de
leur nom et de leur famille qui auront la même
tendresse fraternelle, la même humilité, le même
amour, et le même zèle pour la vérité, et pour
le peuple du Seigneur.
Cette maison fut pendant quelques années, et
surtout au commencement, jusqu'à ce que la
vérité se fût fait connaître dans les parties mé-
ridionales de cette île, une retraite célèbre pour
ceux de cette croyance. D'autres personnes de
réputation et de crédit du nord de l'Angleterre
ouvrirent leurs maisons et leurs cœurs aux diffé-
rents ministres de la parole que le Seigneur avait
suscités en si peu de tems, pour annoncer au
peuple le vrai chemin du salut; et il s'y tenait
aussi des assemblées des ministres du Seigneur,
qui s'y communiquaient leurs travaux et leurs
exercices, s'entr'-édifiaient, et s'encourageaient
l'un l'autre dans leur glorieux ministère.
Mais de crainte qu'on ne prenne ceci pour
90 ORIGINE ET FORMATION DE LA
une digression, comme il en a déjà été parlé,
j'en reviens à cet homme excellent, et à ses qua-
lités personnelles, tant naturelles que morales et
divines, et telles qu'elles ont paru dans le com-
merce qu'il a eu avec ses frères, et dans l'église
du Seigneur.
1. C'était un homme doué d'un entendement
admirable, et qui, pour être profond, n'en était
pas moins clair ; il savait discerner l'esprit des
autres, et était maître du sien. Quoique son
esprit, quand il conversait avec le monde, et
surtout sa manière de s'exprimer, choquassent
peut-être les gens qui se piquent de politesse, et
leur parussent grossiers ; cependant ce qu'il
disait annonçait un génie profond, et non seule-
ment ses discours ne perdaient rien à être
examinés après coup, mais plus on les considé-
rait plus on les trouvait solides et instructifs. Et
quelque peu liées, que qu'incohérentes que pussent
paraître des phrases qui semblaient lui échapper
tout-à-coup concernant les choses de Dieu, il est
pourtant reconnu que souvent ces mêmes phrases
étaient comme autant de textes qui donnaient
matière à des développements plus claires. Ceci
faisait bien voir, et a n'en pas douter, qu'il était
vraiment envoyé de Dieu, puisqu'il annonçait
son ministère et l'objet de sa mission sans em-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 91
prunter les secours de l'art, ni du génie, et pré-
sentait les grandes et importantes vérités qu'il
venait annoncer au monde, dépouillées de tous
les ornements de l'esprit et de la sagesse hu-
maine. Comme homme il était donc original,
n'ayant pris aucun homme pour modèle : sa
mission et ses écrits font assez voir qu'ils ne les
devait point aux instructions des hommes, et
qu'ils n'étaient point les fruits de l'étude. Ce n'é-
taient point là des opinions ni des spéculations
dont il fit l'essai parmi les hommes ; c'étaient
des vérités palpables, des vérités de pratique,
qui tendaient à la conversion, à la régénération,
et à l'établissement du royaume de Dieu dans le
cœur des hommes, et son œuvre était d'en mon-
trer le chemin. De sorte que je me suis souvent
senti ému au-dedans de moi-même, et forcé de
dire avec mon Seigneur et Maître en pareille
occasion, " Je te rends grâces, O Père, Seigneur
du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces
choses aux sages, et aux prudents de la terre, et
de ce que tu les as révélées aux petits enfans."
Car mainte et mainte fois, mon âme, pleine de
reconnaissance et d'humilité, a remercié le Sei-
gneur de ce qu'il n'a point choisi un des sages
et des savans de la terre, pour le charger d'an-
noncer dans notre siècle sa sainte vérité aux
92 ORIGINE ET FORMATION DE LA
hommes ; mais de ce qu'il a jeté les yeux sur
un homme qui n'était ni distingué par son rang,
ou l'élégance de ses discours, ni savant, selon
l'idée que le monde a de la science ; afin que
les hommes, ne pouvant soupçonner sa mission
d'être l'ouvrage de la sagesse humaine ou de
l'intérêt, n'en fussent point jaloux; afin que ses
instructions parussent plus claires, et agissent
avec plus de force sur la conscience de ceux qui
cherchaient la vérité par pur amour de la vérité.
Le Dieu du ciel a dessillé les yeux de mon âme,
et j'ai pu reconnaître le doigt de Dieu, dans ce
témoignage, quand j'ai vu combien son principe
était clair, puissant et efficace, quand j'ai exa-
miné quelles exemples de sobriété, de simplicité,
de zèle, de fermeté, d'humilité, de gravité, de
ponctualité, de charité, de circonspection, dans le
gouvernement des affaires de l'église, lui et ceux
que Dieu employait dans cette sainte œuvre,
donnaient dans toute leur conduite, et dans leur
ministère; j'ai été convaincu que c'était l'ou-
vrage de Dieu même, et mon âme a été pénétrée
d'amour, de crainte, de respect, et de reconnais-
sance, en voyant son amour et sa miséricorde
pour le genre humain. Tels sont mes sentiments,
et j'espère que le Seigneur m'y conservera jus-
qu'à la fin de mes jours.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 93
2. Son premier but, dans son témoignage ou
dans son ministère, était de donner à ses audi-
teurs une idée de la vérité, et de fonder sa doc-
trine dans leurs cœurs sur le grand principe, le
fondement de tout, Jésus-Christ, la lumière du
monde ; afin que, renvoyés à ce principe divin,
ils apprissent à le connaître, et se connaître
eux-mêmes.
3. Il avait un don particulier, pour expliquer
les Ecritures ; il allait droit au vrai sens, et,
quoique avec simplicité, il en faisait sentir
l'esprit, l'harmonie, et l'accomplissement, de la
manière la plus consolante, et la plus édifiante.
4. Le mystère du premier et du second Adam,
de la chute et de la rédemption, de la loi et de
l'évangile, de l'ombre et de la substance, de la
condition de l'enfant de la servante, et de celle
de l'enfant légitime, et enfin l'accomplissement
des Ecritures en Christ, et par Christ, qui est la
vraie lumière en tous ceux qui lui appartiennent
par l'obéissance de la foi, voilà quelle était en
général la substance et la teneur de ce qu'il an-
nonçait. Aussi était-il évident qu'il était de Dieu,
car on sentait qu'il ne disait que ce qu'il avait
reçu de Christ, et ce qu'il avait éprouvé lui-
même, par l'effet de cette lumière qui jamais ne
nous manque, ni ne nous égare.
94 ORIGINE ET FORMATION DE LA
5. Mais il n'y avait rien en quoi il excellât
comme dans la prière. Son esprit était alors si
détaché de toutes pensées terrestres, sa conten-
ance était si grave et si respectueuse, il disait
tant en si peu de mots, que les étrangers en ont
été souvent aussi frappés que ses frères en étaient
consolés. Il paraissait si pénétré de la vie, du
respect, et de la crainte de Dieu, lorsqu'il priait,
que je n'ai jamais rien vu ni senti qui en ap-
prochât, et c'était bien là une preuve qu'il
connaissait mieux Dieu et vivait plus près de lui
que les autres hommes ; car plus on le connaît,
plus on sent la nécessité de l'approcher avec
crainte et révérence.
6. Sa vie était pure et innocente, il n'était
point de ces hommes empressés de se mêler des
affaires d'autrui, il ne cherchait point son propre
intérêt ; il n'était ni prêt à s'irriter, ni prompt à
critiquer. Ses discours n'avaient jamais rien
d'offensant, et presque toujours quelque chose
d'édifiant. On trouvait en lui tant de douceur,
de contentement d'esprit, de modestie, d'aisance,
de solidité, et d'affection, qu'on se faisait un
plaisir d'être dans sa société. Il n'exerçait son
autorité que contre le péché, mais il attaquait le
péché en quelque lieu, en quelque personne qu'il
SOCIETE DITE DES QUAKEIIS. 95
le découvrît, le faisant néanmoins avec amour,
compassion, et surtout avec patience. Il était
très indulgent, et aussi prompt à pardonner que
difficile à offenser, et soigneux à ne point offenser
les autres. Et l'on trouverait encore des milliers
de témoins prêts à certifier qu'il était d'un esprit
excellent et fort agréable, ce qui faisait que les
meilleurs esprits avaient pour lui un attache-
ment sincère et durable.
7. Il était infatigable dans son ministère ;
dans sa jeunesse, avant que ses grandes et nom-
breuses souffrances et ses voyages eussent
affaibli son corps, et l'eussent rendu incapable
de voyager, il travaillait avec la plus grande
ardeur à la propagation de la parole, de la doc-
trine, et de la discipline, en Angleterre, en
Ecosse, et en Irlande ; gagnant des âmes à
Dieu, fortifiant dans la foi ceux qui avaient reçu
la vérité, établissant parmi eux le bon ordre, et
réglant les affaires de l'église. Sur la fin de ses
voyages il visita, depuis 1671 jusqu'en 1677, les
églises de Christ dans les plantations d'Amé-
rique, en Hollande, et en Allemagne, comme on
le voit par son journal ; plusieurs y reçurent son
témoignage, et d'autres furent fortifiés dans la
foi. Depuis ce tems-là, sa principale résidence
96 ORIGINE ET FORMATION DE LA
fut à Londres ou dans les environs : là, sans
renoncer aux travaux continuels du ministère, où
il était d'une grande utilité, il écrivit beaucoup,
tant pour ceux de sa profession de foi, que pour
ceux qui n'en étaient pas ; mais en général il don-
nait le plus grand soin aux affaires de l'église.
8. 11 allait souvent dans le lieu où se gardent
les registres des affaires de l'église, et où sont
adressées les lettres des différentes assemblées
du peuple de Dieu par toute la terre ; il se
les faisait lire, et avait soin de les communiquer
à l'assemblée qui se tenait toutes les semaines
pour les affaires de ce genre, et il pressait
l'assemblée d'y répondre, surtout quand il
s'agissait des souffrances de quelques frères ;
montrant dans ces occasions beaucoup de com-
passion et de sympathie ; examinant avec atten-
tion les différentes difficultés, et tâchant d'y
remédier avec toute la promptitude qu'ils sem-
blaient exiger. Par là les églises, ou ceux de
leurs membres qui se trouvaient dans la détresse,
étaient sûres que leurs demandes ne seraient ni
oubliées, ni ajournées, s'il allait à l'assemblée.
9. De même qu'il était infatigable, il était
indomptable, quand il s'agissait du service de
Dieu et de son peuple ; et il était aussi difficile
de l'effrayer, que de le mettre en colère. La
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 97
meilleure preuve à en donner, est sa conduite
à Derby, à Litchfield, à Appleby, en présence
de Cromwell, à Launceston, à Scarborough, à
Worcester, dans la salle de Westminster, et en
plusieurs autres occasions, où il convainquit de
sa fermeté ses amis et ses ennemis.
Mais de même que, du tems de la primitive
église, les bienheureux apôtres de notre Seigneur
Jésus-Christ virent s'élever contr'eux, et devenir
leurs plus cruels ennemis, quelques-uns de
ceux-mêmes qu'ils avaient appelés à la foi, ce
saint homme eut aussi à souffrir de la part de
plusieurs de ceux qu'il avait convertis. Par pré-
vention ou par erreur, ils s'élevèrent contre lui,
l'accusant de vouloir s'arroger le droit de gou-
verner les consciences, et cela parceque, par sa
présence ou par ses lettres, il pressait les assem-
blées d'adopter, sans hésiter et avec zèle, des
dispositions sages et utiles, dont le but était de
mettre la régularité dans les affaires de l'église,
et de veiller à ce que la conduite de ses mem-
bres ne causât aucun scandale dans le monde.
Ces dissentions vinrent en grande partie de
l'envie que quelques-uns portaient à cet homme
débonnaire, en le voyant aussi aimé et estimé
qu'il méritait de l'être ; elles vinrent aussi de la
faiblesse de quelques autres qui se laissèrent
H
98 ORIGINE ET FORMATION DE LA
prévenir contre lui par le reproche qu'on lui
faisait de vouloir commander et être obéi aveu-
glément.
Ils voulaient que chacun fût indépendant, et
ils soutenaient qu'ayant le principe au dedans
d'eux-mêmes, ils devaient être réglés par lui, et
par nul autre : ne considérant pas que le prin-
cipe est le même en tous, et que quoiqu'il soit
possible de recevoir la grâce plus ou moins
abondamment, cependant la nature en est la
même chez chacun ; et que ce fait une fois ad-
mis, c'est blesser l'unité spirituelle qui doit
exister dans une société dont tous les membres
sont conduits par le même principe. De sorte
que ce qui est mal pour l'un, doit être mal pour
tous, et que ce qui est vertueux, honnête, et
honorable pour l'un devait l'être pour les autres ;
cela étant la conséquence et le fruit du même
principe universel commun à tous, et que ces
mécontents mêmes font profession de regarder
comme le lien de la véritable confraternité Chré-
tienne, et l'esprit dont le peuple de Dieu se
pénètre pour se réunir spirituellement, et ne
plus avoir qu'un cœur et une âme.
D'autres eurent la faiblesse de voir dans
l'ordre qu'il voulait établir pour le gouvernement
des affaires de l'église, des règlements cou-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 99
cernant le culte, que lui et les autres frères
recommandaient et pressaient d'adopter. Là-
. dessus ils prétendaient leur appliquer les re-
proches que les nonconformistes faisaient avec
tant de raison aux épiscopaux, qui ont employé
la force pour faire accepter leurs symboles et
leurs cérémonies. Tandis que ces choses ne
regardaient que les rapports extérieurs, et, si je
puis m'exprimer ainsi, le gouvernement civil de
l'église ; elles ne tendaient qu'à veiller à ce que
les membres de la société vécussent selon les
principes dont ils faisaient profession, et con-
tinuassent de remplir les devoirs de la charité.
Mais quoique quelques-uns, prévenus par des
erreurs, ou gouvernés par une obstination dé-
raisonable, soient sortis du bon chemin ; cepen-
dant, grâces au Seigneur, la plupart se sont
réunis en amour à leurs frères, et se sont
aperçus des pièges du malin, qui ne laisse
échapper aucune occasion, pour profiter de tous
ses avantages pour nuire à l'œuvre du Seigneur,
ou pour y mettre obstacle ; pour troubler la paix
de son église, et pour refroidir l'amour de son
peuple pour la vérité, et celui que des frères se
doivent les uns aux autres : et tout fait espérer
que quelques-uns, qui sont encore éloignés de
l'église, viendront s'y réunir.
ii 2
i 00 ORIGINE ET FORMATION DE LA
Dans ces différentes occasions, ce saint homme,
quoiqu'il sentit qu'il était le principal objet du
ressentiment des mécontents, supportait leur fai-
blesse et leur prévention ; il souffrait leurs
réflexions sans y répondre ; il excusait le peu
de fondement et l'amertume de leurs discours ;
il priait pour eux, demandant qu'ils pussent re-
connaître leur erreur et la subtilité de l'ennemi
commun, qui ne cherche qu'à nuire et à diviser,
et rentrer dans le sein de l'amour fraternel, qui
n'inspire aucune mauvaise pensée.
Et en effet, je puis assurer que bien que Dieu
lui eût donné un caractère visible de préémin-
ence et d'autorité, et quoique sa présence seule
inspirât un respect religieux, cependant il n'en
abusait jamais ; mais il tenait sa place dans
l'église de Dieu avec une douceur, une humilité,
et une modération qui lui gagnaient les cœurs.
Car toutes les fois que l'occasion s'en présentait,
il se rendait, à l'exemple de son divin Maître, le
serviteur de tous les autres, et il n'exerçait son
autorité, en qualité d'ancien, que selon le pou-
voir invisible qui les avait rassemblés, en révérant
le Chef, et en veillant soigneusement sur le corps.
Et il était reçu seulement, selon l'esprit et la
puissance de Christ, comme le premier et le chef
des anciens de son tems, digne d'un double
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 101
honneur ; et les fidèles étaient disposés à le lui
rendre, parceque son autorité était intérieure, et
non extérieure, parcequ'il l'avait acquise et la
conservait, par l'amour de Dieu, et par la puis-
sance de la vie impérissable. Je n'écris point
par ouï-dire, mais d'après ma propre connais-
sance, et mon témoignage est vrai. Car j'ai, à
différentes époques, passé des semaines et même
des mois entiers avec lui, dans des tems d'épreuve
et dans des circonstances très pénibles, et cela
de jour et de nuit, par terre et par mer, en An-
gleterre et dans les pays étrangers ; et je puis
dire que je ne l'ai jamais vu manquant à son
devoir, ni découragé par les difficultés, en
quelque occasion que ce fût Car en toutes
choses il se montrait homme, j'entends homme
fort, nouvel homme, et plein de l'esprit divin ;
théologien et naturaliste, qualités qu'il avait
reçues de la main toute-puissante de Dieu.
J'ai souvent admiré ses questions et ses réponses
dans les choses qui sont du ressort de la nature.
Quoiqu'ignorant la science trompeuse des so-
phismes, il possédait les principes de toute
science utile et recommendable, et il l'accueil-
lait partout où il la trouvait. Il avait dans ses
manières une politesse supérieure à toutes les
cérémonies en usage dans le monde ; il était
102 ORIGINE ET FORMATION DE E.4
d'une tempérance admirable, et quoique replet,
il mangeait peu, et dormait encore moins.
C'est ainsi qu'il a vécu tant qu'il a demeuré
parmi nous, et il est mort comme il avait vécu, se
sentant jusqu'au dernier moment animé du même
pouvoir éternel qui l'avait élevé et conservé ; si
plein d'assurance qu'il triompha de la mort
même : conservant toujours la même égalité
d'esprit, comme si la mort n'eût pas mérité qu'il
y fit attention, ou qu'il en parlât ; recommand-
ant à quelques-uns de nous qui se trouvaient
présens, d'expédier et de répandre une épître
qu'il avait depuis peu adressée aux églises de
Jésus-Christ par toute la terre, ainsi que ses
livres ; mais de tous nos amis ne nous en recom-
mandant point plus particulièrement, que ceux
d'Irlande et d'Amérique, répétant deux fois :
Ayez soin de nos pauvres amis d'Irlande et
d'Amérique.
Il répondit à quelques-uns qui entrèrent pour
demander comment il se trouvait : Ne soyez
point inquiets, la puissance du Seigneur est au-
dessus de toute faiblesse, — au-dessus de la mort
même ; la Semence règne, béni soit le Seigneur.
Ceci se passa quatre ou cinq heures avant que
le Seigneur le retirât de ce monde. Il assista à
la grande assemblée près de Lombard-street, le
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 103
premier jour de la semaine ; et ce fut le troisième
jour, vers dix heures du soir, que nous le per-
dîmes; il mourut chez Henri Goldney, dans la
même cour. Il eut une très belle vieillesse, et
le bonheur de vivre assez pour voir plusieurs
générations des enfans de ses enfans, vivants
selon l'esprit de la vérité. Il eut aussi la con-
solation de n'être pas malade longtems, et de
conserver sa pleine connaissance jusqu'au der-
nier moment ; et nous pouvons dire avec un
homme de Dieu du tems passé, que quoique
mort, -il parle encore ; que quoique absent de
corps, il est présent en esprit. Car il n'y a ni
lieu, ni tems qui puissent interrompre la com-
munion des saints, ou détruire l'union spirituelle
des justes. Ses œuvres sont à sa louange ;
parcequ'elles sont à la louange de Celui dont il
était l'instrument; c'est pourquoi sa mémoire
est et sera bénie. Je terminerai ici cette partie
de ma préface par cette courte inscription à sa
mémoire : De nos jours plusieurs enfans de
Dieu ont cultivé la vertu, mais, mon cher
George, tu les as surpassés tous.
104 ORIGINE ET FORMATION DE LA
CHAPITRE VI.
Contenant cinq différentes exhortations : la première est
une exhortation générale, tendant à rappeler à notre
société son intégrité et sa simplicité primitives; la se-
conde s'adresse plus particulièrement à ses ministres ;
la troisième, aux nouveaux convertis; la quatrième
aux enfans des membres de la société ; et enfin la
cinquième à ceux qui ne connaissent point encore ce
peuple et ses pratiques, et entre les mains de qui ce
livre peut tomber, ainsi que celui auquel il servait de
préface, la première fois qu'il a paru. Ces différentes
exhortations sont adaptées à l'état et à la condition de
ceux à qui elles s'adressent, afin que tous puissent at-
teindre le double objet, de la gloire de Dieu, et de leur
propre salut.
Maintenant, mes amis, vous qui faites pro-
fession de marcher dans la voie que ce saint
homme a été envoyé pour nous montrer, je vous
prie, tous tant que vous êtes, pères et enfans,
anciens et jeunes gens, ne refusez point quelques
mots d'exhortation. La gloire de ce grand jour,
et le fondement de l'espérance qui ne nous a point
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 105
confondus depuis que nous formons une société,
est, vous le savez, ce divin principe de lumière
et de vie venant de Jésus-Christ, ce principe
dont nous faisons profession, et vers lequel nous
dirigeons tous les hommes ; le regardant comme
l'agent divin, et le grand instrument par lequel
ils sont convertis à Dieu. C'est par ce principe
que nous avons été touchés au commencement,
et efficacement éclairés quant à notre état in-
térieur; c'est lui qui nous a fait songer à notre
fin dernière, fixant nos yeux vers le Seigneur,
que nous en puissions avoir un cœur sage.
Nous n'avons point alors jugé suivant le rap-
port de nos yeux, ou de nos oreilles ; mais c'est
d'après la lumière et le sentiment qui nous
venait de ce divin principe, que nous avons jugé
des choses et des personnes, de nous-mêmes et
d'autrui, et même de Dieu notre Créateur. Car,
illuminés par ce principe au-dedans de nous-
mêmes, nous pouvions aisément apercevoir la
différence des choses, et sentir ce qui était bien,
et ce qui était mal, ce qui était à propos, et ce
qui ne l'était pas, tant en matière de religion,
que pour ce qui regardait les affaires civiles. Or
comme c'est-là le principe de la communion de
tous les saints, c'était en quoi consistait la nôtre.
C'est suivant ce principe que nous désirions
106 ORIGINE ET FORMATION DE LA
nous connaître réciproquement, que nous agis-
sions les uns envers les autres, et aussi envers
les autres hommes, en amour, en fidélité, et en
crainte.
Lorsque nos cœurs éprouvaient les premières
impressions et les premiers mouvements de ce
principe, nous nous approchions du Seigneur, et
attendions qu'étant préparés par lui, nous nous
sentissions attirés et émus, avant de prier pub-
liquement, ou d'ouvrir la bouche pour exercer
son ministère. Notre consolation, notre service,
et l'édification qui en résultait, consistait à com-
mencer et à finir par là. Lorsque nous voulions
aller plus Vite, ou que nous omettions une partie
de notre service, nous étions sûrs de nous charger
d'un pesant fardeau, nous trouvions au dedans
de nous des reproches au lieu d'approbation ; au
lieu d'entendre ces paroles, Cela va bien ; une
voix secrète nous disait, Qui vous a demandé
cela ? Alors nous étions un peuple exercé, notre
contenance et tous nos mouvements l'annoni-
çaient.
Nous ne nous bornions donc point alors à
veiller sur nous-mêmes, nous croyions devoir des
soins aux autres, et surtout aux nouveaux con-
vertis. Nous sentions souvent en nous la mission
de la parole du Seigneur, et quelque chose qui
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 107
nous portait à la manifester à nos voisins, à nos
parents, et à nos connaissances ; quelquefois
même à des étrangers. Nous avions à cœur la
conservation les uns des autres ; ne cherchant
pas, mais plutôt évitant, ce qui pouvait produire
de la froideur ou quelque mal-entendu ; nous
comportant entre nous comme des gens qui
croyaient et sentaient que Dieu était présent ;
et cela rendait notre commerce innocent, sérieux,
et solide : nous nous gardions des soins et des
liaisons du monde; nous maintenions la vérité
selon son Esprit, et non pas selon notre esprit,
ni d'après notre volonté et nos affections, qui
étaient pliées et dans un état d'assujettissement,
ce dont il était aisé à ceux qui nous con-
naissaient de s'apercevoir. Nous ne croyions
point avoir droit de disposer de nous-mêmes,
d'aller ça et là, à notre gré ; de parler et d'agir
de même, en choisissant notre propre tems.
Notre liberté consistait dans la liberté de l'Esprit
de vérité, et il n'y avait ni plaisir, ni profit, ni
crainte, ni faveur, qui pût nous faire quitter cet
état retiré, solide, et vigilant. Nous étions si
éloignés de rechercher la société, que nous l'évi-
tions autant que nous pouvions ; poussant nos
propres affaires avec modération, au lieu de nous
mêler sans besoin de celles d'autrui.
108 ORIGINE ET FORMATION DE LA
Nos discours abondaient en sens, non en
paroles ; notre air était composé et grave, et
toute notre manière d'être était d'une gravité
remarquable. Il est vrai que ce genre de vie
retirée et sévère, comparé à la liberté qui règne
dans les conversations du monde, nous exposait
à la censure de plusieurs qui nous traitaient de
gens bourrus, singuliers, et persuadés de leur
propre justice, &c. Mais cela nous gardait de
bien des pièges auxquels étaient continuellement
exposés, par la convoitise des yeux, par la con-
voitise de la chair, et par la vanité du monde, tant
d'autres qui ne manquaient ni d'occasions ni de
tentations, pour les attirer au dehors, et les en-
traîner dans le monde.
Je ne puis oublier l'humilité et le zèle de ce
tems là. Combien alors on était exact, à se
trouver aux congrégations ! avec quel recueille-
ment on y assistait ! avec quelle fermeté on était
attaché à la vie de la vérité, aussi bien qu'aux
principes de la vérité ! combien nous étions
entiers et unis dans notre communion; et c'est
ainsi en effet que doivent l'être, ceux qui recon-
naissent pour chef le Seigneur Jésus-Christ.
Tel est le témoignage et l'exemple que l'homme
de Dieu, dont j'ai parlé ci-dessus, eut mission
de nous annoncer et de laisser parmi nous.
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 109
Nous l'avons embrassé comme la Visitation misé-
ricordieuse de Dieu ; et la parole d'exhortation
en ce jour est que nous continuions de marcher
dans la voie de ce témoignage, en tout zèle et
toute intégrité, et avec d'autant plus d'ardeur
que le jour approche davantage.
C'est à vous que je m'adresse d'abord, mes
frères bien-aimés et honorés en Jésus-Christ, à
vous qui exercez le ministère. Sentez la vie de
Dieu au dedans de vous-mêmes, en exerçant ce
saint ministère. Que la vie soit toujours le
signal de votre mission, la source et le trésor où
vous puisez dans ces occasions, sans quoi vous
savez que vous ne pouvez engendrer à Dieu,
d'autant que rien ne peut régénérer les hommes,
et les faire vivre en Dieu, que la vie de Dieu,
et qu'un ministère qui vivifie les hommes en Dieu
doit être de la vie et en la vie. Nous avons vu
les fruits des autres ministères, par le petit
nombre de ceux à qui ils ont fait abandonner la
voie du péché. Ce ne sont point nos talens ni
notre mémoire, ce n'est point de raconter, quand
et comme il nous plaira, les choses qui nous ont
été révélées, qui fera l'œuvre du Seigneur. Un
ministère qui ne fait qu'expliquer sèchement la
doctrine, quelque solide qu'il soit dans ses pa-
roles, n'atteint pas plus avant que les oreilles,
110 ORIGINE ET FORMATION DE LA
et n'est après tout qu'un beau rêve ; mais il est
une autre solidité, la solidité même, c'est Christ,
la puissance de Dieu. C'est la clef de David
qui ouvre, et nul ne peut fermer; qui ferme, et
nul ne peut ouvrir; et cette solidité est à la
meilleure des paroles ce qu'est l'huile à la lampe,
et l'âme au corps, et c'est ce qui fît dire à Jésus-
Christ, " Mes paroles sont esprit et vie ;" c'est-
à-dire, elles viennent de la vie même, c'est
pourquoi elles vous font vivre, vous qui les
recevez. Si les disciples qui avaient vécu avec
Jésus-Christ durent rester à Jérusalem, jusqu'à
ce qu'ils l'eussent reçue ; à plus forte raison
devons nous attendre que nous l'ayons reçue,
avant d'exercer le ministère, si nous voulons
convertir les hommes des ténèbres à la lumière,
et de la puissance de Satan à Dieu.
Je prie ardemment et en toute humilité Dieu,
le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, que
vous ayez toujours les mêmes sentiments, que
vous attendiez toujours avec révérence la venue
et la révélation de la parole de vie, que vous
suiviez toujours ses mouvements dans votre mi-
nistère et dans vos fonctions, afin de servir Dieu
selon son Esprit. Soit que vous disiez peu ou
beaucoup, ce que vous direz sera toujours bien ;
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 111
car beaucoup ne sera jamais trop, ni peu trop
peu, pourvu que vous agissiez d'après le mouve-
ment de l'Esprit de Dieu : sans quoi, il n'en
faut pas douter, let moins du monde sera trop,
parcequ'il ne portera pas profit.
Car c'est l'Esprit de Dieu qui, immédiate-
ment, ou par le ministère de ses serviteurs, en-
seigne à son peuple à profiter des instructions ;
et assurément ce n'est qu'autant que nous le
prenons avec nous pour nous diriger dans notre
service, que nous sommes des serviteurs utiles,
et sans cela il n'en est rien ; car s'il faut que le
Seigneur mette toutes choses en mouvement au
dedans de nous, pour que nous puissions être
sauvés nous-mêmes, à plus forte raison son
opération est elle indispensable pour que nous
puissions convertir les autres. Si donc ce nous
était autrefois une croix de parler, quoique le
Seigneur nous y sollicitât ; que ce ne nous en
soit jamais une de garder le silence, lorsqu'il ne
nous meut pas à parler.
Une des menaces les plus terribles du livre
de Dieu, c'est l'endroit où il dit, "Que celui qui
" ajoutera aux paroles de la prophétie de ce
" livre, Dieu fera tomber sur lui les plaies écrites
" dans ce livre." Il n'est pas moins terrible de
refuser de parler quand Dieu nous le conseille,
112 ORIGINE ET FORMATION DE LA
M Car celui qui retranchera quelque chose des
" paroles du livre de cette prophétie, Dieu lui
" enlèvera la part qu'il a dans le livre de vie."
Et véritablement c'est une chose à laquelle on ne
saurait trop prendre garde ; ceux qui se servent
du nom du Seigneur, doivent avoir soin de
s'assurer si véritablement le Seigneur parle ; de
peur de se trouver du nombre de ceux qui
ajoutent aux paroles du témoignage de la pro-
phétie que le Seigneur les charge d'annoncer ; et
de peur d'en rien retrancher ou diminuer, puisque
l'un et l'autre offensent tellement le Seigneur.
C'est pourquoi ayons bien soin, mes frères,
de ne point devancer notre guide, et de ne pas
non plus rester en arrière; puisque celui qui se
presse trop, court le risque de perdre son chemin,
et que celui qui reste en arrière peut perdre de
vue son guide. Car ceux même qui ont reçu
la parole du Seigneur, doivent attendre la
sagesse pour diviser la parole à propos ; c'est-à-
dire qu'il est très possible que quelqu'un qui a
reçu la parole, se méprenne quand il s'agit de la
diviser, et d'en faire l'application. Ce qui doit
venir d'une impatience d'esprit et du désir de
travailler par soi-même, d'où résulte un mauvais
et dangereux mélange ; et l'on peut à peine,
en agissant ainsi, produire à Dieu un peuple
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 113
d'esprit droit, et qui possède véritablement
la vie.
C'est un point auquel je m'attache par dessus
tout, pour ceux de nos frères qui exercent pub-
liquement le ministère ; sachant bien de quelle
importance il est, pour l'état présent et à venir,
et pour la conservation de l'église de Jésus-
Christ, rassemblée et bâtie par un ministère
rempli de vie et de pouvoir, que le ministère
s'entretienne, se conserve, et se continue, en
recevant de tems à autre les manifestations, les
mouvemens, et les secours répétés de cette même
vie, et de ce même pouvoir.
Toutes les fois qu'il paraît que certains font
plutôt usage de leurs talens et des dons qu'ils ont
reçus, en administrant la parole, qu'ils ne parlent
d'après la lumière et le pouvoir d'en haut,
quoique leur entendement soit éclairé et qu'ils
connaissent la bonne doctrine, il faudra les en
avertir à tems, pour leur propre intérêt. Ils
en viendraient insensiblement à se fier en-
tièrement à leurs propres lumières, et à quitter
Jésus-Christ qui est la vraie fontaine vive, pour
puiser à des citernes qui ne contiendraient point
des eaux vives ; et parcequ'ensuite ils en vien-
draient peu à peu à détourner leurs frères d'at-
tendre en eux-mêmes le don de Dieu, et de le
i
114 ORIGINE ET FORMATION DE LA
sentir dans les cœurs des autres pour en être
fortifiés et consolés. Ils les attireraient à eux,
et leur feraient quitter Dieu pour retourner à
l'homme; et ils feraient ainsi naufrage quant à
la foi jadis donnée aux saints, et quant à la
pureté de la conscience à l'égard de Dieu, qu'il
est impossible de conserver sans le don divin de
la vie, par lequel l'une avait été engendrée au
commencement, et l'autre ranimée et sanctifiée.
Il ne nous suffit point d'avoir connu le don
divin, d'avoir par ce moyen atteint les esprits
qui sont dans la prison, et d'avoir été les instru-
mens par lesquels d'autres ont été convertis à
Dieu, si nous ne nous conservons aussi humbles
et aussi pauvres en nous-mêmes qu'auparavant,
et dans la même dépendance envers le Seigneur.
D'autant que ni le souvenir, ni la répétition des
découvertes, des révélations, et des jouissances
que nous avons éprouvées antérieurement, ne
sauraient ramener une âme à Dieu, ni donner
le pain à ceux qui ont faim, ni l'eau à ceux qui
ont soif, à moins que la vie n'accompagne ce que
nous disons: or c'est ce qu'il est de notre devoir
d'attendre.
Puissions nous n'avoir point d'autre source,
d'autre trésor, ni d'autre appui ! Que nul n'ose en
aucune circonstance agir de son propre mouve-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 115
ment pour Dieu, parceque depuis longtems il a agi
par le mouvement de Dieu. Ne nous dispensons
point d'attendre le Seigneur; ne croyons point
pouvoir y suppléer par notre propre sagesse, et
ne nous imaginons point pouvoir apporter moins
de soin, et prendre en parlant plus de liberté
qu'auparavant ; enfin lorsque nous ne sentirons
pas la puissance du Seigneur agir au dedans de
nous, et nous inspirer, quelle que soit l'attente
du peuple, quel que soit notre caractère ordinaire,
enfin quelque accoutumés que nous soyons à re-
cevoir ses secours, ne passons point les bornes et
ne cherchons point à remplir ce vide par des
choses venant de nous.
Nous n'oublierons jamais, je l'espère, qui
était Celui qui a dit, " Hors de moi vous ne
pouvez rien faire ;" lui seul peut nous donner la
capacité. Car si nous ne devons point avoir
recours à nos propres paroles, et chercher en nous-
mêmes ce que nous devons dire pour nous dé-
fendre, lorsque nous sommes attaqués concernant
notre témoignage, nous devons bien moins en-
core employer ce moyen, et être en peine de ce
que nous dirons, dans notre témoignage, et dans
l'exercice de notre ministère au nom du Seigneur,
et pour l'édification du peuple ; car c'est alors
plus que jamais que doit s'accomplir en nous ce
i 2
116 ORIGINE ET FORMATION DE LA
passage, " Ce n'est pas vous qui parlez, mais
" c'est l'esprit de mon Père qui parle en vous."
Car le ministère de l'Esprit doit conserver, et
conserve réellement, son analogie et son union
avec la naissance de l'Esprit ; car comme aucun
ne peut hériter le royaume de Dieu s'il n'est né
de l'Esprit, de même aucun ministère ne saurait
engendrer une âme à Dieu, si ce n'est celui qui
dérive de l'Esprit. Et, comme je l'ai dit plus
haut, c'était cet Esprit que les disciples atten-
daient avant d'aller prêcher; et c'est selon cet
Esprit que, de nos jours, nos anciens, et ceux
d'entre nos frères qui annonçaient la parole de
Dieu, attendaient, nous visitaient, et se faisaient
entendre à nous ; ainsi donc, ayant com-
mencé par l'Esprit, qu'aucun de nous n'espère
ni ne désire d'être rendu parfait selon la chair.
Quelle comparaison y-a-t-il en effet entre la chair
et l'esprit, entre la paille et le froment ? Si nous
persévérons dans l'esprit, nous conserverons
l'unité de l'Esprit, ce qui est le fondement de la
vraie communion. Car en buvant tous de ce
même esprit, nous devenons un seul peuple en
Dieu, et par là, nous nous conservons dans
l'unité de foi, et dans le lien de la paix. Ni
envie, ni amertume, ni querelles, ne peuvent
naître parmi nous. Nous veillerons toujours les
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 117
uns sur les autres, pour le bien de nos amis, et
non pour leur mal ; et bien loin de porter envie
à nos amis, lorsque nous les verrons doués plus
abondamment des dons de la grâce, que le Sei-
gneur prodigue à ses fidèles serviteurs, nous en
serons pleins de joie.
Mes frères, comme c'est à vous qu'es confiée
la dispensation des oracles de Dieu ; ce qui
vous procure maintes occasions favorables d'être
utiles, et vous donne beaucoup de poids parmi
ceux chez qui vous voyagez ; ne croyez point, je
vous prie, qu'il suffise de déclarer la parole de
Dieu dans les assemblées, quelque édifiant et
consolant que cela soit pour vos auditeurs, ainsi
que pour vous ; mais, imitant la pratique que
suivait en général l'homme de Dieu dont j'ai
parlé plus haut, lorsqu'il était parmi nous, in-
formez-vous de l'état des différentes églises que
vous visitez, tâchez de savoir s'il y a quelques-
uns de leurs membres qui soient malades ou
dans l'affliction, s'il y en a qui soient tentés, enfin
s'il y en a d'incrédules ou d'endurcis ; et faites en
sorte de remédier à ces choses, selon la sagesse
et la puissance de Dieu, et ce sera couronner
glorieusement votre ministère. Car leurs cœurs
vous étant naturellement ouverts, puisqu'ils vous
reçoivent comme des hommes de Dieu, vous ne
118 ORIGINE ET FORMATION DE LA
ferez qu'augmenter la bonne opinion qu'ils ont
déjà de vous, en leur faisant du bien à d'autres
égards, par vos bons conseils ; vous consolerez
les affligés, vous fortifierez ceux qui sont tentés,
vous soulagerez les malades, vous convaincrez
et ramènerez les incrédules, vous adoucirez les
endurcis, et les préparerez à être reconciliés ;
par là, vous confirmerez le témoignage général,
et y redonnerez une nouvelle force, en appli-
quant ainsi vos soins à différentes branches, par
rapport à ceux qui y sont plus particulièrement
intéressés.
Car quoiqu'il puisse y avoir en résidence sur
les lieux-mèmes, des gens bons et sages, et
même des anciens, qui en général sont des per-
sonnages de mérite et de poids, et même estimés
dans d'autres endroits ; cependant il ne s'ensuit
pas pour cela que ceux parmi lesquels ils
demeurent mettent en eux toute la confiance
qu'ils méritent, et il peut y avoir quelque cir-
constance particulière qui les empêche d'exercer
cette espèce d'autorité. Mais vous, qui voyagez
comme envoyés de Dieu, s'ils vous donnent
leur confiance pour un objet si important, vous
la refuseront-ils pour un moindre ? et s'ils
admettent le témoignage général, pourront-ils
s'opposer à ce que vous en fassiez l'application
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 119
particulière aux différentes circonstances où ils
se trouvent? C'est ainsi que vous vous mon-
trerez vraiment ouvriers, et que vous ferez
marcher vos œuvres devant vous, à la gloire du
nom de celui qui vous a appelés des ténèbres à la
lumière, afin qu'affranchissant les autres du
pouvoir de Satan, vous les ramenassiez à Dieu,
et à son royaume qui est au dedans. Combien
il serait à désirer qu'il y eût un plus grand
nombre d'ouvriers si fidèles, dans la vigne du
Seigneur! Jamais, depuis le jour du Seigneur,
le besoin n'en fut plus grand.
C'est pourquoi je crois devoir vous crier avec
force : O vous qui depuis longtems professez la
vérité ; vous qui la connaissez par sa puissance
énergique, et dont la conduite parmi les hommes
est exempte de reproche; mais qui, contens de
connaître la vérité pour vous-mêmes, d'aller aux
assemblées, d'exercer dans l'église une charité
ordinaire, et de vous conduire honnêtement
parmi les hommes, vous bornez à cela; vous
qui, au fond de vos âmes, ne prenez guères
d'autre intérêt à la gloire du Seigneur, et à la
propagation de sa vérité sur la terre, qu'en vous
réjouissant des succès qu'ont les autres dans ce
ministère. Levez-vous au nom et en la puissance
du Seigneur Jésus. Voyez comme chez cette
120 ORIGINE ET FORMATION DE LA
nation, ainsi que chez les autres, les campagnes
sont blanches et bonnes à moissonner, voyez
combien sont rares les ouvriers fidèles, et ca-
pables de travailler à la moisson ! Vos compa-
triotes, vos voisins, vos parens désirent de con-
naître le Seigneur et sa vérité, et de marcher
dans ses voies. Rien chez vous ne vous parle-t-il
donc en leur faveur ? Examinez vos cœurs,
cherchez et ne perdez point de tems, je vous en
prie, car le Seigneur est près.
Je ne vous juge point; mais il en est un qui
juge tous les hommes, et son jugement est vrai.
Vous avez acquis des richesses temporelles ;
puissent vos richesses intérieures augmenter dans
la même proportion ! puissiez vous bien user de
ce double avantage, tandis qu'il est en votre
pouvoir d'opérer le bien. Vos ennemis auraient
bien voulu naguères vous ôter ce que vous aviez,
pour l'amour de celui en qui vous croyiez ; c'est
pourquoi il vous a donné une part abondante
aux biens de ce monde à la face de vos ennemis.
Mais prenez garde, ayez soin que le monde soit
votre esclave, et non votre maître, faites-vous en
un passe-tems, et non une affaire. Que vos
regards soient tournés principalement vers le
Seigneur, examinez vos voies, considérez si Dieu
n'a point d'autres services à attendre de vous :
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 121
et si vous vous trouvez en arrière avec lui, tenez-
vous prêts à recevoir le mot de commandement ;
ne vous lassez point de faire le bien, quand une
fois vous aurez mis la main à la charrue ; et
vous êtes assurés, si vous ne vous relâchez point,
de recueillir le fruit de votre travail céleste dans
le royaume éternel de Dieu.
Et vous, nouveaux convertis, je vous engage,
je vous exhorte à attendre le Seigneur, en toute
diligence et chasteté, à attendre sa manifestation
et sa bienheureuse apparition dans vos cœurs :
ne regardez point au dehors, mais au dedans.
Que la liberté d'autrui ne soit point un piège
pour vous ; n'agissez point non plus par imita-
tion, mais selon que vous sentirez et goûterez le
pouvoir de Dieu au dedans de vous-mêmes ; n'en
étouffez point les premiers mouvements dans vos
âmes, n'allez point non plus, dans la chaleur de
vos désirs et de vos affections, en exagérer les
doux et saints mouvemens. Rappelez vous que
la voix qui nous parle en ce jour est une voix
dont le son est délicat et subtil, qui ne s'entend
point au milieu du bruit et des embarras du
monde; mais qui se fait entendre distinctement
dans la retraite. Jésus aimait et cherchait la
solitude ; il se retirait souvent sur les mon-
tagnes, dans les jardins, et sur le bord de la
122 ORIGINE ET FORMATION DE LA
mer, pour éviter la foule et le tumulte ; don-
nant par là à connaître à ses disciples qu'il
est bon d'être solitaire, et de se soustraire aux
embarras du monde. Dans votre état, vous avez
deux ennemis à craindre, — votre imagination, et
le désir de la liberté; mais la vérité simple et
de pratique, celte vérité vivante et sainte qui
vous a convaincus, sera votre sauve-garde, si
vous l'écoutez au dedans de vous-mêmes, et que
vous en fassiez, pour ainsi dire, la pierre de
touche de vos pensées, de vos inclinations, et de
vos affections, pour vous assurer par ce moyen
si elles sont de Dieu, ou de l'ennemi commun,
ou de vous-mêmes ; et par là, vous vous con-
serverez un tact, un discernement infaillible,
pour décider des choses qu'il vous faudra faire,
ou ne pas faire. Et en continuant de marcher
dans cette voie, avec diligence et fidélité, vous
parviendrez à hériter de la substance même ; et
Jésus-Christ, la sagesse éternelle, remplira votre
trésor. Lorsque vous serez aussi bien convertis
que vous êtes convaincus, alors fortifiez vos
frères. Tenez-vous prêts à obéir au Seigneur,
quelque parole et quelque œuvre qu'il requière
de vous, afin de pouvoir contribuer à la gloire de
celui qui vous a choisis pour participer avec les
saints, à la lumière d'un royaume qui ne saurait
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 123
être ébranlé, à un héritage incorruptible dans les
demeures célestes.
Quant à vous qui êtes les enfans du peuple
de Dieu, j'ai grandement à cœur votre salut. Je
prie souvent à genoux le Dieu de vos pères, et
lui demande qu'il vous fasse participer à la vie
divine et au pouvoir qui sont la gloire de ce jour :
afin que vous soyez une génération approuvée
de Dieu, une nation sainte, un peuple choisi, et
zélé pour les bonnes œuvres. Jeunes gens de
l'un et l'autre sexe, qu'il ne vous suffise pas
d'être les enfans du peuple du Seigneur ; il faut
aussi que vous soyez régénérés, si vous voulez
hériter le royaume descieux. Vos pères ne sont
vos pères que selon la chair, et n'ont pu vous
engendrer que selon la ressemblance du premier
Adam ; mais il faut que vous soyez régénérés
spirituellement à la ressemblance du second
Adam; sans quoi vous ne serez ni ne sauriez
être ses enfans. C'est pourquoi ne vous négli-
gez point, q#vous qui êtes les enfans des enfans
de Dieu ! examinez jusqu'à quel point vous
tenez à cette sainte parenté, à cette sainte
famille, et combien vous participez à cette
régénération. Avez-vous obéi à la lumière?
avez-vous reçu l'Esprit, et marché, en cet Es-
prit, qui est la semence incorruptible de la pa-
124 ORIGINE ET FORMATION DE LA
rôle et du royaume de Dieu, pour lequel il faut
que vous soyez régénérés ? Dieu n'a point
d'égard à l'apparence des personnes. Le père
ne peut sauver le fils, ni le fils le père, et ils
ne peuvent répondre l'un pour l'autre ; mais
tel qui persiste dans le péché mourra dans son
péché; et tel qui, par Jésus-Christ, pratique la
justice, vivra dans la justice. Car ce sont ceux
qui obéissent volontairement, qui mangeront le
meilleur du pays. Ne vous abusez point ; Dieu
ne peut être moqué ; car ce que les nations et
les peuples auront semé, ils le moissonneront aussi
de la main du Dieu juste; et alors le grand
nombre de privilèges considérables que vous
avez de plus que les enfans des autres hommes,
sera ajouté au poids de la balance contre vous,
si vous ne suivez la voie du Seigneur. Car
vous avez eu ligne après ligne, commandement
après commandement ; vous avez eu non seule-
ment la bonne doctrine, mais aussi le bon ex-
emple ; et qui plus est, on vous a appris à voir
et à connaître au dedans de vous-mêmes un
principe qui n'est que trop généralement inconnu
aux autres hommes. Vous savez que vous
pouvez être aussi bons qu'il vous plaira, sans
craindre ni mauvaise humeur, ni coups, sans être
être chassés de la maison, ni abandonnés de
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 125
père et de mère, pour l'amour de Dieu et de sa
sainte religion, ainsi qu'il est arrivé à quelques-
uns de vos pères, lorsqu'ils entrèrent dans cette
sainte voie. Mais vous, si après avoir appris et
vu les miracles que Dieu a opérés, en les dé-
livrant, et les conservant, au milieu d'une mer
orageuse, ainsi que les bénédictions abondantes,
tant spirituelles que temporelles, dont il les a
comblés à la vue de leurs ennemis ; si d'après
cela, dis-je, vous négligiez une si grande faveur,
et les moyens de salut qui sont tellement à votre
portée ; non seulement vous seriez les enfans
les plus ingrats envers Dieu, et envers vos pères,
mais vous devriez vous attendre que Dieu
appellerait les enfans de ceux qui ne le con-
naissent pas, pour vous ôter la couronne des
mains, et que votre sort serait un jugement ter-
rible de la part de Dieu. Mais, je le dis de
toute mon âme, à Dieu ne plaise qu'il en soit
ainsi de vous !
Jettez donc, ô jeunes gens, jettez les yeux
vers le rocher de vos pères : il n'y a point
d'autre Dieu que lui, point d'autre lumière que
la sienne, point d'autre grâce que la sienne,
point d'autre esprit que le sien, pour vous con-
vaincre, pour vous vivifier et vous consoler, pour
vous conduire, pour vous conserver et vous gui-
126 ORIGINE ET FORMATION DE LA
cler au royaume éternel de Dieu. Par là, non
seulement vous ferez profession de la vérité, mais
vous la posséderez ; l'embrassant, non seule-
ment par suite de votre éducation, mais avec
connaissance de cause, et parceque vous en êtes
convaincus ; l'embrassant par l'effet d'un senti-
ment qu'à produit dans vos âmes l'opération de
l'Esprit de Dieu, et son pouvoir éternel. C'est
par cet Esprit que vous pouvez devenir la se-
mence d'Abraham, par la foi, et par la circon-
cision faite sans main, que vous pouvez devenir
les héritiers de la promesse faite à nos pères,
c'est-à-dire d'une couronne immortelle : afin
que, comme je l'ai dit, vous puissiez être une
génération agréable à Dieu, soutenant la pro-
fession que vous faites de la sainte vérité par la
vie et la puissance de cette même vérité. Car
la pure formalité, en fait de religion, est insipide
à Dieu et aux hommes; et surtout lorsqu'une
certaine forme ou apparence a en soi quelque
chose de particulier ou de nouveau, et que c'est
d'après un principe qu'elle a commencé, et a
été pratiquée avec un zèle et une exactitude
extraordinaires. C'est pourquoi je dis, que si
vous deveniez tièdes et formels, et que, tout en
demeurant dans la même profession de foi, vous
restassiez dénués de ce sel et de cette saveur qui
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 127
lui ont acquis un bon témoignage parmi les
hommes ; ce ne serait pas répondre à l'amour de
Dieu, aux bons soins de vos parens, ni à la
lumière de la vérité qui est en vous, et en ceux
qui sont encore dehors; et qui, tout en refusant
d'obéir à la vérité, ont assez de sens et d'assez
bons yeux pour voir si ceux qui la professent
lui obéissent. Car lorsque l'on ne sent pas sa
vertu divine dans son âme, lorsqu'on ne l'attend
point, et que l'on ne vit point en elle, — les im-
perfections percent bientôt, paraissent ouverte-
ment, découvrent l'infidélité de ceux qui sont
dans ce cas-là, et font voir que leur intérieur
n'est point imbu de la nature du principe qu'ils
professent.
Souffrez donc, mes chers enfans, que je vous
exhorte à fermer les yeux aux tentations et à la
corruption de ce monde bas et périssable ; et à
ne point laisser captiver vos affections par la
convoitise et les vanités que vos pères ont aban-
données depuis longtems, pour l'amour de la
vérité. Et puisque vous croyez que c'est là réelle-
ment la vérité, recevez-la dans vos cœurs, pour
devenir enfans de Dieu : afin que l'on ne puisse
jamais dire de vous, comme l'évangéliste dit des
Juifs de son tems, que Jésus-Christ la véritable
lumière "est venu chez soi, et les siens ne l'ont
128 ORIGINE ET FORMATION DE LA
" point reçu ; mais à tous ceux qui l'ont reçu, il
" leur a donné le droit d'être faits enfans de
" Dieu ; savoir à ceux qui croient en son nom,
" lesquels ne sont point nés de sang, ni de la
" volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme,
" mais ils sont nés de Dieu ;" passage qui dit
beaucoup, et s'applique très bien ici. Votre état
répond parfaitement au portrait que l'apôtre
fait de ces Juifs dont la religion était toute ex-
térieure, en ce que vous portez le nom de peuple
de Dieu, que vous êtes les enfans, et avez toutes
les apparences du peuple de Dieu ; et l'on peut
dire de lui, vu sa lumière qui est en vous, qu'il
est venu chez les siens ; et si vous ne lui obéissez
pas, que vous vous détourniez de lui, et que vous
suiviez les vanités de votre esprit, vous serez du
nombre de ceux qui ne l'ont point reçu. Mais je
prie Dieu que jamais il n'en soit ainsi de vous, et
que vous n'attiriez point un tel jugement, sur votre
tête, que vous sentiez combien sont grandes et
nombreuses les obligations que vous avez à Dieu
pour son amour, et à vos parens pour leurs bons
soins ; que vous vous tourniez de tout votre
cœur, de toute votre âme, et de toutes vos forces
vers le Seigneur; que vous lui obéissiez, que
vous scelliez le témoignage de vos pères par la
vérité de votre propre expérience ; afin que les
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 129
enfans de vos enfans vous bénissent, et bénissent
le Seigneur pour vous, comme leur ayant donné
un exemple fidèle, et leur ayant réellement
transmis la vérité de Dieu. Ainsi les cheveux
blancs de vos chers parens, qui vivent encore,
descendront au sépulcre avec joie, en voyant
que vous ne serez pas moins les enfans de la
vérité que les leurs ; et que ce n'est pas seule-
ment leur nature, mais aussi leur esprit, qui
vivra encore en vous, lorsqu'ils auront quitté
cette terre.
Je finirai par une courte exhortation que
j'adresse à ceux qui ne sont pas de notre com-
munion, entre les mains de qui il peut arriver
que ce livre tombe, et surtout à mes com-
patriotes.
Mes amis, comme vous êtes enfans d'Adam et
mes frères selon la chair, j'ai souvent prié Dieu
pour vous avec ardeur, désirant sincèrement que
vous connaissiez que votre Créateur est votre
Rédempteur, et que par la puissance et l'esprit de
son Fils Jésus-Christ, qu'il a donné pour être la
lumière et la vie du monde, il vous rende cette
ressemblance divine que vous avez perdue par le
péché. Oh, si vous vouliez le recevoir dans vos
cœurs, vous qui portez le nom de Chrétiens, car
c'est dans vos cœurs qu'il faudrait le posséder !
K
130 ORIGINE ET FORMATION DE LA
Il frappe à la porte, pour que vous le laissiez
entrer ; mais vous ne lui ouvrez point, vous avez
tant d'autres hôtes qui occupent toutes vos
demeures, que, de même qu'autrefois, il ne peut
trouver de place que dans une crèche. Cepen-
dant vous abondez en protestations et en pro-
fessions de foi, de même que les Juifs lorsqu'il
parut parmi eux ; ils ne voulurent point le con-
naître, mais le rejettèrent, et le maltraitèrent.
De sorte que si vous n'en venez point à posséder
et à connaître par expérience ce dont vous faites
profession, toutes vos formalités, en fait de reli-
gion, ne vous tiendront lieu de rien au jour du
jugement de Dieu.
Je vous prie donc de bien peser en vous-
mêmes votre condition éternelle, de voir quels
sont vos titres, sur quoi vous vous fondez
pour porter le nom de Chrétiens, et si votre
Christianisme ne consiste qu'à professer, et à
croire l'évangile comme une histoire vraie. Avez-
vous connu le baptême de feu et du Saint Es-
prit ? avez-vous senti le van de Jésus-Christ qui
nettoie les âmes de toute paille inutile, telle que
la convoitise, et les affections de la chair ? avez-
vous reçu ce levain du royaume des cieux, qui
fait fermenter l'homme entier, et le sanctifie en
corps, en âme, et en esprit ? Si ce n'est pas là
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 131
le fondement de votre confiance, vous êtes dans
un état malheureux.
Vous me direz, peut-être, que quoique
pécheurs, et vivant journellement dans un état
de péché, et quoique vous n'ayez pas été sanc-
tifiés, comme je viens de le dire, cependant vous
avez foi en Jésus-Christ qui a supporté la malé-
diction pour vous, que vous êtes complets par la
foi en lui, sa justice vous étant imputée.
Mais ne vous abusez point, je vous en conjure,
mes amis, dans une affaire aussi importante que
celle qui regarde vos âmes immortelles. Si vous
avez une vraie foi en Jésus-Christ, votre foi vous
rendra purs, elle vous sanctifiera; car dans l'an-
cien tems, la foi des saints était leur victoire ;
c'était par la foi qu'ils triomphaient du péché au
dedans d'eux-mêmes et des pécheurs au dehors.
Et si tu es en Christ, tu ne marches plus selon
la chair, mais selon l'Esprit, dont les fruits sont
manifestes. Oui, tu es une nouvelle créature,
régénérée et reformée sur le modèle, et selon
la volonté de Dieu. Toutes les choses vieilles
sont passées, et voici, toutes choses sont faites
nouvelles : un nouvel amour, des désirs, une
volonté, des affections, et des pratiques nou-
velles. Ce n'est plus toi dorénavant qui vis, ce
n'est plus toi, désobéissant, charnel et mondain,
k 2
132 ORIGINE ET FORMATION DE LA
mais c'est Christ qui vit en toi ; or Christ t'est
gain à vivre et à mourir : parceque tu es assuré
que ton corruptible revêtira l'incorruptibilité,
que ton mortel revêtira l'immortalité, et que tu
as dans le ciel une maison glorieuse et éternelle,
qui ne vieillira et ne périra jamais. Tels sont les
effets que Christ produit en ceux qui existent en
lui, de même que le feu produit la chaleur, et le
soleil la lumière.
C'est pourquoi gardez- vous bien de vous fonder
sur l'idée que vous pourriez vous faire, que vous
vivez en Christ, tandis que vous êtes encore dans
votre ancien état de péché. Car qu'y a-t-il de
commun entre la lumière et les ténèbres, et quel
accord peut exister entre Christ et Bélial ?
Ecoutez ce que vous dit le disciple bien-aimé :
" Si nous disons que nous avons communion
" avec Dieu, et que nous marchions dans les
" ténèbres, nous mentons, et nous n'agissons
'•'pas selon la vérité." C'est-à-dire, si nous
marchons dans la voie du péché, que nous
soyons les esclaves de nos affections char-
nelles, et ne soyons point convertis à Dieu, nous
marchons dans les ténèbres, et ne pouvons dans
cet état avoir aucune communion avec Dieu.
Christ revêt de sa justice, ceux qui reçoivent sa
grâce dans leurs cœurs, qui renoncent à eux-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 133
mêmes, qui se chargent tous les jours de sa
croix, et qui le suivent. La justice de Christ
sanctifie les hommes intérieurement, elle sanctifie
leurs âmes, leurs volontés, et leurs actions.
Cette justice n'en appartient pas moins à Christ,
parceque nous la possédons ; car elle devient
nôtre, non par nature, mais par foi et par adop-
tion ; c'est le don de Dieu. Mais malgré cela,
et quoiqu'elle ne soit pas nôtre, comme venant
de nous (car en ce sens, elle appartient vraiment
à Christ, car elle est de lui, et vient de lui), ce-
pendant elle nous appartient, et est vraiment
nôtre par la possession, par la jouissance, et par
son efficacité, et il faut qu'elle le soit pour nous
être salutaire; sans quoi la justice de Christ ne
nous servirait à rien. Il en était ainsi pour les
premiers Chrétiens: justice, sanctification, justi-
fication, et rédemption ; et si jamais vous voulez
sentir à fond les consolations de la religion chré-
tienne, et si je puis m'exprimer ainsi, en pénétrer
le cœur et la moelle, c'est ainsi que vous devez
apprendre à la connaître et à l'obtenir.
Maintenant, mes amis, d'après ce que vous
venez de lire, il vous est aisé de voir que Dieu
a visité un pauvre peuple d'entre vous, à qui il
a envoyé cette science de salut et ce témoignage ;
qu'il a soutenu et augmenté jusqu'àce jour, malgré
134 ORIGINE ET FORMATION DE LA
les violentes oppositions qu'il a éprouvées de toutes
parts. Ne méprisez point ce que les apparences
ont de méprisable : ce jour, nous le savons, a été
et est encore regardé par un trop grand nombre
comme un jour qui n'a produit que de petites
choses, et dont ils tiennent peu de compte : ils lui
ont donné plusieurs noms injurieux etméprisans ;
mais il est de Dieu, et vient de lui, puisqu'il
mène à lui. C'est ce que nous savons, quoique
nous ne puissions le faire comprendre aux autres,
à moins qu'ils ne prennent, pour le connaître, la
même voie que nous avons suivie. Le monde
parle de Dieu, mais que fait-il ? Il demande la
puissance, et rejette le principe en qui elle est.
Si vous voulez connaître Dieu, adorer et servir
Dieu comme vous le devez, il faut que vous ayez
recours aux moyens qu'il a indiqués et donnés
pour cela. Les uns le cherchent dans les livres,
d'autres parmi les savans, mais ce qu'ils cherchent
est en eux, (quoique ne venant pas d'eux) et ils
n'y font pas attention. La voix est trop subtile,
la semence est trop petite, et la lumière luit
dans les ténèbres. Ils ne sont point à la maison,
et ne peuvent partager le butin ; mais la femme
qui avait perdu son argent, le trouva chez elle
lorsqu'elle eût allumé sa lampe et balayé sa mai-
son. Faites-en de même, et vous trouverez ce
que Pilate cherchait à connaître, c'est-à-dire, la
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 135
Vérité : la vérité dans l'intérieur, chose si pré-
cieuse aux yeux de Dieu ; la lumière de Christ
dans l'intérieur. Christ qui est la lumière pour le
monde, et par conséquent pour vous : lui, qui
vous fait connaître votre vraie condition, mène
tous ceux qui veulent y faire attention, des ténè-
bres à la lumière merveilleuse de Dieu. Car la
lumière se répand sur ceux qui obéissent ; elle
est faite pour les justes, et leur sentier est comme
la lumière resplendissante, dont l'éclat augmente
jusqu'à ce que le jour soit en sa perfection.
Rentrez donc, mes amis, rentrez en vous-
mêmes ; où est le poison, là vous trouverez aussi
l'antidote. C'est là que vous avez besoin de
posséder Christ, et c'est là que vous devez le
trouver; et, Dieu en soit béni, il est en votre
pouvoir de l'y trouver. Cherchez et vous trou-
verez, je vous en réponds pour Dieu. Mais il
faut aussi que vous cherchiez de bonne foi, de tout
votre cœur, comme des hommes qui cherchent la
vie, oui, la vie éternelle ; il faut que vous cher-
chiez avec diligence, avec humilité, avec patience,
en hommes qui ne peuvent goûter ni plaisir, ni
consolation, ni satisfaction en rien autre chose,
à moins qu'ils ne trouvent celui que leurs âmes
désirent de connaître et d'aimer par-dessus toutes
choses. Oh ! c'est un travail, un travail tout
spirituel, en pense et en dise ce qu'il voudra le
136 ORIGINE ET FORMATION DE LA
monde charnel et profane. C'est là le sentier
qu'il faut que vous suiviez, si vous voulez arriver
jamais à la ville de Dieu, dont les fondemens
sont éternels.
Mais, direz-vous, que fera pour nous cette
lumière divine? Que fera-t-elle ? Premièrement,
elle vous dévoilera tous vos péchés ; elle démas-
quera l'esprit du monde, avec tous ses appas et
toutes ses illusions, et vous montrera comment il
est arrivé que l'homme est déchu de Dieu, et
quel est son état actuel en conséquence de sa
chute. Secondement, elle engendrera en ceux
qui y croyent, un sentiment et un vif regret de
cette chute terrible. Alors vous verrez distincte-
ment celui que vous avez percé, alors vous verrez
tous les coups et les blessures qu'il a reçues par
votre désobéissance, et comment vous l'avez as-
servi par vos péchés ; alors vous pleurerez, vous
gémirez, et votre douleur sera une sainte dou-
leur. En troisième lieu, elle vous apprendra à
veiller saintement, et à. être sur vos gardes, pour
ne plus retomber dans les mêmes fautes, et ne
plus vous laisser surprendre par l'ennemi com-
mun. Alors vous commencerez à peser et à
juger vos pensées, aussi bien que vos paroles et
vos œuvres, et c'est là la voie de la sanctification,
où. marchent ceux que le Seigneur a rachetés.
C'est alors que vous viendrez à aimer Dieu par-
SOCIETE DITE DES QUAKERS. 137
dessus tout, et votre prochain comme vous-
mêmes. Rien ne nuit, rien ne blesse, rien
n'effraie sur cette montagne de sainteté ; c'est
alors que vous commencez à être à Jésus-Christ
en vérité ; car vous êtes à lui en nature et en
esprit, vous n'êtes plus à vous-mêmes ; et
lorsque vous êtes ainsi à Christ, alors Christ est
à vous, et non auparavant. C'est alors que
vous connaîtrez la communion avec le Père, et
avec le Fils, l'efficacité de son sang qui purifie,
oui, de ce sang de Jésus-Christ, de cet Agneau
sans tâche, qui nous prononce de meilleures
choses que celui d'Abel ; qui purifie de tout
péché la conscience de ceux qui, en étant ar-
rosés par une foi vive, quittent les œuvres
mortes pour servir le Dieu vivant.
Tels sont le témoignage et la doctrine du
peuple appelé Quakers ; telles sont leurs pra-
tiques et leur discipline. J'ai fait voir quel a
été le saint homme et les autres saints per-
sonnages, au moins plusieurs d'entr'eux qui ont
été envoyés de Dieu pour ce service et cette
œuvre bienheureuse ; on en trouvera un détail
plus particulier dans les annales de cet homme
de Dieu, que je recommande bien sincèrement
à mon lecteur de lire avec attention, suppliant
le Tout-Puissant de vouloir bénir l'un et l'autre,
et faire qu'ils convainquent le nombre trop
138 ORIGINE ET FORMATION, ETC.
grand de personnes à qui cette sainte dispensa-
tion est encore inconnue, et qu'ils édifient en
général l'église de Dieu ; qui par les miséri-
cordes répétées, et les grâces de tout genre, dont
il a comblé son peuple en ce jour de son amour
infini, est digne à jamais d'avoir gloire, hon-
neur, actions de grâces, et renom. Et ainsi lui
soit-il rendu et attribué, avec crainte et révé-
rence, par la médiation de Celui en qui il a mis
toute son affection, de son Fils bien-aimé, de
l'Agneau, qui est notre lumière et notre vie, qui
est assis avec lui sur son trône aux siècles des
siècles. Amen !
Voilà ce qu'avait à te dire un homme qui
depuis longtems, par l'effet de la miséricorde de
Dieu, a reçu sa Visitation paternelle, qui n'a
point été rétif à cette vision, à cette vocation
céleste ; à qui la voie de la vérité paraît plus
aimable et plus précieuse que jamais; et qui,
connaissant combien sa beauté et son utilité
sont au-dessus de tous les trésors du monde, en
a fait la principale joie de son cœur, et en consé-
quence te recommande de la choisir, et de l'aimer,
parcequ'il est avec autant de sincérité que
d'affection,
L'Ami de ton âme,
GUILLAUME PENN
l>e l'Imprimerie de 1. Rider, 14, Bsartholomew Close.